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Schlesinger Library
Radcliffe Collège
Culinary Collection
in honor of
Julia Child's 80th Birthday
With Affection and Admiration
The Women's Culinary Guild
of New England
August 1992
> .%«?
LE
GASTRONOME
FBMÇMS,
OU
L'ART DE BIEN VITRE,
« il
L
# .>tt^
)
IMPKIMEBIE DE H- BALZAC ,
»ri DM UktM fc 0.» w- 17- '.
In
LE
JLSlMPfl
FRANÇAIS,
OU
L'ART DE BIEN VIVRE,
MM. «. D. L. a***, D. D***5 6ASTBBMAHR,
G***, CLTTOPBON9 GHABUBd SA&T&OVTiLI.B 9 C I. C***, C***,
MAAIE DE SAINT-VASIN 9 B***^ ETC. ;
€>tnn:a0e mie nt drlrr^^ oirrimipaigtii 1^^ XUAe^^ it
<^aT* ty/6. 1^
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La découTcrie d'un awia nouvnu fait plot pour 1^
bonheur de l'humanîlé que la découverte d'une étoile.
* Haaaiox ai pAmar.
Vaut miruz Mr« ici bai
GMtrooofnc .
Qu'aitronoaie.
QiaTiL
PARIS.
m
QOAI DIS AU«08tlKS, H" Sy , PSis LK POMT-NIUF
1828.
IMPRIUERIB DE H. BALZàC ,
an DM HARAii s. a., m- 17. '
LE
JLSlMPflItl
FRANÇAIS
OU
L'ART DE BIEN VIYRE,
MM. C. D. L. a***, D. D***, GASTBAMAHNy
G***, CLTTOPHOZfy CHABLKd âARTBOIJVU.I.B 9 C, I. C***, C***,
HABIB DE SAINT-UASIN, B**% ETC.;
^Ùvmaty rm tn ordre ^ attimpagaé ï^t ÏUAt^^ it
IStmettiAwm et V^bf^tnatwm
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La découTCrtc d*on awia noUTeau fait plot |MHir le
bonheur d« rhauuiniié que U «léeouTerte d'uur éloilc.
* Bbiuoh di PiintT.
Vaut miru Mra ici bat
GaMroDonie .
Qu'aalronoBBt.
QlITIL
PARIS
QQAl DU AVGOSTlICf, R<* 67, Plàf Ll rOAT-lfllJF.
1838.
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^vetti00emenX.
Depuis Je i" janvier 1806, jusqu'en 181 5 , une
société de Gastronomes et d'Epicuriens , connue
sous Je titre de Caveau moderne , se réunit au Ro-
cher de Gancale , élevé par M. Alexis Balaine au
rang des temples les mieux desservis que le dieu des
festins eût dans la capitale du monde gourmand.
La société dti Caveau moderne , que , pendant
les deux premières années de son institution , on
nomma Société des Gourmands , se composait de
MM. Grimod de ta Reynière (nom classique dans
les fastes de la Gastronomie , et que le savant au-
teur de Yjért de diner en ville nomme
Archiviste fameux des meilleures cuisines ;)
Marie de Saint-llrsin ( docteur savant en us et en
oSf qui ne prescrivait qu'à son corps défendant la
diète à ses malades); Ducray-Duminil (aussi bon
gourmand qu'habile romancier ) ; Gallais ( ancien
moine de la congrégation de Saint-Maur) ; Godefroy
de Beaumont-BouilUm ( dont les ayeux s'illustrèrent
aux croisades , et qui remplissait dans cette so-
ciété gourmande les honorables fonctions d'écuyer
tranchant) ; Gastermann, Clytophon^ Charles Sar-
trouville , ou G. L. G. , gastronomes d esprit , de
cœur et de ventre , qui couvraient sous le voile mo-
deste de l'anonyme des noms et des talens que
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1
I
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VI AVERTISSEMENT.
m
d'autres moins énidits, mais plus avides de gloire ,
auraient avoués avec orgueil.
M. Balaine^qui avait reçu Timpulsion des grands
hommes de bouche de la fin du dix-huitième siècle,
fut nommé maître d'hôtel.
Voilà tes savans qui coopéraient à la partie subs-
tantielle d'un recueil mensuel que cette Société pu-
blia pendant dix ans , d'abord sous le titre de Jour-
nal des Gourmands et des Belles j puis sous la
désignation de VEpicurien français , ou les dîners
du Caveau moderne.
Les aimables chansonniers qui embellissaient '
par leurs brillantes saillies et par leurs joyeuses
chansons , la longueur de ces dîners , de succu-
lente mémoire , et qui ajoutaient leurs productions
légères aux dissertations profondes des savans gas-
tronomes que nous avons cités , étaient Messieurs :
Laujon (élève de Tancien Caveau et membre de
lacadémie française , président ) ; Pktlippon de la
Madelaincj de Piis^ de Chazet, Emanuel Dupaty ^
Désaugiers ^ Armand-^Gouffé ^ De Jouy (de l'acadé-
mie française) , Eùsèbe Salverte^ de Ijongchamp ,
Moreau^ Béranger, Francis ^ Oury, Capelle (fon-
dateur de cette Société, éditeur-propriétaire du
journal) , Gentil^ Brazier^ Antignac ^Thédulon,
Toumay^ Rougemont , Coupart , Jacquelùty etc.
Cette Société gourmande et chantante , dont les
relations s'étendaient jusqu'à l'île de France , invi-
tait à tous ses dîners , qui avaient lieu le 20 de
'\ chaque mois, des convives d'une réputation géné-
ralement reconnue dans les lettres et dans l'art des
dégustations nutritives : de ce nombre furent le
chantre d' Aline ^ celui de la Gastronomie^ le savant
d! Aigre feuille y surnommé le roi des Gourmands , et
%,
^
AVERTISSEMENT. vu
riaimitable auteur de la Physiologie du goût, ap-
pelé par ses pairs le Voltaire des Gastronomes.
La colleclioa , très-coûteuse^ de ce Journal des
Gourmands . formant 1 2 1 numéros de 90 pages réu-
nis en 40 rolumes , est deyenue très-rare ; et nous
avons cru rendre un service éminent aux amphy-
trions , aux gourmands, aux parasites, aux dîneurs,
à tous les philosophes de ce siècle en6n qui ont
pris ia sage résolution de se consoler à table des tri-
buJations sociales et de la perversité du siècle ,
en extrayant de ce monument élevé à la gloire de
la science gastronomique , tous les articles qui peu-
?ent former l'éducation ) entretenir le goût, orner
l'esprit des -hommes voués par ëtat^par calcul, par
appétit ou par résignation au culte de Comus*
Aux dissertations savantes sur l'art manducatoire»
anx recettes alimentaires données par ces inimita-
bles professeurs dans Vjértde bien vivre y nous avons
a/outé toutes celles que la science culinaire a pro-
duites de plus remarquables jusqu'à ce jour; car
le nombre des amphytrions , des convives et des
vrais gourmands, celui des indigestions et des mé-
decins se sont accrus dans une proportion vrai-
ment effrayante.
Nous avons ajoaté les noms des principales mai*
soDS de commerce de bouche que Paris renferme ,
et un itinéraire gourmand de la France.
Les bons mots , les saillies , les observations qui
avaient lieu aux dîners de la Société épicurienne ,
les améliorations qu'il convenait de faire pour le
service d'une table , tant dans l'intérêt des amphy-
trions que dans celui des convives , paraissaient dans
le journal de cette Société sous le titre de hors
d* œuvres. Ce sont ces petits articles réunis qui for-
Tiit AVERTISSEMENT.
ment, en grande partie, le Code de politesse gour-
mande que nous donnons dans cet ouvrage, sous le
titre de Code de la table ^ et auquel des auteurs spiri-
tuels ont emprunté quelques dispositions que nous
sommes bien aises de leur avoir fournies , à charge
de revanche.
Ce travail important , désiré depuis plusieurs an-
nées , et que nous avons seul obtenu le droit de
publier, est le résultat des méditations analytiques
de deux anciens convives de cette mémorable JSo-
ciété , d un des premiers maîtres d'hôtel de la Ca-
pitale , et d'un praticien moderne , sairanit expert.
Cet ouvrage contiendra cinq grandes divisions ,
savoir :
1 ^ Cours de littérature gastronomique , par MM.
6. D. L. R. , Gastermann , Clytophon , etc.
2** L Année gourmande , renfermant des disser-
tations sur les productions nutritives de chaque
mois, et des recettes alimentaires relatives à ces
différentes productions , rédigées par Messieurs G.
D. L. R***, B*** et C*** , G*** et B***, G. L. C***^,
P***, etc.
3^ Education gastronomique ^ usages bons à sui-
vre , abus qu'il faut éviter , élémens de politesse
gourmande; dessert^ chansons de table, café, etc.
4® De C Hygiène de la table ^ par les docteurs
Marie de Saint-Ursin et C***.
5*" Produits de [industrie gastronomique; variétés;
anecdotes gourmandes , bons mots de table , etc.
l'éditeur.
/i>#
^$<;0nx$ ^tmmtmtx^
Les préjugés ont une telle influence sur les tètes
faibles; il s'est établi tant d'erreurs sur les ruines
des vérités les plus naturelles, qu'il n'est peut-être
pas inutile d'examiner sérieusement si l'opinion des
sobres sur la gourmandise a d'autres fondemens
qu'un mauvais estomac.
De même que les premiers apôtres de la conti-
nence furent indubitablement des hommes mal
conformés j les premiers apologistes de la sobriété
pourraient bien être des gens sans appétit.
Aristipe remarque que les philosophes qui affi-
chaient le mépris des richesses ne possédaient pas
une obole. Diogène était sans ressource quand il
se fit cynique ; Anaximandre eût laissé l'école de
Cratèspour celle d'Ëpicure, s'il eût eu un moyen
plus prompt de se faire remarquer.
Il en est ainsi des détracteurs de l'appétit , de ce
penchant inhérent aux hommes bien nés et heu-
reusement constitués. Ce n'est pas la première fois
que des charlatans, digérant mal et partant bien ,
\
4 DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
nourris , au visage coloré , dont l'aspect annonçait
une digestion libérale et une franchise de convive ;
mais il se défiait de ces spectres au teint blême ,
au front sombre, au ventre creux, dont l'air mé-
content annonçait deux choses inséparables : une
mauvaise digestion et de mauvaises pensées.
Les Romains, h la fin du repas, se faisaient ap-
porter la coupe magistrale , et buvaient à la ronde
autant de coups qu'il y avait de lettres dans le nom
de leurs maîtresses. Gruter nous apprend , daus
ses Inscriptions t page 609, qu'ils avaient coutume
de s'écrier dans leurs festins : jlmici, dumvivimm
vivamus! C'est-à-dire : tAmis, pendant que nous
vivons, jouissons de la vie ; » car Raderus a très-
bien fait voir, par des exemples tirés de Catulle,
Cécilius, Varron , Anacréon et d'autres anciens au-
teurs, que vivere signifie se réfouir, s'abandonner
au plaisir de la bonne chère, au vin, etc.
Voici une autre inscription que nous prenons
encore dans Gruter, page 699:
Vive, hospes, dum lieet; ait/ae voie.
• llùjoiiis-toî , tandis que tu en es le maître , et porte-toi
Nous n'en finirions pas si oous voulions citer
tous les grands liommes qui , par leurs exemples
ou par leurs vœux, ont encouragé la gourmandise.
L'un des traits le plus généralement senti de la
iWWIVVIV
DISCOURS PRÉLIMINAIRE. i
bonté du graad Henri , c'est le vœu de donner à
tous ses sujets la poule au pot. Un bon dîner ëtait^
à juste titre , aux yeux du héros , le signe le moins
équivoque de la prospérité publique et du conten-
tement des peuples.
La plupart des rites religieux sont des actes de
dégustation. Les prêtres anciens consommaient les
offrandes, et les victimes n'étaient que des viandes
succulentes , dévouées à l'appétit des sacrificateurs.
La récompense du néophite était l'admission au
banquet.
Saint Césaire, évèque, d'Arles, dit que de son
temps ^ lorsqu'on ne pouvait presque plus boire,
on adressait, pour s'y exciter encore, des santés aux
anges et à tels saints qu'on jugeait à propos.
Les grandes époques de la religion rappellent
les plaisirs et la franchise de la table. La gourman-
dise s'associe à toutes les solennités ; elle fait le
fond de toutes les cérémonies , elle est de toutes
les fêles : l'Epiphanie est dédiée aux gâteaux , la
Circoncision aux dragées, Pâques à l'agneau, aux
jambons et aux œufs, la Saint -Martin aux oies
grasses , etc. On jeûne la veille de toutes les fêtes
pour préparer son estomac ; et» pour un gourmand
régulier, c'est une sorte d'obligation de se donner,
dans le grand jour qui se prépare , une sainte indi-
gestion. Cela s'appelle sedécarêmer; et iln'appar-
6 DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
tient qu'aux connaisseurs de savourer tout ce que
ce mot a de sensuel.
Ce n'est point vers une perfection chimérique
et contraire à ses œuvres ; ce n'est point vers des
privations contre nature, que le père des humains
élève les désirs de ses enfans ; c'est à des besoins
journaliers , à des plaisirs qui leur sont propres
qu'il rattache les devoirs qu'il leur impose.
Buvez et mangez ^croissez et multipliez : c'est ce
qu'il a dit à la postérité d'Adam , depuis l'origine
des siècles, et ce qu'il leur répète par la voix de
leur estomac.
La gourmandise n'est donc pas aussi profane que
quelques sophistes le soutiennent. Combien se sont
abusés les partisans de la sobriété lorsqu'ils ont osé
faire un crime d'une chose non-seulement licite, mais
autorisée ; non-seulement autorisée , mais conseil-
lée; non-seulement conseillée, mais recommandée ;
non -seulement recommandée , mais prescrite !
Le plaisir de manger ^ la destination la plus évi-
dente de nos organes, la fonction la plus habituelle
de^notre corps, le besoin le plus impérieux de
notre être, a donc été consacré par ce qu'il y a de
plus vénérable et de plus spirituel.
Il n'y a qu'un faux orgueil, une ridicule préten-
tion à la perfectibilité , qui aient pu intervertir
l'ordre établi par le Créateur.
"^
DISCOURS PRÉUMINAIRE. 7
Les sources de Tintelligence et de la vie ressem-
hient à celles du Nil. Des curieux les placent aux
montagnes de la lune ; mais le ventre a sa place
bien déterminée, sa destination bien évidente.
Que ceux-ci placent lame dans le cerveau , ceux-là
dans le cœur; les uns dans les poumons , les autres
dans Ja glande pinéale ; tous se réuniront pour dire
que le ventre est le vaste atelier où sëlaborent tous
les ressorts de notre existence.
Pourquoi n'a-t-il été donné qu une étroite ha-
bitation à notre cerveau , tandis que le ventre a
plus de capacité , de souplesse et de puissance que
tout le reste de notre corps? N'est-ce pas parce
qu'il est le sanctuaire oii sont recelés tous les mys-
tères de la vie , le réservoir de toutes nos sensa-
tions, le principe de toutes nos^idées, l'œuvre
dans laquelle s'est complu l'artiste éternel? Nous
appartient-il de négliger ce qui lui a coûté tant de
soins? Rougirions -nous de ce qu'il a fait en nous
de plus apparent et de plus nécessaire ?
Il y a sansdoute autant d'élévation, plus de bonne
foi , et non moins de jouissance à cultiver nos dis-
positions naturelles, et à perfectionner l'art alimen-
taire, qu'à affecter un dédain présomptueux 'pour
notre maître, etnous croire supérieurs à noire ventre.
Que ces réflexions ne soient pas perdues pour
l'appétit des fidèles ; elles sont le fruit de longues
8 DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
mëditations. Que ceux qui ont été infidèles à nos
doctrines rentrent avec une nouvelle ferveur dans
les temples de Cornus, et méditent avec un saint
recueillement les leçonà gastronomiques que nous
allons leur donner.
l'auteua pe cet article.
xmxa*
XSSAX ftVR XiA OVIftIVB DSft AVOIBlTt.
En dipil des Sloirieiu , Ton coaTÎendra qiM les pldairs de U
iabl» aont le» premien que l'on éprouve , let demien qu«
J on qiutl0> cl oeaz qiM l'on peut goûter 1« pln« gon? tut.
GRJJiaD 0« LA RKTMiJntK.
/
LE GASTRONOME
FRANÇAIS.
CHAPITRE PREMIER*
ESSAI SUR LA CUISINE D£S ANCIENS.
^vticie Iflr^mier.
Les lecteurs qui ne cooDaissent Tantiquité que dans
les relations du moderne Anacharsis , savent , de reste ,
que les plus graves personnages et les plus sévères phi-
losophes ont écrit avec détail, avec'complaisance de cette
gente gourmandise , que ses plus grands détracteurs
choient à huis clos et cultivent avec ardeur, tout en
l'invectivant avec hypocrisie.
Nous savons bien que le manteau des anciens ne nous
préservera pas des traits de la critique.^^Nous ne nous
piquons pas d'une érudition aussi sûre que celle de nos
adversaires; et nous avons quelque chose de mieux à
(aire que de mâcher à vide; mais nous leur avouons sans
détour que nous nous moquons de leurs sentences mal
digérées.
Des délicats à face blême
Nous ne redoutons rien du tout;
12 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Tant que dos mets auvont boxi goûî^
Notre appétit sera le même..
' De leurs malicieux propos .
Il n'entrera âjams nos oreilles
Pas plus... que d'eau dans nos bouteilles^
Ou que de sel dans leurs bons mots.
Au surplus » nous les averlissons qu'il y a pour leur
yauité quelque danger à nous prendre en défaut; car ce
serait nous donner la preuve que le sujel qui nous occupe
est familier à ceux qui le dédaignent.
En tout cas , nous parlerons de cuisine avec Aristote ,
Platon, Théophraste, Hérodote, Athénée, Aristophane,
gens très- respectés des savans critiques , pour être morts
il y a plus de deux mille ans , mais qui mangèrent tant
qu'ils vécurent. Des Grecs nous passerons aux Latins
fde cuisine J; et, quoique notre érudition se concentre
dans cette délicieuse enceinte , nous avons fait assez de
recherches pour convaincre les incrédules et encourager
les faibles. La comparaison de nos repas à ceux des an-
ciens peut faire naître quelque invention nouvelle, et
ne dtlt-il résulter de nos travaux qu'une nouvelle sauce
aux câpres , nous aurons atteint notre but , et bien mé-
rité de l'humanité.
Les anciens , nos maîtres en tout genre , nos modèles
dans les arts, dans l'histoire, dans la poésie, d^ns le
gouvernement, n'onUpas omis de l'être aussi dans là
cuisine , et l'on verrait , dans les fragmens perdus de
plusieurs écrivains du temps, qu'il y eut plusieurs écoles
ouvertes aux amateurs.
/
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i3
H existait en Ellde un savant cuisinier nommé Thim-*
bron , qui voyagea par toute la terre dans la seule vue
de perfectionner Tart de la cuisine. Je sais d'un savant
bien infoi;mé , qu'il ouvrit à son retour une école pu-
blique , qui fut beaucoup plus fréquentée que ne l'avait
jamais été celle de Pythagore , et que ne le fut ensuite
celle d'Aristote. Sa philosophie consistant plus en ac-
tions qu'en paroles» est la seule qui ait conservé des
disciples nombreux.
Tout le monde sait qu'Apicius fonda une académie de
gourmands, et que l'académie apicienne» dont nous
aurons plus d^une fois occasion de parler» fut continuée
par les empereurs Vitellius Galigula » le nuignifique Hé-
Uogabale ,
Et Géta qui mangeait par ordre alphabétique.
Gasta., ch, i**.
*
Domitien alla même plus loin; et ne sachant plus que
faire du sénat de Rome , il ne conçut pas de meilleur
moyen de relever sa gloire que de le convoquer dans sa
cuisine. Il y proposa la grande afTaire dont Juvénal nous
a conservé les détails. L'éloquence» animée par l'ap-
pétit» fit des merveilles; celui-ci fit taire enfin celle-lh.
Pressé d'aller dtner»
Le sénat mit aux voix cette affaire importante.
Et le turbot fut mis i\ la sauce piquante.
Gàsta., ch, r'.
Nous possédons assez de monumens pour faire revivre
ce noble enthousiasme et ces utiles institutions. Nous
i4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
serons les créateurs d'une science nouvelle , dont la no-
menclature doit faire honneur aux professeurs; et , pour
peu que nous y mêlions un peu de grec, nous espérons
recevoir bientôt des docteurs en gourmandise. Nous le
souhaitons pour le bien de nos semblables et la propaga-
tion des vérités utiles.
Que tous les gourmands de l'Europe sachent, pour
la gloire de leur profession , que l'un des plus sages mo-
narques de l'antiquité , celui qui fonda Thèbes ,
Celui de qui nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,
que Cadmusy l'aïeul de Bacchus, commença par être
cuisinier du roi de Sidon , ce qui prouve que l'art du
cuisinier marchait alors l'égal de celui du législateur.
Je propose aux gourmands d'adopter ce noble patron ,
dont l'origine se perd dans la nuit des temps héroïques.
Je sais que la gourmandise est encore plus ancienne que
lui , et naquit avec le monde ; mais j'ai mes raisons pour
choisir un Grec; c est une autorité à opposer tour à tour
aux petits-maîtres, aux érudits, aux tiède^ et aux cri-
tiques.
Dirai-je Mithœcus , Actidès , Phiioxène ,
Hégémon de Thasos, et Tiinbron de Micène?
Gasta., cA. 1".
Mithœcus publia en Grèce un livre , cité par Platon
dans son dialogue de Gorgias , qui avait pour titre le
Cuisinier Sicilien,
t
LE GASTRONOME FRANÇAIS i5
Numénius d*HéracUe,Eéiiémon deThasoê, Piriloxène
de Sicjone , dont parle Athénée , écrivirent sur la cui-
sine avec autant de gravité que le mérite un tel gujet.
Mais quoi! ce poëme de la Gastronomie ^ l'honneur
de notre école , les délices de nos tables , ce poëme est
donc aussi l'ouvrage d'un ancien ? Il est trop vrai , pour
la gloire de M. Berchoux , qu'un habitant de la ville de
Mîoerve , nommé Archestrate , composa une Gastrano-
mie vingt siècles avant M. Berchoux. Cet Archestrate ,
cher aux gourmands , était l'ami du fils de Périclès , qui
sans doute était aussi un gourmand. L'auteur moderne
a vraisemblablement trouvé son manuscrit dans quelque
ruine antique ; il a bean nous dire , avec un air de bonne
fol , qu'il regrette de ne pas le connaître ; je soutiens que
ce poëme moderne est un vol fait à l'antiquité; et, bien
qu'il soit plein de verve , de jeunesse et de santé , il est
aisé d'y reconnaître la sévérité du goût antique» la grâce
athénienne et la correction la plus surannée. Le plagiat
est d'autant plus coupable , qu'on peut juger du mérite
de l'original par celui de la copie. Certes , le sel , la fa-
cilité , le naturel qui régnent partout dans ce poëme ne
sont pas modernes.
Quoique je ne veuille pas faire ici l'énumération des
auteurs anciens qui ont écrit sur la cuisine, nous ne
pouvons nous refuser à rendre hommage au nom glo-
rieux d'Apicius, devenu presque de nos jours le syno-
nyme de gourmand.
A plusieurs plats nouveaux, d*un goût très-recherché ,
Le nom d'Âpicius fut long-temps attaché.
]6 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Il fit secte, et Ton sait qu*il s'émut des querelles
Sur les Apicîens et leurs sauces nouvelleSé
GlSTB., ch, l*^
t
\
Tels que les Hercules, les Bacchus» les Hermès « et
tous les plus grands demi - dieux des siècles héroïques »
Apicius a Thonneur des exploits » des inventions et des
succès de plusieurs hommes » avec cette différence ,
toute entière à sa gloire , que les Hermès , les Hercules
et les Bacchus se perdent dans la nuit des temps &bu-
leuxy et que les Apicius ont vécu dans un siècle poli»
éclairé, et juste appréciateur du ?rai mérite. Cepen-
dant on ne sait s'ils étaient mille , ou s'ils n'étaient qu'un.
On a fait de savantes recherches sur leurs vies; elles sont
encore problématiques. Tout ce que les plus hardis
d'entre les antiquaires osent affirmer , c'est qu'il y a eu
trois Romains de ce nom également célèbres : le pre-
mier vivait sous Sylla, le second sous Auguste, et le
troisième sous Trajan.
Le second fut, dit-on, l'inventeur des g&teaux qui
portent son nom , et fonda une académie de gourman-
'dise , dont il fut le chef jusqu'à sa mort , laquelle arriva,
comme on sait, lorsque ne possédant plus que deux cent
cinquante mille livres , il jugea qu'il était temps de sor-
tir de'ce monde. H les employa dans un repas somp-
tueux , et mourut.
On croit que c'est le troisième Apicius qui composa
le traité de Obsoniis et Condimentis , seu de Arte co-
quinaria , dont nous avons une édition publiée à
Amsterdam en 1706 par les soins du savant Lister.
V ,
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 17
C'est le même qui se signala par l'invention d'un se-
ciet pour conserver les huîtres fraîches ( 1] , et qui en
envoya à l'empereur Trajan jusque chez les Parthês.
Le temps des Trajan et des Auguste est aussi celui
de la gourmandise , et le Journal des Gourmands fut
commencé probablement sous l'un de ces deux règnes.
Nous introduirons une autre fois nos lecteurs dans les
secrets delà cuisine antique; qu'il nous suffise aujour-
d'hui de nous être fait un rempart contre la critique ,
et d'avoir rendu hommage à nos devanciers.
2lrturU Uuxxkmt.
De quelques usages gourmands 'y des repas et de la batterie
de cuisine des anciens,
La sobriété des Perses fut , dit-on, mise en son jour
lorsque sur le champ de bataille leurs corps desséchés
et diaphanes résistèrent beaucoup plus long-temps à la
corruption que ceux de leurs ennemis. Cette preuve
sans doute est sans réplique , puisqu'elle est appuyée
(1) Ce secret en serait encore un poar nous et pour tous les vrais gour-
mands, si M. Balaine ne nous l'avait heureusement gardé. Chez lui seul
es huittes ne connaissaient point l'été. Ce grand artiste eut l'art de les
conserrer dans lenr fraîcheur ordinaire , et pendant toute l'année sa
naiaoa lut réellement le rocher de Caneale,
On sait que M. Balaine a cédé son établissement depuis plusieurs
années. Celle perte est irréparable pour les véritables gourmands.
i8 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
du témoignage des plus graves historioDs , et c'est un
bel effet de la tempérance que de pouvoir retarder de
vingt-quatre heures Févaporation de quelques reliques
insensibles*
Toutefois les écrivains qui ont vanté Taustérité des
anciens nous ont aussi conservé leurs usages les plus
reculés ; et dès le temps de la guerre de Troie il est
constant qu*en Grèce on faisait régulièrement quatre
repas par jour , ce qui annonçait un penchant bien in-
vétéré pour la gourmandise.
Le premier repas se nommait acratisma ou dianes-
ttsmos; c'était notre déjeûner.
Uariston ou darpUton se faisait à peu près à l'heure
du diner de nos provinces.
Uhesperisma, en latin merenda (i) , était un repas
intermédiaire que l'on nomme encore le g'out^ dans les
pays oiï il s'est conservé, mais que le diner tardif de
Paris a tout-à-fait proscrit parmi nous.
La cène ou souper , dont le nom savant est dipnon
ou epidorpiSf a toujours été le repas de prédilection des
bons convives de l'antiquité comme de ceux de notre
fige. Les héros d'Homère faisaient ordinairement leurs
festins à la chute du jour : c'est le soir que mangeaient
les Asiatiques , les Grecs» les Egyptiens et les Romains;
et le choix de cette heure prouve que » pénétrés de l'im-
portance des fonctions digestives» ils voulaient être
(i) Ce mot est encore usité en Champagne : à GhSlons il sigaiGe U
iûiatUm, le goûter.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 19
libres de soucis , dégagés du poids des afEaires » et toul
entiers au plaisir de la table.
Ces différens repas ayaient leurs mets distincts» leurs
instrumens particuliers » leur appareil convenable.
C'est au dîner et au souper que se déployaient toute
la pompe des banquets et tout le génie de la cuisine.
On a découvert à Herculanum des cuisines avec des
pot^rs et des fourneaux en brique à peu près sem-
blables aux nôtres. On y voit une grande cheminée
pour les potages , une autre pour les rdtis , un four , des
tables épaisses et solides , un billot , une pompe , une
enceinte vaste et voûtée, afin de prévenir les ravages
du feu. Cette distribution n'a rien laissé à perfectionner
pour le &cile exercice de Tart gastronomique.
Les ustensiles trouvés dans ces cuisines étaient aussi
nombreux et non moins finis que ceux qu'on fabrique
de nos jours; ils avaient de plus l'avantage d'être en
bronze, épais, etétamés en argent. fin : tels étaient les
grils , les passoires, les tourtières, les coquilles à mouler
la pâtisserie , etc.
On a trouvé jusqu'à un pâté aux trois quarts cuit ,
conservé entier dans un four , où il avait été étouffé par
les cendres )unoncelées du Vésuve. Que je plains ceux
pour qui il cuisait I
Les assiettes , les tasses et les cuillères étaient le plus
ordinairement de bronze. La faïence et la porcelaine
sont , il est vrai , d'un usage beaucoup plus agréable;
cependant les anciens avaient des vases d'argile , et la
délicatesse des Etrusques peut donner la mesure de leur
k
%o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
IqxÔ en ce genre. Ils avaient aussi des carafTes de cristaF^
des aiguières et des seaux de terré pour rafraîchir le
vin , et une foule d'instrumens ingénieux qui l'empor-
taient peut-êtresur les railinemens modernes.
Les ruines n*ont pas réyélé de fourchettes ; de sorte
que les faiseurs de conjectures peuvent penser, si bon
leur semble » que les anciens mangeaient la salade avec
leurs doigts , ou bien qu'à la manière des Chinois ils es-
camotaient leurs morceaux avec deux petits bâtons d'i^
voire ou de métal. Néanmoins il est présumable que cet
ustensile ingénieux était compris , ainsi que le couteau ,
dans le couvert complet que le peuple avait en bronze
ou même en bois, mais que les riches faisaient fabriquer
en argent , en or, et en dents d'éléphant.
Les marmites trouvées à Herculanum étaient à trois
pieds comme les marmites du dix-huitième siècle; mais
elles étaient de bronze étamé , et avaient en dedans un
gros cylindre creux qui rentrait dans la marmite , afin
que le feu la pénétrât plus rapidement. Le couvercle
pour se plier à cette forme était en dôme , et c'est peut-
être cette marmite qui a donné l'idée première du Pan-
théon français. Beaucoup d'autres inventions, non moins
glorieuses et plus utiles , sont sorties de la même source.
Quoi qu'il en soit , le plan de cette marmite se trouve
dans les recherches de M. Fougeroux de Bondaroy, pu-
bliées en 1770. Nous indiquons cet ouvrage aux artistes
qui voudraient perfectionner la marmite, et nous leur
recommandons d'y porter une aiteniion féconde ; ils y
trouveront de nombreux sujets de méditation sur les
LE GASTRONOME FRANÇAIS, si
monumeos de toute sorte , manifestés par les fouilles de
ces YÎUes enseyelies, où la gourmandise industrieuse du
plus grand peuple de la terre a déposé des reliques
dignes de nous servir de modèles*
Volailles j poissons y coquillages si végétaux senant
d la nourriture des anciens.
Les anciens connaissaient presque tous nos mets , et
nous n'ayons conservé de quelques-uns des leurs que le
nom. Le cas que faisaient les gourmands du phénicaptère
parmi les volailles , de l'attagen d'Ionie parmi les oiseaux,
de l'oursin entre les coquillages» du scarus^ Ael'aci"
penser et du congre entre les poissons , prouve que nous
n'avons rien qui leur soit comparable.
Les naturalistes ont vainement prétendu nous faire
connaître des analogues; leurs recherches ne nous lais-
sent que des regrets et la preuve de leur impuissance.
Quand verrons -nous les antiquaires» cessant de courir
à la découverte infructueuse d'une pierre insensible et
d'une médaille rongée , s'appliquer à des travaux vrai-
ment utiles , et mériter la reconnaissance de leurs sem-
blables? Hélas I les ruines d'Herculanum ne renferment
que des squelettes desséchés , des débris sans saveur ,
ûes inutilités antiques.
Qui nous rendra les murènes siciliennes, les anguilles
3» LE GASTRONOME FRANÇAIS.
«
flottées y les thons du promontoire de Raquien, les ca-
bris de aie de Mélos, les mulets de Simète, les coquil-
lages de Pélore, les harengs de Lipare, les raves de
Mantinée, les navets de Thèbes? etc.» etc.
Voilà» Toilà les monumens précieux de Tanti^ité
dont les connaisseurs sont ayides I La plupart de ces
choses existent; la nature est toujours féconde» la terre
et la mer toujours fertiles; c'est notre insouciance qui a
laissé se perdre Tart de les choisir » de les apprécier^ de
les faire valoir I
Si du moins les méthodes des anciens cuisiniers étaient
parrenues jusque nous » nous pourrions suppléer k ce
qui nous manque : le cuisinier de Nicoméde composait
des harengs en Bithynie; celui de Trimaldon, avec de
la chair de cochon ; du beurre et une certaine herbe ,
&isait des poissons » des pigeons ramiers ». des poulardes »
et presque tout ce qu'on voulait.
A la table de Lucullus les œufs de paon» les foies de
sanglier» les' têtes d'^agneau, les ventres de truie étaient
des mets divins. Le génie de Tordonnateur de ses repas
faisait des miracles avec le cumin ^ le silphîum,, le thpn,
Voximel, le sésams^ V origan ^ et autres aromates in-
connus de nos jours..
Nous avons perdu jusqu'à ta manière de mêler le fro-
mage » les carottes » Toignon » l'ail » le poivre et la men-
the aux viandes grossières et vulgaires qui viennent des
boucheries. On faisait avec du persil » de la coriandre »
du vinaigre » du fenouil » de l'huile » du miel et de la
chair de poule » un ragoût délicieux nommé myma^
LE GASTRONOME FRANÇAIS. s3
Qu'est devenue cette recette, celle du mattya^ et de
tant d'autres mets dont le nom seul nous reste? Nous
croyons-nous plus riches avec le gingembre et les din-
dons , que les Grecs et les Romains avec tant de richesses
qui nous soot inconnues? Dédaigneux par ignorance»
nous méprisons le congre dont ils savaient dire un man-
ger exquis; nous négligeons la pintuuie, ceiXe perdrim
nutnidi^ue qui fiûsait l'honneur des tables les plus
somptueuses*
Veut-on avoir une idée de leur supériorité sur nous ,
qu'on lise seulement la nomenclature des gâteaux qu'ils
savaient faire. L'art des Le Sage» des Ftiix» des Thomas»
des Leblanc » des Rouget et des Rats doit s'humilier de-
vant cette fécondité » ou plutôt il doit s'enflammer d'une
nouvelle ardeur » car c'est m imitant l'antique que l'art
atteint à la perfection.
"Uenchjton, Vamès^ le diaconion^ Vamphîphon, le
basynias, ïecoccara, lestrèpU^ leneclata^ Vépichytan^
¥<Maniiès, le creion, le gfycinus, les enchridès, etc.».
étaient autant d'espèces de pâtisseries qui différaient par
la forme » par le goût et par les ingrédiens : dans les uns
on mettait de la viande comme dans nos petits pâtés;
dans les autres entraient des épices ou du miel» le vin
même payait tribut à l'art du pâtissier.
Le Ubum^lepliicenta, leseribUta, le sphœrita, le
crasiulum » le croêtinionuinHculum valaient mieux que
nos gâteaux de Nanterre » nos échaudés » nos pets de
nonne» nos croquettes de riz » et toutes ces pâtes apprê-
tées qu'un gourmet antique , accoutumé aux merveilles
a4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
du succulent artocréas ( i ) ^ aurait trouvées fades ou mal
conçues.
Sans prétendre rabaisser le mérite de nos artistes
nourriciers , je les invite » au nom des Gourmands , au
nom de leur gloire et du dieu Cornus» à se faire expli-
quer » par les savans en us et en os » la signification de
tant de mots friands. Peut-être , à force de travail , et
en joignant une dégustation réfléchie aux études théori -
ques , parviendront-ils à découvrir la source de tant de
trésors. Quelles que soient nos possessions en ce genre ,
que de choses ne pouvons-nous pas acquérir ! Ne dus-
sions-nous retrouver que le xipkitis, le pagre, ou la
sardine de PhaUre, nous n'aurions pas inutilement par^
couru les mers.
M. Barthélémy (2) a mis à la portée de tous la
description du magnifique repas donné par Dinias. On
trouve dans Hérodote celui que donna le thébain Atta-
gineà Mardonius et aux généraux perses. Le père D. de
Montfaucon , dans ses Antiquités , et Athénée » ont écrit
assez longuement de la cuisine pour guider dans cette
voie glorieuse quiconque se sentira assez de courage et
de génie pour la parcourir.
Il est du moins quelques préceptes que tous les lec-
teurs peuvent apprécier , et dont M. Balaine a fait sou-
vent Tapplication ; par exemple :
Il était de règle qu'un poisson de chair ferme fût
(i) Espèce de pâl<^ de chair hacher.
(a) Voyage d'Anachareis.
I
LE GASTRONOME FRANÇAIS. sa
«aupoudré de fromage râpé » et arrosé de vinaigre ; s'il
était d'uoe chair délicate , od n'y mettait que de Thuile
et du sel ; ou bien , enveloppé dans des feuilles de fi- .
guter , on le feisait cuire sous U cendre.
Avec les poissons bouillis ou rôtis on mettait une
sauce de fromage , vinaigre , ail , oignons et poireaux ha-
chés. Si l'on voulait que cette sauce fdt moins forte ,
elle n'était composée que d'huile» de jaunes d'œufs , de
poireaux , d'ail et de fromage. La voulait-on plus douce
encore , on y ajoutait du miel , des dattes et du cumin.
II était rare qu'une grosse pièce se servit isolée : le
poisson se farcissait ordinairement de gibier , de menue
Yolaille, d'huttres et de coquillage; le gibier, de poissons»
d'œufs et d'aromates. Ainsi l'amateur retrouvait partout
quelque nuance de ce qu'il aimait le plus dans le règne
animal ou végétal.
II s'était conservé dans le moyen âge quelque souve-
fiir de ces apprêts ingénieux. Dans les galas que les
princes et les grands seigneurs donnaient au peuple en
Allemagne et en Italie , on avait coutume de servir pour
plat du milieu un bœuf entier» proprement préparé»
lequel contenait un cerf» aussi tout entier » vidé et ac-
commodé : ce cerf» était farci de volailles et de gibier
dont le ventre était rempli de cailles» d'ortolans » de
petits poissons » sans os et sans arêtes » le tout mêlé de
graisses diverses » d'épices » et d'ingrédiens savoureux.
Mais cette image imparfaite des raiïinemens antiques
ne peut donner une idée exacte des inventions de la
cuisine grecque » perse et romaine.
s6 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Un nommé Massialo^ qui en 1730 a fait imprimer
un livre en trois volumes sur l'art alimentaire , donne
aux cuisiniers modernes le procédé dont se servaient
les anciens pour accommoder un cochon de lait à
demi-rôti et à demi-bouilli ; on le vidait par un petit
trou à Tépaule» on le lavait soigneusement avec du vin»
et on le remplissait d'ingrédiens qu'on insinuait par la
gueule. Massialo traduit ce mets par le titre de cochon
à la Perdouillet.
Ab uno disce omnes.
Les nombreuses découvertes qui vont être le fruit de
nos études réfléchies sur la cuisine des anciens » stimu-
leront sans doute le zèle des artistes , et feront fermen-
ter leurs têtes. Puisse bient&t une école publique s'ou-
vrir à de nombreux disciples I Quand nous verrons au
milieu de dix fourneaux ardens trente suivans de Gomus
agiter la casserole » faire pétiller la graisse, hacher les
viandes et les herbes , tenter tous les jours de nouvelles
expériences , et proclamer par semaine un procédé nou-
veau renouvelé des Grecs , alors nous espérerons voir
renaître les beaux jours des Trimalcion » des Apicius et
des Ésope l'omains.
Mais tant que nous verrons les restaurateurs indolens
suivre leurs routines vulgaires» nous ne cesserons d'évo-
quer les mânes de leurs rivaux» et de leur reprocher
l'oubli de tant de mets divins qu'un gourmand du dix-
neuvième siècle est réduit à envier aux anciens.
L
LE GASTRONOME FRANÇAIS. »j
2lrtkle (pmivièvxe.
C'est aux fêtes de Cérès que les anciens redoublaient
de zèle et de dévotion pour Cornus. Le temps où la
déesse déployait toutes ses richesses était celui oèi le
dieu déployait tout son art» et ce temps , dans nos cli-
mats» derait répondre au mois de septembre.
Dans les grands repas on avait coutume de servir une
pyramide de cent mets différons : on la nommait le plat
centenaire, Esope parle de cet usage , et le premier des
Apicius s'y conforma» dit-on^ scrupuleusement; mais
le magnifique Lucullus proscrivit cette profusion per-
pendiculaire et gothique , pour y substituer une abon-
dance variée» commode» répandue par un goût plus
pur dans cent plats horizontaux placés à la portée de
chaque convive. Cette simplicité » qui n'excluait pas la
richesse » prévalut dans les tables des Apicius II et III
du nom » et la forme pyramidale n'est adoptée de nos
jours qne pour les ^urtouts de desserts.
On sait que l'augure Hortensius sacrifia les premiers
paons dont s'honore la gourmandise romaine.
L'automne » qui était le temps des repas les plus somp-
tueux» se signalait par beaucoup de mets que nous né-
gligeons» et qui» si nous en jugeons par ce qu'en ont
dit les historiens » avaient de quoi flatter le palais de&
plus délicats.
28 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
L'ours et le loir, grâce à Tart du cuisinier» étaient
des pièces de gibier aussi estimées que le sanglier et le
daim. Dans le banquet de Trimalcion, Habinnas eu
mangea plusieurs livres , et ce fut un des souvenirs les
plus succulens qu'il en conservât.
Le francolin de Phrygie , les tourds galliques , le gal-
bula , qu'on croit être le loriot » étaient des oiseaux dis-
tingués auxquels on donnait la préférence sur les faisans ,
les tourterelles , les pigeons ramiers , et même les per-
drix mouchetées {Guttatœ),
Il est de la gloire des artistes distingués , tels que
MM. Halaine , Véry, Lointier, Grignon (i) , Vefour, Lé-
ther, Prevot, Lemardelai, Gueite, etc. , de rechercher les
sauces auxquelles on mettait ces oiseaux , comme il est de
•notre devoir de les inviter à faire cette recherche utile.
Nous leur indiquons encore les œufs de paon comme
une chose digne de leur attention. Gomment se pour-
(i) M. GrigDOD fut long-temps Tun des premiers restaurateurs de la
capitale; mais eu 1827 , il fut accusé par un journal de servir de mauvais
potages , du poisson équivoque , du via frelaté , et d'avoir des garçons
malhonnêtes, ce qui, selon nous, n'est que trop commun dans plusieurs
restauraos de Paris.
M. Grignon poursuivit en diffamation le rédacteur du journal devant
le tribunal correctionnel qui , le 9 août, prononçant sur cette affaire im-
portante pour les gourmands , après une plaidoirie savante du spirituel
M* Vulpian , plaidant pour les accusateurs, décida qu'il n'y avait point
diffamation, et condamna M. Grignon aux dépens.
Par respect pour la chose jugée , nous nous abstiendrons de signaler
le restaurant de M. Grignon à la sensualité des amateurs , jusqu'à ce
qu'un nouveau jugement vienne nous apprendre que l'on sert dans cette
maison , comme autrefois , de bons potages , des poissons frais , des vins
purs, et que les garçons y sont honnêtes.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 29
rait-il» lorsque leur art a conservé de la véoérable auti-
quité la méthode des pieds à la Sainte- Menehould, des
tourtes aux raisins et des andouilles ; comment se pour-
rait-il, dis -je, qu'ils ne retrouvassent pas le moyen
d'accommoder tout ce qui est susceptible de se cuire et
d'être mangé...
Je recommande à mes lecteurs de puiser aux sources ,
et je les renvoie à mes autorités. Qu'ils consultent
Athénée, Théophraste, Aristophane, Gasaubon, Eu-
doxe, Platon, Phérécide, Archestrate, etc. La liste
seule des auteurs qui ont traité de la cuisine ferait
honneur à un érudit.
Je ne sais si cette recette est connue de M. Appert ,
laquelle consistait à confire, avec du vinaigre et de la
moutarde , des raves coupées par morceaux : cela vaut
mieux , au goût de quelques amateurs , que le cornichon
même, qui pourtant est d'une ressource si heureuse
dans l'art alimentaire.
Les raves ainsi conservées se servaient ordinairement
au goûter , et se mangeaient sans apprêt. On avait aussi
pour ce repas intermédiaire des pois chiches rôtis , éga -
lement agréables , avec ou sans sauce, des olives conser-
vées dans la saumure , enfin des cercopes et des cigales ,
dont le goût avait quelque chose de plus agréable que la
chevrette et l'écrevisse.
Je ne blâme pas l'usage qu'avaient les anciens de
faire quatre repas; mais pour jouir avec une égale vo-
lupté de palais et d'estomac, il est peut-être plus sage
de ne faire , comme la plupart des gourmands modcr-
d
3o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
nea , que deux repas par jour. Le friand déjeûner à la
fourchette commence dignement la journée gourmande.
Quelques rognons à la brochette, un pied farci aux
truffes et deux tranches de galantine mettent suffisam-
ment en appétit le matin; les fibres, aiguisées légère^
ment , gardent tout leur ressort pour l'heure du dfner
qui se prolonge , de service en service , au moins jusqu'à
neuf heures.
Je ne prétends pas cependant condamner les friandises
du goûter et la liberté du souper nocturne; je sais com-
bien de jolies choses se disent, se font et se mangent à
ces repas de prédilection. Je voudrais pouvoir rester en
ce point fidèle aux règles antiques ; mais , hélas ! pour qui
déjeûne et dtne avec franchise, il reste peu de place au
souper.
La puissance de l'homme est bornée, et le plus gour-
mand n'a qu'un estomac.
Cette réflexion mélancolique est tirée d'un traité très*
ancien sur les lois de la table , et que je croirais grec si
l'on n'y donnait beaucoup d'éloges à la philosophie d^E-
sope, lequel, n'est pas le Phrygien qui fit des fables,
mais le comédien célèbre par son art , et plus encore par
ses profusions gourmandes , dont Rome s'honora dans
les jours de sa gloire.
I II n'est sauce que de cherté était une de ses maxi-
mes fiivorites. Voici d'autres pensées que notre auteur
lui attribue, et qui sont dignes de terminer cet article :
Les bonnes tables sont celles où il y a plus de mets
que de convives.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. Si
Les jours se divisent par avant et après le dîner : nous
tournons autour de ce principal piyot de notre vie.
On n'a point d*anii avec qui Ton n'ait dîné.
Il n'est personne qui n'ait involontairement médité sur
un bon plat.
Toute la vaine science des hommes n'aurait pas décou-
vert les truffes.
Dis-moi qui tu hantes , je te dirai ce que tu manges.
2lrtkk rittipiUnu.
Des ouvrages relatifs à i'art culinaire.
Hoc talium est, hoc adiutum est,
hoc lauium ut parum ,
Illudrectè
Tbbsrc. Aoblph.
Pabmi les anciens les Grecs l'ont emporté sur les
Perses , et les Romains sur les Grecs; parmi les moder-
nes les Français ont vaincu tous leurs rivaux , Anglais ,
Italiens et Allemands , dans le grand art de la cuisine.
Les Français ne sont pourtant pas les plus gourmands»
et leur supériorité en ce genre, comme en beaucoup
d'autres , tient sans doute à des causes occultes que la
science seule ne saurait découvrir. Nous pourrions,
comme de profonds écrivains, donner ici des conjec-
V ^ mimm^^^^ ■■ W'^^^^m^^m^^fg.^^:m
mai
54 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
sous Henri II , el sur les pas de Catherine de Médicis les
cuisiniers de delà les monts vinrent s'établir en France.
Ce n'est pas une dés moindres obligations que nous
ayions à cette illustre reine , qui était » selon le sieur de
Brantôme» moult agréable ^ le ceeur haut et grand,
l'esprit des plus subtils , les manières engageantes, et
en taule sa personne, si qu'on ne peut rien voir déplus
délicat , graveleux, imposant , et digne du rang de roine.
Le seizième siècle avait enfanté de nombreuses pro-
ductions sur cette science intéressante.
Dès i5i6 le livre de hanestâ VcluptaU, imprimé è
Venise , «avait rappelé les bons esprits , unis aux bons
estomacs , à Tamour de la bonne chère : il fut dédié an
cardinal Roverella par le célèbre écrivain de la vie des
Papes f Plalina.
En i534 on publia à Francfort l'Ecole apicienne, et
en 1 536 Venise fut enrichie de l'Art des Festins, conte-
naqjt la méthode d'accommoder les oiseaux, les pois-
sons , toutes sortes de chairs , de fruits et d^ légumes ,
pour le plus grand plaisir de la bouche.
La même cité vit naître l'année suivante le Traité
de Dominique Romoli , lequel fut réimprimé en 1 56o
avec augmentation sur tout ce qui concourt à la perfec-
tion des banquets dans toutes les saisons.
Enfin , en i54i parut le livre fameux de Cœlîus Api-
cius , de Re culinaria , réimprimé avec des notes de
Gabriel Humeiberg, savant allemand, en i54? , et ré-
généré en 1 709 par le savant Lister à qui Ton doit la
première ébauche du Cuisinier fran^.ais. Les presses
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 35
de Bâle , de Francfort et d'Amsterdam multiplièrent
alternativement les éditions de cet ouvrage avec \^
honneurs de rtn^4^.
L'Espagne disputait en même temps à TAUemagne et
h r Italie la gloire d'écrire sur la cuisine; et en iâ44 1^^
seigneur Rdberto de Tolède composa un livre de cuisine
iofitulë Uhro de guisadas tnanga/resy potagu.
L'ouvrage de Messisburgo, en neuf livres , sur la
manière d'ordonner les banquets et d'apprêter les mets»
eut beaucoup de répulation; publié en iâ49 ^Ferrare,
il fut réimprimé en i58i » puis en 1617.'
L'At9 magirica ^ hoc est coquinaria , de Jodochio
Villichio , le fit oublier.
La Cuisine secrète du pape Pie V avec figures » par
Bartk. Seappo , fut très-recherchée , et on la réimprima
en 1 6oâ avec le Traité du Maître^' hôtel et de i'Ecuyer-
trancharU.
Il existe dix ou douze ouvrages différens sous ces
deux derniers titres , dont plusieurs ont paru en même
temps dans le seizième siècle à Rome , k Venise , à Turin
et en Allemagne.
Je 4ie cite pas la dixième partie des livres publiés à
cette époque sur la cuisine; un grand nombre fut traduit
en plusieurs langues ^ et même en français. Is Grand
Cuisinier, de B« Platina, y fut translaté en i58$ par
Oesdier Ghristol.
On se doute bien que le dix-septième siècle ne fut
pas mains Second que le précédent ; c'est en effet le beau
de la littérature et de la gourmandise; et la plu-
56 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
part des traités» déjà connus» furent reTus» perfec-
tionnés» embellis» sans préjudice des créations nouvelles :
ce temps était près de celui de la régence » où Ton n'eut
rien de mieux à faire que de manger.
U Appareil des Banquets , de Venantio Matheo ;
la Cœna, de Bapt. Fiera; le Festin, d'Ottavio Ru^
bertho; le Cuisinier-pratique, de Yittorio Lancelloto;
les Conférences sur la Cuisine, de Marcius Cognatus;
l'Jctiaphagia, de Nonius; Mensaphilosaphica, de Mi-
chel Scot , ou Euchiridion in quo de rébus tnensali-
bus, etc. : enfiti mille volumes honorables pour l'appétit
humain » purent dès-lors orner la bibliothèque des cu-
rieux.
Citerai-je les incomparables productions composées
seulement sur le vin ? Les sept livres d'André Baccius sur
les vins d^ Italie, du Rhin, de France, d'Espagne, et
de toute l'Europe; l'Histoire du Fin, de Maurice Tîrellus;
la Nature des Vins différens, par Jacques Praefectus;
de f Usage du Fin chaud pour exciter les désirs , de
Vincent Butius » etc. » etc.
Le sel , le poivre , le lait » ont occupé des légions d'a-
mateurs» et même de graves médecins» qui» croyant
donner des leçons d'hygiène» n'ont en effet ouvert qu'un
cours de gourmandise; tels sont de Re cibariâ, de No-
nius ; de Naturâ Fini, de Gonfalonerius; dell' InscUala,
de Sauveur Massonio ; de Alimentorum facultate , de
Siméon Séthus » professeur; de Cibi et del Bere, de Bal-
dassare; de Prandiiac Ccenœ modo Libellus, de Math.
Curtius; del Convito, d'Ottavio Magnanino» et mille
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 87
autres que nous pourrions nommer au lecteur curieux
de consulter ces docteurs dignes de nos hommages;
mais nous nous en référons aux leçons de notre docte et
aimable çonmeM. D» S. U., (1) le successeur et ITnter-
prête de nos professeurs les plus illustres.
Quoique nous n'ayons pas l'intention de faire ici
Fimmeose catalogue des livres composés sur la cuisine »
nous ne pouvons nous refuser à citer encore la Manière
d'amolUr les Os et de faire cuire les friandes à peu de
frais, par Papin , le précurseur des gélatines de notre
estimable collègue M. Cadet-DeVaux» tant il est vrai
qu'on n'Invente plus rien sous le soleil I
Il faut enfin parler du dix -huitième siècle , où les
connaissances humaines , perfectionnées en tous sens »
donnèrent k l'art de la cuisine un nouvel essor.
Dès l'aurore do siècle parut le Nouveau Cuisinier
royal et bourgeois, de Massialot, en deux volumes; U
Cuisinier français, du docte Lister; l'École parfaite
des Officiers de bouche, publiée en 1708; le Cuisinier
moderne, les Festins antiques, de Conviviis, du jésuite
Jules Csesar-Bullengeri , etc.
C'est alors que la cuisine devient réellement une>
science, et que les grammaires » les dissertations , les
dictionnaires de cette science prennent une place re-
marquable dans l'histoire bibliographique.
En 1759 /e Nouveau Cuisinier français reparut sous
{1) Marie de Saint-Ursin , qui traite de rbygièiie de la table dans cet
•Hivrage.
38 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
le nom de Meleon» avec une préface curieuse des père»
BruiDoy et Bougeant» jésuites, tous deux célèbres par
leurs écrits et par leur gourmandise. M. Dèsalleux , fils
atné de l'ambassadeur de France à Gonstantinople» publia
contre cette préface la lettre d'un pâtissier anglais , avec
un extrait du Crafstman.
On écrivit» en 1741» un savant mémoire sur l'usage
du Digesteur, dePapîn.
Pour ceux qui n'avaient pas de cuisinier on composa ^.
en 1743» Ui Cuisinière française, suivie de C Office,.
par Menon; le Cuisinier gascon avait déjà paru â l'usa^
des gens qui n'avaient pas un bon diner chez eux.
Enfin , en 1 749 1 on vit paraître l'un des ouvrages qui
honorent le plus ce genre; c'est l'art de la cuisine réduit
en pratique , connu sous le titre des Dans de Cornus, par
Marin. Un homme de goût , Querlon » l'orna d'une pfé-
fiice : c'est pour là science gourmande là préfacé de l'En-
eyelopédie; aussi les Dons de ^omu^ eurent-ils » comme
la dcience encydopédique» lès honneurs dé l'ordre alpha-
bétique. En 1750, M. Briaud publia le Dictionnaire des
Alimens, Vins et Liqueurs ; et quelques années après
le sieur Vincent donna une nouvelle extension à ce ré-
pertoire précieux, sous le nom de Dictionnaire portatif
de Cuisine, d'Office et de Distillation.
Une foule de traités» indispensables à ceux qui se li-
vrent au négoce du comestible , parurent presqu'en
même temps. Le Traité de la Distillation , de Dejean ,
dont on vient de donner une nouvelle édition , le Can-
nanUliste français, en forme de diclionnaîre, par Gil-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 89
fiers; la Chinnie du Goût, par PIssot; la Science du
Matire^d'Hôtel cuieinier , et celle du Matire-d*Hôtel
êonfiseur, dont la première édition est de 1768, et la
seconde de 1 776. Le Maitre-d^Hôtel cuisinier était pré-
cédé d'une dissertation préliminaire sur la cuisine mo-
derne , attribuée à H. de Foncemagne , de l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres.
L auteur de la Cuisinière française, vétéran dans le
senrice , et célèbre depuis 1 746, voulut mettre le sceau à
sa gloire , et , après trente-deux ans d'étude , publia les
Soupers de la Coût, ou l'Art de travailler toutes sor-
tes d'alinxens pour les meilleures tables, selon les sai-
sons. Cet ouvrage de Menon eut et mérita beaucoup de
succès ; il est devenu fort rare , et depuis long-temps les
Trais amateurs soupirent après sa réimpression.
Mais ce qui étonnera peut-être les admirateurs de
notre coiJègue M. G. D. L. R. , c'est qu'il a été devancé
dans la noble entreprise quMl poursuit d'une manière si
supérieure. Sans parler deVAlmanach du Goût, par
Lafaye , qui subsista depuis 1751 jusqu'à l'année 1770 ,
il parut en 1779 un Almanacli du Comestible, qui eut
tant de succès , qu'on le fit suivre de deux ou trois sup-
plémens. CoxnmeVAlmanachdes Gourmands, il mettait
• à contribution les magasins innombrables de la capitale ;
comme notre journal il renfermait des vers bachiques et
gourmande , et de la littérature galante et gourmande ;
comme nous il citait les anciens et les modernes , et dé-
ployait une érudition qui aurait effrayé la nôtre si un
gourmand ne digérait pas facilement tout ce qui passe»
4o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Mais , comme nous espérons surpasser nos deyanclers et
nos modèles (notre grand expert, M. G. D. L. R.,
excepté) (i) » nous n'éprouvons qu'une ardeur plus vive
à la vue de l'immense carrière qui s'ouvre devant nous ,
et que nous allons parcourir mensuellement de compa-
gnie avec nos illustres collègues, après avoir terminé ce
qu'il nous reste h dire sur l'Histoire de la gourmandise.
2lrticle eixièvxe.
Conclusion^.
Nous n'avons en effet donné qu'un aperçu bien fugitiC
à ceux qui prétendraient qu'il ne nous reste rien à dire.
Que serait-ce si , remontant à travers les âges de barba-
rie jusqu'à l'âge d'or^ nous avions montré les profu-
sions incroyables de nos ancêtres ? Un Ariamnus , sei-
gneur gaulois p traita pendant une année entière sur les
grandes routes tous les voyageurs, toutes les armées
que tentait sa magnificence. Des tables abondantes, dit
Athénée, étaient servies le long des fossés et des haies ;.
leur nombre et leur somptuosité sont à peine conce-
vables. Le repas que César donna au peuple romain
n'est qu'un dîner de famille en comparaison , quoiqu'il
y eût cent mille convives , autant d'esclaves pour le ser-
( i) Ârchivisle fameux des meilleures cuisines.
^ L'art de dincr en villej)
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 41
vice 9 et <|u'o]i distribuât au dessert six cents sesterces
par tête.
Que serait-ce si , commençant par la gourmandise
d'Eve qui vendit sa postérité pour une pomme» Esaii
qui vendit son droit d'aînesse pour un plat de lentilles ;
BOUS décrivions les premiers rafSnemens de la cuisine
Ibornée à traire les vaches » à pétrir le grain broyé, puis
à assaisonner quelques légumes avec du sel ou du miel,
grossiers précurseurs des épices et du sucre ? Nous ver-
rions la chasse satisfaire aux premiers désirs de la chair,
dont la crudité réclama bientôt le feu épuratif. La
rareté du gibier fit sacrifier des victimes, plus paisibles :
le mouton, le bxBuf et le cochon s» métamorphosèrent en
rôtis ou en bouillis; enfin les oiseaux, les poissons, les
coquOlages, tout y passa-; et non content des produc-
tions animales et végétales , l'homme fouilla le sein de
Cybèle pour tourner en substances alimentaires jus-
qu'aux minéraux.
Les Asiatiques, qui furent les premiers civilisés ,
furent les premiers qu'illustra la gourmandise. Les cuisi-
niers de Perse étaient autant recherchés que le sont les
cuisiniers français dans l'univers gourmand. A la suite
des Xercès et des Darius marchaient des légions d'offi-
ciers de bouche. Les Grecs , qui détruisirent un si bel
ordre de choses , étaient alors les vrais barbares ; et si 1 e
souverain de tant de cuisiniers eût eu plus de ressources
dans l'imagination , quel parti son génie militaire n'eût-
il pas tiré dans sa détresse de cinquante ou cent mille-
chefs, aides -cuisiniers,, marmitons, écuyers-tranchanjs,.
4îi LE GASTRONOME FRANÇAIS.
proTi^urs et maîtres- d'hôtels» tous armés ai*, glaives
affilés , et observant une discipline telle que jamais le
roi de Macédoine n'en établit une pareille dans ses
phalanges.
Du moins les Grecs reçurent-ils en ceci la loi des
vaincus. En vain la sobriété Spartiate lutta contre la gour-
mandise orientale; toute la Grèce eut des cuisiniers; et
les Lacédémoniens , qui étaient les moines de ce temps -
là , finirent , comme ceux du nôtre , par être les plus gour-
mands de toute la république ^ de l'empire ou du royaume.
Rome fît comme Athènes quand elle la subjugua; elle
se soumit à ses cuisiniers , et renchérit même sur eux.
Les Thimbron , les Activés , les Philoxène pâlirent de-
vant Apicius ; Ésope et LucuUus.
Chacun de ces grands hommes mériterait un chapitre
à part.
Alors y dit Tite-Live, la gourmandise, méprisée par
nos idiots ancêtres , fut en honneur ; et ce qui n* avait
été qu'un vil métier devint une science qui se perfec-
tionna encore par la suite ( i ). Ce fut en effet le premier
pas que fil cette reine sauvage du monde vers la politesse
des mœurs ; et Rome , qui a perdu son empire , ses lois,
son peuple même , a conservé ses cuisiniers habiles et
ses tables somptueuses, tant il est vrai.... que...., etc.
(i) Tune eoguus viiissimum antiquU mancipium , œstimatione et usa in
preiioôtse, et quod ministerium fuerat , ors kaberi capta; vix tamen Ula
quœ tum conspieiebantur temtna erant fufurœ luxunœ,
TiTi-Livt , lit. xizix.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 43
C'est aux Romains qu'on doit l'usage de multiplier
les services. Les tables se succédaient auparavant en
ambigus, Philon en compta jusqu'5 sept dans un repas.
Ce sont eux aussi qui inventèrent les noms d'écuyers-
tranchans^ maîtres-d'hôteis, etc. Alors on savait encou-
rager le mérite : un talent se payait quatre talens; c'est-
à-dire 19,000 francs. On sait que Marc- Antoine paya
d'une ville et de son territoire le repas que fit son cui-
sinier pour Cléopâtre (1).
La magnificence vraiment antique de Marc - Antoine
n'approchait pourtant pas du luxe des rois d'Asie. Une
province entière payait en tribut le gibier nécessaire à la
table du grand roi ; une autre fournissait le bœuf; une
troisième le mouton. Celle dont le golfe Persique bai-
gnait les cotes, approvisionnait le garde-manger en
poissons, et la plus fertile des satrapies contribuait pour
le maïs, le blé ou le riz; de sorte que la table du prince
offrait tous les jours la statistique complète de son em-
pire^ et il jugeait avec perspicacité de ta prospérité de
ses sujets par l'abondance de son dîner; méthode très-
sûre , puisqu'elle est toujours en usage.
Les Hébreux , les Chinois , les Indiens , les Américains
(1) Qnî no coooait Iw profusions et les charmes de cette reine illustre,
qui d'un trait avala une perle d'un prix inestimable^ Qui n'aime à se
rappeler cette belle gourmande que Ton prenait tour à tour pour Vénus
▼ognant sur les eaux du Nil , entourée des Grâces et des Amours ; ou
ponr Erigone, entourée de Bacchantes, provoquant au combat le
galant Triumvir ?... Cléopâtre est une des héroïnes de la gourmandise r
et nous lui devions l'hommage que nous nous plaisons à lui rendre.
44 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
sauvages ou civilisés, les anciens et les modernes; et«
parmi les Européens , Danois , Lapons , Anglais /Alle-
mands, tous ont travaillé depuis des siècles à perfec-
tionner l'art gastronomique , et nous ne désespérons pas
de voir V Histoire de la Cuisine s'^allier partout au déve-
loppement de la politique , des belles -lettres et de la civi-
lisation; de voir enfin se réaliser l'espoir des philosopher
et des. savans de notre nation, qui appellent depuis
long-temps et de tous leurs vœux une chaire de gastro-
nomie au Collège de France et une classe de gourman-
dise à l'Institut.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 45
©je^ Ungiu» motte».
m
t
Dspuu que Ton commence à revenir aux bons usages
comme aux bons principes , on s'aperçoit que l'étude
des langues mortes n'est pas moins nécessaire ii l'homme
du monde qu'au savant , et que sans elle on se trouve
étranger à une foule de connaissances , qui seules an-
noncent un personnage bien élevé , et digne de figurer
dans une nssemblée de gens d'esprit.
Mais cette étude est nécessaire à l'homme de lettres et
à celui qui fait profession de vivre dans la haute société;
elle est indispensable au vrai gourmand : sans elle il ne
paraîtra qu'un mangeur vulgaire , qu'un glouton sans
discernement^ qu'un goulu sans délicatesse; vices,
comme l'on sait » qui font avec la gourmandise par excel-
lence -un contraste plus tranchant encore qu'une sobriété
sans prétention.
En eilet» que penser d^un gourmand qui, n'ayant
jamais fait des langues mortes l'objet de ses solides
études, demeurerait sans voix lorsque la conversation
tomberait sur ce sujet intéressant , et paraîtrait absolu-
tnent étranger à tout ce qui peut y avoir rapport ?
Quelle opinion prendre d'un homme , aspirant à la ré-
putation de gourmand , qui resterait court en entendant
parler des langues de bœuf, des langues de veau , des
langues de cochon , des langues de mouton , des langues
46 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
d'agneau et des langues de ca^pe, avec lesquelles il
doit être familiarisé autant par état que par inclination ?
Est-il parmi les idiomes vivans rien de comparable à
une langue de bœuf fourrée , fumée et parfumée selon
les grands principes de l'art; à une langue de cochon
fourrée » ou seulement à la braise ; à une langue de mou-
ton en caisse, en batelettes» ou seulement en papillotas;
à une langue de reau à la broche» farcie, ou au par-
mesan?
Trouyez-vous parmi les dialectes européens les plus
déliés , sans même en excepter celui qu'on parle avec
tant de grâce et de pureté sur les rives de l'Arno, une
langue plus délicate que celles de carpes , dont il faut ,
à la vérité , un grand nombre pour cpmposer une entrée
rai$onnable, mais qui font passer tou^ à coup au rang des
LucuUijs l'heureux Ampbytrionen état de les servir à ses
convives plus heureux encore?
Il est donc démontré ji^squ'à l'évidence que l'étude des
Ungues mortes l'emporte en tous points sur celle des
langues vivantes.
En écartait toute métaphore, en revenant h l'accep-
tion pure et simple de ce mot si précieux en gourmandise^
enfin, en considérant notre sujet en moraliste, il nous
sera tout aussi facile de prouver que les langues de
bœuf, de vieau , de cochon , de mouton , de carpe , d'a-
gneau , etc. , l'emportent de beaucoup sur les nôtres.
Qui peut ignorer tous les maux que la langue humaine
a produits dans ce bas-monde ! Blasphèmes , impréca-
tions , calomnies , médisances , mensonges , basses flat-
k
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 47
teries > injures , démeniU , etc. ; tous ces outrages , et
beaucoup d'autres encore , sont les fruits de son intem-
pérance. S'il faut en croire Planude, « elle est la mère
» de tous les débats , la nourrice des procès , la source
• des divisions et des guerres; elle est l'organe de Ter-
• rear; par elle on détruit les villes , on persuade de mé-
9 cbantes choses. > Nous pourrions ajoiiter que par elle
aussi Tavocat nous étourdit , le bavard nous excède , le
mauvais poète »
Qui, des premiers venus saisissant les oreilles,
En fait le plus souvent les martyrs de ses yeiJles ,
nous ennuie jusqu'à l'in^patience , nous excède jusqu'au
dégoût , et nous poursuit jusqu'à nous faire déserter les
sociétés les plus aimables.
La langue d'un bœuf au contraire n'a qujs d'excellentes
choses à nous apprendre; jamais monotone, puisqu'on
peut en varier de cent manières l'apprêt ; jamais impor-
tune • puisqu'elle est muette; jamais trop piquante entre
les mains d'un artiste habile , elle a l'heureuse don de
plaire à tout le monde» et elle est assez sage pour ne se
faire jamais d'ennemis.
Nous pouvons en dire autant de celles de veau et de
mouton, si bonnes sur le gril » de celles de cochon , qui
avaient paru tellement importantes au dix -huitième
siècle, qu'on avait institué des officiers en titre d'office,
qui n^avaîent d'autres fonctions que de s'assurer de l'état
de leur santé , et qui joignaient à leur titre de langueyeurs
1
48 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
de porc la qualité de conseillers du roi (i) ; de celles
d*agneau si innocentes et si douces;. enfin de celles de
carpe , tellement précieuses , que le plus riche amphy-
trion n'en sert une entrée qu'une seule fois dans sa vie.
Aucune de ces langues n'a menti , aucune n'a ennuyé
personne, aucune n'a d'offense à se reprocher; et ce
n'est pas d'elles que l'on peut dire qu'un coup de langue
vaut un coup d'épée. Qui peut se plaindre de leur in-
discrétion , do leur bavardage , de leurs £biux rapports?
Personne. Nous avons donc eu raison de préférer les
langues mortes aux langues vivantes. Tous les professeurs
de l'ancienne université de Paris partageaient cette opi-
nion; et nous osons croire que nous ne serons démentis
par aucun gourmand de notre âge.
G. D. L. R.
(i) Ceci n'Mt point une {daisuiterie. f^tfyies les mncieos almanachs
royaux.
§(t;ptft0
mxiinu
Ii'AMHÉX OOlfaMAVBX.
Chaque moit » en coieine , «omme en
Tolopti , a aee iouienncce particulière*.
Gkimod db la RirmiBi.
L'ANNEE GOURMAMDE.
Nota. Arant de commencer cette tâche honorable , nous devoni à la
rèrité de àéclarer^ à l'exemple de Taeite, que nous n'arons pas diné
chez ceux dont nous dirons les exploits.
Noos espérons donc n'être point suspects de préTentioa ou de pré>
diiection dans nos jngemens, et nous nous sentons pour nos fonctions,
qu'un philosophe nomme taeerdoiales , toute l'impartialité convenable
à un historien qui écrirait les Ties des princes patagons.
iarmtx.
I,E5 éTREIfNES, LFS ROIS ET LA SAINT-ANTOINR,
Lb mois de jan?ier est digae de commencer Tanoée
par les époques appétissantes et solennelles qu'il ramène.
Les Étrennes, les Rois et la Saint-Antoine, sont trois
fêtes d'une vénérable antiquité; elles réunissent tous les
mystères de l'art; les bonbons , les gâteaux et les co-
chons sont l'abrégé , ou plutôt le |ype de la science ali-
mentaire. Qui de nous peut se rappeler sans attendris-
sement les soins paternels et l'amitié vive qui régna
entre saint Antoine et ses compagnons? Douce société»
52 LE GASTRONOME FRANÇAI&.
tentimem sincèrei, beurepise réciprocité I qiel gour-
mand n'éprouve pas à votre souvenir une foi ardente et
une profonde dévotion? Celui-là sans doute est bien
digne de nos hommages qui passa sa vie en si boine
compagnie» et voulut prouver à la postérité le cas qu'eHe
devait faire d'un animal réputé immonde par le juif!
Pendant les calendes de janvier, on faisait à Rome un
sacrifice à Janus, auquel on présentait un gâteau fait de
pâte de farine nouvelle et de sel nouveau; on y joignait
de l'encens et du vin. Pocula Janus amaU
On exposait dans le temple les produits de la science
et de l'industrie; les artisans et les savans présentaient
à la bénédiction des prêtres les prémices de leur travail ,
dans l'espérance d'obtenir la faveur du dieu pour le
reste de l'année ; on lui disait des choses agréables »
et on lui servait les mets les plus doux, tels que du
miel, des figues, des dattes, etc. : les prêtres, après
avoir fait leurs provisions , distribuaient le reste aux as-
sistans, qui, à leur tour, en faisaient des présens à leurs
amis.
Le besoin de plaire et le raflinement du luxe enga-
gèi'ent les pauvres à dorer leurs figues et leurs dattes
pour les rendre plus dignes de ceux à qui elles étaient
présentées : de leur côté les riches firent de plus magni-
fiques présens , tant il est vrai que c'est l'orgueil et la
vanité qui donnent bien plus que la tendresse et la
piété.
Quoi qu'il en soit , cet usage est le même auquel nous
avons donné le nom d'^frenn^; mais il n'y a d'étreones
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 5S
^ienes de ce nom que celles qui sortent do chez le mar-
chand de comestibles, le confiseur, ou le pâtissier. Les
présensy dont la gourmandise ne fait pas son profit» sont
une corruption de Tusage antique ^ une abomination
moderne.
Le concile de Tours Toulut arrêter cette dégénération»
et condamna les étreooes comme un reste de supersti*
tiens païennes, parce qa'on y mêlait des présens de
Yerreine et autres plantes mystérieuses , ou qu'on y
rappelait une cérémonie des Druides qui cueillaient le
guy au renouvellement de l'année.
Le quatrième concile général de TruUo , tenu en 680,
«e montra également sévère protecteur de la simplicité
des usages gourmands) les étrennes ne furent tolérées
par la suite que lorsqu'il fut bien démontré qu'on s'en
tenait à la dragée : ainsi les gourmands pieux » que notre
érudition aurait alarmés, peuvent se rassurer, et fi*é-
quenter sans remords la rue des Lombards, les deux
palmiers de M. Terrier (i) , ou tel autre lieu sucré de
la capitale.
Les étrennes enfin sont toujours de mode^ et l'on
peut dire avec notre savant professeur, M. G. D. L. R. ,
que «pendant l'époque la plus rigoureuse du règne ré^
• volutionnaire, cet usage avait seul maintenu tous ses
«droits, et qu'en dépit de Robespierre et du directoire,
»l*on n'a jamais cessé de donaer des étrennes et d'ache-
(i) Roe Smnk-Honoré , n» 354, P^^^ ^^ rue de TÉchelle ; maison déll-
cieufe , dont U réputation est dans toutes les bouches. ^
54 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
» ter des bonbons pendant toute sa durée; tant Ws cou-
» tûmes qui tiennent à la friandise ont d'empire ssir les
X estomacs parisiens!»
Voilà pour les étrennes, voici pour le gâteau des roti«
Les gâtenux emblématiques étaient en usage parmi
les Grecs et les RoaiaiBS : aux repas de noces on pré-
sentait aux époux, dès le commencement du festin,
une tourte ou pain d'épices , pour montrer , dit un
subtil commentateur, qu'ils devaient être unis comme
es grains dont se composait la pâte, et que cette union
répandrait sur eux la douceur du miel;
Pour choisir te roi du festin, dont la juridiction est
assez connue , on tirait au sort ; les dés étaient marqués
de la figure de Vénus , de celle d'un chien , de la vieil--
lesse et d'ua habitant de Ghio. Les rapports de ces
emblèmes s'étant perdus , on n'a pas voulu perdre l'u-
sage de. la royauté, et la fève, quiservaitau scrutin pour
l'élection des magistrats , a succédé aux dés. Ge n'est
plus le dé empreint des traits de Vénus , qui donne le
sceptre de la gourmandise : nous regrettons ce nouveau
titre de noire alliance avec la beauté (i).
Quoi qu'il en soit , il n'y a rien de commun entre le
Gâteau et TEpiphanie , si ce n'est que l'histoire des
Mages se rapportant aux jours qui suivirent la solennité
de Noël , leur fête se trouve k peu près au temps des
Salitmales , temps où l'on faisait beaucoup de festins ,
(i) 11 ne faut pas oublier que la plupart des articles cooleaus dans pet:
PuvragC) MDnl cxtr^jts du journal de» Covrmantfsct des Belles,
LE GASTRONOME FRANÇAIS. Sa
et où , par conséqu^at , chaque ftaveroe et chaque salon
de ta Grèce et de Tltalie avaient un empire , un trône
et un monarque. On a cohseryé dans nos rites romains
jusqu'au Phcbe domine , qui s*adressait autrefois à
Phébus. Mais, quelle que soit l'origine du Gâteau , il sera
toujours d'un usage respectable parmi nous. Quoique les
friandises ne puissent pas nous tenir lieu d'un régime
plus substantiel , on nous Terra le jour de l'An , en
Mages pieux , faire plus d'un long pèlerinage au FidèU
Berger , rue des Lombards., et aux Deux Palmiers ,
chez. M. Terrier, rue Saint-Henoré, n* îi54. Nous serons
en station chez MM. RaugeU, (i) Rat, (2) Leblanc (3)'.
et I^age (4) le jour de l'Epiphanie , et- pendant tout
(i) PStitner, me de Richelieu , vi8-4-vi8 le Théâtre Français.
• (9) RaeMoQtmartre, n* BS , près la rucdes Fo8sés-MoDtmartr«.
(3) Rae de la Harpe , vis à-TÎa le collège d'Harcoiirt.
(4) Roe Montofgueil^ près la rae Saint-SaoTeur.
rf oiis crojoDs devoir ajouter à cette liste friaode les noms des pâtii^-
siers saÎTaos, doot.la. réputation est justement établie depuis la publi-
cation de cet article , d(*apr^ les notes qui nous ont 4tâ coiDinani.qttics.
AUain » rue de Gaiilon « n* 16.
Lebean , rue Montmartre , n<> i47«
Gendre , Faubourg Saint- Antoine , n« 4-
Robert , Tue Saint-Martin , n« 58.
Thomas, rue de Grammont, au coin de la rue de Grélrj.
Félix , passage des Panoramas.
lièvin , passage du Perron.
Dupuîs, rue de Yalou , n« 6.
• Grandin , Faubourg Poissonnière , n* aS.
Du val, rue de Beaune.
Lançon , rue Bourbon -Villeneuve , n* 56.
Bellenger, rue du Four Saint-Germain , n* i3^
Carin , rue du Bac , n* 38.
56 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
le meÎA ds janvier les fidèle» amis de saint Antoine
feront la gloire de noi dîners. lies porcs de Saint-Ger-
maia-en-Laye sont toas descendans des codions de
saint Antoine , et alliés des poarceaux d'Épicure*
Ce mois de janTier» ofa tout abonde • où tout iairite
aux plaisirs de la table , serait le plus gourmand
de Tanoée s'il pouvait contenir , dans l'espace de ses
trente-un jours » le dévorant Carnaval » dont il est le
digne précurseur; au snrplus, il n*a rien h envier an
mois de février» malheureuiL générateur du Carême* Si
ce dernier commence glorieusement , il finit , hélas f
bien mal ; gros et gras d*abord comme un moine , desi-
nit in pisoem^
Nous ne ferons point ici l'étalage des richesses im-
menses que prodiguent en janvier la boucherie , la char-
cuterie , la halle et le quai de la Vallée ; chaque espèce
d'animaux a ses représentans chez Michelle » (i) che^
Corcellet , (2) ou chez madame Chevet (3); cbaque climat
a payé son tribut , et les quatre élémens ont concouru
(1) Marché Saînt-Honoré.
(a) Marchand de comestibles au Palais-Royal , i l'iNMeipie da Gcar-
mand, près le passage de Badziwil.
(3) Marchande de comestibles au Palais-Royal, Galerie vitrée.
Nous devons encore ajouter à cette nomeoclatore , d'après les motiC»
exprimés dans la note précédente , les noms des bouchers siûvaua.
Sauvage , fournisseur de la maison do Roi « rue Saint-Antgùie.
Fradin , fournisseur de la ville , rue du Monceau ^oint-Gervais»
Madame veuve Bernai'd, me Saint-Lazare.
Parquet , rue neuve des Mathurins.
Cassard , rue Traversière Saint-Honorc , n* 16.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 5?
à ce vaste amas de comestibies qui , pendant l'hiver ,
doit nourrir les Gounnands de la capitale et ceux qui
voyagent pour la perfection de l'Art.
La terre » non contente de s'être épuisée de végétaux
et de fruits, ouvre encore son sein farci de truffes et
de monlJes !.... Qui guida vos grouins raffinés vers ces
uierveîUes souterraines , subtils enfiins de saint Antoine?
Ah ! quand vous n'auriez (ail; que ce présent à vos
maîtres , votre nom serait digne de l'immortalité.
Tous les habitons de l'air , la volaille domestique et
le gibier sauvage vont être bonifiés par le fumet de la
truffe.
Bayard , au coin de la rue du Four et du marché Saint-Germain.
Dii^et , rue dn-Bac , au coin de la rue de Verneuil,
Descolns , rae Taitbout , d<» 5.
BCarcas , me 8a»t-Honoré , n» 4> •
Faaguet, me Grange-Batelière , n» 34.
Henri , rue Neave-Saiote-Groix , u<* ao.
Parmi les marchands de comestibles noas citerons encore :
Billet , nie Saint-flonoré , n« 1 29.
lies Prèrea provençaai et lliOtel des Américains^ rue Sàlnt-Hooorè.
Mais on établissement, qui pour être le dernier cité en ce genre,
n'en est pas moins recommandable^ c'est celui de madame MamefTe,
établie à Paris depuis deux ans, où elle est venue précédée d'une
bnUante réputation aoqalse à Toulouse ,par sa fabrique de pftfés et de
terrinea do foies gras , de eanards , de samnons , d'ortolans , de gibier ,
et autres articles truffés. Son entrepôt est à Paris, rue Saint-Honoré ,
n* 178, à renseigne de Magasin du Languedoc.
N. B. n e»t important dd ne s'adreuer qa'dox premiers magcsins do com?attbIes
lorsque ron tvni se procorer sortent des pdlit on dea rolaillca farcies ; on e«l certain
dm flroomexdaaa ces maisoas dss mavchaadiaet fraSchcs, on Keu qne dans les aiagaaiiw
pea achalandés les ob>cls se dél^iorcnt » se corrompent , cl n'offrent,' 1« plussourcnl
i|a*tin amas de Tiandcs infectes et pourries.
\
08 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Les quadrupèdes , les amphibies , les poissons accou
l'eut , s'élancent de toutes les mers» de toutes les con-
trées , pour s'unir dans la casserole au parfum de cette
ambroisie.
#
Lo feu recrée » épure , améliore , et toutes les rues
sont tapissées des produits de la Nature entière , qui sem-
ble sortir avec une nouvelle vie et de nouvelles formes
de la cuisine du traiteur, du laboratoire du confiseur,
ou de l'atelier du pâtissier.
Gastermarn.
âtean U$ ^^01 s.
Il est chez les peuples de l'Europe moderne d^s usages
dont l'origine se perd dans, la nuit des temps» et qui sem-
blent survivre aux révolutions des États, aux changemens
de religion , de lois et de mœurs : telle est parmi nous
cette coutume constamment respectée» même dans un
instant oùl'on ne pouvait la rappeler sans courir risque de
la vie; l'on sait qu'à une époque où le nom de (oi ne pou-
vait plus se mêler aux jeux les plus innocens» les familles
solitaires partageaient encore en silence le gâteau des
raie. Les poètes et les historiens de l'antiquité nous don-
nent sur cette coutume des détails curieux; et l'on s'é-
tonne aujourd'hui qu'à des époques si éloignées, dans des
climats si différons, avec des mœurs et une religion si
opposées, les hommes aient conservé entre eux ces
fortes de rapprochemens. t Aux Saturnales , dît le phi-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 59
»Iosopiie Arrien, le roi élu par le sort exerce son auto-
1 rite en commandant à l'un de boire, à l'autre déverser,
»à celui-là d'aller, à celui-ci de Tenir. » Tacite obsenre
que Néron ne manquait pas de se trouyer à ces fêtes, et
qu'il attachait beaucoup de prix à être le roi du festin.
« Verres, dit Gicéron, ayait foulé aux pieds toutes les
9 lois du peuple romain; mais il obéissait ponctuellement
91 aux lois de la table. »
Ce respect profond pour les rois d'un moment se mon-
trait sous tons les dehors qui supposent, d'une part,
l'autorité la plus absolue, et de l'autre , la dépendance
la plus parfaite; il parait même que les hommages rendus
à cette dignité fugitive , mais qui s'exerçaient dans une
circonstance que les anciens regardaient comme une des
plus importantes de la yie, inspiraient beaucoup d'or-
gueil à ceux qui les recevaient; et l'on voit , par les con-
seils qui leut* sont donnés chez les Hébreux» combien il
étBÎt nécessaire de les rappeler sur ce point au sentiment
de la modestie, t Si l'on vous nomme roi d'un festin ,
9 dit l'Ecclésiaste, ne vous élevez pas pour cela au-dessus
> des autres; mais, après avoir eu soin de tous lesconvi-
» ves , et avoir tout réglé , vous vous mettrez h table avec
> eux; vous vous réjouirez de leur joie, et voys pourrez
> recevoir ou prendre la couronne. » II est vrai que Ter-
tulUen, dans son traité «cfe Coronât blâme cet usage;
piais la sévérité même de Tert.ullien prouve le respect
général que l'on avait encore de son temps pour cette
coutume antique.
(^es rois du festin n'étaient pas toujours choisis par le
6o LB GASTRONOME FRANÇAIS.
sort. Le paMage qoe nous vonons de citer supposerait
une élection libre et éclairée. Plante dans une de $es
comédies introduit des personnages qui se nomment un
roi on une reine , et Tun d*enlre euK adresse ces paroles
à une jeune beauté : « Je donne cette couronne de fleurs
3 à celle qui est à la fleur de son âge ; vous serez notre
» souveraine. > Cependant il paraît que Tusage le plus
commun était d'avoir recours au sort pour conCcr cette
souveraineté. On sait que dans un repas où il comman-
dait , Agésilas donna un ordre dont tous les amis de la
table admirent l'équité : il voulut que Ton servtt h chacun
autant de vin qu'on en demanderait , si la quantité de
vin était abondante ; mais en supposant qu'il n'y en eût
que peu , il défendit d'en donner plus à Fun qu'à l'au-
tre ; et quand ce grand homme donna cette décision ,
si gravement rapportée par Ptutarque, il avait été élu
roi par le sort.
Anacréon suppose qu'on se servait de billets comme
nous nous en servons aujourd'hui. « Esclaves » dit-îl ,
» apportez les billets; que je les mêle afin que nous ayons
nun roi du festin. » Horace donne à entendre qu'on
tirait aux dés cette couronne innocente, c Quand tu seras
» dans l'étroite maison de Pluton , dit-il à son ami Sex-
» tins , les dés ne te donneront plus la royauté du festin. »
Le rhéteur Pollux , et plusieurs antres savans , croient
que sur ces xlés n'étaient point gravés des nombres
comme sur les nôtres , mais des figures et des symboles.
Le plus souvent (i) on y voyait un chien et une Vénus,
(i) Comme on l*a vu dans l'article précèdent.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. Ci
ou , comme lo rapporte Plaute. un vautour ou un ba-
silic Le vautour et lo chien excluaient le candidat;
celui qui avait amené l'image du baailic ou de Vénus
concourait de nouveau avec ceux qui avaient eu le
même bonheur que lui , à moins qu'il eût été » dès le
•
commencement » le seul que le sort eût ainsi favorisé.
Quand les enfans se nommaient un roi dans leurs jeux ,
ils se servaient de fèves ; et dans plusieurs républiques
on employait aussi les fèves pour faire l'élection des ma-
gistrats. De là ce précepte de Pythagore : A fabis abs--
Une; abstenez-vous des fèves, c'est-à-dire abstenez-vous
de prendre part aux affaires du gouvernement. On sait
que les pythagoriciens fuyaient les emplois » et recher-
chaient le silence et la solitude. L'habitude de nous
servir de fèves pour élire les rois de nos festins est donc»
sous tous les rapports , de la plus haute antiquité.
Lorsque le roi était élu, il débutait ordinairement par
une harangue dont ^{uelques auteurs anciens nous ont
conservé les traits suivans : t Buvons» ùies amis» bu«
»vons à pleine coupe! enivrons-nous de cette douce
«liqueur» de ces délices des dieux I 0 Bacchusl toi
«qu'accompagnent les jeux et les ris» viens avec nous»
• une couronne sur la tête» une large coupe à la main;
«échauffe nos esprits. Esclaves» hâtez- vous; donnez-moi
» trois coupes» ensuite neuf» puis trois fois nenf; enfin»
• donnez- les sans compter : je veux me livrer à une ai-
• mable folie. .. Hercule» agité par les Furies» brisait
» l'arc et le pesant carquois d'Iphitus : en proie à la
•fureur» Ajax frappait son bouclier avec l'épée d'Hec-
(il LE GASTRONOME FRANÇAIS.
*
»tor : pour moi je veux, une coupe à la main , les che^-
«veux couronnés de fleurs , sans arc , sansépée» je veux
»me livrera de tendres fureurs; j'aime mieux perdre la
«raison que la vie.» ll'j avait dans ces amusemens de
l'esprit , de la bonhomie et de ia gaité ; il n'e&t donc pas
inutile d'en rappeler le souvenir.
C.
Nota. GetJirticle plein d'cradrtioii et «igné de la simpte initiale C,
fut extrait il y a plusieurs années de la Gazette de France^ qui compte
avec gloire, parmi ses rédacteurs , l'aimable auteur de VAri de iÙner en
viUe.
Anecdote sur le Gâteau des Bois%
«
Barjac» valet-de- chambre du cardinal de Fleury, con-
séquemment le ministre de ses plaisirs , comme le con-
fident de ses peines , connaissait à merveille les faibles
de son maître , et savait les saisir ; il les caressait de la
façon la plus adroite : ce fut lui qui , peu de temps avant
la mort de ce nonogénaire , eut la galanterie de le faire
souper la veille tles Rois avec douze convives de la cour,
tant hommes que femmes , tous plus âgés que lui ; en
sorte que » comme le plus jeime , le vieu^ et très-vieux
cardinal fut obligé de tirer le gâteau. Avec une adula-
tion aussi recherchée , Barjac devait être ud serviteur
très-agréable à son maître.
m9m
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 65
LE ROI DE LA FÈFE.
MOT Dl rORTRAILLI.
Depuis long-temps chez nous Gaulois
On tire le gâteau des )rois.
A Fontenelle un jour on fit tomber la chance.
Soit qu'enivré de cet honneur,
(Fruit du hasard ou de k préférence)
Soit qu'étonné de sa grandeur,
Il rêvât à l'effet de sa toute puissance ,
Dès ce moment il ne servit plus rien
A la royaliste assistance ,
Et vers lui garda tout. — Muis cela n'est pas bien.
Dit une jeune demoiselle,
A peine roi vous manquez de cervelle,
Et vous ne songez plus à nous...
— Hélas! ma chère enfant, répondit Fontenelle «
Yoilii comme nous sommes tous.
C
***
ntm
LES ROIS,
CRAHSO^lIfRTTB.
Air du fBudeTÎlte de Jein Moiinct.
Pour fêter les rois on mange :
Pour fêter les rois on boit :
Amis , que chacun s'arrange
Pour bien faire ce qu'il doit.
Ces bons rois
Étaient trois ;
^,
64 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Loin d^eo rouloir rien rabattre ,
Moi je mange comme quatre ,
Et comme quatre je bois.
Quoique le faste entironne
Les rois , leur trône et leur cour.
Je reux, si Tonine couronne.
Que ce soit pour un seul jour,
Que ce soit
Sous ce toit.
Vous ne me Terres prétendre.
Au trône que pour entendre ,
SouTent dire le roi boit !
Je suis un roi bon apôtre ;
Car, mes amis, entre nous.
Si le sort en nomme un autre,
Je ne m'en sens point jaloux;
Quel qu'il soit,
On me voit
Prosterné devant sa gloire :
Plus le roi me yerse à boire,
Plus je chante le roi boit !
Armand Goufté.
Mais passons à des objets plus substantiels.
0«lf.
G*£ST par la viande de boucherie qu'on débute dans
tous les festins; elle forme même la base ordinaire de
w
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 65
DOS repas quotidiens. Le hma!, le mouton , le veau ont
toujours le« prémices de notre goiirmandise. Il est donc
juste que nous leur tàssione Dotie compliment au renou-
TeUemrait de raunée , et que pour étrenoes à nos lec-
teurs nous oflWoos UD alojau d'Auver|;Re, ou. un Eiirot
de Présalé.
C'est dans ce mois que l'on voit flrriyer en Toule k
Varia ces énormes bœuis de l'AuTergne et du Cotentin ,
cbai;gés d'une graisse sncculenle et dont les flancs «cè-
lent ces aloyaux dirins , le {»«mier fondement d'un bon
repas , et dont l'appétit se lasse beaucoup moins que
des mets les plus recherchés. Ces aloyaux bien mortifiés ,
cuits b l'anglaise , c'est-à-dire saignans et accompagnés
d'une sauce stimulante dans laquelle les ancfaoîx et les
câpres fine» tiennent le premier rang , sont en cette soi-
Bon le rôti qui convient le mieux à une table nombreuse
et ailâiDée.
La pièce de bœuf est le début obligé d'un dloer bien
ordonné. Chei les Amphytrions vulgaires c'est un
bouilli relevé d'une sauce piquante aux choux, et flanqué
de quelques saucisses.
Chez les amateurs plus raffinés , à la place du bouilli
se montre tout naturellement un de ces aloyaux juteux
que le Poitou et la Normandie payent en tribut à la ca>
pitale de l'Europe gourmande. C'est en janvier qu'ils
arrivent en foule , et que des flancs savoureux du bceuf,
dont la graisse s'est identifiée h h chair par les fali^ues
de la route et la pesanteur du voyageur, on tire les
aloyaux les meilleurs et les plus gros.
5
66 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
De quelle immense ressource est pour Tart du cui-
sinier ce succulent animal , qui , chargé d'embonpoint ,
fait péniblement cent lieues en tremblottant pour venir
briller sur nos tables pendant une heure au plus !
C'est le bœuf qui fait ces consommés restaurans , ces
soupes revivifiantes , dont les estomacs délabrés et ma-
lades se trouvent si l>ien; -c'est le bœuf qui fait les bouil-
lons , les -coulis et les )us propres à tout , préférables à
tout par leur salubrité y leur aménité, leurs propriétés.
On ferait un volume des différentes manières d'ac-
commoder le bœuf; on ferait un traité de l'art de cuire
à son point précis l'aloyau lardé» à la sauce piquante.
Quel livre ne ferait-on pas sur la composition d'un
hochepot flamand; sur les palais de bœuf au gratin , les
entrecôtes grillées » les filets rôtis » et ce ross beef, et ce
keef -S'teaJc y sans rivaux » que savoure le ruminant An-
glais ; notre modèle en gourmandise , et notre copiste en
cuisine ?
Le beef'S'teak serait d'une très-heureuse ressource
dans les maisons bourgeoises, si l'on savait l'accommoder;
mais les choses simples sont presque toujours celles aux-
quelles on réussit le plus difficilement. La difficulté ,
pour un beef-C't^ak , consiste surtout dans le choix des
tranches : il n'y a point de milieu entre le morceau
moelleux et tendre et des lames coriaces et sèches » dont
la ténuité ne peut résister à l'action du feu.
G. D. L. R.
LE GASTRONOME FRANÇAIS
^^«Hits aimntam$.
Quoique nous n'ayons jamais ceint le tal
b ibéorie de l'art alîmeotaïre nous soit be
familière que sa pratique, nous ne somme
pas tellement étranger aux fourneaux que d
sions satislàire ii cet é^rd le goût et la t
nos lecteurs. Nous en trouverons les moyei
les nombreuses lectures que nous avons faiti
nos rapports journalier» avec les artistes <
avec le plus de gloire , h Paris , le rouleai
serole.
Mais , comme ce n'est point on traité de
nova prétendons offrir au public , nous pr<
nous choisirons ces recettes au hasard , et <
nous astreindrons dans leur publication k t
méthodique : nous ferons seulement en sori
blîer en temps utile, c'est-à-dire dans les
elles seront întantanément praticables.
BFEF, ou BEEf'-S-TEAK.
Ayez im moTcCBD d'eicelleot GIct de bcRif, Otez-CD
et picKpie toote U gnÛK , coupcz-Ie par ronellei di
<fu»tte on cinq ligaei ; applttiiKE ligireroeot chacon di
rt pare E-lei afin iju^li loieot i peu prèiroodiel det> fo
(il livre* ; fum eotnile fondre an pen de benne , met
«el et de gn» poiTrc ; trempes toi betfdtdani , et am
pUt ; aa nrameDl de terTÏr Utea-tet griller anr un Cm
innttoia de ne pai trop l« laiuer cuire; pendant ci
G8 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
dans un plat un morceau de beurre proportionné à la quantité de buf*-
s-tenik que Y0U8 aurez préparée ; assaisonnez de sel , poivre , un peu de
persil et un jus de citron ; dressez votre btef-s-teak dessus en j ajoutant
quelques pommes de terre frites dans du beurre bien frais, ou des
cornichons , si vous l'aimez mieux. On sert aussi le btefs-itak au beum^
d'anchou.
G. et G.
Le bœuf est excellent dans cette saison » ainsi que
nous avons déjà eu occasion de le dire , et tout ce qui
tient à sa personne participe à cette bonté ; mais son
palais sinrtout est dans ce mois d'une délicatesse admi-
rable , et qui détermine les amateurs à commander en
ce moment, presque tous les jours , à nos meilleurs ar-
tistes en pâtisserie , ces indicibles pâtés chauds de palais
de bœuf roulés, aux truffes, aussi fondans dans la bouche
que la meilleure pâte de guimauve , dont Tassaisonne-
ment est admirable , et dont la croûte est vraiment un
chef-d^œuvre de Tart et d*une délicatesse tellement in-
dicible , que plus d'un gourmand ne la mange jamais
qu'à genoux.
Quoique le ragoût que nous allons indiquer ne puisse
se comparer à ces pâtés inimitables , il ne laisse cepen-
dant pas d'avoir son mérite , et nous engageons les plus
gourmands de nos honorables lecteurs à vouloir bien en
faire l'épreuve.
PALAIS D£ BOEUF EN ALLUMETTES.
Vous commencez par couper vos palais en petits filets de la groascui
des allumettes ; vous les laissez ensuite mariner dans un peu de bouillon,
vinaigre , sel , poivre , basilic , laurier « tbym , clous de girofle , poud< e
_fca^ _ .•
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 69,
d'épices fines, traoch<» d'oigocas, un petit morceau de beurre mauié
de fines berbes dans un peu^de farioe , le tout bien chaud.
Vous faites mariner pendant deux heures ; laissez égoutter tos filets ,
et les trempez dans une pâte il bière, (personne n'ignore que c'est la
pâte à friture ordinaire qui se compose de faiine , de bière , et de deuk
ou trois )annes d'oeuf) vous les faites frire ensuite dans du sain-doux , el
les servez bien blonds et brftlans , garnis tout autour de persil frit.
Si TOUS voulez simplifier cette aimable formule , vous pouves vous
contenter défaire mariner vos allumettes simplement dans du citron
avec un peu de sel et quelques brins dei persil ; vous les ferez frire en-
Miite de même , et de belle couleur.
Ces allumettes prendront le nom de Mwntis droits, si , après avoir
coupé vos palais en filets, voas passez des oignons comme au parmesan ,
et ku jetez dedans. En finissante n'onbliea pas un peu de moutarde de
SlaiUe ou de fiordin (i) , ot l'épigramme d'un petit filet de vinaigre.
AJIOUBETTBS DE ¥KAU GOHPOSifiS , À LA CREME*
VoQS Gommencea par prendre de jolis petits boyaux de cochon de lait ,
ou même simplement de dindon , que vous nettoyez bien légèrement
en les retoomaot; vous la ratissez, un peu, et les faites dégorger dan h
de l'eau froide; ensuile vous souffles dedans a%ec toute la gravité pos-
sible pour vous assurer qu'ils ne sont point percés, accident trës-dan-
fereax , comme Ton sait, dans plus d'un cas. Procurez- vous les deux .
blancs d*une poularde ou d*un poulet, cuits à la broche, que vou.t
bâches bien menas avec d^la tétine de veau blanchie, un peu de lard
(i) La moutarde de MM. Maille et Aclocque-, rue Saint-Ândré-des-
Arcs, et celle de M. Bordin , rue Saint-Martin , n<> 71 , sont les meil-
heures que Ton poisse manger en ce bas-monde j ces deux artistes célè-
bre s ayant mis depuis plus de quarante ans toute leur gloire et tous
leurs soins dans la préparation des sinapismcs. Les gourmands sont
aussi indécis sur le mérite de ces deux célèbres rivaux , que les connais-
tenrs entre Corneille et Racine; en sorte que toutes les bonnes tables
olfreot toujours en regard M. Aciocqi^c et M. Bordin. M. Le Maout
d$ Saint-Brieuc n'est considéré que comme le Crébillon.
70 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
également haché , m\, poivre , échalotes , baeilic cq poudre et muscade
râpée.
Ces préLuninaires remplis, tous fûtes une préparation de crème ainsi
qu'il suit : passez dans une casserole , avec deax onces de bon beurre
frais de Gonmay ou d'Isigny, selon la saison , quelques champignons
coupés en dés, un bouquet garni et une tranche de jambon. Vous
singea un peu , mouillea le tout de bon bouillon , et le laissez un moment
bouillir.
Lorsque tous Toyez que cela commence à s'épaissir, tous ôtez ce qor
est dans la casserole, e'est4i-dire le jambon, les champignons et le
bouquet garni , et tous y mettez un demi-setier dto l'exoeUente* crème
de Madame Lambert (i) ; tous faites bouillir jusqu'à ce que le tout soit
un peu épais. Après l'avoir fait refroidir, TOus.aTez un pelit entonnoir
aTcc lequel tous remplissez de cette composition tos boyaux » puis tous
les faites blanohir un bouillon , et les faites cuire dans des bardes d'un
lard gras , frais et onctueux.
Lorsqu'il faudra les serTir, tous les d^esserez dans un plat, et vous
les masquerez (surtout si c'est en camaTal) aTcc une belle sauce à la
crème». Pour un plat honnête , il faut au moins deux ou trou aunes de
boyaux. On les laisse entiers ; ce qui forme un raTissant coup-d'œil.
On peut aussi les faire frire. Pour y parTenir, on leur donne un doigt
de longueur,, on les fioelle, et on les fait cuire de même : ensuite on les
laisse refroidir; on les trempe dans une pâte k bière; on les fait frire de
belle couleur , et on les sert garnis de persil fiit , et sTec l'expression
d'un Jus de oitron.
On. peut encore Tarier ces amourettes de plusieurs autres façons ,.
selon le goût des consommateurs. Il nous suffit d'aToir posé ici les prin-
(i) Cette madame Lambert, dont M« Grimod de la.Reynière a fait
si justement et si souTcnt l'éloge , a cédé son fonds depuis quelque
temps. Nous allons donner les noms des principales maisons de com«
merçe en ce genre..
Duval, rue Culture Sainte-Catherine, n« 3^ an Marais..
Bally, rue neuTc des Petits-Champs , n« 73.
LintiTÎlle , rue de Grammont, n* 10.
La grande laiterie de Bondy, me d'Artois , n* 11..
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 71
cipes de la matière , la perspicacité des cuisiniers , guidée par le goût et
l'appétit des amphytrioas, fera le retle.
CASCALOPB DB MOUTON A l'hUILB.
Vous commencez par couper les filets comme pour des bressoles ;
vous les faites ensuite mariner avec sel , poivre , basilic , muscade ,
persil , ciboule , échalotes, nue petite gousse d'ail et deux champignons,
1r tout haché bien menu , et un Terre d'huile d'olive. Lorsque le tout a
bif'n marioé pendant soixante minutes , vous arranges vos filets dans
une grande casserole , mais de manière qu'ils ne se trouvent pas l'un
sur l'autre , et vous les mettez sur un grand feu. Lorsqu'ils se détachent
Je ta casserole , vous les remuez un peu. Quand le mouton est tendre ,
i( ne faut qu'un instant pour les faire cuire. Faites ensuite bien égoutter;
jetez dans le restant de la sauce un demi-verre d'excellent vin de Cham-
pagne, un peu de quintessence de jambon, du consommé, ou à défaut,
d'excellent bouiUon, avec un peu de blond de veau. Faites bouillir un
instant ; dégraissez au tamis de soie , et servez à courte sauce et avec
l'expresnon d'un bon jus de citron.
Le temps nous manque poar chereher Pétymologie du nom des
CaMeahpe$: mais nous pouvons assurer que c'est un hors-d'œuvre très-
apparent qui, même dans les tables bourgeoises, peut passer sous le
nom d'entrée. C'est , au reste , un manger délicieux ; et, quoiqu'il ap-.
parlienne è l'ancienne cuisine , il serait de l'intérêt et de la gloire de la
nouvelle de le remettre en honneur.
BÔT DB BIF d'aGNBAU A LA BABBARINE.
Ayez un rot de bif d'agneau bien blanc et bien tendre; levez-en la
peau proprement ; ciselez le des deux côtés , & un pouce de dintance ;
ayez des tranches de petit lard , de truffes , de foies gras , de (ilets d'an-
chois , conûchons et tranches d'oignons d'Espagne ; mettez dans chaque
ciselure une tranche des objets ci-dessus , disposés avec grâce. Prenez du
lard râpé, de la moelle de bœuf, persil, ciboules, échalotes, ail, ba-
silic , poivre, muscade et sel , le tout pilé ensemble , avec six jaunes
d'ceafs dors, et trois jaunes d'csufs crus; formez du tout un bon ap-
,> LE GASTRONOME FKANÇAIS.
fucil, arec lequel vaaiciHitm toire Rôt de bit, Beoiettei U pua
pir-deum, d toui l'aTei conier*4e biea entière, od, k déttut, nnit
Faites enmite cuire 1« lout arec «oia dansuae bonne biaiie. Qa«i>(t
Totrc rôt de blfeil cuit, dreuei^e «ur uq plil; dégraisseï; glacez av«;
une glace de veau Taite expiés et bien clarifiée ; aervei eiuuilB avec l»
aauce parfailemeul bïca dt'graîaiée.
Ce ROI de bif i la Barbariae e.tt certaiaemeDt (a plut belle dtcoratioo
dont on puisK reiClu un qaaitier d'agneau. C'est une groate sntrée
tout i la Tois ttèa-appareole et IrÈi-délicate. 11 ne faut pai craindre de
tenir ce BOl de bif d'un goût an peu relevé, la cbair de l'agneau ilaot
nature Ile ment fade, aqueuie et inodore. G'eit ua aaimal dont, par
pluûeurt coDiidcrationi , tout vrai Gourmand devrait s'abstenir : d'a-
bord il ne procure que dei jouisaincei niédiocrcs; enniile lonqu'oo
•onga qu'en mangeant l'une de cet aimables créatures, on court te
aiaque d'engloutir , d'anéantir eo un iuslant toute une géoétation , un
devrait le montrer trèa-réiervA sut ce genre d Infanticide.
On peut préparer de la mfime manière les selles de mouton.
G. D, L. R.
Vers la fin d'un beau jour d'ét^, Fonteuelle était
couché nonchalammeot sur le haut d'un coteau : dans
le vallon était un nombreux troupeau de moutons qui
bondissaient en attendant le moment où leur fidèle
gardien les conduirait dans leur rustique demeure.
Un ami de Funtenelle l'apercevant «inti, lui dit eu
l'abordant : t L'aimable philosophe rêve sans doute en
• ce moment aux vicissitudes humaines? > Vous avez
raison , répondit Fontenelle ; j'examiuais ce troupeau , et
je tue disais : Il serait possible que sur ces deux cenla
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ^l
montons ou environ que j'aperçois d'ici » on ne trouvât
peint un seul gigot tendre.
Si cette pensée philoêophique est justement sentie de
nos lecteurs , et si l'on conyient avec M. G. D. L. R.
« qu'après un ami véritable » une fidèle épouse et un
» prolecteur désintéressé» il n'est rien déplus rare à Paris
ik qu'un gigot tendre, » nous leur indiquerons la source
où ils peuvent s'en procurer d'excellens.
Jusqu'à présent on a placé au premier rang de la gent
moutonnière les moutons des Ardennes, de Pré-Salé , de
Cabourg et d'Arles , tandis que l'on a cru devoir placer
au second rang ceux de Beauvais , de Dieppe» d'Avran-
cbes et de Reims.
Il en est dans ce bas-monde des animaux comme des
hommes , qui n'ont en général du mérite que sur la ré-
putation qu'on leur établit ; et tel qui vit ignoré ou oublié
dans sa retraite obtiendrait les premiers honneurs s'il
était connu , ou si quelques rivaux , jaloux de sa gloire ,
cherchaient moins à l'éloigner du grand jour.
Telle est la position où se trouvent les moutons de
Beauvais , qui de temps immémorial sont offerts à titre
de présent aux têtes couronnées et aux princes qui hono-
rait cette ville de leur passage , et sont envoyés le pre-
mier janvier de chaque année comme nhoroeaucc de roi
aux chefs suprêmes de l'État, qui les ont constamment
aceoeillis avec plaisir.
Ces (aits nous sont attestés par des autorités respec-
tables, qui nous ont d'ailleurs mis à même d'établir notro
jugement sur une de ces viclimes immolées en notra
74 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
honneur, et dont le tn'ta de derrière pétait «eul cio-
quante-six livres.
Od sera moins étonné de ce que nous avançons quand
OD saura que les moutons de fieauvais , nourris avec du
foin te plus fin, du nantillon et du son, attendent pa-
tiemment, privés des autres joies de ce monde, le moment
fortuné oii ils doivent paraître sur nos tables : ils restent
ordinairement deux ans dans la retraite ; ce temps est de
rigueur li l'on veut les manger h point.
C.
De toutes les mamères de manger la volaille , ia plus
succulente , la plus recherchée et la plus honorable ,
c'est de la manger aux truffes : le parfum de la truffe
donne à la viande un goût merveilleux , et lui commu-
nique une vertu vivifiante ; elle inspire au gourmand une
énergie extraordinaire; et, fïtt-il de l'appétit le plus
vulgaire , elle en fait un Mllon de Grotone.
Les torrens de délices qui s'émanent des entrailles de
la truffe ne sont pas le seul bienfait qu'elle répande sur
les convives; elle a des aiguillons mystérieux dont Ta-
mant s'applaudit à aussi juste titre que le gourmand. Ce
secret stimulant et ce fumet amoureux en ont fait le mets
favori des belles. Elle mériterait d'être dédiée à l'amour,
aussi bien que la rose et la pomme , tant célébrées par
les poètes.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 75
L'origine de la trufFe est mystérieuse , et non moins
inconnue que les sources du Nil; elle n'a ni racine » ni
feuilles , ni semence; fille de la terre , elle ne tient è rien
de terrestre. II 7 a dans son histoire de quoi composer
un poème épique. Sa destinée bizarre fut d*^tre décou-
verte par des cochons ,dont le grouin alongé devina le
fumet de ce trésor à quelques mètres de profondeur.
Jusqu'alors sans doute la truffe était réservée pour la
table de quelque gnome jaloux du bonheur des hu-
mains : il la dérobait par son art aux recherches des
savans ; et quelque sylphe , ami de l'homme , chargea
l'animal immonde , contre lequel le gnome avait oublié
de se précantionaer, de retrouyer la merveille enterrée,
et de lui faire voir le jour.
Quoi qu'il en soit, les premiers porcs qui découvrirent
la trufie étaient de très-bon goût; il n'est pas de bel es-
piit aujourd'hui qui ne s'empresse de les imiter (i).
La truffe est une brune piquante » de formes assez
rondelettes , quoiqu'à protubérances inégales ; sa peau
veloutée et sa chair ferme sont sans aucun mélange de
poik , d'os ou d'arêtes : ainsi que du cochon , son in*-
venteur, tout en est bon« C'est à la fin de l'automne
qu'elle aime à se produire; on conmience à la chercher
(1) Daos une autre de ses dissertatioDs sur la truffe et sur les aimable»
compagnons de salut Antoine, l'illustre M. Grimod de la Reynièredé-
ceme une couronne méritée à leur génie inventif, et leur rend la justice-
de dire: « Qu'ils ne nous sont pas moins utiles de leur vivant qu'après leur
» mort ; car sans eux , les truffes pourriraient ignorées au sein de la terre,
>et seraient la pftture des larves et des tipules , au iieu de^de venir celle
«ck nos pins illustres gourmands. »
76 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
ea novembre , mais c'est en décembre seulement qu'elle
a acquis sa maturité et son embonpoint. C'est à ce mois
que se rapporte probablement l'anniversaire de son in-
vention , lorsque la terre , attendrie par les pluies de la
.saison , se rend plus accessible au grouin investigateur.
Lorsque les cochons trouvent la truffe en fouillant la
terre» ils annoncent leur bonne fortune par des cris de
joie ; et l'homme , toujours ingrat envers les animaux
qui le servent , presque autant qu'avec ses semblables,
accourt , frappe sans pitié le grouin bienCaisant , s'empare
de la trufle , la met dans son bissac , et prescrit à son es -
clave de nouvelles fatigues dont il recueille le même fruU;
de sorte que les pieux compagnons de saint Antoine ,
condamnés au supplice de Tantale » souffrent d'autant
plus , que leurs recherches ont plus de succès , et que
leur appétit est plus glouton.
Communément on ne trouve point d'herbe dans les
endroits où il y a des truffes ; l'on reconnaît encore ces
endroits lorsqu'en regardant horizontalement sur la sur-
lace de la terre on voit voltiger au-dessus d'un terrain
léger et plein de crevasses des essaims de petites mouches
qui sont produites par de petits vers sortis de ces sortes
de champignons.
Les pays chauds , les lieux secs et sablonneux , tels
que certains lieux du Pérîgord, du Quercy, du Limosin ,
de l'Angoumois , de la Gascogne» et particulièrement de
l'Italie , sont les endroits où l'on trouve les truffes; celles
des environs de Pérîgueux sont préférées, et quand il
s*en trouve de bonnes ailleurs , ce n'est qu'en se faisant
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 77
• *
naturaliser périgourdtnes qu'elles ont cours dans le com-
merce.
Il y a des truffes de plusieurs espèces , mais les plus
excellentes sont de moyenne grosseur^ bien nourries,
dures» et ayant beaucoup d'odeur.
Les truffes enfin ont acquis dans l'État une telle con-
sidératton , qu'il ne sera bientôt plus permis d'ignorer h
quelles sauces elles doivent être knangées préférable-
ment. C'est pour contribuer autant qu'il est en nous à
la propagation des lumières , que nous donnons les re-
cettes suivantes , qui , sans doute , sont encore suscep-
tibles de perfection comme tout ce qui tient aux hautes
sciences.
catU$ a{m<nt(X\us.
SÀUTÊ DE VOLAILLE ET DE GIBIER AUX TRUFFES.
PiBJitz soit des filets de Tolaille ( que tous mettet si voas voulez en
escalopes), soit des filets de perdrix^ oa enfio des escalopes de lapemau ;
ayez une sautoire , Foncez-la avec d'excellent beurre , arrangez dessns
vos filets ou escalopes ; prenez trois ou quatie belles truffes , coupez-les
par tranches 9 et mettez-les avec votre sauté; faites cuire le tout sur un
fourneau qai ne soit pas trop vif; égouttez votre sautée et dresscz*le sur
an plat; mettez dans votre sautoire deux cuillerées de bonne espagnole
réduite ; détachez bien ce qui est dans votre sautoire , et versez votre
sauce sur votre sauté. Ajoutez si vous voûtez quelques gouttes de jus
de citron .
78 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
MANIÈRB DB FARCIR DINDES» POULARDES, CHAPONS,
POULETS ET PERDREAUX AUX TRUFFES.
Prenez la Tolaille que toui Toudres farcir, Tidez-Ia par la poche,
casses un pea le brichtt, et flambez-la. bien légèrement, ayez deoi
lÎTres de tmffea, laTcz-les bien soignensement , épluchez-les, et mettez
environ la moitié de ces épluchures ( en choisissant ce qu'il y a de
mieux) dans un mortier ; ajoutez-y une livre de lard coupé en dés, du
sel , du poivre , un peu de thym et de laurier hachés bien menu ; piles
le tout avec soin afin de le réduire en farce ; mêlez ensuite cette farce
avec vos tiulTes , et farcissez-en la volaille , que vous trousserez et bri-
derez afin de lui donner une belle forme.
. Il faut que les volailles restent farcies plqsieurs jours avant d'être
mangées : quatre jours suffisent en temps humide , mais dans les temps
de gelée on peut les laisser huit jours.
Lorsqu*on veut les mettre à la broclie, il faut avoir soin de les enve-
lopper de papier beurré. On doit les faire cuire à petit feu et les servir
bien chaudement.
G. D. L. R.
atctfUs.
Le gibier particulier de cette époque est un joli petit
oiseau aquatique , tenant du poisson et du canard , que
Ton peut manger le vendredi sans scrupule , et servir le
dimanche en rôti sans déroger.
Cet amphibie aérien est la sarcelle, cousine-ger-
maine de la bécasse, voyageuse comme elle» d'un goût
et d'une chair analogues ; quant à la forme et au plu-
mage on la prendrait pour un canard sauvage , à la taille
près : c'est une miniature de canard ; sa taille est plus
LE GASTBONOME FRANÇAIS. 79
élégante malgré son embonpoint ; sa physionomie est plus
agréable , et sa chair surtout plus délicate.
Il ne faut pas cependant confondre la sarcelle des
cotes y qui est grise , avec la rouge , oiseau de rivière »
distinguée de sa sœur par la couleur de sa gorge : celle-
ci est plus grosse » mais elle a bien, moins de mérite » de
graisse et de vertu.
SABCBUiB A Vk BIGARADB (l).
Un des procédés les plus commodes pour apprêter ces mets dlÛTer
est la bigarade. Rassemblez quatre sarcelles jeunes et convenablement
mortifiées; qu'elles aient été chassées , s'il se peut, sur les côtes de la
Manche , et surtout dans la baie d'Étaples ; videz-les avec soin ; flam-
bez-les légèrement, de manière à ne brûler que le duvet ; épluchez-les
avec attention , et qu'il n'y reste aucun tuyau qui rappelle ses plumes.
Pelez les foies des quatre défuntes avec le dos du couteau, pour en
faire une pei ite farce ; mélez-y ensuite un copieux morceau de beurre ,
du sel , du poivre y quelques épices et un (>eu de zest de citron haché.
Farcissez de ce composé vos quatre sarcelles , de façon^ que leurs
ventres s'arrondissent mollement^ troussez-les , et passez votre ficelle
avec adresse , afin de leur donner dans cet état un aspect gracieux et
appétissant.
Voici llnstant de les embrocher toutes quatre sur un atelet ; qu'elles
y représentent les quatre fils Aymon , armés de tontes pièces ; leurs es-
tomacs seront couverts d'une tranche de citron que l'on recouvrira d'une
barde de lard ; un surtout de papier bien beurré enveloppera cette ar-
mure succulente , et quelques rôties dorées figureront des boucliers
gisaos & côté : il faut cependant avoir soin de les ficeler dans cet état
par les deux bouts , de peur que le jus ne s'échappe.
Après tous ces préparatifs on attachera l'atelct sur la grande broche ,
et 00 ne laissera ce rôti devant le feu que pendant une demi-heure seu-
lement ; ce temps suffit pour que la cuisson soit parfaite.
(1) A d«fant de bigarade on peut se servir de citron.
8o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Au moment de servir développez les quatre figurantes et débridez-les
proprement; vous en égoutterez le beurre, et ôterez les tranches de
citron qui leur servent de cotte-d'armes. Tout cet appareil terminé )
▼ons les servirez avec nne espagnole bien finie , dans laquelle foos ajou-
terez le jus de deux bigarades.
B
ID»i£l^a>^»(gl^^$€l^<;g$<l$<(Me»«t8$lg$g|$l^««l^
Jévvm.
LE MOIS SALÉ ÙV I.ES CHARGUTIEBS.
Si , comme nous Tavons établi , le mois de janvier est
du domaine des confiseurs» et mérite plus qu'aucun
autre Tépithëte de sucré , il nous sera plus facile encore
de démontrer que le nom de 'nxùis salé appartient aussi
incontestablement à celui de février, puisque c'est pen-
dant son cours qu'il se fait la plus grande consomma-
tion de toutes les marchandises , dont le porc en est la
base.
Ce serait sans doute ici le lieu de placer l'oraison
funèbre du cochon, cet animal encyclopédique, le
Gristophe Colomb de la truffe , auquel tous les vrais gour-
mands doivent la plus tendre reconnaissance « et dont
la mort est un bienfait pour toute une famille; mais ce
serait prêcher des convertis que de chercher à inspirer à
nos lecteurs des sentimens dont il n'est aucun d'eux qui
ne soit vivement pénétré. Contentons- nous donc de man*
}
l£ GASTRONOME FRANÇAIS. 81
mr avec compoDCtion du boudin , du lard et des sau-
cisses; du jambon, des menus droits et du porc frais ;
des andouilles, des pieds fiircis» des liures et des
oreilles » etc. » et de prier pour la multiplication d*un
individu qui est pour nous le principe des jouissances
les plus Tiyes , les plus fréquentes et les plus douces »
et sans lequel on peut dire qu'il n'existerait point de
cuisine.
Le Cama?al est F^époque de Tannée que les cocbons
redottienileplos , quoique ce ne soit peut -être pas celle
011 Ton m mette à mort le plus grand nombre. Mais
presque tous les porcs tués en décembre seront mangés
en février : ce mois est le tombeau de tous ceux qui no
sont pas destinés à figurer à Pâques , sous la forme de
jambons ; et il est aussi difficile de supposer un Garnayal
sans cochon , qu'un Carême sans morue , et qu'un mois
de Boaî sans petits pois.
C'est donc avec raison que nous ayons baptisé du
nom de mois salé celui qui renferme presque toujours
dans son sein les jours gras , et que » sans offenser les
autres» on peut regarder comme le plus brillant du char-
nage. Il suffit , pour s'en convaincre , d'examiner avec
un peu d'attention , depuis la Chandeleur jusqu'au Ca-
rême, les boutiques carnassières , et l'on verra qu'en
aucun temps de l'année les bouchers , les charcutiers et
les rôtisseurs n'offrent un assortiment plus complet et un
étalage mieux fourni.
Nous parlerons une autre fois des premiers et des
derniers; nous ne voulons nous occuper aujourd^hal
6
89 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
que de ces artistes Traimentre^^ominandables, quiont con-
sacré leur vie entière à donner au cochon les formes
les plus glorieuses , ei qui lui font prendre cette foule
de mfisques plus appétissans les uns que les autres , el
sous lesquels il est admis avec tant de reconnaissance h
la table des gourmands (i).
Que de choses dans un cochon I et quelle inépuisable
source de mets savoureux que ce gentil animal, que
notre orgueil méprise , que notre délicatesse rculoule •
que notre vanité repousse tant qu'il est au nombre des
vivans , mais que not^ appétit festoyé avec tant d'em-
pressement aussitôt qu'il a passé les sombres bords !
Un vrai gourmand agit d'une manière plus consé-
quente ; sa reconnaissance est ailleurs que dans son
estomac ; et ce n'est pas sans une volupté secrète et
sans un sentiment d'amour qu'il voit bondir dans la
fange cet aimable marcassin suivi de tous ses frères ,
qui , pour peu que Dieu leur prête vie , et qu'on les
engraisse , deviendront dans peu des pourceaux mons-
(rueux.
Quiconque voudrait étudier avec quelque attention
(i) L'auteur de cet article a dît ailleurs :
Le véritable héros de février, cest le cochon. Dans les jours de car-
naval, il se déguise aassi de cent tnanières ; mais sous ses aimables tra-
vestissemens , sob mérite le trahit touiours. En vain il i«v6t tonr è toor
le froc rembruni du boudin , la robe blanche de l'andooiUe, le j9BU'
au-corps du cervelas , la résille de la saucisse ', il n'échappe ni k roeil
ni à la dent du gastronome, qui le fête avec d'autant plus d'ardeur,
qu'il est à la veille de se voir jusqu'à Pflques séparé de cet ami si solide
e t si tendre.
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 83
lef mœurs de cet animai, trouferait dans toutes ses
liabîtudes un grand fonds de philosophie; et» depuis le
cochon de saint Antoine et les pourceaux d'Épicure ,
jusqu'à ceux dont nous a?ons le bonheur d*ôtre les con^
temporains , ei qui se rendent en foule tous les lundis
de chaque semaine au marché de Saint-Gennain-en<»
Laye^ qui en approvisionne tout Paris » il n'en est au-
cun qui n'ait été sur la terre un exemple de stoïcisme ,
d'impassibilité , d'égoîsme et de bon appétit , qualités
auxquelles on a reconnu dans tous les siècles » et surtout
dans le nôtre» MM. les philosophes C. Q. F. D. (i)
Pour en rerenir aux charcutiers » c'est une profession
bien recommandable , et qui tient à Paris un rang très*
distingué parmi les états de bouche. Ce n'est pas leur
faute si la personne du cochon est beaucoup meilleure
dans les départemens de l'Aube et du Rhône , que
dons celui de la Seine; et si le fromage, les hures et
les petits pieds de Troyes et les saucissons de Lyon sont
meilleurs que ceux de Paris : mais tout ce qui dépend
de l'excellence du travail est chez eux mieux confec^^
tienne que partout ailleurs; et l'on ne mange nulle
part des saucisses , du fromage d'Italie , des pieds de
cochon farcis aux truffes » des andouilles et du boudin
blanc aussi délicats « aussi bien confectionnés , aussi
(i) Le cochon et le Mfiglîer apparticDDent i la même famille. Le
cochon ett un taagUer ciriUsé > on plutôt dégradé par la castration et
l'esclavage ; mais cette dégradation toorne aa profit de ootre senraalitét
et les qualités sociales et paisibles de l'iin » noos paraissent , eo cuisine »
bien préférables aux vertus républicaines et sanrages de l'antre.
84 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
délicieux enfin que dans la capitale de la France , qu^on
peut regarder aussi comme eelle de l'Europe gourmande.
Si nous voulions indiquer les principaux charcutiers
de Paris » cela pourrait nous mener loin ; mais si nous
voulons nous borner à nommer seulement ceux qui se
distinguent par la ^périorité de leur manipulation et
rexcellence de leurs marchandises » nous aurons bien
moins d'ouvrage i et il nous su£Sra d'indiquer aux. con-
sommateurs difficiles et très -recherchés dans leurs jouis-
sances gourmandes »
1*" M. Corps, rue Saint-Antoine, près celle Cloche-
Perche , dont la boutique passe à juste titre pour la
meilleure dans tous les genres ;
t^ M. Jean et M. Caillot , charcutiers de Lyon , rue
Neuve-des-Pelits-Champs , n*^* i et 3, très-bien assortis,
surtout dans la partie des déjeuners à la lyonnaise (1);
5* Le successeur de M. Duthé, rue Neuve-Saint-
Eustache , qui vit sur la réputation de son devancier .
mais qui fabrique des choses recherchées ;
4* M. Malherbe , rue Saint-Magloire , digne neveu de
M. Corps ; c'est tout dire ;
5* M. Yiard , rue Dauphine , dont la boutique est
bien assortie en marchandises courantes.
Le reste ne vaut pas Thonneur d'être nommé (2).
G. D. L. R.
(1) Le succesitearde M. Jean est M. Masson^GheYilUrd, n* 1, et celui
<lc M. Caillot est M. Etienne,* n« a.
(9) Depuis ce jugement séTère rendu en dernier ressort ^ar IHIustre
LE GASTRONOME FftANÇAIS. 85
matKif.
Le Sarnaval est un temps d'amusement pour les uns ,
de travestissement pour les autres, et d'indigestion
pour tout le monde. C'est certainement l'époque de
l'année où l'on en prend le^ plus , parce que c'est celle
où il se donne le plus de dîners , et où l'on est le plus
rigoureusement obligé d'y faire honneur. Le plus petit
mangeur , dans ces heureux jours » se pique de déployer
un appétit même au- dessus de ses forces ; il veut prouver
qu'il est digne de s'asseoir à la table des gourmands ; et
législatear de la tablé» tous lèd gounnandt citent avec éloge MM. :
'Henrey, à la pointe Saint^Eustache.
Colas , me Saint-Honoré , n« a5a.
Ribotton , faabonrg Saiat-Honoré , n* s.
Doda , me du Fauboarg Saint- Denis , et Véro , me Montesquieu ;
tous deux immortalisés par le passage {Vira-Doda)^ auquel ils ont donné.
leur nom.
I w n'était qn'mz grtnâs lioiBBie»
Qu'on décernait on tel honneur ;
Mais ^ dana l'heureux siècle où noua aoniniei ,
Chacun hrigue cette fiiTenr ;
GTcat le droit do pn^îélairt ,
Bllapoeléritédira:
Place Vendôme , Quai Vollairt »
Bt paasage Y éro-Doda.
{^nQnjmw).
86 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
il sait très-bien que si la sobriété esttout le reste de Tao-
née une triste faiblesse, elle devient un véritable déshon-
neur tant que durent les jours gras.
Les mâchoires sont donc » pendant toute la durée du
carnaval» dans une activité continnelle , et Ton peut dire
qu'elles travaillent plus encore que les pieds. Malgré la
fureur que Ton a pour la danse, il se donne à cette époque
dix festins contre un baL On peut danser toute l'année;
mais jamais les tables ne sont plus abondantes ni mieux
feurnies que dans les derniers jours du charnage. Com-
bien de gens se préparent, par une continuité d'indi-
gestions , aux austérités du cardme ! et que de complai-
sance en eflet ne doit-on pas avoir pour un estomac qui
va jeûner pendant quarante jours l
Noua avons dit que c'est pendant le carnaval que, toutes
proportions gardées, il se donne le plus de dîners k
Paris , et cela doit être : c'est un temps de vacances et de
jubilation qu'on ne saurait mieux employer qu'à table;
c'est le moment où les réconciliations qui se sont faites le
jour de l'an (temps d'amnistie pour toutes les haines qui ne
sont pas trop enracinées , et qui ne prennent leur source
ni dans la vanité blessée, ni dans le coffre-fort lésé, ni dans
un dîner contremandé) , sortent de leur plein et entier
effet, et reçoivent un complément nécessaire; car l'on
n'est jamais bien réconcilié tant que l'on n'a pas sacrifié
ensemble au dieu Comus ; une indigestion prise en com•^
mun est le sceau le plus sacré que l'on puisse mettre à
un rapprochement : en un mot, la table est pour deux
gourmands brouillés ce qu'est le lit conjugal pour deux
LE, GASTRONOME FRANÇAIS. 87
ép#ux momentanémeot désunis : il neleurest plus permis
de se bouder dès qu'Us ont dtné ou couché ensemblev.
Mais les dtners du carnaval différent de ceux du reste
de l'année par une abondance qui dégénère quelque-
fois en profusion ; on dirfiit qu'alors il règne entre tous
les amphjtrions une sainte émulation pour assassiner
leurs convives à force de victuailles , bœufs , veaux , mon-
tons , porcs « sangliers , daims , chevreuils , outardes , din-
dons « chapons» oies, lièvres, lapins, poulardes, perdrix,
bécasses» canards, vanneaux, coqs vierges , et pluviers
accourent à toutes jambes ou à tire d'ailes sur nos
tables pour y figurer avec honneur. La foule est telle ,
<|ue les monstres marins ne peuvent y trouver place , et
que les soles , les merlans , les saumons , et même les
turbots (ces princes de la mer) sont forcés de rester à
h» porte, et de rengainer Jeur compliment jusqu'à l'ou-
verture du carême.
C'est alors que les cuisiniers , mêipe les plus actifs ,
ne peuvent suffire au travail que l'amphytrion leur
apprête : on dirait que les mâchoires ont redoublé de .
force et d'étendue, que les estomacs ont acquis une
capacité triple*, et qu'tine faim caninç a remplacé les
appétits ordinaires.
Dès la naissance de l'Aurore le thé coule à grands.
flota dam les viscères des gourmands , tant pour préci-
piter la digestion de la veille , que pour disposer à bien
&îre celle du jour. Ce styptique bienfaisant , qui est h la
fois un très-bon digestif et un apéritif précieux , est
çQçore un excellent ami auquel les bons dégustateurs
88 LK GASTRONOME FRANÇAIS.
doivent recourir souvent : il est vrai qu'il n*est pas trè»-
favoeaUe aux nerfs; mais les nerfs d'un vrai gourmand
sont des câbles , et il ne connaît guère que de nom les
affections spasmodiques.
L'estomac ainsi purifié par. ces lotions internes , se
trouve disposé à faire honneur à chacun dlM mets qui
comparailoronjt sur la table qu'on dresse chez le meilleur
amphytrIoD. N.ous disons le meilleur , parce qu'en- car-
naval il faut toujours donner la préférence à la table la
plus splendide et la mieux fournie ; toute autre considé-
ration doit se taire devant celle-là. Dans tous les autres
mois de l'année on peut écouter la voix du sentiment et
des convenances ; mais aujourd'hui l'on ne doit obéir
qu'à celle de l'appétit.
Les geQ$, sobres par principes ou par air , lés gour-
mands honteux (car il en est ainsi que de faux dévols et
de &UX braves) croient causer un grand déplaisir aux
vrais gourmands en Leur reprochant de faire un dieu de
leur ventre , et parmi ces derjiiers.quelques-uns se forma>
Usent de ce discours. U nous semble qu'ils devraient au
contraire s'applaudir de le mériter. Oui , sans doute » un
véritable gourmand doit faire un dieu de soa estomac.
Sur l'autel de ce dieu tutélaireil doit multipUer les sacri-
fices et tes libations » et ne point borner son hommage
aux vapeurs d'un encens stérile. Oui» l'estomac est pour
le gourmand une dîvinitéplutot qu'Hun. viscère. Malheur à
ceux qui se fonnal{serair>nt de ce culte, et le traiteraient
d'idolâtrie I ils se reconnaîtraient par cela seul indignes
d'appiiocher d'une casserole» et de déployer une serviettes
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 89
Saint temps du carnaval , hélas ! pourquoi votre
durée est-elle aussi courte I à peine la moitié du mois
de février est-elle expirée que nous sommes tous à
la diète. Porc» veau« bœuf» mouton, gibier» volaille
disparaissent encore plus vite qu'ils ne sont venus ; et
nous n'avons , pour calmer notre appétit , que les habi-
tans de l'océan » des mers » des lacs » des étangs » des
rivières » des ruisseaux et des viviers ! Ceux que nous
déda%nons aujourd'hui » nous seront chers dans peu de
jours. N'en médisons donc point » et ne voyons , s'il se
peut » dans ce changement de scène qu'un changement
de plaisir» car le vrai gourmand doit tirer parti de tout »
et il jouit encore même en se mortifiant.
Puisque en général le carnaval est aussi court » et
qu'il n'est pas possible même au gourmand le plus intré-
pide» de dîner habituellement deux fois par jour , met-
tons au moins ce peu de temps à profit. Piquons l'amour-
propre des meilleurs amphytrions, afin qu'ils n'épargnent
rien dans ces jours de jubilation pour la gloire de leur
table » qui est inséparable de celle de leur personne. Fai-
sons des vœux pour que toutes les invitations soient faites
en temps utile » et qu'aucune ne se croise : car » lors-
qu'il faut sacrifier deux dîners » pour en accepter un »
on n'y jouit jamais complètement ; et l'idée que les
repas qu'on a refusés » sont peut-être meilleurs que celui
ipie l'on lait » suffit pour donner à l'appétit des distrac-
tions fâcheuses. N'épargnons rien pour tenir en cette
saison nos estomacs toujours en état^ toujours disposés
à bien faire , prêts en un mot à faire face à toutes le$
90 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
invitations dont il plaira à la divine Providence de faire
honorer nos appétits.
G. D. L. R.
^^€ ^^octtf i^^tas.
Cettb cérémonie de promener à grand appareil dans,
les rues de Paris le bœuf le plus gras que Ton puisse
trouver aux marchés de Sceaux et de Poissy; cette
pompe honorable , éclatante » et digne de fixer les re-
gards et d'attirer la curiosité , même des personnes les
plus sobres, avait lieu autrefois tous les ans le jeudi gras.
Interrompue par la révolution ^ elle reprit faveur avec
tous les bons et anciens usages.
Le vulgaire ne voit dans cette cérémonie qu'un spec-
tacle tout à la fois plaisant et magnifiqpie ; lé glouton »
qu'un bœuf dont la grosseur et l'embonpoint lui promet
d'excellens aloyaux , des entre-côtes marbrées , des
culottes sans prix , et même des palerons tendres; les
mères de famille , qu'un sujet d'amusement pour leurs.,
petits enfans que l'on conduit en foule sur le passage de
la victime : mais le vrai gourmand voit cette marche pom-
peuse avec d'autres yeux que ceux de la convoitise^ et
de la curiosité ; elle fait naître en son âme des pensées
douloureuses et des réflexions profondes.
Comment , s'écrie-t-il , se peut-il qu'au milieu d'un
peuple doux» humain et compatissant; que dans la.
LE GASTRONOME FRANÇAIS, 91
capitale de la Dalion la plus civilisée de TËurope , on
promène ainsi en triomphe une victime innocente ,
pour la^pieUe le dénouement de cette farce pompeuse
n^est qu'une mort certaine I Lorsqu'arrivant des marchés
de Sceaux ou de Poissy , un bœuf entre dans la capitale
pour être conduit à la boucherie » il connaît d'avance
son sort , et il a fait en lui*même le sacrifice de sa vie à
la gloire de nos cuisines : mais celui qu'on nourrit et
qu'on engraisse depuis six mois dans nos murs , auquel
on prodigue le| soins les plus recherchés et les attentions
les plus déUeates ; qu'on pare avec plus d'élégance
qu'une nouvelle mariée , auquel on donne une suite
nombreuse et richement velue; qu^on promène avec
pompe dans les rues les plus belles ; qù*on introduit
dans la cour du palais de nos rois , dans celles des hôtels
les plus remarquables , dont une musique brillante
accompagne tous les pas; que mille cris de joie et d'hon-
neur annoncent et précèdent ; enfin , qui est monté
par un enfieint aussi beau que l'Amour, et pourvu comme
lui d'un carquois, d'un bandeau, d'une paire dailes
azurées, et'conduit avec respect par des espèces de demi-
dieux; un tel bœuf, disons-nous , peut-il croire que
tant d'honneurs se termineront par une mort ignomi-
nieuse » et que cette pompe triomphale u'est pour lui
que le chemin de la tuerie !
Infortuné bœuf gras! ce n'est donc que pour rendre votre
trépas plus douloureux et plus certain , que Ton envi-
ronne vos derniers momens de tant d'éclat et de pompe !
Assurément un gourmand ne se ptque pas d'un senti-
99 LE GASTROPiOME FRANÇAIS.
ment d'humanité hors de saison ; et ii sait mieox que
tout autre , que si Ton* avait pitié de tout le monde on
finirait par ne manger personne. Mais tous les êtres dont
Texistence yient se terminer dans nos cuisines , y sont
en quelque sorte préparés; ils savent que tel est leur
sort » et leur parti est pris depuis long-temps. En est-it
de même du hœuf gras ? Quelle idée veut-on qu'il em-
porte dans la tomhe de no» mœurs et de notre huma-
nité ? On le comble de biens , de dignités » de gloire etr
d'iionneurs*» et c'est pour l'immoler sans pitié, et
XahaXtrG obscurément dans un atelier de^ang et de
fange (i).
Si toutes les bonnes âmes s-'apitoient compe nous sur
son sort » il est un moyen peut<-étre de le lui épargner ,
de lui sauver la vie» et de le renvoyer, . content après
son triomphe , reprendre , comme un autre Cincinna -
tus, le travail de la charrue dan» nos campagnes; c'est,
de le racheter des.mains barbares qui disposent de son
sort. Cotisons- noua donc » mes amis , en fisi veur du bœuf .
(i) Nous avODt «ppri» de nos pères que cette promenade triomphale-
du bceuf gras se faisait avec bien plus d'éclat sons le cèfae de Louis XT,
que de nos jours , o(i l'on peut dire vraiment qu'elle n'offre aocune di-
gnité. Cette pompe, cette magnificence étaient dues, 4 ce qu'on
assure , à la célèbre faTorite d'où nous Tient Tètymologie de pahau ôb
bœuf à la Pampadoitr» Maltresse de Louis XV, tréB-goitmuuul g madame
la marquise encourageait les arts , et surtout celui de la cuisine , qui loi
doit plus d^une découTerte brillante. Fille d*un riche boucher , femme
d'un financier opulent , elle avait porté à la cour tous les goûts de la
sensualité , et jamais la cuisine des petits appartemens n'a été plna
jrecberchée qu'à cette époque de la monarchie.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. . 93
^gcas; -que tout gourmand honnête et sensible donne seu-
lement un petit écu pour cette œuyre méritoire. Nous
avons assez bonne opinion de la ville de Paris pour
croire qu'elle renferme dans son sein un millier de ces
bonnes âmes; il n'en faut pas tant^ hélas! pour rendre
à la vie celui qui fait le sujet de cet article, et dont la
^reconnaissance saura bien nous payer un jour de ce léger
iaciiûcel
G. D. L. R.
@§^tttf \^ttvaz 0tt U (^arnapaf.
En Lorraine et dans plusieurs provinces de France, on
donne ce nom au mardi-gras. C'est le même saint que
les méridionaux chôment sous le titre de saint Crapazù
Sa fête , qui se célèbre dans toute la chrétienté , n'ap-
partient pas à une époque fixe; semblable à toutes les
grandes fêtes mobiles , elle honore tour à tour quelque
saint du calendrier , qu'elle associe à la gloire de saint
Crevaz , martyr de la gourmandise. Depuis saint Biaise
jusqu'à saint Mathias, presque tous les saints du mois de fé-
vrier renaissent alternativement en carnaval et en carême,
et tous les hommages des gourmands sont acquis à celui
qui arrive avec saint Grevaz, c'est-à-dire au mardi-gras.
Ce nom qualifie dignement le patron de noble origine
que nous offirons à la vénération de l'univers. Ses at-
tributs sont un ventre sphérique et un cochon rôti; ses
titres à l'immortalité une faim miraculeuse et une soif
inextinguible. Il mourut de saisissement à l'aspect du
94 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
carême ; et depuis lors il préserve d'indigestioii tom ceux
qui l'invoquent avec ferveur.
Ce saint fut jadis adoré par les païens sous le nom
A* Hercule mange-bœuf; il fut long- temps connu du
peuple sous le nom de Gargantua. En l'introduisant
parmi les fidèles nous sommes assurés qu'il ne sera pas
moins fêté que par les idolâtres. Il nous est même re-
venu qu'il avait partagé quelques années les austérités de
l'ordre de saint Benoit et de celui de saint Maur» et qu'il
n'avait renoncé à la profession monastique que lors*
qu'elle avait été réduite à portion congrue.
Quoi qu'il en soit, le carnaval est le temps de Tannée
où la gourmandise règne le plus universellement dans le
monde ; c'est la fête des fêtes , la solennelle majeure , la
grande époque de la gueule. Les gens sobres cessent
de l'être quand elle arrive; le vulgaire des mangeurs
prétend au titre de gourmand , et le gourmand s'élève
au-dessus de lui-même.
Dans aucun temps de l'année l'abondance n'est aussi
universelle et aussi variée qu'au temps du carnavaL
Viandes de boucherie et de basse-cour, vins , gibier ,
poissons , légumes même » tout se trouve réuni. La vo-
laille surtout est à son apogée. C'est alors que la dinde
et la poularde accouchent aux yeux des spectateurs ébahis
d'une famille de truffes engraissées dans leurs flancs;
c'est alors que voyagent le coq vierge et la poule grasse »
le canard sauvage et la perdrix civilisée , non plus
comme autrefois sur la foi de leurs ailes, mais avec de
bonnes voilures, ou sur de paisibles coursiers.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. g5
Alors aussi entrent arec honneur dans le monde le
▼eau qui tête encore, le mouton adolescent et le bœuf ririh
Le mouton surtout vient de se perfectionner aux dernières
gelées. Sa chair serait la plus sayoureuse des chairs , si
le cochon n existait pas»
C'est principalement le gibier qui tombe avec la neige
au souffle de Borée. Volatiles de toute espèce , lièvres
prisaugfte» chevreuils et sangliers, n*ont plus d'asile
hors de ta cuisine; ils y sont amenés par le froid, comme
par la main de la nature. Les fourneaux sont surchargés,
et les consommateurs ne suffisent plus à l'abondance des
tables les plus modestes.
Il n'est pas surprenant qu'une aussi admirable époque
ait toujours été marquée par des fêtes. Avec quel fracas
l'antiquité célébrait les Bacchancdes ! Mélampus les
porta d'Egypte en Grèce , d'où elles passèrent en Italie.
On en trouva l'usage si plaisant , qu'on les voulut célé-
brer trois fois l'année, et même plus souvent. Le sénat
romain, composé de vieillards fâcheux, les supprima
l'an 568 de la république. Les affaires n'en allèrent pas
mieux.
Nous invitons le lecteur à chercher dans Catulle la des-
cription pittoresque qu'il fait des Bacchanales, Tacite
en parle un peu moins gaiement; mais il nous reste une
foule de bas-relieis qui en reproduisent les danses et les
jeux.
Bacchus avait encore d'autres fêtes appelées Luper-
caUê ^ Dionysiaques. Les premières duraient un mois;
les autres seulement trois jours ^ et toutes étaient con-
gC LE GASTRONOME FRANÇAIS.
sacrées au plaisir. C'étaient des mascarades en forme de
processions, à peu près semblables à nos travestissemens.
On y faisait beaucoup de choses que nous conseillons de
iaire plus discrètement.
Il Y avait des Dionysiaques de quatre espèces. Bac-
chus et Vénus présidaient à toutes. Le premier coup se
buvait en l'honneur du dieu; le second à la déesse» et le
troisième à l'injure.
Les LupercaUs^ qui se célébraient le troisième jour
après les ides de février» avaient encore plus de ressem-
blance avec notre carnaval : elles étaient dédiées au dieu
Pan , et le dieu des jardins y prenait souvent un rang
distingué. Les prêtres étaient autant d'arlequins armés
de lanières» dont ils frappaient les passans » comme avec
la batte.
De toutes ces fêtes » les plus joviales étaient les satur-
nales, oii les esclaves devenaient les égaux de leurs
maîtres » où l'on ne s'occupait qu'à boire , manger et
se diverlir. Les écoles étaient fermées, les tribunaux
vaquaient , les arts et tous les travaux étaient suspen-
dus ; il n'y avait d'ouverts que les spectacles et les ca-
barets : on y faisait une telle bombance , que le sou-
venir en est resté parmi le peuple de nos jours , et
f{\x orgie ou satumaU expriment la même chose. Le
proverbe satumalia agere, faire grande chères est
encore usité.
Les saturnales ne duraient d'abord qu'un jour.
Auguste, qui se connaissait en institutions utiles, en pro-
longea la durée à trois jours , et Galigula à quatre. On
LE GASTRONOME FRANÇAIS. * 97
les joignît ensuite aux fêtes êigillaires , qui arrivaient
à peu près dans le même temps ; de sorte qu'on sautait ,
burait et faisait Tamour pendant sept jours pleins.
Nous sommes un peu déchus de cette aptitude héroï-
que au plaisir , et de cet appétit invincible dont ces fêtes
ollbaient àcA exemples prodigieux. Il semble que nous
soyons une espèce dégénérée. Nous avons oui raconter
des merveilles du carnaval de Venise. Ne sommes-nous
pas faits pour les surpasser ?
<ïourmands du septentrion et du midi , beautés orien-
tales et occidentales, amis de la joie, qui grillez vos jam-
bons au soleil, ou qui faites l'amour sur la neige , venez
des quatre points cardinaux participer au triomphe deGar^
gantua,roide Cocagne ! Voici les solennités gourmandes,
les jours d'indigestion, les fêtes de la panse, le temps des
saturnales , des bacchanales, des folies salutaires et des
excès héroïques ! Prenez vos thyrses et vos marotes , vos
pompons et ^o& flacons ! percez vos tonneaux , allumez
vos fourneaux ; enfans de Gomus , de Vénus , de Bacchus
et de Momus , préparez- vous aux grandes initiations !
laites résonner Tair de vos chants , la terre de vos danses >
et que le bruit dos chaudrons et des verres domine dans
ce désordre harmonieux I que partout les plats nets ,
les viandes dispersées , les brocs épuisés , les tables dé-
vastées , les danses interrompues, signalent vos exploits
erotiques, bachiques et gastronomiques!... /)««« eec0
DeuêL...
Le carnaval doit dévorer tout ce qu'épargna la rigueur
de rhiver; et ce qui échappe à la voracité du carnaval
98 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
doîi tomber sous la dent du mardi-gras > qui fait lui-
même place au carême. Tel est , sans doute , le vœu de
la nature qui se régénère; tel est Tesprit de la véné^
rable et antique institution des jours gras. Il ne doit
rien rester du vieil homme; et les productions alimen-
taires qui s'élaborent pendant l'hiver , pour lui donner
à Pâques une nouvelle vie , lui font une loi de ne rien
laisser derrière lui » de peur d'être surpris pendant la
quarantaine.
Buvons donc , mes amis , jusqu'à la dernière goutte
de nectar; mangeons jusqu'au dernier pâté de Lesage,
de Leblanc , de Fournier ( successeur de Rouget ) , de
Rat , de Thomas» de Félix, d'AUain , de Lebeau, de
Gendre; dévastons les magasins de Gorcellet, de Che-
vet , de Marneife; épuisons les cuisines et les caves de
Lointier, Léther, Véry, Lemardelay, Véfour» et de
tous les artistes en réputation !.... Après nous le déluge,
c'est à-dire le carême.* Perdons la mémoire , perdons la
raison; l'heure en est venue; mais' conservons l'appétit,
c'est l'arche qui nous sauvera du naufrage , nous , les
nôtres et les leurs.
Perdre le souvenir , perdre la tête , la perte n'est pas
grande» si nous gardons l'appétit, nous retrouverons tout
cela avec la carte du traiteur. Diit-ii nous rester seul ,
il nous tiendra lieu de tout : c'est lui qui fait le bien et
le mal , l'amour et la guerre , la joie et le chagrin. Il
nous est nécessaire, surtout en ce moment, pour tenir
nos estomacs en haleine , au milieu des festins , des
danses , des intrigues et des mascarades.
Gastebmakn.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 99
€e mois étant le plus joyeux de l'année; nous allons
citer trois chansons qui lui 'sont relatiyes; elles sont les
meilleures que nous connaissions pour cette époque de
jubilation.
LE CARNAVAL.
Air du f audvTÏllc da Balkt dM PSvrrou.
JoTBvz enfans de Terpsîcore,
Entendex-Tous le tambourin?
Du galoubet Téclat sonore
Répond déjà dans le lointain.
Cet aocord heureux tous inyite
A bien profiter du moment ;
Plus le carnaya] passe yite ,
Plus on doit le passer gaiment.
Nos bons aïeux aimaient la danse,
Hais sans y mettre tant de soins :
Si depuis quelque temps en France
Nous dansons mieux, nous dansons moins;
A calculer une attitude
On perd le temps qu'il faut saisir,
Et ce qui deyient une étude
Cesse bientôt d'être un plaisir.
Labsons le penseur trop séyère
Déraisonner en raisonnant ;
L'homme dont la tête est légère
A toujours le cœur excellent :
,oo LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Adoptons la philosophie
D'Épicure et d'Anacréon;
Amis 9 une heure de folie ^
Vaut mieux qu'un siècle de raison.
Sur cette machine qui tourne
Nous tournons tous quelques instans;
Et pour voir ce dont il retourne,
Nous nous retournons en tous srens.
Quand la mort vient on s'en retourne;
Mais comment vouloir ici-bas,
Lorsque tout tourne, touraye*^ tourne,
Que la tête ne tourne pas ?
Fidèle image de la vie ,
Au bal chacun est déguisé :
Le masque heureux de la Folie
Est le masque le moins usé.
De plaisir, d'ennui , de fatigues ,
C'est un assemblage piquant :
On y commence tingt intriguas,
Mais on en finit bien autant.
Sur les traces de Poljmnie .
Au bal poursuivons les Amours :
Amis, qu'aucun de vous n'oublie
Que ces nqits sont nos plus beaux jours.
Le temps perdu dans la tristesse
Ne pare point le coup fatal
Pour éterniser notre Ivresse
Éternisons le Carnaval!
MoRËAr.
w^H
LE GASTRONOME FRANÇAIS. loi
MÊME SUJET.
Air : au temps p^mè.
PoiSQii*iL faut suivre un usage fantasque
Qui met les gens en belle humeur,
Quand tout Je monde aujourd'hui prend un masque ,
Moi^ je prends celui d'un auteur;
Et y crainte d'uu bruit trop funeste
Qui dérange un premier venu ,
Je me déguise en poète modeste
Pour ne pas être reconnu.
L'épais Mondor, par un air d'opulence^
Masque son crédit éyenté :
Petit commis d'un masque d'impudence
Couvre sa triste nullité.
Par le goût des caricatures
Tous les goûts semblent absorbés :
Nous allons voir de bien sottes figures
Quand les masques seront tombés.
Combien de Ibus sous un costume sage ,
Passent sans être remarqués I
De fins matois, sans changer de visage ^
Ont l'art d'être toujours masqués :
Tout est feinte, tout est grimace ;
Le plus innocent e^t rusé.
On se déteste , et toujours on s'embrasse .
Ah! comme on est bien déguisé !
Vivent ces bals où, bravant la fatigue ,
Un masq^ue amusant et subtil
102 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Vous fait UD jeu d'une amoureuse intrigue ,
Dont TOUS cherche! en rain le fil !
Chacun s'en amuse à la ronde';
Et nous n'en serions pas plus mal
Si l'on pouTait se borner dans le monde
Aux Intrigues de CarnavaL
Aetighac.
F'LA CQUE CEST QUE L'CARNAFAL.
AIR : V*là c'qoc c'«m qu'd*BU«r au bois.
M011U8 agtte ses grelots ,
Cornus allume ses fourneaux ,
Bacchus s'enîyre sur sa tonne ,
Pallas déraisonne ,
Apollon détonne ,
Trouble dirin, bruit infernal
V'ià c'que c'est que l'CarnaTal.
Au leyer du soUU on dort ,
Au lerer de la kine on sort ;
L'époux , bien calme et bien fidèle
Laisse aller sa belle
Où ramouFrappelIe....r
L'un est au lit , l'autre est au baf;
V'Ià c'que c'est que l'CarnaTal.
Un char pompeusement orné
Présente à notre œil étonné
Quinze poissardes qu'ayec peine
Une rosse traîne :
LE GASTRONOME FRANÇAIS. io5
Jupiter les in(;ne;
Un cul de jatte est à cheral ;
Vlà c'que c'est que rCarnaTal.
•
Arlequin courtise Junon^
Golombine poursuit Pluton,
Mars madame Angot qu'il embrasse,
Crispin une Grâc;
Vénus un Paillasse :
Ciel , terre, enfers , tout est égal ;
V'ià c'que c'est que l'Carnayal.
Mercure yeut rosser Jeannot. . .
On crie à la garde aussitôt;
Et chacun Yoit de l'ayenture
Le pauTre Mercure
À la préfecture y
Couché sur un procès-verhal ;
V'Iii c'que c'est que l'Carnaval.
Profitant aussi des jours gras,
Le traiteur déguise ses plats,
Noul offre vinaigre en bouteille,
Ragoût de la yeille ,
Daube encor plus yieille :
Nous payons bien, nous soupons mal ;
V'ià c^que c'est que rCarnaval.
Carosses pleins vont par milliers
Regorgeant dans tous les quartiers ;
Dedans, dessus, deyant, derrière.
Jusqu'à la portière.
Quelle fonrmillière!....
io4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Des fous on croit voir l'hôpital ;
Vl'à c'que c'est que l'Garnaval»
Un bœuf à la mort condamné
Dans tout Paris est promené >
Ilaurs et rubans parent sa tête ;
On chante j on le fête ;
Et la ronde faite,
On tue, on mange l'animât.,
Yl'à c'que c'est que l'Carnaval.
Quand on a bien ri , bien couru ,
Bien. chanté, bien mangé , bien bu ,.
Mars d'un.fripier reprend l'enseigne ,
Pluton son empeigne ,
Jupiter son peigne :
Tout rentre en place; et , bien ou ma! ,
Yl'à c'que c'est que l'Carnaval.
Dbsacgiebs.
DU HOUTON.
On composerait des volumes sur les propriétés înnom-
brablès du mouton ,. et sur rexcellence de toutes ses
parties. II n'est aucune classe de la société qui ne soit
familiarisée avecle gigot y Tépauleet la côtelette; il n'est
aucun gourmand distingué qui ne fasse ses délices des
rognons à la brochette ou au vin de Champagne; des
LE GASTRONOME FRANÇAIS. io5
cervelles » qui , dans les mains d'un savant artiste » font
quelquefois oublier les cervelles de veau; du pied de
mouton enfin , qui » après avoir mis en crédit le F eau
qui icte (i) , conduit encore au temple de la fortune le
directeur du théâtre de la Gaîté (2).
Il est difficile de manger d'excellens moutons à Paris ;
car 9 si l'on en excepte ceux dits du Cotentin, on con-
viendra que 9 même en y comprenant ceux qui nous
arrivent par troupeaux du Berrj ou de la Sologne , ils
ont tous «9^ chair longue , dure et presque toujours ino-
dore. Les bons moutons sont ceux qui nous viennent des
Ardennes , de Pré- Salé , de Gabourg , d'Arles , de Reims ,
de Bcauvais et d'Ayranches ; mais il n'y a que les gour-
mands fiftvorisés de la fortune qui puissent se procurer
ces jouissances.
< Le gigot de mouton » dit notre très^érudit et très-
honoré collègue M. G. D. L. R. , est le rôti le plus ordî^
naire des tables bourgeoises; mais, quoique vulgaire»
il n'en est pas moins un manger nutritif et succulent ,
surtout si , attendu comme le quine de la loterie de
France > mortifié comme un menteur pris sur le fait ,
et sanguinolent comme un cannibale , il conserve
tout à la fois son goût, sa tendreté et sa succulence :
c'est dire assez qu'il ne doit pas être trop cuit pour être
mangé dans toute sa gloire. De longs ruisseaux de jus
doivent sortir de ses flancs lorsqu'on le dépèce ; et sea
V
(i) A l'apport Paru, place da Oliâtelet.
(a) Le Pied de Mouton mélodrame comique.
îo6 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
tranches , minces et d'un beau rouge incarnat , seront
alors délicieusement savourées par le palais , avant de
fournir aux estomacs les plus délabrés un aliment aussi
salutaire que solide. Si le gigot n'est pas assez cuit , il
est facile d'y remédier , quoique découpé , en passant
un moment ses tranches dans la casserole , sur un feu
clair ; mais s'il l'est trop , plus de remède ; c^est un mal-
heur irréparable ! Ce point sans doute est fort difScile
à saisir; car un tour de broche de plus ou de moins peut
faire la honte ou la gloire du plus distingué des gigots:
mais ce sont de ces vérités que les livres seuls ne peuvent
enseigner » et que l'expérience même ne suffit point poiu*
apprendre. L'art de rôtir les viandes à leur degré précis
est l'un des plus difficiles qui existent : on trouve mille
bons cuisiniers contre un parfait rôtisseur. Cent villes
en Europe ont la réputation de fournir d'excellens ra-
goûts; et, s'il faut en croire madame Turcaret» l'on ne
mange de rôtis supérieurs qu'à Yalogne.
« Le gigot qui ne se trouve point assez tendre pour
supporter les honneurs de la broche , figure très>bien à
la braise , où , sous le nom de gigot de sept heures, il
repose mollement étendu sur un lit de légumes , variés
selon les saisons : dans celle-ci on lui fait un matelas de
haricots de Soissons, de chicorée, de célerie, d'épi-
nards , etc. , etc. Ces gigots , glacés d'un bon jUs , cuits
dans une braise savante, et assaisonnés selon les prin-
cipes de l'art , offrent des relevés fort estimables , et
tiennent même quelquefois lieu du rôti sur une table-
sans prétention. «
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 107
Le mois de février est le plus favorable au mouton :
c^est au carnaval qu'il jouit de la plénitude de sa gloiro
et de sa toute succulence. Il n'est pas plus permis alors
de servir un dîner sans mouton que d'ignorer l'usage des
truffes. Dans un article précédent nous avons invité les
amateurs à ne pas souffrir que ces filles de la terre de -
Tinssent la proie des compagnons de saint Antoine. Il
serait honteux aujourd'hui pour des gourmands de le
céder en connaissances aux loups , qui ont une telle idée
de hi bonté des moutons en hiver , qu'il j a des pays où
ils en mangent presque autant que les hommes. Ne
souffrons pas que ces animaux sauvages nous donnent
rexemple , et ajoutons à la saveur naturelle de ce tendre
et timide animal cette combinaison savante de l'art gas-
tronomique^ d'un usage facile et indispensable dans
toute cuisine honnête.
SELLE BE MOUTON BRAISEE.
Ans la moitié d'une selle , qui est. depuis la première côte jusqu'au
gigot ; desossez-la, et assaisonnez-la bieu dans, lin teneur de sel et de
poivre ; roulez-la de manière qu'elle présente un carré long, et ficelez-
la bieo ; mettez ensuite dans une casserole des bardes de lard ; placez-j
la aelle , en y ajoutant trois carottes , quatre oignons , deux clous de
girofle, une feuille de laoriejr, un peu de tbym , un bouquet de persil
et cïiboule , et les parures que vous aura fournies cette selle ; jetez par-
dessus cela une cuillerée à pot de bon bouillon , et couvrez le tout d'un
rond de papier beurré ; faites cuire ensuite , feu dessus et dessous, pen-
dant trois bonnes beureji. Au moment de serrir, égouttez , déficelez , et
enlerex la peau de votre selle , et glacez-la.
On peut servir dessous ce que l'on veut ,'comme chicorée , épioards,
parée de cardes ou de champignons. On peut mettre aussi des laiturs
io8 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
à Teiitour, une sauce dessous, des oignons gla€}és, uu bien la servir à
l'ang-laise; c'est-à-dire qu'après avoir enlevé la peau, au lieu de la gla-
cer, il faut la paner, et mettre un jus clair dessous.
On peut apprêter les gigots et les épaules de la même maDièrc.
DU TURBOT.
Le turbot est » à juste titre , surDommé le faisan de
ta mer. On le pèche dans la Méditerranée , vers l'em-
bouchure du Rhône , dans l'Océan , et môme dans les
étangs salés ; mais c'est dans l'Océan que se trouvent les
plus grands. Rondelet assure en avoir vu un qui avait
sept pieds et demi de long^ six pieds de large et un pied
d'épaisseur. On en fait la pêche toute l'année ; mais les
meilleurs sont ceux que l'on prend depuis février jus-
qu'en mai. On n'est point en usage de saler ce poisson.
Lorsqu'on veut l'expatrier , en l'envoyant en Allemagne,
par exemple» oii l'on en fait beaucoup de cas , il con-
vient seulement de le vider et de le saupoudrer de sel ,
de poivre 9 d'autres épices et de fines herbes; mais
quand sa destination est pour une petite distance » on le
met entre deux raies , qui se conservent beaucoup plus
long-temps que le turbot , et le garantissent de la cor-
ruption 9 en le mettant à l'abri du contact de l'air.
La pêche du turbot étant autrefois moins fréquente, ce
poisson était plus rare qu'aujourd'hui, et par conséquent
plus cher; aussi ne paraissait-il que sur les tables les plus
somptueuses , telles que celles des princes, des fermiers-
généraux et des moines. Dans la plupart de ces maisons
on lui faisait subir un grand apprél; dans quelques-unes
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 109
même on le faisait cuire dans du lait , dans un court-
bouillon y ou bien avec du thym , du laurier , des carot-
tes , des oignons , ciboules , etc. Aujourd'hui la toilette
du turbot exige moins d'apprêt , et comme ses excellen-
tes «pialités empêcheront toujours les vrais gourmands
de dire de lui que la sauce fait manger le poisson, la
manière la plus simple , celle qui peut lui conserver son
goût agréable et délicat , nous parait la meilleure , et la
voici :
TUIIBOT A l'bAU DE SEL.
A^z, si Toas pouvez le choûir, un turbot bien épais et bien blanc ;
ùtez-loi , sans rendommager , les ouïes et les boyaux que sa pocbc con-
tient ; coupez Textrémité des barbes , soit avec un couteau ou de gros
ciieanx. Cela Sût , lavez-le bien , pois faites-lui une incision du côté
noir ^snr la raie qui est près de la tête ; 6tec-en deux épines de la grosse
arête , afin qu*en ciûsaot il ne se fende pas ; assujettissez bien le gros de
la tête avec Tos qui tient à la poche ; ( servez- tous pour cela de la fi-
celle et d'une aiguille à brider) mettez ensuite votre turbot dans une
turbotière ; frottez le côté blanc(i) de citron ; couvrez-le d'un papier
beurré , pais occupez- vous de faire une eau de sel de la manière soi-
vante :
Mettes au fond d'un chaudron environ une livre de sel , emplissez-
le d'eau 9 à laquelle vous laisserez jeter deux ou trois bouillons « ôtex-la
ensuite de dessus le feu ; laisse la reposer , et lorsqu'elle ser« tiède »
versez-la sur le turbot , en ayant bien soin de ne pas mettre le fond.
Placez ensuite voire turbotière sur un fourneau, et laissez mijoter
pendant une heure sans laisser boullUr ; après quoi servez le turbot ,
chaud si l'on veut le manger i la sauce au beurre, et froid si l'on pré-
fère le manger à l'huile.
Servez en même temps une truelle en vermeil on en argent.
G. et B.
(t) Ijf tarboU ont m c6té blafic et un cd!^ gris cndrè.
110 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
DU GABILLÂ.U.
Le cabillau parait assez souvent h Paris, surtout dans
les mois de janvier et de mars; dans les autres temps il
n'en vient que par intervalle : ceux qui ont le ventre
très-gros ne sont pas les meilleurs , on choisit préféra-
blement ceux qui sont bien ronds et courts. €e poisson »
quoique très-bon lorsqu'il est bien frais et bien choisi ,
ne trouve cependant pas beaucoup d'amateurs à Paris;
une des principales raisons peut-être, c'est qu'il est sou-
vent mal apprêté. Les Flamands le fout mettre au sel ,
tout cru , après l'avoir bien vidé et lavé; ils le mettent
ensuite à l'eau de sel bouillante pour le faire cuire , et
aussitôt que l'eau recommence à bouillir ils le laissent
mijoter pendant une heure , plus ou moins selon sa gros-
seur; de cette manière , sa chair est ferme et agréable
à manger.
Le cabillau se sert à plusieurs sauces , à la sauce blan -
che, aux câpres, à la maftre-d'hôtel liée, au beurre fondu ,
avec des pommes de terre cuites à l'eau de sel : on le
sert aussi à la hollandaise ; cette sauce se fait avec du
beurre, des jaunes d'œufs crus et du vinaigre; mais
dans les repas d'apparat il se sert à la crème.
Vous faites cette sauce comme une sauce blanche;
vous mettez dans une casserole une pincée de farine ,
du sel, de la muscade; vous pétrissez ensuite un fort
morceau de beurre avec cet assaisonnement, et mouil-
lez le tout avec une chopine de bonne crème que vous
faites lier sur le fourneau sans la faire bouillir; vous la
LE GASTRONOME FRANÇAIS.
1 1 1
rersez bien chaude sur votre cabillau , que vous avez
eu bien soin d'égoutter.
Ce qui reste du cabillau peut être mangé froid à
r huile : on peut en faire des vol-au-vent à la béchamel;
on peut aussi en faire des gratins.
C. etB.
DU CHEVREUIL.
Quoique le chevreuil ne soit pas très-rare à Paris , il
y est toujours excessivement cher, aussi ne le voit-on pa-
raître que sur les premières tables et dans les repas de
cérémonie , où l'on sert ordinairement les quartiers de
derrière entiers , piqués et marines , avec une sauce dite
au chevreuil, et dont nous donnerons la recette ci -après.
Les quartiers de devant servent peu , excepté les carrés,
que l'on pique aussi , et que l'on fait mariner de même
que les quartiers de derrière. La poitrine et les épaules
ne peuvent ser?ir que pour faire un civet; alors il ne faut
pas les mariner. Quant aux filets » qui sont ordinaire-
ment ce qu'il y a de plus délicat , on s'en sert pour en
iaire des entrées , mais toujours avec la même prépara-
tion , c'est-à-dire piqués et marines. Nous allons indi-
quer la manière d'apprêter ces filets , et de faire la sauce
au chevreuil.
Levez adroitement les filets du chevreuil; parez -les,
en ayant bien soin d'en ôter toutes les peaux et les nerfs;
piquez-les ensuite^ et mettez-les dans une marinade,
que vous ferez ainsi qu'il suit :
Prenez une terrine , mettez-y deux verres de vinaigre
113 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
et un verre d'eau, du ^1, du poivre» une feuille de lau-
rier, un oignon coupé en tranchea» deux branches de
thym et de persil » une ciboule entière si vous voulez.
Vous pouve2 laisser vos filets dans la marinade cinq à
six jours; mais si vous en êtes pressé deux jours suffisent
pour vous en servir. Lorsque vous voulez les faire cuire,
égouttez-les ; beurrez ensuite une sautoire , arrangez vos
filets dedans , et faites-les cuire à petit feu ( dix minutes
suffisent pour les cuire) : égouttez-les; glacez-les bien;
dressez-les sur votre plat > et mettez dessous une Muee
au chevreuil , que vous ferez de cette manière :
Mettez dans une casserole un demi-verre de vinaigre,
deux échalotes, une tranche d*oignon , un peu de thym,
une demi -feuille de laurier; faites réduire sur le four-
neau votre vinaigre jusqu'à la dernière goutte; mouillez
ensuite avec du bouillon et une cuillerée d'espagnole,
un peu de sel, du poivre; laissez-la réduire; passez -la à
Pétamine , et servez-la bien chaude.
B. et G.
■■■»p>
r
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i iS
itlar;5.
IB VOIS HQItDB » OU LES HABCHANBS 1>B >018fiOHS.
Lb joyeux t^rnaval a déjà fui d'une aile rapide ; les
funérailles du mardi ^as sont athevées » et le mercredi
des cendres» triste précurseur du carême dont il fait
partie, a déjà étendu ses voiles funèbres sur Thorizon
des gourmands. Son apparition est le signal auquel tout
le poil et toute la plume s*envolent. Adieu les bœufs du
Cotentin , les yeaux de PontoVd , les moutons de Pré-^
Salé, de Cabourg et des Ardennes, le porc nutritif^ Je
daim léger , le sangSer valeureux , le fiion timide , et le
lièvre mélancolique, plus timide encore, non moins
•agile , et qu'il est si doux de fixer à la broche I Si la loi
du Carême est pour nous un temps de pénitence , elle
est pour eux une époque de jubilation; et , tandis que »
couverts d'un cilice et arrosés de cendres > nous gémis-
sons sur nos privations , ils s'en réjouissent; ils bravent
nos regards, ils insultent à notre appétit, et n'ont plus
besoin de chercher à se préserver de nos poursuites.
Croître, multiplier, s'engraisser et se réjouir, est main*-
tenant toute leur occupation , tandis que nous , tristes
en&ns de l'Église , nous faisons précisément le con-^
traire !
Mais rassurez- vous , Gourmands mes confrères; l'Ë>-
glise ne demande point la mort du pécheur; elle ne veut
ii4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
que son amendement. Si elle nous ordonne un jeftne de
quarante jours» elle nous permet au moins de le suspendre
le dimanche; et nous pouyons ce jour>là faire dix repas
sans offenser le ciel. Si elle nous défend le déjeûner, elle
nous permet la collation » et cette collation se composant
de tous les mets froids , qui ne sont ni oiseaux , ni qua-
drupèdes , on peut y faire intervenir en toute sûreté de
conscience les pâtés de thon , d'esturgeon, de rouget et
d'anguille , les sardines confites , les anchois de Fréjos,
les huîtres marinées de Grandville, et ces innombrables
fruits secs de la Touraine et de la Prorence , aimables
friandises qui semblent nées pour les collations du Ca-
rême, et dont on sentirait bien mieuxle prix si Ton atten-
dait chaque année jusque-là pour renoureler connais-
sance avec elles (i).
Et si à toutes ces bonnes choses Ton ajoute les fruits
crus, les compotes froides, tout ce que le petit four
enfante de meilleur et de plus recherché; les confiture^
. (i) Le8 meQteures BalaisoDs dans tous les genres» le Ihon mariné et
les fruits secs, tels que les figues fines d'Olioulles, les figues de CaUbre,
les pmses de Roquevah^ , les raisins de Malaga , les raisins jubis , Wt
prunes de Brignoles et les brignoles pistoles , les poires de ronaselct de
Beims, les^pruaeauz de Tours, les prunes d'Antes, les prunes de r»
d'Agen , les coetcbes de Lorraine , les amandes-princesses , les aveliocs
monstrueuses, les pistaches d'Alep, les dattes de la Palestine, les |o>
jubés, etc., etc., les olives picbolincs, les oUres farcies aux câpres et
aox ancboix , et mille autres friandises de Carême , se trouvent en
abondance , et de première qualité , dans le magasin de la Truie ^ai fitt,
rue du marché aux Poirées , et chez les marchands de comestibles qw
Jious avons cités honorablement pages 56 et Sj.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ii5
sèches el liquides et les pfitës de marrons glacés , l'on
Ferra qu'une collation de carême peut encore flalter
sous quelques rapports la sensualité gourmande » et que,
sans déroger aux lois de FEglise , on peut se permettre
toutes ces jouissances-là puisqu'elle n'en interdit aucune.
Nous n'ayons parlé ici que des collations , de ce re-
pas d'anachorète qui ne compte point, puisque tout en
le faisant , on est censé jeûner , et que cependant avec
quelque soin il est si &cile de rendre agréable , et même
nutritif. Mais nous n'avons encore rien dit des dtners de
carême : ils méritent bien qu'on s'en occupe.
Le dîner en carême offre d'abord un avantage sur
tous les autres : c'est que l'on s'y présente avec d'autant
plus d'appétit, que l'on a observé avec plus de régula-
rité la loi du jeûne ; digne récompense des vrais fidèles :
ensuite les cuisiniers redoublent à cette époque de zèle
et de soins pour nous étaler tout leur savoir.
Il ne faut pas être bien habile pour nous faire man-
ger avec volupté une culotte de bœuf, une longe de
veau de Poatoise, un aloyau rôti, une dinde aux truf-
fes 9 une poularde du Mans , une échinée de porc frais ,
une éclanche de mouton de Pré-Salé, etc.; tous ces
personnages-lè se recommandent par eux-mêmes : il
sufEt de leur faire voir le feu à propos , et dans un degré
convenable. II n'en est pas de même du poisson.
Les habitans de l'élément humide sont de leur nature
ta plupart inodores et fades , et pour paraître avec éclat
sur une table splendide , pour être reçus avec complai*
sauce dans le palais d'un gourmand , et traverser avec
1 1 6 LE GASTRONOME CRANÇ AIS.
gloire son tesophage « ils ont besoin de subir une foule
de préparations savantes dont le vulgaire ne se doute
seulement pas ^ et qui font le désespoir des grands ar-
tistes , de ceux même qui ont pâli vingt ans sur les
fourneaux, et dont la tête est un dispensaire ambulant.
' Si l'on en excepte les fritures » qui même exigent ,
pour être bonnes et croquantes , un degré de savoir et
d'habitude qui n'est pas très-commun » toutes les autres'
prépaintions auxquelles le poisson est appelé réclament
une longue expérience , et une connaissance approfon-
die des plus hauts secrets de la cuisine; et, pour nous
borner à un seul'exemple» uncourt-bouiUon bien fait
est recueil du talent d'un artiste ordinaire ; les Robert ,
les Yéry » les Morillion » les Balaine même ne sont pas
trop bons pour en fiiire un sans faute.
Et si du court-bouillon nous passons aux béchamels ,
aux filets roulés» aux quenelles aériennes» au^odiveau
maigre , aux poupiettes de merlans , aux rissoUes , aux
terrines et aux timballes de soles» aux macreuses à la
braise» aux turbotins farcis» à l'esturgeon à la Sainte-
Menehould» aux filets de barbue glacés au vert-pré» h
l'esturgeon grillé en gribelettes » aux hatelettes d'anguil-
le » à la blanquette de lottes » aux brochetons aux fines
herbes » aux lamproies à la provençale » à Tanguille en
boudin blanc » aux darnes de bécart grillées ». etc. » etc. »
quatre pages d'etc.» quelle vaste carrière nous allons ou-
vrir au Génie I et où trouver un artiste vulgaire vrai-
ment capable de s'élever à la hauteur du plus ejmple de
ious ces ragoûts P
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 1 1 7
Ce détail doil nous réconcilier avec l'Église romaine,
et nous prouver qu'elle n'a rien négligé pour faciliter
aux Gourmands leur salut , puisqu'elle leur permet de
manger» tout en se mortifiant , tant d'entrées succulen -
tes , sans parler des rôtis , car la cuisine maigre en offre
plus d'un; et telle anguille, tels brochets» piqués de
truffes et d'anchois» à la broche» valent bien un gigot
que rien n'a pu attendrir » une poulie éUque » ou des ,
lapins
Qui , dès leur tendre enfanoe élevés dans Paris,
Sentent encor le choux dont ils forent nourris.
Concluons de ce qui précède que tout est pour le
mieux; qu'une absti{U9nce de chair morte pendant qua-
rante-six jours repose nos estomacs » et nous dispose h
trouver ensuite la viande et le gibier meilleurs ; que ,
considérées sous le rapport de la politique et; dïhl'éco-
nomie gourmande » ces six semaines de privation ne sonjl
pas moins nécessaires à la reproduction des espèces
qu'au salpt de nos âmes; qu'on se porte mieux en géné-
ral à l'issue du Carême- qu'à la fin du Carnaval; que le
maigre nourrissant moins» et la digestion en étant beau-
coup plus prompte » on peut manger plus souvent » et
faire deux repas au lieu d'un seul; qu'à tout bien consi-
dérer » le Mois Humide peut aller de pair avec le Mois
Salé » et qu'en définitif Mars ne se trouve jamais mieux
qu'en Carême.
Les bouchei^s,» les charcutiers » les rôtisseurs ne se-
ront pas tout-à-fait de cet aris. On ne voit chex eux»^
1,8 LE GASTRONOME FRANÇAIS,
dans ce moment , que des pro&nes » et les Trais croyans
s'éloignent de leurs boutiques comme d*un lieu immonde;
mais les marchands de poisson penseront comme nous,
et béniront le retour de Tordre et de la régularité qui
leur a ramené les fidèles consommateurs*
Jusqu^au 18 germinal de Tan 10 on se cachait pour
obéir aux commandemens de l'Église , et si Ton osait
faire maigre et jeûner en carême , c*était dans la crainte
continuelle d'être dénoncé ; mais depuis qu'il a été per-
mis de sui?re |a foi de ses pères » sans risquer sa vie ou
sa liberté (1); depuis que \à religion est remontée sur
son trône « et qu'elle a fait avec Tautoriié une alliance
durable » chacun a pu suivre en toute sûreté les lois de
sa conscience» et travailler paisiblement à son salut.
Aussi , depuis cette heureuse époque , tous les préceptes
alimentaires dictés par l'Église ont-ils été scrupuleusement
observés. On a commencé par fêter (a Saint-Martin ,
par reprendre l'usage des réveillons » par célébrer digne-
ment l'Epiphanie ». par manger sans scrupule de la chair
pendant tous les samedis du mois de janvier ; enfin l'on
s'est livré pendant le carnaval à toutes les jouissances
gourmandes que le calendrier grégorien annonce et
même tolère; puis» lorsque le carême est arrivé» l'on a
(1) Temps désastreux , où deux onces d'an pain noir et malsain for*
maieot presque toute la nourriture des bons habitansde Paris; où^ avec
une rame d'assignats, on ne pouvait, dans les campagnes, obtenir an
sac de farine ; où tous les comestibles avaient disparu 4 la voix du
maximum, (prix fixé pour toutes les denrées alimentaires) ; ces temps
enfin , dont le souvenir seul suffit pour rétrécir l'œsophage d-un goqr-.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 119
repris peu à peui'habitude des je&Des et de l'abstineDoe,
«t l'onarenouveléconnaisunceavec les marchandes de
saliaes , de marée et de poissoDs d'eau douce qui gémîs-
«aient douloureusement de nos profaDations , et que
4ix carêmes efiàcés du calendrier araïent presqu'eotiè-
rement ruinées.
Ces mardundes sont en grand nombre à la halle : les
vnea , comme mesdames Penrey et Jacob , ne vendent
^e de la morue salée ou dessalée ; les autres , commp
madame George, n'étalent que du poisson de mer;
celles-ci , comme madame Dieu , n'ont de commerce
qu'avec tes monstres , et leurs boutiques sont toujours,
entourées d'estui^eons , de saumons , de turbots d'une
grosseur démesurée , et dignes, lorsqu'ils sont frais (ce
qui , k U vérité , ne leur arrive pas toujours ] , de parer
h table des immortels. Toutes ces dames sont plus ou
moins Iraitablbs, selon que le thermomètre -est plus ou
moins élevé.
Quant aux marchandes de poisson d'eau douce , dont
la pins considérable est madame Desnœuds, qui en- re-
vend ë toutes les autres , leurs manières sont beaucoup
moins soumises aux influences de l'atmosphère et h l'état
de sa température. Leur marchandise vivante se joue
dans des baquets d'eau claire des besoins de l'acheteur.
Les brochets le mordeatvigoureusemcnt ; l'anguille glisse
de la main de celui qui ne veut pas y mettre le prix ; la
cârpc, en se débattant, fait mille sauts pour s'en mo-
quer ; et l'écrevisse , tout en reculant , te pince jusqu'au
sang. Il en résulte que le poisson d'eau douce est tau-
I90
LE GASTRONOME FRANÇAIS.
joars inabordable à Paris » et que la marée ae l'est, guère
moins. Il est vrai que cette dernière ii*est pas toujours
intraitable , et qu'elle se laisse d'autant plus facilement
aborder ^ qu'elle est moins digne de l'être : c'est une co-
quette sur le retour , qui se montre avenante lorsqu'elle
sait que son règne^ commence à passer; qui devient
d'autant plus ftcile , qu'elle voit diminuer le nombre de
«es adorateuiQ » et qui s'offre à tout le monde lorsque
chacun s'en éloigne.
G. D. L. R.
ts
ûitioUs.
Lb carême est la saison la plus Avorable pour man-
ger des matelotes , et la Râpée est le lieu de l'Europe
où l'on mange les meilleures; d'où il est facile de coii-
cUire que la Râpée n'est jamais plus fréquentée qu'en
carême.
Le vulgaire ne voit dans une matelote qu'une simple
étuvée de carpe et d'anguille ; mais le gourmand consi-
dère ce plat avec une attention mêlée de respect, surtout
lorsqu'il, songe qu'uve^ bonne] matelote est un des pre-
miers chefs-d'œuvre de l'esprit humain , et qu'elle est
presque aussi diiBcile à faire qu'un bon poème épique.
Cette assertion ne paraîtra point un paradoxe à qui-
conque aura réfléchi sur cette matière, ets'en sera sou-
vent pénétré. Il est de feit que les plus grands cuisiniers
LE GASTRONOME FRANÇAIS. lai
de la capitale n'ont jamais pu parrenir à faire une mate-
lote sans fiiute » et que » reconnaissant leur impuissance,
ils y ont même entièrement renoncé. Parcourez les
cartes des premiers restaurateurs de Paris, tous n'y
verrez jamais de matelote.
Et cependant ce que ne peuvent nos grands artistes
est IV>oTrage d'une femme ; d'une femme le plus souvent
étrangère aux premiers élémens de la cuisine , d'une
femme qui serait embarrassée peur trousser «m poulet ,
pour parer des côtelettes, pour finir un fricandeau.
Cela prouve bien qu'il y a des grâces d'état, des
grâces surnaturelles contre lesquelles toute la prudence
des hommes vient échouer, et qui auraient forcé M. de
Lalande lui-même , s'il eût fréquenté la Râpée , à re-
connaître l'existence d'un Être suprême. C'est ainsi ,
par exemple, qu'un vrai gourmand fera, sans s'incom-
moder, le tour complet des trois services d'une table
de vingt couverts , tandis qu'un mangeur vulgaire se
trouve hors de combat dès l'apparition du rôti.
Nous avons expliqué dans un autre ouvrage, exclu-
sivement consacré à l'art alimentaire , -pourquoi les
femmes seules^ étaient capables de confectionner une
excellente matelote; mai» dans un journal, consacré
tout à la fois à la gourmandise et à la beauté (i) , il
n'est pas inutile de revenir sur cette explication , car
on ne saurait croire combien cette propriété exclusive
rend le beau sexe cher aux gourmands : il en est tel qui
( I ) Journal du gourmands et du bettes.
1^% LE GASTRONOME FRANÇAIS.
depuis long-temps n'aurait plus aucun commerce avee
les femmes, si'ie besoin de manger une matelote sans
faute ne Ten rapprochait quelquefois.
Avec du génie , même simplement avec du talent , de
Taptitude et de Texpérience , on peut devenir un bon
cuisinier; mais pour faire une excellente matelote il faut
des vertus inconnues à la plupart des hommes, des
vertus qui leur sont étrangères , et dont la pratique est
trop en opposition avec leur caractère et leurs habitudes
pour qu'ils songent seulement à les acquérir.
Ces vertus sont une extrême patience » une attention
continuelle , une vigilance sans distraction» une propreté
minutieuse, des soins sans partage : or» quel est rhomme,
et surtout Fartiste , qui peut se flatter de les posséder ?
Une femme qui fait une matelote à la Râpée ne fait
point autre chose. Immobile auprès de son chaudron
sur le feu , comme le médecin Lrasistrate au pied du lit
de Séleucus , elle n'a des yeux que pour lui. Etrangère
h tout ce qui se passe autour d'elle, vous diriez qu'elle
est seule dans une vaste cuisine où vingt fourneaux sont
allumés. Elle suit tous les mouvemcns de sa matelote ,
comme une tendre mère ceux de l'enfant chéri dont elle
dirige les premiers pas; et dès que cette matelote a
atteint ce degré de cuisson si difGcile à saisir, mais
Ultra ciiràque nequit consistere rectum^
elle se hâte de descendre son chaudron de la crémail-
lère ; clic la dresse sur un plat convenablement échaudé ,
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i a3
et se hâte d'envoyer à sa destination ce précieux résultat
de ses soins vigilans.
Il faut que les convives soupirent quelque temps après
elle ; car il est de principe qu'ils peuvent attendre après
la matelote, mais que la matelote ne doit jamais attendre
après eux. C'est la seule affaire de ce bas-monde qui ,
ainsi qu'un bon rôti , ne puisse être retardée de deux
minutes sans les plus graves inconvéniens.
II est facile de conclure de cet aperçu pourquoi les
matelotes des plus grands cuisiniers sont si inférieures à
celles de la Râpée. Nous croirions insulter à la sagacité de
nos lecteurs si nous insistions sur ce point davantage.
G. D. L. R.
CANAPÉS DE FOIES DE RAIES.
Goopiz en forme de rôties des morceaux de pain rassis » de la largeur
et de la longueur du pouce , même un peu plus grands. PassCE-les dans
d'ezceUente huile vierge ; faites fondre ensuite dans une casserole deux
pains d'excellent beurre; mettez-y des foies de raies, quelques filets
d'anchois bien dessalés , un peu d'huile , persil , ciboule , une petite
gouate d'ail^, échalotes hachées hien menues, des cApres hachées de
même, sel , poirre, et une pincée d'épiées fines : remuez 1)ien le tout
ensemble*, formez tos canapés. Pour y parvenir, vous mettez d'abord
un lit de ces fines herbes, quand cl es sont froides, ensuite du foie de
Taie cottf é.de même , et deê filets d'anchois : faites h tous de même , et
(i) Bb rhonucur du carême nous ne donnons pour ce mois que dca
recettes maigies«
194 ^^ GASTRONOME FRANÇAIS.
finUwK par les fines herbes. Jetea dessus un pea de mie'de pain biea
fine ; faites prendre coulear sous un couTercle garni de braise et de cen-
dres chaudes : servez avec l'expression d'un jus de citron.
Lorsque ce joli petit entremets est fait avec soin , c'eat un desiCanapéi
sur lesquels les gourmands aiment le mieux À s'étendre , surtout en ca-
rême. Nous nous garderons bien d'en dire autant des dames ; eUes oot
de bonnes raisons pour donner aux autres la préférence.
HAHINADB DE CARPBS , OU d'aUTEBS POISSONS
D*BAU DOUCE.
Goupea votre carpe en filets ou à l'ordinaire , par tronçons ; mattei-
les dans une casserole aveo sel, poivre, poudre d'épices fines, trois
clous de girofle, quelques tranches d'oignons « un peu de basilic , un jus
de citron , ou à défaut un filet de bon vinaigre ; remuez bien le tout en-
semble pour le faire mariner et lui faire prendre du goût. Une heur«>
avant que de servir, vous faites égoutter et bien ressuyer vos filets ou
tronçons do carpe-; ensuite vous les faiinez bien , et les faites &ire de
lelle couleur, puis vous les servez garnis de persil frit. On peut encore
les tremper dans des œufs battus et les paner, ou bien dans une pâte k
frire ; mais il faut pour cela que le poisson soit cuit aux trois quarts dans
la marinade avant que de le tremper dans la pflte , et la raison en esl
facile à deviner.
La tanche , l'anguille , le brochet , Ja lotte , la traite et les autres pois-
sons de rivière s'accommodent de même, soit entiers , soit en filets ; on
peut même, étant frits , les servir à telle sauce qu'on voudra.
Cette marinade, quln'est pas difficile à faire, peut consoler en carême
de llmpossibilité de manger chez soi une bonne matelote.
MENUS DROITS MAIGRES A LA TRAPE.
Faites fondre dans une casserole un peu de beurra ; f etez-y de l'oignoi
coupé en filets ; passez le tout, ensuite singez et mouillez de jus maigie.
Ayez des carottes, navets « panais , betteraves , céleri , le tout coupé eo
filets, blanchis et cuits, chacun selon sa qualité , dans un bon bouillon
maigre; ensuite égoiittez. Votre ragoût d'oignon étant bien fini, vous
LE GASTRONOME FRANÇAIS. laS
|ctez dedaDt des racines, et les faites mijoter : en ûnissaDt, un peQ de
moa tarde , et on filet de tîo aigre.
Les réTérends pères de la Trape prisaient beauconp plus ces menas
droits , <{ue les trop fameux droits de Thomme 9 qui par la suite leur ont
fait tant de mal, et nous ont mis nous-mémes'peDdaat près de quioEe
ans à la diète.
icaSTISSES A L*ITALIB]flf B » AU GRATIN.
Ayes des écreTÎsses ; faites-les cuire à l'ordinaire', épluchez la queue ;
Atea ha petites pattes , et coupez le bout des grosses. Quand elles seront
épluchées , ayez deux foies gras , persil , ciboules > échalotes, quelques
champignons, le tout haché bien menu, et assaisonné de sel , poivre,
et fines herbes; maniez le tout avec du lard râpé, un peu de mie de
pain bien fine» et deux jaunes d'oeufs , faites un lit de cette farce au
fond du plat; arrangez tos écrevisses dessus proprement^ la queue
entre les jambes , et tous mettrez le reste de votre farce par-dessus vol
éci^vlsses. CouTTez-les et mettez^Ies sur un fourneau pour les faire at-
tacher ; quand elles le sont tous les dégraissez , et tous jetez dessus le
ÎDj d'un citron aTecun peu de sauce blonde.
Il est remarquable qu'en dépit des foies gras et do lard râpé, ce joli
petit entremets se mange pendant toute la durée du carême en Italie ;
de qui prouve bien la vérité du proverbe , qu'il n'y a point simonie de-
vant le pape»
DB L*AGN£AU«
Si la loi de Moïse n'avait pas élevé entre les Juifs et les
Porcs un mur d'airain, nul doute que les premiers
n'eussent mieux aimé faire la Pâque avec un jambon de
Bayonne plutôt qu'avec un agneau de Bethléem ; mais
leur législateur en ayant autrement ordonné , il fallut
bien s'y soumettre. Rendons grâces à la providence de
n'être pas nés chez ce peuple lorsque celte loi y était en
TÎga^r; car on conviendra qu'une cuisine dont on a
136 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
exclu le lard et le jambon est , sous tous les rapports ,
une bien triste cuisine.
Quoiqu'il en soit, Vignoti nuUa cupido empêchait
les Israélites de .sentir toute Tétendue de leurs priva-
tions ; et un peuple qui^ n'avait vécu si long-temps que
de la manne du désert ou des oignons d'Egypte, se
trouvait encore fort heureux de manger à Pâque de
l'agneau rôti.
Il faut convenir cependant que pour nous autres
gourmands c'est une insipide chose. Le meilleur quar-
tier d'agneau n'est qu'un fade et doucereux madrigal ,
comparé surtout à ces savoureux jambons de Rayonne
pleins d'esprit et de sel » et que l'on peut comparer à
une épigramme excellente. Aussi , quoi({ue l'on compte
beaucoup de Juifs parmi les chrétiens d'aujourd'hui , il
en est peu qui ne préfèrent un pâté de jambon à tous
les agneaux du monde.
Cet animal a cependant encore entrée dans beaucoup
de bonnes maisons qui tiennent plus à l'observation des
anciens usages , qu'à des sentimens de gourmandise ou
d'humanité : nous disons d'humanité » car est-il rien de
plus barbare que d'arracher cette innocente bête des
bras de sa mère » dont elle suce encore le lait , pour en
Jaire un insipide rôti ? Attendons au moins qu'il soit de-
venu mouton : sa destinée » comme nous l'apprend un
vieux proverbe , est alors d'être croqué » mangé , et nous
lui ferons alors cet honneur.
Des considérations politiques se joignent ici à celles
de l'humanité et de la sensualité pour plaider la cause
LE GASTRONOME FRANÇAIS. tty
des agneaux* En leur déclarant arnsi la guerre , nous
Iraraillons de tout notre pouvoir à la deâlruction de
l'espèce; et lorsqu'on songe qu'en mangeant les quar-
tiers d'une jeune agnelette, on anéantit, on dévore
peut-être tout un troupeau de moutons , il y a de quoi
faire reculer d'effroi le gourmand le plus intrépide.
Les bouchers le savent si bien que jamais ils ne ven-
dent d'agneaux à Paris : ils rougiraient de se rendre
complices de leur mort; et, quoiqu'on les accuse en
général de barbarie, ils n'ont point à se reprocher ce
genre d'infanticide. '
Il serait donc à désirer qu'une loi favorable à l'espèce
moutonnière , et qui servirait la cause de nos fabriques
aussi bien que celle des gourmands , défendit dans tout
l'Empire le meurtre des agneaux. L'effet en serait salu-
taire et prompt; et nous verrions dans -peu les draps ,
les gigots et les côtelettes se multiplier au gré do nos
désirs et de notre appétit. *
En attendant qu'elle soit rendue , visitons les rôtis -
seurs (i) / et mangeons l'agneau, puisqu'aussi bien il
est tué. La meilleure manière de le servir (â) est à la bro*
che , rôti de belle couleur. Avant de le découper , et tan-
dis qu'il est encore brûlant , on lui insinue derrière l'é-
(i) Les rôtisseurs à Paris sont seuls en possession de Tendre de l'agneau.
Les premiers rôtisseurs on marchands de Toiaille sont : Poteau , four-
nisaenr de la Maison du Roi, Pointe Saint-Eustacbe, et Bien nais» marché
des Jacobins.
(a) Nous allons cependant, en faveur des amateurs, donner les moyens
de faire paraître avec honneur l'agneau aux entrées : ce sera l'objet de
rartîcle suivant.
128
LE GASTRONOME FBANÇAt&
{>au)e une grosse boule d'excellent beurre, manié de fines
herbes , anchois hachés , poivre , sel et épices fines t la
chaleur la métamorphose bientôt en une sauce agréable,
et c'est la seule qui convienne à un quartier d'agneau
rôti. On sert en même temps une salade de jeunes lai-
tues aux œufs durs; et l'on se console ainsi des suites
d'un usage barbare , en attendant qu'un'excellent jam-
bon de Bayonne ou de Mayence vienne relever , comme
milieu d'entremets , le plus insipide des rôtis.
G. D. L. R.
FILETS d'agneau A LA CONDÉ»
Dhds les années ordinaires on ne mange plus d'agdeaa passé la Pen«
tecôte 9 quoique , rîgourcu^mient parlant , ce nom appartienne aux
moutons qui n'ont pas encore atteint l'âge de douze mou rérotus ; mais
dans les années tardives cette jouissance » commençant pins tard, se
prolonge aussi daTantage ; rela dépend beaucoup de l'époque à laquelle
tombe le joqr de PAques,«t de la température plus ou moins avancée
du printemps.
Procurez-Tous des filets d'agneau pris depuis le haut du quasi /os*
qu'au bas du collet ; après les avoir bien parés, vou^ les piquez avec des
lardons d*ancbois et de cornichons ; lensuicift vous les marinez dans deux
pains de beurre , un peu d*huile vierge , champignons , persil , cibonles^
échalotes, cftpres, le tout haché bien menu, avec sel, poivre, poudre
d'épices fines , basilic en poudre , un peu de rocambole et de chapelure
de pain ; et deux Jaunes d'œnfs durs ; enveloppez-les de crépines avec
tout leur assaisonnement ; faites-les cuire à la broche sur de petites hâte-
lettes ; enveloppez-les de papier. Quand ils sont cuits , panez-les arec
une mie de pain bien fine ; servez dessus une sauce faite avec un paon
de beurre manié , un peu de blond de veau , deux tranches de citron «
un peu de muscade. Tnurnez-la sur le feu en observant qu'il faut qu'elle
ait un peu de consistance. . ■
Ces filets d*agneau s'appellent à ta Condé, parce qu'ils ont été ima-
gtnt'rs par le célèbre Vatel, mailrc-d'hùtcl du grand Condé, qui péiit
tE CASTKONOME FRANÇAIS. .jj
iictîin« de l'amoar eiallé , ou plutôt du fuialiiiiifl de aoo art, et dont la
UDglaale citaitrophe, qui le Tera TÎTrt 1 j'niaudaas llùiloire, a fourni
t Madame de Sévigné la Lettre la p lui louchante de kid recueil, et*
II.Berchoni l'épleode le plus intéreuaat de ton joU poËme de la du-
trtinom\a. L'oraiion Tunébre de Valel doTrait être propoaée pour luiet
d'uD piii par U première académie gourmande qui nra ïaatituée en
Europe (i); ilen eit peu qui prête plui k l'éloquence ; c'eal aa lujet
"«aMe comme l'art de la cuitine.
ÉPERLAKS A LA PnOVKNÇALE.
L'éperlaa est le goujon de U mer , et il est lin gui ière ment recherché
a Paria. Voici nue manière auei piqaante d'accommoder ce pai«Kin
d'uoe manière qui le Oalte :
ArTaDgei.Tog éperlan* dan* noe caiaerole j failei bouillir dan* une
autre uo demi>Ktier de lin blanc , nn peu d'eaa , tel , tranchei de
citron» , et no peu d'halte que tous jetel lur voi éperlani ; Taïtes^ea
cuire et ègootter; pilez deni ou trois gouaaea d'ail bUnchiea; une pincée
de fenouil hacfaéct pilé; mettez daai une cawerole lel, poirre, mu>-
cade, un vene de fio blaac bouilli, ou esieacE d'ail, quatre jaunea
d'oeofa, un peu d'huile ; tauroeii la lauce >ur le feu j'iuqu'à ce qu'elle loit
va pea fiée ; piviaez-y le jui d'un citron ; mettez la tance dans le fond
dn plat, et le* éperlans dessus; scrvei arec un peu de cerfeuil haché.
On peut le* faire frire , et les scrrir 1 cette sauce , et rien deuus.
L'éperlan n'est jamais plus délicat qu'au mois de mai; mais comme
il arrive alors à Paris moios frai* qu'en hiver, cet appareil peut masquer
avec avantage cette fraîcheur qui loi manque. C'est ainsi qu'une co-
qoeltc troore dan* l'emploi de* cosmétique* le* fttraiti dont le lemp*
is, à tout prendre , UD éperlan, tel qu'il soit, vaut
m gourmand qu'une Tirille coquette.
G. D. L. R.
(l) A la page 44 de cet ouvrage , nou* aroôs fait des YCtui pour lln-
liodaclioo d'one ctaïae de gourmandise k rinstitnt ro;al de France.
Qoelqnes élections faites à la fourcbetlc , nous font eapércr que notre
nm ne larder* paa à être exaucé.
9
i3o LB GASTRONOME FRANÇAIS.
2lml.
LE MOIS GLORIEUX» OU LE» MMBON8 DE BATOlfNB.
Le mois d'ayril est sans co&tredit celui pendant le
t^ours duquel il se &it une plus grande dépense de lau-
rier. Depuis le lundi saint jusqu'à la Quasimodo les
boutiques des charcutiers ressemblent ao^ portiques du
Capitole; tous ne pouvez y entrer sans courber votre
tête sous des voûtes de laurier; jamais triomphateur,
à Rome, n'en vit autant devant sa maison.
De tous les animaux , le cochon est le seul qui sotl
ainsi couronné lorsqu'il n'est plus; et ce tardif hon-
neur est tout à la fois une sorte d'expiation de tous les
* outrages auxquels il a été en butte pendant sa vie , et
une justice qu'on se plaît à rendre à la supériorité do
)ies membres. En est'-il , en effet , que l'on puisse com-
parer aux jambons qui nous viennent de Rayonne , de
Mayence ou de Westphalie ?
C'est le mardi delà semaine sainte que se tient à Paris
la foire aux jambons. Elle ne dure qu'un jour , et Taf-
fluence des acheteurs y est considérable : mais elle in-
téresse peu les gourmands , parce qu'il ne s'y vend que
des jambons de pays , en général peu estimés » et qui
n'entrent dans leur cuisine que pour former les braises»
et servir d'excipient à beaucoup de ragoûtSé II faut qu^un
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i5i
jainbcH) arrire au moins de Ba^nne pour oser se pré-
senter sur leur table.
Cette ville est en possessîoi de fournir les meilleurs
jambons de l'ancienne France; et la <|uaDtit4 de ceux
qu'elle expédie chaque année è Paris est prodigieuse.
M. Pelletier-Petit, épicier, à ta Truie ^tdfîU, rue du
Marcbé-aux-Poirées , à la hslle (i), en reçoit chaque an-
née de quinze à ringt mille pour sa part , sans compter
Jes jambons de primeur. Les deux plus forts expédition-
naires de Rayonne , en cette partie , sont MM, la Rouille
et Poiâlaa.
Les jambona de Rayonne pèsent ordinairement de
iS & 9o livres , et n'en sont pas pour cela moins ten-
dres et moins délicats. Ils sont d'une belle couleur ,
d'un excellent sel , et la chair en est exquise. Rien n'est
au-dessus d'un pâté de jambon de Rayonne fait par
Fouroier , successeur de Rouget , rue de Richelieu , en
lace le théâtre Français , ou par Rat , pâtissier , rue '
Montmartre, n* 55, en hçe la rue Neuve-Saint-Eusto-
che; et l'on est à la queue , de Pâques à la Pentecôte .
dans ces boutiques, pour en avoir (s).
Do tous les rôtis qui , depuis la création du monde ,
ont honoré la broche , le plus riche et le plus glorieux
est il coup sûr un jambon de Rayonne bien dessalé.
Nous donnons dans les recettes alimentaires de ce mois
(■] Vojulet Boma dn priocipRi x marcliindi de comeslihtn que
notu aniDs ciléi au maa de janner , page* 56 Et 57.
(a) Nou* eiig::geoD« lUMÎ no* liKleura , ri doiu«d arans,! rairta liste
(](-.• p.lliisiciK q*ic n«n aroni éga'cinnnl donnue an mois de jannnr.
,3« tE GASTRONOME FRANÇAIS.
«
la meilleure manière de les apprêter ainsi. Nous nous
contenterons d'ajouter qu'un jambon de Bayonue h la
broche conduit presque toujours TAmphytrion qui le
sert tout droit à Timmortalité.
Un jambon rôti ne dure qu'un jour, et c'est pour cela
qu'il est noté comme un trait de munificence dont les
Lucullus seuls peuvent faire jouir leurs heureux convi-
yes : mais un jambon de Bayonne , cuit à l'eau et bien
paré ou pané , reparaît plusieurs fois avec honneur sur
les tables les plus opulentes. On le festoyé même le
matin davantage que le soir; et c'est la colonne fon-
damentale de tous les beaux déjeuners à la fourchette »
pendant six mois de l'année. Il se montre avec un égal
avantage dans les haltes de chasse , dans les journées
champêtres y et même dans ces collations solides qui
accompagnent assez ordinairement les bals , et qui de-
viennent même nécessaires pour ranimer la vigueur
des danseurs fatigués p qui ne sauraient retrouver leurs
jarrets et leurs forces dans un biscuit comme dans une
tranche de jambon , et surtout de jambon de Bayonne.
Les jambons de Mayence sont beaucoup plus petits
que ceux de Bayonne , et peuvent moins passer pour de
véritables jambons que pour des jambonneaux. Ils sont
en général assez tendres et assez délicats , surtout lors-
qu'on les a fait cuire dans de bon vin de Malaga. Ces
miniatures de jambons conviennent mieux aux jolies
femmes qu'aux vrais gourmands; car non-seulement
ils sont plus petits que les autres, mais leur chair,
moins compacte et plus friable , est plus nourrissante.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i35
plus délicate, plus substantielle et d'uoe làclle digeslioD,
surtout lorsque, pour ne pas trop le dépayser, on lui
donne pour compagnie h table un vieux vin son com-
palriote. Le vin du Rhin est ainsi le Pilade du jambon
de Mayence , comme le Pique-pouille devient l'accom-
pagnement obligé du jambon de Rayonne.
Les jambons de Westphalie jouissent en Allemagne
et dans tout te Nord d'une grande réputation. Il en vient
Irès-peu à Paris , et jamais par les voies du commerce ;
ce qui fait qu'ils n'y sont pas assez bien connus pour
que l'on puisse asseoir sur leur compte une opinion rai-
sonnée ; car ce n'est que par une dégustation réelle et
bien approfondie que l'on peut prononcer en toute con-
naissance de cause sur les parties de l'art alimentaire ;
el ce n'est pas en mâchant à vide, ou en divaguant comme
un mauvais avocat , que l'on peut bien traiter cette ma-
tière. Nous nous contenterons donc de direquelesWest-
phalîeas sont dans l'usage de manger leur jambon cm
avec de la gelée de groseilles : sorte de mets qui ne sera
sans doute pas du goîtt de nos lecteurs parisiens.
Au reste , la Westphalie n'est pas le seul pays de
l'Europe oii l'on mange le jumbon cru ; l'on est assez
dons cet usage en Italie ; mais les Italiens ont le talent
d'en couper des tranches si minces, que leur épaisseur
équivaut £k peine h celle d'une leuille de parchemin , et
qu'elles se fondent en quelque sorte dans la bouche
comme une pastille de guimauve.
Il résulte de ces réflexions que ce n'est point h toi*t
quQ nous avons donné l'épithète de Glorieux au mois
■ 34 LE GASTRONOME FKANÇAIS.
d'avril , puîaque c'est celui où il se diitribue le plus âe
couronnes , oh il se fait une plus grande dépense de
bturier, et dans lequel on mange les metUeure jambons.
G. D. L. H.
^«nfs b< ^^ài|n<â.
Nous abandonnons aux sarans le soin de remonter
It rorigine des œufs roi^es> et d'expliqué par des mo-
Bumens antiques le motif de cet usage presque immé-
morial , qui consiste k donner dans I» semaine de Pâques
des œufe teints de celle couleur. Comme l'usage des ceuls
est défendu pendant tout le carême, et que si l'Eglise
nous permet d'en manger depuis le mercredi des Cen-
dres jusqu'au vendredi de la Passion, ce n'est qu'une
tolérance, et pour compâlirti notre faiblesse; il se peut
que cette couleur donnée aux premiers œufs qu'il soit
licite te manger en sortant du carême, soil on signe
d'allégresse : ce qu'il y a de sftr , c'est que les œufe se-
raient moins chers , et les poulets bien plus communs,
si l'Eglise était moins indulgente.
Les œufs rouges, malgré leur teinture et leurcuissoo,
ue sont pas plus cberg que les blancs , parce que ce sont
toujours les plus petits que l'on prépare ainsi , et que,
n'étant pas do garde , on est forcé de tes vendre en peu
de jours. C'est aussi pourquoi il est bon de ne les ache-
ter q<i'arec précaution et ii des marchands de conoaiï-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i3â
UDce; autreiDC<Qt oa court rùque d'avoir des œufi
gâtés. Il est plue sûr de les acheter frais, et de lea faire
durcir chez soi , d'autant mieux que la couleur a'y fait
rien , puisque la coquille oe paraît jamais sur la table.
Daos les dernières années du règue de Louis XV. on
a vu des œuls rouges être payés jusqu'à cent écus la
pièce. Des artistes habiles s'amusaient k dessiner è la
pointe, sur ces œufs, do charmaos tableaux, des pay-
sages , des Beurs , et jusqu'il des scènes historiques. Ou
conserve dans plus d'un cabinet de curieux de ces fra -
giles monumens. Ou en a du cé'ébreBoucher, ce peintre-
des amours et des grâces , auquel on peut reprocher de
la manière , sans doute , mais dont le faire était si ai-
mable , si gracieux , et la touche si spirituelle) qu'il
passe pour le Dorât de la peinture. Il est vrai que de
tous ceux qui ont voulu marcher sur les traces du pein -
tre comme sur celles du poète , aucun n'a réussi; a
qui ne prouve ni contre le talent de ces maîtres , ni
mémo contre le genre qu'ils avaient adopté.
Aujourd'hui l'on ne dessine plus sur les œufs rouges;
\h ont même entièrement passé de mnde , et ne se
voient guères qu'entre les mains du peuple. Un homme
qui présenterait aujourd'hui un panier d'ctufs rouges Si
une de nos élégantes , la ferait tomber en syncope.
Les ttuts rouges ne s'étalaient autrefois que le samedi
saint ; aujourd'hui on les voit courir les rues dès la pre-
mière semaine du carême. Ce renversement de tout
ordre a achevé de leur faire perdre leur considération
et leur crédit. L'apparition d'un œuf rouge annonçait
,56 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
autrefo^ le retour du cbaraage , et faisait naître la \o[e
dans l'ame des fidèles ; aujourd'hui elle ne signifie plus
rien. C'est ainsi qu'en bouleversant l'ordre des choses,
on anéantit jusqu'aux sourenirs , et l'on finit par e0àcer
la trace des usages les plus anciens et les plus respec-
tables.
Les œufs rouges s'apprêtent comme tous les autre»
œufs durs ; mais leur usage le plus ordinaire est de pa-
rer ces jolies salades de bitue nouvelle , dont l'appari-
tion sur nos tables est le signal du printemps.
G. D. L. R.
Les nombreux habitans du royaume de Neptune sont
en possession des premières dignités dans la république
gourmande. Le turbot africain , prince admis sur les
tables royales , le saumsn à la chiiîr ferme et colorée ,
Ib raie hérissée de boucles aiguës , comme d'une cui-
rasse guerrière , jouissent depuis vingt siècles d'une su-
prématie acquise par la persuasion , et fondée sur l'ex-
périence des plus savans dégustateurs.
Cependant le crédit des enfàns écaillés d'Ampbitrite
n'est pas exclusif à la cour d'Ëpicure , et l'éclat des
grands noms cède souvent, à nos yeux , aux modestes
regards de la Naïade paisible qui préside aux rivières
poissonneuses, aux fleuves et. aux étangs.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. iS;
Pai^delà les vastes limites de l'immense empire , où
roulent pêle-mêle le hareng et la baleine , Thuitre et la
sole y la truite saumonée et l'esturgeon» vivent dans le
silence et la retraite de petites peuplades ignorées du
navigateur. Le saumon et la truite marine , voyageurs
curieux, font quelque alliance avec ces peuples muets ,
et ne s'en trouvent pas plus mauvais; mais s'ils remon-
tent parfois les grands fleuves que la mer reçoit dans
son sein , ils entrent rarement dans les petites rivières
auxquelles ces fleuves doivent leur grandeur; et jamais
leur courage ne les conduisit dans ces étangs impéné-
trables que traverse un seul ruisseau retenu par une
digue de quelques pieds de hauteur....
Parmi les notables poissons d'eau douce on distingue
le brochet , la carpe et l'anguille. Le brochet , tyran dé-
vorateur, s'engraisse» il est vrai , de la chair des autres
poissons qui vivent sous sa domination; mats sa cruauté
n'empêche pas qu'il n'ait une grande douceur dans les
manières , et qu'il ne soit toujours cité par ses amis pour
être bienfaisant y agréable et bon.
Le brochet n'habite que les étangs , les lacs et les
grandes rivières; il est remarquable par sa tête longue»
aplatie» dans sa partie antérieure» depuis les yeux jus-
qu'au bout du bec » de forme carrée » et percée d'envi- .
ron douze petits trous » et par la mâchoire Inférieure
beaucoup plus longue que la supérieure*» et armée de
dents aiguës.
La chair au brochet est blanche » ferme » et se divise
par feuillets : on en rencontre quelquefois, dont la grosse
i38 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
arête et une partie de la chair «oat d'une couleur verte;
ceux-là sont plus estimés* On préfère à Paris ceux que
Ton prend dans la Seine.
Ce poisson vit très long-temps. Nous citons pour
preuve celui que l'empereur Frédéric II jeta dans ub
étang y avec un anneau d'airain passé dans les opusculei
de ses ouïes , portant une inscription grecque » et que
l'on retrouva bien portant , deux cent soixante - deux
ans après.
La carpe , mère féconde et vivace , remplit en quel-
ques années les lieux qu'elle habite de son innombrable
femille» et par elle un lac immense deviendrait bientôt
aussi populeux qu'un vivier, si le brochet ambitieux ne
sacrifiait pas tout ce fretin surabondant à son honueur
et à sa gloire.
La carpe a quatre barbillons à la mâchoire, d'en haut,
deux de chaque côté » la gueule ronde lorsqu'elle est
ouverte » les lignes latérales assez droites , la prunelle
'ronde et bleue» l'iris argenté et nué de jaune doré.
Quant à la structure merveilleuse de ses ouïes et de*
plusieurs autres parties» tant intérieurs qu'extérieures,
elles sont communes avec presque tous les autres pois
sons. La couleur du corps varie beaucoup : l'âge pout j
influer; mais on en connaît de bleuâtres , de verdâtres,
de brunes » de jaunes , de rouges » d'autres comme do-
rées» enfin d'autres qui sont blanches et dépourvues
d'écallles, sans doute par vieillesse.
Goihme les brochets » les plus grosses carpes sont les
plus estimées. Celles du Rhin » de la Loire et du Rhône
\"
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 159
jooisseBtd'uae haute considération à Paris , et les carpes
de Seine se contentent de prétendre le pas sur elles.
Les carpes d'étang sont généralement plus saines et
plus grasses ; mais il faut ordinairement leur laire dégor-
ger la bourbe rustique qu'elles rapportent de leurs ma-
rais. Cependant il est des étangs dont l'étendue et la
limpidité rendent cette précaution inutile : ceux de la
Lorraine allemande ont ce bel avantage , ainsi que tous
les pajs.sabloneux où l'on parvient à composer de ces
petits lacs. La chair de la carpe» désagréable par le
grand nombre d'arêtes qu'elle contient (1) , est ordhiai-'
rement blanche ; mais on en pèche dans quelques rivières
qui , quoique l'extérieur soit en tout semblable aux
autres , ont la chair rougeâtre et feuilletée comme celle
du saumon , ce qui les a fait nommer carpes saumonées.
U anguille^ qui sous la figure du serpent cache l'âme
la plus douce et le venin le plus succulent , tient un
rang distingué sur les tables les plus opulentes. Les an-
guilles qui ont le ventre blanc et argenté sont les meil-
leures. On aime W^ucoup à Paris celles que Ton pêche
dans la Marne; aussi leur fait-on l'honneur de les laisser
entières, et de les manger à la tartare..
C'est ordinairement vers la fin de mars que l'on fait
la pêche des étangs ; parce qu'à cette époque le brochet,
la carpe, l'anguille , la tanche, la truite, la perche, la
lotte , la lamproie , etc. , sont le plus en abondance.
(i) DupeneyVaiaéy et Petit, médecio^ oot cependant donné dans
les mémoires de l'Académie, année i753,page 197, les observation»
anatoiDiqaefl et physi<|ues qu'ils ont faites sur ce poisson.
i4o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Quand on veut avoir de gros poissons, on ne pêche
les étangs que de trois en trois ans , ou de quatre en
quatre ans , au plus. On les vide; et sur la bourbe épui-
sée d'eau se débattent amoncelés les habitans de toute
espèce à qui Télément a manqué. On les choisit k la
main , et le fretin se réserve soigneusement pour une
autre moisson , qui offre ordinairement un produit réglé
comme une coupe de bois , si l'on a soin d'en écarter
les voleurs et tes brochets.
Le temps de l'abondance du poisson doit être néces-
sairement celui des matelotes ; m ais celles pour lesquelles
on n'emploie que des poissons de rivière sont toujours
préférables » attendu que le poisson des étangs a presque
toujours un goût de vase difficile à surmonter.
Nous allons donner deux recettes pour préparer ho-
norablement l'anguille et ht carpe.
<ceiUs a(mtnta\vt$.
ANGUILLB.A LA TARTARE.
LoMSQUB l'aDgaille est dépouillée et vidée, il faut la rouler en fbrmc
de cerceau , et la fixer avec de petits atelels, afio qu'elle se tieune bica
ronde. Mettez-la ensuite dans une casserole avec du sel, du poivre, une
feuille de laurier, du thym , un bouquet de persil et de ciboules ; mooil-
lez-la avec du via blanc, et mettez-la sur le feu ; lorsqu'elle sera coite
laissez-la refroidir dans son assaisonnement , afin qu'elle en prenne le
goât. Quelque temps après égouttez-Ia, et lorsqu'elle sera bien égool-
tée vous la tremperez dans un peu de beurre , vous la panerez lé^re-
mentavecdela mie de pain bien fine: cela fait, cassez deux ou trois
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ,41
mvh , assaMonnez-Jes de sel jet de poivre ; battez-les comme pour une
omelette*; trempez votre anguille là-dedans; panez-la de nouveau ; faites-
lui prendre conleur ou sur le gril on sous le four de campagne , et servez-
la avec une bonne rémolade.
SI vous voulez donner plus de goût à la cuisson , mettez un bon mor-
ceau de beurre dajis une casserole ; joignez-y des carottes coupées en
tranches , des oignons coupés de même , du persil , du laurier, du thym,
deux clous de girofle ; passez bien cet assaisonnement , mouillez-le avec
du vin blanc ; mélez-y du sel , du poivre ; faites bouillir le tout une
demi-heure ; passez-le dans un tamis de soie sur l'anguille ; mettez-la
ensuite mijoter une heure au four ou sous le fourneau , et servez.
CARPE AU BLEU.
Tidez votre carpe^ et faites-y le moins d'ouverture que vous pourrez ;
licelez-lui la tête , et mettez-la ensuite dans une poissonnière propor-
tionnée à sa grosseur ; faites bouillir une demi-bouteille de vinaigre ;
versez-le tout bouillant sur votre carpe ; mouillez-la ensuite avec du vin
rouge 9 en observant d'en mettre assez pour que la carpe baigne bien à
l'aise ; mettez trois gros oignons coupés en tranches , deux carottes , du
persil, de la ciboule, deux ou trois feuilles de laurier, une petite branche
de thym , trois clous de girofle , du sel et du poivre , après cela mettez
vutre poissonnière sur le fourneau ; faites mijoter environ une heure
(pins ou moins, selon la grosseur de votre carpe), ôtez-la du feu, laissez-
la refroidir dans son assaisonnement ; dressez sur un plat avec une ser-
viette dessoos, et servez.
G., G. et B.
ESCARGOTS DE VIGNE A LA POULETTE.
Beaucoup de personnes ont de la répugnance pour les escargots , sans
flOD^r que cet animal est, à la première vue,i>ion moins dégoûtant
qu'une hnitre , et qne , sll fallait s'arrêter ainsi à toutes ces petites ré-
pa^ances qui naissent d'une faiblesse d'organes ou d'une éducation
pnérîJe y on se priverait d'une foule de jouissances alimentaires qui font
le bonheur de la vie gourmande. Un véritable gourmand , sans jamais
<>ii rapporter aux apparences , déguste tout avec courage et impartis-
i4a LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Uté ; sembUble à Pabeille qui ▼& butinunt tontes les flears, et qui ne
s'arrête que sur celles qui lui conviennent le mieux , il essaie de tons lei
mets , n'en refiise aucun et donne la préférence au pins digne.
L'escargot , nous en convenons , n'a rien dans son extérieur de bien
séduisant; mais, quoiqu'il ait à Paris un assez grand nombre d'ama-
teurs , ce n'est pas dans cette capitale qu'on le prise le pins. Dans cer-
taines provinces , en Lorraine par exemple , on en prend des soios par-
ticuliers ; on l'élève , on l'engraisse , on lui consacre une petite portioa
de jardin entourée de treillage à mailles serrées , où l'on a soin de nt-
sembler tons les végétaux qui lui plaisent le plus. Par le moyen de ces
retraites, qu'on nomme des escargotières, et où plusieurs nillien
d'escargots vivent en paix , sans autre souci que de manger , de croître
et de multiplier ( qui, pour le dire en passant , sont les trois plus grandei
jouissances de tout ce qui vit en ce bas-monde ) on a une espèce de
garenne toujours prête à fournir aux survenans un plat très-délicat, sus-
ceptible de divers apprêts, «t dont la dépense est presque nulle.
A Paris l'on ne connaît point ces recherches ; les escargots que l'on
vend à la halle sont tout uniment des escargots ramassés dans la cam-
pagne. Ceux de vigne sont les plus délicats et les meilleurs- Lorsque U
feuille de vigne commence k pousser ils sont plus tendres , et plus gras à
l'époque des vendanges ; mais on peut dire que pendant près de six
mois de l'année ils fournissent une nourriture aussi salutaire qu'agréa bip.
Voici l'une des manières les plus simples de les apprêter :
Vous prenez, soit au printemps, soit en automne, des escargots;
vous faites chauffer de l'eau de rivière , à laquelle vous ajoulci une poi-
gnée de cendres de bois neuf : quand cette eau commence à bouillir,
vous y jetez vos escargots, afin de les échauder et de les faire sortir de
leur coquille : ensuite vous les mettez dans de l'eau tiède. Vous faites
bouillir encore d'autre eau , dans laquelle vous les faites dégorger et
blandùr une seconde fois. Après le's avoir bien égouttés et nettoyé»,
vous passez des champignons , que vous mouillez d*ean et de bouilloo;
vous y ajoutez un peu de vin blanc avec du sel et du poivre. Vousfatto
bouillir vos escargots jusqu'à ce qu'ils soient cuits et moelleux ; vous y
ajoutez une liaison de jaunes d'œufs, avec du persil haché et un pende
muscade. N'oubliez pas, en finissant , d'exprimer un jus decitroo* oo
|i<»ut y met Ire aussi du verjus ou du vinaîg'-e.
r
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 143
fiSCA&GOtS 8IMVLÉ8.
Dftns la s^^flon où l'on ne peut se procurer des escargots , oo s'amuse
t^nclqnefois à tromper notre sensnalité par un simulacre qui n'est pas
■ans agrément. On fait une excellente farce fine , soit de gi^ier, soit de
poisson , a^ec fiAets d'anchois ^ muscade , pondre d'épices fines , fines
herbes , et Saison de jaunes d'<i^ufs. On a des coqtdlies d'escargots bien
lavées et bien chaudes. On remplit chacune d'elles avec la farce , et on
les sert brûlaoler. C'est une de ces tromperies innocentes que la cuisine
pratique quelquefois, sur lesquelles un gourmand ne prend jamais le
change, mais dont il feint Tolontiers d'être la dupe, pour flatter l'amour-
propre de son amphytrion. Au reste, dans le cas présent , bien des gens
préfèrent le s'mulacre à la réalité.
JAMBONS A LA BROCHE.
tJn jambon à la broche est un rôti du plus grand làxe , et qui ne con-
vient qa'à des tables opulentes ; car il faut qu'il soit de Bayonne , trèc-
gros , trèa-bien choisi , etc., de manière que ce plat revient ù environ dix
écus. C'est aussi cher qu'une belle diode aux truffes do Périgord, et
cela AûC moios d'Jiooneur aux yeux du vulgaire , qui ne voit dans uo
Jambon à ia bmche qu'un rôti de cochon : mais les vrais gourmands eu
connaissent si bien le prix , que c'est la plus haute marque de considé-
ration qœ l'on puisse leur donner que de les inviter à venir en manger
leur part. Nous allons, en faveur des amphyt rions qui seraient jaloux de
se distinguer, en donner ici la recette. Heureux ceux qui s'empresseront
de la mettre en pratique 1
Tons preneE un excellent jambon de Bayonne nouveau , du poids de
quinze à vingt livrofe : vous le parez par dessous , et le laites tremper
pendant deux ou trois jours, selon sa grosseur « afin de le bien dessaler.
Si voos vonies qu'il soit excellent , vous le faites mariner ensuite pen>
da«t une demi-joamée dans du vin d'Espagne. Embit)chea-le ensuite ,
et le couvrez par-dessous de bardes de lard ou de crépines. Vous le
fastes cuire i la broche , à petit feu , pendant six heures^ et même da-
vantage, s'il est gros. .Vous Tarrosez cootiouellenent avec de l'eau
chaude , que vous mettez dans la lèchefrite : cela fait sortir le sel , en
dilatant les pores, au lieu qtte le vi i, en les resserrant , produirait un
■^ /
i44 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
effet contraire. Lorsqu'il est presque cuit , toqs levez la couenne et lui
faites prendre belle couleur ; vous le parez ensuite légèrement de cha-
pelure ou de mie de pain.
Four la sauce, vous faites réduire le vin d'Espagne dans lequel il a
mariné ; vous y joindrez le jus qu'il aura rendu au sortir de la broche f
avec l'expression de deux jus de citron. Dégraissez et servez chaud. On
peut aussi le servir avec une sauce pointue » manière d'épigramme qui
se trouve être du gotit de tous les gourmands.
Cet aperçu suffira pour convaincre qu'un tel rôti est très-supérieor à
tous ceux que la boucherie , la basse-cour, le poulailler, les forèti, lef
plaines , les étangs et les mers pourraient nous offrir. Heureux celui qui
peut une fois en sa vie manger un jambon à la broche ! Il n'a plu riea i
regretter des sensualités de ce bas-monde.
Souvenons-nous qu'on trouve toute l'année des jambons de Baynone
de première qualité dans le magasin de la Truie ^ui file, chez M. Gorcel-
let , et chez madame Chevet.
ALOSE GRILLÉE, ET FILETS d'alOSE AU CtTROIV.
C'est .vers le temps de Pftques que les aloses arrivent à Paris. Ce
poisson y est toujours très-recherché. Les meilleures se prennent dans la
Seine , et surtout à Honfleur. Celles pèchées dans ces parages ont an
goût de noisette parfait et une saveur éminemment délicate. Un vni
gourmand ne s'y trompe jamais. C'est un poisson excellent, et qui pa-
rait avec honneur sur les tables les plus somptueuses.
Ecaillez, videz, lavez, ressuyez bien votre alose, et ciselcz-la des
deux côtés ; faites fondre du beurre , et la retournez dedans avec sel ,
poivre et quelques feuilles de laurier. Faites griller d'une belle coulear,
mettez dessous une bonne farce à l'oseille, ou une sauce blanche, avec
cftpres et anchois dedans ; mais l'oseille plaît plus généralement ; c'est
le lit de repos qui convient le mieux aux aloses.
Pour la seconde manière de l'apprêter, ayez des lîlets d'alose àt
Seine levés proprement; faites-les cuire dans du bouillon, vin blanc, oo
peu d^huile , sel et fines herbes , et les faites ensuite égoutter. Mettes
dans une casserole deux pains de beurre, avec sel, poivre, muscade t
trois tranches de citron , et pu peu de farine délayée avec du confi**
Tournez votre sauce sur le feu ; ôtez ensuite le citron , et le presses de-
dans; servez la sauce sur vos filets avec poivre concassé.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 145
Lorsque Totrc alose est cuite comme ci-deTant , toqs poaTex la servir
aTecd*aatres sanccs, toujours un peu relevées. Mais nous ne cesserons
de répéter que grillées et sur un Ut d'oseille , est le plus bel appareil
qai convienne aux aloses : lorsqu'elles sont d'une taille majestueuse , il
s'est point en cette saison de relevé plus apparent.
G. D. L. B.
POISSON D'AVRIL.
lu : Aa soId qae je prendi de ma gloirs.
GoHFLÉ de l'huile de Baleine, (i)
Mondor ronfle auprès d'un bon feu.
Dans sa mansarde aérienne
Dorlis rime , gèle et dort peu :
L'œil pesant , la bourse légère ,
Épuisé par un long babil ^
On dirait que le pauvre hère )
Se nourrit de poissons d'avril. \ ^ ^'^
Paul , en prenant pour femme Elvirc ,
Déconcerte plus d'un rival:
Pressé d'exhaler son délire ,
If s'esquive au milieu du bal.
Le lendemain , baissant l'oreille ,
Paul n'a plus transports ni babil :
11 crut trouver une merveille ;
Il n'a pris qu'un poisson d'avril.
Notre existence «st un problême;
La volupté n'est qu'un éclair;
(1) Restaurateur du Rocher de Câncaie , chea lequel les rédacteurs du
foumai des Gourmands tenaient leurs séances de dégustation le ao de
chaqae mois.
10
1
,46 LE GASTRONOME FRANÇAIS,
C^ inonde un fragile système,
Et l'amour un propos en Pair;
La gloire est une ombre légère ,
La renommée un vain babil ;
Le bonheur est une chimère ,
Et Tespoir un poisson d'avril.
M. G
i^tmmm^mmm^tsimwtm^mmmmti^ei^^f^fni
Mai.
OU LK MOIS FLEURI»
Salut , mois du plaisir, des fleurs et de Tamour!
Salut y mois régénérateur , réparateur , inspirateur!
mois des poètes et des amans , de Pespérance et de
Tnppétit » mois enfin des gourmands et des belles !
Quand toute la nature, en habits de fête, célèbre
ton glorieux retour , nos bouches ouvertes aux dons que
tu dispenses , seraient elles muettes pour ton éloge?
Non ; et avant que le berger , épiant l'aurore , vînt à la
porte de sa maîtresse dresser le mai orné de prime?ère
et de roses , nous attendions , le verre à la main et les
pieds sous la table , que l'heure de minuit signalât U
joyeuse arrivée.
L'astre qui te ramène est celui des amans ; c'en est
assez pour avoir droit à nos hommages. Nous avons fait
notre profession de foi , et nous voulons que les Grâces
président à nos banquets. Mais , ô joli mois de mai ! leâ
-t / ^
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 147
altribntioDS sont plus grandes et plus solides que ne le
croit le vulgaire de tes adorateurs !
Pour lui , sous ta dirine influeDce , tout ce qui res-
pire prend un nouvel être ; tout ce qui végète s'anïme
d'une nouvelle sève ; mais pour le gourmand , ta puis-
sance s'étend sur l'avenir, et tes bienfaits sont universels I
Ces oiseaux, qui soignent leurs couvées , préparent
an cuisinier , que rebute la sécheresse des chairs suran-
nées , des rôtis plus succulens , des viandes plus jeunes ,
plus délicates , et une aboadauce miraculeuse. C'est
pour nos tables que les troupeaux se reproduisent ,
que le gibier pullule , que tout aime , que tout s'agite et
fermente dans la nature.
Ces arbres , couverts de fleurs , dans quelques mois
fléchiront sous le poids de leurs fruits.
Ces champs émaillés et verdoyans, sont les mamelles
de la mère commune. Cette graminée , destinée à la
itubsislance de ses enfans , et qui la courre de rîans tapis
de verdure , s'élance de son sein , comme en triomphe ,
eotourée de coquelicots , de bleuets et de mille fleurs
variées.
Ces prairies émaillées sont la table succulente où
s'engraissent , en ruminant , le bœuf de Hollande , le
veau de Pontoise et le mouton des Ardennes. L'herbe
nouvelle purifie leur sang , attendrit leur chair , et iden-
tifie ses émanations parfumées à leur fumet rafraîchi.
Ces animaux pesans , que je vois bondir j ' '
dans la plaine, me préparent un rois-beef
filet entrelardé.
j48 le gastronome français.
Je sens , en touchant ces fleurs veloutées , le duTcl de
la pêche fondante , dont le Ûom seul fait venir Teau k
la bouche.
En voyant pleurer cette vigne de Bourgogne cl de
Champagne» je mêle malgré moi des larmes de plaisir et
de. reconnaissance à ses larmes bienfaisantes et fécondes.
Voyez croître à vue d'œil dans mon potager celle
petite forêt ea tutelle ^ dont l'épais feuillage , d'un yert
ckiîr , est mêlé de cosses ébauchées , de fleui^s épanouies ,
et deptHS déjà bons à cueillir.
Non loin l'asperge apéritive jaillit du sein de la terre
comme un obélisque antique au milieu des déserts;
son cou d'albâtre porte une tête violette légèreioeiU
nuancée de vert ; et les tendres aspérités qui commen-
cent à poindre avertissent le jardinier vigilant qu'il est
temps de la cueillir.
' Pois verts savoureux ! délicates asperges 1 prémices
du dieu des jardins ! délices des vrais gourmands I tant
que votre à*ègne durera , vou« aurez toujours sur nos
tables la place d'honneur! Soit comme principal » soit
comme accessoire , vous devez briller en entrées, en
entremets , et même en potages. Point de service friand
sans petits pois dans leur primeur, et sans asperges
naissantes; point de ragoût distingué sans une ample
litière de ces deux légumes savoureux ; point de potage
printanier dont ils ne colorent le bouillon (i).
(i) Recette pour eonterver let petits poU : 11 faut les cueillir vnxni k
lever du soleil, les écosser aussitôt, choisir les plus tendres, les jeter
dans Teau bouillante, et les retirer après le premier bouillon : lc« pt»*cr
V.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 149
Les salades appétissantes , les fruits et les légumes pré-
coces disputent aux pois verts et aux asperges la gloire
d^arriver avec le mois de mai. Chacun veut payer à ce
bienfaiteur un juste tribut de fertilité.
C'est dans ce mois que végètent et s'exhalent tous
ces parfums viviGans , parties intégrantes des meilleures
sauces , assaisonnement essentiel de nos mets , et dont
la savante dispensation fait le plus long chapitre de la
science du cuisinier. Ces aromates se mêlent Ieiu laitage
et au beurre qui se vend dans çet|e saison privilégiée ;
et c*est le parfum des fleurs odoriférantes que l'on
mange sous la forme d'une sauce blanche , d'une crème
ibuettée et d'une omelette aux herbes.
Les voluptueuses productions de mai ne nuisent pas
aux jouissances habituelles du gourmand : ht volaille est
toujours abondante; Tagneauest plus tendre et plus par-
fumé , le pigeon multiplie rapidement; et c'est avec le
pigeonneau que le petit pois contracte l'union la plus
heureuse. Peu d'entrées peuvent être comparées à celle-
ci • et le pigeonneau le sait si bien , qu'il attend juste le
retour du petit pois pour être dans toute sa bonté. Co-
à l'eau froide 9 puis les égoutter sur un liage , les éparpiller et élcudic
sur an grand Umû}, sous lequel on met de la cendic chaude pendant
six heures, en les remuant souvent.
On peut également se seivir du dessus d'un four cliaud.
Après cetfe pi-éparalion on met les petits pois dans un lieu sec , el ils
coaservent « dans le sac ou dans la bouteille, leur verdeur el leur «avcur
jUMqn'à 1 hiver. Us ramènent ainsi mai en décembre , et arii\ent tivaot
mars en oaréme.
i5o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
quetterie bien innocente que Ton pardonne aisément à
l'héritier présomptif do l'oiseau de Yénus !
Les poissons de toute espèce franchissent les rivages
des mers , des fleuves et des rivières. L'alose et le aia-
quereau sont particulièrement tributaires du mois de
mai. On trouve à la halle de gros limaçons en co-
quilles , et des grenouilles que l'on fait frire comme des
membres de poulet.
Mais tout parait fade lorsqu'on a goûté l'herbe printa-
nière. Le radis pourpré met en appétit dès le matin ; et
la fraise des bois , qui parait vers la fin du mois ,- laisse
encore des désirs en sortant de dtner.
Le mois de mai est le mois de la gourmandise et des
amours : tout croit» tout régénère pour le plaisir de nos
palais y autant que pour la joie de nos cœurs. On y jouit
même de ce qu'on n'y mange pas; on a l'avant-goût de
l'espérance.
Petits oiseaux devieudrorit gros ,
Petits poissons deviendront grands
Porcs et moutons engraisseront.
Laissons donc tous les animaux célébrer leurs noces;
nous n'y perdrons rien : c'est pour nous qu'ils s'aiment ,
et nous avons de quoi nous dédommager en attendant.
Pour remplir les intentions *de la Providence , nous
resterons pendant le mois une demi -heure de moins k
table y et une heure de plus auprès de nos belles.
Gastbriiank.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i5i
ai , ou fe SSvou concUmfenr.
Si i'épithète de conciliateur convient spécialement l\
Vun des douze mois de l'année,* il nous sera facile de
proii?er que celui de mai la mérite plus que tous les
autres. Le mois de janvier pourrait seul la lui disputer,
parce que , renfermant le jour de l'an , il est l'époque de
cette amnistie de convention sous l'égide de laquelle les
parens divisés se revoient , et les amis brouillés dinent
ensemble. Mais ces rapprochemens tiennent plutôt «^
l'éliquclie qu'à la nature; ils sont ordonnés par l'usage ,
les convenances et le respect humain , beaucoup plus
que par l'inclination, l'aiTection et lessentimens tendres:
aussi voit-on souvent les personnes qui se sont raccom-
modées à la Circoncision , se trouver brouillées de nou-
veau avant le Mercredi des Cendres.
Les rapatriages qui se fout dans le mois de mai sont
beaucoup plus sincèi*es que les autres , parce que c'est
ordinairement la nature qui en fait les premiers frais. lU
sont par conséquent aussi plus vifs et plus durables, car
la politesse et le respect humain n'y ont presque jamais
de part : c'est donc le mois où les amans montrent le
plus de tendresse , les maris le plus de ferveur , et les
parens le moins d'animosité.
C'est aussi celui où l'appétit des gourmands se réveille,
, el reprend en quelque sorte une nouvelle existence. Ils
i54 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
croire que les artistes sortis de celte grande école (i)^
n'ont pas perdu le secret du maître. Puisse ce feu sacré
ne jamais s'éteindre !
Quoique l'on mange à Paris des pigeons pendant
presque toute l'année , c'est au mois de mai que les pi-
geonneaux sont le plus tendres et le plus délicats ; et
l'on peut dire qu'ils contribuent pour leur part à lui
mériter le nom de conciliateur. Le pigeon, d'un tempé-
rament ardent , et vrai modèle d'amour et de fidéUté ,
offre une viande chaude et même aphrodisiaque; aussi
est-il aimé généralement. Une compote de pigeons aux
petits pois est l'une des entrées les plus agréables qu'on
puisse offrir dans cette saison; et il y a peu d'inimitiés
qui tiennent au plaisir de se rassembler autour d'elle.
De jeunes pigeons à la broche » entourés de feuilles de
vigne , présentent un rôti très-délicat , et d'autant plus
recherché , que le gibier a fait divorce avec nous pour
un assez long temps encore.
(i) L'école de Réchaud et l'école de Morilliou sont ea cuisloe ce que
sont en peinture celles d.'^ Raphaël et de RuI ens. Nous croyons que
M* Lasne, qui fut long-temps le chef de cuisine de M. Grimod de la
Reynière , et qui remplit aujourdhui, avec an rare talent, les honora-
bles fonctions de contrôleur de la bouche du roi , est sorti de l'école de
Morillion. L'illustre M. Balaine est de l'école de Réchaud.
( Note eommurwfuéé. )
L'art du cuisinier n'est pas aussi facile que l'on pouri*sit le penser,
surtout loisqu'il vmut s'en occuper exclusivement. Un grand cuisinier ,
par exemple , ne doit point se livrer à la pâtisseiie , dans laquelle il ne
pourrait jamais être que médiocre. Les fourneaux réclament toute sonaC-
tentiou. La vie de l'homme est trop courte, pour lui permettre d'être tout
ensemble grand dans le four, grand sur les fourneaux et grand à la broche.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i55
Le mois de mat est le premier des mois sans r , et
Ton cessait de manger des huîtres à Paris depuis son
apparition jusqu'au 3i d*août; mais, grâce à M. Ba-
laine , on ne connaît plus cette distinction ; et les gour-
mands sont sûrs de manger maintenant au Rocher de
Gancale, pendant tout l'été, des huîtres presqu'aussi
bonnes qu'en hiver. Par les soins de ce graad artiste les
mois sans r ont tout-à-fait disparu du calendrier gour-
mand (i).
Il résulte de ces diverses observations que , quoique
l'été soit en général moins favorable à la bonne chère
que les autres saisons de l'année , les gourmands trou-
vent dans le mois qui le précède des jouissances dignes
d'eux; que, grâce aux asperges, sur les qualités des-
quelles nous aurions pu nous étendre avec d'autant plus
de plaisir qu'elles sont reconnues comme l'un des légu-
mes les plus aphrodisiaques , aux petits pois , et surtout
aux maquereaux^ le mois de mai mérite plus que tous les
autres Pépithèle de mois conciliateur. C'est ce que nous
avons cherché à prouver en peu de mots; et c'est ce
qui deviendrait le sujet d'une dissertation très-étendue,
si les bornes de cet ouvrage nous permettaient d'en-
nuyer longuement et doctement nos lecteurs.
»
G. D. L. R.
(i) M. fialaîne a cédé sa maison depuis la publication de cet article
fiaos le Journal des Gourmandi. Nous ne pensons pas qu'il ait entière-
ment cédé son secret, non-seulement pour la conservation des huîtres,
mais encore pour rezcelleoce de sa cuisine et la bonté de sa cave.
i66 LE GASTROiNOME FRANÇAIS.
inns fa Bien vcnnt.
Depuis que l'esprit humain a réglé les pas du Temps ,
et que Yéous>Uranie a distribué les saisons , le mois de.
mai est consacré h la mère des Amours. Les gourmands
sont religieux observateurs de cette pratique immémo-
riale , et leurs repas ne se terminent jamais sans sacri-
fice aux Grâces et sans invocation aux belles.
Si Momus , apériteur de leurs banquets , daigna ap-
prêter leurs poissons d'avril , la déesse de Gnidc ne dé-
daignera point de les aider à planter le mai et à vider la
coupe printanière r nos joyeux ébats ne sauraient efla-
roucher cette reine des ris et des plaisirs; partout où Ton
est heureux, aimable, et de bon appétit, elle est toujours
bien venue , et sa place est à table h l'heure du dfner ,
de même que sur la mousse , le duvet ou le gazon, à
l'heure du berger. Vénus sera donc dans ce mois notre
président et notre convive ; nous saurons , fidèles h nos
principes , redoubler notre galanterie, et soutenir notre
gaîté.
Le mois de mai est sous l'influence des Gémeaux, el
semble h ce titre nous inviter à l'amitié , comme il in vile
toute la nature à la reproduction ; c'est le temps de l'année
où l'on est le plus enclin h la tendresse , à la franchise ,
aux épnnchcmens de cœur; et sous ce point de vue il
recommande encore les plaisirs de la table, où , le verre
il la main et le rire sur les lèvres , on s'aime mieuxr,
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 157
ion se conTienl davautage » on est plus porlé à l^indul-
gence , plus content des autres et de soi.
L'amant qui sort d'un festin où il a fait une balle
de deux heures « est assuré de recevoir desa^belle un
accueil encourageant , parce qu'il est assuré de revenir
plus aimable , plus entreprenant » et avec un meilleur
visage ; l'espérance , voltigeant parmi les flacons , lui a
souri pendant tout le repas, et son cœur pétille au des-^
sert comme la mousse du Champagne. Peut-on refuser
un sourire à son hilarité , un baiser à sa ferveur , une
faveur à son audace? Quel amant fut jamais rebuté
quand , les yeux enflammés du double feu de Bacchus
et de Cythérée , il rapporte un front épanoui de la joie
des festins ?
Si les perdrix s'accouplent et sont respectées du chas-
seur, les pigeons se mangent sans interruption; la vo-
laille t le bœuf et l'agneau sont toujours abondans ; la
saveur des petits pois et des asperges relève les chairs '
les plus insipides , et tous les légumes printaniers ren-
dent avec usure les esprits vitaux que dissipe l'influence
amoureuse de la saison.
Les fleurs et la rosée ouvrent tous les sens à l'ap-
pétit : l'odorat triture les parfums dont l'air est embau-
mé; les pores pompent la fraîcheur du soir, et se dila-
tent pour en respirer davantage; l'oreille se remplit du
chant de l'alouette et de la caille matinales » qui s'en-
graissent avec soin pour Tarrière saison; l'œil contemple
les jardins brillans de verdure et les arbres couverts de
flears; la main palpe déjà le fruit précoce qui s'ar-
, i
i58 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
rondit , et les lèyres pressent le corail flexible de la fraise
des bois que le soleil de mai fait éclore avant tous les
dons de Pomone.
Ainsi le gourmand épicurien jouit à la fois par tous'ies
sens , et le peu qu'il perd en réalité est compensé par l'im-
mensité des espérances qui nourrissent son imagination.
Glttophon.
LE MOIS DE MAL
AIR : Vnti jfune brrgèrr .
Du mois chéri des Gracc;»
Je chante le retour;
Mai les Toit sur ses traces
Entre Flore et PAmour.
Quoique trop passagères ,
Gélébrons ses fiiYcurs :
Il donne des fleurs aux bergères ,
Aux gourmands des primeurs.
Ses fraises, son laitage,
Sous un dais de lilas,
Ont su dans mon jeune âge
M'offrir de doux repas.
Pour ce banquet aimable
Le gazon s'embellit,
Quand Gomus en a fait sa table ,
L*Amour en fait son lit.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 169
Aux bois de Romaînyille
VoloDS aTec Zéphir ;
Dans ce riant asile
Mai fixe le plaisir*
D'Ëden c'est la peinture*
Mais dans ce lieu charmant ,
Belles» craignez sous la verdure
De trouver le serpent.
Faut-il que ta magie ,
0 le plus beau des mois I
Ne redonne la vie
Qu'à nos prés , à nos bois !
Sers les tendres amantes.
Sers les joyeux gourmands :
La vigueur que tu rends aux plantes,
yiens la rendre à nos sens.
Ph. de là Madelaine,
Alors âgé de 80 ans.
t^eon^.
Chbbs aux belles comme aux gourmands , les pigeons
sont de tous les oiseaux l'espèce la plus favorisée des
dieux et la plus honorée des hommes. Le paon est con-
sacré à Junon , le hibou à Minerve , l'aigle au grand Ju-
piter; mais la colombe est l'oiseau de Vénus. C'est elle
qui roucoule amoureusement sur les genoux de la déesse;
1
i6o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
c'est elle dont l'aîlc C9ressante dirige le zéphir qui agite
ses cheveux ; dont la gorge , nuancée d'émeraudes et de
rubis , recueille la (leur des baisers qui s'échappent des
lèvres de la beauté; c'est la colombe enfin qui tire le
char aérien établi par les poètes sur la route de Cythère.
Fidèle à sa destination , la colombe messagère est la
confidente discrète des mystères galans , et la courrière
rapide des amans éloignés l'un de l'autre. Que de titres
à notre reconnaissance , à notre admiration , à nos hom-
mages ! Le pigeon est non-seulement un oiseau sacré ,
mais le plus sacré des oiseaux.
S'il est célèbre dans les fastes de Gnide , sa gloire est
encore plus grande dans les annales de la cuisine, et son
mérite avoué des amans , est proclamé par toute la terre
gourmande.
On mange des pigeons pendant presque toute l'an-
née f tant cet animal 6e complaît dans ses amours , mais
on trouve dans tous les temps des pigeons de volière , et
c'est sans doute pour cette raison qu'en général on y
fait peu d'attention.
Selon nous , les personnes qui se rendent coupables
tl'une telle indifférence font preuve de mauvais goût,
ou ignorent sans doute que rien n'est comparable à un
pigeonneau sortant d'avec sa mère , et que l'on fait cuire
à la broche, entouré d'une mince barde de lard et d'une
feuille .de vigne.
Ces tendres innocens sont surtout préférables en ayriL
mai et juin» h cause de l'absence du gibier et de la
volaille qui, ne faisant pas l'amour en tout temps ^
i
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 161
choisissent cette époque pour se repeupler. Il n'a alors
de concurrent pour le rôti que le leyreau de janvier et
le poulet nouveau.
Le pigeon biset, quoique inférieur au pigeon de va-
litre y n'est pas moins digne de nos hommages ; mais il
est préférable en août et en septembre , époque oir ,
A peine du soleil essayant la lumière ,
il participe aux fêtes de Cérès autant que son fige peut
le lui permettre , s'arrondit dans ses champs » et parait
sur nos tables plus digne de nous et de lui.
Les pigeons sont en général susceptibles de plusieurs
métamorphoses : outre qu'on les met à la broche , on
en fait des filets, des côtelettes; on les poéle, on les
met aux pointes d'asperges» aux petits pois» à la crapau-
dine» en compote» etc. Nous allons donner deux ma*
nières de les apprêter.
PIGEONS A LA CftAPAUDINE.
Ayez trois beaux pigeons (de rolière de préférence) ; Tidez-les, con-
pez-Ienr les pattes , troussez-leur les cuisses en dedans du corps » et
flambez-les bien légèrement. Lerea ensuite tonte la chair de l'estomac»
en commençant par le bout du brichet » jusque près des ailes; tenea-lc
onTcrt , et applatissez légèrement tos pigeons avec le couperet. Faites
fondre un peu de beurre dans une casserole; mettez-y sel» poivre;
trempez-y vos pigeons , et jetez-les ensuite dans de la mie de pain : lors-
qu'ils seront bien panés , mettez-les sur le gril du côté de l'estomac ;
faites*les cuire sur un feu doux , afin que la mie de pain ne brûle pas ,
et lorsqu'ils seront cuits, dressez-les sur le plat , en mettant dessous une
petite saoce à l'échalote faite ainsi qn'il snit :
I 1
i63 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
Ayez cinq ktkx gousses d'échalotes > hachez-les bien meDu , mettez-
les dans uoe casserole avec sel , poivre , deux caillerées âi bouche de
vinaigre 9 et faites cuire tout doucement; quand la sauce sera imite,
ajoutez-y trois ou quatre cuillerées à ragoût de jus ; faites faire encore
no bouillon « puis mettez-la sous les pigeons. Servez chaud.
PIGEONS EN COMPOTTE.
Ayez de même trois beaux pigeons ; videz-les , flambez-les , trcmsses
les pattes en dedans, et bridez-les si vous voulez, car cela n'est pas bien
nécessaire; mettez ensuite un. morceau de beurre dans une casserole,
une cuillerée à bouche de farine , et faites un roux : lorsqu'il ser^ bien
blond, jetez-y une demi-livre de petit lard coupé en morceaux, pois
vos pigeons; faites bien revenir le tout dans votre roux; mouillez avec du
bouillon ; (ne mettez pu de sel à cause du petit lard) ; ajoutes un peu
de poivre , un bouquet garni de persil, ciboule, thym , laurier, deux
clous de gii-ofle; ajootei-y quelques champignons. Écumez votre ragoût
lorsqu'il commencera k bouillir (époque où vos pigeons sont à moitié
cuits) ; ayez des petits oignons bien épluchés , passez-les dans du
beurre, si vous voulez, jusqu'à ce qu'ils soient bien blonds ; égouttet-
les, et jetes-les dans votre ragoût. Quand vos pigeons seront cuits, dres-
sez-les sur nn plat , ôtez le bouquet , dégraissez bien votre sauce , ayez
soin qu'elle ne soit pas trop longue ; mettez votre ragoût par-dessus vos
pigeons , et servez.
G.. G.etB.
Min,
OB LB MOIS AGCiL&BATEUB.
Si , comme nous croyons l'avoir démontré , le mois
de mai est le mois le plus conciliateur de Tannée » il
nous sera tout aussi facile de prouver aujourd'hui que
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i65
Tépithète de mois accélérateur appartient tout aussi in-
contestablement à celui de juin, le seul qui participe
tout à la fois du printemps et de l'été.
Nous remarquerons d'abord que ce mois est l'un des
plus importans de l'année» parce que» selon sa tempéra-
ture , il confirme ou détruit les belles espérances que le
mois de mai donne presque toujours. On peut comparer
le mois demai à l'un de ces discoureurs agréables» dont la
langue dorée promet toujours monts et merveilles» et qui
plaisent d'autant plus généralement » qu'ils connaissent
et pratiquent l'art de flatter les passions et de faire naî-
tre l'espoir. Juin fait moins de fracas; il s'annonce arec
moins d'appareil; il travaille en ^lence» et d'une ma-
oière plus obscure; mais il tient dans ses mains la des-
tinée des gourmands » et l'on peut dire qu'il dispose
en souTerain maître de la gloire de nos tables » sur-
tout de celle de nos entremets et de nos desserts.
En effet , mai aura eu beau s'annoncer avec orgueil »
couTTÛT nos potagers et nos vergers de sa verdure écla-
tante» nous prodiguer le parfum de ses fleurs» et ré*
jouir nos yeux enchantés par leurs couleurs variées ;
c'est en vain qu'il aura enivré nos sens » et même qu'il
aura fait partager à nos âmes les plus douces émotions;
il n'en parviendra rien dans nos cuisines » pour peu que
juin se montre froid , sévè;re et récalcitrant. Alors ces
fleurs» nos plus chères espérances » tomberont» et avec
elles les fruits qu'elles recelaient dans leur sein. Ces
petits pois si délicats se flétriront dans leurs molles en-
veloppes ; il en sera de même des jolies petites fèves de
i64 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
marais, des haricoU verts » de Tartichaut au port ma-
jestueux , et de cette foule d'autres légumes , dont Ta-
bondance faft notre prospérité , que la nature nous pro-
digue à l'époque de l'année où le gibier est le plus rare,
où notre intérêt même nous fait un devoir de respecter
la volaille, et où nous éprouvons le moins de plaisir
à nous repattre de ces aloyaux succulens et de ces gigots
diluviens (i) que nous engloutirons avec tant de yo-
lopté , cet hiver, dans le^ cavités de ces estomacs éla-
borateurs que Dieu conserve pour la plus grande gloire
du premier des arts.
Le mois de juin est donc le pivot sur lequel roule en
quelque sorte toute l'année gourmande; car non seu-
lement il décide du sort des légumes et des fruits,
mais c'est aussi de lui que dépendent les pâturages et
les grains, et par conséquent la boucherie et la vallée.
Ce n'est que par une chaleur douce et tempérée , par
des pluies chaudes et intermittentes que la végétation
prospère dans ce mois , et communique à toutes les
productions de la terre cette sève vivifiante sans laquelle
rien ne croit , et qui mérite à ce mois plus qu'à tout
autre le nom d'accélérateur.
C'est au mois de juin que parait le coq vierge. Ce
(i) Pour qu'un g^t 8oU Traiment digne d'entrer dans le palais d'un
gourmand , il faut qu^après avoir été bien choisi et convenablemeot
mortifié , il ne fasse -qu*un très-court séjour à la broche , derant un feu
ardent qui le saisisse sans le dessécher : alors , dès qu*on en divise les
tranches , il rend une telle quantité de jus, qu'il en résulte sur la table
une Téritable inondation ; c'est ce qui a fait donner 4 ces indicil>fes
gigpts Tépithète de diluviens.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i65
jeune célibataire doit à sa continence un goût et un
parfum qui le distinguent émioemment de son oncle le
chapon , l'Abailard de nos basses- cours , qui a renoncé
malgré lui aux plus douces jouissances de ce bas-monde
pour accroître les nôtres. Le coq» qui serait dur, s'il n'é-
tait pas vierge , est » dans cet état , un manger d'autant
plus recherché , qu'il est puissamment aphrodisiaque.
C'est du pays de Caux que viennent les meilleurs ; on
les mange à la broche et simplement bardés; ce serait
les offenser que de les piquer» et les déshonorer que de les
mettre en ragoût ; mais ce rôti superhe et régénérateur
apparaît trop rarement sur nos tables » car un coq vierge
est presque aussi difficile à trouver qu'une rosière..
Mais ce ne sont pas seulement les gourmands que la-
température du mois de juin intéresse; les vinographes
en suivent les variations avec une attention peut-être plu»
grande encore. C'est dans ce mois que fleurit la vigne», et
cette fleur décide presque toujours du sort jde la ven->
dange.Si elle est belle» en grand nombre »el*'qu'ellese sou-^
tienne bien » le doux jus de la treille coulera à grands
flots de nos pressoirs dans nos celliers» et les régisseurs
des aides(i) partageront la joie des buveurs; à moins que
des pluies intempestives » ea faisant couler la vigne » ne
nous forcent tous de mettre de l'eau dans notre vin.
Mais cette calamité est heureusement très-rare.
C'est vers la fin de ce mois que les fraises et les ce-
cîses arrivent h Paris en assez grande abondance pour se
*
(i) Les préposés aux droits réunis.
]66 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
t'
trouver à la portée de presque tous les consommateurs.
Ou peut même assurer que ce n*est qu'à cette époque
qu'elles commencent à être réellement bonnes. N'en-
vions point aux riches fastueux l'ayantage des primeurs;
elles n'offrent dans tous les genres que des jouissances
insipides , et sont bien plus du ressort de la vanité que
de celui du goût. Tous ces phénomènes de serres chaudes
font une triste figure sur les tables aux yeux d'un gour-
mand. Les légumes etlesfruit,s précoces sont sans saveur,
sans couleur et sans parfum : on dirait que la nature se
venge de ce que l'art a prétendu faire croître sans son
secours , et pour ainsi dire malgré elle , les productions
de la terre. Le sot orgueil peut seul se réjouir de sem-
blables conquêtes; le vrai connaisseur s'en afflige, et
plaint l'homme vaniteux qui prodigue l'or et le fumier
pour servir des mets insipides^ Il est prouvé que les
pois sont beaucoup meilleurs à dix sous qu'à cent écus,
et les cerises et les fraises bien plus parfumées lors-
qu'elles abondent à la Halle que lorsqu'il faut les arra-
cher aux serres chaudes.
Laissons donc &ire le mois de juin ; il accélérera nos
jouissances sans les trop hâter; et celles qu'il nous pro-*
met seront d'autant plus vives , que nous ne les devrons
qu'à la nature.
G. Dt Li R. >
4
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 167
mns y ^^buu be f ^^tnonr.
ApBkft aToir dédié nos banquets au père de ia Joie et
à la mère des Amours , nous devons un hommage à For-
donnateur des festins célestes , au génie de ia cuisine , à
Cornus,
Ce dieu jouflu de la Mythologie ,
qui lui-même inspire la joie » nourrit l'amour, et rajeunit
le monde.
C'est le moins que nous puissions faire que de lui con-
sacrer l'un des douze mois de l'année ; et le mois de juin
que les anciens dévouaient à la jeunesse , est celui qui
convientà la jeunesse étemelle de ce dieu de tous les figes.
Jemius est juvenum qui fuit antésenum,
dit un vieux proverbe» lequel, pour être un calembourg,
n'en est pas moins un oracle infaillible et un précepte
de la Sagesse : cela veut dire: Jouissez dès la jeunesse
des plaisirs qu'on goûte encore dans l'âge mûr; buvez,
mangez , ayez des amis , ,et vous ne vieillirez point : com*
mencez en juin ce que vous pourrez faire encore en
décembre.
Cornus est véritablement le frère de l'Amour, n'en
déplaise aux céladons vivant d'air et d'eau fraîche. Nous
"siinions les vieux proverbes; et, plus doctes que San-
i68 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
cho y nobs les citons en latin , afin de désarmer la pé-
danterie de nos censeurs. Un proverbe dit que
Sin$ Cirert etBcuxho friget Venus.
Or^ sans Cornus, Cérès et Bacchus eux-mêmes n'au-
raient qu'une puissance bornée^et ne satisferaient qu'un
grossier besoin; c'est Cornus qui, par son habileté ,
exalte Tappétit jusqu'à l'enthousiasme , et change lascif
en volupté; c'est son art vraiment divin qui prolonge les
jouissances ». alimente le génie , ranime la galté , ins-
pire la tendresse: son influence est surtout nécessaire
au mois de juin, quand la fibre, relâchée par la tiédeur
de l'atmosphère, a besoin des secours toniques* que four^
nit un bon cuisinier contre les ardeurs de l'été , la di-
sette des substances alimentaires et la sécheresse* de la
saison.
Le mois de juin était aussi consacré à ^non chez les
Romains: c'est le temps des heureux mariages; car le
mois de mai a toujours été réputé de mauvais augure
pour l'oBuvre^jQi quoique Biogène , plaisant un peu ma-
lin, attribuât cette influence à toute l'année, on était gé-
néralement persuadé en Grèce que cela n'arrivait qu'aux
maris qui avaient eu ^imprudence d'allumer les flani-
beaux d'hyméoée en mai: Si les choses sont changées
de notre temps, nous ne devons rien en conclure con-
tre la fidélité des dames d'Athènes qu'on épousait en juin*
Il faut pourtant avouer que ce temps n'est pas le plus
propre à faire des noces , cérémonies essentielles du ma-
riage : on a biea encore les mêmes mets, la même viande
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 169
deboucberie, le même gibier, le même poisson; mais tout
cela se ressent de la régénération universelle qui s'opère.
Tandis que la tendresse conjugale attendrit les cœurs
des bestiaux et des oiseaux , leurs viandes deviennent
plus dures et moins savoureuses. Aux approcbes de l'été
le cercle des jouissances charnelles se rétrécit^ et le
gourmand , sage pupille de la Nature » se réduit alors aux
substances végétales.
Déjà la récolte des herbes potagères abonde : pois
vers , pois goulus , pois micbaux , pois carrés , fèves de
marais » cardes , poirée , artichauts 9 aspei^s , haricots
verts y choux- fleurs» laitue pommée » laitue romaine;
quelle variété I quelle saveur I La fraîcheur printanière
des plantes renouvelle restomac et le palais» et le&aro--
mates naissent pour ajouter de nouveaux dons à tant de
richesses. Le thym» la sauge» l'hysope» la sarriète» la
lavande» l'oignon » épices de* nos climats » luttent avec
«occès contre les plus actives productions de l'Inde
el du Japon.
La cerise» la groseille et la fraise pendent en innon>~
brables rubis » en topazes et en cornalines aux branches
des arbres» des arbustes et des plantes. Que peut- on
regretter quand on a ces trésors? N'est-ce pas pour nous
que la colombe couve» que la poule pond» que la vache
allaite» que te frai des poissons surnage au-dessus de l'a*
blme des mers ? Le maquereau , le plus estimé des hôtes
de la halle » ouvre encore ses flancs au beurre frais et
anxherbillettes; la raie se multiplie^ l'alose rivalise avec
le saumon; et l'écrevisse » la gloire des ruisseaux » qui
I70 LK GASTRONOME FRAiNÇAIS.
mérita de doaner son nom à Tun des tropiques » et de
présider au mois de juin , remplace sur nos tables les
huttres d'hiver avec autant d'honneur qu'elle siège au
zodiaque.
Gastebmann.
t$ ^^tttet^ c^amfHus.
Ce n'est point lorsque le soleil , en parcourant lea
signes brûlans du Lion ou de la Vierge » darde sur nous
ses rayons caniculaires, que l'on doit chercher à dire ces
parties de campagne dont un dîner est le but » et dont
une société bien choisie fait le principal ornement; Fex-
ces de la chaleur nuirait alors à la fin qu'on se propose
dans ces sortes d'agapes , celle de jouir de tous les agré>
mens de la promenade, et de goûter dans toute leur éten*
due les plaisirs champêtres , autant du moins que peut le
faire un habitant des villes qui ne s'en éloigne que rare -
ment et momentanément.
C'est précisément dans le mois où nous sommes , du
1*' au i5 de juin, que ces parties sont vraiment agréables
sous tous les rapports : plus tôt la verdure n'est point
encore entièrement développée; plus tard, elle commence
à jaunir : en ce moment elle est dans tout l'éclat de sa
beauté. Les feuilles , même celles des arbres les plus
tardifs, ont pris tout leur accroissement, et donnent une
ombre aussi fraîche qu'agréable; l'herbe, quia atteint
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 171
sa plus grande hauteur » ne vous offrira jamais un tapis
plus doux ni mieux fourni : la plupart des fleurs sont dans
tout leur éclat; et la rose, qui , comme Ton sait , est la
reine de toutes , ne sera jamais plus fraîche ni plus ver-
meille.
Saisissez donc arec empressement le mois de juin
pour vos dîners champêtres » vous qui , las d'être empri-
sonnés dans vos sombres demeures , et de ne respirer
pendant vos repas d'autre atmosphère que celle de la
cuisine « voulez renaître à la nature» et surtout à l'ap-
pétit, par un exercice sidutaire, et rafraîchir en quelque
sorte vos oi^anes blasés en humant ces émanations bien*
faisantes qui s'exhalent des végétaux dans cette saison ,
qui est vraiment celle du bonheur et de la volupté.
Mais pour jouir de tous ces avantages il ne suffit pas
de se iaire traîner dans une botte roulante » et presque
hermétiquement fermée , à quelques kilomètres de la
capitale; l'air de la banlieue est plus mal-sain encore
que celui de la grande ville , parce qu'il se compose de
ses plus putrides émanations, et qu'elle est en toute
saison le réceptacle de ses immondices les plus dégoû-
tantes ; d'ailleurs , voyager dans une voiture bien close ,
c'est moins changer d'air que changer de place; l'appétit,
le premier des biens d'ici-bas pour un gourmand, veut
être acheté par quelque peine , et mériterait de l'être par
les plus grands sacrifices. Le riche ne le connaît presque
jamais, parce qu'il ne lui donne point le temps de naître,
et qu'il ne fait rien pour le rappeler : s'il l'excite , c'est
par des moyens artificiels toujours préjudiciables à la
/
172 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
saDlé» et doDt la nature se venge lot ou tard pour nous
punir d'avoir entrepris sur ses droits en essayant de faire
son ouvrage. Ce n*est donc ni dans un bon caresse ,
ni aux portes de Paris qu'il faut aller Faire un dtner
champêtre; il est bon de s'en éloigner de trois ou quatre
lieues , et de faire la route à pied » ou tout au moins à
cheval. Les dames seules et les provisions auront la per-
mission de s'y rendre en voiture.
Nous disons les provisions , parce que nous ne sau-
rions donner le nom de dtner champêtre h celui qu'on
va faire dans un cabaret » ou même dans la maison de
campagne d'un ami , ^oi^^ 1^ ^^H® ^ manger , souvent
reléguée dans l'endroit le plus obscur et le plus retiré
de l'habitation , vous laisse douter si vous avez quitté
la ville.
Un véritable dtner champêtre doit se faire on plein
air; n'avoir d'autre table que le tapis^ d'une riche ver-
dure, d'autre siège que le gazon» d'autre abri que les
arbres qui unissent leurs rameaux verdoyans , non pour
vous priver de la lumière » mais pour vous garantir des
feux brûlans du soleil.
C'est donc au milieu d'une forêt ou d'un bois bien
touffu que sera le chef-lieu du festin. Tout y sera ap-
porté dans de vastes corbeilles; ce qui suppose un dtner
froid 9 mais que le feu du bon vin » des saillies aimables
et des couplets erotiques ne tarderont point à réchauf-
fer; et ce ne sera pas cependant de celui-ci quW
pourra dire
Qu'un dîner réchauffé ne valut jamais rien.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 175
Le feu de l'enjouement » de Fesprit et des grâces sait
s'allier à tout , et rendre exquise la plus médiocre chère.
Ne comptons cependant pas trop sur lui » et faisons
d'avance des provisions abondantes et bien choisies ;
que les pâtés froids de jambon et de volaille» les galan-
tines de toutes les espèces, les langues fourrées et à
l'écarlate , les jambons en nature ot les daubes , les fri -
cassées de poulet dans un pain , toutes les pâtisseries
d'entremets et de dessert susceptibles d'être emballées
sans risque; que le vin généreux du Rhône» de Bour-
gogne, de Bordeaux et du Roussillon; que celui de
Champagne , qui donne de l'esprit aux plus timides et
de l'amour aux plus indifférons; que le bienfaisant Moka
qui facilite les digestions les plus laborieuses , et que dix
flacons des meilleures liqueurs » digestif plus puissant
encore » etc. , etc. , arrivent avec les convives sur le lieu
du festin , et soient incontinent livrés à leur strident ap-
pétit* La galté ne tardera point à les suivre; les propos
aimables naîtront de la réunion de tant de succulens
comestibles; et je ne voudrais pas même répondre qu'il
ne s'ensuivit de très-tendres déclarations» etc.» etc.
Un petit bal » dont la folie fera tous les frais » succé-
dera au festin présidé par la simple nature ; et chacun
regagnera sa retraite encore tout rempli du sentiment
de son bonheur» s'estimant heureux d'avoir si joyeuse-
ment satisfait son appétit » et dans la ferme résolution
de profiter de la durée du mois de juin pour faire encore
plus d'un dîner champêtre.
G. D. L. R.
174 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
ectttn ûtmtnUirts.
Jusqu'à ce jour nous n'avons donné que des recettes
simples et faciles à l'usage de tous les ménages; les pro-
cédés compliqués ne peuvent être exécutais que par des
artistes , et ceux-ci n'ont pas besoin de leçons , les gar-
nitures de ragoûts» les sauces savantes dont s'enor-
gueillissent les tables opulentes ne peuvent guère s'ensei-
gner par théorie ; elles exigent un praticien consommé.
Nous continuerons donc à donner des conseils faciles
à suivre» et d'une application universelle. La propa-
gation des lumières est , après le dîner » le plus doux de
nos soins.
Les nouveautés particulières au mois de juin sont» en
volaille et gibier » le poulet » le lapereau et la caille
verte , qui se partagent le sceptre ; en poisson , le
règne des maquereaux est à* l'apogée de sa gloire ; en
légumes » les petits pois cessent vers la mi- juin de par-
tager l'empire avec les asperges : ils brillent suivis de
l'escorte nombreuse des haricots verts » choux-fleurs et
salades de toute espèce ; en fruits , les fraises devançant
la famille des fruits rouges p admettent à leur cour la
groseille et la cerise précoce.
Si dans ce mois les cailles vertes et les lapereaux sont
d'une grande ressource pour le rôti» ils ne le sont pas
moins pour les entrées. La caille se met au gratin » en
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 175
caisse , en pâté chaud , en sauté aux choux noureaux , etc.
Le lapereau se met en caisse , en pâté chaud , à la minute ,
en sauté au vin de Champagne , ou à la poulette. Les
filets de lapereau se prêtent également à une infinité de
métamorphoses : on les sert en entier piqués de lard ou
de truffes; on en feit des escalopes et des sautés. Avec
les chairs des cuisses on fait des quenelles , que l'on peut
servir au fumet de lapereau , au velouté» à l'espagnole , etc.
On ne met le lapereau en gibelotte que lorsqu'il est plus
que detni , c'est-à-dire vers le i5 juin. Nous allons don-
ner k recette pour préparer dignement ce ragoût.
GIB£LOTTS DE LAPEREAUX.
«
Prenez deaz lapereaux , et lorsqu'ils seront dépouillés et vidés, cou-
pez-les en morceaoz d'égale grosseur, afin qu'ils puissent bien cuire en
même temps ; mettez ensuite dans une casserole un bon morceau de
beurre , une cuillerée et demie de farine , et faites on roux ; lorsqu'il
commencera k devenir blond, jetez -y une demi -livre de petit -lard
coupé en dés ; remuez fortement l'un et l'autre jusqu'à ce que le tout
soit très-blond; mettez -y vos morceaux de lapereau pour les faire bien
revenir ; mouillez votre ragoût avec deux tiers de vin blanc et un tiers
de booîUoo 9 en remuant toujours jusqu'à ce qu'il bouille ; ajoutez k cela
des champignons entiers, un bouquet garni de persil , de ciboules, une
demi-feuille de laurier, nn peu de thym et trois clous de girofle. Faites
cviie ce ragoût sur un feu un peu vif; (mettez-y trés-peu de sel et un
peu de poivre), et lorsqu'il sera aux deux tiers cuit^ ajoutez-y une
moyenne anguille , coupée en six on sept tronçons, auxquels vous mê-
lerez une vingtaine de petits oignons que vous aurez préalablement
paaaés dans du beurre ^ Lorsque le tout sera cuit, dégraissez bien la
ssuce, eo ayant soin de ne la laisser ni trop longue ni trop liée.
Voyez si l'assaisonnement est bon ; retirez te bouquet , arrangez bien
n
176 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
T08 morceaux de lapereau et d'anguille sur au pbt » versex votre ra-
goût par-dessus » et servez bieu chaud.
PBTI9 POIS À LA. CnÊMB.
Prenez un litre et demi de petits pois bien fins , mettez-les dans de
Teau avec un bon morceau de beurre , pétrissez-les ensemble avec les
mains, jetez-les ensuite dans une passoire pour les égoutter; lorsqulls
seront bien égouttés, mettez-les dans une casserole. Ayez un fourneau
bien vif, passez vos pois , en ayant soin de les sauter souvent ; mettez-j
un peu de sel 9 un peu de sucre si vous voulez, et un bouquet de persil
et de ciboules ; mouillez-les avec de Teau bouillante , et faites-les cuire
à grand feu ; lorsqu'il n*y aura presque plus de mouillement 9 faites une
liaison de quatre jaunes d'œufs frais; délayez-les avec de la bonne
crème : liez vos pois , et servez-les.
G., C et B.
FILETS DE MAQUEREAUX AUX FINES HERBES.
Les maquereaux , «l'un des plus doux présens que la nature nous fasse
pendant les mois de mai et de juin ^ s'apprêtent de diverses manières ;
à l'anglaise , à l'espagnole , à la genevoise, glacés , bardés à la broche ,
h la braise , à la provençale , en hatelettes , à la flamande , en caisse , à
la Périgord , en fricandeau , et même en papillotes. Mais on a recoaou
que ces divers assaisonnemens n'ajoutaient rien à la bonté d'un pou-
son qui peut se passer d'ornemens étrangers , et l'on a fini par y renon-
cer ; en sorte que ce n'est plus qu'à la mattre-d'hôtel, c'est-à-dire fendus
par le dos et cuits sur le gril , avec un bon morceau de beurre frais ,
manié de fines herbes , que les maquereaux se présentent aujourd'hui
dans les maisons les plus opulentes ; ils y sont toujours reçus à bras ou-
verts.
Mais si le maquereau , dans son entier, n'a pas besoin de parure, il
n'en est pas de même de ses filets, et nous pensons qu'on ne sera pas
fâché de trouver ici une façon peu connue de les faire paraître avec
avantage sur une table distinguée.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 177
Vous commencez par l'es faire cuire à moitié dans aoe casserole avec
du bouillon , un demi-verre de vin de Champagne et un peu d'excel-
lente huile d'olive ; ensuite vous les mettez daos un plat avec du beurre
manié de persil , ciboules , échalotes , se! , poivre , et un peu de mus-
cade ; mettez vos filets dessus , et remettez encore par-dessus du même
appareil. Couvrez le plat , et le posez sur des cendres chaudes pendant
dix-huit minutes; ensuite égoottcz le beurre, et mettez-y un peu de
blond de veau ; faites mijoter pendant quelque temps , et n'oubliez pas,
en serrant , l'expression d'un jus d'orange , dont l'acide bénin s'accom-
mode très-bien avec le caractère naturellement doux et flexible du ma-
qnereaET.
Ce petit ragoût , fait avec soin , et peu dispendieux, oifre, dans cette
saison , une excellente entrée d'une confection facile.
RISSOLES DE FILETS DE MAQUEREAU.
licvez d'abord les filets proprement, et les coupez en morceaux de la
largeur du pouce; faites-les ensuite mariner avec jus de citron, sel,
poivre , un peu de bon bouillon ; faites-les égoutter et frire ensuite avec
ane pâte à vin dans de bon sain-doux.
Cette préparation forme un joli bors-d'cèuvre , et pourrait même, au
besoin , figurer comme entremets.
EIlTRElIfiTS DE PETITS POIS.
Les petits pois sont, sans contredit, le meilleur de tous les légumes
4]ni se mangent à Paris ; et c'est surtout leur présence qui rend le mois
de juin , où ils sont dans toute leur bonté , vraiment cher aux gour-
mands. Ils servent d^accompagnement dans un grand nombre d'entrées^
et relèvent singulièrement le prix des viandes et des volatiles qu'on fait
cuire avec eux. Mais c'est à l'entremets qu'est leur plus beau triomphe ;
et ils raient tant par eux-mêmes , que c'est lorsqu'ils paraissent seuls
qn^s sont reçus avec le plus de reconnaissance.
Nous avons déjà vu dans cet ouvrage qu'un plat de petits pois sans
faute suffisait pour établir la réputation d'un grand cuisinier. Beau-
12
178 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
coop ont voulu raffiner dans leur préparation, et se soat fonnroyès. Oa
pourrait dire des pois comme des femmes vraiment belles :
L'art ii*est pM fiût poor bux , iU ii*en ont pas beioiii.
Ge ^^U y a de sûr au moins , c'est que la bonté de cet entremets dé-
pend bien moins de ce qu'on j fait entrer que du soin qu'on apporte
dans sa confection 9 et c'est ce qui fait qu^il est A rarement parfait. Ua
grand artiste no veut point se captiver pour un simple plat de légume»,
et voilà le mal. La recette que nous allons donner est des plus aimpks,
mais il n'en faut pas moins être fort babile pour la bien mettre en
oeuvre.
Nous observerons d'abord que les premiers pois qui paraissent ne ioai
pas les meilleurs. Les pois carrés , ou à la grosse cosse , sont exceilens,
et c'est ceux-là qu'il faut cboisir. Dès qu'ils sont cueillis il faut les em-
ployer. Étant lavés et égouttés , vous les mettez dans une casserole avec
d'excellent beurre « un peu de sel , deux ou trois petits cœurs de laitues,
un bouquet de persil et ciboules , dans lequel vous insérez un peu de
sarriette et deux clous de girofle. Faites-les cuire sur des cendres chao-
des bien couvertes» en les remuant de temps en temps sans les mouiller.
Lorsqu'ils sont presque cuits vous les goOitez , et remettez la moiiié
d'un pain de beurre manié dans de la farine ; lorsqu'ils sont tout à fait
cuits vous les servez avec une très-courte sauce.
Cette manière est la seule pour manger les pois dans leur sue» et pour
leur conserver parfaitement leur goût. Elle est très-simple; mais c'est
«ette simplicité même qui en fait la difficulté. Nous osons croire cepen-
dant que les artistes qui , mettant leur amour -propre de côté , ne s'é-
carteront point de cette formule , réassiront à nous servir des petits poû
dans to6te leur «ucculence et dans tonte leur bonté. O tttinam!
G. D. L. R.
FBAISB8 A LA CB^OLB.
Dans des fraises bien mûres et bien sucrées versez quelques gouim
de jus de citron , et remuez-les bien : vous leur donnerez par cette ad-
dition le goût de l'ananas , n vous n'avez mis que la quantité faste de
citron pour modifier le goût des fraises sans que l'acide domine.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 179
FAAISBS ALCOHOLISÉBS.
Après aToir roulé dans le sucre la quantité de fraûes que l'on veut
manger, on en écrate légèrement une petite .portion , on verse dessus
une cuillerée & café de bonne eau-de-vie : on mêle le tout avec soin jusqu'à
ce que le sucre paraisse fondu; on n'ajoute ni vin ni eau. L'eau-de-vir,
qui ne doit pas se sentir si l'on a bien observé les proportions, a la pro-
priété d'exalter le parfum des fraises , et de leur donner la saveur la j>lu8
agréable.
MOYEN DB BOIRE FRAIS EN £t£.
Quand le gastronome , assis au mois de décembre près d'un bon feu^
voit le vent du nord geler les fleuves et les rivières , il donne sans doute
quelques Urmes de pitié aux maux que souffre l'indigence; mais il ne peut
s'empêcher de penser an plaisir qu^il aura àe boire frais au mois d'Au-
guste , lorsque le brCdant Sjrius le forcera de puiser dans une glacière
l'écorce diaphane des eaux. Si l'biver^ au contraire, s'est emparé de
l'a me dn Terseau, et n'a répandu sur la France que des pluies malfai^
santés et de sombies brouillards , «1 se rappelle le vers de Boileau :
Point déglace, bon dieu ! dans le fort de Télé !
Il frémit : et, suppliant M. Oxigénius (i) de venir à son secours, il en
reçoit la réponse suivante :
« 11 y a peu d'exemples qu'un hiver ait été assez doux pour ne pas of-
frir quatre ou cinq jours de gelée. Si l'on ne peut amasser assez déglace
pour emplir une glacière , ou si la dépense effraie , on peut au moins en
emplir un tonneau , et M. Gadet^de-Vaux nous a appris à la conserver.
Ayez deux tonneaux dont l'un pmsse entrer dans l'autre , de manière k
laisser entre les douves du petit et celles du plus grand un intervalle de
trots ponces en tous sens; remplissez cet intervalle avec du charbon
grossièrement pilé et foulé ; mettez ensuite votre glace dans l'intérieur,
couvrez la de six pouces de charbon^ mettez par-dessus de la paille , et
enterrez le tout dans une cave ; vous retrouverez votre glace entière a«
I
(i) Nom d'un chimiste.
i8o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
moû de juillet ou d'août. Cette glacière économique peut servir les
années suivantes en ne renouvelant que le charbon de dessus.
» Mais si une imprévoyance naturelle a fait négliger ces moyens , et
vous laisse au dépourvu dans Tété , la chimie et la physique vous otTrent
plusieurs procédés pour produire un froid artificiel. A l'exemple des
Egyptiens et des Espagnols, mettez votre eau dansées vases poreux qu'on
nomme alcaraxas (i) ; exposez-les au soleil; une partie de l'eau suinte
au travers des pores , et s'évapore à la surface ; or , toute évaporalitio
produit du froid. Si vous n'êtes pas à portée de vous procurer des alca-
razas, enveloppez une cruche avec un peu d'étoupe ou de filasse
recouverte d'une toile grossière; mouillez cette enveloppe , et exposez
la cruche au soleil le plus ardent, et mieux encore à un courant d'air
chaud : l'eau qu'elle contiendra se refroidira d'autant plus que réva-
poration sera plus rapide ; mais aussitôt que l'enveloppe paraîtra sécher
il faudra la mouiller de nouveau.
» Enfin , si vous êtes voisin d'un chimiste, demandez-lui du murialt
de chaux ; ce sel est fort bon marché. Versez sur une livre de ce muriate
trois pintes d eau légèrement acidulée avec un peud'aoide nitrique (ean-
forte) ; vous obtiendrez en peu de minutes un froid assez considérable :
plongez dans ce mélange au moment de l'opération les v:kses qui con-
tiennent l'eau , le vin , ou les liqueurs que vous voulez boire (a). Qu.iDd
on peut se procurer un peu de glace pilée , le muriate de chaux em-
ployé avec elle, comme nous venons de le dire, peut refroidir une
quantité beaucoup plus considérable d'eau que ne ferait la glace seule :
on peut même obtenir un froid de trente -trois à trente-quatre degrés t
terme où cesse la liquidité du mercure.
VI. JLl. Vjm
(i) M. Foormy, manufacturier de Paris, rue de la Pépinièie, en Ta-
brique d'aussi parfaits que ceux d'Egypte.
(a) Voyez pour de plus grands détails l'article froid artificiel dans le
Dictionnaire de chimie de M. Cadet de Gassicourt.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 181
3uHUl
LE MOIS VERMEIL OU LES FRUITS ROUGES.
Nous aurions pu célébrer plutôt les Fruits rouges , car
nous en mangeons depuis un mois. Rival de juillet pour
les jouissances qu'il procure , juin peut encore reven-
diquer le droit de priorité; mais nous sommes fidèles aux
maximes gourmandes au nombre desquelles se distingue
cet axiome :
Mtendons que le fruit soit muret la viande faite ;
et pour ne donner au lecteur que des principes bien di-
gérés , nous triturons long-temps nos leçons avant de les
lui ojflTrir.
Nous n'en sommes pas pour cela moins amoureux des
prémices. De même que nous faisons un gracieux ac-
cueil au coq vierge de Caux et au cochon de lait» de
même nous aimons à manger des pois verts en Carême
et des fraises à la Pentecôte. Les artistes illustres qui hâ-
tent la maturité, ou conservent la saveur des fruits au-
delà des termes assignés par la saison , ont droit à nos
hommages , et sont assurés de notre reconnaissance.
Mais en rcfndant justice aux miracles de Tartinons
n'en sommes pas moins fidèles à la nature. Les fruits
que la rosée de mai a fait éclorc , qui ont pompé à loisir
i82 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
les rayons du soleil de juin^ qu'un air libre a pénétrés ,
que Taurore a trempés de ses larmes fécondes; ces fruits»
dià-je» sont autant au-dessus des plus beaux enfans de
la serre, que la poularde du Maine l'emporte sur le poulet
étique de la Champagne pouilleuse.
C'est en juillet que les Fruits rouges orit acquis tout
leur éclat et leur goût; et ce mois mérite éminemment
le nom de FermeU que lui envie le mois de Flore, dont
les productions», plus variées, par les couleurs, sont d'un
prix bien moins cher aux Gourmands.
L'éclat des plus belles fleurs cède à l'incarnai des
Fruits rouges; ils sont sans doute la plus belle parure
des vergers. Leur abondance est miraculeuse : le prome-
neur matinal voit de toutes parts des rubis , du corail et
des roses. II sait que cet éclat n'est point frivole , et que
ces innombrables globes de pourpre sont autant dégout-
tes de nectar : ils invitent les lèvres à les presser; l'œîl
les dévore et les pompe; la main palpite en les cueillant»
et le cœur les compare à touti ce qui feit ses délices.
Qu'on parcoure dans un beau jour de juillet la vallée
de Montmorency ; ne diraitrctn pas que le dieu des jar-
dins, en robe rouge , vient de se lever pour une solen-
nité, ou que Pomone, encore vierge, rougit à. soi^ as-
pect , et déploie sur tous ses charmes un voile de pour
pre et de rubis ? Ce mois est celui de leurs noces : ils
sont encore amans; plus tard, hélas ! i)s ne seront plu»
qu'époux !
La cerise est le premier fruit qui éveille l'instinct gour-
mand de l'enfance. Son coloris légèrement njiiancé , son.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ]83
velouté , «a rondeur parfaite , son incomparable saveur
ciMirment à la fois la vue , le toucher et le goût , la curio*
site et l'appétit. Vermeille comme les lèvres d'Hébé ,
elle sert de comparaison aux attraits les plus piquans et
les plus frais.
La fraise qui rappelle des charmes plus mystérieux» et
dont le nom imita tif exprime une succion délicieuse; la
Cniêe, faa&kante des bois» cachée comme la violette dans
des touffes de feuillage » avertit comme elle celui qui la
cherche » par ses émanations parfumées , et trahit par sa
beauté son humble et charmante retraite. Telle qu'une
vierge timide elle se défend contre la main qui la pro-
fane : il feut l'arracher de sa tige , qui souvent la suit jus-
que sur la table » ob , baignée dans des flots de bit ou de
Champagne, elle s'abreuve d'une liqueur plus douce que
la rosée.
Heureux qui peut unir à la fraise sucrée la framboise
sa sc&ur» dont le goût, légèrement acidulé» corrige la
crudité un peu froide de son aînée l.
La fraise et la framboise naissent des -gouttes d'am*
broisie qui tombent du ciel avec les pluies tièdes et bal-
samiques du printemps.
La groseille transparente» semblable aux rubis des
mers orientales » dispute aux autres fruits rouges l'em-
pire du septième mois de l'année. Ce bijou » détaché du
doigt d'Esculape » le jour qu'il fut frappé de la foudre »
est resté sur la terre pour la santé autaqt que pour le
plaisir de ses habitans. Son acide est employé pour ra-
nimer l'appétit des mirlades » et combattre » sans les fa-
i84 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
tiguer» le feu dévorant de leurs entrailles. En sirops,
en conGtures , en liqueurs , sous mille formes agréables»
la groseille trayerse tous les hivers » et se présente tou-
jours plus salutaire aux palais avides qu'elle chatouille
délicieusement.
Parlerai-je du cassis à la couleur d'ébène , ce frère de
la groseille^ tributaire comme elle d'Hippocrate et de
Gomus? mais j'aurais dû célébrer aussi la famille de k
cerise » la guigne douce , la merise amëre , et le ferme
bigareau. Nous ne voulons pas anticiper sur les plaisirs
de l'amateur en les analysant. Qu'il parcoure les vallées,
les bois et les jardins ; mais surtout , s'il veut choisir et
jouir , qu'il fréquente la halle : c'est là que s'entassent
tous les matins , et surtout les mercredis et samedis , les
trésors de Pomone et de Gomus.
Il y trouvera des cerises et des gigots , des fraises de
bois et des fraises de veau » àes groseilles et des chapons,
des framboises et des maquereaux, des La haiJe est
le jardin d'Eden , le palais de Gocagne ^ le Pérou des
gourmands I...
Gastebvann.
■ . j
oé, ^^rtfmrcÇebes ^^tjtieron^
Lb mois de juillet , qui est sous le signe du Lion , est
ordinairement le plus chaud de l'année. Il fut d'abord ^
nommé Quintilis à Rome , parce qu'il était le cinquième
LE GASTRONOME FRANÇAIS. i85
de l'année martiale. Marc- Antoine, pendant son consulat,
lui donna le nom de Jules , parce que c'était dans ce
mois qu'était né le premier des Césars : ce nom lui est
resté , et de JuUus on a fait Juillet.
C'est dans ce mois que l'on commence à jouir des
produits de la culture; les champs se dorent , Tes fruits
jaunissent, et tous les produits de la nature se déve-
loppent; on coupe l'avoine et les foins : il est juste que
la terre rende d'abord ce qui doit servir h la nourriture
des animaux qu'on emploie à l'agriculture , et de ceux
qui doivent s'engraisser pour la cuisine .
Ce n'est pas encore le mois de Cérès et de Bacchus,
mais c'est celui où l'on prépare leur triomphe : on élague
les herbes parasites, on soigne et l'on arrose les trésors
de Pomone , on bine les vignes , et les vignerons me-
surent leurs travaux sur l'abondance que leur prescience
calcule à cette époque.
C'est donc avec quelque justice que nous dédions ce
mois à Naéj le premier qui cultiva la vigne , et qui en-
seigna l'art de la rendre féconde.
Ce patriarche ne fut pas un ivrogne , quelque con-
jecture maligne qu'on puisse tirer de l'aventure qui lui fit
maudire un de ses enfans; il fut un des bienfaiteurs du
genre humain, et la postérité lui a expédié un brevet
d'invention pour son heureuse découverte. S'il fit sur
lui-même la première épreuve des dangers de l'ivresse,
c'est un service de plus qu'il rendit aux buveurs en leur
marquant l'écueil. II est bien plus connu par le soin
qu'il prit de cultiver la vigne et de la faire multiplier
i86 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
que par le plaisir qu'il eut d'en boire le jus délicieux.
S'il s'enivra un jour de trop grande chaleur , cela prouve
que le saint homme n'était pas si fâcheux que certain
critique qui se prétend sobre , et qui , au lieu de se ra-
fraîchir à table avec de bons amis pendant les ardeurs
do juillet» s'échauffe encore et s'enroue h nous injurier
gratuitement (i)«
Il devrait y avoir en juillet une fôte en l'honneur des
dindons; c'est à cette époque qu'ils arrivèrent des Indes :
ils furent reçus comme des naturels du pays , et sont
depuis C6 temps honorablement placés à la tête des yo-
lailles de nos bfisses-cours. (/^. le mois de novembre).
C'est en juillet surtout que l'on doit apprécier l'im-
portance des découvertes du génie culinaire. La riande
de boucherie , sans les ressources de la science , pré-
senterait bien peu d'appas; mais préparée par un artiste
habile 9 elle plaît encore » çonxmeces coquettes fardées,
dont l'éclat des bougies dissimule l'artifice.
Le lait encore sur les lèvres , le digne neveu du bœuf,
le veau de Pontoise a cependant déjà acquis un certain
mérite. Il peut , quoique bien jeune encore , risquer son
entrée dans le monde.
On voit alors paraître , sur- un lit de feuilles de vigne »
les premiers abricots; les melons et les cerneaux sont
aussi dans leur primeur.
(i) C'était Geoffroy et ua rédactear du Jounuit de Paris , qui^ de-
^uis, a bu, mangé et chaoté avec nous. Ce qui prouve que
Los esprits doul on nous fait peur»
Sont les meilleures gens du monde.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 187
Juillet ramène avec lui une de nos plus chères amies >
Faimable et lascive caille. Nul rôti n'est plus recherché
dans cette saison , aucun en eJDTet ne mérite de Tétre da-
vantage. La caille est la personne du monde la plus déli-
cate et la plus volage : comme l'occasion , il feut la saisir
au passage ; les plaisirs qu'elle procure sont bien vifs» mais
trop courts. Dès le mois de septembre, ce délicieu^L volatil
quitte nos climats, et» saluant de ses adieux nos vignobles
vendangés , va porter ses charmes et sa graisse sur des
bords plus heureux.
Les lai^ereaux , les perdreaux > les levrauts, la caille
etTortelan annoncent le gibier nouveau; ces mets esti-
més ne paraissent qu'accompagnés de tout ce que la
nature produit de plus délicat en légumes , viandes de
boucherie et fruits précoces; c'est dire assez qu'en
juillet le gourmand 4^ bonne foi n'est pas plus malheu-
reux que dans tout le reste de l'année.
Gastebmann.
L'oBiGiNB du melon est assez incertaine ; mais qu'im-
porte d'où viennent les gens , pourvu qu'on les mange ,
dirait quelque gourmand brutal et peu délicat sur le choix
de ses mets comme sur celui de ses convives ; pour nous,
qui aimons à savoir ce que nous mangeons , nous avoue-
rons que c'est avec regret que nous nous sommés livrés
i88 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
sur ce grave sujet aux plus inuliies élucubra lions. Fui-
il apporlé d'Asie par l'un des Scipion , comme le ceri-
sier Ta vaitélé par Lucullus, qui, vainqueur de Milhridate»
se plut à en orner son entrée triomphale en mêlant son
feuillage à celui des lauriers qui ombrageaient son front?
L'autre Scipion, son frère, le conquit-il sur l'Afrique pour
en enrichir ses beaux jardins de Linterne ? L'histoire , si
prolixe sur tant de faits moins intéressans , se tait sur
celui-ci , et la reconnaissance des amateurs du melon
pour celui qui l'a naturalisé en Europe^ ne peut attein-
dre ce bienfaiteur anonyme. Au reste , ce présent déli-
cieux n'a pu nous être apporté que d'un climat embrasé,
à en juger par sa chair qui est une aggrégation de vési-
cules remplies d'une eau sucrée et aromatique. Ce
fruit délicat et très -varié tient plus que son aspect ne
promet : semblable aux dernières classes de la société»
s'il rampe c'est pour être utile , et , sous une écorcc
épaisse et raboteuse, il recèle le oœurleplus tendre; on
l'emarquera même, que semblable aux bourrus bien-
faisans, il est d'autant meilleur, que son extérieur est
plus rugueux , inégal et repoussant; sa racine est fibreuse
et branchue, ses tiges sont longues, sarmentcuses, tra-
çantes , rudes au toucher ; ses feuilles 'sont alternes »
lanugineuses , plus petites et moins anguleuses que celles
du concombre , planle de la même famille. Les fleurs
sont mâles et femelles; les femelles sont remplacées
par des fruits très -variés en forme , en grosseur, en
couleur et en saveur; ils sont ordinairement ou ronds ,
on ovoïdes, à surface unie ou brodée, ou à côles, blancs ,
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ,89
jaunes ou verts ; l'éçorce est épaisse et dure : elle recou-
vre une pulpe blanche , verte , orangée ou rouge , ten-
dre, succulente, fondante, d'un parfum suave et quel-
quefois ambré ,
« Et rien que d*en parler Teau m'en vient à la bouche ! »
Au centre est une moelle neigeuse, frangée, odorante,
contenant dans ses cellules , disposées circulairement,
plusieurs semences dont l'amende , employée dans les
émulsions , est éminemment rafraîchissante et diuréti-
que. Elle entrait dans les chastes prescriptions ordonnées
aux pieuses filles qui demandaient h la médecine le secret
de les débarrasser de leur excès de santé ; les méchans
disent que c'est celui de tous qu'elle a le mieux conservé
envers et contre tous.
Ce fruit est très- sain dans les années d'une tempéra-
ture ardente : on le mange avec le sel ou le sucre;
quelques' personnes le saupoudrent de poivre, d'autres
l'arrosent de vinaigre; dans quelques pays on le sert au
dessert; il vaut mieux le manger avec le bouilli , parce
que la fermentation des alimens décide sa facile diges-
tion , et l'on fait bien de le couvrir d'un verre de vin
généreux et méridional. Dire que l'excès en est dange-
reux est une naïveté , car tout excès par lui - même est
nuisible; mais cet excès est très-relatif, et nous avons
connu de très mauvais estomacs qui mangeaient très
impunément de très-hautes doses de ce fruit trop ca
lomnié. En effet , sa fraîcheur, sa saveur , tout indique
igo LE GASTRONOME FRANÇAIS.
qu'il est tonique » et doit eoufenir surtout aux estomacs
qui ont plus besoin d'être nourris et lubréCés qu'irrités
et lestés. Le vin vieux et pur est, au reste , le moyen
digestif le plus sûr à employer si ce fruit cause des
pesanteurs; et nous trouverons peu de rebelles à cette
prescription qui nous a été révélée par un des plus fer-
vens pontifes du dieu de Naxos. Ceux qui veulent faire
à la médecine honneur de toutes les guérisons pourront
assurer le succès de cette recette par quelques prises
de bon quinquina , ou quelques grains de cachou , et
un régime sobre » mais animal.
On confit les très- jeunes melons au vinaigre comme
les cornichons , et ils sont bien préférables; maisia plus
docte manière de les conserver est, sans contredit» de
piquer de canelle et de clous de girofle la chair de ce
fruit» dépouillé de son écorce » et de le jeter dans le sucre
et le vinaigre; c'est une compotte à la fois salubre, dé-
licieuse » et de garde. Les chats sont très-friands de me-
lons , dit Polygraphe dans son traité de la Gourmandise
comparée; et nous lisons dans Homère qu'Andromaque
nourrissait décotes de melon les chevaux d'Hector.
Nous n'établirons point la longue nomenclature des
melons » depuis le melon petit-maitre au pourpoint bro>
dé» à la queue verte» au teint vineux» an parfum mus-
qué » jusqu'au melon campagnard rond et simple comme
les bonnes gens qui le cultivent. Le Hasard » père des
mariages » a produit les diverses familles du melon par le
mélange des poussières fécondantes des genres origi*
naires qu'on peut rapporter à six » et offre un argument
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 191
de plus auK intrépides défenseurs de Tégalité des cou -
diiions* Ces six chefs de souche sont : le melon maraî-
cher^ gros» rond» sucré» rouge et ferme; le melon de
tours y dont il y a trois espèces » gros » long et petit : ils
sont tous trois fermes» succulens et pleins d'eau; on les
appelle aussi sucrins: le melon des carmes; il est gros
et long» originaire de Saumur» à très-petites côtes; son
écorce jaunit et avertit de sa maturité , qu'il ne faut pas
attendre pour le manger bon: le melon de H on fleur;
c'est le plus gros des longs» comme celui de Goulommiers
est le mamoulh des ronds : il est semé de petites galles
sur un^ondyert; il pèse jusqu'à quarante livres» et il se
vend au Havre par tranches : le melon de Malte; il
est k chair blanche ou rouge » mais toujours d'une sa-
veur sucrée et aromatisée; on l'appelle aussi melon de
Candie ; cf'est celui d'Avignon » et il a dans ces climats
un œil verdâtre : enfin le Cantaloup , ainsi nommé de
Cantalupi, village près de Rome» où il a été apporté
d'Arménie; sa chair est savoureuse » rougeâtre (1) » par-
fumée» et d'une facile digestion : c'est celui dont les Nor-
mands et les Hollandais préfèrent la culture*
Après les grandes chaleurs les melons sont indigestes
et proscrits avec raison par les lois de Cornus » l'hygiène
et la police » parce que le soleil expirant n'a pas fini l'é-
ducsilion de ces enfans posthumes de l'été.
Le choix d'un melon n'est pas chose facile» et l'on a
(i) On senrit uo jour chez mademoiselle Arnoald ua melon : • Il
est bien pMe , dit un conTive. — C'est qu'il relève de couche y dit ma-
demoiselle Arnould qui s'y coonaissaît » .
,9^ LE GASTRONOME FRANÇAIS.
dit , en faisant allusion h la difficulté de les rencontrer
bons et de les garder pour l'usage : On peut trouver une
maîtresse et garder un ami; il est difjp,ciU de trouver un
ami et de garder une maîtresse. Mermet, poète et gour-
mand apparemment , avait dit autrefois :
Les amis à l'heure présente
Ont le naturel du melon;
Il faut en éprouver cinquante
Avant que d'en trouver un bon.
Le docteur mahie de sàint-vesin.
^ti ^^ittbon^au et bu [^itSanefon,
(«Plus nous avançons dans rélé,» dit notre grand
expert, M. G. D. L. , dans la première année de son
Almanach des Gourmands , «et plus nous parcourons
» une saison ingrate pour la bonne chère; car l'homme ,
«véritablement digne du titre de gourmand, ne regarde
» guère les légumes et les fruits que comme des moyens
»de se récurer les dents et de se rafraîchir la bouche, et
»non comme des productions capables d'alimenter un
«strident appétit: aussi prend-il moins d'intérêt à la
» végétation des potagers et des vergers , qui commencent
>*à se couvrir de trésors , qu'à la croissance rapide des
«lapereaux, perdreaux, levrauts , et autre succulent
«gibier. Il voit avec plus de plaisir encore le veau de
«Pontoise acquérir dans ce mois les bonnes qualités qu'il
"S
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 195
«doit aux principes que le lait de sa mère retire de nos
•prairies verdoyantes. Il se réjouit de Tarrivëe des cailles
•et caillcteaux de vigne» oiseaux de passage qui nous
«sont amenés par les vents chands de la fin du prin-
«temps, et qo'on ne retrouve pins dès le commencement
9 d'octobre ■
C'est en juillet que le dindonneau commence è varier
un peu nos rôtis; c'est aussi à cette époque que le ca-
neton de Rouen se montre sur nos tables sous tant
de formes différentes; car, outre qu'il se sert comme
FÔt , on en fait des entrées de plusieurs manières : il se
sert poêlé , à la bigarade ou au citron; à la purée de
pois on de lentilles , aux olives, aux petits oignons» aux
navets Nous allons donner cette recette , que beau-
coup de gens connaissent, ipais que très-peu terminent
selon les règles de l'art.
GANABD AUX NAVETS.
Pkbhbz on beau canard ou deux canetonn, éplucbez-les avec soin,
TÎdez-les, et flamhez-Ies légèrement ; bridez les ensuite en tenant les
pattes en dehors ; après cela faites un roux dans une casserole ; lorsqu'il
sera presque fioî placez-y vos canetons ou canard pour les faire reTenir
jasqu^à ce que les chairs soient bien raffermies ; mouillez aussitôt avec
de bon bouillon , et remuez toujours jusqu'à ce que votre ragoût bouille
bien : assaisonnez de sel , d'un peu de sucre , un bouquet de persil ,
ciboules , et faites cuire à un feii un peu vif. Quand le canard on
les canetons seront aux trois quarts cuits, vous y mettrez les navets, que
i3
194 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
voui aurei eu soia de tourntr de la même groMeur, et fait laulcr pro-
TÎMHrement dans da bearre poor lear faire preodie une belle cooleur ;
faitea ensuite aller ▼otre ragoftt à petit feu , dégraissez-le soigneuseonent
en le finissant , Toyez s'il est d*un boa sel , ayez soin que YOtre sauce
soit liée 9 et surtout qu'elle ne soit pas trop longue ; débridez Totre
canard ou vos canetons , dressez-les sur le plat dans lequel tous devez
les servir, placez vos navets par-dessus, et serrez promptement.
DU SAUMON.
Ce grand dignitaire de la mer, qui abandonne asses
fréquemment le lieu de sa naissance pour remonter les
fleures, est presque en tout temps assez commun en
France. Il en vient de la Hollande , de rAUemagne, etc.;
mais ceux que fournissent la Loire et la Seine sont ceux
que Ton préfère à Paris. Le saumon ne paraît en son
entier que fort rarement , et sur les premières tables ; on
Tappréle de différentes manières : au court-bouillon
( on le sert froid et on le mange à l'huile ) , pané et cuit
au four, etc., en morceaux; on en fait griller des tran-
ches que Ton sert avec une sauce aux câpres ; on en fait
des pfités chauds, des escalopes aux truffes, etc.; il s'ap-
prête pour entrée à la généroise , dont la recette suit :
SAUMOIf A LA ciNÊTOISE.
Ayez une belle dalle de saumon d'environ deux ou trois livras, met-
tez-la dans une casserole après que vous l'aurez nettoyée et écaillée bien
soigneusement ; mouillez avec du vin rouge , mettez deux carottes , tioit
oignons coupés en tranches , deux clous de girofle , une feuille de lao-
iter, du sel , du poivre , du persil en branches et quelques ciboules cb«
tiéres ; faites coiic votre saumon pendant une heure et demie à pedt
feu. Dix minutes avant de le servir passez votre court-bouillon m tamis.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. igS
nettes-le daas ddc casserole avec aa bon morceau de beurre manié,
placez le tout sur le ttu, et remuez-le fortement jusqu'à ce qu'il bouille ;
Ittssez-le réduire au point qnll ne reste juste que ce qu'il faut pour sau-
cer le morceau de saumon ; ( en faisant réduire votre sauce ayez soin de
l'écumer et de la dégraisser) égonttez votre poisson, mettez-le sur le
plat , et masqnez4e de votre sauce , que tous aurez passée à l'étamine
«t finie avec deux petits pains de beurre de Yambre.
C. et B,
PIGEONS EN TORTUE.
On mange ft Paris des pigeons pendant presque toute l'année ; mais
tis ne sont jamais meilleurs ni plus recberchés que dans le mois de juin
ou de juillet. On dirait qu'ils tirent un nouveau lustre de leur alliance
avec les petits pois. Ce qull y a de sur , c'est qu'une compote de pi-
geons aux petits pois est un des ragoûts qui plaisent le plus générale-
ment. On le retrouve en cette saison sur toutes les tables; et l'impa-
tience qu'on a d'en jouir est si grande , qu*on chercbe À les devancer
en trompant notre sensualité par une similitude. De là sont nées ces
compotes aux pointes d'asperges qui ont leur mérite , mais qui dispa-
raissent à l'arrivée des petits pois aussi complètement que la lune an
lever du soleil. Les compotes de pigeons , soit au roux , soit aux petits
pois y soit aux pointes d'asperges , sont si connues , que ce serait insulter
à la sagacité de nos lecteurs que d'en donner ici la recette. Celle que
nous allons leur o£Prir, bien moins vulgaire, et vraiment distinguée,
leur offrira l^ ressource d'une entrée digne de tenir son coin sur les
tables les plus opulentes.
Ayez des concombres courts et gros ; éplucbez-les, et les videz ; parez-
les , et faites-les blancbir un instant. Procurez-vous autant de pigeons
^e de concombres ; prenez-les fort petits ; écbaudez-Ies. Laissez le
«ou , la tète , les ailes et les pattes, dont vous éplucberez seulement le
bout après aroir coupé le bec. Ayez autant de morceaux de rouelle de
▼eao que de concombres ; faites-les mariner dans de fines herbes ; en-
suite TOUS faites quatre trous aux concombres, et vous mettez les pigeons
dedans avec un peu de farce. 11 faut que la tête sorte d'environ un
pouce, ainsi que les ailes et les pattes qui doivent sortir de chaque c6té
par les trous que vous avez faits. Posez vos concombres sur chaque
1 96 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
frîcaodeau , qui doit être de la mtoac loogueur et de la i9<ni»
que le dessous d'une tortue : faites-ks cuiie sur des baidea de latd an
fond d'une casserole; assaisonnes à l'ordinaire: veceuTrea avee dea
bardes de lard et de Teau ; mouillez avec moitié jus et moitié bouficMi.
Faites-les cuire àpetit feu. Étant cuits, vous les égoutlea et lessssuyea,
uaiceque le concombre rendtoujoursde l'eau. Mettes éessas nue saooe
à l'espagnole d'une bonne consialMkC^
Ces pigeons, ainsi masqués, ressemblent beaucoup à une tortue, et le
coup-d'œil en est tout-à-fait singulier. 6. D. L. R.
FkYES DE MARA.I8.
Quoique l'on compte iusqn'4 huit espèces de fèvea» et qu'elles
soient, selon Isidore, le premier légume dont Us tukcUnâ aient lait
usage, le vrai gouroMnd tnodem9 ne eonnslt que la jolie petite Céve de
marais , que l'on accommode presque toujours avec du sucre ou de la
crème « mais que nous mangeons avec plaisir préparée ainsi quH sût :
Il faut se procurer de ces petites fèves bien tendres et firatebemeat
épluchées , les faire bUnchif dans de l'eau bo uiUante jascpi'à ce qu'eilei
•oient cuites , les égoutter ; mettre un moreeau de. beurre dana uneca»
serole , un peu de persil hacbé et de la sanîette, les jete^ dans cette cas<-
serole , les sauter avec un peu de sel et une prise do sucre pour en 6ter
l'Acreté; les ûnger très-légérement, les mouiller ensuit» arec on peu
d'eau, et les laisser bouillir un instimt; tenir la sMioeoo«ite»«^ pour les
finir, mettre une bonne liaison ayoc àa la créniQ» ^
HARICOTS TERTS.
Ce légume savonreui et sain forme dans sa ptimour d'eiosltona plat»
d'entremets avec les petits pois et les fèves de mardis. On le prépare ds
plusieurs manières ; en voici une qui nous paialt aaéntec quelque dé-
férence , et qui , bien qu'elle soit connue, a acquis le titi» de nosi^rosnl^
dans notre dtnerdu so juin 181 a, parla précision av^ li^^pieUtt m^
digne hôte , M. Baleine y l'a exéculiéft i
HARICOTS TERTS A L*ANGI.AIS£.
'Prenez de pelits haricots verts bien tendres, et observez qu'ils af
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 197
ffieAt pat filattdfleiii ; èplochet4ei ; a jes de l'eau boulllaote , je(ei-l««
ëadaat ; faîiaa-Ia.s blaochir jQMpi'à ce qii^ils tolent caits ; mais ayei
bien soin qalls ne le soient pas trop; jetet-lesensnite dans une terrine
d'eau fralobe ; mettez-y une poignée de gros sel , toujours en propor-
tion de la <{uantxté-de haricots; lorsque tous Toudrez les assaisonner,
faites-les chauffer arec un peo de Tean qui les a rafraîchis ; lorsqu'ils
seront bien chauds , égouttez toute l'eau» qu'il n'en vetUpoi uns goutte;
mettez-y uo bon morceau de b«ante » très-peu de sel, un peu de persil
haché » un peu de muscade ; remuez le tout bien légèrement avec une
cuillère de bois ; lorsque le beurre aéra fondu » presses un jus de citron
dans vos haricots, et servez-les de suite.
B.
MÀlflkBB J>S CON8ERTER LES DARICOTS VEUTS PENDANT
TOUTE L* ANNÉE.
Il fairtteMan choisir et ka éphiober tolpieusenwt ; Jes falfe blan-
ehîr dans de l'eau et du sel (en observant de mettre beaucoup tl'eau) ;
les laisser bonlUir pendant dix minutes, et les rafraîchir ensuite dans.
ti6 taème volume d'eau très-fraîche ; lorsqu'ils sont froids , les égoutter
Maa «oigttetaatmeat , puis lek aaattte^e même dana des bocaux; cela;
faît> «anser «Éie«anmaie p«r-deasas , Xaire clarifier du beurre i en mettea
un pouce d'épaisseur sur la oalaison , et quand le beurreest froid » bien
couvrir les pots avec du papier. ou du parchemin.
On peut également , après avoir épluché les barioots , les mettre dans
«n petit balai ou dans dei pots , en ayant soin de pbc«r kdterttalivetteiit
un £t de baiicota et ua Ut de sel jusqu'au comble ; mettre ensuite os
rond de bois qui ferme bien hermétiquement ou le baril ou le pot« et
poser sur le tout une grosse pierre , afin de mieux le tasser. Quand on
veut en manger, on les met dégorger pendant deux heures au moins ,.
«t CEI Usa fiût cttiM à l'ein froide.
G.
9Qm VBET« A l'aNU^AISE.
Mettez un litre de pois avec du sel (ou davantage , selon la quantité
que irottf en voolez faire) dans de IVau froide ; que vos pois baignent
biea ; fa|t«a-ftts bouillir jusqu'à ce quHls soient cuits ; jetez-les dans une
198 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
paasolre bieo propre; lonqu^îls soDt bien égouttés, metter-iesnir on
plat ; faites uo petit trou au milieu des pois , mettex-y trois ou qaatce
paios de beurre , et servez de suite.
MiMnownaMnaiino!
2l0Ut.
I
LB MOIS BORE , OU LES MOISSONS.
Non in solo pane vitit homo.
En nous prodiguant le blé la Providence n*a pas pré-
tendu nous imposer l'obligation de vivre de ferine ; elle
a voulu assurer à l'universalité des consommateurs une
nourriture same » abondante » et qui f&t du goût de tout
le monde. Tel est le sens mystérieux de la maxime
gourmande que la sagesse même a dictée : elle manifeste
les intentions bienfaisantes de Fauteur de la nature,
dont le mois d'août accomplit tes promesses.
C'est sous la constellation de la Vierge que lès champs
ae dépouillent de leurs richesses pour remplir nos gre-
niers; les forêts d'épis tombent sous la faucille du mois-
sonneur^ et le grain jallit sous le fléau qui frappe l'air en
cadence.
Quelle abondance merveilleuse ! quelle munificence
dans les dons du ciel I Des monceaux de froment » de
seigle , d'orge» de maïs, de sarrasin, de millet, d'avoine
et de graines de mille espèces s'élèvent eh pyramides
dans les granges. Les hommes » les oiseaux, les quadru-
pèdes bondissent de )oie autour de ces monumens sub»--
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ,99
tantiels , gages assurés contre la faim. Déjà le meunier
a rempli son moulin , et, couvert d*une noble poussière^
il recueille la farine nouvelle que la meule a broyée. Le
boolanger, les bras nus, livre à Tépreuve de Teau et du
feu le grain que le vent a réduit en poudre. L'odeur du
pain chaud monte au nez des vivans; tout revit, tout
s'anime, tout s'agite pour en avoir, depuis le manœuvre
qui n'a qu'an besoin , jusqu'au pauvre opulent qui ne
peut satis&îre à tous ceux qu'il s'est créés.
Les animaux participent à cette abondance : la paille
garnit les étables , les oiseaux trouvent leur pâture dans
le chaume et sur les guérêts dépouillés , le gibier s'en-
graisse de ce qu'il ravit; dans les basses-cours les graines
tombent comme la pluie du tablier dispensateur de la pay-
sanne nourricière. Tout ce qui respire est appelé par la
nature au même banquet ; et c'est une consolation pour
ie gourmand , dont le cœur est essentiellement bon , de
savoir que pour un prix modique , pour un léger la-
beur, l'indigent aura du pain. La terre surabonde, et
la &ucille la plus avare laissera toujours la part du
gkneur.
Hais notre reconnaissance ne se bornera pas à cet
hommage indirect. Quel champ, en effet, que Je pro-
duit de nos champs pour la cuisine dont l'art s'étend sur
la nature entière ! Non , les gourmands ne dédaigneront
point d'exercer leur appétit sur lé mets commun du
riche et de l'indigent , des gens sobres et de» gens qui
ne le sont pas.
"N^est^ce pas avec de la fine fleur de farine que se font
200 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
kê gâteaux , les biscuits , tes tourtes , les Fol-au-yent? Là
famille toute eotière de la pâtisserie , celle qui habite le
premier service » comme celle qui fleurit à TeatreBMits^
et celle qui règne au dbsseii , n'est-elle pas originaire du
sillon qui produit le blé ? Depuis le massepain jusqu'à la
gimblette, depuis le gâteau des rois jusqu'à celui de
Nanterre , depuis le surtout superbe , dessiné par Tho-
mas ou par Félix» jusqu'à l'échaudé Vulgaire qui se v^id
dans les rues » toutes les croûtes , toutes les pâles fori*
neuaessont sœurs du pain et fiUes du froment ou de Forge;
La farine s'unit à presque tout ce qui se mange , et le
bonifie z «es atomes liants serrent à composer tine sanoe
blanche ^.demémequ'une frangipane et un eboax grillé;
dans les fritures^ dans les ragoûts elle tnouve presque tou-
jours sa place, et les beignets ne se font point sans eHe.
Le pain même» dans sa simplicité» rivalise sou vent avec
l'anguille dans une matelote > aux flancs d'une poularde
ou d'une grive rôtie» avec la tranche de lard ou h feuille
de vigne. Ci 'est lui qui forme les remparts d'une charlotte
sucrée; c'est lui qui donne du corps à la rôtie restaurante
dont le Champagne est l'ame. Le pain enfin est toujours
présent au festin :cblui qui dévore des filets de chevreuil
DU de canard» des ortolans ou des jambons» croirait
outrepasser le^bornes^ de la gourmandise s'il ne mangeait
pas un peu de pain avec.
Gloire donc à Cérès»
«
c Qui vient accomplir les promesses
a Que le printemps a fait à l'univers ! »
{Ballet des Saisons.)
LE GASTRONOME FRANÇAIS. soi
Gloire au soleil ,
« Qui dans ces )ours chers aux humains
»• Ne brille à leurs regards que pour remplir leurs mains ! «
{Ihid.)
C'est au mois d'août que les anciens célébraient les
fêtes de Gérés et celles à^sphallaphoreê, dont nos belles
aavafitos peuyent se fairo expliquer les rites par quelque
antiquaire , s'il en est parmi leurs amans*
Les ayenture s amoureuses sont communes da0s le
temps* chaud* Les jeunes beautés emportent plus -d'un
souvenir des moissons^ Les feux de la canicule font
dieroherla fraîcheur des hois touffus dont l'ombre so-
litaire est &talB aux cœurs déjà fiâtes par la chaleur
pénétrante de- Vénus.
• Cest encore dans ce mois que se faisait la dédicace
jdu temple de Mars et* que l'on fêtait l'anniveEsaîse delà
4léliyrance du capitole sauvé par les oies; im crucifiait
un chien en mémoire de la négligence de ses ancêtres.
Pour nous , dont lii' gratitude ne va point chercher de
victimes parmi les animaux qui ont des *chx>its à noire
amitié , nous ne fêtons les oies qu'à la Saint*Martia et
en les mangeant; elles commencent à devenir grosses et
succulentes en août. Nous rendrons quelque jour une
justice solennelle à cet animal , qui ,. pour être dédaigné
des gens délicats , n'en est pas moins digne de l'hom-
mage du gourmand.
Nous avons aujourd'hui d'autres tributs à payer. La
volaille fine commence à prendre de la graisse; le cha-
SOS LE GASTRONOME FRANÇAIS.
pon du Mans» la poularde de la Flèche , le coq deCaux»
le poulet normand^ le pigeon ramier, de volière , romain ,
étaleut leurs membres entrelardés sur nos tables.
Le gibier, que la chute des épis livre au plomb meur-
trier du chasseur, devient déjà commun; le levreau»
le lapereau y le chevreuil , la caille , la grive ^ le per-
dreau , etc. , se réfugient chez le restaurateur pour s*y
tapir dans un salmi de champignons , s*y percher sur Ib
broche, s*y étendre sur une litière de choux.
Dans ce temps fécond en bons mets on mange encore
des maquereaux, des petits pois et des fèves; et déjà le
saumon, le turbot et la carpe se montrent dans les repas
d'apparat. Les haricots verts et blancs , l'artichaut et le
melon sortent de la serre et mûrissent à l'air libre ; les
jardins sont couverts de salades et de légumes de toute
espèce.
Mais ce sont les fruits qui forment la plus grande ri-
chesse du mois d'août. Les fruits rouges ne sont pas en-
core entièrement passés , et Pomone épuise ses trésors.
L'abricot jauni par le soleil , la prune diaprée , Tamande
verte , la mûre sanguinolente , la poire , la figue , la
pêche surtout , mettent le gourmand dans l'embarras
du choix.
Nous rendrons , en son temps , hommage à ce fruit
merveilleux qui porte le nom de la déesse, et dont le jus,
rival de celui de la vigne , assure la suprématie de l'Eu-
rope sur toutes les autres parties du monde , celle de la
France sur l'Europe, de la Normandie sur la France , et
du canton d'Isigny sur la Normandie.
LE GASTRONOME FRANÇAIS- 2o5
Le mois d'août aime surtout la pêche fondante et la
prane Tariée* Quelle famille intéressante et nombreuse !
La reine-elaude l'emporte sur ses sœurs; mais la mira*
belle p grosse et petite , trouve encore des amateurs ;
IHtnpériale se fait remarquer suivie de la royale, de la
dauphine, de l'impératrice, de la roche- courban, de
la nUgnane, de la mignonette, et enfin de la prune
d'abricot.
Qui peindra dignement le perdujon blanc , le perdu-*
jon violet , le damas violet , rouge » jaune, blanc, gris,
noir, le gros damas de Tours , le damas d'Italie, le
damas masqué, la prune demonsieur, laprunededrap
<l'or? Filles de la Nature et de TArt, elles étendent les
limites du jardinage et le domaine de la gourmandise.
Je ne citerai plus que Y olive, dont on fait cas, et sur-
tout la sainte 'Catherine que Ton cultive en si grande
quantité dans la Touraine, d'où toute la France la tire
confite au soleil.
Entre la prune et la pêche» qui peut les prendre toutes
deux n'hésite pas; mais s'il faut opter» c'est pour la der-
nière qu'un gourmet prononce. Les diverses espèces de
pêches formeraient une liste aussi longue que celle des
prunes. Les plus précoces sont les avant-pêches blan-
ches et les admirables; les plus tardives^ l'alberge jaune,
la violette, la mignone, le pavi rouge et blanc, le bri^
gnon violet, etc.
Mais il &ut savoir se borner» mémo sur ce qui fait
venir l'eau à la bouche. D'ailleurs cette nomenclature
serait aussi longue que celle du tulipier de M. Tripet;
y'
so4 lE GASTRONOME FRANÇAIS.
olle sertit tans dotile plus digne de la curiosité publique.
Qu^esH^e que la rue d'une tulipe pour qui peut admirer
les deux demi-globes dont la rondeur donne k la péclic
la forme la plus rapprochée de la perfection; pour qui
peut palper cette pellicule veloutée dont le duTel se
compare k la peAu fine d'une vierge ; pour qui peut hu-
mer le parfum de ce fruit délicieux ; pour qui peut enfin
presser sous son palais avide cette chair moeUeuse et
fondante * mélange de nectar et d'ambroisie ?
Pour conserver ces trésors» et tant d'autres , Cornus
inventa l'art du confiseur. On a dans tous les teoip*
des pêches et des prunes à l'eau -de- vie et en coa*
fitures ; on éternise ainsi rabricot , la cerise et tous
les dons de Pomone (i)» Le mois d'aoàjt pourrait s'ap-
(i) Tons cet fruits confits et 4« première qualité , se-rencontre&ttoa-
Jours «QZ deux Palmiers , chei M. Terrier, me Saint-Honaré, o* s44,
près la rue de l*ÉcheUe.
Qui n'a pas dégusté avec délices quelques-uns des bonbons de toutes
formes , par lesquels ce savant artiste pronve tous les ans les degrés de
]a civilisation , et la perfectibilité indéfinie de l'esprit humùn^. Le ma-
gasin sucré de M. Terrier offre par sa variété et par sa ticbesse mi-
puisablb , de quoi satisfaire tous les goûts ; on y trouve des itaUoU pour
les comn^erçans, des bounieh et tf huîtres , des truffes au ehùo^iat, des
barîts 4f olives, des pâtés de truffes et de foies gras , dos fromages do Hoc-
fari on pMo es pistacko à ia vanlUo , dos saueisoons , Ai îmnehss dojamt'
htm y pour les goarman^ls ; dos pois votts, dos oorioof, des hombmu fÉ-
pieuro et des petits farceurs pour les dames.
Les sirops de M. Tanrade ne redoutent d'autres rivaux que ceox de
M. Terrier , si connu pour ses bonbons de dessert , ses bonbons de café
à la crème , ti surtout par ses boites de dragées et de fniits pour lesbap-
téoEies 9 qu'il suffit de citer son nom dans ces solennités de famille po«r
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 9o5
peler le moi» c&nfit, tant ii 66 mêle de sucre et d*art à
tout oe qu'il produit* Mais ces créations de Tart alimen-
laire »ont un Douveau tribut de gratitude à la Provi-
dence ; il faudrait être poëte pour élever ses chants à
la hauteur de tant de bienfaits. J'invite ceux des gour-
mands qu'ApoUon inspire à composer un hymne à la
canicule. Pour moi » qui ne sais que boire à leur santé ,
j'aime mieux citer des vers que d'en faire.
Soleil , c'est aufoard'hui ta fête :
L'été , chargé de blonds épis.
Étale ses riches habits ,
Et fait rajonner sur ta tête
L'or, les saphirs et les rubis.
Pèjà la moisson est tombée
Sous la iaucille recourbée
Du moissonneur laborieux.
Trésors prodigués par les cieux ,
Ici les gerbes dispersées *
Couvrent la face des guérèts;
Plus loin leurs meules entassées
Élèvent un trône à Gérés.
L'épine enfante la groseille;
Mille fruits parfument les bois;
Et prête à remplir sa corbeille ,
La nymphe héûte sur le choix.
[Les Saisons du C, de Bebnis.)
exciter la friandise des parrains généreux et des belles marraîoes. On
dit enfin, les dragées de M. Terrier, comme on dît les TandcTilles de
M. Scribe.
IffWWB'^l^BiBWW*'^^"'"*"! « »»i— -^iWiHJ .^mmm. - , , mm
f
206 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Puisqu'il n*y a point dans l'année d'époque aussi fé-
conde et aussi variée » il est donc vrai que l'auteur de
tout a bien voulu faire ressortir , et nous inculquer cet
axiome :
Non in solo pane vivit homo.
Ga^stehhaun.
LE PAIN.
Air : An loio foe je prcodt et on gloin. .
Sans le divin jus de la treille.
Sans les doui présens de Gérés,
C'est en vain qu'un Apollon veille ;
Il ne fera jamais flores.
La renommée est illusoire ;
Et le plus modeste écrivain
Ne peut courir après la gloire
Lorsqu'il attend après le pain.
On est jaloux lorsque l'on aime ^
Quand on écrit on est berné;
On est y au sein des grandeurs même j
Par mille soucis consterné :
L'ennui vient toujours à la piste.
Et la gaîté reste en chemin.
Quand on a trop d'or on est triste ;
On est gai quand on a du pain.
Chacun cède à son habitude
Plus souvent qu'à son intérêt :
Gallùs a le goût de l'étude,
Trenk a celui du cabaret;
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 207
Et Toici ce que dit un liyre
Dont l'auteur a le goût très-fin :
Si TOUS Toulez toujours bien virre,
Ne perdez pas le goût du pain.
Artighàc.
e^ ^nfanfictbr^.
Lb mois d'Auguste n'est guère plus favorable à la
bonne chère que celui de Jules-César : aussi la plupart
des gens riches vont-ils alors dans leurs terres. Les ta
blés de Paris sont renversées» et les parasites font diète.
Cependant les lapereaux commencent à devenir lapins »
les perdreaux perdrix , et les levrauts se changent en
lièvres ; mais ne les arrêtons point dans leui' croissance.
Les jouissances prématurées sont toujours , et dans tous
les genres, des jouissances imparfaites. Laissons ces
animaux aimables vivifier nos champs et nos forêts / en
attendant qu'ils alimentent nos tables; nous saurons
toujours bien les retrouver , car rien n'échappe à l'ac-
tive industrie de l'homme. Alors un levi*aut , djsvenu
trois-quarts , remplira convenablement un plat du mi-
lieu , et n'aura pas besoin
Qu*un long cordon d'alouettes pressées ,
Et sur les bords du plat six pigeons étalés^
Présentant pour renfort leurs squelettes brûlés,
lui servent d'accompagnement » comme dans le fameux
2o8 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
. repas de Boileau , que tout amateur de bonne chère doit
étudier avec soin , pour éviter d'en donner un sem-
blable.
Cependant , si quelques-uns de, nos lecteurs , trop
pressés de vivre , voulaient absolument manger leur blé
en herbe , et faire entrer à toute force ceft enfans dans
leur cuisine , il est de notre devoir de leur indiquer la
meilleure façon de les produire sur It»ur table : nous
leur dirons donc qu^on mange les levrauts en terrine et
à l'eau-de-vie ; cette deri^ière façon , au moyen des nom-
breux ingrédiens qui la composent , devient un ragoût
fort savant , et même un peu chimique. Les levrauts se
mangent à la Suisse , à la Czarine, à la Saingaraz ;
les perdreaux en biberot, ^n papillotes, en tourtes : on en
fait des potages simples^ desfoiageê en profiteroles, etc. ;
mais y nous le répétons » c'est un véritable in&nticîde
que d'égorger ainsi dans son jeune âge une génération
qui ne croît et ne s'engraisse que pour notre grande sa
tisfaction. G. D. L. JR.
as
(4 idtt ^^^y ii^ntiattut Us cotants.
C'est au mois d'août ( Thistoire ne dit pas le jour )
que la mère des Gourmands mangea pour Ta première
fois le fruit défendu dont le genre humain se régale de-
puis quelques six mille ans. Le sol où verdoyait Tarbre
de vie était chaleureux et précoce; déjà depuis plus d'un
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 209
mois les pommiers se couyraient de pommes » lorsque le
serpent s'avisa d'en faire l'instrument de notre perte. La
première des agnès les voyait sans appétit ; mais la cu-
riosité » innée dans le sexe dont etU était, fut le côté
faible par où le malin s'introduisit dans la place. Maître de
ce poste , il j découvrit la coquetterie » autre faible par
lequel il s'insinua sans peine jusqu'au cœur de notre tes-
pectabie et facile aïeule.
Le mal étant sans remède» il faut s'en consoler; aussi>
chers Gourmands» en vous proposant de chômer l'anni-
versaire de noire perte , n'ai-je pas le dessein de vous
prêcher le jeûne et l'abstinence; je viens» au contraire ,
vous féliciter du privilège -qm vous a été transmis de
manger impunément ce que la pauvre Eve paya si chen
La pomme en effet n'a plus rien de malfaisant; les
tables les plus consciencieuses en sont chargées depuis
l'&pi au teint vermeil jusqu'au calville rouge ou gris ,
depuis la reinette blanche d'Angleterre aigrelette jus-
qu'au doux et roux fenouîllet. Les plus austères cénobi^
tes » les plus inexorables ennemis de la bonne chère » les
Égyptiens qui adoraient les oignons » les pythagoriciens
qui respectaient les fèves » les chartreux qui s'abstenaient
de chair » les trapistes qui se privaient de tout , les amou-
reux qui vW ent de rien » tous ont été et sont restés fidè-
les à la pomme; aucun n'a renié sa mère et démenti le
penchant inné pour le péché , dont ce doux fruit est
Vembléme.
La pomme est la reine des vergers; elle mérita de don-
ner son nom à la déesse des jardins. Elle n'est pas moine
14
210 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
chère aux amans qu'aux convives; elle a joué dansThis-
koire profane el fabuleuse un rôle non moins illustre que
dans rhistoire sacrée. Celle que Paris donna à Yénus
fut aussi fatale que celle dont la femme d*Adam régala
son époux après s'être laissé aller aux séductions du
démon.
J'ai ouï dire que Tinfluence de ce fruit maudit était
encore la cause du mauvais renom des Normands, qui
ont perfectionné l'art de le cultiver» de le vendanger et
de le confire. La Normandie n'en est pas moins un pays
de prédilection et d'abondance , un paradis terrestre, un
vrai jardin d'Eden ; et si les Normands ont l'astuce du
serpent » les Normandes ont la fraîcheur primitive et la
naïveté un peu suspecte, et pourtant trèa-piquante, de
la belle Eve.
On prétend que, quoique Normandes » elles sont aussi
confiantes que leur mère lorsque le diable les tente; et j'ai
lu dans certains moralistes du pays de Caux que si la
mère du genre humain n'eût pas vendu sa postérité pour
une pomme, mesdemoiselles ses filles , sans en excepter
une seule femme ^ en auraient fait tout aussi bon marché.
Il faut avouer néanmoins que le tentateur y a mis le
prix. La première beauté, telle que la peint Milton, valait
bien qu'on la mît en balance avec toute l'espèce des
hommes. Quel est celui de ses descendans qui osât mar-
chander en pareil cas ? Mes chers amis , aux risques et
périls de votre postérité , je souhaite que la saison des
pommes vous fasse trouver des Eve.
Mais ne renouvelons pas ici les vieilles querelles aux-
LE GASTRONOME FRANÇAIS.. «n
quelles la pomme a donné Ueu : mangeons^p; nous
n'en mourrons pas :suQGombons k la tentation ; le monde
n'ea tournera pas plus mal : distrihuons-en à nos amis;
cela ne mettra pas Troie en flammes*
Grâces aux dieux » il y a peu de fruits que la Provi-
dence ait autant multipliés que la pomme; et» quelque
nombreuses que puissent être les chfttes de nos jeunes
Ères, U en restera toujours à moissonner.
Il y a des pommes pour toutes les belles; il y en a
pour tous les amateurs.
Cependant c'est à la Normandie que nous devons les
plus renommées » et la suprématie de cette province est
reconnue depuis plusieurs siècles par les pomivores ré-
pandus sur la surface de la terre.
€'est aussi de ce pays de Cocagne que nous viennent
les poires , ces dignes rivales des pommes , et ces fruits
savoureux de toute espèce , dont nous ferons Féloge en
leur temps.
C'est de Honfleur que Ton apporte ces melons exquis
et rafralchissans qu'appellent nos palais desséchés par
les ardeurs du mois d'août. Ce sol privilégié produit les
meilleurs cantaloups , et l'art et le travail parviennent h
peine k faire naître ailleurs avec parcimonie ce que la
Bature prodigue vers l'embouchure de la Seine aux soins
les plus vulgaires.
Province inépuisable à jamais chère aux gourmands ,
non-seulement ce sont les fruits les meilleurs et les lé-
gumes les plus parfaits qu'on doit à son terroir , c'est
aussi dans les pâturages du Calvados , de la Seine et de
\
SIS LE GASTRONOME FRANÇAIS.
TEure quo s'engraissent ces rosbifs jateux » ces cotes
entrelardées , et ces coqs vierges » et ces poulardes do-
dues qui ont illustré le lieu de leur naissance , non moins
que la gentillesse des cauchoises.
C'est aussi de la côte de Normandie que partent les
plus beaux poissons dont s'honore la capitale : raies ,
turbots f maquereaux , éperlans , etc. » tous les monstres
de la mer ont besoin de se polir en Normandie avant de
prendre l'air de Paris. Les places de distinction à la
halle et à la vallée sont pour les arrivansdecepays nour^
ricler; Ton fait même l'honneur au jus de ses pommes,
voiture par la Seine , niais exempt du mélange profene
de ses eaux , de le placer en face des galeries royales du
Louvre » non loin du lieu de l'exposition des produits de
l'industrie française » à côté des vins les plus fameux de
Bourgogne et du Midi (i).
Toutes ces choses sont surtout abondantes dans le mois
d'août ; et » la chaleur de la saison donnant un nouveau
prix à la saveur des fruits , la gloire en appartient parti-
culièrement à cette contrée où un savant bas-normand,
éclairé par la découverte de certains monumens ceL-
tiques, dont le témoignage est irréfragable , se propose
de placer le paradis terrestre. Ce n'est point en effet
sur les bords du Nil ou du Tigre qu'il faut le chercher;
ces pays-là ne sont pas la patrie des pommes.
Gastebhanh.
(i) Le port Saiot-Nicolai est l'endroit où débarquent le cidie dr
Normandie et les vins du midi de la France.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. aiS
DU LÀPBRBAU.
Autant la noblesse du gibier remporte sur les viandes
roturières de la boucherie et àes basses-cours , autant la
iioesse du lapereau surpasse les plus illustres pièces de
fumet. Mais le lapereau , comme la fleur de l'adoles-
ccDce, n'a qu'un règne court et passager ; il faut le sai-
sir à cette époque précise où ,. n'étant plus pendu au
mamelon , Il n'est pourtant pas encore lapin devenu , à
ce moment où » essayant ses premiers pas danS: la ga-
renne , sa première sensation lui vient d'un coup de
fusil , oUl 4Vo piège perfidement agréable. Quand l'a-
mateur en trouvera , ce qui est rare , qui soient au point
exact de jeunesse et de maturité , qu'il les mette à la
sauce que nous allons lui indiquer. G.
LAPEREAUX EN CAISSE.
Prenez deux ou trois petits lapereaux ; lorsque vous les aurez dépouillés
et vidés, passez-les avec ud morceau de beurre, é<skarottes , cbampi-
goons et persil , le tout haché bien menu ; assaisonnez de sel , poivre «
muscade ; et quand vos lapereaux seront presque cuits, laissez-les refroi"
dir. Ayez ensuite trois caisses , ou une seule , si cela vous est plus com-
mode ; placez vos lapereaux dans cette caisse , ou dans ces caisses ,
qae vous aurez eu soin de bien imbiber d'huile ; appliquez sur vos la-
pereaux des bardes de lard trés-minces, afin qu'ils ne puissent point se
dcsséelier dans l'achèvement de leur énisson , et faites-les cuire ii petit
feu sous nn fbur de campagne. Lorsqu'ils sont cuits , dégraissez-les bien ;.
in-enez ia moitié des fines Iierbes a? ec lesquelles vous les avez passés ;
»i4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
délayez ce8„herbes avec une cuillerée d'eppagoole réduite, et Yenex biet
chaud sur tos lapereaux » en y ajoutant un jus de citron. . B.
Nota- Cetlo reœlle, nûse à exécution pvM. Baltine^daïuIatèaiiceded^iisUidaii
da ao jaillot 1B07 > « obt«nn la mention honorableà la majimlédotnîse sur qniaae»
DU POULET.
Le poulet, 91^- tendre enfant , que l'on peut se pro-
curer presque toute l'année » et que bien des gourmands
distingués préfèrent à ses parens ; ce joli petit élète de
basse-cour qui subit sur nos tables une foule de méta-
morphoses» qui convient à tous les âges et à tous les tem-
péramensy obtient aujourd'hui notre hommage, qui, pour
être tardif , n'en est pas moins mérité. Parmi toutes les
façons de le manger en ragoût , la fricassée étant la plus
usitée , nous allons en donner la véritable recette , dont
nous nous sommes aperçus que l'on s'écartait dans cer-
taines maisons , et que d'ailleurs peu de personnes con-
naissent bien. Nous invitons nos lecteurs à s'en péné-
trer, afin de pouvoir diriger au besoin la main d'une
servante d'hôtellerie , en voyage , à la campagne , & la
chasse « etc. , ou redresser les erreurs d*un chef ». sou-
vent gelé par la routine ou par la mauvaise école»
G.
FRICiiSSÊB DE POULET.
A jei un boo poulet demi-gras , et «i voua n'eo avez pas , preneE^-^B uD'
biea en chair ; flambeS-le » eolevez-en les membres le plus correctemcal
possible, pour qulis conservent une belle forme; coupes ensiâte le
bout de la cuisse , du côté de la patte (si vous voulea» vous pouveaôt«r
l'os jusqu'au joint). Votre poulet ainsi coupé , niettes-le blanchir dans
LE GASTRONOME FRANÇAIS. sm5
eoTiion une pinte d'eta (i) avec un peu de thym et une feaUlc de lau-
rier ; lonqull a jeté un bouillon y égouttez-le , et passez l'eau au tamis ;
mettez ensuite TOtre poulet dans une casserole , avec environ un quar-
teron de i>eorre ; sautez-le un instant , et mettez une cuillerée à bouche
de farine , en la mouillant avec l'eau qui a servi à blanchir le poulet
(vous prendrez un pen de bouillon si vous n'aves pas asseï d'e^u) ,
mettez-y ael , poivre» champignons» et faites cuire le tout à grand feu :
quaod la fncisiée sera presque cuite » vous la dégraisserez , et vous y
mettrez , si vont le jugez à prppos , des petits oignons blancs bien égaux
et bien éphichés , et dès qu'elle sera entièrement cuite , vous y mettrez
use liaison de trois janues d'œufs » en y ajoutant, si tous le désirez,
verjus on citron s vous pouvez aotsi y faire figurer qaelqnes écre visses.
B.
DU COCHON DB LAIT.
Le cochon de lait est un des mangers les plus déli-
cieux et les plus recherchés ; il ne se sert que sur les
labiés somptueuses ou dans les repas nombreux. Si
Too faisait dans nos familles des fêtes pour le retour de
reniant prodigue » ce ne serait pas le Teau gras, mais le
cochon de lait qu'on immolerait en signe de réjouissance :
il est doQctrè»-important de savoir comment il s'accom-
mode. Un cuisinier un peu distingué ne peut ignorer
cette recette ; c'est une pièce de réception* Le génie
àes artistes a fourni beaucoup do variantes ; nous ne
prétendons point assigner des règles au génie , mais
nous donnons la méthode la plus usitée et la plus simple.
Avec le procédé suivant , il n'est point d'amphytrion
qui , même à l'aide d'une cuisinière vulgaire , ne puisse
(i) Si vos poulets sont d'une cbair bien blanche , et si vous vous trou-
vez pressé , vous pouvez vous éviter le temps de les blancbir.
916 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
servir avec honneur un cochon de lait à ses parens un
jour de noces, ou à ses amis un jour de gala. G.
COCHON DB LAIT A LA BROCHE.
Aussitôt que le petit cochon de lait est taé il faat le jeter daosdc Tean
tiède (qui ne doit pas discootinaer de se chtofler) et le frotter avec Im maia
jlisqu^à ce qae le poil soit eotièrement parti. Lorsqu'il est bien échaudé
et bien propre , il faut le trousser prêt k le mettre k la broche « le laisser
daos de l'eau fraîche pendant quatre heures, pour qu'il devienne bie^
blanc ; ensuite le lien sécher et le faire cuire. (S'il est resté quelques
poils, on peut le flamber légèrement à la broche.) 11 faut l'arroser biea
également avec un bouquet de saage trempé dans de bonne huile d'o-
live afin de rendre la peau jaune et bien croquante. On peut le farcir
d'environ une livre de beurre frais assaisonné de fines herbett hachées
bien menu et marinées avec du jus de citron. B.
PBS ABTIGUAUTS.
On compte en France cinq espèces d'artichauts; sa-
voir : le vert, le violet, le nmge. le sucré de Gênes et
lé blanc; chacune de ces espèces a ses avantages et ses
inconvéniens : le blanc est plus hfitif , mais i\ est très-
petit et très - diiScile à élever; le rouge n*est bon à
manger que fort jeune à la poivrade; le sucré' de Gênes
étant mangé cru est très-bon l'a première année , mais
il dégénère à mesure qu'il vieillit ; le violet est » après
ks trois que nous venons de citer, celui dont on fait le
plus de cas; mais le vert (dnara vulgaris) est celui que
Ton cultive plus généralement dans nos climats , et celui
dont on fait le plus de consommation.
Lorsque les artichauts sont jeunes et tendres on les
mange h la poivrade ; quand ils sont d'une grosseur
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 217
moyenne on les prépare en fricassée de poulet , au rer-
ju8 en grain » à l'espagnole , frits , à la barigoule , etc. ;
les plus gros se font cuire à Feau » et on les mange dans
cet état soit à l'huile Jfine d' Aix^ soit è la sauce au beurre.
On dessèche au soleil pour Thiver beaucoup de culs
d'artichauts ; on les emploie dans tes ragoûts» on en fait
des pâtés chauds , etc.
H serait difficile d'énumérer tous les services que l'ar-
tichaut rend à la cuisine; et lorsqu'il manque » dit notra
grand expert » M. G. D. L» R, , c'est une véritable ca-
lamité.
L'artichaut devient , par les soins du cultivateur ha-
bile, d'une très-grande beauté» surtout si on ne laisse sur
le pied que la maîtresse pomme.
L'artichaut cuit est très-apéritif» astringent » cordial ;
il nourrit beaucoup et puriGe la masse du sang ; l'arti-
chaut cm est venteux » pèse sur l'estomac» et se digère
difficilement.
Voici une recette qui nous a été demandée par plu-
sieurs amateurs :
ABTICHAVTS A LA BA&IGOVLE*
Parez trois oo quatre artichaata ea dessous» coupez l'extrémité des
feuilles , et ôtez-en le foin avec la queue d'une cuillère à dégraisser ;
cela fait, mettez tos artichauts dans de l'eau fraîche ^ lavez-les avec
solu , et égouttez-les de manière à ce qu'ils soient tressées; ayez ensuite
de la fritorc très-chaude, faites bien frire vos artichauts des deux cOtés,
puis égouttcz-Ies.
Faites un appareil avec du lard râpé, un peu de beurre , de l'huile ,
du sel , du poivre , un peu de muscade , quelques champignons , écha-
lotes, persil; hachez le tout bien fin , mauicz-le ensemble, et mettez-le
9i8 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
dMf l'intériear des artîchtttU qno roui ficelleres. Ayct ane caiterdlt
asaes grande poor les contenir, mettes des bardes de lard dans le fond ,
placez-y vos artichauts, sur lesquels roas mettrez encore quelques
bardes de lard ; mouillez arec une demi-cuillerée 4 pot du derrière de
la marmite , et couvrez le tout d'an papier beurré ; placez votre casse-
role sur un fourneau , et dès que tous verres loailiir couvres votre cas-
serole avec son couvercle , et places-la sous le fourneau, afin de laisser
mijoter pendant environ trois quarts-d'heure. Au moment de serrir
déficelez les artichauts , égouttez-les ; ayez un {len d'espagnole réduite,
ou de Titalienne; |oignez-y quelques gouttes de jus decitroa : mettes
une petite cuillerée è rigoùt de cette sauce dans chaque artichaut, et
serves promptement. G. et B.
PERDREAU X«
Le perdreau , attendu avec tant d'impatience sur nos
tables pour varier nos rôtis et nos entrées, commence h
paraître; et, quoiqu'on puisse lui appliquer ce vers
d'Orosmane ,
L^art D*est point fait pour toi, tu n'en as pas besoin,
nous pensons que la toilette suivante » bien soigneuse-
ment observée , quoique simple , ne peut qu'ajouter à
son mérite » c'est celle que les chasseurs lui font ÎBLire
plus particulièrement au retour des premières chasses.
SAUTA DE PERDREAUX.
Ayeasis peUts perdreaux, vides4es, flambeE4es légèrement, cou-
pes-lttor les pattes , et tioosses les cuisses en dedans ; (laissez-les en-
tiers , ou coupes-les en deux , comme vous jugerez convenable ; mais
si vous les laissez entiers, applatisscs-lcs un peu) ; mettes dans une cas-
serole utt bon morceau de beurre i eu ayant soîa de bien l'èteodre,
flaces-y vos perdreaux à cOté Tua de l'autre , asaaîsonaez4es de sel, de
poivre, d'no peu de muscade, de^ quelques échalotes, dechampignoasH
LE GASTRONOME FRANÇAIS. a 19
de pcrtUy le toot haché hien meaa. Uo qaart-d^heùre avant de ienrir
mettez-les sor on fouroeau un peu vif, retournez-les de temps en temps ;
lorsqulls seront cuits ajoutez une cuillerée d'espagnole ou de bon bouil-
lon à Totre assaisonnement ; faites seulement chauffer votre sauce ,
|oignet-y un jus de citron , et servez. G. et B.
LE MOU GIBOYBVX OU LA GHAMB.
Voici les beaux jours du gounnand , le temps des
bons repas » le printemps de la cuisine ; les fruits sont
mûrs , la TÎande est fiiite , la volaille est grasse » le gi-
bier surtout , le gibier pullule dans les champs !
Rassemblei-Tous » compagnons de Méléftgre; armez
Tos pieds de peau de buffle , tos mains d'une flèche
meurtrière; courez au milieu des forêts dépister le cerf
timide et le sanglier courageux I Déjà les chiens d*Ac-
téon vous appellent par leurs aboiemens prolongés;
déjà ies nymphes de Diane ont devancé vos pas au
fendez-Tous de chasse. Le carquois sur l'épaule et
Tare déjà tendu , elles accusent votre lenteur , et vous
montrent d'un air triomphant » Tune on lièvre pendi».
sur son sein haletant , l'autre un faon ensanglanté , traî-
nant la flèche homicide partie d'une main délicate;
celle-ci un tendre perdreau » dont l'aile pendante et la
démarche boiteuse attestent l'adresse de sa belle enne-
mie; celle-là deux grives déjà plumées» que ses doigts apr
pétissans disposent en papillotes de feuilles de figuier. Un
990 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
déjeuner se prépare. La troupe joyeuse a rapporté de sa
première incursion une ample provision de mets déli-
cats et d*appétit. Asseyons-nous , mes amis , sur ces
gerbes dorées, au pied de cet arbre dont le rare feuil-
lage laisse apercevoir les poires jaunissantes. Chasseurs
et chasseresses , pressez- vous autour de ce pâté , monu-
ment glorieux de vos coufscs de la veille; que Bacchus
mêle un peu de liberté à ce repas champêtre » et que
la tasse purpurine vole de bouche en bouche des lèvres
d'Aglaé aux lèvres d'Adonis.
Quel festin ! que ces mets sont succulens quand
Texercice , Tamour et la joie les assaisonnent , et qu^on
a soi-même atteint la proie savoureuse qui doit épuiser
Part du pâtissier et du rôtisseur!
La chasse » cette passion des héros , des sagesi et des
belles 9 n'a pour mobile et pour but que le plaisir de
manger. . C'est le besoin qui rend chasseur le Tartare
vagabond et le Caffre sauvage; c'est pour manger du gi-
bier que les rois , les bergers et les nymphes passent les
jours entiers à la chasse. Les demi-dieux dédaigaent
l'ambroisie pour un chevreuil faisandé que la fatigue
rend délicieux. L'exercice pris dans les bois et parmi les
broussailles anoblit l'appétit on redoublant sa dose. Il
n'est pas un seigneur , pas un gentillâtre qui ne tienne à
ses droits de chasse autant qu'ik ses titres de noblesse. Il
est beau , il est grand de courir le cerf et le lièvre , car
le cerf et le lièvre ne sont pas des mets vulgaires , et le
palais qui s'en régale est presque un palais royal.
En vain vous refusez d'en convenir , détracteurs mat-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ssv^
heureuic » assez disgraciés do la nature pour ne pas sen-
tir le prix d'un bon dîner. Inhabile à tous les plaisirs ,
quiconque n'est pas gourmand n'est propre ni à la chasse,
ni à l'amour; et l'homme sobre est réduit à rougir de-
vant tous ceux qu'un tel stimulant élève au-dessus de
rhumanité.
Les fâcheux qui regrettent de voir le beau sexe s'as-
seoir à notre table , trouveront sans doute que la chasse
est aussi peu faite pour la beauté faible et délicate que
la gourmandise; mais ils ne peuvent pas ignorer que si
Vénus s'enflamma pour un mortel » ce mortel était un
chasseur» et que l'un des tableaux les plus ravissans
composés par les poètes , est celui des nymphes de Diane
poursuivant une biche au travers des forêts.
Alors la beauté se faisait gloire de s'associer aux gour-
mands , et les héros ne dédaignaient pas d'apprêter de
leurs mains le produit de leur chasse. Le plus souvent
un prince , loin de
Laisser le sceptre aux mains ou d'un maire ou d'un comte ,
se réservait le soin de pourvoir sa cuisine; et la prin-
cesse illustre dont s'honorait sa couche était sa cuisinière
et le meilleur convive de sa table (i).
Cet heureux temps reviendra , quelque eflTort que lui
(i) «Je me suis aperçue , dkait la reine Frédé^nde 9 qu'on a volé
dam nos celliers plosieun jambouB.» Une bouigeoûe aujourd'hui écla-
terait de rire eu apprenant qu'une reine allait dans ses celliers , et »a-
va't le compte de ses jambons.
^aa LE GASTRONOME FRANÇAIS.
oppose la corruption du siècle: l'Amour et la Gourman-
dise ont encore des autels c<Mnmuns , et les portes de
l'abstinence ne prévaudront point contre eux. Vénus et
Cornus ont fait une alliance durable; leurs enfans sont
unis par des nœuds indissolubles. Tant que le monde
existera les Gourmands et les Belles » liés par un même
intérêt » épuiseront la coupe du plaisir et du vin.
Le mois de septembre est celui où commencent les
réunions gourmandes : déjà l'on revient à la ville.
Toutes les productions animales et végétales, devenues
abondantes, provoquent à la joie des festins.
Tous les fruits sont mftrs. Parmi la volaille on dist
tingue le dindonneau» le caneton de Rouen et le pigeon
de volée.
Le premier des mois en r signale le retour des huî-
tres; la marée vient avec elles; la balle est habitée par
la raie, U tyr^ te flet , la moule , le merlan, la 9oU^ la
morue, le saumon, l'esturgeon, le carlet, l'éperlan,
le turbot, la crevette, la vive, la langouste, U homard,
la sardine fraichs , l* anchois , le thon mariné, etc. Tou-
tes ces paisibles créatures exotiques se rangent en ordre
les unes près des autres, et souiTrent, sans jalousie, à
leurs côtés, le brochet et la carpe sédentaires, venus des
étangs voisins; et cet amas des habitans de la mer et
de nos rivières semble retracer à l'œil du gourmand la
pêche miraculeuse.
Mais c'est le gibier qui fait la gloire du mois de sep-
tembre. Le lièvre et le lapin de garenne font abandonner
les boucheries; jusque sur les tables bourgeoises le che-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 225
yi«ail prodigue ses filets. Le fiion • le marcassÎD , la bure
de sanglier ornent les tables les plus somptueuses. La
caille rouge et grise, la perdrix, l'ortolan le disputent
à la poularde , qui Ta bientôt recevoir , avec la truffe de
Périgord, de nouveaux titres à Famour des Gourmands.
La bécassine revient en septembre visiter nos cli-
mats; on l'accueille dès le débotté à coups de fusil; et ,
bien qu'elle soit loin de posséder le délicieux fumet , les
principes de succulence et de volatilité qui font de ma-
dame sa mère le plus distingué des rôtis , elle fait son
entrée sur nos tables au milieu des transports de joie »et
Ton s'empresse de lui rendre des honneurs.
De leur côté , les grives dont le raisin est le père nour-
ricier » sont parvenues h leur plus haut degré de perfec-
tion. Gomme tous les ivrognes , ce gibier est plein de
délicatesse et de bonnes qualités. Gastbrmank.
tt (^gjdttjficf tt H (^^u^ssxn.
Noirs avons en d'autres temps parlé du cochon ordi-
naire ou domestique ( que les naturalistes appellent ver-
rat); nous allons profiter de la saison pour parler du co-
chon sauvage et de son enfant, le sanglier et le marcassin.
Le sanglier, dit Yalmont de Bomare, ne diffère, à
l'extérieur , du cochon domestique qu'en ce qu'il a les
dtfenses plus grandes et plus tranchantes; le boutoir
(le groin) plus fort , et la tête, ou hure, plus longue :
294 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
il est couvert , comme le cochon , de soies dures et
pliantes; mais il a de plus un poil toufours noir, doux
et frisé À peu près comme de la laine.
Quand un sanglier n'est âgé que de six mois on rap-
pelle marcasnn; alors il a des couleurs qu'il perd dans
la suite : c'est ce que Ton appelle la livrée. Cette li-
vrée, qui est marquée sur le fœtus dès qu'il a du poil »
forme des bandes qui s'étendent le long du corps , de-
puis la tête jusqu'^ la queue » et qui sont alternativement
fauvc-dair ei de couleur mêlée de fauve et de brun ;
celle qui se trouve sur le garrot et le long du dos est
noirâtre : il a sur le reste de la robe un mélange de blanc»
de fauve et de brun.
En lermes de chasse » le marcasnn, ou jeune san-
glier» lorsqu'il a passé six mois d'âge jusqu'à un an»
prend le nom de bête rousse : à un an il devient bête de
compagnie; on donne le nom de ragot au mâle entre
deux ou trois ans. A trois ans faits il est sanglier; à
cpiatre ans on le nomme quartan ou çuartanitr; à cinq
ans grand sanglier ; enfin , à six ans , grand vieux san.
glier.
Il est important de bien connaître le sangfier lors-
qu'on veut le chasser » et c'est pourquoi nous entrons
dans de si grands détaHs. Il est surtout essentiel de bien
distinguer le jeune du vieux , le mâle de la femelle,
appelée laie. On les juge , ajoute encore M. de Bomare,
par les traces, les boutis, le fouil ci la bauge.
La béte de compagnie mâle a plus de pied devant que
derrière, et porte toujours la trace de derrière dans
LE GASTRONOiME FRANÇAIS. 220
celle de devant » un peu à côté et en deihors; se» pinces
sont grosses et ses côtés tranchans; il donne de ses
gardes à terre : à son tiers-an les pinces sont plus grosses
et £lus rondes; ses gardes sont plus élargies. La même
bête femelle a les pinces pointues; elle met la trace de der-
rière en deda ns de celle de devant ; ses gardes sont serrées.
Les quartaniers et autres vieux sangliers ont les
traces grandes et lai^s , les tranchans du côté de la
pince usés.
La quête du sanglier se fait en hiver dans les forêts
les plus garnies d*épines>» et c'est aux mois de juillet >
août et septembre que les sangliers abandonnent les
grands forts pour se retirer aux pointes des forêts du
côté oii sont les blés et les fruits. En octobre et no-
vembre ils se retirent dans les hautes futaies et dans les
taillis, où ils se nourrissent de faine , de gland et de
noisette : Ils sont à craindre dans cette saison; c'est-à-
dire le ragot, le sanglier à son tiers-an, et le quarta-
nier. En décembre on revoit des sangliers partout, parce
que c'est le temps du rut : ils sont alors d'une puanteur
insupportable qui rebute les vieux limiers.
On chasse le sanglier à force ouverte avec des chiens,
ou bien on le tue par surprise pendant la nuit au clair de la
lune; mais les chasseurs n^ignorent pas que le sanglier
voit , entend et sent de fort loin , et qu'ils sont obligés,
pour le surprendre , de l'attendre en silence , et de se
placer au-dessous du vent pour dérobera son odorat les
émanations qui le frappent de loin, et toujours assez
viveaient pour lui faire sur-le-champ rebrousser chemin.
i5
9 96 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Un jeune sanglier de Irois ans est difficile à forcer;
pour mieux faire face aux chiens , il s^accule cooire un
arbre 9 et en tue ou en éventre plusieurs. Pour attaquer
ces animaux» il faut se placer dans le meilleur poste,
être à cheyal» et armé d'un fusil chargé à balles, et à
deux coups , pour plus grande sûreté. Il n'y a personne
qui ose demeurer à pied sans fusil , pa rce que le san-
glier accourt au bruit et à la voix des personnes, et bit
de cruelles blessures.
Aussitôt que le sanglier est tué, les chasseurs doivent
avoir grand soin de le chaponner; c'est-à^ire de lui cou-
per les suites , dont l'odeur est si forte , que si l'on passe
seulement cinq ou six heures sans fiiire cette opération,
toute la chair en est infecte, et rebute même les limiers.
Au reste , il n'y a que la hure qui soit bonne dans un
sanglier , au lieu que toute la chair du marcassin est
délicate, et même assez fine; mais elle n'est bonne que
rôtie. G. L. C
(tccÇtt^ con<|itériint b< T^nbe.
lUa diêâ hiBcest, quà te ceiebnvre poetœ
Si modo non faHuntiempora, Bacehe, 9olent,
Otid. Trist, liv. 5, élég. 3.
Lb dieu de la vendange fut un héros puissant, un sage
vénérable, un intrépide chevalier errant; rival d'Her-
cule çt de Thésée, il terrassa les monstres et apprivoisa
les tigres; législateur du monde, il promulgua du haut
LE GASTRONOME FRANÇAIS. «s^
dv tonoeau de Silène les lois les plus anciennes et les
fins respectées ; consolateur des belles et réparateur des
^ torts, il eflàça l'injure faite aux charmes d'Ariane. Un
de. nos conYÎves fut rhistoriographe de ce dernier genre
' d'exploits:
Au fond d'un bois
Ariane aux abois
Pleure la perte de Thésée ;
Bacchus accourt
Avec toate sa cour;
Soudain la belle est appaisée :
Le dieu lui feit d'abord
L'offre d'un rouge bord ;
A ses instances elle cède :
Séduite par ce jus diyin.
Bientôt à l'ivresse du vin
L'ivresse de l'amour succède, (i )
Bacchus planta la vigne où nous allons prendre le thè ;
iiaelle honteuse comparaison pour ses indignes succes<-
seurs ! nous allons chercher de Tor où il naturalisa le
bonheur. Hélas I il n'y a plus de raisin aux bords du
Gange ! cette patrie des arts et du plaisir est devenue pres-
que barbare depuis qu'on a négligé d'y faire fermenter
le jus conservateur et réparateur: où régnaient la joie et
la bonne intelligence on se dispute à coups de canon des
perles , des épices , et le berceau du genre humain est
devenu son tombeau.
(i) G« couplet fait partie d'une jolie chanson de M. Francis^ Nous ]a
placerons au mois d'octobre.
238 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Sans le poivre et la muscade , qui irritent la soif et
l'appétit de l'Amour , l'Iode serait une terre tout-à-fiiit
maudite»
Voyez comme notre conquérant faisait la guerre : il
combattait la coupe à la main; de sa coupe découlait la
persuasion en mousse pétillante; sa marche était une
pompe triomphale; ses soldats, couronnés de lierre. Ter-
saient du yin aux vaincus ; et les Bacchantes , sous les
ordres d'Erigone, achevaient d'enivrer par un seul re-
gard tous ceux qui osaient résister à la vertu du thyrse.
Le fils légitime de Jupiter et de Sémélé montra le che-
min à cet autre enfant équivoque de son père , qui fit
tant de bruit en Asie, et qui, voulant imiter les hauts
faits de sonatné, passait les nuits dans les festins bachi-
ques; mais Alexandre, moins dieu que son frère, suc-
comba sous le faix d'une coupe aux larges flancs que son
audace, plus grande que sa soif, osa tenter de boire
d'un seul trait: s'il l'eût achevée, sa gloire était parfaite,
et sans doute un autre Bacchus, inspiré par le vîn , au-
rait rendu la paix à l'univers. Tout le monde sait que
Bacchus peut plus qu'Apollon, que Mars et que Minerve;
c^est ce que n'ont cessé de répéter les poètes dans toutes
les langues qui se parlent en vers (i).
Cl) Voyez entre autres le poëme en trois chants d'Obsopaus , sur l'ut
'de 'boii^ ; si las ?ers n'en sont pQ9 sublime» , les pensées n'en sont pas
tnoins admi-pables :
Pturibus cxhauslo crestU sapicniia vino ;
Fittfue Solon tubiià, qui fuit anté Midas.t,
Baccke, paicr valum, dulcisùm» Baccht t/eorum .'... etc.
LE GASTRONOME FRAWÇAIS. 229^
Nous ne rappelons les exploits et la gloire de Bacchus
t|ue pour tâcher de ranimer parmi nos contemporains
un devoir qu'ils négligent et un usage qui s'éteint. Nos
ancêtres buvaient mieux que nous » et valaient certes
davantage. On allait autrefois chercher la sagesse aux
Indes : que nos philosophes voyagent ; ne seront-ils pas
ei&rayés du sort des Indiens ? Quand ils désapprirent à
boire ils cessèrent d'être heureux.
Le mois de septembre est celui de la vendange » et il
convient de le consacrer à Bacchus. A Rome les autres
dieux lui rendaient alors eux-mêmes des honneurs : à
la fête des Méditrinales le prêtre de Mars buvait du vin
nouveau pour la première fois , en prononçant, ces mois,
sacramentels :
Novo veteri morbo medeor.
Le mois de septembre est le temps du plaisir et de la
bonne chère; c'est le carnaval de la belle saison : la
terre est alors une habitation céleste; les festins peu-
vent se faire sous l'ombrage , au milieu des richesses de
la nature; le nectar coule et se dore aux rayons du so-
leil; les émanations de la cave qui fermente se mêlent
au parfum des fleurs d'automne; des Hébé villageoises
versent y au bruit des chansons» le vin clarifié. Quand
on rit, qu'on s'embrasse, et qu'on est dans l'ivresse,
que reste-t-il à envier aux dieux?...
Gastebmann.
DU LlkVBE ET DU LEVREAU. *
Un civet de lièvre , un pâté de lièvre , un train d&
s3o LB GASTRONOME FRANÇAIS.
lièvre ftoiit toujours marqués en lettres italiques sur I*
carte d'un restaurateur habile.
Le premier pâté qui se mangea fut composé de la chair
d'un lièvre; et cet aimable anachorète des champs»
compté depuis long-temps paroules mets les plus exquis,
continue toujours à faire les d^ices des vrais gourmands »
malgré Topinion défavorable que quelques savans en tu»
et non en os, ont répandue sur son compte.
Le lièvre &it en quelque sorte partie nécessaire d*an
repas donné en automne » et nous plaçons un civet bien
lait au môme rang qu'une matelote.
Le LBVBBAu ne diffère du lièvre que par un petit sail-
lant qu'on sent à la première jointure , près de la patte
du devant. Sa jeunesse le rendant plus tendre que le
Kèvre , sa chair a encore plus que celle de ce dernier le
mérite d'être d'une facile digestion ; elle fournit d'ailleurs
un aliment délicat , succulent , relevé par le fumet , qui
est peut-être un principe utile et bien&isant. Les estomacs
accoutumés aux nourritures grossières s'en acconunodent
très-bien en la mangeant avec les assaisonnemens forts ,
tels que le vinaigre » le poivre , etc. ; mais les personnes
accoutumées à une nourriture légère doivent préférer
cette viande rôtie.
Enfin un lièvre ou un^levreau jeune , tendre , gras et
bien nourri, que l'on aura surtout bien fatigué à b
chasse » fera de tout temps une de nos plus grandes
jouissances.
Cet animal , dont on fait des daubes et des pâtés ex-
cellens , se prête encore à une infinité de ragoûts » dont
LE GASTRONOiME FRANÇAIS. 23 1
le plus difficile à fiiire est le ci?et; noas allons en don-
ner la recette.
GIVBT D£ LlhVBfi.
Voulex-Tous fa re un cWet de lié? re , pronei un HèYre (i) , mais
cbouitsez de préférence an bon UèTre des montagnes , ( qui vaut infini-
ment mieoz qu'un lièvre de la plaine ) et lorsque tous l'aurez dépouillé
et vidé, coupez-le par morceaux d'égale grosseur ; mettez dans une cas-
serole un morceau de beurre et de la farine en proportion '; faites un
roux , et lorsqu'il sera presque fini , jetez-j vingt-cinq à trente morceaux
de petit lard ; passez^ies à petit feu pendant dix minutes ; mettez-y votre
lièvre ainsi que vous l'avez préparé , et faites-le revenir jusqu'à ce que
la chair en soit bien ferme ; mouillez alors votre civet avec du vin ronge
et un peu de bouillon ; ayez soin que votre ragoût soit batgné (c'est-à-
dire que la viande nage dan s la sance ) ; assaisonnez de très-peu de sel ,
à cause du petit lard , mettez poivre , trois clous de girofle , un bouquet
garni de persil, ciboules, thym, une fenille de laurier, et quelques cham-
pignons si vous en avez. Lorsque votre civet sera aux trois quarts cuit ,
mettez y quelques petits oignons bien égaux et bien épluchés ; ( vous
pouvez les passer dans du beurre , si vousvoulez , comme pour une ma-
telote), La sauce réduite et votre civet cuit , dégraissez-le ; goûtez s'il est
de bon goût ; drèsscz^Ie en passant la sauce à Tétamine, si vous le jngez
convenable 9 et servez bien chaud.
ê
CIVBT AU SANG.
Le QÎvet au sang se fait de la même manière que ci-dessus ; on observe
(1) Que de sens , que de raison , renferme la condition qui précède
cette recette alimentaire I Si l'on n'avait qu'un lapin , on n'obtiendrait
qu'une gibelotte. Cette formule devrait être , selon nous , le protocole
obligé de toutes les actions importantes de la vie. Voulez-vous avoir
une bonne cuisine F prenez un bon cuisinier ; voulez-vous avoir du vin ?
prenez du raisin ; avez-vous des calculs à faire F prenez un calculateur ;
etn'oubfiez pas cette réflexion accablante de Figaro, repoussé d'un em-
ploi auquel il était propre : UfaUait un cateulaieur, ce fui un danteur qui
f obtint,.. Voulez- vous un civet de lièvre J Prenez un lièvre.
i^ I
a5a LE GASTRONOME FRANÇAIS.
seulement de conaenrer toat le sang do lièvre. On le toct dans la sauce
avant de la vider; on remue fortement jusqu'à ce qu'elle soit bien
chaude (car il ne Faut pas la laUser bouillir); on la passe à l'étamioe,
ainsi que la première , et on. la verse de même sur le ragoût , que Ton a
également eu soin de dresser sur un plat.
Une chose essentielle en pareil cas, c'est de tenir le ronz pins léger
que dans le civet ordinaire, attendu que le sang lie assez la sauce par
lui-même.
LEVREAU A LA BROCHE.
Aussitôt que votre levreau sera dépouillé et vidé, vous le ferez refenir
sur un fourneau ardent ; et quand vous vous apercevrez que les chain
sont assez fermes pour que la lardoire puisse passer facilement , retirez-
Jede dessus le. feu; trempez ensuite le mou du foie dans son sang, et
servez-vous en en guise d'épongé pour le colorer dans tout son exté-
rieur ; piquez-le ensuite depuis le cou jusqu'au bout des cuisses , en ob-
servant cependant de laisser une distance d'environ un pouce entre les
reins et ces dernières; embrocbez-lc, et retirez-le de la broche après trois
petits quarts-d'heure ; ce temps suffit (à un feu égal) pour sa cuisson.
La grande habitude est de servir avec le levreau r6ti une sauce jm-
quante , connue principalement dans le midi de la France sous lemoiu
de saupiquet. Si vous voulez la faire , en voici la recette :
Pilez le foie à cru ; passez-le dans une casserole avec un petit morceau
de beurre , quelques échalottes, (on met de l'ail dans le Midi ) , du per-
HÎl, du thym, du laurier et environ une cuillerée à bouche de farine,
qu'il faut faire revenir avec l'assaisonnement ; ajoutez deux verres de
bouillon , un verre de vin blanc et un peu de vinaigre ; tournez cons-
tamment votre sauce jusqu'à ce qu'elle bouille; mettez-y de sel une
dose ordinaire, mais du poivre assez pour qu'il domine; laissez-la ré-
duire à moitié; passez-la à l'étamioe sans la fouler trop fort , et servei-
la dans une saucière à côté du plat de rôt.
Il n'est pas utile de piquer toujours un levreau pour le mettre à b
broche ; mais , dans le cas contraire, il faut au moins le couvrir de bardes
dopais le cou jusqu'aux cuisses , afin d'humecter sa chair nattirellemeal
Mche. G.etB.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. sSS
DBS PERDRIX.
Oq distingue trois classes de perdrix : les rouges , les
blanches et les grises : les premières , d'un mérite supé-
rieur aux deux autres , sont fort communes aux environs
du Mans, dans le midi de la France, principalement aux
environs de Brives , Périgueux , Gahors , et presque dans
tout le Languedoc ; la perdrix blanche se tient concen-
trée dans les Alpes et dans les Pyrénées, d'où elle ne
sort que fort rarement, et à grands frais, pour venir
figurer sur les tables de nos modernes Crésus; \a perdrix
grise est la plus abondante , et c'est celle qui avec sa
sœur ( la rouge ) viennent plus communément garnir la
carnassière du chasseur et la table des Gourmands , qui
ont le bon esprit de préférer ce qui est essentiellement
bon à ce qui n'a d'autre mérite que celui de la rareté.
La perdrix rouge habite plus volontiers les hauteurs ,
et la grise préfère la plaine : la première a un très-beau
plumage et la chair d'un blanc jaune : la seconde a la
chair d'un gris noir : elles ne doivent être mangées l'une
et l'autre que quelques jours après avoir été tuées. En
général la chair de cet oiseau est restaurante et forti-
fiante; elle produit un bon sac , convient à tous, les tem-
përamens, et principalement aux personnes convales-
centes.
Il est une foule de métamorphoses auxquelles la per-
drix se prête : c'est avec des perdrix que l'on fait les suc-
culens potages à la reine, aux lentilles, etc.; elles do-
minent et embaument les pâtés de Périgueux , monument
éternel de gloire et d'admiration ; on mange les perdax
^
•i34 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
à la braise, à la êauce de carpe, aux truffes, à la Saini-
Laurent, à la maître Lucas, à Y espagnole ^ etc. , etc. ,
une page d'etc... ; on les mange aux chaux; et comme
cette manière prévaut en ce moment , nous allons en
mettre la recette sous les yeux de nos lecteurs.
PERDBIX AUX CHOUX.
Preoes trois Tiailles perdrix ; plamez-lei et fidet4ei le piiu propre-
ment powible ; flambez-les léfèremeat ; piqnet-les de moyens lardons ;
assaisonnez de sel , de thym pilé , d*épices , et troassea les pattes en
dedans.
Mettez ensuite des bardes de lard dans le fond d'ane casserole ; pla-
cez-y Tos perdrix avec une Une de petit lard, que tous aarei bien
nettoyé et iait blanchir; Joignez-y un moyen cerrelas, et coavres, si
vous le Toulez encore , vos perdrix de bardes de lard pareilles à celles
que TOUS avez mises dessous ; ajoutez deux carottes , deux oignons , un
troisième piqué de trois clous de girofle et une feuille de laurier.
A.près cela ayez des choux bien sains; (les choux de Milan sont les
meilleurs } faites-les i>lanchir« pressez-les , et faites-en pinsieun paquets
bien ficelés que tous placerez par dessus tos perdrix ; mettez on peu de
bouillon ; couvrez le tout d^un papier beurré, et faites-le mijoter enviroo
trois heures , feu dessus et dessous.
Au moment de servir égouttea vos perdrix , et dressez-les sur un plat ;
égouttez de même vos choux en Ui pretioM foiiement, et placez-les i
l'en tour des perdrix ; coupez ensuite la livre de petit lard en morceaux :
posez-les de distance en distance sur les choux , ainsi que le cervelas
que vous couperez par petites tranches ; mettez par-des»ua tout cela
une sauce à l'espagnole réduite » et servez. G. et B.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. a35
©dabr^.
LE MOIS VINEUX, OU LES RAISINS.
Que le ciel garantisse et préserve d'orage
Les ceps de la Champagne et ceux de rHermitage !
Garde le clos Yougeot, celui de Ghambertin
Des ardeurs de l'été ^ des fraîcheurs du matin t.. .
Gastronomie, ch. 4*
Depuis Noé» Bacchus et autres buveurs contempo-
rains, le vin est regardé comme le fruit le plus merveil-
leux de la culture et le don le plus précieux de la muni-
ficence céleste. Les plus grands poètes ont fait son éloge»
à commencer par le premier de tous :
LduuUbtu arguitur vini vinosus H orneras,
HoR., ép. ig.
On ne tarit pas sur ses bienfaits et sur ses charmes :
t II donne du courage » produit la franchise et l'amitié ^
embellit Tespérance» chasse le souci , fieiit éclore les beaux
arts y inspire l'éloquence et enfante la liberté (i)« »
(i) Quid non ûèriêtoM désignât? operta reeituUt ;
Spujukêttêtù raioê ; in prœUa trudU ineriêm ;
Solûàtis animii onu$ eçoùnit ; tutdoeet artes .
Fhemuli ealicei quêm non f§eere dUertum i
Contracta qucm rum in pauperiate sotuium?
HoB.)é/7. 5.
256 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
■ Horace va plus loin; il prétend que quiconque ne sail
pas boire n*a ni Verve ni génie.
Nuila placer e diu, nec vtvere carmina possunt
Quœ scribuntur aguœpotoribus,..
Ép. 19.
Buvons donc pour être aimables , et chantons Bac-
chus pour être bien inspirés ! Empruntons la langue des
poètes; c'est par des hymnes qu'il convient de célébrer
nos mystères. Répétons les refrains joyeux du panégy-
riste du Falerne, et chantons soir et matin avec lui...
nuncest bibendum.».
Un érudit, dont Tesprit et la raison ne sont pas con-
testés, a fait un livre raisonnablement gros intitulé : Eloge
de l'Ivresse,
M. de Sallengres a très-bien prouvé que le vin est ce
qui a été donné de meilleur à Thomme; et quand nos
lecteurs sauront combien c'est un remède puissant con-
tre le chagrin, combien il donne de bonnes pensées, de
beaux sentimens , de douces illusions , il n'en est aucun
qui ne rougît de craindre de s'enivrer avec les sages ,
l'es philosophes, les poètes, les sa vans, les pères de l'é-
glise , les moines , les papes , les saints même , et tout ce
que le soleil a vu de plus illustre^
Rien n'égale la logique pressante et l'éloquence fou-
droyante de l'auteur quand il réfute les objectian« hon-
teuses ou ridicules des détracteurs de l'ivresse; c'est un
torrent ! c'est un tonnerre 1
Une vérité qui ne trouvera point d'incrédules , c'est
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 257
qae le culte de Bacchus a survécu à toutes les fêtes du
paganisme; il compte encore autant de fidèles que l'Eu-
rope renferme de Gourmands : c'est y comprendre à peu
près tous les chrétiens qui l'habitent.
Il n'est point de pays vignoble ou les vendanges ne
soient une sorte de solennité bruyante et joyeuse fort
ressemblante aux bacchanales ; il ne se donne point de
repas où les libations libérales n'arrosent l'autel et ne
purifient le palais des convives. Nos pressoirs , nos cel-
liers et nos caves sont les temples du dieu » et chaque
quaHier de vigne est un terrain consacré.
Il n'y a point de sage qui ne s'enivre une fois dans sa
vie; le savant Hippocrate et le grave Catonsont d'accord
sur ce point de physique et de morale : l'un conseillait
l'ivresse quelquefois pour la santé » et l'autre exécutait
ce précepte divin.
Gallien, Avicène
Nous conseillent Tivresse une fois par semaine.
Gastr.
Narratur et prisci Catonis
Sœpe mero caluUse virtus.
HoR., ode 21 j iiv. 3.
Nous ne ferons pas schisme dans cette douce croyance.
L'obligation de boire est pour nous un article de foi ; et,
comme nous ne chérissons rien tant que nos devoirs ,
nous redoublons de zèle au signal des cymbales et du
tambourin que frappe le thyrse des Bacchantes.
Couronnée de pampres verts , et les mains pleines de
238 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
raisins pourprés et dorés , la beauté la pins séTère est
une Ariane que le rendangeur désarme et console à
Texemple du dieu qui l'inspire.
Quelle rigueur tint jamais contre ]a mousse pétillante
du Champagne y et le bouquet parfumé du Constance !
mais
Qao me Bacche , rapis tui
Plénum?
y Lir. 4 9 ode a5.
A cette grande époque où la cuve fermente » où les
flots de nectar abreuvent le sein de la terre, tout vrai
buveur doit suspendre son attention » et faire trêve à ses
plaisirs pour employer ses forces à recueillir les émana-
tions les plus subtiles de la treille. Les mystères d'Evohé
commandent le recueillement et la prudence; Tamour
même ne doit se mêler qu'avec précaution à ses fêles
annuelles.
On fait l'amour dans tous les temps,
On ne fait du vin qu'eu automne.
Gastbrhann.
U ^^ttd^M^iS.
ViTi s'écoule et fait place à l'automne. Le prin-
temps nous promit de beaux jours et de plus solides
richesses que ses fleurs , l'été nous donna ses ardeurs
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 239
et ses orages; l'automne seul acquitte les promesses du
printemps , et répare les outrages de Tété. La feuille ,
desséchée par les feux de la canicule » est remplacée par
h sève d'automne; c'est la saison des chasseurs , des
convives , des amans , comme c'est celle qui met à cou-
vert le produit des labeurs de ses sœurs. Remarquons
même que c'est dans le mois où la terre » épuisée par ses
dons, va goûter le repos» que depuis l'espiègle écolier jus-
qu'au grave interprète des lois de Thémis , tout dans la
nature , par un concert unanim^e , a placé les vacances ;
H n'est ancun de nos lecteurs , même au front ombragé
de cheveux blancs » qui » en lisant ce mot autrefois si
(été, vacances, ne sente encore palpiter son cœur
d'émoi au doux souvenir de sa jeunesse, de ses exploits
classiques , de ses succès de collège , et de son retour
sous le toit paternel. Dans ce mois , dont la tempé-
rature se compose des ardeurs expirantes de l'été et de
la fraîcheur avant-courrière de l'hiver , un goût plus
épuré préside aux compositions du poète , du peintre et
du musicien : on imagine au printemps , on médite en
été , on exécute en automne pour corriger en hiver; et
il est rare que l'épreuve de ces quatre influences n'as-
sure pas le succès de l'auteur , qui les consulta tour à
tour pour recevoir les diverses inspirations de ces divers
temps de l'année. C'est dans le mois d'octobre qu'il ap-
partient de célébrer les dons du vainqueur de V Indus ,
et de chanter le dieu des vendanges au miliw des grou-
pes réunis par son culte. Remplis ma coupe , Erigone ,
en pressant sous tes doigts rougissans cette grappe arra-
24o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
chée au pampre qui couronne ton front I Déserlanl le
séjour de'Cythèrc » Amour s'est fait vendangeur; et tau-
dis que les Grâces , ses compagnes , que les nymphes du
bocage remplissent leurs paniers des dépouilles de la
vigne 9 Fenfant malin , aux ailes dorées , quitte sa légère
écharpe» son carquois» et jusqu'à son bandeau, pour
fouler le raisin bouillonnant dans la cutc. Lextrémilé
de ses ailes se teint de cette couleur vermeille ,. et c'est
de ces plumes purpurines qu'il arme les flèches dont il
blesse ces bergèi^es qui , pendant les fêtes consacrées à
Racchus , boivent à longs traits le doux poison d'amour
avec le jus de la treille.
D'autres rediront des hymnes à Racchus» des chants
au dieu d'amour; moi , dans un idiome plus vulgaire,
je vais continuer de célébrer les bienfaits du patriarche
qui» le premier» enrichit l'Orient de la culture de la
vigne » et au conquérant qui » ne voulant que des sujets
vaincus par ses largesses » faisait précéder de tonneaux
ses armées » et ne combattait que ceux qui refusaient de
lui prêter leur hommage en portant sa coupe à leurs lè-
vres. Heureux propagandiste d'un culte dont la morale
fut fondée au bruit des flacons et des verres > dont les
lois n'ont de règle que la soif des convives » et d'empire
que sur un peuple d'adorateurs dévoués et fervens !
Une vapeur vineuse embaume les airs; parcourons
les coteaux ouverts à la vendange : voyez ce groupe
de corybantes agiter le thyrse » et s'animer à la con-
quête des richesses de la vigne dès l'aube du jour ! Les
cuves sont dressées, le pressoir est abreuvé; la vis graîs-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 24 1
sée roule dans «es écrous; des charrettes ont déposé à
l'extrémité de chaque héritage les tonneaux que vont
remplir les agiles vendangeuses. '€'est bien ici le -mo-
ment de dire avec le chantre immortel des Saisons :
« Jouissez^ 6 mortels, et par des cris de joie
» Rendez grâces au ciel des biens qu'il tous envoie ;
o Que la danse et les chants, les jeux et les amours,
• Signalent à-la-foîs les derniers des.beaux jours ! »
GHiaLBS SÂaTBOUYlLi:.B.
^^<^ ^^etibatige^ ^msmnt^.
On vendange en septembre^ dans les états méridio-
naux du Bacchus européen; mais pour une partie de
la Bourgogne , de la Champagne et des rives rhénanes ,
le pressoir ne coule qu'en octobre. Le raisin pend en -
core aux ceps de Surène et du mont Yalérien , et c'est
le plus glorieux moment pour les vignes de la banlieue
de Lutèce.
Rendons-nous , mes amis , au temple le plus prochain
du dieu dont nous professons le cuke; partout où le vin
fume le plaisir nous attend; amenons nos amies, et
n'oublions pas les flacons de THermila^e et de Volnay«
Nous verrons faire du Surène, mais nous n'en boirons
pas; l'amour se chargera de nous ôter la raison; et,
mariant » par des libations de vieux Bordeaux , la Ga«
16
•4t LE GASTRONOME FRANÇAIS.
ronne au dieu de la Seioe , peut-être inoculerons-noiu
le bon vin , comme la raccine , à tous les crûs du canton.
Dans Tespoir de ce miracle , qui a déjà été fait aux
noces de Cana» buvons et réjouissons-nous; que nos
festins durent autant que les vendanges; que les vendanges
durent pour nous toute Tannée. Une soif inextinguible ,
un appétit toujours renaissant sont des biens trop au-
dessus des mortels ; mais entre la coupe qui pétille et la
nymphe qui la remplit le désir succède de près au plaisir;
car de tous les humains c'est le buveur qui goûte le plus
de la suprême félicité.
Qu'on cesse de nous débiter les lieux communs de la
sobriété contre l'ivresse ; que d'autorités respectables
ne pourrions nous pas opposera Tenvie ! mais qu'il nous
suffise de citer ces dictons proverbiaux , la sagesse des
nations et le produit de l'expérience : Boire comme un
templier, mener une vie de chanoine , être greu comme
un moine , faire un repas de pape.
Hé bien , favoris de Momus et d'Evohé , voulons-nous
autre chose qu'imiter ces chevaliers valeureux, ces sages
solitaires? Si nous mêlons un peu d'amouretles k leurs
saintes habitudes , cela y gfite-t-il quelque chose ? et ne
faudrait- il pas être évidemment mal intentionné pour
nous en (aire un nouveau crime ?
Celui-là fut maudit en naissant dont le front ne s'épa-
nouit jamais à table , et dont les yeux ne s'animent point
à la rencontre de deux beaux yeux.
Or» il ne s'agit pas ici de nous reproche^ des excès;
qui use s expose nécessairement à abuser quelquefois :
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 245
l'excès est aussi dans la précaution et le scrupule, et qui
craint d'abuser b*usera jamais de rien.
Non est res quâ erùbescam, ù die festo ihter œqualeê
litrgiare vino sim usus.
Ces paroles sont tirées de Tlie-Live , liv. 4o » chap. j4>
^ilts serrent à prouver queQe peuple le plus sobre et le
plus austère de l'antiquité était beaucoup moins cha-
touilleux que certains casuistes modernes pour 4|ui la
joie est un éponrantail , et la table un écueil.
Clttophok.
Nous ne pouvons résister au désir de citer cet enivrant
tableau de la vendange :
Déjà près de la vigne un grand peuple s'avance^
Il s'j déploie en ordre , et le travail commence ;
Le vieillard que conduit Tespoir du vin nouveau^
Arrive le premier au penchant du coteau ;
Déjà l'heureux Lihdor et Lisette charmée
Tranchent au même oeps la grappe parfumée ;
Ils chantent leurs amours et le Dieu des raisins ;
Une troupe à ces chants répond des monts voisins;
Le bnijMit tambourin , le fifre et la trompette ,
Font entendre des airs que le vallon répète.
Le rire, les concerts, les cris du vendangeur
Fixent sur le coteau les regards du chasseur.
Mais le travail s'avance ^ et les grappes vermeilles
S'élèvent en monceaux dans de vastes corbeilles;
Colin, le corps penché sur ses genoux tremblans^
De la vigne au cellier les transporte à pAs lents;
a44 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Une foule d*enfans autour de lui s'empresse.
Et l'annonce de loin par des cris d'allégresse.
Mais je Tois sur les monts tomber l'astre du jour;
Le peuple vendangeur médite son retour :
Il arrive, ô Bacchus, en chantant tes louanges;
Il danse autour du char qui porte les vendanges ;
Ce char est couronné de fleurs et de rameaux ,
Et la grappe en festons pend au front des taureaux.
SÀiNT-LAiaEET (le^ Saisons),
Arrivés au pressoir, du milieu de la foule
Dn couple pétulant s'élance, écrase, foule;
Sous ses bonds redoublés , des grappes en monceaux
Le vin jaillit, écume, et coule en longs ruisseaux.
A ces ruisseaux pourprés enivrez-vous ensemble ,
G vous tous que la soif près des cuves rassemble I
Creusez vos mains en coupe, et que sur vos habits
De vos mentons rians le vin coule en rubis r
D'un bachique repas couronnez la journée.
Les soucis, les travaux, les sueurs de l'année
Vous méritent assez ce bonheur d'un momentl
RouGHEB (les Mois),
TRINQUONS I
Aïs : Bottfour «t bonioir, mt : Tarare Pcmpon. (N. 63 d« la Cié ia C^vam } fi)
Nous pouvons au dessert
Rimer malgjré Minerve
Lorsque Bacchus nous sert
A former un concert ;
(i) Recueil de muâi{iie contenant ao3o aiiv, troixlèine édition , qui »*
▼end chez MM. Janet et GoteUe , rue Saint-Ilonoré , hôtel d'Aligie.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 245
Ayons donc en réserre
Quelques bons vieux flacons.
Et pour nous mettre en Ter ve
Trînqiuons !
Le vin serrît Panard
Mieux que Veau du Pennesse ;
Un chansonnier canard
N'aurait pas eu son art :
Bacchus donne sans cesse
Le courage aux Gascons,
Aux auteurs la richesse... ^
"trinquons!
Des Zéphîrs care sans
Quand Thaleine légère
Vient ranimer nos sens
Et nos gazons naissans , •
Pour fléchir la bergère-
Qu'en Tain nous attaquons ^
Au bois sur la fougère
Trinquons!
Malgré Zéphlr en pleurs ,
Quand de longues journées^
Sèchent par leurs chaleurs
Nos gosiers et nos fleurs ,
Nos fleurs tombent fanées ;
Nous qui les remarquons ,
Pour fuir leurs destinées
Trinquons!-
946 LB GASTBONOME FRANÇAIS.
Forcés de nous ra«seoir
Lorsqu'il tonne en automne ,
Restons dans le pressoir
Du matin jusqu'au soir .
Pour oublier qu'il tonne j
En buyeurs rubiconds.
Sur le cul d'une tonne
Trinquons !
Pendant nos longs hirers
Plus de jeux sur l'herbette ;
Nos prés y nos gaxons Terts
De neige sont cour erts :
La yigne qu'elle arrête
• Languit sous ses flocons ;
Mais... la vendange est fiiite ;
Trinquons 1
Profitons des instans ;
Trinquons dans le bel âge ;
Trinquons lorsque le Temps
Vient nous rendre impotensl
Et pour le grand Toyage
Quand nous nous embarquons ,
Calment sur le rirage
Trinquons I
M. ÀAMAHP-GoorFÉ.
i
LB GASTRONOME FRANÇAIS; 947
*
CHANSON A BOIRE.
AiB : lioB«>ii« 4uil pot, M : To«|oart dtiiin^Mr mnm whm. ( N. M» m M dr li 914
du CaMflii. )
MiircBons, mangeons est le refrain
D'une chanson que j'aime (i) :
Ce doux refrain m'a mis en train ;
Je yeux chanter de même.
Plus nous j songeons ,
Mangeons , oui^ mangeons ;
C'est un titre à la gloire...
J'aime les bons mets ,
J'aime à manger ; mais
J'aime encore mieux boire.
C'est dans le fin qu'est le plaisir,
SI l'on en croit l'histoire.
Grégoire, ayant que de mourir,
Criait encore : J boire !
Et dans cet instant
Un buTCur prétend
« Que , jaloux de sa gloire ,.
Même après sa mort,
Il fit un effort ,
Etbut.... dans l'onde noire..
Sur la carte je rois souyent
La mer Adriatique,
La mer du Sud et du Leyant,.
Je yois la mer Baltique ;
Mais, delà gaité
Toujours enchanté,
(i*) Ghanfond« BI..Amiaiid-Gou(lfé^
948 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Péri te la mer noire :
Puis en bon gourmet
La rouge me plait ;
Car c'est la mer à boire.
Youlez-Yous bien faire Tamour?
Videz yingt fois tos verres :
Voulez-y ous rimer chaque |pur ?
Burezy bu?ez, mes frères :
Vraiment c'est en vain.
Qu'on blâme le yin;.
n donne de la gloire :.
Un auteur souvent
Arrive en roulant
Au Temple de Mémoire.
€risons le débile vieillard !
Que le Temps inquiète ; ^ '
C^risons la prude, le cafard ^
Et grisons la coquette ^
Grisons les enfans.
Grisons les mamans^.
Les faiseurs de gazettes ;
Grisons les garçons ,
Grisons les grisons,
Grisons jusqu'aux grisettes !
M. fiaizisa.^
F ERSE EN COR!...
{ 11. i»4o de h CM ^ Cw««i. )
Verse encor,
Encor,. encor, encor !. . .
i
i
LE GASTRONOME FRAN^ÎAIS. 249
Eacor un rouge bord ,
Dieu jouflu de la treille !...
Verse encor,
Encor^ ençor, encor!...
Par toi tout se réyeiUe,
Et sans toi tout est mort.
Toi qui 9 déplorant
Les misères humaines ,
Vas partout jurant
Et te désespérant,*
Pourquoi fulminer?
Moi , pour guérir mes peines.
Au lieu de tonner
J'aime mieux entonner :
Terse encor, etc.
Si, toujours heureux,
Alcide a tant su faire
D'exploits amoureux
Et d'exploits Taleureux,
C'est que, chaque fois
Qu'il partait pour la guerre s
Sa tonnante voix
Disait d'un ton grÎTois :
Verse encor, etc.
Amant qui, toujours
De soupirs et d'alarmes
* Attristes le cours
De tes sotte» amours ,
Répands loin de moi
Tes longs torrens de larmes >
85o LB GASTRONOME FRANÇAIS.
Nous ayons, ma foi ,
Bien assez d'eau sans toi...
Verse encor, etc.
k quoi bon ce gros.
Ce lourd dictionnaire ,
Que, mal-à-propos,
Surchargent tant de mots ?
N 'eût-il pas suffi
Au bonheur de la terre ,
D'en ayoir un qui
Gonttnt ces senls mots-ci :
Verse encor, etc.
Je tiens pour certain
Que notre premier homme
Bût, d'un tour de main,
SauTé le genre humain y
Si ce bon Adam,
Mettant, au lieu de pomme ,
Un broc sous sa dent ,
Eût dit, en le Tidant :
Verse encor, etc-
Pourquoi , Turcs damnés ,
Par un décret céleste ,
Êtes-Tous tous nés
A rôtir condamnés?
G*est que , réduits tous
Au sorbet indigeste ,
Aucun d'entre tous
Ne peut dire aTCc nous :
Verse encor^ etc.
À
LB GASTRONOMS FRANÇAIS. aSi
Du sort inhumain
SuiTant l'arrêt sévère^
Puisque hélas ! ta main ,
Peut-être dès demain
Ne Tersera plus
Dans mon sein ni mon terre.
Bienfaisant Bacchus,
Ton ivresse et ton jus,
Verse encor,
Encor, enoor, encor1.««
Encor un rouge bord ^
Dieu joufflu de la treille I...
Verse encor,
Encor, encor, encor !..•
Par toi tout se réyeille ,
Et sans toi tout est mort. DisAOCiERs.
LE DÉLIBE BACHIQUE.
An : Met «hers «mil ( N. S88 delà (^i «tu Comm. )
NiaGVB de ceux
Qu'un Champagne mousseux
N'inyite pas à la folie I
Le Terre en main
BuTons jusqu'à demain;
Le Tin &it naître la saillie.
Dans le sacré Talion ,
Aux genoux d'Apollon
Je Tois la tourbe subalterne :
Je ris de tous ces beaux esprits;
De Bacchus seul je suis épris ,
Et deTant lui je me proHeme.
1258 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
S'il peut saisir
La coupe du plaisir^
L'amant s'eaiyre avec délice.
Dès le matin
Le jeune sacristain
Se grise en vidant un calice.
De l'hypocrëne un coup
Étourdit tout à coup ;
L'on tombe , et Pégase détale.
Pour moi, l'on me fait boire en Tain y
Je sais , en nageant dans le yin y
Conserver la soif de Tantale.
Au fond d'un bois
àriane aux abois
Pleure la perte de Thésée..
Bacchus accourt
Avec toute sa cour :
Soudain la belle est apaisée.
Le dieu lui fait d'abord
L'offire d'un rouge bord :
A ses instances elle cède;
Séduite par ce jus divin.
Bientôt à l'ivresse du vin
L'ivresse de l'amour succède...
Que Gupidon,
« Sans carquois ni brandon ,
Au milieu des vignes s'élance ;
D'un pampre vert
Que son front soit couvert ;
Qu'un thjrse lui serve de lance }
i
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 255
Qu'assis sous un berceau ,
Son arc fait d'un cerceau ,
Et ses flèches des ceps d'automne ,
Il ait pour temple un grand cellier, ^
Pour prêtre un joyeux sommeiller,
Pour autel une large tonne !
Al. Francis.
LAMOVR ET LE VIN.
f N. tsi3 de la eu ihi Cntw.)
FoLATEOHS^ rions sans cesse ;
Que le Tin et la tendresse
Remplissent tous nos momens !
De myrte parons nos tètes,
Et.ne composons nos fêtes
Que de bureurs et d'amans.
Quand je bois, l'âme ravie.
Je ne porte point d'enyie
Aux trésors du plus grand roi :
Souvent j'ai tu sous la treille
Que Thémire et ma bouteille
Étaient encor trop pour moi.
S'il faut qu'à la sombre rive
Tôt ou tard chacun arriTC ,
YiTons exempts de chagrin ,
Et que la parque inhumaine
Au tombeau ne nous entraîne
Qu'ÎTrcs d'amour et de Tin.
Lavjon.
«54 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
LE VIN, L'JMOURET LA GAIETÉ,
ADIIMB AUX inCOEIlRt. ~
Air de lapramién nmfe du départ pour flaàii-Miltf f N. HéêUCU émC^Mmm. }
Ams y il est temps qu'on publie
Dans la yille et dans les faubourgs :
Sans Bacchus , l'Amour , la Folie ,
On ne peut compter d'heureux jours ;
Pour Tiyre sans cesse en goguettes.
Que ce refrain soit répété ;
Versons le yin, renTertons leê fillettes;
Vire la gaité !
A leur santé!*..
Bannissons toute inquiétude,
Et, laissant au sombre avenir
Le tableau de l'incertitude,
Déroulons celui du plaitir :
A flacons, beautés, chansonnettes
Jamais chagrin n'a résisté.
Versons le Tin, etc.
Narguant la gloire et la richesse,
A nos désirs mettons un frein
Quand nous avons jeune maîtresse,
Vieux Bourgogne et piquant refrain :
Tonneaux, carquois et castagnettes
Donnent seuls la félicité.
Versons le vin , etc.
S'il est un censeur trof sévère
Contre nous et nos partisans.
Dans sa mafn places un-grand verre ,
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. s55
Qu'emplira fille de quinze ao» ;
EntoDDez chansons guillerettes ;
Bientôt il dira transporté :
Versons le yin, etc.
Un philosophe a dit auj^ hommes :
« Craindre la mort est un aLus;
i> Elle n'est point tant que nous sommes ;
» Quand elle est nous ne sommes plus. »
Jusque là , yidant nos feuillettes ,
Aimant 9 chantant en liberté, -
Versons le yin , ren?ersons les fillettes ;
Yiye la gaîté !
A leur santé!.... €***
■BW
Un amphytrion qui se respecte, doit, en octobre, dire
«dieu à la campagne , et rouvrir les deux battans de la
salle à manger. Les légumes, le fruit, la volaille , le gi-
bier, permettent enfin des jouissances sans restriction.
Chaque matin la Halle et la Vallée se garnissent de mar-
chands et d'acheteurs ; il ne faut plus que de Targent et
de l'appétit pour faire bonne chère. Les poulets de grain
sont gras; TAhailard de nos basses-cours présente au
feu sa croupe arrondie; le lièvre et le dindon atteignent
l'fige viril. Le cuisinier aiguise ses couteaux, et son
ardeur se rallume avec ses fourneaux.
Le lapin timide , le bruyant faisan , la tortueuse per-
drix ont recours à mille ruses pour se soustraire à l'im-
pitoyable chasseur; et, tandis que de bien chers amis ,
teJs que la caille , le becfigue , le râle de genêt nous quit-
tent, nous voyons le langoureux ramier, la voyageuse
«56 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
bécasse et le canard arenturenx arriver du bout du
monde, pour provoquer nos coups et notre appétit.
La viande de boucherie commence aussi à s'humaniser.
Le bœuf a acquis une rotondité respectable; le mouton et
le veau ne redoutent plus une consciencieuse apprécia-
tion. La marée» de son côté, se rassure de Teffroi que lui
causait la chaleur ; le pudibond merlan ose risquer 8<»i
début et obtient un succès lionorable et encourageant.
itinf l^ttc , ft^UcUw ^t$ ^^^tnfs.
Vous connaissez tous , mes frères , et vous fêtez dans
vos banquets Voiseau de saint Luc; vous ne laisse-
rez pas» sans un témoignage de notre reconnaissance,
s*écouler le jour qui lui est consacré dans notre calen-
drier. La Saint -Luc répand sur tout le mois d'octobre
un éclat de gastronomie qui le rend comparable aux épo-
ques les plus signalées de nos annales. Le grand saint
que nous chômons n'a point voulu s'attribuer d'armoi-
ries ambitieuses; on ne voit à ses côtés ni le lion , ni le
tigre» ni Taigle, ni le paon« ni l'oiseau de Minerve: c'est
de l'animal le plus utile , le plus docile et le plus sub-
stantiel qu'il daigna anoblir l'image en l'adoptant pour
emblème. Des chevaliers errans» des princes magnifia
ques auraient cru s'abaisser en ornant leur écu de la
figure d'un bœUf; mais un saint évangéliste a su nous
apprendre qu'il n'y a d'honorable que ce qui est utile,
et de grand que ce qui est bon : il se souvenait que le
bœuf ne partagea qu'avec l'âne, humble et serviable qua-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. sSy
drupède » la gloire do réchauffer la crèche où naquit le
Sauveur.
Si nous considérons les perfectiods nombreuses de cet
incomparable animal, nous le jugerons bien digne de
l'honneur qu'il acquit par cette adoption. C'est au bœuf,
fidèle et puissant allié du laboureur , que nous devons
de manger du pain et des petits pâtés; après nous avoir
comblés de ses bienfaits pendant sa vie il devient bifteck,
rosbiff et pot-au-feu; sa langue, ses côtes et son palais
brillent sur les meilleures tables; il prend toutes les for-
mes , se plie à tous les mélanges , et ne dédaigne ni les
épices étrangères , ni l'oignon concitoyen , ni la patate
souterraine. Sous le nom de pièce de bœuf il est encore,
comme pendant sa vie , un sujet de dédain pour les dé-
licats et les gens sobres ; mais la pièce de bceufvLea est
pas moins le plat obligé du plus somptueux repas , et le
mets le plus sain et le plus habituel du commun des
gourmands.
La fête du Bceuf gras devrait se célébrer le jour de
saint Luc en mémoire de l'illustration de sa race. Le
mois d'octobre est l'époque du retour de toutes les vian-
des savoureuses ; les boucheries , la halle et la vallée se
remplissent. Veau de Rivière et de Pontoise; mouton de
Pré-Salé , de Gondé , de Garrouges et des Ardennes; vo-
laille grasse du Mans , de la Flèche , de Gaux ; perdreaux
rouges et gris; cailles, oiseaux et oisillons; poissons de
mer et d'eau douce ; légumes d'automne et fruits de toute
sorte; quel digne cortège pour le roi des animaux suc--
calens , pour Toiseau de saint Luc» pour le bœuf, qui ne
>7
358 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
le cède pas eu cheval pendant sa vie » et qui le dispute aa
cochon après sa mort en utilité » en bonté , en docilité ,
en qualités de tous les genres 1 GASTEaiiARN.
DU VBâU.
Si depuis des siècles Tusage d'arracher le jeune veau
à sa mère « pour le livrer au boucher» ne prévalait en
faveur de nos besoins^ cet acte barbare pourrait être en-
core qualifié d'infanticide; mais il îà\A se &ire une rai-
son; et , comme on Ta déjà observé , si Ton réfléchissait
toujours sur le sort des animaux, on finirait par n'en
manger aucun. Au fait.
Les veaux de Pontoise » de Gaen , de Rouen , les veaux
de Normandie enfin, plus connus sous le nom de veaux
de rivière p sont préférables à tous ceux que la France
produit , attendu que dans ces contrées on les élève arec
plus de soin , et que Ton observe plus scrupuleusement
que partout ailleurs la loi qui défend de les immoler avant
qu'ils aient atteint quarante jours.
Mais les veaux de Pontoise , que Ton élève ordinaire-
ment avec des œuls frais, de la crème et des biscuits,
sont les plus recherchés; aussi est-il Irès-diflicile d'en
manger à Paris , quoique fous les restaurateurs aient
contracté l'habitude de les porter sur leurs cartes.
Les métamorphoses que l'on &it subir à ce doux et
timide animal sont innombrables. Nous allons nous
borner aujourd'hui k en donner la recette suivante :
r
LE GASTRONOME FRANÇAIS. aSg
IfOIX DB YKAU A LA BOURGEOISE.
Lerez la noix bien entière , enveloppezrla dans aoe jerviette , et
battez-la avec no coopérât ; ayez dn gros lard , tirez-en des lardons
^*noe moyenne grossenr « assaisonnez-les avec do sel biea fin, dn poÎTiv,
das épices , dn persil y de la cibonle » do thym et du laurier haché bien
menu , et quand les lardons auront bien pris leur assaisonnement ,
piquez-en bien votre noix , en ayant soin qu'ils ne percent pas en des-
sus; assojettissez-la ensuite en la piquant avec une aiguille à brider et
en l'entourant de ficelle , afin que les peaux qui l'euTebppent ne re-
broussent pas , et qu'étant cuite elle se trouve bien couverte. Beurrez
ensuite le fond d'une casserole» et placez-y la noix; mettez à l'entour
deux carottes entières, quatre gros oignons, deux feuiiles^de laurier, et
environ deux verres de bouillon ; couvrez le tout d'un rond de papier
beurré , et quand la sauce bouillira vous la retirerez et la laisserez cuire
pendant deux heures à un feu irês-Uger dessus et dessous, en mettant
de la cendre chaude et quelques charbons sur le couvercle de la casse-
role. Au moment de servir égonttez votre noix et débridez-la ; faites ré-
duire le fond à moitié après l'avoir bien dégrausé ; mettez votre noix
sur un plat avec les légumes ; versez le fond dessus , et servez.
Vous pouvez mettre en place de fond soit une sauce k la glace , une
«auce tomate, une purée d'oseille, de laitues ou de chicorée.
G. etB.
. DU PERDREAU.
L'histoire des oiseaux fournit des exemples admi-
rables de tendresse et d'instinct; mais chez les perdrix
ces qualités éclatent autant dans leurs alarmes que dans
les soins de leur paisible éducation ; et , par rattache-
ment pour le lieu qui les a vu naître , et par l'amour
qu'ils ont pour leurs tendres parens, on pourrait citer
les perdreaux 'comme des modèles de piété filiale. A
peine sont-ils éclos que , souyent encore couverts des dé-
bris de leur coquille , ils courent à la suite de leur mère
et de leur père qui les appellent , les promènent , leur
^6o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
montrent des<:hry8alide8 de fourmis, des insectes, des
vermisseaux, en un mot la nourriture qui convient à leur
premier âge , et leur apprennent à la chercher plus tard
en grattant la terre, soit dans les prés» soit dans les
champs.
Ces traits touchans de dévouement du père et de la
mère pour la conservation de leurs enfans sont ordinai-
rement payés de retour par le tendre attachement et la
soumission de ces derniers , qui , aux moindres crîs de
l'un ou de l'autre , accourent , en agitant leursailes nais-
santes, se ranger autour d'eux, afin, dirait-on» de les
soustraire à la vigilance de l'intrépide chasseur , qui^
trop souvent au contraire appelé par ce remue-inénage,
se rend coupable d'infanticide.
Le perdreau « abrégé des perfections alimentaires ,
est peut-être ce qu'on peut servir de plus tendre , de
plus aimable et de plus innocent. Sa chair» à la fois
agréable et saine, est un mets commun, il est vrai, mais
il n'est point vulgaire. Le perdreau ne meurt que de la
mort des héros; c'est au bruit de la foudre martiale que
«a jeune ame s'envole; et le noble laboratoire du cuisi-
nier , digne sépulture de toutes les victimes immolées à
Diane, attend avec orgueil ses restes pour lui rendre
les derniers honneurs.
On nomme perdreaux les petits dès qu'ils commen-
cent à voler , c'est-à-dire à l'âge d'un mois o u six se-
maines; mais il est doublement imprudent de les tuer
avant l'âge de trois ou quatre mois, époque où ils sont
à leur grosseur ordinaire.
r-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 961
Les perdreaux naissans ont les pieds jaunes; cette
couleur blanchit peu à peu, et passe au gris, qui se
rembrunit d'années en années» La première penne de
l'aile peut aussi senrir à indiquer l'âge des jeunes per-
drix; car, même après la première mue, cette penne
finit en pointe, et ce n'est qu'après la seconde qu'elle
est arrondie à son extrémité : ainsi c'est un moyen de
distinguer les perdrix de l'année , tant grises que rouges.
Par la raison que l'on préfère les perdrix rouges aux
grises , quelques personnes conservent ce même goût
pour les perdreaux ; mais nous trouvons plus de fumet
dans les gris , surtout quand on les laisse faisander pen-
dant quelques jours à l'air. Cet oiseau , encore jeune ,
a une chair si savoureuse et si saine , qu'on la préfère ,
surtout en automne , à celle de presque tous les autres
oiseaux.
Le perdreau rôti, et assaisonné d'un jus de citron, est
excellent : c'est la manière la plus usitée de le manger ;
mais on le sert souvent en salmi et en sauté de filets r
dont voici les recettes :
SALMI DE PERDREAUX.
Mettez quatre perdreaux à la broche ; laissec-les refroidir ai tous en
aTes le tempa ; levez-ea lea mcmbrca aTec le plas grand aoiii , et placez-
lea dani une casserole ; concaiaez enfoite les débris de tos perdreaux ,
et jetcz^les dans une autre casserole en y joignant six cuillères à dégrais-
aer d'espagnole» quelques échalotes, une demi>feuille de laurier, un peu
de thym , du persil , une forte pincée de gros poivre, fort peu de sel ,
un Terre de Tin blafic et autant de bon bouillon. Faites aller Totre sauce
à grand feu , et quand elle sera réduite à peu près à un tiers, passez-la
à l'étamine sur les memb;'cs des perdreaux, et tenez le tuut bien chaud,
"■«
969 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
taiu cependant le laisser bouillir. Qoelqaei miontes avant de lemr
dressez tos membres de perdreaux ; placez dessus de petits croûtons ;
ajoutez un {urde citron , et servez.
Si VOQS n'avez pas d'espagnole , passez vos débris avec nn peu de
beurre et une pincée de farine , en y ajoutant quelques échalotes , une
pincée de perûl, sel , gros poivre, une feuille de laurier, an verre de
vin blanc et deux de bouillon ; lorsque cette sauce sera réduite à moitié,
vous la passerez à Tétamine , de même que celle ci-dessus. Au moment
de servir vous exprimerez également sur le tout un jus de citron tout
entier, et servirez chaud.
SAUTÉ DE FfLBTS DB ^JBRDREAUX.
Ayez cinq ou six perdreaux de même grosseur ; levez-en les filets k
plus correctement possible ; parez-les, en ayant soin , pour plus grande
perfection, d'en 6ter la peau nerveuse. Mettez du beurre dans un sau-
toir on dans nn plat d'argent ; placez-y vos filets en les assaiaonnant de
sel et de gros poivre ; dix minutes avant de servir mettez-les sur un fim :
quand ils seront roidis d^un côté retournez-les de l'autre, mais ne ks
laissez que trés^u de temps : penchez votre sautoir afin que le beurre
se détache plus facilement des filets , et dressez-les ensuite en couronne
sur votre plat , un croûton glacé entre chaque filet. Employez, poar
sauce une espagnole travaillée à l'essence de gibier; et si vous n'avezai
sauce , ni fumé , vous ferez attacher le jus que les filets auront jeté daoi
le* sautoir. Quand le fond sera blond vous y verserez environ Croîs cinl-
lerées de blond de veau ou d'excellent consommé; faites réduire le
tout à moitié ; finissez votre sauce avec un peu d'excellent beurre et an
|us de citron ; versez sur vos filets, et servez ehaud. B. et C.
JDIEV PANIER j VENDANGES SONT FdlTESr
VADDSVILLBr
9
Air du ftudef lUrdief y«ind«iigrt de Surêne { N. 9 de la Clé du Cocmu ;.
PocB être au ton de vos musettes
En Tain je cherche de Tesprit ,
\
LE GASTRONOME FRANÇAIS. s63
Momus TOUS écoute, et ine dit :
«
AdUeu paniery (bis) vendangés sont faiUs.
L'amant au jardin d'amourettes
Vient dès que le printemps a lui ,
Et quand l'époux Tient après lui,
Adieu panier j (bis) vendanges sont faites.
Damis, sans faire de courbettes,
Par ses talens croit parrenir»
Il ne sait flatter ni mentir :
Jdieu panier, (bis) vendanges sont faites.
Vous qui des ayides coquettes-
Cfaercbez à tous faire écouter.
Ces dames vous feront chanter.. «
Adieu panier, (h\9) vendanges sont faites.
On change son or pour les traites
D'un banquier du quartier d'Antin :
A sa caisse' on court un matin...
Adieu panier, (bis) vendanges sont faites,
Orpbise, par l'art des toilettes ,
Donne un relief à ses attraits ;
Mais quand vous les Toyez de près ,
Adieu panier, (bis) vendanges sont faites.
Aux tribunaux comme aux burettes
Craignez le procureur Grippard ;
Quand il a passé quelque part.
Adieu panier, (bis) vendanges sont faites»
Nos mères , crainte de défaites ,
D'un pamVr cernaient leur honneur ;
964 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Fillette aujonrd'huin'a plus peur :
Adieu panier, (bis) vendanges, sont faites.
Quand Elmîre, aréo ses lunettes ,
Cherche encore un )eune galant,
L'Amour lui dit en s'euTolant :
Adieu panier, (bis) vendanges sont faites.
Dans le pays des chansonnettes
Nous grapillons, pauyresrimeurs,
Après les ]o jeux Vendangeurs: (i)
Adieu panier, (bis) vendanges sont faites.
Je passe ma yie en goguette
Sans m*arrêter un seul instant;
Je yeux pouvoir dire en parlant :
Adieu panier, (bis) vendanges sont faites»
Que Bacchus préside à nos fêtes 1
Tarissons les vins les meilleurs ;
Faisons dire à nos successeurs :
Adieu panier, (bis) vendanges sont faites.
M. MoEBir.
novembre.
LE MOIS GRAS OV LA VOLAILLB.
Eutê martini depromiiur
amphera vini.
Vivent les vieux proverbes et vive saint Martin! le^
uns forment un code de gourmandise^ l'autre est lepro-
(i) Irun dei plu» joli» oavrage» de MM. Pii» et Barré.
à
LE GASTRONOME FRANÇAIS. a65
t
lecteur des gourmands; c'est le Cornus des bons chré-
tiens de Paris et de sa banlieue : son nom éveille l'appétit
des plus sobres ; et l'on pourrait lui composer une lita*
nie délicieuse des pâtés et des ragoûts qui se mangent en
son honneur.
Pendant ce mois» les canards et les oies sauvages
passent du nord au midi » et quelques balles heureuses
font descendre ces aimables voyageurs sur nos tables,
où leur fumet leur mérite l'accueil le plus distingué.
Le mois de novembre voit arriver les premiers harengs
frais. Ce délicieux poisson » comme tout ce que la mode
ou la rareté ne recommandent pas , est loin d'être ap-
précié à sa juste valeur. Doué des qualités les plus aima-
bles , de la modestie la plus édifiante , le hareng ne fait
pas parler de lui. Gomme la violette il se cache » et n'est
trahi que par son parfum; aussi l'accable-t-on de dé-
dains» partage ordinaire du mérite sans prôneurs.
C'est dans le mois de novembre qu'on engraisse les
porcs; c'est dans le mois de novembre que la saint Mar-
tin se chôme : un tel mois devrait être consacré » et l'on
ne devrait s'y permettre œuvre^de ses doigts » sinon
pour porter jusqu'à ses lèvres le boire et le manger.
La fête de tous les Saints est la fête de tous les gour-
nuinds. Les vendanges sont faites » les fruits sont cueil-
lis » le gibier abonde » la viande de boucherie est saine
et grasse , la volaille est grosse et succulente ; poulets »
dindonneaux» canetons» pigeonneaux joignent à la fraî-
cheur de Tadolescence le fumet de la maturité.
Voici les jours de leur gloire et de leur trépas. Lr
s66 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
sacrificateur attend les victimes; la broche est préparée ,
les casseroles sont reluisantes et nettes , les tranches de
lard sont proprement disposées sur la table de cuisine , U
hache est sur le billot» le feu pétille » et la table est mise ?
Dès le jour des Morts l'heure fatale sonne dans les
basses-^sours. Depuis les campagnes de Caux jusqu*aux
frontières du Périgord ; des bords féconds du Rhin •
qu'illustrent les jambons de Mayence , jusqu'au rivage
océanique qu'embellit Angoulême et ses galantines ; le
êogittaire, qui préside aux destinées de la volaille » perce
de ses dards effiUés et le poulet normand » et le chapon
manseau , et le dindon Orléanais , et le canard de Rouen ,
et la poularde de la Flèche. C'est un carnage universel!
Toutes les tables sont des catafalques , oh de pompeuses
et joviales funérailles confondent » sur un même linceul,
les habitans ailés venus de la Gascogne , ceux des bords
de la Loire ou du Calvados , ou même de l'Egypte et
des Indes.
Le jour qui suit la Toussaint est bien la fête des Morts
pour toute l'espèce des volatiles domestiques; il sem-
ble que les vivans veulent immoler aux mânes , en sa^
crifice d'expiation » tout ce qui porte plume et jouit du
bienfait de la vie civilisée. La proscription est générale,
et la génération entière » éclose du mois de mai pour des
destins plus prospères et de plus longs jours , est mois-
sonnée avant que le soleil ait ramené le printemps. S'ik
échappent ^au couteau meurtrier» c'est pour vivre sans
gloire ou sans plaisir» poule obscure et stérile , ou cha-
pon mutilé !
i
LE GASTRONOSfB FRANÇAIS. 267
SahU-Martin est le précurseur de Mardi-Gras; les
régals du mois de novembre disposent les jeûneurs à
Tabstînence de TA vent , comme ceux du mois de janvier
préludent au carême. Le hérault a même quelque avan-
tage sur le béros. On est déjà rassasié de bonne chère»
et blasé sur les jouissances de la table , lorsque le Car-
naval arrive avec toute sa pompe de Cocagne; au lieu
que le jour de la Toussaint surprend les gourmands ,
pour ainsi dire à Timproviste» et leur fait éprouver des
sensations nouvelles , dont l'été et le séjour de la cam-
pagne avaient sevré leurs palais. Cette époque partage
l'année et les habitudes de la vie ; elle annonce l'hiver
et signale les dernières récoltes; elle proclame la fin des
travaux» la fermeture des greniers» l'abondance dçs
provisions; elle donne au propriétaire ses revenus» au
paysan ses quittances » h la nature son repos; elle rap-
pelle aux gourmands les respectables maximes de h
Sagesse : Buvez et mangez; vous n'avez plus rien de
mieux à faire.
LHnimitable auteur de l'AImanach des Gourmands,
notre respectable confrère en gourmandise» a fait lepa>-
négyrique de cet animal» originaire de l'Inde» trans-
planté par les jésuites qui le reçurent pour prix de la foi
qu'ils y allaient prêcher» et révéré depuis lors parmi
nous (Gourmands fidèles et reconnaissans) comme un
indigène et un compatriote ( 1 ) .
(1) Nous consacrerons un article à cet oUeao k rougetrogne (dont les
artistes du Maine travaillent l'éducation avec tant de supériorité)» après
nos dijsertatioof sur ce mois.
268 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Lo mois de novembre , si fiaiTorable à ia volaiUe fiae ,
ne Test pas moins aux chairs les plus vulgaires de nos
champs et de nos basses-cours*
Le pigeon acquiert plus de go&t et de solidité; le ca-
nard sauvage et domestique a plus de saveur et de suc :
le premier, devenu plus gras et plus familier, se rend
plus accessible au chasseur; le second sert k composer
ces illustres pâtés de Toulouse, d*Auch, de Rouen, de
Chartres et d'Amiens, dont la réputation s'étend au-
"delk des limites de l'empire français. Mais que parlé-je
ici de pigeons, de canards et de pfités provinciaux I nV
vons-nous pas la perdrix rouge , noble et délicate habi-
tante des guérets ? ;Son espèce privilégiée a autant de
supériorité sur la perdrix grise, que la perdrix grise en a
elle-même sur les autres oiseaux indigènes. Tout recon-
naît sa prééminence ; ses titres de noblesse sont désignés
par la couleur de ses jambes , comme autrefob celle de
nos marquis Tétait par des talons rouges.
Quand la perdrix rouge donne , la grise n'est plus
qu'un régal populaire ; et , il le faut avouer , ses qualités
éminentes justifient cette préférence non moins que la
beauté de son plumage.
La grise , belle de ses charmes villageois et de sa vertu
un peu sauvage , est parfois admise aux mêmes table»
que la perdrix rouge , et comblée des mêmes honneurs.
C'est sa simplicité et sa délicatesse rustique qui lui Talent
celte bonne fortune. Elle aurait plus de prix si son em-
bonpoint occupait une plus grande surface : auprès de»
grands c'est un grand tort que d'être petit.
J
LE GAStRONOMB FRANÇAIS. 969
La bécasse passe encore dans ce mois; on la guette sur
tous les points de nos côtes occidentales. On en fait à
Montreuil, département du Pas-de-Calais ^ des pâtés
exquis et très-recherchés.
La sarcelle y supplée lorsque Tannée est mauvaise. Cet
oiseau aquatique» que nos sérères bénédictins avaient
rangé dans la classe des poissons , a une chair très-savou-
reuse. J'ai vn desamateurs la préférer à la perdrix rouge ;
mais son goût a plutôt de l'affinité avec celui du canard
sauvage quand sa chair est tendre et grasse. On lui trou-
vait, chez les chartreux et les moines d'une abstinence
rigoureuse , le goût du turbot et de la truite saumonée*
Régal des humbles Gourmands, succulent, quoique
vulgaire volatile , noble et glorieux libérateur de Rome ,
brillant rival du cygne , oiseau de saint Blartin , paisible
oison , ne crains pas que je t'oublie 1 Certains délicats te
dédaignent; mais celui dont l'estomac ne saurait pas te
digérer serait indigne du nom de Gourmand. Ta chair
brune et juteuse est un mets un peu bourgeois , il est
vrai; mais il n'en est pas moins estimable. Une oie jeune,
grasse et tendre , est un des mangers les plus délicieux ;
et quand un peu d'exercice a excité l'appétit d'un ama-
teur vigoureusement constitué , c'est peut-^tre ce qu'a-
près la poularde on peut goûter de plus agréable et de
plus savoureux. Une oie rôtie entre deux tranches de
lard, et mollement étendue sur Une litière de cresson ,
m'a toujours fait tressaillir de joie au retour de la chasse,
ou lorsqu'aux fêtes de Bacchus les vendangeurs harassés
reigagnaient le toit nourricier.
ÎI70 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Qui ne connaît les caisses d*oie du Languedoc, el les
pâtés de foies d'oie qui se fabriquent en Alsace?
Les bourgeois de Paris ont grandement raison d'im-
moler une oie à saint Martin; c'est un repas de famille»
une victime populaire » un mets moins dispendieux et
meilleur que les gibiers rares et faisandés dont on leur
Tend souvent le rebut. Pour moi» je ne prétends point
dissimuler ma faiblesse, et taire mon penchamt pour
cet aimable plus qu'ingénieux animal; j'immolerai une
oie trois jours avant la saint Martin ; je mangerai si&
ailes et ses aiguillettes au. sortir de la broche , ses cuisses
seront servies à la rémoulade, et son foie sera frit dam
sa propre graisse. Mes amis viendront partager mon
dîner bourgeois; nous y ajouterons quelques mets plus
relevés; ils y apporteront leur bonne humeur et leur
bon appétit. Gastekhaicii.
Bibere Martinuâ non tinit esm brevê-
Or lit dans le Dictionnaire des Grands Hommes , ar
licle saint Martin, que ce grand saint, recevant Is
coupe des mains de l'empereur Maxime à Trêves , t
toujours été regardé comme le patron des buveurs : sa
fétc, placée immédiatement après la vendange , se cé-
lèbre, depuis le quatrième siècle , par des danses et des
festins.
Cet illustre évêque, qui fut d'abord un guerrier gé-
1
LE GASTRONOME FRANÇAIS. S71
Déreux , naquit dans le royaume du Tokai, c'est-à-dire
en Hongrie; il mournt à Candes, en Touraine , où le vin
était le meilleur de France, dans ce temps-là. Ce fut le
8 novembre , selon les uns» et le u » selon les autres,
de Tan 397 , SgS ou 4oo » que ce malheur arriva : on
venait de vider les cuves; les larmes des veudangeurs al-
térèrent la pureté du vin ; et c'est depuis cet événement
que le Bourgogne et le Bordeaux sont au premier rang
des vins de France; car tant que saint Martin vécut , le
nieilleur fut dans son diocèse , et c'est encore à sa fête
qu'on le boit.
Le mot martiner était autrefois synonyme de boire
targemerU (1). La réputation et Tinfluence du saint
étaient si universellement établies , qu'un poè'te , repris
par un critique amer d'une faute de quantité , se justi-
fia d'avoir fait longue la syllabe ht dans bibere^ par le
vers que nous avons pris pour épigraphe dans un sens
plus absolu et plus libéral.
Gomme on ne boit pas sans manger , le patron des
buveurs reçut aussi les gourmands sous sa protection ;
et, selon les auteurs que nous citons , une indigestion fut
long-temps appelée le mal Saint-Martin. On se doute
bien que le don des miracles ne lui fut pas accordé» pour
«
que ses fidèles disciples n'en profitassent pas; et pourvu
qu'on l'invoque avec ferveur , on peut tenir table , sans
danger , toute une journée.
On est tenté de croire que la gourmandise , telle que
(1) On connaît cette chanson à boire , dont le refrain est : bon Mar-
tinum , bon Maiiinus.
«72 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
nous la professons , est au nombre des vertus sociales ,
tant on compte d'austères cénobites » de graves prélats ,
de doctes philosophes et de saints yénérables qui Tont
pratiquée et honorée.
Qui croirait que le premier saint qu'on ait canonisé(i),
qu'un prélat nourri de mortifications et de bonnes œu-
vres p que Martin de Tours fut l'un des pères avérés de
la gastronomie , et l'un des patriarches que. nous révé-
rons?
Rien n'est plus vrai cependant; et, sans parler de la
complaisance toute particulière avec laquelle il dépeint,
dans ses relations , la pompe du festin que l'empereur lui
donna ; sans entrer dans le détail un peu prolixe des mets
délicieux , des ustensiles de table , des cérémonies ma-
gnifiques qui l'enchantèrent» nous pouvons citer sa fêle
comme une époque de jubilation , et surtout de bonne
chère.
Il faut avouer que les circonstances sont bien pour
quelque chose dans cette solennité; en quel autre temps
voit-on de plus grosses poulardes » des dindons plos gras ,
des perdreaux , des levrauts » des lapereaux , des pigeon-
neaux plus beaux? Quand mange-t-on des canards plus
savoureux , des mauviettes , des grives et des oies plus
tendres, des oies surtout, le mets le plus universel, k
plus populaire , le plus recommandable de la fi^?
(i) G'eft saint Mârtlo qui fut le premier saint béatifié par Téglisn»-
maioe : ainsi , l'on dcTrait commencer par loi la Utanîe des saints;
il est le prince de la légende.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ayS
N'e8t--C6 pas è la Saint^Marlin que le btsuf, le reau et
le mouton sont, au même degrés sains» nourrissans el
agréables ? que. les huîtres » les merlans » les saumons »
les. soles , les raies , et presque tous les poissons virent et
meurent de compagnie ?.N^est-ce pas dans ce seul temps
qu'on a tout à la fois des salades » des racines , des her-
bes et des fruits de toute espèce? que les oranges , les ci-
trons, les grenades et les truffes» les truffes, disons-
nous i s'identifient à toutes les sauces? qu'on a des pom-
mes et des poires , des noix qui irritent la soif, et des
raisins qui l'apaisent? N'est-ce pas surtout dans ce temps ,
cher aux gourmands , que le vin descend dans les caves»
et que le nouveau , clarifié » commence à briller sur les
tables ? .
Il faut donc avouer que l'influence propice du mois
de novembre serait éminemment gourmande , quand
même saint Martin ne s'en serait pas mêlé; mais nous
devons dire aussi à sa louange que ses bénédictions re-
doublent celles de la saison» et que son intervention
puissante a des droits éternels à notre reconnaissance.
Autrefois le jeune de VAvent commençait le lende-
main de la Saint-Martin» ce qui obligeait les dévots de
se comporter alors comme au Mardi-Gras pour se pré-
parer au jeûne. Le saint » touché des inconvénieus de cet
usage, qui mettait la peine si près du plaisir» obtint de
l'Église que TAvent fût reculé d'une quinzaine de jours»
et ne commençât que le dimanche : la fête demeura» avec
tous ses accessoires » délivrée seulement des entraves
qu'une conscience timorée mettait à l'appétit.
18
<74 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Aotrefois encore la Saint-Martin n'arrivait qa'enloarée
de frimas par un temps nébukinx , et avant que le vio
eût fêté sa gourme : le saint obtint du ciel que Ton pût
manger des matelottes au vin nouveau , et que poor ré-
jouir les convives le soleil tint l'hiver en suspens , et don-
nât quelques jours de grâce , qui furent appelés Véti de
la Saim^Martin.
Voilà des titras suffisans à Tadoration des gonnniMids.
Quelqu'un d'entr'eux voudrait peut-être que le saini eût
choisi pour son oiseau d'adoption un faisan plat&l qu'une
oie; mais qu'en ceci surtout on admire et vénère l'inten-
tion paternelle de ce digne pasteur .( i ).
Ce n'est pas le mets particulier de quelques convi?es
privilégiés qu'une table somptueuse et recherchée a ven-
dus délicats et difficiles ; c'est un rôti de fiicile accès et
d'un goût analogue aux appétits les plus nomhreox, qu'il
préféra par popularité et par bienfaisance-
Saint Martin fut le protecteur des pauvres et l'apure
de la charité chrétienne. On sait que n'ayant rien à don-
ner au Diable 9 qui mendiait, il coupa avec son sabre ua
coin de son manteau , ce qui attrapa le malin. Mais cet
(i) Selon qnelqaet gourmands, l'oie est un rôti repaie plasrOCnite-
core qoe la dinde : Tlat-«lle en droiture d'AlençoD^pesAt-cUedizliTies»
et fût-«lle aussi tendre qne Zaïre, la vanité s'obstinerait àbLiepanaser
d*une table opulente ; c'est un préjugé , et un préjugé bien in}nste qie
celui qui exclut les oies de tout repas ordonné par l'étiquette. Mail il
faut coo Tenir que ce préjugé n'est pat sans fondement. II eat si meAe
rencontrer «ne oie tDDt-à-la*lbii jenne» graese et tcndce » qae L'on a pni
le parti de les proscxire tontes. Les Ixmnes , comme c'est aises hstge^
pAtissent pour les méchantes* elles expient le tort de se trooTerea
Taise compagnie.
L6 GASTRONOME FRANÇAIS. 97 i
ennemi du genre humain fui encore mieuiL attrapé lors-
que , présentant à notre saint une table abondamment
servie, il le vit donner la préférence à i'aê« sur les gibiers
et les poissons les plus rares et les plus appétissans que
le cuisinier infernal avait préparés de sa griffe.
Ne disputons pas des goûts; Voie a sans doute des
appas pour ceux qui Taiment : ce noble animal , qui mé-
rita non moLasqueManHus le surnom de Capkalitiuê, est
hiéa digne du suffrage honorable que lui donna notre év-ê*
qw guerrier (i). Tout délicat et dédaigneux que soit votre
-goût, mes amis, je vous ai vus souvent de l'avis du prélat
et de tous les gourmands de son ordre* Qu*on aniM>&oe
seulement au milieu du repas les oie$ du frère Philippe. ••
Mais quoi I déjà toute votre gourmandise se concentre
sur ce seul objet ! la dinde aux truffes et le pfité de per-
drix sont à Tabandon I les bouchées tombent de vos lè-
vres à moith& triturées I Ah i croyons fermemeùt aux mi-
racles de saint Martin ; suns ils sont plus grands que nous
ne pouTons croire. Buvons, mangeons sans distraction ,
et giardons nos ùieg pour l'heure du souper : mieux nous
aurons dtné et plus nous Aous trouverons d^appétît pour
croquer chacun la nôtre quand sonnera l'heure du berger.
Gastsivahii.
(1) On regarde l'oie comme an stapide animal , c'est à tort. L'oie est
snaceptible de figilance, d^adrease et d'attachement. Les oies yeiUent
' tm oait è la gsrde de la maison , aveo la même fidéûlé qu'an oÙen. Ce
/ueni Ws oies qpk sainrèrent fe oapitol«l On fin a «ta toarner nos brooke
comme un chien. Lacyde» disciple chéri d*ArcesUas, eot une oie qui
l'aTait pria tellement en amitié , qa'il en était soin , noit et jour, seal ou
en pabBc , comme d'un chien.
^76 LE «ASTRONOME FRANÇAIS.
U ^^m<«, bit ^^inboH, bu
et U f(t ^^Ottfarbe.
PES GmVES.
On distingue plusieurs espèces de grives, mais toutes
ont le bec et les pieds conformés comme les merleê:
elles se nourrissent des mêmes alimens que ces derniers»
ayec lesquels elles ont plusieurs rapports d'habitude, ce
qui les fait considérer par les naturalistes comme oiseaux
tlu même genre; car on est convenu tout bonnement
d'appeler grives ceux d'entre ces oiseaux dont le plu-
Tnage est plus ou moins varié dp taches régulières, à pea
-près arrondies et distribuées sur un fond uniforme.
Les grives sont répandues dans les quatre parties do
'monde: on en connaît de plusieurs sortes; mais celles
•qui se plaisent dans nos climats sont les vraines » appe-
lées communément grosses grives de gui ; et les petîlt
toutds ou les petites grives de gui.
'C'est au commencement de l'automne que les gri¥6s
quittent les parties septentrionales de l'Europe , où elles
ont &it et élevé leurs petits : elles se réfugient principa-
lement dans lès bois et dans les bruyères de la Bretagne,
•qu'elles quittent Vers la fin d'octobre pour se retirer sur
les lisières, afin d'y chercher une nourriture plus abondan-
te, et se répandre dans les diverses parties de la France,
qu'elles quittent au printemps pour s'en retourner dans
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 977
leur climal iavori : ma^ comme la pipée ou le plomb
meurtrier du chasseur ne permettent pas à tous ces oiseaux
de passage d^ s'en retourner chez eux, voici une bonne
manière de manger ceux qui restent :
GBIYES AU CBATIlf.
Ayez douze cm qnioze grive* bien fraîches ; après les avoir plumées ,
videz-les et flambez-les légèrement *, mettez-les ensaile dans une casse-
role avec an bon morceau de beurre , et faites-les revenir jusqu'à ce
qu'elles soient à moitié cuites; Otez-les de dessus le feu pour les égoat-
ter. Prenez les foies de vos grives, auzqiieJa vous joindrez denz oa trois
antrea foies de volaille ; pilez toua ces foies ensemble; mêlez-les ensuite
avec du godiveau bien fait ou une farce bien fine ; et assaisonnez le
tout d'un peu de sel, de poivre et de muscade. Garnusez le fond d'un-
plat d^argent de la farce que vous venez de faire ; enterrez - y vos grirea
de manière à ce qu'on ne les voie presque pas ; couvrez-les de, bardes de
Isard. et ^d'un rond de papier beurré : metteaf votre plat siur delà cendre
chaude , le four de campagne par-dessus , et laissez cuire doucement
pendant une demi-heure. Au moment de servir ôtez les bardes de lard ;,
égoattezbien vos grives, et saucez-les avee-nne- bonne italienne.
G. et B.
xzs
tn^on.
La plupart des bonnes découvertes , et principatement
en gourmandise , sont dues aux moines. Si les Chartreux
avaient fait partie de la propagande , il est probable qu'ils
auraient découvert les premiers le poulet d*Inde , et qu'ils
l'auraient classé parmi les poissons. Les Jésuites en ont
lait un oiseau , et c'est à ce titre qu'il a été introduit en
Europe. Néanmoins , quel que fût son passeport » *il est
probable qu'il aurait reçu le même accueil' de nous.'
978 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
Depub le )oar dds noces de Charies IX (le 26 novem
bre 1570)» époque où ib £reiit leur apparitioii sur m»
tables , les dindons ont obtenu la préférence comme plats
de roi.
G*est surtout dans cette saison » aux approches de la
Saint-Martin» que le dindon reprend le rang distingoé
que le gibier lui avait momentanément enlevé , et qu'A
figure ^ les flancs bourrés de truffes de Périgord , sur les
tables les plus somptueuses.
Le dindon , naturalisé en France , ne perd rien de sa
^oire; grand par sa taille , éblouissant par sa blancheur»
tendre et savoureux pour le palais , il séduit k la fois tous
les sens» les yeux, rodent» le toucher et le goùL Sm
nom sonore a même quelque chose d'harmonieux qui
fait venir Teau à la bouche.
Le dindon se sert en <iatt&a ou 6rataé» mais plus com-
munément rôti; dans ce dernier cas» et afin de ménager
les jouissances de êeè convives , une maltresse de maison
doit avoir soin de ne leur servir que le blanc-manger,
les aiguillettes » le» ailes » les truffes » etc* » et de recom-
mander à Tune de ses filles de serrer les ciûsses pour
leur fiûre une petite entrée » soit k la rémolade , soilk la
sauce Robert (1).
(1) «Daiif les tables opulentes personne ne sen« les cuisses; on les
» mange ; mais cependant il est d'usage qu'avant de les dimer ceini qui
• découpe en ait reçu Tordre réitéré du maître on de la mattresoe de la
• malsoa. LoBOonrives ne manquent pas» par pofitesae» de faije mine
• de ii*! opposer; maïs aa fond de leor Ame lia sodt bien altts qu'on oe
• aerra pas toujoun les caisses. •
{jiltnânâckéeê G&wmnkéfi)
LE GASTBOnOMB PHANÇÂIS. «79
Les dindon» jetufeM, cW-k-direleâdiiidottte«tut» doi-
vent être mis de préfëreoee à la broche* Quanl aux
pireê dindenis on doit les réseirer pour les daubes »
attendu qu'ayant peu d'eajmt il ne faut pas les exposer
à le perdre dans la lèchefrite. Les pères , d'ailleurs , ont
besoin de plus d'apprêl que les fils pour entraîner une
société qui a beaucoup d* usage; et Tark du cuisinier ra-
jeunissant comme celui du coiffeur habile , nous don-
nerons plus tard la] recelte du dindtn en émàbe, dont
on aurait abusé ce mois-ci pour les jeunes dindons.
nV CHAPON.
PsuYre infortuné I toi qui Técos dans la retraite et
dans.la prÎTation pour mourir un jour avec honneur :
toi qui sans doute aurais préféré le plaisir à la gloire »
et le bonheur à la sagesse » ayant de te donner un coup
de dent qui peut te refuser une larme?...
Mais 9 hélas i si tu vécus dans la continence» tu ne
vécus pas dans l'abstinence; ton hermitage fut un port
tranquille , ta vie ne fut ni agitée ni semée d'écueils » tu
ne fus point en botte aux infidélités de tes maîtresses, tu
fus choyé et nourri avec soin dans la paix et l'abon-
dance , tu n'as donc rien \ regretta » tu n'as pas besoin
d'élég^I...
Tu n'as pas non plus besoin d'un grand appareil pour
plaire; tu sors deta solitnde plein de qualités éminentes
et de charmes appétissans. Fier de ton embonpoint» tu pa-
vais sur nos tables; et» sans avoir horreur de ton premier
état , la beauté inême presse ses lèvres de corail sur I»
iSo LE GASTRONOME FRANÇAIS.
peftu rissolée» •• Enfio, comme tu fus sage pendant ta
vie, tu B*as que des amis après ta mort. Toulelbb ce-
pendant il te faut on peu de parure ; tu ne peux pas te
présenter en benne compagnie avec la livrée de Ion an-
cienne humiliation; il faut te bien dépouiller de les
plumes » te revêtir d*une triple couenne de lard » te far-
cir de truflès» colorer ton teint» mortifier et rôtir ta chiir
bien h point et à feu égal,, te baigner dans ton jus , te./.
Confio-toiau cuisinier savant qui fit ta pranière toiletta;
mais dis-lui tout bas , s'il s'écartait des règles de Tart en
voulant te mettre en ragoût» que les gourmands du
Rocher de Caneale te préfèrent au gros sel, ou non-
chalamment couché, suc une litière de rit.
Tout le mondé sait que la poularde est la reine de la
volaiHe, que sa graisse, abondante et savoureuse,, sa
chair fine, délicate et blanche, sont encore plus un mir
racle de l'art qu'un don de la nature. li Ikul. autant de
soins et de science pour élever une poularde que pour
faire l'éducation d'une princesse; mêmes précautions,
mêmes- égards , même délicatesse. L'on sait quel renom
ont acquis les pays de Caux, du Mans et de la Flèche,
qui savent le mieux les nourrir. La Flèche , célèbre
autrefois par son collège (gouverné par les jésuites,
puis par les bénédictins ) , est encore bien plus illustre
par ses poulardes et ses chapons; cette dernière renom-
mée a survécu à Tautre , et les poulardes de la Flèche
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ^Si
soni dans toutes les bouches lorsque son école est à
peine dans la mémoire.
L'art d'engraisser une poularde forme l'un des cha-
pitres les plus importans du saToir-viyre et des mœurs
de la contrée. Une fille de basse-cour » qui aurait tout le
talent de son état, trouverait plus d'adorateurs qu'une
Phryné. L'on n'est pas encore bien certain de la préémi-
nence des nymphes de Gaux , de la Flèche ou du Mans
dans cette utile fonction. Les premières sont plus adroi-
tes , les secondes plus exercées» les autres plus opiniâtres ;
toutes ont le droit de se disputer le mérite de fournir
les meilleures volailles fines. Le prix sera long-temps
indécis. Laissons donc trois villes rivales , comme celles
qui prétendaient avoir donné le jour au grand Homère,
s'animer d'une triple émulation ; nos tables en seront
plus ornées , et nous dégusterons toujours , satas ja
mais exciter de jalousie , les produits de leur noble in-
dustrie.
La poularde et le chapon , que l'on engraisse ordinai-
rement avec de la farine d'orge et du lait , doivent être
mangés dans Tâge de sept à huit mois; plus tard, leur
chair est moins succulente. La poularde surtout perd
beaucoup de sa saveur lorsqu'elle a atteint douze mois ,
époque à laquelle elle doit nécessairement avoir pondu.
On reconnaît ces dernières en ce qu'elles ont le derrière
un peu rouge et plus fendu que les autres.
On se convaincra sans peine combien il importe de
savoir accommoder dignement un aussi friand morceau»
qui se prête h fort peu de ragoûts sans perdre de son
i89 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
mérite , et auqoel on devrait le contenter de fiiire subir
les mêmes apprêts qa*aa chapon.
Veici cependant une recette pour les personiMs qaî
Tondront en faire «sage; elle est égalemenl applicable
an chapon.
rovLiara Poitk%.
Lonqos Totre poalsrde est Tîdée» trovasei-U en poale, flambes -la
très-légèrement» et bridez-U ; mettez ensuite des bardes de lard dans
une casserole, placez-j Totre poalarde, conrres-la de trancbes de
citron bien mincea et d'katres bardes de lard ; mouilles d'une caiUerée
4e bonîUon bien gras; ajontesnne carotte, deux oignons et an petit
boa<|aet garni; faites cuire à grand feu dessus et dessous pendant trais
qnarts d'heure au plus.
Tous pouTex sertir sous rotre poularde soit nu consommé , soit nn joi
clair, an beurre d'écroTÎsse 9 une tomate on nn ragoût mêlé de crêtes
et de fognoos deooq. G., 6. et B.
mm
SAINT MARTIN,
CAnVIQUB BlSTOaiQUI BT BAC^IQVB.
Àii : FHn PiMft « !• enUw , M !■ Tan4niUi de iMm MoMNi. ( Ma i|l 4» to Gli 4> Cmm>.)
A bien des geos, dans ce monde ,
Saint Martin sert de patron ;
Et sans compter à la ronde
Martin Sec^ Martin Préron.
Chez Cottio,
GhesFrontin,
Ghes Rosine et ohex Rosane ,
On voU souœnt plua ^un ine
Quê t*<m appelle Martin. (ter).
LE GASTRONOME FRANÇAIS. %ii
Se laissant un jour suqpr«iidre
Par Satan ^ qu'il n'aimait point ^
Mon saint lui permit de prendre
La moitié d'un beau pourpoint ;
Du butin
Le lutin
CouTrit son corps effroyable ^
Mon tailleur, Toilà le Diable
Qui m'babille en saint Martin.
, tyran séyère,'
Fut désarme dans son camp
Dès que Martin prit un yerre,
Et Tint le Toîr en trinquant.
Ce tin-tin
Argentin
Vaut la plus belle matlme ;
S'il renaissait un Maxime,
Je serais son saint
Puisque saint Martin sut boire»
 sa gloire il faut trinquer :
Trinquons, trinquons à sa gloire !
Le Tin ne peut nous manquer.
Le Destin
Bien certain
Qu'on chanterait ses louanges ,
Daigna placer les Tendanges
Tout près de la Samt^^MarUn.
Qu'on prépare à la cuisine
Les plats, la broche et le four !
s84 LE GÂSTRONQUE FRANÇAIS.
Que le ToisiQy la yoisine
Se rassemblent tour-à-tour !
Et qu'enfin
Un festin ,
Mouillé de Tins délectables,
Brille sur toutes les tables
En rhonneur de saint Martin. .
Faisons danser les rolailles I
Faisons sauter les bouchons 1
Trembles 9 dindons! tremblez cailles ,
Saumons, canards et cochons I
Que lapin,
Turbotin,
Faisan, brochet, carpe et lierre
Tremblent de la même fièrre
A Taspect de talnt Martin.
Ramenant Tusagfe antique,
Faisons, en jo jeux lurons,
Retentir de ce cantique
ParU et ses enrirons.
De Pantin y
Dammartin ,
De Faugirard et du Roule
Qu'arec les bureurs il roule...
Jusqu'au faubourg Saint-Martin.
M. Armâhd-Goijppb.
LB GASTRONOME FRANÇAIS. sSS
L£ MOIS tPlCkf ou LES BÈTKILLOlf S ,
LA SATNT-lfIGOLAS.
Adduxtrû sîtlm tanpora...
HoB., liv. 4* ode ix,
Lb temps des brouillards et la saison des frimas pres-
crivent aux Gourmands un régime particulier : il faut
b<nre êee pour dissiper les influences malignes de la
brume; il faut redoubler d'appétit pour roidir la fibre
contre rbumidité pénétrante do l'atmosphère.
L'air yif excite la faim » la &im amène la soif, et, par
une réaction habilement ménagée , on peut passer les
jours ou plutôt les nuits d'hiver à table/ Celui qui
saurait disposer les estomacs de ses concitoyens à cette
permanence admirable , aurait sans doute des titres pré-
cieux à leur reconnaissance et à la gloire.
L'instinct gourmand de toutes les nations civilisées
travaille depuis long- temps à ce grand œuvre; et si l'on
n'est pas encore parvenu à manger perpétuellement, du
moins a-t-on réussi à exciter , à ranimer la gourmandise
et à prolonger ses jouissances.
C'est au moment où la cuisine déploie toutes les riches-
aes, ob les greniers» les celliers> les garde-mangers abon-
dent » débordent , regorgent , où le froid comprime nos
s86 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
poumons et dessèche nos palais, qu'il confient d'ai<ler
la nature » de rappeler les yrais principes » el de répondre
à Tappel de Bacchus.
Il n*est personne qui ignore » pour peu qu'elle ait d'é-
rudition , que dans tous les siècles ce fut un grand mérite
que de savoir boire ; c'était une des Tertus du grand
Cyrus 9 une des qualités du roi Philippe et de son fils,
un des talens d'Alcibiade.
Mais on doit bien présumer que ces libations ne se
fisiisaient point sans manger ; elles ne se faisai^it pai
non plus en mangeant da miel p du lait ou des pomme$:
le plus chétif irrogne , quand il entre an cabaret , a aoÎB
de se mtmir d'un cerrelas h t*ail lardé d'épioea. Lei
viandes fumées , tellea.. que les jambons » les andoiiiilei
et les langues fourrées , sont iort propres k raDomer la
soif et l'appétit. Celui qui sait adroitement entremêler
les morceaux de sec et d'humide» peut, si boq loi sem-
ble, défier tous les potentats de l'Ûrieiit, et dervMiir
tour-à-tour Alexandre , Alcide ou Cyrus.
Le vin donne du ressort à l'ame comme an cerpa, son
ardeur fond les glaces et les neiges les plus endurdes ; ai
chaleur» semblable à celle de la jeunesse, rallume le
foyer du plaisir dans le vieillard caduque; sa fomée,
moins chimérique que celle de la gloire , remplit la tête
et l'estomac d'un bonheur réel et d'une rolapté inn^
çente : tous les trésors du Potosi ne payeraient pas œ
qu'un buveur trouve au fond de son verre.
C'est donc une chose inappréciable qoe l'art de boira,
puisqu'elle tient lien de tout Cependant' un si grawL
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 287
bieD ne s'achète point an poiâs de Ter; c'est par d*au*
très jouissances qu'on parvient à celle-là; c'est en man*
géant bien qu'on apprend à bien boire.
Mais tout art a ses règles; les excès seuls ne sont pas
des prodiges : la méthode les lait ressortir , et l'ordre est
nécessaire ponr donner du prix à ce qui sort des bornes.
Nous enseignons à bien boire ^ ce qui ne yeut pas dire
uniquement à beaucoup boire. Pour faire tête au vin le
plus capiteux » pour envisager d'un œil intrépide et d'un
gosier insatiable une tonne fumeuse , il ne suffit pas de
&rcir ses bouchées de poivre et de sel; il &ut encore
qu'un assaisonnement délicat chatouille l'estomac sans
l'affecter y excite le palais sans l'offenser.
Les Indiens ont inventé le earriek, composé plus bi«
carre que savant , qui emporte la bouche sans la flatter ,
et qui irrite la soif plus qu'il n'invite au plaisir de boire*
On doit aux Provençaux le premier êau&Mon. Celui
qui se fid)riquek Aix jouit de la plus haute considération.
On voit bien que l'inventeur, de ce stimulant n'était pas
seulement tourmenté du besoin de boire, et qu'il avait
aussi un appétit à satis&ire; aussi a-t-il treuvé grand
nombre d'imitateurs » ce qui suppose encore un plus
grand nombre d'amateurs. U n'est point de province où
Ton ne sache fiiire des êaudsêonSy et où ceux d'Aix soient
inconnus.
Nous pourrions vanter encore les titillations épicées
de l'andooillette» de la saucisse» du cervelas, etc.; mais»
neigeant toutes les compositions subalternes de la char-
cuterie » nous nous contenterens de signaler ici la langue
^M LB GASTRONOME FRANÇAIS.
fourrée; c'est la plus ancienne et la plus universelle des
viandes fumées.
Depuis qu*Ésope Ta servie sur la table de son mattre
conune la chose la meilleure qui existât , elle n*a perdu
aucun de ses avantages. La langue fourrée est le type
des boudins» des hures, des fromages d'Italie, et de
toutes les productions analogues. Mère de tant de glo-
rieux enfans , elle est restée jeune , saine , et eayironnée
de courtisans fidèles.
La langue se servait autrefois au souper; elle parait
communément à l'entremets à côté d'un flacon de Clo»-
Vougeot» dont elle fait trouver le contenu meilleur.
Il n'est aucun de nous qui n'ait observé religieuse-
ment les rites de la nuit de Noël et qui n'ait assisté aux
Béveillans annuels , fêtes consacrées dès l'aurore de la
chrétienté en l'honneur du bon vin, de la Tolaille, et
principalement de la chareuterie : c'est là qu'on voit »
proprement étendue sur un linge éblouissant de blan-
cheur , la langue appétissante et vermeille provoquer par
ses lardons les langues d'alentour , et quitter solen-
nellement sa fourrure pour s'unir^ à ses amans avides
et altérés. Le mystère se consomme à la troisième
heure nocturne : de nombreuses libations trempent le
sacrifice , et chaque fidèle s'enivre en siireté de cons-
cience. '
Nous adoptons avec peine pour cette solennité une
opioion différente de celle de notre cher confrère ,
M. G. D. L. R. , qui préfère pour plat de milieu , dans
un réveillon, une poularde au riz à une langue fourrée.
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 389
Nous. pensons, au contraire, que la charcuterie doit
dominer dans un réveUion, et que la langue fourrée,
étant la reine des chairs cuites , doit y figurer comme
plat de milieu obligé.
Noos soumettons 9 au surplus , notre avis à la science
infaillible de notre érudit collègue , attendu que nous ne
voulons point fairo de schisme en gourmandise , et qu'il
n'appartient qu'aux gens sobres de vivre en guerre et de
disputer sur les principes et sur les causes ; nous n^avons
qu'un autel pour les divinités de diverses espèces dont
nous professons le culte : Gomus, Momus, Vénus et Bac-
chus n'ont point d'étiquette dans notre temple , et la
poule au riz de M. 6. D. L. R. nous est assez chère pour
que nous en mangions à la Saint-Martin , aux Rois , k
Pâques tout comme au Réveillon de Noël.
La gourmandise n'est point exclusive , elle n^est point
sujette aux influences des astres, et ne dépend point du
caprice des saisons.
L'année vulgaire va finir; celle des Gourmands est à
peine commencée. Le printemps de la gourmandise vient
en automne, et son été est l'hiver, puisqu'on aucun
temps on ne mange plus chaudement , on ne se voit plus
fraternellement , on ne sert plus abondamment , on ne
jouit plus libéralement.
Voici donc l'époque marquée dans nos annales pour
retremper notre appétit. Les Réveillons de Noël donnent
le signal d'un bout de la France à l'autre; tous les esto-
macs doivent se régénérer, tous les cœurs se réchau£fer,
ious les esprits se réjouir.
»9
190 LE GASTRONOME FRANÇAIS
hoite et tnanger, rire et chanter» aimer et dormir,
n'y a-t-il pas Ih de quoi faire chérir le temps des neiges,
des brouillards y des gelées et de la pluie? Notre rin
chasse la pituite , nos truffes raniment rantoar,&os cou-
plets provoquent la gatté» et tout cela nous procure, des
nuits paisibles et des joun plus sereins que ceux du meis
de mai.
Écoutons et chantons arec kiotre collègue M. Frands :
RÉP^EÎLLONS.
Airdaf«ideviUed»au4nMS«wnB. (11. 8o« de h Cf4 ^ Cotm*. )
Mtbillovs (bis) les chastes Pûceltes*
Sllèueet Cornus,
Et tous les enfans de Momus ;
Réoelilons {bis) TÂmour et les Belles ;
C'est assez dormir;
Minuit est l'heure du plaisir.
Banquets de la gourmandise
Établis par nos a!eux,
On rend hommage à l'église
Tout en sablant du Tin rieuz.
Vire un repas délectable
Pour mettre tout en bon train !
Tel se réveille à table
Qui dormait att lutrin.
nuvèittons, etô.
Qui fonda ce saint usage
Si cher ù tous les dévots ?
Est-ce un prophète , est-ce ûù iage 1^
m GASTRONQMS FRANÇAIS. 991
Est-ce un pape ? eslHse un héros ?
— Mon cker, tu bats la camp^gpe :
Moi je sais qui le créa ;
Cest le roi de Cocagne,
Ou c'est Gargantua.
RéveUlons j etc.
Mais qu'importe à notre gloire
D'en connaître ici l'auteur ;
Sachons manger, sachons boire ;
Nous yaudrons le fondateur.
Gais refrains. Tire saillie. ••
Trinquons, chantons et trinquons;
RiveiUons la Folie
Au bruit de nos flacons.
Rémllanif etc.
Maint 2i09e4)liercli# à mordre ;
Préyeoons son appétit;
Etp bien repu , c*e8t dans l'ordre 9
De la table il passe au lit :
GreigPOQS alors qu'on n'éyellle
Cet émule de lllîdas ;
Au moins tant qu'il sommefiHe
One nousjuge.pas.
tiàtdUen», etc.
Rêyant à de noires trames
Après des succès noureaux,
Maint faiseur de mélodrames
Doit dormir sur des payets :
•Cndgnom que l'on ne «èireiUe
Cet avteur àgmndiraoas;
90!! LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Au moins tant quMI sommeille
Il ne nous endort pas.
Réveillons y etc.
RévêilUms l'aimable muse
Si chère au joyeux Thespis ;
Que sa gaîtè nous amuse
Et ranime nos esprits!
Dans mon délire j'oublie
Qu'on ferait un yain effort
Pour réveiller Thalie ,
Puisque Molière dort.
Réveillom y etc.
Avec le dernier mois de l'année se passent et s'accu-
mulent les fêtes de la table : la Saint-Nicolas , si chère
aux filles à marier , les réveillons de Noël , si vîvemeot
excités par les quatre-temps préparatoires et le vigile-
jeûne; la Sainte-Barbe y tant honorée des sacrîstaîos et
des marins, des buveurs et des sonneurs; la Saint
François, Saint- Nicaise, loslnnocens, la Sainte- Adé-
laïde, la Sainte- Colombe » la Sainte-Luce , la Sainte-
Victoire f qui rappelle aux Français de si doux souvenirs,
sont autant d'époques signalées dans les fastes de la gloire,
de l'amour et de l'appétit. Les jours dédiés aux patrones
de nos belles sont plus fréquens en décembre que dans
le reste de l'année , et tous sont célébrés par des libations
et de succulentes offrandes..
Parmi tant de protecteurs nous n'éprouverions que
l'embarras du choix , si saint Nicolas ne réunissait pas
LE GASTRONOME FRANÇAIS. a^S
au plus haut degré le double titre qii'exigentnos statuts.
Celui qui procure des maris aux filles et des conyiyes aux
amphytrions ; celui qui enivre les vieillards et instruit les
jeunes gens, qui préside à la lois au lit et à la table»
est éminemment l'un des premiers patriarches de notre
ordre ; aussi nous voiions-nous h lui d'aussi bon cœur
que nos censeurs nous donnent au diable dans les accès
4e leurs mauvaises digestions.. Gastbbmann.
D£S MAVTIBTTES.
« Yoici ce que dit de cet oiseau M. Valmont de Bomare:
Les alouettes sont des oiseaux qui parcourent l'Europe
pendant l'été; elles préfèrent les terres élevées et sèches;
elles sont alors fort maigres; mais en hiver eUesdesMi
cendent dans les plaines , où elles habitent en troupes
nombreuses ; elles sont alors bien dodues : telle est
ïalbuette grasse que l'on sert en hiver sur nos tables
sons le nom de mauviette; c'est un mets de bon goût ,
fort délicat y . et &cile à digérer. Si l'on volt quelques
personnes se plaindre de coliques d'estomac après en
avoir mangé» cet effet n*est produit que par les petits
os très-fins qu'elles ont avalés , et qui picotent les mem-
branes de l'estomac. »
SAVTÊ DB MAVVIETTBS EH CBOUSTADB.
Prenez cinq douzaine! de mcnviettet; lorsqu'elles serunl bien plu-
mées ôtea-en seule ment lo^^ésicr, et flambcz-Ies Irès-Iégèrement ; levez.^
994 LE GASTHONOME FRANÇAIS.
es les Bfeft , qam «ow amoferet dftM «ne hioIoIi«, dam k^ndle ?<
«net Bit dn bevnv clarifié ; aaettaa entaite on bon saoïotan dt bourre
daoa une caiteiole aiec tootei Ici caicaiset de vos mauviettes ; paaes-
les jnaqn'à ce qu'elles soient'piesque cuites, et kisses-Ies là; k>iic|a*eUes'
seront froides tous les pUeres dans un mortier; passez avec un peu do
benne » cinq à siX'Mialottes , une feuille de laniier, on peu de tfaya',
deux olous de girofle; yous singerei tout cela bien légèrement, le
mouîlleres avec d'eiceOent tîu blanc , et le laisseres bouillir pendant
on qnart-dlienre ; joîgnes-y ensuite ce que tous avea pilé ; fidies seu-
lement cbauffer le tout ensemble en l'asBiiionnant d'un peu de «1
et de poine ; passes cette espèce de purée à l'étamine, mettcz-Ia du»
une casserole , Toyes si elle est d'un bon goût , et mette<*la ensoîle
•
ebauflTer au bain-marie. Ayes des croûtons de pain d'un ponce et den'
d'épaisseur ; taiflea-les en cceur, en losange, en rond, ou de telle mr
nièie que tous jngerea convenable ; faites-leur à chacun une iocisbo k
deux lignes du bord ; passes-les au beurre , en obserrant qu'il soit de
belle couleur ; ûtea-en la mie : an moment de servir tous remplîtes oa
crofttons de la purée que vous anres faite » et que vous nnres eu soia
de tenir un peu liée; voui lesarrangerec ensuite snr le plat estourdei
flleiat que voaa aanteret au même moment* (Cinq minutes auftssnt
pour les cuire.) Vous arroseres le tout du reste de votre purée , qne
vous auras en soin de rendre un peu pins liquide en y mettant sue
demi^uillerée d'excellent consommé. Serves chaud. C. eiB.
DHfDOR BH DAVBB.
Ayes un bon dindon ; coupes-lui les pattes , et trous» les cmases eu
dedans ; et lorsque vous Taures bien épluché et bien flambé^ brides-
le ; ayet de gfos lardons, assiBsonnes4es de sel, poivie, des quane'
éfices et de fines herbes; piques^cn restomne ei les cuisses ; aaetteaea-
•ntte des bardes de lard dans une braCière , étendes votre dindon pu-
dessus ; ajoutes-y un jarret et un pied de veau , les pattes du dinda ,
cinq oignons , dont un piqué de trois clous de girofle , trois on quatre
carottes , deux feuilles de laurier, du thym , un bouqu&t de penîlet
de ciboules ; places snr votre dindon des bardes de lard paielles à cel-
les que vous aves mises dessous ; mouilles avec quatre cmllerées à pot
de bon bouillon , et oouvroi le tout d'En papier beurré; faites mijbler
pembnt cinq heures nt demie; au bout de ee temps ivlîren vutve bn-
LB GASTRONOMS FRANÇAIS. «9$
tt^ du feo^ main n'ep 6tesle diadon qu'une demi-heure «près^ afin
quMl ne 0e hâle pas ; panez votre mouillement à traven une se^iette
fine, et faitea-le réduire d'un quart; cassez ensuite un œuf dans une
<eaafeiroIe ; battez-le bien ; Tenez la gelée par-dessus, et fouettez le tout
6ien fortement ; Toyez n cette sauce est d'un bon goût, mettez-la sur
le feu ; quand elle auia jeté ses premiers bouillons, placez-la sur le bprd
du fourneau, couvrez - la d'un couvercle sur lequel vous placerez du
feu , laissez-la pendant une bonne demi-heure , passez-la ensuite à tra*
v^rs nue «émette Gme , et qqe«d elle tera en gelée, couvrez-en votre
DB LA. BiCASStf BT PB LA B&GAMINE.
La bicasu Mt un oi^oau de passage qui se*reiire daQs^
Tétë sur fe haut des montagaes d« la Suisse , de la Sa-
voie , des Pyrénées , des Alpes , et qui ne descend dans
la plaine que vers la mi-octobre; c'est alors qu'on en
voit dans la France et dans les pays Toisins. Elles s'en*
volent presque toujours par paires , et fréquentent do
préférence l'^itrée des £»rêts humides » les marais, les
ruisseaux près des haies , où elles trouvent des vers dont
elles (wi leur nourriture*
Ces aimables nymphes des bois , qui ne font guère en-
tendre leur cri particulier que dans le tetiaps de leurs
aajours » ont quelque rapport avec certains autres oiseaux
de passage plus connus parmi nous : une lumière faible
leur convient ; elfes se tiennent cachées pendant le jour ;
et ce n'est que le soir principalement qu'elles se montrent
pour &ife leur toilette au bord des ruisseaux et pour
eh^npher leur pieptéeu.. On les prend sur les lisières des
bois dans des filets k la passée , ou sur les bords des ma-
rais avec des lacets.
Les bécasses regagnent les hauteurs au mois de mars p
296 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
elles partent appariées. Il en reste quelquefois dans le
pays ; elles y pondent et y courent. Elles font leur nid
à terre contre un tronc d'arbre ou une grosse racine;
leurs œufs , au nombre de quatre ou cinq par nid , sont
oblongs 9 un peu plus gros que ceux de pigeon , et de
couleur rougeâtre.
Le vol de la bécasse paraît rapide , mais H n^est ni
éle?é ni soutenu ; cet oiseau bat des ailes en partant, file
ou fait le crochet» et s*abat bientôt comme une masse
abandonnée à son poids. Après sa chute il trotte à terre
avec une grande vitesse» et est déjà bien loin du chasseur
à l'iiastant où il l'aperçoit.
Une bécasse à la broche est un des rôtis les plus dis-
tingués qu'un amphytrion puisse offrira ses convives;
c'est elle qui » après le faisan , obtient la préférence sur
nos tables, et qui jouit de plus d'esUme et de consîdé-
ration.
La bécassine est aussi un oiseau de passage de h gros-
seur àf peu près de la caitte» et remarquable par la lon-
gueur de son bec» qui a près de trois pouces. Elles arrivent
de l'Allemagne en automne, et s'en retournent au prin-
temps de même que la bécasse , dont elles contractent
toutes les habitudes , soit -dans leur nourriture , soit dan»
leur retraite.
Lorsque la bécassine prend son essor elle jette un cri.
Elle est fort difficile à tirer, à moins qu'on ne choisisse
Tinstant oii elle vole en ligne droite , car son vol est
presque toujours en crochet.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 397
8ALMI 'DB BÉCASSE6.
Ayez trois bonnes bécasses; éplacbez-Ies bien soigneusement, met-
tez-les il la brôcbe, retirez-les avant qu'elles toîent toot à' fait cuites, et
lalssez-Iès refroidir; levez-en ensuite les membi'es avee la plus grande
attention, parez-les , 6tez-en la peau » et arrangez-les dans une casse-
role ; cela fait , concassez et pilez tos débris. (Gomme la bécasse ne se
TÎde pas, ayez soin d*ôter le gésier.) Lorsque le tout sera bien pilé, met-
te z dans une autre casserole un morceau de beurre, un peu de thym,
une demi-feuille de laurier et deux on trois échalottes entières ; passez
cela nn moment, singez légèrement, mouillez moitié bouillon et moitié
▼in blanc ou rouge (si vous avez de 4a sauce espagnole, mettez-en en
place de bomUon ) ; assaisonnez de sel , poivre , muscade, faites réduire
votre sauce à moitié, mettez dedans ce que vous avez pilé, faites- le
chauffer sans le faire bouillir , et passez-le ensuite à Tétamine comme
une purée; versez sur les membres, et faites chauffer au bain-marie.
An moment de servir ajoutez un petit pain de bon beurre , un peu de
)us de citron , et n^onb'iez pas de mettre- quelques croûtons bien rouz
et égaux.
DBS SOLES» DES CARBELBTS ET DES LIMANDES.
L'hiver, propice à tous les yœux des gourmands, ra-
mène avec le règne des volatiles et des quadrupèdes
celui des poissons de mer et d'eau douce. Habitans do
nos côtes , les soles , les carrelets et les limandes arri-
vent les premiers à la halle.
La sole , au corsage alongé , à la chair de neige , au
goût délicat , se mange au gratin , frite ou grillée. Elle
se sert sur les tables les plus recherchées. Des filets de
sole au gratin sont un mets de la plus noble espèce.
Les amateurs la mangent au beurre roux , sautée dans la
poêle. La plus grosse est réputée la meilleure; mais quand
elle a des formes gigantesques , l'usage veut qu'elle soit
cuite sur le gril et relevée d'une sauce aux câpres.
. I
«98 LB GASTftONOMB FRANÇAIS.
Le carrelet» seioblaUe à la 0gttre géométrique indi-
quée par son nom , est proche parent de la sole : pré-
féré par les gourmets , il passe plus généralement pour
lai être inférieur. Les mêmes sauce» lui conviennent.
On en peut dire autant de la limande» leur s<eur»
qui tient le milieu entre la taille s?elte de la sole ei b
dos angulaire de son analogue; unep(atftiui(e égale dans
les flancs» et une blancheur pareille dans les chairs,
forment leur trait distinctif de famille.
Tous trois sont communs à Paris. Prémices des dons
d'Amphytrite» ils donnent ravant-goâit des plus fines
chairs aquatiques , sans jamais rien perdre de leur mérite
à la comparaison*
Mais il importe de les accommoder dignement. Tout
cuisinier qui ne saura pas apprêter des soles sera diffici-
lement propieà préparer des poissons de plus haute volée.
Cette partie de l'art est plus communément négligée
qu'on ne croit ; or » cet axiome étant incontestable , que
c'est la $auoe qui fait manger le poiuon, on ne saurait
apporter trop d'attention à la bien faire. Le choix des
in)çrédiens n'est pas moins essentiel que leur aasemhUge;
et le degré de cuisson doit répondre à la mesure du mets
préparé avec méthode » et embelli de toutes les combi-
naisons de l'art
Nous avons donc jugé çonTepable de donner ici la re-
cette suivante » attendu qu'elle i^oos paraît la plus géoc-
nUemeni ign<Htie,
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 299
90LES f CA.BI11LKT8 BT LIMANDES AV GRATIN.
Ayez un plat d'argent, étendez an morceau de benne dessus, prenez
ensuite de fines herbes , des échalotes et des champignons , hachez le
tout bien menu , passez-le avec du bfcurre , du sel , du poim , et ver-
•ez-le dans le plat ; placez-y ros soles , limandes ou carrelets , et cou-
▼lez-les légèrement de chapelure de pain bien fine ; arrosez cela de
^elqnes gouttes de beurre, mouillez arec du Tîn blanc , faites cuire à
petit &u, sous un four de campagne, afin que le gratin se forme douce-
ment ; Toyez si l'assaisonnement est bon , et finîséez arec un jus de
cUniB. Serves trèa^h«id* G«#tB»
DBS mSHLANS.
Depuis le mois d'octobre jusqu'au mois de mars le
merlan occupe la première place parmi les poissons qui
se servent sur les tables parisiennes; il partage avec le
gibier les honneurs d*nn dîner splendide, et la supréma-
tie d'un banquet de famille : sa chair, légère et blanche,
sa forme allongée et sa dimension exiguë lui donnent une
iàcàit entrée dans tous les palais; c'est un des sujets de
Neptune qui se plaisent le plus à la halle y et Ton y Toit
arriver tous les jours de nombreuses caravanes de son
espèce. Ces pauvres débarqués ne font qu'un saut de la
fiantaine des lonocena dtins la poêle ou la casserole ; ils
sont d'une grande ressource pour la cuisine , surtout les
Tendredis et les samedis; ils se prêtent à toutes les mo-
difications que l'art du cuisinier veut leur donner , ils se
mangent sur le gnï , en fùfiUoneB ^ à la êauce4xux eâpreg,
au gratin, cuits h Yeau , k la hollandaise , etc. , etc.
Mais les gourmands délicats ne mangent que les filets
de ce poisson estimé : la tête , la queue et Ic$ arêtes
5oo LE GASTRONOME FRANÇAIS,
f 'enlèyent adroitement , et Ton apprête le surplus , soit
en friture, soit à la gauce aux tomates. Lorsqu'on le sert
entier ou en filets , il tient honorablement la place d'un
rot , et se montre au second service.
On en fait aussi des quenottes» qui garnissent avec dis-
tinction un Yol-au-yent ou des petits pâtés ; ils forment
encore une plus riche garniture pour une carpe ou un
brochet apprêté à la Chambord.
Nous ne donnerons ici que la recette des filets fards,
comme réunissant à beaucoup de délicatesse pour le goût
une plus grande facilité dans Texécution.
FILBTS DE MBBLAN FABGIS.
Levés les filets de ttz gros merlans , et paret-les conTenablemcDt;
faites uoe farce avec la chair de trois autres merlans de taille commone,
«t pilex cette chair dans un mortier, après <{uoi tous la passerez dans
un tamis à quenettes : tous pilerez et passerez de la même manière
au tamis une quantité égale de mie de pain , que tous aurez fait trem-
per dans du lait : faites trois paits égales de cette mie ; mélez-les arec
les trois merlans, au moyen d'une quantité équivalente de beurre fraia ;
pilez le tout ensemble, assaisonnez de sel, de poirre et d*nn pen de
muscade ; tous pouTez y ajouter une truffe coupée en petits dès : tous
fouetterez deux blancs d'œufs , que tous Incorporerez dans cette farce,,
en le remuant légèrement.
Après ces préparatifs couTrez de Totre farce le fond d'un plat d'ar-
gent à trois lignes d^épaisseur; conchez-j tos filets du côté de la peau,
et étendez sur chacun un peu de ladite farce.
11 faut ensuite que les filets soient artbtemeot roulés; de aoita qu'il»
aient la forme de boudons : ainsi arrangez sur le plat , de manière qne
la farce remplisse tous les vides , faites-les cuire dans un four de cam-
pagne une demi-heure avant de les servir; versez dessus une bonne aact
à l'italienne , et tei^ez chaud. B.
LB GASTRONOME FRANÇAIS. Soi
>fin<tnsm.
IL FAUT BOIRE ET MJNGER.
An : Ça n* dar^ pai loii{oail. f N. 5) dt la CU 4m Ç«m««.}
Disciples d'Épicure,
SuiroDS y sans déroger.
Cette loi que nature
Sait si bien propager :
Il fiiut boire et manger. ( Quatre fois, )
Puisqu'on ne Toit sur terre y
Qu'ennui, peine et danger.
Amis, que faut-il faire
Pour ne pas y songer?
Il faut boire et manger.
Amour, gloire, richesse,
Ivoire charme est léger;
Le seul qui me paraisse
N'être pas mensonger.
C'est de boire et manger.
Lorsque notre maîtresse
S'avise de changer,
Pour nargner la traîtresse
Qui croit nous affliger, '
Il faut boire et manger.
Verrait-on de ce monde
Tant d'hommes déloger,
S*ils chantaient à la ronde,
Avant de s'égorger?;..
Il faut boire et manger.
3o» LE GASTRONÔMB F&ANÇàlS.
Mœurs ^ usages, oostome.
Tout finit par changer;
Il n'est qu'une coutume
Qu*oa ne peut négliger :
G'eU de boire et manger.
Quel est du pauvre hère
Le bonheur passager ,
N'eût-il que de l'eau claire ,
Et qu'un os à ronger ?••.
C'est de boire et manger.
J'ai par terre et sur l'onde
Visité l'étranger;
Dans tous les coins du monde
Où j'ai pu Yoyager,
J'ai Yu boire et manger*
Amant qui te disposas
A l'heure du berger,
Yeuz-tu de quelques rotes
Voir ton front s'ombrager?
Il fout boire et manger.
Fi du docteur maussade
Qui, pour mieux le gruger.
Soutient à son malade
Qu'il ne peut sans danger
Ni boire ni manger!
De Paris jusqu'en Chine
On aime à yendanger ;
De Rome en Cochiochine
On court au boulanger :
Il fout boire et manger.
i
LE GASTRONOME FRANÇAIS. SoS
Jusqu'à l'heure fatale
Où le noir messager
Dans sa barque infernale
tiendra tous nous ranger,
Il faut boire et manger< DAsawiias.
LE DÉURE GOURMAND.
An: Fièr* Piem à la «bUm (o. 198 d« h CtéémCmMum
Ahahs de la bonne chère ,
Friands de jeunes tendrons ,
Faisons bombance à Gjthère,
Et l'amour sur des chaudrons;
Car Vénus
Sans Gomus,
Loin de ranimer la fie.
Ferait périr d'éthisie
Tous les enfans de Momus* (t^*)
Qu'une table bien serrie
S'élèTe au sacré Talion ;
Débauchons dans une orgie
Toutes les sœurs d'Apollon.
Qu'un flacon
De Mâcon
RenTcrse chacune d'elles ,
Et l'on Terra nos Pocelles
Accoucher. .. d'une chaMon.
Si Jupin en bœuf se change
Pour couronner son amour,
Cuisinier, pour qu'on le mange ,
Fonds sur lui comme un Tautour ;
3o4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Mets sa chair
Sur le fer
D^un gril rougi par la braise :
Fais un bifteck à Tauglaise
Des cuisses de Jupiter.
Contre ud bonnet de cuisine,
Amour^ troque ton bandeau ,
Et de ta flèche badine
Larde-nous un fricandeau :
Gupidon,
Marmiton,
Reprends tes droits sur notre finie ,
Et que ta divine flamme
Serve à rôti|' un dindon. I
J*ai vu Vénus entourée
Des jeux, des plaisirs, des ris,
Et ma raison égarée
Suivit ses oiseaux chéris.
J'ai repris
Mes esprits;
Et, lorsqu'il faut que je dine,
Je mettrais en crapaudine
Jusqu'aux pigeons de Cypris.
Armé d'une lèchefrite,
Je débarque chez Pluton , «
Et fais bouillir ma marmite
Sur les feux du Phlégéton.
J'ai pour rôt
Un gigot;
Cerbère tourne la broche ;
Caron fait tinter la cloche ;
Minos écume le pot. M. Fiàkcis.
^apit(i
m$ihni.
19VCATZOV OASTAOMOKZQUX.
C«a*«st pwtoat que d'être gonmund, il but
ancoM étr« poIL
Geoioo SB iJk SundaB.
20
1»»i
ÉDVCATIOll CfASTEOMOBn^UE,
mm
5lrticle |)ranier.
DES VSAGK8 QV'lL FAUT SUIVRE, DES ABUS QU*1L FAUT ÉVITER.
(S ^^^ijitAtrs k U f^nrc^tttt.
Dkfbis qu'on dîne à Paris à huit heures du soir , et
que ( malhearousemeiit pour l'esprit , la gatté et la con-
versation) l'on n'y soupe plus, il a fallu faireen quel-
que sorte un repas du déjeuner; et, quoiqu'on, ne
mette point alors la nappe , ce repas , dans la plupart des
jmaisons opulentes , est d'une solidité très^respectable.
On sent bien que pour des hommes qui courent pendant
toute la matinée après la fortune , et qui travaillent sans
cesse à faire, à augmenter ou à dilapider la leur , un dé-
jeuner , comme nos pères s'en contentaient , ne saurait
suffire* Que. serait-ce, en eflPet , qu'une ou même plu-
sieurs tasses decafé ou dechocolat pour l'homme qui n'a
point soupe , qui ne dînera qu'au coucher du soleil , et
qui » depuis sept heures du matin jusqu'à six heures du
soir , ne cesse d'exercer son activité , et de mettre des
îamhes et son esprit à la torture, pour acquérir en trois
ou quatre ans une fortune autrefois l'ouvrage de la vie
entière? Nous ne parlerons pas des moyens qu'il em-
ploie pour y parvenir ; ces réflexions sont du ressort du
5o8 LE GASTRONOME FRANÇAIS. ^
moralisle ei dod pas da gourmand; nous soahaiftons
seulement qu'il soit en paix arec sa consdence , parce
que , lorsqu'elle est agitée , il est rare que TappèUi soit
franc y et que les digestions soient bonnes.
Quoi qu'il en soit , de cette nouvelle manière de rivre
ont dû naître nécessairement les déjeuners à la four-
chette. Ces déjeuners ne se composent pas seulement,
comme autrefois (lorsque quelques circonstances, telles
qu'un yoyage» une chasse» etc. , obligeaient d'eo fiûre
de solides) , de riandes froides , de pâtés, de jambons
€l de langues fourrées ; on leur a donné une toute autre
extension, et l'on peut dire qu'à l'exception de h
nappe « de la soupe et du rôti, ce sont de véritables dî-
ners du matin.
Eu effet, les petits pâtés , les côtelettes , les rognons ,
les coquilles au gratin, les pigeons à la crapaudine , etc.»
tous mets chauds , non*seulement font partie de ces
déjeuners , mais ils n'en sont en quelque Açon que le
prélude. On y sert des têtes de veau à b tortue , des
anguilles à la tartare , des friteaux , des marinades à
l'allemande, des semelles de veau à la moelle, des
selles de mouton k l'allemande , des carrés d'agneau ea
mousseline , des chapons au gros sel , et jusqu'à ces &-
meusp têtes de veau du PulU-Gertain , qui devraient
être réservées pour les repas de noce , et qu'on voit
maintenant souvent paraître à des déjeuners de simples
agioteurs. Tout cela n'empêche pas les grosses pièces
froides , les jambons de Bayonne , les pâtés de tons tes
pays, et principalement de Strasbourg, de Chartres,
j
j
I
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ^9
d'Amiens» de Toulouse, d'Auch et de Pérîgueux». les
langues fourrées , les galantines , les longes de veau» les
daubes, etc. » et même quelquefois des brochets mons-
trueux,.et des turbots à larges panses , si bien nommés
les princes de la mer, de former un second service,
qui est remplacé par un dessert sucdnct, il est vrai,
mai» encore assez bien^ fourni; et, pour que rien n'y
manque ,..oa prend , en finissant, force café, sept à l\uit
verres de diverses liqueurs , etc. , et Ton se sauve ensuite
pour aller gagner de Tappétit , afin de pouvoir dîner à
sept ou huit heures , comme si Ton était encore à jeun»
Il est impossible que Testomac le plus robuste puisse
résister long-temps à un semblable régime* L'homme le
mieux constitué ne saurait faire qu'un bon repas par
|our , et celui du matin nuit nécessairement à celui du
soir. Dans l'ancien ordre des choses , ceux qui dînaient
solidement soupaient très -peu , et les véritables soupeurs
( qu'on nous passe cette expression ) ne dînaient presque
jamais. Les robustes Midas du jour déjeunent comme
nous venons de le voir , et n'en dînent pas moins copieui
sèment.- II est des grâces d'état , mais les hommes sen-a
ses doivent se borner à les admirer sans chercher à lea
atteindre; ils n'y parviendraient qu'aux dépens de leur
esprit, de leur santé et même de leur existence.
Nous ajouterons qu'un véritable gourmand ne fait
qu'un seul repas, et c'est le dîner (1). Il entend trop*
(i) Un mèdecio tytnt demandé «u pèxe Bcmrdàloiie* quel régioie il
obterrait , cet austèi* religieux répondit : «Je ne fais qu'an rtpaa par
5io LE GASTRONOME FRANÇAIS.
bieo son inlérét pour vouloir émousser dès le matin les
houppes nerveuses et^ensitives d*un palais vierge; et il
se mettrait hors d*état de procéder k une dégustation sa-
vante et réfléchie s'il commençait par surchai^r son
estomac de viandes froides , et par dépenser la moitié
de son appétit à un repas qui est sans conséquence pour
les progrès de l'art; car ce ne sera jamais qu'au dîner
qu'un grand cuisinier déploiffra tout son savour, et que
les véritables juges se rassembleront pour prononcer en
dernier ressort sur les productions alimentaires. Ailes
proposer , par exemple , un déjeuner h la fourchette k
messieurs les illustres convives de la société des tnercre-
dis 9 6t vous verrez comme ils vous recevront (i) !
A déjeuner le vrai gourmand cherche donc bien moins
h satisfaire son appétit qu'à l'entretenir » à le choyer ,
et à le stimuler en le trompant en quelque sorte par des
semi-nutriti6; c'est ce qui fait que la plupart ne pren-
nent le matin autrexhose que du chocolat. Cef te bois-
son a l'avantage de caresser l'estomac sans le surcharger,
de s'assimiler parfaitement avec notre substance « de
soutenir nos forces , et d'être tout à la fois apèritîve, bé-
chique et légèrement nutritive; mais il (a ut la bien
four. — Gtrdez-vous , dit le médecin, de rendre votre secret public:
▼oas noofl ôteriez tontes nos pratiques. •
(i) Ces dtoers, qui prirent naisstnoe chez Legac<pie aa comneoce'
ment de ce siècle , furent fondés par le docteur Gastaldi , mort à Uibfe«
c'est-l-dire au champ d'honneur d'un gastronome. Les principaux cm-
tives i6taient MM. Orimod de lé Reynière , Ohambon , Barr^, lUdet,
Désaugiers, Michaud de ia comédie Prançai e.
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 3 1 1
choisir , car autrement elle ferait beaucoup plua de md
qu'elle u'opérerait 4e Mou. G* D. L. R.
Nous respectons infiniment Popinlon que vient d'é-
mettre Fillustre législateur de la table ; mais» selon nous:
On peut ètra honaèCe hoflime et fort bien déjeuner.
Un gourmand qui sait se respecter ne doit pour cela
consulter que deux choses : sa bourse et ^on estomac.
D'ailleurs les indigestions sont l'affaire des médecins; et
l'on voit souvent de ces docteurs , sans doute pour leur
donner Texemple ou pour régler leur appétit , déjeuner
avec leurs cliens dans les cafés restaurans les plus re-
nommés de la capitale , tels que le café Hardy , le café
de Paris, boulevard des Italiens , chez M. Béhodencq,
^u café des Variétés, au café du Périgord, et au café
Valois, auPalaivRoyal; au café Desmares, rue du Bac,
et surtout au café Guette, quai d'Orsay, vis-à-vIs le pont
royal , établissement où llionnéteté des maîtres de la
maison et de tout ce qui les entoure , lé dispute àveé
la bonté des mets et l'excellence de la cave.
Noirs avons entendu plus d'un gourmand ,Te9pecfaMe
pat son «avoir , son «xpérience - et ses ftofondes '^on*
3it LE GASTRONOME FRANÇAIS.
■aisaances dans toutes Im- parties de Fart aUmenlaire ,
«e plaindre , en sortant de chez les plus fameux restaura*
teurs» de n*j avoir jamais été pleinement sattsfaîl, quoi-
qu'il y eût dépensé beaucoup d*ai^nt , et que son dîner
d*un seul couvert lui revint quelquefois k un louis. Après
en avoir long-temps cherché la raison» nous croyons
l'avoirlrouvée ; et nous pensons que ces considérations,
loin d*étre déplacées ici , pourront ouvrir les yeux à plos
d^un lecteur , qui depuis long-temps cherche le mot de
cette énigmCv
Il est prouvé 9 et c'est un axiome qu'aucun gourmand
n'a jamais mis en doute , que chacun des mets qui com-
posent un dtner » soit entrées » soit rôtis , soit entremets ,
n'a qu'un instant précis pour être mangé dans toute sa
bonté. Si Ton en a trop hâté la cuisson » ou , <:e qui est
bien pis encore , si on l'a laissé languir soit à la brocbe,
soit dans les casseroles , il a perdu une grande partie de
ses qualités ; la combinaison de ses principes n'est pJus Ja
même » et l'on peut dire qu'il a subi en quelque sorte un
commencement de décomposition. Or» chez les restau-
rateurs il n'y a point d'heure fixe pour le dîner : depuis
trois heures jusqu'à sept les consommateurs s'y succè-
dent; mais la carte reste constamment la même. Tel
mets combiné pour trois heures n'est souvent demandé,
servi et mangé qu'à cinq. Tous» rangés autour du feo»
attendent, pour paraître sur la table » que le caprice des
consommateurs les y appelle. Le tour de l'un de ces mets
est-il veni^ , on en coupe une portion , et le reste languit
dans une nouvelle attente ;• plusieurs même ne seront
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 3i3
point demandés aujourd'hui, et ce.n'est que demain
qu'ils seront reproduits sous une autre forme , afin de
déguiser leur rétusté.
Il résulte de cette méthode que dans W houtique d'un
restaurateur rien ne peut être mangé à son point » à
l'exception des fritures et des omelettes souiQées » qu'on
ne saurait préparer à l'ayance. Les ragoûts , ainsi flétris
et desséchés, ont vu toutes leurs vertus se dissiper : l'es-
prit des viandes s'est évaporé en pure perte , les sauces
sont taries , les rôtis calcinés , les entremets décompo-
sés , etc. , etc. ; enfin le consommateur a dépensé beau-
coup d'argent pour faire un très-mauvais dtner» quoique
confectionné par des mains savantes.
Il serait donc dans ce cas souverainement injuste de
s'en prendre au talent du cuisinier , qui ne peut travail-
ler que pour un instant rigoureusement déterminé » et
auquel l'art n'o&re aucun moyen pour prolonger sans
altération l'existence d'un ragoût; et il n'est que trop
pirouvé qu'un dîner à la carte ne saurait jamais être bon
dans aucune de ses parties. Que Ton cesse donc d'être
surpris si de cette manière l'on fait une chère fort mé-
diocre , même chez les premiers artistes de la capitale.
Mais que l'on commande un diner pour une heure fixe
chez les Robert, Véry , les Grignon, les Beauvilliers, les
Legacque, les Balaine (i), et autres grands hommes de
(0 Balaine , Robert , Legacqae ont été ravia à Cornus par Plutus son
frère. Beanvilliers ne traite plus en ce monde, non plus que Grignon
père. C'est da fils que nous aTons parlé au commencement de cet
cMiTrage.
5i4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Tart ; que l'on ê'y rende au coup de l'horioge» €A qoe I'o0
fasse servir dès que le cuisinier annoncera qu'il est prêt,
et l'on s'apercevra de la différence : on dépensera beau-
coup moins pour dtner beaucoup mieux; lsi bourse ei
la sensualil^é j trouTeront également leur cofiapte.
Cette immuable vérité > qu'un ragoût ne doit jamais
languir dans l'attente , et n'a qu'un senl instant précis
pour être mangé , reçoit une application bien plus rigoa-
reuse encore s'il s'agit d'une matelote. G^est an point
qu'il est de principe, dans les cuisines de la Râpée et dn
Gros-Gaillou, que l'on ne met jamais la matelote aor le
feu que tous les convives ne soient rénnis , et même I
table. Il n'y a nul inconvénient à faire attendre plus ou
moins ces messieurs; mais il n'en est pas de même de
la matelote; sous peine d'être dégradée » elle ne saurait
languir seulement cinq minutes.
Ces considérations , qui sont tirées de la natm^ même
des choses , et qu'il n'est pas permis d'ignorer poar peu
qu'on ait quelque teinture de la théorie du grand art de
la cuisine , s'appliquent encore à d'autres objets qu'aux
dîners à la carte. Elles prouvent , par exemple , com-
bien est coupable le convive qui se fait attendre seule-
ment un quart-d'heure au repas dont le moment a été
indiqué d'une manière précise. Grâce à son inexactitude*
ce repas se trouvera manqué dans tous ses points. Si les
entrées ont langui , le rôti , qui leur succédera , sera
desséché , et les entremets sans saveur. Tous les ser-
vices, semblables à une vieille coquette, auront pcvdu
leur fraîcheur, et même leur physionomie , et c'eai en
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 3i5
Tain que Ton cherchera dans chaque plat le go6t qu'il
deit ayoir.
Il n'y a point , selon nous , de peine assez grande
contre un contive qui expose un amphytrion & de
pareils affronts, et toute une coiiipagme d'honnêtes
gourmands à un semblable malheur; c^est un délit
anti-social si jamais il en fut.' Il nous semble que l'on
devrait faire payer à ce convive le dîner , d'aprës
It!S ré^emens qui , dans quelques théâtres , obligent
tout acteur qui a fait manquer une représentation affi-
chée à payer lu recette présumée. Mais comme tous les
hommes qui se piquent de bon ton sont plus ou moins
inexacts ; que la plupart des femmes croient qu'il est du
hon air de n'arriver que les dernières ; enfin , qu'il etiste
journellement, surtout dans Paris, des causes impré>
vues de retard, nous engageons tous les amphytrions h
indiquer leurs festins pour une heure h l'avance , c'est-
à-dire d'inviter, par exemple , pour six heures très-
précises , et de ne faire servir qu'à sept. Cette latitude
permettra à chacun (bien entendu que personne ne sera
dans la confidence) d'arriver à temps; mais au coup de
rhorloge il faut (aiilsi que cela se pratique à la Société
épicurienne^ et surtout à celle des mercredis , si digne
de servir de modèle à toutes les autres ) que la soupe
paraisse sur la table , et que la porte soit fermée au
rerrou. Malheur au paresseux ! la diète est sans doute
une punition terrible ; mais aux grands maux les grands
remèdes , et celui-ci nous parait être le seul capable de
les corriger.
3i& Liï GASTRONOME FRANÇAIS,
Ea prenant ces précautions, un dtner sera toujours
servi et mangé à point , et le cuisinier demeurera sans
excuse si son travail n'est pas ce qu'il doit être.
En conseillant de fermer rigoureusement la porte aux.
paresseux 9 nous parons encore au désordre qui résulte
nécessairement de l'usage où l'on est dans quelques mai-
sons de rapporter des plats déjà desservis h ceux qui
surviennent quand le repas est commencé; cette mé-
thode retarde indispensablement le service , et fait lan-
guir le rôt et les entremets; elle <^lige de plus les autre»
convives de mâcher à vide jusqu'à ce que les paresseux
se soient mis au courant ; elle rompt la symétrie , dé-
range l'ordre, et nuit même à la propreté d'une table;
enfin elle récompense en quelque sorte l'inexatitude au
lieu de la punir. Nous ne saurions donc trop engager
les amphytrions» vraiment dignes de ce nom sacré , à
bannir de chez eux cette méthode ; et » s'ils ont de la
répugnance invincible pour fermer leur porte après
L'heure fatale » qu'ils ne permettent pas au moins que
l'on rapporte les plats qui auront été desservis. Les pa-
resseux prendront le diner à l'époque oh ils Vauront
trouvé; et si leur appétit souffre quelques privations, c'est
à eux seuls qu'ils devront s'en prendre. Puisse ce mojea
les corriger 1 et qu'ils se souviennent que de toutes les
afiaires importantes qui se traitent en ce bas monde» uo
dîner est la seule qui ne puisse, sans inconvénient»
souffrir le plus léger retard ! G. D. L. R.
^
LE GASTRONOME FRANÇAIS. Si 7
u ^)a^Us y
Muita renasemittry quœjam eeeUUre, cadMtqus,
C'est un principe avoué et reconnu par tous les Trais
gourmands , que l'on ne saurait bien manger lorsque Ton
mange seul. Entrez chez le plus fameux restaurateur ;
observez trente personnes qui dînent 2i trente tables iso-
lées , et TOUS ne remarquerez sur le visage d'aucun cette
)oie pure 9 cette douce hilarité qui doit se peindre sur
toute face gourmande pendant l'exercice des fonctions
dégustatrices; chacun a plutôt l'air de prendre en hâte
une in£spensable réfection que de faire avec réflexion
et maturité un bon dîner.
Il en est à peu près de même de tous les plaisirs que
l'on se procure en ce bas-monde; il faut être au moins
deux pour les bien goûter; et il en est tels qui ne sont
jamais plus vifs que lorsqu'ils sont partagés avec un très-
grand nombre de personnes. Le meilleur spectacle » le
concert le plus harmonieux, le discours le plus éloquent
ne vous fera qu'un plaisir médiocre si la salle est déserte :
chaque spectateur est pour son voisin un spectacle : on
s'électrise réciproquement , et les émotions ne sont ja-
mais plus vives que lorsqu'elles sont ressenties par une
grande multitude.
Il en est de même à table ; à chère égale » à service
égal , plus elle est nombreuse , et plus on mange : l'ap-
pétit se développe par l'exemple; une sainte émulation
3i8 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
s'empare des convives, et ta cooTersation » qui lait couler
les heures, fait aussi digérer les morceaux. On ue craÎDl
point de paraître un gros mangeur quand tous les appé-
tits sont à l'unisson; et tel convive qui , s*il était seul,
mangerait à peine un poulet, encouragé, enhardi» ai-
guillonné , stimulé par ses voisins , dévore un aloyau sans
presque s'en apercevoir.
Ces considérations , dont les gourmands ei les obser-
vateurs sentiront toute la vérité, faisaient regretter de-
puis long-temps aux uns et aux autres les tables £kôu^
dont Tusage s'était perdu à Paris depuis les premières
années de la révolution. Il serait facile d'en trouver la
cause dans la différenoe des opinions» les disaeosîoDS
civiles, les mœurs sauvages qui avaient remplacé notre
ancienne aménité; cette crainte réciproque qui Caisaît
que chacun cherchait à s'isoler, l'oubli des convenanoes,
le mépris de toute politesse , enfin cette voracité , qui ,
ayant succédé à l'ancienne gourmandise , aarait mis ao
pillage la table d'hôte la plus abondamment serne. Aussi
les fameuses tables de l'hôtel de Bourbon, de l'hôtel de
Notre-Dame, de l'hôtel d'Angleterre, etc., oni-HeUe»
disparu dès 1 790 , ainsi que tous leurs habitués.
Heureusement les causes qui les ont (ait fermer ne
subsistent plus. Le besoin de lier société commence à
se faire mieux sentir; les mêmes citiintes ne forcent pUis
à s'isoler; et comme les opinions sont à peu près les
mêmes , on ne redoute plus les conséquences que cer-
tains épanchemens , si naturels à table , pourraient avoir.
Nous avons donc vu s'ouvrir successivement plusieurs
U ti ASTRONOME FRANÇAIS. 319
Uil^le« d'hôte , et l^ur» succès attestent que ce genre
d'établissement ne tardera pas à se consolider à Paris :
la bourse et la société y trouveront également leur
compte* G. D. L. R.
<mâ 4 man^tt.
Dahs tom le» appartemens bien ordonnés H existe un
réduit spécialement consacré au culte de Comas : cette
pièce devrait être le centre de toutes les distributions
environnantes , et la pins commode do logement ; il n'en
est cependant pas toujours ainsi , et les abus nombreux
que nous avons remarqués dans cette partie des usages
gourmands nous font un devoir de publier quelques ob-
servations sur les Salons â manger, afin d*en laire ap-
précier toute l'importance.
C'est véritablement un opfM^obre pour certains amphy-
triona^ Agnes d'ailleurs de beaucoup d*estime , que la
négligence avec laquelle est entretenu le coin le plus
intéressant de leur logis , la ^nétropole de leur domicile.
Si Anacharsis voyageait parmi nous , il chercherait vai-
nement à quels signes reconnaître le temple domestique
dédié au premier et au plus cher des dieux lares; il
pourrait croire même à la nudité du Keu que les mys-
tères qu*on y célèbre sont interdits , et que la profession
de gourmand est frappée d'anathéme , ce qui est bien
loin de la vérité pour l'honneur du siècle.
5«o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Le sanctuaire de Comua esl, dans presque toutes les
maisons » dans les hôtels même et dans les palais » le lieu
le plus simple » le plus nu , le plus négligé de Tédifioe ;
on se contente d*y entretenir une propreté rustique : an
buffet et une table indispensables , un poêle (i) et des
sièges en forment Tameublement ordinaire; tout au plus
des peintures en compartimeus de marbre » sur le mur
ou sur le papier , lui donnent un faux air de magnifi-
cence; et Topulence ne va pas au-delà de quelques
cadres en stuc » et de quelques vases ou figures d'albâ-
tre, relevés par quelques tableaux peu signtficatib.
Le scandale est surtout aflligeant dans les maisons
bourgeoises , où nombre de particuliers dtnent dans une
antichambre , aux portes du vestibule » à la merci des
importuns* Cet abus n'a pas toujours pour excuse la mé-
diocrité des fortunes, et nous savons àes amphytrions
riches qui n'ont pas d'autre salle à manger que leur
antichambre.
Le bon ton , la mode et toutes les raisons qui ont du
poids sur l'esprit des gens du monde deiraientleur frire
(t) Il est ettentlel qu'une nlie à manger foit éch auffèe dam Uralet
parties. Un poôle remplit asses bien cette condition ; mais on ne doit
jamais oublier la garantie pour mettre les jambes des conTÎves à l'abn
des Tents extérieurs.
Il n'est pas moins nécessaire d'avoir les pieds cbands tandis qa*oa
mange. Des boules d'étain remplies d'eau à 60 degrés y et qui , incras-
tées dans le plancher, feraient exactement le tour de la table , nom
paraissent un sAr moyen d'entretenir cette partie du corps , qui infiœ
si puissamment sur les organes de la digestion, dans le degré de cfaaien
qu'elle doit toujours avoir chez les gourmands.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 5,,
« I
senlir rînconveDance de cet usage monstrueux; ou peut
être à chaque instant interrompu par lesivalets et. les
étrangers ; l'aspect du lieu refroidit Tappétit ; sa sim-
plicité détruit rharmonie qui doit exister entçe l'abon-
dance de la table et les sens du convive. Nous ne savons
pas quelle était la magnificence des salons de Diane et
d'Apollon; mais nous gagerions bien sur ces titres divins
que LucuUus eût mal dîné dans, nos antichambres , soit-
disant salles à manger, quelle que f&t d'ailleurs la chère
qu'on lui présentât.
- On philosophe , bien pénétré de l'importance des
fonctions digestives, bien convaincu que le dîner est
l'acte le plus remarquable de la journée , bien sûr qu'on
ne peut être nulle part aussi bien qu'à, table /et que le
temple de Gomus doit inspirer autant de dévotion qu^'il
promet de jouissance; un philosophe, disons-nous; qui
sent sa dignité et celle de ses convives , cherchera tou-
jours autour de lui l'aisance, le plaisir et la magni-
ficence : la ferveur des fidèles ne tient pas toujours
leurs yeux fixés sur les mets; il faut qu'elle retrouve sur
les murs et sur les lambris des objets de concupis-
cebce.
Le salon doit surtout être secret , bien clos , inacces-
sible aux profanes comme au froid. Que la porte .qui
mène à la cuisine, soit la seule issue qui communique
avec le dehors, et que cet atelier délicieux en soit très-
voisin , dût l'avant-goût des mets lutiner l'odorat IDeux
croisées agréablement situées peuvent , quand on ne dine
pas aux bougies, laisser circuler un jour pur et gai;
è>ft LE GASTBONOMB FAAMÇAlâ.
mm. celui des lomières artificieUef yani onom mieiui »
qooi qu'en diieiit iei aneteiin du soleîL
Qoaat tmômeniena intérieur» » il faut qiieloiitka arts
seditputenl Tfaonneur d'y contriliuer. Les arts aenfc net
de l^ppétil ; car la néeeisité , sèie de rimrenlioa , n'ai
antre qoe la ftim produisant l'industrie. Notu vouloiâ
donc que la peinture et la sculpture décorent le ssko
èifaaL rîcbe amphytriao : Bacchus pressant une grappe ds
sa main dÎTÎne , Héké Tenante boire è Jinpifaer » màa»-
ront le marbre et la toile. Les rases qni sont aor Is tsdUe
et sur les talbiettes dnîyent présenter tiint&t une maicke
de Silène , tintô^ une aaturnale. Que Taigfe du pàiv des
dieuj^ » du même becqui goâle le nectar, Terse Is saooe
joteuie où l'esprit des liqueurs; qne l'anse du pkt qui
renferme une anguille k la tartare la représenls fkîie
de vie , se repliant en anneaujc ondnienz. On ooiilempis
avec ptaisri* au^essus d'une compote de pigeons las ce-
lombes de Venus se becquetant avec amenr* CW mal-
tiplier le plaisir de son bM» que de lui donner nUamoa
arec la réalité.
Ayons làta inoins dans le Aé/oof de nos lalona de ^iinl
réjouir nos yeux pendant les entr'actes qui séparent les
services ; qu*nM capricieuse Baechante enlace la ceupe
que nous portons à nos lèvres; que les cbevalie» de la
table ronde , sans visière et sans smune , retiaoent k
nos yeux l'objet qni nous réaliit ^ et «eus exdfnnt à bnirk
Des tableaux surtout , bien signiica^ » bien d^gnsa 4s
lien qui nous rasseadble et de la solennité qui neus es^
cope ! II n*est personne qui ne puisse et ne doive en
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 5st
«m «aUff à mtDgw; lo premier de» arts Mbéraqo: Mt
être associé partout k la première des jouissances libéra-
les : Slasl des iaUaaux, ainai que de la iMmiié ohèM, k
kiporlée de tout bnumde; et le savetier gourmand fbh
cardeisur son mur J'image réîonîssajite de CargOÊUua k
ta)»le; ou àag^urmand de GorceidL -
Le génie de Ium peinti^e» ae laisse rieft à désirer 4mi
ce genre : les taUeaux des Ghardia^ des Braimr> d6s
Sufders ont eu 4es imitateurs et des copiites; on en
{leot £oiiTirir ji peude frais les eaucs du plus Teste salott>
et àm Yojag^r les v^al^s du ùonme , sans les élcâgner
de robjet-deses aflectionsi; la perdrix »le lièvre qu'il viâot
de sarourer sont encore en nature^ur la toile : n'e«t-
m fm-UMé de fMdjper ces finiits « dô biimer Dette Jiqueiir
«limfdde que Yan-Spendonck et Vao-fluysen ont entou-
jde 4e fleurs encore empreintes de gouttes de rosée?
' Silanature morte faiîgcie l^^bser¥ateur -, Paul Botter,
Svfj^nm* ete,» rendront la vie au beaf-teck et à ralofau
4iie'¥oiis tenéa de savourer- Si feflet du Clmmpagillb
vous donne encore d'autres désikis , TAlktae et le Tr-
Jieft (i) vont colorer les contours des grâces » 4|w sont
jemÎBsde la îoîe« et qui ne déparent ni un repas somp-
Xoeux, Al une joyeuse saturnsie^
Des <sitt^hytrioncf plus modestes pourront se procurar
à moindres frais tous les mêmes prodiges reproduits par
Je gravuve» Le taUeau des Noces de Cana devrait se
âroorer partout ob l'on dlnôi ce qbef^d^œuvre de Paul
(i) fitD08<oélcibret MfbtM modeanM, tek ^e MM. <]réraré, Gro0>
i,Ae9 Vsrîietîet «Qire^
5i4 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Véironèse est un monument respectable élevé à la gour-
mandise.
Nous avons des décorateurs habiles pour qiû l'art
d'orner un salon à manger sera une découverte féconde;
que l'opulence les mette en œuvre » et nous verrons des
miracles. La sculpture , la peinture et l'orfèvrerie ont
atteint une perfection extraordinaire; cette dernière sa^
tout doit toute sa gloire au luxe de la table.
Le superflu et l'idéal ne doivent cependant pas l'em-
porter sur le nécessaire et le réel. Que des glaces lim*
pides, répétant quatre séries de tables et de convive,
soient le plus riche tableau de cette galerie , vaste mu-
séum de gourmandise; qu'un 'meuble élégant , à baa-
teur d'appui ; offre dans le pourtour une deisserte fitcile,
et que partout la transparence du cristal fasse briller le
rubis et l'émeraude liquides. Avec d'aussi beaux acces-
soires je n'ai pas besoin de dicter ce qui reste à fiure ,
et déjà le fumet des viandes , le parfum des truifi!» et la
fumée des mets m'annoncent un dîner splendide, et pu-
blient la gloire de notre amphjtrion.
Toute magniflcence convient sans contredit auxsaVons
à manger» beaucoup plus qu'aux salons dits de compa-
gnie» et même aux chambres à coucher» dans lesquelles
on ne se tient que quand on est malade » ou qu'on a en-
vie dé dormir.
Il n'y a que deux choses essentielles dans t*ameuble-
ment de toutes les maisons;' c'est le lit et là tabU; k
reste n'est qu^accessoire » plus ou moins : la table eA
même d'une nécessité plus absolue que' le lit» en raîioa
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 5a5
de h^ supériorité de l'appétit sur le sommeil. Mais, sans
disputer ici sur la prééminence , bornons-nous à souhai-
ter à notre lecteur tout ce qui peut embellir son lit et sa
table.
. Quant à c^te pièce privilégiée , ce temple brillant du
jeu , de l'étiquette et de la conversation à la .mode , où
Ton Jbâille.en cérémonie, et où Ton ne s'amuse que lors-
qu'on médit , elle n'a pu être consacrée que par la so-
briété jalouse et Tennuyeuse vanité.
Eh , morbleu I quand on & bonne compagnie , n'est-
ce pas h table qu'on en jouit le mieux ? Placés face-à-
face /remplis d'un même sentiment , joints par iin but
unanime , en communauté de plaisirs , d'appétit et de
travail , si l'on s'observe, c'est saûs jalousie ; si l'on
cause, c'est avec liberté; si l'on digère, c'est au champ
d'honnean
Mes amis , recevez vos amis à table , qu'il!» s'y placent
en arrivant; ibassisteront à Tarrivée du premier service,
et cette entrée sera triomphale; vos vases, vos tableaux,
vos meubles serviront de texte aux discours préliminai-
res» et aiguiseront les appétits: dans le goût du mattre
pour les arts et la richesse ils verront la garantie des
talensde son cuisinier. Ne quittez cette ^able que pour
y revenir, qu plutôt prenez-y le thé, prenezry le café,
restez- y jusqu'au soir, ne l'abandonnez qu'en- vous sépa-^ '
rant ; autrement ce serait vous séparer deux fois : où
pourrait-on jaser plus h son aise ? où ponrraîl-on s'en-
tendre mieux?
Aînicz-vons le jeu? jouez tnr<ji*p(?rtt/a ; Cornus réjouira
itê LB «ASTRONOME FRANÇAIS.
T0ê êsprili ; Bftcpbtts rom comola« des coapf ée b far-
Inne. Autrefois c'était les pieds seus la table qo'oa écovH
tait on concert » qn*on assistait à oo speétadé ; le) est
encore l'usage des Turcs et des Chinois, usage pratiipié
dans tout l'Orient , et que noas adopleroiia aans dûote
quand notre dyilisatfpn sera perfectionnée.
GASTmSAUJI.
itiUMllB BB FOLfTBSSa 0O1lHHA]l»B.
» f M*
<s ^nmUi)m>^
G'bst un principe adopta depuis long-tem^ par les
vrais gourmands, que Uê nuUê inwuaions mteepiûMa
«0 fonl à jour nonuni, et tnfime parieris, /wwiwfga
doMé t&u$ Uê eoê le billet fait Uire-i et kn^pt noua
atrons , les premiers , imprimé cette phiMa, wmam n'a^
fons &ît qu'énoncer une. vérité fopdaaKntite gènèraW*
ment ceconnue, et même pratiquée par ions les fidèles
sujets de l'empire gourmand. Cette oUigatioB imposée
aux amphytrions de&ire leurs invitatmis par écfii Venr
donne le temps d'y penser à loisir, p^ur conséqueal
d'apporter dans le choix de leurs convives cette maUi-
rite de réflexion toujours nécessaire lorsqu'il s'agit ée
rassembler un certain nombre de personnes destinées h
manger ensemble, et surtout de les Uen assoi^r-
j
LE GASTRONOME FRANÇAIS. St?.
Les iantetioiis bim MMlées , Tamph jtrion prendra
les moyens lee pkis tùrt el les plus prompts de les
laire perrenir à leor adresse » et de s'assurer qu'elles
4>Dt été remises en mains propres » eu observant qu'il
frut qu'eUes précèdent de trois )ours au moins celui du,
v^as (i)«
L'inrité dok frire saToir auaBitdt sa réponse • et ne rien,
nAf^i^g&c pour qu'elle parnome à l'amphytrion dans les.
vingt-quatre beures k compter du moment de fai récep-
tion du billet. Il esit Bbre d'accepter ou de refuser : dans
le premier cas » quelques expcessions do gratitude doi-
vent accompagner son acceptation I dsna le second , son,
relus doit être motivé sur des motifr plausibles ou tout;
au moins spécieux , et qui puissent adoucir oe qu'il y a
toujours de plus ou moins dé%obligeai4d|iBS une réponse.
li l'invité kisso écouler plus db. vingl-^inatre heures
avant de répondre » son silence est jwis pour acc^tation»
fit il esDcourt les peines qui dérivent d'un manque de
|iarole s'il ne se rend point au jour et à l'heure indiquée :
•ces peines » dans les maisons bien réglées » consistent en
Soo francs d'amende » et à la privation de toute espèce
d'invitation gourmande pendant trois ans; c'est une.
espèce de mort civile , et cependant la moindre puni-
tion que l'on puisse infliger à on homme dont le silence.
(i) QaancL le dloer doit être orné d'une pi^e notable., cotnme i par
exemple «une dinde troffée, une carpe du Rhin, etc., on ilndtqne
par on /Mmî-uMpium. Gela peut déterminer le choix d'an gonrmaod in-
décb qnî n 'aurait pas encore engagé sa parole ailiears.
3«8 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
ou le ùianquement de foi suffisent pour paralyser un
repas, éntratner un amphytrion dans des dépenses îdu-
Viles , et qui deviennent une offense très-graye conlre
ce même amphytrion , et contre toute sa société; c'est,
dans les principes gourmands, le comble de Tiinpolitesse.
Une maladie grave , l'incarcérationj ou la mort sont les
seules excuses recevables ; encore faut-il que le certificat
du médecin , l'écrou ou l'acte mortuaire soient signifiés
à Tamphytrion dans les formes légales ; autrement 1 a-
mende est encourue de plein droit , et les héritiers de
Tinvité (en cas de décès) en sont passibles.
Mais les devoirs que l'invitation impose ne pèsent
pas seulement sur les invités; comme tous les devoirs
gourmands, ceux-ci sont réciproques, et ramphytrion
en supporte une partie : de même que le convive ne peut
se dégager, l'amphytrion ne peut le désinvîter, sous
quelque prétexte que ce soit ; affaires urgentes , absence,
maladie, décès même, rien ne peut le dispenser de
donner le repas pour lequel il a fait partir des invitations
qui ont été acceptées : cette obligation est d'autant plus
étroite , que dans les cas d'impossibilité réelle , tels que
ceux d'absence forcée ou de décès , il peut se faire rem>
placer , et charger , soit de vive voix , soit par testament ,
un ami de remplir pour lui les fonctions d'amphytrion;
il suffit, dans ce cas, qu'il pourvoie à tous les frais.
Ces lois paraîtront rigoureuses aux indifférons , aux
gens sobres , à ceux enfin qui ne sont point pénétrés de
toute l'importance qu'on doit attachera un dîner, et
surtout à un dtner prié. Mais les vrais adeptes en gour-
4
LE GASTRONOME FftANÇAIS. 329
mandise trouveront que nous ne disons rien ic\ de trop»
et c'est à eux seuls que cet article s'adresse.
Le convive invité , vêtu proprement , se rendra donc
à l'heure fixée par l'invitation au domicile de l'amphy-
trion , muni d'un appétit proportionné à la réputation
dont .jouit la table de celui-ci» dans les dispositions
d'estomac » de cœur et d'esprit nécessaires pour contri-
buer à l'entière consommation » au charme et à l'agré-
ment d'un festin. G. D. L. R. ^
e U mention be^ î^onvit^e^*
Le convive invité , après avoir fait viser son billet
par le portier de l'amphytrion (qui est tenu d'être poli ,
contre l'ordinaire de la plupart de ses pareils ) , se rendra
à l'heure indiquée dans la pièce d'attente, où il sera reçu,
soit par l'amphytrion lui-même, soit par quelques-uns
de ses parens ou amis , qu'il aura chargés de faire , en
son absence, les honneurs du salon. Nous disons en son
absence, parce qu'un homme qui donne à dîner a plus
d'une affaire, et qu'il est essentiel aux progrès de l'art,
et même à l'avantage des convives , qu'il veille par lui-
même sur tous les apprêts du festin
Tous les convives, réunis ou non, mais cinq minutes
avant l'heure rigoureusement déterminée (1), pour se
(1}. Nous disons rigoureusement déterminée, parce qu'an diner étant la
chose qui en ce bas-monde supporte moins le retard , il est essentiel de
se mettre à table à la minute indiquée. L*on n'attendra donc personne ,
35o LB GASTlUmOMB FRANÇAIS.
mettre h lable » Famphytrioii paratlni 4#fMi le sâfea (en
«upposant qu'il ne s^y toit pa6 tendi» âoponvMU) , «I »
«près avoir coaipHniMité les cxMtrivei g soit coftec^e-
BMii» toit indmduelleimeiit , il leur Sem êew^ le emp
Savant (tî cet iiMge est pratiqué chez lui) , qui e«h
«Mte, eomme Toa liity eo un Terre deTermooih
- Il eit du derair de raupbjfridn, wrloïKl lorsque k»
conrivet nie tout pas en très-frand iieaDbre , de saisir es
moment poar tes fiiîre connattre les nnê aux autres, ett
les nommant individuellement tout haut. En saisissanl
avec adresse les rapports qni peuvent exister entre eux»
il fera naître des points de contact t qn'en ne saurait
trop multiplier entre convives pour l'agrémenl de la
société (i)«....«. G. D. L.E,
^c
anxitt U ^Ucit Us j^^npws i U$ù.
Si Part de deviner» de placer » do stimuler les hom-
mes, de (aire éclore les saillies de L'imagination, de répan-
dre partout le bonheur et Tabondance, d'inspirer Tamour
de la chose, d'unir tous les cœurs par on seul sentiment,
tous les esprits par une même opinion ; ai cet art» disons-
et même l'an fera bien de tenir là porte fermée ans forTeDafit , pour oe
peint tnmUer Tordra de aerviee, q«o viea ne dèraage davanti^-^ar
•cea interventiona întempeativea.
(i) Cet article est extcait dv Mtmuéi dm Amphyirimu , i vol. m^^
PHx pour Parif , S fr., et franc de port par la poste 7 fr. So e. A IWs »
ches Ferra , libraire , rue des Grands- Angustins , n« aiS.
LE GASTHOROMB FÊANÇAIS, }$i
ùmt9y Ml la preoiîèMy'la plus épiiBOBle» k seule qua-
lité de rhoOHue ^fétat , o& ne peut nier qu'na pat Ceih
amphytrioB ae fikt eapabt& de goiireroer un roy«irme:
même prévoyance, même sagacîlér même expérieace
de^ hemmea et dea fatta, même dhrersilé de ialena, m£mo
oéMrité dans reifiéeutioD , raêoie aéréniié dans- le mmu^
tien , même équité » même adresse » même politique dane
la iKitrilytition des pkeès» dans la répartition dea grâces» *
dans tente sa conduite enfin. Que de choêe$ I que de^
qualités occnlles ou bnllantes ne faut-il pa# k eAvi qui
Teut fiiire dignement les honneurs de sa maison » et sur*
tout de sa table !
Le plus dilBcHe n*ést pa» de fiiire un bon dtner , d'avoir
de bons tins , et de découper ayec grfice ; le plus vijd-^
gaire financier en sait là-dessus presqu'antant que M. 6*
D. Lé R. ; mais où est cdui qui, comme ce sârant gas-
tronome , sait assortir convenablement ses convives , les
maintenir dans une harmonie toujours ^ale , mettre cha-
con dans un jour favorable , veiller aux besoins de tons,
deviner leors pensées , aider leur mémoire , inspirer leur
génie , les renvoyer enfin tous également contens de lui ,
des antres et d*enx*mânMs, de manière à leur &ire ré^
péter ce compliment si naif et si flatteur pour tous :
Fcu$ au$re$ e$ nota autrui nauê neponêvans noua poêser
Usmmdes autreê?
Quel est , nous ne disons pas le philosophe , le poliri
tique , l'homme en place , le ministre d'état , mais le pré-
aident d'académie ou le profiosseur de lycée qui osât se
flatter d'atteindre k ce degré de perfection et de sublimité ?
33t LE GASTRONOME FRANÇAIS.
C'est donc une science importante et rare que celle
d'un amphyirion. Elle a souvent servi de pierre de
touche au mérite des favoris de la fortune ; et tel se dis-
tingua dans la diplomatie, dans les conseils des rois » et
même dans lé temple des Muses » qui dut. toute sa répu-
tation, tous ^es prôneurs, tous ses «uccès. aux dîners
qu'il sut donner. Mais la grammaire de cette science ne
s'apprend point; elle suppose un tact, une expérience et
une profondeur de jugement» en quelque façon innés
et naturels; aussi voiton pende banquets bien ordonnés^
de convives bien assortis et de dtner^ bien amusans.
Ici f la grave étiquette règle la préséance , assigne ies
rangs , compte les bouchées » arrange symétriquement
les convives autour des plats, et sert chacun avec
mesure. Dieu vous garde, mes amis, de ces dîners cé-
rémonieux , révérencieux, silencieux, et surtout en-
nuyeux!
Là , la liberté dégénère en désordre et la gaieté en or-
gie; ce ne. sont plus des amis qui vivent en commun sous
l'influence de Bacchus ; c'est E voh^ , armé de son thyrse ,
qui punit des têtes folles en les faisant piroueUer. Bteu
nous sauve des repas bruyans qui finissent comme' ceux
des Lapites , ou comme les noces de Pelée !
Ailleurs, le bel esprit s'empare du repas , depuis le
potage jusqu'au dessert; on disserte, on argumente;
le désir de briller s'exhale aux dépens de l'appétit , et
les quatre services refroidis glacent la salle à manger,
comme ferait le verre d'eau dans un Athénée.
Des convives mal placés à table perdent leur valeur ,
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 333
comme des zéros qui» rangés côte à côte, ne seraient
pas précédés d'un chiffre.
Nous -nous prononçons formellement contre l'éti-
({uette; elle n'est bonne que dans les dîners de corps
ou dans les repas de fisimille. Là le seigneur» le doyen, et
le bailli du lieu , honneur des. noces du village; ici les
grands parens placés par étage , les petits neveux et Jes
grands cousins mis à leur rang » ornemens .du repas
annuel de la Saint-Martin ou de toute autre fête patro-
nale, forment un. spectacle grotesque et toujours, nou-
veau. Qu'un 'personnage élevé en dignité, et. surtout
remarquable par ses cheveux blancs , vienne prendre
place à notre table (i) , la seule distinction extraordi-
naire qu'il obtiendra, sera la place du centre ou du hapt
bout, et le necplus tUtrà des honneurs ^triomphaux,
un rouge bord à sa santé.
Nous pensons donc qu'en général l'égalité doit régner
dans les festins, et le hasard ou le caprice distribuer
les places; il convient même que des amis, n'en aient au-
cune de prédilection, que toutes soient à tous, et nulle à
chacun en particulier;- qu'ils changent à chaque repas «
et promènent du nord au nûdi leur appétit, leur joie et
leur affection : c'est par cette méthode que les dîners se
maintiennent en gaieté , en santé et en gloire.
' Il faut cependant qu'une volonté secrète, insensible
et pourtant active et vigilante, préside , comme une pro-
Tidenee , à ces mouvemens , en apparence capricieux.
Jamais un poëte ne doit être assis auprès d'un poè'te ,
* (i)' hmitnêrê du Caveau modemê^^ wi rocher de Gancale.
5S4 l'B CACTBONOIB FitANÇAIS.
wm diimitle à oité d*iui Buédocin » une dttaniidle daB*
le ToisHitfge àe son prétend».
n&otyiionpM de k rigueur, sait «neeerteè^etl»-
tilHé , pour treuipcr en ceci k penckifift ^ eulntee
chaque coBfiiPew Si fous lai réiialiBS» ti en pourra ^wU
quefeis léwdhef un noutnimcat d'humeur et un pttîl
•ecè» de bouderief mm vuM-eu terres ■mm/Jiitnniul
les heureux elleU , par b heaoin ^uV» a«tu de ae fine
entendre de plua iein et de ae cawwinniqwry de aa tau-
dier du gealeet delà v^k^ Si an eoatraire tu«t nfaiages
les pelilM ppMhmieea> malédieiiou aur Toiie soupe!
Dès le premier serriea on a*iselera ; resaemUa aa» éh-
Irait; il n'y aura ph» de oenvetsatiou » maîa de peliU é
farte mjtXtffwaau U n'en faut pas danmtafe peur étiaa-
gler la gatté^ qui demande k s'eKhaka* en cenomon, «t
qui s'éteint par la concentratioik
Quiconque fu dtner en compagnie est ehiigé, «nr sa
conscience 9 de poirier à tahle un hou iinà^ d'hâte, ua
esprit de seeiaUlité et son éoat de heana humeur. Ces
choses ne sont pas moins esinuiîrjini à Pàppétir et h la
digestion que la ad et b aaoaAarde à fmssiaftimouiratf
de certains mets. Or, deaaémfcqaelesèleiWaMMlarde
appartiennent h chaque convive 9 et veulent d'an hout de
la table à l'autre cemnaa une pnopfcUfeé publique • ei aa
mgrédieu commun h tous les mets; de même l'esprit,
niumeur et la parole n'appartiennent à penoime en p«^
ticulier pendant la diurée du repas ; cW une prafii<té
commune» oh chacun doit mettre du sten.
Ëcoutea ce dacteur » discutant grovemeoi avec soa
LB GAtSTRONOMB FRANÇAIS. $35
«:aafrèro.tttr.Ia dernière expériooœ physique dool Ylmê-
tRuC a fiit me hooorabla meniioa dans ses arclitres ; 1m
Toilà abaorbét dasa la malière; ila^aiMljaenl, décom-
ipoaeni» aulUioit de manger; le Puîta-Ceptain nfrQÎiUt
sur ieiMT aisiçlte » el k vin s^Achaufib dans leur verre,
. CroiUin <pâ^ oaa danx enfiuM d*ApoUott » qui rient der
iewr dii^ation , aoîent ploa présens qu'eux au li/mquet ?
ils te lenl 4é)è ceoununiqaéa deux plana de 0ODiédîe«
ridée d'un poème didactique , huit rimes indociles « .et
dû vers harmonieux! Us cêrenl, composent « a'jntpr-
régent 'Ct se vépeMbnten rèrant INaules garde, de S9
fiM^teri Les amitiés poéliiqaes «ont orageuses (i).
(i) ImîtoDS Santeoil, qui, ayant réuni quelques savans à dîner cfaea
lai 9 et Toulaot Jouir de la coBTentliob^iiér^r ^ienr dit » « Ja ae par"
m Serai poîot défait:
m ¥iKif , mmufeur i'oGficîer^ ne parles jptiot de voi combats , de cette
rencontre où yous vous êtes distingué.
» Tous, monsieur le inarqols, voué ne parlemzpoltft deTos inattres*
•et 9 fldcle vos conquêtes parmi les belles* > i- . .
• YioQs^Bioqsieiir» (|uf vo«f M^.loajaum #ialhéiire«z«a {eu, et que
vovfe oe ^9goML jamais rco*
> Pour vous, monsiear le gentilhomme , Je tous défends de parler de
vds ancâres , de Tdtré noblesse.
» JMoasîeur Uaveént y Toasoe parleres point des procès que vous ares
» Monsieur ie médecin , tous ne parlerez point de ceux que tous avez
tuée , mais dé ceux que tous avez guéris comme par miracle. • • -
Parce moyen, Santeuil empècba toutes les conversations particu-
lières , et l'entretien devint général.
C'est donc de la manière d'avoisiner les convives à Ubie, que dépend
la galté d'un repas.
356 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
On est touché ée la liaison exemplaire, admirable,
imperturbable de deux amans asab presque sur la même
chaise » tant ils se portent avec ardeur sur la partie qui
les rapproche Tun de l'autre ^ ils ne Toient , Os a'enle»-
dent rien; à peine font-ils seniblant de manger; le pieA,
te genou » la main » l'œil sont toujours au guet ; attentifs,
vigilans, alertes» entreprenans, vous croirlex qu'ik ne
songent h rien, tant ils roulent de pensées dans leurs
cerveaux.
Us ne pensent en effet à aucun de leurs coa vires : une
dame un peu surannée» à qui cela doone de doux soii-
venirs , se récrie sur leur bonheur , et les trouve toos
deux charmans.
Us sont charmans; cela peut être; mais il fiaut avouer
qu'ils sont encore plus ennuyeux.
Que font à table tous ces convives préoccupés? C'est
daua leur cabinet , un Boileau dans les mains , qu'il faut
laisser nos jeunes poètes ; c'est sous l'ombrage et sur le
gazon verd, au bord d'un clair ruisseau , qu'il faut placer
les amoureux; c'est à l'Athénée ou au Lycée, un alambic
ou un verre d'eau à la main , que nos savans pourront
disserter à l'aise. A table il £siut manger , boire et rire.
Gastbbhahh.
Ecoutons à ce sujet notre célèbre professeur M. G. D,
L. R. :
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 33;
« Afin qu'il n'y ait ni dispute ni incertitude sur le rang
«•que chaque conme doit occuper à table.» il est bon de
vie déterminer d'avance; et l'on y parviendra sans peine
»en adoptant la .méthode de placer le nom de chacun
»sur le couvert qu'il doit occuper. Cet arrangement
» pourvoit à tout , lève toutes les diiBcultés et prévient
a le refroidissement du dîner , trois grands motifs pour
» que les gourmands lui aient depuis long-temps donné
«sur tout autre la préférence. »
Cet usage d'assigner par des cartes la place que cha-
que convive doit occuper^ est surtout d'une extrême ri-
gueur dans une table composée de vingt-cinq à trente
couverts où la conversation ne peut être générale , sur-
tout lorsque les convives sont étrangers entre eux. C'est à
l'amphytrion à les bien assortir en les faisant asseoir; car
on sent que s'il plaçait , par exemple^ un curé entre un
poète et un comédien, un financier auprès d'un savant;
une vieille coquette à côté d'un jeune étourdi , un chan-
teur à roulades auprès d'un grave magistrat, il en résul-
terait que le curé ne pouvant parler de son dernier prône,
le poète de sa pièce tombée , le comédien des querelles
avec son directeur, le financier de ses trois pour cent, etc. ,
la conversation serait à peu près nulle, que Ton n'enten-
drait pendant tout le repas que des mois entre-coupés ,
et que le bruit des assiettes et des couverts serait à peu
près le seul entretien de ce dîner mal assorti. ^
Ce mode ne peut guère être employé dans des réu-
nions périodiques , où il est difficile que l'on ne vienne
pas pour s'entretenir d'affaires particulières. Cependant
22
338 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
au Caveau le président assignai! la place que chaquecon-
rire devail occuper , et maintenait Tordre* Noua ne par-
Ions ici que du vénérable Lau)on , car le bon Désao^ers
n'était qu^un préndent pour rire\ comiae il le itisait lui-
mênie.
UN VOT sua LBS iiiraTTEIOIfS^
Nors laissons aux Membres de la troisième classe de
rinstitut le soin de décider si c'est seulement depuis
que Molière a dit que
Le Téritable amphytrion
Est Tamphytrion où Ton dine,
que le nom de Féponx d'AIcmène est devenu celiu de
tout homme qui donne bien à dîner ^ ou si cette épitbète
leur appartenait auparavant; et» noua reolemant dans
notre objet» nous nous contenterons d'établir ei de discu-
ter en peu de mots les qualités qui constitueni un véri-
table amphytrion.
D'abord il ne suffit pas de donner à dllier pour mèri>
ter ce titre; sans cela il appartiendrait de droit à tous
ceux qui ont un cuisinier » et qui n'aiment pointa man-
ger seuls. Nous pensums au contraire que de même qu'il
ne suffit pas d'être un bon convive pour mériter le noaa
de gourmand » de même il faut autre diose que de la
LE GASTRONOME FRANÇAIS. SSg
fortune et ane table ouTerte poar obtenir celui d*am
phytrioD.
Uomphytrion n'est donc pas seulement le maître de
maison qui a une bonne table , mais celui qui sait bien
en fiiîre les honneurs , et c'est là que gît la grande dif
ficulté.
Tel donne à pleines mains qui n'oblige personne :
La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne ,
a dit Corneille, et rien n'est plus yrai que cet adage ;
nous en faisons chaque jour la triste épreu?e« Ainsi ,
l'homme nouvellement enrichi , que la yanité seule en-
gage à tenir une table splendide » qui y rassemble sans
choix et sans réflexion une foule de convives étrangers
Tun à l'autre , qui ne sait ni découper ni servir» qui n'a
ni le soin d'offrir ni l'attentioiT de presser , qui ne s'oc-
cupe de personne » ou dont les politesses gauches n'ont
pour objet que les convives les plus riches ou les plus
en crédit; qui, loin de chercher à prolonger le festin,
n'y montre que de l'impatience ou de l'ennui ; qui laisse
enlever les services sans les avoir tous fait couler à fond
par chacun des convivea ; dont la conversation insipide
ou glacée atteste un esprit sec et une ignorance pro-
fonde; qui ne connaît point l'art de tourner l'amour-
propre des assistans au profit de leur appétit , qui verse
lea vins d'entremets et de dessert comme un enfant de
chœur qui sert la messe, c'est4[-dire à regret; dont l'é-
pouse » stylée par lui , n'est ni pressante , ni aCcorte , ni
affable, ni vive, ni enjouée, ni gourmande, etc., etc. ;
54o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
un tel homme , disons-nous , pourra bien être un mil-
lionnaire » un riche fastueux , si Ton veut , même an
prodigue architriclin, mais iijie méritera jamau le
beau nom d'amphytrton...
Quel grand raisonnement faut-il pour manger un,
morceau? va s'écrier, en nous interrompant, quelque
nouveau Pourceaugnac. Blasphème horrible et bien
digne du personnage stupide et ridicule dans la boucbe
duquel la mis Molière ! Gomme si le soin de manger
n'était pa^ la plus importante affaire de «ce ba»-monde ;
celle pour laquelle on s'occupe de toutes les autres;
l'acte le plus essentiel comme le plus indispensable de
la vie humaine , celui sans lequel tous les autres ne se-
raient rien , et qui doit fixer toute notre attention ,
comme il est le but de tous nos travaux.
Mais si manger est une importante affaire , donner à
, manger en est une bien plus importante encore , et ïe$
cxcellens amphytrions sont presque aussi rares que les
vrais gourmands. Cet état , comme tous les autres, de-
mande un long apprentissage et des dispositions natu-
relles , qui sont le partage d'un bien petit nombre , une
éducation bien soignée , de l'ordre , un grand usage du
monde, de la mémoire, de l'esprit, du sang froid, de
la vraie politesse , et une foule d'autres qualités qui ne
s'acquièrent que bien difficilement si l'on n'est pas né
dans les hautes classes , ou tout au moins dans les classes
opulentes do la société; d'où il est facile de conclure
qu'une fortune héréditaire est presque indispensable
pour former un bon amphytrion , et que ce n'est ni dans
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 341.
les antichambres» ni même dans les bureaux qu'on peut
faire cet apprentissage.
Ainsi, pour être un excellent amphytrion ii faut non-
seulement avoir une table recherchée, une cave supé-
rieurement fournie , une maison agréable sous tous les
rapports , mais savoir en faire parfaitement bien les hon-
neurs. Il faut non -seulement connaître Fart de réunir
des personnes aimables et gourmandes , mais , ce qui
est plus difficile encore, pratiquer celui de les bien as-
sortir; car c'est principalement de là que dérive l'agré-
ment d'un festin , où l'on finit toujours par jeûner lors-
qu'on s'ennuie (i). Il faut que non-seulement chaque
partie du repas se ressente de son opulence et de se»
soins vigilans , mais qu'il apporte toute son adresse à dis-
simuler l'une et les autres, et à persuader aux convives
qu'ils sont en quelque sorte chez eux , et qu'ils mangent
leur propre bien. Aucun n'abusera de cette conviciioa
s'il est honnête , et l'on sait qu'un bon amphytrion n'en
admet jamais d'autres h sa table. Il faut qu'il immole en
quelque sorte son appétit au désir de contenter celui de
tout le monde; qu'il ne mange d'un plat que lorsque
chacun en est servi , ou en a refusé sincèrement (2). Il
faut que son attention continuellle se porte sur l'assiette
(1) Nous aTons iadiqaé plus haut une méthode très-simple pour placer
les coumes 4 table de maolère à ce qu'ils soient toujours bien assortis.
(a) Sincèrement. Nous insistouf sur ce mot, parce que beaucoup de
conTÎTes timides refusent toujours une pitîmière offre,' et risquent de
mourir de faim chez la plupart des amphytrions ; nous y avons nous-
mêmes souTent été pris. On doit donc offiir au moins trois fois de
chaque plat, et insister k chacune.
S4« LE GASTRONOME FRANÇAIS.
des convives ; que , toujours tardif à donneir Tordre d en .
lever les plats , les mâchoires lentes soient sa bouf sole ,
et non les appétits voraoes sa gouverne. Il laul <|aîl
sache parfoitement bien découper, diviser » disséquer e\
servir toute espèce de grosses pièces , de venaison » de
volaille, de gibier et de petits pieds ; et si cette étude,
indispensable à un véritable amphytrion , D*a pas bit
partie de son éducation , il doit avoir chez lui un éca jer
tranchant en titre d'office » dont l'unique fonctioo sers
de couper tout ce qui ne peut se servir à la cuiUère , ce
qui ajoutera un nouveau prix aux mets , et délivrera
les convives d'une corvée qui tourne toujours au défri-
ment de leur appétit et de leur sensualité (i). Il &ttt que
lui-même serve le meilleur des vins d'entrranets et de
dessert; qu'il n'oublie personne dans sa ronde; et qu'il
(i) Bq Stûite, eo Âllemagoe, où Ton oonnatt mioax qa*ici l'art de
bleu Tivre , quoique Too n*j faase pat à beaucoup près anal boone
obéra 9 U y a dans cbaque maiion «o éonyer traacbaot qui nmpUt Jej
fdnoUooa que doo« indlquoDi Ici ; pais dea valett cbaivé* d'awieUrg
garnies font le tour de la table » s'arrêtent à cbaque coaiire qui se sert
lui-même et à sa guise , ce qui met on ne peut pas pbs à leur aise les
appétits timides t aussi l'on mange Ift plus en on repas qa*en quatre à
Paris. 0 foiiunatoê mmiÊÊm \
L'usage de cbaiger quelques-uns des convives peo eseccèaca cette
partie, de dépecer les grosses pièces, est un grand abus : comme c'est
une corvée , et qu'elle est d'autant plus grande , qu'une politesse mal
entendue oblige le dépeceur à ne garder pour lui que le mauvais umst-
ceau , chacun cherche & Téviter. Elle tombe donc ordinairement asr
les plus maladroits , et le rôti comme les appétits s'en ressentent.
La dissection des viandes faisait autrefois partie intégrante de la bonne
éducation. II y avait dans rancien régime des maîtres à découper
comme des maître» de danse et d'escrime.
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 545
n^épargne rien pour fiiire vider les bouteilles. 11 faut
4|u*U «uTTeille le coup du tniUeu ( i ) de manière à ce qu'on
rapporte toujours en temps utile. Il faut que , non con»
tent de provoquer sans cesse l'appétit et de le satisfiiire,
il soutienne la conversation » la dirige sur des matières
agréables et joyeuses » la détourne de ceUev qui pour-
raient avoir quelque danger» et n'omette rien pour fiiire
valoir l'esprit de tout lé monde, même aux dépens dn*
sien. Enfin il doit diviser ses prévenances , ses offres, ses
attentions et ses soins toujours renaissans avec une telle
(i) Un petit ?erre de tId de Madère ou d'absynthe , que l'on avaJe
entre les deux serrioea pour précipiter la digestion. M. Armand-Gouffé
a fait une fort jolie chanaon aur ce e9up eu miUeu et lur beaucoup
d'antres.
Voici cette chanson , que l'on chante sur l'air dé la pipp dé tabac :
Nos bons alenz aimaient à boire :
Que pouTons-nons faire de mieux r
Versez , Terses « je me fais globe
De ressembler k mes aïeux. ( bit ).
Entre le Chablis que j'honore ,
Et l'Ai dont je fais mon dieu ,
SaYex-TOUs ce que f aime encore ?
G*est le petit toup du mitieu. ( kit ),
Je bois quand je me mets à table.
Et le Tin m'ouTref appétit;
Bientôt ce nectar délectable
Au dessert m'ouvrira l'esprit.
Si tu veux combler mon irrasse ,
Viens , Amour , viens , espiègle dieu ,
Pour trinquer avec ma maUresse
H'apprétec U coup du milieu.
544 LE GASTRONOME HIANÇAIS.
adresse , qu'en sortant de tabib chaque conviye pusse
croire qu'on ne s'y est occupé que de lut. C'est ce qui
arrivait lorsqu'on dtnait chez le célèbre Beaumarckûi,
dont la femme , souverainement aimahlç , pratiqu&k ,
comme on ne l'a jamais fait, l'art de faire parfaitement, \
sans aucun effort, et avec des grâces indéfinissables, les
honneurs d'un excellent dtner. Nous ignorons si elle
existe encore ; mais dans tous le» cas nous consacrons
Ce joli coup , chers camaradet ,
A prit oautance dans les cieaz ; 1
Les dieux buraieot force rasades;
Buvaien : enfia comme des dieux..
Les déesses « femmes discrètes ,
Ne preDaical point goût à ce jeu :
Vénus , pour les mettre eu goguettes »
Froppsa te coup, du miiUa.
Aussitôt cet aimable usage
Par l'Amour nous fut apporté ;.
Chez nous son premier avantage"-
Fut d'appriToiser la beauté :
XjC sexe , à Bacchus moins rebelle ,•
Lui rend hommage en temps et lieu ,«.
Bt l'on ne Toit pas une beUe
Befuser U coup du milieu.
BuTons à la paix , à la gloire ;
Ce plaisir nous est bien permis ;
Doublons les rasades pour boiw
A la santé de nos amis.
De Momus, disciples fidèles >
Buvons à Panard , à Ghaulieu ;
Mab pour la santé de nos belle»
Béservons U coup du mUicu.
j
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 54S
ici ce faible hommage sok à sa personne, soit à sa mé-
moire (i).
Cette matière demanderait des volumes si Ton voulait
la discuter et Tapprofondir aujourd'hui surtout où nous
la croyons plus nécessaire que jamais ; c^^est pourquoi
nous avons cru devoir jeter en avant ces réflexions ra-
pides sur ce sujet dans l'espoir qu'elles pourront être
utiles , et germer dans quelques terrains de la nouvelle
France. G. D. L. R.
,ttef(jtt<-$ ^^ifdxions
QVl PEUVENT BTBB UTILES AUX GOURMANDS ET MEME
AUX PERSONNES SOBRES.
Nous avons remarqué avec douleur que deux grands
vices d'organisation s'étaient glissés à la table des am-
phjtrions modernes , et nous croyons qu'il est d'autant
plus de notre devoir de les en avertir , que de tels abus
finiraient par écarter de chez eux les véritables gour-
mands. Le premier consiste dans la durée des repas ,
le second dans la manière d'en faire. les honneurs.
(i) Nons prenons à témoiat de cette assertion tons ceoi qui ont diné
autrefois chez M. de Beaumarchais : ils se souviendront sans peine que
madame de Beaumarchais avait une telle manière de servir et de faire
les honneurs de sa table , que , fût-on vingt convives, aucun n'échap-
pait k sa vigilante politesse , et que chacun pouvait croire qoll avait été
Tobjet de son attention exclusive. C'est le née plus utlrâ de l'art ; et une
femme seule est capable de le pousser jusque là. Malheureusement Ibrt
peu s'occupent aujourd'hui de cette sorte de gloire !
346 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
SVB LA DV&iB Dm BBPA.».
Il est de principe , en hygiène comme en médecine ,
que la première digestion se fait sous la dent; dL\A
vulgaire que soit cet adage , il n*en est pas moins d'une
estacte vérité, G*est d'une parfaite trituration que résulte
rentière coction des alimens dans l'estomac » et ptr
suite la bonne élaboration du chyle, et de leurs autres
transmutations. C'est ce que le savant docteur eo mé-
decine p que nous avons l'avantage d'avoir pour colla-
borateur (1)9 expliquerait sans doute beaucoup mieux
que nous ; mais c'est une vérité bien généralement re-
connue (s). Or, comment supposer qu'à un diner à
trois services » qui » dans beaucoup de maisons , ne dure ,
hélas ! qu'une heure , tout au plus uœ heure et demie ,
il soit possible de bien broyer» et par conséquent de bien
digérer tous les mets qui se succèdent sur nos assiettes ?
Tel abondant que soit le dtiier , un vrai goannand
fait ordinairement le tour de la table aux deux premjers
services , c'est-à-dire qu'il mange , au moins mie fois »
de chacun des plats. Cette dégustation complète est
même chez lui une sorte de devoir. Il importe am pro-
grès de l'art, à l'instruction de Tartiste, à la gloire
même dç l'amphytrion , qu'il puisse porter sur ebacen
des mets un jugement certain; et 9 comipe il est néces-
saire de tenir le» choses pour en raisonner , il faut donc
que touteii Iç^ entrées • tpu$ l^s relevés , tous les rôtis ,
(1) Marie Ue S«iat-Uç»iQ.
(3) Voyez dam ce Tola^nc racUcle ialit^lé Hygi^ôàkla tabU.
LE GAStJlONOME FRANÇAIS. 547
el tous les enCr^mets , sans parler du dessert , passent
successivement, sur son assiette et dans son palais. Eh I
le moyen d*y suffire en aussi peu de temps I II est tel
plat dont la dégustation dure plus d'un quart d'heure;
et l'on veut qu'il en juge trente en soixante ou quatre*
vingts minutes ! Cela n'est ni sensé , ni même humain.
Si notre gourmand veut remplir ses devoirs dans toute
leur étendue , il s'expose à s'étrangler , à s^étoufTer , et
h ne retirer pour tout fruit de son dévouement qu'une
mort certaine , ou tout au moins qu'une indigestion vui>
gaire; et s'il a borné son inspection à un petit nombre
de plats » il a manqué aux obligations que sa qualité de
gourmand lui impose.
Il est donc très- essentiel ( puisque les amphytrions
vaniteux» et qui sacrifient tout à la symétrie , ne con-
sentiront jamais à faire servir plat à plat (1) » ce qui est
cependant la seule manière de bien apprécier tous les
élémens d'un dîner ) ; il est essentiel qu'on ne presse
point les services ; qu^on laisse à l'appétit des vrais gour-
mands une latitude en quelque sorte indéfinie ; qu'on
se règle , pour le dépouillement de la table , sur le tra-
vail des mâchoires les plus lentes , et non sur la voracité
des plus diligentes et des plus actives; que l'on n'enlève
rien que les gourmands n'aient mangé de tout; et , dût*
(1] La méthode de servir plat à plat est la rocambole de l'art de biea
TÎvre. C'est le moyen de manger chaud » long-temps et beaucoup ;
chaque plat étant alors vb ces tic unique auquel ùeuieat aboAtir tous
les appétits.
348 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
on demeurer six heures à table ( il faut coDTenir que ce
n'est j>as trop pour un grand dîner ) , il importe aa bien
de l'art que tous les appétits y soient pleinement sati^ts ,
et que la cause du cuisinier soit instruite dans toutes ks
règles de la procédure gourmande.
Passons maintenant au second abus <|u'il n'est pas
moins urgent de réformer.
SUB LA MANiliRE DE FAIRE LES HONNEURS d'uN DINER.
Autrefois , c'est-à-dire vers le milieu du dernier siècle,
on était dans l'habitude de faire une espèce de yiolence
aux convives , et de les presser tellement à chaque mets ,
que cette importunité dégénérait en une espèce de ques-
tion extraordinaire. Ce débat entre l'amphytrion et les
convives se renouvelait sans cesse , c'était une lutte con-
tinuelle où la profusion se mettait aux prises avec la so-
briété 9 et dans laquelle le conyive unissait toujours par
céder , au risque d'avoir ce que l'on appelait alors une
indigestion de politesse.
Cette méthode avait des inconvénieos sans doute ,
comme en ont tous les extrêmes; mais cependant, en
dernier résultat, on ne mangeait guère au^delk àe son
appétit^et l'on pouvait, comme dans le repas de Boileau,
laisser les morceaux entiers sur son assiette , et se sauver
ainsi des dangers de la complaisance par une espèce d'es-
camotage que les valets &vorisaient toujours volontiers.
Maintenant l'on tombe dans un excès contraire, ei
dont les conséquences sont bien autrement funestes, t»
petites maîtresses qui donnent aujourd'hui le ton/cbar
gées , au grand chogrin de noire appétit . de faire ie&
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 349
honneurs de la taUe de leurs riches époux » suivent des
maximes tout opposées. Elles ont entendu dire qu'il
n'était plus du bel usage de presser ses conTives outre-
mesure; en conséquence, non-seulement elles ne' les
pressent pas du tout , mais souvent elles se dispensent de
leur rien offrir. Dans un dîner de huit entrées et d'autant
d'entremets , on en dessert souvent cinq à chaque ser-
vice qui sont demeurés absolument intacts, parce que la
maîtresse de la maison n'a point jugéà propos d'en offrir ,
ou l'a iait d'une manière en quelque sorte négative > et
que personne n'a osé en demander ou s'en servir à lui-
même. Si cette nouvelle méthode entre dans le plan du
régime économique de la maison , c'est une lésine odieuse;
et il vaudrait bien mieux ne donner que quatre entrées ,
et les approfondir toutes , que d'en servir huit pour n'en
attaquer que trois , et faire jouer ainsi le rdle de Tantale
à la majeure partie des convives. Si c'est impatience de
quitter la table , parce que l'on a une partie de spectacle
liée pour l'après-midi , c'est manquer de savoir vivre.
Aucun amphytrion ne peut ignorer que dahs nos mœurs
actuelles , et vu le peu de rapport entre l'heure des repas
et celle de la comédie , lorsqu'il s'engage à donner à
dîner , il doit consacrer à ses convives la journée entière.
Eh ! comment la majeure partie de ce temps peut-elle
^tro mieux employée qu'à table ? Nous convenons que
les femmes, vu le peu de capacité de leur estomac,
mangeant beaucoup moins que nous, doivent y rester
assez long-temps oisives; mais c'est un sacrifice qu'une
maîtresse de maison doit faire an bonhcui: de ses con-
35o LE GASTRONOME FRANÇAI&
mes« qui» à leur tour, afin de lui faire iUoiioA mr la
longueur du repas , doivent établir une convenavion
agréable » amusante et piquante , propre tout à \a faîi
à redoubler l'appétit » k tromper k sobriété , e^ à ùlm
couler rapidement les heures.
Concluons de tout ceci que l'un des prineipauderoîn
d'un amphytrion , de quelque seie et de quelque rang
qu'il soitt est de venir au secours des appéUta timides,
de ne laisser emporter àucua plat sans en avoir offert è
deux reprises à chaoun de ses oonvives; de veiller avec
attention à ce que chacun mange, et mange copieuseiDent
des meilleurs mets; et le dîner, dùtril durer quatre heores,
il est de sa gloire que tous soient en sortant en èkat de
pouvoir prononcer en parfaite connaissance de cause m
tous les élémens dont il était composé , et n'aient aucane
plainte à former contre la précipitation on la vaniteuse
économie de l'amphytrion. Il vaut mieux ne donner que
quatre dtners en suivant ces maximes , que d'en donner
doute d'après les erremens qu'une mode fojieste, et qui
bit crier famine aux vrais gourmands, n'a que trop bien
réussi à frire adopter à la table des modernes LocuIlus,et
même de quelques-uns de ceux qui n'ont pas entière-
ment survécu à leur opulence passée. G. D. L. R.
^^ C^^ob^^ ^n rn^i^tM.
BNGORB UN MOT SVB LXS AMPHY TRIONS.
Lk Mode » cette aimable déesse qui domine les Fria-
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 55 1
çaU , et qui les chérit plus que tous les autres peuples
de la terre • n'étend pas seulement son empire sur les
charmans colifichets de nos belles; elle ne se borne pas
à régler Jes dimensions d'un schall , la capacité d*un
chapeau , les plis ondulans d'une robe , ni les couleurs
variées des étofies. U est vrai qu'un ruban» qu'une cein-
ture , qu'un bonnet sont pour elle des afiaires majeures ;
il est certain qu'elle s'occupe à défaire le soir ce qu'elle
a créé le matin , et qu'elle relègue aujourd'hui ses jolis
riens de la Teille parmi les atours et les rertugadins de
nos grand'mères. Souvent aussi , et cela proure un peu
sa stérilité y elle se voit forcée de recourir à des vieux
atours pour satisfaire les ciq>rices de ce sexe enchanteur;
et c'est de cette manière qu'elle ressuscite, qu'elle réta-
blit au milieu de nos cerclée les Sévigné » les Ninon , les
Gabrielle , les Agnès Sorel , les Imma , toutes les belles
des temps si galans de la chevalerie. Mais ce ne sont pas
là ses seules occupations; et Gomus , aussi bien que Vé*
nus, ressent journellement les effets de sa toute -puis-
sance.
Depuis ces repas , si simples dans leur somptuosité» si
grossiers dans leur recherche, que nos rois ou nos villes
donnaient pour vingt ou trente sous , jusqu'à ce moment
où un poisson distingué peut coûter des trois ou quatre
louis ; depuis l'humble Robert, inventeur de cette sauce
si piquante qui porte son nom (i) , jusqu'à M. Camérani,
à qui l'on doit la création d'une soupe des plus succu-
(i) Qiwlqiiet penoonet pentent que la mum BoUrt a été UiFentée
par le restaurateur de ce nom , notre contemporain : c'ett une erreur.
35t LE GASTRONOME FRANÇAIS.
lentes (i) , que de variatioDs» que de changcmeDs se
sont opérés sur nos labiés et dans dos casseroles! Tantôt
la moutarde a régné en souveraine : on la yoyait putout
et dans tout; tantôt le citron, presque exotique, eslTom
aiguiser tous nos mets de son suc stimulant; le parmesan
s*étalait sur le potage ; le pigeon , le lapin , et le lièm
lui- même , ne paraissaient que bourrés , farcis , surchv-
gés de force ciTotte , de cresson alénois » de sauge, oï
autres plantes aromatiques ; puis ces ingrédiens écbàvi-
fans étaient remplacés par des accessoires plus agréables
BabeUii range au nombre de ceux, qui ont biea mérité de la patrie, fe
cuisinier Robert , qui en fut TioTenteur.
(i) Voici la recette de ce potage , ou de cette ioupe, dont le goût e*t
délicieux :
Il faut d'abord se procurer de véritables macaronis de Naples, et
d'excellent fromage de Parmesan > d'excellent beurre de GoamsT ca
d'Isigny; environ deux douzaines de foies de poulets gras; du céleri,
et de toutes sortes de légumes potagers, tels que cfaonx , carotes, ps-
niis , navets , poireaux , etc.
On commence par hacher, bien menus , les foies de pooleis, le céleiî
et les légumes ; on fait cuire le tout ensemble dios une casserole , avec
du beurre.
Pendant ce temps , on a fait blanchir les macaronis; on les assaisonne
de poivre et d'épices fines , et on les laisse bien égoutter. Oa prend en*
suite la soupière qu'on doit mettre sur table , et qui doit pouvoir aller
sur le feu. On dresse au fond un lit de macaronis , par-dessus an lit di
hachis précité , enfin un lit de fromage de Parmesan râpé.
On recommence ensuite dans le même ordre , et l'on élève les
de ce bâtiment jusque vers les bords de la soupière. On le met
sur un feu doux , et on laisse mitonner le tout pendant un temps coow-
nablc.
Ce potage peut revenir tout au plus à une centaine de francs pouraae
grande table.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 355
au coût , plus utiles % la santé. Un temps liit où lafirîture
à l'iiuile occupait les troië 4|uaft8 de chacuo des iroM
services d'uae table; un autre temps arriva où le beurre
frais, fondu seulement, devint la sauce générale de pres-
que tous les légumes. Cette mode venait de la Hollande
particulièrement , où elle s'est encore conservée.
Une preuve incontestable de l'empire de la mode sur
nos mets , c'est le nom donné • il y a plusieurs siècles ,
à certaine manière bourgeoise d'arranger un bon mor-
ceau de trancbc de bœuf., que l'on nomme encore au-
jourd'hui bceuf à la mode^ et qui sera b/»uf à la mode
tant que le Pant^Neufseva Pant-N^uf.
Combien de mets , adoptés d'abord avec fureur , n'ont
brillé qu'un moment , comme la rose que Nicette por-
tait hier à son corset I Que sont devenues ces fameuses
tomates qui naguère doraient nos bouillis , nos poulets,
et qui semblaient êtrts le née jilus ultra de ^toutes les
sauces? Leur couleur purpurine avait séduit , leur aci-
dité agaçait les dents; leur règne est presque passé :
c'est ainsi que la plus belle figure ne peut faire pardon-
ner un mauvais caractère On emploie encore des
tomates; mais quel est le cuisinier maladroit qui oserait
maintenant en colorer toutes ses sauces ? il sait en dis-
simuler la couleur en en exprimant le suc , et encore
bien peu en font usage.
Si la mode fait éprouver une foule de variétés d'ap-
prêts à la broche et aux fourneaux , combien elle influe
darantage sur le couvert et Je service I On voit rarement
aujourd'hui de ces grands laquais qui ne vous permetr
23
554 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
taient de boire que lonqu^ils Toulaieot bien se dooner
la peine d'aller prendre les carafons au buffet. Cda oe
se fait plus que dans quelques maisons , et c e&t un
reste de barbarie qu'on verra bientôt disparaître de la
société.
Il est un usage bien plus désagréable encore , c*esl de
servir ensemble les entrées » les rôts , les entremets , le
dessert même , tout à la fois* On a déjà signalé le danger
de mettre les entrées sur la table en même temps qve le
potage : c'est bien pis quand tout le dtner s'y trouve accn-
mulé I Les mets se refroidissent; et s'il y a des fritures en
hors-d'œuvre , ou en entremets, quand leur tour arrive ,
leur beurre figé » leur pâte devenue mate , ne semblent
plus que de la colle. Il ne s'agit pas d'être un vrai gimr-
mand pour détecter cette manie , bonne tout au plus à
la campagne , et que le goût le moins délicat réprouve.
Il en est de cela comme des cinq actes d'une comédie
qu'on jouerait tous ensemble sur un théâtre divisé en
cinq compartimens : le dénouement se ferait là-bëut exi
même temps que l'exposition aurait lieu en bas; et cela
produirait un charivari inexplicable. On bon repas est
comme une œuvre dramatique , il doit avoir sou expo-
sition f son nœud» son dénouement; et tandis que les
dames se réservent pour le dernier acte ( te dessert ) ,
les foncés gourmands jettent leur feu au troisième» qui
est composé des rôts» des pâtés , des daubes , des pièces
de résistance. L'attente d'un service d'ailleurs révirïle
l'appétit , le tient en suspens » en haleine pour ainsi dire,
et laisse à Tamphytrion le plaisir d'oflrir à ses convives
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 555
te coup du milieu ; car dans un dtner prié les convives
sont en usage de boire trois ooups indépendamment des
autres qu'ils ne sont pas obligés de compter.
Ces coups, se nomment le coup d'avant , le coup d'a-
près et le coup du milieu.
Le coup d'avant » dont la mission est de creuser l'esto-
mac et de le provoquer à de grandes choses , consiste en
un verre de wérmoutlî , de genièyre , de kirch ou de ginp.
Il doit être bu d'un seul trait. Mais cette méthode que
l'on a plusieurs fois tenté vainement d'introduire en
France » entraîne avec elle de graves inconvéniens. Un
spiritueux très -actif , projeté ainsi dans l'estomac au
moment où celui-ci est déjà creusé et dans un état
d'inaction , y produit nécessairement un effet brusque
et dangereux, en ce qu'il resserre plutôt qu'il ne dilate^
cet aimable et délicat viscère. Un convive doit donc
bien consulter son estomac, quand il se trouve en po-
sition de lui imposer le coup d'avant.
Le coup d'après est un doigt de vin pur que l'on boit
immédiatement après avoir pris le potage ou la soupe.
( Fayez ci-après le Code de la table, article 35. )
Le coup du milieu est un petit verre de rhum , d'ab-
synthe ou de vin de Madère que l'on sert entre le rôti et
lés entremets. ( Fojez article 1 7 du Code. )
D. D.
356 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
2lrtiirk (tttiiatrUme.
GODE DE LA TABdLE.
Nota. Nouf sappoioof que ramatenr a déjà la toas les article» eoo-
tenaf dam ce chapitre troinème : ceux que ooas plaçoot dani oe Gom
n'en «ont ^ ea quelque aorte , .qae ie-complèment.
DISPOSITIONS PAiLIMlNAfftBS.
DB' toutes les actions de la journée d'un gourmand , le
•dîner étant la plus importante , (surtout depuis qa'oo oe
soupe plus)) on ne saurait donner une attention trop scru-
puleuse à tout ce qui j a rapport.
Aussitôt après la dégustation du coup-d^mant^^q^ Voa
aura annoncé que le dîner est servi, Tamphytrion conduira
les eonyives dans la salle du festin y en passant le premier^
pour couper court à toutes les cérémonies ; car lorsque le
dîner attend, ce n'est pas le cas d'en faire.
L'amphjtrion est le roi de la table ; mais son pouroir est
temporaire, il se termine arec le repas; néanmoins soa
régne peut recommencer le lendemain , si la puissance lui
sourit : il est rare qu'il ne trouve pas des su)eU too\ottrs
prêts à lui obéir.
Il est indispensafble de calculer la place des conrires ,
d'après leur capacité respective, afin qu'aticua d'eux ne
soit contraint
De faire un tour à gauche et manger de côté.
Le Tin ordinaire , les verres et l'eau doivent être placéi
sur la table, et non à la disposition des valets, ainsi qœ
LB GASTRONOME FRANÇAIS- 35;
cela se pratiquait fl y a quelHiues années ; ce qui mettait les
coDTiveffà l^ur dépendance chaque fois qu*!ls avaient soiF.
Gomme il se rencontre toujours dans un dîner quelques^
personne» qui préfèrent à leur ordinaire le yin blanc au yin
rouge ^l'amphytrion doit faire mettre sur sa table quelques
bouteilles du premier, dans la proportion d'une sur deux.
C'est ordinairement le bon yin de ChÛbHs qu»- doit ffgurer
au premier serriee.
Les horS'^aMrêSf que nous pourrions comparer à ces
cabinets, ces- boudoirs 5 qui ajoutent à Pagrément d'une dis-
tribution, et font valoir les pièces nnijeures d'un bel appar-
tement*; les hors-d'oeurres dont, à la rigueur, on pourrait
se passer sans que le serrice en souffrit, ainsi que leur nom
rindique; les hors-d'œurres enfin, que l'usage a tellement
naturalisés sur nos table»y^ qu'un grand diner où ils ne figu-
reraient pas, serait aussi peu de mise qu'tine jolie femme
sans rouge, doivent être placés »ur lartablecomme les bou-
teilles.
L'eshors-d'œuyres se divisent en animaux et en végétaux;
les premiers en gras, maigre et pfltftserie; les seconds en
fruits, herbages, légumes confits au vinaigre ou crus, tels
qse les melons, les figues, les radis, etc. , en salaisons, etc.
Dans la première classe on comprend les abattis, les côte-
lettes, les saucisses, le boudin, les andouilTes, les harengs
gôllés, les filets de merlan , les petits pâtés en bouchée , au
jus, .de poisson, les tinoèalles mignonettes, soit en gras,
sot* à la Béchamel, etc. Dans la seconde se trouvent renfer-
més les cornichons, lés olives farcies, les olives simples,
lès bigarreaux marines , les graines de capucine , les haricots
à la génoise,. le blé de Turquie, les câpres, etc., le tout
confit au vinaigre; le thon mariné, les sardines fraîches ou
558 LE GASTAONONB FRANÇAIS.
confites (i)^ les ancliois de Frèîos, et cette foule d'apcrilifs
qui sUoterposeat eatre les entrées pour slimuler Tappélilet
faciliter la digestion.
Toutes les bouteilles que Ton met sur la table doiveDi être
débouchées, et le bouchon n*êti« qoe posé à Tonfice do
goulot.
Dans les grandes chaleurs , les Tins ordinaires et l'eao
auront été mis à la glace une heure au moins araal le repas.
Le yin ordinaire doit figurer, en été, dans de brillantes
carafes de cristal, frappées de glace; il donne ainsi à Tcâl
ce qu'il ne peut pas toujours offrir au palais.
Les Terres de Tins fins et de liqueurs doiyenl être placés
dcTant chaque cooTÎTe à côté des Terres de Tin ordinaire.
nv »BTOia DBS iJCFfinaioRs.
ÂancLB 1**. Aussitôt que chaque conTÎTe a reconnu, par
Tinspection des cartes, la place qui lui est destinée. Il doit
s'j asseoir sans délai , après aToir , par un bmtdiàU mental,
attiré la bénédiction du ciel sur son assiette. L'ampbjtrioii
seul demeurera debout dcTant son couTert {]^hcè toujours
au centre de la table) , tant pour être à portée de serTic que
pour mieux surreiller les appétits.
(i) Lei fardiaetfrtlches ne «ont pas facilet h tioaver à Paris , attendu
qa'ellet on t k faire nu trajet de cent lîeue» pour arriver » de vteie qK
les œufs frais de Ljod ; mais M. Colin , k l'hantes, s'est livr« à la con-
servation des substances alimentaires avec un tel succès , que , pour les
seules sardines en boêtes de fer blanc (qui se trouvent à Paris, rue Saint-
Honoré , n» 176 ), le débit s'élève à pins de 20,000 par an. M. Ck>linc9t
justement nommé T Appert de la Bretagne , tant pour la coiiservaitîîia
des fruits et légumes , que pour la sardine fraiche , le thon , etc.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. SSg
s. L'amphytrioD sert la soupe sur des assiettes creuses ,
qui sont en pile auprès de lui. H donne la première portion
à son Toisln de droite , la seconde à son roistn de gauche ; il
retient après à sa droite , puis à sa gauche , et ainsi de suite
alterûatîyement. Chacun reste servi à son rang, sans passer
l'assiette. Ce premier service étant fait, l'amphytrion doit
s'asseoir.
5. Un am^hytrion , ainsi que l'a déjà dit le législateur de
la table, doitsayoir parfaitement bien découper, diviser,
disséquer eC servir toute espèce de grosses pièces, de vai-
naison , de volaille , de gibier et de petits pieds*
{lans l'impossibilité de servir lui-même tous les mets, et
de s*occuper efficacement de tous les convives , l'amphytrion
doit désigner ceux d'entre ses amis sur l'obligeance et l'a-
dresse desquels il peut cdmpfer. Général habile , il doit
choisir de dignes aides-de-camp.
4. Le premier soin d'un amphytrion, jaloux dé bien
découper, c^ést d'avoir des couteaux et des fourchettes de
dimensions différentes, et proportionnées aux pièces sur
lesquelles il doit opérer. Il fant que les couteaux aient le fil,
et soient cha[quejo«r passés sur une bonne pierre à l'eau :le«
lburchelte« d'acier bien poidtues et fortes, quoique déliées»
5. Le morceau le plus délicat d'une poularde rôtie, c'est
l'aile : le meilleur d'une volaille bouillie c'est la cuisse,
surtout si cette cuisse est blanche, grasse, et charnue.
Depuis quelque temps les dames s'attachent aux croupions ;
et^î ce soni des perdreaux , à l'estomac.
6. On distingue dans un aloyau te morceau du procu-
reur et celui des clercs. Ce dernier est le moins tendre.
7- Les morceaux d'honneur de la tête de veau sont les^
oreilles et les veux. ^
\
36o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
8. La queue d'un lapin ou d'un lièvre est le morceau de
distinction ; ensuite le râble ,- puis les cuisses , qu^oa ne
sert jamais , comme celles d'une dinde , pour faire nue
petite entrée phis tard.
9. On sert le turbot arec une truelle de yenneit, ou tout
au moins d'argent bien affilée. Après aToir décrit une croix
sur le ventre en tranchant jusqu'à l'arête, on tire des lignes
transTersales depuis le milieu jusqu'aux barbes ; on 1ère
adroitement arec la pointe de la truelle les morceaux carrés
qui se trouvent compris entre ces lignes, et on les sert. Les
barbes du turbot sont ce qu'il j a de plus délicat.
10. Les oies, les canards ,. les sarcelles, et généralement
tous les oiseaux aquatiques, se découpent selon des piincî-
pres différens de la rolaille; on les sert d'abord par ar^oil-
Fettes levées très-minces et que l'on taille dans l'estomac
1 1. On dit dos de brochet et de truite; ventre de carpe. Ce
peu de mots explique tout.
11K. G*est une maxime reçue que leïer ne doit )amaÎ5 ap-
procher du poisson ùh^ quil est sur la table ; l'or et l'ar^nr
•ont les seuls métaux dignes d'en opérer la dissectitMi.
r5r Les mets qui n'ont pas besoin d'être disséqué», et qui
se servent à la cuiller, sont du domaine pablrc. Chaque
convive peut les aborder et en envoyer aux personnes qui
en demandent.
14. L'ampbjtrion doit s'abstenir de vanter les mets et les
vins qu'iî sert ; ce serait méconnaître le goût de ses conyi-»
ves, et se priver des éloges si sa table en mérite.
i5. Dans les grandes maisons on renouvelle les four-
chettes à chaque mets nouTeau. Après lé poisson, personne
ne peut être exempt de ce devoir. Il est d'usage de placer ces
rouverts de rechange sur un buffet voisin de latable^ commt
LE GASTRONOME PRjLNÇAIS. 36 v
il est atiie de placer d'arani^e sur la table les dUïérei»' Ternes
destinés aux changemens des tIds. La vue d'un arsenal et.
Vespoir de ne pas manquer de munitions pendant le com-.
bat 9 excitent toujours le courage des guefrkrs.
j6. Un amjAjtrion doit avoir continuellement les jeux
sur l'assiette et sur le verre de chacun de ses convives : il
doit avoir horreur du vide.
17. Dans les dîners sans étiquette, c'est Tamphytrion
qui verse le coup du milieu ^ lequel^ ainsi que nous l'avons
déjà dit, consiste en un petit verre de rhum, d'absinthe ou
de vin de Madère , que l'on boit entre les deux services pour
feciliter la digestion.
Dans plusieurs grandes maisons , c'est l'épouse de l'am-
pbytrion ou la dame qui la supplée , qui se charge de ce ser-
vice; et c'est ce qui flatte davantage les convives, quoique
cette distribution se. fasse par l'entrembe des convives ou
des valets.
A Bordeaux, et dans presque toutes les grandes villes du
midi de la France, et même à Paris dan» plusieurs bonnes
maisons, c'est ordinairement une jeune demoiselle de quinze
à dix-huit ans, qui se charge de verser aux convives ce
coup du milieu; elle a la tête et les bras nus , elle est précé-
dée d'un valet, qui distribue les verres portés sur un pla-
teau, et suivie d'un second valet portant un autre plateau
sur lequel sont placés les flacons que La demoiselle ne peut
tenir dans ses mains.
Ainsi armée , cette jeune Hébé fait le tour de la table, en
commençant par le convive placé à la droite de l'amphy-
trion ; elle verse à chacun et selon son goût un verre de
neetar, et se retire en silence, ce eoup du milieu devant
toujours être unique»
\
56% LE GASTRONOMB FRANÇAIS.
Les conviTeêDe doivent prendre aucune liberté ayee cette
Hébé d*aae espèee nouvelle , et qu'où cboîsit toujoQrs
vierg^è.
Cette déférence 9 qui ponrait fadis embarrasser ud peu
rampbytrioa, offre- moins de doutes aujourd'hui ^ grâces
aux progrès de la cirilisation.
18. Une conrersation animée pendant le repas n'est pas
moins salutaire qu'agréable; elle fiivorise et accélère la di-
gestion, comme elle entretient la joie do coeur et la séréaitc
de l'âme.
Les morceaux caqaetés se digèrent bien mieux.
Cet adage est si vrai, que, quoique les chartreux fassent
très-bien nourris, la loi qui leur prescrirait le silence lors-
([u'IIs mangeaient en commun, était, au rapport de quel-
ques personnes qui les ont connus , celle dont l'obserranoe
leur paraissait la plus rigoureuse. Ce qui proure que le
meilleur repas pris en silence ne saurait faire du bien.
Nous sayons que la présence des domestiques paraljse
souvent l'effet de la conversation; mais un tel motif n'e^t
admissible que dans les dîners d'étiquette , où les valets sem-
blent servir de décoration en ajoutant au laxe de la table.
Mais en petit comité , entre amis , où l'on ne court risque
d'avoir pour écbo qu'un ou deux valets , que souvent même
un amphjtrîon ^ait renvoyer à propos , alors la conversa-
tion n'est pas difficile à soutenir, car elle peut embrasser
tous les sujets sans inconvénient.
Dans ce cas les servans ne doivent entrer que pour ap-
porter les plats et se retirer aussitôt; on supplée à leur ab-
sence par des servantes placées de distance en distance à h
proximité des dîneurs. Cela vaut mieux que des valets im-
plantés, comme des automates, derrière chaque convire.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 363
Leui» estoimc vide, lears jretrz dérdratsurs, èl leurs oreiUes
aux agitais 5 font de cette asiduité uoTrai supjrfice pour les
pèrsOùnes qui sont à table. Il n'y a d'ailleurs ni gaieté^ ni
épanchemens en présence des yalets; et qu'est-^ce qu'un
diner dont on à banni la première, et dans lequel on ne peut
se livrer aux autres ?
19. C'est aux amphytrions à (aire une étude partioùKire
des propos de table , afin de poûroir indiquiAr adroitement
lè8«o}etsde eoiiTersàtion aux cojaviVès, etleu^ fournir, en
quelque fapon, leurs répliques. « Toutbomme qui donne
9 bien à manger, dit M. Grimod de la Rejuière^ s'acquiert,
» surtout pendant le repas , une supériorité qu'aucun des
n assistans, tel que soit son rang , son esprit et sa fortune ,
« n'entreprend jamais de lui di^uter. »
Que tout amphytrion profite donc Se cet avantage, pour
tourner adroitement l'entretien sur les sujets qu'on peut
traiter à sa table, sans craindre d'y scandaliser personne.
La littérature, les sciences, les arts, les spectacles, la ga-
lanterie, la chronique des coulisses, lagastrononoie, etc.,
lui en fourniront un grand nombre. Ces légères distractions
ne nuisent point à la mastication , et l'esprit se donne assez
d'exercice pour se dilater sans fatigue. Un amphytrion
adroit peut même, à l'aide de ce moyen, dissimuler les
retards qui peuvent avoir lieu dans le service. On sait
qu'en pareille circonstance un valet de i'aîmablie et spiri*
tuclle^ madame Scarron vint lui dire à l'oreille : Madame ,
encore un cûntf 9 *'i^ ^ouê plait , te rât nùus manque. ^
Mais il f^aut raconter laconiquement, afin de jeter plus
de charme et de variété dans la conversation. C'est à pro-
pos de cela que madame de Sévigné disait : on doit avoir d
iMede courtes histoires et de longs couteaux*
364 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
90. Oa ne doit jamat» parier de politique à table. C'etf
prendre mal son temps pour gouTemer l'État j que de ém-
•ir le moment de la journée où Ton est le otoioS'Capable de
•e gourerae usoi-mêmB.
a I • Chez les amphytrioat qui ont une maison nombreuse
on ne souffre point la présence des valets étrangers, et aacoo
eonTÎre ne peut garder le sien : c^ux de Tamphytrioa les
remplacent pendant toute la durée du repas* Cette mèAsde
est fort sage ; car il est des propos que l'on aime miaox tenir
deTaat le Tafet d'un autre que devant le sien.^ Par ce mejea,
le convive (faî n'a point de domestique n'est pas humilié par
lajpvésence.de celui de son voisi»»
Il est vrai que souvent les services de ee valet d'emprunt
sont une espèce de grâce ; et, comme l'a très-bien exprimé
le spirituel auteur de l'Art dé dtmr en vUU t
Demandes-tu d'ao plat P il fait la sourde oreille ,
En place du gigot t'apporte de l'oseille ;
Ou bien lorsqu'un morceau , non sans peine obtenu ,
Flsrtte ton appétit trop long^temps ratenu ,
Écartant avec art ton aride fouiphettev-
Le traître l'escamotte en te changeant d'assiette ;•
Etrangles-tu de soif, il te donne dn pain ;
C'est du pain qull te faut , îl te verse du vFn.
Heureux si , quelquefois, pour comble de détresse-,
* Le drôle , adroitement feignant la maladresse r
Sur ton unique habit , passe-port cbes les sots ,
D'un jus gras et brûlant n'épanche pas hs flots l
Mais on a beau déclamer contre cet usage , des considé-
rations de luxe et de vanité l'emporteront toujours sur Ie5
véritables intérêts de la gourmandise; et, comme il est de-
venu impossible de bannir tout-à-fait les valets de la tadde,
il faut tâcher du moins d'y restreindre leur présence à VA-
tE GASTRONOME FRANÇAIS. 565
solu nécessaire, en les oongédiant dès que le dessert est
serri.
aa. Totit amphytrion gui sait Vivre offre jusqu'à trois fois
à chacun des conyiyes du même plat. Son premier deyoir
est de venir au secours des appétits timides^ de les rassurer,
de les proToquer, et de ne rien épargner pour les satisfaire.
a3. Les vins d'entremets doivent être servis par Tamphy-
trion. S'il en sert de plusieurs sortes à la fois , il charge un
ou deux de ses affîdés particuliers de l'aider dans celte im-
portante distribution; mais les convives doivent attendre
qu'on leur en offre : ce serait manquer aux convenances que
d'en demander.
a4- L'amphjtrion et ses suppléans doivent toujours pro-
clamer, au moins une fois, le nom du vin qu'ils offrent ,
son terroir et même son âge, s'ils sont bien certains de la
fidélité du marchand qui le leur a vendu.
35. Ce serait s'exprimer d'une manière incongrue que
d'offrir du Bordeaux y du Bourgogne ^ du Champagne; on
doit annoncer du Lafitte, du Saint-Ëmilion , du Château-
Margot , etc., du Beaune^ du Chambertln , du Pom-
mard ^ etc«, de l'Âî , du Sillerj , du Pierrj^ etc.; mais il
faut toujours faire précéder ces .noms des mots vin de^ vin
du, 'vin d*, etc.
a6. On doit toujours servir les vins d'entremets et de
dessert dans les bouteilles telles qu'on les monte de la cave.
C'est leur faire perdre leur bouquet, une partie de leur
esprit et de leur qualité, que de les transvaser dans des fla-
cons de cristal pour les produire avec plus d'éclat sur la ta-
ble, comme on le fait quelquefois pour les vins ordinaires.
La véritable parure du vin réside plutôt dans la vétusté que
dans l'éclat du vase qui le renferme.
366 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Ua flacon est conmie im drapeau ,
Plus il eat Tieux plus il est beau.
Le vin n>n serait que meilleur si oq le buTaît dans des
rerres de fougère , c'est-à-dire très-miDces. Les Terres de
cristal , en mettant trop d'interralle entre la liqueur et les
lèyres du buycur, sont de grands ennemis de la dégusta-
tion. Les vrais gourmets en devraient proscrire Tusage, qui
n*a été introduit que par un luxe plus fiistueux que bien
raisonné.
DU DBSSBIT.
37. Le dessert est aux services qui le précèdent, ce que la
girande est au feu d'artifice ; et , si cette comparaison n*est
pas exacte dans tous ses rapports^ Ton conviendra du moins
qu'elle fait très-bien comprendre que le dessert doit être U
partie brillante du festin; que son apparition doit surpren-
dre, étonner, enchanter, ravir les convives; et que, si tout
ce qui a précédé a satisfait pleinement le sens du goût ,
(ce qui n'est autre chose que l'appétit bien dirigé), !e des-
sert doit parler à l'ame, et surtout aux yeux; U doit pro-
duire des sensations de surprise et d'admiration , qui met-
tront le complément aux jouissances que Ton a goûtées ,
depuis le commencement du repas, et, pour peu que la con-
versation ait été aimable pendant le dîner.
Le dessert
Que l'on sert
Aiguise encor la saillie ;
C'est alors que la Folie
Vient apporter son couvert.
{L'aMfé dis LirrAicifAHT.)
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 367
Alors on peut toat dire » alors toat est souffert.
Tel doute à l'entremets » qui croît tout au dessert.
{Uart dû diner en vUte.)
aS. Chaque conyiye doit se serrir en ce moment de ce
qui se troure à sa portée. Ceux dont les vues Vétendent
au-delà de la sphère d'une coudée, prient leurs voisins de
faire passer de main en main le plat qui les affriande.
ag. Les compotes^ les confitures , les fromages glacés ,
sont les seuls mets pour lesquels on emploie au dessert la
cuillère , les autres plats se servent à la main.
3o. Les verres ùl vin de Champagne doivent être apporté s
et placés devant Tamphytrion, soit dans une verrière^ soit
sur leurs pieds ; et l'on doit s'empresser de ser?ir le nectar
champenois;
h* Ai f dans qui Foitalrê
0e nos légers Français vit limage légère :
C'est l'âme du plaisir , le charme du festin !...
Dans le cristal brillant, son nectar argentin
Tombe en perle liquide » et sa mousse fumeuse
Bouillonne , en pétillant, dans la coupe écomeose ;
Puis, écartant son voile avec rapidité ,
Reprend sa transparence et sa limpidité.
Au doux frémissement des esprits qu'il récèle
L'allégresse renaît, la saillie étincelle ;
Son brait plaît à l'oreille et sa couleur aux yeux ,
Son ambre , en s'exhalant , Ta faire envie aux dieux ;
Et Podorat eharmé , savourant ses prémices ,
Au goftt , qu'il avertit , en promet les délices !
DiLiiAâ (têê troiê fégnêt, )
3i. Le vin de Champagne peut être servi parramphytrion;
mais il acquiert un nouveau charme quand il est versé par-
368 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
uûe dame , dont les doif^is gracieux attaquent etchasseM le
liège prisonnier.
Quand le bouchon , débamité
Du fil qui le o^iptÎTe ,
Vole y avec bruit , au loin chassé
Par la liqueur active,
Je crois , dans les brillaus accès
D'une idmable folle,
Voir jatUir d'nu cerveau fkaoçaia
L'éclair de la saillie.
Ditpau. (Chanami.)
Nous satons bien que la détonation que produit cet effet
inévitable du vin de Champagne, est généralement redoutée
d*un sexe timide ; mais dans tous les dîners ( pour peu qu'il
j ait de Tétiquette ) on trouve des dames qui ne s'eAtraieut
point du bruit.
DBS GONTITES, OU DV SATOIE-VITU A. TAILC.
«
Observations préliminaires.
Il est impoli d'arriTer, comme conyi?e,d un dîner com-
mencé; ainsi, lorsque les gens sont à table, les conriTes
sunrenans doivent s^abstenir d'entrer, dossenl-ils {eùner
tout le reste du jour, en punition de leur inexactltade.
La plus grande peine que Ton puisse faire à an gourmand,
c*est de l'interrompre dans Texercicede ses mâchoires. C'est
donc manquer d'usage et de savoir-vivre que de rendre visite
a des gens qui mangent ; c'est troubler leurs jouissances, les
empêcher de raisonner leurs morceaux, et leur causer des
distractions fâcheuses.
lis GASTBOffOME FRANÇAIS. 669
32. Il n'est point de boa ton d*étendre sa serriette et deU
passer par un coin dans la boatonnière de son hâbît. lifaut
la laisser sur ses genoux après Taroir déployée , pour s'en
servir à essuyer sa bouche ou se» doigts.
53. On doit tou)Ours nanger sa soupe bouillante. C'est à
cette métViode que l'on distingue les vrais gourmands des
gouroMiAds Yulgaires.
54. Il n'est plus permis de prendre d'une main sa four-
cbette et de l'autre aa citiUère p^ur Boanger sa soupe j on
ne se sert que de ce dernier instrument^ qu'il iaitt Uissec
sur son assiette.
35. ▲nseitèt que l'on a0um|^lepetj^,pnse verse environ
«D doigt 4e vin pur : c'est ce^iu'on appelte le coup d*aprè9»
€e doigt de vin est le seul qu'on Térîtable gourmand
boîtet en vrîn ordinaire, car ne pas boire d'eau, rougîe au
prenmr sertiee^ 4'est sacrifier la jouissance future à l'or-
goeii présent; mais avant de £iiire ee sacrifice, on doit s.'as**
surer par l'inspeetioa des verres placés devant soi s'il y aura
des vins &ù9^ ce qui ne manque guère datU' la lAoindre
maison bourgeoise.
Dans tout état de cause ^.Gootime Ce cas peut malheureu-
sement se reneootrer ckes quelque provincial, et que nous
ne voulons pas qa'on convive lioao£te nous reproche de
l'arob condamné à Vûhêndance pendant tout son dîner ( ce
qui serait pour nous un déboire accablant ) , nous allons
-donner le signalement des venree qui doivent contenir les
vins eitraordinaires : la carpneibé des verres k vins d'en-
tremets est environ de la moitié de celle des verres à vin
«iraUiiaiTe ; et celle de» verres à vin de liqueur-, du tiers de
•-ces derniers; ils ont la forme d'une tulipe : les verres à viw
<ie Ghampague sont ètroiis, profioodset de forme conique;
24
570 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
mais on ne place ordinairement ces derniers sur table qu^au
dessert, afin d'èriter la confusion ou la casse; car ces verres
extraordinaires sont ordinairement aussi fragiles que la
Tertu d'une danseuse de l'opéra.
36. Il faut demander da bmaf^ et non pas du botùUL
37. Ce serait une grande incongruité de se serTÎr da cou-
teau pour dirisér son pain. Il faut, tant que dure le repas»
se contenter de le rompre ayec ses doigts.
38. Il n'est pas permis de demander </« la wiaille; H Êrat
en spécifier l'espèce et demander de la poularde y da cka/wn^
du poulet, tic.
39. Dan^ les tables nombreuses il n'est guère coDTenabie
d'adresser des demandes directes à Tamphytrion ou ans
convives qui servent. Ces demandes coupent et tatenom-
pent la conversation , et feraient naître de la confusion dans
la digestion des mets, surtout si elles étaient finîtes sînMilta-
uément. Il faut, si la chose est possible, faire demanderda
plat que l'on désire par les domestiques; mais il faut atten-
dre que ce mets soit divisé, si c'est nne pièce entière; autre-
ment la demande serait indiscrète.
40. On ne doit jamais plaisanter un convive en présence
de son valet. Cet article n'a besoin d'aucune édification.
41. Le voisin de l'amphjtrion peut donnera vois baisse
son avis sur les détails du repas : tout haut il ne doit c^a'ap-
prouver.
4^' U n'y a que les mauvais cœurs qui médisent à table ,
car rien ne doit rendre indulgent comme la bonne chère et
l'hilarité.
43. Il ne faut jamais refuser ce qu'envoie directemeni
ramphjtrton.
44* Toutes les cérémonies, lorsqu'on est à table , tour^
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 571
nent toujoars au détriment du dîner. Le grand point c'est
de manger chaud, proprement, long-temps et beaucoup.
45. Un gourmand qui sait rirre écoute en silence les propos
de table qui s'engagent an commencement du dîner, et n'en-
t-ame jamais de confersation qu'après le coup du milieu.
46. Vn sourire approbatif est obligatoire à chaque plai-
santerie que l'fflanphyti'ion croit dire ou faire.
47. Le Yoisin. d'une dame deyient son cavalier servant :
il doit surveiller le verre et l'assiette de sa voisine , et les
faire fournir comme les siens propres. De son côté, la voi-
sine doit se montrer aimable et reconnaissante envers son
voisin. Cts soins et ces égards peuvent trouver leur récom-
pense... on n'est pas toujours à table. Si un convive se
trouve placé entre deux dames, il doit des égards particu-
liers à celle qui est à sa droite. Dans ce cas la dame de
gauche est tenue de ne pas bouder, quand bien même elle
n'aurait pas de quoi se dédommager de ce côté.
Si un cavalier pouvait servir deux dames à la fois , les
choses n'en iraient que mieux.
48. Comme il faut agir graduellement en tout, un cava-
lier ne doit être que poli pendant le premier service ; il est
tenu d'être galant au second, et tendre au dessert : mais,
jusqu'au Champagne, quel que soit l'effet qu'aient produit
ses égards, ses soins, ses yeux et sa conversation, son genou
ne doit point 7 prendre part.
49. On doit toujours tenir ses mains sur la table et en
évidence ; mais il est de la dernière impolitesse de s'y ac-
couder.
50. Ce serait une malhonnêteté de refuser le premier
verre, soit devin d'entremets, soit de dessert, envoyé par
l^amphytrion.
5^» LB GASTRONOME FRANÇAIS.
5i. U est défendu de demander du Bourgogne , du Bor^
deauxydu Champagne, etc. ; on doit dire du yîn de Bour*
gogne, du Tin de Bordeaux ^ du vin de Champagne.
Si. Les Trais gourmands ont toujours acheTé leur dîner
aTant le dessert. Ce qu'ils mangent par-delà le rôti, n*eftt
que de simple politesse*
53. Il faut boire le TÎn de Champagne aussitôt quHl est
Tersé, afin de n*en pas laisser éTapejrer Tespril, dont en a
toujours besoin au dessert.
54- Au dessert y le maître de la maison perd tous ses
droits. Chacun fourrage à sa guise; Tanarchie succède à
l'ordre. Mais aussi la gaieté, le rire, les joyeux couplets, le
Champagne jaillissant ù la fois^ et la salle à manger prend
un aspect de joie, un air de plaisir et de fête^
55« Dans les dîners bien ordonnés » les enfans ne doiTeot
point rester à table au dessert \ ils y so nt presque toujours
incommodes, et nuisent au charme de la couTersation, soît
en pleurant, en criant, en renversant le Terre de leur toî-
'sin , ou en frappant à grands coups sii^r leur assiette arec un
couteau , bruit qui n'est jamais entendu des bons païens.
<I*est bien pis encore lorsqu'un complaisant, jaloux d'être
agréable à Madame, Ta demander au joli enfant U Cigale
^ la Fourmi, qu'il sait si bien par cc^ur. Toule conver-t
sation cesse alors , et il tous est loisible de prendre
pour du syriaque ou de l'arabe ce que tous écoutes attentif
Tement pendant une demi-heure; encouragé par son suc-
cès, l'enfant tous régale alors de tout son répertoire; et
gardez-TOus de témoigner le moindre signe d'improbation;
TOUS rencontreriez les yeux du grand-papa ou de la grand'-
maman, et votre couTert serait pour toujours oublié dans
cette maison. Le seul parti ù prendre , lorsqu'on est placé
/ j
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 578
A e6té d^ua tel mannot , c'est de le griser au plus vite y aân
qu'on TenToie coucher :ce n'est qu'alors qu'on peut donner
un champ libre à la gaieté.
56. Si l'on porte des santés, la première doit être tou-
jours aeu; Dames I
57. La santé de l'amphy trion , portée au moins par la
reconnaissance de l'estomac , doit être la seconde. Quelques
conyWes, plus gourmets que gourmands , pensent quHl ne
faut porter cette santé que quand il n*y a plus de Tin sur la
table 9 parce que c'est un procédé certain pour en faire re-.
▼enir.
58. Quant aux autres santés , elles dépendent des,, cir-
constances qui sont l'objet du dîner. Chacun a ses affections
particulières.
59. Il est aussi impoli de laisser du yin dans son yerre
que des morceaux sur son assiçtte : c'est ce qu'un amphy-
trion doit remarquer avant de sortir de table ; et c'est un
aTcrtissement pour lui dç mieux choisir ou ses CQOTiyes ou
son yin.
60. C'est s'inyiter à dîner pour une autre fbis que de
plier sa senriette; aussi ôela ne se fait point à Paris, à moins
qu'on ne soit familier dans la maison.
CONCLUSION.
Les dîners d'amis sont préférables aux dîners d'étiquette,
où, comme l'a très-bien dit le joyeux Désauglers,
 sa trûtesM étrange ,
Oa croirait quelquefois
Que chaque invité n^nge
Pour la dernière fois.
374 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Noas sommes de Taris d« Tabbé de LattàigiiaDt quand H
chaDte ;
Je déteste la m«DM
De donoer de grands repas f
On dtne en cérémonie y
On symétrise les plats ;
On y rit
Sans esprit t
Mangeant froid , pariant de même ^
On perd » par ce faux système ,
Les bons mots et l'appétit.
Pannard nous a laissé les lois de la tahU, que chaque
gourmand doit religieusement obserrer, sauf quelques mo-
difications ou améliorations indiquées dans le Code qoe
nous Tenons de donner.
Poiirr de gêna dans un repas.
Table fùl-elle au mieux garnie r
Il faatt poni m'offrir des appas ,
Que la contrainte en soit bannie..
Tontes les maisons où j'en toI
Sont des lieux que j'édite :
Amb , je veux être chei moi
Partout où l'on m^vite.
Quand on est sur le point d'honneur
Quel désagrément on éprouve !
Point de haut bout , c'est une erreur :
Il faut s'asseoir comme on se trouTC ;
Surtout qu'un espace assez grand
En liberté nous laisse.
Même auprès d'un objet charmant
Comas défend la presse.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 5-j5
FuyoQs un conme pressant
Dont les soins importans nous choquent ,
Et qui nous tue en nous Tenant
Des rasades qui nous suffoquent :
Je veux que chacnn sur ce fait
Soit libre sans réserve ,
Qu'il soit son maître et son Talet , (i)
Qu'à son goCit il se serre.
Tout ce qui ne plaît qu'aux regards
A l'utilité je l'immole ;
D'un buffet chargé de cent marcs
La montre me parait frivole :
Je ris tout bas lorsque |e Tois
L'élégant édlHce
D'un surtout qui pendant six mois
Rentre entier dans l'office.
Se piquer d'être grand buveur
Bst un abus que je déplore :
Fuyons ce titre peu flatteur ;.
C'est un honneur qui déshonore.
Quand on boit trop on s'assoupir ,
Et l'on' tombe en délire :
Buvons pour avoir de l'esprit ,
Et non pour le détruire.
Quand on devrait me censurer ,
Je tiens , amis , pour véritable
Que la raison doit mesurer
Les plaisirs même de la table :
Je veux quand le fruit est servi
Que chacnn se réveille ;
Mais il faut quelque ordre , et* voici
Celui que je conseille :
{%] AiluHon i rarliclt >f iuCoéiti^tê Ttkir.
376 LB GASTRONOME FïlANCAK.
Dans les chansons point é^êbojfnn ,
Dans les transports point de tannllc ,
Dans les récits point de loBgaeqr»^
Dans la critiqae point d*însolte ;
Ifîvnrité sans jarement ;
liberté sans licence «
Dispute sans emportemefit ;
Bons mots sans méifisance.
Noos citerons encore les maximes suivjintes , de M. C***
l'an de nos collègues en gourmandise et en épicuréisme ;
elles sont sur l'air : F' là e qué €^4$t qu^ 4iaiUr tui bois,
( n*; 637 de laCU du Comou. )
L'appétit doit, comme l'amom;.
Se réveiller avec U. îoiir ;
Des bons repas être à U piste »
£n tenir la liste,
Puis , k llmproviste ,
Goorir an meilleor librement :
V'ià c' que c'est qu'on vrai <SoarmaDd.
Rien ne doit le déterminer
A manquer l'heure d'un dîner ;
N'importe celle qu'on Teat prendre ,
Vite il doit s'y rendre
Sans se faire attendfe :
Pïêt à toute heure , à tout moment 9
V'ià c' que c'est qu'on Trai Gonrmand.
Celui qui sert dans un repas
ilsseï souvent ne mange pu.
L*homme à principes q ul raisonne
Pkend ce qu'on lui donne ,
Et ne sert personne ;
Il mange plus, et chaudement :
V'ià c' que c^est qu'un vrai Gourmv>d*
LE GASTRONCMIB: FRANÇAIS. 577
Ne f'entieteair de procès ,
De la gaene » ni de la paix ;
Laisier parler, joger, mé£re»
Qoel^aefbiB aoivire ,
Ne jamais rien dire ,
Que bien obligé simplement ;
Tlà c' que c'est qu'an rrai Gourmand.
Goûter de tons les plats qn'on sert
Dn consommé jasqn*aa dessert ;
A petits coups boire à son aise ;
Si le dîner pèse ,
Sauter sur sa chaise
Pour le fa«s0r honnêtement , (1)
Ylà c' que c'est qu'un vrai Gourmand.
fi}Cc procédA MlneoBDn par M. 0. D. L. B. poar «tn k plpirimple et i» woim coAikui.
2lrtkte Cinquième»
DES IFTEAMÈDES DU DINBB^ ET DB l'uSAGB DB GBANTBR ▲
TABLE.
PlLUTàBQVB pose OQ questioD , dans son Traité des
propos de table : Lequel est préférable ou de converser
librement pendant le repas , ou de fiûre la lecture » ou
d^entendre de la musique, ou enfin d^ntroduire des
baladins et des danseuses , pour mettre les conyives en
bonne humeur?
Cette difficulté n'est pas si facile à résoudre qu'elle le
parait au premier abord , car si des convives joyeux »
spirituels et rassemblés par l'amitié , doivent exclusive-^
57» LE GASTRONOME FRANÇAIS.
ment pencher pour la conversation » on conviendra que
les instrumens à vent sont d*une admirable, ressource
pour ceux qui ont i'ima^nation stérile , la langue em-
barrassée et le ventre plein.
Pour un repas où la confiance et la liberté sont invi-
tées , et répondent à Tiavitation , il y en a dix dont k
joie est bannie par les innombrables parasites qu*amè-
nent le luxe , l'ostentation , la cérémonie , et même h
simple et timide bienséance.
Sans musique» sans spectacle et autres accessoires,
que ferait-on au milieu de ces festins solennels , où l'é-
tiquette restreint tout le babil des convives à quelques
mots choisis de politesse banale? que dirait-on au dtner
du ministre , à celui de M. l'ambassadeur , au souper de
madame la maréchale ? La pluie et le beau temps peuvent
occuper une demi-heure » la mode et les nouvelles poli-
tiques ou littéraires remplir tout le premier service;
mais que fera des deux heures . qui restent le convive
dont l'appétit n'a plus rien à Ceiire?
La ressource la plus heureuse que puisse employer en
pareil cas tout amphytrion bien avisé , c'est de réjouir
ses hôtes » sinon à la manière des Orientaux , par les
tours de passe passe d'un jongleur , ou la danse volup-
tueuse d'une jolie bayadère , au moins par une douce
harmonie et par des chants mélodieux.
Nous avons des virtuoses dont la table fait le succès et
la renommée; leur . voix , remplissant la salle à man-
ger , tombe avec éclat dans des oreilles avides et pré-
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 879
parées , et leur talent » peu goûté du public ,' s'y élève
au-desaus de la critique et de lui-même.
Ce n'est pas pour les œuvres de son cuisinier que
toute la ville brigue une invitation cbez Mondor; ce
n'est que chez lui qu'on entend distinctement les airs
d'une cantatrice fameuse, et tous les amateurs sont de-
venus ses amis.
Enfin le besoin d'un spectacle quelconque pendant le
repas se fait sentir si universellement , que chez le plus
modeste amphytrion vous verrez quelque jeune beauté ,
parée conmie en un jour de fête , offrir aux auditeurs
indulgens les prémices de son petit talent sur le piano »
la harpe ou la lyre.
Dans les cabarets mémo et dans les guinguettes on
aperçoit à travers le treillage la famille Jobart, en habit
des dimanches , buvant au son «de l'orgue ambulant , et
faisant ses libéralités à deux marmots tout noirs de fu-
mée, qui exécutent une danse savoyarde pour la satis-
(action de madame Jobart et de mademoiselle sa fille;
les fronts s'épanouissent , et le vin cosmopolite complète
le bonheur des convives.
Il est vrai que ces divertissemens que nous avons in-
diqués plus haut ne sont pas à la portée de tout le monde,
et que certains gourmands les fuiraient autant que la
fortune du pot; mais si l'on était une fois convenu de
ne point donner de dîner sans quelque accessoire obligé,
chacun saurait \ quoi s'en tenir, et suivrait son pen-
chant : tel viendrait pour la musique , et tel uniquement
pour le dîner.
À
38o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Mais , dans un dtner aans étiquette , dana un banquet
où rien ne manque de la part des couTirea et de celle de
ThAte » e*est-à-dire où les bons mets » le rin et Tappétit
abondent , où chaque visa^ respire la joie et k fran-
chise , il ne faut point de secours étranger et point de
plaisir accessoire; chacun apporte en soi un foods de
gaieté communicative; les bons mots sont au fond deli
bouteille , et chaque verre les &it jaillir. Tout spectacle,
tout divertissement dont les conrives ne aéraient pas lei
acteurs serait sans sel et sans saveur; car, comme le dît
le naïf Amyot , il n'est sauce que d'amU.
La seule attention que Ton doive avoir en pareil cas ,
c*est d'exclure les gens trop sobres , W taciturnes , et
ceux qui , abusant de la qualité de Gourmands, ne se
mettent à. table que pour une seule et exclusive occupa-
tion.
La nation française est essentiellement chantante, se-
lon la remarque du rusé Mazartn. Le Français prison-
nier charme en chantant les ennuis de sa captivité; il
chante les faveurs comme les rigueurs de sa mattresse :
enchante en France pour calmer ses inquiétudes comme
pour célébrer ses plaisirs. G^est en chantant que le Fran-
çais vole aux combats; il chante encore en célébraat ses
triomphes; et quand les hymnes de la paix viennent se
mêler à nos rondes bachiques , on ne peut contester ie^
droit de chanter à table.
Clytophon.
j
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 38 1
l..t .1
2lrtkk &ixièvxe.
€S$€ti*
Ob^arviUian.
Toxm chanson de table doit être gale, elle doit aroir un
caractère d'enjouement et de liberté qui fa distingue des
autres. Les conyiyes qui ont la yoix juste doivent répéter
en chœur les refrains ; mais tous sont tenus de garder le
plus profond silence pendant les couplets, même ceux à
qui les muses n'ont jamais sowri dan» ce g^nr e de poésie ,
comme dans tous les autres* Si e^estun avantage de n'a-
voir rien fait, il ne faut pas en abuser.
LE CODE ÉPICURIEN.
Air : Qarad Biimi «onlal dtxmu» [JH^i^UCUét CêMm. )
ÀATIGU I*%
1»; S
Sawiè , joie ei eœtera
A qui ces statuts lira
C'est da divin Epicnre
La morale toute pure ,
Et remise à neuf . . .
Pour mil huit ceot neuf.
388 LE GASTRONOMB FRANÇAIS,
AftT. II.
Ordre à tout Epicurien
De ne s'affliger de rien ;
Fils heureui de la Folie ,
Rien n'aura droit dans la vie
De le chagriner,
Qu'on mauvais dîner.
Ait. III.
Dès que son printemps Tiendra
L'Bpicurîen aimera »
Mais jamais d'ardeur fidelle»
Attendu que chaque belle
Doit en fait d'amour
Réclamer son tour.
Aet. IV.
Lui défendons toutefois
De changer avant un mois ;
Et si la Parque traîtresse
Vient lui ravir sa maltresse ,
Il la pleurera...
Le moins qu'il pourra.
A»T. V.
SU natt de ce doux lien
Du petit Epicurien ,
De peur qu'il ne dégénère
Des qualités de son père ,
Ordre à l'innocent
De boire en naissant.
A*T. VI.
L'Epicurien des autels
Fuira les notnài éêemelt ^
I
LE GASTftONOME FRANÇAIS. 383
Attenda que ce tfa'on aime
Ne peut y fût-ce Véniu même ,
Paraître charmant
BUniêliemeni.
Abt. VII.
D'one femme quand l'époaz
Sera qninteuz et jaloux,
L'Epicurien de la belle
Eimbraafera la querelle ,
Bt la vengera
Le mieux qull pourra.
Ait. VIII.
Ordonnons que le matin
Quiconque aura soif ou faim
Se contente d'une pinte
Et d'un jambonneau , de crainte
Que le déjeuner
Ne nuise au dîner.
^ Abt. IX.
SU se trourait un Toisin
A la jalousie enclin ,
Il sera réputé traître ;
Mats nous lui permettons d'être
Jaloux de celui
Qui boit plus que lui.
Abt. X.
<
Entre frères tout cartel
Étant fil et criminel t
De nous déclarons indignes
384 LE GASTRONOME f%ANÇAÏ&.
Et ^poitsMoa 4e mm «î^iim
Ceux qoi de plein gré
iFAÎeot sur le /M.
Art. XI.
L'Epicurien qu'on cenieur
Blâmera d'être bureur,
A son style mtîgre «t faife
Jugeant son espfk iMUdet^
Doit, parcbwité»
Boire à sa santé*
Aat. XII.
L'Epicurien se dira
Quand sa tête blaochira :
Dois-je à l'heureuse jeunesse
Reprocher sa folle ivresse i
Ne crions pas tant ;
J*en ai fait autant.
Ait. XIIL
Quand son heure sonnera
Sur sa tombe on inscrira :
Ci'gtt un fils ttEpiam,
Qui , malgré dame Pfature^
Cdrîé aurait vécu
Plui t*U Cuvait pu.
Art. XIV.
Fait au temple oh elMiqae }o«r
Epicure tient sa cour ;
Publié ce viQgt déecpAbm,
Au banquet de la grand'chambre ,
Pardevant Comas,
Bacchus et Momus.
LAinmi , PràmâmU
PaiLirON Bt Li MsaaLAUiv, Vîee-Préddeult
Pour copie eanfimnâ, BÈBAvniEmê^ Seeriiairc.
1
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 585
CONSEILS A LA VIEILLESSE.
Au : Noof o*R?«iM qu'an I«»]m * vtrre ( N. AoS de la CU du Cavtau ;.
R10H8 avec la jeunesse ,
SuÎTons le plaisir qui la suit ;
C'est un bien pour la vieillesse
D'amuser le Temps qui s'enfuit.
On Yoît réreiUer la nature
Aji chant des oiseaux du printemps ;
Le plaisir de Toir la wrdure
Lui fait perdre ses cheveux blancs.
Rions , etc.
Pour adoucir l'humeur chagrine *
Des jeux il faut se rapprocher ;
C'est sur cet espoir que l'épine
Sous là rose aime à se cacher.
Rions, etc.
Quand nous le prions qu'il demeure ,
11 est si vieux qu'il n'entend plus ;
Il n'y voit que pour presser M^eure ,
Et compter nos momens perdus.
Rions , etc.
Ce jour en est un qu'il nous laisse
Pour nous rappeler nos beaux ans ;
En nous le donnant il nous presse
D'en mettre à profit les instans.
Rions , etc.
Lacjon*
L'ÉLÈFE D'ÉPICURE A TABLE.
Aïs : Eh ! gai , gai , g»i , moo oflBoiar (N. 167 àbWCUim CoPtûm }.
Cbantohs, buvons; ce n'est qu'ici
Que la vie
Est jolie ;
a5
386 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Ghantoni » boTons ; ce n'eit qu'ici
Qu'on oargoe le aouci.
Une onde fugitive ,
Voilà notre destin ;
Biais le ciel sor la live
Fait croître le raisin.
Chantons, buvons, etc.
Laissons un dieu Tolage
Amuser des enfans :
On n*«ime qu'au jeune Age ;
On boit dans tous les temps.
Chantons, burons, etc.
Combien d'heures chagrines
Suivent les doux ébats !
La rose a des épines ,
Le pampre n'en a pas.
Chantons, buvons, etc.
Belles qu'Amour condamne
A de tendres langueurs ,
Imitez Atiane ;
Bacchus sécha ses pleurs.
Chantons, buvons, etc.
Garde , fils de Latooe ,
Tes neuf soeurs, ton ruisseau ;
J'ai pour muse Erigone ,
Pour Parnasse un caveau.
Chantons , buvons ; ce n'est qu'ici
Que la vie ^
Bit jolie;
Chantons, buvons; ce n'est qu'ici
Qu'on nargue le souci.
Fa. Dl LA MiDILilSI
i*»^«
i
w
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 38y
ANACRÉON RAJEUNI.
AiB : Jadis va cclèbN enpenur, N. «96 , eu on air noaten . ( N. 901 de la CYtf du Ca9êau ]
ANAGBtoN devient si vieux
Qu'Aspasie en verse des larmes ;
H prend sa lyre , et par des chants foyeax
Prétend bien calmer ses alarmes :
« Qne Phébus vienne k mon setonrs ;
« Goulex, mes vers, conlez pour les Amours. » \
Dans l'espoir d'augmenter ses droits
A la tendresse d' Aspasie ,
Mon philosophe a bu jusqu'à trois fois
D'un vin frais qui vaut l'ambroisie :
« Que Bacchus vienne à mon secours :
« Coulez, mon vin , coules povr les Amours, w
Le soir arrive , et du berger
Il invoque à propos l'étoile ;
Ses feux sont tels, que pour les partager
Aspasie est déjà aàns voile
« Que Vénus vienne à mon secours;
4 Coulez, mes nuits , coulez pour les Amours. >
Le matin , sans changer de ton ,
Groiriez-vous quUl s'enflamme encore {
« Je sens , dit-il, que je deviens Tithon ;
• Aspasie , es-tu donc l'Aurore f. . .
a Viens , viens toi seule à mon secours ;
« Coulez , mes jours , coulez pour les Amours. •
Far moi , de notre cher patron
La doctrine sera suivie
Jusqu'au moment où le brutal Caroo
M'entraînera luin de la vie :
« Mes vers , mon vin ^ mes nuits, mes jours,
•«Coulez toujours , coulez pour les Amours. »
M. ai Pus.
■aw*
UE GASTRONOME FRANÇAIS.
BIBI.
n
Et
la vif dfl Tin à
Tihi, mon cher Gfégoîfe,
#o ras P'^ ^'^ bovriclm
Bl prêt de certaint ricbet ,
MmUu;
Mais toajoon aoiu les tretUes
VU
Je tnmrai des booteilles ,
Bni.
Fuis fat mon «aie....
EfU;
Et si qoelqulmbécîk
Qmœrtt :
• Dis-moi , pour être Qtiie
• UM,
» Qae fis-tn dans la nlle ?••.. a
Bnr.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 589
Si j'ai craint les batailles
Muitum ,
J'ai fait voir aux futailles
F'ultttm:
Moins fatal qu'Aleiandre
Orbi,
Sans rien réduire en cendre
BlBI.
Jadis , fêtant sans cesse
Bacehum ,
J'eniyraîs ma maltresse
ViBewm:
Resté seul J'eus des craintes
Morhl :
Pour braver ses atteintes^
BiBI.
Je fis parfois à table
Non pour rendre durable
Ncmaa:
J Ignorai l'art sablime
Phœbi ;
Pour rencontrer la rime
BlBl.
Par Bacchns Je resp&r ;
Bibo,
Et lorsqu'au sombre e:i- 'ire
ho :
Narguant la soif fatale
m,
Je Teux dire à Tantale :
BiBl.
GmiUit ÂRMAUD-GovFFi.
^« LE GASTRONOME FRANÇAIS.
MA PHILOSOPHIE.
Alt da «uré de Pompooe (N. 47^ dr (a CU dm Csnauj .
D'aocun pénible souvenir
Le poids ne m'indifpoie ;
A mes yeux le sombre avenir
Devient couledr de rose :
Pour le présent , qui fuit déjà ,
Au hasard je«ae fie.
J'espère que voiià ,
Larira, > chorus.
De la philosophie.
I
Par moi du joyeux troubadour
La morale est suivie ,
Et cbaque plaisir à son tour
Vient égayer ma vk :
Je donne les nuits à TAmour,
Les jours à la Folie.
l'espère que Toilà ,
Larira,
De la philoÊophit.
Quand à quelque joyeux festin
L'amitié me convie >
Je mange jusqu'à ce qu'enfin
Ma faim soit assouvie ;
M'oifre-t-on un broc de vieux vin ,
Je bois jusqu'à la fie.
J'espère que voilà ,
Laiira,
De la phUosophiô,
Un savant par un art nouveau
RendJa mémolra b»nne ;
Pour moi dans un pareil /Miisau
Il s'en faut que je donne :
i
LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Tous mes plaisirs sont préseas là ;
Les maux je les oublie.
J'espère que Toilà ,
Larira,
De la phîhwphie.
Je ne sais si je fus jamais
Trompé par mon amie;
Mais si quelque jour j'augmentais
La grande confrérie... .
M'aSliger de ce malheur-là
Serait une folie.
J'espère que toIUi,
Larira^
De la philoiophie.
Peut-on trouver ailleurs qu'ici
Table aussi bien servie ?
Libres de soins et de souci ,
Passons-y notre vie :
Amis joyeux , bravons ainsi
La fortune ennemie ,
Et fronde qui voudra ,
Larira,
Notre philotophie»
Quand le Temps viendra m'invitci'
A changer de demeure ,
Je veux , à force de chanter,
Lui faire oublier l'heure :
En voyant cette galté-lÀ
Je prétends qu'il s'écrie :
Vive ce luron-là !
Oui , voilà
De la phitoiophU l
M. MouAu.
591
t
39S LE GASTRONOME FRANÇAIS.
CHANSON EROTIQUE.
Ait : Do parttg* du la ricbcM (N. 1I7 ds h Cli 4m Caifmm,\
Un MeD saprème où l'on aspire
Ne peut combler tous nof louluâts ;
Sll tarde trop , on le dèûre ,
Sll pasw y il laisse des regrets :
Pour calmer trop dlmpatience »
Charmer la Alite du plaisir,
C'est donc trop peu de l'espérance ,
Et pas asseï du urenir.
Gelai qui tristement espère
Sans avoir connu le bonheur ,
Ile sait pas à qnel point doit plaira
L'espoir qui vient flatter an coeor :
II na peut le prévoir d'avance ,
Quel qoe soit le feu du désir ;
Car toat le prii de l'espérance
Tient à oelui da aoavenir.
Éloigné de celle qu'on aime ,
Ayant vu oombler tons ses vœux ,
Le souvenir d'un bien suprême
Ife saurait non pins rendre heureux.
Le vrai bonheur ne recommence
Qu'en se montrant dans l'avenir \
Biais l'entrevoir en espérance
Le rend charmant en souvenir.
Aimons donc bien lorsqu'on nous aime ;
Et, lorsqu'on a comblé nos vœux ,
Désirons qn*un bonheur suprême
Suive toujours de nouveaux feux ;
C'est ainsi que , trompant l'absence f
Noos saurons toujours embellir
Le souvenir par l'espérance.
Et l'espoir par le souvenir^ £m. DofatT'
i
LE GASTRONOME FRANÇAIS. Sgâ
CONSEILS A DÉLIE.
An : Dant ma cabtne obieore , ( N. 1 1 6 de Ii CU du Cuwait. '
Gbois-moi, jeune Délie,
Profitons des beaux jours;
L'aurore de la vie
Appartient aux amours ;
Vainement la sagesse
Condamne nos soupirs ,
Notre amoureuse ivresse
Vaut bien aes froids plaisirs.
Si l'amour est un songe ,
Prolongeons le sommeil ,
Jouissons du mensonge
Sans penser au réveil ;
Et puisqu'avec le rêve
S'enfuit notre bonheur ,
Avant qu'il ne s'achève ,
Mourons dans notre erreur.
M. OE JoOY.
FIDÉLITÉ, CONSTANCE.
Au : Aux lOÎD* que )e prendc de ma gIo!rc. ( N. 774 de la Q^ eu. Cweau ).
Ams , qn'appelez-Tons constance ?
Qu'appelez-vous fidélité?
On les confond souvent en France ;
Il faut chercher la vérité.
Doit-on garder même tendresse ,
Lorsque tout change à chaque instant f
Non ; c'est en changeant de maltresse
Qu'on peut être vraiment constant.
Hier je cueillais une rose ;
Aujourd'hui je vais dans le bois
Chercher une pensée éclosc ;
Demain le lis aura mon choix :
r
f
594 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
A tort OD iBC nonune Tjlagc;
Le be9D me pblt tDa|ottfs aHtaat ;
La roM n'a phu mon liommage»
Mais au Scan fe rtstt constanl.
J'aimai» Hortmje à ia foUe;
Lue me charme en ce momest :
Hortefue était jeune et ]i]\îe ;
EUe a treole ans ; qoel changement '
Lise est novice , fraîche et belle.
Et quand je deviens ton amaot ,
Je pois bien paraître inGdèle ,
Mab |e me crois ton jours constant.
Belle , <inand nn amant dh : J*aime ;
Jim eœmr ne ckoAgen Jamais ,
Il entend qœ , toajoofs la même •
Tn garderas mêmes attraits :
Tn passes... C'est donc toi , cmcUe ,
Qoi l'as forcé d'en faire autant ;
Mab an plaisir restant fidèle ,
Il te fnit sans être inconstant.
A table ànsai bien qu'à G jthère ,
Diversité lait mon destin ;
J'aime à voir passer dans mon verre
Yolney, Pomard et Chambertia :
An dieu de la liqneor vermeille
Partout je porte on eeeur fervent ,
Et quand je change de boateîUe ,
à Bacchus je reste constant.
GnAauts Sa araosvi lu.
COMMENT TOUT VA.
Aj« : J*«w«B «vé pattiolc ( N. spi de b C(« Ai Camm.
Las vrais soutiens de ce monde
Sont le vin et la beauté;
Sans eus la machine ronde
N'est qu'un bloc désenchanté.
chorus.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. SgS
Dieu , qui savait bieu cela ,
Aux mortels le révéla ;
Et Yoilà...
Oui , Toilà ,
Oui, voilà
Gomment tout va. ( Ter. )
Sans ma belle et ma bouteiHe
Je ne puis faire un couplet ;
Mais quand je bois sous la treille •
Près de l'objet qui me plait ,
Gomment tenir à cela ?
Que de cbarmes je vois là !...
Et voilà ,
Oui y voilà ,
Oui,, voilà
L'esprit qui va.
A dîner femme jolie
Sait doubler mon appétit;
Au dessert la pruderie
S'en va petit à petit : ^
Mon œil découvre déjà
Les attraits qu'elle voila...
Et voilà,
Oui , voilà ,
Oui, voilà
L'amour qui va.
En parlant d'amour on chante ;
Je vois tout le monde en train : ^'
La romance trop touchante
Fait place au joyeux refrain.
Pour fêter ce refrain-là
Que de verres je vois là !
Et voilà ,
Oui , voilà ,
Oui, voilà
, Le vin qui ?a.
Ô96 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
AÎBM, k Tin y k lendrene
DoÎTcat laBre à not Toeox:
Aimant et biiTOOsmis cerne ;
G'ot le lecret d'être hemeai ;
Ghannant wcret que déjà
Épicure dévoîkl
EtvoiU,
Oui, Toilà,
Om» voilà
Gomment tout t».
M. AmnAji»-Go(.r ri.
JE M'EN MOQUE COMME DE COLIN TJMPOy
An: BlMMi«c!c«*c'q«e{*Miiçaf!l. tiiàtUCêéém
A quoi bon giewir k fifte
De DOS frondenn ennuyeux ?
Tont prévoir 9 c'est nn pen triste :
Rire de tout vint bien mienx.
Qne l'a ni vers se disloque
Comme nn Tase du JajKin ,
En atfemftmt ,Jé m'Ai moque
Comme de OUm Tampon. "' ^
fCargne dn tiiste Heraclite
Qui toujours se lamentait i
Que j'aime ce Démocrite
Qui galment lui répétait :
Sur ce monde qui te choque 9
Ilélas ! mon pauvre garçon ,
Tu pkures ! moiye m'en, moque
Comme de Cotm. Tempon,
Damis en vain près d'Estelle
Soupire comme un Colin ;
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 397
Il faut pour plaire à la belle /
Être bien ricbe ou bien fin :
Ao plus aimable colloque
Froidement elle répond :
Des Colins moije me moque
Comme de Colin Tampon,
i
Cherchant partont un suffrage ,
Un auteur bien suffisant
Pour lire un nouvel ouvrage
Trouve un cercle complaisant ;
Mais le public , qui révoque
Les jugemens du salon ,
Dît en sifflant : Je m'en moque
Comme de Colin Tampon.
« Ici-bas lien né m'étonne ,
« Disait monsieur dé Pibrac ; *
« Il faut voir sur la Garonne
€ Mon beau domaine dé Crac 1
« Paris n'est qu'une bicoque ;
« Lé moindre château gascon
« Dé votre Louvre se moque
t Commû de Colin Tampon > .
Qu'on célèbre le Champagne ,
' Le Pomard , le Chambertin ;
Qu'on vante le vin d'Espagne ,
iSè vin de,Beaune ou du Rhin :
Pour moi , lorsqu'on me provoque >
Le meilleur est assez bon ;
Quand à son nomy^ m'en moque
Comme de Colin Tampon,
Lorsque la vilaine Parque
M'aura dit : Fais ton paquet ^
Je veux, jusque dans la barque >
Lui rabattre son caquet ;
i^i LB GASTRONOME FRANÇAIS.
Je chanterai : Ma défroque
N'est pa» celle d'an capon ,
Et des Parquea^e me moçiw
Cotmim deCoSM Tumpan.
AXTICHAC.
LE NOUVEAU DÉMOCRITE.
I
Amis, dans le siècle où nous sommes ,
Quand je rois nos graves esprits
Gémir sur les erreurs des hommes ,
Je les laisse faire , et je dis :
De tout il faut rire ;
L'humeur ne vaut rien ;
Qu'aurioosHions à dire
Si tout allait bien f
Je ris d'un ignorant en place ;
Je ris d'un faquin en crédit ;
Je ris d'uo amant à la glace ,
Et d'un sot qui fait l'éradit.
De tout il faut rire , etc.
Je ris de l'avocat Monrose
Qui , tout rempli du droit français j
Parce qnll tient la bonne cause
Croit dcToir gagner son procès.
De tout il faut rire » etc.
Je ris de ce rimeur étique
Qui croit, inimitable auteur,
Fermer la bouche k la critique
En faisant dîner le censeur.
De tout il faut rire , ete.
Je ris d'une Agnès de rillaga
Qui , noTice jusqu'à quinaeans,
De Paris faisant le voyage,
bû en ekoTHs.
i
LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Croit l'être encore bien long-temps.
De to«t il faut rire , etc .
Je ris de l'avare qui yeille
Nuit et jour pour garder son or ;
Je ris d'un époux qui sommeille
Auprès d'un plus charmant trésor.
De tout il faut rire, etc.
Je ris d'une vieille au cœur tendre ,
Et d'un Adonis édenté :
Je ris des pleurs que fait répandre
Un mélodrame à la Gatti.
De tout il faut rire , etc.
Quand d'une main je tiens ma coupe ,
Mon Aglaé de l'autre main ,
Des noirs soucis narguant la troupe.
Je ris de tout le genre humain.
De tout il faut rire , etc.
Lorsqu'à la fin de ma carrière
Le» bons vivans m'auront absous.
Après avoir ri sur la terre
Je desoendrai rire dessous.
De tout il faut rire ;
L'humeur ne vaut rien ; ^
Qn'aurions-nous à dire
Si tout allait bien P
M. CAWBhtM.
399
LES INFIDÉLITÉS DE LISETTE.
Ail : Il4inn«lc , bon Hfnrmitf, (N. ^•i éthCléduCmum ).
Lisette ,'dont Tempire
S'étend jusqu'à mon vin ,
4oo LB GASTRONOME FRANÇAIS.
J'éprouve le martjre
D*eD demander en rain.
Pour souffrir qa'k mon ftge
Les coups me soient comptés ,
Ai-je compté, Tolage,
Tes inSdélités f
Lisette , ma Lisette , «
• Tu m*as trompé toujours :
Mais yive la giisette !
Je Teux , Lisette ,
Boire à nos amours.
Lindor, par ton audace ,
Met ta ruse en défaut ;
11 te parle à vois basse.
Il soupire tout haut.
Du tendre espoir quUl fonde
11 m'instruisît d'abord.
De peur que Je n'en gronde ,
Verse au moina jusqu'au bord.
Lisette , etc.
Avec l'heureux Glitandxe
Lorsque je to surpris ,
Vous compties d'un air ten dre
lit» baisers qu'il t'a pris.
Ton humeur, peu sévère.
En comptant les doubla.
Remplis encor mon verre
Pour tous ces baisers-là.
Idsette , etc.
Mondor, qui toujours donne
Et rubans et bijoux,
Devant moi te chiffonne
Sans te mettre en courroux.
J'ai vu sa main hardie
S'égarer sur ton son , ■
» '
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 401
Vene jusqu'à la lie
Pour un n graod laicin.
LUette , etc.
Certain aoir je pénètre
Dans ta chambre, et sans brnit.
Je vois par la fenêtre
Un Toleor qai s'«n'ait.
Je TaTais , dès la veille ,
Fait foir de ton boudoir.
Ah 1 qu'une autre bouteille
M'empêche de tout voni
Lisette, etc.
Tous comblés de tes grAces,
Mes amis sont les tiens ,
Et ceui dont tu te lasses ,
C'est moi qui les soutiens.
Qu'avec ceux-là , traîtresse ,
Le fin me soit permis:
Sois toujours ma maîtresse ,
Et gardons nos amis.
Lisette, etc.
Ht. P. J. ttt B<HARGia.
CONSEILS AUX ÉPICUniENS.
hn : D'IlDiianl qa'oii«oiu n*if efrtiiABK^ (N. i4i de la CM 4v Camatk)
Eh dépit des sots , des critiques ,
Des pédans et des envieux ,
Redoublons nos transports bachiques ;
Répétons ce refrain joyeux :
26
4o2 LE GASTRONOME FRANÇAIS,
Gben amn (6cff), enfans d*Epicar&,
Aimons , buTons la nuit , le jour ;
Notre devise eft la nature,
La gain, Uvmel f amour.
Par une devise aussi sage ,
Ecbkiré sur le prix du temps ,
Tout au plaisir , que le jeune âge
Double le cours de ses beaux ans.
Cbers amis , etc.
Dans l'âge qui suit la jeunesse ,
Que le plaisir soit mieux goftté»
G*est un vin qui gagne en finesse
Tout ce qu'il perd en quantité.
Ghers amis, etc. ,
Plus tard , avec plus de mystère ,
Que l'homme, fidèle à Vénus ,
Ose dans les champs de Gythère
Glaner, sll né moissonne plus.
Ghers amis , etc.
Que l'Amour an vieillard aimable
Garde des souvenirs touchans ,
Et parfois au sortir de table
Gonronne encor ses cbeveox blancs.
Ghers amis , etc.
Quelques pUtsirs que l'on rassemble >
Amitié, joins-y ton attrait ,
Gomme le nœud qui tient ensemble
Les fleurs dont se forme un bouquet 1
Ghers amis , etc.
Par tes flots , ô liqueur divine !
Source d'esprit et de galté ,
Nous jurons à cette doctrine
Étemelle fidélité.
Ghers amis, etc.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4o3
De la bonne philosophie
C'est le flambeau surpris aux cîevz » '
C'est le fruit de Parbre de vie
tjui rend l'homme semblable aux dieux. '
Chers amis , {bis) enfans d'Épicure ,
Aimons , buTons la nuit , le jour ;
Notre devise est la nature ,
La gatté, le vin et t amour.
M. Eosébi^Salvibtb-
■e^
LAISSONS COULER L'EAU.
Jlir du FaudtfUU fmml tf« Fmntkon U vUthum (H. 791 àtUClié» Cav§am. )
Qd'uh censeur aquatique
Soir et matin critique
Les amis du tonneau ,
Méprisons son ramage.
Joyeux apOtres du Caveau...
Au vin rendons hommage.... ) , .
Et laissons couler l'eau. )
9ur les flots qu'il traverse ,
Plus d'un marchand s'exerce
De Danuick à Porto ;
Mais la mer est brutale :
Chantons , buvons sur le plateau
Du Boekar de CaneaU...,
Et laissons couler l'eau.
Sur les bords de la Seine ,
Chaque jour met en scène
Quelque rimeur nouveau ;
Bientôt Youba l'entraîne.
Croyez-moi y buvons à Bwleau ;
Buvons à La Fontaine....
Et laissons couler l'eau.
4a4 LB GASTRONOME FRANÇAIS.
Qaand le souTeraio jage
Pbolt par an délqg«
Le monde A ion beicean ,
Noé , dlMiinemr nudigae ,
Portant un ûBp dans qon bateau.
Chantait : sauToni la vigiw.
Et laisaons couler l'eau.
Au gré dn tempa qui oovie ,
Noos foyageopi en foule
Sur un léger radeau ;
Malgré m» Ton arrive.
GneilloQf donc , pendant qu'il fait beau ,
Qaelqoea fleurs sur la rive...
Et laissons couler Tean.
En chemin , si la parque ,
Par hasard nous remarque ,
> Et tire son ciseau ,
Puisque le noir monarque
D'un fleura entoura son chftieau,
Prenona gatment la barque. .
Et laissons couler l'eau.
^^^ M. AulaKD-Goorn.
ÉLOGE DES FEMMES DE TRENTM ANS,
Air du pu dot Trdà Comnèret dau b Ikiumaiii* (N. 7U dclaCT^ ^ i
AiMB qui voudra lesfiUettes,
Moi, j'aime une femme à trente ans :
Cn bon fruit vaut bien les fleurettes ,
Et l'été vaut bien le printemps.
A quinte ans, pour |enne bergère ,
La nature a plus d'un secret :
Prcnea » messieurs , une écolière ,
Une maltresse est mieai mon fait.
Aime qui voudra les fillettes , etc.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. ^o5
A quinze ans on ne sait rien diie >
A trente on sait nous inspirer :
A quinze ans toujours on s'admire ,
A trente on se fait admirer.
Aime qui voudra les àiletlQSy etc.
Les censeurs malins nous le disent ,
En romans le siècle est fécond :
A quinze ans les (illes en lisent,
A trente ans les femmes en font.
Aime qui voudra les fillettes , etc.
Des roses ma vue e^t charmée ,
Mais, f en fais juge un connaisseur ,
La fleur éclose est parfumée ,
Et les boutons »*ont point d'odeur.
Aime qui Voudra les fillettes ,
Moi , j'aiiàe une femme à trente ans :
Un bon fruit vaut bten les fleurettes ,
Et Tété vaut bien le printemps.
VI* Lim Cl*
LE ROI D'YFETOT.
AiB : Quand uo tendron vleoMD cet lient fN. 384 àb\»CUi»t C^êou, )
Il était un roi d'Yvetot
Peu connu dans Thistoire ,
Se levant tard , se couchant tôt^
Dormant fort bien sans gloire ,
Et couronné par Jeanneton
D'un simple bonnet de coton ,
Dit-on.
Ohloh'.ohloh! ah! ahlahlah!
Quel bon petit roi c^était là ! \ chorus,
La la!
4o6 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
11 flakait «s qsatre lep»
Dans ff» palab de chaame 9
Btnr no âne, pas à pas.
Joyeu, «mple , et crayaiit le bieoy
Poor toate garde il n'avait rien
Qn'on chien.
Oh! oh! oh! oh! ^! ah! ^!^!
Quel bon petit roi c'était U!
UUl
Il n'avait de gofkt onércnx
QD^noe soif on pea vive ;
Hais en rendant son peuple heoieox ,
11 fant bien qn'on roi vive.
lAi-mêmey à table et sans suppôt ,
Sur chaque mnid levait nn pot
D'impôt.
Oh! oh! oh! oh! ah! ahl ah! ah!
Quel bon petit roi c'était là i
La la!
AoK filles de bonnes maisons
Gomme U avait su plaire ,
Ses sujets avaient cent raisons
De le nommer leur père \
D'aiUe ors , il ne levait de ban
Qoe pour tirer t quatre fois l'an ,
Au blanc.
Ohloh!ohloh!ahlah! ah! i^!
Quel bon pedt roi c'était Ui !
Lalal
Il n'agrandit point Bts États ,
Fut un voisin commode,
Et , modèle des potentats f
Prit le plaisir pour code^
I
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 407
Ck n'est qiie lorsqu'il expira ,
Qae le peuple , qui l'enterrii >
Pleura.
Oh!Qh!ohlohIah!ah! ahlahl
Quel bon petit roi c^était là î
La lai
On conserre encor le portrait
De ce digne et bon prince ;
C'est l'enseigne d'un cabaret
Fameux dans la proTince.
Les jours de fête , bien souvent ,
La foule s'écrie en buvant
Devant :
Ohlohlohlohl ahiahîahlah!
Quel bon petit roi c'était là !
La la!
M. P. J. Db BiSARGlB.
MONSIEUR MATHIEU,
OTJ
VORIGINAL SANS COPIE.
Ail : llamao , maries-oous. (N. 384 à» la Clé du Ctwtam )
Fie , feu
Monsieur Mathieu
Était un singulier homme ;
Feu, feu
Monsieur Mathieu
Était comme
On en voit peu.
Quoique maître d'un grand bi«n
Et de famille fort bonne ,
Il faisait souvent l'aumône ,
Et ne devait jamais rien.
Feu , feu , etc.
4q8 LB GASTAONOMB FRANÇAIS.
D'an habit de camelot
Il avait pria la contoiqe.
Prétendant qoe le costume
Ne projve paa ce <|a'OD vaut.
Feu , feu , etc.
4a joag de llijmea soamii ,
On l'a va» da fond de l'ftme^
Ton jours préférer sa femme
A celles de ses amis.
Feo» feu, etc.
Encbanté de voir grandir ^
Ses trois garçons et sa fiUe y.
Il promenait sa famille
Sans bâiller et sans roogir.
Feu, feu, etc.
Il bravait avec mépris
Nos usages et nos modes ;
Et c*étaii AUX plus commodes
Que cion sot donnait le prix.
Feu , feu , eto.
On le ' 1'. , ^^sque des ans
Le poids vint courber sa tdte ,.
A la TttuM la mieux faîte
Préférer ses cheveux blancs.
Fea , feu , etc.
Il s'avisa de rimer
Des morceaux dignes d'envie ,
Et notre auteur , de sa vie ,
N'osa fe faire Imprimer.
Fea , feu , etc.
4 la faveur oomme au rang ,
Il croyait que le mérite
.l>evait conduire plu# viti^
Que l'apostille d'un grand.
Feu , feu , etc.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 409
Un Jour oq loi proposa
Un emploi considérable »
Et s'en jugeant incapable »
Sans regrel il refusa.
Feu , A^Q , etc.
Jamais » oe fou y sll en fut ,
Ne Toulnt faire antichambre
Pour obtenir d'être membre
Du beau corps de l'Institut.
Feu , feu , etc.
Ani honneurs il fut admis
Par }e ne sais qnel miracle ;
Et Jamais sur le pinacle
11 n'oublia ses amis.
Feu , feu , etc.
Eh bien ! on le chérissait ;
Et, malgré ses faux systèmes ,
Il fut pleuré par ceux mCmes
Que sa mort enrichissait.
Feu y feu
Monsieur Mathieu
Était un singulier homme;
Feu , feu
Monsieur Mathieu
Était comme
On en voit peu.
DllSADGIBRS.
LE FIN ET U VÉRITÉ.
Air de la Pipa d« itbtf (« 108 de !• CM ^ C<m«ii.)
In vino veriias , mes frères ^
Nous dit un proverbe divin :
Dieu pour nous faire aimer nos verres
Mit la vérité dans le vin.
,Jm.
4io LE GASTRONOME FRANÇAIS.
J'obéis à M loi raprême ;
Gomme bnveur je suis cité :
On croît qae c'est le TÎn que {'aime ;
lies un», c'esf la. vériié.
On croît que U philosophie
N'e jamais tronblé mes loisirs ,
Et qu'à bien Jooir de la vie
J'ai tODJoors borné mes désirs :
On dit quand je cours sous ]a treille :
C'est le plaisir , c'est la gaité
Qnll Ta chercher dans la bouteille...
Mes amis, c*ett U virUà.
On croit aussi que la tendresse
Fait quelquefois battre mon cœur ;
On croit qu'une jeune maîtresae
Est nécessaire à mon bonheur ;
Quand je trinque avec une belle
Chacun dit : c'est la volupté ,
C'est l'amour qu'il cherche auprès d'elle...
Eh y messieurs ! c'est la vérité,
M. AamaD-Goorri.
L'ERREUR.
Au : Atcc voHt mus le même toii (N. 64 d^ U CU du C«ii#ch.)
Iii8Piai par son jus divin ,
A Bacchus consacrant mes veilles ,
A table , en célébrant le vin ,
Souvent je crois faire merveilles :
Aujourd'hui» craignant un mallieur.
Sur votre indulgence je compte ;
Mais si vous blftmes mon erreur ,
Songes bien qu'srreirr n'est pas compte.
[
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4n
La vèriU presque toujours
Nous fatigue et nous contrarie ;
L*aimable erreur charme le cours
Du petit trajet de la TÎe :
Quand je'goûte^un bonheur complet ,
Que mlmporte si je m'abuse ;
La vérité qui me déplaît
Ne Tant pas Verreur qui m'amuse.
Que je plains Verreur d'un amant
Qui , loin de sa jeune maîtresse»
8'abandonnant à son tourment.
Passe les nuits dans la tristesse !
Four moi , si je peux m 'endormir
En rêvant à Tobjet que j'aime ,
L'erreur qui m'offre le plaisir
Vaut quelquefois le plaisir même.
Narguant tout haut le froid censeur
£t sa triste philosophie ,
Je marche d'erreur en erreur
Sur les traces de la Folie ;
Et... telle est ma légèreté ,
Que j'échangerais , chers confrères. ■•
Tous les dons de la vérité
Pour les promesses des chiméretl
Quoique l'on m'ait fait bien des tours ,
A Tamitié je suis fidèle t
Je crois mes amis sans détours ,
Je crois à l'amour de ma belle ;
Je crois que sans moi la grandeur
Ne lui ferait aucune envie :
Si tout cela n'est qu'une erreur.
Qu'elle dure toute ma vie.
M. BiAziia.
4is LB GASTRONOME FRANÇAIS.
MES VŒUX,
00
LE MONDE COMME JE LE VOUMijâlS.
Tbmbi , moi je foii nu boo bome :
Aiiffi y pour aller dnit «n but ,
Tout fnoc je Taif voa<*dire'coiniiie
Je Toadrais^qtn le monde fût :
Je voadrab voir, ta liea de guerre ,
Pour le bonlMpar da genre bumain ,
DNin beat à Feiitte de U terre i
Les morteltK donner la HUM. y
Lobi que la fortune me tente,
Je Tondrais, pour TÎTre content ,
/Ifoir ceot mille éem de^reate.
Et que chacun eo eût autant ;
Je Toudrab rencontrer à table ,
Par un prodige tout nouveau»
Bonne hameur, chère dèloDiable ,
Amitié pure et vin sans eaa.
Je voudrais qu'à la perfidie,
Comme à llntrigue, on mit un frein ;
Qu'on chacslt la misantropie
Par un flon-flon , un gai refrain ;
Qu'on ne vit plus un sot en place
Protéger 6lleul et cousin ;
Qu'on ne montAt plus au Parnasse
Sur l'épaule de son voisin.
Je voudrais , sans être un ivrogne ,
Qu'on ne fit plus ( bravant les lois j ,
Avec du Cahon du Bourgogne y
Du Champagne avec de VJrbùi* ;
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4i5
Par co moyeo tout homme hoanête
Chancelant après aon repas ,
Sam'ait , en consultant sa tête ,
A qoels vins U do.^ ses faox pas.
Je voudrais que femme jolie
Restât toolonrs dars son printemps;
Que , pour l'amour , pour la folie ,
L'homme n^eût Jamais que trente ans ;
Qu'il n'existât plus , et pour cause ,
(Chacun aura m^me dénr)
Nulle épine auprès de la rose ,
Nul regret après le plaisir.
Avec la paix » fortune stable ,
Si l'homme possédait un jour ,
Bons amis , bon vin , bonne table ,
Caîté franche et constant amour ,
Je voudrais , selon son envie ,
Qu'il eût aussi la liberté
De finir doucement sa vie
Sans l'appui de la faculté.
A MES AMIS.
Je voudrais , narguant le voyage
Que le Temps prescrit sans pitié ,
Avec vous josqu'an noir rivage
Répéter l'hymne 4 l'Amitié :
Et qu'autour d'une table ronde.
Chantant, buvant et sans souci,
On nous vit tons dans l'autre monde
Comme on nous voit dans celui>ci.
M. Capillv.
4 14 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
LES TROIS MOTS.
Aie : Cbaitofii ImtoaUmi (N. 99 àt U Qi du Cmtam. ]
Tboh mots forment mon thème
Et toutes mes leçons :
Or , ces trois mots que j'aime
Sont (jugez s'ils sont bons)
Aimons ,
BuTons, ^ Quatre foii.
Chantons.
Ici nous pouvons diie
Tout ce que nous pensons ;
La gatté nous inspire;
Disons et répétons :
Aimons ,
BuTons ,
Chantons.
Dans cette courte rie
Momus vaut bien Caton ;
La raison est folie ,
La folie est raison.
Aimons,
Burons ,
Chantons.
Un roi cher à l'histoire ,
Fit plus d'une chanson ;
Il sut aimer et boire;
L'avis est trois fois bon.
Aimons,
Buvons ,
Chantons.
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4i5
Phébiu par l'harmoDie,
L'Amoar par aes leçons ,
Bacchas par l'ambroisie
EniTrent nos raisons.
Aimons ,
Buvons ,
' Chantons.
Lorsqn'en trois mots je trace
Mon système en chansons ;
Changes les mots de place ,
Ils seront tonjoors bons.
Aimons, buvons , chantons ,
Buvons , chantons , aimons ,
Chantons, aimons , buvons ,
Aimons , buvons , chantons.
_ A. DM C •".
LE UT ET LA TABIJS.
Aai : La bonne aTenlur*, ô gué ! (N. Soi de la CM rf« CavMii. )
Il faut régler ses désirs ,
Dit un sage aimable ,
Et faire entre les plaisirs
Un choix raisonnable.
Des biens je fais peu de cas ,
Et je ne me plaindrai pas
Si j'ai toujours ici-bas
Bon m, bonne iabU,
J'ai parcouru vainement
La terre habitable ;
A quoi tout ce mouvement
Est-îl profiUble F
Que gagne-t-on à changer?
Sans aller chez l'étranger,
Bornons-nous à voyager
Du Rt à la tabU,
4i6 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Damisvoit dans U gmadeui
Un bien dèôrable;
Pour moi ; je crois le bonhcor
Gbose préférable.
L'homme heureux, sans se montrer,
Gheiche à se faire ignorer ,
Satisfait de Bgurer
An Ut, à la iabU.
Amour , appétit , fri^rt
Ont un coin stKkblsMe;
Bon estomac d'un grand cMr
Estinséparabtei
Pour théfttre ^ à de» eBpM«i
Moins brillans , mais plus eoartois,
Un héros choisit par M
Le (U et la table.
Sans profaner des Latins
La langue admirable.
Imitons de leurs festins
L'ordonnance aimable :
Ce peuple s'y connaissait ,
Et sarait ce qu'il faisait
Lorsqu'ensemble il unissait
Le£(etlafa6^
M. os XocT.
LES QUATRE CABARETS ,
.4ir : Ain to'nai qa« (c prenéi dema gloii«. ( % 77I de la Cté in, CVi «m.^
I L est bien vrai que ce bas monde
Est un cabaret plein d^attraits ;
L'ÎTresse y circule & la ronde ,
Et la nature en fait les frais :
Car aussitôt que de U Tie
i
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 417
I bU.
L'homme a recueilli le bienfait »
Le sein d'une mère chérie ,
Voilà K>n premier cabaret.
Tandis que la tendras* mile
Et tremble an moindre de ses crft ,
Il badine avec sa bouteille ,
Sans «n connaître tout le prix.»
Mais dès que son Ame inooccuite
D'amour devine le secret»
Du plaisir la coupe enÎTrante
Deyientson teeond eabaret.
De Vénus et de la Foftb
Long-temps il va grossir la eour,
Et passe une joyeuse Tîe
Entre le plaisir et l'amour.
Biais , quand Vénus » fermant Toreille >
Laisse tous ses vœux sans effet ,
Le temple du dieu de la treille
Est son troUUmê eabartU
Enfin , appesanti par l'Age 9
Pour guide ayant choisi BaoohvAi
Vers le terme de son Toyaga^
Il marche appuyé sur Gomuf,
Mais à l'aspect de l'onde noire >
Il a beau dire arec regret e
« Mes amis , je ne veux plus beiM.»
C'est là son dernier eabani*
LE CABARET.
Al* : Trèrc Pierre i la eoinne ( N 198 it tm CUéu Cartam, )
J'aii» le Tin et la mine
D'un moderne Ramponneau ;
Mais je plains eelui qui dîne
Ghex quelque Midas novrean :
27
4i8 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Lear caquet «
Au banquet
Tient Momiu en léthargie :
Poor nne joyenie orgie
Parlei*moi da cabaret ! (ter,)
GoUé , Ptron en délire
Quand Phébas les éclairait ,
Gouraient accorder leur lyre
En sablant du vin clairet.
Qui dirait»
Qui croirait t
Qu'on vit sept fois la semaine
Ges gais soutiens de la scène
Ghanceler au cabaret f
Dans son étonnante Terre
Le menuii^r de Nevers
Unit Baccbus et MinerTC
Sous un dais de pampres verdi :
Il buvait ,
11 chantait.
Et courut , ivre de gloire.
Dans le temple de mémoire
En sortant du cabaret.
Les Muses » qui d'un bon diille
Aiment le ton décidé »
Avaient fait de la GonrtUIe
Le Parnasse de Vadé.
Taconnet ,
Qu'on connaît ,
Dans la bachique assemblée
Y fut proclamé d'emblée
L'Apollon du cabaret.
Avec orgueil on calcule
Les bienfaits du dieu du vin.
LE GASTRONOME FRANÇAIS, 4,9
Le« fameaz exploits d'Hei€ql«
Sont dus aa nectar diTÎn.
Quel e£Pet
Le vin fait !
Le buveur , amant des bellct ,
N'est jamais plus épris d'elles
Qu'en sortant du cabaret.
On boit sur la rive maure ,
Chez le Tun; et le Chinois ;
Du vin vieux on se instaure
Jusque chez les Iroquois :
Bien replet ,
On se pfadt
 boire en tous lieux du monde ;
Et cette machine ronde
N'est qu'un vaste cabaret.
C'est vainement que la Parque
Croit rabaisser notre ton ;
Portons du vin dans la barque
Qui nous conduit chez Pluton :
Sans regret
Du trajet ,
Grisons le dieu de l'Avcme »
Et faisons de sa caverne
Notre dernier cabaret.
M. MoasAD.
TUONS LE TEMPS.
kn : AuMÎtAl quel» lamiérc (N. to de la Clé du Catau. )
CoNTBMPLORS U Tempt qui passe ,
Et regardons après lui :
Il ne laisse sur sa trace
Que le néant et l'oubli.
4«o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
A détruire il s'évertue ;
Pcofitoos bien des instMM s
Ed attendant qall noos tue ,
Mes amis , («Mi* fe Temps*
Il frappa k grand Molière ,
Bt La Fontaine et Scarron ,
La gentille DeshouUère ,
Tadè , Panard et Piron.
Ce vieillard cruel moissonne
Les plus illustres takns;
Il ne ménage personne :
Ne ménageons pas U Tûmpt,
Il faut que sa mort soit douce :
Prèserrona-le de l'ennui ;
Que l'Amour galment éoMMisse
Toutes ses flèches sur lui ;
Que Bacchus courre de lie
Son front ridé par les ans:
Dans les bras de la Folie
Faisons expirer le TmiÊfê \
Dans sa course atienr prière
811 lève sa faux sur nous «
Ne faisons point de prière
Pour échapper à ses coups i
Abandonnona-lui sa proie ;
Mais , en redoublant nos chants ,
Étendsons notre joie ,
Et nous survivrons au Temps,
M. FlARClS.
LA GRANDE ORGIE.
Am : Vive I«! vin de Ramponncau (N. 1 1«» de la Oé du C«wm.}
La vin charme tous les esprits :
Qu'on le donne
Par tonne !
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4ii
Que le Tio pleuve dans Paris ,
Pour Toir les gens les plus aigris
Gris!
Non , plus d'accès
Aux procès.
Vidons, joyeux França s ,
Nos caves renommées.
Qu'on censeur Tain
Croie en vain
Fuir le pouvoir du vin ,
Bt s'enivre aux fumées l
Le vin, etc.
Graves auteurs ,
Froids rhéteurs.
Tristes prédicateurs ,
Endormenre d'auditoires ;
Gens à pamphlets ,
A couplets ,
Changez en gobelets
Vos larges écritoires«
Le vin , etc.
Loin du fracas
Des combats ,
Dans nos vins délicats
Mars a noyé ses foudres ;.
Gardiens de nos
Arsenaux ,
Cédez-nous les tonneaux
Où vous mettiez vos poudres.
Le vin , etc.
Nous qui courons
Les tendrons ,
De Cythéie enivrons
Les colombes légères.
4<9 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Oûeaux chérîfl
De Gyprii ,
YcDes 9 ma^ré net cris ,
Bolr« au fond de n(w ▼erres.
Le Tin , etc.
L'or a oent fois
Trop de poids l
Un essaim de grÏTob
Buvant à leurs mignonnes
Troave an total
Ce cristal
Préférable au métal
Dont on fait les couronnes.
Le vin , etc.
Enfans charmans
De mamans
Qui des grands sentinoens
Banniront la folie ,
Nos fils, bien gros,
Bien dispos ,
Naîtront parmi les pots ,
Le front taché de lie.
Le vin , etc.
Fi d'un honneur
Suborneur I
Enfin du vrai bonheur
Nous porterons les signes*
Les rois boiront
Tous en rond ;
Les lauriers serviront
D'échalas à nos vignes.
Le vin , etc*
Raison , adieu 1
Qu'en ce lieu,
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 435
Saccombftot soua le dî«u
Objet de nos louanges »
BîeD ou mal mis ,
Tous amis ,
Dans llvresse endonnis ,
Nons rêTÎons les vendanges l
Le vin charme tous les esprits :
Qu'on le donne
Far tonne !
Que le vin pleuve dans Paris ,
Pour voir les gens les plus "aigris
Gris!
M. P. J. OR BsBAftGlB.
, LE DÉURE BACHIQUE.
AiB : Pomm' d« rtlnttl* «t poaim* d'api TN. 4M d« la C/« du CaMca.
Quand on est mort c'est pour long-temps ,
Dit un vieil adage
Fort sage ;
Employons donc bien nos iuslans 9
Et çontens
Narguons la faulx du Temps !
/
De la tristesse
Fuyons l'écueil ,
Évitons rcsil
De l'austère sagesso.
De sa jeunesse
Qui jouit bien ,
Dans sa vieillesse
7V« regrettera rien.
Si tons les sots ,
Dont les sanglots»
Mal à propos
LE GASTRONOSe FRANÇAIS.
Ont tuivi l'eilMeom ,
O ipTih éttimt ,
Dlea wit , je penie ,
CoDune Ui l'ea 4anDerri«Bt !
Quand on ett nort , «Tb.
PnÊÊé* d'ècbre ,
Qnano* pUian
NdNent iTint l'aorort ;
Qaind Phèbni dore
notre ridait ,
A notre eccent ,
Le gû chtmpi^e
Rtpite en jailUaMt :
Qatod OD e>t mort , etc.
Jaaki* d« gtue ,
JaiPtù de loïD ;
Ert-Ubewio
De pimdn tut de peine
Fonr <]oe li haine ,
Lançant lea tiaiti ,
Taat-li-coap vienne
Dilniire no« ncoèa 1
Qa'nn |tHir mon nom ,
De «on renom.
Le Itmple de
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4«5
J'ai U galté »
J'ai la santé »
Qui Tant la gloire
De l'immortalité.
Quand ou est mort, etc.
Est-il Monarque
Dont les bienfaits ,
Dont les hauts faits
Aient désarmé la Parque t
Le souci marque
Leur moindre jour ,
Et puis la barque
Les emporte à leur tour.
Je n'ai pas d'or ;:
Mais un trésor
Plus cberencor
Me console et m'enivre ;
J'aime» je bou,
Je plau parfois ;
Qui sait bien virre
Est au-dessus des rois !
Quand on est mort , eto.
Au lit, «iUble«
Aimons , rions »
Puis euToyons
Les affaires au diable.
Juge implacable >
Sot chicaneur ,
JuifintraiUble,
Respectes mon bottbesr !
Je sub , ma foi ,
De mince aloi ;
Épargnei-moi
Votre griffe funeste*
Sans TOUS , hélas l
4^6 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Du temps de reste
Pour me damner là-bai \
Quand on est mort , etc.
Quand le tonnerre
Vient en éclats
De son fracas
Epouvanter la terre ,
De sa colère
Qu'alors pour nous
Le choc du verre
Amortisse les coups.
Bouchons , volez 1
Flacons , coulez !
Buveurs , sablez l
Un dieu sert les ivrognes 1
Au sein de l'air
Que notre ceil fier,
Nos rouges trognes
Fassent pftlir Téclair
Quand on est mort > etc.
De la guinguette
Jusqu'au boudoir.
Matin et soir, .
Circulons en goguette.
Guerre aux grisettes .
Guerre aux jaloux ,
Guerre aux coquettes ,
Surtout guerre aux époux!
Sur vingt tendrons ,
Bien frais , bien ronds »
En francs lurons ,
Faisons rafle à toute heure ;
Puisque aussi bien *
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 457
Sage ou vaurien ,
II faut qu'où meure ,
"Se nous refusons rien !
Quand on est mort, etc.
Désacgiibs.
es:
DU SOBTIR DE TABLE ET DU CAFÉ.
Il était autrefois d*usage de se rincer la bouche en quit-
tant la table; et des verres d'eau tiède étaient en consé-
quence mis à la disposition de chaque conyiye. Celte cou-
tume 9 qui tenait à des considérations de propreté et de
santé , qui se rattachait à la conservation des dents et à la
pureté de Thaleine, et même à la fraîcheur du palais, n*est
pratiquée aujourd'hui que dans les maisons fidèles aux bons
et anciens usages. On ne sait pourquoi.
Le signal pour quitter la table est donné par Tamphy-
trion 9 après qu'il a servi les glaces et les vins de liqueurs ,
le punch ou le bichopp (i). Tous les convives se lèvent alors
^i) On appelle ainsi une liqueur qui se boit ài llostar du punch , soit
chaude , soit à la glace , et qui se sert ordinairement au dessert et même
à la fin de l'entremets dans les dîners savans et recherchés. Elle se
prépare avec d'excellent TÎn vieux de Bordeaux , des oranges amères
(vulgairement nommées bigarades), qu'on fait griller avant d'en ex-
primer le jus, et beaucoup de sucre. C'est une boisson fort agréable,
mais dont il né faudrait pas abuser, quoiqu'elle soit en général plus
saine que le punch ; mais les estomacs qui ne peuvent digérer celui-ci,
s'accommodent fort bien du bichopp , qui est une liqueur estomachiqne
et généreuse (en raison du vin de Bordeaux qui en est la base) , et qui
resserre plutôt les fibres qu'elle ne les détend.
4s8 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
spontaDément et sortent de la saUe à maoger pour se ren-
dre dans le salon. L'amphjtrlon ne passe alors que le der-
nier, parce qu'il est censé avoir toujours en ce momeot
quelques ordres à donner.
Lorsqu'on se lère de table pour aller prendre le café, le
catalier qui a été yoisin d'une dame doit lui offrir la inaîo.
Le sens du toucher peut seul lui indiquer s'il doit coatinoer
au saloiL ses habitudes de TOisioage.
SON OBIOINR ET SON INTBODUCXION EN FEANCE.
D*iPEks le sentiment des auteurs de TEncycIopédie , Ic^
mots café en français, et coffée en anglais et en bollandàîs,
tirent Fun et l'autre leur origine de cahué, nom qae les
Turcs donnent à la boisson qu'on prépare de cette plante ,
et pour la culture de laquelle nous renrojons nos lecteurs
qui Tondraient la connaître à Calmant de Bomare ou à tout
autre naturaliste.
L'origine du café, selon les Mémoires de l'Académie des
sctoDoes, et! d«e au prieut d'un monastère de reàignux..
dans cette partie de l'Arabie où croit Parilimle qui porte ce
fruit. Le prieur ayant remarqué que les chèvres qui en man-
geaient étaient extrêmement vives, résolut de s'en serrîr
p<^ttr réveiller ses mpiaes , à qui il arrivait souvent de dor-
mir à madoes; et c'est de U, dit-on , qu'est venu l'usagt
du café, aujourd'hui anrversel (i).
(0 Voici la ▼éritable verrion dt eetle attoedote ; eBe nom eal garantir
J
W^^t^*
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 429
Le café 1« plus estimé est celui que Tod recueille dans le
royaume d*Yemen en Arabie ; mais celui de TOudet est le
plue renommé fkrm les orientaux ; on lui donne en France
le nom de café Moka pai'ce qu'en 1709 une eompa(|;nie de
Français , sous la conduite du capitaine Herreille , a com*-
mencé à faire le commerce du café dans la Tille de Moka
où résident les courtiers des Indes.
Le café n'a été connu en Europe que rers le milieu du
seiziéBie siècle , où il parut presque en même temps que le
tabac. Ayant cette époque, on citait un bomme qui arait
pris do café comme on citerait aujourd'hui quelqu'un qui
aurait tu BolîTar ou les sources du Nil.
Louis siT fut le premier de son royaume qui, en 1044)
prit du eafé ayant que le peuple eût entendu parler des yer-
tus de la fèye arabique.
Enfin» en 1669, le^aod seigneur enToya k ce monarque
l'ambassadeur Soliman-Âga, et Ton goûta arec un peu plus
d^oKtennon la liqueur du café.
parle gavant Addalc%der, dont le maDaforit est i la bibliolhèqae du
roi, et par M. Galaild , si connu par sa traduction des Mille ei une nuits.
Gantes arabes t Au milieu da^quinBème siècle de l'ère chétienne un eer-
talnOemal eddin » qui demeurait à Aden , ville et port fameux à Torient
de TembottcUure de la Mer-Rouge, faisant un voyage en Perse , y trouva
des gens de son pays qui prenaient du café, et qui vantaient cette
boisson. De retour à Aden, il eut quel qu'indisposition dont il se guérit
en prenant du café. Gemaleddin , mufti d'Aden , ayant la coutume de
passer les ooits «n prières avec les dervis , leur proposa , afin de vaquer
à ce devoir «vae plus de liberté d'écrit, de prendre du café, et leur ,
•Memple m&r le eafé en vogue à Aden. Les gens de loi, pour étudier ;
les artisans , pour travailler ; les voyageurs , pour marcher la nuit ; enfin
toos les babilans tf^Adea en prirent. Se là il passa à la Mecque ou tout
le monde eu prît aussi; de l'Arabie heoBense il fut porté en Egypte et
on Caire ; de l'Egypte il passa en ftyrîe,ot de là enfin à Goostaottooplc.
45o LE GASTRONOME FRAiNÇAIS.
« Dè8-lor8 s'opéra en France une grande rérolutîoa mo-
« raie. La cour de Louis xiv se fit distinguer par une poli-
a tesse exquise de mœurs » une finesse par&îte de uct, une
« élégance soutenue de manières , un esprit rif , eoioaé ;
« et ces progrès sensibles de ciyilisation , disent quel<{aef
• auteurs, c'est au café qu'il faut les attribuer. »
D'après cette assertion, tant soit peu épigram matiqae ,
d'autres auteurs ont pensé , de bonne foi , que c'est aussi à
la puissance d'imagination , à Texcitation des Cacultés da
cerveau produites par l'usage du café, que l'on doit le dé-
veloppement des beaux génies qui onl illustré le grand siè-
cle. Nous ne pensons pas de même à l'égard de ce6 grands
hommes, qui reçurent du ciel l* influence secrète. Ce serait
les comparer à certains écrivains qui prennent la fécondité
pour du génie, et dont les facultés intellectuelles ont besoin
pour être développées de cette liqueur stimulante qui nous
vient de la Mecque ou du royaume d'Yémen (i).
En 167a, des Arméniens établirent un café public àU
foire Saint-Germain, et, hors le temps de la foire, daas U
rue dé Bussj, qui n'en était pas éloignée. Quelque temps
après deux garçons de ces Arméniens, Grégoire et Frocope
passèrent dans la rue des Fossés Saint-Germain, où ils
formèrent un autre établissement de ce genre, Tis-à-vis U
comédie française. Cet établissement porte encore le nom
(1 ) Le président de Maisons s'était fait à Maisons un jardia de plantes
rares. C'est de ce jardin qu'est sorti le seul café qui ait encore pu par-
venir à sa maturité en France. On assure qull n'avait pas moias de
parfu m que le café Moka ( Fontenelk, Éhge du président ds Maùam;^
M. Boursault , qui possède à Paris, rue Blanche , le plus beau jardUa
connu , cultive dans ses serres l'arbre du café. Il n'est pas venn à ootre
connaissance que ce grand cultivateur en ait fait usage.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 43 1
de café Procope , quoique un nombre considérable de pro-
piiétairefl s'y soient succédés depuis cette époque.
Ayant la fin du dix-septième siècle, on yit s'ouyrir deux
autres cafés, le premier au bas du pont Saint -Michel , le
second à la place de TÉcole. L'un était fréquenté par de
beaux esprits , et l'autre par des recruteurs.
L'usage du café fut d'abord très -mal accueilli par les
médecins , qui prétendaient que c'était un poison. Il paraît
que cette idée se soutint long-temps« car un de ces docteurs
ayant dit à Fontenelle , dans sa yieillesse , que le café était
un poison lent: «Docteur, repartit l'auteur des Mondes ^ je
« le crois comme yous, car il y a quatre-yingts ans que je
« m'en aperçois (i)* »
On connaît la fameuse thèse soutenue en 1695, dans l'é-
cole de la Faculté de médecine de Paris, où il parut prouyé,
jusqu'à la démonstration, que l'habitude du café rendait les
hommes inhabiles à engendrer , et les femmes à conceyoir.
M. Hequet, aussi célèbre par son humanité et sa religion
que par ses connaissances en médecine ,/prétend également ,
dans son Traité des dispenses du carême , et, d'après le mé-
decin Danois, Simon Pauli, que le café rend les deux sexes
impuissans ou inféconds. Voici à cet égard ce que raconte
un yoyageur qui a fort bien écrit l'histoire du café : «La
femme d'un prince persan yoyait dans la cour de son palais
(1) Fontenelle fut long-temps une preuve parlante de Terreur daog
laquelle étaient tombés les médecins de cette époque, car il vécut un
siècle. Né le 11 février 1657 , il mourut le 9 janvier ijSj.
Voltaire, qui prenait dix à douze tasses de café par jour, mourut k
près de quatre-vingt-cinq ans. Il est cependant vrai de dire que le thé
et le café contiennent assez abondamment un principe astringent qu'on
nomme acide galKquc, et dont la propriété est de resserrer les fibres de
l'estomac.
43) LE GASTRONOME FRANÇAIS
einq on six pftlefreakrs ooeupés & terrasser ao Irès-tett
cheval arabe, auquel ils roulaient dter la possibilité de re-
produire son espèce : elle demanda ce qu*an roulait fiûie t
ce paurre animal ; ou eut beaucoup de peine à )e lui expfi-
quer décemment. Quand elle fut au fait : Quoi ! c'est cebl
dit-elle ; hé bien, an lieu de le tounnenter ùnsi^ féùte^hi
prmdre du eafi. En effet, les médecins du pajs prétendaîeni
que le prince son époux ne derait impuissance k htqaeJk
il était réduit qu'à Tusaj^e immodéré de cette Fiqueor. CVs(
une opinion également accréditée dans rOrient. >
 Gonstantinople les maris araient le droit de éhîemârt
le café à leurs femmes. Maintenant en Turquie, le refus
qu*un mari (ait à sa femme de lui laisser prendre do ca/e
etft une cause de dirorce déterminée par la loi.
Consultez aujourd*hui en France les médecins et les hom-
mes sages, ils rous diront tous arec fabbé Delille :
XI eft oae Uqwanr «o poète bieocbère ,
Qui manqvffit à FirgUê % et q«'«dorait VMtoift ;
C'est toi I divin Caféf dont l'aimable li^^ueur ,
Sam altérer la tète , épanouit le cœur I
AiDii , quand mon palaig est émonité par fàge ,
Avee plai^r encor )e goûte ton breiiTage.
Que l'aiBwà piiparef ton nectftr prèdevs 1
Nul n'usurpe chex moi ce soin délicieux ;
Sur le réchaud brftlant , moi seul, tournant ta graine ,
A l'or de ta couleur fais succéder l*ébéoe ;
Moi seul » contre la noix qu'arment êtê dents de fer,
Je fais , en le broyant , crier ton Aruit amer.
Charmé de ton parfum , c'est moi seul qui, dans l'onde ,
Infuse à mon foyer ta poussière féconde ;
Qui , tour-à-tour, calmant, excitant tes bouîUoDs ,
Suis d un ceil attenUf tes légers tonrbiUons.
^ i
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 453
Enfin , de ta liqueur , lentement reposée.
Dans le vase fumant la lie e«t déposée ;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain ,
Que du suc des roseaux exprima l'Africain ,
Tout est prêt ; du Japcn l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Tiens donc , divin nectar I Tiens donc ; inspire-moi :
Je ne yeuji qu'un désert , mon Jniigonù et toi l ^
A. peine j'ai senti ta Tapeur odorante »
Soudain de ton climat, la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens ; sans trouble , sans chaos ,
Mes pensera , plus nombreux, accourent à grands flots.
Mon idée était triste , aride , dépouillée ;
Elle rit, elle sort richement habillée ;
Et je crois , du génie éprouvant le réveil ,
Boire dans chaque goutte un rayon du soleil !
. >
Les auteurs de Fanchon la vielleuse ont mis ce joli cou-
plet dans la bouche de l'abbé de Lattaigoant, en parlant du
café :
A ceux que l'âge refroidit
Il rend la chaleur et la vie ,
A l'hymen, qui s'en applaudit.
Parfois il cause une insomnie.
Tous les feux d'un antre univers
Sont dans sa liqueur salutaire ;
Il est la source des bons vers ;
C'est l'hypocrène de Voltaire.
Madame de Séyigné, protectrice de Pradon, a écrit qu'on
9e dégoûterait de Racine comme du café. En cela elle a fait
une double méprise.
â8
454 LE GASTRONOME FRANÇAIS,
MiLNli-RE DE FAIRE LE CAFÉ.
Poe» faire de bon café, dit notre grand professeur en
«astronomie, M. Grimod de la Reynière (i) , il fautdéler-
Lner d'une manière prêch. , ioTambh», le degré de tone-
faction du café, degré tel qoe se» principes odwao» a.
.oient pa» dissipés par une chaleur trop T.re, ma.squib
setrourent développés dans une proporUon conTcnable.
Obtenir, du café liquide, un point de concentration tel
qu'il garde toot wn arôme, tout cet esprit «ecteur qu. la.
donne l'amc et la yie.
Conduire celte opération de manière à ce qoe ceBe ma-
tière âpre et stiptique qui se trouve dans les arrière-prin-
cipes du café , ne se mêle jamais à son infusion.
Ce«ont«utà«t d'opérations vraiment chimiques, q»it«-
«nt toauoMip de connaissance» théoriques, une pr*tiq«
Tabituelle, et un degré de savoir et d'erpérience qu-o-m
peut raisonnablement exiger d'une cuisinière , d'un ofBaer,
d'un limonadier , ni même de beaucoup de sarans.
Pour arriver à ce sublime résultat, on proposa mille mé-
thodes; on voulut faire le café , sans le réduire en poudre,
en l'infusant à froid, en le c»noa«»«nt d'après Je mode tore,
en le soumettant à l'autoclare , «te. , etc. ; tonte» «s belles
inventions ont amené de i»lteux résuhats; «ae seule les *
toutes vaincues , c'est lacafeUlre d la Dubetloy (a) , et apris
(,) Cet âAkhs a «« *nrij»é p» MM. le. «»»ar» d. C* *• ««^
,„MUU. ww^<«l» «*» l'empwnioiia, en wetmaûmm» 4e V^""^
qu'iU nout ont f«t de chaMer .ur notre domaine , «t d'y pwmdfe ^^
que» pièce» pour leur table.
(») M. DubeUoy, neveu de l'ancien arclievêque de Pari» , en e«« r»-
ventcur.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 435
aToir nous-même expérimenté en cent façons, nous avons
fini par nous arrêter à la manière suivante que nous don-
nons pour officielle.
On brûle séparément, et soi^-même (i), une partie de oaf^
Martinique vert, une café Bourbon , une Moka. On opère
ensuite. le mélange, et on réduit le tout en poudre (pas
trop fine). Puis on opère d'après le système de la cafetière
Dubdloy^ qui consiste à verser Teau bouillante sur le café
placé dans un vase à doubles fonds percés de très-petUs
trous. L'eau s'écoule chargée de toute la partie essentielle.
On la met alors sur le feu Jusqu'à ébullition , on la repasse
de nouveau dans l'appareil, et l'on obtient un café aussi
clair, aussi bon qu'il se puisse faire : celui qui a le gosier
pavé, Mpeut avaler toute bouillante cette délicieuse boisson^
ne doit plus envier l'idéale ambroisie,
MANlkaE DE ^BlIVIfl LE GAFÉ ET LES LIQUEURS^
Ok le distribue de deux naanîères; la plus ancienne et la
plus usHée , est celle de le servir dans une cafetière portée
par l'officier suivi d'un valet de chambre chargé d'un pla-
teau sur lequel aont placft) les tasses et le sucrier, et qui
s'arrêtent devant chaque convive. La seconde manière de
servir le café, est de le présenter dans une fontaine élégante
entourée de tasses, et perchée sur un double guéridon qui
(i) Recommandalion importante : la bonté de la Uquear dépend
spécialement du degré de torréfaction ; la moindre négligence i cet
égard altère le parfum du café. Brûlé à point, le grain doit être alezan
ciair. 11 vaut mieux brûler moins que plus, l'inconvénient subsiste
dans les deux cas , mais dans le premier il est moins désastreux.
436 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
occupe le centre du salon. L*amphjtrion lui-même, ou son
épouse remplissent les tasses après qu'elles ont été sucrées
A discrétion par chaque conyiye , qui ya ensuite humer et
prendre son café dans un coin du salon.
Il n'est pas permis de rerser son café dans la soucoupe,
et, tel brûUnt qu'il soit, il faut le boire dans la tasse.
Les liqueurs se servent également de deux manières. Les
bouteilles sont rangées soit sur le guéridon du café , soîtdans
des porte-verres sur un entre-deux de croisée ; oa biea les
liqueurs sont dans des flacons renfermés au nombre de douie
dans un grand coffre de bois précieux , qui vient de la Hol-
lande , ainsi que le contenu , et auquel on donne à peu près
la forme d'un nécessaire. Tantôt c'est l'amphytrioa on son
épouse qui verse les liqueurs dans les petitsverres, en en an-
nonçant l'espèce et en le s proposant successivement à chacun
des convives; tantôt ce sont les convives eux-mêmes, à la
discrétion desquels on abandonne les bouteilles etles flacons,
et qui se servent à leur volonté. Cette dernière méthode an-
nonce plus de magnificence , et n'est guères plus dispen-
dieuse , caria discrétion est une vertu plus commune qu'on
ne pense ches les gourmands.
De quelque manière que l'on serve lecafé elles liqueurs,
ce serait une malhonnêteté d'en laisser dans sa lasse ou
dans son verre. On doit avoir aussi rattentîon de rapporter
les vases vides sur le guéridon , et de ne point les déposer
sur les meubles.
■^^■"■^ ■' ■^^^^^^^^^^■■■ï^
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 437
L'APRiiS DINÉB OU LA SOIRÉE.
■
Apibs la dégustation du café et de la liqueur^ les devoirs
du gourmand et ceux de Tamphytrion sont à peu prés rem-
plis. Il ne reste plus à ce dernier, dit M. Grimod de la Rej-
nière dans son Manuel des Amphytrions : « Qu'à tâcher d'é-
9 tablir dans le salon une conversation intéressante ou amu-
» santé , qui , en procurant à ses con vires les moyens de faire
9 agréablement la digestion , prolongera chez lui leur séjour.
» Un tel moyen estbeaucoupplus à l'usage des gens d'esprit
» qu'une table de jeu : c'est sans doute aussi pourquoi il est
» bien plus rare. Que d'amphyirions croient avoir bien mérité
X de leurs convives, en les faisant passer de la table à
» manger au tapis vert , et qui, sans consulter leur inclina-
n tion et leur goût, les arrachent à un entretien agréable,
» pour les mettre pendant quatre heures en société avec la
• dame de pique et le valet de carreau I Heureusement
» que la politesse n'oblige point les convives de pousser la
» complaisance jusques-là ; et, quoiqu'elle prescrive en
» général une heure de séance après le café, l'arrivée des
» tables de jeu est pour un grand nombre le signal du dé-
» part Dans toutes les circonstances, cette retraite doit
» être une véritable évasion , et l'on s'esquive aujourd'hui ,
» bien plutôt qu'on se retire. Il serait impoli de prendre
» congé, tant la mode a d'empire sur nous; car ce qui est
» de nos jours une marque de savoir vivre, eût passé du
» temps de nos pères pour une intolérable grossièreté. »
Un convive serait blâmable s*il critiquait l'esprit de l'am*^
458 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
phytrlon et son dîoer peadant les trois heures qui surent
le repas,. la reconnaissance devant durer au moins autant
que la digestion.
3.îrticU Xlmmème.
BEI TISITflS 60UB1IA.1IDKS.
Il est des devoirs essentiellenaent obUgateires^ et doot
un gourmand même ne peut se di^enser ; ce seot les Tintes
gourmandes couftuea sous le M>m de visiter di ifigrilion et
de visites d'appétiL
La visité de digestion est un sacré devoir auquel loatlionaK
qui sait vivre , et qui n*a point perdu l'appétit pour ud«
autre occasion , ne manque jamais.
Lorsqu'on a dîné et bien diné dans une mabon y Tusagc
veut que dans les dix jours on rende «n penoone ses de*
voirs à ramphjtrion^ et c'est ce qu'on appelle uoe nsiU de
digestion. Il feut convenir que l'usage est ieî d'accord avec
la reconnaissance et avec tous les sentimens d'un eoMir bien
né. Gomme l'affaire la plus importante dans ce baa monde
est le dîner y rien n'est au-dessus d'un dîner ezceUent, et,
aux yeux même de l'homme le moins disposé à la gratitode,
il n'est aucun bienfait de comparable à celui-là ; car c'est oelui
qui produit la plus, délicieuse et la plus longue jouissance
que l'on puisse goûter : c'est presque le seul que Ton puisse
accepter sans rougir, même d'un supérieur et d'un étranger,
et c'est le seul aussi qui n'exige point une reconnaissancefro;-
portioanée à son étendue, puisque si vos moyens ou les cod-
LE GASTROiHOMK FRANÇAIS. 439
yeuauccs sociales (1) ne vous permetteat pas de voust ac-
quitter en même monnaie, vous tous trouYez libéré par une
simple visite
Mais afin que la politesse des convives ne soit pa^ infruc-
tueuse» et qu'une visite faite en personne ne dégénère pas
' en un simple billet , nou3 invitons les amphytrions à indi-
quer un jour de la sepiiiine où Ton puisse être assuré de les
trouver cheat eux..^..
Les visites ds digssiion soat, aiu reste > connues depuis
long-temps , même sous ce nom. Nous ne pensons pas qu'il
en soit ainsi des vuitss d'appétit,
Environ quinze ^urs après la visite de digestion , on se
rend de nouveau chet Tamphytrion ; et il est essentiel de,
le faire à un jour et à une heure où Ton soit bien certain de
le trouver chez lui. L'on n'épargn/^ rien dans cette secoAde
séance pour lui être agréable^ et stimuler £fon amour-propre,
par ces louanges fines et délicates que les gourmands savent
si bien tourner et assaisonner à propos. On passe en revue'
(1) Il est bien des cas où Ton ferait beaucoup do peine à Tamphytriou,
en cherchant à s'acquitter en nature avec lui. Tout homme qui a un
bon cuisinier et une excellente table, dispense très-volontiers les autres
des invitations , parce qu'il mange beaucoup mieux k son petit couvert
qu'à presque tous les repas priés. Or, inviter quelqu'un pour le faire
dîner beaucoup moins bien qu'il n'aurait dîné chez lui , c'est lui jouer
un très-mauvais tour : c'est doncle cas de demeurer plutôt son obligé,
que de chercher follement à s'acquitter par un acte de fausse reconnais-
sance. L'auteur de cet ouvrage est tellement pénétré de ces principes,
qu'il se garderait bien d'inviter telle ou telle personne chez lesquelles
il a fait d'excellens dîners ; ce serait les punir cruellement de leurs
bienfaits. Elles le savent , et lui pardonnent bien volontiers son ingra-
titude apparente. Règle générale : l'inférieur en fortune ou en dignités
ne doit presque jamais se permettre d'inviter son supérieur.
44o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
les mets lesplusremarquables du dernier dîoer, rexeellence
des Tins, la manière aimable et distinguée arec laquelle Vam-
phytrlon en a fait les honneurs, etc., etc. On eatremèley
arec grâce , à ces propos la nourelle du jour , les petites anec-
dotes scandaleuses et piquantes, les hbtofres récentes de la
littérature et des coulisses , le Tauderille et répigramme eo
TOgue, etc. ; enfin Ton n'épargne rien pour paraître amu-
sant, et ron donne une entière carrière à son amabilité. Soa-
Tent, dans ce moment dirresse, Tamphytrion tous inrîte
pour un prochain four en tous reconduisant, ou, le lende-
main , TOUS reccTei une iuTitation en règle. Mah, s'il laisse
passer plus de huH leurs, le coup est manqué, et fa risite
d'appétit n'a pas rempU son but : dès lors tout est ^i; on est
dispensé d'en faire une seconde qui aurait l'air d^une quête
Importune , ce qui ne rapporterait pas plus de profit que
d'honneur. Il faut se tenir tranquille, ou se mettre è la piste
d'un autre amphytrion.
G. D. L. R.
(Bœtrâli (U l^Almanack des Gownmads, }
*y
^«a
■V^VHav
lîdtptft^
tt(tfrtw<J*
BS &'HTaikVS »S IiA TABKSi
La digesUon est r«lfiâre de restomac t
«l l«t mdigeatioiM oalle detmiclecm»*
J
fWIMIKOttlHiWtlMlMqî
1>B L'HTOIÈIIE DB LA TABLE.
2lrttcU |)rmier.
DES HÉDBGINS ET DES CONVIVES QUI SE PORTENT BIEN.
Or accuse les médecins d'être gourmands, et leur appétit
est passé en proverbe. Le doivent-ils à la sagesse de leur
régime , à Tactivlté de leur exercice , ou , comme de mau-
vais plaisans Pont dit, acquittent-ils la dette de ceux que
leurs arrêts ont condamnés à une diète étemelle ? Laissons
ces graves questions aux érudits de profession ; et , s'il y a
quelque indulgence attachée à l'aveu de ses fautes , confes-
sons en toute humilité ce défaut ou cette qualité dont Mo-
lière et Picard nous ont si bien complimentés, et passons-
en condamnation , sauf respect à l'hermine doctorale. Mais
utilisons pour la société le mal qu'on nous reproche ; vic-
time expiatoire , dévouons - nous sur l'autel de Cornus , et
qu'instruits par notre expérience , nos lecteurs jouissent à
la fois des honneurs de la tempérance et des profits de la
gourmandise. C'est en ce sens surtout que sur les pas de la
reine de Carthage la Faculté de médecine peut dire :
Non igaara ma&, miaerÎB «accnrrere diaoo.
C'est donc de r hygiène de la table ou de l'art de s'y bien
porter que nous entretiendrons nos lecteurs. Et pourquoi
cette arène n'aurait-elle pas aussi ses lois et ses juges comme
elle a ses combattans ? Pourquoi n'assignerait - on pas les
mets convenables en telle saison, tel tempérament, k tel
sexe ? Sait-on ce qu'eût fait, dans tel cas donné, tel héros ,.
444 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
si sa table eQt été serrie de telle autre manière ; et, depuis
le plat de lentilles d'Ésaû jusqu'à la sauce noire des Spar-
tiates ^ Jusqu'aux ragoûts français, depuis Tirresse du père
de Cham jusqu'à celle du meurtrier de Glîtus, a-t-on tenu
note des révolutions opérées par la table , et de rinfluence
de la cuisine sur les destinées des nations ? Beaumarchais ,•
auteur quelquefois blasé , mais conTiTC du meilleur goût ,
attribuait aux bonnes ou mauvaises digestions de Tauditoirt
les succès ou les chutes des pièces nouTclles ; et, agrandis-
sant cette idée y un anonime qui s'est dérobé à nos hom-
mages , a proposé , en homme de génie , de joindre tou-
jours, à chaque billet donné « une carte d'entrée chez un
restaurateur, où l'on pût, interpocula et $cjpha$ j\t, )our de
chaque représentation , concerter le triomphe de l'auleur-
amphytrion (i).
Horace connaissait toute l'influence de la table sur la
verve d'un poète , et ses mètres ronflans attestent souvent
sa reconnaissance pour le Faleme et le Gaecube. Et ce qu'il
a fait pour les coteaux d'Italie, aujourd'hui déchus de leur
gloire et semés de paisibles oliviers , nous ne le ferions pas
pour ceux qui nous donnent le Bourgogne généreux , le
Champagne léger, le Bordeaux digestif, le Languedoc spin-
tueuxll! Nous vous vengerons de ce silence outrageant,
nobles fils de la France I II faut que, sans la médecine, mais
non pas sans son médecin , n'en déplaise à J. J. , le conva-
(i) Il parait que l'anooimc doDt parie le <k)ctciir Marie de Saini-
UniQ n'a pas renoncé à ion plan. Il a même été adopté et mis a
ciécution, s'il faut en juger par le auccés de certains oavraget» la cobeh
position des parterres et des balcons. Heorensement messieurs les foat-
nali8tC8,que l'on ne corrompt pas facilement, sont là poor éclaffer
l'opinion publique.
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 445
lescent apprenne à connaître , notre livre à la main , quels
Tins la nature élabora pour redonner à son estomac des
forces digestives, à sfi tête la faculté de penser; que Tamant
de la table sache qu*il doit choisir un autre vin que Tamant
de Vénus ; qu'il est même des vins amis de la femme ner-
veuse; enfin, qu'un fait d'armes en amour a besoin d'un
autre stimulant qu'un exploit guerrier, qu'un estomac à ra-
douber, ou qu'un assaut bachique.
Mais que la modération préside à nos plaisirs si nous
voulons en assurer la durée, et ne pas garder seulement
les épines de ces roses.
Remarquez, sages lecteurs, la bizarrerie delà tûche qui
nous est imposée : enrôlés parmi des troubadours, et l'un des
plus ardens profès de ce nouvel ordre des Coteaux^ nous
sommes appelés , par la part que nous assignent leur choix
et notre état, à lutter contre leurs conseils appétissans, à vous
prémunir contre leurs douces séductions; enfin, nouveau
Don Quichotte, à réparer leurs torts charmans ; et, comme
si dans le rôle qui nous est échu nous n'avions déjà contre
nous la prévention qu'inspire un censeur morose , nous
sommes obligés d'employer un jargon barbare et lugubre
comme notre robe ; tandis qu'enfans gâtés des muses et des
ris, effleurant tout et ne s'appesantissantsur rien, portés sur
l'aile fugitive des plaisirs > nos heureux collaborateurs (i)
sèment de fleurs les détours où ils vous égarent, et parent
des prestiges de la poésie les conseils d'Épicure : mais la vé-
rité nous inspire, votre intérêt nous le commande ;
Et si de rénssir nous n'emportons le prii ,
Noos obtiendrons l'honneur de Pavoir entrepris.
L9 docteur Maiii di SAurr-Uisiif.
(1) La société épicorienne.
446 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
2lrtkk ©euriime.
DB l'ihflubhcb DO DfaBOiiBB svB LB Mif Bm , BT ^xirr-im
9tB LB BORHBIIB MT JOUR.
» doctes confrères obI célébré surtoos les tons les dé-
lices de Ift table : ils sont sans «ffort arrÎTés an cœur par
roreiHe; et la Tille et la cour répètent à Tenri leers hùcàn-
ques chansons, tandisque mes préceptes diététiques loigaem
à la difficahé du sujet le danger d*aToir à conrertrr un su-
dHoire affamé, le rtn pourtant prouyer qu'on ne dort pas
manger.... beaucoup à déjeuner; et j*espère rappeler à mon
opinion la majorité de cenx que la sérérité de ma propo-
sition aorait pu d'abord eflaroucber , en prérenant mes lec-
tt^uroqae si je prfiehe l'abstiiience & déjeuner, c'est pour
penaettre plus d*abando« à dtner, comme tel casoiste slxt-
digne contre les peccadilles, et accorde un laissex-passer
ans gros péchés, on comme la justice pend les petits f<^
leurs, et fait grâce aux fripons millionnaires.
Leeaacfiens, qo*il fiiut toujours inroquer à présent quand
on Teut dite du neuf, les anciens ne mettaient point an dé-
jeuner l%npottance que nous y attachons , à en )nger da
moins par rétjnaologîe du mot grec ^Kf^ru-fHéç, qui faisait
allusion A Tusage de manger, le matin , seulement un mor-
ceau de pain trempé dans du Tin pur, et du mot latin yenfo-
ca/iim, équÎTalent à cesser d'être à jeun , terme qui est trè«-
bien rendu par sa traduction française déjeuner»
Muret, dans son Traité des Festins, dit : « Il est certaio
» <|tic» généralement parlant, parmi toutes les nations ces
i
LB GASTRONOME FRANÇAIS. 447
» quati^ sortes de repasont toujours esté en osoge ; sçavoir :
v le liéfeusné , le disner, le g^Bstë et le $oa»pè ; mais pour
i> les personnes d*iiYi grand travail ou d'une grande débau-
» che, car à regard dès aotiies, t^omme Ils ne apauroient faire
n digestion de tant de nourrituiie , s'ils obseryent ces heures
«I que nous venons de marquer, e'est pkistost par manière
« ou parcoustume que par nécessité , et TtHi ne peut ap*-
» peler ce qu*îls prennenit alors de véritables repas , puisque
» ce n'est tout au plus -qu'un moroeau de fain à déjevsné
i> et aoYscat à gousté avec un doigt derin»^. »
Que dirtit le svbre Muret si^ ee TéveUlant un jour au
milieu de Paris <$omme le vivaee Epiiaénide^ il voyait nos
'dijmmen à la fowrckêtU? Ce qu*il dirait f... que^ croyant
nous éloigner beaucotq) des mœurs de nos afoux^ nous y
retournons par une pente invincible ; et tfue ce qu'il pla&t à
notre gouMnandise d'appeler «n déjeuner, esl, -comme il
y a cent aae^ nn bel et bon dînw».. Mais qu'eat-il arrivé ?
c'est que 9 dupes nous-mêmes de noire sensualité, iraas
avons en effet perdu le déjeuner, c'est-^-dîre un repas fru-
gal, léger, dont l'effet^ soue le rapport d^ la salubrité.,
était 4e défendre l'estomac «n été contre l'invaaton des
miasmes pestilentiels des vapeurs de la ville, on «en biver
contre les inflnences délétères du broniUard des oam«-
pagnes. Attêsi, conmie x^n ne voit plue le eoleil saluer de
ses premiers it^yeiàs les sombres aleôves'ifu''un triple rideau
défend -contre les traits du dieu du t^mr. As même mant
vok pas non plus ^comuie autrefois les jeunes gens dérener
àé& le matin « et» oomme on disak, au août du iit^ vm pain
sec et savoureux. On dort miaàiienafit à l'henre A 4aquèile
on déjeunait jadis ; et, en ooMpnrflM les figures baves de nos
|eunes sybarites avec les faces vermeilles etlesfooes'fleu-
448 LE GA8TH0N0ME FRANÇAIS.
ries qu'offraient nos pères dan» leur jeunesse, on peat ju-
ger lequel de ce» deux régime» est le bon. Il y a ciwpantc
ans , le?é8 arec l'aurore, les jeunes gens s^excrçaientdès
le matin à la paume, à la course, à l'équîtation, à Fescrinift,
et à la danse : tous leurs maîtres ayaient terminé ces b^
çons à neuf heures. On arrivait afi&uné au salon ; du pain et
un rouge-bordsatisfeisaient l'appétit, et essuyaient lasueai
du jeune athlète qui, plein d'une ardeur nouTelle, retour-
nait par goût aux exerdces dont il ayait pris les leçons par
devoir. Une étude plus grave délassait de cette gymnastî*
que, et la morale oocopait à sou tour ces jeunes têtes qui
savaient douter pour apprendre à savoir. Les langues, et
surtout la française, l'histoire, la géographie, an peu de
mathématiques employaient le reste de la matinée : on
dtnait alors à une heure , et ce repas, simple et salubre ,
était une réunion patriarcale. Toujours un ami , souvent
un savant peu fortuné, quelquefois un étranger, et «re-
ment un grand » augmentaient ce festin de famille qa'em-
bellissaient la franche cordialité , une joie naïve, un appéth
constant, et dont la frugalité faisait surtout les honneurs.
On ignorait alors qu'un jeune homme de qninie ans dâtan
sortir du repas, et la tête échauffée de vins et de liqueurs ,
aller donner sa voix aux spectacles , et cabaler sur p^aroVe
pour ou contre une pièce nouvelle. Retirés cYiex eux,\es
jeunes gens de ce siècle s'initiaient péniblement aux con-
naissances historiques, judiciaires, politiques, civiles ou
militaires, selon la vocation qui leur était destinée, pendant
que les sœurs, sous l'aile de leurs mères, ne croyaieot
point indigne d'elles le noriciat des soins du ménage. X^
souper frugal rassemblait de nouveau à neuf heures la b-
mille satisfaite de trouver dans ce repas un délassemest
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 449
aux trayaux de la journée : on causait ayec le cœur; on
avait de Tesprit sans en faire , et cette heure était ordinai-
rement celle où abdiquant ses g;rayes fonctions, le père
redcTenait l'égal de ses enfans pour mieux deviner leurs
inclinations 9 explorer leurs dispositions naissantes , et sur-
prendre le secret de préparer leur bonheur. Des jeuxenfantins
confondaient les distinctions , rapprochaient les rangs , et
l'étranger, admis dans ces scènes familières sans indécence,
j puisait souvent le désir de devenir le frère de ses jeunes
amis... Tableaux délicieux de mon enfance , dont l'image
s'offre encore à ma pensée avec le coloris le plus vif!...
Amis de collège qui partageâtes ces douces et pures jouis-
sances, et .dont aujourd'hui mon imagination ne peut me
retracer le souvenir sans la plus vive émotion, qu'êtes-vous
devenus?.... Mais où m'entraîne un vain songe dont rien
aujourd'hui ne peut plus me reproduire l'image ? Levés à
Hiidiy les enfana qu'on nomme maintenant des jeunes gens
dès Tâge de douze ans, montent à cheval, visitent Coblentz
ou le bois de Boulogne , déjeunent à trois heures au Rocher
de Gancale, ou chez Hardy, et ce déjeuner commence par
un consommé, puis un chapon, puis des pâtisseries, puis
des vins de Bourgogne > Madère, etc., du café, des li-
queurs (1), enfin comme leurs aïeux auraient à peine dîné
quand ils traitaient leurs amis. On court à la Bourse pour y
(1) Les articles de prose qui paraissaient dans le Journal des Gour-
mands, étaient presque tous le résultat des dissertations qui avaient
lieu dans le courant des dîners ; ce qui faisait quelquefois qu'un même
sujet était traité par deux rédacteurs à la fois : nous donnons pour
exemple cet article qui a quelque analogie avec celui de M. G. D. L. R.
intitulé : det dèjcuneri à la fourchclit^ placé au chapitre précédent^
page 307.
29
45o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
ruiner la «ienne ou Tîder celle des autres. On s'ba^iUe. II
est six heures ; un bockei vous conduit chez uo res£fmf»r;
carquel homme dîne aujourd'hui chei iui?n est neuf hcons^
et, muni de sa clé forée et de sa lorgnette^ on va. cookm
porter aux nues la pièce du jour. Il est minaît, oiipreâ
des glaces chesCarchi, et, sans avoir eu le temps dex
reconnaître , on rentre à trois heures , excédé, pour s'end<v-
mir à quatre.
Jeunes gens, et tous qui, moins excusab^, joigneii
leurs ridicules Fabsence de ce premier âge qui embeUit
jusqu*Â ses erreurs, abjurez des travers qui hâtent FOtie
▼ie ; et, pour ne pas m^accuser un jour d^aroir mêlé de per-
fides conseils aux dogmes épicuriens de mes aimables com-
plices , revenez dans la route de la nature, qu^on ne quitte
jamais impunément. Pardonnez<«noi d'avoir altère peut4tre
un moment vos faciles jouissances, en pensant que îe ne veux
vous en priver aujourd'hui que pour en conserver â votre
vieillesse ; et redites avec moi , en considérant où no«s<A
conduits cette discussion : // est donc vrai qu^il eaùste un
influence du déjeuner sur le dlncr, et peut^tre sur le honheMrdm
jour*,* et de la ùe!
Maaib ob St. -l^5ur, d.^wu
'I ,', '^"
SI l'on doit rbste» sur sok appétit.
Pêne gulm metasy a dit assez impoliment l'école de 5«-
leme , qu'il ne faut pas toujours croire sur parole ; et il
est essentiel de prouver la fausseté de cet axiome éricr pac
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 45 1
le pédantisme, colporté par rirréflexion, accueilli par Pa-
Tarice qui Fa rendu en mauvais français par cette maxime :
Retie sur ton appétit. En effet y l'idée de rester, de s'appuyer
sur quelque chose, offre celle d'une base solide, d'un fonde-
ment certain; et qu'y a -t -il de plus yide qu*un estomac
affamé, de plus incertain qu'nn appétit non satis&it? Nous
nous inscrirons donc contre cet aphorisme anti-social ; nous
soutenons qu'il faut manger à sa faim et boire à sa soif.
Et c'est encore impiicitement dans l'école de Salerne qui ,
comme tant d'autres, a prêché le pour et le contre , que nous
trouvons notre texte :
Non bibê, non tUiens, et non comedat gaturaius.
Ce sujet n'est point indigne de vos chants , doux favoris
d'Apollon : si votre maître est le dieu de la poésie , il est
aussi celui de la médecine; et b question est encore êuk
yWcVtf parmi les antiquaires si le laurier dont il couronne son
front n'est pas le laurier-^saucê ( 1 ) ; ce qui établirait encore
une espèce de parenté entre ses attributs et ceux du dieu des
festins. Sous l'influence de ce triple patronage donnons la
solution des deux questions suivantes qui résultent de ce
qu'on vient de lire : Doit-an manger au-^ld de son appétit?
Doit-on. rester sur son appétit ? Et de peur qu'on ne nous
accuse d'abonder dans notre sens, pour éviter d'avoir à
▼aiacre des difficultés, nous joindrons gépéreusement à
l'examen de ces graves assertions, en faveur des gourmands
que nous n'aurons pas convaincus, quelques recettes pour
prévenir ou guérir les indigestions.
(1) C'est afec précaatioD qu'on doit employer cette plante {tauriit
prunthceratuâ. Linn.), que les cubinières prodigaent à raison de son
goAt d'amande : pris à haute dose c'est un poison.
I
45a LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Il s*eQ faut de beaucoup que cette question , qui semble
résolue par son seul exposé : Doit^n manger aa-ddà de satk
appétit? soii d*UDe aussi facile solution qu'elle le parait to
premier aspect. En effet j sans citer prolixement et le docle
Maiknnasiua Ma*so , et Je noble vénitien Comaro , et les pra.
fonds mémoires de Tacadémie de Troyes , CeUe , pour io-
voquer sur-le-champ une autorité compétente, prétend qoH
est bon et utile
Sâmel inebriari in menée
Et Topinion d'un tel docteur mérite bien Thonoeur d'une
discussion.
Nous ne dirons point d'abord de ce passage ce qu'on s'est
plu k répéter tant de fois depuis l'histoire de la dent d'or...
Ce passage existe-t-ll?Nous l'ayons yérîfié; l'annotaîi(ni sub-
siste : mais , messieurs ^ qu'entend Gelse par ces paroles ,
sinon qu'il faut imprimer une fois par mois, semtiùimatsc^
un mouvement tumultueux aux humeurs ? C'est un remède
qu'il propose f et ^on une débauche ; et vous observerez
( quod erat notandum) que si toute action s'anoblît par son
bon motif, tout excès s'excuse par son intention.
La médecine et même les médecins, ce qui n'est pas
toujours la même chose, autorisent donc à se livrer quel-
quefois à un excès pour relever le ton de la fibre ; elle per-
met ce coup de fouet comme elle permet une potion pur-
gative, qui n'est qu'une indigestion, selon les règles de
l'art : et, à tout prendre, n'y gagnât-on qae la façon, noas
préférerions une indigestion acquise k une bonne table,
au milieu d'aimables convives, à une triste médecine bue
solitairement et ù contre-cœur dans un lit (i).
(i) C'était la recette de Mlje Clairon, qui ne préTeoait aea iadj^et-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 453
11 fout d'ailleurs bien distinguer ici une indigestion d'une
débauche bachique : dans l'une, l'estomac, surchargé d'ali-
mens en quantité excédante , et souyent areo une yoracité
plus dangereuse encore , n'a pu fournir assez de suc gastri-
que pour les dissoudre ; distendu outre mesure , il n*a pu
réagir sur ces contenus , ni par conséquent conyertir en un
chyle nourricier ce bol alimentaire. Qu'en est-il résulté ?
Ou rénergie musculaire de ce yisoère a déterminé des con-
tractions suffisantes pour chasser l'ennemi par la même yoie
qu'il ayait choisie pour entrer (et cette opération est la plus
sûre ; c'est celle qu'avaient érigée en système les 4picius ,
les convives assidus du salon de Luculius finytnteur du vomi-
torium , petit meuble très-commode qui met sur-le-champ
la conscience à l'abri des remords de l'estomac , et permet
de rengager aussitôt le combat) (i); ou bien l'estomac,
ayant perdu son ressort, n'offre plus qu'un sac sans action ,
d'où s'écoule péniblement, et au milieu de douleurs atroces,
rudis indigestaque moUs^ avec tous les honneurs d'une diges-
tion en règle ; mais la bouche reste amère,la langue pâteuse,
l'estomac douloureux, la tête pesante, le ventre bourrelé de
coliques. Il n'en est pas de même de la débauche bachique ,
si savamment nommée par les Latins crapula, mot énergi-
que dont la signification a été avilie par les modernes plus
difficiles sur le «mot que sur la chose, et qui dans la bonne
compagnie y ont substitué celui d^orgie, La débauche bachi-
que consiste à verser dans l'estomac plus de vin que la tête
lions qa'en sur-tettant son estomac de croftte de pâté. Ce moyen,
fondé sur la maxime un ciou chasse Cautre , ne convient pourtant qu'aux
f»lomac8 robustes.
(i) Madame de Ponipadour connaissait tout le méiile de cet appé'
tissant moven de récidire.
454 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
ne peat en porter : nous disons de TÎn, et non pas delk|Deiir
spintueuscy car l'effet n*en est pas le même; et rien b'ssI
dangereux comme rirresse roturière , de la bière , des denx
cidres , de l'ean-de-Tie , et surtout celle plus anoblie des
liqueurs redierokées. Le vin exeree d'abord une légère sen-
sation de chaleur^ de plaisir; il dilate le cœur, imiificmt or
hominU; il dispose à la confiance, à la générosité, â Tamour:
ces dispositions s'accroissent ; on rêre le bonbeur, on délire
la gloire , la puissance ; et si l'on parie bataille on "amour ,
*on prend.uoe proyince ou une belle ù cbaque Terre de rio:
mais , comme si le bonbeur n'était pour les enfans d'Adam
qu'un lac glacé sur lequel on ne doit que glisser, sous peine
de submersion quand on appuie, bientôt la galté disparaît; le
rire moqueur, la cbanson dissonnante , la querelle altiëre ,
la gageure insolente, Tbomicide démenti remplacent le;
doux ébats de la concorde : beureusement le doux poison
versé à grands flots détruit les maux qu'il a faits, en rédoi-
sant nos béros à une heureuse impuissance. L'un, se déro-
bant sous la table aux bonneurs du triomphe, s'étend hum-
blement aux pieds de son agresseur , et ronfle «ir le cbaA^
de bataille; l'autre, accoudé sur les débris du fest/a^^oeperd
connaissance qu'en embrassant les plus doux objets de son
afl<eGtion; celui-ci, remparé de bouteilles yides, semible un
général obligé de rendre la place arec cent bouches à feo
sans inunition; cet autre, bégayant une romance commencée
pour sa Gloris, confie ses secrets erotiques à son roisin qat
ne l'entend plus. Un seul des conyiyes, debout an miiieo
des vaincus,. comme un triomphateur entouré de dépooîl-
les , ou comme une colonne droite encore au sein des ruiner
de Palmire, entonne d'une voix ferme l'hymne du vainqueur
de l'Inde j et scelle d'un toast chaque couplet bachique;
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 455
enfin, accablé par le nombre et non par sa faiblesse, il chan-
celé à son tour, tombe ; et le Silence, compa^on du Cbaps,
plane à son tour sur ce théâtre, tout à Theure encore reten<-
tissant des scènes les plus bruyantes. Cependant le rin feiv
mente dans ces corps assoupis; le système yasculaire se
relâche, les couloirs s'ouvrent, et la Natuie, bonne mère.
Offre ane double ÎMue à Pennemi captif.
Quelque route qu'il choisisse il entraîne arec lui une partie
de ses vainqueurs; la masse des humeurs est diminuée, un
sommeil bienfaisant répare les pertes , cicatrise les blessu-
res, et nos champions se relèrent avec un teint frais, un
appétit dispos, une vigueur nouvelle, et Poubli des fati-
gues de la veille (i). C'est ainsi qu'il faut entendre, et non
(i) Ces heoreai résoltatt ne pearent s'opérer li l'on a bu des vio«
«011^^011^, que l'on nomme daot le commerce vin» fcX%$, et que l'on
qualifie plua communément aous la déiignation rulgaire de «iiu fré-
taiés.
Nous allons , dans llntérêt da nos lecteurs , leur Indiquer quelques
maisons auxquelles ils pourront s'adresser stcc confiance.
MM. Anbry et fils , anciens founisseurs de MoHSiiua,rue NenverSt.»
Enstsiclie , n* a6.
Soupe , fouroisseur du Roi.
Lafond et fils, Quai de la Toumelle , n" ai.
Bertibier frères, tle Saint-Louis , n* 64*
Mas frères , rue Regrattière , n« i .
Roullier, quai de la Toumelle , n* 4> •
Gaiichon , nw GdUanme ( lie Saint-|fOnis ) , n« i .
Hutinot, lie Saint-Looîs , n* 7a.
Besson aîné et compagnie , place Royale : n* s.
Dupont , quai de la Toumelle , n" 4i •
Meunier , rae des Saints-Pères, n* la.
Bresson-Beraard , rae Regrattière , n* a.
Lavé et Rouquero, rae Royale-Saint- Aotoine, n* 18.
\
456 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
calomnier le passage de Celsê, Trop grare personnage pour
accréditer une erreur ou protéger un rice y mais loîa d* ea
déduire qu'on doive manger au-delà de son appétit, omi*
cluons-en seulement que quelquefois, et par régimt,m
peut boire au-delà de sa soif, et c'est le cas d'être tonoceate
sur la question intentionnelle. Passons à celle non m<MBi
intéressante : Faut-^l rsttsr sur $on appétU?
C'est ici que nous pourrions facilement nous mettre ea
frais d'érudition, et, nos auteurs à la main, ourrir l'appétit
de nos lecteurs, ne fût-ce que par le récit naïf des arenta-
res des poliphagM de tous les temps. Là c'est Hercoie déyo-
rant un bœuf,, ou Polyphême déchirant un mociroo; ici
c'est l'athlète Milon qui assène comme une massue son
large poing sur la tête d'un taureau , le tue , le porte sur ses
épaules pendant l'espace d'un stade , et le mange en an
jour; tantôt c'est Homère qui nous peint les dieux mettairt
dans l'Olympe leur bonheur suprême à receyoir la fomée
des holocaustes, et descendant même quelquefois sur h
terre, par Codeur alléchés ^ pour goûter des mets plus soli-
des , tels que l'oie de Baucis , ou l'épaule de PUaps; ce ^ant
d'autres fois les héros grecs, qui ne dédaignent pas de met-
tre eux-mêmes en broche des bœufe entiers, et inondent
leurs héroïques moustaches du suc sangamolent de ces
énormes rosbif. Enfin le réridique Jules Capitolin rapporte
que l'empereur Claudius Alhinus mangea en un déjeuner
cent perches, dix melons, Tingt livres de raisin , cent bec-
figues et trente -trois douzaines d'huîtres. L'histoire mo-
derne a aussi ses héros d'appétit; mais que serriraient-ib
à ce que nous youIoos prouver? Pas davantage que l'exem-
ple de Gaton aux censeurs du )our : ils découragent le fai-
ble , et le dégoûtent de la haute morale par la difficulté de
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 457
PimitatioD. Gaîius loue tout haut Carias, et célèbre la vertu
de Caton; mais il ne fait point serrir à sa table les raves
cuites à l'eau dont se contentait le premier , et il boit de
meilleur vin que le Faleme, dont le second enluminait par
fois son stoïcisme tant prôné. C'est donc médicalement , et
abstraction des leçons ou des erreurs de l'histoire 9 que nous
envisagerons la question de savoir si l'on doit rester sur son
appétit. Une courte digression sur le mécanisme de la di-
gestion éclairera la discussion. La digestion est oette fonc-
tion animale dont l'effet le plus sensible est le changement
des alimens en chyle* L'opération de la digestion a lieu et
par les mouvemens musculaires de l'estomac, stimulé par
la présence des alimens, et par la nature dissoWante des
sucs que ce mouvement fait jaillir en tout sens des glandes
qui tapissent ses membranes internes. Outre le but princi-
pal de la nature , dans la digestion , de réparer les pertes
de l'économie animale, il paraît qu'elle a voulu, par cette
fonction organique , ranimer le jeu oscillatoire de toute la
machine , et surtout , de concert avec la respiration , porter
dans le torrent de la circulation des particules balsamiques
i\ la place de celles qui sont dépensées par la combustion
pulmonaire. L'élaboration du chyle ne se complète point
dans l'estomac ; elle s'opère dans les trois parties successi-
ves du tube intestinal, et les veines lactées absorbent ce
produit, tandis que la masse inerte qui a fourni ce brillant
impôt est, comme de raison, condamnée à l'oubli et au
mépris. Cette élaboration chez l'homme sain et vigoureux
dure environ cinq heures. C'est de la terminaison de ces
élaborations presque chimiques que résulte le retour de
l'appétit , qui est plus ou moins prompt , en raison , non
de la quantité , mais de la qualité des alimens pris. Remar-
458 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
qiioos au saïf lus que la machine d*uQ animal soufirtat de
la tsLÏm est remontée dès les premiers momens de soa te-
pas , et non pas seulement après que le chjle a été o^iûl
de cette nourriture , pour s'assimiler à TindÎTidu et rëpaitr
•es forces* Ceci posé, nous demanderons si la saine raîsoo.
abstraction des connaissances physiologiques ^ n'indiqtc
pas qu*ll est préférable de déposer dans l'estomac , déjà sti-
mulé, des alimens jusqu'à ce que le sentiment de la £ûm,
4fui ne mmtjatnais, soit éteint | plutôt que d*éTeitter ce sen-
timent pour le laisser assoupir, le rémller encore, et tour-
menter ainsi le système , dans la crainte frirole de trop
charger l'estomac* C'est avec ces fatigues réitérées que des
estomacs très-Tigoureux ont perdu leur ressort. C'est ainsi
qu'on perdrait l'habitude d'un sommeil franc et réparateur,
si l'on s'imposait la loi de se faire réTeiller toutes les beu-
res , sous prétexte de prérenir le risque de s'oublier dans un
sommeil trop profond. Qu'arrive-t-il quand on se réf eille
après Une bonne nuit bien dormie? On hb dort plut. Hè
bien I quand on aura mangé à son appétit on n'iutra pùu
faim; et, si la médecine ne s'^n mêle pas, si l'on rit, si
l'on chante, on digérera bien.
Masib de SAiiirUasu.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 459
f ■• r
2lrtiirle (Siminème.
DES irfDIGESTIONS.
QvB notre énidit confrère ait prononcé en style approprié
Toraison funèbre de dom Pourceau (i); que même
11 ait semé des fleurs sur sa tombe , c'est bien ;
Il a fait son métier : je dois faire le mien.
Je dois, sinon chanter la palinodie, du moins avouer que si
la mort de cet animal immonde est un bienfait pour les cul-
tiyateurs aux estomacs robustes , pour les familles pauvres
et nombreuses, c'est aussi une cause ou une occasion d'in-
digestion pour les autres classes de la société,, et surtout
pour les riches. Les Juifs , ce peuple premier né du monde ,
chez lequel on trouverait peut-être avec un peu de réflexion
le type de la législation la plus conforme aux usages do-
mestiques, aux besoins de la société , avaient exclu le porc
du rang des animaux dont ils pouvaient se nourrir. On sait
bien que, savamment déguisée, cette viande a usurpé les
honneurs de fa table, et surtout du début du diner; mais
c'est en général à son mérite d'accompagnement qu'elle doit
ses succès, et vous la verres rarement se produire seule avec
la même réussite , à moins qu'elle n'ait été fumée. C'est
ainsi que des paroles oiseuses passent à la faveur d'une mu-
sique expressive, ou qu'un fat ignorant brille aux dépens de
son secrétaire ou par le luxe de sa livrée.
Pardonne , ù bon Antoine , si nous faisons à ton compa-
(1) Article de M. G. D. L. R., mois de Fi^vaisi, chapUre ii de cet
ouvrage, page 80.
46o LE GASTRONOME FRANÇAIS.
çDon cette injure; mais ta conduite même est TeiciBe de
cet article:- tu vivais avec iuij et non de lui; et stcboia
t*imitait y nous n'aurions point à mettre les Gourmanàs n
garde contre les résultats du suUiicide. Mais d'aillenn, |hi
on nous prou?era que la fortune du cochon est décidée, |Ik
il est de notre devoir de nous élever contre son abus , qobs
avons presque dit son usage. Il est peu d*indUgestions dosi
il ne soit complice ; nous avons cruqu*ilsuflisait de pronon-
cer son nom pour avertir nos Lecteurs que nous allons trai-
ter des indigestions; et, comme dans les su)ets d^une haute
gravité on ne peut adopter un ordre trop didactique, oou$
diviserons naturellement cette lucubratlon par ces deux
points: des moyens d'éviter Us indigestions , des moyens de
guérir tes indigestions.
On a fait Téloge de TAne, de la Paille , de la Folie, de h
Pauvreté, etc., etc., et nous ne désespérerions pas que tel
honorable membre de notre joyeux comité ne pût s^établîr
panégyriste des indigestions. Ces débauches d*cspnt font
fortune , et n*ont rien d'indigeste du moins ; mais elles ne
convainquent personne, et nous en appelons aux estomacs
de ces décisions un peu hâtives de l'esprit. Il se peut que
notre heureux collègue, déjà cité, ait reçu 3e la nature,
dont il est l'enfant gâté , toutes les grâces d'étal qn\ déter-
minent la vocation et assurent les succès d'un professeur en
gourmandise ; mais, outre que ces privilèges sont rares , et
qu'on ne peut conclure une règle générale d'une exception,
nous l'inviterons à examiner sa conscience , et peut-être il
exhumerait de sa confession générale quelques delicta javett-
tuiis qui lui rappelleraient qu'en fait de cochon son ventri-
cule, trahissant son courage, n'a pas toujours été exempt
de reproches.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 461
Parmi les moyens d'éviter les indigestions il en est un tout
simple ; c'est de ne manger que de quelques plats avec mo-
dération , et de respecter les autres : mais cette recette n'a
rien de piquant ; en la proposant nous aurions Tair du mé-
decin de Sancho dans son gouvernement de Barataria, éten-
dant sa longue baguette sur chaque plat, qui disparaît à ce
geste.
Nous avons établi précédemment le mécanisme de la di-
gestion ; et tandis qu'avec une bonne fol, sans doute incor-
ruptible, notre savant collaborateur retraçait l'index des
charcutiers, auxquels sa justice distributive adjuge la prime
de talent , dictait , avec une gravité digne de l'importance
de son sujet, le recipe du rot de bif à la barbarine, ou s'a-
pitoyait sur l'ordre et la marche du Bœuf gras, nous prélu-
dions innocemment aux moyens de neutraliser l'eflfet de ses
doux poisons, ou d'atténuer l'effet de ses puissantes re-
commandations, triste devoir de notre ministère, qui doit
toujours lutter contre les séductions de nos complices, le
penchant de- leurs lecteurs... et même contre nos goûts I ! !
Le moyen d'éviter les indigestions résulte de la théorie
et de la pratique. La première consiste à examiner attenti-
vement la nature des alimens et la force du viscère destiné
à les approprier à noire substance ; c'est l'action des uns et
la réaction de l'autre qui constituent une bonne ou une mau-
vaise digestion. La pratique n'est que le résultat des faits
observés à cet égard ; et cette science d'observation, quoi-
que moins brillante , est la plus sûre, car en cuisine comme
en médecine les plus beaux raisonnemens doivent céder à
l'expérience. Il est d'aiUeurs des antmalies, des épiphénomé-
fies qu'on ne peut expliquer , des antipathies d'estomac dont
on né peut rendre compte ; mais il faut en tenir sévèrement
46* LE GASTRONOME FRANÇAIS.
note pour ne pat exposer cet otile serviteur à reoevoir des
Ilotes qui lui ont 'vouè une haine irréconciliable.
La théorie peut bien indiquer lesélémens d'une substmee.
On peut soumettre un aliment k l'analyse chimique ;iBiis
nous devons avouer que les connaissances qu'on en relxt
ne sont pas aussi infaillibles qu'on pourrait le désirer; pai
exemple , le suc de la laitue est stupéfiant , et la laitue ùSn
un très-bon aliment ; le manioc est un poison, et sa prépa-
ration , qui consiste à le griller sur upe platine de fer rouge,
donne la cassaye dont se nourrit avec délices Thabilant de
l'Amérique Méridionale ; le phosphore s'enflamme au coq-
tactdc Tair, et cependant on donne intérieuiement , avec
succès 9 ses préparations discrètement combinées; l'écume
d'un animal enragé ^ déposée dans le système l3naiphaU<|ue ,
est un poison, et sa chair peut être mangée sans danger, ele.
La prudence indique donc d'étudier les lois de la théorie,
pour ne pas offrir à l'estomac des corps présumésdangereux,
ou d'une trop difficile solution ; mais c'est surtout l'crpé-
rience que l'on doit consulter, si l'on v^t ne pas troubler
; sa santé par le désordre de ses digestions, et c'est aîosî
\ qu'il faut entendre cet axiome dont on a peut-être a^usé :
Aprèê ijuaranU an$ an doit être son propre mâdecin. L'expé-
rience vous dira si votre estomac a besoin d'une nourriture
ou pesante, ou tenace, ou légère, ou aromatique, ou mu-
queuse, animale om végétale , etc. Il est des estomacs qu'a
faut lester en même temps que nourrir \ et ces honnêtes
députés , que Limoge envoie tous les ans dans le reste de k
France pour bâtir des palais ou des chaumières , tous diront
qu'ils préfèrent, le pain de seigle , parce qu'il tient auxmntn.
Une petite maîtresse , au contraire, ne vit que de bisques ec
de sorbets ; et la raison de leur différence de régime est fofl-
\
I
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 465
dèe sur la diflerence de leur yie. L'un , lerë avec Taurore ,
fatigué par un exercice continuel , dé?ore , à l'heure des
repas impatiemment attendue, un pain noir arrosé de ses
sueurs, et exhale une partie de sa digestion par la transpi-
ration insensible. L'autre, couchée à midi^ se lère lasse de
sommeil , et se repose de son inaction sur une chaise lon^
gue ; elle ne connaît ni les délices de la fatigue , ni les plai-
sirs de la faim, et , jusqu'à sa digestion, tout chez elle est
le prodqit de l'art.
VoHle<-TOUS donc bien préparer Totre digestion ? Qu'une
promenade par un temps sec, ou un exercice indispensable
ehes TOUS s'il pleut , redonne à tos muscles leur énergie , à
tout le système ce mouvement oscillatoire qui réreille l'ap* }
petit et prépare à le bien satisfaire. Le docteur TronMm ot» |
donnait aux belles de son temps de frotter leur appartement^
etplus d'une attaque de nerfs incurable céda à cette active
prescription. Riches, tous ayez la paume , le billard , le che«
val pour les hommes ; la danse, le volant pour les femmes; ^ '^i^
et quant aux pauvres, c'est moins un exercice qu'il faudrait .-J
souvent leur ordonner pour exciter leur appétit, qu'un peu | ^>
de repos et le moyen de satisfaire la faim qui les torture. [ .^
Au reste, c'est encore l'expérience qu'il faut consulter . r^
pour savoir si l'on doit préférer des mets solides ou légers,
de» viandes noires ou blanches, des légumes ou du pois-
son, la volaille ou le gibier, la bière, le cidre, tel vin et
môme telle eau ; s'il faut aromatiser sesalimens ou les assai-
sonner peu ; si l'action digestive est aidée ou retardée par
l'usage du café et des liqueurs , du sommeil ou de l'exercice j^
après le repas et autres habitudes, de l'exécution exacte
desquelles dépend le succès de la digestion. Et quand l'ob*-
servation répétée a consacré la réussite de ces pratiques ,
y
s
<.'
s*
464 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
on doit, surtout si Ton a reçu un estomac débile oac^ri-
cieux, ne s*en écartei* que le moins possible. Ce n'e^pas
que nous improuvions ces petites indulgences backiftti,
qui 9 rarement permises, raniment, comme nous^ravou
dit, le )eu du système, mais leur récidive ne sied bien qai
ces vigoureux estomacs dont l'énergie rappelle le juslt
d'Horace : impavidum ferlent ruinœ. Tels sont les prîocîpaixi
moyens d'éviter les indigestions. Passons à oeax de les
guérir.
Malgré toutes les précautions que nous venons de tracer,
il arrive que , soit négligence de ces règles , soit dis^sîtion
particulière, soit antipathie pour tel mets, soit en^n excès
ou mauvaise qualité d'alimens, l'estomac trop distendu , ou
tourmenté de coliques et de remords, ne peut pins réagir sur
le bol qu'il contient : un sentiment pénible d'oppression rem-
place cette hilarité qui anime la face rebondie d*on convive
suffisamment repu ; le fumet des viandes est nauséabonde;
le vin même, par lequel on essaie de hâter la digestion, k
vin n'inspire que du dégoût ; des vapeurs s'élèvent de Tes-
tomac embrasé, et menacent d'une prodiaine éruption....
La lave coule : c'est alors qu'il faut jeter de l'eau sur /'in-
cendie ; mais gardez-vous d'employer le thé, ce don fatal
des Anglais , dont la saveur perfidement styptique agace
les nerfs, fronce leurs houppes , et dispose aux terribles et
trop communs accès d'épilepsie Vous ne voyez pas
qu'ici c'est le remède que vous employez qui aggrave le mal,
si surtout le malade est une femme.
Si llndigestion ne se fait sentir que quelques benres
après le repas, elle est plus dangereuse, parce que le fra
vail de la digestion est déjà ébauché. C'est en proportion de
l'avancement de ce travail que l'on doit se permettre ouhm
i
Le gastronome français. 465
xl'^administrer un Yomitif qui, donné à contre-temps, pour-
ïrait décider une rétrogradation dangereuse^et desconvulsions
au moins inutiles. L*es$entiel alors est d'accélérer l'action
mécanique de Testomac; et rien n'ajoute à son énergie de
dissolution comme l'eau cliaude, l'eau seule ; car si on Punit
à quelque autre substance , elle perd , en agissant sur elle,
une partie de sa propriété. On peut, après le premier dé^
blaiemânt^ seconder l'action dissolvante de l'eau par des la-
Terne ns (qu'on nous passe le mot en faTCur du mérite de
la chose ) composés avec un peu de sel commun et de la pa-
riétaire. Un bon lait de poule , auquel on joint un peu de
canelle et d'eau de fleur d'orange, un bon lit, un bon som-
meil y terminent heureusement cette scène désagréable et
par la jcommotion qu'elle imprime à l'organisme, et parla ré-
putation de faiblesse et d'avidité qu'elle laisse au malheureux
patient. Nous deyons dire encore que le régime subséquent
doit être en raison delanature de l'accident. Si, parex^mple»
il fut causé par s'être trop chargé de poisson, de gibier,^ on
doit s'abstenir d« ces sortes de mets pendant quelque temps,
et l'on doit user d'alimens qui aient la propriété de faire di-
gérer les premiers. C'est ainsi qu'une soupe au lait est le
digestif approprié aux huîtres, comme le fromage de
Gruyère est en général celui du poisson (i), qui, pour le
dire en passant, a toujours besoin, pour être digéré facile-
ment, d'être associé à quelque aliment plqs solide, le jam*
bon , par exemple , pour finir comme nous avons com-
mencé.
Mabib de Sairt-Ubsin.
(i) Le poîuon est on alimenl pea saia pour l'homme qui se porte
bien , et dangereux pour les malades. Oo a beau dire qu'à volume égal
le poisson charge moins l'estomac que le boeuf; comme il contient plus
3o
466 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
2lrtkk Cut<|uUme.
DE l'usage et de L*A.BUS.
Oi s*étonne sourent dés maladies multipliées des çeosèi
inonde ; étonnons-nous bien plutôt de ce qu'elles ne le sm
pas daTantage. Le peuple ne croit pas qu'il y art de jAm
cruel eanemî que la misère , compagne nécessaire de h
frugalité , et qui bien rarement tue celui qu'elle atteint : le
peuple se trompe ; elle peut affaiblir les facultés, al^^lardir
Pespèce , maïs elle ne cause jamais autant de maux que
l'abus 9 qui dépense en un seul dîmancbe l'économie de h
semaine, et dont les excès, en formant un contraste arec
le régime journellement austère , nuisent plus à la santé
que s'il était constamment trop sobre. Ce sont les rndi^-
tions et non les priratlons qui tuent le peuple. Ehl com-
bien l'abus y cet ennemi babituel , exerce de rarages panni
la classe qu'on dit plus heureuse , et qui n'est que plas ri-
che ! Voyez ce financier se le?er , las du long repos de son
lit f s'enrelopper d'épaisses fourrures sans srrotr froid , dé^
jeûner largement sans appétit, se promeofr sans plâîsîr,
s'asseoir sans attendre la fatigue , dîner sans fûm, Wire
d'albdi Tolflltîl 9 il doit ptMtt k la j^utrèfactioo plus vite; et , poor pm
d'osé dîgertifo plm facile et plna prompte « oq met das» son sang 4»
priDcipes de corruption qui 0e développeront tôt ov tard. Aiisà itât-
on que ceoK qni manant habitueUement du poisoa ont l<e teiotS*
TÎde, lei chairs molles, les lèvres décolorî*e8, les gencives notre» ^^
rhakine insupportable ; ce qui n'empêche pas que la chair de poiw"
ne renferme une semence vitale plut aboodAnle que tonle antre. (It**
iinéei iénomoisn , Improvisateur, art, Poitt^n.)
LE GAlStRONOME FRANÇAIS. ifi^
«ans soif*.. Malheureux! il ignore le besoin, et reut con-*^
lîaître le plaisir! il méprise l'usage, et; U court à l'abus t
Esolave. 4e l'étiqueUe anti- sociale^ il dîne .aujourdliui à
deux heures au Marais, et demain à sept heures à la Chauft*
sée d'Antia. Et tu te plains de ton es^mac ! qiidud c'est lui
qui devrait te reprocher, im>o l'usage, mais Tabus de ses
fonctions. Oh ! combien est plus heureux celui qui, exempt
d'afiaires et de soucis, aimant l'étude par distraction, les
lettres par sentiment, les arts par goût, aisé sans ^tre ri-
che, vertueux sans effort et gourmand par instinct, n'at^»
tend de loi pour son dîner que de son appétit, et, mettant
à ses repas le même ordre qu'à ses affaires, jNrend à une
heure toujours réglée une nourriture toujours également
saine et savoureuse! Tu accuses tes nerfs, femme qu'au
printemps de l'âge la douleur a déjà condamnée à ne plus
ciigérer; quitte avec le jour tonédredon oiseux, vole aux
prés Saint-Gervais, déjeûne «vec des œufs frais et du lai-
tage, rentre dîner c^2; toi, mange des viandes firoides et
d'un plat seulement , bois du Bordeaux, et renonce au café
comme aux liqueurs, n'invite que l'amitié; tu auras peu de
convives, et le sentiment, qui ouvrira le cœur aux commu**
nications , ouvrira aussi l'appétit aux mets salubres. Tu ne
dors plus, jeune sibarite; descends de ton phaéton, dont
le nom devrait te rappeler une utile leçon ; exerce tes jam*
lies , endurcis tes muscles ; que la paume , les armes y
la danse , la nage exercent tes forces dés l'aurore , et ,
pressé par l'appétit, tu décideras qui de la nature ou de la
mode, qui de l'usage ou deTabus a placé à la fin du jour
le repas qui répare le mieux les forces dépensées dès le
matin. On a vanté en médecine les vertus de la diète,
comme en philoçophie les charmes de la solitude et la sa-
468 lifi GASTRONOME FRANÇAIS.
gesse 'des pri?ation9: on noas a tous trompés; Ucafrosse
s'ose- plus sous la remise qu'à courir; l'homme est Cûlpour
dépenser tous ses moyens, pour exercer toutes ses îqqo-
tions. C'est l'abus et non l'usage qu'il fallait combattR; r.
c'est eu outrepassant les bornes de la Térilé et les ressonnts
humaines que les philosophes et les médecins ont pcrdftk
confiance des hommes.
Màiii DS SAiirr*t>]
à
VKODVITS 1» L'I«BVI«ai> OOVBHAVl»,
YARIÉTÉS.
Ane riiprit (t naiatttii
UiB«liiikfuuib«iTit,
Et l'u puH fiDln pirtii,
Atbc l'inlutln «1 l'nprJl.
f
1
i8i^ii)ian»ani»i»^i»«Hi>««««t^«<^«i^^«i^
PRODUITS
DE L'INDUSTRIE GQURBIANDE.
TOPOGnAPUIB GASTnONOmQUE DE L.% VnA?ICfi.
Abbbvillb : Pâtés de canard.
Agen : Prunes.
Aiz : Huile, anchois 9 olives 9 thon, eau-de-yie, saucisson^..
Aï : Vin mousseux.
Alençon : Oies grasses.
Alpes : Perdrix blanches.
Amiens : Anguilles, putes de canard.
Andaye : Eau-de-vie.
Angoulêine : Galantines, pâtés aux perdrix truffées.
Arbois: Vin mousseux.
Ardennes : moutons.
Arles : Moutons, saucissons. #
Aucli: Pâtés de foies de canards, poires sans pépin:?.
Aurillac : Vin, fromage.
Autun: Vin.
Auvergne : Bœuf:*.
Avignon : Melons.
Avranches : Moulons, cidre.
Bar : Confitures de groseilles cl dVîpincs-vincMcs.
B(iyonne : Jambons, cliocolat. cuisses d'oies, fromage, Tin
de Roussillon.
Bcauvais : Moutons.
LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Beaune : Vîn excellens.
Besançon: Langues fourrées, truites, fromage.
Blois: Vin, liqueurs.
Bolbec : Coqs vierges , cidre.
Bordeaux: Anisette, TÎn, liqueurs, rojaas, poissons.
9iHirg-en-Bresse : Chapons..
Bourges: Moutons.
Bourgogne : Vins de Nuyts, de Pomard , de Vougeot, de
la Romanée, raisinet.
Bretagne : Beurre, bœuf, sardines.
Brignoles : Prunes et fruits secs.
Brives : Diades truffées, gibier, perdrix rouges.
Gabourg : Moutons.
Caen : Veaux de rivière , bœufs.
Cahors : Vin, truffes, perdrix rouges, gibier.
Canoale : Huîtres.
Carrouges : Moutons.
Gaux (pays de ) : Goqs vierges , poulardes.
Chablis : Vin blanc.
Ghûlons: Ândouillettes.
Champagne: Vins, moutons, poisson , cochonaîlle.
Chartres: PAtés, volailler, blé.
Clermont: Fruits, confitures et pûtes d*abricots, fromage.
Goblentz : Carpes, saumons, vin du Rhin.
Cognac : Eau-de-vie.
Gompiègne: Lièvres, chevreuils « sangliers, gâteaux.
Condé: Moutons, miel.
Condrieux: Vins blancs.
Gotenlin : Bœufs.
Coulanges : Vin.
Coulommicr : Melons..
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4:5
Dieppe: Huîtres, aoguilles, turbots, merlans, esturgeons.
Dijon : Moutarde , confitures, vin, liqueurs ^ écrevisses..
Epemay : Vin mousseux.
Etretat: Huîtres.
Fécamp : Harengs-saurs.
Fontainebleau: Raisin, sangliers, chevreuils.
Fréjus : Anchois.
Gournay: Beurre.
Gran ville : Huîtres marinées.
Grenoble: Liqueurs, poissons, fromage.
Gruyère : Fromage.
Havre: Huîtres, poissons, homards, crevettes, turbots.
Hermitage (T) : Bon vin.
Honfleur : Melons, alose.
Isigny : Cidre , Beurre.
Joigny : Vin.
La Flèche: Chapons, poulardes,
Langres: Lièvres, moutons, vin, liqueurs»
Laon: Artichaux.
Limoges : Bo&ufs.
Lyon : Marrons, saucbsons, cervelas,, fromage de chèvre ,
charcuterie.
Mâcon : Vins.
Mans : Poulardes, perdrix rouges.
Marennes : Grosses huîtres.
Marseille: Figues, raisins secs, huile, anchois, olives,
thon mariné.
Meaux: Fromage, blé.
Melun : Anguilles^
Metz : Lièvres, fruits, mirabelles.
Montauban : Cuisses d'oies, fruits, vin du Fau.
474 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
Montpellier: Eau-de-vie, liqueurs.
Mont-d*Or : Fromag^c. ^
Montmorency : Cerises.
Montreuil : Pêches.
Nancy: Liqueurs, légumes, gibier.
Nantes : TerrincS| poisson, sardines coDserr. par M. Colin.
NarboQpe : Miel.
Nérac : Terrines.
Neufchâtel : Fromage, cidre.
Nice : Poisson, anchois, thon.
Niort : Liqueurs.
Nîmes : Liqueurs , fruits.
Nuyts : Vin.
Olioulles, Figues fines.
Orléans : Vin, sucre ^^aloses, eau-de-YÎe, ▼iiraîgre.
Paris : Bœufs, pêches, melons, écrevisses, anguilles, gou-
jons, carpes , barbillons , pâtisserie j liqueurs, chocolat ^
galantines, confitures, bonbons... Tout pour de Targent^
même des œufs frais de Lyon.
Périgueux : Dindes aux truffes, pâtés, perdrix rouges.
Perpignan : Bec-figues, raisinet.
Pique-pouille : Vin.
Pithi?iers : Gâteaux d'amandes , pâtés.
Poitou : Bœufs.
Pontoise : Veau.
Pré-salé : Mouton.
Proyence : Huiles, olives, fruits secs.
PrOYins : Poires tapées.
Puy-dè-Dôme : Fromage , fruits en pale.
Pyréuées : Perdrix blanches.
Quercy : Perdreaux rouges, bécasses.
J
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4-5
Quimper : Beurre , bœufs, poisson.
Reims : Vin mousseux, pâtés, pain-d'épicc , jambonneaux.
Rennes : Beurre.
Rouen : Pâtés, gelée de pommes, cidre, canetons, veaux
de rivière , bœufs.
Saiût-Flour : Vin, fromîige.
Saiiit-*Germain-en-Laye : Gibier, porcs.
Sainte^Menehoold : Pieds de cocbon.
Salins : Sel.
Sanoerre : Vin , gibier, poisson.
Saumur : Melons.
Sojssons : Haricots.
Strasbourg : Pâtés de foies gras, carpes 8aun>onées, vin
du Rhin, saour-crout, écrevisses, brodbets.
Surène : Mauvais vki.^. Avis au lecteur. ^ ^
Tonnerre : Vîn» ^
Toulon : Dails (coquillages bivalves) , oursins, oranges. j
Toulouse : Vins, pâtés de foies gras, ortolans, oies. ^
Tours : Pruneaux, fruits secs. ^ !
Troyes : Hures de cochon, langues , andouillettes.
Valognes : Le rôti.
Vendée : Bœufs.
Vendôme : Arperges.
Verdun : Dragées, liqueurs.
Versailles : Gibier.
Vienne : Liqueurs de la Côte , vins de rHennitagc et 'de
Côte-Rôtie, gibier.
Vicrzon : Cochons, lamproies.
Vîry, Fromage.
Voinay : Bon vin.
Yvetol : Coqs vierges , cidre.
476 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
YARIÉTÉS»
ANECDOTES GASTRONOMIQUES.
Lb tambour d*un régiment subse ^ en garnison à Saintes^
passait pour un des plus robustes mangeurs dont les annale»
de la Gourmandise fassent mention. Un de ses officiers,
fier sans doute d'avoir un homme de ce mérite dans soa
corps 9 jaloux d'étendre sa réputation, et ne voulaoC pas
permettre qu'un si beau talent, ou un si heureux don de fa
nature demeurât obscur, en racontait d^ prodiges à un
officier français. Coimne celui-ct paraissait incrédule : je
parie vingt-cinq louis, dit vivement l'officier suisse, que
l'homme dont je vous parle mangera, sans désemparer, un
veau tout entier à lui seul. Le pari est accepté, le jour est
pris. L'officier suisse va trouver le tambour, et lui dit:
« Mon ami, j'ai parié vingt-cinq louis que tu mangerais un
veau. — Mon capitaine, répond le soldat, un reau. c'est
beaucoup ; mais puisque'vous avez parié, il faudra bien Èûre
quelque chose pour vous. J'ai trop bon cœur pour tous
faire perdre , et il faut espérer que mon estomac sera auss^
bon que mon cœur. » L'officier s'adresse au meUleuT res-
taurateur de la ville, au Balaine du lieu, et lui ordonne
d'apprêter chaque partie d'un veau d'après les principes de
l'art, selon la méthode qui lui convient le mieux, et le plus
propre à aiguiser l'appétit. Le jour fixé, les deux officiers et
le tambour sont exacts au rcndex-vous. On place successive-
ment devant l'intrépide mangeur des oreilles de veau à ti-
taJiennc et farcies ^ des cervelles de veau frites et en aspic:
langue à la saœe piquante; blanquette aux rhampignons, à
i
i LE GASTRONOME FRANÇAIS. 477
«p, 9a crème ; carré glacé aux concombres ; épaule en galantine ;
côtelettes en papillotes f à la drue, en lorgnette; foie piqué d la
poêle, d la brocke ; fraise en salade; longe en étouffée; mou à la
poulette et au roua; noix à la bourgeoise, en surprise y en ba-
lottine; poitrine aux laitues, aux oignons glacés f^,endons d
la jardinière , du soleil , en chartreuse; rognons d la broche;
pieds d la poulette; queue au blanc... peut-être même jus-
qu'à des amourettes de veau, etc., etc.^ etc. Le tambour ^
qui dans tous ces plats déguisés par Tart du cuisinier ne
reconnaît point les parties de l'animal qu'il doit dévorer ,
et qui s'attend toujours à Toir paraître un reau en personne
r
et tout entier y s'imagine que ce sont de petites friandises
qu'on lui a données pour pelotter en attendant partie. Déjà
41 avait mangé en détail, et sans s'en apercevoir, les trois
-quarts du veau» lorsque se tournant vers son officier:
« Mon capitaine, lui dit-il, il sera pourtant bientôt temps
.de faire apporter le veau ; car si vous me faites manger tant
de brimborions, je pourrai bien, malgré ma bonne volonté,
vous faire perdre. » A ces mots l'officier français avoua
<iu'il avait perdu la gageure, et paya les vingt-cinq louis.
LE GOURMAND DISTRAIT.
Um |onr le gourmand Darytée
Se trouva confondu dam nn brillant repas
Parmi des membres de lycée*
Qui , chove rare et déplacée »
Parlaient fort * et ne mangeaient pas.
— Silence donc , mesmenrs. Quelle folie étrange !
Dit le gourmand d'un air distrait ;
Si TOUS Toulez parler , parlez bas , s'il vous plaît :
Depuis une heure au moins on ne sait ce qu'on mange.
478 LE GASTRONOME FRANÇAIS,
LE DOMINO JAUNE.
ilu second mariage du Dauphin ^ fils de Louis XV, avec
une princesse de Saxe, il j eut à Versailles des fêtes bril-
lantes, des bals parés pour les grands seigneurs, et des bail
masqués où tout le monde était admis indistinctement ayec
des billets. Une scène originale eut lieu à Tun de ces der^
niers: un buffet, splendidement servie offrait en profusion
des rafraichissemens aux acteurs 'du bal ; un masque en do-
^ràino jaune s'j présentait fréquemment, et dévastait d'une
-manière horrible tes liqueurs fraîches, les tins exquis et
toutes les pièces de résistance ; s'il disparaissait uo instant,
c'était pour reyenir plus altéré et plus affamé. Il fut remar-
qué de quelques masques, qui le montrèrent à d'autres: le
domino jaune devint l'objet de la curiosité générale. S. }L
Toalut le voir; inquiète de savoir qui il était, elle le fît
suivre : il se trouva que c'était un domino commun aux cent
Suisses, qui, s'en affublant tour à tour, venaient successive-
ment se remplacer à ce poste, préférable sans doute à celui
qu'ils occupaient à la porte du château.
PRIÈRE DUN GOURMAND.
Gaanb Dieu , daigne augmenter mon bien et mon crédit »
Ou retranche mon «pjpétit!
RÉFLEXION GOURMANDE.
Le proverbe dît: Brebis gui bêle perd sa goufée. Cela si-
gnifie qu'à table il ne faut pas trop parler, si Ton ne tcuI
pas €tre dupe des convives qui ne disent rien.
j
^E GASTRONOME FRANÇAIS. .479
LES DEUX AVAREIÎ.
Gsirvoir, qui mange chez autrui
Autant qu^on peut le lui permettre,
A Jonnes, plus ladre q«e bii,
!^crivit un jour cette lettre :
Demain j'irai dîner chez toi.
Bien obligé , répondit Jomiea»
Du bon avis que tu me donnes;
Je ne dînerai pat chez mou
là., Gapblls.
Chapelle y non moins recommandable par son charmant
Toyage poétique que par ses longues .excursions dans les
états de Cornus» avait fait un mauvais dîner chez un bour-
geois parcimonieux. En serUnt de table il s'approcha de
Chevreau, son ami» et lui dit ùt Toreille, assez haut pour
être entendu de Tavare ampifaytrion: Od allons -nous dîner
maiiUenartt?
LE FÂCHEUX ACCIDENT-
Ah ! quel malheur ! quel attentat !
Quel affront l quelle firarberie !
r^on , jamais un crime d'état
N'égala cette barbarie 1 .
Bacchus , que ton pouvoir divin
Éclate contre ceux qui temiatént ta gloire ;
Un coquin de laquais en me Tersant à boire
A Tersé de l'eau dans mon tIa !«..^
Lavjoh.
Lorsque M. Dubroussin sut que Boileau faisait une satire
sur un festin , il s'efforça de l'en détourner. Choisissez j lui
dit-il , plutôt les hypocrites ; vous aurez pour vous tous Us hon^
nètes gens; mais pour la bonne chère j croyez-moi j ne badinez
4«D LE GASTRONOME FRANÇAIS.
pas id-dessus. l\ fallut que Boileau lui détaillât les jastes
motifs du ressentiment qui Texcitait pour qu^il conTÎnt de
leur légitimité.
LE PAQUET DE CDREDENTS.
Dâjis an repas des plus brillans ,
Pour suivre cta tout poîot l'étiquette ,
On apporta sur une assiette
Uo gros paquet de cnredents.
L'hôte en oflre à dame Arabelle ,
Croyant combler tons ses souhaits :
Passez k mon Toîsin , dit-elle ;
Pour moi )e n'en mange jamais.
M. HiuuKMé
PENSÉE GOURMANDE.
On vantait beaucoup le bonheur de Callisthènes qui
mangeait à la table d'Alexandre. Je ne roudrais pas , ré-
pliqua Diogène, d*un bonheur qui consiste à manger à
{'heure et au goût d'un autre.
LES DEU;ii: BUVEURS.
Dés le matin Grégoiic s'enivrait.
— Je bois aussi , dit un de ses confrères ;
Mais tu devrais user de mon secret ;
Je bois toujours quand j'ai fait mes affaires.
— Le mien , dit l'autre , est encor plus certain ,
Et je ne sais de quoi tu tlnquiètes ;
Quand je me suis enivré le matin ,
Pour tout le jour mes affaires sont faites.
M. Amii4frD-Goi7prÉ.
Une chartre du fameux abbé Sugec> régent du royaume
50US le règne de Louis-Ie-Jeunc^ donne dix sous de rente
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 481
Gt un muid de yin à la collégiale de Saint- Paul. « C'est, y
est-il dit, pour que les chanoines servent Dieu et Saint«Paul
avec plus de gaieté et de déyotion. »
LE PARASITE HONNI,
COHTB.
Ghbz ud héros de la fioaoce
TJn parasite d'importance
Mangeant très-fort , buvant très-bien ,
Ecoutant peu , ne disant rien ,
Lorgnait un mets de conséquence ,
Un mets tel que Balaineeût pu le préparer ,
Tel qne des yeux chacun semble le savourer.
Par malheur loin de lui l'assiette était plae ée ;
Que faire 1 Bientôt mon gourmand
Se dresse , étend le bras , et saisit à llnstant
Le mets que lorgnait sa pensée :
Sur sa proie un vautour fond moins rapidement.
Mais il y va si brusquement
Que l'assiette en morceaux tombe sous la fourchette.
L'amphytrion lui dit : Pourquoi tant se presser r
Je passe qu'on pique l'assiette ,
Mais il ne faut pas la casser.
PBlLIPOH-LA-MADSLAIirB.
Un cuisinier français était passé en Angleterre. Il y voyait
tout manger à la sauce blanche. « Quoi ! disait-il, on compte
eo ce pays cent religions différentes, et il n'y a qu'une sauce
pour tous les metsi En France, nous n'avons qu'une reli-
gion ; mais en revanche , point de viandes qu'on ne mange
à cent sauces différentes. »
MÉFIEZ-VOUS DES DINERS SANS FAÇON.
Vn diner tans façon ei tant cérémonU,
On l'a dit avant moi, n'est qu* une ptrfidU,
( VArt dk dtntr m viilc. )
3i
48i LE GASTRONOME FRANÇAIS.
LE COMBAT ANGLAIS.
Milord*** prit part à anc gageure qui s' éleva entre deux
gloutons; mais n'ajant pu être présent à l'assaut, îl écmît
à son agent pour saroir la décision, et Toici la réponse qull
en reçut:
« Milord, je ne puis tous donner maintenant tous ks
détails du combat ; je me borne pour le moment à fnfonner
Totre grandeur que notre homme a battu son antagoniste
d*un cochon de lait et d'une tarte aux pommes. Je suis, etc.*
AVIS AU PUBLIC.
Glouton « de ton lotir d entretien
Dant chaque cercle noua accable ;
Et Glouton, quand il est à table ,
Mange beaucoup et ne dit rien.
Il ne faut pat ^'on «^inquiète
En Toyant ce grand changement :
On lait que l'eaprit d*un gourmand
N'est jamais dans la même assîète.
M. CiraLLm.
ANECDOTE GOURMANDE.
Le maréchal de Yillars avait un Suisse qui TOAngestii énor-
mément. Il le fit appeler un jour, et lui dit: Combien num-
gérai; tu d'aloyaux? — Ah! monseigner, bour mo\ taWolr
pas peaucoup; cinq à six tout au plus. — 1.1 combien de
gigots? Des chicots? Ohl monseigner, pas peaucoup; sept
à huit, — Et de poulardes ? Oh I bour des boulardes , pas
peaucoup ; ine toussaine. — Et de pigeons ? — Oh 1 bour
tes pichons^ bour tes pichons, c'est différent... quoiqne ça
pas peaucoup non plis; quarante, soixante... selon Tabbé-
tit. — Diantre I Et des alouettes? — Tes alouettes, monsc-
gner ? touchouFS, touchours , touchours.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 4S3
Vivons , irnes chers amis , hfttonf*noiis de cueillir
Le peu de fleors que le plaisir
Sur nos pas a fait naître.
Oublions le passé , qui ne peut revenir ;
Et , sans compter sur l'avenir ,
Qui nous afOigera peut-être ,
Saisissons le présent ; employons à jouir
Ce temps si précieux que l'on perd k connaître,
D. 6.
Diogène^ lavant ses choux ^ criait à Aristippe : « Si tu sa-
vais manger des choux, tu ne ferais pas ta cour aux grands.
— Et toi y répliquait Aristippe , si tu savais faire ta cour aux
grands 9 tu ne serais pas réduit à manger des choux. »
L'EMPORTEMENT GASCON.
MoRSiaua de Crac dans une auberge
Fut insulté par un garçon :
Il saisit vite sa flamberge ,
. Et rétend sans plus de façon.
Le maître d'hôtel se présente :
Il peste, il<crîe , et représente
A Crac son malheureux exploit.
— Dé l'honnêteté qu'on mé doit
Je n'aimé pas que l'on s'écarte. .
An surplus, tout est arrangé :
D'an animal je suis vengé ;
Qu'on mé lé porte sur la carte
Comme si je l'avais mangé.
M. Capxlls.
ANECDOTE.
L'ahbé de Bois-Robert aimait les bonnes tables^ et en
augmentait la joie par ses bons mots et ses plaisanteries»
Un jour, qu'il courait à un dîner, il s'entendit appeler dans
484 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
la rue pour ycnii confesser un homme blessé à mort ; i
s'approche , et, pour toute exhortation , lui dît : Mon cama-
rade, pensez à Dieu, et dites votre bénédicité,
DES INGONVÉNIENS DU MARIAGE ,
DIALOCDB IHTIB VMVJ. GOVBMiaDS.
— Je prends femme ; elle est jeune et sage.
Et puis , j*en conTÎendrai tout bas ,
Cet hymen a son arantage ;
C'est que le jour du mariage
On noQS promet un grand repas.
— Poar un repas quelle folie
D^aller ainsi tous enchaîner !
Au tendron qui tous fait envie
Songes donc qu'il faudra donner»
Tous les jours , hélas ! de la vie
La moitié de TO<re diner.
M. AaMAJTD-Gooprtf.
Ménage avait pour maxime de refuser tous les grand»
repas dont il était prié. Il disait que les plaisirs ne se trou-
vaient jamais en cohue, et que lorsqu'une tahle excédait ie
nombre de six, il n*y avait ni franchise, ni ^rémeoL
LocAS prêchant un jour Grégoire ,
L'exhortait à se corriger
Du penchant qu'il avait à boire.
— Ne te verra-t-on point changer ?
— yj pense ; mais , ne t'en déplaise ,
Dit l'autre en lui tendant la main ,
Entrons an cabaret voisin ;
Nous jaserons plus à notre aise. (1}
(1) Celte anecdote fait allusion k une rencontre qui eut lieu cstir
Boitwu et Chapelle.
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 485
«Un jour, chez mon père, dit J.-J. Rousseau, élant
condanané, pour quelques espiègleries, à m'aller coucher
sans souper à table, et passant par la cuisine avec mon
triste morceau de pain , je vis et flairai le rôti tournant à la
broche* On était autour du feu ; il fallait, en passant, saluer
tout le monde. Quand la ronde fut faite , lorgnant du coin
dç l'œil ce rôti, qui ayait si bonne mine et qui sentait si bon,
je ne pus m*ab&tenir de lui faire aussi la révérence, et de
dire d'un ton piteux: Adieu, rôti I Celte saillie de naîreté
parut si plaisante , qu'on me fit rester à souper, n
%
Un vendredi le frère Polycarpe
Au prieur vint se présenter :
■ Ne mangez pas , dit-il , de cette carpe ;
Hier, avec du lard , je la vis apprêter. »
ii'ardent prieur, que ce discours chagrine.
Lui jetant un sombre regard :
« Morbleu , dit-il , maudit bavard ,
Qu'ai liez- vous faire à la cuisine ? >
LÀ PERMISSION DE MANGER GRAS.
MoKTESQViBu, prêt à quitter Rome, alla faire ses adieux
â Benoit XIV. Le pontife lui dit : « Mon cher président ,
avant de nous séparer, je yeux que vous emportiez quelque
souvenir de mon amitié. Je vous accorde la permission de
faire gras toute votre vie, et j'étends celte faveur ù toute
votre famille. A Montesquieu remercie Sa Sainteté, et prend
congé d'elle. L'évêque camérier le conduit ù la galerie. On
lui expédie la bulle de dispense, et on lui présente une note
un peu forte des droits à payer pour ce pieux privilège.
Montesquieu, effrayé de cet impôt sacré, rend au secré-
486 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
taire son brevet, et lui dit : « Je remercie Sa Sainteté de >a
bienTeinance ; mais le pape est uo si bonaète homme! je
m*eD rapporte à sa parole y et Dieu aussi. »
LA BONNE CHÈRE.
G»i les bftbitaiiB d'Angoulême
Le petit Père André prècht tout un carême
8tni être ioTité d'an dtner.
On sent qu'on tel oubli ne peut se pardonner.
Le Jour qu*U termina cette aainte cnmère »
Il leur dit : * J'ai rempli ^on dirin ministère ,
J'ai firondé des excès, j*ai donné des avia ;
Mais fe n'ai point parlé contre la bonne cbère ,
Car j'ignore comment on traite en ce pays. • G***.
A Londres 9 au moment où on allait lever Taudienceau
tribunal de Malbourough- Street (le 20 juin 189^), ladj
Greslej, douairière d*une des plus nobles familles des trois
royaumes 9 Tint toute effarée, porter plainte au ma^
trat contre un ralet irlandais qui était entré à son seirice de
la veille. « Cet ogre, s'écria-t-eUe ^ rient de foire tmiptzoo
dans mon office , où se trouvaient déposés les préparatifs
d*un dîner de noce que je dois donner demaia à soixante
personnes; en un moments il a fait main-basse sut le- tout :
entrées, hors-d*œuTre» rôtis, entremets et dessert, son
effroyable estomac a tout englouti ! » Le prévenu avoua le
fait; mais il allégua pour sa défense que sa maîtresse était
obligée de le nourrir, et qu'il ne pouvait pas être respon-
sable de l'étendue de son appétit. Subsidiairement, il sou-
tint qu'il était indignement calomnié, et que la plaignante
avait beaucoup exagéré le dégât; suivant lui, il se serait
borné à un rosUbeef d'une trentaine de livres, une dinde
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 487
farcie, quelques faisans^ et un douzaine de petits plats mi-
gnons, tels que gigots, lièvres, cochon^de lait, etc., le tout
arrosé d'une vingtaine de bouteilles de clairet.
Le juge^ ne pensant pas qu'une excessive capacité de l'es-
tomac pût constituer ni crime ni délit, renvoya l'Irlandais
de la plainte > avec dépens.
LE PÉCHÉ MORTEL.
BAdvit k faire pénitence 9
Aaprès de son caré gros Thomas s'accusait
De s^être pris de Tio. — En quelle circonstance?
Voyons , dit le pasteur, racontez-nioi le fait.
— C'était le jour de l'an ; pour ma première étrenne ,
J 'allai voir mon père à Surenne , •
Et je bus... — De son vin ! Ciel, que me dites-vous!
Du Surenne 1 jamais vous ne seret absous.
JADIS ET AUJOUBD'HUI.
L'usage, par rapport aux heures des repas, est bien diffé-
rent aujourd'hui de ce qu'il était anciennement. On disait
encore du temps de François I" :
Lever k cinq y diner k neuf,
Souper il cinq, coucher à neuf.
Font vivre d'ans nonante-ncuf.
Depuisonadit :
Lever à six , diner à dix ,
Souper & six , coucher à dix ,
Fait vivre l'homme dix fois dix.
D'heure en heure, on a fait ainsi le tour du cadran ; on en
est venu au point d'où nos pères étaient partis, avec cette
seule différence que les soupers sont les dîners ; les dîners.
488 LE GASTRONOME FRANÇAIS.
les soupers; les levers sont les couchers, elles coucWfirs
les levers ;
Et l'hiver de «os ans
Arrive ainii vers la fin... du printenps^
LES PETITS POIS ET LE MARMITON.
Le maréchal de Saxe , voulant traiter sod état-iDa|or à
l'ouveiture de la campagne , fit venir de Paris quelques li-
trons de petits pois qui lui revenaient à plus de vingt-cinq
louis. Il défendit à son maftre-d'hôtel d'en rien dire. Il se
faisait une fête de surprendre ses convives à Taspect d'an
plat aussi rare, tant à cause de la saison (au mois de mars) ,
que pour le lieu et la cir<^onstance. Au moment de Tentre-
metSyil ne voit point paraître les pois tant attendus. Il Caiit
appeler le maitre-d'hôtel : «Et les petits pois ? lui dit te
prince à Toreille... — Monseigneur... — Quoi ! monsei-
gneur. — Il y en avait si peu quand ils ont été cuits , que le
petit marmiton les a pris pour un reste, et les a mangés
— Comment I le malheureux f qu*on me Pamène î » Le petit
marmiton parait plus mort que vif. « Et les petits pois, lui
dit le maréchal, les as -tu trouvés bons? — Oai, monsei-
gneur.— Â la bonne heure. Qu'on lui fasse boire un coup.»
LA QUERELLE DE MÉNAGE.
Un mari très-impatient
Se querellait avec sa femme»
Le caractère de la dame
Par malhear était très-bouillant :
Le^ épithèteê les plus dures
Se prodiguaient entre nos deuK époux ;,
Et , du chapitre des injures ,
Us allaient en venir au chapitre des coup».
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 489
Le mari cependant , ami de la décence ,
Se venge d'ane antre façon.
Le couTert était mis : il prend un carafon ,
Et par la fenêtre il le lance ;
La femme tombe snr les plats ,
Et puis dans le ruisseau les envoie en éclats :
Enfin les verres , les assiettes ,
Les bouteilles , la nappe » et tout jusqu'aux serviettes
Par la fenêtre fut jeté ,
Si bien qu'en un moment le couvert fut ôté.
Le domestique , à la voix de son maître,
Gomme le dernier plat venait de disparaître ,
Avec la soupe était monté.
Voilà mon homme , à cette vue «
Qui s'éckapITe de sop.odté ,
Et fait sauter la soupe dans la me...
Pourquoi cette vivacité ,
Demande le couple en colère f
Pardon » dit le valet ; ne vous emportes pas :
En faisant comme vous , hélas I j'ai cm bien faire 9
Moi j'ai pensé que vous dinies là bas.
Artigiiac.
EXTl^AITS DU CUISINIER ROTAL,
PAR M. VXAED, HOMME !>■ BOUCHB.
L'auteur, pénétré de Tiipportance dé son sujet, déclare
modestement qu'il n'aspire pas au titre de bon écrivain ,
mais au titre de bon cuisinier, et qu'il craint plus une erreur
dans un ragoût qu'un barbarisme dans le langage^
M. Yiard nous paraît trop modeste ; son style est du meil"
leur goût et à la hauteur de son sujet.
Quant à ses leçons gourmandes, elles sont très-sages,
très -claires, et l'on ne peut craindre de s'égarer sur ses
traces.
Voulez-Yous manger une iangue de bœuf à l'écartate ! ayez
I
490 LE GASTRONOMB FRANÇAIS.
une langue de bceuf, etc.; et cela est bien sagement dû, car
si TOUS ne commencez par tous procurer une langue d£
bœuf, Yous ne pourrez pas manger une langue de bœuf à
Técarlate.
PIEDS D*AQNfiAV A LA POULETTB.
Qaaod vot pieds sont échaadés, tous les désossez, tous les fulei
blanchir, tous tes rafraîchisses, tous les égonttez, tous les «ssuyez et
TOUS les flambes, etc., etc.
GUISSBS DB tAPBRBAV filf CHIPOLATA.
Vous désosseres vos cuisses, loos les mettrea dans l'eau boaîiiante
pendant deux minutes; ensuite retirez-les, parea-les; mettez un (|iizc-
tcron de beurre dans une casserole , places-y oorcucstst , etc., etc., et
après les sToir laissé mijoter un peu, tous ferez manger vos eaiistes à tos
COttTlTeS.
Nous recommandons aux gourmands les pieds et les cuisseï
de M. Vlard.
CARTE
D'UN RESTAURATEUR CONNU.
Air d« la marobc da roi de PriM«.
A bon titre je suis
Renommé dans Paris
Pour les morceaux exquis
Qne je fournis :
Mes magasins sont assortis ,
Mes buffets sont toujours garnis
Des mets qui sont les mieux choisis ;
Dans tous les temps h juste prix ,
On peut trouTer réunia
Des allmens de tout pays.
"**-
LE GASTRONOME FRANÇAIS. 491
On vante mon Ghftblis ,
Mes huîtres , me» radis ,
Ainsi qae mes salmis
De perdrix ;
Mes godiveanx au riz,
Mes tourtes , mes hachis ,
Pâtés au veau , gros et petits ,
Bien dorés et bien arrondis ;
Bœuf au naturel , au coulis,
Mouton aux navets bien roossis ,
Papillotes,
Poulets rôtis ,
Gibelottes ,
Macaronis ,
Matelotes,.
Salsifis
Frits;
Bonnes compotes
De fruits
Cuits. {
Je conserve dindons farcis t
Potage au riz
Pour les maris ,
Excellent thon pour les impolis ,
Cervelles pour les étourdis. ^
SUPPLÉMENT.
Am : /• n'ciiN* paê h tabac h^aucimp*
On prend à chaque mien ngoû l
Goût ;
Je possède poar ceux «a lard
L'art;
J'ai fail des meiDeurs aucLoia
Choix i
49« LE GASTRONOME FRANÇAIS.
J'offre des jamboiu
Bons;
J'ai dus macarons
Ronda,
Tràt-Cranoi et diTÎaa.
Viiia.
Enfin loi» let GoiinneU
Font lumnenr à ton* met
MoU.
FIN.
^
TABLE DES MATIÈRES.
Page.
AVBmTlUEMIlIT.
DmCOCEI PAÉLIMllIAIBl. I
CHAPITRE PREMIER. Euai sda la cduinb des Aivgibms. ib.
AmTicLB Dboxièmb. Dû quelques utaget gourmand : du repas el de
ia batterie de cuisine des aneiens, ij
AmTiCLB Tboisiàhb. VoUdltes, poissons, coquUiagesei végétaux ser-
vant à ta nourriture des anàens. ii
AeTICLB QoATBlilMB. 2J
Abticlb GiHQuiJtMB. Dcs ouvroges relatifs â Cari culinaire, 3i
Abtiglb ^ixikn%.* Conclusion. ^o
Db8 Largubs mobtbs. 4^
CHAPITRE DEUXIÈME, l'abh^b gocbmabob, 49
J AiiviBB. Les Étrennes , les Bois et la Saint^Antoine, S i
Sur le Gâteau des Bois. 58
Anecdote sur le Gâteau des Bois. 6a
LeBoide ia Fève. 63
I
Les Bois, chanson pet H. Armand-GoufTé. ib.
Du Bmuf. ^ 64
Becettes alimentaires* 67
Beef on beeT-a-teak. ib.
Palais de boeuf en allumettes. 68
Amourettes de veau composées à la crème. 69
Gascalopes de mouton à l'huile. 71
R6t de bif d'agneau k la barbarine. ib .
Jiloutone deBeauvais. 72
De la Truffe. 74
Beeettes alimentaires. Sauté de volaille et de gibier aux trulTes, 77
Manière de farcir dindes, poulardes, chapons, poulets et per-
dreaux aux truffes. 78
Sarcelles. ib.
Sarcelle à la bigarade. 79
FiTBiBB. Le mois saU ou les ekareutiers. 80
Du Carnaval. 85
Le Bœuf gras, 90
494 TABLE DES MATIÈRES.
fige
Saint'Crevaz , ou l€ Carnaval. o3
téô Carnaval^ chanson , par M. Moreau. m
Jl^me<i//(0f« par Antignac. im
V*Ul e'que c'ett que le Carnaval, par D^Mu^n. loi
Haeeitet alimentairei. Du Mouton, 1^4
Selle de mouton braiiée. ley
Vu Turbot. 106
Turbot à l'eau de sel. igj^
Du Cabillau. no
Du Chevreuil. m
MàBS. Le mois kunûde^ au les marchands àe paissons. ^iS
Des MaUhtes. lao
Recettes alimentaires. Canapés de foies de raies. laS
Marinade de carpes ou d'autres poissons d'^au douce. 1^4
Menus droits maigres à la trape* i^.
Écrevisses à lltalienne , au gratin. 1^
De e Agneau. Î4,
Filets d'agneau à la Gondé. isS
Épcrlansà la provençale. lag
Ateii.. Le moi» glorieux , ou les Jambons de Bayonne^ i3o
Les œufs de Pâques. j3|
Des Poissons iCeau douce. i36
Recettes alimentaires. Anguille à la Tartare. x^q
C*rpe au bleu. ^^i
Escargots de vigne à la poulette. i5.
Escargots simulés. ^v^
Jambons à la broche. i^
Alose grillée et filets d'ftlose au citron. ^i
Poisson ifavril , chanson de M. G***. ^iS
Mai , ou le mois fleuri. ^ic
Mal, ou le mois conciliateur. ^^
A Vénus la bien venue. ^^
Le mois de mai ; chanson , par Ph. de la Madekine. i58
Les Pigeons. ^^
Pigeons k la crapaudine, ^^
Pigeons en compote, i^
TABLE DES MATIÈRES.
495
JoiH, OU le moii aeeétèraUur.
A Cornus , frèrt dû C Amour,
Jks IHnert ekampétret.
Recettes alimôniaires. Gibelotte de lapereau.
Petits pois à la crème.
Filets de maquereaux aux fines (lerbes.
Bissoles de filets de maquereau.
Entremets de petits pois.
Fraises à la créole.
Fraises alcoholisées.
Moyen de boire frais en été.
Juillet. Le mois vermeil, ou les fruits rouges,
A Noè, patriarche des vignerons.
Du Melon,
Du Dindonneau et du Caneton,
Recettes alimentaires. Canard aux navets.
Du Saumon,
Saumon à la génoise.
Kgeons en tortue.
Fèves de marais.
Haricots verts.
Haricots verts à l'anglaise.
Manière de ponserver les haricots verts.
Pois verts à l'anglaise.
Août. Le Mois doré , ou les Moissons.
Le Pain , chanson d'Antignac.
Des Infanticides,
A la belle Eté, dégustatrice des pommes.
Recettes alimentaires. Du Lapereau.
Lapereaux en caisse.
Du Poulet,
Fricassée de poulet.
Du Cochon de lait.
Cochon de lait à la broche.
Des Artiehaux,
Artîchaux à la barigoule.
16a
.67
170
175
176
ib,
»77
ib.
.78
179
f6.
181
184
'187
19a
193
^94
ib,
195
196
Jb.
Ib,
>97
Ib,
ao6
ao7
ao8
ai3
Ib,
«4
Ib,
ai5
ai6
Ib.
217
^ I
496
TABLE DES MATIÈRES.
ftgr.
Perdreaux.
2&8
Saaté de perdreaux.
a.
Sbptiiibab. Le Moi* giboyeux^ ou la Chàne^
B19
Vu Sanglier et du JUarcassiti,
- aaJ
A Baeehut, conquérant de CJndo*
116
Du Lièvre eldu Lapereau,
a«9
Civet de lièvre.
a3L
Civet au sang.
n.
Levreau à la broche.
a32
r.e» Perdrix»
aS3
Perdrix aux choux.
xSi
OcTOBax. Le Moit vineux, ùu hi Raislm,
aJS
Les Fendanget*
^38
Les Vendanges parisiennes.
^1
Tableau des Vendanges , par Saiat-Lambert et Roucher.
ai5
Trinquons, chanson par M. Arniand-Goufie.
344
Chanson à boire , par M. Braxier.
^7
Verse eneer ! par Désaugiers.
248
La Délire bachique , par M. Francis.
a5i
V Amour et U Vin, par Laujon.
a53
Le Vin » P Amour et ta Gatté, par M. C***
»H
ASaini'Lue, protecteur des bœufe»
256
Du Veau,
258
Noix de veau à la bourgeoise.
2Sg
Du Perdreau.
ïh.
Salmi de perdreaux.
361
Sauté de filets de perdreaux.
262
Adieu , panier , vendanges sont faites » chanson de M. Moreaui.
n.
NovsMBax. Le Mois gras, ou la Volaille,
^H
A Saint-Martin, patron da oies.
2JO
Des Grives, •
*7«
Grives au gratin.
377
Du Dindon,
n.
Du Chapon,
«75
De la Poularde,
280
I
J
TABLE DES MATIÈRES. 497
Page-
Poularde poêlée. a8a
Saint-Martin, chainBon de M. Armand-Gonàîè. ïb.
Dicimmi. Lé Mois épiée ^ ou tsi Rtveiliont ^ ia Saint-Nicolas. -aSS
Rivoithns fCbanaon par M. Francis. 1390
Beeelies aiimentaires. De» Mannettcs^ 39!^
Santé de Mauviettes. tb.
Dindon en daube. ^94
De la Bécasse et de (a Bécassine ^96
Salmi de bécasses. 297
Des SokSy des Carreiels et des Limandes. Tb.
Soles , Carrelets et Limandes au gratin. 399
Des Merlans. Jb.
Filets de merlans farcis. 3oo
GoRCLDSioif : Il faut boire et manger, chanson de Désaugîfîrs.
Le Délire gourmand, chanson par M. Francis. 5o3
CHAPITRE TROISIÈME* Éducation gastbohoiiiqus. 3o5
Abticli Paimia. Des usages qu'il faut suivre, des abus qu'il faut
éviter . Des Déjeuners à la fourcliettc 507
Des dîners à h, carte , ou des Paresseux* 3 1 1
Des tables d^ Hôte. tîij
Des Salons à manger. 519
AaTiGLS DiuxiiMB. Élémens de poruesse gourmande 526
Des Invitations, Ib,
De & réception du Convives* 029
Manière de placer tes Convives à table. 33o
AaxiCLB Taoïsi&HB. Un ntot sur les amphytrions. 338
Chanson sur le Coup du milieu. 343
Çuelques réflexions qui peuvent être utiles aux Gourmands , et
même aux personnes sobres . 345
Sur la durée des repas. 346
Sur la manière de faire les honneurs ttun diner. 348
Des modes en cuisine ; encore un mol sur les amphytrions. oSo
Soupe à la Camérani. 55a
AaTiCLB QuATBi&MB. Codo do la tables ^5ù
Lois de la table ^ par Pannard. 5r4
0:2
7
49» TABLE DBS MATIÈRES.
Maximct goarmandes » par M. G***. ^
Abticu GiHQUiiMB. DuhiênnèdBtétiêtngr^^d^ttumgmdôek^t-
ter à iabU* Ij-
Aaticlb SixiàMi. Dôuert, chanioDs de Uble. S&i
Le Gode épicarien , par^ZMMu^wrf . îb.
GoDteUi à U TietUette , par lai^/on. 3&$
L'élève d'Épicure à table » par PhiUppcm, éê Laamm4»(miwê. ik.
AnacréoD ra|eani , par M. cb PiU, 39^
Bibi , par^M . Armand-Gouffi. ^8
Ma Pbiloaopbie , par M. Mortau, 390
Ghanaoa erotique, par M. Ém. Dupaty, 3^
GoDieilf à Délie , par M. de Jouy, 393
Fidélité , conftance , par CharUi SartrouvUU (i). ik.
Commeat tout va , par M. Armand-GoaffL 594
Je m*eo moque comme de GoUn Tampon , par Jmû^mac. 3g6
Le Nouveau Démocrite , par M. Capeiié, 378
Lei Infidélités de Lisette, par M. Béranger. S99
Conseils aux Épicuriens , par M. Eusébe Saivtr^ 401
Laissons couler l'eau , par M. Armand-Gouffl. 4o3
Éloge des femmes'de trente ans , par C. L. C. 4^4
Le Roi d'Yvetot , par H. Béranger, 4oS
Monsieur Mathieu , ^zr Détaugien. loj
Le Vin et la Vérité, par M. Armand Gouffé. 409
L'erreur, par M. Bratitr. iio
Le monde comme je le voudrais , par M* Capêth* 4^^
Les Trois mots , par M. A. de G***. 4iS
Le Lit et la Table , par BI. dû Jomf. ik.
Les Quatre Gabarets , par M. GeniiL 4t6
Le Gabaret , par M. Mortau, 4i-
Tuons le temps, par M. PranM, 4ig
La Grande Orgie , par M. Béranger, 4^
Le Délire bachique, par Désaugiers. 4,3
AaTiCLi SsmàMB. Du sortir de tahk et du eafé, 4^^
Manière de faire le bichopp. ^
(1) k» ti*«i à» SslrenTille,
TABLE DÉS MATIÈRES. 49^)
Pas*.
Du Café; ton origine et ton iotrodaction en France. 4a8
Manière de faire le café. 434
Manière de aerrir le café et les liqueurs. 435
AiTiCLi HuinàMi. L'aprèt'diniU , ou ta soirée. 4^7
Aancu N Buriài». Det vuittt ^otnrmandu, 4^8
CHAPITRE QUATRIÈME. Di L'Hraïknm dm la tablb. 44i
AiTicLB Pamiia. Da mideems et é$$ convives qui se portent bien. 443
AiTicLi DacrxiàMi. De t influence du déjeuner sur le diner, et peut-
être sur le bonheur du jour. 446
Aincu TaoïatàMS. Si ton doit rester sur son appétit. iSo
AiTiCLi QuATiiàMB, Dcslndigestions.
Aancu GiHQinàMB. De t usage et de tabus. 466
CHAPITRE CINQUIÈME. Pioboits di L'uiooirati ooubmaxdb. 469
Abtiglb UiiiQOB. Itméraire gastronomique de la France, 47 >
VABiiTia. Aneedotes gastronomiques» 476
FIN.
TABLE ALPHABÉTIQUE
DBS HO«» DE» PBBSOHIIB» Q«I W»T «T*»
DAH» CBT OTVIiAOB.
Ifott. [<e> noiDi
de. memlyre. *. Cteiuioot» ..«ltea»>P-
A.
Aclocque , 69.
AffétUai» 60.
Alkia , 55 , 98.
Anacréon , 00 .
André (PeUt-Père).
Antignae, loa, ao;, 398, ♦»»,
Appert , ag.
Bfl/Wfié, 17, a4»^>*> *»^> *^»
196, ai4»3i3,
Btlfy,;o.
Bftrjac , 6a.
Barthélémy , a4.
Bay«rd,57.
BeaumarchaiB » ^4-^.
BeauTillieri , 3i5.
Bellenger , 55.
Bois-Robert, 485.
Bàranger, 4oi , 4o7 » 4*3 •
Bercbour* i5, lag.
Bernard, 56.
Bernis, ao5.
Cadct-DeTaux , 3; , 179.
Cadtt dû Gastieourf, 180.
Café Dcimarre» , 3i 1 .
Café d'Orsay, 3ii.
Café de Pans, 3ii.
CaféduPérigoi^, 3n.
Café des Variétés, 3ii.
Café Hardy, 3ii.
Café Valois, 3ii.
Caillot , 84.
Cainérani,35i.
iOt LU
49a.
483» 484- ,. ,
ArnouU (Sophie), »9>-
Aubry et fib , 4^*'
Auguste , çfi'
B.
WK<^,i
Bcrlhicffrtrt»'*^/',
Bcs8onctcoaip«,45*-
Biennaifl) i*/-
Baiet,57.
Benoit «▼i4'**
Bordin,69.
I Boucher, i55- jg
Bougeant (kP-I'^i,^.
BourdaloacOeP.).^
BoursaaU,43o-^^.
B«^n.B^-J;*j.
Brumoy (K*^'»
Catulle, 95*
Cclsc, 45a-
Chartreux d^' 4.
Cicéïoir, 59-
Clairon (M'ie;»»
TABLE ALPHABÉTIQUE.
5oi
G. L.'G. , i8o,aa6,4o5.
Glaudius Albinus , /^SS.
Gléopâtre , 4^-
Ctytophon, i58, a^^, 58o.
Colas , 85.
Colin (de Nantw) , 558.
Gorcellet, 56, 98, i44«
Gomaro, 453.
Corps, 84.
C"*(A. de),4i5.
C''',63, 355,376.
D.
D, D. (Dueray-Duminit), 355.
Dehodene (café) , 33i.
Dejean, 08.
Demie (l'abbé), 367,43a.
DésaugicrMy io4t 35i , 3o3, 338,
373, 384,4o9,4a7-
Descoins, 57.
Desmarres fcafé) , 3i 1 .
Despres,368.
Diguet,57.
Diogène, 483.
Doda,85.
Dubelluj, 433.
Dupaiy (Emmanuel) , 392^
Dapont , 455.
Dupuis, 55.
Duthé , 84.
Durai, 55.
Duyal, 70.
E.
Ecclésiaste (1*) , 59.
Epicare,83.
lEtienne , 84.
I
F.
Franclt , 227 , a53 » 290 , 3o4, 4^0
Fanguet , 57.
Félix ,ta3 » 55 , 98.
Fidèle Berger , 55.
Figaro, a3i.
Fleurj ( le cardinal ) 9 62.
Foncemagne , 39.
Fontenelle , 63 , 72 , 43i«
Fougerooz , ao.
Fourmy , 180.
Fournier , 98, i3i.
Fox , 2.
Fradio , 56.
Frédégonde ,221.
Frédéric it , 32.
Frédéric 11 , 33 , i38.
Frères provençaux , 57.
G.
Calich^d , ^Sh.
Garin , 55.
GoMtemumn, 58, 98, i5o, 170,
184» 187 , 206 , ai2 , 2a3 , 229 ,
238 , 258 , 270 , 275 , 293 , 326 ,
336.
Gastaldi, 3io.
Gendre 9 55 , 98.
GenlU, 4-1 7>
Geoffroy ,186.
Georges (Mm* )* 1 19.
Grandin, 55.
Grignon , 28, 3ii.
Grimod de la Beynlàre « Q» 39 , 4» y
48 , 49 9 53, 66, 72 , 70 ,75 , 78 ,
90, 93, io5, 120, 123, i36, 145,
i55, 166,173, 192, 196) 208,
217, 3ii , 3i6 , 319, 32Q, 35o,
53i, 345, 35o, 363434 , 437,440.
Gueite, 28, 3ii.
Gniter ,4.
5o«
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Hardj(café^ , 3ii.
Heini II y 54*
Heori i¥ , 5.
Henri viu, Si*
Heori , 57.
Hequety 431.
Jacob f Mlle}» 119.
Jean, 84.
Jéauitea (!«•), 977.
H.
Hercule , 4^.
Herrej, 8i5.
Homère, 4^6.
Horace, 60, 444« 4^
Hôtel des Amèricaiiu, i;*
Hatinot , 4^5.
J.
IJouy (de), 3q3i4i6.
Jules capltoua,4^6.
LarondetfiU»45^«
Lahnde, lai.
Lamberl ( Mme ) , 70.
Lamolhe-le-'Vajer, 53.
liaoçon , 55.
La RochefoucauU , a.
La Rouille, i3i.
Lasoe , i54.
Lattaignant(rabbé), 366, 574 ,
LaTé et Rouquero , 4^*
Idunjtmf a53, 338, 583^ 479-
Leblanc, t3, S5, j/S,
Lebeau, 55, 98.
Legaqoe, 3i3.
Lemardelay , aS , jSr
Le Maout , 69.
Lesage, a3, 5S, 98.
Léther, a8, 98.
Lievin , 55,
LintiTÎUe» 70.
Lointier, a8, 98.
Louis ziT, 4^9 • ^'
Louis KT, 9s.
M.
Maison (président de ) , 43o.
Maille I ^.
Malherbe» 84.
Marc-A-ntoine t 4^*
Marcas, 57.
Marie de Saint 'Unin^ 37, 193,
45o, 458,465, 568, 468.
Marneffe, 57, 98.
Mas firères , 455.
Masson-Gherillani , 84.
Mathanasius-Masso , 45s.
Masarin ( ]ecvàtt^)f ^•
Ménage, 4^«
Meunier, 4^^*
Michelle ,56. ^
Milon deCrotoDC, ?♦>'»
Montaigne, 35.
Montesquieu , 4^- 1
Morillon, u6,i53,ii*'
Muret , U6.
N.
Néron , 59.
1
0.
Oxigénius, 179.
•
1
t
TABLE ALPHAfiÉTIQUB.
5o3
P.
Paonard , 374.
Parii (café de) , 3i 1.
Parquet » 56.
Paull*'.
Pelletier-Petit, »3t.
Penrey CM"^)» ^^9-
Périj^ra (calé da) , 3ii.
Phiùppon do La MaMamê, 1S9
586, 481.
Pîia,387.
Pitt, 1.
Planude , 47*
Plaute , 60 •
Pompadour ( la marqnite de) , 9a ,
Polyphème, 456'
Poteau, 127;
Pouillau , i5».
Prévôt, a8.
Pfocope , 43o, i'hi.
J
R.
Rat, a3,55, q8, i3i. .
Réchaud , i5^
Ribotton , 85,
Robert, pfttiMÎer, 55.
Robert, restaurateur, 116, 3i3,
35i.
Robespierre , 53.
Roucher, a4i«
Rouffet , a3, 55, i3i.
Rouliier , 455.
Rousseau (J.J.\ 485.
S.
Saint- Antoine , 75 , 83.
Saint-Lambert, i44«
Sallengi^s, a36.
Salvûrte^ 4o3«
Santçuîl, 335.
Sauvage , 56.
Saxe (maréchal de) , 488.
Tacite. 5i', 59, 95.
Tanraae , ao4*
Terrier, 53, 55 , ao4>
Tertullien, 59.
Scaron ( Mme de ) , 363.
Scribe , ao5.
Shéridan , a.
Sevigné ( Mme de ) , 139 , 363 ,
43a.
Souppé , 455.
T.
Thomas , a3 , a5 , 98.
Tronchin (le docteur), 463.
Turcaret, 106.
V.
Valmont de Bomare, aa3, a ai,
Val<ns(café),3u.
Vatel , ia8.
Véfonr, a8, 98.
Verres , 59.
Véro,85.
Yéry , a8 , 98 , 1 16, 3i3.
Viard,84,48o.
ViUars (maréchal de), 48a.
Voltaire , 43i , 433.
Vulpian , 38.
FIN.
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