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Full text of "Le mouvement littéraire au XIXe siècle"

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LE 



MOUVEMENT LITTÉRAIRE 



AU XIX« SIKCLE 




DU MKMIi AUTEUIl 



Ëtudea de littérature contemporaine. Un vol. ili-IU bi- 

3 fr. 'M. l'errin, (;ditour. 
NouvBllBs âtudeH de littérature oontemporalne. Un vol. 



La mouvemeat lltUralre oontemporain. Un 
3 tr. SO. HaeliGlle cl Pion, éditcnr». 
N. II. — >:.! drnikr m(«,n«, /mtli.' e» im. f.ùt 



LE 



MOUVEMENT LITTÉRAIRE 



AU XIX" SIÈCLE 



l'Ait 



GEORGES PELLISSIER 



Ouvrage couronné par rAcadémie française 



SKPTIEME EDITION 



PARIS 

I.IBUAIHIÈ JIACIIKTTK ET C" 

7'J, UOULEVAUD SAINT-GEKMAIN, 79 

1903 

Oroita do traduotioa «t d« roproducUoit i£»wvia. 




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LE 



MOUVEMENT LITTÉRAIRE 



AU XIX« SIECLE 



PREMIÈRE PARTIE 



CHAPITRE I 

LE CLASSICISME. 

L'époque de notre histoire littéraire que Ton désigne sous 
le nom de classique s'étend depuis le milieu du xvr* siècle 
jusqu'au commencement du xix®. Dans cet espace^ de deux 
cent cinquante ans environ, Tart et la poésie, quelques 
formes qu'ils revêtent, sont gouvernés par certains principes, 
assez compréhensifs pour s'accommoder à la succession de 
phases diverses, mais d'une signification assez marquée 
comme d'une influence assez persistante pour imprimer à 
toutes ce caractère de parenté qui tient à la prédominance 
ininterrompue de la môme doctrine. 

Du jour où la Pléiade, rompant en visière au moyen âge, 
façonne notre littérature et notre langue elle-même sur 
l'antiquité gréco-latine, on peut dire que l'école classique 
est fondée. Loin de tout brouiller, comme l'assure Boileau, 
Ronsard e< ses disciples imposèrent à la poésie et à chaque 
genre poétique, restauré par eux sur le modèle des anciens, 

V 




I LE IIOIJVEWENT UnÉRAIBE AU XIX* SIÈCLB. 

k-s lois générales el les rèjjk'ï porticulièri'S (|uc Boilcau lui- 
uiûiiiu (levait proiiiiilgucr cnnl ans [>lu3 tard, non [lus sculc- 
iiK'iil uvi-R l'aiiturilc fl'un sens |>1l)s TiTmc, mais fn^ori! avec 
ruj>jni] «ruiip Iniiliticn ili^j^'i liiiignt:. Uuiloau vilipende [ton- 
sar<l en lui ciiipr-untant, sans lu savoir, toate sa doclrinf, 
cl cel Art poétiquii uù il raille de si liaul le ehcf de la 
Plûiatlù cl son œuvre, est un inoiiuineut élevé en leur hoii- 

Ce n'est pas A dire que le ■ classicisme » atteigne dès le 
xvi" sicelo le gt^nrc de pcrrection auquel son développement 
nulurd dcvail lu conduire. Une époque aussi orageuse n'é- 
tail gu<*Te favorubic à la floraison des qualilits classiques. 
Ronsard el la Pléiade avaient rompu d'un seul coup toutes 
les racines qui tenaient au sol national, el les formes litlé- 
rnires, les genres poétiques qu'ils substituaient à ceux du 
tnoj'en Age, ces genres et ces furnies qui s'étaient spoDta- 
néinenl épanouis sur le sol de la Grèce antique, ne pou- 
ïuieiil s'accliiiKiter sur le nuire qu'au sein d'une almosphère 
clémente, t l'abri des tnlcmpérics sociales, par des miracles 
de soins vigilants el continus qui exigeaient la sécurité pai- 
sible et le loisir confiant d'un siècle plus fortuné. 

A peine Henri IV a-l-il rétabli l'ordre et la paix que nous 
avons déjà Malherbe, Malherbe fait entrer délînitivemcat 
notre poésie dans la voie où elle devait fournir, sous l'im- 
pulsion de talents plus féconds et plus richement doués, 
une si glorieuse carrière. L'humeur libre et aventureuse, la 
verve débordante, l'imagination trop souvent déréglée du 
xvi" siècle, sont soumises dès lors à une étroite et forte 
discipline, et, parmi les matériaux de tout genre qu'avait 
accumulés l'école de Ronsard, se groupent déjà ceux qui 
doivent le mieux convenir à la correcte cl noble architec- 
ture du xvir siècle. Après la mort de Henri IV et de Mallierbo 
s'étend une période de quelques années penduul laquelle 
l'œuvre du poêle, comme celle du roi, peut sembler compro- 
mise. Mais l'anarchie n'est qu'A la surface; dans l'ordre 
littéraire aussi Lien que dans l'ordre politique, nous mar- 
chons, A travers des accidents plus ou moins profonds, plus 



LE C14SS1CISMR. 
durablts, vers celte ère Je discipline el de riîgu-l 

n\6 <]ui ûxt dËfiDilivcnieiil les rurnclères tlii dnseldsnte.^ 

Lb lillérntuTe dnivii* si£cles*approprie tt'olle-méme i SOI 
lai- Bien d'inquifil ou de Inurmuiilé ; auton l.rouhie 
aocuo maJaise. Tous les écrivains soûl i:oiilei)ts de lenf'4 
Époque ; ils jouisseut de l'ordre ëLabli, et, pcudniii qnii tes<1 
uns en démontrent la l<!gitimité, les autres en rehaussent la \ 
siilendeur. C'est t peine si le silence aniversel qui succède a 
brujanlsconiliU de la religion et de la politique est troublé 
t& et là par quelque toîx perdue, inapuissant licho d'un passé 
sans retour ou pressentiment confus d'un avenir encore chi- 
mérique. Bossuet, Desoartea, Boileau régnent chacun dans 
son domaine ainsi que Louis XIV daus le sien : ils ringma- ' 
tiscnt avec assurance; ils gouvernent l'Église, la philo- 
sophie, la poésie, comme le roi gouverne l'Ëtat ', ils eier- i 
cent une autorité paisible cl unanimement reconnue parce 
qu'elle se fonde sur des principes en parfait accord avec le 
tempérament du siècle. L'unité dans la vie des écriva 
la fixité dans leurs vues se traduisent dans leurs œuvn 
la pui'Cté des lignes, par un développement tranquille el 
continu, par l'heureus conconrs de toutes les facultés vers un 
idéal de noble raison qui se réalise sans effort. 

Les auteurs classiques considèrent le monde comme un 
ensemble de rapports déterminés qu'une prudence supé- 
rieure ordonne suivant des lois invariables, eldool In corn* 
plexité n'a rien qui les trouble. 

Leur certitude est à l'abri du doute : la raison et la foi 
s'accordent pour les éclairer. Une sagesse sQre d'elle-méms 
préside & toutes leurs œuvres. Elles en tirent et leur i 
méthode régulatrice, et leurs harmouJeuses proportïoi 
et leur lucide unité : en prose, le Dùcours sur ihistoirg 

diierselU, qui étale en une seule vue l'imniense liibleaii 
destinées humaines, comme si, du haut du dogme 
'eiicD, qui est pour lui, comme pnur tout son Mècle, le 
.1 culminant des Ages, Bossuot en embrassait toute la 
suite d'un même coup d'œil; en vora, AlhiilK, c'esl-ft-dira 
la triomphe de la «implicite daiu la grandeur, Texqula 



Hrei 



( LE MOUVEMENT UTTP.BATHR ,\IJ ÏIV SlECLB^ 
teiDpf^rament de la bardlease et de la mesure, i'btta 
àWianw du goût qtcc le génie. Ce sont lA les àem cbefa- 
d'œuvi't par eieellence de notre ivii' siècle; t 
font oprfs tout que porter à un plus baul degré des qua- 
lités inhérentes à lous les ouvrages du temps, ces qua- 
lités classiques d'ordre et de coiivenaace qui règlent l'au- 
d&ce elle-même, et qui. àiias les genres tempérés, leur 
domninc propre, assortissent k's nnances, ordonnent les 
formes, ménagent cl graduent les eRels, combinent IM 
moj'ens en vue d'une fin unique, excluent loKie complication 
au profit de l'harmonie et tout caprice au proCl de la rai- 
son. L'art et In poésie du temps ont le besoin de la clarté, 
le goût de la symétrie, l'inslrnct naturel de la noblesse. Ce 
qui les caracl érise, c'est un équilibre parfait de l'esprit, une 
modération A la fois active et placide, une force qui se pos- 
sède, quelque chose de régulier sans soubresauts comme 
sans monotonie, quelque chose d'uni saus platitude comme 
sans accidents pittoresques, un mélange exquis de tout ce 
qui peut émouvoir le cœur sans le troubler et charmer 
l'imagination sans lu séduire. 

La Kenaîssance du xvt' siècle s'était faîte au nom des an- 
ciens : Ronsard et ses disciples avaient voulu transplanter 
d'an seul coup toutes les formes antiques sur notre sol. Le 
ivii' siècle procède avec plus de précaution. Il est moins 
avide et moins rapace. Au lieu de piller avec une hàle vio- 
lente, il emprunlti discrètement. Il s'inspiri^ de l'antiquité 
plulOt qu'il ne la reproduit, il se l'assimile plutôt qu'il ne « 
rationne sur elle. Hais ce ne sont là que les pratiques d*U 
art plus savant et plus délicat. Au fond, l'inHuence des aO' 
ciens prédomine do plus en plus ; elle triomphe pleinement' 
avec la seconde génération de nos grands classiques. Uj 
avait eu.jusque-lA des protestations et des rêsislances. Cor- 
neille rcgiinhait contre les règles; il inaugurail dans B 
Cid le drame chevaleresque ; il pressentait dans son DM' 
Saiiche la tragédie bourgeoise et parlait de chausser le c&* 
thurne plus bas; il mêlait dans son Nicomède l'élément 
comique à l'élément tragique. Dès la seconde moitié dV) 



■ LE CUSSICISHB. ■ 

waiëcle, Arislote el Horace, commentés par Boileau, règnenfl 
en Tiidllres sur toule notre poésie. Le groupe des « moder-^ 
ni'S » eal dédaigoeuscnienl rejeté en dehors de la voie clas- I 
sique, el aucun des écrivains médiocres qui s'j raLtachent à 
ue peul s'imposer [lar une seule (Buvre de marque aui 1 
grands écrÎTaina qui représentent les traditions de l'anti- I 
qiiité, D'ailleurs, leur polémique ne s'attaque point k la doc- 
trine : s'ils critiquent les poèmes d'Oomére, c'est eo s'ap- 
puyant eux-mêmes sur les règles d'Aristote, et leur chef, i 
Perrault, emprunte au philosophe grec la formule de l'é- I 
popée d'après laquelle il censure l'Iliade, A cette époque, J 
on démontre moins par des raisons que par des autorités : I 
les raisons sont discutables, majs les autorités font- loi. 
Corneille luî-méoie déclare hautement qu'il serait tout prât 
A condamner le Cid, si sa tragédie péchait contre a les 
grandes et souyeraines maximes que nous tenons d'Aris- 
tote s. La Fontaine, le plus libre et le plus spontané parmi 
les poètes du temps, établît une règle de l'apologue sur la 
foi des anciens en se dispensant d'y apporter aucune rai- 
son : n C'est assez, d'après lui, que Ouinlilien l'ait dit. ■ Il | 
suflit à Boileau d'avoir déclara que les principes de sou Art 
poélique sont tirés d'Horace, pour s'élonner ensuite que 
l'on a ose > les combattre. Racine écrit comme sous l'œil i 
mCmc des Grecs : x Que diraient Homère et Euripide, s'ils 
lisaient ces vers? Que dirait Sophocle, s'il voyait repré- 
senter cette scène? ■• Pas un écrivain classique qui ne 
cherche dans l'antiquité ses maîtres et ses guides. Aucun ' 
n'a ni l'insupportable prétention d'égaler les modèles de la 
Grèce et de Rome, ni l'extravagante fantaisie de chercher i 
à faire autrement. Si l'on approche de leur perfection, ce j 
ne saurait être qu'en ae réglant sur eux. Telle traduction 1 
d'un médiocre écrivain latin ou grec passe pour au évé- 
nement littéraire. On s'ingénie à eoch&sser dans son vers l 
use belle expression de Virgile, k insinuer avec an quelque 
sentence de Séuëque dans le tissu de son discours, tlticiae I 
bbclare qu'il n'est pas un Iruil éclatant de sou Britannkti» 1 
Bne Tacite ne lai ait fourni; La Bruyère demande à Théo- j 



e l-E IHOUVKMRiST UnfiRAlHF. AU Xrï* SIÉCLl 

pbraste une Bort<? île sauf-conduiL pour ses Caractti 
l'onlaine met son (iremier recueil mm le patronage d'Esope 
et W pri^BCnte au public comme un niodesla irailuclcur tlu 
hibnlisto grec. 

Celle religion ilu l'aiiliquilé s'allie naturelle me ni. aven 
un profond dédain de noire passé nalional. Le xvi' aiëcle 
éprouvait une répugnance ÎDstJnctiTe pour la littérature 
liërisséc et toutTue du moven Age, produit d'une ciTilisaLion 
biiurre, innobércnle. i.'il la Bodélë classique ne voit (|ue 
liarlinrle L-t grossièreté, sans se demander s'il n'y avait psa 
en ce rouillis des germes puisBamment féconds ut cnp«- 
blos de développer, avec le temps et ft l'aide du génio, tue 
floraison poélique moioa pure sans doute, mais d'uuo har- 
monie plus complexe et d'une beauté plus expressive. 
L'histoire que Boileau trace en quelques vers de notrtt 
ancienne poésie oiontre suffisamment a quel point il l'ignore 
ou la méconnatt. Les catliédrales gothiques, avec leur arcllî' 
lecture baroque et enchevêtrée, alteslent encore la mtU»- 
dresse de nos ancêtres et la perversion de leur goût k des 
yeux pour lesquels la beauté réside dans la symétrie des ligne» 
et dans la pureté des formes. Quant au:i grandes œavrfl» 
poétiques du moyen âge, le souvenir mâmc en est coiuplèU- 
ment effacé. Personne ne se doute qu'il y eut en ces tempv 
barbares des siècles classiques en leur genre; nul ne soup- 
çonne ni les chansons héroïques ou les romans d'avcnlures, 
ai l'éclatante foison des genres lyriques, ni le drame cliréUen 
dans sa gaucherie naïve et touchante. Si le xtu» siècle 
retrouvait les monument* du génie national, il s'en détour- 
nerait avec mépris ; il n'y verrait tantôt que rudesse cho- 
quante, tantôt que raffinements puérils, et ces exhumations 
malencontreuses raviveraient encore son culte pour te 
beituté dmple, correcte, proportionnée, dont il trouve leç 
modèles à Athènes ou & Borne. Qui songerait, d'ailluura, i- 
s'engager dans les ténèbres de nos origines? La socîfitA' 
cnntemporaine est Irop enchantée d'elle-même ponr 
complaire dans l'étude d'un passé dont i>!!e n'a pas Ift 
sens. Aussi les sujets et les héros de l'histoire domeetiqo% 



^V LE CLASSICISME. W 

BEpt-îla di^nniliT<?m«Dl iiilcnlils h notre pat»ic : CorncllH 
esl I.Hlin cl Rmiuiî Grec : le nom de CbildtbranJ siLlïlt pow 
i^diivrir de ridicule une tfpiipiie. ■ 

Dévots adorateurs deranli(]uîtê, lus écrivains du ^ivii'GiCeM 
n'nnt p.is toujours snisî l'objel do leur culte avec une pktlfl 
înlclligcncc. S'ils entendent Lien la tradition latine, ils ol 
snnl jamais cntri;s naturellement dans celle de l'art grcd 
plus libre et plus oHginnt. Ils n'ont de l'helienisiiie qn'anfl 
vue ÎDCotuplèle et sans profondËur; ils le IransTcirmetit fl 
l'iiTiagc de la civilisation contemporaine ; ils y intrcidulscnfl 
leurs goûts, leurs idées, leurs habitudes sociales, leurs prfl 
jujçés personnels. Les sombrer '.égcndes qui faisaient friafl 
sonner d'épouvante le tlié&tre uniique ont perdu cbcz eus 
leur sens mystérieui et fatal. Une fille immolée auï dieug 
par son père, un ftls agitant daos ses mains le poignorfl 
que l'implacable destin consacre au parricide, une reins 
jelde par le sort de la guerre dans la couche du »ainqueuJ 
tout L-haud encore du sang d'un ^poui chéri, ce sont lu 
pour le ivn° siècle, les beros de fables qu'înventall fi pInlaM 
l'imiiginulion des poètes, et dans lesquelles In trngSdîo clad 
sique trouve des cadres plus ou moins hien apprnpriès u 
ses anal^es de caractère, sans en 3oupi;onncr la rûalitfl 
Tirouche dans sa primitîye horreur. | 

lioileau céièbrc Pindare et ne le comprend pas : quand n 
s'avise do composer une ode, c'est au poète grec qu'M 
ileitinnde ses inspirations; mais quel rapport y a-t-il cnird 
la conception mécanique d'un Ijrisme tout convciitionncfl 
et ce magnilique ensemble de l'ode pindarcsque cliimtijfl 
et jouée pur le chœur antique, celte hymne de tout ufll 
peuple qui emprunte son ëclat, son mouvement, à In 
colébralion des héros et des dieux domeslit|i;es, A la pompd 
dct cérémonies solennelles, t l'aftluencc m>^me des spen 
Intcurs, sa vérité active et présente auic Iradilions el anifl 
symboles, au milieu tout mythologique mi elle so déplo!^ 
aux h^gundes nationales dont elle est la gloriUcalion? ■ 
^F^e xvii* siècle ne saisit pas mieui Homère que PindarOB 
^K qo'oD lui reproche, c'est justement ce que nous goAlooa 




• LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XÎX" SIÈCLE. 

le plus dans son épopée, vaste et vivant tableau d'une civi- 
lisation à demi barbare chez une race sjiM'iioarem{?nt 
douée, unique monument d'un art qui se confond encore 
avec la nature. Ce qu'on admire chez lui, ce sont des inten- 
tions littéraires auxquelles il n'avait jamais songé : on voit 
en ce génie tout spontané un poète réfléchi et consciencieux 
qui applique avec méthode les règles propres au genre 
épique; pour emprisonner Tépopée grecque dans l'étroit 
cadre du classicisme, on en fait une composition artifi- 
cielle; on n'en saisit pas la nature intime, on n'y sent pas 
cette inimitable franchise de poésie, ce charme suprême 
d'heureuse ingénuité et de naturelle grandeur. Des ques- 
tions d*art et de style dominent tout le débat entre les 
anciens et les modernes, et le mérite supérieur d'Homère, 
aux yeux de son champion attitré, consiste à descendre 
dans les plus minutieux détails et à dire les plus petites 
choses sans compromettre jamais la noblesse de sa dic- 
tion. Le panthéisme hellénique, dont l'intelligence seule 
peut nous initier à Tart grec, n'est pour la critique du 
temps que le jeu d'imaginations égayées; elle croit que les 
dieux olympiques sont éclos du cerveau des poètes; elle ne 
voit qu'un répertoire d'ornements et de métaphores com- 
plaisantes dans ces mythes sacrés qui furent en Grèce le 
fond de toute poésie parce qu'ils étaient l'âme de toute ^ 
religion. 

Aucune société ne pouvait être plus impropre que celle 
du xviie siècle à comprendre et à sentir le génie de l'anti- 
quité primitive. Pour goûter Homère, il lui faut civiliser ce 
barbare, en faire un écrivain scrupuleux, montrer que le 
mot d'âne est en grec un terme « très noble ». Le milieu 
contemporain avait développé U besoin factice d'une poli- 
tesse raffinée et dégoûtée qui taxait toute naïveté de gau- 
cherie ridicule et toute originalité d'indécente bizarrerie. Le 
type favori de l'époque se réalise dans « l'honnôte homme », 
et les caractères distinctifs de l'honnôte homme sont une 
convenance parfaite, une mesure exquise, l'urbanité du 
ton, la réserve du langage, la sobriété du geste, toutes les 



LE CLASSICISME. 9 

qualités d'assortiment et de nuance que la vie sociale érige 
en verlas. C'est, là lo héros delà comédie comme delà tra- 
gédie : plus aristocratique dans Racine, plus expressif dans 
Molière, il incarne cet idéal de raison moyenne, de sagesse 
sans pédantisme, d'esprit sans prétention, de galanterie 
sans amour, dans lequel triomphent les bienséances du 
monde avec ses délicates atténuations et ses grâces discrètes. 
Depuis que la monarchie absolue et l'administration régu- 
lière ont effacé les derniers vestiges d'indépendance, il n'y a 
plus d'autre société que celle des salons et de la cour, aris- 
tocratie fine et dédaigneuse, marquant à son empreinte toutes 
les manifestations de la vie intellectuelle on morale, dont 
elle est l'unique et suprême école. 

Le savoir-vivre fait à chacun une loi d'effacer sa per- 
sonnalité. Jamais le moi n'a paru plus haïssable qu'au 
XVII* siècle, jamais l'art n'a revêtu un caractère plus objectif. 
Les genres littéraires les plus florissants sont ceux dont on 
peut jouir en compagnie, ceux aussi dans lesquels on met 
le moins de soi-même. Certes Corneille et Racine laissent 
passer en leurs tragédies quelque chose de leur âme, l'un 
cette hauteur de sentiments qui lui fournit de si superbes 
tirades, l'autre cette tendresse délicate et passionnée que 
nous devinons à travers le voile de figures idéales. Mais, 
dans cette société classique si discrète et si retenue, le 
poète dérobe avec pudeur tout ce qui relève de sa personne, 
il répugne â se livrer en spectacle, et, si nous surprenons 
çà et là des larmes, il n'en révèle jamais le secret. 

On est tout entier aux relations, aux devoirs, aux agré- 
ments du monde. On n'a ni le temps ni le goût de se 
recueillir, de rêver, de s'isoler dans sa pensée. La vie de 
salon, si elle développe l'esprit d'observation et d'analyse, 
rend inhabile à l'énergie passionnée comme à la fantaisie 
inventive. Lors même qu'on serait accessible à ces pro- 
fondes émotions du cœur, à ces puissants ébranlements de 
l'imagination, qui trouvent dans la poésie lyrique leur 
expression naturelle, on se garderait de faire au public 
d'indiscrètes confidences. Qu'importent les joies ou les 



10 



LE MOUVEMENT I.ITTliBAiriR AC tlV 1 



MuCTrancna d'un inilifiilu? Iii; seni li'ommc i]»! âoït 
1 BC^nr, c'esl le roi, non [ms un imiiïiilu, tunis In pcrEOnDÎfl- 
cniinn ni?me rie t'Élnt. L'no rL^glc uniTcrscllc ilnmine l'ciis- 
lencc : ogir et parier comme loiiL le Jtinndc, n'est-ft-dira 
comme l'élite rare et précieuse qui donne le Ion. Se distin- 
guer des antres est une marque doutrecuidnnce ou d'inci- 
ïililé. Il faut que la vertu inûino sï plie aux cnnTeniifina el 
s'assujettisse qui tyrannies de l'usage, sous peine d'âtn 
livr^, dsnï la personne cl'Alccste, à la risËe des honnêtes 
gens. 

Si la rie personnelle est étouffée par le monde, ta via 
domestique, les iolimilés de la famille, les afTcelions 
. simples et pures du foyer, ne sauraient échapper au dédain 
arlsloeralique de la eocîélé conlomporaino. Los époux 
usent entre eux d'un froid eérdmoninl. Bien plus, ils se 
piquent de ne pas vivre ensemble : l'amour conjugal p&sse 
pour un sentiment hourgcois, dont il faut laisser le ridleale 
Aux pclitcs gens. Le moctde voit d'un mauvais œil ceux tpâ 
De se livrent pas entièremcni A lui : e'esl lui faire lorl quf 
4e réstrver pour soi ou les siens une portion de sa personne* . 
Rbacun se doit à tous; il faut, pour celle eiisleace da 
parade,' avoir le cœur libre de loule tendresse absorbante 
aussi liien que l'esprit de tout importun Iracas. Les enfants 
sont presque des étrangers pour leurs pareots ; ils Ie«p 
parlent t peine, n'en reçoivent que de rares et frojda 
caresses, ont pour eux une cérémonieuse déférence oi 
la crainte a plus de part que l'amour. Le père tient s(»t, 
flis â distance, le conGe aux mains d'un gouverneur, Mi ' 
protège par une jalouse étiquette contre lesdêmonstrstiOBB' 
gênantes. Il semble, dans le cercle de la société noble, que*' 
les affections nalurelles soient entachées de Tulgapit*- 
L'homme ne doit d'ailleurs j montrer que ce dont il peut' 
ftlire jouir une réunion d'honuéles gens, les charmes de a<Ht'* 
, Dspril, les grâces de sa conversation, l'élégance de son coït 
luine et de ses manières. Tout ce qui rappelle, môme dS'', 
loin, les Iriïialiléa rehulantei du ménage, est eiclu boîÏ'> 



da Ift t 



, soit de l'art. On | 



conjugal j| 



LE ajissrcisME- tm 

Andromaqiie pnri'j! qii'fK'dor n'psl plus; ni si AsIyana^B 

vît encore, loin de nous le mntilrcr, mm qu'Eu ci j>IiUH 

(IniH 1c9 bras de sa mère. Racine n'û nit^mo paa ùd '^M 

Tiiire piiradre sur la scène : l'atnour nialcrncl o'eel la^M 

pnssinn niable que si les enTanls restent derrière ta cnulisseH 

Confinée dans l'atmosphère factice des snlons, 1» litléroS 

lure du xm' siècle ne sent pas plus d'nttrait pour In naturfl 

que pour la lie domestique et intime. M"" de Sërigné ainufl 

li's rnnbrages de Livrj; mais ce qui lui plail dans son parc, i^M 

sont CCS avenues symétriques où elle s'entretient avecqoelfl 

<]ues amis des nouvetlcs de la ville el de la cour. La marquldl 

(le Rambouillet assure que f les esprits doux et amateu^H 

des belles-lettres ne trouTeot jamais leur compte ft la cail^| 

pa^nc >. Si Boileaa connaît le chèvrefeuille, c'est celui qi^| 

' dirigeait > Antoine. Bossuet n'a pas un regard pour 'c^| 

fleurs de son parterre, el son jardinier se désole de nS 

pouvoir j planter des sainl-Jean-Chrjsostome. Le thë&lrfl 

nous présente ses personnages dans un cadre tout idéal, e^M 

dehors de la création vivante, sans autre décor que quelqu^H 

colonnes, le péristyle d'un temple ou le portique d'u^| 

ptiluis. Quiind Molière fait Jouer une pastorale, la ac6iïH 

tii^urc • un lieu champêtre, mais agréable >, Seul Lai 

Fontaine aime les champs. Mais c'est comme un épica-S 

rien. Il ne leur demande qu'un doui repos, le sommeil mlM 

pied d'un nrhre. Encore ses contemporains le liennent-it« 

pour une manière d'innocent, pour ■ un idiot • qui faiffl 

tout naturellement société avec les bêles, cl la fable n'^B 

[tas de place dans le catalogue officiel des genres littéraires J 

^Kdylle, du moins, sera-I-elle fidèle à son origine chauL'S 

^Kre? Ses personnages s'appellent Lycidas el Philis; sonM 

^Hbor. ce sont des bois sans doute, mais des bois digneifl 

^^BO consul; oD lui impose les bienséances les plus étranrS 

^Kes k la vie pastorale, el, si elle esL admise dans la hié-l 

^l^iia des formes poétiques, c'est comme une grandO'l 

^Bne qu'un caprice de bal travesti déguise en bergère pouj^ 

^H^ncr plus de piqunnt, sous ce costume rustique, ft I^| 

^^hinctioD de ses manières et à l'élégance de soa l&^%M!iW 




n LE MOUVEMENt LlTriiKilKE AU m* SIECLB. 

Li^i chaïupit DotTrent aui honnêtes gens du iyu' siècle 
qui' Afs înin^os rt'|>ii(.'naiites. Toul y blesse les sens : ce 
tonl ilt's pnvsnns lourds et gaucbos, des bMcs malpropres, 
dos r>ilL>ui's d'étable. Tout y choque Ja raisoG : ce sont 
des rochers informes, des clieuiius raboteux, des fouillis 
d'arbres qui poussent au basard. On voudrait retronrer 
jusqu'en pleine campagne l'art du jardinier classique, Per- 
rault prouve que les modernes sont supérieurs aux anciens 
en comparant les jardins d'Alcinoûs avec le parc de Ver 
sailles. Quel langage la nature aurait-elle d'ailleurs parlé 
aux contemporains de Descartes? Elle n'est pour eux qu'une 
machine inerte, un système de rouages et de ressorts. 
Où le poète moderne écoute le mystérieux battement de la 
vie universelle, ila n'entendent qu'un sec et mouoloae tic- 
tac d'horloge. Ils ne livrent & la nature rien d'cux-mëmesi 
elle ue les trouble ni ne les console; elle n'a pour eux ni 
secret ni confidence. Le seul sens qu'ils lui prâtent, c'est 
celui d'un grandiose et froid symbole; ils en font l'ensem- 
ble des causes finales concourant à la démonstration de 
Dieu, suprême architecte et souverain administrateur du 
monde. 

Tel est en effet le caractère du Dieu classique. 11 s'impose 
à la raison, mais il n'habite point le cœur. Le xvn< siècle 
est catholique, il n'est pat religieux. La piété y a quelque 
chose d'officiel ; la religion y est, non une foi vivante, mais 
un cérémonial. Elle apparaît avec un cortège de formes 
pompeuses qui peuvent faire illusion ; elle commande l'hom- 
mage; elle représente avec une imposante dignité, elle est 
la plus auguste institution de l'État, Louis XIV ordonne 
qu'on !ui fasse un rapport sur les gentilshommes qui cau- 
sent à la messe; il prend soin de désigner lui-mèmo aux 
princesses de son sang leur directcirr de conscience, et les 
envoie se confesser & tout le moins cinq fois l'an. C'est un 
zèle sincère, mais borné à des pratiques d'où toute vie 
religieuse peut être absente. Ladévotion du roi fait autour de 
lui un grand nombre de dévots : La Druyère nous apprend 
ce qu'ils deviendraient sous un prince athée. L'aristocratie 



LE CLASSICISME, 

" sifde est au tond si peu clirClîenne qne les xi 
fL* tiens qu'elle renferme se i:roient obliges de romprp t 
I. Les {irolcsiaDta et les JBDsdtiistes, pour <]iii le ctimtia^ 
le Térilé vivante, aclive, înlériciirc ù l'Iii 
bl [lersÉcutes el Iratiaés par l'Église orficicllu conimo p 
rpouvoir séculier. La religion est livrée «a jésiiliismefl 
Kt-à-<iire aux compromissioDs ingénieuacs, aux dislÎDcT^ 
I d'une casuistique sablile, ft tous lus reiacheoioDtl 
(ne morale nccommodanle. La société mondaine c 
i ne conçoit Dieu que soua la forme d'une abstrafîtiod 

i reste-t-il complètement étranger 4 la poSsic, On iJ 

substitue les divinités de l'Oljmpe, et, par une déri^io) 
suprême, c'est au nom mâme de la foi chrétienne c 
lenu impose la mvlbologie du paganisme. I! ^ a divorol 
irrévocable entre la religion et l'art. Si bien des poMâJ 
riment sur leur »ieilles'>e les Paanmes ou Vlmitation dejéitu 
Cl rist 1 1 plupart ne voient là qu'une pénitence de pure 
A ic me mspiration sinrère leur conscience ptut s'acijuîtM 
1er avec di" plat s paraphrases. Corneille a fait ?oUjeucu 
el lionne Mhal e loi sait que i le christianisme » 
Polyciule ' déplut eïtréraenicnl > aui bonus esprits cori 
temporam'i et quant a Athalie, dont la chtitc fut écla3 
lante I inspiration qui I anime a sa source dans la traditius] 
bébraïqne et le Jëhovah qu ulle célèbre est un Dieu de t 
KPanCP dont la majesté froide et Jalouse opprime la fofl 
ménie de ses admirateurs 

La raison absiraile règne dans tous les dom.iii 

1 activité mtelkcluelle et morale. Les philosophes prouvenfl 

Kisteuce par la pensée, et ce qui pense dans l'homm 

pit au silence ce qui sent. Le rationalisme cartésled 

! expression de la société contemporaine, supprini 

lul que possible les facultés affectives comme les rêalitd 

llitigentos. Il tient en défiance tout ce i|tii puni troubl^ 

Wement. Il voit dans les sens des organes d'er 

1 l'imagination une décevante fantasmagorie. Nullj 
Hotte ferme que sur cette raison impcrsunuL'Ile 
1ate> la même chei tous et partout, qui n'a nt ca^iûi 




U LK SIOIVEMKNT LITTfiRAIHK AU IIX' Rlfe^LK. 
ni !!urp)'is<'~. •]u\ allpjiit dircclt^nienl la vérité sans intcrmé- 
dûiirL' |iri'ïlj^ieiii cl suspect. Ce ruiioniilismc doinioc toute 
1(1 litlri'nluri; du xvii' siÈdc. 11 se inanirtsle dans la prose 
oraloiri^ par un alj'lc rt^gnJicr et niL'lhodJ'|up, par i\cS rni- 
sonncmonls d'une fiiiitc insensible et d'une gradation soi- 
gnensciuent im'nag'r, par un bel ordre de propositions 
conligui^s i|ui s'annoncent et se commandent les unes les 
autres suris qu'aucun anneau de la chaîne soit omis ou 
transposé. La poésie elle-niSme ciclyt les Tantaisies de la 
vcrTc et les liasards de l'inspiration : Koileau veut qu'un 
poète emprunte à ta raison tout le lu:ilrc et lout le prix de 
ses ouvrages. Aimez la raison, plaisez par la raison seule, 
CCS maiiines reviennent constamment sous sa plume. Il voit 
dans le • bon sens > le but supri}me, le but unique de la 
pot^sie. Ce n'est pas assez de vouloir que tout en parte : 
lout doit y tendre. Cette raison, que Ilacine rélicite Cor- 
neille d'avoir le premier montrée sur la scÉne, que Vollairo 
félicitera Uourdaloue d'avoir lu prciiLter fait entendre du 
haut de la chaire, Perrault la porte jusque dans le conte 
de fées comme Uoileau l'exige jusque dans ta chanson. 

L'homme n'est plus qu'une intelligence pure. 11 noua 
apparaît ainsi dans toutes les œuvres du temps. Les formes 
extérieures sont effacées. Romanciers ou poêles tragiques 
ont peint, non des individus en chair et en os, mais des états 
morauï. Les personnages semblent n'avoir pas de corps. Si, 
par hasard, on nous laisse entrevoir quelque trait qui les 
rattache à la réalité sensible, il est si bien idéalisé par les 
artifices du slyle qu'il ne nous laisse aucune impression 
matérielle. On dépouille l'homme de tout ce qui est indivi- 
duel pour s'en tenir aux éléments les plus généraux. Point 
de portraits, mais des types; non pas un avare, mais l'avare, 
ou plutôt l'avarice. On bannit tout ce qui peut déterminer 
les personnages, soit dans le temps, soit dans l'espace. 
Itacine observe que le bon sens et la raison sont les mâmes 
en tout siècle. Qu'en résulte-t-ilî C'est que ses héros pour- 
raient, sans trop de surprise, se transporter d'une époque 
4 une autre époque, d'un pays & on autre pays. Achille 



!.E CLASSICISME. 

Il III- [|U(^ l'urus a>-H uu liidie 

' ■'■■il'ii: M-rn cl |i,.tlt Ci'miUC QQf liHncCSSP Ju H«H'T 

' l'.'ilrt- a Il's l'Ciii'^rils il DDt- dirélieunc. 

].a critique lilléraire. loule Jugmalique, ne cLore!iP p 
1 liutiiiue sous l'auteur ; elh' examine l'ceuTre en vlll^t^dnll 
[l'.iur Ir comiMiriT A ccrloins i>rind|ics raliunauU, da Jiani 
(Itsijucls elle lu juge; t-He ne Se prùoccupr ni 'le eoniJittuM 
ni <Id ilt'iienUiinccs ; elle esl tmc sortu de gi!utn(^Lric. L'ti 
loire cITace la couleur des vieux Ages: elle écarlc lus J 
caracliîiUUques qui daUnt et localisent; elle s'abstrait d 
circonsinucts, ilu milieu, du cosluitie; elle représenlc Gluti 
coirmii^ un prototype Je Louis XIV; elle <lé|iDuilk', suUirf 
i\iic possïlile, les éréuemenls et les liomracs de leur ci 
ti^re parlicuiier dL individuel. Les • conlingcaccs • ne 
lias dignes d'occuper de purs esprits; ils n'ont aucune c 
siLô pimr les faits, aucun inlérél pour les acienccs qi 
Toul leur 4*lu/le. Us sont voués uniquemeal aux idées; d 
l^nanl tout ce qui est rariolile et accidentel, ils clicrcheal A 
liloindre le vrai dans sa gi'Déralité eoDslaule. Ils ont I 
'■ l'.u-flon pour nietliode et ri'lâalisation pour principe. 

Suit ilnns l'ordre social, snil dans l'art et dons la poéaiej 
iii KVii' sitclc croit aïoir tout fixé. Le calholicisine unit led 
esprits dans une même foi, qui se repose avec sécuriiii a 
les dogmes élablls; il n'a pas assez d'inHuence pour proTO^ 
i|iier on cuï une activité personnelle et spontanée. En p 
liqiie, nprâs l'ère des guerres civiles, s'est close celle dcj 
iliseiissions brûlantes sur les principes du gouTornemenH 
et lie lu société. La royauté a ses dogmes aussi bien q 
la religion. L'histoire de France semble s'âtrc, de le 
lemps, assigné pour aboutissement final el suprâme ce 
monarchie à laquelle travaillaient déjù Clovis, l'bili| 
Aofîustc, saint Louis, et dont leur héritier, Louis XIV, 
pour jniuBis acbcvé le grandiose (>dilice. Les aspiri 
loofuses de la démocratie ont été jadis iHouHécs a\ 
Ligue; la déroile de la Fronde en a Qui avec les revondictl^ 
} prématurées de la bourgeoisie purlemenlairc i 
5 rétrospectives d« U noblesse ; la première se 




iii LK Mrn.VKMRNT L[rr!*,l(AlliK U MV SlÈr.I.E. 

].. !.ti.i!i?i ..-.1 |.!E curiipa^'iiici jiiiJii'Jalres, e( ia coconde, 
roiiipunt uvec loul rôTe ■l'une esisicnce iniié[ien'i:iDle, n'a 
plus d'uulrf ambitinn qui; rrclie dfi servir le rai. suit en 
commandant ses années, soil en ilécoranl sa cour. La 
nation tout untière est assurée que stm vêritnbles dcstinôea 
s'accomplissent. Elle se personnifie dans le souTcrain et iui 
accorde d'autant plus qu'elle se reconnaît ntioux en lui. La 
nionurcliie achève paisiblement A suu profil l'unité fran- 
çaise et attire vers elle toutes les forces Tives du royaume, 
unoninie à la glorifier. En philosophie, mâmc confiance, 
iniline possessiou calme et imperturbable d'une vérité su- 
pi'Ti(!i]re ù toute atteints. Le doute de Descartes n'est qu'un 
artifice de sa méthode : il pense s'être nlTranchi de ses 
cr(iyani:cs, mais il les conserve au plus profond de son Ame 
en se liAtant de trouver un principe sur lequel il puisse les 
établir. Dans les lettres, tous les conlemporains ont^on- 
Bciencc d'une perfection définitive. Il semble que la langue 
ne doive plus rien perdre, n'ait désormais rien à acquérir. 
Les régies du goût se sont décisivement filées : ï'Arl poê- 
tii/ite de lloileau est comme une table d'airain sur laquelle 
If représentant attitré de la disripline classique grave pour 
jamais îles luis iniiiiualili's L'oil.> siiiiiilora de tout temps 
Cl' dé.tordre qui n'est que l'rlTiil d'un iirl savant; l'épopée 
( Kl- soutiendra > toujour.i • |>nr l.i fnliie ■ ; la tragédie pro- 
duira élernelleniont sur lu seéne dei personnages idéaux 
allenianl en alexandrins .i.ïuictriqiie-. Kiirs nobles cl har- 
monieuses tirades. I.a l'i>i e>l, dan^ \.-n:< les domaines, le 
canielèiT do ré]iiH|He, lleli(;ii>ii, |iliiliis,.|lii,-. politique, mo- 
mie, arl. de quelqin' eiMe que l'e-.|>iLt m' l.iiTtie. Il n'éproufe 
ni trouble, ui liesilalien H jrrm' In i'i',-ini t i ,>!ip d ta 
certitude; il s'.v iu-stalle avee i.ue iiiet.i,i!ihil..- .-.'nilance. 
Tous les instiuet.s >lii \vu" niéel.' U- i>.ivt,-(i! m'i>; i;;i triom- 
phant optimisme deul sa raisen lai ileiu.intre 'a lé^-'timitëi 



CllAPlTUli: H 



wES PRÉCURSEURS DU XIX* SIÈCLE 



Le classicisme eut sous Louis XIV sa période la plus bril- 
lanle cl la plus féconde * mais, quoique le siècle suivant 
nous présente dès le début certains indices d'une rénova- 
tion plus ou moins prochaine, sa doctrine littéraire demeure 
celle qu'ont fait prévaloir les grands génies de l'âge antérieur. 
Certes, Tétat moral de notre société a subi de sensibles 
modifications; autant le xvii* siècle est une époque de con- 
ûance et de quiétude, autant le xvui* témoigne de trouble, 
d'impatience, d'humeur agressive et batailleuse. Pourtant, 
quoiqu'il n'y ait plus entre l'esprit général du temps et les 
formes sociales l'accord intime qui est un des (rails carac- 
téristiques de l'âge précédent, ces formes n*en restent pas 
moins intactes, et souvent même c'est l'excès tyrannique de 
leur développement qui provoque contre elles une réaction. 
Les gens de lettres, auxquels on donne le nom signiOcatif 
de philosophes, ne font que combattre des abus. Quxint aux 
bases de la société, iiiuuarchique, elles demeurent à l'abri 
de toute "attaque. Les mœurs elles-incincs ne se sont altérées 
que par un raffinement naturel. De toutes les institutions 
sur lesquelles le xvu" siècle se reposait avec tant de sécurité, 
ce sont d'ailleurs celles de l'art et des lettres qui paraissent 
le plus solidcmcal assises; ni la raillerie irrévéruicicuse^vi 



t» LB MnUVt:MBNT LirrËRilllB AU X\X' filltUU 
le p*n«ranl scepUdsme des écrivains n'oaents'y s 
lUrr <iu mal de Niculaj porte malheur. Les œuvres pareniml 
litWraircs âe r*[io(i«e accusent loules l'empreinle ûe cet 
ijngmei classiques ijue taut de iiiouuiiieDtji oui consacrés. 
Vollaire prolonge le siècle de Louis \1V jusqu'& son tcmpM, 
et trou?e moyen d'y faire entrer Mérope : Mrrofi», en etlbt, 
se rattache manifcslement k la mâmc école na' Andramagvf, 
comme le lyrisme artificiel des Rousseau et des Pompign&n 
a sa théorie dans VArt poHiqtu de Boilean. 

Cest seulement lera la fin du siècle qu'apparaissent lu 
précurseurs auxquels on peut Taire remonter le mouvcineiH 
d'oil noire littérature contemporaine est sortie. 

Trois surtout semblent mériter ce nom. Le premier hH 
entendre k son temps la voix de la nature, oppose les Intltl- 
Uons du scnlimenl aux Froides analyses, dëcouTrc dans le 
CtBur et l'imagination dos sources nouvelles de poésie. Lô 
second, parla tournure scientifique de son esprit, par sel 
prédilections pour la méthode expérimentale, par son gofll 
do la réalité matérielle, peut être considéré comme le chef 
de cette école qui, alliée d'abord avec le romantisme contre 
les conventions scolastiques, finira par lui rompre bruyam- 
ment en visière pour substituer, dans la deuxiâme moiUA 
de notre siècle, les documenta aux Actions, les « sujets t 
aux héros, les procédés exacts delà science aux rêves et aux 
caprices de l'imagination. Le troisième, simple poète, mais 
poêle fervent et exquis, s'il se rattache au xvni° siècle par 
toutes ses idées, annonce aussi de loin l'avènement d'an art 
nouveau, soit par son adoration de la beauté plastique et son 
pieux souci de la forme, soit même par des accents élëgiftr 
ques'ou lyriques qui, trente ans plus tard, lorsque ses veci' 
seront enfin publiés, le feront reconnaître et reTeadJqiier' 
comme un jeune ancêtre parle romantisme naissant. Au tffilf; 
de ces trois écrivains peuventse grouper tous les sjmptdnttL 
de la rénovation qui se propare : nous réunirons ici Sitj^ 
Jacques Rousseau, Diderot, André Chénier, comme ayagl 
été. b des titres bien divers, les premiers Initîe.teun dCJ 
xnt» liècle, 



^ ^LB9 PBÉCÛHSEURS DU XIX* SIÈCLE- ÏM 

^VTout, ilHiis la vie de Jeaa-Jacques, ainsi que dans ^cdfl 
ŒUTri'S, nous le montre en antagonisme incoDsciisnl ooH 
5<ysti'uialique &KC les M'ïes, les mreurs, les insUliilionofl 
'k' son lejnps. Cenevujs, fils d'un artisan, noiinVdans lêH 
i;ultp ili's ïcrtiis républifiaines que s'accordent û iuï enseigne!^ 
et l'histoire même de &a pairie et les Ie{ons de PlularqueJ 
son premier maître, c'est avant tont un démocrate en cbllcS 
soi^ti^të tout orislocra tique t laquelle il doit se révéler parfl 
un virulent analbème contre la culture brillante et TacUce I 
dont elle se glorilïc. Homme nouveau, il ne sait ni parler I 
ni se tenir: il Ignore les convenances du monde, il se vante J 
il'rn mépriser les conventions. Il a tous les défauts d'unsM 
Cducalion vulgaire, la mauîe de se singulariser, la fureutfl 
de se mettre toujours en avant, le mauvais goût de cricrH 
nu milieu de gens qui s'ebtendent & deoii-mot. Son verbEH 
est Apre, son geste provocateur. Il s'exclame, il aposlrophe-fl 
Il ext A la fois timide et brutal, honteux et conique. Sonfl 
éloquence aura toujours des cruditës, sa langue des pro-^ 
viocialismes vulgaires. Il fera tache dans la société conlem-JB 
poraine par sa farouche misanthropie et aussi par je uofl 
$uis quelle cordialité expansive où l'homme du peuple sefl 
reconnaît. Aux manèges élégants de la galanterie mon.^ 
daine, il opposera l'amour avec tes sensualilés grossièretfl 
de l'instinct comme avec les transports d'une passion eialtéel 
et mystique. Il préconisera l'étal sauvage dans un milieufl 
que parent toutes les délicatesses de la vie sociale. Parmi.! 
des gens dont la seule morale a pour règle un honneutB 
conventionnel, il fera sonner les mots plébéiens de verluf« 
de conscience et de devoir. ËnSn, dans un monde où la viafl 
purement extérieure et l'exercice abusif de l'esprit critiquofl 
iint turi louleséye de sentiment, il prêchera une obilosoiihiaM 
iliint la première maxime est de rentrer en soi-même pouiB 
I iiiiiter cette voix de l'ftme que les bruits du dehors semblcutH 
• \mr étoufTée. ■ 

Itcntrer en soi-même , ce fut la première parole qutfl 
Housseau adressa au siècle, et cette parole résume so^| 
<euvre. U ne Dt guère jamais qu'écouler en lui son ^tcs^lfl 



ao LU MOI VKHKM UTI^HAinB AU XIX* 
tteor; il le mil tout entkr dua te» écrits; Il Inaannn 
l'avèORnirnt lie c« tuai, (lui devait rv^oet kuuï |iiirlag« 
(>CIi(IbiiI la p(Tio<le rocnanlique, eu rtiuipaiil soil uTec In 
(iliilusockic ralionalisic, que sod sièck nvail de p]as en 
plOBdessËchi'e^PDlararfuiant, soit avec le« bâ'nsfanccs d'une 
politeise Buper&cielle, impuissaDte à manquer rAimiseiacDt 
de l^ctÎTÎIé morale- Ceui de ses obrrages qui ont eiercfi le 
plus d'indueiice sur notre litlèralure sont juslement ceux qui 
le peignent : il eommcnce par le roman de Jolie et de SainU 
ProDK, qu'il avait r^ïé pour luî-mâme a»anl de l'ierirc, il 
icnnioc par les Conffssîoiu, qui ont pour objel de raîra 
connaître ce qu'il appelle • son intérieur •, c'esl-t-dito 
Uiiit ce qu'il y n va lui de plus personnel et de plia 
secret. Ce n'est pas ssulemenl l'histoire de sa *ie qu'il 
raconk-, c'est < l'bisloïre de son Ame >, H a le moi pour 
unique domaine. Rousseau a ëcliauiTe li- siècle de ses ardeur», 
il l'a enchante de ses r^ves, il l'a troublé de sa folle. Sa 
propru persoimalitA l'absorbe : il n'est jajnais sorti de lai- 
ménie que pour se retrouver hors de lui. Tandis que les 
philosophes contemporains Tant appel à la raison, il s'adreasu 
A la sensibihte. Il enHamme jusqu'à la logique. D'autres 
«clairent le monde avec la lumiëre des idées ; Rousseau l'cuf 
brase avec le feu des passions. 

Si le sort commun de l'humanité est de sentir avant de 
penser, il l'éprouva plus qu'un autre. » Je n'avais, dit-il) 
aucune idée des choses que tous les sentiments m'étaient 
dâjà connus. > Penser fut toujours pour lui, nous l'ea 
croyons volontiers, une occupation pf^nible et sans cbarmt. 
C'est parle sentiment qu'il vivait; c'est aussi par le BeaUr 
menl qu'il a accompli toute son osuvrc et renouvelé l'Anut' 
de SB génération. La raison, en anal^ysant l'homme, l'aToU 
comme slérilisé. Elle tenait la sensibilité en dëQauce et Bt 
TOjnildans l'imrtginalion qu'une vierge folle dont les charmes 
mêmcB lïtaienl suspects. Rousseau protesta contre les aboa ■ 
de t'analjse l't opposa la philosophie du coeur & celle dfild 
raison. A ses 3'cui, c'est la raison qui est sans principe! tt 
l'entendement sans régies : rentcndeaient "l la raison 



Rannenl â l'homme d'aulre iupériorilt sur les animaui iiue 
le Iriale privUr-go de a'egnrer d'erreur en erreur. Toute 
notre force et loute noire certitude viennent de celle con- 
science moraJe dont les actes sont des sentiments, non des 
jugements, et i^ui ne trompe jamais celui qui la prend poiir 
guide. C'est en elle que Jean-Jacques retrouve la vertu, sur 
elle qu'il fonde le libre arbitre el le droit naturel. Tandis 
que Descaries avatl Tait de l'évidence une clarté tout intel- 
Iccluello, Jean-Jacques transporte cette lumière de l'inlelll- 
gonce dans la sensibilité. L'adhésion de l'esprit lui paraît 
froide; il lui faut rattachement du cœur. La vérité ne doit 
(las être conçue, mais sentie. ' 

Dans sa conduite, c'est la sensibilité qui est sa seule I 
règle. Dans ses œuvres, elle lui inspire tontes les pages 
ardentes qui passionnèrent sod siéile. C'est par elle qu'il 
le fait ( remonter k l'amour •. C'est par elle aussi qu'il 
découvrir la poésie de la nature, cette poésie qui vit, non 
de descriptions ou d'allégories artiGcicIles, mais d'im- 
|iiL''sions directes el d'émotions spontanées. C'est par elle 
u['\a qu'il relève le spiritualisme chrélien, non dans^un 
'.liti^ scoinstique, mais dims une profession de Foi, ea 
.{'liosaDl â la l'roide et sèche ironie de l'incrédulité, noa • 
puinl l'appareil des argumenta, mais le témoignage scn- 
ï'itile du cœur, en adorant le Dieu que chicanait l'Bnsljae 
des philosophes. 

I Celle pi-édominance de la sensibilité explique toutes ses 

^ftiblesses. De lA, le manque de suite et d'équilibre; de là, 

H|« bizarreries d'une existence décousue el hasardeuse qui 

'tic parvint jamais A se Bxer. Rien, chez lui, de mojen ni 

de coDsislant; nulle leneur, nulle assiette stable; il oscille 

d'un extrême à l'autre sans s'arrêter dans l'entre-deux; son 

lime eu branle < ne fait que passer par la ligne du repos *.' 

1. i^ducalion avait encore avivé son irritabilité nalurellu 

i)<>s six ans, il se repntt de lectures romanesques, et prend * 

Mir l'eiisli'nce humaine des notions bizarres dont l'expii- 

nence el la réflexion ne pourront jamois le guérir. Il « 

^KnjBura vécu d&ns un monde imagioairei dont les tika? ' 



n LK MOUVEMENT I.ITTeRilBB AU in* 91È< 
Idixiea ne cessent de l'obséder. Hallieureui, il ei 

•es souiïrancffij; heureui, il • s'ennuyait du bien- 
génie (le Koussi^au IraDlt ud Tond de maladie, 
aous dil Hume. < ressemble k un homme qui serait nBf 
ntiD seulemeul nu de ses vêtements, mais nu et riépouilU 
de sa (leau, et qui, mis ainsi à vif, aurait b lutter aree 
l'intempérie des âlémeats qui troublcnl sans cesse ce haa 
monde >. Toujours inquiet, toujours mécontent de toatel 
de lui-inSmc, tourmenté de désirs sans objets, en proie k 
une inactioD qui le dévore, la sensibilité et l'imagination 
ont dissous en lui le caractère. Son incurable passivité le 
fait le jouet d'impressions contre lesquelles il est iinpub- 
sunl i réagir. Il désire et ne sait pas vouloir; il rêve et a'a 
pas la force d'entre prendre. Dans celte nature ardente 6t 
faible, aussi prompte au découragement qu'& l'cnthoil- 
siasme, nourrie de chimères et impropre aui réalités de la 
vie, nous reconnaissons déjà ce mal que les romanliqaea 
appelleront le mal du siècle, et dont Saiut-Preuifullaprft- 
miére incarnation poétique comme Rousseau en avait éU 
la première victime. 

Source de ses égarements et de ses misères, cette faculU 
de sentir fil aussi la puissance commnnïcatitc de son géniç. 
Il lui doit l'éloquence enchanteresse et contagieuse qnf, 
dans une société blasée, évoqua tout â coup comme par 
magie les puissances latentes de la passion. Au xv[i* siècle, 
l'amour avait été un élégant commerce d'eapril, un thème 
de conversations délicates, une cour cérémonieuse où Ib 
cœur et les sens n'avaient que peu de part. Le xviii" siàcla 
en avait fait soit un froid libertinage, soit uue galaoteiia 
subtile : d'une part les gravelures de Crébillon fils, de l'autre ' 
les mièvreries de Marivaux, Jean-Jacqucs retrempa et n^è-. 
néra l'amour, qui se mourait d'inanition. Il j înlrodalBit' 
A la fois et la sensualité naturelle au lieu d'une dépraTattoït' 
raffinée, et l'exaltation morale au lieu des prMositês. Al'^ 
sentiment, 11 lui rendit sa gravité passionnée, sa feiTHi^' 
d'enthousiasme, sa dévotion ardente, e1, s'il donnait &s(A. 
bârolne le nom de nouvelle Héloise, c'est que, pour rctri 



QtrovOg 



V tem 

■Baie 
■^ fiit 



Térilable amour, celui doot sa Julie et lui-niâme se seo- ' 
irrés, il iui fallait remonter dans le loiataiD des-i 
iclea jusqu'à i'Héloîse d'Abailard. Julie dit en une lettre ] 
utGuse que Sainl-Preut lui a donné sous lu tonncllu 
4en-' baiser ; cet acre buîaer, qui fut pour Vûlluire un il 
piiisublu tbème de moqueries, marquail, dans les choseï 
'la cœur, toute une râroluLion, et les ironies les plus Saoi 
des I philosophes », les plus précieun déyoùls des beauM^ 
esprits, ne purent prévaloir contre In force irrdsislible déil 
la passion, qui TÎTÏfla par ses orages ratmosphëre factice- 1 
de la TÎe contemporaine, Sainl-Preui se faisant aimi 
son élËve, c'est le plébéien Jean-Jacques appelant £i l'a. 
tout ce cortège de grandes dames dont il traîna les cœura \ 

■ Cet amour ne saurait avoir pour cadre, comme 
badinage de la galanterie, ni tes éléganls boudoirs des ( 
hôtels, ni mûme les ombrages taillés des pures. Il lui faut | 
un site magniljque et grandiose avec lequel s'harmonisent | 
d'eux-mêmes les sentiments des héros. C'est â Clarena qae i 
Julie et Saint-Preux s'aiment, dans un pa;s de torrents et f 
de sapins, au pied des montagnes dont les fraiches brises I 
retrempent les sens et le cœur. En mSme temps que la i 
poésie de la passion, Jean-Jacques révélait & sou siècle la | 
poésie de la nature. La nature, dit-il, • était morte aux > 
yeax des hommes >. Tandis que les poètes descriptifs da i 
temps en faisaient une élégante el sèche anatomîe, il lui j 

idit une ftme en lui prêtant la sienne. Il l'associa k ses 
Joies et ft ses peines, à ses espérances et à ses regrets. Elle 
filt pour lui une confidente et souvent une consolatrice; il i 
fut pour elle l'inlerprâte de ses mjstëres et le chantre de | 
ses harmonies. Rousseau s'enivre des grandes scènes alpes< 1 
très. Mais un sile riant suffit pour l'émouvoir, une QetiF ^ 
champêtre pour l'attendrir. Il aime la nature dans i 
familiarités intimes comme dans ses pompeuses magnifi- i 
cences et dans ses horreurs sauvages; elle n'a pas de v 
ai humble qui ne perle A son cœur. Dès les premières annëei j 
de son enfance songeuse et impressionnable, il en «yaM'l 



I 



14 LE MOIIVKniENT l.ITTitNilRK AU I1X* SltrXX 
■cntl l6 cuplitaul stirail ; A Bosaej', < il ne pouvi 
Ifluer d'en jouir • ; ii crinil de Joie en d^couvrnnl le gcnne 
di'SgralnL's mie aea propret mains avaient scmi'-M. A Annecj, 
tut'ii Auiii un<^ diambrc i'aù l'aperçoit un coin do paysage, 
il Cal luul li(!iii'(!ut (l'avoir du Tort devant ses fonâtrcs dl 
fait de ce ehariiiant nspi-et un nouveau bicnfall de sa chère 
palronric. Toute sa vie il fut plus senilblu aux cbarmcs do 
la cBinpnguc qu'aux brillants s)iecladua d'un monde arliGcial 
pour Itqiicl il QC se sentait pas né. Un des plus tloui aon- 
Tonirs de sa jeunesse cjl d'avoir passé In nuit sur lu bord 
do la Sadne, dans l'cnroacomenl d'une ternisse, avec les 
ctmcs des arbres comme ctct de lit et le chnnt d'un rossi- 
gnol pour beroer son souimoil. 

C'est au milieu des rochers et des bois i)u'il i écrit (laai 
ion corroau >. ATErmilago, il Tail delà forCI son cabinet da 
Ira «ail. Mais il n'est jamais plus heureui que s'il peut ocliap- 
[inr & la poiiio de penser. Itien ne le charme aiituiil i|U9 
cette volupté de la rêverie, à laijucllc l'inclinenl douccmcilt 
la suliluile, le calme, les mille bruils eux-mâmcs do In d»- 
lurc. Il nituru ce (iti'il appelle ses ëgarcmenls, celte vJe coiK 
fu*U «liii lui Tait perdre Ë moiliû Is conseienco de lui-nidihS 
ROmine si «un 41 rose dissolvult dans les objets cnviroonanUr 
Tanlfll, assis au bord d'un lac, le bruit des vagues et l'agilA- 
tlDU des eaux, flxnnl ses sens et chnssaul de son aiiio Loula 
autre ngitulioii, tu plongent peu A peu dans des délices as 
•ein de*([iiellc4 la nuit le surprend sans igu'îl s'en soit 
ftporcu; tiintàl, élondu tout de son long dans une barque, 
los;)'^''^ tournés vers le ciel, il laisse dériver ses songes kq' 
gré de k-ur caprice comme sa barque au 111 de l'eau Rùa^ 
■eau apprit A ses contemporains le secret de celle TâToH9> 
quo n'avait pas connue la saine raison du xvii° siècle ot 
laijuolte lu rroide lucidili! des pliilnsopbos el des algflirist«|h] 
Oi)nlunipui'uins ne vo^'ait que d'iucolu^renles diragatioiitt.^ 
Klle culri: uvec lui dans noire Ijlléraliire, rite s'inocule 
eËDlo frauvais, elle ouvre ù la puésic ces régions crépi 
lairesdurumo, ce monde du muuvemcnis ubsi^urs, de 
tUneuli confus et voik's, dont le romantisme chaulent 



I, les e 



s ilouceur» et les (cndresso* 



' lni.>irnbles 



l.'iirnimr de In nature el le pencliant & la rflvfirifl s'allient * 
vWr. Kousscau avec le t,'(]1l. de Ih riïiililâ, de In vi:^ fnrniliérc, 
ilu linnheijr inlimo et domestique II se plaît à (out ce /jul 
concornc les cliftirips, aux soins de la ferme, ou colombier, I 
où il passe souvent plusieurs heures de suite ■ sens s'ennuyer * 
un moment ■, aux ruches, ilonl il apprivoise oprËs quelques 
]<i<|Orcs les petilcs liabitanles. Il s'intéresse non sculctnenl 
^111^ (leurs du Jardin, mais aux légumes du potager. On le 
Irauvc parfois jucha au liaut d'un arbre, ceint d'un snc qu'il i 
remplit de flrnits et dévale ensuite â terre avec une corde. 
finris »a jeunesse, il voynge ù pied : il ne connaît pas do 
l'Iijs grand plaisir que il'HlIer devant lui. sans être pressé, 
pur un beau temps, ilans un beau pays- Devenu vieux, il fait 
de sa vie pendant dix ans une herborisation perpétuelle. 
Dans ses Cmifesiiont, il note nvcc une sensualité nlk-mlrie 
les fruj^nls repas de lailage el de < prisses • qui le rendaient 
jadis lo plus heureux des gourmands. Ml'Ii!' nu commeruii 
euu monde, il ne peut, en traversant un hameau, liu- 
l'odeur d'une bonne omelctle au cerfeuil sans donner 
'«j diable et le rouge el les falbalas et l'ambre. Tous les tra- 
vaux auxquels il s'assujettit, tous les projets d'ambilion qui 
imr nccfs nnimàrent sonïéle, n'avaient d'autre but qued'al- 
l^'itidreunjour à cesbienbeureui loisirs donlle cadre devait 
eire UD petit domaine rustique, ft*ile du bonheur simple, 
modeste et recueilli aprts lequel il soupire. • L'habitude h 
plus douce qui puisse exister, dit-i), est celle de la vie do- 
iDGtliqne. I Ce père qui avait mis ses enfants à rhoapice. ce 
lari d'une inepte servante d'auberge qui fut d'abord sa 
_ [tresse, avait su fond le sentiment le plus cordial dea 
ijdouces vertus et des pures arfedions qui fleurissent sous le 
laternel autour du foyer conjugal, 11 enseigna aux pèrei 
ilovolrs el fit pour eux dos programmes d'éducnliou. Il 
n ohi'* les mftres le senlimenl de la materuiU, c'est & 
ppul qu'elles se flrenl nourrices comme les pèr 

précepleurs. Ce qu'il regrette dans sa vicilUsu, ^ 






_mG«i 

WÊ" 

K2ou< 



« i.e HouvRMP.Nr LirrËHAiDE AU XIX- sificue! 

c'eal colle vie (jaD((uille et douce qu'il puuiait LumbkmenI 
passer au sein de sa cilé, de sa famille et de ses aralâ. Le 
plus obscur 61U cOl suffi & sou ambilion: il l'aiiiait a'uai, 
il l'aurail. honoré peul-élre, et, après avoir vicu tn bon 
clirâlicn, en Lon père, eu boD ouvrier, eo buu tiuiuinc d&os 
loule diose, il serait mort pais i blême ni eulre les bras des 

En dépit de ses faiblesses, de ses faulus, de ses souillures 
même, Rousseau fut, au xviii» siècle, rinterprèle éloquent, 
convaincu, entbousiaste, du scnlîment moral et du senti- 
mcot religieux. Au milieu de celte sociëlé usée par le plai- 
sir, desséchée par une critique abusive, pervertie par un 
catholicisme artiliciel et mondain, sa voii gruTe et passion- 
ni^e prêcha le respect el le culte de toutes les verlas que le 
siècle livrait â lu dérision. De lui date la renaissance spiri- 
tualiste, Les philosophes qui donnaient le ton se larguaient 
d'être athées. Rousseau ne craignit pas de s'exposer & leurs 
sarcasmes. Un jour, chez M"' yuinault, indigné des négn- 
lions hautaines qu'il venait d'cnleudre : ■ Moi, messieias, 
dit-il, je crois en Dieu, et je sors si voua dites un mot àt 
plus. • Sans doute. Voltaire professait le déisme, mais lU 
déisme purement intellectuel. Il s'associait d'ailleurs ftui 
aUiées pour bafouer ce qu'il y a de plus pur et de plus pTûfofi' 
dément humain dans le christianisme. Bousseau met tout 
son cccur dans la Profession de foi du vicaire saroyaid; 
non seulement il ressaisit par le sentiment et réchauffe àt 
son éloquence ardeule les grandes vérités de la religion I» 
turelle, mais encore, loin de railler le Christ et l'ËvangilËi 
il leur rend à tous deux un éclatant hommage qui met l'un 
au-dessus de tous les hommes comme l'autre au-dessvs A 
tous les livres. S'il n'accepte pas la révélation, ses s^Bifili 
thics naturelles l'inclinent vers le christianisme, mteM 
lorsqu'il rompt ou vertement avec lesdogmes chrétiens. A tw 
vers les vaines formules et les grossières supcrfétaliojHl, 
reconnaît t celle religion pure, sainte, éternelle cornais 
auteur, que les hommes ont souillée en feignant de 
la purifier >. U n'y a pas si loin de son chrisliaaism 



lÈDlal a celui sur lequel Chateaubrianil dtivail, quarunU 
S plus tard, fonder lu lomantisme. 



EA Jeaii' Jocqiiea Ronssenu il nous Tant rattanhor BcrnarJEBJ 
dfi Saint-PiiTre, coiiitob celui de ses disciples pur k'quel s' 
le mieux Iransmtse l'inlluence lilléraire el poétique qo^ 
l'auleur de la Nouvelle Urloise, des Rêveries el des Confei^ 
^Bpfl^ devait exercer sur notre siècle, au moins < 
^^welle eut de plus délicat et de plus insinuant. Bemardfl 
^^■t un Rousseau d 'imagina Lion tendre. Ce que noua admSl 
^^Ens aurloul chez Jean-Jacques, c'est la largeur, le plan 
^^Bdci l'éclat, non pas monotone sans doute, mais uni 
^^fcu ; son st^tc sur et ferme manque de nuances et de refleti 
j^^rnardin a la trompe moins forte mais plus soupto ; il d^ 
taille avec plus de curiosité; il ne recule pas devant li 
pressions les plus familières, les termes lechoiques ou 
rare usage qui peuvent rendre exactement la leiole 

Éjche et l'impreEsion qu'il veut produire. Le premier paroi 
1 peintres de pajsage, il a voyagi^ hors d'Europe. Nottfl 
Érature s'enrichît peu à peu en faisant de nouvelles i ' 
.vertes : après les Alpes, voici les mornes de l'Ile c 
France, en allendant les savanes el les forâts vierges de l'Amâ 
rlque. Bernardin assied ses amants, non plus au bord deH 
ruisseaux, dans les prairies et sous le feuillage des hâtreu 
^^Mîs k l'ombre des cocotiers, des bananiers et des citron 
^^feers en lleur, au pied des falaises, sur le rivage de l'océan 
^^Bn originalité, d'ailleurs, est moins encore dans le sujet ^ 
pKts tableaux que dans sa manière de peindre. S'il pèche pal 
monotonie, par faiblesse, par une sensibilité trop prompfl 
aux effusions cl qui dégénère souTeot en sensiblerie, ] 
lOplimîsme exubérant et indiscret qui ne va pas toujoi 
s fadeur, il porte dans ses descriptions de la nature n 
Btce caressante, une douceur d'éiooliou, une suavité d'hal 
ne tendresse de style qui en sont la marque propri 
c'est pur la qu'il doit avoir, comme paysagiste, une pla^ 
^arl entre J^an-Jacques et Chateaubriand. 



H LK MOUVEHP.NT I.ITrP.RAIIIR AU XIX' !ilF:<'[.R9 
Si Itoiisaeaii cl UcrnHnlin in Sniril.-I'ierre ntinooceai 

m (pirlluiilisinc diri^li''n liont le durnicr Ti^cut u«nez toog- 
1 Icbips pour voir l'L'(;liit;inlf rennissum;!! A \'«i<\>ei ifun )|<^ni« 
[.plus puU nul cl plus lianliquc le sien, IHiIcmt peut passer 
I piMir le cher do l'écnlc onluratiile, el le irnJI. qui csructâ- 

' e )e micut col cspriL fumeux, inquiel, diJborUant d'aae 
I BClivilâ incohiirenic ol brouillonne, réunisisnt en lui tous 
I les coDtrasIcs et toulcs tes contradicLioDe, c'est peut-âlre le 
1 sens de U réalilâ, du otoade fisible et tsQgfbic, do la nature 
I extérieure dans l'eftorfcsceDce de ses phénamënca sans Ûo 
\ otda'ns la ferineulstiou de sa vie multiple cl elTri'néc. Notre 
) sfede, »i l'on seconlenle d'une me d'euscmble, sciiitiKt! en 
deux pfttliea qui sont d'élendiie h peu près égale. La pr&- 
I tniAru a pour initiateur Rousseau, auquel on peut ralt^iithcr 
I le rauianlismc presque tout entier. M'"* do Staël elChateun- 
brisnd, Laiiiarline, George Suiid, les liécos du roman et ccai 
t du ILéAlru, l'idéulismt; plaintif, l'ciultatioa morale, le tnal 
I de lu râverie. Parmi les (écrivains de l'Age prCcAitcnt, c'est 

n Diderot que la seconde u reconnu son précurseur; oublié 

u mépris)! depuis un demi-siècle, il fut reconnu comme leur 
I plus lointain chef de lile par les géoeralions qui, il ; a qua- 
I note ou cinquante ans, tnangurâronl cootre le romanUsmA 
I une JniiviLablu n'aclion. De lui procédaient déjà, par uuâ 
L lUialioii plus ou moins directe, tes Stendhal el les Ualiac de 
I la première période ; de lui dérivent encore, dans la seconde, 
I tous coui qui ont dirigé le mouvement universel de noire 
I liUdralurc conlemporaine vers l'observation exacte el la sio- 
I cérc • notation ■ des réalités • ambiantes. • 

Diderot est un esprit scienlillque, particulièrement tonnié 
I Tcrs les sciences ex péri mental es. MalhémaLicien, mais sur- 
r tAlll naturaliste, son maître est, non pus le géomèlre Deh 
1 Borles, mais le physicien Bacon, auquel il a rendu plus d'ans 
[ Fois d'iiclatanls liommoges. Sa philosophie s'accorda mie 
r bien des poiuts avec celle que voit triompher la sccofldfe 
f moHU de noire siècle. En morale, ce prédicaleur enltlOd- i 
I ttosti nu voit dans le vice el la vertu que les produits d'iUtd < 
F ictrtité irresponsable et Talale. En métaphysique, il csl 



mplo ^f-galcur: ninis clioï l'allit'c Pl le mali^rialislc II 
; par uni; conli'tiiJJclicin que l'capril de notre lumps a pei 
tie reproduilc, un coin de tnysUcisme plus ou moins Incdl 
nient EnRn.iIatisIa crKiqae, qu'il s'agisse d'arlau ilc Icltr 
é qui domine co lui, c'est encore le goût du n'ol, lescnsl 
KTÎe daiu toutes ses Tormca, par suite l'abscnci^ de Iq 
nstâme étroit et exclusif, la libéralité de l'esprit, une tûî 
Knce accueillante, une vivacité de s^itipnlhie qui, saus i'U 
psquef des dûfauts, va tout droit aui beautés. 

a rcLcouvons les mêmes idées dans la réroniiu LliiS 
b&le que Uiderot entreprit : elle lui fut suggérée pari 
pcJiloctioii pour la vérîlé réelle et vivante, à laquelle ff 
ton vcn lion s -de notre scâne lui semblaient répugner, béan 
lêbut de sa carrière, il fail, dans un roman, le procAsJ 
i tragédie classique, qu'il accuse d'altérer et de rausserl 
'nature. Uiun des annâes aptes, il ajoute h cette critiqifl 
déjà complète et approrondie, oit ses vues particulières si 
l'art du théâtre, soit des pièces qu'il u composées d'après ■ 
^uvelle formule. Ces pièces soot depuis longtemps oi 
iderot avait ■ l'inverse du talent dramatique ■ ; il IransTiJ 
Kiit loua ses personnages en lui-même. A ce dÉfnul capiti 
lignons les effusions d'une sensibililédéclamatoirei les v 
leuses lirades, la Tureur de moraliser à tort et It Iravc 
^te cette rhétorique lormojante qui appartient A la p 
lline inâme de l'auteur et non pas k ses théories. Scdulq 
:aque le drame bourgeois peulétre naturel sans plai 
Brde. émouvant sans niaiserie sentimentale, moral t 
pdantisme, [les drames de Diderot distinguons son es 
Bue LbËâlralc, el cherchons en quoi consisle ce retour à| 
jrilé et A la nature dont il donna le signal. 
■La comédie el la tragédie sont deux termes extrâmd 
pins notre eMstence, ni la douleur ni la joie ne tiennef 
I place que nos poètes dramatiques leur donnent aurl 
! ; ce sont des accidents passagers, non des étil 
es. Entre les rieux genres, dont l'un se (impose d 
pleurer l't l'aulru de nous TairL- rire, il l'aul crM 
, genre inlermcdinire. La tragi-coni..'dic a voinoma 



30 LE MOUVKMIfNT l.tTTI^RAiBK At XI)C*H 
tuait d« concilkT It: rire atcc le* plrur* : clUntt'fi 
ftvnir d'unil'i- Au lieu de nous faire tour A lour rire et 
[ili.-ui'L'r en ''.onToDilaDt denx gctirtasi^pDréï par UDo liarrlén 

Daluri'lk, te drame nouTcau ne nous fera ni pieu 
ul, s(JU8 Ifi lium lie comtdie sêmusc, 11 préseiiU'ra le tal 
liiKk' de notre existence en ee tenant k égale distanced 
deux t'xtrèiiiea. 

Celle vue n'enipOclie paa Diderot d'infcnler, apr^ tn 
comi^dic sËricuse, ce qu'il appelle la IragËdie bourgeoise. Si 
lu rire a peu de place dans son Ihëftlre, les larmes s'y don- 
nent pleine carrière. Il y a conlradiclion flagrante cnlro « 
théorie de la comédie sérieuse et cette tragédie bourgeoiac 
qui, comme la haule Iragi^die, aura pour sujets les infor- 
Ujai:» el les catastrophes de la vie humaine. Reman]iioBt 
du moins i]ue la conception des deux meures s'inspire de 1& 
mfluio idée générale : nécessité d'accorder le théâtre a»e« 
la nalnre. L'un et l'autre visent également à la vérifé 
moyenne, lo premier dans les passions, le second dans les 
événemenls et les personna;jes. I.a tragédie cluasiiiuc avait 
toujours mis en scène des princes que non seulement leur 
condiUon, mais encore leur temps et leur pajs nous rco- 
daicnl absolument étrangers, et ces personnages tout excep- 
tionnels, elle les engageait dans des périls tout extraordi- 
naires. Diderot veut que la tragédie bourgeoise s'en tienne 
h la vie réelle et contemporaine, qu'elle lire ses sujets du 
milieu actuel, qu'elle prenne pour héros de simples particu- 
liers dont les iurartunes Teront d'autant plus d'impresûon 
sur les spectateurs qu'ils se reconnaîtront en eux. 

On a reproché ù Diderot, et non sans raison, d'aCTadip 
le théâtre par une peinture monotone delà veriu. Ses piècea 
dégénèrent aisément en berquinades : on voudrait des piv< 
«onnagee moins sujets, en toutes les siloations où la forttmft- 
les jette, ù ces grands et heaui sentimonls dont sûralwin*' 
-dent les Clairville ou les Dorval. Mais Inule l'eslhétiqoe cte 
Diderot se subordonne A des préoccupations morales qui 
lai font considérer la scène comme une école. Kt, d'ailleurs, 
cette idée est profondément ioiplantée en lui, que le« hoB 




Bqia»J 



mes naissenl lions cl qwn lu vertu Icui' est naturelles 
Opiiiiiislo inlrépiilo et passionné, l'œil toujours ^linceloilfl 
d'cnlbousiasinc ou humide d't^inolioo, il ne rciil infmi: paJ 
le mal autour de lui : comraenl l'aurait-il représenté sur Ifl 
lliôâtrc? Les personnages qu'il met dans ses piËces soollefl 
mâmes qu'il a connus dans le mande ; dans ses pièeoH 
comme dans le monde, il leur a prMé ù tous, sans s'en élrn 
aperçu, ses propres qualités, et celles qu'il a et celles qu'ifl 
croit ou qu'il veut avoir. En donnant une place si prépon* 
livrante h ce qu'il appelle ■ l'honnéle •. Diderot ne s'écartj 
Jonc pus des conditions de la réalité, telle du moins qu'il IH 
conçoit. Si la nature humaine est bonne, on en préscnteraifl 
une fausse ima^ en peignant le vice, qui est l'exception, afl 
lieu de la vertu, qui est la règle. ■ 

Cette vie réelle que la comédie sérieuse et la tragêdÎH 
bourgeoise portent sur la scène, il faut la rendre, non pan 
l'élude des caractères, qui sont d'ailleurs i^puisés, mais paM 
celle des condiliona, que n'a oas eneore abordée le Ihéèlre J 
Dans les pièces de caractère, on force toujours le person^ 
nage dominant, on lui sacrifie tout ce qui l'environne. On 
le tourne, on l'exerce, oo le iuligue en tout sens, comme uM 
cheval au manège : nous voyons la bète sauter et caracoleiH 
mais nous ne savons rien de son allure naturelle. On noufl 
présente au théâtre, non de vrais individus, mais des tj'pefl 
idéaux, dans lesquels nous ne saurions nous rclrouverJ 
Qu'on substitue les divers • étals . auï caracléres : les peJ 
soonages ne seront plus tentés de tourner k l'abstraction 9 
ils auront toujours pied dans la réalité du roilieucommunj 
a laquelle les exigences mêmes de leur condition ne peu-1 
vent manquer de les ramener. I 

JusteJ DU fausses, les réformes que Diderot préconise on 
qu'il pratique lui-même ont toutes pour objet de reprid 
senter la vie avec plus d'exactitude. A ces coups de Ihéâtrefl 
si souvent invraisemblables, qui changent brusquemeal 
l'état des acteurs, il préfère des tableaux, c'cBt-ft-dire unM 
disposition si naturelle et si vraie que, rendue lldélenlenfl 
par UD peintre, elle uoas plairait sur la toile. Il demanda 



S! l.K MOIIVKMKNT urTÉIiAIIIP. Alj XIX* SIÈCLM 
une si:f^U(! ^par^icuic. i]ul permette aux {ic-rs» images plni 
lilM.*rlA dans leurs mouTCiuvnts et aux fails unn cuin|ilciité 

ou m'!iiiu iiiiu itisiicrsiiin (ilus conronnc A In naliirc. U « 
|ilniriL des • biensi^ikuceE cruolles ijuî rcnik'ril les nii*rngf<* 
tlécimts et (xiUU >. Il rûpudie k-s uonvuiiliou? <tc noire 
llii^Airt', ici les conridunts et les Irrades, Ui les valets el Im 
tinns mots. Il veut que certains cndfUiEs iiiicnl preai^cit 
(.•nliârcinent abandanniïi sux acteurs : un liunimc aniaié de 
quoique grande passion doit s'euprimer, non pnr dus dbcoun 
n'gulicrs et siiiris, mais par des cris, des inota innrticuUs, 
ilct ro'x rompues; le silence lui-même, avec une paalo- 
inime expressive, est h la Tois plus nalure) ut plus émouvant 
que les plus éloquentes tirades. Point de vers; !■ prose sûula 
»'ncciirde avec le cariiclÉre du dniiiie qu'a voulu i 
Uidei'ot. Une scène rÉelle, des habits vrais, une action 
simple, des personnages moyens, des évi^ucmcnlt UrËS <it 
la vie ordinaire, des dangers dont le spectateur ait Ircmltlè 
|ii>ur lui-mfime, voilfL la tragédie bourgeoise telle qu'il la 
conci>it. 

Nous retrouvons les mêmes préoccupations de la r£aLil£ 
Bcénique dons un dcrivain dont il faut associer le nom I 
celui de Diderot, Sebastien Mercier, auteur d'un Essai t 
l'art dramalii[ue, où il reprend les idées de son' devancier 
[lour les accentuer avec plus de force et les compléter ptr 
ses propres vues. Le principe d'où part Mercier, c'est que, 
si ■ le Ihéfttru est un Riensonge, on doit le rapprocber ià 
la plus grande vërilé possible •. Ni l'un ni l'autre de t 
deux genres classiques ne trouvent grAcc devant lui. Lef 
poètes comiques altèrent le cours ordinaire des c&oMfi 
cbargcut leurs personnages, excluent les caraclùrcs mislcf,, 
dédaignent les couleurs fondues, sacriHcnt cntïn la natoit 
aux plus grossiers elTets de rire. Quant ù la tragédie, 
n'est « qu'un fanlôme revêtu de pourpre et d'or i. Rcstrefa 
iiux sujets antiques qui n'ont nul intérêt pour le vérUi 
puliîii:, die les gâte d'ailleurs eu y introduisant toutes |i 
lodernes. Pyrrlius est peint comme n 



piranL, Munime parait avuc <lea ganU et un pnoicrJ 
Uippoljte se Tait poudrier ft blanc. Le litiriM ti'n(;ii]iie en \\iiM 
inâmen'a micuDe véril^, il est • semblable â un iiianncquliq 
dont tous les mouvements attestent par laur roilll^ur lu 
ressorts Inanimés qui le Tont jouer >. L'aclioo âtoulTe dan^ 
son espace de trente pieds carrés et dans sa 'lu^l^c de vingt^ 
quatre heures : les unités la réduiseat h une crise extfïilicl 
et forcée qui ne permet ni auï faits ni aux personnages d 
prendre leur développement naturel. L'art dramatique ea,lA 
encore dans son enfance ; pour loi donner l'inlérât et iM 
vérité qui lui manquent, il faut renoncer aux doux genrefl 
classiques, aux grossières caricatures de l'un comme i 
froides idéalisations de l'autre, et les remplacer toui li 
deux par un genre nouveau qui représentera la vie butnsEnd 
sous ses formi-s diverses avec toute son ampleur et toute h 
vsrieié. Ne vo^ons-nou* pas ■ que le rire et le pleurer, ( 
deux émotions de l'ime. ont sufondlamémeurlf^iut^.qu'ellcri 
louchent l'une h l'autre, qu'elles se fondent tnsemtile ■ 
Cessons de dire : Je vcax faire rire d&ns celte piéc« et faij 
pl«urer ilatM celle uitt*- Soyons de« fw'"*'^ «xaets ( 
aoiiDta Haï bm* wuôtt deaeaUgories d'ane po«tiqM «i 
fleîelle. Mina wrfwiwt {«(«aaMieélèbnx de iiuyiA 4 
pées en kcéat* tftai taale U itomUmU en Irar ai^U ^ im I| 
ponipeiiM^ infôrtoAM, lef laMiwiJt wafwuléi, le li 
conveoUoflikel 4» UM «Muli et »m tncMkt. 

Le nooTtau 4nmit »'m pu cb«rd««f 4*i» l'u^ùtM 
des faîU el ieà kUm fcmr tes dCMUm a ptauaiu 
senlerm tut U teioe dei personm^rea cotrtctutHwWM H 
le milieu de U fie ardiasire, parfois des priL.'..= j..v- 
venl de simplet bourgeois : le» plu» f^"'' 
Pcr« ou d'Anjrie nous inl.éressenl ■ 
humbles gens de mélior. Il aura lo"' 
(rogfidic par ses scènes émouv...-! 
'le la comédie par ses peialui'J- 
>ujetUr à doux ou (rois ceni-' 
leurs préjugés du nom de bon , 
popolaire auss bien que natiomii .'' * 



U (.E MOUVEMENT UTTËRAinB AU XIX' SIÈCLE 

la tnif^rdiu gn-cque Clait pour les anciens, co 
ttret fun-nt [imif ooire moyen ftgfl; il t'adressera t 
k je III- sniii 'ludlox > diiimbrét'ii •. nmis nu firan'l i-iiblic, 
qui u»t Ifl Kniin:e tnul ««li^re. II roiii|jrH «uns scruimlc avec. 
les liiunw'nncun Tuclkcs comine aT^u les règles arbilrnîres : 
dâbarrossâ des unes, il rt présentera la vie avec sinc^ 
rite sans se rroire obligé d'en raboter tontos les sailliH; 
affranchi des autres, il élargira son cadre dans le temps et 
dans l'espace jiour y faire entrer, au lieu de raccourcis arti- 
dctels, un large el truî tableau de la vérité humaine. 

Kntre les idées de Diderot et celles de Mercier il ; n, on 
le voit, une parenté étroite. Diderot, sensible k a: qu'olTr«.'iit 
d'ciquis l'Hrt cl le gciùl classique, Tait le procès aux conivn- 
tions du notre tbé&ire avec plus de mesure qu'un barbare 
comme Mercier, mais il ne tient pas moins la tnigi'itio dI 
la comédie pour des genres i]ui ne répondent plua oui 
conditions de la société contemporaine, et, s'il admire los 
pièces de Kiicine, c'est au mdnie titre que celles de Sophocle 
6t d'Euripide, en y »oyanl les cbets-d'(BU»re d'un sysièm» 
dramatique qui a fait son temps. Chacun d'eux propose sa 
formule nouïcUe, Celle de Diderot s'applique plus particu- 
lièrement A la tragédie bourgeoise, dont Sedaine allait 
donner le chef-d'»EUTre. Celli' de Mercier embrasse no 
champ plus vaste; on y trouve en germe, si l'on veut, le 
drame romantique, tout au moins celui d'Aleiandre Dumas, 
mais elle s'adapte bien mieux soit au mélodrame populaire, 
dans lequel il s'essaya lui-même, soit h notre comédia 
contemporaine, dont Keaumarchais, son disciple cainina 
celui do Diderot, devait bientflt porter sur la scène le pn- 
■nier modèle. 



rendant que Diderot et Mercier (entaient une réfoivri 
du théAlrc, que Rousseau et Dernardin dn Snînt-PterM 
ouvraient des sources inépuisables d'in$piralion, la. puéài 
s'amenuisait, s'nfTadissait de plus en plus, avec 
descri{>Uons de Saint-I.ambcrt ou les pastorales insfpitfit^ 
de Florian. Ce fut André Cliénier qui la régénéra. Pi^ 



[ir^s de trente ans ()|>rA« m mort, qiinnd In lilt^rnliire d 
iiiitje Kit^dii s'elaiL ilHjà IruyO i\v. uouïollfs ïoios, ses Vi 
Il i.'M lurunt pas moins accueillis par les chefs do la Jeu 
i'>'nli; coiuiiie ceux d'un frère aîné : fiers d'inscrire «ur lew! 
ilriipituu le nom du seul grand jioéle «guo la l-'rancc t 
[H'iiiluil dBpnis Bacioe, ils se le choisirenl |)Our luafLre et 
voulurent fniru entrer son œuvre un plein cournul < 
ru m uu Us me, 

Andriî Chénier appartient au xviii" siëclu par le 
[iiH^iue lie son esprit. Sa philosophie est celle de ItufTun ë 
ilir Diderot, ce naturalisme auquel lui-mflme élevait d 
llhrmèi un monument. Tout sentiment religieux lui 
ulranger. C'est un palon des siècles où l'on ne croj'ait plu 
Si < l'infini s'ouvre ft son œil avide », cet infini n'est qti^ 
l'L'Iui do9 atomes. La renaissance du nouveau siËcle ( 
U'ûiivé ChOnier rebelle fk loules les inspirations du cliristla-fl 
riisme sentimental. Sur ce point, l'âcole romantique u'aur 
pus eu de plus irréconciliable adversaire; aucune libre 
!!oii cœur qui soit sensible k l'émotion clirL^ieiine. 
pi'nsée même de la mort n'éveille chi'i; lui aucun sentimcntl 

■ le piélé : ni ràverJe troublante, ni pressentînienl inquiet 
<l une autre vie; des Images toutes profanes de psix du 

I souriante, une eau pure, des fleurs et de l'onibrege p 
' • je<me5 reliques, pour cette cendre qu'il dépose aux mt 

II ses amis iivec uni: sitrénjtâ d'épicurien. Son Utrmés, t 
ixo.'me favori qui le préoccupe dès l'Age de vingt ans, i 

levait âlre dans lu fond qu'une sorte d'encyclopédie a 
l>eu mjrstiquo que celle de Diderot. La religion de CliénierJ 
( t^§l celle du xvm* siCcle; c'est la foi dans la raison 

<int toutes ces idées de justice humaine et de progrès < 
'tait nourrie la philosophie contemporaine et nvoc 

■ inflles rompit tout d'abord le siècle nouveau, comme 
i:<'\olulion> dont il nu vojuit que li's ruines, on eût 
iiM.' irréparoble hnnqucroute- 

llnns les vers de ce poâle mort A trente ans, l'un 

dus de place: mais l'amour, chez André ChénierJ 
de commun avec cet Idéalisme vaporeux 



M LK lUOUVKMRNt LITTeRAIIIK \IJ IIX* SIËCLË. 
prttnilcri roni&ntiquei devaient niottre A U modo : c'esl i 
joulatutiet! luuto charDellc. Si, A^rèa Lsinarlioe, «Inol la 
Ijrechank'i^iMjiiulateutlri'Moadeplusiliïlicateraeiil clin«U 
et puiliquu, d'uiitrus ^rliiriiiit tintt* l'aiiiuur tuulc* Ici 
trdourii ilf lu pHMiog, fl j ent cbt» vux, clicx Alfred ie 
HuuRt lui-iii^me en leit pliu (froMî^rM dAlmucho, une 'lAét 
dlmmorlalilé, uii Mnliiucnl de l'inllut qui lounnrntait leai 
peDiAeut leur cteur. Kiun do tel clin André Chnnicr, at eeUe 
VCnut donl il <lil que, Runi ullr, riun ici-bni o'vtt dons, Q 
la pononaillu tour A Lour en soi Camille, lu Hose, tet 
Julio, toulo beauléi de tiits pnlcnnn commis criica quV 
nioni cMhTi6% mr le mAmu inod" *i:» devanciers Tfbulle 
«t Proporcu. Cbea lui l'nmnur ne ne rapporte qu'aux seu*. 
c'eRt tanlAL lu danse nondinlnnlo et voluptacusc de Itou, 
tantAl lu rire étinculunt de Julie, c'eat 

Dont UDo boucha itrolt« un doubla nuK d'ivoire, 
l^t )<>r da beaui youx Llous une paupière nolro. 

Il uc lui dcinaudu que co qu'il qsI nar li'j trouTer, le pUEitrt 
un plaisir qui se suffit A lui-même, qui a'oiol de pnrriinn 
et ae couronne de fleun, et donl JaiuaU auRun acntimeot 
de «ide, aucun arriere-goQl d'amertuinu, aucune inquiétude 
de l'au-delA, ne trouble ou u'etaiipârti la jouisiance pleine 
et robuste. Los femmes qu'd aimu sent du» bétairve, «t 
dam son amour vruiment païen l'ftinu n'onlru (fuèro iiw 
potir un exquis sentiment de lu buauli^ plastique 

Mail ce sentiment iiiapire, sous les formes divoraei, 
toute la poâsic de Cbénier. llr, malgré leurs origines ohri- 
UennRs, c'esl pur lil surtout que les romantiques transfnr* 
meront l'art. Clialeaubriand tui-mâmo n'est, A vrai dire, 
qii' • un païen d'imagination cnlbollquo •, cl, par d^ 
l'auteur di's Martyrt, Andrâ tend la main, sinnu & Lamtf 
Une. qui ne le goûta Jamais, du moins A Virtur tlugo, ft 
Alfred du Vignjr, qui cummeufa pur rimilcr, li ^ninMi-BÔart^ . 
qui le proclnme bautumcnt un des maîtres de la nou*eDa 
école, callu A tous les néo-romanliqucs, qui, Tbéopl 




Gnutier à leur ICle, se gloriliAi'ent nvaDl. tmiL de rendre In 
Lcuiil^' matérielle par la vertu des mots et des rjrihmes, U 
Ch^ïniep est lin artiste. Depaia les puHos du ivii* sjéclaj 
nul n'aiait ou à ce point le cullc de la forme. Il écrîfl 
d'uburd en prose; Il amasse de longue main pac des lecturcM 
choisies l'or el la soie dont ses vers doivent être lissi-s ; ^Ê 
cueille une à uue, dans Homère ou dans Théocrile, leaM 
gracieuses conipamisons cl les fraîches mâlaphores : suiS 
l'Aulhologie comme sur une couroauc de fleurs se pOBflH 
cette abeille grecque pour j butiner ce que la poésie savant^fl 
des alexandrins a de plus délicat et de plus charmant. Eifl 
imilant, il invente ; tantât c'est une pensée qu'il s'assimil^f 
par la vertu de quelque image originale, lantât ce flOnfl 
des mots qu'il retient pour en détourner le sens et lefl 
contraindre avec art vers des objets nouveaux. Lui-m^ms9 
nous a révélé les mille secrets de cette inginieuse élabi>f 
nition dans quelques-unes de ses pièces, comme l'/niwn-l 
lum ou VÉpHre à Lebrun, dans ses notes, dans maiclifl 
fragments où nous le surprenons en plein Iravuil. Mfime tM 
travers ce qu'il appellu les distractions et les égarementn 
d'une jeunesse forte et fougucuee, l'art fut toujours sa 
prilnccupution dominante, et, quand le premier feu de cett^f 
r 'messe s'est apaisé, le • saint loisir > qu'il rave est uni 
I isir sauctiflé par la poésie. On peut voir dons son com-fl 
iiiontaire de Malherbe combien il s'intéresse k tous les se4 
crets les plus menus, les plus subtils, de la langue et d^ 
la métrique. Ce souci de la forme explique d'autant otieun 
la sympathie des romantiques pour Andrâ 01i<!nier qu'ilsl 
ri-li-ouvaient dans son stjle le premier emploi des procfdésl 
[)^ir lesquels eux-mi?mes tentaient de réparer un Instru-I 

nt poi'rlique dont les cordes détendues avaient perdill 

loulc leur sonorité. I 

André remonta la lyre. 11 rendit la vie, le mouvemcntj 

lu variété, l'expression rythmique, à ce flasque cl monotontfl 

mtexandrin que lui transmettaient les poètes du xvitp> siècle.* 

^^Hdt pnr l'étude des anciens et aussi par un secret instîncd 

^^MrmoDie, il reprit, pour lui donner une trems^v^visl^tMH 



LS MUCmCTT Ltr< 
I «A pli» Mfiplc, Ir TMiJ fa' 



da Haaitrâ «1 'i 



e H prHc k Inalet le> DUADUi cl« la (>ca*^ ri i 
I iafloiMoa da Ktitimrni- H retrooraii eo même 
ll« npte* de ter* • fhla» et inuneDa^s, dnui el 
tout d'«i« TfitiM, KDuniM d'an» kn^e et i»ule 
I, trti nr«s du» U Tieille «cote, même chez Radiu, 
l SalB(«-[l«UTe dtniil k citer d'atioadaoïs Mempto) 
I Iw poèt«i do 1830 pour Ivn rap|>»ctier de lear prri- 



1^ lanjÇue d'Aoïlré ne tut piu rioids une nnaveaut^ i^nt 

n iMsiûcalloti, el cela dam k sens mâioe Ml l« nitnantisiiiiî 

devait iiidiaer. L'aulour de Joseph OfUtrme oole a*r« un 

loin pieux que le procédé ile couleur cbei te jeune tuallre 

cbex spa disciples roule lur deux iioiotH, d'abord U 

, mbslitaLion du terme propre ctpittor<?8i]ueaa lerme mita- 

pboriquc el icntimendil. eDsuite le disivret usage d'épilh6tot 

on peu vagues et comme Toîlées, du mois indétlDis, îoei- 

pliiiués, lloltanU, qui laisseut deviner l'idée sous leur 

nuiiileur pluUM qu'ils n'en précisent el n'en serrent In rorme. 

, Ccrleii, André Clitinicr parle encore l'empreinte de son 

< temps : un trouve ciicz lui l)ien des Iraces du • sljtle noble *, 

' bien des périphrases de convention ; il emploie le dâcor 

I 1115 Uiologi que mâme en des sujets moilernesi il conçoit, U 

I commence de longs poËmcs diducliques dans le goflt des 

e ou dei Ksnif n;ird. Mais un peut en dire aillant de) 

dibut» il'Airred de Vigu)' ou de Victor Hugo, el ces restes de 

I ptuudO'cIjuiidNinu ne l'empéchcot pus d'âtre regardé avee 

rkUoii pur le romantisme oaissanl comme un devancier âl 

i vnime un guide. 

faut-il borner ft ces questions de Torme extérieure Ii 
jiareulé du pointu avec les novateurs de 1820? Eu pollUque, 
on religion, en philosophie, André, nous l'avons dit, appir- 
lionl A DiiU'épuijun ', et pourtant, s'il n'y a dans son esprit rîuc 
qui tOMii pressentir le nouveau ai^cle, »on flme et aon^gSnjcJ 
podlh|uo semblent par moments en nvoireu rintuition. Q^^ 
retrouve diei lui pour la première fois cette poésie d'jn] ~ 



■ aocret 8'elait perdu depuis nonsnrd, La 
pt. m.Tiiriicrlnns ses vers; le priiitomps s'yiig 
buif. y fr-^niissent, la source aux pieds d'argotit y roule sod 
llol léger et pur. U chante les lacs de la Suisse, Tliun, 
des torrents, les monts chevelus, les bois et les cités «lUt 
pendent eu précipice; il célèbre d'un ton plus doux loi 
rivages od Senart épaissit ses ombres, les coleaui ( 
Luciennet couronnés d'herbe et de fleurs, les routes e 
baumées de Versailles et son silence fertile en doux songeflifl 
en extases choisies. Avec lui reparaissent tout fi coup dan^ 
notre poésie les monlagaes, les rochers, les vallons mélo-J 
dieuï, les grottes sauvages, les prés brillants de rosée. CcluT 
veine, si longlemps sèche et sliSrilo, jaillit avec un nouffl 
>?clat de snng riche et généreux. Le poète s'ég&re A p 
Icnis sur le penchant des collines; dans sa voluplé pen^K 
i>l LJioclte il s'assied et regarde à ses pieds les toits el \tâ 
feuillages se peindre au liquide azur du fleuve : son â 
Ujuilie en nne rêverie molle et lîéhcieuse ; il revoit ces clieM 
fanlc^mus dont la troupe immortelle habile sa mémoire ; 
rcreuillcllu son cœur el sa vis avec un atlcndrissemeny 
auquel la nature tout entière semble s'associer. Les v 
pressent alors en foule autour de lui, vers tout auss 
dénies d'accent que de forme, et dont la note pénétrant^ 
sera reprise trente ans pins tard par les jeunes poêles d 
ronmniisme. 

Ce qui fait d'André Cbénier un précurseur, c'est qu'il n 
taure la poésie lyrique, dégénérée depuis plus de deux sièc 
soit en arlificielles déclamations, soit eu gnlauts badinogesj 
Après les froides cantates de Jean-Baptiste Rousseau, aprâ 
les quatrains musqués et fardés des rimeurs A la modJ 
voici venir un poète vraiment ému : il renouvelle d'ii 
bord la pastorale par la sincérité du sentiment com 
eel naturelle fraîcheur dos peintures; il ranime 
t l'ardeur d'nue passion qui enflamme tout son sang, c 
t succéder les cris d'une volupté frëntissanle aux f 

X langueurs atTclécs de la galanterie; il révâ 
, il ébauche une sorte d'épopée encyclopédique, non. çU 




I.K MOiiVKMUSr r.IlTltlUlHR At XIS" SIÉCUB. 
Lqueiifuc rup80<jic doKcripliTe h la rncon dus versiflcnUmn 
■ conlempnrBins, mais ati pufiiii; tout chnnd du lyrisinu, où 
lu fera de sa Muse une prêtresse de la science et ào la civi- 
I Usaiion. 

Dbds la seconde partie de sa carrière, son génie 
Ei'âlËve et grandit encore. La pureté des accents par lesquels 
Til câlËbre Fann; semble présager anc inspiration toute 
I noaTelle, une conception de l'amour où l'idéal aura sa place, 
I. P&rmi les sanglantes lattes de la RéTolutioo, il ni«t la 
f poésie au servicfî des grandes id^es et des nobles sentiatents; 
L il ctiëbre d'abord avec enthousiasme la liberté naissante, 
f puis il flétrit les eicés que l'on commet eu son nom; sa 
f pitié pour les victimes lui dicte des chants d'une exquise 
r tendresse, son indignation cDulre les bourreaux lui arrache 
[■des lombes enQammés et vengeurs. La poésie n'est plus 
r pour lui ce qu'elle était pour ses contemporains, un dÎTer- 
I lissement élégant et friTole : il lui prête non seulement la 
I Eévëre gravité d'un art accompli, mais encore la religion 
n mjstëre. Il représente le poète en proie aui transports 
I ardents, le front écherelé, les jeux pleins de Hévre, tantôt 
I- quittant ses «mis, le jeu, la table, pour s'enfermer dans 

silence et écouter la Toii qui parle en loi, lantût cher- 
[ chanl au tond des bois solitaires s'il pourra calmer les 
y orages de sa télé et secouer le dieu qui l'opprime. Il con- 
I çoit le génie comme une source laste et sublime, et qu'on 
\ ne peut tarir : de son sein jaillissent à flots pressés le» 
limages, les tours impétueux, les expressions de flamme, 
] les mots magiitues où vit et se meut et respire l'unÎTen 
tout entier. 

Cette idée de la poésie et de la vocation poétique annonce 
I une nouvelle ère. Pourquoi Chénier, dont le génie s'enno- 
I blissait toujours, n'aurait-il pas, si sa destinée se fut rem* 
l plie, abordé lui-même, avant la (in du siècle, ft ces plages 
[ romantiques dont il ne fit qu'apercevoir les lointains aspects? 
' Qui sait ce qu'eussent pu être, après les fleurs brillantes de 
a jeunesse, les fruits d'une maturité que l'expérience deU 
ie et le spectacle des choses tournaient déjà vers les ft 



LES PRÉCURSEURS DU XIX* SIÈCLE. 4i 

rations idéales ? Quand sa tête fut tombée sous le couteau, 
la Muse youlut peut-être réparer un si grand crime ; 'elle 
recueillit ce qu'il y avait de plus pur dans Tâme et dans le 
génie d'André, et, lorsque des jours meilleurs commencèrent 
à luire, c'est avec cette divine étincelle qu'elle alluma 
l'inspiration au cœur des jeunes poètes dont une mort si 
nrécoce n'empêche pas qu'il ait été le précurseur. 




CHAPITRE III 



MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND 



Si Jean-Jacques Rousseau, Diderot, André Cbénier sont, 
ft des litres divers, les initiateurs du iix» siècle, M^o de 
Staël et Chaleaubriand l'ouyrenl et j président. Ils furent 
opposés l'un à l'autre dès le début et tenus longtemps, k 
juste titre, pour les représentants de deui doctrines rivales; 
mais, alors même que cet antagonisme aurait persisté jus- 
qu'au bout, nous n'en devrions pas moins unir ici leurs 
noms comme ceux des deux écrivains qui ont fondé chez 
nous ce qu'on est convenu d'appeler le romantisme. C'est 
avec eui que commence notre littérature moderne : sen- 
timents dont elle s'inspire, idées dont elle s'alimente, la 
forme aussi bien que le fond, la philosophie aussi bien que 
l'art, tout se renouvelle sous leurs auspices. L'une pousse 
au delà de son siècle des reconnaissances toujours plus 
hardies jusqu'à ce qu'elle découvre enfin devant elle tout 
l'horizon du siècle nouveau; l'autre prend d'un seul coup 
possession de ce nouveau siècle et y plante Lriomlihale- 
ment l'étendard qui va rallier autour de lui les générations 
prochaines. 

On peut marqner aisément ce que M"" de Staél tient de 
la société au sein de laquelle s'est formé son esprit. Le 



» 



MAOAMS de STARL BT CKATBtUBRIAND, U^ 

scepLicisme du xviii" aiëcle, qui ne faisait grAce A auciino | 
des aodeDQes religions, en avait fondé lui-même une, celle I 
ie Vliumanilé. C'est par cette religion que N"" de StaSl I 
Appartient tout d'abord à son temps. Elle y apparUent, et M 
c'est chez elle un trait caractéristique, par ce qu'il a d'aflir- I 
matifet d'entreprenant. Ce qu'elle saisit en lui de toutes sesl 
foi'ces, c'est on principe d'acti»ité, le seul que n'eût pas I 
miné une impitoyable analyse, c'est une foi indestructible I 
dans la raison humaine, dans la liberté et dans la Justice. I 
Tandis que Chaleaubriand, par une conTersion éclatant» I 
et soudaine, se retournera hrusqueiiienl ci>nlre le ïvrn" siè-J 
cle pour en anathématiser de parti pris tontes les idées, 1 
toutes les traditions, M"'^ de Slaél s'abandonne au grqnd 1 
courant de philosophie enthousiaste et militante qui doit! 
la porter ycrs un idéal nouveau. Ce qui domine en elle, 1 
c'est la croyance aa la perfectibilité humaine, et ce legs da I 
siècle précèdent, elle le transmet au nOtre. L'espérance I 
dans • les progrès l'ulurs de notre espace • est k ses yeus>l 
■ la plus religieuse qui soit xur terre >. Sa nature même I 
est de croire et d'agir en vertu de sa croyance. Peudant.J 
que Chateaubriand publiait un Euxaî tout sceptique et pcs* I 
aimigte, où il nous montre l'humanilë tournant éteroello-jl 
JUent dans le cercle des mâmea erreurs et des mêmes m^JI 
isiëres, M"" de Stnèl s'efforçait d'établir dans sa LiUératursm 
qu'une force irrésistible de perl'eclionnemeDt est inli^rcnt^^ 
k notre société, et que le progrés, dont elle montrait dankl 
l'histoire la marche ininterrompue, devait être toujours lft,| 
loi des temps à venir comme il avait été colle di-s Agci I 
paasés. C'était llk l'expression suprâme de lu philosophie qut M 
^sviii* siècle laissait en héritage A M"» de Stuël, et ce fuL I 
spu cette derniâre, sur cette unique croyance du !tvm° siè- I 
[île, qu'elle fonda sa foi dans les destinées du xix°. I 

I Parmi les écrivains qui conlribut^rcnl le pins à son éddefl 
EjssUon, nul n'exerça sur elle une inlluencc aussi profonds I 
nae Jean-Jacques Rousseau. Les premiers essais do sajeilrl 
Htaase ne sont guère que des réminiscences : c'est le sentù-f 
BBenUlisme romanesque de Julie qui a déteint sur «t'I 



L8 MOUVEMENT UnÉRAIRB AU SIX' SIÈCLE. } 



Ailtle et s 



i MInu, [ 



1 les idées de VEsiiûi 



. cumue c< 

I lui inspirenl un peu plas lard aon Mne Af Y InPttence dit 
passiaiit mr le bonheur. Les Letlrex sur ietai-Jucquet rc9- 

\ pirentunealhousiaame eiubcrant que toutes les lijper fioles 
de la rliëlorique peuvent à peine satisfaire. Saai doute, 
n'admire pas Rou^seaa lout entier : cette propiiêtesse 
de porfcctiblliie ne peut se sentir en complet accord d'idées 
avec le philosoplie qui voyait dans l'étal de nature l'Age 
d'or du genre humain; celte missionnaire de la liberté io- 
diviJuelIe ne saurait adopter chez l'auteur du Conlrat social 
des principes politiques dont la coDsëquence implacable est 
l'asservissement de l'individu ft ta sociélë ; cette grande 
dnine éprise de la vie mondaine, cette discoureuse élo* 
quente dont l'esprit brille dans les salons, répugne à la 
sauTagerie misanthropique et solitaire où l'hypocoadre 
Jean-Jacques s'était de bonne heure retranché. Ce qui passe 
tout naturellement de Rousseau en elle, c'est ce qu'il 7 

I avait chez lui de tendresse passionnée, d'expansion senti- 
mentale, d'invincible confiance en la bonté native de 
l'homme. Elle répudie tout ce qui, dans la philosophie de 
son matlre, est intolérance, pessimisme, défi d'un ma- 
niaque k la civilisation ; mais elle adopte tout ce que cette 
philosophie a de fortifiant, de consolateur, de propre à 
relever notre nature, tout ce qui peut s'accorder avec son 
optimisme inné, son ardeur généreuse et conGanle, son 
rêve d'une humanité toujours plus heureuse et toujours 
meilleure, sa foi dans te triomphe déRnilif de la vérité sur 
l'erreur et du bien sur le mal. 

C'est aussi de Jean-Jacques, auquel la rattachent d'ail- 
leurs les affinités de la race et l'éducation religieuse, qu'elle 
tient nn spiritualisme à l'épreuve du doute, a l'abri de toute 

: défaillance. Quand elle débute, sa profession de foi est 
celle du vicaire savoyard. Profondément imbue de l'idée 
morale, elle est spiritualiste non seulement parce qu'elle 
croit en Dieu et en l'âme immatérielle, mais encore parce 
qu'elle conçoit une religion toute d'esprit et de scniiment 
a besoin ni de pompe ni de symboles, et qui est uBta 



MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND. 

inlime de l'hoiiime avec Dieu. De ce sjiirJlua-J 
elle ptncbcra iIh 



li fuit le fatid même ile s 
plus l'n plus vers le christiunîsmc, stoon pour eo 
les dogmes, au moins pour en reviilir l'esprit; 
c'est ce qui la distingue de Chotcaubriund — si elle pctd 
devenir chrélienne, elle ne sera jamais catholique. 

Bien jeune encore. M'"* de Staël fut témoin de la Révoi 
lulion. EUesaloa avec enthonsiasme les revendications l( 
tiines el les pacifiques conquêtes; plus tard, elle se gai 
d'imputer aux principes les crimes des hommes. Le len- 
demain même de la Terreur, elle publie son livre de 1; 
Littérature. Et que veut-elle y prouver? Laissons-la parles 
elle-mâme : < Que la raison et la philosophie acquièrenB 
toujours de nouvelles forces t travers les malheurs a 
nombre de l'espèce humaine. • Les plus violents excès d 
la période révolutionnaire ne refroidissent même pas cha( 
elle celte foi dans le progrès qui demeure le plus 
ressort de son activité intelicctuetle et morale. Les démenti^ 
appurenis de rbislotre conlemporaiue se heurtent coolrn] 
ses convictions sans les ébranler. 

Elle fut révoltée par les crimes, mais attendrie par 
misères et les douleurs. La sympaliiic native de son ft 
s'apitoja. De la, cette mélancolie, non inerte, mais actlvej 
non égoïste et morbide, mais généreuse el salue, dont ê 
vante déjà la robuste fécondité, ce goût de tristesse gravf 
que va développer en elle une initiation plus inlime & < l'ei 
prit du Nord >. En même temps, son intelligence t 
s'élançait par delà la Révolution, cherchant h entrevoir leri 
perspectives nouvelles qu'une aussi profonde crise ouvralA 
à IVsprit, pour s'y engager la première et y guider si 
leraporaius. Avec le don des intuitions vives et impétueu30j|| 
d éclairent d'un trait toal l'horùon. elle a une faculté d 
uproprier aux divers milieux iatellecluels, un empress^ 
Ut A tout sentir, une aptitude A tout comprendre, 
Brédostioaientâ être la grande ïnauguratrice de l'ère n 
% voilA qui répudie ses origines loules mondaines el 
I pour fraterniser avec la démocratie naissante^ 



U LE HOUVEMKST UriÉHAIBB AU XIX' SltCLK. 

D'ailleurs, alors même que le cbrlstianUme l'attire )fi pin 
rorliïmeat. qu'elle le consid^rt' comme t la source iiiAmc 4u 
g&n'u: um'ieme ». dans ces liages de i'Âltem'if/ne lul s'en 
iDspircnt atec laul de Ferveur, sa conception re]igîi>uM 
n'ofTre aucune ressemblance avec celle de Chateaubriand. 
Ce qu'ellt! oppose ft la pompe du paganbme, ce n'est point 
l'éclat de je ue sais quel Oljmpe catholique, mais t ji 
douleur, l'innocence, la Ticillesse, la mort d'un chrétJeo •. 
Pour convertir un incrédule, elle l'enverra, non pas dani 
ane superbe cathédrale od la Tumée de l'encens, la magniS- 
ccoce des décors, les mystiques sonorités des orgues, s'ac- 
cordent pour enchanter nos sens et pour âhtouir notre loi 
ginatîon, mais dans une pauvre église de campagne, dans 
une église toute nue où la présence de Dieu se révèle s 
images et sans artilices k quelque humble auditoire de 
paysans. Pour elle, ■ le sanctuaire du christianisme est nu 
fond de l'&me >. Plus profondément religieuse que Chateau- 
briand, elle l'est surtout par le cœur comme Chateaubriand 
par l'imagination. 

Si nous nous expliquons maintenant sous quelles iiillut-ucci 
se développa son génie, nous comprendrons plus aisément 
quelle part lui revient dans le mouvement litlérairc An 
aiécle- 

Pour résumer d'un mot son rûle, nous pourrions dire 
qu'elle initia la France h • l'esprit septentrional >. Dans sa 
Liitéralure elle consacrait déjà plusieurs chapitres aux 
poêles d' outre-Manche et d'ouIre-Rhîn. Quant k son livre 
sur l'Allemagne, c'est un dithyrambe passionné en l'honneur 
du génie germanique. L'Allemagne nous était restée jus- 
qu'au début du xix° siècle presque entièrement inconnue. 
Voltaire n'avait guère eu de relations littéraires qu'aTee 
Gottsched, disciple lidéle du goût classique, Les Idylles da 
Gessner et la Messiade pénétrèrent plus tard en France; 
l'Assemblée nationale décerna à Schiller en mâme teopi 
qu'a KIopstock le titre de citoyen français ; mais, si quelqaei 
grands noms étaient parvenus jusqu'à nos oreilles, le maii< * 
vement d'idées qui venait de s'opérer en dehors de aotfi 



hjldame de stael et C£aTEa;BK:aM: 4» 

influence et -même àans un ssus ?.:•!. :rt:rr h t -'^f :rî: j :• -Zi. 
no'»:? aTaJ. CJiviisf-SjineEt ècfctr:»f^ ■ ?f fin K"" dt S - j-jî 



n:u> le réTr-s. 



Mieux q-j'a-jj-D 3r ses :-;-L:t'r-.ri:.rL-iiS. I'lwv'^: a- . .-. . ■- 
miïjne 5>nt le ties-r-iii d'LDe ri-s vt:J:it c Le « -.•?-!" t :::ir 
noire littérature est aen&cee frrt:t 2r:':rî dr-e:-. iri.r ! :^i~ 
prit français a besc.n xuaÎE'eLLL: drirr rfîf:^e> :i^ unt 
Sfve plus Ti^C'ureiîse. t Elje veu; eiLT-rurier ll feL.-: ql 
Nord le sérieai et la profcndeiir, ^z:. i t:»re? e.i- er soi:: 
les caractères 'iisiin^tlTs. T:»z;e sa i-LJ :?»:«: 'Lif li' rrL:!*-- sr 
rapporte à la diFisîon qu"tù]e eit:!:; drs if àriii;- z im- 
part, la poésie imiiee des ancieiis. ie JttJi: :e.)-. cl. d •" 
sa naissance à l'esprit au mojea àff : fiinf :*tr- ^ i£ :.:.fî5it 
qui, dans son origine, a reçu de paraïusiiie se rr^nieur ex 
son charme *, de l'antre, « ceLe d:it:'irLi'iii5::.i e: j- l-^*- 
loppement appartiennent à nne reiifjM: e^ex'.eli-iL-vi 
spiritualisle ». A cette me se rarache de; a ja Li:;-""trt".' . 
et l'auteur t avoue hautement que « locies ses Lzlzt'j^î .zi^.. 
toutes ses idées, la portent de prefereij?* t-tî jt Nrri - 
Lui reproche-t-on de renier les tr^dliions i; ues-.. rz-i* . Et 
trahir le génie français. eiJe repc-nd qa'eJeTtr aciiu 2t .i 
France une sorte de grande murailie. ces; cl rtir-. ziir 
nouTelle Chine. On peut. daiUeurs et c'est ce rz'elie e":l;-: 
respecter les vrais princij)es du goût dassi-que. ;:•-: ci ti- 
mirant « ce qu'il ▼ a de passionne dans Je* aîeci:;-!:» rû-: 
les Septentrionaux éprouvent, de profond dans îes ;»tLsee* 
qu'ils conçoivent », tout en inculquant à nc-irt lirrEi- 
ture c ce qu'o&e de beau, de sublime, de toccLai:!. la ll: .r* 
sombre qu'ils ont sa peindre ». Elle est loin de r:_i:.: 
que nous nous asservissions au Nord : les idées z^zz-^i/.r^ 
que nous fournira l'Allemagne, c patrie delà p^^csee «.l: -? 
devrons les modifier à notre manière et îciir iu.primer ii::r_ 
marque, mais en lépouillant nos superstiti^r^ns inligèn-??. en 
élargissant notre critique, on cessant de regarder « le ?:•-:.•: 
de Louis XIV comme un modèle de perfection au dej^i du- 
quel aucun écrivain éloquent ni penseur ne pourra jamais 
s élever *• 



L 



U U MOUVEMENT UTTftn&lUB AU 1 

i> AJlIcur», alan mAniB qua la dirittiaBtniM! Fatlin lejih 
' [i--n)«iit. qu'elle le considère coniiii« < la sotirce uifuii.- it 
.■iit.> [[loilemc >. dans ces pages de Vitlnnitt/iu qui l'ti 
inspirent avec lant de ferveur, sa eanc«|iilcn religieus 
n'offre aucune resseiiiblauce avec celle de Cbali»ubrtan4 
Ce qu'elle oppose ft la pompe du {^ganisme, ce n'est poio 
l'éclat de je ne aaja quel Olympe calbolïqa<!, mais f l 
douleur, l'ianocenee. la rieillesse, la mort d'un chrèti«o ■ 
l'our convertir un incrédule, elle l'enverra, non pas dan 
une superbe cathédrale oA la fumée de l'encens, la in«faiS 
ccnce des décors, les mystiques sonorités des orgaes, a'ac 
cordent poar enchauter nus sens et pour éblouir notre Ima 
frinatioD, mais dans une pauvre église de compagne, dan 
nnc église toute nue oïl la présence de Dieu ae révèle asji 
images et sans artîlices â quelque humble auditoire il 
paysans. Pour elle, < le sanctuaire du christianisme est ai 
fond de l'àme '.Plus profondément religieuse que Chaleaa 
hriand, elle l'est surtout par le cœur comme Chateanbriani 
par l'imagination. 

Si nous nous expliquons mainlenauL sous quelles inQuenoa 
se développa son génie, nous comprendrons plus aisémeu 
quollc part lui revient dans le mouvement litlératre A 
siècle. 

Pour résumer d'un mot son rôle, nous pourrions di^ 
qu'elle initia la France k i l'esprit septentrional ■. Dans si 
LiUcrature elle consacrait déjà plusieurs chapitres aui 
poËlcs d'oui rc-Manche et d'outre-Rhin. Quant à. son livn 
sur l'Allemagne, c'est un dithyrambe passionné en l'honneifl 
du génie germanique. L'Allemagne nous était resUe ju* 
qu'au début du xix" siècle presque entièrement ioconnoe 
Voltaire n'avait guère eu de relations littéraires qu'an) 
Goltsched, disciple fidèle du goût classique. Les Idylles et 
Gessner et la Measiade pénétrèrent plus tard en Froncili 
l'Assemblée nationale décerna à Schiller en raâme tcmn 
qu'i\ KIopstock le tîlre de citoyen français ; mais, si qadqnéi 
grands noms étaient parvenus jusqu'à, nos oreilles, le môft 
vement d'idées qui venait de s'opérer en dehors de I 




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SO 1.K MOtiVEHKNT LlTTnHAtnE AU XXX* Sltt 

PèKiiti Liltèralure, M"* île Staâl nTftitété aecusi*1 
tenter t une poi'liqiie nouxelle i. Elle a tenu s'en dëfrniln. 
c'i!»t bien une noim^llc [HiÉUqae qn'dle appnrU- ?o pITct tu 
nfiuveau siècle. Mais elle ne subslilue point des règles t 
it .lulrcs répies, des rorniules neores ft de vieilles rorcauld. 
i.inaDciper l'art en l'HtTranchissant des formules et dei 
ngles, (cl est juatemcnt le careciftrc original de cette pot 
Ijque pour laquelle le vrai bon goût n'est qoe robscrralion 
raisonnâe de la nature. Elle reproche aux légtalaleun du 
classicisme uoe critique purement négative qui • nes'att&che 
qu'à ce qu'il faut éviter >, qui masque le temple m^me de 
I art par un laborieux échafaudage de préceptes stérilisanli 
i-t pédanlcsques. Elle trouve qu'il ; a trop de freios ei 
l-'rance pour des coursiers si peu fougueux. Elle dît luur fail 
aux unités dramatiques : s'y assujettir, c'est préférer une 
sjiiiéirie factice t la vérité de l'actiou, c'est sacrifier le fonJ 
h la Tornie comme dans les acrostiches. Elle demande soi 
la scène des sujets plus appropriés au public, moins de 
pompe, un naturel qui ne craigne pas d'aller parfois jus- 
qu'à la vulgarité pour relever l'effet du sublime, des carsfr 
lëres complets an lieu de passions abstraites, de véritablEl 
hommes au lieu de t marionnettes héroïques >, moins At 
logique dans les personnages et de géométrie dans la coupe 
de l'action. Sortant de la tragédie et de la comédie, dont 
la forme classique lui semble artificielle, du genre îles- 
criptif et didactique, où elle reconnaît que nous avoua 
excellé, M''" de Staël annonce te grand élan poétique i* 
notre siècle; elle convie les générations prochaines ft« 
Ijrisme qui déborde d'un cœur inspiré en effusions involOD- 
taires et soudaines ■ comme les chants de la Sibytiâ (Hidei 
prophètes >, Elle veut qu'on fasse œuvre de poète en s'abas- 
donnant à son inspiration, et qu'on Juge d'un poème pH 
l'impression qu'oiken reçoit, A un ouvrage médiocre el WS 
recl, elle en préfère un dont les taches et les défauts sont Ttf 
dietésçA et lu par quelque trait de génie. Elle oppose le seitli' 
ment au mécanisme, l'abandon du cœur aui dextérités A 
l'esprit, la candeur de la nature aux procédés farlices dcl'lil 




DoDsle fond, sa préoccupation essealieile, c'est la morale J 
Elle j revianL toujours et j ramène tout. Son art po£lJquf 
peut ne résumer tout entier dans cette eiborlalion qu'ellf] 
adwsat aux poètes : « Sojez vertueux, croyaiils, libres, rcw 
puctcn ce que vous aimex, cLurcliux l'immortalité dans l'amoui 
et la Diiialtë dans la nature; saucti&ez votre âme c 
uu temple. > Elle se prend à l'ironie qui rMuil tout en 
sière. Elle a compris que le temps est passé des plai 
ries plus ou moins piquantes contre ce qui est sérieux, 
et divin. Elle annonce nue doulriuede croyance et d'euUioail 
siasmc qui conTirrae par la raison ce que le cœur nous ré-J 
Tële. Elle déclare qu'on ne rendra désormais quelque 
nesse à l'humanité qu'en retournant A la religion par M 
philosophie et au sentiment par la raison. La première a 
dition pour renouveler Tart cl la poésie consiste A régéué-l 
rer la vie interne de l'Ame. Or c'est de religion el de sen-H 
liment que l'àroe vit. Nos poètes classiques ont su mellxe 
envers l'esprit d'une société raflinée et brillante; â la poésie 
romantique, qu'elle exalte chez d'autres peuples et dont elleJ 
pressent chez nous une prochaine floraison, il est resié louU^ 
le domaine des impressions solitaires, des rêveries loin* 
taioes, des conlemplations recueillies et pieuses. 

Tel est l'idéa] vers lequel M™" de Staél se tourne de plu] 
eu plus. Ame tout en dehors, improvisatrice ardente, vail-J 
lante nature de guerrière toujours en mouvement et enj 
action, la voilà qui fait de la • mélancolie ■ le sce 
excellence de l'élection divine, un signe de prorundeun 
iiussi. bien qu'un gage de fécondité. Dans l'Allemagne 
qui inspire toute son esthétique comme toute sa morale^J 
c'est le sentiment del'inQni. • véritable attribut de l'âme *, 
source du ^'éule et de la vertu. 

Cet in6ni, elle ne le sent pas seulement en elli 
aussi dans l'univen. Son cœur se met en communie 
lu nature extérieure. Nous l'entendons célébrer avec cntLoU'] 
siasme ces scènes et ces spectacles du monde visible 
lesquels son œil ne se serait jadis même pas arrêté. K 
i?e qu'elle j voit, ce ne sont point, comme Cbaleaubriaudi 



a LR ttotivuiEKT urritaiinK au xir site 

lies liKiirK et dru malenn, c'est nne Ain<M]ui «i«ntd 
U Ff-^DDc t-l aVRim-Miir a»cr Htc- Elk n'admlr* G 
dnil cp qui e*l (lUrRmptit trn'iblis clic it' 

tracer 1m ct>ntoar«, ni ptoccna p"ur rppmdiiire Ii-s il^ 
cl les TÉllots, ni ^nmini- de sonorili's inlinips pniir r 
1m Hccords. Ello winiiK'fo l'univer» comme «d ns9cmbl«.ec 
lie 9jrmliules dunt la loriue tu! eal indilTëreote et qui n'ont 
dlDl^rât a ses yeai (jua par l'idée dont ils sont les aignci. 
KIIh trouve je ne sais quel rapprirl entre l'aiîur des c 
la flerie du cœur, entre un rajon do lune qui repose sur li 
montagne el le calme de la cooscioncc ; et, 
quand, a l'eïlrùinUé du paysage, le ciel semble tonclier do 
si |ir^s A la terre, son iiiiagi nation se figure par delà i'faa- 
rlïon un asile de l'espérance, une patrie de l'a 
sanctuaire 'Il< l'iniiuariallt^. < C'est, dit-cllo, cette alliant 
secrète do noire ftnie avec les mervcillM de l'univers qui 
donne A la poésie sa vérilBble grandeur » ; et elle compare 
le potle ft ces > sorciers ■ dont toute la magie consiste ei 
nue intlmiH si élroile avec les éléments, qu'ils découvrent 
h» sources par l'émotion nerveuse qu'elles leur causent. 

Moraliste dans l'âme. M°" de Staël est, pour user de sos 
■■«pression faTorile,nngrand lespritpenseuri, elle n'est point 
un i^rand écrivain, La rapide succession des pensées el liet 
sentiments qui se pressent suus sa plume ne lui laisse pu 
lo temps de songer ft la forme dont elle les revêt, et elk 
n'en a pas plus le goût que le temps. Sa sensibililé est trop 
vive et Ka conception trop prompte : chez l'artiste pur il J 
a nécessairement quelque paresse de l'intelligence, quelque 
indiiïérence du cceur. Elle a trop de candeur et de iponta- 
néittl : chei l'arl Este pur il y a nécessairement (qu'on préniiA 
le mot ao sens élymologique)one certaine dose d'hypocri^igi. 
H"* de .Slaal écrit comme elle parie elsans pou» 
«lins son style la vivante nclion de sa parole- Ses plus benu^ 
iivrM n'ont pas élO écrits; c'étaient ses improvisations, iftlj 
écrivain t»'« plus fait qu'elle pour l'art, en ce sens qu'ovaiBt 
n'a Jamais répandu autour ilc lui des idées plus féconde^ 
tl plus viviGantoi. Mais ces idées, paradoxales qu&od s 



^B MAIIA.MK DE STARL RT CnATEAUOnUND. ifl 

^Hpexprimuil la preniii^re, ik'vinrentliiinalcs vinglOu Ircnta 
[, ans plus (urd. Elli^a ne lui apiiarli^iiiiont |)lus. Ellea sonfl 
luiiiLi}09 ilans le (iomainc commun, et (icrsonnc n'a besoin 
dViuvrir la Littêritlitre ou V A Uenuigiu pour les y trouvera 
Siiivnnl la profonde parole de BufTon, c'est le style qui e« 
propre h l'homme. Or M*"' de Slaêl n'a pas de style. VuilM 
pourquoi, de tout ce qu'elle laissa après elle, sa mémoirfl 
seule semble promi^p fi la poslËriLé. Aucun écrivain n'esfl 
plus célèbre, aucuu n'ust.en reulilé, moins connu. On caa4 
sent à l'sdmirer Ao. confiaDce, mais qui la lit encore? Ella 
adiscouru la plume \ la main, et des causeries âcriles, m 
éloquenles qu'elles soient, ne feront Janinis on monumenl9 
Aussi, bien supérieure a Chateaubriand pour l'étendue etla 
fiicondité de l'esprit, elle ne rivra sans doute que par IM 

M"* de Staèl n'en a pas moins exercé sur le iDOuremenH 
lilti^raire de notre temps une influence plus proronile cH 
plus dirersiâiie que Chalcaubriand lui-mi^nic. Unissant Iq 
ivm° siècle au xix", elle c conservé du premier ce qu'il 
i^inlenait de plus noble et de plus pur, cite a découverS 
pour le second les inspirations nouvelles ot il devait puïserfl 
ËInns de l'ftme vers l'infini, mâditationa ferveDles. tendres 
intimités, n'est-ce pas là ce que le nouveau siècle allaid 
exprimer, avec cette émotion religieuse dont elle avait rou-l 
verl la source? Mais la régénération du sentiment poé-4 
ii.iue n'est qu'une partie de son œuvre, Elle a contribué pi uM 
ijuc personne à cette émancipation de l'art qui fut le moll 
i| ordre de la génération suivante, Elle a fait la guerre aux] 
préjugés littéraires avec une chaleur d'éloquence et und 
justesse de vues qui assuraient dès lors la victoire doA 
romantisme. D'une intelligence trop eompréhcnsive pouM 
>^lre systématique, elle a amorcé des voies dans tous leM 
sens. Elle a mis sa gloire à tout deviner et a tout saisir, on 
plutôt c'était la le rôle prédestiné de cette amo sympalbiituo J 
de eet infatigable esprit. En afTranchiasRnt l'nrt, elle a dd 
m<^me coup renouvelé toute notre philosopliîe litU'raire. La 
premier de sas grands ouvrages instituait une Gcitùif» 



U LK HOUVRHRXr UTTËHAIRR Al.< ItX- SlfoXB^ 
Bowella qa'elle kppUqaa bicntdt aprèj dana le second 
eriliquc moilcrni-, nnirc rjiliquc cigilicaliTe i^t édecUiiiie, 
moins jalnusr dp jager qae de comprendre, ne se pii]ijsn( 
ni He Ui^ries absolacs ni do conclusions décisÎTM, *e 
preiant d'cUe-iDâmo & l'infinie vaHâlé tins caractères et d» 
talenU plulât que de violenter la nature pour obtenir A tout 
prix un trompc-1'œî) d'unité artificielle et raide. 

Retremper la vie intime du cœur cl le sentiment r«li- 
gleui. délivrer l'art des ri^gles étroites et des fonDu!«B 
■tériles, renouveler l'esprit 'le la crilique littéraire, telld 
est & grands traits r<£uvrc de M" de StaSI. S'il ne doit 
rester d'elle qu'un nom, ce nom sera toujours celui d'un 
grand Inilialeur. Elle a inauguré dans les diroctiom Ui 
plus diverses le mouvement intellectuel et moral de notn 
Époque. Elle a ensemencé le siècle d'idées fécondes; elles 
donné comme une nonvellc âme à notre poésie. 

Si l'on peut dire que M°" de Staël, dont l'espnt est all4 
■ans cesse se développant, a réalisé pour elle-même, dans 
la suite de son progrès intetlecluel et moral, cette théorie 
de la perrcclibilité qui fut le fondement même de sa philo- 
sophie, ce qui frappe au contraire dans Chateaubriand, c'est 
la fixité des vues d'après lesquelles il compose sa vie aoiti 
bien que ses ouvrages. Ce icii' siècle que M"" de Staël veut 
unir au ivm*, Chaleaubriand l'y oppose. Il est le promoteur 
d'une réaction pour laquelle tout accommodement serait 
une trahison et un sacrilège. Et même, en se tenant à ce 
point de vue, son Essai Sur les révolutions pourrait fort 
bien rentrer dans l'unilé de son œuvre, puisqu'il est dirigé 
tout entier contre la doctrine du progrès, dernier mot de 
la philosophie que le xvivf siècle léguait au nôtre. Si Cha- 
teaubriand n'y est pas encore chrétien, il semble, apriB 
tout, que l'état moral dont témoigne l'oeuvre soit très Tavo- 
rable â. la conversion, et qu'un jeune homme si douloureil- 
tement sceptique ne doive pas regimber contre les aiiiiiB* 
Ions de la grâce. 

Cette théorie de la pcrrectibilitë qu'il attaque i 



^m HAFUMK Mt STAU. R CHATUtlBHUXtL m 

B^wai en vertu de son seeplictsm«, il ta r«fui«n bienud 

dans le liénie du ehriêtiaiusmé, en verlu de a fui chrétienMB 

A nette i:-[ia<jue. M"' âç SUcI en était rint-^rj-rtlc le ^fM 

eii fiie, itl c'tst contre elle qu'il tie tournis, il se pose em 

autuganislc aalarel du ivni* siècl«, qu'ell« représente ; ■ 

|iro(ile d'uae polétniqae enire elle et FoulaiKs, son mbÛM 

pour prendre lui-mâme parti et position- Il écrit u lettra 

au mercure : dans celte lutte qu'il ra soutenir contra 

la pbilosopliie rationaliste, c'est son premier coup d'^pMa 

< Voua n'ignorez pas, dit-il, que ma foltr A moi est de toil 

Jésus-Christ partout comme H"* de Staël in perfectibilité. ■ 

Voila C bateau brian'd tout entier. U est, dés 180O. l'apologista 

de la religion chrétienne ; il le sera toute sa vie et dans toofl 

ses ouvrages, depuis ie Génie du chriitianisne jasign'â \M 

Vie de Rancè. Il est le cheralier do la Croix, et, lors mâuifl 

qu'il aura lie longs accès de doute et de désespoir, il resterfl 

fidèle par point dliOTiDeur, sinon par foi. moins sensible aa 

reproche d'impiété qu'à celui de félonie. I 

[^Q qu'il y a de plus significatif dans ce christianùme, q^m 

~iinne parfois un peu creux, c'en est la conception tout aiH 

iislique et décorative. Nous touchons lA au caractère esseiH 

t.iel de Chateaubriand, & ce qui fait l'origitialité propre dfl 

soii génie. Il a au plus haut degré ce goût et ce sens de il 

beauté plastique qui manquaient à sa rivale. La premiërn 

avec son impatience avide, parcourt sa vaste carrière em 

Ltout sens, saute d'un aperçu à un autre, s'épuise et se da 

■ vote elle-même; ie second a. circonscrit, tout d'abord sod 

BfoinaiDO, et, dans les limites qu'il s'est tracées, il l'euibrassq 

^hlt entier d'an coup d'ceil; il est maître de lui-iuémc-, Il 

^Ht régler son élan d'avance, se contenir et mémo se canj 

^Kliudrc. M'°° de Staél ouvre des vues, Chatoaubriana 

^H^nnc des formes- K'"" de Staël est une idéologue, Chu 

^Blubriand est avant totil un artiste. 1 

^Hn rcsl dans sa vie elle-niAme, qu'il arrange et dispoeJ 

^Kir l'efTel. Des amours fatales ou grandioses, un voyagJ 

^B discoure rte & travers les solitudes du Nouveau-Monda 

^H, chemin de Damas tout inondé de rajrons et tout àclntad 



LR MOrVKMKNT LimlRàinf AU XfJl* SrRCLE. 

l dt tooocffet, un duel h roorl orec le iimtlre (iniufimtciH 

f l'Eurcpe. un pt''|prinngp fblntiiasnnl d* Pnri» A Ji^niBnlom «d 

I pftssaot [>Br Atlx^ncs <*t par Mcmphi.^, l'iiiirénle clirétîonno 

} et le rcDot di? la Musc ^ccrian^ les triomphes de rambitioD 

k et puis h ilédnin du pouvoir, plu» glorieux que te pouvoir 

t mémo, uDo apothéose, soignée et méoBfée de longue main. 

qui prosterne tout un siècki aui pieds d'un homme : telle Tut 

son existence depuis les légendes imposantes et sombres tta 

berceau jusqu'à cette tombe que, par un dernier prestige, 

t'Uiustre poète s'était fait préparer en face du l'Océan, 

comme si tout autre Toisioage eût été une insulte à a» 

cendres. 

On peut signaler maints écarts dans la ïîe de Cliateaa- 
briand, mainis dêfaula dans son caractère ; maiB, dans l'une 
pas plus i]ue dans l'autre, on ne saurait trouver ancune 
tache. Les vertus qu'il pratique n'ont rien de bourgeoii; 
plus éclatantes que solides, ce sont celles qui doivent 
le mieux rehausser et faire vuloir son génie. Elles se résu- 
ment toutes dans le aenlimenl de l'honneur, qui, & tra- 
vers tant de caprices et tant d'imprudences, le préserva tou- 
jours des compromissions vulgaires. Chateaubriand joua un 
personnage; il introduisit le romantisme jusque dans les 
affaires d'État; iJ ne vit trop souvent dans la politique 
qu'une occasion de parade grandiose. Ses inconséquences d« 
conduite, son amour des postures, les ra^nements de sa 
vanil.é, les impatiences et les saccades de son ambition, 
toutes ses contradictions et toutes ses faiblesses, sont, après 
I tout, celles d'un poète et d'un acteur; et, si l'homme privé 
est en lui égoïste, or^'ueilleui, inégal, si l'homme public 
manque de tenue et de lejieur, peut-fllre même de gravité, 
l'acleur et le poêle prêtent â son eiislence tout entière, vue 
d'en dehors à titre de spectacle, une noblesse d'altitude et 
un prestige de générosité qui se sont toujours alliés chez lui 
ft la grandeur du talent. 

Chateaubriand est b la fois personnel par le caractère et 
1 objectif I par le génie. Personnel, c'est ce que montre 
«ufflsamment son œuvre. 11 y est toujours en scène. J 



MlDAHS DE STÂEt ET CHAT EAU BRUNt». S 

;i<?iii) dues tous sas hi^ros, il pose pour Ioute> ses cn^stinQ^I 
Lui-mi>nie ae compare A ces sDimaux qui, • tnulo d*a^| 
iiii^Mls cxWrJL'urs, se nourrissenL ileletir propre snVislBiiM^B 
.Mais il sail pourtanl se délacher de lui-roéme H chni^f 
fijûT se peindre ses plus Licllea et ses plas nobles atlit^f 
des. Il De s'aliaDdonne jamais ; jantais, chez lui , l'écnoliaH 
du momeni ne s'épanche en liberté ; jamais il n'improv^H 
ECS larmes. • le pleure, dit-il, mais c'est au son de la l<r^| 
d'Orphée. > ^Ê 

Puisque Chateaubriand s'est complu dans le personna^H 
de René, qni, sous ce nom ou sous d'autres, reparaît ^| 
poème en poème comme la figure caractéristique de s<^| 
oeuvre, comparons-le, ce t^e du désenchantement et ^M 
rinnnîté morale, & l'Oberman de Sénancour, et voyons ^| 
qu'était le Térilable René avant que l'imagination charm^| 
resse et l'art éblouissant d'un poâle vinssent illuminer ^H 
brume et la changer en auréole. Chateaubriand n'a poii^| 
afTecLé sa tristesse. < Je crois, disail'il, que je me suisennu]^| 
dès le ventre de ma mère. > Il est • le grand inspiré dfl 
la mélancolie ■, celui qui ne peut pas être consol<ï. L'âii^f 
de René, cette &me démesurée qiie toute limite g@ne comnfl 
un obstacle et blesse comme un aCront, dont l'acLiYité s'u^f 
sans fruit, qui meurt de ses désirs sans pouvoir, non setii^| 
ment les satisfaire, maïs même les préciser, c'est sa^| 
Joule cellede Chateaubriand Ini-méme avec ton tes ses miserai 
aussi bien qu'avec toutes ses grandeurs, avec celte capacttS 
d'infini qui restera toujours vide, Pourtanl, comme sa sîiicéfl 
rite laisse paraître l'artiste I Comme elle se complaît â l'aifl 
rangement, à l'apprêt, à la draperie, & la recherche de l'effet 
pittoresque I Oberman s'abîme dans une contemplation 
morne; il ne prétend point se parer de sa douleur; il ne 
montre pas avec orgueil sa blessure; la mélancolie répand 
autour de fui je ne sais qnelle tristesse terne et aride, Ren^H 
an contraire, caresse le mal dont il gémil. Il ne peut pakH 
mais il ne veut paa non plus être consolé; ou plutôt. »i^M 

alade aouffre, le poâte le berce en lui chantant ses ao<l^| 
ses avec une magnificence de paroles qui lei rendent ^H 




LE MOUVEMENT UTTÉRAtRE 4U WI' SIBCLB^ 
I vUlilu 6l glurieusui. Rend, nVxt an cherallor i^ut 

i. Dsbsance, la i^Ioirc de ses arinns. ses vajanes lointains 
I cl ni.rsli^rieux ait payx <lu soli'il luranl, c'esl l'itmanl t»%d- 
I naleur qai inspire fatalemenl li.>s irrësistîlilea passions, r'esi 
un front que marque le sceau du génie, c'esl, enlre tout, le 
oonlident des dieuï et l'élu de la Muse. — Et son irrtni*- 
diahle tristesse? Sans doute: maïs Oberman était la ni>- 
time de l'ennui, et loi, il en est le héros. 

Le christianisme de Chateaubriand, ce chrbtianisme iftii 
fait l'unité morale de toute son œuvre, se rattache & un idéal 
OÙ la raison n'est pour rien, où le cœur luî-mdme est pour 
beaucoup moins que l'imagination. Nous ne reuouTellerODt 
pas contre lui les accusations que ses adversaires ne bs 
firent pas faute de lui lancer quand ils virent le aceptiqueel 
le fataliste de VEssai se poser en champion de la foi chr^ 
tienne. Nous crojrons ft la sincérité du poète; nous croyons 
qu'il B réellement pleuré et qu'il a réellement cm, qu'il 
a cru parce qu'il avait pleuré. Certes, la foi de Cha- 
teaubriand n'est pas celle d'un Bossuet. Il a des dëfaillances, 
des accès de découragement. A de certains jours il est 
repris par ce pessimisme fondamental qui tourne chez lui 
tantdt a l'incrédulité absolue, tunt<)t à un chrislianisme 
osallé. Lui-même l'a dit : • Cette alternative de doute et 
de croyance a fait longtemps de ma vie un mélange de dé»- 
ospoir et d'ineffables délices, i Mais, si fréquentes qu'aieat 
|»u être les éclipses de sa foi, c'est la foi pourtant qui lui a 
inspiré son ceuvre et tout particulièreineiit ce Génif du 
thrUlianùvu qu'il composait en expiation de VEssai. Ce que 
nous suspectons en Chateaubriand, ce n'est pas la sincéritA 
d'une ferveur qu'il pousse jusqu'au mysticisme, jusqu'à la 
(uperstition mytliologique ; c'est la solidité, c'est presque le 
sérieux de la conviction religieuse. 

Toute l'argumentatton, dans le Génù du cluistianitVUf 
est dil' raisonnable, absurde, puérile. La divinité de la reli- 
gion chrétienne pcut-clle se démontrer par les migrations 
des oiseaux? Que le serpent rampe, cela sufût-îl vraiment 
pour établir le péché originel? La c^libnt des pr>ïtrea e 




RADAMB DB STAËL KT CIIATEAUBBIANU. 

n autorisé par la Tirginiti' des abeilles î Ajouloi 
• preuves > des descriptions de tournois el aulrea labteausa 
[lùeliques, des ëlaos de senlimcatalité et des accès ^eo-jT 
ihousiasine : voilil la démonstralion de Chaleaubriand, .' 
crlli^ apologie du christianisme, c'est un roman d'aniotif^ 
AUila. qui sert de préface, el l'on croit faire passer Râné pnia^ 
UDC œuvre d'iDspiralion chrélienne eo préteudaut uous f 
montrer les funestes effets des passions d 
la grûce n'a pas touché. Mais Chaleaubriand se souciait peij 
de verser le poison dans le calice. Du christianisme il 
jamais vu que les * beautés >. Il le traite en artiste; 
chorcbe des motifs brillants, de riches décors. Le sanctuniii 
se convertit en musée, les Saintes Ecritures en diclionooi 
dû mylhologie. Parli pour un pieux pèlerinage dans I 
Palestine et au tombeau du Christ, le poêle noua arrét^ 
chemin faisant, ft chaque paysage historique ou piltorcsqnd 
et il nous confesse à la fin qu'il allait en Terre-Sainte s< 
parer des couleurs, chercher une gloire qui le fit aimer. 

Prenons Chaleaubriand pour ce qu'il est. H ne compori 
pas un traite de théologie; il fait une œuvre d'art chrétieil 
maie avant tout une œuvre d'art. Ce qu'il se pro 
de prouver dans le Génie dv christianisme, c'est que, i 
toutes les religions qui ont jamais existé, la religion t' 
tienne est la plus poétique, A la fin du xvm' siècle, 
christianisme passait pour une superstition gothique i 
puérile : Chateaubriand n'en démontra pas la vérité, coramS 
l'avait jadis entrepris Pascal, il ne voulut qu'en fair| 
ressortir les beautés sentimentales et esthétiques. Au li 
pénétrer, comme l'auteur des Pensées, dans l'âme même d 
l'homme, il se prit au monde extérieur, aui belles appd 
renées, â tout ce qui charme les sens. C'est une méthoiS 
d'artiste, opposée A celle du philosophe; c'est la mélhotfi 
« romantique >. Booald, qui cherchait à prouver le chria 
tianisme par des faits, dod par des images, par des ra 
■ounemenls, non par des arliliceg et des prestiges, compai 
|vreI!gion. telle que la représente Chateaubriand, avec nnfl 
} qui S3 montre b son peuple dans une cérémonie 




< ■KMR.IT LriTltHàint iU IIX* Sifti 
»o)'-(in>'Ili-, la couronne bu rront, liât élincoltnte d'or^ 
pli-iTurii^o. L'BUfpiir du Gihiiéi fl de» Martyrs ae couTaltie 
pas rimlcndeineot, il Iroable U scDsibilild, il éblouit t'iiaa- 
ginnijnn. Dans Alain, an luonient oïl l'on i.-i!lébre lui 
mTsUras ilWins, • 1c soleil sort d'un sblme do lamiéres, 
Ri son prfmier rnyon rencontre l'hostie consncréo que le 
jtrttre, en cet inslnnl in^mp, élevail dans les nîrs • : on 
pBtil' dim de ClinIcHiibriend qu'il a dore l'hostie calholiguA. 

Sa religion u'esL en réalité qu'une esthétique. Son catht- 
lique elle-même est celle d'un pur artiste, épria avant toul 
de noblesse et d'harmonie. Il a l'admiration assez large 
pour goûter le beau sous quelijne Torme qu'il se présente; 
mais sei prédilections vont k la beanté classique. Le pre- 
mier il a rendu sa place au xviii' siècle méconnu, et, sï] le 
met au-dessus du xviii°, ce n'est pas seulement par KT)>r£ioD 
pour lu philosophie de Voltaire et de Diderot, c'est aussi 
parce que l'art de Diderot lui semble inréricnr & celui de 
Bossuet et l'art de Voltaire à nelui de Racine. Cet ancSIr* 
du romantisme veut renouveler la tradition, mais sans k 
déformer. Il est pour la distinction et la hiërarchie dn 
genres; il soutient l'unité dramatique et mSinc les uniti^s; 
il ssdcclare contre le mélange du comique et du tragique; 
U ne reut pas admettre le laid comme partie intégrante 
del'a[;uTre d'art. Dès le début du siècle, il voyait le monde des 
lettrés divisé chez nous en deux écoles, l'une i qui n'ad- 
mirait tjue des ouvrages étrangers >, l'autre qui continuait 
la tradition du xvi[' siâcle; et c'était à la seconde qu'il se 
rattachait, pourvu qn'oii lui permit qucl<|ues amendements, 
t^ui-niéme déHuit son rûle quand il dit qu'< un homme 
mnrchant avec précaution entre les deux lignes, en se 
tenant toutefois beaucoup plus prés de l'antique que du 
moderne >, pourrait ainsi • mnrier ces deux écoles et en , 
faire sortir le génie d'un nouveau siècle i. 

Restaurateur du christianisme et du moyen âge, Ciiatean* 
briand est en même temps le révélateur de la beanU 
grecque. Sou épopée catholique rajeunit la mjtliDlogio 
païenne avec une souveraine magie de stjie et de s^' 




Dieiil. CliariLri; du merveiJleux biblique, Il sauriliu nutliabd 
tnnls (]{.' l'LtlvmL^e ; il se confesse dans les culli^drulus d'una 
rl(.H<j[ioa irlolAIre aux dieux du l'nnthéun grec. Su paëtiqttH 
csi cb'éiieanc par le food; mais comme il vouilruii foira 
passer dans les ceuvrbs qu'elle inspire un refiel de la beauta 
païenne! Od sent qu'il a lu VlUade et Œdipe roi avea 
Don moins de ferveur que la Bible. Sea maîtres sont Ilomërfl 
et Sophocle. Dans les Mttrtyr$, tout ce qui touche & la mja 
Ibologie hellénique est charmant de rrulcheur. de gr4ca 
aDÏmee, d'aimable et vif coloris; tout ce qui relève da 
merveiUeujL chrétien est embarrassé, lourd, froid, péniblŒ 
en mCme temps laborieux et enfantin. Dans VUin&aira 
soQ paganisme oatif le reprend dâs qu'il aborde aux côIm 
de la Grèce. L'eialtation qu'il manifeste devaiil les soutm 
nirs les plus précieux et les plus sacres de l'antiquild cbrôS 
licime est parfais celle d'un homme qui se monte h plaîsla 
et dont Ja tête seule est prise. Ed Grèce, au coatrairaj 
rifresse n'a rien de factice : le cœur et l'imaginatioD sonn 
é^alemenl en r<^le. Point de tirades contrainles et de froidau 
déclamations. Ce n'est pas ici l'enthousiasme qui se reil^ 
di'ail suspect, ce scrnient plutâl les restrictions par leaM 
quelles il rcul apràs coup se le faire pardonner. Il est parti 
avec le batuu du pâlerin, et, dans ses doigts, ce bâton s'en 
i.-hang^ en thyrse. I 

Amoureux des belles formes et des harmonieux coim 
tours, Chaljiaubnand est le maître de toute notre écoUl 
pittoresque moderne. Sans duulc, d'autres l'avaient précède a 
Buffon, Rousseau, Bernardin. Mais la majesié de DuTfoiH 
ne va pas sans quelque froideur; Rousseau, nou moinq 
ample que Butfun, plus riche et plus gracieux, est encgtq 
un peu simple et uni dans ses descriptions de la naturea 
il lui manque ce que Sainte-Beuve appelle le rellol et la 
velouli*. Quant fi BcrDardiu, lui-iaéine disait (et qu'ïinJ 
porte si ce n'était, pas suna quelque ironie?) : < 'e n'ai 
qu'un petit pincenu, M. de Chateaubriand a une brosse t] 
Nous trouvons dans Chnlenubriand la iiinjesté di- lîufConI 
sans sa froideur, l'am^ilitude et la richesse de Ji'uti-Jacquea 



a*i7c le Duancë iIg llemnrdin. Pas d'Mpect «nqnsfï 

[ir£lG sun gûniL- pittoresque, pas de cieux qui no lui ntcnl 

fourni (|ui'I'[vifl iNoiiblinble tableau. SavaDes et fort'l.t 
Tiurfte* du Nuuveau-Muinle, ruines de Sparte, iiionlagnes 
de lu Sul'iuQ • qu'eiivËluppc uue lumiârc diaphane >, IWre- 
Sainle arec ses solitudes « où des figuiers clairsemé) 
âtaleul au Tant brûlant leurs rcuilles nuircies >, désotalioQ 
firaridiose de le campagne romaine, • horixons bas et plab 
de la GeriaaDJe >, Clinteaubriaad a parcouru le moodi^ d'un 
bout b. l'autre, el chacune des contrées qu'il a Iraveriéc^. 
il ea emportait avec lui l'image saisissaote et déflnilîte 
qu'il seul nous rendre d'un seul coup de pinceau. 

On lui reproche son inexactitude. Si la fidélité consistï 1 
reproduire trait pour Irait, Chateaubriand n'est pas UD 
peintre Adèle. Bieu qu'il recherche plus que nul de se» 
devanciers le détail précis, souvent même le détnil technique!, 
c'est l'impression d'ensemble qu'il veut avant tout obtenir. 
Sans scrupule, il ajoute ou retranche a la Qalure; il la eo^ 
rige. Il modifie ses souvenirs, il accommode ses paj'sagcs 
a l'effet qu'il veut produire. Ce serait un défaut chez UO 
géographe. 

La vérité ne consiste pas dans l'exactitude malëriclle de 
chaque petit trait, mais dans l'impression générale qni 
résulte du tableau. Sainte-Beuve compare on chapitre du 
Voyage d'AnacItamg, celui d'Athènes, an passage corres- 
pondant de l'Itinéraire. De Barthélémy et de Ghateanbriaod, 
lequel a été le plus vrai? Nous trouvons dans le premier 
an guide consciencieux et bien renseigné qui nous fait 
parcourir la vJUe en nous donnant à chaque pas d'excel- 
lentes indications ; le second est un magicien qui la ressus- 
cite & nos jeux dans tout le mouvement de sa vie, avec 
son théâtre, où les Sophocle et les Euripide se disputaient 
la couronne d'olivier, sa place publique, oïl semble Tibrfr" ' 
encore l'éloquence d'un UéuosLbëne, son Pirée, où les vaif- i 
seaux aux banderoles pciu tes rapportaient la pourpre dcTyr 
et les parfums éthiopiens. Quel est le plus vrai des deoiT ' 
C'est le moins exact. 



1"' ^^SiôAKE i>* STAn «ÇflHinBilfflw^^^M 

Ce que noua disons du ■ descriptif >, nous pourrions 1^^ 

iliiT 'Je i'bisforieti. Son œuvre tout cnlitVe, les Miirtyrs ciM 

pitrikulier, dénoLe chez lui un senlimeul de la réalité, lufl 

don d'animer et de peindre, un pouvoir d'Évoi;alioii <lilfl 

sont, pour aiusi dire, l'&iue de l'histoire. Si l'on conipoNH 

avec celle épopée où l'anliquité païenne et ctiriïlieniie vifl 

et se meut sous nos regards les ouvrages d'érudition séchu 

ou de philosophie abstraite que produisaient nos incilleuc^l 

tilstoriens, on reconnaîtra dans Chateaubriand le premien 

initiateur de la renaissance historique dont notre époqod 

est si Gère. ■ 

< L'imagination, a-t-il dit, est ft l'érudition comme nM 

coureur qui pousse toujours, comme un Cosaque qui falfl 

SCS pointes. • Celle parole ne saurait s'appliquer à personn^B 

aussi bien qu'à lui-mâme. Il a fait ses pointes; il a éld^ 

dans le domaine de l'histoire comme dans tous les autres^ 

icclaireur du ni" siècle. Quelques pages d'une épopée on 

il ne cherchait le vrai qu'en vue d'uD effet poétique^fl 

déterminérenl en tout ce genre d'études une véritahl^l 

révolution. Il surfit de rappeler l'éclatant témoignage qufl 

l'auteur des RéciU mérovingiens rend fi celui des Mariyr^Ê 

Les in-folio dans lesquels les érudits de profession n'avaieiS 

trouvé quune morne poussière déroutèrent aux jeux (^H 

poète une série de merveilleux tableaux. Et c'est pourquo^f 

tout compte fait, il y a plus de vérité bisloriquc dan^f 

les visions de cet artiste que dans les laborieux commei^l 

taîrcs ou dans les savantes compilations des historiens t^M 

lilre. La science atteint l'exactitude, il appartient k l'a^l 

Ufseul de saisir la vérité. H 

jj^H Chateaubriand n'a porté dans l'élude des faits ni suite ifl 

^^He in ter esse ment. Son Érudition, si hérissée qu'elle se fasaJ 

^^Hss telle note ou dans tel appendice, ne date sanH 

^^foute que de la veille. Il l'a acquise en vue d'un proflB 

immédiat. Le poète chei lui a précédé l'historien, et Tod 

ptut même dire qu'il ne considère l'Iiisloire que pnr son 

j^^dté poétique. Mais l'historien esl vrai, parce qu'il anime id 

^^Kedacle des choses; il est vrai, parce qu'il a des illumM 




Si i.p. uouveHE^T littéhâire au iix' siècle. 

nutiimi subites qui éclairent jusqu'au Tond les évéaem'ab 
pt lt-1 lirimiiics, parne qu'il embrasse d'un coup d'œil tout 
ri- i{ij'iini> tcnncc et savnnte analyse fait péniblement enlre- 
viiir fi ri'nidil, pane qu'il snit ijuel est le mot, le geste 
ijui ri'SiiiiiiTa tout un pcrsinnaiie, quelle e$t la circonstaoce 
ilUtini'litT, le dëtail cru cl sijjnilicatir qui donnera son 
rnrnpl.^ri' à toute une époque ; enfin, parce qu'eu devenant 
hi^toricD il n'n pas cesse d'âlre artiste et d'être poél^ 
Comme la poésie. Thistoire a sa muse : musc de l'histoire 
et muse de la poësit>, toutes deux se sont unies pour inspirer 
l'auteur des Marli/rs. 

Virtuose avant tout. Château h riand pousse le culte de la 
fiirttic jusqu'il la superstition. C'est par le style qu'il est 
surtout admirable. Le plus hardi de nos âcrivains, il a 
pleine conscienco de ses audaces: il ose avec une sAtelé 
tranquille et inlr<>pide. Cette hardiesse, il l'allie d'ailleurs. 
dts que la maturité calme ses juvéniles efTerTescences, arec 
une mesure toute classique. Il ne se livre pas tout entier i 
la fougue de son inia^'ination. Il sait se modérer et se con- 
tenir, maîtriser tout écart qui altérerait l'harmonie des 
li^çncs ou la noblesse des formes. En même temps il 
dédaigne les Qorilurcs du slvic: il est trop vaillamment 
ë|jris du beau pour aimer le joli; dans sa magnificence 
ellc-ménic il reste sobre comme les vrais maîtres. C'est le roi 
de la phrase. II a la magie du verbe, le don des images 
triomphales, des périodes superbes cl grandioses. Il a aussi 
ce secret du nombre et du rythme qui s'était perdu dans la 
langue des vers depuis le divin Racine, et que notre prose 
avait toujours ignoré, i Chateaubriand, dit ChânedoUé, est 
le seul prosateur qui donne la sensation du vers. D'autres 
ont eu un sentiment exquis de l'harmonie, mais c'est une 
harmonie oratoire. Lui seul a une harmonie poétique. » 

l'icrivain de métier et de vocation, il porte un intérêt 
passionné a tout ce qui touche son art. Il poursuit l'épi- 
thète rare et pittoresque, il recherche jusque chez nos plus 
Tieux auteurs l'archaïsme eiprcssîT et savoureux. Son Essai 
iur Us ricolutioiu renferme un chapitre, le dernier, fnti- 



MADAME DE 8TAEL ET CHATEAUDRUND. «1 

tiilp Nuit <:he3 les Saitmi/iii de tAmàrii/ue ; en rep ri^uunt 
celln fli-si^riplion dans le Génie du rhritluinismn, il ni! iiiitn- ] 
quu pus d'Jtiviler le lecteur à comparer les deux morco&tii I 
■ pour voir ce que le guûl lui a fait cbanger ou retrancfaec J 
dans soD second travail •. Une note des ifartyri dous nvcrtiL 
que le chant de Cynjodocée dans la prison est le plua ' 
soigné de tout le poème, < qu'il ne s'y renconlro qu'un seul 
hiatus ■, el que cet hiatus t glisse facilement sur l'oreille i. 
Saus doute, l'âcrivaiu lui laËme, dans Chateaubriandi 
a ses défauts : trop d'etTcts, du crcui, quelque chose de 
fai^Uce el de ihéaira!. Mais ces dél'auls sonl encore plus 
ceux du la pansée que ceux du stjlc. Us tiennent d'rirdi-J 
aaire â ce qui) y e de disproporliouué entre le fund et i j 
forme. C'est l'idée qui n'est pas &ssez forte pour supporte^l 
l'expression. ■ 

1 Je rae sois rencontré, dit Chateaubriand, entre deos I 
sicdes, au confluent de deus fleuves : j'ai plongé dans leurs 
eaa\ troubles, m'eluîguanl h regret du vieux i-ivage aH 
j'étais né et nageant avec espérant vers la rive inconnue 
ort vont «border les génécalions nouvelles, > C'cinil trop 
peu dire. Il aborda celte rive, il l'explora, il y guida ces 
nouvelles générations qui uo lardèrent pas é le suivre. I 
L'histoire littéraire du iix' siècle dérive de deux grande* 
sources : M""» de Slaél et Chateaubriand. A l'ooe le monde 
des idées, à l'autre celui des images. Langue, poésie, romailt 
hiïloirc. Chateaubriand a renouvelé l'art tout entier dans 
-.1 forme extérieure, il l'a pour toujours marqué de sou 
'!i>preinte. Sa gloire remplit la première moitié du siècle 
'■: se prolonge avec son influence jusque dans la seconde < 
iiKiitié. Alfred de Vigny et Victor Hugo descendent diroc- 
ii'iiifnt de loi. Lamartine lui-même, génie d'une toul«utfB 
laiiiille, l'a pourtant célébré comme le matire de sa géné- 
ration. Plus tard, Gustave Flaubert, Leconte de Lisle, les 
dévots de l'art, les sculpteurs et les ciseleurs Ar la phrase, 
se rattacheront encore h loi et seront de sa lignée. Pendant . 
[anute années, !e nom de Chateaubriand est resié \tm 
b gnmd et le plus respecté parmi tant d'illustres poéte^j 




et t.F. Mmn'I^MFiNT UiriiSAIRE AU XIX* RIÈCLB. 

:\u\ f.ii ilHii'til loua à rcconnatlrc »a souTeraineté litU- 

['iiir>'. Il ti'i'st |>us jusqu'à Stcniilml, le précoce avant- 
court'ur irunf école hoslile, le sec et frondeur sceptique, 
qui ni< lui ait rendu dei hommages dont rirrévérence appa- 
rente ne diminue point le prix. • J'ai besoia d'imagination, 
l'criiail-il fi un ami; envoie-moi he- Martyr». • En par 
laiil des Mémoirei d'outre-tambe, et sona l'impression même 
de la lecture, George Sand disait : < Certaines pages soni 
du plus grand écrivain de ce siècle, et aucun de noue, 
freluquets formés à bod école, ne pourrions jamais lei 
écrire. • 

A partir des Mémoiref avait cependant commencé pour 
cette immense renommée un déclin aussi rapide qu'injusie. 
Les défauts de caractère qu'ils révélaient et que de brillantei 
qualités avaient jusque-là recouverls aux yeux des contem- 
|ioraiiis, déterminèrent dans le public un retour violent. Il 
ne se pardonnu pus d'avoir cru à un Chateaubriand plus 
grand que nature, il Ht pajer au poète les faiblesses ou lei i 
vanités de l'homme. I/dpoque où parut l'ouvrage est d'ail- | 
leurs celle d'une réaction littéraire qui partage notre siècle 
en deux moitiés. Chateaubriand avait été l'initiateur du | 
romantisme, et sa mort coïncidait avec l'avènement d'un» j 
écolo nouvelle, éprise de réalité positive comme l'école ■ 
précédente l'avait été d'idéal et de lyrisme, et que la haine i 
de la déclamation, de l'emphase, des grands mots et des 
fausses couleurs entraîna jusqu'à ne voir en lui qu'an 
prodigieux charlatan. 

Depuis quelque temps, la faveur semble revenir au pa- 
triarche de notre flge. Son nom qui, naguère encore, faisait 
sourire les habiles, comme celui d'un Marchangj ou d'un 
Arlincourt, semble retrouver de jour en jour le respect qui 
lui est dû. C'est pour tous les écrivains contemporains le 
nom d'un ancêtre. Suivant la parole d'Augnstin Thierry, 
tj3U3 ceux qui en divers sens ont marché dans les voies de 
ce siècle l'ont rencontré à la source de leurs études, à leur 
première inspiration, et il n'en est pas un qui ne doive loi 
dire comme Dante à Virgile : 






MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND. 67 

Tu duca, tu signore e tu maestro. 

En môme temps, son œuvre est celle d'un artiste incom- 
narable, et, tant que la langue française vivra, l'auteur de 
liené et des Martyrs sera salué comme un des plus mer- 
veilleux ouvriers qui y aient jamais mis la main. 




CIIAPITUE IV 



LES PSEUDO-CLASSIQUES 



IVuilarit i|ue la réfoime littéraire se prépare, l'école clai- 
siijui' CLi (Iticiuk'ncc ess&ie de maintenir des IradilioQS 
^puisi'us: l'IIo roslc Odèle à la discipliDe que le xvii» siècle 
avait lilablie, sans s'apercevoir que celte discipline n'est plus 
en accord avec la société conlemporaine, issue d'une réio- 
liili'in qui devait falalenienl renouTeler la poésie aprfs 
avoir Iraiisfnnné les institulioûs et les mœurs. L'art classi- 
i|ue, iltiR les preiuières années de notre siècle, n'est qu'un 
ensenilile de forniulos stériles; la sève se retire de lui comme 
d'un arbre dont les racines ne tiennent plus dans un sol 
profondément bouleversé; les fruits qu'il donne ont perdu 
toute saveur, cl, s'il continue à végéter encore, chaque 
saison nouvelle le retrouve plus dénudé. 

Le caractère du classique, si l'on veut prendre le mol 
dans son acception la plus générale, c'est justement d'être 
en harmonie parfaite avec les idj'os et les principes da 
milieu social. L'époque digne de ce nom est celle où l'art 
s'cpanouil de lui-niilme , comme la Heur d'une civili- 
sation hcnreuse dont aucun malaise ne trouble la con- 
Sanlc si'curiti'. Tel avait tlé le siècle de Louis XIV : mais, 
au début du n(^t^e, tes champions du classicisme ne repré* 
■entent plus que l'ancien régime littéraire, destiné & dispa- 



LES rHEllDO-CLASStOtlKS, 

Ire comme l'sulre; uprèa lus dftssiijups ilu ito' 

siëclir, ib simt, itux, les paeudo-cl.issiqilcs. 
Ea crilJinc île l'époque impéri&le es\ loul.e de réaislanee; 
■ initiolive se borne à tenter lu reslrauration d'nne poiîti- 
surannce. Onsaitqaelexvni'siècle, sibardicn d'&utres 
Jalièrcs, l'avait élé beaucoup moins dans te domaine de 
jvrt. Voltaire lui-mâme observe pieusement loutos lea 
idilioDs que lui léguait l'âge antërieur. Quanlft Labnrpe, 
i faut lui demander ni aperçus nouveaui, ni mSme 
Q)tc curiosilé d'ilnvestigation ; son rOle est d'expliquer i 
: élégance et d'appliquer avec justesse les règles de U t 
Kgédie franuatae telle que Racine l'avait portée nu dernier 1 
degré de perfection. Quelques esprits impatients, commo | 
Diderot et Mercier, avaient entrevu des formes nouvelles et , 
(iiosscnli la révolution qui se préparait : mais le premier, 
ii^ilgré son génie, n'était qu'une sorte d'aventurier lilté- 
..uie, el le second dut a sa- hardiesse même de n'exercer 

■ ML- son temps aucune influence. Le critique odkiel du siècle 
1 Hissant, c'est Labarpe, interprète attitré du Code classique 
1 gardien vigilant des convenances traditionnelles. 

Uuand fut passée la période de confusion et de licence qui 
?e prolonge jusqu'au début du siècle saivant, l'esprit public 
lendit à su reformer. Après la Ligue, on avait eu Malherbe, 
après la Fronde, Boileau; après la Révolution, on eut la 
monnaie de Boileau et de Malherbe. Les critiques les plus 
connus du temps sont Dussault, Felelz, Boffman, et ^urlout 
i^i^oITroy, esprit judicieux, mais grossier el lourd, ennemi 
rk' loule innovation et si peu disposé a favorisi^r le mouve- 
>iii<iil du jeune siècle qu'il remontait par delà le théAlre de 

■ iltnirc. dont les bbertés le scandalisaient, aux formes 
' lires de la tragédie racinienne, et par delà les romans de 
I : iiisseau, dont l'éclat et la passion lui donnaient le vertige, 

I In fnrjlitrt eoulanle el au naturel uni de GU Bios. 

Ce xvn* siècle, dont le pscado-ciassicisme prétend dé- 

K'nilre l'hérîtage, l'esprit s'en était d'ailleurs bien allërû, 

^■l aubliait que, parmi nos classiques, les plus grands 

^Bfai les [ilus aodacieui. On rèsLieignoil l'art & des qualité! 




70 [.R ^lOlJVKMr.NT LtTTËKAIBK AU XIX* P 



iir^-'ii'iï -. Jv corrcclion, do jm ■ ■!■ i: ■■. : ■ ■ i:: ■--(.- inriJ.TSt 
tl ili-i.'i' le. du reooininaii'liL. im'iièlcs sans 

viiir i|iiVll-- rlui! fululciiiQnl vout-i; à s'alTadir de plus en 
]i1iis. <:!iLLi|iUlr'>ii l'nsaail pour un classique, et si quelque 
iii>uïf;L'i ',■"/ ;iïnil alors poru sur la scène, il aurait Irouié 
ili'â ii'Aul.if;ii!ii: ["'Ur le rappticr aui règles et des Scudén 
imiir le tiirtlre nu-dessous de Mélite. Tout en professant le 
ri'Sjieet des tiiailres, la iTilique aurait pu le concilier avec 
lu ïuuliiiii.'ul des eoiiililions nouvelles que faisait h la poésie 
un iiruTurirl ciian^'cjiicnt de l'ëlat social; elle aurait pu 
inaiuti'uir son culte en tllar^issant le temple. Loin de là, 
elle s'eii(t<'['tiiait avec sOcurité dans ses admirations immo- 
l'ih.'S. s^ijiï Lii'^iiic se préoccuper de les retremper â leur 
siiunr pour leur iliinner au moins quF?ique fraîcheur de 

Plus les lalenlfi d>'<;éniTaie]]t, plus les règles devenaient 
(■Ivtiili'-. A i;li:iquc^enru étaient consacriiesseaforniesliiérali- 
i|UL's, iiuî.iii-ll.s on ne pouvnil attenter sous peine de sacri- 
lège : il II" V avait plus de beaul fis iiiconnues è découvrir, plus 
de placy pour le yi'aie. c'est-à-dire pour l'originalité de l'io- 
venliiiii IV'Coruk'i.' par I étude directe de la nature. La critique 
diicouniL'i'ail frysliiiualiquomenlles plus inofTensives velléités 
d'énianciiiation. Du haut de^ règles couficcsà sa garde, elle 
dogmali^ait dans le vide, plus soucieuse d'imposer ses for- 
liiuk's que de Ic:; justiiier, et craignant par-dessus tout, si 
elle revenait sur ses traditions les mieux établies, de porter 
quelque dérangement dans un ordre à jamais fixé. 

La poésie il.' elle époque a perdu toute sève. Lebrun est 
le dernier représeiitanl du lyrisme classique i-sauf de rares 
bouCl'i'-esU'inspii'ulinn, rien de plus froid et déplus stérile que 
someuvi'e. I.'ode. clieziui. a toujours quelque cliose de raidci 
et les beaux mots qu'elle rechcrclic ne peuvent faire illu- 
sion sur le vide des pensées et la sécheresse des sentiments. 
On y seul parloul uoe industrie laborieuse. Son génie ftpre 
et tendu n'aspire au sublime que pour se fourvoyer dans le 
déclamatoire, Oue resle-t-il de lui? A peine quelques stro- 
phes, qu'une cerlainu hniil(>ur de stjle a sauvées de l'oubli. 



LES PSeUDO-CLASSIQUES. iM 

Ce riui fait en ce temps le lyrisme, c'est nn pUcopo <I(S 
brillonlcs mélaphoreis, l'abus rfpB fausses ctnilfiirs tnyl lioitH-B 
piques, un enlliousiasme de commnnde ijui Uril dans nolro J 
ilniL' loiite émotion parce qu'il rërMe dans eelle du poMe J 
l'iibsence de tout aentinieot vrai. H 

Si l'ode se réduit & un eierctce de bunale rliétori(|ue.fl 
l'élégie, dont les visées sont moius hautes, a sonvetil âo^t 
nalurel et de In grâce; mais elle u'dchnppc (lue rHrenienl iB 
la Tadenr. Versificateur ëléganletliarmDnioux.MilIe^u.ves'ea^^ 
inimnr1alis<; par un^ seule pièce, et ce qui en fail (oui \^Ê 
channe. c'est je ne sais quelle douceur alanguJe. Méra^| 
débilili^ chez Fontanes avec même d^licalcs^e. Il a (Imiddfl 
mimt essujé dans les rers ce que Bernardin avait Tait ponifl 
la prose. Nous trouvons parfois chez lui une notp d'émolioitS 
•fndre, un sentiment de mélancolie pénétrante qui conservai 
iii^nre de la fraîcheur. Mais il n'y a pas lA de quoi nouafl 
.ri'sagernne rénovation pourtant si prochaine. Ses accentdfl 
'■^lurent avec trop de mollesse pour fltre le prélude dSB 
riches el fortes harmonies. Si Fontanes fait par moments % 
songer k Lamartine, c'est à un Lamartine adoiescenl qui ' 
easaierait les cordes de sa Ijre sans en soupçouner encore 
la puissante et large sonorité. 

Au théâtre, la comédie se soutient encore : le caractère 
de ses sujets et de ses personnages, emprunti's à la snciété 
contemporaine et k la vie commune, lai assure des fran- 
' liises interdites au genre tragique. Mais, si les comédiH j 
11.' l'époque impériale sont, en gcnérnl. bien supérîenrea . 
' nx tragédies, leur manque de relief et d'originalité ne peut 
tre compensé par leur naturel aimable du leur aisailco j 
levante. Les plus célèbres sntil des esquisses, d'une obser- 1 
-Tlton toute superficielle, d'un fond généralement fort 1 
L.unce, et d'un style aussi faible que facile. Incapables de j 
Iriire vivre des caractères, les auleura s'en tiennent 4 déS ' 
peintures de mœurs sans porl6- et sans conséquence, A I 
d'agrénblua bndrnagcs; ils s'égaient innocemment sur dfi I 
lUtocra travers et des ridicules fugilifs. J 

^Kgannt A lu Irngodie, elle a d'.iuLuat p)u3 dégénéré que 1 




IK WOLVEMEM LITTERAIRE Al' SIX' SIF.CLE. 
■;'Ti- »cs coodilioDs du genre, ne la rappelait S 1» 
■. h-- rnaflres du xtu" siècle, les poètes de TEmpite 

I:. ':'■■ que leur sjBfème et leur apparerl IhéSiral. 
I Ji'ii:.incr les faut classiques de cette époque? Il 
-I ;'!i^ un qui ail sa physionomie disliucle; tonlea 
\:- ■ • ^'>nt l'oulécs dans le même moute. Ils subs^- 

[niri'iiii le récit au drame et réduisent le IhââtreJi 
'SiirJplioiiK et l'i des discourt : à mesure qoe la pièce 
iiii<-<' :i lu cantonade, les acteurs renseignent oblj- 
i]L-[it I': |>ublic. On achète en entrant, non pas le 
I^a^si»ll.■^ Il une nction dramatique, mais celai d'ap- 
i-<* )i IL' rli> ^ravi.-s cl nobles tirades comment elle s'est 
lr<r iiii ili'K'i ik's coulisses qui la cachent. Par respact 
l'iiriili- il.! lieu, i.chrun ose à peine, dans sa Marie 
', li:ii»|.i.ilcr ta sc(:n(> 'l'une salle à l'autre de Fothe- 
r: |..iir,-j])':el piiiirlunilé de temps, Bajnouard accuse, 
njiKl.'iirtur i^l eiràilc les Templiers en vingt-quatie 
I. KnliTriiiis dans un cadre étroit qui leur interdit 
IIIi'tN' iIi^ mouvement, les personnages ne trouvent 
t'iii]>.'. ui ht pliii:e de se développer. Ils n'ont point de 
i'ti'. <iii •■•■ i;;in\nirTe est si général que les tragédies 
is ilivi't'SL's [leuvGUt sv le passer les unes anx autres 
y .'li,'iiii^i;r que le nom. Ils sont de tous les temps, 
-ilii'i- 'iii'ils ne sont d'aucun temps particulier; ib 
le hiLis h'S \y.iys, c'ust-ù-dirc qu'ils n'ont pas de natio- 

|piiiiiri-. \,i\ Kimis II de Itrifaut avait d'abord paru 
i' riisluiuc il'uti priucc uspuguul; il devint sans effort 
Ass^rii', et nu fut jamais, sous ces deux formes, 

fvpi' ili^ nnivfniioti, une parc entité métaphj'aiqae 
iiii'.uii lr;ii[ iudiviiluri ne dèteruiine la physionomie, 
ni.iri|U(' dit |iiiys d'iilislraetion fuit pour s'asseoir avec 
i' sur iMi IrtMic ciurliiiiiiqut;, cl qui, en vrai roi qu'il 
' se si'iil il.'jihuT iiiilli' part. I,!i tragédie, condamnée 
'S ui'i'i'sili's iiii^ini'K di> au poiUique ù cherclier des 

linr-i ili' l'iiUsiN'valiiiji ('.luilt-iupuriiiiic, est incapable 
ri'iiiiuvi'liT ]>Hr l'i'ludc si'rieusc du milieu historique 
la iniuli'i'i- loculi>. 



^■^ LES PSRUIXM;t,ASSIOUBS; fl 

^H.Cne rénovalioti s'iroiioiie. Lu Un da xviji° siècis vt ■ 
^^■œ m en eu m en l Au xix° en □tTrt.'ul. ilt^JA (|iicl(|ui.'s indice» 
^^Hlre la tragédie pseudo-dassiqiie et le drame romantiqtid 
^Heerublv au premier abord j avoir eu une sorte de traosH 

^^■'Ducis avail essajrL^ d'acclinmler le drnme shakespeari^l 

^^Br la scèoR frBDÇRise; mais rien ne montre mieut igue afl 

^HnilalioDs infimes combien le goAl du publir était rebelle a^B 

] plus timides essais de nouveauté. Dans son Hamlst, le poèfl 

est tellement etTra^é des t irr^gulariltis sauvages • dontfl 

pièce originale abonde, qu'il se déclare • obligé de cr^fl 

^^ue pièce oaiiTelk' >. Dans Macbeth il s'applique • A faifl 

^^fesparatlre l'iniftression d'horreur qui, cerlainetnent, efl 

^^H( tomber son ourragc >. Dans Jeansaits-l'erre U s'^cusn 

^E> public de repri>senter Arthur périssant • par la ninin dfl 

I son oncle •- Dans Olhe.Uo il ne dévoile la scélératesse de som 

Monceaigo que tout â la Gn de la tragédie, et II prend soliq 

aussilAl que possible le-chaUmeot que subit la 

(«Itrc; il donne au More, non < un visage noir t, main 

e leiut jaune et cuivré i, moins choquant pour les convM 

s tragiques; enfin, il fait tuer Hédelmone d'un coin 

t poignard. Ce Ducts, qui paraît alors si hardi, noiH 

, A nous, bien pusillanime. Le Shakespeare quW 

13 oITre est ud SbaJiespc&re mitigé, édulcoré, plié a toute! 

B convenlioos et A toutes les bienséances de notre scèuM 

bst aussi un Shakespeare sensible et vertueux, dans le goûjl 

I Diderot : tonles tes adaptaiioDS de Dacis sont dominéeM 

e moralité banale et puérile, complélemeny 

(rangera à Tesprit shakespearien. C'est seulement avea 

le triomphe de l'école romantique que le dramaturge an 

glais prendra pied sur notre IhéStre : trente ans après « 

Rfivolulion, en (8îi, des acteurs venus cïpn's d'AngleterM 

& la Porle-Snint-Marlin quelques pièces d 

tsliospeare sont accndllls A coups de ■ pommes cuites fl 

> pnr les s pectutcors scandalisés. fl 

8 rUmpîre, Népnmucéne Lemercier semble impaticfl 

- dus voies Qoutelles. Dnm l'into il mêle la comfl 




U l.E MOl^VKMRNT l.lTTéRAinE AU XIX* SIÈCLE. 

diu & lu Iragi^die; dans Christophe Colotnb, il met la scène 

sur un navire, il riole l'unilé Ji: lieu en transportant, scs |ier- 

s i:i:;i>s d'l's[iiifine jusque dans le Nouvean-BIonde. C'est 

un i:iiis-^iqiK' [inrlma relielle, mais c'est hjen pourtant im 
«■la^HiigiiL-. l'iiilo peut après tout passer pour une imitation 
lie Heiiuin;in'liiiis, et, dans sa prëface de Christophe CoUtmb, 
rnuli'ur s'i'icuse lui-mènie d'avoir une fois transgressé les 
ri^Ks • dont les chers -d'ceuvre des maîtres ont consacré 
l'eicellcnce >. Son Cours de liUéralvre est conçu daas l'es- 
prit le plus élruit, et le romantisme ft ses débuts n'eut pas 
d'ennemi plus arhnrné que ce prétends novateuF. L'auteur 
de Colomb et de l'inlo refusa obstinément sa voix d'acadé- 
micii'n ù relui de Hernani, ne se doutant guère qu'il devut 
l'avoir pour successeur. 

Itiiynounrd fif tes Templiers, qui, si l'on en jugeait par le 
titre, iniiu^'urerHienl chez nous un théâtre national. Mais il 
est impossilile di: voir dans rctte pièce rien qui annonce le 
dnme romantique : c'est toujours le patron consacré delà 
tragédie h confidents et k tirades, et l'innovation ne porte 
que sur le choix du sujet. Le poète èrudit avait eu beau 
faii'e du milieu et ries personnages une consciencieuse étude; 
le genre dont il se considérait comme le créateur n'en 
était pas moins condamné d'avance par les lois de notre 
scène à des procédés d'abstraction inconciliables avec le 
vrai drame historique. 

Sous la Restauration il semble d'abord que la tragédie 
va se régénérer. Guiiaud fait représenter en 1823 son 
Cowfe /«ton; Soumet donne sa Jeanne d'Arc en 1825 et son 
Êlisubelh de France en 18^8. Tous les deux s'essaient plus 
ou moins heureusement, mais dans une mesure toujours 
bien discrète, à concilier les formes traditionnelles de l'art 
dramatique avec les tendances encore vagues et timides du 
romantisme naissant. Klais le poète qui représente te mieuj 
ces besoins et ces instincts de nouveauté, avant qu'une gé- 
nération plus forte et plus militante n'arbore hardiment 
l'étendard romantique, c'est Pierre Lebrun, l'auteur de 
Varie Sluarl et du Cid d'Andalousie. Lebrun se félicite 



LES rsKUoo-cussioaEs. 

■ essaye uu rapprocJicint>ril ■ cnlre la MeliioiuAll 

a el !tt nillri' ", il'a»>ilr iiitpifduil sur lu scène Ttal 

vaise. sans blusser la sévi^ritti de iiotri! goflt ft Je nos rêgltl 

1 lies formes et des coulfurs • tiui itiatif] liaient A rioM 

tiUùralure IhéAilrale. U détendit, en effet, dou<:etneiil J 

suas violence, les vieux ressorts ulassjqims ; îl mit dans S 

pièces plus de mouvemeot et d'ndion '|ue 

ili il essaya surlonl de baisser le style hu Ion le plus simploï 

^K plus tainilicr que put sup]iorter lu t.rngMic. MaU, qj 

^^Pl'ail été Bon succès dans celle tenlaliTi-, il no faut { 

^H|ire de Lebrun un pirâcurïeur de Victor tlugn ; pr^seatl 

^^n 18Ï0 uomme on (rioiaphe pour le romnntisme, MaU 

'il.uart, (iiie repn nd, vingt ans après, la Coin&die-Françaiq 

rnllic uulour délie tous les promoteurs de la i-éacU(â 

iliiasique Lebrun n'est pas l'aîné Je la génération nouvclM 

1,'oat le plus jeune eC le dernier venu de l'ancienne généra 

tjon Disnns-le, entre la tragédie classique et le drame 

mantique it n'y avait pas d'inlarmédiaire possible. 

~' tari était peut-être une transition, mais c'était, comnj 

|diL Sainte- De uve, ■ une transition Ji ce qui n'est pil 

1 •, â ce que l'auteur n'a pas acheïû de réaliser lia 

le, & ce qui u a jamais ét^ réalisé qu'après le Lriompli 

□mantisme dana uu genre bâtard e 

e Ch qui viiil après karie Sluarl, ce Tut une vérilal 

rolution, et Lubrun , si estimable que soil son l 

■tlait point de taille k l'opérer. Pour l'aire tomber la 

ïeeinle de la tragédie classique, il l'allut le cor t 



1 certains poètes essaient, en elTel, de rajeunir d 
ïââtre, ils trouvent dans le pahlic les plus vives résialai 
ftils n'ont ni assez de génie pour en Iriom^iher, ni m 
ji de liardiesse pour lutter contre ellea. Di^piiis le tcinjl 
^, malgré ses luénagemeuls, Ducis soulevait tant de cm 
leurs, l'éducation du goûl public n'avait fait que de bi^ 
Bts progrès. Toutes les tragédies qui ne se conlbrinaien 
■ au type consacré étaient accueillies par des murmui 
i'Clnitloiihe Cotantb de Lemerder lit uu viuli^nt . 



7B I.K MOUVPMKNT LITTÉRAIRE AU XIX* SIÈCLB. 

Toiir 0111 pdi: lier Coixiiib de transgtesser l'iinilé de iien, on eat 
ri'iioii''!' â la (li'i-ijuvcriu de l'Amérique. Le tuniulte ne ces» 
qui: (lu jiiiir nù Napoléon mil la pièce soub la protection des 
liujuMiK^lli'S. Vingt ans plus tard, il ne semble pas qu'an 
tninvi' iiii llit'Qlri; moins de réiiugnance chez le public pour 
liiiili' iriiniviilioci, l'uut-êlre commençait-i] &ge dégoûter de» 
vieili'Tii's <|itc lui ressassaient les peeudo- classique s, mais il 
avjiil in suspicion la moiadre Tellëité d'indépendance. Dans 
iliiric aiuart il ne supporte pas qne le château de Fotbe- 
l'ingny renferme plus d'une lalle. Dans le Cid d'Andalousie, 
une des lueilleures scènes, celle où don Sanchc, assis aui 
pieds d'Kstrellv, lui rappelle, eo vers pleins de délicatesse 
et de grdcL-, lu première éclosion de leur mutuel amour, 
trouve le parterre récalcitrant soui prétexte qu'elle retarde 
la niiirdii! ilc l'action. Une réforme du théfttre n'était pos- 
sible que si l'on renonçait tout d'abord, soit dans les mœurs, 
soit dans le langage, ùjene sais quel faux idéal de noblesse 
convenue; or c'est là peut-être que te public se montrait 
le plus susceptible. Ces deux vers de Christophe Colomb 
soulovèrciit uue véritable tempâte : 

e fois saisi par ces coquins, 
1 pays des requins. 

Un homme fut tué dans la bagarre, el plusieurs grièvement 
blessés. A la veille de 4830, VOthello de Vigny est accueilli 
par des sifUcts : on ne tolère pas que le poète substitue au 
classique poignard l'oreiller sous lequel le More étouffe 
Uesdcmona. Lu bataille d'Ilernani, joué quelques mois 
nprcs OUtelto, suffit à montrer combien les superstitions 
sont encore vivaces. On reprochait fi Victor Hugo de violer 
les unités; malgré les coupures qu'il avait jugé prudent de 
faire subir au texte primitif, on trouvait encore des lon- 
gueurs et des hors-d'œuvre dans ce drame si compact cl si 
rapide; on se révoltait contre le mélange du comique et du 
tragique ; on ne pouvait entendre sans protestations un roi 
demander quelle heure il est; on réclamait conti'e i des 



^Hnlures, des cris qui Tcratent irop mal A voir cl A eoteadl 

^^ans UDI3 snlle d'hôpital ■ i od «e plaignait que • la toile ■ 

kvâl ntt dernier acte sur les féeries d'an Lai -l^ l'Opi^ral 

qu'elle ^'abaiitsàL sur un speclade Uigoe de la Murguc •. Un 

pètilion Tut adressée & Cliarles X pour qu'il fil iatocdlrefl 

pièce, £l cette pélillon élaii signée par plusieurs dos poSlfl 

qui, depuis le coDimeuceiiieol du «iècle. aTaieuleux-mAiafl 

cherché à rajeuuir ootre tbéAtre classique. I 

Le I prluce de U poésie •, au début du siècle, c'usl 09 

lille. La plupart de ses ouvrages, beauuuup roéme de cen 

qu'il publia de 1800 6. 18t3, avaieul été composés qudqujl 

aimées aupatavanl ; il n'eu est pas molni vrai que snu dhO 

domine toute l'époque impériale, et rien ne Ja caraclértfl 

Riieut que l'entLouslasme universel pour ce verslOcalea 

I descriptif et didactique. Il parut dans son temps comme iM 

^Kouveî Uomère. Il fut égalé, préféré iiiâme, aux maitra 

^Bl KVn' siècle. S'il se rattache unciire à eux, ae serait^ 

^Blie par rintermédiaire de Louis Racine, s'il essaie de son 

^^Knir leur héritage et s'il croit coulinuer leurs traditiottfl 

son œuvre nous montre de la manière la plus frappaqfl 

comment cet héritage s'est peu A peu dégradé, comined 

CCS Iradilions de la grande école classique se sont altéréd 

1 perverties. ■ 

ILe poL-me didactique, tel que l'entend Delille, est au ad 

|ranger A la véritable poésie que peut l'être l'art du toufl 

nir. Nulle émotion humaine n'; a place. Le seul mérid 

Itnsiste dans lu main-d'œuvre. Choz les poètas dignes de m 

1, la description s'associe soit â un sentiment personafl 

J l'anime lit lu colore, soit A des concc^plions philosopd 

!3 du haut desquelles ils jettent un regard profond sur m 

, sur l'homme. lUen de tel chez les pseudo-clasn 

s ; ils décrivent pour décrire; ils font métier de versiM 

cation ; ils s'imposent des dîrricullés gratuites pour le tvU 

plaisir d'en triompher, Delîlle u'a jamais fait que lier bon 

& bout des D morceaux choisis • . Ce ne sont pas seulement la 

^tinlempsetles hivers, les aurores et les couchers de soleu 

^■ces matières faciles, on dédai^^uerait de les traiter, si l'a 




nf> '•'iri^- iiiail. diaiiue foia «iii'on les repreod, à les rele^ 
l>:>)'i|ii"I<)i^c.'< ifiiirMlc rurcenouvcaui; — c'est le chamean, 
11' liL'i'i'.l<<>'liii'i). r.'oiil un écliir)uii.'r, un trictrac, ud damier, 
ce siitji siirl'iiit les objets les [ilus bas, qu'ua art déiicat sait 
cntioi'lir sans mûmc los nommer. Delille sTail en portefeuille 
tout 1111 iisïiirtiiucnt de ces morceaux, et il les casait de sod 
mieux il.'iiis un cadre de coDTcntion. Tout ce qui pouTait m 
décrire nlevaat de son domaine, il était sftr qu'aucun ne lui 
resterait pour compte. Il ne risail à rien de moins qu'i 
versifier l'univors Une sorte d'encjclopédie riinée couronna 
dignement sa carriârc : après les Trois Règnes il ne lui 
rcilnit jiluï qu'à mourir, et il pouvait mourir en paix. 

Kntré tout vivant dans l'apothéose, il Tut le père d'nue 
noiiil)reus(.' lignée de poètes qui eurent aous l'Empire leur 
saison do vof.'ue et mflme de gloire : Eaménard chante Is 
niivi^'nlion, (iudin l'astronomie, Ricard la sphère, Aimé 
Marlin lu pliyfiiqite, la chimie et l'histoire naturelle. N'ou- 
blinii.s pas les !,'rnmmaires et les arithniÉ tiques que certaiaa 
pliiluntliropcs riment au bènùlice des jeunes écoliers. La 
source d'inspiration l'tant désormais tarie, tout thème de- 
vient bon A mcll re en vers. Le plus grand poétet c'est le plus 
hiilitle fi jon^'lcr avec la i-ime, à dérober par l'adresse de 
l'cn'ciiliim l'incurable inanité d'une pocsie morte en esprit, 
|ii'['(lui; dans d'i^iiincuses vélilles, et d'où s'est retirée toute 
viii, luul senliincnt, toute humanité. 

l'ondf'^e par la Hcnarssance, l'école classique s'était main- 
tenue iicniianl près de trois cents ans. Au xvib siècle elle 
ne sut pns encore dégager d'une imitation superstitieuse 
l'ori^'inalilé propre du caractère national; de Ift, ce qu'il 
y avait d'artiOciel en ses œuvres, dont elle empruntait aui 
r.recs et aux Romains, non seulement le cadre, mais aussi 
l'inspiralion. Au xvu" siècle, la religion de l'antiquité est 
lijini'éréo par une conscience plus intime et plus profonde 
du génie français; le re.'ipect légitime des traditions gréco- 
romaines s'accorde avec un juste sentiment de l'indépen- 
dance nécessaire A la fécondilé de l'esprit. Une harmonie 
élruitc s'est étaldic entre les doctrines littéraires et l'état 



LES PSEUDaCLASSIQUES. 79 

sociaJ. Au magniûque développement de l'art et de la poe^.sie 
concourent tous les éléments et toutes les forces de la civi- 
lisalion monarchique. Ce développement se prolonge jusque 
dans le xyiii® siècle; mais le déclin est bientôt sensible. 
La philosophie qui doit aboutir à la chute de l'ancien 
régime social, prépare aussi celle de l'ancien régime litté- 
raire. Après la Révolution il n'y a plus d'illusion possible : 
l'art doit nécessairement se mettre en accord avec les lois 
et les mœurs d'une société nouvelle, et les derniers repré- 
sentants du classicisme ne sont plus que des t ci-devant ■. 
Pendant que l'esprit d'innovation se propage dans tous 
les sens, l'esprit de conservation cherche à garantir les 
formes consacrées. Mais c'est en vain qu'il invoque le respect 
des maîtres et l'autorité des règles : les écrivains qui imitent 
ces maîtres et qui s'assujettissent à ces règles ne sauraient 
produire, malgré leur talent, que des œuvres vouées à la 
médiocrité, puisqu'elles sont dépourvues de toute inspira- 
tion personnelle, et frappées par avance de mort, puisque 
les traditions dont elles s'inspirent ont depuis longtemps 
épuisé toute leur vertu. 



DEUXIÈME PARTIE 



CHAPITRE PREMIER 



LE ROMANTISME 



Le nom de romantique, par lequel on désigne la période 
littéraire la plus étendue et la plus riche de notre siècle, 
est un de ces noms vagues dont la compréhension flottante 
embrasse sous un môme terme les idées les plus diverses 
et même, en apparence, les moins faites pour s'accorder. 
Importé en France dans la dernière partie du xvm® siècle, 
il ne prend qu'à la longue, sous Tinfluence décisive de 
M"^ de Staël et de Chateaubriand, la signification qui lui 
est demeurée pour caractériser une littérature nouvelle, 
régénérée non seulement dans ses formes extérieures, mais 
aussi dans sa vie intime et dans son esprit. L'école mili- 
tante qui arbora sous la Restauration le drapeau du roman- 
tisme se refusa d'abord à regarder ce terme comme l'expres- 
sion du mouvement poétique dont elle avait pris l'iniliative. 
En 1824 son chef déclarait ne pas savoir « ce que c'est que 
le genre classique et que le genre romantique » ; il se 
plaignait qu'on voulût laisser à ce dernier mot « un certain 
vague fantastique et indéfinissable qui en redoublait l'hor- 
reur », et demandait que, si Ton persistait à s'en servir, on 

6 




ii \.V. MOUVEMENT LITTEraIBE AU XIX' SIECLE. 

uiiuirtifjivai (iu moins par eu donner une CspJicalion-.&pl 
B[)s plus Inrd. il se ft^iiiitait que • ces misérables tcrmu 
il i|uiTi;ll.>s fiKSL'iil Iniiibés dans l'abîme do 1830. comme 
•'ciix rie (jlin.-liislc et de piccinisie dans le goufTre de S9 >. 
1 l.'url. iijouliiil-il, est seul resté. • Hais cet art nouvean, 
i|M<il que Victor Hugo en peDsflt, devait continuer t s'appeler 
l'ai'l j'iiuinuti()UL', et cela sans que le romantisme eût trouié 
ili' JtHiriilion qui pût en donner une idée claite, exacte et 
complète. 

Les uns en font tout simplement une cootre-partie do 
dassicismo , qu'ils ne délînissent pas davantage; mais, en 
le l'Cprcscntant coiiirno une pure négation, ils ne saursieal 
expllipier ni sa lecundilé, assez vigoureuse pour renouvelci 
tous Ir-s genres littéraires, ni son influence, assez durable 
pour te pci'priuer jusqu'à la fin de noire siècle et dominer 
uncorL' aujourd'hui ceux-là miïmes qui s'insurgent contre 
eliu. D'uulrcs oui voulu y voir une brusque invasion du 
t'iiùt anglais et allemand; ils méconnaissent ainsi ce qu'il 
y a eu de tuul spontané dans les origines mêmes de cettt 
rénovation ut ce qu'il j a de tout national dans la littéra- 
ture qui en est issue. D'autres encore, prenant pour cadre 
une ingénieuse boutade de Stendbal, font défiler sous nos 
yeux tous nos maîtres du ivii" siècle comme d'anciens 
romantiques que le temps a classés ei clasiifiés ; mais, si le 
vu^'ue du Icritic tient A la multiplicité des idées qu'il doit 
faire entrer dans son acception, quelle précision pourrait-il 
avoir ipiand on veut concilier en une même formule, avec 
le goCiL des beautés imprévues, l'humeur aventureuse, l'esprit 
d'iilTraiiebisscment universel qui est la marque de notre 
si<;do, cette régularité noble, ce respect des traditions, 
celte sobre harmonie, qui caractérisent celui de Bossuetet 
df lUdnc? 

1.0 fait capital qui nous p.irait dominer le romantisme 
dnns ses origines et dans la portion la plus féconde de son 
dùvpln]ipomonl, c'est une renaissance du spiritualisme, 
l'utiUsiinl par ses affinitùs naturelles avec le sentiment 
tbriHicn au sein d'une société dont tous les liens avaient 



senihlii se lilxsuudre. Selon Al'^ de SUèl, lu division < 
deux genres, cltissique el romaoUiiue, • ae rapparliu 
aux deux grandes Ères du mooile, celle qui a procéda 
l'tllalilissemcni de la religion ctiréLienne et ceUa qui l'ai 
suivi •. C'est là sans doute une explication bien absoluea 
mais elle reste aussi vraie que prafoude, si l'on veut t 
saisir l'esprit sans en trop presser le sens littéral. 

Dans les preiniAres aDoëes du ui' siècle, tandis que c 
doot les opinions s'étaient formées Hvant les grandes cr 
sociales, appartenaient en général à. l'école voltairienoe, 
les génËralions plus jeunes étaient animées d'un tout autre 
esprit. Surmenées par des événements terribles, associant 
d.ttis leur Ame profondément troublée et les sombres tris- 
tesses d'un passé que tant de convulsions avaient jondié de 
lii'combres et tes pressentiments obscurs d'un avenir encore 
jins de tourmentes, elles avaient trouvé iiu fond d'cll 
iijmes, avec le sentiment de leur incuruble lassitude, 

i-iie drBir de se ratlacber fi quelque crojancc qui fit luire 
1 U'ura yeuï un rayon d'espoir. Je nesnis quelle scii 
■ ililé vague et flottante troublait le cœur sans en rempli^ 

«ide et opprimait la conscience sans en satisrairc les b 
-I lins. Dans l'anarchie morale à laquelle les Ames étaient cl 
.<r<iie, un invincible élan les poussait, avides Ala fois et îi 
: il'ables de croire, vers cette religion chrétienne qui, dic^ 
l'iilt siècles auparavant, avait déjà régénéré une société noi^ 
iiiiiinï vieille el non moins caduque, 

La restauration du culte avait été, daas la pensée du pr&« 
niicr consul, une ceuvre toute politique; il ne considérait U 
Concordat que conuite un moyen de domination morale 
h religion que comme un auxiliaire de la police. Le rélaJ 
LlisseniéitL da cathoIlcÎBnie n'eu fut pas moins accueilli pan 
des acclamalion» presque ujiivorselles. Cn n'est pas que lH 
Trance redcivfiil ralholiqun; rouis elle était »i faliguée 
l'incrédulité moqueuse el du scepticisme aride od s'él 
couipin la philosophie do xvm' siècle, qu'elle se tournaid 
avec joie vers la religion, sinon pour en accepter les dogmesJ 
tout au moins pour y chercher un aUniCDl A sas h^sgion 



iTttmDlxinii tffnilria et il^ - ■ - 

veriliM Iradilinntiliiiipir 
aolrt! lilt^Tittun* un» nrm . 

publia l« fii*«ii! du chrUliiiiiUmr, limir In gin''rntinn wi:- 
tMopcrnini* 131 tdia h ta voit. Si Pin)ioli^on nvtiit rcnda lo 
nlliolicUnir M» prcsbyUrci ol «ci ntitcls, Chalcniibrinnd l« 
ntnh i-n imssusion des ctnan, moins en éloblisnani Is v£riU 
do r^vélatioD* autqncllos lui-menip n'a jntnnis cm qac pu 
aaU», qo'en monlraùl ks srflnilés ilii i'IirUlianbme iwe 
U, oalurc humaine et en înTitnnt ceox-lfi nn^mes dont U 
nisoQ ne poatait plus y croire à en ftdmir'^r la besntA 
morale et a éprouver par leur propre expérience la *ertti 
pscilinnle de sca consolslions 

Pour rallacber le mouTemcnt romantique ft la renais- 
■nnce religieuse qui iuauguro noire siècle, il faut voir ilani 
csUe renaiïsnncc, non pas un triomphe du eatholicisnu 
dogmatique, tel qui? voulaient l'imposer BonaM et Josepb 
de MaUtrt-, religion oppressive et sombre, faite pour Ijrao- 
itjscr les Smes el non pour les inspirer, mais l'avènement d'un 
christianisme lout seotinienlal, qui se traduira dans notn 
poésie tanlûl par des ctTusions de foi et d'amour, tuntdt 
par des larmes de désespoir ou même par des blasphèmes. 
toujours par le géoéreui souci de ce monde idéal et divîa 
dont les mystères ont pour organe la toïi du poète. 

Tout ce qu'il y avait en France d'intelligeDcea élcnïa 
d de nobles natures s'associa à cette régénération intime 
dotii Chateaubriuo'l avait donné l'i^clalanl signal. M"" dd 
Slaèl, après avoir débuté par le pur déisme, finit par cher- 
eher dans la foi nouvelle on asilo contre les oragM de Ift 
passion, el prêta nu réveil des aspirations chrétiennes le se- 
cours de «on éloquence ardente et commun icaiive. C'est es 
vain que leti derniers champions du xviii' siéde essa.yèrest 
de protester; désormais la froide el sèche ironie a. fait 808 
temps : une autre ère commence, avec le Gétiie du ckrfh 
ttatfiinw peur Ëvangile. L'incrédulité agressive et rail]eaiat_ 
qui avait condamné l'âme humaine k chercher jusque daiu 
les halluclualioas et la magie de quoi satisfai 



son Jtt THfM 

J 



. LE ROMANTISME. 

cible goût du mystère, fait place, sinon à la foi, du moins & 
rémotion religieuse, à ce sentiment de respect qui est encore 
une sorte de piété. Les représentants de J'ccole théocratique 
ont beau accuser Chateaubriand de trahir la cause qu'il 
prétend défendre, de dissoudre son christianisme voluptueux 
en vagues rêveries, de le réduire à des imaginations poé- 
tiques et à des légendes, d'en compromettre par un usage 
profane Tauguste et sévère sainteté : ce qui est certain, 
c'est qu'il inaugure dans Fart et la poésie une révolution 
profonde, en opposant à la renaissance païenne du xvi' siècle, 
qui avait perdu toute fécondité, une renaissance du spiri- 
tualisme chrétien, au sein de laquelle notre littérature nou- 
velle devait éclcre. 

Tout le temps que dure l'Empire, & part Chateaubriand et 
Mme de Staël, précurseurs d'une rénovation qui ne saurait 
tarder, nous n'avons trouvé qu'une poésie énervée et lan- 
guissante, dont les représentants s'évertuent en vain à ra- 
nimer l'inspiration classique épuisée. Dans le fracas dos 
événements, la génération contemporaine ne peut pas ren- 
trer en elle-même. Dès qu'un peu de calme lui permettra 
de se recueillir, va naître la poésie nouvelle qui a souril^»- 
ment germé dans tous les cœurs pendant la tourniento 
impériale, et dont une atmosphère moins rude amènera <lu 
jour au lendemain la floraison toute spontan'e. Le roman- 
tisme se rattache directement à cette renaissance rl.i >n li- 
ment chrétien qui a eu Chateaubriand pour grand initia- 
teur. Parmi les poètes de la jeune école, il n'en est pas un 
dont la vocation ne porte une empreinte chrétienne. Vic- 
tor Hugo considère la religion non seulement comme la 
source la plus féconde des inspirations pO'.'liques, mais 
comme la plus haute forme de la pensée humaine. Ses 
odes sont pénétrées d'un esprit tout catholique : il se plaint 
que « les poètes nationaux de la France aient été jusqu'ici 
des poètes païens », et cette Croix, « dressée par Chateau- 
briand sur toutes les avenues de l'intelligence humaine t, il 
en fait l'emblème et le drapeau de la réforme poétique qu'il 
associe étroitement au réveil du sentiment religieux. Dans 




■VKMi:\T I.ITTEB4IHE AL" XH* SIKLE 



■■•iH'ifU. «lui Tul le iiianireslr 'lu r<iiii:inii;mt, 
>|ilii-' lill.'raire a [mUr |if>inl .!■? lii'par' iir-: 
i-iiiTiin' ï.ir Liiindl.: il .-miilil !a lLi.M.r;..> o: 
jiK'. iiiji<snnt le siil'limc au^TulcsiiiG coiniL'r 
iiii <<rir|>':. Lnmurlinu a i^të l'iiilcriirèlc liar' 

i<li''iil [|iii confine nu chrislianisiiic dans H' 
s lihiH It'iiilres vl «Ihiis ses ék'vntinns \vi plu' 
si ■l'uinîtriirrroyiintquclui vient Ih sôriaii!!-; 
s'.'|i:iii<'lit' en larges nappes comme un lleuce 
l.'h' Ir <■[•■] ; la source <]u ses vers a jailli sni 

jii\sii.|ii<-!i. il'iiil rapaisement ut la coii'O- 

iil l'ji lui. ijiiani) il laisse échapper dûs nota 
iKiiii- .li's ui'ccnU Je rfvollc, c'est la douleur 
11' r|ii j| i-\|>i'imi>, n'est la dévoranic anni^l^ 
iii\.iii^' •11' ti'Ui'lires auxquelles une écUj^ 
1 :..i :i liïiv siiii unie. Airrod de \\gn\ i^ 

. .Ii.iiilri' ili'> niyslires >, le peintre Ji'S la- 
- il li.rii- nu fruiit l'oiume une aurtVile, « 

II: '.11. LU" 'ii^'il eUitmre sa poi'sie d'ardianft 
,' .l'.'i...>iiv (.luiuil à Alfrcil de Musset, il i 
,i uij'. 'l'.lv^<'ni^;mpersiallgcduxvIll'siÀ'l<!■ 
,>Liiii,-» .il' 1.1 l'Uïfion lui arraclienl des cris 

.■i .s ,!. - ;;lTran,'e t*l Je di'lresse que le Si'i'p- 
,:■, :■:: ■.:.:i.iis connu*. .Maigri' lui. Hnllni îi' 
'.;i,.l, . \y.. :. .i;i.;uol il ne croit \<h:i. el. 
i : -y ' '..LOI';: :iial;ilii'tions,.'os ii;:ilt'Jic- 

...•*,-.; , .i::.::. Iw::^ prière. 

,-.■ .: > ,:■,■>. i;;.'i'Mi;i:'i',;;,i'.iîleî eichrv'ii-nni-i. 

.;■ > , . :;•»,'. -:! car.i.'UVe si:h;ecî:f coui- 
■\,, ; .:■:. .' .-.•■y, •_:..• A'j-r^» Its oriîcs te^ 
....;. , ...-.s::*» :;. : V; 4 It çer. j-.'ï lo l'Eai- 



i pi>rsonndl0B, si técoadf chet a 



1 poÈlea 



':iialcaubrianil s'étail peint JuJ-mâme en loua ses h6rai 
ii'ljuis Giaelas et René jusqu'à Ab<in-flamel el Emlorea 
M"'" do SUël s'était confessée au public soualo voile IraaM^ 
t>arcnt des personnages que ses romans mettaient en acéiisj 
Lamartine n'a jamais fait que chanter sa propre fl 
Alfrfd de Vigny recule ses poèmes dans un bomoD lointain j 
mais Dous dominons sa personnalité & travers les symbole! 
dont elle s'enveloppe, et, de quelque détour qu'il us 
lui que nous retrouvons toujours, et sons les traits de Molsej 
acoablé par une supérioritéqui l'isole du reste des bomm 
et sous ceuj de Cbalterton, raartjr d'une vocation dont a 
sensibilité maladive fait le plus cruel des supplices. I 
les poètes <Ie la première génération romantique, Viciai 
Hugo est assurément celui dont le génie doiulnatcur a ]û 
[Aiis de force objective. Mais, si son Ame ikiix mille vois 
ost comme l'ëcbo sonore du monde eitérieur, le monil^ 
invisible que porte en Ini-mûme chaque poète n'a jamais ei 
tl'organe jilus vibrant el plus ému. S'il met dans : 
ilrames et dans ses romans ■ l'histoire el l'invention, lavi 
des peuples et celle des individus >, c'est sa propre v 
lu'il met dans ses poèmes, chants d'amour coupés i 
l'iiales, hymnes de foi et d'enthousiasme, cris de doute « 
l<i désespoir, reflet tanlût éblouissanl, lanlOt sinistre dej 
ornements contemporains, joies et tristesses, ra; 
Miibrcs, te chœur tout entier des voîi intérieures. Quant 8 
> ITred de Musset, d'oi) jaillissent ses chants immortels, qui 
ïLinl de purs sanglots? Sa poésie, c'est lui-même, c't 
chair et ses entrailles, c'est le cri qui sort des lèvr 
sa blessure Fous les lyriques de notre siècle se révèlent I 
nu dans l>>s plus secrètes profondeurs de leur intimité; ' 
lyre dont ils s'accompagnent a pour cordes les fibres mèmoj 
■lo leur cœur. 

Jusque chci les plus forts, c'est la note trisie qui domineJ 

s fouilles d'automne qui jonchent la sol; r 

Lie verdure dn printemps? J'entends les 




I.r MniTfCMfiNT LITTÉRAIRE AU XIX" SIECLE. 



m('l.iiKi>!ii|ii<'! du cri'pascule; mais où sont lus lijmnei 
joyeux il.! l'iiui-urc? Si quelques rayons se font jonr à Irs- 
viTs Iti bruine de l'atinDsphère, ils sont aussitAt voilés par 
Ii's nmbros <iui a'i^paîssissent. Le senliment de Iristesse 
iiu'oxlinli' l.t poL'sic romantique était ignoré de rantiqDÎté 
pai'iiri.'. Virgile a connu ces i larmes des choses », cel 
ntlotiili'issoiitenl vague, cetle râverie dolente, où nos lyriqoes 
modi-rncs se sonl complu. Hais ce ne sont chez lui que 
iics im]ircssion3 passagères, et d'ailleurs ce poète, dont le 
moyen ûge fiiisaît un saint, semble avoir été touché par 
quflque rcllel de l'aube cfarëtienne. Avec le chrislianigme 
l't par lut s'inocule â l'âme humaine cette disposition plaio- 
livc que nous appelons la mèlaDColie. Dana la civilisation 
anliqui», la vie s'épanouit en toute félicité. La poésie est une 
Tocalion heureuse et triomphante qui s'allie arec le déve- 
lo[^|ipmeut harmonieux, avec le robuste équilibre de toulcj 
les t'acultéâ. Klle voit dans la nature le riaut domaine de 
l'homme, elle vn gloriflo les forces, elle les divinise. Elle 
i!sl un cunljqup de joie et de bonheur que la jeune huma- 
nité chante n i.i terre féconde et au ciel radieui. Le chris- 
tianisme dénonce aui hommes leur faiblesse et leur misère; 
il leur apprend à s'asseoir dans la nuit de leur cœur ponr 
mi'ilitcr sur le néant des choses; il mêle l'idée de la mort 
â tous leurs plaisirs; il les lient courbés sous la pensée de 
rinlini qu'ils découvrent non seulement dans la nature 
inconsciente, mais encore au fond d'eux-mâmes, dans le 
rûve d'un idéal auquel ils ne peuvent ni atteindre ni re- 
noncer. 

La liltOrature classique, que l'esprit chrétien De pénètre 
pas, est élrangère, comme celle de l'antiquité, aux tristesses 
confuses, aux agitations inquiètes, aux langueurs troublantes 
de l'âme moderne. Le mol lui-même de mélancolie s'appli- 
quait Il un état maladif du corps. Vers le début du jax' siècle, 
quand la terre trejublc encore de terribles commotions, 
quand la forme incertaine de la société future se dérobe à 
tous les regards dans un lointain menaçant, il sort dea 
douleurs qu'enferme le passé, des périls que recèle l'avenir, 



L8 ROHiRTISSIB- 

cuinei iju'uDe elTroyaMs revolulioa a accum^ 
I 90)1 one poésie am^re e( gémissante où 1 
^ïchiescnt l'épuiseinent de la lutle, la Ussiluilc ilt: IV 
I l'uITaissemeot des volontés, le découragement ( 
ispûrance clle-mdiae. Cette poésie s'iocarne d'abord ( 
'mé, dont la Bgmt! solitaire se dresse au seuil <iu aièclij 
} mal de René, c'est I& misère IrrémédlBble d'une 

s'agite dans le vide, soil qu'elle aspire h sortir et 1 

ichappcr d'elle-même, soil qu'elle Yeuille, au contrainl 

fcsoBbcr en elle Tunivcrs tout entier. Ce mal, on l'a appdj 

Wt mal du siècle. Nous le rctrouvODs partout et Si 

s formes, dans Oberman qui a'abliue au sein d'ime co^ 
lemplalloo morne, dans Adolphe dont l'eipérience a 
el conirisiée ûétrll rien qu'en j touchant les fleurs de I 
TÎe, dans tous ces héros romantiques, longue procession d 
raulûmes inconsolés qui se tourmentent à plaisir, qui se 
complaisent dans leur supplice et enfoncent de leur propre 
main l'atguillou que le monde leur a. mis au cteur, Liimur- 
Éfne est nalurellemcnt optimiste ; que de Tois pourtant Un 
est tristement assis • aan bords déserts des lacs njél 
• I Que de pages sombres dans ses médilaliona 
t cris d'angoisse dans ses recueillements, et, dan 

lies, que do dissonances 1 Alfred de Vigny a'isoie d 
5 pour chanter sa propre douleur, et distille lentfl| 
! poison amer dont chaque goulle 
e perle brillante. Musset n'est un grand poète que aotn 
t coup d'une grande douleur, lorsque, serrant sa blessure 
aigncr un invincible amour ; ses plus beaux cbaivE 
Bnl les plus désespérés, ceui que les anges de souffrance 
ivec leur glaive, gravés dans son faihle t 
, le plus sain et le plus robuste de tous, a dit, Id 
isi, la Tanitô des projets et des espérances, ce qu'il jÊ 
I tristesse et d'ironie dans le bonheur, celle infinité j 
ioscs douloureuses dont se composent nos années ; \ 
ITcuiile page A page la fleur rapide de la jeunesse ; II ki J 
pllir d'elle-même l'uau profonde et triste que 
"ant soullo A goullo les événements ol les soulTrauci 




90 t.B MOUVEMENT UTTËRIIRB AU XIX* SIËCIB. 
ft ili'jiDsi'e ilnna son ftme. Toui les romaaiiques exprimenl 
r.r iin'il v il irinrninpW dans la desttnéci nous trnuvons i 
leur |iiii'sii.- lui H.rrii'r<;-(;oùt il'amcrtuniei nous j sentons It 
iii>sl;il^'ii; <l'iin ciel <lonl le dieu lombé se souvient toujoun. 
S'il» rliiiiilL'iit, irVst parce qu'ils oui pleuré, et la sérécilé 
ni<''tiii- >l>'^ plus forts L'st voilée par les tristciBes d'un pessi- 
niisiii'' iliiiil les ombres descendent, toujours plus allon- 
gves, tuiijonrs plus épaisses, sur le chemin mjrstérieui d« 
la vie. 

Dans ïi's lieun.-s de désencbantement et de doute, le 
poélc, iisiû. des bouillies, cherche un refuge au sein de U 
nului'L'. < Ce qu'un entend sur la montagne >, c'est, du cMé 
lie 1(1 terri', un liruit confus et discordant où passent l'injure 
et rauiitlK^iiic, une rumeur faite de gémîssenieatâ et de 
suii;;Iip|s; i;'est, du côté delà mer, une sjmphonie d'accords 
écl.'iliuits. un concert de suaves murmures, une musique 
inell'iililu et proronde où chaque flot a sa voii et qui s'épan- 
dir l'H iirbus iniliils jusqu'au trûne même de Dieu : dune 
part, le cri d-'nctpéré du genre humain, de l'autre, l'hymne 
ht'ni •'! triijitjplial dp la nature. La nature console ou berce 
Imit au moins l'injuiortcl ennui de René; en elle Lamai- 
titiii l'Iii'i'dii: l'oulili; ilevant elle seule, Victor Qugo sent, 
;iux ji'Qts rie deuil, rapaisement et la résignation entrer 
ilans siin Urne. Quelque profond que soit son isolement, 
In création l'uveloppu le poète; il ne saurait s'en abstraire; 
• un (liant répond toujours en lui au chant qu'il entend hors 
rie lui '.Certes, la nufurc u uus^i ses mélancolies et ses sou- 
pirs; niais notre cucur, envahi par la tristesse, trouve encore 
quelque allégement \ se sentir en communion avec le 
monde extérieur. Il voit dans la création une confidente; 
il l'aime et pour tout ce qu'elle reçoit de lui, pour tout ce 
qu'il y a pieusement déposé de souvenirs et de regreU, et 
aussi poui' tout ce qu'il reçoit iTclle, pour tout ce qu'elle 
fait passer en lui d'émotions fiirtifiantes ou doucement 
attendries. 

Ce sentiment de la nature est l'inspirnlion la plus féconde 
de tous nos romantiques • Nul, a dît le plus grand, ne se 



^H LE ROBUirriSHK M 

^^Broba eu ce cnonile uu ciol hico, nm athre» verlâ, k {H 
l^miil sombre, au bruil tlu ïent . • La nature piJnStre Jo^ilu'afl 
sijii) ilu •Irnin? : le Ib^'Hlrc refirésonto un paysage a<;rcsli^| 
le lionl .l'un flonvû, la terrasse d'ui] parc: td uieurlru ■ 
puuL- cailro une grève sinistre sous un ciel que l'éclair sifl 
lonne, tel duo d'amour un beau soir d'été qu'éclaireol <iifl 
ci'élemcut les premiers rayons'de la lune: od voit sur ^M 
scène de^ forêts et des rochers, on y entend chanter ifl 
oiseaux. Quant à la pn6sie lyrique, elle s'abfcu\e tout fS^Ê 
1\'ST'-- H deux sources, I bomino cl U nature, et c«s de^| 
sources uiélcnt leur courant. : l'homaie prâte à la nalofl 
quelque chose de lui-mâme, et la nature, 6 son tour, s'!H 
sinuc au cœur ds l'homme par mille voix secrètes. Q^| 
ce soit l'iTresse mystique de la solitude et do silence M 
le b[uyunt icho du tumulte des choses, un soleil qui « 
\^ye on se couche, une fleur qui s'épanouit ou se fane, fl 
|oy<ïux Diiinnure des nids ou le soupir du vent&travers liH 
t'i'Liilli:s jaunissantes, — bois, champs, nuages qui Tolenfl 
aLtx iigilées ou dormantes, sons, parfums et coulcuraX 
1 univers se réfléchit dans la poésie romantique comme daoM 
l'dme de l'homme qui en est le miroir vivant. 1 

I C'est [tousseau qui réTéla a notre littérature cette <ein« 
llvelle; it fut le premier praire du culte que ta poésiJ 
Dlcmporaine rend A la crëalion, Après lui. Uemardiu 
I Saint'Pierre dëcouTrit la nature ti'opicale et les mornOM 
' l'Ile de Trance, Chateaubriand prit possession des sa4 
nés et des forâts vierges du Nouveau-Monde. Il semblait] 
« i'imFneDsité solitaire des déserts exercAt une sotte dq 
uvagc attrait sur des ftmes lassées et dègoOIËos des con^ 
tentions de la vie civile. 1 

SI, dans le domaine social, îtousseau oppose l'état dd 
^iiBture aux misères d'ona bumanits dégradée, dans te dM 
^^■Uiine des lettres et de la poésie, le romantisme, dont A 
^^H| l'initiateur, demanda k l'ingénuité des premiers kg^Ê 
^^ft productions toutes spontanées que n'adultèrent pas uH 
^^^nQces du talent, On recueillit les légendes, les romançai 
^^H épopées auanymos; on préféra les vierges senteurs d'u^f 




91 LK MOUVEMENT LITTÊRiIRE AU XIX* SlfiCLB. 

«c^,::.^lnlioii inculle aux parrums délicats et subtils des flenn 
irliissiigiiL's. nn se passioDua pour uae fraîche poésie qui 
Kijiili' île snurcc, qui n'csl que l'elTusioD oaivc du sentiment 
[)U|>ulHire et dans laquelle s'exprime librement la Tranche 

hiiitiniiité. 

Ce giiùl des époques priiniliTes, cette prédilection pour 
rii.lii]ijscciii:i; liéroTque ou gracieuse des sociétés, où s'épa- 
iii>uit tuute beauté candide cl toute simple grandeur, s'al- 
lia, dès le dr-lju( de notre siècle, soit avec l'influence reli- 
gieuse, soit avec le sentimeat de l'élrotte solidarité qui unit 
d'ftge en âge les générations aux générations, pour provo- 
quer un retour vers nos origines nationales, si méprisées des 
classiques. 

Dans sa seconde préface des Oie» et Ballades, Victor 
Hugo dcnmiiile d'où vient le nom de romantisme et quel 
rapport on découvre entre la poésie nouvelle et la langue 
rniLiance ou roinanL'. Si le romantisme justifie l'étjmologie 
de son nom, c'est ju.stismcnt par ce retour vers les siècles 
gothiques où nous trouvons un de ses traits les plus sigoi- 
ticalils, Cliuteaubriaii'i en avait été le promoteur : son Génie 
lin cliristianixme pourrait tout aussi bien s'appeler le Génk 
du moyen âije. C'est de lui que date l'enthousiasme pour 
nos antiquités indigèrivs qui l'ut d'abord chez beaucoup une 
vogue sans conscquctioo, mais dont l'école romantique fit 
un culte passionné. 

Ou s'éprit au début tantôt d'une chevalerie pimpante 
avec ses gentils pages, ses troubadours et ses ménestrels, 
ses bons anachorètes et ses belles châtelaines, ses romances 
langoureuses et sentimentales, lanlût d'un moyen flge faa- 
taslique et infernal avec ses légendes pleines d'horreur, 
ses oubliettes, ses moines sacrilèges, ses ogres féodaux, sa 
Cour des Miracles et son MoDtfaucon. Le romantisme 
paya tribut à la mode : son chef lui-même fit Han d'Is- 
lande, qui est un vrai roman de la Table-ftonde, et les 
Ballades, dont plusieurs furent visiblement composées dans 
'atmosphère factice des salons contemporains. 

Mais le génie sain el puissant de Victor Hugo ne tarda 



LE ROMANTISME. 93 

pas à se débarrasser de ces miëTreries. Nul n'eut plus de 
part que lui à Tétude profonde et sentie de nos origines. 
Dès 1827, dans la préface de Croniivell, il appuie sa théo- 
rie du grotesque sur Tart et la poésie du moyen âge, l'un 
qui sculpte ses monstres et ses démons au front des cathédra- 
les, le long des frises et au bord des toits, déroule autour 
des chapiteaux ses figures grimaçantes, encadre ses enfers 
et ses purgatoires sous l'ogive des portails, l'autre, qui sème 
à pleines mains ses intarissables parodies de l'humanité, et 
qui, non moins féconde dans le difforme et l'horrible que 
dans le comique et le bouffon, « fait gambader Sganarelle 
autour de don Juan et ramper Méphistophélès autour de 
Faust ». A la mythologie antique il oppose le merveilleux 
national attachant au christianisme mille superstitions ori- 
ginales et mille imaginations pittoresques, peuplant l'air, 
l'eau, la terre, le feu, de ces myriades d'êtres intermé- 
diaires que nous retrouvons partout dans les traditions et 
les légendes, remplaçant l'hydre de Lerne par les dragons 
locaux de nos chroniques, les Euménides par les sorcières, 
les Cyclopes par les gnomes, Platon par le diable. A la 
monotone simplicité de l'art ancien, à la beauté solennelle 
que l'antiquité répandait uniformément sur toute chose, il 
oppose les types inépuisables du laid dans son alliance 
intime et créatrice avec le beau ; aux œuvres parfaites du 
génie classique, les œuvres inachevées que tourmente la 
pensée de l'inûni. 

Notre-Dame de Paris n'est autre chose que l'épopée du 
gothique, et, si l'ironie du poète se joue dans les alentours, 
elle s'arrête au seuil de la vieille calhédrale par laquelle il 
symbolise une époque entière dans son architecture, qui 
y tient la place de tous les arts. Autant le « bon goût » 
classique répugnait au génie du moyen Age, autant le ro- 
mantisme en est épris. Il en renoue l 'S Iraditions. 11 en a 
la vraie intelligence, le sentiment lilial. Il remonte pieu- 
sement jusqu'à cette civilisation complexe ««ù se heur- 
tent tous les contrastes, jusqu'à cet art naïf et savant à la 
<ois où le grotesque coudoie le sublime, jusqu'à celte végé- 




94 I,K MOLVKMENT LITTÉRAIRE AU XIX' SIÈCLB. 
tniiriu >li' poésie irréguliëre et touffue où circule librement 

Ui si'ïi.' ilu n,'i-nif iloinestique. 

I,i> imiuï'Min'ni qui délermine chez noua ce retour vers le 
Hiovun ùge Qv.iit d<.'jâ renouvela la poésie anglaise et la 
jHir'sic allemondc, dont le romantisme français, tout national 
i|u'il •••■■l. n inaniresloment subi l'influCDce. 

Niiiis avons dit comment Chateaubriand nous initia i 
t'nni.- et M " ' du Slaèl ù l'antre. Benjamin Constant, Sismondi, 
Faiii'ii'l, (ilcndjroni le champ des inTCsti gâtions ; l'esprit 
frani^msL-nlil du [ilu^ m plus le besoin de savoir ce qui se 
pL-iisiit et l'eiuis't^crivait su dehors. Si l'enquête studieuse 
avait L'I'i f.ivorisOe par les guerres do l'Empire, elle ne le fut 
pas iiiiiins par les événements politiques qui firent rentrer 
les ISci|]i'l>onîi en France sous la protection des étrangers. 
Lor?i[Ui' IVcole romantique se constitua, tes littératures du 
Noi'il l'-laioiil entrées dans le plein courant de notre critique, 
qui lis cxpliquail avec une intelligence pénétrante et avec 
une sjinpalliiit i'clairée. C'est chez elles que le roinanlisme 
alla pniiier des exeinpli:s pour battre en brèche tes Ibéorics 
pseudo-cinssiqui» : d'un côlt! Shakespeare, Walter Scott et 
Bjron, de l'autre Gœthe et Scbillcr, furent opposés aui 
repri'sentants les plus illustres du grand siècle ; ils devin- 
rent l'oliji't d'un entliousiasme fervent, et leurs noms, 
écrits sur le drapeau de la nouvelle école, rallièrent auteur 
d'eus h jeune géni*ration tout entière. Il semble à première 
vue que le {ii^nie septentrional préside au mouvement d'oil 
va sortir In rég<-néra(inn de notre littérature, etqucfespril 
français, en abandonnant les traditions du xtiiq siècle, soit 
pnH fi Iraliir sa jiropre originalité pour s'asservir à l'imi- 



Inliiin nnfilnisp el allemande coi 


nmc les Anglais et les 


Allemands eux -ni Ames s'i^taient. ei 


1 d'autres temps, asservis 


au gnni clnwiiiue. 




l'niii'faul, si l'inlloeiice 'itrangèn 


a eut une part inconles- 


table diin'; noire renaisMnce rnn 


innlique, ce fut surtout 


en nous OTborlanf par l'i^seuiplo k 


consommer une rupture 


depuis longtemps imminente avec 


les préjugés du pseudo- 



classicisme. Au fond, le romantisme admira les poètei 



iij^'Iais «I. allemnoil* beftccoup plus qu'il ne les iiniia : 
-!■ rdclninn d'eux, nuis pour moairer par leurs ' 
il'ixuvrc, nvonl d'en produire k son tour, coinineol te géiù 

[lorle on lui-même les lois éternelles d'où relèvent ti 
]':i formes de l'art, et dédaigne également soit les œo 
jiii su sont faits d'après les règles, soit les règles arbitrain 

I faclices qui ont la prdtenlioD de faire les modëlei 
' .hiiteaubriand, loin d'exalter les poètes anglais qu'il p 
■ i.nte à la France, est plutôt tenle de les déprécier : il pri 
i.'ce Rawne à Shakespeare < comme l'Apollon du Belïédèrd 

1 une grossière statue d'Ègjpte ». H"'» de Staël elle-m<>mj 
i:n nous faisant connaître la lillératuce allemande, met n 
nôtre en garde contre le danger de rimitation, et i 
conrie à une rifalité féconde qui développe en naos les qui 
niés propres de noire race et grAce à laquelle nous r> 
DÎoQS vraiment Franjais, comme nos voisins, affranchis 4 
l'influence française, étaient redevenus vraiment Allemandi 
Les principaux représentants de l'école romantique propr^ 
ment dite ont eui-mémes protesté bien des fois ( 
toute invasion étrangère. Ils descendent en droite ligne d 
Ctialeaubriand, et leur admiration pour les poètes de i'Atâ 
t:klerre et de l'Allemagne, ai vive qu'elle pût ûtre, se lid 
toujours & distance. Lamartine ignorait tout de li 
allemande, et, s'il adressa une épllre a Byron, ce 
que pour le réfuter vaguement, sans le bien connaîtra 
ni.'ul-élj'e sans l'avoir jamais lu ailleurs qu'en lui-mémq 
^'ih'n7 traduisit Othello; mais, ainsi qu'il l'explique, t 
.'lail d'ouvrir la voie aux œuvres originales qui deTaienil 
■suivre, et le drame de Chntlerlon ne doit rien à Shakcaj 
pi'are. Comme poète lyrique, son inspiration est toin 
l'iosc en lui-même, et| si d'autres génies contemporatoi 

ni. plus de puissance et de fécondité, aucun n'a I 
[>W3 personnelle. Alfred de Musset se souvient tlo Bjroil 

lins les poésies <i(< sa première jeunesse, mais celles quT 
i iHl luimnrlaJisé sont faites de ses propres larmes Qui 
li Victor Hugo. U'il pliLs que lui ne professe le mépris 
mil tuteurs. « ^oe le poète, écrït-ii, se garie surtout < 



dil-.l . 



)Ul 



gÉtûe, Il mu» manquera toujours son ori^inulilti, «'ciUt- 
■lire son g<;iiie • Parmi tous les jjoétei tle l'Au^-Ictetre «1 
de VAlkmagDc, Slialutpeaii; eut le suai qui ail va sur lui 
quelque iDllaeucti. et 11 déclare uo Youloir pos plus éUt 
le rctiel (le Shakespeare que t'âelii} de ituâuC' Qu&dI ï 11 
langue allemande, elle lui esl ealiÉremeDl 6traO£6re, D'aU- 
leori, ce u'est pas de ce c6lè qu'il te seol attiré. • Sam 
mËconnalIre la grande poésie du Nord, dît-il lui-mfioM.il 
■ toujours eu un guùl nf pour la foruio laËridiouola et prf- 
cisc. • Uans toute la première partie de sa carriAre, sa 
po(tk-s de prédilectioD sont italiens ou e^s^uuU; il n'a- 
«pire du ISotnancero, ii oppellc Virgile cl Uautcaeg mnllm 
6t c'est eu Ëspague qu'il place cette ville du nio^on âge 1 
Laquelle il souhaite qu'on puisse comparer uu jour la lilU- 
rature l'raai^se. 

Si noire poésie romantique offre de nombreuses reasam- 
blances atec celle de l'Angleterre et de l' Allemagne, ce n'aai 
pas un résultat de rimitation, c'est plotût l'efTet de eaosci 
analogues qui agirent sirauKanément chez les trois peuples. 
Avec Housseau et Diderot, la Kraace a même, sur bien de! . 
points, devancé ses voisins; mais les mndâlea immortelt 
qoc lui a léguiis notre grande période classique la retien- 
aent dans rattachement aux traditions nationales. L'Angle 
terre et l'Allemagne ont depuis longtemps secoué te joug, 

ï nous hésitons encore & rompre avec un glorieux ptaaà 
pour nous lancer dans des voies inconnues. Pendaul que h 
Sërolulion bouleverse notre régime social, pendant que lei 
guerres de l'Empire épuisent uotre activité sut les champt 
do bataille, les deux litlëralurcs voisines ont déjà produit 
les cbefs-d'ccuvre d'uu art uouveaii, et, quand la Frsnae 
revient à elle-mâme, elle poursuit, encouragée par leUE 
exemple, cette régénération potHique qu'elle avait été If 
première â préparer, mais elle la poursuit en restant &> 



LE nOMAHTISMi;. 
« son propre gdnie el en ne prenant guère ft celui du Nord 
i|ue /".e qii'olle lui avait dcjii contli!. 

Si l'avi^iieiiient du romantisme marque en elTct cIicedouu 
UD abn.ndoD sans retour des routines Berriles, il D'en e 
pas mnins vrai que Tesprit classique, ea prenant le m 
dans soTi acception la pins large, en le débarrassant < 
tous les préjugés qu'; avait incarporës le pseudo-classicismeil 
conserve aui œuvres des plus hardis novateurs je 
quel tjpe général de race el d'origine qui ne permet pas <li 
les confondre «vec les productions du génie seplenlrîr 
L'antiquité grëco-latine a passé depuis des siècles < 
notre éducation héréditaire, dans nos mœurs, nos lo 
DOS institutions; elleagravé son empreinte sur le caractèrd 
même de notre peuple ; elle maintient un certain idéal d 
cutlure et d'art auquel le génie français ne saurait rt 
sans se trahir. Ceux-U mêmes parmi les poètes d 
âge qui réagissent avec le plus de violence contre des doc- 
trines surannées, ont soin de distinguer entre l'esprit c" 
sique, dont ils maintiennent l'idéal, el la rouUne scolastique, | 
dont ils combattent les auporstitions. 

C'est peut-élre par abus qu'on a fait du néo-helléniam 
ime branche de l'ùcole romantique : il est vrai pourtant ■ 

■ DO la nouvelle école nous donne le spectacle d'une rcnais- 
ance grecque à laquelle an grand nombre de ses poètes 

■ .ot concouru. D'ailleurs, les pseudo-classiqnes avaient si peu 
la véritable connaissance et le juste sentiment de l'ai 
ancien qu'on se distinguait encore d'eux en laissant le II 
imitations de seconde main pour remonter jusqu'au 



André Chénier, grâce ft ses origines, gr&ce ft un commerça 
assidn, grâce l\ la porcnlé même du talent, est le premicil 
du nos poètes qui nous rend l'impression directe dû lu 
tlrère non plus de celle Grec*- froide et décolorée, lelld 
; iK le présenlaieot ses conlemporains, mais d'une Grècafl 
iLvanle el radieuse dont l'immorlello jeunesse resplendit! 

Btn couronne de roses. Après Chénier, e&core inconno 
dibal de notre siècle, Chateaubriand, ce cbantra do] 
-1_ 



Di ' . iiiruK cbMUon, fui aussi le 

»(lil .iil''ft olj-miiiiluM ; il 1 

ff» i--,, .... ][, iruuble que lu yne il 

ne lui a |iiùiil ta.ll ù^irouver, et, lorequ'il met lo pied 
Ml il'Alhdaeii. il criilt Mre an oonlemporaÎD des I*4rid4* 
el iJcs So|)bocle. Plui laril, en pleiD romanUsme, 
reii^uvoits Ift mftme iitiplrallon dicz la plupart des poCtci 
i|iii, liant Im raOR» de la nouvt>lte école, tuticiil (Molfeli 
irunt (lu Cniu rlaasicisnm. Alfred île Vign.v (.'Uipruole lent 
(itiiv imi brreen de la Sicile |iuur aecompaguer ses iilril» 
delà llryaiir KliiiiSymrlha ; Bt'neaxù^t • uq Hion ctirtitten 
nui, jnsilii'nu foiid de l'Armorique. ceoueille le discret WlB 
di^i liiuiiirales dorieDues; Alfced de Musset cbonte h 
tirèw, • cel\e eieroelle pairie de ses vœux >, • la Gtiet, 
sa mère. t>û lo miel est si doux •. La seconde gènératim 
romantique um sera pas uioiosëprisc de In bi?auli^ ^recq». 
cliex Tlii;c)phile Gautier, chei Théodore do Baiiville ul Lfr 
oonle de Lisle, nous retrouvons te culle d'un idt^al |ilu- 
Uqae qu'ils se sont complu & réaliser sous les rortnM Itt 
plus pures de l'art néo-grec. 

Que le romanlisme se tourne «ers la Grâce ou ren 1< 
moyen Age cUrétiea et ualinaal, qu'il emiirunle à la poàM 
du Nord quelque chose de su mélancolie pénéLranle, ou qo"H 
aillu jusque dans l'Orient cbcrclier la lumière et la couleuli 
ce qui concilie les uoea arec les autres tant d'inspiralioas 
diverses danaieseis de In même école, c'est qu'il a Ijiujeiut 
eu pour devise la liberté de l'url, et celle devise lui rallilll 
d'avance tous ceux qui, laissant de côté les modèles et In 
régies, ne reconnaissaient d'autre régie que la vérité, sMi 
quelque apparence qu'elle se présente, et d'autre modiff 
que lu nature, quelque aspect qu'elle revête. 

Allrancbir l'iul, tel fut, avant tout, le but du romtK 
tislIJll^- A ses jeui, ■ la poésie i!St une terre vierge 4- 
fécondc doal les productions veulent croître libreinâDl^^ 
pour ainsi dire, uu hasard •; c'est un parMilis lerrctil*. 
bans fi-iiït di^l'ondu. Les classiques, u'éludiant la tiaUire ([ut 
par une seule Tuce, excluaient de leur domaino tout ce tf/i 



ne se rapportait pu \ le»r conception [■artituli^rc. Let 1 
roniQDtiqaos recoDoaîsaenl te Iiëhu «oui loM'n «^ ranDoa 1 
et oufreot leur umple A loua les dieu. Il 7 a du bcaa J 
autant de lypes dîrera qu'il y a de sociétés ijiffi^renles. I 
iloRière, Dante, Sh&kespeorc nu Gœthe, !oua tous cea J 
IMJ111S, c'est le génie, et le génie h JDStëmfal pour caractêra I 
ii^linctir d'apporler toujours avec lui une îtKerprtlatlân I 
ij'i^-inaJe de l'ëlernelle faeaaté. Maïs 6 i:dl(- du beau exislA I 
le liiid. el. s'il a sa place dans la nature, il doit l'atoir I 
aussi dans l'art. Hlulût ijue de dédoubler t'iiuiuiiiu et ta I 
vW. le romanlisiue mêle dans sas créalions le laid avec 1« J 
beau, le mal a»ec le bien, l'ombre avec la lomière. Pour I 
qui voit de liaut, ce que nous nomiiions le laid, c'est, uprit» 1 
tout, dans reoseniblc des choses, un élémenl nécessaire A 1 
luur liariDOuie. De même, ce que nous aonimous un dérnut I 
est la corrélalioQ obligée d'une qualité. M qualité, ni défaut, 1 
ce peut âlre l'idéal des esprits médiocres; mais, dans l'art, | 
la tnédiocril.é ne compte pas, el, quant au génie, il est fata- J 
lement trrégulier comme la nainre elle-même. I 

I, 'école classique uvait fait de ta poésie < un jardin bien J 
nivelé, bien (aillé, bien netloyé, bien ratissé, bien sablé >. 1 
Le romantisme la compare • à une forêt primitive du I 
Nouveau-Monde avec ses arbres géants, ses hautes berbes, 1 
sa végétation profoudo. ses sauvages harmonies >. A la 1 
convention il oppose le nature, et il préfère ■ une barbarie 1 
l.' Shakespeare à une ineptie de Campîslron >. L'école | 
: l:i;sique Hvait circonscrit l'art dans des limilv^s étroites; I 
I' .n plus, elle assi{|:nait à chaque genre ses bornes parti- j 
: iilieres en lui défendant d'empiéter sur le genre voisin; I 
■ivec ses latitudes propres, chacun avait ses convenancea j 
-.;>'!ciales. Le romantisme brouilla cette ingénieuse poétique^ ] 
il (irofessa • que ce qui est réellemenl beau fit vrai est bean I 
i4 vrai partout, que ce qui est dramatique dan» un roman '% 
•'■m dramatique sur la scène, que w qui t*l lyrique diim I 
iiri couplet sera lyrique dans une «truphc; qu'eiirm lit lou- i 
:'..(irs la seule ilislinction véritable eut '"•cil" du boti <il du J 
riiuuvuis I. On «ut alors le drame, qui réunit eu lui loo» | 



LE MOUVIiMENT 1!! . 

^ iifMi tout limon et ilonl aucune (ecootse a« [roùSI^ 
limpiilili^. 
Qao de stturillces i<our atldnilrft k la pcrroclion classique I 

I Celle langue au profit de laquelle les noTateurs du xvfEièr.le 
Rvaiunt dépouillé les dialectei proviDCiaux, redcmanijé i 
ï'nn\ii\a\lÈ doincsiique ses toiirs et ses vocables les plui 
expruxsifs, opéré tant de t prorignemeota > qui Bgurérent 
avec honneur dans la [loit^iie cimteniporaine, les grp,mmai- 
ricDS de l'Agi: suivunl inetlent aulaiil de tËle & l'exparger 

L qns la pléiade en avait mis â l'enricLir. 

Béritier de Iluusnrd, Malherbe n'en accepte l'hOritage 
qne sous bén^flco d'inventaire. Son oeuvre est toule Diïga- 
tive. U n'invente rien, et, s'il perreclionne, ce n'est que par 
élimination, Atcc lui, la langue du xvi» siècle s'amende ti 
se té^Tiloriso, mais en a'appauvrissani . Dans cette robe aux 
larges plis il se taille un vêtement de coupe correcte, mafa 
raide et étriqué. Encore Alalharbe parle-t-il le franchi* 
populaire; la meilleure part de sa réforme consiste à débB^ 
ratser l'idiome poétique des locutions et des formes savantes 
qa'; avaient introduites ses deranciers. Il renvoie aux are- 
eheleurs ceux qui lui demandent le secret du beau lan- 
gage et ne reconnaît d'autre Académie que le Port-au- 
Foin. Après lui, Id langue lilléruire se restreint de plus 
en plus, non pas miïme h l'usage de la • ville i. maia t 
celui des salons et de la cour. Ce qu'elle gagne de la sorla 
en élégance, elle le perd en vertu pittoresque: lât ou tant 
elle paiera sa noblesse et sa pureté au prix de toute inven* 
iion primesBuUËre et de tout relief original. 

L'Académie française se fonde pour ■ tempérer les dârâ 
glements d'un empire trop populaire •, pour t nettojcrls 
langage des ordures qu'il avait contractées dans In bouche 
du peuple i. Aux jeux de Vangelas, ce bon usage dont il 
té dit le grefller est celui • de la partie la plus saine iLe 
la cour >. Ou consiiiërc la contagion des proTinces comilie 
foncièrement corruptrice; on exclut avec soin tout ce i(iA ' 
Uent aux écoles, au Pnltiis, aux arts mé'^aniqm.'s, aux Tif 
lilés de la vie ordinuire. Le traducteur de Quinte: 




■sLImp iiii'on a déj* retranché la rnoilii- 
[iloïés au wi' siècle par le traducteur de Plulurqijc. El. i 
lio les regrettiî pas. Ccnx-ci étaient trop vieuï, ceuï-lâ ti 
rades; les uns choquaient par ia bassesse de kup iirigi 
les aulrL-s par leur physionomie trop brutalement accus 
La conTt^rsatioD des hoonâtes gens ne s'accommode ( 
de mois choisis, bien nés, harmoniens, assez généran] 
pour n'dveiller dans l'esprit l'idée d'aucune ehose nUgaire 
assez Joignes de l'impression directe pour représenter I0I 
objeU sans les faire saillir brusquement aus yeux. 
)'. iluuhours renchérit encore sur Vaagelaa ; celle partie U 
plus saine de la cour, il la réduirait, si l'on Toulsit l'oi 
iPiidre, au roi et aui princes du snog. Quelques centaii 
de courli^ans Tormcnt la langue à leur image. lia la t 
linent, ils la Gltrent tt l'envi; ils la dérobent an grossiei 

oiaïuiTce des sens, ils la spiritualiaenl si bien quel 
!ir:ira por j perdre toute couleur et toute sa' 
Le vocnbulsirc et la syntaxe, que les gra 
\vn' siÉcie s'imaginaient avoir fixés pour toujours, 

ijliirent du moins, pendant le xvm', que des cbangemenl^ 
I" Il sensibles. Voltaire, qui mène une campagne s 

I hardie contre les ahas et les préjuges sociaux, est, 1 

L jlière de langue, si religieusement fidèle aux tradition^ 

'îssiques. que les nSologismea les plus inoffens 
i-i iuchent sa liroidité. Ces traditions ne se modillérenl, pen* 
d'iiit les cent cinquante ans environ qui s'écoulent é 
Louis XIV jusqu'à notre siècle, qoe dans le sens 
purisme toujours plus exclusif et plus dégoûté. La Révolu^ 
tion triompha moios aisément de l'ancien régime lillérairi 
que de l'ancien régime politique. Sans doute, notre II 
n^ resta pas A l'abri de toute atleinlc. L'avènement d'uE 
ilutnocratie étrongère aux di^licalesaea de la classe arislor 
>j:iliqiie qu'elle avait supplantée, derait inéyitablemcaa 

I iroduire dans l'usage bien des inno»nlions en acconT 
.[...■c le caractère de la société nouvelle. A peine élablij 
1 iiistitat se vit charger de faire entrer dans son Diclioih 
tmire I lus moti que la Hévolulion et la Iti;put>lique a 



tôt LE MdUvmBTr LirreRAiRB ad i 



. UmÛ tÙBD [ 



1 de t 



t StreTl 



s |iouvnicn(: 
p&r la langue littéraire, el le DlclJimniiJreloi-rnâmc 
(limna ilrnU tl? dli! qu'en les relj^^nanl. dans an appendlte. 
Quant nui locutions que les journalistei ou les orateurs 
■vaitint empruntées au parler du peuple, la Ult^ralum de 
ITiiipire les rejette avec mépris. Il somblo tout iraliAcl 
que le principal elTcl de la HèToJullon doive «tre d'exagérée 
encore, par contraste arec l'anarchie et la licence rétolu- 
lionnaites, les scrupules et les susceptibilités du goQt clas- 
sîttne. Nos écriTains de l'époqoe impériale ont des supersti- 
lions, des pudeurs, que ni Boileau ni Racine neerinnaissaisal. 
Cesl seulement avec le romantisme qne la ItévolnLion pasn 
de l'ordre politique dans le domaine de l'art et surtout de 
1« langue. Ceux-là mâuies qui, de notre temps, s'allacbenl 
à réduire le plus possible la perlée du mouvement auquel 
la nourellc école a présidé, sont bien obligés de recon- 
Battre qu'elle accomplit dans notre idiome une rérilahte 
transformation, la pins profonde qu'il ait subie depuis la 
Renaissance. 

Dès leurs débuts, les novateurs, tout en remonlanl par 
delà le xvi* siècle au moyen ftge chevaleresque et chrétien, 
ne se donnèrent pas moins, en fait de langue et, de vertiB* 
cation, comme les disciples de la Pléiade, Nous tenons de 
Sainle-Deuve. par qui nos poètes de la Renaissance TurcoL 
remis eu honneur, que, son choix de Honsard une fois lu^ 
miné, le bel exemplaire in-folio d'oil k's extraits avaient Md 
pris resta déposé aux-mains de Viclor (lugo et devint, pont 
ainsi dire, l'Album du cénacle romantique. Sans doute, il y 
avait, même à cet égard, entre l'ancienne Pléiade et cdie 
de notre siècle, une difTércnce de siiualion sur laquelle pu 
n'est besoin d'insister, La première ne trouvait derrièrecUe 
qu'obscurité pédantcsque et savante barbarismes cbei lu 
• rhétoriqueurs ■, et, chez les poètes de cour, comme Hardt 
et Saint-Gelais, une sécheresse de formes cl une indigcnn 
de mojens que ne pouvaient dissimuler leur ngilitt^ ^rucieDsC» 
leur vive et presle élégance; la seconde hàrilait de JçBl 
grands âges ULIéraircs, illustrés, dans chaque geuil^l 



RÉNOVATION DE LA LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE. 105 

d'immortels chefs-d'œuvre. Mais notre langue classique, 
surtout celle de la poésie, cette langue déjà « gônée » par 
Malherbe, qui passait ensuite de Malherbe à V«»ugeias et de 
VaugelasauP. Bouhours, qui, pendant deux cents ans, n'avait 
cessé d'être épurée, c'est-à-dire de s'appauvrir, jusqu'àce que 
la pruderie des pseudo-classiques finit par en exclure tout 
naturel, toute vivacité, toute franchise expressive, ne pou- 
vait servir d'organe au jeune siècle que si les novateurs en 
refondaient l'instrument. 

La grammaire elle-même, naturellement plus fixe et plus 
résistante que le vocabulaire, ne fut pas sans subir de 
nombreuses modifications. Le romantisme n'introduisit 
guère de coostmctions proprement nouvelles; c'est que la 
langue domestique, celle du moyen âge, celle du xvi* siècle, 
mettait à sa disposition une foule de tours vieillis entre les- 
quels il n'avait qu'à choisir. Ces tours, dédaignés de nos 
écrivains classiques, il les fit rentrer dans l'usage, il reprit 
du moins ceux qui s'accordaient avec le caractère analytique 
de notre idiome. Issue d'une renaissance morale et reli- 
gieuse qui la rattacha tout d'abord à notre antiquité natio- 
nale, la jeune école rechercha les vraies traditions du génie 
français et son originalité native. On était archéologue 
avec piété; on restaurait non seulement des châteaux om dos 
églises, mais aussi des formes de langage auxquelles lo 
classicisme n'eût pas moins répugné qu'aux • barbaries » 
de l'architecture ogivale. Ce sens de l'histoire qui manquait 
complètement à l'âge classique, le romantisme l'applique à 
la rénovation de la langue elle-même aus.-ii bien qua celle 
de l'art et de la poésie Au xvni* siècle, Voltaire, dans son 
commentaire de Corneille, traitait comme des solécismcs 
toutes les <:onstructions du vieux poète que n'admettait 
pas l'usage contemporain : les novateurs de 1830 ressaisis- 
sent par delà Corneille bien des franchises de nos anciens 
auteurs; ils retrouvent ce je ne sais quoi »]>'. hardi, de vif 
et de passionné quavait la lan.L'ue fian'..iis<; avant que 
les puristes classiques l'eussent assujettie à leur étroite 



^ %sm^m vfcl m w% ^^ 



O n« *onl pa> «etiienvenl lei rmiEblei A' 
Tsa^la* iliiait (jui' tu mnilïd aTaU (>U dèjt firnscnlc, nuii 
■oui *i» • plirBte* •, c'csl-it-tliro m» i^onatructifins et ri 
tvurnnref. Av entnmeDeciueDl du xvm' siide, l'nDtearde it 
IMrt A tAfadfmir, que son iDdépeiiiUn<:e fAisoit Uim 
ifespril filiini.-rii|uc. mais qui n'en est pas moin* le criliiiiK 
Is plus ilûlicnl. i:l tn plus pénétrant de non ('pnque, le iBoUit 
atiorvi aux pr>^jii^i^> dn goût cooLempirnin, so plaint que 
DOlre langun nit prrdu soa ancienne litiDrté d'allure. ■ Elle 
n'ose jamais procéder, écrit-il, que suivant la mëlboïkla 
plus scrtipuleuso vX la plus iinirorme Av. \n grammaire : on 
Toit toujours Tenir d'abord un nominatif substantif qui taiat 
son ailjiîctif comme par ia main; son Tcrbe ne manque pa» 
de marcher derrière, sui»i d'un adTcrbe qui ne souffre rioa 
entra deux: et Iq régime appelle susdit lU an accusalif, qni us 
peut jamais se dOplacer». Quelque eiagération qu'il jr ail 11, 
FAoelou n'en a pas looins raison de faire sou procès à la 
monotonie de la syntaxe classique, Par la clarté nUiut 
qa'elle doit A sa ilisdpline SL-vète, noire langue, telle quft 
l'écritent le xvu* et lu xvia' siècle, cal un nienreillcni 
argane de la nilsou :mais il faut attendre jusqu'au roman- 
tisme pour qu'elle dericnne propre k rendre les troubles da 
ccuur, le lumulle des passions, les i:apriceH de la fonUistS- 
Lu roman lisuie sacrille volontitirs la régularité grnmmati* 
cale A l'erTel dramalique et à l'expression pittnrea^ae. Il 
dispose les mots , non pas toujours d'après leur ronctioa 
logique, Aune place Qiëe d'avance par la mËlbode abstraite 
lies grariiNiui riens, mais aussi selon Tordre dans IcqDel M 
succèdcul nos impressions ou nos sentiments, A la plaeenil 
Uh porte du lui-mânie le raouTemeol de la pensée ou le 
eourunl de l'ëniotion. Avec les romantiques, noire sjntuc 
permets In phrase une marcbeplus libre, plus souple, plo) 
accidentée. Ils retrouvent ces idiolismes pillaresques, M> 
Faisons de dire singulières et brusques, ces tours esprean^ 
modulés sur la sensalion immédiate, toutes ces locutions 
originales et imprévues, dont rirrr'gularilâ choquait l'esi 
classique, amoureux avant tout d'ordre et de s^iuélri 




! même, lu savcup relevée ou la fnirilinritc vive 
ffcnsaicnt se» rliflicalcsses renclifriHs. 
idiUcations inirocluitcs rlans la graniinsirc se rap- 
d'ailleurs au style plus qa'H la langue. Non sciile- 
rotaautUmeD'apoinl invfiilé île nouvcoui procédas 
tnais encore un grand nombre de ceux qu'il 
a rajeunir sont sortis de l'usage actuel, (>U mCme 
mais âlé, pour la plupart, que des Hrchnhmes 
& et 1& par des ëcriTaiits qui ne prét^endaient poin 
' entrer dans In circulation comcnDoe. • Piu'i A In 
I dit Victor llugn ea dièctarunt la guerre A la 
foe da pseu do- classicisme. L» rënovatiun dont il Tul 
rtear porta beaucoup moins sur les rormoa jeratn- 
qae sur les mot», el l'œuvre de l'iieule romantiijuc - 
■e de langue consista surtout, pour employer une 
i de Victor Hugo lui-même, & < délivrer > le vo- 

expression indiipie assez que les novateurs se per- 
(arement des uéologismes. La pauvreté de la lim- 
Bique lenait, non point à l'insuffisance du dJclion- 
^onal, mais au purisme dédaigneux avec lequel In 
:c dont l'usage faisait loi en avait c:iclu tout ce 
tait henrter ses scrupules. Le romantisme n'eut 

nover, mais h reslaitrer. • S'il est utile, disait 
', de rajeunir qaclquu toamure usûe, de renouveler 
vieille expression, on ne saurait trop répéter que 
^'arrêter l'esprit de perfectionnement. > Ainsi, ce 
ogue horrible el débordé t, comme il devait plus 
ipeler lui-même, est a cet égard un conservateur. 11 
lans l'invention de mots qu' t une triste ressource 
Dpoisaaoce •. Les maîtres de Técok romantique 

qu'un très petit nombre de termes nouveaux. 
seconde moitié de notre siècle, le néologisme en- 
e littérature 1 mais, dans la première, l'enrictaîs- 
do Ib langue consiste surtout h lui rendre une partie 

nés richesses. 
tnoDtiïinu Bt revivre une mullilude du mots qd 



U HOUTBUEHT LU. 



A,.X'I 



éiêitat ttimW* en ii#«m^(ii'lp Aepnît ilous na niêai« (mil 
ntrlv* ; kcauooap iltairM, qw Vmago avait fan^nritt, mv 
ilJEl^riiDl timr aivns, meit piinr lu rupprocbt^r, ca gfni'nli 
d'nn pins aocieD «mplnî. • C'<»t eo rouillant uuo Utif^ii qc'm 
renri<:]iii. •. iliBait JoubËrt, »ns se Inisscr trlTrajcr, roi 
kl pxcuilD-«la9!)ique3, par loi archalsnies d'Atala no dr il 
i il faul lrail«r les langues comme les champs : pooT Iw 
rendrL- r<-'ci>n Jes.il faut les remuer A de gmnilea profondeun. < 
Clialdaubriand araït ilonné le signa]. Ce'niallre en Tirt 
(Tàcriri! nlgnore ni nt n^tçlife-e rleu de ce qui peut prêtée* 
son »lyle lie l'éclal et du relief; il sapproprie œ que lui 
offre lie plus expressif et de plus coloré non pas seulcmual 
le fraiivala d'avant Raeine, mais aussi le gaulois d'araol 
Ronsard ; il cueille des Ueurs jusque dans les vieux dîctian- 
nairos. I,cs novateurs romantiques suivirent son eseiople; 
ils lu suivireiil avec asseï de hardiesse pour transformer li 
langue, avec trop de discernement pour en violenter le génie 
naturel ou pour en fausser le cours historique. 

C'est surtout par les poètes, mais au bénôfice de la pi 
comme de la poésie, que s'opéra cette rénovation do ntn- 
bulniro, dont le premier initiateur fut Cbateaubriand. S 
Victor Hugo ii'iiiterdit le néologisme, il revendique en fonis. 
chez les auteurs du moyen Age, dans le parler savoureoiiit 
pitlorosqiie du xvi° siècle, jusque chez les classiqueK. dut 
termes vieillis uui'inels le repos mflme d'une longue dhtt- 
tuilv avait rendu toute la force et tout l'éclat de la jeni 
SaÎDlo-rtcuvc travail^ & la mfime œuvre avec une dûlicatï 
patience; il j applique sa curiosité toujours en éveil et 4 
don d'assimilation qui est chez lui du génie. A mesure qtt 
le romanliiimo se fait plus exclusivement descriptif et plUO" 
resque, il sent le besoin d'enrichir son vocabulaire. Tlitoi; 
pbilo Gautier, • le peintre de là bande >, comme il s'^p^h 
recourut parfois h l'inlroduclion de termes nouveau»; i 
pour quelques ni'olo^ismoa plus ou moins beareiii. plus an 
moins atilo;. combien de restaurations, dont bcnucoup' 
furent pour notre langue un gain précieuil • Ah? mon 
enfant, disaitil k l'un de ses gendres, si nous «vinns s«a)^ 



tant de piastres que j'ai rKCoiiqui» de mois sur loiir 

> suis lnDcé b la coïKitifil.i; Jes ndjediTs, 

^tcrré de cbarmauls et d'admiiablus, dont on nu 

s se passer. J'ai fourragé & pluines msiug daoa le 

-. » Et ce renouvellent^ Ql n'est pas chez les ro- 

Doe œuvre d'érudition faclice. Les lerruea qu'ils 

Pures refirent un pacte avec lu vie; la plupart s'em- 

uijourd'hiu couramment, ai bien tiu'll» éclinppent 

I notre altontion et semblent n'avoir jamais cessé 

S contribua plus encore à l'enricliissemenl de mitre 

■Jj'est que le romantisme At passer dans le style 

B et poétique une foule ie lermcs que les préjugés 

■classique en avaient bannis. Bernardin de Saint- 

pmarquait que ■ le propre de l'iiomtne de lettres, 

mps encore, était d'être empficlié dès 

Kljraît de ses livres, et de ne pas savoir nommer les 

1; Rousseau et Diderot avaient introduit déjà dans 

Bulaire pittoresque des expressions qui o'appar- 

B jusque-là qu'A des idiomes techniques. L'auteur 

t nw la nalure fait un pas de plus dans cotte 

Kasajet, disait-iJ. de décrire une montagne de ma- 

1 faire reconnaître. Quand vous aurez parlé de k 

}l flancs et du sommet, vous aurez tout dit. > Mai; 

t vent en dire plus. Il quétc dans le champ des 

KoQ dans celui des arts les mots dont il a besoin 

■dre ce qu'il voit. Comme la description romau- 

1 toujours se précisant, elle cherche, hors de la 

padltionnelle, & laquelle le classicisme n'avait fait 

K des objets que les traits les plus généraux, tous 

" a Décessaires k la tradnction des plus minutieui 

Elle emprunte, dou seulement aux arts et aux 

mais 4 l'industrie, au commerce, aux argoU 

|) l'atelier, un matÉriel d'expressions auxqjdlcs la 

i abstraite du xvn' siècle n'avait point «enti le 

. Citons un exemple : deux livres du 

't reafcrmeut en tout dix désignations de couleurs, 



■il du raafre, Atat ilu Jaune, d«tu du Tvrl. Qai 
put b cette JDiliirence la n'cfaeaïe de ChnIcauMl 
proAuioD itG rbéopUlle GsuUerl [lansle mosdc iIcs 
comme <]aoi celui dos tODs, dans tout le domaine de la A 
«•osible. nous saisissons des (lailiculnrilés et des uusueei 
qui «cbaptiaiunl aux daasiques, H bous les notons par da 
iuqU iju'lls u'ttUKsctil poiiil admis. 

Va« règle capitale des HDciuns rheieiiK, BiitTon U fumitili 
eipresséuient, ^lail de aomtner les clioses par les termes 
lei plus génernux. Le lerme parliculïep avait lu tort it 
faire notlre dnna r«sprit des images ramiiiercs, cntadii» 
de valgarilri, tandis que le terme gâOi^Tal. idéalisant (lOUi 
ainsi dire la seosalion, laissftit au atyle loule ss nabl^Me. 
Les grands âcrivaîns du ivn* siècle clioquârent pli 
fois le goOt des fiuristes. Kacine s'entendit reprocher sel 
chiem, si dévorant» qu'ils fussent, et ceai qui adraintientlt 
hardiesse du poète uonreasaienl par cette admiration 
ce qu'un tel mol B<reiL de peu conforme aux biensétuicei dl 
siècle. Les suaceplibilllÉs classiques ne firent que rencfaàir 
jusqu'à l'avéneuieDl do romantisme. L'abstraction emt 
loppa notre langue d'une brume qui en estompait tout 
relief- Plus de ces expressions crues el nues dans lesquellei 
se peignent les objets ; plus de caractère, plus de phjrno- 
nomie : un fond neutre, sar lequel ne s'accuse aucun InùL 
Rivarol, quoiqu'un des preoùers ft sentir la nécessité d'au 
rénovation, regrette que Voltaire, dans sa satire da j*a«in 
Diable, ait nommé le ■ cordonnier » ; un traducteur do Pifl- 
dare, n'osant prononcer le mot coq, qui • suffirait à gtlïi 
lu plus belle ode du monde >, se lire d'affaire en parlant 
de l'et • oiseau domestique dont le chant annonce le jour 
et qui n'a que son pailler pour théâtre de ses exploits t. 
lincure sous la Restauration, c'est une témérité que d'is- 
IrodnirR dans un alexandrin cerUins noms les plus lUo^ 
très de uoire histoire : une tragédie dont l'hirolne ett 
Jeanne d Ai'c. l'appelle la bL-rgère. puis la giierriore, eiifil 
la eaptiïe. mais n'ose pas une seule lois l'appeler Jeanaa. 
li'KUt«ur de idarie Stuari, Li;brun, aj'onl ft faire eolrer 



RÉNOVATION DE LA LANGUK ET DK LA MitTHIQUE. 111 

une touchante scène de cette pièce le mot terrible de mou- 
choir, avait dit : 

Prends ce don, ce mouchoir, ce gage de tendresse , 
Que pour toi de ses mains a brodé ta maltresse. 

Les précautions dont usait le poète en bardant le vocable 
incongru d'une double cuirasse de périphrases, ne lui servi- 
rent à rien ; ce mouchoir, tout brodé qu'il était, voire par 
la main d'une reine, épouvanta ceux qui assistèrent à la 
lecture de la pièce. < Ils me supplièrent à mains jointes, 
dit Lebrun, de changer des termes si dangereux et qui ne 
pouvaient manquer de faire rire toute la salle à l'instant le 
plus pathétique. J'écrivis ce tissu, » On sait quel tumulte 
souleva Vigny lorsque, neuf ans après, il eut le courage de 
lancer au parterre le terme même que Tauteur de Marie 
Stuart s'était résigné à effacci. En 18:2"), à la première 
représentation du Cid d'Andalousie, le mot chambre excita 
les murmures de la salle, et le Globe fui obligé de rappeler 
le vers de Racine : 

De princes égorgés la chambre était remplie. 

Ainsi, le public de l'époque ne trouvait plus le style 
d'AthaliesiSsez noble. Ce qui restait de la lanprue des anciens 
maîtres, ce n'était plus que des phrases (lonveimes, des 
locutions toutes faites, des hémistiches banals, jardin de 
rhétorique dont les fleurs artificielles avaient au moins le 
mérite de ne jamais se flétrir, il était temps que la géné- 
ration romantique vînt ranimer notre lan^^iie, la colorer, 
lui rendre corps et saveur, substituer l'image ii l'abstraction, 
le mot propre à la périphrase, le pittoresque au des(Tiptif. 

Ce fut là l'œuvre propre de Victor Hugo. Il fil dans le 
vocabulaire une révolution analogue à celle qui, trente ans 
plus tôt, avait transforintï la société civile. Lui-même, dans 
une pièce célèbre, s'est présenté comme le Danton et le 
Robespierre d'un nouveau quatre-vingt-treize. 11 mit au 
vicu^ dictionnaire c un bonnet rouge *, Il proclama Téga- 




m LE MOUVEMENT LITTÉRAinE AL' XIX' SIÈCLE 
lili> (les mots. La noblesse et ia bauesae ne soot pas dini 
\vs leniic!!, xLiufilR^ signes des idi^es, mais daos les idëfesquc 
coï Icriues di'sigm.'nt ; et. comme la loi souveraine de fart 
consiste lïn l'ncord de l'expression avec la pensée, le mol 
propre est Inuj'mrs usscz noble. Déclarer qu'il n'j a plus de 
eusles diins la l'tipublique des mots, c'était donner accès i 
tous ceux iju'avuioiLt jusqu'alors écartés les dëgoùls da 
classicisme; i.''élail, en même temps qae rendre la TÏe aa 
stjrlc, décupler les ricbesses du Tocabulaire. Quand Victor 
Hugo dit : 

. . . Pus de mot où l'idée au front pur 

Ne ptiLiise se poser, tout humide d'azur, 

il ouvre d'un seul coup ù l'écrivain un arsenal de vocables 
<fui runouvf^lient la langue, et ces vocables, qu'eiclnatt le 
■ style noble >, ce sont justement les plus significatirs, 
ci'ux qui ïciulilcnt en contact immédiat avec les objets, 
qui en Tout surgir la vision directe, qui nous en donnent, 
non pas une itétinition incolore et abstraite, mais une réelle 
et vivante image. 

Le roitianlisnie ne renouvela pas moins profondément la 
niOtriquc que la langue. Il multiplia les rythmes ; il répara 
la rinn.' ; il lit de notre monotone alexandrin l'instrument de 
vi'i'silicution le plus souple, le plus sensible, le plus expressif- 

Kntre les innombreiblcs rythmes employés par Ronsard 
et la l'Ii^iade, Malherbe, appliquant à la réforme de la mé- 
trique le même exclusivisme qu'à celle de la langue, ea 
avait choisi quelques-uns, les plus réguliers et les plas 
simples, qui suflîsaient à son génie altier, mois indigent et 
raidc. Les deux siËcles classiques s'en contentèrent. L'inspi- 
ration de poùtes comme Jean-Baptiste Rousseau on Le Franc 
de Pompignan n'était ni assez vive ni assez originale poor 
se sentir â l'étroit dans ces formes consacrées, sur le patron 
desquelles leur rhi^torique mesurait d'avance ses froides 
apostrophes et ses prosopopées de commande. Le roman- 



RÉNOVATION DE LA LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE. 143 

tisme vivifia noire poésie aussi bien dans sa forme que dans 
sa matière. L'imagination française s'était retrempée ; 
d'abondantes sources de sentiment avaient jailli ; un géné- 
reux lyrisme faisait éclater les moules convenus. Noire 
versification s'enrichit alors des combinaisons rythmiques 
les plus savantes, les plus harmonieuses, les plus pitto- 
resques. Ce n'est pas que les romantiques aient créé beau- 
coup de strophes nouvelles ; mais ils reprirent celles dont 
avaient fait usage ces poètes du xvi' siècle qu'ils se plai- 
saient à reconnaître pour leurs devanciers. Dans ce domaine, 
comme dans celui de la syntaxe ou du vocabulaire, ils res- 
taurent beaucoup plus qu'ils n'innovent. Sainte-Beuve appelle 
Victor flugo, qui présida au renouvellement de notre versi- 
fication aussi bien qu'à celui de notre langue, le plus grand 
inventeur de rythmes qu'ait eu la poésie française depuis 
RonscLrd ; à vrai dire, Victor Hugo n'en a pas inventé d'au- 
tres que celui de douze vers, où les huit derniers forment 
deux groupes de trois rimes féminines suivis chacun d'une 
rime masculine : mais, si notre poésie était, antérieurement 
à Malherbe, assez riche en stances de tout genre pour suffire 
soit à l'expression des sentiments les plus divers, soit même 
à tous les caprices de l'imagination et à tous les jeux de la 
fantaisie, le romantisme porta dans les formes qu'il restau- 
rait une science de facture qu'eussent envi(^e les plus délicats 
artistes de la Renaissance. 

La rime, dont les différentes combinaisons fournissaient 
au lyrisme romantique une infinité de strophes, les unes 
nouvelles, la plupart renouvelées du xvi* siècle, fut en elle- 
même régénérée par la jeune école, qui en enrichit la lettre 
et en vivifia l'esprit. 

Les grands classiques la traitaient comme un élément 
secondaire de notre versification; ils no s'en servaient que 
pour faire discrètement sentir la fin de l'unité métrique. Au 
xvin* siècle, elle s'affaiblit encore : les poètes n'y voient 
qu'une obligation gênante dont ils s'acquittent au meilleur 
compte possible, et quand leurs rimes ne sont pas banales, 
c'est qu'elles sont inexactes. 

8 



'l'-n» siècles, mais eocore ils pro^crj'irenl, tatxt des B 
qii'uao mutup-De cdOTeanocc rapprocJir. \^t ttoionph'ii 
j.ir Iroji radies dnQt atuMieot les pseado-dasaîqnei. Cetl 
•luubte rilforme. inspiréii pnr an juste et délùuit s«iitimva 
ilt^ l'art, Di^ ri»tB pas & l'abri de Iouleicè«. Au lien ilu 
Juiï la rime ud accent du rythme pins marqua ifue te 
dulren. les romanliques de la seconde génération, et îui 
tout E^eux de la Iroisième, lui donneront on râle prépondj 
ruDl ! its lui 11 ssujet liront l'alexandrin tout enLier; ils 
ffi^reninl A plaisir des difficultés gratuites; leur triomiriL 
■era de faire suivre A la fin du vers le plus grand nombr 
jjftmible de lettres consoaaates ou d'associer entre eux 
ludlii 'jui sejaiblt^nt s'exclure. Mais, parce que l'école dorai 
aliuutir A de puérils raffinements, ce n'est pas use nisot 
pruir uii^ronnaltre ce qu'avait de légitime et de nécéisain 
la riifoniie o[K^rét par ses propres maîtres. Victor llu^u, 
qui en (ut le principal oumer, n'abuse de sa virtuosité 
dans ccrtiiinea rnnlsisies archaïques ou dans ce genre pUM 
ment dcscrîptiF el pittoresque dont le plus grand mârlte «I 
une irr^prochiible perfection déforme. Entre l'indigence in 
p.Heudn-clossiquea et la prodigalité de nos rimeurs conteifr 
porains, il y arnit une juste mesure, et, si le romantiSD» 
la diipoasn, ce ne fut guère que sur son déclin, 11 mëdlt 
bien dw notre versification, en la débarrassant des rimci 
insul'flsanlcs qui ne ri.>ni plissent pas l'oreille, et dos rimef 
pummunes qui ne satisfont pas l'esprit; en demandant I 
In Un du vers non seulemunt des sons assez riches 
iuliiiiisaer le rythme, mais encore des mots asseg exprea* 
sifii pour le soutenir. 

Lo rcutiirernient de la rime n'étail d'ailleurs qu'une COB- 
séquence inévitable des atteintes que porta le romaattenu 
A In vyiuâlrie classique : il fallait que la rime fût 
riche pour maintenir la sensation de la mesure, si souvent 
U'iiublCc par des contretemps. Vidor Uugo el ses dbcli 



iiltéi'Gi'cnliiroruQdéiiieDilacoQslilutiuQialérieurRderaleiau- I 

driD que leur (rausmeUait l'école classique. La Pléiade 4 

tes avail derancés; mais aile fut loin de porter dans les J 

cnupes du recs la même science rjlhntiqQe que dans les! 

iliverses combinaisons des rimes et des maires. Nos poètes J 

''j \vi° siècle u'usent Irop souvent des libertés qu'ils ODt I 

I i:>ps que pour laisser leurs aJexaadrins se cadenccr aI 

I iUT-nlure et cberaucher en toute licence les uns sur lea 1 

suites. Malherbe imposa dëllDitivemenl un repos à la fin de I 

chaque hémistiche, L'alexandrin classique, dont Boileau I 

mainUent après lui la sévère formule, juxtapose deux frag-l 

ments de six syllabes, à peu prÉs indépendants l'un de l'an- 1 

Ire et ne pouvant jamais se donner la main par-deasus la I 

césure médiane, en une seule unité métrique que la césure I 

tiDale sépare rigoureusement de l'unité suifanle. I 

La symétrie d'un tel rers était en intime accocd avec le 1 

- caractère d'une société mieux équilibrée et plus solidement 1 

.iF:sise que la nAlre, avec la noblesse harmonieuse de l'nrt I 

l.issjque. Les personnages que met en scène le poète le plus I 

i-isionaé du xvn' siècle, Itacinc, qui en est aussi la plus I 

i.nili versiflcaleur, les Phèdre elles-mêmes et les Orcste, I 

niservent le sentiment des bienséances morales jusque 1 

'.ii]s les pins violents troubles du cœur et les plus furieux I 

.u'cmcnis de la raison. Racine n'est pas plus tenté debri- J 

I lo rjlhmo de son vers que de forcer ou de charger sa I 

,!iL;i.ie. Les ptirturbationa qu'a subies l'alexandrin peuvent I 

■ \jiliquer â ce point de vue, comme le caractère général de I 

I littérature cODlemporaine. par l'état dé notre société, si J 

uplexe et si mobile, et par ce qu'il j a de plus eidlable, de I 

. lin? bien réglé, dans notre tempérament moral. A la poésie J 

liianlique, qui fut d'abord une effusion du cmur, un jaillis- 1 

iiiimldu passion toute chaude encore, ne pouvait convenir! 

balancemenl régulier du vers classique. D'elle-même, lai 

■isillcation moderne trouve des rythmes plus expressifs qui 1 

iLiiordent avec une sensibilité plus spontanée et plus vive, I 

[.'évolution de l'alexandrin a pour cause un anlagonisme I 

de plus eu plus marqué eutrii deux besoins également inhè- 1 



■ pleine Balisfaction au dOIrinicnl <)c l'nulrc, on abouti- 
l, tlaos Iq premier cas, h aoe inHiipporlablt^ monotonie, et, 
isle second, A la rn lue complète de toute langue poâtiquo. 
Sans oublier ce qu'il iloil ft la symétrie, notre alexandrin 
moderue a développa de plus en plosees luojieDa exprCsUi 
pu de graves perluibtttiùux ilans la régulsHIé du rrthme. 

Le t;pu Idéal ilu wn de Aquw tO'llabes exige une é^IiU 
parruili^ de tes ^Jémenls lo^tiques comiue de ses ^lémanti 
rjrlli iniques, nn {lurfait aurnril des uns a*ec les autres. D 
se partage en quiitre' frsgtnents é^sui, séparée par ilDC 
CL^ure disjonctive qui marque la Un de chauun. Celte for- 
mule, on le suit, n'a jamais 6\é emp)o,v^e k l'eidasioD (kl 
autres ; mais loule allération qu'elle subit est une atleinle 
portée à la symétrie absolue. 

Tandis que l'alexandrin normal se compose de qusM 
parties indépendantes, l'alexandrin classique n'a que ilintl 
césures obligaloires j lune à la sixième syllabe, l'autre il» 
doudëme. Il maintient l'^aliie des hémistiches, mais peutd^ - 
viser chacun d'eux en denx portions inëgales. De lApIusieut' 
formules nouTelles qui satisfoul, dans une certaine oiesitt*, 
aux exigences de la Tariètê et aux besoins de l'expression. ' 
Ces noUTelles formules^ dont la discordance est tuanifesU, 
se rencontrent chez les poètes du xviv siècle presque «nid 
fréquemment, pour la plupart, que celle de la parraite con* 
cordance. Le vers normal revient toujours & de brpfs inter- 
valles pour rendre & rori^îlle la pleine sensation rie la s^in4> 
trie; mais, en fait, la liberté dn versificateur n'est ici liiaMt 
par aucune restriction, et, dans l'intérieurdechaquebéild^ 
sticlie, il peut varier ft son gré les combinaisons rjthmli|nML 

Jusqu'au romantisme, tout au moins jusqu'A André Ghé* 
nier, qui le devança sur ce point comme il l'annonçait déjl 
sur d'autres, les aUéralions n'allèrent pas plus loin. CrMUr 



dant, dès le xvit' : 



)e\e et i>a 



ic-uliè 



■ut cbex 



^■nis âoisisaoDS uaâ tenrtai 
B^varieië ilauâ le r^iljjiieeautieiiiiaiiUacésui 
^Ume la césure flnale II l>s1 vrai qiic ces eiteDsionn Bn»m)aleB 
Hu la période ryihmiqaL'tïtaieat vulgairement tenues luxirun 
■fièfaut. Le (lébil des acleura en donne la niGilii^ure preuve ; 
ils niarqnaienl rortemenl la fin de l'hémisticbe et celle Ju 
vers, lors même que le sens devait en souffrir, et ramenaient l 
ainsi tout alexandrin au (jpe rigoureusement classique. Si 
les eiemples de ces perturbations sont d'ailleurs aEsoï rares, 
il ne Taut pas moins y voir une sorte d'acheminement ans 
lici:uces de notre versification contemporaine, 1 

Dans l'aJeiaudrin romantique, l'accent de la sixième I 
ayllatie nVst pas considéré comme le lieu obti>;atoire d'os I 
repos; par suite, aucune règle fine ne détermine plus d'à- ] 
vunco le dessin de l'unilé métnijne. L'accent de la doiuiËiOB 
-vDabe peut lui-même n'exiger aucune pause du sens; par ' 
iiilo, la liberté des combinaisons s'élcnd à un distique entier, 
' Nius le premier cas, nous avons l'enjaiiiliement intérieur ; 
! ius te second, l'enjambement d'un vers sur l'autre. Ces 
'11% allérations transformèrent ralesandrlu classique. 
Iles en Iroublenl profondément l'équilibre, mais orTrcnt au 
.. iiHe d'ioApuisablea ressources et lui permettent d'exprimer 
|i:u- le rvILme tous les mouvements du cœur. L'enjambe- 
l'ii'Ql, tant BU milieu qu'à la fin des vers, a souvent un effet , 
1 ica! el dÉtermiaé; mais l'effet peut n'être aussi que la per- 
::irbation même du rjthme. Dans les couplets de passioB, 
, < I r exemple, la phrase poétique est rebelle à loule régula- 
!ie; elle s'arrête brusquement, elle se précipite avec vîo- 
k'iice; elle a comme des frémissements et des saccades; 
elle ne connaît d'autre mesure que l'émolion du poMe. 

Les licences que donne l'abulitiOD des césures offrent aisu- J 
rément bien des dangers, flus les ri>glea mécaniques de 1« j 
. .;rsificalîon sont nombreuses et précises, plus le versilicB- 
iir est gêné par ces règles quand il fait ses vers, mai) 
I lus il eu est soutenu quand ses vers sonl faits. Aucontrnire, 
l'iua «on oreille il son gaûl ont de laliludi?, plus il lui de- 
'^i^ut aisé de faire de> (ers, mais plus ces vers risquent 



Mt! U ^ I ' ■■ ■ .i 

ilâlfi- mfti tonuv, s'il n'a puï 1 idhIiuvI lie 1 liarmoitU ( 
si-Qji du rrlliaifl. Cesl «iirLout ftvec les fadtttés iccon 
iJu uo» junrit nu pu^U' que tes dieua nu lui permettent 
il>.[re niédior.re, oa pIulAt qu'ils ralHudoaoent «u» : 
ïtitircc A !<n mâdlDcritf. 

Ccrk'i!, les dlscord noces de In vers! Il cation moilerne » 
lilcmiont nux Mnlhvrbc et nus Roik-na dignea de vâflla 
barbares. En ootre siècle m^me, ralciandrin romanti 
fut coQBidëré par leurs derniers disciples corriine uno in< 
trucuse perversion. Ay»nl Ibatitudc d'élever el d'ftbai 
luur à tour, par ud luoiivenieDl de ri^gularité parroite, 
di'ui tiémisticbes des deux cdtés de la césure connut 
plateaux d'uDC balance des deux calés du fléau, toute ose: 
lion UD peu brusigue les dëcoticcrtail, leur Taisait croire 
1.1 balance était • folle • . Mais, ûd l'a tu, les plua cla^î^ 
dos classiques. Malhcrbo et Boileau eux-inâmâs, s'éta 
déjà ùcnrlÉs de la symétrie absolue, et révolution de l'a 
andrin, donl. nous lruu»ons les premières traces Jus 
dans leur versiflcnlioD, devait nécessairement se poanu: 
après eux en altérant de plus eu plus la concordance, 
élargissant la période, en compliquant les combinais 
rythmiques. Il j a la une toi générale qui s'applique A ( 
les arls. Que dirait Luili d'une symphonie de Beellton 
A défaut d'autres raisons, le perfection ne ment de nos 
ganes expliquerait encore ces dérogations A la noble clk 
luonieuse simplicité du xvn" siècle. Nous découvrons en 
rapports plus complexes un charme mystérieux qui écb 
pait A l'oreille de nus ancêtres, et noua combinons d'&{ 
ces rapports des rythmes expressifs et pittoresques qui l' 
raient blessée jusqu'à la souffrance. 

Les discordances romantiques ne sont d'ailleurs potu 
plupart et ne doivent être que des accidenU. En oceot 
lant les altérations de tout genre dont nos poètes rnoduT 
□ni donn(^ l'exemple et dont ils n'usent eux-mâmes qn'n 
discrëlion, eu admettant comme régulier ce qni D'est c 
eux qu'une sorte de licence, justiGée par l'effet produit, 
ttboulirail en fin de compte A la prose pure. C'est 




ea(«^ 



lenet 



BtMOTATKHT DE LA UMGUÊ BT D8 Ll ttti 

discordaDcea que imLre langue iioétiquc peut sahre toul«l 
1rs înflpxi'ons du sentimeut, que In [iliraso laiitâl se ht'ité 
dans m course en llol.a courts, serrés, haleliinls, cl laolf 
roule aTec inagnilireace un ample lleu?e de périodea; n 
n'oublions pns que, cbei nos grands poètes cod tempo rai oj 
Talexandrin de Malherbe et de Boileau demeure toujoi 
la base mënie du rjthme : les plus hardis n'ëlargissenL o 
ne rompent le cadre que pnur le reformer ausaitOt. Du ri 
ks contrelcinps n'uuraicut plus dL> valeur s'ils ne faisaiei^ 
'jontrastc avec la mesure régulière. Toute discordance s< 
pose iioe concordance aormale dont elle accentue eaci 
l'effet, el l'irrégularité ne peut se conrevoir sans ia règl{^ 

leraJl absorde de fonder un système de miHrique saI^ 
•rdance, qui est la négation de; tout sjstèm 

m finit le vers, où commence la prose? C'est ce qu'il e 

{possible de décider d'uue maDière précise ; la liuiile ?aj 
rie avec notre éducation rythmique et la délicatesse de nn 
sens. On peut voir d'ailleurs itn meusoDge dans cette cadend^ 
uniforme que la versification nous impose. On peut soutead 
que toute coDtrainle est jn obstacle à la sincérité du poètes 
que, si te principe suprême de l'art est la convenance h 
de la forme avec le fond, les règles qui déterminent U 
forme oppriment par cela môme le sentiment et I 
sée; enfin que, pour être vraiment sincère, le rythme, < 
barrnssû de toute formule mécanique, ne doit plus ol 
qn'aui pulsations mêmes du cœur. Mais, tant qu'il y a 
uni; langue poétique distincte de la prose, cette langue t 
fera aux exigences de l'expresison et au besoin de la y; 
riété i|ue des concessions compatibles avec les lois de lu 
symétrie. C'est ce qu'ont peut-fltre oublié, de nos jours 
derniers disciples du romantisme; c'est ce que n'oublié 
ni Viclor augo.lechef de l'école, ni Sainte -Beuve ou Tl 

lie Gautier, qui furent, après lui, les poêles les plus i 
dr la première génération romaoLiquc. S'il i 
parfois • ce grand niais d'alexandrin i, Victor H 

m coDserve pas moins la symétrie comme principe e 
tici et n^gltkgcuL'r.ile de sa vcrsiti cation. 




CHAPITRE ni 

LE LvniSME ROMANTIQUE 



l.'ailioTi iiijlitaiilc du romanlisme devait se rapporter 
sLirtihit iiii llii'iilre, '[Ue le chef de l'école considère dès le 
dr-liiil l'OLiiiiie h genre caraclérisliqoe et ia forme culnii- 
narili; île Tiii-l mailcrne; mais ce qui marque l'avéncnieot 
di- lii jcinii' fîinii-riilion, c'est l'élan spontané d'un lyrisme 
par lequel noiru piiéaic fui tout d'abord renouvelée. Trois 
^Tunds piicles {irÉsidèrent à celle renaissance, Lamartine, 
Alfred de Vigny et Victor Hugo. 

11 en esl un autre, beaucoup trop admire par ses contera- 
|itivainii. lui (H'u trop rabaissé depuis, auquel nous devons 
[tonner une place, en dehors du mouvement romantique, 
dont l'éloignent, non seulement son genre, bien qu'il en 
élargisse la portée, mais encore ses traditions littéraires et 
son tL'mpérament tnoral, 

Kéranger commença par assujellir à une diction plus 
exacte et plus pure les grivoiseries de l'ancien cou|ilel 
gaulois. Henonçant bienlût aux grands projets épiques et 
dilliyraitibiiiues que sa première jeunesse avait caressés, il 
se (tonna tout eiilier fi la chanson, comme fi la forme poé- 
tique qui s'accordait le mieux avec son talent délicate! vif, 
mais court et sans ampleur. Du momcnt^u'il se fut fait 



Lt LT:.>'E ? 



V : '* 



snnnier pour •..•■.■ 
il:i L'enre : ... ?.;;:.:_ 
lôs d-? vcr5!:i.-:T_: ■...-.:.■'■ -.. ■ 
lire à toutes le* .'-.îI-tï::.!? :_ l^: 
poijr le poémo Lt::'. :-t. ;•- — ' . *- . 
5 les refrains ^•Ei...i:i^ t.-_-. ^ .v , 
•Jrie. Il ciiaLî.i i...::z-.. iii? ..". 

•t l'accent duL-.- s^'-Jt. 1:1 : -• . "t' 
e, cui*an '.-.-. -:*. :.. i ?=."-:. :i-- t . 

ce que Saîn'.^l;-: :". zi'--. . -îi '-■' 
soD pareil! ■--::■. : : - : :t t. ;. . .:.:i : 
î ne s'élvva :-. •:: .-. "ï: ; 

gloire d'.z:: \j-.:-.:.j : . . : " :- : . ' ~ ^ 
de partie par.-; ..:::• îi: î t : :; : 
ter, peu*. -4*. re ^r. ::rr ;. -• t -. - — 
B entre cet ':;-':.-..r ::.t1t -..r .: . 

intiques : m '.:?!. S .". . ■ . •: 

nnposi^.ii-n e: :■* - ■. :. 

dîsiingué lan; . :. :•..:.• .v-. 
ran^^er est un i- -r . .z t.-. 
hiire p-ir I-.- cL . .1 •:: .- ;. . :•: 
jni'.é friLi-rU;--- :-. iii.':.- 
)is sur le-T-ei brl.lr . - r . . - : . 
?t encore l' ir s . l ' :.!.'.■:. ï .' 

libéral: riLit: • ::.' . -• ::.: t • 
a donné scit a:i .:.:..: .*•. ; 
ispirations ïicia..-: .-t t :. . " 
irê le conip!^:=i'.*. .'. -v, .v 
ces dar-i^V: r . ..;. - . . ;;. 
rlle il sait ^To;p-=r — "■ . . , - 

par son so;:! :■: c .::.-. 
îcbêrchrr lL.':::i-: : .' ' ; -: 

reffort. Sê-i ■'::. .:.:■. . .*. ' 
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) Ukialile (imiitaUx» la ciiAiison, i 
diRt l« nirf danl 11 dirpoM anc «otne ftoim^ et esfT» 
■ivc. 

L«« qualll^ Un poète cachaient aux yeux de s» contfm- 
paraln;! des durants qnn le teiain a àe plna ùit pliaaeaaéi, 
rt qui Ttu^tiLTuii-ut |>lutM ù dus jreiix st>« (ilufl rëds inïrila. 
Nout ni lui rciirorheroDs \iiu seuleioeal des réntiniscenev 
in;tholitgi<in<^» Iiii^n d^jilocëes, kod vernis de fausse nnhleise. 
•on faiblt! pour la ptiripbrttsc, Iniiles lus ira<;rs du ^tt 
pscudii rlaisiquK qu'offre uu style dont les grâces ont bi» 
vieilli, l.a labsur niSwo de l'écrivain et du versificateur nuil 
A beranger. Son citrâme concision l'cmp^clii: d'Aire pr^cii 
Il a quelque chose de dur et de rocniHcoi, Sa pUmMol 
trop dense : il ne se contente pu de la serrer, il l'uppriuM; 
elle a des tronçurcs et comme des crîspntions, elle p«nll 
A la fois bourrée el étriquée. La conduite des pièces, toujoutï 
ingénieuse, sent trop souTent le procédé '. Dous saisitsoiu I 
la lecture tout ce qu'il ; & de coQlraial. parfois de dAcooiV, 
dans celle coinposilîon induMnease et pénible. 

Quant A l'esprit mâine de son œuvre, une sentimenUliU 
banale, une philosophie terre k terre, de la solennili! simi 
élévation et de la pompe sans grandeur, quelque chose J* 
convenu et de faux dès qu'il ennoblit ses visées, un pen- 
chant à la grivoiserie qui se marque jusque dans les ÏWfk 
rations les plu» Tralches ou les plus hautes : c'est saaet pour 
que In postérité refuse d'égaler son nom A celui des granitl 
poêles dont il fut le contemporain. Ce • vilnin très vilaîo « 
n'a d'ailleurs rien de commun avec les chevaliers du toniUk 
tisme. Quel rapport entre la nulurc grnndiose et mjsU' 
rieuse qu'ils chantent, et les tableaux do banlieue que Inîp 
m^me accroche à ses refrains? Entre l'idéale Ëlvire etcetU 
brave fille de Lisette? Entre l'indulgence béate du Dieu d« 
bonnes gens, ee seuipilernel bénisseur, ce bon Dieu qui eA 
nn bon diable, et l'auguste, la redoulable, la rujonnanU 
majesté du Jfhovah romantique? Le chansonnier resl» 
complètement étranger ou mouvement qui régénère l'ànrt 
m&me de notre poésie. Non seulement aoi 



plus aiii grands conteinporHitis, mais nous ne jiui 
^gifinie pas l'assoder à eux. Ceux-IA sont les tnniirps 
s DialLre que sur In vielle. 

Bârangcr n'avait encore fait que Roger Bimlemps el l 

driole, quand parut un petit recueil de vers oi) 
[t le secret d'une inspiration nouvelle, en intîiii 
l'état moral de la jeune gtin(!ratioD. Celle-ci s'y 
ilôt, elle nom deLamarlioe, ignoré la veille, fut illusLn 
IcDderaaiQ. 

L'uuleiir des Méditattont a»ait commencé par imiter N 
[jaqm's du ivni' siècle. < Berlin et Pnroy, a-t-il dit la 
même, Tnisaient les délices de ma jeunesse ; l'imagtnalia 
toujours très sobre d'élans et alors très desséchée par f 
matérialisme de la littérature impériale, ne coDcevait r 
•le plus idéal que ce9 petits vnrs corrects et charmants i 
l'nrnj, eiprimaat â petites doses les fumées d'ui 
vin de Champagne, les agaceries, les TrissoDs, les ivresse 
froides, les ruptures, les réconciliations, les langueurs d 
araour de bonne compagnie, qoi cbangeail de nom â cbaqiM 
livre. Je lis comme mes modèles, quelquefois peut-élrfl 
aussi bien qu'eux. Je copiai avec soin, pemiaiil un automfU 
pluvieux, quatre litres d'élégies formant < 
volumes, sur du beau papier vélin. ■ On pourrait retrouvai 
cette première veine jusque dans les MédituUùtis : 
ques-unes ne s'élèvent pas sensiblemenl au-dessus de t 
que Millevoye avait écrit de plus touchant el de plus 
d'autres procèdent tout uniment de Berlin et de l'arnj, i 
respirent la mélancolie du plaisir qui donne ud char 
~~ létrant ft certaines pièces de ces poètes. 

.amartine approchait déjà de l'âge mûr lorsqu'il prit conl 
tnce de sa véritable vocation. C'est à vingl-huit n 
fut pour Is première fois révélé • ce je nrs soi» 'quoi q 
l'iippclle poésie •. Il brlllu alors ses caliien da vélin, 
'umpt .avei^ une pliilosupliie voluptueuse • qui n'^ttiit p 
profané |i 



' Fesp 

m 

T^^m fi 



1 en ne lut conflnat qu>! le* secrets de ta soni; il n 



I tenir ut y Utmlrc par qudque 



ro (tour lo'ii ' 
t|ili lui aiipor»' 
I r«rl- 1 C'est m... , 
i irnli4r«; et, jiur o 
agir &ur •'tu Amo Jnil 
ptiini. • 

tl arnil eu celte voin mïme iIm ileraticien, Ne partou 

pu (TOMinn «t de I>ymn. f.'iin, 'fn'il ii|ipi'llc l'IloiDÈre de 

iH première» anné<'s, n'eut poiirlant sur lui qu'iint^ InilucDct 

I wgm et loinlninc; qunnl t'iinlru. il ne li; cnonut qpt 

tiLTtt Kl j>e rétidt>^ c»ii)iui- d'un btmhiiur que la iniissaDcc dt 

li'ttivi aniira^) el souvent perrurs no l'ail pns caininl 

hors ils sa vtiimtion nnturallu ; au Tùai\, It n'y n rien if 

' rMiamim imlro lljrron, « Liicifur rfivollé d'un pnnii<<monîum 

humain ■, cl l.uujartine, nature tout npLimisIc, tourai^ 

I li'cile-mfiiie h l'ailornlion, el qui Ht de la |ioéaie an ti^maB 

\ d9 nicunnalsian're. d'amour et de foi. C'est en Frnnce mtme 

[ qt» l'nnlcur des Mr'tilaiiBnt a ses vdrilables précnraeiift. 

tlait ei: ne sont pas du* poètes. S'il commença pn r imiter lu 

Paru; ul les Berttn, Andrâ Chénier, qo'W ae pu) d'uilleon 

connotlre qu'an an avant U publication de sou prenitfir 

recueil, lui inspira tout d'abord cl pour longtemps uni: 

antipalbie inslinetivc : il ne voit en lui que le chantre de 

Is matière el des jouissances charnelles ; il ne sent pu 

d'ailleurs tout r« qu'il y a d'exquis naturel dons la poède 

dtïlicate et savante de ce RyEanl.in. Ses maîtres, ce sont 

les grands prosateurs qui avuteal régénéré du mânie taajf 

le scnt.imeulel l 'i m rkgi nation. D'abord, Jean-Iacques ttoua- 

[ seau, qu'il lisait dès SI) première jeunesse et dont il garda 

[ Doe impression ineffaçable. On retrouve bien souvent dans 

i (es Méditations et ses Haiimnm les nccents du Promeoeur 

[ eolUaire ou du Vicaire savoyard ; le Lac, ce chaut • du 

' amants adoré >, que le jeune poète murmare k l'ormllt 

rt'Elvire, Saint-Preui l'avait déjft soupiré ft celle de Julie. 

Entri' Lamartine et Bernardin de Saint Pierre, il y a une 

parenlË plus inlime encore : c'est, chez tous les deux, 

la même «ensibililé à la fois voluptueuse et lendrs^, 




LE LYBFSME ROMANTIQUE. «5 

môme grâce, parfois un peu molle en sa suavité, le même 
besoin d'émotion religieuse. Paul et Virginie fut de bonne 
heure pour Lamartine le livre par excellence ; c'est celui 
qu'il traduit à Graziella, c'est celui qu'il fait lire à Jocelyn ; 
plus que tout autre, ce livre t lui parlait dans la solitude 
la langue de son cœur ». Joignons à Bernardm M'^^deStaOl 
et Chateaubriand, c les deux génies précurseurs qui lui 
apparurent, qui le consolèrent à son entrée dans la vie » : 
il s'appropria de l'une sa conception d'un art tout idéaliste, 
et l'autre offrit à son imagination des formes nobles et 
des contours harmonieux. Après Jean-Jacques, Bernardin, 
Chateaubriand et M™» de Staël, il ne manquait plus à la 
poésie que les ailes du rythme : ce fut Lamartine qui les 
lai donna. 

Cette poésie nouvelle, il l'avait d'ailleurs trouvée surtout 
en lui-môme. Un génie aussi spontané que le sien ne sau- 
rait manquer d'ôtre original. C'est son propre cœur qu'il 
chanta. Entre ses devanciers et lui, il j eut je ne sais quelle 
communion d'idées et de sentiments qui s'explique par les 
subtiles influences de l'atmosphère morale. Si nous y ajou- 
tons une éducation chrétienne, à la fois rustique et douce, 
des prédispositions natives à la mélancolie, une âme im- 
pressionnable, un cœur fervent et tendre, nous aurons, 
avec tous ses traits caractéristiques, le Lamartine qui, sans 
théorie préconçue, sans système, sans apprentissage, en 
dehors de toute école et, si l'on peut dire, de tout art, ngala 
d'un seul coup la poésie du nouveau siècle à ce que la 
prose y avait prodoit jusqu'alors de plus élevé, de plus 
noble et de plus pur. 

L'effet des Méditations fut immense. Cuvier comparait les 
premiers vers de Lamartine à quelque chant mélodieux 
qu'un promeneur entendrait s'élever tout >i coup dans la ho- 
litude, et qui s'accordc-rait avec le.*» «entimenlM intime» de 
son àme- Le nouveau livre fut bien pendant qij*;Ique lemp» 
« l'objet des dénigrements et de** millerie^j tUi vieux parti 
littéraire classique, qui m «entait détr^'in^: * ; rufth kn r^Atity 
teurs de la Minerue et du Cf/nMtUutu/nn^l utiurt-M pfi« plu* 



<lltnllons • ctil'-» • tiaruiunJM •.uiaUduul rtibi>uiUu(« dit 
r |>iiii«nil pl<i> Tairu illuiiuD i]u'â lai-uiCuvu. Le fleun 
()<!bortlhit itu biuard. C'était comiae un déluge ilb xmtûf 
lùclio Ot verbeuie. 

L'iii<[>iraiion fondKmentnle de Lsixiartine procfede d'ug 
idiatismc un pea vague, mois éhvi et généreux, iIm» I«- 
qnel nous troarons hion miiins une (roncepLion rffiricbic. 
iin'aa état niorni iiittincUf. Le tiinti^rinlisnie, <|iii ioiqii- 
raltau po^^le doDi aa jeunesse • une inviociblc liorrenr •. 
reHta lotijoum aatîpatbiquo A sa nature, Chonti'o de i'UM 
en amour coiumo en religion, en politique comme efl 
amour, il le chantii dans une longue elle^mâme Lou) iilH- 
Usée. A cet idi^alisiue spontané se lie un invincible liesoin 
d'espérer et de croire. Le poêle a lieu ses nnomcDU de 
doute, parrois de révolte ; les crEs de désespoir <iu'il pmass 
dans »^* prciuiâres Méilitnliotit prolunjjenl leur écho jusque 
damlM ll'irmonifi. ut, lora nifnie qu'il jette sur l'anivRi 
el sur rtioiiiinu un regard plus apaisé, sa foi no i'a.niatt 
jnmaix sans retour contre toute dé raillauce. La fatalité dd 
loi!! his toriques, l'hiipussiliilité de la nature, décoDcert^nl 
oncort) et troublent son ftine. Cependant, sa disposlLion II 
plus ordinaire est une sérénité confiante, tine gratitude dé- 
monstralive, qu'il épanche en hymnes et en ornisons. Uu 
Uve uUe nuit el rallunie sa lampe peur écrire le Dése^ott, 
« géiiiiMutiieul ou plutôt rugissement de son Ame • : U 
n'ctt là iju'un ^e^t^s. et, le lendemain, il écrit ta Pnt^ 
dencu n l'hommr Si. tjusnd il compose l'Immortalité, il csl 
• plonj^i'^ dans la nuit du cœur >, • 1» douleur et le doutd 
no peuvent jamais bri^irr tout ft fnii une élasticité toujona 
, prilo ù TNiftir et il relever en lui l'espérance > ; dans cctid 
pJècd rnitmc. il rAsunie toute sn philosophie par ces mob 
illodomptablfl fui : • i'aimc, il faut que J'espérel • En nu 
de ces moments • oà î» vie dcyicnt soiulire ttommo su 



passage de quelipie nne •. il adresse le Passé k un de sus 
amis; mais, nous It savoiia par sou aven mèitie, Il n'est paa_ 
aussi djicaui'agé de la vie que ces vers semblent, l'icidiquer,! 
ou pluldl ses décourugcriieDU aaal rugitifs et pasaagerd 
cumme les sona de sa lyre. • Ce jour-Ift, cooLinue-t-il,! 
i'élais à lerre; le leademaîn, j'ALais au ciel. • C'est ou cieti 
qu'est aalurellemenl Lamartine, quand rien n'altère soaM 
habitude miirale. ■ Adorer, dit-il, voiiA vivre, • Et ifl 
Ajoute : 1 Au Tond, je ne crois pas querbomme ait été cri'"ï 
pour outre chose. • 1 

Les exquises douceurs de son éducalioa, les faveurs de | 
la forluiic, les sourires de la vie, tout avait coni-.nuru il on- 1 
Lretunir l'optimisme natif du poète. l^nTaut, Il ignora t ce I 
qu'était une amertume du cœur, une gène de l'esprit, aae I 
sÉvérilé du visage humain • ; il aTaît pour ujère une élève 1 
de Rousseau et de Bernardin, qui l'entoura d'un amour iii- I 
uniment tendre et délicat, lui épargna toute contraiute, ne I 
lui demanda que d'âtre • frai et bon •. Son adolescence el I 
sa première jeunesse a& furent pas moins choyées. 11 n'y I 
eut pour lui ni amères expériences, ni dures lei;ons. Aucun I 
besoin, et, par suite, aucun souci de discipline. Il passa des J 
gâteries de sa mère à celles du monde ; il fut un grand poète I 
presque sans le savoir, et les applaudissements enthou- 1 
siastes qui saluaient ses premiers vers apportèrent â son 1 
oreille le bruit dune gloire qu'aucun effort n'avait achetée, j 
Il ne manqua qu'une fée autour de son berceau, celle que ■ 
les contes font apparaître la dernière, et qui, pour se ven- I 
ger de n'avoir pas été invitée, sème quelques obstacles à 1 
travers une eMstencedéjà composée à souhait pour le bon- J 
II' el In gloire. Tous les défauts de Lamartine viennent de I 
. >|4i'il fui trop heureux. J 

Le poète rni^onic que, quand il était enfant, ses sœurs et J 
lui s'amusaient à un jeu renouvelé de la harpe éolienne. ■ 
Ils pliaient une bnguelte d'osier en demi-cercle eu rappro-B 
chant les extrémités pnr un fil, uuuaient ensuite des che-l 
veux d'inégale longueur nui deux câtés de l'arc, et Tespo- ^ 
■aient &u vent d'été qui en tirait des sons burmonieux. lia 



•iDC « 



: kl oy 



il'aulre musicien que lu «oufDe des passion». 

Ce n'est pas soulcmetit U pensëe <Ju poète qnl tniiiii|aE 
de proroudeuf, n'est encore u aenaibilîlé. Bile vibre, tûi 
SttmH au luoiudru RonUol; mais ce n'esl qu'une snrrace 
sonore. L'éiiuiUuii l'oiliole sanii avoir |ii-nélrê Juaipi'ui 
fond : elle ne fait, pour ainsi dire, que reboodlr sur le cœur. 

Celte sensibilité si prompte et si rive, quoique si peu pra- 
Ibodc, explique bien l'incurable • sabjeclivisine ■ de La- 
martine. Que de fois il nous dit eu pnrlant de ses piAcei: 
( Ce n'est pas de l'encre, ce sont des pleurs ëcriUi; an 
bioti : • Ces vers sont tombés de ma plume comme mt 
goollc (le In rosée du soir>; ou encoru : • Ceci est ni 
méditation liortie avec des larmes du cœur de ritoutm» 
Sa pgésie u'eipriiue que des senliments tout in lUvi duels. 
I.o plus ^raud des éléglaqnes, Lamartine reste contint dtu 
IWjie. Il est incapable de sortir du lui-mèaie. tl • ne sali 
que son 6uie «. Tuut ce qiu n'est pas im|i 
nellos ne lui apparaît que dans un vague luialain. Il aiou 
la nature; il eicelle A rendre les éumtjons qu'elle lui 
éprouver; mais il est liapuissaiit à la peindre. Il ae 
pas. Mi^.nie quand il retrace les lieux qui lui sont le plu 
faiiiiiiurs, ses descriptions rourtoillent d'inciactiludes. Let 
figures qu'il esquisse sont idéales et vaporeuses, i-t le 
dont il les entoure n'a ni relief ni consislauce. Il n's 
pas les liaéamenls, il les estompe d'une douce el ntsiât 
carâsse. 11 ne se plaît qn'cn dehors de toute liniile 
la rêverie est-elle sou étal de prédilection. Il a poor do- 
Binine ce qu'il y a de plus vogue, ce qu'il y a de général rt' 
d'immensi- dans l'âme, la nature, i'huuiauité. Sa tcli]piis 
elle-mâin^ aucun dogme ne Ift précise; ce n'est qu'un 
aorte d'barmouie entre son cœur el 1» création. 

Des expansions soudaines et presque involontaires, voîlil 
poésie de LaïUiitrlinc. < Ce qui est cherché, n-t-il dit|; 




1 ifl Ijouve, t Quonl A lui, il ne cheri-he jihs; il s'alian- 
'i»nno au courant d@ sa vuiiie, t:t ne <;uiinall ui LésiUlûio ni j 
ulurc. S'il reyiuDt jamais sur ce iîq'ÎI Cail, c'est non pour le j 
l'Ii.UJer, mais pour le refaire Ses meilleures piécca — il lA I 
iliiclareen propres termes— sont de ïérilablesiiiipforiMalioii» 1 
en vers. Il finit par se laissLT aller à la dérive et par offrit I 
iu public ce que Saiote-BeuTe appelle des brouiUo'u. ' 

i^^el improvisateur est aussi un ainaleur. I.iti-niâme se n 
i|'"iiiDe ce nom. t La poésie, dil-il, élail uu accîdenf, unr j 

I si-nturo heureuse, une bonne fortune daû» ma »ie, • U S6 1 
: ii'iit A l'écart de toute école, de toute querelle lit Icraire- U J 
■ rit ses vers au hasard, dans les bois, en bateau, A cheval, j 

II atTccte de songer fort peu à sa gloire poétique, il fajt bon J 
nmrché de son propre talent. Il dédaigne tout ce qui se rap- 4 
jii.rle au mélier. Mais, en poésie, le métier s'appelle un arl, ] 
I t il n'est'paa bon que le poète en parle avec un lel déta- 

lument. Ouaiid Lamartine dit que l'art véritable consiste 

I l'tre touché, il confond deux choses bien diUérenlcs ; la | 
\i'i'il{ible artiste est plulât clui qui, dominant son émotion, , 
l'exprime dans une forme parfaite. C'est là ce qui manqoeà i 
cet admirable génie. Il ne sait pas se régler, s*aiuender, au J 
la'soio se contraindre. • Je n'aime pas l'elTort», a-t-il dit 1 
u vt.'c candeur. Et ailleurs ; ■ Vous savez combien je suis inca.- l 
pable du pénible travail de la lime et de la critique •.Ainsi . 
s'expliquent loua les défauts qui déparent souvent ses pli» 
lielles places, épilfaëles molles et banales, images incolié- 
l'iitus, pUtlludee, impropriétés et même incorrections, Ica ' 

II mes inexactes, le rythme flol tant autour de la phrase sans 
I n accuser les formes, le plan Uclié au hasard de l'inspi- 
rulloa, une proliiite vague et fluide dans laquelle se noient 
ta pensée et le sentiment. 1 

Lamartine eut toutes les qunlilés que comporte la atr i 
iiiru sans le secours du travail. Si la poésie n'avait pouc J 
I II. ou mâuie pour raison d'être, une perfection absolue de 1 
U [atma, uaaa n'hésiterions pas a saluer en lai le pluaJ 
tous nos poètes. Si tes plus beaux vers sont^ 
uert l'a dit, ceuK qui a'exbaleut comme da^ 



(OBI 00 comme de* parluins, oui n'en fit 

bcAUi qu<- l'auteur du* Hiiiilatiùtu, du llarmonia et b 

iacttyn. 

Autant t'origiimliti! de Lamartine eat in(;:énae, «nliol 
cdk d'Alfred je Vigaj est d'oDe espéra comttljqaâe etjob- 
tite. Dét tK13 il cumpose Ja Dryade et Symétha, tloDt h 
■ealiuiciit, eomnic litfiiniie, rapiit'll« André Ohénier. C'est '« 
nidniu art délicat et rare, un ingénieux mëlange de naWcl' 
hiiinÂrique et ilc Jonillerie alniandrine, les épilhetei et 
nalurt-, les arcliaiune». Un élégantes périphrases, lata- 
jmithftnvala, Loules les curiosités delà tangue et de laver- 
«ificaliun. Ktisuite vienuent des ëtudo», motifs ioacliïTia, 
cuiiiuie André en a laissé beaucoup, et qui se disllnguetit 
■urtuut |jar rtiabilelé de la Tacture ; puis, des scènes bibliqna; 
dont il faut ia»3 doute chercher la première idée duu 
l'auteur de Suzamie. Mais, déjA, l'inspiration n'est plni ti 
uétnc. Taudis que Chénler a l'Ame toute païenne, celle lit 
Vigny se tourne nu m jslicisine ; il appartient & unegéoénr 
lion qui a vu bien des choses formidables et troublantes, «l 
quB la crise morale a profondément ébranlée. S'il doit d'e- 
bord quelque chuse & André Chénier, Vignj dégage presque 
aassitdl sa personnalité propre. Sauf ses premiers essoit, S 
ne ressemble à personne et ne procède que de lui-miios- 
Bien dans notre poésie n'annonçait des poèmes conUDt 
Uom. le Cor, Eloa, bien d'autres encore. • Le seul n* 
rite, a-t-il dit, qu'on n'ait jamais dispute & ces coiii|i|>' 
aitîona, c'est d'avoir devancé en France tontes ceUci dt 
ce genre, dans lesquelles une pensée philosophique est mil*' 
en scène sous une forme épique ou dramatique... Sur cetU 
route d'innoralion, l'auteur se mit en marche biec jeun 
mais le premier. • 

Lni-mdme est en effet un initiatenr, et tes plus illnslitt 
contemporains ont suivi parfois sa trace. Snns parler ié, 
d'Oil'tilo et lie Ciiiii-Mars, qui inaugurent, l'un la réTolulion 
du théâtre, l'autre le roniau historique. Vigny, eoram* 
poète lyrique, ouvrit autour de lui mainles 



les voiet^^^l 



LK LTIIISMB BOMAHTIQUE^ « 

pii^ce tcil'! que fa iV«i*i;fn ta date dans Dtitrc histoire liltérain- 1 
<>ij y trouve la promière conception graDdJ ose An mojpu Agefl 
Il ^cs devanciers n'avaient encore vu qu'un sujcl de mignatS 
listes ; ce ne aont que quelques strophes, mais elles suriis«nfl 
iiijur donner le ton. La Femme adultère, la Fille de Jephtém 
.'r' Déluge, dans leur simplicité sobre et savante. annoDcenjl 
I r loin les lableaui plus larges, plus amplement iléveloppéaj 
< I une venue plus franche et plus prompte, que Victor tlugfl 
iiililulera Légendes des Siècles. Dolorida, ce récit k la fcs 
si pathétique et si contenu, peut âtre considéré comme fl 
premier des contes d'Espagne et d'Italie, où Mnsset devan 
porter une passion, non pas plus forte, mais pins expansivV 
at plus brujanle. Eloa, enSn, ce modèle de grâce et dd 
fenliment, fournit à Lamartine t'idée de la Chute d'un ang^ 
si peu digne de lui âtre comparée. I 

Comme Lamartine, Vignj est un idéaliste. Mais, chcx luij 
l'idéalisme se combine d'une façon singulière avec je nel 
sais quelle disposition naturelle au méconletiLeinent, d 
l'inquiétude morale, avec nne humeur dénigrante et hauj 
taine, avec ■ une sorte d'aigreur ironique > qui a fait dira 
que I aon albâtre était chagrine >. M 

Il avait tout au début quelque chose d'utlraterrestrq 
i-t comme de séraphique. ■ Personne de nous, dit Âiexandrn 
Pumas, ne l'a jamais surpris à table •, et [1 le représenta 
i:nniiDe une aorte d'archange qui touche le moins possililn 
il notre monde inrérieur. f ma Muse, écrit Vigny lut* 
Mr^ine, tu D'as pas de corps, tu es une belle àme, unfll 
l'.'nâse. • Les déceptions du cœur, les piqUres de la vanitéil 
I' a aoulTrancea d'une DAlure susceptible entre toules, aq 
iUruisirent jamais en lui le culte de l'esprit pur. Une dd 
Là dernières pièces, /a BouteilUà 'am«r, est la glorilicatioia 
<li> l'idéaj, et, dans sa dcrniéro, le noble poète p<at se vanteM 
(le l'avoir toujoara souteno sur les hauteurs. Mail, l'il resta 
jusqu'au bout lidélâJtsa religion intellectuel le, il avait perdH 
de bonne heure son enthoaiiasme et «a nMifliince dmi prM 
miefs temps. U fntlrabl par t'iunotir : 1 mjit^fienwrmtieiDS 
hiance des molal l'écriist-IL Oal, «noar, lu n une putiooj 



totîa U pwtioQ d'un marljr, u'i 
1)4 i:Iirl*t. ■ El, tlnn» sb |iiéa' iIl 



U ri->i 



iiil^ilicliou 1 



t)i|iia. il (irait élé il'oburtl le [iieui s^vatil île In ro«Mtf 
IrtKiliroc. lu clifiralier du droit ilifin; mais les iUnsîoni 
de •■ fui preraidre furoBt {irompUis & l'i-vanottiF, tt 
nililo foi noaTclIo n'tut d^xorroais prise sur ccllo Imt 
dtHaclianlAx. Il vit nrr.a froideur la clmte de Cbarlti X, 
loiara (lasser on s'igoiant In monarchie de Inillct, boadibi 
Rdpubliquf, et finiiloiuent »e r<tru([ia dans une dédalgneuu 
(udJSdrence. «inmmo penseur, U croit à l'aveuic da It 
■odëli bumninr; mais, par une étrange contradiction, tpit 
Saiole-!teu*ercl*« avec touleslesautrcs.il ressent uuorépB- 
çnauco insUnctive pour les Instruments prad'qut?^ dv la nitl- 
lls.itiun. et cet apAtre du prn^r^g llriit par une diatrnu 
contre la iclence, cunlre le • cliumin Irîsle H droit • qv'êà 
trace sur la lerre aux Inconiutives du • niai-chand >. Tn 
de ses derniers poètiics s'Inspire du plus implacable falfr- 
liime ; le joug dv% • UesUoiea • a pesé de tout temps et 
pisera k jamais sur le genre humain ; notre « mot tU't- 
nd • est ; * CiHuit ^crit •. 

Il ne lui rvUe, en dehors de l'art, aucun principe d'actiiio. 
Aussi B*absorbe-t-il entièrement dans Ini-mâmc. Il atfm 
* ta «ie poétii^ue lie la rie politique 1, il emploie toutes IH' 
farces de su volonlé A détourner sa me des entreprises trop 
facflen de l'ciistEnce uctiTe. Il se compare avec )'hirondell4i ^ 
qui ne se pose qu'un moment A terre. ■ Je crois, ditfl. 
BU combat éternel de notre vie inlèrieure, qui féconila 
el appelle, contre In vie extérieure, qui tarit ot repousso. • 
Il ramène les rarîëtés de la famille intellectuelle A dcui 
races différentes. Celui-ci, esprit agile, souple, tonjuaa 
frais et dispos, habile aux choses de la rie, c'est l'improrli 
Mteur ou l'homme do lettres, et le poète n'a pour Ini qtU 
dédain et aversion. Celui-là se recueille eu lui-mâme, ouhlît 
l'époque où U vit et les hommes qui l'entourenl. ne aotiffi 
qu'& l'avenir, est contenu dans le travnil pnr le désir ât 

L purrcGlion; impropre à ioincs les pratiques de l'ej.tl> 



LE LYRISME ROMANTIQUE. 135 

tence, il s'enivre de rêveries et d'extases; il lente une fuite 
sublime vers des mondes inconnus : c'est le penseur, c'est 
l'artiste, c'est le poète, c'est Alfred de Vigny peint par 
lui-môme. 

Sa solitude est t sainte ». Mais qui la consolera? Sera-ce 
du moins le génie? Hélas I cette couronne est faite d'épines. 
Moïse, élu mais victime de Dieu, soupire après le sommeil 
de la terre. Le poète s'adresse à la Gloire, il lui demande 
de rendre son nom étemel. Et la Gloire répond : 

Tremble, si je t'immortalise ; 
J'immortalise le Malheur. 

Pessimisme universel I Deux mots ne cesseront jamais 
d'exprimer notre destinée de doute et de douleur : Pourquoi 
et hélas! Alfred de Vigny s'en prend à la nature, aux 
hommes et à Dieu. La nature? Elle t'attend, ô poète; viens 
sons le toit du berger. Et le poète : « Non, je la connais 
trop pour n'en avoir pas peur. Ne me laisse jamais seul 
avec elle. La nature n'entend ni nos cris ni nos soupirs ; 
on la dit mère, elle est une tombe. » Les hommes? Oui, 
sans doute^ le poète aime la majesté des souffrances 
humainçs; il voudrait répandre hors de lui ses trésors de 
tendresse et de dévouement. Mais comment le traite la 
société ? Il voit le Tasse n'ayant pas de chandelle pour écrire, 
Milton vendant dix livres le Paradis perdu, Gamoëns rece- 
vant l'aumône d'un esclave qui mendie pour lui. Gilbert 
est mort à l'hôpital. Chatterton s'est suicidé, André est 
monté sur l'échafaud. Mourir n'est rien; vous mourez sans 
avoir été compris. Vous écrivez vos vers dans le recueille- 
ment, ils seront lus à la promenade, au café, en calèche. 
La sensibilité du poète s'exaspère ; elle frémit des dégoûts 
du monde, elle souffre d'autant plus qu'elle est plus délicate. 
II lui reste Dieu. Quoi? le Dieu qui s'enivre ries vapeurs du 
sang, qui présente à la hache de Jephté sa propre fille, qui 
fait périr dans les eaux le juste avec le méchant ? Go Dieu, 
tant de victimes innocentes élèvent la voix contre I'jI! Dans 
le jardin des Oliviers, Jésus, triste jusqu'à la mort, appelle 



ton l'^re:intblecicl est tonH.ot rfiumanit^ilnmed 
liimi^re ti taiia giiîde. Ihiiitqur Ditti nr so manirarf 

Le ju>li! oppoHBra la lUiInlo À rsliHoniro 

Et De râponJru |>lua qu4 par na (rold lileniw < 

Au Bilant» âleni«l de U DivIniU. 

Ua iliissspolr paiiiibli!, roîU la sagesse- Le loup b1 
■norlsc couche en léchant «on snitg et expire sans pouurr 
QD cri. Sublimes animaus, que l'hoinine ait assez ^a cov 
tagt! poar loas imiterl Seul, le silcoco est. grand : tout II 
reste est Tulblcsse. 

Puète aolitairo et replié sur lui-mAmc, Vigo? ne se Wim 
Jaoï&U aller â rinsj-irallon du moment. Il n'écrit qu'à diB- 
taoee. Il laisse l'dmulîou, impétueuso et trouble à bu lùuta, 
s'apaiser d'abord et se clarifier, n use de détours ; il cooUenl 
son lyrisme, il l'enferme en un cadre épique ou ilramntiiiu. 
Veut-il exprimer tout ce qu'il y a. d'amertume dans la pn» 
■essiou du gi^nie? ce n'est pas sa propre personne qu'il met 
en seèoe, ce n'est pas rnSmc une figure idéale du poète, o'M 
Moïse suppliant i'Ëternel de lui faire grâce. Veut-il rcprir- 
cher a Dieu son injustice envers l'bumanitt^ î il nous traita 
porte sur le mont Arar, il nous y montre Emmanud et Sari 
eagloutis par le déluge. Vcut-U conjurer tonte lAclie plaintef 
il peint la mort silencieuse du loup. Peut-être y a-t-il qoel^a 
froideur en cette abstention; mais elle dégage la faéâl: 
des vulgaritës, l'élève dans les hauteurs de l'idéal, loi 
imprime un caractère de puref.é sereine et de blancbcnr 
immaculée. 

Chacun se fait la poétique de son propre génie. SI Vi^nj 
peut contenir son inspiration, c'est qu'elle ne lui srri*e 
qu'A petits flots. Il a le soulHe court. De la, tant d'ébaudufl 
qn*il a laissées : un arrêt de la veine interrompait M 
travail, et il ne s'y remettait plus. Lui-même le dit : ■ Jeii 
depuis ce que j'ni toujours fait, des esquisses qui font ïM' 
dililices et du milieu desquelles je tire de rares tableauf. îi 
n divise volontiers ses poèmes en scènes succesaiTca. 
cenx-IA tnèmcs dont l'ensemble forme vraiment 



ent it^^^H 



■t les reprises el les snLiircs. La composilton en ost 
'mUire, parfois élriiinéc. Il j ' 






; fnils 



1 niorcCfii, 

moBaIi|iie 

lierres polies et limées k loisir. Ainsi s'expliquent los 
uts de suite et de conduite : Eloa elle<mâme offre des 
a et jusqu'à des incohéreones. Ainsi s'expliquent en- 
E nombreuses obscurités qui arrfllenl et troublent 
: il est bien peu de pièces dont la teneur soit r^gu- 
On bout & l'autre, dont le aens soil toujours clair et 
lile sans eCTort. 

obscuritiis ' de détail joignons celles de la. pensée 
. Pourquoi le Somnambule est-il placé dans le Livre 
guet Que signifient les Amunla de Montmorency? Le 
■ de Fer, la Ftàle. offrent-ils une idée bien nettef 
^îgrapbe, le Déluge lui-même ne nous laisserait- 1- il 
llq^e incertitude? Ce défaut lient aux procédés de 
ition. L'idée a séjourné si longtemps dans l'esprit dn 
L été tournée et retournée en tant de sens, 
perd k la longue sa franchise et sa simplicité (irimi- 
'oilleurs, Alfred de Vigny ne répugne pas a quelque 
U : il croit qae ce qui est clair de soi-même risque 
'itre banal, et il a le banal en horreur. Sa délica- 
ïncUne à la subtilité; il ne hait tant le'convcnu 
r tomber aouyenl dans l'artiUciel et le précieux, 
loué chez lui le penseur aux dépens de l'artiste. Lul- 
l'est complu TolonlJers dans certaines prétcntîooa 
phiques et politiques. On devine à qui il fait allusion 
P parle de ces poètes qui >> ont aimé par-dessua tout 
ir dans lenra compositions l'examen des questions 
iet des doctrines psychologiques et spiritualistes >- 
int d'abord à l'écart du théâtre, c'est qu'il trouve l'art 
lène • trop borné pour les développements philo- 
e> > : s'il finit par ôerire un drame, c'est • pour 
^iHldre SCS idées i. Durant une lente incubation, 
é en lui bien des choses, et il croit los retrouver 
18 une pièce de quelques vers, t S'il osait, a dit 
iTOr 11 écrirait ?ifme épique en lOlc d'un sonnet. ■ 



m 


V 


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V- 


r.np.-d 


II:. 














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1' 


rl-r, Ju 



K sf^ |ir"'-nie3, il -îVsl firinK- 
nipë iIm plu* gny.a queiliutiH qui Inudient A l'origind tt I 
la litvtûaét lit; riiorome. Mois, «'il m/-rite le nom He ptnivur, 
l'arliiilt!. KU lui, Duui i«ftil>l» bleu luiiérieur nn pliDf^wphr- 
DAna le moment oiSine où il exprime ses umbiLinns philo- 
■D]iliJi]U(^«. Il ae di'clare • ^.}mi à la fois des di^tnilt Mvinlt 
de rélocullciii L'i lies Toriiius do dessia te plus pur >. tTul-CB 
pua lAce qui doEniUD cliez AITredde Vlgn^ ? Combien de ttâ 
places ae sont A rral dire que des ^luiles d'art ! Et ntm m 
parlons paa seuloaienl de fragmeoU et d'esquisses, mût 
«vssj de tnbleaux ocfaeTés, comme ta Filie de JephU m b 
Femme iiduUtre. CertainesGomposilioos expriment une Idt» 
usex Dnlianirc fi laquelle \<i poAte s donné ud cadre tU^ro> 
porlionuâ, Ouelqui: poétique que soit l'inspirai ion prcmitce 
d'Eloii, la main-d'œuvre, dans celte pièce méuie. atm 
semble bien plu» précieuse que la maliére. Alfred de Vigitj 
Oit un esprit vigoureux et original, mais c'est «rani lontUI 
artiste, le plus délicat qu'ait produit la génération do lAS}, 
Sa gricR pudique el sa chaste élévation lui donnent DM 
place A part entre les poètes contemporaiDs. Dans l'^erili 
roiiiantiquc, qni renferme des jojaux plus éclatants et plm 
rldics, la poésie de Vigny brille comino une perle, un ptil 
Trolde peul-âtre en sa puretË, mais divinemeot exquise tt 
rare. 

Si la première tentative de Lamartine, celle des MiM^ 
lions, est, comme le dit Sainte-Beuve, la seule qui comptt 
véritablement pour l'originalité, si, d'antre part, l'œuff* , 
d'Alfred rie Vigny se résume en une douzaine de pièces{(l n'an- 
ft pas en tout i^crit quarante), auiqudles l'inspiration tntîin6> 
et la forme extérieure prêtent l'une et l'autre un eir di 
ramillc, nous abordons en Victor Bugo le poète non aeulf- 
ment le plus hardi, mais aussi le plus fécond cl le plu ' 
divers qu'ail produit uotro temps. Il Jubule, enraiil subli 



iiriiiiiJ I Ae IroÎB fu.ilrys ft peiniî il n vu finir le couri i, el, 1 
ilriiiili t'flge Ju ijilinze ans Jiisfju'à l'exlrfimL' titillt-sse,/ 
snri (,'énio ne oessa de charmer, irémoiivoir, d'ébloiilr laJ_ 
f,i(:v^le, rurKJUTelle tooles les Tonnes do l'arl, et. quand iU 
n'est pas le guide des générations contoniporaincs, s'en fa]l| 
^^ more et puissant écho. 

k carrière lyrique sa divise ea deui parties. La premiérsB 
pence aui Odes ponr se terminer par le.i liayms el ifiïT 
Vres; il y montre dâjà ime Tsriiitë d'inspiration et del 
e qui. dans chacun des miilliplea aspects sous lesquels.] 
i apparaît, se concilie toujours avec une originaJilri^l 
léliËe et vigoureuse. TantOt il se dëploie, étulttnt dans \ 
t leur splendeur les richeîses de son imaginaiio 

ra; tantôt il se replie el pnîse à des sonrcps i 
bef-^Meades chanlj plus intimes, d'one sensibiJilii grB*6 j 
Inètranle. 

bus saisissons dans les Oies le classicisme originel du ' 
B. Lamartine avait commencé par des • méditations • 
B nom même indique qu'elles ne rentrent dons nurun 1 
gi^nre; Victor Hugo attribue ses premiers essais A un genre 
i{uo toutes les poétiques ont dëlini. Plus il ira, me 
iiilHchera d'imporlance aux cl assiTica lions traditionnelles, j 
<:iis il restera toujours ce que ne Ait jamais Lamartine, t 
,irit rigoureux et sj'stématique, qui sait ce qu'il fait, qui I 
T..iL avec netteté non pas seulement les contours des objets I 
^riels, mais aussi les cadres dans lesquels il enrermii 
K on le sentiment. 

^ Odes, outre leur titre même, se rattachent encore à 
Idition du xvtii' siècle et par la forme el par le mou- 
ilit du lyrisme. On j trouve In périphrase, leo termes 
^, tout on appareil d'images éclatantes mats parToia 

j enfln, mnigré les critiques que le poète adrcsso | 

fl française, il n'en abuse pas moins des aposiropbes, 

mations, des prosopopées, du toutes ces figures 

Sentes el froides qui ■ étourdissent au lieu d'émou- 

. Le recueil, dnns %i>n ensemble, surtout les Odes 

tauas, a quul<iiiL' chose de tondu et de murlcli!. C'est 



1 /-«liin'j^ psi 



(J'ai lira n 






I 1B S 



doMin, lu sûrclit cl 1b TJgu&ur •. 

An pitcft, colle» lie la fin, anDancent ilAJ* cticz Victor Hi 
aDcnDUTclIcmanl^rp, nflaseolemeot par le choix des iaj«t^ 
mais pncorp par on art pins aisé et pliiit libre. 

Lm llallnilcs «ont < des Mqaissea d'un ^enre capTicieni h 
itass lesquelles il met • plut de son linnginalioD •, comme il 
availmU dansleïO'ies «plus de son amo. L'imaginalion du 
poeicliant«alor*unino;enâg(; de fantaisie od fleurissent lu 
grSces d'une mylliologie un peu Tade; cite voltige d'ar 
en arceaux, elle se batEmce avec les tjlphes dans le ca˫ 
des pcrTenchee, elle se laisse naÎTement efTra^er par lei 
liibciui des manoirs. Le futur auteur de Notre-Ùame H 
joue nutour de ce moyen ùgf superficiel et mièvre ; il 1» 
romance, il s'en Tait le troubadour. Mais les ballade» 
trahissent di>jA un goât de la couleur, de la mise en iotat, 
de l'effet pittoresque, que ne gâlcront plus dans un nnuTeu 
recueil les langueurs sentimentales auxquelles sa nalan 
saine et Torte s'était ou moment prfilée. La quina^i 
oppose &la fée gothique une péri ; c'est cette péri qui ount 
maintenant au poète les horizons plus riches de l'Orient. 

L'Orient que Victor Hugo nous peint n'est peut-âtrepw 
beaucoup plu» ïrai que son raoyen Sge occidental, te» 
fignres dont il le peuple sont devenues bient.At banale* tl 
n'ont jamais été que des motifs de dëcoralion. A ceux i^ 
lui demandaient quelle était l'opportunité de ces < Orien- 
tales >, il répondait que l'idée lui en était venue en allani 
voir le coucber du soleil. Il faut les prendre pour ce qu'elle) 
sont, j admirer la inagniScence de la forme sans acciuï 
le poêle d'y donner peu d'aliment k notre pensée et de H 
rien dire b notre cœur. C'est a nos sens qu'il s'adresse, tet 
Orientales ressemblent à ces couchers de soleil qui loi en 
donnèrent l'idée : elles sont un perpétuel éblouissetnenti 
□ne fâte splendide donnée a notre imnginalioi 
qucDt une rupture éclatante avec le style vague et a 



l'tiïole pseudo-classique. Victor Hugo est de tous nos 
Il s le premier qui iiil la faculté de voir les choses en 
a suleil et do les rendre dans lo. vivaciti^ luraineuee de 
' coloris. La plupart de ces pièces n'étaient guère pour 
qu'un exercice do style et un thème de versificatioD ; 
s u'en ouvrirent pas moins on nouveau domaine fk la 
aie, et futeiil une véritable révélation de moyens plag- 
ies que nul n'avait encore soupçonnés dans notre 

rois ans k peine séparent les Feuiites d'automne des 
mliUe.i, et l'inspiration semble en être celle d'un autre 
le.Vicior llogo a maintenant tenuinéson apprentissage, 
"est rendit mattre de l'instrument poétique; il manie 
on gré les rjthmes et les images ; son art n'a plus de 
rets pour lui. Cette langue qu'il a assouplie et colorée en 
pliquant k la peinture des choses concrètes, il iieut main- 
ant lui confier sans crainte l'eipression de ses sentiments 
le ses pensées; elle a pris assez d'éclat et de relief pour 
dre le monde moral avec autant de vivacité, avec autant 
puissance que le monde physique. Après s'être répandu' 
our de lui, il se replie en lui-mâme; il lire de son 
e, de sa vie intérieure et domestique, une poésie moins 
Jante, mais d'un accent plus profond. Après l'éblouis- 
^pmphonie des Orientales, ce sont des mélodies k la 
I et sévères, dont l'écho se prolonge dans le 
Pkui sonores vocalises succède la note des intimités 
îfees. Le poète avait déjà préludé 6 ce lyrisme nouTeau 
is les dernières odes; maïs il y nianquail, sinon la.sîn- 
ité, du moins ta profondeur du sentiment en même 
ips que la plénitude de l'eipression. Ici, sa lyre a des 
ords plus riches, et la maturité de l'Age a donné plus de 
ce à SB pensée comme plus de trempe à son émotion. ' 
.es trois recueils suivants continuent »ous divers titres 
spiralum grave et méditée do celui i|ui [irécède, aeule- 
nl l'autuur y mêle des poésies politiques dont la (ter- 
re pièce des Feuilles d'automne annoncsit déjà le Ion ! il 
||ftà sa I>re ce qu'il appelle la corde d'airuiu. Ueaucoup 



fùéne BBTOUTPUM et pleiau, 



) lie rèolilde ot <Ie>p< 



ricucH, qu'élaborent maintenaiit une raisin lonjoum ptu 

recueillie et uneBeDBibiliUdoutlaunircGitiii'rir :■■ 

toujoun daTsatsuc. Son cusur le mol do h\ 
nigtoD (lu si6cli>. DnDs les Çhanli du c:r£/it(.v< 
du dedans correspond avec t la broinn <'.i: 
oelle atiDosplitre douteuse il sort tantôt des ciLi d c^^tvir, 
tanlAt dee chants d'uuoar ; mais les cris sont • melâi 
dliéailalion • et les chanta • £oap^s de plainte •. L'Ame tl 
la société s'; moulrcnt « & demi i^clairi^cs ■ ; LhéorieB pcfi- 
11i|Ui>8, opinions relidieuBUS, existence personnelle, partwH 
c'est le niAme élqt crépusculaire : la nuit lutte avec le Jour, 
e'esL-a-dirâ le doute arec le dogme, la tristesse avec la Joie. 
la crainte que tuul n'aille s'iitiscureissaiit avec la foi btuj'aDU 
& rÉpanouissL'mi^ul paisible du l'humanité. Les Voix M^ 
pieure» sont l'éclii secrul du foyer, du champ et de la plad 
palj|i<iue: t'Lomme, la nature et les événements y parlent 
Iddi' ft tour, el celle triple parole renferiae l'easeigaïnieal 
d'une lugesse grave et forlifiajite. Que le poète lui^dile soi 
les sommets dêHcrls, dans le tumulle des rues au dans 11 
iiuiétude songeuse du toit domeslique, il s'exhale de tous Kl 
diatils une pieuse rësigaation qui s'allie aux robustes lea- 
dressos, aux sympathies vaillantes et généreuses, 
A mesure qu'il va devant lui, i son cici derieni plus bleUi 
.son calme plus profond •. Les Rayons H les UmbretM 
pour ilcroier mol celte • bienveillance universelle et doues • 
à hiquelle s'unissent toutes les énergies de l'action, elqni 
por'louae au mal sans cesser de le coiiibiiltre. Eu mtwa 
temps que son esprit s'Élève et se rassérène, sa sensihiliU 
trouve des notes d'uao «'motion plus intense et plus mMI- 
tnlivo. Son pittoresque lui-mâme ouvre un champ plus «|»s> 
deui t la râTorie et A l'imagination. La nature ne M 
fournit piii ii<:u]uiiictil des couleurs, il en pénètre l'J 



LE LYRISME ROMANTIQUE. liS 

eonfusément éparse; au delà des formes extérieures, il nous 
fait voir dans Jes choses ce qu'elles renferment d'invisible, 
et^ si ses sentiments se traduisent en sensations, l'on peut 
dire que ses sensations à leur tour éveillent tout un monde 
de sentiments. 

Au contraire de Lamartine, qui chante c comme l'homme 
respire », Victor Hugo est le plus réfléchi de nos poètes, 
celui dans le talent duquel il entre le plus de labeur et de 
volonté; au contraire de Vigny, le premier « névropathe » 
du siècle, nature délicate et féminine chez laquelle î'impres- 
sionnabilité touche à la maladie, il y a en lui un équilibre 
de santé physique et morale, une vigueur de tempérament, 
une possession de soi-même, qui sont, avec sa puissance de 
trayail, les traits caractéristiques de son génie. 

La poésie n'est pas pour Victor Hugo une effusion sou- 
daine et inconsciente, mais un exercice d'application sou- 
tenue. Ce que d'autres considèrent comme un jeu, il en a 
fait sa profession. Certains sont poêles en attendant mieux, 
par caprice, à leurs moments perdus; quant à lui, il a 
dévoué sa vie entière à l'art. 11 parle dès le début de ses 
ff doctrines », de ses c principes littéraires >. 11 aime à 
discuter les questions de métier, il demande pour Tartisle 
€ le droit d'expliquer ce qu'il fait ». Il est chef d'école, il 
réunit autour de lui un cénacle de disciples, f J'aurais été 
soldat, a-t-il dit, si je n'étais poète. » En môme temps 
qu'un poète, il y a en lui un soldat. Il mène contre la tra- 
dition classique une campagne décisive, et le drapeau qu'il 
arbore devient celui du romantisme tout entier. Ce ne sont 
pas seulement les grands problèmes de philosophie litté- 
raire qui le préoccupent; il descend aux plus minutieux 
détails, il veut connaître tous les procédés, s'initier à tous 
les secrets de la main-d'œuvre. Écrivain, il renouvelle la 
langue; versificateur, il restaure la rime, il multiplie les 
moyens d'expi'ession rythmique. Le grand poète est un 
ouvrier de métrique et de style; il a forg»* de ses propres 
txiains l'instrument de notre poésie moderne. Son audace 
révolutionnaire l'exposa dès le début aux plus violentes 



tUk^ue*. Ktprxi naliet el indeutaie, it ns se u 
éniod'DEr. t) |iûursulvit ta carrifiv, Ictlc qu'il M \'ë 
eèt d'afiiice, ignornnl wi eiianmifi H ne toul 
coiinii]tre, (iluin de mdiirta pour les iosutteit i 
ronce poar les i:riU([nea. CodQiidL dai» sa rorci;. U se fit Ht» 
U jciinvstu un vniln programiiic de gloire. A inina^ t 
il écrJTait aur un ciiliicr de cliuise : • Je veux âtrii OtiBlus- 
briand ou ripti ■, cl, s'il cul la puissanct de r^sliter n*ti 
rtve, rVst parw «iti'il ciiçnt le vouloir, l'armi lus poélwde 
la gdnorfit.ion rninnnliqae, il est le iiinin» [rnssif et la ]i)vl 
obsUniimeDt npplii|u4. Ses i&iavU œânies sont ayaVétoiti- 
quos. D'niilrut s'obundoDncnl «m caprices He la ?cfTe; lai. 
il règle toujuun la eienoe et la dirige en maître, i 11 U 
lals!o plie aller qj liasard, dit-il lui-tnCitiD, ce ({o'c 
bien appeler sou JDspiralioD, > Il ne càde Jaiuaîa t Yémm 
tion du moment, el, mime dans les pièces où il a mittt 
plus de sou iiœut, on sent qu'entre l'impri-ssEou et l'ncjntl- 
sioD la Tuloulë du poêle pst intervenue. Il fait loal cc<ri1l 
vcdI, c'est parue qu'il veut toul ce qu'il fait. 

Il se détache aisément de lui-même. Le monde initient 
qu'il porle en lui, ce monde d'idées el de sentiments, I 
fi^conde en l'éctinngeant avec le monde visible, Il fiii 
entrer dans la poésie, et son flme, et, avec elle, l'uoircn 
tout enlier au centre duquel cette Ame a été mise ConuM 
on ^cljo sonore. Pour lui, tout a droit de cilé dans l'arttft 
n'y a ni bous ni mauvais sujets, il n'y a que de bons et A 
mauvais pofiles. L'tiomme, la nature, l'histoire, appartldi' 
ncnl à l'artiste, el non pas seulement dans leur vague génfr 
rallié, mais dans leurs détails eipres^ifs, dans leur plj;>BiO- 
nomie vivante, I,a puissance objective de Victor lïugD tA 
asseï grande pour lui permettre d'embrasser ce doniaÎD* 
sans limite. En miïme temps, et par ta mâiue raison, It 
s'opjiroprie tous les (nus et tous les genres. I! a par insUfid 
• lu rorins mcridionale et prt^cisc >, mais il sait nnsiâ' 
rcndi-e le vague el le demi-jour de la pensée ; il sonne 1* 
fautnre des mélapborcs et des anliliièses, mais il luo^vit 
tussi des murmures d'nne suave douceur. On troua 



LE LYRISME ROMANTIQUE. 445 

oeuvre des pièces d'un charme si gracieux que Lamartine 
nême a pu en être jaloux. Ses grands morceaux sym- 
liques ont une ampleur, une complexité d'harmonie 
m p arables, et ses mélodies une simplicité délicieusement 
hante. 

i peintre si riche du monde extérieur est en même temps 
erprète le plus profond et le plus vigoureux de la vie 
aie. L'artiste chez lui ne se laisse pas troubler; c irrité 
me homme », il sait rester c calme comme poète ». 
j, pour Olympio lui-môme, il y a des jours de peine, de 
esse, d'amertume, et ses inspirations sont alors d'aulant 

poignantes qu'il y entre plus de recueillement. Certains 
eu la sensibilité plus spontanée et plus prompte; la 
ne est moins fugace, plus pénétrée, plus intense. Elle a 
z de force pour supporter l'émotion et assez de substance 
' la nourrir. 

est des finesses, des subtilités de sentiment, qui sup- 
mt un défaut d'équilibre. Kien de tel en Victor Hugo. 
Qour même a chez lui une placidité saine et robuste. N'y 
chons pas la langueur enivrée de Lamartine ou la 
ion délirante de Musset. Il ne chanta jamais qu'une 
nae, celle qui fut la sienne. Son amour a quelque chose 
conjugal même avant le mariage, et lui inspire des 
balames d'un grave et pieux accent. Ni transports ni 
jlots; une tendresse paisible, vaillante, sereine, avec 

de • ferveur que de flamme et moins de vivacité que de 
ondeur. 

Ictor Hugo se faisait d'ailleurs une trop haute idée de la 
lie pour chanter les ivresses et les délires de In passion. 

but constant, quoi qu'il écrive, est d'instruire et de 
aliser. Merveilleux virtuose, il fut un adversaire déclaré 
I l'art pour l'art ». Il ne fit qu' c un livre inutile de 
î poésie » ; encore les Orientales ont-elles sonné pour la 
le le réveil et l'affranchissement. Il considère le théâtre 
me tune tribune», comme une « chaire », et la portée 
aie de ses recueils lyriques ne le préoccupe pas moins 
celle de ses drames. Là aussi, « il se sent responsable », 

iO 



i 



Bat cfaurfie d'Ami» ». oei la (ireiniAre préTaM dia 
mtfirimo In convidion • que tout «^crWaln, dans quelque 
iphfre nue »'(iUTi'f aoDeipril, doit avoir |>ourot>JH [irimi- 
pat d'tire uUle », et il se présenta coutme ajanl teati^ < de 
«nli'nnisitr quelque^-uni de ceuï des prlncipaim somwilM 
du nutri! l'ptMiue ipii peuteat *tre des le^oriB pour luasoci^ 
(es futures t. Il compare l6i élus du génie A ces scnlint-ile! 
Inisiéei par ie Soigneur sur le» tours de Jérusalem. Il mé- 
prise ■ le cbatitear inutile >. Pour lui le résultat de l'art 
est • l'ado ucissemeDt deit esprits et ilGs mœurs •, i 1a dn- 
ligatioD même >, et il Tait proression A'y tendre par toutes 
Id8 voies ouviles k sa pensée, par le théâtre comme par le 
litre, par le roman comme par le draine, par l'hisloire 
comme par la poésie. Il roit dans le pDËt« uu • semeur ■, 
un < pnsU'ur d'Ames >, une lumière qui montre aux peuples 
le chemin. 

S les vicissitudce de sa pensée reli^éuee et pulitique IW 
■'accnrilent guère a»ec de telles prélentioiis, l'œuvre d* 
Victor Dugo est celle où s'incarne le oilem la eonscienM 
inquiète de ce siècle, et, si la torche qu'il a Tait • marchu 
devant les peuples • vacille souvent entre ses mains, lien 
jiorte du moin» la lumière vers les plus hautes quesliosï ' 
que notre Age s'est posées. ■ Tout poète, avait-il écril 
lui-même, doit contenir la somme des idées de son Icmps. i 



CUAPITRE V 



LE LYRISME ROMANTIQUE 



II 



martine s'est toujours tenu en dehors de toute école; 
d de Vigny s'isole de bonne heure et s'enferme en 
jr d'ivoire : Victor HugC,, soit par la puissance de son 
!, soit par son activité militante, soit enfln par ce qu'il 
lit de systématique dans ses vues et dans le caractère 
e de son esprit, exerça sur là poésie contemporaine 
nfluence de plus en plus décisive. Il est le chef reconnu 
3UX c cénacles > successifs. Le premier n'avait guère 
ue s'essayer à une transition bien timide entre le goût 
que et les aspirations nouvelles ; aucun de ses mem- 
déjà fort oubliés, ne nous apparaît avec une figure 
icte. Au second se rattachent Sainte-Beuve, Alfred de 
3t, puis, après 1830, Théophile Gautier, chef « des 
s barbus et des artistes à tous crins ». 

premier recueil de Sainte-Beuve se dégage une aride 
sse, non pas la mélancolie caressante de Lamartine, 
ble pessimisme de Vigny, la pénétrante gravité de 
r Hugo, mais un désenchantement stérile, un dégoût 
Drrompt tout ce qu'il touche, quelque chose de terne et 
écocement flétri. Gomme le héros de Sénancour auquel 
iprunte son épigraphe, Joseph Delorme s'est trouvé. 



\ 



rHrua<li> (nqpirwtioo. U'aolrN «Mit nniiorlés p^r lui a^le: 
U est nagt par vn rintour. Sa Musf D>st ni l'odalisque 
brUUnle, ni In rtrmpjllc jiiti, ai l« féo ans ailes blaochaa 
•l bleues : cli«livc el mitiabk, la roilA. (laoa un fond, soub 
Torbre mort, près du rocher m) |)It'iir« un» bruyère ; elle 
lave un liage nat, et, dis quVIlo dioste, une loiu déchi- 
raiile In preml A la gorge- Do la nalurc îl ne liODnall^De 
iei plus iiiarDcs aspects : & la nail tombaDte, U se {iromtae 
te long lie murs noirs ou de baies mal closos ijnj laJiMnl 
ruïr (A «t I& ri^Dotil« Terdun- des jardins polagere; plu 
loin, te sont des sentiers poudreux, îles arbres rabou^îi, 
de pierreuses jaclièreâ, paysage fait A souhait pour s'ac- 
cordrr avec un insipide el gris&lre ennui. Son cœur û'ost 
pot capable d'aimer. Il lui manque la damme Hv la jou- 
nciic, la foi dans l'idâal, la cuodeur du senliiuent. Ilupe i» 
son désir, il le prend pour de l'amour, mais, tpianii la joals- 
sanec est tsric. avant qu'elle ne renaisse, oli I qan l'omcur 
titil loin I Lh volupté elle-mâme lui échappe. U rù^e et oublis 
dfi jouir. Les plaisirs de ta nuit sont déjà corrompus ptf 
In pensée de la lassitude impuissante, do-plal et lAcbt 
dégoût que lui réserve le lendemaiD. Il cueille le fruil 
doré, il le porte A sa bouche; il mord dans In cendn; 
et dans la pçurrilure. Veuve de toute consolation I 
bien que de toul espoir, l'Ame du poète se couche dans H 
tristesse comme dons un linceul. Elle aspire au euicidS- 
Voici une étroite et longue vallée, au fond de Inijucllc coul* 
un monotone ruisseau ; il s'assied au bord, il regarde, tt 
songe, et, quand « il sent ses esprits nu complet •, il d 
MPd dans l'eau, il s'y note doucement, non pas sous 1« conp 
d'un désespoir sniidaiii, mais sans trouble et sans tneu,- 
parce qu'il trouve lr> fie (tmére, ot que la morl le gi 
de la vie. 
loaepli Delormea'estpourlantsurvécu. Cu au uprëaj 



U 1.tniSMK nOMAHilQUB. 



e qu'il rCvnil, .:<; iléanli* public un rcca^il dp Contolationt 
n IroiiTÉ uulour lia lui àm génies puissfinlî el bons q 
l'oril. réconcilié avRc Dieu, qui lui ont Tnit. pnrl.nger li 
crcynacm dana l'ËterDité et dans l'idéal. La crise une I 
pasBéti, son premier seutiuient eat celui d'un bien-fitre di 
cii^ux : c'est i:e scoLiinent qui fui dicte ses iiouveKUX ve 
Di; la hnge od l'avaient enlrainé les sens, l'i m mortelle 
pi^nsce a jailli comme ud Teu des marna. Il dompte les 
ilcut's (lu tempérament, et l'^ascétisme qu'il impose h u 
sËDSUutité grossière tourne son esprit subtil nui rnllinenimif 
do la pensée et de l'émotion religieuses. La religion philoa 
pliique ne lui sufSt pas : elle est trop froide et trop i 
Des rêveries morbides ont fait germer en lui un mystici; 
aux parfums troublAnts, qui, si ses sens unt des rccbute 
'lunnera pins de ragoût h la volupté. 

Les Reniées it'aoAl sont « le fruit el plus souvent |f 
jiassË-tetnps des lents jours du miliuu >. Tout en gardaal 
pnr devers lui ce que sa vie intime a de plus sccreti l 
poète nous y offre, ti défaut des • heures u cllcs-m'ïiries, li 
siiperllu de ses heares, l'altcnte, l'intervalle, l'espérance > 
!■■ souvenir- Ses vers respirent maintenant la sagesse d'ur 
innturilé apaisée. Les retours vers le passe ,t ont quelqt 
' liose de riant, et la réfleiioD qui les suit est grave s. 
iiieHume. Il se livre moins dans ce recueil que dans lo^ 
'iji.rus, mais il découvre mieuit, sinon les profondeura Iri 
, l 'Il secrâles de son être, au moins sa vraie nature en deboil 
I'. loulo crise et dans l'habitude même d'une eiiatence qa^ 
■ iiible désormais llxée. 

V Iravera les diverses phases de sa carrii^re morale, 
li.vsionomio littéraire du poêle resta loujours lu même. 
,1 il y a de nouveau chee lui, c'est une nianiérc discret^] 
Mniyfnue, volonlicra bumble. Venu sur le lard, alors qt)| 
'■ lutres avaient occupé déjà • le vaste de l'âme et Je vnstf 
ii'scieui •, il cherche dans les cieui et dans l'ùi 
mus ignorée ou dédaignés. Les malheurs que diaolJ 
Joseph Oelorme n'ont rien de dramatique ; l'élolfe i)e s 
eil f«itc do Jours embrumés et monoloues, et il ne s 



' p»t k M ilrapcr duK c* «uiiirc- Son onih)(i.< 
! 4l« iiotur ovirr »nn oxaetituila (len^lriiiiU- m- ; 

et It! c<£ur (iiiDialD oat de |ila» tJitlicBl., iJ« |»lua ' uwt uv 

uuaiit^. 11 eiprimi; au vif cl d'un lou Tranc bjcD des iltiniit 
pittoresques et iulimcR aimquels ses iktnés n'étaient pu 
detceudUH. Il nu dciuaiide pas & la pu^sie les riches horiloai 
•t les larges perspeclifes, It se pUlt aux sentiers f\m% 
voilés d'ombre, furtiveaient délouriits. Les Cotuobitmt 
attestent • ud progrès poétique dans la même mesure qa'ua 
pfugrés moral > ; mais le poète n'n pourtant pas quille n 
prdiiiiûre roule. C'est presque toujours de la vie [iriïéequ'fl 
part. Ilo iuddenl iloinestique, une causerie fumiliére, une 
lecture, voilà le premier thème de l'iasplralion. S'ii Tiie 
à plu» de hauteur, il 01! r&il que • mener &liu aotiprocE^lé*. 
Dans les pensiei d'août. Il r^«e une alliance nourelle «ntrt 
la poéaic cl la sagesse; il veut porter le plus d'élévation pé- 
nible duos le réel. < Monsieur Jean t, par exemple, est ans 
sorte de Jocelyo bourgeois Comme les vers de Josepli te- 
lorme cëlébraienl des infortunes obscures, les Ptnxia d'aM 
chaulent d'humbles fidëlilÉs, des dévouements sans gloire. dei 
charités qui se dérobent, de silencieuses vcrlus. El sa maniM 
d'artiste est en intime accord avec de tels sujols. Il SvUt 
tout ce qui brille ; il Tuil l'éloquence par crainte de la rl^ 
torique; il s'interdil jusqu'à la période; il disloqua soa 
Tjibme ; il répugne à toute indiscrële sonorité ; il s'est fait 
une langue ingénieuse et déliée, pleine de fmess<.'s, d'sJD- 
bages el comme de pièges, éminemment propre à readii 
les impressions de son ftme enveloppée et subtile. 

Lui-mCme se compare avec l'hirondelle prise A la jjlo 
qui ne peut suivre le vol de ses compagnes vers les cliiuail 
chauds, et qui doit subir la saison de détresse et la cage de 
fer. Il manque a Sainte-Beuve l'essor, le souffle, l'envurgurï. 
L Si l'élaboration féconde chez lui l'idée poétique, c'est «0 la 
raflinant. La veine ne s'épanche pas, elle se crlslc.'tise, Si 
HUse est fuslnuanlc. lâlillonne, louche dans la tristesse CI 
souffreteuse jusque dans la joie. Venus A force d'art cl ds 
vouloir, ses vers n'ont élé ni colorés par le soleil, ni rarrol- 



LB LYRISMR ROMinTIQUB. ISll 

rliis par les pluies. La lyre aïare du poète laisse sortir avcâl 
\i!-\iu; lies cliAitts inquicls. soucieux, sans aisance et sanB 
^Tiki:, que ies recherches, les procédés, les iutenliQiis secrâtoH 
ont par avance ex téoués et dâileuris. 1 

Il sssaie péniblement de compenser son impuissaacq 
pluSliquc en multipliunt les elTets de délii: , les arlilicieaa 
délours, les délieatcs habiletés de mélrique et de slylejl 
Aucun poète ne Tut jamuis préoccupé comme lui des plun 
oiinulicuses pratiques de l'art. S'Use rallie aux romantiques^ 
c'est, non par goût pour leur conception de la poésie, poun 
leurs tendances aristocratiques et spirilnalistcs, lui, le rotiiJ 
riiT carabin et jacobin, mais parce qu'il partage leurs rued 
sur la rÉforme de notre langue et de notre versification ; ed 
Joseph Delorme oublie son narrant désespoir pour obserTeH 
dan; sa préface que tel mot suranné ou de basse bonrgeoisid 
a élé restaura par ses soins. l'as de détail si ténu qoi n'aifl 
chfz lui sa TaJcur. Il a le stjle insidieux et retors. Son verM 
<;i)loicla prose ; il s'en distingue par l'ëtroitesse de la form^ 
|inr la rime toujours exacte, parmaiot secret de grammairflfl 
ijI d'oreille, par une coupe, un son inattendu, une leltrM 
iaêmt, I 

Par 

Min Ame compliquée et sinueuse ne peut trouver dans la 
'LFigue ordinaire un interprète qui lai suffise. Pour rendra 
I iiiiLes les Duances, il Ini faut des ruses subtiles : tantôt c'esS 
in terme doucement incliné vers l'ancienne signiGcatiool 
ioil avait perdue, tanidl une alliance de mots insolitej 
■lulOl une négligence méditée ou même un solécisme! 
. ivaot. Toute l'adresse du poète ne saurait racheter lu 
hiliguc d'une dictioD aussi entortillée. Il n'a jamais eu cq 
jitu lui-m^me appelle i le léger de la Muse •, l'émanatioia 
1'.' douceur et de grâce qui se communique & des cœurs pIiiH 
simples et k des génies moins conscients. I 

^H;eB poésies de Sainte-Beuve sont, à vrai dire, des ëLudex] 
^Bfaitiqoe et d'analj'ste. Si le poète a sa manière proptoJ 



«, Il écrit tiillo piftM pn style Wgftrcmcnt rajunni do 
:• Italie: Il acclimate daos notro poësir los d<tIicitL«sta 
I wnlimt-iil'ilcs de l'école anglaise ot • Hérolteun niiKMltttau 
Ixcd in^laiicotfques et doQï de Wordsworth et de Cowper i. 
I CcrUlin'H iIp ses épllres en ïers sont de n^rilables causerie* 
[ lillûritiruji dans la manière des Liindù; il les adresse à dei 
I, k Villt-inalo et k Patin, Dfs son premier reouefli 
il noiw rrt»*le sdu goût [lour les livres, ao prédilection pouf 
le* auas de iiuUaance anoDjme, dont lui-m^me naus pré- 
vient qu'il noie les traita cd paunut. Joscpti Delorme M 
pr^orcu]>e (lu ai^Jaur que Gt Malberlie h Carpenlroa du il« ' 
l'air tiTcc lequel Ménage jouait son rOle cbez M"" de 5*»i* 
t gDé. Un rie ses gruiida bonlioars est de truiivor sur les i|aui 
' un l'«lronu, un lti>nssrd, un A Keinpis. Au bal m Cm «.il 
\ ipiilliTii la Tierge hu cuu de cygne pour s'entretenir avtt 
I Ngdicr d'un vieux biiuquin. 

Aprâti tunt, si Saintelieùve a renouvelé la criliijue, e'eit 
parce qu'il j in trod niait l'élude morale. Or u'est-ce pal 
1 aussi l'Élude morale qui donne A ses po^eies leur phjïiA- 
nomiu particulière î Son vrai genre, c'est < l'éliigic d'ana- 
lyse >. Nul obacrrateur de l'ftme humaine n'a peni'trt 
^ plus avant dans les mystères du moi. Ses perso un egea, Ica 
! Maréxe, iijs Monsieur Jean, les Doudun, ne vivent peul-éln 
pas. mats ce sont d'admirables anatoniies. Il est arriva • I 
cutte particularitâ et A cette précision qui fait que les ëbvt 
de noire pensée deviennent tout 6 fait nôtre» et unt 
reconnus du tous ■. Sa curiosité psychologique épie tn 
I moindres trcssailloments du cœur, surprend Ica inlimlKi 
i Ica plus «ticrëtes, noie les plus fugitives émotions, Aialingm ^ 

Ica plus imperceptibles nuances. D'autres, plus grands et 
I plus richement doués, ramenaient la poésie k la spnntanijitt 
I et a la candeur primitives; chei lui, elle es) le produit d'tme 
l eivilisalioil vieillie, complexe, subtile, dont ii a ctprimt 



LK UntSMK lIOMAWTrQUK. 

nal.jle nMiquo les ruflhieiiifuls in<]i;iet8 el les u 
(en dr G a SOS. Par 14, il csl Id i>remier ancêtru île i 
|iii. ciuquBtite ODS plas lard, devaiont se donner * i 
[fjomea le nom rfe décailcnls. t On luo croit seulement u 
I l'ilique, disail-il vers la (la de sa carrièrej 
[lUB quitté la poésie sansy afoIrlaisBé tout idod aiguilloa i 

■Si SainlB-Beure n'a jamais été jeune, Alfred de MussolTuI 
i i^i r excellence le poêle de la jeunesse. Il fait son entrée u 
luire chanson aux lâvres, le printemps sur la. joi 
'^indida et Qer, souriant h l'exislence, élu du génie et prom 
■1 l'amour. Qaolle gaieté, quelle l'ratchcur d'adolcscencol 
Quelle turbulente ardeur nu plaisir el au scandale! kvtiétf 
Il-b • vieillards décrépits 1 1 Place à la jeunesse avide, fou* 
faneuse, triomphante! Place H ce poêle de dis-huit ans doM 
te sein palpite aux premiers appels du désir l't di^nllc Ti 
se ilore aus premiers rayons de la gloire! Sou cœur s'ou 
U "imc, il souffre, Il chante sa peine. Aux volaKes romai 
lie Chérubin succèdent les accents passionnCiH de don JuanJ 
Toute onde l'alLire, méniG la plus impure, dans iBitucllo ifl 
croit voir de loin se réfléchir l'idéal dont il est épris. PaisM 
ijuand l'amnur ne peut plus refleurir sur une lige prématuJ^ 
ruinent sëchée, il sent que tous les charmes de la vie 
sont évanouis avec te printemps et que le génie lui-tnei 
ne survivra pas au pouvoir d'aimer. Douie ans après l 
pi>tulai]tcs ardeurs et les grftces cavalières du début, i 
bi'une l'heure de sa trentième année, il s'assoit le fron| 
daDB ses mains à sa table de travail et s 
les souvenirs sont llélris, ù l'avenir qui ne lui permet plul 
l'espérance. Trente ans, c'est pour d'autres l'ùge de I 
maturité vigoureuse et Kconde; pour Chérubin, c'est celui 
du déclin et de la lassitude, c'est, après quelques lenlaUvei 
ii^ujours plus rares de se reprendre, une vieillesse précoceJ 
"HL' vieillesse désœuvrée et slérile qui ne s'est réservé uuci 
■cuvre A l'aire, aucun devoir ft accomplir. Tout est fini; 
Kc résigne li vivre, mois en se désintéressant de lu vie 
plutôt Cil la halssuuL II assiste à sa propre ruine; il jr U 



viiiU« lui- ui^dioi*» recourait aux it 
rL-aDtli.-Ictiivcnci;Juw|u«(laiu lui' 

U a'olTnti'jt- ili' plus i-n |ilu« au ton-i i 

la JfunesM. lo poêle de la jeunesse av&il luuL {lurUu.iUlait ' 

lunrt i la fitéiie eu cnâoie (cmpi i]u'à l'niuiiur. 

Alfred de Hustct a abaniluno^ son exisUncc aux liuanJa 
lie la fantaisie cl sou (Çénto aui caprices «Je la verve, fîn- 
conslanco native , la [taresse. le mépris de toute discipline, 
*|ili so trolussoal di^jA par une adolescence oisive et dé- 
consne, le poèto devait plus tard en porter ]a pein^ . Knranl 
»n-vcnx et r>nlitsqae, il so laisse aller eaus avoir la Tiiru 
do «c conduire; il disgipe ss jeunesse à tous les venu, il 
içaspillc les trésor* de son Ame. 11 Tait consister Inute U 
vie dans le di'tlirc d'une pnssioD exaltée et maladive, et, ai 
Gt'llo passion alimente d'nbord sou gënie, elle ne larde pal 
A «n dévorer loule la substance. 

Ce Tut un grand poÈto par accès, ce ne fiit pas un arlislo 
aemunpti. 11 avait pourlaolfiiit ^es di^buLs soaa le pnlroni^ 
«t dans l'intimité du cénacle. Uus l'exemple de ses alnCi, 
scrupuleux ouvriers de Tacture, ne l'empèclie pas de M 
Uchur presque ausait^l la bride, de chercher tnéiue dans h 
négligence une originalil^ île mauvais aloi. Si. comma 
Mardoche, il rime idéa avec fâchée, c'est i pour se diatlngucT 
do cette école nm^ui» qui neVest adressée qu'à, ta forma *. 
Do telles faiblesses sont après tout excusables ) elles peufent 
mâme passer (ft et là pour une grice de plus cbez ce poHt 
quD le genre pif.toresijue n'a jamais séduit et qui demanile 
au sentiment toutes ses inspirations. Mais il ne secoua pas 
senlement le joug de la rime, il prit encore avec la langue 
elle-mâme des* libertés que ne sauraient lui faire perdonnet 
toutes les séductions naturelles de son heureux et faijlil 
génie . On trouve jusque dans ses meilleures pièces du 
défaillances, des obscurités, des expressions iiuproprct, 
parfois quelque solécisme. 11 a fait son livre > sans prraifae 
y songer t. Or, lui-mflme devait le dire, • ce qui est venta- 
blemeul beau est l'ouvrage du temps et du recueillrn>enl, 
et il n'; a pas de vrai génie sans patience ». L'on Irf 



LE LTRISHfS BOMANTIQUB. 
tîuns Musset bîpn des pages ■ ydrilablement belles 
s'il ou L-st peu doDl reiâcution soit parfaite, c'est ju 
(]u<^ Id patience litï a inaoqué. 
Toute sa poétique se résume daos un vers : 



Ali 1 frappe-toi le c 



c'est I& qu'eit le génïi 



Ouimd sa main écrit, ■ c'est son cœur qui se fond t. 1 
poi^sie, telle qu'il la coucoit, consisU ft • écouler dans $■ 
riror la voix de son génie •. Aux ouvrages ■ faita avec 
l'iirl, I, il oppose cûiii qui * sont faits avec le cœur •. Po 
lui, « l'art-, c'est le sentiment •; et il écrit il son Trèrc ; ■ 
jii'il faut à l'artiste ou au poâle, c'est l'émotion; quan^ 
I Lprouve en faisant on vers un certain battement de cœiUl 
i|iie je connais, je Buia sûr que mon vers est de la meilleur^ 
quBlilii que je puisse pondre. • 

Il est de tous les poètes celui qui a porté le plus d'ardeL 
'liins In passion. Il la chante encore toute crue. Il la laissa 
l'dliir avec une âpre violence; i! In livre sans apprât dan^ 
-Il sincérité cliuude et vibrante. Douleur ou joie, tout 
'lomande à sortir de son sein, et h en sortir sur-le-champ* 
D'autros se déprennent, le moment venu, de leurs cr 
iiiiime les plus personnelles; lui, il est comme le pélici 
il a cék'bré le supplice, il donne en pftLure ses propre 
"nlraillcs. Il laisse tomber, non pas seulement les larmei 
!'-' ses ^eux.mais le sang de sa blessure. 

C'est ce qui fait sa grandeur ; c'est aussi ce qui fait s 
I iil>lesse. Loin de dominer son émotion, il en est la proieJ 

I n fougue mâme du sentiment l'emporte malgré lui 
ince k bride aballue sans qu'aucun faux pas l'arrâte. Il ii 
"mpose pas ses sujets, îls'jjetle tâte baissée. <Uoi, disailJ 

1 im jour, BU courant d'une scène ou d'un morceau dd 
■ iO-9Îe, il m'arrive tout à coup de cLany;er de route, dd 
.iliiuter mon propre plan, de me retourner contre i 
.."[■sonnago préféré; j'étais parti pour Madrid et je ïs 
Mostiintinoplc. • Ce ne snn(chc;!lui que bonds et saccades;] 

I I procède par ucUuiationB, par apostrophes, c'est-àilin 



[ par îc<8 ttu-t»^ih lU puMîtiti. Dp U, Im lananei, etiH 
1 loi f'pMcliG, non pnswtH 



I ainsi dire, \it kiitlu. 



qui 



« cnntes q 

I nîtpicue.mnislos* solutions lie conlinuil^iqu'o 

[ sut) poAiii<?B le* plue goatcoos, «l qui sont eussi lu Tfiiblrssr 

ca^iltale do sm drames. 

Q d'j h point chez lui de puiasance iDTenliTe. Sc« po- 

I toann^eK sont di% Alrci d'une id>^alilé Irnnsparcnte i^u'A 

I coluru avtc les caprices de «a faolaisie, el ses sujeU, Aet 

I histoires d'amour, les premières venues, mais qu'anime a 

I aeniiiliililé eiqntse el dans lesquelles drintent çb ni It 

d'adiuirables couplets Je passion. Il n'a pas dnvantagrll 

rori:L' de Ea pansi^e. U senl, il aspire, il rêve, mais il Bt 

piinnu pas. Il sa replie sur des senliments et non Bardât 

, Idée». Laissons de cdté ses Frivoles persillnges el l'impiélt 

do liobËme qui trouve en M.irdoche un iolerpièiD di^llï 

. d*oîtc. Deux ou trois Toi», il s'est pos6 sërii'useroenl It 

ijiiestion supréait! : mais quelle philosophie superficielle «t 

courte que celle de \' Espoir ea Oieul Alfred de Musset 

est une nature purement scusible. Tout en lui a sa source 

dans le cieiir, tuCme l'esprit, quand il s'abstient d'en foin^ 

mémo l'iTTUginutioD, qu'il oe déploie jamais tt loisir; llnJ»- 

ginution «si. chei lui la couleur du sentiment comiiie l'esprit 

!ii est In grftce vive et piquante. 

Le poêle s'était anooncÉ d'abord par des ctiansons dnnl 
l'î m pertinente Ht^sinvoUure Iranctiait sur la ftravitfl mélan- 
colique et quelque pou solenuelle de ses atnés. Il s'amusait 
[ k des tours de colMgion; il scandalisait • les pharujaduoi 
Ijon goût i; il faisait ses enfHnnea avec une grteo 
espiègle eL fringante. Puis, il trouve dans H^gnier un moltit 
de savoureux luDgage : les Contes d'Esiiagne et d'ItaBt 
niflenl à l'flprelé méridionale une veine toute gauloise il( 
[ Tranchise pittoresque el d'ingéoue familiarité. Il se pisll > 
: scènes de meurtre et de débauche, il m sort dttfl 
cabaret que pour entrer dans un bouge; son vers indilf 
pousse dans ces peintures l'énergie jusqu'à ?o lirotallU. 
Parfois cependant, de fraîches romances, un couplet dont 



' pur, quelque cliosc de nmt et de limpide, une caudeurj 
.. m'itère que ks iurruitlci'ii;» d\\ cj'nismc InîssctiL ilo liilnS 
■ ;; loin rcparailre chez ce poèlu île vingt ans. Do l'L'ajjrit 
. .-si, uu esprit que gfttenl souvcal les affectalions 
l.inil;9ine aujourd'hui bien dâmodé. tuais qui, lorsqu'il 
il ,y songe pas, badine et bo joue a^ec une légèreté char- 
inaiile. Sa poésie a déj& l'éclat facile, la justesse nalurclle 
lie l'image, l'aisance et la souplesse du mouvenncnt; on 
iMendant la passion, elle a la gr&ce, la fraîcheur, la ■ 
iiiUisie, un soD clair et Tranc, un rayon de inalicieusa 

Après les Contes d'Eipagne et d'Italie il ; a pour le poëts J 
NI. courte période de transilion pendant laquelle il sunibleT 
ii<'~i)er et ae chercher lui-même. Mais nous trouvons ilë)j(t 
i<' Musset définitif dans les Vieux stériles et HapfiaSl. WÊ 
iuisïe (le cdl<^ les costumes de l'antaisie; il renonce à taule 
manière, à (ont exotisme de contrebande. C'est son cœur 
qu'il va désiiratais uous raonlrcr k nu. Pour la première 
l'jis, la source des larmes en a jailli ; 



Il se peint lui-même dans la Coupe et tes Lèvrst, dnni 
iViimouna, dont vingt-cinq ou trente sirophcs, tout ardentes 
de lyrisme, font pardonner un verbiage extravagant et atie 
intolérable faluilé, dans (îol/a, ce conte absurde, mais oi) 
l'incomparable éloquence du cœur sauve la pauvreté du 
l'iind et rachète bien des invectives puériles et des tirades 
essoufflées. Avant que la pnssion dc l'ait pris par les 
entrailles, Alfred de Musset l'a devinée; îl en a aspiré par 
.ivniice tes ardeurs et les délires. Enfant craintif au bord 
<ii;& eaux i|ui l'attirent, il regarde dans le cœur de ses 
• •i\\% plus Agés, il cherche A y pénéirer les ondes des dnu- 
.L'iirs aiins borne, il se penche sur l'ablinc, il envie non 
saulenienl les ivresses du l'uniour, mais aussi la blessure 
et les uiuut. Ainsi qu'un cheval iiu'un pique A lu poitrine, i 



Jte ^u'il teaiUn l« fer, il «vaitcera loojnurs en h 
M pnustera U puinlv dans lu iirin jntqn'A tiioarir. 

|j! iii<<:i maintv'Rnnl niicjnl dr celte Hninnir qa'tl àm- 
chail pour t'y lipûlcr. Revciiil d'Ilulic. il passe quatre meti 
enlirn ft pleurer lianj sa chambre, Ce sonl ces larmM qui 
é]i\tr(!iit. nui consar.renl son génie, Qu'importe si la tWit 
de décembre ne citante pas les mSmes amours que la Nuit 
de niuif (%f.i AlIVed de Musset comme cbez la plupart d« 
piif^tes, lu faculté de scntînient tendait A se renouveler 
d'elle-mâmc. Dès que la passion l'eut tondié, il était coa- 
duuné A aimer lane eusse, et, tant qu'un ra,Ton d'iJéal 
édnira sou amour, il en tira des chants immortelii. \» 
Tond, dans toutes les Nuits, dans tout ce que le puete t 
écrit d« plus passionne, l'inspiration Jaillit toujours delà 
même plaie, avivée par chaque passion nouvelle, de celte 
|ilnie saiole que les noirs séraphins lai ont faite au fijnd 
du cœur. Les cinq années qui suivent son retour d'Ilalii! 
sont les plus fâcoudes de sa carrière; ses compositions de 
celle période le mcUent désormais au rang des plus grand), 
11 porte dans rêlégte une intensité de seoliment, une pro- 
fondeur d'émotioQ, a laquelle s'allient la grAce ul la fraî- 
cheur d'une jeunesse diijù blessée, mais qui veut se raltï- 
cher encore S la vie. Les Nuits, lOde à la MalibraD, 1» 
Lettre à Lamartine, sont la plus haute expression de flon 
Bénie l.vrique. Il a quitté l'ironie et le sarcasme; loin de M 
révolter contre la souffrance, il l'accepte, il In benil, il m 
chante la mission sacrée; il n'a d'autre Muse que l'auge Hc 
la douleur, qui l'élève dans ses bras jusqu'aux espoirs 
immortels. 

L'amour a été pour Alfred de Musset « le seul bien d'ici- 
bas ■•, « Appeler aimer un passe-temps, écrivait-il cnaoTi 
au collège, et faire son droit uue chose imporlan'.e I " Et 
dans M Confession : ■ Je ne conccvuis pas qu'un Itl aotrv 
chose que d'aimer, s Son œuvre tout entière découle lit 
cette unique idée que la- passion est chose saiute ï4 qaf 
ceux qui l'éprouvent en doivent bénir jusqu'aux plus cruel* 
tourments. C'est pour elle seule qu'il vaut la peined'ei 



• Olji), fjit-il dire a un Je ses liéros, tu n'as pas d'ai 
■ I lu [lai'tes lie ïiïrel a Rien n'est bon (pje d'aimerj 
inu n'est ïrai que de soulTrir par l'amour, i!l c'est ûM 
-ijulTranl qu'on devine le seeret des lieureui. Qu'esl-of 
]ne le gétiioî te Ijesoin d'aimer. L'amour esl la senle n 
jinn de Musset: douiez de tout au monde, exceplé 
! amour. Le Tableau dVgtint nous montre Jésus -Ctiristj 
l'ins la terrible nuit des Olmers, s'agenouilla al au 
lie Marie-MagdeleJDe. 

Certes, Alfred de Musset a senti pTofondèmeut lu pussioi 
vraie, celle où, il entre une sorte d'eialtatiun supërieunj 
xiit sens et comme une fervcnr sacrée. Mais, de boooi 
>)<.'i)ro, la débauche arul plante le premier clou dar 

in. Si l'amour est vraiment le seul bien au monde, id 
iioète en puisera l'ivresse à n'importe quel flacoD. et l'babi^ 
1 1 Lile du libertinage finira par le rendre încapabJc d'aîmerf 

I ,.i lutte entre l'amour et la débauche, c'est là toute l'oei 
I Alfred de Musset et le drame même de sa vie. Il ne | 

SI- passer de jouir, et il ne peut trouver le bonheur dans laj 
jiiiilssance. Il retombe sans cesse, et chaque fois plus bas.l 

II liait par nojer dans la Tangc cette vision qui le poursuin 
el qu'il se sent incapable de saisir. El, quand elle i 
reparaît plus & ses ^eux, c'est que la débauche a acheva 
flÉtoufler en lui le véritable ainour. Il est Frank : Belcolor,| 
!a Sirène des sens, lui lue sa Déidaniia, l'auge des chastes 

I pures alTectioUB. Il est Lorenzaccio : le vice, qui 
: ihord été pour lui qu'un vêtement, a fini par se 

I ~ii peau. 11 esl Octave : quand son bonheur lui sourit danv] 
■ jîcui d'une femme aimée, la souillure inoiïaçablii 

.Une au sein de ce bonheur et le corrompt. • Un débauulièfl 
iii 80 rcpcul trop lanl, dit l'Enfant du sIécIp, est commuj 

III vaisseau qui prend l'eau: il ne peut ni revenir h 

II '.'untinuer sa route. Les vents ont heau le pousser: rOcâonI 
.<Uire, il tourne sur lui-même et disparaît. ■ 

^l; quelques années Irop tard pour être emporté c 
s<?s aînés par le mouvement de renaissance rnorali! 1^1 1 
vivilia et féconda leur iuspirtiliou, ii ussiatuil. dés : 




160 LE HOUVEMR^iT LITTERAIRE AU XIX* SIÈCLE. 
■léh'jts dans le monde, A la curée de ISSO. Il s'écriait : 
• Tout est innrt i.'n Eurofic! • Un fceplicisme précoce fana 
(lun^ son rwur le; vuillantL's convictions et les liantes 
crovanccs, v dcssOcliu toute piété liumitine et dÎTine. Lui 
demandez-vous s'il aime la liberté? A conditian qu'on 
puisse dormir au milieu du tapage. S'il aime sa patrie? 
l'ourquoi pas autant que la Turquie ou la Perse? Il donne 
A ManJoche la Pucelle d'Orléans pour aïeule, il fait tenir 
le Khin dans un verre de vin blanc. Ne lejugeons pas sur 
des boutades, et interrogeons son œuvre tout entière. Nous 
D'y trouvons ni dans la jeunesse aucun rajon de cordialité 
généreuse, ni dana la maturité aucune pensée .de sagesse 
recueillie. Il ne s'est jamais passionné pour aucune noble 
cause. Il n'a jamais fixé sa vie dans aucune tâche. Il n'a 
éti't ni le po^'lc de la nature, ni celui de la conscience, ni 
ciîlui rie l'huiiianilé. Que lui rcsle-t-il? L'amour seul. Il en 
clianle non pas les douces tendresses et les pures joies, 
mais les ardeurs, les délires, les transports orageux suivis 
des prostrations muettes. Son unique domaine, c'est la 
passion, et ce qu'il y a en elle de plus fiévreui, de plus 
exaspéré. Ce sceptique railleur qui persifle la patrie, qui 
raille la liberté, qui se méprise lui-même à vingt ans, n'a 
vraiment cru qu'à l'amour, et, s'il fut un grand poète, c'est 
moins pour en avoir joui que pour en avoir souffert. 

Théophile Oaulier Ût ses débuts au même Age qoeMusset, 
quelques mois plus tiir<l. Il prit part A la grande campagne 
de llemuni, et, parmi tes nouvelles recrues de la brigade 
romantique, aucune ne déploya plus ardent enthousiasme 
el n'étala plus tr^-ulcnts gilets. II fut un des chefs de ces 
Jeune-France, si féroces ù la vulgarité et à la platitude des 
mmurs bourgeoises, que Uii-mCme devait bientôt peindre 
iivci: une li^gère et sympathique ironie. Le romantisme se 
['eji^liùi, une Tois la grande révolution accomplie, sur des 
qu<>sliiins positives d'art et de facture. Tandis que Musset 
rompit (ont anssitiU avec l'école, Gautier, au contraire, s'j 
cn^iitjea de plus en plus et finit par ne voir dans la poésie 



^H IK LYRISHR ROMANTIQUE. ItM 

I^P co lu'clto a d» purement formel. Pr^seoté h Victor |]ng^ 
. Â&s 18£0, il avuil débuté sous ses ajNpkes; il lui rendifl 
jusqu'à lu lin un TéritHble c:ultit; sous le second EmpirCi ilfl 
n'catrn daus la fa.railiaritii de la princesse MalhiUle qu'à |h 
coDdîtioD de rendre librement hommuge A son diea. Maisfl 
dans Victor Dugo, son admirulion s'atlarbail surtout aofl 
TÎrtouse; les Orienlatet demeurèrent toujours sun évangtlofl 
poétique. Lui-mâme ne se fil une place à part entre les coa-fl 
icniporains qu'en renchérissant sur Tari du maître, en 1m 
rétrécissant pour l'enfermer daus ane forme pins serrée eM 
plus stricte, ^ 

Il n'est original que comme artiste. Son premier recaeil 
s'inspire k la fois de Hugo et de Sainle'Beuve, de l'un par 
le côté moyen Ige et oriental, de l'autre par certains essais 
d'ëli^gie familière qu'un charme adolescent ne sauve puig 
toujours de la fadeur. Albertus est une « légende • eitrava-S 
gante où le poète développe une moralité banale à travers! 
toute sorte de transitions bizarres et de digressions péni-jl 
bli'meot saugrenues. Nous y rçconnaissous l'imilatioD da 
Musset; la forme tech.niquL- en est plus sévère, mais en 
sont les mêmes affectulious d'un dandysme auquel GautieM 
iiii^le pour sa part des grimaces macabres. Si la Comédie dsÊ 
Il mort est d'un sentiment intense et profoud, la matièr« 
l'ji eu a été fournie par Gœthe, par Jean-Paul, par Quinetja 
<jL le don Juan qu'il y présente offre une frappante ressciuS 
tilaace avec celui de Namouna. Théophile Gautier u'CsM 
vraiment luî-iuéme que lorsqu'il se restreint à la poésiefl 
pittoresque ut matérielle, ■ 

Ne lui demandons aucun fonds d'idées philosophiques.! 
Sa philosophie tout entière consiste en des supcrstilional 
ImroquËS et pnérilcs. Il croit aux songes, aut sortilèges. UM 
crnil, un peu au Diable lui-même, ut c'est sa façon ile croinfl 
•tn Dion, De tous lus poètes romantiques, il est celui qu'oad 
lo moins sollicite les problèmes et les sjslèmos. Victor llugn 
Bulao duns le panlhâisme des inspirations parl'oia él.rfingea j 
^^■ft d'un grandiose effet; Gautier en fuil le cadra d'oofl 
^^BAiue lUUdrigul. Il uu voit dans les choses que leur as^ucU 
^ U- ■ J 




161 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRB AU XII* SIÈCLE. 
eili'i'ii'iir. Lu niitnrc, qui fui son unique domaine, donae 
[Ir'.'i fiHas h. sus yea\ snns inquiiiler an pensée; elle lui ofTre 
des spectacles et ne lui propose point d'énigmes. Il professe 
pour les t alTaires du temps > la plus déilaigncuse indif- 
férence. Il se soucie peu d'être un bon ciloyen, esttmaDt 
que l'uniforme de garde national ne sied guère à un artiste. 
Les • clioses utiles • lui inspirent une insurmontable aver- 
■ion ; il les trouTC inférieures, trinales, grossières. Il ne 
s'intéresse qu'à ce qui est beau. Il pense que tout est bien 
pourvu qu'on ait la rime, et préfère des roses aux discours 
des magnaniuics tribuns. Pendant les journées de 48, il 
ferme sus vitres, et, sans prendre garde à l'ouragan qui 
les fouette, il fait Émnux et Camées. Ne lui parlez pas plus 
de morale que de politique. Sa théorie est que toute chose 
hv\\'\ porte eu elle-mâmc son enseignement. Il n'écrit pas 
pour les petites filles dont on coupe le pain en tartines ; il 
ne se fait aucun scrupule d'elTaroucher les malingres pu- 
deurs des bourgeois. On ne peut pas dire que Gautier soit 
immoral : il ne connaît pas la morale et ne veut pas la 
connaître. Ni la nature ni les arts ne la lui ont enseignée, 
et il n'y voit sans doute qu'une machine ■ utilitaire > com- 
binée, dans l'intërât de la police sociale, par d'honnêtes 
législateurs qui n'étaient point des artistes. 

Lui refuserons-nous encore la sensibilité? C'est le juge- 
ment d'une critique trop sommaire. Ne parlons même pas 
de son premier recueil. Ceux qui suivent ne se bornent 
point ù des descriptions: la veine élégiaque n'y est pas 
rare, et nous y trouvons mainte pièce d'une pénétrante 
mélancolie. Qu'on relise entre autres son Lamenta dans les 
Poésies diverses, et ce chant d'un accent ai douloureusement 
plaintif, avec le refrain, lugubre comme un glas ; 

Hèlasl j'ai dans le cœur une tristesse aUreuse. 

Les paysages d'Espagne, eux-mêmes, sont bien souvent 
animi's, (l'un senlimout tout personnel. Ce qui est vrai, c'est 
que Gautier voile sou émotion quand il ne la recèle pus. Il 



LE LYRISME ROMANTIQUE. 163 

répujj'ne à se donner en spectacle, à gémir en public. Il ne 
veut point t d'une douleur qui fait un grand fracas ». Mais 
lui-mônie n*a-t-il pas dit de ses vers qu' « ils pleurent bien 
souvent en paraissant chanter » ? 

Jusque dans Émaux et Camées , nombre de pièces ont la 
note émue. Quelle plus mélancolique complainte que Tris- 
tesse en mer^ La Symphonie en blanc majeur se termine sur 
un élan de passion ; cette femme implacablement blanche, 
cette Madone de neige et de glace, oh! qui pourra fondre 
son cœur? Dans le Clair de lune sentimental, lo poète pleure 
un vieil amour, et ce sont des larmes de sang. Il lui suffit 
d'entendre lire les Vieux de la vieille pour éclater tout d'un 
coup en sanglots. Sa passion, déguisée ou contenue, ne lui 
arrache pas de cris comme à Alfred de Musset; mais il 
n'est point le dilettante \mpassible qu'il affectait d'être : 
l'émotion se devine encore chez lui jusque sous le masque 
d'ironie dont elle s'habille. N'a-t-il pas comparé le poète au 
pin des landes? Quand le poète est sans blessure, il garde 
son trésor pour lui ; c'est par les entailles de son cœur 
que s'épanchent les vers, ces divines larmes d'or. 

Le sentiment le plus profond qu'ait éprouvé Gautier, 
c'est la peur de la mort. Point de poète que la inort n'ait 
inspiré; mais aucun pour qui la pensée en ait été aussi lu- 
gubrement navrante. Alors que son adolescence va chantant 
par les chemins, il rencontre déjà cette sinistre apparition : 
elle lui montre, ici, le portrait d'une femme éblouissante 
de beauté et rayonnante de jeunesse, là, une tête de mort 
au ricanement édenté, au nez camard, à l'œil creux, tout 
ce qui reste de cette jeunesse et de cette beauté. L'horrible 
sorcière (ÏAlberius n'est autre chose que « la Mort vivante », 
« vieille infâme », < courtisane éternelle », dont le spectre 
se lève partout devant lui. La Comédie de la mort a l'épou- 
vante pour muse : si la tombe ne livre pas son secret au 
poète, il en exprime du moins l'horreur et le dégoAt dans 
toute leur poignante amertume. Le nièine frisson d'angoisse 
court çà et là dans toute son œuvre. De son premier voya^^^o 
en Espagne, il rapporte des couleurs et des images; mais 



ISt U HOUVCHKNT UTrËHlIBli AU XII> SIÊOR. < 
la TuDèbro ut gludole pi-nsâv n'n poinl lActi^ firiss. 
nmcrijilion do l'église d'Urrugac; il puise n la fnDtQîne dn 

améliore l'eau cristullinc qui a. un (,-oûL ilc cuilavre; U 
quille la jeune rcmine de Vergara pour voir an mort qui 
liasse, et, qaaaà uUe vouL le releuir. il songe que le v» 
rongera cet ixil de flamme et que ce beau corps parfumt 
sera bienlAl une pourriture fétide. 

C'est Burtoul la laideur de la mort que redoute Gautier. 
D'autres sont Itoubléti par l'iDCiirtitudR de l'au-delà. Quant 
A lui, rien de philosophique ou de moral dans son elfrot: 
c'est'une rëpugnance invincible chez cet amanl du Beau 
pour le squelette hideux cl grimaçant. 

tn peur de la Hort et l'adoration du Beau, l'une s expji' 
quanl par l'autre, c'est, au fond, le poète tout entier» 
poète ijui dit : 



Mes vers sont des louibeaut loul brudija de sculpture. 



I 



Il a 6lé le chantre de la beauté dans sa robuste splendeur, 
et c'est par le culte des belles formes qu'il fit, comme lui- 
mâme s'en vanle, • une bifurcaliou à l'école du ronaanlismei 
de la p&leur et des crevés •. La beauté qu'il aime est tnutti. 
plastique : il ne lui demande pas l'expression senlimeiitale, 
mais la perfeci iun du galbe. Devant elle, il n'éprouve qu'une 
admiratioD d'artiste. Celle beauté qu'il adore n'a pas d'Ame, 
pas de physionomie morale. Iflle est la Beantâ; non pas 
une mortelle qu'on aime, mais une déesse aux pieds de 
laquelle on se^ prosterne. Gautier n'a jamais exprimé ni Iw 
tendresses ni les délires de l'amour. La femme lui spparalt 
comme une sorte de poème, le poème d'uu corps sans laaba 
qui groupe ses charmes nus dans une série de ataacci 
sculpturales. 

C'est un païen; il est Dé pour la Grèce, pour ces temps 
heureux de l'art anlique où des urnes aux formes éléganta 
recevaienl les cendres des morts, Mais ce païen a Ir&tenC 
le moyen Age, et il en a gardé les terreurs. C'est un pales 
k supers li lion s catholiques. Ii:u extuâc devant la Denut^ ~ 



voil, tDitt h uoiip se dessiner suu3 les harninnieun cnnloara 
lie la Vfinus grecque ce squeletLe horrible que De brûle plus 
le bùclicr. 

IJn c.ri lui échappe : Oh i que l'art antique ?ienne couTrir 
le squelette de son marbre âlioceiantl S'il a ciprliué l'hor- 
reur liu tombeau avec une aussi pénétrante ûcreté, c'est 
lustcmont parce qu'il aimait la vie, les pompes de la nature, 
il i opulences du monde senaibie, tout œ qui est autour de 
11-113 lumineui et sonore, tout ce qui oITre ù l'oreille des 

■ ■. I limes caressants et a l'œil de riches proportions. Gautier 
fiait passé de la peinture à la poésie : on peut dire [on l'a 
<lit sans doute bien des fois) qu'il voulut faire avec la plume 
ce qu'il eût fait avec le pinceau. C'est par là que, disciple 
'lu romantisme, il devint à son tour chef d'école. Où le 
. l'ie triomphe, c'est quand il se contente de reproduire des 

[iliarcnces sans rien donner k la pensée ni nu senliinent, 
ins trahir autre chose de lui-mâme que la sûre précision 
!<: son coup d'œil et la merveilleuse dextérité de sa maio. 
- uvent, il ne regarde la nature que traduite déjà par l'art. 
!' tns son premier recueil, il reproduit une toile de Lancrcs- 
.'i>o, une autre de son ancien maître Kioult; dans Alberlus, 
il consacre une strophe à décrire quelque peinture de son 
litVos. Les paysages de Belgique lui paraissent n'dtre qu'une 

■ imitalioQ maladroite de Rijysdael i. Nouvelliste, il ne 
fait guère que des études de couleur, éloignant ses sujets 
dans le temps on dans l'espace, pour j trouver des elTets 
d'un pittoresque plus vif et plus tranche; vojageur, ses re- 
lations ne sont qu'une série de tableaux; critique de théâtre, 
les dârors l'intéressent plus que les personnages. Il lui vient 
purfois comme un repentir d'avoir quitté la palette pour 
l'encrier: devant Julia Grisi dans sa loge, impuissant h ' 
1 i.ndre la beauté, il déplore l'épilhèlc sans relief et la rime 

"113 couleur. Tout son effort tend à vaincre l'irrémédiable 
i:.ttit-ioHlé de la poésie quand elle veut lutter de rend» { 
tivecH peinture. 

De là. sou culte supersUlieui des mots. La poésie, selon 
iQij consiste d'abord k le» connaître, ce qui est la science 



MB UtI 

do jioéte, cn«uitû a tes Hmi^ir, ce qui est »on ari el 
|ilus pri'cinui •idi). Nul n'n «u (ifiis A fond que lui (uulea 
le« rtt^soarcc* du vocabalairc et ne les a plus halijlei 
mises en cciivre. A tes joux i l'ÉcriTaiit i|iii oe savait jias 
tout dire, celui qu'une idée, si etrnngc, si suMHo gu'on la 
sD[ip03ât, si imjirévao, tombant comme imo pierre de la 
laoe. prenait au riepourru et sans matériel pour lui ilonner 
coips, n'élait pas un écrivain •. Le premier conseil i{u*ll 
adressât sui jeunes poètes, c'était de lire tout* espace de 
lexiques. llconsidéFait les vocables comme Bjant une valeur 
propre indépendammeut de l'idée qu'ils expriment. Si 
mauuiicrits ue sont Jamais ponctués, c'esl qu'il roulât 
qu'aucun signe Imliseret n'allérSt pour son œil U forme 
mâme des mois. Les mots, il les compare A des pierres 
précieuses que taillera l'orfèvre, Il les aime pour 
pour leur ligure, pour leur sonorili!, pour lei.:r Nuance, i Qtt 
mots rayonnanls, des mots de luniicre, avec un ryUuni 
une iniisiqutj, voilA, disait-il, ce qu't^t la poésie, i LorsflW 
de nos jours l'école • décadente» ou • symLulÎEte • nssetolilBn 
des vocables groupés moins d'après leur voleur logiqw 
qu'en vue de leur elTet ntusical et pittoresque, c'est de Isi 
qu'elle pourrn se réclamer comme d'un ancêtre. 

Sou (idorutiou de la forme mena Guulinr A In théorie de 
l'art pour l'art, fort ancienne d'ailleurs et qu'avaient i&fli 
professée nos poËtes du kvu* siècle, mais qu'il renouvela par 
la manière insolence et systématique dont il la présenttlti 
[usoucieux de tout ce qui n'est pas l'art, il ramène l'art 1 
la forme; il prétend que ta forme se sufftt à elle-tuAnia 
en conclut que, si l'artiste a besoin d'une matière, uettti 
matière importe uniquement par sa valeur esthétique. Lt 
suje' csl, d'après lui, • une chose parfaitement indifféreDC 
aux peintres de pure race >, et ce qu'il dit en propre 
termes de la peinture, il le pense de la poésie. Uais, sîM 
• motifs > en eui-miimes sont indilTérente, l'artJSte, |t^ 
qu'il le conçoit, devra préférer ceux, qui lui permettront 
mlem de déployer sa virtuosité : de là, cette tendance, i 
t'H plus accnsiîe. a rt'diiirR la matii^rt- au minliiiui» 



LE LYRISME ROMANTIQUK. 167 

de ce qui est indispensable pour supporter l'art. Dans son 
œuvre, le fond est trop souvent opprimé par la forme, 
et les curiosilés mômes de la forme accusent encore l'insi- 
gnifiance du fond. 

Outre' bien des recherches et des floritures, on peut 
reprocher à Gautier, et ce que la merveilleuse netteté de 
son trait a parfois de sec et de dur, et ce qu'il y a de 
factice dans son style perpétuellement imagé. Mais, quelques 
critiques que l'on fasse à Tartiste lui-même, il n'en demeure 
pas moins un excellent ouvrier de style et de versification, 
et c'est là ce qui le caractérise entre tous les poètes de son 
temps. L'auteur d'Émaux et CaméeSyqni regarde l'art comme 
étant à lui-même sa propre fin, exagère cette idée jusqu'à 
ne plus voir que, si la forme a une importance capitale, 
c'est du moins à la condition d'exprimer quelque chose. 
L'art est le seul dieu qu'il ait servi. Il n'a eu d'autre religion 
que sa jalouse et stricte esthétique, gardienne des formes 
nettes et des austères contours. Il a répurli('î les rythmes 
commodes; il a dédaigné la molle argile pour lutter avec le 
marbre; il a soumis l'inspiration aux contraintes d'une 
technique rigoureuse et la fantaisie elle-même à la disci- 
pline des règles. A côté de Lamartine, qui laissait trop 
souvent flotter la rêne, de Musset, qui affectait un dédain 
fashionable du métier poétique, en face de leurs disciples, 
élégiaques vaporeux ou humoristes débraillés, aussi peu scru- 
puleux les uns que les autres à manier la langue et le 
rythme, il était bon sans doute que Théophile Gautier 
maintînt les exigences de l'art dans toute leur sévérité, qu'il 
ne se pardonnât ni un mot impropre, ni une rime inexacte, 
qu'il se bornât à exprimer des apparences et des contours 
dans une forme parfaitement exacte et irréprochablement 
pure. 

Parmi les innombrables poètos de l'école romantique, il 
en est deux autres, bien inférieurs sans doute aux précé- 
dents, mais ne se confondant avec aucun d'eux, l'auteur des 
ïambes et celui de Marie, qui ont l'un et l'autre leur veine 



m LE MOUVEMENT LtTTËRArRB AU XIX*i| 
originale, arilcnte et bourbeuse chet lo premier, 
chM lo «eroiid, Kl piire et d'une délicalo lénuîli*. 

Auguste Hurller, dans son Pianto. a trouvé, soil > 
danl Ba (ilaiiilM but l'IUilic au cerRuml, soit, en prédisant 
I la nutilit morte une glorieuse et triomphanle râanrredion, 
dpji accents tanl<lt émus d'une pieuse tendresse, tanlSl 
éclatant en magnanimes appels. Ce n'es), pourtant pas dons 
ce recueil qu'il rnul Fticri;her l'originalité du poAte, eV 
Barbier demeure pour nous l'aoleur do (a Carée el da 
rtdale. l)u Pianto, AlTred de Vignjr disait : < C'est beau, 
mais ce n'est plus lui >, 

Le niMre des lamliei a été emprunté A ChdniCF; outre 
le m^tre, quelque chose de la facture et nnfime du ton : 
leulu-tnenl Darbicr force la note et charge le style. Cot 
artiste ingr'nieux, que le (ourDaturel de son esprit portait da 
préférence vers les délicatesses et les élégances de In forme, 
Ters l'eipressioii des acntimenta dom et tendres, a eu, dès 
le début même de la carrière, un accès de flèire héroïque, 
on, comme on l'a dit, un jour de suMimc riboLe- Pour 
peindre les effronliïs coureurs de salons, l'émeulc battant 
les murs comme une femme soûle, le pftie voyou, tous les 
yices el loutee les hontes bouillonnant dans l'infernale ca*e, 
il s'est fiiit un vers cru, une parole t que le cynisme des 
mœurs a salie •, un style hyperbolique qui pousse l'ônergîa 
jusqu'à la brulaliti^ 1,8 IîIIb de taverne loi a versé a»ec son 
fin bleu une éloquence chaude el populaire qui déborde el 
jaillit à gros bouillons. Un souffie puissant anime seft 
tirades : toutes vibrantes de passion, elles emportent dans 
leur allure effrénée les Tocablee cyniques, les métaphores 
grossières, les rimes impudentes, les rauques d cela ma lions, 
dont le train sonore et rutilant se déchaîne au milieu dl 
bruit et de la fumée. 

Brizeoi fut un poète discret et timoré, d'un nrt infiniment 
attentif, d'une sensibilité fine, compliquée el. précioDS& H ' 
S quelque res.'icmblanco avec Alfred de Vigny, Ce qat lia 
manque, c'est la passion, l'essor lyrique, ce qu'on (ipj;iei}|^ 
te coup d'aile. hB 



LE LYRISME ROMANTIQUE. 409 

La poésie de Brizeux est toute pointillée de scrupules. 
Il produit peu; tout ce qu'il fait trahit une élaboration 
inquiète et ardue. Il poursuit à force de tAtonncmenfs cette 
perfection de la forme que d'autres atteignent du preinier 
coup. Il se châtie avec une obstination jalouse. Les pi*'*ces 
mômes qu'il a livrées au public restent encore sur le métier : 
il retouche un détail, il modifie une rime, il efface un mot; 
il polit et lime sans cesse, comme si chaque vers avait 
laissé quelque remords à sa difficultueuse conseienrt* «far- 
tiste. Ce docte poète vise à la simplicité. • La science, o-t-il 
dit, est belle pour les peuples comme i>our les individus, 
mais lorsque le cercle est entièrement |>arcouru et «luori 
revient perfectionné à son point de départ. » Sa science, à 
lui, cette science consommée et exquise, veut retourner au 
primitif; il est simple avec raffinement., naturel avrc 
recherche; il emploie à jouer la naïveté tous les arlilices 
d'un art laborieux et subtil. 

Nul ne s*est plus attentivement ai»pliqué à l'unité et à la 
suite de son œuvre. Il a été le poète de la Breta.::np. ^ De 
ce pays, dit-il, j'ai tracé d'abord une ima^a» lép^ip dans 
l'idylle de Marie, puis un tableau étendu dans rrpop.H' 
rustique des Bretons, laquelle trouve son coniplénu'nl dans 
les Histoires poétiques. » Quant aux Ternaires, il l'îiisnit de 
ce recueil t le lien t des autres: s'il s*v éloiirnait <1«' la Wvx^ 
tagne, c'était « pour y revenir bientôt et mieux enseii:né », 
après avoir cueilli sur le sol italien cette fleur d'or pat 
laquelle il symbolise l'art. Rnstir^it*' bretonne et subtilité 
florentine, voilà Brizeux tout entier. 

Entre toutes ses œuvres nous aimons nneux la pn^mière 
pour ce qu'elle a de plus spontané. I.ps Tirnnirps sont dune 
forme trop laborieuse et trop dense. ïj's llrptnim et l«*s 
Histoires voétiqvcs offrent çfi et là des scènes et des rtViis 
dans lesquels le poète a plus lor£:euMMit r«''pandu iino voine 
plus franche et plus copieuse; mais lo iilu[»nrt d^'s pi/cos y 
pèchent par ia srrhrres^e, parla tV« id«''ur, paruno «•ontiainle 
ingrate et pénible. Marif, où 13riz».'ux est njoins ini;(''ni«'ux 
encore à se tourmenter lui-même, unil dans une mesure 




«0 LR MOL'VRMfîNT LTTTIÎIlAinB AU XIV SiftCLB. 

exijiiisi' l'iu't iLvtïc la. naluru, lis aeuLimcal de la réalité avec 
le ^uQl lie l'idéal. Od peut dire après lui qa'il j a Irouvé 
• 1111 goiiri' (II- puésie presque incoaau à uoLre litléruture •. 
Fil.4 <riLii peuple chci lequel les couluiacs coaservent encore 
la ilistiticlion originelle des races primitiTes, il a pu âlra vrai 
tiaij^ cesser J'âLre poétique. 11 a rendu lesmœurs de son pa^s 
dans Jear frHncbe TërilË, avec leur charme natit LA il 
est Itrelon sans parti pris, sans effort, en suivaiiL le cours 
naturel de son Inspiralion. Il donne pour scène à ses ëlëgies 
les bruyères ut les rochers de l'Armarique, une nature k 
la fois sauvage et gracieuse; il leur donne pour muse une 
jeune paysanne, celte Marie aux élégances ingénues, k la 
geiilillesiie rustique, qui éveilla jadis le premier sentiiuent 
de .son enfiinee songeuse, et dont le souvenir idéalisé lui 
îijsjiire lies vers 'l'ujiu mélancolie infiniment tendre. Aui 
(It'ur^ dur que lu poète a cueillies, nous préférons les 
fleurs lie \:\ lunde; et, parmi ces fleurs des landes nalales, 
celles dont il Irussi' une coiironDe pouc le front brun de 
Marie exhalent entre toutes le parfum le plus pur et le 



CHAPITllE V 



LE DRAME ROMANTIQUE 



Le romantisme avait eu tout d'abord sa poésie lyrique, 
spontanément éclose en dehors de toute doctrine, expansion 
naturelle d'une sensibilité vivement éuiue; sa poésie dra- 
matique fut, au contraire, l'application d'idées longuement 
élaborées, de théories en antagonisme formel et réfléchi avec 
celles qui avaient dominé notre tragédie classique. C'est au 
théâtre que les mots de romantisme et de classicisme prirent 
leur sens le plus précis, c'est le théâtre qui fut pour les 
deux écoles le vrai champ de bataille. Les novateurs sen- 
taient bien que, pour gagner leur cause, il leur fallait s'éta- 
blir en maîtres sur la scène. Là ils avaient en face d'eux 
les plus grands noms de notre littérature, un système dra- 
matique parfait dans son genre et en intime accord, non pas 
seulement avec la société dans laquelle il s'était formé, mais 
encore avec le tempérament propre de notre race, telle que 
l'avaient façonné des siècles de culture classique. D'ailleurs, 
une révolution littéraire ne se fait point avec des élégies. 
Tout ce qu'il y avait dans la jeune école de force active et 
d'énergie militante se tournait vers le drame pour y cher- 
cher comme l'arène d'une victoire définitive. 

Puisque le romantisme, n'étant au fond que le « libéra- 
lisme » dans l'art, visait à remplacer une « littérature de 



I par » uM Ulldralure de peuple *, c'est au peuple 
n'D Ini fallall tieccKsairemenl a'aiiresscr. et s'adresser nu 
c'iiTuit créer un uDuvcnu tlii^Alrti. Autrefois < le puople 
•A^tilt Ëlâ qu'une (épaisse tiiuniille sur laqiidle l'art ne pel- 
ait iju'unu fresque i : uu pouTsit main tenant, on 'leiait 
• ébranler les lUulUtudes et les remuer danskurs Jemifres 
btofuDiJeura >. Le drame seul donnerait au inuUTeinent 
jrumantique un caractère Térltablomenl national. 

Si, parmi les poâles contemporains, il y aTait de purs Élé- 
y[iaqa''s, d'autres n'avaient vu dans la poésie lyrique qu'âne 
rtv de • prélude i. Victor Hugo, qui. prit des le début la 
reelSondu romantisme, en considéra tout d'abord le drame 
mmt.' l'ubouliasemunt nécessaire el définitif, Dans le roa- 
r aifeste qu'il publie en IFt3T et qui sert de programme h la 
LnonveJle école, c'est au théllre que l'auteur do CromweU 
f niatae la poésie. D'après lui) l'humanilé a traversé l'âge 
> du lyrisme el colui de l'épopée; elle est maintenant dans 
' r&ge dramatique, et l'art, sans renoncer A ses autres formes, 
ae rfisumeni de plus en plus sous celle du drame. L'ode et 
'■ .l'épopée contietinenl le lliôftlre en germe, mais il les con- 
I lient l'ane et l'autre en développement; pour notre ciriliss- 
tioQ contemporaine il est < Id poésie complËte. • 
L'importance capitale el la nécessité d'une renaissance 
I dramatique étaient depuis longtemps senties. Nous avons 
I dit les susceptibilités ombrageuses contre lesquelles se heur- 
1 Urenl d'abord les novateurs ; mats l'apprentissage du public 
''le faisait peu à peu, et son respect des traditions n'al- 
lait pas sans quelque lassitude. ■ Le signe principal du 
mouvement qui se prépare, écrit en 1820 H. de Rémusat, 
p est le dégoût du spectateur pour les ouvrages conçus et' 
I exécutés dans les régies, 11 semble que tous les moyens de 
I l 'émouvoir aient perdu l'efflcacité. En vain cberche-t-on ft 
leBrenouveleren les déguisant; il les reconnaît et s'ennuio. • 
La tlAgédie du ïtii" siècle, immortalisée par tant de chef^ 
I d'rBUTre, avait épuisé toute sa fécondité. Faite your ane 
I «odété monarchique et aristocratique, pour une élite de 
L beaui esprits et de courtisans, elle était en désaccord □ 



^Hfte avec le nnuml étal social. Certains poêles avaienfl 
^nayc du lu rajeunir; mais i) nu s'agil. |ilus malnlCDanl à/M 
talve quelques concessions à l'esprit de rÉformc : ce qu'A 
faut, c'est une vi'rilable révolution, qui, abolissant les fori 
mules couvenlionn elles, y substitue un régime tout noateaufl 
ronde sur la TËpilé el sur la nature. < Il n'y a ni règles ofl 
modèles, prodame Viclur Hugo, ou plutôt il n'y a d'autreM 
règles que les lois générales qui planent sur l'art, tout entier^ 
et les lois spéciales qui pour chaque composition résulteafl 
des conditions d'existence propres à chaijue sujet. > ■ 

La théorie du nouveau Ihéfitre s'élaborait d'ailleunl 
depuis lu Gn du itiii° siècle. Après Diderot et Mercieta 
M'»* de Staël avait battu en brèche tout ce qui faisait dfl 
notre tragédie un art factice dans la perfection même de sefl 
formes. En même temps, Manzoni écrivait sa lettre sur lafl 
unités dramatiques. Un peu plus tard, Stendhal escarmoiM 
cbait en tirailleur contre notre ancien théâtre dans la sérifl 
de brochures qu'il recueillit sous le litre de Racine dM 
Sliahespeare. Le journal le Globe vint ensuite donner ann 
réformateurs l'appui d'une critique grave et pénétrante^ 
Avant même qu'aucun essai se fût produit sur la scène, iM 
nouveau Ihâùtre avait déjà sa poétique toute faite. Viclt» 
Hugo la résuma avec éclat dans une fameuse préface ; Alfred 
de Vigny la reprit quelque temps après dans son avant-propod 
A'OthcUo. Ces deux manifestes rcufermeut une théorie comJ 
plète du drame romantique. I 

Le xvii* siécte séparait rigoureusement la comêdid 
de la tragédie. Il sacrifiuit la réalité & cet idéal da 
Dolile harmonie qui domine toutes les oeuvres classiques. La 
public du temps voulait, non seulement l'unité d'intérèM 
mais celle d'impression, Tout, dans la tragédie, dévala 
être grave, pompeux, auguste. Les vices, les ridicules, ifl 
luid, ou étaient bannis. Le crime n'y entrait que s'il avan 
un air de grandeur imposante. Au théâtre, la vie se parlAfl 
geait en deux portions entièrement distinctes, dont l'una 
etail attribuée & Melpoméne et l'autre à Tlialîc. La tragîfl 
comédie u'ustpas, à vrai dire, un mélange des deux élémeutaS 



(7t IV MOrVK«R«ll' t,trTI*IU1ltR Ail IIX' 

< n'mi 1 pm une sar la 

II' rioiil. jniiiais-, il« ne 

Munic-m un Liir.- (las, lui m- Imua li's prt:senlc qu'en des cif- 

coiiKlnnci;» oïl leur noblesse est sOre de ue pas déroger. Il 
jr ti lémdriW pour Racine à cacher NéroD derrière une 
lupiist^rift, qii'>ii|u'e1le ne le dérotw pas moins au public 
qa'A nritminicua. 

Abstraire le tragique du comique, c'est une conTenllcn, 
et, si celle conTenlioD avait été, dans aolre époque daisi- 
quc, parfaitement appropriée au milieu cODteiaporain, «Ile 
nu ï'acuunle [ilii^avec lasoclétidémoci'aliiiiiequelaRËVQlu- 
liiin suli.clitue â l'anciea régime. Moins polie, moins délicate, 
plitB mêlée au lumulle de la vie, cette sodé lé devait eafanter 
un lliéaire qui «crrr^rait la réalité de plus prés, qui l'expri- 
nierait plus compléliimont et plus ft vif, qui mêlerait le 
laid BU l>eau et Je plaisant au sérieux comme les mêle la 
nature elle-même. C'est justement cette Tusion de la comédie 
st de la tragédie qui produisit le drame romantiquo, Le 
drame a pour caractère le réel, et le réel, selon les no?a- 
tenra de 1830, n'est antre chose que la combinaison toDté 
naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui doÏTent 
se croiser au thâûlro comme dans l'existence humaine, dont 
le tbéaire est la fidèle reprojluction. L'auleur de Heriiaiti, 
prie • les personnes igue son ouvrage a pu choquer • da 
relire Molière et Corneille ; compléter l'un par l'&ulre • ce*, 
deux grands et admirables poètes •, telle est la prétention 
caractéristique du drame. 

Le grotesque et le sublime, Iraités chacun k parti Uii^ 
sdent entre eux le réel et n'engendraient l'un et l'autmi 
que des abslntctiuns, ici ' des abstractions de vices*ct da 
ridicules i, U ■ des abstractions de crimes et d« vérins i^ 
I Lb8 héros classiques ne vivent pas d'une vie complèlc- II4 
i n'ont (te corps que ce qu'il en faut pour nous rendre leu 
âme sensible. Ils ignorant loute uécesaité matérielle, toutr 
douleur physique, toute lassitude. Lorsque Mithridate Tieat> _ 
de rucpïoir une mortelle blessure, on l'apporte sur le Ihdfttr^ ' 



LE DRAMB ROMANTIQUE. 178 

et là son dernier soupir s'exhale en une tirade de cent 
cinquante vers. L'individualité morale est cllc-m.)me réduite 
à son expression la plus simple. Qu'il appartienne 4 la 
comédie ou à la tragédie, le personnage classique ne laisse 
jamais paraître les traits particuliers qui donnent à chacun 
de nous sa physionomie personnelle; il ne nous montre que 
des traits généraux en accord avec l'impression unique que 
le poète a voulu produire. 

Après nos tragédies et nos comédies duxvii* siècle, les nova- 
teurs romantiques estimèrent qu'il y avait quelque chose à 
faire, le drame; après les abstractions do vertus et do vices que 
le théâtre classique mettait sur la scène, ils estimèrent qu'il 
y avait quelque chose à représenter, l'homme. Le roman- 
tisme dramatique est avant tout la substitution du concret 
à l'abstrait et du particulier au général. Mêler la comédie 
à la tragédie, c'était déjà rompre en visière à l'abstraction 
classique; en les fondant l'une avec l'autre dans le drame, 
les réformateurs du théâtre obéissaient à un besoin de 
vérité réelle et vivante qui modifia la formule tout entière 
de l'art dramatique, et que nous retrouvons d'abord dans 
la conception même des personnages. 

Les romantiques veulent mettre sur la scène non plus 
des types, mais des individus. Le théâtre du xvii* siècle repré- 
sentait l'ambition, l'avarice ; ils représenteront un homme 
ambitieux, un homme avare. Cet homme, ils commenceront 
par l'incarner : l'avarice ou l'ambition sont incorporelles, 
mais l'homme avare ou l'homme ambitieux ont besoin d'un 
corps. Ils lui donneront par suite un âge, un tempérament, 
une figure; ils mettront autant de soin à l'individualiser 
par les traits extérieurs que les classiques à éliminer ces 
traits, inconciliables avec la vérité universelle, permanente, 
abstraitement humaine, qui était le but et le triomphe de 
leur art. Ils peindront, non plus une passion, non plus môme 
l'homme passionné, mais un homme que la passion anime. 
Ils ne se borneront pas à montrer, en les matérialisant 
le moins possible, les caractères essentiels et constants de 
cette passion ; ils obierveront non plus la passion en elle- 



à 



I7S LB HOtrVKUBNT LirrËitAtAB AU XU* SIÈCLE. V 



même enmme iiufi totle de force anonjme, i 



a loin 



tmliTi'lu <lont elle mo.liav le caractère. F.t cel indiviUu. ih 
lerupri>s>'Hteroiit touleuLier liaiin sa réalilé miilLiiilevtcmii- 
pleie. TanJiB iiue l'arl classique opijrlitiaît la Dalure, kur 
ul ne vUera qu'à In rendre en se confon,danl avec elk. 

Les persoanagtis tragiques vivent dans un oiornie idâal. 
Comoae ils ne mal d'aucun temps ni d'aucun paya, le poêle 
se garde de prâler au milieu qui les entoure rieo de pr^cia 
et de dëtermIniV Ce ne sont pas des Grecs ou des RomaioB 
que la tragédli' représenlc, mais des enlit^s logiques qui 
n'onl ni dulc dans la durée ni lieu dans l'espace. Plus la 
■cËne esl nuulre, mieux elle s'accorde avec le caractère UMll 
•bsiruil de la tragédie. Qu'importenl le temps et le lieu od 
' l'actloD se pusse, si lus héros sont de purs esprits sur qui 
ai le lieu ni le temps ne sauraient exercer aueune ioflueucaï 

SubslitaaDl aux figures idéales de l'art traijique des 
tiommesqui vitenl d'une existence individuelle el conorile, 
la romantisme devait être nécessairement amené à déter- 
mlnor leur physionomie par une Toule de détails locaax et 
contingents. C'est au nom de la vérité universelle que les 
classiques répudiaient la couleur des. temps et des liemi 
c'est au nom de la réalité particulière que les romantiques 
la recherchent. ■ On commence, dit Victor Hugo dans sa pré- 
laco de Cromwelt, à comprendre de nos jours que la localité 
exacte est un des premiers éléments de la réalité. > Faut-il 
penser que nos poètes du ivii' siècle ne l'avaient pas compritT 
C'est justement par répugnance pour lu < réel > qu'ils fai* 
saieut aussi bon marché de la couleur locale. Avec les romsn- 
tiques, l'histoire prend possession du théâtre. Les tragiques 
du ivii* siècle avaient été des moralistes; ceux du ux'tè' 
transforment en historiens. Pour les premiers, ce qi^ 
coniple dans l'homme, c'est ce qu'il a de généralement bO' 
main ; les autres veulent au contraire diversifier la vérit* 
morale pai la vérité historique. Si le fond même de notrt 
nature ne varie guère, le drame ne doit pas seulement Pfl- 
présenter ee foud permanent; toutes les différences t 
rapportent à la race, au siècle, au milieu, rolé 



LB DRâMB romantique 177 

aine, et ce sont ces différences qui, après avoir modifié 
)ersonnages eux-mêmes, se traduisent ensuite par des 
ils particuliers de mœurs, de langage, de costume, de 
lomestlqne, par cette exacte mise en scène qui prête au 
ne son caractère de réalité précise, 
mr nos poètes classiques, le théâtre n'était point un ta- 
Q de la vie réelle ; ils voyaient avant tout dans l'œuvre 
natique une composition délicate et savante dont l'art 
istait justement à rectifier la nature,- à lui imposer une 
ipline, à choisir entre les données qu'elle offre et à dis- 
r celles qu'on a choisies d'après les lois de la raison. Nos 
es des unités expriment catégoriquement cette concep- 

fondamentale : elles étaient une limite prescrite par 

à la nature, elles avaient pour but comme pour effet 
1 pêcher que le sujet ne se dispersât à travers le temps 
espace. C'est à elles que notre théâtre classique doit pour 

large part cette concentration puissante, cette vigou- 
e sobriété, qui en est le caractère dislinctif. Mal défendues 

souvent par des raisons de vraisemblance, les unités 
emps et de lieu avaient une réelle valeur comme garan- 
Lut l'unité d'action. 

lé romantisme les abolit, c'est parce qu'il y voit l'ap- 
ition d'un art tyrannique. Gomme, dans la conception 
personnages, il note avec soin ces détails individuels 
liminait la tragédie du xvii* siècle, de même, dans la 
luite de l'action, il est beaucoup moins préoccupé d'é 
ider ce que la réalité offre de complexe ou de touffu que 
iter ce qui pourrait donner au drame l'apparence de 
que savante machine. Dans l'ancien système, toute tra- 
ie était le dénouement d'une action déjà mûre, qui ne 
lit plus qu'à un fil, et l'habileté du poète consistait à 
}arer ce dénouement dès l'exposition, à nous y conduire 
. droit par quelques péripéties ingénieusement imagi- 
3. L'ouverture de la pièce ne pouvant en précécrer la tin 

d'un petit nombre d'heures, et, d'autre part, tous les 
!urs se trouvant réunis dans le môme lieu comme tous 
intérêts s'y trouvaient concentrés, une tragédie n'était en 



fTB Ll MOtlVEMEKT LtTTfiBAIRK At 1 
taolr non ^UfiduB iiu'anit lOrte île crite auprénie. 
sonnnfcon pnrnissniiul drix le prerojur acle («U qu'ils tteraleBl 
rcsler jusqu'au tli^rnier. L'ortion duns UqD(>Ue le poi^lo lei 
«□gageait nvait pour but. rion pninl du JéTcIoppi^r leur 
caractère, mais de lu manircster. Il ne s'ngtssait paa de 
dtcfliigxT nue [lortion de ta vin humaine ; il fallail corn- 
bioiT uni! œuTre de raison et d'art. 

Sur ce point couinie sur les autres, c'est en faveur de la 
Térilé qao les romantiques réclamèrent. • A l'aTenir, dll 
Alfred de Vigny, le giofle dramatique prendra dans a 
main beaucoup de temps et y fera mouvoir des existencei 
enliércs.... Il laissera ses créations vivre de leur propre 
tieet jettera seulement dans leurs cœurs les germes des 
passions par où se préparent les grands événements^ pni», 
lorsque riieure en sera venue, et seulement alora, sans que 
l'on sente que son doigt la liftle, II montrera la destinée eo' 
Teloppant ses viclimes.... L'art sera en tout semblable h 11 
*le. • Ces quelques mots ri^Bumenl la poétique du drame. 
PluJd'unité de lieu, plus d"unite do temps, (juant A l'uniiê 
d'action, c'est I& une loi universelle de toute œuvre d'art, 
et lus novateurs n'ont garde de l'abolir; mais ils en rcli- 
chenl la rigueur, ils l'interprètent avec un esprit largo, il" 
en changent même le nom pour l'appeler, conformi-meot i 
des vues plus libérales, unité d'intérêt ou d'ensemble. 

Si la tragédie classique substitue si ïolonliers le récit i 
l'ftClion, ce n'est pas seulement parce que le publie délicat 
auquel elle s'adresse cherche sur la scène, non point de" 
«peclacles, mais de fines analyses du cœur humain : il J 
K aussi là une conséquence inévitable des oniléa, La tM- 
gôdie ne durant que vingt-quutre heures, il faut bien 
raconter tous les événements antérieurs qui sont nécessairw 
& l'intelligence de l'action; et surtout, puisque la scôoa ai 
peut changer, il faut bien qoe la plupart des faits se paseOt 
dans les coulisses, et, par conséquunt, qu'une narration 
noua les expose. Dans Britanniais, pour citer un «ccni^Si 
Shakespeare nous aurait montré Néroo prë^cnlanl (t sn 
frère la coupe empoisonnde, Narcisse déchiré par le 




LE WIAIIR nOHANTUJUR. 

ni aux t>iLil3 de la slnlue d'Auguste. Mais loi 
qiu^s inltirilîsaicDt à ttacinc 'lo transporter 
scètie sur uoe place )iubliqDe ou mâiue dans une autre sall« 
du palais. Comme le dit Victor Hugo, la tragédie dol 
ivii> siècle ne nous luissevoir bieo souvent que les coudes dej 
I action, dont les mains sout ailleurs. Drbarrassés des uniléa] 
1-: temps cl. de lieu, les roniaaliques pouvaient dés lors re"l 
[ii'ËsenteF sur leur IbâAlre un drame noD seulement plusT 
vif et plus pittoresque, mais encore plus conrorme ft lu 
réalité. 

Lu tragédie excluait tous les éléments qui n'élaieul pu 
indispeasables A la vérité morale, la seule qu'elle 
posât. Elle ne laissait entrer dans son cadre rien de forluitj 
S.tul' quelques pAles comparses, uDiqueujeot cliargés 
donner la réplique aux héros, elle n'introduisait d'autrejj 
personnages que les protagonistes. Quant aux faits, les seulM^ 
qu'elle admit étaient ceux qui formaient la trame même dev 
l'action. Elle visait partout à simplilier la nalure. 
'higuait les hasards et corrigeait les détours. Elle rédai-J 
il! le plus possible son malérie! et ses agents. Elle ci 
lil en un problème de mécanique. Racine coDsîdériiM 
' otnme à moitié faite une pièce dont il avait dessiné Iq 
plan. Or, dessiner le plan d'une pièce, c'était jusler 
cberchcr une ordonnance simple et sobre qui Ëconomisàfl 
les Taits et les personnages en substituant le cbois rëQéchî 
de l'art à l'aventureuse prodigalité de la nature. 

Les romantiques s'élevèrent dés le début conire < ces traq 
gédies dans lesquelles un ou deui personnages se promènentl 
solennellement sur un fond sans profondeur, & peine occupH 
par quelques têtes do confidents cliargés de remplir lesvidew 
d'une action uniforme et monocorde. ■ Alfred de VignyT 
demandait que ■ l'action eolraîiiàt autour d'elle i 
biiton de faits .. Et Victor Biiyo - ' Au lieu d'um 
dunlilé, comme celle dont le drame abslrail de I 
école se contente, on en aura vingt, quarante, cinquante,! 
e sais-je? de loul relief et de toule proportion. Il j aaro^ 
^e dans le dtauie. > C'ait qu'il ne a'agit plus de peindra 




IHO I.K JIOLVEME^T LITriïnAlHB AU XIX' SifiCLB. 
le» rormi>s (^léiiiunlaires de la vie bumaine dans des société* 
jeunes et siiiiplcs, ou bii.-D encore de représenter des intel- 
tigences pures, des eolit^'s morales, se mouvant dans 

une aliiiosplitTe luute d'absirnction. Le nouveau drame 
prétend mettre en scène la vie historique; or l'histoire, 
dès que l'on quitte riintiquité légendaire où nos poètes 
classiques allaient chercher la plupart de leurs sujets, est 
peuplée de figures complexes, singulières, individuellement 
caraclérisliques, qui ne sauraient tenir dans le cadre 
étroit d'une tragédie- Victor Hugo débule par Cromwett, 
et chaque acte de cette pièce est plus étendu que toute 
une tragédie de Racine. Le poète demande une soirée 
entière • pour dérouler un peu largement un homme 
d'élîle, une époque de crise > : c'est parce qu'il veut 
peindre cet homme dans tous les contrastes de sa na- 
ture, c'est parce qu'il veut exprimer cette époque, non par 
quelques traits géiicirnui, mais dans le détail de ses mul- 
tiples aspecis. Une scène large et profonde, une ■ foule • 
de personnages, une action i multiforme >, paraissent aui 
réformateurs de 1830 les conditions indispensables de ce 
drame qu'ils veulent substituer à la tragédie comme le 
tableau même de la vie humaine aux conventions d'un art 
trop exclusif et trop idéaliste pour s'accorder jamais avec la 
nature. 

A la théorie classique, en vertu de laquelle notre tragédie 
peint ce qu'il y a chez l'homme d' • humanité > impersonnelle 
et constante, répondait un style abstrait, général, psycholo- 
gique, dont la noblesse ne rachète pas ce qui lui manque eu 
couleur, en relief, et, pour ainsi dire, en réalité sensible. 
Il fallait au romantisme dramatique le vocabulaire tout 
entier pour exprimer la vie tout enlière. Puisque le drame 
nous présente uon plus de purs esprits uniquement occupés 
de s'analyser, mais des personnages réels jetés corps et 
Ame dnns le tuuiuUe du monde, les scrupult-s de la tragédie 
ne sont plus de mise. Toute l'histoire, (outc t'uiistence 
humaine, tou'c la nature matérielle, etitranl dans le drame, 
j font péuÉti'et une armée du termes nouveaux, qui eussent 



l,^: 1KIVMI' IMHANTIOUE IM 

jnr^ 1111- 1rs h^vn-^ ili-.-; In'i-ti" das8ii]ues, i Luther, écr^J 
Vk^liir ritiRi, 'Jisoit ; Je bniileverae ïe inontli; pd biivaut muai 
pot lie bitro. Cromwell ilUflit : iai le roi diitis mon sac el 1 
le Parlement dans ma poche. Na|)oléaii disait: Lavons no Ira | 
linge aale en ^amill•^ Avis aui faiseurs de tragédies qui iw4 
i-riiiiprCnDent pas 1rs grandes choses sans ha grands mois. ■ ■ 
Le ili-ame romantiquo a liesoin d'un slyle (jni girenne loai4 
les tonq, qui s'approprie 6 toutes les sitiinlions el a lons^es- J 
[jersoDtmjfes. qui parcoure tonte la gamme poétique, qui 1 
1 aille de liRut en bas, des idâea les plus Élevées nux plus 1 
vulgaires, des plus bouffonnes aut plus graves, dos plus | 
■ sliirieurea aux plus abstniites ■, qui, du récitatif, proprs I 
: \a simplicité du trftia ordinaire, passe san» cITorl aa I 

liant pour ( la passion ou le malheur >, qui soit loar | I 
luur concis ou diffus suivant la bouche qui le parle, savaiit J 
ou négUgé, prodigue ou avare d'ornemenls, qui s'occupe 1 
avant loot d'être 6 aa place, et qui, • lorsqu'il lui advient I 
d'être beau, ue le soit en quelque sorte que par hasard,^ 
malgré lui et sans le savoir >. I 

Trois ou quatre peraooDages sur le thëfttre; pour inâmtf<V 
décor, d'un bout à l'autre do la pièce, une colonnade quel^ 1 
' nnque dans un lieu neutre; une action resserrée en vingts I 
lijLil.re heures; des héros n'ouvrant guère la bouche qos I 
i<<>Lir débiter de longues tirades, et n'agissant presque ja- I 
iiriiis que dans les couliases ; rieo qui parle auiaens,dGB ftmea I 

rninckiesde toiitcommcrcn nvec le corps, des esprits ponl 
ivaiit del'boinmequo ce qu'il eu faut pour la viemoraJe; 1 
1'.^ passions les plus générales du catur humain; une har- 1 
nionit.' dans In noblesse qui ne Bauffre aucune dieaoDance ; J 
le rire banni de la sc^ne, le criiue n'osant s'y présenlarqiu I 
Koiisd'iaiposanta dehors; un système d'abstraction qaf »ii{i- 1 
:^nme artificiellement toulc uoe moitié de la rie; un iji> I 

me d'idéalisation qui réduit rbuiiiunité i tes caraetér«i 1 
: '.'Iilques el ronstanls : voîlii la fomiule de notre tragédtff i 
<i.^ns son plein ir^^rd avec l'esprit classique, dont elle est 1 
l'œuvre la plos parfsiie comme la plus lignilicattve. J 

SI le drame, que sura-t-U i IléfiniibuDi-la d «pris coainlA ■ 



I«l LE MOUVESIR^IT UTTlilUIBB kV XII* S 
nSinM qnt lo crriâreot. Lo drame, le) àa moinA riuTb b 
CDBCurctil, ost un lableau large de la Tie au Iku ilu lableno 
iiissorri) «l'nue caloslrapLe, uu in^lau^ <lu ichir.s pnitililci 
avec d'autres acénea iragiques el comiques; il licul de li 
lra)(i!>lie par la [leiolure des pasainna el de U cotnâdic pu 
la peinlure des caractères, mais il n'esl dî l'qnc ni l'anlra, 
parce que les pansions iju'il représente snnl individuelles an 
lieu (i'<!tre g^aâralL'S et parce que les caractères qu'il met 
en scène sont des bornnics au lieu d'âtre des types. Il fait 
do UiéAire uu coin du inonde ri^el, duut la localité lîiltle 
est e(i intime hsrmimie avec des personnages en cbair et 
en os. Il associe dans une mâme œuvre loua les élément) 
que lui offre la réalUé, |1 multiplie les acteurs. II élargit 
le cadre de l'acliau, il U complique, il en presse lo mou> 
veillent. Il s'affrancliil de toute limite dans le lemps et daas 
l'espace pour développer à l'aise ses sujets. En haine dw 
conventions el di>s arlidces classiques, il est prêt A sncrî- 
(ier la liradc, t se refuser jnsqu'aux ■ beaux vers i. 11 ■ 
pour régie et pour lin l'imiiatioD de la nature, la rcpréscn- 
tatioD de la vie. 

Est-ce k dire que la Térité de l'art, telle que les roman- 
tiques ont voulu la faire voir sur la scène, puisse élTâ, 
comme le prétendent dès 1827 ceux que l'auleur de Crom- 
well appelle des partisans peo avancés du romantisme, une 
copie exacte, un décalque de la « cbQSe< même»? VleUr 
go proleslu d^s le début contre une pareille tbéorie, 
n'est pas moins hoslilo uu • râaUsmei qu'au classicisme, 
Iiisuns même qu'en rompant tout d'abord avec l'uo, U res- 
saisit, par delà les formules conventionn elles de l'autre, 
certains principes fondamentaux sur lesquels reposait la 
tbe&tre classique et qui correspondent soit aux conditions 
mêmes du genre, soit aux exigences particulières de l'u»- 
pril Crantais et aux traditions de notre culture natiooald 
Scion les romantiques, • une limite infranchissable séput 
la realité selon l'art de la réalité selon la nature >. Si )t' 
rcllÉle la vie humaine, c'esti 



LK DRAME ROMAYTrQUS. 

e miroir ûrJiiiaire qui renvoie d«s ohjels unu i 
mai* uu miroir de coricenlrutum i| 
tuasse el condense lus rayous coloranU, fait d'uni; 
une lumière el d'une lumiËre une tlamini!. L'emploi lu&ia 
des mots ■ grotesque ■ et < sublime >, dont lea i 
se servent conrammcnl ponr désigner lea deux élêmeuls d 
drame, suffit à indiquer quel est le caractère de leur c 
eeption. Le sublime et le grotesque, ce sont lA deux Ijp 
\ii i-âaliti> vulgaire et moyenne ne se compose ni de l'un 
!'■ l'autre. Dans le théâtre romantique, on trouTc le grotea^ 
jiit.-, on trouve aussi le sublime, mais on ne trouve paji 
< C'Ue vëritâ sans caractère et sans relief que repousse l'ai 
1 l'art dramatique plus que tout autre. Le trivial lui-mânt 
• iloit avoir an accent *. Les réalistes font du commun li 
'liamc lui^mâme; d'après les romantiques, ce ce 
L'st le défaut des esprits à courte vue et k courte haleine^ 
aurait pour résultat de < tuer > le drame. 

Au tbeàtre, il n'y a de place ni pour l'interveotion àa\ 
poète ni pour la réflexion des spectateurs, Od De peut d 
obtenir l'effet voulu qa'en fori;an(, les traits. De 11, l'idc 
sation. Mais le meilleur moyen d'acceatuer certains trait» 
c'est d'effacer les autres. De la, l'abstraction, qui compléta 
l'idéalisalion. Reproduisons sur la scéae la réalité tt" 
qu'elle est, qu'arrivera-t-il î Les faits însIgQiQants sont p 
nujubroui dans la vie que les faits significatifs; ib 1 
étoufferont. Les personnages accessoires sont dans 
iioude plus fréquents que ceux où le drame s'attache ; l 
l'ililcront sm la scène sans autre effet que de dlssiSiuim 
notre attention. Quant aux caractères, si l'on représenta 
i'taommu complet, le sîgniQcaLif sera, ici encore, noyé p 
l'iosigoi&ant. En ne choisissant pas dans les faits, on D'au 
plus d'action ; en De choisissant pas dans lus traits, i 
n'aura plus de figures caraclcriBliques. Il faut qu'en tr( 
liQures le poète nous peigne ses héros et nous présenta 
une aciion complète. Aussi doit-il retrancher les incij 
dents oiseux, les paroles superflues, ramasser la nalurd 
»ar elle-même et en faire un raccourci. Dans la réalité, Isa 



[ tu LR MOIIVEBKKT LU i ' 

DB ne BO Irouvcnt pu UuU'j liiiu.^ ; le i '■ ■ ■•'' 

[ uuIiU'Justcnifnl â les rntrp. Tooii! lEaire r! > 
e unild sous peine d'i n'avoir plus do sigm- 
f doit coœtnencfir et elle doit Unir. Or Iab icénvn dr In vu? 
\ véeMa englobeut tant île drcnnatance» et raillent taul du 
, {teflbikoa^os, qn'dlas n'ont ul nonimnneenKtnl ni On. La 
L nBlure iie fait pas île sauts , c'est-â-dire que, si mius l> 
(^gênions (elle qiiKlIe, nous possurons insensililoment 
I (Tnn pcrsnnnofîc ft l'aulre, d'une circonsUnce A la suivsnt«>, 
ulrouYer jnmais un pmntd'Brrflt On n'u point compoM 
I mi dramu en reproilnisiml. ce dAcnuau Hca choses bumaiiies, 
I oes Incartades de la vie, qui 'Mment(>nl toutes nos pttn- 
a et dt^concerlent tous nos plans. Au-dessus de la vériU 
' malérielle, il y a la Yi^rité morale. Ce qui 08t vrai sur la 
icéue, t'est ce (|iii est logiijue. A côl* de la nature. Il y «. 
l'ftrt, et l'art vil d'''tlip§es cl de s,vDth«seB. 

L'abstraction et l'iditulisation demeurent après tout 1m 
procédas ronilamenlairx de l'arl théftiTal aussi bien pour 
lea romantiques que pour les classiquRS. Le romantisme W 
sdpare des réalistes en mntntennot contre eut ces grandes- 
lois de la icèue. Victor Hugo proclame que toute figure 
doit, suivant l'optique du IhâAtre, être ramenée k aon IrafL 
lo plus saillant e! le plus précisa il oppose 6 la naloré 
l'art, et k la réalité tianale, plate, sans prestige, celle 
« Tie de vérité et de saillie > qui est l'élément propre de 
tout drame. 

HCme quand il s'agit, non plus de principes, mala da 

eoDTentions , le romantisme n'use qu'avec une réserve bien 

siigniflcalive des libertés qu'il s'est conquises. 

S'il abolit l'unité du temps, ce n'est pas pour mettre toile 

vie d'bomnie sur la scène, pour faire tenir dans lo 

inAmc cadre des ëTënements qui se suivent sans aulre lleo 

qn'nne succession fortnîte; s'il abolit l'unilâ du lieu, ce 

n'est paa pimr déplacer le spectateur fl chaque scène et pour 

déguiser ainsi l'incapacité du poêle à composer une ucUott ; 

I dont toutes les parties adhérent entre elles. Il sait queprâ- 

\ tenter lea persunua^jes à de trop longs intervalles du 



LB DRâMB ROMANTIQUR. 185 

durée de leur existence, c'est rompre le fil de leur idcnlilé, 
et, d'autre part, qu'il j a dans les changements trop fré- 
quents de décoration quelque chose qui embrouille et fatigue 
le spectateur, t qui produit sur son attention l 'effet de 
J'éblouîssement ». Le premier drame de Victor Hugo, et il ne 
le destinait môme pas à la scène, son drame sans contredit 
le plus € shakespearien », observe rigoureusement l'unité 
de temps et transgresse à peine l'unité de lieu. Au reste, le 
poète ne craint pas de déclarer hautement que mieux vaut, 
& intérêt égal, un sujet concentré qu'un sujet éparpillé. 

C'est au nom de l'harmonie, à laquelle ils sacrifiaient la 
réalité, que les classiques maintenaient strictement la divi- 
sion des genres. Si les romantiques mêlèrent la comédie et 
la tragédie, ce ne fut pas plus dans l'intérêt de la réalité 
qu'en rue d'une harmonie plus complexe. Parmi les raisons 
que fait valoir Victor Hugo en faveur de ce qu'il appelle le 
grotesque, une des plus importantes, c'est qu' c on a besoin 
de se reposer de tout, môme du sublime, et que le sublime 
sur le sublime produit malaisément un contraste ». Or, 
d'après lui, « la poésie vraie est dans riiarmonie des con- 
traires ». 

Aussi bien, le poète, en dépit de ses déclarations, traite 
le comique et le tragique comme deux éléiiienls qui ne 
doivent point se confondre. Entre ces deux éléments, il y a, 
dans ses drames, non pas combinaison, mais juxtaposition. 
Chaque acte d'Hernani, par exemple (et il en est de même 
pour la Maréchale d'Ancre d'Alfred de Vigny, pour la Tour 
de Nesle d'Alexandre Dumas), débute comme une coiri<';dio i;t 
se termine comme une tragédie. Il semble que le « grotesque » 
ne tienne pas au fond inôme de la pièce I J'ai Heurs, l'élé- 
ment tragique n'a qu'à paraître pour faire auiisitôl dispa- 
raître l'élément comique. C'est que tout n'est pas conven- 
tionnel dans la distinction des deux genres. Sans doute. 
le comique et le tragique se mêlent consfaiument sou> nos 
yeux; loais remarquons-nous seulement, lorsqu'un ruaifieur 
nous frappe, les incident.s plaisants qui peuvent 1.raver-er 
notre deuil? Et, quand nuu» avons 'iijei^ue .s:jjel de j jic, 



tM t,« MOUVKMENT 111 ii : 
n*«cartnnii-a"ut p&D itl*«itiitn( uiut ■narenir doiiIint'rëaM 
pnurrnit Imulilt^r nuire honlu'iirt 
( Loin àr il''iiirillr l'nrl, iV'.rîvuil Vmlnr llu^n. |ss iijfies 

, nouTulli's ni! vviilcnl iiui; la reuoasi.ruirt: |)lu3 suliitc et inieui 
, fbQdd. ■ Qun le ronianlismu dit opéra sur la sc^ao lue 

I révolution, co n'est pus conleatable. Pourtant, il s'attaque 
b(!aucou[i Rioloi k l'esthi^tiijue iaUme du classicisme, qnï 
revit ttvec une noufclte Torci! dans le noiireau drnine, qu't 
du convenances île innile, à un costume vieilli, à une rhé- 
torique et ft une mise en scène devenues ineuin[iatiblex 
avec la nouvelle société. Il s'affranchit de règles trop étroites 
et trop rormellei, mais en rcïtaot fidèle à l'esprit généra 
iini les uvail ilielées. U débarrassa la scène de contraintes 
turnnniies pour donner une représentation de la vie plus 
GXprcgaivc el oioins incomplète; mais sud idéul drnma- 
tj(]ue, s'il ne chercha pas à l'atteindre par les tnâmes for- 
mulcs que le ivii* sii^cle, demeurait encore, dans ses traits 
essentiels, conforme â celui de nos poètes nalionaui. In 
Icigiqiie des développements, )ajust« économie des moyens, 
ta forte sobriété itc l'action, tels sont les caract^ércs princi- 
paux du drame romanlique aussi bien que du la trn^éilie. 
A travers tant de commotions cl de tourmentes, lu fotiA 
même du génie Trançais était demeuré intact. 

Le tbéftlre romantique peut se résumer tout entier dans 
trois poètes, Victor Hugo, Alfred de Vigny, Alexandre 
Dumas. 
Victor Uugo déploie sur la scène toutes les richessâs dd 
I sa poésie. A l'éclat de la passion, i la vivacité des cou- 
I leurs, à la grandiloquence des tirades, joignons la forcu 
des situations, l'instinct des effets scéniques, une action 
rapide et pressanle, une puissance de composition qui maJa- 
tient toujours la pi<^ce dans son cadre et en lie e'.roitemcnt 
' toutes les parties. Si sa tentative théâtrale, malgré tant 4« 
. grandes et hcDes œuvres, reste de beaucoup inférieuro & j 
cet idéal dramntit-juc que lui-même avait conyu, la nûon [ 
en est aiant loul d^ms le tour emiuemment lyrique d»ij 



^m LR DRAMI! ROHANTICUK. iSfl 

^Bnie. Il semble dc Toir dans le drame que nerl&las p<jintg 

'-nhiiinaDU au sommet desquels il s'cmprotist! de gruvifl 

■■'ur y entonner un de ces vibrante couplets où son él(M 
iHji.'nce ae donne pleine carrière. Ce qui manque le plus avM 
[liL-otiB de Victor Hugo, c'est une analyse profonde el comj 
[ilète des caraclËres qu'il pose avec tant de vigueur. Si noan 
y troUTons i^etlS d'admirables fragments psychologique J 
Je poêle ne nous donne jamais toute uue Ame, et trop som 
vent il remplace in psychologie par une superbe rhëtoriqiia 
de sentiment, I 

Trop lyrique par Ift, il l'est aussi parct; qu'il ne s'absIraM 
pas de lui-même : nous le retrouvons, plus ou moins visibln 
dans toutes ses créations. Les personnages de Victor Dugfl 
1 vivent de son souffle et parlent avec sa voix >. Parfois! 
ce sont pureoient des ûtres de fantaisie. Hernani, BidieM 
Ruy Blaa, héros tout < romantiques ■, représentent, nOM 
pas l'âme du poète, mais son imagination. Ils n'ont pied u 
dans l'histoire ni dans la vâriie humaine. ■ 

A ce défaut s'en ajoute un autre, non moins încompad 
Ubie avec celte • vérité ■ dont le romantisme s'était doni» 
comme le restaurateur. Il n'y a qu'à lire les préfaces <!■ 
Victor Hugo pour voir comment il conçoit le sujet et Isfl 
personnages de ses piëccs. Ce qui lui apparaît tout d'abord 
ce né sont pas des hommes vivants et des événements réeln 
niais des formules logiques. Les quatre personnages léÊ 
,<liis importants de Buy Blas * représentent les principal^ 
..lillies qu'offrait au regard du philosophe historien la mid 
nurchie espagnole il y a cent quarante ans>. • L'idée quia 
produit le Roi s'amuse >, c'est que l'amour paternel trand 
forme la créature la plus dégradée par la difformité pt^M 
siquu. L'idée qui a produit Ittsrèce Borgia, c'est que l'amoil 
maternel purifie la difformité morale. La conception pril 
inilive A'Angeio consiste à mettre en présence la femiol 
lianslik société et la femme hors de la société pour défendrfl 
JJpttBCoulre le despotisme et l'autre contre le mépris. Enflu 
^Eb pensée que le poète a lenlé de réaliser dnns Jfufd 
^^wfpT i, la voici : • une reine qui soil une femme, grand 



R MOL'Vl'MrvT i -nfn iitit- if 

)l.'» lia siijrl I 

[ facUviludns pri r.; - , - 

Mimr nne ■ îiliu >, uue ■ p«UBÉe • ilu trttiiK. Cn uctK pin 

p diftcloppctnent de cafaclJ^rea. c'est la itridiiclioii d'uae 

lèM. Lp ^oie de Victor Hugo ae plall A heorter dec dl» 

t parait* dam la même figure, et i) iy'ile par \b le tû» de 

I la tn^die L-lassique, qui r^ituit uu peraouua^ i ua senti- 

I nent. Hais ces disparates rannenl un lA'ittikn artificiel; et 

I a'est-ce i>aa ag&^i Tausser la nature bumainc que d'en 

ucuaer si notamntent lei cooiraites? 

Les dérauts que nnaï repronbons à Vielor Huifo aoat 

I eorri^-^ clitn lui, xott par situ ioldligence profonde do l'bù- 

(flire. ilaquvllf^ il emprunte des traits de réalité locale, il« 

, tf-inte* Juïles el Truuches, une décoration qui, dans la Wtk- 

âtd iriltorexquiï, donne au drame la couleur de la tie, smi 

|wr son art dt combiner les incidents dramatiques, par 

la vigiieor n*ec inquclie il |mu9St< tes personnages, par son 

. antente de Is jcene, par toutes ces qualités de facture qa'oo 

' appelle d'un seul mot le don du tbd&lre. Chu Airr«d de 

Tigny, ces défauts sont tiien plus aensIlileB, et les meoiei 

qualités ne les rai'b^tKul pas. 

Il semblait que l'auteur dËioa, artiate discret et timide, 
ne dût jamais se hasarder sur le tbéAtre. Ce fut lui, (MKir- 
tant, qui descendit le premier dans cette arène. Le drame 
qu'il flt jouer sTani flernani n'ëlait, A )a r^.r'tlè, qa'noâ 
Iraduclion. 4)e «eux qui Buirirent, un seul réussit, franche- 
ment, ChatUHnn, pi^ice touchante, mais qui n'est, selon 
l'expression de Sninte-HeuTe, que rtmalyse d'une n maïadie 
littéraire >. N'y cherchons pas une large peinture de 
l'homme. L'art délicat do Vigny a personnifié admira- 
, blement sur la scène le type ilu poâle blessé par les mea- 
i qoinories et les vulgarités du milieu contempnraio ; maù, 
e il le dit, « Chatterton n'irtail qu'un nom d'hointae» 
rie poêle i^tait tout pour lui t. Et nnus pouvons ajoul 
I qiM ce puâte était l'auteur du drame. 



LE DRâMB^ROMANTIQUR. 189 

Quant à sa conception fondamentale du théâtre, Alfred 
de Vignj Ta fait connaître dès le début, t Si Tart est une 
fable », il doit « être une fable philosophique ». Lui-même 
a donné Texplication rationnelle de toutes ses pièces. La 
Maréchale d'Ancre provient, aussi bien que Chatterton, d'une 
idée abstraite, t Au centre du cercle que décrit cette com- 
position^ un regard sûr peut entrevoir la Destinée, contre 
laquelle nous luttons toujours, mais qui l'emporte sur nous 
dès que le caractère s'aftaiblit ou s'altère ». 11 n'est pas 
jusqu'à la petite comédie de Quitte pour la peur qui, d'après 
le poète, ne renferme « une question bien grave sous sa 
forme légère ». Alfred de Vigny déclare le temps venu de ce 
qu'il nomme le * Drame de la pensée », et c'est ce drame 
qu'il veut substituer k celui de la vie et de l'action. 

Alexandre Dumas s'oppose directement à lui par son 
inépuisable fécondité, la fougue de son tempérament, sa 
verve expansive, son amour sensuel de la vie, du mouve- 
ment, de la couleur, de tout ce qui s'agite et brille. L'auteur 
de Henri III portait dès 1829 sur la scène des moyens 
dramatiques d'une rare vigueur. Nul poète contemporain ne 
l'égala pour le don de l'effet, la fertilité des expédients, 
l'adresse et le bonheur de ia mise en scène. Ses pièces 
durent leur prodigieuse vogue à des qualités vraiment dra- 
matiques (le théâtre n'est-il pas le genre populaire par 
excellence'?), mais que ne soutient chez lui aucun fond 
de sérieuse étude et que ne rehausse aucune visée supérieure. 
Sa merveilleuse puissance d'assimilation a parfois ressus- 
cité le passé; mais ses drames n'ont trop souvent d'his- 
torique que l'appareil extérieur, des costumes, des détails 
qui tirent l'œil. La couleur locale n'est qu'à la surface de 
l'œuvre 11 ne considère l'histoire, lui-même le dit haute- 
ment, que comme « un clou pour accrocher ses tableaux ». 
Quant à la vérilé humaine, il s'en est soucié beaucoup 
moins que de pittoresques décors ou de saisissantes péripé- 
ties. Il s'adresse aux sens des spectateurs, à leurs nerfs. 
Ce qu'il montre n'est guère que le dehors de l'homme 



. peO ll;.l 

I («1 ifoc Victor Uaga lii«aiL convu> ce dritiuu dont Victor ' 

~ \o lui-m*iii<!, dan» sa prifacc rîe Crontwdl, préTOjâl 
I «t (eninil de cnnjurer 1" • irruption •, rc ilrame do part 
I «miMÎU, toiil exUrieur et matwici, tout fn mochinaUBio 
I et «B trucs, qai di-cail bleoldt alioulLr an banal tntilndranE 

Tamlit qu'AIeundre Damas tenait de ploa eti plii> ilau 

i UBt brulok vtjlgnriU, Vietor Hugo liaussail loojmirs duran- 

t«fe l'idMl que son g<'' nie, épris de farcccldegrnnrkur, aval'. 

it» le ili^lmt. cataji' de réaliser sur In srène. Sa dcrnitre 

I pilce, le* Burgrava, une dp« pli» belles wuvres i]u'll ait 

I euiopow^us, «e heurta uux risistanccs du public, cboqiij 

' pu ce qu'elle conlenait d'Ëtraoge Qt de surbunitiin.Thùoptillî 

Gantier niconte que des amis du pOËte, la seoUnt meai- 

C*e et voulant la soutenir, [irièreat !o graveur CÉleitin 

Nsnteuil de recruter pour la première reprfscntalion troîl 

cents jeunes Spartiates déterminés & vaincre ou ô moorir- 

* Allei dire ù votre maître, répondit Pianlcuil en sccouaai 

■es longs cheveui. rju'il n'y a plus de jeunesse > Ce nWl 

mémorable, dit Sainte-Bente. « fait dote cl marque ledet- 

nÎLT terme du mouferaent romantique: on avail forcé toQl 

les moyens, il n'y avail plus qu'à rétrograder •. 

C'est six semaines après ta UurgniHCs , qus Ponsard, 
inconnu la veille, fit jouet sa Lucrèce. Cette « version de 
Tile-Live •, comme l'appelait Victor Hugo, eut, par contraste, 
un immense succès. Du jour ou iendcmaiti, Ponsard se vit 
Imnaformi'' en fondateur d'une école nouvelle, grelTiesorli 
vieux l.roQu classique, et qui, d'apréa un mot asseï malbim* 
reux du pnftle, fut baptisée l'école du bon sens. 

Est-ce & dire que la tragédie reprit possession de nol« 
sctue? Certes, Ponsard était classique d'inclination al 
du tetnpéruraent, sa première pièce l'avait sufflsainm?Dl 



montré. Il y revenait, i 



X unités (le temps et de lïcili 



LE DRAME ROMANTIQUE. i91 

que le classicisme lui-môme défendait bien mollement, du 
moins à la nudité de Taction, à la simplicité des carac- 
tères, à la sobriété du s tjle, à ces formes austères et symé- 
triques qu'affectait Tancienne tragédie. Pourtant, jusque dans 
Lucrèce, que les derniers classiques opposaient si bruyam- 
ment à leurs adversaires, bien des traces s'accusent de ce 
romantisme qui, Tauteur lui-même l'a dit, < avait eu ses 
premiers enthousiasmes ». Mais Ponsard essaya vainement 
de concilier la tragédie avec le drame; el cette tentative 
ingrate suffirait à expliquer l'infériorité d'un poète dont le 
talent consciencieux, si le mouvement et l'éclat lui font 
trop souvent défaut, ne manque, dans sa sécheresse et dans 
sa raideur, ni de force ni même d'audace. Il alla de 
plus en plus vers les novateurs, et Charlotte Gorday, la 
meilleure pièce que composa ce prétendu restaurateur de la 
scène tragique, est, malgré le titre qu'elle porte, un drame 
romantique bien plus qu'une tragédie. 

Ce qui devait succéder au drame, ce n'était pas la tragédie 
classique, mais un genre de comédie nouveau d'esprit et de 
forme qui, après l'irrémédiable décadence du romantisme, 
s'appropriera de lui-même aux tendances positives et réa- 
listes de notre époque. Le romantisme, dans la période 
même de ses plus grands succès, n'avait pas aboli la comé- 
die, malgré sa prétention de la fondre avec le drame. Mais 
elle n'était alors qu'un amusement sans portée. Elle se 
résumé tout entière en un seul nom, Eugène Scribe. 
Scribe fournit pendant trente ans à tous les théâtres, avec 
une inépuisable fécondité, des pièces dénuées d'observation 
et de style, dans lesquelles il montrait une incomparable 
adresse à brouiller et k démêler les fils d'une intrigue. 
Il eut le génie du savoir-faire. Uniquement préoccupé de 
divertir son monde, il fut le grand amuseur public jusqu'au 
moment où de nouvelles générations demandèrent à la 
comédie, non plus des marionnettes, mais des hommes, 
non plus la lueur factice de la rampe, mais le grand jour 
de la vie réelle. 




CHAPITRE VI 



Lu romniiliâiiie opt'r.i dans l'histoire une rérolulion non 
nmits iinirunile <|uo dans l'art théâtral; et, si la renais- 
sance lies l'iudes liisloriqucs coïncide aTCC l'ayènoraenl 
d'un nnuïcaii <lrann'. il oe faul pas »oir là un pur hasard : 
connue K' drame, c'est en sortant de l'abslraction mono- 
tone el raiiie que se renouvela l'histoire, en saisissant la 
réalité concrt^te dans tout le mouTemenl desonjenet dans 
toute la variété de ses couleurs. 

Durant notre époque classique, l'histoire avait été pure- 
ment rationnelle. Lus historiens effaçaient les traits parti- 
sulicrs, atténuaient les détails caractérisliquos, ramenaient 
4 je ne sais quelle unirorm:lé décente et plate les figures 
les plus divcrsctuent significatives des siècles passés. C'est 
ainsi que nos anciens poèmes représentaient sans aucune 
distinction Alexandre et Charlemagnc, que notre art du 
moyen âge donnait aux rois de l'antiquité profane ou sacrée 
la main de justice et les llcura de lis. Au xvii° siècle, le 
rationalisme cartésien vient fortifier encore cette tendance 
en réduisant l'hommo à ce qu'il a de moins individuel. Au 
XTm", Montesquieu signale l'influence des climats et celle 
dos religions; mais il reste dans le domaine de l'analyse 
■péculative ; c'est un criliquc, un pUîlosopljc, et non pas un 



^^B L'HISTOIAB. lïSl 

^^(priea ifoi recompose le Tivaut tableau des anciens âges, I 
1 A vrai dire, le xvw' siècle n'est guère plus sensible que le»fl 
(irdcédenls nui diyersitéa prorondes el multiples i^u'iolro-l 
duisenlla race, le temps, le milieu, dans la vie individucllel 
iiii collectife. Il ramène iasLinctiTement les faits, lesl 
uiœurs el li's personnages des temps passés ù ceui du I 
lomps actuel : Sésosiris lui apparaît comme un Lonis XIV, I 
Solo» comme un Turgot. Le père Rapin veut que l'historien I 
aille ( chercher le vrai dans le fond des cœurs ■. Quand I 
l'histoire n'est pas la science toute sèche des faits et des j 
dates, elle est un art de moraliste ëlëgant et disert. 

Il y avait d'ailleurs une incompatibilité naturelle entre la 1 
despotisme et la vérité historique. Au xvu* siècle, Mézerai I 
se vit réduire sa pension pour avoir inconsidérément parlé j 
des impôts, et le grand roi ne pouvait lui pardonner de | 
peindre Louis XI sous les traits d'un tjran. Le duc de < 
linurgogne, demandant un jour ft l'abbé de Choisy corn- | 
ment il s'y prendrait pour dire que Charles VI était fou : i 
■ Monseigneur, je dirai qu'il était Ton >, répondit l'abbé, et 
il aimait à ciler cette réponse comme le plus beau trait de 
aa vie. Au xnii* siècle, i'abbé de Saint-Pierre fut expulsé 
de l'Académie fraufaise, Fréret mis & la Bastille. Comment 
les historiens eussent-ils eu quelque liberté? Les poètes Ira* j 
giques eux-mêmes n'abordaient l'histoire qu'en tremblant, j 
CrèbilloQ a^ant commencé un Cromwell où il peignait en I 
traita énergiques l'aversion des Anglais pour les Stuarts, I 
reçut défense de continuer cette dangereuse tragédie. Au I 
despotisme monarchique succéda plus tard le despotisme I 
jacobin, puis celui de l'Empire. On a de Napoléon 1" une ] 
note impérieuse où, pour mieux < s'assurer de l'esprit dans 
lequel écriront les contioualeurs de Velly ■, il leur trace 
^^uauce le plan qu'ils devront suiïre. La monarchie absolue I 
^^Bt eu sea historiographes, mais il ne pouvait y avoir J 
^^Bloriens sans liberté politique. j 

^B^rès la chute de l'Iilmpire, l'inauguration d'un régima 1 
libéral favorisa le réveil des éludes historiques, vers les- I 
truelles le romaatisme naissant avail déjà poussé les cspritin M 



Mt lË MOUVBMBNT LinBR.itRfî AU Xir 
D'oilkura, les oommatious mtaivB qui »pn' . > .i- iii- 
tmtsroriner notre 6tal sorUl, soU de bonkv. 
btoris^reDt celle reoBiBSBoce, i Co «onl, ^1 
RtciU mSrofingieiU.ix soûl les Svénomcnla .lusrjuf-i.i minua 
du ciDfjuHnte dernières aonées qui nous oui appris h o>ia' 
prendre les révolutions du moyen âge, ft voir le fund dai 
cboseï BOUS la lettre dit chroniques. > Et ailleurs : • Il 
n'est personne parmi nous, hommes du xix* siâclc, qni 
n'en sache plus que Vellj ou Mablj, plus que Voltaire lui- 
mâme, sur les rébellions et les conquélce, le démenilire- 
ment des empires, ta chute et la rostanralion des ilvnui- 
ties. les nfiolulions démocratiques et les réactions en »cbs 
contraire. * 

Entre tons les hislorieos qui ont illustra notre siècle, 
Anguslin Ttiien? se rnltache le plus directement au roiiian- 
tisme. Il est romantique par sa conceptiou mâme de l'iiis- 
toiro, par le goût ■ju'il y porte du mouvement et du pillu- 
resijiie, par son culle pour le passé, jusque par son adniirit- 
tiun pieuse des monumenls gothiques, encore si miïprisés. 
Dâs le début de ses études, il s'attache à eltacer de son 
esprit tout ce qu'il a appris dans les livres modernoS) et 
il t [;nlre pour ainsi dire en rébellion contre ses maltret ■■ 
C'est le romantisme historique qui s'insurge contre les for- 
mules de convention et le style uniformcment pompeux it 
l'histoire classique. Les deui écrivains qui eurent le plut 
d'influence sur lui sont justement deux grands roman- 
tiques : Chateaubriand et Walter Scott. Il s'est représenté 
lui-même dans r.etto salle voûtée du collège de Biais, où il 
achevait alors ses classes, lisant à son pupitre, ou plutét 
t dévorant les pages des Marfj/rs i, éprouvant d'abord dd 
charme vague et comme un eblouiasement d'i m agi nation, 
puis sentant peu A peu s'écrouler en lui lout« son èrthéo- 
logic du mojen Age, saisi de plus en plus vivement A meaure 
que se déroule sous ses jeux le tableau de l'armée barban 
• où l'on ne distinguait qu'une forât de Tramées, des iioui ' 
de bétes et des corps demi-nus ■, quittant enfin sk p 




ynisraiHE. 

1 chnot lie guerre des Franks, pour 
I bout k i'aulrE! de la salte en ri'petanl A haa^^ 
voix:( i'haramoQil, PliHramoQ(l,Doua avons combattu a 
l'épéel > Et, apr^s avoir trouva dans Cbaleaubnnnd son 
pveinier ttiitiatcuc', il eut dans Walter Scoll ud guide et un 
maître, i Moa adiniralion pour ce granil ËcrivalD, 
dit lui-même, était proronde ; elle croissait a mesure que Ja 
confrontais daas mes études aa prodigieuse itilelligcnce dn 
passé avec la mesi^uine et lerne érudition des historieai 
modernes les plus célèbres. Ce fui avec un transport J'e 
tboasiasme que je saluai l'apparition du chef-d'œuvrj 
A'iuanhoé. » Lei MarlijTs et Ivanhoâ : l'impression ijiu 
produisirent sur lui ces deux ouvrages se retrouie loutd 
vivante en ses deux chefs-d'œuvre, les Récits des tempa 
mérovingiens et la ùmquile de l'Angleterre. 

Ce que faisaient les romantiques dans le domaine de Ili 
poésie, il le fit dans le domaine de l'histoire. Vers 1817^ 
désireux de contribuer pour sa part au triomphe des opiJ 
nions constitutionnelles, il s'était mis & chercher dans le 
livres des preuves el des arguments; mais il s'aperçut bict 
tAl que l'histoire, en dehors des inductions qu'il en tiraiH 
pour le présent, lui plaisait en elle-même, comme tableaq 
des âges passés. De 1817 k 4830, sa vocation se décida avafi 
une force irrésistible. < Planter pour la France du xtx' siècld 
le drapeau de la réforme historique •, telle était dés lorC 
rsmhilion du jeune historien. Réforme dans les étude^ 
réforme dans la manière d'érrire ; guerre aux écrivain) 
sans érudition qui n'ont pas su voir et aux écrivains sai 

Hgination qui n'ont pas su rendre. 

U commença par indiquer dans ses Lettres sur J'Aû^otn 
francs le sens de cette rénovation qui devait porter e 
e temps sur le fond et sur la forme, intimement li _ 

l à l'autre. En remontant aux sources, l'historien relrou- 

|ît Ift vérité, une vérité tout ingénue, dont les préjugés, 
Mjnvcntions et les bienséances factices n'ont pas encore 

K la rudesse ou fardé la candeur ; il la retrouverait aoib 

I senlement dans les dates et les faits matériels, mau 




iM IX woiïVEiiErr un :-_ ^L J 

dut! loi nKMirt, isn* U coflntne, dans l<" 
Icniporninc*, dam liiut ro qui |muI 1b Tsiti' 
wui «Tcc liiule In fratr,h''ur et l'otiiniatiiiii .. 
I îmil de l'art en luâiiit: temps qHu de la sciui>04ii tl sera» 
drKiitati<)ue ù l'aiJe de matériaux fournis (ipir noo élndo 
dinctc et lincjre. 

La tniilbode que coiisuilloit Aujjmslin Thicn^, il fnt le 
fiteiuier A la iiii^ilrc en praliqnv. Ce qaTl «eut ilans ta 
Conquête de {Angleterre, c'est comiioser une sorte d'épopie 
ud tout eoil d'accord aiec la vérité liistoriqne la plus scrn- 
puleiuo. Au mouvement épique des historiens grecs et 
fomnins î] nilie la couleur naïve de* légcndnires et U 
sAvère raison des historiens modernes. Il s'est fait un st/le 
grave snns cmplinse oratoire, simple sans nITcctatiou l)'■^ 
cbAologie, It point les hommes d'autrefois avec la pliymo- 
oomie de leur temps, mais en parlant luj-meme la langoe 
du «icn. Il multiplie les détails jusqu'à épuiser tes testes 
originaui, mais sans éparpiller le récit et briser l'unit» 
d'ensemble. Il répudie et la forme philosophique du 
XVHI* siècle, et la forme littërairc du xvii* : ni disscrtslions 
hors de l'oiUTre pour peindre les (^iiïérentes époques, ni 
portraits détachés pour représenter les différents person- 
nages. Avec lui, les hommes et les siècles euz-mdmet 
enlroul en sci^nn dans le riïcit. Il ne croit pas qu'un histo- 
rien puisse d'aboril bien raconter sans peindre et en.suite 
bien peindre sans raconter. Il peint tout en racontant, e( 
■a narration même est une peinture. 

Dans les Récits mérovingiens, ce qui l'a tenté, c'est d* 
mettre en œuvre les faits locaux et les traits de mcenn 
que fouroissail Grégoire de Tours. D'autres s'étaient déj& 
approprié le fond des dioses; mais Augustin Thierry se 
préoccDpc surtout de la forme, qu'il veut rendre pins nette 
et plus vivante. Les nécits mérouingiens sont une suite de 
inbloiiux. MnniÈro do vivre des rois franks, existence ora- 
geuse des seigneurs et des évoques, inlngonlc turbulence 
des Gallo-Homnins et brutale indiscipline des barbares, 
•orte de retour fi la nature et insurrection dos volontéi 



^m L-HISTOIUË. 197 1 

^Hli VI duel les contre Ja loi «ociale, voilà ce qiti avait! 

< eéduit l'nuleur quand il couçul le aujet et le plan de sool 
ouvrage, voilà ce qu'il clierclie à peindre. Et, pour alteindi^| 
celle réalilâ expressive à laquelle il vise, il s'adresse noqfl 
seuIcmcuL aux cUroniques, aux cbartes, aux papiers d'ËLatifl 
tuiiis encore aux léj^endes, dans lesquelles l'alléraliool 
(les faiU ne nuit pas & la véritë des tableaux, et mâmft* 
aux poésies contemporaines, d'où, il lire sans scrupule de^| 
Irails de couleur locale. De là, le mouvement, l'animalion,-! 
la vivacité saisissante de ces recita; de là, le vigoureuzl 
relief de ces personnages que rend à la vie l'art du narcaleu™ 
et du peintre servi par une sagace érudition. I 

Son imagination et sa sensibilité font d'Augustin Thierry:! 
comme le contemporain des aïeui. Il s'associe inlimemeatl 
H leurs joies et à leurs tristesses, t Toutes les l'ois, dit-il, ■ 
qu'un personnage ou un événement me présentait un pcul 
de vie ou de couleur locale, je ressentais une Émotion invo'fl 
lonlairi;. > Pendant que sa main feuillette les pages de» 
chroniqueurs, il n'a aucune conscience de ce qui se passsfl 
à ses cdtés, il ne voit que les apparitions évoquées en lu» 
par sa lecture. Promenant sa pensée à travers ces millieral 
de Taits êpars dans des centaines de volumes, il ressemblai 
au voyageur passionné devant lequel s'ouvre enSn le pnj'al 
qu'il a longtemps souhaité de voir et que lai ont si souvent! 
montré ses rêves. Autour de lui s'amoncellent les docu4 
Djcnts couverts de poussière, 11 y retrouve, ensevelie depuial 
tant de siècles, la vraie histoire nationale, celle oA l'oaS 
sent battre le cœur des peuples. Ici, c'est la civilisalioitl 
^allo-romaine réagissant contre la barbarie franiie, aveofl 
le contraste des mceurs, le conflit des races, la mâlée des! 

I liassions qui se heurtent. Là, ce sont les Bretons, chantann 
? harpe l'éternelle attente du retour d'Arthur; les! 
tuands, mesurant la terre au cordean pour en faire lc« 
mptant par têtes les familles comme un bétail f! 
9, regardant d'un œil sombre l'étranger s'asseoir en! 
ï leur fojer, ou se réfugiant au fond des bois ponn 
e eomme les bups. Augustin Thierrjr «• le premieifl 




Intr. - I ;-«rieure ilu ram, qo) 

I r:une. T':u1e« «m préili- 
loftpriaié : c'ett le peuple 
«Miqiui qa'U Mal rstrooTer «n raconUat la roitquAte. Da 
le MO* divjiM(«i]r de lu sTuipathie, l'intelligence ie fàme, 
la facallé d'iMre étaa. <le se rept4Miil«r non pu senkineDl 
la foftnes et lei conleors, mû» aouï l«s jMSuons. A l'ima- 
(^«[ion des ytnn il sstode celle du cœur. D'«Dlres (lous- 
«rronl I analjrjte pltu avant: mùf rintlialive vicat délai. Il 
a ilonnâ le lirant». Il « fait de la eom|iosition hislariqac on« 
eutred'artet de «cieuce dans Uqaelld l'exactitude m&téridle 
est aa inuj'eD d'atteindre ta térllé mornle en donnant aui 
dT^nemeDlji leur signification, leur carnclèrc i>illoresque, 
leur Tic enSn, cette rie animée et dnitiiatiqoe qui ne doit 
Jnmaî* manquer au spectacle des choses humaines. 

Uniquement aoucieui de raconter les événements dani 
)«ur loccesaion naturelle en se dérobant lui-même derrltre 
«m, Bsranto est par etccllenee le représentant de la 
méthode narrative. L'histoire, comme un sophiito docile, 
a'cit (irétée t toute dénionatratiou ; il veut laisser les Cijti 
parler d'eux-mêmes au lecteur. Ce qu'il a de mieux è fei«, 
c'uat de rcproiluire nos vieilles cbrouiques avec leur savenr 
ualre, en lea complélaut les uiies par les autres, en y recti* 
fiant les erreurs de faits ou dâ dates, en j portant l'ordK 
et la clartii. Il détache de nos annales une des époques Ut 
pitis fécondes en éréuementg et en résultats, et qui 03t ausai 
une des plus riches en chroaiqueurs. Il choisit pour sujel lei 
proffi'ès et la chute de la maison de Bourgogne, et donne 
ainsi ft aa narration une unité qu'elle n'aurait pas eue h 
titre d'hialoire générale. Il prétend lutter d'attrait avec le 
genre île Wulter Scott; il veut unir dans son ouvrage* 
tout le profit Je l'iiistoire tout l'intérêt du roman historique. 
Ou lui reproche son ahatention, cette impersonnalité mémi 
dont il se pique, un offacemenl de soi par trop scrupuleux 
qui tcniKIe exclure tout Jugement moral. Répondons avec 
lui-même que l'historien, quand il présente les faits claire- 



L-HBTOiaB. 

it et les dispose doiia uu ordre coiivenable. siieç'" 

I^UK les riSUeiion» dont il a voulu a'abslenir. Bnmntti 

;e qu'il D'est point rest.S indilféreot ■ à la graudéJ 

m ji]ui occupe et absorbe tous les esprits >, ce)Iu dal 

r d de la liberté, ou. pour mieui parler, de la CorceJ 

■ le Ujustice. De fait, s'il semble n'avoir d'autre batqns^ 

I <'\;ioser les événements, aucune dissertation ne ferait* 

-omprendre mieui que son récit le besoin qu'avait la France! 

I régime plus équitable et d'institutions moin 

Bives. Peut-être ne transposerait-on pas sans péril ft I 

s exemples la variâté nouvelle qne Barante intro-A 

jfùt dans l'histoire; maïs nous pouvons conclure e 

kte-Beuve qu'il eu a su rendre l'eiccplion beureuse et I 

nnte. 

^ndis que l'école pittoresque se prend de préférence aatM 
[ passions, aux circonstances distinctives, 
i caractéristiques qui peuvent illustrer la narration, I 
bistoriena de l'école philosophique se proposent, noa I 
I do raconter et de peindre, mais de rechercher les 
pioode moral auxquelles se rattachent les événements I 
Briques. Ils commencent smus doute par Étudier les faits; F 
} n'est là pour eux qu'un travail prt'pnraloire, eti 
f véritable fonction consiste A grouper ces faits, & les I 
mer selon les vues de la raison humaine, & rètabliFl 
s grandes lignes le plan général d'après lequel i]iM 
lonl déroulés. 

a des écrivainsantérieui'savaieat, eux aussi, demandai 
Bévénements des lefous de morale et de politique. Moisi 
riaient dans l'histoire leurs préjugés et leur p&rtifl 
bîls violenlaient les documents pour les accommoder&l 
5 préconçuL-s ; ils n'avaient pas cette largeur ii 
:t ce désintéressement de l'esprit sans lesquels 
k point de véritable historien. Ce qui leur munquait e 
Kpour pénétrer dans l'intelligeace du passé, c'est lu goQt I 
nens des originos, qoi sont l'Orne de la science historique, r 
ire exprime l'opinion de son temps quand il dit qui 




«M LB WlUVnEffT UTTtlUlBB AU XI 

llibtoire dcspranien uèdc* del*èK moderne « 
pu plu) â'Urn éaiie qae f.àit dM oura el dn toopt ■■ 
CMIk aTirnion pour Ici kgtn barl'Rm, ce d^iinin dv*c)tf 
■iquei pour toat ce qui ne cadrait pas bt?c la polîlesee eti- 
gule de leur cÏTitisatioD. relnrda juaqu'A OoLre siècle !■ 
renaissaDce des études liiatoriqu«a, qui, pour 6lre féconds, 
devait s'altacber tout d'aburd à débrouiller nos «Dlitjaltéi. 
Fins libres d'esprit et moins dégoOlés que leurs devaiiciefi, 
éclairés d'ailleurs par les grandes mutations dool ils avaient 
élé les témoins, dos historieos retrooTcot la tradition do 
ce* époques confuses dsos lesquelles on ne voyait aTaateui 
que (éaèbres inipënélrables ou rebutante barbarie, et c'est 
ainsi que l'école pbilosophiiiDe de notre temps inaugure une 
coDccplioo de l'histoire plus libérale parce qu'elle est moini 
aaservie anx systèmes, plus solide parce qu'elle repose lur 
l'élude approfondie des documents, plus pÊnétraute pai» 
qu'elle juge les révaliilions antiques à la lumière des tin- 
lulioas modernes. 

Cette école a pour chef Guiiot, qui partage atec Aaguslift 
Thierry la gloire d'avoir renouvelé les études historique!. 
L'ua était an peintre, l'autre un penseur et un poli- 
tique, Gnizot cherche d'abord un fil conducteur daos la 
labyrinthe des faits : il veut ramener l'histoire de la ciiiU- 
aation eu France et en Europe à certains éléments coitsti- 
tulifs dont il suivra la marche parallèle à travers les ftgei' 
Ces éléments sont au nombre de quatre : l'Ëglise, Il 
royauté, la noblesse, les communes. 11 y rattache tous les 
phénomènes historiques dans leur infinie diversité. Les 
quatre facteurs primitifs rendent raison de tout. De leurs 
groupements ou de leurs conflits respectifs dérive notK 
histoire. Le progrès conaiale dans leur évolution continue 
et pour ainsi dire fatale, et le meilleur régime social est 
celui qui parvient à les équilibrer. 

C'est du haut de sa raison que Guizot considère l'hisloiie. 
Il CD voit se dérouler devant lui l'ordre harmonieux dans 
lequel viennent se fondre les irrégularités de détail et 
les apparentes dissonances. Son esprit méditatif et génS- 



t considère les faits ncm en eus-mâmc8, dans leur 
gence [lassagère, mais toiume l'expression de loii 
ntes [fui seuka peuvent en douncr le g<>tis. Il les 
: idées; ij en saisit la leneur. l'enclialtii^cuent 
T et systématique. De ce naseau eacbeviXré il Tait 
e un solide lissu de déductions rationnelles. Il règle le 
\, il discipline les masses tumultueuses des ëvénC' 
qui marchent sous ses yeux avec une docile assu- 
daiis les roules que sa ferme sagacité leur assigne. 
, impréTO des choses, caprices des hommes, rien 
I ces lignes fondameotnles que la haute raison de 
iuu a tracées et dont sa profonde analyse Térjfle 
blement la justesse. 

généralisations de Gutzot s'appuient sur une science 

!Ûre qu'étendue. Mais il a cherché ses principes pi uldt 

sus qu'au dedans des faits. C'est la mélhode elle- 

K qui prête aux critiques. Une histoire systématique ne 

Pmanquer d'être fausse. Si vaste et si sagace qu'on 

pose l'érudition de l'historien, quelque prudence qu'il 

srve dans le passage des faits aux lois, toute construcUon 

onnelle est condamnée d'avance a n'atteindre qu'une 

. de la vérité. Les formules générales ne peuvent 

comprendre tous les phi^noraénes particuliers lur 

1 veut leur donner prise. Si Tbistoire est U119 

!, elle ne saurait l'Mre comme la géométrie ; ells a 

domaine un monde dans lequel interviennent laa 

!s particulières, les passions individuelles, tous Ul 

lents de l'honame et lout<;s les incartades de la det- 

Qni pent se vanter d'nvoir trouvé la ligne idéale an 

pmme en de(& de laquelle il n'y a plos que déviation? 

rre de Caiiot, bien de» partie» sont vritimenl 

Louoos-Ie d'avoir si fortement appliqua ■& 

\ géoéralisatrice h tirer l'hl.iluire du 'Jiainp dct 

]■ et des doutes pour lui donner une a*sie(t« «olide, 

'dêfioni-Doiu pourtant du ce plan trop «impie qnll 

ense complexité dm faits, et dout les traita 

■ fotmeDt comme des maille* pur oA paiiw to«t 



m U HOUTBHBn UntRAIM AD m* SIECLE. ' 
W qno (n cliOMt homaini!* reiirerm«iit d'scdilsitd tt 
d'nitrKTHfinl. On Ml «i enclin k iiroclainec nAccunîn) « 
^i arrîTr. impuvsihle ce qui n'obuutit [itu, et, pu celu 
néKiL- i[u'une chose l'eil fkiu de telle ntaitiéfe, & itdata 
qu'il fiiilail i|ne celle cbose >e ftt et ^'elle ne poonit 
K raire aulrement I 

Gubut porte jusque dam wa récits les mfiinea préocca)»- 
tioRt. L'Ilùtoire di la RiuoliiUon d' Angteterre est coatat 
contiue une Uièse de mécanique sociale. Ce qu'il n:i>l> 
(s'eat rttchercher < quelles causes oui donna tt la monarcbiE 
uglaise le solide «uccèa que la France et l'Europe poursov- 
venl encore >. Il ne faut lui demander ni de vives peiolsra> 
ni dtta scrnes animi^es. Ëlrangi'r k loule curiosiie camniet 
toute pasBloo, il supprime l'élémenl dâcoralif et dramatique 
lie l'hiHlaire. Loin de déielupper les ëiënements, il met 
(oui son art â les condenser ; il en Tait non pas des tabluïiu 
ijiii parlent ft l'œil, mai» des résumés sjsléma tiques qui It:! 
subordonnent A quelque théorie rationnelle. Content de 1» 
dominer, il ne s'j mflle point, il les regarde passer su- 
dessous de lui. Il ne raconte pas, il dogmatise. C'est un 
philosophe et un homme d'Ëtal qoi cherche, non des 8p«c> 
lac les, mais des leçons. 

Ls conception que Guidât s'est faite de l'histoire indique' 
rait assez d'elle-raâme quel est le caractère de son style, il 
écrit aiec force, avec grandeur, tans éclat. S'il manque de 
chaleur, c'est qu'il considère les éTénemenls avec (a séré- 
nité d'un juge; s'il manque de mouvement, c'est qu'il 
n'attache, non pas & rendre le tumulte des choses hnmai- 
nea, mais à les flier dans un ordre immuable et déSnilif; 
s'ilmampie de coloris, c'est qu'il fait de l'histoire an enchat- 
nement d'idées et non une succession de scènes. Les idées 
lui fournissent, non des couleurs, mais des lignes, un desaiD 
ferme, un peu raide, où nous retrouvons, non pas ]e mobile 
tableau des faits, mais la raison grave et hautaine de l'his- 
toriou qui les régente. Les idées ne se peignent pas; Guizol 
les grave d'un trait sévère. Sa diction est l«rne, abstraite, 
monotone; il répand sur tout je ne sais quelle teinte grS- 



L'HISTOTBB. 



lOS 



mne écrivain, [in.s plus que daos sa. conception 
lie l'histoire, si le goùl ni l'iatelligeiiue des rorines extâ-J 
rieurea. Mais, si Giiizut n'esl rien mofns qu'un arlisle. nouai 
retroiiTons dans son style loitlcs les qnalitës du philosophe, ■ 
nnù puissante rectilnde, une Ëlâvatioa sans dâraillnnce, ttnqfl 
imposante autorité, [l'est le style d'un calviniste et d'unv 
Jnctrinaire, d'un historien qui a toujours fait prévaloir l»J 
ihéorie sur les faits, et assujetti le mouvant spectacle den 
piiënomènes partîculiersà l'austère fixité des lois généraleal 
par lesquelles n prétend en rendre compte. I 

Hignet est de la même école que Guizot. A ses yeui,l 
l'histoire procède < moins par des récits qui plaisent oui 
par des peintures qui émeuvent que par des recherchesl 
approfondies qui pénètrent les causes cachées des événe-l 
meots au moyen de considérations qui en font saisir l'en- 1 
chafnement et la portée >. Dès son premier grand ouvrage, I 
$e révèle la maturité précoce d'un esprit tourné vers ce quel 
' histoire oiTre de plus substuoliel à la raison. Il prend toutl 
■ i-ibord pour sujet une époque presque contemporaine,! 
notre Révolution, si confuse déjà par elle-même, si grosssl 
i^ncore d'orages, et dont il était à craindre que Ips rancuneil 
luojours vivacea, les fanatismes toujours menaçants,.! 
ne troublassent encore la vue du jeune historien. Le premier, I 
il débrouille celle mêlée obscure, il organise ce chaos. I 
h'Histoire de la Révolution révèle déjà ses qualités caracté- I 
ristiques, et surtout l'art d'éclairer les faits en les grou- I 
pant. d'eu tirer les hautes lefons qu'ils renferment, d'en M 
:indenser le sens en formules décisives. On trouve plus de I 

ilcur cl de chaleur chez d'autres historiens, mais cbeil 
:<j<:un plus cieclorf^. I 

Les Nésocialions retalivet à la succeuion ^Eipagne o'«UB- 1 
sent été eu d'autres mains qu'ua recueil de papiers încdjts. I 
Cel esprit amoureux d'ordre, et qui a la faculté d t eiu-l 
brasser les vastes ensembles >, fait avec des pièces d'ar-l 
cbivea, en les reliant les unes aux autres par de luniineui I 
exposés, le plus grand monument de la politique frantaÎMl 



•H LB HOUVEHENT UTTftttjLlRE AU ] 
fOUi LouU XIV, une liiitoira ma^strale oit l'arl <t<ml^ell 
T*l«ur lies ilucuments ipi'il met on œuTrc. Ëlu sccr^liite 
|icrp^!ucJ pnr l'Acadéniio des scieDcrs morales, il troDTB 
un ovurd euiplol de «on talent dans los éloges des auuU- 
uiirJeDs. Il i^lËve ces DoUcei à la hauteur de l'histoire :11 

■ rattache les év^Di^raents publics k des biographies particu- 
lières*, il ' montre le mou vemeDt général des idées dansln 
teuvres de eeui ijui ont contribué â leur déïeloppemont i. 

Les ouvrages propremeot UUtoriques qu'il composa dum 
la seconde tiioitié de sa carrière marquent une phase non- 
rdli!. Aui précis èlègaut^ el sagaces, mais un peu serrcj 
dans leur furie cl sobre coolinuitè, aux travaux où les docu- 
nieiils altenienl ayei: les récits, qui doiTcol soit en rem- 
plir les intervalles, soil en éclaircir le eens, succèdeat liu 
cuuiposilioDs historiques de large ordonnance et d'ample 
développement dans lesquelles l'auteur s'assimile tnutf 1> 
substance des textes sans inlerromprc sa narration pour 
nous les montrer. Mignet j uuit l'inldrfit dramatique dl 
récit 4 la hauteur des vues et à la portée des jugement*; 
il concilie le talent de raconter les faits avec J'apliluile I 
eo dégager les lois. Tout en restant idéaliste de mélliodc 
comme il l'était naturellement d'esprit, il maintient l'hislairi! 
sur son terrain solide, il se prémunit contre le danger de 
l'idéalisme transcendant en choisissant toujours ses grande 
sujets non dans le domaine de la théorie, mais dans celui de 
la réalité concrète et Tlvante. 

On lui a reproché d'être fataliste. C'est là l'écueil d» 
l'hisluire philosophique, portée par son esprit même A 
enchaîner les faits avec tant de rigueur qu'ils sembleol 
s'engendrer fatalement les uns les autres. Les premier; 
ouvrages de Mignet, notamment son Hùtoire de la Révolu- 
tion, donnaient prise à cette crili«gue. Luî-mëme disait : 

■ Ce sont moins les hommes qui ont mené les choses que les 
choses qui ont mené les hommes, i Mais il n'en rëseCTBit 
pas moins A la volonté humaine une part qu'il Dt de plui 
en plus grande. Sa philosophie générale consiste juslemeo 
dans une conciliation du libre arbitre avec • l'acUoi 



usleme^^ 



l'de l'humanité vers dea flos supérieures '.A ses 
I" " syslAmn • de l'histoire est niicessaire parce qu'il osl I 

ri'videntiel; mais, si la Providence Imprime ù l'iiuumnitè ] 

1 ilireclion soprfline que no sauraient modifier dos i 
hii<.'ii piirliculiers. il 7 a place, entre les grandes lignes ijua I 
ili?tormine celte direction, pour l'ingérence des volunlés in- , 
ilividuelles, pour ce que nous appelons le hasard. 1/inflexl- ' 
'■'Wé du plan d'ensemble laisse leur libre jeu à nos passions 1 

' \ nos interdis, que dominent de haut les infaillibles dea- ' 

. m» de la angesse divine. 

l.a composition historique telle que l'enlend Mignct est J 
moins une science qu'un art, ou, ponr mieux dire, e'i 
iirt qal suppose une science. Artiste par son talent de rap-I 
prochcr et d'éclairer les faits, il l'est aussi par son style, ^ 
(inot la savante arcbilecture semble calquée sur ce qu'il 
ii)<!>dle la 1 partie Qie • de l'histoire. Il n'a pas pense que 
l'tiilùrfit des événements ou la portée des réilciions 
'(('pensât l'historien du souci de la forme. Il cherchait k 

ii^'it en mâme temps par le style celte vérité idéale que J 
Mrsuivait sa haute et ferme pensée. S'il pèche, c'est par I 

\cis d'art; il est maître de sa diction, mais on sent qu'il 1 
la maîtrise. Rien do Uche ni d'épars; aucune phrase fl 
quil n'ait savamment équilihnie, aucune expression qu'il I 
n'nith dessein choisie. Mignet discipline les mots I 
rnmme il ordonne les faits. L'écrivain chez lui, aussi bien I 
>lQe le moraliste, livre le moins possible au hasard. Ne cher- 1 
riions pas dans son œuvre la facilitË courante, l'agrtimcnt I 
îles nËgligcnces heureuses, un charme du spontanéili? ou I 
d'imprévu qu'il serait injuste de demander A cet esprit! 
i.'^senliellcment appliqué et dogmatique. Admirons plutât I 
tiiiu éloquence mâle et nourrie, qui allie In gi'ftce A la force, ■ 
^MtaKiicc K la gravité, la concision à In plénitude. 1 

^^Klfigoet subordonni' lu matériel de l'histoire A la v^ritâ I 
^^^usotlamobililédcsdétailsaiarcclitudedo l'ensemble, 1 
^^Hp poursuit au conlrairo la reproduction i^iacte do la.1 
^^HBjnqne dans ses traits les plus minuticuset duos «M J 



m Lx MotivKHeitT t.irrttBAinit au xiv nteiitl 

pha varUUeé ^codiUdms, Ce n'pst ni ud peintre ni uni 
•o)ilie; c'est un • rapporteur > ndmiroblcment infornit,' 
resprit curieux Ot net B'inlére«se & lout et se tii 
couraot il« loul. MJgnot avait raconté In RëtoIuIIoq ea den 
rolomos, lans autre visée que l'intcrpn^lation ratlonnall««t 
pt^chologïiiue dea {ails; ThieraTait entrer ilane sud iaimcnR 
ouvrage toute la partie posîlive de l'histoire avec une uboii- 
■lance et une précision qui tient du fac-similé, A se» yt-ui, 
cette partie mérite plus l'attention des esprits a^rieui que 
le cAlé dramRti'jue, • Je n'ai pas craint, dit-il lul-ufine, 
de ilonner jusqu'au prix du pain, da savon et de la chu- 
dette-.. J'ai vu que c'était uu essai h faire que ceint delà 
vérité coniplfité. > Cette multiplicité de détails qu'il juge 
nécessaire k l'exactitude liistorique se concilie d'aillenra 
chei lui avec une ordonnance k la fois simple et imposante. 
L'inOnie vnriêti' des objets qu'il emlirasso semble concourir 
d'elle-même k l'unité d'un ensemble qui se déroule arec 
autant d'aisance que de grandeur. Comme rien n'embsrrasH 
(on universelle compiïlence, rien n'altère non plus la nelieU 
de son dessin et ne trouble le courant de son stjle. 

Parmi toutes les facultés de l'historien, celle qu'il apprÉcl* 
au plus haut degré, c'est l'intelligence, L'intelligence (et il 
prend le mot dans son sens vulgaire) est à ses jeux le vrai 
l^éoie de l'histoire. Elle entre dans les secrets des QnsncM, 
de la guerre, de la diplomatie; elle fait toucber du doigtu 
lecteur les ressorts les plus cachés, les plu.>< impereepiililti 
rouaRca du mécanisme administratif, politique et social. Clic I 
ta toujours droit au fait, i la notion précise, au détail d^ [ 
constancié. Qu'est-ce, par exemple, que la louange on le 
blâme pour les grandes opérations militaires, quand ils n'"nl 
pas été précédés d'on exposé pratique? De vaines et puériles 
déclamations. Si Thiers s'extasie sur le passage des Alpes, . 
00 n'ust qu'après avoir calculé le nombre des lieues, mesuré 
l'épaisseur des neiges et la hauteur des montagnes, compté 
les pièces d'artillerie, les voitures de munitions, les ttmrgaW 
de vivres. Il a étudié la guerre avec le général Foj et Joûlll, 
lidiplomatie avec Tallcjrand, la finance avec le baroa Ll 



L'HtSTOniB. SM 

].i politique no peti pariflal. Il ne considère mSme pasThisJ 
loin? ruiume un genre liLl<ïrnire ; si elle allciiil la beailM 
il'nrl, ce doit élre sans l'aïcu de l'historieû, c'est par M 
seul effet àe la Térité reproduite avec une lucide ciactJtaJsJ 

L'intelligence n'est pas seulement préTérable à toutes lefl 
autres qualités, mais encore elle les amène à sa suite. Aven 
elle OD démâle le rrai du faui, on saisit te caractère defl 
bommes et du temps, on donne k chaque chose na vériJ 
labié proportion, on trouve l'ordre le plus naturel et pam 
suite le plus beau, on saisit mâme ce pittoresque, le seafl 
appropria à l'histoire, qui naît spontanément d'uae obser-J 
vattoQ Adèle et profonde des événements et des personnage^ 

Tout saisir pour tout expliquer, tel est l'idéal de TbiersS 
Le besoin de comprendre est si fort chez lui qu'il ne laissa 
presque jamais place au devoir de juger. C'est unm 
faiblesse de son oeurre que celte neutralité morale, qua 
celle inertie d'uae conscience qui se laisse emporter oïd 
courant des faits accomplis, 11 manque dans Thiers cei-j 
laines protesUliona nécessaires. On est si près d'absoudra 
ce que l'on a si bien compris, ce que l'on explique si bieafl 

• N'n;ez qu'un souci, disait-il, celui d'être exact. Ëtudiefl 
bien, puis appliquez- vous à rendre scrupuleusement. Alleu 
allez toujours comme le monde; ne songez qu'ft être vroiJ 
L't vous aurez été ce que souL les choses elles-mêmes, intéJ 
rcssast, dramatique, varié, instructir, pittoresque. • La 
moindre artifice lui répugue, la moindre prétention da 
l'historien le révolte. A ses yeui, la qualité essentielle du 
style, c'est de ne jamais être aperçu ni senti : le sljle n'u 
d'autre but que de montrer les choses. Il n'y a guère cUefl 
lui de pages à détacher. Point de portraits complaisanM 
ment tracés, point de tableaux prestigieux, aucun morceafl 
savamment poussé à l'effet. Il ne vise pas ft se faire admirerl 
Il n'appuie pas, il ne s'applique pas, il ne cherche ni M 
relief ni la couleur. Son récit & la fluidité et la IraoEpa^ 
rence de l'eau pure. Il écrivait fi Sainle-Bcuvc : < O'esM 
une immense impertinence de prétendre occuper si lonJ 
h'uement les autres de soi, c'est-à-dire de ^on svli' i. CM 



LK «OUVK«RW l.lTTÉn*niE AU SIX' srfrflt." 
dëdÙD lit! l'nrif|ai ne l'cinplnin ita* iinii|uerii>? : -..: 

le naturel, oiplîquo le» H^rmiU de m iniini^r< 
tanoc, chez lui. est ao<iTL-tit iOchr ; il 7 n ilnn - 

I de laisse r-iil 1er. Sa négliaenoe va parrois jusqu'à i irjciirfr- 
tlna. Nulle [><irl un n'a l'impressian d'uue Tonne dulIniliTii. 
• ti suis convaincu, n-t-il dit, qae les plus beaux rcrs, lu 

I plus Ir&railltïs, ne coulent pas plus de peine qu'une maditsU 
phrase do récit. > On ne seul aucune peine chez lui, et u 
n*eil certes pas un reproche 6 lai adreiser; mais trop d» 
derauu nous font douter qu'il en ait pris. Nous Toudrioni 
qu'il eûl tiiïacë bien des redites, corrigé bien des oégligencasi 
i*Ingué bien dus longueurs, qu'il eût donné k l'expression plui 
de (ixilé, plus d'accent, plus de trempe. Ses défauts sont d'ail- 
luurs liés h de Letles qualit^'s de libre mouvemenl el dt 
Dalun;!, de souplesse, de simplicité traiispHrente, qu'ils ti 
Ibndcnt pour ainsi dire et disparaissent dans le cournal 
large et continu du récit A considérer l'histoire commï 
ancicuvrc dVxposilion pratique, qui, procédant delà seuh 
iDlGlIiijODce, s'adresse de même h l'inlelligence seule, nul 
doute qu'il n'en ait rempli la perrection. S« maDJèn 
d'écrire âilemâme, saur quelques tacbes légères, dcvicnl 
alors le modHc du genre historique, et l'on peut dira it 
lui que c'est un grand écrivain qui n'a pas de st^Ic. 

De Thiers à Michelet, il j a la dilîérencc d'un, praticien 
h no poêle, d'un esprit qui a besoin de tout comprendre li 
un cœur fait pour toul Benlir. L'un se rcpri^scnle atee 
une clarté merveilleuse des faits, des opérations, loute 11 
partie active et technique de l'histoire; l'autre se tlgutt 
avec une extraordinaire vivacité l'âme des hommes el i:d]e 
les siècles 

Ce qni caractérise avant toul Michelet, c'est l'ima^d- 
nation. L'histoire, pour lui, ne fut de plus en plus qu'une 
âvoealinn tnngique des âges passés. Sous ce poêle, il jb 
Un érudit : il a tout lu, tout déchiffré; trava-lleur inbll- 
gable, il puise toujours aux sources, et nul 1 
disposé que lui ft méconnaître la valeur des documenta a 



L'HISTOIRE. SOI 

d As cea docuiutnU 

d 1 p i-ipressives et 

u n pp D très procèdent 

anal en p à p u dans l'ialelli- 

b m n as ni uu ensemble 
: la pa a j tap o d p s qui le constî- 

Uicbelet a le génie de l'intuitioD ; il loil à pleis et 
il coup d'tBÎI, comme à la lueur d'un Éclair, tout uo 
lage, tout un peuple, toute une époque biitoriqae- 
ocalioD fut précoce. Il en avait dcjù le seittimeot 
rlorsque. ■ dans ce Musée des montimeols français, 
lieureusemeut détruit i, il recevait ce que lui-m£me 
I la vite impression de l'bisloire t. ■ Je remplis- 
St-il, ces tombeaux de mon imagination, je sentais 
Mis k travers les marbres, et ce c'était pas sans 
Fque j'eolrais sous les voûtes où dormaient Dagobert, 
'3 et Frédégoode. > Il y avait en germe dans cet 
lerveux et hallucioâ le futur visionnaire qui fit de 
1 une réaurrection. Aucun artiste (c'est un nom 
mait à se donner) n'a eu au même degré le senli- 
ie la vie, non pas seulement delà vie iudividiielle, 
e vie collective que son goût des personni- 
I symboliques prête aux races, aui siècles, bqx 
I idées de progrès, de justice, d'amour fralernel. 
'antres l'imagination est plus volontaire et plus 
; chez aucun elle n'est aussi souple, aussi spou- 
Imaginer, c'est pour ainsi dire la ToDclion normale 
^prit. Il ne saisit bien les idées qu'en les convet- 
fln images, ou plutôt c'est sons la forme d'images 
1 entrent dans son cerveau. Les symboles qu'il con- 
Q pas de fruides entités, mais de vrais person- 
ionl il se représente avec une vivacité prestigieuse 
brmes concrètes, soiL les instincts et les seiiLimeuts. 
, son imagination te don de voir et de faire voir ; 
1 la faculté de revêtir tour à tour les nersonnalités 
jsleDces les plus diverses> 

lelle d'un artiste 



itO LE HOUVEUBNT LITTËRAWS AU XIX* 811 
untqDomcDt captiva par le ipectacle da monde eto^tnn* 
nnt qu'une juaissapce pour ses jreui. Elle lient do ransi 
bIIo mi jiToîoaàémtnt imbue d'ua« leDiIresït; cl J'noc pilit 
toujours- prSUî h s'émoaioir. Michtlct ne vit que par !e 
eenlirnenl. Si son esprit • entre dans toutes les iludriocf ii 
c'ett que bod Adic ■ se pasaioane pour toutes les alTectloiU '- 
Il a le génie de la sj'mpathie. L'intelligence chez lui eil 
comme une Torme de la seusibilité. Il saisit les chaiei (lU 
r&mour. Il De comprend qu'6 force d'aimer. Dèi ton 
enfance comprimée et soufTreleuse, il sent une irrésistible 
ardeur de dévouement qui le porte de prëféreoce vers tes 
Tailikiet lesdâsbérilËs de la terre. Toute sa philosophie puli* 
tique se raaiine ft une immense charité. En lui bat le cwa 
lies foules obscures. Il voit, il sent dans le ■ Peuple ■ une 
multitude de frères sur laquelle il se penche pour recueillit 
leurs espéraDces, leurs réfes, leurs appels, leurs soblinKS 
explosions de patriotisme, leurs indomptables élans vers la 
justice idëale. Incapable de ae contenir, il vibre au moindR 
souflle. Les misères des autres le font gémir, leurs Joio 
dilatent son &me, leurs enthousiasmes le transportent d 
l'eiallent. A travers le cours des Ages, il n'est aocmu 
époque dont Michelet ne se soit fait le conlcmporaiB- 
Nul n'a eiprimé ni avec une aussi délicate piilé les émo- 
tions mjsliques du mojen fige, ni avec une ferveur aussi 
coraniunicalive les bouillonnements et les délires de l'épo- 
que révolutionnaire. Il s'identifie d'instinct avec tout ce 
que l'humanilé lui offre de grand, de pur, de noblement 
inspiré; catholique avec saint Bernard, il devient proleslanl 
avec Luther; après avoir canonisé Jeanne d'Arc, il Isil 
l'apothéose de Danton. 

Hicbelet est le plus passionné des historiens. 11 s le ton 
du pamphlet et ci:lui du dithyrambe, l'ironie stridonla tf 
la tendre pitié, les hymnes d'enthousiasme et les crîs dt 
colère 11 n'assiste pas en spectaleur au drame de l'bic 
loire : il moute lui-même sur le Ihéfttre; il se mêle au 
acteurs, intervient dans leur jeu, les apostrophe, a uiat 
toute la scène de son exaltation frémissante Les 



L'HISTOIRE. 



m 



ii-^ qa'il improTlsa ses Isfons au Collège de France : • 

"" sQr de na pas rester court, dîsait-il, parue que ce I 
je raconte, c'est moil ■ Il se raconte lui-même d'un I 

■ ;i à l'aulre Ue son œuva'. Il ge met tout entier dans i 
I fiisloire aveu ses ardeurs, ses Irausports, ses eilases. Il 4 
s'y conressu tuntOt anx lecteurs, taalût aux personnages I 
eux-mêmes. Toujours sincère, il ne saurait l^tre impartial. 
L'impartialité ne peut se concilier avec la tension inces- 
sante de ses nerfs, avec l'acuité maladive de ses impres- ] 
sions. Il n'y voit qu'un signe d'indifférence et c( 
l 'abdication de soi-même 

Le plus original, le plua personnel des écrivains, 
le moins régulier aussi et le moins classique. Point de 1 
périodes chez lui. Sa phrase se hrise à tout moment, bouil- I 
lonne, sursaute, écume. Il violente la syntaxe, il la noie 
purfois. Il multiplie les inversions, les ellipses, les méta- 
phores. La langue a beau regimber, ae cabrer, demander 
srSce à ce furieuï cavalier; toute haletaole, il In presse 
'^ncore, il redouble les coups d'éperon. Pour Michelut, le 
.^tyle ne fait qu'un avec l'idée ou plulût avec le sentimeut: 
yijle sans régie, sans mesure, impatient, tendu, flfTreui, 
dont les perpétuels soubresauts cahotent notre attention et 1 
détraquent notre jugement. C'est le stjle d'une imagination [ 
luuJDurs en branle, d'une sensibilité toujours vibrante. Il 1 
nous surmène par la violence même des effets, il ébranle 1 
en nous la machine nerveuse, il force la sensation. Ne I 
lui demandons pas une composition mëthodi(|ue, pas même I 
un récit continu. L'émotion qu'il ne peut maîtriser jaillit 



çâ et lA en apostrophes 
tbéiiies. il procède par impëlu 
'fifre rfc Ffance, parvenu au s 

III nt jusi[u'à la Itévolution, so 
-'■ivrel des ftges aulérieurs : 

I .1 ce qu'il fait en petit & chaque page de son c 
;.iirraLion est sans teneur; elle avance par saccades, elle I 
a pour fil une ligne brisée. Ce qui chez d'autres s'appelle 1 
la mouvement devient cLei lui de l'agitation, je ne sais I 



s d'enthousiasme, en una- 
uses saillies. Dans son IIU- 
i' siècle, il saute brusque- i 
s prétexte qu'elle renferme I 
e qu'il a fait ]ti en grand. 



Hf U HOUVKMKnT LirrRRAIIIK iU XIX* Sltt 
iptcile in(fai«ini« tr^ilaole, qu«) «amillemenl onniait. 
Le conrdDt Ae ton liistoira b'b ^as Ae Ul. Klle ne rai;aiit| 
pu, elle n'cipose pu, elle n'ordonne pas; c'est une caa- 
Mfie lj>rique qui ne (aurait s'iulreiuilre h aucuuc luélliode. 
qui bouleverw! l'ordre des éTéiuMiients. qnl hearte les stédw 
lot utiK contre les aulrcs, [{ul a pour loi Don pas la luiU 
natnrdlc ile« faita on la liaison logique des iil^es, am 
l'aMueiatioD iiistiuoUfe ut lirasquo des senlinienls. 

Faisant de l'histoire une ceu?rD tonte subjectire, HicbelH 
y cMe aux caprices, aux lubies, ani enfantillages de MU 
liumeur mobile et fantasque; il j introduit non ^ulemAnl 
de hasardeuses hypothèses, mais encore des curiosité 
indiscrâles. des familiarités malséanles, des personnalilM 
déplaces. Plus il n, plus cette tendance se manjuï. H 
expliquera les pins grands érénemenls par des causes ind- 
gniQautcs, il multipliera ses emprunts 6 des sciences sot- 
pectes, il quftera les anet^dotes acanddeusea dans tous i» 
dessous et les eoTers des chroniques, il déconcertera n 
luctoor par les rapprochements les plus inattendus et pu- 
foit les plus bizarres; aux lignes sévérea de l'histoire ilcrsl- 
•era les mille arabesques de sa fantaisie. Hais cet hislonet 
auquel nous devons souvent refuser notre créance, est loo- 
joiirs, m^me dans sa manière la plus contestable, un magi- 
cien qui naus enchante. S'il donne aux illusions de son etpilt 
un dan^reui prestige, il atteint aussi d'un seul boml, U 
embrasse d'un seul coup d'œtl, des vérités sur lesquelles li 
plus sagace analyse n'aurait pas de prise. Quelques mate 
d'un personnage, nn geste, un trail do physl 
sent A le lui njontrer en plein; la figure surgit tout eaùtn 
et comme d'un jet dans son certeau. Il suppléu aui lacune!' 
de la science pur !a divination. Il n'enseigne pas l'iiistoin^ 
il la râvèlc. S'il j a en lui du t thaumaturge >, il 5 ■ 
aussi du voyant cl presque du prophète. Son 1 
portais un rËve, souvent une vision, toujours un poènM, 
Partout où rimaginalion de l'artiste n'j égare pas la s( 
de l'historien, elle la vivifie, elle la féconde, elle lui metdl 
RÎIes aux pieds et un flambeau dans la maio. 



CHAPITRE VII 



LA CRITIQUE 



Le xixo siècle renouvela la critique en la faisant rentrer 
dans l'histoire. Elle devint une interprétation des ouvrages 
littéraires, considérés comme le tableau le plus fidèle et le 
plus expressif de la société qui les a vus naître. Jusqu'à 
notre époque, la critique avait consisté à appliquer des lois 
universelles, qui régissaient de haut toute production de 
Tesprit, et des formules spéciales, qui fixaient le caractère 
de chaque genre. Elle rendait des sentences. Elle envisageait 
les œuvres indépendamment de toute relation avec le temps 
et le milieu. Elle les isolait des circonstances particulières 
et des conditions locedes pour les examiner en elles-mêmes 
sans autre terme de comparaison que son idéal abstrait. 
Entre l'écrivain et l'écrit elle ne saisissait aucune liaison 
nécessaire. Elle était purement dogmatique et spéculative; 
elle n'avait d'autre instrument que la raison générale et 
abstraite servie par un goût plus ou moins délicat, mais uni- 
quement appliqué à saisir des qualités et des défauts comme 
la raison l'était à confirmer des règles. 

Un grand débat littéraire, la querelle des anciens et des 
modernes, remplit presque toute notre période classique. Ce 
débat auraitdû, semble-t-il, introduire l'histoire dans lacriti- 
que. Mais aucun des deux partis n'a le sentiment des diversi- 



flU LR MOUVEMENT UTTRHAmR iU XIZ*i| 
léi ellini'iDCi nu rJiiniiUriqucR qai niDiIiBcnl rosjirttln 
UtncsaisiiMCDt ni lei influcDccs sociales ([ui marqucDl IphIc 
rnivrc it'.iH Ae tniir emprciolo, ut les condilïODs iorlivi- 
(luvtlua qui ei[)li<]iirat l'nutour par I homm^. Les • an<:i'-Di > 
ne diïfEii'li^nt pas Elomire commu le rt^présentant d'oio 
ciTlIisation priiniliTi> qu'il a pcinle dans la nnlveU de tei 
ittcBurt ; ils s'érertusnt h moDlrer que la diction liomérique 
ut toujours Dol>lc. Quant aoi modcrm^s, c'est par lir 
mime conlresens historique qu'ils reprodicnt au poM 
grec ses ■ grossièretés > rebutantes. De quoi l'accuienl-Ut 
au fond î De ue pas counattre l'él^gaoee de mœurs el II 
politesse de langage qui régnent k la cour de Louis XIV. 
Anciens et modernes sont inipuissanlB à sortir de leuc 
siècle : il leur manque, aux uns comme ani autres, l'inlelli- 
gence et le sentiment de l'histoire. Les uns eTiprunltal 
tous leurs arguments à la critique de goAt et de didiou; U 
grande raison des autres, c'est que la nature est tonjourt 
la niâme, comme s'ils pouvaient détacher l'œuvre littéraire 
du sol sur lequel elle est née, en cooper les racines, n') 
roir que le produit d'une force abstraite dont aucune con- 
tingence ne dircrsiQe les effets. 

Le classicisme ne connaît et ne veut connaître que lui- 
même. Il fait commencer notre poésie ft Malherbe et notre 
prose a Balzac. Il a en aversion tout ce qui n'est pas eon- 
Tormeàson idéal de noble harmonie el de raison éloquente. 
Il considère comme manquement au goût tout ce qui ohoqus 
son goût particulier, il traite d'inconvenant tout co qui 
n'agrée pas A ses piopres convenances. Ne lui demantlu 
point de regarder autour de lui : il n'y trouverait qne 
disordre et irrégularité choquunle. C'est aux autres litté- 
ratures d'imiter la sienne. Il les ignore, il en fuit la dan- 
gereuse contagion. 11 se suffit à lui-même, et ses chefis- 
d'œuvrc sont là qui brillent pour tout le monde. 

C'est seulement vers le début de notre siècle, sous Tin- 
fluence du romantisme naissant, que la critique fut renou- 
velée. Elle s'ouvrit â l'histoire, accueillit les rapprochemeatB 
et les comparaisons, se St large, tolérante, sympathique àa 



Li CRITTOIIB. !1H 

mute tenl.ati?e qui pût rajeunir nolri! liltérnture épuisée^iB 
PenJant qne les pralidens orficicls de l'époque împériaFo^ 
se CQDtoauaient dans les Étroites formules d'un classicisme ] 
toujours plus borué, les deux grands écrivains qui pressa 
dent Ik la renaissance littéraire ouvraient dès lors une *oi« 
toute nonvelle, soit en substituant k la mesquine applic^B 
lion des régies le sentiment génëreui et la libérale inlelltfl 
gcDCe d'une beauté qui peut revêtir les aspects les plan 
divers, soit en considérant la littérature non plus seulemenlfl 
dans sa forme eitérieure, mais aussi dans ses relationifl 
avec l'état social dont elle est l'image, ■ 

Si Chateaubriand vivifia la critique par sa lensibilitd 
d'imagination, M*"' de Staël, par son esprit actif, ouvertj 
indêpeDdanl. en recula de toute paît les étroites Itmitesfl 
L'auteur de ta Littérature fut, nous l'avons dît, lu véritabl^| 
inilialrice de notre méthode historique el comparative'. C^| 
qu'elle veut montrer dans cet ouvrage, c'est > le rapport qufl 
existe entre l'art et les institutions sociales de chaque siédm 
et de chaque pays >, et elle ajoute avec raison que f le traifl 
vnil n'a encore été fait dans aircua livre connu >. Il eod 
fallu, pour remplir un aussi vaste programme, des étuden 
plus étendues et plus fortes; mais ce programme mflmgM 
n'en était pas moins le cadre d'une science toute nouvellcj 
Et si, dans ce premier ouvrage, Af"' de Staèl éclairait \^Ê 
critique par l'histoire, sod Allemagne, ouvrant jour sur un« 
littérature toute différente de la nOtre, étendit ainsi le chamjn 
des comparaisons et acclimata le génie français i. des beau^fl 
tés de pensée et de sentiment que le goût classique n'availl 
pas connues et n'eût jamais admises. m 

Le premier ouvrage de critique proprement dite qui, pou^f 
emprunter un mot à M"" de Staël elle-même, < ait priJ 
vivement la couleur d'un nouveau siècle •, c'est celui qu^| 
Barante publia en 1809. Tandis que les successeurs de l^| 
Harpe ressassaient les régies traditionnelles et se conflnaienfl 
dans un vétilleux et stérile regrattage de mots, BarantaB 
suivit hardiment la voie qu'avait tracée l'auteur de la /.ttJ 
tiralurr. Il substitua aux disputes de rhétorique et de gram^ 



M* LH MOUVKHRNT UTTKRAlHr. AU SIX* i 

naire )>tude itnparliale d« id^ci. neitrH^fnanl * aiiAi|iA- 
que parllriillére le Tii«te pion igii'ATait rsquîs^é U"' île 
SUel. il' a^iptiiiua au xrin* siècle cette formule toute non- 
»eUe, mail aclmi»e liéJS par • d'excellents esprits •, que < il 
littérature est l'expression de la société •. Avec une dal» 
întelligeiice de aoQ letopa, il indiqua ce que l'aveoir devait 
accepter dans l'hôrita^e du pasié. Lui-mètne caradtriu 
noUement sa conceptiou de la crittijiie ijuand i! dit eu pii- 
bliant une tradnclioa de Schiller : • Il ne s'agit point ds 
tayoîr si, rapportant ces drames à de certaines règles, las 
comparant t des formes dont od a le goût et l'IiabilUfk, 
on les trouvera bons ou mauvais; se livrer h un tel examen 
serait une t&cbc superflue et stérile. Au contrnire, il peut J 
«voir quelque avaulnge ft rechercher les rapports que les 
«UTres de Schiller ont avec le caractère, la situation et l« 
opinions de l'auteur, et aussi avec les circonstances qui 
l'ont cntouri. La critique, ninai euTisngée,... se rapprodw 
davantage de l'étude de l'homme et de celte ohservatioii 
do la marche de l'esprit buniuin, la plus caricu»o et le plii* 
utile de toutes les recherches. • Faire entrer dans l'analf» 
des œuvres littéraires et la personne des écrivains et l'ëtadi 
du milieu social, c'est justement le trait caractéristique i* 
la mt'lbode que devait suivre le nouveau siècle. 

Cette rénovation de la critique par ia psychologie et psi 
l'histoire s'accorde parfaitement avec les progrés de l'esprit 
français dans la voie de tolérance od le romantisme l'en- 
gage de plus en plus : celui qui se donne pour l&che d'»- 
pliquer les œuvres plutût que de les juger, renonce d'avance 
k tout dogmatisme étroit. La connaissance des littératures 
étrangères se répandait tous les jours davantage et contri- 
buait a débarrasser notre goût des préjugés scolastiques. 
Les grands événements qui marquent la fin du ivur* siècle 
et le d-Tbal du nfllre avaient d'ailleurs proroqué dans malDla 
jeunes esprits le désir et comme le besoin d'une littérature 
qui gagnftt eu puissance d'effet ce qu'elle perdrait sans douh 
n déJicatesse. A un peuple qui avait fait la Kévotulion ft 



u cnmQiJB. lin 

les guerres de l'Pmpire, il fallait un art plut expressif qo'aaifl 
i!ourtisnna «le Louis XIV. 

Tandis que l'école pseudo-cinssique prôtendait enfermer 
l'avide et impatient génie du siècle dans l'étroite obserrance 
ries règles et l'imitation timide des modèles, il se fonnaila 
parmi les jèunea géDérations un esprit d'indèpeudancflfl 
edairée et réfléchie, qui, toujours fldéle aux tradition^l 
domestiques, essaya de les concilier avec une intelligence 
plus large et plus impartiale de la beauté. Les principauH 
représentants du libéralisme littéraire se groupèrent Hantj 
une Revue destinée & exercer sur le goût public une influencaB 
décisive. Fondée en 18S4,Gette Revue fut, pendant les ail anfl 
qu'elle dura, l'organe 'd'une critique hospitalière qui ■« 
donna pour tache de susciter les tenlatives et de les encoufl 
rager par un sympathique accueil. L?6/r)ft« s'associa à toutafl 
les entreprises de l'esprit réformateur. 11 dirigea le grau^H 
mouvement littéraire du temps. Il latta contre l'iatoléranc^l 
oppressive de l'école scolastique sans se prêter aux juvë^ 
uiles témérités qui pouvaient déjà compromettre le romaoS 
lisme. Il fit admirer fi la Friince les grands poètes êlraugenifl 
mais en maintenant toujours avec fermeté ce qu'il y a dfl 
vraiment national dans la discipline classique. Alliant 1^ 
souci des traditions au goût de la nouveauté et le respecfl 
du passé à la foi dans l'avenir, il fut hardi, mais avec sa^B 
^Mue, comme il était mesuré, mais avec décision. H 

^^Sans prendre une part active aux querelles de l'époqueM 
^^Bemain, eu qui les rédacteurs du Globe acclamaient leu» 
^Httre, s'était engagé avant eux dans la voie où ils gntfl 
^^Knt l'esprit des générations nouvelles avec un sens i^Ê 
^^■e et ai libéral. Il est If premier de nos écrivains qui npU 
^^■oe arec suite, en des ouvrages considérables pour leufl 
^^Bdae aussi bien que pour leur valeur, lu méthode inaitfl 
^^Ke par l*v génie entreprenant de M'"^ de Slaël. H 

^^■ni yeux de Villemain, les lettres sont vraiment l'espr^B 
^^Bialn lui-même. U ne se borne pas i. interpréter daB 
^^■ea, à goûter avec finesse des qualités de bien dire, oSM 



mime i it^m^Icr le* bbuk«* dtiintla Sel> 
Écmliui-jDt : il rut (liti ^luilcK lillémim ur : 
mncv liiBtori<]ae, ira. puur niieui dir- 

I la fliBoiti! lie »ticnce lodftb. CI met «n iumiera 1 adiuu Ot 
rJcrintin sur lus mœurs et des tnœors sor l'écriralu;i] 

' emeAdrt i'ieuire dani la liiogrnphie de Paatenr, i) explique 
Tapt^ur lui-méuie p» les InflaeDces da milieu. Sod (ilua 
jmporlattl ouvrage ost justeni^ct consacré à ce ivui* litclf 
danx lequel < l'esprit des lettres a fait parlie de l'eipril du 
monde et l'a k la fois reproduit et eicité • . Il nous j monlie 
■oit I l'action de quelque liomiae de gMîe >. aoil < le mon 
*eniGnt delà société m^niese conroDdaDt avec le cartcltn 
général de la litiËratore et la ricbe dirersité des talents de 
second ordre i. En étudiant les œuvres IJlléraires, il nom 
Tait finivrc, chez les peuples qu'unit entre eui un perpAoel ' 
commerce d'idées, le développetnent simultané des CÎTilîm- 
tions Dalionales, dont les courants particuliers, après ■'etr« 
croisés en tous sens, finissent par s'unir dans l'ëTolatloa 
universelle du genre humoin. Sans exprimer rormelienicail 
sa tlii^orie générais, il en poursuit l'applicalion avec nns 
unité de vues que nous retrouvons, & travers les jeux e( 
les npparcnts caprices, dans la disposition même des ina> 
tii^rcs et dans celle abondance de comparaisons qui ncnil 
font voir, non seulement les lillératures, mais encore lei 
■ociélës elles-mêmes, en permanente réciprocité d'influence. 
L'histoire littéraire est pour lui l'histoire de la civilisation 
universelle. • Que reste-l-il des orateurs anglais? • loi 
demandait Fonlanes. Et Viilemain, qui devait bientôt leur 
consacrer de si belles pages : * Ce qu'il reste? répondil-ïl- 
L'AmérJque. » 

Il portait aussi dans la critique nouvelle ce qui manquait 
aux repriïsentants les plus autorisés du classicisme, je veui 
dire la connaissance approfondie et délicate des lettres 
onliques ou modernes. 

Jusqu'à notre temps, l'anliquilé était restée peu connue 
ou mal comprise. Boileau, quand il abordait les chef»' 
d'œuvre grecs, se montrait coiuplèlement dépourvu de sens 



Lk CRITIQUE, 

i:;RHcine lui-mé 



irefi t.oulela 
n esprit et loule la fiaesse de son gotil, y 
les BJicions sous le coslume de son époque et à travers 11 
sentimenLs de l'flme moderne. Quanl ù Vollaire, ta llenriudi 
cl Œdipe montrent assez ce qui lui maaf]uait pour s 
Qoniére et Sophocle. Après les mallres de notre poésie, qui 
itire de critiqnes tels que la Harpe? C'est ea franfais qai 
l'auteur de Philoclète a la les ricrlvains grecs, et l'on sai 
comment le xvin' siècle les habillait. A peine sail-il le latî 
il traduit Suétone, maïs celte traduction mâme accuse si 
ignorance. El la manière de la Harpe est d'autant pld 
aotorilaire et dficisiïe qu'elle s'embarrasse moins d'élud^ 
et de savoir. 

Chez Villcraain, la crilïquc se renouvelle par la BcîcncJ 
de TtintiquiLë classique. Il possède le lalin k fond. II a 1^ 
goût et le sens des plus etquises délicatesses que pu 
oirrir la langue, el il entrelient avec les auteurs un c 
merce quotidien. Le grec ne lui est pas moins faïuilie 
l'a pratiqué dès l'enfance; au lieu de défigurer, ainsi 
la Harpe, le Pkiioclèle de Sopbocle, il le jouait dans I 
texte. Plus tard, Il traduisît avec un sentiment tout n 
veau du génie hellénique ce Pindare que le sviii" aie 
par la bouche de Voltaire, appelait le chantre des cocheij 
grecs et des combats à coups de poing. Avec lui l'inteb 
ligence pénétrante et lumineuse du génie ancien, éclairauj 
pour la première fois et TiTÎfiant noire critique, succÈdj 
aoi di^daiiis d'une ignorance tranchante ou aux complai 
eanccs d'une banale admiration. 

A sa pratique de l'anliquilé gréco-latine, Villemain joiiJ 
non seulement celle de l'antiquité chrétienne, qu'il ] 
étudiée aui sources mêmes, et celle du moyen flge, doiu 
les savants contemporains découvrent les monuments s 
ses jeux toujours aux aguets, mais encore celle dos liflc 
turcs rlrangéres, sans laquelle la critique est nécessaire 
ment incomplète. Il ignore l'allemand ; cet esprit si net ti 
si vir salue de loin < les dieux de la Germanie >, et ne i 
met pas en peine de • les suivre dans les énigmes de loun 



Il »™_-r¥*TT :rnTîii»i «i ur 9 




■ litlifKJre. 

Sb ttAi^nf-e le diitin^e det la Barpe ou des Ceoffrojr, I 
ï MD tit^itncc I^Arc rtl il^f M^^c nr \e. ilîstinpie pas rnoin* det 
[ pvn MvanU. Il a !<- ciinrmp, l'agr^menl, le désir et le don 
« plaire. D Aiit toat appar<?il pédsntosijue, toute sèche et 
[ laboriGusc diicassion ; il pr#n-i \^i choses par le càit l« Tfira 
|i>; il anime, il égaie ea 7 passant li.'s complieatioiu 
[ do (■ rbf^lcrtque ; [I cueille des fleurs snr les tiges i^pincntcs 
F do In graniinaire. Les écrits de Villemain ne nous pennot- 
t«nt (l'B[iprfder ijiie bien imparfaitement ce qu'il y aiait en 
lui lin ■'''(liiflion aiaée et Jh naiuretle grâce; ils suffisent A 
I auQH montrer i;n quoi diffère des érudits, même les moins 
I Ion ri {i* m r ni npiitiiii^i, ce tnlent lout litléraîre qui introduit 
I partout avoc lui nnn suulement l'esprit et l' imagination. 
t moi* ancorc le ocnlimont, l'enlbousiasme, l'émotion prompte 
L oL eomitiunicaliTe. Nul n'a mieux qae lui illuttré la critique; 
L nul n'y « mi* otio vivacité de sens, ces délicates uutuicM 
I lia goût, eu nbariTie insinuant de la diction. 

Ce qu'on lui rirproclierait, c'est, dans le style, une timi- 
I dtl^ qui «'interdit trop souvent le mot propre et sacnfia 
l-l'effet de rfalltè pittoresque A de banales bîenai^ances. Villfr 
l main u eu Luce dv Landval pour maître de rlii-torlque 
K, cola se reconnaît A qni-lque chose d'un peu trop 
I orni'i diins HA iiianiiVc, h un scnici du lie 
I 11' trait. U<iiii«s scrupules pour les idées que pour la fon 



LA CRITIQUE. Ilfl 

It n'oËù ffiii 39 pronoDCCr. il chei'che île» biais pour Mqulven 
une couclusian calégoi'ique, îl s'en liro par [|uc]()ues parolefl 
ilo pure couvenance alors qu'oD atlond de lui un jugetneaM 
(léciKîr. AjoatoDB qu'il ne serre d'assez près ni la biogrupblM 
el l'étude psychologique des écrivains, ni l'analjse de leunl 
ouvrages. C'est on critique d'un goût exquis, mais le nonn 
d'Iiomme de goût, qu'il a BUpèrieurement mérité, comportu 
encore chez lui, avec toutes les délicatesses dont il èveillfl 
l'idée, bien des langueurs et des négligences. Ce qui maiia 
que à Villemain, c'est une méthode exacte et pressante, wn 
défaut de laquelle ne peut suppléer ce qu'il y a de plus bril4 
liuit dons l'esprit et de plus fin dans le tact littér&ireJ 
D'autres viendront après lui, qui.se circonscriront en des 
cadres plus étroits, cerneront leur sujet avec plus d'instanceJ 
appliqueront enlin à la i science des esprits > les rigourenu 
procédés des aciences naturelles. 11 n'en reste pas nioiiM 
que Villemain leur a frayé la voie en ouvrant de toute parU 
la critique & l'Iiistoire. ■ 

Nisard peut s'opposer à Villemain comme le représenlaiM 
le plus qualifié de la méthode idéaliste el didactique. ■ 
L'histoire littéraire est pour Nisard une sorte d'archJten 
turerationnolle.il dogmatise. Sa critique ne s'attache qu'aus 
monuments consacrés par l'admiration, ù ce qu'il y a dn 
constant et d'immuable dans l'esprit français. Il laisse da 
cOté tout ce qui tient au temps, tout ce qui relève de l'Indfl 
vidu. Il ne veut connaître que les beautés ùternelles, Uni 
œuvre ne lui parait belle que si elle expose dans une laagoa 
parfaite des vérités que ne borne aucune limite d'espace OH 
de durée, ces vérités qui sont comme la substance de lu 
raison humaine. Dégager dans uotrc littérature ce qu'eUd 
scntiel, de vraiment typique/telle est sa piw 
I. Pour lui, la marque même d'un grand style, c'e^ 
I général > comme la raison qu'il exprime, non sefl 
lant d'échapper aux modes et aux caprices du jour, mafl 
e de ne se faire le complice d'aucune passion et d'attfl 
fantaisie individuelle, d'écarter de lui tout ce qui pMM 




LE HOUVBMKST LmÉftirilK AU XIX' SIËTIR.! 
iKceiur U p«rsonM &vm son liobilude particulière d'cli 
ion (our d'imn^iuallnii, inn humeur, son (empfiramïnl. U 
mitIHii mi «■■tiï commun ce iju'il appelle le sens |)rn|ifi. 
L'bonmK: de g[''Uit! à ses yeui n'est point un âlre iiririlégii! 
([ai conv'iit ou i>ent autrement qne les oulres liommc!, non. , 
«'»! celui qui dit ce que luut le monde sait, qui iluune 
une Torme détînitive aux pensées de la Toule : c'est un énbn 
inU-'Iligent. Nisord • s'est fait un iJ£al de l'esprit humsl» 
dans les livres, il s'en est Tait un du génie particulier de U 
France, un autre de sa \aagae; il met cbaque auteui e' 
chaque livre en regard de ce triple Idéal; ce qui s'en ra(>- 
prouhe est le bon, ce qui s'en éloigne est le mauvais. ■ 

La critique ainsi comprise se prive, comme U le diiclu« 
lui-même, des grâces que donnent à d'autres l'hiatoire mt\K 
aux lettres, la vie des personnages, les rapprochements de In 
littérature comparée. Elle ne s'applique pas à suivre do 
«iide en siècle notre génie depuis ses premiers bËgaieniitnti. 
elle dédaigne d'en rechercher les traits dans la Toulu dits 
écrivains secondaires. Elle édifie un monument â la gloJK 
de l'esprit national, et l'architecte en exclut jalousemenl 
tout ce que son goût sévère ne juge pas digne d'j figuref, 
Nisard ne se livre point au cours naturel des choses^ il att 
cherche pas h refléter les talents dans leur înGiiie variété, 
à en suivre les détours et les accidents, à se répandre pour 
ainsi dire tont auloor des œuvres. La liberté et la diversiU 
n'ont pas de place duos le plan inflexible qn'il a concQ- Sa 
méthode est tout abstraite, et il l'applique avec une KO 
tilude magistrale. A vrai dire, il ne fait pas une tiistoiie, 
mais une philosophie. Il n'eipose pas, il démontre; ilôt 
raconte pas la liKëralure française, il institue une théorie . 
de l'esprit français, qui est à ses jeux le type le plus parf<ùt 
de la raison hiiniainc. 

Ce que la critique perd ainsi en mouvement, en couleoTi 
en souplesse, elle le gagne en fermeté et en puissance. Malt 
Nisard met dans l'application de sa métbode une austérité 
qui fait ressortir encore ce qu'elle a de raide, d'absolu. 
d'artificiel. Reprochons-lui surtout d'immobiliser dao^ 



' danigm^ 



LA CRITIQUE. 

te unité cet esprit français dont toute son œuvre est 
glorification. L'esprit français, tel qu'il l'entend, n'a 
se sou idéal que durant celte coi: rie périofic qui c-.rn- 
ce à la fondation d*: rAc&dénj'e et se tenu i 1:0 dvoc le 
ind sitrcîe *. Ce sont cinquante ans de noire liistoire 
'aire, et ces cinquante ans ont fixé à jannais notre lit- 
ure et notre langue. La religion de Nisard pour le clas- 
aie opprime sa critique. 11 ne sent pas assez que le 
3 d'un peuple se renouvelle sans cesse, et que, m(:iut 
s un &ge classique, toute innovation n'est pas, fatale- 
t, une maïqae de décadence. 11 ne veut voir dans le 
- siècle qu'un prolongement du T\if, ou plulC-t une dé- 
on. C'est à peine si quelques f gains » figurent çâ et \k 
son pèdanlesque budget en face des innonjLrables 
ries * qu'il inscrit au passif de notre littérature. Tout 
ui a précédé les cinquante ans de pur et vrai classi- 
e n'était qu'un acheminement, tout ce qui les jsuit ne 
éîre qu'un déclin. 

le ne saurais aimer saiis préférer, a-t-il dit lui-m^me, 
> ne saurais préférer sans faire quelque injustice. « 
tant les écrivains àbiih lesquels il r^toniibU bon idéal 
dsoD bien d:5feL'«e. ce force dlbcJpJriee. d'oif^rt soutenu, 
ri jugt avec 'ii.t r:;*ue':r exoess^^e ces géniet jnquiels 
ÉLSE.r:e*jLï s q.. . -ULpfci.enoe ae :a ré;'.*:. ;b. prtàoii:J- 
i ic i':ii;;rt:i:L j^erbVLLeJitj ol: ?t.:: pticre j>3r;;:;,^bre 
î To!: i"-*:;t ciitr Feiiej'.i. v-t ; e^:,r:'. o«t « caimeie » 
j-iz h'.-'-.bs^tL -ju* Ihi'^r.: G « •-'-'. Vi*: * l",:.. aet f,r ît 
::.:l •j.ii»:t..;.;': ';•.. t ^ivlî ?*;i'it .t • sen* v.a:i:VJU #, 
'hir'i*: se '-itf'. ■ t o:-' 1 ^i ;L'.t.'';e '^l'-j^ 'Jj\,'x LOuWjfcule. 
es; t IL :ii* '.: v.. t : *. '^vu se?- » t -•■ . ot e : : ". pe^t -■ ' fe . L li t a 

:»u: ot « 0'. '•.:.'. 't 'A vu et «'n.: o'jî re it ootuie 
._ '. '^i • ; •■ ■■'.•'.';■ '.'.i ^"^'it TK:'.'.-\.i. ». 'VeM L'Tie 
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m le MOI VEXENT LU ' 
F Bt la iIUri[i1iiii? ajiiuU t Ut Ivrot rtdle w qn'dlel 
Tortet rn|>riciriiK(rft et fa«li«<. ■ Cett Ift le prindp>!9 
niliiurniion pour le XTii* ijâclc, et, iluns le XTil'rf' 
I de pour les écrivains qui. comaie Bossuel et Uuileau, 
I Kpr«iaKnloDl t'aulorité, |ioar les mstilulions qui, comme 
[ TAcadémio Trauçaise, s'a^ipliquent à régealer lus esprits, a 
I mainteulr les (raililions, à conserver lu iauguê, & garaniit 
eonlre les faDlaîsiua de In mode on lus écarts du i sens 
I propre > cette raisuu générale qui est & ses ymis l'alLribal 
camctûrisliiiuG du notre racit. Il est permis de regretter 
qu« c»tlc conofplion ne puisse se coni^iiier avec plus de lar- 
geur, mnis il Tajt rendre liomniage à ce qu'elle a de haut 
•I de Tigoureus. 

A l'esprit catégorique et autoritaire de Nisard, qui ae 
I fait de la critique que l'applicaliou d'une théorie raliuii- 
selle, s'oppose, dans Sainte-Beuve, l'intelligence la plus 
I Hexible, la plus ouverte, la plus dégagée de toute doctrine 
I exclusiTe. L'un embrasse d'un seul coup d'œil toute notre 
histoire litlëralre pour la ramener et, s'il le faut, pour le 
contraindre A l'unité abstraite qu'il poursuit; l'autre poussu 
çh et IfL des pointes au hasard du moment, sans aucune 
suite, sans aucuu plan d'ensemble et en apparence sans au- 
cune mflhude. L'un ne s'attaque qu'aux génies de premier 
ordre, el, faisant une œuvre essentiellement didactique, SI 
défend de tout inférât pour des auteurs dont la connals- 
i, inutile • aux esprits bien faits >, pourrait être nuisitils 
eux qui ne sont pas formés >. L'autre est altentiT sttt 
F moindres phénomènes de la vie liltéraire, et son admiralinn 
pour les chefs-d'œuvre, dont il jouit plus discrètement, se 
concilie avec une curiosité toujours en éveil pour les écri- 
rnins de second ou même de troisième rang, comme nous 
1 fiisnnl mieux connaître et l'esprit de leur épofjuo et, par 
r propre personne, cette humanité moyenne qui est le 
[ >rat domaine du moraliste. L'un Juge avec autorité d'aprie 
[ des' principes infaillibles; l'autre se plie avec une soup^osM 
I miirveilleuseirinllnie multiplicité deataleuts: il est > "^ 



LA CRITIQUE. 2S5 

le tyran qui dans son palais avait trente chambres, sans 
qu'on sût jamais dans laquelle il coucherait ». Ne poursui- 
vons pas plus loin ce parallèle pédantesque : tandis quo le 
premier construit un système, le second fait une collection 
d'expériences détachées et d'observations éparsos. 

Bien des traits par lesquels Sainte-Beuve s'oppose à 
Nisard dénotent ses affinités avec Villemain. Mais, si Ville- 
main peut être considéré comme le devancier de Sainte- 
Beuve, il est facile de voir ce que la critique littéraire a 
gagné avec celui-ci en réalité, en précision, en exactitude 
aiguisée. Elle ne se contente pas « d'une certaine description 
générale d'un siècle ». Elle « serre de plus près que possible 
l'analyse des caractères d'auteurs aussi bien que celle des 
productions ». Elle sort définitivement c d'une admiration 
trop textuelle à la fois et trop abstraite ». Elle c fait le siège » 
des écrivains. Elle profite d'une liberté que ne restreint 
aucun parti pris, non pas pour flotter autour d'une époque 
en se bornant à reproduire les contours les plus apparents, 
mais pour multiplier avec une pleine indépendance et di- 
versifier en dehors de toute thèse préconçue ces études des 
« sujets > et des « cas » individuels dont chacune est un 
problème de psychologie. 

Il y a eu chez Sainte-Beuve un poète et un critique. Le 
critique, que nous avons indiqué chez le poète, n'est pas 
moins visible chez l'auteur de Volupté^ ce roman dénué de 
vigueur créatrice et dont l'intérêt pénétrant consiste tout 
entier dans la subtile minutie des analyses. Il a survécu au 
poète en tenant de lui maints dons qu'il ne laissa pas périr, 
t La critique dans la jeunesse, dit-il lui-même, se recèle 
sous l'art, sous la poésie; ou, si elle veut aller seule, la 
poésie, l'exaltation, s'y môle trop souvent et la trouble. Ce 
n'est que lorsque la poésie s'est un peu dissipée et éclaircie 
. que le second plan se démasque véritablement et que l'ana- 
lyse se glisse, s'infiltre de toutes parts et sous toutes les 
formes dans le talent. » Mais « le critique hérite finale- 
ment en nous de nos autres qualités plus superbes ou plus 
naïves •. La vocation poétique de Sainte-Beuve n'expira 

^2b 



U MOdVBHEHT LITrËBURE 4U XIX*'! 
jamâb tout cntJè» d«iis roccapAtton de sa vl« : 
pllf[iu en dt-MDUs h l'UUtoire littinire, ell« 1' ■ arrnia t« 
ttci aunr>^c!i i4<>cr«tes >; elle se fll jour h tn*im t'aimlj». 
tiiHi • iifti' uu leiiiiinenlaUsuie ioLérli^ur ni par des ilnaob- 
menti Imr» Je prupu» t, luaii • par und ucrtaîne roriu* 
d'trl, par une certaine luiaiÈns »ive et juste d'uxpressim "• 
L'expAriunci: det tionmies el des choses mitigea t l'stpiil 
do poétie > et nu rétoulTa point. < Si crJli<|ije et si nwiB 
que Doui devcDioDs, écrivaiL-il dix ans après aroir reni 
aux ren, qo'il ne naos soit jam^a ialerdil de nom 
Aiee le poète : 



'» juvBt ia prima coluisBe Helicona inventa. > 



1 



Et pluB tard encore, lorsque U flamme s'est éteinte, lorsqus 
l'émotion et l'enthousiasme cèdent dëGnlUvement le plaee 
ft la « physiologie >, luî-mdme attribue ft cet esprit poé- 
tique sa faculté «péciate de décourrir et d'exprimer imf 
1m choses leur sens propre, el de " rendre A tout ce qu'il 
touche la qualité propre et la vraie valeur », 

• Ce que j'ai *oulu en critique, dit Sainte-Beuve, c'a été 
d'y introduire une sorte de charme et en m^rae lamps 
plus de réalité qu'on n'en mettait auparavant, i Si ce channe 
consiste justement dans une poésie modérée et disorèlc, 
l'impression de rëalité plus accusée procède du goQt pout 
les sciences positires que Joseph Delorme associait à odni 
des vers, et qui perce jusque dans ses élégies en attendant 
de l'entraîner vers l'analyse des oeuvres littéraires consi- 
dérées comme un instrument de physiologie morale. La 
première éducation de Sainte-Beuve avait été puremefit 
iatiOque. • J'ai commencé franchement et crûment par 
le X«m* siècle le plus avancé. » Et, â quelque essai que »0 
\ esprit curieux se prête dans la suite, ou même par quel*, 
ques mëtamorphoscs qu'il passe, c'est dans celte édaeatioi 
promièrb qu'on doit chercher i son fond véritable >. 'Sout 
notre plume, dit-il en 1836, la critique d'un ëo 
e devenir une légère dissection. ■ 



U CR[TIQtIK. 

%& méthode o«t toute prnlii[uc. Elle o'a pas pris naissanoj 
chez lui BOUS la forme d'un syslëme coofu d'ensemble; i 
I n tirée a mesure de ses expériences successives. Ulle n' 
rien d'une géométrie infleiilile ; elle sait se mndifiei et si 
varier selon les sujels qu'elle Irai le; De là le reprocho qa'oi 
lai a si souvent fait d'être dépourvue do loute réyle 
d'aller à l'aventure, Sainte-Beuve s'est défendu contre 
^jej^roche immériW, lorsqu'un esprîi, non pas plus 
^^HDs le ToDil, niais plus systématique dans la form 
^^Bldensé en propositions strictement déduites la méthodj 
^^He Ini-même avait toujours pratiquée en évitaDt i 
rigueur peu compatible avec la délicate et coropkie scienoj 
dee esprits, Dès 1838 il indiquait les traits généraux d'un( 
, critique tonte nouvelle, celle-là même <]u'il appliqua s 
Aflépétcr jamais comme sans jamais se démentir jusqu'd 
^n d'une carrière qui commençait A peine. Oani 

cille il insiste déjà sur ce qu'ont de déleclabl(i 
t fois et de fécond en enseignements les biographies 
s des grands écrivains ; non pas des notices eiigué 
mais de larges, copieuses et parfois même difTuBe| 
s de l'homme et de ses œuvres, U voudrait qu'avst 
Ue de telles biographies le critique pût entrer dans sod 
a'j installer, le produire sous acs aspects divers, 1 
en son intérieur et dans ses mœurs domestiques, I 
tacber par tous les eûtes à celte l*rre, à cette eiislenc^ 
~ , & ces habitudes de chaque jour dont les graudj 
iomeaoe dépendent pas moins que nous autres. Il ne n 
(ne pas à ces indications générales : marquant le vrai 
ment auquel il faut comprendre l'écrivain, le moment im 
mîer chef-d'œuvre, il signale trois influences capilalef 
Itaeune desquelles sa part doit être faile : l'état générl 
I lettres, l'éducatiiin particulière que le poète a re^ud 
n le génie propre que lui a Uéparti la oalure. rrestrfi^ 
l'baucbcr déjà le plan de celle critique positive ( 
JAturelle > qu'il précisera, qu'il serrera de plus en plusfl 
Trente ans plus tard, Sainte-Beure expose avec délail lûf 
règles qu'il « suivies dès le début, lin* t'y «sservir comiq 



L8 HouTacrr l:t 



■ -!):! r*:is....„ . 



dans » 



: (..es nL-inea profood^ se laissent i 
jT le recoiualt du moins daos ses p 
hn: •QTliiat. liansieaitEunaïuaî, daaa tesfrfavs. 
>Q ttats même, dans tous ceux de son sang diot 
■ le fuDd da grand iadinda ae retrouTe plus à on et 
t FMal simple. Apre* cela rient le chapitre des élsdes et dt 
rédaeatioa. Ca poiat essentiel à déterminer, c'est le pre- 
mier milieu, le premier ^cupe d'amis et de cc^ntemporaint 

' dan* laqvd récriToin se troore aa moment oé son talent 
détient «dalte. Chaque oorra^ examine d« la sorte, aprâi 
' n l'a replacé dans soa uadre et entoure de toutes les dr- 
eotutucesqui l'ont m naître, acquiert tout sonsenset reprend 
Htm dcgri^jasle d'originalité, de nouveauté ou d'imtlattoti. 
Un astre temps non moins décisif â noter, c'est le moment 
oû le talent se ^Ate, où il dévie, où, parmi les auteurs, les 
ans se raidissent et se t^esséchenl, les autres se lichent 
et s'aliudonoenl, les autres s'endurcissent, s'alourdissenli 
quelijaerais s'aigrissent. Eiitïii, pour teair un faomme IobI 
entier, on ne saurait s'; prendre de trop d& façons et par 
trop de boots ; il faut s'adresser «ur lui no certain nombre 
de ((aeslioQs, dussent-elles sembler le plus étrangères à Is 
oalure de ses écrits. Que pensait-il en religion? CommËut 
étart-il ftlTecté du spectacle de la nature? Comment se 

, compordiil-il sur l'article des Temmes? sur l'oiiicle de 

, forgent T Ëtait-il riche, étail-il pauvre? Que) était son ré- 
gime, quelle ëlait sa manière journalière de vivre? Quel 
était son vice ou son faible ? Un dernier moyen d'obser- 
Tation, c'est d'étudier les talents daos leur pn^lérilë mo- 

I raie, dans leurs disciples et Icurij admiralcurs nnljirels, et 
eocure dans leurs contraires el leurs antipathies, dans tas 
eonamis qu'ils soulèvent cl s'attirent sans le vouloir. Teb 
sont les procédés de cette méthode, de cette prutique, gai 
K 4lé de bonne heure comme naturelle & Suiate-^n^| 



Là CRITIOUE. 

|H ne cessa de suitre en la ïarianl selon les sujets, ■ 
exposa sur le tard une fois pour loules en réponse &% 
qui lo considéraient comme un simple amuseur, i. 1 
aussi qui, le Irouvaul assez bon Juge, lui reprochaient ■ 
juger sans codo. 
Èlre un disciple de Uacon lui paraît, dît-il, le besoin à 
temps el une excellente condition pour faire de lu critiqud 
La production de l'esprit n'est pas pour lui dislinclc ou dd 
moins sèparable du reste de l'homme et de l'organisme^ 
L'étude littéraire le mËue tout naturellement ft l'éLuclt 
morale, et, par suite, à l'étude physiologique. La scieuco del 
caractères en est, dit-il, aai éléments, k la descriptioi 
individus et tout au plus de quelques espèces, elle en e: 
au point où la botauiquteen était avant Jussieu, l'anatorais 
comparée avant Cuvier, k l'état pour ainsi dire anecdoliqua^ 
ïtais, tout en se bornant encore à amasser des observatioofl 
de détail, elle découvre des liens, des rapports, des afQnïtéa 
nécessaires, et elle entrevoit le moment où pourront êtrn 
et déterminées les grandes divisions naturelles quB 
indent aux diverses familles d'esprits. Sainle-Beuv^ 
;norc point qu'on ne pourra jamais faire exactement poii| 
iûmme comme pour les animaux ou pour les plantes ; "' 
ne supprime pas dans l'être humain cette liberté moral^ 
qui suppose une grande mobilité de combinaisons possibles 
Avertit au besoin ceux qui seraient tentas de l'oubliai 
le problème est insoluble dans sa précision derniêraj 
le plus vif de l'homme échappera toujours É la scie 
ille n'atteindra jamais cette étincelle du génie 
lelle ses procédés les plus exacts ne sauraient a 
Hais ce n'est pas une raison, si l'individualité proprq 
,ent doit toujours se dérober à nous, pour ne pas coa> 
ler les observations el les analyses par Icsquelli 
ifipons de plus prés lu problème. 
donnant à la critique une direction positive, I 
d'ailleurs en faire une science sans tact spécial, qui 
'emler venu pourrait appliquer k la seule condition 
■avoir les râjjles ut d'en suivre exaclemenl la mélhada/ 



^néces 
U Inoir 



Bile Bnrn loujmin «d ar( qal demandera no artislc Ii 
La poiiln ne wut être touchi?e que par od poète ; l'obseN 
fatiiiD niurnle. elle suH»i, exige ud sens parti ';ul]<>-r, 00 doo 
M comme une To«Uon naturelle. 

Cert ce seug el ce don qui Tonl de Sainte-Beuve le cri- 
tique par excellence de notre liècle. On lui reproche de 
msii(|Oer d'enlliousiasme : c'est le féliciter d'avoir rompu 
•vec cette crilique banale qaî remplace l'analvse par les 
poIlitJ d'oxdamation , d'ailleurs, il a l>ieQ,lai aussi, sa nale 
admlrative, et nol du moins ne l'égale pour la délicate 
■ensiblllté des joaisaances littéraires. On lui reproche de ne 
pas embrasser dans ses jugements l'individu (oui entier: 
c'est qne les vues simples lui «ont ft bon droit suspectes. On 
lu! reproche de preoilre ses personnages par les petits cAUs, 
(te pousser la curiosité jusqii'ft l'indiscrétion ; mais tel dt- 
lallcaracldrisliigue, telle anecdote eigniflcatiTe. telle • peliU 
touche >, nous en disent bien plus sur un homme qnc Isi 
généralités académiques et les plus imposantes < considé- 
rations t. 

La di^liance de l'absolu, la moliliié, la souplesse, tels 
sont les traits distinctirs île Sainte-lîeuve. ot ce sont aussi 
ceux du lùritiible esprit crilique. L'esprit critique, Joseph 
Uelorme le comparait déjfi h une grande et limpide 
rivifife qui serpente et se déroule autour dos œuvres, 
• Tandis que la tour dédaigne le vallon, écrivait-il, et le 
TOllon le coteau, la rivière va de l'un h l'autre, les com- 
prend, les réfléchit. • Sainte-Beuve a tout compris et tout 
redété. La première partie de sa carrière n'a été qu'une 
longue suite d'expériences. Il s'appelle lui-même l'esprit le 
plus rompu et )e plus brisé aux métamorphoses. Il com- 
mence par la physiologie, devient le plus fervent disciple 
de Joufl'roy, traverse l'école Saint-Simonienne, iourne an 
mj'sticisme catholique, se laisse captiver par )e protestan- 
tisme austère de Vinel, refienl enfin & son point de départ 
après avoir épuisé la série des apprentissages ft travers lea- 
qneld l'enlralnait i sa (Curiosité, son désir de tout voir, à» 
tout legarder de prés, son extrême plaisir à trouver te v 



TP. i' 



LÀ CRITIQUE. 231 

relatif de chaque chose et de chaque organisme •. A ses 
yeux, le jeu et le triomphe de la critique, c'est de se mettre 
à la place de l'auteur et au point de vue de la question 
qu'on examine, de lire tout écrit selon l'esprit qui Ta dicté. 
Pendant plus ^e quarante ans il a traité toute sorte de 
sujets, portant dans l'étude des hommes et de leurs œuvres 
une faculté d'assimilation qui s'applique avec la même 
aisance tantôt à Pascal et tantôt à Gavarni, tantôt à Bal- 
lanche et tantôt à Stendhal. Pour lui emprunter une com- 
paraison, il a été vraiment comme le vismara, ce papillon 
des Indes qui prend la couleur de la plante sur laquelle il 
vit. Si nous joignons à ce don merveilleux toutes les 
qualités naturelles de tact, de mesure, de goût, qui font 
de lui le plus fin des lettrés, un style capîible d'exprimer 
les plus imperceptibles délicatesses de la pensée et du senti- 
ment, un soin de l'exactitude matérielle qu'il pousse jus- 
qu'aux plus menus détails comme celui de la fidélité morale 
jusqu'aux plus subtiles nuances, une probité littéraire que 
les détracteurs eux-mêmes ne sauraient contester, enfin, 
pour toutes les tentatives nouvelles et pour toutes les pro- 
messes de talent une attention toujours prête, une sym- 
pathie aussi cordiale qu'éclairée, nous aurons expliqué 
comment il est en ce siècle, non pas seulement le critique 
par excellence, mais, si l'on peut dire, la personnification 
môme de la critique considérée à la fois comme une science 
de sagace analyse et comme le plus délicat des arts. 



CIlAI'ITltR VIII 



LE ROMAN 



Ift.roinno fut cbei les iniUateurs de notre siéels I 
I flclif i^ans son actioD et tout idéal dans ses caractères. JeOD- 
I Jacijues le premier, puis M"" de Staël et Chateaubriand, 
I riippro]>riérent A. l'expression de leurs sentiments iotimeg. 
1 ta Souvelle Hélo'ise, Corinne, René, sont des ocurres • sub- 
I jeclives >, passionnées, oïl l'inspiration personnelle a btiiD- 
[ coup plus de part que l'observalion . Les auteurs j mellent 
F en scène des personnages imaginaireB qui touroent abâ- 
1 ment au type, un béros auquel ils prêtent lear &me el 

confiant tout ce qu'il y a en eux de Ijrisnae dëbord.int. 
[ Rousseau s'est peint en Saint-Preux tel qu'il aurait voulu 
\ eire ; M»' de Staël et Chateaubriand s'idëalisenl eo Corinne 
a Itené. Pour eux, le roman est une sorte de confession 
I publique dans laquelle ils étalent toute leur personne. Cette 

■ subjectintë >, qui doit être considérée comme un trait 
I c&raclërislique du mouvement littéraire qu'ils ont imprimé 
I à notre siècle, ne s'accuse pas moins en ce genre qu'en tous 
I les autres; le romnnlisme s'y montra d'abond avec cette 
I esalIntioD de vie intérieure qu'il devait porter bientôt qod 
I seuleracDt dans la poésie lyrique, mais jusque daoê. ' 
I théAtre. 

mu par les anciens et uiéme par notre flgt 



1 



LE ROMAK. 130 

.iiiiir un diTL'riissemciil frivole, le roman BTait Ëcbapp« 
iiiiai aux ilûiinitioDs el nai. régies d'uoe critique qui dc daïS 
■-'liait pns s'en occuper. H n'j a guère plus de oinquauLeanM 
ï dicniain osait a peine le l'aire entrer dans l'histoire iiltéfl 
i!iire, cl De l'admettait du moins qu'en langue grecque. L^ 
iialuro même du genre se prËtaii d'ajlteura k tous les fiujetfl 
1.-I â tous les tous ; aussi, favorisé par les coDditious socialea 
ilevalUi] en notre temps prendre les formes les plus diversefl 
t( retléter les multiples aspects de l'Ame moderne. Et, a'n 
n'est au xtx" siècle aucuu sentiment, aucune idée, qui n'M 
li'iiUTe son expression, il n'est aucune école de quelquS 
iioportaoce qui n'ait tenté d'en renouveler la formule d'aprëfl 
9f$ vnes particulières, aucune conception de l'art A laquelln 
il ne se suit accommodé. 11 avait été d'abord une elTusioM 
'Jâ sensibilité personnelle. Il s'appliqua ensuite & foirM 
revivre les siècles passés dans leurs personnages, teurfl 
mœurs et leurs costumes. Ûuitlant l'histoire pour la socîëLfl 
contemporaine, il se divisa aufm, sans sortir de ce cadrM 
m^me, en deux genres bien distincts el répondant à deufl 
tendances irréductibles de l'esprit ; les uns, regardant iM 
vie réelle à travers leur imagination éprise de beauté, dfl 
vertu, de bonhear, en tendirent un tableau toujours idéalisfl 
iluns sa vérité même; les autres, armés d'une analysa 
fiigace et pénétrante, s'étudièrent à la voir telle qu'elle esfl 
et à la représenter telle qu'ils l'avaient vue. U 

On sait comment le romaulisme renouvela l'histoire. An 
inouvemenl général des esprits vers les études historiques 
concourut d'une part l'investigation êrudite, qui analjsaifl 
les monuments avec une rigueur jusqu'alors inconnue, dM 
l'autre une sensibilité divinatrice qui, non contente dM 
l'cxactilude purement matérielle, donnait aux scènes deH 
anciens Ages la couleur, l'animation, l'accent mdme de Ifl 
vie. Tandis que les historiens se tenaient dans le cadrd 
d'événements auxquels il leur était interdit de rien changer^ 
les romanciers qui traitgp.i il aient leurs sujets en des êpod 
quea plus on moins lolnlaînes pouvaient mettre A proGl c(fl 



m LB MOtVEHKNT LrTrtllAIIIB AU XIX»3 

s [iffraieDl par r>i]M-i»tinM <)c )iitt<'f^<>« Pi)l 
qniini leur fncull^ rl'InvptilioD ans rail^ct nui potKoiq 
f tniil. Ii> roman hJ«li>riiliiu, Ifl '[nv li: runçiil tuf 
Idc 1S3(1. ressemble firt à riiisluinîrnnirinosqottW 
llniitnll l'école doscriplive : il fUnit AtiODuri pirln 
fvtércivingienx commit le dMiue historique lo fui p«r 
inti lie (a Linue. Ne pnil-ori itifiitii' voir un léritkble 
roman lians ce pOÈmc Hcs Martr/rf qui réy^in & Augustin 
Tbierry sa ïticntjont Et, eo se rappelsDt aïec quel traosperl 
d'enthousiasme l'auteur de la Conquête de fAngteterre célé- 
brait Waltcr ScoU, ne aerait-on pas tenté de dire que noj 
premiers hisloricn» curent des romanciers pour maîtres? 
Au lieu de prendre ses sujet» et ses héros dans la sociËlé 
du temps, le roman alla d'abord les emprunter A l'hn- 
loirc deg siâclos passifs; c'est que les romanciera d'olort 
lont aïntit tout des poètes, dont l'amc sent le besoin 
d'échapper à la vie rt-elle. Je se figurer on coaliims plus 
brillant, des passions plus énergiques, d'évoquer, dans la 
perspective d'un âge lointain, ces rSve» sublimes auiiiueli 
répondent si mal les platitades du milieu contemporain, 
Le riiiiianlixme se d<!pajrse volontiers dans le temps comme 
dans l'espace. Il tuit les banalités Ambiantes en se tran»- 
porLnnl A plusieurs centaines d'années aussi bien qu'à plu- 
lieurs centaines de lieues. I) va chercher lantAt dans le« 
I Époques reculées, tantôt dans lea civilisations exotiques, a 
1 tiier?eilleui dont son imagination est éprise, ces presli- 
' gjeuses décorations dans lesquelles viendront s'encadrer 
ifeui-m^mes les événements eilra ordinaires et les person- 
oagGs surhumains. Si les trois principaux représentants du 
roman historique sont justement les trois poètes qui fondè- 
rent le drame moderne, Vifruy, Hugo et Dumas, il n'y a 
paa lA une rencontre fortuite. Sans doute, chacun des deux 
genres a ses conditions et ses nécessités spéciales ; mab, 
dans là diversité de leurs moyens, c'est le mâme idéal qu« 
tous deux cherchent & rivaliser. Le romani isme s'est pditt 
en l'un comme en l'autre avRc ses élans de senlimonto HK 
ferrcnle, son besoin d'ëmotions fortes, ion dédain 



ùilt, son aTcrsioD pour l'aaalyse. Ne cherchons dans lea 
B historlifues dî des caractèri^s ei&ct«ineiit tracés, ni 
la juslpsst^ du ton, ni 1& ^6tHé délicate et discrète dafl 
nuiineos. Ms ne nous donneot qao bien rarement le tableaj 
fidâle du temps et des milieux, presque toujours Irafestia 
soit par légèreté, soit par i^norajice, et Taussés par M 
rcclierche de l'effet. Si l'action est inléressanle, si les penoiM 
nages vifcnt. si les pussions s'expriment avec ëloquencd 
nous consentons volontiers ft fermer les yens sur ce que In 
genre comporte inëvilablemcnt d'anachronisme dans loi 
mœurs et dans lea caractères aussi bien que dans le langagM 
iq-Mars dut le succès à son action dramatique, à i'ioM 
ht des figures qu'il met en scène, surtout à la beauté àm 
, au charme des descriptions, A l'exquise finesse des 
:. Alfred de Vigny dénature les caractères historiques 
tpour mieux on accuser la physionomie, il outre les traitfl 
Kaisir, Ses h^ros. au tort de ne pas être ceux de l'htatoirM 
ptent le défaut, plus grave encore, de ne pns fltre vrag 
B hommes. Il les construit avec une idée. Ricbelien 
r^sente l'ambition, de Thon eat le type de l'ami. Lm 
^urs secondaires n'échappent à l'abstractiort que pool 
s'accentuer en caricatures : le père Jostipli et Laubardcmoifl 
-unt gratuitement vils et grotesques. Ce qui fait défaut A l'ata 
I our, ce n'est pas la connaissance du temps auquel il emprunt! 
jon sujet ; avant de commencer Cinq-Marx, il avait < la ■ 
la lampe trois cents volumes et manuscrits >. Maie cetn 
minutie d'informations lui a été plutM nuisible. Préoccupa 
de ne perdre aucun des traits caractéristiques que lui avaiein 
fournis ses lectures, il a dénaturé l'histoire en chargeaJ 
les personnages et en formant le cadre naturel des faits. Cd 
lyrique méditatif n'avait d'ailleurs pas plus le sens de n 
réalité historique que celui de la réalité contemporainn 
Dans Cinq-Mars, la poésie est toujours admirable, mais M 
roman est compassé, pénible, faux comme tableau d'hifl 

Iiro, et, qui pis est, sauf deux ou trois scènes épisodiqua 
ns lesquelles l'art se concilie heureusement avec la nd 
fe, superficiel et factice comme œuvre de vérité liumalnd 



Oé LB H>I(<TP.MR?IT LITTfjlAtRC AU XIX* SltO.fL } 
Vidor Hugo déploya dans Setre-Bame dt Pt, 
[ *lRiteiir et luiile la puissance de son imnginaUon poétl>|iu. 
I Qortiurs (inui^ca aj|iaravant, sans re[u§cr de justes i'tu;,'i'! 
1 à WallLT Scott, qui Tenait de publier Quentin fiuncufd, Il 
LtffiftUail %vi ]iroprci vues sur le genre, opposant au mman 
Iproonfriuc qui tire ses sujets et ses caractères U(!s r^'^fiiotu 
■ AkRiili^rns de t'eipérienue, un autre roman dont il pnrUiU 
I il^jb tm Ini-inénic la conception grandiose. Ce roman, 
I (Udaiftncux de toute cnâdiocrité, se prendra à rcxtraordi- 
T Dsire par bai ne du commuD, et poursuivra, noo la Térilt 
I no^enae. mais une vfrité supérieure qui procède moins de 
I l'obsorvation que d'une STothèse intuitive. Noire-Dame de 
I Fari» réalise l'idéal du poêle par le caractère aymboliquo 
I des personnages, pnr ce qu'il y a d'extrême dans les scnli- 
I toents et de fanlBslii]ue dnns les avenlures, et surtout pat 
I la vision toujours plus prorlmim^ d'une Talalitë implacable 
loUTe sourdement dans l'œuvre tout entière avant â'é- 
I dater dans la catastrophe fioale. 

Le poêle y a mis en œuvre les plus rares qualités d'Inven- 
I tion et de facture ; il a su rendre les exquises dêlicalesscs 
I du sentiment comme les brûlantes ardeurs de la cbair; il 

8 éToquê, parmi les masques grimaçants ou sinistres, une 
I ilgure dont la douceur, la grice, l'idéale suavité, éclaireul 
n rayon les sombres voûtes de la nef gothique ; à la vite 
I compréhension de notre antiquité nationale, il a allié une 
I connaissance mûre de l'Ame humaine ; la magie éblouissante 
Ida style, le don de faire vivre les êtres et les choses, ca 
■.qu'il y a de plus philosophe dans l'ironie et de plus fervent 
l'dans l'enthousiasme, les facultés les plus diverses d'un 
■■génie riche et fécond entre tous, ont fait de Notre-Dame une 
I multiple et prodigieuse épopée, l'épopâe du moyen fige et 
e l'art ogival, symbolisés par celte cathédrale qui est le 
Bcéntre de l'tBiivre de mûmc qu'elle en avait été la pensée 
Mospiratrice. 

Les romans de Dumas, comme ses drames, n'rint d'his- 
Itorique que les noms et les costumes. Mais il porte en ae» 
iTBSLes compositions une audoee, une verve, une fcrl 



LB ROMAN. 

laginalioii, une aisoDce dans le récil, oa utouvcti 
dans lu dialogue, une «ivacîlé du boune bumeur, uae Soi 
itf tempérament, qui l'eusseat ëg&Ié aux [ilus grands n 
du siècle, s'il n'avail Cil ni promis tanl de merveilleux dona pa^ 
ton insouciante prodigaJilë, s'il D'avail Irop aouveiil chcrcM 
dus succès morlels t la gloire. Itomaacier comme dram^ 
turgeil mit l'hisloire en coupe réglée; il sacrilla sac 
BcieDcc d'écrivain au goût d'un public vulgaire, et le4 
nécessités d'argent fircat prévaloir de plus en plus 
son œuvre • la manutention bourgeoise • sur t la corabi-1 
liaison artistique >. Il aurait pu être un de nos plus graridtA 
lanciers: Il ne fut que le plus populaire des uiiiusuursti 
du feuilleton. 



m' 



'Les baroques inventions des • reuilletonistes >, 
bigarrures, leurs perpètuela an achro niâmes, accusaient leaj 
j)i:rils d'un genre si sujet de lui-mâme à la faussclé. lorsque,] 
tirant le roman de la l'aulaisie historique el d'un uiojcu 6j 
de convention, George Sand en cliercba la matière dans l6sV 
mœurs et les passions contemporaines. 

Si George Saud s'abstint de prendre parti dans la grandel 
querelle littéraire du siècle, si son génie spontané ne s'ei 
barrassa jainais d'une poétique, elle n'en apparlienl [ 
moins au romantisme, eu entendant par ce mot un é' 
générai de l'ime plutôt qu'une conception systématique d 
l'art. Gomme tous les poètes de sou temps, George Sai 
est esseuliellemenl • Ijrîque •- Elle met le meilleur d'ell 
même eu ses créations. Elle n'admet pas, elle ne peut p 
comprendre, que l'auteur se désintéresse do son œuvre. I 
relation sur la Un de sa carrière avec une école de roma 
ciers qui visent à je ne sais quelle • i m personnalité >, el 
ropoussc de toutes ses Torces leur tliéorie, si contraire I 
SCS instincts. L'art impossible ne sera jamais pour i 
qu'un art egoisle ; en s'élevaat contre la nouvelle doctrine^ 
elle dérund Vhumanilé, que risque de luer la • littérature > 
l::ile se rattaehe au romantisme par celte eiallalJon moral^ 
qui est cuuiiuû un aiguë du tempsi par toi'l ca qu'il g i 



le i ïti htroi lEJLilea la graûiicure Juni 
D flli«-iit<iH« I'B«[tirn(ion. Biie ne t inquiète pas de j 
I k réiA ; muini afiU a anftJjser qu'à iovenle 
Vdoui» iDsti net) vc ment une forme bdx riva de son j] 
f-lMUo* ei lui clan* ilc «>o oœur. 

Ce Mm <l<!Ja In Taire eounaltre quë de rapporU; 
I anine cntiËrc à des aenliinentï. Trois eurUiut farè 
s Je les iaspiralioas ; unis eu elle dès le dâbut. C 
I d'MU démine toute aae période de sa carriire : 1'^ 
I d'«l>otd, puis rhumaniie, eaûtt la nature. 

A iSobnnl, les souges d'une eofaace soIiUùre 6t p^ 

ineJitrecaaillie; dans r&gc critique, des accès de n 

{ai Dialienl la téu ei les sens de la Jeuue fillo; puia,V 

]Dos anaies de rie 6 l'abandon, sans autre aliment^ 

I l'esprit que des lectures aventureuses et décousues dont e\ 

I retient surtout ce qui parle à sa sensibililii efiervesuenlej^ 

I ft oùii bomeur romanesque', une courte union avec a 

[ qu'elle accepta sans TBiiner et dont les goQts 

> rroiKBaietit ce qu'il > avait en elle d' éleva et de délicat ;■ 

Bpris les déboires d'un mariage mal assorti, u 

i livre à toutes les tentations cette &iae eipom 
rrémiasanlc : c'est assez pour eipliquer que George | 
débute dans la vie littéraire par des cris de possiOD t 
I du l'anathème se mêle à celui du dilhymiriboi < 
[ premiers romaDs soient l'apothéose de l'amour i 
comme un mystique idi-al et l'ardente réprobation d 
I jugés sociauï qu'il est sacrilège d'opposer & l'appel i 
\ femme d'un vieillard égoïste et brutal, ludiana i 
I le bonheur dans l'afTection d'une &me qui unit la tfiUl 
I àl'bâroïsme, et idle abandonne le loit conjugal poucj 
rtlvro nu l'ond d'une solilud« que cetta affection t 
I remplir. Ku douuaut sou ctsur à Uéuédict, ValeuUntf^ 
t0*tâ contre lus conventions mondaines dont elle c 
time. Uans Jaci^ues, le héros est le mari : mois e'i] 



LE ROUAN. 



Î39 



^^^Bri qui gioriDe l'amour en se suiddnQt pour qna sa 
fl •. ftniine puisse aimer mina sppupule celui qu'elle lui pférète,! 
L'ordTM social, fundé sQr le mariage, que fausscut eU 
p^rverlisseoL d'h.vpocriles bieuséasces, est fataiemaDt touII 
& une trausformalion, qui aura l'amour pour initiateur. L«ïtlH 
s'en prenait déj& de son mal k la société et aux loin 
iiumaiaes ; Simon consacrait le triomphe de la passion aurl 
les iniquités du monde ; Mauprat la présentait comme aiM 
principe de rëgéntiration morale. Dans la seconde périodel 
de sa carrière, George Sand devient socialiste. Peudand 
dis années elle met son génie bu service des réformateurq 
nui rêvent une société nouTclle. De tous les romans dan« 
lesquels ses personnages développent des théories humani^l 
t»ires, aucune idée vraiment nette ne se dégage. Elle n'ai 
pas toujours bien saisi les systèmes auxquels ses amis l'ini-J 
liaient tour A tour ; elle les confond tous dans je ne saÎM 
quel songe de paradis arcadien. Ce qu'ont de significatif 
les romans de ce genre, bien surannés aujourd'hui et qucd 
personne ne lit plus, c'est, même à travers les déclama-9 
tions les plus creuses, nn sentiment passionné de charitd 
bumaine et une tendresse infinie pour les déshérités dn 
monde. Elle reçoit les idées des autres, mais elle leur prêta 
le chaud et sympathique rayonnement d'une &me qui esM 
tout amour. I 

C'est par le cœur que George Sand fut ( socialiste >, et Ig 
■ socialisme • n'était pour elle que le rêve pieux d'nne hoM 
manilé meilleure et plus heureuse. Quand les discordeq 
politiques eurent fait brusquement avorter loutes ses cspé4 
rancea, la déception, si navrante qu'elle fût, ne laissa dann 
son Qme aucune aigreur. Elle ne vit dans l'égarement den 
bomiiies qu'un motif de les aimer davantage. Elle nfl 
renonv'u pas à Eon idéal, mais, (lélournarit les yeux ded 
-['cctacles qui semblaient le démentir, elle lui donna nfl 
i^lre cadre, elle le réalisa en des Ames rustiques dont M 
nalurelle candeur se conserve k l'abri de toute contagionfl 
^^^k rappela aux hommes endurcis ou découragés, elle «a 
^^^nela b eU^-mËine « que les mœurs purea, les aenlimesta 



I tfu« dit fJfflMc avnit tW 'O iTnn.iM Im.l J« lîCHe'T 
I nouvellr.. Uieii du romnns ft ttttnries, nomme te KH^ 

1 d'An^ftau/1, la [iluparl des romnii» k pussiuns, Kolft 

|)ar eieiDple, renrerm aient luaiulespagi's île puéstc agraXo 
qui «Tftient di'jà montré che» Georgo Sand nu pointre incom- 
parahlc d(> In nature. Dans la troisiémo période de sa car- 
rière, l'nuleur dp Valentinf et du Mmnier d'AnffibauU, fai- 
>nnl Iritve aux divaRations lium unitaires aussi lien qu'aiit 
di^clnnintioiis ronjantiquM, se repose sur des scènes de sîtu^ 
plicili^ rurale qui rafraîchissent son cœur et réconry; 
[ la foi. 

iniDur ne cesin point, même alors, d'âll 
I lu suuTeruinv expression de l'idéal. SIICHvaitd'atiord'l 
I co qu'on appelait en ces temps rocuMs ks droits J 
T pHGxion; puis elle avait fait de l'aniour rinitinteiirl 
[ société nouvelle qu'elle ri^vail pour lui ; elle cherche ï 
' tenant au sein de la nalure cet Eden liéni dans lef 
sVpanouit de liti-mfiine comme une fleur df» t 
C'âtail, au dâbut, l'amour avec Ions ses e 
et toutes ses fièvres, l'amour qui csnltP et qui dévort 
' traîne ses victimes au suicide et ravit aes ôliu ]q 
t l'apotbâose. Ce fui ensuite l'amour conçu corotM 
I principe de râfornialion sociale : il jette les rtchea i 
l eienncs aux bras d'onvriers magnanimes qui couienn 
I les épouser quand l'incendie de leur château les a ï^ 
pauvres qu'eux ; son triomphe éclate dans la ftïoi 
tion du peuple représenté par quelque héros obscur q 
carne en lui toutes les noblesses et toutes les gr&ndâv 
l'hnmunilé. Enfin, qunnd George Sand est all^e Aem 
aux cbamps leur douce elpacirianle inapîratlou, e 
p d'àmes ingi^nues, l'amour sans exaltation fnot 
I mais avec tout ce que In simplt- nature comporte île dÊli* 
■ catesse spontanée, d'eiquise douceur et de fraîche tendres 
Pûui' George Sand, l'amour est divin par essence. I 



LE nOHA». B« 

linnl le bnnlieur, il conlicDt la vertu luême. Ëïle l'o pi'[|^| 
supérieur anx luis sodalt-s Eointne à la voIodI.ë buiDaÎQ^H 
plus fort noQ seulemeat que les prëjiigtis du monde, iaa^| 
uiifsi que les (iriacipcs de la morale, et, commit le fet^l 
purillual tout ce qu'il consume. Elle l'a d'abord idéalisé daii^| 
l'adultère; elle fiait par l'idéaliser dans le mariage. Il rc8l^| 
timjours à ses jeui le but suprême de la vie et la suprâiilM 
l'orme du bonheur. fl 

I II n'y a en moi, a-t-elle dit, riea de fort que le besoifl 
d'aimer. ' Ne restreignons pas le sens du mot. Ce que noufl 
appelons proprement l'amour et ce ■ besoin d'aimer >, quiH 
fut en elle comme noe émanation de tout son cœur, oofl 
pi'Ut-âtre une source commune. George Sand a beai^fl 
cuup aimé. Elle a eu la vertu par eicellonce, la charitéfl 
i|ui iiuvre les portes du ciel. Elle a versé sur les souSraocefl 
bumalnes tous les trésors d'une înépulsuble tendresse, sfl 
donner tout entière, telle fut sa vocation, t-'oplîmism^l 
cbez elle et l'idëalieme De sont qu'une forme de sa bont^| 
native : elle aima tant l'buinaaiti^ qu'elle n'en vit mem^| 
pas les vices et les laideurs. La bonté, voilà le fond de ao^| 
ttme; elle fut bonne, et elle le fut bonnement. V 

liés le début, George Sand eut la pleine possession d'u^| 
génie qui, sans a'âtre cherché, se trouva du premier coupfl 
Mi IfLlonnements ni reprises : elle atteignit tout d'abord i^Ê 
perfection de sa manière. C'est pour gagner son pain qu'elle" 
entreprit de faire des romans, et il se rencontra qu'elle fut 
sans y avoir pensé un des plus grands écrivains de son temps. 
Nature indolente et passive, elle s'absorbait déjà tout enfant 
en de longues extases; elle avait l'air d'one > bâte >. Ccuifl 
qui l'ont connue à l'époque d'indtatiu, de VaUntine, de tonfl 
ces romans omgeui qui passionnèrent jusqu'au délire iJM 
génération coolemporaine, nous la montrent débonnairefl 
inert«, les yeux un peu ternes, doui et tranquilles, l'atfl 
nonchalant et lassé. Elle n'a point d'esprit; elle nt s'anim^l 
pas; elle semble entre la veille et le sommeil. Elle parifl 
d'une voii monotone avec des gestes lents et placides; H^Ê 
■ dans toute sa personne quelque chose qui tient de VatiU^^ 



■ (11- (ieorjii* S»ii*à e*l inslinctir. 

''(■u lui impirte qu'on m^îi' du f 
; • i:< n'>'n [Kiursuitpas moinf an titchc nvccnneel 
. lu..^ COQimo si elle êcrivKil «lUs In àifÀt^ do quelijW 
Il iijirc ioTHilile. Elle-iQftnic se compare A uno rontaioe»" 
turelle. Ses familier» maionl d'une comparaison analogot, 
mais pliia expressive encore dans sa TulKiirilS ; ■ Suppouit 
dit l'un d'eux, que *ous a.vez un robinet ouvert chez 
nii cnirii, ou vous interrompt, tous 1e fermcï; 1cs risilean 
une Toi» partis, yoos d'btcï qu'à le rouvrip. C'est commi 
cela chez George Sand. ■ Elle i sa mesure qaolidteiuie, il 
elle la remplit sans jamais rayer un mot, sans niâni 
avoir liceoin de serclire, finissanl un roman, dit la légeoiti 
a nne heure du matin et en commençant un autre de U 
mAme haleine. On dirait qu'^rirè est chez elle une rooctiea 
purement mécanique, 

Kn se mettant fi l'œuvre. George Sand ne sait où elle 
mAnera ses Uâros et ne se demande pas oQ ses liéi 
mèneront. De Ift, ce que la pluparl de ses ouvrages nnl 
d'nvenlureux dans leur développement et de mal t^quilibrt 
dans leurs proportions. Ils se font d'eux-mimes 
et A mesure, el, si celte licence de composition leur prfile 
un grand charme de naturel, c'est au détriment de l'unit!!, 
qu'aucun plan arrêté d'avance ne garantit contre les écarta. 
A ce manque de suite dans l'action correspond le manque 
do fixité dans les personnages. Il arrive souTent que 
leur plijsionomie s'atlére; l'auteur leur prêle. 
Tnisant, selon les besoins d'un récit qu'elle laissi 
devant elle, des traits qui ne s'accordent guère av 
que nous leur connaissions. Ce qu'on peut surtout lut 
reprocher, c'est que ses caractères, cuui-Ift mêmes qu'elle 
d'nLord pris dans l'observation de la réalité', ne (ard<;Dt 
pas A perdre pied, & dégénérer en t.ypcs d'imagination 
coraplaisammenl formés d'après un modèle tout Idéal, 
Certes, on trouve Bouvent chez elle nne psychologie Une ei 
pénétrunle. Nul écrivain n'a mieux saisi, par exemple, lei 



It îiOMâ5 Ut 

natures Ttrtir.t t^tî; .rrr t:^!:'.**: Eti* c:i.?ir.LL:r -■*•_? 

cas i-rir. dr I.î.ri.r£ST I!*. ^ '■'_■* l'.r ^'^ dr 7€:^i^^r ' -i.r"_r. 

des pir-i^ : ^.lî_,^^^ -t ..t*.*: -.: i:'.''.zzr .-_r i-rTf-:: iLi-rî 
tî'Dç ie r'-rnr.: : -".t' v-** jr^- l.-iicî ^i -.i*_: t:". -.1 :; 

Ses T'.^iZ.^ Z^h IMlcV ^5.: . -Ii; .'t:ïÏ '. 1 Zr .i. Trrl ' : 

c Pt^Î •"I *■"!!_'. i • '. Lî ' -* .'T Zz ji'.ZZ.-^ iTt t L'*— S TL'"" L- 

i'ZZlS îtrî l-ri'rlLri - £'. *-r ','. IL! L.'c-L: t Lî :2é : * V:.-^: 
fîlîtef It 3'II_rt.i LLILc-Lt '1-' - T^'l-drt-ï lt..m -Z' Il^r-. 






1».: e: ::^ r:^- 

Srî r: ':_i ' ■ t , '■' ■ r . -: ' ■ : •■ .-:' ■ t ■ '■:■.' : ' ::.■; i : ::_=; 

eii_.T :- -. - - - ■-.-'. .-L ::^.l- ■-= .-ri ^ irr: 

Çt tli^ -r: . • ■. ".■ . ,- '. • ^ 1. '•il.':": ''.'. -jr T.c 

Çif." *> . .- -».-■,<,. ». - ' ^ ^ - .-. ^ 




iii1«« histoires d'«inQiir noKjuEllM la natare «ert a 
!. Si cc«e iilfall«tc incorrigible n'a pas reprtscnW les 
e eiréfi«lsinp lue leur priMcnt uns ro- 
inlincien cuEilcniporaina, «Ile leur conserye du luofas <t 
V leur f uslkcité native [lour quiis rosteat vrais- Elle les e 
lit, elle lia a pratiquas dés renfanco, elle sait dégagerj^ 
c iiiie leur dure nt groiiaière apparence peut receler f 
~ teadriTSit: uu mime de distiuctioD ittoraJc. Elle est pur C 
eellear.e le peintre des chaïupi*. tille u sea traînes du Bel 
t^ceiBtne Bernardin ses marnes du l'ile de France et CbateatH 
nd ses forâts vierges du Nuuvuau-.Munde. Les liaies 
I dans lesquelles on entend un battement d'ailes, les 
Lchemins sinueux qui serpentent capricieusement sous de 
^rpbtucls berceaux de feiiilln^e, les fraîches prairies où se 
touche la vache auï grands beaux jeux songeurs, les terres 
ss luisent au soleil d'avril, voilà son véritable domaine, 
e des passions, déçue par les utopies, elle s'est réfugiée 
>aux champs, et là un immense apaisement descend en son 
fur. Elle est eu communion perpétuelle, avec lu nature; 
Q regard doux et lent semble l'absorber k longs traits, et, 
spontanément, elle en rayonne autour d'elle la bienfaisante 
vertu. 

A GeorgeSands'opposel'écoleréalisle, dont Stendhal pcul 

âtre considéra comme le premier représentant. Le réalisme, 

qui, dans la seconde partie du siècle, devait prafondétDeDt 

renouveler toute notre litlëratnre, s'y introduisit d'abord 

i roman. C'est que le roinan, s'il se prâte à toutes 

les fantaisies, est aussi le genre littéraire qui s'approprie le 

mieux & la peinture de ta rëalitë. La poésie vit d'imngi- 

I naljon ; le IbéMre est soumis â des lois d'optique spéciale : 

I quant au romun, il peut, dans la pleine liberté de sa fornie, 

■ reodre le tableau fidèle de la vie, telle que la note en toute 

1 sincérité un observateur précis et pénétrant. 

Stendhal se rattache par certains côtés au romaalisme. 
iLes rtimaDliquea s'étaient posés en face du pseudo-claasl- 
I usiuu comme les promoteurs d'une rénovation qui devait 



«(Il 



I 



LE ROMÂH. 

l'art <le tonte règle Taclice en le ruppolanl à. la j 
oature, son unique modale. C'est par haine des prcjugt 
et dus eaDTGDlions que l'auleur de Racine et Shakptpean 
début cause commune avec eux ; il fut alorB te plm 

ipal.ient d'entre les révolutionnaires et le plus avancé 
cet esprit dé&ant ne a'Rssocia jamais à la restaivaj 
ion religieuse et idéaliste ; il aasisla en spectateur B 
'tique au triomphe d'un lyrisme qui ne fut jaiiiais [ 
lui que rhétorique vide et fausse sentimentalité. Il coQ-^ 
damnait sans rémission non seulement la forme de IkJ 
poésie, mais la poésie elle-même. Ses maîtres se n 
Belvétius et Destutt de Tracy. Il est matérialiste. Il t 
athée. La sensation, la physiologie, le fatalisme du tempd 
rament, voïlA ses articles de foi. Naturellement acnsUi 
il a honte de ses émotiona et les déguise sous l'ironie 
Aux magnanimes héros romantiques il oppose son Julio^ 
Sorel, tjpe de froid égoîsme, sorte de Bolla sans idéfti 
qui ne vise qu'aux jouissances d'une âpre et desséchant^ 
ambition. Il a une telle horrenr pour ■ le ton sublime i; 
qu'il s'interdit toute métaphore. Son sljle est décoloré pat 
être plus transparent; il a la précision et la sécheresft 
d'un procès- verbal. Avant de se mcilTe à écrira, Stendhi 
lisait quelques pages du Code civil. 

Sa 1 profession i fut d'observer le moi. C'est un dei 
hommes qui ont le mieux connu l'homme. 11 croit A la prd 
dominance de la compleiion et du milieu sur la ( 
et par 16 il annonce Balzac et nos romanciers contempêh 
rains. Mais avant tout il est psychologue; ne se dissimiu 
lant pas l'impossibilité de déterminer d'une façon préci: 
l'inlluence du physique sur le moral, il tourne toute t 
attention vers l'analyse de la vie intérieure. < Je chercha 
a-t-il écrit, à raconter avec vérité et avec clarté ce qu 
passe dans mon cœur. > Stendhal est un moraliste, e 
porte dans l'étude des sentiments une perspicacité, 
flaesse, une pénétration, qui l'ont fait nommer par Taiae J| 
plus grand psychologue du siÈcle. 

Grand psychologue, mais non pas grand romancier. ( 




: lie Cba- 
K. SU ■> M p«s artbie 
edfcctiittaear d'obsem- 
ft IM k fanlU créatrice 
r «A Miis t It «Inr islrinséque 
' ~ ~ " B ilre 

« jetait BOX admi- 
b S B^M Mit» fax noÎM on d« ce* 
BMkr Irait * rcs^nt d» leur temps. 
r « ^1 j arait de faux f< 
» rwt fi»— rnii ■ « nacae le siècle ma 
I 4e f iifciH ^I Jii » pmtin. a annoncé, il a 
* 4t Fait ïBtattir et TisioaDairo, 
t etpdriiiMatak • qni deTtit 
i W Mw lii afvla W Mal* wlre ritténtore. 

H « tMidMs daSteadhalnitlea faorncoet et sar les choses, 
■ dtvltail UMiuM, (Wt linpiliiretiieDt dèleim sur les 
lwie«n<,'«. • Il j aiait d'ailleors enire ces deux espnls des 
lanuilei i]iii teur pillent bb air de famille, en laissaut & 



ïabtciui d'c< 



a |itijrslou 



o distincte. 



■ LE ROMAN. Sti 1 

H Ce qui frapfe d'abord chei Mériméo, c'est le sens du récK i 
Bn se ralliant a» romanlismo, il n'aliëDC point son ori^^ 
lÔBlilé rCsistante. Il ae rcfusp <iâ5 h début A ce qui pouvatffl 
I^B sortir de déclumatoirCi de vagae, de poncir. 9 

■ San goût de 1b vérité loule en oerTs el en muscles, il VéM 
Bffrtë jusque dans le genre du roman tiistorique, si propicra 
Bb clinquant de la couleur locale et & toutes les dâbauch^n 
Iw riraagînalioD : la Chronique de Charles IX est d'uoe &o^M 

brîâté qui tranche avec le luxe de niauTaia aloi qu'étalent^ 

les < l'aDtaisistes > et les ■ pilloresqnes i. lll'a porta jusqufH 

dans le merveilleux lul-mâme, où. son analyse scrupi>^ 

leuse nous doune l'illusioD et pour ainsi dire l'hallucinatioilfl 

de la réalité. Mérimée ne s'intéresse qu'à des faits. SSM 

ces faits, il leur laisse la parole. Les ayant choisis axâ^fl 

tacl. il les fait valoir par !a manière dont il les dispoie^l 

r l'art avec lequel il tes présente, saus jamais intervenir-l 

s récits. I^a un temps de Ijrisme exubérant, il resttM 

[SbseQl de son œuvre. Il affecte l'iodilTérence la plus détq^ 

ïée. Il ne veut pas avuir l'ait de s'intéresser à ses per^ 

mnagcs, pat crainte de leur porter plus d'intérêt que Ifll 

eteur. M 

Qu'il n'occupe pas dans la littérature de notre temps uOlufl 

place plus conaidcrabie, cela lient justement A sa réservif'v 

t^tudiùc, a sa Troideur de tenue, à cette apprélieiision etceit'fl 

sive du ridicule qui lui fuit considérer tout trait de sensbd 

^lililé conime uo signe de faiblesse et comme une marquâ'fl 

Bag mauvaise tiducalioa. Mériniâe est avant tout un bomme I 

':du monde, et à la façon anglaise, correct, flegmatique, ne J 

a'étonnaot de rien, ne laissant jamais sa pbjsiooomift'fl 

trahir les impressions qu'il peut éprouver. L'homme dâl 

tnonde prévalait en lui sur Tbomme, et trop souvent Ifll'fl 

■ gentleman » a fait tort È l'écrivaiu. M 

_, n n'en demeure pas moiua un admirable artiste. lnl'drienr|a 

lit Stendhal comme psychologue, mulgré tout ce qu'il y a ifiM 

■ .^nélraui daus son uualysc, il lui est supérieur par le taleatl 

de metire en scéno, de conduire une action, de composen 
une œuvre dont toutes les parties ae tiennent. De plus, il lÉfl 



|lU LE MOlJVEHEr^r LITTlUlàtRE Att SIX* ! 

D «IjIb • lirUralre », le itjle il'aa fcrirnin ciut e 

ikin non celui d'un al^-^briste. I) alteint lu porfei 

«Kin gwrt-, Presque IobIm ses nniiïcllcs sont dos 

Id'nuTN! on cette matilèro tto peu sècb^, un peu dure, n 

Uorte. nermusp, pi-rionte, qal fait do )ai un Uea roinao- 

s U* pins originnux et les (ilua caracléristiques du siècle. 

Snfln iJ s'est surpassé lui-BO*ine. ou pliiliU il s'est une fi^s 

■dèparU (lu son impassibilité T^roce, dans ce roman âe Co- 

1, Katis perdre les qualités distïnctives d'un talent 

tloujoars sobre et arrr^-, il en a d^plo^â d'autres dont il 

|>*Hnil jusqne-Ii délie trop jalousement, oïl la eonsibilité 

lia plus exquisr! se maie h la plus di^licale ironie, ott la 

I rfaliU ipre et crue laisse passer un reflet do sympathie fl~~ 

f Gommu une loenr d'idéal. 

Le ri'.filistne, auquel Stendliul aTnit Trajé la roie, 
Ia t'aventure, sans laisser une œuvre achevée et qui s 
■J)0t&l. ce réalisme dont il Tut l'iniliatirur en tous les sens, et 
i dans Mérimée son artiste classique, Balzac en est Id 
■feprt'.sualaul le plus complet, le plus bardi et le plus ^nli 
InnL 

VHmn dans le roman, le réalisme ne saurait être la a 

I exncle du réel, puisque l'art comporte forcément deux p 

l-eédés, rabslrHRliiJu et l'idéalisation, aussi incompatiblei 
ll'ai) que l'autre avec un décalque, le premier éliminant lei 
Vtraîts qui ne sont pas significatifs, le second affirmant avM 
Vplu» de force la signification de ceux que l'artiste a choisi». 
I Qne Balzac mette dans les choses humaines une cobêstoo 
peu conforme au hasard de la vie, qu'il élague de la réa- 
I lité tous les éléments étrangers à son dessein, qu'il l'accen- 
V tue, qu'il la ramasse en puissants raccourcis, ce soDtl& de* 
Icooditions en dehors desquelles il n'y a pas d'œiivre Itllé- 
■ralre. Pour abstraire et pour idéaliser, Balzac ne cesse pas 
PËTétre réaliste. Remarquons pourtant qu'ancuu romancier, 
■ tuâme dans l'école contraire, n'a pratiqué plus bardimcnl 
Kque loi ces deux opérations fondamentales de l'art, Beau- 
Beoup de ses personnages se résunieoL dans uue i 



^H L8 nOHAM. 94fl 

^Posion, et <|ii'il exagère jusqn'A In niADÎe. Haudelalrn 

s'étonnnit déjft que la gloire de Bnizac fût de passer pouM 
an observateur; le grand réaliste lui apparaît comme unH 
sorte d'IiHlIuciné qui ne voit autour de lui qu'iitres extra-] 
ordinaires et qu'aventures inTPai sembla blés, qui prête sal 
propre stature & tous les acteurs de sa Comédie humaîoe, . 
et chez lequel les portières mêmes doivent avoir du génie. 

Ce goQt du romanesque qui fait reBsembler toute un^ 
partie de son œuvre aux plus étranges inventions Afiàm 
Eugène Sue ou des Frédéric Soulié, s'unit chez Bahac A aJM 
irrdaislible penchant vers le merveilleui, le suroaturel, Iëm 
sciences suspectes des thaumaturges, il y a dans ce peintre! 
de larénlilé un disciple de Swedenborg, unadeplede Mesmer, j 
presque une dupe de Cagliostro. Son esprit est plein de 
superstitions et de chimères. Il semble voir les choses & 
travers un songe. Aux prises dès le début avec les rfiffîcul- 
lès d'argent dont il ne sortit qu'à la veille de sa mori, 
toute son exislence se passe aoll à rêver la fortune, soit fc 1 
la poursuivre par des entreprises dnns lesquelles l'hommej 
d'nlTaires est loujours viriimc du poète et du vojant. H vî» 
dans un monde fantastique. 11 a le vertige de sa propnΠ
iD.igination. ■ 

^i Balzac n'en niériti? pas moins le nom de réaliste, c'est! 
iirtout parce qu'il a peint de préférence ce que l'humanild 
>lTrc de vilain et de Invial. Lui-même disait à Georgcfl 
Sand : t Les êtres vulgaires m'intéressent plus qu'ils n^H 
TOUS intéressent. Je les grandis, je les idéalise, en senti 
inverse, dans leur laideur ou dans leur bêtise. ■ Ces ètresfl 
vulgaires que Balzac alTectionne, il leur donne • des pra-fl 
portions effrayantes ou grotesques ■. Or l'exagération dua 
mal, nous sommes ainsi faits, trouve notre crédulité beao-fl 
coup plus accoiitmodaote que celle du bien. C'est de la sort« 
HUL' li> mot réalisme, détourné de son vrai sens, s'appliqu^ 
li des oeuvres d'idéalisation forcenée, pourvu qu'elles idéo^ 
lisent l'homme dans sa perversité on dans sa sottise. LM 
i-L'iUitme contient sans doute une théorie spéciale de l'art» 
mais il y a avant tout dans celui de Balzac une coiufl 



U «OUTKHRNT UlU. .: :_ .._ ;. 
[ eeplion purticiili^e de llMinnie «t dv tuoDd«, 

lopliin rlircctement opposée ft «elle doDt «'insplnll 
[ tdcalUtc. 

Le taytliàtme occulin de Balzac ne l'einpeche gras il'étn 
I motdfinlUtv Maigri* rrrUlue« prnfusaioQa Je fol pureuiuul 
[ oniAÎellci, le mulériJiUstue (ail le fond Je sit piulosoiibia 
[ comme l'amour de la mulii^re aous toutes sea (atvaegS 
le tond ilu »(ia lempéramenl moral, Qa'^t-c 
hamaioe & ses jeux? Uue couriie h la riclieBse, et, p 
rirhease, à la Jouissance. Il se reprâsente la société C 
une mâlée de passions brutalt^s. Au rond, rbomme ii'oliélt 
qn'k son îalériït. Tant pis pour k fuililc qui »o laisse iléto- 
rer par le fort; la nalure est immorale. L'activité unirer- 
selle a pour unique mobile l'appétit. Toute la philosophie de 
Balzac peul se r^umer dans la diiiniaatîou de la force. Ses 
héron de prédilection sont étrangera iloul scrupule ol supé- 
rieurs & tout priSjucê de conscieace Grands seigneurs, ils 
s'niipeilenl de Maïaiv ; forçais, ils s'appellent Jacques Colin. 
' Jacques Colis on de Marsaj, ce sont des i hommes forts >, 
qui mi^prisent l'humanité en l'exploitant. 

Le bien ne tient-il aucune place dans l'œuvre de BoJjac? 

Parmi les innombrables personnages entre lesquels se 

joue la Comédie humaine, il y en a d'honnêtes. Mais ces 

bonuiïtes gens sont presque toujours représentés comme des 

inconscients. Balzac ne croit pas fi la liberté morale. Il fait 

>mme un agent irresponsable, une coropositios de 

' forces aveugles. La Tertu, de mâme que le vice, est k ses jeta 

tout instinctive. Or, comme nos ÎDstiocts tendent fatalement 

h la conservation et k l'accroissement de notre être, il ne 

voit en elle qu'une variété de cet égoïsme qui est l'essence 

même de la nature humaine. Chez Birotleau, elle s'explique 

par nue imbécillité foncière ; cbes le père Goriot, elle nous 

est peinte comme une affection morbide. Le vrai monde 

I de Balzac, celui où il se sent â l'aise, c'est le monde des 

1 affaires, des intrigues et des scandales, le monde où triom- 

I phcnt banquiers véreux, politiques tarés, gentilshommes 

L entretenus, le monde qui a le bohème pour roi, la cim{ 




LR ROMAN. 

itte et l'argent pour dieu. Le conflit lics c 
dites et des ambitioQs excite les plus bas instincla de li 
iiiitiiri! Iminaine; mais ces ÎDalincts, lancés à la t:onquâtl 
du gumvoir ou de ia fortune, développent une ënergie d 
passion dans laquelle éclate le puissant géoie du romad 
ciiT. UutquemeDt ëpris de la force, balzac repréacnle, safll 
aucune préoccupation morale, cette force, qu'il âdmin 
pour ellc-mâme, appliquée, chez tous ses personnages s 
triomphe de leurs intërâts et à la satisfaction di 
appétits. 

Ce manque d'idéal dans sa conception de la ïie et i 
la société se liait chez lui & je ne sais quelle ti 
native dans sa manière d'être. Massif et lourd, les trail] 
fortement accusés, la voix commune, il avait en toute S 
personne quelque chose de puissant, maïs de mal dégro 
Il manquait de tact et de tenue. On nous le représente chaj 
tonnant, gesticulant, i tapant sur le ventre. > Incapable d 
reprimer les saillies d'un tempérament fougueux, il t 
l'opposé de ce ( gentleman ■ froid et correct que voulofl 
être et que fut Mëriraée. Il a une rondeur joviale et itO 
vialc, un orgueil exorbitant et candide. 11 est bonhomme 
sensuel, eipansif. 11 plaisante lourdement et rit lui-raSmi 
de ses bons mots à gorge déployée. U traocbe sur t 
chose. Sa verve rabelaisienne a'ëpancbe en gaudrioles, et a) 
philosophie d'estaminet en apophtegmes grossiers et cm 
Il y a en lui du Gaudissart. 

Son œuvre ne dément guère ce portrait. Balzac a u 
puissance, une vigueur, udc richesse incomparables; IL n 
point lu délicatesse. Son goût des grandes dames n< 
pfiche pas d'être foncièrement roturier; on j sent l'adm 
ration béate du parvenu qu'éblouît le mirage des splendeui 
et dos élégances patriciennes. L'élévation lui manque a 
bien que la distinction. S'il parle de la vertu comme d' 
niaiserie, U traite le mariage comme une affaire, il 
voit dans l'amour qu'une concupiscence. U est cj-nîque sanJ 
le savoir, avec candeur. U matérialise tout ce qu'il toucha 
U souilla les émotions les plus pures et les plus 



ut HOtnrEHEHT LtTii 



$IH 



I iMiitn^iMa. Ce rfii'il «nliît o\ rend * n)»r«clll«, ce s 
I Intéf^Uel Ips r.on»oUi»pii. le» «enlira^iits inr<^rieim i 

P Bcluri! liuniHinn. Sa C'imédic est une sorte d'épopée, 

t d'nn uatorolislit qui ramène tout k la phvsio)ogia3 
liai n'a iTitotro inspirnlioa que l'irresse de la matière. 
C'(4t par tA qu'il mi^riterait sartout le nom de rèaJîsl 
I ai l'un poariiit croire i^e le < réel • se réduit & ce tD'il 
If • dan» l'homme de plus groaiier et de plus <ril. Mnb 
lu lo mérite encore pnr le don qu'il ■ de Toir tes olijcis, 
1 d'en saisir le «eus, de l'exprimer avfic une précision ri un 
I felief citraordiimires. La peinture det milirm, la mise en 
I icenn, B dans son ceuvro une importance capitale, et cela 
iiiiprfnd chez un malérialislo pour qoi l'homine subit 
I faUlcmeut l'influence de« choses. Balzac porte dans la 
I dcsrription l'piaclitnde la plus scrapulense. El loi arrivait 
I de Tairo tout un ?o/agc pour voir de ses yeni la ïille ort il 
1 ilcvajt placer l'action de «on prochain roman, pois de 
I chercher rue par rue une maison dont la physionomie par- 
I Uculièr» lui îerablftl convenir soi personnages qu'il voulnit 
I j loger. 11 saisissait d'instinct les affinités intimes do» 
I milieux avec les fltres. Aucun Irait de couleur locale ne loi 
I Mmblnit insignifiant; les noms propres eui-mèmes prc- 
t naieot nne si^ification h ses yeux. Il se connaissait en 
[ menhlos, en étoffes, en tapisseries, aussi bien i^'un com- 
I missairâ'priseur. Il avait, pour employer un mot de sa 
' InngUG, le goût passionné de la • bricabraquologie >. Et 
n faculté d'obserTation pénétrante et sagace. 6 sa pro- 
digieuse mémoire qui emmagasinait sans trouble et sans 
fatigue les plus minutieux détails de la réalité exti^rieure, 
il joignait la puissance d'imagination ijnj donne la vie. Les 
, objet! aous sa plume prennent une figure expressive. Ce 
n'est pas un inventaire, c'est comme une représentation 
I animée et colorée des choses malérielles, qui semblent 
f ellosmémes s'associer aux senlimonts des personnages et 
I Jouer leur rôle dans l'action. 

ihac peint les hommes avec la même exaclitude que lot 
I ehoses et le même goût des traits particuliers, XI s'allacliQ 



^r LE ROMAH. UM 

Bfftes détails luulliplos et complexes qui donnt'Dl h cliui|u« 
personnage sa physionomie caracti^ristiqtiD. Chacun porUfl 
l'einpreinlc de son origine, do son Icmiieramenl, de SOlfl 
^ducalion, de son mélior, de son hahilaclo, dos circonstaacefl 
iiifuiiment variées sous l'influonce desquelles sa di^veloppfl 
son aclioD. Noua disions que, dans la pelolure des caraofl 
l^res, Balzac abslrait à outrance; mais, si ses persOûnageM 
sont la plupart du temps mus par une seule paasion, l'anojfl 
iyse de celte passion comporte pour ce physiologiste und 
loule de détails que nëgligeail l'idéalisme, habitué h voiM 
dans l'hooimc un pur esprit. Balmc la représente, non pnM 
dans sa généralité typique, mais toujours inodilïéc paM 
les circonstances particuliËrcs et par les diverslliis indt^ 
ïiduelles. C'est U ce qui le dislingue des écri»uins idÉiM 
listes, classiques ou romantiques, et cette diUérence tiodS 
A ce qu'il considère l'homme non plus en carléaien, mais oifl 
disciple de Cabanis et de Geoffroy Sainl-Hilairc, uon plun 
comme une force morale agissant dans la plémlude de sd 
liberté, mais comme l'esclave des conditions phy^iologiqucd 
auxquelles sa nature même l'assujettit. Individualisés II ofl 
peint , les personnages de Balzac vivent d'une vie complétd 
Ce ne sont pas des symboles de convention, mais de vérlfl 
tables hommes, et, si parfois la multitude des traits petd 
embrouiller leur figure, elle emprunte le plus souvent & celtfl 
accumulation mËme un effet de vérité saisissante. Noufl 
i:ijonaissons jusqu'aux plus menus traits de leur nature 41 
>Ui leur existence. Ils se détachent dans notre esprit avefl 
une incomparable vigueur de relief. Nous soninius peifl 
suadés qu'ils appartiennent au monde réel, et peu s'en faufl 
que, comme Balzac lui-même, nous ne croyions vivre avtfl 
eu. ■ 

^^ La Comédie bumaini' n'était pas, dans la pensée tte sgS 
^Kbtenr, une comédie de caractère, mais une comédie «fl 
^Bpeurs. Il avait l'ambition de représenter ta société moderofl 
^^■it entière el non de la résumer dans quelques ftgurtH 
^^■hs doute, quoiqu'il parle toujours delaréalllé, il se Isinfl 
^^Bi d'une fois entraîner par son iaiaginatioa t exogénl 



lil Lt HOUVEMENT LTITeRAIRB AU XtX'l 

^ 1m Irnits qno robeertaUoD lui fourbit. On troan ans 

lot iJ<w iiPMonnogait plua grands que imliire, et qui, 

ce i^u'îl lUi'l ^n cul -li.' forlctncnl indiviilucl, i 

' cerlain sens des criValioiis Bjmboli(|ueB, Mais ils di'giasse 

I luu cajrc. Baliac a pour deasoin de peindre les mœurs coa- 

leiDpuruiiiM. Ausai les ligiircs que comporte de lui-infiue 

! «on ptaa soDt-ciks plutOl celles qui appaHicnaent A la o 

muoe iiui»iiiiit6. 11 pelai son époque dnns une séti^i 

I taUcaus lii^s le» uns aux auli'es et par l'amté de vue e 

remploi des mâiues personuagea. Si ses i héros ■ 

Goriot et les Grandet, saisissent puissamment notre il 

ginolion, les pernonnages moyens sont plus réels. En peî- 

gnaul leurs travers, leurs manies, leurs petites passioDs, leur 

niilivu banal, il a rrainient égalé son œuvre A la conipleiilA 

da la vie. Scènes de la vie privée et de la vie politique, do 

rie du Paris et de la vie provinciale ou de la vie de cam- 

pegtto, moude de l'aristocratie, de la finance ou du négoeo 

administration, armée, magistrature, les journalistes et les 

acteurs, les paysans et les prolétaires, les déclassés do tout 

rang, les voleurs et les bandits cui-memes, ce qu'il y a de 

plus brillant A la surface de la civilisation et co que les 

dessous laissent apercevoir de plus ignoble, l'enirc-dcui 

aurloul avec les variétés multiples qu'il comporte, baiîae 

uibrasse la sociélù tout entière de son temps, lt i a fait 

concurrence à l'étal civil. > Il a élu l'historien complet d'un 

demi-siécle, et lui-même oppose à l'bistolre olficielle, sec et 

froid registre de faits tout extérieurs ou vaine raétapiiysjifus 

, appliquée & transformer les accidents en nécessités, cetts 

(Joniédie bumaine qui laisse aux Ages futurs comme une 

illustration animée et vivante des mœurs eociales dans leurs 

cadres les plus divers. M. Taine a dit de Bakac qu'il éluitt 

après Shakespeare, notre plus grand magasin de docuinuuls 

sur la nature humaine. N'oublions pas ce que la peinture 

i des liommes a chez lui d' es senti tellement particulier au 

[ lomps et aux lieux, et disons plulâl qu'il est noire plus 

I grand magasin da documeuls sur la société dans laiiuclia il 

F I ïécu. 



UtC ROMAN. 

' a de pins coDleslable en son œuvre. 

'aul pas y cherclior la termeié, la recLilude, I 
dôchion 'ies multros. lialzac procédait par Wtonui 
par relnuches successives. H demandait jusqu'à sept 
épreuves, essayant, corrigeant, remaniant sans cesse, livraot 
sa copte à l'imprimeur sans avoir encore trouvé l'expression 
dêtinitlTe, dévoré par l'inquiétude d'une perfeclion qu'il t 
rarement otteiote. C'est un écrivain sans mesor 
goût, violeM, trouble, hasardeux, et l'on a trop beau jeudi 
lui reprocher son manque de pureté et de simplicité, i 
incohérences, sa phraséologie scienlilïquc, ses alliances d 
mots brusquées, ses trivialités et ses mièvreries, son fi 
de figures discordantes, ses archaïsmes pédantesques elst 
néologismes bizarres. Il est facile de comprendre que B 
passe pour mal écrire aux jeux de ceux qui le jugent d'aprè 
k's Iraditions classiques. Son slyle est hien l'image de s 
nature à la fois brutale et subtile, puissante et tourmentée^ 
il marque admirablement ce qu'il y a de pénible, d'obscurS 
dans ce cerveau fumeux, mais aussi son originalilé v~ 
reuse et sa force inventive. C'est d'ailleurs le seul qui pûj 
s'approprier h son œuvre. > Nous sommes trois A Pari^ 
'ijsail-ll, qui savons notre langue, Hugo, Gautier et c 
Il savait sa lasgue, c'est-â-dire qu'il savait les langues à 
lous ses personnages, celles de toutes les sciences, de toid 
hi arts, de tous les métiers. Aucun mot qui n'ait place e 
son vocabulaire comme aucune idée, aucun senlimeull 
aucun objet, qu'il ne fasse entrer dans son cadre. Le slj^l 
de Bahac s'est modelé de lui-même sur une civilisation 
touffue, complexe, raffinée, qu'il était impossible de rendra 
sans bariolages et sans surcharges. Avec son dévergooT 
dage et ses entortillements, ses saccades el ses bavures, si 
islenccs et ses préciosités, ce style surchauffé, Bëvreun 

\ et crevassé, rocailleux et dissolu, tout couturé i 

^Iricfs, tout conslellé de termes bizarres, charriai^ 

is et ternies d'argot, crudités techniques et chaloyanlfl 

laphores, l'or pèle-méle avec la fange, est bien rciprej 

Diléle de sa Comédie, vaste mascarade bumaiiu 





.'5$ LE MOUTEHRNT LITTCUIU Al! XIX* SitCU. 

roiiillis inrilriuable de pasaioDS, d'intrigues, de tripotsges, 
bnziir uiiiTonel lout encombré de bibelots et de défroqués, 
|iiuiili'iiiiiniiini et capbarnaûni, gigantesque kniéidoscope 
']'' 1» vie riiiilcm|iorainc doni sea innombrables bigarrures 
r't dans ses complications iafinies. 



TROISIÈME PARTIE 



CBAPITRE I 



L'ÉVOLUTION RÉALISTE 



Le romantisme n'avait pas compté seulement pour enne- 
mis les défenseurs de la tradition classique. Dès le début, il 
eut affaire à des adversaires plus redoutables, qui, au lieu 
de défendre un régime littéraire en désaccord avec l'état 
social, attaquaient l'école novatrice sur le terrain qu'elle 
s'était choisi, et, arborant la môme devise, l'interprétaient 
dans un esprit plus conforme aux tendances scientifiques 
que la seconde moitié de notre siècle devait faire prévaloir. 
Ils avaient assisté avec une indifférence moqueuse au réveil 
spiritualiste dont M™" de Staël donna le signal, à la restau- 
ration du christianisme artificiel qui eut dans Chateau- 
briand son machiniste. Ils restaient en philosophie les dis- 
ciples du xvui^ siècle. La vérité et la nature, telle était la 
formule sacramentelle que la nouvelle école avait inscrite 
sur son drapeau : ce fut aussi la leur, mais ils en oppo- 
sèrent le sens positif à l'idéalisme sentimental où la poésie 
romantique puisait ses inspirations. Cinquante ans au plus 
avaient passé depuis la première éclosion du romantisme 
qu'il était frappé dans son esprit même d'une mortelle 
décadence. Il avait été uae révolte du sentiment et de l'iaiQ» 



giaatum rontrv l'nnnljie, ot, moioidc ciniuante uni 
cHIti r^ToIie i^dnianU, rnonl.vsc, «nwec 'le mélhoi' 
«lades et d'inslrunienls plus précin, ruinait le ^01 
iildol qat le s<?Dliiiieat et riinaginalion s'iiluiunl coDstruit 
(lar delà Ie luonile des faits. Il avait cunçu l'art 
iatpiratiua du ccsar, comme un songe aHé de la raotajaie, 
coumt) une magie d'Évocation symbolique, et voi]& quo 
loi générations nouTelles le réduisent A n'être plus qae 
l'analDmie sôche et froide dç la rt^allté. une collection de 
faits, an magasin de documents. 

Vainqueur du classicisme, qui domine noire Ultëiature 
penilaiil plus do deut cents ans, le romantisme fournit une 
carrière d'un demi-siècle k peine. Comment s'eiplique une 
chute si prompte après un si éclatant triomphe? 

L'ort classique avait fleuri nu sein d'nne société fortement 
assise où chacun s'f^tsblissait sans trouble dans des cro^'ancet 
communes A tous. Les deux siècles qu'il dure sont une 
période d'unlTersollo sécurité, pendant laquelle il ae ilin- 
toppo réjjuiièreracnt en un parfait accord avec l'ordre èlatili. 
A celle saison psUible el cléitieute dont aucune iateœpérîe 
ne trouble la sérénité, comparons l'époque de notre bisloire 
tpti commence avec la Révolution. Depuis la Icrrible crise 
il'ofi elle esl sortie, notre société cherche de tcconsM t» 
secousse an équilibre qu'elle n'a pas encore trouvé. Aucune 
autorité supérieure qui unisse les Ames au sein d'une même 
foi. Cbacnn a sa théorie du gouvernement, sa uétapbj' 
sique. sa révélation personnelle. Partout l'anarchie idUUco- 
tuelle el morale. Les idées ne se rapprochent que pour w 
heurler. Tout principe llie a sombré dans le naufrage dt 
l'ancien ordre aocial. Les djmasties durent de quùuo 6. vift|l 
uns, Itu systèmes philosophiques un peu moina que ht 
dj'oasltcs. Notre siècle n'a pas plus de teneur que d'onUi 
Les traditions d'autrefois ont h jamais péri, et le mat 
Tant terrain que ta mâl^e des esprits fait à chaque ioataflt 
trembler ne peut oITrir un ttablissenient solide à dea Irfr 
ditioos nouvelles. 

Ouand la société tout entière est ébranlâe jusqu'on «I 



^r L'ËVOLtmON fltALISTB. >6S 

fiâtes, eommenl une discipline litlëraifc pourrait-elle se 
mainlenir i Celte fixité que nous cfaercherioDs en tsId dans 
la philosophie ou dans la t">lit>'CjCi commentla tronverions- 
□0U3 dans le domaina des lellr^Bf 11 u^ a pas, à Trni dire, 
d'école romaaUiue, car toute école suppose nu easemble de 
régies acceptées par ceux qui s'y rattachent, et le propre dn 
romantisniB est justement de n'en recouDdlIre aucnne. Ce 
qui uoit les romaotiques entre eux, ce ne fut pas la com- 
munauté de dogmes nouveaux, mais une même impatience 
des anciens dogmes. Alliés pour lu lulle, ils se dJspersèreat 
après In victoire, et l'esprit soufHn où U voulut. Tandis que 
le classicisme Établissait entre les divers genres uns 
immuable hiérarchie, soumetlait chacun d'eux à d'étroitei 
observances, et, empruntant ses principes a ce qu'il y a do 
plus conslaot dans l'esprit humain, sacrifiait le mouvemânt 
4 l'ordre, la fantaisie a la raison, le aena propre au sens 
commun, le romantisme *aria fl t'inlinl -et idi>al du beau 
que les classiques avaient conçu comme un patron iuva- 
rialile, substitua la diversité des physionomies & l'unitâ du 
l7pe, étudia les hommes pour en tirer, non un exemplaire 
unique de l'espèce, mais une multitude de portraits indiri- , 
'l'iels, fut, dans sa plus hante portée, le triomphe du 
l'urticulier sur le général, la représaillc du moi, c'est-à-dire . 
de l'imagiualion et de la sensibilité, contre le ralionalisme 
h outrance qui supprimait en nous tout ce qu'il j a de. 
mobile, d'ondoyant, de capricieux, un un mot de personnel. 
Il Tant j voir, non point une doctrine littéraire, mats ■ va 
fait d'Ame >. 

Un fuit d'rtme, c'est ainsi que Victor Hugo l'appelle en 
protestant contre ce qu'avait d<? trop étroit la signification 
iiiililnnte d'un mot que lui-même ne voulut jamais adopter. 
l'n Tnit d'Ame, rien de plus juste. Saisissons bien quel en , 

I le sens, et nous n'aurons pas do peine d comprendre 
I I'' le mouvement romantique se soit si vile épuisé. 

Considéré comme mi phénomène moral, ie romanUams 
a pour caractère essentiel l'exaltation de toutes les facullii 
sITcclives. Ce n'est pat là an état régulier et durable, te^A 



. et. fKMd riiM 

' f>w» OHCM cftiaee ntm Vit 
r jirr«* I lo». fc itMir sa«s «fie oa 



! IHUnin ik 






te fcrt»T «. Mais 2 «l^ éa à* U Ikagw, ncoatfi !■ 
miBa nnMËR. wri ti fe tbi4ln. njesait tafi» 
kK«iqM.LeadBfHMeus*aMKgM doiTcnt eenpkr 
^■BeMK «et )hs çlanena ^«fBts 4c KXn lUUralim : 

mnik «re Mgud . te sasi fias de la ■naiti-è d'un graaé 
nfide- lUâ cette «^rité à lagarfle 1» nanteors aTaical prt- 
lista mimi , fis k cfctrAireo t en ea-mtmes et non dau 
In objets. O M pov c«i sac vérité ponm^Dt * Mb|ee- 
Im ■, >oa y«ârt sefiiâe par refcterntMii ilésinUrefsée«t 
BBycnoBB^e des phfiMMaèBes, m^ impirte par je ne sta 
qodle nrta dînaatriee ^ art le food labne lia rotnas- 
tlHDe. Trop passoD&èî povr exprimer uifnd)<»« que lest* 
pttfiqiu, il« ae {Kigninat pss le cixnr himiuii, ils dionU- 
nal le« â&acetDe&ts de leur propre cœur, leurs réres frU- 
diiw:s, [carbviaia d'aimer el de croire, leurs vsgaesasptn- 
liou Tcra le bonbear, les faatabieî de lenrcerreau troublé. 
11> tnbelituéreiot des coaceptiona inluiti*es à i'Ëtude de !• 
rialiU. Eoivrâs de leur tdé&l, ils perdirent la coDscknce «Il 
tnoD'te sensible. En pliilosophie, en politique, en littéralitrci 
lU a/fichai«nt un mépris superbe des fsîU : les faiU prirent 
Iror revanche. 
Le rénliviuu trinmjiliant du rumanlisme, c'est le trioœpb* 



L'âVOLUTION nËALISTE. !6|l 

de la adencc sur rimuginatioD el le senlinicnt.. La scieucsfl 
D'iivait pns coin plële meut échappé & la coaEsgîoD roman* 1 
|ji]uc. bille crut Don sculcmenl imposer ees formules â tous 1 
\c3 i)h>'nomÈnes naturels, mais encore atteindre ju^qu'aos I 
racines eilrâtiies de l'être. La chimie et la physiologie ] 
entrevoyaient déj& le jour où l'homme, ayant enlln pënÈ- 
Irê le mystère de l'eiiateDce objective, deviendrait réelle- 
ment le maître de la matière pour la pétrir et la façonner 
à son gré. Mais, ai la science elle-même eut son heure du 
vertige, ce ne fui qu'après de prodigieuses découverte», 
bien propres 6 éblouir l'esprit humain, et ces decouverl«B, 
les instruments eu avaient été le calcul et l'annlyse. Si elle ' 
se laissa un moment séduire par des ambitions déceviinteSt 
elle ne fut jamais tentée d'abandonner, pour les rénJiser '' 
plus tôt, cette pratique expérimentale k laquelle était dû son 
merveilleux progrès. L'imagination des savants put sa 
prendre t d'illusoires perspectives ; mais la méthode scien- 
tifique maintenait leur activiti^ sur le terrain solide des 
phénomènes. Ils revinrent d'ailleuis Lien vite de leur ivresse, 
et. sans renoncer aui légitimes visées do la science, écar- ' 
tèrent des anticipations chimériques, ou plutôt bannirent 
de leur esprit l'idée même des mystères inaccessibles ft ses 
instruments. Dans la dernière partie du siècle, toute surexci- 
lalion romantique est tombée. La science ne poursuit pas 
l'énigme do l'être en soi, mais s'attache à prendre de la 
nature une notion toujours plus exacte et plus complète. ' 
Sou ambition la plus haute est de ramener les Faits com- 
plexes el particuliers h d'autres faits généraux et simples, 
sans iDème se demander si, par delà cette analyse qui 
ç'êlève des faits aux lois, une analyse plus haute ne peut 
pas remonteT des lois k une formule suprême snus laquelle 
nous apparaîtrait l'unitâ logique de l'univers 

L'évolution réaliste à la.quelle préside l'esprit scientifique 
iransforme la philosophie en la tirant des spéculations 
généreuses, mais trop souvent stérQes, pour l'attacher i, u 

■Dde précise des phénomènes. Ou bien la philosophi^ 
Icrdît de rechercher les causes, qu'elle considère commiil 



u bien cMc rantèoe 
i-'(-A-tlirp la [u'''t»t>bf' 



■•■ÇMl par B Mitir- CM idtetisnie, après sToir 
t k fttmkt it fattic i» Dotrv aiAcl«. est, dans Is 
ft. ta batu t n> tMeUoa naleate qui prélend con- 
e^ni kwâi 4u> l'Msda dM réalités concrètes. 
L'âMir paoùjnstc rg«i|it avK Umte tnDeceiiilance ; elle 
lif iÎE lipaIwaeM la w r hfrd w dt mom* premières ou Jo 
a fcalaa. •* « Saai dau rcau*-dcin, qui est le do- 
• 4a la i ci ica. A la piériade Uicok^iqae, dans laquelle 
•'éUM atp&firf la nature par le sarnaluret, & la 
pMode Brilaf hjtitBi , <ttBs taqiielle ranthropoaiorpbùmc 
awaltilé rriniilani' par l'ioic-ution de iarua abstraites et 
iTagvaU «wmHw, *M6Mc ii prit-df paailiviste, tloot le 
tantHhn m aalii l OMÔsle Jaoa U rijioareuGe exclusion df 
bMt«e qui ■* M prtle pas ft nne TéiiScatioD empirj^. 
L« poaJUmm* B*apftorU poîni une aoaretle théorie 11 «oo- 
liilère les Ui^<irMs roaune des imafinaiions sans eonsislanoa 
su^'èr^ A l'Mpril hatoain par le tsîq désir d'une awSi 
artiScicllf. » qu'il apporte, c'est une mt-lbode, la métbadt 
icienttSiiuc, qat a pour outils l'observatioD el l'eipérienH' 
11 bauiU les svmUiles, les entités sool astiques. Il se borne 
à coulaler Im faits. L'ensemble des liaisons HAtureilei 
qu*Qs ont entre eux est te sent «jst^œe dont il admette la 
U^tiuiU. 

Une antre école pr^'lend expliquer l'univers par une canM 
naique. Nais A ses jreui celle uiise mètoe consiste en un fait, 
et c'est par unu hiËrarcbie de faits que notre esprit pourra 
•e hausser jusqu'au fait supr>tmc. L'annl^e a pour point 
d* départ la inullitude lïparse des phËaomèDCS : ces phéno- 
mènes, elle Ic^ rnngc en une si-ric de groupes qui s'i^tageol 
Ifis uuk Bu-dessiia itei autres i chiique ijroupe aupériôttf' 



résume dans une ronuule les phénomènes du groupe iof^a 
rieur, jusqu'à ca que la Torraule uniTerselle a[>parnisse, l 
n'élonl elle-même que le réBomé des phfDonnénas ipti con- 
slituent l'enBemble de notre monde. Une tflli^ pblli-'^ophïe 
l'oppose en mâme temps au spiritualisme et au posilÎTismc : 
k l'un, en cherchant l'explication des choses dans les choset 
elles-mêmes sans te pajer de conceptions subjectiïQs, & 
l'autre, en soutenant contre lui que les causes ne sont pas , 
inaccessibles et que l'analjse scientifique peut les extraira 
des objets. Mais, tandis qu'il y a entre elle et le spîrilua- 
lisme incompatibilité d'esprit et de méthode, elle emprunte 
sa méthode et son esprit au positivisme, dont elle ne dilTéraJ 
guère que pour viser, sans y atteindre, un but plus joinlain.l 
Commelc positirisme.elle réduit l'homme â des pbr-noménesfl 
de conscience, et la nature à des phénomènes demouTcment. ■ 
Pour elle, il ne se trouve ni dans le moi, ni dans le non- I 
moi, aucune substance à laquelle nous puissions rattacher 
les modalités comme A. leur principe immuable. Une suc- 
cession indéfinie de petits faits, yoilà tout ce qu'il y a de 
réel soit en nous soit autour de nous. C'est dans la nota- 
tion et le classement de ces faits que consiste la sciencu. En 
noue comme autour de nous, ils s'engendrent les uns les J 
autres. Cette ime, dont le spiritualisme fait une snbstancâJ 
active, une personne autonome, la scieuce ne peut y voirfl 
que la ratte incessante de phénomènes dans la production ■ 
desquels n'intervient aucune volonté. Co que les spîrilua-^ 
listes appellent délibération n'est qu'un balancement tout 
mi^caniqoe de forces aveugles. Nous ne sommes pas plus 
maîtres de nos actes que de nos sentiments et de nos pen- 
sées. Le libre arbitre est une hypothèse gratuite, en flagranle 
contradiction avec les lois de In nature. Ainsi que le monde' { 
physique, le monde moral échappe A loul.c action libre : J 
• le vice et la vertu sont des produits, comme le vitriol et-l 

Le déterminisme a pour conséquence l'abolition de cofl 
que l'bamanité nommait jusqu'ici la morale. Il y a des in-l 
térCts el des appétits, il n'y a pas de devoir. Les plus sageaX 



conifittrcnt 1« t 



a KpmlnclB. lu pini ftcl 



plOR pnMJonn'^t Mtmme uni! Inlle. L'iiléaliaitie a fini «m 
(eiu|ii . r.n hgo nituti-an cnDimc-ucc qui b pour uiroirtèn 
ilbtJnctif la snuvcrdiiieté du Tait. Au héros romantique, que 
dévarc sa proiiro sensibilité, fantOmeplEtiulirAqui manque 
U force d'agir, Amo erraute en pûne de l'infiDÎ. succéda 
«jt • linniRie Tort i, exempt de tout préjugé et EUpériaor i 
toDl icrupulc, dont le l.vpe, âéjk conçu par Stendhal et 
Itulzac, hicaruc en lui l'esprit de la société conlemporsioe, 
Kn donnant b nos moyens d'action sur la matière un al 
tucrvcilleui accroissement, la science contribua eouce & 
t'universel élan vers la richesse et le plaisir Lea réalilfs 
poKÎlives t'toiiffent le sentiment du droit ta mâine temi» 
ijuu le positivisme en mine la notior. idéale. Il oe reste 
debout que \es !aha, rliipourvus d» tout caractère moral, et 
l'art conspire avec la philosophie â les glorifier : tandis qiut 
la phlloiophte condal leur légitimité de leur nécessité 
itiEme, l'art se réduh de plus en plus k les constater et â les 
transcrire 

L'émiaiion réaliste n'est pas moins sensible dans la 
iOCiuloipc. Aux conceptions utopiques que l'imaginatioD el 
la logiqae pure s'étaient plu A construire, succèdent, 1^ 
encore, les procédés de la méthode ci périme n taie. Les 
socialistes prétendaient asservir les faits aux vues de l'eaptil 
ou aux aspirations du cœur, Ne comprenant pas qiie les 
phénomènes sociavii sont l'expression de lois naturelles, Us 
r^Tnicnt une organisalion factice où l'homme ne pùl être 
ni malheureux ni mtchaiit. Us TOyuient dans la société 
un étal hors nature, résultant d'un contrat. Notre société 
actuelle était-elle mauvaiseî C'est qu'elle avait été mal 
faite; et, pour la refaire, il suffisait de modifier le pacte 
iDciat. De lA, l'éctoston d'icmombrables systèmes, dont lea 
uns sont i^sti^s dans le domaine de l'abstraclioa, et dont 
les autres, quand ils ont lenlé d'en aorlîr, se sont briséa 
contre les réalités concrètes. Pour les romantiques du soda* 
lisme, il y nvail one question sociale; pour les réalistes, il 
as uns poursuivaient une tolutji» 



L'ÈVOLUTIOS BitALISTE. S6ft ■ 

suprâme; c'âtiiient lus alchimistes du grand œuvre. Lk9 I 
Biiires substiluenl la sciencs k l'alcliimie sociolni;iqao, et la ■ 
si:ienc« leur apprend qu'il n'y a ni pierre pliUosopbale ni I 
puiiacée universelle, que la sociélë ne tient pas dans uoe I 
formule unique, qu'elle n'est point le résultat de cerlaîas ■ 
convention abstraite qu'un législateur peut modifier à soa ■ 
gré, mais une collection d'organismes lies les uus avea'l 
les autres par des rapporta naturels et conséquemment ■ 
nécessaires. M 

Ëlefées A l'école des réalités positives, les nouvelles gêné» ■ 
rations répudient l'idéal philanthropique et chevaleresque -■ 
qui avait inspiré leurs aînés. Le particularisme national'! 
l'emporte de plus en plus sur l'faumanitarisme, voué désoi^ V 
mais au ridicule. Les économistes démontrent et constateok'l 
la solidarité des peuples, entre lesquels tant de nouvellein| 
voies ont multiplié les relations. Mais ce n'est que pour le I 
profit des intéri^ts matériels : k la propagande des idées I 
succède le placement des marchandises, et les commia- m 
vojogeurs aux apdtres de la fraternité humaine. Les tempi I 
héroïques sont passés. Et, tandis que dans nos rapports aTea<'f 
les autres peuples, l'utilitarisme tend de plus en plus & prôr ■ 
valoir sur les sentiments et sur les principes abstraits, de>i| 
Lr.tendances analogues ne s'accusent pas avec moins de forçai 
■jl&ns le domaine de la politique intérieure. Les deux droitAB 
divins que nos pères opposaient l'un à l'autre, le droit mOi* fl 
narehîque et le droit républicain, ont fait place l'un comme ■ 
l'autre k une notion de l'État exclusivement pratique et I 
dégagée de tout fanatisme. Hommes de celte moiliè-cî do M 
sièclo, nous n'avons guère connu qu'un vrai et pur royaliste, f 
le • Roy >, et il ne le resta peut-être que pour n'avoir pa4 ■ 
régné. Le droit divin mouarchique peut encore avoir soa Ê 
parti, mais il n'a plus de fidèles ; il a son prince, mais il n's-'fl 
plus ses principes; ce fut un dogme, et ce n'est- plus qu'uB'fl 
drapeau. De même, aux républicains de sentiment etdsl 
foi ont succédé ee qu'on appelle les républicains de raison^ I 
cest-&-dite les républicains d'intérêt. La République avait I 
été une religion; elle avait en son apocalypse, sou culte,.! 



MO LE HOUVRMOT UTTEBAIBE AU XIX* SlteU 
•n rilu et tel hymnei, tes mistions et ses crnisadea;! 
«Tait ven^ k om pères l'hretse des ferTeots eniboDsimmeB 
et lie* ]yiu{i>c» Lriiitii{)nr(s; elle sjutbiiltaait le rfigne de U 
Juïlice, (II! i'aïuuur, <lela difjiilté tiiiniaine. Lci g<'ti<^ râlions 
du notre lenips n'eu font un<) idét lit-aiicotip moins sublime, 
mte est, à leurs yeux, le gouvernement le mieus approprif 
aux Dùcessités actudks, le plus commode, le plus siropli;, le 
mieus tait pour éviter de ruineuses révolutions- L'économie 
poliUrpiu «fince toujours davantage la politique pure. Le 
iDcUlcur riigiiue est celui qui donne le plus conGance a 
Intérêts et favorise le mieux le développement de la ricliesse 
nAtfonalii. La notion de l'État perd d'ailleurs toat caractère 
mystique : le jour approche où nous ne le considérerons 
plus que comme uue compagnie d'assurances mutuelles. 

Le n^alisnie littéraire est l'expression d'une socïâUqalns 
croit plus à rid<_^al, qui n'a d'autre religion que celle (les 
faits, d'autre croyance que relie des sens, d'autre méthode 
(fUe celle de l'observation. La littérature romantique dans 
tous les genres, depuis le lyrisme jusqu'à l'histoire, avait 
iUi une poésie : la littérature contemporaine est esseotiello- 
niejit prosaïque. Stendhal, Mérimée, Bahac, tous les initia- 
teurs réalistes, manifestaient hautement leur dédain pour 
la langue des vers En pleine floraison du rouiantiiioe, 
Vigny représentait déjà le poâte se tirant, soil par I'IsoIb- 
menl volontaire, soit pur la mort, d'une société qui n« lui 
léinaigne qu'indifférence ou mépris, qui brutalise, mâme 
sans le vouloir, sa pudique fierfé d'esprit pur. Et cependant, 
le public de IB30 se laisse attendrir par l'infortune de 
Chatterton; il plaint cette &me ulcérée, pour laquelle l« 
don du génie est fatalement la vocutiou du suicide. Trenlu 
ans plus tard, quand la pièce est reprise, on crie au mal- 
heureux de 1 vendre ses bottes i. Notre temps est hosttl» 
a la poésie. Elle voit chaque jour son domaine se rcsserrsr : 
le Ihé&trerméme lui échappe. Elle est la langue de J'imsgi- 
nation et du sentiment, et notre temps est celui de la science 
ritique. Le poète nous semble un enfant : il joue 



avec des rimes. 



inoffeTiaif, 



iflble et grociem 



dirorlisBemont, mais iodij^ae d'un boaime. Maints écrivain» ] 
dL- cet âge araienl commencé par les \eri, qui, la \item l 
uiièrc jeunosse Dtie fois passée, D'ont plus ru dans la poésifl j 
i(<ie des billercsi^es dont rougissait presque leur viriHlA. Ua 1 
(les maîtres de noire gëni^raiion exprime brutalement le 1 
mcpris des rèalislea contemporains pour cette forme de | 
l'art, qu'il traite de bourdonneoient barmonieui. i Tu te | 
contenteras de ta prose, se dit, tout jeune encore, Aleïsadp» 1 
Dumas : elle seule dit bien ce que lu as & dire. • 1 

Si la poésie n'est pas complélemenL ètouCTée par le rés^ | 
lisme, elle change tout au moins lie caractère. Ce ne sont J 
plus les grands élans du cœur, les sublimes lieui communs 1 
de rhétorique sentimeutale, la vague mélancolie du rooiao- 1 
lisme. sa métaphysique passionnée, ses (lilhyrainbes ou see>1 
blasphèmes, ses triomphants bjmnes de foi, ses édati'l 
d'un désespoir orageux et théâtral. Les poètes de uotrt I 
Age ont eu pour idéal la perfection absolue de la forioO' I 
poétique. Leurs scrupules d'artiste* paraissent bien s'aO' I 
corder avec ce désir d'eiactilude qui est le caractère esscD- l 
liel du temps. Les uns se sont cousumés tout eutiers dans I 
leurs curiosités de langue et de rythme. D'autres, tout ea- 1 
poussant aussi loiu le souci d'une [orme irréprochable, j 
ont nppliqué leur instrument poétique à l'analyse drlicate'j 
de la pensive el du scnliiPfoL. Homantiques, si l'on veut^ 1 
mais d'un romantisme plus , -ïflécUi, plus serré, plus atteotiff i 
et qui tiennent assurément de leur milieu le goût de psycbo- -I 
logie exacte, le désir de savoir avec netteté, la sagacité ] 
pénétrante de leur critique, ou même ce qu'il y a de précia I 
dans lear doute et de scientiilque jusque duns leur pesai- I 
œisme. D'autres coQn se rattachent au inouvemenl con- j 
temporain par l'art minutieux aven lequel ils décrivenl lea 1 
réalités ramiliëres, par leur penchant el leur aptitude A I 
peindre les plus pelils détails de la vie ambiante, par Ic^ 1 
loQ même de leur poésie simple et pédestre qui applique ft. 1 
côtoyer le prose tous les secrets d'une savante versiflcatioa. .1 

L'école romantique portail le lyrisme jusque sur lâ,l 
scène. Ce qu'elle j avait Tait paraître, c'était, nou pus l'âtaS J 



SIECLt 



L'SVOLUTION KËALISTE. f6M 

empruntent tous les éléments de leur œuvre k la TÎe rôrlle I 
Leur cslhêlique se résume dans l'imitation de la natur&fl 
Ainsi que lus peintrûs, ils ont leurs albums de croquis; îltfl 
notent sar le vif les ligures, les nnouvenients, les altitudes, aiM 
geste, une ïntonalioD, tel nom propre qui les a frappés. Ilsl 
appliquent leur imagination, non à inventer ce qui n'est pasfl 
mais ft se représenter ce qui est. Us mesurent la valeur dfjÊ 
leurs écrits à ce qu'ils y font entrer de documents humains J 
Historiographes, analystes, collectionneurs de Faits et d« 
sensations, t^ut leur art s'emploie à illustrer des statisliques.B 
l'endanl le règne du romantisme, rkistoire, renoureléâfl 
par Chateaubriand, avait été congue par les AugustiiM 
Thierry et les Michelet comme une évocation, par les Guizùfl 
et les Mignet comme une structure logique des évënementa J 
que l'intelligence- maîtrise et règle. Dans la seconde moiti^H 
de notre siècle, elle prend le caraclére d'une analyse scien^fl 
tiflque. L'historien de ce temps n'est ni un poète ni uni 
théoricien, c'est l'érudit patient qui se cantonne dans uilI 
tout petit coin du passé, et qui en rupporle, non pas de pit^ 
toresquGS tableaux, non pas de vastes généralisations, maisj 
des faits minutieusement étudiés, contrôlés par une critiquiA 
sagace et restant désormais acquis. (I se dùGc de l'imagin^-fl 
tion, qui déforme les objets, du sentiment, qui trouble loi 
vue, dos conclusions fi longue portée, qui subordonnent lesl 
documents concrelj à. la doctrine abstraite. Toute édiUcarfl 
tion ratiouoelle lui est suspecte aussi bien que toute divi-fl 
nation. Où les grands historiens qui avaient illustré lafl 
première partie du siècle portaient, les uns leurs sjstemesj 
préconçus, les autres leurs intuitions passionnées, il porte lu.1 
désintéressement méthodique de la science. Ses recherche» 
particulières, ses travaux d'histoire locale, ses moQogra,-9 
phios détaillées et minutieuses, ne peuvent sans doutn 
avoir toute leur valeur qu'en prenant place dans on eusem.-^ 
bic; il ne Tignore point, il ne perd pas de vue le but sOfU 
préme des éludes hisforiques, qui est une sjnliièse univeiv^ 
selle: mais, au lieu de tracer d^s maintenant un plan! 
téméraire et chimérique, il croit être plus utile en ••■ 



tTfl LE uni VBNKNT LITTAlliinR AU IIX* SIÉQ 

r'"<''< ,1 <<:) ^u priil nombre de biu dont 11 pont 
I1MC I m i -';]!.-« rlircrl'' ul comiilMc. Vr>aec noiquomeiill 
IS-ii.|,.,niti.,(i r\ S Vnnnljif de* mtcs, l'biiloirc borne «w 
omliltioDa aciuclles 1 «aiiJr les cboaea avec ccrtitadê et fe 1» 
nlncor arec précision, Elle tend à torlir <Id domaine propre 
do la litltrnlim-. Elle s'nssocic an poiitimme île antre 
<]K>i)Uc n tranxpnrtaot dans l'ordre dri pliénom^nea mo- 
mni In mt>th'iilii rigoureuse que le naturaliale appHqae 
phéuoniènc* du nioode lengitile. 

I.a criliqiie, qni OTaît ité jDsqv'ft outre tifecic uo dâlkat 
eiiTdi^ du fidfll, devient ellc-mËme une icî«ncc. Elle 
ranonné uni jaftements de rfaâloriqiie. Elle fait de pliu ( 
plus pirtii' inli>j;r>nle de Tbistoire, et porte dans l'anxlTM 
dm ouvrflf;<?!i Ih inAnie rigueur qne l'IiUtofien dans celle 
év^ueni^Dl*. Elle est une herbrirUalion dea espril». Cllf i 
pour le beau et le laid lu in^îme genre d'IndifTérence ifilt 
professe te poejliTiHiiiu pour le bien elle mal ; l'un et l'atitn 
fOnt dgalement naturL-U, et ce que blAme Iboinme de ftti 
peat D'âtre pas laoîna signilicatlf que ce qu'il admire. U 
ïrai critique n'admire ni ne blArae : il nccepte le* forniu 
multiples que prend l'âme humaine pour se révéler, il o'n 
condamne niicune et tes décrit tontea. Appliquant fl l'ut 
cumme b la morale un déterminisme implacable, 11 étend 
l'empire des lois organiques jusqae dans le domaine de la 
prodaction liHéraire. II réduit les Individus A n'élra quali 
résaltanle de leur race, de leur siècle et do leur milieu. Daf 
documents, ïoilft ce qu'il cherche dans l'œuvre eathritiqu. 
Elle est pour lui • ce que snnt pour les savants cee appareili 
d'une sensibilité eitraordinaire an moyen deaquvia ils 
démilent et mesurent les chongementa les plus intimes M 
les plas di'li-ats d'un corps •. Il voil dans l'homme t aatfiï- 
mal d'cspùcii supérieure qui produit des phllosopbieaetta 
poèmes ft la façon dont les abeilles font leur miel », 

Dans tous les domaines de i'IiiIclIlgeDCC, l'esprit pogifr 
visie a succède t l'esprit roicjauliqui:, et ce qui a'appeUa 
positivisme en pbDosopbic prend en lilUrature le nom àê 
; ou de naturalisme. 



CUAl'ITUE 11 
lA POÉSIE 



Quoique, dans la sËcoode moilié du aiède, l'espril réaliste n 
proToquu une réaction unÏTersdle coalre le roniaDUsme sen* 
Umenlal, qui, depuis M*"" de Slaèl el Clialeaubriaad, sTiiil 
iuapiié noire litlÉrature, il nu faudrtiil pas croire que 
Duence l'omantique soit entièrement épuisée. Noos la re- 
IroDTeronâ jusque chez les maîtres de l'école nouvelle. Mais 
c'est naturellement dans la poésie qu'elle persiste avec le 
(jIus de force : tandis que les genres en prose vivent surtout 
d'aualjae. la poésie semble dénoncer par elle-même un 
ttat d'&iue en opposition directe avec celle impassibililâ 
qui est la première condition d'un réalisme conséquent. 

Bnlre les survivants de ta grande génération romantique, 
UD seul poursuit sa carrière, Victor Hugo. Il maintient 
uvei: on robuste orgueil, daos ralTaissemeDt géDëral des 
Unes et des vocations, la drapeau du romantisme, qui 
IloUe maiulenant en exil. Lamartine a quitté la poésie 
pour la politique, Vigny s'isole de plus en plus dans ou 
<l'''daigaL>ns silence, Musset consomme peu à peu son suicide, 
' ' uilier applique ■& plume d'or & des feuilletons de théâtre, 

iinle-Beuve a depuis longtumps enseveli au fond de lui- 
iiii!iiie ce yoitK mort jeune A qui survit un critique, ua 
plifsiolooislu revenu de toute poiisie, Seul, Victor Bugo 



I» LS HOUTKMEHT Lé 

puae lriaiD|ihalenM>&t U moilié du sièck. Il n' 
découragemeot ni lawilude. Tnut i;n ri^tnnl le 
■e renauTclle, il ouvre a ses inspirsltoDs de | 
ponpcclÎTes : i^Knilivement lïlabli dans son gËoie, il eo 
remplit unr. iiifancc toute la cupacilé. 

La prcmi^rfi ajuvre que Victor Hugo date de l'étrangpf, 
c'est DU recueil do xatires, mais de saUr«s tontes lyriques. 
D j ilËploic une imissance d'iadigualion chaleureuse <]ui 
n'a rien de couimuii arec la manie déclamàloire des clugi- 
qaea JuTénols- Il ae venge des proscripteurs ; il ven^ amti 
la vertu et la Toi publiques un moment éclipsées, et c'«sl 
en leur nom quu son vers flëlrit la corruption des (met, 
stigmaliso i'nlmisaetuent des caractères, Osgclle toute nus 
glliiiiratiun ddpriinûc en qai le souci des inlérâts positifs t 
«tonlTi! la religion de l'idi-iil. Lei ChâtimenU sunl une npti- 
saille de l'idéalisme roniuniii^ue contre ce que l'esprit rca 
lisU dénoie en soi de scepticisme dans l'intelligence et ils 
lassilude dans la volonlé. Mais l'œuvre d'anathème « par- 
fois dos accents d'une douceur, d'une pitié inllnie. Ce çœnr 
débordant d'amour maudit ceux qui l'emplissent de fureur,' 
et l'amour s'épanche encore à travers les exécrations. Il 
dicte au belluaire irrité d'atlendrissan tes élégies, de fraldiM 
«t gracieuses idjrlles; la haine contre le mal, la calera de 
la conscience, s'allient chez lui avec cette cordiale huma- 
oitâ, celte sympathie universelle pour les malheureux, qui 
fera He plus en plus l'inspiration fondamentale du poète, 
et que son Ame apaisée finira par étendre des iiialbeureui 
ans méchants. 

Avec les CiinUniptations, Victor Hugo revient A la poésie 
Intime. Ce recueil coolinut: ceux dans lesquels il avait déjft 
mâle les voix mystérieuses de la nature aux joies et ou^ 
tristesses de Hiomme; mais, en même temps (jne sa foMiUy. 
Bans rien perdre en Ëçlat et un vigueur, gague en t'oupleaiB' 
et en amplitude, déploie des harmonies plus savaalas, unit 
& la précision caractéristique des contours matériels un don 
œerveiileux de rendre par les sons el les rythmes ce qae 
Dt nos sens, ni notre intelligence méoie ne peDTeot tgb^ 



IB pmece acquiert plus d'âlendue et su sensibilité plas de 
profoQcJcur Ces deux livres de vers niérilent leur nom; ils , 
gnul (l'un Ijnsme plus eonlemplatif que tes Feuilles d'aa- 
loninc ou le» Voir, intérieures. Le progrés Je l'éje, les 
Bmerlumes do l'eiil, la perte d'un âlre cher, nnt iichcïé de i 
naùrir le génie de Victor Hugo. Une philosophie éleTée, 
généreuse, paciflante, se dégage de ses rûvcrios, de ses îmii- 
gmalions poétiques, de ses obscures apocalypses. Ce sont 
ICI les «mémoires d'une Âme>, d'une flme qui* marche d& 
lueur en lueur en laissaut derrière elle la jeunesse, l'amour, 
rillusioQ, le combat, le désespoir >; mais, s'ils t s'assom> 
orisscnt Duauce à nuance i, c'est pour aboutir lioalement i 
< à l'azur d'une vie meilleure >. La philosophie du poète 
est consolante jusque dons le deuil, parce qu'elle a pour 
inaltérable principe une crojance toujours plus sereine dans 
le triompha du bien sur le mal et dans I& réconciliatioB 
déGDilive de l'humatiitâ avec la nature ot avec Dieu. 

Celte croj'ance domine aussi la Légende des siècles, épopés 
flincÈre, vivaDte, sans banales machines et sans merTcil- 
leui factice, sorte do poème • cyclique • qui a pour héros | 
l'homme et pour inspirulion la foi dans le progrés inflnî. ^ 
La légende de l'humanité, felle qu'il la suit d'&gc en ftge, i 
se déroule h travers les trahirons, les rapts, les parricides; 
mais il oppose Roland aux inl'ttDts d'AsUrie, Rviradnua à 
Sigismoad et Ladislas, le marquis Fabrice ^ Halbert Si lea 
(ableaui riants sont rares dans son livre, la conception ' 
n'en repose pas moins sur un invincible optimisme. Lui- 
uiâme le dit, tous les aspects de l'humanitË se résument, à 
ses jeui, en un seul et immense mouvement d'nseeusioD 
vers la lumière. Ce qu'il veut montrer, c'est ■ l'homme 
montant des ténèbres & l'idéal >, c'est • répanoniasement 
du genre humain de siècle en siècle, la transfiguration para- 
disiaque do l'enfer lerrcstre, l'édosioD lente et suprême da , 
la liberté ». Le poème dans son ensemble est ■ une espèce 
d'hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entraillei 
une l'oi profonde el sur son sommet une haute prière >. 

Victor Hugo a au plus haut degré le sens de l'hialoire; 



1'-; [iL-upk's HAliquefl, SI eipi'imi! l-q fortnidalili:» symboles 1« 
Il 1.1 nu lie ri eu ru 1 i]e la uousdeDre, Il associe enfin nui agiU' 
^•la* [lu riiuiuaniliï que le liiuD et le mal se dUpulest, i 
• bcnrte à 1 Unie bomnini!, itûa de tuj r«ire rendre son n 
Ubtu KOD, k'x fitrea djffûrcDts de l'bonime que noua m 
nions bètes. choses, nature morte, et qui remplissent 
an cuit quelles fonctions fatales dans i'éiiuilihre vorljgineiu 
le la crt^alion >. Ce poème, qui s'ouvre sur rébluuissemitnl 
4« l't:ilea et se ferme «ur les perspectiToa faulasLiqaeB 
J'inGni, est l'ieuvre la plus grandiose, la plus Oiverae et U 
plu.4 riche île Victor Hugo. Il j met au servict d'une tmagi 
naltOD incomparable une faculté Terbale Trnirueni itnitiue. 
l'uiir un nouveau genre, qui mêle le drame ul Je lyrisme * 
Tépopée, il se façonne un style nouveaa. tunant A In fois " 
ta langue lyrique et de sa langue dramatique, mais q 
moins tendu que l'une, moins heurté que l'autre, s'appropri* 
admiralilerueut k cette légende des figes par ce qu'il a dn 
limple dans la magnificence et de familier dans la grau* 
deur. Le géaie épique de Victor Hugo, qui a'i5tait déjà ri- 
vale par Notre-Dame-de-Parit, par ûs Burgravea, par cer- 
tains morceaux des Gk&timenls, atteint ici sa plus liaats 
expression ; il est peut-être la forme curaetérislique entre 
toutes d'une maFtrîae uoiTersclIc. 

La gloire Ju poftle n'est pas achevée, Après les protligli 
tableaux de la Légende il ajoutera ù sa lyre une cutOt 
nouvelle pour ctianter en sa vieillesse la seusuulitë t^ëte 
et facile de l'adolescence. Henlré de l'exil dans Paris ass!ig«, 
les désastres de l'année terrible lui inepiroront desstroptau 
veogeresses où vibre l 'indignation, oïl frémit le pntcioLisma, 
où s'exalte une invincible foi aux destinées de la France, 
dont le culte se confond dans son cœur avec celoi de )i 
Justire et de la Kralernilé. Cet infatigable gënie se raalll- 
plierajnsqu'au bord de la tûmbe; et combien de 




poslhumea aemblent L-ncore alleater que, par delà la tombe 
elle-mâmc, U est resté toujours jeune et toujours fécondl ■ 

Les derniers recueils de Victor Hugo reprennent des | 
ihènms iléja connus. Apres ta Légende des siècles on peut I 
dirt- qu*il cesse de se renouveler. Mais les reiiles dontj 
nbnnden t sea œuvres les plus tardives ne semblent înférieuresS 
aux inspiratioDs originales qoe parce qu'elles sont poslé-^ 
rieures. Toute ta lyre vient à peine de paraître, et nous yS 
iiouTOua maints chers-d'œutre comparables aus plus belles 1 
pièces des Contemplation», des Châtiments, de f Annie ter' 
nble. Jusque dans l'extrême vieillesse, Victor Hugo n'a rien 
l'Cidii de sa puissance et de sa vigueur. S'il revieut sur sa J 
prnpre voie, c'est qu'il avait déjà parcouru le cycle tout 
entier de la poésie. 

Attaqué, discuté, contesté dans la première partie de sa 
carrière, il exerça dans la seconde une sonverainelé unani- i 
mcmeut reconnue. Toute la poésie contemporaine émane . 
de lui. Ses disciples sont devenus à leur tour des maîtres, 
comme les lieutenants d'Alexandre devinrent des rois en se 
piirlageanl son empire. Parmi les écoles poétiques qui se 
sont multipliées autour de lui, il n'en est pas une dont 
nous ne puissions trouver l'origine dans quelqu'un de ses 
cliets-d'œuvre. Les virtuoses se rattachent ù ses Orientales, 
les psychologues à ses Voix inténeures, les Olympiens A , 
sa Légende des siècles, les < funambulesques ■ A son qua- 
trième acte de Ruy Blas; les ■ symbolistes ■ eux-mêmes, ' 
ces mystiques de la forme, reconnaissent ea lui le premier ' 
de nos poètes qui ait saisi l'ame des mots, qui, pour citer ses 
propres termes, ail découvert uo sens révélateur dans le 
frisson des syllabes. Suivant l'expression d'Emile Augier, 
Victor Hugo est le Père. Sa vieillesse triomphale fut entourée 
d'un véritable culte. Quand il mourut, tout un peuple le 
conduisit au l'authéon; mais l'apothéose avait précédé les 
funérailles. 

Victor Hugo n'est pas sealement un ancêtre, c'est en 
quelque manière un primitif. Les sentiments dont il s'io- i 
«pire sonlles plus géneriiux, ceux dans lesquels réside le fond i 



t7a lt; Mniivs^rrr LnriiiiAinR au 3 

m^iTi ' UrguiUaUon puUntitft. si 

d<l' ' le aui qiiin(«Ji«i>nc«3 da cixiir (4 

cerliiiii- il' 'Il > Il H'irii temps ont mi» une [lisUnctiou tl 
ouriuuiruiftit nuaDCile, On lui reproche d'avoir l'ame gK^ 
tUn : tl a 1 Ame grande, largement aiiTcrlc «us plus gèai- 
nu>«s iutfir.'iliuui, tout imprégnée d'amuur Ot de fitié, 
vibrante au luoîudre toutde coitiuie reluisante na premier 
T»yoa: el, si uuui ne Irouvoim pu cliei lui lea graciliU» 
miAvres, les tendresses prilcieuieg, les luhlili rafllneincnU, 
e'osl qu'il ne faut pas deciiuider A un hamme ssin d'êln 
■lusi tensible qu'un malade. 

Avec ce qu'ils appelleoL les lieux communs du sentiment, 
nos pins Qns criliques lui rcprocbenl coui de la pensâe. lit 
eiallent en lui le prodigieux ouvrier de style, le mstlK 
■ouTerain du verbe ; mais ils Irourent que sa forme iner«il* 
leuse r(rfM>uïre peu de substance, ils prétendent que ce diei 
de l'image et du rjtlime est un bien médiocre penseur 
Reconnaissons ce qu'il y a d'fngenu dans ses graarlioiat 
«ntiihésps, de rudiTiiPntRire dans sa conception des choiA 
d'inr.omplet, de tronche fc l'eicâs, parroîs de radical ennui 
faux lians ses vues sur l'iiistoire, ce qu'il j a soit de pu 
trop simple dans ses formules, soit do contradictoire ent» 
les diverses philosophica dont il s'est Tait tour h timr )• 
magnifique interprèle. Victor llngo n'esl pas un pliilosopbs. 
n skisit par son iuiagiDiilion les grands systèmes pour lu 
transformer en myUies poétiques. Ne sourions pas en l'eih 
tendant s'appeler un moge : c'est bien là son Dom. 

Est-ce à dire qu'il ,y ail moins de substance en ga poéét 
qu'en celle d'aucun autre des grands poètes eontemporainif 
Nous ne le croyons point. Il ne Tant pas que les mlrulM 
del&langue et de la versifleuliou nous fassent méeoop&nr* 
logt ce qn'il enlre en son œuvre de grave pensâe auat 
bien que de profond sentiment. Et si. suivant rexpressîos 
d'un de ses plus illustres disciples, toute poésie dîguc ât 4> 
nom contient une pbilosopbie, il est fodie de relrounr, k 
travers d'obscurs symkules et de flngraules conlradii 



radicUMM 



LA POKSIB. tn 

l'iiniie fondamantolo -k l'œiiyre immease qu'il a laissée. 
Li.'s Tariiilinn» de Victor Hugo sont dominées par uns 
croyance^ inébrniilable dans l'ordre oniverBâl et dans le 
progrès, Optimiste comme toulea les fortes natures, 11 a 
prâché la coDliaDca et l'amour. Un grave aouci de moralité 
prflle k sa poésie je ne sais quelle saine et yiviflanle saveur. 
11 y a eu toujours en lui quelque chose de fixe ot de résis- 
lanl, l'idée du devair, la foi dans la justice, dont la forme 
su;>râme est 6. ses jeux la démence. 11 a élevé la voix en 
faveur de toutes les nobles causes. D'autres ont troublé, 
amolli, dêsenchanlë l'ftmc humaine : il l'a rassurée, affer- 
mie, encouraiiée, il lui a communiqué quelque chose de 
son obstinée ot robuste vertu. Parce qu'il est le plus grand 
artiste du siècle, ne peut-il être en rnSme temps celui de 
tous nos poètes qui a porté dans l'art les plus hautes 
prénccupations de la conscience, qui a eu l'ôme la plus hos- 
piialière, qui a fait de son génie le plus généreux et le plus 
vaillant emploi? 

Depuis le milieu du siècle, Victor Hugo assistait de loin 
â la transformation du romantisme. Quand le romantisme, 
qui fut dans le principe une renaissance du sentiment 
eialté par la ferveur spiritualiste, eut épuisé la vertu de son 
inspiration primitive, il lendit, comme toute école sur le 
déclin, à s'absorber de plus en plus dans les soins de la 
forme pure. Aux grands poètes succédèrent alors les sculp- 
teurs de la slropbe et les ciseleurs du vers. Déjà Théophile 
Gautier ne se rattache guère à la révolulion romaollque 
que par le câté pittoresque et descriptif. U arbore le dra- 
peau de l'art pour l'art. Victor Hugo lai-méme, si l'esprit 
qui l'anime est tout idéaliste, porta dès l'abord en soD 
œuvre une prédilection pour les images, an goltl des lignM 
précises et des reliefs bien accusés, une ptaaticilé de la 
langue et du rythme qui l'ont fait plus d'une fois accu- 
ser de matérialisme poétique. C'est par Ift que Gautier fut 
son disi'iple. L'auteur d'Émaux et Caméet Qnît par faire 
consister tout son art dans la descriptiou de la nature. * t« 



TB U «OUVBIJRNT LU. ri, ,,„ 

■utt,4]ifait-j|,aii hommo pourquilc monde visible «xiiU.' 
IdtDs ou seDlimi'Dts, le monrlc iavJsil'Ic exfsla puur lui de 
noliu t-o itiuiua; il réduisit la poésie 6 n'ittre ([tic le cliuil 
de* raol!i et leur bel arrangement; il ne vouml oxprimer 
f*t elle que <li' richos codeurs et d'tiamiooieux cnntotin. 

Le calto exclusif du la forme poitiqne avuil tout na moÎDi 
ftit de lui un sdmirabk arliste. En se rétréossBiit pKN i 
|iou, iMi s'atni^nottunt toujours davnntag«, il Bt de ses tue- 
ccMCurs d'iDf^éniuux Tîrtuoses. Le plus brillant d*eDtre eu. 
le plus Deuri, lo plus riche en beaux vocables et en dit 
liijantes mélnphores, c'est Théodore du Banville. 

Cumme Gautier lui-mâme, Banville est du païen. MaisQ 
j avait dans le pagaDisroe de Gauliur un arriëre-^'oûl di, 
moyen Age, do superstitions et de tristesses gothîqui». 
Rien de tel chez Banville. Il n'exprime qne la joie di'i 
«ens, ce qui est sonore A l'oreille et Imnineiis k l'œil, do 
rayons sans ombres, des harmonies que ne troable aucnire 
diacordanue. Par deli Gautier et Victor Hugo, il donna !• 
mdn à André Cbénier, a celui ifavant Fatmy et les tamifi' 
Il a quelque chose d'un Grec, ou pintilt de ce que 01ieJi(« 
appelait un Français-Byzantin , en se désignant ainsi lui- 
mt^me. 11 assiste A la vie comme A une Tête ; son atmn- 
sphâre de Tel ici té sereine n'a jamais été troublée m par la 
inquiétudes de la pensée, ni parles soucis de la consdeflMi 
ni par les ard'^urs de la passion. 

L'œuvre do romantisme semble s'être réduite pour lui I 
U régénération de la rime. Il fait de la rime le principe rt 
la fin de toute poésie. C'est à la rime qu'il demande le socrcl 
d'une nouvelle langue comique versifiée. C'est pour glorifier 
la rime qu'il remet en bonoeur les anciens genres, doni ell# 
fait tout le prix. Le sonnet, restauré par Sainte-Beuve, DG 
lai sufBt pas. Il lui faut les rondeaux, les triolets, les villa- 
nelles, les ballades, les formes poétiques les pins hérlssén 
de difficultéa gratuites. Ne lui demandons pas autre chùBt 
que l*agi]ité, l'adresse, la grAce vive et souple d'un clown. 
est le clown du lyrisme, d'un lyrisme aérien, raotasliqoa, 
charmant en ses divagations mêmes, et qui jette bieii<^yh 



fout bagiigi! importun de pensée ou fJe si'ntiraent afin quo J 
rien ne gf^ne son vol. Et ce cIowd a pour IrempliD la rime, j 
Tout ce qu'il y a chcï lui d'éclat, de presliae, de charaia I 
et d'esprit, il faut le chercher au bout du vers. Sa Muse, 1 
c'est la ( Fonsonne d'appui ». I 

Liii-iDâine a donné sa poétique. Elle consiste tout enliËrfi j 
dans une tUëorie de la rime. Ce ne sont pns des idùes au> 1 
des ÉmotioDB qui l'inspirent, mais des mots. Les molA J 
s'appellent, se répondent dans son iraagïDalion éblouie. 11:1 
les voit relaire, il les entend retentir les uns contre les autres. J 
Des rimes lumineuses et sonores, voilA tout te secret de soa I 
art. L'espace qu'elles laissent TÎde se remplit de lui-mâme, I 
et s'il J faut quelques bourres, si le sens a parfois des sur* I 
prises, ne sait-on pas que la poi'^sie, celte chose superflue, :l 
comporte maintes superQnités haareuses et que rien ne loi I 
sied comme un grain d'extravagance? Aimable et frivolfl I 
conception de l'art, et que Danville n'applique jamais qu'à I 
des poèmes légers, tout d'aventureux caprice et de fantaisie i 
insouciante. Il proteste à sa fagon contre te réalisme de son J 
lenipa en se réfugiant dans le pays des chimères, des songea I 
et de la pure féerie. I 

Gomme Banville, Baudelaire se rattache K Gautier, cft- I 
* poète impeccable >, ce • parfait magicien es lettres fran- I 
çaiaes >, auquel il dédie ses fleurs du mal. Mais, tandis que J 
nous retrouvons chez l'un ce qu'il y avait dans leur maître "fl 
commun de plus rayonnant, de plus vif, de plus coquetto- 1 
ment superficiel, l'autre raffine encore CRtte prédilection I 
pour l'étrange et le compliqué, ce goût d'archaïsme ou de J 
décadence, cette inquiète curiosité des choses occultes qui I 
donnent si souvent & la poésie de Gautier une saveur Sera- fl 
ment subtile et comme exquîsement vénéneuse. Quoi qil'it'!! 
doive à l'auteur d'Alberltu, Baudelaire peut d'aiUeure pasJ 
ser pour une des physionomies les plus originales de SOtrJ| 
temps, tout au moins pour une des plus liizaiToa et despluafl 
complcses. II est le premier exemple de ces talents cootoum'l 
oés, surmenés, impuissants i ta création, mais singulière*! 



[ «n LE HOUVKHKNT UTriÎHAIRR AU XIX*4i 
; délirais danif l'nnul^KD, tels 1^ 

I une cCviliintion vlpjliie, annlo^e h tes trrrcatii briUnnto 
! qai iirudiiUunl dci Truits eapiletii et mnUnins. 

Au besoin de volupté se msle chez lui, dans la volupté 

I mime, un irriïsislible penchant à s'analjscr 11 ne pratique 

I jimais que l'amour charnel, tautAt dans sa beetialit^ morne, 

(oiitAt dans ses corruptions les plus savantes. CoDBid>'-rant 

[ la femme comme un être inri'rieur, D lui demande UDtque- 

I ment des sensations. II Inï abandonne le corps, et l'esprit, 

I laissé libre, corrompt les joies de la chair. Ce fl!s • d'an- 

câtres foiiB ou maniaques, morts tous Tictimes de leare 

forleuses passions », exacerba sa sensibilité maladive non 

seulement par l'abus du plaisir, mais encore par les eici- 

[ tonts factices qui lui créaient ce qu'il appelle ses • parm- 

I. Joignons a cela les rroissemenla de sa vanité suscep- 

L tlble, les soucis pécuniaires dont sa vie fut empoisonnée, les 

cruelles angoisses d'un artiste qui avorte presque loujoun 

et qui a lui-même conscience de ses avortements, c'est plut 

qu'il n'en faut pour expliquer en lui cette incapacité da syi- 

tëmo niTveiix A godter une pleine jouissance. Ce qu'il trouva 

dans le plaisir, c'est, non pas l'assouvissement 01, pareujte, 

1 le calme des sens, mais une sorte d'exaspération, un senti- 

toeot de dégoût et aussi de révolte amère contre la volnplé 

[ qui ne peut apaiser sa chair. Et alors, le débauché maudit 

Ma débauche; il se détourne avec horreur de son péché; 

[ encore tout souille de fan^e, il a'épreod d'une spiriluelité 

f mystique et berce dans son sein je ne sais quel rave étoile. 

Baudelaire avait commencé par la foi ; son esprit et «on 

j cœur en gardèrent, quand il eut cessé de croire, des troubles, 

I des repentirs, des épouvantes. Mais les retours mêmes d'un 

. catholicisme corrompu sont un assaisonnement de plus aux 

I voluptés. Le plaisir est doublé quand une pointe de remords 

on relève la douceur; et puis, le frisson d'eitase idéale qui 

\ saisit parfois le poète dans la stupeur de l'orgie lui donne 

r comme l'illusion de sa primitive innocence : ce blasé s'est 

I ainsi refait une sorte de virginité qui prêtera à la jouis- 

e prochaine un ragoût tout nouveau. 



^m Ik POfiStE. Ml 

^^K^eat le mAlange d'une relîgjoellè malsaine avec ce igue la 
d<Sbaucbo a de plus subtil, c'est un mj-stJcisine de maUTOil 
aloi mis au service de la débauche ello-mémâ pour «Q ravi- 
ver la saveur, qui fait à Uaudelaire toute son originalitâ. 
11 entre sans doute bien de la recherche dans celte li^ra j 
énigmatique. Bien chez lui de simple, rien non plus de «în- 
câre. 1 Un peu de cbarlatanerie, écrit-il, est toujours per- 
mise au génie. ■ Mai» ses affectations noua le rcïèlent 
oncore, et, par ce qu'il a voulu paraître, nous pouvons juger 
rie ce qu'il Tut, A son catholicisme môme se rattachent d'ail- 
leors les rares iàies dont s'est nourri cet esprit stérile, et 
qu'il n'a cessé de répéter en prose comme en vers. 11 n'est 
pas jusqu'à sa théorie de l'art qni u'en procède directe- 
ment. 

Aux jeux de Baudelaire, lu pécbii originel a imprima A. , 
la nature tout entière une tache indélébile. Si nous la con- t 
sidérons au point de vue moral, elle est la voix de l'intérêt, 
des appétits, des passions égoMes. Les philosophes dn 
xvui* siècle j voyaient la source de tout bien : il la regarde, 
lui, comme profondément souillée, et, pour employer son , 
mot) comme satanique. Ce qu'il y a de naturel à l'homme, 
c'est le vice; la vertu est arlilicieile. Transportons cette idée 
de la morale dans l'art, et nous aurons toute l'eslhétique 
de Itaudolaire. Pas plus que le bien, le beau ne procède de 
la nature. Il est artlGciel aussi bien que la vertu. A la • beauté 
naturelle >, le poète préfère la beauté factice, celle que l'art i 
a parée de ses prestiges. Il fait l'éloge du maquillage. Il 
eialte la poudre de riz, la peinture, les mouches, tout ce 
<iui peut élever la femme au-dessus de la nature, en foire 
iiinsi I un être divin et supérieur ■. S'il s'agit de parfumi, 
il u une prédilection toute particulière pour ceux qu'un art 
savant élabore ; s'il s'agit de couleurs, il prétére les moins ^ 
rraacbes, les plus compliquées, celles surtout qui trahissent 
une décomposition intérieure, les i phosphorescence* de la 
punrrilure ». Ce qui lui plaît par-dessus tout en poésie, es 
sont les produits des civilisations déclinaoles que plusîean 
•iédea de culture ont rarQn^cs k l'escës, les œuvres lour> 



'tS MOUVKHKNT LiriBllAlUK AU XlS'l 

t prornnnlinn, l! invite 1m poAte» & igultler le I 

[nmniincl, A rolr(>iii|ii!r oui soiirciix éleraellemeal 1 

l'oxprcEsion usée et affaiblie des senlimeniR généra 

forlillur leur esprit par l'élude et la méditation p<n 

I ttin les guides de rhumanité dans la rechercha i 

tpadiliona id'uies. Le» gruDds po&tes romaDliques aH 

d6jà demandL' des iuspirations k l'histoire primilin d 

^nre humuio; luais, au lieu de ae faire lea con tempo raina 

des races disparues, ils prêtaient aux hriros enliqnea des 

idf es modernes. La Légende det liictet elle-mâuie déborde 

de lyrisme. Le poète, prolongeant aa peraonnslilé jusqu'au 

fond des Ages, n'y cherche bien souTenl qu'un cadre propre 

A TcxpressioD de ses sentiments ou de sa pensée. Cette 

I épopée de notre race, dans laquelle Victor Hugo portait, 

I outre son besoin d'expansion Ijriquc, une foi spiriluoliste 

I dont il ne se détactia Jamais, des pré occupai ions humani- 

{ taïres, un penchant irrésistible a dramatiser et h moraliser, 

I Loconte de Lisle veut l'écrire avec la neutralité d'un hïslo- 

, rien, avec le désintéressement absolu d'un philosophe tua 

I jeux duquel se valent toutes les conceptioni dont le genre 

humain a successivement vécu comme ayant été égalemeul 

' vraies chacune à son heure, l'^ur lui, la poésie consistera 

A représenter, sans y rien mêler de lui-même, les formes 

multiple» qu'a revêtues d'ftge en Age le culte du Beau. 

En raeme temps que son imnginatinu grandiose dcmail- 

! dait de vastes thèmes, son esprit sérieux et méditatif 09 

I pouvait se plaire dans une virtuosité gratuite. La légende 

I des races abolies et des religions éteintes lui fournissait 

I une matière en rapport avec la puissance de ses facultis 

I aipresaives aussi bien qu'avec l'habitude de son tme portée 

d'ella-méme à de graves contemplations. Sa théorie du 

beau pour le beau n'aboutit point a un formalisme vidé. 

Chez cet artiste épris de rythmes austères et de lignes 

I seBlpluralca, il y a aussi un penseur pour qui la poésie 

I m'tBt qu'une forme de la philosophie. A ses yeux l'art doit 

' Ulidre A s'unir étroitement avec la science. Dans les teia^ 

LtnUques U fut la révélation spontanée de l'idéal, 




^^Hb la acienue en eat l'Élude ri!llËcliie. Muis il a mainlenaoa 
^^^misê sa force inluilive, et c'est à la ationce que Uoil b'aJ 
riresser le poète s'il veut rendre à l'art le sens de ses iradS 
(ions oublit^es. La régi; ni' rat ion des formes est iotimc-mcajl 
]iëe à celle des principes. Que rarliate, au lieu de profane! 
la luDjÇue des vers en lui faisant exprimer sa propre iDanitâl 
• rentre dans la vie contemplative et savante coiurae eu an 
sanctuaire de purification >, La poésie digne de son notfl 
doit se retourner avec lascieacc vers les origines commuDeM 
Grave, auguste, liturgique, étrangère à toute passion pei3 
soundle, elle est l'histoire sacrée de la pensive humaine. I 
Leconle de Lisle se fait tour A tour le contemporain M 
chaque époque et le prâtre de chaque religion; mais c'est A&tm 
le bouddhisme que nous trouvons la forme naturelle de Boa 
esprit. La nature lui apparaît comme une sûrie de phénol 
mi^nes sans cesse renuuveliïs que ne soutien! aucune suM 
slance. Toute chose est le rfive d'un rave. Il a'y a de vrai 
que l'élerael, et il n'y a d'éleruel que le nénut. L'impassîS 
bililé chez Lcconte de Lisle est le derniA mot. d'une tiio4 
raie conséquente avec sa philosophie. Le bonheur supréioJ 
réside dans te repos. Tout le mal consiste â vivre, et, poq 
conséquent, il faut vivre le moins possible, ctoulTcr en «n 
l'i^motion, se guérir de l'espoir, foire de son âme un asilfl 
inviolable de silence et d'oubli. Matruya est torturé paa 
l'amour. Narada par le souvenir, Angira par le doute : iU 
implorent Bagliavat, et Baghavat ouvre aux trois sages sofl 
large sein où leur esprit s'abîme & jamais dans l'immuablfl 
fcjllcitË. Heureux qui peut fermer son cœur aux passionfl 
humaines et trouver dès cette terre i'avant-gol^t du nirvânJ 
<<uprêmeen une sainte inactioni Les nuits du ciel natal onfl 
bercé le poète dans ces extatiques vertiges qui affranchissenfl 
l'Urne itu temps, de l'espace el du nombre. Il a. jouï ilsfl 
ïoluplés immobiles et des inertes délices; comme les oscélefl 
antiques, il s'est assis au fond des bois pour absorber il 
m ioDgs traits la paix immense qui sort des closes, tilt il ca 
H^norte les oracles d'une morne sagesse. Que l'honimM 
^^^fcasde aux forêts tranquilles l'oubli dcspeînus, celui dm 



Ktt LE MoLiVRMKM Lin^nAlOB AU XtX' SIH 
Itt joie elie-mâaio : du haut du leuru ilAnifi> u 
iniiltiTaUe desceodru don* son stin. Qxi'li ili 
aoiiiiftin le scorel lic leur bi^iiUtiiile ; roucbS conin 
<lleu, le taureau ferme l'œil A demi et ruiiiiae en lut-mQ 
une filidl.;: placido. Qu'il ferme son cu-ur aux sonda ilcs 
paillions et son e«|)rit au mol de la pensive. Q\i'i\ s'eudorme 
dans une liienheureuse léthargie; qu'il écoule In voix da 
la nature, dont le «ileoce mâmc est une leçon. Hais quoiT 
La nature, elle aussi, a sea agilaliuns et ses troubles, 
Les vagues de la mer apportent A notre oreille dca ru- 
meurs imiuiètee: un frémisse m eut d'angoisse Imyerse [jbi 
moments la solitude des ^ands bois. Les ^léphauts pas- 
sent avec lenteur : pendant que le soleil cuit leur itoa 
Qoir et plissé. Us râvent, massifs pèlerins, à ces forât» de 
ïigniera où s'abrita leur race. Sur la plage, les chiens pous- 
sent des hurlements devant la lune livide, comme si quelque 
mjrtiJrieuse détresse faisait pleurer une ftme dans leurs 
formes immondes. Le taureau lui-même poursuit de son 
, œil languissant et superl)e te songe inUricur qu'il n'&cbâvera 
nais : le voilA qui abandonne son large lit d'hjacinllie el 
de RiouBse; il tend son mufle camus; il beugle au loin sar 
les flots. Où donc est la paix, puisqu'elle n'habite ni l'Ame 
Tuilimentaire des bêles, ni l'inconscience apparente de la 
nature? La paix est dans la tombe. lugubre troupeau de 
ceux qui ne sont plus, le poète vous envtel Importuna par 
la voix sinistre des vivants, il aspire au sommeil sacr^. [I 
appelle la divine Mort. 11 demande au Néant de lui rendre 
le repos, que la vie a troublé. 

L'esthétique de Leconte de LIsie répond à sa philosophie : 
ce repos dans lequel consistent la sagesse et la félicité, tl J 
voit aussi le principe du beau. La beauté lui apparaît comme 
le symbole du bonheur înipussiblc. Il en trouve l'cipression 
supérieure dans l'art, grec, dans les dieux de marbre, dani 
ces blancs immortels dont tes inquiétudes humaines n'ffld 
jamais terni la face. Il cherche, pieux pèlerin, le chemia 
de Parus que nous avons perdu, et, tandis que Hmpare 
laideur IriompliR, il mi lriiin,pi.irte am siècles glorieus9 



LA POBSIE. MT ' 

l'univerg s'épanouissait clans l'ordre el. dans la splemloiir. ' 
Si Leconle de Lisie voyage à. travers les cortl.recs, les épo- 1 
qucs, les civilisations diverses, la viïrilalile pairie rie cet \ 
.i rlisle eal la Grèce, l'antique Elellas d'Hoincre ut de i 
Sophocle. Euripide a déjà, pur ses priioccupaltons impor- J 
lunes, altéré les formes biéraliques du Beau^ tl est un I 
novateur de décadence. Après lui, la radieuse vision de Ift 1 
Beauté se trouble de plus en plus jusqu'à, ce qu'Iljpalie, J 
maudite par le vil Galiiéea, replie ses ailes immaculées- 1 
M d f n de sa robe pieuse, la Vierge a couvert l'au*» 
^ t t mb des dieux. C'est en vain que Cyrille s'approche 1 
i II Ujf tie lui montre l'Empire livré aux sombtea t 
J II d D Tunatisme ignorant et haineui; elle loi pr^ J 
! I L nt s, les terreurs, les misères du moyen ftge, 1 
B pestes, famines, superstitions grossières et 1 

m tq la deura; puis elle reprend son rêve Interrompu ; 1 
t L a t d'elle frémissent les rythmes d'or et vibrent | 
I a mb sacrés, taodis que i'abcille atlique vient dans j 
n y d soleil cueillir sur ses lèvres le miel de la J 
g t d la vertu puîeanes. i 

Lai at ou de la beauté classique s'allie chez Leconte de J 
L 1 a ullc; du Néant dans un aatnralisme lumineux 
el paisible auquel il demande et le secret du bonheur et la , 
formule suprême de l'art. Une Sme imperturbable est pour J 
lui la condition d'un arl impeccable. Son idéal austère 1 
imprime a la forme un galbe de st&tue. Mais la muse grec- I 
i]U'.^ ne l'a pas initié à tous les mystères. Sa perrectioQ | 
Liii^me n'est pas exemple de raideur; elle a le poil, elle a ] 
!iJS3i lu dureté du marbre. A cet artiste puissant et volon- ] 
i.iLre, i! manque la grAcc, ce sourire de la force qui triom- 
I'Ik' en se jouant. Sou verbe impérieui ne connaît pas le I 
<.imrme des exquises négligences. Il déroule er strophes ] 
ciimpnclesdes tableaux dout aucune teinte discrète n'adoucit I 
l'implacoblu splendeur. Sa rhétorique éclatant» et crus I 
ignore ou dédaigne les nuances. Point do notes voiLéos : ] 
partout la plénitude d'harmonies glorieuses que le fleuve J 
do BCB vers épand t larges nappes. Cet _altier géni« ] 



M tR UDUVKMRNT (.ITTtRAinR AV xd 

liIgDc Dotro inllrmiU', Il nom étilo 

nnns ac<:iiblc iv m f;mn<!i)itr. IVmis le voudrloD 
nom, [ilim oinpiiUsiia»t, pluï Imiudlo. S 
Kalptijrnlii nnu* impose; nooi aduiirona la I 
Dation lu'îl inrl a t'ubslrairede lui-DiAmc; mais nous tioni 
preuonn A rcgrclliT n qu'il j ■ de ftftid, d'Élranger i 
cœur, d&RR cette poésie d'un gtolque au Troiil d'&lmin, 
qui s'inlerdit toal. alUindrissement comme uuu faitilene, «I 
d'un artiste impaatible, qut voit dans toute émotion ime 
bguro k la ilignilË de son art. 

Eat-il donc resté complâtement absent de son «eutts? 
N'a-t-il lias mÉlé aux antiques légendes quelque chose de 
H penséo et de son cœur? Si le Moïse ou le Samson d'Alfred 
do Vignj sont Alfred de Vigny lui-même, les figures que 
LiTonlvdel.isloOToquedu foud des Ages ne font bien Eouvent 
qn'ci|irimer sa propre anic, non poj seulement sa concep- 
tion personnelle de In nature et de l'bunianité, mais encore 
dea troubles, des froissements, des révoltes que ne peut m 
dârober son masque hautain. Kaîn est-il moins moderne 
que Sumiun ou Moïse? Le poète lui prâte sud orgueil, M 
fureur de négation, son pessimisme farouclie et jusqu'ft si 
baine du moyen Age, que le Maudit entrevoit au loin dam U 
fumée des bQcUers. Leconto de Lisle n'a guère fait, commQ 
soi devaJiciers, que clioisir dans la légende dii genre bumala 
les llièmes les plus propres au développement d'idées toutH 
çontcmporDines et d'aspirations tout individuelles 

fit mémo, ce symbolisme archaïque dont sa poésie aRecU 
généralement k forme, il en est sorti plus d'une fois pour 
traduire directement des émotions auxquelles leur prompU- 
luda ou leur irrésistible violence ne pennetlaiout t 
détour. I.e rigoureux théoricit-n de l'impassiblUté, ausjretn 
duquel l'aveu public des angoisses peisonnclles est « 
Tanitéet une profanation gratuite >, exprime parfois GCller 
de sa (Iropro âme avec une âpreté de passion qui toacbe- 
k la frénésie. Jusque dans son nihilisme suprême il portt. 
Isa rébellions d'un cœur qu'exaspère l'incurable d^sirdevtnt ' 
«n mCme temps que l'iuiincilile otTrui de la vie. lA^ 




LA POÉSTR. 



ua 



Mjilif resaB 'le bnlti: et de manger; lo loup blessé se lait et 
iifird Je "X)u(e!in ile sn gueule qui saigne. Mais lui» le [loâlo. 
< si en lain qu'il soupire «près la lourde ivreaae du nirvAna : 
I, [ffisl pas moins impuissant à monrir qu'incapable d'ou- 
DJicr. C'est en vain qu'il se révolte contre la honte de sentir 
et de penser, contre l'horreur d'être un homme : la plaia 
qu'il comprime laisse échapper des larmes de sang. L'es- 
pérance da nirvana ne console mSme pas son cœur meurtri : 
il se demande si la mort n'est point une suprême illusion, 
si la grande ombre nous gardera tout entiers. Il prâle I 
l'oreille aux tombeaux, et le vent froid de la nuit lui apporte j 
des gëmissements. Dana l'inOni des temps, il écoute avec 
épouvante rugir A jamais la vie éternelle. 

Leconto de Liale ne sera jamais populaire, D'abord, sou 
docte archaïsme dépayse les lecteurs; ensuite, bod idéal de , 
l'art est place trop hant pour qu<: te vulgaire j ait accâa, 
et l'aristocratie intellectuelle du poète tient & distance tout 
esprit médiocre, ËnQn, s'il a exprimé, lut aussi, le mal du 
siècle, ce n'eat point en élégiaque sentimental qui se beroe 
dans sa douleur, c'est en nihilisle inexorable dont te morne 
désespoir opprime notre Eime, dont les ardeurs forcenées 
dtîTorent en nous toute sympathie. La souffrance lui arrache 
parfois des cris, mais il ne se plaint pas et il ne veut pas 
iHre plaint : se plaindre est une faiblesse, être plaint est 
une honte, Mendie qui voudra la pitié grossière des foutes I 
Il ne vendra pas son mat. Il ne livrera pas sa vie aux ou- 
trages d'une banale curiosité; il ne dansera pas, ù plèbe 
imbécile, sur te tréteau de tes histrions. Son orgueil muet 
lui tiendra lieu de gloire. La gloire î II méprise ceui qui la 
donnent, ces • modernes • que le siècle assassin a chflLrés 
dès le berceau. Pendant qu'ils emplissent leurs poches, te 
poète chante l'hymne de la Beauté, Des temps viendront 
:ijL' la lerre. arrachée de son orbite, défoncera contre quel- 
l'j'- Dnivers sa vieille et misérable écorce : mais la sainte 
I ii'nnU, dont il a é\È le praire, survivra dans son immuable 
splendeur à la ruine ilo notre globe, et d'autres mondes 
rouleront sous ses pieds blancs. 




VXI \f «nrVRMEST lITTfîfUTBE AU XIÏ" SIÈCLE. 

A l.fponii' de Lisli" ff rstU'Iic rfireclemeot l'école dei 
t Varnnfy.e:H • : niMi», nvanl île farupt^riser leur aeurre et 
.Vs;')':ii-i.-i- 't'-.ir .niliionoe. il nous fsut assigner sa place 4 
i:n ;■ ■i-lc .jui. dp releTant d'aucun çr£>upe parliculier, a. !ui- 
mi-ïwc 'r.iïf \:t\,- \ow nouTflle. où les plus illustres repré- 
si-nisnl* de no!rt> p.^MÏe conteroporaiuê deraieiit le suirre 
*an* ]f fairt' i".:!!ifr. 

Pfu\ rciiipilj d'Euçêne Manuel. les Pages intima et les 
P:""iM ppn'iirrt. in.l; jv.ent ^ufSfaninieDt et par leur date 
fon Mi^-.n.i'.h-.' ncvairù-e. ei par leur titre en quoi coDsiste 
(••-::.• .-riçir-nlil:-. 

Vf n^s doux rerueilf. l'un fat publia en 1S66, l'aDDte 
ni".-.-.: .MlC;;;''-. li^nnsi: le fl--,'iji»]iri». son premier onrrape, 
i:.. r !?Tf .i'.:ne ;i-.:! »-.i:re inspiraiioD. SuHt Prudhomine 
^,;...:. ;; rs: vr.îi. .:-.- :s-.rf -.ar.iîîre le; Sti>ic-:t it p-M'infs, 
à,-:.: . \r: ^'irr.::-c.;- rri-fii-'.r.fnt lu Vif ini-'icure: msis 

: r.»;.j,;;*. ...:.:-.-.:^ ;.4rr .;... .; fiiWJrr. !e Ih-mr:iiii--nii'ni. 
ti-K.: sr.itrfur;? .:; ;■'.■. sic -.ir* .-.i.r.-es. ?i qu^lques-^ice* m^nie 
aviiifr.: .:o .■:;.;. :..> r^-is àav.s .. ii',':h?' rf^* Itrhj^'Xoriirt. 
0".sr.; ft,;\ ; ,v^. ■ ;■ . u.Mrf'.x: ..f ^Ari-zf j-sr Ts'-H-ur 'rj'ils 



• ■:r^c . 






dëployérenl sprés Manuoi, dara le niCme genre, uns J 
psychologie plus sublîle. oni* virtuosité plus riiJn* cl plus J 
briliaDte, il oe le eâde à uucuu d'eux, piuv la «ÏDCéril*! du J 
aontimeat, poor la convenance du Ion. pour l'accord iDlime 1 
d'une TormË toujours juste et délicate avec une inspiFatioa^ 
toujours noble et tODdre, souvent touchante. Nous l'accuaonn 
d'une modestie excessive quand il veut, nous faire croirîH 
que sa source est ignorée, qu'elle Tait si peu de bruit; maîfl 
comme il a rajson de dire qu'elle est pure et qu'on y peinfl 
bc-îrel Manuel a été par excellence < le poêle du foyer ' '^ 
il l'a été dans ses Pages tnlimot, écrites auprès de ce foyer I 
même, et aussi daiia le recueil d'E» voyage. <mi s'y est dâ 1 
loin récliaulTé; il l'a élé dans les Paénum popiilnirés al dans I 
le drame souvent applaudi des Ouvriers, s'il est vrai que ta J 
rayonnement du foyer fasse cclore toutes les vertus que col 
moraliste célèbre, guérisse toutes les plaies sur lesqudlea 1 
cet ami des humbles pose le doigt; il l'a âlè euDn dans leé I 
poiisiea de Pendant la guerre, s'il est vrai que le foyer do- I 
inestique, auï jours de péril et de deuil uniiooal, s'tlurgisse J 
>'t s'exhausse jusqu'à devenir le symbole mi>me de la patris. | 
L'auteur des Pages intimes et des Poèmes populairas H m 
,< u'fois agrandi son cadre ; dans VAscention, dans la KHIM'I 

''( médecin, dans la Prière dei folles, la langue et le rytluna i 
-' metlenl spontanément par leur ampleur en harmonie j 

Mec la pensée; mais, si ces pièces et bien d'autres encore. | 
.iKinlreol asseï qu'il peut soutenir sans défaillance de plus * 
liantes conceptions, c'est dans la poésie rarniliëre que «'est J 

iiiirquée sufloul l'originalilé de son talent & la fois viril et I 
■!i')icnf, — délicat par le tacl, la mesure, l'heureux assorti- 1 
;ii<Mitdes nuances, en ce qui regardé l'écrivain, et, en ce qui j 
'ji.'QL k l'homme même, par la tendresse d'une Ame compa- j 
;M--aQte et pieuse, — viril par le dédain des nrtiflces, des I 

: iritures, di; tout charlatanisme, par l'unique souci ùb \ 

<':(primer sincèrement el fortement, par l'esprit de morn^ J 
' .\\\\i vaillante qui anime toute son œuvre, par ce que BB i 

;, iiipathie a de grave, sa pitié de sain, ses plus vives ëmtK J 

g de sofini encore et de contenu. I.é nom d'ËUg6nfl I 

Miiimel doit t-eslcr à ce titre comme celui d'un vrai, dtn 1 
. Libellent poêle. j 



»M (f 1II0UVP.MKNT UrriltHAlHK AU XVl 

LcronU <lr Uite fttt Itt m(iJtr«(lo( l< 
ScH» initintpDrs nn rniiiltor, TlAnvillc, naudcUire 

lui fiutloul qu'ila reçnrcnt U •Itsciplinc, 1^ PamasM- 

pornin sciloniiii iiourUchc de 'trifcndrp In poilsie, il'uaetffc 
COdItp les I plç'ursrils imlK^ciles • et les • rieurs liâbr&ÎIlâs >, 
quo les groDiIs Doms de Laïuarliae et de Musaet tralualeol 
encore (k lour suite, de fautro contre les ulililaires, qui ne 
consentaienl à l'admettre que ai elle se donnait puur Iflche 
d« vulfjariser les applications de la icience moderne, lî («l 
le gardien de l'arl, qui nu rail ni rire ni pleurer, et qui ett k 
tai-mima sa propre fin. II rappela son temps au respect de 
la jtrutninairi: poétique, à roliservation des • r^^-les saeré^ >. 
il pri^hii lu liâdaiu du succès Tadle. 11 condamna touto 
expression n^^Iij^e, toute épi UiMe uiolle, lou te rime fnibic ou 
banale. Mais, eonurie It^ culte superstitieux des Parnnasieni 
pour la ronna eiWrieure les rendait iudifft^rents A l'ftnn 
nâme de la puésie, toute leur adresse n'aboutit qu'au 
miracles d'un vain mécanisme. Et s'ils méritèrent bien, ft 
certains éganls, de la langue et du rythme, ils finireoti 
comme toutes les coteries littéraires, par je ne aaia quel 
putois de stylistes précieux et maniaques. lU se félicitaleol 
jnodeatcment de rendre plus aîaée eux futurs poètes un» 
perfection exquise et rare dont eux-mënies, simples outtIm) 
de facture, leur transmettraient le secret; mais, parmi cein 
qui s'étaient d'abord formés à leur école, les seuls qui 
méritent le nom de poètes rompirent de bonne heure avec 
elle et ne furent vraiment dignes de ce nom que pour aToir 
réagi contre une por^sie stérilisée par l'indigence du fondit 
vidée par les raflinementg de la forme. 

Ce que Sully Prudhomme doit aux Paroassiena, c'est M 
qui pouvait, dans leur essai de « renaissance >, tenter un ' 
poète scrupuleux et délicat, mais dont lu distinction exqnîv 
•répugne à tout charlelanisme. Il tient d'eux le souci ifoiit 
facture irréprochable: mais, s'ils l'iulUèpent. comme llH* 
même veut bien le dire, aux secrets de In mnin-d'œuvrai. 
leurs subtilités et kurs fioriturus ne séduisirent polnl 



LA potîsii!, n:i 

nrlisU sliicâre pour qui le oalarel esL uoe sorte de iiroltilé. 
L'idée qu'il s'élait fiiîLc (le lu poésie s'oppose direclument au 
dileltauttsine du Parnasue. TaDdis que l'école parnassienne ^ 
tiB roitdiLDs l'arl que virtuosité pure, Sully Prudhcmme le . 
::<>timt de pensées el de sentiments. Il y a en lui an fonds 
!.' moralité active, un souci de la TJe intârieure, un goût 
I.- science et de philosophie, qui font de son œuvre la plus 
ilislantielle qu'aucun poète de noire siècle ait produite. 
Il lui échappe çk et Ift des paroles de découragement; 
i>i<?)quefoia mâme, tenté par le houddhlsme de Leconle de ) 
i.i.lc, il s'est pris à rêver un lipceul frais el léger oi) sa ' 
i-situdfl s'allonge. Mais cesonlH des velléités passagères, 
' ' ilont il rougit aussitôt. Que les grondements du canon 
.1 livent h SUD oreille, le voili\ de retour, prât à la balaîlle ' 
il monde. Durant qu'il vivait dans le songe, un soupir lui ' 
-t venu des misères et des soulTranccs humaines : obsédé 
Ij ce soupir comme d'un bl&mu, il sent en lui tous les soucis 
il' Iii fralernilé. Si d'autres s'abandonnent aui lois fatales 
'r l'univers, il combattra pour ses dieu», il ne se désinté- 
grera pas plus du juste et du bon que du beau. La foi ■ 
I iiis l'idéal est un principe d'action. Anime de cette foi 
Il litanie, le poète repousse avec flerté les deuils voluptueux 
'I' ceux qui s'avouent vaincus aflu de n'avoir plus â com- 
■iitre. Il cherche cette force qui fonde, et, ne la trouvant 
pas chez toi, à Musset, il ferme pour ne plus le rouvrir le 
vague et triste livre od s'exhalent les lAdies plaintes et 
ii^s énervants dégoûts. Il se sent homme dans l'humanité, 
patriote dans la patrie. Il prétend être âdéle à l'art, mais 
îuiis litre infidèle â la cité; il veut sanctilier la cause du 
hk;au par lu culte du vrai pour le régne du bien. Dos deux 
l'oémes les plus considérables de Sully Prudhomme, là 
premier se termine par un surmm coriiii, le second & 
|ioup couronnement l'héroïque apostolat d'une charité prétft 
au martyre, La Justice est une conquflte de l'homme aup la 
nature, et le Uoiiheur ne peut se trouver que d«ns l'olTort. 
S'il glorifie l'oction, ce n'est pas seulement parce qu'il y 
voit jiuur l'humanité l'inslruuienl du boaheuc el A>i W '\'m» 



Um. c'ust oncon qu'il j ehivdit poar lui uti rauiJ^ile « 
•ouffraoces lie la sensibîliti? et nui Irthibles d» l'cciiriL 
Hais 8i)(i tmQ nsiiiro en tbîii A srirlir irollo-mënic .' die u 
W nourrit que de sa propre subitauM. Sull.v Pruillionimt 
eil par ciccllence l'inlerprMe ilu inonde iDUtut-. 1,'art dé- 
Ucal avec lequel l'écoie parnusienoe d^crlraîl la nntnreei- 
Mrieore, U l'apiilique à l'i^ipresaioa de ses propres sonli- 
nents. U ne se glorifie poioi d'au alUer stoïcisme. Il ne met 
[loful UD valu orgueil à dérulier la peioe de son i^œnr.Jlonime, 
U a besoin d'capérer et de souffrir, du pleurer sur le Tronl 
d'uu ami. Uals si, rompapt &tuc tuai exoliauje TadJcc «I 
tout arcliaisiiic de commande, il revient A la poésie por> 
■oanelle ilt:^ grands rouiautiijues, c'eut pour 1:11 rciioutolff 
le Ihéiue désormais banal, soit par une diction plus curiecM, 
BOit par une manifre de sentir plus ilrliiSe. Tard 1 
dUM le siècle, il a des scrupules et des finesses que Is jeu- 
tieue du romantisme ne conuaissait pas. Ce ne soDt plu 
cbei lui ni les eipansious toutes sponlaniïes d'un Lomar- 
tiaei ni les fougueux éclats d'un Musset. Sa passion DO 
jaillit point en cris ardi.'nls. sa miJlaucolie ne se répanil 
point en vagues elTuaions. Il n'est pas moins sincëro qui? 
Musset ou Lamartine, mais EOn émotion a quelque ctiuseile 
plus réllëclii. Il porte jusque dans le lyrisme une psjcliologiB 
infiniment dMicate. Son analyse s'attache â ce que Is vit 
inlârÎËure recèle de plus secret et de plus subIJl. Sa distint' 
Uon morale aussi bien que ses scrupules d'artiste râpugM 
à toute rhétorique. Il met de la pudeur dans ses plus In- 
times confidences, 11 est le chantre des suaves tcndressM 
des pitiés exquises, des fines mélancolies. Sa poésie n^ 
semble ft ces Qeurs des bois dont il a dit lui-même le chanot 
discret et pénétrant : si les fleurs de serre étalent u 
plus éclatante et respirent de plus capiteuses sontaun, It 
riolette a pour elle sa grâce modeste, son parfum léger M 
doux qu'on ne sent bien qu'en la baisant. 

tUiez ce poJle a la sensihililé si tendre se trabissaienti Ht • 
•on premier recueil, les sollicitations d'un esprit que p 
eupe la science coulcmporaîne non Eeulcmeut du^g 



[ueptft»^ 



Ll POtSlB. «S 

baulcs enquêtes, mais eacoce dans ses applicat.îons positives. 
Lui aussi a senti son iaulcment au milieu de la sociëté. Ce J 
n'est (ilua aujourd'hui que la voix d'AuiphioD fait surgir ds I 
terre le» villes ; aux Auipliions de notre temps le monde I 
répond qa'il • se civilise •, qu'il veut des ouvriers et non ' 
d'inutiles n^Teurs. Tandis que les Parnassiens professaient i 
un superbe mépris poar toute culture étrangère à leur art, 1 
Sullj Prudhomme voudrait unir âtroiteraenl la poésie | 
avec la science. Instruit par le cénacle aux plus chères ] 
délicatesses du style, ce subfil versificateur chante le Fer, I 
célËbrc la Roue, demande aux découvertes modernes, aux | 
machines mSmea de l'industrie, un nouveau genre de poésie ] 
ù la fois sévère et pittoresque, dont la précision scrupuleuse 1 
est discrètement illustrée d'images. Il se plait parfois t lutter 
avec la prose sur un terrain où le plus habile rimeur ne 
saurait jamais en égaler la rigoureuse exactitude. L'écueil 
lie la poésie scienliûque, c'est qu'elle a pour terme extrême 
une perfection dont le prosateur se rend maître sans ' 
effort, mais à laquelle le poète ne peut atteindre que par un I 
miracle d'art patient et labùrieui. S'ingénier et s'évertuer i 
a mettre gq vers une définilion, an axiome, une loi, qui du ' 
premier coup trouve dans la prose son expression définitive, 
c'est uu jeu d'esprit aussi stérile qu'épineux. Suliy Prud- , 
homme s'est parfois exercé & ces tours de force. Ce n'est i 
point pour y montrer une vaine habileté mécanique. Son 
''sprit, portant dans les choses de la peaséela même finesse 
que son cœur dans celles du sentiment et sa conscience dans 
celles de la morale, se sent attiré par le délicat plaisir de 
les pousser au dernier degré d'une stricte analyse. Mais < 
d'ailleurs, si ses préoccupations de jusiesse absolue et de 
subtile propriété l'ont fourvoyé par endroits dans une i 
algèbre incolore, il doit d la science des inspirations qui 
comptent parmi ses plus belles. Les Ecuries d'Augias, i« j 
Itendfi-voua, leZénilh, senties modèles d'une poésie scienti- I 
flquo dang laquelle Sully Prudhomme allie le lyrisme, qui I 
scande et soulève son vers, au souci d'une exactitude dëa- 
criptive qu'il pousse jusqu'à la rigueur technique. I 



tt(. LE UUUVKUENT UnËRilttK Atl IIP 

La Mience n'est p» tout ^nlière dnnu )o« Jo)uti 
SI elln Mli^fait rin<cI1i^iinc« ftt la mettant un pnns^minn 
il'uoc furuillÉlilG L'trtiluile, elle ouvre & l'imn^iniition, pv 
ûelk les saches roniiulea vt ks preuvea catt'goriquet, ilo 
perspectircs lointaines dans Icaquelks nos rCyes trouvent 
no .asile, fns une de ses recherches qui ne l.endc A Ilnfini. 
Lea temps ne sont plus oA les songeurs de Milel et i'Biét 
tentaient sur rimiurs je ne sajs quel fol embrassemciil. 
Mois l'éuidUciu duiji-uiiil mystère n'en trouble pas mûiai 
l'Ame du poMe. Il uat de ceux que rinflni hante. La coraoe 
et le tdic.iciipi.' en ont pas A pas pciursulvi le sec.rel : U 
cb«ule le chiinisle sondant les eaprici-s des forcKs, l'aNtre- 
Qome qui, du haut âv sa tour où U Vérité Sera senltuclle, 
xomme l'astre êchevelé de reparullre au ciel dans mille 
ans. Mais qui donu arrachera d'un seul coup ses toUcs i 
l'antique Isia? La nacelle des aifronantes, que sollicite 
rélernelle énigme, s'enlève cl inonle droit au zénith. [)ant 
les proTondeurs de l'immensilé looilurne, il la suit ^pcr- 
dûment: sur ses lèvres un cliont --clate que la scienro in- 
spire ft In pOL'sie cl que la poésie chante à la science. 

L'accord de la science et de la poLsie, que Sully prud- 
homme a si heureusement conciliées, se retrouve dans son 
• crilîcisme ■ sentimental, qui donne pour suprême nbon- 
(issement aux investigations d'une rigourense analyse les 
élans du cœur et les révélations de lu conscience. Poà- 
tiviste, il ne connaît d'autre instrument que la méthode 
eipérimentale ; et, comme ni l'eipérîence interne ni l'expi* 
rienec externe ne sont en état de ri''SOudre les grands pro- 
bl6mus qui nous sollicitent, il se ri'sigue â ignorer. La 
science doit-elle donc rester inactive? Non cert«s. Que, 
sachant ignorer, elle travaille 6 savoir. Qu'elle se garde ds 
toute anticipation téméraire; qu'elle ne cherche la vérité» 
dans les vaines hypothèses de la métaphysique ni dan» Itf 
décevantes suggestions du sentiment; son travail consistet 
multiplier incessamment les données de l'expérience enlei 
serrant toujours davantage afin de saisir des rapportai» 
pins en plus essentiels ft l'objet de ses investigations. 



m LA roesiB. »1 | 

I Tel est !e sens général de la (inSfaoc q^oe SuHy Pradhomma i 
a mise fL sa IraducLion de Lucrèce, manifeste d'un positi- 
vîsiDn jaloux et qui se refuse à la poésie ausd bien qu'à la 
métspbjsique. Dli ans plus tard, il réimprime ce sÉvËrâ 
essai 1 pour permeLlre au lecleur de reconnallre dana I 
lu Justice l'influence de ses premières éludt^s ■. La pré- 1 
face était d'un philosopbe, et le poème est d'un poète. ' 
Cherchant en yain la Justice dans l'espèce comme entre 9 
e.'péces, dans l'Êlat comme entre États, et ne la trouvant J 
pas plus dans le ciel que sur !a terre, lu philosophe, s'il 1 
avait été fidèle à l'esprit de la préface, aurait terminé le i] 
poème sur une négation. Silence au cueuri a'écrie-t-il 1 
tout d'aboM. Puis s'engage un dialogue entre le Chercheur J 
cl la Voix. Le Chercheur ferme l'oreille aux appels que la. ■ 
Voix lui adresse, repousse les consolations qu'elle lui oiïre, 
i Lille les croyances sans preuves qu'elle veut lui faire par 
!^-er. Mais, quand il a partout suivi la science implacable 
•iLiis découvrir aucune trace de cette Justice après laquelle 
il soupire, il rentre en iui-mérae, il écoute sa con- . 
science, et sa conscience lui parle le mSine langage que la J 
Voix. La Justice est en ton âme, avait dit la Voix tout au 
li^tiut, et le Clierchuur, lassé de ses pérégrinalious stériles, I 
['.'foulé de toQl cAlé par le monde extérieur, trouve un I 
' irioignage irrécusable dans cette conscience, dont il reçu- J 
^;iit jnsquc-lA l'aulnrité, • livre le peu qu'il conçoit k tout le I 
vrai qu'il sent i, et fait, tes yeux en pleurs, un acte de foi. 1 
Il 7 a division entre la raison et le cœur. Cet antago- i 
nisme préoccupe Sull}' Prudbomme, et tout l'effort de sa j 
philosophie tend â réconcilier l'une avec l'autre les deux ] 
puissances hostiles. Dès son premier recueil, la question ae i 
posc> Dans une pièce de ta Vie intMeure, la raison inler- i 
pelle le cœur. ■ Vois comme le mal est partout triomphant. J 
fSotre monde n'a pas un bon père. • — «Je crois, jl teta I 
Hieu », répond le cœur. Et la raison ; < Prouve ». C'est lll I 
lu nkn suivi par le poète dans la Justice. Mais celte preuvB 1 

Bm demande la raison, il la lui fait trouver finalement I 

^Bts le eœur lui-mânie. 



«M LE HOmrRHmT UTTftHAinB AU SU* SIfiXI 
Atn luiiuni du lwttduu l'ajoule l'dcl&ir )&illl i 
denot lequel tonU^ nlHcurilé n'eDace. Le cœur u des r<ùww 
•■ptfriviiri;* h la ruixnn 11 u'u.il pai seulcuienl on fojef, il 
Mt Gncort* un Humlionu. Niiln.' raison ne fuit q\ie recillet 
I0ilt!âain>i.-nt lu unliiUon âvs iirnlilAini'a, mnis noln^ cœorte* 
rftiout d'un «oui coup: iC'rit (i force d'aimer <iu'on trouve.! 
Lb science ne peut pas noDi prouTer la Justice, elle ne 
peul pas daTantftge nous procurer le ïloohcur. En debun 
de l'amour, Ik bonheur o'cst pas plus possible à l'houme 
que la Justice dans Diu inanité. Au sein m^me des inelTableii 
déliciis dont Fausl us Jouit par («as ses sens, il est touriueoté 
do diïsir dcsn*oir. Lu Tnilû malnlenanl en possensinn deU 
connaissance; il la trouve Troidcet vide. L'univers n'a ptns 
pour lui de secrets, et pourtant il ne se sent pas heureux. 
Des vnii plaintives s'élèvent jusqu'à lui ; il redescend sur la 
tern; pour gni^rir la soulTmoce des bommcs ou du moins 
pour la consoler, et cotto réljcildque n'avaient pu lui donner 
ni le plaisir ui la science, il la trouve enfla dans l'amour. 
Si sa pliilosophie a pour Aliontisscmenl Ilnal le triomplie 
da cœur sur l'intelligence et de la foi sur la raison, Sully 
Pnidbomme ne laisse pas d'avoir poussé la critique plus 
loin ^'aucun des poâtes qui s'étalent préoccupés avant 
lui des niâmes questions. Victor Bngo est un voyant el un 
prophète. Il entre de plain-pied daus le tabernacle de 
l'incoann; il lit la grande Bible 6. livre ouvert. Lamartine 
n"a jamais fait que répandre son âme en mystiques éléva- 
tions. Vigny évoque des figures idéales qui symbolisent 
tout d'abord son idée. Ce qui distingue d'eui l'auteur du 
Bonhear et de la Jiutice, c'est que ses poèmes philosophi' 
qnea sont de véritables enquêtes. Qu'il laisse le demi» 
mot aux intuitions du cœur, son esprit n'en a pas ffloiu 
rsnoiyse pour naturel procédé. Lni-naéme ae lionue le aoia 
de Cbercheur. Il cherche avec une sincérité qui dédaigne 
tout nrtiilcB, avec une simplicité qui répugne à toute mlas 
en scène. Nous suivons pas â pas le travail de sa pwsâai 
et c'est justement ce travail qui fait la matière de reeiinA, 
L'artiste dons Sullx yta dhom me esl-il égal au pense 



LA POÉSIE. 

i qu'on peut reprocher a la Tonne du po^lc, aurta4 
: pièces philosophiques, c'est li'élre par sDdroîfl 
ildue et pénibh>, de pousser la précision jusqu'au 

I jusqu'à l'obscurilé. Ces vices 30{ 
e litl.éraire que [irrioccnpeat avant ti 
la rigueur et la pléoilude de l'expression. U sait que i 
mois reaaenibleut aux rases >, que t les plu^ beaus s 
les moios remplis •; mais cel esprit loyal oe laisse » 
aucun de ceux qu'il emploie, il verse â chacun d'ei 
leur sens. De là, ce que ses vers ont parfois de chargl 
Ajoutons que la poésie mise au service de la science ^ 
contracte oécessaircmcnt quelque prosaïsme. Certes, i 
Bonheur et la Justice ne sont pas des traités didactiques, i 
le cœur s'; intéresse aux questions les plus hautes de l'in 
tetUgence; mais dans les portions vraiment scientifiquif 
de ces poèmes, la langue, ai elle était exacte, ne pouTd 
manquer d'être abstraite, et le poêle se soucie trop ( 
l'exaelilude pour reculer devant l'abstraction 
Malgré tes défuuls où l'enlralncnt les scrupules 
I SB probité, Sully Prudhomme s'en est pas moins u 
irahie artiste. 11 l'est par la pureté des contours, pd 
Kjaatesse des imagos, par la suarité pénètranle des bu 
pniea. Sa forme a, pour rendre les idées, la recUluid 
i trait ferme et sUr; elle a, pour exprimer les se 
tnlâ, des niodulatiods d'une délicatesse inGnie. D'au 
|p]oient plus de puissance, d'ampleur et de richesse; n 
1 le secret d'une perfection aussi exquise, ausl 
Dssi distinguée. 

kîonime Sully Prudhomme, Coppée Qt d'abord partie 4 
Hipe parnassien. C'est A Leconle de Lisie, ■ 

, qu'il dédie le Reliquaire. Encore adolescent, I 

>. écrit plus de six mille vers, qui ne virent jat 

: aïk des chefj du Parnasse, auquel il les s 

klaira sur son inexpérience, et le jeune homme inaugud 

Éoa entrée dans le cénacle par un nulodafé de ses œuvrij 

complètes. Le premier recueil qu'il pul)lia montre déjà 




ai'll LK MOUVBMENT LITTÉBAIHE AU XIX* SifiCLE. 



artiste miiipu h tontes les llDesses du métier. Eotre lea 
vtTsilicati'iirs conli?;nporain9, Coppée est sans contredit dd 
du o'iix ,]iii luanionl l'instrument arec le plus d'adresse. 
Aucune 'nicc, clu-n lui. dus difij tulles qui, daati Sullj 
l'ruitlioiiiiiie, nous arrêtent trop souvent et nous gênent. 
Où Sullv Prudlioiiimi: se débat, Coppëe a l'air de se jouer. 
Son art est savant bu jioint de sembler facile, iDgënieni 
RU poinl dcparaitrc simple. Il fait ce qu'il veut de la phrase 
poétique. U la déroule dans toute sa largeur, il la coupe 
et la brise, il la plie en moelleuse! sinuosités. Il exprime 
par des inllcxions du rjrthme ce que le sentiment a de plus 
insaisissable. Les mots ont pour lui plus qu'un sens, ils 
ont une &iue sonore : il sait non seulement ce qu'ils di- 
sent, mais encore ce qu'ils modulent. A la précision d'un 
dessin, ses vers joi^'ncnt le charme indéllni d'une musique. 
l'uur ri;ndru possible le ]>crpétuel miracle de sa versifica- 
tion, il n Tullu lu long inivail nnlérieur des écoles romanti- 
ques, de|iuis le cénacle de ISâO jusqu'à celui du Parnasse. 
Et^ve des Parnassiens pou^ tout ce qui tient à la forme 
extérieure de la poésie, Copptïc se distingue d'eux presque 
aussilôl par le clioix des sujets, et, mieux encore, par la 
sincérité avec laquelle il les traite. Il a bien ses pièces de 
pure forme, dont tout l'intùrât, cl pour nous et pour te 
poète, consiste dans la perfeclion du style et de la métrique. 
Hais ce subtil artiste ne réduit point la poésie & ses moyens 
descriptifs; il ne la sépare ))oint de la vie personnelle et 
familière. Les Parnassiens affectaient d'être insensibles, de 
n'éprouver tout au moins que dos impressions curieuses et 
raffinées. Tout en poussant aussi loin qu'eux le souci de la 
facture, doppée, dan.'î sa langue savante, exprime des 
émotions accessibles à la foule et retrace des scènes qu'elle 
connait Par là s'explique sa popularité. Ceux auxquels 
échappent les mcrmlles d'un art exquis trouvent encore 
chez ce poète des grâces et des tendresses qui les char- 
meni, une vérité de pittoresque qu'ils peuvent apprécier 
A sa valeur puisque les modèles du peintre sont sons leurs 
yeux. 



H. Au débnl, Coppee s'exi*Tce en mi^tue temps d tous led 
tons i!l A tous ics genres. Dnns le lleliquiiire il l'nit pouM 
ses premiers siiuges comme ■ uoe cliapelle de parfums efl 
de cierges niûlancoliqucs >. Adolescent au cœur dëjâmcurlrïM 
q\i\ pleure les baisers ingénus et la foi de sod JeuDe âge, ifl 
3'Hccuse, non peuUâlre saos quelque complaisance, d'û^l 
dignes plaisirs où. se sonl llétria les saintes blancheurs âM 
son Ame, il rêve- d'uae vierge pieuse et sage dont l'amouiB 
sera aa rédempiioQ. Dans les Poèmes divers, du jungleuM 
espagnol, faisant Toler autour de sa t£te les poignards dM 
cuivre, il passe à ces bonnes vieilles du Titlagc qui, snfl 
le banc de pierre où elles restent tout un jour assises^ 
recueillent avec un sourire d'enfant les rayoDS attiédis dH 
l'automne; il peint an vitrail d'église, et dit comment faîl 
étranglé, l'an mi) quatre ceiil trois^ le très haut et trûM 
puissant seigneur Goltlob, surnommé le Brutal, baron ^ 
d'ilildburghausen et margrave héréditaire de Scblotems- 
riorff; il vient de aoupirer la douce ■ ritournelle ■ de 1 
l'amuur et de la poésie, et il entonne lu chanson de guerrefl 
d'un chef circassien mettant les pisU>lets aux fontes et ceù9 
gnaut pour la bataille son sabru de caimacan. I 

ISous trouvons plus d'unité dans le recueil qui suitJl 
Coppée y reste fidèle A une de ses meilleures inspirations^ 
celle des intimités. Ce recueil rappelle par le litre leafl 
premiers chants de Sully Prudbomine; mais tandis quoi 
ta Vie intirieure, avec tontes les délicatesses du cœurj 
exprime aussi les plus hauts soucis de la pensée et leal 
plus nobles scrupules de la conscience, les Inlimilés nSfl 
sont guère que des mignardises d'amour. Mûme dans le« 
choses de pur sentiment, Coppée n'a ni la grâce virile Atm 
Sully Prudbom me, ni son exquise pudeur; il n'a pas nolS 
plus sa pénélranle subtilité d'analyse psychologique. Gtfl 
qui fait le charme de ces vers, ce sont des douceurs uiM 
peu molles et des délicatesses un peu languissantes. LM 
po<^te se plaît encore A certaines recherches qui Irahisseofl 
son commères avec les Parnassiens. Quand il reviendnîB 
daaa la suite aux intimités, il y mettra moins de mani^iH 



m U HOUTEUKKT UTritlIAinK AU XIX' KtUXILfl 
tt de coiiucitcrle, dos élégances pltu tjrofilet et det i 
dont n)i>!n< rafQii^s. 

Cnpprrt. •:i>iiiin(^ k- dit M. Sch«rcr, i est esswitidlpmotUii 
CtMilniir t. Ui^i lea l'oèmu Aiuen. Wt'^KMo A&m le Justiàeri 
U nnrralion li<!ri)iiiu<->. La BénéiieHon, des Poimei modtmss, 
Mt une tuiilalive i]ii aiêmo genre, Plu« tard il doone son 
rcmicil dns Héctu et Éligif», dans leqael rioïpiïatioD ^ique 
doinio^. Celle »eine n'est pas cliet lui la plus originale; on 
wnt dans «en [x^lite» épopées rimitation de la Légende det 
le*, qae rappellent non seulement le caractère des BvjeU. 

' mais uncore l'allure du récit et jusip'aux procédés du stjle. 
U ne saurait d'ailleurs hiUcr avec Vktor Iluijo de puis- 
sance, de TÎguear et d'^cliit. Aussi lAi'he-t-il de se faifC 

I ùmple; mais cette simplicité, qui trahit l'afffi dation, jure 
parfois arec la ^nu'léur des personnages ou de» fsila qc^l 

1 nrl en scSne, et peut trop aisément prêter à la pamdîe. 

[ Le* pièces Ic3 plus lieiireusen sont des ac^ncs domoatiipiu 
d'bumblfs légendes.' Coppée j est lui-même, et voilt 

' pourquoi nous pr^f^rons Vn Évangile au Pharaon et Vbicsnt 
i» Pftui aun Deux Tombeaux- 

C'est ttatiB les narrations familières que Coppée a Iroiirt 
M Tëritalile voie. Les foému modernes la lui avaient 

I ouverte; puis ce furent Us llumblis et Olivier. Les i^oni»- 
nadei et Intérieurs renferment plus de tableaux de genre 
qiiu de rikils, mais ces tableaux eui-inCmes, tirés de ta 
réalité actnelle et quotidienne, formeul par \k un dei 
recueils les plus signiSealifs dn poète. Nous avons d<-jh n 

I notre poésie, avec Manuel, chercher des inspiralious dau U 

I terre-ft-terre de la vie moderne et cùléhrer d'infimes b^m 
dans des cadres aussi chètifs. Mais la manière propre de 

' François Coppée rappelle surtout celle de Joseph Uelorios 

' st dos Pensées d'août. Sointe-Benve fut toujours, on ]| 

I sent, un de ses poêles favoris : il le lisait jusque dans la 
I cbamhre bleue • des Intimité»- L'auteur de àtonsieur 

■ Jean a exercé une influence visible sur celui d'Angthat 
ia, supérieur en tout ce qui est psychologie, Sainte- 
ive a dans ses vers quelque chose d'enlorlillé, de péni 



Li POÉSIE. 

lie stiulTi'^leiix, que nous ne Irouvon^ pas chez Coppéc, i 
It'qLid il Be soulienL lit comparaison ui coiiune écrimiiii 
poétique ni comme conteur. 

Les personnages que Coppée «celle à peindre sont ci 
de la vie ordinaire et du petit monde. Dans le Religuttirt 
il montrait la Sainte, vieille fille en chereux blancs qui « 
sacrifié sa jeanesse et sa beauté ponr soigner dix a 
frère infirme ; dons les Poèmes divers, c'étaienl les Aïeuls] 
se chaufTantBD soleil, les deux mains jointes sur leur b: 
dans !ea Intimités, la petite bouquetière qui, grelottant a 
coin d'une porte, offre des violettes entre ses doigts g 
par la bise. Les deux recueils suivants sont parti cul ièremei 
consacrés aux misères obscures, aux humbles tendresses 
aux bonheurs qui se cachent. Une nourrice qui, i 
au village, trouve dans on coin le berceau de so 
mort; un ménage d'anciens boutiquiers, retires dans v 
mitison tout prés des champs, avec un carré de jardin o 
le mari se promène, un sécateur â la main, taudis 
Temme tricote sous le bosquet ; une servante et u 
taire échaugeaut A voix basne sur le banc d'un ja'rdin publia 
leurs soucis déjà consolés par l'amour, voilé les bérofl 
qu'affectionne le poète. Et il s'intéresse sincèrement A euxj 
U est ému des angoissas de la nourrice, il envie i 
débonnaire de ses petits rentiers, il ne trouve pa 
cuie l'idjUe de la bonne et du < tourlourou >. 

Au fond, Coppée est resté naîT. Jusque dans la premiërd 
effervescence de la jeunesse, il se prenait souvent à imsd 
giner pour lui quelque bonheur ■ Irfis long, très calme e 
très bourgeois j. Il voudrait, i, trente ans. être vicaire e 
on tranquille évécbé, ou bien membre de quelque académid 
provinciale. Si toutefois i ce pûle enfant du vieux Paria *^ 
pouvait consentir û s'en cxiierl Mais il aime Pari 
amitié malsaine >. Devant la vaste mer el les picït ncigeqi 
il rôve do coteaux pelés, d'un bout de Bi^vre. Ce 
cha nte de la grande ville, ce sout les Iroltoirs des r 
I boutiquiers vienitent prendre le fraie 
nigf pleins d'enraoLs qui s'eballent, ce sont aut 




LE xocTexc:iT LirrÉRAiRE au xix* 



VI -lolà >l« la bftrri^K, I«8 chemins noin joDchés d'écaillei 
(Uniitr' s. !•■« xii^iii mon pierrenx, les pissenlits frisBonnaDl) 
Juit« lit) «•'}». 11 ost le peintre de la banlieue pariaienne. D 
ou ï>iit les tormius vagues ott, pour faire sécher In- toile et 
ta ttatii'Ile. en tend une corde aui troncs de peupliers ra- 
boitirriï, loï i;ari:otes sur les murs desquelles est peint un 
lapin mort avi'c trois billes de billard; il compare les adieni 
itoï ni'U au soleil couchant a*ee le bruit d'une immense 
frilure. 

l'e i|ui fait l'oriiiinalité de Coppée, c'est qn'il s tiré des 
['lai iiM.tcïtes personnages et des milieux les plus dédai- 
g.u«s. ft'uvent los plu« ingrats, tout ce qu'ils pouraieut 
Pfi-s'IiT d*' p>'é*io pour l'ime d'un rarBné qui aspire à rede- 
venir un «implo. Il eït. comme poète, et avec la délicatesse 
pn-.'ri,' d.' wn talcnl. le représentant du réalisme, qui en- 
*a"i<4.i;i \ct mis .iprès les autres tous les genres de notre 
liii.-r.iturc i?c ■lui! a porlé dans notre poésie, outre l'art 
a.Ii.-ie d-j versiiu-ateur el de l'écrivain, c'est le sens d'un 
j<!;;,'n'*;vi' *»"* irrandeur. uiais qui a son charme péné- 
trant. ■ . o'est surti^itt une svmpatbie fine et tendre pour ce 
ui.'i'.î^' iti'* liuiiibles l'ù il trouve ses plus heureux motib 
<v>;-.mi,' si-s ■ lis J'irai ions le* plus personnelles. 



CHAPITRE III 



La critique, qnî était jadis un art, un délicat eiercïcâ da 
goill, teiirlait, depuis M"" de Staël, A devenir une acienoe. 
Dans la seconde partie de notre siècle, sous l'empire des 
prëocciipatioDS historiques qni ladomiueut toujours davan- 
tage, elle ae coDsidâre plus les ceuTres liltëraires que 
comme des i signes ■, couiuie des docuiDeuts, instructifs 
entre tous, pour la connaissance de l'homme; en même 
temps, sous l'influeuce de la philosophie positive qui succède 
au spiritualisme, elle se fait de plus en plus • naturelle ■ 
par son esprit et par sa méthode. 

La critique ainsi congue a dans Taine son théoricien en 
titre et son plus caractéristique représentant; mai^ Taine 
n'est ft vrai dire, et lui-môme se donne pour tel, que 
r 1 élève » de Sainte-Beuve. On trouve chez l'auteur dee 
Lundis, soit pratiquées, soit même exposées, toutes les vnes 
rjiie Taise devait coordonner les unes aox autres pour en 
1 aire nn système rigoureux. 

l'jiysiologiste, Sainte-Beuve l'avait presque été de profe»' 
sion et ne cesse jamais de l'être par goût. • Ce que j'ai 
voulu en critique, ditril, c'a été à'j introduire... de la poésie 
ftlS. fois et quelque plijsiologie > ; il s'appelle un ■ nala- 

"^ ' iS esprits », et il appelle son œuvre « une kistoica 



aaii LE HOtlTEHEXT LrTTEB&lBB AU XlX*^ 
Dtturelle t; di^ IS40. Il éaii iiu'oo ae. saurall ratfT! 
crîlique vitr el TTiue nni Taire ilc Ia |ilijsiult)gïe ai yiirKit 
ic lu cbirurKin xurTÈU- Maîit, ijueltiue ijufiortnnce çi'B 
■Uribue iitas In production lillérniri; au ttmpf^rnniBnl du 
dcriTuIa«, (t leurs liumcurs, A leur degrË de honoe ou dt 
maDTaisB RiiDt«, il n'Mt paa sjxt6mittii]nement rnUlisU. 
Les cooditions pli^siobjjiiiues, qui noal li tua jeux <lea in- 
nées capjlak«, ae lai expliquenl pu» tout pnr ellia-tnétnat^ 
li réserve une part ft la. liberté, et, daas tous les eu, loa 
tact l'aiertit que, même eo l'oJsaDtdelaGriliqau une science, 
11 n'; a pas moyen <lc traiter les acieoces des esprits comme 
celles des corps, qu'ailes ne se prêtent ni à la mâme rigaenr 
dans les prociïdés ni â le mâme exactitude dans !«■ r^ 
sullals. 

D'autre part, si Saiole-Ueuve a de bonne heure maïqiit 
la nécessité de < creuser plus uvant dans le seus de la cri- 
tique historique i, s'il n'a jamais voulu que le lecteur • fOl 
pour des livres anciens ou nouveaux comme te couïîW 
pour le fruit qu'il trouve bon ou mauvais > , ce qui l'intéresst 
le plus, c'est le caraclère de l'auleur lui-uiâuie, sa persoau 
dans ce qu'elle a de plus individuel el de plus intime. MaiD) 
liislorlen que biographe, il coiupreiid aussi rbisloirc muliu 
en philosophe qu'en iiinralîste. Il ne se préoccupe pas dt 
collaborer a l'^diUcation d'une vaste théorie : les UiéorlM 
lui inspirent d'autani plus de défiance qu'elles sont plus 
générales. Il ne cherche même pas des formules qui s'ap 
pliquonl aux diverses familles d'esprits et de talents. Ce soU 
des portraits qu'il fait, et, sans désespérer que l'on trouve, 
avec le temps, une juste nomenclature, que l'on ré|ianil« 
dans celle immense variété de la production artistique • qut^ 
que chose de la vie lumineuse el de l'ordre qui préside kit 
distribution des familles naforelles en botanique el ea Bio- 
graphie (, il se contente de préparer modestement wtU 
dassiO cation future en faisant, avec toute espèce de {irA* 
cautions et de scrupules, d^s biographies infiniment délicate! 
dans lesquelles il porte un sens exquis des nuances. 

Ajoutons qu'il apprécie les œuvres, non pas scuien 



W LA r.R1TIQt1B. 301 

■""titre de documenta liialori^[ues, mai» aussi pour ce qu'elles 
lui procurenl de fines jouissaoces. Il a, ilès le début, rompa * 
avec toute rhétorique; mais, s'il répudie les jugemenU de 
rhéteur, ïl ne croit pas que le temps soit passé « de ceiii . 
qui tiennent au vrai goût > . Pour lui, presque tout Tut du ] 
critique, c'est de ■ savoir bien lire on livre en le jugeant 
chemin faisant et sans cesser de le goûter i. 

Enûa, rien de plus libre que sa raaDÎére. Lui-même l'a 
bioD des fois déSnte : elle consiste h prendre les choses et 
a les recueillir tout proche de la conversation ou de la 
simple lecture, selon qu'elles viennent d'elles-mêmes. La 
meilleure et la plus douce critique est selon lui celle qui 
• s'exprime des beaux ouvrages non pretsés au presmr, 
umis légèrement foulés ■, celle qui est comme < une ëma- 
uationdes livres >. 

Taine fait de la critique une science positive qui a pour 
ubjel la philosophie générale de l'eaprit humain, et |iour 
méthode, d'une part, quand elle recherche tes causes, 
l'analyse rigoureuse du naturaliste, d'autre pari, quand elle 
applique les lois, la déduction systématique du géomètre. 

Ce n'est pas l'œuvre d'art en elle-mdme qui intéresse 
Taine, mais ce que cette œuvre peut lui fournir de rensei- 
gnements sur la société dans laquelle elle a été produite. 
L'homme n'étant k ses yeui qu un animal d'espèce anpé- I 
rjeure, qui fait des poèmes ou des philosophies de la même a 
façon que les abeilles font leurs ruches, il considère ces phi- 
losophics ou ces poèmes de la même façou qu'un naturaliste . 
considère tes ruches : au lieu de nous engager t suivre 
l'exemple des abeilles, un lieu de nous l'aire admirer leur 
adresse, il en prend une, il la dissèque, il examine l'éco- 
nomie intérieure de ses organes pour marquer la classe à | 
laquelle elle appartient, il cherche de quelle façon elle 
recueille, élabore et change on miel le pollen des Heurs. Il 
élûnine de son analyse non seulement toute notion da bien 
mais aussi toute idée purement liltéraire du beau. Si le 
naturalisle ue reproche pas au héroa «on corps mû^ï<i 



10» LE HUUVBHEMT LITT^RilHII AL' UX* StÊCUtP 
MU longnei Jamlii» tngUea, ou k la frdgale la dUproportioi 
do tM ailos iniRieuwii (tl de hi!> pleib roccourcU, (l£ iuAim 
lo Mitiqnc. qui ml le nalurolistti de l'âme, acceiile lus furmea 
dÎTcncs que l'Anic peut revèUr, et s'efforce de les eipliqucr 
toulu. SoD* iIoDic, Tuiae attache pli» Je prix. & une heUt 
œuvre; il 'léclare mfime que les œuvres littéraires soot tn- 
strucliTea parce qa'clleB saat belles, et que Itinr uUliU 
doit avec leur perfcctioD : mais, comme le crilérinm de la 
beaulA cocisiile jasIeiueDl pour lui dans la somme de « sen* 
UuieaU iinportanti > qu'un lirre reod visiblea, on pourrait, 
eu renversant les termes, dire que les œuvres liltéruiresiODl 
belles à ses jeui parce qu'elles sont instructives. S'il s'appli- 
que à l'étude lies littératures, c^est qu'il y voit le tableanlt 
plus fldële et le plus expressif des sociétés antérieurw- 
Hâme en se faisant • littérateur >, il reste historien. 

Aucune diffârence de nature ne sépare & ses yeni le 
monde morul du monde physique. Les phénomènes morani, 
pluK compliqués et plus délicats, ne se laissent ni aussi facl- 
lement observer ni aussi rigoureusement deGoir; mais ik 
n'en sont pas moins du même ordre que les phénomènei 
physiques : quelque distinction que l'on puisse établir enln 
l'histoire humaine et l'histoire naturelle, l'une et Ywiiti 
subissent les mêmes lois organiques, et, par conséquent, la 
tsëlhode qal s'applique à l'histoire naturelle doit aussi s'ap- 
pliquer ft l'histoire humiiine. 

Les documenta histuriquus sont, dit Taine, des indices an 
moyen desquels il faut reconstruire l'individu visible. C'est 
pour connaître l'homme qu'où étudie le document, et la lé* 
ritable histoire ne commence que du moment otl l'historiea 
■e représente l'homme corporel. Mais l'homme corponti 
n'est lui-mânie qu'un indice, au moyen duquel il faut pap 
venir à la connaissance de l'homme infisitile. Ce qui iati- 
resse I historien dans les coutumes, les meubles, les maisoDi, 
ee sont les habitudes et les goûts qu'ils dénotent; etdt 
m£me, s'il considère les monuments écrits, c'est pour mesiirir 
U portée et les limites des intelligences. De quelle Eiftt 
pcoeéde-t-il? De la faguo dont pi'OcéJeie naturaliste daiasoD 



u cnrriQUE. soa { 

domaine propre. L obaerïe de petits faiU moraux comme 
le naturallai-e de petits faits physiques, et, après avoir noté ] 
une multitude de ces petits Taits, il les repartit ea groupes 
distincts k chacun desquels s'adapte une fortnur? spéciale; | 
puis, cluBsant les formules d'après la valeur relative det ] 
idées r^ue représenlentles groupes et d'après les rapports i9 1 
causatîoD (jui subordonnent naturellement ces idées les unes i 
auï autres, ii a'éléïe de degré eu degré jusqu'à une formule 
«upërieure, qui explique l'Iudividu tout entier. Gomme) J 
parmi iea caraclèrea d'un animal ou d'un végétal, certains 
n'ont que peu d'importance, taudis que d'autres au con- 1 
tiaire, par exemple la structure en couches concentriques '1 
dans une plante ou l'organisation autour d'une chaîne dé , 
vertèbres dans un animal, sont d'une importance capitale et | 
déterminent tout le plan de l'économie, de même, parmi leà 
caractères d'un individu humain, les uns sont accessoirea, 
les autres, par exemple la présence prépondérante des 
images et des idées, ou bien eucure la capacité plus ou 
moins grande des conceptions plus ou moins génécales, sonl 
dominants et fixent par avance la direction de la vie.. Et » 
aussi, comme les divers organes d'un animal varient eit- ] 
semble suivant une liaison fixe, de même les diverses aptl- J 
tudcset les diverses inclinations d'un individu sont altacbëM | 
les unes aux autres. Les facultés de l'homme ont entre eJlei | 
des dépendances nécessaires i. mesurées et produites p&r 1 
Il lie loi unique, on peut, cette loi étant donnée, prévoir Igqf i 
iif^rgie et calculer leurs elTeU. Il j a eu chacun de noua i 
iiiic faculté maltresse, dont l'action uniforme se communique { 
(lilTérenunent à nos différents rouages et imprime k notre 
machine un système de mouvements prévus. 

Si la faculté maîtresse est déjà une cause, qui dominti m 
tout le développement de l'organisme intellectuel, d'autrea ] 
causes plus élevées la domluent elle-mflme. Ces causes J 
multiples peuvent se ramener aux inHuences de la race, du J 
milieu et du moment. Quand la critique se propose l'étudftj 
IcuHére d'un homme, elle insiste sur ce qu'ont choB luH 
'ticHlier ces trois genres d'influences ; elle ei&mine l^fl 



a» U WHÎTMIWT 1 1 1 

tempera inenl propra (|u'U * hijiU: Je n» ancob' 
MiOK'.ani^'^ ip^.ial^ qui ont prtnilj à son déwOnj 
le lemp» fn^-ris ilan» 1«|ui-! w> di^veliipp^tiKrnt i 
Ovaiid i'IIl- ^v jimpow t'Atude ij'uti cRKcinhle 6ocJal, cvM 
birDleiDi^-tn'-s iDllui>iirKï<]a'i;UL'ctirrc:Iie&(Ii^ti^rtali>«r;mat>, 
letiluiliaDt pDnrcon»titneruD groupe, — aa lien d««*atlaeher 
à ce tjui earnr.t^rlsa ta ptirgonne Ans indiviilus qui entruil 
dan* ne grfiupr-, un les diflérencîmil tf^s uns des aulriis. elle 
rcclMrrchc les Iraitxriui, coaimiius A eax lotis, caractérisent 
(u gniopti entier. Comme, dans une classe, ou même dini 
on cmbrancbenieDi du règne animal, le mâme plai 
gHiiitsUoD ic retrouve chez tantes les espèces, ainsi, dani 
nnf même race, dans une même almosphAre sociale et poB- 
lir(ii[>, dans nne même përiode donaéc, les individns Is 
plus divers présentent louâ un tjpe gén^TÏque plus 
moins modinë en chacun d'eux, mais qui les rapporte 
Us uns et les autres à une mâme famille. C'est que lei 
induences de la race, du milien et du moment, qui dir«r 
silicDl les indifidus d'un mâme groupe, diTCrsiftent aussi [et 
groupes entre eux ; plus les caractères qu'on eiamioe ti 
généraux, plus les diCTéreDCCS s'efTacenl d'un indiridn 1 
autre individu pour ne s'accuser que d'un groupe â un autre 
groupe ; et, de même, en généralisant toujours diiTuntage, le» 
difTérenees s'effacent entre un groupe infùrieur et un autre 
groupe du même ordre pour ne s'accuser qu'entre les groupa 
de cet ordre et un autre groupe d'ordre supérieur, jusqu'à 
ce que, nous élevant de plus en plus dans celte hiérarchtï, 
nous flrriTJons k saisir lu formule commune qui caraclérin 
tout un ensemble de groupes. 

Les influences héréditaires, considérées dons un ttol 
homme, le distinguent de tous ceux qui n'appartiennent [NU 
t la roéme famille, tandis que ces même.'< influences, COBst 
déréos dans une race, la dislinguenl de toute outre raW 
humaine. Ainsi, la race des Arjas, • transformée par trente 
siècles de révolutions, établie sous tous les cHmate, 
lonn^e a lous les degrés de la civilisation ■, n'en a pu 
moins conservé des traits qui lui sont propres e " 



LA CnmQUE. 8 H 

luolî nous reconnaissons i;ncore l'unilé rrnrigiae, Demémer 
)>'<: ÎLiriiicnces du itiilie». rxinsidérées dans un seul homme, 
!'■ ilistingiient ilu Itms ceax qui se sont développés en d'autres 1 
lîii f>nsl«nce3 uKliviiinelles, et, coneidérées il«na telle oa 
lclli> naliûij, la distinguent de toutes celles qui se sont dâ- 
veloppées en d'autres circonstances générales : en France, 
par exemple, ce qui domine notre dëveloppement national, 
c'est l'organisation latine, imposée d'abord â. des barbares 
dociles, puis brisée dans la démolition universelle, et, depuis, 
tendant A se relbrmer. EnGu, les influences du moment, 
considérées dans un seul homme, le distinguent de tous 
ii-^ns pour lesquels ce < moment i particulier n'a pas été le 
.:i<>niG, et, considérées dans telle ou telle forme sociale, la 

lislingucnt de toutes les aulrcs formes qui se succèdent 
■ .'poque en époque : si le développement de la nation 
française est déterminé par l'action des causes qui se rap- 
portent Boit au lempérameut héréditaire, soit au milieu, 
ce développement a de siéo.îe en siècle ses phases diverses; 
9 outre l'impulsion permanente et le milieu donné,-il faut 
tenir compte de la vitesse ac/juise i. qui varie d'une de ces 
phases k l'autre. 

Four étudier un seul individu ou bien une société dans 
son ensemble, la métbode est donc la même. Et d'ailleurs, ■ 
en étudiant un individu, le critique étudie la société tout 
rnliéce qui l'a produit. Ce n'est pas seulement la méthode 
>iiii est la même, c'est aussi le but. Plus l'individu est 

-lEisidérable (et le critique n'étudie gufre que des personna- 
..i^s marquantes), plus on est fondé à voir en lui le fidèle 
représentant du milieu dans lequel il a vécu. Les individus 
qoi se développent le mieux sont, qu'il s'agisse de l'homma 
ou de tout autre aniuial, ceux dont les inclinations et tes 
aptitudes correspondent le mieux 6 celles de leur groupe; ■ 
. l'^.t en représentant la Tagon d'être de toute sa oalioa et ' 

iv tout son siècle qu'un écrivain rallie autour de lui lea 
cvmpattifes de luul son siècle et de toute sa nation. 

rue Dous venons d'exposer d'après Taine, en 
ses propres formules, suppose que l'homme 




fi .X iB'tiTnfïT: UTrtHArrt »r m- sttOM. 

;ii 1 -^ ntii - .,01 Vrt jôinioiDn»» df }■ ■ôe merdt 
v ■ ■■ ■:: — ■• : >;,( 'fci m ^fc râ jiTBÎqnç, DHirssaùviDeat 

- • :■•■! MJ jtt •■•-•ioi'.-c^izitt u,"-îiotcrf^ <jnf, pareXHople, 
:.,> '.i ■.i-L-.-^i fc.C3 :l£ .{-DM* de Ji rac«,lecarac- 
■:-'t v: ;si ?■! :i.:Lr]:M. 1:1. ; r{>dinl x^eesstïre qui a pour 
;iv:-i.-i ::-S! j« Lf-wnitii» ir Ihit Kçpte. «tmine il nt, 
M-: « ;*-: ». it rtKhaiW fbUi* â» lotîtes l^nrs ictioni 
« ;t ■.:■, H >crî itfi.i«"Jr2t uitèTi?o*s. llmîi. ri le n^ime 
it Ti-ti t -.•-.■^ :-i»t '.j; 3*tpnmiiiHi>« vm-rmei et obrah, 
■.-:-i-'l -Liz.-!» 7-_ ïiLiii:" rêHTTer )» ]:beri« morale de 
.'i:-^-: i-:i: :.t1 ::^:f^ daicicttre qite l'homme dépend 
■•,i :: =.::iLt ita î^2Lîi-r«< pu- lesi^^^lei ce FTitème 

>!;■ -.= ::.' ^-"iT: «r*F! Ji m* queïtiin de mesure, et, 
:.■: :.T .-.■tL:. :; :• t»^;;* fsir*]« part de Dot2« liberté, 

■ :.':Z :■..:■.■' - vii ~::izt!ipeffce la méltode de Taine 
i-: i:. i. ï :. -:..T ■-■ :;:ii 5: ::n te considère pas l'honiine 
V ■:■:.■: î:iî ' ; T :,: î 'b.: iiitr-ecisEledMcaosesêlran- 
;r;:.^ % '- t: .z:-.. i. i-..: ::-:. iimetlre que l'aDalrse s'oc- 
;- :■•-:::.. L^T !i '; : ir »f ■raases, il Tant bien soirre 
.1 ■::.■'.:.■: Lï. jreiit ;-:r.i: piLî oà e? qu'elle DDusexpli- 
•;i- ^-r -! ::.;;■:■;:. :ï! fi-.i.is. s;i:£ pré fèreroos l'ait ri baer 
::. |-'. !.- i".'.:- :;.ï i.L'. -^if inf!nen:es ne dods sem- 
! ;:.: :i*r;:iir*-::.T.p:?. L ■r.'v^^ioii :apitalo quefan apo^ 
a ■(;;:.•><:. <;*-:!'. de tï : ■= s;:iir t la m od a de inexprimable », 
t f.i: 'jiii f;,î-. qut Je ïlC;'. i. .r.mfs, OU de ceni, ou de mille, 
vinni:': '-.ti ^pr.'^ren^e prvS'^;-; in mêmes conditions, pasaa 
ni; M! Ti-.h-.'-.un,.':, v qu'il en est i;n seul entre toua qui excelle 
av(:': orit^inali'i^ •. 'Jo'-te olJL-.-'iûn met en cause, non pas la 
rii':'li'i'l'; i:n ':ll':-niê[ne. niai- l'imperfedion de dos instra- 
i(j':iil!i. J'arf:'; que 1'! mystère de la vie nous échappe, ce 
n'tvX fi'is une raison pourque nouscoD'Ianinions les sciences 
MviW/yyiii* : de m'ïme, parcu que la critique phjsiologique 
n'; ri^sfjiil jms l'éniiïme supr.'-mo, est-ce une raison pour 
H'<j|>)>iixcr à Cl! qu'clli; la poursuive, à ce qu'elle la serre 
tfjiijiiiirii ili; plus pr';S ? 

O qui; l'un |)i;ut reprocher à TaÎDC, c'est ce que la méthode 
■|i]'il priiLi'iiii; n de contradictoire avec celle qu'il expose. Il 



u. nurriQUE. nfm 

annonce ane analyse înduclivG, cl il procède par dédudioiis, ■ 
A l-it np|)li']ué dans son IrnTsil personnel la métbodo do ■ 
naturalisU'. V Ce qui est cerlaia, c'est quenons n'en relron--! 
lona aucuni' trace daas ses constructions gëoinétrïqnee. Atf I 
lieu de nous faire arriver par degrés à la formule générais fl 
qui devrait Atre présentée comme l'aboulissement final dC I 
son enquête, il pose tout d'abord cette formule, et tl eO-U 
ddduit, de Itiéoréme en théorème, toutes les conaéquenceS'V 
qu'elle comporte. Une méthode aussi inûpéralive, quand Û. ■ 
s'ayil d'une matière parUculièrQment déiicale et IIotlantBr« 
éveille notre suspicion. Nous nous demandons si Tainê'S 
n'avait pas dès l'abord son siège fait, s'il ne s'était pSSS 
formé à première vue une idée de l'individu qu'il ë In die,, j 
et si, celte idée uue fois conçue, il ne s'est pas contentâ'S 
d'en poursuivre l'application systématique en écartant tout" J 
ce dont elle ne rendait pas raison, tout ce qui pouvait f'"! 
contredire, Ainsi, la critique risquerait d'être eicluaive et I 
partiale ; elle sabslituerait A la multiplicité de l'homme une ■ 
unité factice. Sans doute, dans le système de Tuine, )q I 
faculté maîtresse explique l'boramc tout entier, et, quand' ■ 
elle a été reconnue, il n'y a ^lus qu'un problème de mécar-> U 
nique. Mais, en admettant que la délerminalion de cettfl' ■ 
facnllé même ne comporte point d'erreur, il faut pousser -fl 
le fatalisme jusqu'à ses dernières conséquences pour regaT<-l 
der l'àme humaine comme une aorte de machine et pour J 
croire qne ses mouvements les plus délicala, ses opérationvfl 
les plus complexes, s'expliquent par le jeu d'un rouagd'V 
unique. C'est là croire, non plus seulement i une faculté ■ 

rfiOailxesse, mais, comme on l'a dit, â une faculté génératrice. --I 
a tous ses ouvrages, Taine n'a fait qu'appliquer, SOttM 
h l'hîiloîre proprement dite, soit à la littérature, qui l'int^S 
} surtout par sa signification historique, une (héorifl'il 
absolue qu'il avait d'emblée arrêtée dans son esprit et dont m 
l'inUciible rigueur n'a jamais admis aucune atténuation.. I 
Tout, chez lui, prend une forme systématique. D y a UBtl 

ttvtiste dans ce savant et un poète dans ce dialecticien; mttk' J 
hfffi imagination f uissante ne lui sert qu'à illuminer as lo^ fl 



^B- mai 

m." 

m" 




314 ir. MnUTEMF 



jîiiliu'. II ■ICdaigne linili-- k- .[■; .'n,'- ..> !■,■ m - in ^iù n? 
uurnicnl sr- meltre au semce d- sa pensi'^ mjtnrilniro et 
wiii' S:i liiiii^he manque de sougilesse? cVslque la souplesse 
rfti -Ivl-iirimte un senlîmcnl et un goût de» nusDces aiso- 
luiiicnl élniiigers A cet espril entier, calégorique, décisif; 
ap|i1ii|iiaiit la même nn^thode A Dalzac qu'à Racine, il leur 
ai>i>li<|ui> A tcius deux le même style. Sa louche manque de 
li''cèr('{i'' î c'est que chaque proposition soutient pour ainsi 
ilirc le poids de tout le système. Iln'éct'it qneponrproQTer. 
Ses livres sont composés mathématiquement : an ordre 
rigoureux préside t la distribution des chapitres dans l'oii- 
vrage, des paragraphes dans le chapitre, des phrases dmi 
le paragraphe, des membres dans la phrase. Pas un mot 
qui ne .«iTve ù sa tlitse, pas un ornement qui ne conconre 
K la soliditô ou h la convenance de l'édifice qu'il constrail. 
Jusque iliins sa façon d'ccrire, noaa troQTonscheiTaineuQ 
iireliitL'cle il'i'iri's. Ecrivain aussi bien que penseur, ce posi- 
tiviste est dans noire siècle, par la forme de son esprit, le 
représentant de la < raison classique > qu'il a si bien définie 
et si vigoureusement combattue. 

On no peut, semblc-t-il, nommer Ernest Renan après 
Taine que pour le lui opposer. Il serait difficile de trouver 
deux naturL's plus contraires. La manière ondoyante et 
ruyimte de Renan, sa dclicule ironie, son aversion pour 
tout système, foni contraste avec les formules dictatoriales 
de Taine. Hais il n'en exprime pas inoins à sa façon cet 
esprit scientifique don! le triomphe universel marque h 
seconde partie do noire siècle. Le crilicisme contemporain, 
qui se carre chez l'un en théorèmes despotiques, n'est pas 
moins sensible chez l'autre pour s'atténuer et se fondre en 
d'imperceptibles nuances. 

Sa race, son éducation, le milieu particulier dans lequel 
il se développa, prédestinaient Renan ft ce qu'il nomme un 
romantisme moral. Sans aptitude et sans goûl pour tout ce 
qui n'est pas le maniement pur des choses de l'esprit, il 
tient de son pays et de ses aieux un invincible penchant h 



U CfimQUB. SI» 

Tip poursuivre -lue des fins désinWrcBiîfies. I! n'a jamais nîméfl 
i|iie les rnarlyrs, Icfl eiHltëB, les amis de l'impossible, elluï-^ 
tiii^me pousse d'insliact. l'idcalisrue jusqu'à l'utopie. • Lea 1 
iiDses raDatiqu(.<s me sont si ehères, disuit.-il eucore tout' 1 
ifcremtueQl, que je ne puis raconter une de ces liéroïiïuef 1 
bisloires sans avoir eniie de me mettre de la. bande des j 
croyants pour croire el souffrir avec eoi. > Si, tout jeune ] 
encore, il « sortit de la spiritualité ".ce fut pour « rentrer à 
il^ins ridéollté •, A laquelle son fiine demeura toujours 1 
ijiièle. Iti-'unn n'a jamais ^lé un stoTcien, sa nature répur 1 
unuQt d'elle même à ce que le stoïcisme comporte d'anstë- " 1 
rilÈ raide et quelque peu contrainte; maïs le nom d'épicii- 1 
rien, qn'on lui a parfois donne', s'il peut en un certain 
sens s'appliquer au • dileltanlisiue • de son esprit, ne saa- ] 
rait convenir à son habitude morale que pour ce qu'il laisse J 
entendre d'indulgence. Cette indulgence même, si elle J 
n'était pas naturelle b son caractère, s'expliquerait pur les. 
scrupules de sa philosophie, par cette idée que le mal est I 
pt'Ut-ètre la condition du bien. Klle a parfois donné & ses 1 
l'rincipes < un air chancelant > ; mais il ne faut pas prendre ] 
chez lui pour des défaillances du la conviclluu certaines i 
mollesses qui tiennent soit au scepticisme de l'inlelligence, I 
soit ft la bonté du cœur. Renan avait de nalure la voealion 
de l'idéal. I. 'homme, h ses yeoi, ne vaut quelque chose que j 
par les facultés intellecluelles et morales qui, l'élevant au- J 
dessus des vulgarités de la vie, lui ouvrent un monde d'iutui- à 
Lions supérieures et de pures jouissances. Ce qu'il appelle- 1 
leligion, c'est la part de l'idéal dans l'eiietence humaine. \ 
Cette religion, il l'a toujours confessée, il s'en est toujour» i 
!. Ayant perdu de bonne heure et sans retour tùat j 

e l'analyse intellectuelle peut dissoudre de la foi, i) ea 1 
a tout ce que le goût el le besoin de l'idéal rendent I 

salte aun âmes pieuses. Nul n'a eu plus que lui ta I 
t diviiiilé ». Qu'est-elle à ses yeux? Nous n'ironS' ■ 

i demander une déCnition de l'influi: mais, dans ce I 

a que t'inllni comporte, il semble bien n'aToir i 

inualtre un principe céleste et comm« | 




m t.l! WH'VF^Rn MTT*«*IHI» AU XIX' «Bt 



poïiii va* de ercih. nnili il 

rroil. yj- i|iji' un i-.;]irc^ii[ir' ir (luiii de Dieu, c« n'es* pu 
•PuloiDi'ot un s.Tiubole abstrait de toutes les vertus el dé 
toutes lex {icrrpctiuua dont nous stods l'idée : il coactHI 
iUd!I lu ilirlo je ne sain quelle eggence Tiraatc, que sa ratioa 
ne peul uiQDfltire, mais qu'adore son Ame saeerdotate. 
Rien plus, ce c&lliolidsme in«ino dont il a répudié hi 
degmcs, la piélii en est totijnurs demeiirée en lui : il a 
toujours eu au funil du Cffiur sa ■ ville dis *, avec t'épiât 
toniinnt des cloelies ubstlnées ; et que iJe Tois son orullt 
écoule en'-oreavec émotion le son de cesclocbedqoirapper- 
lenl aux saint» oniceB t 

Uais, tauilis que non àino. roncièreniKiil idèaliale, se hmrnt 
invinciblement vers le ilivin, son iolulliguncc ' est toute 
pénftrée de l'pspril critique modorno. Ce qui le détaeba il* 
ces preuiiArca croyances, ce fuient, non des objectione phl- 
losophiquEs, mais des' raisofis d'ordre positif: les àogtaa 
les plus difBcîtes & admi>ltre, * se passant dans l'éllu» 
mi^laphysiquo, ne choquaient en lui aucune opiDioa coa- 
Iroire >. il aban'ionna le catholicisme parce qu'il trouvait 
de flaj;raules co ni rail ici ions entre le quatrième évangile et 
le» ïj-nopliques. Il a<ait perdu fort jeune encore toute con- 
Gonce dnm les Kii^pulalion» abatrailes. An séminaire d'ttsj, 
Initié par un de ses maîtres à l'histoire naturelle générale, 
11 BO repr^entail ilAJA la nature • comme un ensemble od ta 
création particulière n'a pas de place et oïl par conséquent 
Litut se transforme >. Un < i^lernel fifri ■ lai semblait la 
loi universelle. Ms lors, i la sciem^c positive ëtail pour lui 
la seule source de véril'- ». 11 a toujours eu l'analyse pouf 
Instiumcnt. Comme ['idi>s1i<mc est le fond de sa nature 
morale, l'esprit analytique est le fond do sa nature tstel- 
lactnellc. Ne cherchons pas ailleurs le secret des eoulrarfio- 
tions apparentes od devait m^cess aire ment l'induire t± 
ihialisnie. Ame profnndt'ment rviigiouse, il dislingne entra 
la religion et Ifs religions. Ln relrg:ion, entt^mlue danaa 



Li CRITIQUE. 3ira 

sens géDéral. ?st )e signe évident chez l'homme d'un» 
destinée supérieure, • Ta preuye de l'eaprït dîiin qui est enfl 
nous et qui répond par ses aspirations k un idéal transceii-^ 
daol >. Quaut aui formes paHii^u lieras du culte qui nm 
succèdent de siècle en siècle et varient de peuple à peiiplej 
il ; applique librement la méthode scientifique, ne voyanfl 
dans les mjLhologies que des documents, les plus curieuZil 
les plus significatifs que nous ajons sur le passé de l'humn.*! 
nilé, Il y a chez Renan un pieux râveur et un critique^ 
Lorsque le critique est en passe de conclusions trop sèches^fl 
vdci le rfiveur, qui ouvre à l'esprit quelque perspective coD-fl 
sciante, une heureuse échappatoire, un refuge pour l'illti^ 
sioo; mais, lorsque le râreur s'égarerait voiontiers dans da 
mystiques chimères, voici le critique, qui le ramène sur In 
terrain de la réalité positive, ■ 

C'eft vers l'élude de l'histoire que se tourna tout d'aborS 
Renan; cl quoiqu'il ait touché aux matières les plus diverses,! 
celte étude resta toujours l'objet capital de son sppli-^ 
cation. L'hisloire, étant & la fuis une science et un art^ 
convenait merveilleusement soit il son goûl pour l'anorfl 
iysG, soit à sa faculté divinatrice. Il ne sentit jamais aucgqfl 
allrail pour la philosophie abstraite, qui, prétendant ètr« 
la science supérieure, se tient au-dessus, c'est-à-dire enM 
dehors des autres sciences. 11 s'est toujours refuséà spéculoM 
dans le vide. Renan appliqua aux éludes historiques cettifl 
TiL'thode des sciences naturelles qui lui était apparoal 
■•.i: lionue heure comme • la loi du vrai •■ En même tempn 
-t.-s aptitudes les plus intimes l.rouVaienl & s'j exercer,! 
el parliculiérement • cette flexibilité, celte facilité k roM 
produire en soi les intuitions des anciens ftges i. C'esll 
bien une œuvre de critique qu'il a l'aile, mais c'est aosiM 
une oeuvre d'imagination, A Saint-Nicolas-du-ChardonnetM 
l.irmi les livres modernes dont on lisait h haute VOÎI dcM 
l'.tjâages, il en était un qui ■ produisait sur lui un eftefl 
singulier > : dès que le professeur avait ouvert l'HfatùirB dU 

Ke de Mii'helet, Renan ne pouvût plus prendre und 




H» LE MOlTniRirr UTTI!HA1RE au XII* SlBCLB. 
te faisiïiail et l'eni*rut. Couiioi; Michclet, Renaa a le ^u 
iDitin<-ltf deli m hiilonifue. I) • «oit sous lerrc el discerne 
di'i l'ruits iiue il'auLrrt n'ootendent pas > . 11 po^'èile ii 
ptu« li.tui il-:grf c«tle facolté capitale de l'bisloriea qui 
^■niisiïte a I satoir comprendre des états très différcaU dt 
Cflui uù nous liiaDs •. 

L'iutellit:i.'iK-« et )e seiiljm«nl des formes successives qu'a 
prifCi l'esprit huiuiiu, Heoaa les porta de préférence dui 
l'histoire reli^'ieu^c. Au sortir du séminaire, sa rocation lui 
■p^tarai-^sait dcjâ toute traeee : c'était de poursuirre ses 
recliercbtrs sur If rLristiani^mc avec toutes les ressources 
Jâ la sciL-Dce lai'iue. Pour faire Tliistoire d'une religioD, 
dctii conili'iijDï lui semblent nécessaires, qui se rëalisaieat 
l'une et l'iiutre en iui : il faut ne plus j croire, mais il faat 
j uTi'ir iTu. car uous ne comprenons jamais bien que le 
cullf gui a pruv-piu-; eLfiï nous les premiers, élans vers 
ii.li'al, ■ l'n ne doit écrire, a-l-il dit, que de ce que l'on 
aiiiii'. t 11 iiruliqua lui-iuiïuie celle maxime en consacranl 
Soi) l'iisti'uce tout entière à écrire le récit des origines cbré 
lii'tiues dans un esprit de critique sévère et de pieuse sjm- 
jiutliie. 

Si cette svnipathie allait plutAL au chrisUanisme, Heasa 
n'en cicluait aucune religion. Sou aptitude à comprendre 
toutes les idées, k se représenter tous les états de conscience, 
à éprouver comme par contagion tous les sentiments, lui 
fait goûter et aimer, non seulement dans chaque forme 
ri.'lii.'iouse, mais encore dans chaque philosophie, ce qu'elles 
peuvent cuntetiir d'ap)iroprié aux instincts, aui besoins, 
aux aspiraliuns de l'âme humaine. Et c'est de là que procède 
son sceplici^me. 11 ne croit pas au vrai absolu, et la meil- 
leure mélbûde pour atteindre un vrai relatif lui paraît être 
de chercher quelque lerme mojeu entre les solutions 
opposées, de concilier deux adversaires en faisant faire â 
chacun la moitié du chemin vers l'autre, La vérité, selon 
lui, réside tout entière dans les nuances. Entre l'affirmation, 
dont la brutalité lui répugne, et la négation, qui n'est qu'une 
afUrmatioD retournée, il se lient eu équilibre. Au fanatisme 



U CniTIOUB. 31» 

lie l'une et de l'autre il oppose également son doute inëbraiv- 
l.ilile. Si les origines de la religion clrélieiine l'ont attiré j 
l'iul.ât que l'histoire ecclésiastique, c'est qu'il se sentait un 1 
jijat particulier pour les recherches dont le résultat nâ J 
saurait âlrc que d'entrevoir des possibilités et des vrai^ 
sembknces, pour i ce qui ne peut s'exprimer avec les appaJ 
rences de la certitude ■. fl 

Dans une nature comme la sienne, le scepticisme tourna 
aisément au • diletl autisme >. Peut-âtre Renan est-U surtoulfl 
un artiste. Tandis que la métaphysique aspire vuioemonfl 
à renfermer l'infini dans un cadre limité, l'art, qui seul esS 
inllni, lut paraît ■ le plus haut degré de la critique >. Elfl 
cette conception de l'art, à laquelle il arriva de bona^l 
heure, s'accorde chez lui avec un eiquis sentiment du beailfl 
A douze QUs, captivé par la grJLce de la petite Noémî, IM 
•.'iilrevoj'ait déjà la beauté • comme un don tellement snpéfl 
rieur, que le talent, le génie, la vertu mâmc, ne sont rieiM 
auprès d'elle, en sorte que la femme vraiment belle a \eM 
droit de tout dédaigner puisqu'elle rassemble, non dans un^| 
oeuvre liors d'elle, mais dtins sa peraoune mâiue, tout c^A 
que le génie esqui!>se péniblement eu traits faibles, aim 
mojen d'une Tatigante réfteiiou i. Sa défiance de toutQH 
altirmation n'eût fait de lui que le plus impartial et \tsM 
moins tranchant des critiques; la séduction de l'art en Cil 
un • dilettante >. Quand le critique suspend son jugement^l 
le dilettante se joue dans les doutes du critique. Aux jeud 
du ililettante, l'univers n'est plus un problâme qui sollicilefl 
l'intelligence, mais un spectacle qui amuse la curiosité, hetm 
religions se présentent à lai comme des idoles, qui luuteM 
ont leur cbarme et leur grèce propre. Eu se vouant & l'èludn 
des conceptions religieuses, Renan savait bieu que les dleujB 
passent comme les hommes; mais ciiaqoe forme du cultM 
lègue après elle un idéal de la beauté que l'orl no laissa 
pas périr. L'homme a pour flu de < dépasser les vulgafitaJ 
qH se traîne l'existence commune >, et c'est par l'art qofl 
nous les dépassons. Renan pardonue ù. l'ilalie du xvi* siéchH 
■a coiTUptiOD morale en faveur des grandes et belles cbosafl 



LR MOUTKHUrT UrrtBAUB AU ZU* StéOM. 



.•l-r, :!l,1 



.i,.l 



fui *'j Ruol prwlui!> 
le utoade- Où 1c 1 
par tifbiat*. tl li<< 

artuU' (|ui U bh<-, 

un culte (ÇruShler. li vim ij,iijii m mifj.r.i. un ui-ii 

ticur lie poésie. 

Lr ililiriiatite oe croit ft aucune fomio de n?b'gton, mù 
jD croit 4 toutes leii formes du beau. HcoaD se «eut chiMicii 
itstt le* caUiédrales. ut ton cœur ee Tond lorsqu'il efit«0(l U 
ilcanlitjni! : «Salut, Étoile delà merl... • Sur l'Acropole 
la iwrfoctjnn grcnjue lui hbI ri^vâlée, et les heures (|n'il 
passe doTuol le temple il'Atbené sont des heures de priOce. 
Nous ne rayons Id-tiaii que des agipai-Hncea : attacUon*- 
Dous aux plus belles ; seules les apparences ne noui 
troiu(>eiil pas. Qu'cM^co qui distinguera la vérîtii de 
l'erreupï l.a ïéritct tjiiulle duperie que Je la cherdicr pour 
l'atleiailrc I Itenon In cherche pour le {ilaisir de la dicrdier, 
c*ect-ft-ilire de ue pas la trouver. Dés qu'un philosophe ■ 
reconnu la Taiiilë de toute crojance, si ce philotiopbe iisl 
doubla d'un artiste, il n'apercevra plus dans les multiples 
évolations de l'esprit humain qu'une matière aux joois- 
taoce^ de sa curiosité, aux caprices de son imagination, à 
la ditlicate ironie de sa criliqûe. Le dernier mot de U 
sagesse, ce sera pour lai de jouer avec les idées. Il râTern 
un saint Paul sceptique, et, prêtant A Jésus-Christ sa propre 
I distinctioa >, il lo représentera soariaut de i ce sourire 
'fin, silencieux, qui implique au fond la plus banle philoso- 
lifaie >. 

Artiste danaaa pensée elle-œâme, Renan a, pour la rendre, 
nn stjrle exquis de simplicité rare et de savant naturel, Le 
nom d'artiste, prodigué depuis cinquante aus à des écrivnim 
qui tendent tous les ressorts de la langue, qui en épuisent 
les ressources, qui eu violenlent le génie, il le mérite par 
des qualités de tact, d'assortiment, de couTenance suprémei 
en intime accord aveu ce que sa philosophie a de si délica- 
tement nuancé. < Je compris a^sez vite, dil^il, que le 
romautisme de la forme est une erreur, qu*il n'j a qu'une 



LA CaiTlQUK. 

Be forme pour exprimer ce qu'on pense cl ce qu'on sent i 
L jaruais force ses opinJoDs pour se fairâ écoolt^^ 
non plus il n'a forcé son slyk pour se faire applaudir J 
|Vk d^JésUi avait été d'abord écrite avec plus de richessaT 
coui'âur : il passa une année k en élelndre l'écIatA 
n'est pas moins > aristocrate i comme écrivain quâ~ 
Ktne penseur. L'artiste, chez lui, ausai bien que le pLiliHV 
!, ne s'adresse qn'àuae élite. 11 dédaigne toule rhétorique 
)ule Qoriturc. Il a trop de bon goût poui enfler la voïxij 
JT rechercher les brillants elTets, les couleurs voyanles^ 

pieautés d'ostentation. Il s'est retranché < ces pendeloques 

Viêt ces clinquants qui réussissent chez d'autres et provoquenU 
l'enlhousiasmc des médiocres connaissenrs, c'est-à-dire de| 
la majorité >. Comme son exlréme réserve dans le mo 
le fait prendre par des conducteurs d'omnibus pour • 
voyageur peu sérieux >, de mâme, la parfaite mesure de si 
diction impose peu au vulgaire. Mais ]'• imperceptible minu-rl 
rite d'esprits supérieurs > pour laquelle il écrit lui a rendu m 
1 Imiralion délicate ce qu'il perdait en grossiers applaudissa> 
i>i:nts. Elle s'accorde à reconnaître en lui un des plus 
i-'-Tivaios du siècle, le plus grand de notre époque U l'esfC 
par la fine précision, par la grâce sinueuse, par la souplesse,' 
^•ar la Iranepareuce de son style, par la suavité d'ui 
monie discrète et pénétrante, par ce que sa maaiëre a del 
e jusque dans la hardiesse et de sincère Jusque dans U 
)nement, par je ne sais quel charme snbtil et mystërieac^ 
li indéfinissable qu'un parfum, par son aptitude à. parlera 

s les langues, celle du poète comme celle du s 
Fendre tous les tons, celui de l'émotion et celui de 1^ 

^e, celai de l'enjouement et celui de la gravité, celui d 
^îela pins déliée comme celui delaplospiuusi! lendrussiu 
Jquelque langue qu'il parle, quelque lou qu'il pronue, p 
{dOD merveilleux de nous séduire sans nous éUmner el 
s fsire admirer son art exquis sans nous eu laisser v< 



CHAPITRE T 



LE ROMAN 



Pendimt la seconde motlié do Rtècle, le roman, quidéjï 
\ tenait daa« notre lilli-rature une place si coiuidËrittilii, en 
dcTJeQl te genre le plus OoriNaDt et le plus ricbc ; c't^t laul 
celai qui exprime le plui complètement, grAce & Hnllaiï 
«trléU de ses rormes, le caractère d'obserratioii pusilin 
dont DD réalisme unÎTersel mnrqae touteii les proiluctiom 
de l'esprit contemporain. L'école • idéaliste > n'est g\)iie 
p^ui représentée que par les surrirants des généralinni 
antérieures ; tout ce que les généralions nouvelles comptent 
de talents robustes et ori);inaux, tous les romanciers dniu 
les cearres desquels elles se reconnaissent, réagissent conlre 
le romantisme vieilli en sahstiluant les faits aux fiction), 
r«tpérience au 1.Trbmu, les procédés de l'&rt < docunus- 
toire • ans suggestions de l'art intuitif. 

Sont le nom de romans, Victor Hugo compose d'imoipnut 

poèmes. Il les date de Gui?rnesey: mais ce qui le garantit 

[ "onlrn la crjuUjjiun réalisle, ce n'est pas seult^inenl J'eiU, 

'est encore et surtout le caractère d'un génie <]u« ses 

acuités les plus csscntidlos rendent impropre aux minuUtii 

F-dfl l'analjrse, et qui n'upcrctii la vie liuiiiaiue qu'ft Iravcra 

r le mirage d'épiques «juiliolcs. Itomar^uona cependant q ut 



LE ROHAH. 
Viclor tluga tuUmâinft, tout en restant fidèle an 
lii^lnnque, où soD merTeilleux pouvoir d'évocation se dËplùi 
ft l'aise, Qb cherche plos ses cadres dans les siècles lointaind 
de notre histoire. Le choix de sujets plus modernes, c 
même presque actuels, D'est peut-être pas uDiquemeot dû ■ 
des préoccupations sociales et politiques. ^ 

Cliei George Sand, l'influenue réaliste se marque, i 
les ccuvres de sa vieillesse, par une maDiëre plus simple e 
plus vraie- Ce ne sont plus ni les romans & grandes passiongfl 
ni le» romans & thèses : l'auteur d'Indiana et du Meunia 
d'AngitiauU, sans abondonnersa conception idéale du n 
et de l'art, prend ses personnages dans rbumanitâmojcnnC 
«t ses sujets dans la vie ordinaire. Jean de la Roche, l 
iViirquis de FUtemer, tiennent un juste milieu enlre le) 
inventions romanesques ou tes expansions Hntimentales di 
M manière antérieure et la prosaî'iui.' crudité, la séchq 
indifTércnce du réalisme contemporain. 

Parmi les talents nouveaux qui se rattac lient plus ou mt 
directement à l'école idéaliste. Octave Feuillet est s 
contredit la plus distingué. Les charmantes histoires qu'J 
raconte aïec tant d'agrément se passent dans un mon 
iin»!;iné à sonhait pour la délectation .!cs nmes pures. 1 
llnmin d'an jeune homme pauvre est son olief-J'ouvrc da 
ce genre charmant, tout Henri de grftces chevaleresques e' 
d'nristocraliques Tertu.i. L'auteur se préoccupe beancoud 
LMoins de peindre exactement la vie contemporaine que d 
"l'i.'senter & la bonne compagnie, dont il est le romanciepV 
!■■ prédileclion. une image d'elle-même, asseî fidèle s 
ii'Utc pour qu'elle puisse encore s'j reconnaître, o 
iilout assez embellie et poétisée pour qu'elle s'y com-4 
'■(lise. Et ce ne sont guère en ce milieu patricien qu(ff 
' '.'llea Ames et personnages d'élite. A peine si quelque^ 
'' ures discrètement esquÎHsées n<^s empêchent (à el II 
' oublier qu'il y a sur cette terre, mâme dans !.. moadlJ 
' mieux pensant et le plus choisi, autre chose que dei 
"iiérosités sublimes ou d'exquises délicatesses. Type âeiA 
^.uos qu'Octave Feuillet aime & mettie en scèae, le< 



Ht LS MOUrMimT I : 

boiDiuc pnaKC • rtunit "n -■• \^'^''■n^■ 

rUirilës ot (oulw l«* w>iliicUan* Un rfmx 

le rui^'jhnall )".<ur i»aiv|tii! ri«n qu'a li ifïatincUon 

niiuiiik'??. ri lJi':srn'! isn lui l'Iiiiiiiiour, 1« llâHitllâ^K^ 

llMiiriniuv . mail uela av suflll |>u encore : 11 est nnui w 

miMlèl« lieji ieayitn. Le teul di^faul île ceparfoil (feitl.il hotniat. 

e'ut sa t>errei:Uun mAmt!. iiu« lout l'art iln romuicicrii 

<|Uetqiiefi)ia ii«in« k «auvttr île la rwleur. 

l4i>niiiic le runiun cutik-tnparain eut été renoareJA ptr 
âne tt,o\e plus soucieuie d'eiactes peiuluri», Oclavo FcirilM 
■flnlit <|ue s^ Qctiooi inaocentes n'âLaitiat |iltig ilo raltt, 
qo'il lui rillait compter avec le besoin île ri'.alilë vire «t 
franche qui Lranarormail sons ses jeux 1» littérature taut 
enlière. Aux âli'ganta proverbes, dont la grAcc un ptn 
■nietre et la précieuse moralil^ ch B.r initient les sotoas et I« 
cimifaui, succède alors cette DaliUi od sou talent i^Ti)' 
DDi; aptitude toute oouvelle h peiudre la passion Ju8<|uc 
dans ce qu'elle a de plus frtiaetique et de plus dégradant. 
St, ds niéiae, soi aimatilos imaginations d'un îdËuIiauit 
spacieux et captiTant, mais trop chimérique après tout pour 
donner l'impresaion du vrai, succèdent des romans od l'in- 
fluence du râsJisme se traduit non seulement par une Luudil 
plus forte, mais aussi par une observatioD plus ciacte. 
Void, dans Moasiuur do Camort, le tjipe de l'homme • u* 
përienr • qui, se mettant au-dessus des lois rulf^ires, ne 
recoanalt d'antre morale que celle deTliomieur mondain, et 
n'assigne d'autre but k l'eiistence que d'en jouir sans «cra- 
pule et sans remords. Comme le Jeun« h&mme pauvre txntr 
térisait la première mani^.re d'Octave Feuillet, Horttitwii 
Camort caractérise la accoude. Il 7 a mis toute la ttosd d« 
réalisme compatible soit avec sou tour d'esprit et sa con- 
ception propre de l'arl, soit avec les habitudes et les cuuve- 
nauces du public auquel,il s'adresse. Sesœnvrca pustérieum 
lUDl connues dans le mâme esprit: ce qui en l'ait l'orifçin alité, 
c'est juÂlcment qu'il y peint des passions uaturclieineiri 
intempi'ruoles dans des personnages chez lesquels une par- 
faite tenue, une exquise urbanité de fapoos et de laoj 



i litogam 



LE IlOMAN. 



au 



1":! diïnii[iiilt:ut ia ci'u<iitti foiiiâere soiis de séduisnntïduiiora 
' il ri>Lii|iit lie bonne licure arec dd opliinisnie candide, il 

'".ta toujours dévot à certain idéal de culture cl di> polilesss 

"ialii ou dehors duquel son talent se sentirait cniaioâ ' 
■li'pajSL^. Le réalisme mÉme d'Octave FcuilK-t, »i tant est ] 
que le mot puisse lui coBvenir. est tout aristor.ralique. ' 

r.a qui le distingue surtout des réalistes iionleinporaius, en * 
'l'ii marque sa dissidence jusque dans les œuvres les plus J 
I i'>>;s qu'il ail écrites, ce ne sont pas ses prédilections ' 

M;la9ives pour la société élégante, non moios • réelle ■ 
..\'\-ès tout que l'autre, c'est un parti pris dogmatique qui 
lie saurait se concilier avec la représentation fidèle des 
lir<miuea et des choses. Les intentions trop visibles du mora- ^ 
liste font Buspecter en lui l'impartialité de l' observateur . 
Déi'enseiir attitré du catholicisme, de ce catholicistne super- 
Itriel et absolu qai règne dans les salons, il Invente à 
plaisir des événements et des personnages auxquels il 
rriitlie le soin d'en gloriËei les doclrioea. Pourquoi M. do 
Camors se perd-il t Parce qu'il ne croit pas. Pourquoi, 
itniis Vllisioire de Sibylle, Gandrax est-il frappé d'us 
coup d'apopleiie ? Parce que ce matérialiste vient de nier 
Dieu. Pourquoi, dans la Morte, Sabine empoisonne-t-elle 
M""^ de Vaodricourt ? Parce qu'elle n'a pas été élevée au 
.Sacré-Cœur. Laissons de cOté ee qu'il y a d'iDgénuinaiit 
bnilal dans cette philosophie: outre que l' orthodoxie catho- 
lique d'Octave Feaillel est par elle-même en désaccord 
aviM^ l'esprit général de l'école réaliste, il j a déj& répu- 
gnance, quelque opinion que l'on proresse, entre une élude 
sincère de la vie et la préoccupation de moraliser, de 
déiDoalrer, de cbcfcher. non pas des documenta, mais dea 
urgumenlB. 

Si Feuillet n'en n pas moins subi l'influence réaliste, par 
laqudle le genre romanesque, dont le nom même annonçait 
jusqu'à notre temps des aventures llcl.ives et ries personna- 
1,'fs litvenléa * plaisir, un jeu de l'imagination ou un rfive 
^À^^Slf^ UsJUt'Ciiait eQ iQstr<)meat d'une vasto ea<(.u6te 



ne»! urreuAiRR lu m*! 

pf7rJ)ologiiiD<:plaodal9t[tii enipranl» uis nàimeet natartlW 
iMin |)roc<>iJ<^s, cotte liiflii«n<!« t'ntfc, non par Balincrul 
ail i<A8 .^iiipiVcJirt 1p Jcunf homme pauvre, amn jin 
Fliinli»rt. ([ui fit faire Montifur de Camorg. Guslnvc Floukrl 
C3i. iliinx la Bocunilc luollîé de ce siècle, le maître, uc iliaoni 
pu itQ râalUme, puEsqa'il ne voulut jamais admettre ua« 
quatl nidation (liBcri^dit^c par des roninnciers viilgairst, 
mai» Uu l'école qui s'aHoclie, dans tous les duiuaiDes <le l'irl 
et dnos la pnésie eJle-inAïuo, & l'obscrratioa personnelle Jcs 
cboïcn, à l'tHiiile d'après oalurc et sur le vif de la réalité. 
Dopuis lon(;tcnif)S préparée par la philosiipbie, par lu lIll;^ 
tnUgiix progri^g tien iscieiici^s, par les changements derélal 
morol et socînl, la ri!vf<lulioii litlârairn a dans ISadau 
iioBory le premier cbnr-d'iciivru qui la consacre. 

Mail ItalKac ut la Comédie humainif? Une qne^M « 
potv l^ul d'abunl : commvnt, «u lieu de voir en Flaiditrl 
un disciple du grand réaliste, rnisona-nous de lui le cbct 
d'une *cole nouvelle? après Eugénie Grandet, le Fm 
Goriot, la Cousine Bette, quelle peut être la nouveaulâ du 
Utulame Bovary^ 

Cartes Flaubert est bien inrérieur è Baliac puur la pali- 
■aneu, l'ampleur, la fécondilé du génie, naaia U n son ori- 
glnalité propre, et ce qui la fait, Ceel d'abord qu'il s'ab- 
attait complètement de mu œuvre, et ensuite que celU 
tsavro csl celle d'un artiste, en cnLenduiU par ce mot toul 
ce qu'il peut comporter de suprême perrection. Balzac avtJl 
mis dans ses romans beaucoup de lui-même : nou seule- 
ment sa fougueuse imagination inventait des ëvénenaenU 
lovraincmblabies et des hâros extraordinaires, mais encore 
w nature expansive se livrait, sous le couvert des persoi^ 
nages qu'il mettait en scèue, & d'interminables digreBsiani 
qui sont comme les monologues de l'auteur, k des conS- 
dences plus ou moins diroclos sur ses goûts, ses opinlont 
pDtiti(|uc3, ses croyances religieuses, sur sa manière propre 
d'entendre le monde et la vie. Et, s'il porlait de la loiU 
alloiiUc à l'une des lois les plus eesenliellea du roman 
moQlalre, qui impose ft It personnalité de l'écrivE 



lan (le^^ 
'ivaiM^H 



LE HOMAN. Stm 

rnmplel, effnwment de soi-même, l'cflervesoence luinnd 
liii.'iise li'un génie toujours en rcrmentation ne pouTaifl 
l'autre part, lai permettre d'appliquer à la forme de soh 
I livre ce Inhcur patient qui suppose chez l'artiste soit nîM 
ii.'uiperument plus sobre, soit plus de puissance A se confl 
ti'iiir et t se chAlier. Neutralité absolue de l'auteur efl 
dévotion superstitieuse A l'art, Toilà les deux traits caraofl 
lérisliques par lesquels Madame Bovary fait époque danra 
l'bisloire de notre romao caoleuiporain. 1 

Gustave Flaubert j met l'art romautique au service de lav 
réalité directement observée. Le tond de son œuvre appar-fl 
tieut en ce sens au réalisme et la forme au romanlismeifl 
Réalisme et romantisme, ce sont li les deux iofiuenceaj 
qu'il a subies, qu'il a parfois combinées dans une mesurn 
parfaite, mais qui, se contredisant au fond l'une l'autre^ 
doivent nécessairement imprimer leurs contradictions sniS 
sa physionomie littéraire. m 

Toute sa force, il l'a appliquée à ne rien trahir de se^ 
impressions, & dissimuler ce qu'il j avait en lui d'humaoîtéa 
seusible et cordiale : c'était par aversion pour la pleurni-i| 
chérie vulgaire, a laquelle tant d'écrivains demandaient 
snnd pudeur un succès banal, c'était par respect de l'artffl 
qu'atTadil. et corrompt tout senlimentalisme indiscret. 0<M 
\k, ce que ses livres nous semblent avoir parfois de cruel,fl 
presque toujours de sec. n s'interdit tout signe d'émotion^ 
toute marque de sympathie. Son office consiste à montrera 
les choses telles qu'elles sont, sans rien mettre de lui-mâmsa 
en ses tableaux, que la pénétration de l'observateur et leem 
moyens plastiques de l'artiste. < Toute œuvre est condam'J 
née, disait-il, où se devine l'auteur. > Il n'y a d'art vrai,fl 
giado p lui, qne l'art impassible, ■ 

s'il exerce sur sa sensibilité native une rlgoureusM 

^eQlance, il n'est pas plus jaloux de ne trahir en soiM 
Ecune impression personnelle que de d'j laisseM 

nitre aucune doctrine particulière, aucune idée précooV 
. On l'accuse d'être égoïste, dur, immoral : que lufl 

fOTlel Un seul reproche le louche, celui de ne paa ilt^Ê 



I rvlum < mnrale • ni lui réput-nn [las moiaa que It 11 



I lDr«*i 



«ilile I. llUrt^initlieaunomdeU Klenec » 



i propre raUnn e 

1 pa» Atre iMnaiiléré comnii' un mojeR. la 

I idcnce. d'milro pnrl, ne >aurnît ri!cuniinllr« nulle inlc-ur 1 

I ilM li^nioigORi^t qai n'nlTrenl infime pas la garnnUc il'n« 

) obwrtalion impHrlinle. ContidAré, dou plus comme oot 

> de faatsiiie qai a pour but ili^ divpritr les oJsi^ 

I mail romme une description HdMa et sincère de la ria 

1 bnniaioe. le roman ne doit se faire le complice d'aecane 

[ Uiéorie. La moindre trace de teDdancea préjudicielles dtet 

[ l'aalear nous le rend suspect d'avoir a plaisir comliioé des 

f éTénomcnts iniRginnirus, auxquels il était par trop fncitnd 

l^on moins »ain de rtemnnder la juslificntion d'une tbè«- 

1 Son iKiiTre y perd fc la fnis toute vraisemblance et toute 

portée, Elle ne Tera ni illusion comme œurre d'nri, nt autorité 

e de science, D'ailleurs, quelque g^aie que l'on 

I mette h, dételopper ane fable, rien de plus aisé que d'à 

imagioer une antre qnl la démentira. Un cas particulier DC 

prouve rien, et la loi que tous prétendei en linr n'a 

I devant la science aucune valeur. 

Ce n'est pas seulement par • son objectîvitâ • que l'aih 
I tenr de Madame Bovary est en opposition directe avL>c le 
\ romantisme : comme Ilaliac, Flaubert subordonne ta pj- 
I chologie ft la physiologie; ce <|oi l'inlâreaga avant tout, rt 
I qu'il i'cntend à observer et à peindre, c'est le milien plij- 
I sique où se développent ses personnages , ce sont teins 
I instincts et leurs appétits, tout ce qui dépend en eux de la 
I eompieiion et des humeurs, ii'ila et fr^re de médecin, il fait 
I de roman une sorte d'analomie. Il explique les caraetéru 
I par les tempéraments. In vie morale par les innuences du 
I sang et de la chair. II ne croit pas que la personne bumaJM 
I Boit capable de réagir contre ces înduL-ucea, Oïl donc t 



,0. kMH 



LS RONJUt. 
^t-ei)e l'énergie aérxasùrtl Pour Flaubert il n'y a 

(le sphère «clasiTement psychique <iui recelé dea i 
Bes «Hlononjes. Atcc Taine et IouIa t'âcole noiivetlfi 

■'homme se dêvel'ippe coiume une piaule. Li^ 
khologie étant une braocbe de l'histoire aaluretle, b 
lancier procède à la façon du hotftDîste, sans iniaginej 
loodc sensible, je oe sais quelles puissnnct 
■seul eu sèment soustraites à l'empire des lois physiques 
Bservalion morale de Flaubert se borne aux sentiment 
■ui passions dont les circonstances extérieures et maté 
■les pMavent rendre compte. Il est psychologue si t'oiq 
ind par 1& qu'il excelle â démêler dans ses personnage 
lefTeta de la race et da milieu sur leur activité i 
■re; il est psychologue, mais comme an déterni in istj| 
t et doit l'être, 
nndis que les romantiques idéalisaient la uiituru bOi 
Die, Flaubert se pique de la peindre telle quelle «a 
■ ajouter. Ses personnages sont des types, si l'on i 
i des types de la réalité la plus commune. Leiu BOttÛ 
t égoîsaie, la fadeur de leur existence, Toîlfl ce i^'û 
I a reodu. Il faut, poar doiu intéresser A celte é 
rnote mesquinerie, tout le relief avec lequel sou art l'et 
irime. Dans Mndang Bemry nous ne troaroiis pas t 
.■•ul personnage, je ne dis pas qui uoui inspira quelque 
sTiupathie, mats qui se diatlngue mâme d'nne mâdincriti 
universelle. Dans i'Êduçaiion te-iitirintititle, dans Bouvm^ # 
P/'cuchel, Flaubert sinharne avec une infaligablu pstiencJ 
ù décrire la bêtise bumalDe, et cela chez les prcmieM 
inuioies Tenus, dans ce qu'elle a de plus ordinaire et d 
lUis routinier, de si commun que, hien des fois, elle riMjiH^ 
mil de passer inaperçue. Ce qu'il peint aartouL dam I 
société contemporaine, ce sont des figures insi^ifianle^ 
par ellcs-mâmes, ternes, ingrates, d'une tmnalité continua À 
<U laonotoDe. Il se tient en garde contre tout idéoliiims, I 
Iro celui du mal non moins que contre celui da bien, i 
t par rdai'tlou contre le^ héros o\i les monslrca romoi 
a ifa'ii peu^ild ses romans de personnagaa aeulr« *! 



Iig U WltlVEMCKT t.ITTltUAlHR iU XIX* Rit 
I phjriianomie, qu'il met <tn oMivn tonU^ It» ree 
' it MD art pour dimner on nciHinl A la nil}{ariU, un tans- 
Xtrv \]n [ilatituile. 

L'autmr 'le Uadamt Htivary a Tait aaïsi SalftiuntAn. Or il 
Nnilile >iue sa priïoccupation d'âlre iniouUenaeineal ruct 
■ la peinture îles mlli<?ui ou dans l'analjiBe de* pu- 
[ Hioni) M conr.ilic nialabémeut avec le choix d'un td «ujeL 
Ud*, >i In ri'nlitiniL' no [leul ici consister A décrire, fiSKTlt 
pMTiBgo, ce 'lui n <*W ilireclement observé, la mélhode qu'y 
mit rinubort n'en cit pas mnini celle qa*tl applique a ses 
ttudos dp moeurs contemporaines. Les lieux oA se pane 
l'action, 11 les a «us de *ea yeux, et l'on peut âtre amn 
réaliste eu iiei^uant les palmifrs de l'Afrique que les pon>- 
miLTs de la Nurniniiilie. Ouanl uux ntODuments et aux fdi- 
necs. el. rliose plus iuipnrtanti!, quttut A la cirilisntion cartki- 
gini>ise, quant aux Uiéet et aui senLimcnts îles perfnnGsirs 
<|u'Uinct cnac^c, les données que robserraïki 
peallai fournir, il les emprunte aux document. 
Il ne viïe pas moins h l'ciactilode dans ce If 

. Madame ttovarg. A ceux qui rspiirochaiesl Su, _ 

1 Martfrt, Flanbeil r^iomlait que le système ik CliAlcab- 
I briaad Mail dirtviemenl oppose au sien. L'auteur te 
[ Jfortyni partait d'un point de me tout idéal; cdai it 
, SttlimmM ■ apfitjqae A l'aoïiquité les procédés du roinu 
>, B flûl posr Carthajte ce qoll arait fait poor 
Vaatillr. 
IViorUst, qoél^M «ma de la 6dâit« que naibeit potH 
[ <Um m* roiBUi* uiMa>ng)9ii« on kt^cadaim. te ammt 
c S t I w wM oo la IValstM ir *aâd Au)m»t m su- 
[ ntClit instet po«r t4«lisl«. 7 a ekca M oa muBtâqK. 
> ranaatiqvc, tMtvs h ntrocvons d'dDevn daas aa 
[ lin«9 lea pJst * a»o4nnu > «t jii»qw 4m ««« VoJatf 
U drml l'AristeaBM s^firton» lU jutamest de oo»- 
I fn'avaieM 4e lAgiiii»» la tiMes un ronaaingtt 
h^ve bs eriSMUWS 4a realisnit a««*ut de (oBd*. 
^4au fwqwt 4e Plaahat. est *ai enotradirtimi mk 
■ «t le lar i a -*-4an» 4a >etn vie ca«lcnq>ondn. . 



U nOHAM. 3» 

Sa haute taille, ses larges épaules, sa face colorée, ses lon^ 
giiL's uiDiistadies pendantes, le /aisaicat comparer A aJ 
ancien « roi de la mer >. 11 avait le gesle ample, la roî9 
éi.'lalanle, l'allure lliéâlrnle, qiielijiie chose de l'onnidable efl 
de Irucalent. Son :U£lume achevail celle impression; 9 
protestait contre la routine et la banalitë des aiœurs bouil 
geoîses, non seulement par sa façoD de se tenir, de macl 
cher, de crier et de rire, mais jusque par la fiirtoe de acM 
chapeaui. Et ces dehors ne trompaient pas. Il y avait dana 
son âme le mépris de la vulgarité, c« besoin de pomp^ 
grandioses, d'étraugeté superbe et rutilante, qu'aiiuoaçnicafl 
déjà sa physionomie, son allure, sa mise, toute sa personnes 
C'était un paladin romantique. Faisant retour sur son adofl 
ieaconce, il en a plus d'une fois remémoré les glorieus^H 
i^bimëres, tes rares extravagants et sublimes : dans cetM 
ijxidlation sentimentale, reconnaissons avec lai rinfinenoM 
ilu romantisme, qui persista jusqu'au bout chez le maître dfl 
■ naturalisme • contcmporaÎD Unie croit insensible : sefl 
'K'-rfs sont toujours frémissants; il se compare ù un écorchâfl 
' I II dirait qu'il se désintéresse complètement de ses crëationH 
-.t les personnages qu'il met en scène l'affectent, le poUM 
•suivent, se mêlent à son existence; en racontant l'eiupoisoin 
iiemeot d'Emma Bovary, il a dans la bouche le goùt AdI 
r.'irsenic. On sale figure comme un pessimiste chagrin efl 
renfrogné : jamais homme ne fut naturellement plus cn9 
thousiaste, plus généreux, plus fervent de sympathie et d'aid 
miration. On le prend pour un émule de Champfleury, efl 
ce réaliste est un hugolâtre fanatique, ce peintre des Homaifl 
et des Bouvard rend un culte au chantre d'Eudore et dfl 
I)cnt^. ■ 

C'est par ses besoins inslinclîfs de grandeur, par tout e^ 
qu'il y avait en lui de dithyrambique, que noua nous exp^J 
qiioQs des œuvres comme Salammbô et la Tentitlion. Aprïfl 
Miidamp Bovary • on pressait l'auteur, écrit Saiule-BeuWM 
d'assurer sou précCdent succès par un autre un peu diffS 
reQt, mais sur ce mi^me terrain de la réalilô et de la vH 
tnodemej et, pendant qu'oalattendaitsur le prêchez nouM 



I MS IX ■OUVKMKNT I 11 i 




I ^uehfM pan «n Toorafao, «u l-icarUif, uu en Nûrïi 
I ennin*, il était (lartî )ioiir Carthtige. • Paat-U voir lA tn 
I lai» i^uullc ironie d'un arlist» iDilèpeiidaDl e( Dcr? Ca iQ 
I voulait en faisant Salammbô, e'itUil te lirer du prAialMU I 
ImrilamporaÎD, luLinfairi! A ion f^oftt de* prAvIi^'imii àtextn 
■ et des léjçomlea KranilioseB, c'était, comme il le dit tul- 
I infime, k donner pleine licence de horler tonl & son Himi, 
chfliilsiaat le rnijel de iladanr ftovary, il nvnit rM\ 1 
I nn pnriî pria rrinlUte; en Klioîniinanl celui do Saiammb&, il 
I mlaiisait Jiiiiidor [inr utiinxtinctt. fialammbn, iiiiBud il l'eiv- 
Ibopril, devait Sire, nn pnèmr plotAl qn'an roman-, Loulet 
I'Im pbraie>> dans In prrmière rédndloo, en rotiicti (aient p» 
I ilf^s rt, ut ce n'est plia «ans peine que son ami Boullhet lui flt 
I elTiiecr ce« coDJnnclions épiquea. Il acmblo qo'aprAs diacuD 
ns dont il emprunte les données A la vie ri^ltt 
I Flaubert «Il eprniivâ un irré>ii»tibte besoin de la fuir, d'en 
I ilétouruer aes yeui, d'eu détmrbiniiller sa plume, riut«, noD 
iiir ealiitier mlnuUcusAmenl Us iriTtatilés bourgeoises, mail 
iiir fiitracer les scèues ^lolanles el pompeuses qoe sod 
iHKÎnalion de poète éToquait dans les prtiBti^ieux loinl 
I do la mythologie ou de l'histoire. K Madame Bovary ai ' 
I Snhmmbd; Saint Antoine suit l'Edacatiùn sentimmlatà 
I cumr iimpl» a pour coatre-partie Uèradias et Saint J 
I rHogpUatier. Enfin, s'il méditait, but le déclin de w li 
I grand roman de mœurs modernei où se sérail ap^ 
I l'ribserfatcur miautieai el sévère, il bvhU réservé, d*H 
rpnrt, ft t cette Tieille ganache de romantiijue > 

1 cadre dans lequel pùl se di^plojer sa fncutlé él 
Pun récit de la bataille des Thermopyles, récit A lâbS 
I simple et gr&nd. superbe et l'erribie, non pas étude d'ai 
s poème béroîqoe et symbolique, dont fit 
"dit-OQ. le jetait en un Ttolent entbousiasme. 

Même quand il prend pour héros les plus vulgaù 
(tonnages, et pour sujets les platitudes de la Tie coi 
f rAÎne, son romantisme natif s'accuse encore jusque l 
Vielle peinture de mesquineries et de banalités ipii l'éc 
lliU réalistes reproduisaient platement la platitude : dd 



de FUuhert, son iin'mier roman avait élé une [ito- 
lO conlre la inaaiËrË de Champlleiirj et éa ses di«- 
qui te coBsidtirâreiil ioujoars comme uo arriéré, lit, 
tfovary peut alors passer poor ane œurré tl'inspi- 
romantique, ce)a ne tient pas seulement au stjrle, 
la conception même de l'art, et encore à ce tpie oe ' 

si puissamment inoperaonnel, trahit néanmoins . 
une st!Dtiinental..Le réalisme, quand il est coosè- 
avec lui-même, se borne â reproduire telle quolte la 
donnée. Tel n'est point le procédé de Flaubert, 
le Bovary a la forte unité d'une œaTre classique, 
s moyens y ont été logiquement combinés ; aucuns 
ion oiseuse, aucun fait qui ne concoure au dévelup- 

de l'action : c'est le triompbe d'un art saranl et 
nx. Non seulement l'auteur a > cowpos<} > ses per- 
is, mais encore il a résumé toute une espèce dans 
ire, il acréédes types. Et la signification morale de 

n'est pas moins contraire au réalisme vulgaire que 
que d'oA elle procède. Si Flaubert tourne en ridicule 
'a?B£ances ia rouiaotisme, c'est de la uiËmc façon 
illait les cbiraérea de l'esprit chevaleresque. 
ï chei lui une sympathie secrète pour ce qu'il entre 
ne dans ta perversion de sa misérable Kmme. Ce qui 

somme le fond de tons ses romans, c'est l'auière 
tictiOQ qu'il surprend de tonte part entre l'idéal elle 
I, malgré tous ses efforts poor rester impassible, il 
teigne pas à la sottise, A la iy>utine, aux bassesses de 
Or quoi de plus romantique que ce dégoût? 
■ît pas U, encore et toujours, un hi:rilage Je Ilenô? 
ne écrWain, Flaubert se ratlache directemeul au 
lisnte. Kien de plus caractéristique en ce sens que 
loiration pour Chateaubriand, dont il déclamait avec 
liasme des pages entières. Il n'a jamais eu d'autre 
a« celui de l'art. Même sa propre vie, il voit loul ea 
' I Les accidents du monde, disait-il, vous apparais- 
M qu'ils sont perças, comme transposés pour i'emp(t>i 
[lunoD & décrire, tellement que toutes les choses, y 



tu LB HOUTEMIMT UTTimAtnK AU XIVM 
compri* *otn eiiit«Dca, uo vous semblent pu ' 
iitIliU. > La ■ tllltralure •, qui fui sa seule iias-iian. Il ta 
faitail ccw»ittct tout cDtiâre iojae la fonu<?. < De U U-rau 
nalll'idi^e t, ci' (>^l oit-il. et lesGoncourt raconleut qu'il I^iff 
lut, tonl un a|)réï-niidi, <te sa voii tonitrunnlt! el ac^ 
dM • ci)U{)!) Ae fiuc'ulc des iti^&lrea Ju boulevard t, uo 
runion, écrit en 1S4S,qiii n'avait d'uutre titre sur U coU«:^ 
iarii i]Wt FrngrnfnU dt ntijte ifvHconqut. li disait nn joorl 
Thriopliilu Gautier : t C'csl fini, je n'ai plus qu'une dizaine 
d4) pages A écrire, et j'ai toatei mes chutes de phrases •■ 
Pour lui, la forme arait son prii en elle-même, indépen- 
damment de la pensée, par la seule vertu des mots et du 
rythme. Au commencement d'I/n cœur simple, nous rBKonls 
un de ses disciples, le dernier mot d'un alinéa, servant Ai 
sujet au suirant, prAtait h une amphibologie. On lui signala 
ce défaut : après s'être loagtemps évertué, lîoalemeat, 
comme il ue trouvait pas : • Tant pis pour le sens, dit^il : 
le rythme avant toull > Porlaut dans sa théorie du 8tj1e 
une sorte de mysticisme, il croyait que chaque idée 4»Bil 
9on cipression unique, el que celle unique expression Ht 
pouvait âtre la plus juste sans être à la fois la plus harnio- 
niense et la plus plastiquement belle. A ses yeux, le subslan- 
lif formait avec son épilhèle un tout absolu. Il voyait dan) 
unepériode bien faiteleplus solidedes édifices. U soupçoiinlit 
entre les mots des rapports nécessaires, quoique occultes, et 
dont l'artiste seul al'iDtuilion. La forme étant tout ponrtui, 
II a'acbamail à la recherche d'une perfection dont l'idée 1s 
tourmentait jusqu'à ce qu'il y fût parvenu. Il chercbail avec 
rnge, convaincu qu'il n'avait pas trouvé tant que la hrnitl 
des vocables, la richesse des sons, l'harrotioie des cadeuceii 
ne procuraient pas ù son oreille une pleine et entière sali** 
fiLCtion. 11 ne se pardonnait pas la plus légère tache, il noir- 
cissait une page pour effacer quoique hialas, < Flaubert ft 
on remords qui empoisonne loiile sa rie, disait Gautier, 
c'est d'avoir accolé dans Bovary deui génitifs l'un sûr 
l'aulrc : Une couronne! de fleurs d'oranger. » On nous le re- 
présente passant les nuits â sa table de travail, tanlAt i 



LE ROMAN. 32H 

iij<'<bil>\ 3il>?acieui, l'œil lixe, poursaÏTaot des heures eatièreu 
ni) adjcclir qui le fuyait, tantût pris d'uii accès d'etaspérsa 
Ijoa frénétique, frappant du poing, sacrant et geignant, ^1 
|ir>Liie à ce i|ue lui-même appelait ses • alfres >, s'épuisanfl 
lins des difti cultes ingrates qu'il se créait degaftéde cœurfl 
hianiaque de style, et dont on aurait beau jeu â s'égajer, ifl 
poussa le culte de l'art jusqu'à de puériles superstitîonsa 
en portant dans sa prose autant de scrupules que le plun 
attentif des poètes es arait jamais porté dans ses vers, cal 
maniaque n'en a pas moins bien mérité de noire langue, 4t9 
Madame Bovary fait date non pas seulement à cause de sH 
sijjuilîcation historique, mais aussi comme le roman le plun 
parfait au sens < artiste ■ que noire siècle ait produit. ■ 

Guslare Flaubert avait débuté par un chef-d'œuvre, quH 
le rendit célèbre du coup : les Concourt travaillèrent dal 
longues années sans que leur nom fût même connu ena 
dehors d'un cercle bien restreint de délicats. ■ Malheur aun 
productions de l'art dont la beauté n'est que pour les ar-i 
tintes I > s'ëcriail d'Atembert; et les GoDcourt, qui relèveod 
celte apostrophe comme t uoe des plus grandes sottises m 
qu'on ait jamais énoncées, auraient volontiers dit : ■ Hal^ 
heur aux productions de l'art dont la beauté n'est pas poun 
les seuls artistes t i Leur talent entortillé, précieux, éprid 
de raOlneinents subtils, ne pouvait être populaire; main 
les lettrés eux-mêmes eurent longtemps quelque peine M 
l']i rendre justice, déconcertés qu'ils étaient par celta 
manière si persoQuelIe, si singulièrement recherchée, dédfùil 
gueose de toute discipline et rebelle A toute tradition^ 
Pourtant les auteurs de Sœur Philomène et de Germinim 
Lacei'lcu.v out Gni, sinon par s'imposer eux-mdmes ad 
f^rand piiiilic, du moins par exercer sur le roman contâm^a 
porain une iatluence non moins {grande que celle de riau<9 
bert. I 

Ils avaient commencé par des études d'hic; toriugraphd 
vers lesquelles les porta tout d'abord leur goût des objcU 
d'art et dos < bibelots >. C'est le uvai' siècle qui les atUrajfl 



I eoijarlteriiM, et dau le 
, ^'lU ii^ulnri-nl itécrir*. - ■ 

, Iwli'^' ' ■■■ ' 

[ a>»h 

Lmai . 

UentiM les ■looduirv 4 Jl-i aii>n'..gr»ii!iii:5 contcmf 

^9V^i îli »e firent ramkKCtort, If romnn ne Tsi pour «u 

qu'on cadre & l'analyse miDDlicusemcot oiacte d<9 chas» 

: et dea Iioididcs qu'Un aTsient aaiu Ifl* yeui. . 

,«iu- rDailme rovorile est : < On ne fait bien que ce qu'oB 

a t. Us réiluUenl l'âlâineot • roinan<8i][ie • au nilaiitwai 

ce qui i-al iQilbiieunable. Ils applii^eal leur imagiiialiDli 

' iMMi lins A iuveuler, niais & peindre aiec le ptu» ite vi«ftd<d 

puwilile oe qu'ils ont observé autour d'eui. Pur là Ht mtn- 

lenl bien le iinm de réalinlea. ■ Ce qni fail, dit Kdmoitd, it 

fomsncier original, i:'u«l la TÎiion directe do riitimAnit^ ; 

al, dana son' a*aDt-pro|>os des ManiftiUt et préfaça, il 

revendiqae poor aon frâra ut pour lui, comme leur meîUsuf 

litre de gloire, le mérite d'avoir • apporté A une ftguK la 

i>ir vraie duuu^ pur dix ans d'ubservalioa sur un (In 

vivuut 1. La vi'rite A laquelle les Goncourt meut es L ('«lit 

du moment mâme, ceUt! qu'ils surprennent toute *in 

El qu'ils notent au jour le jour. Ils appliquent pour aioii 

dire A la littérature les procédés de 1h photographie iotilaD- 

tanée. Ils reproduisent ta société de leur temps dans riorinit 

I multiplicité des détails les plus minulieni que leur plumei 

[ Qtés au jour le jour, avant que l'i ni pression oc s'en fii 

F affaiblie. Qu'il s'agisse des » basses cinsses • ou de l'ariale- 

oratie, ils ont eux-mêmes observé de leurs .yeux loua les* 

personnages qu'ils peignent comme t«us les milieux qa'ili' 

I décrivent. Les pages de leur Journal à la dalu de juillet ti 

' d'août 18fi2 < gont l'embryon documentaire « avec Icqiwl, 

deux ans après, ils composèrent Germinte Lacerleux, ddlll 

ihâfolue avait Été étudiée par eux en serviue cbez flfiS 

[ Tieille cousine ; et, d'autre part, Chérie, romau ri 



Jl 



LE ROHàR. 
Mstocratie parisienne, a élé fait arec < d'inoombrablet' J 
! prises & coDps de lorgnon >, avec • des élémenU ] 
ilIcaU el fugact's lenteinenl et minnlieitsement rasseï»'. J 
. Eui-mdiiies remarijoent quelque part (|iie t |o rem- 
ment de la gi^iiéralité par la parlicnlarité est ce qui I 
'c le plus la lilUrature moderne du l'ancieDDe > 
tont les plus t modernes t et les plus < particuliers * d 
t romanciers. Ils ont peint leurs contemporains svec un»B 
iemblance curieuse et expressive ; ïla ont pris sur le Taj) 
^ Malité flagrante. 

^ntre le mot de roman, dans le sens vulgaire qui s 
iche, et l'idée qu'ils se sont faite du genre, il jr a i 
tradiction qu'eus-mâmes ont été les pr<;mlers à aenlirl 
bond Sfoue qu'il a cherché sans ; réussir un nouvcai 
I. Des livres comme ceux des Gouconrt n'apparlienaeD 
rjne par couvenlion à la lilléralnre romanesifoe. Le romi 
i-'rst pour eux > de l'histoire qui aurait pu Aire >. Mais c< 
ne suffit pas encore : si l'on veut laisser de i-4li> ce qu'ils]! 
ajoutent de • fabulation >, c'est vraimeDl de l'Iii-iio 
« été- < Aujourd'hui, disaient-ils en 18t!4, le romn 
mence à âtre la forme sérieuse, passionnée, vÎTanle, i 
l'étude littéraire et de l'enquâte sociale, devient, par l'a 
Ijse et la recherche psychologique, l'Histoire morale coa^ 
temporaine. • Madame Gervaiiaii est une psjcbologie d 
religiosité chez la femme. Dans HeTtée Xauperm, les auteur! 
ont cherché i peindre avec le moins d'imaginattou postiblfl 
la jeune fille moderne, telle que l'avait faite l'éducation 
artistique et garçonnière des trente aanées antérieures. 1 
Filk Elûa s'intitule nue sévère monographie île la prosti J 
tuée non clandestine. Let Prèret Znmgamna, écrilu en un d 
ces étals d'&me où la vérité trop vraie est intolérable, n'od 
rcnf'TntPnt pas moins, avec leur part de fantaisie ntdn rJTl 
pct'iiq'jie, a»e « aérieiue étude de l'amitié fratemelle t 
Faïutin est • une étude pcfchologique et pbjsiologiqao d 
jeune tiliti gnndie et élevée dans la serre cbaudo d'au 
:it^itsle >. ChMe oat bdbsj une • monographie do jet 
ille t, taûa d'uoe Jeuoe flUe • ohunie daoi le tiiiUeu il 



eeiuj 



I II «•! iu mi. 

mol. ilotit 



: .]e 






l abus. 



IMlernilt, (inrco ' 

l« pli» uftutQi'.Htiveiueut. le tutnic Bouve«u J« ir«ni) 

, di r6eoln qn) a «uucËdiï au niuianliniao •. On re[iradie hun 
criidiUs aui aiili'ur* de fifrmim» Lacfrtmix @L de ^ Ftilf 
fifuii ; miiU Gfrmutit n'eat i>oint • la pliotctgraphlt! décol- 
latïf du pinisir •, cc*t • tacliniioo do r&mour >, et lafiiU 
£tiM M doDDB pnar an livre • aaiil6rp et cbast«' >, m\ l'au- 

Uur a parlé (]unliuerois comme an mftdccîn. P«- i '■■■•■■ 

pbfnolagiiiiic, pathnlogjqu?, sociologiquo, I' i < 
* lUnr^urt l'cnlondent, osl une (EQTre de ^' 

I Ainsi a'cxpliqae, Juna la pluparl de Ittiirs livn- 
ifiBcidents. lU réduisent l'acUno au airîcl uécc^sairc. Ui 
vmlftDt qiiH toulc l'altealioa se porte sur l'étude des cano 
lAreN et la ilc^criptioD des mœu». S'ita font proressîoo dt 
ilAdaigner le UiéAlre, • ce temple de carton de la cooTen- 
lion t, c'est parce que l'intérêt grossier de l'intrigue j prime 
eut intérêt supérieur auquel \\n visent. Cdo langue liUËraire 
pnrliie, Toiia la seule inuumtioD qu'ils s'attribuent dam le 
drame, la soûle aussi dont le drame leur paraisse Biucep- 
tible. lîflmend tirera une pièce de Germinie VaterU^ua ; mail, 
trois uns auparavnnt, il disait en propres tenues : « Je M 
crois pas au théâtre naturaliste •. Un genre qui est natur 
nillemeat tout action ne laisse aucune place k sa psjdio> 
logie compliquée et minutieuse. Les romans mfimes, «t il 
n'excepte pas les siens, font h ses yeux la part des iocldonb 
beaucoup trop grande. Dans nue préface qui est pour oiari 
dire son leslament liltéraire, A ceiii qni seraieiil tentda de 

I tronrer que l'intrigue de Chérie est trop simple, il rËpool 
qu'elle ne l'est pas assez, qu'elle compte encore trop irinct- 

L dents, et que, s'il lui était donné de redevenir plus jeune, 

\ il voudrait faire des romans sans iilus de complication q( 



LB II0MAI4. EH 

plupart des ilrauaes intimes âa Tetislunce. Sa pensive il^iJ 
nière, et qu'il ne craiut pus d'exprimer, c'est qui: k ^eaM 
• romanesque ■ finira par se réiluire h une pure analjae. 1 
Le goAl lie l'exaclilude et de la précision scienLilîqafl 
■^ iiiiil ctiL'z les GoDCDurt &TCC une sensibililé n^fTiiusa iiq 
I peut-êlrc leur Irait le plus dislinctif, Tandis que riiiitl 
!< ri, par un puissant et constant effort, conjpriinait en lill 
Luale émotion personnelle, les Goncourt < suent • leuifl 
livrt;* I de leur sang >. < Nous trouvons, disent-ils, Igm 
livres que nous lisons écrits avec la plume, i'iinagiDationJ 
le cerveau des ailleurs ; nos livres, k nous, nous semblera 
bien écrits avec cela, mais encore avec ceci, avec nos nerM 
et nos soujTrances. • Et ailleurs : • Les premiers, nous avond 
été les écrivains des nerfs >. Leur originalité, parmi lefl 
r<imanciers de leur école, tient surtout i la finesse parUcul 
ii< re de leurs sens, qui saisissent dans les choses ce qa'ellaq 
:Mit de plus subtil et de plus raffiné, k ce perpétuel TrémisJ 
-tftiient de' leur être qui fait que leurs œuvres donnent id 
sensation de la vie, la sensation lancinante d'une vie coid 
vulsivc et toute secouée de frissons. Les Goncourt sont ■ dea 
L-ruciriës physiques, des icorchés moraux et sensilifs, blesséa 
■I la moindre impression, sans enveloppe, saignants >. Il y ■ 

jiic|i{ue chose de morbide dans leur excessive nervositra 
Mjiis . pour le rendu des délicatesses, des mélancolieJ 
dxqiiises, des fantaisies rares et délicieuses sur la cordfl 
vibrante de l'Ame et du cosur, ne faut-il pas un coinmaladq 
ches l'homme ? • Eui-mémes sentent bien que la < maladie fl 
est pour beaucoup dans la valeur de leur œuvre. CedontilJ 
se glorifient, c'est moins ■ d'avoir du talent > que • de (H 
trouver dea espèces d'êtres impressionnables d'unir délicH 
lesse infinie, des vibrants d'une manière supérieure • ; maU 
c'est cette impressionuabiiilé même qui Fait, après tout, m 
fond de leur talent. I 

Elle en fait aussi la forme, Les Goncourt sont, à lefll 

jLCOQ, aussi artistes que Flaubert, Seulement, tandis qun 

l parle une langue aux contours sévères et bi^ 

Irftés, à l'harmonie pleine i-t soutenue une langue sobM 




I lunlievc*, MB* ■énlogtenes, tac- 



B 4e Htidn leur :.--, 
y iliiijtt. Bt, «(MBiiM Inn anu uni : '—j' '. 

r 1^ a pMT don dira !• AHre- Tcdih- par hvn n 
I liqMtfes, U pl«BH tnn à tart ft à traten de« bat' 
I al de* lifxan. U 7 a 4uu knr façon iTAcrire qudqne à 
I de capricanl U* nbôrdodouit te» ri^Us et l« génie de 11 1 
[ lui|nicàlearpropr« Umpefamcnt.âkiiriiianiércdeseiiUf, 
l k Iwir Apre itopaUenee de lovt rvodre. lU anl la lidu 
L ftroca dn poMif, do conTniB. de ce stjït rigvhcx d idiiiw- 
« qtti B*a|ipt«Bd dan* le« écnles, auquel l'UniierslLé doniii 
I aaa caUBiplUe. La Ci(«b de dire qn'ib prtftreat, c'eri télt 
e et aead^mbe k iDoiiu •. Que leur imiwrli! 
t n que l«a K^cdU de coU^^ appetleroot baitiarbmes «a 
mT Ce n'est pas pour les r^eata de collège qu'ili 
r éoivent, e'eal ■ en ne de œai qui ool le ^ût le )>1bs pf^ 
[ dcax, le plus raffiné, de la prose française, et de la proee 
I tnncalM aciaelle >, c'e$t-4-<lire de ceu qiii coiuJdir«iit U 
I langue, non pas comme laite, mats cooiine toujours A falr«. 
• écrilore artiste > a'eit antre cboae qoe la pelnlort 
I tanmédiate et directe des seiuatiani, de sensalioos eicessi- 
L subtiles. El ils ne 96 refasent, poor lei peindre 
I dans toute leur scnitô, ni la crâalioa d'nu Tocable plus 
I espressir {{ne le terme académique, ni l'emploi d'one con- 
I atmction irrëgnliitre qui peut < apporter de la rie a leur 
I phrase t, ni une alliance de mots aangrenue on une inier- 
I alon pénible, ni le déhanchement du r/thiue ou la bigar- 
I rura des couleurs, pourvu qu'avec ces moyens insolilis ci 
I biiarres ils égalent la nvacîtt- de l'expression à celle M 
l'impression. 
Les deux Goncourl ont été des • Torvats du lirre 
I turés par des sonVrances qui ne leur laissent pas un instant 
• relAche, Jules par d'iutulL>rabIes migraines, Edmond 



.. Tor- I 
nsinnl 



LK ROMAN. 
Dmac < qui en font seulement an 
ou plutôt an misérable ressuscité du soir, b l'heure oA l'a 
allume le gaz », ils sont obalinémpnt restés, maigrie la u 
luilie, • sur ta brèche du travail et de la pensée >, etl'oj 
des dsui est mort tout jenne encore à la peine. 

La nature et l'humanité ne leur paraissent dignes d'il 
que comme matière de leurs observations et sujet de lea 
< écriture >. Dans la rue, dans les salons, â table, ils épied 
loule parole, tout geste, tooto inlonation, dont leur prochain 
livre pourra faire profit. Leur propre moi appartient corps ^ 
ftrae â la • Littérature >. lis sont aux aguets d'eux-mémeM 
Us s'observent jusque dans leurs raves; ils ' recfaerchenf 
l'insomnie pour avoir les bonnes fortunes des fièvres de 11 
nuit ■ ; ils se décrivent * dans les moments délirants i 
d'une maladie qui peut d'un moment & l'autre les eDlefei] 
Se sentant morlellenient atteint, Jules est pris d'une rag( 
<le travail : du matin à la nuit, sans relâche, il peine si 
licrnicr livre qu'il doit signer; le littérateur ■ pressure 
sims en vouloir perdre une minute, les dernières heurn 
rl'ane intelligence, d'un talent, prêts à sombrer >. Pendant 
que son frère se débat contre le mal terrible qui l'a frapal 
au i;erveau, Eldmond, dans ses nuits de larmes, jette c\ 
sur son carnet des notes, qu'il a comparées aut cria 
li'squeU les grandes douleurs phjsiques se soulagent. Et ci 
n fîtes, il les livre ensuite au public. Pensant qu'il est < 
l'our rbistoire des lettres, de donner l'étude féroce de l'agonil 
•'t de la mort d'un mouraot de la littérature ■, il • renfonaf 
toute sensibilité », il récrit des mots qui lui déchirent II 
cœar, il révèle les secrets les plus affreux de la maladid 
les défaillances intellectuelles, la dég:rBdstion morale, la 

miors abaissements de l'être humain. Edmond et Juin 
I Concourt n'ont eu d'autre préoccupation que celle 

t art. Dans les misères de leur corps, ils eussent I 
jbuliers ce pacte avec Dieu, qu'il ne leur laissrtt qu'ui 
iréer, leurs jeus pour voir et une main 

i plume au bout. Mois ces misères mêmes, c'est & \\ 
rature qu'ils les doivent, ft cette littérature qui ] 



mi 



u MouvRMKtrr unTiiBAiu»; ac six* 

I dévore, et «lies proQlvii* «uaiu * >■> llUératafe. 
I nturv ilci Dcrri qu'tU i» nntcnt il'nvuir créée. 

A It fui* (ih.y«)o|igi«<M cl ]H)tl«i, iiaUira.liatf3 par leur 

jHoAt de la ri*iilild «tiserv^e aur le *irct •liruuttmetil runiluc, 

I rOiDiuitlqnes soit par leur suportUtioci de la forme, qu'îl) 

pOVMeut Jtisqu't la mBoia, soit pnr leur pri':dilci;Ui!ii pOUT 

' t«t puraounages et l?s caa exceptionnel», iln ne st rattocheot 

TrainiAUt A Burune écule et ne rclATcnt que d'eui'mCiiii^s 

Strangur* h toute éducation claisique, non «eulemetil A la 

eiiUure di' l)iuti()uJté gréco-iatina, inaii encore h celle tie 

i natrtt ivii< siâde. lU o'apprt-'cient quo cette < modernil^ > 

[ dont leur amire «at l'exprfSïiuu la plus tItc. Ils lrou»cnt que 

I dani le heau grec il n'j a ni rêve, ni fantaisie, ni modère, 

I qa'il n'y n put enfin ce • i^Taia d'opium si utininnt, si hal- 

ii^usk-'Uient iJutguiatique >. Ils pensent que 

[ l'antiquité a été faite pour âtre le pain des professeurs. Lt» 

] plus ImllGS (EUTres du classicisme français manquent à leon 

I jeujL de ragoût; elles apparMeuDent & ce beau eonuycui 

I qui pruduit lur eux l'elTet d'un pensum du Beau. Ils ont ea 

I aversion la siniplicitâ, la sohriâté. In tranquillité, ils ne se 

plaisent qu'a ce qui est miroilant et conlourné, aux pré- 

rufQnements da xvm' siècle, leur «ipoque f«»oritc, on 

bien encore au japonisme, qu'ils se glorifient d'xroir iro- 

porlii chM nous avec aes ligures étranges, tourmentées, 

dont aucun canon n'a rétfle par avance les proportioDS 

et les atlitudes. lis sont des malailes qui se complabeot 

dans leur maladie et à qui la santé rijpu^ne. Admirables 

[ artistes, si l'on veut dire qu'ils ont euprimé par les tnotSi 

par les tours, par leBrjthmes, ce qn'il y a Ae plus aigu dons 

la sensBtioD, mais les écrivains les plus dangereux pour la 

langue, parce qu'ils en ont rompu toutes les racines et qa< 

leur maniâre de décadents et de névropathes a pour abOD- 

, lissentent final une complète anarchie. 

l et les Concourt ont exercé une influence capîtsle 
e roman contemporain ; ils sont les maîtres de l'âcole 

c'est d'eux que procèdent plus 



ut HOMAK. aa 

ilireclentml Iods aaa mm and ers nc.l nets, Ces deat œarrai 
'liulame Bonarg ei Germittie Litcfrttux. sont, coinme Jules a 
'uwnrt ledisftilde la seconde, • )esmodèle«detoulc«qd 
.1 6\.é fabriqué depub soas le nom de réalisme, Dnloralisaia 
<'lc. ■.PourlaDt,sitarormet]ODTel]eqnelesdeux«IiTres-tfpOA| 
ijounërent au roman se maintient depuis trente années dan 
ses traits essentiels, des ëcriTsins tels qn'BmïieZôlaetAlpUoiid 
|)-iudet, en j appliquant l'originalité propre de lenr taleofl 
l'ont assez diversifiée poar mériter one élude partieullérd 

Le aaturalisme eat dans Zola son législaleor. Espia 
systémaliqae et Tolonl&îre, tandis que d'autres suhed 
ï<p on Inné ment leur instinct el, dans les peintures leji pldl 
n^nlisles, l'inclinatioD naturelle (le leur fantaisie, il ■'élablll 
sur Aes principes ralioooels dont ga logique étroite et oIistinA 
poursuit jusqu'au bont l'application. Le rotnan modérai 
avait été créé bien avant lui ; mais ce fut lut qui en élu 
liora la poétique. Voilà pourquoi, n'ayant inauguré rien 
lie vraiment nouveau, il pu! ^tre considéré comme le chq 
liane école qui avait ea dans Flaubert et les Goncoorl SM 
I riilialenrs et ses premiers maîtres, mais k laquelle lui-mâioq 
imposait ses formules. Tout en lui semblait d'ailleurs fod 
pour ce rftle, ce que son caraclère avait de résolu non luuial 
'lue ce que son esprit avait" île catégorique, sa vigoaruiuB 
i^'^iniAtretë, son humeur militante, el jusqu'A celte conflanea 
n soi qui n'est pas moins une fertu pour les cbefs d'écoM 
'{lie pour les fondateurs d'emprre. Il tU I« premier du natiM 
[elisme une doctrine. 1 

A-t-i! été naturaliste dans tonte la rigueur du motf Si 
cont«nla-tl de copier la nature? La repréaente-t-îl telle quellfl 
sans la modifier d'après les vues do bod esprit et le tour âm 
son imagination? Lui-m^e n'a Jamais prétendu que l'aïf 
M réduisit purement el simplement a un décalque. Mais, «au 
lai attribuer des luaiimea avec lesquelles ses advemnirn 
se jont fuit parfois un jeu trop facile de le mettre en conlru 
dictiou, Il faut reconnaître que l' hiérophante du oatarH 
liauM n'a jamais appliqué strictement sa propre théorie. I 



lit LE MODTEMCKT UnKilMKE AU X1X*1 
n jp ■ un runiuilii]ue 



e Oanti Zola, el ZdI« le nlt tdfll 



I qiicl(|ui> oITnrl <]t'il y Tatiic 



<■ peut cxpulxur ce < 



-Oman lut iiii! a inaciilri iXam. %f.i ri-imi;. Impkulil! 
I Uxtoricioa du minau Kciviilili<|»«, ni péri me ii lui, liocumcn- 
I tain*, n» préface» ut «e« mniiirestex do l'eoipËcbeiit.iiat 
^4*£tnrunpo6tc. l'oËto, Zola l'usl par son iDTincililelejKJBDCo 
[ K t'iiltalitatioii t.'t & la sjrDlliÛao- Le monda réel uc uuas 
I offraut Jamais dcm exemplaires identiques Oe la niâme 
eapi^ce, les vrais réalistes peignent des individus, c'e^t-a- 
dire des hommes dont chacun ne %ure qae lui-uiëme: or 
U plupart des personnages qae Zola représente oui uns 
I sigoiUcation générale et résument en chacun d'eux toulc U 
caUgurle Aeu ^'uns ijui appartiennent à la même classe de la 
I iDciétd, ou bien tonte la famille de ceux qui i>nl nppnjii> 
j mativement la m£me compleiion. U accumule sur un seul 
L ai^et les traits qu'il a observés çà et là dans un grniiil 
T nonilire d'individus, sans compter ceux qu'il inventa liii- 
I in£me. Ainsi composés, ses caractères prennent onc valeur 
typique, et rien n'est plus contraire aux principes de son 
ri^uliame jaloux et exclusif. Ce besoin d'idéaliaer ne nont 
frappe pas moins dans la peinture des choses que dans celle 
s personnes. Non seulement son imagination les eiagfttCi 
en fait saillir les reliefs, en amplifie les proportions, mab 
î elle les anime, elle leur prête une existence tayi- 
! lerieuse. On a remarqué que presque toutes ses œuvrei 
I empruntent à la matière inerte quelque symbole qui en 
rdsume le sens; et ce monstre emhlématique, tantSt le 
Cabaret, tantât le Magasin, tantdt la Mine, il en fait le per- 
sonnage capital du roman. Les titres de certains livres, 
I GtTminai, l'Œuvre, fa Terre, en accusent déjà le coractère 
I symbolique. El mâme, l'idée générale des Raugon-Macquart 
\ est au fond bien peu réaliste. Cette famille dont Zola veut 
I écrire l'histoire naturelle, il en a composé par avance OD 
I arbre généalogique dont la symétrie factice dément tout 
I d'ahord sa prétention. 

Le dogme fondamental du naturalisme, c'est de ne peindre 
e U réalité prise sur le fait. Reudons hommage a 



je au Iflbfl^H 



V LE ROMAN. Him 

ige Zola, à l'applicaLion sincère et patiente qu'il porte daDB'fl 
reluire des persoTi nages, des circoaslaDccs el des conditions. 1 
M'ils où les étudie-l-il et comment? On nous dit bien qa'it ] 
[Ti'pire c-tinciine de ses œuvres en se transportant dans lo ,] 
milieu qu'elle doit peindre, en j vivant quelques seaiaines, I 
,.i.yt-ôtre quelques uaois; mais qui ne sent ce qu'a nécea- j 
• iiirement de superficiel une observation non seulement J 
Lative, incomplète, mais encore subordoonée à certaines 1 
vues, à des idées particulières et, dans tous les cas, A un 
plan arrêté d'avance? D'ailleurs, le cadre même que Zola 
s'est imposa au début ne lui permet plus depuis longtemps l 
l'analyse directe des choses et des hommes qu'il représente : 1 
il s'est opërë en ces vingt ans de si profondes modifications | 
dans nos mœurs, que les • notes > prises sur la sodété | 
d'aujourd'hui ne sont plus exactes pour celle du second 1 
Empire. Le voilà donc rëduit â une alternative dont les deus 1 
termes répugnent également au vrai • naturaliste • r il n'a I 
le choix que d'appliquer â une époque déjii reculée des ob- 
servations qui datent de la veille, ou bien de demander aux 
livres ce que la réalité actuelle ne saurait lui fournir. Il fait 
l'un et l'autre, mais surtout il remplace l'élude « eipéri- I 
mentale > de la vie par de laborieuses lectures, et les • docu- . 
inents humains > sur lesquels il travaille, c'est bien souvent | 
deins les bibliothèques qu'il est allé les chercher. I 

Et la façon dont il met ses matériaux en œuvre ne s'uo j 
corde pas plus avec sa théorie que celle dont il les a ras- 1 
semblés. ZoIb ne reproduit point ce que les choses réelles 
ont de fortuit el d'épars; il charpente solidement ses | 
livres, il travaille d'après un plan géométrique et n'ab&n- \ 
donne jamais rien au basard. Ses personnages manœuvrent J 
automatiquement; toute leur activité semble se proposer j 
pour unique but la démonstration du caractère qu'il leur a 1 
tuuL d'ubord prêté. Une méthode non moins rigpureuso j 
prùside à sa ■ Tabulation > : il régente et discipline lu réa.- 1 
Jilé $u suburdouDiinl les éléments qu'elle lui offre aux eii- A 
ices de son dessein, il la' complète en inventant les don- 
s DOUTelles <<ue nécessite la marche logique de l'action, j 




iri ntbasic, nwî^^ 



LE ItOl'VmiKtT UTTl^nAIRR A.0 XII 
lent H di> tcrae, ii»a r^gulnriM pnliirnU 
•ans d^ltcntpssi^, sans n^rCrn'-nl, «nDS invcoUon At <UUil, 
uns sutK wDUTPtucnt que celai An Inr^cs pascmblri. An* 
cuac lûupletse. aucune nvacité de ph^HioDoioio ; aa« \itm» 
de phrases massives, i|ue nul acclilenl ne varie, qu« ud 
piU»rusi]nu n'i-gnya. Ce stjlc tieut du r^citaUr. Autant l'al- 
lure lies tionciiurt est nerveuse, saulillanle. dégiu);iuiil£e, 
■ulnnl celle de Zo!n ust i^gale. uuirornie. iiuperturiiabk 
AuUtit lus Goncotirt se complstsi^nt eus rarSoemcnU el aui 
préciosilAx, autant Zola, aiirLoul dans ses 'lurnicrs romaiu, 
dans sa pleine niaiiiire, fait A de ce qu'il appelle le ragott, 
Il n'n pus eraint à l'oDcnsion de déclarer que, pour réagir 
contre la pernicieuse induenee du romantisme, ootreliltË- 
rature devait < rctou^n^^^ A la langue si carrée et ai oetle 
du xvn* siËcle i. t On 'crit bien, dit-il excellemment, liin- 
qu*OQ lîiprime une idtic ou une sensation par le moljiute: 
avoir l'imprcssioD forte de ce dont on parle et rendre ml\t 
iiiipreasion avec le plus d'intenaîté possible, c'est l'art d'd- 
erirc tout entier. > Il veut maintenir • la grandeur simple 
de notre génie national >, et, quoiqu'il ne ee sait pas taw 
jours gardé hii-niâme de tout conlournement, on penl 
dire que, dans l'ensemble, par un large courant do saint 
et forte rectitude, son style se rattache & la tradition clas- 
sique. Mais cetle aimplicilë d'expression qu'il préconiu 
manque trop aouventchez lui d'accent et de trempe, elcrit* 
précision des termes qu'il regarde avec raison comme 11 
qualité fondamentale entre toutes lui échappe dans W 
qu'elle a de fin et do nuancé. Ce n'est point un grand écri- 
vain que Zola : il s'est servi de la langue sans la marquetl 
son empreinte. Ce n'est pas même toujours un bon écri Tain, 
c'cst-à-dirc un écrivain exact ou même correct. Il écrit ncm 
seulement sans curiosité, maia encore aaos lact, quelquef*^ 
sana justesse. Et tout cela n'empflche pas que ce style gros- 
sier, épais, pesant, l'asse h la longue une impression il 
puissance monotone et de brutale grandeur en intime bft^ 
monie avec l'empire de celte fatalité inexorable et aour 
li surplombe l'épopée des Bougon-Macgvart. 



et aourd^ 



LE ROHAH. 



3ts1 



Aifihonse Onnilet appartient A la inSrnc école que Zola, I 
>: y-'i n'est [las de la tufime famille. D ; a de l'un d l'aa- 1 
fLutatil <lc dissemblnnce qae peat en comporter mttre 1 
<ix romanciers de notre temps le oaluralUinc dont l'an I 
el l'autre font profession. Profession? Ce uiol lui-mâine'l 
a'applli|ue beaucoup mieux à Zula qu'à Daudet, tpiî n"a 1 
jamais en de doctrine; et, s'il fallait marquer trait par | 
<''ail. le contraste des deux natures, nous commenceriont I 

< r opposer k ce que l'une a de réDechi et de méthodique J 
I s piintanéitâ de l'autre, son insouciaDce de toute for- 1 

ii|ç et sa *i»acité primeaauUére. Zola procède, le mol | 

< lie Daudet lai-mâme, • comme son père l'ingénieur * ; il | 
ince lentement et sQrement, il compose chaque jour 3e4 1 

■ 'i-i ou quatre pages avec une régularité mécanique. Daa- J 
'ii'[ fiit moins ses romans qu'ils ne se font en lui-même; I 
i^ifîLle t revenir plus lard sur la première dictée de l'inspi* I 
r.uion, il jelle les idées et lea éTénementa sans se donner j 
:■ lerops d'une rédaction complèle ni m>!me correcle; il | 

rit I a la grosse ». Tandis que Zola compulse les docu- I 

.' uU imprimés ou s'abandonne inconsciemment & st» 1 
lincts de divination, Daudet ne traraille guâre qoe sur 1 
rivalité vivante, et tout son procédé consiste à Gxer les I 

i|iressioDS directes qu'il en recueille. L'un ne Irahil rien I 
'.1 personne, et même, parmi tous les acteurs des Rou- 1 

u-Macquarl, nous n'en trouvons pas an seul pour lequel 1 

'inoigne quelque intérêt: l'autre se met tout enlier dans 1 
I œuvre: il commence par une sorte d'autobiographie, 1 
'lepuls le PelU Chose, on peut dire qu'il n'a pas cessé soit J 

' M--- raconter lui-même, soit d'intéresser à ceux qu'il I 
"(ite non seulement sa curiosité, mais encore sa ajin- I 

' hie. L'un ne recale pas devant ce que le monde lai oilre I 
I>IU3 Ignoble; il semble même s'; plaire, et son ceuvre I 
mérite guire le nom de réaliste que s'il suffit pour en 1 

' I digne d'étaler aux jeux toutes les ignominies et toutes 1 

^ irdnres de la bestialité humaine : l'antre peint le mal I 
I- non moto* de force, e& tenant * distance ce que Itl 

:Uté a de trop cru; sa délicatesse éprouve uoe iiuar I 



104 LR MoiivcMetrT uTTënAine au x\t 

■iionlal)''' ré|iu);uiutce jmur loi cbosn groMièreâTôl 
odcuri iiii il<>nni>raieQl des Daas4es. Lo ])rdiui«r 0< 
tme lantfiii' il<-iii'^. cuuitiHi-li', puissaDle ^ar ia 
iiii^i' : lu «ccDiiil <!il lu plii'< léger, k' filua KOUiilu, I 
cliatojaiit 'le» AcrÎTnins, lonjouK eu innuTaiiii^nl, Jitsalsli- 
saille daas sa varJitU, «i «ÎT, si TU\i'niii, ei imprûvu, qall 
«emUe parler §oii stjrlu, Eu suminr, pour faire de Dauitol 
uuu élude & peu prùs compleiu, il sufllrtul de reprendre iui> 
custivemenl les points que nous veaon» de loucher «n l'o^ ■ 
poianl A Zula. 

Aliiti'iuïe Daudet IravaUla daos une sorte de fièvre. A^Biit 
m£uie iIk c:i)niuicui;«r 6. Écrire ses livres, il les a ilëjA ra- 
cuiil'^-x, iiiirnés et, ptiur miuiI dire, • vécus >. Celle liabittiJI 
répond A un besoin île sa uuture, el il en Tnil aussi un |^- 
céd^ d'élu,bnrBtiuD, Le bruuilloo originel n'est encorti yOOt 
lui qii'uu caneTas d'improvisateur. Avec la seconde vcrsiui 
commencera ce qu'il appelle la partie douloureuse du Irl- 
«til ; mais dans la prumti^re il s'abandonne A sa rtin, 
D l&cbe la bride A ses instincts de trouvâre : le sujet le 
presse, le déborde; sa main court fébrilement sur lo papiu 
sans écrire tous les mots, sans ponctuer, s'évertuaol i 
suivre le travail de son cerveau eu feu.atâDOgraphianl& li < 
liilte tes ideesetlessenliiiieiils.il auLtendu poarse mettre t 
l'œuvre que Icspcrsonnaj^RS vécussent en lui : c'est alors seu* 
leuieot qu'il prend la plume et avec ce < trémissemEnt iln 
bout des doigts > qui est cbez lui le signe de l'inspiration. Il 
se lance du premier coup en plein courant des Tails. CamiM 
- les Tigures sont déjà i debout dans son esprit •, il lo 
montre tout de suite en pU'ine activité. La plupart de ta ! 
romans ne sont qu'une série de lableaui ou d'épisoJcs iint 
déGlenl sous nos jeux. Ct point de préparuUons au début 
ou d'uu chapitre k l'autre : il explique par un mut, il IsixK 
deviner au lecteur la portion des événements qui ne s'iic* 
coannoderait pas d'une mise eu scéue tout actuelle .; il nt 
tend nuv ce qui fait palpiter son cœur ou vibrer ses aertt, 
ce que les choses humaines ont de dramatique ; de ptttv 
retgue, en un mot de vivaut. 



J 



^H LR hOMAN. iSll 

^^pes livres as ildrivenl. pas il'uae coaciiptiou abstrailo;] 
ils nnl. pour point du i)6part, duo point quelque vue uulâ-l 
i-iire A l'observalion. cl qui régirait d'aviuicu lea événeJ 
' < nts rt les perso nu n^ es, niais uae impression perBonnellaJ 
<'t iinuiMiute des cliuses vives. Lui-même nous indique dal 
quelle TaçoD le roman s'élabore lout seul en son esprîtJ 
Di^puis son entrée dans le monde il • colleclionoe unol 
multitude de petits cahiers sur lesquels les remarques, lea] 
pensées, n'ont parfois qu'une ligne seîrée, de quoi se rap-l 
peler un geste, nne intonaLion, développée, agrandie plun 
tard pour l'harnioaie de l'œuvre importante ■. Les jeuxl 
jiiLiids ouverts, l'oreille aux écoutes et, comme le ditl 
I liuond de Concourt, < tous les sens pareils aux tcolaculesl 
I un poulpe 1, il guette, il aspire ta réalité. Et, chaque jonrrl 
:i In couche par écrit toute fraîche encore. A Paris, esl 
l'vage, A la campagne, ses carnets se noircissent. Il nçl 
l'Use miïme pas ■ au travail Tutur qui s'amasse Ih >. Quand^ 
'['laine Bgure a particulièrement frappé son attention,! 
celli! figure, autour de laquelle les notes se pressent et s'nc^ 
Rumulent, évoque d'elle-mame l'idée d'an livre où ellQl 
jouera le prindpal rôle. Les personnages préexistent « 
l'œuvro du romancier, et celui-ci, d'ailleui«, ne fait guèrJ 
que raconter leur histoire véritable. Les événenacoîa et In 
milieu, chez lui, sont aussi strictement exacts que lea types'n 
milieu, tj'pes ou événements, il a tout ■ copié • d'aprèn 
ualuri.-. > D'après naturel dit-il, Je n'eus jamais d'autra 
méltiode de travail. > Écrire • dans l'atmosphère niSma 
de sou sujet •, voiliï pour lui l'idéal. Un de ses meiUeurn 
souvenirs, c'est celui du temps oU il faisait Fromonl jeuiufà 
et Hitler atné dans un vieil hûlel du Marais : son cabtnéw 
douuaîL sur un jardin, et, au ddk, ■ c'était la vie ouvriéra 
du faubourg, la fumée droite des usines, le roulement deJ 
camions... Tout le quartier, dit-il, travaillait pour moi »M 
Daudet ratlat;he à l'action de ses romans des épisode» qliifl 
dans U réalité, n'en faisaient pas partie, il réunit dans M 
iii^.uic cadre des personnages qu'il n observés en des niM 
i<;ux diiféreDts, mais U invente le moins possible, il ii*ti» 



ut LB HuuvKHnrr i.i i . 

KBte que lo p«u donl U n Ltaoùi iiuui relier 1 
««Uea rea épUodiïs el cm |icnoiu)imes. Lrs pinx lin 
AinirM ')u"i! rcpréaenlc «oui «les « MniiniMen'-es • 
)U[wrtitil]on lia T'-vl >a si loin qu'il fcardo parfois leur S 
ptupR h SM HioJélus, dans la crainle . •jm le nom Iratu- 
rormi! lie \vur ûte île Il'ut uili^yrïté >. D'nutree, jucnasdeiii- 
, snlistilaent leurs propres ioTontlons & la oaUi»: 
lui, il ne peut ao passer de > faire *rai i, et, plus d'une 
roiï, • DOQ sani ua remords de ciBur •, il a, dil GonroutL, 
4 iiDiuolé uu parent, uue méiitolre >, àcetiiopérkuxbvafljn 
de tnirailkr d'après le modèle rivant, de mordre daui Id , 
ri-alitt! toule crue. 

A riiiiprussiounobilJté dus tioncoarl, Daudet jointlalen- ' 
dresso. Ce De sont pas sPulcm^Dt ses nerfs qui soDt sen- 
sililes, c'eKt aussi son cœur, et la vivacité du simtioient 
l'pilo ehct lui cHlo de )a ^ensatioa. I) s'intéresse A sespeN 
loniiagos, et c'est on les aîujniit «lu'il aous les fait ainiec. 
Il ne se met point lui-mâme en scômt el n'intervient pu 
diroclement dans ses récits; mais sa aympalhie les anime 
d'un bout & l'autre, et. parfois, Il lui échappe a son iittu 
quelque geste du ïtjle, (juelque mot. eiclamatif, qui tnliil 
ri-motion. Si les ligures qu'il peint nous donnent l'illusion 
mfme de la vie, c'est parce qu'elles vivaient non seule- 
ment dans son imagination, mais aussi dans son cœur. 
Flaubert reste insensible aux infortunes de Charles Bovary; 
il se retranche dans une abstention implacable, il refuse I 
notre pitié toute prâte le mot qu'elle attend : comme 80- 
Tarj, Risier a ses petitesses, mais elles ne Tempôchent pas 
d'él.re louchant. Daudet 1 se sent au ctsur l'amour de 
Dickens envers les disgraciés et les pauvres >. Ses héros 
préférés sont surtout les délicats que leur délicatesse rend 
malheureui. Pour faire Jack il laisse le Sabtih, déjft con^ 
I mCDcé, et il écrit en moins d'un an ce livre & la fois lendre 1 
• et cruel, mais oïl la cruauté n'est qu'une autre forme de la 1 
tendresse, et qui donnait k George Sand un tej serreaienl 
da cnaur qu'après l'avoir lu elle resta, elle l'imperturbable 
travailleuse, trois jours entiers sans pouvoir rien prodl 



1 



^V I E ROHÀH. 35» 

^^Hs les figures les plus vulgaires ou les pfas ingrates iiq4 

^^K pas exclues de sa sympathie pour peu qu'elles la mè^ 

^^Bl, et il prend plaisir, on le sent, 6 les sauver ilu ridl-fl 

^^ft ou tiiAiiie lia mépris par quelque ^i^niïriMii mniivi'monl^ 

^Htjiielque noble attitude. Il aime au fond suu Niibub. SU 

^^■t tfas suuB complaisance pour son ItDiinieslun, il trouva 

^Bfen de relever son Astier-Réhu en lui pri}liint tout A Iid 

^^nine dignité qui force noire estime. I 

^^Bnudet est spoutanément oplimiste, et cet uptimismflil 

^^Hf le distingue entre tous les romanciers de l'école con^ 

^Hporaine. Il 7 a dans 90a isuvre des personnages loiitfl 

aussi dépravés que dans celle de Flaubert ou de Zola. Maia,l 

I lii nianière dont il les représente, on sent qu'il mâpris^f 

"ur ignominie et qu'il s'indigne de leur bassesse. Or l«fl 

fiossimiste, aux jeux duquel la bassesse et l'ignominie sond 

k fond même de l'bomme, n'est plus accessible à l'indi^ 

i.;iiutioa ou au mépris. Daudet ne se croit pas d'ailleurjl 

<>bUgé de peindre notre espace toujours plate ou vile oqfl 

perfide, de n'admettre aucun élément de bonté, de tendresse,! 

ih vcrLu. Presque toujours ses livres nous présentent, nêl 

liU-ce qu'incidemment, quelque personnage de prédilectiodl 

qui fait honneur àrbumanitë. Et même, s'ildément jamaial 

Bn rai^tbode constante de ne travailler que d'après le ma-l 

déle, c'est jastemeat pour inventer, quand la réalité ne I4I 

lui ulTre pas, une aimable et douce âgure k laquelle puisse! 

n<- prendre son invincible besoin de croire qu'il y a en cor J 

m monde des tihes élevées, pures, délicates. Peut-être a-t-ifl 

'Il parfois l'imagination trop complaisante, peut-étnrfl 

Irouve-t-on clieï lui quelques types un peu conventionnels J 

un peu fictifs, dont il s'est plu visiblement h embeUîtfl 

les traits. De farouches pessimistes ne lui paruonnent pan 

6tis Aline Joyeuse ou ses André Marsanne ; ils l'accusent de ' 

fausser la nature humaine en lui prêtant des grâces «t de» 

viTtus imaginairef : mais leur pessimisme tutraitabla ne la 

f(iusse-l-il pas dans us autre sens en oe nous montrant 

d'elle, sous prétexte d'fitre vrais, que ses turpitudes et sefjfl 

hurreurs t H 




B4 LK HOUTEHCirr LmiîllAIRB AU ux*1 
Caqul fail l'origiittliU csracl«mllqDeil*AlpliuD«c DàudêC 
I c'est qu'il niiiL ilam aM oiquise tn«»ure U iivéïk & ta réa- 
, lil?. Il iiTnil r.iMumeûcô par loa »cni : ilc Joli* mw^lrifiiiai, 
dw M'4t>''* il'uuu genlillcuc. cofiuoLte, de* rit^us (iri^difuioa 
Mtjoaont Kl fuutauie elfigonlo cl la flue Undrttsse. Il j a 
loin de* Amoanusn >a JVuftciA ou à Sapho. Hl ponriaut, 
i^cspril d« )>o£sie ifui le* inspira A sa Kracieusc adulesuamo, 
BiHia en rclrouTOD* queltjae chose dans les œuTrci iletm 
totie maturité- Dauilât a du poMo ce qoe la mol laisse i.-n- 
tetidre (le plus li^cr, et auasi de plas vif et de plus hudi. 
Sam uiSme rappeler ces délicieuses créaUoDs qoi respiranl 
ua charme si Frais et si pur, cette Désirée Delobells, 
riiuiuble et douce inllrme, pr^taut à ses rdvcs les ailes dis 
gisenui qu'elle *Èt, la Tein>' poétique se décèle juB(|ue dam 
les livres les plus réalistes du rnniaocier, non seulemcii! 
par ce 'tu'il y met d'éuiolion persûauelle et d« sjmpaihiii 
hiiiimiitc, mais encore par ce grain de romanesque (|ui 
donne plus di^ saieur au réel, par la délicatesse di: son 
QDaljae psychologique, par su répugnance pour les jtro»- 
sièreiés de la physiologie, par la promptitude de son obsî> 
vatiun i|ui saisit les choses au voî. par la vivacilë ila iot 
Imagination qui se les représeole Ktcc un inconiiinnible 
relief, par l'inTention perpétuelle d'une langue qui se aH 
instantanément pour les rendre dans tout l'édftt d« km 
couleurs comme dans loulc lanelLeLé de leurs contours- 

Au style de Daudet l'on reconnaît encore l'improviu* 
tion- Sans doute, ce n'est pas son brouillon qu'il DOU* 
donne; sou brouillon, écrit à la hAte et sous le coup Ht fi 
ne sais quelle fureur poétique, il en a réparé les oinl9SioOi> 
eUacé les taches, il l'a revu à plusieurs reprises, el, <^ 
recopiant, il retouche eocore bien des phrases, il amcn^ 
son œuvre et 1' • affine t. Cette prose agile, qui scmbleiw 
lui avoir coûté aui'une peine, c'est le triomphe d'un arl 
savant et délié. L'écrivain nous a dit lui-iùéme < sa mét)iii<lt 
si lente et si consciencieuse ■; pour ae pas • céder h CS 
désir tyrannique de perfection qui fait reprendre aux af" 
liâtes et recommencer dix fois, vingt fois, la même p 



LE K0M4S. 

il lirre (l'avance aui, journaui les premiers chapilri: 
roman, di^s [{s'ils Boni ac.beTés. Mais, s'il revient s 
li'iivuil avuc an snin niùUculcax, t:e n'est que pour corrige^ 
lii.s défauls de l'improTisat.iou, tuul ea gardant ce qu'el 
I V jît de frunchiso hardie et de verve passionnée- Son sljta 
ivuJit et Bclif copie à mesure l'idée ou le seut' 
iLionlre les choses au lieu de les décrire, supprime l'îi 
lioiiun bagage des mots qui gêneraient son allure, se rylhm 
snr le muuvemenl mfme des impressions successives, mi 
liplie les ellipses, les inversions, les alliances de mots ii 
t>révues, demande â tous les vocabulaires leurs termes lefl 
f.lus signiScatifs, subordonne enfin la forme de noire langual 
au ttesoio de rendre les sensations avec toute leuc vivacité] 
itiilive. Pot sa manière d'écrire ai libre et si accidenl(''e^ 
li<'iudet rappelle les Goncourt. Mais il est moins contourné^ 
niuins lourmcaté ; il a plus d'équilibre, il se fait pluf 
scrupules ; il ne se complaît pas à des singularités de dio^ 
iii>n gratuites, il n'affecte pas les néologismes baroquf 
ic recherche pas de parti pris les tours les plus Éloigné! 
Il: l'tisage ordinaire. Son stjie est admirablement s 
-ans désarticulation, mobile sans inquiétude, nuancé satu 
bigarrures, expressif sans grimaces. Jusque dans ses 
ilicsîes, jusque dans ses irrévérences, il concilie la • 
>!crnilé ■ et la > nervosité ■ avec le sens de la mesure, < 
lu convenance et de l'harmonie. Chez cet i impressiounisle »1 
il ; a bien quelque chose d'un classique. 



CHAPITRE V 



Sa faitant du drnmc uoe rcpréseDtation compièle (le l> 
t liumtilne, le roinaatUme avait prétendu It^ snUstilutr 
IX lient genres entre lesquels l'ancieiinB poétique maiulc- 
nsit une nëvère distinction : le drame, qui rondait l'élément 
comi'jiie avec l'éléinent tragii)iie, devait, dans la pensée il« 
ccQi qui en furent les créateurs, remplacer la comédie 
nuaxi bien que la tragédie. La tragédie classique, dont les 
formes étaient en désaccord manifeste avec nntre sociélé 
Irlle que la Révotulion l'avait faite, ne put se mninlenir 
contre le noaveau genre, auquel elle abandunna presque 
ausaitût la scène; et quand, moins de quinze ans après, la 
chute retentissante desBnrgraves sembla lui laisser le cliamp 
libre, elle ne reconquit momenlanémentle public, par l'effet 
d'une réaction inévitable contre les excès da romanljgme, 
qu'en demandant au romantisme lui-même les moyani 
de se rajeunir. Mais, s'il n'y avait désormais pour le genre 
tragique d'autre forme vivante que celle du drnme, 1b 
drame, quelque part qu'il fit au comique, ne pouva.it rem- 
I placer la comédie, Victor Hugo avait parte de complÉt«r 
I l'un par l'autre Corneille et Molière. Qui ne voit ce qu'il j * 
[ de contradictoire dans une telle prétention? Les roman- 
tiques pouvaient bien mêler le rire a 



M 



^m IX Tnt\rm. ssû 

^InccMeF le • grotesque • au * BuLillnie * : la comt^ilii:, uid 
' iTil qae [leiolure de Is sDciél,é ninderne, resLuil nriccssara 
>'iiiOnt en ilehorsde leur caiire. lia rôpugnuiciil. aui rralitân 
lu milieu conlemporaîn . Us ne se seciltueDl ft l'aise qud 
Jnnsl'histuir^ou dans la léj-'endei el si, parmi les nOTaleord 
Hii?lqufls-uns, Alexandre Du tuas entre nutres, prircnl parfaH 
-lukmr d'eux leurs sujets ei leurs personnages, ils raisaiCQ(9 
non puinl des comédies de mœurs, mais des dramea 
Je passion, N'esi-ce pas justement dans Anlony qu'un defl 
personnages explique au parterre comine quoi la cnmédiS 
de momrs est devenue impossible? Quant A Alfred de Musaetfl 
li's pièces comme Fantasio, comme On ne bndine pas ati^ 
''Uiiour, eiprimeot ce qu'il y a de plus sâmillant daon 
'■s(.rll du poète, ce que son imagination a de plus gracieud 
'i de plus frais, sa tendresse de plus délicat et de pIoS 
»:'nètrant : mais ce n'est pas la réalité qu'il y a peintej 
"Up réalité contemporaine qui est la vraie matière de lu 
■ iiuôdie, c'est un monde idéa" et capricieux, tout du Tanlaisia 
< lie rêve, dans lequel son âme se réfugiait pour échappod 
iii>teiiient ans vulgarités et aux platitudes du monde réeljl 
Uraantje régne du romantisme, notre thé&lre coniiquH 
■ I- résume dans Scribe. Ce merveilleux praticien ne llM 
:-iiiiais monvoir sur la scène que des < ombres chinoises «9 
I lorsque, vers le milieu du siècle, le goût de l'obserraiiofl 
:iicère et personnelle renouvela notre littérature, les coloS 
ii'ls de Scribe, • ses pensionnaires riches dont on chassalfl 
! i dot à courre, ses millionnaires tout-puissants, ses artisted 
iitrelenus par des femmes de banquier t, ne trouvèrentl 
:i.is plus ^râce devant le réalisme que les bandits pleiod 
riiouoeur du drame romantique ou ses vers de terré ainoaJ 
n.'iix d'une étoile. I 

Le réalisme avait commencé par transformer le lomaaj 
qui se prétuil mieux que toute autre forme littéraire A la 
repri^sentation lidéle ut directe de la vie nioderni;. 11 ne dfl 
loiirua que tardivement vers le théâtre; c'est que les nécoM 
-iif'S fondamentales de l'art dramatique semblaient eicluiH 
lit' prime abord les analyses ml»iiticuses et détaillées gu 



m LB MttUVKHK.Yr LimtlUlHK AU XIX*1 
r«isalcDt la fu«ti*rt <)u roirftin rt^alinU. Ia ji" ' — 

UMVii de Iruuporler snr la sc^nc ccU« vCrii 
conicltrei, de» mœur» et dos mllicui qu'il 
enntiuif nminncler avec tant do rHief et de piii'sanc'.'. Ci> 
ne fm d'ailleurs que daut los dorai^n^s annâes de sa rie, 
BOD par guQt DU par vocation, maU par besoin d'argi;nt. Il 
iHiBil le th(!&tre puiir une furine inférieure, pour le plus 
roui et en nii'me tfiiiips le plus Tacile de tous les genres. 
Saaf Mtrciuifl. qui ne fut mis sur la «cène, «près sa mort, 
que profondément remanié, ses pièces ér.houèrent toutes, 
Ica one«, comme Qvtnola, au milieu des huées et des sifn[<ls, 
les autres, comme Paméla Girattd si la Marâtre, devant la 
silcncicuac indilTéreoce du public. Balzac n'était pas fait 
pour le thMtre. [1 ne saisissait ni dnns les caractères ni 
dons l'action cette unité lucide et sobre qui est Dêcessnirc an 
drunc. OhVigé de se reirtiocher les menus faiU caractéristî' 
qoeajesdcscriptions méticuleuses, les imperccptililes délalis 
dont la lenle et patiente accumulation (laissait, dans sa 
romans, par donner l'illusion de la réalité, il perdait ainsi 
ce qoe son g^nic laborieux et compliqué aiait de plus signi- 
licalif. Le temps et l'espace lui élatent nécessaires; il ne 
savait pus se ramasser, se raccourcir; parmi tous les traita 
que le roman Ini eût permis de juxtaposer les uns aui 
sutrcs, mais cuire lesquels le drame le forçait à choisir, il 
ne savait pas mettre on pleine lumière celui qui s'appropriait 
le mieux ft i'optiqne de la scène et qui devait, comme 00 
dit, passer la rampe. Admirablement doué pour représenter 
la vie hamaine dans l'encbevétrement de ses frondaisoDi 
inextricables, ce merveilleux analyste n'avait pas le don 
spécial du théâtre, qui vit, nou d'analyses, mais de synthèses, 
qui ne fait entrer la nature dans son cadre inflexible qa't 
la condition d'en simplifier les données et d'en rectifier les 
ambages, qui la mutile et la fausse pour saisir avec plus de 
puissance cette vérité nécessairement conventionnelle et 
fragmentaire & laquelle le poète dramatique est tenu de 
sacrifier ce que la vérité réelle a de touffu, d'épars, d'infinl- 
roent minulieijx. Si Balzac a ouvert nue voie nouveUâS 




^m LE THÉATRB. 3Sn 

pomMie, c'est comme romancier et non comme auleur 

noriiique. Les maîtres de la comédie moderne accommo* 

«livrent aux condiljoDS spéciales de leur art ce rdalùme par 

Ii.'ijiipI lui-m^me aTuit rcnouyelé le roman. , 

Il ; a cliiDs Qolrc sièclii deux dates capitales {>our l'hii- 
toire du théâtre, celle d'Uernani et celle de la Dame iiux 1 
camélias. Le drame historique et poétique, qn'Remaai * 
inaugura avec tant d'éclat, aTait porté sur la scène i'exal- ! 
lalioD sentimentale de l'âme romantique. Dans la seconde 
moitié du siècle, quand le romantisme a été épuisé par ses 
transports et consumé par ses ardeurs, aui sujets historiques 
ou légendaires succèdent les éludes de mœurs contempo- 
raines, ani efferyescences lyriques une pénétrante analyse, 
aux héros empanachés du moyen Age les type* de la vie 
moderne dans leur ftpre réalité, aux alexandrins pompeux 
ei sonores une prose exacte, serrée, nette et coupante 1 
iMinme l'acier. Alexandre Dumas liis avait composé la Dame 
liiix camélias sans trop saToir comment, < en vertu des 
.iiidaces et des honnes chances de la Jsancsse i ; cette piâce I 
n'en marque pas moins pour la scène une véritnhle révolu- I 
lion, une révolution ft laquelle manquèrent les manifestes, 1 
les théories, les préfaces tapageuses, mais qui pouvait d'ar * 
tant mieux s'en passer qu'elle était en accord intime avec 
les tendances et les besoins des générations contemporaines. 
Dumas, spontanément et sans parti pris d'école, donnait 
une Torme dramatique au réalisme, et la révolution qu'il ' 
inaugurait sur la scène était déjà fait« dans les mœurs et 
dans les esprits. I 

Le jeune auteur de la Oame aux caméliat se heurta 
pourtant contre de vives résistances. Si Balzac avait hahi- 
tué le puhlic à ce que la réalité peut offrir de plus cm, lea 
conditions particulières du genre dramatique en font celui J 
dans lequel la peinture de cette réalité, que le roman peut I 
admettre tout entière, risque le plus de choquer et les «m- 1 
_venlians et l'ts faieaséauces. Dana notre société Qontempo- | 
lae, où Scdbe, avec une dextérité supérieure, • aTait' 1 
ipâ plus de quatre cents piécea, dont lei perso onage»! 




■Uln .;l-i .,(.-, t"... inn» .J.-. i-.-.ri.^.iir 

■lOulée* lur k lir, Am œana d'âne olre«rtBtJOD 

et pioAiniite, qal r«prtUDUi«Bt les boinmn d« un 
kaanwi ta chair et «ii m, • nsis ilcs pieds k l« 
• ■«Unettn d'intra coii*enlions que )m nécesaiWi inhe- 
le* A Twi druMtjiiite oo l« délîcaleMM inbArenlflg t la 

DSlHM ham&Ioe. 
D a taeooU lul-tnAiiM dans me d« ms {irëraoes conuoesl. 

éprta la Dom^ «m* «m/Niu. «crîte <ta huit joun. moint 

• par inspiration ntrte ■ <]uc ■ par bi-soin d'ar^cut •, il 

• partH riaolutnrat «1 libivmeai à la roch^rchu île la 
rtriX* t. L'antJtguilégrecqDe cl latine bidJI élé Épuisée par 
dcQi eenU ani de tragédie, t'anliquilË natioDale par TJngt 
ans de drame. De rvslail plas que la «ie tuoderne, t peios 
efnennie par les «squiases de Scribe. C'est cette rie modems 

Il •« (lontiB pour U«Iie de peindre avec une entière fnui< 
diin', lui rollai-il, CD la ;)ortant telle quelle aar la acène, 
batlni en brèche et les fausaes convenances d'nn art pusil- 
lanime et les anscepUbilitëa rendièries d'une morale bd- 
perfldelle. • Personne dans sa carrière, et snrloul k le* 
débuu, DB eu, dil-il, A lutter plna que l'auteur. > Ut Ihim 

t tatnéliat fat interdite pendant un an, Diane df Lyi 
pendant huit raoia; U Demi-Monde, écrit pour te Th^&tre- 
l'raïKaia. parut ■ impossible, dangereux, tout plein d< 
roontlruosit^s t. Et ce n'était pas seulement la censure qo* 
rtroltait l'audace du jeune auteur : le parterre m^me U 
ncba plus d'une foia contre cet artiste sans acmpule, conln 
«•moraliste sans vergogne. Dumas sefailunjeo de IVottser 
les pr^ugés, de brusquer les partis pris, de dire aux spccU- 
ttara ce qu'ils ne veulent pas qu'on leur dise en face, tl brav* 
la convention en vertu de laquelle les flls naturels g^mi»- 
salent d& temps immémorial sur le mdheur de leur uait- 
MUicn, et, mis en présence d'un pAre & qui ce malheur étùt 
I ta leule chost; qu'ils du^^ent, le jetaient sur son 



1 



^H LE TnitATRK. 3(11 1 

^^B effasions de tendresse. Il fail Épimser na fils de MaJ 
^^Ke Aubraj one feiiiine qui a eu un aamnl saDs qui; ceS 
^^■nl ult été d'abord, suivant les ri^gles sacramentelles^ 
^^B par le futur mari. Apr^s avoir ■ cneaé le public aussil 
t iota que possible dans la déduction Fatale d'une passion oiffl 
d'un caiactère >, il ee plaît & ■ le ramener brusquement e» 
linalemenl dans sa conclusion logique >. 11 aime mieux )« 
choquer par un dénouement brutal et »rai que le conqudrrM 
par uu dénoueinenl factice, i indigne de l'art et des véritéJ 
acquises >. EnQn, iur un théâtre où la tragédie et lacomédtefl 
avaient, chacune k sa façon, gloriSé e( déifié • l'ëterneO 
fémiain ■, ce sacrilëgo déroile et profane les myslërcs diil 
• Seie 1, raille et livre au mépris l'idéal conventionnel defl 
la Temme, la dépouille elle-même de tous ses presliges, lifl 
dësbabille aux jeux du public, la traite tAotOt comme l'en^ 
Tant auquel on administre le fouet, tantôt comme laguenonl 
de Nod qae l'on tue. I 

Assez courageux pour braver les préjugea du publiOfl 
Dumas était assez fort et assez habile pour lui imposer saM 
:iudac«s. • L'auteur dramatique qui connaîtrait l'hommifl 
romme lialzac et le thé&tre comme Scribe, dit-il, serait l«l 
plus grand auteur dramatique qui aurait jamais existé. »M 
S'il a lui-même, non pas de l'homme, mais de cerLain^J 
iiommes, une connaissance aussi pénélraate que Balzac, IM 
ij'' le cède pas A Scribe pour le talent de mettre en acliosS 
Il sujet et d'en tirer tous les dëveloppenjenta qu'il co[n-l 
■ rl-o, pour le sens du mouvement et de l'effet, pour lai 
l'ulté native des situations et des dialogues, i Hnos Icsfl 
ri Litres arts, écrit-il, on apprend les procédés ; dans l'art dufl 
iln'nire on les devine ou piutdlonleaaensoi. On nedevieuM 
|iri.= auteur dramatique, on l'est tout de suite ou jamaiaj 
l'iiiiime on est blond ou brun, sans le vouloir. • Elaillears iS 
' I. 'auteur dramatique peut avec l'Age acquérir des pensétiM 
I 11 élevées, développer une philosophie plus bnule; maia^ 
"I jioinf'de vue du métier, ses premières comédies sont aussA 
-Il construites, quelquefois mieui. • La Dame aux camttialM 
"léla du premier coup en Dumas un maître du gear^l 



3SÏ LR HKnTTRMRNT LflTtRAïaE AU m* SttCLti 
Lui'tnAnii; a inriuiué m pta^rn niéthoilo, rellfl i|u'il a|ipf 
<\H le il^but rt [jit'it s|){>li<]uij enitcira ; elle ronsûle loal 
bi>tiDcm<'ril A <<criri! • ctinmie ni les [icr^onUDj^cs vivaiont >, 
I I travHÎItcr en \'Mai: pâle >. Lu iIod Ja lh(t*ire loi csl si 
naturel qu'il se rcpriiscote Umt d'abord les choses avt-c leur 
figure dramatique, cl, pour composer une piËee, il d'k qu'A 
porter telles ((Uelles sur la scâne, sans aucun IraToU de 
Iransposilion, les images que son esprit s'est spoo tan émeut 

l'arml toutes les qualités nécessaires au dramo, la 
logiquu est la plus indispensiilile, < celle qui domino et 
cotnmRnrIe i. Le théâtre lui-mËme ■ fournit l'imagiDUtion 
dans Ke» interprètes, dans ses décors, dans ses accessoires >, 
et, par conséquent, les écrivains dramatiques peuvent s'en 
passer. Quant à l'iUTention, • elle n'existe pas pour eux • ; 
Icup office oecoQsiste pointa inventer ce qui n'est pas, mais 
à reproduire ce qui est, ft < restituer •. en l'adaptant aux con- 
ditions propres de leur genre, ce qu'ils ont vu et senli. On 
recotjnatt ici la maiimc fondamentale du réalisme, que 
Dumas, le premier, a introduit sur la scène. Le peintre du 
Ucmi-Monde, l'auteur de la Dame aux camélias, de OIhtis 
de Lijs, du Père prodigue, du FiU naturel, de l'Ami dit 
femmes, n'a guère ''ait, «urtout dans la première moitié de 
sa carrière, que représenter soit des épisodes de sa vie, 
soit des situations dont il avait èlè lui-mémo témoin, des 
personnages qu'il avait connus, des milieux qu'il avait direc- 
tement observés. L'invention et l'imaginatioD étant inutiles 
au thiïAtre, la qualité que Dumas estime par-dessus toutes, 
celle aussi qu'il a. au plus haut degré, c'est la logique- 
liâaliste par le choix de ses sujets et par la franchise avec 
laquelle il les traite, il ne fait aucune concession au réa- 
lisme dans tout ce qui relâve de la composition draraS' 
tique. Los théoriciens de je ne sais quel • théfLtre natun- 
liste > lui reproi.'hi'nt de mutiler la réalité pour l'enfermer 
dans un cadre nrtiDcicI, de construire ses pièce; comme île* 
théorèmes, de monter, ainsi qu'on fait un ressort d'h or- 
loge, des personnages qai marchent, agissent et parlg 



LB TBËATftB. 

tomnlca, Ces criliques ne le touchent pas : il cnnnntt mû 
Bmicux que personne, il en sait les ressources, msia auaa 
Biinitea et les exigences, U sait que l'œuvre dramatique O 

rt être uneeopie de la réalité, qu'elle représente « 
ëTalion »,quecÈ qui est ïrai surlascéne, cV-stcequis'accordë" 
suit avec les conventions yriœordiales du gearc, aoit avec 
la pcrspcutiie et la sonorité particulières du Ih^Al.re. >Iais, 
si la Térilé ne peut être absolue, it faut que la logique soi^ 
rigoureuse, et nul auteur dramatique n'a été plus implac^-J 
ble logicien que Dumas. Pourquoi donne-L-il le conseil dei 
comuieticer sa pièce que lorsqu'on a la scène, le mouTemen] 
et le mot de la fin? C'est parce qn'il considère cette fin comm 
un but que l'auteur doit poursuivre dès le comme ucementl 
Au départ même, il a les jeux fixés sur le point d'arrivéafl 
il va droit son chemin avec une reclitude inflexible sans S 
{)ermcUre jamais ni halte ni détour. Ce qu'on appelle 
brutalité, c'est sa lo(,'iqQe même. Brutal comme une opéra^ 
lion d'arllhinéliqiie, il a pour règle essenlielle que i deux ef 
lieux font quatre >. Ne lui demandez pas de modifier ud 
dénouement : la marche de ses pièces est une « progression 
mathématique qui multiplie la scène par U scène, l'évént^ 
ment par l'événement, l'acte par l'acte i, jusqu'à ce qu'elle! 
arrivent à leur conclusion comme à un • produit > inexoi 
rable et fatal. A la logique, qui est sa faculté maîtresse, cellf 
d'où procèdent toutes les autres, iS faut rapporter et ■ 
mise en saillie continuelle du cOté de l'être ou de la chose 
pour on contre lesquels il veut conclure », — et • la connaisj 
sance des plans >, — et< la science des contre- par lies * 
Inct avec lequel il distribue l'ombre et la lumiërc, ménagt 
les opjiûsitioDâ, équilibre les effets, — et la rapidité du n 
nient qui entraîne la pièce, qui la presse vers la crise finolei 
— et celle vive manière d'enlrer dès le début dans le pleid 
courant des choses, cette manière expédilive de jelcf pu 
deïsuK bord tout inutile baguge, de ne mettre en scène que ^ 
vif de l'aclion, de couper sans pitié cequi n'est pas indispeiH 
table pour l'iotelligence du drame à un auditoire impatienl 
et pénétrant. Ajoutons que celte logique est maniée aved 



f Mt LC MOUVeMEM LrTTCUAIIIK ÂV IlVi 
use «ArcU Dingiilril*!, »*f. nu mBh mrrTcillm tls^ 
Hitit tbcairo.Ni^ ii'i«lttimm«!DuiDsr. Jit^qne dans a 
, et itani ftttM violences, le lecret île iiefohcr les riiftJculU 

ter |>4ir aTattLi! ]et ot>Jeclioas, d'Imposer silence 1 

I K^opulcM; nul u's |inuMé plus iala l'arl d'expliquer let) par' 

I umaiiKids, lie juillller tes siluatloDs les plus autia. de faire 

ijciro, dp ruirt! ilAiirer les scènes les plus dtio^renges, 

uu luiit ci^l arl tiapilul des < pn'^paraUuiis • sans leiiuul 

ton rationalisme tranchant et despiitliiue aurait si souvent 

I réroltA les spectateurs. 

La langue de Dumas est en )rarfail. accord aiec ce ^ 

[ ton sjtti^Die dramatique a de codgIs el d'indsif. Il s'nccusa 

> n'avoir jaiuaJs écrit avec pureté la luii^jtue franfoini, 

niKM il rappelle aussi que Molière t n'écrivail pas pnr^ 

t •. Au (IjéAlre, les négligences, les taches, les t barba- 

rimius • mâmt' su pardoonenl. ou plultll passent inapcrtni 

du public, pourvu que la forme soit nette, vigoureuse. 

sonore, i|u'dlo nit la saillie du trait. Or, si le aljle da 

Dumas n'observe pas toujours les règles académiques, si let 

Irrfgularitùs, les Taules de grammaire n'y sonl pas rares, 

"mporteT c'est un sljle vivant, et celle qualité peut ft elle 

I seule le dispenser de toutes celles qu'elle ne résume pas, e( 

' le racheter de Uceuces qui n'y nuisent Jamais et qui bien 

dos fols y concourent. Toute phrase, chsK Dumas, porta 

coup ; comme il a'j a pas daus ses pièces une parole oiseuse, 

il d'; eu a pas non plus une qui se perde. Sa langue est 

toute muscle* et nerfs, elle est action. Et, en même temps, 

I cIIh donne A l'idée une figure stricte et décisive, elle la sculpte. 

S'il lui manque souvent la pureté littt^raire et la correcUon 

{rnuimaticale, aile a toujours le relier dramatique. 

Le théâtre, pour Dumas, est esscutiellemcDl une écoiB< 

I LuJ-mâuie se montre, dés sa première jeunesse, penctié su 

I le gi apd creuset de Paris, et, i dans la mixlico de l'eii t 

aiu avec des moeurs et des lois particulières », éluJiuat 

eos problèmes morauï doDl il eslimail que l'auteur drania* 

, tique doit chercher la solution. Né moraliste aussi bi en 

u'auleur dramatique, il ne pensait pas que le IbéAli 



LB THEATRE. 

hoemenl rleslini^ h récréer les nisifs, il croyait que t 1' 
a priiduiL Pulymcle, Atlifilie, Tartufe, Figaro, esl. un 
lisateur aa premier cbef, dont la poriâe esl. iiicnl 
>, el cet art, il vouluit lui ilonncr non seiili^menl 
Btâ pour base, mais aussi la morale pour but. fini» 
Itrc cynique de nos tnœnrB contemporaitios il y avait u: 
f des Aines. Du temps de ses dùbuts, un prix fui fondJ 
ministre Lëon Fuucber pour l'auteur d'une piËce utiM 
Œurs : le Demi-Monde ayant élé, tu son < indécence t\ 
u de la Comédie-Française, Dumas l'envoya au conc^ur 

V La Dame aux camélias, dont on sait l'histoire, eai 
|t-i!tre la seule de ses pièces qui ne vise pas à la démoaS]^ 
; vérité morale. Ce sont les problèmes de !■ 
ndence qai le préoccupent, ceui~là surLoul qui intére^ 
t 1h sociëlë tout entière. Dès le Fils naturel il s'engan 
I le développement de théories socinlea. Peindre laj 
jctëres, les ridicules et les passions, cela ne lui suffit paal 
But laisser aux spectateurs f de quoi réfléchir un 
t rnire entendre > des choses bonnes à dire >. Au ristiiH 
révolter les fanatiques de l'nrtpour l'art, il inaugure ■ 
ktre utile >, qui a pour objet la • plus-value humaine ■ 
• se contente plus même d'être moraliste, il s'érige e 
;re. 
fcrteg OQ ne saurait contester ft l'auteur dramatique lia 
Ht d'intervenir dans les plus hautes questions de moralitq 
pie. Mais, pour juger une œuvre de théûtre, ce n'est pail 

s vue moral que nous nous mettons, c'est a 
hie de l'art ; ce qui en fait la valeur, c'est ce qu'elle iioiu 
■tre.etnon ce qu'elle veut nous déiiLontrer. Molière, doafl 
KaBdre Dumas aime A se réclamer, ne visait guère H la 
Vvalao bamaine, et, pour soutenir des idées en sominfl 
\gtoaiières, tes Ffmmes iavanles n'en aoni pas 

t66a comme un de ses chefs-d'œuvre. Presque toula 

naédles de Dumas développent quelque thèse, presqud 

I Dllt leur personnage de raisonneur el leurs UradeT 

t donne carrière sa manie didactique et prëdieimlfl 

Bjlap&rt, u est vra-, présenteal les vues qui lui g 



LF V-rt TrWFM 1 



Cl h 



W'i.-.i.'iC AU (iniKC, lil, 4jiu J'Vaul.iJJuii, U uuri 41» 
a fii-M (luit iiar r«lraut«r h reninic rnrorK putei » ilnni 
tètroiffrt. ClarisoD inpprioM le <]g<:, SeptmonU, nout en 
tTflia CtA pr^*i-nt!S, n'élut i[u'i vfl librioD humain ■. 

Huma» « «t-s li«r«IaM <)« caurB^e et de vertu, mais l'idM 
Iptn^rnle iiui iloiiiiue m>ii thefitre et qui eu donae la «igni- 
Bcatiou iotlme, t.'em ta supériorité de l'homme »W h 
btniiie. Dtpu» Momieur île HjroDs, sea puraoooages fiivofit, 
Anas lesquels on peut le rwonnattre lui-m<!me, sont cetn 
i[ul mépriseat le sexe, tsntât ater. imu doaco condesceii- 
ilaitcc, en profitant de ses rniblewes, tanUi avec uao froidi 
ut ciugiaiile ironie, eo pervanl à jour sca iirlificos et es 
iteflaDt ses seduclions. MoDsieur de Hjons est dt^jAun pUfsiq 
Ifl^isle, mais c'est eucure uu physiologiste induii;etit «liscn- 
iiiblu •. A meture que Uumas avance dans la vie, aa morale, 
de t'Ami des femma à l'f'.lraag^e, devient loujoun plot 
intiritiUB et plus agrL'ssive. U J'iint. la cruauté à la crutÛU; 
il Tnit des « exécutions >. En inâine temps, l'illuiiiiDisme 
Biivaliitaa diuique de l'auuur. Alors apparaissent les for- 
mules mystiques dont ses pièces sont le dévelojipi-meul. Il 
glnriHe < l'homme qui sait •; il prosterne la feuimt^, < qui 
est le moyen de l'homme >, aux pieds de rbomme, t qui 
est le moyen de Dieu '■ Après avoir montré d'abord tes 
' courtisanes des milieux interlopes, puis les courtisauûs dn 
[ grand monde, U s'élève juaqu'A la eonception de la • Bïtâ •. 
Celle Rilte apocalyptique, qui ressemble fi on léopard, qui 
a tes pieds de l'ours, la gueule du lion, ol A laqadte l« 
dr.ifîon prête sa force, celte Bêle vfllue de pourpre çl 
L'uiirlate, partie d'or, de pierres précieuses et de perles, rt 
donl les sepl bouches toujours entr'ouverles sont rouju 
comme des charbons en feu. cette Bêle souriante et rugis- 
sante ft la fois, c'est lu femme telle qu'elle lui est pparai, 
telle qu'il l'a vue et connue, la femme du demi-monde et , 
la femme du grand mondei la fcmini> di' tous les ii 



LE THEATRE. 

K reprèsenlés sur la scèDe, c'est Suianne d'Ange, c'est 
2 de Laborde, c'est lia, c'est M"" de Terremonde, 
\ enfin Césariac. Il ne la craint pas pour lui-mâmc, car 
kiiG peut rien sur • l'homme qui sait > ; mais il la craint 
( qui ne savent pas, il la craint pour le mariage, 
r rhjgiéne sociale, et il la fait luer par Claude. Claude, 
Lnt tuée, relourne an travail et 7 ramâne Antonin. 

iuvre d'Ëmiie Augier, k l'envisager en soi, n*a paa 
9 de valeur que celle de Dumas. Peut-être même sa 
kpn plus sage, sa langue plus sûre, son art plus humain, 
me ils lui ont mérité une admiration plus calme, mais 
plus Égale et plus saine, lui promet tent-ils pour 
gloire moins sujette aux retours parce qu'elle 
usielte plus large et plus solide. Il ne tient pas néan- 
tim dans l'histoire da mouvement liltëraire de notre 
ips une place aussi importante que l'auteur de la Dame 
t camélias. Alexandre Dumas est l'initiateur du Ihi'èlre 
pemporain; ses premières pièces ont renouvelé le drame, 
W modifié complètement et le fond et la forme; elles 
t, avant tout, ramené a l 'observation directe de la vie, 
Kst encore de lui qu'il lient cette vivacité d'allure, celta 
Uité dn dialogue, cette simplicilé des moyens, qui, 
pis le milieu du siècle, en sont les traits caractéristi- 
I. Quand Dumas aborda la scène, Augier, qui l'y pré- 
l de huit ans, avait fait applaudir non seulement la 
fatesse aimable de son jeune talent, mais aussi celle 
se virile qu'il alliait A la grAce. Il avait déjà substitué 
e comédie au vaudeville, remplacé l'intérêt de l'io- 
■e par celui des passions et des caractères, mis sur la 
t des mœurs et des personnages fidèlement observés et 
Cernent peints. 11 ne faut pas oublier que Gahrielle fui 
ft plos de deux ans avant la Dame aax camélias. Dumna 
Bfime rend hommage k son aîné et lui attribue sa juste 
I ^Ros la régénération de l'art dramatique. • Un esprit 
, loyal et fin se présenta, dit-il, et Gabriellf, avec 
il «M on simple et touchante, avec son beaa et noble , 
^H 



■I la ItMw mm mniMm Mmu €ttn sMtadérèt 
Me wwpiwiil le dMOK — airwi Un» n'y Uob*iibi 
dna I» baid, ae tm^ùma» favdï. •■. 4<ou W fMvw^ 



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4BBi ai ^MAb* AoM fii i wiUa i an^riK^t > |ti m 

MT te ciMoni doqaid a «Uii d^k ^ dort > 
d Ut et «t WcB U oÉMcpUoB 4«e puce qi 
è«— p ni | — " iMrt iii fl i. *■ roqJi^^ft teaijt^rtHicu'. [<>! 
^•M «dai iCw» rttolMlaaiiûc; ■D eii bit toel msI b 
MfdriM* dtaiBatiqae, e'«tl 4U su* dealc. bos ^ «■ 
aa« foi», par aa toêf d'cdu cK'tadaee, autit pm k ptn, 
Mmf* Bprta «Upe, ■«« aae Ttillcaoe mnaric H ttHéàÛM. 
Oe ^ ot cerUia. c'iat qae rimpnlnDa d£cîsi«e lai lial 
d'ae uAra : «a oa lafmr moài de ttfner l8Si oA puni. (• 
itaaK aaz cbw^bi. Ai^^ doiunrt on drame htstonqa* 
«a wa, M i'tàiiïvt» m joaa k même umde qae Ommc 4l 



La eairiin d'&pdia Augi«r m dirâc en (b 
4'MadM biea [atgala. H eommeoce par Mn • le Minwt dt 
Ponurd ■, e'Mt-4-<tin par délenare et par %e.reT la s^mh 
4d * rMUurAteor de ta Iragtdiâ >, en / BUiaot ipclqaS 
eboM d« utle irrAi» légère qu'Alfred de Hnsset arail porUa 
■ur II Kàae. Après ta Cigui, il aborde l'étude des nuEim 
CODleniporaJTiea el l'siialjiie des caractères arec rilomtmi* 
Mcn; muîa cette piéci: i«l titilléi: sur le'palroo tradition nd, 
tt rien n'y anobnce oda nouvelle forme de comédie. Dau 
FÀMnturière, od le puàte uionlre cme vigueur de talent cl oo 
tdil (lD^T«rt« que ni l'Homme de bien ni mAme la Ciféi 



Le thk&thk. 

t tiiieé Boapcooner, la scène se pnjae ea It.nlie, aa 

^ëcle ; et, si l'échec de l'HomtM da bien no l'empêcha |ia« 

RTcnir par GabrielU, ioaéa quatre ans apr^g, uurk vrai 

Bia' de l'auteur comique, rfonl l'oflice propre cunaisle 

liiidre Is société de son temps, après GnMelta, U 

r de flûte est aue pièce da mdme genre qne la Cigai, 

e an drame d'histoire, Philiturte une fitutaisie exquise 

slcheur, de grftce, de jeunesse, et, dans aon charmant 

t du svni° siècle, l'oeuvre la plus aimable peut âtre 

Jgler, mais qod pas une sérieuse étude de mœurs, 

i le poète a essayé de tous les genres, et, laime 

I aîoir trouvé sa voie, il s'en est presque aussitdt 

, U appartient à ce qu'où appelle alors l'école <ln 

■ sens. Le parti classique qui, depuis Lucrèce, a repris 

fesaioD du Lbéillrc, oppose aux eiagératioas et aus 

Eslniosilég du romantisme ce talent lobre, madré de 

fcâm^, & la fois délicat et fort, qui mi)rit dans le culte 

Isaiaes Iradîlioas, et dont le vers franc, juste, net, 

Bpt de toute redondance et de tout fatras, rappelle, 

me par des archaïsmes, tanlAt celui de Corneille et 

|bl celui de Molière. Emile Augier est alors l'Eliacin da' 

ialdsme. 

e ne filt pas aux classiques que la chute du romantisme 

ta. Tandis qu'ils s'attardent dans des coovcationi 

nnèes, le mouvement intellectuel du siècle aboutit au 

mphe d'une école nouvelle, qui a pour tonte formule 

! loyale et la Gdèle reproduction de la réalité. Le 

Jerne, avec Ouma^ Qls, transforme l'art dramatique. 

Ilora Augier revient, pour ne plus la quitter, k cette 

P^e de inieurs qu'il avait abordée avec l'Homme de bien 

'nitlte, mab dans latjuelle ■! va mainteoant porter une 

j^enr et une audace qu'il ne s'était pas l'ucore connues. 

piis le Gendre de Monsieur Foù'ier jusqu'aux Fourchatt^- 

3t, toutes ses pièces tirent leur sujet de la société contem* 

I. Et, en renonçant pour toujours i la comédie légère, 

^ame d'histoire, aus pastiches néo-grecs, il renonce aussi 

lapoétiqacksaulc dont il ebljoiqu'alors fait usage^ 



I 



rtvA.'»» *-^«.I'nti 









n»«e* *^ **«*•■ 



tE TnEATHR. 

jSlicate, ^ allii: ce que la probilÉ bourgeoise a de pti 
■c avec ce que rhonnsur arislocralique a àe plus fier. 
iniiad volouUers <iue ■ le Ihéàtre D'à corrigé pei- 
; mais * le bul. n'esl pas de corriger quelqu'un. 
Bit de corriger loul le uiODde >. Ce bul, il n'a paa cessé 
■ ravoir an vue, Augier use avec discrétion de la tirade, 
WafGchc pas de t.liëse, il ne subalitue pas desnbstriiclioai 
■boliques aux personnages TÏvants du nioode riel; 
'; en Be gardant de lout pâdantiEme et de toute Irans- 
I n'a jamais vu dans la comédie un simple 
KrlisBement, il a pris au sérieux le casligat ridendo morti, 
JaoB se donner les airs d'un réformaleur ou d'un apûtre, 
BtouIu que son rire servit à la correction des mœun 

e domaine d' Augier est plus étendu que celui de Dumas. 

iir, le mariage et les relations conjugales tiennent en 

tl œuvre une place considérable : avant môme que Dumas 

Lrien écrit, GoAridf^ traitait sérieusement l'adullérc, dont 

n'avait vu que le cAté plaisant ; plus tard c'est la 

miage d'Olympe, qui met en scène la courtisane, la courti- 

e devenue comtesse, mais incapable de se Taire à lu vie 

lAte, y âtoullout comaie dans un air irrespirable, et ne 

Ibaitaat plus que de retourner t celle boue dout elle & 

koatdgie^ ce sont let LionTiei pauvres, qui dévoilent la 

ttitalion dans les ménages bourgeois; c'est Madame 

trltl, qui met au service du divorce ce que l'art drama- 

i peut avoir de plus vigoureux et de plus saisissant. 

>, au lieu que Dumas porte ses soucis de moraliste 

e la faculté d'observation sur un point unique, les 

ijorta de l'homme avec la Temme, Augier s'intéresse 

toutes les questions dans lesquelles la société même est 

' KBSée. Des pièces comme le Gendre de Moweur Poirier, 

t EffrojUés, le Fîis de Giboyer, la Contagion, ont una 

■kificatiwi plus générale que l'Ami des femmes ou la Prtn- 

I Ùeorges. Elles peignent des milieux plus étendus et 

Iressent à uu plus grand public; l'observation en est 

B largement humaine. Augier j représente le conflit da 



m Lr HouvEMRfn- urrftBAinc au i 

rkonncnr et de rsrfteni mku inM de totmea dlvr 
lai prMrnt ont totnir* coolEiiiiiurnlnes, el niel ft 
Im «rnipulM de In uoiisdeure aver. I«s lEoUUat)» il 
tnnr 11 joua rin<lii»trie] eiiridii, auijuel l'ainMlio» lat 
nulle itpr*s In riAlienai!, et ijui t« croit enpabli^ Au mettre 
le main an ((naverhail dt^ l'Étiil parce qn!) a m ment-T la 
bar<pi«;l(i{tenlillioiniueniinË. vendant son noin au premier 
boiirgcoU «Bnu qui ait asst^x d'ricuB poor enlrétiMiir sob 
oUiTelé, saliifnirB ses goAts d'élëgaoce el lui permellrp du 
ddlicateasea d'honoeor dont le bonbomiue Tera (es fruit; la 
brasseur d'atTaircs qu'an saut périlleux n'empêche pas d« 
retomber sur ses pieds, qui, crachant sa condamnât ioo en 
boninie fort au lieu de l'araler comme un imbécile, payant 
d'audace, décuplant la puissance de l'argent par celle de U 
presse, finit par s'imposer â une socidtA toaàte sur deat 
convenlions tsdtex. accepter les gens pour ce qu'ib paraû- 
lent, et ne pas Toir k travers liw vitres tant qu'elles ne sont 
pas cacséesi l'aventurier du grand monde, qui, saDS un mu 
lie patrimoine, trouve moyen Je vivre comme s'il avait 
dciit cent mille francs de rente dans les salons et les i:ercli!i8 
- parisiens auxquels il fait admirer sa cr&nerîe, envier s» 
maîtresses et ses chevaux: le bohème de letlrtts, pt4t A 
vidur sur ipiiconque une ècritoire empoisonnée; le notatn 
de campagne, malin, (enace, cupide, & la fois positif M 
prudhommeaque, oblii;ue et naïf, el qui, avec candeur, 

témoigne de son respect pour la loi en la tournant 

El si Poirier, le marquis de Pi-esles, Vernoulllel. d'Sstft- 
gaut, Giboyer, maître Guérin. bien d'autres encore, nti' 
tent d'nne physionomie caractéristique les originaux les plus 
expressifs que notre société pOt fournir au moralisle, 
flinile Augier a osé porter sur la scène, a fait débattre pal 
■es personnages les intérêts les plus considérables el lei 
plus graves problèmes qui se rapportent soit au pr^^enl, 
soil ft l'avenir de cette société où se heurtent tant d'élérnebli 
liélérogénes et tant de principes contraires. H raille l'aris- 
tocratie de la naissance, légitimistes et cléricaux, submcr^ 
par le tleave qu'elle tente vaineiueot d'arrêter, l'ariito 






LE THtiATRR. 



m 



de l'urgent, tantni flnanciers auspp.iîla qui Rommi^ncent. | 
ëlrc bonnflles quand leur malhonDeieté ]es a enrichiu 
Uiilôl bourgeois du droit diria qui tint pris In Rëvolutio 
en horreur depuis qu'ils a'ont plus rien A. y gngner; 
oppose la locîété démocratique issue de 80, non point 1 
aiveau tfgaliUire. mais nue hiérarchie dont la 1 
sera : A chacun boIod ses œuvres, et qui remplacera VèiUk 
tocratie de la naissaoce et l'aristocratie de l'argent par et 
du mérile personnel. La Effrontés, le Fils du Giboyer, »i 
des comâdies sociales, sans analogues dans notre théàl^ 
contemporain, et non seulement les idées qni en 
matière sont eiprimëes avec one vigueur et one nette| 
décisives, mais encore l'auteur les incarne en des perao^ 
nages qui se fixent élerne lie ment dans notre esprit à l'éld 
de tj-pea apr6s avoir été sur la scène des individus réels ^ 
vivants. 

Poète comme moralisie, Augier a pour qualité dominanfl 
le bon sens, non pas ce bon sens timide et mesquin où l 
n 1^0- classiques avalent prétendu réduire l'art, m 
^antë robuste qui consiste dans i^uilibre lie toutes I 
f'ncaltés. Qu'on ne se croie point quitte envers lai en louai 
sa sagesse. Sans doute nous ne trouvons pas chez Augid 
l'éclat, la fougue, l'impétuosité de génie, qui prêtent k a 
physionomie d'Alexandre Dumas nne originalité 
voyante et plus bruyante; mais l'auteur de tant de piécq 
si fortes dans leur sobriété réfléchie y exerce puîsaammed 
cette sflre audace que donne h an talent solide et vigoureifl 
la pleine possession de lui-mâme. Comme Dumas, i 
deux qualités fondamentales du drame, le mouvement etlti 
logique; mais le mouvement chez lui est plus calme et la 
logique est moins raide. Ses pièces se déroulent d'va boat 
à l'autre avec une n'gularité que les coups de lhi5»tre o 
mâmus ne troublent pas; elles concilient daus une ju 
mesure ce que l'action doit avoir d'assez vif pour que l'ina 
térâl dramatique ne soit jamais en soDffrance avec c 
qu'elle doit laisser d'espace à l'ample développement d 
carsctiires. Eu mâme tempe, elles ont plus d'aisanu d 



I ttd LB MdUVKMKHT (.[TritlIAIRB Ali TII' 

I leur wmpoMtioD, uu Jca {ilu!i Ubrr, onc carrur ' 

IL» mainilv rnalcor nnn'j mil put notant. Rli< 

I «enl luoiiu riolmiimtot In réalitA oui cii^<-r.. 

I Ui'^AIriil. L'ubsfrvalîoa d'An^if^r est ii^D^trontt', iii»is f-jna 

J buttle, parrc qu'on ; «cnt une généreuse sympathie pour la 

I Hslure liDiiiBiao, et quelque cbog« de cordinl juaquc daDs U 

l»lire, L'espril, dieï Augior, à défaut do jet îtapniru et 

I fitotniique — (quelle verve pourtant dans cerlaînes BCëiies de 

: t'Anfntvriire, du Mariage d'Olympe, de la Contagion, du 

Uff''<r'*lfii\), — cel esprit fraac, nel, savoureui, a, par-do^sus 

tout, ta mérilc, ess«i]tiel pour un auteur dramatique, d'Aire 

toujniira en situalion, de résumer vivement le sens d'une 

I BCénc ou d'ajouter quelque trait A la peinture d'un persou- 

I nage. Sa Inngue est «impie, Torte, pn'cise ft la fois et plt- 

\ loresquc, Hobre et colortV, puisée eii plein courant de la 

I trsdilioD Trancaise A laquelle s'allie uno saveur di! terroir 

s el de cru parisien. Ce qu'il entre de réalilé oon- 

1 temporaine ou même de réalisme dans l'œuvre i!'l'':niJlo 

Augier ne saurait empêcher d'j reconnaître ce qu'elle a de 

■ claimique *, en enlevant loule significalioa d ëculeAr un mot 

I qui s'est appliquée l'auleur du Tarlufeel de l'Avare avant 

I de dAiigner celui de la Bourse el de CHonneur et eArg$fii. 

Si Augier procède en droite ligne de Molière, Sardou cul 
pour premier mallre Eug>>ne Scribe. Il s'est d'ailleurs eiercé 
i genres les plus divers, et, sans parler de Palrù, 
. qui est bien un des plus bcnux drames de nuire théAtro 
\ contemporain, il a Tait certaines comédies de mœurs aux- 
quelles peu de chose manquerait pour être dos cbefï- 
iuvre si la conception en était plus forte et l'eiécution 
, plus solide. 

Mais Sardou met sur la scène des silhotiettes plutdt qaa 
[ des tjrpes. Il néglige les traits d'uue signification gânéraJc en 
' fuTeur de détails amusants et curieux qui ne donnent à sm 
I le succès du jour qu'en compromettant celui du 
I Ivndcmain. C'est ainsi qu'il lui arrive de partager un caruo- 
[ lire entre trois ou quatre personnages dont chacun d^ 



LE TUfiATHS. 

kiotitrcr un aspect : or, comme les patlîcularilSa siifl 
Enclins porte ainsi l'antilysc sont eo ellGS-mâincs Uapl 
BulJeuses pour saisir notre ultenlion, il est nature II ementT 
|té de lus grossir, il les loorne en caricatures, fort ptai-^ 
s doute, mais dont l'inlêi'ât n'a rien de aubslaik; 
ki de durable. La composition de ses pièces dânote un( 
Dapnrable deslérilé de maiu, mais on y sent prcsqu|9 
bars l'artifice; les plus • sérieuses • manquent d'unit^'A 

■ seulement parce qu'elles juxtaposent pour la pluparfl 
^ame a une comédie de mœurs, mais encore parce qa^ 

1 du drame n'a aucun rapport aiec le milieu qiaà 
t la comédie. A ses combinaisons les plus ingénieusel 
B préfârons la sévère simplicité des Augier et des Oumasf 
(bouvement, voila la faculté essentielle de Sardou. Mai 
louvement est bien souvent celui des acteurs qui a 
lÉnenl, et non celui de l'action qui marche & son dénoue^ 
■l logique. Une telle rapidité ne saurait d'ailleurs s 
Kiker avec la peinture approfondie des mtcurs et de» 
Bctëres : comment saisir des personnages qui change 
jllace à chaque instant? Quant au style, c'est peut-être c 
■Sardou a de plus personnel ; ce style a toutes les qualUéa 
Irement dramatiques, l'éclat, le nerf, çfi et la la couleur^ 
|out la vivacité d'allure. Mais il n'est fuit que pour 1&^ 
me; il manque parfois de correction, presque toujours di 
Bîtiide. 

Fauteur de Divorçons est avant tout le plus expert, le plus 
Ble,leplusinveQtif,le plus divertissant des vaudevillistes 

■ originalité distinctivea consisté a rajeunir l'ancien vau> i 
lUe, dont Scribe lui avait transmis la formule, 6. en renou^ 
F les conventions défraîchies, a y introduire enfin plu^ 
rérité, une observation des mœurs contemporaines pefl 

[Sfoiide sans doute, mais bien vive et bien tiifjuoiilg. 



CONCLUSION 



Voicl^qoc notre ilède touche fc son terme, 
I ■jrmptAoïe ne permet île croire que lee dii années i;^ 
1 rul«nt ileiTent Aire ntnrquée» par quelque DOUTelle ^ 
I ll<Hi. L'esprit Bcientiliiue rAgne dans tous les domain^ 
I IsctiiilË inlellecludle, et le • r^nlisme >, ^ en est d~ 
I nxot Imu, dHns toutes les formes de l'art. 

La poésie ne prend plaa, sur le déclio du sidcle, qu'oi 
I bien petite [iaM au mouvemeoi litti^ratre. PeDdant la période 
L rentanUque, t^'cst d'elle que Tenait te branle. Une revanche 
Ide llmagination et du nentimenl coQlre l'noaljrse, inilA rx. 
■ qu'avait été le romantisioe : l'imagination et le eentimani 
I flreni alors de notre litti^ratore tout entière ane poi^sie. Le 
Intalismc est, an contraire, ^sscntielleffleot prosaïque; et 
lai ipiclqnrs pn'itps y ont cherché leur iosptralion, tnniat on 
lesMjrant d'unir le lyrisme a la science, tantAten décrivant 
lia vie réelle sTec une exactitude pittort^aque, la plupnrl m 
I ili>siDU^ressent complètement de leur Age et u'ont d'autrx 
I pr^ocdupation que celle des mots et des rimes. Ln poésie 
s'absorbe de plus en plus dans lea cariosités et les Tëttllra 
I d« la facture. Incapable de réagir contre le courant qoi 
I «ntralne notre époque, elle semble anir renoncé a s'y asao 
àft. 

Le roman est tonjnars le plu florissant de tous les 
I gonm comme celui qui «'approprie le mieux & l'cspril da 
is II a pour ÎHslruinent l'observa lion. Cette obsefta- 



CONCtLiSlON. 
a'spplique soit & la fie matérielle, soit A la vie 
Tel, parmi nos jeunes romanciers, ne voit dans la natui 
hujnaine que des instincts et des impulsions aveuglas; ai 

I récits francs, sobres, d'une touche vive et forte, d'une fangf 
fenple, robuste, crue, peignent avec un rplief puissant il 
nrsonnages dont l'activité est toute physique. Tel po4 
■i contraire dans la paychoiogie celle coriosité q 
pclérise notre gânération; disciple de Stendhal, t 
^autre de Flaubert et de Zola, il ne s'intéresse qu'h c 
y étals d'Ame ■, k des • cas de conscience >, il fait d^ 
t planches d'anatoniie morale >. Mais, que le ron 
œuvre de peintre ou de moraliste, qu'il reproduise l'homi^ 
extérienr dans la bestialité de ses appétits, ou qu'il s'atlnt 
à dèmMer les plus fines nuances du sentiment, il a toujoid 
le caractère d'une étude, il observe beaucoup plus qnw 
n'Invente, et ne comporte guère de fiction que ce qu'il « 
faut pour servir de cadre aux > notes • prises sur la rèallfl 

Le Ihéfttre, depuis Aagier et Dumiis, ae résum* t 
entier dans la comédie de mœurs contemporaines. Quelquji 
poètes ont tenté de restaurer le drame historique; mais tod 
^r talent ne pouvait faire revivre une forme qui 

jssi surannée que la tragédie. Ce que l'histoire ^ 
^Atre en ces dernières années présente de plus intérêt 
nt et de plus signiBcatif, c'est l'effort du • naturalisr 
jur appliquer une nouvelle > formule t au genre dranfl 
l«s romanciers naturalistes ont cru qu'ils pouvait 
r la scène des libertés que leur donnait le livre. AprB 
leTiTOCampagneconlrelesloisfondamentales de l'art th^ 
il, eux-mêmes ont fait jouer des pièces qui n'ont pas encu 
^ré de révolution, dont les nues ont réussi en s'assujd 
Maot A ces lois, dont les autres ont échoué pour II 
roir méconnues. Nous avons vu sur la scène dta draioi 
WS commencement, sans milieu et sans flu, dont lo^ 
hrt consistait A mettre sous nos yeux une série de tabluai 
l peine reliés les uns aux autres par le Hi d'une acUM 
irpjllée en tous sens. Il a'j a, écrivait Damai fiU, ■ 



IMOL'VBSnrrUTr» • 
1 wriu lie |û^.cs, iet pièces qui Boat bieti faiUs ( 
pl^et* qui »<iiit tuai foiln > ; la dootvIIf tcolc en k ion 
I aw Irotiifioc, lo pitt** »]ui or wot p«s failes do lout. î 

4«<ilr« (lart, cctlc BuiIeTr duol (iro&l gUiirs les pn^letirfur 
. rég^i>jraletir« d« notre Ui«tlr« ne va, le plus scuiveot, qu'a 
Ctalcr dcTBnl lu iiuldie le apeclade d'iguomiaitia qui l'écuMi- 
r«Bl et de crudités qui te réioltetit. iU se tanicnt ensuite 
< d'aratr reproduit la Tiril^ vraie, ta rdrité lout entière, 
cuninic ai c'était recaler les limilcs de l'art ijue (te le 
raiPCJiDt à ton cnraDce, que d'en violer les règles ItE 
filat euenlicllea et le* |t]ui rlénieolaîroi conveiiaiices, 
comme s'il j avait dans la tenialiTe doot île mènent si 
grand brujl aulrtr diose de ooavesD que leur gaucherie et 
leur cjohme. 

Celte tenUlive n'en eal pas moins cftrNCtérîstique. Elle se 
. nUadw au goUl d'ezaclituile scrapoleaie qui, dana celte 
|i MCOKde moitié du lièclc. a renouvelé l'art, et l'écbec des 
' lubiralitlee, aiguille probaMemenl qu'Ali^iandre Duuias cl 
Knlle Augier avaient déjà fait entrer dans kura pièces tout 
Lw que peut admettre de vérilé un art Déceatairemenl 
I fomté Bur la convention. 

Le réalisme, qui domine la liltiïrature de ces Ireote ou 
Ipiaranic dernières années n'a point été compromis par dos 
4Xoit dont mi nesauraîtsansinjuslice le rendre responsable. 
U demeure notre vraie Torce eontre le courant d'une 
( dtcadence • dons laquelle tant d'esprits «e complaisent 
panni les plus distingués de la jeune génération. 

Nnus avons une école de • décadents • , Celte école di^clare 

que, si les ciloyens d'une décadence sont « mnlbabiles t 

Pnclion privée ou publique >, < mauvais reproducteurs des 

genûrAttoDs futures *, ■ incapables des dévouements delà 

I foi proronde •, la cause en est dans leur aptitude A la 

I pcnsiïo solitaire, dans l'abondance des sensations délicates 

.'iquisité des senlimenls rares qui les stérilisent en les 

ra/licant, dans la culture de leur esprit, qui, dj'ant fait le 

I tuur de toutes les idées, aboutit à an scepticisme incapaide 

e se passionner pour aucune justement parce qu'il les o 



ooncLcsiox. 



**t 



Hid UmIcx. kref, éaat la mpérionlé de Iror • ïnldUgooe • 
de Inm ■ liera >. Mût, aUe snptnonié, ^odk tsIcw 
ï-t-«]le pour U pradoïtira lilléniicT A ee ^'oo &pp«Uil 
Il j « cînqiuiiie au le mal du «îède «n • mccfi!-: !^ no* 
s su aalre, qui t'atU^iie sas Bowees mêtU'. ^ . 
B <Uit le ia«l d*âia« eutl^es, TéliêincBU^ 
wtre ime desltnée trop tiicite pour leir rtTe [ 
; l'antre est cdiii de natures tris 8iie~ - 
Haef, Tohiptoeaiea tans pasutm, memiOen»-' 
I U jooiscaïKe întdlKtae^, mais diei l«qQ' 
usité rùqne de dûsondre, avec tovie ënef^ ? 
rindpe de foi et loat poaToïrd'amoor. 
i Cependant une lorte de luysUcitè ragne semble se mMcr 
^lenr ■ diletlanlbaie >. a'j a pu 14 de contradictiun. 
Setle EQjitîdlé trahit aassi bien l'impiùsnnce de ctoin* 
ine le désir de se prendre ;i qnelque crojanee. BUe n'«** 
toint l'éreil d'one foi jenoe et robuste ; elle a ^a uase, soit 
I la lassitude d'esprits qu'a sormenés toat le traïul 
^tellectael da siècle, soit dans une faiblesse d'An» i|ui 
Mme d'elle -mdine b je ne sais quelle religiosité alteo- 
' !. n 7 entre, d'aillenra* ane pari de * dandysme >. st, 
[KitUetre, qnelqne secrète complaisance h. se aenlir capolilo 
K>D seulement de comprendre, mais encore de produira 
D soi-mSme un état moral si contraire aai (endances d« 
jwlre Age. 

I Leréaltsme laisse les dëcadentsse déleclerdnns Ipsraffinfr- 
mla d'une curioailé stérile, les néo-mygllques bercer leur 
■nsaalité énerrée et dolente avec les rersels de Vlmitatiou- 
ï les afTéteries des uns ne corrompent sa rraochisa, ai 
I Tapeurs des autres ne troublent son équiljbru. Il ert 
rop robuste pour se complaire dans des rârcrics mal 
BivcB, et il a trop le sentiment de sa force pour croiri 
|lne décadence. 

Un Tim et loyal effort vers le yrat, toiIù ce qn'csl, 1 
lonime, le réalisme. Dégageons-le de violences et do b 
klités gratuites, et, plutôt que île l'opposer d l'idCalis 
ij rcnlrer l'idéal dans ce qu'il a de foncière 



TABLE DES MATIÈRES 



PREMIÈRE PARTIE 

GnAPiTRK I. — Le Classicisme 4 

-— II. — Les Précurseurs du xix* siècle 47 

— III. — M- de Staël et Chateaubriand * -42 

— IV. — Les Pseudo-Classiques 68 

DEUXIÈME PARTIE 

Chapitre I. — Le Romantisme 81 

— II. — Rénovation de la langue et de la métrique. 101 

— III. — Le Lyrisme romantique 1 120 

— IV. — Le Lyrisme romantique II 147 

— V. — Le Drame romantique 171 

— VI. — L'Histoire 192 

— VIL — La Critique 213 

— Vin. — Le Roman 232 

TROISIÈME PARTIE 

Chapitre I. — L'Évolution récdiste 257 

IL — La Poésie 274 

— III. — La Critique 305 

— IV. — Le Roman 322 

V. — Le Théâtre 356 

Conclusion , 3'^^ 

FIN DE LA TABLE. 



4040-04. — Coulommiers. Inip. Paul BRODARD. — 104)4. 



/- 



IME UNIVERSITE OF NUCMOAN 
GRADUATE UBRARY 



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