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Full text of "Le gastronome français, ou L'art de bien vivre"

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Schlesinger  Library 
Radcliffe  Collège 


Culinary  Collection 


in  honor  of 


Julia  Child's  80th  Birthday 
With  Affection  and  Admiration 
The  Women's  Culinary  Guild 
of  New  England 
August  1992 


>  .%«? 


LE 


GASTRONOME 

FBMÇMS, 


OU 


L'ART  DE  BIEN  VITRE, 


«  il 


L 


#  .>tt^ 


) 


IMPKIMEBIE  DE  H-  BALZAC  , 

»ri  DM  UktM  fc  0.»  w-  17-    '. 


In 


LE 


JLSlMPfl 


FRANÇAIS, 


OU 


L'ART  DE  BIEN  VIVRE, 

MM.  «.  D.   L.  a***,  D.  D***5  6ASTBBMAHR, 

G***,  CLTTOPBON9  GHABUBd   SA&T&OVTiLI.B  9  C  I.   C***,  C***, 

MAAIE  DE  SAINT-VASIN  9  B***^  ETC.  ; 

€>tnn:a0e  mie  nt  drlrr^^  oirrimipaigtii  1^^  XUAe^^  it 


<^aT*  ty/6.    1^ 


•k-k-k 


La  découTcrie  d'un  awia  nouvnu  fait  plot  pour  1^ 
bonheur  de  l'humanîlé  que  la  découverte  d'une  étoile. 
*  Haaaiox  ai  pAmar. 

Vaut  miruz  Mr«  ici  bai 
GMtrooofnc . 
Qu'aitronoaie. 
QiaTiL 


PARIS. 


m 

QOAI  DIS  AU«08tlKS,  H"  Sy ,  PSis  LK  POMT-NIUF 

1828. 


IMPRIUERIB  DE  H.  BALZàC , 
an  DM  HARAii  s.  a.,  m-  17.  ' 


LE 


JLSlMPflItl 


FRANÇAIS 


OU 


L'ART  DE  BIEN  VIYRE, 

MM.  C.  D.   L.  a***,  D.  D***,  GASTBAMAHNy 

G***,   CLTTOPHOZfy  CHABLKd   âARTBOIJVU.I.B  9  C,  I.   C***,  C***, 

HABIB  DE  SAINT-UASIN,  B**%  ETC.; 

^Ùvmaty  rm  tn  ordre  ^  attimpagaé  ï^t  ÏUAt^^  it 
IStmettiAwm  et  V^bf^tnatwm 


<âia/*  ty/ë.   ^ 


-k-k-k 


La  découTCrtc  d*on  awia  noUTeau  fait  plot  |MHir  le 
bonheur  d«  rhauuiniié  que  U  «léeouTerte  d'uur  éloilc. 
*  Bbiuoh  di  PiintT. 

Vaut  miru  Mra  ici  bat 

GaMroDonie . 

Qu'aalronoBBt. 

QlITIL 


PARIS 


QQAl  DU  AVGOSTlICf,  R<*  67,  Plàf  Ll  rOAT-lfllJF. 

1838. 


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^vetti00emenX. 


Depuis  Je  i"  janvier  1806,  jusqu'en  181 5  ,  une 
société  de  Gastronomes  et  d'Epicuriens ,  connue 
sous  Je  titre  de  Caveau  moderne ,  se  réunit  au  Ro- 
cher de  Gancale ,  élevé  par  M.  Alexis  Balaine  au 
rang  des  temples  les  mieux  desservis  que  le  dieu  des 
festins  eût  dans  la  capitale  du  monde  gourmand. 

La  société  dti  Caveau  moderne ,  que ,  pendant 
les  deux  premières  années  de  son  institution ,  on 
nomma  Société  des  Gourmands ,  se  composait  de 
MM.  Grimod  de  ta  Reynière  (nom  classique  dans 
les  fastes  de  la  Gastronomie ,  et  que  le  savant  au- 
teur de  Yjért  de  diner  en  ville  nomme 

Archiviste  fameux  des  meilleures  cuisines  ;) 

Marie  de  Saint-llrsin  (  docteur  savant  en  us  et  en 
oSf  qui  ne  prescrivait  qu'à  son  corps  défendant  la 
diète  à  ses  malades);  Ducray-Duminil  (aussi  bon 
gourmand  qu'habile  romancier  )  ;  Gallais  (  ancien 
moine  de  la  congrégation  de  Saint-Maur)  ;  Godefroy 
de  Beaumont-BouilUm  (  dont  les  ayeux  s'illustrèrent 
aux  croisades ,  et  qui  remplissait  dans  cette  so- 
ciété gourmande  les  honorables  fonctions  d'écuyer 
tranchant)  ;  Gastermann,  Clytophon^ Charles  Sar- 
trouville ,  ou  G.  L.  G. ,  gastronomes  d  esprit ,  de 
cœur  et  de  ventre ,  qui  couvraient  sous  le  voile  mo- 
deste  de  l'anonyme  des  noms  et  des  talens  que 


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VI  AVERTISSEMENT. 

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d'autres  moins  énidits,  mais  plus  avides  de  gloire  , 
auraient  avoués  avec  orgueil. 

M.  Balaine^qui  avait  reçu  Timpulsion  des  grands 
hommes  de  bouche  de  la  fin  du  dix-huitième  siècle, 
fut  nommé  maître  d'hôtel. 

Voilà  tes  savans  qui  coopéraient  à  la  partie  subs- 
tantielle d'un  recueil  mensuel  que  cette  Société  pu- 
blia pendant  dix  ans ,  d'abord  sous  le  titre  de  Jour- 
nal des  Gourmands  et  des  Belles  j  puis  sous  la 
désignation  de  VEpicurien  français ,  ou  les  dîners 
du  Caveau  moderne. 

Les  aimables  chansonniers  qui  embellissaient  ' 
par  leurs  brillantes  saillies  et  par  leurs  joyeuses 
chansons  ,  la  longueur  de  ces  dîners ,  de  succu- 
lente mémoire  ,  et  qui  ajoutaient  leurs  productions 
légères  aux  dissertations  profondes  des  savans  gas- 
tronomes que  nous  avons  cités ,  étaient  Messieurs  : 
Laujon  (élève  de  Tancien  Caveau  et  membre  de 
lacadémie  française  ,  président ) ;  Pktlippon  de  la 
Madelaincj  de  Piis^  de  Chazet,  Emanuel  Dupaty  ^ 
Désaugiers  ^  Armand-^Gouffé ^  De  Jouy  (de  l'acadé- 
mie française)  ,  Eùsèbe  Salverte^  de  Ijongchamp  , 
Moreau^  Béranger,  Francis ^  Oury,  Capelle  (fon- 
dateur de  cette  Société,  éditeur-propriétaire  du 
journal) ,  Gentil^  Brazier^  Antignac ^Thédulon, 
Toumay^  Rougemont ,  Coupart ,  Jacquelùty  etc. 

Cette  Société  gourmande  et  chantante ,  dont  les 
relations  s'étendaient  jusqu'à  l'île  de  France ,  invi- 
tait à  tous  ses  dîners ,  qui  avaient  lieu  le  20  de 
'\  chaque  mois,  des  convives  d'une  réputation  géné- 

ralement reconnue  dans  les  lettres  et  dans  l'art  des 
dégustations  nutritives  :  de  ce  nombre  furent  le 
chantre  d' Aline ^  celui  de  la  Gastronomie^  le  savant 
d!  Aigre  feuille  y  surnommé  le  roi  des  Gourmands  ,  et 


%, 


^ 


AVERTISSEMENT.  vu 

riaimitable  auteur  de  la  Physiologie  du  goût,  ap- 
pelé par  ses  pairs  le  Voltaire  des  Gastronomes. 

La  colleclioa ,  très-coûteuse^  de  ce  Journal  des 
Gourmands .  formant  1 2 1  numéros  de  90  pages  réu- 
nis en  40  rolumes ,  est  deyenue  très-rare  ;  et  nous 
avons  cru  rendre  un  service  éminent  aux  amphy- 
trions ,  aux  gourmands,  aux  parasites,  aux  dîneurs, 
à  tous  les  philosophes  de  ce  siècle  en6n  qui  ont 
pris  ia  sage  résolution  de  se  consoler  à  table  des  tri- 
buJations  sociales  et  de  la  perversité  du  siècle , 
en  extrayant  de  ce  monument  élevé  à  la  gloire  de 
la  science  gastronomique ,  tous  les  articles  qui  peu- 
?ent  former  l'éducation  )  entretenir  le  goût,  orner 
l'esprit  des -hommes  voués  par  ëtat^par  calcul,  par 
appétit  ou  par  résignation  au  culte  de  Comus* 

Aux  dissertations  savantes  sur  l'art  manducatoire» 
anx  recettes  alimentaires  données  par  ces  inimita- 
bles professeurs  dans  Vjértde  bien  vivre  y  nous  avons 
a/outé  toutes  celles  que  la  science  culinaire  a  pro- 
duites de  plus  remarquables  jusqu'à  ce  jour;  car 
le  nombre  des  amphytrions ,  des  convives  et  des 
vrais  gourmands,  celui  des  indigestions  et  des  mé- 
decins se  sont  accrus  dans  une  proportion  vrai- 
ment effrayante. 

Nous  avons  ajoaté  les  noms  des  principales  mai* 
soDS  de  commerce  de  bouche  que  Paris  renferme , 
et  un  itinéraire  gourmand  de  la  France. 

Les  bons  mots ,  les  saillies ,  les  observations  qui 
avaient  lieu  aux  dîners  de  la  Société  épicurienne  , 
les  améliorations  qu'il  convenait  de  faire  pour  le 
service  d'une  table  ,  tant  dans  l'intérêt  des  amphy- 
trions que  dans  celui  des  convives ,  paraissaient  dans 
le  journal  de  cette  Société  sous  le  titre  de  hors 
d* œuvres.  Ce  sont  ces  petits  articles  réunis  qui  for- 


Tiit  AVERTISSEMENT. 

ment,  en  grande  partie,  le  Code  de  politesse  gour- 
mande que  nous  donnons  dans  cet  ouvrage,  sous  le 
titre  de  Code  de  la  table  ^  et  auquel  des  auteurs  spiri- 
tuels ont  emprunté  quelques  dispositions  que  nous 
sommes  bien  aises  de  leur  avoir  fournies ,  à  charge 
de  revanche. 

Ce  travail  important ,  désiré  depuis  plusieurs  an- 
nées ,  et  que  nous  avons  seul  obtenu  le  droit  de 
publier,  est  le  résultat  des  méditations  analytiques 
de  deux  anciens  convives  de  cette  mémorable  JSo- 
ciété ,  d  un  des  premiers  maîtres  d'hôtel  de  la  Ca- 
pitale ,  et  d'un  praticien  moderne ,  sairanit  expert. 

Cet  ouvrage  contiendra  cinq  grandes  divisions  , 
savoir  : 

1  ^  Cours  de  littérature  gastronomique ,  par  MM. 
6.  D.  L.  R. ,  Gastermann  ,  Clytophon  ,  etc. 

2**  L  Année  gourmande  ,  renfermant  des  disser- 
tations sur  les  productions  nutritives  de  chaque 
mois,  et  des  recettes  alimentaires  relatives  à  ces 
différentes  productions  ,  rédigées  par  Messieurs  G. 
D.  L.  R***,  B***  et  C***  ,  G***  et  B***,  G.  L.  C***^, 
P***,  etc. 

3^  Education  gastronomique  ^  usages  bons  à  sui- 
vre ,  abus  qu'il  faut  éviter ,  élémens  de  politesse 
gourmande;  dessert^  chansons  de  table,  café,  etc. 

4®  De  C Hygiène  de  la  table ^  par  les  docteurs 
Marie  de  Saint-Ursin  et  C***. 

5*"  Produits  de  [industrie  gastronomique;  variétés; 
anecdotes  gourmandes ,  bons  mots  de  table ,  etc. 

l'éditeur. 


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^$<;0nx$  ^tmmtmtx^ 


Les  préjugés  ont  une  telle  influence  sur  les  tètes 
faibles;  il  s'est  établi  tant  d'erreurs  sur  les  ruines 
des  vérités  les  plus  naturelles,  qu'il  n'est  peut-être 
pas  inutile  d'examiner  sérieusement  si  l'opinion  des 
sobres  sur  la  gourmandise  a  d'autres  fondemens 
qu'un  mauvais  estomac. 

De  même  que  les  premiers  apôtres  de  la  conti- 
nence furent  indubitablement  des  hommes  mal 
conformés  j  les  premiers  apologistes  de  la  sobriété 
pourraient  bien  être  des  gens  sans  appétit. 

Aristipe  remarque  que  les  philosophes  qui  affi- 
chaient le  mépris  des  richesses  ne  possédaient  pas 
une  obole.  Diogène  était  sans  ressource  quand  il 
se  fit  cynique  ;  Anaximandre  eût  laissé  l'école  de 
Cratèspour  celle  d'Ëpicure,  s'il  eût  eu  un  moyen 
plus  prompt  de  se  faire  remarquer. 

Il  en  est  ainsi  des  détracteurs  de  l'appétit ,  de  ce 
penchant  inhérent  aux  hommes  bien  nés  et  heu- 
reusement constitués.  Ce  n'est  pas  la  première  fois 
que  des  charlatans,  digérant  mal  et  partant  bien  , 


\ 


4  DISCOURS  PRÉLIMINAIRE. 

nourris ,  au  visage  coloré ,  dont  l'aspect  annonçait 
une  digestion  libérale  et  une  franchise  de  convive  ; 
mais  il  se  défiait  de  ces  spectres  au  teint  blême  , 
au  front  sombre,  au  ventre  creux,  dont  l'air  mé- 
content annonçait  deux  choses  inséparables  :  une 
mauvaise  digestion  et  de  mauvaises  pensées. 

Les  Romains,  h  la  fin  du  repas,  se  faisaient  ap- 
porter la  coupe  magistrale ,  et  buvaient  à  la  ronde 
autant  de  coups  qu'il  y  avait  de  lettres  dans  le  nom 
de  leurs  maîtresses.  Gruter  nous  apprend ,  daus 
ses  Inscriptions t  page  609,  qu'ils  avaient  coutume 
de  s'écrier  dans  leurs  festins  :  jlmici,  dumvivimm 
vivamus!  C'est-à-dire  :  tAmis,  pendant  que  nous 
vivons,  jouissons  de  la  vie  ;  »  car  Raderus  a  très- 
bien  fait  voir,  par  des  exemples  tirés  de  Catulle, 
Cécilius,  Varron  ,  Anacréon  et  d'autres  anciens  au- 
teurs, que  vivere  signifie  se  réfouir,  s'abandonner 
au  plaisir  de  la  bonne  chère,  au  vin,  etc. 

Voici  une  autre  inscription  que  nous  prenons 
encore  dans  Gruter,  page  699: 
Vive,  hospes,  dum  lieet;  ait/ae  voie. 

•  llùjoiiis-toî ,  tandis  que  tu  en  es  le  maître ,  et  porte-toi 

Nous  n'en  finirions  pas  si  oous  voulions  citer 
tous  les  grands  liommes  qui ,  par  leurs  exemples 
ou  par  leurs  vœux,  ont  encouragé  la  gourmandise. 

L'un  des  traits  le  plus  généralement  senti  de  la 


iWWIVVIV 


DISCOURS  PRÉLIMINAIRE.  i 

bonté  du  graad  Henri ,  c'est  le  vœu  de  donner  à 
tous  ses  sujets  la  poule  au  pot.  Un  bon  dîner  ëtait^ 
à  juste  titre ,  aux  yeux  du  héros ,  le  signe  le  moins 
équivoque  de  la  prospérité  publique  et  du  conten- 
tement des  peuples. 

La  plupart  des  rites  religieux  sont  des  actes  de 
dégustation.  Les  prêtres  anciens  consommaient  les 
offrandes,  et  les  victimes  n'étaient  que  des  viandes 
succulentes ,  dévouées  à  l'appétit  des  sacrificateurs. 
La  récompense  du  néophite  était  l'admission  au 
banquet. 

Saint  Césaire,  évèque,  d'Arles,  dit  que  de  son 
temps ^  lorsqu'on  ne  pouvait  presque  plus  boire, 
on  adressait,  pour  s'y  exciter  encore,  des  santés  aux 
anges  et  à  tels  saints  qu'on  jugeait  à  propos. 

Les  grandes  époques  de  la  religion  rappellent 
les  plaisirs  et  la  franchise  de  la  table.  La  gourman- 
dise s'associe  à  toutes  les  solennités  ;  elle  fait  le 
fond  de  toutes  les  cérémonies ,  elle  est  de  toutes 
les  fêles  :  l'Epiphanie  est  dédiée  aux  gâteaux ,  la 
Circoncision  aux  dragées,  Pâques  à  l'agneau,  aux 
jambons  et  aux  œufs,  la  Saint -Martin  aux  oies 
grasses ,  etc.  On  jeûne  la  veille  de  toutes  les  fêtes 
pour  préparer  son  estomac  ;  et»  pour  un  gourmand 
régulier,  c'est  une  sorte  d'obligation  de  se  donner, 
dans  le  grand  jour  qui  se  prépare ,  une  sainte  indi- 
gestion. Cela  s'appelle  sedécarêmer;  et  iln'appar- 


6  DISCOURS  PRÉLIMINAIRE. 

tient  qu'aux  connaisseurs  de  savourer  tout  ce  que 
ce  mot  a  de  sensuel. 

Ce  n'est  point  vers  une  perfection  chimérique 
et  contraire  à  ses  œuvres  ;  ce  n'est  point  vers  des 
privations  contre  nature,  que  le  père  des  humains 
élève  les  désirs  de  ses  enfans  ;  c'est  à  des  besoins 
journaliers ,  à  des  plaisirs  qui  leur  sont  propres 
qu'il  rattache  les  devoirs  qu'il  leur  impose. 

Buvez  et  mangez  ^croissez  et  multipliez  :  c'est  ce 
qu'il  a  dit  à  la  postérité  d'Adam ,  depuis  l'origine 
des  siècles,  et  ce  qu'il  leur  répète  par  la  voix  de 
leur  estomac. 

La  gourmandise  n'est  donc  pas  aussi  profane  que 
quelques  sophistes  le  soutiennent.  Combien  se  sont 

abusés  les  partisans  de  la  sobriété  lorsqu'ils  ont  osé 
faire  un  crime  d'une  chose  non-seulement  licite, mais 
autorisée  ;  non-seulement  autorisée ,  mais  conseil- 
lée; non-seulement  conseillée,  mais  recommandée  ; 
non -seulement  recommandée  ,  mais  prescrite  ! 

Le  plaisir  de  manger ^  la  destination  la  plus  évi- 
dente de  nos  organes,  la  fonction  la  plus  habituelle 
de^notre  corps,  le  besoin  le  plus  impérieux  de 
notre  être,  a  donc  été  consacré  par  ce  qu'il  y  a  de 
plus  vénérable  et  de  plus  spirituel. 

Il  n'y  a  qu'un  faux  orgueil,  une  ridicule  préten- 
tion à  la  perfectibilité  ,  qui  aient  pu  intervertir 
l'ordre  établi  par  le  Créateur. 


"^ 


DISCOURS  PRÉUMINAIRE.  7 

Les  sources  de  Tintelligence  et  de  la  vie  ressem- 
hient  à  celles  du  Nil.  Des  curieux  les  placent  aux 
montagnes  de  la  lune  ;  mais  le  ventre  a  sa  place 
bien  déterminée,  sa  destination  bien  évidente. 
Que  ceux-ci  placent  lame  dans  le  cerveau  ,  ceux-là 
dans  le  cœur;  les  uns  dans  les  poumons ,  les  autres 
dans  Ja  glande  pinéale  ;  tous  se  réuniront  pour  dire 
que  le  ventre  est  le  vaste  atelier  où  sëlaborent  tous 
les  ressorts  de  notre  existence. 

Pourquoi  n'a-t-il  été  donné  qu  une  étroite  ha- 
bitation à  notre  cerveau ,  tandis  que  le  ventre  a 
plus  de  capacité ,  de  souplesse  et  de  puissance  que 
tout  le  reste  de  notre  corps?  N'est-ce  pas  parce 
qu'il  est  le  sanctuaire  oii  sont  recelés  tous  les  mys- 
tères de  la  vie ,  le  réservoir  de  toutes  nos  sensa- 
tions, le  principe  de  toutes  nos^idées,  l'œuvre 
dans  laquelle  s'est  complu  l'artiste  éternel?  Nous 
appartient-il  de  négliger  ce  qui  lui  a  coûté  tant  de 
soins?  Rougirions -nous  de  ce  qu'il  a  fait  en  nous 
de  plus  apparent  et  de  plus  nécessaire  ? 

Il  y  a  sansdoute  autant  d'élévation,  plus  de  bonne 
foi ,  et  non  moins  de  jouissance  à  cultiver  nos  dis- 
positions naturelles,  et  à  perfectionner  l'art  alimen- 
taire, qu'à  affecter  un  dédain  présomptueux 'pour 
notre  maître,  etnous  croire  supérieurs  à  noire  ventre. 

Que  ces  réflexions  ne  soient  pas  perdues  pour 
l'appétit  des  fidèles  ;  elles  sont  le  fruit  de  longues 


8  DISCOURS  PRÉLIMINAIRE. 

mëditations.  Que  ceux  qui  ont  été  infidèles  à  nos 
doctrines  rentrent  avec  une  nouvelle  ferveur  dans 
les  temples  de  Cornus,  et  méditent  avec  un  saint 
recueillement  les  leçonà  gastronomiques  que  nous 
allons  leur  donner. 

l'auteua  pe  cet  article. 


xmxa* 


XSSAX  ftVR  XiA  OVIftIVB  DSft  AVOIBlTt. 


En  dipil  des  Sloirieiu ,  Ton  coaTÎendra  qiM  les  pldairs  de  U 
iabl»  aont  le»  premien  que  l'on  éprouve ,  let  demien  qu« 
J  on  qiutl0>  cl  oeaz  qiM  l'on  peut  goûter  1«  pln«  gon? tut. 

GRJJiaD  0«   LA  RKTMiJntK. 


/ 


LE  GASTRONOME 

FRANÇAIS. 


CHAPITRE  PREMIER* 

ESSAI    SUR    LA   CUISINE    D£S    ANCIENS. 

^vticie  Iflr^mier. 

Les  lecteurs  qui  ne  cooDaissent  Tantiquité  que  dans 
les  relations  du  moderne  Anacharsis ,  savent ,  de  reste , 
que  les  plus  graves  personnages  et  les  plus  sévères  phi- 
losophes ont  écrit  avec  détail,  avec'complaisance  de  cette 
gente  gourmandise  ,  que  ses  plus  grands  détracteurs 
choient  à  huis  clos  et  cultivent  avec  ardeur,  tout  en 
l'invectivant  avec  hypocrisie. 

Nous  savons  bien  que  le  manteau  des  anciens  ne  nous 
préservera  pas  des  traits  de  la  critique.^^Nous  ne  nous 
piquons  pas  d'une  érudition  aussi  sûre  que  celle  de  nos 
adversaires;  et  nous  avons  quelque  chose  de  mieux  à 
(aire  que  de  mâcher  à  vide;  mais  nous  leur  avouons  sans 
détour  que  nous  nous  moquons  de  leurs  sentences  mal 
digérées. 

Des  délicats  à  face  blême 

Nous  ne  redoutons  rien  du  tout; 


12  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Tant  que  dos  mets  auvont  boxi  goûî^ 
Notre  appétit  sera  le  même.. 
'    De  leurs  malicieux  propos  . 
Il  n'entrera  âjams  nos  oreilles 
Pas  plus...  que  d'eau  dans  nos  bouteilles^ 
Ou  que  de  sel  dans  leurs  bons  mots. 

Au  surplus  »  nous  les  averlissons  qu'il  y  a  pour  leur 
yauité  quelque  danger  à  nous  prendre  en  défaut;  car  ce 
serait  nous  donner  la  preuve  que  le  sujel  qui  nous  occupe 
est  familier  à  ceux  qui  le  dédaignent. 

En  tout  cas ,  nous  parlerons  de  cuisine  avec  Aristote  , 
Platon,  Théophraste,  Hérodote,  Athénée,  Aristophane, 
gens  très- respectés  des  savans  critiques ,  pour  être  morts 
il  y  a  plus  de  deux  mille  ans ,  mais  qui  mangèrent  tant 
qu'ils  vécurent.  Des  Grecs  nous  passerons  aux  Latins 
fde  cuisine J;  et,  quoique  notre  érudition  se  concentre 
dans  cette  délicieuse  enceinte ,  nous  avons  fait  assez  de 
recherches  pour  convaincre  les  incrédules  et  encourager 
les  faibles.  La  comparaison  de  nos  repas  à  ceux  des  an- 
ciens peut  faire  naître  quelque  invention  nouvelle,  et 
ne  dtlt-il  résulter  de  nos  travaux  qu'une  nouvelle  sauce 
aux  câpres ,  nous  aurons  atteint  notre  but ,  et  bien  mé- 
rité de  l'humanité. 

Les  anciens ,  nos  maîtres  en  tout  genre ,  nos  modèles 
dans  les  arts,  dans  l'histoire,  dans  la  poésie,  d^ns  le 
gouvernement,  n'onUpas  omis  de  l'être  aussi  dans  là 
cuisine ,  et  l'on  verrait ,  dans  les  fragmens  perdus  de 
plusieurs  écrivains  du  temps,  qu'il  y  eut  plusieurs  écoles 
ouvertes  aux  amateurs. 


/ 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.      i3 

H  existait  en  Ellde  un  savant  cuisinier  nommé  Thim-* 
bron ,  qui  voyagea  par  toute  la  terre  dans  la  seule  vue 
de  perfectionner  Tart  de  la  cuisine.  Je  sais  d'un  savant 
bien  infoi;mé ,  qu'il  ouvrit  à  son  retour  une  école  pu- 
blique ,  qui  fut  beaucoup  plus  fréquentée  que  ne  l'avait 
jamais  été  celle  de  Pythagore ,  et  que  ne  le  fut  ensuite 
celle  d'Aristote.  Sa  philosophie  consistant  plus  en  ac- 
tions qu'en  paroles»  est  la  seule  qui  ait  conservé  des 
disciples  nombreux. 

Tout  le  monde  sait  qu'Apicius  fonda  une  académie  de 
gourmands,  et  que  l'académie  apicienne»  dont  nous 
aurons  plus  d^une  fois  occasion  de  parler»  fut  continuée 
par  les  empereurs  Vitellius  Galigula  »  le  nuignifique  Hé- 
Uogabale  , 

Et  Géta  qui  mangeait  par  ordre  alphabétique. 

Gasta.,  ch,  i**. 

* 

Domitien  alla  même  plus  loin;  et  ne  sachant  plus  que 
faire  du  sénat  de  Rome ,  il  ne  conçut  pas  de  meilleur 
moyen  de  relever  sa  gloire  que  de  le  convoquer  dans  sa 
cuisine.  Il  y  proposa  la  grande  afTaire  dont  Juvénal  nous 
a  conservé  les  détails.  L'éloquence»  animée  par  l'ap- 
pétit» fit  des  merveilles;  celui-ci  fit  taire  enfin  celle-lh. 
Pressé  d'aller  dtner» 

Le  sénat  mit  aux  voix  cette  affaire  importante. 
Et  le  turbot  fut  mis  i\  la  sauce  piquante. 

Gàsta.,  ch,  r'. 


Nous  possédons  assez  de  monumens  pour  faire  revivre 
ce  noble  enthousiasme  et  ces  utiles  institutions.  Nous 


i4  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

serons  les  créateurs  d'une  science  nouvelle ,  dont  la  no- 
menclature doit  faire  honneur  aux  professeurs;  et ,  pour 
peu  que  nous  y  mêlions  un  peu  de  grec,  nous  espérons 
recevoir  bientôt  des  docteurs  en  gourmandise.  Nous  le 
souhaitons  pour  le  bien  de  nos  semblables  et  la  propaga- 
tion des  vérités  utiles. 

Que  tous  les  gourmands  de  l'Europe  sachent,  pour 
la  gloire  de  leur  profession ,  que  l'un  des  plus  sages  mo- 
narques de  l'antiquité ,  celui  qui  fonda  Thèbes , 

Celui  de  qui  nous  vient  cet  art  ingénieux 
De  peindre  la  parole  et  de  parler  aux  yeux, 

que  Cadmusy  l'aïeul  de  Bacchus,  commença  par  être 
cuisinier  du  roi  de  Sidon ,  ce  qui  prouve  que  l'art  du 
cuisinier  marchait  alors  l'égal  de  celui  du  législateur. 

Je  propose  aux  gourmands  d'adopter  ce  noble  patron , 
dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  des  temps  héroïques. 
Je  sais  que  la  gourmandise  est  encore  plus  ancienne  que 
lui ,  et  naquit  avec  le  monde  ;  mais  j'ai  mes  raisons  pour 
choisir  un  Grec;  c  est  une  autorité  à  opposer  tour  à  tour 
aux  petits-maîtres,  aux  érudits,  aux  tiède^  et  aux  cri- 
tiques. 

Dirai-je  Mithœcus ,  Actidès ,  Phiioxène , 
Hégémon  de  Thasos,  et  Tiinbron  de  Micène? 

Gasta.,  cA.  1". 

Mithœcus  publia  en  Grèce  un  livre ,  cité  par  Platon 
dans  son  dialogue  de  Gorgias ,  qui  avait  pour  titre  le 
Cuisinier  Sicilien, 


t 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS  i5 

Numénius  d*HéracUe,Eéiiémon  deThasoê,  Piriloxène 
de  Sicjone ,  dont  parle  Athénée ,  écrivirent  sur  la  cui- 
sine avec  autant  de  gravité  que  le  mérite  un  tel  gujet. 

Mais  quoi!  ce  poëme  de  la  Gastronomie ^  l'honneur 
de  notre  école ,  les  délices  de  nos  tables ,  ce  poëme  est 
donc  aussi  l'ouvrage  d'un  ancien  ?  Il  est  trop  vrai ,  pour 
la  gloire  de  M.  Berchoux ,  qu'un  habitant  de  la  ville  de 
Mîoerve ,  nommé  Archestrate ,  composa  une  Gastrano- 
mie  vingt  siècles  avant  M.  Berchoux.  Cet  Archestrate , 
cher  aux  gourmands  ,  était  l'ami  du  fils  de  Périclès ,  qui 
sans  doute  était  aussi  un  gourmand.  L'auteur  moderne 
a  vraisemblablement  trouvé  son  manuscrit  dans  quelque 
ruine  antique  ;  il  a  bean  nous  dire ,  avec  un  air  de  bonne 
fol ,  qu'il  regrette  de  ne  pas  le  connaître  ;  je  soutiens  que 
ce  poëme  moderne  est  un  vol  fait  à  l'antiquité;  et,  bien 
qu'il  soit  plein  de  verve ,  de  jeunesse  et  de  santé ,  il  est 
aisé  d'y  reconnaître  la  sévérité  du  goût  antique»  la  grâce 
athénienne  et  la  correction  la  plus  surannée.  Le  plagiat 
est  d'autant  plus  coupable ,  qu'on  peut  juger  du  mérite 
de  l'original  par  celui  de  la  copie.  Certes ,  le  sel ,  la  fa- 
cilité ,  le  naturel  qui  régnent  partout  dans  ce  poëme  ne 
sont  pas  modernes. 

Quoique  je  ne  veuille  pas  faire  ici  l'énumération  des 
auteurs  anciens  qui  ont  écrit  sur  la  cuisine,  nous  ne 
pouvons  nous  refuser  à  rendre  hommage  au  nom  glo- 
rieux d'Apicius,  devenu  presque  de  nos  jours  le  syno- 
nyme de  gourmand. 

A  plusieurs  plats  nouveaux,  d*un  goût  très-recherché  , 
Le  nom  d'Âpicius  fut  long-temps  attaché. 


]6  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Il  fit  secte,  et  Ton  sait  qu*il  s'émut  des  querelles 
Sur  les  Apicîens  et  leurs  sauces  nouvelleSé 

GlSTB.,  ch,  l*^ 

t 

\ 

Tels  que  les  Hercules,  les  Bacchus»  les  Hermès  «  et 
tous  les  plus  grands  demi  -  dieux  des  siècles  héroïques  » 
Apicius  a  Thonneur  des  exploits  »  des  inventions  et  des 
succès  de  plusieurs  hommes  »  avec  cette  différence , 
toute  entière  à  sa  gloire ,  que  les  Hermès ,  les  Hercules 
et  les  Bacchus  se  perdent  dans  la  nuit  des  temps  &bu- 
leuxy  et  que  les  Apicius  ont  vécu  dans  un  siècle  poli» 
éclairé,  et  juste  appréciateur  du  ?rai  mérite.  Cepen- 
dant on  ne  sait  s'ils  étaient  mille ,  ou  s'ils  n'étaient  qu'un. 
On  a  fait  de  savantes  recherches  sur  leurs  vies;  elles  sont 
encore  problématiques.  Tout  ce  que  les  plus  hardis 
d'entre  les  antiquaires  osent  affirmer ,  c'est  qu'il  y  a  eu 
trois  Romains  de  ce  nom  également  célèbres  :  le  pre- 
mier vivait  sous  Sylla,  le  second  sous  Auguste,  et  le 
troisième  sous  Trajan. 

Le  second  fut,  dit-on,  l'inventeur  des  g&teaux  qui 
portent  son  nom ,  et  fonda  une  académie  de  gourman- 
'dise ,  dont  il  fut  le  chef  jusqu'à  sa  mort ,  laquelle  arriva, 
comme  on  sait,  lorsque  ne  possédant  plus  que  deux  cent 
cinquante  mille  livres ,  il  jugea  qu'il  était  temps  de  sor- 
tir de'ce  monde.  H  les  employa  dans  un  repas  somp- 
tueux ,  et  mourut. 

On  croit  que  c'est  le  troisième  Apicius  qui  composa 
le  traité  de  Obsoniis  et  Condimentis ,  seu  de  Arte  co- 
quinaria ,  dont  nous  avons  une  édition  publiée  à 
Amsterdam  en  1706  par  les  soins  du  savant  Lister. 


V  , 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  17 

C'est  le  même  qui  se  signala  par  l'invention  d'un  se- 
ciet  pour  conserver  les  huîtres  fraîches  (  1] ,  et  qui  en 
envoya  à  l'empereur  Trajan  jusque  chez  les  Parthês. 

Le  temps  des  Trajan  et  des  Auguste  est  aussi  celui 
de  la  gourmandise ,  et  le  Journal  des  Gourmands  fut 
commencé  probablement  sous  l'un  de  ces  deux  règnes. 

Nous  introduirons  une  autre  fois  nos  lecteurs  dans  les 
secrets  delà  cuisine  antique;  qu'il  nous  suffise  aujour- 
d'hui de  nous  être  fait  un  rempart  contre  la  critique , 
et  d'avoir  rendu  hommage  à  nos  devanciers. 


2lrturU  Uuxxkmt. 


De  quelques  usages  gourmands 'y  des  repas  et  de  la  batterie 

de  cuisine  des  anciens, 

La  sobriété  des  Perses  fut ,  dit-on,  mise  en  son  jour 
lorsque  sur  le  champ  de  bataille  leurs  corps  desséchés 
et  diaphanes  résistèrent  beaucoup  plus  long-temps  à  la 
corruption  que  ceux  de  leurs  ennemis.  Cette  preuve 
sans  doute  est  sans  réplique ,  puisqu'elle  est  appuyée 

(1)  Ce  secret  en  serait  encore  un  poar  nous  et  pour  tous  les  vrais  gour- 
mands, si  M.  Balaine  ne  nous  l'avait  heureusement  gardé.  Chez  lui  seul 
es  huittes  ne  connaissaient  point  l'été.  Ce  grand  artiste  eut  l'art  de  les 
conserrer  dans  lenr  fraîcheur  ordinaire ,  et  pendant  toute  l'année  sa 
naiaoa  lut  réellement  le  rocher  de  Caneale, 

On  sait  que  M.  Balaine  a  cédé  son  établissement  depuis  plusieurs 
années.  Celle  perte  est  irréparable  pour  les  véritables  gourmands. 


i8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

du  témoignage  des  plus  graves  historioDs ,  et  c'est  un 
bel  effet  de  la  tempérance  que  de  pouvoir  retarder  de 
vingt-quatre  heures  Févaporation  de  quelques  reliques 
insensibles* 

Toutefois  les  écrivains  qui  ont  vanté  Taustérité  des 
anciens  nous  ont  aussi  conservé  leurs  usages  les  plus 
reculés  ;  et  dès  le  temps  de  la  guerre  de  Troie  il  est 
constant  qu*en  Grèce  on  faisait  régulièrement  quatre 
repas  par  jour ,  ce  qui  annonçait  un  penchant  bien  in- 
vétéré pour  la  gourmandise. 

Le  premier  repas  se  nommait  acratisma  ou  dianes- 
ttsmos;  c'était  notre  déjeûner. 

Uariston  ou  darpUton  se  faisait  à  peu  près  à  l'heure 
du  diner  de  nos  provinces. 

Uhesperisma,  en  latin  merenda  (i) ,  était  un  repas 
intermédiaire  que  l'on  nomme  encore  le  g'out^  dans  les 
pays  oiï  il  s'est  conservé,  mais  que  le  diner  tardif  de 
Paris  a  tout-à-fait  proscrit  parmi  nous. 

La  cène  ou  souper ,  dont  le  nom  savant  est  dipnon 
ou  epidorpiSf  a  toujours  été  le  repas  de  prédilection  des 
bons  convives  de  l'antiquité  comme  de  ceux  de  notre 
fige.  Les  héros  d'Homère  faisaient  ordinairement  leurs 
festins  à  la  chute  du  jour  :  c'est  le  soir  que  mangeaient 
les  Asiatiques ,  les  Grecs»  les  Egyptiens  et  les  Romains; 
et  le  choix  de  cette  heure  prouve  que  »  pénétrés  de  l'im- 
portance des    fonctions  digestives»   ils  voulaient   être 


(i)  Ce  mot  est  encore  usité  en  Champagne  :  à  GhSlons  il  sigaiGe  U 
iûiatUm,  le  goûter. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     19 

libres  de  soucis ,  dégagés  du  poids  des  afEaires  »  et  toul 
entiers  au  plaisir  de  la  table. 

Ces  différens  repas  ayaient  leurs  mets  distincts»  leurs 
instrumens  particuliers  »  leur  appareil  convenable. 

C'est  au  dîner  et  au  souper  que  se  déployaient  toute 
la  pompe  des  banquets  et  tout  le  génie  de  la  cuisine. 

On  a  découvert  à  Herculanum  des  cuisines  avec  des 
pot^rs  et  des  fourneaux  en  brique  à  peu  près  sem- 
blables aux  nôtres.  On  y  voit  une  grande  cheminée 
pour  les  potages ,  une  autre  pour  les  rdtis ,  un  four ,  des 
tables  épaisses  et  solides ,  un  billot ,  une  pompe ,  une 
enceinte  vaste  et  voûtée,  afin  de  prévenir  les  ravages 
du  feu.  Cette  distribution  n'a  rien  laissé  à  perfectionner 
pour  le  &cile  exercice  de  Tart  gastronomique. 

Les  ustensiles  trouvés  dans  ces  cuisines  étaient  aussi 
nombreux  et  non  moins  finis  que  ceux  qu'on  fabrique 
de  nos  jours;  ils  avaient  de  plus  l'avantage  d'être  en 
bronze,  épais,  etétamés  en  argent. fin  :  tels  étaient  les 
grils ,  les  passoires,  les  tourtières,  les  coquilles  à  mouler 
la  pâtisserie ,  etc. 

On  a  trouvé  jusqu'à  un  pâté  aux  trois  quarts  cuit , 
conservé  entier  dans  un  four ,  où  il  avait  été  étouffé  par 
les  cendres  )unoncelées  du  Vésuve.  Que  je  plains  ceux 
pour  qui  il  cuisait  I 

Les  assiettes ,  les  tasses  et  les  cuillères  étaient  le  plus 
ordinairement  de  bronze.  La  faïence  et  la  porcelaine 
sont ,  il  est  vrai ,  d'un  usage  beaucoup  plus  agréable; 
cependant  les  anciens  avaient  des  vases  d'argile ,  et  la 
délicatesse  des  Etrusques  peut  donner  la  mesure  de  leur 


k 


%o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

IqxÔ  en  ce  genre.  Ils  avaient  aussi  des  carafTes  de  cristaF^ 
des  aiguières  et  des  seaux  de  terré  pour  rafraîchir  le 
vin  ,  et  une  foule  d'instrumens  ingénieux  qui  l'empor- 
taient peut-êtresur  les  railinemens  modernes. 

Les  ruines  n*ont  pas  réyélé  de  fourchettes  ;  de  sorte 
que  les  faiseurs  de  conjectures  peuvent  penser,  si  bon 
leur  semble  »  que  les  anciens  mangeaient  la  salade  avec 
leurs  doigts ,  ou  bien  qu'à  la  manière  des  Chinois  ils  es- 
camotaient leurs  morceaux  avec  deux  petits  bâtons  d'i^ 
voire  ou  de  métal.  Néanmoins  il  est  présumable  que  cet 
ustensile  ingénieux  était  compris ,  ainsi  que  le  couteau , 
dans  le  couvert  complet  que  le  peuple  avait  en  bronze 
ou  même  en  bois,  mais  que  les  riches  faisaient  fabriquer 
en  argent ,  en  or,  et  en  dents  d'éléphant. 

Les  marmites  trouvées  à  Herculanum  étaient  à  trois 
pieds  comme  les  marmites  du  dix-huitième  siècle;  mais 
elles  étaient  de  bronze  étamé ,  et  avaient  en  dedans  un 
gros  cylindre  creux  qui  rentrait  dans  la  marmite ,  afin 
que  le  feu  la  pénétrât  plus  rapidement.  Le  couvercle 
pour  se  plier  à  cette  forme  était  en  dôme ,  et  c'est  peut- 
être  cette  marmite  qui  a  donné  l'idée  première  du  Pan- 
théon français.  Beaucoup  d'autres  inventions,  non  moins 
glorieuses  et  plus  utiles  ,  sont  sorties  de  la  même  source. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  le  plan  de  cette  marmite  se  trouve 
dans  les  recherches  de  M.  Fougeroux  de  Bondaroy,  pu- 
bliées en  1770.  Nous  indiquons  cet  ouvrage  aux  artistes 
qui  voudraient  perfectionner  la  marmite,  et  nous  leur 
recommandons  d'y  porter  une  aiteniion  féconde  ;  ils  y 
trouveront  de  nombreux  sujets  de  méditation  sur  les 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS,     si 

monumeos  de  toute  sorte ,  manifestés  par  les  fouilles  de 
ces  YÎUes  enseyelies,  où  la  gourmandise  industrieuse  du 
plus  grand  peuple  de  la  terre  a  déposé  des  reliques 
dignes  de  nous  servir  de  modèles* 


Volailles  j  poissons  y  coquillages  si  végétaux  senant 
d  la  nourriture  des  anciens. 

Les  anciens  connaissaient  presque  tous  nos  mets ,  et 
nous  n'ayons  conservé  de  quelques-uns  des  leurs  que  le 
nom.  Le  cas  que  faisaient  les  gourmands  du  phénicaptère 
parmi  les  volailles ,  de  l'attagen  d'Ionie  parmi  les  oiseaux, 
de  l'oursin  entre  les  coquillages»  du  scarus^  Ael'aci" 
penser  et  du  congre  entre  les  poissons ,  prouve  que  nous 
n'avons  rien  qui  leur  soit  comparable. 

Les  naturalistes  ont  vainement  prétendu  nous  faire 
connaître  des  analogues;  leurs  recherches  ne  nous  lais- 
sent que  des  regrets  et  la  preuve  de  leur  impuissance. 
Quand  verrons -nous  les  antiquaires»  cessant  de  courir 
à  la  découverte  infructueuse  d'une  pierre  insensible  et 
d'une  médaille  rongée ,  s'appliquer  à  des  travaux  vrai- 
ment utiles ,  et  mériter  la  reconnaissance  de  leurs  sem- 
blables? Hélas  I  les  ruines  d'Herculanum  ne  renferment 
que  des  squelettes  desséchés ,  des  débris  sans  saveur , 
ûes  inutilités  antiques. 

Qui  nous  rendra  les  murènes  siciliennes,  les  anguilles 


3»  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

« 

flottées  y  les  thons  du  promontoire  de  Raquien,  les  ca- 
bris de  aie  de  Mélos,  les  mulets  de  Simète,  les  coquil- 
lages de  Pélore,  les  harengs  de  Lipare,  les  raves  de 
Mantinée,  les  navets  de  Thèbes?  etc.»  etc. 

Voilà»  Toilà  les  monumens  précieux  de  Tanti^ité 
dont  les  connaisseurs  sont  ayides  I  La  plupart  de  ces 
choses  existent;  la  nature  est  toujours  féconde»  la  terre 
et  la  mer  toujours  fertiles;  c'est  notre  insouciance  qui  a 
laissé  se  perdre  Tart  de  les  choisir  »  de  les  apprécier^  de 
les  faire  valoir  I 

Si  du  moins  les  méthodes  des  anciens  cuisiniers  étaient 
parrenues  jusque  nous  »  nous  pourrions  suppléer  k  ce 
qui  nous  manque  :  le  cuisinier  de  Nicoméde  composait 
des  harengs  en  Bithynie;  celui  de  Trimaldon,  avec  de 
la  chair  de  cochon  ;  du  beurre  et  une  certaine  herbe , 
&isait  des  poissons  »  des  pigeons  ramiers  ».  des  poulardes  » 
et  presque  tout  ce  qu'on  voulait. 

A  la  table  de  Lucullus  les  œufs  de  paon»  les  foies  de 
sanglier»  les' têtes  d'^agneau,  les  ventres  de  truie  étaient 
des  mets  divins.  Le  génie  de  Tordonnateur  de  ses  repas 
faisait  des  miracles  avec  le  cumin ^  le  silphîum,,  le  thpn, 
Voximel,  le  sésams^  V origan ^  et  autres  aromates  in- 
connus de  nos  jours.. 

Nous  avons  perdu  jusqu'à  ta  manière  de  mêler  le  fro- 
mage »  les  carottes  »  Toignon  »  l'ail  »  le  poivre  et  la  men- 
the aux  viandes  grossières  et  vulgaires  qui  viennent  des 
boucheries.  On  faisait  avec  du  persil  »  de  la  coriandre  » 
du  vinaigre  »  du  fenouil  »  de  l'huile  »  du  miel  et  de  la 
chair  de  poule  »  un  ragoût  délicieux  nommé  myma^ 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.      s3 

Qu'est  devenue  cette  recette,  celle  du  mattya^  et  de 
tant  d'autres  mets  dont  le  nom  seul  nous  reste?  Nous 
croyons-nous  plus  riches  avec  le  gingembre  et  les  din- 
dons ,  que  les  Grecs  et  les  Romains  avec  tant  de  richesses 
qui  nous  soot  inconnues?  Dédaigneux  par  ignorance» 
nous  méprisons  le  congre  dont  ils  savaient  dire  un  man- 
ger exquis;  nous  négligeons  la  pintuuie,  ceiXe  perdrim 
nutnidi^ue  qui  fiûsait  l'honneur  des  tables  les  plus 
somptueuses* 

Veut-on  avoir  une  idée  de  leur  supériorité  sur  nous , 
qu'on  lise  seulement  la  nomenclature  des  gâteaux  qu'ils 
savaient  faire.  L'art  des  Le  Sage»  des  Ftiix»  des  Thomas» 
des  Leblanc  »  des  Rouget  et  des  Rats  doit  s'humilier  de- 
vant cette  fécondité  »  ou  plutôt  il  doit  s'enflammer  d'une 
nouvelle  ardeur  »  car  c'est  m  imitant  l'antique  que  l'art 
atteint  à  la  perfection. 

"Uenchjton,  Vamès^  le  diaconion^  Vamphîphon,  le 
basynias,  ïecoccara,  lestrèpU^  leneclata^  Vépichytan^ 
¥<Maniiès,  le  creion,  le  gfycinus,  les  enchridès,  etc.». 
étaient  autant  d'espèces  de  pâtisseries  qui  différaient  par 
la  forme  »  par  le  goût  et  par  les  ingrédiens  :  dans  les  uns 
on  mettait  de  la  viande  comme  dans  nos  petits  pâtés; 
dans  les  autres  entraient  des  épices  ou  du  miel»  le  vin 
même  payait  tribut  à  l'art  du  pâtissier. 

Le  Ubum^lepliicenta,  leseribUta,  le  sphœrita,  le 
crasiulum  »  le  croêtinionuinHculum  valaient  mieux  que 
nos  gâteaux  de  Nanterre  »  nos  échaudés  »  nos  pets  de 
nonne»  nos  croquettes  de  riz  »  et  toutes  ces  pâtes  apprê- 
tées qu'un  gourmet  antique  ,  accoutumé  aux  merveilles 


a4     LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

du  succulent  artocréas  (  i  )  ^  aurait  trouvées  fades  ou  mal 
conçues. 

Sans  prétendre  rabaisser  le  mérite  de  nos  artistes 
nourriciers  ,  je  les  invite  »  au  nom  des  Gourmands ,  au 
nom  de  leur  gloire  et  du  dieu  Cornus»  à  se  faire  expli- 
quer »  par  les  savans  en  us  et  en  os  »  la  signification  de 
tant  de  mots  friands.  Peut-être ,  à  force  de  travail ,  et 
en  joignant  une  dégustation  réfléchie  aux  études  théori  - 
ques ,  parviendront-ils  à  découvrir  la  source  de  tant  de 
trésors.  Quelles  que  soient  nos  possessions  en  ce  genre , 
que  de  choses  ne  pouvons-nous  pas  acquérir  !  Ne  dus- 
sions-nous retrouver  que  le  xipkitis,  le  pagre,  ou  la 
sardine  de  PhaUre,  nous  n'aurions  pas  inutilement  par^ 
couru  les  mers. 

M.  Barthélémy  (2)  a  mis  à  la  portée  de  tous  la 
description  du  magnifique  repas  donné  par  Dinias.  On 
trouve  dans  Hérodote  celui  que  donna  le  thébain  Atta- 
gineà  Mardonius  et  aux  généraux  perses.  Le  père  D.  de 
Montfaucon ,  dans  ses  Antiquités ,  et  Athénée  »  ont  écrit 
assez  longuement  de  la  cuisine  pour  guider  dans  cette 
voie  glorieuse  quiconque  se  sentira  assez  de  courage  et 
de  génie  pour  la  parcourir. 

Il  est  du  moins  quelques  préceptes  que  tous  les  lec- 
teurs peuvent  apprécier ,  et  dont  M.  Balaine  a  fait  sou- 
vent Tapplication  ;  par  exemple  : 

Il  était  de  règle  qu'un  poisson  de  chair  ferme  fût 

(i)  Espèce  de  pâl<^  de  chair  hacher. 
(a)  Voyage  d'Anachareis. 


I 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  sa 

«aupoudré  de  fromage  râpé  »  et  arrosé  de  vinaigre  ;  s'il 
était  d'uoe  chair  délicate  ,  od  n'y  mettait  que  de  Thuile 
et  du  sel  ;  ou  bien ,  enveloppé  dans  des  feuilles  de  fi-  . 
guter ,  on  le  feisait  cuire  sous  U  cendre. 

Avec  les  poissons  bouillis  ou  rôtis  on  mettait  une 
sauce  de  fromage ,  vinaigre ,  ail ,  oignons  et  poireaux  ha- 
chés. Si  l'on  voulait  que  cette  sauce  fdt  moins  forte , 
elle  n'était  composée  que  d'huile»  de  jaunes  d'œufs ,  de 
poireaux ,  d'ail  et  de  fromage.  La  voulait-on  plus  douce 
encore ,  on  y  ajoutait  du  miel ,  des  dattes  et  du  cumin. 

II  était  rare  qu'une  grosse  pièce  se  servit  isolée  :  le 

poisson  se  farcissait  ordinairement  de  gibier ,  de  menue 

Yolaille,  d'huttres  et  de  coquillage;  le  gibier,  de  poissons» 

d'œufs  et  d'aromates.  Ainsi  l'amateur  retrouvait  partout 

quelque  nuance  de  ce  qu'il  aimait  le  plus  dans  le  règne 

animal  ou  végétal. 

II  s'était  conservé  dans  le  moyen  âge  quelque  souve- 
fiir  de  ces  apprêts  ingénieux.  Dans  les  galas  que  les 
princes  et  les  grands  seigneurs  donnaient  au  peuple  en 
Allemagne  et  en  Italie ,  on  avait  coutume  de  servir  pour 
plat  du  milieu  un  bœuf  entier»  proprement  préparé» 
lequel  contenait  un  cerf»  aussi  tout  entier  »  vidé  et  ac- 
commodé :  ce  cerf»  était  farci  de  volailles  et  de  gibier 
dont  le  ventre  était  rempli  de  cailles»  d'ortolans  »  de 
petits  poissons  »  sans  os  et  sans  arêtes  »  le  tout  mêlé  de 
graisses  diverses  »  d'épices  »  et  d'ingrédiens  savoureux. 

Mais  cette  image  imparfaite  des  raiïinemens  antiques 
ne  peut  donner  une  idée  exacte  des  inventions  de  la 
cuisine  grecque  »  perse  et  romaine. 


s6  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Un  nommé  Massialo^  qui  en  1730  a  fait  imprimer 
un  livre  en  trois  volumes  sur  l'art  alimentaire ,  donne 
aux  cuisiniers  modernes  le  procédé  dont  se  servaient 
les  anciens  pour  accommoder  un  cochon  de  lait  à 
demi-rôti  et  à  demi-bouilli  ;  on  le  vidait  par  un  petit 
trou  à  Tépaule»  on  le  lavait  soigneusement  avec  du  vin» 
et  on  le  remplissait  d'ingrédiens  qu'on  insinuait  par  la 
gueule.  Massialo  traduit  ce  mets  par  le  titre  de  cochon 
à  la  Perdouillet. 

Ab  uno  disce  omnes. 

Les  nombreuses  découvertes  qui  vont  être  le  fruit  de 
nos  études  réfléchies  sur  la  cuisine  des  anciens  »  stimu- 
leront sans  doute  le  zèle  des  artistes ,  et  feront  fermen- 
ter leurs  têtes.  Puisse  bient&t  une  école  publique  s'ou- 
vrir à  de  nombreux  disciples  I  Quand  nous  verrons  au 
milieu  de  dix  fourneaux  ardens  trente  suivans  de  Gomus 
agiter  la  casserole  »  faire  pétiller  la  graisse,  hacher  les 
viandes  et  les  herbes ,  tenter  tous  les  jours  de  nouvelles 
expériences ,  et  proclamer  par  semaine  un  procédé  nou- 
veau renouvelé  des  Grecs ,  alors  nous  espérerons  voir 
renaître  les  beaux  jours  des  Trimalcion  »  des  Apicius  et 
des  Ésope  l'omains. 

Mais  tant  que  nous  verrons  les  restaurateurs  indolens 
suivre  leurs  routines  vulgaires»  nous  ne  cesserons  d'évo- 
quer  les  mânes  de  leurs  rivaux»  et  de  leur  reprocher 
l'oubli  de  tant  de  mets  divins  qu'un  gourmand  du  dix- 
neuvième  siècle  est  réduit  à  envier  aux  anciens. 


L 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  »j 


2lrtkle  (pmivièvxe. 

C'est  aux  fêtes  de  Cérès  que  les  anciens  redoublaient 
de  zèle  et  de  dévotion  pour  Cornus.  Le  temps  où  la 
déesse  déployait  toutes  ses  richesses  était  celui  oèi  le 
dieu  déployait  tout  son  art»  et  ce  temps  ,  dans  nos  cli- 
mats» derait  répondre  au  mois  de  septembre. 

Dans  les  grands  repas  on  avait  coutume  de  servir  une 
pyramide  de  cent  mets  différons  :  on  la  nommait  le  plat 
centenaire,  Esope  parle  de  cet  usage ,  et  le  premier  des 
Apicius  s'y  conforma»  dit-on^  scrupuleusement;  mais 
le  magnifique  Lucullus  proscrivit  cette  profusion  per- 
pendiculaire et  gothique ,  pour  y  substituer  une  abon- 
dance variée»  commode»  répandue  par  un  goût  plus 
pur  dans  cent  plats  horizontaux  placés  à  la  portée  de 
chaque  convive.  Cette  simplicité  »  qui  n'excluait  pas  la 
richesse  »  prévalut  dans  les  tables  des  Apicius  II  et  III 
du  nom  »  et  la  forme  pyramidale  n'est  adoptée  de  nos 
jours  qne  pour  les  ^urtouts  de  desserts. 

On  sait  que  l'augure  Hortensius  sacrifia  les  premiers 
paons  dont  s'honore  la  gourmandise  romaine. 

L'automne  »  qui  était  le  temps  des  repas  les  plus  somp- 
tueux» se  signalait  par  beaucoup  de  mets  que  nous  né- 
gligeons» et  qui»  si  nous  en  jugeons  par  ce  qu'en  ont 
dit  les  historiens  »  avaient  de  quoi  flatter  le  palais  de& 
plus  délicats. 


28  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

L'ours  et  le  loir,  grâce  à  Tart  du  cuisinier»  étaient 
des  pièces  de  gibier  aussi  estimées  que  le  sanglier  et  le 
daim.  Dans  le  banquet  de  Trimalcion,  Habinnas  eu 
mangea  plusieurs  livres ,  et  ce  fut  un  des  souvenirs  les 
plus  succulens  qu'il  en  conservât. 

Le  francolin  de  Phrygie ,  les  tourds  galliques ,  le  gal- 
bula ,  qu'on  croit  être  le  loriot  »  étaient  des  oiseaux  dis- 
tingués auxquels  on  donnait  la  préférence  sur  les  faisans , 
les  tourterelles ,  les  pigeons  ramiers ,  et  même  les  per- 
drix mouchetées  {Guttatœ), 

Il  est  de  la  gloire  des  artistes  distingués ,  tels  que 
MM.  Halaine ,  Véry,  Lointier,  Grignon  (i) ,  Vefour,  Lé- 
ther,  Prevot,  Lemardelai,  Gueite,  etc. ,  de  rechercher  les 
sauces  auxquelles  on  mettait  ces  oiseaux ,  comme  il  est  de 
•notre  devoir  de  les  inviter  à  faire  cette  recherche  utile. 

Nous  leur  indiquons  encore  les  œufs  de  paon  comme 
une  chose  digne  de  leur  attention.  Gomment  se  pour- 

(i)  M.  GrigDOD  fut  long-temps  Tun  des  premiers  restaurateurs  de  la 
capitale;  mais  eu  1827 ,  il  fut  accusé  par  un  journal  de  servir  de  mauvais 
potages ,  du  poisson  équivoque ,  du  via  frelaté ,  et  d'avoir  des  garçons 
malhonnêtes,  ce  qui,  selon  nous,  n'est  que  trop  commun  dans  plusieurs 
restauraos  de  Paris. 

M.  Grignon  poursuivit  en  diffamation  le  rédacteur  du  journal  devant 
le  tribunal  correctionnel  qui ,  le  9  août,  prononçant  sur  cette  affaire  im- 
portante pour  les  gourmands ,  après  une  plaidoirie  savante  du  spirituel 
M*  Vulpian  ,  plaidant  pour  les  accusateurs,  décida  qu'il  n'y  avait  point 
diffamation,  et  condamna  M.  Grignon  aux  dépens. 

Par  respect  pour  la  chose  jugée ,  nous  nous  abstiendrons  de  signaler 
le  restaurant  de  M.  Grignon  à  la  sensualité  des  amateurs ,  jusqu'à  ce 
qu'un  nouveau  jugement  vienne  nous  apprendre  que  l'on  sert  dans  cette 
maison ,  comme  autrefois ,  de  bons  potages  ,  des  poissons  frais ,  des  vins 
purs,  et  que  les  garçons  y  sont  honnêtes. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  29 

rait-il»  lorsque  leur  art  a  conservé  de  la  véoérable  auti- 
quité  la  méthode  des  pieds  à  la  Sainte- Menehould,  des 
tourtes  aux  raisins  et  des  andouilles  ;  comment  se  pour- 
rait-il, dis -je,  qu'ils  ne  retrouvassent  pas  le  moyen 
d'accommoder  tout  ce  qui  est  susceptible  de  se  cuire  et 
d'être  mangé... 

Je  recommande  à  mes  lecteurs  de  puiser  aux  sources , 
et  je  les  renvoie  à  mes  autorités.  Qu'ils  consultent 
Athénée,  Théophraste,  Aristophane,  Gasaubon,  Eu- 
doxe,  Platon,  Phérécide,  Archestrate,  etc.  La  liste 
seule  des  auteurs  qui  ont  traité  de  la  cuisine  ferait 
honneur  à  un  érudit. 

Je  ne  sais  si  cette  recette  est  connue  de  M.  Appert , 
laquelle  consistait  à  confire,  avec  du  vinaigre  et  de  la 
moutarde ,  des  raves  coupées  par  morceaux  :  cela  vaut 
mieux ,  au  goût  de  quelques  amateurs ,  que  le  cornichon 
même,  qui  pourtant  est  d'une  ressource  si  heureuse 
dans  l'art  alimentaire. 

Les  raves  ainsi  conservées  se  servaient  ordinairement 
au  goûter ,  et  se  mangeaient  sans  apprêt.  On  avait  aussi 
pour  ce  repas  intermédiaire  des  pois  chiches  rôtis ,  éga  - 
lement  agréables ,  avec  ou  sans  sauce,  des  olives  conser- 
vées dans  la  saumure ,  enfin  des  cercopes  et  des  cigales , 
dont  le  goût  avait  quelque  chose  de  plus  agréable  que  la 
chevrette  et  l'écrevisse. 

Je  ne  blâme  pas  l'usage  qu'avaient  les  anciens  de 
faire  quatre  repas;  mais  pour  jouir  avec  une  égale  vo- 
lupté de  palais  et  d'estomac,  il  est  peut-être  plus  sage 
de  ne  faire ,  comme  la  plupart  des  gourmands  modcr- 


d 


3o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

nea ,  que  deux  repas  par  jour.  Le  friand  déjeûner  à  la 
fourchette  commence  dignement  la  journée  gourmande. 
Quelques  rognons  à  la  brochette,  un  pied  farci  aux 
truffes  et  deux  tranches  de  galantine  mettent  suffisam- 
ment en  appétit  le  matin;  les  fibres,  aiguisées  légère^ 
ment ,  gardent  tout  leur  ressort  pour  l'heure  du  dfner 
qui  se  prolonge ,  de  service  en  service ,  au  moins  jusqu'à 
neuf  heures. 

Je  ne  prétends  pas  cependant  condamner  les  friandises 
du  goûter  et  la  liberté  du  souper  nocturne;  je  sais  com- 
bien de  jolies  choses  se  disent,  se  font  et  se  mangent  à 
ces  repas  de  prédilection.  Je  voudrais  pouvoir  rester  en 
ce  point  fidèle  aux  règles  antiques  ;  mais ,  hélas  !  pour  qui 
déjeûne  et  dtne  avec  franchise,  il  reste  peu  de  place  au 
souper. 

La  puissance  de  l'homme  est  bornée,  et  le  plus  gour- 
mand n'a  qu'un  estomac. 

Cette  réflexion  mélancolique  est  tirée  d'un  traité  très* 
ancien  sur  les  lois  de  la  table ,  et  que  je  croirais  grec  si 
l'on  n'y  donnait  beaucoup  d'éloges  à  la  philosophie  d^E- 
sope,  lequel,  n'est  pas  le  Phrygien  qui  fit  des  fables, 
mais  le  comédien  célèbre  par  son  art ,  et  plus  encore  par 
ses  profusions  gourmandes ,  dont  Rome  s'honora  dans 
les  jours  de  sa  gloire. 

I  II  n'est  sauce  que  de  cherté  était  une  de  ses  maxi- 
mes fiivorites.  Voici  d'autres  pensées  que  notre  auteur 
lui  attribue,  et  qui  sont  dignes  de  terminer  cet  article  : 

Les  bonnes  tables  sont  celles  où  il  y  a  plus  de  mets 
que  de  convives. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  Si 

Les  jours  se  divisent  par  avant  et  après  le  dîner  :  nous 
tournons  autour  de  ce  principal  piyot  de  notre  vie. 

On  n'a  point  d*anii  avec  qui  Ton  n'ait  dîné. 

Il  n'est  personne  qui  n'ait  involontairement  médité  sur 
un  bon  plat. 

Toute  la  vaine  science  des  hommes  n'aurait  pas  décou- 
vert les  truffes. 

Dis-moi  qui  tu  hantes ,  je  te  dirai  ce  que  tu  manges. 


2lrtkk  rittipiUnu. 

Des  ouvrages  relatifs  à  i'art  culinaire. 

Hoc  talium  est,  hoc  adiutum  est, 

hoc  lauium  ut  parum  , 
Illudrectè 

Tbbsrc.  Aoblph. 


Pabmi  les  anciens  les  Grecs  l'ont  emporté  sur  les 
Perses ,  et  les  Romains  sur  les  Grecs;  parmi  les  moder- 
nes les  Français  ont  vaincu  tous  leurs  rivaux ,  Anglais , 
Italiens  et  Allemands ,  dans  le  grand  art  de  la  cuisine. 

Les  Français  ne  sont  pourtant  pas  les  plus  gourmands» 
et  leur  supériorité  en  ce  genre,  comme  en  beaucoup 
d'autres ,  tient  sans  doute  à  des  causes  occultes  que  la 
science  seule  ne  saurait  découvrir.  Nous  pourrions, 
comme  de  profonds  écrivains,  donner  ici  des  conjec- 


V     ^     mimm^^^^  ■■     W'^^^^m^^m^^fg.^^:m 


mai 


54  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

sous  Henri  II ,  el  sur  les  pas  de  Catherine  de  Médicis  les 
cuisiniers  de  delà  les  monts  vinrent  s'établir  en  France. 
Ce  n'est  pas  une  dés  moindres  obligations  que  nous 
ayions  à  cette  illustre  reine ,  qui  était  »  selon  le  sieur  de 
Brantôme»  moult  agréable ^  le  ceeur  haut  et  grand, 
l'esprit  des  plus  subtils ,  les  manières  engageantes,  et 
en  taule  sa  personne,  si  qu'on  ne  peut  rien  voir  déplus 
délicat ,  graveleux,  imposant ,  et  digne  du  rang  de  roine. 

Le  seizième  siècle  avait  enfanté  de  nombreuses  pro- 
ductions sur  cette  science  intéressante. 

Dès  i5i6  le  livre  de  hanestâ  VcluptaU,  imprimé  è 
Venise ,  «avait  rappelé  les  bons  esprits ,  unis  aux  bons 
estomacs ,  à  Tamour  de  la  bonne  chère  :  il  fut  dédié  an 
cardinal  Roverella  par  le  célèbre  écrivain  de  la  vie  des 

Papes f  Plalina. 

En  i534  on  publia  à  Francfort  l'Ecole  apicienne,  et 
en  1 536  Venise  fut  enrichie  de  l'Art  des  Festins,  conte- 
naqjt  la  méthode  d'accommoder  les  oiseaux,  les  pois- 
sons ,  toutes  sortes  de  chairs ,  de  fruits  et  d^  légumes , 
pour  le  plus  grand  plaisir  de  la  bouche. 

La  même  cité  vit  naître  l'année  suivante  le  Traité 
de  Dominique  Romoli ,  lequel  fut  réimprimé  en  1 56o 
avec  augmentation  sur  tout  ce  qui  concourt  à  la  perfec- 
tion des  banquets  dans  toutes  les  saisons. 

Enfin ,  en  i54i  parut  le  livre  fameux  de  Cœlîus  Api- 
cius ,  de  Re  culinaria ,  réimprimé  avec  des  notes  de 
Gabriel  Humeiberg,  savant  allemand,  en  i54?  ,  et  ré- 
généré en  1 709  par  le  savant  Lister  à  qui  Ton  doit  la 
première  ébauche  du  Cuisinier  fran^.ais.  Les  presses 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  35 

de  Bâle ,  de  Francfort  et  d'Amsterdam  multiplièrent 
alternativement  les  éditions  de  cet  ouvrage  avec  \^ 
honneurs  de  rtn^4^. 

L'Espagne  disputait  en  même  temps  à  TAUemagne  et 
h  r Italie  la  gloire  d'écrire  sur  la  cuisine;  et  en  iâ44  1^^ 
seigneur  Rdberto  de  Tolède  composa  un  livre  de  cuisine 
iofitulë  Uhro  de  guisadas  tnanga/resy  potagu. 

L'ouvrage  de  Messisburgo,  en  neuf  livres ,  sur  la 
manière  d'ordonner  les  banquets  et  d'apprêter  les  mets» 
eut  beaucoup  de  répulation;  publié  en  iâ49  ^Ferrare, 
il  fut  réimprimé  en  i58i  »  puis  en  1617.' 

L'At9  magirica  ^  hoc  est  coquinaria ,  de  Jodochio 
Villichio ,  le  fit  oublier. 

La  Cuisine  secrète  du  pape  Pie  V  avec  figures  »  par 
Bartk.  Seappo ,  fut  très-recherchée ,  et  on  la  réimprima 
en  1 6oâ  avec  le  Traité  du  Maître^' hôtel  et  de  i'Ecuyer- 
trancharU. 

Il  existe  dix  ou  douze  ouvrages  différens  sous  ces 
deux  derniers  titres ,  dont  plusieurs  ont  paru  en  même 
temps  dans  le  seizième  siècle  à  Rome ,  k  Venise ,  à  Turin 
et  en  Allemagne. 

Je  4ie  cite  pas  la  dixième  partie  des  livres  publiés  à 
cette  époque  sur  la  cuisine;  un  grand  nombre  fut  traduit 
en  plusieurs  langues  ^  et  même  en  français.  Is  Grand 
Cuisinier,  de  B«  Platina,  y  fut  translaté  en  i58$  par 
Oesdier  Ghristol. 

On  se  doute  bien  que  le  dix-septième  siècle  ne  fut 
pas  mains  Second  que  le  précédent  ;  c'est  en  effet  le  beau 
de  la  littérature  et  de  la  gourmandise;  et  la  plu- 


56  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

part  des  traités»  déjà  connus»  furent  reTus»  perfec- 
tionnés» embellis»  sans  préjudice  des  créations  nouvelles  : 
ce  temps  était  près  de  celui  de  la  régence  »  où  Ton  n'eut 
rien  de  mieux  à  faire  que  de  manger. 

U Appareil  des  Banquets  ,  de  Venantio  Matheo  ; 
la  Cœna,  de  Bapt.  Fiera;  le  Festin,  d'Ottavio  Ru^ 
bertho;  le  Cuisinier-pratique,  de  Yittorio  Lancelloto; 
les  Conférences  sur  la  Cuisine,  de  Marcius  Cognatus; 
l'Jctiaphagia,  de  Nonius;  Mensaphilosaphica,  de  Mi- 
chel Scot ,  ou  Euchiridion  in  quo  de  rébus  tnensali- 
bus,  etc.  :  enfiti  mille  volumes  honorables  pour  l'appétit 
humain  »  purent  dès-lors  orner  la  bibliothèque  des  cu- 
rieux. 

Citerai-je  les  incomparables  productions  composées 
seulement  sur  le  vin  ?  Les  sept  livres  d'André  Baccius  sur 
les  vins  d^ Italie,  du  Rhin,  de  France,  d'Espagne,  et 
de  toute  l'Europe;  l'Histoire  du  Fin,  de  Maurice  Tîrellus; 
la  Nature  des  Vins  différens,  par  Jacques  Praefectus; 
de  f  Usage  du  Fin  chaud  pour  exciter  les  désirs  ,  de 
Vincent  Butius  »  etc.  »  etc. 

Le  sel ,  le  poivre ,  le  lait  »  ont  occupé  des  légions  d'a- 
mateurs» et  même  de  graves  médecins»  qui»  croyant 
donner  des  leçons  d'hygiène»  n'ont  en  effet  ouvert  qu'un 
cours  de  gourmandise;  tels  sont  de  Re  cibariâ,  de  No- 
nius ;  de  Naturâ  Fini,  de  Gonfalonerius;  dell'  InscUala, 
de  Sauveur  Massonio  ;  de  Alimentorum  facultate  ,  de 
Siméon  Séthus  »  professeur;  de  Cibi  et  del  Bere,  de  Bal- 
dassare;  de  Prandiiac  Ccenœ  modo  Libellus,  de  Math. 
Curtius;  del  Convito,  d'Ottavio  Magnanino»  et  mille 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  87 

autres  que  nous  pourrions  nommer  au  lecteur  curieux 
de  consulter  ces  docteurs  dignes  de  nos  hommages; 
mais  nous  nous  en  référons  aux  leçons  de  notre  docte  et 
aimable  çonmeM.  D»  S.  U.,  (1)  le  successeur  et  ITnter- 
prête  de  nos  professeurs  les  plus  illustres. 

Quoique  nous  n'ayons  pas  l'intention  de  faire  ici 
Fimmeose  catalogue  des  livres  composés  sur  la  cuisine  » 
nous  ne  pouvons  nous  refuser  à  citer  encore  la  Manière 
d'amolUr  les  Os  et  de  faire  cuire  les  friandes  à  peu  de 
frais,  par  Papin ,  le  précurseur  des  gélatines  de  notre 
estimable  collègue  M.  Cadet-DeVaux»  tant  il  est  vrai 
qu'on  n'Invente  plus  rien  sous  le  soleil  I 

Il  faut  enfin  parler  du  dix -huitième  siècle ,  où  les 
connaissances  humaines ,  perfectionnées  en  tous  sens  » 
donnèrent  k  l'art  de  la  cuisine  un  nouvel  essor. 

Dès  l'aurore  do  siècle  parut  le  Nouveau  Cuisinier 
royal  et  bourgeois,  de  Massialot,  en  deux  volumes;  U 
Cuisinier  français,  du  docte  Lister;  l'École  parfaite 
des  Officiers  de  bouche,  publiée  en  1708;  le  Cuisinier 
moderne,  les  Festins  antiques,  de  Conviviis,  du  jésuite 
Jules  Csesar-Bullengeri ,  etc. 

C'est  alors  que  la  cuisine  devient  réellement  une> 
science,  et  que  les  grammaires  »  les  dissertations ,  les 
dictionnaires  de  cette  science  prennent  une  place  re- 
marquable dans  l'histoire  bibliographique. 

En  1759  /e  Nouveau  Cuisinier  français  reparut  sous 

{1)  Marie  de  Saint-Ursin ,  qui  traite  de  rbygièiie  de  la  table  dans  cet 
•Hivrage. 


38  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

le  nom  de  Meleon»  avec  une  préface  curieuse  des  père» 
BruiDoy  et  Bougeant»  jésuites,  tous  deux  célèbres  par 
leurs  écrits  et  par  leur  gourmandise.  M.  Dèsalleux ,  fils 
atné  de  l'ambassadeur  de  France  à  Gonstantinople»  publia 
contre  cette  préface  la  lettre  d'un  pâtissier  anglais ,  avec 
un  extrait  du  Crafstman. 

On  écrivit»  en  1741»  un  savant  mémoire  sur  l'usage 
du  Digesteur,  dePapîn. 

Pour  ceux  qui  n'avaient  pas  de  cuisinier  on  composa  ^. 
en  1743»  Ui  Cuisinière  française,  suivie  de  C Office,. 
par  Menon;  le  Cuisinier  gascon  avait  déjà  paru  â  l'usa^ 
des  gens  qui  n'avaient  pas  un  bon  diner  chez  eux. 

Enfin ,  en  1 749 1  on  vit  paraître  l'un  des  ouvrages  qui 
honorent  le  plus  ce  genre;  c'est  l'art  de  la  cuisine  réduit 
en  pratique ,  connu  sous  le  titre  des  Dans  de  Cornus,  par 
Marin.  Un  homme  de  goût ,  Querlon  »  l'orna  d'une  pfé- 
fiice  :  c'est  pour  là  science  gourmande  là  préfacé  de  l'En- 
eyelopédie;  aussi  les  Dons  de  ^omu^  eurent-ils  »  comme 
la  dcience  encydopédique»  lès  honneurs  dé  l'ordre  alpha- 
bétique. En  1750,  M.  Briaud  publia  le  Dictionnaire  des 
Alimens,  Vins  et  Liqueurs  ;  et  quelques  années  après 
le  sieur  Vincent  donna  une  nouvelle  extension  à  ce  ré- 
pertoire précieux,  sous  le  nom  de  Dictionnaire  portatif 
de  Cuisine,  d'Office  et  de  Distillation. 

Une  foule  de  traités»  indispensables  à  ceux  qui  se  li- 
vrent au  négoce  du  comestible  ,  parurent  presqu'en 
même  temps.  Le  Traité  de  la  Distillation ,  de  Dejean , 
dont  on  vient  de  donner  une  nouvelle  édition ,  le  Can- 
nanUliste  français,  en  forme  de  diclionnaîre,  par  Gil- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     89 

fiers;  la  Chinnie  du  Goût,  par  PIssot;  la  Science  du 
Matire^d'Hôtel  cuieinier ,  et  celle  du  Matire-d*Hôtel 
êonfiseur,  dont  la  première  édition  est  de  1768,  et  la 
seconde  de  1 776.  Le  Maitre-d^Hôtel  cuisinier  était  pré- 
cédé d'une  dissertation  préliminaire  sur  la  cuisine  mo- 
derne ,  attribuée  à  H.  de  Foncemagne ,  de  l'Académie 
des  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 

L  auteur  de  la  Cuisinière  française,  vétéran  dans  le 
senrice ,  et  célèbre  depuis  1 746,  voulut  mettre  le  sceau  à 
sa  gloire ,  et ,  après  trente-deux  ans  d'étude ,  publia  les 
Soupers  de  la  Coût,  ou  l'Art  de  travailler  toutes  sor- 
tes d'alinxens  pour  les  meilleures  tables,  selon  les  sai- 
sons. Cet  ouvrage  de  Menon  eut  et  mérita  beaucoup  de 
succès  ;  il  est  devenu  fort  rare ,  et  depuis  long-temps  les 
Trais  amateurs  soupirent  après  sa  réimpression. 

Mais  ce  qui  étonnera  peut-être  les  admirateurs  de 
notre  coiJègue  M.  G.  D.  L.  R. ,  c'est  qu'il  a  été  devancé 
dans  la  noble  entreprise  quMl  poursuit  d'une  manière  si 
supérieure.  Sans  parler  deVAlmanach  du  Goût,  par 
Lafaye ,  qui  subsista  depuis  1751  jusqu'à  l'année  1770 , 
il  parut  en  1779  un  Almanacli  du  Comestible,  qui  eut 
tant  de  succès ,  qu'on  le  fit  suivre  de  deux  ou  trois  sup- 
plémens.  CoxnmeVAlmanachdes  Gourmands,  il  mettait 
•  à  contribution  les  magasins  innombrables  de  la  capitale  ; 
comme  notre  journal  il  renfermait  des  vers  bachiques  et 
gourmande ,  et  de  la  littérature  galante  et  gourmande  ; 
comme  nous  il  citait  les  anciens  et  les  modernes ,  et  dé- 
ployait une  érudition  qui  aurait  effrayé  la  nôtre  si  un 
gourmand  ne  digérait  pas  facilement  tout  ce  qui  passe» 


4o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Mais ,  comme  nous  espérons  surpasser  nos  deyanclers  et 
nos  modèles  (notre  grand  expert,  M.  G.  D.  L.  R., 
excepté)  (i)  »  nous  n'éprouvons  qu'une  ardeur  plus  vive 
à  la  vue  de  l'immense  carrière  qui  s'ouvre  devant  nous , 
et  que  nous  allons  parcourir  mensuellement  de  compa- 
gnie avec  nos  illustres  collègues,  après  avoir  terminé  ce 
qu'il  nous  reste  h  dire  sur  l'Histoire  de  la  gourmandise. 


2lrticle  eixièvxe. 

Conclusion^. 

Nous  n'avons  en  effet  donné  qu'un  aperçu  bien  fugitiC 
à  ceux  qui  prétendraient  qu'il  ne  nous  reste  rien  à  dire. 
Que  serait-ce  si ,  remontant  à  travers  les  âges  de  barba- 
rie jusqu'à  l'âge  d'or^  nous  avions  montré  les  profu- 
sions incroyables  de  nos  ancêtres  ?  Un  Ariamnus ,  sei- 
gneur gaulois  p  traita  pendant  une  année  entière  sur  les 
grandes  routes  tous  les  voyageurs,  toutes  les  armées 
que  tentait  sa  magnificence.  Des  tables  abondantes,  dit 
Athénée,  étaient  servies  le  long  des  fossés  et  des  haies  ;. 
leur  nombre  et  leur  somptuosité  sont  à  peine  conce- 
vables. Le  repas  que  César  donna  au  peuple  romain 
n'est  qu'un  dîner  de  famille  en  comparaison  ,  quoiqu'il 
y  eût  cent  mille  convives ,  autant  d'esclaves  pour  le  ser- 

( i)  Ârchivisle  fameux  des  meilleures  cuisines. 

^  L'art  de  dincr  en  villej) 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  41 

vice  9  et  <|u'o]i  distribuât  au  dessert  six  cents  sesterces 
par  tête. 

Que  serait-ce  si ,  commençant  par  la  gourmandise 
d'Eve  qui  vendit  sa  postérité  pour  une  pomme»  Esaii 
qui  vendit  son  droit  d'aînesse  pour  un  plat  de  lentilles  ; 
BOUS  décrivions  les  premiers  rafSnemens  de  la  cuisine 
Ibornée  à  traire  les  vaches  »  à  pétrir  le  grain  broyé,  puis 
à  assaisonner  quelques  légumes  avec  du  sel  ou  du  miel, 
grossiers  précurseurs  des  épices  et  du  sucre  ?  Nous  ver- 
rions la  chasse  satisfaire  aux  premiers  désirs  de  la  chair, 
dont  la  crudité  réclama  bientôt  le  feu  épuratif.  La 
rareté  du  gibier  fit  sacrifier  des  victimes,  plus  paisibles  : 
le  mouton,  le  bxBuf  et  le  cochon  s»  métamorphosèrent  en 
rôtis  ou  en  bouillis;  enfin  les  oiseaux,  les  poissons,  les 
coquOlages,  tout  y  passa-;  et  non  content  des  produc- 
tions animales  et  végétales ,  l'homme  fouilla  le  sein  de 
Cybèle  pour  tourner  en  substances  alimentaires  jus- 
qu'aux minéraux. 

Les  Asiatiques,  qui  furent  les  premiers  civilisés  , 
furent  les  premiers  qu'illustra  la  gourmandise.  Les  cuisi- 
niers de  Perse  étaient  autant  recherchés  que  le  sont  les 
cuisiniers  français  dans  l'univers  gourmand.  A  la  suite 
des  Xercès  et  des  Darius  marchaient  des  légions  d'offi- 
ciers de  bouche.  Les  Grecs ,  qui  détruisirent  un  si  bel 
ordre  de  choses ,  étaient  alors  les  vrais  barbares  ;  et  si  1  e 
souverain  de  tant  de  cuisiniers  eût  eu  plus  de  ressources 
dans  l'imagination  ,  quel  parti  son  génie  militaire  n'eût- 
il  pas  tiré  dans  sa  détresse  de  cinquante  ou  cent  mille- 
chefs,  aides -cuisiniers,,  marmitons,  écuyers-tranchanjs,. 


4îi  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

proTi^urs  et  maîtres- d'hôtels»  tous  armés  ai*,  glaives 
affilés ,  et  observant  une  discipline  telle  que  jamais  le 
roi  de  Macédoine  n'en  établit  une  pareille  dans  ses 
phalanges. 

Du  moins  les  Grecs  reçurent-ils  en  ceci  la  loi  des 
vaincus.  En  vain  la  sobriété  Spartiate  lutta  contre  la  gour- 
mandise orientale;  toute  la  Grèce  eut  des  cuisiniers;  et 
les  Lacédémoniens ,  qui  étaient  les  moines  de  ce  temps  - 
là ,  finirent ,  comme  ceux  du  nôtre ,  par  être  les  plus  gour- 
mands de  toute  la  république  ^  de  l'empire  ou  du  royaume. 

Rome  fît  comme  Athènes  quand  elle  la  subjugua;  elle 
se  soumit  à  ses  cuisiniers ,  et  renchérit  même  sur  eux. 
Les  Thimbron ,  les  Activés ,  les  Philoxène  pâlirent  de- 
vant Apicius  ;  Ésope  et  LucuUus. 

Chacun  de  ces  grands  hommes  mériterait  un  chapitre 
à  part. 

Alors  y  dit  Tite-Live,  la  gourmandise,  méprisée  par 
nos  idiots  ancêtres ,  fut  en  honneur  ;  et  ce  qui  n* avait 
été  qu'un  vil  métier  devint  une  science  qui  se  perfec- 
tionna encore  par  la  suite  (  i  ).  Ce  fut  en  effet  le  premier 
pas  que  fil  cette  reine  sauvage  du  monde  vers  la  politesse 
des  mœurs  ;  et  Rome ,  qui  a  perdu  son  empire ,  ses  lois, 
son  peuple  même ,  a  conservé  ses  cuisiniers  habiles  et 
ses  tables  somptueuses,  tant  il  est  vrai....  que....,  etc. 


(i)  Tune  eoguus  viiissimum  antiquU  mancipium ,  œstimatione  et  usa  in 
preiioôtse,  et  quod ministerium  fuerat ,  ors  kaberi  capta;  vix  tamen  Ula 
quœ  tum  conspieiebantur  temtna  erant  fufurœ  luxunœ, 

TiTi-Livt ,  lit.  xizix. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  43 

C'est  aux  Romains  qu'on  doit  l'usage  de  multiplier 
les  services.  Les  tables  se  succédaient  auparavant  en 
ambigus,  Philon  en  compta  jusqu'5  sept  dans  un  repas. 
Ce  sont  eux  aussi  qui  inventèrent  les  noms  d'écuyers- 
tranchans^  maîtres-d'hôteis,  etc.  Alors  on  savait  encou- 
rager le  mérite  :  un  talent  se  payait  quatre  talens;  c'est- 
à-dire  19,000  francs.  On  sait  que  Marc- Antoine  paya 
d'une  ville  et  de  son  territoire  le  repas  que  fit  son  cui- 
sinier pour  Cléopâtre  (1). 

La  magnificence  vraiment  antique  de  Marc  -  Antoine 
n'approchait  pourtant  pas  du  luxe  des  rois  d'Asie.  Une 
province  entière  payait  en  tribut  le  gibier  nécessaire  à  la 
table  du  grand  roi  ;  une  autre  fournissait  le  bœuf;  une 
troisième  le  mouton.  Celle  dont  le  golfe  Persique  bai- 
gnait les  cotes,  approvisionnait  le  garde-manger  en 
poissons,  et  la  plus  fertile  des  satrapies  contribuait  pour 
le  maïs,  le  blé  ou  le  riz;  de  sorte  que  la  table  du  prince 
offrait  tous  les  jours  la  statistique  complète  de  son  em- 
pire^  et  il  jugeait  avec  perspicacité  de  ta  prospérité  de 
ses  sujets  par  l'abondance  de  son  dîner;  méthode  très- 
sûre  ,  puisqu'elle  est  toujours  en  usage. 

Les  Hébreux ,  les  Chinois ,  les  Indiens ,  les  Américains 

(1)  Qnî  no  coooait  Iw  profusions  et  les  charmes  de  cette  reine  illustre, 
qui  d'un  trait  avala  une  perle  d'un  prix  inestimable^  Qui  n'aime  à  se 
rappeler  cette  belle  gourmande  que  Ton  prenait  tour  à  tour  pour  Vénus 
▼ognant  sur  les  eaux  du  Nil ,  entourée  des  Grâces  et  des  Amours  ;  ou 
ponr  Erigone,  entourée  de  Bacchantes,  provoquant  au  combat  le 
galant  Triumvir  ?...  Cléopâtre  est  une  des  héroïnes  de  la  gourmandise  r 
et  nous  lui  devions  l'hommage  que  nous  nous  plaisons  à  lui  rendre. 


44  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

sauvages  ou  civilisés,  les  anciens  et  les  modernes;  et« 
parmi  les  Européens ,  Danois ,  Lapons ,  Anglais  /Alle- 
mands, tous  ont  travaillé  depuis  des  siècles  à  perfec- 
tionner l'art  gastronomique ,  et  nous  ne  désespérons  pas 
de  voir  V Histoire  de  la  Cuisine  s'^allier  partout  au  déve- 
loppement de  la  politique  ,  des  belles -lettres  et  de  la  civi- 
lisation; de  voir  enfin  se  réaliser  l'espoir  des  philosopher 
et  des.  savans  de  notre  nation,  qui  appellent  depuis 
long-temps  et  de  tous  leurs  vœux  une  chaire  de  gastro- 
nomie au  Collège  de  France  et  une  classe  de  gourman- 
dise  à  l'Institut. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  45 


©je^  Ungiu»  motte». 

m 
t 

Dspuu  que  Ton  commence  à  revenir  aux  bons  usages 
comme  aux  bons  principes ,  on  s'aperçoit  que  l'étude 
des  langues  mortes  n'est  pas  moins  nécessaire  ii  l'homme 
du  monde  qu'au  savant ,  et  que  sans  elle  on  se  trouve 
étranger  à  une  foule  de  connaissances ,  qui  seules  an- 
noncent un  personnage  bien  élevé ,  et  digne  de  figurer 
dans  une  nssemblée  de  gens  d'esprit. 

Mais  cette  étude  est  nécessaire  à  l'homme  de  lettres  et 
à  celui  qui  fait  profession  de  vivre  dans  la  haute  société; 
elle  est  indispensable  au  vrai  gourmand  :  sans  elle  il  ne 
paraîtra  qu'un  mangeur  vulgaire ,  qu'un  glouton  sans 
discernement^  qu'un  goulu  sans  délicatesse;  vices, 
comme  l'on  sait  »  qui  font  avec  la  gourmandise  par  excel- 
lence -un  contraste  plus  tranchant  encore  qu'une  sobriété 
sans  prétention. 

En  eilet»  que  penser  d^un  gourmand  qui,  n'ayant 
jamais  fait  des  langues  mortes  l'objet  de  ses  solides 
études,  demeurerait  sans  voix  lorsque  la  conversation 
tomberait  sur  ce  sujet  intéressant ,  et  paraîtrait  absolu- 
tnent  étranger  à  tout  ce  qui  peut  y  avoir  rapport  ? 

Quelle  opinion  prendre  d'un  homme ,  aspirant  à  la  ré- 
putation de  gourmand ,  qui  resterait  court  en  entendant 
parler  des  langues  de  bœuf,  des  langues  de  veau ,  des 
langues  de  cochon ,  des  langues  de  mouton ,  des  langues 


46  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

d'agneau  et  des  langues  de  ca^pe,  avec  lesquelles  il 
doit  être  familiarisé  autant  par  état  que  par  inclination  ? 

Est-il  parmi  les  idiomes  vivans  rien  de  comparable  à 
une  langue  de  bœuf  fourrée ,  fumée  et  parfumée  selon 
les  grands  principes  de  l'art;  à  une  langue  de  cochon 
fourrée  »  ou  seulement  à  la  braise  ;  à  une  langue  de  mou- 
ton en  caisse,  en  batelettes»  ou  seulement  en  papillotas; 
à  une  langue  de  reau  à  la  broche»  farcie,  ou  au  par- 
mesan? 

Trouyez-vous  parmi  les  dialectes  européens  les  plus 
déliés ,  sans  même  en  excepter  celui  qu'on  parle  avec 
tant  de  grâce  et  de  pureté  sur  les  rives  de  l'Arno,  une 
langue  plus  délicate  que  celles  de  carpes ,  dont  il  faut , 
à  la  vérité ,  un  grand  nombre  pour  cpmposer  une  entrée 
rai$onnable,  mais  qui  font  passer  tou^  à  coup  au  rang  des 
LucuUijs  l'heureux  Ampbytrionen  état  de  les  servir  à  ses 
convives  plus  heureux  encore? 

Il  est  donc  démontré  ji^squ'à  l'évidence  que  l'étude  des 
Ungues  mortes  l'emporte  en  tous  points  sur  celle  des 
langues  vivantes. 

En  écartait  toute  métaphore,  en  revenant  h  l'accep- 
tion pure  et  simple  de  ce  mot  si  précieux  en  gourmandise^ 
enfin,  en  considérant  notre  sujet  en  moraliste,  il  nous 
sera  tout  aussi  facile  de  prouver  que  les  langues  de 
bœuf,  de  vieau ,  de  cochon ,  de  mouton ,  de  carpe ,  d'a- 
gneau ,  etc. ,  l'emportent  de  beaucoup  sur  les  nôtres. 

Qui  peut  ignorer  tous  les  maux  que  la  langue  humaine 
a  produits  dans  ce  bas-monde  !  Blasphèmes ,  impréca- 
tions ,  calomnies ,  médisances ,  mensonges ,  basses  flat- 


k 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  47 

teries  >  injures ,  démeniU ,  etc.  ;  tous  ces  outrages ,  et 
beaucoup  d'autres  encore ,  sont  les  fruits  de  son  intem- 
pérance. S'il  faut  en  croire  Planude,  «  elle  est  la  mère 
»  de  tous  les  débats ,  la  nourrice  des  procès ,  la  source 

•  des  divisions  et  des  guerres;  elle  est  l'organe  de  Ter- 

•  rear;  par  elle  on  détruit  les  villes ,  on  persuade  de  mé- 
9  cbantes  choses.  >  Nous  pourrions  ajoiiter  que  par  elle 
aussi  Tavocat  nous  étourdit ,  le  bavard  nous  excède ,  le 
mauvais  poète  » 

Qui,  des  premiers  venus  saisissant  les  oreilles, 
En  fait  le  plus  souvent  les  martyrs  de  ses  yeiJles , 

nous  ennuie  jusqu'à  l'in^patience ,  nous  excède  jusqu'au 
dégoût ,  et  nous  poursuit  jusqu'à  nous  faire  déserter  les 
sociétés  les  plus  aimables. 

La  langue  d'un  bœuf  au  contraire  n'a  qujs  d'excellentes 
choses  à  nous  apprendre;  jamais  monotone,  puisqu'on 
peut  en  varier  de  cent  manières  l'apprêt  ;  jamais  impor- 
tune •  puisqu'elle  est  muette;  jamais  trop  piquante  entre 
les  mains  d'un  artiste  habile ,  elle  a  l'heureuse  don  de 
plaire  à  tout  le  monde»  et  elle  est  assez  sage  pour  ne  se 
faire  jamais  d'ennemis. 

Nous  pouvons  en  dire  autant  de  celles  de  veau  et  de 
mouton,  si  bonnes  sur  le  gril  »  de  celles  de  cochon ,  qui 
avaient  paru  tellement  importantes  au  dix -huitième 
siècle,  qu'on  avait  institué  des  officiers  en  titre  d'office, 
qui  n^avaîent  d'autres  fonctions  que  de  s'assurer  de  l'état 
de  leur  santé ,  et  qui  joignaient  à  leur  titre  de  langueyeurs 


1 


48  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

de  porc  la  qualité  de  conseillers  du  roi  (i)  ;  de  celles 
d*agneau  si  innocentes  et  si  douces;. enfin  de  celles  de 
carpe ,  tellement  précieuses ,  que  le  plus  riche  amphy- 
trion  n'en  sert  une  entrée  qu'une  seule  fois  dans  sa  vie. 
Aucune  de  ces  langues  n'a  menti ,  aucune  n'a  ennuyé 
personne,  aucune  n'a  d'offense  à  se  reprocher;  et  ce 
n'est  pas  d'elles  que  l'on  peut  dire  qu'un  coup  de  langue 
vaut  un  coup  d'épée.  Qui  peut  se  plaindre  de  leur  in- 
discrétion ,  do  leur  bavardage ,  de  leurs  £biux  rapports? 
Personne.  Nous  avons  donc  eu  raison  de  préférer  les 
langues  mortes  aux  langues  vivantes.  Tous  les  professeurs 
de  l'ancienne  université  de  Paris  partageaient  cette  opi- 
nion; et  nous  osons  croire  que  nous  ne  serons  démentis 

par  aucun  gourmand  de  notre  âge. 

G.  D.  L.  R. 

(i)  Ceci  n'Mt  point  une  {daisuiterie.  f^tfyies  les  mncieos  almanachs 
royaux. 


§(t;ptft0 


mxiinu 


Ii'AMHÉX  OOlfaMAVBX. 


Chaque  moit  »  en  coieine ,  «omme  en 
Tolopti ,  a  aee  iouienncce  particulière*. 

Gkimod  db  la  RirmiBi. 


L'ANNEE  GOURMAMDE. 


Nota.  Arant  de  commencer  cette  tâche  honorable ,  nous  devoni  à  la 
rèrité  de  àéclarer^  à  l'exemple  de  Taeite,  que  nous  n'arons  pas  diné 
chez  ceux  dont  nous  dirons  les  exploits. 

Noos  espérons  donc  n'être  point  suspects  de  préTentioa  ou  de  pré> 
diiection  dans  nos  jngemens,  et  nous  nous  sentons  pour  nos  fonctions, 
qu'un  philosophe  nomme  taeerdoiales ,  toute  l'impartialité  convenable 
à  un  historien  qui  écrirait  les  Ties  des  princes  patagons. 


iarmtx. 


I,E5    éTREIfNES,    LFS    ROIS    ET    LA    SAINT-ANTOINR, 


Lb  mois  de  jan?ier  est  digae  de  commencer  Tanoée 
par  les  époques  appétissantes  et  solennelles  qu'il  ramène. 
Les  Étrennes,  les  Rois  et  la  Saint-Antoine,  sont  trois 
fêtes  d'une  vénérable  antiquité;  elles  réunissent  tous  les 
mystères  de  l'art;  les  bonbons ,  les  gâteaux  et  les  co- 
chons sont  l'abrégé ,  ou  plutôt  le  |ype  de  la  science  ali- 
mentaire. Qui  de  nous  peut  se  rappeler  sans  attendris- 
sement les  soins  paternels  et  l'amitié  vive  qui  régna 
entre  saint  Antoine  et  ses  compagnons?  Douce  société» 


52  LE  GASTRONOME  FRANÇAI&. 

tentimem  sincèrei,  beurepise  réciprocité  I  qiel  gour- 
mand n'éprouve  pas  à  votre  souvenir  une  foi  ardente  et 
une  profonde  dévotion?  Celui-là  sans  doute  est  bien 
digne  de  nos  hommages  qui  passa  sa  vie  en  si  boine 
compagnie»  et  voulut  prouver  à  la  postérité  le  cas  qu'eHe 
devait  faire  d'un  animal  réputé  immonde  par  le  juif! 

Pendant  les  calendes  de  janvier,  on  faisait  à  Rome  un 
sacrifice  à  Janus,  auquel  on  présentait  un  gâteau  fait  de 
pâte  de  farine  nouvelle  et  de  sel  nouveau;  on  y  joignait 
de  l'encens  et  du  vin.  Pocula  Janus  amaU 

On  exposait  dans  le  temple  les  produits  de  la  science 
et  de  l'industrie;  les  artisans  et  les  savans  présentaient 
à  la  bénédiction  des  prêtres  les  prémices  de  leur  travail , 
dans  l'espérance  d'obtenir  la  faveur  du  dieu  pour  le 
reste  de  l'année  ;  on  lui  disait  des  choses  agréables  » 
et  on  lui  servait  les  mets  les  plus  doux,  tels  que  du 
miel,  des  figues,  des  dattes,  etc.  :  les  prêtres,  après 
avoir  fait  leurs  provisions ,  distribuaient  le  reste  aux  as- 
sistans,  qui,  à  leur  tour,  en  faisaient  des  présens  à  leurs 
amis. 

Le  besoin  de  plaire  et  le  raflinement  du  luxe  enga- 
gèi'ent  les  pauvres  à  dorer  leurs  figues  et  leurs  dattes 
pour  les  rendre  plus  dignes  de  ceux  à  qui  elles  étaient 
présentées  :  de  leur  côté  les  riches  firent  de  plus  magni- 
fiques présens ,  tant  il  est  vrai  que  c'est  l'orgueil  et  la 
vanité  qui  donnent  bien  plus  que  la  tendresse  et  la 
piété. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  cet  usage  est  le  même  auquel  nous 
avons  donné  le  nom  d'^frenn^;  mais  il  n'y  a  d'étreones 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  5S 

^ienes  de  ce  nom  que  celles  qui  sortent  do  chez  le  mar- 
chand de  comestibles,  le  confiseur,  ou  le  pâtissier.  Les 
présensy  dont  la  gourmandise  ne  fait  pas  son  profit»  sont 
une  corruption  de  Tusage  antique  ^  une  abomination 

moderne. 

Le  concile  de  Tours  Toulut  arrêter  cette  dégénération» 
et  condamna  les  étreooes  comme  un  reste  de  supersti* 
tiens  païennes,  parce  qa'on  y  mêlait  des  présens  de 
Yerreine  et  autres  plantes  mystérieuses ,  ou  qu'on  y 
rappelait  une  cérémonie  des  Druides  qui  cueillaient  le 
guy  au  renouvellement  de  l'année. 

Le  quatrième  concile  général  de  TruUo ,  tenu  en  680, 
«e  montra  également  sévère  protecteur  de  la  simplicité 
des  usages  gourmands)  les  étrennes  ne  furent  tolérées 
par  la  suite  que  lorsqu'il  fut  bien  démontré  qu'on  s'en 
tenait  à  la  dragée  :  ainsi  les  gourmands  pieux  »  que  notre 
érudition  aurait  alarmés,  peuvent  se  rassurer,  et  fi*é- 
quenter  sans  remords  la  rue  des  Lombards,  les  deux 
palmiers  de  M.  Terrier  (i) ,  ou  tel  autre  lieu  sucré  de 
la  capitale. 

Les  étrennes  enfin  sont  toujours  de  mode^  et  l'on 
peut  dire  avec  notre  savant  professeur,  M.  G.  D.  L.  R. , 
que  «pendant  l'époque  la  plus  rigoureuse  du  règne  ré^ 
•  volutionnaire,  cet  usage  avait  seul  maintenu  tous  ses 
«droits,  et  qu'en  dépit  de  Robespierre  et  du  directoire, 
»l*on  n'a  jamais  cessé  de  donaer  des  étrennes  et  d'ache- 

(i)  Roe  Smnk-Honoré ,  n»  354,  P^^^  ^^  rue  de  TÉchelle  ;  maison  déll- 
cieufe  ,  dont  U  réputation  est  dans  toutes  les  bouches.  ^ 


54  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

»  ter  des  bonbons  pendant  toute  sa  durée;  tant  Ws  cou- 
»  tûmes  qui  tiennent  à  la  friandise  ont  d'empire  ssir  les 
X estomacs  parisiens!» 

Voilà  pour  les  étrennes,  voici  pour  le  gâteau  des  roti« 

Les  gâtenux  emblématiques  étaient  en  usage  parmi 
les  Grecs  et  les  RoaiaiBS  :  aux  repas  de  noces  on  pré- 
sentait aux  époux,  dès  le  commencement  du  festin, 
une  tourte  ou  pain  d'épices ,  pour  montrer ,  dit  un 
subtil  commentateur,  qu'ils  devaient  être  unis  comme 
es  grains  dont  se  composait  la  pâte,  et  que  cette  union 
répandrait  sur  eux  la  douceur  du  miel; 

Pour  choisir  te  roi  du  festin,  dont  la  juridiction  est 
assez  connue ,  on  tirait  au  sort  ;  les  dés  étaient  marqués 
de  la  figure  de  Vénus ,  de  celle  d'un  chien ,  de  la  vieil-- 
lesse  et  d'ua  habitant  de  Ghio.  Les  rapports  de  ces 
emblèmes  s'étant  perdus ,  on  n'a  pas  voulu  perdre  l'u- 
sage de.  la  royauté,  et  la  fève,  quiservaitau  scrutin  pour 
l'élection  des  magistrats  ,  a  succédé  aux  dés.  Ge  n'est 
plus  le  dé  empreint  des  traits  de  Vénus ,  qui  donne  le 
sceptre  de  la  gourmandise  :  nous  regrettons  ce  nouveau 
titre  de  noire  alliance  avec  la  beauté  (i). 

Quoi  qu'il  en  soit ,  il  n'y  a  rien  de  commun  entre  le 
Gâteau  et  TEpiphanie ,  si  ce  n'est  que  l'histoire  des 
Mages  se  rapportant  aux  jours  qui  suivirent  la  solennité 
de  Noël  ,  leur  fête  se  trouve  k  peu  près  au  temps  des 
Salitmales ,  temps  où  l'on  faisait  beaucoup  de  festins  , 

(i)  11  ne  faut  pas  oublier  que  la  plupart  des  articles  cooleaus  dans  pet: 
PuvragC)  MDnl  cxtr^jts  du  journal  de»  Covrmantfsct  des  Belles, 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  Sa 

et  où ,  par  conséqu^at ,  chaque  ftaveroe  et  chaque  salon 
de  ta  Grèce  et  de  Tltalie  avaient  un  empire  ,  un  trône 
et  un  monarque.  On  a  cohseryé  dans  nos  rites  romains 
jusqu'au  Phcbe  domine  ,    qui   s*adressait  autrefois  à 
Phébus.  Mais,  quelle  que  soit  l'origine  du  Gâteau ,  il  sera 
toujours  d'un  usage  respectable  parmi  nous.  Quoique  les 
friandises  ne  puissent  pas  nous  tenir  lieu  d'un  régime 
plus  substantiel ,  on  nous  Terra  le  jour  de  l'An ,  en 
Mages  pieux ,  faire  plus  d'un  long  pèlerinage  au  FidèU 
Berger  ,  rue  des  Lombards.,  et  aux  Deux  Palmiers  , 
chez. M.  Terrier,  rue  Saint-Henoré,  n*  îi54.  Nous  serons 
en  station  chez  MM.  RaugeU,  (i)  Rat,  (2)  Leblanc  (3)'. 
et  I^age  (4)  le  jour  de  l'Epiphanie  ,  et- pendant  tout 

(i)  PStitner,  me  de  Richelieu ,  vi8-4-vi8  le  Théâtre  Français. 

•  (9)  RaeMoQtmartre,  n*  BS ,  près  la  rucdes  Fo8sés-MoDtmartr«. 

(3)  Rae  de  la  Harpe ,  vis  à-TÎa  le  collège  d'Harcoiirt. 

(4)  Roe  Montofgueil^  près  la  rae  Saint-SaoTeur. 

rf oiis  crojoDs  devoir  ajouter  à  cette  liste  friaode  les  noms  des  pâtii^- 
siers  saÎTaos,  doot.la. réputation  est  justement  établie  depuis  la  publi- 
cation de  cet  article ,  d(*apr^  les  notes  qui  nous  ont  4tâ  coiDinani.qttics. 

AUain  »  rue  de  Gaiilon  «  n*  16. 

Lebean ,  rue  Montmartre ,  n<>  i47« 

Gendre ,  Faubourg  Saint- Antoine  ,  n«  4- 

Robert ,  Tue  Saint-Martin ,  n«  58. 

Thomas,  rue  de  Grammont,  au  coin  de  la  rue  de  Grélrj. 

Félix ,  passage  des  Panoramas. 

lièvin ,  passage  du  Perron. 
Dupuîs,  rue  de  Yalou ,  n«  6. 

•  Grandin ,  Faubourg  Poissonnière ,  n*  aS. 
Du  val,  rue  de  Beaune. 

Lançon ,  rue  Bourbon -Villeneuve ,  n*  56. 
Bellenger,  rue  du  Four  Saint-Germain ,  n*  i3^ 
Carin ,  rue  du  Bac  ,  n*  38. 


56  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

le  meÎA  ds  janvier  les  fidèle»  amis  de  saint  Antoine 
feront  la  gloire  de  noi  dîners.  lies  porcs  de  Saint-Ger- 
maia-en-Laye  sont  toas  descendans  des  codions  de 
saint  Antoine ,  et  alliés  des  poarceaux  d'Épicure* 

Ce  mois  de  janTier»  ofa  tout  abonde  •  où  tout  iairite 
aux  plaisirs  de  la  table ,  serait  le  plus  gourmand 
de  Tanoée  s'il  pouvait  contenir ,  dans  l'espace  de  ses 
trente-un  jours  »  le  dévorant  Carnaval  »  dont  il  est  le 
digne  précurseur;  au  snrplus,  il  n*a  rien  h  envier  an 
mois  de  février»  malheureuiL  générateur  du  Carême*  Si 
ce  dernier  commence  glorieusement ,  il  finit ,  hélas  f 
bien  mal  ;  gros  et  gras  d*abord  comme  un  moine  ,  desi- 
nit  in  pisoem^ 

Nous  ne  ferons  point  ici  l'étalage  des  richesses  im- 
menses que  prodiguent  en  janvier  la  boucherie ,  la  char- 
cuterie ,  la  halle  et  le  quai  de  la  Vallée  ;  chaque  espèce 
d'animaux  a  ses  représentans  chez  Michelle  »  (i)  che^ 
Corcellet ,  (2)  ou  chez  madame  Chevet  (3);  cbaque  climat 
a  payé  son  tribut ,  et  les  quatre  élémens  ont  concouru 


(1)  Marché  Saînt-Honoré. 

(a)  Marchand  de  comestibles  au  Palais-Royal ,  i  l'iNMeipie  da  Gcar- 
mand,  près  le  passage  de  Badziwil. 

(3)  Marchande  de  comestibles  au  Palais-Royal,  Galerie  vitrée. 

Nous  devons  encore  ajouter  à  cette  nomeoclatore ,  d'après  les  motiC» 
exprimés  dans  la  note  précédente ,  les  noms  des  bouchers  siûvaua. 

Sauvage ,  fournisseur  de  la  maison  do  Roi  «  rue  Saint-Antgùie. 

Fradin ,  fournisseur  de  la  ville ,  rue  du  Monceau  ^oint-Gervais» 

Madame  veuve  Bernai'd,  me  Saint-Lazare. 

Parquet ,  rue  neuve  des  Mathurins. 

Cassard ,  rue  Traversière  Saint-Honorc ,  n*  16. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  5? 

à  ce  vaste  amas  de  comestibies  qui ,  pendant  l'hiver  , 
doit  nourrir  les  Gounnands  de  la  capitale  et  ceux  qui 
voyagent  pour  la  perfection  de  l'Art. 

La  terre  »  non  contente  de  s'être  épuisée  de  végétaux 
et  de  fruits,  ouvre  encore  son  sein  farci  de  truffes  et 
de  monlJes  !....  Qui  guida  vos  grouins  raffinés  vers  ces 
uierveîUes  souterraines ,  subtils  enfiins  de  saint  Antoine? 
Ah  !  quand  vous  n'auriez  (ail;  que  ce  présent  à  vos 
maîtres  ,  votre  nom  serait  digne  de  l'immortalité. 

Tous  les  habitons  de  l'air  ,  la  volaille  domestique  et 
le  gibier  sauvage  vont  être  bonifiés  par  le  fumet  de  la 
truffe. 

Bayard ,  au  coin  de  la  rue  du  Four  et  du  marché  Saint-Germain. 

Dii^et ,  rue  dn-Bac  ,  au  coin  de  la  rue  de  Verneuil, 

Descolns ,  rae  Taitbout ,  d<»  5. 

BCarcas ,  me  8a»t-Honoré  ,  n»  4>  • 

Faaguet,  me  Grange-Batelière ,  n»  34. 

Henri ,  rue  Neave-Saiote-Groix ,  u<*  ao. 

Parmi  les  marchands  de  comestibles  noas  citerons  encore  : 

Billet ,  nie  Saint-flonoré ,  n«  1 29. 

lies  Prèrea  provençaai  et  lliOtel  des  Américains^  rue  Sàlnt-Hooorè. 

Mais  on  établissement,  qui  pour  être  le  dernier  cité  en  ce  genre, 
n'en  est  pas  moins  recommandable^  c'est  celui  de  madame  MamefTe, 
établie  à  Paris  depuis  deux  ans,  où  elle  est  venue  précédée  d'une 
bnUante  réputation  aoqalse  à  Toulouse  ,par  sa  fabrique  de  pftfés  et  de 
terrinea  do  foies  gras ,  de  eanards ,  de  samnons ,  d'ortolans ,  de  gibier , 
et  autres  articles  truffés.  Son  entrepôt  est  à  Paris,  rue  Saint-Honoré  , 
n*  178,  à  renseigne  de  Magasin  du  Languedoc. 

N.  B.  n  e»t  important  dd  ne  s'adreuer  qa'dox  premiers  magcsins  do  com?attbIes 

lorsque  ron  tvni  se  procorer  sortent  des  pdlit  on  dea  rolaillca  farcies  ;  on  e«l  certain 

dm  flroomexdaaa  ces  maisoas  dss  mavchaadiaet  fraSchcs,  on  Keu  qne  dans  les  aiagaaiiw 

pea  achalandés  les  ob>cls  se  dél^iorcnt  »  se  corrompent ,  cl  n'offrent,'  1«  plussourcnl 

i|a*tin  amas  de  Tiandcs  infectes  et  pourries. 


\ 


08  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Les  quadrupèdes ,  les  amphibies ,  les  poissons  accou 
l'eut ,  s'élancent  de  toutes  les  mers»  de  toutes  les  con- 
trées ,  pour  s'unir  dans  la  casserole  au  parfum  de  cette 

ambroisie. 

# 

Lo  feu  recrée  »  épure  ,  améliore  ,  et  toutes  les  rues 
sont  tapissées  des  produits  de  la  Nature  entière ,  qui  sem- 
ble sortir  avec  une  nouvelle  vie  et  de  nouvelles  formes 
de  la  cuisine  du  traiteur,  du  laboratoire  du  confiseur, 

ou  de  l'atelier  du  pâtissier. 

Gastermarn. 


âtean  U$  ^^01  s. 


Il  est  chez  les  peuples  de  l'Europe  moderne  d^s  usages 
dont  l'origine  se  perd  dans,  la  nuit  des  temps»  et  qui  sem- 
blent survivre  aux  révolutions  des  États,  aux  changemens 
de  religion ,  de  lois  et  de  mœurs  :  telle  est  parmi  nous 
cette  coutume  constamment  respectée»  même  dans  un 
instant  oùl'on  ne  pouvait  la  rappeler  sans  courir  risque  de 
la  vie;  l'on  sait  qu'à  une  époque  où  le  nom  de  (oi  ne  pou- 
vait plus  se  mêler  aux  jeux  les  plus  innocens»  les  familles 
solitaires  partageaient  encore  en  silence  le  gâteau  des 
raie.  Les  poètes  et  les  historiens  de  l'antiquité  nous  don- 
nent sur  cette  coutume  des  détails  curieux;  et  l'on  s'é- 
tonne aujourd'hui  qu'à  des  époques  si  éloignées,  dans  des 
climats  si  différons,  avec  des  mœurs  et  une  religion  si 
opposées,  les  hommes  aient  conservé  entre  eux  ces 
fortes  de  rapprochemens.  t  Aux  Saturnales ,  dît  le  phi- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     59 

»Iosopiie  Arrien,  le  roi  élu  par  le  sort  exerce  son  auto- 
1  rite  en  commandant  à  l'un  de  boire,  à  l'autre  déverser, 
»à  celui-là  d'aller,  à  celui-ci  de  Tenir.  »  Tacite  obsenre 
que  Néron  ne  manquait  pas  de  se  trouyer  à  ces  fêtes,  et 
qu'il  attachait  beaucoup  de  prix  à  être  le  roi  du  festin. 
«  Verres,  dit  Gicéron,  ayait  foulé  aux  pieds  toutes  les 
9  lois  du  peuple  romain;  mais  il  obéissait  ponctuellement 
91  aux  lois  de  la  table.  » 

Ce  respect  profond  pour  les  rois  d'un  moment  se  mon- 
trait sous  tons  les  dehors  qui  supposent,  d'une  part, 
l'autorité  la  plus  absolue,  et  de  l'autre ,  la  dépendance 
la  plus  parfaite;  il  parait  même  que  les  hommages  rendus 
à  cette  dignité  fugitive ,  mais  qui  s'exerçaient  dans  une 
circonstance  que  les  anciens  regardaient  comme  une  des 
plus  importantes  de  la  yie,  inspiraient  beaucoup  d'or- 
gueil à  ceux  qui  les  recevaient;  et  l'on  voit ,  par  les  con- 
seils qui  leut*  sont  donnés  chez  les  Hébreux»  combien  il 
étBÎt  nécessaire  de  les  rappeler  sur  ce  point  au  sentiment 
de  la  modestie,  t  Si  l'on  vous  nomme  roi  d'un  festin , 
9  dit  l'Ecclésiaste,  ne  vous  élevez  pas  pour  cela  au-dessus 

>  des  autres;  mais,  après  avoir  eu  soin  de  tous  lesconvi- 
»  ves ,  et  avoir  tout  réglé ,  vous  vous  mettrez  h  table  avec 

>  eux;  vous  vous  réjouirez  de  leur  joie,  et  voys  pourrez 

>  recevoir  ou  prendre  la  couronne.  »  II  est  vrai  que  Ter- 
tulUen,  dans  son  traité  «cfe  Coronât  blâme  cet  usage; 
piais  la  sévérité  même  de  Tert.ullien  prouve  le  respect 
général  que  l'on  avait  encore  de  son  temps  pour  cette 
coutume  antique. 

(^es  rois  du  festin  n'étaient  pas  toujours  choisis  par  le 


6o  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

sort.  Le  paMage  qoe  nous  vonons  de  citer  supposerait 
une  élection  libre  et  éclairée.  Plante  dans  une  de  $es 
comédies  introduit  des  personnages  qui  se  nomment  un 
roi  on  une  reine ,  et  Tun  d*enlre  euK  adresse  ces  paroles 
à  une  jeune  beauté  :  «  Je  donne  cette  couronne  de  fleurs 
3  à  celle  qui  est  à  la  fleur  de  son  âge  ;  vous  serez  notre 
»  souveraine.  >  Cependant  il  paraît  que  Tusage  le  plus 
commun  était  d'avoir  recours  au  sort  pour  conCcr  cette 
souveraineté.  On  sait  que  dans  un  repas  où  il  comman- 
dait ,  Agésilas  donna  un  ordre  dont  tous  les  amis  de  la 
table  admirent  l'équité  :  il  voulut  que  Ton  servtt  h  chacun 
autant  de  vin  qu'on  en  demanderait ,  si  la  quantité  de 
vin  était  abondante  ;  mais  en  supposant  qu'il  n'y  en  eût 
que  peu  ,  il  défendit  d'en  donner  plus  à  Fun  qu'à  l'au- 
tre ;  et  quand  ce  grand  homme  donna  cette  décision , 
si  gravement  rapportée  par  Ptutarque,  il  avait  été  élu 
roi  par  le  sort. 

Anacréon  suppose  qu'on  se  servait  de  billets  comme 
nous  nous  en  servons  aujourd'hui.  «  Esclaves  »  dit-îl , 
»  apportez  les  billets;  que  je  les  mêle  afin  que  nous  ayons 
nun  roi  du  festin.  »  Horace  donne  à  entendre  qu'on 
tirait  aux  dés  cette  couronne  innocente,  c  Quand  tu  seras 
»  dans  l'étroite  maison  de  Pluton ,  dit-il  à  son  ami  Sex- 
»  tins ,  les  dés  ne  te  donneront  plus  la  royauté  du  festin.  » 
Le  rhéteur  Pollux ,  et  plusieurs  antres  savans ,  croient 
que  sur  ces  xlés  n'étaient  point  gravés  des  nombres 
comme  sur  les  nôtres ,  mais  des  figures  et  des  symboles. 
Le  plus  souvent  (i)  on  y  voyait  un  chien  et  une  Vénus, 

(i)  Comme  on  l*a  vu  dans  l'article  précèdent. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  Ci 

ou ,  comme  lo  rapporte  Plaute.  un  vautour  ou  un  ba- 
silic Le  vautour  et  lo  chien  excluaient  le  candidat; 
celui  qui  avait  amené  l'image  du  baailic  ou  de  Vénus 
concourait  de  nouveau  avec  ceux  qui  avaient  eu  le 

même  bonheur  que  lui ,  à  moins  qu'il  eût  été  »  dès  le 

• 

commencement  »  le  seul  que  le  sort  eût  ainsi  favorisé. 
Quand  les  enfans  se  nommaient  un  roi  dans  leurs  jeux , 
ils  se  servaient  de  fèves  ;  et  dans  plusieurs  républiques 
on  employait  aussi  les  fèves  pour  faire  l'élection  des  ma- 
gistrats. De  là  ce  précepte  de  Pythagore  :  A  fabis  abs-- 
Une;  abstenez-vous  des  fèves,  c'est-à-dire  abstenez-vous 
de  prendre  part  aux  affaires  du  gouvernement.  On  sait 
que  les  pythagoriciens  fuyaient  les  emplois  »  et  recher- 
chaient le  silence  et  la  solitude.  L'habitude  de  nous 
servir  de  fèves  pour  élire  les  rois  de  nos  festins  est  donc» 
sous  tous  les  rapports ,  de  la  plus  haute  antiquité. 

Lorsque  le  roi  était  élu,  il  débutait  ordinairement  par 
une  harangue  dont  ^{uelques  auteurs  anciens  nous  ont 
conservé  les  traits  suivans  :  t  Buvons»  ùies  amis»  bu« 
»vons  à  pleine  coupe!  enivrons-nous  de  cette  douce 
«liqueur»  de  ces  délices  des  dieux I  0  Bacchusl  toi 
«qu'accompagnent  les  jeux  et  les  ris»  viens  avec  nous» 

•  une  couronne  sur  la  tête»  une  large  coupe  à  la  main; 
«échauffe  nos  esprits.  Esclaves»  hâtez- vous;  donnez-moi 
»  trois  coupes»  ensuite  neuf»  puis  trois  fois  nenf;  enfin» 

•  donnez- les  sans  compter  :  je  veux  me  livrer  à  une  ai- 

•  mable  folie. ..  Hercule»  agité  par  les  Furies»  brisait 
»  l'arc  et  le  pesant  carquois  d'Iphitus  :  en  proie  à  la 
•fureur»  Ajax  frappait  son  bouclier  avec  l'épée  d'Hec- 


(il  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

* 

»tor  :  pour  moi  je  veux,  une  coupe  à  la  main  ,  les  che^- 

«veux  couronnés  de  fleurs ,  sans  arc ,  sansépée»  je  veux 

»me  livrera  de  tendres  fureurs;  j'aime  mieux  perdre  la 

«raison  que  la  vie.»  ll'j  avait  dans  ces  amusemens  de 

l'esprit ,  de  la  bonhomie  et  de  ia  gaité  ;  il  n'e&t  donc  pas 

inutile  d'en  rappeler  le  souvenir. 

C. 

Nota.  GetJirticle  plein  d'cradrtioii  et  «igné  de  la  simpte initiale  C, 
fut  extrait  il  y  a  plusieurs  années  de  la  Gazette  de  France^  qui  compte 
avec  gloire,  parmi  ses  rédacteurs ,  l'aimable  auteur  de  VAri  de  iÙner  en 
viUe. 

Anecdote  sur  le  Gâteau  des  Bois% 

« 

Barjac»  valet-de- chambre  du  cardinal  de  Fleury,  con- 
séquemment  le  ministre  de  ses  plaisirs ,  comme  le  con- 
fident de  ses  peines  ,  connaissait  à  merveille  les  faibles 
de  son  maître ,  et  savait  les  saisir  ;  il  les  caressait  de  la 
façon  la  plus  adroite  :  ce  fut  lui  qui ,  peu  de  temps  avant 
la  mort  de  ce  nonogénaire  ,  eut  la  galanterie  de  le  faire 
souper  la  veille  tles  Rois  avec  douze  convives  de  la  cour, 
tant  hommes  que  femmes ,  tous  plus  âgés  que  lui  ;  en 
sorte  que  »  comme  le  plus  jeime ,  le  vieu^  et  très-vieux 
cardinal  fut  obligé  de  tirer  le  gâteau.  Avec  une  adula- 
tion aussi  recherchée  ,  Barjac  devait  être  ud  serviteur 
très-agréable  à  son  maître. 


m9m 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  65 

LE  ROI  DE  LA  FÈFE. 

MOT    Dl    rORTRAILLI. 

Depuis  long-temps  chez  nous  Gaulois 

On  tire  le  gâteau  des  )rois. 
A  Fontenelle  un  jour  on  fit  tomber  la  chance. 

Soit  qu'enivré  de  cet  honneur, 
(Fruit  du  hasard  ou  de  k  préférence) 

Soit  qu'étonné  de  sa  grandeur, 
Il  rêvât  à  l'effet  de  sa  toute  puissance , 
Dès  ce  moment  il  ne  servit  plus  rien 

A  la  royaliste  assistance , 
Et  vers  lui  garda  tout.  —  Muis  cela  n'est  pas  bien. 

Dit  une  jeune  demoiselle, 
A  peine  roi  vous  manquez  de  cervelle, 

Et  vous  ne  songez  plus  à  nous... 
— Hélas!  ma  chère  enfant,  répondit  Fontenelle  « 

Yoilii  comme  nous  sommes  tous. 


C 


*** 


ntm     


LES  ROIS, 

CRAHSO^lIfRTTB. 
Air  du  fBudeTÎlte  de  Jein  Moiinct. 

Pour  fêter  les  rois  on  mange  : 
Pour  fêter  les  rois  on  boit  : 
Amis ,  que  chacun  s'arrange 
Pour  bien  faire  ce  qu'il  doit. 

Ces  bons  rois 

Étaient  trois  ; 


^, 


64  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Loin  d^eo  rouloir  rien  rabattre , 
Moi  je  mange  comme  quatre , 
Et  comme  quatre  je  bois. 

Quoique  le  faste  entironne 
Les  rois ,  leur  trône  et  leur  cour. 
Je  reux,  si  Tonine  couronne. 
Que  ce  soit  pour  un  seul  jour, 

Que  ce  soit 

Sous  ce  toit. 
Vous  ne  me  Terres  prétendre. 
Au  trône  que  pour  entendre , 
SouTent  dire  le  roi  boit  ! 

Je  suis  un  roi  bon  apôtre  ; 
Car,  mes  amis,  entre  nous. 
Si  le  sort  en  nomme  un  autre, 
Je  ne  m'en  sens  point  jaloux; 
Quel  qu'il  soit, 
On  me  voit 
Prosterné  devant  sa  gloire  : 
Plus  le  roi  me  yerse  à  boire, 
Plus  je  chante  le  roi  boit  ! 

Armand  Goufté. 
Mais  passons  à  des  objets  plus  substantiels. 


0«lf. 


G*£ST  par  la  viande  de  boucherie  qu'on  débute  dans 
tous  les  festins;  elle  forme  même  la  base  ordinaire  de 


w 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  65 

DOS  repas  quotidiens.  Le  hma!,  le  mouton  ,  le  veau  ont 
toujours  le«  prémices  de  notre  goiirmandise.  Il  est  donc 
juste  que  nous  leur  tàssione  Dotie  compliment  au  renou- 
TeUemrait  de  raunée ,  et  que  pour  étrenoes  à  nos  lec- 
teurs nous  oflWoos  UD  alojau  d'Auver|;Re,  ou. un  Eiirot 
de  Présalé. 

C'est  dans  ce  mois  que  l'on  voit  flrriyer  en  Toule  k 
Varia  ces  énormes  bœuis  de  l'AuTergne  et  du  Cotentin , 
cbai;gés  d'une  graisse  sncculenle  et  dont  les  flancs  «cè- 
lent ces  aloyaux  dirins ,  le  {»«mier  fondement  d'un  bon 
repas  ,  et  dont  l'appétit  se  lasse  beaucoup  moins  que 
des  mets  les  plus  recherchés.  Ces  aloyaux  bien  mortifiés , 
cuits  b  l'anglaise  ,  c'est-à-dire  saignans  et  accompagnés 
d'une  sauce  stimulante  dans  laquelle  les  ancfaoîx  et  les 
câpres  fine»  tiennent  le  premier  rang ,  sont  en  cette  soi- 
Bon  le  rôti  qui  convient  le  mieux  à  une  table  nombreuse 
et  ailâiDée. 

La  pièce  de  bœuf  est  le  début  obligé  d'un  dloer  bien 
ordonné.  Chei  les  Amphytrions  vulgaires  c'est  un 
bouilli  relevé  d'une  sauce  piquante  aux  choux,  et  flanqué 
de  quelques  saucisses. 

Chez  les  amateurs  plus  raffinés ,  à  la  place  du  bouilli 
se  montre  tout  naturellement  un  de  ces  aloyaux  juteux 
que  le  Poitou  et  la  Normandie  payent  en  tribut  à  la  ca> 
pitale  de  l'Europe  gourmande.  C'est  en  janvier  qu'ils 
arrivent  en  foule ,  et  que  des  flancs  savoureux  du  bceuf, 
dont  la  graisse  s'est  identifiée  h  h  chair  par  les  fali^ues 
de  la  route  et  la  pesanteur  du  voyageur,  on  tire  les 
aloyaux  les  meilleurs  et  les  plus  gros. 

5 


66  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

De  quelle  immense  ressource  est  pour  Tart  du  cui- 
sinier ce  succulent  animal ,  qui ,  chargé  d'embonpoint , 
fait  péniblement  cent  lieues  en  tremblottant  pour  venir 
briller  sur  nos  tables  pendant  une  heure  au  plus  ! 

C'est  le  bœuf  qui  fait  ces  consommés  restaurans ,  ces 
soupes  revivifiantes ,  dont  les  estomacs  délabrés  et  ma- 
lades se  trouvent  si  l>ien;  -c'est  le  bœuf  qui  fait  les  bouil- 
lons ,  les  -coulis  et  les  )us  propres  à  tout ,  préférables  à 
tout  par  leur  salubrité  y  leur  aménité,  leurs  propriétés. 

On  ferait  un  volume  des  différentes  manières  d'ac- 
commoder le  bœuf;  on  ferait  un  traité  de  l'art  de  cuire 
à  son  point  précis  l'aloyau  lardé»  à  la  sauce  piquante. 

Quel  livre  ne  ferait-on  pas  sur  la  composition  d'un 
hochepot  flamand;  sur  les  palais  de  bœuf  au  gratin  ,  les 
entrecôtes  grillées  »  les  filets  rôtis  »  et  ce  ross  beef,  et  ce 
keef -S'teaJc  y  sans  rivaux  »  que  savoure  le  ruminant  An- 
glais ;  notre  modèle  en  gourmandise ,  et  notre  copiste  en 
cuisine  ? 

Le  beef'S'teak  serait  d'une  très-heureuse  ressource 
dans  les  maisons  bourgeoises,  si  l'on  savait  l'accommoder; 
mais  les  choses  simples  sont  presque  toujours  celles  aux- 
quelles on  réussit  le  plus  difficilement.  La  difficulté , 
pour  un  beef-C't^ak ,  consiste  surtout  dans  le  choix  des 
tranches  :  il  n'y  a  point  de  milieu  entre  le  morceau 
moelleux  et  tendre  et  des  lames  coriaces  et  sèches  »  dont 
la  ténuité  ne  peut  résister  à  l'action  du  feu. 

G.  D.  L.  R. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS 


^^«Hits  aimntam$. 

Quoique  nous  n'ayons  jamais  ceint  le  tal 
b  ibéorie  de  l'art  alîmeotaïre  nous  soit  be 
familière  que  sa  pratique,  nous  ne  somme 
pas  tellement  étranger  aux  fourneaux  que  d 
sions  satislàire  ii  cet  é^rd  le  goût  et  la  t 
nos  lecteurs.  Nous  en  trouverons  les  moyei 
les  nombreuses  lectures  que  nous  avons  faiti 
nos  rapports  journalier»  avec  les  artistes  < 
avec  le  plus  de  gloire ,  h  Paris ,  le  rouleai 
serole. 

Mais  ,  comme  ce  n'est  point  on  traité  de 
nova  prétendons  offrir  au  public ,  nous  pr< 
nous  choisirons  ces  recettes  au  hasard ,  et  < 
nous  astreindrons  dans  leur  publication  k  t 
méthodique  :  nous  ferons  seulement  en  sori 
blîer  en  temps  utile,  c'est-à-dire  dans  les 
elles  seront  întantanément  praticables. 

BFEF,  ou  BEEf'-S-TEAK. 

Ayez  im  moTcCBD  d'eicelleot  GIct  de  bcRif,  Otez-CD 
et  picKpie  toote  U  gnÛK ,  coupcz-Ie  par  ronellei  di 
<fu»tte  on  cinq  ligaei  ;  applttiiKE  ligireroeot  chacon  di 
rt  pare E-lei  afin  iju^li  loieot  i  peu  prèiroodiel  det>  fo 
(il  livre*  ;  fum  eotnile  fondre  an  pen  de  benne  ,  met 
«el  et  de  gn»  poiTrc  ;  trempes  toi  betfdtdani ,  et  am 
pUt  ;  aa  nrameDl  de  terTÏr  Utea-tet  griller  anr  un  Cm 
innttoia  de  ne  pai  trop  l«  laiuer  cuire;  pendant  ci 


G8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

dans  un  plat  un  morceau  de  beurre  proportionné  à  la  quantité  de  buf*- 
s-tenik  que  Y0U8  aurez  préparée  ;  assaisonnez  de  sel ,  poivre  ,  un  peu  de 
persil  et  un  jus  de  citron  ;  dressez  votre  btef-s-teak  dessus  en  j  ajoutant 
quelques  pommes  de  terre  frites  dans  du  beurre  bien  frais,  ou  des 
cornichons ,  si  vous  l'aimez  mieux.  On  sert  aussi  le  btefs-itak  au  beum^ 
d'anchou. 

G.  et  G. 

Le  bœuf  est  excellent  dans  cette  saison  »  ainsi  que 
nous  avons  déjà  eu  occasion  de  le  dire ,  et  tout  ce  qui 
tient  à  sa  personne  participe  à  cette  bonté  ;  mais  son 
palais  sinrtout  est  dans  ce  mois  d'une  délicatesse  admi- 
rable ,  et  qui  détermine  les  amateurs  à  commander  en 
ce  moment,  presque  tous  les  jours ,  à  nos  meilleurs  ar- 
tistes en  pâtisserie ,  ces  indicibles  pâtés  chauds  de  palais 
de  bœuf  roulés,  aux  truffes,  aussi  fondans  dans  la  bouche 
que  la  meilleure  pâte  de  guimauve ,  dont  Tassaisonne- 
ment  est  admirable ,  et  dont  la  croûte  est  vraiment  un 
chef-d^œuvre  de  Tart  et  d*une  délicatesse  tellement  in- 
dicible ,  que  plus  d'un  gourmand  ne  la  mange  jamais 
qu'à  genoux. 

Quoique  le  ragoût  que  nous  allons  indiquer  ne  puisse 
se  comparer  à  ces  pâtés  inimitables ,  il  ne  laisse  cepen- 
dant pas  d'avoir  son  mérite ,  et  nous  engageons  les  plus 
gourmands  de  nos  honorables  lecteurs  à  vouloir  bien  en 
faire  l'épreuve. 

PALAIS   D£    BOEUF    EN    ALLUMETTES. 

Vous  commencez  par  couper  vos  palais  en  petits  filets  de  la  groascui 
des  allumettes  ;  vous  les  laissez  ensuite  mariner  dans  un  peu  de  bouillon, 
vinaigre ,  sel ,  poivre ,  basilic ,  laurier  «  tbym ,  clous  de  girofle ,  poud<  e 


_fca^  _  .• 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  69, 

d'épices  fines,  traoch<»  d'oigocas,  un  petit  morceau  de  beurre  mauié 
de  fines  berbes  dans  un  peu^de  farioe ,  le  tout  bien  chaud. 

Vous  faites  mariner  pendant  deux  heures  ;  laissez  égoutter  tos  filets , 
et  les  trempez  dans  une  pâte  il  bière,  (personne  n'ignore  que  c'est  la 
pâte  à  friture  ordinaire  qui  se  compose  de  faiine ,  de  bière ,  et  de  deuk 
ou  trois  )annes  d'oeuf)  vous  les  faites  frire  ensuite  dans  du  sain-doux ,  el 
les  servez  bien  blonds  et  brftlans ,  garnis  tout  autour  de  persil  frit. 

Si  TOUS  voulez  simplifier  cette  aimable  formule ,  vous  pouves  vous 
contenter  défaire  mariner  vos  allumettes  simplement  dans  du  citron 
avec  un  peu  de  sel  et  quelques  brins  dei  persil  ;  vous  les  ferez  frire  en- 
Miite  de  même ,  et  de  belle  couleur. 

Ces  allumettes  prendront  le  nom  de  Mwntis  droits,  si ,  après  avoir 
coupé  vos  palais  en  filets,  voas  passez  des  oignons  comme  au  parmesan , 
et  ku  jetez  dedans.  En  finissante  n'onbliea  pas  un  peu  de  moutarde  de 
SlaiUe  ou  de  fiordin  (i) ,  ot  l'épigramme  d'un  petit  filet  de  vinaigre. 

AJIOUBETTBS  DE    ¥KAU    GOHPOSifiS ,    À   LA    CREME* 

VoQS  Gommencea  par  prendre  de  jolis  petits  boyaux  de  cochon  de  lait , 
ou  même  simplement  de  dindon ,  que  vous  nettoyez  bien  légèrement 
en  les  retoomaot;  vous  la  ratissez,  un  peu,  et  les  faites  dégorger  dan  h 
de  l'eau  froide;  ensuile  vous  souffles  dedans  a%ec  toute  la  gravité  pos- 
sible pour  vous  assurer  qu'ils  ne  sont  point  percés,  accident  trës-dan- 
fereax ,  comme  Ton  sait,  dans  plus  d'un  cas.  Procurez- vous  les  deux . 
blancs  d*une  poularde  ou  d*un  poulet,  cuits  à  la  broche,  que  vou.t 
bâches  bien  menas  avec  d^la  tétine  de  veau  blanchie,  un  peu  de  lard 


(i)  La  moutarde  de  MM.  Maille  et  Aclocque-,  rue  Saint-Ândré-des- 
Arcs,  et  celle  de  M.  Bordin ,  rue  Saint-Martin ,  n<>  71 ,  sont  les  meil- 
heures  que  Ton  poisse  manger  en  ce  bas-monde  j  ces  deux  artistes  célè- 
bre s  ayant  mis  depuis  plus  de  quarante  ans  toute  leur  gloire  et  tous 
leurs  soins  dans  la  préparation  des  sinapismcs.  Les  gourmands  sont 
aussi  indécis  sur  le  mérite  de  ces  deux  célèbres  rivaux ,  que  les  connais- 
tenrs  entre  Corneille  et  Racine;  en  sorte  que  toutes  les  bonnes  tables 
olfreot  toujours  en  regard  M.  Aciocqi^c  et  M.  Bordin.  M.  Le  Maout 
d$  Saint-Brieuc  n'est  considéré  que  comme  le  Crébillon. 


70  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

également  haché ,  m\,  poivre ,  échalotes ,  baeilic  cq  poudre  et  muscade 
râpée. 

Ces  préLuninaires  remplis,  tous  fûtes  une  préparation  de  crème  ainsi 
qu'il  suit  :  passez  dans  une  casserole ,  avec  deax  onces  de  bon  beurre 
frais  de  Gonmay  ou  d'Isigny,  selon  la  saison ,  quelques  champignons 
coupés  en  dés,  un  bouquet  garni  et  une  tranche  de  jambon.  Vous 
singea  un  peu  ,  mouillea  le  tout  de  bon  bouillon ,  et  le  laissez  un  moment 
bouillir. 

Lorsque  tous  Toyez  que  cela  commence  à  s'épaissir,  tous  ôtez  ce  qor 
est  dans  la  casserole,  e'est4i-dire  le  jambon,  les  champignons  et  le 
bouquet  garni ,  et  tous  y  mettez  un  demi-setier  dto  l'exoeUente* crème 
de  Madame  Lambert  (i)  ;  tous  faites  bouillir  jusqu'à  ce  que  le  tout  soit 
un  peu  épais.  Après  l'avoir  fait  refroidir,  TOus.aTez  un  pelit  entonnoir 
aTcc  lequel  tous  remplissez  de  cette  composition  tos  boyaux  »  puis  tous 
les  faites  blanohir  un  bouillon ,  et  les  faites  cuire  dans  des  bardes  d'un 
lard  gras ,  frais  et  onctueux. 

Lorsqu'il  faudra  les  serTir,  tous  les  d^esserez  dans  un  plat,  et  vous 
les  masquerez  (surtout  si  c'est  en  camaTal)  aTcc  une  belle  sauce  à  la 
crème».  Pour  un  plat  honnête ,  il  faut  au  moins  deux  ou  trou  aunes  de 
boyaux.  On  les  laisse  entiers  ;  ce  qui  forme  un  raTissant  coup-d'œil. 

On  peut  aussi  les  faire  frire.  Pour  y  parTenir,  on  leur  donne  un  doigt 
de  longueur,,  on  les  fioelle,  et  on  les  fait  cuire  de  même  :  ensuite  on  les 
laisse  refroidir;  on  les  trempe  dans  une  pâte  k  bière;  on  les  fait  frire  de 
belle  couleur ,  et  on  les  sert  garnis  de  persil  fiit ,  et  sTec  l'expression 
d'un  Jus  de  oitron. 

On.  peut  encore  Tarier  ces  amourettes  de  plusieurs  autres  façons ,. 
selon  le  goût  des  consommateurs.  Il  nous  suffit  d'aToir  posé  ici  les  prin- 

(i)  Cette  madame  Lambert,  dont  M«  Grimod  de  la.Reynière  a  fait 
si  justement  et  si  souTcnt  l'éloge ,  a  cédé  son  fonds  depuis  quelque 
temps.  Nous  allons  donner  les  noms  des  principales  maisons  de  com« 
merçe  en  ce  genre.. 

Duval,  rue  Culture  Sainte-Catherine,  n«  3^  an  Marais.. 

Bally,  rue  neuTc  des  Petits-Champs ,  n«  73. 

LintiTÎlle ,  rue  de  Grammont,  n*  10. 

La  grande  laiterie  de  Bondy,  me  d'Artois ,  n*  11.. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     71 

cipes  de  la  matière ,  la  perspicacité  des  cuisiniers ,  guidée  par  le  goût  et 
l'appétit  des  amphytrioas,  fera  le  retle. 

CASCALOPB    DB   MOUTON    A    l'hUILB. 


Vous  commencez  par  couper  les  filets  comme  pour  des  bressoles  ; 
vous  les  faites  ensuite  mariner  avec  sel ,  poivre ,  basilic ,  muscade , 
persil ,  ciboule ,  échalotes,  nue  petite  gousse  d'ail  et  deux  champignons, 
1r  tout  haché  bien  menu ,  et  un  Terre  d'huile  d'olive.  Lorsque  le  tout  a 
bif'n  marioé  pendant  soixante  minutes ,  vous  arranges  vos  filets  dans 
une  grande  casserole ,  mais  de  manière  qu'ils  ne  se  trouvent  pas  l'un 
sur  l'autre ,  et  vous  les  mettez  sur  un  grand  feu.  Lorsqu'ils  se  détachent 
Je  ta  casserole ,  vous  les  remuez  un  peu.  Quand  le  mouton  est  tendre , 
i(  ne  faut  qu'un  instant  pour  les  faire  cuire.  Faites  ensuite  bien  égoutter; 
jetez  dans  le  restant  de  la  sauce  un  demi-verre  d'excellent  vin  de  Cham- 
pagne, un  peu  de  quintessence  de  jambon,  du  consommé,  ou  à  défaut, 
d'excellent  bouiUon,  avec  un  peu  de  blond  de  veau.  Faites  bouillir  un 
instant  ;  dégraissez  au  tamis  de  soie ,  et  servez  à  courte  sauce  et  avec 
l'expresnon  d'un  bon  jus  de  citron. 

Le  temps  nous  manque  poar  chereher  Pétymologie  du  nom  des 
CaMeahpe$:  mais  nous  pouvons  assurer  que  c'est  un  hors-d'œuvre  très- 
apparent  qui,  même  dans  les  tables  bourgeoises,  peut  passer  sous  le 
nom  d'entrée.  C'est ,  au  reste ,  un  manger  délicieux  ;  et,  quoiqu'il  ap-. 
parlienne  è  l'ancienne  cuisine ,  il  serait  de  l'intérêt  et  de  la  gloire  de  la 
nouvelle  de  le  remettre  en  honneur. 

BÔT    DB    BIF   d'aGNBAU    A    LA    BABBARINE. 

Ayez  un  rot  de  bif  d'agneau  bien  blanc  et  bien  tendre;  levez-en  la 
peau  proprement  ;  ciselez  le  des  deux  côtés ,  &  un  pouce  de  dintance  ; 
ayez  des  tranches  de  petit  lard ,  de  truffes ,  de  foies  gras ,  de  (ilets  d'an- 
chois ,  conûchons  et  tranches  d'oignons  d'Espagne  ;  mettez  dans  chaque 
ciselure  une  tranche  des  objets  ci-dessus ,  disposés  avec  grâce.  Prenez  du 
lard  râpé,  de  la  moelle  de  bœuf,  persil,  ciboules,  échalotes,  ail,  ba- 
silic ,  poivre,  muscade  et  sel ,  le  tout  pilé  ensemble ,  avec  six  jaunes 
d'ceafs  dors,  et  trois  jaunes  d'csufs  crus;  formez  du  tout  un  bon  ap- 


,>  LE  GASTRONOME  FKANÇAIS. 

fucil,  arec  lequel  vaaiciHitm  toire  Rôt  de  bit,  Beoiettei  U  pua 
pir-deum,  d  toui  l'aTei  conier*4e  biea  entière,  od,  k  déttut,  nnit 

Faites  enmite  cuire  1«  lout  arec  «oia  dansuae  bonne  biaiie.  Qa«i>(t 
Totrc  rôt  de  blfeil  cuit,  dreuei^e  «ur  uq  plil;  dégraisseï;  glacez  av«; 
une  glace  de  veau  Taite  expiés  et  bien  clarifiée  ;  aervei  eiuuilB  avec  l» 
aauce  parfailemeul  bïca  dt'graîaiée. 

Ce  ROI  de  bif  i  la  Barbariae  e.tt  certaiaemeDt  (a  plut  belle  dtcoratioo 
dont  on  puisK  reiClu  un  qaaitier  d'agneau.  C'est  une  groate  sntrée 
tout  i  la  Tois  ttèa-appareole  et  IrÈi-délicate.  11  ne  faut  pai  craindre  de 
tenir  ce  BOl  de  bif  d'un  goût  an  peu  relevé,  la  cbair  de  l'agneau  ilaot 
nature  Ile  ment  fade,  aqueuie  et  inodore.  G'eit  ua  aaimal  dont,  par 
pluûeurt  coDiidcrationi ,  tout  vrai  Gourmand  devrait  s'abstenir  :  d'a- 
bord il  ne  procure  que  dei  jouisaincei  niédiocrcs;  enniile  lonqu'oo 
•onga  qu'en  mangeant  l'une  de  cet  aimables  créatures,  on  court  te 
aiaque  d'engloutir ,  d'anéantir  eo  un  iuslant  toute  une  géoétation  ,  un 
devrait  le  montrer  trèa-réiervA  sut  ce  genre  d Infanticide. 

On  peut  préparer  de  la  mfime  manière  les  selles  de  mouton. 
G.  D,  L.  R. 


Vers  la  fin  d'un  beau  jour  d'ét^,  Fonteuelle  était 
couché  nonchalammeot  sur  le  haut  d'un  coteau  :  dans 
le  vallon  était  un  nombreux  troupeau  de  moutons  qui 
bondissaient  en  attendant  le  moment  où  leur  fidèle 
gardien  les  conduirait  dans  leur  rustique  demeure. 

Un  ami  de  Funtenelle  l'apercevant  «inti,  lui  dit  eu 
l'abordant  :  t  L'aimable  philosophe  rêve  sans  doute  en 

•  ce  moment  aux  vicissitudes  humaines? >  Vous  avez 

raison ,  répondit  Fontenelle  ;  j'examiuais  ce  troupeau ,  et 
je  tue  disais  :  Il  serait  possible  que  sur  ces  deux  cenla 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ^l 

montons  ou  environ  que  j'aperçois  d'ici  »  on  ne  trouvât 
peint  un  seul  gigot  tendre. 

Si  cette  pensée  philoêophique  est  justement  sentie  de 
nos  lecteurs ,  et  si  l'on  conyient  avec  M.  G.  D.  L.  R. 
«  qu'après  un  ami  véritable  »  une  fidèle  épouse  et  un 
»  prolecteur  désintéressé»  il  n'est  rien  déplus  rare  à  Paris 
ik  qu'un  gigot  tendre,  »  nous  leur  indiquerons  la  source 
où  ils  peuvent  s'en  procurer  d'excellens. 

Jusqu'à  présent  on  a  placé  au  premier  rang  de  la  gent 
moutonnière  les  moutons  des  Ardennes,  de  Pré-Salé ,  de 
Cabourg  et  d'Arles ,  tandis  que  l'on  a  cru  devoir  placer 
au  second  rang  ceux  de  Beauvais ,  de  Dieppe»  d'Avran- 
cbes  et  de  Reims. 

Il  en  est  dans  ce  bas-monde  des  animaux  comme  des 
hommes ,  qui  n'ont  en  général  du  mérite  que  sur  la  ré- 
putation qu'on  leur  établit  ;  et  tel  qui  vit  ignoré  ou  oublié 
dans  sa  retraite  obtiendrait  les  premiers  honneurs  s'il 
était  connu ,  ou  si  quelques  rivaux ,  jaloux  de  sa  gloire , 
cherchaient  moins  à  l'éloigner  du  grand  jour. 

Telle  est  la  position  où  se  trouvent  les  moutons  de 
Beauvais ,  qui  de  temps  immémorial  sont  offerts  à  titre 
de  présent  aux  têtes  couronnées  et  aux  princes  qui  hono- 
rait cette  ville  de  leur  passage ,  et  sont  envoyés  le  pre- 
mier janvier  de  chaque  année  comme  nhoroeaucc  de  roi 
aux  chefs  suprêmes  de  l'État,  qui  les  ont  constamment 
aceoeillis  avec  plaisir. 

Ces  (aits  nous  sont  attestés  par  des  autorités  respec- 
tables, qui  nous  ont  d'ailleurs  mis  à  même  d'établir  notro 
jugement  sur  une  de  ces  viclimes  immolées  en  notra 


74  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

honneur,  et  dont  le  tn'ta  de  derrière  pétait  «eul  cio- 
quante-six  livres. 

Od  sera  moins  étonné  de  ce  que  nous  avançons  quand 
OD  saura  que  les  moutons  de  fieauvais ,  nourris  avec  du 
foin  te  plus  fin,  du  nantillon  et  du  son,  attendent  pa- 
tiemment,  privés  des  autres  joies  de  ce  monde,  le  moment 
fortuné  oii  ils  doivent  paraître  sur  nos  tables  :  ils  restent 
ordinairement  deux  ans  dans  la  retraite  ;  ce  temps  est  de 
rigueur  li  l'on  veut  les  manger  h  point. 

C. 


De  toutes  les  mamères  de  manger  la  volaille ,  ia  plus 
succulente ,  la  plus  recherchée  et  la  plus  honorable , 
c'est  de  la  manger  aux  truffes  :  le  parfum  de  la  truffe 
donne  à  la  viande  un  goût  merveilleux ,  et  lui  commu- 
nique une  vertu  vivifiante  ;  elle  inspire  au  gourmand  une 
énergie  extraordinaire;  et,  fïtt-il  de  l'appétit  le  plus 
vulgaire ,  elle  en  fait  un  Mllon  de  Grotone. 

Les  torrens  de  délices  qui  s'émanent  des  entrailles  de 
la  truffe  ne  sont  pas  le  seul  bienfait  qu'elle  répande  sur 
les  convives;  elle  a  des  aiguillons  mystérieux  dont  Ta- 
mant  s'applaudit  à  aussi  juste  titre  que  le  gourmand.  Ce 
secret  stimulant  et  ce  fumet  amoureux  en  ont  fait  le  mets 
favori  des  belles.  Elle  mériterait  d'être  dédiée  à  l'amour, 
aussi  bien  que  la  rose  et  la  pomme ,  tant  célébrées  par 
les  poètes. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  75 

L'origine  de  la  trufFe  est  mystérieuse ,  et  non  moins 
inconnue  que  les  sources  du  Nil;  elle  n'a  ni  racine  »  ni 
feuilles ,  ni  semence;  fille  de  la  terre ,  elle  ne  tient  è  rien 
de  terrestre.  II  7  a  dans  son  histoire  de  quoi  composer 
un  poème  épique.  Sa  destinée  bizarre  fut  d*^tre  décou- 
verte par  des  cochons  ,dont  le  grouin  alongé  devina  le 
fumet  de  ce  trésor  à  quelques  mètres  de  profondeur. 
Jusqu'alors  sans  doute  la  truffe  était  réservée  pour  la 
table  de  quelque  gnome  jaloux  du  bonheur  des  hu- 
mains :  il  la  dérobait  par  son  art  aux  recherches  des 
savans  ;  et  quelque  sylphe ,  ami  de  l'homme ,  chargea 
l'animal  immonde ,  contre  lequel  le  gnome  avait  oublié 
de  se  précantionaer,  de  retrouyer  la  merveille  enterrée, 
et  de  lui  faire  voir  le  jour. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  premiers  porcs  qui  découvrirent 
la  trufie  étaient  de  très-bon  goût;  il  n'est  pas  de  bel  es- 
piit  aujourd'hui  qui  ne  s'empresse  de  les  imiter  (i). 

La  truffe  est  une  brune  piquante  »  de  formes  assez 
rondelettes ,  quoiqu'à  protubérances  inégales  ;  sa  peau 
veloutée  et  sa  chair  ferme  sont  sans  aucun  mélange  de 
poik ,  d'os  ou  d'arêtes  :  ainsi  que  du  cochon ,  son  in*- 
venteur,  tout  en  est  bon«  C'est  à  la  fin  de  l'automne 
qu'elle  aime  à  se  produire;  on  conmience  à  la  chercher 

(1)  Daos  une  autre  de  ses  dissertatioDs  sur  la  truffe  et  sur  les  aimable» 
compagnons  de  salut  Antoine,  l'illustre  M.  Grimod  de  la  Reynièredé- 
ceme  une  couronne  méritée  à  leur  génie  inventif,  et  leur  rend  la  justice- 
de  dire:  «  Qu'ils  ne  nous  sont  pas  moins  utiles  de  leur  vivant  qu'après  leur 
»  mort  ;  car  sans  eux ,  les  truffes  pourriraient  ignorées  au  sein  de  la  terre, 
>et  seraient  la  pftture  des  larves  et  des  tipules ,  au  iieu  de^de venir  celle 
«ck  nos  pins  illustres  gourmands.  » 


76  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

ea  novembre ,  mais  c'est  en  décembre  seulement  qu'elle 
a  acquis  sa  maturité  et  son  embonpoint.  C'est  à  ce  mois 
que  se  rapporte  probablement  l'anniversaire  de  son  in- 
vention ,  lorsque  la  terre ,  attendrie  par  les  pluies  de  la 
.saison ,  se  rend  plus  accessible  au  grouin  investigateur. 

Lorsque  les  cochons  trouvent  la  truffe  en  fouillant  la 
terre»  ils  annoncent  leur  bonne  fortune  par  des  cris  de 
joie  ;  et  l'homme ,  toujours  ingrat  envers  les  animaux 
qui  le  servent ,  presque  autant  qu'avec  ses  semblables, 
accourt ,  frappe  sans  pitié  le  grouin  bienCaisant ,  s'empare 
de  la  trufle ,  la  met  dans  son  bissac ,  et  prescrit  à  son  es  - 
clave  de  nouvelles  fatigues  dont  il  recueille  le  même  fruU; 
de  sorte  que  les  pieux  compagnons  de  saint  Antoine , 
condamnés  au  supplice  de  Tantale  »  souffrent  d'autant 
plus ,  que  leurs  recherches  ont  plus  de  succès ,  et  que 
leur  appétit  est  plus  glouton. 

Communément  on  ne  trouve  point  d'herbe  dans  les 
endroits  où  il  y  a  des  truffes  ;  l'on  reconnaît  encore  ces 
endroits  lorsqu'en  regardant  horizontalement  sur  la  sur- 
lace de  la  terre  on  voit  voltiger  au-dessus  d'un  terrain 
léger  et  plein  de  crevasses  des  essaims  de  petites  mouches 
qui  sont  produites  par  de  petits  vers  sortis  de  ces  sortes 
de  champignons. 

Les  pays  chauds ,  les  lieux  secs  et  sablonneux  ,  tels 
que  certains  lieux  du  Pérîgord,  du  Quercy,  du  Limosin , 
de  l'Angoumois ,  de  la  Gascogne»  et  particulièrement  de 
l'Italie  ,  sont  les  endroits  où  l'on  trouve  les  truffes;  celles 
des  environs  de  Pérîgueux  sont  préférées,  et  quand  il 
s*en  trouve  de  bonnes  ailleurs ,  ce  n'est  qu'en  se  faisant 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  77 

•  * 

naturaliser  périgourdtnes  qu'elles  ont  cours  dans  le  com- 
merce. 

Il  y  a  des  truffes  de  plusieurs  espèces ,  mais  les  plus 
excellentes  sont  de  moyenne  grosseur^  bien  nourries, 
dures»  et  ayant  beaucoup  d'odeur. 

Les  truffes  enfin  ont  acquis  dans  l'État  une  telle  con- 
sidératton ,  qu'il  ne  sera  bientôt  plus  permis  d'ignorer  h 
quelles  sauces  elles  doivent  être  knangées  préférable- 
ment.  C'est  pour  contribuer  autant  qu'il  est  en  nous  à 
la  propagation  des  lumières ,  que  nous  donnons  les  re- 
cettes suivantes ,  qui ,  sans  doute ,  sont  encore  suscep- 
tibles de  perfection  comme  tout  ce  qui  tient  aux  hautes 
sciences. 


catU$  a{m<nt(X\us. 


SÀUTÊ    DE    VOLAILLE    ET    DE    GIBIER   AUX    TRUFFES. 


PiBJitz  soit  des  filets  de  Tolaille  (  que  tous  mettet  si  voas  voulez  en 
escalopes),  soit  des  filets  de  perdrix^  oa  enfio  des  escalopes  de  lapemau  ; 
ayez  une  sautoire ,  Foncez-la  avec  d'excellent  beurre ,  arrangez  dessns 
vos  filets  ou  escalopes  ;  prenez  trois  ou  quatie  belles  truffes ,  coupez-les 
par  tranches  9  et  mettez-les  avec  votre  sauté;  faites  cuire  le  tout  sur  un 
fourneau  qai  ne  soit  pas  trop  vif;  égouttez  votre  sautée  et  dresscz*le  sur 
an  plat;  mettez  dans  votre  sautoire  deux  cuillerées  de  bonne  espagnole 
réduite  ;  détachez  bien  ce  qui  est  dans  votre  sautoire ,  et  versez  votre 
sauce  sur  votre  sauté.  Ajoutez  si  vous  voûtez  quelques  gouttes  de  jus 
de  citron . 


78  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

MANIÈRB  DB  FARCIR  DINDES»  POULARDES,  CHAPONS, 
POULETS  ET  PERDREAUX  AUX  TRUFFES. 

Prenez  la  Tolaille  que  toui  Toudres  farcir,  Tidez-Ia  par  la  poche, 
casses  un  pea  le  brichtt,  et  flambez-la. bien  légèrement,  ayez  deoi 
lÎTres  de  tmffea,  laTcz-les  bien  soignensement ,  épluchez-les,  et  mettez 
environ  la  moitié  de  ces  épluchures  (  en  choisissant  ce  qu'il  y  a  de 
mieux)  dans  un  mortier  ;  ajoutez-y  une  livre  de  lard  coupé  en  dés,  du 
sel ,  du  poivre ,  un  peu  de  thym  et  de  laurier  hachés  bien  menu  ;  piles 
le  tout  avec  soin  afin  de  le  réduire  en  farce  ;  mêlez  ensuite  cette  farce 
avec  vos  tiulTes ,  et  farcissez-en  la  volaille ,  que  vous  trousserez  et  bri- 
derez afin  de  lui  donner  une  belle  forme. 

.  Il  faut  que  les  volailles  restent  farcies  plqsieurs  jours  avant  d'être 
mangées  :  quatre  jours  suffisent  en  temps  humide ,  mais  dans  les  temps 
de  gelée  on  peut  les  laisser  huit  jours. 

Lorsqu*on  veut  les  mettre  à  la  broclie,  il  faut  avoir  soin  de  les  enve- 
lopper de  papier  beurré.  On  doit  les  faire  cuire  à  petit  feu  et  les  servir 
bien  chaudement. 

G.  D.  L.  R. 


atctfUs. 


Le  gibier  particulier  de  cette  époque  est  un  joli  petit 
oiseau  aquatique  ,  tenant  du  poisson  et  du  canard  ,  que 
Ton  peut  manger  le  vendredi  sans  scrupule ,  et  servir  le 
dimanche  en  rôti  sans  déroger. 

Cet  amphibie  aérien  est  la  sarcelle,  cousine-ger- 
maine de  la  bécasse,  voyageuse  comme  elle»  d'un  goût 
et  d'une  chair  analogues  ;  quant  à  la  forme  et  au  plu- 
mage on  la  prendrait  pour  un  canard  sauvage ,  à  la  taille 
près  :  c'est  une  miniature  de  canard  ;  sa  taille  est  plus 


LE  GASTBONOME  FRANÇAIS.  79 

élégante  malgré  son  embonpoint  ;  sa  physionomie  est  plus 
agréable ,  et  sa  chair  surtout  plus  délicate. 

Il  ne  faut  pas  cependant  confondre  la  sarcelle  des 
cotes  y  qui  est  grise ,  avec  la  rouge ,  oiseau  de  rivière  » 
distinguée  de  sa  sœur  par  la  couleur  de  sa  gorge  :  celle- 
ci  est  plus  grosse  »  mais  elle  a  bien,  moins  de  mérite  »  de 
graisse  et  de  vertu. 

SABCBUiB   A    Vk   BIGARADB  (l). 

Un  des  procédés  les  plus  commodes  pour  apprêter  ces  mets  dlÛTer 
est  la  bigarade.  Rassemblez  quatre  sarcelles  jeunes  et  convenablement 
mortifiées;  qu'elles  aient  été  chassées ,  s'il  se  peut,  sur  les  côtes  de  la 
Manche ,  et  surtout  dans  la  baie  d'Étaples  ;  videz-les  avec  soin  ;  flam- 
bez-les légèrement,  de  manière  à  ne  brûler  que  le  duvet  ;  épluchez-les 
avec  attention ,  et  qu'il  n'y  reste  aucun  tuyau  qui  rappelle  ses  plumes. 

Pelez  les  foies  des  quatre  défuntes  avec  le  dos  du  couteau,  pour  en 
faire  une  pei  ite  farce  ;  mélez-y  ensuite  un  copieux  morceau  de  beurre , 
du  sel ,  du  poivre  y  quelques  épices  et  un  (>eu  de  zest  de  citron  haché. 

Farcissez  de  ce  composé  vos  quatre  sarcelles ,  de  façon^  que  leurs 
ventres  s'arrondissent  mollement^  troussez-les ,  et  passez  votre  ficelle 
avec  adresse ,  afin  de  leur  donner  dans  cet  état  un  aspect  gracieux  et 
appétissant. 

Voici  llnstant  de  les  embrocher  toutes  quatre  sur  un  atelet  ;  qu'elles 
y  représentent  les  quatre  fils  Aymon ,  armés  de  tontes  pièces  ;  leurs  es- 
tomacs seront  couverts  d'une  tranche  de  citron  que  l'on  recouvrira  d'une 
barde  de  lard  ;  un  surtout  de  papier  bien  beurré  enveloppera  cette  ar- 
mure succulente ,  et  quelques  rôties  dorées  figureront  des  boucliers 
gisaos  &  côté  :  il  faut  cependant  avoir  soin  de  les  ficeler  dans  cet  état 
par  les  deux  bouts ,  de  peur  que  le  jus  ne  s'échappe. 

Après  tous  ces  préparatifs  on  attachera  l'atelct  sur  la  grande  broche , 
et  00  ne  laissera  ce  rôti  devant  le  feu  que  pendant  une  demi-heure  seu- 
lement ;  ce  temps  suffit  pour  que  la  cuisson  soit  parfaite. 

(1)  A  d«fant  de  bigarade  on  peut  se  servir  de  citron. 


8o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Au  moment  de  servir  développez  les  quatre  figurantes  et  débridez-les 
proprement;  vous  en  égoutterez  le  beurre,  et  ôterez  les  tranches  de 
citron  qui  leur  servent  de  cotte-d'armes.  Tout  cet  appareil  terminé  ) 
▼ons  les  servirez  avec  nne  espagnole  bien  finie ,  dans  laquelle  foos  ajou- 
terez le  jus  de  deux  bigarades. 

B 


ID»i£l^a>^»(gl^^$€l^<;g$<l$<(Me»«t8$lg$g|$l^««l^ 


Jévvm. 


LE    MOIS    SALÉ    ÙV    I.ES    CHARGUTIEBS. 


Si  ,  comme  nous  Tavons  établi ,  le  mois  de  janvier  est 
du  domaine  des  confiseurs»  et  mérite  plus  qu'aucun 
autre  Tépithëte  de  sucré ,  il  nous  sera  plus  facile  encore 
de  démontrer  que  le  nom  de  'nxùis  salé  appartient  aussi 
incontestablement  à  celui  de  février,  puisque  c'est  pen- 
dant son  cours  qu'il  se  fait  la  plus  grande  consomma- 
tion de  toutes  les  marchandises ,  dont  le  porc  en  est  la 
base. 

Ce  serait  sans  doute  ici  le  lieu  de  placer  l'oraison 
funèbre  du  cochon,  cet  animal  encyclopédique,  le 
Gristophe  Colomb  de  la  truffe ,  auquel  tous  les  vrais  gour- 
mands doivent  la  plus  tendre  reconnaissance  «  et  dont 
la  mort  est  un  bienfait  pour  toute  une  famille;  mais  ce 
serait  prêcher  des  convertis  que  de  chercher  à  inspirer  à 
nos  lecteurs  des  sentimens  dont  il  n'est  aucun  d'eux  qui 
ne  soit  vivement  pénétré.  Contentons-  nous  donc  de  man* 


} 


l£  GASTRONOME  FRANÇAIS.  81 

mr  avec  compoDCtion  du  boudin  ,  du  lard  et  des  sau- 
cisses; du  jambon,  des  menus  droits  et  du  porc  frais  ; 
des  andouilles,  des  pieds  fiircis»  des  liures  et  des 
oreilles  »  etc.  »  et  de  prier  pour  la  multiplication  d*un 
individu  qui  est  pour  nous  le  principe  des  jouissances 
les  plus  Tiyes ,  les  plus  fréquentes  et  les  plus  douces  » 
et  sans  lequel  on  peut  dire  qu'il  n'existerait  point  de 
cuisine. 

Le  Cama?al  est  F^époque  de  Tannée  que  les  cocbons 
redottienileplos ,  quoique  ce  ne  soit  peut -être  pas  celle 
011  Ton  m  mette  à  mort  le  plus  grand  nombre.  Mais 
presque  tous  les  porcs  tués  en  décembre  seront  mangés 
en  février  :  ce  mois  est  le  tombeau  de  tous  ceux  qui  no 
sont  pas  destinés  à  figurer  à  Pâques ,  sous  la  forme  de 
jambons  ;  et  il  est  aussi  difficile  de  supposer  un  Garnayal 
sans  cochon  ,  qu'un  Carême  sans  morue ,  et  qu'un  mois 
de  Boaî  sans  petits  pois. 

C'est  donc  avec  raison  que  nous  ayons  baptisé  du 
nom  de  mois  salé  celui  qui  renferme  presque  toujours 
dans  son  sein  les  jours  gras  ,  et  que  »  sans  offenser  les 
autres»  on  peut  regarder  comme  le  plus  brillant  du  char- 
nage.  Il  suffit ,  pour  s'en  convaincre ,  d'examiner  avec 
un  peu  d'attention  ,  depuis  la  Chandeleur  jusqu'au  Ca- 
rême,  les  boutiques  carnassières ,  et  l'on  verra  qu'en 
aucun  temps  de  l'année  les  bouchers ,  les  charcutiers  et 
les  rôtisseurs  n'offrent  un  assortiment  plus  complet  et  un 
étalage  mieux  fourni. 

Nous  parlerons  une  autre  fois  des  premiers  et  des 
derniers;  nous  ne  voulons  nous  occuper  aujourd^hal 

6 


89  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

que  de  ces  artistes  Traimentre^^ominandables,  quiont  con- 
sacré leur  vie  entière  à  donner  au  cochon  les  formes 
les  plus  glorieuses ,  ei  qui  lui  font  prendre  cette  foule 
de  mfisques  plus  appétissans  les  uns  que  les  autres ,  el 
sous  lesquels  il  est  admis  avec  tant  de  reconnaissance  h 
la  table  des  gourmands  (i). 

Que  de  choses  dans  un  cochon  I  et  quelle  inépuisable 
source  de  mets  savoureux  que  ce  gentil  animal,  que 
notre  orgueil  méprise ,  que  notre  délicatesse  rculoule  • 
que  notre  vanité  repousse  tant  qu'il  est  au  nombre  des 
vivans  ,  mais  que  not^  appétit  festoyé  avec  tant  d'em- 
pressement aussitôt  qu'il  a  passé  les  sombres  bords  ! 

Un  vrai  gourmand  agit  d'une  manière  plus  consé- 
quente ;  sa  reconnaissance  est  ailleurs  que  dans  son 
estomac  ;  et  ce  n'est  pas  sans  une  volupté  secrète  et 
sans  un  sentiment  d'amour  qu'il  voit  bondir  dans  la 
fange  cet  aimable  marcassin  suivi  de  tous  ses  frères , 
qui ,  pour  peu  que  Dieu  leur  prête  vie ,  et  qu'on  les 
engraisse ,  deviendront  dans  peu  des  pourceaux  mons- 
(rueux. 

Quiconque  voudrait  étudier  avec  quelque  attention 

(i)  L'auteur  de  cet  article  a  dît  ailleurs  : 

Le  véritable  héros  de  février,  cest  le  cochon.  Dans  les  jours  de  car- 
naval, il  se  déguise  aassi  de  cent  tnanières  ;  mais  sous  ses  aimables  tra- 
vestissemens ,  sob  mérite  le  trahit  touiours.  En  vain  il  i«v6t  tonr  è  toor 
le  froc  rembruni  du  boudin  ,  la  robe  blanche  de  l'andooiUe,  le  j9BU' 
au-corps  du  cervelas ,  la  résille  de  la  saucisse  ',  il  n'échappe  ni  k  roeil 
ni  à  la  dent  du  gastronome,  qui  le  fête  avec  d'autant  plus  d'ardeur, 
qu'il  est  à  la  veille  de  se  voir  jusqu'à  Pflques  séparé  de  cet  ami  si  solide 
e  t  si  tendre. 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  83 

lef  mœurs  de  cet  animai,  trouferait  dans  toutes  ses 
liabîtudes  un  grand  fonds  de  philosophie;  et»  depuis  le 
cochon  de  saint  Antoine  et  les  pourceaux  d'Épicure  , 
jusqu'à  ceux  dont  nous  a?ons  le  bonheur  d*ôtre  les  con^ 
temporains  ,  ei  qui  se  rendent  en  foule  tous  les  lundis 
de  chaque  semaine  au  marché  de  Saint-Gennain-en<» 
Laye^  qui  en  approvisionne  tout  Paris  »  il  n'en  est  au- 
cun qui  n'ait  été  sur  la  terre  un  exemple  de  stoïcisme , 
d'impassibilité ,  d'égoîsme  et  de  bon  appétit ,  qualités 
auxquelles  on  a  reconnu  dans  tous  les  siècles  »  et  surtout 
dans  le  nôtre»  MM.  les  philosophes  C.  Q.  F.  D.  (i) 
Pour  en  rerenir  aux  charcutiers  »  c'est  une  profession 
bien  recommandable ,  et  qui  tient  à  Paris  un  rang  très* 
distingué  parmi  les  états  de  bouche.  Ce  n'est  pas  leur 
faute  si  la  personne  du  cochon  est  beaucoup  meilleure 
dans  les  départemens  de  l'Aube  et  du  Rhône ,  que 
dons  celui  de  la  Seine;  et  si  le  fromage,  les  hures  et 
les  petits  pieds  de  Troyes  et  les  saucissons  de  Lyon  sont 
meilleurs  que  ceux  de  Paris  :  mais  tout  ce  qui  dépend 
de  l'excellence  du  travail  est  chez  eux  mieux  confec^^ 
tienne  que  partout  ailleurs;  et  l'on  ne  mange  nulle 
part  des  saucisses  ,  du  fromage  d'Italie ,  des  pieds  de 
cochon  farcis  aux  truffes  »  des  andouilles  et  du  boudin 
blanc  aussi  délicats  «  aussi  bien   confectionnés  ,  aussi 

(i)  Le  cochon  et  le  Mfiglîer  apparticDDent  i  la  même  famille.  Le 
cochon  ett  un  taagUer  ciriUsé  >  on  plutôt  dégradé  par  la  castration  et 
l'esclavage  ;  mais  cette  dégradation  toorne  aa  profit  de  ootre  senraalitét 
et  les  qualités  sociales  et  paisibles  de  l'iin  »  noos  paraissent ,  eo  cuisine  » 
bien  préférables  aux  vertus  républicaines  et  sanrages  de  l'antre. 


84  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

délicieux  enfin  que  dans  la  capitale  de  la  France ,  qu^on 
peut  regarder  aussi  comme  eelle  de  l'Europe  gourmande. 

Si  nous  voulions  indiquer  les  principaux  charcutiers 
de  Paris  »  cela  pourrait  nous  mener  loin  ;  mais  si  nous 
voulons  nous  borner  à  nommer  seulement  ceux  qui  se 
distinguent  par  la  ^périorité  de  leur  manipulation  et 
rexcellence  de  leurs  marchandises  »  nous  aurons  bien 
moins  d'ouvrage  i  et  il  nous  su£Sra  d'indiquer  aux.  con- 
sommateurs difficiles  et  très -recherchés  dans  leurs  jouis- 
sances gourmandes  » 

1*"  M.  Corps,  rue  Saint-Antoine,  près  celle  Cloche- 
Perche ,  dont  la  boutique  passe  à  juste  titre  pour  la 
meilleure  dans  tous  les  genres  ; 

t^  M.  Jean  et  M.  Caillot ,  charcutiers  de  Lyon  ,  rue 
Neuve-des-Pelits-Champs  ,  n*^*  i  et  3,  très-bien  assortis, 
surtout  dans  la  partie  des  déjeuners  à  la  lyonnaise  (1); 

5*  Le  successeur  de  M.  Duthé,  rue  Neuve-Saint- 
Eustache  ,  qui  vit  sur  la  réputation  de  son  devancier . 
mais  qui  fabrique  des  choses  recherchées  ; 

4*  M.  Malherbe ,  rue  Saint-Magloire ,  digne  neveu  de 
M.  Corps  ;  c'est  tout  dire  ; 

5*  M.  Yiard ,  rue  Dauphine ,  dont  la  boutique  est 
bien  assortie  en  marchandises  courantes. 

Le  reste  ne  vaut  pas  Thonneur  d'être  nommé  (2). 

G.  D.  L.  R. 

(1)  Le  succesitearde  M.  Jean  est  M.  Masson^GheYilUrd,  n*  1,  et  celui 
<lc  M.  Caillot  est  M.  Etienne,*  n«  a. 

(9)  Depuis  ce  jugement  séTère  rendu  en  dernier  ressort  ^ar  IHIustre 


LE  GASTRONOME  FftANÇAIS.  85 


matKif. 


Le  Sarnaval  est  un  temps  d'amusement  pour  les  uns , 
de  travestissement  pour  les  autres,  et  d'indigestion 
pour  tout  le  monde.  C'est  certainement  l'époque  de 
l'année  où  l'on  en  prend  le^  plus  ,  parce  que  c'est  celle 
où  il  se  donne  le  plus  de  dîners ,  et  où  l'on  est  le  plus 
rigoureusement  obligé  d'y  faire  honneur.  Le  plus  petit 
mangeur ,  dans  ces  heureux  jours  »  se  pique  de  déployer 
un  appétit  même  au-  dessus  de  ses  forces  ;  il  veut  prouver 
qu'il  est  digne  de  s'asseoir  à  la  table  des  gourmands  ;  et 


législatear  de  la  tablé»  tous  lèd  gounnandt  citent  avec  éloge  MM.  : 

'Henrey,  à  la  pointe  Saint^Eustache. 

Colas ,  me  Saint-Honoré ,  n«  a5a. 

Ribotton  ,  faabonrg  Saiat-Honoré ,  n*  s. 

Doda ,  me  du  Fauboarg  Saint- Denis ,  et  Véro ,  me  Montesquieu  ; 
tous  deux  immortalisés  par  le  passage  {Vira-Doda)^  auquel  ils  ont  donné. 
leur  nom. 


I  w  n'était  qn'mz  grtnâs  lioiBBie» 
Qu'on  décernait  on  tel  honneur  ; 
Mais  ^  dana  l'heureux  siècle  où  noua  aoniniei , 
Chacun  hrigue  cette  fiiTenr  ; 
GTcat  le  droit  do  pn^îélairt , 
Bllapoeléritédira: 
Place  Vendôme ,  Quai  Vollairt  » 
Bt  paasage  Y  éro-Doda. 


{^nQnjmw). 


86  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

il  sait  très-bien  que  si  la  sobriété  esttout  le  reste  de  Tao- 
née  une  triste  faiblesse,  elle  devient  un  véritable  déshon- 
neur tant  que  durent  les  jours  gras. 

Les  mâchoires  sont  donc  »  pendant  toute  la  durée  du 
carnaval»  dans  une  activité  continnelle ,  et  Ton  peut  dire 
qu'elles  travaillent  plus  encore  que  les  pieds.  Malgré  la 
fureur  que  Ton  a  pour  la  danse,  il  se  donne  à  cette  époque 
dix  festins  contre  un  baL  On  peut  danser  toute  l'année; 
mais  jamais  les  tables  ne  sont  plus  abondantes  ni  mieux 
feurnies  que  dans  les  derniers  jours  du  charnage.  Com- 
bien de  gens  se  préparent,  par  une  continuité  d'indi- 
gestions ,  aux  austérités  du  cardme  !  et  que  de  complai- 
sance en  eflet  ne  doit-on  pas  avoir  pour  un  estomac  qui 
va  jeûner  pendant  quarante  jours  l 

Noua  avons  dit  que  c'est  pendant  le  carnaval  que,  toutes 
proportions  gardées,  il  se  donne  le  plus  de  dîners  k 
Paris ,  et  cela  doit  être  :  c'est  un  temps  de  vacances  et  de 
jubilation  qu'on  ne  saurait  mieux  employer  qu'à  table; 
c'est  le  moment  où  les  réconciliations  qui  se  sont  faites  le 
jour  de  l'an  (temps  d'amnistie  pour  toutes  les  haines  qui  ne 
sont  pas  trop  enracinées ,  et  qui  ne  prennent  leur  source 
ni  dans  la  vanité  blessée,  ni  dans  le  coffre-fort  lésé,  ni  dans 
un  dîner  contremandé)  ,  sortent  de  leur  plein  et  entier 
effet,  et  reçoivent  un  complément  nécessaire;  car  l'on 
n'est  jamais  bien  réconcilié  tant  que  l'on  n'a  pas  sacrifié 
ensemble  au  dieu  Comus  ;  une  indigestion  prise  en  com•^ 
mun  est  le  sceau  le  plus  sacré  que  l'on  puisse  mettre  à 
un  rapprochement  :  en  un  mot,  la  table  est  pour  deux 
gourmands  brouillés  ce  qu'est  le  lit  conjugal  pour  deux 


LE,  GASTRONOME  FRANÇAIS.  87 

ép#ux  momentanémeot  désunis  :  il  neleurest  plus  permis 
de  se  bouder  dès  qu'Us  ont  dtné  ou  couché  ensemblev. 
Mais  les  dtners  du  carnaval  différent  de  ceux  du  reste 
de  l'année  par  une  abondance  qui  dégénère  quelque- 
fois en  profusion  ;  on  dirfiit  qu'alors  il  règne  entre  tous 
les  amphjtrions  une  sainte  émulation  pour  assassiner 
leurs  convives  à  force  de  victuailles ,  bœufs ,  veaux ,  mon- 
tons ,  porcs  «  sangliers ,  daims ,  chevreuils ,  outardes ,  din- 
dons «  chapons»  oies,  lièvres,  lapins,  poulardes,  perdrix, 
bécasses»  canards,  vanneaux,  coqs  vierges ,  et  pluviers 
accourent  à  toutes  jambes  ou  à  tire  d'ailes  sur  nos 
tables  pour  y  figurer  avec  honneur.  La  foule  est  telle , 
<|ue  les  monstres  marins  ne  peuvent  y  trouver  place ,  et 
que  les  soles  ,  les  merlans  ,  les  saumons ,  et  même  les 
turbots  (ces princes  de  la  mer)  sont  forcés  de  rester  à 
h»  porte,  et  de  rengainer  Jeur  compliment  jusqu'à  l'ou- 
verture du  carême. 

C'est  alors  que  les  cuisiniers ,  mêipe  les  plus  actifs , 
ne  peuvent  suffire  au  travail  que  l'amphytrion  leur 
apprête  :  on  dirait  que  les  mâchoires  ont  redoublé  de . 
force  et  d'étendue,  que  les  estomacs  ont  acquis  une 
capacité  triple*,  et  qu'tine  faim  caninç  a  remplacé  les 
appétits  ordinaires. 

Dès  la  naissance  de  l'Aurore  le  thé  coule  à  grands. 
flota  dam  les  viscères  des  gourmands  ,  tant  pour  préci- 
piter la  digestion  de  la  veille  ,  que  pour  disposer  à  bien 
&îre  celle  du  jour.  Ce  styptique  bienfaisant ,  qui  est  h  la 
fois  un  très-bon  digestif  et  un  apéritif  précieux  ,  est 
çQçore  un  excellent  ami  auquel  les  bons  dégustateurs 


88  LK  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

doivent  recourir  souvent  :  il  est  vrai  qu'il  n*est  pas  trè»- 
favoeaUe  aux  nerfs;  mais  les  nerfs  d'un  vrai  gourmand 
sont  des  câbles  ,  et  il  ne  connaît  guère  que  de  nom  les 
affections  spasmodiques. 

L'estomac  ainsi  purifié  par.  ces  lotions  internes ,  se 
trouve  disposé  à  faire  honneur  à  chacun  dlM  mets  qui 
comparailoronjt  sur  la  table  qu'on  dresse  chez  le  meilleur 
amphytrIoD.  N.ous  disons  le  meilleur  ,  parce  qu'en-  car- 
naval il  faut  toujours  donner  la  préférence  à  la  table  la 
plus  splendide  et  la  mieux  fournie  ;  toute  autre  considé- 
ration doit  se  taire  devant  celle-là.  Dans  tous  les  autres 
mois  de  l'année  on  peut  écouter  la  voix  du  sentiment  et 
des  convenances  ;  mais  aujourd'hui  l'on  ne  doit  obéir 
qu'à  celle  de  l'appétit. 

Les  geQ$,  sobres  par  principes  ou  par  air ,  lés  gour- 
mands honteux  (car  il  en  est  ainsi  que  de  faux  dévols  et 
de  &UX  braves)  croient  causer  un  grand  déplaisir  aux 
vrais  gourmands  en  Leur  reprochant  de  faire  un  dieu  de 
leur  ventre ,  et  parmi  ces  derjiiers.quelques-uns  se  forma> 
Usent  de  ce  discours.  U  nous  semble  qu'ils  devraient  au 
contraire  s'applaudir  de  le  mériter.  Oui ,  sans  doute  »  un 
véritable  gourmand  doit  faire  un  dieu  de  soa  estomac. 
Sur  l'autel  de  ce  dieu  tutélaireil  doit  multipUer  les  sacri- 
fices et  tes  libations  »  et  ne  point  borner  son  hommage 
aux  vapeurs  d'un  encens  stérile.  Oui»  l'estomac  est  pour 
le  gourmand  une  dîvinitéplutot  qu'Hun. viscère.  Malheur  à 
ceux  qui  se  fonnal{serair>nt  de  ce  culte,  et  le  traiteraient 
d'idolâtrie  I  ils  se  reconnaîtraient  par  cela  seul  indignes 
d'appiiocher  d'une  casserole»  et  de  déployer  une  serviettes 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     89 

Saint  temps  du  carnaval ,  hélas  !  pourquoi  votre 
durée  est-elle  aussi  courte  I  à  peine  la  moitié  du  mois 
de  février  est-elle  expirée  que  nous  sommes  tous  à 
la  diète.  Porc»  veau«  bœuf»  mouton,  gibier»  volaille 
disparaissent  encore  plus  vite  qu'ils  ne  sont  venus  ;  et 
nous  n'avons ,  pour  calmer  notre  appétit ,  que  les  habi- 
tans  de  l'océan  »  des  mers  »  des  lacs  »  des  étangs  »  des 
rivières  »  des  ruisseaux  et  des  viviers  !  Ceux  que  nous 
déda%nons  aujourd'hui  »  nous  seront  chers  dans  peu  de 
jours.  N'en  médisons  donc  point  »  et  ne  voyons ,  s'il  se 
peut  »  dans  ce  changement  de  scène  qu'un  changement 
de  plaisir»  car  le  vrai  gourmand  doit  tirer  parti  de  tout  » 
et  il  jouit  encore  même  en  se  mortifiant. 

Puisque  en  général  le  carnaval  est  aussi  court  »  et 
qu'il  n'est  pas  possible  même  au  gourmand  le  plus  intré- 
pide» de  dîner  habituellement  deux  fois  par  jour ,  met- 
tons au  moins  ce  peu  de  temps  à  profit.  Piquons  l'amour- 
propre  des  meilleurs  amphytrions,  afin  qu'ils  n'épargnent 
rien  dans  ces  jours  de  jubilation  pour  la  gloire  de  leur 
table  »  qui  est  inséparable  de  celle  de  leur  personne.  Fai- 
sons des  vœux  pour  que  toutes  les  invitations  soient  faites 
en  temps  utile  »  et  qu'aucune  ne  se  croise  :  car  »  lors- 
qu'il faut  sacrifier  deux  dîners  »  pour  en  accepter  un  » 
on  n'y  jouit  jamais  complètement  ;  et  l'idée  que  les 
repas  qu'on  a  refusés  »  sont  peut-être  meilleurs  que  celui 
ipie  l'on  lait  »  suffit  pour  donner  à  l'appétit  des  distrac- 
tions fâcheuses.  N'épargnons  rien  pour  tenir  en  cette 
saison  nos  estomacs  toujours  en  état^  toujours  disposés 
à  bien  faire ,  prêts  en  un  mot  à  faire  face  à  toutes  le$ 


90  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

invitations  dont  il  plaira  à  la  divine  Providence  de  faire 
honorer  nos  appétits. 

G.  D.  L.  R. 


^^€  ^^octtf  i^^tas. 


Cettb  cérémonie  de  promener  à  grand  appareil  dans, 
les  rues  de  Paris  le  bœuf  le  plus  gras  que  Ton  puisse 
trouver  aux  marchés  de  Sceaux  et  de  Poissy;  cette 
pompe  honorable ,  éclatante  »  et  digne  de  fixer  les  re- 
gards et  d'attirer  la  curiosité ,  même  des  personnes  les 
plus  sobres,  avait  lieu  autrefois  tous  les  ans  le  jeudi  gras. 
Interrompue  par  la  révolution  ^  elle  reprit  faveur  avec 
tous  les  bons  et  anciens  usages. 

Le  vulgaire  ne  voit  dans  cette  cérémonie  qu'un  spec- 
tacle tout  à  la  fois  plaisant  et  magnifiqpie  ;  lé  glouton  » 
qu'un  bœuf  dont  la  grosseur  et  l'embonpoint  lui  promet 
d'excellens  aloyaux ,  des  entre-côtes  marbrées  ,  des 
culottes  sans  prix  ,  et  même  des  palerons  tendres;  les 
mères  de  famille ,  qu'un  sujet  d'amusement  pour  leurs., 
petits  enfans  que  l'on  conduit  en  foule  sur  le  passage  de 
la  victime  :  mais  le  vrai  gourmand  voit  cette  marche  pom- 
peuse avec  d'autres  yeux  que  ceux  de  la  convoitise^  et 
de  la  curiosité  ;  elle  fait  naître  en  son  âme  des  pensées 
douloureuses  et  des  réflexions  profondes. 

Comment ,  s'écrie-t-il ,  se  peut-il  qu'au  milieu  d'un 
peuple  doux»  humain  et  compatissant;  que  dans  la. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS,  91 

capitale  de  la  Dalion  la  plus  civilisée  de  TËurope ,  on 
promène  ainsi  en  triomphe  une  victime  innocente , 
pour  la^pieUe  le  dénouement  de  cette  farce  pompeuse 
n^est  qu'une  mort  certaine  I  Lorsqu'arrivant  des  marchés 
de  Sceaux  ou  de  Poissy ,  un  bœuf  entre  dans  la  capitale 
pour  être  conduit  à  la  boucherie  »  il  connaît  d'avance 
son  sort ,  et  il  a  fait  en  lui*même  le  sacrifice  de  sa  vie  à 
la  gloire  de  nos  cuisines  :  mais  celui  qu'on  nourrit  et 
qu'on  engraisse  depuis  six  mois  dans  nos  murs  ,  auquel 
on  prodigue  le|  soins  les  plus  recherchés  et  les  attentions 
les  plus  déUeates  ;  qu'on  pare  avec  plus  d'élégance 
qu'une  nouvelle  mariée  ,  auquel  on  donne  une  suite 
nombreuse  et  richement  velue;  qu^on  promène  avec 
pompe  dans  les  rues  les  plus  belles  ;  qù*on  introduit 
dans  la  cour  du  palais  de  nos  rois ,  dans  celles  des  hôtels 
les  plus  remarquables  ,  dont  une  musique  brillante 
accompagne  tous  les  pas;  que  mille  cris  de  joie  et  d'hon- 
neur annoncent  et  précèdent  ;  enfin ,  qui  est  monté 
par  un  enfieint  aussi  beau  que  l'Amour,  et  pourvu  comme 
lui  d'un  carquois,  d'un  bandeau,  d'une  paire  dailes 
azurées,  et'conduit  avec  respect  par  des  espèces  de  demi- 
dieux;  un  tel  bœuf,  disons-nous  ,  peut-il  croire  que 
tant  d'honneurs  se  termineront  par  une  mort  ignomi- 
nieuse »  et  que  cette  pompe  triomphale  u'est  pour  lui 
que  le  chemin  de  la  tuerie  ! 

Infortuné  bœuf  gras!  ce  n'est  donc  que  pour  rendre  votre 
trépas  plus  douloureux  et  plus  certain  ,  que  Ton  envi- 
ronne vos  derniers  momens  de  tant  d'éclat  et  de  pompe  ! 
Assurément  un  gourmand  ne  se  ptque  pas  d'un  senti- 


99  LE  GASTROPiOME  FRANÇAIS. 

ment  d'humanité  hors  de  saison  ;  et  ii  sait  mieox  que 
tout  autre  ,  que  si  Ton*  avait  pitié  de  tout  le  monde  on 
finirait  par  ne  manger  personne.  Mais  tous  les  êtres  dont 
Texistence  yient  se  terminer  dans  nos  cuisines  ,  y  sont 
en  quelque  sorte  préparés;  ils  savent  que  tel  est  leur 
sort  »  et  leur  parti  est  pris  depuis  long-temps.  En  est-it 
de  même  du  hœuf  gras  ?  Quelle  idée  veut-on  qu'il  em- 
porte dans  la  tomhe  de  no»  mœurs  et  de  notre  huma- 
nité ?  On  le  comble  de  biens  ,  de  dignités  »  de  gloire  etr 
d'iionneurs*»  et  c'est  pour  l'immoler  sans  pitié,  et 
XahaXtrG  obscurément  dans  un  atelier  de^ang  et  de 
fange  (i). 

Si  toutes  les  bonnes  âmes  s-'apitoient  compe  nous  sur 
son  sort  »  il  est  un  moyen  peut<-étre  de  le  lui  épargner , 
de  lui  sauver  la  vie»  et  de  le  renvoyer, . content  après 
son  triomphe ,  reprendre ,  comme  un  autre  Cincinna  - 
tus,  le  travail  de  la  charrue  dan»  nos  campagnes;  c'est, 
de  le  racheter  des.mains  barbares  qui  disposent  de  son 
sort.  Cotisons-  noua  donc  »  mes  amis ,  en  fisi veur  du  bœuf . 


(i)  Nous  avODt  «ppri»  de  nos  pères  que  cette  promenade  triomphale- 
du  bceuf  gras  se  faisait  avec  bien  plus  d'éclat  sons  le  cèfae  de  Louis  XT, 
que  de  nos  jours ,  o(i  l'on  peut  dire  vraiment  qu'elle  n'offre  aocune  di- 
gnité. Cette  pompe,  cette  magnificence  étaient  dues,  4  ce  qu'on 
assure ,  à  la  célèbre  faTorite  d'où  nous  Tient  Tètymologie  de  pahau  ôb 
bœuf  à  la  Pampadoitr»  Maltresse  de  Louis  XV,  tréB-goitmuuul  g  madame 
la  marquise  encourageait  les  arts ,  et  surtout  celui  de  la  cuisine ,  qui  loi 
doit  plus  d^une  découTerte  brillante.  Fille  d*un  riche  boucher ,  femme 
d'un  financier  opulent ,  elle  avait  porté  à  la  cour  tous  les  goûts  de  la 
sensualité ,  et  jamais  la  cuisine  des  petits  appartemens  n'a  été  plna 
jrecberchée  qu'à  cette  époque  de  la  monarchie. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  .   93 

^gcas;  -que  tout  gourmand  honnête  et  sensible  donne  seu- 
lement un  petit  écu  pour  cette  œuyre  méritoire.  Nous 
avons  assez  bonne  opinion  de  la  ville  de  Paris  pour 
croire  qu'elle  renferme  dans  son  sein  un  millier  de  ces 
bonnes  âmes;  il  n'en  faut  pas  tant^  hélas!  pour  rendre 
à  la  vie  celui  qui  fait  le  sujet  de  cet  article,  et  dont  la 
^reconnaissance  saura  bien  nous  payer  un  jour  de  ce  léger 

iaciiûcel 

G.  D.  L.  R. 


@§^tttf  \^ttvaz  0tt  U  (^arnapaf. 


En  Lorraine  et  dans  plusieurs  provinces  de  France,  on 
donne  ce  nom  au  mardi-gras.  C'est  le  même  saint  que 
les  méridionaux  chôment  sous  le  titre  de  saint  Crapazù 
Sa  fête ,  qui  se  célèbre  dans  toute  la  chrétienté ,  n'ap- 
partient pas  à  une  époque  fixe;  semblable  à  toutes  les 
grandes  fêtes  mobiles ,  elle  honore  tour  à  tour  quelque 
saint  du  calendrier ,  qu'elle  associe  à  la  gloire  de  saint 
Crevaz ,  martyr  de  la  gourmandise.  Depuis  saint  Biaise 
jusqu'à  saint  Mathias,  presque  tous  les  saints  du  mois  de  fé- 
vrier renaissent  alternativement  en  carnaval  et  en  carême, 
et  tous  les  hommages  des  gourmands  sont  acquis  à  celui 
qui  arrive  avec  saint  Grevaz,  c'est-à-dire  au  mardi-gras. 

Ce  nom  qualifie  dignement  le  patron  de  noble  origine 
que  nous  offirons  à  la  vénération  de  l'univers.  Ses  at- 
tributs sont  un  ventre  sphérique  et  un  cochon  rôti;  ses 
titres  à  l'immortalité  une  faim  miraculeuse  et  une  soif 
inextinguible.  Il  mourut  de  saisissement  à  l'aspect  du 


94  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

carême  ;  et  depuis  lors  il  préserve  d'indigestioii  tom  ceux 
qui  l'invoquent  avec  ferveur. 

Ce  saint  fut  jadis  adoré  par  les  païens  sous  le  nom 
A* Hercule  mange-bœuf;  il  fut  long- temps  connu  du 
peuple  sous  le  nom  de  Gargantua.  En  l'introduisant 
parmi  les  fidèles  nous  sommes  assurés  qu'il  ne  sera  pas 
moins  fêté  que  par  les  idolâtres.  Il  nous  est  même  re- 
venu qu'il  avait  partagé  quelques  années  les  austérités  de 
l'ordre  de  saint  Benoit  et  de  celui  de  saint  Maur»  et  qu'il 
n'avait  renoncé  à  la  profession  monastique  que  lors* 
qu'elle  avait  été  réduite  à  portion  congrue. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  carnaval  est  le  temps  de  Tannée 
où  la  gourmandise  règne  le  plus  universellement  dans  le 
monde  ;  c'est  la  fête  des  fêtes ,  la  solennelle  majeure ,  la 
grande  époque  de  la  gueule.  Les  gens  sobres  cessent 
de  l'être  quand  elle  arrive;  le  vulgaire  des  mangeurs 
prétend  au  titre  de  gourmand ,  et  le  gourmand  s'élève 
au-dessus  de  lui-même. 

Dans  aucun  temps  de  l'année  l'abondance  n'est  aussi 
universelle  et  aussi  variée  qu'au  temps  du  carnavaL 
Viandes  de  boucherie  et  de  basse-cour,  vins ,  gibier , 
poissons ,  légumes  même  »  tout  se  trouve  réuni.  La  vo- 
laille surtout  est  à  son  apogée.  C'est  alors  que  la  dinde 
et  la  poularde  accouchent  aux  yeux  des  spectateurs  ébahis 
d'une  famille  de  truffes  engraissées  dans  leurs  flancs; 
c'est  alors  que  voyagent  le  coq  vierge  et  la  poule  grasse  » 
le  canard  sauvage  et  la  perdrix  civilisée  ,  non  plus 
comme  autrefois  sur  la  foi  de  leurs  ailes,  mais  avec  de 
bonnes  voilures,  ou  sur  de  paisibles  coursiers. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     g5 

Alors  aussi  entrent  arec  honneur  dans  le  monde  le 
▼eau  qui  tête  encore,  le  mouton  adolescent  et  le  bœuf  ririh 
Le  mouton  surtout  vient  de  se  perfectionner  aux  dernières 
gelées.  Sa  chair  serait  la  plus  sayoureuse  des  chairs ,  si 
le  cochon  n  existait  pas» 

C'est  principalement  le  gibier  qui  tombe  avec  la  neige 
au  souffle  de  Borée.  Volatiles  de  toute  espèce ,  lièvres 
prisaugfte»  chevreuils  et  sangliers,  n*ont  plus  d'asile 
hors  de  ta  cuisine;  ils  y  sont  amenés  par  le  froid,  comme 
par  la  main  de  la  nature.  Les  fourneaux  sont  surchargés, 
et  les  consommateurs  ne  suffisent  plus  à  l'abondance  des 
tables  les  plus  modestes. 

Il  n'est  pas  surprenant  qu'une  aussi  admirable  époque 
ait  toujours  été  marquée  par  des  fêtes.  Avec  quel  fracas 
l'antiquité  célébrait  les  Bacchancdes  !  Mélampus  les 
porta  d'Egypte  en  Grèce ,  d'où  elles  passèrent  en  Italie. 
On  en  trouva  l'usage  si  plaisant ,  qu'on  les  voulut  célé- 
brer trois  fois  l'année,  et  même  plus  souvent.  Le  sénat 
romain,  composé  de  vieillards  fâcheux,  les  supprima 
l'an  568  de  la  république.  Les  affaires  n'en  allèrent  pas 
mieux. 

Nous  invitons  le  lecteur  à  chercher  dans  Catulle  la  des- 
cription pittoresque  qu'il  fait  des  Bacchanales,  Tacite 
en  parle  un  peu  moins  gaiement;  mais  il  nous  reste  une 
foule  de  bas-relieis  qui  en  reproduisent  les  danses  et  les 
jeux. 

Bacchus  avait  encore  d'autres  fêtes  appelées  Luper- 
caUê  ^ Dionysiaques.  Les  premières  duraient  un  mois; 
les  autres  seulement  trois  jours  ^  et  toutes  étaient  con- 


gC      LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

sacrées  au  plaisir.  C'étaient  des  mascarades  en  forme  de 
processions,  à  peu  près  semblables  à  nos  travestissemens. 
On  y  faisait  beaucoup  de  choses  que  nous  conseillons  de 
iaire  plus  discrètement. 

Il  Y  avait  des  Dionysiaques  de  quatre  espèces.  Bac- 
chus  et  Vénus  présidaient  à  toutes.  Le  premier  coup  se 
buvait  en  l'honneur  du  dieu;  le  second  à  la  déesse»  et  le 
troisième  à  l'injure. 

Les  LupercaUs^  qui  se  célébraient  le  troisième  jour 
après  les  ides  de  février»  avaient  encore  plus  de  ressem- 
blance avec  notre  carnaval  :  elles  étaient  dédiées  au  dieu 
Pan ,  et  le  dieu  des  jardins  y  prenait  souvent  un  rang 
distingué.  Les  prêtres  étaient  autant  d'arlequins  armés 
de  lanières»  dont  ils  frappaient  les  passans  »  comme  avec 
la  batte. 

De  toutes  ces  fêtes  »  les  plus  joviales  étaient  les  satur- 
nales, oii  les  esclaves  devenaient  les  égaux  de  leurs 
maîtres  »  où  l'on  ne  s'occupait  qu'à  boire ,  manger  et 
se  diverlir.  Les  écoles  étaient  fermées,  les  tribunaux 
vaquaient ,  les  arts  et  tous  les  travaux  étaient  suspen- 
dus ;  il  n'y  avait  d'ouverts  que  les  spectacles  et  les  ca- 
barets :  on  y  faisait  une  telle  bombance ,  que  le  sou- 
venir en  est  resté  parmi  le  peuple  de  nos  jours ,  et 
f{\x  orgie  ou  satumaU  expriment  la  même  chose.  Le 
proverbe  satumalia  agere,  faire  grande  chères  est 
encore  usité. 

Les  saturnales  ne  duraient  d'abord  qu'un  jour. 
Auguste,  qui  se  connaissait  en  institutions  utiles,  en  pro- 
longea la  durée  à  trois  jours ,  et  Galigula  à  quatre.  On 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     *       97 

les  joignît  ensuite  aux  fêtes  êigillaires  ,  qui  arrivaient 
à  peu  près  dans  le  même  temps  ;  de  sorte  qu'on  sautait , 
burait  et  faisait  Tamour  pendant  sept  jours  pleins. 

Nous  sommes  un  peu  déchus  de  cette  aptitude  héroï- 
que au  plaisir ,  et  de  cet  appétit  invincible  dont  ces  fêtes 
ollbaient  àcA  exemples  prodigieux.  Il  semble  que  nous 
soyons  une  espèce  dégénérée.  Nous  avons  oui  raconter 
des  merveilles  du  carnaval  de  Venise.  Ne  sommes-nous 
pas  faits  pour  les  surpasser  ? 

<ïourmands  du  septentrion  et  du  midi ,  beautés  orien- 
tales et  occidentales,  amis  de  la  joie,  qui  grillez  vos  jam- 
bons au  soleil,  ou  qui  faites  l'amour  sur  la  neige ,  venez 
des  quatre  points  cardinaux  participer  au  triomphe  deGar^ 
gantua,roide  Cocagne  !  Voici  les  solennités  gourmandes, 
les  jours  d'indigestion,  les  fêtes  de  la  panse,  le  temps  des 
saturnales  ,  des  bacchanales,  des  folies  salutaires  et  des 
excès  héroïques  !  Prenez  vos  thyrses  et  vos  marotes  ,  vos 
pompons  et  ^o&  flacons  !  percez  vos  tonneaux ,  allumez 
vos  fourneaux  ;  enfans  de  Gomus ,  de  Vénus ,  de  Bacchus 
et  de  Momus  ,  préparez- vous  aux  grandes  initiations  ! 
laites  résonner  Tair  de  vos  chants ,  la  terre  de  vos  danses  > 
et  que  le  bruit  dos  chaudrons  et  des  verres  domine  dans 
ce  désordre  harmonieux  I  que  partout  les  plats  nets , 
les  viandes  dispersées  ,  les  brocs  épuisés ,  les  tables  dé- 
vastées ,  les  danses  interrompues,  signalent  vos  exploits 
erotiques,   bachiques  et  gastronomiques!... /)«««  eec0 
DeuêL... 

Le  carnaval  doit  dévorer  tout  ce  qu'épargna  la  rigueur 
de  rhiver;  et  ce  qui  échappe  à  la  voracité  du  carnaval 


98  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

doîi  tomber  sous  la  dent  du  mardi-gras  >  qui  fait  lui- 
même  place  au  carême.  Tel  est ,  sans  doute ,  le  vœu  de 
la  nature  qui  se  régénère;  tel  est  Tesprit  de  la  véné^ 
rable  et  antique  institution  des  jours  gras.  Il  ne  doit 
rien  rester  du  vieil  homme;  et  les  productions  alimen- 
taires qui  s'élaborent  pendant  l'hiver ,  pour  lui  donner 
à  Pâques  une  nouvelle  vie  ,  lui  font  une  loi  de  ne  rien 
laisser  derrière  lui  »  de  peur  d'être  surpris  pendant  la 
quarantaine. 

Buvons  donc  ,  mes  amis  ,  jusqu'à  la  dernière  goutte 
de  nectar;  mangeons  jusqu'au  dernier  pâté  de  Lesage, 
de  Leblanc  ,  de  Fournier  (  successeur  de  Rouget  )  ,  de 
Rat ,  de  Thomas»  de  Félix,  d'AUain ,  de  Lebeau,  de 
Gendre;  dévastons  les  magasins  de  Gorcellet,  de  Che- 
vet ,  de  Marneife;  épuisons  les  cuisines  et  les  caves  de 
Lointier,  Léther,  Véry,  Lemardelay,  Véfour»  et  de 
tous  les  artistes  en  réputation  !....  Après  nous  le  déluge, 
c'est  à-dire  le  carême.*  Perdons  la  mémoire ,  perdons  la 
raison;  l'heure  en  est  venue;  mais' conservons  l'appétit, 
c'est  l'arche  qui  nous  sauvera  du  naufrage ,  nous ,  les 
nôtres  et  les  leurs. 

Perdre  le  souvenir ,  perdre  la  tête ,  la  perte  n'est  pas 
grande»  si  nous  gardons  l'appétit,  nous  retrouverons  tout 
cela  avec  la  carte  du  traiteur.  Diit-ii  nous  rester  seul , 
il  nous  tiendra  lieu  de  tout  :  c'est  lui  qui  fait  le  bien  et 
le  mal ,  l'amour  et  la  guerre  ,  la  joie  et  le  chagrin.  Il 
nous  est  nécessaire,  surtout  en  ce  moment,  pour  tenir 
nos  estomacs  en  haleine ,  au  milieu  des  festins ,  des 
danses ,  des  intrigues  et  des  mascarades. 

Gastebmakn. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  99 

€e  mois  étant  le  plus  joyeux  de  l'année;  nous  allons 
citer  trois  chansons  qui  lui  'sont  relatiyes;  elles  sont  les 
meilleures  que  nous  connaissions  pour  cette  époque  de 
jubilation. 


LE  CARNAVAL. 

Air  du  f  audvTÏllc  da  Balkt  dM  PSvrrou. 

JoTBvz  enfans  de  Terpsîcore, 
Entendex-Tous  le  tambourin? 
Du  galoubet  Téclat  sonore 
Répond  déjà  dans  le  lointain. 
Cet  aocord  heureux  tous  inyite 
A  bien  profiter  du  moment  ; 
Plus  le  carnaya]  passe  yite , 
Plus  on  doit  le  passer  gaiment. 

Nos  bons  aïeux  aimaient  la  danse, 

Hais  sans  y  mettre  tant  de  soins  : 

Si  depuis  quelque  temps  en  France 

Nous  dansons  mieux,  nous  dansons  moins; 

A  calculer  une  attitude 

On  perd  le  temps  qu'il  faut  saisir, 

Et  ce  qui  deyient  une  étude 

Cesse  bientôt  d'être  un  plaisir. 

Labsons  le  penseur  trop  séyère 
Déraisonner  en  raisonnant  ; 
L'homme  dont  la  tête  est  légère 
A  toujours  le  cœur  excellent  : 


,oo  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Adoptons  la  philosophie 
D'Épicure  et  d'Anacréon; 
Amis  9  une  heure  de  folie  ^ 
Vaut  mieux  qu'un  siècle  de  raison. 

Sur  cette  machine  qui  tourne 
Nous  tournons  tous  quelques  instans; 
Et  pour  voir  ce  dont  il  retourne, 
Nous  nous  retournons  en  tous  srens. 
Quand  la  mort  vient  on  s'en  retourne; 
Mais  comment  vouloir  ici-bas, 
Lorsque  tout  tourne,  touraye*^  tourne, 
Que  la  tête  ne  tourne  pas  ? 

Fidèle  image  de  la  vie , 
Au  bal  chacun  est  déguisé  : 
Le  masque  heureux  de  la  Folie 
Est  le  masque  le  moins  usé. 
De  plaisir,  d'ennui ,  de  fatigues , 
C'est  un  assemblage  piquant  : 
On  y  commence  tingt  intriguas, 
Mais on  en  finit  bien  autant. 

Sur  les  traces  de  Poljmnie  . 

Au  bal  poursuivons  les  Amours  : 

Amis,  qu'aucun  de  vous  n'oublie 

Que  ces  nqits  sont  nos  plus  beaux  jours. 

Le  temps  perdu  dans  la  tristesse 

Ne  pare  point  le  coup  fatal 

Pour  éterniser  notre  Ivresse 
Éternisons  le  Carnaval! 

MoRËAr. 

w^H 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  loi 

MÊME  SUJET. 

Air  :  au  temps  p^mè. 

PoiSQii*iL  faut  suivre  un  usage  fantasque 

Qui  met  les  gens  en  belle  humeur, 
Quand  tout  Je  monde  aujourd'hui  prend  un  masque  , 
Moi^  je  prends  celui  d'un  auteur; 
Et  y  crainte  d'uu  bruit  trop  funeste 
Qui  dérange  un  premier  venu , 
Je  me  déguise  en  poète  modeste 
Pour  ne  pas  être  reconnu. 

L'épais  Mondor,  par  un  air  d'opulence^ 

Masque  son  crédit  éyenté  : 
Petit  commis  d'un  masque  d'impudence 

Couvre  sa  triste  nullité. 

Par  le  goût  des  caricatures 

Tous  les  goûts  semblent  absorbés  : 
Nous  allons  voir  de  bien  sottes  figures 
Quand  les  masques  seront  tombés. 

Combien  de  Ibus  sous  un  costume  sage  , 

Passent  sans  être  remarqués  I 
De  fins  matois,  sans  changer  de  visage ^ 

Ont  l'art  d'être  toujours  masqués  : 

Tout  est  feinte,  tout  est  grimace  ; 

Le  plus  innocent  e^t  rusé. 
On  se  déteste ,  et  toujours  on  s'embrasse  . 

Ah!  comme  on  est  bien  déguisé  ! 

Vivent  ces  bals  où,  bravant  la  fatigue  , 
Un  masq^ue  amusant  et  subtil 


102  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Vous  fait  UD  jeu  d'une  amoureuse  intrigue , 

Dont  TOUS  cherche!  en  rain  le  fil  ! 

Chacun  s'en  amuse  à  la  ronde'; 

Et  nous  n'en  serions  pas  plus  mal 
Si  l'on  pouTait  se  borner  dans  le  monde 

Aux  Intrigues  de  CarnavaL 

Aetighac. 


F'LA  CQUE  CEST  QUE  L'CARNAFAL. 

AIR  :  V*là  c'qoc  c'«m  qu'd*BU«r  au  bois. 

M011U8  agtte  ses  grelots , 
Cornus  allume  ses  fourneaux , 
Bacchus  s'enîyre  sur  sa  tonne , 
Pallas  déraisonne , 
Apollon  détonne , 

Trouble  dirin,  bruit  infernal 

V'ià  c'que  c'est  que  l'CarnaTal. 

Au  leyer  du  soUU  on  dort , 
Au  lerer  de  la  kine  on  sort  ; 
L'époux ,  bien  calme  et  bien  fidèle 
Laisse  aller  sa  belle 
Où  ramouFrappelIe....r 
L'un  est  au  lit ,  l'autre  est  au  baf; 
V'Ià  c'que  c'est  que  l'CarnaTal. 

Un  char  pompeusement  orné 
Présente  à  notre  œil  étonné 
Quinze  poissardes  qu'ayec  peine 
Une  rosse  traîne  : 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  io5 

Jupiter  les  in(;ne; 
Un  cul  de  jatte  est  à  cheral  ; 
Vlà  c'que  c'est  que  rCarnaTal. 

• 

Arlequin  courtise  Junon^ 
Golombine  poursuit  Pluton, 
Mars  madame  Angot  qu'il  embrasse, 
Crispin  une  Grâc; 
Vénus  un  Paillasse  : 
Ciel ,  terre,  enfers ,  tout  est  égal  ; 
V'ià  c'que  c'est  que  l'Carnayal. 

Mercure  yeut  rosser  Jeannot. . . 
On  crie  à  la  garde  aussitôt; 
Et  chacun  Yoit  de  l'ayenture 
Le  pauTre  Mercure 
À  la  préfecture  y 

Couché sur  un  procès-verhal  ; 

V'Iii  c'que  c'est  que  l'Carnaval. 

Profitant  aussi  des  jours  gras, 
Le  traiteur  déguise  ses  plats, 
Noul  offre  vinaigre  en  bouteille, 
Ragoût  de  la  yeille , 
Daube  encor  plus  yieille  : 
Nous  payons  bien,  nous  soupons  mal  ; 
V'ià  c^que  c'est  que  rCarnaval. 

Carosses  pleins  vont  par  milliers 
Regorgeant  dans  tous  les  quartiers  ; 
Dedans,  dessus,  deyant,  derrière. 

Jusqu'à  la  portière. 

Quelle  fonrmillière!.... 


io4  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Des  fous  on  croit  voir  l'hôpital  ; 
Vl'à  c'que  c'est  que  l'Garnaval» 

Un  bœuf  à  la  mort  condamné 
Dans  tout  Paris  est  promené  > 
Ilaurs  et  rubans  parent  sa  tête  ; 

On  chante  j  on  le  fête  ; 

Et  la  ronde  faite, 
On  tue,  on  mange  l'animât., 
Yl'à  c'que  c'est  que  l'Carnaval. 

Quand  on  a  bien  ri ,  bien  couru , 
Bien. chanté,  bien  mangé ,  bien  bu ,. 
Mars  d'un.fripier  reprend  l'enseigne , 
Pluton  son  empeigne , 
Jupiter  son  peigne  : 
Tout  rentre  en  place;  et ,  bien  ou  ma! , 
Yl'à  c'que  c'est  que  l'Carnaval. 

Dbsacgiebs. 


DU    HOUTON. 


On  composerait  des  volumes  sur  les  propriétés  înnom- 
brablès  du  mouton ,.  et  sur  rexcellence  de  toutes  ses 
parties.  II  n'est  aucune  classe  de  la  société  qui  ne  soit 
familiarisée  avecle  gigot  y  Tépauleet  la  côtelette;  il  n'est 
aucun  gourmand  distingué  qui  ne  fasse  ses  délices  des 
rognons  à  la  brochette  ou  au  vin  de  Champagne;   des 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  io5 

cervelles  »  qui ,  dans  les  mains  d'un  savant  artiste  »  font 
quelquefois  oublier  les  cervelles  de  veau;  du  pied  de 
mouton  enfin  ,  qui  »  après  avoir  mis  en  crédit  le  F  eau 
qui  icte  (i) ,  conduit  encore  au  temple  de  la  fortune  le 
directeur  du  théâtre  de  la  Gaîté  (2). 

Il  est  difficile  de  manger  d'excellens  moutons  à  Paris  ; 
car  9  si  l'on  en  excepte  ceux  dits  du  Cotentin,  on  con- 
viendra que  9  même  en  y  comprenant  ceux  qui  nous 
arrivent  par  troupeaux  du  Berrj  ou  de  la  Sologne ,  ils 
ont  tous  «9^  chair  longue ,  dure  et  presque  toujours  ino- 
dore. Les  bons  moutons  sont  ceux  qui  nous  viennent  des 
Ardennes ,  de  Pré-  Salé ,  de  Gabourg ,  d'Arles ,  de  Reims , 
de  Bcauvais  et  d'Ayranches  ;  mais  il  n'y  a  que  les  gour- 
mands fiftvorisés  de  la  fortune  qui  puissent  se  procurer 
ces  jouissances. 

<  Le  gigot  de  mouton  »  dit  notre  très^érudit  et  très- 
honoré  collègue  M.  G.  D.  L.  R. ,  est  le  rôti  le  plus  ordî^ 
naire  des  tables  bourgeoises;  mais,  quoique  vulgaire» 
il  n'en  est  pas  moins  un  manger  nutritif  et  succulent , 
surtout  si ,  attendu  comme  le  quine  de  la  loterie  de 
France  >  mortifié  comme  un  menteur  pris  sur  le  fait , 
et  sanguinolent  comme  un  cannibale  ,  il  conserve 
tout  à  la  fois  son  goût,  sa  tendreté  et  sa  succulence  : 
c'est  dire  assez  qu'il  ne  doit  pas  être  trop  cuit  pour  être 
mangé  dans  toute  sa  gloire.  De  longs  ruisseaux  de  jus 
doivent  sortir  de  ses  flancs  lorsqu'on  le  dépèce  ;  et  sea 

V 

(i)  A  l'apport  Paru,  place  da  Oliâtelet. 
(a)  Le  Pied  de  Mouton    mélodrame  comique. 


îo6         LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

tranches ,  minces  et  d'un  beau  rouge  incarnat ,  seront 
alors  délicieusement  savourées  par  le  palais ,  avant  de 
fournir  aux  estomacs  les  plus  délabrés  un  aliment  aussi 
salutaire  que  solide.  Si  le  gigot  n'est  pas  assez  cuit ,  il 
est  facile  d'y  remédier ,  quoique  découpé ,  en  passant 
un  moment  ses  tranches  dans  la  casserole  ,  sur  un  feu 
clair  ;  mais  s'il  l'est  trop ,  plus  de  remède  ;  c^est  un  mal- 
heur irréparable  !  Ce  point  sans  doute  est  fort  difScile 
à  saisir;  car  un  tour  de  broche  de  plus  ou  de  moins  peut 
faire  la  honte  ou  la  gloire  du  plus  distingué  des  gigots: 
mais  ce  sont  de  ces  vérités  que  les  livres  seuls  ne  peuvent 
enseigner  »  et  que  l'expérience  même  ne  suffit  point  poiu* 
apprendre.  L'art  de  rôtir  les  viandes  à  leur  degré  précis 
est  l'un  des  plus  difficiles  qui  existent  :  on  trouve  mille 
bons  cuisiniers  contre  un  parfait  rôtisseur.  Cent  villes 
en  Europe  ont  la  réputation  de  fournir  d'excellens  ra- 
goûts; et,  s'il  faut  en  croire  madame  Turcaret»  l'on  ne 
mange  de  rôtis  supérieurs  qu'à  Yalogne. 

«  Le  gigot  qui  ne  se  trouve  point  assez  tendre  pour 
supporter  les  honneurs  de  la  broche  ,  figure  très>bien  à 
la  braise ,  où ,  sous  le  nom  de  gigot  de  sept  heures,  il 
repose  mollement  étendu  sur  un  lit  de  légumes  ,  variés 
selon  les  saisons  :  dans  celle-ci  on  lui  fait  un  matelas  de 
haricots  de  Soissons,  de  chicorée,  de  célerie,  d'épi- 
nards ,  etc. ,  etc.  Ces  gigots ,  glacés  d'un  bon  jUs ,  cuits 
dans  une  braise  savante,  et  assaisonnés  selon  les  prin- 
cipes de  l'art ,  offrent  des  relevés  fort  estimables ,  et 
tiennent  même  quelquefois  lieu  du  rôti  sur  une  table- 
sans  prétention.  « 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  107 

Le  mois  de  février  est  le  plus  favorable  au  mouton  : 
c^est  au  carnaval  qu'il  jouit  de  la  plénitude  de  sa  gloiro 
et  de  sa  toute  succulence.  Il  n'est  pas  plus  permis  alors 
de  servir  un  dîner  sans  mouton  que  d'ignorer  l'usage  des 
truffes.  Dans  un  article  précédent  nous  avons  invité  les 
amateurs  à  ne  pas  souffrir  que  ces  filles  de  la  terre  de - 
Tinssent  la  proie  des  compagnons  de  saint  Antoine.  Il 
serait  honteux  aujourd'hui  pour  des  gourmands  de  le 
céder  en  connaissances  aux  loups ,  qui  ont  une  telle  idée 
de  hi  bonté  des  moutons  en  hiver ,  qu'il  j  a  des  pays  où 
ils  en  mangent  presque  autant  que  les  hommes.  Ne 
souffrons  pas  que  ces  animaux  sauvages  nous  donnent 
rexemple ,  et  ajoutons  à  la  saveur  naturelle  de  ce  tendre 
et  timide  animal  cette  combinaison  savante  de  l'art  gas- 
tronomique^ d'un  usage  facile  et  indispensable  dans 
toute  cuisine  honnête. 

SELLE   BE    MOUTON    BRAISEE. 

Ans  la  moitié  d'une  selle ,  qui  est.  depuis  la  première  côte  jusqu'au 
gigot  ;  desossez-la,  et  assaisonnez-la  bieu  dans,  lin  teneur  de  sel  et  de 
poivre  ;  roulez-la  de  manière  qu'elle  présente  un  carré  long,  et  ficelez- 
la  bieo  ;  mettez  ensuite  dans  une  casserole  des  bardes  de  lard  ;  placez-j 
la  aelle ,  en  y  ajoutant  trois  carottes ,  quatre  oignons ,  deux  clous  de 
girofle,  une  feuille  de  laoriejr,  un  peu  de  tbym ,  un  bouquet  de  persil 
et  cïiboule ,  et  les  parures  que  vous  aura  fournies  cette  selle  ;  jetez  par- 
dessus cela  une  cuillerée  à  pot  de  bon  bouillon ,  et  couvrez  le  tout  d'un 
rond  de  papier  beurré  ;  faites  cuire  ensuite ,  feu  dessus  et  dessous,  pen- 
dant trois  bonnes  beureji.  Au  moment  de  serrir,  égouttez ,  déficelez ,  et 
enlerex  la  peau  de  votre  selle ,  et  glacez-la. 

On  peut  servir  dessous  ce  que  l'on  veut  ,'comme  chicorée ,  épioards, 
parée  de  cardes  ou  de  champignons.  On  peut  mettre  aussi  des  laiturs 


io8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

à  Teiitour,  une  sauce  dessous,  des  oignons  gla€}és,  uu  bien  la  servir  à 
l'ang-laise;  c'est-à-dire  qu'après  avoir  enlevé  la  peau,  au  lieu  de  la  gla- 
cer, il  faut  la  paner,  et  mettre  un  jus  clair  dessous. 

On  peut  apprêter  les  gigots  et  les  épaules  de  la  même  maDièrc. 


DU    TURBOT. 

Le  turbot  est  »  à  juste  titre ,  surDommé  le  faisan  de 
ta  mer.  On  le  pèche  dans  la  Méditerranée ,  vers  l'em- 
bouchure du  Rhône ,  dans  l'Océan ,  et  môme  dans  les 
étangs  salés  ;  mais  c'est  dans  l'Océan  que  se  trouvent  les 
plus  grands.  Rondelet  assure  en  avoir  vu  un  qui  avait 
sept  pieds  et  demi  de  long^  six  pieds  de  large  et  un  pied 
d'épaisseur.  On  en  fait  la  pêche  toute  l'année  ;  mais  les 
meilleurs  sont  ceux  que  l'on  prend  depuis  février  jus- 
qu'en mai.  On  n'est  point  en  usage  de  saler  ce  poisson. 
Lorsqu'on  veut  l'expatrier ,  en  l'envoyant  en  Allemagne, 
par  exemple»  oii  l'on  en  fait  beaucoup  de  cas ,  il  con- 
vient seulement  de  le  vider  et  de  le  saupoudrer  de  sel , 
de  poivre 9  d'autres  épices  et  de  fines  herbes;  mais 
quand  sa  destination  est  pour  une  petite  distance  »  on  le 
met  entre  deux  raies ,  qui  se  conservent  beaucoup  plus 
long-temps  que  le  turbot ,  et  le  garantissent  de  la  cor- 
ruption 9  en  le  mettant  à  l'abri  du  contact  de  l'air. 

La  pêche  du  turbot  étant  autrefois  moins  fréquente,  ce 
poisson  était  plus  rare  qu'aujourd'hui,  et  par  conséquent 
plus  cher;  aussi  ne  paraissait-il  que  sur  les  tables  les  plus 
somptueuses ,  telles  que  celles  des  princes,  des  fermiers- 
généraux  et  des  moines.  Dans  la  plupart  de  ces  maisons 
on  lui  faisait  subir  un  grand  apprél;  dans  quelques-unes 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  109 

même  on  le  faisait  cuire  dans  du  lait ,  dans  un  court- 
bouillon  y  ou  bien  avec  du  thym ,  du  laurier ,  des  carot- 
tes ,  des  oignons ,  ciboules ,  etc.  Aujourd'hui  la  toilette 
du  turbot  exige  moins  d'apprêt ,  et  comme  ses  excellen- 
tes «pialités  empêcheront  toujours  les  vrais  gourmands 
de  dire  de  lui  que  la  sauce  fait  manger  le  poisson,  la 
manière  la  plus  simple ,  celle  qui  peut  lui  conserver  son 
goût  agréable  et  délicat ,  nous  parait  la  meilleure ,  et  la 
voici  : 


TUIIBOT    A    l'bAU    DE    SEL. 


A^z,  si  Toas  pouvez  le  choûir,  un  turbot  bien  épais  et  bien  blanc  ; 
ùtez-loi ,  sans  rendommager ,  les  ouïes  et  les  boyaux  que  sa  pocbc  con- 
tient ;  coupez  Textrémité  des  barbes ,  soit  avec  un  couteau  ou  de  gros 
ciieanx.  Cela  Sût ,  lavez-le  bien ,  pois  faites-lui  une  incision  du  côté 
noir  ^snr  la  raie  qui  est  près  de  la  tête  ;  6tec-en  deux  épines  de  la  grosse 
arête ,  afin  qu*en  ciûsaot  il  ne  se  fende  pas  ;  assujettissez  bien  le  gros  de 
la  tête  avec  Tos  qui  tient  à  la  poche  ;  (  servez- tous  pour  cela  de  la  fi- 
celle et  d'une  aiguille  à  brider)  mettez  ensuite  votre  turbot  dans  une 
turbotière  ;  frottez  le  côté  blanc(i)  de  citron  ;  couvrez-le  d'un  papier 
beurré ,  pais  occupez- vous  de  faire  une  eau  de  sel  de  la  manière  soi- 
vante  : 

Mettes  au  fond  d'un  chaudron  environ  une  livre  de  sel ,  emplissez- 
le  d'eau  9  à  laquelle  vous  laisserez  jeter  deux  ou  trois  bouillons  «  ôtex-la 
ensuite  de  dessus  le  feu  ;  laisse  la  reposer ,  et  lorsqu'elle  ser«  tiède  » 
versez-la  sur  le  turbot ,  en  ayant  bien  soin  de  ne  pas  mettre  le  fond. 
Placez  ensuite  voire  turbotière  sur  un  fourneau,  et  laissez  mijoter 
pendant  une  heure  sans  laisser  boullUr  ;  après  quoi  servez  le  turbot , 
chaud  si  l'on  veut  le  manger  i  la  sauce  au  beurre,  et  froid  si  l'on  pré- 
fère le  manger  à  l'huile. 

Servez  en  même  temps  une  truelle  en  vermeil  on  en  argent. 

G.  et  B. 


(t)  Ijf  tarboU  ont  m  c6té  blafic  et  un  cd!^  gris  cndrè. 


110  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

DU    GABILLÂ.U. 

Le  cabillau  parait  assez  souvent  h  Paris,  surtout  dans 
les  mois  de  janvier  et  de  mars;  dans  les  autres  temps  il 
n'en  vient  que  par  intervalle  :  ceux  qui  ont  le  ventre 
très-gros  ne  sont  pas  les  meilleurs ,  on  choisit  préféra- 
blement  ceux  qui  sont  bien  ronds  et  courts.  €e  poisson  » 
quoique  très-bon  lorsqu'il  est  bien  frais  et  bien  choisi , 
ne  trouve  cependant  pas  beaucoup  d'amateurs  à  Paris; 
une  des  principales  raisons  peut-être,  c'est  qu'il  est  sou- 
vent mal  apprêté.  Les  Flamands  le  fout  mettre  au  sel , 
tout  cru  ,  après  l'avoir  bien  vidé  et  lavé;  ils  le  mettent 
ensuite  à  l'eau  de  sel  bouillante  pour  le  faire  cuire ,  et 
aussitôt  que  l'eau  recommence  à  bouillir  ils  le  laissent 
mijoter  pendant  une  heure ,  plus  ou  moins  selon  sa  gros- 
seur; de  cette  manière ,  sa  chair  est  ferme  et  agréable 
à  manger. 

Le  cabillau  se  sert  à  plusieurs  sauces ,  à  la  sauce  blan  - 
che,  aux  câpres,  à  la  maftre-d'hôtel  liée,  au  beurre  fondu , 
avec  des  pommes  de  terre  cuites  à  l'eau  de  sel  :  on  le 
sert  aussi  à  la  hollandaise  ;  cette  sauce  se  fait  avec  du 
beurre,  des  jaunes  d'œufs  crus  et  du  vinaigre;  mais 
dans  les  repas  d'apparat  il  se  sert  à  la  crème. 

Vous  faites  cette  sauce  comme  une  sauce  blanche; 
vous  mettez  dans  une  casserole  une  pincée  de  farine , 
du  sel,  de  la  muscade;  vous  pétrissez  ensuite  un  fort 
morceau  de  beurre  avec  cet  assaisonnement,  et  mouil- 
lez le  tout  avec  une  chopine  de  bonne  crème  que  vous 
faites  lier  sur  le  fourneau  sans  la  faire  bouillir;  vous  la 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


1 1 1 


rersez  bien  chaude  sur  votre  cabillau ,  que  vous  avez 

eu  bien  soin  d'égoutter. 

Ce  qui  reste  du  cabillau  peut  être  mangé  froid  à 

r huile  :  on  peut  en  faire  des  vol-au-vent  à  la  béchamel; 

on  peut  aussi  en  faire  des  gratins. 

C.  etB. 

DU    CHEVREUIL. 

Quoique  le  chevreuil  ne  soit  pas  très-rare  à  Paris ,  il 
y  est  toujours  excessivement  cher,  aussi  ne  le  voit-on  pa- 
raître que  sur  les  premières  tables  et  dans  les  repas  de 
cérémonie ,  où  l'on  sert  ordinairement  les  quartiers  de 
derrière  entiers ,  piqués  et  marines ,  avec  une  sauce  dite 
au  chevreuil,  et  dont  nous  donnerons  la  recette  ci -après. 
Les  quartiers  de  devant  servent  peu ,  excepté  les  carrés, 
que  l'on  pique  aussi ,  et  que  l'on  fait  mariner  de  même 
que  les  quartiers  de  derrière.  La  poitrine  et  les  épaules 
ne  peuvent  ser?ir  que  pour  faire  un  civet;  alors  il  ne  faut 
pas  les  mariner.  Quant  aux  filets  »  qui  sont  ordinaire- 
ment ce  qu'il  y  a  de  plus  délicat ,  on  s'en  sert  pour  en 
iaire  des  entrées ,  mais  toujours  avec  la  même  prépara- 
tion ,  c'est-à-dire  piqués  et  marines.  Nous  allons  indi- 
quer la  manière  d'apprêter  ces  filets ,  et  de  faire  la  sauce 
au  chevreuil. 

Levez  adroitement  les  filets  du  chevreuil;  parez -les, 
en  ayant  bien  soin  d'en  ôter  toutes  les  peaux  et  les  nerfs; 
piquez-les  ensuite^  et  mettez-les  dans  une  marinade, 
que  vous  ferez  ainsi  qu'il  suit  : 

Prenez  une  terrine ,  mettez-y  deux  verres  de  vinaigre 


113  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

et  un  verre  d'eau,  du  ^1,  du  poivre»  une  feuille  de  lau- 
rier,  un  oignon  coupé  en  tranchea»  deux  branches  de 
thym  et  de  persil  »  une  ciboule  entière  si  vous  voulez. 
Vous  pouve2  laisser  vos  filets  dans  la  marinade  cinq  à 
six  jours;  mais  si  vous  en  êtes  pressé  deux  jours  suffisent 
pour  vous  en  servir.  Lorsque  vous  voulez  les  faire  cuire, 
égouttez-les  ;  beurrez  ensuite  une  sautoire ,  arrangez  vos 
filets  dedans ,  et  faites-les  cuire  à  petit  feu  (  dix  minutes 
suffisent  pour  les  cuire)  :  égouttez-les;  glacez-les  bien; 
dressez-les  sur  votre  plat  >  et  mettez  dessous  une  Muee 
au  chevreuil ,  que  vous  ferez  de  cette  manière  : 

Mettez  dans  une  casserole  un  demi-verre  de  vinaigre, 
deux  échalotes,  une  tranche  d*oignon ,  un  peu  de  thym, 
une  demi -feuille  de  laurier;  faites  réduire  sur  le  four- 
neau votre  vinaigre  jusqu'à  la  dernière  goutte;  mouillez 
ensuite  avec  du  bouillon  et  une  cuillerée  d'espagnole, 
un  peu  de  sel,  du  poivre;  laissez-la  réduire;  passez -la  à 
Pétamine  ,  et  servez-la  bien  chaude. 

B.  et  G. 


■■■»p> 


r 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.     i  iS 


itlar;5. 


IB    VOIS  HQItDB  »    OU    LES   HABCHANBS  1>B  >018fiOHS. 

Lb  joyeux  t^rnaval  a  déjà  fui  d'une  aile  rapide  ;  les 
funérailles  du  mardi  ^as  sont  athevées  »  et  le  mercredi 
des  cendres»  triste  précurseur  du  carême  dont  il  fait 
partie,  a  déjà  étendu  ses  voiles  funèbres  sur  Thorizon 
des  gourmands.  Son  apparition  est  le  signal  auquel  tout 
le  poil  et  toute  la  plume  s*envolent.  Adieu  les  bœufs  du 
Cotentin ,  les  yeaux  de  PontoVd ,  les  moutons  de  Pré-^ 
Salé,  de  Cabourg  et  des  Ardennes,  le  porc  nutritif^ Je 
daim  léger ,  le  sangSer  valeureux ,  le  fiion  timide ,  et  le 
lièvre  mélancolique,  plus  timide  encore,  non  moins 
•agile ,  et  qu'il  est  si  doux  de  fixer  à  la  broche  I  Si  la  loi 
du  Carême  est  pour  nous  un  temps  de  pénitence ,  elle 
est  pour  eux  une  époque  de  jubilation;  et ,  tandis  que  » 
couverts  d'un  cilice  et  arrosés  de  cendres  >  nous  gémis- 
sons sur  nos  privations ,  ils  s'en  réjouissent;  ils  bravent 
nos  regards,  ils  insultent  à  notre  appétit,  et  n'ont  plus 
besoin  de  chercher  à  se  préserver  de  nos  poursuites. 
Croître,  multiplier,  s'engraisser  et  se  réjouir,  est  main*- 
tenant  toute  leur  occupation ,  tandis  que  nous ,  tristes 
en&ns  de  l'Église  ,  nous  faisons  précisément  le  con-^ 
traire  ! 

Mais  rassurez- vous ,  Gourmands  mes  confrères;  l'Ë>- 
glise  ne  demande  point  la  mort  du  pécheur;  elle  ne  veut 


ii4  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

que  son  amendement.  Si  elle  nous  ordonne  un  jeftne  de 
quarante  jours»  elle  nous  permet  au  moins  de  le  suspendre 
le  dimanche;  et  nous  pouyons  ce  jour>là  faire  dix  repas 
sans  offenser  le  ciel.  Si  elle  nous  défend  le  déjeûner,  elle 
nous  permet  la  collation  »  et  cette  collation  se  composant 
de  tous  les  mets  froids ,  qui  ne  sont  ni  oiseaux ,  ni  qua- 
drupèdes ,  on  peut  y  faire  intervenir  en  toute  sûreté  de 
conscience  les  pâtés  de  thon ,  d'esturgeon,  de  rouget  et 
d'anguille  ,  les  sardines  confites ,  les  anchois  de  Fréjos, 
les  huîtres  marinées  de  Grandville,  et  ces  innombrables 
fruits  secs  de  la  Touraine  et  de  la  Prorence ,  aimables 
friandises  qui  semblent  nées  pour  les  collations  du  Ca- 
rême, et  dont  on  sentirait  bien  mieuxle  prix  si  Ton  atten- 
dait chaque  année  jusque-là  pour  renoureler  connais- 
sance avec  elles  (i). 

Et  si  à  toutes  ces  bonnes  choses  Ton  ajoute  les  fruits 
crus,  les  compotes  froides,  tout  ce  que  le  petit  four 
enfante  de  meilleur  et  de  plus  recherché;  les  confiture^ 


.  (i)  Le8  meQteures  BalaisoDs  dans  tous  les  genres»  le  Ihon  mariné  et 
les  fruits  secs,  tels  que  les  figues  fines  d'Olioulles,  les  figues  de  CaUbre, 
les  pmses  de  Roquevah^ ,  les  raisins  de  Malaga ,  les  raisins  jubis ,  Wt 
prunes  de  Brignoles  et  les  brignoles  pistoles ,  les  poires  de  ronaselct  de 
Beims,  les^pruaeauz  de  Tours,  les  prunes  d'Antes,  les  prunes  de  r» 
d'Agen ,  les  coetcbes  de  Lorraine  ,  les  amandes-princesses ,  les  aveliocs 
monstrueuses,  les  pistaches  d'Alep,  les  dattes  de  la  Palestine,  les  |o> 
jubés,  etc.,  etc.,  les  olives  picbolincs,  les  oUres  farcies  aux  câpres  et 
aox  ancboix ,  et  mille  autres  friandises  de  Carême ,  se  trouvent  en 
abondance  ,  et  de  première  qualité ,  dans  le  magasin  de  la  Truie ^ai  fitt, 
rue  du  marché  aux  Poirées ,  et  chez  les  marchands  de  comestibles  qw 
Jious  avons  cités  honorablement  pages  56  et  Sj. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ii5 

sèches  el  liquides  et  les  pfitës  de  marrons  glacés ,  l'on 
Ferra  qu'une  collation  de  carême  peut  encore  flalter 
sous  quelques  rapports  la  sensualité  gourmande  »  et  que, 
sans  déroger  aux  lois  de  FEglise ,  on  peut  se  permettre 
toutes  ces  jouissances-là  puisqu'elle  n'en  interdit  aucune. 

Nous  n'ayons  parlé  ici  que  des  collations ,  de  ce  re- 
pas d'anachorète  qui  ne  compte  point,  puisque  tout  en 
le  faisant ,  on  est  censé  jeûner ,  et  que  cependant  avec 
quelque  soin  il  est  si  &cile  de  rendre  agréable ,  et  même 
nutritif.  Mais  nous  n'avons  encore  rien  dit  des  dtners  de 
carême  :  ils  méritent  bien  qu'on  s'en  occupe. 

Le  dîner  en  carême  offre  d'abord  un  avantage  sur 
tous  les  autres  :  c'est  que  l'on  s'y  présente  avec  d'autant 
plus  d'appétit,  que  l'on  a  observé  avec  plus  de  régula- 
rité la  loi  du  jeûne  ;  digne  récompense  des  vrais  fidèles  : 
ensuite  les  cuisiniers  redoublent  à  cette  époque  de  zèle 
et  de  soins  pour  nous  étaler  tout  leur  savoir. 

Il  ne  faut  pas  être  bien  habile  pour  nous  faire  man- 
ger avec  volupté  une  culotte  de  bœuf,  une  longe  de 
veau  de  Poatoise,  un  aloyau  rôti,  une  dinde  aux  truf- 
fes 9  une  poularde  du  Mans ,  une  échinée  de  porc  frais , 
une  éclanche  de  mouton  de  Pré-Salé,  etc.;  tous  ces 
personnages-lè  se  recommandent  par  eux-mêmes  :  il 
sufEt  de  leur  faire  voir  le  feu  à  propos ,  et  dans  un  degré 
convenable.  II  n'en  est  pas  de  même  du  poisson. 

Les  habitans  de  l'élément  humide  sont  de  leur  nature 
ta  plupart  inodores  et  fades ,  et  pour  paraître  avec  éclat 
sur  une  table  splendide ,  pour  être  reçus  avec  complai* 
sauce  dans  le  palais  d'un  gourmand ,  et  traverser  avec 


1 1 6  LE  GASTRONOME  CRANÇ AIS. 

gloire  son  tesophage  «  ils  ont  besoin  de  subir  une  foule 
de  préparations  savantes  dont  le  vulgaire  ne  se  doute 
seulement  pas  ^  et  qui  font  le  désespoir  des  grands  ar- 
tistes ,  de  ceux  même  qui  ont  pâli  vingt  ans  sur  les 
fourneaux,  et  dont  la  tête  est  un  dispensaire  ambulant. 
'  Si  l'on  en  excepte  les  fritures  »  qui  même  exigent , 
pour  être  bonnes  et  croquantes ,  un  degré  de  savoir  et 
d'habitude  qui  n'est  pas  très-commun  »  toutes  les  autres' 
prépaintions  auxquelles  le  poisson  est  appelé  réclament 
une  longue  expérience ,  et  une  connaissance  approfon- 
die des  plus  hauts  secrets  de  la  cuisine;  et,  pour  nous 
borner  à  un  seul'exemple»  uncourt-bouiUon  bien  fait 
est  recueil  du  talent  d'un  artiste  ordinaire  ;  les  Robert , 
les  Yéry  »  les  Morillion  »  les  Balaine  même  ne  sont  pas 
trop  bons  pour  en  fiiire  un  sans  faute. 

Et  si  du  court-bouillon  nous  passons  aux  béchamels , 
aux  filets  roulés»  aux  quenelles  aériennes»  au^odiveau 
maigre ,  aux  poupiettes  de  merlans ,  aux  rissoUes ,  aux 
terrines  et  aux  timballes  de  soles»  aux  macreuses  à  la 
braise»  aux  turbotins  farcis»  à  l'esturgeon  à  la  Sainte- 
Menehould»  aux  filets  de  barbue  glacés  au  vert-pré»  h 
l'esturgeon  grillé  en  gribelettes  »  aux  hatelettes  d'anguil- 
le »  à  la  blanquette  de  lottes  »  aux  brochetons  aux  fines 
herbes  »  aux  lamproies  à  la  provençale  »  à  Tanguille  en 
boudin  blanc  »  aux  darnes  de  bécart  grillées  ».  etc.  »  etc.  » 
quatre  pages  d'etc.»  quelle  vaste  carrière  nous  allons  ou- 
vrir au  Génie  I  et  où  trouver  un  artiste  vulgaire  vrai- 
ment capable  de  s'élever  à  la  hauteur  du  plus  ejmple  de 
ious  ces  ragoûts  P 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  1 1 7 

Ce  détail  doil  nous  réconcilier  avec  l'Église  romaine, 
et  nous  prouver  qu'elle  n'a  rien  négligé  pour  faciliter 
aux  Gourmands  leur  salut ,  puisqu'elle  leur  permet  de 
manger»  tout  en  se  mortifiant ,  tant  d'entrées  succulen  - 
tes ,  sans  parler  des  rôtis ,  car  la  cuisine  maigre  en  offre 
plus  d'un;  et  telle  anguille,  tels  brochets»  piqués  de 
truffes  et  d'anchois»  à  la  broche»  valent  bien  un  gigot 
que  rien  n'a  pu  attendrir  »  une  poulie  éUque  »  ou  des , 
lapins 

Qui ,  dès  leur  tendre  enfanoe  élevés  dans  Paris, 
Sentent  encor  le  choux  dont  ils  forent  nourris. 

Concluons  de  ce  qui  précède  que  tout  est  pour  le 
mieux;  qu'une  absti{U9nce  de  chair  morte  pendant  qua- 
rante-six jours  repose  nos  estomacs  »  et  nous  dispose  h 
trouver  ensuite  la  viande  et  le  gibier  meilleurs  ;  que , 
considérées  sous  le  rapport  de  la  politique  et;  dïhl'éco- 
nomie  gourmande  »  ces  six  semaines  de  privation  ne  sonjl 
pas  moins  nécessaires  à  la  reproduction  des  espèces 
qu'au  salpt  de  nos  âmes;  qu'on  se  porte  mieux  en  géné- 
ral à  l'issue  du  Carême- qu'à  la  fin  du  Carnaval;  que  le 
maigre  nourrissant  moins»  et  la  digestion  en  étant  beau- 
coup plus  prompte  »  on  peut  manger  plus  souvent  »  et 
faire  deux  repas  au  lieu  d'un  seul;  qu'à  tout  bien  consi- 
dérer »  le  Mois  Humide  peut  aller  de  pair  avec  le  Mois 
Salé  »  et  qu'en  définitif  Mars  ne  se  trouve  jamais  mieux 
qu'en  Carême. 

Les  bouchei^s,»  les  charcutiers  »  les  rôtisseurs  ne  se- 
ront pas  tout-à-fait  de  cet  aris.  On  ne  voit  chex  eux»^ 


1,8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS, 

dans  ce  moment ,  que  des  pro&nes  »  et  les  Trais  croyans 
s'éloignent  de  leurs  boutiques  comme  d*un  lieu  immonde; 
mais  les  marchands  de  poisson  penseront  comme  nous, 
et  béniront  le  retour  de  Tordre  et  de  la  régularité  qui 
leur  a  ramené  les  fidèles  consommateurs* 

Jusqu^au  18  germinal  de  Tan  10  on  se  cachait  pour 
obéir  aux  commandemens  de  l'Église ,  et  si  Ton  osait 
faire  maigre  et  jeûner  en  carême ,  c*était  dans  la  crainte 
continuelle  d'être  dénoncé  ;  mais  depuis  qu'il  a  été  per- 
mis de  sui?re  |a  foi  de  ses  pères  »  sans  risquer  sa  vie  ou 
sa  liberté  (1);  depuis  que  \à  religion  est  remontée  sur 
son  trône  «  et  qu'elle  a  fait  avec  Tautoriié  une  alliance 
durable  »  chacun  a  pu  suivre  en  toute  sûreté  les  lois  de 
sa  conscience»  et  travailler  paisiblement  à  son  salut. 
Aussi ,  depuis  cette  heureuse  époque ,  tous  les  préceptes 
alimentaires  dictés  par  l'Église  ont-ils  été  scrupuleusement 
observés.  On  a  commencé  par  fêter  (a  Saint-Martin , 
par  reprendre  l'usage  des  réveillons  »  par  célébrer  digne- 
ment l'Epiphanie  ».  par  manger  sans  scrupule  de  la  chair 
pendant  tous  les  samedis  du  mois  de  janvier  ;  enfin  l'on 
s'est  livré  pendant  le  carnaval  à  toutes  les  jouissances 
gourmandes  que  le  calendrier  grégorien  annonce  et 
même  tolère;  puis»  lorsque  le  carême  est  arrivé»  l'on  a 

(1)  Temps  désastreux ,  où  deux  onces  d'an  pain  noir  et  malsain  for* 
maieot  presque  toute  la  nourriture  des  bons  habitansde  Paris;  où^  avec 
une  rame  d'assignats,  on  ne  pouvait,  dans  les  campagnes,  obtenir  an 
sac  de  farine  ;  où  tous  les  comestibles  avaient  disparu  4  la  voix  du 
maximum,  (prix  fixé  pour  toutes  les  denrées  alimentaires)  ;  ces  temps 
enfin ,  dont  le  souvenir  seul  suffit  pour  rétrécir  l'œsophage  d-un  goqr-. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  119 

repris  peu  à  peui'habitude des  je&Des  et  de  l'abstineDoe, 
«t  l'onarenouveléconnaisunceavec  les  marchandes  de 
saliaes ,  de  marée  et  de  poissoDs  d'eau  douce  qui  gémîs- 
«aient  douloureusement  de  nos  profaDations  ,  et  que 
4ix  carêmes  efiàcés  du  calendrier  araïent  presqu'eotiè- 
rement  ruinées. 

Ces  mardundes  sont  en  grand  nombre  à  la  halle  :  les 
vnea ,  comme  mesdames  Penrey  et  Jacob  ,  ne  vendent 
^e  de  la  morue  salée  ou  dessalée  ;  les  autres ,  commp 
madame  George,  n'étalent  que  du  poisson  de  mer; 
celles-ci ,  comme  madame  Dieu ,  n'ont  de  commerce 
qu'avec  tes  monstres  ,  et  leurs  boutiques  sont  toujours, 
entourées  d'estui^eons  ,  de  saumons ,  de  turbots  d'une 
grosseur  démesurée ,  et  dignes,  lorsqu'ils  sont  frais  (ce 
qui ,  k  U  vérité ,  ne  leur  arrive  pas  toujours  ] ,  de  parer 
h  table  des  immortels.  Toutes  ces  dames  sont  plus  ou 
moins  Iraitablbs,  selon  que  le  thermomètre -est  plus  ou 
moins  élevé. 

Quant  aux  marchandes  de  poisson  d'eau  douce ,  dont 
la  pins  considérable  est  madame  Desnœuds,  qui  en- re- 
vend ë  toutes  les  autres  ,  leurs  manières  sont  beaucoup 
moins  soumises  aux  influences  de  l'atmosphère  et  h  l'état 
de  sa  température.  Leur  marchandise  vivante  se  joue 
dans  des  baquets  d'eau  claire  des  besoins  de  l'acheteur. 
Les  brochets  le  mordeatvigoureusemcnt  ;  l'anguille  glisse 
de  la  main  de  celui  qui  ne  veut  pas  y  mettre  le  prix  ;  la 
cârpc,  en  se  débattant,  fait  mille  sauts  pour  s'en  mo- 
quer ;  et  l'écrevisse ,  tout  en  reculant ,  te  pince  jusqu'au 
sang.  Il  en  résulte  que  le  poisson  d'eau  douce  est  tau- 


I90 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


joars  inabordable  à  Paris  »  et  que  la  marée  ae  l'est,  guère 
moins.  Il  est  vrai  que  cette  dernière  ii*est  pas  toujours 
intraitable ,  et  qu'elle  se  laisse  d'autant  plus  facilement 
aborder  ^  qu'elle  est  moins  digne  de  l'être  :  c'est  une  co- 
quette sur  le  retour ,  qui  se  montre  avenante  lorsqu'elle 
sait  que  son  règne^  commence  à  passer;  qui  devient 
d'autant  plus  ftcile ,  qu'elle  voit  diminuer  le  nombre  de 
«es  adorateuiQ  »  et  qui  s'offre  à  tout  le  monde  lorsque 

chacun  s'en  éloigne. 

G.  D.  L.  R. 


ts 


ûitioUs. 


Lb  carême  est  la  saison  la  plus  Avorable  pour  man- 
ger des  matelotes ,  et  la  Râpée  est  le  lieu  de  l'Europe 
où  l'on  mange  les  meilleures;  d'où  il  est  facile  de  coii- 
cUire  que  la  Râpée  n'est  jamais  plus  fréquentée  qu'en 
carême. 

Le  vulgaire  ne  voit  dans  une  matelote  qu'une  simple 
étuvée  de  carpe  et  d'anguille  ;  mais  le  gourmand  consi- 
dère ce  plat  avec  une  attention  mêlée  de  respect,  surtout 
lorsqu'il,  songe  qu'uve^  bonne]  matelote  est  un  des  pre- 
miers chefs-d'œuvre  de  l'esprit  humain ,  et  qu'elle  est 
presque  aussi  diiBcile  à  faire  qu'un  bon  poème  épique. 

Cette  assertion  ne  paraîtra  point  un  paradoxe  à  qui- 
conque aura  réfléchi  sur  cette  matière,  ets'en  sera  sou- 
vent pénétré.  Il  est  de  feit  que  les  plus  grands  cuisiniers 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  lai 

de  la  capitale  n'ont  jamais  pu  parrenir  à  faire  une  mate- 
lote sans  fiiute  »  et  que  »  reconnaissant  leur  impuissance, 
ils  y  ont  même  entièrement  renoncé.  Parcourez  les 
cartes  des  premiers  restaurateurs  de  Paris,  tous  n'y 
verrez  jamais  de  matelote. 

Et  cependant  ce  que  ne  peuvent  nos  grands  artistes 
est  IV>oTrage  d'une  femme  ;  d'une  femme  le  plus  souvent 
étrangère  aux  premiers  élémens  de  la  cuisine ,  d'une 
femme  qui  serait  embarrassée  peur  trousser  «m  poulet , 
pour  parer  des  côtelettes,  pour  finir  un  fricandeau. 

Cela  prouve  bien  qu'il  y  a  des  grâces  d'état,  des 
grâces  surnaturelles  contre  lesquelles  toute  la  prudence 
des  hommes  vient  échouer,  et  qui  auraient  forcé  M.  de 
Lalande  lui-même ,  s'il  eût  fréquenté  la  Râpée ,  à  re- 
connaître l'existence  d'un  Être  suprême.  C'est  ainsi , 
par  exemple,  qu'un  vrai  gourmand  fera,  sans  s'incom- 
moder, le  tour  complet  des  trois  services  d'une  table 
de  vingt  couverts ,  tandis  qu'un  mangeur  vulgaire  se 
trouve  hors  de  combat  dès  l'apparition  du  rôti. 

Nous  avons  expliqué  dans  un  autre  ouvrage,  exclu- 
sivement consacré  à  l'art  alimentaire  ,  -pourquoi  les 
femmes  seules^  étaient  capables  de  confectionner  une 
excellente  matelote;  mai»  dans  un  journal,  consacré 
tout  à  la  fois  à  la  gourmandise  et  à  la  beauté  (i) ,  il 
n'est  pas  inutile  de  revenir  sur  cette  explication ,  car 
on  ne  saurait  croire  combien  cette  propriété  exclusive 
rend  le  beau  sexe  cher  aux  gourmands  :  il  en  est  tel  qui 

(  I  )  Journal  du  gourmands  et  du  bettes. 


1^%  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

depuis  long-temps  n'aurait  plus  aucun  commerce  avee 
les  femmes,  si'ie  besoin  de  manger  une  matelote  sans 
faute  ne  Ten  rapprochait  quelquefois. 

Avec  du  génie ,  même  simplement  avec  du  talent ,  de 
Taptitude  et  de  Texpérience ,  on  peut  devenir  un  bon 
cuisinier;  mais  pour  faire  une  excellente  matelote  il  faut 
des  vertus  inconnues  à  la  plupart  des  hommes,  des 
vertus  qui  leur  sont  étrangères ,  et  dont  la  pratique  est 
trop  en  opposition  avec  leur  caractère  et  leurs  habitudes 
pour  qu'ils  songent  seulement  à  les  acquérir. 

Ces  vertus  sont  une  extrême  patience  »  une  attention 
continuelle ,  une  vigilance  sans  distraction»  une  propreté 
minutieuse,  des  soins  sans  partage  :  or»  quel  est  rhomme, 
et  surtout  Fartiste ,  qui  peut  se  flatter  de  les  posséder  ? 

Une  femme  qui  fait  une  matelote  à  la  Râpée  ne  fait 
point  autre  chose.  Immobile  auprès  de  son  chaudron 
sur  le  feu ,  comme  le  médecin  Lrasistrate  au  pied  du  lit 
de  Séleucus ,  elle  n'a  des  yeux  que  pour  lui.  Etrangère 
h  tout  ce  qui  se  passe  autour  d'elle,  vous  diriez  qu'elle 
est  seule  dans  une  vaste  cuisine  où  vingt  fourneaux  sont 
allumés.  Elle  suit  tous  les  mouvemcns  de  sa  matelote , 
comme  une  tendre  mère  ceux  de  l'enfant  chéri  dont  elle 
dirige  les  premiers  pas;  et  dès  que  cette  matelote  a 
atteint  ce  degré  de  cuisson  si  difGcile  à  saisir,  mais 

Ultra  ciiràque  nequit  consistere  rectum^ 

elle  se  hâte  de  descendre  son  chaudron  de  la  crémail- 
lère  ;  clic  la  dresse  sur  un  plat  convenablement  échaudé , 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i  a3 

et  se  hâte  d'envoyer  à  sa  destination  ce  précieux  résultat 
de  ses  soins  vigilans. 

Il  faut  que  les  convives  soupirent  quelque  temps  après 
elle  ;  car  il  est  de  principe  qu'ils  peuvent  attendre  après 
la  matelote,  mais  que  la  matelote  ne  doit  jamais  attendre 
après  eux.  C'est  la  seule  affaire  de  ce  bas-monde  qui , 
ainsi  qu'un  bon  rôti ,  ne  puisse  être  retardée  de  deux 
minutes  sans  les  plus  graves  inconvéniens. 

II  est  facile  de  conclure  de  cet  aperçu  pourquoi  les 
matelotes  des  plus  grands  cuisiniers  sont  si  inférieures  à 
celles  de  la  Râpée.  Nous  croirions  insulter  à  la  sagacité  de 
nos  lecteurs  si  nous  insistions  sur  ce  point  davantage. 

G.  D.  L.  R. 


CANAPÉS   DE    FOIES   DE   RAIES. 

Goopiz  en  forme  de  rôties  des  morceaux  de  pain  rassis  »  de  la  largeur 
et  de  la  longueur  du  pouce ,  même  un  peu  plus  grands.  PassCE-les  dans 
d'ezceUente  huile  vierge  ;  faites  fondre  ensuite  dans  une  casserole  deux 
pains  d'excellent  beurre;  mettez-y  des  foies  de  raies,  quelques  filets 
d'anchois  bien  dessalés ,  un  peu  d'huile ,  persil ,  ciboule ,  une  petite 
gouate  d'ail^,  échalotes  hachées  hien  menues,  des  cApres  hachées  de 
même,  sel ,  poirre,  et  une  pincée  d'épiées  fines  :  remuez  1)ien  le  tout 
ensemble*,  formez  tos canapés.  Pour  y  parvenir,  vous  mettez  d'abord 
un  lit  de  ces  fines  herbes,  quand  cl  es  sont  froides,  ensuite  du  foie  de 
Taie  cottf  é.de  même ,  et  deê  filets  d'anchois  :  faites  h  tous  de  même ,  et 

(i)  Bb  rhonucur  du  carême  nous  ne  donnons  pour  ce  mois  que  dca 
recettes  maigies« 


194  ^^  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

finUwK  par  les  fines  herbes.  Jetea  dessus  un  pea  de  mie'de  pain  biea 
fine  ;  faites  prendre  coulear  sous  un  couTercle  garni  de  braise  et  de  cen- 
dres chaudes  :  servez  avec  l'expression  d'un  jus  de  citron. 

Lorsque  ce  joli  petit  entremets  est  fait  avec  soin ,  c'eat  un  desiCanapéi 
sur  lesquels  les  gourmands  aiment  le  mieux  À  s'étendre ,  surtout  en  ca- 
rême. Nous  nous  garderons  bien  d'en  dire  autant  des  dames  ;  eUes  oot 
de  bonnes  raisons  pour  donner  aux  autres  la  préférence. 

HAHINADB    DE    CARPBS ,   OU   d'aUTEBS   POISSONS 

D*BAU    DOUCE. 


Goupea  votre  carpe  en  filets  ou  à  l'ordinaire ,  par  tronçons  ;  mattei- 
les  dans  une  casserole  aveo  sel,  poivre,  poudre  d'épices  fines,  trois 
clous  de  girofle,  quelques  tranches  d'oignons  «  un  peu  de  basilic ,  un  jus 
de  citron ,  ou  à  défaut  un  filet  de  bon  vinaigre  ;  remuez  bien  le  tout  en- 
semble pour  le  faire  mariner  et  lui  faire  prendre  du  goût.  Une  heur«> 
avant  que  de  servir,  vous  faites  égoutter  et  bien  ressuyer  vos  filets  ou 
tronçons  do  carpe-;  ensuite  vous  les  faiinez  bien ,  et  les  faites  &ire  de 
lelle  couleur,  puis  vous  les  servez  garnis  de  persil  frit.  On  peut  encore 
les  tremper  dans  des  œufs  battus  et  les  paner,  ou  bien  dans  une  pâte  k 
frire  ;  mais  il  faut  pour  cela  que  le  poisson  soit  cuit  aux  trois  quarts  dans 
la  marinade  avant  que  de  le  tremper  dans  la  pflte ,  et  la  raison  en  esl 
facile  à  deviner. 

La  tanche ,  l'anguille ,  le  brochet ,  Ja  lotte ,  la  traite  et  les  autres  pois- 
sons de  rivière  s'accommodent  de  même,  soit  entiers ,  soit  en  filets  ;  on 
peut  même,  étant  frits ,  les  servir  à  telle  sauce  qu'on  voudra. 

Cette  marinade,  quln'est  pas  difficile  à  faire,  peut  consoler  en  carême 
de  llmpossibilité  de  manger  chez  soi  une  bonne  matelote. 

MENUS   DROITS   MAIGRES    A    LA    TRAPE. 

Faites  fondre  dans  une  casserole  un  peu  de  beurra  ;  f  etez-y  de  l'oignoi 
coupé  en  filets  ;  passez  le  tout,  ensuite  singez  et  mouillez  de  jus  maigie. 
Ayez  des  carottes,  navets  «  panais ,  betteraves ,  céleri ,  le  tout  coupé  eo 
filets,  blanchis  et  cuits,  chacun  selon  sa  qualité ,  dans  un  bon  bouillon 
maigre;  ensuite  égoiittez.  Votre  ragoût  d'oignon  étant  bien  fini,  vous 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  laS 

|ctez  dedaDt  des  racines,  et  les  faites  mijoter  :  en  ûnissaDt,  un  peQ  de 
moa tarde ,  et  on  filet  de  tîo aigre. 

Les  réTérends  pères  de  la  Trape  prisaient  beauconp  plus  ces  menas 
droits ,  <{ue  les  trop  fameux  droits  de  Thomme  9  qui  par  la  suite  leur  ont 
fait  tant  de  mal,  et  nous  ont  mis  nous-mémes'peDdaat  près  de  quioEe 
ans  à  la  diète. 

icaSTISSES    A   L*ITALIB]flf B  »  AU   GRATIN. 

Ayes  des  écreTÎsses  ;  faites-les  cuire  à  l'ordinaire',  épluchez  la  queue  ; 
Atea  ha  petites  pattes ,  et  coupez  le  bout  des  grosses.  Quand  elles  seront 
épluchées ,  ayez  deux  foies  gras ,  persil ,  ciboules >  échalotes,  quelques 
champignons,  le  tout  haché  bien  menu,  et  assaisonné  de  sel ,  poivre, 
et  fines  herbes;  maniez  le  tout  avec  du  lard  râpé,  un  peu  de  mie  de 
pain  bien  fine»  et  deux  jaunes  d'oeufs ,  faites  un  lit  de  cette  farce  au 
fond  du  plat;  arrangez  tos  écrevisses  dessus  proprement^  la  queue 
entre  les  jambes ,  et  tous  mettrez  le  reste  de  votre  farce  par-dessus  vol 
éci^vlsses.  CouTTez-les  et  mettez^Ies  sur  un  fourneau  pour  les  faire  at- 
tacher ;  quand  elles  le  sont  tous  les  dégraissez ,  et  tous  jetez  dessus  le 
ÎDj  d'un  citron  aTecun peu  de  sauce  blonde. 

Il  est  remarquable  qu'en  dépit  des  foies  gras  et  do  lard  râpé,  ce  joli 
petit  entremets  se  mange  pendant  toute  la  durée  du  carême  en  Italie  ; 
de  qui  prouve  bien  la  vérité  du  proverbe ,  qu'il  n'y  a  point  simonie  de- 
vant le  pape» 

DB    L*AGN£AU« 

Si  la  loi  de  Moïse  n'avait  pas  élevé  entre  les  Juifs  et  les 
Porcs  un  mur  d'airain,  nul  doute  que  les  premiers 
n'eussent  mieux  aimé  faire  la  Pâque  avec  un  jambon  de 
Bayonne  plutôt  qu'avec  un  agneau  de  Bethléem  ;  mais 
leur  législateur  en  ayant  autrement  ordonné ,  il  fallut 
bien  s'y  soumettre.  Rendons  grâces  à  la  providence  de 
n'être  pas  nés  chez  ce  peuple  lorsque  celte  loi  y  était  en 
TÎga^r;   car  on  conviendra  qu'une  cuisine  dont  on  a 


136  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

exclu  le  lard  et  le  jambon  est ,   sous  tous  les  rapports , 
une  bien  triste  cuisine. 

Quoiqu'il  en  soit,  Vignoti  nuUa  cupido  empêchait 
les  Israélites  de  .sentir  toute  Tétendue  de  leurs  priva- 
tions ;  et  un  peuple  qui^  n'avait  vécu  si  long-temps  que 
de  la  manne  du  désert  ou  des  oignons  d'Egypte,  se 
trouvait  encore  fort  heureux  de  manger  à  Pâque  de 
l'agneau  rôti. 

Il  faut  convenir  cependant  que  pour  nous  autres 
gourmands  c'est  une  insipide  chose.  Le  meilleur  quar- 
tier d'agneau  n'est  qu'un  fade  et  doucereux  madrigal , 
comparé  surtout  à  ces  savoureux  jambons  de  Rayonne 
pleins  d'esprit  et  de  sel  »  et  que  l'on  peut  comparer  à 
une  épigramme  excellente.  Aussi ,  quoi({ue  l'on  compte 
beaucoup  de  Juifs  parmi  les  chrétiens  d'aujourd'hui ,  il 
en  est  peu  qui  ne  préfèrent  un  pâté  de  jambon  à  tous 
les  agneaux  du  monde. 

Cet  animal  a  cependant  encore  entrée  dans  beaucoup 
de  bonnes  maisons  qui  tiennent  plus  à  l'observation  des 
anciens  usages ,  qu'à  des  sentimens  de  gourmandise  ou 
d'humanité  :  nous  disons  d'humanité  »  car  est-il  rien  de 
plus  barbare  que  d'arracher  cette  innocente  bête  des 
bras  de  sa  mère  »  dont  elle  suce  encore  le  lait ,  pour  en 
Jaire  un  insipide  rôti  ?  Attendons  au  moins  qu'il  soit  de- 
venu mouton  :  sa  destinée  »  comme  nous  l'apprend  un 
vieux  proverbe ,  est  alors  d'être  croqué  »  mangé ,  et  nous 
lui  ferons  alors  cet  honneur. 

Des  considérations  politiques  se  joignent  ici  à  celles 
de  l'humanité  et  de  la  sensualité  pour  plaider  la  cause 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  tty 

des  agneaux*  En  leur  déclarant  arnsi  la  guerre ,  nous 
Iraraillons  de  tout  notre  pouvoir  à  la  deâlruction  de 
l'espèce;  et  lorsqu'on  songe  qu'en  mangeant  les  quar- 
tiers d'une  jeune  agnelette,  on  anéantit,  on  dévore 
peut-être  tout  un  troupeau  de  moutons ,  il  y  a  de  quoi 
faire  reculer  d'effroi  le  gourmand  le  plus  intrépide. 

Les  bouchers  le  savent  si  bien  que  jamais  ils  ne  ven- 
dent d'agneaux  à  Paris  :  ils  rougiraient  de  se  rendre 
complices  de  leur  mort;  et,  quoiqu'on  les  accuse  en 
général  de  barbarie,  ils  n'ont  point  à  se  reprocher  ce 
genre  d'infanticide.  ' 

Il  serait  donc  à  désirer  qu'une  loi  favorable  à  l'espèce 
moutonnière ,  et  qui  servirait  la  cause  de  nos  fabriques 
aussi  bien  que  celle  des  gourmands ,  défendit  dans  tout 
l'Empire  le  meurtre  des  agneaux.  L'effet  en  serait  salu- 
taire  et  prompt;  et  nous  verrions  dans  -peu  les  draps , 
les  gigots  et  les  côtelettes  se  multiplier  au  gré  do  nos 
désirs  et  de  notre  appétit.   * 

En  attendant  qu'elle  soit  rendue ,  visitons  les  rôtis  - 
seurs  (i)  /  et  mangeons  l'agneau,  puisqu'aussi  bien  il 
est  tué.  La  meilleure  manière  de  le  servir  (â)  est  à  la  bro* 
che ,  rôti  de  belle  couleur.  Avant  de  le  découper ,  et  tan- 
dis qu'il  est  encore  brûlant ,  on  lui  insinue  derrière  l'é- 

(i)  Les  rôtisseurs  à  Paris  sont  seuls  en  possession  de  Tendre  de  l'agneau. 

Les  premiers  rôtisseurs  on  marchands  de  Toiaille  sont  :  Poteau ,  four- 
nisaenr  de  la  Maison  du  Roi,  Pointe  Saint-Eustacbe,  et  Bien  nais»  marché 
des  Jacobins. 

(a)  Nous  allons  cependant,  en  faveur  des  amateurs,  donner  les  moyens 
de  faire  paraître  avec  honneur  l'agneau  aux  entrées  :  ce  sera  l'objet  de 
rartîcle  suivant. 


128 


LE  GASTRONOME  FBANÇAt& 


{>au)e  une  grosse  boule  d'excellent  beurre,  manié  de  fines 
herbes ,  anchois  hachés ,  poivre ,  sel  et  épices  fines  t  la 
chaleur  la  métamorphose  bientôt  en  une  sauce  agréable, 
et  c'est  la  seule  qui  convienne  à  un  quartier  d'agneau 
rôti.  On  sert  en  même  temps  une  salade  de  jeunes  lai- 
tues aux  œufs  durs;  et  l'on  se  console  ainsi  des  suites 
d'un  usage  barbare ,  en  attendant  qu'un'excellent  jam- 
bon de  Bayonne  ou  de  Mayence  vienne  relever ,  comme 
milieu  d'entremets ,  le  plus  insipide  des  rôtis. 

G.  D.  L.  R. 

FILETS  d'agneau    A    LA    CONDÉ» 

Dhds  les  années  ordinaires  on  ne  mange  plus  d'agdeaa  passé  la  Pen« 
tecôte  9  quoique ,  rîgourcu^mient  parlant ,  ce  nom  appartienne  aux 
moutons  qui  n'ont  pas  encore  atteint  l'âge  de  douze  mou  rérotus  ;  mais 
dans  les  années  tardives  cette  jouissance  »  commençant  pins  tard,  se 
prolonge  aussi  daTantage  ;  rela  dépend  beaucoup  de  l'époque  à  laquelle 
tombe  le  joqr  de  PAques,«t  de  la  température  plus  ou  moins  avancée 
du  printemps. 

Procurez-Tous  des  filets  d'agneau  pris  depuis  le  haut  du  quasi  /os* 
qu'au  bas  du  collet  ;  après  les  avoir  bien  parés,  vou^  les  piquez  avec  des 
lardons  d*ancbois  et  de  cornichons  ;  lensuicift  vous  les  marinez  dans  deux 
pains  de  beurre ,  un  peu  d*huile  vierge ,  champignons ,  persil ,  cibonles^ 
échalotes,  cftpres,  le  tout  haché  bien  menu,  avec  sel,  poivre,  poudre 
d'épices  fines ,  basilic  en  poudre ,  un  peu  de  rocambole  et  de  chapelure 
de  pain  ;  et  deux  Jaunes  d'œnfs  durs  ;  enveloppez-les  de  crépines  avec 
tout  leur  assaisonnement  ;  faites-les  cuire  à  la  broche  sur  de  petites  hâte- 
lettes  ;  enveloppez-les  de  papier.  Quand  ils  sont  cuits ,  panez-les  arec 
une  mie  de  pain  bien  fine  ;  servez  dessus  une  sauce  faite  avec  un  paon 
de  beurre  manié ,  un  peu  de  blond  de  veau ,  deux  tranches  de  citron  « 
un  peu  de  muscade.  Tnurnez-la  sur  le  feu  en  observant  qu'il  faut  qu'elle 
ait  un  peu  de  consistance.  .    ■ 

Ces  filets  d*agneau  s'appellent  à  ta  Condé,  parce  qu'ils  ont  été  ima- 
gtnt'rs  par  le  célèbre  Vatel,  mailrc-d'hùtcl  du  grand  Condé,  qui  péiit 


tE  CASTKONOME  FRANÇAIS.  .jj 

iictîin«  de  l'amoar  eiallé ,  ou  plutôt  du  fuialiiiiifl  de  aoo  art,  et  dont  la 
UDglaale  citaitrophe,  qui  le  Tera  TÎTrt  1  j'niaudaas  llùiloire,  a  fourni 
t  Madame  de  Sévigné  la  Lettre  la  p lui  louchante  de kid  recueil,  et* 
II.Berchoni  l'épleode  le  plus  intéreuaat  de  ton  joU  poËme  de  la  du- 
trtinom\a.  L'oraiion  Tunébre  de  Valel  doTrait  être  propoaée  pour  luiet 
d'uD  piii  par  U  première  académie  gourmande  qui  nra  ïaatituée  en 
Europe  (i);  ilen  eit  peu  qui  prête  plui  k  l'éloquence  ;  c'eal  aa  lujet 
"«aMe  comme  l'art  de  la  cuitine. 

ÉPERLAKS    A    LA    PnOVKNÇALE. 

L'éperlaa  est  le  goujon  de  U  mer ,  et  il  est  lin gui ière ment  recherché 
a  Paria.  Voici  nue  manière  auei  piqaante  d'accommoder  ce  pai«Kin 
d'uoe  manière  qui  le  Oalte  : 

ArTaDgei.Tog  éperlan*  dan*  noe  caiaerole  j  failei  bouillir  dan*  une 
autre  uo  demi>Ktier  de  lin  blanc  ,  nn  peu  d'eaa  ,  tel ,  tranchei  de 
citron» ,  et  no  peu  d'halte  que  tous  jetel  lur  voi  éperlani  ;  Taïtes^ea 
cuire  et  ègootter;  pilez  deni  ou  trois  gouaaea  d'ail  bUnchiea;  une  pincée 
de  fenouil  hacfaéct  pilé;  mettez  daai  une  cawerole  lel,  poirre,  mu>- 
cade,  un  vene  de  fio  blaac  bouilli,  ou  esieacE  d'ail,  quatre  jaunea 
d'oeofa,  un  peu  d'huile  ;  tauroeii  la  lauce  >ur  le  feu  j'iuqu'à  ce  qu'elle  loit 
va  pea  fiée  ;  piviaez-y  le  jui  d'un  citron  ;  mettez  la  tance  dans  le  fond 
dn  plat,  et  le*  éperlans  dessus;  scrvei  arec  un  peu  de  cerfeuil  haché. 

On  peut  le*  faire  frire  ,  et  les  scrrir  1  cette  sauce  ,  et  rien  deuus. 

L'éperlan  n'est  jamais  plus  délicat  qu'au  mois  de  mai;  mais  comme 
il  arrive  alors  à  Paris  moios  frai*  qu'en  hiver,  cet  appareil  peut  masquer 
avec  avantage  cette  fraîcheur  qui  loi  manque.  C'est  ainsi  qu'une  co- 
qoeltc  troore  dan*  l'emploi  de*  cosmétique*  le*  fttraiti  dont  le  lemp* 
is,  à  tout  prendre ,  UD  éperlan,  tel  qu'il  soit,  vaut 
m  gourmand  qu'une  Tirille  coquette. 

G.  D.  L.  R. 


(l)  A  la  page  44  de  cet  ouvrage  ,  nou*  aroôs  fait  des  YCtui  pour  lln- 
liodaclioo  d'one  ctaïae  de  gourmandise  k  rinstitnt  ro;al  de  France. 
Qoelqnes  élections  faites  à  la  fourcbetlc ,  nous  font  eapércr  que  notre 
nm  ne  larder*  paa  à  être  exaucé. 

9 


i3o  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


2lml. 


LE    MOIS   GLORIEUX»    OU    LE»  MMBON8   DE   BATOlfNB. 

Le  mois  d'ayril  est  sans  co&tredit  celui  pendant  le 
t^ours  duquel  il  se  &it  une  plus  grande  dépense  de  lau- 
rier. Depuis  le  lundi  saint  jusqu'à  la  Quasimodo  les 
boutiques  des  charcutiers  ressemblent  ao^  portiques  du 
Capitole;  tous  ne  pouvez  y  entrer  sans  courber  votre 
tête  sous  des  voûtes  de  laurier;  jamais  triomphateur, 
à   Rome,  n'en  vit  autant  devant  sa  maison. 

De  tous  les  animaux ,  le  cochon  est  le  seul  qui  sotl 
ainsi  couronné  lorsqu'il  n'est  plus;  et  ce  tardif  hon- 
neur est  tout  à  la  fois  une  sorte  d'expiation  de  tous  les 
*  outrages  auxquels  il  a  été  en  butte  pendant  sa  vie ,  et 
une  justice  qu'on  se  plaît  à  rendre  à  la  supériorité  do 
)ies  membres.  En  est'-il ,  en  effet ,  que  l'on  puisse  com- 
parer aux  jambons  qui  nous  viennent  de  Rayonne ,  de 
Mayence  ou  de  Westphalie  ? 

C'est  le  mardi  delà  semaine  sainte  que  se  tient  à  Paris 
la  foire  aux  jambons.  Elle  ne  dure  qu'un  jour ,  et  Taf- 
fluence  des  acheteurs  y  est  considérable  :  mais  elle  in- 
téresse peu  les  gourmands ,  parce  qu'il  ne  s'y  vend  que 
des  jambons  de  pays ,  en  général  peu  estimés  »  et  qui 
n'entrent  dans  leur  cuisine  que  pour  former  les  braises» 
et  servir  d'excipient  à  beaucoup  de  ragoûtSé  II  faut  qu^un 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i5i 

jainbcH)  arrire  au  moins  de  Ba^nne  pour  oser  se  pré- 
senter sur  leur  table. 

Cette  ville  est  en  possessîoi  de  fournir  les  meilleurs 
jambons  de  l'ancienne  France;  et  la  <|uaDtit4  de  ceux 
qu'elle  expédie  chaque  année  è  Paris  est  prodigieuse. 
M.  Pelletier-Petit,  épicier,  à  ta  Truie  ^tdfîU,  rue  du 
Marcbé-aux-Poirées ,  à  la  hslle  (i),  en  reçoit  chaque  an- 
née de  quinze  à  ringt  mille  pour  sa  part ,  sans  compter 
Jes  jambons  de  primeur.  Les  deux  plus  forts  expédition- 
naires de  Rayonne ,  en  cette  partie ,  sont  MM,  la  Rouille 
et  Poiâlaa. 

Les  jambona  de  Rayonne  pèsent  ordinairement  de 
iS  &  9o  livres ,  et  n'en  sont  pas  pour  cela  moins  ten- 
dres et  moins  délicats.  Ils  sont  d'une  belle  couleur , 
d'un  excellent  sel ,  et  la  chair  en  est  exquise.  Rien  n'est 
au-dessus  d'un  pâté  de  jambon  de  Rayonne  fait  par 
Fouroier ,  successeur  de  Rouget ,  rue  de  Richelieu ,  en 
lace  le  théâtre  Français ,  ou  par  Rat ,  pâtissier  ,  rue  ' 
Montmartre,  n*  55,  en  hçe  la  rue  Neuve-Saint-Eusto- 
che;  et  l'on  est  à  la  queue ,  de  Pâques  à  la  Pentecôte  . 
dans  ces  boutiques,   pour  en  avoir  (s). 

Do  tous  les  rôtis  qui ,  depuis  la  création  du  monde , 
ont  honoré  la  broche ,  le  plus  riche  et  le  plus  glorieux 
est  il  coup  sûr  un  jambon  de  Rayonne  bien  dessalé. 
Nous  donnons  dans  les  recettes  alimentaires  de  ce  mois 

(■]  Vojulet  Boma  dn  priocipRi  x  marcliindi  de  comeslihtn  que 
notu  aniDs  ciléi  au  maa  de  janner ,  page*  56  Et  57. 

(a)  Nou*  eiig::geoD«  lUMÎ  no*  liKleura ,  ri  doiu«d  arans,!  rairta  liste 
(](-.•  p.lliisiciK  q*ic  n«n  aroni  éga'cinnnl  donnue  an  mois  de  jannnr. 


,3«  tE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

« 

la  meilleure  manière  de  les  apprêter  ainsi.  Nous  nous 
contenterons  d'ajouter  qu'un  jambon  de  Bayonue  h  la 
broche  conduit  presque  toujours  TAmphytrion  qui  le 
sert  tout  droit  à  Timmortalité. 

Un  jambon  rôti  ne  dure  qu'un  jour,  et  c'est  pour  cela 
qu'il  est  noté  comme  un  trait  de  munificence  dont  les 
Lucullus  seuls  peuvent  faire  jouir  leurs  heureux  convi- 
yes  :  mais  un  jambon  de  Bayonne ,  cuit  à  l'eau  et  bien 
paré  ou  pané ,  reparaît  plusieurs  fois  avec  honneur  sur 
les  tables  les  plus  opulentes.  On  le  festoyé  même  le 
matin  davantage  que  le  soir;  et  c'est  la  colonne  fon- 
damentale de  tous  les  beaux  déjeuners  à  la  fourchette  » 
pendant  six  mois  de  l'année.  Il  se  montre  avec  un  égal 
avantage  dans  les  haltes  de  chasse ,  dans  les  journées 
champêtres  y  et  même  dans  ces  collations  solides  qui 
accompagnent  assez  ordinairement  les  bals ,  et  qui  de- 
viennent même  nécessaires  pour  ranimer  la  vigueur 
des  danseurs  fatigués  p  qui  ne  sauraient  retrouver  leurs 
jarrets  et  leurs  forces  dans  un  biscuit  comme  dans  une 
tranche  de  jambon ,  et  surtout  de  jambon  de  Bayonne. 

Les  jambons  de  Mayence  sont  beaucoup  plus  petits 
que  ceux  de  Bayonne ,  et  peuvent  moins  passer  pour  de 
véritables  jambons  que  pour  des  jambonneaux.  Ils  sont 
en  général  assez  tendres  et  assez  délicats ,  surtout  lors- 
qu'on les  a  fait  cuire  dans  de  bon  vin  de  Malaga.  Ces 
miniatures  de  jambons  conviennent  mieux  aux  jolies 
femmes  qu'aux  vrais  gourmands;  car  non-seulement 
ils  sont  plus  petits  que  les  autres,  mais  leur  chair, 
moins  compacte  et  plus  friable ,  est  plus  nourrissante. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i35 

plus  délicate,  plus  substantielle  et  d'uoe  làclle  digeslioD, 
surtout  lorsque,  pour  ne  pas  trop  le  dépayser,  on  lui 
donne  pour  compagnie  h  table  un  vieux  vin  son  com- 
palriote.  Le  vin  du  Rhin  est  ainsi  le  Pilade  du  jambon 
de  Mayence ,  comme  le  Pique-pouille  devient  l'accom- 
pagnement obligé  du  jambon  de  Rayonne. 

Les  jambons  de  Westphalie  jouissent  en  Allemagne 
et  dans  tout  te  Nord  d'une  grande  réputation.  Il  en  vient 
Irès-peu  à  Paris ,  et  jamais  par  les  voies  du  commerce  ; 
ce  qui  fait  qu'ils  n'y  sont  pas  assez  bien  connus  pour 
que  l'on  puisse  asseoir  sur  leur  compte  une  opinion  rai- 
sonnée  ;  car  ce  n'est  que  par  une  dégustation  réelle  et 
bien  approfondie  que  l'on  peut  prononcer  en  toute  con- 
naissance de  cause  sur  les  parties  de  l'art  alimentaire  ; 
el  ce  n'est  pas  en  mâchant  à  vide,  ou  en  divaguant  comme 
un  mauvais  avocat ,  que  l'on  peut  bien  traiter  cette  ma- 
tière. Nous  nous  contenterons  donc  de  direquelesWest- 
phalîeas  sont  dans  l'usage  de  manger  leur  jambon  cm 
avec  de  la  gelée  de  groseilles  :  sorte  de  mets  qui  ne  sera 
sans  doute  pas  du  goîtt  de  nos  lecteurs  parisiens. 

Au  reste ,  la  Westphalie  n'est  pas  le  seul  pays  de 
l'Europe  oii  l'on  mange  le  jumbon  cru  ;  l'on  est  assez 
dons  cet  usage  en  Italie  ;  mais  les  Italiens  ont  le  talent 
d'en  couper  des  tranches  si  minces,  que  leur  épaisseur 
équivaut  £k  peine  h  celle  d'une  leuille  de  parchemin ,  et 
qu'elles  se  fondent  en  quelque  sorte  dans  la  bouche 
comme  une  pastille  de  guimauve. 

Il  résulte  de  ces  réflexions  que  ce  n'est  point  h  toi*t 
quQ  nous  avons  donné  l'épithète  de  Glorieux  au  mois 


■  34  LE  GASTRONOME  FKANÇAIS. 

d'avril ,  puîaque  c'est  celui  où  il  se  diitribue  le  plus  âe 
couronnes ,  oh  il  se  fait  une  plus  grande  dépense  de 
bturier,  et  dans  lequel  on  mange  les  metUeure  jambons. 
G.  D.  L.  H. 


^«nfs  b<  ^^ài|n<â. 


Nous  abandonnons  aux  sarans  le  soin  de  remonter 
It  rorigine  des  œufs  roi^es>  et  d'expliqué  par  des  mo- 
Bumens  antiques  le  motif  de  cet  usage  presque  immé- 
morial ,  qui  consiste  k  donner  dans  I»  semaine  de  Pâques 
des  œufe  teints  de  celle  couleur.  Comme  l'usage  des  ceuls 
est  défendu  pendant  tout  le  carême,  et  que  si  l'Eglise 
nous  permet  d'en  manger  depuis  le  mercredi  des  Cen- 
dres jusqu'au  vendredi  de  la  Passion,  ce  n'est  qu'une 
tolérance,  et  pour  compâlirti  notre  faiblesse;  il  se  peut 
que  cette  couleur  donnée  aux  premiers  œufs  qu'il  soit 
licite  te  manger  en  sortant  du  carême,  soil  on  signe 
d'allégresse  :  ce  qu'il  y  a  de  sftr ,  c'est  que  les  œufe  se- 
raient moins  chers  ,  et  les  poulets  bien  plus  communs, 
si  l'Eglise  était  moins  indulgente. 

Les  œufs  rouges,  malgré  leur  teinture  et  leurcuissoo, 
ue  sont  pas  plus  cberg  que  les  blancs ,  parce  que  ce  sont 
toujours  les  plus  petits  que  l'on  prépare  ainsi ,  et  que, 
n'étant  pas  do  garde ,  on  est  forcé  de  tes  vendre  en  peu 
de  jours.  C'est  aussi  pourquoi  il  est  bon  de  ne  les  ache- 
ter q<i'arec  précaution  et  ii  des  marchands  de  conoaiï- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i3â 

UDce;  autreiDC<Qt  oa  court  rùque  d'avoir  des  œufi 
gâtés.  Il  est  plue  sûr  de  les  acheter  frais,  et  de  lea  faire 
durcir  chez  soi ,  d'autant  mieux  que  la  couleur  a'y  fait 
rien ,  puisque  la  coquille  oe  paraît  jamais  sur  la  table. 

Daos  les  dernières  années  du  règue  de  Louis  XV.  on 
a  vu  des  œuls  rouges  être  payés  jusqu'à  cent  écus  la 
pièce.  Des  artistes  habiles  s'amusaient  k  dessiner  è  la 
pointe,  sur  ces  œufs,  do  charmaos  tableaux,  des  pay- 
sages ,  des  Beurs  ,  et  jusqu'il  des  scènes  historiques.  Ou 
conserve  dans  plus  d'un  cabinet  de  curieux  de  ces  fra  - 
giles  monumens.  Ou  en  a  du  cé'ébreBoucher,  ce  peintre- 
des  amours  et  des  grâces ,  auquel  on  peut  reprocher  de 
la  manière ,  sans  doute ,  mais  dont  le  faire  était  si  ai- 
mable ,  si  gracieux ,  et  la  touche  si  spirituelle)  qu'il 
passe  pour  le  Dorât  de  la  peinture.  Il  est  vrai  que  de 
tous  ceux  qui  ont  voulu  marcher  sur  les  traces  du  pein  - 
tre  comme  sur  celles  du  poète  ,  aucun  n'a  réussi;  a 
qui  ne  prouve  ni  contre  le  talent  de  ces  maîtres ,  ni 
mémo  contre  le  genre  qu'ils  avaient  adopté. 

Aujourd'hui  l'on  ne  dessine  plus  sur  les  œufs  rouges; 
\h  ont  même  entièrement  passé  de  mnde ,  et  ne  se 
voient  guères  qu'entre  les  mains  du  peuple.  Un  homme 
qui  présenterait  aujourd'hui  un  panier  d'ctufs  rouges  Si 
une  de  nos  élégantes ,  la  ferait  tomber  en  syncope. 

Les  ttuts  rouges  ne  s'étalaient  autrefois  que  le  samedi 
saint  ;  aujourd'hui  on  les  voit  courir  les  rues  dès  la  pre- 
mière semaine  du  carême.  Ce  renversement  de  tout 
ordre  a  achevé  de  leur  faire  perdre  leur  considération 
et  leur  crédit.   L'apparition  d'un  œuf  rouge  annonçait 


,56  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

autrefo^  le  retour  du  cbaraage ,  et  faisait  naître  la  \o[e 
dans  l'ame  des  fidèles  ;  aujourd'hui  elle  ne  signifie  plus 
rien.  C'est  ainsi  qu'en  bouleversant  l'ordre  des  choses, 
on  anéantit  jusqu'aux  sourenirs ,  et  l'on  finit  par  e0àcer 
la  trace  des  usages  les  plus  anciens  et  les  plus  respec- 
tables. 

Les  œufs  rouges  s'apprêtent  comme  tous  les  autre» 
œufs  durs  ;  mais  leur  usage  le  plus  ordinaire  est  de  pa- 
rer ces  jolies  salades  de  bitue  nouvelle  ,  dont  l'appari- 
tion sur  nos  tables  est  le  signal  du  printemps. 

G.  D.  L.  R. 


Les  nombreux  habitans  du  royaume  de  Neptune  sont 
en  possession  des  premières  dignités  dans  la  république 
gourmande.  Le  turbot  africain ,  prince  admis  sur  les 
tables  royales ,  le  saumsn  à  la  chiiîr  ferme  et  colorée  , 
Ib  raie  hérissée  de  boucles  aiguës ,  comme  d'une  cui- 
rasse guerrière ,  jouissent  depuis  vingt  siècles  d'une  su- 
prématie acquise  par  la  persuasion ,  et  fondée  sur  l'ex- 
périence des  plus  savans  dégustateurs. 

Cependant  le  crédit  des  enfàns  écaillés  d'Ampbitrite 
n'est  pas  exclusif  à  la  cour  d'Ëpicure ,  et  l'éclat  des 
grands  noms  cède  souvent,  à  nos  yeux ,  aux  modestes 
regards  de  la  Naïade  paisible  qui  préside  aux  rivières 
poissonneuses,  aux  fleuves  et.  aux  étangs. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  iS; 

Pai^delà  les  vastes  limites  de  l'immense  empire ,  où 
roulent  pêle-mêle  le  hareng  et  la  baleine ,  Thuitre  et  la 
sole  y  la  truite  saumonée  et  l'esturgeon»  vivent  dans  le 
silence  et  la  retraite  de  petites  peuplades  ignorées  du 
navigateur.  Le  saumon  et  la  truite  marine ,  voyageurs 
curieux,  font  quelque  alliance  avec  ces  peuples  muets  , 
et  ne  s'en  trouvent  pas  plus  mauvais;  mais  s'ils  remon- 
tent parfois  les  grands  fleuves  que  la  mer  reçoit  dans 
son  sein  ,  ils  entrent  rarement  dans  les  petites  rivières 
auxquelles  ces  fleuves  doivent  leur  grandeur;  et  jamais 
leur  courage  ne  les  conduisit  dans  ces  étangs  impéné- 
trables que  traverse  un  seul  ruisseau  retenu  par  une 
digue  de  quelques  pieds  de  hauteur.... 

Parmi  les  notables  poissons  d'eau  douce  on  distingue 
le  brochet ,  la  carpe  et  l'anguille.  Le  brochet ,  tyran  dé- 
vorateur,  s'engraisse»  il  est  vrai ,  de  la  chair  des  autres 
poissons  qui  vivent  sous  sa  domination;  mats  sa  cruauté 
n'empêche  pas  qu'il  n'ait  une  grande  douceur  dans  les 
manières ,  et  qu'il  ne  soit  toujours  cité  par  ses  amis  pour 
être  bienfaisant  y  agréable  et  bon. 

Le  brochet  n'habite  que  les  étangs ,  les  lacs  et  les 
grandes  rivières;  il  est  remarquable  par  sa  tête  longue» 
aplatie»  dans  sa  partie  antérieure»  depuis  les  yeux  jus- 
qu'au bout  du  bec  »  de  forme  carrée  »  et  percée  d'envi-  . 
ron  douze  petits  trous  »  et  par  la  mâchoire  Inférieure 
beaucoup  plus  longue  que  la  supérieure*»  et  armée  de 
dents  aiguës. 

La  chair  au  brochet  est  blanche  »  ferme  »  et  se  divise 
par  feuillets  :  on  en  rencontre  quelquefois,  dont  la  grosse 


i38  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

arête  et  une  partie  de  la  chair  «oat  d'une  couleur  verte; 
ceux-là  sont  plus  estimés*  On  préfère  à  Paris  ceux  que 
Ton  prend  dans  la  Seine. 

Ce  poisson  vit  très  long-temps.  Nous  citons  pour 
preuve  celui  que  l'empereur  Frédéric  II  jeta  dans  ub 
étang  y  avec  un  anneau  d'airain  passé  dans  les  opusculei 
de  ses  ouïes ,  portant  une  inscription  grecque  »  et  que 
l'on  retrouva  bien  portant ,  deux  cent  soixante  -  deux 
ans  après. 

La  carpe ,  mère  féconde  et  vivace ,  remplit  en  quel- 
ques années  les  lieux  qu'elle  habite  de  son  innombrable 
femille»  et  par  elle  un  lac  immense  deviendrait  bientôt 
aussi  populeux  qu'un  vivier,  si  le  brochet  ambitieux  ne 
sacrifiait  pas  tout  ce  fretin  surabondant  à  son  honueur 
et  à  sa  gloire. 

La  carpe  a  quatre  barbillons  à  la  mâchoire,  d'en  haut, 
deux  de  chaque  côté  »  la  gueule  ronde  lorsqu'elle  est 
ouverte  »  les  lignes  latérales  assez  droites ,  la  prunelle 
'ronde  et  bleue»  l'iris  argenté  et  nué  de  jaune  doré. 
Quant  à  la  structure  merveilleuse  de  ses  ouïes  et  de* 
plusieurs  autres  parties»  tant  intérieurs  qu'extérieures, 
elles  sont  communes  avec  presque  tous  les  autres  pois 
sons.  La  couleur  du  corps  varie  beaucoup  :  l'âge  pout  j 
influer;  mais  on  en  connaît  de  bleuâtres ,  de  verdâtres, 
de  brunes  »  de  jaunes ,  de  rouges  »  d'autres  comme  do- 
rées» enfin  d'autres  qui  sont  blanches  et  dépourvues 
d'écallles,  sans  doute  par  vieillesse. 

Goihme  les  brochets  »  les  plus  grosses  carpes  sont  les 
plus  estimées.   Celles  du  Rhin  »  de  la  Loire  et  du  Rhône 


\" 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  159 

jooisseBtd'uae  haute  considération  à  Paris ,  et  les  carpes 
de  Seine  se  contentent  de  prétendre  le  pas  sur  elles. 

Les  carpes  d'étang  sont  généralement  plus  saines  et 
plus  grasses  ;  mais  il  faut  ordinairement  leur  laire  dégor- 
ger la  bourbe  rustique  qu'elles  rapportent  de  leurs  ma- 
rais. Cependant  il  est  des  étangs  dont  l'étendue  et  la 
limpidité  rendent  cette  précaution  inutile  :  ceux  de  la 
Lorraine  allemande  ont  ce  bel  avantage ,  ainsi  que  tous 
les  pajs.sabloneux  où  l'on  parvient  à  composer  de  ces 
petits  lacs.  La  chair  de  la  carpe»  désagréable  par  le 
grand  nombre  d'arêtes  qu'elle  contient  (1) ,  est  ordhiai-' 
rement  blanche  ;  mais  on  en  pèche  dans  quelques  rivières 
qui  ,  quoique  l'extérieur  soit  en  tout  semblable  aux 
autres  ,  ont  la  chair  rougeâtre  et  feuilletée  comme  celle 
du  saumon ,  ce  qui  les  a  fait  nommer  carpes  saumonées. 

U anguille^  qui  sous  la  figure  du  serpent  cache  l'âme 
la  plus  douce  et  le  venin  le  plus  succulent ,  tient  un 
rang  distingué  sur  les  tables  les  plus  opulentes.  Les  an- 
guilles qui  ont  le  ventre  blanc  et  argenté  sont  les  meil- 
leures. On  aime  W^ucoup  à  Paris  celles  que  Ton  pêche 
dans  la  Marne;  aussi  leur  fait-on  l'honneur  de  les  laisser 
entières,  et  de  les  manger  à  la  tartare.. 

C'est  ordinairement  vers  la  fin  de  mars  que  l'on  fait 
la  pêche  des  étangs  ;  parce  qu'à  cette  époque  le  brochet, 
la  carpe,  l'anguille ,  la  tanche,  la  truite,  la  perche,  la 
lotte ,  la  lamproie ,  etc. ,  sont  le  plus  en  abondance. 

(i)  DupeneyVaiaéy  et  Petit,  médecio^  oot  cependant  donné  dans 
les  mémoires  de  l'Académie,  année  i753,page  197,  les  observation» 
anatoiDiqaefl  et  physi<|ues  qu'ils  ont  faites  sur  ce  poisson. 


i4o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Quand  on  veut  avoir  de  gros  poissons,  on  ne  pêche 
les  étangs  que  de  trois  en  trois  ans  ,  ou  de  quatre  en 
quatre  ans ,  au  plus.  On  les  vide;  et  sur  la  bourbe  épui- 
sée d'eau  se  débattent  amoncelés  les  habitans  de  toute 
espèce  à  qui  Télément  a  manqué.  On  les  choisit  k  la 
main ,  et  le  fretin  se  réserve  soigneusement  pour  une 
autre  moisson ,  qui  offre  ordinairement  un  produit  réglé 
comme  une  coupe  de  bois ,  si  l'on  a  soin  d'en  écarter 
les  voleurs  et  tes  brochets. 

Le  temps  de  l'abondance  du  poisson  doit  être  néces- 
sairement celui  des  matelotes  ;  m  ais  celles  pour  lesquelles 
on  n'emploie  que  des  poissons  de  rivière  sont  toujours 
préférables  »  attendu  que  le  poisson  des  étangs  a  presque 
toujours  un  goût  de  vase  difficile  à  surmonter. 

Nous  allons  donner  deux  recettes  pour  préparer  ho- 
norablement l'anguille  et  ht  carpe. 


<ceiUs  a(mtnta\vt$. 

ANGUILLB.A    LA    TARTARE. 

LoMSQUB  l'aDgaille  est  dépouillée  et  vidée,  il  faut  la  rouler  en  fbrmc 
de  cerceau ,  et  la  fixer  avec  de  petits  atelels,  afio  qu'elle  se  tieune  bica 
ronde.  Mettez-la  ensuite  dans  une  casserole  avec  du  sel,  du  poivre,  une 
feuille  de  laurier,  du  thym ,  un  bouquet  de  persil  et  de  ciboules  ;  mooil- 
lez-la  avec  du  via  blanc,  et  mettez-la  sur  le  feu  ;  lorsqu'elle  sera  coite 
laissez-la  refroidir  dans  son  assaisonnement ,  afin  qu'elle  en  prenne  le 
goât.  Quelque  temps  après  égouttez-Ia,  et  lorsqu'elle  sera  bien  égool- 
tée  vous  la  tremperez  dans  un  peu  de  beurre ,  vous  la  panerez  lé^re- 
mentavecdela  mie  de  pain  bien  fine:  cela  fait,  cassez  deux  ou  trois 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ,41 

mvh ,  assaMonnez-Jes  de  sel  jet  de  poivre  ;  battez-les  comme  pour  une 
omelette*;  trempez  votre  anguille  là-dedans;  panez-la  de  nouveau  ;  faites- 
lui  prendre  conleur  ou  sur  le  gril  on  sous  le  four  de  campagne ,  et  servez- 
la  avec  une  bonne  rémolade. 

SI  vous  voulez  donner  plus  de  goût  à  la  cuisson  ,  mettez  un  bon  mor- 
ceau de  beurre  dajis  une  casserole  ;  joignez-y  des  carottes  coupées  en 
tranches  ,  des  oignons  coupés  de  même ,  du  persil ,  du  laurier,  du  thym, 
deux  clous  de  girofle  ;  passez  bien  cet  assaisonnement ,  mouillez-le  avec 
du  vin  blanc  ;  mélez-y  du  sel ,  du  poivre  ;  faites  bouillir  le  tout  une 
demi-heure  ;  passez-le  dans  un  tamis  de  soie  sur  l'anguille  ;  mettez-la 
ensuite  mijoter  une  heure  au  four  ou  sous  le  fourneau ,  et  servez. 

CARPE    AU    BLEU. 

Tidez  votre  carpe^  et  faites-y  le  moins  d'ouverture  que  vous  pourrez  ; 
licelez-lui  la  tête ,  et  mettez-la  ensuite  dans  une  poissonnière  propor- 
tionnée à  sa  grosseur  ;  faites  bouillir  une  demi-bouteille  de  vinaigre  ; 
versez-le  tout  bouillant  sur  votre  carpe  ;  mouillez-la  ensuite  avec  du  vin 
rouge  9  en  observant  d'en  mettre  assez  pour  que  la  carpe  baigne  bien  à 
l'aise  ;  mettez  trois  gros  oignons  coupés  en  tranches ,  deux  carottes ,  du 
persil,  de  la  ciboule,  deux  ou  trois  feuilles  de  laurier,  une  petite  branche 
de  thym ,  trois  clous  de  girofle ,  du  sel  et  du  poivre ,  après  cela  mettez 
vutre  poissonnière  sur  le  fourneau  ;  faites  mijoter  environ  une  heure 
(pins  ou  moins,  selon  la  grosseur  de  votre  carpe),  ôtez-la  du  feu,  laissez- 
la  refroidir  dans  son  assaisonnement  ;  dressez  sur  un  plat  avec  une  ser- 
viette dessoos, et  servez. 

G.,  G.  et  B. 


ESCARGOTS  DE  VIGNE  A  LA  POULETTE. 

Beaucoup  de  personnes  ont  de  la  répugnance  pour  les  escargots ,  sans 
flOD^r  que  cet  animal  est,  à  la  première  vue,i>ion  moins  dégoûtant 
qu'une  hnitre ,  et  qne  ,  sll  fallait  s'arrêter  ainsi  à  toutes  ces  petites  ré- 
pa^ances  qui  naissent  d'une  faiblesse  d'organes  ou  d'une  éducation 
pnérîJe  y  on  se  priverait  d'une  foule  de  jouissances  alimentaires  qui  font 
le  bonheur  de  la  vie  gourmande.  Un  véritable  gourmand ,  sans  jamais 
<>ii  rapporter  aux  apparences ,  déguste  tout  avec  courage  et  impartis- 


i4a  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Uté  ;  sembUble  à  Pabeille  qui  ▼&  butinunt  tontes  les  flears,  et  qui  ne 
s'arrête  que  sur  celles  qui  lui  conviennent  le  mieux ,  il  essaie  de  tons  lei 
mets ,  n'en  refiise  aucun  et  donne  la  préférence  au  pins  digne. 

L'escargot ,  nous  en  convenons ,  n'a  rien  dans  son  extérieur  de  bien 
séduisant;  mais,  quoiqu'il  ait  à  Paris  un  assez  grand  nombre  d'ama- 
teurs ,  ce  n'est  pas  dans  cette  capitale  qu'on  le  prise  le  pins.  Dans  cer- 
taines provinces ,  en  Lorraine  par  exemple ,  on  en  prend  des  soios  par- 
ticuliers ;  on  l'élève ,  on  l'engraisse ,  on  lui  consacre  une  petite  portioa 
de  jardin  entourée  de  treillage  à  mailles  serrées ,  où  l'on  a  soin  de  nt- 
sembler  tons  les  végétaux  qui  lui  plaisent  le  plus.  Par  le  moyen  de  ces 
retraites,  qu'on  nomme  des  escargotières,  et  où  plusieurs  nillien 
d'escargots  vivent  en  paix ,  sans  autre  souci  que  de  manger ,  de  croître 
et  de  multiplier  (  qui,  pour  le  dire  en  passant ,  sont  les  trois  plus  grandei 
jouissances  de  tout  ce  qui  vit  en  ce  bas-monde  )  on  a  une  espèce  de 
garenne  toujours  prête  à  fournir  aux  survenans  un  plat  très-délicat,  sus- 
ceptible de  divers  apprêts, «t  dont  la  dépense  est  presque  nulle. 

A  Paris  l'on  ne  connaît  point  ces  recherches  ;  les  escargots  que  l'on 
vend  à  la  halle  sont  tout  uniment  des  escargots  ramassés  dans  la  cam- 
pagne.  Ceux  de  vigne  sont  les  plus  délicats  et  les  meilleurs-  Lorsque  U 
feuille  de  vigne  commence  k  pousser  ils  sont  plus  tendres ,  et  plus  gras  à 
l'époque  des  vendanges  ;  mais  on  peut  dire  que  pendant  près  de  six 
mois  de  l'année  ils  fournissent  une  nourriture  aussi  salutaire  qu'agréa  bip. 
Voici  l'une  des  manières  les  plus  simples  de  les  apprêter  : 
Vous  prenez,  soit  au  printemps,  soit  en  automne,  des  escargots; 
vous  faites  chauffer  de  l'eau  de  rivière ,  à  laquelle  vous  ajoulci  une  poi- 
gnée de  cendres  de  bois  neuf  :  quand  cette  eau  commence  à  bouillir, 
vous  y  jetez  vos  escargots,  afin  de  les  échauder  et  de  les  faire  sortir  de 
leur  coquille  :  ensuite  vous  les  mettez  dans  de  l'eau  tiède.  Vous  faites 
bouillir  encore  d'autre  eau ,  dans  laquelle  vous  les  faites  dégorger  et 
blandùr  une  seconde  fois.  Après  le's  avoir  bien  égouttés  et  nettoyé», 
vous  passez  des  champignons ,  que  vous  mouillez  d*ean  et  de  bouilloo; 
vous  y  ajoutez  un  peu  de  vin  blanc  avec  du  sel  et  du  poivre.  Vousfatto 
bouillir  vos  escargots  jusqu'à  ce  qu'ils  soient  cuits  et  moelleux  ;  vous  y 
ajoutez  une  liaison  de  jaunes  d'œufs,  avec  du  persil  haché  et  un  pende 
muscade.  N'oubliez  pas,  en  finissant ,  d'exprimer  un  jus  decitroo*  oo 
|i<»ut  y  met  Ire  aussi  du  verjus  ou  du  vinaîg'-e. 


r 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  143 

fiSCA&GOtS   8IMVLÉ8. 

Dftns  la  s^^flon  où  l'on  ne  peut  se  procurer  des  escargots ,  oo  s'amuse 
t^nclqnefois  à  tromper  notre  sensnalité  par  un  simulacre  qui  n'est  pas 
■ans  agrément.  On  fait  une  excellente  farce  fine ,  soit  de  gi^ier,  soit  de 
poisson  ,  a^ec  fiAets  d'anchois  ^  muscade  ,  pondre  d'épices  fines ,  fines 
herbes ,  et  Saison  de  jaunes  d'<i^ufs.  On  a  des  coqtdlies  d'escargots  bien 
lavées  et  bien  chaudes.  On  remplit  chacune  d'elles  avec  la  farce ,  et  on 
les  sert  brûlaoler.  C'est  une  de  ces  tromperies  innocentes  que  la  cuisine 
pratique  quelquefois,  sur  lesquelles  un  gourmand  ne  prend  jamais  le 
change,  mais  dont  il  feint  Tolontiers  d'être  la  dupe,  pour  flatter  l'amour- 
propre  de  son  amphytrion.  Au  reste,  dans  le  cas  présent ,  bien  des  gens 
préfèrent  le  s'mulacre  à  la  réalité. 

JAMBONS    A    LA    BROCHE. 

tJn  jambon  à  la  broche  est  un  rôti  du  plus  grand  làxe ,  et  qui  ne  con- 
vient qa'à  des  tables  opulentes  ;  car  il  faut  qu'il  soit  de  Bayonne ,  trèc- 
gros ,  trèa-bien  choisi ,  etc.,  de  manière  que  ce  plat  revient ù  environ  dix 
écus.  C'est  aussi  cher  qu'une  belle  diode  aux  truffes  do  Périgord,  et 
cela  AûC  moios  d'Jiooneur  aux  yeux  du  vulgaire ,  qui  ne  voit  dans  uo 
Jambon  à  ia  bmche  qu'un  rôti  de  cochon  :  mais  les  vrais  gourmands  eu 
connaissent  si  bien  le  prix ,  que  c'est  la  plus  haute  marque  de  considé- 
ration qœ  l'on  puisse  leur  donner  que  de  les  inviter  à  venir  en  manger 
leur  part.  Nous  allons,  en  faveur  des  amphyt rions  qui  seraient  jaloux  de 
se  distinguer,  en  donner  ici  la  recette.  Heureux  ceux  qui  s'empresseront 
de  la  mettre  en  pratique  1 

Tons  preneE  un  excellent  jambon  de  Bayonne  nouveau ,  du  poids  de 
quinze  à  vingt  livrofe  :  vous  le  parez  par  dessous ,  et  le  laites  tremper 
pendant  deux  ou  trois  jours,  selon  sa  grosseur  «  afin  de  le  bien  dessaler. 
Si  voos  vonies  qu'il  soit  excellent ,  vous  le  faites  mariner  ensuite  pen> 
da«t  une  demi-joamée  dans  du  vin  d'Espagne.  Embit)chea-le ensuite  , 
et  le  couvrez  par-dessous  de  bardes  de  lard  ou  de  crépines.  Vous  le 
fastes  cuire  i  la  broche ,  à  petit  feu ,  pendant  six  heures^  et  même  da- 
vantage, s'il  est  gros.  .Vous  Tarrosez  cootiouellenent  avec  de  l'eau 
chaude  ,  que  vous  mettez  dans  la  lèchefrite  :  cela  fait  sortir  le  sel ,  en 
dilatant  les  pores,  au  lieu  qtte  le  vi  i,  en  les  resserrant ,  produirait  un 


■^    / 


i44  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

effet  contraire.  Lorsqu'il  est  presque  cuit ,  toqs  levez  la  couenne  et  lui 
faites  prendre  belle  couleur  ;  vous  le  parez  ensuite  légèrement  de  cha- 
pelure ou  de  mie  de  pain. 

Four  la  sauce,  vous  faites  réduire  le  vin  d'Espagne  dans  lequel  il  a 
mariné  ;  vous  y  joindrez  le  jus  qu'il  aura  rendu  au  sortir  de  la  broche f 
avec  l'expression  de  deux  jus  de  citron.  Dégraissez  et  servez  chaud.  On 
peut  aussi  le  servir  avec  une  sauce  pointue  »  manière  d'épigramme  qui 
se  trouve  être  du  gotit  de  tous  les  gourmands. 

Cet  aperçu  suffira  pour  convaincre  qu'un  tel  rôti  est  très-supérieor  à 
tous  ceux  que  la  boucherie ,  la  basse-cour,  le  poulailler,  les  forèti,  lef 
plaines ,  les  étangs  et  les  mers  pourraient  nous  offrir.  Heureux  celui  qui 
peut  une  fois  en  sa  vie  manger  un  jambon  à  la  broche  !  Il  n'a  plu  riea  i 
regretter  des  sensualités  de  ce  bas-monde. 

Souvenons-nous  qu'on  trouve  toute  l'année  des  jambons  de  Baynone 
de  première  qualité  dans  le  magasin  de  la  Truie  ^ui  file,  chez  M.  Gorcel- 
let ,  et  chez  madame  Chevet. 

ALOSE    GRILLÉE,    ET    FILETS    d'alOSE    AU    CtTROIV. 

C'est  .vers  le  temps  de  Pftques  que  les  aloses  arrivent  à  Paris.  Ce 
poisson  y  est  toujours  très-recherché.  Les  meilleures  se  prennent  dans  la 
Seine ,  et  surtout  à  Honfleur.  Celles  pèchées  dans  ces  parages  ont  an 
goût  de  noisette  parfait  et  une  saveur  éminemment  délicate.  Un  vni 
gourmand  ne  s'y  trompe  jamais.  C'est  un  poisson  excellent,  et  qui  pa- 
rait avec  honneur  sur  les  tables  les  plus  somptueuses. 

Ecaillez,  videz,  lavez,  ressuyez  bien  votre  alose,  et  ciselcz-la  des 
deux  côtés  ;  faites  fondre  du  beurre ,  et  la  retournez  dedans  avec  sel , 
poivre  et  quelques  feuilles  de  laurier.  Faites  griller  d'une  belle  coulear, 
mettez  dessous  une  bonne  farce  à  l'oseille,  ou  une  sauce  blanche,  avec 
cftpres  et  anchois  dedans  ;  mais  l'oseille  plaît  plus  généralement  ;  c'est 
le  lit  de  repos  qui  convient  le  mieux  aux  aloses. 

Pour  la  seconde  manière  de  l'apprêter,  ayez  des  lîlets  d'alose  àt 
Seine  levés  proprement;  faites-les  cuire  dans  du  bouillon,  vin  blanc, oo 
peu  d^huile ,  sel  et  fines  herbes ,  et  les  faites  ensuite  égoutter.  Mettes 
dans  une  casserole  deux  pains  de  beurre,  avec  sel,  poivre,  muscade  t 
trois  tranches  de  citron  ,  et  pu  peu  de  farine  délayée  avec  du  confi** 
Tournez  votre  sauce  sur  le  feu  ;  ôtez  ensuite  le  citron ,  et  le  presses  de- 
dans; servez  la  sauce  sur  vos  filets  avec  poivre  concassé. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  145 

Lorsque  Totrc  alose  est  cuite  comme  ci-deTant ,  toqs  poaTex  la  servir 
aTecd*aatres  sanccs,  toujours  un  peu  relevées.  Mais  nous  ne  cesserons 
de  répéter  que  grillées  et  sur  un  Ut  d'oseille ,  est  le  plus  bel  appareil 
qai  convienne  aux  aloses  :  lorsqu'elles  sont  d'une  taille  majestueuse ,  il 
s'est  point  en  cette  saison  de  relevé  plus  apparent. 

G.  D.  L.  B. 


POISSON  D'AVRIL. 

lu  :  Aa  soId  qae  je  prendi  de  ma  gloirs. 

GoHFLÉ  de  l'huile  de  Baleine,  (i) 
Mondor  ronfle  auprès  d'un  bon  feu. 
Dans  sa  mansarde  aérienne 
Dorlis  rime ,  gèle  et  dort  peu  : 
L'œil  pesant ,  la  bourse  légère , 
Épuisé  par  un  long  babil  ^ 
On  dirait  que  le  pauvre  hère     ) 
Se  nourrit  de  poissons  d'avril.  \  ^  ^'^ 

Paul ,  en  prenant  pour  femme  Elvirc , 
Déconcerte  plus  d'un  rival: 
Pressé  d'exhaler  son  délire  , 
If  s'esquive  au  milieu  du  bal. 
Le  lendemain  ,  baissant  l'oreille  , 
Paul  n'a  plus  transports  ni  babil  : 
11  crut  trouver  une  merveille  ; 
Il  n'a  pris  qu'un  poisson  d'avril. 

Notre  existence «st  un  problême; 
La  volupté  n'est  qu'un  éclair; 

(1)  Restaurateur  du  Rocher  de  Câncaie ,  chea  lequel  les  rédacteurs  du 
foumai  des  Gourmands  tenaient  leurs  séances  de  dégustation  le  ao  de 
chaqae  mois. 

10 


1 


,46  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS, 

C^  inonde  un  fragile  système, 
Et  l'amour  un  propos  en  Pair; 
La  gloire  est  une  ombre  légère , 
La  renommée  un  vain  babil  ; 
Le  bonheur  est  une  chimère , 
Et  Tespoir  un  poisson  d'avril. 


M.  G 


i^tmmm^mmm^tsimwtm^mmmmti^ei^^f^fni 


Mai. 


OU    LK    MOIS    FLEURI» 


Salut  ,  mois  du  plaisir,  des  fleurs  et  de  Tamour! 
Salut  y  mois  régénérateur  ,  réparateur  ,  inspirateur! 
mois  des  poètes  et  des  amans ,  de  Pespérance  et  de 
Tnppétit  »  mois  enfin  des  gourmands  et  des  belles  ! 

Quand  toute  la  nature,  en  habits  de  fête,  célèbre 
ton  glorieux  retour ,  nos  bouches  ouvertes  aux  dons  que 
tu  dispenses ,  seraient  elles  muettes  pour  ton  éloge? 
Non  ;  et  avant  que  le  berger ,  épiant  l'aurore ,  vînt  à  la 
porte  de  sa  maîtresse  dresser  le  mai  orné  de  prime?ère 
et  de  roses  ,  nous  attendions ,  le  verre  à  la  main  et  les 
pieds  sous  la  table ,  que  l'heure  de  minuit  signalât  U 
joyeuse  arrivée. 

L'astre  qui  te  ramène  est  celui  des  amans  ;  c'en  est 
assez  pour  avoir  droit  à  nos  hommages.  Nous  avons  fait 
notre  profession  de  foi ,  et  nous  voulons  que  les  Grâces 
président  à  nos  banquets.  Mais ,  ô  joli  mois  de  mai  !  leâ 


-t  /  ^ 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  147 

altribntioDS  sont  plus  grandes  et  plus  solides  que  ne  le 
croit  le  vulgaire  de  tes  adorateurs  ! 

Pour  lui ,  sous  ta  dirine  influeDce ,  tout  ce  qui  res- 
pire prend  un  nouvel  être  ;  tout  ce  qui  végète  s'anïme 
d'une  nouvelle  sève  ;  mais  pour  le  gourmand  ,  ta  puis- 
sance s'étend  sur  l'avenir,  et  tes  bienfaits  sont  universels  I 
Ces  oiseaux,  qui  soignent  leurs  couvées ,  préparent 
an  cuisinier ,  que  rebute  la  sécheresse  des  chairs  suran- 
nées ,  des  rôtis  plus  succulens ,  des  viandes  plus  jeunes , 
plus  délicates  ,  et  une  aboadauce  miraculeuse.  C'est 
pour  nos  tables  que  les  troupeaux  se  reproduisent , 
que  le  gibier  pullule ,  que  tout  aime ,  que  tout  s'agite  et 
fermente  dans  la  nature. 

Ces  arbres ,  couverts  de  fleurs ,  dans  quelques  mois 
fléchiront  sous  le  poids  de  leurs  fruits. 

Ces  champs  émaillés  et  verdoyans,  sont  les  mamelles 
de  la  mère  commune.  Cette  graminée ,  destinée  à  la 
itubsislance  de  ses  enfans ,  et  qui  la  courre  de  rîans  tapis 
de  verdure ,  s'élance  de  son  sein ,  comme  en  triomphe  , 
eotourée  de  coquelicots  ,  de  bleuets  et  de  mille  fleurs 
variées. 

Ces  prairies  émaillées  sont  la  table  succulente  où 
s'engraissent ,  en  ruminant ,  le  bœuf  de  Hollande ,  le 
veau  de  Pontoise  et  le  mouton  des  Ardennes.  L'herbe 
nouvelle  purifie  leur  sang ,  attendrit  leur  chair ,  et  iden- 
tifie ses  émanations  parfumées  à  leur  fumet  rafraîchi. 

Ces  animaux  pesans  ,  que  je  vois  bondir  j  '    ' 
dans  la  plaine, me  préparent  un  rois-beef 
filet  entrelardé. 


j48        le  gastronome  français. 

Je  sens ,  en  touchant  ces  fleurs  veloutées  ,  le  duTcl  de 
la  pêche  fondante  ,  dont  le  Ûom  seul  fait  venir  Teau  k 
la  bouche. 

En  voyant  pleurer  cette  vigne  de  Bourgogne  cl  de 
Champagne»  je  mêle  malgré  moi  des  larmes  de  plaisir  et 
de.  reconnaissance  à  ses  larmes  bienfaisantes  et  fécondes. 

Voyez  croître  à  vue  d'œil  dans  mon  potager  celle 
petite  forêt  ea  tutelle  ^  dont  l'épais  feuillage  ,  d'un  yert 
ckiîr  ,  est  mêlé  de  cosses  ébauchées  ,  de  fleui^s  épanouies , 
et  deptHS  déjà  bons  à  cueillir. 

Non  loin  l'asperge  apéritive  jaillit  du  sein  de  la  terre 
comme  un  obélisque  antique  au  milieu  des  déserts; 
son  cou  d'albâtre  porte  une  tête  violette  légèreioeiU 
nuancée  de  vert  ;  et  les  tendres  aspérités  qui  commen- 
cent à  poindre  avertissent  le  jardinier  vigilant  qu'il  est 
temps  de  la  cueillir. 

'  Pois  verts  savoureux  !  délicates  asperges  1  prémices 
du  dieu  des  jardins  !  délices  des  vrais  gourmands  I  tant 
que  votre  à*ègne  durera  ,  vou«  aurez  toujours  sur  nos 
tables  la  place  d'honneur!  Soit  comme  principal  »  soit 
comme  accessoire  ,  vous  devez  briller  en  entrées,  en 
entremets ,  et  même  en  potages.  Point  de  service  friand 
sans  petits  pois  dans  leur  primeur,  et  sans  asperges 
naissantes;  point  de  ragoût  distingué  sans  une  ample 
litière  de  ces  deux  légumes  savoureux  ;  point  de  potage 
printanier  dont  ils  ne  colorent  le  bouillon  (i). 

(i)  Recette  pour  eonterver  let  petits  poU  :  11  faut  les  cueillir  vnxni  k 
lever  du  soleil,  les  écosser  aussitôt,  choisir  les  plus  tendres,  les  jeter 
dans  Teau  bouillante,  et  les  retirer  après  le  premier  bouillon  :  lc«  pt»*cr 


V. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  149 

Les  salades  appétissantes ,  les  fruits  et  les  légumes  pré- 
coces disputent  aux  pois  verts  et  aux  asperges  la  gloire 
d^arriver  avec  le  mois  de  mai.  Chacun  veut  payer  à  ce 
bienfaiteur  un  juste  tribut  de  fertilité. 

C'est  dans  ce  mois  que  végètent  et  s'exhalent  tous 
ces  parfums  viviGans ,  parties  intégrantes  des  meilleures 
sauces  ,  assaisonnement  essentiel  de  nos  mets ,  et  dont 
la  savante  dispensation  fait  le  plus  long  chapitre  de  la 
science  du  cuisinier.  Ces  aromates  se  mêlent  Ieiu  laitage 
et  au  beurre  qui  se  vend  dans  çet|e  saison  privilégiée  ; 
et  c*est  le  parfum  des  fleurs  odoriférantes  que  l'on 
mange  sous  la  forme  d'une  sauce  blanche ,  d'une  crème 
ibuettée  et  d'une  omelette  aux  herbes. 

Les  voluptueuses  productions  de  mai  ne  nuisent  pas 
aux  jouissances  habituelles  du  gourmand  :  ht  volaille  est 
toujours  abondante;  Tagneauest  plus  tendre  et  plus  par- 
fumé ,  le  pigeon  multiplie  rapidement;  et  c'est  avec  le 
pigeonneau  que  le  petit  pois  contracte  l'union  la  plus 
heureuse.  Peu  d'entrées  peuvent  être  comparées  à  celle- 
ci  •  et  le  pigeonneau  le  sait  si  bien ,  qu'il  attend  juste  le 
retour  du  petit  pois  pour  être  dans  toute  sa  bonté.  Co- 


à  l'eau  froide  9  puis  les  égoutter  sur  un  liage ,  les  éparpiller  et  élcudic 
sur  an  grand  Umû},  sous  lequel  on  met  de  la  cendic  chaude  pendant 
six  heures, en  les  remuant  souvent. 

On  peut  également  se  seivir  du  dessus  d'un  four  cliaud. 
Après  cetfe  pi-éparalion  on  met  les  petits  pois  dans  un  lieu  sec  ,  el  ils 
coaservent  «  dans  le  sac  ou  dans  la  bouteille,  leur  verdeur  el  leur  «avcur 
jUMqn'à  1  hiver.  Us  ramènent  ainsi  mai  en  décembre ,  et  arii\ent  tivaot 
mars  en  oaréme. 


i5o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

quetterie  bien  innocente  que  Ton  pardonne  aisément  à 
l'héritier  présomptif  do  l'oiseau  de  Yénus  ! 

Les  poissons  de  toute  espèce  franchissent  les  rivages 
des  mers  ,  des  fleuves  et  des  rivières.  L'alose  et  le  aia- 
quereau  sont  particulièrement  tributaires  du  mois  de 
mai.  On  trouve  à  la  halle  de  gros  limaçons  en  co- 
quilles ,  et  des  grenouilles  que  l'on  fait  frire  comme  des 
membres  de  poulet. 

Mais  tout  parait  fade  lorsqu'on  a  goûté  l'herbe  printa- 
nière.  Le  radis  pourpré  met  en  appétit  dès  le  matin  ;  et 
la  fraise  des  bois ,  qui  parait  vers  la  fin  du  mois ,-  laisse 
encore  des  désirs  en  sortant  de  dtner. 

Le  mois  de  mai  est  le  mois  de  la  gourmandise  et  des 
amours  :  tout  croit»  tout  régénère  pour  le  plaisir  de  nos 
palais  y  autant  que  pour  la  joie  de  nos  cœurs.  On  y  jouit 
même  de  ce  qu'on  n'y  mange  pas;  on  a  l'avant-goût  de 
l'espérance. 


Petits  oiseaux  devieudrorit  gros , 
Petits  poissons  deviendront  grands 
Porcs  et  moutons  engraisseront. 


Laissons  donc  tous  les  animaux  célébrer  leurs  noces; 
nous  n'y  perdrons  rien  :  c'est  pour  nous  qu'ils  s'aiment , 
et  nous  avons  de  quoi  nous  dédommager  en  attendant. 

Pour  remplir  les  intentions  *de  la  Providence ,  nous 
resterons  pendant  le  mois  une  demi -heure  de  moins  k 
table  y  et  une  heure  de  plus  auprès  de  nos  belles. 

Gastbriiank. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i5i 


ai ,  ou  fe  SSvou  concUmfenr. 


Si  i'épithète  de  conciliateur  convient  spécialement  l\ 
Vun  des  douze  mois  de  l'année,* il  nous  sera  facile  de 
proii?er  que  celui  de  mai  la  mérite  plus  que  tous  les 
autres.  Le  mois  de  janvier  pourrait  seul  la  lui  disputer, 
parce  que ,  renfermant  le  jour  de  l'an ,  il  est  l'époque  de 
cette  amnistie  de  convention  sous  l'égide  de  laquelle  les 
parens  divisés  se  revoient ,  et  les  amis  brouillés  dinent 
ensemble.  Mais  ces  rapprochemens  tiennent  plutôt  «^ 
l'éliquclie  qu'à  la  nature;  ils  sont  ordonnés  par  l'usage , 
les  convenances  et  le  respect  humain ,  beaucoup  plus 
que  par  l'inclination,  l'aiTection  et  lessentimens  tendres: 
aussi  voit-on  souvent  les  personnes  qui  se  sont  raccom- 
modées à  la  Circoncision ,  se  trouver  brouillées  de  nou- 
veau avant  le  Mercredi  des  Cendres. 

Les  rapatriages  qui  se  fout  dans  le  mois  de  mai  sont 
beaucoup  plus  sincèi*es  que  les  autres ,  parce  que  c'est 
ordinairement  la  nature  qui  en  fait  les  premiers  frais.  lU 
sont  par  conséquent  aussi  plus  vifs  et  plus  durables,  car 
la  politesse  et  le  respect  humain  n'y  ont  presque  jamais 
de  part  :  c'est  donc  le  mois  où  les  amans  montrent  le 
plus  de  tendresse ,  les  maris  le  plus  de  ferveur ,  et  les 
parens  le  moins  d'animosité. 

C'est  aussi  celui  où  l'appétit  des  gourmands  se  réveille, 
,  el  reprend  en  quelque  sorte  une  nouvelle  existence.  Ils 


i54  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

croire  que  les  artistes  sortis  de  celte  grande  école  (i)^ 
n'ont  pas  perdu  le  secret  du  maître.  Puisse  ce  feu  sacré 
ne  jamais  s'éteindre  ! 

Quoique  l'on  mange  à  Paris  des  pigeons  pendant 
presque  toute  l'année ,  c'est  au  mois  de  mai  que  les  pi- 
geonneaux sont  le  plus  tendres  et  le  plus  délicats  ;  et 
l'on  peut  dire  qu'ils  contribuent  pour  leur  part  à  lui 
mériter  le  nom  de  conciliateur.  Le  pigeon,  d'un  tempé- 
rament ardent ,  et  vrai  modèle  d'amour  et  de  fidéUté , 
offre  une  viande  chaude  et  même  aphrodisiaque;  aussi 
est-il  aimé  généralement.  Une  compote  de  pigeons  aux 
petits  pois  est  l'une  des  entrées  les  plus  agréables  qu'on 
puisse  offrir  dans  cette  saison;  et  il  y  a  peu  d'inimitiés 
qui  tiennent  au  plaisir  de  se  rassembler  autour  d'elle. 
De  jeunes  pigeons  à  la  broche  »  entourés  de  feuilles  de 
vigne ,  présentent  un  rôti  très-délicat ,  et  d'autant  plus 
recherché ,  que  le  gibier  a  fait  divorce  avec  nous  pour 
un  assez  long  temps  encore. 

(i)  L'école  de  Réchaud  et  l'école  de  Morilliou  sont  ea  cuisloe  ce  que 
sont  en  peinture  celles  d.'^  Raphaël  et  de  RuI  ens.  Nous  croyons  que 
M*  Lasne,  qui  fut  long-temps  le  chef  de  cuisine  de  M.  Grimod  de  la 
Reynière  ,  et  qui  remplit  aujourdhui,  avec  an  rare  talent,  les  honora- 
bles fonctions  de  contrôleur  de  la  bouche  du  roi ,  est  sorti  de  l'école  de 
Morillion.  L'illustre  M.  Balaine  est  de  l'école  de  Réchaud. 

(  Note  eommurwfuéé.  ) 
L'art  du  cuisinier  n'est  pas  aussi  facile  que  l'on  pouri*sit  le  penser, 
surtout  loisqu'il  vmut  s'en  occuper  exclusivement.  Un  grand  cuisinier  , 
par  exemple ,  ne  doit  point  se  livrer  à  la  pâtisseiie ,  dans  laquelle  il  ne 
pourrait  jamais  être  que  médiocre.  Les  fourneaux  réclament  toute  sonaC- 
tentiou.  La  vie  de  l'homme  est  trop  courte,  pour  lui  permettre  d'être  tout 
ensemble  grand  dans  le  four,  grand  sur  les  fourneaux  et  grand  à  la  broche. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i55 

Le  mois  de  mat  est  le  premier  des  mois  sans  r ,  et 
Ton  cessait  de  manger  des  huîtres  à  Paris  depuis  son 
apparition  jusqu'au  3i  d*août;  mais,  grâce  à  M.  Ba- 
laine ,  on  ne  connaît  plus  cette  distinction  ;  et  les  gour- 
mands sont  sûrs  de  manger  maintenant  au  Rocher  de 
Gancale,  pendant  tout  l'été,  des  huîtres  presqu'aussi 
bonnes  qu'en  hiver.  Par  les  soins  de  ce  graad  artiste  les 
mois  sans  r  ont  tout-à-fait  disparu  du  calendrier  gour- 
mand (i). 

Il  résulte  de  ces  diverses  observations  que ,  quoique 
l'été  soit  en  général  moins  favorable  à  la  bonne  chère 
que  les  autres  saisons  de  l'année ,  les  gourmands  trou- 
vent dans  le  mois  qui  le  précède  des  jouissances  dignes 
d'eux;  que,  grâce  aux  asperges,  sur  les  qualités  des- 
quelles nous  aurions  pu  nous  étendre  avec  d'autant  plus 
de  plaisir  qu'elles  sont  reconnues  comme  l'un  des  légu- 
mes les  plus  aphrodisiaques ,  aux  petits  pois ,  et  surtout 
aux  maquereaux^  le  mois  de  mai  mérite  plus  que  tous  les 
autres  Pépithèle  de  mois  conciliateur.  C'est  ce  que  nous 
avons  cherché  à  prouver  en  peu  de  mots;  et  c'est  ce 
qui  deviendrait  le  sujet  d'une  dissertation  très-étendue, 
si  les  bornes  de  cet  ouvrage  nous  permettaient  d'en- 
nuyer longuement  et  doctement  nos  lecteurs. 

» 

G.  D.  L.  R. 


(i)  M.  fialaîne  a  cédé  sa  maison  depuis  la  publication  de  cet  article 
fiaos  le  Journal  des  Gourmandi.  Nous  ne  pensons  pas  qu'il  ait  entière- 
ment cédé  son  secret,  non-seulement  pour  la  conservation  des  huîtres, 
mais  encore  pour  rezcelleoce  de  sa  cuisine  et  la  bonté  de  sa  cave. 


i66  LE  GASTROiNOME  FRANÇAIS. 


inns  fa  Bien  vcnnt. 


Depuis  que  l'esprit  humain  a  réglé  les  pas  du  Temps , 
et  que  Yéous>Uranie  a  distribué  les  saisons ,  le  mois  de. 
mai  est  consacré  h  la  mère  des  Amours.  Les  gourmands 
sont  religieux  observateurs  de  cette  pratique  immémo- 
riale ,  et  leurs  repas  ne  se  terminent  jamais  sans  sacri- 
fice aux  Grâces  et  sans  invocation  aux  belles. 

Si  Momus  ,  apériteur  de  leurs  banquets  ,  daigna  ap- 
prêter leurs  poissons  d'avril ,  la  déesse  de  Gnidc  ne  dé- 
daignera point  de  les  aider  à  planter  le  mai  et  à  vider  la 
coupe  printanière  r  nos  joyeux  ébats  ne  sauraient  efla- 
roucher  cette  reine  des  ris  et  des  plaisirs;  partout  où  Ton 
est  heureux,  aimable,  et  de  bon  appétit,  elle  est  toujours 
bien  venue ,  et  sa  place  est  à  table  h  l'heure  du  dfner , 
de  même  que  sur  la  mousse ,  le  duvet  ou  le  gazon,  à 
l'heure  du  berger.  Vénus  sera  donc  dans  ce  mois  notre 
président  et  notre  convive  ;  nous  saurons ,  fidèles  h  nos 
principes  ,  redoubler  notre  galanterie,  et  soutenir  notre 
gaîté. 

Le  mois  de  mai  est  sous  l'influence  des  Gémeaux,  el 
semble  h  ce  titre  nous  inviter  à  l'amitié ,  comme  il  in  vile 
toute  la  nature  à  la  reproduction  ;  c'est  le  temps  de  l'année 
où  l'on  est  le  plus  enclin  h  la  tendresse ,  à  la  franchise , 
aux  épnnchcmens  de  cœur;  et  sous  ce  point  de  vue  il 
recommande  encore  les  plaisirs  de  la  table,  où ,  le  verre 
il  la  main  et  le   rire  sur  les  lèvres ,  on  s'aime  mieuxr, 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  157 

ion  se  conTienl  davautage  »  on  est  plus  porlé  à  l^indul- 
gence ,  plus  content  des  autres  et  de  soi. 

L'amant  qui  sort  d'un  festin  où  il  a  fait  une  balle 
de  deux  heures  «  est  assuré  de  recevoir  desa^belle  un 
accueil  encourageant ,  parce  qu'il  est  assuré  de  revenir 
plus  aimable  ,  plus  entreprenant  »  et  avec  un  meilleur 
visage  ;  l'espérance ,  voltigeant  parmi  les  flacons ,  lui  a 
souri  pendant  tout  le  repas,  et  son  cœur  pétille  au  des-^ 
sert  comme  la  mousse  du  Champagne.  Peut-on  refuser 
un  sourire  à  son  hilarité ,  un  baiser  à  sa  ferveur ,  une 
faveur  à  son  audace?  Quel  amant  fut  jamais  rebuté 
quand  ,  les  yeux  enflammés  du  double  feu  de  Bacchus 
et  de  Cythérée  ,  il  rapporte  un  front  épanoui  de  la  joie 
des  festins  ? 

Si  les  perdrix  s'accouplent  et  sont  respectées  du  chas- 
seur,  les  pigeons  se  mangent  sans  interruption;  la  vo- 
laille t  le  bœuf  et  l'agneau  sont  toujours  abondans  ;  la 
saveur  des  petits  pois  et  des  asperges  relève  les  chairs  ' 
les  plus  insipides  ,  et  tous  les  légumes  printaniers  ren- 
dent avec  usure  les  esprits  vitaux  que  dissipe  l'influence 
amoureuse  de  la  saison. 

Les  fleurs  et  la  rosée  ouvrent  tous  les  sens  à  l'ap- 
pétit :  l'odorat  triture  les  parfums  dont  l'air  est  embau- 
mé;  les  pores  pompent  la  fraîcheur  du  soir,  et  se  dila- 
tent pour  en  respirer  davantage;  l'oreille  se  remplit  du 
chant  de  l'alouette  et  de  la  caille  matinales  »  qui  s'en- 
graissent avec  soin  pour  Tarrière  saison;  l'œil  contemple 
les  jardins  brillans  de  verdure  et  les  arbres  couverts  de 
flears;  la  main  palpe  déjà  le  fruit  précoce  qui  s'ar- 


,  i 


i58  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

rondit ,  et  les  lèyres  pressent  le  corail  flexible  de  la  fraise 
des  bois  que  le  soleil  de  mai  fait  éclore  avant  tous  les 
dons  de  Pomone. 

Ainsi  le  gourmand  épicurien  jouit  à  la  fois  par  tous'ies 
sens ,  et  le  peu  qu'il  perd  en  réalité  est  compensé  par  l'im- 
mensité des  espérances  qui  nourrissent  son  imagination. 

Glttophon. 


LE  MOIS  DE  MAL 

AIR  :  Vnti  jfune  brrgèrr . 

Du  mois  chéri  des  Gracc;» 
Je  chante  le  retour; 
Mai  les  Toit  sur  ses  traces 
Entre  Flore  et  PAmour. 
Quoique  trop  passagères , 
Gélébrons  ses  fiiYcurs  : 
Il  donne  des  fleurs  aux  bergères , 
Aux  gourmands  des  primeurs. 

Ses  fraises,  son  laitage, 
Sous  un  dais  de  lilas, 
Ont  su  dans  mon  jeune  âge 
M'offrir  de  doux  repas. 
Pour  ce  banquet  aimable 
Le  gazon  s'embellit, 
Quand  Gomus  en  a  fait  sa  table , 
L*Amour  en  fait  son  lit. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  169 

Aux  bois  de  Romaînyille 
VoloDS  aTec  Zéphir  ; 
Dans  ce  riant  asile 
Mai  fixe  le  plaisir* 

D'Ëden  c'est  la  peinture* 

Mais  dans  ce  lieu  charmant , 
Belles»  craignez  sous  la  verdure 
De  trouver  le  serpent. 

Faut-il  que  ta  magie , 
0  le  plus  beau  des  mois  I 
Ne  redonne  la  vie 
Qu'à  nos  prés ,  à  nos  bois  ! 
Sers  les  tendres  amantes. 
Sers  les  joyeux  gourmands  : 
La  vigueur  que  tu  rends  aux  plantes, 
yiens  la  rendre  à  nos  sens. 

Ph.  de  là  Madelaine, 

Alors  âgé  de  80  ans. 


t^eon^. 


Chbbs  aux  belles  comme  aux  gourmands ,  les  pigeons 
sont  de  tous  les  oiseaux  l'espèce  la  plus  favorisée  des 
dieux  et  la  plus  honorée  des  hommes.  Le  paon  est  con- 
sacré à  Junon ,  le  hibou  à  Minerve ,  l'aigle  au  grand  Ju- 
piter; mais  la  colombe  est  l'oiseau  de  Vénus.  C'est  elle 
qui  roucoule  amoureusement  sur  les  genoux  de  la  déesse; 


1 


i6o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

c'est  elle  dont  l'aîlc  C9ressante  dirige  le  zéphir  qui  agite 
ses  cheveux  ;  dont  la  gorge ,  nuancée  d'émeraudes  et  de 
rubis ,  recueille  la  (leur  des  baisers  qui  s'échappent  des 
lèvres  de  la  beauté;  c'est  la  colombe  enfin  qui  tire  le 
char  aérien  établi  par  les  poètes  sur  la  route  de  Cythère. 

Fidèle  à  sa  destination ,  la  colombe  messagère  est  la 
confidente  discrète  des  mystères  galans ,  et  la  courrière 
rapide  des  amans  éloignés  l'un  de  l'autre.  Que  de  titres 
à  notre  reconnaissance ,  à  notre  admiration ,  à  nos  hom- 
mages !  Le  pigeon  est  non-seulement  un  oiseau  sacré , 
mais  le  plus  sacré  des  oiseaux. 

S'il  est  célèbre  dans  les  fastes  de  Gnide ,  sa  gloire  est 
encore  plus  grande  dans  les  annales  de  la  cuisine,  et  son 
mérite  avoué  des  amans ,  est  proclamé  par  toute  la  terre 
gourmande. 

On  mange  des  pigeons  pendant  presque  toute  l'an- 
née f  tant  cet  animal  6e  complaît  dans  ses  amours ,  mais 
on  trouve  dans  tous  les  temps  des  pigeons  de  volière ,  et 
c'est  sans  doute  pour  cette  raison  qu'en  général  on  y 
fait  peu  d'attention. 

Selon  nous ,  les  personnes  qui  se  rendent  coupables 
tl'une  telle  indifférence  font  preuve  de  mauvais  goût, 
ou  ignorent  sans  doute  que  rien  n'est  comparable  à  un 
pigeonneau  sortant  d'avec  sa  mère ,  et  que  l'on  fait  cuire 
à  la  broche,  entouré  d'une  mince  barde  de  lard  et  d'une 
feuille  .de  vigne. 

Ces  tendres  innocens  sont  surtout  préférables  en  ayriL 
mai  et  juin»  h  cause  de  l'absence  du  gibier  et  de  la 
volaille  qui,   ne  faisant  pas  l'amour  en  tout  temps ^ 


i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  161 

choisissent  cette  époque  pour  se  repeupler.  Il  n'a  alors 
de  concurrent  pour  le  rôti  que  le  leyreau  de  janvier  et 
le  poulet  nouveau. 

Le  pigeon  biset,  quoique  inférieur  au  pigeon  de  va- 
litre  y  n'est  pas  moins  digne  de  nos  hommages  ;  mais  il 
est  préférable  en  août  et  en  septembre ,  époque  oir , 

A  peine  du  soleil  essayant  la  lumière , 

il  participe  aux  fêtes  de  Cérès  autant  que  son  fige  peut 
le  lui  permettre ,  s'arrondit  dans  ses  champs  »  et  parait 
sur  nos  tables  plus  digne  de  nous  et  de  lui. 

Les  pigeons  sont  en  général  susceptibles  de  plusieurs 
métamorphoses  :  outre  qu'on  les  met  à  la  broche ,  on 
en  fait  des  filets,  des  côtelettes;  on  les  poéle,  on  les 
met  aux  pointes  d'asperges»  aux  petits  pois»  à  la  crapau- 
dine»  en  compote»  etc.  Nous  allons  donner  deux  ma* 
nières  de  les  apprêter. 

PIGEONS    A    LA    CftAPAUDINE. 

Ayez  trois  beaux  pigeons  (de  rolière  de  préférence)  ;  Tidez-les,  con- 
pez-Ienr  les  pattes ,  troussez-leur  les  cuisses  en  dedans  du  corps  »  et 
flambez-les  bien  légèrement.  Lerea  ensuite  tonte  la  chair  de  l'estomac» 
en  commençant  par  le  bout  du  brichet  »  jusque  près  des  ailes;  tenea-lc 
onTcrt ,  et  applatissez  légèrement  tos  pigeons  avec  le  couperet.  Faites 
fondre  un  peu  de  beurre  dans  une  casserole;  mettez-y  sel»  poivre; 
trempez-y  vos  pigeons ,  et  jetez-les  ensuite  dans  de  la  mie  de  pain  :  lors- 
qu'ils seront  bien  panés ,  mettez-les  sur  le  gril  du  côté  de  l'estomac  ; 
faites*les  cuire  sur  un  feu  doux ,  afin  que  la  mie  de  pain  ne  brûle  pas , 
et  lorsqu'ils  seront  cuits,  dressez-les  sur  le  plat ,  en  mettant  dessous  une 
petite  saoce  à  l'échalote  faite  ainsi  qn'il  snit  : 

I  1 


i63  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Ayez  cinq  ktkx  gousses  d'échalotes  >  hachez-les  bien  meDu  ,  mettez- 
les  dans  uoe  casserole  avec  sel ,  poivre ,  deux  caillerées  âi  bouche  de 
vinaigre 9  et  faites  cuire  tout  doucement;  quand  la  sauce  sera  imite, 
ajoutez-y  trois  ou  quatre  cuillerées  à  ragoût  de  jus  ;  faites  faire  encore 
no  bouillon  «  puis  mettez-la  sous  les  pigeons.  Servez  chaud. 

PIGEONS    EN    COMPOTTE. 

Ayez  de  même  trois  beaux  pigeons  ;  videz-les ,  flambez-les ,  trcmsses 
les  pattes  en  dedans,  et  bridez-les  si  vous  voulez,  car  cela  n'est  pas  bien 
nécessaire;  mettez  ensuite  un. morceau  de  beurre  dans  une  casserole, 
une  cuillerée  à  bouche  de  farine ,  et  faites  un  roux  :  lorsqu'il  ser^  bien 
blond,  jetez-y  une  demi-livre  de  petit  lard  coupé  en  morceaux,  pois 
vos  pigeons;  faites  bien  revenir  le  tout  dans  votre  roux;  mouillez  avec  du 
bouillon  ;  (ne  mettez  pu  de  sel  à  cause  du  petit  lard)  ;  ajoutes  un  peu 
de  poivre ,  un  bouquet  garni  de  persil,  ciboule,  thym ,  laurier,  deux 
clous  de  gii-ofle;  ajootei-y  quelques  champignons.  Écumez  votre  ragoût 
lorsqu'il  commencera  k  bouillir  (époque  où  vos  pigeons  sont  à  moitié 
cuits)  ;  ayez  des  petits  oignons  bien  épluchés ,  passez-les  dans  du 
beurre,  si  vous  voulez,  jusqu'à  ce  qu'ils  soient  bien  blonds  ;  égouttet- 
les,  et  jetes-les  dans  votre  ragoût.  Quand  vos  pigeons  seront  cuits,  dres- 
sez-les sur  nn  plat ,  ôtez  le  bouquet ,  dégraissez  bien  votre  sauce ,  ayez 
soin  qu'elle  ne  soit  pas  trop  longue  ;  mettez  votre  ragoût  par-dessus  vos 
pigeons ,  et  servez. 

G..  G.etB. 


Min, 


OB    LB   MOIS   AGCiL&BATEUB. 


Si  ,  comme  nous  croyons  l'avoir  démontré ,  le  mois 
de  mai  est  le  mois  le  plus  conciliateur  de  Tannée  »  il 
nous  sera  tout  aussi  facile  de  prouver  aujourd'hui  que 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i65 

Tépithète  de  mois  accélérateur  appartient  tout  aussi  in- 
contestablement à  celui  de  juin,  le  seul  qui  participe 
tout  à  la  fois  du  printemps  et  de  l'été. 

Nous  remarquerons  d'abord  que  ce  mois  est  l'un  des 
plus  importans  de  l'année»  parce  que»  selon  sa  tempéra- 
ture ,  il  confirme  ou  détruit  les  belles  espérances  que  le 
mois  de  mai  donne  presque  toujours.  On  peut  comparer 
le  mois  demai  à  l'un  de  ces  discoureurs  agréables»  dont  la 
langue  dorée  promet  toujours  monts  et  merveilles»  et  qui 
plaisent  d'autant  plus  généralement  »  qu'ils  connaissent 
et  pratiquent  l'art  de  flatter  les  passions  et  de  faire  naî- 
tre l'espoir.  Juin  fait  moins  de  fracas;  il  s'annonce  arec 
moins  d'appareil;  il  travaille  en  ^lence»  et  d'une  ma- 
oière  plus  obscure;  mais  il  tient  dans  ses  mains  la  des- 
tinée des  gourmands  »  et  l'on  peut  dire  qu'il  dispose 
en  souTerain  maître  de  la  gloire  de  nos  tables  »  sur- 
tout de  celle  de  nos  entremets  et  de  nos  desserts. 

En  effet ,  mai  aura  eu  beau  s'annoncer  avec  orgueil  » 
couTTÛT  nos  potagers  et  nos  vergers  de  sa  verdure  écla- 
tante» nous  prodiguer  le  parfum  de  ses  fleurs»  et  ré* 
jouir  nos  yeux  enchantés  par  leurs  couleurs  variées  ; 
c'est  en  vain  qu'il  aura  enivré  nos  sens  »  et  même  qu'il 
aura  fait  partager  à  nos  âmes  les  plus  douces  émotions; 
il  n'en  parviendra  rien  dans  nos  cuisines  »  pour  peu  que 
juin  se  montre  froid ,  sévè;re  et  récalcitrant.  Alors  ces 
fleurs»  nos  plus  chères  espérances  »  tomberont»  et  avec 
elles  les  fruits  qu'elles  recelaient  dans  leur  sein.  Ces 
petits  pois  si  délicats  se  flétriront  dans  leurs  molles  en- 
veloppes ;  il  en  sera  de  même  des  jolies  petites  fèves  de 


i64  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

marais,  des  haricoU  verts  »  de  Tartichaut  au  port  ma- 
jestueux ,  et  de  cette  foule  d'autres  légumes ,  dont  Ta- 
bondance  faft  notre  prospérité ,  que  la  nature  nous  pro- 
digue à  l'époque  de  l'année  où  le  gibier  est  le  plus  rare, 
où  notre  intérêt  même  nous  fait  un  devoir  de  respecter 
la  volaille,  et  où  nous  éprouvons  le  moins  de  plaisir 
à  nous  repattre  de  ces  aloyaux  succulens  et  de  ces  gigots 
diluviens  (i)  que  nous  engloutirons  avec  tant  de  yo- 
lopté  ,  cet  hiver,  dans  le^  cavités  de  ces  estomacs  éla- 
borateurs  que  Dieu  conserve  pour  la  plus  grande  gloire 
du  premier  des  arts. 

Le  mois  de  juin  est  donc  le  pivot  sur  lequel  roule  en 
quelque  sorte  toute  l'année  gourmande;  car  non  seu- 
lement il  décide  du  sort  des  légumes  et  des  fruits, 
mais  c'est  aussi  de  lui  que  dépendent  les  pâturages  et 
les  grains,  et  par  conséquent  la  boucherie  et  la  vallée. 
Ce  n'est  que  par  une  chaleur  douce  et  tempérée ,  par 
des  pluies  chaudes  et  intermittentes  que  la  végétation 
prospère  dans  ce  mois ,  et  communique  à  toutes  les 
productions  de  la  terre  cette  sève  vivifiante  sans  laquelle 
rien  ne  croit ,  et  qui  mérite  à  ce  mois  plus  qu'à  tout 
autre  le  nom  d'accélérateur. 

C'est  au  mois  de  juin  que  parait  le  coq  vierge.  Ce 

(i)  Pour  qu'un  g^t  8oU  Traiment  digne  d'entrer  dans  le  palais  d'un 
gourmand ,  il  faut  qu^après  avoir  été  bien  choisi  et  convenablemeot 
mortifié  ,  il  ne  fasse -qu*un  très-court  séjour  à  la  broche ,  derant  un  feu 
ardent  qui  le  saisisse  sans  le  dessécher  :  alors ,  dès  qu*on  en  divise  les 
tranches ,  il  rend  une  telle  quantité  de  jus,  qu'il  en  résulte  sur  la  table 
une  Téritable  inondation  ;  c'est  ce  qui  a  fait  donner  4  ces  indicil>fes 
gigpts  Tépithète  de  diluviens. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i65 

jeune  célibataire  doit  à  sa  continence  un  goût  et  un 
parfum  qui  le  distinguent  émioemment  de  son  oncle  le 
chapon ,  l'Abailard  de  nos  basses-  cours ,  qui  a  renoncé 
malgré  lui  aux  plus  douces  jouissances  de  ce  bas-monde 
pour  accroître  les  nôtres.  Le  coq»  qui  serait  dur,  s'il  n'é- 
tait pas  vierge ,  est  »  dans  cet  état ,  un  manger  d'autant 
plus  recherché ,  qu'il  est  puissamment  aphrodisiaque. 

C'est  du  pays  de  Caux  que  viennent  les  meilleurs  ;  on 
les  mange  à  la  broche  et  simplement  bardés;  ce  serait 
les  offenser  que  de  les  piquer»  et  les  déshonorer  que  de  les 
mettre  en  ragoût  ;  mais  ce  rôti  superhe  et  régénérateur 
apparaît  trop  rarement  sur  nos  tables  »  car  un  coq  vierge 
est  presque  aussi  difficile  à  trouver  qu'une  rosière.. 

Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  les  gourmands  que  la- 
température  du  mois  de  juin  intéresse;  les  vinographes 
en  suivent  les  variations  avec  une  attention  peut-être  plu» 
grande  encore.  C'est  dans  ce  mois  que  fleurit  la  vigne»,  et 
cette  fleur  décide  presque  toujours  du  sort  jde  la  ven-> 
dange.Si  elle  est  belle»  en  grand  nombre  »el*'qu'ellese  sou-^ 
tienne  bien  »  le  doux  jus  de  la  treille  coulera  à  grands 
flots  de  nos  pressoirs  dans  nos  celliers»  et  les  régisseurs 
des  aides(i)  partageront  la  joie  des  buveurs;  à  moins  que 
des  pluies  intempestives  »  ea  faisant  couler  la  vigne  »  ne 
nous  forcent  tous  de  mettre  de  l'eau  dans  notre  vin. 
Mais  cette  calamité  est  heureusement  très-rare. 

C'est  vers  la  fin  de  ce  mois  que  les  fraises  et  les  ce- 
cîses  arrivent  h  Paris  en  assez  grande  abondance  pour  se 

* 

(i)  Les  préposés  aux  droits  réunis. 


]66  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

t' 

trouver  à  la  portée  de  presque  tous  les  consommateurs. 
Ou  peut  même  assurer  que  ce  n*est  qu'à  cette  époque 
qu'elles  commencent  à  être  réellement  bonnes.  N'en- 
vions point  aux  riches  fastueux  l'ayantage  des  primeurs; 
elles  n'offrent  dans  tous  les  genres  que  des  jouissances 
insipides ,  et  sont  bien  plus  du  ressort  de  la  vanité  que 
de  celui  du  goût.  Tous  ces  phénomènes  de  serres  chaudes 
font  une  triste  figure  sur  les  tables  aux  yeux  d'un  gour- 
mand. Les  légumes  etlesfruit,s  précoces  sont  sans  saveur, 
sans  couleur  et  sans  parfum  :  on  dirait  que  la  nature  se 
venge  de  ce  que  l'art  a  prétendu  faire  croître  sans  son 
secours ,  et  pour  ainsi  dire  malgré  elle ,  les  productions 
de  la  terre.  Le  sot  orgueil  peut  seul  se  réjouir  de  sem- 
blables conquêtes;  le  vrai  connaisseur  s'en  afflige,  et 
plaint  l'homme  vaniteux  qui  prodigue  l'or  et  le  fumier 
pour  servir  des  mets  insipides^  Il  est  prouvé  que  les 
pois  sont  beaucoup  meilleurs  à  dix  sous  qu'à  cent  écus, 
et  les  cerises  et  les  fraises  bien  plus  parfumées  lors- 
qu'elles abondent  à  la  Halle  que  lorsqu'il  faut  les  arra- 
cher aux  serres  chaudes. 

Laissons  donc  &ire  le  mois  de  juin  ;  il  accélérera  nos 
jouissances  sans  les  trop  hâter;  et  celles  qu'il  nous  pro-* 
met  seront  d'autant  plus  vives ,  que  nous  ne  les  devrons 
qu'à  la  nature. 

G.  Dt  Li  R.  > 


4 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  167 


mns  y  ^^buu  be  f  ^^tnonr. 


ApBkft  aToir  dédié  nos  banquets  au  père  de  ia  Joie  et 
à  la  mère  des  Amours ,  nous  devons  un  hommage  à  For- 
donnateur  des  festins  célestes ,  au  génie  de  ia  cuisine ,  à 
Cornus, 

Ce  dieu  jouflu  de  la  Mythologie , 

qui  lui-même  inspire  la  joie  »  nourrit  l'amour,  et  rajeunit 
le  monde. 

C'est  le  moins  que  nous  puissions  faire  que  de  lui  con- 
sacrer l'un  des  douze  mois  de  l'année  ;  et  le  mois  de  juin 
que  les  anciens  dévouaient  à  la  jeunesse ,  est  celui  qui 
convientà  la  jeunesse  étemelle  de  ce  dieu  de  tous  les  figes. 

Jemius  est  juvenum  qui  fuit  antésenum, 

dit  un  vieux  proverbe»  lequel,  pour  être  un  calembourg, 
n'en  est  pas  moins  un  oracle  infaillible  et  un  précepte 
de  la  Sagesse  :  cela  veut  dire:  Jouissez  dès  la  jeunesse 
des  plaisirs  qu'on  goûte  encore  dans  l'âge  mûr;  buvez, 
mangez ,  ayez  des  amis ,  ,et  vous  ne  vieillirez  point  :  com* 
mencez  en  juin  ce  que  vous  pourrez  faire  encore  en 
décembre. 

Cornus  est  véritablement  le  frère  de  l'Amour,  n'en 
déplaise  aux  céladons  vivant  d'air  et  d'eau  fraîche.  Nous 
"siinions  les  vieux  proverbes;  et,  plus  doctes  que  San- 


i68  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

cho  y  nobs  les  citons  en  latin ,  afin  de  désarmer  la  pé- 
danterie de  nos  censeurs.  Un  proverbe  dit  que 

Sin$  Cirert  etBcuxho  friget  Venus. 

Or^  sans  Cornus,  Cérès  et  Bacchus  eux-mêmes  n'au- 
raient qu'une  puissance  bornée^et  ne  satisferaient  qu'un 
grossier  besoin;  c'est  Cornus  qui,  par  son  habileté , 
exalte  Tappétit  jusqu'à  l'enthousiasme ,  et  change  lascif 
en  volupté;  c'est  son  art  vraiment  divin  qui  prolonge  les 
jouissances  ».  alimente  le  génie ,  ranime  la  galté ,  ins- 
pire la  tendresse:  son  influence  est  surtout  nécessaire 
au  mois  de  juin,  quand  la  fibre,  relâchée  par  la  tiédeur 
de  l'atmosphère,  a  besoin  des  secours  toniques* que  four^ 
nit  un  bon  cuisinier  contre  les  ardeurs  de  l'été ,  la  di- 
sette des  substances  alimentaires  et  la  sécheresse*  de  la 
saison. 

Le  mois  de  juin  était  aussi  consacré  à  ^non  chez  les 
Romains:  c'est  le  temps  des  heureux  mariages;  car  le 
mois  de  mai  a  toujours  été  réputé  de  mauvais  augure 
pour  l'oBuvre^jQi  quoique  Biogène ,  plaisant  un  peu  ma- 
lin, attribuât  cette  influence  à  toute  l'année,  on  était  gé- 
néralement persuadé  en  Grèce  que  cela  n'arrivait  qu'aux 
maris  qui  avaient  eu  ^imprudence  d'allumer  les  flani- 
beaux  d'hyméoée  en  mai:  Si  les  choses  sont  changées 
de  notre  temps,  nous  ne  devons  rien  en  conclure  con- 
tre la  fidélité  des  dames  d'Athènes  qu'on  épousait  en  juin* 
Il  faut  pourtant  avouer  que  ce  temps  n'est  pas  le  plus 
propre  à  faire  des  noces ,  cérémonies  essentielles  du  ma- 
riage :  on  a  biea  encore  les  mêmes  mets,  la  même  viande 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  169 

deboucberie,  le  même  gibier,  le  même  poisson;  mais  tout 
cela  se  ressent  de  la  régénération  universelle  qui  s'opère. 
Tandis  que  la  tendresse  conjugale  attendrit  les  cœurs 
des  bestiaux  et  des  oiseaux ,  leurs  viandes  deviennent 
plus  dures  et  moins  savoureuses.  Aux  approcbes  de  l'été 
le  cercle  des  jouissances  charnelles  se  rétrécit^  et  le 
gourmand ,  sage  pupille  de  la  Nature  »  se  réduit  alors  aux 
substances  végétales. 

Déjà  la  récolte  des  herbes  potagères  abonde  :  pois 
vers ,  pois  goulus ,  pois  micbaux ,  pois  carrés ,  fèves  de 
marais  »  cardes  ,  poirée  ,  artichauts  9  aspei^s ,  haricots 
verts  y  choux- fleurs»  laitue  pommée  »  laitue  romaine; 
quelle  variété  I  quelle  saveur  I  La  fraîcheur  printanière 
des  plantes  renouvelle  restomac  et  le  palais»  et  le&aro-- 
mates  naissent  pour  ajouter  de  nouveaux  dons  à  tant  de 
richesses.  Le  thym»  la  sauge»  l'hysope»  la  sarriète»  la 
lavande»  l'oignon  »  épices  de*  nos  climats  »  luttent  avec 
«occès  contre  les  plus  actives  productions  de  l'Inde 
el  du  Japon. 

La  cerise»  la  groseille  et  la  fraise  pendent  en  innon>~ 
brables  rubis  »  en  topazes  et  en  cornalines  aux  branches 
des  arbres»  des  arbustes  et  des  plantes.  Que  peut- on 
regretter  quand  on  a  ces  trésors?  N'est-ce  pas  pour  nous 
que  la  colombe  couve»  que  la  poule  pond»  que  la  vache 
allaite»  que  te  frai  des  poissons  surnage  au-dessus  de  l'a* 
blme  des  mers  ?  Le  maquereau ,  le  plus  estimé  des  hôtes 
de  la  halle  »  ouvre  encore  ses  flancs  au  beurre  frais  et 
anxherbillettes;  la  raie  se  multiplie^  l'alose  rivalise  avec 
le  saumon;  et  l'écrevisse  »  la  gloire  des  ruisseaux  »  qui 


I70  LK  GASTRONOME  FRAiNÇAIS. 

mérita  de  doaner  son  nom  à  Tun  des  tropiques  »  et  de 
présider  au  mois  de  juin  ,  remplace  sur  nos  tables  les 
huttres  d'hiver  avec  autant  d'honneur  qu'elle  siège  au 
zodiaque. 

Gastebmann. 


t$  ^^tttet^  c^amfHus. 


Ce  n'est  point  lorsque  le  soleil ,  en  parcourant  lea 
signes  brûlans  du  Lion  ou  de  la  Vierge  »  darde  sur  nous 
ses  rayons  caniculaires,  que  l'on  doit  chercher  à  dire  ces 
parties  de  campagne  dont  un  dîner  est  le  but  »  et  dont 
une  société  bien  choisie  fait  le  principal  ornement;  Fex- 
ces  de  la  chaleur  nuirait  alors  à  la  fin  qu'on  se  propose 
dans  ces  sortes  d'agapes ,  celle  de  jouir  de  tous  les  agré> 
mens  de  la  promenade,  et  de  goûter  dans  toute  leur  éten* 
due  les  plaisirs  champêtres ,  autant  du  moins  que  peut  le 
faire  un  habitant  des  villes  qui  ne  s'en  éloigne  que  rare  - 
ment  et  momentanément. 

C'est  précisément  dans  le  mois  où  nous  sommes ,  du 
1*'  au  i5  de  juin,  que  ces  parties  sont  vraiment  agréables 
sous  tous  les  rapports  :  plus  tôt  la  verdure  n'est  point 
encore  entièrement  développée;  plus  tard,  elle  commence 
à  jaunir  :  en  ce  moment  elle  est  dans  tout  l'éclat  de  sa 
beauté.  Les  feuilles ,  même  celles  des  arbres  les  plus 
tardifs,  ont  pris  tout  leur  accroissement,  et  donnent  une 
ombre  aussi  fraîche  qu'agréable;  l'herbe,  quia  atteint 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  171 

sa  plus  grande  hauteur  »  ne  vous  offrira  jamais  un  tapis 
plus  doux  ni  mieux  fourni  :  la  plupart  des  fleurs  sont  dans 
tout  leur  éclat;  et  la  rose,  qui ,  comme  Ton  sait ,  est  la 
reine  de  toutes ,  ne  sera  jamais  plus  fraîche  ni  plus  ver- 
meille. 

Saisissez  donc  arec  empressement  le  mois  de  juin 
pour  vos  dîners  champêtres  »  vous  qui ,  las  d'être  empri- 
sonnés dans  vos  sombres  demeures ,  et  de  ne  respirer 
pendant  vos  repas  d'autre  atmosphère  que  celle  de  la 
cuisine  «  voulez  renaître  à  la  nature»  et  surtout  à  l'ap- 
pétit, par  un  exercice  sidutaire,  et  rafraîchir  en  quelque 
sorte  vos  oi^anes  blasés  en  humant  ces  émanations  bien* 
faisantes  qui  s'exhalent  des  végétaux  dans  cette  saison , 
qui  est  vraiment  celle  du  bonheur  et  de  la  volupté. 

Mais  pour  jouir  de  tous  ces  avantages  il  ne  suffit  pas 
de  se  iaire  traîner  dans  une  botte  roulante  »  et  presque 
hermétiquement  fermée ,  à  quelques  kilomètres  de  la 
capitale;  l'air  de  la  banlieue  est  plus  mal-sain  encore 
que  celui  de  la  grande  ville ,  parce  qu'il  se  compose  de 
ses  plus  putrides  émanations,  et  qu'elle  est  en  toute 
saison  le  réceptacle  de  ses  immondices  les  plus  dégoû- 
tantes ;  d'ailleurs ,  voyager  dans  une  voiture  bien  close , 
c'est  moins  changer  d'air  que  changer  de  place;  l'appétit, 
le  premier  des  biens  d'ici-bas  pour  un  gourmand,  veut 
être  acheté  par  quelque  peine ,  et  mériterait  de  l'être  par 
les  plus  grands  sacrifices.  Le  riche  ne  le  connaît  presque 
jamais,  parce  qu'il  ne  lui  donne  point  le  temps  de  naître, 
et  qu'il  ne  fait  rien  pour  le  rappeler  :  s'il  l'excite ,  c'est 
par  des  moyens  artificiels  toujours  préjudiciables  à  la 


/ 


172  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

saDlé»  et  doDt  la  nature  se  venge  lot  ou  tard  pour  nous 
punir  d'avoir  entrepris  sur  ses  droits  en  essayant  de  faire 
son  ouvrage.  Ce  n*est  donc  ni  dans  un  bon  caresse , 
ni  aux  portes  de  Paris  qu'il  faut  aller  Faire  un  dtner 
champêtre;  il  est  bon  de  s'en  éloigner  de  trois  ou  quatre 
lieues ,  et  de  faire  la  route  à  pied  »  ou  tout  au  moins  à 
cheval.  Les  dames  seules  et  les  provisions  auront  la  per- 
mission de  s'y  rendre  en  voiture. 

Nous  disons  les  provisions ,  parce  que  nous  ne  sau- 
rions donner  le  nom  de  dtner  champêtre  h  celui  qu'on 
va  faire  dans  un  cabaret  »  ou  même  dans  la  maison  de 
campagne  d'un  ami ,  ^oi^^  1^  ^^H®  ^  manger ,  souvent 
reléguée  dans  l'endroit  le  plus  obscur  et  le  plus  retiré 
de  l'habitation ,  vous  laisse  douter  si  vous  avez  quitté 
la  ville. 

Un  véritable  dtner  champêtre  doit  se  faire  on  plein 
air;  n'avoir  d'autre  table  que  le  tapis^  d'une  riche  ver- 
dure,  d'autre  siège  que  le  gazon»  d'autre  abri  que  les 
arbres  qui  unissent  leurs  rameaux  verdoyans ,  non  pour 
vous  priver  de  la  lumière  »  mais  pour  vous  garantir  des 
feux  brûlans  du  soleil. 

C'est  donc  au  milieu  d'une  forêt  ou  d'un  bois  bien 
touffu  que  sera  le  chef-lieu  du  festin.  Tout  y  sera  ap- 
porté dans  de  vastes  corbeilles;  ce  qui  suppose  un  dtner 
froid  9  mais  que  le  feu  du  bon  vin  »  des  saillies  aimables 
et  des  couplets  erotiques  ne  tarderont  point  à  réchauf- 
fer; et  ce  ne  sera  pas  cependant  de  celui-ci  quW 
pourra  dire 

Qu'un  dîner  réchauffé  ne  valut  jamais  rien. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  175 

Le  feu  de  l'enjouement  »  de  Fesprit  et  des  grâces  sait 
s'allier  à  tout ,  et  rendre  exquise  la  plus  médiocre  chère. 

Ne  comptons  cependant  pas  trop  sur  lui  »  et  faisons 
d'avance  des  provisions  abondantes  et  bien  choisies  ; 
que  les  pâtés  froids  de  jambon  et  de  volaille»  les  galan- 
tines de  toutes  les  espèces,  les  langues  fourrées  et  à 
l'écarlate ,  les  jambons  en  nature  ot  les  daubes ,  les  fri  - 
cassées  de  poulet  dans  un  pain ,  toutes  les  pâtisseries 
d'entremets  et  de  dessert  susceptibles  d'être  emballées 
sans  risque;  que  le  vin  généreux  du  Rhône»  de  Bour- 
gogne, de  Bordeaux  et  du  Roussillon;  que  celui  de 
Champagne ,  qui  donne  de  l'esprit  aux  plus  timides  et 
de  l'amour  aux  plus  indifférons;  que  le  bienfaisant  Moka 
qui  facilite  les  digestions  les  plus  laborieuses ,  et  que  dix 
flacons  des  meilleures  liqueurs  »  digestif  plus  puissant 
encore  »  etc. ,  etc. ,  arrivent  avec  les  convives  sur  le  lieu 
du  festin ,  et  soient  incontinent  livrés  à  leur  strident  ap- 
pétit* La  galté  ne  tardera  point  à  les  suivre;  les  propos 
aimables  naîtront  de  la  réunion  de  tant  de  succulens 
comestibles;  et  je  ne  voudrais  pas  même  répondre  qu'il 
ne  s'ensuivit  de  très-tendres  déclarations» etc.»  etc. 

Un  petit  bal  »  dont  la  folie  fera  tous  les  frais  »  succé- 
dera au  festin  présidé  par  la  simple  nature  ;  et  chacun 
regagnera  sa  retraite  encore  tout  rempli  du  sentiment 
de  son  bonheur»  s'estimant  heureux  d'avoir  si  joyeuse- 
ment satisfait  son  appétit  »  et  dans  la  ferme  résolution 
de  profiter  de  la  durée  du  mois  de  juin  pour  faire  encore 
plus  d'un  dîner  champêtre. 

G.  D.  L.  R. 


174  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


ectttn  ûtmtnUirts. 


Jusqu'à  ce  jour  nous  n'avons  donné  que  des  recettes 
simples  et  faciles  à  l'usage  de  tous  les  ménages;  les  pro- 
cédés compliqués  ne  peuvent  être  exécutais  que  par  des 
artistes ,  et  ceux-ci  n'ont  pas  besoin  de  leçons ,  les  gar- 
nitures de  ragoûts»  les  sauces  savantes  dont  s'enor- 
gueillissent les  tables  opulentes  ne  peuvent  guère  s'ensei- 
gner par  théorie  ;  elles  exigent  un  praticien  consommé. 
Nous  continuerons  donc  à  donner  des  conseils  faciles 
à  suivre»  et  d'une  application  universelle.  La  propa- 
gation des  lumières  est ,  après  le  dîner  »  le  plus  doux  de 
nos  soins. 

Les  nouveautés  particulières  au  mois  de  juin  sont»  en 
volaille  et  gibier  »  le  poulet  »  le  lapereau  et  la  caille 
verte ,  qui  se  partagent  le  sceptre  ;  en  poisson ,  le 
règne  des  maquereaux  est  à*  l'apogée  de  sa  gloire  ;  en 
légumes  »  les  petits  pois  cessent  vers  la  mi- juin  de  par- 
tager l'empire  avec  les  asperges  :  ils  brillent  suivis  de 
l'escorte  nombreuse  des  haricots  verts  »  choux-fleurs  et 
salades  de  toute  espèce  ;  en  fruits ,  les  fraises  devançant 
la  famille  des  fruits  rouges  p  admettent  à  leur  cour  la 
groseille  et  la  cerise  précoce. 

Si  dans  ce  mois  les  cailles  vertes  et  les  lapereaux  sont 
d'une  grande  ressource  pour  le  rôti»  ils  ne  le  sont  pas 
moins  pour  les  entrées.  La  caille  se  met  au  gratin  »  en 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  175 

caisse ,  en  pâté  chaud ,  en  sauté  aux  choux  noureaux ,  etc. 
Le  lapereau  se  met  en  caisse ,  en  pâté  chaud ,  à  la  minute , 
en  sauté  au  vin  de  Champagne ,  ou  à  la  poulette.  Les 
filets  de  lapereau  se  prêtent  également  à  une  infinité  de 
métamorphoses  :  on  les  sert  en  entier  piqués  de  lard  ou 
de  truffes;  on  en  feit  des  escalopes  et  des  sautés.  Avec 
les  chairs  des  cuisses  on  fait  des  quenelles ,  que  l'on  peut 
servir  au  fumet  de  lapereau ,  au  velouté»  à  l'espagnole ,  etc. 
On  ne  met  le  lapereau  en  gibelotte  que  lorsqu'il  est  plus 
que  detni  ,  c'est-à-dire  vers  le  i5  juin.  Nous  allons  don- 
ner k  recette  pour  préparer  dignement  ce  ragoût. 


GIB£LOTTS    DE    LAPEREAUX. 

« 

Prenez  deaz  lapereaux ,  et  lorsqu'ils  seront  dépouillés  et  vidés,  cou- 
pez-les en  morceaoz  d'égale  grosseur,  afin  qu'ils  puissent  bien  cuire  en 
même  temps  ;  mettez  ensuite  dans  une  casserole  un  bon  morceau  de 
beurre ,  une  cuillerée  et  demie  de  farine ,  et  faites  on  roux  ;  lorsqu'il 
commencera  k  devenir  blond,  jetez -y  une  demi -livre  de  petit -lard 
coupé  en  dés  ;  remuez  fortement  l'un  et  l'autre  jusqu'à  ce  que  le  tout 
soit  très-blond;  mettez -y  vos  morceaux  de  lapereau  pour  les  faire  bien 
revenir  ;  mouillez  votre  ragoût  avec  deux  tiers  de  vin  blanc  et  un  tiers 
de  booîUoo  9  en  remuant  toujours  jusqu'à  ce  qu'il  bouille  ;  ajoutez  k  cela 
des  champignons  entiers,  un  bouquet  garni  de  persil ,  de  ciboules,  une 
demi-feuille  de  laurier,  nn  peu  de  thym  et  trois  clous  de  girofle.  Faites 
cviie  ce  ragoût  sur  un  feu  un  peu  vif;  (mettez-y  trés-peu  de  sel  et  un 
peu  de  poivre),  et  lorsqu'il  sera  aux  deux  tiers  cuit^  ajoutez-y  une 
moyenne  anguille ,  coupée  en  six  on  sept  tronçons,  auxquels  vous  mê- 
lerez une  vingtaine  de  petits  oignons  que  vous  aurez  préalablement 
paaaés  dans  du  beurre ^  Lorsque  le  tout  sera  cuit,  dégraissez  bien  la 
ssuce,  eo  ayant  soin  de  ne  la  laisser  ni  trop  longue  ni  trop  liée. 

Voyez  si  l'assaisonnement  est  bon  ;  retirez  te  bouquet ,  arrangez  bien 


n 


176  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

T08  morceaux  de  lapereau  et  d'anguille  sur  au  pbt  »  versex  votre  ra- 
goût par-dessus  »  et  servez  bieu  chaud. 


PBTI9    POIS    À    LA.    CnÊMB. 


Prenez  un  litre  et  demi  de  petits  pois  bien  fins ,  mettez-les  dans  de 
Teau  avec  un  bon  morceau  de  beurre ,  pétrissez-les  ensemble  avec  les 
mains,  jetez-les  ensuite  dans  une  passoire  pour  les  égoutter;  lorsqulls 
seront  bien  égouttés,  mettez-les  dans  une  casserole.  Ayez  un  fourneau 
bien  vif,  passez  vos  pois ,  en  ayant  soin  de  les  sauter  souvent  ;  mettez-j 
un  peu  de  sel 9  un  peu  de  sucre  si  vous  voulez,  et  un  bouquet  de  persil 
et  de  ciboules  ;  mouillez-les  avec  de  Teau  bouillante ,  et  faites-les  cuire 
à  grand  feu  ;  lorsqu'il  n*y  aura  presque  plus  de  mouillement  9  faites  une 
liaison  de  quatre  jaunes  d'œufs  frais;  délayez-les  avec  de  la  bonne 
crème  :  liez  vos  pois ,  et  servez-les. 

G.,  C  et  B. 

FILETS   DE    MAQUEREAUX   AUX    FINES    HERBES. 

Les  maquereaux ,  «l'un  des  plus  doux  présens  que  la  nature  nous  fasse 
pendant  les  mois  de  mai  et  de  juin  ^  s'apprêtent  de  diverses  manières  ; 
à  l'anglaise ,  à  l'espagnole ,  à  la  genevoise,  glacés ,  bardés  à  la  broche  , 
h  la  braise  ,  à  la  provençale ,  en  hatelettes ,  à  la  flamande ,  en  caisse ,  à 
la  Périgord ,  en  fricandeau ,  et  même  en  papillotes.  Mais  on  a  recoaou 
que  ces  divers  assaisonnemens  n'ajoutaient  rien  à  la  bonté  d'un  pou- 
son  qui  peut  se  passer  d'ornemens  étrangers ,  et  l'on  a  fini  par  y  renon- 
cer ;  en  sorte  que  ce  n'est  plus  qu'à  la  mattre-d'hôtel,  c'est-à-dire  fendus 
par  le  dos  et  cuits  sur  le  gril ,  avec  un  bon  morceau  de  beurre  frais , 
manié  de  fines  herbes  ,  que  les  maquereaux  se  présentent  aujourd'hui 
dans  les  maisons  les  plus  opulentes  ;  ils  y  sont  toujours  reçus  à  bras  ou- 
verts. 

Mais  si  le  maquereau ,  dans  son  entier,  n'a  pas  besoin  de  parure,  il 
n'en  est  pas  de  même  de  ses  filets,  et  nous  pensons  qu'on  ne  sera  pas 
fâché  de  trouver  ici  une  façon  peu  connue  de  les  faire  paraître  avec 
avantage  sur  une  table  distinguée. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  177 

Vous  commencez  par  l'es  faire  cuire  à  moitié  dans  aoe  casserole  avec 
du  bouillon  ,  un  demi-verre  de  vin  de  Champagne  et  un  peu  d'excel- 
lente huile  d'olive  ;  ensuite  vous  les  mettez  daos  un  plat  avec  du  beurre 
manié  de  persil ,  ciboules ,  échalotes ,  se! ,  poivre ,  et  un  peu  de  mus- 
cade ;  mettez  vos  filets  dessus ,  et  remettez  encore  par-dessus  du  même 
appareil.  Couvrez  le  plat ,  et  le  posez  sur  des  cendres  chaudes  pendant 
dix-huit  minutes;  ensuite  égoottcz  le  beurre,  et  mettez-y  un  peu  de 
blond  de  veau  ;  faites  mijoter  pendant  quelque  temps ,  et  n'oubliez  pas, 
en  serrant ,  l'expression  d'un  jus  d'orange ,  dont  l'acide  bénin  s'accom- 
mode très-bien  avec  le  caractère  naturellement  doux  et  flexible  du  ma- 
qnereaET. 

Ce  petit  ragoût ,  fait  avec  soin ,  et  peu  dispendieux,  oifre,  dans  cette 
saison  ,  une  excellente  entrée  d'une  confection  facile. 


RISSOLES    DE    FILETS    DE    MAQUEREAU. 

licvez  d'abord  les  filets  proprement,  et  les  coupez  en  morceaux  de  la 
largeur  du  pouce;  faites-les  ensuite  mariner  avec  jus  de  citron,  sel, 
poivre ,  un  peu  de  bon  bouillon  ;  faites-les  égoutter  et  frire  ensuite  avec 
ane  pâte  à  vin  dans  de  bon  sain-doux. 

Cette  préparation  forme  un  joli  bors-d'cèuvre ,  et  pourrait  même,  au 
besoin ,  figurer  comme  entremets. 

EIlTRElIfiTS    DE    PETITS    POIS. 

Les  petits  pois  sont,  sans  contredit,  le  meilleur  de  tous  les  légumes 
4]ni  se  mangent  à  Paris  ;  et  c'est  surtout  leur  présence  qui  rend  le  mois 
de  juin ,  où  ils  sont  dans  toute  leur  bonté ,  vraiment  cher  aux  gour- 
mands. Ils  servent  d^accompagnement  dans  un  grand  nombre  d'entrées^ 
et  relèvent  singulièrement  le  prix  des  viandes  et  des  volatiles  qu'on  fait 
cuire  avec  eux.  Mais  c'est  à  l'entremets  qu'est  leur  plus  beau  triomphe  ; 
et  ils  raient  tant  par  eux-mêmes ,  que  c'est  lorsqu'ils  paraissent  seuls 
qn^s  sont  reçus  avec  le  plus  de  reconnaissance. 

Nous  avons  déjà  vu  dans  cet  ouvrage  qu'un  plat  de  petits  pois  sans 
faute  suffisait  pour  établir  la  réputation  d'un  grand  cuisinier.  Beau- 

12 


178  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

coop  ont  voulu  raffiner  dans  leur  préparation,  et  se  soat  fonnroyès.  Oa 
pourrait  dire  des  pois  comme  des  femmes  vraiment  belles  : 

L'art  ii*est  pM  fiût  poor  bux  ,  iU  ii*en  ont  pas  beioiii. 

Ge  ^^U  y  a  de  sûr  au  moins ,  c'est  que  la  bonté  de  cet  entremets  dé- 
pend bien  moins  de  ce  qu'on  j  fait  entrer  que  du  soin  qu'on  apporte 
dans  sa  confection  9  et  c'est  ce  qui  fait  qu^il  est  A  rarement  parfait.  Ua 
grand  artiste  no  veut  point  se  captiver  pour  un  simple  plat  de  légume», 
et  voilà  le  mal.  La  recette  que  nous  allons  donner  est  des  plus  aimpks, 
mais  il  n'en  faut  pas  moins  être  fort  babile  pour  la  bien  mettre  en 

oeuvre. 

Nous  observerons  d'abord  que  les  premiers  pois  qui  paraissent  ne  ioai 
pas  les  meilleurs.  Les  pois  carrés ,  ou  à  la  grosse  cosse ,  sont  exceilens, 
et  c'est  ceux-là  qu'il  faut  cboisir.  Dès  qu'ils  sont  cueillis  il  faut  les  em- 
ployer. Étant  lavés  et  égouttés ,  vous  les  mettez  dans  une  casserole  avec 
d'excellent  beurre  «  un  peu  de  sel ,  deux  ou  trois  petits  cœurs  de  laitues, 
un  bouquet  de  persil  et  ciboules ,  dans  lequel  vous  insérez  un  peu  de 
sarriette  et  deux  clous  de  girofle.  Faites-les  cuire  sur  des  cendres  chao- 
des  bien  couvertes»  en  les  remuant  de  temps  en  temps  sans  les  mouiller. 
Lorsqu'ils  sont  presque  cuits  vous  les  goOitez ,  et  remettez  la  moiiié 
d'un  pain  de  beurre  manié  dans  de  la  farine  ;  lorsqu'ils  sont  tout  à  fait 
cuits  vous  les  servez  avec  une  très-courte  sauce. 

Cette  manière  est  la  seule  pour  manger  les  pois  dans  leur  sue»  et  pour 
leur  conserver  parfaitement  leur  goût.  Elle  est  très-simple;  mais  c'est 
«ette  simplicité  même  qui  en  fait  la  difficulté.  Nous  osons  croire  cepen- 
dant que  les  artistes  qui ,  mettant  leur  amour  -propre  de  côté ,  ne  s'é- 
carteront point  de  cette  formule ,  réassiront  à  nous  servir  des  petits  poû 
dans  to6te  leur  «ucculence  et  dans  tonte  leur  bonté.  O  tttinam! 

G.  D.  L.  R. 

FBAISB8   A    LA    CB^OLB. 

Dans  des  fraises  bien  mûres  et  bien  sucrées  versez  quelques  gouim 
de  jus  de  citron ,  et  remuez-les  bien  :  vous  leur  donnerez  par  cette  ad- 
dition le  goût  de  l'ananas ,  n  vous  n'avez  mis  que  la  quantité  faste  de 
citron  pour  modifier  le  goût  des  fraises  sans  que  l'acide  domine. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  179 

FAAISBS   ALCOHOLISÉBS. 

Après  aToir  roulé  dans  le  sucre  la  quantité  de  fraûes  que  l'on  veut 
manger,  on  en  écrate  légèrement  une  petite  .portion ,  on  verse  dessus 
une  cuillerée  &  café  de  bonne  eau-de-vie  :  on  mêle  le  tout  avec  soin  jusqu'à 
ce  que  le  sucre  paraisse  fondu;  on  n'ajoute  ni  vin  ni  eau.  L'eau-de-vir, 
qui  ne  doit  pas  se  sentir  si  l'on  a  bien  observé  les  proportions,  a  la  pro- 
priété  d'exalter  le  parfum  des  fraises ,  et  de  leur  donner  la  saveur  la  j>lu8 
agréable. 

MOYEN    DB    BOIRE    FRAIS    EN    £t£. 

Quand  le  gastronome ,  assis  au  mois  de  décembre  près  d'un  bon  feu^ 
voit  le  vent  du  nord  geler  les  fleuves  et  les  rivières ,  il  donne  sans  doute 
quelques  Urmes  de  pitié  aux  maux  que  souffre  l'indigence;  mais  il  ne  peut 
s'empêcher  de  penser  an  plaisir  qu^il  aura  àe  boire  frais  au  mois  d'Au- 
guste ,  lorsque  le  brCdant  Sjrius  le  forcera  de  puiser  dans  une  glacière 
l'écorce  diaphane  des  eaux.  Si  l'biver^  au  contraire,  s'est  emparé  de 
l'a  me  dn  Terseau,  et  n'a  répandu  sur  la  France  que  des  pluies  malfai^ 
santés  et  de  sombies  brouillards ,  «1  se  rappelle  le  vers  de  Boileau  : 

Point  déglace,  bon  dieu  !  dans  le  fort  de  Télé  ! 

Il  frémit  :  et,  suppliant  M.  Oxigénius  (i)  de  venir  à  son  secours,  il  en 
reçoit  la  réponse  suivante  : 

«  11  y  a  peu  d'exemples  qu'un  hiver  ait  été  assez  doux  pour  ne  pas  of- 
frir quatre  ou  cinq  jours  de  gelée.  Si  l'on  ne  peut  amasser  assez  déglace 
pour  emplir  une  glacière ,  ou  si  la  dépense  effraie  ,  on  peut  au  moins  en 
emplir  un  tonneau ,  et  M.  Gadet^de-Vaux  nous  a  appris  à  la  conserver. 
Ayez  deux  tonneaux  dont  l'un  pmsse  entrer  dans  l'autre ,  de  manière  k 
laisser  entre  les  douves  du  petit  et  celles  du  plus  grand  un  intervalle  de 
trots  ponces  en  tous  sens;  remplissez  cet  intervalle  avec  du  charbon 
grossièrement  pilé  et  foulé  ;  mettez  ensuite  votre  glace  dans  l'intérieur, 
couvrez  la  de  six  pouces  de  charbon^  mettez  par-dessus  de  la  paille ,  et 
enterrez  le  tout  dans  une  cave  ;  vous  retrouverez  votre  glace  entière  a« 

I 

(i)  Nom  d'un  chimiste. 


i8o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

moû  de  juillet  ou  d'août.  Cette  glacière  économique  peut  servir  les 
années  suivantes  en  ne  renouvelant  que  le  charbon  de  dessus. 

»  Mais  si  une  imprévoyance  naturelle  a  fait  négliger  ces  moyens ,  et 
vous  laisse  au  dépourvu  dans  Tété ,  la  chimie  et  la  physique  vous  otTrent 
plusieurs  procédés  pour  produire  un  froid  artificiel.  A  l'exemple  des 
Egyptiens  et  des  Espagnols,  mettez  votre  eau  dansées  vases  poreux  qu'on 
nomme  alcaraxas  (i)  ;  exposez-les  au  soleil;  une  partie  de  l'eau  suinte 
au  travers  des  pores ,  et  s'évapore  à  la  surface  ;  or ,  toute  évaporalitio 
produit  du  froid.  Si  vous  n'êtes  pas  à  portée  de  vous  procurer  des  alca- 
razas,  enveloppez  une  cruche  avec  un  peu  d'étoupe  ou  de  filasse 
recouverte  d'une  toile  grossière;  mouillez  cette  enveloppe  ,  et  exposez 
la  cruche  au  soleil  le  plus  ardent,  et  mieux  encore  à  un  courant  d'air 
chaud  :  l'eau  qu'elle  contiendra  se  refroidira  d'autant  plus  que  réva- 
poration  sera  plus  rapide  ;  mais  aussitôt  que  l'enveloppe  paraîtra  sécher 
il  faudra  la  mouiller  de  nouveau. 

»  Enfin  ,  si  vous  êtes  voisin  d'un  chimiste,  demandez-lui  du  murialt 
de  chaux  ;  ce  sel  est  fort  bon  marché.  Versez  sur  une  livre  de  ce  muriate 
trois  pintes  d  eau  légèrement  acidulée  avec  un  peud'aoide  nitrique  (ean- 
forte)  ;  vous  obtiendrez  en  peu  de  minutes  un  froid  assez  considérable  : 
plongez  dans  ce  mélange  au  moment  de  l'opération  les  v:kses  qui  con- 
tiennent l'eau ,  le  vin  ,  ou  les  liqueurs  que  vous  voulez  boire  (a).  Qu.iDd 
on  peut  se  procurer  un  peu  de  glace  pilée ,  le  muriate  de  chaux  em- 
ployé avec  elle,  comme  nous  venons  de  le  dire,  peut  refroidir  une 
quantité  beaucoup  plus  considérable  d'eau  que  ne  ferait  la  glace  seule  : 
on  peut  même  obtenir  un  froid  de  trente  -trois  à  trente-quatre  degrés t 
terme  où  cesse  la  liquidité  du  mercure. 

VI.      JLl.      Vjm 

(i)  M.  Foormy,  manufacturier  de  Paris,  rue  de  la  Pépinièie,  en  Ta- 
brique  d'aussi  parfaits  que  ceux  d'Egypte. 

(a)  Voyez  pour  de  plus  grands  détails  l'article  froid  artificiel  dans  le 
Dictionnaire  de  chimie  de  M.  Cadet  de  Gassicourt. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  181 

3uHUl 

LE    MOIS    VERMEIL    OU    LES    FRUITS    ROUGES. 

Nous  aurions  pu  célébrer  plutôt  les  Fruits  rouges ,  car 
nous  en  mangeons  depuis  un  mois.  Rival  de  juillet  pour 
les  jouissances  qu'il  procure ,  juin  peut  encore  reven- 
diquer le  droit  de  priorité;  mais  nous  sommes  fidèles  aux 
maximes  gourmandes  au  nombre  desquelles  se  distingue 
cet  axiome  : 


Mtendons  que  le  fruit  soit  muret  la  viande  faite  ; 

et  pour  ne  donner  au  lecteur  que  des  principes  bien  di- 
gérés ,  nous  triturons  long-temps  nos  leçons  avant  de  les 
lui  ojflTrir. 

Nous  n'en  sommes  pas  pour  cela  moins  amoureux  des 
prémices.  De  même  que  nous  faisons  un  gracieux  ac- 
cueil au  coq  vierge  de  Caux  et  au  cochon  de  lait»  de 
même  nous  aimons  à  manger  des  pois  verts  en  Carême 
et  des  fraises  à  la  Pentecôte.  Les  artistes  illustres  qui  hâ- 
tent la  maturité,  ou  conservent  la  saveur  des  fruits  au- 
delà  des  termes  assignés  par  la  saison  ,  ont  droit  à  nos 
hommages ,  et  sont  assurés  de  notre  reconnaissance. 

Mais  en  rcfndant  justice  aux  miracles  de  Tartinons 
n'en  sommes  pas  moins  fidèles  à  la  nature.  Les  fruits 
que  la  rosée  de  mai  a  fait  éclorc ,  qui  ont  pompé  à  loisir 


i82  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

les  rayons  du  soleil  de  juin^  qu'un  air  libre  a  pénétrés , 
que  Taurore  a  trempés  de  ses  larmes  fécondes;  ces  fruits» 
dià-je»  sont  autant  au-dessus  des  plus  beaux  enfans  de 
la  serre,  que  la  poularde  du  Maine  l'emporte  sur  le  poulet 
étique  de  la  Champagne  pouilleuse. 

C'est  en  juillet  que  les  Fruits  rouges  orit  acquis  tout 
leur  éclat  et  leur  goût;  et  ce  mois  mérite  éminemment 
le  nom  de  FermeU  que  lui  envie  le  mois  de  Flore,  dont 
les  productions», plus  variées,  par  les  couleurs,  sont  d'un 
prix  bien  moins  cher  aux  Gourmands. 

L'éclat  des  plus  belles  fleurs  cède  à  l'incarnai  des 
Fruits  rouges;  ils  sont  sans  doute  la  plus  belle  parure 
des  vergers.  Leur  abondance  est  miraculeuse  :  le  prome- 
neur matinal  voit  de  toutes  parts  des  rubis ,  du  corail  et 
des  roses.  II  sait  que  cet  éclat  n'est  point  frivole ,  et  que 
ces  innombrables  globes  de  pourpre  sont  autant  dégout- 
tes de  nectar  :  ils  invitent  les  lèvres  à  les  presser;  l'œîl 
les  dévore  et  les  pompe;  la  main  palpite  en  les  cueillant» 
et  le  cœur  les  compare  à  touti  ce  qui  feit  ses  délices. 

Qu'on  parcoure  dans  un  beau  jour  de  juillet  la  vallée 
de  Montmorency  ;  ne  diraitrctn  pas  que  le  dieu  des  jar- 
dins, en  robe  rouge ,  vient  de  se  lever  pour  une  solen- 
nité, ou  que  Pomone,  encore  vierge,  rougit  à. soi^ as- 
pect ,  et  déploie  sur  tous  ses  charmes  un  voile  de  pour 
pre  et  de  rubis  ?  Ce  mois  est  celui  de  leurs  noces  :  ils 
sont  encore  amans;  plus  tard,  hélas  !  i)s  ne  seront  plu» 
qu'époux  ! 

La  cerise  est  le  premier  fruit  qui  éveille  l'instinct  gour- 
mand de  l'enfance.  Son  coloris  légèrement  njiiancé ,  son. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ]83 

velouté ,  «a  rondeur  parfaite ,  son  incomparable  saveur 
ciMirment  à  la  fois  la  vue ,  le  toucher  et  le  goût ,  la  curio* 
site  et  l'appétit.  Vermeille  comme  les  lèvres  d'Hébé , 
elle  sert  de  comparaison  aux  attraits  les  plus  piquans  et 
les  plus  frais. 

La  fraise  qui  rappelle  des  charmes  plus  mystérieux»  et 
dont  le  nom  imita tif  exprime  une  succion  délicieuse;  la 
Cniêe,  faa&kante  des  bois»  cachée  comme  la  violette  dans 
des  touffes  de  feuillage  »  avertit  comme  elle  celui  qui  la 
cherche  »  par  ses  émanations  parfumées ,  et  trahit  par  sa 
beauté  son  humble  et  charmante  retraite.  Telle  qu'une 
vierge  timide  elle  se  défend  contre  la  main  qui  la  pro- 
fane :  il  feut  l'arracher  de  sa  tige ,  qui  souvent  la  suit  jus- 
que sur  la  table  »  ob ,  baignée  dans  des  flots  de  bit  ou  de 
Champagne,  elle  s'abreuve  d'une  liqueur  plus  douce  que 
la  rosée. 

Heureux  qui  peut  unir  à  la  fraise  sucrée  la  framboise 
sa  sc&ur»  dont  le  goût,  légèrement  acidulé»  corrige  la 
crudité  un  peu  froide  de  son  aînée  l. 

La  fraise  et  la  framboise  naissent  des  -gouttes  d'am* 
broisie  qui  tombent  du  ciel  avec  les  pluies  tièdes  et  bal- 
samiques du  printemps. 

La  groseille  transparente»  semblable  aux  rubis  des 
mers  orientales  »  dispute  aux  autres  fruits  rouges  l'em- 
pire du  septième  mois  de  l'année.  Ce  bijou  »  détaché  du 
doigt  d'Esculape  »  le  jour  qu'il  fut  frappé  de  la  foudre  » 
est  resté  sur  la  terre  pour  la  santé  autaqt  que  pour  le 
plaisir  de  ses  habitans.  Son  acide  est  employé  pour  ra- 
nimer l'appétit  des  mirlades  »  et  combattre  »  sans  les  fa- 


i84  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

tiguer»  le  feu  dévorant  de  leurs  entrailles.  En  sirops, 
en  conGtures  ,  en  liqueurs ,  sous  mille  formes  agréables» 
la  groseille  trayerse  tous  les  hivers  »  et  se  présente  tou- 
jours plus  salutaire  aux  palais  avides  qu'elle  chatouille 
délicieusement. 

Parlerai-je  du  cassis  à  la  couleur  d'ébène ,  ce  frère  de 
la  groseille^  tributaire  comme  elle  d'Hippocrate  et  de 
Gomus?  mais  j'aurais  dû  célébrer  aussi  la  famille  de  k 
cerise  »  la  guigne  douce ,  la  merise  amëre ,  et  le  ferme 
bigareau.  Nous  ne  voulons  pas  anticiper  sur  les  plaisirs 
de  l'amateur  en  les  analysant.  Qu'il  parcoure  les  vallées, 
les  bois  et  les  jardins  ;  mais  surtout ,  s'il  veut  choisir  et 
jouir ,  qu'il  fréquente  la  halle  :  c'est  là  que  s'entassent 
tous  les  matins ,  et  surtout  les  mercredis  et  samedis ,  les 
trésors  de  Pomone  et  de  Gomus. 

Il  y  trouvera  des  cerises  et  des  gigots ,  des  fraises  de 
bois  et  des  fraises  de  veau  »  àes  groseilles  et  des  chapons, 

des  framboises  et  des  maquereaux,  des La  haiJe  est 

le  jardin  d'Eden ,  le  palais  de  Gocagne  ^  le  Pérou  des 
gourmands  I... 

Gastebvann. 


■  .  j 


oé,  ^^rtfmrcÇebes  ^^tjtieron^ 


Lb  mois  de  juillet ,  qui  est  sous  le  signe  du  Lion ,  est 
ordinairement  le  plus  chaud  de  l'année.  Il  fut  d'abord     ^ 
nommé  Quintilis  à  Rome ,  parce  qu'il  était  le  cinquième 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  i85 

de  l'année  martiale.  Marc- Antoine,  pendant  son  consulat, 
lui  donna  le  nom  de  Jules ,  parce  que  c'était  dans  ce 
mois  qu'était  né  le  premier  des  Césars  :  ce  nom  lui  est 
resté ,  et  de  JuUus  on  a  fait  Juillet. 

C'est  dans  ce  mois  que  l'on  commence  à  jouir  des 
produits  de  la  culture;  les  champs  se  dorent ,  Tes  fruits 
jaunissent,  et  tous  les  produits  de  la  nature  se  déve- 
loppent;  on  coupe  l'avoine  et  les  foins  :  il  est  juste  que 
la  terre  rende  d'abord  ce  qui  doit  servir  h  la  nourriture 
des  animaux  qu'on  emploie  à  l'agriculture  ,  et  de  ceux 
qui  doivent  s'engraisser  pour  la  cuisine . 

Ce  n'est  pas  encore  le  mois  de  Cérès  et  de  Bacchus, 
mais  c'est  celui  où  l'on  prépare  leur  triomphe  :  on  élague 
les  herbes  parasites,  on  soigne  et  l'on  arrose  les  trésors 
de  Pomone ,  on  bine  les  vignes ,  et  les  vignerons  me- 
surent leurs  travaux  sur  l'abondance  que  leur  prescience 
calcule  à  cette  époque. 

C'est  donc  avec  quelque  justice  que  nous  dédions  ce 
mois  à  Naéj  le  premier  qui  cultiva  la  vigne ,  et  qui  en- 
seigna l'art  de  la  rendre  féconde. 

Ce  patriarche  ne  fut  pas  un  ivrogne ,  quelque  con- 
jecture maligne  qu'on  puisse  tirer  de  l'aventure  qui  lui  fit 
maudire  un  de  ses  enfans;  il  fut  un  des  bienfaiteurs  du 
genre  humain,  et  la  postérité  lui  a  expédié  un  brevet 
d'invention  pour  son  heureuse  découverte.  S'il  fit  sur 
lui-même  la  première  épreuve  des  dangers  de  l'ivresse, 
c'est  un  service  de  plus  qu'il  rendit  aux  buveurs  en  leur 
marquant  l'écueil.  II  est  bien  plus  connu  par  le  soin 
qu'il  prit  de  cultiver  la  vigne  et  de  la  faire  multiplier 


i86  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

que  par  le  plaisir  qu'il  eut  d'en  boire  le  jus  délicieux. 
S'il  s'enivra  un  jour  de  trop  grande  chaleur ,  cela  prouve 
que  le  saint  homme  n'était  pas  si  fâcheux  que  certain 
critique  qui  se  prétend  sobre ,  et  qui ,  au  lieu  de  se  ra- 
fraîchir à  table  avec  de  bons  amis  pendant  les  ardeurs 
do  juillet»  s'échauffe  encore  et  s'enroue  h  nous  injurier 

gratuitement  (i)« 

Il  devrait  y  avoir  en  juillet  une  fôte  en  l'honneur  des 
dindons;  c'est  à  cette  époque  qu'ils  arrivèrent  des  Indes  : 
ils  furent  reçus  comme  des  naturels  du  pays ,  et  sont 
depuis  C6  temps  honorablement  placés  à  la  tête  des  yo- 
lailles  de  nos  bfisses-cours.  (/^.  le  mois  de  novembre). 

C'est  en  juillet  surtout  que  l'on  doit  apprécier  l'im- 
portance des  découvertes  du  génie  culinaire.  La  riande 
de  boucherie ,  sans  les  ressources  de  la  science ,  pré- 
senterait bien  peu  d'appas;  mais  préparée  par  un  artiste 
habile  9  elle  plaît  encore  »  çonxmeces  coquettes  fardées, 
dont  l'éclat  des  bougies  dissimule  l'artifice. 

Le  lait  encore  sur  les  lèvres ,  le  digne  neveu  du  bœuf, 
le  veau  de  Pontoise  a  cependant  déjà  acquis  un  certain 
mérite.  Il  peut ,  quoique  bien  jeune  encore ,  risquer  son 
entrée  dans  le  monde. 

On  voit  alors  paraître ,  sur- un  lit  de  feuilles  de  vigne  » 
les  premiers  abricots;  les  melons  et  les  cerneaux  sont 
aussi  dans  leur  primeur. 

(i)  C'était  Geoffroy  et  ua  rédactear  du  Jounuit  de  Paris ,  qui^  de- 
^uis,  a  bu,  mangé  et  chaoté  avec  nous.  Ce  qui  prouve  que 

Los  esprits  doul  on  nous  fait  peur» 
Sont  les  meilleures  gens  du  monde. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  187 

Juillet  ramène  avec  lui  une  de  nos  plus  chères  amies  > 
Faimable  et  lascive  caille.  Nul  rôti  n'est  plus  recherché 
dans  cette  saison ,  aucun  en  eJDTet  ne  mérite  de  Tétre  da- 
vantage. La  caille  est  la  personne  du  monde  la  plus  déli- 
cate  et  la  plus  volage  :  comme  l'occasion ,  il  feut  la  saisir 
au  passage  ;  les  plaisirs  qu'elle  procure  sont  bien  vifs»  mais 
trop  courts.  Dès  le  mois  de  septembre,  ce  délicieu^L  volatil 
quitte  nos  climats,  et»  saluant  de  ses  adieux  nos  vignobles 
vendangés ,  va  porter  ses  charmes  et  sa  graisse  sur  des 
bords  plus  heureux. 

Les  lai^ereaux ,  les  perdreaux  >  les  levrauts,  la  caille 
etTortelan  annoncent  le  gibier  nouveau;  ces  mets  esti- 
més ne  paraissent  qu'accompagnés  de  tout  ce  que  la 
nature  produit  de  plus  délicat  en  légumes ,  viandes  de 
boucherie  et  fruits  précoces;  c'est  dire  assez  qu'en 
juillet  le  gourmand  4^  bonne  foi  n'est  pas  plus  malheu- 
reux que  dans  tout  le  reste  de  l'année. 

Gastebmann. 


L'oBiGiNB  du  melon  est  assez  incertaine  ;  mais  qu'im- 
porte d'où  viennent  les  gens ,  pourvu  qu'on  les  mange , 
dirait  quelque  gourmand  brutal  et  peu  délicat  sur  le  choix 
de  ses  mets  comme  sur  celui  de  ses  convives  ;  pour  nous, 
qui  aimons  à  savoir  ce  que  nous  mangeons ,  nous  avoue- 
rons que  c'est  avec  regret  que  nous  nous  sommés  livrés 


i88  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

sur  ce  grave  sujet  aux  plus  inuliies  élucubra lions.  Fui- 
il  apporlé  d'Asie  par  l'un  des  Scipion ,  comme  le  ceri- 
sier Ta  vaitélé  par  Lucullus,  qui,  vainqueur  de  Milhridate» 
se  plut  à  en  orner  son  entrée  triomphale  en  mêlant  son 
feuillage  à  celui  des  lauriers  qui  ombrageaient  son  front? 
L'autre  Scipion,  son  frère,  le  conquit-il  sur  l'Afrique  pour 
en  enrichir  ses  beaux  jardins  de  Linterne  ?  L'histoire ,  si 
prolixe  sur  tant  de  faits  moins  intéressans ,  se  tait  sur 
celui-ci ,  et  la  reconnaissance  des  amateurs  du  melon 
pour  celui  qui  l'a  naturalisé  en  Europe^  ne  peut  attein- 
dre ce  bienfaiteur  anonyme.  Au  reste ,  ce  présent  déli- 
cieux n'a  pu  nous  être  apporté  que  d'un  climat  embrasé, 
à  en  juger  par  sa  chair  qui  est  une  aggrégation  de  vési- 
cules remplies  d'une  eau  sucrée  et  aromatique.  Ce 
fruit  délicat  et  très -varié  tient  plus  que  son  aspect  ne 
promet  :  semblable  aux  dernières  classes  de  la  société» 
s'il  rampe  c'est  pour  être  utile ,  et ,  sous  une  écorcc 
épaisse  et  raboteuse,  il  recèle  le  oœurleplus  tendre;  on 
l'emarquera  même,  que  semblable  aux  bourrus  bien- 
faisans,  il  est  d'autant  meilleur,  que  son  extérieur  est 
plus  rugueux ,  inégal  et  repoussant;  sa  racine  est  fibreuse 
et  branchue,  ses  tiges  sont  longues,  sarmentcuses,  tra- 
çantes ,  rudes  au  toucher  ;  ses  feuilles  'sont  alternes  » 
lanugineuses ,  plus  petites  et  moins  anguleuses  que  celles 
du  concombre ,  planle  de  la  même  famille.  Les  fleurs 
sont  mâles  et  femelles;  les  femelles  sont  remplacées 
par  des  fruits  très -variés  en  forme ,  en  grosseur,  en 
couleur  et  en  saveur;  ils  sont  ordinairement  ou  ronds  , 
on  ovoïdes,  à  surface  unie  ou  brodée,  ou  à  côles,  blancs , 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ,89 

jaunes  ou  verts  ;  l'éçorce  est  épaisse  et  dure  :  elle  recou- 
vre une  pulpe  blanche ,  verte ,  orangée  ou  rouge  ,  ten- 
dre, succulente,  fondante,  d'un  parfum  suave  et  quel- 
quefois ambré  , 

«  Et  rien  que  d*en  parler  Teau  m'en  vient  à  la  bouche  !  » 

Au  centre  est  une  moelle  neigeuse,  frangée,  odorante, 
contenant  dans  ses  cellules  ,  disposées  circulairement, 
plusieurs  semences  dont  l'amende ,  employée  dans  les 
émulsions ,  est  éminemment  rafraîchissante  et  diuréti- 
que. Elle  entrait  dans  les  chastes  prescriptions  ordonnées 
aux  pieuses  filles  qui  demandaient  h  la  médecine  le  secret 
de  les  débarrasser  de  leur  excès  de  santé  ;  les  méchans 
disent  que  c'est  celui  de  tous  qu'elle  a  le  mieux  conservé 
envers  et  contre  tous. 

Ce  fruit  est  très- sain  dans  les  années  d'une  tempéra- 
ture ardente  :  on  le  mange  avec  le  sel  ou  le  sucre; 
quelques' personnes  le  saupoudrent  de  poivre,  d'autres 
l'arrosent  de  vinaigre;  dans  quelques  pays  on  le  sert  au 
dessert;  il  vaut  mieux  le  manger  avec  le  bouilli ,  parce 
que  la  fermentation  des  alimens  décide  sa  facile  diges- 
tion ,  et  l'on  fait  bien  de  le  couvrir  d'un  verre  de  vin 
généreux  et  méridional.  Dire  que  l'excès  en  est  dange- 
reux est  une  naïveté ,  car  tout  excès  par  lui  -  même  est 
nuisible;  mais  cet  excès  est  très-relatif,  et  nous  avons 
connu  de  très  mauvais  estomacs  qui  mangeaient  très 
impunément  de  très-hautes  doses  de  ce  fruit  trop  ca 
lomnié.  En  effet ,  sa  fraîcheur,  sa  saveur  ,  tout  indique 


igo  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

qu'il  est  tonique  »  et  doit  eoufenir  surtout  aux  estomacs 
qui  ont  plus  besoin  d'être  nourris  et  lubréCés  qu'irrités 
et  lestés.  Le  vin  vieux  et  pur  est,  au  reste  ,  le  moyen 
digestif  le  plus  sûr  à  employer  si  ce  fruit  cause  des 
pesanteurs;  et  nous  trouverons  peu  de  rebelles  à  cette 
prescription  qui  nous  a  été  révélée  par  un  des  plus  fer- 
vens  pontifes  du  dieu  de  Naxos.  Ceux  qui  veulent  faire 
à  la  médecine  honneur  de  toutes  les  guérisons  pourront 
assurer  le  succès  de  cette  recette  par  quelques  prises 
de  bon  quinquina  ,  ou  quelques  grains  de  cachou ,  et 
un  régime  sobre  »  mais  animal. 

On  confit  les  très- jeunes  melons  au  vinaigre  comme 
les  cornichons ,  et  ils  sont  bien  préférables;  maisia  plus 
docte  manière  de  les  conserver  est,  sans  contredit»  de 
piquer  de  canelle  et  de  clous  de  girofle  la  chair  de  ce 
fruit»  dépouillé  de  son  écorce  »  et  de  le  jeter  dans  le  sucre 
et  le  vinaigre;  c'est  une  compotte  à  la  fois  salubre,  dé- 
licieuse »  et  de  garde.  Les  chats  sont  très-friands  de  me- 
lons ,  dit  Polygraphe  dans  son  traité  de  la  Gourmandise 
comparée;  et  nous  lisons  dans  Homère  qu'Andromaque 
nourrissait  décotes  de  melon  les  chevaux  d'Hector. 

Nous  n'établirons  point  la  longue  nomenclature  des 
melons  »  depuis  le  melon  petit-maitre  au  pourpoint  bro> 
dé»  à  la  queue  verte»  au  teint  vineux»  an  parfum  mus- 
qué »  jusqu'au  melon  campagnard  rond  et  simple  comme 
les  bonnes  gens  qui  le  cultivent.  Le  Hasard  »  père  des 
mariages  »  a  produit  les  diverses  familles  du  melon  par  le 
mélange  des  poussières  fécondantes  des  genres  origi* 
naires  qu'on  peut  rapporter  à  six  »  et  offre  un  argument 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  191 

de  plus  auK  intrépides  défenseurs  de  Tégalité  des  cou  - 
diiions*  Ces  six  chefs  de  souche  sont  :  le  melon  maraî- 
cher^ gros»  rond»  sucré»  rouge  et  ferme;  le  melon  de 
tours  y  dont  il  y  a  trois  espèces  »  gros  »  long  et  petit  :  ils 
sont  tous  trois  fermes»  succulens  et  pleins  d'eau;  on  les 
appelle  aussi  sucrins:  le  melon  des  carmes;  il  est  gros 
et  long»  originaire  de  Saumur»  à  très-petites  côtes;  son 
écorce  jaunit  et  avertit  de  sa  maturité ,  qu'il  ne  faut  pas 
attendre  pour  le  manger  bon:  le  melon  de  H  on  fleur; 
c'est  le  plus  gros  des  longs»  comme  celui  de  Goulommiers 
est  le  mamoulh  des  ronds  :  il  est  semé  de  petites  galles 
sur  un^ondyert;  il  pèse  jusqu'à  quarante  livres»  et  il  se 
vend  au  Havre  par  tranches  :  le  melon  de  Malte;  il 
est  k  chair  blanche  ou  rouge  »  mais  toujours  d'une  sa- 
veur sucrée  et  aromatisée;  on  l'appelle  aussi  melon  de 
Candie  ;  cf'est  celui  d'Avignon  »  et  il  a  dans  ces  climats 
un  œil  verdâtre  :  enfin  le  Cantaloup ,  ainsi  nommé  de 
Cantalupi,  village  près  de  Rome»  où  il  a  été  apporté 
d'Arménie;  sa  chair  est  savoureuse  »  rougeâtre  (1)  »  par- 
fumée» et  d'une  facile  digestion  :  c'est  celui  dont  les  Nor- 
mands et  les  Hollandais  préfèrent  la  culture* 

Après  les  grandes  chaleurs  les  melons  sont  indigestes 
et  proscrits  avec  raison  par  les  lois  de  Cornus  »  l'hygiène 
et  la  police  »  parce  que  le  soleil  expirant  n'a  pas  fini  l'é- 
ducsilion  de  ces  enfans  posthumes  de  l'été. 

Le  choix  d'un  melon  n'est  pas  chose  facile»  et  l'on  a 

(i)  On  senrit  uo  jour  chez  mademoiselle  Arnoald  ua  melon  :  •  Il 
est  bien  pMe ,  dit  un  conTive.  —  C'est  qu'il  relève  de  couche  y  dit  ma- 
demoiselle Arnould  qui  s'y  coonaissaît  » . 


,9^  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

dit ,  en  faisant  allusion  h  la  difficulté  de  les  rencontrer 
bons  et  de  les  garder  pour  l'usage  :  On  peut  trouver  une 
maîtresse  et  garder  un  ami;  il  est  difjp,ciU  de  trouver  un 
ami  et  de  garder  une  maîtresse.  Mermet,  poète  et  gour- 
mand apparemment ,  avait  dit  autrefois  : 

Les  amis  à  l'heure  présente 
Ont  le  naturel  du  melon; 
Il  faut  en  éprouver  cinquante 
Avant  que  d'en  trouver  un  bon. 

Le  docteur  mahie  de  sàint-vesin. 


^ti  ^^ittbon^au  et  bu  [^itSanefon, 


(«Plus  nous  avançons  dans  rélé,»  dit  notre  grand 
expert,  M.  G.  D.  L. ,  dans  la  première  année  de  son 
Almanach  des  Gourmands ,  «et  plus  nous  parcourons 
»  une  saison  ingrate  pour  la  bonne  chère;  car  l'homme  , 
«véritablement  digne  du  titre  de  gourmand,  ne  regarde 
»  guère  les  légumes  et  les  fruits  que  comme  des  moyens 
»de  se  récurer  les  dents  et  de  se  rafraîchir  la  bouche,  et 
»non  comme  des  productions  capables  d'alimenter  un 
«strident  appétit:  aussi  prend-il  moins  d'intérêt  à  la 
»  végétation  des  potagers  et  des  vergers ,  qui  commencent 
>*à  se  couvrir  de  trésors ,  qu'à  la  croissance  rapide  des 
«lapereaux,  perdreaux,  levrauts  ,  et  autre  succulent 
«gibier.  Il  voit  avec  plus  de  plaisir  encore  le  veau  de 
«Pontoise  acquérir  dans  ce  mois  les  bonnes  qualités  qu'il 


"S 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  195 

«doit  aux  principes  que  le  lait  de  sa  mère  retire  de  nos 
•prairies  verdoyantes.  Il  se  réjouit  de  Tarrivëe  des  cailles 
•et  caillcteaux  de  vigne»  oiseaux  de  passage  qui  nous 
«sont  amenés  par  les  vents  chands  de  la  fin  du  prin- 
«temps,  et  qo'on  ne  retrouve  pins  dès  le  commencement 
9  d'octobre  ■ 

C'est  en  juillet  que  le  dindonneau  commence  è  varier 
un  peu  nos  rôtis;  c'est  aussi  à  cette  époque  que  le  ca- 
neton de  Rouen  se  montre  sur  nos  tables  sous  tant 
de  formes  différentes;  car,  outre  qu'il  se  sert  comme 
FÔt ,  on  en  fait  des  entrées  de  plusieurs  manières  :  il  se 
sert  poêlé ,  à  la  bigarade  ou  au  citron;  à  la  purée  de 
pois  on  de  lentilles ,  aux  olives,  aux  petits  oignons»  aux 
navets Nous  allons  donner  cette  recette ,  que  beau- 
coup de  gens  connaissent,  ipais  que  très-peu  terminent 
selon  les  règles  de  l'art. 


GANABD  AUX  NAVETS. 

Pkbhbz  on  beau  canard  ou  deux canetonn,  éplucbez-les  avec  soin, 
TÎdez-les,  et  flamhez-Ies  légèrement  ;  bridez  les  ensuite  en  tenant  les 
pattes  en  dehors  ;  après  cela  faites  un  roux  dans  une  casserole  ;  lorsqu'il 
sera  presque  fioî  placez-y  vos  canetons  ou  canard  pour  les  faire  reTenir 
jasqu^à  ce  que  les  chairs  soient  bien  raffermies  ;  mouillez  aussitôt  avec 
de  bon  bouillon ,  et  remuez  toujours  jusqu'à  ce  que  votre  ragoût  bouille 
bien  :  assaisonnez  de  sel ,  d'un  peu  de  sucre ,  un  bouquet  de  persil , 
ciboules ,  et  faites  cuire  à  un  feii  un  peu  vif.  Quand  le  canard  on 
les  canetons  seront  aux  trois  quarts  cuits,  vous  y  mettrez  les  navets,  que 

i3 


194  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

voui  aurei  eu  soia  de  tourntr  de  la  même  groMeur,  et  fait  laulcr  pro- 
TÎMHrement  dans  da  bearre  poor  lear  faire  preodie  une  belle  cooleur  ; 
faitea  ensuite  aller  ▼otre  ragoftt  à  petit  feu ,  dégraissez-le  soigneuseonent 
en  le  finissant ,  Toyez  s'il  est  d*un  boa  sel ,  ayez  soin  que  YOtre  sauce 
soit  liée  9  et  surtout  qu'elle  ne  soit  pas  trop  longue  ;  débridez  Totre 
canard  ou  vos  canetons ,  dressez-les  sur  le  plat  dans  lequel  tous  devez 
les  servir,  placez  vos  navets  par-dessus,  et  serrez  promptement. 

DU    SAUMON. 

Ce  grand  dignitaire  de  la  mer,  qui  abandonne  asses 
fréquemment  le  lieu  de  sa  naissance  pour  remonter  les 
fleures,  est  presque  en  tout  temps  assez  commun  en 
France.  Il  en  vient  de  la  Hollande ,  de  rAUemagne,  etc.; 
mais  ceux  que  fournissent  la  Loire  et  la  Seine  sont  ceux 
que  Ton  préfère  à  Paris.  Le  saumon  ne  paraît  en  son 
entier  que  fort  rarement ,  et  sur  les  premières  tables  ;  on 
Tappréle  de  différentes  manières  :  au  court-bouillon 
(  on  le  sert  froid  et  on  le  mange  à  l'huile  ) ,  pané  et  cuit 
au  four,  etc.,  en  morceaux;  on  en  fait  griller  des  tran- 
ches que  Ton  sert  avec  une  sauce  aux  câpres  ;  on  en  fait 
des  pfités  chauds,  des  escalopes  aux  truffes,  etc.;  il  s'ap- 
prête pour  entrée  à  la  généroise ,  dont  la  recette  suit  : 

SAUMOIf    A    LA    ciNÊTOISE. 

Ayez  une  belle  dalle  de  saumon  d'environ  deux  ou  trois  livras,  met- 
tez-la dans  une  casserole  après  que  vous  l'aurez  nettoyée  et  écaillée  bien 
soigneusement  ;  mouillez  avec  du  vin  rouge ,  mettez  deux  carottes ,  tioit 
oignons  coupés  en  tranches ,  deux  clous  de  girofle ,  une  feuille  de  lao- 
iter,  du  sel ,  du  poivre ,  du  persil  en  branches  et  quelques  ciboules  cb« 
tiéres  ;  faites  coiic  votre  saumon  pendant  une  heure  et  demie  à  pedt 
feu.  Dix  minutes  avant  de  le  servir  passez  votre  court-bouillon  m  tamis. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  igS 

nettes-le  daas  ddc  casserole  avec  aa  bon  morceau  de  beurre  manié, 
placez  le  tout  sur  le  ttu,  et  remuez-le  fortement  jusqu'à  ce  qu'il  bouille  ; 
Ittssez-le  réduire  au  point  qnll  ne  reste  juste  que  ce  qu'il  faut  pour  sau- 
cer le  morceau  de  saumon  ;  (  en  faisant  réduire  votre  sauce  ayez  soin  de 
l'écumer  et  de  la  dégraisser)  égonttez  votre  poisson,  mettez-le  sur  le 
plat ,  et  masqnez4e  de  votre  sauce ,  que  tous  aurez  passée  à  l'étamine 
«t  finie  avec  deux  petits  pains  de  beurre  de  Yambre. 

C.  et  B, 
PIGEONS   EN    TORTUE. 

On  mange  ft  Paris  des  pigeons  pendant  presque  toute  l'année  ;  mais 
tis  ne  sont  jamais  meilleurs  ni  plus  recberchés  que  dans  le  mois  de  juin 
ou  de  juillet.  On  dirait  qu'ils  tirent  un  nouveau  lustre  de  leur  alliance 
avec  les  petits  pois.  Ce  qull  y  a  de  sur ,  c'est  qu'une  compote  de  pi- 
geons aux  petits  pois  est  un  des  ragoûts  qui  plaisent  le  plus  générale- 
ment. On  le  retrouve  en  cette  saison  sur  toutes  les  tables;  et  l'impa- 
tience qu'on  a  d'en  jouir  est  si  grande ,  qu*on  chercbe  À  les  devancer 
en  trompant  notre  sensualité  par  une  similitude.  De  là  sont  nées  ces 
compotes  aux  pointes  d'asperges  qui  ont  leur  mérite ,  mais  qui  dispa- 
raissent à  l'arrivée  des  petits  pois  aussi  complètement  que  la  lune  an 
lever  du  soleil.  Les  compotes  de  pigeons ,  soit  au  roux ,  soit  aux  petits 
pois  y  soit  aux  pointes  d'asperges ,  sont  si  connues ,  que  ce  serait  insulter 
à  la  sagacité  de  nos  lecteurs  que  d'en  donner  ici  la  recette.  Celle  que 
nous  allons  leur  o£Prir,  bien  moins  vulgaire,  et  vraiment  distinguée, 
leur  offrira  l^  ressource  d'une  entrée  digne  de  tenir  son  coin  sur  les 
tables  les  plus  opulentes. 

Ayez  des  concombres  courts  et  gros  ;  éplucbez-les,  et  les  videz  ;  parez- 
les ,  et  faites-les  blancbir  un  instant.  Procurez-vous  autant  de  pigeons 
^e  de  concombres  ;  prenez-les  fort  petits  ;  écbaudez-Ies.  Laissez  le 
«ou ,  la  tète ,  les  ailes  et  les  pattes,  dont  vous  éplucberez  seulement  le 
bout  après  aroir  coupé  le  bec.  Ayez  autant  de  morceaux  de  rouelle  de 
▼eao  que  de  concombres  ;  faites-les  mariner  dans  de  fines  herbes  ;  en- 
suite TOUS  faites  quatre  trous  aux  concombres,  et  vous  mettez  les  pigeons 
dedans  avec  un  peu  de  farce.  11  faut  que  la  tête  sorte  d'environ  un 
pouce,  ainsi  que  les  ailes  et  les  pattes  qui  doivent  sortir  de  chaque  c6té 
par  les  trous  que  vous  avez  faits.  Posez  vos  concombres  sur  chaque 


1 96  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

frîcaodeau ,  qui  doit  être  de  la  mtoac  loogueur  et  de  la  i9<ni» 
que  le  dessous  d'une  tortue  :  faites-ks  cuiie  sur  des  baidea  de  latd  an 
fond  d'une  casserole;  assaisonnes  à  l'ordinaire:  veceuTrea  avee  dea 
bardes  de  lard  et  de  Teau  ;  mouillez  avec  moitié  jus  et  moitié  bouficMi. 
Faites-les  cuire  àpetit  feu.  Étant  cuits,  vous  les  égoutlea  et  lessssuyea, 
uaiceque le  concombre  rendtoujoursde l'eau.  Mettes éessas nue saooe 
à  l'espagnole  d'une  bonne  consialMkC^ 

Ces  pigeons,  ainsi  masqués,  ressemblent  beaucoup  à  une  tortue,  et  le 
coup-d'œil  en  est  tout-à-fait  singulier.  6.  D.  L.  R. 

FkYES   DE    MARA.I8. 

Quoique  l'on  compte  iusqn'4  huit  espèces    de  fèvea»  et  qu'elles 
soient,  selon  Isidore,  le  premier  légume  dont  Us  tukcUnâ  aient  lait 
usage,  le  vrai  gouroMnd  tnodem9  ne  eonnslt  que  la  jolie  petite  Céve  de 
marais ,  que  l'on  accommode  presque  toujours  avec  du  sucre  ou  de  la 
crème  «  mais  que  nous  mangeons  avec  plaisir  préparée  ainsi  quH  sût  : 
Il  faut  se  procurer  de  ces  petites  fèves  bien  tendres  et  firatebemeat 
épluchées ,  les  faire  bUnchif  dans  de  l'eau  bo  uiUante  jascpi'à  ce  qu'eilei 
•oient  cuites ,  les  égoutter  ;  mettre  un  moreeau  de.  beurre dana  uneca» 
serole ,  un  peu  de  persil  hacbé  et  de  la  sanîette,  les  jete^  dans  cette  cas<- 
serole ,  les  sauter  avec  un  peu  de  sel  et  une  prise  do  sucre  pour  en  6ter 
l'Acreté;  les  ûnger  très-légérement,  les  mouiller  ensuit»  arec  on  peu 
d'eau,  et  les  laisser  bouillir  un  instimt;  tenir  la  sMioeoo«ite»«^ pour  les 
finir,  mettre  une  bonne  liaison  ayoc  àa  la  créniQ»  ^ 

HARICOTS    TERTS. 

Ce  légume  savonreui  et  sain  forme  dans  sa  ptimour  d'eiosltona  plat» 
d'entremets  avec  les  petits  pois  et  les  fèves  de  mardis.  On  le  prépare  ds 
plusieurs  manières  ;  en  voici  une  qui  nous  paialt  aaéntec  quelque  dé- 
férence ,  et  qui ,  bien  qu'elle  soit  connue,  a  acquis  le  titi»  de  nosi^rosnl^ 
dans  notre  dtnerdu  so  juin  181  a,  parla  précision  av^  li^^pieUtt  m^ 
digne  hôte ,  M.  Baleine  y  l'a  exéculiéft  i 

HARICOTS   TERTS   A   L*ANGI.AIS£. 
'Prenez  de  pelits  haricots  verts  bien  tendres,  et  observez  qu'ils  af 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  197 

ffieAt  pat  filattdfleiii  ;  èplochet4ei  ;  a jes  de  l'eau  boulllaote ,  je(ei-l«« 
ëadaat  ;  faîiaa-Ia.s  blaochir  jQMpi'à  ce  qii^ils  tolent  caits  ;  mais  ayei 
bien  soin  qalls  ne  le  soient  pas  trop;  jetet-lesensnite  dans  une  terrine 
d'eau  fralobe  ;  mettez-y  une  poignée  de  gros  sel ,  toujours  en  propor- 
tion de  la  <{uantxté-de  haricots;  lorsque  tous  Toudrez  les  assaisonner, 
faites-les  chauffer  arec  un  peo  de  Tean  qui  les  a  rafraîchis  ;  lorsqu'ils 
seront  bien  chauds ,  égouttez  toute  l'eau»  qu'il  n'en  vetUpoi  uns  goutte; 
mettez-y  uo  bon  morceau  de  b«ante  »  très-peu  de  sel,  un  peu  de  persil 
haché  »  un  peu  de  muscade  ;  remuez  le  tout  bien  légèrement  avec  une 
cuillère  de  bois  ;  lorsque  le  beurre  aéra  fondu  »  presses  un  jus  de  citron 

dans  vos  haricots,  et  servez-les  de  suite. 

B. 

MÀlflkBB  J>S   CON8ERTER   LES   DARICOTS   VEUTS  PENDANT 

TOUTE    L* ANNÉE. 


Il  fairtteMan  choisir  et  ka  éphiober  tolpieusenwt  ;  Jes  falfe  blan- 
ehîr  dans  de  l'eau  et  du  sel  (en  observant  de  mettre  beaucoup tl'eau)  ; 
les  laisser  bonlUir  pendant  dix  minutes,  et  les  rafraîchir  ensuite  dans. 
ti6  taème  volume  d'eau  très-fraîche  ;  lorsqu'ils  sont  froids ,  les  égoutter 
Maa  «oigttetaatmeat ,  puis  lek  aaattte^e  même  dana  des  bocaux;  cela; 
faît>  «anser  «Éie«anmaie  p«r-deasas ,  Xaire  clarifier  du  beurre  i  en  mettea 
un  pouce  d'épaisseur  sur  la  oalaison ,  et  quand  le  beurreest  froid  »  bien 
couvrir  les  pots  avec  du  papier. ou  du  parchemin. 

On  peut  également ,  après  avoir  épluché  les  barioots ,  les  mettre  dans 

«n  petit  balai  ou  dans  dei  pots ,  en  ayant  soin  de  pbc«r  kdterttalivetteiit 

un  £t  de  baiicota  et  ua  Ut  de  sel  jusqu'au  comble  ;  mettre  ensuite  os 

rond  de  bois  qui  ferme  bien  hermétiquement  ou  le  baril  ou  le  pot«  et 

poser  sur  le  tout  une  grosse  pierre ,  afin  de  mieux  le  tasser.  Quand  on 

veut  en  manger,  on  les  met  dégorger  pendant  deux  heures  au  moins  ,. 

«t  CEI  Usa  fiût  cttiM  à  l'ein  froide. 

G. 

9Qm   VBET«  A   l'aNU^AISE. 

Mettez  un  litre  de  pois  avec  du  sel  (ou  davantage ,  selon  la  quantité 
que  irottf  en  voolez  faire)  dans  de  IVau  froide  ;  que  vos  pois  baignent 
biea  ;  fa|t«a-ftts  bouillir  jusqu'à  ce  quHls  soient  cuits  ;  jetez-les  dans  une 


198  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

paasolre  bieo  propre;  lonqu^îls  soDt  bien  égouttés,  metter-iesnir  on 
plat  ;  faites  uo  petit  trou  au  milieu  des  pois ,  mettex-y  trois  ou  qaatce 
paios  de  beurre ,  et  servez  de  suite. 


MiMnownaMnaiino! 


2l0Ut. 


I 
LB    MOIS   BORE ,    OU    LES   MOISSONS. 

Non  in  solo  pane  vitit  homo. 

En  nous  prodiguant  le  blé  la  Providence  n*a  pas  pré- 
tendu nous  imposer  l'obligation  de  vivre  de  ferine  ;  elle 
a  voulu  assurer  à  l'universalité  des  consommateurs  une 
nourriture  same  »  abondante  »  et  qui  f&t  du  goût  de  tout 
le  monde.  Tel  est  le  sens  mystérieux  de  la  maxime 
gourmande  que  la  sagesse  même  a  dictée  :  elle  manifeste 
les  intentions  bienfaisantes  de  Fauteur  de  la  nature, 
dont  le  mois  d'août  accomplit  tes  promesses. 

C'est  sous  la  constellation  de  la  Vierge  que  lès  champs 
ae  dépouillent  de  leurs  richesses  pour  remplir  nos  gre- 
niers; les  forêts  d'épis  tombent  sous  la  faucille  du  mois- 
sonneur^ et  le  grain  jallit  sous  le  fléau  qui  frappe  l'air  en 
cadence. 

Quelle  abondance  merveilleuse  !  quelle  munificence 
dans  les  dons  du  ciel  I  Des  monceaux  de  froment  »  de 
seigle ,  d'orge»  de  maïs,  de  sarrasin,  de  millet,  d'avoine 
et  de  graines  de  mille  espèces  s'élèvent  eh  pyramides 
dans  les  granges.  Les  hommes  »  les  oiseaux,  les  quadru- 
pèdes bondissent  de  )oie  autour  de  ces  monumens  sub»-- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ,99 

tantiels  ,  gages  assurés  contre  la  faim.  Déjà  le  meunier 
a  rempli  son  moulin ,  et,  couvert  d*une  noble  poussière^ 
il  recueille  la  farine  nouvelle  que  la  meule  a  broyée.  Le 
boolanger,  les  bras  nus,  livre  à  Tépreuve  de  Teau  et  du 
feu  le  grain  que  le  vent  a  réduit  en  poudre.  L'odeur  du 
pain  chaud  monte  au  nez  des  vivans;  tout  revit,  tout 
s'anime,  tout  s'agite  pour  en  avoir,  depuis  le  manœuvre 
qui  n'a  qu'an  besoin ,  jusqu'au  pauvre  opulent  qui  ne 
peut  satis&îre  à  tous  ceux  qu'il  s'est  créés. 

Les  animaux  participent  à  cette  abondance  :  la  paille 
garnit  les  étables ,  les  oiseaux  trouvent  leur  pâture  dans 
le  chaume  et  sur  les  guérêts  dépouillés ,  le  gibier  s'en- 
graisse de  ce  qu'il  ravit;  dans  les  basses-cours  les  graines 
tombent  comme  la  pluie  du  tablier  dispensateur  de  la  pay- 
sanne nourricière.  Tout  ce  qui  respire  est  appelé  par  la 
nature  au  même  banquet  ;  et  c'est  une  consolation  pour 
ie  gourmand ,  dont  le  cœur  est  essentiellement  bon  ,  de 
savoir  que  pour  un  prix  modique ,  pour  un  léger  la- 
beur, l'indigent  aura  du  pain.  La  terre  surabonde,  et 
la  &ucille  la  plus  avare  laissera  toujours  la  part  du 
gkneur. 

Hais  notre  reconnaissance  ne  se  bornera  pas  à  cet 
hommage  indirect.  Quel  champ,  en  effet,  que  Je  pro- 
duit de  nos  champs  pour  la  cuisine  dont  l'art  s'étend  sur 
la  nature  entière  !  Non ,  les  gourmands  ne  dédaigneront 
point  d'exercer  leur  appétit  sur  lé  mets  commun  du 
riche  et  de  l'indigent ,  des  gens  sobres  et  de»  gens  qui 
ne  le  sont  pas. 

"N^est^ce  pas  avec  de  la  fine  fleur  de  farine  que  se  font 


200  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

kê  gâteaux ,  les  biscuits ,  tes  tourtes ,  les  Fol-au-yent?  Là 
famille  toute  eotière  de  la  pâtisserie ,  celle  qui  habite  le 
premier  service  »  comme  celle  qui  fleurit  à  TeatreBMits^ 
et  celle  qui  règne  au  dbsseii ,  n'est-elle  pas  originaire  du 
sillon  qui  produit  le  blé  ?  Depuis  le  massepain  jusqu'à  la 
gimblette,  depuis  le  gâteau  des  rois  jusqu'à  celui  de 
Nanterre ,  depuis  le  surtout  superbe ,  dessiné  par  Tho- 
mas ou  par  Félix»  jusqu'à  l'échaudé  Vulgaire  qui  se  v^id 
dans  les  rues  »  toutes  les  croûtes ,  toutes  les  pâles  fori* 
neuaessont  sœurs  du  pain  et  fiUes  du  froment  ou  de  Forge; 

La  farine  s'unit  à  presque  tout  ce  qui  se  mange ,  et  le 
bonifie  z  «es  atomes  liants  serrent  à  composer  tine  sanoe 
blanche  ^.demémequ'une  frangipane  et  un  eboax  grillé; 
dans  les  fritures^  dans  les  ragoûts  elle  tnouve  presque  tou- 
jours sa  place,  et  les  beignets  ne  se  font  point  sans  eHe. 

Le  pain  même»  dans  sa  simplicité»  rivalise  sou  vent  avec 
l'anguille  dans  une  matelote  >  aux  flancs  d'une  poularde 
ou  d'une  grive  rôtie»  avec  la  tranche  de  lard  ou  h  feuille 
de  vigne.  Ci 'est  lui  qui  forme  les  remparts  d'une  charlotte 
sucrée;  c'est  lui  qui  donne  du  corps  à  la  rôtie  restaurante 
dont  le  Champagne  est  l'ame.  Le  pain  enfin  est  toujours 
présent  au  festin  :cblui  qui  dévore  des  filets  de  chevreuil 
DU  de  canard»  des  ortolans  ou  des  jambons»  croirait 
outrepasser  le^bornes^  de  la  gourmandise  s'il  ne  mangeait 
pas  un  peu  de  pain  avec. 

Gloire  donc  à  Cérès» 

« 

c  Qui  vient  accomplir  les  promesses 
a  Que  le  printemps  a  fait  à  l'univers  !  » 

{Ballet  des  Saisons.) 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  soi 

Gloire  au  soleil , 

«  Qui  dans  ces  )ours  chers  aux  humains 
»•  Ne  brille  à  leurs  regards  que  pour  remplir  leurs  mains  !  « 

{Ihid.) 

C'est  au  mois  d'août  que  les  anciens  célébraient  les 
fêtes  de  Gérés  et  celles  à^sphallaphoreê,  dont  nos  belles 
aavafitos  peuyent  se  fairo  expliquer  les  rites  par  quelque 
antiquaire ,  s'il  en  est  parmi  leurs  amans* 

Les  ayenture  s  amoureuses  sont  communes  da0s  le 
temps*  chaud*  Les  jeunes  beautés  emportent  plus  -d'un 
souvenir  des  moissons^  Les  feux  de  la  canicule  font 
dieroherla  fraîcheur  des  hois  touffus  dont  l'ombre  so- 
litaire est  &talB  aux  cœurs  déjà  fiâtes  par  la  chaleur 
pénétrante  de- Vénus. 

•  Cest  encore  dans  ce  mois  que  se  faisait  la  dédicace 
jdu  temple  de  Mars  et* que  l'on  fêtait  l'anniveEsaîse  delà 
4léliyrance  du  capitole  sauvé  par  les  oies;  im  crucifiait 
un  chien  en  mémoire  de  la  négligence  de  ses  ancêtres. 

Pour  nous ,  dont  lii'  gratitude  ne  va  point  chercher  de 
victimes  parmi  les  animaux  qui  ont  des  *chx>its  à  noire 
amitié ,  nous  ne  fêtons  les  oies  qu'à  la  Saint*Martia  et 
en  les  mangeant;  elles  commencent  à  devenir  grosses  et 
succulentes  en  août.  Nous  rendrons  quelque  jour  une 
justice  solennelle  à  cet  animal ,  qui ,.  pour  être  dédaigné 
des  gens  délicats ,  n'en  est  pas  moins  digne  de  l'hom- 
mage du  gourmand. 

Nous  avons  aujourd'hui  d'autres  tributs  à  payer.  La 
volaille  fine  commence  à  prendre  de  la  graisse;  le  cha- 


SOS  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

pon  du  Mans»  la  poularde  de  la  Flèche ,  le  coq  deCaux» 
le  poulet  normand^  le  pigeon  ramier,  de  volière ,  romain  , 
étaleut  leurs  membres  entrelardés  sur  nos  tables. 

Le  gibier,  que  la  chute  des  épis  livre  au  plomb  meur- 
trier du  chasseur,  devient  déjà  commun;  le  levreau» 
le  lapereau  y  le  chevreuil ,  la  caille  ,  la  grive  ^  le  per- 
dreau ,  etc. ,  se  réfugient  chez  le  restaurateur  pour  s*y 
tapir  dans  un  salmi  de  champignons ,  s*y  percher  sur  Ib 
broche,  s*y  étendre  sur  une  litière  de  choux. 

Dans  ce  temps  fécond  en  bons  mets  on  mange  encore 
des  maquereaux,  des  petits  pois  et  des  fèves;  et  déjà  le 
saumon,  le  turbot  et  la  carpe  se  montrent  dans  les  repas 
d'apparat.  Les  haricots  verts  et  blancs ,  l'artichaut  et  le 
melon  sortent  de  la  serre  et  mûrissent  à  l'air  libre  ;  les 
jardins  sont  couverts  de  salades  et  de  légumes  de  toute 
espèce. 

Mais  ce  sont  les  fruits  qui  forment  la  plus  grande  ri- 
chesse du  mois  d'août.  Les  fruits  rouges  ne  sont  pas  en- 
core entièrement  passés ,  et  Pomone  épuise  ses  trésors. 
L'abricot  jauni  par  le  soleil ,  la  prune  diaprée ,  Tamande 
verte  ,  la  mûre  sanguinolente ,  la  poire ,  la  figue ,  la 
pêche  surtout ,  mettent  le  gourmand  dans  l'embarras 
du  choix. 

Nous  rendrons ,  en  son  temps ,  hommage  à  ce  fruit 
merveilleux  qui  porte  le  nom  de  la  déesse,  et  dont  le  jus, 
rival  de  celui  de  la  vigne ,  assure  la  suprématie  de  l'Eu- 
rope sur  toutes  les  autres  parties  du  monde ,  celle  de  la 
France  sur  l'Europe,  de  la  Normandie  sur  la  France  ,  et 
du  canton  d'Isigny  sur  la  Normandie. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS-  2o5 

Le  mois  d'août  aime  surtout  la  pêche  fondante  et  la 
prane  Tariée*  Quelle  famille  intéressante  et  nombreuse  ! 
La  reine-elaude  l'emporte  sur  ses  sœurs;  mais  la  mira* 
belle  p  grosse  et  petite ,  trouve  encore  des  amateurs  ; 
IHtnpériale  se  fait  remarquer  suivie  de  la  royale,  de  la 
dauphine,  de  l'impératrice,  de  la  roche- courban,  de 
la  nUgnane,  de  la  mignonette,  et  enfin  de  la  prune 
d'abricot. 

Qui  peindra  dignement  le  perdujon  blanc ,  le  perdu-* 
jon  violet ,  le  damas  violet ,  rouge  »  jaune,  blanc,  gris, 
noir,  le  gros  damas  de  Tours  ,  le  damas  d'Italie,  le 
damas  masqué,  la  prune  demonsieur,  laprunededrap 
<l'or?  Filles  de  la  Nature  et  de  TArt,  elles  étendent  les 
limites  du  jardinage  et  le  domaine  de  la  gourmandise. 

Je  ne  citerai  plus  que  Y  olive,  dont  on  fait  cas,  et  sur- 
tout la  sainte 'Catherine  que  Ton  cultive  en  si  grande 
quantité  dans  la  Touraine,  d'où  toute  la  France  la  tire 
confite  au  soleil. 

Entre  la  prune  et  la  pêche»  qui  peut  les  prendre  toutes 
deux  n'hésite  pas;  mais  s'il  faut  opter»  c'est  pour  la  der- 
nière qu'un  gourmet  prononce.  Les  diverses  espèces  de 
pêches  formeraient  une  liste  aussi  longue  que  celle  des 
prunes.  Les  plus  précoces  sont  les  avant-pêches  blan- 
ches et  les  admirables;  les  plus  tardives^  l'alberge  jaune, 
la  violette,  la  mignone,  le  pavi  rouge  et  blanc,  le  bri^ 
gnon  violet,  etc. 

Mais  il  &ut  savoir  se  borner»  mémo  sur  ce  qui  fait 
venir  l'eau  à  la  bouche.  D'ailleurs  cette  nomenclature 
serait  aussi  longue  que  celle  du  tulipier  de  M.  Tripet; 


y' 


so4  lE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

olle  sertit  tans  dotile  plus  digne  de  la  curiosité  publique. 
Qu^esH^e  que  la  rue  d'une  tulipe  pour  qui  peut  admirer 
les  deux  demi-globes  dont  la  rondeur  donne  k  la  péclic 
la  forme  la  plus  rapprochée  de  la  perfection;  pour  qui 
peut  palper  cette  pellicule  veloutée  dont  le  duTel  se 
compare  k  la  peAu  fine  d'une  vierge  ;  pour  qui  peut  hu- 
mer le  parfum  de  ce  fruit  délicieux  ;  pour  qui  peut  enfin 
presser  sous  son  palais  avide  cette  chair  moeUeuse  et 
fondante  *  mélange  de  nectar  et  d'ambroisie  ? 

Pour  conserver  ces  trésors»  et  tant  d'autres ,  Cornus 
inventa  l'art  du  confiseur.  On  a  dans  tous  les  teoip* 
des  pêches  et  des  prunes  à  l'eau -de-  vie  et  en  coa* 
fitures  ;  on  éternise  ainsi  rabricot ,  la  cerise  et  tous 
les  dons  de  Pomone  (i)»  Le  mois  d'aoàjt  pourrait  s'ap- 


(i)  Tons  cet  fruits  confits  et  4«  première  qualité ,  se-rencontre&ttoa- 
Jours  «QZ  deux  Palmiers ,  chei  M.  Terrier,  me  Saint-Honaré,  o*  s44, 
près  la  rue  de  l*ÉcheUe. 

Qui  n'a  pas  dégusté  avec  délices  quelques-uns  des  bonbons  de  toutes 
formes ,  par  lesquels  ce  savant  artiste  pronve  tous  les  ans  les  degrés  de 
]a  civilisation ,  et  la  perfectibilité  indéfinie  de  l'esprit  humùn^.  Le  ma- 
gasin sucré  de  M.  Terrier  offre  par  sa  variété  et  par  sa  ticbesse  mi- 
puisablb ,  de  quoi  satisfaire  tous  les  goûts  ;  on  y  trouve  des  itaUoU  pour 
les  comn^erçans,  des  bounieh et  tf  huîtres ,  des  truffes  au  ehùo^iat,  des 
barîts  4f  olives,  des  pâtés  de  truffes  et  de  foies  gras ,  dos  fromages  do  Hoc- 
fari  on  pMo  es  pistacko  à  ia  vanlUo ,  dos  saueisoons ,  Ai  îmnehss  dojamt' 
htm  y  pour  les  goarman^ls  ;  dos  pois  votts,  dos  oorioof,  des  hombmu  fÉ- 
pieuro  et  des  petits  farceurs  pour  les  dames. 

Les  sirops  de  M.  Tanrade  ne  redoutent  d'autres  rivaux  que  ceox  de 
M.  Terrier  ,  si  connu  pour  ses  bonbons  de  dessert ,  ses  bonbons  de  café 
à  la  crème ,  ti  surtout  par  ses  boites  de  dragées  et  de  fniits  pour  lesbap- 
téoEies  9  qu'il  suffit  de  citer  son  nom  dans  ces  solennités  de  famille  po«r 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  9o5 

peler  le  moi»  c&nfit,  tant  ii  66  mêle  de  sucre  et  d*art  à 
tout  oe  qu'il  produit*  Mais  ces  créations  de  Tart  alimen- 
laire  »ont  un  Douveau  tribut  de  gratitude  à  la  Provi- 
dence ;    il  faudrait  être  poëte  pour  élever  ses  chants  à 
la  hauteur  de  tant  de  bienfaits.   J'invite  ceux  des  gour- 
mands qu'ApoUon  inspire  à  composer  un  hymne  à  la 
canicule.  Pour  moi  »  qui  ne  sais  que  boire  à  leur  santé , 
j'aime  mieux  citer  des  vers  que  d'en  faire. 

Soleil ,  c'est  aufoard'hui  ta  fête  : 

L'été ,  chargé  de  blonds  épis. 

Étale  ses  riches  habits , 

Et  fait  rajonner  sur  ta  tête 

L'or,  les  saphirs  et  les  rubis. 

Pèjà  la  moisson  est  tombée 

Sous  la  iaucille  recourbée 

Du  moissonneur  laborieux. 

Trésors  prodigués  par  les  cieux , 

Ici  les  gerbes  dispersées  * 

Couvrent  la  face  des  guérèts; 

Plus  loin  leurs  meules  entassées 

Élèvent  un  trône  à  Gérés. 

L'épine  enfante  la  groseille; 

Mille  fruits  parfument  les  bois; 

Et  prête  à  remplir  sa  corbeille , 

La  nymphe  héûte  sur  le  choix. 

[Les  Saisons  du  C,  de  Bebnis.) 

exciter  la  friandise  des  parrains  généreux  et  des  belles  marraîoes.  On 
dit  enfin,  les  dragées  de  M.  Terrier,  comme  on  dît  les  TandcTilles  de 
M.  Scribe. 


IffWWB'^l^BiBWW*'^^"'"*"!  «  »»i— -^iWiHJ  .^mmm.     -        ,    ,  mm 


f 


206  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Puisqu'il  n*y  a  point  dans  l'année  d'époque  aussi  fé- 
conde et  aussi  variée  »  il  est  donc  vrai  que  l'auteur  de 
tout  a  bien  voulu  faire  ressortir ,  et  nous  inculquer  cet 
axiome  : 

Non  in  solo  pane  vivit  homo. 

Ga^stehhaun. 

LE  PAIN. 

Air  :  An  loio  foe  je  prcodt  et  on  gloin.  . 

Sans  le  divin  jus  de  la  treille. 
Sans  les  doui  présens  de  Gérés, 
C'est  en  vain  qu'un  Apollon  veille  ; 
Il  ne  fera  jamais  flores. 
La  renommée  est  illusoire  ; 
Et  le  plus  modeste  écrivain 
Ne  peut  courir  après  la  gloire 
Lorsqu'il  attend  après  le  pain. 

On  est  jaloux  lorsque  l'on  aime  ^ 
Quand  on  écrit  on  est  berné; 
On  est  y  au  sein  des  grandeurs  même  j 
Par  mille  soucis  consterné  : 
L'ennui  vient  toujours  à  la  piste. 
Et  la  gaîté  reste  en  chemin. 
Quand  on  a  trop  d'or  on  est  triste  ; 
On  est  gai  quand  on  a  du  pain. 

Chacun  cède  à  son  habitude 
Plus  souvent  qu'à  son  intérêt  : 
Gallùs  a  le  goût  de  l'étude, 
Trenk  a  celui  du  cabaret; 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  207 

Et  Toici  ce  que  dit  un  liyre 

Dont  l'auteur  a  le  goût  très-fin  : 

Si  TOUS  Toulez  toujours  bien  virre, 

Ne  perdez  pas  le  goût  du  pain. 

Artighàc. 


e^  ^nfanfictbr^. 


Lb  mois  d'Auguste  n'est  guère  plus  favorable  à  la 
bonne  chère  que  celui  de  Jules-César  :  aussi  la  plupart 
des  gens  riches  vont-ils  alors  dans  leurs  terres.  Les  ta 
blés  de  Paris  sont  renversées»  et  les  parasites  font  diète. 
Cependant  les  lapereaux  commencent  à  devenir  lapins  » 
les  perdreaux  perdrix ,  et  les  levrauts  se  changent  en 
lièvres  ;  mais  ne  les  arrêtons  point  dans  leui'  croissance. 
Les  jouissances  prématurées  sont  toujours ,  et  dans  tous 
les  genres,  des  jouissances  imparfaites.   Laissons  ces 
animaux  aimables  vivifier  nos  champs  et  nos  forêts  /  en 
attendant  qu'ils  alimentent  nos  tables;  nous  saurons 
toujours  bien  les  retrouver ,  car  rien  n'échappe  à  l'ac- 
tive industrie  de  l'homme.    Alors  un  levi*aut ,  djsvenu 
trois-quarts ,  remplira  convenablement  un  plat  du  mi- 
lieu ,  et  n'aura  pas  besoin 

Qu*un  long  cordon  d'alouettes  pressées , 

Et  sur  les  bords  du  plat  six  pigeons  étalés^ 
Présentant  pour  renfort  leurs  squelettes  brûlés, 

lui  servent  d'accompagnement  »  comme  dans  le  fameux 


2o8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

.  repas  de  Boileau ,  que  tout  amateur  de  bonne  chère  doit 
étudier  avec  soin ,  pour  éviter  d'en  donner  un  sem- 
blable. 

Cependant ,  si  quelques-uns  de,  nos  lecteurs ,  trop 
pressés  de  vivre ,  voulaient  absolument  manger  leur  blé 
en  herbe ,  et  faire  entrer  à  toute  force  ceft  enfans  dans 
leur  cuisine ,  il  est  de  notre  devoir  de  leur  indiquer  la 
meilleure  façon  de  les  produire  sur  It»ur  table  :  nous 
leur  dirons  donc  qu^on  mange  les  levrauts  en  terrine  et 
à  l'eau-de-vie  ;  cette  deri^ière  façon ,  au  moyen  des  nom- 
breux ingrédiens  qui  la  composent ,  devient  un  ragoût 
fort  savant ,  et  même  un  peu  chimique.  Les  levrauts  se 
mangent  à  la  Suisse ,  à  la  Czarine,  à  la  Saingaraz  ; 
les  perdreaux  en  biberot,  ^n  papillotes,  en  tourtes  :  on  en 
fait  des  potages  simples^  desfoiageê  en  profiteroles,  etc.  ; 
mais  y  nous  le  répétons  »  c'est  un  véritable  in&nticîde 
que  d'égorger  ainsi  dans  son  jeune  âge  une  génération 
qui  ne  croît  et  ne  s'engraisse  que  pour  notre  grande  sa 
tisfaction.  G.  D.  L.  JR. 


as 


(4  idtt  ^^^y  ii^ntiattut  Us  cotants. 


C'est  au  mois  d'août  (  Thistoire  ne  dit  pas  le  jour  ) 
que  la  mère  des  Gourmands  mangea  pour  Ta  première 
fois  le  fruit  défendu  dont  le  genre  humain  se  régale  de- 
puis quelques  six  mille  ans.  Le  sol  où  verdoyait  Tarbre 
de  vie  était  chaleureux  et  précoce;  déjà  depuis  plus  d'un 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  209 

mois  les  pommiers  se  couyraient  de  pommes  »  lorsque  le 
serpent  s'avisa  d'en  faire  l'instrument  de  notre  perte.  La 
première  des  agnès  les  voyait  sans  appétit  ;  mais  la  cu- 
riosité »  innée  dans  le  sexe  dont  etU  était,  fut  le  côté 
faible  par  où  le  malin  s'introduisit  dans  la  place.  Maître  de 
ce  poste ,  il  j  découvrit  la  coquetterie  »  autre  faible  par 
lequel  il  s'insinua  sans  peine  jusqu'au  cœur  de  notre  tes- 
pectabie  et  facile  aïeule. 

Le  mal  étant  sans  remède»  il  faut  s'en  consoler;  aussi> 
chers  Gourmands»  en  vous  proposant  de  chômer  l'anni- 
versaire de  noire  perte ,  n'ai-je  pas  le  dessein  de  vous 
prêcher  le  jeûne  et  l'abstinence;  je  viens»  au  contraire , 
vous  féliciter  du  privilège  -qm  vous  a  été  transmis  de 
manger  impunément  ce  que  la  pauvre  Eve  paya  si  chen 

La  pomme  en  effet  n'a  plus  rien  de  malfaisant;  les 
tables  les  plus  consciencieuses  en  sont  chargées  depuis 
l'&pi  au  teint  vermeil  jusqu'au  calville  rouge  ou  gris , 
depuis  la  reinette  blanche  d'Angleterre  aigrelette  jus- 
qu'au doux  et  roux  fenouîllet.  Les  plus  austères  cénobi^ 
tes  »  les  plus  inexorables  ennemis  de  la  bonne  chère  »  les 
Égyptiens  qui  adoraient  les  oignons  »  les  pythagoriciens 
qui  respectaient  les  fèves  »  les  chartreux  qui  s'abstenaient 
de  chair  »  les  trapistes  qui  se  privaient  de  tout ,  les  amou- 
reux qui  vW ent  de  rien  »  tous  ont  été  et  sont  restés  fidè- 
les à  la  pomme;  aucun  n'a  renié  sa  mère  et  démenti  le 
penchant  inné  pour  le  péché  ,  dont  ce  doux  fruit  est 
Vembléme. 

La  pomme  est  la  reine  des  vergers;  elle  mérita  de  don- 
ner son  nom  à  la  déesse  des  jardins.  Elle  n'est  pas  moine 

14 


210  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

chère  aux  amans  qu'aux  convives;  elle  a  joué  dansThis- 
koire  profane  el  fabuleuse  un  rôle  non  moins  illustre  que 
dans  rhistoire  sacrée.  Celle  que  Paris  donna  à  Yénus 
fut  aussi  fatale  que  celle  dont  la  femme  d*Adam  régala 
son  époux  après  s'être  laissé  aller  aux  séductions  du 
démon. 

J'ai  ouï  dire  que  Tinfluence  de  ce  fruit  maudit  était 
encore  la  cause  du  mauvais  renom  des  Normands,  qui 
ont  perfectionné  l'art  de  le  cultiver»  de  le  vendanger  et 
de  le  confire.  La  Normandie  n'en  est  pas  moins  un  pays 
de  prédilection  et  d'abondance ,  un  paradis  terrestre,  un 
vrai  jardin  d'Eden  ;  et  si  les  Normands  ont  l'astuce  du 
serpent  »  les  Normandes  ont  la  fraîcheur  primitive  et  la 
naïveté  un  peu  suspecte,  et  pourtant  trèa-piquante,  de 
la  belle  Eve. 

On  prétend  que,  quoique  Normandes  »  elles  sont  aussi 
confiantes  que  leur  mère  lorsque  le  diable  les  tente;  et  j'ai 
lu  dans  certains  moralistes  du  pays  de  Caux  que  si  la 
mère  du  genre  humain  n'eût  pas  vendu  sa  postérité  pour 
une  pomme,  mesdemoiselles  ses  filles ,  sans  en  excepter 
une  seule  femme ^  en  auraient  fait  tout  aussi  bon  marché. 

Il  faut  avouer  néanmoins  que  le  tentateur  y  a  mis  le 
prix.  La  première  beauté,  telle  que  la  peint  Milton,  valait 
bien  qu'on  la  mît  en  balance  avec  toute  l'espèce  des 
hommes.  Quel  est  celui  de  ses  descendans  qui  osât  mar- 
chander en  pareil  cas  ?  Mes  chers  amis ,  aux  risques  et 
périls  de  votre  postérité ,  je  souhaite  que  la  saison  des 
pommes  vous  fasse  trouver  des  Eve. 

Mais  ne  renouvelons  pas  ici  les  vieilles  querelles  aux- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS..  «n 

quelles  la  pomme  a  donné  Ueu  :  mangeons^p;  nous 
n'en  mourrons  pas  :suQGombons  k  la  tentation  ;  le  monde 
n'ea tournera  pas  plus  mal  :  distrihuons-en  à  nos  amis; 
cela  ne  mettra  pas  Troie  en  flammes* 

Grâces  aux  dieux  »  il  y  a  peu  de  fruits  que  la  Provi- 
dence ait  autant  multipliés  que  la  pomme;  et»  quelque 
nombreuses  que  puissent  être  les  chfttes  de  nos  jeunes 
Ères,  U  en  restera  toujours  à  moissonner. 

Il  y  a  des  pommes  pour  toutes  les  belles;  il  y  en  a 
pour  tous  les  amateurs. 

Cependant  c'est  à  la  Normandie  que  nous  devons  les 
plus  renommées  »  et  la  suprématie  de  cette  province  est 
reconnue  depuis  plusieurs  siècles  par  les  pomivores  ré- 
pandus sur  la  surface  de  la  terre. 

€'est  aussi  de  ce  pays  de  Cocagne  que  nous  viennent 
les  poires ,  ces  dignes  rivales  des  pommes ,  et  ces  fruits 
savoureux  de  toute  espèce ,  dont  nous  ferons  Féloge  en 
leur  temps. 

C'est  de  Honfleur  que  Ton  apporte  ces  melons  exquis 
et  rafralchissans  qu'appellent  nos  palais  desséchés  par 
les  ardeurs  du  mois  d'août.  Ce  sol  privilégié  produit  les 
meilleurs  cantaloups ,  et  l'art  et  le  travail  parviennent  h 
peine  k  faire  naître  ailleurs  avec  parcimonie  ce  que  la 
Bature  prodigue  vers  l'embouchure  de  la  Seine  aux  soins 
les  plus  vulgaires. 

Province  inépuisable  à  jamais  chère  aux  gourmands , 
non-seulement  ce  sont  les  fruits  les  meilleurs  et  les  lé- 
gumes les  plus  parfaits  qu'on  doit  à  son  terroir ,  c'est 
aussi  dans  les  pâturages  du  Calvados  ,  de  la  Seine  et  de 


\ 


SIS  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

TEure  quo  s'engraissent  ces  rosbifs  jateux  »  ces  cotes 
entrelardées ,  et  ces  coqs  vierges  »  et  ces  poulardes  do- 
dues qui  ont  illustré  le  lieu  de  leur  naissance ,  non  moins 
que  la  gentillesse  des  cauchoises. 

C'est  aussi  de  la  côte  de  Normandie  que  partent  les 
plus  beaux  poissons  dont  s'honore  la  capitale  :  raies , 
turbots  f  maquereaux ,  éperlans ,  etc.  »  tous  les  monstres 
de  la  mer  ont  besoin  de  se  polir  en  Normandie  avant  de 
prendre  l'air  de  Paris.  Les  places  de  distinction  à  la 
halle  et  à  la  vallée  sont  pour  les  arrivansdecepays  nour^ 
ricler;  Ton  fait  même  l'honneur  au  jus  de  ses  pommes, 
voiture  par  la  Seine ,  niais  exempt  du  mélange  profene 
de  ses  eaux ,  de  le  placer  en  face  des  galeries  royales  du 
Louvre  »  non  loin  du  lieu  de  l'exposition  des  produits  de 
l'industrie  française  »  à  côté  des  vins  les  plus  fameux  de 
Bourgogne  et  du  Midi  (i). 

Toutes  ces  choses  sont  surtout  abondantes  dans  le  mois 
d'août  ;  et  »  la  chaleur  de  la  saison  donnant  un  nouveau 
prix  à  la  saveur  des  fruits ,  la  gloire  en  appartient  parti- 
culièrement à  cette  contrée  où  un  savant  bas-normand, 
éclairé  par  la  découverte  de  certains  monumens  ceL- 
tiques,  dont  le  témoignage  est  irréfragable ,  se  propose 
de  placer  le  paradis  terrestre.  Ce  n'est  point  en  effet 
sur  les  bords  du  Nil  ou  du  Tigre  qu'il  faut  le  chercher; 
ces  pays-là  ne  sont  pas  la  patrie  des  pommes. 

Gastebhanh. 


(i)  Le  port  Saiot-Nicolai  est  l'endroit  où  débarquent  le  cidie  dr 
Normandie  et  les  vins  du  midi  de  la  France. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  aiS 


DU    LÀPBRBAU. 

Autant  la  noblesse  du  gibier  remporte  sur  les  viandes 
roturières  de  la  boucherie  et  àes  basses-cours ,  autant  la 
iioesse  du  lapereau  surpasse  les  plus  illustres  pièces  de 
fumet.  Mais  le  lapereau ,  comme  la  fleur  de  l'adoles- 
ccDce,  n'a  qu'un  règne  court  et  passager  ;  il  faut  le  sai- 
sir à  cette  époque  précise  où ,.  n'étant  plus  pendu  au 
mamelon ,  Il  n'est  pourtant  pas  encore  lapin  devenu  ,  à 
ce  moment  où  »  essayant  ses  premiers  pas  danS:  la  ga- 
renne ,  sa  première  sensation  lui  vient  d'un  coup  de 
fusil ,  oUl  4Vo  piège  perfidement  agréable.  Quand  l'a- 
mateur en  trouvera ,  ce  qui  est  rare ,  qui  soient  au  point 
exact  de  jeunesse  et  de  maturité  ,  qu'il  les  mette  à  la 
sauce  que  nous  allons  lui  indiquer.  G. 

LAPEREAUX    EN    CAISSE. 

Prenez  deux  ou  trois  petits  lapereaux  ;  lorsque  vous  les  aurez  dépouillés 
et  vidés,  passez-les  avec  ud  morceau  de  beurre,  é<skarottes ,  cbampi- 
goons  et  persil ,  le  tout  haché  bien  menu  ;  assaisonnez  de  sel ,  poivre  « 
muscade  ;  et  quand  vos  lapereaux  seront  presque  cuits,  laissez-les  refroi" 
dir.  Ayez  ensuite  trois  caisses ,  ou  une  seule ,  si  cela  vous  est  plus  com- 
mode ;  placez  vos  lapereaux  dans  cette  caisse ,  ou  dans  ces  caisses , 
qae  vous  aurez  eu  soin  de  bien  imbiber  d'huile  ;  appliquez  sur  vos  la- 
pereaux des  bardes  de  lard  trés-minces,  afin  qu'ils  ne  puissent  point  se 
dcsséelier  dans  l'achèvement  de  leur  énisson ,  et  faites-les  cuire  ii  petit 
feu  sous  nn  fbur  de  campagne.  Lorsqu'ils  sont  cuits ,  dégraissez-les  bien  ;. 
in-enez  ia  moitié  des  fines  Iierbes  a? ec  lesquelles  vous  les  avez  passés  ; 


»i4  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

délayez  ce8„herbes  avec  une  cuillerée  d'eppagoole  réduite,  et  Yenex  biet 
chaud  sur  tos  lapereaux  »  en  y  ajoutant  un  jus  de  citron.     .       B. 

Nota-  Cetlo  reœlle,  nûse à  exécution  pvM.  Baltine^daïuIatèaiiceded^iisUidaii 
da  ao  jaillot  1B07  >  «  obt«nn  la  mention  honorableà  la  majimlédotnîse  sur  qniaae» 

DU    POULET. 

Le  poulet,  91^- tendre  enfant ,  que  l'on  peut  se  pro- 
curer presque  toute  l'année  »  et  que  bien  des  gourmands 
distingués  préfèrent  à  ses  parens  ;  ce  joli  petit  élète  de 
basse-cour  qui  subit  sur  nos  tables  une  foule  de  méta- 
morphoses» qui  convient  à  tous  les  âges  et  à  tous  les  tem- 
péramensy  obtient  aujourd'hui  notre  hommage,  qui,  pour 
être  tardif ,  n'en  est  pas  moins  mérité.  Parmi  toutes  les 
façons  de  le  manger  en  ragoût ,  la  fricassée  étant  la  plus 
usitée ,  nous  allons  en  donner  la  véritable  recette ,  dont 
nous  nous  sommes  aperçus  que  l'on  s'écartait  dans  cer- 
taines maisons  ,  et  que  d'ailleurs  peu  de  personnes  con- 
naissent bien.  Nous  invitons  nos  lecteurs  à  s'en  péné- 
trer, afin  de  pouvoir  diriger  au  besoin  la  main  d'une 
servante  d'hôtellerie  ,  en  voyage ,  à  la  campagne ,  &  la 
chasse  «  etc. ,  ou  redresser  les  erreurs  d*un  chef  ».  sou- 
vent gelé  par  la  routine  ou  par  la  mauvaise  école» 

G. 

FRICiiSSÊB    DE    POULET. 

A jei  un  boo  poulet  demi-gras ,  et  «i  voua  n'eo  avez  pas ,  preneE^-^B  uD' 
biea  en  chair  ;  flambeS-le  »  eolevez-en  les  membres  le  plus  correctemcal 
possible,  pour  qulis  conservent  une  belle  forme;  coupes  ensiâte  le 
bout  de  la  cuisse ,  du  côté  de  la  patte  (si  vous  voulea»  vous  pouveaôt«r 
l'os  jusqu'au  joint).  Votre  poulet  ainsi  coupé ,  niettes-le  blanchir  dans 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  sm5 

eoTiion  une  pinte  d'eta  (i)  avec  un  peu  de  thym  et  une  feaUlc  de  lau- 
rier ;  lonqull  a  jeté  un  bouillon  y  égouttez-le ,  et  passez  l'eau  au  tamis  ; 
mettez  ensuite  TOtre  poulet  dans  une  casserole ,  avec  environ  un  quar- 
teron de  i>eorre  ;  sautez-le  un  instant ,  et  mettez  une  cuillerée  à  bouche 
de  farine ,  en  la  mouillant  avec  l'eau  qui  a  servi  à  blanchir  le  poulet 
(vous  prendrez  un  pen  de  bouillon  si  vous  n'aves  pas  asseï  d'e^u) , 
mettez-y  ael ,  poivre»  champignons»  et  faites  cuire  le  tout  à  grand  feu  : 
quaod  la  fncisiée  sera  presque  cuite  »  vous  la  dégraisserez ,  et  vous  y 
mettrez ,  si  vont  le  jugez  à  prppos ,  des  petits  oignons  blancs  bien  égaux 
et  bien  éphichés ,  et  dès  qu'elle  sera  entièrement  cuite ,  vous  y  mettrez 
use  liaison  de  trois  janues  d'œufs  »  en  y  ajoutant,  si  tous  le  désirez, 
verjus  on  citron  s  vous  pouvez  aotsi  y  faire  figurer  qaelqnes  écre visses. 

B. 
DU    COCHON   DB   LAIT. 

Le  cochon  de  lait  est  un  des  mangers  les  plus  déli- 
cieux et  les  plus  recherchés  ;  il  ne  se  sert  que  sur  les 
labiés  somptueuses  ou  dans  les  repas  nombreux.  Si 
Too  faisait  dans  nos  familles  des  fêtes  pour  le  retour  de 
reniant  prodigue  »  ce  ne  serait  pas  le  Teau  gras,  mais  le 
cochon  de  lait  qu'on  immolerait  en  signe  de  réjouissance  : 
il  est  doQctrè»-important  de  savoir  comment  il  s'accom- 
mode. Un  cuisinier  un  peu  distingué  ne  peut  ignorer 
cette  recette  ;  c'est  une  pièce  de  réception*  Le  génie 
àes  artistes  a  fourni  beaucoup  do  variantes  ;  nous  ne 
prétendons  point  assigner  des  règles  au  génie ,  mais 
nous  donnons  la  méthode  la  plus  usitée  et  la  plus  simple. 
Avec  le  procédé  suivant ,  il  n'est  point  d'amphytrion 
qui ,  même  à  l'aide  d'une  cuisinière  vulgaire ,  ne  puisse 

(i)  Si  vos  poulets  sont  d'une  cbair  bien  blanche ,  et  si  vous  vous  trou- 
vez pressé ,  vous  pouvez  vous  éviter  le  temps  de  les  blancbir. 


916  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

servir  avec  honneur  un  cochon  de  lait  à  ses  parens  un 
jour  de  noces,  ou  à  ses  amis  un  jour  de  gala.        G. 

COCHON  DB  LAIT  A  LA  BROCHE. 

Aussitôt  que  le  petit  cochon  de  lait  est  taé  il  faat  le  jeter  daosdc  Tean 
tiède  (qui  ne  doit  pas  discootinaer  de  se  chtofler)  et  le  frotter  avec  Im  maia 
jlisqu^à  ce  qae  le  poil  soit  eotièrement  parti.  Lorsqu'il  est  bien  échaudé 
et  bien  propre ,  il  faut  le  trousser  prêt  k  le  mettre  k  la  broche  «  le  laisser 
daos  de  l'eau  fraîche  pendant  quatre  heures,  pour  qu'il  devienne  bie^ 
blanc  ;  ensuite  le  lien  sécher  et  le  faire  cuire.  (S'il  est  resté  quelques 
poils,  on  peut  le  flamber  légèrement  à  la  broche.)  11  faut  l'arroser  biea 
également  avec  un  bouquet  de  saage  trempé  dans  de  bonne  huile  d'o- 
live afin  de  rendre  la  peau  jaune  et  bien  croquante.  On  peut  le  farcir 
d'environ  une  livre  de  beurre  frais  assaisonné  de  fines  herbett  hachées 
bien  menu  et  marinées  avec  du  jus  de  citron.  B. 

PBS   ABTIGUAUTS. 

On  compte  en  France  cinq  espèces  d'artichauts;  sa- 
voir :  le  vert,  le  violet,  le  nmge.  le  sucré  de  Gênes  et 
lé  blanc;  chacune  de  ces  espèces  a  ses  avantages  et  ses 
inconvéniens  :  le  blanc  est  plus  hfitif ,  mais  i\  est  très- 
petit  et  très  - diiScile  à  élever;  le  rouge  n*est  bon  à 
manger  que  fort  jeune  à  la  poivrade;  le  sucré' de  Gênes 
étant  mangé  cru  est  très-bon  l'a  première  année ,  mais 
il  dégénère  à  mesure  qu'il  vieillit  ;  le  violet  est  »  après 
ks  trois  que  nous  venons  de  citer,  celui  dont  on  fait  le 
plus  de  cas;  mais  le  vert  (dnara  vulgaris)  est  celui  que 
Ton  cultive  plus  généralement  dans  nos  climats ,  et  celui 
dont  on  fait  le  plus  de  consommation. 

Lorsque  les  artichauts  sont  jeunes  et  tendres  on  les 
mange  h  la  poivrade  ;  quand  ils  sont  d'une  grosseur 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  217 

moyenne  on  les  prépare  en  fricassée  de  poulet ,  au  rer- 
ju8  en  grain  »  à  l'espagnole ,  frits ,  à  la  barigoule ,  etc.  ; 
les  plus  gros  se  font  cuire  à  Feau  »  et  on  les  mange  dans 
cet  état  soit  à  l'huile  Jfine  d' Aix^  soit  è  la  sauce  au  beurre. 

On  dessèche  au  soleil  pour  Thiver  beaucoup  de  culs 
d'artichauts  ;  on  les  emploie  dans  tes  ragoûts»  on  en  fait 
des  pâtés  chauds ,  etc. 

H  serait  difficile  d'énumérer  tous  les  services  que  l'ar- 
tichaut rend  à  la  cuisine;  et  lorsqu'il  manque  »  dit  notra 
grand  expert  »  M.  G.  D.  L»  R, ,  c'est  une  véritable  ca- 
lamité. 

L'artichaut  devient ,  par  les  soins  du  cultivateur  ha- 
bile, d'une  très-grande  beauté»  surtout  si  on  ne  laisse  sur 
le  pied  que  la  maîtresse  pomme. 

L'artichaut  cuit  est  très-apéritif»  astringent  »  cordial  ; 
il  nourrit  beaucoup  et  puriGe  la  masse  du  sang  ;  l'arti- 
chaut cm  est  venteux  »  pèse  sur  l'estomac»  et  se  digère 
difficilement. 

Voici  une  recette  qui  nous  a  été  demandée  par  plu- 
sieurs amateurs  : 

ABTICHAVTS  A  LA  BA&IGOVLE* 

Parez  trois  oo  quatre  artichaata  ea dessous»  coupez  l'extrémité  des 
feuilles ,  et  ôtez-en  le  foin  avec  la  queue  d'une  cuillère  à  dégraisser  ; 
cela  fait,  mettez  tos  artichauts  dans  de  l'eau  fraîche ^  lavez-les  avec 
solu ,  et  égouttez-les  de  manière  à  ce  qu'ils  soient  tressées;  ayez  ensuite 
de  la  fritorc  très-chaude,  faites  bien  frire  vos  artichauts  des  deux  cOtés, 
puis  égouttcz-Ies. 

Faites  un  appareil  avec  du  lard  râpé,  un  peu  de  beurre ,  de  l'huile , 
du  sel ,  du  poivre ,  un  peu  de  muscade ,  quelques  champignons ,  écha- 
lotes, persil;  hachez  le  tout  bien  fin  ,  mauicz-le  ensemble,  et  mettez-le 


9i8  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

dMf  l'intériear  des  artîchtttU  qno  roui  ficelleres.  Ayct  ane  caiterdlt 
asaes  grande  poor  les  contenir,  mettes  des  bardes  de  lard  dans  le  fond , 
placez-y  vos  artichauts,  sur  lesquels  roas  mettrez  encore  quelques 
bardes  de  lard  ;  mouillez  arec  une  demi-cuillerée  4  pot  du  derrière  de 
la  marmite ,  et  couvrez  le  tout  d'an  papier  beurré  ;  placez  votre  casse- 
role sur  un  fourneau ,  et  dès  que  tous  verres  loailiir  couvres  votre  cas- 
serole avec  son  couvercle ,  et  places-la  sous  le  fourneau,  afin  de  laisser 
mijoter  pendant  environ  trois  quarts-d'heure.  Au  moment  de  serrir 
déficelez  les  artichauts ,  égouttez-les ;  ayez  un  {len  d'espagnole  réduite, 
ou  de  Titalienne;  |oignez-y  quelques  gouttes  de  jus  decitroa  :  mettes 
une  petite  cuillerée  è  rigoùt  de  cette  sauce  dans  chaque  artichaut,  et 
serves  promptement.  G.  et  B. 

PERDREAU  X« 

Le  perdreau ,  attendu  avec  tant  d'impatience  sur  nos 
tables  pour  varier  nos  rôtis  et  nos  entrées,  commence  h 
paraître;  et,  quoiqu'on  puisse  lui  appliquer  ce  vers 
d'Orosmane , 

L^art  D*est  point  fait  pour  toi,  tu  n'en  as  pas  besoin, 

nous  pensons  que  la  toilette  suivante  »  bien  soigneuse- 
ment observée ,  quoique  simple ,  ne  peut  qu'ajouter  à 
son  mérite  »  c'est  celle  que  les  chasseurs  lui  font  ÎBLire 
plus  particulièrement  au  retour  des  premières  chasses. 

SAUTA    DE    PERDREAUX. 

Ayeasis  peUts  perdreaux,  vides4es,  flambeE4es  légèrement,  cou- 
pes-lttor  les  pattes ,  et  tioosses  les  cuisses  en  dedans  ;  (laissez-les  en- 
tiers ,  ou  coupes-les  en  deux  ,  comme  vous  jugerez  convenable  ;  mais 
si  vous  les  laissez  entiers,  applatisscs-lcs  un  peu)  ;  mettes  dans  une  cas- 
serole utt  bon  morceau  de  beurre  i  eu  ayant  soîa  de  bien  l'èteodre, 
flaces-y  vos  perdreaux  à  cOté  Tua  de  l'autre ,  asaaîsonaez4es  de  sel,  de 
poivre,  d'no  peu  de  muscade,  de^  quelques  échalotes,  dechampignoasH 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  a  19 

de  pcrtUy  le  toot  haché  hien  meaa.  Uo  qaart-d^heùre  avant  de  ienrir 
mettez-les  sor  on  fouroeau  un  peu  vif,  retournez-les  de  temps  en  temps  ; 
lorsqulls  seront  cuits  ajoutez  une  cuillerée  d'espagnole  ou  de  bon  bouil- 
lon à  Totre  assaisonnement  ;  faites  seulement  chauffer  votre  sauce , 
|oignet-y  un  jus  de  citron ,  et  servez.  G.  et  B. 

LE    MOU    GIBOYBVX   OU    LA    GHAMB. 

Voici  les  beaux  jours  du  gounnand ,  le  temps  des 
bons  repas  »  le  printemps  de  la  cuisine  ;  les  fruits  sont 
mûrs  ,  la  TÎande  est  fiiite ,  la  volaille  est  grasse  »  le  gi- 
bier surtout ,  le  gibier  pullule  dans  les  champs  ! 

Rassemblei-Tous  »  compagnons  de  Méléftgre;  armez 
Tos  pieds  de  peau  de  buffle ,  tos  mains  d'une  flèche 
meurtrière;  courez  au  milieu  des  forêts  dépister  le  cerf 
timide  et  le  sanglier  courageux  I  Déjà  les  chiens  d*Ac- 
téon  vous  appellent  par  leurs  aboiemens  prolongés; 
déjà  ies  nymphes  de  Diane  ont  devancé  vos  pas  au 
fendez-Tous  de  chasse.  Le  carquois  sur  l'épaule  et 
Tare  déjà  tendu ,  elles  accusent  votre  lenteur ,  et  vous 
montrent  d'un  air  triomphant  »  Tune  on  lièvre  pendi». 
sur  son  sein  haletant ,  l'autre  un  faon  ensanglanté ,  traî- 
nant la  flèche  homicide  partie  d'une  main  délicate; 
celle-ci  un  tendre  perdreau  »  dont  l'aile  pendante  et  la 
démarche  boiteuse  attestent  l'adresse  de  sa  belle  enne- 
mie; celle-là  deux  grives  déjà  plumées»  que  ses  doigts  apr 
pétissans  disposent  en  papillotes  de  feuilles  de  figuier.  Un 


990  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

déjeuner  se  prépare.  La  troupe  joyeuse  a  rapporté  de  sa 
première  incursion  une  ample  provision  de  mets  déli- 
cats et  d*appétit.  Asseyons-nous ,  mes  amis ,  sur  ces 
gerbes  dorées,  au  pied  de  cet  arbre  dont  le  rare  feuil- 
lage laisse  apercevoir  les  poires  jaunissantes.  Chasseurs 
et  chasseresses ,  pressez- vous  autour  de  ce  pâté  ,  monu- 
ment glorieux  de  vos  coufscs  de  la  veille;  que  Bacchus 
mêle  un  peu  de  liberté  à  ce  repas  champêtre  »  et  que 
la  tasse  purpurine  vole  de  bouche  en  bouche  des  lèvres 
d'Aglaé  aux  lèvres  d'Adonis. 

Quel  festin  !  que  ces  mets  sont  succulens  quand 
Texercice  ,  Tamour  et  la  joie  les  assaisonnent ,  et  qu^on 
a  soi-même  atteint  la  proie  savoureuse  qui  doit  épuiser 
Part  du  pâtissier  et  du  rôtisseur! 

La  chasse  »  cette  passion  des  héros ,  des  sagesi  et  des 
belles  9  n'a  pour  mobile  et  pour  but  que  le  plaisir  de 
manger. .  C'est  le  besoin  qui  rend  chasseur  le  Tartare 
vagabond  et  le  Caffre  sauvage;  c'est  pour  manger  du  gi- 
bier que  les  rois ,  les  bergers  et  les  nymphes  passent  les 
jours  entiers  à  la  chasse.  Les  demi-dieux  dédaigaent 
l'ambroisie  pour  un  chevreuil  faisandé  que  la  fatigue 
rend  délicieux.  L'exercice  pris  dans  les  bois  et  parmi  les 
broussailles  anoblit  l'appétit  on  redoublant  sa  dose.  Il 
n'est  pas  un  seigneur ,  pas  un  gentillâtre  qui  ne  tienne  à 
ses  droits  de  chasse  autant  qu'ik  ses  titres  de  noblesse.  Il 
est  beau ,  il  est  grand  de  courir  le  cerf  et  le  lièvre  ,  car 
le  cerf  et  le  lièvre  ne  sont  pas  des  mets  vulgaires ,  et  le 
palais  qui  s'en  régale  est  presque  un  palais  royal. 

En  vain  vous  refusez  d'en  convenir ,  détracteurs  mat- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ssv^ 

heureuic  »  assez  disgraciés  do  la  nature  pour  ne  pas  sen- 
tir le  prix  d'un  bon  dîner.  Inhabile  à  tous  les  plaisirs , 
quiconque  n'est  pas  gourmand  n'est  propre  ni  à  la  chasse, 
ni  à  l'amour;  et  l'homme  sobre  est  réduit  à  rougir  de- 
vant tous  ceux  qu'un  tel  stimulant  élève  au-dessus  de 
rhumanité. 

Les  fâcheux  qui  regrettent  de  voir  le  beau  sexe  s'as- 
seoir à  notre  table ,  trouveront  sans  doute  que  la  chasse 
est  aussi  peu  faite  pour  la  beauté  faible  et  délicate  que 
la  gourmandise;  mais  ils  ne  peuvent  pas  ignorer  que  si 
Vénus  s'enflamma  pour  un  mortel  »  ce  mortel  était  un 
chasseur»  et  que  l'un  des  tableaux  les  plus  ravissans 
composés  par  les  poètes ,  est  celui  des  nymphes  de  Diane 
poursuivant  une  biche  au  travers  des  forêts. 

Alors  la  beauté  se  faisait  gloire  de  s'associer  aux  gour- 
mands ,  et  les  héros  ne  dédaignaient  pas  d'apprêter  de 
leurs  mains  le  produit  de  leur  chasse.  Le  plus  souvent 
un  prince ,  loin  de 

Laisser  le  sceptre  aux  mains  ou  d'un  maire  ou  d'un  comte , 

se  réservait  le  soin  de  pourvoir  sa  cuisine;  et  la  prin- 
cesse illustre  dont  s'honorait  sa  couche  était  sa  cuisinière 
et  le  meilleur  convive  de  sa  table  (i). 
Cet  heureux  temps  reviendra ,  quelque  eflTort  que  lui 

(i)  «Je  me  suis  aperçue ,  dkait  la  reine  Frédé^nde  9  qu'on  a  volé 
dam  nos  celliers  plosieun  jambouB.»  Une  bouigeoûe  aujourd'hui  écla- 
terait de  rire  eu  apprenant  qu'une  reine  allait  dans  ses  celliers ,  et  »a- 
va't  le  compte  de  ses  jambons. 


^aa  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

oppose  la  corruption  du  siècle:  l'Amour  et  la  Gourman- 
dise ont  encore  des  autels  c<Mnmuns ,  et  les  portes  de 
l'abstinence  ne  prévaudront  point  contre  eux.  Vénus  et 
Cornus  ont  fait  une  alliance  durable;  leurs  enfans  sont 
unis  par  des  nœuds  indissolubles.  Tant  que  le  monde 
existera  les  Gourmands  et  les  Belles  »  liés  par  un  même 
intérêt  »  épuiseront  la  coupe  du  plaisir  et  du  vin. 

Le  mois  de  septembre  est  celui  où  commencent  les 
réunions  gourmandes  :  déjà  l'on  revient  à  la  ville. 
Toutes  les  productions  animales  et  végétales,  devenues 
abondantes,  provoquent  à  la  joie  des  festins. 

Tous  les  fruits  sont  mftrs.  Parmi  la  volaille  on  dist 
tingue  le  dindonneau»  le  caneton  de  Rouen  et  le  pigeon 
de  volée. 

Le  premier  des  mois  en  r  signale  le  retour  des  huî- 
tres; la  marée  vient  avec  elles;  la  balle  est  habitée  par 
la  raie,  U  tyr^  te  flet ,  la  moule ,  le  merlan,  la  9oU^  la 
morue,  le  saumon,  l'esturgeon,  le  carlet,  l'éperlan, 
le  turbot,  la  crevette,  la  vive,  la  langouste,  U  homard, 
la  sardine  fraichs ,  l* anchois ,  le  thon  mariné,  etc.  Tou- 
tes ces  paisibles  créatures  exotiques  se  rangent  en  ordre 
les  unes  près  des  autres,  et  souiTrent,  sans  jalousie,  à 
leurs  côtés,  le  brochet  et  la  carpe  sédentaires,  venus  des 
étangs  voisins;  et  cet  amas  des  habitans  de  la  mer  et 
de  nos  rivières  semble  retracer  à  l'œil  du  gourmand  la 
pêche  miraculeuse. 

Mais  c'est  le  gibier  qui  fait  la  gloire  du  mois  de  sep- 
tembre. Le  lièvre  et  le  lapin  de  garenne  font  abandonner 
les  boucheries;  jusque  sur  les  tables  bourgeoises  le  che- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  225 

yi«ail  prodigue  ses  filets.  Le  fiion  •  le  marcassÎD ,  la  bure 
de  sanglier  ornent  les  tables  les  plus  somptueuses.  La 
caille  rouge  et  grise,  la  perdrix,  l'ortolan  le  disputent 
à  la  poularde ,  qui  Ta  bientôt  recevoir ,  avec  la  truffe  de 
Périgord,  de  nouveaux  titres  à  Famour  des  Gourmands. 

La  bécassine  revient  en  septembre  visiter  nos  cli- 
mats; on  l'accueille  dès  le  débotté  à  coups  de  fusil;  et , 
bien  qu'elle  soit  loin  de  posséder  le  délicieux  fumet ,  les 
principes  de  succulence  et  de  volatilité  qui  font  de  ma- 
dame sa  mère  le  plus  distingué  des  rôtis ,  elle  fait  son 
entrée  sur  nos  tables  au  milieu  des  transports  de  joie  »et 
Ton  s'empresse  de  lui  rendre  des  honneurs. 

De  leur  côté ,  les  grives  dont  le  raisin  est  le  père  nour- 
ricier »  sont  parvenues  h  leur  plus  haut  degré  de  perfec- 
tion. Gomme  tous  les  ivrognes ,  ce  gibier  est  plein  de 
délicatesse  et  de  bonnes  qualités.        Gastbrmank. 


tt  (^gjdttjficf  tt  H  (^^u^ssxn. 


Noirs  avons  en  d'autres  temps  parlé  du  cochon  ordi- 
naire ou  domestique  (  que  les  naturalistes  appellent  ver- 
rat); nous  allons  profiter  de  la  saison  pour  parler  du  co- 
chon sauvage  et  de  son  enfant,  le  sanglier  et  le  marcassin. 

Le  sanglier,  dit  Yalmont  de  Bomare,  ne  diffère,  à 
l'extérieur ,  du  cochon  domestique  qu'en  ce  qu'il  a  les 
dtfenses  plus  grandes  et  plus  tranchantes;  le  boutoir 
(le  groin)  plus  fort ,  et  la  tête,  ou  hure,  plus  longue  : 


294  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

il  est  couvert ,  comme  le  cochon ,  de  soies  dures  et 
pliantes;  mais  il  a  de  plus  un  poil  toufours  noir,  doux 
et  frisé  À  peu  près  comme  de  la  laine. 

Quand  un  sanglier  n'est  âgé  que  de  six  mois  on  rap- 
pelle marcasnn;  alors  il  a  des  couleurs  qu'il  perd  dans 
la  suite  :  c'est  ce  que  Ton  appelle  la  livrée.  Cette  li- 
vrée, qui  est  marquée  sur  le  fœtus  dès  qu'il  a  du  poil  » 
forme  des  bandes  qui  s'étendent  le  long  du  corps ,  de- 
puis la  tête  jusqu'^  la  queue  »  et  qui  sont  alternativement 
fauvc-dair  ei  de  couleur  mêlée  de  fauve  et  de  brun  ; 
celle  qui  se  trouve  sur  le  garrot  et  le  long  du  dos  est 
noirâtre  :  il  a  sur  le  reste  de  la  robe  un  mélange  de  blanc» 
de  fauve  et  de  brun. 

En  lermes  de  chasse  »  le  marcasnn,  ou  jeune  san- 
glier» lorsqu'il  a  passé  six  mois  d'âge  jusqu'à  un  an» 
prend  le  nom  de  bête  rousse  :  à  un  an  il  devient  bête  de 
compagnie;  on  donne  le  nom  de  ragot  au  mâle  entre 
deux  ou  trois  ans.  A  trois  ans  faits  il  est  sanglier;  à 
cpiatre  ans  on  le  nomme  quartan  ou  çuartanitr;  à  cinq 
ans  grand  sanglier  ;  enfin ,  à  six  ans ,  grand  vieux  san. 
glier. 

Il  est  important  de  bien  connaître  le  sangfier  lors- 
qu'on veut  le  chasser  »  et  c'est  pourquoi  nous  entrons 
dans  de  si  grands  détaHs.  Il  est  surtout  essentiel  de  bien 
distinguer  le  jeune  du  vieux ,  le  mâle  de  la  femelle, 
appelée  laie.  On  les  juge ,  ajoute  encore  M.  de  Bomare, 
par  les  traces,  les  boutis,  le  fouil  ci  la  bauge. 

La  béte  de  compagnie  mâle  a  plus  de  pied  devant  que 
derrière,  et  porte  toujours  la  trace  de   derrière  dans 


LE  GASTRONOiME  FRANÇAIS.  220 

celle  de  devant  »  un  peu  à  côté  et  en  deihors;  se»  pinces 
sont  grosses  et  ses  côtés  tranchans;  il  donne  de  ses 
gardes  à  terre  :  à  son  tiers-an  les  pinces  sont  plus  grosses 
et  £lus  rondes;  ses  gardes  sont  plus  élargies.  La  même 
bête  femelle  a  les  pinces  pointues;  elle  met  la  trace  de  der- 
rière en  deda  ns  de  celle  de  devant  ;  ses  gardes  sont  serrées. 

Les  quartaniers  et  autres  vieux  sangliers  ont  les 
traces  grandes  et  lai^s ,  les  tranchans  du  côté  de  la 
pince  usés. 

La  quête  du  sanglier  se  fait  en  hiver  dans  les  forêts 
les  plus  garnies  d*épines>»  et  c'est  aux  mois  de  juillet  > 
août  et  septembre  que  les  sangliers  abandonnent  les 
grands  forts  pour  se  retirer  aux  pointes  des  forêts  du 
côté  oii  sont  les  blés  et  les  fruits.  En  octobre  et  no- 
vembre ils  se  retirent  dans  les  hautes  futaies  et  dans  les 
taillis,  où  ils  se  nourrissent  de  faine  ,  de  gland  et  de 
noisette  :  Ils  sont  à  craindre  dans  cette  saison;  c'est-à- 
dire  le  ragot,  le  sanglier  à  son  tiers-an,  et  le  quarta- 
nier.  En  décembre  on  revoit  des  sangliers  partout,  parce 
que  c'est  le  temps  du  rut  :  ils  sont  alors  d'une  puanteur 
insupportable  qui  rebute  les  vieux  limiers. 

On  chasse  le  sanglier  à  force  ouverte  avec  des  chiens, 
ou  bien  on  le  tue  par  surprise  pendant  la  nuit  au  clair  de  la 
lune;  mais  les  chasseurs  n^ignorent  pas  que  le  sanglier 
voit ,  entend  et  sent  de  fort  loin ,  et  qu'ils  sont  obligés, 
pour  le  surprendre ,  de  l'attendre  en  silence  ,  et  de  se 
placer  au-dessous  du  vent  pour  dérobera  son  odorat  les 
émanations  qui  le  frappent  de  loin,  et  toujours  assez 
viveaient  pour  lui  faire  sur-le-champ  rebrousser  chemin. 


i5 


9  96  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Un  jeune  sanglier  de  Irois  ans  est  difficile  à  forcer; 
pour  mieux  faire  face  aux  chiens ,  il  s^accule  cooire  un 
arbre  9  et  en  tue  ou  en  éventre  plusieurs.  Pour  attaquer 
ces  animaux»  il  faut  se  placer  dans  le  meilleur  poste, 
être  à  cheyal»  et  armé  d'un  fusil  chargé  à  balles,  et  à 
deux  coups ,  pour  plus  grande  sûreté.  Il  n'y  a  personne 
qui  ose  demeurer  à  pied  sans  fusil ,  pa  rce  que  le  san- 
glier accourt  au  bruit  et  à  la  voix  des  personnes,  et  bit 
de  cruelles  blessures. 

Aussitôt  que  le  sanglier  est  tué,  les  chasseurs  doivent 
avoir  grand  soin  de  le  chaponner;  c'est-à^ire  de  lui  cou- 
per les  suites ,  dont  l'odeur  est  si  forte ,  que  si  l'on  passe 
seulement  cinq  ou  six  heures  sans  fiiire  cette  opération, 
toute  la  chair  en  est  infecte,  et  rebute  même  les  limiers. 

Au  reste ,  il  n'y  a  que  la  hure  qui  soit  bonne  dans  un 
sanglier  ,  au  lieu  que  toute  la  chair  du  marcassin  est 
délicate,  et  même  assez  fine;  mais  elle  n'est  bonne  que 
rôtie.  G.  L.  C 


(tccÇtt^  con<|itériint  b<  T^nbe. 


lUa  diêâ  hiBcest,  quà  te  ceiebnvre  poetœ 
Si  modo  non  faHuntiempora,  Bacehe,  9olent, 

Otid.  Trist,  liv.  5,  élég.  3. 

Lb  dieu  de  la  vendange  fut  un  héros  puissant,  un  sage 
vénérable,  un  intrépide  chevalier  errant;  rival  d'Her- 
cule çt  de  Thésée,  il  terrassa  les  monstres  et  apprivoisa 
les  tigres;  législateur  du  monde,  il  promulgua  du  haut 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  «s^ 

dv  tonoeau  de  Silène  les  lois  les  plus  anciennes  et  les 
fins  respectées  ;  consolateur  des  belles  et  réparateur  des 

^  torts,  il  eflàça  l'injure  faite  aux  charmes  d'Ariane.  Un 
de. nos  conYÎves  fut  rhistoriographe  de  ce  dernier  genre 

'    d'exploits: 

Au  fond  d'un  bois 
Ariane  aux  abois 
Pleure  la  perte  de  Thésée  ; 
Bacchus  accourt 
Avec  toate  sa  cour; 
Soudain  la  belle  est  appaisée  : 
Le  dieu  lui  feit  d'abord 
L'offre  d'un  rouge  bord  ; 
A  ses  instances  elle  cède  : 
Séduite  par  ce  jus  diyin. 
Bientôt  à  l'ivresse  du  vin 
L'ivresse  de  l'amour  succède,  (i  ) 

Bacchus  planta  la  vigne  où  nous  allons  prendre  le  thè  ; 
iiaelle  honteuse  comparaison  pour  ses  indignes  succes<- 
seurs  !  nous  allons  chercher  de  Tor  où  il  naturalisa  le 
bonheur.  Hélas  I  il  n'y  a  plus  de  raisin  aux  bords  du 
Gange  !  cette  patrie  des  arts  et  du  plaisir  est  devenue  pres- 
que barbare  depuis  qu'on  a  négligé  d'y  faire  fermenter 
le  jus  conservateur  et  réparateur:  où  régnaient  la  joie  et 
la  bonne  intelligence  on  se  dispute  à  coups  de  canon  des 
perles ,  des  épices ,  et  le  berceau  du  genre  humain  est 
devenu  son  tombeau. 

(i)  G«  couplet  fait  partie  d'une  jolie  chanson  de  M.  Francis^  Nous  ]a 
placerons  au  mois  d'octobre. 


238  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Sans  le  poivre  et  la  muscade ,  qui  irritent  la  soif  et 
l'appétit  de  l'Amour ,  l'Iode  serait  une  terre  tout-à-fiiit 
maudite» 

Voyez  comme  notre  conquérant  faisait  la  guerre  :  il 
combattait  la  coupe  à  la  main;  de  sa  coupe  découlait  la 
persuasion  en  mousse  pétillante;  sa  marche  était  une 
pompe  triomphale;  ses  soldats,  couronnés  de  lierre.  Ter- 
saient  du  yin  aux  vaincus  ;  et  les  Bacchantes ,  sous  les 
ordres  d'Erigone,  achevaient  d'enivrer  par  un  seul  re- 
gard tous  ceux  qui  osaient  résister  à  la  vertu  du  thyrse. 

Le  fils  légitime  de  Jupiter  et  de  Sémélé  montra  le  che- 
min à  cet  autre  enfant  équivoque  de  son  père ,  qui  fit 
tant  de  bruit  en  Asie,  et  qui,  voulant  imiter  les  hauts 
faits  de  sonatné,  passait  les  nuits  dans  les  festins  bachi- 
ques; mais  Alexandre,  moins  dieu  que  son  frère,  suc- 
comba sous  le  faix  d'une  coupe  aux  larges  flancs  que  son 
audace,  plus  grande  que  sa  soif,  osa  tenter  de  boire 
d'un  seul  trait:  s'il  l'eût  achevée,  sa  gloire  était  parfaite, 
et  sans  doute  un  autre  Bacchus,  inspiré  par  le  vîn  ,  au- 
rait rendu  la  paix  à  l'univers.  Tout  le  monde  sait  que 
Bacchus  peut  plus  qu'Apollon,  que  Mars  et  que  Minerve; 
c^est  ce  que  n'ont  cessé  de  répéter  les  poètes  dans  toutes 
les  langues  qui  se  parlent  en  vers  (i). 

Cl)  Voyez  entre  autres  le  poëme  en  trois  chants  d'Obsopaus  ,  sur  l'ut 
'de  'boii^  ;  si  las  ?ers  n'en  sont  pQ9  sublime» ,  les  pensées  n'en  sont  pas 
tnoins  admi-pables  : 

Pturibus  cxhauslo  crestU  sapicniia  vino  ; 

Fittfue  Solon  tubiià,  qui  fuit  anté  Midas.t, 
Baccke,  paicr  valum,  dulcisùm»  Baccht  t/eorum .'...  etc. 


LE  GASTRONOME  FRAWÇAIS.  229^ 

Nous  ne  rappelons  les  exploits  et  la  gloire  de  Bacchus 
t|ue  pour  tâcher  de  ranimer  parmi  nos  contemporains 
un  devoir  qu'ils  négligent  et  un  usage  qui  s'éteint.  Nos 
ancêtres  buvaient  mieux  que  nous  »  et  valaient  certes 
davantage.  On  allait  autrefois  chercher  la  sagesse  aux 
Indes  :  que  nos  philosophes  voyagent  ;  ne  seront-ils  pas 
ei&rayés  du  sort  des  Indiens  ?  Quand  ils  désapprirent  à 
boire  ils  cessèrent  d'être  heureux. 

Le  mois  de  septembre  est  celui  de  la  vendange  »  et  il 
convient  de  le  consacrer  à  Bacchus.  A  Rome  les  autres 
dieux  lui  rendaient  alors  eux-mêmes  des  honneurs  :  à 
la  fête  des  Méditrinales  le  prêtre  de  Mars  buvait  du  vin 
nouveau  pour  la  première  fois ,  en  prononçant,  ces  mois, 
sacramentels  : 

Novo  veteri  morbo  medeor. 

Le  mois  de  septembre  est  le  temps  du  plaisir  et  de  la 
bonne  chère;  c'est  le  carnaval  de  la  belle  saison  :  la 
terre  est  alors  une  habitation  céleste;  les  festins  peu- 
vent se  faire  sous  l'ombrage ,  au  milieu  des  richesses  de 
la  nature;  le  nectar  coule  et  se  dore  aux  rayons  du  so- 
leil; les  émanations  de  la  cave  qui  fermente  se  mêlent 
au  parfum  des  fleurs  d'automne;  des  Hébé  villageoises 
versent  y  au  bruit  des  chansons»  le  vin  clarifié.  Quand 
on  rit,  qu'on  s'embrasse,  et  qu'on  est  dans  l'ivresse, 

que  reste-t-il  à  envier  aux  dieux?... 

Gastebmann. 

DU    LlkVBE    ET    DU    LEVREAU.  * 

Un  civet  de  lièvre ,   un  pâté  de  lièvre ,   un  train  d& 


s3o  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

lièvre  ftoiit  toujours  marqués  en  lettres  italiques  sur  I* 
carte  d'un  restaurateur  habile. 

Le  premier  pâté  qui  se  mangea  fut  composé  de  la  chair 
d'un  lièvre;  et  cet  aimable  anachorète  des  champs» 
compté  depuis  long-temps  paroules  mets  les  plus  exquis, 
continue  toujours  à  faire  les  d^ices  des  vrais  gourmands  » 
malgré  Topinion  défavorable  que  quelques  savans  en  tu» 
et  non  en  os,  ont  répandue  sur  son  compte. 

Le  lièvre  &it  en  quelque  sorte  partie  nécessaire  d*an 
repas  donné  en  automne  »  et  nous  plaçons  un  civet  bien 
lait  au  môme  rang  qu'une  matelote. 

Le  LBVBBAu  ne  diffère  du  lièvre  que  par  un  petit  sail- 
lant qu'on  sent  à  la  première  jointure ,  près  de  la  patte 
du  devant.  Sa  jeunesse  le  rendant  plus  tendre  que  le 
Kèvre ,  sa  chair  a  encore  plus  que  celle  de  ce  dernier  le 
mérite  d'être  d'une  facile  digestion  ;  elle  fournit  d'ailleurs 
un  aliment  délicat ,  succulent ,  relevé  par  le  fumet ,  qui 
est  peut-être  un  principe  utile  et  bien&isant.  Les  estomacs 
accoutumés  aux  nourritures  grossières  s'en  acconunodent 
très-bien  en  la  mangeant  avec  les  assaisonnemens  forts , 
tels  que  le  vinaigre  »  le  poivre ,  etc.  ;  mais  les  personnes 
accoutumées  à  une  nourriture  légère  doivent  préférer 
cette  viande  rôtie. 

Enfin  un  lièvre  ou  un^levreau  jeune ,  tendre ,  gras  et 
bien  nourri,  que  l'on  aura  surtout  bien  fatigué  à  b 
chasse  »  fera  de  tout  temps  une  de  nos  plus  grandes 
jouissances. 

Cet  animal ,  dont  on  fait  des  daubes  et  des  pâtés  ex- 
cellens ,  se  prête  encore  à  une  infinité  de  ragoûts  »  dont 


LE  GASTRONOiME  FRANÇAIS.  23 1 

le  plus  difficile  à  fiiire  est  le  ci?et;  noas  allons  en  don- 
ner la  recette. 

GIVBT   D£    LlhVBfi. 

Voulex-Tous  fa  re  un  cWet  de  lié? re ,  pronei  un  HèYre  (i) ,  mais 
cbouitsez  de  préférence  an  bon  UèTre  des  montagnes ,  (  qui  vaut  infini- 
ment mieoz  qu'un  lièvre  de  la  plaine  )  et  lorsque  tous  l'aurez  dépouillé 
et  vidé,  coupez-le  par  morceaux  d'égale  grosseur  ;  mettez  dans  une  cas- 
serole un  morceau  de  beurre  et  de  la  farine  en  proportion  ';  faites  un 
roux ,  et  lorsqu'il  sera  presque  fini ,  jetez-j  vingt-cinq  à  trente  morceaux 
de  petit  lard  ;  passez^ies  à  petit  feu  pendant  dix  minutes  ;  mettez-y  votre 
lièvre  ainsi  que  vous  l'avez  préparé ,  et  faites-le  revenir  jusqu'à  ce  que 
la  chair  en  soit  bien  ferme  ;  mouillez  alors  votre  civet  avec  du  vin  ronge 
et  un  peu  de  bouillon  ;  ayez  soin  que  votre  ragoût  soit  batgné  (c'est-à- 
dire  que  la  viande  nage  dan  s  la  sance  )  ;  assaisonnez  de  très-peu  de  sel , 
à  cause  du  petit  lard ,  mettez  poivre ,  trois  clous  de  girofle ,  un  bouquet 
garni  de  persil,  ciboules,  thym,  une  fenille  de  laurier,  et  quelques  cham- 
pignons si  vous  en  avez.  Lorsque  votre  civet  sera  aux  trois  quarts  cuit , 
mettez  y  quelques  petits  oignons  bien  égaux  et  bien  épluchés  ;  (  vous 
pouvez  les  passer  dans  du  beurre ,  si  vousvoulez ,  comme  pour  une  ma- 
telote), La  sauce  réduite  et  votre  civet  cuit ,  dégraissez-le  ;  goûtez  s'il  est 
de  bon  goût  ;  drèsscz^Ie  en  passant  la  sauce  à  Tétamine,  si  vous  le  jngez 
convenable  9  et  servez  bien  chaud. 

ê 

CIVBT   AU    SANG. 

Le  QÎvet  au  sang  se  fait  de  la  même  manière  que  ci-dessus  ;  on  observe 

(1)  Que  de  sens  ,  que  de  raison ,  renferme  la  condition  qui  précède 
cette  recette  alimentaire  I  Si  l'on  n'avait  qu'un  lapin ,  on  n'obtiendrait 
qu'une  gibelotte.  Cette  formule  devrait  être  ,  selon  nous ,  le  protocole 
obligé  de  toutes  les  actions  importantes  de  la  vie.  Voulez-vous  avoir 
une  bonne  cuisine  F  prenez  un  bon  cuisinier  ;  voulez-vous  avoir  du  vin  ? 
prenez  du  raisin  ;  avez-vous  des  calculs  à  faire  F  prenez  un  calculateur  ; 
etn'oubfiez  pas  cette  réflexion  accablante  de  Figaro,  repoussé  d'un  em- 
ploi auquel  il  était  propre  :  UfaUait  un  cateulaieur,  ce  fui  un  danteur  qui 
f obtint,..  Voulez- vous  un  civet  de  lièvre  J  Prenez  un  lièvre. 


i^    I 


a5a  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

seulement  de  conaenrer  toat  le  sang  do  lièvre.  On  le  toct  dans  la  sauce 
avant  de  la  vider;  on  remue  fortement  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  bien 
chaude  (car  il  ne  Faut  pas  la  laUser  bouillir);  on  la  passe  à  l'étamioe, 
ainsi  que  la  première ,  et  on. la  verse  de  même  sur  le  ragoût ,  que  Ton  a 
également  eu  soin  de  dresser  sur  un  plat. 

Une  chose  essentielle  en  pareil  cas,  c'est  de  tenir  le  ronz  pins  léger 
que  dans  le  civet  ordinaire,  attendu  que  le  sang  lie  assez  la  sauce  par 
lui-même. 

LEVREAU    A    LA    BROCHE. 

Aussitôt  que  votre  levreau  sera  dépouillé  et  vidé,  vous  le  ferez  refenir 
sur  un  fourneau  ardent  ;  et  quand  vous  vous  apercevrez  que  les  chain 
sont  assez  fermes  pour  que  la  lardoire  puisse  passer  facilement ,  retirez- 
Jede  dessus  le. feu;  trempez  ensuite  le  mou  du  foie  dans  son  sang,  et 
servez-vous  en  en  guise  d'épongé  pour  le  colorer  dans  tout  son  exté- 
rieur ;  piquez-le  ensuite  depuis  le  cou  jusqu'au  bout  des  cuisses ,  en  ob- 
servant cependant  de  laisser  une  distance  d'environ  un  pouce  entre  les 
reins  et  ces  dernières;  embrocbez-lc,  et  retirez-le  de  la  broche  après  trois 
petits  quarts-d'heure  ;  ce  temps  suffit  (à  un  feu  égal)  pour  sa  cuisson. 

La  grande  habitude  est  de  servir  avec  le  levreau  r6ti  une  sauce  jm- 
quante ,  connue  principalement  dans  le  midi  de  la  France  sous  lemoiu 
de  saupiquet.  Si  vous  voulez  la  faire ,  en  voici  la  recette  : 

Pilez  le  foie  à  cru  ;  passez-le  dans  une  casserole  avec  un  petit  morceau 
de  beurre ,  quelques  échalottes,  (on  met  de  l'ail  dans  le  Midi  )  ,  du  per- 
HÎl,  du  thym,  du  laurier  et  environ  une  cuillerée  à  bouche  de  farine, 
qu'il  faut  faire  revenir  avec  l'assaisonnement  ;  ajoutez  deux  verres  de 
bouillon ,  un  verre  de  vin  blanc  et  un  peu  de  vinaigre  ;  tournez  cons- 
tamment votre  sauce  jusqu'à  ce  qu'elle  bouille;  mettez-y  de  sel  une 
dose  ordinaire,  mais  du  poivre  assez  pour  qu'il  domine;  laissez-la  ré- 
duire à  moitié;  passez-la  à  l'étamioe  sans  la  fouler  trop  fort ,  et  servei- 
la  dans  une  saucière  à  côté  du  plat  de  rôt. 

Il  n'est  pas  utile  de  piquer  toujours  un  levreau  pour  le  mettre  à  b 
broche  ;  mais ,  dans  le  cas  contraire,  il  faut  au  moins  le  couvrir  de  bardes 
dopais  le  cou  jusqu'aux  cuisses ,  afin  d'humecter  sa  chair  nattirellemeal 
Mche.  G.etB. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  sSS 

DBS    PERDRIX. 

Oq  distingue  trois  classes  de  perdrix  :  les  rouges ,  les 
blanches  et  les  grises  :  les  premières ,  d'un  mérite  supé- 
rieur aux  deux  autres ,  sont  fort  communes  aux  environs 
du  Mans,  dans  le  midi  de  la  France,  principalement  aux 
environs  de  Brives ,  Périgueux ,  Gahors ,  et  presque  dans 
tout  le  Languedoc  ;  la  perdrix  blanche  se  tient  concen- 
trée dans  les  Alpes  et  dans  les  Pyrénées,  d'où  elle  ne 
sort  que  fort  rarement,  et  à  grands  frais,  pour  venir 
figurer  sur  les  tables  de  nos  modernes  Crésus;  \a  perdrix 
grise  est  la  plus  abondante ,  et  c'est  celle  qui  avec  sa 
sœur  (  la  rouge  )  viennent  plus  communément  garnir  la 
carnassière  du  chasseur  et  la  table  des  Gourmands ,  qui 
ont  le  bon  esprit  de  préférer  ce  qui  est  essentiellement 
bon  à  ce  qui  n'a  d'autre  mérite  que  celui  de  la  rareté. 

La  perdrix  rouge  habite  plus  volontiers  les  hauteurs , 
et  la  grise  préfère  la  plaine  :  la  première  a  un  très-beau 
plumage  et  la  chair  d'un  blanc  jaune  :  la  seconde  a  la 
chair  d'un  gris  noir  :  elles  ne  doivent  être  mangées  l'une 
et  l'autre  que  quelques  jours  après  avoir  été  tuées.  En 
général  la  chair  de  cet  oiseau  est  restaurante  et  forti- 
fiante; elle  produit  un  bon  sac ,  convient  à  tous,  les  tem- 
përamens,  et  principalement  aux  personnes  convales- 
centes. 

Il  est  une  foule  de  métamorphoses  auxquelles  la  per- 
drix se  prête  :  c'est  avec  des  perdrix  que  l'on  fait  les  suc- 
culens  potages  à  la  reine,  aux  lentilles,  etc.;  elles  do- 
minent et  embaument  les  pâtés  de  Périgueux ,  monument 
éternel  de  gloire  et  d'admiration  ;  on  mange  les  perdax 


^ 


•i34  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

à  la  braise,  à  la  êauce  de  carpe,  aux  truffes,  à  la  Saini- 
Laurent,  à  la  maître  Lucas,  à  Y  espagnole  ^  etc. ,  etc. , 
une  page  d'etc...  ;  on  les  mange  aux  chaux;  et  comme 
cette  manière  prévaut  en  ce  moment ,  nous  allons  en 
mettre  la  recette  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs. 

PERDBIX   AUX    CHOUX. 

Preoes  trois  Tiailles  perdrix  ;  plamez-lei  et  fidet4ei  le  piiu  propre- 
ment powible  ;  flambez-les  léfèremeat  ;  piqnet-les  de  moyens  lardons  ; 
assaisonnez  de  sel ,  de  thym  pilé ,  d*épices ,  et  troassea  les  pattes  en 
dedans. 

Mettez  ensuite  des  bardes  de  lard  dans  le  fond  d'ane  casserole  ;  pla- 
cez-y Tos  perdrix  avec  une  Une  de  petit  lard,  que  tous  aarei  bien 
nettoyé  et  iait  blanchir;  Joignez-y  un  moyen cerrelas,  et  coavres,  si 
vous  le  Toulez  encore ,  vos  perdrix  de  bardes  de  lard  pareilles  à  celles 
que  TOUS  avez  mises  dessous  ;  ajoutez  deux  carottes ,  deux  oignons ,  un 
troisième  piqué  de  trois  clous  de  girofle  et  une  feuille  de  laurier. 

A.près  cela  ayez  des  choux  bien  sains;  (les  choux  de  Milan  sont  les 
meilleurs }  faites-les  i>lanchir«  pressez-les ,  et  faites-en  pinsieun  paquets 
bien  ficelés  que  tous  placerez  par  dessus  tos  perdrix  ;  mettez  on  peu  de 
bouillon  ;  couvrez  le  tout  d^un  papier  beurré,  et  faites-le  mijoter  enviroo 
trois  heures ,  feu  dessus  et  dessous. 

Au  moment  de  servir  égouttea  vos  perdrix ,  et  dressez-les  sur  un  plat  ; 
égouttez  de  même  vos  choux  en  Ui  pretioM  foiiement,  et  placez-les  i 
l'en  tour  des  perdrix  ;  coupez  ensuite  la  livre  de  petit  lard  en  morceaux  : 
posez-les  de  distance  en  distance  sur  les  choux ,  ainsi  que  le  cervelas 
que  vous  couperez  par  petites  tranches  ;  mettez  par-des»ua  tout  cela 
une  sauce  à  l'espagnole  réduite  »  et  servez.  G.  et  B. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  a35 


©dabr^. 


LE    MOIS    VINEUX,    OU    LES    RAISINS. 

Que  le  ciel  garantisse  et  préserve  d'orage 
Les  ceps  de  la  Champagne  et  ceux  de  rHermitage  ! 
Garde  le  clos  Yougeot,  celui  de  Ghambertin 
Des  ardeurs  de  l'été  ^  des  fraîcheurs  du  matin  t.. . 

Gastronomie,  ch.  4* 

Depuis  Noé»  Bacchus  et  autres  buveurs  contempo- 
rains, le  vin  est  regardé  comme  le  fruit  le  plus  merveil- 
leux de  la  culture  et  le  don  le  plus  précieux  de  la  muni- 
ficence céleste.  Les  plus  grands  poètes  ont  fait  son  éloge» 
à  commencer  par  le  premier  de  tous  : 

LduuUbtu  arguitur  vini  vinosus  H  orneras, 

HoR.,  ép.  ig. 

On  ne  tarit  pas  sur  ses  bienfaits  et  sur  ses  charmes  : 
t  II  donne  du  courage  »  produit  la  franchise  et  l'amitié  ^ 
embellit  Tespérance»  chasse  le  souci ,  fieiit  éclore  les  beaux 
arts  y  inspire  l'éloquence  et  enfante  la  liberté  (i)«  » 

(i)  Quid  non  ûèriêtoM  désignât? operta  reeituUt  ; 
Spujukêttêtù  raioê  ;  in  prœUa  trudU  ineriêm  ; 
Solûàtis  animii  onu$  eçoùnit  ;  tutdoeet  artes . 
Fhemuli  ealicei  quêm  non  f§eere  dUertum  i 
Contracta  qucm  rum  in  pauperiate sotuium? 

HoB.)é/7.  5. 


256  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

■  Horace  va  plus  loin;  il  prétend  que  quiconque  ne  sail 
pas  boire  n*a  ni  Verve  ni  génie. 

Nuila  placer e  diu,  nec  vtvere  carmina  possunt 

Quœ  scribuntur  aguœpotoribus,.. 

Ép.  19. 

Buvons  donc  pour  être  aimables ,  et  chantons  Bac- 
chus  pour  être  bien  inspirés  !  Empruntons  la  langue  des 
poètes;  c'est  par  des  hymnes  qu'il  convient  de  célébrer 
nos  mystères.  Répétons  les  refrains  joyeux  du  panégy- 
riste du  Falerne,  et  chantons  soir  et  matin  avec  lui... 
nuncest  bibendum.». 

Un  érudit,  dont  Tesprit  et  la  raison  ne  sont  pas  con- 
testés, a  fait  un  livre  raisonnablement  gros  intitulé  :  Eloge 
de  l'Ivresse, 

M.  de  Sallengres  a  très-bien  prouvé  que  le  vin  est  ce 
qui  a  été  donné  de  meilleur  à  Thomme;  et  quand  nos 
lecteurs  sauront  combien  c'est  un  remède  puissant  con- 
tre le  chagrin,  combien  il  donne  de  bonnes  pensées,  de 
beaux  sentimens ,  de  douces  illusions ,  il  n'en  est  aucun 
qui  ne  rougît  de  craindre  de  s'enivrer  avec  les  sages , 
l'es  philosophes,  les  poètes,  les  sa  vans,  les  pères  de  l'é- 
glise ,  les  moines ,  les  papes  ,  les  saints  même ,  et  tout  ce 
que  le  soleil  a  vu  de  plus  illustre^ 

Rien  n'égale  la  logique  pressante  et  l'éloquence  fou- 
droyante de  l'auteur  quand  il  réfute  les  objectian«  hon- 
teuses ou  ridicules  des  détracteurs  de  l'ivresse;  c'est  un 
torrent  !  c'est  un  tonnerre  1 

Une  vérité  qui  ne  trouvera  point  d'incrédules ,  c'est 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  257 

qae  le  culte  de  Bacchus  a  survécu  à  toutes  les  fêtes  du 
paganisme;  il  compte  encore  autant  de  fidèles  que  l'Eu- 
rope renferme  de  Gourmands  :  c'est  y  comprendre  à  peu 
près  tous  les  chrétiens  qui  l'habitent. 

Il  n'est  point  de  pays  vignoble  ou  les  vendanges  ne 
soient  une  sorte  de  solennité  bruyante  et  joyeuse  fort 
ressemblante  aux  bacchanales  ;  il  ne  se  donne  point  de 
repas  où  les  libations  libérales  n'arrosent  l'autel  et  ne 
purifient  le  palais  des  convives.  Nos  pressoirs ,  nos  cel- 
liers et  nos  caves  sont  les  temples  du  dieu  »  et  chaque 
quaHier  de  vigne  est  un  terrain  consacré. 

Il  n'y  a  point  de  sage  qui  ne  s'enivre  une  fois  dans  sa 
vie;  le  savant  Hippocrate  et  le  grave  Catonsont  d'accord 
sur  ce  point  de  physique  et  de  morale  :  l'un  conseillait 
l'ivresse  quelquefois  pour  la  santé  »  et  l'autre  exécutait 
ce  précepte  divin. 

Gallien,  Avicène 

Nous  conseillent  Tivresse  une  fois  par  semaine. 

Gastr. 
Narratur  et  prisci  Catonis 
Sœpe  mero  caluUse  virtus. 

HoR.,  ode  21  j  iiv.  3. 

Nous  ne  ferons  pas  schisme  dans  cette  douce  croyance. 
L'obligation  de  boire  est  pour  nous  un  article  de  foi  ;  et, 
comme  nous  ne  chérissons  rien  tant  que  nos  devoirs , 
nous  redoublons  de  zèle  au  signal  des  cymbales  et  du 
tambourin  que  frappe  le  thyrse  des  Bacchantes. 

Couronnée  de  pampres  verts ,  et  les  mains  pleines  de 


238  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

raisins  pourprés  et  dorés ,  la  beauté  la  pins  séTère  est 
une  Ariane  que  le  rendangeur  désarme  et  console  à 
Texemple  du  dieu  qui  l'inspire. 

Quelle  rigueur  tint  jamais  contre  ]a  mousse  pétillante 
du  Champagne  y  et  le  bouquet  parfumé  du  Constance  ! 
mais 

Qao  me  Bacche ,  rapis  tui 

Plénum? 

y  Lir.  4  9  ode  a5. 

A  cette  grande  époque  où  la  cuve  fermente  »  où  les 
flots  de  nectar  abreuvent  le  sein  de  la  terre,  tout  vrai 
buveur  doit  suspendre  son  attention  »  et  faire  trêve  à  ses 
plaisirs  pour  employer  ses  forces  à  recueillir  les  émana- 
tions les  plus  subtiles  de  la  treille.  Les  mystères  d'Evohé 
commandent  le  recueillement  et  la  prudence;  Tamour 
même  ne  doit  se  mêler  qu'avec  précaution  à  ses  fêles 
annuelles. 

On  fait  l'amour  dans  tous  les  temps, 
On  ne  fait  du  vin  qu'eu  automne. 

Gastbrhann. 


U  ^^ttd^M^iS. 


ViTi  s'écoule  et  fait  place  à  l'automne.  Le  prin- 
temps nous  promit  de  beaux  jours  et  de  plus  solides 
richesses  que  ses  fleurs ,  l'été  nous  donna  ses  ardeurs 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  239 

et  ses  orages;  l'automne  seul  acquitte  les  promesses  du 
printemps ,  et  répare  les  outrages  de  Tété.  La  feuille , 
desséchée  par  les  feux  de  la  canicule  »  est  remplacée  par 
h  sève  d'automne;  c'est  la  saison  des  chasseurs ,  des 
convives ,  des  amans ,  comme  c'est  celle  qui  met  à  cou- 
vert le  produit  des  labeurs  de  ses  sœurs.  Remarquons 
même  que  c'est  dans  le  mois  où  la  terre  »  épuisée  par  ses 
dons,  va  goûter  le  repos»  que  depuis  l'espiègle  écolier  jus- 
qu'au grave  interprète  des  lois  de  Thémis ,  tout  dans  la 
nature ,  par  un  concert  unanim^e ,  a  placé  les  vacances  ; 
H  n'est  ancun  de  nos  lecteurs ,  même  au  front  ombragé 
de  cheveux  blancs  »  qui  »  en  lisant  ce  mot  autrefois  si 
(été,  vacances,  ne  sente  encore  palpiter  son  cœur 
d'émoi  au  doux  souvenir  de  sa  jeunesse,  de  ses  exploits 
classiques ,  de  ses  succès  de  collège ,  et  de  son  retour 
sous  le  toit  paternel.  Dans  ce  mois  ,  dont  la  tempé- 
rature se  compose  des  ardeurs  expirantes  de  l'été  et  de 
la  fraîcheur  avant-courrière  de  l'hiver ,  un  goût  plus 
épuré  préside  aux  compositions  du  poète ,  du  peintre  et 
du  musicien  :  on  imagine  au  printemps ,  on  médite  en 
été ,  on  exécute  en  automne  pour  corriger  en  hiver;  et 
il  est  rare  que  l'épreuve  de  ces  quatre  influences  n'as- 
sure pas  le  succès  de  l'auteur ,  qui  les  consulta  tour  à 
tour  pour  recevoir  les  diverses  inspirations  de  ces  divers 
temps  de  l'année.  C'est  dans  le  mois  d'octobre  qu'il  ap- 
partient de  célébrer  les  dons  du  vainqueur  de  V Indus , 
et  de  chanter  le  dieu  des  vendanges  au  miliw  des  grou- 
pes réunis  par  son  culte.  Remplis  ma  coupe ,  Erigone , 
en  pressant  sous  tes  doigts  rougissans  cette  grappe  arra- 


24o         LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

chée  au  pampre  qui  couronne  ton  front  I  Déserlanl  le 
séjour  de'Cythèrc  »  Amour  s'est  fait  vendangeur;  et  tau- 
dis  que  les  Grâces ,  ses  compagnes ,  que  les  nymphes  du 
bocage  remplissent  leurs  paniers  des  dépouilles  de  la 
vigne  9  Fenfant  malin ,  aux  ailes  dorées ,  quitte  sa  légère 
écharpe»  son  carquois»  et  jusqu'à  son  bandeau,  pour 
fouler  le  raisin  bouillonnant  dans  la  cutc.  Lextrémilé 
de  ses  ailes  se  teint  de  cette  couleur  vermeille ,. et  c'est 
de  ces  plumes  purpurines  qu'il  arme  les  flèches  dont  il 
blesse  ces  bergèi^es  qui ,  pendant  les  fêtes  consacrées  à 
Racchus ,  boivent  à  longs  traits  le  doux  poison  d'amour 
avec  le  jus  de  la  treille. 

D'autres  rediront  des  hymnes  à  Racchus»  des  chants 
au  dieu  d'amour;  moi ,  dans  un  idiome  plus  vulgaire, 
je  vais  continuer  de  célébrer  les  bienfaits  du  patriarche 
qui»  le  premier»  enrichit  l'Orient  de  la  culture  de  la 
vigne  »  et  au  conquérant  qui  »  ne  voulant  que  des  sujets 
vaincus  par  ses  largesses  »  faisait  précéder  de  tonneaux 
ses  armées  »  et  ne  combattait  que  ceux  qui  refusaient  de 
lui  prêter  leur  hommage  en  portant  sa  coupe  à  leurs  lè- 
vres. Heureux  propagandiste  d'un  culte  dont  la  morale 
fut  fondée  au  bruit  des  flacons  et  des  verres  >  dont  les 
lois  n'ont  de  règle  que  la  soif  des  convives  »  et  d'empire 
que  sur  un  peuple  d'adorateurs  dévoués  et  fervens  ! 

Une  vapeur  vineuse  embaume  les  airs;  parcourons 
les  coteaux  ouverts  à  la  vendange  :  voyez  ce  groupe 
de  corybantes  agiter  le  thyrse  »  et  s'animer  à  la  con- 
quête des  richesses  de  la  vigne  dès  l'aube  du  jour  !  Les 
cuves  sont  dressées,  le  pressoir  est  abreuvé;  la  vis  graîs- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  24 1 

sée  roule  dans  «es  écrous;  des  charrettes  ont  déposé  à 
l'extrémité  de  chaque  héritage  les  tonneaux  que  vont 
remplir  les  agiles  vendangeuses.  '€'est  bien  ici  le  -mo- 
ment de  dire  avec  le  chantre  immortel  des  Saisons  : 

«  Jouissez^  6  mortels,  et  par  des  cris  de  joie 
»  Rendez  grâces  au  ciel  des  biens  qu'il  tous  envoie  ; 
o  Que  la  danse  et  les  chants,  les  jeux  et  les  amours, 
•  Signalent  à-la-foîs  les  derniers  des.beaux  jours  !  » 

GHiaLBS   SÂaTBOUYlLi:.B. 


^^<^  ^^etibatige^  ^msmnt^. 


On  vendange  en  septembre^  dans  les  états  méridio- 
naux du  Bacchus  européen;  mais  pour  une  partie  de 
la  Bourgogne ,  de  la  Champagne  et  des  rives  rhénanes , 
le  pressoir  ne  coule  qu'en  octobre.  Le  raisin  pend  en  - 
core  aux  ceps  de  Surène  et  du  mont  Yalérien ,  et  c'est 
le  plus  glorieux  moment  pour  les  vignes  de  la  banlieue 
de  Lutèce. 

Rendons-nous ,  mes  amis ,  au  temple  le  plus  prochain 
du  dieu  dont  nous  professons  le  cuke;  partout  où  le  vin 
fume  le  plaisir  nous  attend;  amenons  nos  amies,  et 
n'oublions  pas  les  flacons  de  THermila^e  et  de  Volnay« 
Nous  verrons  faire  du  Surène,  mais  nous  n'en  boirons 
pas;  l'amour  se  chargera  de  nous  ôter  la  raison;  et, 
mariant  »  par  des  libations  de  vieux  Bordeaux ,  la  Ga« 

16 


•4t         LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

ronne  au  dieu  de  la  Seioe ,  peut-être  inoculerons-noiu 
le  bon  vin ,  comme  la  raccine ,  à  tous  les  crûs  du  canton. 
Dans  Tespoir  de  ce  miracle ,  qui  a  déjà  été  fait  aux 
noces  de  Cana»  buvons  et  réjouissons-nous;  que  nos 
festins  durent  autant  que  les  vendanges;  que  les  vendanges 
durent  pour  nous  toute  Tannée.  Une  soif  inextinguible , 
un  appétit  toujours  renaissant  sont  des  biens  trop  au- 
dessus  des  mortels  ;  mais  entre  la  coupe  qui  pétille  et  la 
nymphe  qui  la  remplit  le  désir  succède  de  près  au  plaisir; 
car  de  tous  les  humains  c'est  le  buveur  qui  goûte  le  plus 
de  la  suprême  félicité. 

Qu'on  cesse  de  nous  débiter  les  lieux  communs  de  la 
sobriété  contre  l'ivresse  ;  que  d'autorités  respectables 
ne  pourrions  nous  pas  opposera  Tenvie  !  mais  qu'il  nous 
suffise  de  citer  ces  dictons  proverbiaux ,  la  sagesse  des 
nations  et  le  produit  de  l'expérience  :  Boire  comme  un 
templier,  mener  une  vie  de  chanoine  ,  être  greu  comme 
un  moine  ,  faire  un  repas  de  pape. 

Hé  bien ,  favoris  de  Momus  et  d'Evohé ,  voulons-nous 
autre  chose  qu'imiter  ces  chevaliers  valeureux,  ces  sages 
solitaires?  Si  nous  mêlons  un  peu  d'amouretles  k  leurs 
saintes  habitudes ,  cela  y  gfite-t-il  quelque  chose  ?  et  ne 
faudrait- il  pas  être  évidemment  mal  intentionné  pour 
nous  en  (aire  un  nouveau  crime  ? 

Celui-là  fut  maudit  en  naissant  dont  le  front  ne  s'épa- 
nouit jamais  à  table ,  et  dont  les  yeux  ne  s'animent  point 
à  la  rencontre  de  deux  beaux  yeux. 

Or»  il  ne  s'agit  pas  ici  de  nous  reproche^  des  excès; 
qui  use  s  expose  nécessairement  à  abuser  quelquefois  : 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  245 

l'excès  est  aussi  dans  la  précaution  et  le  scrupule,  et  qui 
craint  d'abuser  b*usera  jamais  de  rien. 

Non  est  res  quâ  erùbescam,  ù  die  festo  ihter  œqualeê 
litrgiare  vino  sim  usus. 

Ces  paroles  sont  tirées  de  Tlie-Live ,  liv.  4o  »  chap.  j4> 
^ilts  serrent  à  prouver  queQe  peuple  le  plus  sobre  et  le 
plus  austère  de  l'antiquité  était  beaucoup  moins  cha- 
touilleux que  certains  casuistes  modernes  pour  4|ui  la 
joie  est  un  éponrantail ,  et  la  table  un  écueil. 

Clttophok. 

Nous  ne  pouvons  résister  au  désir  de  citer  cet  enivrant 
tableau  de  la  vendange  : 

Déjà  près  de  la  vigne  un  grand  peuple  s'avance^ 
Il  s'j  déploie  en  ordre ,  et  le  travail  commence  ; 
Le  vieillard  que  conduit  Tespoir  du  vin  nouveau^ 
Arrive  le  premier  au  penchant  du  coteau  ; 
Déjà  l'heureux  Lihdor  et  Lisette  charmée 
Tranchent  au  même  oeps  la  grappe  parfumée  ; 
Ils  chantent  leurs  amours  et  le  Dieu  des  raisins  ; 
Une  troupe  à  ces  chants  répond  des  monts  voisins; 
Le  bnijMit  tambourin ,  le  fifre  et  la  trompette , 
Font  entendre  des  airs  que  le  vallon  répète. 
Le  rire,  les  concerts,  les  cris  du  vendangeur 
Fixent  sur  le  coteau  les  regards  du  chasseur. 
Mais  le  travail  s'avance  ^  et  les  grappes  vermeilles 
S'élèvent  en  monceaux  dans  de  vastes  corbeilles; 
Colin,  le  corps  penché  sur  ses  genoux  tremblans^ 
De  la  vigne  au  cellier  les  transporte  à  pAs  lents; 


a44  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Une  foule  d*enfans  autour  de  lui  s'empresse. 
Et  l'annonce  de  loin  par  des  cris  d'allégresse. 

Mais  je  Tois  sur  les  monts  tomber  l'astre  du  jour; 
Le  peuple  vendangeur  médite  son  retour  : 
Il  arrive,  ô  Bacchus,  en  chantant  tes  louanges; 
Il  danse  autour  du  char  qui  porte  les  vendanges  ; 
Ce  char  est  couronné  de  fleurs  et  de  rameaux , 
Et  la  grappe  en  festons  pend  au  front  des  taureaux. 

SÀiNT-LAiaEET  (le^  Saisons), 
Arrivés  au  pressoir,  du  milieu  de  la  foule 
Dn  couple  pétulant  s'élance,  écrase,  foule; 
Sous  ses  bonds  redoublés ,  des  grappes  en  monceaux 
Le  vin  jaillit,  écume,  et  coule  en  longs  ruisseaux. 
A  ces  ruisseaux  pourprés  enivrez-vous  ensemble , 
G  vous  tous  que  la  soif  près  des  cuves  rassemble  I 
Creusez  vos  mains  en  coupe,  et  que  sur  vos  habits 
De  vos  mentons  rians  le  vin  coule  en  rubis  r 
D'un  bachique  repas  couronnez  la  journée. 
Les  soucis,  les  travaux,  les  sueurs  de  l'année 
Vous  méritent  assez  ce  bonheur  d'un  momentl 

RouGHEB  (les  Mois), 

TRINQUONS  I 

Aïs  :  Bottfour  «t  bonioir,  mt  :  Tarare  Pcmpon.   (N.  63  d«  la  Cié  ia  C^vam  }  fi) 

Nous  pouvons  au  dessert 
Rimer  malgjré  Minerve 
Lorsque  Bacchus  nous  sert 
A  former  un  concert  ; 

(i)  Recueil  de  muâi{iie  contenant  ao3o  aiiv,  troixlèine  édition ,  qui  »* 
▼end  chez  MM.  Janet  et  GoteUe ,  rue  Saint-Ilonoré ,  hôtel  d'Aligie. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  245 

Ayons  donc  en  réserre 
Quelques  bons  vieux  flacons. 
Et  pour  nous  mettre  en  Ter ve 
Trînqiuons  ! 

Le  vin  serrît  Panard 
Mieux  que  Veau  du  Pennesse  ; 
Un  chansonnier  canard 
N'aurait  pas  eu  son  art  : 
Bacchus  donne  sans  cesse 
Le  courage  aux  Gascons, 
Aux  auteurs  la  richesse...  ^ 

"trinquons! 

Des  Zéphîrs  care  sans 
Quand  Thaleine  légère 
Vient  ranimer  nos  sens 

Et  nos  gazons  naissans ,  • 

Pour  fléchir  la  bergère- 
Qu'en  Tain  nous  attaquons  ^ 
Au  bois  sur  la  fougère 
Trinquons! 

Malgré  Zéphlr  en  pleurs , 
Quand  de  longues  journées^ 
Sèchent  par  leurs  chaleurs 
Nos  gosiers  et  nos  fleurs , 
Nos  fleurs  tombent  fanées  ; 
Nous  qui  les  remarquons , 
Pour  fuir  leurs  destinées 
Trinquons!- 


946  LB  GASTBONOME  FRANÇAIS. 

Forcés  de  nous  ra«seoir 
Lorsqu'il  tonne  en  automne , 
Restons  dans  le  pressoir 
Du  matin  jusqu'au  soir  . 
Pour  oublier  qu'il  tonne  j 
En  buyeurs  rubiconds. 
Sur  le  cul  d'une  tonne 
Trinquons  ! 

Pendant  nos  longs  hirers 
Plus  de  jeux  sur  l'herbette  ; 
Nos  prés  y  nos  gaxons  Terts 
De  neige  sont  cour erts  : 
La  yigne  qu'elle  arrête 
•  Languit  sous  ses  flocons  ; 
Mais...  la  vendange  est  fiiite  ; 
Trinquons  1 

Profitons  des  instans  ; 
Trinquons  dans  le  bel  âge  ; 
Trinquons  lorsque  le  Temps 
Vient  nous  rendre  impotensl 
Et  pour  le  grand  Toyage 
Quand  nous  nous  embarquons , 
Calment  sur  le  rirage 
Trinquons  I 

M.    ÀAMAHP-GoorFÉ. 


i 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS;  947 

* 

CHANSON  A  BOIRE. 

AiB  :  lioB«>ii«  4uil  pot,  M  :  To«|oart  dtiiin^Mr  mnm  whm.    (  N.  M»  m  M  dr  li  914 

du  CaMflii.  ) 

MiircBons,  mangeons  est  le  refrain 

D'une  chanson  que  j'aime  (i)  : 
Ce  doux  refrain  m'a  mis  en  train  ; 
Je  yeux  chanter  de  même. 

Plus  nous  j  songeons , 

Mangeons ,  oui^  mangeons  ; 
C'est  un  titre  à  la  gloire... 

J'aime  les  bons  mets , 

J'aime  à  manger  ;  mais 
J'aime  encore  mieux  boire. 

C'est  dans  le  fin  qu'est  le  plaisir, 

SI  l'on  en  croit  l'histoire. 
Grégoire,  ayant  que  de  mourir, 
Criait  encore  :  J  boire  ! 
Et  dans  cet  instant 
Un  buTCur  prétend 
«  Que ,  jaloux  de  sa  gloire ,. 
Même  après  sa  mort, 
Il  fit  un  effort , 
Etbut....  dans  l'onde  noire.. 

Sur  la  carte  je  rois  souyent 

La  mer  Adriatique, 
La  mer  du  Sud  et  du  Leyant,. 
Je  yois  la  mer  Baltique  ; 
Mais,  delà  gaité 
Toujours  enchanté, 

(i*)  Ghanfond«  BI..Amiaiid-Gou(lfé^ 


948  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Péri  te  la  mer  noire  : 

Puis  en  bon  gourmet 

La  rouge  me  plait  ; 
Car  c'est  la  mer  à  boire. 

Youlez-Yous  bien  faire  Tamour? 

Videz  yingt  fois  tos  verres  : 
Voulez-y ous  rimer  chaque  |pur  ? 
Burezy  bu?ez,  mes  frères  : 

Vraiment  c'est  en  vain. 

Qu'on  blâme  le  yin;. 
n  donne  de  la  gloire  :. 

Un  auteur  souvent 

Arrive  en  roulant 
Au  Temple  de  Mémoire. 

€risons  le  débile  vieillard  ! 

Que  le  Temps  inquiète  ;  ^  ' 

C^risons  la  prude,  le  cafard ^ 
Et  grisons  la  coquette  ^ 
Grisons  les  enfans. 
Grisons  les  mamans^. 
Les  faiseurs  de  gazettes  ; 
Grisons  les  garçons , 
Grisons  les  grisons, 
Grisons  jusqu'aux  grisettes  ! 

M.  fiaizisa.^ 

F  ERSE  EN  COR!... 

{ 11.  i»4o  de  h  CM  ^  Cw««i.  ) 

Verse  encor, 
Encor,.  encor,  encor  !. . . 


i 

i 


LE  GASTRONOME  FRAN^ÎAIS.  249 

Eacor  un  rouge  bord , 
Dieu  jouflu  de  la  treille  !... 

Verse  encor, 
Encor^  ençor,  encor!... 
Par  toi  tout  se  réyeiUe, 
Et  sans  toi  tout  est  mort. 

Toi  qui  9  déplorant 
Les  misères  humaines , 

Vas  partout  jurant 
Et  te  désespérant,* 

Pourquoi  fulminer? 
Moi ,  pour  guérir  mes  peines. 
Au  lieu  de  tonner 
J'aime  mieux  entonner  : 
Terse  encor,  etc. 

Si,  toujours  heureux, 
Alcide  a  tant  su  faire 

D'exploits  amoureux 
Et  d'exploits  Taleureux, 

C'est  que,  chaque  fois 
Qu'il  partait  pour  la  guerre  s 

Sa  tonnante  voix 
Disait  d'un  ton  grÎTois  : 
Verse  encor,  etc. 

Amant  qui,  toujours 
De  soupirs  et  d'alarmes 
*  Attristes  le  cours 
De  tes  sotte»  amours , 

Répands  loin  de  moi 
Tes  longs  torrens  de  larmes  > 


85o  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Nous  ayons,  ma  foi , 
Bien  assez  d'eau  sans  toi... 
Verse  encor,  etc. 

k  quoi  bon  ce  gros. 
Ce  lourd  dictionnaire , 

Que,  mal-à-propos, 
Surchargent  tant  de  mots  ? 

N 'eût-il  pas  suffi 
Au  bonheur  de  la  terre , 

D'en  ayoir  un  qui 
Gonttnt  ces  senls  mots-ci  : 
Verse  encor,  etc. 

Je  tiens  pour  certain 
Que  notre  premier  homme 

Bût,  d'un  tour  de  main, 
SauTé  le  genre  humain  y 

Si  ce  bon  Adam, 
Mettant,  au  lieu  de  pomme , 

Un  broc  sous  sa  dent , 
Eût  dit,  en  le  Tidant  : 
Verse  encor,  etc- 

Pourquoi ,  Turcs  damnés  , 
Par  un  décret  céleste , 

Êtes-Tous  tous  nés 
A  rôtir  condamnés? 

G*est  que ,  réduits  tous 
Au  sorbet  indigeste , 

Aucun  d'entre  tous 
Ne  peut  dire  aTCc  nous  : 
Verse  encor^  etc. 


À 


LB  GASTRONOMS  FRANÇAIS.  aSi 

Du  sort  inhumain 
SuiTant  l'arrêt  sévère^ 

Puisque  hélas  !  ta  main , 
Peut-être  dès  demain 

Ne  Tersera  plus 
Dans  mon  sein  ni  mon  terre. 

Bienfaisant  Bacchus, 
Ton  ivresse  et  ton  jus, 

Verse  encor, 
Encor,  enoor,  encor1.«« 
Encor  un  rouge  bord  ^ 
Dieu  joufflu  de  la  treille  I... 

Verse  encor, 
Encor,  encor,  encor  !..• 
Par  toi  tout  se  réyeille , 
Et  sans  toi  tout  est  mort.  DisAOCiERs. 

LE  DÉLIBE  BACHIQUE. 

An  :  Met  «hers  «mil  (  N.  S88  delà  (^i  «tu  Comm.  ) 

NiaGVB  de  ceux 

Qu'un  Champagne  mousseux 
N'inyite  pas  à  la  folie  I 
Le  Terre  en  main 

BuTons  jusqu'à  demain; 
Le  Tin  &it  naître  la  saillie. 

Dans  le  sacré  Talion , 

Aux  genoux  d'Apollon 
Je  Tois  la  tourbe  subalterne  : 
Je  ris  de  tous  ces  beaux  esprits; 
De  Bacchus  seul  je  suis  épris , 
Et  deTant  lui  je  me  proHeme. 


1258  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

S'il  peut  saisir 

La  coupe  du  plaisir^ 
L'amant  s'eaiyre  avec  délice. 
Dès  le  matin 

Le  jeune  sacristain 
Se  grise  en  vidant  un  calice. 

De  l'hypocrëne  un  coup 

Étourdit  tout  à  coup  ; 
L'on  tombe ,  et  Pégase  détale. 
Pour  moi,  l'on  me  fait  boire  en  Tain  y 
Je  sais ,  en  nageant  dans  le  yin  y 
Conserver  la  soif  de  Tantale. 

Au  fond  d'un  bois 

àriane  aux  abois 
Pleure  la  perte  de  Thésée.. 
Bacchus  accourt 

Avec  toute  sa  cour  : 
Soudain  la  belle  est  apaisée. 

Le  dieu  lui  fait  d'abord 

L'offire  d'un  rouge  bord  : 
A  ses  instances  elle  cède; 
Séduite  par  ce  jus  divin. 
Bientôt  à  l'ivresse  du  vin 
L'ivresse  de  l'amour  succède... 

Que  Gupidon, 
«    Sans  carquois  ni  brandon , 
Au  milieu  des  vignes  s'élance  ; 

D'un  pampre  vert 
Que  son  front  soit  couvert  ; 
Qu'un  thjrse  lui  serve  de  lance } 


i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  255 

Qu'assis  sous  un  berceau , 

Son  arc  fait  d'un  cerceau , 
Et  ses  flèches  des  ceps  d'automne , 
Il  ait  pour  temple  un  grand  cellier,    ^ 
Pour  prêtre  un  joyeux  sommeiller, 
Pour  autel  une  large  tonne  ! 

Al.  Francis. 


LAMOVR  ET  LE  VIN. 

f  N.  tsi3  de  la  eu  ihi  Cntw.) 

FoLATEOHS^  rions  sans  cesse  ; 
Que  le  Tin  et  la  tendresse 
Remplissent  tous  nos  momens  ! 
De  myrte  parons  nos  tètes, 
Et.ne  composons  nos  fêtes 
Que  de  bureurs  et  d'amans. 

Quand  je  bois,  l'âme  ravie. 
Je  ne  porte  point  d'enyie 
Aux  trésors  du  plus  grand  roi  : 
Souvent  j'ai  tu  sous  la  treille 
Que  Thémire  et  ma  bouteille 
Étaient  encor  trop  pour  moi. 

S'il  faut  qu'à  la  sombre  rive 

Tôt  ou  tard  chacun  arriTC , 

YiTons  exempts  de  chagrin , 

Et  que  la  parque  inhumaine 

Au  tombeau  ne  nous  entraîne 

Qu'ÎTrcs  d'amour  et  de  Tin. 

Lavjon. 


«54  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

LE  VIN,  L'JMOURET  LA  GAIETÉ, 

ADIIMB    AUX   inCOEIlRt.  ~ 
Air  de  lapramién  nmfe  du  départ  pour  flaàii-Miltf  f  N.  HéêUCU  émC^Mmm.  } 

Ams  y  il  est  temps  qu'on  publie 
Dans  la  yille  et  dans  les  faubourgs  : 
Sans  Bacchus ,  l'Amour ,  la  Folie  , 
On  ne  peut  compter  d'heureux  jours  ; 
Pour  Tiyre  sans  cesse  en  goguettes. 
Que  ce  refrain  soit  répété  ; 
Versons  le  yin,  renTertons  leê  fillettes; 
Vire  la  gaité  ! 
A  leur  santé!*.. 

Bannissons  toute  inquiétude, 
Et,  laissant  au  sombre  avenir 
Le  tableau  de  l'incertitude, 
Déroulons  celui  du  plaitir  : 
A  flacons,  beautés,  chansonnettes 
Jamais  chagrin  n'a  résisté. 
Versons  le  Tin,  etc. 

Narguant  la  gloire  et  la  richesse, 
A  nos  désirs  mettons  un  frein 
Quand  nous  avons  jeune  maîtresse, 
Vieux  Bourgogne  et  piquant  refrain  : 
Tonneaux,  carquois  et  castagnettes 
Donnent  seuls  la  félicité. 
Versons  le  vin  ,  etc. 

S'il  est  un  censeur  trof  sévère 
Contre  nous  et  nos  partisans. 
Dans  sa  mafn  places  un-grand  verre , 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  s55 

Qu'emplira  fille  de  quinze  ao»  ; 
EntoDDez  chansons  guillerettes  ; 
Bientôt  il  dira  transporté  : 
Versons  le  yin,  etc. 

Un  philosophe  a  dit  auj^  hommes  : 
«  Craindre  la  mort  est  un  aLus; 
i>  Elle  n'est  point  tant  que  nous  sommes  ; 
»  Quand  elle  est  nous  ne  sommes  plus.  » 
Jusque  là  ,  yidant  nos  feuillettes , 
Aimant 9  chantant  en  liberté,   - 
Versons  le  yin ,  ren?ersons  les  fillettes  ; 

Yiye  la  gaîté  ! 

A  leur  santé!....  €*** 


■BW 


Un  amphytrion  qui  se  respecte,  doit,  en  octobre,  dire 
«dieu  à  la  campagne ,  et  rouvrir  les  deux  battans  de  la 
salle  à  manger.  Les  légumes,  le  fruit,  la  volaille ,  le  gi- 
bier, permettent  enfin  des  jouissances  sans  restriction. 
Chaque  matin  la  Halle  et  la  Vallée  se  garnissent  de  mar- 
chands et  d'acheteurs  ;  il  ne  faut  plus  que  de  Targent  et 
de  l'appétit  pour  faire  bonne  chère.  Les  poulets  de  grain 
sont  gras;  TAhailard  de  nos  basses-cours  présente  au 
feu  sa  croupe  arrondie;  le  lièvre  et  le  dindon  atteignent 
l'fige  viril.  Le  cuisinier  aiguise  ses  couteaux,  et  son 
ardeur  se  rallume  avec  ses  fourneaux. 

Le  lapin  timide ,  le  bruyant  faisan ,  la  tortueuse  per- 
drix ont  recours  à  mille  ruses  pour  se  soustraire  à  l'im- 
pitoyable chasseur;  et,  tandis  que  de  bien  chers  amis , 
teJs  que  la  caille ,  le  becfigue  ,  le  râle  de  genêt  nous  quit- 
tent, nous  voyons  le  langoureux  ramier,  la  voyageuse 


«56  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

bécasse  et  le  canard  arenturenx  arriver  du  bout  du 
monde,  pour  provoquer  nos  coups  et  notre  appétit. 

La  viande  de  boucherie  commence  aussi  à  s'humaniser. 
Le  bœuf  a  acquis  une  rotondité  respectable;  le  mouton  et 
le  veau  ne  redoutent  plus  une  consciencieuse  apprécia- 
tion. La  marée»  de  son  côté,  se  rassure  de  Teffroi  que  lui 
causait  la  chaleur  ;  le  pudibond  merlan  ose  risquer  8<»i 
début  et  obtient  un  succès  lionorable  et  encourageant. 


itinf  l^ttc ,  ft^UcUw  ^t$  ^^^tnfs. 


Vous  connaissez  tous ,  mes  frères ,  et  vous  fêtez  dans 
vos  banquets  Voiseau  de  saint  Luc;  vous  ne  laisse- 
rez pas»  sans  un  témoignage  de  notre  reconnaissance, 
s*écouler  le  jour  qui  lui  est  consacré  dans  notre  calen- 
drier. La  Saint -Luc  répand  sur  tout  le  mois  d'octobre 
un  éclat  de  gastronomie  qui  le  rend  comparable  aux  épo- 
ques les  plus  signalées  de  nos  annales.  Le  grand  saint 
que  nous  chômons  n'a  point  voulu  s'attribuer  d'armoi- 
ries ambitieuses;  on  ne  voit  à  ses  côtés  ni  le  lion ,  ni  le 
tigre»  ni  Taigle,  ni  le  paon«  ni  l'oiseau  de  Minerve:  c'est 
de  l'animal  le  plus  utile ,  le  plus  docile  et  le  plus  sub- 
stantiel qu'il  daigna  anoblir  l'image  en  l'adoptant  pour 
emblème.  Des  chevaliers  errans»  des  princes  magnifia 
ques  auraient  cru  s'abaisser  en  ornant  leur  écu  de  la 
figure  d'un  bœUf;  mais  un  saint  évangéliste  a  su  nous 
apprendre  qu'il  n'y  a  d'honorable  que  ce  qui  est  utile, 
et  de  grand  que  ce  qui  est  bon  :  il  se  souvenait  que  le 
bœuf  ne  partagea  qu'avec  l'âne,  humble  et  serviable  qua- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  sSy 

drupède  »  la  gloire  do  réchauffer  la  crèche  où  naquit  le 
Sauveur. 

Si  nous  considérons  les  perfectiods  nombreuses  de  cet 
incomparable  animal,  nous  le  jugerons  bien  digne  de 
l'honneur  qu'il  acquit  par  cette  adoption.  C'est  au  bœuf, 
fidèle  et  puissant  allié  du  laboureur ,  que  nous  devons 
de  manger  du  pain  et  des  petits  pâtés;  après  nous  avoir 
comblés  de  ses  bienfaits  pendant  sa  vie  il  devient  bifteck, 
rosbiff  et  pot-au-feu;  sa  langue,  ses  côtes  et  son  palais 
brillent  sur  les  meilleures  tables;  il  prend  toutes  les  for- 
mes ,  se  plie  à  tous  les  mélanges ,  et  ne  dédaigne  ni  les 
épices  étrangères ,  ni  l'oignon  concitoyen ,  ni  la  patate 
souterraine.  Sous  le  nom  de  pièce  de  bœuf  il  est  encore, 
comme  pendant  sa  vie ,  un  sujet  de  dédain  pour  les  dé- 
licats et  les  gens  sobres  ;  mais  la  pièce  de  bceufvLea  est 
pas  moins  le  plat  obligé  du  plus  somptueux  repas ,  et  le 
mets  le  plus  sain  et  le  plus  habituel  du  commun  des 
gourmands. 

La  fête  du  Bceuf  gras  devrait  se  célébrer  le  jour  de 
saint  Luc  en  mémoire  de  l'illustration  de  sa  race.  Le 
mois  d'octobre  est  l'époque  du  retour  de  toutes  les  vian- 
des savoureuses  ;  les  boucheries ,  la  halle  et  la  vallée  se 
remplissent.  Veau  de  Rivière  et  de  Pontoise;  mouton  de 
Pré-Salé ,  de  Gondé ,  de  Garrouges  et  des  Ardennes;  vo- 
laille grasse  du  Mans ,  de  la  Flèche ,  de  Gaux  ;  perdreaux 
rouges  et  gris;  cailles,  oiseaux  et  oisillons;  poissons  de 
mer  et  d'eau  douce  ;  légumes  d'automne  et  fruits  de  toute 
sorte;  quel  digne  cortège  pour  le  roi  des  animaux  suc-- 
calens ,  pour  Toiseau  de  saint  Luc»  pour  le  bœuf,  qui  ne 

>7 


358  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

le  cède  pas  eu  cheval  pendant  sa  vie  »  et  qui  le  dispute  aa 
cochon  après  sa  mort  en  utilité  »  en  bonté  ,  en  docilité , 
en  qualités  de  tous  les  genres  1  GASTEaiiARN. 

DU   VBâU. 

Si  depuis  des  siècles  Tusage  d'arracher  le  jeune  veau 
à  sa  mère  «  pour  le  livrer  au  boucher»  ne  prévalait  en 
faveur  de  nos  besoins^  cet  acte  barbare  pourrait  être  en- 
core qualifié  d'infanticide;  mais  il  îà\A  se  &ire  une  rai- 
son; et ,  comme  on  Ta  déjà  observé ,  si  Ton  réfléchissait 
toujours  sur  le  sort  des  animaux,  on  finirait  par  n'en 
manger  aucun.  Au  fait. 

Les  veaux  de  Pontoise  »  de  Gaen ,  de  Rouen ,  les  veaux 
de  Normandie  enfin,  plus  connus  sous  le  nom  de  veaux 
de  rivière  p  sont  préférables  à  tous  ceux  que  la  France 
produit ,  attendu  que  dans  ces  contrées  on  les  élève  arec 
plus  de  soin ,  et  que  Ton  observe  plus  scrupuleusement 
que  partout  ailleurs  la  loi  qui  défend  de  les  immoler  avant 
qu'ils  aient  atteint  quarante  jours. 

Mais  les  veaux  de  Pontoise ,  que  Ton  élève  ordinaire- 
ment avec  des  œuls  frais,  de  la  crème  et  des  biscuits, 
sont  les  plus  recherchés;  aussi  est-il  Irès-diflicile  d'en 
manger  à  Paris ,  quoique  fous  les  restaurateurs  aient 
contracté  l'habitude  de  les  porter  sur  leurs  cartes. 

Les  métamorphoses  que  l'on  &it  subir  à  ce  doux  et 
timide  animal  sont  innombrables.  Nous  allons  nous 
borner  aujourd'hui  k  en  donner  la  recette  suivante  : 


r 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  aSg 

IfOIX  DB   YKAU   A    LA   BOURGEOISE. 

Lerez  la  noix  bien  entière ,  enveloppezrla  dans  aoe  jerviette ,  et 
battez-la  avec  no  coopérât  ;  ayez  dn  gros  lard ,  tirez-en  des  lardons 
^*noe  moyenne  grossenr  «  assaisonnez-les  avec  do  sel  biea  fin,  dn  poÎTiv, 
das  épices ,  dn  persil  y  de  la  cibonle  »  do  thym  et  du  laurier  haché  bien 
menu ,  et  quand  les  lardons  auront  bien  pris  leur  assaisonnement , 
piquez-en  bien  votre  noix ,  en  ayant  soin  qu'ils  ne  percent  pas  en  des- 
sus; assojettissez-la  ensuite  en  la  piquant  avec  une  aiguille  à  brider  et 
en  l'entourant  de  ficelle ,  afin  que  les  peaux  qui  l'euTebppent  ne  re- 
broussent pas ,  et  qu'étant  cuite  elle  se  trouve  bien  couverte.  Beurrez 
ensuite  le  fond  d'une  casserole»  et  placez-y  la  noix;  mettez  à  l'entour 
deux  carottes  entières,  quatre  gros  oignons,  deux  feuiiles^de  laurier,  et 
environ  deux  verres  de  bouillon  ;  couvrez  le  tout  d'un  rond  de  papier 
beurré ,  et  quand  la  sauce  bouillira  vous  la  retirerez  et  la  laisserez  cuire 
pendant  deux  heures  à  un  feu  irês-Uger  dessus  et  dessous,  en  mettant 
de  la  cendre  chaude  et  quelques  charbons  sur  le  couvercle  de  la  casse- 
role. Au  moment  de  servir  égonttez  votre  noix  et  débridez-la  ;  faites  ré- 
duire le  fond  à  moitié  après  l'avoir  bien  dégrausé  ;  mettez  votre  noix 
sur  un  plat  avec  les  légumes  ;  versez  le  fond  dessus ,  et  servez. 

Vous  pouvez  mettre  en  place  de  fond  soit  une  sauce  k  la  glace ,  une 
«auce  tomate,  une  purée  d'oseille,  de  laitues  ou  de  chicorée. 

G.  etB. 
.    DU    PERDREAU. 

L'histoire  des  oiseaux  fournit  des  exemples  admi- 
rables de  tendresse  et  d'instinct;  mais  chez  les  perdrix 
ces  qualités  éclatent  autant  dans  leurs  alarmes  que  dans 
les  soins  de  leur  paisible  éducation  ;  et ,  par  rattache- 
ment pour  le  lieu  qui  les  a  vu  naître ,  et  par  l'amour 
qu'ils  ont  pour  leurs  tendres  parens,  on  pourrait  citer 
les  perdreaux 'comme  des  modèles  de  piété  filiale.  A 
peine  sont-ils  éclos  que ,  souyent  encore  couverts  des  dé- 
bris de  leur  coquille ,  ils  courent  à  la  suite  de  leur  mère 
et  de  leur  père  qui  les  appellent ,  les  promènent ,  leur 


^6o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

montrent  des<:hry8alide8  de  fourmis,  des  insectes,  des 
vermisseaux,  en  un  mot  la  nourriture  qui  convient  à  leur 
premier  âge ,  et  leur  apprennent  à  la  chercher  plus  tard 
en  grattant  la  terre,  soit  dans  les  prés»  soit  dans  les 
champs. 

Ces  traits  touchans  de  dévouement  du  père  et  de  la 
mère  pour  la  conservation  de  leurs  enfans  sont  ordinai- 
rement payés  de  retour  par  le  tendre  attachement  et  la 
soumission  de  ces  derniers ,  qui ,  aux  moindres  crîs  de 
l'un  ou  de  l'autre ,  accourent ,  en  agitant  leursailes  nais- 
santes, se  ranger  autour  d'eux,  afin,  dirait-on»  de  les 
soustraire  à  la  vigilance  de  l'intrépide  chasseur ,  qui^ 
trop  souvent  au  contraire  appelé  par  ce  remue-inénage, 
se  rend  coupable  d'infanticide. 

Le  perdreau  «  abrégé  des  perfections  alimentaires , 
est  peut-être  ce  qu'on  peut  servir  de  plus  tendre ,  de 
plus  aimable  et  de  plus  innocent.  Sa  chair»  à  la  fois 
agréable  et  saine,  est  un  mets  commun,  il  est  vrai,  mais 
il  n'est  point  vulgaire.  Le  perdreau  ne  meurt  que  de  la 
mort  des  héros;  c'est  au  bruit  de  la  foudre  martiale  que 
«a  jeune  ame  s'envole;  et  le  noble  laboratoire  du  cuisi- 
nier ,  digne  sépulture  de  toutes  les  victimes  immolées  à 
Diane,  attend  avec  orgueil  ses  restes  pour  lui  rendre 
les  derniers  honneurs. 

On  nomme  perdreaux  les  petits  dès  qu'ils  commen- 
cent à  voler ,  c'est-à-dire  à  l'âge  d'un  mois  o  u  six  se- 
maines;  mais  il  est  doublement  imprudent  de  les  tuer 
avant  l'âge  de  trois  ou  quatre  mois,  époque  où  ils  sont 
à  leur  grosseur  ordinaire. 


r- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  961 

Les  perdreaux  naissans  ont  les  pieds  jaunes;  cette 
couleur  blanchit  peu  à  peu,  et  passe  au  gris,  qui  se 
rembrunit  d'années  en  années»  La  première  penne  de 
l'aile  peut  aussi  senrir  à  indiquer  l'âge  des  jeunes  per- 
drix; car,  même  après  la  première  mue,  cette  penne 
finit  en  pointe,  et  ce  n'est  qu'après  la  seconde  qu'elle 
est  arrondie  à  son  extrémité  :  ainsi  c'est  un  moyen  de 
distinguer  les  perdrix  de  l'année ,  tant  grises  que  rouges. 

Par  la  raison  que  l'on  préfère  les  perdrix  rouges  aux 
grises ,  quelques  personnes  conservent  ce  même  goût 
pour  les  perdreaux  ;  mais  nous  trouvons  plus  de  fumet 
dans  les  gris ,  surtout  quand  on  les  laisse  faisander  pen- 
dant quelques  jours  à  l'air.  Cet  oiseau ,  encore  jeune , 
a  une  chair  si  savoureuse  et  si  saine ,  qu'on  la  préfère , 
surtout  en  automne ,  à  celle  de  presque  tous  les  autres 
oiseaux. 

Le  perdreau  rôti,  et  assaisonné  d'un  jus  de  citron,  est 
excellent  :  c'est  la  manière  la  plus  usitée  de  le  manger  ; 
mais  on  le  sert  souvent  en  salmi  et  en  sauté  de  filets r 
dont  voici  les  recettes  : 

SALMI    DE    PERDREAUX. 

Mettez  quatre  perdreaux  à  la  broche  ;  laissec-les  refroidir  ai  tous  en 
aTes  le  tempa  ;  levez-ea  lea  mcmbrca  aTec  le  plas  grand  aoiii ,  et  placez- 
lea  dani  une  casserole  ;  concaiaez  enfoite  les  débris  de  tos  perdreaux , 
et  jetcz^les  dans  une  autre  casserole  en  y  joignant  six  cuillères  à  dégrais- 
aer  d'espagnole»  quelques  échalotes,  une  demi>feuille  de  laurier,  un  peu 
de  thym ,  du  persil ,  une  forte  pincée  de  gros  poivre,  fort  peu  de  sel , 
un  Terre  de  Tin  blafic  et  autant  de  bon  bouillon.  Faites  aller  Totre  sauce 
à  grand  feu ,  et  quand  elle  sera  réduite  à  peu  près  à  un  tiers,  passez-la 
à  l'étamine  sur  les  memb;'cs  des  perdreaux,  et  tenez  le  tuut  bien  chaud, 


"■« 


969  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

taiu  cependant  le  laisser  bouillir.  Qoelqaei  miontes  avant  de  lemr 
dressez  tos  membres  de  perdreaux  ;  placez  dessus  de  petits  croûtons  ; 
ajoutez  un  {urde  citron ,  et  servez. 

Si  VOQS  n'avez  pas  d'espagnole ,  passez  vos  débris  avec  nn  peu  de 
beurre  et  une  pincée  de  farine ,  en  y  ajoutant  quelques  échalotes ,  une 
pincée  de  perûl,  sel ,  gros  poivre,  une  feuille  de  laurier,  an  verre  de 
vin  blanc  et  deux  de  bouillon  ;  lorsque  cette  sauce  sera  réduite  à  moitié, 
vous  la  passerez  à  Tétamine ,  de  même  que  celle  ci-dessus.  Au  moment 
de  servir  vous  exprimerez  également  sur  le  tout  un  jus  de  citron  tout 
entier,  et  servirez  chaud. 

SAUTÉ   DE   FfLBTS   DB    ^JBRDREAUX. 

Ayez  cinq  ou  six  perdreaux  de  même  grosseur  ;  levez-en  les  filets  k 
plus  correctement  possible  ;  parez-les,  en  ayant  soin ,  pour  plus  grande 
perfection,  d'en  6ter  la  peau  nerveuse.  Mettez  du  beurre  dans  un  sau- 
toir on  dans  nn  plat  d'argent  ;  placez-y  vos  filets  en  les  assaiaonnant  de 
sel  et  de  gros  poivre  ;  dix  minutes  avant  de  servir  mettez-les  sur  un  fim  : 
quand  ils  seront  roidis  d^un  côté  retournez-les  de  l'autre,  mais  ne  ks 
laissez  que  trés^u  de  temps  :  penchez  votre  sautoir  afin  que  le  beurre 
se  détache  plus  facilement  des  filets ,  et  dressez-les  ensuite  en  couronne 
sur  votre  plat ,  un  croûton  glacé  entre  chaque  filet.  Employez,  poar 
sauce  une  espagnole  travaillée  à  l'essence  de  gibier;  et  si  vous  n'avezai 
sauce ,  ni  fumé ,  vous  ferez  attacher  le  jus  que  les  filets  auront  jeté  daoi 
le* sautoir.  Quand  le  fond  sera  blond  vous  y  verserez  environ  Croîs  cinl- 
lerées  de  blond  de  veau  ou  d'excellent  consommé;  faites  réduire  le 
tout  à  moitié  ;  finissez  votre  sauce  avec  un  peu  d'excellent  beurre  et  an 
|us  de  citron  ;  versez  sur  vos  filets,  et  servez  ehaud.  B.  et  C. 


JDIEV  PANIER  j  VENDANGES  SONT  FdlTESr 

VADDSVILLBr 

9 

Air  du  ftudef lUrdief  y«ind«iigrt  de  Surêne  { N.  9  de  la  Clé  du  Cocmu  ;. 

PocB  être  au  ton  de  vos  musettes 
En  Tain  je  cherche  de  Tesprit , 


\ 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  s63 

Momus  TOUS  écoute,  et  ine  dit  : 

« 

AdUeu  paniery  (bis)  vendangés  sont  faiUs. 

L'amant  au  jardin  d'amourettes 
Vient  dès  que  le  printemps  a  lui , 
Et  quand  l'époux  Tient  après  lui, 
Adieu  panier  j  (bis)  vendanges  sont  faites. 

Damis,  sans  faire  de  courbettes, 
Par  ses  talens  croit  parrenir» 
Il  ne  sait  flatter  ni  mentir  : 
Jdieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites. 

Vous  qui  des  ayides  coquettes- 
Cfaercbez  à  tous  faire  écouter. 
Ces  dames  vous  feront  chanter.. « 
Adieu  panier,  (h\9)  vendanges  sont  faites. 

On  change  son  or  pour  les  traites 
D'un  banquier  du  quartier  d'Antin  : 
A  sa  caisse' on  court  un  matin... 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites, 

Orpbise,  par  l'art  des  toilettes , 
Donne  un  relief  à  ses  attraits  ; 
Mais  quand  vous  les  Toyez  de  près , 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites. 

Aux  tribunaux  comme  aux  burettes 
Craignez  le  procureur  Grippard  ; 
Quand  il  a  passé  quelque  part. 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites» 

Nos  mères ,  crainte  de  défaites , 
D'un  pamVr  cernaient  leur  honneur  ; 


964  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Fillette  aujonrd'huin'a plus  peur  : 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges,  sont  faites. 

Quand  Elmîre,  aréo  ses  lunettes , 
Cherche  encore  un  )eune  galant, 
L'Amour  lui  dit  en  s'euTolant  : 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites. 

Dans  le  pays  des  chansonnettes 
Nous  grapillons,  pauyresrimeurs, 
Après  les  ]o jeux  Vendangeurs:  (i) 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites. 

Je  passe  ma  yie  en  goguette 
Sans  m*arrêter  un  seul  instant; 
Je  yeux  pouvoir  dire  en  parlant  : 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites» 

Que  Bacchus  préside  à  nos  fêtes  1 
Tarissons  les  vins  les  meilleurs  ; 
Faisons  dire  à  nos  successeurs  : 
Adieu  panier,  (bis)  vendanges  sont  faites. 


M.  MoEBir. 


novembre. 


LE    MOIS   GRAS   OV   LA    VOLAILLB. 

Eutê  martini  depromiiur 
amphera  vini. 

Vivent  les  vieux  proverbes  et  vive  saint  Martin!  le^ 
uns  forment  un  code  de  gourmandise^  l'autre  est  lepro- 

(i)  Irun  dei  plu»  joli»  oavrage»  de  MM.  Pii»  et  Barré. 


à 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  a65 

t 

lecteur  des  gourmands;  c'est  le  Cornus  des  bons  chré- 
tiens de  Paris  et  de  sa  banlieue  :  son  nom  éveille  l'appétit 
des  plus  sobres  ;  et  l'on  pourrait  lui  composer  une  lita* 
nie  délicieuse  des  pâtés  et  des  ragoûts  qui  se  mangent  en 
son  honneur. 

Pendant  ce  mois»  les  canards  et  les  oies  sauvages 
passent  du  nord  au  midi  »  et  quelques  balles  heureuses 
font  descendre  ces  aimables  voyageurs  sur  nos  tables, 
où  leur  fumet  leur  mérite  l'accueil  le  plus  distingué. 

Le  mois  de  novembre  voit  arriver  les  premiers  harengs 
frais.  Ce  délicieux  poisson  »  comme  tout  ce  que  la  mode 
ou  la  rareté  ne  recommandent  pas ,  est  loin  d'être  ap- 
précié à  sa  juste  valeur.  Doué  des  qualités  les  plus  aima- 
bles ,  de  la  modestie  la  plus  édifiante ,  le  hareng  ne  fait 
pas  parler  de  lui.  Gomme  la  violette  il  se  cache  »  et  n'est 
trahi  que  par  son  parfum;  aussi  l'accable-t-on  de  dé- 
dains» partage  ordinaire  du  mérite  sans  prôneurs. 

C'est  dans  le  mois  de  novembre  qu'on  engraisse  les 
porcs;  c'est  dans  le  mois  de  novembre  que  la  saint  Mar- 
tin se  chôme  :  un  tel  mois  devrait  être  consacré  »  et  l'on 
ne  devrait  s'y  permettre  œuvre^de  ses  doigts  »  sinon 
pour  porter  jusqu'à  ses  lèvres  le  boire  et  le  manger. 

La  fête  de  tous  les  Saints  est  la  fête  de  tous  les  gour- 
nuinds.  Les  vendanges  sont  faites  »  les  fruits  sont  cueil- 
lis »  le  gibier  abonde  »  la  viande  de  boucherie  est  saine 
et  grasse ,  la  volaille  est  grosse  et  succulente  ;  poulets  » 
dindonneaux»  canetons»  pigeonneaux  joignent  à  la  fraî- 
cheur de  Tadolescence  le  fumet  de  la  maturité. 

Voici  les  jours  de  leur  gloire  et  de  leur  trépas.    Lr 


s66  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

sacrificateur  attend  les  victimes;  la  broche  est  préparée , 
les  casseroles  sont  reluisantes  et  nettes ,  les  tranches  de 
lard  sont  proprement  disposées  sur  la  table  de  cuisine ,  U 
hache  est  sur  le  billot»  le  feu  pétille  »  et  la  table  est  mise  ? 

Dès  le  jour  des  Morts  l'heure  fatale  sonne  dans  les 
basses-^sours.  Depuis  les  campagnes  de  Caux  jusqu*aux 
frontières  du  Périgord  ;  des  bords  féconds  du  Rhin  • 
qu'illustrent  les  jambons  de  Mayence ,  jusqu'au  rivage 
océanique  qu'embellit  Angoulême  et  ses  galantines  ;  le 
êogittaire,  qui  préside  aux  destinées  de  la  volaille  »  perce 
de  ses  dards  effiUés  et  le  poulet  normand  »  et  le  chapon 
manseau ,  et  le  dindon  Orléanais ,  et  le  canard  de  Rouen , 
et  la  poularde  de  la  Flèche.  C'est  un  carnage  universel! 
Toutes  les  tables  sont  des  catafalques ,  oh  de  pompeuses 
et  joviales  funérailles  confondent  »  sur  un  même  linceul, 
les  habitans  ailés  venus  de  la  Gascogne ,  ceux  des  bords 
de  la  Loire  ou  du  Calvados ,  ou  même  de  l'Egypte  et 
des  Indes. 

Le  jour  qui  suit  la  Toussaint  est  bien  la  fête  des  Morts 
pour  toute  l'espèce  des  volatiles  domestiques;  il  sem- 
ble que  les  vivans  veulent  immoler  aux  mânes ,  en  sa^ 
crifice  d'expiation  »  tout  ce  qui  porte  plume  et  jouit  du 
bienfait  de  la  vie  civilisée.  La  proscription  est  générale, 
et  la  génération  entière  »  éclose  du  mois  de  mai  pour  des 
destins  plus  prospères  et  de  plus  longs  jours  ,  est  mois- 
sonnée avant  que  le  soleil  ait  ramené  le  printemps.  S'ik 
échappent ^au  couteau  meurtrier»  c'est  pour  vivre  sans 
gloire  ou  sans  plaisir»  poule  obscure  et  stérile ,  ou  cha- 
pon mutilé  ! 


i 


LE  GASTRONOSfB  FRANÇAIS.  267 

SahU-Martin  est  le  précurseur  de  Mardi-Gras;  les 
régals  du  mois  de  novembre  disposent  les  jeûneurs  à 
Tabstînence  de  TA  vent ,  comme  ceux  du  mois  de  janvier 
préludent  au  carême.  Le  hérault  a  même  quelque  avan- 
tage sur  le  béros.  On  est  déjà  rassasié  de  bonne  chère» 
et  blasé  sur  les  jouissances  de  la  table ,  lorsque  le  Car- 
naval arrive  avec  toute  sa  pompe  de  Cocagne;  au  lieu 
que  le  jour  de  la  Toussaint  surprend  les  gourmands , 
pour  ainsi  dire  à  Timproviste»  et  leur  fait  éprouver  des 
sensations  nouvelles ,  dont  l'été  et  le  séjour  de  la  cam- 
pagne avaient  sevré  leurs  palais.  Cette  époque  partage 
l'année  et  les  habitudes  de  la  vie  ;  elle  annonce  l'hiver 
et  signale  les  dernières  récoltes;  elle  proclame  la  fin  des 
travaux»  la  fermeture  des  greniers»  l'abondance  dçs 
provisions;  elle  donne  au  propriétaire  ses  revenus»  au 
paysan  ses  quittances  »  h  la  nature  son  repos;  elle  rap- 
pelle aux  gourmands  les  respectables  maximes  de  h 
Sagesse  :  Buvez  et  mangez;  vous  n'avez  plus  rien  de 
mieux  à  faire. 

LHnimitable  auteur  de  l'AImanach  des  Gourmands, 
notre  respectable  confrère  en  gourmandise»  a  fait  lepa>- 
négyrique  de  cet  animal»  originaire  de  l'Inde»  trans- 
planté par  les  jésuites  qui  le  reçurent  pour  prix  de  la  foi 
qu'ils  y  allaient  prêcher»  et  révéré  depuis  lors  parmi 
nous  (Gourmands  fidèles  et  reconnaissans)  comme  un 
indigène  et  un  compatriote  (  1  ) . 

(1)  Nous  consacrerons  un  article  à  cet  oUeao  k  rougetrogne  (dont  les 
artistes  du  Maine  travaillent  l'éducation  avec  tant  de  supériorité)»  après 
nos  dijsertatioof  sur  ce  mois. 


268  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Lo  mois  de  novembre ,  si  fiaiTorable  à  ia  volaiUe  fiae , 
ne  Test  pas  moins  aux  chairs  les  plus  vulgaires  de  nos 
champs  et  de  nos  basses-cours* 

Le  pigeon  acquiert  plus  de  go&t  et  de  solidité;  le  ca- 
nard sauvage  et  domestique  a  plus  de  saveur  et  de  suc  : 
le  premier,  devenu  plus  gras  et  plus  familier,  se  rend 
plus  accessible  au  chasseur;  le  second  sert  k  composer 
ces  illustres  pâtés  de  Toulouse,  d*Auch,  de  Rouen,  de 
Chartres  et  d'Amiens,  dont  la  réputation  s'étend  au- 
"delk  des  limites  de  l'empire  français.  Mais  que  parlé-je 
ici  de  pigeons,  de  canards  et  de  pfités  provinciaux  I  nV 
vons-nous  pas  la  perdrix  rouge ,  noble  et  délicate  habi- 
tante des  guérets  ?  ;Son  espèce  privilégiée  a  autant  de 
supériorité  sur  la  perdrix  grise,  que  la  perdrix  grise  en  a 
elle-même  sur  les  autres  oiseaux  indigènes.  Tout  recon- 
naît sa  prééminence  ;  ses  titres  de  noblesse  sont  désignés 
par  la  couleur  de  ses  jambes ,  comme  autrefob  celle  de 
nos  marquis  Tétait  par  des  talons  rouges. 

Quand  la  perdrix  rouge  donne ,  la  grise  n'est  plus 
qu'un  régal  populaire  ;  et ,  il  le  faut  avouer ,  ses  qualités 
éminentes  justifient  cette  préférence  non  moins  que  la 
beauté  de  son  plumage. 

La  grise ,  belle  de  ses  charmes  villageois  et  de  sa  vertu 
un  peu  sauvage ,  est  parfois  admise  aux  mêmes  table» 
que  la  perdrix  rouge ,  et  comblée  des  mêmes  honneurs. 
C'est  sa  simplicité  et  sa  délicatesse  rustique  qui  lui  Talent 
celte  bonne  fortune.  Elle  aurait  plus  de  prix  si  son  em- 
bonpoint occupait  une  plus  grande  surface  :  auprès  de» 
grands  c'est  un  grand  tort  que  d'être  petit. 


J 


LE  GAStRONOMB  FRANÇAIS.  969 

La  bécasse  passe  encore  dans  ce  mois;  on  la  guette  sur 
tous  les  points  de  nos  côtes  occidentales.  On  en  fait  à 
Montreuil,  département  du  Pas-de-Calais ^  des  pâtés 
exquis  et  très-recherchés. 

La  sarcelle  y  supplée  lorsque  Tannée  est  mauvaise.  Cet 
oiseau  aquatique»  que  nos  sérères  bénédictins  avaient 
rangé  dans  la  classe  des  poissons ,  a  une  chair  très-savou- 
reuse. J'ai  vn  desamateurs  la  préférer  à  la  perdrix  rouge  ; 
mais  son  goût  a  plutôt  de  l'affinité  avec  celui  du  canard 
sauvage  quand  sa  chair  est  tendre  et  grasse.  On  lui  trou- 
vait, chez  les  chartreux  et  les  moines  d'une  abstinence 
rigoureuse ,  le  goût  du  turbot  et  de  la  truite  saumonée* 

Régal  des  humbles  Gourmands,  succulent,  quoique 
vulgaire  volatile ,  noble  et  glorieux  libérateur  de  Rome , 
brillant  rival  du  cygne ,  oiseau  de  saint  Blartin ,  paisible 
oison ,  ne  crains  pas  que  je  t'oublie  1  Certains  délicats  te 
dédaignent;  mais  celui  dont  l'estomac  ne  saurait  pas  te 
digérer  serait  indigne  du  nom  de  Gourmand.  Ta  chair 
brune  et  juteuse  est  un  mets  un  peu  bourgeois ,  il  est 
vrai;  mais  il  n'en  est  pas  moins  estimable.  Une  oie  jeune, 
grasse  et  tendre ,  est  un  des  mangers  les  plus  délicieux  ; 
et  quand  un  peu  d'exercice  a  excité  l'appétit  d'un  ama- 
teur vigoureusement  constitué ,  c'est  peut-^tre  ce  qu'a- 
près la  poularde  on  peut  goûter  de  plus  agréable  et  de 
plus  savoureux.  Une  oie  rôtie  entre  deux  tranches  de 
lard,  et  mollement  étendue  sur  Une  litière  de  cresson , 
m'a  toujours  fait  tressaillir  de  joie  au  retour  de  la  chasse, 
ou  lorsqu'aux  fêtes  de  Bacchus  les  vendangeurs  harassés 
reigagnaient  le  toit  nourricier. 


ÎI70  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Qui  ne  connaît  les  caisses  d*oie  du  Languedoc,  el  les 
pâtés  de  foies  d'oie  qui  se  fabriquent  en  Alsace? 

Les  bourgeois  de  Paris  ont  grandement  raison  d'im- 
moler une  oie  à  saint  Martin;  c'est  un  repas  de  famille» 
une  victime  populaire  »  un  mets  moins  dispendieux  et 
meilleur  que  les  gibiers  rares  et  faisandés  dont  on  leur 
Tend  souvent  le  rebut.  Pour  moi»  je  ne  prétends  point 
dissimuler  ma  faiblesse,  et  taire  mon  penchamt  pour 
cet  aimable  plus  qu'ingénieux  animal;  j'immolerai  une 
oie  trois  jours  avant  la  saint  Martin  ;  je  mangerai  si& 
ailes  et  ses  aiguillettes  au.  sortir  de  la  broche ,  ses  cuisses 
seront  servies  à  la  rémoulade,  et  son  foie  sera  frit  dam 
sa  propre  graisse.  Mes  amis  viendront  partager  mon 
dîner  bourgeois;  nous  y  ajouterons  quelques  mets  plus 
relevés;  ils  y  apporteront  leur  bonne  humeur  et  leur 
bon  appétit.  Gastekhaicii. 


Bibere  Martinuâ  non  tinit  esm  brevê- 

Or  lit  dans  le  Dictionnaire  des  Grands  Hommes ,  ar 
licle  saint  Martin,  que  ce  grand  saint,  recevant  Is 
coupe  des  mains  de  l'empereur  Maxime  à  Trêves ,  t 
toujours  été  regardé  comme  le  patron  des  buveurs  :  sa 
fétc,  placée  immédiatement  après  la  vendange  ,  se  cé- 
lèbre, depuis  le  quatrième  siècle ,  par  des  danses  et  des 
festins. 

Cet  illustre  évêque,  qui  fut  d'abord  un  guerrier  gé- 


1 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  S71 

Déreux ,  naquit  dans  le  royaume  du  Tokai,  c'est-à-dire 
en  Hongrie;  il mournt  à  Candes,  en  Touraine ,  où  le  vin 
était  le  meilleur  de  France,  dans  ce  temps-là.  Ce  fut  le 
8  novembre ,  selon  les  uns»  et  le  u  »  selon  les  autres, 
de  Tan  397 ,  SgS  ou  4oo  »  que  ce  malheur  arriva  :  on 
venait  de  vider  les  cuves;  les  larmes  des  veudangeurs  al- 
térèrent la  pureté  du  vin  ;  et  c'est  depuis  cet  événement 
que  le  Bourgogne  et  le  Bordeaux  sont  au  premier  rang 
des  vins  de  France;  car  tant  que  saint  Martin  vécut ,  le 
nieilleur  fut  dans  son  diocèse ,  et  c'est  encore  à  sa  fête 
qu'on  le  boit. 

Le  mot  martiner  était  autrefois  synonyme  de  boire 
targemerU  (1).  La  réputation  et  Tinfluence  du  saint 
étaient  si  universellement  établies ,  qu'un  poè'te ,  repris 
par  un  critique  amer  d'une  faute  de  quantité ,  se  justi- 
fia d'avoir  fait  longue  la  syllabe  ht  dans  bibere^  par  le 
vers  que  nous  avons  pris  pour  épigraphe  dans  un  sens 
plus  absolu  et  plus  libéral. 

Gomme  on  ne  boit  pas  sans  manger ,  le  patron  des 
buveurs  reçut  aussi  les  gourmands  sous  sa  protection  ; 
et,  selon  les  auteurs  que  nous  citons ,  une  indigestion  fut 
long-temps  appelée  le  mal  Saint-Martin.  On  se  doute 
bien  que  le  don  des  miracles  ne  lui  fut  pas  accordé»  pour 

« 

que  ses  fidèles  disciples  n'en  profitassent  pas;  et  pourvu 
qu'on  l'invoque  avec  ferveur ,  on  peut  tenir  table ,  sans 
danger ,  toute  une  journée. 

On  est  tenté  de  croire  que  la  gourmandise ,  telle  que 

(1)  On  connaît  cette  chanson  à  boire  ,  dont  le  refrain  est  :  bon  Mar- 
tinum ,  bon  Maiiinus. 


«72  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

nous  la  professons ,  est  au  nombre  des  vertus  sociales , 
tant  on  compte  d'austères  cénobites  »  de  graves  prélats , 
de  doctes  philosophes  et  de  saints  yénérables  qui  Tont 
pratiquée  et  honorée. 

Qui  croirait  que  le  premier  saint  qu'on  ait  canonisé(i), 
qu'un  prélat  nourri  de  mortifications  et  de  bonnes  œu- 
vres p  que  Martin  de  Tours  fut  l'un  des  pères  avérés  de 
la  gastronomie ,  et  l'un  des  patriarches  que. nous  révé- 
rons? 

Rien  n'est  plus  vrai  cependant;  et,  sans  parler  de  la 
complaisance  toute  particulière  avec  laquelle  il  dépeint, 
dans  ses  relations ,  la  pompe  du  festin  que  l'empereur  lui 
donna  ;  sans  entrer  dans  le  détail  un  peu  prolixe  des  mets 
délicieux ,  des  ustensiles  de  table ,  des  cérémonies  ma- 
gnifiques qui  l'enchantèrent»  nous  pouvons  citer  sa  fêle 
comme  une  époque  de  jubilation ,  et  surtout  de  bonne 
chère. 

Il  faut  avouer  que  les  circonstances  sont  bien  pour 
quelque  chose  dans  cette  solennité;  en  quel  autre  temps 
voit-on  de  plus  grosses  poulardes  »  des  dindons  plos  gras , 
des  perdreaux ,  des  levrauts  »  des  lapereaux ,  des  pigeon- 
neaux plus  beaux?  Quand  mange-t-on  des  canards  plus 
savoureux ,  des  mauviettes ,  des  grives  et  des  oies  plus 
tendres,  des  oies  surtout,  le  mets  le  plus  universel,  k 
plus  populaire ,  le  plus  recommandable  de  la  fi^? 


(i)  G'eft  saint  Mârtlo  qui  fut  le  premier  saint  béatifié  par  Téglisn»- 
maioe  :  ainsi ,  l'on  dcTrait  commencer  par  loi  la  Utanîe  des  saints; 
il  est  le  prince  de  la  légende. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ayS 

N'e8t--C6  pas  è  la  Saint^Marlin  que  le  btsuf,  le  reau  et 
le  mouton  sont,  au  même  degrés  sains»  nourrissans  el 
agréables  ?  que.  les  huîtres  »  les  merlans  »  les  saumons  » 
les.  soles ,  les  raies ,  et  presque  tous  les  poissons  virent  et 
meurent  de  compagnie  ?.N^est-ce  pas  dans  ce  seul  temps 
qu'on  a  tout  à  la  fois  des  salades  »  des  racines ,  des  her- 
bes et  des  fruits  de  toute  espèce?  que  les  oranges ,  les  ci- 
trons, les  grenades  et  les  truffes»  les  truffes,  disons- 
nous  i  s'identifient  à  toutes  les  sauces?  qu'on  a  des  pom- 
mes et  des  poires ,  des  noix  qui  irritent  la  soif,  et  des 
raisins  qui  l'apaisent?  N'est-ce  pas  surtout  dans  ce  temps  , 
cher  aux  gourmands ,  que  le  vin  descend  dans  les  caves» 
et  que  le  nouveau ,  clarifié  »  commence  à  briller  sur  les 
tables  ?  . 

Il  faut  donc  avouer  que  l'influence  propice  du  mois 
de  novembre  serait  éminemment  gourmande ,  quand 
même  saint  Martin  ne  s'en  serait  pas  mêlé;  mais  nous 
devons  dire  aussi  à  sa  louange  que  ses  bénédictions  re- 
doublent celles  de  la  saison»  et  que  son  intervention 
puissante  a  des  droits  éternels  à  notre  reconnaissance. 

Autrefois  le  jeune  de  VAvent  commençait  le  lende- 
main de  la  Saint-Martin»  ce  qui  obligeait  les  dévots  de 
se  comporter  alors  comme  au  Mardi-Gras  pour  se  pré- 
parer au  jeûne.  Le  saint  »  touché  des  inconvénieus  de  cet 
usage,  qui  mettait  la  peine  si  près  du  plaisir»  obtint  de 
l'Église  que  TAvent  fût  reculé  d'une  quinzaine  de  jours» 
et  ne  commençât  que  le  dimanche  :  la  fête  demeura»  avec 
tous  ses  accessoires  »  délivrée  seulement  des  entraves 
qu'une  conscience  timorée  mettait  à  l'appétit. 

18 


<74  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Aotrefois  encore  la  Saint-Martin  n'arrivait  qa'enloarée 
de  frimas  par  un  temps  nébukinx ,  et  avant  que  le  vio 
eût  fêté  sa  gourme  :  le  saint  obtint  du  ciel  que  Ton  pût 
manger  des  matelottes  au  vin  nouveau ,  et  que  poor  ré- 
jouir les  convives  le  soleil  tint  l'hiver  en  suspens ,  et  don- 
nât quelques  jours  de  grâce ,  qui  furent  appelés  Véti  de 
la  Saim^Martin. 

Voilà  des  titras  suffisans  à  Tadoration  des  gonnniMids. 
Quelqu'un  d'entr'eux  voudrait  peut-être  que  le  saini  eût 
choisi  pour  son  oiseau  d'adoption  un  faisan  plat&l  qu'une 
oie;  mais  qu'en  ceci  surtout  on  admire  et  vénère  l'inten- 
tion paternelle  de  ce  digne  pasteur .(  i  ). 

Ce  n'est  pas  le  mets  particulier  de  quelques  convi?es 
privilégiés  qu'une  table  somptueuse  et  recherchée  a  ven- 
dus délicats  et  difficiles  ;  c'est  un  rôti  de  fiicile  accès  et 
d'un  goût  analogue  aux  appétits  les  plus  nomhreox,  qu'il 
préféra  par  popularité  et  par  bienfaisance- 
Saint  Martin  fut  le  protecteur  des  pauvres  et  l'apure 
de  la  charité  chrétienne.  On  sait  que  n'ayant  rien  à  don- 
ner au  Diable 9  qui  mendiait,  il  coupa  avec  son  sabre ua 
coin  de  son  manteau ,  ce  qui  attrapa  le  malin.  Mais  cet 


(i)  Selon  qnelqaet  gourmands,  l'oie  est  un  rôti  repaie  plasrOCnite- 
core  qoe  la  dinde  :  Tlat-«lle  en  droiture  d'AlençoD^pesAt-cUedizliTies» 
et  fût-«lle  aussi  tendre  qne  Zaïre,  la  vanité  s'obstinerait  àbLiepanaser 
d*une  table  opulente  ;  c'est  un  préjugé ,  et  un  préjugé  bien  in}nste  qie 
celui  qui  exclut  les  oies  de  tout  repas  ordonné  par  l'étiquette.  Mail  il 
faut  coo Tenir  que  ce  préjugé  n'est  pat  sans  fondement.  II  eat  si  meAe 
rencontrer  «ne  oie  tDDt-à-la*lbii  jenne»  graese  et  tcndce  »  qae  L'on  a  pni 
le  parti  de  les  proscxire  tontes.  Les  Ixmnes ,  comme  c'est  aises  hstge^ 
pAtissent  pour  les  méchantes*  elles  expient  le  tort  de  se  trooTerea 
Taise  compagnie. 


L6  GASTRONOME  FRANÇAIS.  97 i 

ennemi  du  genre  humain  fui  encore  mieuiL  attrapé  lors- 
que ,  présentant  à  notre  saint  une  table  abondamment 
servie,  il  le  vit  donner  la  préférence  à  i'aê«  sur  les  gibiers 
et  les  poissons  les  plus  rares  et  les  plus  appétissans  que 
le  cuisinier  infernal  avait  préparés  de  sa  griffe. 

Ne  disputons  pas  des  goûts;  Voie  a  sans  doute  des 
appas  pour  ceux  qui  Taiment  :  ce  noble  animal ,  qui  mé- 
rita non  moLasqueManHus  le  surnom  de  Capkalitiuê,  est 
hiéa  digne  du  suffrage  honorable  que  lui  donna  notre  év-ê* 
qw  guerrier  (i).  Tout  délicat  et  dédaigneux  que  soit  votre 
-goût,  mes  amis,  je  vous  ai  vus  souvent  de  l'avis  du  prélat 
et  de  tous  les  gourmands  de  son  ordre*  Qu*on  aniM>&oe 
seulement  au  milieu  du  repas  les  oie$  du  frère  Philippe.  •• 
Mais  quoi  I  déjà  toute  votre  gourmandise  se  concentre 
sur  ce  seul  objet  !  la  dinde  aux  truffes  et  le  pfité  de  per- 
drix sont  à  Tabandon  I  les  bouchées  tombent  de  vos  lè- 
vres à  moith&  triturées  I  Ah  i  croyons  fermemeùt  aux  mi- 
racles de  saint  Martin  ;  suns  ils  sont  plus  grands  que  nous 
ne  pouTons  croire.  Buvons,  mangeons  sans  distraction , 
et  giardons  nos  ùieg  pour  l'heure  du  souper  :  mieux  nous 
aurons  dtné  et  plus  nous  Aous  trouverons  d^appétît  pour 
croquer  chacun  la  nôtre  quand  sonnera  l'heure  du  berger. 

Gastsivahii. 

(1)  On  regarde  l'oie  comme  an  stapide  animal ,  c'est  à  tort.  L'oie  est 
snaceptible  de  figilance,  d^adrease  et  d'attachement.  Les  oies  yeiUent 
'  tm  oait  è  la  gsrde  de  la  maison ,  aveo  la  même  fidéûlé  qu'an  oÙen.  Ce 
/ueni  Ws  oies  qpk  sainrèrent  fe  oapitol«l  On  fin  a  «ta  toarner  nos  brooke 
comme  un  chien.  Lacyde»  disciple  chéri  d*ArcesUas,  eot  une  oie  qui 
l'aTait  pria  tellement  en  amitié ,  qa'il  en  était  soin ,  noit  et  jour,  seal  ou 
en  pabBc ,  comme  d'un  chien. 


^76  LE  «ASTRONOME  FRANÇAIS. 


U  ^^m<«,  bit  ^^inboH,  bu 
et  U  f(t  ^^Ottfarbe. 


PES   GmVES. 

On  distingue  plusieurs  espèces  de  grives,  mais  toutes 
ont  le  bec  et  les  pieds  conformés  comme  les  merleê: 
elles  se  nourrissent  des  mêmes alimens  que  ces  derniers» 
ayec  lesquels  elles  ont  plusieurs  rapports  d'habitude,  ce 
qui  les  fait  considérer  par  les  naturalistes  comme  oiseaux 
tlu  même  genre;  car  on  est  convenu  tout  bonnement 
d'appeler  grives  ceux  d'entre  ces  oiseaux  dont  le  plu- 
Tnage  est  plus  ou  moins  varié  dp  taches  régulières,  à  pea 
-près  arrondies  et  distribuées  sur  un  fond  uniforme. 

Les  grives  sont  répandues  dans  les  quatre  parties  do 
'monde:  on  en  connaît  de  plusieurs  sortes;  mais  celles 
•qui  se  plaisent  dans  nos  climats  sont  les  vraines  »  appe- 
lées communément  grosses  grives  de  gui  ;  et  les  petîlt 
toutds  ou  les  petites  grives  de  gui. 

'C'est  au  commencement  de  l'automne  que  les  gri¥6s 
quittent  les  parties  septentrionales  de  l'Europe ,  où  elles 
ont  &it  et  élevé  leurs  petits  :  elles  se  réfugient  principa- 
lement dans  lès  bois  et  dans  les  bruyères  de  la  Bretagne, 
•qu'elles  quittent  Vers  la  fin  d'octobre  pour  se  retirer  sur 
les  lisières,  afin  d'y  chercher  une  nourriture  plus  abondan- 
te, et  se  répandre  dans  les  diverses  parties  de  la  France, 
qu'elles  quittent  au  printemps  pour  s'en  retourner  dans 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  977 

leur  climal  iavori  :  ma^  comme  la  pipée  ou  le  plomb 
meurtrier  du  chasseur  ne  permettent  pas  à  tous  ces  oiseaux 
de  passage  d^  s'en  retourner  chez  eux,  voici  une  bonne 
manière  de  manger  ceux  qui  restent  : 

GBIYES   AU    CBATIlf. 

Ayez  douze  cm  qnioze  grive*  bien  fraîches  ;  après  les  avoir  plumées , 
videz-les  et  flambez-les  légèrement  *,  mettez-les  ensaile  dans  une  casse- 
role avec  an  bon  morceau  de  beurre ,  et  faites-les  revenir  jusqu'à  ce 
qu'elles  soient  à  moitié  cuites;  Otez-les  de  dessus  le  feu  pour  les  égoat- 
ter.  Prenez  les  foies  de  vos  grives,  auzqiieJa  vous  joindrez  denz  oa  trois 
antrea  foies  de  volaille  ;  pilez  toua  ces  foies  ensemble;  mêlez-les  ensuite 
avec  du  godiveau  bien  fait  ou  une  farce  bien  fine  ;  et  assaisonnez  le 
tout  d'un  peu  de  sel,  de  poivre  et  de  muscade.  Garnusez  le  fond  d'un- 
plat  d^argent  de  la  farce  que  vous  venez  de  faire  ;  enterrez  -  y  vos  grirea 
de  manière  à  ce  qu'on  ne  les  voie  presque  pas  ;  couvrez-les  de,  bardes  de 
Isard. et ^d'un  rond  de  papier  beurré  :  metteaf  votre  plat  siur  delà  cendre 
chaude ,  le  four  de  campagne  par-dessus ,  et  laissez  cuire  doucement 
pendant  une  demi-heure.  Au  moment  de  servir  ôtez  les  bardes  de  lard  ;, 
égoattezbien  vos  grives,  et  saucez-les  avee-nne- bonne  italienne. 

G.  et  B. 


xzs 


tn^on. 


La  plupart  des  bonnes  découvertes ,  et  principatement 
en  gourmandise ,  sont  dues  aux  moines.  Si  les  Chartreux 
avaient  fait  partie  de  la  propagande ,  il  est  probable  qu'ils 
auraient  découvert  les  premiers  le  poulet  d*Inde ,  et  qu'ils 
l'auraient  classé  parmi  les  poissons.  Les  Jésuites  en  ont 
lait  un  oiseau ,  et  c'est  à  ce  titre  qu'il  a  été  introduit  en 
Europe.  Néanmoins ,  quel  que  fût  son  passeport  »  *il  est 
probable  qu'il  aurait  reçu  le  même  accueil'  de  nous.' 


978         LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Depub  le  )oar  dds  noces  de  Charies  IX  (le  26  novem 
bre  1570)»  époque  où  ib  £reiit  leur  apparitioii  sur  m» 
tables ,  les  dindons  ont  obtenu  la  préférence  comme  plats 
de  roi. 

G*est  surtout  dans  cette  saison  »  aux  approches  de  la 
Saint-Martin»  que  le  dindon  reprend  le  rang  distingoé 
que  le  gibier  lui  avait  momentanément  enlevé ,  et  qu'A 
figure  ^  les  flancs  bourrés  de  truffes  de  Périgord ,  sur  les 
tables  les  plus  somptueuses. 

Le  dindon ,  naturalisé  en  France ,  ne  perd  rien  de  sa 
^oire;  grand  par  sa  taille ,  éblouissant  par  sa  blancheur» 
tendre  et  savoureux  pour  le  palais ,  il  séduit  k  la  fois  tous 
les  sens»  les  yeux,  rodent»  le  toucher  et  le  goùL  Sm 
nom  sonore  a  même  quelque  chose  d'harmonieux  qui 
fait  venir  Teau  à  la  bouche. 

Le  dindon  se  sert  en  <iatt&a  ou  6rataé»  mais  plus  com- 
munément rôti;  dans  ce  dernier  cas»  et  afin  de  ménager 
les  jouissances  de  êeè  convives ,  une  maltresse  de  maison 
doit  avoir  soin  de  ne  leur  servir  que  le  blanc-manger, 
les  aiguillettes  »  le»  ailes  »  les  truffes  »  etc*  »  et  de  recom- 
mander à  Tune  de  ses  filles  de  serrer  les  ciûsses  pour 
leur  fiûre  une  petite  entrée  »  soit  k  la  rémolade ,  soilk  la 
sauce  Robert  (1). 

(1)  «Daiif  les  tables  opulentes  personne  ne  sen«  les  cuisses;  on  les 
»  mange  ;  mais  cependant  il  est  d'usage  qu'avant  de  les  dimer  ceini  qui 

•  découpe  en  ait  reçu  Tordre  réitéré  du  maître  on  de  la  mattresoe  de  la 

•  malsoa.  LoBOonrives ne  manquent  pas»  par  pofitesae» de  faije  mine 

•  de  ii*!  opposer;  maïs  aa  fond  de  leor  Ame  lia  sodt  bien  altts  qu'on  oe 

•  aerra  pas  toujoun  les  caisses.  • 

{jiltnânâckéeê  G&wmnkéfi) 


LE  GASTBOnOMB  PHANÇÂIS.  «79 

Les  dindon»  jetufeM,  cW-k-direleâdiiidottte«tut»  doi- 
vent  être  mis  de  préfëreoee  à  la  broche*  Quanl  aux 
pireê  dindenis  on  doit  les  réseirer  pour  les  daubes  » 
attendu  qu'ayant  peu  d'eajmt  il  ne  faut  pas  les  exposer 
à  le  perdre  dans  la  lèchefrite.  Les  pères ,  d'ailleurs ,  ont 
besoin  de  plus  d'apprêl  que  les  fils  pour  entraîner  une 
société  qui  a  beaucoup  d* usage;  et  Tark  du  cuisinier  ra- 
jeunissant comme  celui  du  coiffeur  habile ,  nous  don- 
nerons plus  tard  la]  recelte  du  dindtn  en  émàbe,  dont 
on  aurait  abusé  ce  mois-ci  pour  les  jeunes  dindons. 

nV   CHAPON. 

PsuYre  infortuné  I  toi  qui  Técos  dans  la  retraite  et 
dans.la  prÎTation  pour  mourir  un  jour  avec  honneur  : 
toi  qui  sans  doute  aurais  préféré  le  plaisir  à  la  gloire  » 
et  le  bonheur  à  la  sagesse  »  ayant  de  te  donner  un  coup 
de  dent  qui  peut  te  refuser  une  larme?... 

Mais 9  hélas i  si  tu  vécus  dans  la  continence»  tu  ne 
vécus  pas  dans  l'abstinence;  ton  hermitage  fut  un  port 
tranquille ,  ta  vie  ne  fut  ni  agitée  ni  semée  d'écueils  »  tu 
ne  fus  point  en  botte  aux  infidélités  de  tes  maîtresses,  tu 
fus  choyé  et  nourri  avec  soin  dans  la  paix  et  l'abon- 
dance ,  tu  n'as  donc  rien  \  regretta  »  tu  n'as  pas  besoin 
d'élég^I... 

Tu  n'as  pas  non  plus  besoin  d'un  grand  appareil  pour 
plaire;  tu  sors  deta  solitnde  plein  de  qualités  éminentes 
et  de  charmes  appétissans.  Fier  de  ton  embonpoint»  tu  pa- 
vais sur  nos  tables;  et»  sans  avoir  horreur  de  ton  premier 
état ,  la  beauté  inême  presse  ses  lèvres  de  corail  sur  I» 


iSo  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

peftu  rissolée»  ••  Enfio,  comme  tu  fus  sage  pendant  ta 
vie,  tu  B*as  que  des  amis  après  ta  mort.  Toulelbb  ce- 
pendant il  te  faut  on  peu  de  parure  ;  tu  ne  peux  pas  te 
présenter  en  benne  compagnie  avec  la  livrée  de  Ion  an- 
cienne humiliation;  il  faut  te  bien  dépouiller  de  les 
plumes  »  te  revêtir  d*une  triple  couenne  de  lard  »  te  far- 
cir de  truflès»  colorer  ton  teint»  mortifier  et  rôtir  ta  chiir 
bien  h  point  et  à  feu  égal,,  te  baigner  dans  ton  jus  ,  te./. 
Confio-toiau  cuisinier  savant  qui  fit  ta  pranière  toiletta; 
mais  dis-lui  tout  bas ,  s'il  s'écartait  des  règles  de  Tart  en 
voulant  te  mettre  en  ragoût»  que  les  gourmands  du 
Rocher  de  Caneale  te  préfèrent  au  gros  sel,  ou  non- 
chalamment couché,  suc  une  litière  de  rit. 

Tout  le  mondé  sait  que  la  poularde  est  la  reine  de  la 
volaiHe,  que  sa  graisse,  abondante  et  savoureuse,,  sa 
chair  fine,  délicate  et  blanche,  sont  encore  plus  un  mir 
racle  de  l'art  qu'un  don  de  la  nature.  li  Ikul.  autant  de 
soins  et  de  science  pour  élever  une  poularde  que  pour 
faire  l'éducation  d'une  princesse;  mêmes  précautions, 
mêmes-  égards ,  même  délicatesse.  L'on  sait  quel  renom 
ont  acquis  les  pays  de  Caux,  du  Mans  et  de  la  Flèche, 
qui  savent  le  mieux  les  nourrir.  La  Flèche ,  célèbre 
autrefois  par  son  collège  (gouverné  par  les  jésuites, 
puis  par  les  bénédictins  ) ,  est  encore  bien  plus  illustre 
par  ses  poulardes  et  ses  chapons;  cette  dernière  renom- 
mée a  survécu  à  Tautre ,  et  les  poulardes  de  la  Flèche 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ^Si 

soni  dans  toutes  les  bouches  lorsque  son  école  est  à 
peine  dans  la  mémoire. 

L'art  d'engraisser  une  poularde  forme  l'un  des  cha- 
pitres les  plus  importans  du  saToir-viyre  et  des  mœurs 
de  la  contrée.  Une  fille  de  basse-cour  »  qui  aurait  tout  le 
talent  de  son  état,  trouverait  plus  d'adorateurs  qu'une 
Phryné.  L'on  n'est  pas  encore  bien  certain  de  la  préémi- 
nence des  nymphes  de  Gaux ,  de  la  Flèche  ou  du  Mans 
dans  cette  utile  fonction.  Les  premières  sont  plus  adroi- 
tes ,  les  secondes  plus  exercées»  les  autres  plus  opiniâtres  ; 
toutes  ont  le  droit  de  se  disputer  le  mérite  de  fournir 
les  meilleures  volailles  fines.  Le  prix  sera  long-temps 
indécis.  Laissons  donc  trois  villes  rivales ,  comme  celles 
qui  prétendaient  avoir  donné  le  jour  au  grand  Homère, 
s'animer  d'une  triple  émulation  ;  nos  tables  en  seront 
plus  ornées ,  et  nous  dégusterons  toujours ,  satas  ja 
mais  exciter  de  jalousie ,  les  produits  de  leur  noble  in- 
dustrie. 

La  poularde  et  le  chapon ,  que  l'on  engraisse  ordinai- 
rement avec  de  la  farine  d'orge  et  du  lait ,  doivent  être 
mangés  dans  Tâge  de  sept  à  huit  mois;  plus  tard,  leur 
chair  est  moins  succulente.  La  poularde  surtout  perd 
beaucoup  de  sa  saveur  lorsqu'elle  a  atteint  douze  mois , 
époque  à  laquelle  elle  doit  nécessairement  avoir  pondu. 
On  reconnaît  ces  dernières  en  ce  qu'elles  ont  le  derrière 
un  peu  rouge  et  plus  fendu  que  les  autres. 

On  se  convaincra  sans  peine  combien  il  importe  de 
savoir  accommoder  dignement  un  aussi  friand  morceau» 
qui  se  prête  h  fort  peu  de  ragoûts  sans  perdre  de  son 


i89  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

mérite ,  et  auqoel  on  devrait  le  contenter  de  fiiire  subir 
les  mêmes  apprêts  qa*aa  chapon. 

Veici  cependant  une  recette  pour  les  personiMs  qaî 
Tondront  en  faire  «sage;  elle  est  égalemenl  applicable 
an  chapon. 

rovLiara  Poitk%. 

Lonqos  Totre  poalsrde  est  Tîdée»  trovasei-U  en  poale,  flambes -la 
très-légèrement»  et  bridez-U  ;  mettez  ensuite  des  bardes  de  lard  dans 
une  casserole,  placez-j  Totre  poalarde,  conrres-la  de  trancbes  de 
citron  bien  mincea  et  d'katres  bardes  de  lard  ;  mouilles  d'une  caiUerée 
4e  bonîUon  bien  gras;  ajontesnne  carotte,  deux  oignons  et  an  petit 
boa<|aet  garni;  faites  cuire  à  grand  feu  dessus  et  dessous  pendant  trais 
qnarts  d'heure  au  plus. 

Tous  pouTex  sertir  sous  rotre  poularde  soit  nu  consommé  ,  soit  nn  joi 
clair,  an  beurre  d'écroTÎsse  9  une  tomate  on  nn  ragoût  mêlé  de  crêtes 
et  de  fognoos  deooq.  G.,  6.  et  B. 


mm 


SAINT  MARTIN, 

CAnVIQUB  BlSTOaiQUI  BT  BAC^IQVB. 

Àii  :  FHn  PiMft  «  !•  enUw ,  M  !■  Tan4niUi  de  iMm  MoMNi.  (  Ma  i|l  4»  to  Gli  4>  Cmm>.) 

A  bien  des  geos,  dans  ce  monde , 
Saint  Martin  sert  de  patron  ; 
Et  sans  compter  à  la  ronde 
Martin  Sec^  Martin  Préron. 

Chez  Cottio, 

GhesFrontin, 
Ghes  Rosine  et  ohex  Rosane , 
On  voU  souœnt  plua  ^un  ine 
Quê  t*<m  appelle  Martin.  (ter). 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  %ii 

Se  laissant  un  jour  suqpr«iidre 
Par  Satan  ^  qu'il  n'aimait  point  ^ 
Mon  saint  lui  permit  de  prendre 
La  moitié  d'un  beau  pourpoint  ; 

Du  butin 

Le  lutin 
CouTrit  son  corps  effroyable  ^ 
Mon  tailleur,  Toilà  le  Diable 
Qui  m'babille  en  saint  Martin. 


,  tyran  séyère,' 
Fut  désarme  dans  son  camp 
Dès  que  Martin  prit  un  yerre, 
Et  Tint  le  Toîr  en  trinquant. 

Ce  tin-tin 

Argentin 
Vaut  la  plus  belle  matlme  ; 
S'il  renaissait  un  Maxime, 
Je  serais  son  saint 


Puisque  saint  Martin  sut  boire» 
  sa  gloire  il  faut  trinquer  : 
Trinquons,  trinquons  à  sa  gloire  ! 
Le  Tin  ne  peut  nous  manquer. 

Le  Destin 

Bien  certain 
Qu'on  chanterait  ses  louanges , 
Daigna  placer  les  Tendanges 
Tout  près  de  la  Samt^^MarUn. 

Qu'on  prépare  à  la  cuisine 
Les  plats,  la  broche  et  le  four  ! 


s84  LE  GÂSTRONQUE  FRANÇAIS. 

Que  le  ToisiQy  la  yoisine 
Se  rassemblent  tour-à-tour  ! 

Et  qu'enfin 

Un  festin , 
Mouillé  de  Tins  délectables, 
Brille  sur  toutes  les  tables 
En  rhonneur  de  saint  Martin. . 

Faisons  danser  les  rolailles  I 
Faisons  sauter  les  bouchons  1 
Trembles 9  dindons!  tremblez  cailles , 
Saumons,  canards  et  cochons  I 

Que  lapin, 

Turbotin, 
Faisan,  brochet,  carpe  et  lierre 
Tremblent  de  la  même  fièrre 
A  Taspect  de  talnt  Martin. 

Ramenant  Tusagfe  antique, 
Faisons,  en  jo jeux  lurons, 
Retentir  de  ce  cantique 
ParU  et  ses  enrirons. 
De  Pantin  y 
Dammartin , 
De  Faugirard  et  du  Roule 
Qu'arec  les  bureurs  il  roule... 
Jusqu'au  faubourg  Saint-Martin. 

M.  Armâhd-Goijppb. 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  sSS 


L£  MOIS    tPlCkf   ou   LES    BÈTKILLOlf S , 
LA   SATNT-lfIGOLAS. 

Adduxtrû  sîtlm  tanpora... 
HoB.,  liv.  4*  ode  ix, 

Lb  temps  des  brouillards  et  la  saison  des  frimas  pres- 
crivent aux  Gourmands  un  régime  particulier  :  il  faut 
b<nre  êee  pour  dissiper  les  influences  malignes  de  la 
brume;  il  faut  redoubler  d'appétit  pour  roidir  la  fibre 
contre  rbumidité  pénétrante  do  l'atmosphère. 

L'air  yif  excite  la  faim  »  la  &im  amène  la  soif,  et,  par 
une  réaction  habilement  ménagée ,  on  peut  passer  les 
jours  ou  plutôt  les  nuits  d'hiver  à  table/  Celui  qui 
saurait  disposer  les  estomacs  de  ses  concitoyens  à  cette 
permanence  admirable ,  aurait  sans  doute  des  titres  pré- 
cieux à  leur  reconnaissance  et  à  la  gloire. 

L'instinct  gourmand  de  toutes  les  nations  civilisées 
travaille  depuis  long- temps  à  ce  grand  œuvre;  et  si  l'on 
n'est  pas  encore  parvenu  à  manger  perpétuellement,  du 
moins  a-t-on  réussi  à  exciter ,  à  ranimer  la  gourmandise 
et  à  prolonger  ses  jouissances. 

C'est  au  moment  où  la  cuisine  déploie  toutes  les  riches- 
aes,  ob  les  greniers»  les  celliers>  les  garde-mangers  abon- 
dent »  débordent ,  regorgent ,  où  le  froid  comprime  nos 


s86  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

poumons  et  dessèche  nos  palais,  qu'il  confient  d'ai<ler 
la  nature  »  de  rappeler  les  yrais  principes  »  el  de  répondre 
à  Tappel  de  Bacchus. 

Il  n*est  personne  qui  ignore  »  pour  peu  qu'elle  ait  d'é- 
rudition ,  que  dans  tous  les  siècles  ce  fut  un  grand  mérite 
que  de  savoir  boire  ;  c'était  une  des  Tertus  du  grand 
Cyrus  9  une  des  qualités  du  roi  Philippe  et  de  son  fils, 
un  des  talens  d'Alcibiade. 

Mais  on  doit  bien  présumer  que  ces  libations  ne  se 
fisiisaient  point  sans  manger  ;  elles  ne  se  faisai^it  pai 
non  plus  en  mangeant  da  miel  p  du  lait  ou  des  pomme$: 
le  plus  chétif  irrogne ,  quand  il  entre  an  cabaret ,  a  aoÎB 
de  se  mtmir  d'un  cerrelas  h  t*ail  lardé  d'épioea.  Lei 
viandes  fumées ,  tellea..  que  les  jambons  »  les  andoiiiilei 
et  les  langues  fourrées ,  sont  iort  propres  k  raDomer  la 
soif  et  l'appétit.  Celui  qui  sait  adroitement  entremêler 
les  morceaux  de  sec  et  d'humide»  peut,  si  boq  loi  sem- 
ble, défier  tous  les  potentats  de  l'Ûrieiit,  et  dervMiir 
tour-à-tour  Alexandre ,  Alcide  ou  Cyrus. 

Le  vin  donne  du  ressort  à  l'ame  comme  an  cerpa,  son 
ardeur  fond  les  glaces  et  les  neiges  les  plus  endurdes  ;  ai 
chaleur»  semblable  à  celle  de  la  jeunesse,  rallume  le 
foyer  du  plaisir  dans  le  vieillard  caduque;  sa  fomée, 
moins  chimérique  que  celle  de  la  gloire ,  remplit  la  tête 
et  l'estomac  d'un  bonheur  réel  et  d'une  rolapté  inn^ 
çente  :  tous  les  trésors  du  Potosi  ne  payeraient  pas  œ 
qu'un  buveur  trouve  au  fond  de  son  verre. 

C'est  donc  une  chose  inappréciable  qoe  l'art  de  boira, 
puisqu'elle  tient  lien  de  tout  Cependant'  un  si  grawL 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  287 

bieD  ne  s'achète  point  an  poiâs  de  Ter;  c'est  par  d*au* 
très  jouissances  qu'on  parvient  à  celle-là;  c'est  en  man* 
géant  bien  qu'on  apprend  à  bien  boire. 

Mais  tout  art  a  ses  règles;  les  excès  seuls  ne  sont  pas 
des  prodiges  :  la  méthode  les  lait  ressortir ,  et  l'ordre  est 
nécessaire  ponr  donner  du  prix  à  ce  qui  sort  des  bornes. 
Nous  enseignons  à  bien  boire  ^  ce  qui  ne  yeut  pas  dire 
uniquement  à  beaucoup  boire.  Pour  faire  tête  au  vin  le 
plus  capiteux  »  pour  envisager  d'un  œil  intrépide  et  d'un 
gosier  insatiable  une  tonne  fumeuse ,  il  ne  suffit  pas  de 
&rcir  ses  bouchées  de  poivre  et  de  sel;  il  &ut  encore 
qu'un  assaisonnement  délicat  chatouille  l'estomac  sans 
l'affecter  y  excite  le  palais  sans  l'offenser. 

Les  Indiens  ont  inventé  le  earriek,  composé  plus  bi« 
carre  que  savant ,  qui  emporte  la  bouche  sans  la  flatter , 
et  qui  irrite  la  soif  plus  qu'il  n'invite  au  plaisir  de  boire* 

On  doit  aux  Provençaux  le  premier  êau&Mon.  Celui 
qui  se  fid)riquek  Aix  jouit  de  la  plus  haute  considération. 
On  voit  bien  que  l'inventeur,  de  ce  stimulant  n'était  pas 
seulement  tourmenté  du  besoin  de  boire,  et  qu'il  avait 
aussi  un  appétit  à  satis&ire;  aussi  a-t-il  treuvé  grand 
nombre  d'imitateurs  »  ce  qui  suppose  encore  un  plus 
grand  nombre  d'amateurs.  U  n'est  point  de  province  où 
Ton  ne  sache  fiiire  des  êaudsêonSy  et  où  ceux  d'Aix  soient 
inconnus. 

Nous  pourrions  vanter  encore  les  titillations  épicées 
de  l'andooillette»  de  la  saucisse»  du  cervelas,  etc.;  mais» 
neigeant  toutes  les  compositions  subalternes  de  la  char- 
cuterie »  nous  nous  contenterens  de  signaler  ici  la  langue 


^M  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

fourrée;  c'est  la  plus  ancienne  et  la  plus  universelle  des 
viandes  fumées. 

Depuis  qu*Ésope  Ta  servie  sur  la  table  de  son  mattre 
conune  la  chose  la  meilleure  qui  existât ,  elle  n*a  perdu 
aucun  de  ses  avantages.  La  langue  fourrée  est  le  type 
des  boudins»  des  hures,  des  fromages  d'Italie,  et  de 
toutes  les  productions  analogues.  Mère  de  tant  de  glo- 
rieux enfans ,  elle  est  restée  jeune ,  saine ,  et  eayironnée 
de  courtisans  fidèles. 

La  langue  se  servait  autrefois  au  souper;  elle  parait 
communément  à  l'entremets  à  côté  d'un  flacon  de  Clo»- 
Vougeot»  dont  elle  fait  trouver  le  contenu  meilleur. 

Il  n'est  aucun  de  nous  qui  n'ait  observé  religieuse- 
ment les  rites  de  la  nuit  de  Noël  et  qui  n'ait  assisté  aux 
Béveillans  annuels ,  fêtes  consacrées  dès  l'aurore  de  la 
chrétienté  en  l'honneur  du  bon  vin,  de  la  Tolaille,  et 
principalement  de  la  chareuterie  :  c'est  là  qu'on  voit  » 
proprement  étendue  sur  un  linge  éblouissant  de  blan- 
cheur ,  la  langue  appétissante  et  vermeille  provoquer  par 
ses  lardons  les  langues  d'alentour  ,  et  quitter  solen- 
nellement sa  fourrure  pour  s'unir^  à  ses  amans  avides 
et  altérés.  Le  mystère  se  consomme  à  la  troisième 
heure  nocturne  :  de  nombreuses  libations  trempent  le 
sacrifice ,  et  chaque  fidèle  s'enivre  en  siireté  de  cons- 
cience.     ' 

Nous  adoptons  avec  peine  pour  cette  solennité  une 
opioion  différente  de  celle  de  notre  cher  confrère , 
M.  G.  D.  L.  R. ,  qui  préfère  pour  plat  de  milieu ,  dans 
un  réveillon,  une  poularde  au  riz  à  une  langue  fourrée. 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  389 

Nous. pensons,  au  contraire,  que  la  charcuterie  doit 
dominer  dans  un  réveUion,  et  que  la  langue  fourrée, 
étant  la  reine  des  chairs  cuites ,  doit  y  figurer  comme 
plat  de  milieu  obligé. 

Noos  soumettons  9  au  surplus ,  notre  avis  à  la  science 
infaillible  de  notre  érudit  collègue ,  attendu  que  nous  ne 
voulons  point  fairo  de  schisme  en  gourmandise ,  et  qu'il 
n'appartient  qu'aux  gens  sobres  de  vivre  en  guerre  et  de 
disputer  sur  les  principes  et  sur  les  causes  ;  nous  n^avons 
qu'un  autel  pour  les  divinités  de  diverses  espèces  dont 
nous  professons  le  culte  :  Gomus,  Momus,  Vénus  et  Bac- 
chus  n'ont  point  d'étiquette  dans  notre  temple ,  et  la 
poule  au  riz  de  M.  6.  D.  L.  R.  nous  est  assez  chère  pour 
que  nous  en  mangions  à  la  Saint-Martin ,  aux  Rois ,  k 
Pâques  tout  comme  au  Réveillon  de  Noël. 

La  gourmandise  n'est  point  exclusive ,  elle  n^est  point 
sujette  aux  influences  des  astres,  et  ne  dépend  point  du 
caprice  des  saisons. 

L'année  vulgaire  va  finir;  celle  des  Gourmands  est  à 
peine  commencée.  Le  printemps  de  la  gourmandise  vient 
en  automne,  et  son  été  est  l'hiver,  puisqu'on  aucun 
temps  on  ne  mange  plus  chaudement ,  on  ne  se  voit  plus 
fraternellement ,  on  ne  sert  plus  abondamment ,  on  ne 
jouit  plus  libéralement. 

Voici  donc  l'époque  marquée  dans  nos  annales  pour 
retremper  notre  appétit.  Les  Réveillons  de  Noël  donnent 
le  signal  d'un  bout  de  la  France  à  l'autre;  tous  les  esto- 
macs doivent  se  régénérer,  tous  les  cœurs  se  réchau£fer, 
ious  les  esprits  se  réjouir. 

»9 


190  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS 

hoite  et  tnanger,  rire  et  chanter»  aimer  et  dormir, 
n'y  a-t-il  pas  Ih  de  quoi  faire  chérir  le  temps  des  neiges, 
des  brouillards  y  des  gelées  et  de  la  pluie?  Notre  rin 
chasse  la  pituite ,  nos  truffes  raniment  rantoar,&os  cou- 
plets provoquent  la  gatté»  et  tout  cela  nous  procure,  des 
nuits  paisibles  et  des  joun  plus  sereins  que  ceux  du  meis 
de  mai. 

Écoutons  et  chantons  arec  kiotre  collègue  M.  Frands  : 

RÉP^EÎLLONS. 

Airdaf«ideviUed»au4nMS«wnB.  (11.  8o«  de  h  Cf4  ^  Cotm*.  ) 


Mtbillovs  (bis)  les  chastes  Pûceltes* 

Sllèueet  Cornus, 
Et  tous  les  enfans  de  Momus  ; 
Réoelilons  {bis)  TÂmour  et  les  Belles  ; 

C'est  assez  dormir; 
Minuit  est  l'heure  du  plaisir. 

Banquets  de  la  gourmandise 
Établis  par  nos  a!eux, 
On  rend  hommage  à  l'église 
Tout  en  sablant  du  Tin  rieuz. 
Vire  un  repas  délectable 
Pour  mettre  tout  en  bon  train  ! 

Tel  se  réveille  à  table 

Qui  dormait  att  lutrin. 
nuvèittons,  etô. 

Qui  fonda  ce  saint  usage 

Si  cher  ù  tous  les  dévots  ? 

Est-ce  un  prophète ,  est-ce  ûù  iage  1^ 


m  GASTRONQMS  FRANÇAIS.  991 

Est-ce  un  pape  ?  eslHse  un  héros  ? 
—  Mon  cker,  tu  bats  la  camp^gpe  : 
Moi  je  sais  qui  le  créa  ; 
Cest  le  roi  de  Cocagne, 
Ou  c'est  Gargantua. 
RéveUlons  j  etc. 

Mais  qu'importe  à  notre  gloire 
D'en  connaître  ici  l'auteur  ; 
Sachons  manger,  sachons  boire  ; 
Nous  yaudrons  le  fondateur. 
Gais  refrains.  Tire  saillie. •• 
Trinquons,  chantons  et  trinquons; 

RiveiUons  la  Folie 

Au  bruit  de  nos  flacons. 
Rémllanif  etc. 

Maint  2i09e4)liercli#  à  mordre  ; 
Préyeoons  son  appétit; 
Etp  bien  repu ,  c*e8t  dans  l'ordre  9 
De  la  table  il  passe  au  lit  : 
GreigPOQS  alors  qu'on  n'éyellle 
Cet  émule  de  lllîdas  ; 
Au  moins  tant  qu'il  sommefiHe 
One  nousjuge.pas. 
tiàtdUen»,  etc. 

Rêyant  à  de  noires  trames 
Après  des  succès  noureaux, 
Maint  faiseur  de  mélodrames 
Doit  dormir  sur  des  payets  : 
•Cndgnom  que  l'on  ne  «èireiUe 
Cet  avteur  àgmndiraoas; 


90!!  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Au  moins  tant  quMI  sommeille 
Il  ne  nous  endort  pas. 
Réveillons  y  etc. 

RévêilUms  l'aimable  muse 
Si  chère  au  joyeux  Thespis  ; 
Que  sa  gaîtè  nous  amuse 
Et  ranime  nos  esprits! 
Dans  mon  délire  j'oublie 
Qu'on  ferait  un  yain  effort 
Pour  réveiller  Thalie , 
Puisque  Molière  dort. 
Réveillom  y  etc. 

Avec  le  dernier  mois  de  l'année  se  passent  et  s'accu- 
mulent les  fêtes  de  la  table  :  la  Saint-Nicolas ,  si  chère 
aux  filles  à  marier ,  les  réveillons  de  Noël ,  si  vîvemeot 
excités  par  les  quatre-temps  préparatoires  et  le  vigile- 
jeûne;  la  Sainte-Barbe  y  tant  honorée  des  sacrîstaîos  et 
des  marins,  des  buveurs  et  des  sonneurs;  la  Saint 
François,  Saint- Nicaise,  loslnnocens,  la  Sainte- Adé- 
laïde, la  Sainte- Colombe  »  la  Sainte-Luce ,  la  Sainte- 
Victoire  f  qui  rappelle  aux  Français  de  si  doux  souvenirs, 
sont  autant  d'époques  signalées  dans  les  fastes  de  la  gloire, 
de  l'amour  et  de  l'appétit.  Les  jours  dédiés  aux  patrones 
de  nos  belles  sont  plus  fréquens  en  décembre  que  dans 
le  reste  de  l'année ,  et  tous  sont  célébrés  par  des  libations 
et  de  succulentes  offrandes.. 

Parmi  tant  de  protecteurs  nous  n'éprouverions  que 
l'embarras  du  choix ,  si  saint  Nicolas  ne  réunissait  pas 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  a^S 

au  plus  haut  degré  le  double  titre  qii'exigentnos  statuts. 
Celui  qui  procure  des  maris  aux  filles  et  des  conyiyes  aux 
amphytrions  ;  celui  qui  enivre  les  vieillards  et  instruit  les 
jeunes  gens,  qui  préside  à  la  lois  au  lit  et  à  la  table» 
est  éminemment  l'un  des  premiers  patriarches  de  notre 
ordre  ;  aussi  nous  voiions-nous  h  lui  d'aussi  bon  cœur 
que  nos  censeurs  nous  donnent  au  diable  dans  les  accès 
4e  leurs  mauvaises  digestions..  Gastbbmann. 


D£S    MAVTIBTTES. 

«  Yoici  ce  que  dit  de  cet  oiseau  M.  Valmont  de  Bomare: 
Les  alouettes  sont  des  oiseaux  qui  parcourent  l'Europe 
pendant  l'été;  elles  préfèrent  les  terres  élevées  et  sèches; 
elles  sont  alors  fort  maigres;  mais  en  hiver  eUesdesMi 
cendent  dans  les  plaines ,  où  elles  habitent  en  troupes 
nombreuses  ;   elles  sont  alors  bien  dodues  :  telle  est 
ïalbuette  grasse  que  l'on  sert  en  hiver  sur  nos  tables 
sons  le  nom  de  mauviette;  c'est  un  mets  de  bon  goût , 
fort  délicat  y .  et  &cile  à  digérer.    Si  l'on  volt  quelques 
personnes  se  plaindre  de  coliques  d'estomac  après  en 
avoir  mangé»  cet  effet  n*est  produit  que  par  les  petits 
os  très-fins  qu'elles  ont  avalés ,  et  qui  picotent  les  mem- 
branes de  l'estomac.  » 

SAVTÊ   DB   MAVVIETTBS    EH    CBOUSTADB. 

Prenez  cinq  douzaine!  de  mcnviettet;  lorsqu'elles  serunl  bien  plu- 
mées ôtea-en  seule  ment  lo^^ésicr,  et  flambcz-Ies  Irès-Iégèrement  ;  levez.^ 


994  LE  GASTHONOME  FRANÇAIS. 

es  les  Bfeft ,  qam  «ow  amoferet  dftM  «ne  hioIoIi«,  dam k^ndle  ?< 
«net  Bit  dn  bevnv  clarifié  ;  aaettaa  entaite  on  bon  saoïotan  dt  bourre 
daoa  une  caiteiole  aiec  tootei  Ici  caicaiset  de  vos  mauviettes  ;  paaes- 
les  jnaqn'à  ce  qu'elles  soient'piesque  cuites,  et  kisses-Ies  là;  k>iic|a*eUes' 
seront  froides  tous  les  pUeres  dans  un  mortier;  passez  avec  un  peu  do 
benne  »  cinq  à  siX'Mialottes ,  une  feuille  de  laniier,  on  peu  de  tfaya', 
deux  olous  de  girofle;  yous  singerei  tout  cela  bien  légèrement,  le 
mouîlleres  avec  d'eiceOent  tîu  blanc ,  et  le  laisseres  bouillir  pendant 
on  qnart-dlienre  ;  joîgnes-y  ensuite  ce  que  tous  avea  pilé  ;  fidies  seu- 
lement cbauffer  le  tout  ensemble  en  l'asBiiionnant  d'un  peu  de  «1 
et  de  poine  ;  passes  cette  espèce  de  purée  à  l'étamine,  mettcz-Ia  du» 
une  casserole ,  Toyes  si  elle  est  d'un  bon  goût ,  et  mette<*la  ensoîle 

• 

ebauflTer  au  bain-marie.  Ayes  des  croûtons  de  pain  d'un  ponce  et  den' 
d'épaisseur  ;  taiflea-les  en  cceur,  en  losange,  en  rond,  ou  de  telle  mr 
nièie  que  tous  jngerea  convenable  ;  faites-leur  à  chacun  une  iocisbo  k 
deux  lignes  du  bord  ;  passes-les  au  beurre ,  en  obserrant  qu'il  soit  de 
belle  couleur  ;  ûtea-en  la  mie  :  an  moment  de  servir  tous  remplîtes  oa 
crofttons  de  la  purée  que  vous  anres  faite  »  et  que  vous  nnres  eu  soia 
de  tenir  un  peu  liée;  voui  lesarrangerec  ensuite  snr  le  plat  estourdei 
flleiat  que  voaa  aanteret  au  même  moment*  (Cinq  minutes  auftssnt 
pour  les  cuire.)  Vous  arroseres  le  tout  du  reste  de  votre  purée ,  qne 
vous  auras  en  soin  de  rendre  un  peu  pins  liquide  en  y  mettant  sue 
demi^uillerée  d'excellent  consommé.  Serves  chaud.         C.  eiB. 

DHfDOR  BH   DAVBB. 

Ayes  un  bon  dindon  ;  coupes-lui  les  pattes ,  et  trous»  les  cmases  eu 
dedans  ;  et  lorsque  vous  Taures  bien  épluché  et  bien  flambé^  brides- 
le  ;  ayet  de  gfos  lardons,  assiBsonnes4es  de  sel,  poivie,  des  quane' 
éfices  et  de  fines  herbes;  piques^cn  restomne  ei  les  cuisses  ;  aaetteaea- 
•ntte  des  bardes  de  lard  dans  une  braCière ,  étendes  votre  dindon  pu- 
dessus  ;  ajoutes-y  un  jarret  et  un  pied  de  veau ,  les  pattes  du  dinda , 
cinq  oignons ,  dont  un  piqué  de  trois  clous  de  girofle  ,  trois  on  quatre 
carottes ,  deux  feuilles  de  laurier,  du  thym ,  un  bouqu&t  de  penîlet 
de  ciboules  ;  places  snr  votre  dindon  des  bardes  de  lard  paielles  à  cel- 
les que  vous  aves  mises  dessous  ;  mouilles  avec  quatre  cmllerées  à  pot 
de  bon  bouillon ,  et  oouvroi  le  tout  d'En  papier  beurré;  faites  mijbler 
pembnt  cinq  heures  nt  demie;  au  bout  de  ee  temps  ivlîren  vutve  bn- 


LB  GASTRONOMS  FRANÇAIS.  «9$ 

tt^  du  feo^  main  n'ep  6tesle  diadon  qu'une  demi-heure  «près^  afin 
quMl  ne  0e  hâle  pas  ;  panez  votre  mouillement  à  traven  une  se^iette 
fine,  et  faitea-le  réduire  d'un  quart;  cassez  ensuite  un  œuf  dans  une 
<eaafeiroIe  ;  battez-le  bien  ;  Tenez  la  gelée  par-dessus,  et  fouettez  le  tout 
6ien  fortement  ;  Toyez  n  cette  sauce  est  d'un  bon  goût,  mettez-la  sur 
le  feu  ;  quand  elle  auia  jeté  ses  premiers  bouillons, placez-la  sur  le  bprd 
du  fourneau,  couvrez  -  la  d'un  couvercle  sur  lequel  vous  placerez  du 
feu ,  laissez-la  pendant  une  bonne  demi-heure ,  passez-la  ensuite  à  tra* 
v^rs  nue  «émette  Gme ,  et  qqe«d  elle  tera  en  gelée,  couvrez-en  votre 

DB   LA.   BiCASStf  BT   PB  LA  B&GAMINE. 

La  bicasu  Mt  un  oi^oau  de  passage  qui  se*reiire  daQs^ 
Tétë  sur  fe  haut  des  montagaes  d«  la  Suisse ,  de  la  Sa- 
voie ,  des  Pyrénées ,  des  Alpes ,  et  qui  ne  descend  dans 
la  plaine  que  vers  la  mi-octobre;  c'est  alors  qu'on  en 
voit  dans  la  France  et  dans  les  pays  Toisins.  Elles  s'en* 
volent  presque  toujours  par  paires ,  et  fréquentent  do 
préférence  l'^itrée  des  £»rêts  humides  »  les  marais,  les 
ruisseaux  près  des  haies ,  où  elles  trouvent  des  vers  dont 
elles  (wi  leur  nourriture* 

Ces  aimables  nymphes  des  bois ,  qui  ne  font  guère  en- 
tendre leur  cri  particulier  que  dans  le  tetiaps  de  leurs 
aajours  »  ont  quelque  rapport  avec  certains  autres  oiseaux 
de  passage  plus  connus  parmi  nous  :  une  lumière  faible 
leur  convient  ;  elfes  se  tiennent  cachées  pendant  le  jour  ; 
et  ce  n'est  que  le  soir  principalement  qu'elles  se  montrent 
pour  &ife  leur  toilette  au  bord  des  ruisseaux  et  pour 
eh^npher  leur  pieptéeu..  On  les  prend  sur  les  lisières  des 
bois  dans  des  filets  k  la  passée ,  ou  sur  les  bords  des  ma- 
rais avec  des  lacets. 

Les  bécasses  regagnent  les  hauteurs  au  mois  de  mars  p 


296  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

elles  partent  appariées.  Il  en  reste  quelquefois  dans  le 
pays  ;  elles  y  pondent  et  y  courent.  Elles  font  leur  nid 
à  terre  contre  un  tronc  d'arbre  ou  une  grosse  racine; 
leurs  œufs ,  au  nombre  de  quatre  ou  cinq  par  nid  ,  sont 
oblongs  9  un  peu  plus  gros  que  ceux  de  pigeon ,  et  de 
couleur  rougeâtre. 

Le  vol  de  la  bécasse  paraît  rapide ,  mais  H  n^est  ni 
éle?é  ni  soutenu  ;  cet  oiseau  bat  des  ailes  en  partant,  file 
ou  fait  le  crochet»  et  s*abat  bientôt  comme  une  masse 
abandonnée  à  son  poids.  Après  sa  chute  il  trotte  à  terre 
avec  une  grande  vitesse»  et  est  déjà  bien  loin  du  chasseur 
à  l'iiastant  où  il  l'aperçoit. 

Une  bécasse  à  la  broche  est  un  des  rôtis  les  plus  dis- 
tingués qu'un  amphytrion  puisse  offrira  ses  convives; 
c'est  elle  qui  »  après  le  faisan ,  obtient  la  préférence  sur 
nos  tables,  et  qui  jouit  de  plus  d'esUme  et  de  consîdé- 
ration. 

La  bécassine  est  aussi  un  oiseau  de  passage  de  h  gros- 
seur àf  peu  près  de  la  caitte»  et  remarquable  par  la  lon- 
gueur de  son  bec»  qui  a  près  de  trois  pouces.  Elles  arrivent 
de  l'Allemagne  en  automne,  et  s'en  retournent  au  prin- 
temps de  même  que  la  bécasse ,  dont  elles  contractent 
toutes  les  habitudes  ,  soit -dans  leur  nourriture ,  soit  dan» 
leur  retraite. 

Lorsque  la  bécassine  prend  son  essor  elle  jette  un  cri. 
Elle  est  fort  difficile  à  tirer,  à  moins  qu'on  ne  choisisse 
Tinstant  oii  elle  vole  en  ligne  droite ,  car  son  vol  est 
presque  toujours  en  crochet. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  397 

8ALMI  'DB    BÉCASSE6. 

Ayez  trois  bonnes  bécasses;  éplacbez-Ies  bien  soigneusement,  met- 
tez-les il  la  brôcbe,  retirez-les  avant  qu'elles  toîent  toot  à' fait  cuites,  et 
lalssez-Iès  refroidir;  levez-en  ensuite  les  membi'es  avee  la  plus  grande 
attention,  parez-les ,  6tez-en  la  peau  »  et  arrangez-les  dans  une  casse- 
role ;  cela  fait ,  concassez  et  pilez  tos  débris.  (Gomme  la  bécasse  ne  se 
TÎde  pas,  ayez  soin  d*ôter  le  gésier.)  Lorsque  le  tout  sera  bien  pilé,  met- 
te z  dans  une  autre  casserole  un  morceau  de  beurre,  un  peu  de  thym, 
une  demi-feuille  de  laurier  et  deux  on  trois  échalottes  entières  ;  passez 
cela  nn  moment,  singez  légèrement,  mouillez  moitié  bouillon  et  moitié 
▼in  blanc  ou  rouge  (si  vous  avez  de 4a  sauce  espagnole,  mettez-en  en 
place  de  bomUon  )  ;  assaisonnez  de  sel ,  poivre ,  muscade,  faites  réduire 
votre  sauce  à  moitié,  mettez  dedans  ce  que  vous  avez  pilé,  faites- le 
chauffer  sans  le  faire  bouillir ,  et  passez-le  ensuite  à  Tétamine  comme 
une  purée;  versez  sur  les  membres,  et  faites  chauffer  au  bain-marie. 
An  moment  de  servir  ajoutez  un  petit  pain  de  bon  beurre ,  un  peu  de 
)us  de  citron ,  et  n^onb'iez  pas  de  mettre-  quelques  croûtons  bien  rouz 
et  égaux. 

DBS   SOLES»    DES   CARBELBTS   ET   DES    LIMANDES. 

L'hiver,  propice  à  tous  les  yœux  des  gourmands,  ra- 
mène avec  le  règne  des  volatiles  et  des  quadrupèdes 
celui  des  poissons  de  mer  et  d'eau  douce.  Habitans  do 
nos  côtes ,  les  soles ,  les  carrelets  et  les  limandes  arri- 
vent les  premiers  à  la  halle. 

La  sole ,  au  corsage  alongé ,  à  la  chair  de  neige ,  au 
goût  délicat ,  se  mange  au  gratin ,  frite  ou  grillée.  Elle 
se  sert  sur  les  tables  les  plus  recherchées.  Des  filets  de 
sole  au  gratin  sont  un  mets  de  la  plus  noble  espèce. 
Les  amateurs  la  mangent  au  beurre  roux ,  sautée  dans  la 
poêle.  La  plus  grosse  est  réputée  la  meilleure;  mais  quand 
elle  a  des  formes  gigantesques ,  l'usage  veut  qu'elle  soit 
cuite  sur  le  gril  et  relevée  d'une  sauce  aux  câpres. 


.  I 


«98  LB  GASTftONOMB  FRANÇAIS. 

Le  carrelet»  seioblaUe  à  la  0gttre  géométrique  indi- 
quée par  son  nom ,  est  proche  parent  de  la  sole  :  pré- 
féré par  les  gourmets ,  il  passe  plus  généralement  pour 
lai  être  inférieur.  Les  mêmes  sauce»  lui  conviennent. 

On  en  peut  dire  autant  de  la  limande»  leur  s<eur» 
qui  tient  le  milieu  entre  la  taille  s?elte  de  la  sole  ei  b 
dos  angulaire  de  son  analogue;  unep(atftiui(e  égale  dans 
les  flancs»  et  une  blancheur  pareille  dans  les  chairs, 
forment  leur  trait  distinctif  de  famille. 

Tous  trois  sont  communs  à  Paris.  Prémices  des  dons 
d'Amphytrite»  ils  donnent  ravant-goâit  des  plus  fines 
chairs  aquatiques ,  sans  jamais  rien  perdre  de  leur  mérite 
à  la  comparaison* 

Mais  il  importe  de  les  accommoder  dignement.  Tout 
cuisinier  qui  ne  saura  pas  apprêter  des  soles  sera  diffici- 
lement propieà  préparer  des  poissons  de  plus  haute  volée. 
Cette  partie  de  l'art  est  plus  communément  négligée 
qu'on  ne  croit  ;  or  »  cet  axiome  étant  incontestable ,  que 
c'est  la  $auoe  qui  fait  manger  le  poiuon,  on  ne  saurait 
apporter  trop  d'attention  à  la  bien  faire.  Le  choix  des 
in)çrédiens  n'est  pas  moins  essentiel  que  leur  aasemhUge; 
et  le  degré  de  cuisson  doit  répondre  à  la  mesure  du  mets 
préparé  avec  méthode  »  et  embelli  de  toutes  les  combi- 
naisons de  l'art 

Nous  avons  donc  jugé  çonTepable  de  donner  ici  la  re- 
cette suivante  »  attendu  qu'elle  i^oos  paraît  la  plus  géoc- 
nUemeni  ign<Htie, 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  299 

90LES  f   CA.BI11LKT8   BT   LIMANDES  AV   GRATIN. 

Ayez  un  plat  d'argent,  étendez  an  morceau  de  benne  dessus,  prenez 
ensuite  de  fines  herbes ,  des  échalotes  et  des  champignons ,  hachez  le 
tout  bien  menu  ,  passez-le  avec  du  bfcurre ,  du  sel ,  du  poim ,  et  ver- 
•ez-le  dans  le  plat  ;  placez-y  ros  soles ,  limandes  ou  carrelets ,  et  cou- 
▼lez-les  légèrement  de  chapelure  de  pain  bien  fine  ;  arrosez  cela  de 
^elqnes  gouttes  de  beurre,  mouillez  arec  du  Tîn  blanc ,  faites  cuire  à 
petit  &u,  sous  un  four  de  campagne,  afin  que  le  gratin  se  forme  douce- 
ment ;  Toyez  si  l'assaisonnement  est  bon ,  et  finîséez  arec  un  jus  de 
cUniB.  Serves  trèa^h«id*  G«#tB» 

DBS  mSHLANS. 

Depuis  le  mois  d'octobre  jusqu'au  mois  de  mars  le 
merlan  occupe  la  première  place  parmi  les  poissons  qui 
se  servent  sur  les  tables  parisiennes;  il  partage  avec  le 
gibier  les  honneurs  d*nn  dîner  splendide,  et  la  supréma- 
tie d'un  banquet  de  famille  :  sa  chair,  légère  et  blanche, 
sa  forme  allongée  et  sa  dimension  exiguë  lui  donnent  une 
iàcàit  entrée  dans  tous  les  palais;  c'est  un  des  sujets  de 
Neptune  qui  se  plaisent  le  plus  à  la  halle  y  et  Ton  y  Toit 
arriver  tous  les  jours  de  nombreuses  caravanes  de  son 
espèce.  Ces  pauvres  débarqués  ne  font  qu'un  saut  de  la 
fiantaine  des  lonocena  dtins  la  poêle  ou  la  casserole  ;  ils 
sont  d'une  grande  ressource  pour  la  cuisine ,  surtout  les 
Tendredis  et  les  samedis;  ils  se  prêtent  à  toutes  les  mo- 
difications que  l'art  du  cuisinier  veut  leur  donner ,  ils  se 
mangent  sur  le  gnï ,  en  fùfiUoneB  ^  à  la  êauce4xux  eâpreg, 
au  gratin,  cuits  h  Yeau ,  k  la  hollandaise ,  etc. ,  etc. 

Mais  les  gourmands  délicats  ne  mangent  que  les  filets 
de  ce  poisson  estimé  :  la  tête ,  la  queue  et  Ic$  arêtes 


5oo  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS, 

f 'enlèyent  adroitement ,  et  Ton  apprête  le  surplus ,  soit 
en  friture,  soit  à  la  gauce  aux  tomates.  Lorsqu'on  le  sert 
entier  ou  en  filets ,  il  tient  honorablement  la  place  d'un 
rot ,  et  se  montre  au  second  service. 

On  en  fait  aussi  des  quenottes»  qui  garnissent  avec  dis- 
tinction un  Yol-au-yent  ou  des  petits  pâtés  ;  ils  forment 
encore  une  plus  riche  garniture  pour  une  carpe  ou  un 
brochet  apprêté  à  la  Chambord. 

Nous  ne  donnerons  ici  que  la  recette  des  filets  fards, 
comme  réunissant  à  beaucoup  de  délicatesse  pour  le  goût 
une  plus  grande  facilité  dans  Texécution. 

FILBTS   DE   MBBLAN  FABGIS. 


Levés  les  filets  de  ttz  gros  merlans ,  et  paret-les  conTenablemcDt; 
faites  uoe  farce  avec  la  chair  de  trois  autres  merlans  de  taille  commone, 
«t  pilex  cette  chair  dans  un  mortier,  après  <{uoi  tous  la  passerez  dans 
un  tamis  à  quenettes  :  tous  pilerez  et  passerez  de  la  même  manière 
au  tamis  une  quantité  égale  de  mie  de  pain ,  que  tous  aurez  fait  trem- 
per dans  du  lait  :  faites  trois  paits  égales  de  cette  mie  ;  mélez-les  arec 
les  trois  merlans,  au  moyen  d'une  quantité  équivalente  de  beurre  fraia  ; 
pilez  le  tout  ensemble,  assaisonnez  de  sel,  de  poirre  et  d*nn  pen  de 
muscade  ;  tous  pouTez  y  ajouter  une  truffe  coupée  en  petits  dès  :  tous 
fouetterez  deux  blancs  d'œufs ,  que  tous  Incorporerez  dans  cette  farce,, 
en  le  remuant  légèrement. 

Après  ces  préparatifs  couTrez  de  Totre  farce  le  fond  d'un  plat  d'ar- 
gent à  trois  lignes  d^épaisseur;  conchez-j  tos  filets  du  côté  de  la  peau, 
et  étendez  sur  chacun  un  peu  de  ladite  farce. 

11  faut  ensuite  que  les  filets  soient  artbtemeot  roulés;  de  aoita  qu'il» 
aient  la  forme  de  boudons  :  ainsi  arrangez  sur  le  plat ,  de  manière  qne 
la  farce  remplisse  tous  les  vides  ,  faites-les  cuire  dans  un  four  de  cam- 
pagne une  demi-heure  avant  de  les  servir;  versez  dessus  une  bonne  aact 
à  l'italienne ,  et  tei^ez  chaud.  B. 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  Soi 


>fin<tnsm. 
IL  FAUT  BOIRE  ET  MJNGER. 

An  :  Ça  n*  dar^  pai  loii{oail.  f  N.  5)  dt  la  CU  4m  Ç«m««.} 

Disciples  d'Épicure, 

SuiroDS  y  sans  déroger. 

Cette  loi  que  nature 

Sait  si  bien  propager  : 

Il  fiiut  boire  et  manger.  (  Quatre  fois,  ) 

Puisqu'on  ne  Toit  sur  terre  y 
Qu'ennui,  peine  et  danger. 
Amis,  que  faut-il  faire 
Pour  ne  pas  y  songer? 
Il  faut  boire  et  manger. 

Amour,  gloire,  richesse, 
Ivoire  charme  est  léger; 
Le  seul  qui  me  paraisse 
N'être  pas  mensonger. 
C'est  de  boire  et  manger. 

Lorsque  notre  maîtresse 

S'avise  de  changer, 

Pour  nargner  la  traîtresse 

Qui  croit  nous  affliger,  ' 

Il  faut  boire  et  manger. 

Verrait-on  de  ce  monde 
Tant  d'hommes  déloger, 
S*ils  chantaient  à  la  ronde, 
Avant  de  s'égorger?;.. 
Il  faut  boire  et  manger. 


3o»  LE  GASTRONÔMB  F&ANÇàlS. 

Mœurs ^  usages,  oostome. 
Tout  finit  par  changer; 
Il  n'est  qu'une  coutume 
Qu*oa  ne  peut  négliger  : 
G'eU  de  boire  et  manger. 

Quel  est  du  pauvre  hère 
Le  bonheur  passager , 
N'eût-il  que  de  l'eau  claire  , 
Et  qu'un  os  à  ronger  ?••. 
C'est  de  boire  et  manger. 

J'ai  par  terre  et  sur  l'onde 

Visité  l'étranger; 

Dans  tous  les  coins  du  monde 

Où  j'ai  pu  Yoyager, 

J'ai  Yu  boire  et  manger* 

Amant  qui  te  disposas 
A  l'heure  du  berger, 
Yeuz-tu  de  quelques  rotes 
Voir  ton  front  s'ombrager? 
Il  fout  boire  et  manger. 

Fi  du  docteur  maussade 
Qui,  pour  mieux  le  gruger. 
Soutient  à  son  malade 
Qu'il  ne  peut  sans  danger 
Ni  boire  ni  manger! 

De  Paris  jusqu'en  Chine 
On  aime  à  yendanger  ; 
De  Rome  en  Cochiochine 
On  court  au  boulanger  : 
Il  fout  boire  et  manger. 


i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  SoS 

Jusqu'à  l'heure  fatale 

Où  le  noir  messager 

Dans  sa  barque  infernale 

tiendra  tous  nous  ranger, 

Il  faut  boire  et  manger<  DAsawiias. 

LE  DÉURE  GOURMAND. 

An:  Fièr*  Piem  à  la  «bUm  (o.  198  d«  h  CtéémCmMum 

Ahahs  de  la  bonne  chère , 
Friands  de  jeunes  tendrons , 
Faisons  bombance  à  Gjthère, 
Et  l'amour  sur  des  chaudrons; 

Car  Vénus 

Sans  Gomus, 
Loin  de  ranimer  la  fie. 
Ferait  périr  d'éthisie 
Tous  les  enfans  de  Momus*  (t^*) 

Qu'une  table  bien  serrie 
S'élèTe  au  sacré  Talion  ; 
Débauchons  dans  une  orgie 
Toutes  les  sœurs  d'Apollon. 

Qu'un  flacon 

De  Mâcon 
RenTcrse  chacune  d'elles , 
Et  l'on  Terra  nos  Pocelles 
Accoucher. ..  d'une  chaMon. 

Si  Jupin  en  bœuf  se  change 
Pour  couronner  son  amour, 
Cuisinier,  pour  qu'on  le  mange , 
Fonds  sur  lui  comme  un  Tautour  ; 


3o4  LE   GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Mets  sa  chair 

Sur  le  fer 
D^un  gril  rougi  par  la  braise  : 
Fais  un  bifteck  à  Tauglaise 
Des  cuisses  de  Jupiter. 

Contre  ud  bonnet  de  cuisine, 
Amour^  troque  ton  bandeau  , 
Et  de  ta  flèche  badine 
Larde-nous  un  fricandeau  : 

Gupidon, 

Marmiton, 
Reprends  tes  droits  sur  notre  finie , 
Et  que  ta  divine  flamme 
Serve  à  rôti|'  un  dindon.  I 

J*ai  vu  Vénus  entourée 
Des  jeux,  des  plaisirs,  des  ris, 
Et  ma  raison  égarée 
Suivit  ses  oiseaux  chéris. 

J'ai  repris 

Mes  esprits; 
Et,  lorsqu'il  faut  que  je  dine, 
Je  mettrais  en  crapaudine 
Jusqu'aux  pigeons  de  Cypris. 

Armé  d'une  lèchefrite, 
Je  débarque  chez  Pluton  ,  « 
Et  fais  bouillir  ma  marmite 
Sur  les  feux  du  Phlégéton. 

J'ai  pour  rôt 

Un  gigot; 
Cerbère  tourne  la  broche  ; 
Caron  fait  tinter  la  cloche  ; 
Minos  écume  le  pot.  M.  Fiàkcis. 


^apit(i 


m$ihni. 


19VCATZOV  OASTAOMOKZQUX. 

C«a*«st  pwtoat  que  d'être  gonmund,  il  but 
ancoM  étr«  poIL 

Geoioo  SB  iJk  SundaB. 


20 


1»»i 


ÉDVCATIOll  CfASTEOMOBn^UE, 


mm 


5lrticle  |)ranier. 

DES  VSAGK8  QV'lL  FAUT  SUIVRE,  DES  ABUS  QU*1L  FAUT  ÉVITER. 


(S  ^^^ijitAtrs  k  U  f^nrc^tttt. 


Dkfbis  qu'on  dîne  à  Paris  à  huit  heures  du  soir ,  et 
que  (  malhearousemeiit  pour  l'esprit ,  la  gatté  et  la  con- 
versation) l'on  n'y  soupe  plus,  il  a  fallu  faireen  quel- 
que sorte  un  repas  du  déjeuner;  et,  quoiqu'on,  ne 
mette  point  alors  la  nappe ,  ce  repas ,  dans  la  plupart  des 
jmaisons  opulentes ,  est  d'une  solidité  très^respectable. 

On  sent  bien  que  pour  des  hommes  qui  courent  pendant 
toute  la  matinée  après  la  fortune ,  et  qui  travaillent  sans 
cesse  à  faire,  à  augmenter  ou  à  dilapider  la  leur ,  un  dé- 
jeuner ,  comme  nos  pères  s'en  contentaient ,  ne  saurait 
suffire*  Que.  serait-ce,  en  eflPet ,  qu'une  ou  même  plu- 
sieurs tasses  decafé  ou  dechocolat  pour  l'homme  qui  n'a 
point  soupe ,  qui  ne  dînera  qu'au  coucher  du  soleil ,  et 
qui  »  depuis  sept  heures  du  matin  jusqu'à  six  heures  du 
soir ,  ne  cesse  d'exercer  son  activité ,  et  de  mettre  des 
îamhes  et  son  esprit  à  la  torture,  pour  acquérir  en  trois 
ou  quatre  ans  une  fortune  autrefois  l'ouvrage  de  la  vie 
entière?  Nous  ne  parlerons  pas  des  moyens  qu'il  em- 
ploie pour  y  parvenir  ;  ces  réflexions  sont  du  ressort  du 


5o8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.   ^ 

moralisle  ei  dod  pas  da  gourmand;  nous  soahaiftons 
seulement  qu'il  soit  en  paix  arec  sa  consdence ,  parce 
que  ,  lorsqu'elle  est  agitée ,  il  est  rare  que  TappèUi  soit 
franc  y  et  que  les  digestions  soient  bonnes. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  de  cette  nouvelle  manière  de  rivre 
ont  dû  naître  nécessairement  les  déjeuners  à  la  four- 
chette. Ces  déjeuners  ne  se  composent  pas  seulement, 
comme  autrefois  (lorsque  quelques  circonstances,  telles 
qu'un  yoyage»  une  chasse»  etc. ,  obligeaient  d'eo  fiûre 
de  solides) ,  de  riandes  froides ,  de  pâtés,  de  jambons 
€l  de  langues  fourrées  ;  on  leur  a  donné  une  toute  autre 
extension,  et  l'on  peut  dire  qu'à  l'exception  de  h 
nappe  «  de  la  soupe  et  du  rôti,  ce  sont  de  véritables  dî- 
ners du  matin. 

Eu  effet,  les  petits  pâtés ,  les  côtelettes ,  les  rognons , 
les  coquilles  au  gratin,  les  pigeons  à  la  crapaudine ,  etc.» 
tous  mets  chauds ,  non*seulement  font  partie  de  ces 
déjeuners ,  mais  ils  n'en  sont  en  quelque  Açon  que  le 
prélude.  On  y  sert  des  têtes  de  veau  à  b  tortue ,  des 
anguilles  à  la  tartare  ,  des  friteaux ,  des  marinades  à 
l'allemande,  des  semelles  de  veau  à  la  moelle,  des 
selles  de  mouton  k  l'allemande ,  des  carrés  d'agneau  ea 
mousseline ,  des  chapons  au  gros  sel ,  et  jusqu'à  ces  &- 
meusp  têtes  de  veau  du  PulU-Gertain ,  qui  devraient 
être  réservées  pour  les  repas  de  noce ,  et  qu'on  voit 
maintenant  souvent  paraître  à  des  déjeuners  de  simples 
agioteurs.   Tout  cela  n'empêche  pas  les  grosses  pièces 
froides ,  les  jambons  de  Bayonne ,  les  pâtés  de  tons  tes 
pays,  et  principalement  de  Strasbourg,  de  Chartres, 


j 

j 
I 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ^9 

d'Amiens»  de  Toulouse,  d'Auch  et  de  Pérîgueux».  les 
langues  fourrées ,  les  galantines ,  les  longes  de  veau»  les 
daubes,  etc.  »  et  même  quelquefois  des  brochets  mons- 
trueux,.et  des  turbots  à  larges  panses ,  si  bien  nommés 
les  princes  de  la  mer,  de  former  un  second  service, 
qui  est  remplacé  par  un  dessert  sucdnct,  il  est  vrai, 
mai» encore  assez  bien^  fourni;  et,  pour  que  rien  n'y 
manque  ,..oa prend ,  en  finissant,  force  café,  sept  à  l\uit 
verres  de  diverses  liqueurs ,  etc. ,  et  Ton  se  sauve  ensuite 
pour  aller  gagner  de  Tappétit ,  afin  de  pouvoir  dîner  à 
sept  ou  huit  heures ,  comme  si  Ton  était  encore  à  jeun» 

Il  est  impossible  que  Testomac  le  plus  robuste  puisse 
résister  long-temps  à  un  semblable  régime*  L'homme  le 
mieux  constitué  ne  saurait  faire  qu'un  bon  repas  par 
|our ,  et  celui  du  matin  nuit  nécessairement  à  celui  du 
soir.  Dans  l'ancien  ordre  des  choses ,  ceux  qui  dînaient 
solidement  soupaient  très  -peu ,  et  les  véritables  soupeurs 
(  qu'on  nous  passe  cette  expression  )  ne  dînaient  presque 
jamais.  Les  robustes  Midas  du  jour  déjeunent  comme 
nous  venons  de  le  voir ,  et  n'en  dînent  pas  moins  copieui 
sèment.-  II  est  des  grâces  d'état ,  mais  les  hommes  sen-a 
ses  doivent  se  borner  à  les  admirer  sans  chercher  à  lea 
atteindre;  ils  n'y  parviendraient  qu'aux  dépens  de  leur 
esprit,  de  leur  santé  et  même  de  leur  existence. 

Nous  ajouterons  qu'un  véritable  gourmand  ne  fait 
qu'un  seul  repas,  et  c'est  le  dîner  (1).  Il  entend  trop* 

(i)  Un  mèdecio  tytnt  demandé  «u  pèxe  Bcmrdàloiie*  quel  régioie  il 
obterrait ,  cet  austèi*  religieux  répondit  :  «Je  ne  fais  qu'an  rtpaa  par 


5io  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

bieo  son  inlérét  pour  vouloir  émousser  dès  le  matin  les 
houppes  nerveuses  et^ensitives  d*un  palais  vierge;  et  il 
se  mettrait  hors  d*état  de  procéder  k  une  dégustation  sa- 
vante et  réfléchie  s'il  commençait  par  surchai^r  son 
estomac  de  viandes  froides ,  et  par  dépenser  la  moitié 
de  son  appétit  à  un  repas  qui  est  sans  conséquence  pour 
les  progrès  de  l'art;  car  ce  ne  sera  jamais  qu'au  dîner 
qu'un  grand  cuisinier  déploiffra  tout  son  savour,  et  que 
les  véritables  juges  se  rassembleront  pour  prononcer  en 
dernier  ressort  sur  les  productions  alimentaires.  Ailes 
proposer ,  par  exemple  ,  un  déjeuner  h  la  fourchette  k 
messieurs  les  illustres  convives  de  la  société  des  tnercre- 
dis 9  6t  vous  verrez  comme  ils  vous  recevront  (i)  ! 

A  déjeuner  le  vrai  gourmand  cherche  donc  bien  moins 
h  satisfaire  son  appétit  qu'à  l'entretenir  »  à  le  choyer , 
et  à  le  stimuler  en  le  trompant  en  quelque  sorte  par  des 
semi-nutriti6;  c'est  ce  qui  fait  que  la  plupart  ne  pren- 
nent le  matin  autrexhose  que  du  chocolat.  Cef te  bois- 
son a  l'avantage  de  caresser  l'estomac  sans  le  surcharger, 
de  s'assimiler  parfaitement  avec  notre  substance  «  de 
soutenir  nos  forces  ,  et  d'être  tout  à  la  fois  apèritîve,  bé- 
chique  et  légèrement  nutritive;    mais  il  (a ut  la  bien 


four.  —  Gtrdez-vous ,  dit  le  médecin,  de  rendre  votre  secret  public: 
▼oas  noofl  ôteriez  tontes  nos  pratiques.  • 

(i)  Ces  dtoers,  qui  prirent  naisstnoe  chez  Legac<pie  aa  comneoce' 
ment  de  ce  siècle ,  furent  fondés  par  le  docteur  Gastaldi ,  mort  à  Uibfe« 
c'est-l-dire  au  champ  d'honneur  d'un  gastronome.  Les  principaux  cm- 
tives  i6taient  MM.  Orimod  de  lé  Reynière ,  Ohambon ,  Barr^,  lUdet, 
Désaugiers,  Michaud  de  ia  comédie  Prançai  e. 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  3 1 1 

choisir ,  car  autrement  elle  ferait  beaucoup  plua  de  md 
qu'elle  u'opérerait  4e  Mou.  G*  D.  L.  R. 


Nous  respectons  infiniment  Popinlon  que  vient  d'é- 
mettre Fillustre  législateur  de  la  table  ;  mais»  selon  nous: 

On  peut  ètra  honaèCe  hoflime  et  fort  bien  déjeuner. 

Un  gourmand  qui  sait  se  respecter  ne  doit  pour  cela 
consulter  que  deux  choses  :  sa  bourse  et  ^on  estomac. 
D'ailleurs  les  indigestions  sont  l'affaire  des  médecins;  et 
l'on  voit  souvent  de  ces  docteurs ,  sans  doute  pour  leur 
donner  Texemple  ou  pour  régler  leur  appétit ,  déjeuner 
avec  leurs  cliens  dans  les  cafés  restaurans  les  plus  re- 
nommés de  la  capitale ,  tels  que  le  café  Hardy ,  le  café 
de  Paris,  boulevard  des  Italiens ,  chez  M.  Béhodencq, 
^u  café  des  Variétés,  au  café  du  Périgord,  et  au  café 
Valois,  auPalaivRoyal;  au  café  Desmares,  rue  du  Bac, 
et  surtout  au  café  Guette,  quai  d'Orsay,  vis-à-vIs  le  pont 
royal ,  établissement  où  llionnéteté  des  maîtres  de  la 
maison  et  de  tout  ce  qui  les  entoure ,  lé  dispute  àveé 
la  bonté  des  mets  et  l'excellence  de  la  cave. 


Noirs  avons  entendu  plus  d'un  gourmand  ,Te9pecfaMe 
pat  son  «avoir ,  son  «xpérience  -  et  ses  ftofondes  '^on* 


3it  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

■aisaances  dans  toutes  Im-  parties  de  Fart  aUmenlaire , 
«e  plaindre ,  en  sortant  de  chez  les  plus  fameux  restaura* 
teurs»  de  n*j  avoir  jamais  été  pleinement  sattsfaîl,  quoi- 
qu'il y  eût  dépensé  beaucoup  d*ai^nt ,  et  que  son  dîner 
d*un  seul  couvert  lui  revint  quelquefois  k  un  louis.  Après 
en  avoir  long-temps  cherché  la  raison»  nous  croyons 
l'avoirlrouvée  ;  et  nous  pensons  que  ces  considérations, 
loin  d*étre  déplacées  ici ,  pourront  ouvrir  les  yeux  à  plos 
d^un  lecteur ,  qui  depuis  long-temps  cherche  le  mot  de 
cette  énigmCv 

Il  est  prouvé  9  et  c'est  un  axiome  qu'aucun  gourmand 
n'a  jamais  mis  en  doute ,  que  chacun  des  mets  qui  com- 
posent un  dtner  »  soit  entrées  »  soit  rôtis ,  soit  entremets , 
n'a  qu'un  instant  précis  pour  être  mangé  dans  toute  sa 
bonté.  Si  Ton  en  a  trop  hâté  la  cuisson  »  ou ,  <:e  qui  est 
bien  pis  encore ,  si  on  l'a  laissé  languir  soit  à  la  brocbe, 
soit  dans  les  casseroles ,  il  a  perdu  une  grande  partie  de 
ses  qualités  ;  la  combinaison  de  ses  principes  n'est  pJus  Ja 
même  »  et  l'on  peut  dire  qu'il  a  subi  en  quelque  sorte  un 
commencement  de  décomposition.  Or»  chez  les  restau- 
rateurs il  n'y  a  point  d'heure  fixe  pour  le  dîner  :  depuis 
trois  heures  jusqu'à  sept  les  consommateurs  s'y  succè- 
dent; mais  la  carte  reste  constamment  la  même.  Tel 
mets  combiné  pour  trois  heures  n'est  souvent  demandé, 
servi  et  mangé  qu'à  cinq.  Tous»  rangés  autour  du  feo» 
attendent,  pour  paraître  sur  la  table  »  que  le  caprice  des 
consommateurs  les  y  appelle.  Le  tour  de  l'un  de  ces  mets 
est-il  veni^ ,  on  en  coupe  une  portion ,  et  le  reste  languit 
dans  une  nouvelle  attente  ;•  plusieurs  même  ne  seront 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  3i3 

point  demandés  aujourd'hui,  et  ce.n'est  que  demain 
qu'ils  seront  reproduits  sous  une  autre  forme ,  afin  de 
déguiser  leur  rétusté. 

Il  résulte  de  cette  méthode  que  dans  W  houtique  d'un 
restaurateur  rien  ne  peut  être  mangé  à  son  point  »  à 
l'exception  des  fritures  et  des  omelettes  souiQées  »  qu'on 
ne  saurait  préparer  à  l'ayance.  Les  ragoûts  ,  ainsi  flétris 
et  desséchés,  ont  vu  toutes  leurs  vertus  se  dissiper  :  l'es- 
prit des  viandes  s'est  évaporé  en  pure  perte ,  les  sauces 
sont  taries ,  les  rôtis  calcinés ,  les  entremets  décompo- 
sés ,  etc. ,  etc.  ;  enfin  le  consommateur  a  dépensé  beau- 
coup d'argent  pour  faire  un  très-mauvais  dtner»  quoique 
confectionné  par  des  mains  savantes. 

Il  serait  donc  dans  ce  cas  souverainement  injuste  de 
s'en  prendre  au  talent  du  cuisinier ,  qui  ne  peut  travail- 
ler que  pour  un  instant  rigoureusement  déterminé  »  et 
auquel  l'art  n'o&re  aucun  moyen  pour  prolonger  sans 
altération  l'existence  d'un  ragoût;  et  il  n'est  que  trop 
pirouvé  qu'un  dîner  à  la  carte  ne  saurait  jamais  être  bon 
dans  aucune  de  ses  parties.  Que  Ton  cesse  donc  d'être 
surpris  si  de  cette  manière  l'on  fait  une  chère  fort  mé- 
diocre ,  même  chez  les  premiers  artistes  de  la  capitale. 
Mais  que  l'on  commande  un  diner  pour  une  heure  fixe 
chez  les  Robert,  Véry ,  les  Grignon,  les  Beauvilliers,  les 
Legacque,  les  Balaine  (i),  et  autres  grands  hommes  de 

(0  Balaine ,  Robert ,  Legacqae  ont  été  ravia  à  Cornus  par  Plutus  son 
frère.  Beanvilliers ne  traite  plus  en  ce  monde,  non  plus  que  Grignon 
père.  C'est  da  fils  que  nous  aTons  parlé  au  commencement  de  cet 
cMiTrage. 


5i4  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Tart  ;  que  l'on  ê'y  rende  au  coup  de  l'horioge»  €A  qoe  I'o0 
fasse  servir  dès  que  le  cuisinier  annoncera  qu'il  est  prêt, 
et  l'on  s'apercevra  de  la  différence  :  on  dépensera  beau- 
coup moins  pour  dtner  beaucoup  mieux;  lsi  bourse  ei 
la  sensualil^é  j  trouTeront  également  leur  cofiapte. 

Cette  immuable  vérité  >  qu'un  ragoût  ne  doit  jamais 
languir  dans  l'attente ,  et  n'a  qu'un  senl  instant  précis 
pour  être  mangé ,  reçoit  une  application  bien  plus  rigoa- 
reuse  encore  s'il  s'agit  d'une  matelote.  G^est  an  point 
qu'il  est  de  principe,  dans  les  cuisines  de  la  Râpée  et  dn 
Gros-Gaillou,  que  l'on  ne  met  jamais  la  matelote  aor  le 
feu  que  tous  les  convives  ne  soient  rénnis ,  et  même  I 
table.  Il  n'y  a  nul  inconvénient  à  faire  attendre  plus  ou 
moins  ces  messieurs;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  de 
la  matelote;  sous  peine  d'être  dégradée  »  elle  ne  saurait 
languir  seulement  cinq  minutes. 

Ces  considérations ,  qui  sont  tirées  de  la  natm^  même 
des  choses ,  et  qu'il  n'est  pas  permis  d'ignorer  poar  peu 
qu'on  ait  quelque  teinture  de  la  théorie  du  grand  art  de 
la  cuisine ,  s'appliquent  encore  à  d'autres  objets  qu'aux 
dîners  à  la  carte.  Elles  prouvent ,  par  exemple  ,  com- 
bien est  coupable  le  convive  qui  se  fait  attendre  seule- 
ment  un  quart-d'heure  au  repas  dont  le  moment  a  été 
indiqué  d'une  manière  précise.  Grâce  à  son  inexactitude* 
ce  repas  se  trouvera  manqué  dans  tous  ses  points.  Si  les 
entrées  ont  langui ,  le  rôti ,  qui  leur  succédera ,  sera 
desséché ,  et  les  entremets  sans  saveur.  Tous  les  ser- 
vices,  semblables  à  une  vieille  coquette,  auront  pcvdu 
leur  fraîcheur,  et  même  leur  physionomie  ,  et  c'eai  en 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  3i5 

Tain  que  Ton  cherchera  dans  chaque  plat  le  go6t  qu'il 
deit  ayoir. 

Il  n'y  a  point ,  selon  nous ,  de  peine  assez  grande 
contre   un  contive  qui   expose  un  amphytrion  &  de 
pareils  affronts,  et  toute  une  coiiipagme  d'honnêtes 
gourmands  à  un  semblable  malheur;    c^est  un  délit 
anti-social  si  jamais  il  en  fut.'  Il  nous  semble  que  l'on 
devrait  faire  payer  à  ce  convive  le  dîner  ,    d'aprës 
It!S  ré^emens  qui ,  dans  quelques  théâtres  ,   obligent 
tout  acteur  qui  a  fait  manquer  une  représentation  affi- 
chée à  payer  lu  recette  présumée.  Mais  comme  tous  les 
hommes  qui  se  piquent  de  bon  ton  sont  plus  ou  moins 
inexacts  ;  que  la  plupart  des  femmes  croient  qu'il  est  du 
hon  air  de  n'arriver  que  les  dernières  ;  enfin ,  qu'il  etiste 
journellement,  surtout  dans  Paris,  des  causes  impré> 
vues  de  retard,  nous  engageons  tous  les  amphytrions  h 
indiquer  leurs  festins  pour  une  heure  h  l'avance ,  c'est- 
à-dire  d'inviter,  par  exemple  ,  pour  six  heures  très- 
précises  ,  et  de  ne  faire  servir  qu'à  sept.  Cette  latitude 
permettra  à  chacun  (bien  entendu  que  personne  ne  sera 
dans  la  confidence)  d'arriver  à  temps;  mais  au  coup  de 
rhorloge  il  faut  (aiilsi  que  cela  se  pratique  à  la  Société 
épicurienne^  et  surtout  à  celle  des  mercredis ,  si  digne 
de  servir  de  modèle  à  toutes  les  autres  )  que  la  soupe 
paraisse  sur  la  table ,  et  que  la  porte  soit  fermée  au 
rerrou.  Malheur  au  paresseux  !  la  diète  est  sans  doute 
une  punition  terrible  ;  mais  aux  grands  maux  les  grands 
remèdes ,  et  celui-ci  nous  parait  être  le  seul  capable  de 
les  corriger. 


3i&  Liï  GASTRONOME  FRANÇAIS, 

Ea  prenant  ces  précautions,  un  dtner  sera  toujours 
servi  et  mangé  à  point ,  et  le  cuisinier  demeurera  sans 
excuse  si  son  travail  n'est  pas  ce  qu'il  doit  être. 

En  conseillant  de  fermer  rigoureusement  la  porte  aux. 
paresseux  9  nous  parons  encore  au  désordre  qui  résulte 
nécessairement  de  l'usage  où  l'on  est  dans  quelques  mai- 
sons de  rapporter  des  plats  déjà  desservis  h  ceux  qui 
surviennent  quand  le  repas  est  commencé;  cette  mé- 
thode  retarde  indispensablement  le  service ,  et  fait  lan- 
guir  le  rôt  et  les  entremets;  elle  <^lige  de  plus  les  autre» 
convives  de  mâcher  à  vide  jusqu'à  ce  que  les  paresseux 
se  soient  mis  au  courant  ;  elle  rompt  la  symétrie ,  dé- 
range l'ordre,  et  nuit  même  à  la  propreté  d'une  table; 
enfin  elle  récompense  en  quelque  sorte  l'inexatitude  au 
lieu  de  la  punir.  Nous  ne  saurions  donc  trop  engager 
les  amphytrions»  vraiment  dignes  de  ce  nom  sacré ,  à 
bannir  de  chez  eux  cette  méthode  ;  et  »  s'ils  ont  de  la 
répugnance  invincible  pour  fermer  leur  porte  après 
L'heure  fatale  »  qu'ils  ne  permettent  pas  au  moins  que 
l'on  rapporte  les  plats  qui  auront  été  desservis.  Les  pa- 
resseux prendront  le  diner  à  l'époque  oh  ils  Vauront 
trouvé;  et  si  leur  appétit  souffre  quelques  privations,  c'est 
à  eux  seuls  qu'ils  devront  s'en  prendre.  Puisse  ce  mojea 
les  corriger  1  et  qu'ils  se  souviennent  que  de  toutes  les 
afiaires  importantes  qui  se  traitent  en  ce  bas  monde»  uo 
dîner  est  la  seule  qui  ne  puisse,  sans  inconvénient» 
souffrir  le  plus  léger  retard  !  G.  D.  L.  R. 


^ 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  Si 7 


u  ^)a^Us  y 


Muita  renasemittry  quœjam  eeeUUre,  cadMtqus, 

C'est  un  principe  avoué  et  reconnu  par  tous  les  Trais 
gourmands ,  que  l'on  ne  saurait  bien  manger  lorsque  Ton 
mange  seul.  Entrez  chez  le  plus  fameux  restaurateur  ; 
observez  trente  personnes  qui  dînent  2i  trente  tables  iso- 
lées ,  et  TOUS  ne  remarquerez  sur  le  visage  d'aucun  cette 
)oie  pure  9  cette  douce  hilarité  qui  doit  se  peindre  sur 
toute  face  gourmande  pendant  l'exercice  des  fonctions 
dégustatrices;  chacun  a  plutôt  l'air  de  prendre  en  hâte 
une  in£spensable  réfection  que  de  faire  avec  réflexion 
et  maturité  un  bon  dîner. 

Il  en  est  à  peu  près  de  même  de  tous  les  plaisirs  que 
l'on  se  procure  en  ce  bas-monde;  il  faut  être  au  moins 
deux  pour  les  bien  goûter;  et  il  en  est  tels  qui  ne  sont 
jamais  plus  vifs  que  lorsqu'ils  sont  partagés  avec  un  très- 
grand  nombre  de  personnes.  Le  meilleur  spectacle  »  le 
concert  le  plus  harmonieux,  le  discours  le  plus  éloquent 
ne  vous  fera  qu'un  plaisir  médiocre  si  la  salle  est  déserte  : 
chaque  spectateur  est  pour  son  voisin  un  spectacle  :  on 
s'électrise  réciproquement ,  et  les  émotions  ne  sont  ja- 
mais plus  vives  que  lorsqu'elles  sont  ressenties  par  une 
grande  multitude. 

Il  en  est  de  même  à  table  ;  à  chère  égale  »  à  service 
égal ,  plus  elle  est  nombreuse ,  et  plus  on  mange  :  l'ap- 
pétit se  développe  par  l'exemple;  une  sainte  émulation 


3i8  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

s'empare  des  convives,  et  ta  cooTersation  »  qui  lait  couler 
les  heures,  fait  aussi  digérer  les  morceaux.  On  ue  craÎDl 
point  de  paraître  un  gros  mangeur  quand  tous  les  appé- 
tits sont  à  l'unisson;  et  tel  convive  qui ,  s*il  était  seul, 
mangerait  à  peine  un  poulet,  encouragé,  enhardi»  ai- 
guillonné ,  stimulé  par  ses  voisins ,  dévore  un  aloyau  sans 
presque  s'en  apercevoir. 

Ces  considérations ,  dont  les  gourmands  ei  les  obser- 
vateurs sentiront  toute  la  vérité,  faisaient  regretter  de- 
puis long-temps  aux  uns  et  aux  autres  les  tables  £kôu^ 
dont  Tusage  s'était  perdu  à  Paris  depuis  les  premières 
années  de  la  révolution.  Il  serait  facile  d'en  trouver  la 
cause  dans  la  différenoe  des  opinions»  les  disaeosîoDS 
civiles,  les  mœurs  sauvages  qui  avaient  remplacé  notre 
ancienne  aménité;  cette  crainte  réciproque  qui  Caisaît 
que  chacun  cherchait  à  s'isoler,  l'oubli  des  convenanoes, 
le  mépris  de  toute  politesse ,  enfin  cette  voracité ,  qui , 
ayant  succédé  à  l'ancienne  gourmandise ,  aarait  mis  ao 
pillage  la  table  d'hôte  la  plus  abondamment  serne.  Aussi 
les  fameuses  tables  de  l'hôtel  de  Bourbon,  de  l'hôtel  de 
Notre-Dame,  de  l'hôtel  d'Angleterre,  etc.,  oni-HeUe» 
disparu  dès  1 790 ,  ainsi  que  tous  leurs  habitués. 

Heureusement  les  causes  qui  les  ont  (ait  fermer  ne 
subsistent  plus.  Le  besoin  de  lier  société  commence  à 
se  faire  mieux  sentir;  les  mêmes  citiintes  ne  forcent  pUis 
à  s'isoler;  et  comme  les  opinions  sont  à  peu  près  les 
mêmes ,  on  ne  redoute  plus  les  conséquences  que  cer- 
tains épanchemens ,  si  naturels  à  table ,  pourraient  avoir. 

Nous  avons  donc  vu  s'ouvrir  successivement  plusieurs 


U  ti ASTRONOME  FRANÇAIS.  319 

Uil^le«  d'hôte ,  et  l^ur»  succès  attestent  que  ce  genre 
d'établissement  ne  tardera  pas  à  se  consolider  à  Paris  : 
la  bourse  et  la  société  y  trouveront  également  leur 
compte*  G.  D.  L.  R. 


<mâ  4  man^tt. 


Dahs  tom  le»  appartemens  bien  ordonnés  H  existe  un 
réduit  spécialement  consacré  au  culte  de  Comas  :  cette 
pièce  devrait  être  le  centre  de  toutes  les  distributions 
environnantes ,  et  la  pins  commode  do  logement  ;  il  n'en 
est  cependant  pas  toujours  ainsi ,  et  les  abus  nombreux 
que  nous  avons  remarqués  dans  cette  partie  des  usages 
gourmands  nous  font  un  devoir  de  publier  quelques  ob- 
servations sur  les  Salons  â  manger,  afin  d*en  laire  ap- 
précier toute  l'importance. 

C'est  véritablement  un  opfM^obre  pour  certains  amphy- 
triona^  Agnes  d'ailleurs  de  beaucoup  d*estime ,  que  la 
négligence  avec  laquelle  est  entretenu  le  coin  le  plus 
intéressant  de  leur  logis ,  la  ^nétropole  de  leur  domicile. 
Si  Anacharsis  voyageait  parmi  nous ,  il  chercherait  vai- 
nement à  quels  signes  reconnaître  le  temple  domestique 
dédié  au  premier  et  au  plus  cher  des  dieux  lares;  il 
pourrait  croire  même  à  la  nudité  du  Keu  que  les  mys- 
tères qu*on  y  célèbre  sont  interdits ,  et  que  la  profession 
de  gourmand  est  frappée  d'anathéme ,  ce  qui  est  bien 
loin  de  la  vérité  pour  l'honneur  du  siècle. 


5«o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Le  sanctuaire  de  Comua  esl,  dans  presque  toutes  les 
maisons  »  dans  les  hôtels  même  et  dans  les  palais  »  le  lieu 
le  plus  simple  »  le  plus  nu ,  le  plus  négligé  de  Tédifioe  ; 
on  se  contente  d*y  entretenir  une  propreté  rustique  :  an 
buffet  et  une  table  indispensables ,  un  poêle  (i)  et  des 
sièges  en  forment  Tameublement  ordinaire;  tout  au  plus 
des  peintures  en  compartimeus  de  marbre  »  sur  le  mur 
ou  sur  le  papier ,  lui  donnent  un  faux  air  de  magnifi- 
cence; et  Topulence  ne  va  pas  au-delà  de  quelques 
cadres  en  stuc  »  et  de  quelques  vases  ou  figures  d'albâ- 
tre, relevés  par  quelques  tableaux  peu  signtficatib. 

Le  scandale  est  surtout  aflligeant  dans  les  maisons 
bourgeoises ,  où  nombre  de  particuliers  dtnent  dans  une 
antichambre ,  aux  portes  du  vestibule  »  à  la  merci  des 
importuns*  Cet  abus  n'a  pas  toujours  pour  excuse  la  mé- 
diocrité des  fortunes,  et  nous  savons  àes  amphytrions 
riches  qui  n'ont  pas  d'autre  salle  à  manger  que  leur 
antichambre. 

Le  bon  ton ,  la  mode  et  toutes  les  raisons  qui  ont  du 
poids  sur  l'esprit  des  gens  du  monde  deiraientleur  frire 


(t)  Il  est ettentlel  qu'une  nlie  à  manger  foit  éch  auffèe  dam  Uralet 
parties.  Un  poôle  remplit  asses  bien  cette  condition  ;  mais  on  ne  doit 
jamais  oublier  la  garantie  pour  mettre  les  jambes  des  conTÎves  à  l'abn 
des  Tents  extérieurs. 

Il  n'est  pas  moins  nécessaire  d'avoir  les  pieds  cbands  tandis  qa*oa 
mange.  Des  boules  d'étain  remplies  d'eau  à  60  degrés  y  et  qui  ,  incras- 
tées  dans  le  plancher,  feraient  exactement  le  tour  de  la  table ,  nom 
paraissent  un  sAr  moyen  d'entretenir  cette  partie  du  corps ,  qui  infiœ 
si  puissamment  sur  les  organes  de  la  digestion,  dans  le  degré  de  cfaaien 
qu'elle  doit  toujours  avoir  chez  les  gourmands. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  5,, 

«  I 

senlir  rînconveDance  de  cet  usage  monstrueux;  ou  peut 
être  à  chaque  instant  interrompu  par  lesivalets  et.  les 
étrangers  ;  l'aspect  du  lieu  refroidit  Tappétit  ;  sa  sim- 
plicité détruit  rharmonie  qui  doit  exister  entçe  l'abon- 
dance de  la  table  et  les  sens  du  convive.  Nous  ne  savons 
pas  quelle  était  la  magnificence  des  salons  de  Diane  et 
d'Apollon;  mais  nous  gagerions  bien  sur  ces  titres  divins 
que  LucuUus  eût  mal  dîné  dans,  nos  antichambres ,  soit- 
disant  salles  à  manger,  quelle  que  f&t  d'ailleurs  la  chère 
qu'on  lui  présentât. 

-  On  philosophe ,  bien  pénétré  de  l'importance  des 
fonctions  digestives,  bien  convaincu  que  le  dîner  est 
l'acte  le  plus  remarquable  de  la  journée ,  bien  sûr  qu'on 
ne  peut  être  nulle  part  aussi  bien  qu'à,  table  /et  que  le 
temple  de  Gomus  doit  inspirer  autant  de  dévotion  qu^'il 
promet  de  jouissance;  un  philosophe,  disons-nous;  qui 
sent  sa  dignité  et  celle  de  ses  convives ,  cherchera  tou- 
jours autour  de  lui  l'aisance,  le  plaisir  et  la  magni- 
ficence :  la  ferveur  des  fidèles  ne  tient  pas  toujours 
leurs  yeux  fixés  sur  les  mets;  il  faut  qu'elle  retrouve  sur 
les  murs  et  sur  les  lambris  des  objets   de  concupis- 

cebce. 

Le  salon  doit  surtout  être  secret ,  bien  clos ,  inacces- 
sible aux  profanes  comme  au  froid.  Que  la  porte  .qui 
mène  à  la  cuisine,  soit  la  seule  issue  qui  communique 
avec  le  dehors,  et  que  cet  atelier  délicieux  en  soit  très- 
voisin  ,  dût l'avant-goût  des  mets  lutiner  l'odorat IDeux 
croisées  agréablement  situées  peuvent ,  quand  on  ne  dine 
pas  aux  bougies,  laisser  circuler  un  jour  pur  et  gai; 


è>ft  LE  GASTBONOMB  FAAMÇAlâ. 

mm.  celui  des  lomières  artificieUef  yani  onom  mieiui  » 
qooi  qu'en  diieiit  iei  aneteiin  du  soleîL 

Qoaat  tmômeniena  intérieur»  »  il  faut  qiieloiitka  arts 
seditputenl  Tfaonneur  d'y  contriliuer.  Les  arts  aenfc net 
de  l^ppétil  ;  car  la  néeeisité ,  sèie  de  rimrenlioa ,  n'ai 
antre  qoe  la  ftim  produisant  l'industrie.  Notu  vouloiâ 
donc  que  la  peinture  et  la  sculpture  décorent  le  ssko 
èifaaL  rîcbe  amphytriao  :  Bacchus  pressant  une  grappe  ds 
sa  main  dÎTÎne ,  Héké  Tenante  boire  è  Jinpifaer »  màa»- 
ront  le  marbre  et  la  toile.  Les  rases  qni  sont  aor  Is  tsdUe 
et  sur  les  talbiettes  dnîyent  présenter  tiint&t  une  maicke 
de  Silène ,  tintô^  une  aaturnale.  Que  Taigfe  du  pàiv  des 
dieuj^  »  du  même  becqui  goâle  le  nectar,  Terse  Is  saooe 
joteuie  où  l'esprit  des  liqueurs;  qne  l'anse  du  pkt  qui 
renferme  une  anguille  k  la  tartare  la  représenls  fkîie 
de  vie ,  se  repliant  en  anneaujc  ondnienz.  On  ooiilempis 
avec  ptaisri*  au^essus  d'une  compote  de  pigeons  las  ce- 
lombes  de  Venus  se  becquetant  avec  amenr*  CW  mal- 
tiplier  le  plaisir  de  son  bM»  que  de  lui  donner  nUamoa 
arec  la  réalité. 

Ayons  làta  inoins  dans  le  Aé/oof  de  nos  lalona  de  ^iinl 
réjouir  nos  yeux  pendant  les  entr'actes  qui  séparent  les 
services  ;  qu*nM  capricieuse  Baechante  enlace  la  ceupe 
que  nous  portons  à  nos  lèvres;  que  les  cbevalie»  de  la 
table  ronde ,  sans  visière  et  sans  smune ,  retiaoent  k 
nos  yeux  l'objet  qni  nous  réaliit  ^  et  «eus  exdfnnt  à  bnirk 
Des  tableaux  surtout ,  bien  signiica^  »  bien  d^gnsa  4s 
lien  qui  nous  rasseadble  et  de  la  solennité  qui  neus  es^ 
cope  !  II  n*est  personne  qui  ne  puisse  et  ne  doive  en 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  5st 

«m  «aUff  à  mtDgw;  lo  premier  de»  arts  Mbéraqo:  Mt 
être  associé  partout  k  la  première  des  jouissances  libéra- 
les :  Slasl  des  iaUaaux,  ainai  que  de  la  iMmiié  ohèM,  k 
kiporlée  de  tout  bnumde;  et  le  savetier  gourmand  fbh 
cardeisur  son  mur  J'image  réîonîssajite  de  CargOÊUua  k 
ta)»le;  ou  àag^urmand  de  GorceidL   - 

Le  génie  de  Ium  peinti^e»  ae  laisse  rieft  à  désirer  4mi 
ce  genre  :  les  taUeaux  des  Ghardia^  des  Braimr>  d6s 
Sufders  ont  eu  4es  imitateurs  et  des  copiites;  on  en 
{leot  £oiiTirir  ji  peude  frais  les  eaucs  du  plus  Teste  salott> 
et  àm  Yojag^r  les  v^al^s  du  ùonme ,  sans  les  élcâgner 
de  robjet-deses  aflectionsi;  la  perdrix  »le  lièvre  qu'il  viâot 
de  sarourer  sont  encore  en  nature^ur  la  toile  :  n'e«t- 
m  fm-UMé  de  fMdjper  ces  finiits  «  dô  biimer  Dette  Jiqueiir 
«limfdde  que  Yan-Spendonck  et  Vao-fluysen  ont  entou- 
jde  4e  fleurs  encore  empreintes  de  gouttes  de  rosée? 

'  Silanature  morte  faiîgcie  l^^bser¥ateur  -,  Paul  Botter, 
Svfj^nm*  ete,»  rendront  la  vie  au  beaf-teck  et  à  ralofau 
4iie'¥oiis  tenéa  de  savourer-  Si  feflet  du  Clmmpagillb 
vous  donne  encore  d'autres  désikis ,  TAlktae  et  le  Tr- 
Jieft  (i)  vont  colorer  les  contours  des  grâces  »  4|w  sont 
jemÎBsde  la  îoîe«  et  qui  ne  déparent  ni  un  repas  somp- 
Xoeux,  Al  une  joyeuse  saturnsie^ 

Des  <sitt^hytrioncf  plus  modestes  pourront  se  procurar 
à  moindres  frais  tous  les  mêmes  prodiges  reproduits  par 
Je  gravuve»  Le  taUeau  des  Noces  de  Cana  devrait  se 
âroorer  partout  ob  l'on  dlnôi  ce  qbef^d^œuvre  de  Paul 

(i)  fitD08<oélcibret  MfbtM  modeanM,  tek  ^e  MM.  <]réraré,  Gro0> 
i,Ae9  Vsrîietîet  «Qire^ 


5i4  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Véironèse  est  un  monument  respectable  élevé  à  la  gour- 
mandise. 

Nous  avons  des  décorateurs  habiles  pour  qiû  l'art 
d'orner  un  salon  à  manger  sera  une  découverte  féconde; 
que  l'opulence  les  mette  en  œuvre  »  et  nous  verrons  des 
miracles.  La  sculpture ,  la  peinture  et  l'orfèvrerie  ont 
atteint  une  perfection  extraordinaire;  cette  dernière  sa^ 
tout  doit  toute  sa  gloire  au  luxe  de  la  table. 

Le  superflu  et  l'idéal  ne  doivent  cependant  pas  l'em- 
porter sur  le  nécessaire  et  le  réel.  Que  des  glaces  lim* 
pides,  répétant  quatre  séries  de  tables  et  de  convive, 
soient  le  plus  riche  tableau  de  cette  galerie ,  vaste  mu- 
séum de  gourmandise;  qu'un  'meuble  élégant ,  à  baa- 
teur  d'appui  ;  offre  dans  le  pourtour  une  deisserte  fitcile, 
et  que  partout  la  transparence  du  cristal  fasse  briller  le 
rubis  et  l'émeraude  liquides.  Avec  d'aussi  beaux  acces- 
soires je  n'ai  pas  besoin  de  dicter  ce  qui  reste  à  fiure  , 
et  déjà  le  fumet  des  viandes ,  le  parfum  des  truifi!»  et  la 
fumée  des  mets  m'annoncent  un  dîner  splendide,  et  pu- 
blient la  gloire  de  notre  amphjtrion. 

Toute  magniflcence  convient  sans  contredit  auxsaVons 
à  manger»  beaucoup  plus  qu'aux  salons  dits  de  compa- 
gnie» et  même  aux  chambres  à  coucher»  dans  lesquelles 
on  ne  se  tient  que  quand  on  est  malade  »  ou  qu'on  a  en- 
vie dé  dormir. 

Il  n'y  a  que  deux  choses  essentielles  dans  t*ameuble- 
ment  de  toutes  les  maisons;'  c'est  le  lit  et  là  tabU;  k 
reste  n'est  qu^accessoire  »  plus  ou  moins  :  la  table  eA 
même  d'une  nécessité  plus  absolue  que' le  lit»  en  raîioa 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  5a5 

de  h^  supériorité  de  l'appétit  sur  le  sommeil.  Mais,  sans 
disputer  ici  sur  la  prééminence ,  bornons-nous  à  souhai- 
ter à  notre  lecteur  tout  ce  qui  peut  embellir  son  lit  et  sa 
table. 

.  Quant  à  c^te  pièce  privilégiée ,  ce  temple  brillant  du 
jeu ,  de  l'étiquette  et  de  la  conversation  à  la  .mode ,  où 
Ton  Jbâille.en  cérémonie,  et  où  Ton  ne  s'amuse  que  lors- 
qu'on médit ,  elle  n'a  pu  être  consacrée  que  par  la  so- 
briété jalouse  et  Tennuyeuse  vanité. 

Eh ,  morbleu  I  quand  on  &  bonne  compagnie ,  n'est- 
ce  pas  h  table  qu'on  en  jouit  le  mieux  ?  Placés  face-à- 
face  /remplis  d'un  même  sentiment ,  joints  par  iin  but 
unanime ,  en  communauté  de  plaisirs ,  d'appétit  et  de 
travail ,  si  l'on  s'observe,  c'est  saûs  jalousie  ;  si  l'on 
cause,  c'est  avec  liberté;  si  l'on  digère,  c'est  au  champ 
d'honnean 

Mes  amis ,  recevez  vos  amis  à  table ,  qu'il!»  s'y  placent 
en  arrivant;  ibassisteront  à  Tarrivée  du  premier  service, 
et  cette  entrée  sera  triomphale;  vos  vases,  vos  tableaux, 
vos  meubles  serviront  de  texte  aux  discours  préliminai- 
res» et  aiguiseront  les  appétits:  dans  le  goût  du  mattre 
pour  les  arts  et  la  richesse  ils  verront  la  garantie  des 
talensde  son  cuisinier.  Ne  quittez  cette  ^able  que  pour 
y  revenir,  qu  plutôt  prenez-y  le  thé,  prenezry  le  café, 
restez- y  jusqu'au  soir,  ne  l'abandonnez  qu'en- vous sépa-^  ' 
rant  ;  autrement  ce  serait  vous  séparer  deux  fois  :  où 
pourrait-on  jaser  plus  h  son  aise  ?  où  ponrraîl-on  s'en- 
tendre mieux? 

Aînicz-vons  le  jeu?  jouez  tnr<ji*p(?rtt/a  ;  Cornus  réjouira 


itê         LB  «ASTRONOME  FRANÇAIS. 

T0ê  êsprili  ;  Bftcpbtts  rom  comola«  des  coapf  ée  b  far- 
Inne.  Autrefois  c'était  les  pieds  seus  la  table  qo'oa  écovH 
tait  on  concert  »  qn*on  assistait  à  oo  speétadé  ;  le)  est 
encore  l'usage  des  Turcs  et  des  Chinois,  usage  pratiipié 
dans  tout  l'Orient ,  et  que  noas  adopleroiia  aans  dûote 
quand  notre  dyilisatfpn  sera  perfectionnée. 

GASTmSAUJI. 


itiUMllB   BB  FOLfTBSSa  0O1lHHA]l»B. 


»  f         M* 


<s  ^nmUi)m>^ 


G'bst  un  principe  adopta  depuis  long-tem^  par  les 
vrais  gourmands,  que Uê  nuUê  inwuaions  mteepiûMa 
«0  fonl  à  jour  nonuni,  et  tnfime  parieris,  /wwiwfga 
doMé  t&u$  Uê  eoê  le  billet  fait  Uire-i  et  kn^pt  noua 
atrons ,  les  premiers ,  imprimé  cette  phiMa,  wmam  n'a^ 
fons  &ît  qu'énoncer  une.  vérité  fopdaaKntite  gènèraW* 
ment  ceconnue,  et  même  pratiquée  par  ions  les  fidèles 
sujets  de  l'empire  gourmand.  Cette  oUigatioB  imposée 
aux  amphytrions  de&ire  leurs  invitatmis  par  écfii  Venr 
donne  le  temps  d'y  penser  à  loisir,  p^ur  conséqueal 
d'apporter  dans  le  choix  de  leurs  convives  cette  maUi- 
rite  de  réflexion  toujours  nécessaire  lorsqu'il  s'agit  ée 
rassembler  un  certain  nombre  de  personnes  destinées  h 
manger  ensemble,  et  surtout  de  les  Uen  assoi^r- 


j 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  St?. 

Les  iantetioiis  bim  MMlées ,  Tamph jtrion  prendra 
les  moyens  lee  pkis  tùrt  el  les  plus  prompts  de  les 
laire  perrenir  à  leor  adresse  »  et  de  s'assurer  qu'elles 
4>Dt  été  remises  en  mains  propres  »  eu  observant  qu'il 
frut  qu'eUes  précèdent  de  trois  )ours  au  moins  celui  du, 
v^as  (i)« 

L'inrité  dok  frire  saToir  auaBitdt  sa  réponse  •  et  ne  rien, 
nAf^i^g&c  pour  qu'elle  parnome  à  l'amphytrion  dans  les. 
vingt-quatre  beures  k  compter  du  moment  de  fai  récep- 
tion du  billet.  Il  esit  Bbre  d'accepter  ou  de  refuser  :  dans 
le  premier  cas  »  quelques  expcessions  do  gratitude  doi- 
vent accompagner  son  acceptation  I  dsna  le  second ,  son, 
relus  doit  être  motivé  sur  des  motifr  plausibles  ou  tout; 
au  moins  spécieux ,  et  qui  puissent  adoucir  oe  qu'il  y  a 
toujours  de  plus  ou  moins  dé%obligeai4d|iBS  une  réponse. 


li  l'invité  kisso  écouler  plus  db.  vingl-^inatre  heures 
avant  de  répondre  »  son  silence  est  jwis  pour  acc^tation» 
fit  il  esDcourt  les  peines  qui  dérivent  d'un  manque  de 
|iarole  s'il  ne  se  rend  point  au  jour  et  à  l'heure  indiquée  : 
•ces  peines  »  dans  les  maisons  bien  réglées  »  consistent  en 
Soo  francs  d'amende  »  et  à  la  privation  de  toute  espèce 
d'invitation  gourmande  pendant  trois  ans;  c'est  une. 
espèce  de  mort  civile ,  et  cependant  la  moindre  puni- 
tion que  l'on  puisse  infliger  à  on  homme  dont  le  silence. 

(i)  QaancL  le  dloer  doit  être  orné  d'une  pi^e  notable.,  cotnme  i  par 
exemple  «une  dinde  troffée,  une  carpe  du  Rhin,  etc.,  on  ilndtqne 
par  on  /Mmî-uMpium.  Gela  peut  déterminer  le  choix  d'an  gonrmaod  in- 
décb  qnî  n  'aurait  pas  encore  engagé  sa  parole  ailiears. 


3«8  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

ou  le  ùianquement  de  foi  suffisent  pour  paralyser  un 
repas,  éntratner  un amphytrion  dans  des  dépenses  îdu- 
Viles ,  et  qui  deviennent  une  offense  très-graye  conlre 
ce  même  amphytrion ,  et  contre  toute  sa  société;  c'est, 
dans  les  principes  gourmands,  le  comble  de  Tiinpolitesse. 
Une  maladie  grave ,  l'incarcérationj  ou  la  mort  sont  les 
seules  excuses  recevables  ;  encore  faut-il  que  le  certificat 
du  médecin ,  l'écrou  ou  l'acte  mortuaire  soient  signifiés 
à  Tamphytrion  dans  les  formes  légales  ;  autrement  1  a- 
mende  est  encourue  de  plein  droit ,  et  les  héritiers  de 
Tinvité  (en  cas  de  décès)  en  sont  passibles. 

Mais  les  devoirs  que  l'invitation  impose  ne  pèsent 
pas  seulement  sur  les  invités;  comme  tous  les  devoirs 
gourmands,  ceux-ci  sont  réciproques,  et  ramphytrion 
en  supporte  une  partie  :  de  même  que  le  convive  ne  peut 
se  dégager,  l'amphytrion  ne  peut  le  désinvîter,  sous 
quelque  prétexte  que  ce  soit  ;  affaires  urgentes ,  absence, 
maladie,  décès  même,  rien  ne  peut  le  dispenser  de 
donner  le  repas  pour  lequel  il  a  fait  partir  des  invitations 
qui  ont  été  acceptées  :  cette  obligation  est  d'autant  plus 
étroite ,  que  dans  les  cas  d'impossibilité  réelle ,  tels  que 
ceux  d'absence  forcée  ou  de  décès ,  il  peut  se  faire  rem> 
placer ,  et  charger ,  soit  de  vive  voix ,  soit  par  testament , 
un  ami  de  remplir  pour  lui  les  fonctions  d'amphytrion; 
il  suffit,  dans  ce  cas,  qu'il  pourvoie  à  tous  les  frais. 

Ces  lois  paraîtront  rigoureuses  aux  indifférons ,  aux 
gens  sobres ,  à  ceux  enfin  qui  ne  sont  point  pénétrés  de 
toute  l'importance  qu'on  doit  attachera  un  dîner,  et 
surtout  à  un  dtner  prié.  Mais  les  vrais  adeptes  en  gour- 


4 


LE  GASTRONOME  FftANÇAIS.  329 

mandise  trouveront  que  nous  ne  disons  rien  ic\  de  trop» 
et  c'est  à  eux  seuls  que  cet  article  s'adresse. 

Le  convive  invité ,  vêtu  proprement ,  se  rendra  donc 
à  l'heure  fixée  par  l'invitation  au  domicile  de  l'amphy- 
trion ,  muni  d'un  appétit  proportionné  à  la  réputation 
dont  .jouit  la  table  de  celui-ci»  dans  les  dispositions 
d'estomac  »  de  cœur  et  d'esprit  nécessaires  pour  contri- 
buer à  l'entière  consommation  »  au  charme  et  à  l'agré- 
ment d'un  festin.  G.  D.  L.  R.    ^ 


e  U  mention  be^  î^onvit^e^* 


Le  convive  invité ,  après  avoir  fait  viser  son  billet 
par  le  portier  de  l'amphytrion  (qui  est  tenu  d'être  poli , 
contre  l'ordinaire  de  la  plupart  de  ses  pareils  ) ,  se  rendra 
à  l'heure  indiquée  dans  la  pièce  d'attente,  où  il  sera  reçu, 
soit  par  l'amphytrion  lui-même,  soit  par  quelques-uns 
de  ses  parens  ou  amis ,  qu'il  aura  chargés  de  faire ,  en 
son  absence,  les  honneurs  du  salon.  Nous  disons  en  son 
absence,  parce  qu'un  homme  qui  donne  à  dîner  a  plus 
d'une  affaire,  et  qu'il  est  essentiel  aux  progrès  de  l'art, 
et  même  à  l'avantage  des  convives ,  qu'il  veille  par  lui- 
même  sur  tous  les  apprêts  du  festin 

Tous  les  convives,  réunis  ou  non,  mais  cinq  minutes 
avant  l'heure  rigoureusement  déterminée  (1),  pour  se 

(1}. Nous  disons  rigoureusement  déterminée,  parce  qu'an  diner  étant  la 
chose  qui  en  ce  bas-monde  supporte  moins  le  retard ,  il  est  essentiel  de 
se  mettre  à  table  à  la  minute  indiquée.  L*on  n'attendra  donc  personne , 


35o         LB  GASTlUmOMB  FRANÇAIS. 

mettre  h  lable  »  Famphytrioii  paratlni  4#fMi  le  sâfea  (en 
«upposant  qu'il  ne  s^y  toit  pa6  tendi»  âoponvMU)  ,  «I  » 
«près  avoir  coaipHniMité  les  cxMtrivei  g  soit  coftec^e- 
BMii»  toit  indmduelleimeiit ,  il  leur  Sem  êew^  le  emp 
Savant  (tî  cet  iiMge  est  pratiqué  chez  lui)  ,  qui  e«h 

«Mte,  eomme  Toa  liity  eo  un  Terre  deTermooih 

-  Il  eit  du  derair  de  raupbjfridn,  wrloïKl  lorsque  k» 
conrivet  nie  tout  pas  en  très-frand  iieaDbre ,  de  saisir  es 
moment  poar  tes  fiiîre  connattre  les  nnê  aux  autres,  ett 
les  nommant  individuellement  tout  haut.  En  saisissanl 
avec  adresse  les  rapports  qni  peuvent  exister  entre  eux» 
il  fera  naître  des  points  de  contact  t  qn'en  ne  saurait 
trop  multiplier  entre  convives  pour  l'agrémenl  de  la 
société  (i)«....«.  G.  D.  L.E, 


^c 


anxitt  U  ^Ucit  Us  j^^npws  i  U$ù. 


Si  Part  de  deviner»  de  placer  »  do  stimuler  les  hom- 
mes, de  (aire  éclore  les  saillies  de  L'imagination,  de  répan- 
dre partout  le  bonheur  et  Tabondance,  d'inspirer  Tamour 
de  la  chose,  d'unir  tous  les  cœurs  par  on  seul  sentiment, 
tous  les  esprits  par  une  même  opinion  ;  ai  cet  art»  disons- 

et  même  l'an  fera  bien  de  tenir  là  porte  fermée  ans  forTeDafit ,  pour  oe 
peint  tnmUer  Tordra  de  aerviee,  q«o viea  ne  dèraage  davanti^-^ar 
•cea  interventiona  întempeativea. 

(i)  Cet  article  est  extcait  dv  Mtmuéi  dm  Amphyirimu ,  i  vol.  m^^ 
PHx  pour  Parif ,  S  fr.,  et  franc  de  port  par  la  poste  7  fr.  So  e.  A  IWs  » 
ches  Ferra ,  libraire ,  rue  des  Grands- Angustins ,  n«  aiS. 


LE  GASTHOROMB  FÊANÇAIS,  }$i 

ùmt9y  Ml  la  preoiîèMy'la  plus  épiiBOBle»  k  seule  qua- 
lité de  rhoOHue  ^fétat ,  o&  ne  peut  nier  qu'na  pat Ceih 
amphytrioB  ae  fikt  eapabt&  de  goiireroer  un  roy«irme: 
même  prévoyance,  même  sagacîlér  même  expérieace 
de^  hemmea  et  dea  fatta,  même  dhrersilé  de  ialena,  m£mo 
oéMrité  dans  reifiéeutioD ,  raêoie  aéréniié  dans-  le  mmu^ 
tien ,  même  équité  »  même  adresse  »  même  politique  dane 
la  iKitrilytition  des  pkeès»  dans  la  répartition  dea  grâces»  * 
dans  tente  sa  conduite  enfin.  Que  de  choêe$  I  que  de^ 
qualités  occnlles  ou  bnllantes  ne  faut-il  pa#  k  eAvi  qui 
Teut  fiiire  dignement  les  honneurs  de  sa  maison  »  et  sur* 
tout  de  sa  table  ! 

Le  plus  dilBcHe  n*ést  pa»  de  fiiire  un  bon  dtner ,  d'avoir 
de  bons  tins ,  et  de  découper  ayec  grfice  ;  le  plus  vijd-^ 
gaire  financier  en  sait  là-dessus  presqu'antant  que  M.  6* 
D.  Lé  R. ;  mais  où  est  cdui  qui,  comme  ce  sârant  gas- 
tronome ,  sait  assortir  convenablement  ses  convives ,  les 
maintenir  dans  une  harmonie  toujours  ^ale ,  mettre  cha- 
con  dans  un  jour  favorable ,  veiller  aux  besoins  de  tons, 
deviner  leors  pensées ,  aider  leur  mémoire ,  inspirer  leur 
génie ,  les  renvoyer  enfin  tous  également  contens  de  lui , 
des  antres  et  d*enx*mânMs,  de  manière  à  leur  &ire  ré^ 
péter  ce  compliment  si  naif  et  si  flatteur  pour  tous  : 
Fcu$  au$re$  e$  nota  autrui  nauê  neponêvans  noua  poêser 
Usmmdes  autreê? 

Quel  est ,  nous  ne  disons  pas  le  philosophe ,  le  poliri 
tique ,  l'homme  en  place ,  le  ministre  d'état ,  mais  le  pré- 
aident d'académie  ou  le  profiosseur  de  lycée  qui  osât  se 
flatter  d'atteindre  k  ce  degré  de  perfection  et  de  sublimité  ? 


33t  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

C'est  donc  une  science  importante  et  rare  que  celle 
d'un  amphyirion.  Elle  a  souvent  servi  de  pierre  de 
touche  au  mérite  des  favoris  de  la  fortune  ;  et  tel  se  dis- 
tingua dans  la  diplomatie,  dans  les  conseils  des  rois  »  et 
même  dans  lé  temple  des  Muses  »  qui  dut.  toute  sa  répu- 
tation, tous  ^es  prôneurs,  tous  ses  «uccès.  aux  dîners 
qu'il  sut  donner.  Mais  la  grammaire  de  cette  science  ne 
s'apprend  point;  elle  suppose  un  tact,  une  expérience  et 
une  profondeur  de  jugement»  en  quelque  façon  innés 
et  naturels;  aussi  voiton  pende  banquets  bien  ordonnés^ 
de  convives  bien  assortis  et  de  dtner^  bien  amusans. 

Ici  f  la  grave  étiquette  règle  la  préséance ,  assigne  ies 
rangs ,  compte  les  bouchées  »  arrange  symétriquement 
les  convives  autour  des  plats,  et  sert  chacun  avec 
mesure.  Dieu  vous  garde,  mes  amis,  de  ces  dîners  cé- 
rémonieux ,  révérencieux,  silencieux,  et  surtout  en- 
nuyeux! 

Là ,  la  liberté  dégénère  en  désordre  et  la  gaieté  en  or- 
gie; ce  ne.  sont  plus  des  amis  qui  vivent  en  commun  sous 
l'influence  de  Bacchus  ;  c'est  E  voh^ ,  armé  de  son  thyrse , 
qui  punit  des  têtes  folles  en  les  faisant  piroueUer.  Bteu 
nous  sauve  des  repas  bruyans  qui  finissent  comme' ceux 
des  Lapites ,  ou  comme  les  noces  de  Pelée  ! 

Ailleurs,  le  bel  esprit  s'empare  du  repas ,  depuis  le 
potage  jusqu'au  dessert;  on  disserte,  on  argumente; 
le  désir  de  briller  s'exhale  aux  dépens  de  l'appétit ,  et 
les  quatre  services  refroidis  glacent  la  salle  à  manger, 
comme  ferait  le  verre  d'eau  dans  un  Athénée. 

Des  convives  mal  placés  à  table  perdent  leur  valeur , 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  333 

comme  des  zéros  qui»  rangés  côte  à  côte,  ne  seraient 
pas  précédés  d'un  chiffre. 

Nous  -nous  prononçons  formellement  contre  l'éti- 
({uette;  elle  n'est  bonne  que  dans  les  dîners  de  corps 
ou  dans  les  repas  de  fisimille.  Là  le  seigneur»  le  doyen,  et 
le  bailli  du  lieu ,  honneur  des. noces  du  village;  ici  les 
grands  parens  placés  par  étage ,  les  petits  neveux  et  Jes 
grands  cousins  mis  à  leur  rang  »  ornemens  .du  repas 
annuel  de  la  Saint-Martin  ou  de  toute  autre  fête  patro- 
nale, forment  un.  spectacle  grotesque  et  toujours,  nou- 
veau. Qu'un 'personnage  élevé  en  dignité,  et. surtout 
remarquable  par  ses  cheveux  blancs ,  vienne  prendre 
place  à  notre  table  (i) ,  la  seule  distinction  extraordi- 
naire qu'il  obtiendra,  sera  la  place  du  centre  ou  du  hapt 
bout,  et  le  necplus  tUtrà  des  honneurs  ^triomphaux, 
un  rouge  bord  à  sa  santé. 

Nous  pensons  donc  qu'en  général  l'égalité  doit  régner 
dans  les  festins,  et  le  hasard  ou  le  caprice  distribuer 
les  places;  il  convient  même  que  des  amis,  n'en  aient  au- 
cune de  prédilection,  que  toutes  soient  à  tous,  et  nulle  à 
chacun  en  particulier;- qu'ils  changent  à  chaque  repas  « 
et  promènent  du  nord  au  nûdi  leur  appétit,  leur  joie  et 
leur  affection  :  c'est  par  cette  méthode  que  les  dîners  se 
maintiennent  en  gaieté ,  en  santé  et  en  gloire. 
'  Il  faut  cependant  qu'une  volonté  secrète,  insensible 
et  pourtant  active  et  vigilante,  préside ,  comme  une  pro- 
Tidenee ,  à  ces  mouvemens ,  en  apparence  capricieux. 
Jamais  un  poëte  ne  doit  être  assis  auprès  d'un  poè'te , 

*    (i)' hmitnêrê  du  Caveau  modemê^^  wi  rocher  de  Gancale. 


5S4          l'B  CACTBONOIB  FitANÇAIS. 

wm  diimitle  à  oité  d*iui  Buédocin  »  une  dttaniidle  daB* 
le  ToisHitfge  àe  son  prétend». 

n&otyiionpM  de k  rigueur,  sait  «neeerteè^etl»- 
tilHé ,  pour  treuipcr  en  ceci  k  penckifift  ^  eulntee 
chaque coBfiiPew  Si  fous  lai  réiialiBS»  ti  en  pourra  ^wU 
quefeis  léwdhef  un  noutnimcat  d'humeur  et  un  pttîl 
•ecè»  de  bouderief  mm  vuM-eu  terres  ■mm/Jiitnniul 
les  heureux  elleU ,  par  b  heaoin  ^uV»  a«tu  de  ae  fine 
entendre  de  plua  iein  et  de  ae  cawwinniqwry  de  aa  tau- 
dier  du  gealeet  delà  v^k^  Si  an  eoatraire  tu«t  nfaiages 
les  pelilM  ppMhmieea>  malédieiiou  aur  Toiie  soupe! 
Dès  le  premier  serriea  on  a*iselera  ;  resaemUa  aa»  éh- 
Irait;  il  n'y  aura  ph»  de  oenvetsatiou  »  maîa  de  peliU  é 
farte  mjtXtffwaau  U  n'en  faut  pas  danmtafe  peur  étiaa- 
gler  la  gatté^  qui  demande  k  s'eKhaka*  en  cenomon,  «t 
qui  s'éteint  par  la  concentratioik 

Quiconque  fu  dtner  en  compagnie  est  ehiigé,  «nr  sa 
conscience  9  de  poirier  à  tahle  un  hou  iinà^  d'hâte,  ua 
esprit  de  seeiaUlité  et  son  éoat  de  heana  humeur.  Ces 
choses  ne  sont  pas  moins  esinuiîrjini  à  Pàppétir  et  h  la 
digestion  que  la  ad  et  b  aaoaAarde  à  fmssiaftimouiratf 
de  certains  mets.  Or,  deaaémfcqaelesèleiWaMMlarde 
appartiennent  h  chaque  convive  9  et  veulent  d'an  hout  de 
la  table  à  l'autre  cemnaa  une  pnopfcUfeé  publique  •  ei  aa 
mgrédieu  commun  h  tous  les  mets;  de  même  l'esprit, 
niumeur  et  la  parole  n'appartiennent  à  penoime  en  p«^ 
ticulier  pendant  la  diurée  du  repas  ;  cW  une  prafii<té 
commune»  oh  chacun  doit  mettre  du  sten. 

Ëcoutea  ce  dacteur  »  discutant  grovemeoi  avec  soa 


LB  GAtSTRONOMB  FRANÇAIS.  $35 

«:aafrèro.tttr.Ia  dernière  expériooœ  physique  dool  Ylmê- 
tRuC  a  fiit  me  hooorabla  meniioa  dans  ses  arclitres  ;  1m 
Toilà  abaorbét  dasa  la  malière;  ila^aiMljaenl,  décom- 
ipoaeni»  aulUioit  de  manger;  le  Puîta-Ceptain  nfrQÎiUt 
sur  ieiMT  aisiçlte  »  el  k  vin  s^Achaufib  dans  leur  verre, 
.  CroiUin  <pâ^  oaa  danx  enfiuM  d*ApoUott  »  qui  rient  der 
iewr  dii^ation ,  aoîent  ploa  présens  qu'eux  au  li/mquet  ? 
ils  te  lenl  4é)è  ceoununiqaéa  deux  plana  de  0ODiédîe« 
ridée  d'un  poème  didactique ,  huit  rimes  indociles  «  .et 
dû  vers  harmonieux!  Us  cêrenl,  composent  «  a'jntpr- 
régent 'Ct  se  vépeMbnten  rèrant  INaules  garde,  de  S9 
fiM^teri  Les  amitiés  poéliiqaes  «ont orageuses  (i). 


(i)  ImîtoDS  Santeoil,  qui,  ayant  réuni  quelques  savans  à  dîner  cfaea 
lai  9  et  Toulaot  Jouir  de  la  coBTentliob^iiér^r  ^ienr  dit  »  «  Ja  ae  par" 
m  Serai  poîot  défait: 

m  ¥iKif ,  mmufeur  i'oGficîer^  ne  parles  jptiot  de  voi  combats  ,  de  cette 
rencontre  où  yous  vous  êtes  distingué. 

»  Tous,  monsieur  le  inarqols,  voué  ne  parlemzpoltft  deTos  inattres* 
•et  9  fldcle  vos  conquêtes  parmi  les  belles*     >   i- .     . 

•  YioQs^Bioqsieiir»  (|uf  vo«f  M^.loajaum  #ialhéiire«z«a  {eu,  et  que 
vovfe  oe  ^9goML  jamais  rco* 

>  Pour  vous,  monsiear  le  gentilhomme ,  Je  tous  défends  de  parler  de 
vds  ancâres ,  de  Tdtré  noblesse. 

»  JMoasîeur  Uaveént  y  Toasoe  parleres  point  des  procès  que  vous  ares 

»  Monsieur  ie  médecin ,  tous  ne  parlerez  point  de  ceux  que  tous  avez 
tuée ,  mais  dé  ceux  que  tous  avez  guéris  comme  par  miracle.  •         •  - 

Parce  moyen,  Santeuil  empècba  toutes  les  conversations  particu- 
lières ,  et  l'entretien  devint  général. 

C'est  donc  de  la  manière  d'avoisiner  les  convives  à  Ubie,  que  dépend 
la  galté  d'un  repas. 


356  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

On  est  touché  ée  la  liaison  exemplaire,  admirable, 
imperturbable  de  deux  amans  asab  presque  sur  la  même 
chaise  »  tant  ils  se  portent  avec  ardeur  sur  la  partie  qui 
les  rapproche  Tun  de  l'autre  ^  ils  ne  Toient ,  Os  a'enle»- 
dent  rien;  à  peine  font-ils  seniblant  de  manger;  le pieA, 
te  genou  »  la  main  »  l'œil  sont  toujours  au  guet  ;  attentifs, 
vigilans,  alertes»  entreprenans,  vous  croirlex  qu'ik  ne 
songent  h  rien,  tant  ils  roulent  de  pensées  dans  leurs 
cerveaux. 

Us  ne  pensent  en  effet  à  aucun  de  leurs  coa vires  :  une 
dame  un  peu  surannée»  à  qui  cela  doone  de  doux  soii- 
venirs ,  se  récrie  sur  leur  bonheur ,  et  les  trouve  toos 
deux  charmans. 

Us  sont  charmans;  cela  peut  être;  mais  il  fiaut  avouer 
qu'ils  sont  encore  plus  ennuyeux. 

Que  font  à  table  tous  ces  convives  préoccupés?  C'est 
daua  leur  cabinet ,  un  Boileau  dans  les  mains ,  qu'il  faut 
laisser  nos  jeunes  poètes  ;  c'est  sous  l'ombrage  et  sur  le 
gazon  verd,  au  bord  d'un  clair  ruisseau ,  qu'il  faut  placer 
les  amoureux;  c'est  à  l'Athénée  ou  au  Lycée,  un  alambic 
ou  un  verre  d'eau  à  la  main ,  que  nos  savans  pourront 
disserter  à  l'aise.  A  table  il  £siut  manger ,  boire  et  rire. 

Gastbbhahh. 

Ecoutons  à  ce  sujet  notre  célèbre  professeur  M.  G.  D, 
L.  R.  : 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  33; 

«  Afin  qu'il  n'y  ait  ni  dispute  ni  incertitude  sur  le  rang 
«•que  chaque  conme  doit  occuper  à  table.»  il  est  bon  de 
vie  déterminer  d'avance;  et  l'on  y  parviendra  sans  peine 
»en  adoptant  la  .méthode  de  placer  le  nom  de  chacun 
»sur  le  couvert  qu'il  doit  occuper.  Cet  arrangement 
»  pourvoit  à  tout ,  lève  toutes  les  diiBcultés  et  prévient 
a  le  refroidissement  du  dîner ,  trois  grands  motifs  pour 
»  que  les  gourmands  lui  aient  depuis  long-temps  donné 
«sur  tout  autre  la  préférence.  » 

Cet  usage  d'assigner  par  des  cartes  la  place  que  cha- 
que convive  doit  occuper^  est  surtout  d'une  extrême  ri- 
gueur dans  une  table  composée  de  vingt-cinq  à  trente 
couverts  où  la  conversation  ne  peut  être  générale ,  sur- 
tout lorsque  les  convives  sont  étrangers  entre  eux.  C'est  à 
l'amphytrion  à  les  bien  assortir  en  les  faisant  asseoir;  car 
on  sent  que  s'il  plaçait ,  par  exemple^  un  curé  entre  un 
poète  et  un  comédien,  un  financier  auprès  d'un  savant; 
une  vieille  coquette  à  côté  d'un  jeune  étourdi ,  un  chan- 
teur à  roulades  auprès  d'un  grave  magistrat,  il  en  résul- 
terait que  le  curé  ne  pouvant  parler  de  son  dernier  prône, 
le  poète  de  sa  pièce  tombée ,  le  comédien  des  querelles 
avec  son  directeur,  le  financier  de  ses  trois  pour  cent,  etc. , 
la  conversation  serait  à  peu  près  nulle,  que  Ton  n'enten- 
drait pendant  tout  le  repas  que  des  mois  entre-coupés , 
et  que  le  bruit  des  assiettes  et  des  couverts  serait  à  peu 
près  le  seul  entretien  de  ce  dîner  mal  assorti.  ^ 

Ce  mode  ne  peut  guère  être  employé  dans  des  réu- 
nions périodiques ,  où  il  est  difficile  que  l'on  ne  vienne 
pas  pour  s'entretenir  d'affaires  particulières.  Cependant 

22 


338  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

au  Caveau  le  président  assignai!  la  place  que  chaquecon- 
rire  devail  occuper ,  et  maintenait  Tordre*  Noua  ne  par- 
Ions  ici  que  du  vénérable  Lau)on ,  car  le  bon  Désao^ers 
n'était  qu^un  préndent  pour  rire\  comiae  il  le  itisait  lui- 
mênie. 


UN    VOT   sua   LBS   iiiraTTEIOIfS^ 

Nors  laissons  aux  Membres  de  la  troisième  classe  de 
rinstitut  le  soin  de  décider  si  c'est  seulement  depuis 
que  Molière  a  dit  que 

Le  Téritable  amphytrion 

Est  Tamphytrion  où  Ton  dine, 

que  le  nom  de  Féponx  d'AIcmène  est  devenu  celiu  de 
tout  homme  qui  donne  bien  à  dîner  ^  ou  si  cette  épitbète 
leur  appartenait  auparavant;  et»  noua  reolemant  dans 
notre  objet»  nous  nous  contenterons  d'établir  ei  de  discu- 
ter en  peu  de  mots  les  qualités  qui  constitueni  un  véri- 
table amphytrion. 

D'abord  il  ne  suffit  pas  de  donner  à  dllier  pour  mèri> 
ter  ce  titre;  sans  cela  il  appartiendrait  de  droit  à  tous 
ceux  qui  ont  un  cuisinier  »  et  qui  n'aiment  pointa  man- 
ger seuls.  Nous  pensums  au  contraire  que  de  même  qu'il 
ne  suffit  pas  d'être  un  bon  convive  pour  mériter  le  noaa 
de  gourmand  »   de  même  il  faut  autre  diose  que  de  la 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  SSg 

fortune  et  ane  table  ouTerte  poar  obtenir  celui  d*am 
phytrioD. 

Uomphytrion  n'est  donc  pas  seulement  le  maître  de 
maison  qui  a  une  bonne  table ,  mais  celui  qui  sait  bien 
en  fiiîre  les  honneurs ,  et  c'est  là  que  gît  la  grande  dif 
ficulté. 

Tel  donne  à  pleines  mains  qui  n'oblige  personne  : 
La  façon  de  donner  vaut  mieux  que  ce  qu'on  donne , 

a  dit  Corneille,  et  rien  n'est  plus  yrai  que  cet  adage  ; 
nous  en  faisons  chaque  jour  la  triste  épreu?e«  Ainsi , 
l'homme  nouvellement  enrichi ,  que  la  yanité  seule  en- 
gage à  tenir  une  table  splendide  »  qui  y  rassemble  sans 
choix  et  sans  réflexion  une  foule  de  convives  étrangers 
Tun  à  l'autre ,  qui  ne  sait  ni  découper  ni  servir»  qui  n'a 
ni  le  soin  d'offrir  ni  l'attentioiT  de  presser ,  qui  ne  s'oc- 
cupe de  personne  »  ou  dont  les  politesses  gauches  n'ont 
pour  objet  que  les  convives  les  plus  riches  ou  les  plus 
en  crédit;  qui,  loin  de  chercher  à  prolonger  le  festin, 
n'y  montre  que  de  l'impatience  ou  de  l'ennui  ;  qui  laisse 
enlever  les  services  sans  les  avoir  tous  fait  couler  à  fond 
par  chacun  des  convivea  ;  dont  la  conversation  insipide 
ou  glacée  atteste  un  esprit  sec  et  une  ignorance  pro- 
fonde; qui  ne  connaît  point  l'art  de  tourner  l'amour- 
propre  des  assistans  au  profit  de  leur  appétit ,  qui  verse 
lea  vins  d'entremets  et  de  dessert  comme  un  enfant  de 
chœur  qui  sert  la  messe,  c'est4[-dire  à  regret;  dont  l'é- 
pouse »  stylée  par  lui ,  n'est  ni  pressante ,  ni  aCcorte ,  ni 
affable,  ni  vive,  ni  enjouée,  ni  gourmande,  etc.,  etc.  ; 


54o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

un  tel  homme ,  disons-nous ,  pourra  bien  être  un  mil- 
lionnaire »  un  riche  fastueux ,  si  Ton  veut ,  même  an 
prodigue  architriclin,  mais  iijie  méritera  jamau  le 
beau  nom  d'amphytrton... 

Quel  grand  raisonnement  faut-il  pour  manger  un, 
morceau?  va  s'écrier,  en  nous  interrompant,  quelque 
nouveau  Pourceaugnac.  Blasphème  horrible  et  bien 
digne  du  personnage  stupide  et  ridicule  dans  la  boucbe 
duquel  la  mis  Molière  !  Gomme  si  le  soin  de  manger 
n'était  pa^  la  plus  importante  affaire  de  «ce  ba»-monde  ; 
celle  pour  laquelle  on  s'occupe  de  toutes  les  autres; 
l'acte  le  plus  essentiel  comme  le  plus  indispensable  de 
la  vie  humaine ,  celui  sans  lequel  tous  les  autres  ne  se- 
raient rien ,  et  qui  doit  fixer  toute  notre  attention , 
comme  il  est  le  but  de  tous  nos  travaux. 

Mais  si  manger  est  une  importante  affaire ,  donner  à 
,  manger  en  est  une  bien  plus  importante  encore ,  et  ïe$ 
cxcellens  amphytrions  sont  presque  aussi  rares  que  les 
vrais  gourmands.  Cet  état ,  comme  tous  les  autres,  de- 
mande un  long  apprentissage  et  des  dispositions  natu- 
relles ,  qui  sont  le  partage  d'un  bien  petit  nombre ,  une 
éducation  bien  soignée ,  de  l'ordre ,  un  grand  usage  du 
monde,  de  la  mémoire,  de  l'esprit,  du  sang  froid,  de 
la  vraie  politesse ,  et  une  foule  d'autres  qualités  qui  ne 
s'acquièrent  que  bien  difficilement  si  l'on  n'est  pas  né 
dans  les  hautes  classes ,  ou  tout  au  moins  dans  les  classes 
opulentes  do  la  société;  d'où  il  est  facile  de  conclure 
qu'une  fortune  héréditaire  est  presque  indispensable 
pour  former  un  bon  amphytrion ,  et  que  ce  n'est  ni  dans 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  341. 

les  antichambres»  ni  même  dans  les  bureaux  qu'on  peut 
faire  cet  apprentissage. 

Ainsi,  pour  être  un  excellent  amphytrion  ii  faut  non- 
seulement  avoir  une  table  recherchée,  une  cave  supé- 
rieurement  fournie ,  une  maison  agréable  sous  tous  les 
rapports ,  mais  savoir  en  faire  parfaitement  bien  les  hon- 
neurs. Il  faut  non -seulement  connaître  Fart  de  réunir 
des  personnes  aimables  et  gourmandes ,  mais ,  ce  qui 
est  plus  difficile  encore,  pratiquer  celui  de  les  bien  as- 
sortir; car  c'est  principalement  de  là  que  dérive  l'agré- 
ment d'un  festin ,  où  l'on  finit  toujours  par  jeûner  lors- 
qu'on s'ennuie  (i).  Il  faut  que  non-seulement  chaque 
partie  du  repas  se  ressente  de  son  opulence  et  de  se» 
soins  vigilans ,  mais  qu'il  apporte  toute  son  adresse  à  dis- 
simuler  l'une  et  les  autres,  et  à  persuader  aux  convives 
qu'ils  sont  en  quelque  sorte  chez  eux ,  et  qu'ils  mangent 
leur  propre  bien.  Aucun  n'abusera  de  cette  conviciioa 
s'il  est  honnête  ,  et  l'on  sait  qu'un  bon  amphytrion  n'en 
admet  jamais  d'autres  h  sa  table.  Il  faut  qu'il  immole  en 
quelque  sorte  son  appétit  au  désir  de  contenter  celui  de 
tout  le  monde;  qu'il  ne  mange  d'un  plat  que  lorsque 
chacun  en  est  servi ,  ou  en  a  refusé  sincèrement  (2).  Il 
faut  que  son  attention  continuellle  se  porte  sur  l'assiette 

(1)  Nous  aTons  iadiqaé  plus  haut  une  méthode  très-simple  pour  placer 
les  coumes  4  table  de  maolère  à  ce  qu'ils  soient  toujours  bien  assortis. 

(a)  Sincèrement.  Nous  insistouf  sur  ce  mot,  parce  que  beaucoup  de 
conTÎTes  timides  refusent  toujours  une  pitîmière  offre,'  et  risquent  de 
mourir  de  faim  chez  la  plupart  des  amphytrions  ;  nous  y  avons  nous- 
mêmes  souTent  été  pris.  On  doit  donc  offiir  au  moins  trois  fois  de 
chaque  plat,  et  insister  k  chacune. 


S4«  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

des  convives  ;  que ,  toujours  tardif  à  donneir  Tordre  d  en . 
lever  les  plats ,  les  mâchoires  lentes  soient  sa  bouf sole , 
et  non  les  appétits  voraoes  sa  gouverne.  Il  laul  <|aîl 
sache  parfoitement  bien  découper,  diviser  »  disséquer  e\ 
servir  toute  espèce  de  grosses  pièces ,  de  venaison  »  de 
volaille,  de  gibier  et  de  petits  pieds  ;  et  si  cette  étude, 
indispensable  à  un  véritable  amphytrion ,  D*a  pas  bit 
partie  de  son  éducation ,  il  doit  avoir  chez  lui  un  éca jer 
tranchant  en  titre  d'office  »  dont  l'unique  fonctioo  sers 
de  couper  tout  ce  qui  ne  peut  se  servir  à  la  cuiUère ,  ce 
qui  ajoutera  un  nouveau  prix  aux  mets ,  et  délivrera 
les  convives  d'une  corvée  qui  tourne  toujours  au  défri- 
ment de  leur  appétit  et  de  leur  sensualité  (i).  Il  &ttt  que 
lui-même  serve  le  meilleur  des  vins  d'entrranets  et  de 
dessert;  qu'il  n'oublie  personne  dans  sa  ronde;  et  qu'il 

(i)  Bq  Stûite,  eo  Âllemagoe,  où  Ton  oonnatt  mioax  qa*ici  l'art  de 
bleu  Tivre ,  quoique  Too  n*j  faase  pat  à  beaucoup  près  anal  boone 
obéra  9  U  y  a  dans  cbaque  maiion  «o  éonyer  traacbaot  qui  nmpUt  Jej 
fdnoUooa  que  doo«  indlquoDi  Ici  ;  pais  dea  valett  cbaivé*  d'awieUrg 
garnies  font  le  tour  de  la  table  »  s'arrêtent  à  cbaque  coaiire  qui  se  sert 
lui-même  et  à  sa  guise ,  ce  qui  met  on  ne  peut  pas  pbs  à  leur  aise  les 
appétits  timides  t  aussi  l'on  mange  Ift  plus  en  on  repas  qa*en  quatre  à 
Paris.  0  foiiunatoê  mmiÊÊm  \ 

L'usage  de  cbaiger  quelques-uns  des  convives  peo  eseccèaca  cette 
partie,  de  dépecer  les  grosses  pièces,  est  un  grand  abus  :  comme  c'est 
une  corvée ,  et  qu'elle  est  d'autant  plus  grande ,  qu'une  politesse  mal 
entendue  oblige  le  dépeceur  à  ne  garder  pour  lui  que  le  mauvais  umst- 
ceau ,  chacun  cherche  &  Téviter.  Elle  tombe  donc  ordinairement  asr 
les  plus  maladroits ,  et  le  rôti  comme  les  appétits  s'en  ressentent. 

La  dissection  des  viandes  faisait  autrefois  partie  intégrante  de  la  bonne 
éducation.  II  y  avait  dans  rancien  régime  des  maîtres  à  découper 
comme  des  maître»  de  danse  et  d'escrime. 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  545 

n^épargne  rien  pour  fiiire  vider  les  bouteilles.  11  faut 
4|u*U  «uTTeille  le  coup  du  tniUeu  (  i  )  de  manière  à  ce  qu'on 
rapporte  toujours  en  temps  utile.  Il  faut  que ,  non  con» 
tent  de  provoquer  sans  cesse  l'appétit  et  de  le  satisfiiire, 
il  soutienne  la  conversation  »  la  dirige  sur  des  matières 
agréables  et  joyeuses  »  la  détourne  de  ceUev  qui  pour- 
raient avoir  quelque  danger»  et  n'omette  rien  pour  fiiire 
valoir  l'esprit  de  tout  lé  monde,  même  aux  dépens  dn* 
sien.  Enfin  il  doit  diviser  ses  prévenances ,  ses  offres,  ses 
attentions  et  ses  soins  toujours  renaissans  avec  une  telle 


(i)  Un  petit  ?erre  de  tId  de  Madère  ou  d'absynthe  ,  que  l'on  avaJe 
entre  les  deux  serrioea  pour  précipiter  la  digestion.  M.  Armand-Gouffé 
a  fait  une  fort  jolie  chanaon  aur  ce  e9up  eu  miUeu  et  lur  beaucoup 
d'antres. 

Voici  cette  chanson ,  que  l'on  chante  sur  l'air  dé  la  pipp  dé  tabac  : 

Nos  bons  alenz  aimaient  à  boire  : 
Que  pouTons-nons  faire  de  mieux  r 
Versez ,  Terses  «  je  me  fais  globe 
De  ressembler  k  mes  aïeux.        (  bit  ). 
Entre  le  Chablis  que  j'honore , 
Et  l'Ai  dont  je  fais  mon  dieu , 
SaYex-TOUs  ce  que  f  aime  encore  ? 
G*est  le  petit  toup  du  mitieu.        (  kit  ), 

Je  bois  quand  je  me  mets  à  table. 
Et  le  Tin  m'ouTref  appétit; 
Bientôt  ce  nectar  délectable 
Au  dessert  m'ouvrira  l'esprit. 
Si  tu  veux  combler  mon  irrasse , 
Viens ,  Amour ,  viens ,  espiègle  dieu , 
Pour  trinquer  avec  ma  maUresse 
H'apprétec  U  coup  du  milieu. 


544         LE   GASTRONOME  HIANÇAIS. 

adresse  ,  qu'en  sortant  de  tabib  chaque  conviye  pusse 
croire  qu'on  ne  s'y  est  occupé  que  de  lut.  C'est  ce  qui 
arrivait  lorsqu'on  dtnait  chez  le  célèbre  Beaumarckûi, 
dont  la  femme ,  souverainement  aimahlç ,  pratiqu&k , 
comme  on  ne  l'a  jamais  fait,  l'art  de  faire  parfaitement,        \ 
sans  aucun  effort,  et  avec  des  grâces  indéfinissables,  les 
honneurs  d'un  excellent  dtner.  Nous  ignorons  si  elle 
existe  encore  ;  mais  dans  tous  le»  cas  nous  consacrons 

Ce  joli  coup ,  chers  camaradet , 

A  prit  oautance  dans  les  cieaz  ;  1 

Les  dieux  buraieot  force  rasades; 

Buvaien  :  enfia  comme  des  dieux.. 

Les  déesses  «  femmes  discrètes , 

Ne  preDaical  point  goût  à  ce  jeu  : 

Vénus ,  pour  les  mettre  eu  goguettes  » 

Froppsa  te  coup,  du  miiUa. 

Aussitôt  cet  aimable  usage 
Par  l'Amour  nous  fut  apporté  ;. 
Chez  nous  son  premier  avantage"- 
Fut  d'appriToiser  la  beauté  : 
XjC  sexe ,  à  Bacchus  moins  rebelle  ,• 
Lui  rend  hommage  en  temps  et  lieu ,«. 
Bt  l'on  ne  Toit  pas  une  beUe 
Befuser  U  coup  du  milieu. 

BuTons  à  la  paix ,  à  la  gloire  ; 
Ce  plaisir  nous  est  bien  permis  ; 
Doublons  les  rasades  pour  boiw 
A  la  santé  de  nos  amis. 
De  Momus,  disciples  fidèles  > 
Buvons  à  Panard ,  à  Ghaulieu  ; 
Mab  pour  la  santé  de  nos  belle» 
Béservons  U  coup  du  mUicu. 


j 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  54S 

ici  ce  faible  hommage  sok  à  sa  personne,  soit  à  sa  mé- 
moire (i). 

Cette  matière  demanderait  des  volumes  si  Ton  voulait 
la  discuter  et  Tapprofondir  aujourd'hui  surtout  où  nous 
la  croyons  plus  nécessaire  que  jamais  ;  c^^est  pourquoi 
nous  avons  cru  devoir  jeter  en  avant  ces  réflexions  ra- 
pides sur  ce  sujet  dans  l'espoir  qu'elles  pourront  être 
utiles ,  et  germer  dans  quelques  terrains  de  la  nouvelle 
France.  G.  D.  L.  R. 


,ttef(jtt<-$  ^^ifdxions 


QVl  PEUVENT  BTBB  UTILES  AUX  GOURMANDS  ET  MEME 

AUX  PERSONNES  SOBRES. 

Nous  avons  remarqué  avec  douleur  que  deux  grands 
vices  d'organisation  s'étaient  glissés  à  la  table  des  am- 
phjtrions  modernes ,  et  nous  croyons  qu'il  est  d'autant 
plus  de  notre  devoir  de  les  en  avertir ,  que  de  tels  abus 
finiraient  par  écarter  de  chez  eux  les  véritables  gour- 
mands. Le  premier  consiste  dans  la  durée  des  repas , 
le  second  dans  la  manière  d'en  faire. les  honneurs. 

(i)  Nons  prenons  à  témoiat  de  cette  assertion  tons  ceoi  qui  ont  diné 
autrefois  chez  M.  de  Beaumarchais  :  ils  se  souviendront  sans  peine  que 
madame  de  Beaumarchais  avait  une  telle  manière  de  servir  et  de  faire 
les  honneurs  de  sa  table ,  que ,  fût-on  vingt  convives,  aucun  n'échap- 
pait k  sa  vigilante  politesse ,  et  que  chacun  pouvait  croire  qoll  avait  été 
Tobjet  de  son  attention  exclusive.  C'est  le  née  plus  utlrâ  de  l'art  ;  et  une 
femme  seule  est  capable  de  le  pousser  jusque  là.  Malheureusement  Ibrt 
peu  s'occupent  aujourd'hui  de  cette  sorte  de  gloire  ! 


346  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

SVB   LA   DV&iB   Dm   BBPA.». 

Il  est  de  principe ,  en  hygiène  comme  en  médecine , 
que  la  première  digestion  se  fait  sous  la  dent;  dL\A 
vulgaire  que  soit  cet  adage ,  il  n*en  est  pas  moins  d'une 
estacte  vérité,  G*est  d'une  parfaite  trituration  que  résulte 
rentière  coction  des  alimens  dans  l'estomac  »  et  ptr 
suite  la  bonne  élaboration  du  chyle,  et  de  leurs  autres 
transmutations.  C'est  ce  que  le  savant  docteur  eo  mé- 
decine p  que  nous  avons  l'avantage  d'avoir  pour  colla- 
borateur (1)9  expliquerait  sans  doute  beaucoup  mieux 
que  nous  ;  mais  c'est  une  vérité  bien  généralement  re- 
connue (s).  Or,  comment  supposer  qu'à   un  diner  à 
trois  services  »  qui  »  dans  beaucoup  de  maisons ,  ne  dure , 
hélas  !  qu'une  heure ,  tout  au  plus  uœ  heure  et  demie , 
il  soit  possible  de  bien  broyer»  et  par  conséquent  de  bien 
digérer  tous  les  mets  qui  se  succèdent  sur  nos  assiettes  ? 

Tel  abondant  que  soit  le  dtiier ,  un  vrai  goannand 
fait  ordinairement  le  tour  de  la  table  aux  deux  premjers 
services ,  c'est-à-dire  qu'il  mange ,  au  moins  mie  fois  » 
de  chacun  des  plats.  Cette  dégustation  complète  est 
même  chez  lui  une  sorte  de  devoir.  Il  importe  am  pro- 
grès de  l'art,  à  l'instruction  de  Tartiste,  à  la  gloire 
même  dç  l'amphytrion ,  qu'il  puisse  porter  sur  ebacen 
des  mets  un  jugement  certain;  et 9  comipe  il  est  néces- 
saire de  tenir  le»  choses  pour  en  raisonner ,  il  faut  donc 
que  touteii  Iç^  entrées  •  tpu$  l^s  relevés ,  tous  les  rôtis , 

(1)  Marie  Ue  S«iat-Uç»iQ. 

(3)  Voyez  dam  ce  Tola^nc  racUcle  ialit^lé  Hygi^ôàkla  tabU. 


LE  GAStJlONOME  FRANÇAIS.         547 

el  tous  les  enCr^mets ,  sans  parler  du  dessert ,  passent 
successivement,  sur  son  assiette  et  dans  son  palais.  Eh  I 
le  moyen  d*y  suffire  en  aussi  peu  de  temps  I  II  est  tel 
plat  dont  la  dégustation  dure  plus  d'un  quart  d'heure; 
et  l'on  veut  qu'il  en  juge  trente  en  soixante  ou  quatre* 
vingts  minutes  !  Cela  n'est  ni  sensé ,  ni  même  humain. 
Si  notre  gourmand  veut  remplir  ses  devoirs  dans  toute 
leur  étendue ,  il  s'expose  à  s'étrangler ,  à  s^étoufTer ,  et 
h  ne  retirer  pour  tout  fruit  de  son  dévouement  qu'une 
mort  certaine ,  ou  tout  au  moins  qu'une  indigestion  vui> 
gaire;  et  s'il  a  borné  son  inspection  à  un  petit  nombre 
de  plats  »  il  a  manqué  aux  obligations  que  sa  qualité  de 
gourmand  lui  impose. 

Il  est  donc  très- essentiel  (  puisque  les  amphytrions 
vaniteux»  et  qui  sacrifient  tout  à  la  symétrie  ,  ne  con- 
sentiront jamais  à  faire  servir  plat  à  plat  (1)  »  ce  qui  est 
cependant  la  seule  manière  de  bien  apprécier  tous  les 
élémens  d'un  dîner  )  ;  il  est  essentiel  qu'on  ne  presse 
point  les  services  ;  qu^on  laisse  à  l'appétit  des  vrais  gour- 
mands une  latitude  en  quelque  sorte  indéfinie  ;  qu'on 
se  règle ,  pour  le  dépouillement  de  la  table ,  sur  le  tra- 
vail des  mâchoires  les  plus  lentes ,  et  non  sur  la  voracité 
des  plus  diligentes  et  des  plus  actives;  que  l'on  n'enlève 
rien  que  les  gourmands  n'aient  mangé  de  tout;  et ,  dût* 


(1]  La  méthode  de  servir  plat  à  plat  est  la  rocambole  de  l'art  de  biea 
TÎvre.  C'est  le  moyen  de  manger  chaud  »  long-temps  et  beaucoup  ; 
chaque  plat  étant  alors  vb  ces  tic  unique  auquel  ùeuieat  aboAtir  tous 
les  appétits. 


348  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

on  demeurer  six  heures  à  table  (  il  faut  coDTenir  que  ce 
n'est  j>as  trop  pour  un  grand  dîner  ) ,  il  importe  aa  bien 
de  l'art  que  tous  les  appétits  y  soient  pleinement  sati^ts , 
et  que  la  cause  du  cuisinier  soit  instruite  dans  toutes  ks 
règles  de  la  procédure  gourmande. 

Passons  maintenant  au  second  abus  <|u'il  n'est  pas 
moins  urgent  de  réformer. 

SUB   LA    MANiliRE    DE    FAIRE   LES   HONNEURS    d'uN    DINER. 

Autrefois ,  c'est-à-dire  vers  le  milieu  du  dernier  siècle, 
on  était  dans  l'habitude  de  faire  une  espèce  de  yiolence 
aux  convives ,  et  de  les  presser  tellement  à  chaque  mets , 
que  cette  importunité  dégénérait  en  une  espèce  de  ques- 
tion extraordinaire.  Ce  débat  entre  l'amphytrion  et  les 
convives  se  renouvelait  sans  cesse ,  c'était  une  lutte  con- 
tinuelle où  la  profusion  se  mettait  aux  prises  avec  la  so- 
briété 9  et  dans  laquelle  le  conyive  unissait  toujours  par 
céder ,  au  risque  d'avoir  ce  que  l'on  appelait  alors  une 
indigestion  de  politesse. 

Cette  méthode  avait  des  inconvénieos  sans  doute , 
comme  en  ont  tous  les  extrêmes;  mais  cependant,  en 
dernier  résultat,  on  ne  mangeait  guère  au^delk  àe  son 
appétit^et  l'on  pouvait,  comme  dans  le  repas  de  Boileau, 
laisser  les  morceaux  entiers  sur  son  assiette ,  et  se  sauver 
ainsi  des  dangers  de  la  complaisance  par  une  espèce  d'es- 
camotage que  les  valets  &vorisaient  toujours  volontiers. 

Maintenant  l'on  tombe  dans  un  excès  contraire,  ei 
dont  les  conséquences  sont  bien  autrement  funestes,  t» 
petites  maîtresses  qui  donnent  aujourd'hui  le  ton/cbar 
gées ,  au  grand  chogrin  de  noire  appétit  .   de  faire  ie& 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  349 

honneurs  de  la  taUe  de  leurs  riches  époux  »  suivent  des 
maximes  tout  opposées.    Elles  ont  entendu  dire  qu'il 
n'était  plus  du  bel  usage  de  presser  ses  conTives  outre- 
mesure;   en  conséquence,  non-seulement  elles  ne' les 
pressent  pas  du  tout ,  mais  souvent  elles  se  dispensent  de 
leur  rien  offrir.  Dans  un  dîner  de  huit  entrées  et  d'autant 
d'entremets ,  on  en  dessert  souvent  cinq  à  chaque  ser- 
vice qui  sont  demeurés  absolument  intacts,  parce  que  la 
maîtresse  de  la  maison  n'a  point  jugéà  propos  d'en  offrir , 
ou  l'a  iait  d'une  manière  en  quelque  sorte  négative  >  et 
que  personne  n'a  osé  en  demander  ou  s'en  servir  à  lui- 
même.  Si  cette  nouvelle  méthode  entre  dans  le  plan  du 
régime  économique  de  la  maison ,  c'est  une  lésine  odieuse; 
et  il  vaudrait  bien  mieux  ne  donner  que  quatre  entrées  , 
et  les  approfondir  toutes ,  que  d'en  servir  huit  pour  n'en 
attaquer  que  trois ,  et  faire  jouer  ainsi  le  rdle  de  Tantale 
à  la  majeure  partie  des  convives.  Si  c'est  impatience  de 
quitter  la  table ,  parce  que  l'on  a  une  partie  de  spectacle 
liée  pour  l'après-midi ,  c'est  manquer  de  savoir  vivre. 
Aucun  amphytrion  ne  peut  ignorer  que  dahs  nos  mœurs 
actuelles ,  et  vu  le  peu  de  rapport  entre  l'heure  des  repas 
et  celle  de  la  comédie ,  lorsqu'il  s'engage  à  donner  à 
dîner ,  il  doit  consacrer  à  ses  convives  la  journée  entière. 
Eh  !  comment  la  majeure  partie  de  ce  temps  peut-elle 
^tro  mieux  employée  qu'à  table  ?  Nous  convenons  que 
les  femmes,   vu  le  peu  de  capacité  de  leur  estomac, 
mangeant  beaucoup  moins  que  nous,  doivent  y  rester 
assez  long-temps  oisives;  mais  c'est  un  sacrifice  qu'une 
maîtresse  de  maison  doit  faire  an  bonhcui:  de  ses  con- 


35o  LE  GASTRONOME  FRANÇAI& 

mes«  qui»  à  leur  tour,  afin  de  lui  faire  iUoiioA  mr  la 
longueur  du  repas  ,  doivent  établir  une  convenavion 
agréable  »  amusante  et  piquante  ,  propre  tout  à  \a  faîi 
à  redoubler  l'appétit  »  k  tromper  k  sobriété ,  e^  à  ùlm 
couler  rapidement  les  heures. 

Concluons  de  tout  ceci  que  l'un  des  prineipauderoîn 
d'un  amphytrion ,  de  quelque  seie  et  de  quelque  rang 
qu'il  soitt  est  de  venir  au  secours  des  appéUta  timides, 
de  ne  laisser  emporter  àucua  plat  sans  en  avoir  offert  è 
deux  reprises  à  chaoun  de  ses  oonvives;  de  veiller  avec 
attention  à  ce  que  chacun  mange,  et  mange  copieuseiDent 
des  meilleurs  mets;  et  le  dîner,  dùtril  durer  quatre  heores, 
il  est  de  sa  gloire  que  tous  soient  en  sortant  en  èkat  de 
pouvoir  prononcer  en  parfaite  connaissance  de  cause  m 
tous  les  élémens  dont  il  était  composé ,  et  n'aient  aucane 
plainte  à  former  contre  la  précipitation  on  la  vaniteuse 
économie  de  l'amphytrion.  Il  vaut  mieux  ne  donner  que 
quatre  dtners  en  suivant  ces  maximes ,  que  d'en  donner 
doute  d'après  les  erremens  qu'une  mode  fojieste,  et  qui 
bit  crier  famine  aux  vrais  gourmands,  n'a  que  trop  bien 
réussi  à  frire  adopter  à  la  table  des  modernes  LocuIlus,et 
même  de  quelques-uns  de  ceux  qui  n'ont  pas  entière- 
ment survécu  à  leur  opulence  passée.     G.  D.  L.  R. 


^^  C^^ob^^  ^n  rn^i^tM. 


BNGORB  UN  MOT  SVB  LXS  AMPHY TRIONS. 

Lk  Mode  »  cette  aimable  déesse  qui  domine  les  Fria- 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  55 1 

çaU ,  et  qui  les  chérit  plus  que  tous  les  autres  peuples 
de  la  terre  •  n'étend  pas  seulement  son  empire  sur  les 
charmans  colifichets  de  nos  belles;  elle  ne  se  borne  pas 
à  régler  Jes  dimensions  d'un  schall ,  la  capacité  d*un 
chapeau ,  les  plis  ondulans  d'une  robe ,  ni  les  couleurs 
variées  des  étofies.  U  est  vrai  qu'un  ruban»  qu'une  cein- 
ture ,  qu'un  bonnet  sont  pour  elle  des  afiaires  majeures  ; 
il  est  certain  qu'elle  s'occupe  à  défaire  le  soir  ce  qu'elle 
a  créé  le  matin ,  et  qu'elle  relègue  aujourd'hui  ses  jolis 
riens  de  la  Teille  parmi  les  atours  et  les  rertugadins  de 
nos  grand'mères.  Souvent  aussi ,  et  cela  proure  un  peu 
sa  stérilité  y  elle  se  voit  forcée  de  recourir  à  des  vieux 
atours  pour  satisfaire  les  ciq>rices  de  ce  sexe  enchanteur; 
et  c'est  de  cette  manière  qu'elle  ressuscite,  qu'elle  réta- 
blit au  milieu  de  nos  cerclée  les  Sévigné  »  les  Ninon ,  les 
Gabrielle ,  les  Agnès  Sorel ,  les  Imma ,  toutes  les  belles 
des  temps  si  galans  de  la  chevalerie.  Mais  ce  ne  sont  pas 
là  ses  seules  occupations;  et  Gomus ,  aussi  bien  que  Vé* 
nus,  ressent  journellement  les  effets  de  sa  toute -puis- 
sance. 

Depuis  ces  repas ,  si  simples  dans  leur  somptuosité»  si 
grossiers  dans  leur  recherche,  que  nos  rois  ou  nos  villes 
donnaient  pour  vingt  ou  trente  sous ,  jusqu'à  ce  moment 
où  un  poisson  distingué  peut  coûter  des  trois  ou  quatre 
louis  ;  depuis  l'humble  Robert,  inventeur  de  cette  sauce 
si  piquante  qui  porte  son  nom  (i) ,  jusqu'à  M.  Camérani, 
à  qui  l'on  doit  la  création  d'une  soupe  des  plus  succu- 

(i)  Qiwlqiiet  penoonet  pentent  que  la  mum  BoUrt  a  été  UiFentée 
par  le  restaurateur  de  ce  nom ,  notre  contemporain  :  c'ett  une  erreur. 


35t  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

lentes  (i) ,  que  de  variatioDs»  que  de  changcmeDs  se 
sont  opérés  sur  nos  labiés  et  dans  dos  casseroles!  Tantôt 
la  moutarde  a  régné  en  souveraine  :  on  la  yoyait  putout 
et  dans  tout;  tantôt  le  citron,  presque  exotique,  eslTom 
aiguiser  tous  nos  mets  de  son  suc  stimulant;  le  parmesan 
s*étalait  sur  le  potage  ;  le  pigeon ,  le  lapin ,  et  le  lièm 
lui-  même ,  ne  paraissaient  que  bourrés ,  farcis ,  surchv- 
gés  de  force  ciTotte ,  de  cresson  alénois  »  de  sauge,  oï 
autres  plantes  aromatiques  ;  puis  ces  ingrédiens  écbàvi- 
fans  étaient  remplacés  par  des  accessoires  plus  agréables 

BabeUii  range  au  nombre  de  ceux,  qui  ont  biea  mérité  de  la  patrie,  fe 
cuisinier  Robert ,  qui  en  fut  TioTenteur. 

(i)  Voici  la  recette  de  ce  potage ,  ou  de  cette  ioupe,  dont  le  goût  e*t 
délicieux  : 

Il  faut  d'abord  se  procurer  de  véritables  macaronis  de  Naples,  et 
d'excellent  fromage  de  Parmesan  >  d'excellent  beurre  de  GoamsT  ca 
d'Isigny;  environ  deux  douzaines  de  foies  de  poulets  gras;  du  céleri, 
et  de  toutes  sortes  de  légumes  potagers,  tels  que  cfaonx ,  carotes,  ps- 
niis ,  navets ,  poireaux ,  etc. 

On  commence  par  hacher,  bien  menus ,  les  foies  de  pooleis,  le  céleiî 
et  les  légumes  ;  on  fait  cuire  le  tout  ensemble  dios  une  casserole  ,  avec 
du  beurre. 

Pendant  ce  temps ,  on  a  fait  blanchir  les  macaronis;  on  les  assaisonne 
de  poivre  et  d'épices  fines ,  et  on  les  laisse  bien  égoutter.  Oa  prend  en* 
suite  la  soupière  qu'on  doit  mettre  sur  table ,  et  qui  doit  pouvoir  aller 
sur  le  feu.  On  dresse  au  fond  un  lit  de  macaronis ,  par-dessus  an  lit  di 
hachis  précité ,  enfin  un  lit  de  fromage  de  Parmesan  râpé. 

On  recommence  ensuite  dans  le  même  ordre ,  et  l'on  élève  les 
de  ce  bâtiment  jusque  vers  les  bords  de  la  soupière.  On  le  met 
sur  un  feu  doux ,  et  on  laisse  mitonner  le  tout  pendant  un  temps  coow- 
nablc. 

Ce  potage  peut  revenir  tout  au  plus  à  une  centaine  de  francs  pouraae 
grande  table. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  355 

au  coût ,  plus  utiles  %  la  santé.  Un  temps  liit  où  lafirîture 
à  l'iiuile  occupait  les  troië  4|uaft8  de  chacuo  des  iroM 
services  d'uae  table;  un  autre  temps  arriva  où  le  beurre 
frais,  fondu  seulement,  devint  la  sauce  générale  de  pres- 
que tous  les  légumes.  Cette  mode  venait  de  la  Hollande 
particulièrement ,  où  elle  s'est  encore  conservée. 

Une  preuve  incontestable  de  l'empire  de  la  mode  sur 
nos  mets ,  c'est  le  nom  donné  •  il  y  a  plusieurs  siècles , 
à  certaine  manière  bourgeoise  d'arranger  un  bon  mor- 
ceau de  trancbc  de  bœuf.,  que  l'on  nomme  encore  au- 
jourd'hui bceuf  à  la  mode^  et  qui  sera  b/»uf  à  la  mode 
tant  que  le  Pant^Neufseva  Pant-N^uf. 

Combien  de  mets ,  adoptés  d'abord  avec  fureur ,  n'ont 
brillé  qu'un  moment ,  comme  la  rose  que  Nicette  por- 
tait hier  à  son  corset  I  Que  sont  devenues  ces  fameuses 
tomates  qui  naguère  doraient  nos  bouillis ,  nos  poulets, 
et  qui  semblaient  êtrts  le  née  jilus  ultra  de  ^toutes  les 
sauces?  Leur  couleur  purpurine  avait  séduit ,  leur  aci- 
dité agaçait  les  dents;  leur  règne  est  presque  passé  : 
c'est  ainsi  que  la  plus  belle  figure  ne  peut  faire  pardon- 
ner un  mauvais  caractère On  emploie  encore  des 

tomates;  mais  quel  est  le  cuisinier  maladroit  qui  oserait 
maintenant  en  colorer  toutes  ses  sauces  ?  il  sait  en  dis- 
simuler la  couleur  en  en  exprimant  le  suc ,  et  encore 
bien  peu  en  font  usage. 

Si  la  mode  fait  éprouver  une  foule  de  variétés  d'ap- 
prêts à  la  broche  et  aux  fourneaux ,  combien  elle  influe 
darantage  sur  le  couvert  et  Je  service  I  On  voit  rarement 
aujourd'hui  de  ces  grands  laquais  qui  ne  vous  permetr 

23 


554  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

taient  de  boire  que  lonqu^ils  Toulaieot  bien  se  dooner 
la  peine  d'aller  prendre  les  carafons  au  buffet.  Cda  oe 
se  fait  plus  que  dans  quelques  maisons ,  et  c  e&t  un 
reste  de  barbarie  qu'on  verra  bientôt  disparaître  de  la 
société. 

Il  est  un  usage  bien  plus  désagréable  encore ,  c*esl  de 
servir  ensemble  les  entrées  »  les  rôts ,  les  entremets ,  le 
dessert  même ,  tout  à  la  fois*  On  a  déjà  signalé  le  danger 
de  mettre  les  entrées  sur  la  table  en  même  temps  qve  le 
potage  :  c'est  bien  pis  quand  tout  le  dtner  s'y  trouve  accn- 
mulé  I  Les  mets  se  refroidissent;  et  s'il  y  a  des  fritures  en 
hors-d'œuvre ,  ou  en  entremets,  quand  leur  tour  arrive , 
leur  beurre  figé  »  leur  pâte  devenue  mate ,  ne  semblent 
plus  que  de  la  colle.  Il  ne  s'agit  pas  d'être  un  vrai  gimr- 
mand  pour  détecter  cette  manie ,  bonne  tout  au  plus  à 
la  campagne ,  et  que  le  goût  le  moins  délicat  réprouve. 
Il  en  est  de  cela  comme  des  cinq  actes  d'une  comédie 
qu'on  jouerait  tous  ensemble  sur  un  théâtre  divisé  en 
cinq  compartimens  :  le  dénouement  se  ferait  là-bëut  exi 
même  temps  que  l'exposition  aurait  lieu  en  bas;  et  cela 
produirait  un  charivari  inexplicable.  On  bon  repas  est 
comme  une  œuvre  dramatique ,  il  doit  avoir  sou  expo- 
sition f  son  nœud»  son  dénouement;  et  tandis  que  les 
dames  se  réservent  pour  le  dernier  acte  (  te  dessert  )  , 
les  foncés  gourmands  jettent  leur  feu  au  troisième»  qui 
est  composé  des  rôts»  des  pâtés ,  des  daubes ,  des  pièces 
de  résistance.  L'attente  d'un  service  d'ailleurs  révirïle 
l'appétit ,  le  tient  en  suspens  »  en  haleine  pour  ainsi  dire, 
et  laisse  à  Tamphytrion  le  plaisir  d'oflrir  à  ses  convives 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  555 

te  coup  du  milieu  ;  car  dans  un  dtner  prié  les  convives 
sont  en  usage  de  boire  trois  ooups  indépendamment  des 
autres  qu'ils  ne  sont  pas  obligés  de  compter. 

Ces  coups, se  nomment  le  coup  d'avant ,  le  coup  d'a- 
près et  le  coup  du  milieu. 

Le  coup  d'avant  »  dont  la  mission  est  de  creuser  l'esto- 
mac et  de  le  provoquer  à  de  grandes  choses ,  consiste  en 
un  verre  de  wérmoutlî ,  de  genièyre ,  de  kirch  ou  de  ginp. 
Il  doit  être  bu  d'un  seul  trait.  Mais  cette  méthode  que 
l'on  a  plusieurs  fois  tenté  vainement  d'introduire  en 
France  »  entraîne  avec  elle  de  graves  inconvéniens.  Un 
spiritueux  très -actif ,  projeté  ainsi  dans  l'estomac  au 
moment  où  celui-ci  est  déjà  creusé  et  dans  un  état 
d'inaction ,  y  produit  nécessairement  un  effet  brusque 
et  dangereux,  en  ce  qu'il  resserre  plutôt  qu'il  ne  dilate^ 
cet  aimable  et  délicat  viscère.  Un  convive  doit  donc 
bien  consulter  son  estomac,  quand  il  se  trouve  en  po- 
sition de  lui  imposer  le  coup  d'avant. 

Le  coup  d'après  est  un  doigt  de  vin  pur  que  l'on  boit 
immédiatement  après  avoir  pris  le  potage  ou  la  soupe. 
(  Fayez  ci-après  le  Code  de  la  table,  article  35.  ) 

Le  coup  du  milieu  est  un  petit  verre  de  rhum ,  d'ab- 
synthe  ou  de  vin  de  Madère  que  l'on  sert  entre  le  rôti  et 
lés  entremets.  (  Fojez  article  1 7  du  Code.  ) 

D.  D. 


356  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


2lrtiirk  (tttiiatrUme. 

GODE  DE  LA  TABdLE. 

Nota.  Nouf  sappoioof  que  ramatenr  a  déjà  la  toas  les  article» eoo- 
tenaf  dam  ce  chapitre  troinème  :  ceux  que  ooas  plaçoot  dani  oe  Gom 
n'en  «ont  ^  ea  quelque  aorte ,  .qae  ie-complèment. 

DISPOSITIONS    PAiLIMlNAfftBS. 

DB' toutes  les  actions  de  la  journée  d'un  gourmand ,  le 
•dîner  étant  la  plus  importante ,  (surtout  depuis  qa'oo  oe 
soupe  plus))  on  ne  saurait  donner  une  attention  trop  scru- 
puleuse à  tout  ce  qui  j  a  rapport. 

Aussitôt  après  la  dégustation  du  coup-d^mant^^q^  Voa 
aura  annoncé  que  le  dîner  est  servi,  Tamphytrion  conduira 
les  eonyives  dans  la  salle  du  festin  y  en  passant  le  premier^ 
pour  couper  court  à  toutes  les  cérémonies  ;  car  lorsque  le 
dîner  attend,  ce  n'est  pas  le  cas  d'en  faire. 

L'amphjtrion  est  le  roi  de  la  table  ;  mais  son  pouroir  est 
temporaire,  il  se  termine  arec  le  repas;  néanmoins  soa 
régne  peut  recommencer  le  lendemain ,  si  la  puissance  lui 
sourit  :  il  est  rare  qu'il  ne  trouve  pas  des  su)eU  too\ottrs 
prêts  à  lui  obéir. 

Il  est  indispensafble  de  calculer  la  place  des  conrires , 
d'après  leur  capacité  respective,  afin  qu'aticua  d'eux  ne 
soit  contraint 

De  faire  un  tour  à  gauche  et  manger  de  côté. 

Le  Tin  ordinaire ,  les  verres  et  l'eau  doivent  être  placéi 
sur  la  table,  et  non  à  la  disposition  des  valets,  ainsi  qœ 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS-  35; 

cela  se  pratiquait  fl  y  a  quelHiues  années  ;  ce  qui  mettait  les 
coDTiveffà  l^ur  dépendance  chaque  fois  qu*!ls  avaient  soiF. 
Gomme  il  se  rencontre  toujours  dans  un  dîner  quelques^ 
personne»  qui  préfèrent  à  leur  ordinaire  le  yin  blanc  au  yin 
rouge  ^l'amphytrion  doit  faire  mettre  sur  sa  table  quelques 
bouteilles  du  premier,  dans  la  proportion  d'une  sur  deux. 
C'est  ordinairement  le  bon  yin  de  ChÛbHs  qu»-  doit  ffgurer 
au  premier  serriee. 

Les  horS'^aMrêSf  que  nous  pourrions  comparer  à  ces 
cabinets,  ces- boudoirs 5  qui  ajoutent  à  Pagrément  d'une  dis- 
tribution, et  font  valoir  les  pièces  nnijeures  d'un  bel  appar- 
tement*; les  hors-d'oeurres  dont,  à  la  rigueur,  on  pourrait 
se  passer  sans  que  le  serrice  en  souffrit,  ainsi  que  leur  nom 
rindique;  les  hors-d'œurres  enfin,  que  l'usage  a  tellement 
naturalisés  sur  nos  table»y^  qu'un  grand  diner  où  ils  ne  figu- 
reraient pas,  serait  aussi  peu  de  mise  qu'tine  jolie  femme 
sans  rouge,  doivent  être  placés  »ur  lartablecomme  les  bou- 
teilles. 

L'eshors-d'œuyres  se  divisent  en  animaux  et  en  végétaux; 
les  premiers  en  gras,  maigre  et  pfltftserie;  les  seconds  en 
fruits,  herbages,  légumes  confits  au  vinaigre  ou  crus,  tels 
qse  les  melons,  les  figues,  les  radis,  etc. ,  en  salaisons,  etc. 
Dans  la  première  classe  on  comprend  les  abattis,  les  côte- 
lettes, les  saucisses,  le  boudin,  les  andouilTes,  les  harengs 
gôllés,  les  filets  de  merlan ,  les  petits  pâtés  en  bouchée ,  au 
jus, .de  poisson,  les  tinoèalles  mignonettes,  soit  en  gras, 
sot*  à  la  Béchamel,  etc.  Dans  la  seconde  se  trouvent  renfer- 
més les  cornichons,  lés  olives  farcies,  les  olives  simples, 
lès  bigarreaux  marines ,  les  graines  de  capucine ,  les  haricots 
à  la  génoise,. le  blé  de  Turquie,  les  câpres,  etc.,  le  tout 
confit  au  vinaigre;  le  thon  mariné,  les  sardines  fraîches  ou 


558  LE  GASTAONONB  FRANÇAIS. 

confites  (i)^  les  ancliois  de  Frèîos,  et  cette  foule  d'apcrilifs 
qui  sUoterposeat  eatre  les  entrées  pour  slimuler  Tappélilet 
faciliter  la  digestion. 

Toutes  les  bouteilles  que  Ton  met  sur  la  table  doiveDi  être 
débouchées,  et  le  bouchon  n*êti«  qoe  posé  à  Tonfice  do 
goulot. 

Dans  les  grandes  chaleurs ,  les  Tins  ordinaires  et  l'eao 
auront  été  mis  à  la  glace  une  heure  au  moins  araal  le  repas. 

Le  yin  ordinaire  doit  figurer,  en  été,  dans  de  brillantes 
carafes  de  cristal,  frappées  de  glace;  il  donne  ainsi  à  Tcâl 
ce  qu'il  ne  peut  pas  toujours  offrir  au  palais. 

Les  Terres  de  Tins  fins  et  de  liqueurs  doiyenl  être  placés 
dcTant  chaque  cooTÎTe  à  côté  des  Terres  de  Tin  ordinaire. 

nv  »BTOia  DBS  iJCFfinaioRs. 

ÂancLB  1**.  Aussitôt  que  chaque  conTÎTe  a  reconnu,  par 
Tinspection  des  cartes,  la  place  qui  lui  est  destinée.  Il  doit 
s'j  asseoir  sans  délai ,  après  aToir ,  par  un  bmtdiàU  mental, 
attiré  la  bénédiction  du  ciel  sur  son  assiette.  L'ampbjtrioii 
seul  demeurera  debout  dcTant  son  couTert  {]^hcè  toujours 
au  centre  de  la  table) ,  tant  pour  être  à  portée  de  serTic  que 
pour  mieux  surreiller  les  appétits. 

(i)  Lei  fardiaetfrtlches  ne  «ont  pas  facilet  h  tioaver  à  Paris ,  attendu 
qa'ellet  on  t  k  faire  nu  trajet  de  cent  lîeue»  pour  arriver  »  de  vteie  qK 
les  œufs  frais  de  Ljod  ;  mais  M.  Colin ,  k  l'hantes,  s'est  livr«  à  la  con- 
servation des  substances  alimentaires  avec  un  tel  succès ,  que  ,  pour  les 
seules  sardines  en  boêtes  de  fer  blanc  (qui  se  trouvent  à  Paris,  rue  Saint- 
Honoré ,  n»  176  ),  le  débit  s'élève  à  pins  de  20,000  par  an.  M.  Ck>linc9t 
justement  nommé  T  Appert  de  la  Bretagne ,  tant  pour  la  coiiservaitîîia 
des  fruits  et  légumes ,  que  pour  la  sardine  fraiche ,  le  thon ,  etc. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  SSg 

s.  L'amphytrioD  sert  la  soupe  sur  des  assiettes  creuses , 
qui  sont  en  pile  auprès  de  lui.  H  donne  la  première  portion 
à  son  Toisln  de  droite ,  la  seconde  à  son  roistn  de  gauche  ;  il 
retient  après  à  sa  droite ,  puis  à  sa  gauche  ,  et  ainsi  de  suite 
alterûatîyement.  Chacun  reste  servi  à  son  rang,  sans  passer 
l'assiette.  Ce  premier  service  étant  fait,  l'amphytrion  doit 
s'asseoir. 

5.  Un  am^hytrion ,  ainsi  que  l'a  déjà  dit  le  législateur  de 
la  table,  doitsayoir  parfaitement  bien  découper,  diviser, 
disséquer eC  servir  toute  espèce  de  grosses  pièces,  de  vai- 
naison ,  de  volaille ,  de  gibier  et  de  petits  pieds* 

{lans  l'impossibilité  de  servir  lui-même  tous  les  mets,  et 
de  s*occuper  efficacement  de  tous  les  convives ,  l'amphytrion 
doit  désigner  ceux  d'entre  ses  amis  sur  l'obligeance  et  l'a- 
dresse desquels  il  peut  cdmpfer.  Général  habile ,  il  doit 
choisir  de  dignes  aides-de-camp. 

4.  Le  premier  soin  d'un  amphytrion,  jaloux  dé  bien 
découper,  c^ést  d'avoir  des  couteaux  et  des  fourchettes  de 
dimensions  différentes,  et  proportionnées  aux  pièces  sur 
lesquelles  il  doit  opérer.  Il  fant  que  les  couteaux  aient  le  fil, 
et  soient  cha[quejo«r  passés  sur  une  bonne  pierre  à  l'eau  :le« 
lburchelte«  d'acier  bien  poidtues  et  fortes,  quoique  déliées» 

5.  Le  morceau  le  plus  délicat  d'une  poularde  rôtie,  c'est 
l'aile  :  le  meilleur  d'une  volaille  bouillie  c'est  la  cuisse, 
surtout  si  cette  cuisse  est  blanche,  grasse,  et  charnue. 
Depuis  quelque  temps  les  dames  s'attachent  aux  croupions  ; 
et^î  ce  soni  des  perdreaux ,  à  l'estomac. 

6.  On  distingue  dans  un  aloyau  te  morceau  du  procu- 
reur et  celui  des  clercs.  Ce  dernier  est  le  moins  tendre. 

7-  Les  morceaux  d'honneur  de  la  tête  de  veau  sont  les^ 
oreilles  et  les  veux.   ^ 


\ 


36o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

8.  La  queue  d'un  lapin  ou  d'un  lièvre  est  le  morceau  de 
distinction  ;  ensuite  le  râble ,-  puis  les  cuisses ,  qu^oa  ne 
sert  jamais ,  comme  celles  d'une  dinde  ,  pour  faire  nue 
petite  entrée  phis  tard. 

9.  On  sert  le  turbot  arec  une  truelle  de  yenneit,  ou  tout 
au  moins  d'argent  bien  affilée.  Après  aToir  décrit  une  croix 
sur  le  ventre  en  tranchant  jusqu'à  l'arête,  on  tire  des  lignes 
transTersales  depuis  le  milieu  jusqu'aux  barbes  ;  on  1ère 
adroitement  arec  la  pointe  de  la  truelle  les  morceaux  carrés 
qui  se  trouvent  compris  entre  ces  lignes,  et  on  les  sert.  Les 
barbes  du  turbot  sont  ce  qu'il  j  a  de  plus  délicat. 

10.  Les  oies,  les  canards ,. les  sarcelles,  et  généralement 
tous  les  oiseaux  aquatiques,  se  découpent  selon  des  piincî- 
pres  différens  de  la  rolaille;  on  les  sert  d'abord  par  ar^oil- 
Fettes  levées  très-minces  et  que  l'on  taille  dans  l'estomac 

1 1.  On  dit  dos  de  brochet  et  de  truite;  ventre  de  carpe.  Ce 
peu  de  mots  explique  tout. 

11K.  G*est  une  maxime  reçue  que  leïer  ne  doit )amaÎ5  ap- 
procher du  poisson  ùh^  quil  est  sur  la  table  ;  l'or  et  l'ar^nr 
•ont  les  seuls  métaux  dignes  d'en  opérer  la  dissectitMi. 

r5r  Les  mets  qui  n'ont  pas  besoin  d'être  disséqué»,  et  qui 
se  servent  à  la  cuiller,  sont  du  domaine  pablrc.  Chaque 
convive  peut  les  aborder  et  en  envoyer  aux  personnes  qui 
en  demandent. 

14.  L'ampbjtrion  doit  s'abstenir  de  vanter  les  mets  et  les 
vins  qu'iî  sert  ;  ce  serait  méconnaître  le  goût  de  ses  conyi-» 
ves,  et  se  priver  des  éloges  si  sa  table  en  mérite. 

i5.  Dans  les  grandes  maisons  on  renouvelle  les  four- 
chettes à  chaque  mets  nouTeau.  Après  lé  poisson,  personne 
ne  peut  être  exempt  de  ce  devoir.  Il  est  d'usage  de  placer  ces 
rouverts  de  rechange  sur  un  buffet  voisin  de  latable^  commt 


LE  GASTRONOME  PRjLNÇAIS.  36 v 

il  est  atiie  de  placer  d'arani^e  sur  la  table  les  dUïérei»' Ternes 
destinés  aux  changemens  des  tIds.  La  vue  d'un  arsenal  et. 
Vespoir  de  ne  pas  manquer  de  munitions  pendant  le  com-. 
bat  9  excitent  toujours  le  courage  des  guefrkrs. 

j6.  Un  amjAjtrion  doit  avoir  continuellement  les  jeux 
sur  l'assiette  et  sur  le  verre  de  chacun  de  ses  convives  :  il 
doit  avoir  horreur  du  vide. 

17.  Dans  les  dîners  sans  étiquette,  c'est  Tamphytrion 
qui  verse  le  coup  du  milieu ^  lequel^  ainsi  que  nous  l'avons 
déjà  dit,  consiste  en  un  petit  verre  de  rhum,  d'absinthe  ou 
de  vin  de  Madère ,  que  l'on  boit  entre  les  deux  services  pour 
feciliter  la  digestion. 

Dans  plusieurs  grandes  maisons ,  c'est  l'épouse  de  l'am- 
pbytrion  ou  la  dame  qui  la  supplée ,  qui  se  charge  de  ce  ser- 
vice; et  c'est  ce  qui  flatte  davantage  les  convives,  quoique 
cette  distribution  se.  fasse  par  l'entrembe  des  convives  ou 
des  valets. 

A  Bordeaux,  et  dans  presque  toutes  les  grandes  villes  du 
midi  de  la  France,  et  même  à  Paris  dan»  plusieurs  bonnes 
maisons,  c'est  ordinairement  une  jeune  demoiselle  de  quinze 
à  dix-huit  ans,  qui  se  charge  de  verser  aux  convives  ce 
coup  du  milieu;  elle  a  la  tête  et  les  bras  nus ,  elle  est  précé- 
dée d'un  valet,  qui  distribue  les  verres  portés  sur  un  pla- 
teau, et  suivie  d'un  second  valet  portant  un  autre  plateau 
sur  lequel  sont  placés  les  flacons  que  La  demoiselle  ne  peut 
tenir  dans  ses  mains. 

Ainsi  armée ,  cette  jeune  Hébé  fait  le  tour  de  la  table,  en 
commençant  par  le  convive  placé  à  la  droite  de  l'amphy- 
trion  ;  elle  verse  à  chacun  et  selon  son  goût  un  verre  de 
neetar,  et  se  retire  en  silence,  ce  eoup  du  milieu  devant 
toujours  être  unique» 


\ 


56%  LE  GASTRONOMB  FRANÇAIS. 

Les  conviTeêDe  doivent  prendre  aucune  liberté  ayee  cette 
Hébé  d*aae  espèee  nouvelle  ,   et  qu'où   cboîsit  toujoQrs 

vierg^è. 

Cette  déférence  9  qui  ponrait  fadis  embarrasser  ud  peu 
rampbytrioa,  offre-  moins  de  doutes  aujourd'hui ^  grâces 
aux  progrès  de  la  cirilisation. 

18.  Une  conrersation  animée  pendant  le  repas  n'est  pas 
moins  salutaire  qu'agréable;  elle  fiivorise  et  accélère  la  di- 
gestion, comme  elle  entretient  la  joie  do  coeur  et  la  séréaitc 
de  l'âme. 

Les  morceaux  caqaetés  se  digèrent  bien  mieux. 

Cet  adage  est  si  vrai,  que,  quoique  les  chartreux  fassent 
très-bien  nourris,  la  loi  qui  leur  prescrirait  le  silence  lors- 
([u'IIs  mangeaient  en  commun,  était,  au  rapport  de  quel- 
ques  personnes  qui  les  ont  connus ,  celle  dont  l'obserranoe 
leur  paraissait  la  plus  rigoureuse.  Ce  qui  proure  que  le 
meilleur  repas  pris  en  silence  ne  saurait  faire  du  bien. 

Nous  sayons  que  la  présence  des  domestiques  paraljse 
souvent  l'effet  de  la  conversation;  mais  un  tel  motif  n'e^t 
admissible  que  dans  les  dîners  d'étiquette ,  où  les  valets  sem- 
blent servir  de  décoration  en  ajoutant  au  laxe  de  la  table. 
Mais  en  petit  comité ,  entre  amis ,  où  l'on  ne  court  risque 
d'avoir  pour  écbo  qu'un  ou  deux  valets ,  que  souvent  même 
un  amphjtrîon  ^ait  renvoyer  à  propos  ,  alors  la  conversa- 
tion n'est  pas  difficile  à  soutenir,  car  elle  peut  embrasser 
tous  les  sujets  sans  inconvénient. 

Dans  ce  cas  les  servans  ne  doivent  entrer  que  pour  ap- 
porter les  plats  et  se  retirer  aussitôt;  on  supplée  à  leur  ab- 
sence par  des  servantes  placées  de  distance  en  distance  à  h 
proximité  des  dîneurs.  Cela  vaut  mieux  que  des  valets  im- 
plantés, comme  des  automates,  derrière  chaque   convire. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  363 

Leui»  estoimc  vide,  lears  jretrz  dérdratsurs,  èl  leurs  oreiUes 
aux  agitais  5  font  de  cette  asiduité  uoTrai  supjrfice  pour  les 
pèrsOùnes  qui  sont  à  table.  Il  n'y  a  d'ailleurs  ni  gaieté^  ni 
épanchemens  en  présence  des  yalets;  et  qu'est-^ce  qu'un 
diner  dont  on  à  banni  la  première,  et  dans  lequel  on  ne  peut 
se  livrer  aux  autres  ? 

19.  C'est  aux  amphytrions  à  (aire  une  étude  partioùKire 
des  propos  de  table ,  afin  de  poûroir  indiquiAr  adroitement 
lè8«o}etsde  eoiiTersàtion  aux  cojaviVès,  etleu^  fournir,  en 
quelque  fapon,  leurs  répliques.  «  Toutbomme  qui  donne 
9  bien  à  manger,  dit  M.  Grimod  de  la  Rejuière^  s'acquiert, 
»  surtout  pendant  le  repas ,  une  supériorité  qu'aucun  des 
n  assistans,  tel  que  soit  son  rang ,  son  esprit  et  sa  fortune , 
«  n'entreprend  jamais  de  lui  di^uter.  » 

Que  tout  amphytrion  profite  donc  Se  cet  avantage,  pour 
tourner  adroitement  l'entretien  sur  les  sujets  qu'on  peut 
traiter  à  sa  table,  sans  craindre  d'y  scandaliser  personne. 
La  littérature,  les  sciences,  les  arts,  les  spectacles,  la  ga- 
lanterie, la  chronique  des  coulisses,  lagastrononoie,  etc., 
lui  en  fourniront  un  grand  nombre.  Ces  légères  distractions 
ne  nuisent  point  à  la  mastication ,  et  l'esprit  se  donne  assez 
d'exercice  pour  se  dilater  sans  fatigue.  Un  amphytrion 
adroit  peut  même,  à  l'aide  de  ce  moyen,  dissimuler  les 
retards  qui  peuvent  avoir  lieu  dans  le  service.  On  sait 
qu'en  pareille  circonstance  un  valet  de  i'aîmablie  et  spiri* 
tuclle^  madame  Scarron  vint  lui  dire  à  l'oreille  :  Madame  , 
encore  un  cûntf  9  *'i^  ^ouê  plait ,  te  rât  nùus  manque.         ^ 

Mais  il  f^aut  raconter  laconiquement,  afin  de  jeter  plus 
de  charme  et  de  variété  dans  la  conversation.  C'est  à  pro- 
pos de  cela  que  madame  de  Sévigné  disait  :  on  doit  avoir  d 
iMede  courtes  histoires  et  de  longs  couteaux* 


364  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

90.  Oa  ne  doit  jamat»  parier  de  politique  à  table.  C'etf 
prendre  mal  son  temps  pour  gouTemer  l'État  j  que  de  ém- 
•ir  le  moment  de  la  journée  où  Ton  est  le  otoioS'Capable  de 
•e  gourerae  usoi-mêmB. 

a  I  •  Chez  les  amphytrioat  qui  ont  une  maison  nombreuse 
on  ne  souffre  point  la  présence  des  valets  étrangers,  et  aacoo 
eonTÎre  ne  peut  garder  le  sien  :  c^ux  de  Tamphytrioa  les 
remplacent  pendant  toute  la  durée  du  repas*  Cette  mèAsde 
est  fort  sage  ;  car  il  est  des  propos  que  l'on  aime  miaox  tenir 
deTaat  le  Tafet  d'un  autre  que  devant  le  sien.^  Par  ce  mejea, 
le  convive  (faî  n'a  point  de  domestique  n'est  pas  humilié  par 
lajpvésence.de  celui  de  son  voisi»» 

Il  est  vrai  que  souvent  les  services  de  ee  valet  d'emprunt 
sont  une  espèce  de  grâce  ;  et,  comme  l'a  très-bien  exprimé 
le  spirituel  auteur  de  l'Art  dé  dtmr  en  vUU  t 

Demandes-tu  d'ao  plat  P  il  fait  la  sourde  oreille , 
En  place  du  gigot  t'apporte  de  l'oseille  ; 
Ou  bien  lorsqu'un  morceau ,  non  sans  peine  obtenu  , 
Flsrtte  ton  appétit  trop  long^temps  ratenu , 
Écartant  avec  art  ton  aride  fouiphettev- 
Le  traître  l'escamotte  en  te  changeant  d'assiette  ;• 
Etrangles-tu  de  soif,  il  te  donne  dn  pain  ; 
C'est  du  pain  qull  te  faut ,  îl  te  verse  du  vFn. 
Heureux  si ,  quelquefois,  pour  comble  de  détresse-, 
*  Le  drôle ,  adroitement  feignant  la  maladresse  r 
Sur  ton  unique  habit ,  passe-port  cbes  les  sots  , 
D'un  jus  gras  et  brûlant  n'épanche  pas  hs  flots  l 

Mais  on  a  beau  déclamer  contre  cet  usage ,  des  considé- 
rations de  luxe  et  de  vanité  l'emporteront  toujours  sur  Ie5 
véritables  intérêts  de  la  gourmandise;  et,  comme  il  est  de- 
venu impossible  de  bannir  tout-à-fait  les  valets  de  la  tadde, 
il  faut  tâcher  du  moins  d'y  restreindre  leur  présence  à  VA- 


tE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  565 

solu  nécessaire,  en  les  oongédiant  dès  que  le  dessert  est 
serri. 

aa.  Totit  amphytrion  gui  sait  Vivre  offre  jusqu'à  trois  fois 
à  chacun  des  conyiyes  du  même  plat.  Son  premier  deyoir 
est  de  venir  au  secours  des  appétits  timides^  de  les  rassurer, 
de  les  proToquer,  et  de  ne  rien  épargner  pour  les  satisfaire. 

a3.  Les  vins  d'entremets  doivent  être  servis  par  Tamphy- 
trion.  S'il  en  sert  de  plusieurs  sortes  à  la  fois ,  il  charge  un 
ou  deux  de  ses  affîdés  particuliers  de  l'aider  dans  celte  im- 
portante distribution;  mais  les  convives  doivent  attendre 
qu'on  leur  en  offre  :  ce  serait  manquer  aux  convenances  que 
d'en  demander. 

a4-  L'amphjtrion  et  ses  suppléans  doivent  toujours  pro- 
clamer, au  moins  une  fois,  le  nom  du  vin  qu'ils  offrent , 
son  terroir  et  même  son  âge,  s'ils  sont  bien  certains  de  la 
fidélité  du  marchand  qui  le  leur  a  vendu. 

35.  Ce  serait  s'exprimer  d'une  manière  incongrue  que 
d'offrir  du  Bordeaux  y  du  Bourgogne ^  du  Champagne;  on 
doit  annoncer  du  Lafitte,  du  Saint-Ëmilion ,  du  Château- 
Margot ,  etc.,  du  Beaune^  du  Chambertln  ,  du  Pom- 
mard ^  etc«,  de  l'Âî ,  du  Sillerj ,  du  Pierrj^  etc.;  mais  il 
faut  toujours  faire  précéder  ces  .noms  des  mots  vin  de^  vin 
du,  'vin  d*,  etc. 

a6.  On  doit  toujours  servir  les  vins  d'entremets  et  de 
dessert  dans  les  bouteilles  telles  qu'on  les  monte  de  la  cave. 
C'est  leur  faire  perdre  leur  bouquet,  une  partie  de  leur 
esprit  et  de  leur  qualité,  que  de  les  transvaser  dans  des  fla- 
cons de  cristal  pour  les  produire  avec  plus  d'éclat  sur  la  ta- 
ble, comme  on  le  fait  quelquefois  pour  les  vins  ordinaires. 
La  véritable  parure  du  vin  réside  plutôt  dans  la  vétusté  que 
dans  l'éclat  du  vase  qui  le  renferme. 


366  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Ua  flacon  est  conmie  im  drapeau  , 
Plus  il  eat  Tieux  plus  il  est  beau. 

Le  vin  n>n  serait  que  meilleur  si  oq  le  buTaît  dans  des 
rerres  de  fougère ,  c'est-à-dire  très-miDces.  Les  Terres  de 
cristal ,  en  mettant  trop  d'interralle  entre  la  liqueur  et  les 
lèyres  du  buycur,  sont  de  grands  ennemis  de  la  dégusta- 
tion. Les  vrais  gourmets  en  devraient  proscrire  Tusage,  qui 
n*a  été  introduit  que  par  un  luxe  plus  fiistueux  que  bien 
raisonné. 


DU  DBSSBIT. 

37.  Le  dessert  est  aux  services  qui  le  précèdent,  ce  que  la 
girande  est  au  feu  d'artifice  ;  et ,  si  cette  comparaison  n*est 
pas  exacte  dans  tous  ses  rapports^  Ton  conviendra  du  moins 
qu'elle  fait  très-bien  comprendre  que  le  dessert  doit  être  U 
partie  brillante  du  festin;  que  son  apparition  doit  surpren- 
dre, étonner,  enchanter,  ravir  les  convives;  et  que,  si  tout 
ce  qui  a  précédé  a  satisfait  pleinement  le  sens  du  goût , 
(ce  qui  n'est  autre  chose  que  l'appétit  bien  dirigé),  !e  des- 
sert doit  parler  à  l'ame,  et  surtout  aux  yeux;  U  doit  pro- 
duire des  sensations  de  surprise  et  d'admiration ,  qui  met- 
tront le  complément  aux  jouissances  que  Ton  a  goûtées , 
depuis  le  commencement  du  repas,  et,  pour  peu  que  la  con- 
versation ait  été  aimable  pendant  le  dîner. 

Le  dessert 

Que  l'on  sert 

Aiguise  encor  la  saillie  ; 

C'est  alors  que  la  Folie 

Vient  apporter  son  couvert. 

{L'aMfé  dis  LirrAicifAHT.) 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  367 

Alors  on  peut  toat  dire  »  alors  toat  est  souffert. 
Tel  doute  à  l'entremets  »  qui  croît  tout  au  dessert. 

{Uart  dû  diner  en  vUte.) 

aS.  Chaque  conyiye  doit  se  serrir  en  ce  moment  de  ce 
qui  se  troure  à  sa  portée.  Ceux  dont  les  vues  Vétendent 
au-delà  de  la  sphère  d'une  coudée,  prient  leurs  voisins  de 
faire  passer  de  main  en  main  le  plat  qui  les  affriande. 

ag.  Les  compotes^  les  confitures ,  les  fromages  glacés , 
sont  les  seuls  mets  pour  lesquels  on  emploie  au  dessert  la 
cuillère ,  les  autres  plats  se  servent  à  la  main. 

3o.  Les  verres  ùl  vin  de  Champagne  doivent  être  apporté  s 
et  placés  devant  Tamphytrion,  soit  dans  une  verrière^  soit 
sur  leurs  pieds  ;  et  l'on  doit  s'empresser  de  ser?ir  le  nectar 
champenois; 

h* Ai  f  dans  qui  Foitalrê 

0e  nos  légers  Français  vit  limage  légère  : 
C'est  l'âme  du  plaisir ,  le  charme  du  festin  !... 
Dans  le  cristal  brillant,  son  nectar  argentin 
Tombe  en  perle  liquide  »  et  sa  mousse  fumeuse 
Bouillonne ,  en  pétillant,  dans  la  coupe  écomeose  ; 
Puis,  écartant  son  voile  avec  rapidité , 
Reprend  sa  transparence  et  sa  limpidité. 
Au  doux  frémissement  des  esprits  qu'il  récèle 
L'allégresse  renaît,  la  saillie  étincelle  ; 
Son  brait  plaît  à  l'oreille  et  sa  couleur  aux  yeux , 
Son  ambre  ,  en  s'exhalant ,  Ta  faire  envie  aux  dieux  ; 
Et  Podorat  eharmé  ,  savourant  ses  prémices , 
Au  goftt ,  qu'il  avertit ,  en  promet  les  délices  ! 

DiLiiAâ  (têê  troiê  fégnêt,  ) 

3i.  Le  vin  de  Champagne  peut  être  servi  parramphytrion; 
mais  il  acquiert  un  nouveau  charme  quand  il  est  versé  par- 


368  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

uûe  dame ,  dont  les  doif^is  gracieux  attaquent  etchasseM  le 
liège  prisonnier. 

Quand  le  bouchon ,  débamité 

Du  fil  qui  le  o^iptÎTe , 
Vole  y  avec  bruit ,  au  loin  chassé 

Par  la  liqueur  active, 
Je  crois ,  dans  les  brillaus  accès 

D'une  idmable  folle, 

Voir  jatUir  d'nu  cerveau  fkaoçaia 

L'éclair  de  la  saillie. 

Ditpau.      (Chanami.) 

Nous  satons  bien  que  la  détonation  que  produit  cet  effet 
inévitable  du  vin  de  Champagne,  est  généralement  redoutée 
d*un  sexe  timide  ;  mais  dans  tous  les  dîners  (  pour  peu  qu'il 
j  ait  de  Tétiquette  )  on  trouve  des  dames  qui  ne  s'eAtraieut 
point  du  bruit. 

DBS  GONTITES,  OU  DV  SATOIE-VITU  A.  TAILC. 

« 

Observations  préliminaires. 

Il  est  impoli  d'arriTer,  comme  conyi?e,d  un  dîner  com- 
mencé; ainsi,  lorsque  les  gens  sont  à  table,  les  conriTes 
sunrenans  doivent  s^abstenir  d'entrer,  dossenl-ils  {eùner 
tout  le  reste  du  jour,  en  punition  de  leur  inexactltade. 

La  plus  grande  peine  que  Ton  puisse  faire  à  an  gourmand, 
c*est  de  l'interrompre  dans  Texercicede  ses  mâchoires.  C'est 
donc  manquer  d'usage  et  de  savoir-vivre  que  de  rendre  visite 
a  des  gens  qui  mangent  ;  c'est  troubler  leurs  jouissances,  les 
empêcher  de  raisonner  leurs  morceaux,  et  leur  causer  des 
distractions  fâcheuses. 


lis  GASTBOffOME  FRANÇAIS.  669 

32.  Il  n'est  point  de  boa  ton  d*étendre  sa  serriette  et  deU 
passer  par  un  coin  dans  la  boatonnière  de  son  hâbît.  lifaut 
la  laisser  sur  ses  genoux  après  Taroir  déployée ,  pour  s'en 
servir  à  essuyer  sa  bouche  ou  se»  doigts. 

53.  On  doit  tou)Ours  nanger  sa  soupe  bouillante.  C'est  à 
cette  métViode  que  l'on  distingue  les  vrais  gourmands  des 
gouroMiAds  Yulgaires. 

54.  Il  n'est  plus  permis  de  prendre  d'une  main  sa  four- 
cbette  et  de  l'autre  aa  citiUère  p^ur  Boanger  sa  soupe  j  on 
ne  se  sert  que  de  ce  dernier  instrument^  qu'il  iaitt  Uissec 
sur  son  assiette. 

35.  ▲nseitèt que  l'on  a0um|^lepetj^,pnse  verse  environ 
«D  doigt  4e  vin  pur  :  c'est  ce^iu'on  appelte  le  coup  d*aprè9» 

€e  doigt  de  vin  est  le  seul  qu'on  Térîtable  gourmand 
boîtet  en  vrîn  ordinaire,  car  ne  pas  boire  d'eau,  rougîe  au 
prenmr  sertiee^  4'est  sacrifier  la  jouissance  future  à  l'or- 
goeii présent;  mais  avant  de  £iiire  ee  sacrifice,  on  doit  s.'as** 
surer  par  l'inspeetioa  des  verres  placés  devant  soi  s'il  y  aura 
des  vins  &ù9^  ce  qui  ne  manque  guère  datU'  la  lAoindre 
maison  bourgeoise. 

Dans  tout  état  de  cause  ^.Gootime  Ce  cas  peut  malheureu- 
sement se  reneootrer  ckes  quelque  provincial,  et  que  nous 
ne  voulons  pas  qa'on  convive  lioao£te  nous  reproche  de 
l'arob  condamné  à  Vûhêndance  pendant  tout  son  dîner  (  ce 
qui  serait  pour  nous  un  déboire  accablant  ) ,  nous  allons 
-donner  le  signalement  des  venree  qui  doivent  contenir  les 
vins  eitraordinaires  :  la  carpneibé  des  verres  k  vins  d'en- 
tremets est  environ  de  la  moitié  de  celle  des  verres  à  vin 
«iraUiiaiTe  ;  et  celle  de»  verres  à  vin  de  liqueur-,  du  tiers  de 
•-ces  derniers;  ils  ont  la  forme  d'une  tulipe  :  les  verres  à  viw 
<ie  Ghampague  sont  ètroiis,  profioodset  de  forme  conique; 

24 


570  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

mais  on  ne  place  ordinairement  ces  derniers  sur  table  qu^au 
dessert,  afin  d'èriter  la  confusion  ou  la  casse;  car  ces  verres 
extraordinaires  sont  ordinairement  aussi  fragiles  que  la 
Tertu  d'une  danseuse  de  l'opéra. 

36.  Il  faut  demander  da  bmaf^  et  non  pas  du  botùUL 

37.  Ce  serait  une  grande  incongruité  de  se  serTÎr  da  cou- 
teau pour  dirisér  son  pain.  Il  faut,  tant  que  dure  le  repas» 
se  contenter  de  le  rompre  ayec  ses  doigts. 

38.  Il  n'est  pas  permis  de  demander  </«  la  wiaille;  H  Êrat 
en  spécifier  l'espèce  et  demander  de  la  poularde  y  da  cka/wn^ 
du  poulet,  tic. 

39.  Dan^  les  tables  nombreuses  il  n'est  guère  coDTenabie 
d'adresser  des  demandes  directes  à  Tamphytrion  ou  ans 
convives  qui  servent.  Ces  demandes  coupent  et  tatenom- 
pent  la  conversation ,  et  feraient  naître  de  la  confusion  dans 
la  digestion  des  mets,  surtout  si  elles  étaient  finîtes  sînMilta- 
uément.  Il  faut,  si  la  chose  est  possible,  faire  demanderda 
plat  que  l'on  désire  par  les  domestiques;  mais  il  faut  atten- 
dre que  ce  mets  soit  divisé,  si  c'est  nne  pièce  entière;  autre- 
ment la  demande  serait  indiscrète. 

40.  On  ne  doit  jamais  plaisanter  un  convive  en  présence 
de  son  valet.  Cet  article  n'a  besoin  d'aucune  édification. 

41.  Le  voisin  de  l'amphjtrion  peut  donnera  vois  baisse 
son  avis  sur  les  détails  du  repas  :  tout  haut  il  ne  doit  c^a'ap- 
prouver. 

4^'  U  n'y  a  que  les  mauvais  cœurs  qui  médisent  à  table , 
car  rien  ne  doit  rendre  indulgent  comme  la  bonne  chère  et 
l'hilarité. 

43.  Il  ne  faut  jamais  refuser  ce  qu'envoie  directemeni 
ramphjtrton. 

44*  Toutes  les  cérémonies,  lorsqu'on  est  à  table ,  tour^ 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  571 

nent  toujoars  au  détriment  du  dîner.  Le  grand  point  c'est 
de  manger  chaud,  proprement,  long-temps  et  beaucoup. 

45.  Un  gourmand  qui  sait  rirre  écoute  en  silence  les  propos 
de  table  qui  s'engagent  an  commencement  du  dîner,  et  n'en- 
t-ame  jamais  de  confersation  qu'après  le  coup  du  milieu. 

46.  Vn  sourire  approbatif  est  obligatoire  à  chaque  plai- 
santerie que  l'fflanphyti'ion  croit  dire  ou  faire. 

47.  Le  Yoisin.  d'une  dame  deyient  son  cavalier  servant  : 
il  doit  surveiller  le  verre  et  l'assiette  de  sa  voisine ,  et  les 
faire  fournir  comme  les  siens  propres.  De  son  côté,  la  voi- 
sine doit  se  montrer  aimable  et  reconnaissante  envers  son 
voisin.  Cts  soins  et  ces  égards  peuvent  trouver  leur  récom- 
pense... on  n'est  pas  toujours  à  table.  Si  un  convive  se 
trouve  placé  entre  deux  dames,  il  doit  des  égards  particu- 
liers à  celle  qui  est  à  sa  droite.  Dans  ce  cas  la  dame  de 
gauche  est  tenue  de  ne  pas  bouder,  quand  bien  même  elle 
n'aurait  pas  de  quoi  se  dédommager  de  ce  côté. 

Si  un  cavalier  pouvait  servir  deux  dames  à  la  fois ,  les 
choses  n'en  iraient  que  mieux. 

48.  Comme  il  faut  agir  graduellement  en  tout,  un  cava- 
lier ne  doit  être  que  poli  pendant  le  premier  service  ;  il  est 
tenu  d'être  galant  au  second,  et  tendre  au  dessert  :  mais, 
jusqu'au  Champagne,  quel  que  soit  l'effet  qu'aient  produit 
ses  égards,  ses  soins,  ses  yeux  et  sa  conversation,  son  genou 
ne  doit  point  7  prendre  part. 

49.  On  doit  toujours  tenir  ses  mains  sur  la  table  et  en 
évidence  ;  mais  il  est  de  la  dernière  impolitesse  de  s'y  ac- 
couder. 

50.  Ce  serait  une  malhonnêteté  de  refuser  le  premier 
verre,  soit  devin  d'entremets,  soit  de  dessert,  envoyé  par 
l^amphytrion. 


5^»  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

5i.  U  est  défendu  de  demander  du  Bourgogne ,  du  Bor^ 
deauxydu  Champagne,  etc.  ;  on  doit  dire  du  yîn  de  Bour* 
gogne,  du  Tin  de  Bordeaux ^  du  vin  de  Champagne. 

Si.  Les  Trais  gourmands  ont  toujours  acheTé  leur  dîner 
aTant  le  dessert.  Ce  qu'ils  mangent  par-delà  le  rôti,  n*eftt 
que  de  simple  politesse* 

53.  Il  faut  boire  le  TÎn  de  Champagne  aussitôt  quHl  est 
Tersé,  afin  de  n*en  pas  laisser  éTapejrer  Tespril,  dont  en  a 
toujours  besoin  au  dessert. 

54-  Au  dessert  y  le  maître  de  la  maison  perd  tous  ses 
droits.  Chacun  fourrage  à  sa  guise;  Tanarchie  succède  à 
l'ordre.  Mais  aussi  la  gaieté,  le  rire,  les  joyeux  couplets,  le 
Champagne  jaillissant  ù  la  fois^  et  la  salle  à  manger  prend 
un  aspect  de  joie,  un  air  de  plaisir  et  de  fête^ 

55«  Dans  les  dîners  bien  ordonnés  »  les  enfans  ne  doiTeot 
point  rester  à  table  au  dessert  \  ils  y  so  nt  presque  toujours 
incommodes,  et  nuisent  au  charme  de  la  couTersation,  soît 
en  pleurant,  en  criant,  en  renversant  le  Terre  de  leur  toî- 
'sin ,  ou  en  frappant  à  grands  coups  sii^r  leur  assiette  arec  un 
couteau ,  bruit  qui  n'est  jamais  entendu  des  bons  païens. 
<I*est  bien  pis  encore  lorsqu'un  complaisant,  jaloux  d'être 
agréable  à  Madame,  Ta  demander  au  joli  enfant  U  Cigale 
^  la  Fourmi,  qu'il  sait  si  bien  par  cc^ur.  Toule  conver-t 
sation  cesse  alors  ,  et  il  tous  est  loisible  de  prendre 
pour  du  syriaque  ou  de  l'arabe  ce  que  tous  écoutes  attentif 
Tement  pendant  une  demi-heure;  encouragé  par  son  suc- 
cès, l'enfant  tous  régale  alors  de  tout  son  répertoire;  et 
gardez-TOus  de  témoigner  le  moindre  signe  d'improbation; 
TOUS  rencontreriez  les  yeux  du  grand-papa  ou  de  la  grand'- 
maman,  et  votre  couTert  serait  pour  toujours  oublié  dans 
cette  maison.  Le  seul  parti  ù  prendre ,  lorsqu'on  est  placé 


/  j 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  578 

A  e6té  d^ua  tel  mannot ,  c'est  de  le  griser  au  plus  vite  y  aân 
qu'on  TenToie  coucher  :ce  n'est  qu'alors  qu'on  peut  donner 
un  champ  libre  à  la  gaieté. 

56.  Si  l'on  porte  des  santés,  la  première  doit  être  tou- 
jours aeu;  Dames  I 

57.  La  santé  de  l'amphy trion ,  portée  au  moins  par  la 
reconnaissance  de  l'estomac ,  doit  être  la  seconde.  Quelques 
conyWes,  plus  gourmets  que  gourmands ,  pensent  quHl  ne 
faut  porter  cette  santé  que  quand  il  n*y  a  plus  de  Tin  sur  la 
table  9  parce  que  c'est  un  procédé  certain  pour  en  faire  re-. 
▼enir. 

58.  Quant  aux  autres  santés ,  elles  dépendent  des,,  cir- 
constances qui  sont  l'objet  du  dîner.  Chacun  a  ses  affections 
particulières. 

59.  Il  est  aussi  impoli  de  laisser  du  yin  dans  son  yerre 
que  des  morceaux  sur  son  assiçtte  :  c'est  ce  qu'un  amphy- 
trion  doit  remarquer  avant  de  sortir  de  table  ;  et  c'est  un 
aTcrtissement  pour  lui  dç  mieux  choisir  ou  ses  CQOTiyes  ou 
son  yin. 

60.  C'est  s'inyiter  à  dîner  pour  une  autre  fbis  que  de 
plier  sa  senriette;  aussi  ôela  ne  se  fait  point  à  Paris,  à  moins 
qu'on  ne  soit  familier  dans  la  maison. 

CONCLUSION. 

Les  dîners  d'amis  sont  préférables  aux  dîners  d'étiquette, 
où,  comme  l'a  très-bien  dit  le  joyeux  Désauglers, 

  sa  trûtesM  étrange , 
Oa  croirait  quelquefois 
Que  chaque  invité  n^nge 
Pour  la  dernière  fois. 


374  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Noas  sommes  de  Taris  d«  Tabbé  de  LattàigiiaDt  quand  H 
chaDte  ; 

Je  déteste  la  m«DM 
De  donoer  de  grands  repas  f 
On  dtne  en  cérémonie  y 
On  symétrise  les  plats  ; 

On  y  rit 

Sans  esprit  t 
Mangeant  froid ,  pariant  de  même  ^ 
On  perd  »  par  ce  faux  système , 
Les  bons  mots  et  l'appétit. 

Pannard  nous  a  laissé  les  lois  de  la  tahU,  que  chaque 
gourmand  doit  religieusement  obserrer,  sauf  quelques  mo- 
difications ou  améliorations  indiquées  dans  le  Code  qoe 
nous  Tenons  de  donner. 

Poiirr  de  gêna  dans  un  repas. 
Table  fùl-elle  au  mieux  garnie  r 
Il  faatt  poni  m'offrir  des  appas , 
Que  la  contrainte  en  soit  bannie.. 
Tontes  les  maisons  où  j'en  toI 

Sont  des  lieux  que  j'édite  : 
Amb ,  je  veux  être  chei  moi 

Partout  où  l'on  m^vite. 

Quand  on  est  sur  le  point  d'honneur 
Quel  désagrément  on  éprouve  ! 
Point  de  haut  bout ,  c'est  une  erreur  : 
Il  faut  s'asseoir  comme  on  se  trouTC  ; 
Surtout  qu'un  espace  assez  grand 

En  liberté  nous  laisse. 
Même  auprès  d'un  objet  charmant 
Comas  défend  la  presse. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  5-j5 

FuyoQs  un  conme  pressant 

Dont  les  soins  importans  nous  choquent , 

Et  qui  nous  tue  en  nous  Tenant 

Des  rasades  qui  nous  suffoquent  : 

Je  veux  que  chacnn  sur  ce  fait 

Soit  libre  sans  réserve , 
Qu'il  soit  son  maître  et  son  Talet ,  (i) 

Qu'à  son  goCit  il  se  serre. 


Tout  ce  qui  ne  plaît  qu'aux  regards 
A  l'utilité  je  l'immole  ; 
D'un  buffet  chargé  de  cent  marcs 
La  montre  me  parait  frivole  : 
Je  ris  tout  bas  lorsque  |e  Tois 

L'élégant  édlHce 
D'un  surtout  qui  pendant  six  mois 

Rentre  entier  dans  l'office. 

Se  piquer  d'être  grand  buveur 
Bst  un  abus  que  je  déplore  : 
Fuyons  ce  titre  peu  flatteur  ;. 
C'est  un  honneur  qui  déshonore. 
Quand  on  boit  trop  on  s'assoupir , 

Et  l'on' tombe  en  délire  : 
Buvons  pour  avoir  de  l'esprit , 

Et  non  pour  le  détruire. 

Quand  on  devrait  me  censurer , 
Je  tiens ,  amis ,  pour  véritable 
Que  la  raison  doit  mesurer 
Les  plaisirs  même  de  la  table  : 
Je  veux  quand  le  fruit  est  servi 
Que  chacnn  se  réveille  ; 
Mais  il  faut  quelque  ordre  ,  et*  voici 
Celui  que  je  conseille  : 

{%]  AiluHon  i  rarliclt  >f  iuCoéiti^tê  Ttkir. 


376         LB  GASTRONOME  FïlANCAK. 

Dans  les  chansons  point  é^êbojfnn , 
Dans  les  transports  point  de  tannllc , 
Dans  les  récits  point  de  loBgaeqr»^ 
Dans  la  critiqae  point  d*însolte  ; 
Ifîvnrité  sans  jarement  ; 

liberté  sans  licence  « 
Dispute  sans  emportemefit  ; 

Bons  mots  sans  méifisance. 

Noos  citerons  encore  les  maximes  suivjintes ,  de  M.  C*** 
l'an  de  nos  collègues  en  gourmandise  et  en  épicuréisme  ; 
elles  sont  sur  l'air  :  F' là  e  qué  €^4$t  qu^  4iaiUr  tui  bois, 
(  n*;  637  de  laCU  du  Comou.  ) 

L'appétit  doit,  comme  l'amom;. 
Se  réveiller  avec  U.  îoiir  ; 
Des  bons  repas  être  à  U  piste  » 

£n  tenir  la  liste, 

Puis ,  k  llmproviste , 
Goorir  an  meilleor  librement  : 

V'ià  c'  que  c'est  qu'on  vrai  <SoarmaDd. 

Rien  ne  doit  le  déterminer 
A  manquer  l'heure  d'un  dîner  ; 
N'importe  celle  qu'on  Teat  prendre , 

Vite  il  doit  s'y  rendre 

Sans  se  faire  attendfe  : 
Pïêt  à  toute  heure ,  à  tout  moment  9 
V'ià  c'  que  c'est  qu'on  Trai  Gonrmand. 

Celui  qui  sert  dans  un  repas 
ilsseï  souvent  ne  mange  pu. 
L*homme  à  principes  q  ul  raisonne 
Pkend  ce  qu'on  lui  donne , 
Et  ne  sert  personne  ; 
Il  mange  plus,  et  chaudement  : 
V'ià  c'  que  c^est  qu'un  vrai  Gourmv>d* 


LE  GASTRONCMIB:  FRANÇAIS.         577 

Ne  f'entieteair  de  procès , 
De  la  gaene  »  ni  de  la  paix  ; 
Laisier  parler,  joger,  mé£re» 
Qoel^aefbiB  aoivire  , 
Ne  jamais  rien  dire , 
Que  bien  obligé  simplement  ; 
Tlà  c'  que  c'est  qu'an  rrai  Gourmand. 

Goûter  de  tons  les  plats  qn'on  sert 
Dn  consommé  jasqn*aa  dessert  ; 
A  petits  coups  boire  à  son  aise  ; 
Si  le  dîner  pèse , 
Sauter  sur  sa  chaise 
Pour  le  fa«s0r  honnêtement ,  (1) 
Ylà  c'  que  c'est  qu'un  vrai  Gourmand. 

fi}Cc  procédA  MlneoBDn  par  M.  0.  D.  L.  B.  poar  «tn  k  plpirimple  et  i»  woim  coAikui. 


2lrtkte  Cinquième» 

DES  IFTEAMÈDES     DU    DINBB^    ET    DB    l'uSAGB     DB    GBANTBR   ▲ 

TABLE. 


PlLUTàBQVB  pose  OQ  questioD ,  dans  son  Traité  des 
propos  de  table  :  Lequel  est  préférable  ou  de  converser 
librement  pendant  le  repas ,  ou  de  fiûre  la  lecture  »  ou 
d^entendre  de  la  musique,  ou  enfin  d^ntroduire  des 
baladins  et  des  danseuses ,  pour  mettre  les  conyives  en 
bonne  humeur? 

Cette  difficulté  n'est  pas  si  facile  à  résoudre  qu'elle  le 
parait  au  premier  abord ,  car  si  des  convives  joyeux  » 
spirituels  et  rassemblés  par  l'amitié ,  doivent  exclusive-^ 


57»        LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

ment  pencher  pour  la  conversation  »  on  conviendra  que 
les  instrumens  à  vent  sont  d*une  admirable,  ressource 
pour  ceux  qui  ont  i'ima^nation  stérile ,  la  langue  em- 
barrassée et  le  ventre  plein. 

Pour  un  repas  où  la  confiance  et  la  liberté  sont  invi- 
tées ,  et  répondent  à  Tiavitation ,  il  y  en  a  dix  dont  k 
joie  est  bannie  par  les  innombrables  parasites  qu*amè- 
nent  le  luxe ,  l'ostentation ,  la  cérémonie ,  et  même  h 
simple  et  timide  bienséance. 

Sans  musique»  sans  spectacle  et  autres  accessoires, 
que  ferait-on  au  milieu  de  ces  festins  solennels ,  où  l'é- 
tiquette restreint  tout  le  babil  des  convives  à  quelques 
mots  choisis  de  politesse  banale?  que  dirait-on  au  dtner 
du  ministre ,  à  celui  de  M.  l'ambassadeur ,  au  souper  de 
madame  la  maréchale  ?  La  pluie  et  le  beau  temps  peuvent 
occuper  une  demi-heure  »  la  mode  et  les  nouvelles  poli- 
tiques ou  littéraires  remplir  tout  le  premier  service; 
mais  que  fera  des  deux  heures .  qui  restent  le  convive 
dont  l'appétit  n'a  plus  rien  à  Ceiire? 

La  ressource  la  plus  heureuse  que  puisse  employer  en 
pareil  cas  tout  amphytrion  bien  avisé ,  c'est  de  réjouir 
ses  hôtes  »  sinon  à  la  manière  des  Orientaux ,  par  les 
tours  de  passe  passe  d'un  jongleur ,  ou  la  danse  volup- 
tueuse d'une  jolie  bayadère ,  au  moins  par  une  douce 
harmonie  et  par  des  chants  mélodieux. 

Nous  avons  des  virtuoses  dont  la  table  fait  le  succès  et 
la  renommée;  leur .  voix ,  remplissant  la  salle  à  man- 
ger ,  tombe  avec  éclat  dans  des  oreilles  avides  et  pré- 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  879 

parées ,  et  leur  talent  »  peu  goûté  du  public ,'  s'y  élève 
au-desaus  de  la  critique  et  de  lui-même. 

Ce  n'est  pas  pour  les  œuvres  de  son  cuisinier  que 
toute  la  ville  brigue  une  invitation  cbez  Mondor;  ce 
n'est  que  chez  lui  qu'on  entend  distinctement  les  airs 
d'une  cantatrice  fameuse,  et  tous  les  amateurs  sont  de- 
venus ses  amis. 

Enfin  le  besoin  d'un  spectacle  quelconque  pendant  le 
repas  se  fait  sentir  si  universellement ,  que  chez  le  plus 
modeste  amphytrion  vous  verrez  quelque  jeune  beauté , 
parée  conmie  en  un  jour  de  fête ,  offrir  aux  auditeurs 
indulgens  les  prémices  de  son  petit  talent  sur  le  piano  » 
la  harpe  ou  la  lyre. 

Dans  les  cabarets  mémo  et  dans  les  guinguettes  on 
aperçoit  à  travers  le  treillage  la  famille  Jobart,  en  habit 
des  dimanches ,  buvant  au  son  «de  l'orgue  ambulant ,  et 
faisant  ses  libéralités  à  deux  marmots  tout  noirs  de  fu- 
mée, qui  exécutent  une  danse  savoyarde  pour  la  satis- 
(action  de  madame  Jobart  et  de  mademoiselle  sa  fille; 
les  fronts  s'épanouissent ,  et  le  vin  cosmopolite  complète 
le  bonheur  des  convives. 

Il  est  vrai  que  ces  divertissemens  que  nous  avons  in- 
diqués plus  haut  ne  sont  pas  à  la  portée  de  tout  le  monde, 
et  que  certains  gourmands  les  fuiraient  autant  que  la 
fortune  du  pot;  mais  si  l'on  était  une  fois  convenu  de 
ne  point  donner  de  dîner  sans  quelque  accessoire  obligé, 
chacun  saurait  \  quoi  s'en  tenir,  et  suivrait  son  pen- 
chant :  tel  viendrait  pour  la  musique ,  et  tel  uniquement 
pour  le  dîner. 


À 


38o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Mais ,  dans  un  dtner  aans  étiquette ,  dana  un  banquet 
où  rien  ne  manque  de  la  part  des  couTirea  et  de  celle  de 
ThAte  »  e*est-à-dire  où  les  bons  mets  »  le  rin  et  Tappétit 
abondent ,  où  chaque  visa^  respire  la  joie  et  k  fran- 
chise ,  il  ne  faut  point  de  secours  étranger  et  point  de 
plaisir  accessoire;  chacun  apporte  en  soi  un  foods  de 
gaieté  communicative;  les  bons  mots  sont  au  fond  deli 
bouteille ,  et  chaque  verre  les  &it  jaillir.  Tout  spectacle, 
tout  divertissement  dont  les  conrives  ne  aéraient  pas  lei 
acteurs  serait  sans  sel  et  sans  saveur;  car,  comme  le  dît 
le  naïf  Amyot ,  il  n'est  sauce  que  d'amU. 

La  seule  attention  que  Ton  doive  avoir  en  pareil  cas , 
c*est  d'exclure  les  gens  trop  sobres ,  W  taciturnes ,  et 
ceux  qui ,  abusant  de  la  qualité  de  Gourmands,  ne  se 
mettent  à. table  que  pour  une  seule  et  exclusive  occupa- 
tion. 

La  nation  française  est  essentiellement  chantante,  se- 
lon la  remarque  du  rusé  Mazartn.  Le  Français  prison- 
nier charme  en  chantant  les  ennuis  de  sa  captivité;  il 
chante  les  faveurs  comme  les  rigueurs  de  sa  mattresse  : 
enchante  en  France  pour  calmer  ses  inquiétudes  comme 
pour  célébrer  ses  plaisirs.  G^est  en  chantant  que  le  Fran- 
çais vole  aux  combats;  il  chante  encore  en  célébraat  ses 
triomphes;  et  quand  les  hymnes  de  la  paix  viennent  se 
mêler  à  nos  rondes  bachiques ,  on  ne  peut  contester  ie^ 
droit  de  chanter  à  table. 

Clytophon. 


j 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  38 1 


l..t  .1 


2lrtkk  &ixièvxe. 


€S$€ti* 


Ob^arviUian. 

Toxm  chanson  de  table  doit  être  gale,  elle  doit  aroir  un 
caractère  d'enjouement  et  de  liberté  qui  fa  distingue  des 
autres.  Les  conyiyes  qui  ont  la  yoix  juste  doivent  répéter 
en  chœur  les  refrains  ;  mais  tous  sont  tenus  de  garder  le 
plus  profond  silence  pendant  les  couplets,  même  ceux  à 
qui  les  muses  n'ont  jamais  sowri  dan»  ce  g^nr e  de  poésie , 
comme  dans  tous  les  autres*  Si  e^estun  avantage  de  n'a- 
voir rien  fait,  il  ne  faut  pas  en  abuser. 


LE  CODE  ÉPICURIEN. 

Air  : Qarad  Biimi  «onlal  dtxmu»  [JH^i^UCUét CêMm.  ) 
ÀATIGU  I*% 


1»;     S 


Sawiè  ,  joie  ei  eœtera 

A  qui  ces  statuts  lira 

C'est  da  divin  Epicnre 

La  morale  toute  pure , 

Et  remise  à  neuf  .   . . 

Pour  mil  huit  ceot  neuf. 


388  LE  GASTRONOMB  FRANÇAIS, 

AftT.   II. 

Ordre  à  tout  Epicurien 
De  ne  s'affliger  de  rien  ; 
Fils  heureui  de  la  Folie , 
Rien  n'aura  droit  dans  la  vie 

De  le  chagriner, 

Qu'on  mauvais  dîner. 

Ait.  III. 

Dès  que  son  printemps  Tiendra 
L'Bpicurîen  aimera  » 
Mais  jamais  d'ardeur  fidelle» 
Attendu  que  chaque  belle 

Doit  en  fait  d'amour 

Réclamer  son  tour. 

Aet.  IV. 

Lui  défendons  toutefois 
De  changer  avant  un  mois  ; 
Et  si  la  Parque  traîtresse 
Vient  lui  ravir  sa  maltresse , 

Il  la  pleurera... 

Le  moins  qu'il  pourra. 

A»T.  V. 

SU  natt  de  ce  doux  lien 
Du  petit  Epicurien , 
De  peur  qu'il  ne  dégénère 
Des  qualités  de  son  père , 

Ordre  à  l'innocent 

De  boire  en  naissant. 

A*T.   VI. 

L'Epicurien  des  autels 
Fuira  les  notnài  éêemelt  ^ 


I 


LE  GASTftONOME  FRANÇAIS.  383 

Attenda  que  ce  tfa'on  aime 
Ne  peut  y  fût-ce  Véniu  même  , 
Paraître  charmant 
BUniêliemeni. 

Abt.  VII. 

D'one  femme  quand  l'époaz 
Sera  qninteuz  et  jaloux, 
L'Epicurien  de  la  belle 
Eimbraafera  la  querelle , 

Bt  la  vengera 

Le  mieux  qull  pourra. 

Ait.  VIII. 

Ordonnons  que  le  matin 
Quiconque  aura  soif  ou  faim 
Se  contente  d'une  pinte 
Et  d'un  jambonneau ,  de  crainte 

Que  le  déjeuner 

Ne  nuise  au  dîner. 

^  Abt.  IX. 

SU  se  trourait  un  Toisin 

A  la  jalousie  enclin  , 

Il  sera  réputé  traître  ; 

Mats  nous  lui  permettons  d'être 

Jaloux  de  celui 

Qui  boit  plus  que  lui. 

Abt.  X. 

< 

Entre  frères  tout  cartel 

Étant  fil  et  criminel  t 

De  nous  déclarons  indignes 


384  LE  GASTRONOME  f%ANÇAÏ&. 


Et  ^poitsMoa  4e  mm  «î^iim 
Ceux  qoi  de  plein  gré 
iFAÎeot  sur  le /M. 

Art.  XI. 

L'Epicurien  qu'on  cenieur 
Blâmera  d'être  bureur, 
A  son  style  mtîgre  «t  faife 
Jugeant  son  espfk iMUdet^ 

Doit,  parcbwité» 

Boire  à  sa  santé* 

Aat.  XII. 

L'Epicurien  se  dira 
Quand  sa  tête  blaochira  : 
Dois-je  à  l'heureuse  jeunesse 
Reprocher  sa  folle  ivresse  i 

Ne  crions  pas  tant  ; 

J*en  ai  fait  autant. 

Ait.  XIIL 

Quand  son  heure  sonnera 
Sur  sa  tombe  on  inscrira  : 
Ci'gtt  un  fils  ttEpiam, 
Qui ,  malgré  dame  Pfature^ 

Cdrîé  aurait  vécu 

Plui  t*U  Cuvait  pu. 

Art.  XIV. 

Fait  au  temple  oh  elMiqae  }o«r 
Epicure  tient  sa  cour  ; 
Publié  ce  viQgt  déecpAbm, 
Au  banquet  de  la  grand'chambre , 
Pardevant  Comas, 
Bacchus  et  Momus. 

LAinmi ,  PràmâmU 
PaiLirON  Bt  Li  MsaaLAUiv,  Vîee-Préddeult 
Pour  copie  eanfimnâ,  BÈBAvniEmê^  Seeriiairc. 


1 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  585 

CONSEILS  A  LA  VIEILLESSE. 

Au  :  Noof  o*R?«iM  qu'an  I«»]m  *  vtrre  (  N.  AoS  de  la  CU  du  Cavtau  ;. 

R10H8  avec  la  jeunesse , 

SuÎTons  le  plaisir  qui  la  suit  ; 

C'est  un  bien  pour  la  vieillesse 

D'amuser  le  Temps  qui  s'enfuit. 

On  Yoît  réreiUer  la  nature 

Aji  chant  des  oiseaux  du  printemps  ; 

Le  plaisir  de  Toir  la  wrdure 

Lui  fait  perdre  ses  cheveux  blancs. 

Rions  ,  etc. 

Pour  adoucir  l'humeur  chagrine  * 

Des  jeux  il  faut  se  rapprocher  ; 
C'est  sur  cet  espoir  que  l'épine 
Sous  là  rose  aime  à  se  cacher. 
Rions,  etc. 

Quand  nous  le  prions  qu'il  demeure , 
11  est  si  vieux  qu'il  n'entend  plus  ; 
Il  n'y  voit  que  pour  presser  M^eure , 
Et  compter  nos  momens  perdus. 
Rions ,  etc. 

Ce  jour  en  est  un  qu'il  nous  laisse 
Pour  nous  rappeler  nos  beaux  ans  ; 
En  nous  le  donnant  il  nous  presse 
D'en  mettre  à  profit  les  instans. 

Rions ,  etc. 

Lacjon* 

L'ÉLÈFE  D'ÉPICURE  A  TABLE. 

Aïs  :  Eh  !  gai ,  gai ,  g»i ,  moo  oflBoiar  (N.  167  àbWCUim  CoPtûm }. 

Cbantohs,  buvons;  ce  n'est  qu'ici 
Que  la  vie 
Est  jolie  ; 

a5 


386  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Ghantoni  »  boTons  ;  ce  n'eit  qu'ici 
Qu'on  oargoe  le  aouci. 

Une  onde  fugitive , 
Voilà  notre  destin  ; 
Biais  le  ciel  sor  la  live 
Fait  croître  le  raisin. 
Chantons,  buvons,  etc. 

Laissons  un  dieu  Tolage 
Amuser  des  enfans  : 
On  n*«ime  qu'au  jeune  Age  ; 
On  boit  dans  tous  les  temps. 
Chantons,  burons,  etc. 

Combien  d'heures  chagrines 
Suivent  les  doux  ébats  ! 
La  rose  a  des  épines , 
Le  pampre  n'en  a  pas. 
Chantons,  buvons,  etc. 

Belles  qu'Amour  condamne 
A  de  tendres  langueurs , 
Imitez  Atiane  ; 
Bacchus  sécha  ses  pleurs. 
Chantons,  buvons,  etc. 

Garde ,  fils  de  Latooe , 
Tes  neuf  soeurs,  ton  ruisseau  ; 
J'ai  pour  muse  Erigone , 
Pour  Parnasse  un  caveau. 
Chantons ,  buvons  ;  ce  n'est  qu'ici 

Que  la  vie  ^ 

Bit  jolie; 
Chantons,  buvons;  ce  n'est  qu'ici 
Qu'on  nargue  le  souci. 

Fa.   Dl  LA   MiDILilSI 


i*»^« 


i 


w 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  38y 

ANACRÉON  RAJEUNI. 

AiB  :  Jadis  va  cclèbN  enpenur,  N.  «96 ,  eu  on  air  noaten .  (  N.  901  de  la  CYtf  du  Ca9êau  ] 

ANAGBtoN  devient  si  vieux 

Qu'Aspasie  en  verse  des  larmes  ; 
H  prend  sa  lyre ,  et  par  des  chants  foyeax 

Prétend  bien  calmer  ses  alarmes  : 

«  Qne  Phébus  vienne  k  mon  setonrs  ; 
«  Goulex,  mes  vers,  conlez  pour  les  Amours.  »  \ 

Dans  l'espoir  d'augmenter  ses  droits 

A  la  tendresse  d' Aspasie , 
Mon  philosophe  a  bu  jusqu'à  trois  fois 

D'un  vin  frais  qui  vaut  l'ambroisie  : 

«  Que  Bacchus  vienne  à  mon  secours  : 
«  Coulez,  mon  vin ,  coules  povr  les  Amours,  w 

Le  soir  arrive ,  et  du  berger 

Il  invoque  à  propos  l'étoile  ; 
Ses  feux  sont  tels,  que  pour  les  partager 

Aspasie  est  déjà  aàns  voile 

«  Que  Vénus  vienne  à  mon  secours; 
4  Coulez,  mes  nuits ,  coulez  pour  les  Amours.  > 

Le  matin ,  sans  changer  de  ton , 

Groiriez-vous  quUl  s'enflamme  encore  { 
«  Je  sens ,  dit-il,  que  je  deviens  Tithon  ; 

•  Aspasie ,  es-tu  donc  l'Aurore  f. . . 

a  Viens ,  viens  toi  seule  à  mon  secours  ; 
«  Coulez ,  mes  jours ,  coulez  pour  les  Amours.  • 

Far  moi ,  de  notre  cher  patron 

La  doctrine  sera  suivie 
Jusqu'au  moment  où  le  brutal  Caroo 

M'entraînera  luin  de  la  vie  : 

«  Mes  vers ,  mon  vin  ^  mes  nuits,  mes  jours, 
•«Coulez  toujours ,  coulez  pour  les  Amours.  » 

M.  ai  Pus. 

■aw* 


UE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

BIBI. 


n 


Et 


la  vif  dfl  Tin  à 
Tihi,  mon  cher  Gfégoîfe, 


#o  ras  P'^  ^'^  bovriclm 


Bl  prêt  de  certaint  ricbet , 
MmUu; 

Mais  toajoon  aoiu  les  tretUes 

VU 
Je  tnmrai  des  booteilles , 

Bni. 

Fuis  fat  mon  «aie.... 

EfU; 
Et  si  qoelqulmbécîk 

Qmœrtt  : 
•  Dis-moi ,  pour  être  Qtiie 

•  UM, 
»  Qae  fis-tn  dans  la  nlle  ?••..  a 

Bnr. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  589 

Si  j'ai  craint  les  batailles 

Muitum  , 
J'ai  fait  voir  aux  futailles 

F'ultttm: 
Moins  fatal  qu'Aleiandre 

Orbi, 
Sans  rien  réduire  en  cendre 

BlBI. 

Jadis ,  fêtant  sans  cesse 

Bacehum , 
J'eniyraîs  ma  maltresse 

ViBewm: 
Resté  seul  J'eus  des  craintes 

Morhl  : 
Pour  braver  ses  atteintes^ 

BiBI. 

Je  fis  parfois  à  table 

Non  pour  rendre  durable 

Ncmaa: 
J  Ignorai  l'art  sablime 

Phœbi  ; 
Pour  rencontrer  la  rime 

BlBl. 

Par  Bacchns  Je  resp&r    ; 

Bibo, 
Et  lorsqu'au  sombre  e:i-  'ire 

ho  : 
Narguant  la  soif  fatale 

m, 

Je  Teux  dire  à  Tantale  : 

BiBl. 

GmiUit  ÂRMAUD-GovFFi. 


^«  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

MA  PHILOSOPHIE. 

Alt  da  «uré  de  Pompooe  (N.  47^  dr  (a  CU  dm  Csnauj . 

D'aocun  pénible  souvenir 

Le  poids  ne  m'indifpoie  ; 
A  mes  yeux  le  sombre  avenir 

Devient  couledr  de  rose  : 
Pour  le  présent ,  qui  fuit  déjà , 
Au  hasard  je«ae  fie. 
J'espère  que  voiià , 

Larira,  >  chorus. 


De  la  philosophie. 


I 


Par  moi  du  joyeux  troubadour 

La  morale  est  suivie , 
Et  cbaque  plaisir  à  son  tour 

Vient  égayer  ma  vk  : 
Je  donne  les  nuits  à  TAmour, 

Les  jours  à  la  Folie. 

l'espère  que  Toilà , 
Larira, 

De  la  philoÊophit. 

Quand  à  quelque  joyeux  festin 

L'amitié  me  convie  > 
Je  mange  jusqu'à  ce  qu'enfin 

Ma  faim  soit  assouvie  ; 
M'oifre-t-on  un  broc  de  vieux  vin  , 
Je  bois  jusqu'à  la  fie. 
J'espère  que  voilà , 

Laiira, 
De  la  phUosophiô, 

Un  savant  par  un  art  nouveau 
RendJa  mémolra  b»nne  ; 

Pour  moi  dans  un  pareil /Miisau 
Il  s'en  faut  que  je  donne  : 


i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Tous  mes  plaisirs  sont  préseas  là  ; 
Les  maux  je  les  oublie. 
J'espère  que  Toilà  , 

Larira, 
De  la  phîhwphie. 

Je  ne  sais  si  je  fus  jamais 

Trompé  par  mon  amie; 
Mais  si  quelque  jour  j'augmentais 

La  grande  confrérie...    . 
M'aSliger  de  ce  malheur-là 

Serait  une  folie. 

J'espère  que  toIUi, 
Larira^ 

De  la  philoiophie. 

Peut-on  trouver  ailleurs  qu'ici 

Table  aussi  bien  servie  ? 
Libres  de  soins  et  de  souci , 

Passons-y  notre  vie  : 
Amis  joyeux ,  bravons  ainsi 

La  fortune  ennemie , 

Et  fronde  qui  voudra , 
Larira, 

Notre  philotophie» 

Quand  le  Temps  viendra  m'invitci' 

A  changer  de  demeure , 
Je  veux , à  force  de  chanter, 

Lui  faire  oublier  l'heure  : 
En  voyant  cette  galté-lÀ 

Je  prétends  qu'il  s'écrie  : 

Vive  ce  luron-là  ! 
Oui ,  voilà 

De  la  phitoiophU  l 

M.  MouAu. 


591 


t 


39S  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

CHANSON  EROTIQUE. 

Ait  :  Do  parttg*  du  la  ricbcM  (N.  1I7  ds  h  Cli  4m  Caifmm,\ 

Un  MeD  saprème  où  l'on  aspire 
Ne  peut  combler  tous  nof  louluâts  ; 
Sll  tarde  trop ,  on  le  dèûre  , 
Sll  pasw  y  il  laisse  des  regrets  : 
Pour  calmer  trop  dlmpatience  » 
Charmer  la  Alite  du  plaisir, 
C'est  donc  trop  peu  de  l'espérance , 
Et  pas  asseï  du     urenir. 

Gelai  qui  tristement  espère 
Sans  avoir  connu  le  bonheur , 
Ile  sait  pas  à  qnel  point  doit  plaira 
L'espoir  qui  vient  flatter  an  coeor  : 
II  na  peut  le  prévoir  d'avance , 
Quel  qoe  soit  le  feu  du  désir  ; 
Car  toat  le  prii  de  l'espérance 
Tient  à  oelui  da  aoavenir. 

Éloigné  de  celle  qu'on  aime , 
Ayant  vu  oombler  tons  ses  vœux , 
Le  souvenir  d'un  bien  suprême 
Ife  saurait  non  pins  rendre  heureux. 
Le  vrai  bonheur  ne  recommence 
Qu'en  se  montrant  dans  l'avenir  \ 
Biais  l'entrevoir  en  espérance 
Le  rend  charmant  en  souvenir. 

Aimons  donc  bien  lorsqu'on  nous  aime  ; 

Et,  lorsqu'on  a  comblé  nos  vœux , 

Désirons  qn*un  bonheur  suprême 

Suive  toujours  de  nouveaux  feux  ; 

C'est  ainsi  que ,  trompant  l'absence  f 

Noos  saurons  toujours  embellir 

Le  souvenir  par  l'espérance. 

Et  l'espoir  par  le  souvenir^  £m.  DofatT' 


i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  Sgâ 

CONSEILS  A  DÉLIE. 

An  :  Dant  ma  cabtne  obieore ,  (  N.  1 1 6  de  Ii  CU  du  Cuwait.  ' 

Gbois-moi,  jeune  Délie, 
Profitons  des  beaux  jours; 
L'aurore  de  la  vie 
Appartient  aux  amours  ; 
Vainement  la  sagesse 
Condamne  nos  soupirs , 
Notre  amoureuse  ivresse 
Vaut  bien  aes  froids  plaisirs. 

Si  l'amour  est  un  songe , 
Prolongeons  le  sommeil , 
Jouissons  du  mensonge 
Sans  penser  au  réveil  ; 
Et  puisqu'avec  le  rêve 
S'enfuit  notre  bonheur , 
Avant  qu'il  ne  s'achève , 
Mourons  dans  notre  erreur. 

M.  OE  JoOY. 

FIDÉLITÉ,  CONSTANCE. 

Au  :  Aux  lOÎD*  que  )e  prendc  de  ma  gIo!rc.    (  N.  774  de  la  Q^  eu.  Cweau  ). 

Ams ,  qn'appelez-Tons  constance  ? 
Qu'appelez-vous  fidélité? 
On  les  confond  souvent  en  France  ; 
Il  faut  chercher  la  vérité. 
Doit-on  garder  même  tendresse  , 
Lorsque  tout  change  à  chaque  instant  f 
Non  ;  c'est  en  changeant  de  maltresse 
Qu'on  peut  être  vraiment  constant. 

Hier  je  cueillais  une  rose  ; 
Aujourd'hui  je  vais  dans  le  bois 
Chercher  une  pensée  éclosc  ; 
Demain  le  lis  aura  mon  choix  : 


r 

f 


594  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

A  tort  OD  iBC  nonune  Tjlagc; 
Le  be9D  me  pblt  tDa|ottfs  aHtaat  ; 
La  roM  n'a  phu  mon  liommage» 
Mais  au  Scan  fe  rtstt  constanl. 

J'aimai»  Hortmje  à  ia  foUe; 
Lue  me  charme  en  ce  momest  : 
Hortefue  était  jeune  et  ]i]\îe  ; 
EUe  a  treole  ans  ;  qoel  changement  ' 
Lise  est  novice ,  fraîche  et  belle. 
Et  quand  je  deviens  ton  amaot , 
Je  pois  bien  paraître  inGdèle  , 
Mab  |e  me  crois  ton  jours  constant. 

Belle  ,  <inand  nn  amant  dh  :  J*aime  ; 

Jim  eœmr  ne  ckoAgen  Jamais , 

Il  entend  qœ ,  toajoofs  la  même  • 

Tn  garderas  mêmes  attraits  : 

Tn  passes...  C'est  donc  toi ,  cmcUe  , 

Qoi  l'as  forcé  d'en  faire  autant  ; 

Mab  an  plaisir  restant  fidèle , 

Il  te  fnit  sans  être  inconstant. 

A  table  ànsai  bien  qu'à  G  jthère , 
Diversité  lait  mon  destin  ; 
J'aime  à  voir  passer  dans  mon  verre 
Yolney,  Pomard  et  Chambertia  : 
An  dieu  de  la  liqneor  vermeille 
Partout  je  porte  on  eeeur  fervent , 
Et  quand  je  change  de  boateîUe  , 
à  Bacchus  je  reste  constant. 

GnAauts  Sa  araosvi lu. 

COMMENT  TOUT  VA. 

Aj«  :  J*«w«B  «vé  pattiolc  (  N.  spi  de  b  C(«  Ai  Camm. 

Las  vrais  soutiens  de  ce  monde 
Sont  le  vin  et  la  beauté; 
Sans  eus  la  machine  ronde 
N'est  qu'un  bloc  désenchanté. 


chorus. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  SgS 

Dieu ,  qui  savait  bieu  cela , 
Aux  mortels  le  révéla  ; 

Et  Yoilà... 

Oui ,  Toilà , 

Oui,  voilà 
Gomment  tout  va.  (  Ter.  ) 

Sans  ma  belle  et  ma  bouteiHe 
Je  ne  puis  faire  un  couplet  ; 
Mais  quand  je  bois  sous  la  treille  • 
Près  de  l'objet  qui  me  plait , 
Gomment  tenir  à  cela  ? 
Que  de  cbarmes  je  vois  là  !... 

Et  voilà , 

Oui  y  voilà , 

Oui,,  voilà 
L'esprit  qui  va. 

A  dîner  femme  jolie 
Sait  doubler  mon  appétit; 
Au  dessert  la  pruderie 
S'en  va  petit  à  petit  :    ^ 
Mon  œil  découvre  déjà 
Les  attraits  qu'elle  voila... 

Et  voilà, 

Oui ,  voilà , 

Oui,  voilà 
L'amour  qui  va. 

En  parlant  d'amour  on  chante  ; 
Je  vois  tout  le  monde  en  train  :      ^' 
La  romance  trop  touchante 
Fait  place  au  joyeux  refrain. 
Pour  fêter  ce  refrain-là 
Que  de  verres  je  vois  là  ! 

Et  voilà , 

Oui ,  voilà , 

Oui,  voilà 
,     Le  vin  qui  ?a. 


Ô96  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


AÎBM,  k  Tin  y  k  lendrene 
DoÎTcat  laBre  à  not  Toeox: 
Aimant  et  biiTOOsmis  cerne  ; 
G'ot  le  lecret  d'être  hemeai  ; 
Ghannant  wcret  que  déjà 
Épicure  dévoîkl 

EtvoiU, 

Oui,  Toilà, 

Om»  voilà 

Gomment  tout  t». 


M.  AmnAji»-Go(.r ri. 


JE  M'EN  MOQUE  COMME  DE  COLIN  TJMPOy 

An:  BlMMi«c!c«*c'q«e{*Miiçaf!l.  tiiàtUCêéém 


A  quoi  bon  giewir  k  fifte 
De  DOS  frondenn  ennuyeux  ? 
Tont  prévoir  9  c'est  nn  pen  triste  : 
Rire  de  tout  vint  bien  mienx. 
Qne  l'a  ni  vers  se  disloque 
Comme  nn  Tase  du  JajKin , 
En  atfemftmt  ,Jé  m'Ai  moque 
Comme  de  OUm  Tampon.  "'  ^ 


fCargne  dn  tiiste  Heraclite 
Qui  toujours  se  lamentait  i 
Que  j'aime  ce  Démocrite 
Qui  galment  lui  répétait  : 
Sur  ce  monde  qui  te  choque  9 
Ilélas  !  mon  pauvre  garçon , 
Tu  pkures  !  moiye  m'en,  moque 
Comme  de  Cotm.  Tempon, 

Damis  en  vain  près  d'Estelle 
Soupire  comme  un  Colin  ; 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  397 

Il  faut  pour  plaire  à  la  belle  / 

Être  bien  ricbe  ou  bien  fin  : 
Ao  plus  aimable  colloque 
Froidement  elle  répond  : 
Des  Colins  moije  me  moque 

Comme  de  Colin  Tampon, 

i 

Cherchant  partont  un  suffrage , 
Un  auteur  bien  suffisant 
Pour  lire  un  nouvel  ouvrage 
Trouve  un  cercle  complaisant  ; 
Mais  le  public ,  qui  révoque 
Les  jugemens  du  salon , 
Dît  en  sifflant  :  Je  m'en  moque 
Comme  de  Colin  Tampon. 

«  Ici-bas  lien  né  m'étonne , 

«  Disait  monsieur  dé  Pibrac  ;  * 

«  Il  faut  voir  sur  la  Garonne 

€  Mon  beau  domaine  dé  Crac  1 

«  Paris  n'est  qu'une  bicoque  ; 

«  Lé  moindre  château  gascon 

«  Dé  votre  Louvre  se  moque 

t  Commû  de  Colin  Tampon  > . 

Qu'on  célèbre  le  Champagne , 
'  Le  Pomard ,  le  Chambertin  ; 
Qu'on  vante  le  vin  d'Espagne  , 
iSè  vin  de,Beaune  ou  du  Rhin  : 
Pour  moi ,  lorsqu'on  me  provoque  > 
Le  meilleur  est  assez  bon  ; 
Quand  à  son  nomy^  m'en  moque 
Comme  de  Colin  Tampon, 

Lorsque  la  vilaine  Parque 
M'aura  dit  :  Fais  ton  paquet  ^ 
Je  veux,  jusque  dans  la  barque  > 
Lui  rabattre  son  caquet  ; 


i^i         LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Je  chanterai  :  Ma  défroque 
N'est  pa»  celle  d'an  capon , 
Et  des  Parquea^e  me  moçiw 
Cotmim  deCoSM  Tumpan. 

AXTICHAC. 


LE  NOUVEAU  DÉMOCRITE. 


I 


Amis,  dans  le  siècle  où  nous  sommes , 
Quand  je  rois  nos  graves  esprits 
Gémir  sur  les  erreurs  des  hommes , 
Je  les  laisse  faire ,  et  je  dis  : 

De  tout  il  faut  rire  ; 

L'humeur  ne  vaut  rien  ; 

Qu'aurioosHions  à  dire 

Si  tout  allait  bien  f 

Je  ris  d'un  ignorant  en  place  ; 
Je  ris  d'un  faquin  en  crédit  ; 
Je  ris  d'uo  amant  à  la  glace , 
Et  d'un  sot  qui  fait  l'éradit. 
De  tout  il  faut  rire ,  etc. 

Je  ris  de  l'avocat  Monrose 
Qui ,  tout  rempli  du  droit  français  j 
Parce  qnll  tient  la  bonne  cause 
Croit  dcToir  gagner  son  procès. 
De  tout  il  faut  rire  »  etc. 

Je  ris  de  ce  rimeur  étique 
Qui  croit,  inimitable  auteur, 
Fermer  la  bouche  k  la  critique 
En  faisant  dîner  le  censeur. 
De  tout  il  faut  rire ,  ete. 

Je  ris  d'une  Agnès  de  rillaga 
Qui ,  noTice  jusqu'à  quinaeans, 
De  Paris  faisant  le  voyage, 


bû  en  ekoTHs. 


i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Croit  l'être  encore  bien  long-temps. 
De  to«t  il  faut  rire ,  etc . 

Je  ris  de  l'avare  qui  yeille 
Nuit  et  jour  pour  garder  son  or  ; 
Je  ris  d'un  époux  qui  sommeille 
Auprès  d'un  plus  charmant  trésor. 
De  tout  il  faut  rire,  etc. 

Je  ris  d'une  vieille  au  cœur  tendre , 
Et  d'un  Adonis  édenté  : 
Je  ris  des  pleurs  que  fait  répandre 
Un  mélodrame  à  la  Gatti. 
De  tout  il  faut  rire ,  etc. 

Quand  d'une  main  je  tiens  ma  coupe , 
Mon  Aglaé  de  l'autre  main  , 
Des  noirs  soucis  narguant  la  troupe. 
Je  ris  de  tout  le  genre  humain. 
De  tout  il  faut  rire ,  etc. 

Lorsqu'à  la  fin  de  ma  carrière 
Le»  bons  vivans  m'auront  absous. 
Après  avoir  ri  sur  la  terre 
Je  desoendrai  rire  dessous. 

De  tout  il  faut  rire  ; 

L'humeur  ne  vaut  rien  ;  ^ 

Qn'aurions-nous  à  dire 

Si  tout  allait  bien  P 

M.    CAWBhtM. 


399 


LES  INFIDÉLITÉS  DE  LISETTE. 


Ail  :  Il4inn«lc  ,  bon  Hfnrmitf,  (N.  ^•i  éthCléduCmum  ). 


Lisette  ,'dont  Tempire 
S'étend  jusqu'à  mon  vin , 


4oo  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

J'éprouve  le  martjre 
D*eD  demander  en  rain. 
Pour  souffrir  qa'k  mon  ftge 
Les  coups  me  soient  comptés , 
Ai-je  compté,  Tolage, 
Tes  inSdélités  f 

Lisette ,  ma  Lisette ,  « 

•  Tu  m*as  trompé  toujours  : 

Mais  yive  la  giisette  ! 
Je  Teux ,  Lisette , 
Boire  à  nos  amours. 

Lindor,  par  ton  audace , 

Met  ta  ruse  en  défaut  ; 

11  te  parle  à  vois  basse. 

Il  soupire  tout  haut. 

Du  tendre  espoir  quUl  fonde 

11  m'instruisît  d'abord. 

De  peur  que  Je  n'en  gronde  , 

Verse  au  moina  jusqu'au  bord. 

Lisette ,  etc. 

Avec  l'heureux  Glitandxe 
Lorsque  je  to  surpris , 
Vous  compties  d'un  air  ten  dre 
lit»  baisers  qu'il  t'a  pris. 
Ton  humeur,  peu  sévère. 
En  comptant  les  doubla. 
Remplis  encor  mon  verre 
Pour  tous  ces  baisers-là. 
Idsette ,  etc. 

Mondor,  qui  toujours  donne 
Et  rubans  et  bijoux, 
Devant  moi  te  chiffonne 
Sans  te  mettre  en  courroux. 
J'ai  vu  sa  main  hardie 
S'égarer  sur  ton  son ,  ■ 


»  ' 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  401 


Vene  jusqu'à  la  lie 
Pour  un  n  graod  laicin. 
LUette ,  etc. 

Certain  aoir  je  pénètre 

Dans  ta  chambre,  et  sans  brnit. 

Je  vois  par  la  fenêtre 

Un  Toleor  qai  s'«n'ait. 

Je  TaTais ,  dès  la  veille , 

Fait  foir  de  ton  boudoir. 

Ah  1  qu'une  autre  bouteille 

M'empêche  de  tout  voni 

Lisette,  etc. 

Tous  comblés  de  tes  grAces, 
Mes  amis  sont  les  tiens , 
Et  ceui  dont  tu  te  lasses , 
C'est  moi  qui  les  soutiens. 
Qu'avec  ceux-là ,  traîtresse  , 
Le  fin  me  soit  permis: 
Sois  toujours  ma  maîtresse , 
Et  gardons  nos  amis. 
Lisette,  etc. 


Ht.  P.  J.  ttt  B<HARGia. 


CONSEILS  AUX  ÉPICUniENS. 

hn  :  D'IlDiianl  qa'oii«oiu  n*if  efrtiiABK^  (N.  i4i  de  la  CM  4v  Camatk) 

Eh  dépit  des  sots ,  des  critiques , 
Des  pédans  et  des  envieux  , 
Redoublons  nos  transports  bachiques  ; 
Répétons  ce  refrain  joyeux  : 

26 


4o2  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS, 

Gben  amn  (6cff),  enfans  d*Epicar&, 
Aimons ,  buTons  la  nuit ,  le  jour  ; 
Notre  devise  eft  la  nature, 
La  gain,  Uvmel  f amour. 

Par  une  devise  aussi  sage , 
Ecbkiré  sur  le  prix  du  temps , 
Tout  au  plaisir ,  que  le  jeune  âge 
Double  le  cours  de  ses  beaux  ans. 
Cbers  amis ,  etc. 

Dans  l'âge  qui  suit  la  jeunesse , 
Que  le  plaisir  soit  mieux  goftté» 
G*est  un  vin  qui  gagne  en  finesse 
Tout  ce  qu'il  perd  en  quantité. 
Ghers  amis,  etc.   , 

Plus  tard ,  avec  plus  de  mystère  , 
Que  l'homme,  fidèle  à  Vénus , 
Ose  dans  les  champs  de  Gythère 
Glaner,  sll  né  moissonne  plus. 
Ghers  amis ,  etc. 

Que  l'Amour  an  vieillard  aimable 
Garde  des  souvenirs  touchans , 
Et  parfois  au  sortir  de  table 
Gonronne  encor  ses  cbeveox  blancs. 
Ghers  amis ,  etc. 

Quelques  pUtsirs  que  l'on  rassemble  > 
Amitié,  joins-y  ton  attrait , 
Gomme  le  nœud  qui  tient  ensemble 
Les  fleurs  dont  se  forme  un  bouquet  1 
Ghers  amis ,  etc. 

Par  tes  flots ,  ô  liqueur  divine  ! 
Source  d'esprit  et  de  galté , 
Nous  jurons  à  cette  doctrine 
Étemelle  fidélité. 
Ghers  amis,  etc. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4o3 

De  la  bonne  philosophie 

C'est  le  flambeau  surpris  aux  cîevz  »  ' 

C'est  le  fruit  de  Parbre  de  vie 

tjui  rend  l'homme  semblable  aux  dieux.  ' 

Chers  amis ,  {bis)  enfans  d'Épicure , 
Aimons ,  buTons  la  nuit ,  le  jour  ; 
Notre  devise  est  la  nature , 
La  gatté,  le  vin  et  t amour. 

M.  Eosébi^Salvibtb- 


■e^ 


LAISSONS  COULER  L'EAU. 

Jlir  du  FaudtfUU  fmml  tf«  Fmntkon  U  vUthum  (H.  791  àtUClié»  Cav§am.  ) 

Qd'uh  censeur  aquatique 
Soir  et  matin  critique 
Les  amis  du  tonneau , 
Méprisons  son  ramage. 
Joyeux apOtres  du  Caveau... 

Au  vin  rendons  hommage....      )  , . 
Et  laissons  couler  l'eau.  ) 

9ur  les  flots  qu'il  traverse , 
Plus  d'un  marchand  s'exerce 
De  Danuick  à  Porto  ; 
Mais  la  mer  est  brutale  : 
Chantons ,  buvons  sur  le  plateau 
Du  Boekar  de  CaneaU..., 
Et  laissons  couler  l'eau. 

Sur  les  bords  de  la  Seine , 
Chaque  jour  met  en  scène 
Quelque  rimeur  nouveau  ; 
Bientôt  Youba  l'entraîne. 
Croyez-moi  y  buvons  à  Bwleau  ; 

Buvons  à  La  Fontaine.... 

Et  laissons  couler  l'eau. 


4a4  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Qaand  le  souTeraio  jage 
Pbolt  par  an  délqg« 
Le  monde  A  ion  beicean , 
Noé ,  dlMiinemr  nudigae , 
Portant  un  ûBp  dans  qon  bateau. 
Chantait  :  sauToni  la  vigiw. 
Et  laisaons  couler  l'eau. 

Au  gré  dn  tempa  qui  oovie , 
Noos  foyageopi  en  foule 
Sur  un  léger  radeau  ; 
Malgré  m»  Ton  arrive. 
GneilloQf  donc ,  pendant  qu'il  fait  beau , 
Qaelqoea  fleurs  sur  la  rive... 
Et  laissons  couler  Tean. 

En  chemin ,  si  la  parque , 

Par  hasard  nous  remarque , 
>    Et  tire  son  ciseau , 

Puisque  le  noir  monarque 
D'un  fleura  entoura  son  chftieau, 

Prenona  gatment  la  barque.  . 

Et  laissons  couler  l'eau. 

^^^  M.  AulaKD-Goorn. 

ÉLOGE  DES  FEMMES  DE  TRENTM  ANS, 

Air  du  pu  dot  Trdà  Comnèret  dau  b  Ikiumaiii*  (N.  7U  dclaCT^  ^  i 

AiMB  qui  voudra  lesfiUettes, 
Moi,  j'aime  une  femme  à  trente  ans  : 
Cn  bon  fruit  vaut  bien  les  fleurettes , 
Et  l'été  vaut  bien  le  printemps. 

A  quinte  ans,  pour  |enne  bergère , 
La  nature  a  plus  d'un  secret  : 
Prcnea  »  messieurs ,  une  écolière , 
Une  maltresse  est  mieai  mon  fait. 
Aime  qui  voudra  les  fillettes ,  etc. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  ^o5 

A  quinze  ans  on  ne  sait  rien  diie  > 
A  trente  on  sait  nous  inspirer  : 
A  quinze  ans  toujours  on  s'admire , 
A  trente  on  se  fait  admirer. 
Aime  qui  voudra  les  àiletlQSy  etc. 

Les  censeurs  malins  nous  le  disent , 
En  romans  le  siècle  est  fécond  : 
A  quinze  ans  les  (illes  en  lisent, 
A  trente  ans  les  femmes  en  font. 
Aime  qui  voudra  les  fillettes ,  etc. 

Des  roses  ma  vue  e^t  charmée , 
Mais,  f  en  fais  juge  un  connaisseur , 
La  fleur  éclose  est  parfumée , 
Et  les  boutons  »*ont  point  d'odeur. 

Aime  qui  Voudra  les  fillettes , 
Moi ,  j'aiiàe  une  femme  à  trente  ans  : 
Un  bon  fruit  vaut  bten  les  fleurettes , 
Et  Tété  vaut  bien  le  printemps. 

VI*      Lim     Cl* 


LE  ROI  D'YFETOT. 

AiB :  Quand uo  tendron  vleoMD  cet  lient  fN.  384 àb\»CUi»t  C^êou,  ) 

Il  était  un  roi  d'Yvetot 

Peu  connu  dans  Thistoire , 
Se  levant  tard ,  se  couchant  tôt^ 

Dormant  fort  bien  sans  gloire , 
Et  couronné  par  Jeanneton 
D'un  simple  bonnet  de  coton , 

Dit-on. 
Ohloh'.ohloh!  ah!  ahlahlah! 
Quel  bon  petit  roi  c^était  là  !  \  chorus, 

La  la! 


4o6  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

11  flakait  «s  qsatre  lep» 
Dans  ff»  palab  de  chaame  9 
Btnr  no  âne,  pas  à  pas. 


Joyeu,  «mple ,  et  crayaiit  le  bieoy 
Poor  toate  garde  il  n'avait  rien 

Qn'on  chien. 
Oh!  oh!  oh!  oh!  ^!  ah!  ^!^! 
Quel  bon  petit  roi  c'était  U! 
UUl 

Il  n'avait  de  gofkt  onércnx 

QD^noe  soif  on  pea  vive  ; 
Hais  en  rendant  son  peuple  heoieox , 

11  fant  bien  qn'on  roi  vive. 
lAi-mêmey  à  table  et  sans  suppôt , 
Sur  chaque  mnid  levait  nn  pot 

D'impôt. 
Oh!  oh!  oh!  oh!  ah!  ahl  ah!  ah! 
Quel  bon  petit  roi  c'était  là  i 
La  la! 

AoK  filles  de  bonnes  maisons 

Gomme  U  avait  su  plaire , 
Ses  sujets  avaient  cent  raisons 

De  le  nommer  leur  père  \ 
D'aiUe ors ,  il  ne  levait  de  ban 
Qoe  pour  tirer  t  quatre  fois  l'an , 

Au  blanc. 
Ohloh!ohloh!ahlah!  ah!  i^! 
Quel  bon  pedt  roi  c'était  Ui  ! 
Lalal 

Il  n'agrandit  point  Bts  États , 

Fut  un  voisin  commode, 
Et ,  modèle  des  potentats  f 

Prit  le  plaisir  pour  code^ 


I 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  407 

Ck  n'est  qiie  lorsqu'il  expira , 
Qae  le  peuple ,  qui  l'enterrii  > 

Pleura. 
Oh!Qh!ohlohIah!ah!  ahlahl 
Quel  bon  petit  roi  c^était  là  î 

La  lai 

On  conserre  encor  le  portrait 

De  ce  digne  et  bon  prince  ; 
C'est  l'enseigne  d'un  cabaret 

Fameux  dans  la  proTince. 
Les  jours  de  fête ,  bien  souvent , 
La  foule  s'écrie  en  buvant 

Devant  : 
Ohlohlohlohl  ahiahîahlah! 
Quel  bon  petit  roi  c'était  là  ! 
La  la! 

M.  P.  J.  Db  BiSARGlB. 

MONSIEUR  MATHIEU, 

OTJ 

VORIGINAL  SANS  COPIE. 

Ail  :  llamao ,  maries-oous.  (N.  384  à»  la  Clé  du  Ctwtam  ) 

Fie ,  feu 
Monsieur  Mathieu 
Était  un  singulier  homme  ; 
Feu,  feu 
Monsieur  Mathieu 

Était  comme 
On  en  voit  peu. 

Quoique  maître  d'un  grand  bi«n 
Et  de  famille  fort  bonne , 
Il  faisait  souvent  l'aumône , 
Et  ne  devait  jamais  rien. 
Feu ,  feu ,  etc. 


4q8         LB  GASTAONOMB  FRANÇAIS. 

D'an  habit  de  camelot 
Il  avait  pria  la  contoiqe. 
Prétendant  qoe  le  costume 
Ne  projve  paa  ce  <|a'OD  vaut. 
Feu ,  feu ,  etc. 

4a  joag  de  llijmea  soamii , 
On  l'a  va»  da  fond  de  l'ftme^ 
Ton  jours  préférer  sa  femme 
A  celles  de  ses  amis. 
Feo»  feu,  etc. 

Encbanté  de  voir  grandir  ^ 
Ses  trois  garçons  et  sa  fiUe  y. 
Il  promenait  sa  famille 
Sans  bâiller  et  sans  roogir. 
Feu,  feu,  etc. 

Il  bravait  avec  mépris 
Nos  usages  et  nos  modes  ; 
Et  c*étaii  AUX  plus  commodes 
Que  cion  sot  donnait  le  prix. 
Feu ,  feu  ,  eto. 

On  le  '  1'. ,  ^^sque  des  ans 
Le  poids  vint  courber  sa  tdte  ,. 
A  la  TttuM  la  mieux  faîte 
Préférer  ses  cheveux  blancs. 
Fea ,  feu ,  etc. 

Il  s'avisa  de  rimer 
Des  morceaux  dignes  d'envie , 
Et  notre  auteur ,  de  sa  vie , 
N'osa  fe  faire  Imprimer. 
Fea ,  feu ,  etc. 

4  la  faveur  oomme  au  rang , 
Il  croyait  que  le  mérite 
.l>evait  conduire  plu#  viti^ 
Que  l'apostille  d'un  grand. 
Feu ,  feu ,  etc. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  409 


Un  Jour  oq  loi  proposa 
Un  emploi  considérable  » 
Et  s'en  jugeant  incapable  » 
Sans  regrel  il  refusa. 
Feu ,  A^Q ,  etc. 

Jamais  »  oe  fou  y  sll  en  fut , 
Ne  Toulnt  faire  antichambre 
Pour  obtenir  d'être  membre 
Du  beau  corps  de  l'Institut. 
Feu ,  feu ,  etc. 

Ani  honneurs  il  fut  admis 
Par  }e  ne  sais  qnel  miracle  ; 
Et  Jamais  sur  le  pinacle 
11  n'oublia  ses  amis. 
Feu ,  feu ,  etc. 

Eh  bien  !  on  le  chérissait  ; 
Et,  malgré  ses  faux  systèmes , 
Il  fut  pleuré  par  ceux  mCmes 
Que  sa  mort  enrichissait. 

Feu  y  feu 
Monsieur  Mathieu 
Était  un  singulier  homme; 

Feu ,  feu 
Monsieur  Mathieu 
Était  comme 
On  en  voit  peu. 


DllSADGIBRS. 


LE  FIN  ET  U  VÉRITÉ. 

Air  de  la  Pipa  d«  itbtf  («  108  de  !•  CM  ^  C<m«ii.) 

In  vino  veriias ,  mes  frères  ^ 
Nous  dit  un  proverbe  divin  : 
Dieu  pour  nous  faire  aimer  nos  verres 
Mit  la  vérité  dans  le  vin. 


,Jm. 


4io  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

J'obéis  à  M  loi  raprême  ; 
Gomme  bnveur  je  suis  cité  : 
On  croît  qae  c'est  le  TÎn  que  {'aime  ; 
lies  un»,  c'esf  la.  vériié. 

On  croît  que  U  philosophie 
N'e  jamais  tronblé  mes  loisirs , 
Et  qu'à  bien  Jooir  de  la  vie 
J'ai  tODJoors  borné  mes  désirs  : 
On  dit  quand  je  cours  sous  ]a  treille  : 
C'est  le  plaisir ,  c'est  la  gaité 
Qnll  Ta  chercher  dans  la  bouteille... 
Mes  amis,  c*ett  U  virUà. 

On  croit  aussi  que  la  tendresse 

Fait  quelquefois  battre  mon  cœur  ; 

On  croit  qu'une  jeune  maîtresae 

Est  nécessaire  à  mon  bonheur  ; 

Quand  je  trinque  avec  une  belle 

Chacun  dit  :  c'est  la  volupté , 

C'est  l'amour  qu'il  cherche  auprès  d'elle... 

Eh  y  messieurs  !  c'est  la  vérité, 

M.  AamaD-Goorri. 


L'ERREUR. 

Au  :  Atcc  voHt  mus  le  même  toii  (N.  64  d^  U  CU  du  C«ii#ch.) 

Iii8Piai  par  son  jus  divin  , 
A  Bacchus  consacrant  mes  veilles , 
A  table ,  en  célébrant  le  vin  , 
Souvent  je  crois  faire  merveilles  : 
Aujourd'hui»  craignant  un  mallieur. 
Sur  votre  indulgence  je  compte  ; 
Mais  si  vous  blftmes  mon  erreur , 
Songes  bien  qu'srreirr  n'est  pas  compte. 


[ 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4n 

La  vèriU  presque  toujours 

Nous  fatigue  et  nous  contrarie  ; 

L*aimable  erreur  charme  le  cours 

Du  petit  trajet  de  la  TÎe  : 

Quand  je'goûte^un  bonheur  complet , 

Que  mlmporte  si  je  m'abuse  ; 

La  vérité  qui  me  déplaît 

Ne  Tant  pas  Verreur  qui  m'amuse. 

Que  je  plains  Verreur  d'un  amant 
Qui ,  loin  de  sa  jeune  maîtresse» 
8'abandonnant  à  son  tourment. 
Passe  les  nuits  dans  la  tristesse  ! 
Four  moi ,  si  je  peux  m 'endormir 
En  rêvant  à  Tobjet  que  j'aime , 
L'erreur  qui  m'offre  le  plaisir 
Vaut  quelquefois  le  plaisir  même. 

Narguant  tout  haut  le  froid  censeur 

£t  sa  triste  philosophie , 

Je  marche  d'erreur  en  erreur 

Sur  les  traces  de  la  Folie  ; 

Et...  telle  est  ma  légèreté , 

Que  j'échangerais ,  chers  confrères.  ■• 

Tous  les  dons  de  la  vérité 

Pour  les  promesses  des  chiméretl 

Quoique  l'on  m'ait  fait  bien  des  tours , 

A  Tamitié  je  suis  fidèle  t 

Je  crois  mes  amis  sans  détours , 

Je  crois  à  l'amour  de  ma  belle  ; 

Je  crois  que  sans  moi  la  grandeur 

Ne  lui  ferait  aucune  envie  : 

Si  tout  cela  n'est  qu'une  erreur. 

Qu'elle  dure  toute  ma  vie. 

M.  BiAziia. 


4is  LB  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

MES  VŒUX, 

00 

LE  MONDE  COMME  JE  LE  VOUMijâlS. 


Tbmbi  ,  moi  je  foii  nu  boo  bome  : 
Aiiffi  y  pour  aller  dnit  «n  but , 
Tout  fnoc  je  Taif  voa<*dire'coiniiie 
Je  Toadrais^qtn  le  monde  fût  : 
Je  voadrab  voir,  ta  liea  de  guerre , 
Pour  le  bonlMpar  da  genre  bumain , 
DNin  beat  à  Feiitte  de  U  terre     i 
Les  morteltK  donner  la  HUM.  y 

Lobi  que  la  fortune  me  tente, 
Je  Tondrais,  pour  TÎTre  content , 
/Ifoir  ceot  mille  éem  de^reate. 
Et  que  chacun  eo  eût  autant  ; 
Je  Toudrab  rencontrer  à  table , 
Par  un  prodige  tout  nouveau» 
Bonne  hameur,  chère  dèloDiable , 
Amitié  pure  et  vin  sans  eaa. 

Je  voudrais  qu'à  la  perfidie, 
Comme  à  llntrigue,  on  mit  un  frein  ; 
Qu'on  chacslt  la  misantropie 
Par  un  flon-flon ,  un  gai  refrain  ; 
Qu'on  ne  vit  plus  un  sot  en  place 
Protéger  6lleul  et  cousin  ; 
Qu'on  ne  montAt  plus  au  Parnasse 
Sur  l'épaule  de  son  voisin. 

Je  voudrais ,  sans  être  un  ivrogne , 
Qu'on  ne  fit  plus  (  bravant  les  lois  j , 
Avec  du  Cahon  du  Bourgogne  y 
Du  Champagne  avec  de  VJrbùi*  ; 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4i5 

Par  co  moyeo  tout  homme  hoanête 
Chancelant  après  aon  repas , 
Sam'ait ,  en  consultant  sa  tête , 
A  qoels  vins  U  do.^  ses  faox  pas. 

Je  voudrais  que  femme  jolie 
Restât  toolonrs  dars  son  printemps; 
Que ,  pour  l'amour ,  pour  la  folie , 
L'homme  n^eût  Jamais  que  trente  ans  ; 
Qu'il  n'existât  plus ,  et  pour  cause , 
(Chacun  aura  m^me  dénr) 
Nulle  épine  auprès  de  la  rose , 
Nul  regret  après  le  plaisir. 

Avec  la  paix  »  fortune  stable , 

Si  l'homme  possédait  un  jour  , 

Bons  amis ,  bon  vin ,  bonne  table , 

Caîté  franche  et  constant  amour , 

Je  voudrais ,  selon  son  envie  , 

Qu'il  eût  aussi  la  liberté 

De  finir  doucement  sa  vie 

Sans  l'appui  de  la  faculté. 

A   MES  AMIS. 

Je  voudrais ,  narguant  le  voyage 
Que  le  Temps  prescrit  sans  pitié , 
Avec  vous  josqu'an  noir  rivage 
Répéter  l'hymne  4  l'Amitié  : 
Et  qu'autour  d'une  table  ronde. 
Chantant,  buvant  et  sans  souci, 
On  nous  vit  tons  dans  l'autre  monde 
Comme  on  nous  voit  dans  celui>ci. 

M.  Capillv. 


4 14         LE    GASTRONOME  FRANÇAIS. 

LES  TROIS  MOTS. 

Aie  :  Cbaitofii  ImtoaUmi  (N.  99  àt  U  Qi  du  Cmtam.  ] 

Tboh  mots  forment  mon  thème 
Et  toutes  mes  leçons  : 
Or ,  ces  trois  mots  que  j'aime 
Sont  (jugez  s'ils  sont  bons) 

Aimons , 

BuTons,  ^  Quatre  foii. 

Chantons. 

Ici  nous  pouvons  diie 
Tout  ce  que  nous  pensons  ; 
La  gatté  nous  inspire; 
Disons  et  répétons  : 

Aimons , 

BuTons , 

Chantons. 

Dans  cette  courte  rie 
Momus  vaut  bien  Caton  ; 
La  raison  est  folie , 
La  folie  est  raison. 

Aimons, 

Burons , 

Chantons. 

Un  roi  cher  à  l'histoire , 
Fit  plus  d'une  chanson  ; 
Il  sut  aimer  et  boire; 
L'avis  est  trois  fois  bon. 

Aimons, 

Buvons , 

Chantons. 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4i5 

Phébiu  par  l'harmoDie, 
L'Amoar  par  aes  leçons , 
Bacchas  par  l'ambroisie 
EniTrent  nos  raisons. 

Aimons , 

Buvons , 
'  Chantons. 

Lorsqn'en  trois  mots  je  trace 
Mon  système  en  chansons  ; 
Changes  les  mots  de  place , 
Ils  seront  tonjoors  bons. 
Aimons,  buvons ,  chantons , 
Buvons ,  chantons ,  aimons  , 
Chantons,  aimons ,  buvons  , 
Aimons ,  buvons ,  chantons. 

_  A.  DM  C  •". 

LE  UT  ET  LA  TABIJS. 

Aai  :  La  bonne  aTenlur*,  ô  gué  !  (N.  Soi  de  la  CM  rf«  CavMii.  ) 

Il  faut  régler  ses  désirs  , 

Dit  un  sage  aimable  , 
Et  faire  entre  les  plaisirs 

Un  choix  raisonnable. 
Des  biens  je  fais  peu  de  cas , 
Et  je  ne  me  plaindrai  pas 
Si  j'ai  toujours  ici-bas 

Bon  m,  bonne  iabU, 
J'ai  parcouru  vainement 

La  terre  habitable  ; 
A  quoi  tout  ce  mouvement 

Est-îl  profiUble  F 

Que  gagne-t-on  à  changer? 

Sans  aller  chez  l'étranger, 
Bornons-nous  à  voyager 

Du  Rt  à  la  tabU, 


4i6         LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Damisvoit  dans  U  gmadeui 

Un  bien  dèôrable; 
Pour  moi  ;  je  crois  le  bonhcor 

Gbose  préférable. 
L'homme  heureux,  sans  se  montrer, 
Gheiche  à  se  faire  ignorer , 
Satisfait  de  Bgurer 

An  Ut,  à  la  iabU. 

Amour ,  appétit ,  fri^rt 
Ont  un  coin  stKkblsMe; 

Bon  estomac  d'un  grand  cMr 
Estinséparabtei 

Pour  théfttre  ^  à  de»  eBpM«i 

Moins  brillans ,  mais  plus  eoartois, 

Un  héros  choisit  par  M 
Le  (U  et  la  table. 

Sans  profaner  des  Latins 

La  langue  admirable. 
Imitons  de  leurs  festins 

L'ordonnance  aimable  : 
Ce  peuple  s'y  connaissait , 
Et  sarait  ce  qu'il  faisait 
Lorsqu'ensemble  il  unissait 

Le£(etlafa6^ 


M.  os  XocT. 


LES  QUATRE  CABARETS , 

.4ir  :   Ain  to'nai  qa«  (c  prenéi  dema  gloii«.  (  %  77I  de  la  Cté  in,  CVi  «m.^ 

I L  est  bien  vrai  que  ce  bas  monde 
Est  un  cabaret  plein  d^attraits  ; 
L'ÎTresse  y  circule  &  la  ronde , 
Et  la  nature  en  fait  les  frais  : 
Car  aussitôt  que  de  U  Tie 


i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.         417 


I  bU. 


L'homme  a  recueilli  le  bienfait  » 
Le  sein  d'une  mère  chérie , 
Voilà  K>n  premier  cabaret. 

Tandis  que  la  tendras*  mile 
Et  tremble  an  moindre  de  ses  crft , 
Il  badine  avec  sa  bouteille , 
Sans  «n  connaître  tout  le  prix.» 
Mais  dès  que  son  Ame  inooccuite 
D'amour  devine  le  secret» 
Du  plaisir  la  coupe  enÎTrante 
Deyientson  teeond  eabaret. 

De  Vénus  et  de  la  Foftb 
Long-temps  il  va  grossir  la  eour, 
Et  passe  une  joyeuse  Tîe 
Entre  le  plaisir  et  l'amour. 
Biais  ,  quand  Vénus  »  fermant  Toreille  > 
Laisse  tous  ses  vœux  sans  effet , 
Le  temple  du  dieu  de  la  treille 
Est  son  troUUmê  eabartU 

Enfin ,  appesanti  par  l'Age  9 
Pour  guide  ayant  choisi  BaoohvAi 
Vers  le  terme  de  son  Toyaga^ 
Il  marche  appuyé  sur  Gomuf, 
Mais  à  l'aspect  de  l'onde  noire  > 
Il  a  beau  dire  arec  regret  e 
«  Mes  amis ,  je  ne  veux  plus  beiM.» 
C'est  là  son  dernier  eabani* 


LE  CABARET. 

Al*  :  Trèrc  Pierre  i  la  eoinne  (  N 198  it  tm  CUéu  Cartam,  ) 

J'aii»  le  Tin  et  la  mine 
D'un  moderne  Ramponneau  ; 
Mais  je  plains  eelui  qui  dîne 
Ghex  quelque  Midas  novrean  : 

27 


4i8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Lear  caquet  « 

Au  banquet 
Tient  Momiu  en  léthargie  : 
Poor  nne  joyenie  orgie 
Parlei*moi  da  cabaret  !  (ter,) 

GoUé  ,  Ptron  en  délire 
Quand  Phébas  les  éclairait , 
Gouraient  accorder  leur  lyre 
En  sablant  du  vin  clairet. 

Qui  dirait» 

Qui  croirait  t 
Qu'on  vit  sept  fois  la  semaine 
Ges  gais  soutiens  de  la  scène 
Ghanceler  au  cabaret  f 

Dans  son  étonnante  Terre 
Le  menuii^r  de  Nevers 
Unit  Baccbus  et  MinerTC 
Sous  un  dais  de  pampres  verdi  : 

Il  buvait , 

11  chantait. 
Et  courut ,  ivre  de  gloire. 
Dans  le  temple  de  mémoire 
En  sortant  du  cabaret. 

Les  Muses  »  qui  d'un  bon  diille 
Aiment  le  ton  décidé  » 
Avaient  fait  de  la  GonrtUIe 
Le  Parnasse  de  Vadé. 

Taconnet , 

Qu'on  connaît , 
Dans  la  bachique  assemblée 
Y  fut  proclamé  d'emblée 
L'Apollon  du  cabaret. 

Avec  orgueil  on  calcule 
Les  bienfaits  du  dieu  du  vin. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS,  4,9 


Le«  fameaz  exploits  d'Hei€ql« 
Sont  dus  aa  nectar  diTÎn. 

Quel  e£Pet 

Le  vin  fait  ! 
Le  buveur ,  amant  des  bellct , 
N'est  jamais  plus  épris  d'elles 
Qu'en  sortant  du  cabaret. 

On  boit  sur  la  rive  maure , 
Chez  le  Tun;  et  le  Chinois  ; 
Du  vin  vieux  on  se  instaure 
Jusque  chez  les  Iroquois  : 

Bien  replet , 

On  se  pfadt 
  boire  en  tous  lieux  du  monde  ; 
Et  cette  machine  ronde 
N'est  qu'un  vaste  cabaret. 

C'est  vainement  que  la  Parque 
Croit  rabaisser  notre  ton  ; 
Portons  du  vin  dans  la  barque 
Qui  nous  conduit  chez  Pluton  : 

Sans  regret 

Du  trajet , 
Grisons  le  dieu  de  l'Avcme  » 
Et  faisons  de  sa  caverne 
Notre  dernier  cabaret. 


M.  MoasAD. 


TUONS  LE  TEMPS. 

kn  :  AuMÎtAl  quel»  lamiérc  (N.  to  de  la  Clé  du  Catau.  ) 

CoNTBMPLORS  U  Tempt  qui  passe , 
Et  regardons  après  lui  : 
Il  ne  laisse  sur  sa  trace 
Que  le  néant  et  l'oubli. 


4«o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

A  détruire  il  s'évertue  ; 
Pcofitoos  bien  des  instMM  s 
Ed  attendant  qall  noos  tue , 
Mes  amis ,  («Mi*  fe  Temps* 

Il  frappa  k  grand  Molière , 
Bt  La  Fontaine  et  Scarron , 
La  gentille  DeshouUère , 
Tadè ,  Panard  et  Piron. 
Ce  vieillard  cruel  moissonne 
Les  plus  illustres  takns; 
Il  ne  ménage  personne  : 
Ne  ménageons  pas  U  Tûmpt, 

Il  faut  que  sa  mort  soit  douce  : 
Prèserrona-le  de  l'ennui  ; 
Que  l'Amour  galment  éoMMisse 
Toutes  ses  flèches  sur  lui  ; 
Que  Bacchus  courre  de  lie 
Son  front  ridé  par  les  ans: 
Dans  les  bras  de  la  Folie 
Faisons  expirer  le  TmiÊfê  \ 

Dans  sa  course  atienr  prière 
811  lève  sa  faux  sur  nous  « 
Ne  faisons  point  de  prière 
Pour  échapper  à  ses  coups  i 
Abandonnona-lui  sa  proie  ; 
Mais ,  en  redoublant  nos  chants , 
Étendsons  notre  joie , 
Et  nous  survivrons  au  Temps, 

M.  FlARClS. 

LA  GRANDE  ORGIE. 

Am  :  Vive  I«!  vin  de  Ramponncau  (N.  1 1«»  de  la  Oé  du  C«wm.} 

La  vin  charme  tous  les  esprits  : 
Qu'on  le  donne 
Par  tonne  ! 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4ii 

Que  le  Tio  pleuve  dans  Paris , 
Pour  Toir  les  gens  les  plus  aigris 
Gris! 


Non ,  plus  d'accès 
Aux  procès. 
Vidons,  joyeux  França  s  , 
Nos  caves  renommées. 
Qu'on  censeur  Tain 
Croie  en  vain 
Fuir  le  pouvoir  du  vin , 
Bt  s'enivre  aux  fumées  l 
Le  vin, etc. 

Graves  auteurs , 
Froids  rhéteurs. 
Tristes  prédicateurs , 
Endormenre  d'auditoires  ; 
Gens  à  pamphlets , 
A  couplets , 
Changez  en  gobelets 
Vos  larges  écritoires« 
Le  vin ,  etc. 

Loin  du  fracas 
Des  combats  , 
Dans  nos  vins  délicats 
Mars  a  noyé  ses  foudres  ;. 
Gardiens  de  nos 
Arsenaux , 
Cédez-nous  les  tonneaux 
Où  vous  mettiez  vos  poudres. 
Le  vin ,  etc. 

Nous  qui  courons 
Les  tendrons , 
De  Cythéie  enivrons 
Les  colombes  légères. 


4<9  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Oûeaux  chérîfl 
De  Gyprii , 
YcDes  9  ma^ré  net  cris , 
Bolr«  au  fond  de  n(w  ▼erres. 
Le  Tin ,  etc. 

L'or  a  oent  fois 
Trop  de  poids  l 
Un  essaim  de  grÏTob 
Buvant  à  leurs  mignonnes 
Troave  an  total 
Ce  cristal 
Préférable  au  métal 
Dont  on  fait  les  couronnes. 
Le  vin ,  etc. 

Enfans  charmans 
De  mamans 
Qui  des  grands  sentinoens 
Banniront  la  folie , 
Nos  fils,  bien  gros, 
Bien  dispos , 
Naîtront  parmi  les  pots , 
Le  front  taché  de  lie. 
Le  vin ,  etc. 

Fi  d'un  honneur 
Suborneur  I 
Enfin  du  vrai  bonheur 
Nous  porterons  les  signes* 
Les  rois  boiront 
Tous  en  rond  ; 
Les  lauriers  serviront 
D'échalas  à  nos  vignes. 
Le  vin ,  etc* 

Raison ,  adieu  1 
Qu'en  ce  lieu, 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  435 

Saccombftot  soua  le  dî«u 
Objet  de  nos  louanges  » 
BîeD  ou  mal  mis , 
Tous  amis , 
Dans  llvresse  endonnis , 
Nons  rêTÎons  les  vendanges  l 

Le  vin  charme  tous  les  esprits  : 
Qu'on  le  donne 
Far  tonne  ! 
Que  le  vin  pleuve  dans  Paris , 
Pour  voir  les  gens  les  plus  "aigris 
Gris! 

M.  P.  J.  OR    BsBAftGlB. 


,  LE  DÉURE  BACHIQUE. 

AiB  :  Pomm'  d«  rtlnttl*  «t  poaim*  d'api  TN.  4M  d«  la  C/«  du  CaMca. 

Quand  on  est  mort  c'est  pour  long-temps , 
Dit  un  vieil  adage 
Fort  sage  ; 
Employons  donc  bien  nos  iuslans  9 
Et  çontens 

Narguons  la  faulx  du  Temps  ! 

/ 

De  la  tristesse 
Fuyons  l'écueil , 
Évitons  rcsil 
De  l'austère  sagesso. 
De  sa  jeunesse 
Qui  jouit  bien , 
Dans  sa  vieillesse 
7V«  regrettera  rien. 
Si  tons  les  sots , 
Dont  les  sanglots» 
Mal  à  propos 


LE  GASTRONOSe  FRANÇAIS. 

Ont  tuivi  l'eilMeom , 


O  ipTih  éttimt , 
Dlea  wit ,  je  penie , 
CoDune  Ui  l'ea  4anDerri«Bt  ! 
Quand  on  ett  nort ,  «Tb. 

PnÊÊé*  d'ècbre , 

Qnano*  pUian 
NdNent  iTint  l'aorort  ; 
Qaind  Phèbni  dore 
notre  ridait , 


A  notre  eccent , 
Le  gû  chtmpi^e 
Rtpite  en  jailUaMt  : 
Qatod  OD  e>t  mort ,  etc. 

Jaaki*  d«  gtue , 
JaiPtù  de  loïD  ; 
Ert-Ubewio 

De  pimdn  tut  de  peine 
Fonr  <]oe  li  haine  , 
Lançant  lea  tiaiti , 
Taat-li-coap  vienne 

Dilniire  no«  ncoèa  1 

Qa'nn  |tHir  mon  nom , 
De  «on  renom. 


Le  Itmple  de 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4«5 

J'ai  U  galté  » 
J'ai  la  santé  » 
Qui  Tant  la  gloire 
De  l'immortalité. 
Quand  ou  est  mort,  etc. 

Est-il  Monarque 

Dont  les  bienfaits , 

Dont  les  hauts  faits 
Aient  désarmé  la  Parque  t 

Le  souci  marque 

Leur  moindre  jour , 

Et  puis  la  barque 
Les  emporte  à  leur  tour. 

Je  n'ai  pas  d'or  ;: 

Mais  un  trésor 

Plus  cberencor 
Me  console  et  m'enivre  ; 

J'aime»  je  bou, 

Je  plau  parfois  ; 

Qui  sait  bien  virre 
Est  au-dessus  des  rois  ! 
Quand  on  est  mort ,  eto. 

Au  lit,  «iUble« 

Aimons ,  rions  » 

Puis  euToyons 
Les  affaires  au  diable. 

Juge  implacable  > 

Sot  chicaneur , 

JuifintraiUble, 
Respectes  mon  bottbesr  ! 

Je  sub ,  ma  foi , 

De  mince  aloi  ; 

Épargnei-moi 
Votre  griffe  funeste* 

Sans  TOUS ,  hélas  l 


4^6  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Du  temps  de  reste 
Pour  me  damner  là-bai  \ 
Quand  on  est  mort ,  etc. 


Quand  le  tonnerre 
Vient  en  éclats 
De  son  fracas 

Epouvanter  la  terre , 
De  sa  colère 
Qu'alors  pour  nous 
Le  choc  du  verre 

Amortisse  les  coups. 
Bouchons ,  volez  1 
Flacons ,  coulez  ! 
Buveurs ,  sablez  l 

Un  dieu  sert  les  ivrognes  1 
Au  sein  de  l'air 
Que  notre  ceil  fier, 
Nos  rouges  trognes 
Fassent  pftlir  Téclair 

Quand  on  est  mort  >  etc. 


De  la  guinguette 
Jusqu'au  boudoir. 
Matin  et  soir,  . 

Circulons  en  goguette. 
Guerre  aux  grisettes . 
Guerre  aux  jaloux , 
Guerre  aux  coquettes , 

Surtout  guerre  aux  époux! 
Sur  vingt  tendrons , 
Bien  frais ,  bien  ronds  » 
En  francs  lurons , 

Faisons  rafle  à  toute  heure  ; 
Puisque  aussi  bien  * 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  457 


Sage  ou  vaurien , 
II  faut  qu'où  meure  , 

"Se  nous  refusons  rien  ! 

Quand  on  est  mort,  etc. 


Désacgiibs. 


es: 


DU    SOBTIR    DE    TABLE    ET    DU    CAFÉ. 

Il  était  autrefois  d*usage  de  se  rincer  la  bouche  en  quit- 
tant la  table;  et  des  verres  d'eau  tiède  étaient  en  consé- 
quence mis  à  la  disposition  de  chaque  conyiye.  Celte  cou- 
tume 9  qui  tenait  à  des  considérations  de  propreté  et  de 
santé ,  qui  se  rattachait  à  la  conservation  des  dents  et  à  la 
pureté  de  Thaleine,  et  même  à  la  fraîcheur  du  palais,  n*est 
pratiquée  aujourd'hui  que  dans  les  maisons  fidèles  aux  bons 
et  anciens  usages.  On  ne  sait  pourquoi. 

Le  signal  pour  quitter  la  table  est  donné  par  Tamphy- 
trion  9  après  qu'il  a  servi  les  glaces  et  les  vins  de  liqueurs , 
le  punch  ou  le  bichopp  (i).  Tous  les  convives  se  lèvent  alors 

^i)  On  appelle  ainsi  une  liqueur  qui  se  boit  ài  llostar  du  punch ,  soit 
chaude ,  soit  à  la  glace ,  et  qui  se  sert  ordinairement  au  dessert  et  même 
à  la  fin  de  l'entremets  dans  les  dîners  savans  et  recherchés.  Elle  se 
prépare  avec  d'excellent  TÎn  vieux  de  Bordeaux ,  des  oranges  amères 
(vulgairement  nommées  bigarades),  qu'on  fait  griller  avant  d'en  ex- 
primer le  jus,  et  beaucoup  de  sucre.  C'est  une  boisson  fort  agréable, 
mais  dont  il  né  faudrait  pas  abuser,  quoiqu'elle  soit  en  général  plus 
saine  que  le  punch  ;  mais  les  estomacs  qui  ne  peuvent  digérer  celui-ci, 
s'accommodent  fort  bien  du  bichopp ,  qui  est  une  liqueur  estomachiqne 
et  généreuse  (en  raison  du  vin  de  Bordeaux  qui  en  est  la  base) ,  et  qui 
resserre  plutôt  les  fibres  qu'elle  ne  les  détend. 


4s8  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

spontaDément  et  sortent  de  la  saUe  à  maoger  pour  se  ren- 
dre dans  le  salon.  L'amphjtrlon  ne  passe  alors  que  le  der- 
nier, parce  qu'il  est  censé  avoir  toujours  en  ce  momeot 
quelques  ordres  à  donner. 

Lorsqu'on  se  lère  de  table  pour  aller  prendre  le  café,  le 
catalier  qui  a  été  yoisin  d'une  dame  doit  lui  offrir  la  inaîo. 
Le  sens  du  toucher  peut  seul  lui  indiquer  s'il  doit  coatinoer 
au  saloiL  ses  habitudes  de  TOisioage. 


SON    OBIOINR    ET    SON    INTBODUCXION    EN    FEANCE. 

D*iPEks  le  sentiment  des  auteurs  de  TEncycIopédie  ,  Ic^ 
mots  café  en  français,  et  coffée  en  anglais  et  en  bollandàîs, 
tirent  Fun  et  l'autre  leur  origine  de  cahué,  nom  qae  les 
Turcs  donnent  à  la  boisson  qu'on  prépare  de  cette  plante , 
et  pour  la  culture  de  laquelle  nous  renrojons  nos  lecteurs 
qui  Tondraient  la  connaître  à  Calmant  de  Bomare  ou  à  tout 
autre  naturaliste. 

L'origine  du  café,  selon  les  Mémoires  de  l'Académie  des 
sctoDoes,  et!  d«e  au  prieut  d'un  monastère  de  reàignux.. 
dans  cette  partie  de  l'Arabie  où  croit  Parilimle  qui  porte  ce 
fruit.  Le  prieur  ayant  remarqué  que  les  chèvres  qui  en  man- 
geaient étaient  extrêmement  vives,  résolut  de  s'en  serrîr 
p<^ttr  réveiller  ses  mpiaes ,  à  qui  il  arrivait  souvent  de  dor- 
mir à  madoes;  et  c'est  de  U,  dit-on ,  qu'est  venu  l'usagt 
du  café,  aujourd'hui  anrversel  (i). 

(0  Voici  la  ▼éritable  verrion  dt  eetle  attoedote  ;  eBe  nom  eal  garantir 


J 


W^^t^* 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  429 

Le  café  1«  plus  estimé  est  celui  que  Tod  recueille  dans  le 
royaume  d*Yemen  en  Arabie  ;  mais  celui  de  TOudet  est  le 
plue  renommé  fkrm  les  orientaux  ;  on  lui  donne  en  France 
le  nom  de  café  Moka  pai'ce  qu'en  1709  une  eompa(|;nie  de 
Français ,  sous  la  conduite  du  capitaine  Herreille ,  a  com*- 
mencé  à  faire  le  commerce  du  café  dans  la  Tille  de  Moka 
où  résident  les  courtiers  des  Indes. 

Le  café  n'a  été  connu  en  Europe  que  rers  le  milieu  du 
seiziéBie  siècle ,  où  il  parut  presque  en  même  temps  que  le 
tabac.  Ayant  cette  époque,  on  citait  un  bomme  qui  arait 
pris  do  café  comme  on  citerait  aujourd'hui  quelqu'un  qui 
aurait  tu  BolîTar  ou  les  sources  du  Nil. 

Louis  siT  fut  le  premier  de  son  royaume  qui,  en  1044) 
prit  du  eafé  ayant  que  le  peuple  eût  entendu  parler  des  yer- 
tus  de  la  fèye  arabique. 

Enfin»  en  1669,  le^aod  seigneur  enToya  k  ce  monarque 
l'ambassadeur  Soliman-Âga,  et  Ton  goûta  arec  un  peu  plus 
d^oKtennon  la  liqueur  du  café. 

parle  gavant  Addalc%der,  dont  le  maDaforit  est  i  la  bibliolhèqae  du 
roi,  et  par  M.  Galaild ,  si  connu  par  sa  traduction  des  Mille  ei  une  nuits. 
Gantes  arabes  t  Au  milieu  da^quinBème  siècle  de  l'ère  chétienne  un  eer- 
talnOemal  eddin  »  qui  demeurait  à  Aden ,  ville  et  port  fameux  à  Torient 
de  TembottcUure  de  la  Mer-Rouge,  faisant  un  voyage  en  Perse ,  y  trouva 
des  gens  de  son  pays  qui  prenaient  du  café,  et  qui  vantaient  cette 
boisson.  De  retour  à  Aden,  il  eut  quel  qu'indisposition  dont  il  se  guérit 
en  prenant  du  café.  Gemaleddin ,  mufti  d'Aden ,  ayant  la  coutume  de 
passer  les  ooits  «n  prières  avec  les  dervis ,  leur  proposa ,  afin  de  vaquer 
à  ce  devoir  «vae  plus  de  liberté  d'écrit,  de  prendre  du  café,  et  leur  , 
•Memple  m&r  le  eafé  en  vogue  à  Aden.  Les  gens  de  loi,  pour  étudier  ; 
les  artisans ,  pour  travailler  ;  les  voyageurs ,  pour  marcher  la  nuit  ;  enfin 
toos  les  babilans  tf^Adea  en  prirent.  Se  là  il  passa  à  la  Mecque  ou  tout 
le  monde  eu  prît  aussi;  de  l'Arabie  heoBense  il  fut  porté  en  Egypte  et 
on  Caire  ;  de  l'Egypte  il  passa  en  ftyrîe,ot  de  là  enfin  à  Goostaottooplc. 


45o  LE  GASTRONOME  FRAiNÇAIS. 

«  Dè8-lor8  s'opéra  en  France  une  grande  rérolutîoa  mo- 
«  raie.  La  cour  de  Louis  xiv  se  fit  distinguer  par  une  poli- 
a  tesse  exquise  de  mœurs  »  une  finesse  par&îte  de  uct,  une 
«  élégance  soutenue  de  manières ,  un  esprit  rif ,  eoioaé  ; 
«  et  ces  progrès  sensibles  de  ciyilisation ,  disent  quel<{aef 
•  auteurs,  c'est  au  café  qu'il  faut  les  attribuer.  » 

D'après  cette  assertion,  tant  soit  peu  épigram  matiqae , 
d'autres  auteurs  ont  pensé ,  de  bonne  foi ,  que  c'est  aussi  à 
la  puissance  d'imagination  ,  à  Texcitation  des  Cacultés  da 
cerveau  produites  par  l'usage  du  café,  que  l'on  doit  le  dé- 
veloppement des  beaux  génies  qui  onl  illustré  le  grand  siè- 
cle. Nous  ne  pensons  pas  de  même  à  l'égard  de  ce6  grands 
hommes,  qui  reçurent  du  ciel  l* influence  secrète.  Ce  serait 
les  comparer  à  certains  écrivains  qui  prennent  la  fécondité 
pour  du  génie,  et  dont  les  facultés  intellectuelles  ont  besoin 
pour  être  développées  de  cette  liqueur  stimulante  qui  nous 
vient  de  la  Mecque  ou  du  royaume  d'Yémen  (i). 

En  167a,  des  Arméniens  établirent  un  café  public  àU 
foire  Saint-Germain,  et,  hors  le  temps  de  la  foire,  daas  U 
rue  dé  Bussj,  qui  n'en  était  pas  éloignée.  Quelque  temps 
après  deux  garçons  de  ces  Arméniens,  Grégoire  et  Frocope 
passèrent  dans  la  rue  des  Fossés  Saint-Germain,  où  ils 
formèrent  un  autre  établissement  de  ce  genre,  Tis-à-vis  U 
comédie  française.  Cet  établissement  porte  encore  le  nom 

(1  )  Le  président  de  Maisons  s'était  fait  à  Maisons  un  jardia  de  plantes 
rares.  C'est  de  ce  jardin  qu'est  sorti  le  seul  café  qui  ait  encore  pu  par- 
venir à  sa  maturité  en  France.  On  assure  qull  n'avait  pas  moias  de 
parfu  m  que  le  café  Moka  (  Fontenelk,  Éhge  du  président  ds  Maùam;^ 
M.  Boursault ,  qui  possède  à  Paris,  rue  Blanche ,  le  plus  beau  jardUa 
connu ,  cultive  dans  ses  serres  l'arbre  du  café.  Il  n'est  pas  venn  à  ootre 
connaissance  que  ce  grand  cultivateur  en  ait  fait  usage. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  43 1 

de  café  Procope  ,  quoique  un  nombre  considérable  de  pro- 
piiétairefl  s'y  soient  succédés  depuis  cette  époque. 

Ayant  la  fin  du  dix-septième  siècle,  on  yit  s'ouyrir  deux 
autres  cafés,  le  premier  au  bas  du  pont  Saint -Michel ,  le 
second  à  la  place  de  TÉcole.  L'un  était  fréquenté  par  de 
beaux  esprits ,  et  l'autre  par  des  recruteurs. 

L'usage  du  café  fut  d'abord  très -mal  accueilli  par  les 
médecins ,  qui  prétendaient  que  c'était  un  poison.  Il  paraît 
que  cette  idée  se  soutint  long-temps«  car  un  de  ces  docteurs 
ayant  dit  à  Fontenelle ,  dans  sa  yieillesse ,  que  le  café  était 
un  poison  lent:  «Docteur,  repartit  l'auteur  des  Mondes  ^  je 
«  le  crois  comme  yous,  car  il  y  a  quatre-yingts  ans  que  je 
«  m'en  aperçois  (i)*  » 

On  connaît  la  fameuse  thèse  soutenue  en  1695,  dans  l'é- 
cole de  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  où  il  parut  prouyé, 
jusqu'à  la  démonstration,  que  l'habitude  du  café  rendait  les 
hommes  inhabiles  à  engendrer ,  et  les  femmes  à  conceyoir. 

M.  Hequet,  aussi  célèbre  par  son  humanité  et  sa  religion 
que  par  ses  connaissances  en  médecine  ,/prétend  également , 
dans  son  Traité  des  dispenses  du  carême ,  et,  d'après  le  mé- 
decin Danois,  Simon  Pauli,  que  le  café  rend  les  deux  sexes 
impuissans  ou  inféconds.  Voici  à  cet  égard  ce  que  raconte 
un  yoyageur  qui  a  fort  bien  écrit  l'histoire  du  café  :  «La 
femme  d'un  prince  persan  yoyait  dans  la  cour  de  son  palais 

(1)  Fontenelle  fut  long-temps  une  preuve  parlante  de  Terreur  daog 
laquelle  étaient  tombés  les  médecins  de  cette  époque,  car  il  vécut  un 
siècle.  Né  le  11  février  1657 ,  il  mourut  le  9  janvier  ijSj. 

Voltaire,  qui  prenait  dix  à  douze  tasses  de  café  par  jour,  mourut  k 
près  de  quatre-vingt-cinq  ans.  Il  est  cependant  vrai  de  dire  que  le  thé 
et  le  café  contiennent  assez  abondamment  un  principe  astringent  qu'on 
nomme  acide  galKquc,  et  dont  la  propriété  est  de  resserrer  les  fibres  de 
l'estomac. 


43)  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS 

einq  on  six  pftlefreakrs  ooeupés  &  terrasser  ao  Irès-tett 
cheval  arabe,  auquel  ils  roulaient  dter  la  possibilité  de  re- 
produire son  espèce  :  elle  demanda  ce  qu*an  roulait  fiûie  t 
ce  paurre  animal  ;  ou  eut  beaucoup  de  peine  à  )e  lui  expfi- 
quer  décemment.  Quand  elle  fut  au  fait  :  Quoi  !  c'est  cebl 
dit-elle  ;  hé  bien,  an  lieu  de  le  tounnenter  ùnsi^  féùte^hi 
prmdre  du  eafi.  En  effet,  les  médecins  du  pajs  prétendaîeni 
que  le  prince  son  époux  ne  derait  impuissance  k  htqaeJk 
il  était  réduit  qu'à  Tusaj^e  immodéré  de  cette  Fiqueor.  CVs( 
une  opinion  également  accréditée  dans  rOrient.  > 

  Gonstantinople  les  maris  araient  le  droit  de  éhîemârt 
le  café  à  leurs  femmes.  Maintenant  en  Turquie,  le  refus 
qu*un  mari  (ait  à  sa  femme  de  lui  laisser  prendre  do  ca/e 
etft  une  cause  de  dirorce  déterminée  par  la  loi. 

Consultez  aujourd*hui  en  France  les  médecins  et  les  hom- 
mes sages,  ils  rous  diront  tous  arec  fabbé  Delille  : 


XI  eft  oae  Uqwanr  «o  poète  bieocbère  , 

Qui  manqvffit  à  FirgUê  %  et  q«'«dorait  VMtoift  ; 

C'est  toi  I  divin  Caféf  dont  l'aimable  li^^ueur , 

Sam  altérer  la  tète ,  épanouit  le  cœur  I 

AiDii ,  quand  mon  palaig  est  émonité  par  fàge , 

Avee  plai^r  encor  )e  goûte  ton  breiiTage. 

Que  l'aiBwà  piiparef  ton  nectftr  prèdevs  1 

Nul  n'usurpe  chex  moi  ce  soin  délicieux  ; 

Sur  le  réchaud  brftlant ,  moi  seul,  tournant  ta  graine , 

A  l'or  de  ta  couleur  fais  succéder  l*ébéoe  ; 

Moi  seul  »  contre  la  noix  qu'arment  êtê  dents  de  fer, 

Je  fais  ,  en  le  broyant ,  crier  ton  Aruit  amer. 

Charmé  de  ton  parfum ,  c'est  moi  seul  qui,  dans  l'onde , 

Infuse  à  mon  foyer  ta  poussière  féconde  ; 

Qui ,  tour-à-tour,  calmant,  excitant  tes  bouîUoDs , 

Suis  d  un  ceil  attenUf  tes  légers  tonrbiUons. 


^   i 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  453 

Enfin ,  de  ta  liqueur ,  lentement  reposée. 
Dans  le  vase  fumant  la  lie  e«t  déposée  ; 
Ma  coupe,  ton  nectar,  le  miel  américain , 
Que  du  suc  des  roseaux  exprima  l'Africain , 
Tout  est  prêt  ;  du  Japcn  l'émail  reçoit  tes  ondes, 
Et  seul  tu  réunis  les  tributs  des  deux  mondes. 

Tiens  donc ,  divin  nectar  I  Tiens  donc  ;  inspire-moi  : 
Je  ne  yeuji  qu'un  désert ,  mon  Jniigonù  et  toi  l  ^ 

A.  peine  j'ai  senti  ta  Tapeur  odorante  » 
Soudain  de  ton  climat,  la  chaleur  pénétrante 
Réveille  tous  mes  sens  ;  sans  trouble ,  sans  chaos , 
Mes  pensera ,  plus  nombreux,  accourent  à  grands  flots. 
Mon  idée  était  triste ,  aride ,  dépouillée  ; 
Elle  rit,  elle  sort  richement  habillée  ; 
Et  je  crois ,  du  génie  éprouvant  le  réveil , 
Boire  dans  chaque  goutte  un  rayon  du  soleil  ! 

.  > 

Les  auteurs  de  Fanchon  la  vielleuse  ont  mis  ce  joli  cou- 
plet dans  la  bouche  de  l'abbé  de  Lattaigoant,  en  parlant  du 
café  : 

A  ceux  que  l'âge  refroidit 
Il  rend  la  chaleur  et  la  vie , 
A  l'hymen,  qui  s'en  applaudit. 
Parfois  il  cause  une  insomnie. 
Tous  les  feux  d'un  antre  univers 
Sont  dans  sa  liqueur  salutaire  ; 
Il  est  la  source  des  bons  vers  ; 
C'est  l'hypocrène  de  Voltaire. 

Madame  de  Séyigné,  protectrice  de  Pradon,  a  écrit  qu'on 
9e  dégoûterait  de  Racine  comme  du  café.  En  cela  elle  a  fait 
une  double  méprise. 


â8 


454  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS, 

MiLNli-RE    DE    FAIRE    LE    CAFÉ. 

Poe»  faire  de  bon  café,  dit  notre  grand  professeur  en 
«astronomie,  M.  Grimod de  la Reynière  (i)  ,  il  fautdéler- 
Lner  d'une  manière  prêch. ,  ioTambh»,  le  degré  de  tone- 
faction  du  café,  degré  tel  qoe  se»  principes  odwao»  a. 
.oient  pa»  dissipés  par  une  chaleur  trop  T.re,  ma.squib 
setrourent  développés  dans  une  proporUon  conTcnable. 

Obtenir,  du  café  liquide,  un  point  de  concentration  tel 
qu'il  garde  toot  wn  arôme,  tout  cet  esprit  «ecteur  qu.  la. 

donne  l'amc  et  la  yie. 

Conduire  celte  opération  de  manière  à  ce  qoe  ceBe  ma- 
tière âpre  et  stiptique  qui  se  trouve  dans  les  arrière-prin- 
cipes du  café ,  ne  se  mêle  jamais  à  son  infusion. 

Ce«ont«utà«t  d'opérations  vraiment  chimiques,  q»it«- 
«nt  toauoMip  de  connaissance»  théoriques,  une  pr*tiq« 
Tabituelle,  et  un  degré  de  savoir  et  d'erpérience  qu-o-m 
peut  raisonnablement  exiger  d'une  cuisinière ,  d'un  ofBaer, 
d'un  limonadier ,  ni  même  de  beaucoup  de  sarans. 

Pour  arriver  à  ce  sublime  résultat,  on  proposa  mille  mé- 
thodes; on  voulut  faire  le  café  ,  sans  le  réduire  en  poudre, 
en  l'infusant  à  froid,  en  le  c»noa«»«nt  d'après  Je  mode  tore, 
en  le  soumettant  à  l'autoclare ,  «te. ,  etc.  ;  tonte»  «s  belles 
inventions  ont  amené  de  i»lteux  résuhats;  «ae  seule  les  * 
toutes  vaincues ,  c'est  lacafeUlre  d  la  Dubetloy  (a) ,  et  apris 

(,)  Cet  âAkhs  a  ««  *nrij»é  p»  MM.  le.  «»»ar»  d.  C*  *•  ««^ 
,„MUU.  ww^<«l»  «*»  l'empwnioiia,  en  wetmaûmm»  4e  V^""^ 
qu'iU  nout  ont  f«t  de  chaMer  .ur  notre  domaine ,  «t  d'y  pwmdfe  ^^ 
que»  pièce»  pour  leur  table. 

(»)  M.  DubeUoy,  neveu  de  l'ancien  arclievêque  de  Pari» ,  en  e««  r»- 


ventcur. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  435 

aToir  nous-même  expérimenté  en  cent  façons,  nous  avons 
fini  par  nous  arrêter  à  la  manière  suivante  que  nous  don- 
nons pour  officielle. 

On  brûle  séparément,  et  soi^-même  (i),  une  partie  de  oaf^ 
Martinique  vert,  une  café  Bourbon ,  une  Moka.  On  opère 
ensuite. le  mélange,  et  on  réduit  le  tout  en  poudre  (pas 
trop  fine).  Puis  on  opère  d'après  le  système  de  la  cafetière 
Dubdloy^  qui  consiste  à  verser  Teau  bouillante  sur  le  café 
placé  dans  un  vase  à  doubles  fonds  percés  de  très-petUs 
trous.  L'eau  s'écoule  chargée  de  toute  la  partie  essentielle. 
On  la  met  alors  sur  le  feu  Jusqu'à  ébullition ,  on  la  repasse 
de  nouveau  dans  l'appareil,  et  l'on  obtient  un  café  aussi 
clair,  aussi  bon  qu'il  se  puisse  faire  :  celui  qui  a  le  gosier 
pavé,  Mpeut  avaler  toute  bouillante  cette  délicieuse  boisson^ 
ne  doit  plus  envier  l'idéale  ambroisie, 

MANlkaE   DE    ^BlIVIfl    LE    GAFÉ    ET    LES    LIQUEURS^ 

Ok  le  distribue  de  deux  naanîères;  la  plus  ancienne  et  la 
plus  usHée ,  est  celle  de  le  servir  dans  une  cafetière  portée 
par  l'officier  suivi  d'un  valet  de  chambre  chargé  d'un  pla- 
teau sur  lequel  aont  placft)  les  tasses  et  le  sucrier,  et  qui 
s'arrêtent  devant  chaque  convive.  La  seconde  manière  de 
servir  le  café,  est  de  le  présenter  dans  une  fontaine  élégante 
entourée  de  tasses,  et  perchée  sur  un  double  guéridon  qui 

(i)  Recommandalion  importante  :  la  bonté  de  la  Uquear  dépend 
spécialement  du  degré  de  torréfaction  ;  la  moindre  négligence  i  cet 
égard  altère  le  parfum  du  café.  Brûlé  à  point,  le  grain  doit  être  alezan 
ciair.  11  vaut  mieux  brûler  moins  que  plus,  l'inconvénient  subsiste 
dans  les  deux  cas ,  mais  dans  le  premier  il  est  moins  désastreux. 


436  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

occupe  le  centre  du  salon.  L*amphjtrion  lui-même,  ou  son 
épouse  remplissent  les  tasses  après  qu'elles  ont  été  sucrées 
A  discrétion  par  chaque  conyiye ,  qui  ya  ensuite  humer  et 
prendre  son  café  dans  un  coin  du  salon. 

Il  n'est  pas  permis  de  rerser  son  café  dans  la  soucoupe, 
et,  tel  brûUnt  qu'il  soit,  il  faut  le  boire  dans  la  tasse. 

Les  liqueurs  se  servent  également  de  deux  manières.  Les 
bouteilles  sont  rangées  soit  sur  le  guéridon  du  café ,  soîtdans 
des  porte-verres  sur  un  entre-deux  de  croisée  ;  oa  biea  les 
liqueurs  sont  dans  des  flacons  renfermés  au  nombre  de  douie 
dans  un  grand  coffre  de  bois  précieux ,  qui  vient  de  la  Hol- 
lande ,  ainsi  que  le  contenu ,  et  auquel  on  donne  à  peu  près 
la  forme  d'un  nécessaire.  Tantôt  c'est  l'amphytrioa  on  son 
épouse  qui  verse  les  liqueurs  dans  les  petitsverres,  en  en  an- 
nonçant l'espèce  et  en  le  s  proposant  successivement  à  chacun 
des  convives;  tantôt  ce  sont  les  convives  eux-mêmes,  à  la 
discrétion  desquels  on  abandonne  les  bouteilles  etles  flacons, 
et  qui  se  servent  à  leur  volonté.  Cette  dernière  méthode  an- 
nonce plus  de  magnificence ,  et  n'est  guères  plus  dispen- 
dieuse ,  caria  discrétion  est  une  vertu  plus  commune  qu'on 
ne  pense  ches  les  gourmands. 

De  quelque  manière  que  l'on  serve  lecafé  elles  liqueurs, 
ce  serait  une  malhonnêteté  d'en  laisser  dans  sa  lasse  ou 
dans  son  verre.  On  doit  avoir  aussi  rattentîon  de  rapporter 
les  vases  vides  sur  le  guéridon ,  et  de  ne  point  les  déposer 
sur  les  meubles. 


■^^■"■^       ■'      ■^^^^^^^^^^■■■ï^ 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  437 


L'APRiiS    DINÉB    OU    LA    SOIRÉE. 

■ 

Apibs  la  dégustation  du  café  et  de  la  liqueur^  les  devoirs 
du  gourmand  et  ceux  de  Tamphytrion  sont  à  peu  prés  rem- 
plis. Il  ne  reste  plus  à  ce  dernier,  dit  M.  Grimod  de  la  Rej- 
nière  dans  son  Manuel  des  Amphytrions  :  «  Qu'à  tâcher  d'é- 
9  tablir  dans  le  salon  une  conversation  intéressante  ou  amu- 
»  santé ,  qui ,  en  procurant  à  ses  con  vires  les  moyens  de  faire 
9  agréablement  la  digestion ,  prolongera  chez  lui  leur  séjour. 
»  Un  tel  moyen  estbeaucoupplus  à  l'usage  des  gens  d'esprit 
»  qu'une  table  de  jeu  :  c'est  sans  doute  aussi  pourquoi  il  est 
»  bien  plus  rare.  Que  d'amphyirions  croient  avoir  bien  mérité 
X  de  leurs  convives,  en  les  faisant  passer  de  la  table  à 
»  manger  au  tapis  vert ,  et  qui,  sans  consulter  leur  inclina- 
n  tion  et  leur  goût,  les  arrachent  à  un  entretien  agréable, 
»  pour  les  mettre  pendant  quatre  heures  en  société  avec  la 
•  dame  de  pique  et  le  valet  de  carreau  I  Heureusement 
»  que  la  politesse  n'oblige  point  les  convives  de  pousser  la 
»  complaisance  jusques-là  ;  et,  quoiqu'elle  prescrive  en 
»  général  une  heure  de  séance  après  le  café,  l'arrivée  des 
»  tables  de  jeu  est  pour  un  grand  nombre  le  signal  du  dé- 

»  part Dans  toutes  les  circonstances,  cette  retraite  doit 

»  être  une  véritable  évasion ,  et  l'on  s'esquive  aujourd'hui , 
»  bien  plutôt  qu'on  se  retire.  Il  serait  impoli  de  prendre 
»  congé,  tant  la  mode  a  d'empire  sur  nous;  car  ce  qui  est 
»  de  nos  jours  une  marque  de  savoir  vivre,  eût  passé  du 
»  temps  de  nos  pères  pour  une  intolérable  grossièreté.  » 

Un  convive  serait  blâmable  s*il  critiquait  l'esprit  de  l'am*^ 


458  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

phytrlon  et  son  dîoer  peadant  les  trois  heures  qui  surent 
le  repas,. la  reconnaissance  devant  durer  au  moins  autant 
que  la  digestion. 


3.îrticU  Xlmmème. 

BEI   TISITflS   60UB1IA.1IDKS. 

Il  est  des  devoirs  essentiellenaent  obUgateires^  et  doot 
un  gourmand  même  ne  peut  se  di^enser  ;  ce  seot  les  Tintes 
gourmandes  couftuea  sous  le  M>m  de  visiter  di  ifigrilion  et 
de  visites  d'appétiL 

La  visité  de  digestion  est  un  sacré  devoir  auquel  loatlionaK 
qui  sait  vivre ,  et  qui  n*a  point  perdu  l'appétit  pour  ud« 
autre  occasion ,  ne  manque  jamais. 

Lorsqu'on  a  dîné  et  bien  diné  dans  une  mabon  y  Tusagc 
veut  que  dans  les  dix  jours  on  rende  «n  penoone  ses  de* 
voirs  à  ramphjtrion^  et  c'est  ce  qu'on  appelle  uoe  nsiU  de 
digestion.  Il  feut  convenir  que  l'usage  est  ieî  d'accord  avec 
la  reconnaissance  et  avec  tous  les  sentimens  d'un  eoMir  bien 
né.  Gomme  l'affaire  la  plus  importante  dans  ce  baa  monde 
est  le  dîner  y  rien  n'est  au-dessus  d'un  dîner  ezceUent,  et, 
aux  yeux  même  de  l'homme  le  moins  disposé  à  la  gratitode, 
il  n'est  aucun  bienfait  de  comparable  à  celui-là  ;  car  c'est  oelui 
qui  produit  la  plus,  délicieuse  et  la  plus  longue  jouissance 
que  l'on  puisse  goûter  :  c'est  presque  le  seul  que  Ton  puisse 
accepter  sans  rougir,  même  d'un  supérieur  et  d'un  étranger, 
et  c'est  le  seul  aussi  qui  n'exige  point  une  reconnaissancefro;- 
portioanée  à  son  étendue,  puisque  si  vos  moyens  ou  les  cod- 


LE  GASTROiHOMK  FRANÇAIS.  439 

yeuauccs  sociales  (1)  ne  vous  permetteat  pas  de  voust  ac- 
quitter en  même  monnaie,  vous  tous  trouYez  libéré  par  une 
simple  visite 

Mais  afin  que  la  politesse  des  convives  ne  soit  pa^  infruc- 
tueuse» et  qu'une  visite  faite  en  personne  ne  dégénère  pas 
'  en  un  simple  billet ,  nou3  invitons  les  amphytrions  à  indi- 
quer un  jour  de  la  sepiiiine  où  Ton  puisse  être  assuré  de  les 
trouver  cheat  eux..^.. 

Les  visites  ds  digssiion  soat,  aiu  reste  >  connues  depuis 
long-temps ,  même  sous  ce  nom.  Nous  ne  pensons  pas  qu'il 
en  soit  ainsi  des  vuitss  d'appétit, 

Environ  quinze  ^urs  après  la  visite  de  digestion ,  on  se 
rend  de  nouveau  chet  Tamphytrion  ;  et  il  est  essentiel  de, 
le  faire  à  un  jour  et  à  une  heure  où  Ton  soit  bien  certain  de 
le  trouver  chez  lui.  L'on  n'épargn/^  rien  dans  cette  secoAde 
séance  pour  lui  être  agréable^  et  stimuler  £fon  amour-propre, 
par  ces  louanges  fines  et  délicates  que  les  gourmands  savent 
si  bien  tourner  et  assaisonner  à  propos.  On  passe  en  revue' 

(1)  Il  est  bien  des  cas  où  Ton  ferait  beaucoup  do  peine  à  Tamphytriou, 
en  cherchant  à  s'acquitter  en  nature  avec  lui.  Tout  homme  qui  a  un 
bon  cuisinier  et  une  excellente  table,  dispense  très-volontiers  les  autres 
des  invitations ,  parce  qu'il  mange  beaucoup  mieux  k  son  petit  couvert 
qu'à  presque  tous  les  repas  priés.  Or,  inviter  quelqu'un  pour  le  faire 
dîner  beaucoup  moins  bien  qu'il  n'aurait  dîné  chez  lui ,  c'est  lui  jouer 
un  très-mauvais  tour  :  c'est  doncle  cas  de  demeurer  plutôt  son  obligé, 
que  de  chercher  follement  à  s'acquitter  par  un  acte  de  fausse  reconnais- 
sance. L'auteur  de  cet  ouvrage  est  tellement  pénétré  de  ces  principes, 
qu'il  se  garderait  bien  d'inviter  telle  ou  telle  personne  chez  lesquelles 
il  a  fait  d'excellens  dîners  ;  ce  serait  les  punir  cruellement  de  leurs 
bienfaits.  Elles  le  savent ,  et  lui  pardonnent  bien  volontiers  son  ingra- 
titude apparente.  Règle  générale  :  l'inférieur  en  fortune  ou  en  dignités 
ne  doit  presque  jamais  se  permettre  d'inviter  son  supérieur. 


44o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

les  mets  lesplusremarquables  du  dernier  dîoer,  rexeellence 
des  Tins,  la  manière  aimable  et  distinguée  arec  laquelle  Vam- 
phytrlon  en  a  fait  les  honneurs,  etc.,  etc.  On  eatremèley 
arec  grâce ,  à  ces  propos  la  nourelle  du  jour ,  les  petites  anec- 
dotes scandaleuses  et  piquantes,  les  hbtofres  récentes  de  la 
littérature  et  des  coulisses ,  le  Tauderille  et  répigramme  eo 
TOgue,  etc.  ;  enfin  Ton  n'épargne  rien  pour  paraître  amu- 
sant, et  ron  donne  une  entière  carrière  à  son  amabilité.  Soa- 
Tent,  dans  ce  moment  dirresse,  Tamphytrion  tous  inrîte 
pour  un  prochain  four  en  tous  reconduisant,  ou,  le  lende- 
main ,  TOUS  reccTei  une  iuTitation  en  règle.  Mah,  s'il  laisse 
passer  plus  de  huH  leurs,  le  coup  est  manqué,  et  fa  risite 
d'appétit  n'a  pas  rempU  son  but  :  dès  lors  tout  est  ^i;  on  est 
dispensé  d'en  faire  une  seconde  qui  aurait  l'air  d^une  quête 
Importune ,  ce  qui  ne  rapporterait  pas  plus  de  profit  que 
d'honneur.  Il  faut  se  tenir  tranquille,  ou  se  mettre  è  la  piste 

d'un  autre  amphytrion. 

G.  D.  L.  R. 

(Bœtrâli  (U  l^Almanack  des  Gownmads, } 


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BS  &'HTaikVS  »S  IiA  TABKSi 


La  digesUon  est  r«lfiâre  de  restomac  t 
«l  l«t  mdigeatioiM  oalle  detmiclecm»* 


J 


fWIMIKOttlHiWtlMlMqî 


1>B  L'HTOIÈIIE  DB  LA  TABLE. 


2lrttcU  |)rmier. 

DES    HÉDBGINS    ET    DES    CONVIVES   QUI   SE    PORTENT    BIEN. 

Or  accuse  les  médecins  d'être  gourmands,  et  leur  appétit 
est  passé  en  proverbe.  Le  doivent-ils  à  la  sagesse  de  leur 
régime ,  à  Tactivlté  de  leur  exercice ,  ou ,  comme  de  mau- 
vais plaisans  Pont  dit,  acquittent-ils  la  dette  de  ceux  que 
leurs  arrêts  ont  condamnés  à  une  diète  étemelle  ?  Laissons 
ces  graves  questions  aux  érudits  de  profession  ;  et ,  s'il  y  a 
quelque  indulgence  attachée  à  l'aveu  de  ses  fautes ,  confes- 
sons en  toute  humilité  ce  défaut  ou  cette  qualité  dont  Mo- 
lière et  Picard  nous  ont  si  bien  complimentés,  et  passons- 
en  condamnation ,  sauf  respect  à  l'hermine  doctorale.  Mais 
utilisons  pour  la  société  le  mal  qu'on  nous  reproche  ;  vic- 
time expiatoire ,  dévouons  -  nous  sur  l'autel  de  Cornus ,  et 
qu'instruits  par  notre  expérience ,  nos  lecteurs  jouissent  à 
la  fois  des  honneurs  de  la  tempérance  et  des  profits  de  la 
gourmandise.  C'est  en  ce  sens  surtout  que  sur  les  pas  de  la 
reine  de  Carthage  la  Faculté  de  médecine  peut  dire  : 

Non  igaara  ma&,  miaerÎB  «accnrrere  diaoo. 

C'est  donc  de  r hygiène  de  la  table  ou  de  l'art  de  s'y  bien 
porter  que  nous  entretiendrons  nos  lecteurs.  Et  pourquoi 
cette  arène  n'aurait-elle  pas  aussi  ses  lois  et  ses  juges  comme 
elle  a  ses  combattans  ?  Pourquoi  n'assignerait  -  on  pas  les 
mets  convenables  en  telle  saison,  tel  tempérament,  k  tel 
sexe  ?  Sait-on  ce  qu'eût  fait,  dans  tel  cas  donné,  tel  héros ,. 


444        LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

si  sa  table  eQt  été  serrie  de  telle  autre  manière  ;  et,  depuis 
le  plat  de  lentilles  d'Ésaû  jusqu'à  la  sauce  noire  des  Spar- 
tiates ^  Jusqu'aux  ragoûts  français,  depuis  Tirresse  du  père 
de  Cham  jusqu'à  celle  du  meurtrier  de  Glîtus,  a-t-on  tenu 
note  des  révolutions  opérées  par  la  table ,  et  de  rinfluence 
de  la  cuisine  sur  les  destinées  des  nations  ?  Beaumarchais  ,• 
auteur  quelquefois  blasé ,  mais  conTiTC  du  meilleur  goût , 
attribuait  aux  bonnes  ou  mauvaises  digestions  de  Tauditoirt 
les  succès  ou  les  chutes  des  pièces  nouTclles  ;  et,  agrandis- 
sant cette  idée  y  un  anonime  qui  s'est  dérobé  à  nos  hom- 
mages ,  a  proposé ,  en  homme  de  génie ,  de  joindre  tou- 
jours, à  chaque  billet  donné  «  une  carte  d'entrée  chez  un 
restaurateur,  où  l'on  pût,  interpocula  et  $cjpha$ j\t,  )our  de 
chaque  représentation ,  concerter  le  triomphe  de  l'auleur- 
amphytrion  (i). 

Horace  connaissait  toute  l'influence  de  la  table  sur  la 
verve  d'un  poète ,  et  ses  mètres  ronflans  attestent  souvent 
sa  reconnaissance  pour  le  Faleme  et  le  Gaecube.  Et  ce  qu'il 
a  fait  pour  les  coteaux  d'Italie,  aujourd'hui  déchus  de  leur 
gloire  et  semés  de  paisibles  oliviers ,  nous  ne  le  ferions  pas 
pour  ceux  qui  nous  donnent  le  Bourgogne  généreux ,  le 
Champagne  léger,  le  Bordeaux  digestif,  le  Languedoc  spin- 
tueuxll!  Nous  vous  vengerons  de  ce  silence  outrageant, 
nobles  fils  de  la  France  I  II  faut  que,  sans  la  médecine,  mais 
non  pas  sans  son  médecin ,  n'en  déplaise  à  J.  J. ,  le  conva- 

(i)  Il  parait  que  l'anooimc  doDt  parie  le  <k)ctciir  Marie  de  Saini- 
UniQ  n'a  pas  renoncé  à  ion  plan.  Il  a  même  été  adopté  et  mis  a 
ciécution,  s'il  faut  en  juger  par  le  auccés  de  certains  oavraget»  la  cobeh 
position  des  parterres  et  des  balcons.  Heorensement  messieurs  les  foat- 
nali8tC8,que  l'on  ne  corrompt  pas  facilement,  sont  là  poor  éclaffer 
l'opinion  publique. 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  445 

lescent  apprenne  à  connaître ,  notre  livre  à  la  main ,  quels 
Tins  la  nature  élabora  pour  redonner  à  son  estomac  des 
forces  digestives,  à  sfi  tête  la  faculté  de  penser;  que  Tamant 
de  la  table  sache  qu*il  doit  choisir  un  autre  vin  que  Tamant 
de  Vénus  ;  qu'il  est  même  des  vins  amis  de  la  femme  ner- 
veuse; enfin,  qu'un  fait  d'armes  en  amour  a  besoin  d'un 
autre  stimulant  qu'un  exploit  guerrier,  qu'un  estomac  à  ra- 
douber, ou  qu'un  assaut  bachique. 

Mais  que  la  modération  préside  à  nos  plaisirs  si  nous 
voulons  en  assurer  la  durée,  et  ne  pas  garder  seulement 
les  épines  de  ces  roses. 

Remarquez,  sages  lecteurs,  la  bizarrerie  delà  tûche  qui 
nous  est  imposée  :  enrôlés  parmi  des  troubadours,  et  l'un  des 
plus  ardens  profès  de  ce  nouvel  ordre  des  Coteaux^  nous 
sommes  appelés ,  par  la  part  que  nous  assignent  leur  choix 
et  notre  état,  à  lutter  contre  leurs  conseils  appétissans,  à  vous 
prémunir  contre  leurs  douces  séductions;  enfin,  nouveau 
Don  Quichotte,  à  réparer  leurs  torts  charmans  ;  et,  comme 
si  dans  le  rôle  qui  nous  est  échu  nous  n'avions  déjà  contre 
nous  la  prévention  qu'inspire  un  censeur  morose ,  nous 
sommes  obligés  d'employer  un  jargon  barbare  et  lugubre 
comme  notre  robe  ;  tandis  qu'enfans  gâtés  des  muses  et  des 
ris,  effleurant  tout  et  ne  s'appesantissantsur  rien,  portés  sur 
l'aile  fugitive  des  plaisirs >  nos  heureux  collaborateurs  (i) 
sèment  de  fleurs  les  détours  où  ils  vous  égarent,  et  parent 
des  prestiges  de  la  poésie  les  conseils  d'Épicure  :  mais  la  vé- 
rité nous  inspire,  votre  intérêt  nous  le  commande  ; 

Et  si  de  rénssir  nous  n'emportons  le  prii , 
Noos  obtiendrons  l'honneur  de  Pavoir  entrepris. 

L9  docteur  Maiii  di  SAurr-Uisiif. 

(1)  La  société  épicorienne. 


446  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


2lrtkk  ©euriime. 

DB  l'ihflubhcb  DO  DfaBOiiBB  svB  LB  Mif Bm ,  BT  ^xirr-im 

9tB  LB  BORHBIIB  MT  JOUR. 


»  doctes  confrères  obI  célébré  surtoos  les  tons  les  dé- 
lices de  Ift  table  :  ils  sont  sans  «ffort  arrÎTés  an  cœur  par 
roreiHe;  et  la  Tille  et  la  cour  répètent  à  Tenri  leers  hùcàn- 
ques  chansons,  tandisque  mes  préceptes  diététiques  loigaem 
à  la  difficahé  du  sujet  le  danger  d*aToir  à  conrertrr  un  su- 
dHoire  affamé,  le  rtn  pourtant  prouyer  qu'on  ne  dort  pas 
manger....  beaucoup  à  déjeuner;  et  j*espère  rappeler  à  mon 
opinion  la  majorité  de  cenx  que  la  sérérité  de  ma  propo- 
sition aorait  pu  d'abord  eflaroucber ,  en  prérenant  mes  lec- 
tt^uroqae  si  je  prfiehe  l'abstiiience  &  déjeuner,  c'est  pour 
penaettre  plus  d*abando«  à  dtner,  comme  tel  casoiste  slxt- 
digne  contre  les  peccadilles,  et  accorde  un  laissex-passer 
ans  gros  péchés,  on  comme  la  justice  pend  les  petits  f<^ 
leurs,  et  fait  grâce  aux  fripons  millionnaires. 

Leeaacfiens,  qo*il  fiiut  toujours  inroquer  à  présent  quand 
on  Teut  dite  du  neuf,  les  anciens  ne  mettaient  point  an  dé- 
jeuner l%npottance  que  nous  y  attachons ,  à  en  )nger  da 
moins  par  rétjnaologîe  du  mot  grec  ^Kf^ru-fHéç,  qui  faisait 
allusion  A  Tusage  de  manger,  le  matin ,  seulement  un  mor- 
ceau de  pain  trempé  dans  du  Tin  pur,  et  du  mot  latin  yenfo- 
ca/iim,  équÎTalent  à  cesser  d'être  à  jeun ,  terme  qui  est  trè«- 
bien  rendu  par  sa  traduction  française  déjeuner» 

Muret,  dans  son  Traité  des  Festins,  dit  :  «  Il  est  certaio 
»  <|tic»  généralement  parlant,  parmi  toutes  les  nations  ces 


i 


LB  GASTRONOME  FRANÇAIS.  447 

»  quati^  sortes  de  repasont  toujours  esté  en  osoge  ;  sçavoir  : 
v  le  liéfeusné ,  le  disner,  le  g^Bstë  et  le  $oa»pè  ;  mais  pour 
i>  les  personnes  d*iiYi  grand  travail  ou  d'une  grande  débau- 
»  che,  car  à  regard  dès  aotiies,  t^omme  Ils  ne  apauroient  faire 
n  digestion  de  tant  de  nourrituiie ,  s'ils  obseryent  ces  heures 
«I  que  nous  venons  de  marquer,  e'est  pkistost  par  manière 
«  ou  parcoustume  que  par  nécessité ,  et  TtHi  ne  peut  ap*- 
»  peler  ce  qu*îls  prennenit  alors  de  véritables  repas ,  puisque 
»  ce  n'est  tout  au  plus  -qu'un  moroeau  de  fain  à  déjevsné 
i>  et  aoYscat  à  gousté  avec  un  doigt  derin»^.  » 

Que  dirtit  le  svbre  Muret  si^  ee  TéveUlant  un  jour  au 
milieu  de  Paris  <$omme  le  vivaee  Epiiaénide^  il  voyait  nos 
'dijmmen  à  la  fowrckêtU?  Ce  qu*il  dirait  f...  que^  croyant 
nous  éloigner  beaucotq)  des  mœurs  de  nos  afoux^  nous  y 
retournons  par  une  pente  invincible  ;  et  tfue  ce  qu'il  pla&t  à 
notre  gouMnandise  d'appeler  «n  déjeuner,  esl,  -comme  il 
y  a  cent  aae^  nn  bel  et  bon  dînw»..  Mais  qu'eat-il  arrivé  ? 
c'est  que 9  dupes  nous-mêmes  de  noire  sensualité,  iraas 
avons  en  effet  perdu  le  déjeuner,  c'est-^-dîre  un  repas  fru- 
gal, léger,  dont  l'effet^  soue  le  rapport  d^  la  salubrité., 
était  4e  défendre  l'estomac  «n  été  contre  l'invaaton  des 
miasmes  pestilentiels  des  vapeurs  de  la  ville,  on  «en  biver 
contre  les  inflnences  délétères  du  broniUard  des  oam«- 
pagnes.  Attêsi,  conmie  x^n  ne  voit  plue  le  eoleil  saluer  de 
ses  premiers  it^yeiàs  les  sombres  aleôves'ifu''un  triple  rideau 
défend  -contre  les  traits  du  dieu  du  t^mr.  As  même  mant 
vok  pas  non  plus  ^comuie  autrefois  les  jeunes  gens  dérener 
àé&  le  matin  «  et»  oomme  on  disak,  au  août  du  iit^  vm  pain 
sec  et  savoureux.  On  dort  miaàiienafit  à  l'henre  A  4aquèile 
on  déjeunait  jadis  ;  et,  en  ooMpnrflM  les  figures  baves  de  nos 
|eunes  sybarites  avec  les  faces  vermeilles  etlesfooes'fleu- 


448  LE  GA8TH0N0ME  FRANÇAIS. 

ries  qu'offraient  nos  pères  dan»  leur  jeunesse,  on  peat  ju- 
ger lequel  de  ce»  deux  régime»  est  le  bon.  Il  y  a  ciwpantc 
ans  ,  le?é8  arec  l'aurore,  les  jeunes  gens  s^excrçaientdès 
le  matin  à  la  paume,  à  la  course,  à  l'équîtation,  à  Fescrinift, 
et  à  la  danse  :  tous  leurs  maîtres  ayaient  terminé  ces  b^ 
çons  à  neuf  heures.  On  arrivait  afi&uné  au  salon  ;  du  pain  et 
un  rouge-bordsatisfeisaient  l'appétit,  et  essuyaient  lasueai 
du  jeune  athlète  qui,  plein  d'une  ardeur  nouTelle,  retour- 
nait par  goût  aux  exerdces  dont  il  ayait  pris  les  leçons  par 
devoir.  Une  étude  plus  grave  délassait  de  cette  gymnastî* 
que,  et  la  morale  oocopait  à  sou  tour  ces  jeunes  têtes  qui 
savaient  douter  pour  apprendre  à  savoir.  Les  langues,  et 
surtout  la  française,  l'histoire,  la  géographie,  an  peu  de 
mathématiques  employaient  le  reste  de  la  matinée  :  on 
dtnait  alors  à  une  heure ,  et  ce  repas,  simple  et  salubre , 
était  une  réunion  patriarcale.  Toujours  un  ami ,  souvent 
un  savant  peu  fortuné,  quelquefois  un  étranger,  et  «re- 
ment un  grand  »  augmentaient  ce  festin  de  famille  qa'em- 
bellissaient  la  franche  cordialité ,  une  joie  naïve,  un  appéth 
constant,  et  dont  la  frugalité  faisait  surtout  les  honneurs. 
On  ignorait  alors  qu'un  jeune  homme  de  qninie  ans  dâtan 
sortir  du  repas,  et  la  tête  échauffée  de  vins  et  de  liqueurs  , 
aller  donner  sa  voix  aux  spectacles ,  et  cabaler  sur  p^aroVe 
pour  ou  contre  une  pièce  nouvelle.  Retirés cYiex  eux,\es 
jeunes  gens  de  ce  siècle  s'initiaient  péniblement  aux  con- 
naissances historiques,  judiciaires,  politiques,  civiles  ou 
militaires,  selon  la  vocation  qui  leur  était  destinée,  pendant 
que  les  sœurs,  sous  l'aile  de  leurs  mères,  ne  croyaieot 
point  indigne  d'elles  le  noriciat  des  soins  du  ménage.  X^ 
souper  frugal  rassemblait  de  nouveau  à  neuf  heures  la  b- 
mille  satisfaite  de  trouver  dans  ce  repas  un  délassemest 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  449 

aux  trayaux  de  la  journée  :  on  causait  ayec  le  cœur;  on 
avait  de  Tesprit  sans  en  faire  ,  et  cette  heure  était  ordinai- 
rement celle  où  abdiquant  ses  g;rayes  fonctions,  le  père 
redcTenait  l'égal  de  ses  enfans  pour  mieux  deviner  leurs 
inclinations  9  explorer  leurs  dispositions  naissantes ,  et  sur- 
prendre le  secret  de  préparer  leur  bonheur.  Des  jeuxenfantins 
confondaient  les  distinctions ,  rapprochaient  les  rangs ,  et 
l'étranger,  admis  dans  ces  scènes  familières  sans  indécence, 
j  puisait  souvent  le  désir  de  devenir  le  frère  de  ses  jeunes 
amis...  Tableaux  délicieux  de  mon  enfance ,  dont  l'image 
s'offre  encore  à  ma  pensée  avec  le  coloris  le  plus  vif!... 
Amis  de  collège  qui  partageâtes  ces  douces  et  pures  jouis- 
sances, et  .dont  aujourd'hui  mon  imagination  ne  peut  me 
retracer  le  souvenir  sans  la  plus  vive  émotion,  qu'êtes-vous 
devenus?....  Mais  où  m'entraîne  un  vain  songe  dont  rien 
aujourd'hui  ne  peut  plus  me  reproduire  l'image  ?  Levés  à 
Hiidiy  les  enfana  qu'on  nomme  maintenant  des  jeunes  gens 
dès  Tâge  de  douze  ans,  montent  à  cheval,  visitent  Coblentz 
ou  le  bois  de  Boulogne ,  déjeunent  à  trois  heures  au  Rocher 
de  Gancale,  ou  chez  Hardy,  et  ce  déjeuner  commence  par 
un  consommé,  puis  un  chapon,  puis  des  pâtisseries,  puis 
des  vins  de  Bourgogne >  Madère,  etc.,  du  café,  des  li- 
queurs (1),  enfin  comme  leurs  aïeux  auraient  à  peine  dîné 
quand  ils  traitaient  leurs  amis.  On  court  à  la  Bourse  pour  y 

(1)  Les  articles  de  prose  qui  paraissaient  dans  le  Journal  des  Gour- 
mands, étaient  presque  tous  le  résultat  des  dissertations  qui  avaient 
lieu  dans  le  courant  des  dîners  ;  ce  qui  faisait  quelquefois  qu'un  même 
sujet  était  traité  par  deux  rédacteurs  à  la  fois  :  nous  donnons  pour 
exemple  cet  article  qui  a  quelque  analogie  avec  celui  de  M.  G.  D.  L.  R. 
intitulé  :  det  dèjcuneri  à  la  fourchclit^  placé  au  chapitre  précédent^ 
page  307. 

29 


45o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

ruiner  la  «ienne  ou  Tîder  celle  des  autres.  On  s'ba^iUe.  II 
est  six  heures  ;  un  bockei  vous  conduit  chez  uo  res£fmf»r; 
carquel  homme  dîne  aujourd'hui  chei  iui?n  est  neuf  hcons^ 
et,  muni  de  sa  clé  forée  et  de  sa  lorgnette^  on  va.  cookm 
porter  aux  nues  la  pièce  du  jour.  Il  est  minaît,  oiipreâ 
des  glaces  chesCarchi,  et,  sans  avoir  eu  le  temps  dex 
reconnaître ,  on  rentre  à  trois  heures ,  excédé,  pour  s'end<v- 
mir  à  quatre. 

Jeunes  gens,  et  tous  qui,  moins  excusab^,  joigneii 
leurs  ridicules  Fabsence  de  ce  premier  âge  qui  embeUit 
jusqu*Â  ses  erreurs,  abjurez  des  travers  qui  hâtent  FOtie 
▼ie  ;  et,  pour  ne  pas  m^accuser  un  jour  d^aroir  mêlé  de  per- 
fides conseils  aux  dogmes  épicuriens  de  mes  aimables  com- 
plices ,  revenez  dans  la  route  de  la  nature,  qu^on  ne  quitte 
jamais  impunément.  Pardonnez<«noi  d'avoir  altère  peut4tre 
un  moment  vos  faciles  jouissances,  en  pensant  que  îe  ne  veux 
vous  en  priver  aujourd'hui  que  pour  en  conserver  â  votre 
vieillesse  ;  et  redites  avec  moi ,  en  considérant  où  no«s<A 
conduits  cette  discussion  :  //  est  donc  vrai  qu^il  eaùste  un 
influence  du  déjeuner  sur  le  dlncr,  et  peut^tre  sur  le  honheMrdm 
jour*,*  et  de  la  ùe! 

Maaib  ob  St. -l^5ur,  d.^wu 


'I    ,',  '^" 


SI  l'on  doit  rbste»  sur  sok  appétit. 

Pêne  gulm  metasy  a  dit  assez  impoliment  l'école  de  5«- 
leme ,  qu'il  ne  faut  pas  toujours  croire  sur  parole  ;  et  il 
est  essentiel  de  prouver  la  fausseté  de  cet  axiome  éricr  pac 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  45 1 

le  pédantisme,  colporté  par  rirréflexion,  accueilli  par  Pa- 
Tarice  qui  Fa  rendu  en  mauvais  français  par  cette  maxime  : 
Retie  sur  ton  appétit.  En  effet  y  l'idée  de  rester,  de  s'appuyer 
sur  quelque  chose,  offre  celle  d'une  base  solide,  d'un  fonde- 
ment certain;  et  qu'y  a -t -il  de  plus  yide  qu*un  estomac 
affamé,  de  plus  incertain  qu'nn  appétit  non  satis&it?  Nous 
nous  inscrirons  donc  contre  cet  aphorisme  anti-social  ;  nous 
soutenons  qu'il  faut  manger  à  sa  faim  et  boire  à  sa  soif. 
Et  c'est  encore  impiicitement  dans  l'école  de  Salerne  qui , 
comme  tant  d'autres,  a  prêché  le  pour  et  le  contre ,  que  nous 
trouvons  notre  texte  : 

Non  bibê,  non  tUiens,  et  non  comedat  gaturaius. 

Ce  sujet  n'est  point  indigne  de  vos  chants ,  doux  favoris 

d'Apollon  :  si  votre  maître  est  le  dieu  de  la  poésie ,  il  est 

aussi  celui  de  la  médecine;  et  b  question  est  encore  êuk 

yWcVtf  parmi  les  antiquaires  si  le  laurier  dont  il  couronne  son 

front  n'est  pas  le  laurier-^saucê  (  1  )  ;  ce  qui  établirait  encore 

une  espèce  de  parenté  entre  ses  attributs  et  ceux  du  dieu  des 

festins.  Sous  l'influence  de  ce  triple  patronage  donnons  la 

solution  des  deux  questions  suivantes  qui  résultent  de  ce 

qu'on  vient  de  lire  :  Doit-an  manger  au-^ld  de  son  appétit? 

Doit-on.  rester  sur  son  appétit  ?  Et  de  peur  qu'on  ne  nous 

accuse  d'abonder  dans  notre  sens,  pour  éviter  d'avoir  à 

▼aiacre  des  difficultés,  nous  joindrons  gépéreusement  à 

l'examen  de  ces  graves  assertions,  en  faveur  des  gourmands 

que  nous  n'aurons  pas  convaincus,  quelques  recettes  pour 

prévenir  ou  guérir  les  indigestions. 

(1)  C'est  afec  précaatioD  qu'on  doit  employer  cette  plante  {tauriit 
prunthceratuâ.  Linn.),  que  les  cubinières  prodigaent  à  raison  de  son 
goAt  d'amande  :  pris  à  haute  dose  c'est  un  poison. 


I 


45a  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Il  s*eQ  faut  de  beaucoup  que  cette  question ,  qui  semble 
résolue  par  son  seul  exposé  :  Doit^n  manger  aa-ddà  de  satk 
appétit?  soii  d*UDe  aussi  facile  solution  qu'elle  le  parait to 
premier  aspect.  En  effet  j  sans  citer  prolixement  et  le  docle 
Maiknnasiua  Ma*so ,  et  Je  noble  vénitien  Comaro  ,  et  les  pra. 
fonds  mémoires  de  Tacadémie  de  Troyes ,  CeUe  ,  pour  io- 
voquer  sur-le-champ  une  autorité  compétente,  prétend  qoH 
est  bon  et  utile 

Sâmel  inebriari  in  menée 

Et  Topinion  d'un  tel  docteur  mérite  bien  Thonoeur  d'une 
discussion. 

Nous  ne  dirons  point  d'abord  de  ce  passage  ce  qu'on  s'est 
plu  k  répéter  tant  de  fois  depuis  l'histoire  de  la  dent  d'or... 
Ce  passage  existe-t-ll?Nous  l'ayons  yérîfié;  l'annotaîi(ni  sub- 
siste :  mais ,  messieurs  ^  qu'entend  Gelse  par  ces  paroles , 
sinon  qu'il  faut  imprimer  une  fois  par  mois,  semtiùimatsc^ 
un  mouvement  tumultueux  aux  humeurs  ?  C'est  un  remède 
qu'il  propose  f  et  ^on  une  débauche  ;  et  vous  observerez 
(  quod  erat  notandum)  que  si  toute  action  s'anoblît  par  son 
bon  motif,  tout  excès  s'excuse  par  son  intention. 

La  médecine  et  même  les  médecins,  ce  qui  n'est  pas 
toujours  la  même  chose,  autorisent  donc  à  se  livrer  quel- 
quefois à  un  excès  pour  relever  le  ton  de  la  fibre  ;  elle  per- 
met ce  coup  de  fouet  comme  elle  permet  une  potion  pur- 
gative, qui  n'est  qu'une  indigestion,  selon  les  règles  de 
l'art  :  et,  à  tout  prendre,  n'y  gagnât-on  qae  la  façon,  noas 
préférerions  une  indigestion  acquise  k  une  bonne  table, 
au  milieu  d'aimables  convives,  à  une  triste  médecine  bue 
solitairement  et  ù  contre-cœur  dans  un  lit  (i). 

(i)  C'était  la  recette  de  Mlje  Clairon,  qui  ne  préTeoait  aea  iadj^et- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  453 

11  fout  d'ailleurs  bien  distinguer  ici  une  indigestion  d'une 
débauche  bachique  :  dans  l'une,  l'estomac,  surchargé  d'ali- 
mens  en  quantité  excédante ,  et  souyent  areo  une  yoracité 
plus  dangereuse  encore ,  n'a  pu  fournir  assez  de  suc  gastri- 
que pour  les  dissoudre  ;  distendu  outre  mesure ,  il  n*a  pu 
réagir  sur  ces  contenus ,  ni  par  conséquent  conyertir  en  un 
chyle  nourricier  ce  bol  alimentaire.  Qu'en  est-il  résulté  ? 
Ou  rénergie  musculaire  de  ce  yisoère  a  déterminé  des  con- 
tractions suffisantes  pour  chasser  l'ennemi  par  la  même  yoie 
qu'il  ayait  choisie  pour  entrer  (et  cette  opération  est  la  plus 
sûre  ;  c'est  celle  qu'avaient  érigée  en  système  les  4picius , 
les  convives  assidus  du  salon  de  Luculius finytnteur  du  vomi- 
torium ,  petit  meuble  très-commode  qui  met  sur-le-champ 
la  conscience  à  l'abri  des  remords  de  l'estomac ,  et  permet 
de  rengager  aussitôt  le  combat)  (i);  ou  bien  l'estomac, 
ayant  perdu  son  ressort,  n'offre  plus  qu'un  sac  sans  action , 
d'où  s'écoule  péniblement,  et  au  milieu  de  douleurs  atroces, 
rudis  indigestaque  moUs^  avec  tous  les  honneurs  d'une  diges- 
tion en  règle  ;  mais  la  bouche  reste  amère,la  langue  pâteuse, 
l'estomac  douloureux,  la  tête  pesante,  le  ventre  bourrelé  de 
coliques.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  débauche  bachique , 
si  savamment  nommée  par  les  Latins  crapula,  mot  énergi- 
que dont  la  signification  a  été  avilie  par  les  modernes  plus 
difficiles  sur  le  «mot  que  sur  la  chose,  et  qui  dans  la  bonne 
compagnie  y  ont  substitué  celui  d^orgie,  La  débauche  bachi- 
que consiste  à  verser  dans  l'estomac  plus  de  vin  que  la  tête 

lions  qa'en  sur-tettant  son  estomac  de  croftte  de  pâté.  Ce  moyen, 
fondé  sur  la  maxime  un  ciou  chasse  Cautre  ,  ne  convient  pourtant  qu'aux 
f»lomac8  robustes. 

(i)    Madame  de  Ponipadour  connaissait  tout  le  méiile  de  cet  appé' 
tissant  moven  de  récidire. 


454  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

ne  peat  en  porter  :  nous  disons  de  TÎn,  et  non  pas  delk|Deiir 
spintueuscy  car  l'effet  n*en  est  pas  le  même;  et  rien  b'ssI 
dangereux  comme  rirresse  roturière ,  de  la  bière ,  des  denx 
cidres ,  de  l'ean-de-Tie ,  et  surtout  celle  plus  anoblie  des 
liqueurs  redierokées.  Le  vin  exeree  d'abord  une  légère  sen- 
sation de  chaleur^  de  plaisir;  il  dilate  le  cœur,  imiificmt  or 
hominU;  il  dispose  à  la  confiance,  à  la  générosité,  â  Tamour: 
ces  dispositions  s'accroissent  ;  on  rêre  le  bonbeur,  on  délire 
la  gloire ,  la  puissance  ;  et  si  l'on  parie  bataille  on  "amour , 
*on  prend.uoe  proyince  ou  une  belle  ù  cbaque  Terre  de  rio: 
mais ,  comme  si  le  bonbeur  n'était  pour  les  enfans  d'Adam 
qu'un  lac  glacé  sur  lequel  on  ne  doit  que  glisser,  sous  peine 
de  submersion  quand  on  appuie,  bientôt  la  galté  disparaît;  le 
rire  moqueur,  la  cbanson  dissonnante ,  la  querelle  altiëre , 
la  gageure  insolente,  Tbomicide  démenti  remplacent  le; 
doux  ébats  de  la  concorde  :  beureusement  le  doux  poison 
versé  à  grands  flots  détruit  les  maux  qu'il  a  faits,  en  rédoi- 
sant  nos  béros  à  une  heureuse  impuissance.  L'un,  se  déro- 
bant sous  la  table  aux  bonneurs  du  triomphe,  s'étend  hum- 
blement aux  pieds  de  son  agresseur ,  et  ronfle  «ir  le  cbaA^ 
de  bataille;  l'autre,  accoudé  sur  les  débris  du  fest/a^^oeperd 
connaissance  qu'en  embrassant  les  plus  doux  objets  de  son 
afl<eGtion;  celui-ci,  remparé  de  bouteilles  yides,  semible  un 
général  obligé  de  rendre  la  place  arec  cent  bouches  à  feo 
sans  inunition;  cet  autre,  bégayant  une  romance  commencée 
pour  sa  Gloris,  confie  ses  secrets  erotiques  à  son  roisin  qat 
ne  l'entend  plus.  Un  seul  des  conyiyes,  debout  an  miiieo 
des  vaincus,. comme  un  triomphateur  entouré  de  dépooîl- 
les ,  ou  comme  une  colonne  droite  encore  au  sein  des  ruiner 
de  Palmire,  entonne  d'une  voix  ferme  l'hymne  du  vainqueur 
de  l'Inde j  et  scelle  d'un  toast  chaque  couplet  bachique; 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  455 

enfin,  accablé  par  le  nombre  et  non  par  sa  faiblesse,  il  chan- 
celé à  son  tour, tombe  ;  et  le  Silence,  compa^on  du  Cbaps, 
plane  à  son  tour  sur  ce  théâtre,  tout  à  Theure  encore  reten<- 
tissant  des  scènes  les  plus  bruyantes.  Cependant  le  rin  feiv 
mente  dans  ces  corps  assoupis;  le  système  yasculaire  se 
relâche,  les  couloirs  s'ouvrent,  et  la  Natuie,  bonne  mère. 

Offre  ane  double  ÎMue  à  Pennemi  captif. 

Quelque  route  qu'il  choisisse  il  entraîne  arec  lui  une  partie 
de  ses  vainqueurs;  la  masse  des  humeurs  est  diminuée,  un 
sommeil  bienfaisant  répare  les  pertes ,  cicatrise  les  blessu- 
res, et  nos  champions  se  relèrent  avec  un  teint  frais,  un 
appétit  dispos,  une  vigueur  nouvelle,  et  Poubli  des  fati- 
gues de  la  veille  (i).  C'est  ainsi  qu'il  faut  entendre,  et  non 

(i)  Ces  heoreai  résoltatt  ne  pearent  s'opérer  li  l'on  a  bu  des  vio« 
«011^^011^,  que  l'on  nomme  daot  le  commerce  vin»  fcX%$,  et  que  l'on 
qualifie  plua  communément  aous  la  déiignation  rulgaire  de  «iiu  fré- 
taiés. 

Nous  allons ,  dans  llntérêt  da  nos  lecteurs ,  leur  Indiquer  quelques 
maisons  auxquelles  ils  pourront  s'adresser  stcc  confiance. 

MM.  Anbry  et  fils ,  anciens  founisseurs  de  MoHSiiua,rue  NenverSt.» 
Enstsiclie ,  n*  a6. 

Soupe  ,  fouroisseur  du  Roi. 

Lafond  et  fils,  Quai  de  la  Toumelle ,  n"  ai. 

Bertibier  frères,  tle  Saint-Louis ,  n*  64* 

Mas  frères ,  rue  Regrattière ,  n«  i . 

Roullier,  quai  de  la  Toumelle ,  n*  4>  • 

Gaiichon ,  nw  GdUanme  (  lie  Saint-|fOnis  ) ,  n«  i . 

Hutinot,  lie  Saint-Looîs ,  n*  7a. 

Besson  aîné  et  compagnie ,  place  Royale  :  n*  s. 

Dupont ,  quai  de  la  Toumelle ,  n"  4i  • 

Meunier ,  rae  des  Saints-Pères,  n*  la. 

Bresson-Beraard  ,  rae  Regrattière  ,  n*  a. 

Lavé  et  Rouquero,  rae  Royale-Saint- Aotoine,  n*  18. 


\ 


456  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

calomnier  le  passage  de  Celsê,  Trop  grare  personnage  pour 
accréditer  une  erreur  ou  protéger  un  rice  y  mais  loîa  d* ea 
déduire  qu'on  doive  manger  au-delà  de  son  appétit,  omi* 
cluons-en  seulement  que  quelquefois,  et  par  régimt,m 
peut  boire  au-delà  de  sa  soif,  et  c'est  le  cas  d'être  tonoceate 
sur  la  question  intentionnelle.  Passons  à  celle  non  m<MBi 
intéressante  :  Faut-^l  rsttsr  sur  $on  appétU? 

C'est  ici  que  nous  pourrions  facilement  nous  mettre  ea 
frais  d'érudition,  et,  nos  auteurs  à  la  main,  ourrir  l'appétit 
de  nos  lecteurs,  ne  fût-ce  que  par  le  récit  naïf  des  arenta- 
res  des  poliphagM  de  tous  les  temps.  Là  c'est  Hercoie  déyo- 
rant  un  bœuf,,  ou  Polyphême  déchirant  un  mociroo;  ici 
c'est  l'athlète  Milon  qui  assène  comme  une  massue  son 
large  poing  sur  la  tête  d'un  taureau ,  le  tue ,  le  porte  sur  ses 
épaules  pendant  l'espace  d'un  stade ,  et  le  mange  en  an 
jour;  tantôt  c'est  Homère  qui  nous  peint  les  dieux  mettairt 
dans  l'Olympe  leur  bonheur  suprême  à  receyoir  la  fomée 
des  holocaustes,  et  descendant  même  quelquefois  sur  h 
terre,  par  Codeur  alléchés ^  pour  goûter  des  mets  plus  soli- 
des ,  tels  que  l'oie  de  Baucis  ,  ou  l'épaule  de  PUaps;  ce  ^ant 
d'autres  fois  les  héros  grecs,  qui  ne  dédaignent  pas  de  met- 
tre eux-mêmes  en  broche  des  bœufe  entiers,  et  inondent 
leurs  héroïques  moustaches  du  suc  sangamolent  de  ces 
énormes  rosbif.  Enfin  le  réridique  Jules  Capitolin  rapporte 
que  l'empereur  Claudius  Alhinus  mangea  en  un  déjeuner 
cent  perches,  dix  melons,  Tingt  livres  de  raisin ,  cent  bec- 
figues  et  trente -trois  douzaines  d'huîtres.  L'histoire  mo- 
derne a  aussi  ses  héros  d'appétit;  mais  que  serriraient-ib 
à  ce  que  nous  youIoos  prouver?  Pas  davantage  que  l'exem- 
ple de  Gaton  aux  censeurs  du  )our  :  ils  découragent  le  fai- 
ble ,  et  le  dégoûtent  de  la  haute  morale  par  la  difficulté  de 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  457 

PimitatioD.  Gaîius  loue  tout  haut  Carias,  et  célèbre  la  vertu 
de  Caton;  mais  il  ne  fait  point  serrir  à  sa  table  les  raves 
cuites  à  l'eau  dont  se  contentait  le  premier ,  et  il  boit  de 
meilleur  vin  que  le  Faleme,  dont  le  second  enluminait  par 
fois  son  stoïcisme  tant  prôné.  C'est  donc  médicalement ,  et 
abstraction  des  leçons  ou  des  erreurs  de  l'histoire  9  que  nous 
envisagerons  la  question  de  savoir  si  l'on  doit  rester  sur  son 
appétit.  Une  courte  digression  sur  le  mécanisme  de  la  di- 
gestion éclairera  la  discussion.  La  digestion  est  oette  fonc- 
tion animale  dont  l'effet  le  plus  sensible  est  le  changement 
des  alimens  en  chyle*  L'opération  de  la  digestion  a  lieu  et 
par  les  mouvemens  musculaires  de  l'estomac,  stimulé  par 
la  présence  des  alimens,  et  par  la  nature  dissoWante  des 
sucs  que  ce  mouvement  fait  jaillir  en  tout  sens  des  glandes 
qui  tapissent  ses  membranes  internes.  Outre  le  but  princi- 
pal de  la  nature ,  dans  la  digestion ,  de  réparer  les  pertes 
de  l'économie  animale,  il  paraît  qu'elle  a  voulu,  par  cette 
fonction  organique  ,  ranimer  le  jeu  oscillatoire  de  toute  la 
machine ,  et  surtout ,  de  concert  avec  la  respiration ,  porter 
dans  le  torrent  de  la  circulation  des  particules  balsamiques 
i\  la  place  de  celles  qui  sont  dépensées  par  la  combustion 
pulmonaire.  L'élaboration  du  chyle  ne  se  complète  point 
dans  l'estomac  ;  elle  s'opère  dans  les  trois  parties  successi- 
ves  du  tube  intestinal,  et  les  veines  lactées  absorbent  ce 
produit,  tandis  que  la  masse  inerte  qui  a  fourni  ce  brillant 
impôt  est,  comme  de  raison,  condamnée  à  l'oubli  et  au 
mépris.  Cette  élaboration  chez  l'homme  sain  et  vigoureux 
dure  environ  cinq  heures.  C'est  de  la  terminaison  de  ces 
élaborations  presque  chimiques  que  résulte  le  retour  de 
l'appétit ,  qui  est  plus  ou  moins  prompt ,  en  raison  ,  non 
de  la  quantité ,  mais  de  la  qualité  des  alimens  pris.  Remar- 


458  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

qiioos  au  saïf  lus  que  la  machine  d*uQ  animal  soufirtat  de 
la  tsLÏm  est  remontée  dès  les  premiers  momens  de  soa  te- 
pas ,  et  non  pas  seulement  après  que  le  chjle  a  été  o^iûl 
de  cette  nourriture ,  pour  s'assimiler  à  TindÎTidu  et  rëpaitr 
•es  forces*  Ceci  posé,  nous  demanderons  si  la  saine  raîsoo. 
abstraction  des  connaissances  physiologiques  ^  n'indiqtc 
pas  qu*ll  est  préférable  de  déposer  dans  l'estomac ,  déjà  sti- 
mulé, des  alimens  jusqu'à  ce  que  le  sentiment  de  la  £ûm, 
4fui  ne  mmtjatnais,  soit  éteint  |  plutôt  que  d*éTeitter  ce  sen- 
timent pour  le  laisser  assoupir,  le  rémller  encore,  et  tour- 
menter ainsi  le  système ,  dans  la  crainte  frirole  de  trop 
charger  l'estomac*  C'est  avec  ces  fatigues  réitérées  que  des 
estomacs  très-Tigoureux  ont  perdu  leur  ressort.  C'est  ainsi 
qu'on  perdrait  l'habitude  d'un  sommeil  franc  et  réparateur, 
si  l'on  s'imposait  la  loi  de  se  faire  réTeiller  toutes  les  beu- 
res ,  sous  prétexte  de  prérenir  le  risque  de  s'oublier  dans  un 
sommeil  trop  profond.  Qu'arrive-t-il  quand  on  se  réf  eille 
après  Une  bonne  nuit  bien  dormie?  On  hb  dort  plut.  Hè 
bien  I  quand  on  aura  mangé  à  son  appétit  on  n'iutra  pùu 
faim;  et,  si  la  médecine  ne  s'^n  mêle  pas,  si  l'on  rit,  si 
l'on  chante,  on  digérera  bien. 

Masib  de  SAiiirUasu. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  459 


f  ■•  r 


2lrtiirle  (Siminème. 

DES    irfDIGESTIONS. 

QvB  notre  énidit  confrère  ait  prononcé  en  style  approprié 
Toraison  funèbre  de  dom  Pourceau  (i);  que  même 

11  ait  semé  des  fleurs  sur  sa  tombe ,  c'est  bien  ; 
Il  a  fait  son  métier  :  je  dois  faire  le  mien. 

Je  dois,  sinon  chanter  la  palinodie,  du  moins  avouer  que  si 
la  mort  de  cet  animal  immonde  est  un  bienfait  pour  les  cul- 
tiyateurs  aux  estomacs  robustes ,  pour  les  familles  pauvres 
et  nombreuses,  c'est  aussi  une  cause  ou  une  occasion  d'in- 
digestion pour  les  autres  classes  de  la  société,,  et  surtout 
pour  les  riches.  Les  Juifs ,  ce  peuple  premier  né  du  monde , 
chez  lequel  on  trouverait  peut-être  avec  un  peu  de  réflexion 
le  type  de  la  législation  la  plus  conforme  aux  usages  do- 
mestiques, aux  besoins  de  la  société ,  avaient  exclu  le  porc 
du  rang  des  animaux  dont  ils  pouvaient  se  nourrir.  On  sait 
bien  que,  savamment  déguisée,  cette  viande  a  usurpé  les 
honneurs  de  fa  table,  et  surtout  du  début  du  diner;  mais 
c'est  en  général  à  son  mérite  d'accompagnement  qu'elle  doit 
ses  succès,  et  vous  la  verres  rarement  se  produire  seule  avec 
la  même  réussite ,  à  moins  qu'elle  n'ait  été  fumée.  C'est 
ainsi  que  des  paroles  oiseuses  passent  à  la  faveur  d'une  mu- 
sique expressive,  ou  qu'un  fat  ignorant  brille  aux  dépens  de 
son  secrétaire  ou  par  le  luxe  de  sa  livrée. 

Pardonne ,  ù  bon  Antoine ,  si  nous  faisons  à  ton  compa- 

(1)  Article  de  M.  G.  D.  L.  R.,  mois  de  Fi^vaisi,  chapUre  ii  de  cet 
ouvrage,  page  80. 


46o  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

çDon  cette  injure;  mais  ta  conduite  même  est  TeiciBe  de 
cet  article:- tu  vivais  avec  iuij  et  non  de  lui;  et  stcboia 
t*imitait  y  nous  n'aurions  point  à  mettre  les  Gourmanàs  n 
garde  contre  les  résultats  du  suUiicide.  Mais  d'aillenn,  |hi 
on  nous  prou?era  que  la  fortune  du  cochon  est  décidée, |Ik 
il  est  de  notre  devoir  de  nous  élever  contre  son  abus ,  qobs 
avons  presque  dit  son  usage.  Il  est  peu  d*indUgestions  dosi 
il  ne  soit  complice  ;  nous  avons  cruqu*ilsuflisait  de  pronon- 
cer son  nom  pour  avertir  nos  Lecteurs  que  nous  allons  trai- 
ter des  indigestions;  et,  comme  dans  les  su)ets  d^une  haute 
gravité  on  ne  peut  adopter  un  ordre  trop  didactique,  oou$ 
diviserons    naturellement  cette   lucubratlon  par  ces  deux 
points:  des  moyens  d'éviter   Us  indigestions ,  des  moyens  de 
guérir  tes  indigestions. 

On  a  fait  Téloge  de  TAne,  de  la  Paille ,  de  la  Folie,  de  h 
Pauvreté,  etc.,  etc.,  et  nous  ne  désespérerions  pas  que  tel 
honorable  membre  de  notre  joyeux  comité  ne  pût  s^établîr 
panégyriste  des  indigestions.  Ces  débauches  d*cspnt  font 
fortune ,  et  n*ont  rien  d'indigeste  du  moins  ;  mais  elles  ne 
convainquent  personne,  et  nous  en  appelons  aux  estomacs 
de  ces  décisions  un  peu  hâtives  de  l'esprit.  Il  se  peut  que 
notre  heureux  collègue,  déjà  cité,  ait  reçu  3e  la  nature, 
dont  il  est  l'enfant  gâté ,  toutes  les  grâces  d'étal  qn\  déter- 
minent la  vocation  et  assurent  les  succès  d'un  professeur  en 
gourmandise  ;  mais,  outre  que  ces  privilèges  sont  rares ,  et 
qu'on  ne  peut  conclure  une  règle  générale  d'une  exception, 
nous  l'inviterons  à  examiner  sa  conscience ,  et  peut-être  il 
exhumerait  de  sa  confession  générale  quelques  delicta  javett- 
tuiis  qui  lui  rappelleraient  qu'en  fait  de  cochon  son  ventri- 
cule, trahissant  son  courage,  n'a  pas  toujours  été  exempt 
de  reproches. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  461 

Parmi  les  moyens  d'éviter  les  indigestions  il  en  est  un  tout 
simple  ;  c'est  de  ne  manger  que  de  quelques  plats  avec  mo- 
dération ,  et  de  respecter  les  autres  :  mais  cette  recette  n'a 
rien  de  piquant  ;  en  la  proposant  nous  aurions  Tair  du  mé- 
decin de  Sancho  dans  son  gouvernement  de  Barataria,  éten- 
dant sa  longue  baguette  sur  chaque  plat,  qui  disparaît  à  ce 
geste. 

Nous  avons  établi  précédemment  le  mécanisme  de  la  di- 
gestion ;  et  tandis  qu'avec  une  bonne  fol,  sans  doute  incor- 
ruptible, notre  savant  collaborateur  retraçait  l'index  des 
charcutiers,  auxquels  sa  justice  distributive  adjuge  la  prime 
de  talent ,  dictait ,  avec  une  gravité  digne  de  l'importance 
de  son  sujet,  le  recipe  du  rot  de  bif  à  la  barbarine,  ou  s'a- 
pitoyait sur  l'ordre  et  la  marche  du  Bœuf  gras,  nous  prélu- 
dions innocemment  aux  moyens  de  neutraliser  l'eflfet  de  ses 
doux  poisons,  ou  d'atténuer  l'effet  de  ses  puissantes  re- 
commandations, triste  devoir  de  notre  ministère,  qui  doit 
toujours  lutter  contre  les  séductions  de  nos  complices,  le 
penchant  de-  leurs  lecteurs...  et  même  contre  nos  goûts  I  !  ! 

Le  moyen  d'éviter  les  indigestions  résulte  de  la  théorie 
et  de  la  pratique.  La  première  consiste  à  examiner  attenti- 
vement la  nature  des  alimens  et  la  force  du  viscère  destiné 
à  les  approprier  à  noire  substance  ;  c'est  l'action  des  uns  et 
la  réaction  de  l'autre  qui  constituent  une  bonne  ou  une  mau- 
vaise digestion.  La  pratique  n'est  que  le  résultat  des  faits 
observés  à  cet  égard  ;  et  cette  science  d'observation,  quoi- 
que moins  brillante ,  est  la  plus  sûre,  car  en  cuisine  comme 
en  médecine  les  plus  beaux  raisonnemens  doivent  céder  à 
l'expérience.  Il  est  d'aiUeurs  des  antmalies,  des  épiphénomé- 
fies  qu'on  ne  peut  expliquer ,  des  antipathies  d'estomac  dont 
on  né  peut  rendre  compte  ;  mais  il  faut  en  tenir  sévèrement 


46*  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

note  pour  ne  pat  exposer  cet  otile  serviteur  à  reoevoir  des 
Ilotes  qui  lui  ont  'vouè  une  haine  irréconciliable. 

La  théorie  peut  bien  indiquer  lesélémens  d'une  substmee. 
On  peut  soumettre  un  aliment  k  l'analyse  chimique  ;iBiis 
nous  devons  avouer  que  les  connaissances  qu'on  en  relxt 
ne  sont  pas  aussi  infaillibles  qu'on  pourrait  le  désirer;  pai 
exemple ,  le  suc  de  la  laitue  est  stupéfiant ,  et  la  laitue  ùSn 
un  très-bon  aliment  ;  le  manioc  est  un  poison,  et  sa  prépa- 
ration ,  qui  consiste  à  le  griller  sur  upe  platine  de  fer  rouge, 
donne  la  cassaye  dont  se  nourrit  avec  délices  Thabilant  de 
l'Amérique  Méridionale  ;  le  phosphore  s'enflamme  au  coq- 
tactdc  Tair,  et  cependant  on  donne  intérieuiement ,  avec 
succès 9  ses  préparations  discrètement  combinées;  l'écume 
d'un  animal  enragé  ^  déposée  dans  le  système  l3naiphaU<|ue , 
est  un  poison,  et  sa  chair  peut  être  mangée  sans  danger,  ele. 
La  prudence  indique  donc  d'étudier  les  lois  de  la  théorie, 
pour  ne  pas  offrir  à  l'estomac  des  corps  présumésdangereux, 
ou  d'une  trop  difficile  solution  ;  mais  c'est  surtout  l'crpé- 
rience  que  l'on  doit  consulter,  si  l'on  v^t  ne  pas  troubler 
;  sa  santé  par  le  désordre  de  ses  digestions,  et  c'est  aîosî 

\  qu'il  faut  entendre  cet  axiome  dont  on  a  peut-être  a^usé  : 

Aprèê  ijuaranU  an$  an  doit  être  son  propre  mâdecin.  L'expé- 
rience vous  dira  si  votre  estomac  a  besoin  d'une  nourriture 
ou  pesante,  ou  tenace,  ou  légère,  ou  aromatique,  ou  mu- 
queuse, animale  om  végétale  ,  etc.  Il  est  des  estomacs  qu'a 
faut  lester  en  même  temps  que  nourrir  \  et  ces  honnêtes 
députés ,  que  Limoge  envoie  tous  les  ans  dans  le  reste  de  k 
France  pour  bâtir  des  palais  ou  des  chaumières ,  tous  diront 
qu'ils  préfèrent,  le  pain  de  seigle ,  parce  qu'il  tient  auxmntn. 
Une  petite  maîtresse ,  au  contraire,  ne  vit  que  de  bisques  ec 
de  sorbets  ;  et  la  raison  de  leur  différence  de  régime  est  fofl- 


\ 


I 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  465 

dèe  sur  la  diflerence  de  leur  yie.  L'un ,  lerë  avec  Taurore  , 
fatigué  par  un  exercice  continuel ,  dé?ore ,  à  l'heure  des 
repas  impatiemment  attendue,  un  pain  noir  arrosé  de  ses 
sueurs,  et  exhale  une  partie  de  sa  digestion  par  la  transpi- 
ration insensible.  L'autre,  couchée  à  midi^  se  lère  lasse  de 
sommeil ,  et  se  repose  de  son  inaction  sur  une  chaise  lon^ 
gue  ;  elle  ne  connaît  ni  les  délices  de  la  fatigue ,  ni  les  plai- 
sirs de  la  faim,  et ,  jusqu'à  sa  digestion,  tout  chez  elle  est 
le  prodqit  de  l'art. 

VoHle<-TOUS  donc  bien  préparer  Totre  digestion  ?  Qu'une 
promenade  par  un  temps  sec,  ou  un  exercice  indispensable 
ehes  TOUS  s'il  pleut ,  redonne  à  tos  muscles  leur  énergie ,  à 
tout  le  système  ce  mouvement  oscillatoire  qui  réreille  l'ap*  } 

petit  et  prépare  à  le  bien  satisfaire.  Le  docteur  TronMm  ot»  | 

donnait  aux  belles  de  son  temps  de  frotter  leur  appartement^ 
etplus  d'une  attaque  de  nerfs  incurable  céda  à  cette  active 
prescription.  Riches,  tous  ayez  la  paume ,  le  billard ,  le  che« 

val  pour  les  hommes  ;  la  danse,  le  volant  pour  les  femmes;  ^        '^i^ 

et  quant  aux  pauvres,  c'est  moins  un  exercice  qu'il  faudrait  .-J 

souvent  leur  ordonner  pour  exciter  leur  appétit,  qu'un  peu  |      ^> 

de  repos  et  le  moyen  de  satisfaire  la  faim  qui  les  torture.  [      .^ 

Au  reste,  c'est  encore  l'expérience  qu'il  faut  consulter  .  r^ 

pour  savoir  si  l'on  doit  préférer  des  mets  solides  ou  légers, 
de»  viandes  noires  ou  blanches,  des  légumes  ou  du  pois- 
son, la  volaille  ou  le  gibier,  la  bière,  le  cidre,  tel  vin  et 
môme  telle  eau  ;  s'il  faut  aromatiser  sesalimens  ou  les  assai- 
sonner peu  ;  si  l'action  digestive  est  aidée  ou  retardée  par 

l'usage  du  café  et  des  liqueurs ,  du  sommeil  ou  de  l'exercice  j^ 

après  le  repas  et  autres  habitudes,  de  l'exécution  exacte 
desquelles  dépend  le  succès  de  la  digestion.  Et  quand  l'ob*- 
servation  répétée  a  consacré  la  réussite  de  ces  pratiques , 


y 


s 


<.' 


s* 


464  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

on  doit,  surtout  si  Ton  a  reçu  un  estomac  débile  oac^ri- 
cieux,  ne  s*en  écartei*  que  le  moins  possible.  Ce  n'e^pas 
que  nous  improuvions  ces  petites  indulgences  backiftti, 
qui 9  rarement  permises,  raniment,  comme  nous^ravou 
dit,  le  )eu  du  système,  mais  leur  récidive  ne  sied  bien  qai 
ces  vigoureux  estomacs  dont  l'énergie    rappelle  le  juslt 
d'Horace  :  impavidum  ferlent  ruinœ.  Tels  sont  les  prîocîpaixi 
moyens   d'éviter  les  indigestions.  Passons  à  oeax  de  les 
guérir. 

Malgré  toutes  les  précautions  que  nous  venons  de  tracer, 
il  arrive  que ,  soit  négligence  de  ces  règles ,  soit  dis^sîtion 
particulière,  soit  antipathie  pour  tel  mets,  soit  en^n  excès 
ou  mauvaise  qualité  d'alimens,  l'estomac  trop  distendu ,  ou 
tourmenté  de  coliques  et  de  remords,  ne  peut  pins  réagir  sur 
le  bol  qu'il  contient  :  un  sentiment  pénible  d'oppression  rem- 
place cette  hilarité  qui  anime  la  face  rebondie  d*on  convive 
suffisamment  repu  ;  le  fumet  des  viandes  est  nauséabonde; 
le  vin  même,  par  lequel  on  essaie  de  hâter  la  digestion,  k 
vin  n'inspire  que  du  dégoût  ;  des  vapeurs  s'élèvent  de  Tes- 
tomac  embrasé,  et  menacent  d'une  prodiaine  éruption.... 
La  lave  coule  :  c'est  alors  qu'il  faut  jeter  de  l'eau  sur /'in- 
cendie ;  mais  gardez-vous  d'employer  le  thé,  ce  don  fatal 
des  Anglais ,  dont  la  saveur  perfidement  styptique  agace 
les  nerfs,  fronce  leurs  houppes ,  et  dispose  aux  terribles  et 

trop  communs  accès  d'épilepsie Vous  ne  voyez  pas 

qu'ici  c'est  le  remède  que  vous  employez  qui  aggrave  le  mal, 
si  surtout  le  malade  est  une  femme. 

Si    llndigestion  ne  se  fait  sentir  que  quelques  benres 
après  le  repas,  elle  est  plus  dangereuse,  parce  que  le  fra 
vail  de  la  digestion  est  déjà  ébauché.  C'est  en  proportion  de 
l'avancement  de  ce  travail  que  l'on  doit  se  permettre  ouhm 


i 


Le  gastronome  français.        465 

xl'^administrer  un  Yomitif  qui,  donné  à  contre-temps,  pour- 
ïrait  décider  une  rétrogradation  dangereuse^et  desconvulsions 
au  moins  inutiles.  L*es$entiel  alors  est  d'accélérer  l'action 
mécanique  de  Testomac;  et  rien  n'ajoute  à  son  énergie  de 
dissolution  comme  l'eau  cliaude,  l'eau  seule  ;  car  si  on  Punit 
à  quelque  autre  substance ,  elle  perd ,  en  agissant  sur  elle, 
une  partie  de  sa  propriété.  On  peut,  après  le  premier  dé^ 
blaiemânt^  seconder  l'action  dissolvante  de  l'eau  par  des  la- 
Terne  ns  (qu'on  nous  passe  le  mot  en  faTCur  du  mérite  de 
la  chose  )  composés  avec  un  peu  de  sel  commun  et  de  la  pa- 
riétaire. Un  bon  lait  de  poule ,  auquel  on  joint  un  peu  de 
canelle  et  d'eau  de  fleur  d'orange,  un  bon  lit,  un  bon  som- 
meil y  terminent  heureusement  cette  scène  désagréable   et 
par  la  jcommotion  qu'elle  imprime  à  l'organisme,  et  parla  ré- 
putation de  faiblesse  et  d'avidité  qu'elle  laisse  au  malheureux 
patient.  Nous  deyons  dire  encore  que  le  régime  subséquent 
doit  être  en  raison  delanature  de  l'accident.  Si,  parex^mple» 
il  fut  causé  par  s'être  trop  chargé  de  poisson,  de  gibier,^  on 
doit  s'abstenir  d«  ces  sortes  de  mets  pendant  quelque  temps, 
et  l'on  doit  user  d'alimens  qui  aient  la  propriété  de  faire  di- 
gérer les  premiers.  C'est  ainsi  qu'une  soupe  au  lait  est  le 
digestif  approprié    aux  huîtres,   comme  le   fromage  de 
Gruyère  est  en  général  celui  du  poisson  (i),  qui,  pour  le 
dire  en  passant,  a  toujours  besoin,  pour  être  digéré  facile- 
ment, d'être  associé  à  quelque  aliment plqs  solide,  le  jam* 
bon ,  par  exemple ,  pour  finir  comme  nous  avons  com- 
mencé. 

Mabib  de  Sairt-Ubsin. 

(i)  Le  poîuon  est  on  alimenl  pea  saia  pour  l'homme  qui  se  porte 
bien ,  et  dangereux  pour  les  malades.  Oo  a  beau  dire  qu'à  volume  égal 
le  poisson  charge  moins  l'estomac  que  le  boeuf;  comme  il  contient  plus 

3o 


466  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


2lrtkk  Cut<|uUme. 

DE  l'usage    et  de    L*A.BUS. 

Oi  s*étonne  sourent  dés  maladies  multipliées  des  çeosèi 
inonde  ;  étonnons-nous  bien  plutôt  de  ce  qu'elles  ne  le  sm 
pas  daTantage.  Le  peuple  ne  croit  pas  qu'il  y  art  de  jAm 
cruel  eanemî  que  la  misère ,  compagne  nécessaire  de  h 
frugalité ,  et  qui  bien  rarement  tue  celui  qu'elle  atteint  :  le 
peuple  se  trompe  ;  elle  peut  affaiblir  les  facultés,  al^^lardir 
Pespèce ,  maïs  elle  ne  cause  jamais  autant  de  maux  que 
l'abus  9  qui  dépense  en  un  seul  dîmancbe  l'économie  de  h 
semaine,  et  dont  les  excès,  en  formant  un  contraste  arec 
le  régime  journellement  austère ,  nuisent  plus  à  la  santé 
que  s'il  était  constamment  trop  sobre.  Ce  sont  les  rndi^- 
tions  et  non  les  priratlons  qui  tuent  le  peuple.  Ehl  com- 
bien l'abus  y  cet  ennemi  babituel ,  exerce  de  rarages  panni 
la  classe  qu'on  dit  plus  heureuse ,  et  qui  n'est  que  plas  ri- 
che !  Voyez  ce  financier  se  le?er ,  las  du  long  repos  de  son 
lit  f  s'enrelopper  d'épaisses  fourrures  sans  srrotr  froid ,  dé^ 
jeûner  largement  sans  appétit,  se  promeofr  sans  plâîsîr, 
s'asseoir  sans  attendre  la  fatigue  ,  dîner  sans  fûm,  Wire 

d'albdi  Tolflltîl  9  il  doit  ptMtt  k la  j^utrèfactioo  plus  vite;  et ,  poor  pm 
d'osé  dîgertifo  plm  facile  et  plna  prompte  «  oq  met  das»  son  sang  4» 
priDcipes  de  corruption  qui  0e  développeront  tôt  ov  tard.  Aiisà  itât- 
on  que  ceoK  qni  manant  habitueUement  du  poisoa  ont  l<e  teiotS* 
TÎde,  lei  chairs  molles,  les  lèvres  décolorî*e8,  les  gencives  notre»  ^^ 
rhakine  insupportable  ;  ce  qui  n'empêche  pas  que  la  chair  de  poiw" 
ne  renferme  une  semence  vitale  plut  aboodAnle  que  tonle  antre.  (It** 
iinéei  iénomoisn ,  Improvisateur,  art,  Poitt^n.) 


LE  GAlStRONOME  FRANÇAIS.  ifi^ 

«ans  soif*..  Malheureux!  il  ignore  le  besoin,  et  reut  con-*^ 
lîaître  le  plaisir!  il  méprise  l'usage,  et;  U  court  à  l'abus t 
Esolave.  4e  l'étiqueUe  anti- sociale^  il  dîne  .aujourdliui  à 
deux  heures  au  Marais,  et  demain  à  sept  heures  à  la  Chauft* 
sée  d'Antia.  Et  tu  te  plains  de  ton  es^mac  !  qiidud  c'est  lui 
qui  devrait  te  reprocher,  im>o  l'usage,  mais  Tabus  de  ses 
fonctions.  Oh  !  combien  est  plus  heureux  celui  qui,  exempt 
d'afiaires  et  de  soucis,  aimant  l'étude  par  distraction,  les 
lettres  par  sentiment,  les  arts  par  goût,  aisé  sans  ^tre  ri- 
che, vertueux  sans  effort  et  gourmand  par  instinct,  n'at^» 
tend  de  loi  pour  son  dîner  que  de  son  appétit,  et,  mettant 
à  ses  repas  le  même  ordre  qu'à  ses  affaires,  jNrend  à  une 
heure  toujours  réglée  une  nourriture  toujours  également 
saine  et  savoureuse!  Tu  accuses  tes  nerfs,  femme  qu'au 
printemps  de  l'âge  la  douleur  a  déjà  condamnée  à  ne  plus 
ciigérer;  quitte  avec  le  jour  tonédredon  oiseux,  vole  aux 
prés  Saint-Gervais,  déjeûne  «vec  des  œufs  frais  et  du  lai- 
tage, rentre  dîner  c^2;  toi,  mange  des  viandes  firoides  et 
d'un  plat  seulement ,  bois  du  Bordeaux,  et  renonce  au  café 
comme  aux  liqueurs,  n'invite  que  l'amitié;  tu  auras  peu  de 
convives,  et  le  sentiment,  qui  ouvrira  le  cœur  aux  commu** 
nications ,  ouvrira  aussi  l'appétit  aux  mets  salubres.  Tu  ne 
dors  plus,  jeune  sibarite;  descends  de  ton  phaéton,  dont 
le  nom  devrait  te  rappeler  une  utile  leçon  ;  exerce  tes  jam* 
lies  ,  endurcis  tes  muscles  ;  que  la  paume  ,  les  armes  y 
la  danse ,  la  nage  exercent  tes  forces  dés  l'aurore ,  et , 
pressé  par  l'appétit,  tu  décideras  qui  de  la  nature  ou  de  la 
mode,  qui  de  l'usage  ou  deTabus  a  placé  à  la  fin  du  jour 
le  repas  qui  répare  le  mieux  les  forces  dépensées  dès  le 
matin.  On  a  vanté  en  médecine  les  vertus  de  la  diète, 
comme  en  philoçophie  les  charmes  de  la  solitude  et  la  sa- 


468         lifi  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

gesse 'des  pri?ation9:  on  noas  a  tous  trompés;  Ucafrosse 
s'ose- plus  sous  la  remise  qu'à  courir;  l'homme  est  Cûlpour 
dépenser  tous  ses  moyens,  pour  exercer  toutes  ses  îqqo- 
tions.  C'est  l'abus  et  non  l'usage  qu'il  fallait  combattR;  r. 
c'est  eu  outrepassant  les  bornes  de  la  Térilé  et  les  ressonnts 
humaines  que  les  philosophes  et  les  médecins  ont  pcrdftk 
confiance  des  hommes. 

Màiii  DS  SAiirr*t>] 


à 


VKODVITS  1»  L'I«BVI«ai>  OOVBHAVl», 


YARIÉTÉS. 


Ane  riiprit  (t  naiatttii 
UiB«liiikfuuib«iTit, 
Et  l'u  puH  fiDln  pirtii, 
Atbc  l'inlutln  «1  l'nprJl. 


f 


1 


i8i^ii)ian»ani»i»^i»«Hi>««««t^«<^«i^^«i^ 


PRODUITS 

DE  L'INDUSTRIE  GQURBIANDE. 


TOPOGnAPUIB    GASTnONOmQUE    DE    L.%    VnA?ICfi. 


Abbbvillb  :  Pâtés  de  canard. 

Agen  :  Prunes. 

Aiz  :  Huile,  anchois 9  olives 9  thon,  eau-de-yie,  saucisson^.. 

Aï  :  Vin  mousseux. 

Alençon  :  Oies  grasses. 

Alpes  :  Perdrix  blanches. 

Amiens  :  Anguilles,  putes  de  canard. 

Andaye  :  Eau-de-vie. 

Angoulêine  :  Galantines,  pâtés  aux  perdrix  truffées. 

Arbois:  Vin  mousseux. 

Ardennes  :  moutons. 

Arles  :  Moutons,  saucissons.  # 

Aucli:  Pâtés  de  foies  de  canards,  poires  sans  pépin:?. 

Aurillac :  Vin, fromage. 

Autun:  Vin. 

Auvergne  :  Bœuf:*. 

Avignon  :  Melons. 

Avranches  :  Moulons,  cidre. 

Bar  :  Confitures  de  groseilles  cl  dVîpincs-vincMcs. 

B(iyonne  :  Jambons,  cliocolat.  cuisses  d'oies,  fromage, Tin 

de  Roussillon. 
Bcauvais  :  Moutons. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Beaune  :  Vîn  excellens. 

Besançon:  Langues  fourrées,  truites,  fromage. 

Blois:  Vin,  liqueurs. 

Bolbec  :  Coqs  vierges ,  cidre. 

Bordeaux:  Anisette,  TÎn,  liqueurs,  rojaas,  poissons. 

9iHirg-en-Bresse  :  Chapons.. 

Bourges:  Moutons. 

Bourgogne  :  Vins  de  Nuyts,  de  Pomard ,  de  Vougeot,  de 

la  Romanée,  raisinet. 
Bretagne  :  Beurre,  bœuf,  sardines. 

Brignoles  :  Prunes  et  fruits  secs. 

Brives  :  Diades  truffées,  gibier,  perdrix  rouges. 

Gabourg  :  Moutons. 

Caen  :  Veaux  de  rivière ,  bœufs. 

Cahors  :  Vin,  truffes,  perdrix  rouges,  gibier. 

Canoale  :  Huîtres. 

Carrouges  :  Moutons. 

Gaux  (pays  de )  :  Goqs  vierges ,  poulardes. 

Chablis  :  Vin  blanc. 

Ghûlons:  Ândouillettes. 

Champagne:  Vins,  moutons,  poisson ,  cochonaîlle. 

Chartres:  PAtés,  volailler,  blé. 

Clermont:  Fruits,  confitures  et  pûtes  d*abricots,  fromage. 

Goblentz  :  Carpes,  saumons,  vin  du  Rhin. 

Cognac  :  Eau-de-vie. 

Gompiègne:  Lièvres,  chevreuils  «  sangliers,  gâteaux. 

Condé:  Moutons,  miel. 

Condrieux:  Vins  blancs. 

Gotenlin  :  Bœufs. 

Coulanges  :  Vin. 

Coulommicr  :  Melons.. 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4:5 

Dieppe:  Huîtres,  aoguilles,  turbots,  merlans,  esturgeons. 

Dijon  :  Moutarde ,  confitures,  vin,  liqueurs  ^   écrevisses.. 

Epemay  :  Vin  mousseux. 

Etretat:  Huîtres. 

Fécamp  :  Harengs-saurs. 

Fontainebleau:  Raisin,  sangliers,  chevreuils. 

Fréjus  :  Anchois. 

Gournay:  Beurre. 

Gran ville  :  Huîtres  marinées. 

Grenoble:  Liqueurs,  poissons,  fromage. 

Gruyère  :  Fromage. 

Havre:  Huîtres,  poissons,  homards,  crevettes,  turbots. 

Hermitage  (T)  :  Bon  vin. 

Honfleur  :  Melons,  alose. 

Isigny  :  Cidre ,  Beurre. 

Joigny  :  Vin. 

La  Flèche:  Chapons,  poulardes, 

Langres:  Lièvres,  moutons,  vin,  liqueurs» 

Laon:  Artichaux. 

Limoges  :  Bo&ufs. 

Lyon  :  Marrons,  saucbsons,  cervelas,,  fromage  de  chèvre , 

charcuterie. 
Mâcon  :  Vins. 

Mans  :  Poulardes,  perdrix  rouges. 
Marennes  :  Grosses  huîtres. 
Marseille:  Figues,  raisins  secs,  huile,  anchois,  olives, 

thon  mariné. 
Meaux:  Fromage,  blé. 
Melun  :  Anguilles^ 
Metz  :  Lièvres,  fruits,  mirabelles. 
Montauban  :  Cuisses  d'oies,  fruits,  vin  du  Fau. 


474         LE   GASTRONOME  FRANÇAIS. 

Montpellier:  Eau-de-vie,  liqueurs. 

Mont-d*Or  :  Fromag^c.  ^ 

Montmorency  :  Cerises. 

Montreuil  :  Pêches. 

Nancy:  Liqueurs,  légumes,  gibier. 

Nantes  :  TerrincS|  poisson,  sardines  coDserr.  par  M.  Colin. 

NarboQpe  :  Miel. 

Nérac  :  Terrines. 

Neufchâtel  :  Fromage,  cidre. 

Nice  :  Poisson,  anchois,  thon. 

Niort  :  Liqueurs. 

Nîmes  :  Liqueurs ,  fruits. 

Nuyts  :  Vin. 

Olioulles,  Figues  fines. 

Orléans  :  Vin,  sucre ^^aloses,  eau-de-YÎe,  ▼iiraîgre. 

Paris  :  Bœufs,  pêches,  melons,  écrevisses,  anguilles,  gou- 
jons, carpes ,  barbillons ,  pâtisserie  j  liqueurs,  chocolat ^ 
galantines,  confitures,  bonbons...  Tout  pour  de  Targent^ 
même  des  œufs  frais  de  Lyon. 
Périgueux  :  Dindes  aux  truffes,  pâtés,  perdrix  rouges. 
Perpignan  :  Bec-figues,  raisinet. 
Pique-pouille  :  Vin. 
Pithi?iers  :  Gâteaux  d'amandes ,  pâtés. 
Poitou  :  Bœufs. 
Pontoise  :  Veau. 
Pré-salé  :  Mouton. 

Proyence  :  Huiles,  olives,  fruits  secs. 
PrOYins  :  Poires  tapées. 
Puy-dè-Dôme  :  Fromage ,  fruits  en  pale. 
Pyréuées  :  Perdrix  blanches. 
Quercy  :  Perdreaux  rouges,  bécasses. 


J 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4-5 

Quimper  :  Beurre ,  bœufs,  poisson. 

Reims  :  Vin  mousseux,  pâtés,  pain-d'épicc ,  jambonneaux. 

Rennes  :  Beurre. 

Rouen  :  Pâtés,  gelée  de  pommes,  cidre,  canetons,  veaux 

de  rivière ,  bœufs. 
Saiût-Flour  :  Vin,  fromîige. 
Saiiit-*Germain-en-Laye  :  Gibier,  porcs. 
Sainte^Menehoold  :  Pieds  de  cocbon. 
Salins  :  Sel. 

Sanoerre  :  Vin ,  gibier,  poisson. 
Saumur  :  Melons. 
Sojssons  :  Haricots. 
Strasbourg  :  Pâtés  de  foies  gras,  carpes  8aun>onées,  vin 

du  Rhin,  saour-crout,  écrevisses,  brodbets. 
Surène  :  Mauvais  vki.^.  Avis  au  lecteur.  ^  ^ 

Tonnerre  :  Vîn»  ^ 

Toulon  :  Dails  (coquillages  bivalves) ,  oursins,  oranges.  j 

Toulouse  :  Vins,  pâtés  de  foies  gras,  ortolans,  oies.  ^ 

Tours  :  Pruneaux,  fruits  secs.  ^  ! 

Troyes  :  Hures  de  cochon,  langues ,  andouillettes. 
Valognes  :  Le  rôti. 
Vendée  :  Bœufs. 
Vendôme  :  Arperges. 
Verdun  :  Dragées,  liqueurs. 
Versailles  :  Gibier. 
Vienne  :  Liqueurs  de  la  Côte ,  vins  de  rHennitagc  et  'de 

Côte-Rôtie,  gibier. 
Vicrzon  :  Cochons,  lamproies. 
Vîry,  Fromage. 
Voinay  :  Bon  vin. 
Yvetol  :  Coqs  vierges ,  cidre. 


476  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

YARIÉTÉS» 

ANECDOTES  GASTRONOMIQUES. 

Lb  tambour  d*un  régiment  subse  ^  en  garnison  à  Saintes^ 
passait  pour  un  des  plus  robustes  mangeurs  dont  les  annale» 
de  la  Gourmandise  fassent  mention.  Un  de  ses  officiers, 
fier  sans  doute  d'avoir  un  homme  de  ce  mérite  dans  soa 
corps 9  jaloux  d'étendre  sa  réputation,  et  ne  voulaoC  pas 
permettre  qu'un  si  beau  talent,  ou  un  si  heureux  don  de  fa 
nature  demeurât  obscur,  en  racontait  d^  prodiges  à  un 
officier  français.  Coimne  celui-ct  paraissait  incrédule  :  je 
parie  vingt-cinq  louis,  dit  vivement  l'officier  suisse,  que 
l'homme  dont  je  vous  parle  mangera,  sans  désemparer,  un 
veau  tout  entier  à  lui  seul.  Le  pari  est  accepté,  le  jour  est 
pris.  L'officier  suisse  va  trouver  le  tambour,  et  lui  dit: 
«  Mon  ami,  j'ai  parié  vingt-cinq  louis  que  tu  mangerais  un 
veau.  —  Mon  capitaine,  répond  le  soldat,  un  reau.  c'est 
beaucoup  ;  mais  puisque'vous  avez  parié,  il  faudra  bien  Èûre 
quelque  chose  pour  vous.  J'ai  trop  bon  cœur  pour  tous 
faire  perdre ,  et  il  faut  espérer  que  mon  estomac  sera  auss^ 
bon  que  mon  cœur.  »  L'officier  s'adresse  au  meUleuT  res- 
taurateur de  la  ville,  au  Balaine  du  lieu,  et  lui  ordonne 
d'apprêter  chaque  partie  d'un  veau  d'après  les  principes  de 
l'art,  selon  la  méthode  qui  lui  convient  le  mieux,  et  le  plus 
propre  à  aiguiser  l'appétit.  Le  jour  fixé,  les  deux  officiers  et 
le  tambour  sont  exacts  au  rcndex-vous.  On  place  successive- 
ment  devant  l'intrépide  mangeur  des  oreilles  de  veau  à  ti- 
taJiennc  et  farcies  ^  des  cervelles  de  veau  frites  et  en  aspic: 
langue  à  la  saœe  piquante;  blanquette  aux  rhampignons,  à 


i 


i  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  477 

«p,  9a  crème  ;  carré  glacé  aux  concombres  ;  épaule  en  galantine  ; 

côtelettes  en  papillotes  f  à  la  drue,  en  lorgnette;  foie  piqué  d  la 
poêle,  d  la  brocke  ;  fraise  en  salade;  longe  en  étouffée;  mou  à  la 
poulette  et  au  roua;  noix  à  la  bourgeoise,  en  surprise  y  en  ba- 
lottine;  poitrine  aux  laitues,  aux  oignons  glacés f^,endons  d 
la  jardinière ,  du  soleil ,  en  chartreuse;  rognons  d  la  broche; 
pieds  d  la  poulette;  queue  au  blanc...  peut-être  même  jus- 
qu'à des  amourettes  de  veau,  etc.,  etc.^  etc.  Le  tambour ^ 
qui  dans  tous  ces  plats  déguisés  par  Tart  du  cuisinier  ne 
reconnaît  point  les  parties  de  l'animal  qu'il  doit  dévorer , 
et  qui  s'attend  toujours  à  Toir  paraître  un  reau  en  personne 

r 

et  tout  entier  y  s'imagine  que  ce  sont  de  petites  friandises 
qu'on  lui  a  données  pour  pelotter  en  attendant  partie.  Déjà 
41  avait  mangé  en  détail,  et  sans  s'en  apercevoir,  les  trois 
-quarts  du  veau»  lorsque  se  tournant  vers  son  officier: 
«  Mon  capitaine,  lui  dit-il,  il  sera  pourtant  bientôt  temps 
.de  faire  apporter  le  veau  ;  car  si  vous  me  faites  manger  tant 
de  brimborions,  je  pourrai  bien,  malgré  ma  bonne  volonté, 
vous  faire  perdre.  »  A  ces  mots  l'officier  français  avoua 
<iu'il  avait  perdu  la  gageure,  et  paya  les  vingt-cinq  louis. 

LE  GOURMAND  DISTRAIT. 

Um  |onr  le  gourmand  Darytée 
Se  trouva  confondu  dam  nn  brillant  repas 

Parmi  des  membres  de  lycée* 

Qui ,  chove  rare  et  déplacée  » 

Parlaient  fort  *  et  ne  mangeaient  pas. 
—  Silence  donc ,  mesmenrs.  Quelle  folie  étrange  ! 

Dit  le  gourmand  d'un  air  distrait  ; 
Si  TOUS  Toulez  parler ,  parlez  bas ,  s'il  vous  plaît  : 
Depuis  une  heure  au  moins  on  ne  sait  ce  qu'on  mange. 


478  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS, 

LE  DOMINO  JAUNE. 

ilu  second  mariage  du  Dauphin ^  fils  de  Louis  XV,  avec 
une  princesse  de  Saxe,  il  j  eut  à  Versailles  des  fêtes  bril- 
lantes, des  bals  parés  pour  les  grands  seigneurs,  et  des  bail 
masqués  où  tout  le  monde  était  admis  indistinctement  ayec 
des  billets.  Une  scène  originale  eut  lieu  à  Tun  de  ces  der^ 
niers:  un  buffet,  splendidement  servie  offrait  en  profusion 
des  rafraichissemens  aux  acteurs  'du  bal  ;  un  masque  en  do- 
^ràino  jaune  s'j  présentait  fréquemment,  et  dévastait  d'une 
-manière  horrible  tes  liqueurs  fraîches,  les  tins  exquis  et 
toutes  les  pièces  de  résistance  ;  s'il  disparaissait  uo  instant, 
c'était  pour  reyenir  plus  altéré  et  plus  affamé.  Il  fut  remar- 
qué de  quelques  masques,  qui  le  montrèrent  à  d'autres:  le 
domino  jaune  devint  l'objet  de  la  curiosité  générale.  S.  }L 
Toalut  le  voir;  inquiète  de  savoir  qui  il  était,  elle  le  fît 
suivre  :  il  se  trouva  que  c'était  un  domino  commun  aux  cent 
Suisses,  qui,  s'en  affublant  tour  à  tour,  venaient  successive- 
ment se  remplacer  à  ce  poste,  préférable  sans  doute  à  celui 
qu'ils  occupaient  à  la  porte  du  château. 

PRIÈRE  DUN  GOURMAND. 

Gaanb  Dieu  ,  daigne  augmenter  mon  bien  et  mon  crédit  » 
Ou  retranche  mon  «pjpétit! 

RÉFLEXION  GOURMANDE. 

Le  proverbe  dît:  Brebis  gui  bêle  perd  sa  goufée.  Cela  si- 
gnifie qu'à  table  il  ne  faut  pas  trop  parler,  si  Ton  ne  tcuI 
pas  €tre  dupe  des  convives  qui  ne  disent  rien. 


j 


^E  GASTRONOME  FRANÇAIS.  .479 

LES  DEUX  AVAREIÎ. 

Gsirvoir,  qui  mange  chez  autrui 
Autant  qu^on  peut  le  lui  permettre, 
A  Jonnes,  plus  ladre  q«e  bii, 
!^crivit  un  jour  cette  lettre  : 
Demain  j'irai  dîner  chez  toi. 
Bien  obligé  ,  répondit  Jomiea» 
Du  bon  avis  que  tu  me  donnes; 
Je  ne  dînerai  pat  chez  mou 

là.,  Gapblls. 

Chapelle  y  non  moins  recommandable  par  son  charmant 
Toyage  poétique  que  par  ses  longues  .excursions  dans  les 
états  de  Cornus»  avait  fait  un  mauvais  dîner  chez  un  bour- 
geois  parcimonieux.  En  serUnt  de  table  il  s'approcha  de 
Chevreau,  son  ami»  et  lui  dit  ùt  Toreille,  assez  haut  pour 
être  entendu  de  Tavare  ampifaytrion:  Od  allons -nous  dîner 
maiiUenartt? 

LE  FÂCHEUX  ACCIDENT- 

Ah  !  quel  malheur  !  quel  attentat  ! 

Quel  affront  l  quelle  firarberie  ! 

r^on ,  jamais  un  crime  d'état 

N'égala  cette  barbarie  1 . 

Bacchus ,  que  ton  pouvoir  divin 
Éclate  contre  ceux  qui  temiatént  ta  gloire  ; 
Un  coquin  de  laquais  en  me  Tersant  à  boire 

A  Tersé  de  l'eau  dans  mon  tIa  !«..^ 

Lavjoh. 

Lorsque  M.  Dubroussin  sut  que  Boileau  faisait  une  satire 
sur  un  festin ,  il  s'efforça  de  l'en  détourner.  Choisissez  j  lui 
dit-il ,  plutôt  les  hypocrites  ;  vous  aurez  pour  vous  tous  Us  hon^ 
nètes  gens;  mais  pour  la  bonne  chère  j  croyez-moi j  ne  badinez 


4«D  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

pas  id-dessus.  l\  fallut  que  Boileau  lui  détaillât  les  jastes 
motifs  du  ressentiment  qui  Texcitait  pour  qu^il  conTÎnt  de 
leur  légitimité. 

LE  PAQUET  DE  CDREDENTS. 

Dâjis  an  repas  des  plus  brillans  , 
Pour  suivre  cta  tout  poîot  l'étiquette  , 
On  apporta  sur  une  assiette 
Uo  gros  paquet  de  cnredents. 
L'hôte  en  oflre  à  dame  Arabelle , 
Croyant  combler  tons  ses  souhaits  : 
Passez  k  mon  Toîsin ,  dit-elle  ; 
Pour  moi  )e  n'en  mange  jamais. 

M.  HiuuKMé 

PENSÉE  GOURMANDE. 

On  vantait  beaucoup  le  bonheur  de  Callisthènes  qui 
mangeait  à  la  table  d'Alexandre.  Je  ne  roudrais  pas ,  ré- 
pliqua Diogène,  d*un  bonheur  qui  consiste  à  manger  à 
{'heure  et  au  goût  d'un  autre. 

LES  DEU;ii:  BUVEURS. 

Dés  le  matin  Grégoiic  s'enivrait. 

—  Je  bois  aussi ,  dit  un  de  ses  confrères  ; 
Mais  tu  devrais  user  de  mon  secret  ; 

Je  bois  toujours  quand  j'ai  fait  mes  affaires. 

—  Le  mien ,  dit  l'autre ,  est  encor  plus  certain  , 
Et  je  ne  sais  de  quoi  tu  tlnquiètes  ; 

Quand  je  me  suis  enivré  le  matin  , 
Pour  tout  le  jour  mes  affaires  sont  faites. 

M.  Amii4frD-Goi7prÉ. 

Une  chartre  du  fameux  abbé  Sugec>  régent  du  royaume 
50US  le  règne  de  Louis-Ie-Jeunc^  donne  dix  sous  de  rente 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  481 

Gt  un  muid  de  yin  à  la  collégiale  de  Saint- Paul.  «  C'est,  y 
est-il  dit,  pour  que  les  chanoines  servent  Dieu  et  Saint«Paul 
avec  plus  de  gaieté  et  de  déyotion.  » 

LE  PARASITE  HONNI, 

COHTB. 

Ghbz  ud  héros  de  la  fioaoce 

TJn  parasite  d'importance 

Mangeant  très-fort ,  buvant  très-bien , 

Ecoutant  peu ,  ne  disant  rien  , 

Lorgnait  un  mets  de  conséquence , 
Un  mets  tel  que  Balaineeût  pu  le  préparer  , 
Tel  qne  des  yeux  chacun  semble  le  savourer. 
Par  malheur  loin  de  lui  l'assiette  était  plae  ée  ; 

Que  faire  1  Bientôt  mon  gourmand 
Se  dresse ,  étend  le  bras ,  et  saisit  à  llnstant 

Le  mets  que  lorgnait  sa  pensée  : 
Sur  sa  proie  un  vautour  fond  moins  rapidement. 

Mais  il  y  va  si  brusquement 
Que  l'assiette  en  morceaux  tombe  sous  la  fourchette. 
L'amphytrion  lui  dit  :  Pourquoi  tant  se  presser  r 

Je  passe  qu'on  pique  l'assiette , 

Mais  il  ne  faut  pas  la  casser. 

PBlLIPOH-LA-MADSLAIirB. 

Un  cuisinier  français  était  passé  en  Angleterre.  Il  y  voyait 
tout  manger  à  la  sauce  blanche.  «  Quoi  !  disait-il,  on  compte 
eo  ce  pays  cent  religions  différentes,  et  il  n'y  a  qu'une  sauce 
pour  tous  les  metsi  En  France,  nous  n'avons  qu'une  reli- 
gion ;  mais  en  revanche ,  point  de  viandes  qu'on  ne  mange 
à  cent  sauces  différentes.  » 

MÉFIEZ-VOUS  DES  DINERS  SANS  FAÇON. 

Vn  diner  tans  façon  ei  tant  cérémonU, 
On  l'a  dit  avant  moi,  n'est  qu* une ptrfidU, 

(  VArt  dk  dtntr  m  viilc.  ) 

3i 


48i         LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

LE  COMBAT  ANGLAIS. 

Milord***  prit  part  à  anc  gageure  qui  s' éleva  entre  deux 
gloutons;  mais  n'ajant  pu  être  présent  à  l'assaut,  îl  écmît 
à  son  agent  pour  saroir  la  décision,  et  Toici  la  réponse  qull 
en  reçut: 

«  Milord,  je  ne  puis  tous  donner  maintenant  tous  ks 
détails  du  combat  ;  je  me  borne  pour  le  moment  à  fnfonner 
Totre  grandeur  que  notre  homme  a  battu  son  antagoniste 
d*un  cochon  de  lait  et  d'une  tarte  aux  pommes.  Je  suis,  etc.* 

AVIS  AU  PUBLIC. 

Glouton  «  de  ton  lotir d  entretien 

Dant  chaque  cercle  noua  accable  ; 

Et  Glouton,  quand  il  est  à  table  , 

Mange  beaucoup  et  ne  dit  rien. 

Il  ne  faut  pat  ^'on  «^inquiète 

En  Toyant  ce  grand  changement  : 

On  lait  que  l'eaprit  d*un  gourmand 

N'est  jamais  dans  la  même  assîète. 

M.  CiraLLm. 

ANECDOTE  GOURMANDE. 

Le  maréchal  de  Yillars  avait  un  Suisse  qui  TOAngestii  énor- 
mément. Il  le  fit  appeler  un  jour,  et  lui  dit:  Combien  num- 
gérai;  tu  d'aloyaux? —  Ah!  monseigner,  bour  mo\  taWolr 
pas  peaucoup;  cinq  à  six  tout  au  plus.  — 1.1  combien  de 
gigots?  Des  chicots?  Ohl  monseigner,  pas  peaucoup;  sept 
à  huit,  —  Et  de  poulardes  ?  Oh  I  bour  des  boulardes ,  pas 
peaucoup  ;  ine  toussaine.  —  Et  de  pigeons  ?  —  Oh  1  bour 
tes  pichons^  bour  tes  pichons,  c'est  différent...  quoiqne  ça 
pas  peaucoup  non  plis;  quarante,  soixante...  selon  Tabbé- 
tit.  —  Diantre I  Et  des  alouettes? — Tes  alouettes,  monsc- 
gner  ?  touchouFS,  touchours ,  touchours. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  4S3 

Vivons ,  irnes  chers  amis ,  hfttonf*noiis  de  cueillir 

Le  peu  de  fleors  que  le  plaisir 
Sur  nos  pas  a  fait  naître. 
Oublions  le  passé ,  qui  ne  peut  revenir  ; 

Et ,  sans  compter  sur  l'avenir , 

Qui  nous  afOigera  peut-être , 

Saisissons  le  présent  ;  employons  à  jouir 

Ce  temps  si  précieux  que  l'on  perd  k  connaître, 

D.  6. 

Diogène^  lavant  ses  choux ^  criait  à  Aristippe  :  «  Si  tu  sa- 
vais manger  des  choux,  tu  ne  ferais  pas  ta  cour  aux  grands. 
—  Et  toi  y  répliquait  Aristippe ,  si  tu  savais  faire  ta  cour  aux 
grands 9  tu  ne  serais  pas  réduit  à  manger  des  choux.  » 

L'EMPORTEMENT  GASCON. 

MoRSiaua  de  Crac  dans  une  auberge 
Fut  insulté  par  un  garçon  : 
Il  saisit  vite  sa  flamberge , 
.  Et  rétend  sans  plus  de  façon. 
Le  maître  d'hôtel  se  présente  : 
Il  peste,  il<crîe ,  et  représente 
A  Crac  son  malheureux  exploit. 
—  Dé  l'honnêteté  qu'on  mé  doit 
Je  n'aimé  pas  que  l'on  s'écarte. . 
An  surplus,  tout  est  arrangé  : 
D'an  animal  je  suis  vengé  ; 
Qu'on  mé  lé  porte  sur  la  carte 
Comme  si  je  l'avais  mangé. 


M.  Capxlls. 


ANECDOTE. 


L'ahbé  de  Bois-Robert  aimait  les  bonnes  tables^  et  en 
augmentait  la  joie  par  ses  bons  mots  et  ses  plaisanteries» 
Un  jour,  qu'il  courait  à  un  dîner,  il  s'entendit  appeler  dans 


484  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

la  rue  pour  ycnii  confesser  un  homme  blessé  à  mort  ;  i 
s'approche ,  et,  pour  toute  exhortation ,  lui  dît  :  Mon  cama- 
rade, pensez  à  Dieu,  et  dites  votre  bénédicité, 

DES  INGONVÉNIENS  DU  MARIAGE , 

DIALOCDB   IHTIB   VMVJ.   GOVBMiaDS. 

—  Je  prends  femme  ;  elle  est  jeune  et  sage. 
Et  puis ,  j*en  conTÎendrai  tout  bas , 

Cet  hymen  a  son  arantage  ; 
C'est  que  le  jour  du  mariage 
On  noQS  promet  un  grand  repas. 

—  Poar  un  repas  quelle  folie 

D^aller  ainsi  tous  enchaîner  ! 

Au  tendron  qui  tous  fait  envie 

Songes  donc  qu'il  faudra  donner» 

Tous  les  jours ,  hélas  !  de  la  vie 

La  moitié  de  TO<re  diner. 

M.  AaMAJTD-Gooprtf. 

Ménage  avait  pour  maxime  de  refuser  tous  les  grand» 
repas  dont  il  était  prié.  Il  disait  que  les  plaisirs  ne  se  trou- 
vaient jamais  en  cohue,  et  que  lorsqu'une  tahle  excédait ie 
nombre  de  six,  il  n*y  avait  ni  franchise,  ni  ^rémeoL 

LocAS  prêchant  un  jour  Grégoire , 

L'exhortait  à  se  corriger 

Du  penchant  qu'il  avait  à  boire. 

—  Ne  te  verra-t-on  point  changer  ? 

—  yj  pense  ;  mais ,  ne  t'en  déplaise , 
Dit  l'autre  en  lui  tendant  la  main , 
Entrons  an  cabaret  voisin  ; 

Nous  jaserons  plus  à  notre  aise.  (1} 

(1)  Celte  anecdote  fait  allusion  k  une  rencontre  qui  eut  lieu  cstir 
Boitwu  et  Chapelle. 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  485 

«Un  jour,  chez  mon  père,  dit  J.-J.  Rousseau,  élant 
condanané,  pour  quelques  espiègleries,  à  m'aller  coucher 
sans  souper  à  table,  et  passant  par  la  cuisine  avec  mon 
triste  morceau  de  pain ,  je  vis  et  flairai  le  rôti  tournant  à  la 
broche*  On  était  autour  du  feu  ;  il  fallait,  en  passant,  saluer 
tout  le  monde.  Quand  la  ronde  fut  faite ,  lorgnant  du  coin 
dç  l'œil  ce  rôti,  qui  ayait  si  bonne  mine  et  qui  sentait  si  bon, 
je  ne  pus  m*ab&tenir  de  lui  faire  aussi  la  révérence,  et  de 
dire  d'un  ton  piteux:  Adieu,  rôti  I  Celte  saillie  de  naîreté 

parut  si  plaisante ,  qu'on  me  fit  rester  à  souper,  n 

% 

Un  vendredi  le  frère  Polycarpe 

Au  prieur  vint  se  présenter  : 
■  Ne  mangez  pas ,  dit-il ,  de  cette  carpe  ; 
Hier,  avec  du  lard  ,  je  la  vis  apprêter.  » 
ii'ardent  prieur,  que  ce  discours  chagrine. 

Lui  jetant  un  sombre  regard  : 

«  Morbleu ,  dit-il ,  maudit  bavard , 

Qu'ai  liez- vous  faire  à  la  cuisine  ?  > 

LÀ  PERMISSION  DE  MANGER  GRAS. 

MoKTESQViBu,  prêt  à  quitter  Rome,  alla  faire  ses  adieux 
â  Benoit  XIV.  Le  pontife  lui  dit  :  «  Mon  cher  président , 
avant  de  nous  séparer,  je  yeux  que  vous  emportiez  quelque 
souvenir  de  mon  amitié.  Je  vous  accorde  la  permission  de 
faire  gras  toute  votre  vie,  et  j'étends  celte  faveur  ù  toute 
votre  famille.  A  Montesquieu  remercie  Sa  Sainteté,  et  prend 
congé  d'elle.  L'évêque  camérier  le  conduit  ù  la  galerie.  On 
lui  expédie  la  bulle  de  dispense,  et  on  lui  présente  une  note 
un  peu  forte  des  droits  à  payer  pour  ce  pieux  privilège. 
Montesquieu,  effrayé  de  cet  impôt  sacré,  rend  au  secré- 


486  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

taire  son  brevet,  et  lui  dit  :  «  Je  remercie  Sa  Sainteté  de  >a 
bienTeinance  ;  mais  le  pape  est  uo  si  bonaète  homme!  je 
m*eD  rapporte  à  sa  parole  y  et  Dieu  aussi.  » 

LA  BONNE  CHÈRE. 

G»i  les  bftbitaiiB  d'Angoulême 
Le  petit  Père  André  prècht  tout  un  carême 

8tni  être  ioTité  d'an  dtner. 
On  sent  qu'on  tel  oubli  ne  peut  se  pardonner. 
Le  Jour  qu*U  termina  cette  aainte  cnmère  » 
Il  leur  dit  :  *  J'ai  rempli  ^on  dirin  ministère , 
J'ai  firondé  des  excès,  j*ai  donné  des  avia  ; 
Mais  fe  n'ai  point  parlé  contre  la  bonne  cbère  , 
Car  j'ignore  comment  on  traite  en  ce  pays.  •  G***. 

A  Londres  9  au  moment  où  on  allait  lever  Taudienceau 
tribunal  de  Malbourough- Street  (le  20  juin  189^),  ladj 
Greslej,  douairière  d*une  des  plus  nobles  familles  des  trois 
royaumes 9  Tint  toute  effarée,  porter  plainte  au    ma^ 
trat  contre  un  ralet  irlandais  qui  était  entré  à  son  seirice  de 
la  veille.  «  Cet  ogre,  s'écria-t-eUe ^  rient  de  foire  tmiptzoo 
dans  mon  office ,  où  se  trouvaient  déposés  les  préparatifs 
d*un  dîner  de  noce  que  je  dois  donner  demaia  à  soixante 
personnes;  en  un  moments  il  a  fait  main-basse  sut  le- tout  : 
entrées,  hors-d*œuTre»  rôtis,  entremets  et  dessert,  son 
effroyable  estomac  a  tout  englouti  !  »  Le  prévenu  avoua  le 
fait;  mais  il  allégua  pour  sa  défense  que  sa  maîtresse  était 
obligée  de  le  nourrir,  et  qu'il  ne  pouvait  pas  être  respon- 
sable de  l'étendue  de  son  appétit.  Subsidiairement,  il  sou- 
tint qu'il  était   indignement  calomnié,  et  que  la  plaignante 
avait  beaucoup  exagéré  le  dégât;  suivant  lui,  il  se  serait 
borné  à  un  rosUbeef  d'une  trentaine  de  livres,  une  dinde 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  487 

farcie,  quelques  faisans^  et  un  douzaine  de  petits  plats  mi- 
gnons,  tels  que  gigots,  lièvres,  cochon^de  lait,  etc.,  le  tout 
arrosé  d'une  vingtaine  de  bouteilles  de  clairet. 

Le  juge^  ne  pensant  pas  qu'une  excessive  capacité  de  l'es- 
tomac pût  constituer  ni  crime  ni  délit,  renvoya  l'Irlandais 
de  la  plainte  >  avec  dépens. 

LE  PÉCHÉ  MORTEL. 

BAdvit  k  faire  pénitence  9 
Aaprès  de  son  caré  gros  Thomas  s'accusait 
De  s^être pris  de  Tio.  —  En  quelle  circonstance? 
Voyons ,  dit  le  pasteur,  racontez-nioi  le  fait. 
—  C'était  le  jour  de  l'an  ;  pour  ma  première  étrenne , 

J 'allai  voir  mon  père  à  Surenne ,    • 
Et  je  bus...  —  De  son  vin  !  Ciel,  que  me  dites-vous! 
Du  Surenne  1  jamais  vous  ne  seret  absous. 

JADIS  ET  AUJOUBD'HUI. 

L'usage,  par  rapport  aux  heures  des  repas,  est  bien  diffé- 
rent aujourd'hui  de  ce  qu'il  était  anciennement.  On  disait 
encore  du  temps  de  François  I"  : 

Lever  k  cinq  y  diner  k  neuf, 
Souper  il  cinq,  coucher  à  neuf. 
Font  vivre  d'ans  nonante-ncuf. 

Depuisonadit  : 

Lever  à  six ,  diner  à  dix , 
Souper  &  six ,  coucher  à  dix  , 
Fait  vivre  l'homme  dix  fois  dix. 

D'heure  en  heure,  on  a  fait  ainsi  le  tour  du  cadran  ;  on  en 
est  venu  au  point  d'où  nos  pères  étaient  partis,  avec  cette 
seule  différence  que  les  soupers  sont  les  dîners  ;  les  dîners. 


488  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 

les  soupers;  les  levers  sont  les  couchers,  elles  coucWfirs 
les  levers  ; 

Et  l'hiver  de  «os  ans 
Arrive  ainii  vers  la  fin...  du  printenps^ 

LES  PETITS  POIS  ET  LE  MARMITON. 

Le  maréchal  de  Saxe ,  voulant  traiter  sod  état-iDa|or  à 
l'ouveiture  de  la  campagne ,  fit  venir  de  Paris  quelques  li- 
trons de  petits  pois  qui  lui  revenaient  à  plus  de  vingt-cinq 
louis.  Il  défendit  à  son  maftre-d'hôtel  d'en  rien  dire.  Il  se 
faisait  une  fête  de  surprendre  ses  convives  à  Taspect  d'an 
plat  aussi  rare,  tant  à  cause  de  la  saison  (au  mois  de  mars)  , 
que  pour  le  lieu  et  la  cir<^onstance.  Au  moment  de  Tentre- 
metSyil  ne  voit  point  paraître  les  pois  tant  attendus.  Il  Caiit 
appeler  le  maitre-d'hôtel  :  «Et  les  petits  pois  ?  lui  dit  te 
prince  à  Toreille...  — Monseigneur...  —  Quoi  !  monsei- 
gneur. —  Il  y  en  avait  si  peu  quand  ils  ont  été  cuits ,  que  le 

petit  marmiton  les  a  pris  pour  un  reste,  et  les  a  mangés 

—  Comment  I  le  malheureux  f  qu*on  me  Pamène  î  »  Le  petit 
marmiton  parait  plus  mort  que  vif.  «  Et  les  petits  pois,  lui 
dit  le  maréchal,  les  as -tu  trouvés  bons?  —  Oai,  monsei- 
gneur.— Â  la  bonne  heure.  Qu'on  lui  fasse  boire  un  coup.» 

LA  QUERELLE  DE  MÉNAGE. 

Un  mari  très-impatient 
Se  querellait  avec  sa  femme» 
Le  caractère  de  la  dame 
Par  malhear  était  très-bouillant  : 
Le^  épithèteê  les  plus  dures 
Se  prodiguaient  entre  nos  deuK  époux  ;, 
Et ,  du  chapitre  des  injures , 
Us  allaient  en  venir  au  chapitre  des  coup». 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  489 

Le  mari  cependant ,  ami  de  la  décence , 

Se  venge  d'ane  antre  façon. 
Le  couTert  était  mis  :  il  prend  un  carafon , 

Et  par  la  fenêtre  il  le  lance  ; 

La  femme  tombe  snr  les  plats , 
Et  puis  dans  le  ruisseau  les  envoie  en  éclats  : 

Enfin  les  verres ,  les  assiettes , 
Les  bouteilles ,  la  nappe  »  et  tout  jusqu'aux  serviettes 

Par  la  fenêtre  fut  jeté  , 
Si  bien  qu'en  un  moment  le  couvert  fut  ôté. 
Le  domestique ,  à  la  voix  de  son  maître, 
Gomme  le  dernier  plat  venait  de  disparaître , 

Avec  la  soupe  était  monté. 

Voilà  mon  homme ,  à  cette  vue  « 

Qui  s'éckapITe  de  sop.odté , 
Et  fait  sauter  la  soupe  dans  la  me... 

Pourquoi  cette  vivacité , 

Demande  le  couple  en  colère  f 

Pardon  »  dit  le  valet  ;  ne  vous  emportes  pas  : 

En  faisant  comme  vous ,  hélas  I  j'ai  cm  bien  faire  9 

Moi  j'ai  pensé  que  vous  dinies  là  bas. 

Artigiiac. 

EXTl^AITS  DU  CUISINIER  ROTAL, 

PAR    M.    VXAED,    HOMME   !>■   BOUCHB. 

L'auteur,  pénétré  de  Tiipportance  dé  son  sujet,  déclare 
modestement  qu'il  n'aspire  pas  au  titre  de  bon  écrivain , 
mais  au  titre  de  bon  cuisinier,  et  qu'il  craint  plus  une  erreur 
dans  un  ragoût  qu'un  barbarisme  dans  le  langage^ 

M.  Yiard  nous  paraît  trop  modeste  ;  son  style  est  du  meil" 
leur  goût  et  à  la  hauteur  de  son  sujet. 

Quant  à  ses  leçons  gourmandes,  elles  sont  très-sages, 
très -claires,  et  l'on  ne  peut  craindre  de  s'égarer  sur  ses 
traces. 

Voulez-Yous  manger  une  iangue  de  bœuf  à  l'écartate  !  ayez 


I 


490  LE  GASTRONOMB  FRANÇAIS. 

une  langue  de  bceuf,  etc.;  et  cela  est  bien  sagement  dû,  car 
si  TOUS  ne  commencez  par  tous  procurer  une  langue  d£ 
bœuf,  Yous  ne  pourrez  pas  manger  une  langue  de  bœuf  à 
Técarlate. 

PIEDS   D*AQNfiAV    A   LA    POULETTB. 

Qaaod  vot  pieds  sont  échaadés,  tous  les  désossez,  tous  les  fulei 
blanchir,  tous  tes  rafraîchisses,  tous  les  égonttez,  tous  les  «ssuyez  et 
TOUS  les  flambes,  etc.,  etc. 

GUISSBS   DB   tAPBRBAV    filf    CHIPOLATA. 

Vous  désosseres  vos  cuisses,  loos  les  mettrea  dans  l'eau  boaîiiante 
pendant  deux  minutes;  ensuite  retirez-les,  parea-les;  mettez  un  (|iizc- 
tcron  de  beurre  dans  une  casserole ,  places-y  oorcucstst  ,  etc.,  etc.,  et 
après  les  sToir  laissé  mijoter  un  peu,  tous  ferez  manger  vos  eaiistes  à  tos 

COttTlTeS. 

Nous  recommandons  aux  gourmands  les  pieds  et  les  cuisseï 
de  M.  Vlard. 

CARTE 

D'UN  RESTAURATEUR  CONNU. 

Air  d«  la  marobc  da  roi  de  PriM«. 

A  bon  titre  je  suis 

Renommé  dans  Paris 

Pour  les  morceaux  exquis 
Qne  je  fournis  : 
Mes  magasins  sont  assortis , 
Mes  buffets  sont  toujours  garnis 
Des  mets  qui  sont  les  mieux  choisis  ; 
Dans  tous  les  temps  h  juste  prix  , 

On  peut  trouTer  réunia 
Des  allmens  de  tout  pays. 


"**- 


LE  GASTRONOME  FRANÇAIS.  491 

On  vante  mon  Ghftblis , 
Mes  huîtres ,  me»  radis , 
Ainsi  qae  mes  salmis 

De  perdrix  ; 
Mes  godiveanx  au  riz, 
Mes  tourtes ,  mes  hachis , 
Pâtés  au  veau ,  gros  et  petits , 
Bien  dorés  et  bien  arrondis  ; 
Bœuf  au  naturel ,  au  coulis, 
Mouton  aux  navets  bien  roossis , 
Papillotes, 
Poulets  rôtis , 
Gibelottes , 
Macaronis , 
Matelotes,. 
Salsifis 
Frits; 
Bonnes  compotes 
De  fruits 

Cuits.  { 

Je  conserve  dindons  farcis  t 
Potage  au  riz 
Pour  les  maris , 
Excellent  thon  pour  les  impolis , 
Cervelles  pour  les  étourdis.  ^ 

SUPPLÉMENT. 

Am  :  /•  n'ciiN*  paê  h  tabac  h^aucimp* 

On  prend  à  chaque  mien  ngoû l 

Goût  ; 
Je  possède  poar  ceux  «a  lard 

L'art; 
J'ai  fail  des  meiDeurs  aucLoia 

Choix  i 


49«  LE  GASTRONOME  FRANÇAIS. 


J'offre  des  jamboiu 

Bons; 
J'ai  dus  macarons 

Ronda, 
Tràt-Cranoi  et  diTÎaa. 
Viiia. 
Enfin  loi»  let  GoiinneU 
Font  lumnenr  à  ton*  met 
MoU. 


FIN. 


^ 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Page. 


AVBmTlUEMIlIT. 

DmCOCEI  PAÉLIMllIAIBl.  I 

CHAPITRE  PREMIER.  Euai  sda  la  cduinb  des  Aivgibms.  ib. 

AmTicLB  Dboxièmb.  Dû  quelques  utaget  gourmand  :  du  repas  el  de 

ia  batterie  de  cuisine  des  aneiens,  ij 

AmTiCLB  Tboisiàhb.  VoUdltes,  poissons,  coquUiagesei  végétaux  ser- 
vant à  ta  nourriture  des  anàens.  ii 

AeTICLB   QoATBlilMB.  2J 

Abticlb  GiHQuiJtMB.  Dcs  ouvroges  relatifs  â  Cari  culinaire,  3i 

Abtiglb  ^ixikn%.*  Conclusion.  ^o 

Db8  Largubs  mobtbs.  4^ 

CHAPITRE   DEUXIÈME,  l'abh^b  gocbmabob,  49 

J  AiiviBB.  Les  Étrennes ,  les  Bois  et  la  Saint^Antoine,  S  i 

Sur  le  Gâteau  des  Bois.  58 

Anecdote  sur  le  Gâteau  des  Bois.  6a 

LeBoide  ia  Fève.  63 

I 

Les  Bois,  chanson  pet  H.  Armand-GoufTé.  ib. 
Du  Bmuf.  ^  64 
Becettes  alimentaires*  67 
Beef  on  beeT-a-teak.  ib. 
Palais  de  boeuf  en  allumettes.  68 
Amourettes  de  veau  composées  à  la  crème.  69 
Gascalopes  de  mouton  à  l'huile.  71 
R6t  de  bif  d'agneau  k  la  barbarine.  ib . 
Jiloutone  deBeauvais.  72 
De  la  Truffe.  74 
Beeettes  alimentaires.  Sauté  de  volaille  et  de  gibier  aux  trulTes,  77 
Manière  de  farcir  dindes,  poulardes,  chapons,  poulets  et  per- 
dreaux aux  truffes.  78 
Sarcelles.  ib. 
Sarcelle  à  la  bigarade.  79 
FiTBiBB.  Le  mois  saU  ou  les  ekareutiers.  80 
Du  Carnaval.  85 
Le  Bœuf  gras,  90 


494  TABLE  DES  MATIÈRES. 

fige 

Saint'Crevaz ,  ou  l€  Carnaval.  o3 

téô  Carnaval^  chanson ,  par  M.  Moreau.  m 

Jl^me<i//(0f«  par  Antignac.  im 

V*Ul  e'que  c'ett  que  le  Carnaval,  par  D^Mu^n.  loi 

Haeeitet  alimentairei.  Du  Mouton,  1^4 

Selle  de  mouton  braiiée.  ley 

Vu  Turbot.  106 

Turbot  à  l'eau  de  sel.  igj^ 

Du  Cabillau.  no 

Du  Chevreuil.  m 

MàBS.  Le  mois  kunûde^  au  les  marchands  àe  paissons.  ^iS 

Des  MaUhtes.  lao 

Recettes  alimentaires.  Canapés  de  foies  de  raies.  laS 

Marinade  de  carpes  ou  d'autres  poissons  d'^au  douce.  1^4 

Menus  droits  maigres  à  la  trape*  i^. 

Écrevisses  à  lltalienne ,  au  gratin.  1^ 

De  e Agneau.  Î4, 

Filets  d'agneau  à  la  Gondé.  isS 

Épcrlansà  la  provençale.  lag 

Ateii..  Le  moi»  glorieux ,  ou  les  Jambons  de  Bayonne^  i3o 

Les  œufs  de  Pâques.  j3| 

Des  Poissons  iCeau  douce.  i36 

Recettes  alimentaires.  Anguille  à  la  Tartare.  x^q 

C*rpe  au  bleu.  ^^i 

Escargots  de  vigne  à  la  poulette.  i5. 

Escargots  simulés.  ^v^ 

Jambons  à  la  broche.  i^ 

Alose  grillée  et  filets  d'ftlose  au  citron.  ^i 

Poisson  ifavril  ,  chanson  de  M.  G***.  ^iS 

Mai  ,  ou  le  mois  fleuri.  ^ic 

Mal,  ou  le  mois  conciliateur.  ^^ 

A  Vénus  la  bien  venue.  ^^ 

Le  mois  de  mai  ;  chanson ,  par  Ph.  de  la  Madekine.  i58 

Les  Pigeons.  ^^ 

Pigeons  k  la  crapaudine,  ^^ 

Pigeons  en  compote,  i^ 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


495 


JoiH,  OU  le  moii  aeeétèraUur. 

A  Cornus  ,  frèrt  dû  C Amour, 

Jks  IHnert  ekampétret. 

Recettes  alimôniaires.  Gibelotte  de  lapereau. 

Petits  pois  à  la  crème. 

Filets  de  maquereaux  aux  fines  (lerbes. 

Bissoles  de  filets  de  maquereau. 

Entremets  de  petits  pois. 

Fraises  à  la  créole. 

Fraises  alcoholisées. 

Moyen  de  boire  frais  en  été. 

Juillet.  Le  mois  vermeil,  ou  les  fruits  rouges, 

A  Noè,  patriarche  des  vignerons. 

Du  Melon, 

Du  Dindonneau  et  du  Caneton, 

Recettes  alimentaires.  Canard  aux  navets. 

Du  Saumon, 

Saumon  à  la  génoise. 

Kgeons  en  tortue. 

Fèves  de  marais. 

Haricots  verts. 

Haricots  verts  à  l'anglaise. 

Manière  de  ponserver  les  haricots  verts. 

Pois  verts  à  l'anglaise. 

Août.  Le  Mois  doré ,  ou  les  Moissons. 

Le  Pain ,  chanson  d'Antignac. 

Des  Infanticides, 

A  la  belle  Eté,  dégustatrice  des  pommes. 

Recettes  alimentaires.  Du  Lapereau. 

Lapereaux  en  caisse. 

Du  Poulet, 

Fricassée  de  poulet. 

Du  Cochon  de  lait. 

Cochon  de  lait  à  la  broche. 

Des  Artiehaux, 

Artîchaux  à  la  barigoule. 


16a 

.67 

170 

175 

176 

ib, 

»77 
ib. 

.78 

179 
f6. 

181 

184 

'187 

19a 

193 

^94 
ib, 
195 
196 
Jb. 
Ib, 

>97 
Ib, 

ao6 
ao7 
ao8 
ai3 
Ib, 

«4 
Ib, 
ai5 
ai6 
Ib. 
217 


^   I 


496 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


ftgr. 


Perdreaux. 

2&8 

Saaté  de  perdreaux. 

a. 

Sbptiiibab.  Le  Moi*  giboyeux^  ou  la  Chàne^ 

B19 

Vu  Sanglier  et  du  JUarcassiti, 

-     aaJ 

A  Baeehut,  conquérant  de  CJndo* 

116 

Du  Lièvre  eldu  Lapereau, 

a«9 

Civet  de  lièvre. 

a3L 

Civet  au  sang. 

n. 

Levreau  à  la  broche. 

a32 

r.e»  Perdrix» 

aS3 

Perdrix  aux  choux. 

xSi 

OcTOBax.  Le  Moit  vineux,  ùu  hi  Raislm, 

aJS 

Les  Fendanget* 

^38 

Les  Vendanges  parisiennes. 

^1 

Tableau  des  Vendanges ,  par  Saiat-Lambert  et  Roucher. 

ai5 

Trinquons,  chanson  par  M.  Arniand-Goufie. 

344 

Chanson  à  boire ,  par  M.  Braxier. 

^7 

Verse  eneer  !  par  Désaugiers. 

248 

La  Délire  bachique ,  par  M.  Francis. 

a5i 

V Amour  et  U  Vin,  par  Laujon. 

a53 

Le  Vin  »  P Amour  et  ta  Gatté,  par  M.  C*** 

»H 

ASaini'Lue,  protecteur  des  bœufe» 

256 

Du  Veau, 

258 

Noix  de  veau  à  la  bourgeoise. 

2Sg 

Du  Perdreau. 

ïh. 

Salmi  de  perdreaux. 

361 

Sauté  de  filets  de  perdreaux. 

262 

Adieu ,  panier ,  vendanges  sont  faites  »  chanson  de  M.  Moreaui. 

n. 

NovsMBax.  Le  Mois  gras,  ou  la  Volaille, 

^H 

A  Saint-Martin,  patron  da oies. 

2JO 

Des  Grives,                                                               • 

*7« 

Grives  au  gratin. 

377 

Du  Dindon, 

n. 

Du  Chapon, 

«75 

De  la  Poularde, 

280 

I 


J 


TABLE  DES  MATIÈRES.  497 

Page- 

Poularde  poêlée.  a8a 

Saint-Martin,  chainBon  de  M.  Armand-Gonàîè.  ïb. 

Dicimmi.  Lé  Mois  épiée  ^  ou  tsi  Rtveiliont  ^  ia  Saint-Nicolas.  -aSS 

Rivoithns  fCbanaon  par  M.  Francis.  1390 

Beeelies  aiimentaires.  De»  Mannettcs^  39!^ 

Santé  de  Mauviettes.  tb. 

Dindon  en  daube.  ^94 

De  la  Bécasse  et  de  (a  Bécassine  ^96 

Salmi  de  bécasses.  297 

Des  SokSy  des  Carreiels  et  des  Limandes.  Tb. 

Soles ,  Carrelets  et  Limandes  au  gratin.  399 

Des  Merlans.  Jb. 

Filets  de  merlans  farcis.  3oo 
GoRCLDSioif  :  Il  faut  boire  et  manger,  chanson  de  Désaugîfîrs. 

Le  Délire  gourmand,  chanson  par  M.  Francis.  5o3 

CHAPITRE  TROISIÈME*   Éducation  gastbohoiiiqus.  3o5 
Abticli  Paimia.  Des  usages  qu'il  faut  suivre,  des  abus  qu'il  faut 

éviter .  Des  Déjeuners  à  la  fourcliettc  507 

Des  dîners  à  h,  carte ,  ou  des  Paresseux*  3 1 1 

Des  tables  d^ Hôte.  tîij 

Des  Salons  à  manger.  519 

AaTiGLS  DiuxiiMB.  Élémens  de  poruesse  gourmande  526 

Des  Invitations,  Ib, 

De  &  réception  du  Convives*  029 

Manière  de  placer  tes  Convives  à  table.  33o 

AaxiCLB  Taoïsi&HB.    Un  ntot  sur  les  amphytrions.  338 

Chanson  sur  le  Coup  du  milieu.  343 
Çuelques  réflexions  qui  peuvent   être   utiles  aux    Gourmands ,  et 

même  aux  personnes  sobres .  345 

Sur  la  durée  des  repas.  346 

Sur  la  manière  de  faire  les  honneurs  ttun  diner.  348 

Des  modes  en  cuisine  ;  encore  un  mol  sur  les  amphytrions.  oSo 

Soupe  à  la  Camérani.  55a 

AaTiCLB  QuATBi&MB.    Codo  do  la  tables  ^5ù 

Lois  de  la  table  ^  par  Pannard.  5r4 

0:2 


7 


49»  TABLE  DBS  MATIÈRES. 


Maximct  goarmandes  »  par  M.  G***.  ^ 
Abticu  GiHQUiiMB.   DuhiênnèdBtétiêtngr^^d^ttumgmdôek^t- 

ter  à  iabU*  Ij- 

Aaticlb  SixiàMi.  Dôuert,  chanioDs  de  Uble.  S&i 

Le  Gode  épicarien ,  par^ZMMu^wrf .  îb. 

GoDteUi  à  U  TietUette ,  par  lai^/on.  3&$ 

L'élève  d'Épicure  à  table  »  par  PhiUppcm,  éê  Laamm4»(miwê.  ik. 

AnacréoD  ra|eani ,  par  M.  cb  PiU,  39^ 

Bibi ,  par^M .  Armand-Gouffi.  ^8 

Ma  Pbiloaopbie ,  par  M.  Mortau,  390 

Ghanaoa  erotique,  par  M.  Ém.  Dupaty,  3^ 

GoDieilf  à  Délie ,  par  M.  de  Jouy,  393 

Fidélité ,  conftance ,  par  CharUi  SartrouvUU  (i).  ik. 

Commeat  tout  va ,  par  M.  Armand-GoaffL  594 

Je  m*eo  moque  comme  de  GoUn  Tampon ,  par  Jmû^mac.  3g6 

Le  Nouveau  Démocrite ,  par  M.  Capeiié,  378 

Lei  Infidélités  de  Lisette,  par  M.  Béranger.  S99 

Conseils  aux  Épicuriens ,  par  M.  Eusébe  Saivtr^  401 

Laissons  couler  l'eau ,  par  M.  Armand-Gouffl.  4o3 

Éloge  des  femmes'de  trente  ans ,  par  C.  L.  C.  4^4 

Le  Roi  d'Yvetot ,  par  H.  Béranger,  4oS 

Monsieur  Mathieu ,  ^zr  Détaugien.  loj 

Le  Vin  et  la  Vérité,  par  M.  Armand  Gouffé.  409 

L'erreur,  par  M.  Bratitr.  iio 

Le  monde  comme  je  le  voudrais ,  par  M*  Capêth*  4^^ 

Les  Trois  mots ,  par  M.  A.  de  G***.  4iS 

Le  Lit  et  la  Table ,  par  BI.  dû  Jomf.  ik. 

Les  Quatre  Gabarets ,  par  M.  GeniiL  4t6 

Le  Gabaret ,  par  M.  Mortau,  4i- 

Tuons  le  temps,  par  M.  PranM,  4ig 

La  Grande  Orgie ,  par  M.  Béranger,  4^ 

Le  Délire  bachique,  par  Désaugiers.  4,3 

AaTiCLi  SsmàMB.  Du  sortir  de  tahk  et  du  eafé,  4^^ 

Manière  de  faire  le  bichopp.  ^ 

(1)  k»  ti*«i  à»  SslrenTille, 


TABLE  DÉS  MATIÈRES.  49^) 

Pas*. 

Du  Café;  ton  origine  et  ton  iotrodaction  en  France.  4a8 
Manière  de  faire  le  café.  434 
Manière  de  aerrir  le  café  et  les  liqueurs.  435 
AiTiCLi  HuinàMi.  L'aprèt'diniU ,  ou  ta  soirée.  4^7 
Aancu  N Buriài».  Det  vuittt  ^otnrmandu,  4^8 
CHAPITRE  QUATRIÈME.  Di  L'Hraïknm  dm  la  tablb.  44i 
AiTicLB  Pamiia.  Da  mideems  et  é$$  convives  qui  se  portent  bien.  443 
AiTicLi  DacrxiàMi.  De  t influence  du  déjeuner  sur  le  diner,  et  peut- 
être  sur  le  bonheur  du  jour.  446 
Aincu  TaoïatàMS.  Si  ton  doit  rester  sur  son  appétit.  iSo 
AiTiCLi  QuATiiàMB,  Dcslndigestions. 

Aancu  GiHQinàMB.  De  t usage  et  de  tabus.  466 

CHAPITRE  CINQUIÈME.  Pioboits  di  L'uiooirati  ooubmaxdb.  469 

Abtiglb  UiiiQOB.  Itméraire  gastronomique  de  la  France,  47  > 

VABiiTia.  Aneedotes  gastronomiques»  476 


FIN. 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 

DBS    HO«»   DE»    PBBSOHIIB»  Q«I  W»T  «T*» 
DAH»   CBT   OTVIiAOB. 


Ifott.  [<e>  noiDi 


de.  memlyre.  *.  Cteiuioot»  ..«ltea»>P- 


A. 


Aclocque ,  69. 

AffétUai»  60. 

Alkia  ,  55 ,  98. 

Anacréon ,  00 . 

André  (PeUt-Père). 

Antignae,  loa,  ao;,  398,  ♦»», 

Appert ,  ag. 


Bfl/Wfié,  17,  a4»^>*>  *»^>  *^» 

196,  ai4»3i3, 
Btlfy,;o. 
Bftrjac ,  6a. 
Barthélémy ,  a4. 
Bay«rd,57. 
BeaumarchaiB  »  ^4-^. 
BeauTillieri ,  3i5. 
Bellenger ,  55. 
Bois-Robert,  485. 
Bàranger,  4oi ,  4o7  »  4*3  • 
Bercbour*  i5,  lag. 
Bernard,  56. 
Bernis,  ao5. 


Cadct-DeTaux ,  3; ,  179. 
Cadtt  dû  Gastieourf,  180. 
Café  Dcimarre» ,  3i  1 . 
Café  d'Orsay,  3ii. 
Café  de  Pans,  3ii. 
CaféduPérigoi^,  3n. 
Café  des  Variétés,  3ii. 
Café  Hardy,  3ii. 
Café  Valois,  3ii. 

Caillot ,  84. 
Cainérani,35i. 


iOt    LU 


49a. 


483»  484-  ,. , 
ArnouU  (Sophie),  »9>- 

Aubry  et  fib ,  4^*' 

Auguste ,  çfi' 


B. 


WK<^,i 


Bcrlhicffrtrt»'*^/', 
Bcs8onctcoaip«,45*- 

Biennaifl)  i*/- 
Baiet,57. 

Benoit  «▼i4'** 
Bordin,69. 

I Boucher,  i55-     jg 

Bougeant  (kP-I'^i,^. 
BourdaloacOeP.).^ 

BoursaaU,43o-^^. 

B«^n.B^-J;*j. 
Brumoy  (K*^'» 


Catulle,  95* 
Cclsc,  45a- 

Chartreux  d^' 4. 

Cicéïoir,  59- 
Clairon  (M'ie;»» 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


5oi 


G.  L.'G. ,    i8o,aa6,4o5. 
Glaudius  Albinus ,  /^SS. 
Gléopâtre ,  4^- 
Ctytophon,  i58,  a^^,  58o. 
Colas ,  85. 
Colin  (de  Nantw) ,  558. 


Gorcellet,  56,  98,  i44« 
Gomaro,  453. 
Corps,  84. 
C"*(A.  de),4i5. 
C''',63,  355,376. 


D. 


D,  D.  (Dueray-Duminit),  355. 
Dehodene  (café) ,  33i. 
Dejean,  08. 

Demie  (l'abbé),  367,43a. 
DésaugicrMy  io4t  35i ,  3o3,  338, 

373,  384,4o9,4a7- 
Descoins,  57. 
Desmarres  fcafé) ,  3i  1 . 
Despres,368. 
Diguet,57. 


Diogène,  483. 

Doda,85. 

Dubelluj,  433. 

Dupaiy  (Emmanuel) ,  392^ 

Dapont ,  455. 

Dupuis,  55. 

Duthé ,  84. 

Durai,  55. 

Duyal,  70. 


E. 


Ecclésiaste  (1*) ,  59. 
Epicare,83. 


lEtienne ,  84. 


I 

F. 


Franclt ,  227  ,  a53  »  290  ,  3o4, 4^0 

Fanguet ,  57. 

Félix  ,ta3  »  55  ,  98. 

Fidèle  Berger ,  55. 

Figaro,  a3i. 

Fleurj  (  le  cardinal  )  9  62. 

Foncemagne ,  39. 

Fontenelle  ,  63 ,  72 ,  43i« 

Fougerooz ,  ao. 


Fourmy ,  180. 
Fournier ,  98,  i3i. 
Fox ,  2. 
Fradio  ,  56. 
Frédégonde  ,221. 
Frédéric  it  ,  32. 
Frédéric  11 ,  33  ,  i38. 
Frères  provençaux ,  57. 


G. 


Calich^d ,  ^Sh. 

Garin ,  55. 

GoMtemumn,  58,  98,  i5o,  170, 
184»  187 ,  206 ,  ai2  ,  2a3 ,  229 , 
238 ,  258  ,  270  ,  275  ,  293  ,  326 , 
336. 

Gastaldi,  3io. 

Gendre  9  55  ,  98. 

GenlU,  4-1 7> 

Geoffroy  ,186. 

Georges  (Mm*  )*  1 19. 


Grandin,  55. 

Grignon ,  28,  3ii. 

Grimod  de  la  Beynlàre  «  Q»  39  , 4»  y 
48 ,  49  9  53, 66,  72 ,  70 ,75 ,  78 , 
90,  93,  io5, 120,  123,  i36, 145, 
i55,  166,173,  192,  196)  208, 
217,  3ii  ,  3i6 ,  319,  32Q,  35o, 
53i,  345,  35o,  363434 ,  437,440. 

Gueite,  28,  3ii. 

Gniter  ,4. 


5o« 


TABLE  ALPHABÉTIQUE. 


Hardj(café^  ,  3ii. 
Heini  II  y  54* 
Heori  i¥ ,  5. 
Henri  viu,  Si* 
Heori ,  57. 
Hequety  431. 


Jacob  f  Mlle}»  119. 
Jean,  84. 

Jéauitea  (!«•),  977. 


H. 


Hercule  ,  4^. 
Herrej,  8i5. 
Homère,  4^6. 
Horace,  60, 444«  4^ 
Hôtel  des  Amèricaiiu,  i;* 
Hatinot ,  4^5. 


J. 


IJouy  (de),  3q3i4i6. 
Jules  capltoua,4^6. 


LarondetfiU»45^« 

Lahnde,  lai. 

Lamberl  (  Mme  ) ,  70. 

Lamolhe-le-'Vajer,  53. 

liaoçon ,  55. 

La  RochefoucauU ,  a. 

La  Rouille,  i3i. 

Lasoe ,  i54. 

Lattaignant(rabbé),  366,  574  , 

LaTé  et  Rouquero ,  4^* 
Idunjtmf  a53,  338,  583^  479- 


Leblanc,  t3,  S5,  j/S, 
Lebeau,  55, 98. 
Legaqoe,  3i3. 
Lemardelay ,  aS ,  jSr 
Le  Maout ,  69. 
Lesage,  a3,  5S,  98. 
Léther,  a8,  98. 
Lievin ,  55, 
LintiTÎUe»  70. 
Lointier,  a8,  98. 
Louis  ziT,  4^9  •  ^' 
Louis  KT,  9s. 


M. 


Maison  (président  de  ) ,  43o. 

Maille  I  ^. 

Malherbe»  84. 

Marc-A-ntoine  t  4^* 

Marcas,  57. 

Marie  de  Saint 'Unin^  37,   193, 

45o,  458,465,  568,  468. 
Marneffe,  57,  98. 
Mas  firères ,  455. 
Masson-Gherillani ,  84. 
Mathanasius-Masso ,  45s. 


Masarin  (  ]ecvàtt^)f  ^• 
Ménage,  4^« 
Meunier,  4^^* 
Michelle  ,56.  ^ 

Milon  deCrotoDC,  ?♦>'» 
Montaigne,  35. 
Montesquieu ,  4^-         1 

Morillon,  u6,i53,ii*' 
Muret ,  U6. 


N. 

Néron  ,  59. 

1 

0. 

Oxigénius,  179. 

• 

1 

t 


TABLE  ALPHAfiÉTIQUB. 


5o3 


P. 


Paonard ,  374. 
Parii  (café  de)  ,  3i  1. 
Parquet  »  56. 
Paull*'. 
Pelletier-Petit,  »3t. 

Penrey  CM"^)»  ^^9- 
Périj^ra  (calé  da) ,  3ii. 
Phiùppon  do  La  MaMamê,  1S9 

586,  481. 
Pîia,387. 


Pitt,  1. 

Planude ,  47* 

Plaute ,  60  • 

Pompadour  (  la  marqnite  de) ,  9a , 

Polyphème,  456' 
Poteau,  127; 
Pouillau ,  i5». 
Prévôt,  a8. 
Pfocope ,  43o,  i'hi. 


J 


R. 


Rat,  a3,55,  q8, i3i. . 
Réchaud ,  i5^ 
Ribotton ,  85, 
Robert,  pfttiMÎer,  55. 
Robert,  restaurateur,  116,  3i3, 
35i. 


Robespierre ,  53. 
Roucher,  a4i« 
Rouffet ,  a3,  55,  i3i. 
Rouliier ,  455. 
Rousseau  (J.J.\  485. 


S. 


Saint- Antoine ,  75  ,  83. 
Saint-Lambert,  i44« 
Sallengi^s,  a36. 
Salvûrte^  4o3« 
Santçuîl,  335. 
Sauvage ,  56. 
Saxe  (maréchal  de) ,  488. 


Tacite.  5i',  59,   95. 
Tanraae ,  ao4* 
Terrier,  53,  55 ,  ao4> 
Tertullien,  59. 


Scaron  (  Mme  de  ) ,  363. 

Scribe ,  ao5. 

Shéridan ,  a. 

Sevigné  (  Mme  de  ) ,  139 ,  363  , 

43a. 
Souppé ,  455. 


T. 


Thomas ,  a3  ,  a5  ,  98. 
Tronchin  (le  docteur),  463. 
Turcaret,  106. 


V. 


Valmont  de  Bomare,  aa3,  a  ai, 

Val<ns(café),3u. 
Vatel ,  ia8. 
Véfonr,  a8,  98. 
Verres ,  59. 


Véro,85. 

Yéry ,  a8  ,  98 ,  1 16,  3i3. 

Viard,84,48o. 

ViUars  (maréchal  de),  48a. 

Voltaire  ,  43i  ,  433. 

Vulpian ,  38. 


FIN. 


LIBRAIRIE  DE  CHARLES-BÉCHET, 


KAITIk^WHa  commandant  le  BelUrophon ,  touchant  ^e■^ 
barquement  de  rfapoléon  à  ton  bord  ;  rédigé  par  M.  Bartim^  ,  ar> 
cat  à  la  Cour  royale  de  Paris  ,  rar  la  demande  et  sur  les  docamcH 
de  M.  le  comte  de  Las-Cases  ^  augmentée  du  Testameot  original  de 
Napoléon.  In>8.  »  orné  d*un«  très-jolie  vignette  ,  par  Couché  fili, 
représentant  Napoléon  surlerocberde  Sainte-Hélène.  Prix  :  4.fr.  Soc 

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et  en  vers,  contenant  la  description  de  ces  contrées,  avec  des  dé^ 
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Lettres  sur  l'Ajitronomie;  deuKÎème  édition,  reme,  corrigée  tf 
considérablement  augmentée ,  3  vol.  in- 18.  ,  avec  une  carte  f  /ofies 
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