Skip to main content

Full text of "Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine, faites au Collège de France"

See other formats


'      i  '!! 


'i!i|i!|l 

;!l!;;iiiiiiiH 

•iiiiijpii!; 

!i*il!;'T!i 

i:::;i;::r:ii:;: 

lu 

! 

liiii 

■il 

'i 

I  (I!.  1,1 11,1,  ' 


'y'h> 


l'ilill  P'fni!  l'i!  '  '      * 


"         •*'       'jf'l''     '•IL        !•<       l,îj:  .1 


''  i 


"h 


llii     ) 
i      t. 


è  ^  i^'i  '!/ 
Il    I     I 11 


^ïi<I^.!iuî. 


/b 


^ 


^ 


H 


^^^^^2 

' 

^^^ss 

^^^^ 

a  ; 

o 
uu 
a 

^^ 

a 

a 

fVHOl 

il 

cr 

cr 

^S 

_c 

^^^^= 

^^^__ 

UJ 

^s 

= 

\ 


^. 


^^  0^^ 


Va 


>C 


^ 

^ 
^ 


Ov 


^.  ^• 


?: 

^ 


LEÇONS 


DE 


PHYSIOLOGIE 

EXPÉRIMENTALE 

APPLIQUÉE  A   LA  MÉDECINE 
TOME  P^- 


L'auteur  et  les  éditeurs  de  cet  ouvrage  se  réservent  le  droit  de  le  tra- 
duire ou  de  le  faire  traduire  en  toutes  les  langues.  Ils  ponrsuivionJ.  en 
vertu  '  lois  discrets  et  traités, internationaux,  toutes  contrefaçons  foites 
au  iné,=  :8  de  leurs  droits. 

Le  o'  pôt  légal  de  cet  .ouvrage  a  été  fait  à  Paris  en  juin  18S5,  et  toutes  les 
forma' u  es  prescrites  par  les  traités  sont  remplies  dans  les  divers  Étais  avec 
lesqurij  ra  France' a  Conclu  des  conventions  littéraires. 


Oi:iVRJL€i£«:  IIE  M.  €Ii.  BERNARD. 

C^£Z   LES  MÊMES  LIBRAIRES. 

R«^cherche8  expérimenfaSeg  sur  les  fonctions  fin  nerf  spi- 
ntrkl  x"?!  actressoire  »le  "t^'illis  {Mémoires  présentés  //a--  Uive>s  sa- 
vants étrangers  ù  VAcad^....^  des  Sciences.  Paris,  1851,  tome  XI  ) 

]%louTelle  fonction  do  foie,  considéré  comme  organe  polunienr  de 
matière  sucrée  chez  l'homme  et  chez  les  animaux.  Paris,  1853.  In-4  de 
94  pages. 

SOT  S  PRESSE  : 

Mémoire  sur  le  pancréas  et  sur  le  rôle  du  suc  pancréatique  dans  les 
phénomènes  digestifs,  particulièrement  dans  la  digestion  des  m.iUères 
grasses  neutres.  Paris,  1856,  in-4  de  190  pages,  avec  9  planches  gravées, 
en  partie  coloriées. 

Leçons  de  physiologie  eTcpérimentale  appliquée  à  la  méde- 
cine, faites  au  Collège  de  France.  Semestre  d'été,  1855.  1  vul.  in-8,  avec 
figures  intercalées  dans  le  texte.  7  fr. 

Leçons  sur  les  effets  des  substances  toxiques  et  médicanicn- 
leuses.  Paris,  1857.  1  vol.  in-8,  avec  figures.  7  fr. 

Leçons  sur  la  physiologie  et  la  pathologie  du  système  ner- 
veux. Paris.  1858.  2  vol.  in-8,  avec  figures.  li  fr. 

Leçons  sur  les  propriétés  physiologiques  et  les  altérHtioiis 
pathologiques  des  liquides  de  l'organisme,  l'aiis.  1859.  2  \o'. 
in-8,  avec  figures.  li  fr. 

Introduction  à  Tétude  de  la  médecine  expérimentale.  Paiis, 
1855,  in-8,  400  p.  1  fr. 

Leçons  de  pathologie  expérimentale.  Paris,  1871,  1  v<  1.  in-s  <le 
000  pages.  1  fr. 

LeçoHS  sur  les  anesthésiques  de  l'asphyxie.  Paris,  1874,  1  vol. 
iii-8  de  GOO  pages  avec  figures. 

Principes  de  médecine  expérimentale.  2  vol.  grand  in-8,  avec 
figures. 


r.ouBi:iL.  —  ryp.  de  Cukti;  fils. 


LEÇONS 

DE 

PHYSIOLOGIE 

/        EXPÉRIMENTALE 

APPLIQUÉE    A  LA   MÉDECINE 

TAITES  AU  COLLÈGE  DE  FRANCE 

PAR  *' 

M.  Claude  BERNARD 

Membre  de  l'iustilut  de  France, 

Professeur  suppléant  de  M.  Magendie  au  Collège  de  France, 

Professeur    de   physiologie   générale  à    la    Faculté   des    Sciences, 

Membre  des  Sociétés  de  Biologie,  philomathique  de  Paris, 

Correspondant  de  l'Académie  de  médecine  de  Turin,  des  Sociétés  médicales 

et  des  sciences  naturelle?  de  Lyon,  do  Suisse,  de  Vienne,  etc. 


TOME    {' 
COURS  DU  SEMESTRE  D'HIVER   I854-I855 


Avec  22  firmes  inlfrcalée'!!  dans  k  loAe. 


PARIS 

J.  B.    BAILLIÈRE  ut  FTLS, 

LIBRAIRES      DE      l'aCADÉMIE       IMPÉRIALE      DE      MÉDECINE 

Rue  Hautefeuille,  19 

liondres  1  Madrid 

HiPPOLYTE   BaILLIÊRK  |  C     BAILLY-BaILLIÈRK 

18oo 

L'auteur  et  les  éditeurs  se  réservent  le  drot  de  1radui;tiin  à^l'étrau^er. 


AVANT-PROPOS 


Aujourcrhui,  la  physiologie   expérimentale   est 
entraînée  dans  un  mouvement  de  développement 
qui  y  sans  contredit,  n'a  jamais  été  aussi  considé- 
rable ni  aussi  rapide  à  aucune  autre  époque  de 
son  histoire.  Dans  tous  les  pays,   de  tous  côtés, 
les  travailleurs   sont  à  l'œuvre  ,    et  chaque  jour 
l'expérimentation   apporte  quelque    fait    nouveau 
ou  quelque  découverte    importante,    soit  pour  la 
(^olution  de  questions  de  détail,  encore  incertai- 
^'^nes,  soit  pour  rétablissement  de  principes  géné- 
raux, d'autant  plus  nécessaires  que  les  résultats 
?0  particuliers  se   multiplient  davantage. 

On  comprend  qu'aux  époques  de  transition 
les  traités  dogmatiques  soient  difficiles,  parce 
qu'un  ouvrage  est  déjà  vieux  avant  d'être  achevé, 
et  qu'une  doctrine  court  risque  d'être  renversée 
avant  d'avoir  été  entièrement  formulée.  Dans  un 


VI  AVANT-PROPOS. 

certain  nombre  d'années,  lorsque  cette  sorte  de 
fermentation  scientifique  aura  subi  son  évolution, 
et  que  le  temps  aura  mûri  les  résultats  de  l'expéri- 
mentation ,  on  pourra  seulement  réunir  les  con- 
quêtes modernes  de  la  science  et  les  relier  par 
les  principes  ou  les  lois  qui  découleront  de  leur 
rapprochement. 

Mais,  en  attendant,  il  m'a  paru  utile  de  mon- 
trer ce  mouvement  de  la  physiologie  aux  person- 
nes qui  s'intéressent  à  cette  belle  science  ,  afin 
qu'elles  puissent  se  rendre  compte  de  la  tendance 
de  ses  progrès,  tant  par  la  méthode  suivant  la- 
quelle elle  procède,  que  par  la  nature  des  idées 
nouvelles  qui  surgissent  et  se  trouvent  en  lutte 
avec  les  idées  anciennes ^qui  disparaissent.  C'est 
cette  considération  qui  m'a  déterminé  à  publier 
ces  leçons,  qui  ne  sont  que  le  début  d'une  série 
de  cours  que  j'ai  l'intention  de  faire  paraître. 

Je  n'ai  pas  à  m'expliquer  sur  le  point  de  vue 
qui  règne  dans  ce  livre  \  on  trouvera  des  éclair- 
cissements suffisants  à  ce  sujet  dans  la  première 
leçon,  qui  sert  en  quelque  sorte  de  préface  à  ce 
volume.  Je  désire  seulement  avertir  le  lecteur 
que  j'ai  voulu  conserver  ici  la  forme  qu'entraîne 
l'exposition  de  travaux  de  recherches  qui  sont  en 


AVANT-PROPOS.  VII 

voie  de  se  faire.  Ces  leçons  ont  été  recueillies 
et  rédigées  sous  mes  yeux  par  un  de  mes  amis 
et  de  mes  élèves,  M.  Henri  Lefèvre,  licencié  ès- 
sciences  naturelles,  qui  était  constamment  parmi 
mes  assistants,  soit  dans  le  laboratoire,  quand 
j'instituais  mes  expériences,  soit  dans  Tamphi- 
théàtre,  quand  j'en  exposais  les  résultats  au  pu- 
blic. On  a  de  la  sorte  la  simple  narration  de  ce 
qui  se  passe  dans  l'intérieur  du  laboratoire  et  de 
l'amphithéâtre  d'un  physiologiste  qui  travaille  et 
discute  la  science. 

Une  telle  manière  de  faire  a  des  avantages  qui 
me  paraissant  très-réels.  Le  premier  bénéfice 
qu'on  en  tirera  sera  de  voir  les  expériences  phy- 
siologiques telles  qu'elles  sont,  avec  leurs  com- 
plications et  les  difficuHés  que  l'on  a  quelquefois 
à  surmonter  pour  en  triompher.  Un  autre  avan- 
tage que  je  crois  aussi  très-important,  c'est  qu'en 
voyant  les  recherches  expérimentales  se  dérouler, 
passer  d'abord  à  l'état  d'ébauche,  et  puis  se  perfec- 
tionner successivement,  l'esprit  souvent  discerne, 
dans  ces  notions  naissantes  et  fécondes,  diverses 
questions  qui  peuvent  être  pour  lui  la  source 
d'investigations  nouvelles,  ce  qui  a  rarement 
lieu,  quand  on  lui  présente  des  résultats  complets 
de  travaux  parfaitement  achevés. 


VIII  AVANT-PROPOS. 

Maintenant  je  ne  dissimule  pas  qu'un  livre 
ainsi  conçu  puisse  donner  plus  facilement  prise  à 
la  critique  stérile  de  ces  parasites  scientifiques  qui, 
impuissants  à  rien  créer  par  eux-mêmes,  s'accro- 
chent ordinairement  aux  découvertes  des  autres, 
pour  les  attaquer  et  chercher  ainsi  l'occasion  de 
faire  parler  d'eux.  On  comprend  que  cette  con- 
sidération ne  mérite  pas  même  de  me  préoccuper, 
si  j'ai  atteint  mon  but,  et  si  ces  leçons  peuvent 
être  utiles  aux  hommes  qui  cherchent  dans  les 
travaux  d'autrui  ce  qu'il  y  a  de  bon  pour  s'en 
inspirer,  et  faire  faire  à  la  science  de  nouveaux 
progrès. 

Paris,  mai  185,i. 

Claude  BERNARD. 


LEÇONS 

DE   PHYSIOLOGIE 


APPLIQUEE 


A    LA  MEDECINE 


PREMIERE  LEÇON 

23  DÉCRAIBRE    1854. 

SOMMAIRE  :  Nature  spéciale  de  l'enseignement  du  Collège  de  France  com- 
paré à  l'enseignement  des  Facultés.  —  De  l'investigation  physiologique.  — 
Des  faits  et  des  théories  en  physiologie.  —  Des  découvertes  prévues  et  im- 
prévues. --  De  la  critique  expérimentale.  Des  faits  contradictoires.  —  De 
la  complexité  des  phénomènes  physiologiques  et  des  difficultés  attachées  à 
leur  élude.  — Applications  des  sciences  physico-chimiques  à  la  physiologie. 
—  Applications  de  la  physiologie  à  la  médecine. 

Messieurs, 

L'illustre  professeur  qui  occupe  cette  chaire,  M.  Ma- 
gendie,  que  j'ai  l'honneur  de  suppléer  en  ce  moment, 
a  plusieurs  fois  fixé  devant  vous  (1)  la  nature  de  l'en- 
seignement que  vous  venez  chercher  ici.  Permettez-moi 
de  revenir  en  quelques  mots  sur  ce  sujet,  afin  que  nous 
puissions  mieuxcomprendi^e ,  et  atteindre  d' une  manière 

(1)  Leçons  sur  les  phénomènes  physiques  de  la  vie,  Paiis,    1842,   4  vol., 
in-8. 


55666 


0  ENSEIGNEMENT   DE   LA   PHYSIOLOGIE 

plus  siire  le  but  que  nous  poursuivrons  dans  le  cours  de 
ces  leçons. 

Tout  le  monde  sait  que  l'enseignement  du  Collège  de 
France  est  d'une  autre  nature  que  celui  des  facultés, 
qu'il  répond  à  d'autres  besoins,  qu'il  s'adresse  à  un 
autre  public,  que  sa  manière  de  procéder  est  essentiel- 
lement différente. 

Ici  le  professeur  toujours  placé  au  point  de  vue  de 
l'exploration,  doit  considérer  la  science,  non  dans  ce 
qu'elle  a  d'acquis  et  d'établi,  mais  dans  les  lacunes 
qu'elle  présente,  pour  tâcher  de  les  combler  par  des 
recherches  nouvelles.  C'est  donc  aux  questions  les  plus 
ardues  et  les  plus  obscures  qu'il  s'attaque  de  préfé- 
rence, devant  un  auditoire  déjà  préparé  à  les  aborder 
par  des  études  antérieures. 

Dans  les  Facultés,  au  contraire,  le  professeur  placé 
au  point  de  vue  dogmatique,  se  propose  de  réunir,  dans 
un  exposé  synthétique,  l'ensemble  des  notions  positives 
que  possède  la  science,  en  les  rattachant  au  moyen  de 
ces  liens  que  l'on  nomme  des  théories,  destinées  à  dis- 
simuler autant  que  possible  les  points  obscurs  et  con- 
troversé<v  qui  troubleraient  sans  profit  l'esprit  de  l'é- 
lève  qra  débute. 

Ainsi,  ces  deux  genres  d'enseignement  sont,  pour 
ainsi  dire,  opposés  dos  à  dos.  Le  professeur  de  faculté 
voit  la  science  dans  son  passé;  elle  est  pour  lui  comme 
parfaite  dans  le  présent;  il  la  vulgarise  en  exposant 
dogmatiquement  son  état  actuel.  Le  professeur  du  Col- 
lège de  France,  au  contraire,  doit  avoir  les  yeux  tournés 
vers  l'inconnu,  vers  l'avenir. 


AL    COLLÈGE   DE  FRANCE.  H 

Loin  d'être  achevée,  la  science  de  la  vie  se  présen- 
tera donc  à  nous  avec  ses  imperfections;  nous  nous 
préoccuperons  sans  cesse,  non  de  ce  qui  est  fait,  mais 
de  ce  qui  reste  à  faire;  et  cette  direction  progressive  est 
d'autant  plus  importante,  \ous  le  comprenez  sans  peine, 
que  la  science  dont  nous  nous  occupons  ici  est  plus 
éloignée  de  son  entier  développpment. 

11  était  nécessaire,  Messieurs,  de  bien  fixer  notre 
point  de  vue  pour  comprendre  l'espèce  de  liberté  dans 
notre  exposition,  de  variété  dans  le  choix  de  nos  su- 
jets que  comporte  cet  enseignement,  oii  aucun  pro- 
gramme ne  saurait  être  rigoureusement  suivi,  con- 
trairement aux  cours  des  Facultés,  nécessairement 
encadrées  dans  un  programme  recommencé  périodi- 
quement et  ne  dépassant  pas  le  niveau  des  connais- 
sances acquises.  On  peut  changer  ici  de  sujet  tous  les 
ans,  tous  les  semestres;  et  même,  dans  le  cours 
d'un  semestre,  notre  plan  pourra  se  trouver  modifié, 
si,  tombant  sur  un  filon  de  recherches  intéressan- 
tes, il  y  a  profit  pour  la  science  à  le  poursuivre  sans 
délai. 

En  un  mot,  nous  choisissons  nos  études  sous  la  seule 
condition  de  faire  des  effoits  incessants  pour  concourir 
aux  progrès  de  la  physiologie  et  de  la  médecine,  en  clier- 
chant  à  réaliser  ces  progrès  sur  tous  les  points  oii  il 
nous  est  permis  de  les  atteindre,  et  partons  les  moyens 
qui  sont  en  notre  pouvoir. 

Or,  Messieurs,  ces  moyens  se  rapportent  à  deux  di- 
rections : 

Dans  la  première,  on  institue  des  recherches  nou- 


12  ENSEIGNEMENT  DE  LA   PHYSIOLOGIE 

velles,  sources  de  découvertes.  C'est  Y  investigation  ou 
V  invention. 

Dans  la  seconde,  on  exerce  un  jugement  sévère  sur 
les  faits  obtenus,  de  manière  à  en  éloigner  les  causes 
d'erreurs,  et  à  leur  donner  une  valeur  et  une  significa- 
tion précises  dans  la  science.  C'est  ce  que  j'appellerai  la 
critique  expérimentale. 

Relativement  à  l'investigation.,  les  philosophes  ont 
beaucoup  disserté  sur  l'art  d'interroger  la  nature  et  d'y 
faire  des  découvertes. 

Les  uns,  avec  J.  de  Maistre,  ont  soutenu  qu'il  n'y 
avait  en  cela  aucune  règle  à  suivre,  que  celui  qui  faisait 
des  découvertes  possédait  quelque  chose  d'instinctif,  un 
quid jwoprium,  et  que  le  hasard  se  chargeait  du  reste. 
Quelques  esprits,  allant  plus  loin,  ont  même  fait  de  l'i- 
gnorance une  condition  favorable. 

D'autres  philosophes,  avec  Bacon,  anoncent  qu'ils  y 
a  des  méthodes  sûres  pour  arriver  à  réaliser  les  progrès 
de  la  science,  et  en  ont  théoriquement  tracé  les  règles. 
Toute  l'application  qu'ils  en  ont  faite  serait  loin  d'a- 
voir prouvé  leur  efficacité.  C'est  pourquoi,  au  lieu  de 
vous  donner  des  principes  abstraits  sur  l'art  d'instituer 
des  recherches  et  de  faire  des  découvertes,  je  préfère 
joindre  l'exemple  au  précepte,  et  vous  montrer,  dans  le 
cours  de  ces  leçons,  par  la  pratique  expérimentale  des 
choses,  comment  doit  procéder  l'esprit  d'investigation 
pour  arriver  à  la  solution  des  problèmes  physiologiques. 

J'e  n'entrerai  donc  pas  dans  l'exposition  ni  dans  la 
discussion  des  opinions  philosophiques  précédentes,  ce 
qui  nous  éloignerait  entièrement  de  notre  sujet.  Je  dirai 


AU    COLLÈGE   DE  FRANCE.  \'^ 

seulement  (F une  manière  générale  qu'on  ne  réussira 
dans  les  recherches  physiologiques  qu'à  la  condition 
d'avoir  le  sentiment  exact  de  la  complexité  et  de  la  mo- 
bilité des  phénomènes  de  la  vie,  et  d'être  bien  fixé  sur 
l'importance  relative  qu'on  doit  accorder,  en  physiolo- 
gie, aux  faits  et  aux  théories;  en  se  servant,  du  reste, 
des  moyens  logiques  ordinaires  en  vertu  desquels  on 
procède  et  l'on  juge  dans  toute  autre  science.  Je  vous 
demanderai  la  permission  de  donner  quelques  explica- 
tions h  ce  sujet. 

On  a  raison  d'admettre  que  l'esprit  de  l'homme  ne 
s'exerce  que  sur  deux  ordres  de  notions  :  les  unes  ^^^^- 
j'ectiv es  ou.  oBstraites^  les  autres  objectives  ou  concrètes. 
Mais  il  faut  aussi  reconnaître  que  jamais  un  seul  de  ces 
ordres  de  notions  ne  peut  exister  isolément  en  nous, 
de  telle  sorte  que  l'rn  appelle  toujours  l'autre  à  sa  suite, 
et  qu'en  vertu  de  cette  tendance  qui  nous  est  naturelle; 
nous  donnons  constamment  des  formes  objectives  aux 
notions  idéales  ou  subjectives  que  nous  possédons  tous, 
et  que,  d'autre  part,  nous  subjectivons,  c'est-à-dire  que 
nous  élevons  toujours  à  l'état  de  théorie  abstraite  l'en- 
semble des  notions  objectives  qui  nous  sont  transmises 
par  les  sens. 

En  physiologie  et  en  médecine,  nous  n'avons  af- 
faire qu'à  des  réalités  objectives,  et  nous  sommes  en 
plein  dans  ce  qu'on  appelle  les  sciences  d'observa- 
tion et  d'expérimentation,  parce  que  Fobservation  et 
l'expérimentation  peuvent  seules  établir  les  m?/// ^'^  ou 
\q^  faits  sur  lesquels  ces  sciences  se  fondent.  Mais, 
comme  je  le  disais  tout  à  l'heure,  ces  faits,  une  fois  éta- 


14  ENSEIGNEMENT    DE   LA    PHYSIOLOGIE 

blis,  ne  restent  jamais  isolés  dans  notre  esprit;  nous 
les  comparons,  nous  les  rapprochons,  et  nous  y  mêlons 
immédiatement  des  notions  subjectives  en  formulant 
sur  eux  des  lois  ou  des  théories  qui  ne  sont  que  des  re- 
présentations abstraites  que  nous  nous  faisons,  relati- 
vement aux  causes  ou  au  mécanisme  de  ces  faits  ou  de 
ces  phénomènes.  Telle  est,  en  efFtt,  la  marche  inévita- 
ble que  l'homme  suit  dans  l'étude  de  toutes  ces  scien- 
ces: V  Établir  les  faits  ou  les  phénomènes  par  l'obser- 
vation et  1  expérimentation  jusqu'à  ce  qu'il  ait  épuisé 
ce  que  ces  moyens  peuvent  lui  fournir;  2''  s'élever  par 
induction  de  ces  faits  ou  phénomènes  à  leurs  rapports 
généraux  qu'il  appelle  des  lois  ;  3°  entîn  partir  de 
ces  lois  pour  aller,  par  un  raisonnement  logique  de 
déduction,  à  la  recherche  d'autres  faits  paiticuliers 
qui  puissent  à  leur  tour  être  compris  dans  la  loi  gé- 
nérale. 

Rapprocher  les  fails  pour  en  tirer  des  lois,  c'est  la 
méthode  suivant  laquelle  toute  science  se  constitue;  de 
même  que  le  procédé  logi(|ue  qui  consiste  à  partir  de 
ces  lois  formulées  pour  y  faire  rentrer  les  recherches 
nouvelles,  est  le  seul  moyen  que  celle  science  possède 
pour  avancer  réellement.  Seulement,  ce  qu'il  faut  ne 
pas  perdre  de  \ue,  c'est  que  les  faits  bien  observés  sont 
eux  seuls  les  rèalilh  invariables,  indestructibles,  tandis 
qiiejes  interprétations  que  nous  appelons  des  lois  et  des 
théories  ne  sont  que  des  ahsiraciions  ou  des  manières  de 
voir  en  rappoit  avec  l'étendue  de  nos  connaissances,  et 
conséquemment  susceptibles  de  varier  à  mesure  que 
nos  coimaissances  se  niuiliplieronl.  s'élendiont  davan- 


AU    COLLÈGE    DE    FRANGE. 

tage  en  présentant  d'autres  faces  à  cette  même  interpré- 
tation. 

Lorsque  les  phénomènes,  ainsi  que  cela  a  lieu  dans 
certaines  parties  des  sciences  physico-chimiques,  sur- 
passent, dans  des  conditions  simples  et  faciles  à  appré- 
cier, les  lois  que  l'on  trouve  se  rapprochent  beaucoup 
plus  de  la  réalité,  sans  toutefois  que  l'on  soit  jamais 
autorisé  à  les  considérer  comme  la  représentant  com- 
plètement ;  le  raisonnement  peut  alors  s'appuyer  sur 
ces  lois  assez  sûrement  pour  conduire  par  voie  de  dé- 
duction logique  à  la  connaissance  de  faits  nouveaux. 
Mais  quand  il  s'agit  des  sciences  biologiques  où  les 
phénomènes  sont  très^difticiles  à  observer  et  à  expé- 
rimenter, à  cause  de  leur  complication  et  du  grand 
nombre  des  éléments  qui  les  constituent,  les  lois  sont 
alors  beaucoup  plus  difficiles  à  établir,  et  elles  sont 
toujours  très-loin  de  représenter  la  réalité. 

Ce  dernier  cas  est  celui  des  lois  que  nous  posons  en 
physiologie  et  en  médecine,  où  leur  multiplicité  même 
atteste  leur  imperfection. 

Cependant  c'est  toujours  exclusivement  sur  ces  abs- 
tractions et  sur  ces  lois,  bonnes  ou  mauvaises,  que  nous 
basons  notre  raisonnement  pour  déduire  des  résul- 
tats nouveaux  qui  doivent  ensuite,  comme  dans  toutes 
les  sciences  d'observation,  être  vérifiés  par  l'expérience. 

On  concevra  facilement  que  la  conclusion  à  laquelle 
nous  arriverons  par  le  raisonnement  sera  d'autant  plus 
incertaine  que  la  loi  sur  laquelle  nous  l'avons  établie 
sera  elle-même  moins  sûre  ;  et,  à  ce  sujet,  on  peut  dire 
que  si,  dans  les  sciences  purement  physiques,  l'expé- 


I(i  ENSEIGNEMENT   DE   LA    PliYS10L0(iIE 

rience  vient  le  plus  ordinairement  confirmer  ce  qu'in- 
diquait le  calcul  de  la  théorie,  en  physiologie  on  voit, 
dans  l'état  actuel  de  cette  science,  presque  toujours  le 
contraire  arriver,  c'est-à-dire,  le  raisonnement  et  l'ex- 
périence se  trouver  le  plus  souvent  en  désaccord. 

Malgré  le  peu  de  valeur  réelle  que  nous  devions  re-  . 
connaître  dans  ce  que  nous  appelons  des  lois  aujour- 
d'hui en  physiologie,  il  faut  cependant  nous  en  servir, 
car  dans  une  science  quelconque  il  est  impossible  do 
passer  d'un  fait  connu  à  un  fait  encore  inconnu,  sans 
l'intermédiaire  d'une  idée  abstraite  ou  d'une  théorie. 

Mais,  en  physiologie,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit, 
les  conditions  des  phénomènes  sont  si  compUquées,  et 
souvent  même  si  mal  établies,  que  nous  devons,  à  cause 
des  difficultés  inhérentes  à  Texpérimentation  et  l'obser- 
vation, nous  tenir  toujours  en  garde  contre  les  lois  que 
nous  formulons,  et  n'avoir  dès  lors  qu'une  confiance 
très-médiocre  dans  les  résultats  qu'elles  peuvent  nous 
faire  prévoir.  En  un  mot,  nous  devons  prendre,  pour  le 
moment,  ces  théories  beaucoup  plus  comme  des  moyens 
capables  de  remuer  le  terrain  de  la  physiologie  en  pro- 
voquant des  expérimentions  nouvelles  que  comme  des  . 
guides  sur  lesquels  le  raisonnement  puisse  s'appuyer 
avec  certitude. 

Il  résultera  delà  que,  pour  réussiridans l'investigation 
physiologique,  il  ne  suffira  pas,  comme  dans  des  scien- 
ces plus  avancées,  d'avoir  seulement  en  vue  de  vérifier 
le  résultat  que  la  théorie  indique,  mais  il  faudra  en 
même  temps  avoir  l'esprit  et  les  yeux  attentifs  à  tous 
les  phénomènes  qui  pourront  naître  intercurremment, 


AU   COLLÈGE   DE   FRANCE.  17 

qu'ils  soient  en  faveur  de  la  théorie  ou    contre  elle. 

En  se  plaçant  à  ce  point  de  vue,  vous  comprenez, 
Messieurs,  qu'on  pourra  faire  dans  nos  sciences  deux 
espèces  de  découvertes  : 

Les  unes  prévues  par  le  raisonnement  ou  indiquées 
parla  théorie  ;  elles  se  réalisent  d'autant  mieux  que  les 
sciences  sont  plus  avancées,  que  les  phénomènes  sont 
plus  simples  et  les  lois  mieux  établies,  et  c'est  dans  les 
sciences  physiques  qu'on  les  rencontre  le  plus  souvent. 

Les  autres,  imprévues^  sont  des  découvertes  qui  sur- 
gissent inopinément  dans  l'expérimentation,  non  plus 
comme  corollaires  de  la  théorie,  et  propres  à  la  confir- 
mer, mais  toujours  en  dehors  d'elle,  et  par  conséquent 
lui  étant  contraires. 

Ces^décou vertes  imprévues.dgivent  être  d'autant  plus 
rares  que  les  sciences  sont  mieux  constituées^  et  d'au- 
tant plus  fréquentes  que  les  sciences  sont  moins  avan- 
cé_es^  En  physiologie,  tout  expérimentateur  pourra  en 
faire,  pourvu  qu'il  soit  bien  pénétré  de  cette  idée,  que 
les  théories  sont  tellement  défectueuses  dans  cette 
science,  qu'il  y  a,  dans  l'état  actuel  des  choses,  autant 
de  probabilités  pour  découvrir  des  faits  qui  les  ren- 
versent, qu'il  y  en  a  pour  en  trouver  qui  les  appuient. 

S'il  nous  a  été  donné  de  faire  en  physiologie  quelques- 
unes  de  ces  découvertes  imprévues,  nous  croyons  le 
devoir  à  ce  que  nous  nous  sommes  toujours  placé  dans 
cette  disposition  d'esprit  qui  n'accorde  aux  théories 
physiologiques  qu'une  valeur  essentiellement  relative 
et  entièrement  subjective,  tout  en  appréciant  leur  im- 
portance pour  diriger  les  investigations  et  solliciter 

BERNARD.   I.  2 


18  ENSEIGNEMENT   DE   LA   PHYSIOLOGIE 

l'expérimentateur  à  voir  des  phénomènes  qu'il  n'aurait 
pas  vus  sans  cela,  quoique  ceux-ci  fussent  d'ailleurs 
d'une  évidence  extrême.  Tout  le  monde  s'étonne  alors 
de  les  avoir,  pendant  si  longtemps,  laissés  passer  ina- 
perçus, ce  qui  justifie  le  mot  d'un  illustre  physicien 
de  nos  jours  (1),  que  «  rien  n'est  plus  clair  que  ce  qu'on 
a  trouvé  hier,  et  rien  n'est  plus  difficile  à  voir  que  ce 
qu'on  trouvera  demain.  » 

Je  désire,  Messieurs,  mettre  un  exemple  sous  vos 
yeux,  pour  mieux  fixer  vos  idées  sur  ce  que  nous  ve- 
nons de  dire,  et  pour  attirer  votre  attention  sur  cette 
sorte  d'utilité  que  peut  avoir  quelquefois  une  théorie, 
même  mauvaise,  pour  faire  découvrir  un  fait  qu'on 
avait  depuis  longtemps  sous  les  yeux  sans  le  voir. 

Voici  un  lapin  sur  lequel  nous  mettons  à  nu  et  nous 
coupons  le  filet  nerveux  du  sympathique  qui  unit  du 
côté  gauche  le  ganglion  cervical  supérieur  avec  le  gan- 
glion cervical  inférieur.  Nous  répétons  là  une  expé- 
rience que  Pourfour  du  Petit  a  faite  en  1727,  et  qu'un 
grand  nombre  d'expérimentateurs  ont  reproduite  de- 
puis lui,  en  observant  tout  le  résultat  le  plus  saillant 
qui  avait  été  annoncé,  savoir,  un  rétrécissement  de  la 
pupille  que  nous  pouvons  constater  ici,  et  sur  lequel 
on  fit  ensuite  beaucoup  d'hypothèses.  On  supposa,  par 
exemple,  que  le  nerf  moteur  oculaire  commun  don- 
nait le  mouvement  aux  muscles  constricteurs  pupillai- 
res,  et  le  grand  sympathique  aux  dilatateurs,  etc.  Tous 
les  ans,  dans  mes  cours,  je  faisais  cette  expérience,  dans 
laquelle  je  vérifiais  comme  tout  le  monde  les  phéno- 

(1)  M.  Biot^  Journal  des  savants. 


AU    COLLÈGE  DE  FRANCE.  l9 

mènes  relatifs  à  cette  théorie  des  mouvements  de  la 
pupille,  mais  sans  rien  y  voir  autre  chose  ;  lorsqu'il  y 
a  trois  ans  environ,  rassemblant  les  observations  que 
possède  la  science  sur  les  effets  de  la  section  des  nerfs 
dans  les  différentes  parties  du  corps,  et  sur  l'influence 
que  cette  section  exerce  sur  la  chaleur  de  ces  mêmes 
parties,  je  trouvai  des  faits  en  apparence  contradic- 
toires consignés  par  les  expérimentateurs,  les  uns  an- 
nonçant qu'après  la  section  des  nerfs,  il  y  a  abais- 
sement de  température,  les  autres  disant  que  cet 
abaissement  n'existait  pas.  Étant  bien  pénétré  de  cette 
pensée  qu'il  ne  pouvait  pas  y  avoir  contradiction  dans 
ces  faits  bien  observés  ;  et  que  cette  diversité  des  ré- 
sultats dépendait  des  conditions  particulières  à  l'expé- 
rimentation, je  résolus  de  les  rechercher.  Je  partis  pour 
cela  d'une  loi  ou  d'une  idée,  si  vous  voulez,  générale- 
ment admise,  à  savoir,  que  le  grand  sympathique  est 
un  nerf  qui  suit  les  artères,  et  se  rend  aux  organes 
glandulaires,  pour  servir  surtout  à  l'accomplissement 
des  phénomènes  chimiques  que  l'on  regarde  comme  la 
source  de  la  chaleur  animale.  Admettant  cette  théorie 
comme  vraie,  le  raisonnement  logique  fut  de  conclure 
que  le  refroidissement  dans  les  organes  dont  les  nerfs 
avaient  été  coupés  tenait  à  ce  que  les  filets  du  nerf 
sympathique  avaient  été  détruits,  et  à  ce  que,  par  suite, 
les  phénomènes  chimiques,  source  de  la  chaleur,  se 
trouvaient  diminués  ou  anéantis.  Restait  à  instituer 
l'expérience  pour  vérifier  les  données  de  la  théorie.  Il 
s'agissait  de  couper  isolément  un  filet  du  nerf  sympa- 
thique afin  d'examiner  si  cette  opération  amènerait  un 


'20  ENSEIGNEMENT   DE  LA  PHYSIOLOGIE 

abaissement  de  la  température  des  parties).  J'ai  choisi 
Je  lapin,  chez  lequel  cette  expérience  est  parfaitement 
réalisable  au  cou,  parce  que  le  grand  sympathique  y  est 
séparé  du  pneumo-gastrique  ;  il  est  d'ailleurs  admis  que 
ce  filet  du  grand  symphatique,  sur  lequel  nous  avons 
agi,  prend  naissance  dans  la  moelle  épinière  et  monte 
le  long  du  cou  pour  se  distribuer  vers  la  tête. 

D'après  les  prévisions  de   la  théorie,  la  section  du 
nerf  sympathique  à  gauche,  chez  notre  lapin,  a  dû  pa- 
ralyser les  actes  chimiques  qui  se  passent  dans  les  ca- 
pillaires de  la  tête,  et  la  température  devra  se  trouver 
abaissée  dans  la  moitié  de  la  tête  correspondant  au  côté 
oii  ce  nerf  a  été  coupé.  Or  l'expérience  est  faite  depuis 
environ  un  quart  d'heure;  constatons  ce  qui  s'est  passé 
sous  le  rapport  de  la  modification  de  température.  Nous 
touchons  avec  la  main  les  deux  côtés  de  la  face  et  les 
deux  oreilles  du  lapin,    et  nous  jugeons  avec  la  plus 
grande  évidence,  par  la   simple  sensation,  que,  loin 
d'être  abaissée,  la  température  s'est  au  contraire  consi- 
dérablement accrue  à  gauche,  du  côté  oii  nous  avons 
coupé  le  nerf  sympathique.  En  plongeant  un  thermo- 
mètre  dans  l'oreille  gauche,  nous  y  trouvons  quatre 
degrés  de  plus  que  dans  l'oreille  droite.  Vous-même 
pouvez  sentir  à  la  main  cette  différence  de  température, 
tant  elle  est  évidente  et  considérable.  L'observation  m'a 
appris,  du  reste,   que  cet  excès   de  température  peut 
durer  plusieurs  semaines  après  la  section  du  nerf  sym- 
pathique. 

Voilà,  Messieurs,  ce  que  j'appelle  une  découverte  im- 
prévue, c'est-à-dire  un  résultat  d'expérience  qui,  au 


AU   COLLÈGE  DE   FRANCE.  21 

lieu  de  confirmer  la  théorie  qui  a  provoqué  à  sa  recher- 
che, se  trouve  au  contraire  complètement  en  désaccord 
ou  en  opposition  avec  elle.  Le  phénomène  que  nous 
avons  découvert  est  on  ne  peut  plus  facile  à  voir,  et  il 
était  cependant  passé  iuaperçu  sous  les  yeux  de  beau- 
coup d'observateurs  éminents,  ainsi  que  sous  les  nôtres 
pendant  longtemps. 

Si  la  théorie  n'a  pas  été  confirmée,  néanmoins  c'est 
elle  qui,  en  dirigeant  l'esprit  dans  un  certain  sens,  a 
conduit  à  la  découverte  du  fait  nouveau.  C'est  ainsi 
que  nous  comprenons  l'importance  purement  directrice 
et  provisoire  des  théories.  Nous  devons  les  prendre 
comme  des  instruments  intellectuels,  prêts  à  les  aban- 
donner et  à  les  sacrifier  à  la  plus  petite  vérité,  et  la 
science  ne  peut  qu'y  gagner.  Ici,  par  exemple,  rien 
n'est  perdu  pour  la  physiologie.  Ce  qu'a  découvert 
Pourfour  du  Petit  persiste  toujours  ;  il  y  a  seulement 
un  autre  résultat  qui  est  acquis  en  plus.  Quant  à  la 
théorie  du  nerf  grand  sympathique,  elle  changera  et  se 
modifiera  sans  doute;  mais  peu  nous  importe.  Nous  sa- 
<;rifierons  des  hypothèses  et  des  théories  tant  qu'il  en 
faudra,  pourvu  que  nous  découvrions  des  faitsnouveaux 
qui  seront,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  les  seules 
réalités  indestructibles  sur  lesquelles  la  science  positive 
doit  se  fonder  et  s'élever  peu  à  peu. 

Si  nous  faisons  si  bon  marché  de  nos  théories  et  de 
nos  lois,  c'est  que  nous  avons  conscience  de  leur  im- 
perfection. Mais  il  yadesesprits  qui,  saisis  ajuste  titre 
d^admiration  pour  la  simplicité  et  la  généralité  des  lois 
qui  régissent  les  sciences  astronomiques  et  quelques 


22  ENSEIGNEMENT   DE   LA  PHYSIOLOGIE 

parties  des  sciences  physico-chimiques,  \oient,  dans 
l'application  sûre  de  ces  théories  à  la  découverte  des 
faits  nouveaux,  l'idéal  de  la  puissance  intellectuelle  de 
l'homme  sur  la  nature.  Ces  esprits  se  trouvent  comme 
humiliés  quand,  en  physiologie,  ils  se  voient  arrêtés  à 
chaque  pas  dans  leur  essor  imaginaire  par  la  réalité  ma- 
térielle, par  ce  qu'on  appelle  le  fait  brutal.  Alors,  il 
peut  se  faire  qu'au  lieu  de  se  résigner  et  de  procéder 
ainsi  que  nous  le  recommandions,  ces  physiologistes 
aient  l'ilhision  de  croire  que  leurs  théories  vaudront 
mieux  que  celles  des  autres.  On  les  voit  alors  tordant 
et  mutilant  les  faits  pour  les  faire  entrer  dans  leurs 
vues,  éliminant  ceux  qui  leur  sont  contraires,  arriver  à 
construire  des  systèmes  que  leur  talent  peut  faire  briller 
d'un  éclat  plus  ou  moins  vif,  mais  dont  la  vérité  finit 
toujours  par  faire  justice.  Aujourd'hui,  en  physiologie, 
cette  tendance  systématique  est  des  plus  malheureuses 
pour  la  science,  qu'elle  retarde;  et,  quant  aux  hommes 
dont  je  parle,  il  ne  saurait  faire  en  ce  cas  preuve  d'une 
supériorité  d'esprit  générahsateur  ;  ils  prouvent  uni- 
quement qu'ils  n'ont  pas  le  sentiment  de  la  nature 
delà  science  qu'ils  cultivent, ni  la  conscience  de  l'état 
dans  lequel  elle  se  trouve.  Il  faut  bien  être  convaincu, 
en  effet,  que,  dans  ces  problèmes  si  complexes  delà  vie, 
les  esprits,  même  les  plus  vastes,  ne  peuvent  pas  faire 
l'impossible,  et  faire  que  des  phénomènes  complexes 
soient  simples,  et  que  des  lois  ou  théories  mauvaises 
soient  bonnes.  Les  généralisateurs  ne  manquent  pas, 
mais  les  grandes  généralisations  sont  encore  impossibles 
en  physiologie.  L'expérimentateur,  guidé  par  cette  lueur 


AU   COLLÈGE   DE    FRANGE.  23 

provisoire  des  théories  actuelles,  doit  se  considérer 
comme  un  aveugle,  et  n'avancer  qu'avec  circonspec- 
tion, en  donnant  toujours  la  main  à  l'expérience  qui, 
seule,  peut  l'empêcher  de  tomber  dans  l'erreur  et  de 
s'égarer.  Sans  doute,  il  faut  avoir  foi  dans  l'avenir  et 
croire  à  un  temps  meilleur,  oii  la  science  physiolo- 
gique, mieux  constituée,  permettra  à  la  généralisation 
un  plus  libre  essor  ;  mais  c'est  à  la  préparation  de  cet 
avenir  qu'il  faut  travailler,  et  nous  sommes  intimement 
convaincu  qu'il  n'y  a  pas  aujourd'hui 'de  moyens  plus 
efficaces  d'accélérer  les  progrès  de  la  physiologie  que 
d'y  faire  des  découvertes.  Ce  sera,  ainsi  que  nous  l'a- 
vons dit,  le  but  unique  de  nos  efforts  dans  cet  ensei- 
gnement. 

Maintenant,  Messieurs,  nous  arrivons  à  ce  que  nous 
appelons  la  critique  expérimentale .  Elle  a  un  rôle 
très-important  à  remplir,  car  elle  étabht  les  faits  dans 
leur  signification  et  dans  leurs  conditions  d'existence. 
Elledirigedonc  l'expérimentation  en  déterminant  les  cir- 
constances dans  lesquelles  elle  doit  être  instituée.  Avant 
tout,  il  importe  que  les  faits  soient  bien  fixés,  car  sou- 
vent les  débats  portent  sur  des  questions  de  ce  genre, 
les  uns  soutenant  qu'une  chose  est,  les  autres  qu'elle 
n'est  pas.  Relativement  à  ces  contradictions  si  fré- 
quentes en  médecine  et  en  physiologie,  il  y  a  un  pre- 
mier principe  dont  il  ne  faut  jamais  se  départir,  c'est 
qu'on  ne  saurait  admettre  que,  dans  des  conditions 
identiques,  des  phénomènes  puissent  se  passer  diffé- 
remment ;  ce  serait  absurde,  cela  équivaudrait  à  ad- 
mettre des  effets  sans  cause.  Les  mots  exception^  idio- 


24  ENSEIGNEMENT  DE   LA  PHYSIOLOGIE 

sijncrasie,  etc.,  ne  sont  donc  pas  des  réalités  scientifi- 
ques; ces  expressions, à  Taide  desquelles  nous  couvrons 
notre  ignorance,  prouvent  tout  simplement  que  nous 
ne  connaissons  pas  toutes  les  données  qui  entrent  dans 
la  production  du  phénomène.  Mais  nous  n'en  sommes 
pas  moins  forcés  scientifiquement  de  reconnaître  que 
ces  diirérences,  que  nous  ne  pouvons  expliquer,  ont 
leurs  causes  appréciables,  qui  resteront  comme  des 
desiderata  tant  qu'elles  n'auront  pas  été  trouvées. 

Ceci  revient  à  dire,  en  d'autres  termes,  que  les  faits 
ne  se  contredisent  jamais.  Permettez-moi  encore.  Mes- 
sieurs, de  vous  citer  un  exemple  pris  parmi  les  faits  les 
plus  simples,  afin  que  vous  soyez  bien  convaincus  de 
cette  vérité. 

Nous  prenons  un  lapin,  de  la  vessie  duquel  nous 
extrayons  de  l'urine.  Celle-ci  est  trouble,  alcaline,  fait 
effervescence  quand  on  y  ajoute  un  acide,  elle  contient 
fort  peu  d'urée.  Nous  avons  examiné  les  urines  de  cinq 
ou  six  autres  lapins,  et  nous  les  avons  trouvées  toutes 
douées  des  mêmes  caractères  physiques  et  chimiques  ; 
ce  qui  est  bien  d'accord  avec  ce  que  l'on  admet  généra- 
lement, que  l'urine  des  herbivores  est  toujours  alcaline, 
et  ne  contient  que  peu  d'urée  et  beaucoup  de  carbo-, 
nates,  tandis  que  l'urine  des  carnivores  est  acide,  con- 
tient beaucoup  d'urée  et  pas  de  carbonates,  etc.  Mais 
voici  un  autre  lapin  de  même  taille,  de  la  vessie  duquel 
nous  extrayons  également  l'urine  ;  nousla  trouvonscette 
fois  claire,  limpide,  acide,  contenant  beaucoup  d'urée 
et  ne  faisant  aucunement  effervescence  par  les  acides. 
Est-ce  un  fait  exceptionnel  chez  ce  lapin, qui,  ainsique 


AU   COLLÈGE   DE   FRANCE.  2o 

VOUS  le  voyez,  offrirait  des  urines  analogues  à  celle  des 
carnivores?  Il  y  a  huit  ans  que  je  fis  pour  la  première 
fois  cette  observation,  que  les  urines  peuvent  parfois  se 
montrer  acides  chez  les  lapins  et  chez  les  chevaux.  Me 
conformant  alors  aux  principes  que  je  vous  ai  signalés 
plus  haut,  je  ne  pensai  pas  que  ce  fut  là  une  exception, 
c'est-à-dire  un  fait  n'ayant  pas  sa  raison  d'être.  J'étais 
convaincu,  au  contraire,  qu'il  y  avait  une  cir^constance 
particulière  qui  devait  expliquer  la  différence  du  phé- 
nomène, et  je  cherchai  à  apprécier  cette  circonstance. 
J'arrivai  bientôt  à  trouver  que  cela  dépendait  de  l'état 
d'abstinence 011  se  trouvaient  les  animaux  herbivores,  et 
que  chez  tous  les  lapins,  ainsi  que  chez  les  chevaux  à 
jeun,  les  urines  sont  toujours  acides  et  chargées  d'urée, 
comme  cela  se  voit  chez  les  carnivores.  Cette  détermi- 
nation delà  condition  du  phénomène  n'a  pas  détruit  le 
fait  que  les  urines  des  herbivores  sont  généralement  al- 
calines, mais  on  a  su  de  plus  qu'il  fallait  considérer 
les  animaux  herbivores  à  jeun  comme  des  carnivores 
se  nourrissant  de  leur  propre  substance,  qui  est  le 
sang.  Nous  pourrions  vous  citer  encore  beaucoup 
d'exemples  analogues,  pour  vous  prouver  que  Ja  cir- 
constance la  plus  légère  suffît  quelquefois  pour  changer 
les  apparences  d'un  phénomène,  et  lui  donner  laspect 
d'un  fait  contradictoire.  Mais  les  cas  de  ce  genre  s'offri- 
ront très-souvent  à  nous  dans  le  cours  de  ces  leçons, 
et  nous  ne  manquerons  pas  d'attirer  votre  attention  sur 
eux  chaque  fois  que  l'occasion  s'en  présentera. 

Tout  ceci  prouve.  Messieurs,  qu'il   faut   redoubler 
de  soin   dans  les  expériences  physiologiques,  juste- 


26  ENSEIGNEMENT   DE   LA   PHYSIOLOGIE 

ment   à  cause   de  la  complexité    des    phénomènes. 

Et  à  ce  propos,  permettez-moi  de  vous  dire  que  la  plu- 
part de  ceux  qui  font  des  explorations  sur  les  êtres  vi- 
vants ne  paraissent  pas  assez  se  douter  de  la  complica- 
tion des  phénomènes  qu'ils  veulent  observer,  ni  du  soin 
et  de  l'exactitude  toute  particulière  qu'il  faut  apporter 
dans  de  semblables  recherches.  Le  physicien  et  le  chi- 
miste s'entourent  des  précautions  les  plus  minutieuses, 
des  instruments  les  plus  précis  pour  éviter,  autant  que 
possible,  les  chances  d'erreur,  et  pour  déterminer  avec 
une  scrupuleuse  exactitude  les  conditions  dans  lesquel- 
les ils  opèrent.  Ils  n'abordent  leurs  recherches  délica- 
tes, mais  relativement  bien  plus  simples  que  celles  de  la 
physiologie,  qu'après  de  longs  exercices  préalables  dans 
leurs  laboratoires.  N'a-t-on  pas  dès  lors  lieu  de  s'étonner 
de  la  légèreté  avec  laquelle  on  traite  souvent  les  ques- 
tions vitales,  cependant  bien  plus  difficiles  en  ce 
qu'elles  renferment  non-seulement  des  conditions 
physiques  et  chimiques  à  élucider,  mais  qu'elles  exi- 
gent en  outre  des  études  anatomiques  et  physiologiques 
profondes?  L'assurance  des  ignorants  ainsi  que  la  con- 
fiance avec  laquelle  certaines  personnes  se  croient,  sans 
études  préalables,  aptes  à  faire  de  la  physiologie,  amè- 
nent dans  notre  science  une  foule  d'expériences  mal 
faites  qui  sont  le  germe  de  discussions  interminables. 
Toutes  ces  choses  fâcheuses  ont  du  reste  le  même  point 
de  départ  commun,  l'oubli  des  conditions  indispensa- 
bles à  remplir  pour  aborder  la  science  delà  vie. 

D'autres  fois,  par  suite  d'une  erreur  qui  résulte  en- 
core d'un  défaut  du  sentiment  exact  de  la  nature  du  ter- 


AU    COLLÈGE   DE   FRANGE.  27 

rain  vital,  on  apportera  dans  les  recherches  physiolo- 
giques une  espèce  de  précision  beaucoup  plus  spécieuse 
que  réelle;  on  appliquera  le  calcul  mathématique  à 
des  phénomènes  où  la  complication  des  données  ne 
comporte  nullement  l'emploi  de  pareils  procédés;  on 
tentera  d'arriver  à  des  résultats  absolus  dans  des  sujets 
qui  n'admettent  que  des  approximations  relatives,  ou 
dans  lesquels  les  déterminations  qualitatives  sont  beau- 
coup plus  importantes  que  les  déterminations  quanti- 
tatives. 

Vous  savez,  Messieurs,  que  la  physique  et  la  chimie 
sont  d'un  secours  absolument  indispensable  dans  l'é- 
tude des  phénomènes  de  la  vie;  c'est  là  une  vérité  tel- 
lement banale  aujourd'hui,  que  je  me  serais  dispensé  de 
vous  l'énoncer,  si  je  n'avais  voulu  vous  prévenir  que  ces 
sciences  peuvent  aussi  devenir  la  source  de  grandes  er- 
reurs quand  elles  sont  mal  appliquées.  Or,  je  crois 
qu'on  appliquera  mal  la  physique  ou  la  chimie  à  la 
physiologie  toutes  les  fois  que  les  éludes  physiques  ou 
chimiques  d'un  phénomène  précéderont  son  étude 
physiologique.  On  commence  alors  par  oii  l'on  devrait 
finir,  et  l'on  s'expose  ainsi  à  expliquer  les  actes  vitaux, 
non  tels  qu'ils  sont,  mais  tels  qu  ils  pourraient  exister' 
théoriquement,  d'après  les  données  physico-chimiques 
pures. 

Dans  chaque  science,  le  point  de  vue  propre  à  cette 
science  doit  prévaloir  et  subordonner  les  autres.  En 
physiologie,  le  point  de  vue  physiologique  doit  dominer. 
La  première  chose  à  faire  dans  l'étude  d'une  fonction, 
c'est  donc  d'étudier  le  phénomène  dans  l'organisme 


28  ENSEIGNEMENT  DE  LA   PHYSIOLOGIE 

vivant,  en  imaginant  et  instituant  toutes  les  expériences 
nécessaires  pour  l'analyser  dans  chacun  de  ses  éléments. 
On  appellera  ensuite  à  son  secours  l'anatomie,  la  phy- 
sique, la  chimie,  etc.,  qui  pourront  alors  élucider  dans 
des  mesures  diverses,  selon  la  nature  de  la  fonction,  les 
phénomènes  dont  on  aura  déterminé  d'abord  les  con- 
ditions physiologiques  ou  vitales.  Souvent,  en  effet, 
nous  aurons  occasion  de  vous  prouver  qu'il  se  passe, 
pendant  la  vie,  des  phénomènes  physiques  et  chimi- 
ques qu'il  aurait  été  absolument  impossible  de  prévoir 
par  les  faits  physiques  ou  chimiques  connus,  parce 
qu'ils  n'ont  leurs  analogues  nulle  part  en  dehors  de  l'or- 
ganisme vivant.  Enfin  je  me  résumerai  en  disant  que 
toujours  les  conditions  des  problèmes  vitaux  doivent 
être  posées  par  la  physiologie,  les  sciences  physico-chi- 
miques intervenant  seulement  après  pour  les  expliquer. 

Le  temps  ne  nous  permet  pas  d'entrer  dans  les  dé- 
tails, et  je  ne  puis  ici  que  vous  signaler  quelques-uns 
des  divers  genres  d'erreurs  sur  lesquels  portera  notre 
critique,  qui  sera  toujours  expérimentale.  Les  discus- 
sions scolastiques  ne  sont  plus  de  notre  époque,  au 
moins  en  physiologie.  Une  expérience  mal  faite  et 
donnant  des  résultais  défectueux  ne  saurait  être  éclai- 
rée que  par  une  expérience  mieux  instituée;  il  faut,  en 
un  mot,  une  critique  expérimentale  pour  juger  des  faits 
d'expérience. 

Enfin,  Messieurs,  après  vous  avoir  exposé  la  na- 
ture de  l'enseignement  du  Collège  de  France  et  les  mé- 
thodes que  nous  suivons  dans  les  investigations  physio- 
logiques, il  nous  resterait  à  examiner  comme  dernière 


AU    COLLEGE   1)E   FRANCE.  29 

question  le  but  tinal  que  nous  nous  proposons,  c'est-à- 
dire  les  applications  delà  physiologie  à  la  pathologie. 

L'utilité  de  ces  applications  est  hors  de  contestation 
pour  la  plupart  des  médecins  célèbres  qui  sont  aujour- 
d'hui à  la  tète  de  la  science,  et  qui  considèrent  à  juste 
titre  la  physiologie  comme  la  base  de  toute  médecine 
scientifique.  Cependant,  comme  toute  vérité  a  ses  con- 
tradicteurs, vous  entendrez  peut-  être  répéter  encore  au- 
jourd'hui par  d'autres  médecins  que  la  physiologie  ne 
peut  être  d'aucune  utilité  en  médecine,  que  c'est  dans 
les  études  médicales  une  science  de  luxe  dont  on 
pourrait  parfaitement  se  passer,  parce  qu'il  n'y  a 
entre  les  phénomènes  de  la  santé  et  ceux  de  la  maladie 
aucun  hen  nécessaire,  et  que  ces  derniers  constituent 
un  domaine  complètement  séparé,  dans  lequel  agissent 
d'autres  forces  et  des  propriétés  toutes  nouvelles. 

Quels  que  soient  les  arguments  par  lesquels  certai- 
nes personnes  cherchent  à  établir  cette  proposition,  ils 
ne  sauraient  tenir  contre  le  fait  général  qu'aux  diverses 
époques  de  la  médecine,  toute  explication  pathologique 
et  toute  thérapeutique  ont  toujours  été  basées  en  quel- 
que sorte  sur  les  opinions  physiologiques  existantes. 
On  a  instinctivement  senti  la  relation  intime  qui  existe 
entre  les  actes  normaux  et  les  phénomènes  morbides, 
au  point  de  manifester  constamment  la  tendance  de 
faire  découler  les  seconds  des  premiers. 

Nous  pourrions  prendre  des  exemples  dans  le  passé 
pour  vous  montrer  l'heureuseinfluence  qu'ont  toujours 
exercée,  sur  la  pathologie  et  la  médecine,  les  décou- 
vertes physiologiques  sérieuses  et  bien  établies  :  nous 


30  ENSEIGNEMENT  DE   LA  PHYSIOLOGIE,   ETC. 

préférons  puiser  ces  preuves  dans  nos  faits  qui  datent 
d'hier,  et  que  nous  ferons  passer  sous  vos  yeux. 

Nous  désirons  donc,  Messieurs,  aborder  et  examiner 
avec  vous  cette  question  des  applications  de  la  physio- 
logie à  la  pathologie.  Mais,  ainsi  que  vous  le  voyez,  ce 
n'est  pas  seulement  par  quelques  raisonnements  et 
comme  en  passant  que  nous  voulons  la  traiter  ici  ;  nous 
voulons  développer  les  faits  qui  seront  les  éléments  de 
votre  jugement. 

Nous  espérons  ainsi  vous  faire  partager  notre  con- 
viction que  la  physiologie  est  intimement  liée  aux  pro- 
grès à  venir  de  la  médecine,  et  qu'elle  en  constitue  la 
base  scientifique.  C'est  toujours  dans  l'état  sain  que  doit 
être  cherchée  l'explication  du  symptôme  pathologique, 
car  tout  phénomène  morbide  a  sa  racine  dans  un  trou- 
ble de  l'état  physiologique.  C'est  d'après  ce  principe 
que  nous  procéderons,  et  si  l'analyse  pathologique  ne 
peut  pas  encore,  dans  l'état  actuel  de  la  science,  être 
portée  sous  cette  forme  dans  les  facultés  de  médecine, 
il  faut  que  l'enseignement  conserve  ce  caractère  scien- 
tifique au  Collège  de  France.  Les  mots  de  médecine 
expérimentale^  (^UQ^  M.  Magendie  a  choisis  depuis  plu- 
sieurs années  pour  titre  de  ce  cours,  ont  pour  but  de 
consacrer  cette  union  indissoluble  de  la  physiologie 
expérimentale  et  de  la  pathologie  que  nous  ne  devrons 
jamais  perdre  de  vue. 


DEUXIEME  LEÇON 

2G  DÉCEMBRE     1854. 


SOMMAIRE  :  Union  nécessaire  de  la  physiologie  et  de  la  pathologie.  —  Appli- 
cation des  découvertes  physiologiques  récentes  à  la  pathologie,  —  Études 
physiologiques  sua  le  diabète  à  propos  des  découvertes  sur  les  fonctions  du 
foie.  —  Aperçu  historique  sur  les  théories  du  diabète.  —  Toutes  ces  théo- 
ries reposent  sur  un  principe  physiologique  faux,  à  savoir,  qu'il  ne  se  for- 
merait pas  de  sucre  dans  l'organisme  animal.  —  Il  existe  une  fonction  ani- 
male qui  produit  du  sucre,  et  dont  le  diabète  n'est  qu'un  état  pathologique. 
—  Caractères  chimiques  des  matières  sucrées  animales  et  végétales.  — 
Sucres  de  la  première  et  de  la  deuxième  espèce.  —  Réactifs  propres  à  dis- 
tinguer les  sucres  et  à  les  reconnaître  dans  les  divers  liquides  animaux. 
Alcalis  caustiques,  réactif  cupro-potassique,  etc.  —  Fermentation,  polari- 
sation. —  Moyens  propres  à  enlever  la  coloration  et  les  matières  albumi- 
noides  aux  liquides  animaux  qui  renferment  du  sucre. 


Messieurs, 

Nous  avons  dit,  dans  la  dernière  séance,  que  l'on  n'é- 
tait point  autorisé  scientifiquement  à  regarder  la  physio- 
logie et  la  pathologie  comme  deux  domaines  distincts  oii 
se  passent  des  phénomènes  de  natu  re  essentiellement  dif- 
férente. Si  dans  l'application  il  existe  encore  une  infinité 
de  faits  morbides  dont  nous  ne  pouvons  physiologique- 
ment  nous  rendre  compte,  cela  indique  seulement  qu'il 
reste  encore  beaucoup  à  faire  dans  la  physiologie  elle- 
même,  mais  cela  ne  saurait  en  aucune  façon  prouverque 
les  symptômes  pathologiques,  au  lieu  d'être  les  mani- 
festations de  troubles  physiologiques,  soient  le  résultat 
de  forces  ou  propriétés  nouvelles  créées  par  l'état  patho- 


32         APPLICATION   DE  LA   PHYSIOLOGIE  A  LA  PATHOLOGIE. 

logique,  et  sur  lesquels  la  physiologie  ne  pourra  jamais 
répandre  aucune  lumière.  L'histoire  montre,  au  con- 
traire, que  dans  tous  les  temps  les  doctrines  médicales 
ont  été  en  lapport  avec  les  idées  physiologiques,  et  qu'à 
chaque  progrès  accompli  dans  la  science  de  la  vie  à 
l'état  normal  a  correspondu  un  progrès  équivalent  dans 
la  pathologie. 

Nous  trouverions  à  toutes  les  époques  de  la  méde- 
cine un  grand  nombre  d'exemples  poui'  appuyer  cetle 
proposition,  mais  nous  préférons  choisir  parmi  les  de- 
couvertes  nouvelles,  et  parmi  celles  faites  dans  cette 
chaire.  Nous  verrons  comment  des  résultats  physiolo- 
giques annoncés  il  y  a  à  peine  trois  ou  quatre  ans  sur 
les  fonctions  du  foie,  du  pancréas,  du  grand  sympathi- 
que, etc.,  ont  déjà  trouvé  leur  application  en  suscitant 
des  observations  pathologiques  non  velles ,  ou  en  éclairant 
des  symptômes  morbides  dont  l'explication  était  jus- 
qu'alors restée  obscure.  Cette  espèce  de  revue  rétros- 
pective nous  permettra  d'ailleurs  d'ajouter  des  faits 
nouveauxquenous  avons  vusdepuislapublicationdeces 
découvertes,  et  de  relever  en  même  temps  des  observa- 
vations  ou  des  expériences  défectueuses  qui  se  sont  pro- 
duites à  cette  occasion,  ainsi  que  cela  arrive  presque 
constamment  dans  tout  sujet  nouveau  livré  à  l'appré- 
ciation des  savants  qui  s'occupent  de  physiologie  et  de 
médecine,  c'est-à-dire  des  sciences  dans  lesquelles 
l'expérimentation  et  l'observation  sont  des  plus  diffi- 
ciles. 


APERÇU   HISTORIQUE   SUR   LE    DIABÈTE.  33 

Études  physiolo«^iques    sur    le    diabète. 

Nous  parlerons  d'abord  du  diabète  et  de  la  théorie 
toute  nouvelle  qu'il  faut  se  faire  de  cette  maladie  depuis 
les  découvertes  sur  les  fonctions  du  foie. 

Les  anciens  considéraient  comme  diabétique  tout  in- 
dividu qui  émettait  une  grande  quantité  d'urines,  et  qui 
en  même  temps  maigrissait,  et  présentait  le  plus  sou- 
vent un  appétit  extraordinaire  et  une  soif  ardente.  On 
ignorait  encore  la  présence  du  sucre  dans  les  urines, 
et  l'on  plaçait  souvent  cette  affection  dans  la  classe  des 
phdiisies,  qui  comprenait  toutes  les  maladies  dans  les- 
quelles l'amaigrissement  était  considérable. 

C'est  Willis  qui,  le  premier,  vers  1674,  reconnut 
que  les  urines  de  diabétiques  présentaient  une  saveur 
douce,  sucrée,  mais  ce  ne  fut  qu'en  1778  que  Cowley 
isola  le  principe  sucré  du  diabétique. 

A  partir  de  Willis,  on  divisa  la  maladie  caractérisée 
toujours  par  les  symptômes  précédemment  indiqués  en 
deux  classes,  suivant  que  les  urines  étaient  ou  non  su- 
crées. On  eut  alors  le  diabète  sucré  et  le  diabète  7i07i 
sucré. 

Aujourd'hui,  tout  en  reconnaissant  l'exactitude  des 
phénomènes  généraux  indiqués  parles  anciens,  on  at- 
tache une  importance  prédominante  aux  caractères 
qualificatifs  des  urines,  et  l'on  a  l'esprit  immédiatement 
dirigé  vers  l'affection  diabétique  quand  on  trouve  une 
personne  dont  les  urines  sont  sucrées.  Nous  verrons 
plus  tard,  en  analysant  physiologiquement  les  phéno- 
mènes du  diabète,  si  ce  symptôme  unique  est  suffisant 

BERNARD.    I.  3 


34  APERÇU   HISTORIQUE 

pour  caractériser  la  maladie.  Willis  n'avait  du  reste 
fait  aucune  théorie  sur  la  présence  du  sucre  dans  les 
urines. 

Vers  lafindu  dix-huitième  siècle,  d'après  les  opinions 
physiologiques  du  temps,  on  pensait  que  le  suc  gastri- 
que changeait  de  nature  suivant  les  substances  qu'il  avait 
à  digérer,  qu'il  était  alcalin  dans  l'alimentation  ani- 
male, et  devenait  acide  dans  l'ahmentation  végétale,  etc. 
SousTinduencede  ces  idées,  Rollo,  vers  1797,  consi- 
déra le  diabète  comme  dû  à  un  vice  de  la  digestion,  à  un 
dérangement  qui  avait  son  siège  dans  l'estomac,  résul- 
tant d'une  altération  particulière  des  sucs  gastriques 
qui  auraient  acquis  une  prétendue  propriété  morbide  de 
changer  en  sucre  les  matières  végétales  ingérées.  Cette 
théorie  le  conduisit  naturellement  à  supprimer  les  vé- 
gétaux dans  les  aliments  de  ses  malades,  qu'il  soumet- 
tait à  un  régime  exclusivement  animal  et  graisseux. 

En  1803,  Nicolas  et  Gueudeville  publièrent  des  re- 
cherches et  des  expériences  sur  le  diabète  qu'ils  nom- 
mèrent laphthisiirie  sucrée.  Selon  ces  auteurs,  le  siège 
de  cette  affection  était  dans  l'intestin.  Le  chyle,  par 
suite  d'une  altération  des  sucs  intestinaux,  au  lieu  de 
se  former  comme  à  l'ordinaire,  se  confectionnait  sans 
azote,  et  dès  lors,  au  lieu  de  se  trouver  constitué  par 
des  matières  animalisées,  il  était  formé  par  un  principe 
moins  bien  élaboré,  qui  était  la  matière  sucrée  impro- 
pre à  entretenir  complètement  la  nutrition.  La  théra- 
peutique de  ces  auteurs,  d'accord  avec  leur  théorie, 
.consistait  à  donner  de  l'azote  ;  ils  soumettaient,  comme 
Rollo,  leurs  malades  à  une  diète  animale,  et  leur  admi- 


SUR  LES  THÉORIES  DU  DIABÈTE.  35 

nistraient  en  outre  de  l'ammoniaque  et  des  phos- 
phates. 

Mais  on  ignorait  encore  quelle  était  l'espèce  de  sucre 
qui  existe  dans  l'urine  des  diabétiques,  lorsqu'en 
J815  M.  Chevreul  vint  démontrer  que  ce  sucre  était 
chimiquement  analogue  à  celui  qui  résultait  de  la  trans- 
formation de  la  fécule.  Quelques  années  plus  tard,  vers 
1825,  Tiedemann  et  Gmelin  firent  voir  que  dans  la  di- 
gestion de  la  fécule  il  se  formait  norinalement  du  sucre 
dans  l'intestin.  On  ne  pouvait  donc  plus,  dès  cette  épo- 
que, regarder  l'existence  de  cette  substance  dans  le  canal 
intestinal  comme  provenant  d'une  altération  des  fonc- 
tions digestives. 

Toutefois,  en  1838,  M.  Bouchardat  admettait  que  le 
sucre  se  formait  anormalement  par  la  digestion  des 
fécules  dans  l'estomac  sous  l'influence  d'une  diastase 
spéciale  aux  diabétiques,  pensant  qu'à  l'état  pliysiolo- 
gique  cette  matière  devait  être  changée  en  acide  lacti- 
que. Plus  tard,  le  même  auteur  admit  que  la  formation 
du  sucre  était  un  résultat  normal  de  la  digestion  des 
fécules,  mais  que  chez  les  diabétiques  seulement  cette 
substance  était  surtout  absorbée  dans  l'estomac,  et  s'en 
allait  par  les  vasa  breviora  en  suivant  un  système  de  cir- 
culation assez  peu  connu.  Mais  nous  devons  ajouter  que 
M.  Bouchardat  lui-même,  dans  son  dernier  travail 
publié  en  1852  (1),  a  avoué  qu'il  ne  tenait  en  aucune 
façon  à  ses  théories,  et  qu'il  attachait  uniquement  de 
l'importance  à  son  mode  de  traitement,  qui  consiste, 
comme  moyen  principal,  à  supprimer  dans  l'alimenta- 

(1)  Mémoires  de  l'Académie  de  médecine.  Paris,  185.2,  t.  XVI,  p.  G9et212, 


36  APERÇU    HISTORIQUE 

tioii  des  malades  toute  espèce  de  matière  féculente  et 
sucrée. 

Mais,  peu  à  peu,  la  formation  du  sucre  dans  l'intes- 
tin par  la  digestion  normale  des  féculents  était  non- 
seulement  établie  et  généralement  admise,  mais  M.  Ma- 
gendie,  et  avec  lui  d'autres  observateurs,  avaient  prouvé 
que  le  sucre  passe  physiologiquement  dans  le  sang 
pendant  l'absorption  digestive  des  féculents.  11  n'y  avait 
donc  plus  moyen  de  considérer  la  maladie  qui  nous  oc- 
cupe comme  une  altération  des  fonctions  digestives,  et 
force  fut  alors  de  faire  d'autres  théories  sur  ce  sujet. 

M.  Mialhe,  en  1844  (1),  plaça  le  siège  du  diabète 
dans  le  sang,  en  même  temps  qu'il  émit  une  explica- 
tion fondée  sur  un  fait  chimique  vulgaireo  Nous  ver- 
rons en  effet  bientôt  que'^e  sucre  de  diabète  peut  se  dé- 
truire en  présence  d'un  alcali.  Dès  lors,  dit  M.  Mialhe, 
si  le  sucre  introduit  normalement  dans  l'organisme  par 
l'acte  de  la  digestion  du  sucre  ou  des  féculents  ne  trouve 
pas  dans  le  sang  l'alcalinité  convenable  pour  le  brûler 
au  contact  de  l'air,  il  s'accumulera  dans  le  sang  et  sera 
éliminé  par  les  reins.  D'oii  l'indication  thérapeutique, 
pour  cet  auteur,  de  donner  des  alcalis  aux  malades. 

Mais,  vous  le  voyez,  Messieurs,  ces  théories  sur  le 
diabète,  soit  qu'elles  considèrent  le  sucre  comme  une 
production  normale  de  la  digestion,  soit  qu'elles  re- 
gardent cette  substance  comme  anormalement  produite 
dans  l'intestin  ou  l'estomac,  reposent  toutes  sur  la 
croyance  que  la  matière  sucrée  qui  se  trouve  dans  l'orga- 
nisme provient  exclusivement  et  toujours  de  l'alimenta- 

(1)  Comptes  rendus  de  VAcad.  des  sciences^  t.  XVIII,  p.  707. 


SUR  LES   THÉORIES  DU   DIABÈTE.  37 

tion  féculente  ou  végétale.  C'est  là  précisément  un  point 
de  départ  qui  est  physiologiquement  faux. 

Nous  avons  prouvé  que  la  matière  sucrée  n'est  pas 
mi  principe  accidentel  de  l'organisme,  qu'elle  se  ren- 
contre constamment  dans  l'économie,  et  s'y  trouve  for- 
mée par  une  fonction  toute  spéciale,  quelle  que  soit, 
du  reste,  la  nature  de  l'alimentation.  Cette  fonction 
glycogénique,  ou  productrice  de  sucre,  que  nous  avons 
récemment  établie,  existe  dans  l'homme  et  chez  tous 
les  animaux.  Nous  devons  actuellement  vous  faire  son 
histoire;  ensuite  nous  examinerons  l'état  diabétique, 
qui  n'est,  suivant  nous,  qu'une  déviation  de  cette  fonc- 
tion physiologique  des  plus  importantes.  Il  est  d'autant 
plus  nécessaire  de  bien  établir  notre  base  physiologi- 
que, que  toujours,  ainsi  que  vous  venez  de  le  voir,  il  y 
a  eu  la  liaison  la  plus  intime  entre  la  thérapeutique  pro- 
posée pour  le  diabète  et  les  idées  physiologiques  qu'on 
s'était  faites  de  cette  maladie.  Ceci  prouve  combien  il 
est  important  que  les  idées  physiologiques  qu'on  a, 
soient  aussi  saines  que  possible. 

Mais,  avant  d'établir  expérimentalement  devant  vous 
la  réalité  de  cette  fonction  nouvelle,  permettez-moi. 
Messieurs,  de  nous  arrêter  quelques  instants  sur  le 
sucre  qui  sera  si  souvent  en  cause  dans  nos  expériences. 
Il  importe  que  vous  connaissiez  les  divers  réactifs  ou  les 
moyens  les  plus  ordinaires  dont  nous  ferons  usage  pour 
constater  la  présence  de  cette  matière  dans  les  difTé- 
rentshquides  ou  tissus  animaux.  Cela  nous  permettra 
ensuite  d'aller  plus  vite  dans  notre  exposition,  et  d'être 
mieux  compris. 


38  MOYENS  DE   RECONNAITRE 

On  disliiiguepiusiPAirs  sortes  de  matières  sucrées  d'o- 
rigines vaiiées  qui  ont  entre  elles  des  caractères  com- 
muns et  des  différences  spécifiques  de  plusieurs  ordres. 

Les  sucres  fournis  par  le  règne  végétal  sont  :  les  su- 
cres de  canne,  de  betterave,  d'érable,  etc.  ;  les  sures 
de  fruits,  de  fécule  ou  d'amidon,  etc. 

Les  sucres  appartenant  au  règne  animal  sont  :  les 
sucres  de  lait,  le  sucre  normal  produit  par  le  foie,  le 
sucre  de  l'œuf,  celui  de  l'allantoïde,  etc. 

Tous  ces  sucres,  quelle  que  soit  leur  origine,  se  divi- 
sent ensuite  en  deux  espèces,  suivant  la  manière  dont 
ils  se  comportent  en  présence  des  acides  et  en  présence 
des  alcalis. 

Les  sucres  dits  de  la  première  espèce  sont  ceux  sur  les- 
quels les  alcalis  n'ont  aucune  action,  tandis  que  les 
acides  les  transforment  en  sucres  intervertis  ou  sucres 
de  la  seconde  espèce.  Ce  sont  :  les  sucres  de  canne,  de 
betterave,  d'érable,  etc. 

Les  sucres  dits  de  la  seconde  espèce^  qui  compren- 
nent le  sucre  de  fécule  ou  glucose^  les  sucres  des  fruits, 
le  sucre  de  diabète,  le  sucre  de  lait  ou  lactose,  le  sucre 
normal  du  foie,  celui  de  l'œuf,  de  l'allantoïde,  etc.,  se 
distinguent  par  des  caractères  opposés,  c'est-à-dire  que 
les  acides  étendus  n'agissent  aucunement  sur  eux,  tan- 
dis que  les  alcalis  caustiques,  tels  que  la  potasse,  la 
soude,  la  chaux,  etc.,  les  détruisent  en  les  changeant 
en  des  acides  bruns  particuliers  avec  une  rapidité  d'au- 
tant plus  grande  que  les  alcalis  sont  plus  concentrés  et 
la  température  plus  élevée. 

Je  vais  vous  rendre  témoins  de  ces  caractères  diffé- 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.         39 

rentiels  des  sucres  par  l'expérience.  Je  prends  dans  un 
tube  de  verre  bouché  par  un  bout  un  peu  d'une  disso- 
lution de  sucre  de  betteraves  parfaitement  pur,  j'y 
ajoute  une  dissolution  concentrée  de  potasse  caustique 
à  la  chaux,  je  chauffe,  et  vous  voyez  ce  mélange  bouillir. 
Il  ne  se  produit  aucune  modification  dans  le  hquide, 
qui  reste  parfaitement  transparent  et  incolore,  ce  qui 
n'aurait  pas  lieu  si  le  sucre  n'était  pas  pur  et  contenait 
du  sucre  de  la  seconde  espèce.  L'alcali  caustique  n'a 
pas  coloré  la  liqueur  ni  détruit  le  sucre,  car  on  s'assu- 
rerait, en  séparant  le  principe  sucré  de  la  potasse,  qu'il 
a  conservé  les  caractères  primitifs. 

Je  mets  dans  un  autre  tube  un  peu  d'une  dissolution 
de  sucre  de  fécule,  j'y  ajoute  la  même  solution  de  po- 
tasse caustique,  et  je  fais  bouillir;  vous  voyez  la  liqueur 
se  colorer  en  jaune,  et  prendre  successivement  une 
teinte  brune  de  plus  en  plus  foncée.  Cette  réaction  fut 
indiquée  en  1842  (1)  par  M.  Chevalier,  qui  s'en  servit 
pour  reconnaître  la  richesse  des  cassonades  et  la  falsi- 
fication du  sucre  de  canne  par  le  sucre  de  fécule. 

Maintenant,  pour  constater  l'action  des  acides,  je 
prends  dans  un  troisième  tube  un  peu  de  notre  pre- 
mière dissolution  de  sucre  de  betterave;  je  la  chauffe, 
aprèsy  avoir  ajouté  quelques  traces  d'acide  sulfurique; 
vous  voyez  la  liqueur  bouillir.  Bien  qu'à  la  première 
vue  il  semble  n'y  avoir  aucune  modification  dans  le  mé- 
lange, qui  reste  limpide  et  transparent,  il  s'y  est  fait 
cependant  une  transformation  importante;  car,  après 
avoir  saturé  l'acide  sulfurique  par  la  craie  et  avoir  filtré, 

(1)  Balldin  de  la  Société  cV encouragement .  Paris^  184?,  p.  207. 


40  MOYENS  DE   RECONNAITRE 

si  j'ajoute  de  la  dissolution  de  potasse  dans  cette  li- 
queur et  si  je  fais  bouillir  de  nouveau,  vous  voyez  le  li- 
quide devenir  jaune,  puis  brun,  absolument  comme 
pour  le  sucre  de  deuxième  espèce. 

Ceci  vous  prouve  que,  sous  Finfluence  de  l'ébullition 
avec  l'acide,  le  sucre  de  betterave  appartenant  à  la  pre- 
mière espèce  s'est  changé  en  sucre  de  la  seconde  es- 
pèce, et  a  offert  alors  la  réaction  qui  lui  est  propre  en 
présence  de  la  potasse. 

Lorsqu'on  fait  agir  ainsi  un  alcali  sur  un  sucre  de 
la  seconde  espèce,  le  sucre  s'oxyde  en  s'emparant  de 
l'oxygène  de  l'air,  et  se  transforme  en  partie  en  un  acide 
brun  étudié  par  M.  Peligot,  qui  lui  a  donné  le  nom 
d' acide  m élas signe . 

Si,  au  lieu  de  prendre  du  sucre  de  raisin  ou  du  sucre 
de  fécule,  nous  prenons  du  sucre  de  diabète,  et  que 
nous  le  chauffions  avec  un  alcali,  nous  obtiendrons 
exactement  les  mêmes  phénomènes;  la  liqueur  devien- 
dra jaune,  puis  brune,  et  ce  sucre  se  détruira  comme 
les  sucres  de  la  seconde  espèce,  en  se  transformant 
en  matière  acide  brune.  C'est  de  cette  réaction  que 
M.  Mialhe  est  parti  pour  établir  sa  théorie,  en  assimi- 
lant faussement  ce  qui  se  passe  au  contact  du  liquide 
sanguin  faiblement  alcalin,  avec  les  réactions  que  nous 
venons  de  vous  montrer,  et  dans  lesquelles  nous  fai- 
sons intervenir,  pour  détruire  le  sucre,  l'ébuintion  et 
la  potasse  caustique. 

Toutes  les  réactions  précédemment  citées  apparaî- 
tront avec  des  caractères  un  peu  différents,  mais  d'une 
manière  encore  plus  évidente,  si,  au  lieu  d'employer  la 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.         41 

potasse  caustique,  seule,  nous  y  ajoutons  un  sel  de 
cuivre. 

Mais  il  importe  de  rappeler  les  conditions  dans  les- 
quelles peut  se  faire  un  pareil  mélange.  Si  vous  mê- 
liez un  sel  de  cuivre  à  acide  minéral  avec  un  alcali 
comme  la  potasse,  il  n'y  aurait  pas  dissolution,  le  métal 
serait  précipité  à  l'état  d'oxyde. 

Si,  au  contraire,  vous  avez  soin  de  mettre  dans  la 
liqueur  une  matière  organique  quelconque  acide  ou 
neutre,  la  dissolution  du  sel  métallique  par  l'alcali 
pourra  avoir  lieu. 

Trommer  avait  vu  qu'en  ajoutant  dans  l'urine  de 
diabétique  sucrée  du  sulfate  de  cuivre  et  de  la  potasse, 
il  se  produisait  par  l'ébullition  une  réduction  du  sel 
métallique  et  une  précipitation  de  l'oxyde  de  cuivre. 
M.  Becquerel  a  trouvé  que  cette  réduction  ne  s'opère 
qu'avec  les  sucres  de  la  seconde  espèce,  et  qu'elle  n'a 
pas  lieu  avec  les  sucres  de  la  première  espèce. 

Sur  ces  données,  M.  Barreswil  a  composé  un  liquide 
dans  lequel  le  sel  de  cuivre  se  trouve  tenu  en  dissolu- 
tion dans  la  potasse  par  un  acide  organique,  l'acide  tar- 
trique.  Voici  la  manière  de  préparer  ce  réaclif.  On  dis- 
sout à  chaud  50  grammes  de  crème  de  tartre  et  40 
grammes  de  carbonate  de  soude  dans  un  tiers  de  litre 
d'eau.  On  ajoute  ensuite  à  cette  dissolution  30  gram- 
mes de  sulfate  de  cuivre  réduit  en  poudre;  après  avoir 
fait  bouillir  le  mélange,  on  le  laiss'e  refroidir  et  l'on  y 
ajoute  40  grammes  de  potasse  préalablement  dissoute 
dans  un  quart  de  litre  d'eau.  Enfin  on  étend  toute  la 
masse  avec  assez  d'eau  pour  en  faire  un  litre. 


42  MOYENS  DE   RECONNAITRE 

Fehiinga  donné,  après  M.  Barres\^il,  un  réactif  de 
même  nature  composé  ainsi  qu'il  suit.  On  dissout  40 
grammes  de  sulfate  de  cuivre  cristallisé  dans  1 60  gram- 
mes d'eau.  On  mélange  avec  celte  dissolution  une  autre 
solution  concentrée  de  160  grammes  de  tartrate  de  po- 
tasse et  560  grammes  d'une  lessive  de  soude  dont  le 
poids  spécifique  est  de  J ,  1 2  ;  et  l'on  ajoute  une  quantité 
d'eau  suffisante  pour  que  le  volume  total  atteigne  un 
litre  à  la  température  de  +  15  degrés. 

On  pourrait  encore  préparer  le  réactif  de  sucre  par 
un  procédé  plus  simple,  seulement  un  peu  moins  éco- 
nomique; il  suffirait,  en  effet,  de  prendre  du  tartrate 
de  cuivre  et  de  le  dissoudre  simplement  dans  de  la  po- 
tasse. Quoi  qu'il  en  soit,  vous  voyez  ici  le  liquide  pré- 
paré par  la  formule  de  M.  Barreswil  :  c'est  un  liquide 
d'un  beau  bleu  parfaitement  transparent,  que  nous 
désignerons  désormais  sous  le  nom  de  réactif  cupro- 
pt assigne  ;  car  c'est  en  effet  un  sel  double  de  potasse  et 
de  cuivre.  Nous  allons  l'essayer  avec  les  différents  su- 
cres, afin  de  vous  montrer  qu'il  n'y  a  réduction  du  sel 
de  cuivre  qu'en  présence  des  sucres  qui  sont  altérables 
par  les  alcalis. 

Je  mélange,  à  parties  à  peu  près  égales,  ce  réactif 
avec  une  dissolution  de  sucre  de  canne  bien  pur;  je 
fais  bouillir.  Vous  pressentez  déjà  qu'il  ne  se  produira 
rien,  et  vous  voyez,  en  effet,  le  liquide  rester  parfaite- 
ment transparent,  et  la  couleur  bleue  n'a  pas  varié. 

J'ajoute,  au  contraire,  le  réactif  à  une  dissolution 
de  sucre  de  fécule,  je  fais  bouillir  ;  yous  voyez  la  liqueur 
se  colorer,  perdre  sa  transparence,  passer  par  diffé- 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.         43 

rentes  nuances  de  jaunes,  et  laisser  déposer  un  précipité 
rouge  qui  est  du  protoxyde  de  cuivre. 

Il  en  est  de  même  si  j'opère  avec  les  sucres  de  fruits, 
de  lait,  de  fécale,  ou  avec  cette  urine  provenant  d'un 
diabétique,  en  un  mot,  avec  tous  les  sucres  de  deuxième 
espèce. 

Vous  comprenez  qu'au  moyen  de  telles  épreuves,  il 
soit  possible  de  suivre  dans  l'économie  les  diverses 
transformations  du  sucre  de  canne,  et  de  distinguer 
les  deux  espèces  de  sucres.  Quand  on  essaye  par  le 
tartrate  cupro-potassique  un  liquide  supposé  sucré, 
deux  choses  peuvent  arriver  :  ou  bien  le  sel  de  cuivre 
est  réduit  et  le  liquide  change  de  coloration;  ou  bien, 
au  contraire,  le  liquide  reste  bleu  sans  offrir  de  réduc- 
tion. Dans  le  premier  cas,  on  conclut  à  la  présence  du 
glucose,  et  dans  le  second,  on  peut  affirmer  que  le 
mélange  essayé  ne  renferme  pas  de  glucose  ni  aucun 
sucre  de  la  deuxième  espèce.  Mais  il  pourrait  se  faire 
qu  il  contînt  du  sucre  de  canne  ou  tout  autre  sucre  de 
kl  première  espèce.  Pour  le  savoir,  il  faudra  préalable- 
ment faire  bouillir  le  liquide  présumé  sucré,  après  l'a- 
voir acidulé  très-légèrement  avec  quelques  traces  d'un 
acide  énergique,  d'acide  sulfurique,  parexemple,  pour 
transformer  en  glucose  le  sucre  de  canne  qui  pourrait 
s'y  trouver.  Après  cette  opération  on  neutralise  le  liquide 
et  on  l'essaye  de  nouveau  par  le  tartrate  de  cuivre.  Si 
à  cette  deuxième  épreuve  il  n'y  a  pas  de  réduction,  on 
en  conclura  qu'il  n'y  avait  pas  de  principe  sucré,  ni  à 
l'état  de  sucre  de  deuxième  espèce,  ni  à  l'état  de  sucre 
de  la  première  espèce.  Si,  au  contraire,  il  y  a  réduction, 


44  MOYExNS  DE  RECONNAITRE 

il  faudra  admettre  que  le  sucre  existait  à  l'état  de  sucre 
de  la  première  espèce,  puisqu'il  n'a  opéré  la  réduction 
du  sel  de  cuivre  qu'après  avoir  été  transformé  en  sucre 
de  la  deuxième  espèce  par  l'action  de  l'acide  sulfuri- 
que.  Enfin,  si  l'on  avait  affaire  à  un  mélange  des  deux 
sucres,  on  commencerait  par  détruire  le  sucre  de  la 
deuxième  espèce  par  l'ébullition  avec  le  lait  de  chaux, 
puis,  saturant  le  liquide  refroidi  avec  de  l'acide  sulfu- 
rique  en  léger  excès,  on  filtrera  pour  se  débarrasser  du 
sulfate  de  chaux;  ensuite  on  fera  bouillir  de  nouveau 
la  liqueur  rendue  acide  pour  transformer  le  sucre  de 
la  première  espèce  en  sucre  de  la  seconde,  qui  réagira 
à  unedernièreépreuveavecle  liquide  cupro-potassique. 

Que  s'est-il  passé  dans  cette  réaction  du  liquide 
cupro-potassique  sur  les  sucres  de  la  deuxième  es- 
pèce ?  On  l'explique  en  disant  que  le  sucre  de  raisin,  de 
fécule  ou  de  diabète,  etc.,  chaufPé  en  présence  de  la 
potasse,  s'est  oxydé  ;  mais  qu'au  lieu  d'emprunter 
l'oxygène  à  l'air,  il  l'a  pris  au  deutoxyde  de  ciàvre,  qui 
s'est  trouvé  réduit  à  l'état  de  protoyxde  insoluble  dans 
l'acide  tartrique,  et  s'est  montré  alors  dans  la  liqueur 
sous  la  forme  d'un  précipité  rouge  quand  il  est  anhydre, 
et  d'un  précipité  jaune  quand  il  est  hydraté. 

Le  réactif  cupro-potassique  a  la  propriété  d'être  extrê- 
mement sensible  au  point  de  faire  reconnaître  par  sa 
précipitation  les  plus  petites  traces  de  matières  sucrées; 
car  il  suffit,  d'après  M.  Barreswil,  qu'un  grain  de  raisin 
mûr  ait  été  broyé  dans  un  litre  d'eau  pour  qu'on  puisse 
constater  que  celte  eau  a  acquis  la  propriété  de  réduire 
le  sel  de  cuivre. 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.         45 

Quand  on  fait  la  réaction,  on  peut  avoir  tantôt  un 
mélange  trop  riche  en  cuivre  pour  la  quantité  de  sucre, 
tantôt  un  liquide  trop  chargé  de  sucre  pour  la  quantité 
de  réactif  qu'on  emploie.  Ces  deux  circonstances  de- 
viennent la  source  d'une  foule  de  variétés  dans  l'aspect 
de  la  réaction  dont  il  est  bon  d'être  prévenu.  Quand  le 
liquide  sucré  est  très-pauvre  et  que  la  proportion  du 
réactif  est  au  contraire  trop  considérable,  comme  cela 
a  lieu  dans  ce  tube,  il  n'y  a  qu'une  portion  du  cuivre 
réduit  par  l'ébuUition,  et  en  même  temps  qu'il  se  pré- 
cipite de  l'oxyde,  vous  voyez  le  mélange  rester  encore 
bleu,  parce  que  la  petite  quantité  de  cuivre  réduit  est 
dans  un  rapport  direct  avec  la  quantité  de  sucre  con- 
tenu dans  le  mélange.  Si,  au  contraire,  nous  prenons 
un  liquide  sucré  très-riche  et  une  très-faible  proportion 
du  réactif,  nous  aurons  non-seulement  par  l'ébuUition 
la  réduction  de  tout  le  cuivre,  mais  de  plus  vous  voyez  la 
liqueur  se  colorer  en  brun  et  l'oxyde  de  cuivre  se  re- 
dissoudre, parce  que  l'excès  du  sucre  a  réagi  avec  la 
potasse  qui  se  trouve  elle-même  en  excès  dans  le  même 
liquide.  Nous  avons  ici,  comme  vous  le  voyez,  la  réac- 
tion du  cuivre  mêlée  à  la  réaction  de  la  potasse  pure. 
Vous  pouvez  maintenant  supposer  tous  les  in  termédiaires 
possibles  entre  ces  deux  extrêmes,  ettmites  les  variétés 
de  coloration  verte,  jaune,  rouge,  etc.,  qui  peuvent  en 
résulter.  Ceci  prouve  que  la  coloration  en  elle-même 
n'a  pas  une  très-grande  valeur,  mais  que  c'est  la  ré- 
duction de  l'oxyde  métallique  qui  est  le  caractère  im- 
portant. 

Nous  venons  de  dire  que  la  quantité  d'oxyde  réduit 


46  '     MOYENS  DE  RECONNAITRE 

était  toujours  en  rapport  avec  la  quantité  de  sucre 
contenu  dans  le  mélange.  M.  Barreswil  s'est  fondé  sur 
ce  caractère  pour  doser  au  moyen  du  réactif  cupro- 
potassique  titré  les  quantités  de  sucre  qu'on  peut  ren- 
contrer dans  différents  liquides  ;  nous  aurons  occasion 
de  nous  servir  de  ce  procédé  plus  tard. 

Maintenant,  Messieurs,  quel  est  le  degré  de  certitude 
que  présentent  les  réactifs  potassique  et  cupro-potas- 
sique,  et  quelle  confiance  devons-nous  leur  accorder  ? 

Vous  devez  toujours  considérer  ces  réactifs  comme 
extrêmement  utiles,  parce  qu'ils  sont  très-faciles  à  em- 
ployer, et  qu'ils  donnent  des  indications  très- pré- 
cieuses, mais  vous  ne  devez  pas  vous  en  contenter. 
Leur  caractère  absolu  n'est  qu'un  caractère  négatif, 
c'est-à-dire  que  l'on  peut  affirmer  que  toute  liqueur 
qui  ne  produit  pas  avec  eux  les  réactions  indiquées  ne 
contient  aucun  des  sucres  delà  deuxième  espèce.  Mais 
quand  cette  réaction  existe,  on  n'est  pas  absolument 
certain  qu'elle  soit  due  à  du  sucre,  car  la  glycérine,  le 
tanlin,  la  cellulose  (coton),  l'acide  urique,  le  choro- 
forme,  peuvent  la  produire  à  divers  degrés;  il  faut  donc 
alors  s'en  référer  à  d'autres  moyens. 

En  outre,  vous  ne  devez  pas  oublier  une  autre  cause 
d'erreurs  assez  fréquente,  c'est  que  dans  le  liquide  cu- 
pro-potassique  préparé  depuis  un  certain  temps,  la 
potasse  a  pu  passer  à  l'état  de  carbonate  de  potasse, 
probablement  par  une  modification  à  l'air  de  l'acide 
tartrjque,  et  que  dans  ce  cas  le  liquide  peut  précipiter 
de  lui-même  sous  l'influence  de  la  cbaleur  sans  pour 
cela  qu'il  y  ait  du  sucre  dans  les  liquides  essayés.  Il  est 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.         47 

donc  toujours  bon  de  faire  cette  épreuve  avant  d'em- 
ployer le  réactif,  et  s'il  est  un  peu  ancien,  il  faudra  lui 
ajouter  un  peu  de  potasse  caustique  fraîche  pour  lui 
rendre  ses  propriétés. 

On  connaît  encore  d'autres  réactifs  empiriques  pro- 
pres à  déceler  la  présence  du  sucre  et  basés  sur  des 
réactions  analogues.  Tels  sont  l'étoffe  blanche  de  laine 
trempée  dans  le  bichlorure  d'étain,  proposée  par 
M.  Maumené,  et  le  chromate  de  potasse,  auquel  on 
ajoute  un  acide.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  ces 
réactifs,  parce  qu'ils  n'ont  pas  d'avantage  sur  ceux  qui 
précèdent. 

Cependant  nous  dirons  quelques  mots  du  chromate 
de  potasse,  qui  pourra  nous  être  utile  pour  reconnaître 
l'alcool  quand  nous  aurons  de  trop  faibles  quantités  de 
cette  substance  pour  pouvoir  en  obtenir  par  la  distil- 
lation. 

Ce  réactif,  dont  les  proportions  ont  été  détermi- 
nées ainsi  par  M.  Lecomte,  se  prépare  en  ajoutant  à 
100  grammes  d'acide  sulfurique  concentré  0^^,25  de 
chromate  de  potasse,  de  manière  que  l'acide  chromi- 
quemis  en  liberté  puisse  facilement  réagir. 

La  hqueur  est  limpide  et  d'une  couleur  jaune  bru- 
nâtre; quand  on  ajoute  environ  un  volume  égal  de  ce 
réactif  à  un  liquide  renfermant  de  l'alcool,  de  manière 
à  colorer  nettement  le  mélange,  il  y  a  échauffement; 
aussitôt  la  réaction  se  manifeste,  et  le  liquide  devient 
d'un  beau  vert-émeraude,  tout  en  restant  transparent. 

Cette  réaction  est  une  oxydation  également  com- 
mune au  sucre,  à  la  dextrine,  à  la  gomme  et  à  l'alcool; 


48  MOYENS  DE    RECONNAITRE 

toutes  ces  substances  ne  sauraient  conséquemment  être 
distinguées  par  ce  réactif.  Mais  dans  le  liquide  oii  nous 
rechercherons  l'alcool,  le  sucre  aura  été  éliminé  par 
la  fermentation,  ce  que  nous  pourrons  du  reste  vérifier 
en  employant  le  tartrate  cupro-potassique.  Quant  à  la 
dextrine,  nous  pourrons  la  reconnaître  par  l'iode;  la 
gomme  ne  se  rencontrera  pas  dans  les  circonstances 
où  nous  opérerons.  Du  reste,  en  nous  servant  de  char- 
bon animal  pour  décolorer  le  liquide  supposé  alcooli- 
que, nous  précipiterons  la  dextrine,  la  gomme  et  toutes 
les  matières  albumineuses,  tandis  que  l'alcool  passera 
avec  le  liquide  fîlti'é.  Il  est  utile  d'ajouter  encore  que 
l'acide  urique,  l'urée  et  l'albumine  peuvent  réduire  ce 
réactif. 

On  pourrait  employer,  au  lieu  de  l'acide  sulfurique, 
l'acide  chlorhydrique. 

Dans  tous  les  cas,  il  sera  toujours  préférable  d'agir 
sur  des  liquides  distillés  qui  se  trouveront  conséquem- 
ment débarrassés  des  substances  tîxes  ci-dessus  in- 
diquées. 

Nous  devons  m.entionner  maintenant  des  caractères 
beaucoup  plus  rigoureux  pour  constater  la  présence 
du  sucre  dans  les  liquides  ou  tissus  organiques. 

Indépendamment  de  l'extraction  de  la  matière  sucrée 
et  de  son  analyse  élémentaire,  qui  ne  sont  pas  toujours 
praticables  quand  on  a  du  sucre  à  reconnaître,  on  trouve 
un  caractère  d'une  certitude  absolue  dans  la  fermen- 
tation au  contact  de  la  levure  de  bière,  qui  produit 
le  déboublement  du  sucre  en  alcool  et  en  acide  car- 
bonique. 


^^ 


LES  SLCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.  49 

Voici  (fig.  1)  un  petit  appareil  assez  simple  que  nous 
employons  le  plus  ordinairement  pour  opérer  cette 
fermentation,  surtout  quand  nous 

avons  peu  de  liquide  sucré  à  notre      /'y x  \ 

disposition.  Il  consiste  àprendre, 
comme  vous  le  voyez  ici,  un  tube 
T  de  1  centimètre  à  1  centimètre 
et  demi  de  diamètre,  fermé  à  la 
lampe  par  l'une  de  ses  extrémi- 
mités  B.  On  le  remplit  complète- 
ment du  liquide  supposé  sucré 
dans  lequel  on  ajoute  de  la  le- 
vure de  bière.  On  le  bouche  en- 
suite à  sa  partie  supérieure  par 
un  bouchon  C  percé  d'un  trou 
dans  lequel  s'introduit  à  frotte- 
ment un  tube  EE',  assez  mince, 
ouvert  aux  deux  bouts, et  quel'on 
enfonce  jusqu'au  fond  du  pre- 
mier tube.  On  expose  l'appareil 
à  une  douce  chaleur.  De  cette  fa- 
çon, si  une  fermentation  s'établit, 
le  gaz  emplit  la  partie  supérieure  ^°*  '" 

du  premier  tube,  chasse  le  hquide  par  le  petit  tube  ER, 
sans  pouvoir  s'échapper.  A  la  fin  de  l'opération,  on 
peut  constater  si  le  gaz  qui  s'est  formé  est  de  l'acide 
carbonique,  et  si  le  liquide  qui  s'est  échappé  et  celui 
qui  reste  encore  dans  le  premier  tube  contiennent  de 
l'alcool. 

La  propriété  de  fermenter  caractérise  la  matière  su- 

BERNARD.    I.  ^ 


i:1 


50  MOYENS   DE  RECONNAITRE 

crée,  car  on  définit  le  sucre  une  substance  donnant  lieu 
h  la  fermentation  alcoolique.  Tous  les  sucres  ne  fer- 
mentent pas  avec  la  même  rapidité;  le  sucre  de  fruits 
et  le  sucre  normal  du  foie  fermentent  plus  vite  que 
les  sucres  de  fécules,  de  canne  et  de  betterave.  Le 
sucre  de  lait  est  celui  qui  fermente  le  plus  difficile- 
ment, et  seulement  après  quelques  jours  de  contact 
avec  la  levure  de  bière. 

Il  importe  toujours  de  se  servir  de  la  levure  de  bière 
purifiée,  ou  bien  de  contrôler  son  résultat  par  une 
même  expérience  comparative,  qui  consiste  à  mettre  de 
la  même  levure  avec  de  l'eau  seule  dans  les  mêmes 
conditions  de  température. 

Quand  la  fermentation  est  terminée,  on  constate  les 
caractères  de  l'acide  carbonique  recueilli,  et  l'on  dis- 
tille le  liquide  pour  en  séparer  l'alcool.  S'il  y  en  avait 
de  très-faibles  proportions,  on  pourrait  agir  sur  le  li- 
quide avec  le  chromate  de  potasse  et  l'acide  sulfurique, 
ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut. 

Un  autre  procédé  pour  reconnaître  si  une  matière 
sucrée  existe  dans  un  liquide  consiste  à  examiner  l'ac- 
tion de  ce  liquide  sur  la  lumière  polarisée.  Cette  mé- 
thode d'analyse  optique  des  liquides,  qui  a  été  entière- 
ment créée  par  M.  Biot,  donne  les  caractères  d'une  dé- 
licatesse extrême,  car  l'action  de  la  lumière  polarisée 
peut  faire  connaître,  par  exemple,  des  différences  de 
composition  dans  des  sucres  oii  l'on  n'en  distingue  au- 
cune par  l'analyse  chimique;  tous  les  sucres  de  la  se- 
conde espèce  sur  lesquels  agissent  les  alcalis  ne  sont 
pas  identiques  au  polarimètre  ou  au  saccharimètre,  car 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.  51 

les  sucres  de  fruits  dévient  à  gauche  le  plan  de  pola- 
risation, tandis  que  le  sucre  de  fécule  et  celui  de  dia- 
bète le  dévient  à  droite.  Les  sucres  de  la  première  es- 
pèce dévient  tout  le  plan  de  polarisation  à  gauche. 

Toutes  ces  réactions  sont  très-nettes  quand  on  em- 
ploie des  solutions  du  sucre  dans  de  l'eau  pure  ;  mais 
lorsqu'on  a  à  agir  sur  des  liquides  animaux,  il  faut 
préalablement  avoir  le  soin  de  les  débarrasser  des  ma- 
tières colorantes  et  albumineuses.  On  peut  employer 
différents  moyens  pour  arriver  à  ce  résultat.  D'abord 
on  peut  traiter  la  liqueur  par  un  excès  d'acétate  de 
plomb  et  filtrer,  puis  se  débarrasser  de  l'excès  de  plomb 
par  l'hydrogène  sulfuré,  par  l'acide  sulfurique,  par  un 
sulfate  soluble,  ou  enfin  par  le  carbonate  de  soude.  On 
sépare  par  une  seconde  filtration  le  sulfure  de  plomb, 
le  sulfate  ou  le  carbonate  précipité,  puis  on  soumet  la 
liqueur  à  l'essai. 

Si  l'on  a  affaire  à  du  sang  ou  à  quelques  liquides  très- 
albumineux,  il  conviendra  de  les  coaguler  par  la  cha- 
leur. Si  le  sang  est  frais,  il  suffira  même  d'y  ajouter 
une  fois  ou  deux  son  poids  d'eau  acidulée  avec  un  peu 
d'acide  acétique,  et  de  filtrer  pour  obtenir  un  liquide 
limpide  et  incolore.  Mais  si  le  sang  est  ancien,  ou  si,  à 
cause  de  la  petite  quantité  de  sucre  dont  il  est  chargé, 
on  ne  veut  pas  y  ajouter  d'eau,  on  aura  un  très-bon  ré- 
sultat en  ajoutant  au  sang,  comme  nous  le  faisons  ici, 
environ  son  poids  de  sulfate  de  soude  cristallisé.  En 
faisant  bouillir  ce  mélange,  toutes  les  matières  albumi- 
neuses sont  crispées,  et  le  liquide  chargé  de  sulfate  de 
soude  qui  se  sépare  entraîne  tout  le  sucre.  L'excès  de 


52  MOYENS   DE   RECONNAITRE 

sulfate  de  soucie  resté  dans  le  liquide  ne  nuit  aucune- 
ment aux  réactions  avec  le  liquide  cupro-potassique 
ni  avec  la  potasse. 

Mais  j'ai  trouvé  que  le  charbon  animal  est  un  moyen 
plus  simple  pour  enlever  les  matières  colorantes  et  or- 
ganiques. Voici  une  urine  diabétique,  et  par  conséquent 
sucrée,  qui  a  été  apportée  de  la  Charité,  du  service 
de  M.  Rayer;  nous  y  ajoutons  du  sang,  de  telle  sorte 
que  les  réactions  avec  la  potasse  et  le  liquide  cupro-po- 
tassique seraient  difficiles  à  voir  et  l'épreuve  optique 
impossible.  Je  fais  une  bouillie  assez  épaisse  avec  le 
noir  animal  et  cette  urine  sanguinolente;  je  jette  sur 
un  filtre  et  le  liquide  passe  parfaitement  limpide,  en- 
traînant la  matière  sucrée,  qui,  comme  vous  pouvez 
€n  juger,  présente  avec  le  liquide  cupro-potassique  la 
réaction  caractéristique,  très-nette,  tandis  que  toute 
l'albumine,  la  matière  colorante  du  sang,  l'acide  uri- 
que,  etc.,  ont  été  retenus  complètement  sur  le  filtre 
avec  le  charbon  animal. 

Je  ne  sache  pas  qu'on  ait  signalé  encore  cette  action 
particulière  du  charbon  animal  pour  précipiter  les  ma- 
tières albuminoïdes,  mais  elle  est  des  plus  remarqua- 
bles. Ainsi  du  sang  pur  peut  être  complètement  débar- 
rassé de  son  albumine  et  de  sa  matière  colorante;  du 
lait  peut  également  être  totalement  privé  de  sa  caséine 
et  de  sa  matière  grasse  par  le  noir  animal  ;  il  en  est 
ainsi  de  beaucoup  d'autres  liquides  animaux. 

11  faut  employer  une  quantité  de  charbon  en  rapport 
avec  la  quantité  de  matière  animale  contenue  dans  le 
liquide  que  l'on  veut  purifier.  Si,  par  exemple,   on 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.  53 

ajoute  au  san^i>'  la  moitié  ou  les  deux  tiers  de  son  poids 
d'eau,  il  suffît  d'y  ajouter  du  charbon  de  manière  à 
obtenir  une  bouillie  épaisse  que  l'on  jette  sur  le  filtre, 
et  le  liquide  qui  passe  est  incolore  et  débarrassé  de 
toutes  les  matières  albuminoïdes.  Mais  si  le  sang  est 
pur,  il  faudra  non-seulement  faire  une  pâte  très-épaisse 
avec  le  charbon,  mais  il  faudra  en  outre  la  battre  dans 
un  mortier  et  y  incorporer  encore  de  nouvelles  quan- 
tités de  charbon,  jusqu'à  ce  que  la  masse  ait,  pour 
ainsi  dire,  cessé  d'être  humide  et  qu'elle  soit  redeve- 
nue pulvérulente.  Alors,  si  l'on  ajoute  de  l'eau  à  ce 
charbon,  toute  la  matière  sucrée  est  dissoute  et  passe 
dans  un  liquide  parfaitement  limpide. 

Les  matières  fixées  par  le  charbon,  telles  que  l'albu- 
mine, la  matière  colorante  du  sang,  la  caséine,  l'acide 
urique,  etc.,  paraissaient  réellement  combinées  avec 
le  charbon  et  l'on  ne  peut  plus  les  en  séparer  par  le 
lavage,  même  à  l'eau  tiède.  Le  sucre,  au  contraire,  ({ui 
était  dans  les  liquides  animaux,  quelle  que  soit  son  es- 
pèce, n'a  été  aucunement  retenu  par  le  charbon,  et  il 
coule  avec  le  liquide  qui  filtre;  on  peut  même,  par  des 
lavages  successifs,  obtenir  toute  la  quantité  du  sucre 
dont  le  charbon  était  imprégné,  sans  craindre,  ainsi 
que  nous  venons  de  le  dire,  d'entraîner  des  matières 
étrangères  redissoutes. 

Je  recommande  donc  le  charbon  animal  comme  un 
moyen  très-expéditif  et  indispensable  quand  on  veut 
essayer  quelque  liquide  animal  au  réactif  cupro-po- 
tassique.  Quand  on  voudra,  par  exemple,  dans  une 
clinique,  faire  cet  essai,  il  suffira  d'ajouter  un  peu  de 


5i  MOYENS   DE   RECONNAITRE 

noir  animal  à  l'urine,  on  jettera  sur  un  filtre,  et  l'on 
recueillera  le  liquide  limpide  qu'on  essayera  alors  au 
réactif.  Si  l'on  obtient  la  réduction  caractéristique, 
on  sera  beaucoup  plus  certain  d'avoir  affaire  à  du 
sucre  de  la  deuxième  espèce,  parce  que  le  charbon  a 
aussi  la  propriété  de  retenir  l'acide  urique,  la  dextrine, 
le  chloroforme,  la  cellulose  pouvant  réduire  le  réac- 
tif cupro-potassique.  A  Taide  du  charbon  animal,  on 
peut  même  extraire  le  sucre  dans  des  parties  animales 
semi-soHdes  ou  l'éduites  à  l'état  de  bouillie,  ainsi  que 
nous  aurons  occasion  de  vous  le  montrer  dans  des 
expériences  physiologiques  que  nous  répéterons  devant 
vous. 

Nous  aurions  encore  à  nous  occuper  des  caractères 
de  certaines  matières  très-voisines  des  sucres,  telles 
que  l'amidon,  la  dextrine,  la  gomme,  mais  ces  sub- 
stances ne  se  rencontrent  jamais  à  cet  état  dans  l'or- 
ganisme ;  elles  pourraient  seulement  se  trouver  dans  le 
canal  intestinal,  comme  intermédiaires  de  la  transfor- 
mation de  l'amidon  en  glucose.  Nous  aurons,  du  reste, 
à  exposer  ailleurs  les  phases  de  ces  transformations, 
et,  à  ce  propos,  nous  indiquerons  à  quels  caractères 
ces  substances  se  reconnaissent. 

Tels  étaient,  Messieurs,  les  principaux  moyens  que 
je  désirais  vous  indiquer  sur  la  manière  de  rechercher 
et  de  constater  le  sucre  dans  les  liquides  et  organes  ani- 
maux avant  d'entrer  dans  l'examen  de  la  fonction  qui 
produit  cette  matière  dans  l'organisme  animal,  et  dont 
nous  commencerons  l'histoire  dans  la  séance  prochaine. 
Dans  les  expériences  très-nombreuses  que  nous  répé- 


LES  SUCRES  ANIMAUX  OU  VÉGÉTAUX.  o3 

ferons  devant  vous,  nous  aurons  souvent  occasion  de 
mettre  en  pratique  les  procédés  que  nous  ne  vous  avons 
indiqués  ici  que  d'une  manière  abrégée,  nous  réser- 
vant d'ajouter  les  détails  que  nous  aurions  omis  ici  à 
propos  du  cas  même  auquel  ils  s'appliquent. 


TROISIEME  LEÇON 

aO    DÉCEMBRE   1854. 


SOMMAIRE  :  La  production  du  sucre  est  un  phénomène  appartenant  aux 
deux  règnes  des  êtres  vivants.  —  Les  animaux  forment  de  la  matière  su- 
crée. —  Le  foie  est  chargé  de  cette  fonction  glycogénique,  qui  jusqu'alors 
était  restée  inconnue.  —  Le  foie  de  l'homme  et  des  animaux  renferme  tou- 
jours de  fortes  proportions  de  sucre  à  l'état  physiologique.  —  Observation 
chez  l'homme,  expériences  sur  les  animaux  dans  toute  l'échelle  zoologique. 
-Quantité  de  sucre  contenu  dans  le  foie.  —  Nature  de  ce  sucre;  son  ana- 
logie avec  le  sucre  de  diabète.  —  Le  sucre  qu'on  rencontre  dans  le  foie  est 
sécrété  dans  cet  organe;  il  ne  vient  pas  de  l'alimentation.  —  Expériences 
à  ce  sujet.  —  Examen  comparatif  du  sang  avant  et  après  le  foie  chez  un 
Carnivore.  —  Le  premier  sang  ne  contient  pas  de  traces  de  matières  su- 
crées, le  second  en  renferme  en  grande  proportion. 


Messieurs, 

J'ai  cl  vous  prouver  aujourd'hui  que  la  production 
du  sucre  est  un  fait  commun  au  règne  animal  et  au 
règne  végétal.  J'ai  à  vous  apprendre  ensuite  quel  est, 
dans  les  animaux,  l'organe  qui  accomplit  cette  fonction 
glycogénique. 

On  avait  cru,  jusque  dans  ces  derniers  temps,  que 
le  règne  végétal  était  seul  capable  de  produire  du 
sucre,  et  que  les  principes  immédiats  en  général  qui  se 
rencontrent  dans  le  règne  animal  étaient  formés  exclu- 
sivement par  les  végétaux,  oii  les  animaux  ne  faisaient 
que  les  puiser  pour  se  les  assimiler  directement  ;  que 
les  uns  produisaient  ce  que  les  autres  ne  faisaient  que 


ORIGINE   DU  SUCRE   DANS  L'ORGANISME   ANIMAL.  57 

détruire.  Sans  aucun  doute  il  existe  entre  le  règne  vé- 
gétal et  le  règne  animal  une  sorte  de  relation  nécessaire, 
mais  cependant,  comme  la  vie  est  plus  élevée  chez  les 
animaux,  comme  les  phénomènes  y  sont  plus  com- 
plexes, il  est  naturel  de  penser  que  ce  qui  se  passe  dans 
le  végétal  peut  avoir  lieu  dans  des  êtres  présentant  une 
vitahté  supérieure. 

Quoi  qu'il  en  soit,  quand  on  trouvait  du  sucre  dans 
un  animal,  on  croyait  que  cette  matière  était  constam- 
ment d'origine  végétale  et  avait  été  introduite  par  l'ali- 
mentation. On  admettait  que  la  quantité  de  sucre  qui 
existait  dans  un  animal  devait  varier  en  raison  môme 
de  la  nature  de  son  alimentation  ;  que  l'on  devait  en 
trouver  chez  les  herbivores,  qui  prennent  en  abon- 
dance des  matières  féculentes  aisément  transformables 
en  sucre,  mais  qu'on  ne  pouvait  pas  s'attendre  à  en 
rencontrer  chez  les  carnassiers,  nourris  seulement  de 
substances  azotées  ou  graisseuses,  qui  ne  peuvent  pas, 
dans  l'intestin,  se  transformer  en  sucre  par  les  procédés 
digestifs  connus. 

L'expérience]  a  démontré  qu'il  n'en  est  pas  ainsi  :  le 
sucre  existe  normalement  dans  le  sang  chez  tous  les 
animaux  herbivores  ou  carnivores,  et  les  quantités  de 
sucre  qu'on  rencontre  dans  les  uns  et  les  autres  sont 
sensiblement  égales.  Cela  tient,  Messieurs,  à  ce  qu'il  y 
a  une  fonction  qui  produit  chez  tous  ces  animaux  de 
la  matière  sucrée,  indépendamment  de  l'espèce  de 
nourriture  à  laquelle  ils  sont  soumis. 

On  a  lieu  de  s'étonner  qu'une  action  organique  d'une 
telle  importance,  et  si  facile  à  voir,  n'ait  pas  été  décou- 


58  ORIGINE   DU   SUCRE  DANS  L'ORGANISME  ANIMAL. 

Yerte  plus  tôt.  Cela  peut  tenir  à  plusieurs  causes.  D'a- 
bord quand  on  cherche  à  pénétrer  les  phénomènes  de 
la  vie,  on  a  toujours  l'habitude  de  se  tenir  à  un  point 
de  vue  ou  anatomique,  ou  chimique,  ou  physique,  et 
l'on  ne  se  place  pas  assez  au  point  de  vue  du  phéno- 
mène vital,  qu'il  faut  cependant  surtout  considérer 
quand  on  veut  faire  de  la  physiologie. 

L'anatomie,  en  effet,  peut  permettre  d'expliquer,  au 
moyen  de  la  structure  d'un  organe,  le  mécanisme  d'une 
fonction,  mais  elle  ne  saurait  en  aucune  façon  la  faire 
découvrir.  On  a  étudié  avec  le  plus  grand  soin  la  struc- 
ture des  cellules  et  des  vaisseaux  du  foie,  sans  soup- 
çonner même  l'existence  de  cette  fonction  glycogéni- 
que.  La  chimie  elle-même  ne  dirige  pas  ses  réactifs  sur 
des  substances  dont  elle  ignore  l'existence.  C'est  ce 
qui  est  arrivé  pour  le  foie,  qu'on  a  analysé  bien  sou- 
vent, sans  avoir  aperçu  cependant  qu'il  contenait  des 
quantités  énormes  de  sucre. 

Ni  l'anatomie  ni  la  chimie  ne  suffisent  donc  pour 
résoudre  une  question  physiologique;  il  faut  surtout 
l'expérimentation  sur  les  animaux  qui,  permettant  de 
suivre  dans  un  être  vivant  le  mécanisme  d'une  fonc- 
tion, conduit  à  la  découverte  de  phénomènes  qu'elle 
seule  peut  mettre  en  lumière,  et  que  rien  n'aurait  pu 
faire  prévoir. 

Mais  il  est  temps  d'aborder  les  caractères  de  la  fonc- 
tion qui  nous  occupe. 

Il  y  a  dans  l'homme  et  dans  tous  les  animaux  un  or- 
gane qui  produit  le  sucre,  c'est  le  foie  ;  et  comme  tous 
les  organes  qui  sécrètent  sont  imprégnés  du  produit 


PRÉSENCE  DU   SLCRE    DANS  LE  FOIE.  o9 

de  leur  sécrétion,  comme  le  rein  est  imprégné  d'urine, 
le  testicule  de  liqueur  spermatique,  le  pancréas  de  suc 
pancréatique,  les  glandes  salivaires  de  leurs  diverses 
salives,  le  foie  lui-même  est  imprégné  de  sucre,  et  il  est 
le  seul  organe  du  corps  qui,  à  l'état  normal,  présente 
ce  caractère.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  prendre 
le  tissu  du  foie  d'un  animal  quelconque,  récemment 
tué,  de  le  broyer,  de  le  faire  cuire  avec  un  peu  d'eau, 
et  de  rechercher  dans  le  liquide  de  la  décoction  la  pré- 
sence du  sucre  par  les  moyens  ordinaires. 

Nous  allons  faire  l'expérience  devant  vous.  Voici  un 
foie  de  bœuf  frais  récemment  apporté  de  Tabattoir,  on 
en  prend  un  morceau,  on  le  broie,  après  quoi  on  le  fait 
bouillir  avec  un  peu  d'eau  ;  puis  on  jette  le  tout  sur  un 
filtre;  il  passe  un  liquide  opalin  légèrement  jaunâtre, 
que  l'on  décolore  par  le  noir  animal  et  que  l'on  filtre 
de  nouveau.  Le  liquide  passe  alors  parfaitement  inco- 
lore; nous  en  mettons  dans  un  tube  bouché  par  un 
bout,  nous  y  ajoutons  une  quantité  égale  de  réactif 
cupro-potassique,  nous  chauffons  le  mélange  à  la  lampe 
à  esprit-de-vin.  Vous  voyez  se  former  le  précipité  abon- 
dant de  protoxyde  de  cuivre  qui  est  un  signe  de  la  pré- 
sence du  sucre  de  la  deuxième  espèce;  nous  faisons 
bouillir  le  même  liquide  avec  de  la  potasse  caustique, 
et  nous  avons  une  coloration  jaune-brune. 

Mais  nous  avons  dit  que  ces  réactions  n'entraînent 
pas  avec  elles  une  certitude  aussi  absolue  que  la  fermen- 
tation alcoolique.  Pour  achever  de  vous  convaincre  que 
cette  réaction  est  bien  due  h  la  matière  sucrée,  nous 
plaçons  une  autre  portion  de  cette  même  décoction  de 


60  PRÉSENCE    DU   SUCRE 

foie  dans  le  petit  appareil  à  fermentation  que  je  vous  ai 
décrit  dans  la  dernière  séance,  nous  l'exposons  à  une 
chaleur  de  40  degrés  environ,  et  vous  allez  voir  dans 
quelques  instants  la  fermentation  s'opérer. 

On  devrait  employer  dans  ces  expériences  de  la  le- 
vûre  de  bière  lavée,  afin  de  la  débarrasser  des  traces  de 
sucre  et  de  fécule  qu'elle  pourrait  contenir.  La  levure 
que  l'on  achète  chez  les  boulangers  contient  toujours 
de  la  fécule,  ce  qui  n'a  pas  d'inconvénients  quand  cette 
levure  est  fraîche,  mais,  au  boutde  quelques  jours,  si  la 
fécule  se  changeait  en  sucre,  il  pourrait  peut-être  se 
développer  une  fermentation.  Pouréviter  toutes  chances 
d'erreur,  nous  faisons  une  expérience  comparative  en 
ajoutant  de  la  même  levure  de  bière  avecde  l'eau  pure, 
dans  un  autre  tube  semblable  que  nous  plaçons  dans 
les  mêmes  conditions  de  température  que  le  premier. 

En  attendant  que  cette  expérience  soit  achevée,  on 
va  faire  bouillir  et  traiter  par  le  réactif  cupro-potassique 
les  décoctions  de  la  rate,  du  rein,  du  pancréas,  du 
poumon,  des  muscles,  du  cerveau,  tous  organes  prove- 
nant du  bœuf,  c'est-à-dire  du  même  animal  dont  nous 
avons  trouvé  le  foie  très- sucré.  Vous  voyez  qu'aucun  de 
ces  tissus  ne  présente  les  réactions  caractéristiques  que 
nous  avons  obtenues  avec  le  parenchyme  hépatique, 
c'est-à-dire  que  leur  décoction  ne  donne  lieu  ni  à  la 
fermentation  avec  la  levure  de  bière,  ni  à  la  coloration 
par  la  potasse,  ni  à  la  réduction  du  liquide  cupro-po- 
tassique. Or,  si  ce  dernier  caractère,  ainsi  que  nous  l'a- 
vons dit,  n'a  pas  une  valeur  absolue  pour  indiquer  la 
présence  du  sucre,  en  revanche,  il  fournit  un  caractère 


DANS  LE   FOIE.  61 

négatif  excessivement  certain,  c'est-à-dire  que  l'ab- 
sence de  réduction  du  réactif  prouve  absolument  l'ab- 
sence de  matière  sucrée.  Nous  pouvons  donc  conclure 
hardiment  qu'aucun  organe  du  corps,  si  ce  n'est  le  foie, 
ne  renferme  du  sucre  à  l'état  physiologique; 

Vous  pouvez  voir  maintenant  ce  que  je  vous  annon- 
çais tout  à  l'heure  :  parmi  tous  les  liquides  que  nous 
avons  mis  avec  de  la  levure  depuis  trente  minutes  en- 
viron, celui  qui  résulte  de  la  décoction  du  foie  est  le 
seul  011  la  fermentation  se  soit  produite,  et  déjà  le  tube 
est  rempli  en  grande  partie  par  un  gaz  qui  est  de  l'acide 
carbonique,  ainsi  que  nous  allons  vous  le  démontrer. 
Pour  cela  nous  débouchons  ce  tube  sous  le  mercure,  et 
nous  y  introduisons  un  petit  fragment  de  potasse;  en 
l'agitant,  vous  voyez  peu  à  peu  le  mercure  monter  et  le 
gaz  disparaître,  parce  que  l'acide  carbonique  est  ab- 
sorbé par  la  potasse. 

On  distille  ensuite  environ  le  tiers  du  liquide  qui  a 
fermenté,  on  y  ajoute  un  peu  de  chaux,  on  place  le 
mélange  dans  un  tube  que  l'on  chauffe  à  la  lampe  ;  au 
moment  de  l'ébuintion,  en  tenant  une  allumette  en- 
flammée à  l'orifice  du  tube,  on  aperçoit  une  petite 
flamme  bleuâtre  qui  descend  dans  le  tube  et  est  due  à 
la  combustion  d'une  faible  quantité  d'alcool.  Quand  la 
fermentation  est  complète  ment  terminée,  on  peut  se 
servir  du  réactif  au  chromate  dépotasse,  d'après  la  ma- 
nière que  nous  avons  indiquée  dans  la  deuxième  leçon. 

Nous  n'avons  fait  l'expérience  que  sur  un  petit  frag- 
ment du  foie;  si  nous  avions  opéré  sur  le  foie  entier, 
nous  eussions  obtenu  des  qualités  assez  considérables 


02  DOSAGE    DU    SUCRE 

d'alcool.  Voici,  dans  ce  flacon,  environ  3  grammes  d'al- 
coolrésullant  de  la  fermentation  d'un  foie  de  bœuf.  Il 
a  été  distillé  surlachaux,et  il  est  concentré  de  manière 
à  brûler  comme  vous  le  voyez;  mais  il  a  toujours  con- 
servé une  odeur  animale  particulière. 

Maintenant,  si  nous  voulions  savoir  combien  il  y  a 
de  sucre  dans  ce  foie  de  bœuf,  il   faudrait    le  doser. 

Pour  cela,  nous  allons  employ  er  devant  vous  le  pro- 
cédé indiqué  par  M.  Barreswil,  qui  consiste  à  calculer 
la  quantité  de  sucre  d'après  la  réduction  et  la  décolo- 
ration d'une  quantité  déterminée  d'un  réactif  cupro- 
potassique  titré. 

Nous  avons  fait  écrire  sur  le  tableau  la  composition 
de  quelques-uns  de  ces  réactifs  ainsi  que  la  quantité  de 
sucre  à  laquelle  ils  correspondent. 

Réactif  de  M,  Barreswil  : 

Crème  de  tartre 50  grammes.     * 

Carbonate  de  soude 40        — 

Sulfate  de  cuivre 30        — 

Potasse  à  la  chaux 40        — 

Eau,  quantité  suffisante  pour  que  le  tout 
fasse  un  litre. 

iQÛcentimètres  cubes  de  ce  réactif  sont  exactement 
décolorés  par  1  gramme  de  glucose. 
Réactif  de  Fehling  : 

Sulfate  de  cuivre 40  grammes. 

Solution  concentrée  de  tarlrate  de  po- 
tasse      160        — 

Lessive  de  soude  ayant  un  poids  spéci- 
fique =1,12 560        — 

Eau,  quantité  suffisante  pour  que  le  tout 
fasse  un  litre  à  -f-  15°. 


DANS  LE   FOIE.  63 

10  centimètres  cubes  de  cette  liqueur  sont  précipités 
complètement  par  11,5  centimètres  cuIdcs  d'une  disso- 
lution contenant  5  pour  100  de  glucose. 

Nous  employons  ici  un  liquide  dont  la  richesse  est 
un  peu  différente.  Voici  sa  composition  : 

Bicarbonate  de  potasse  (crème  détartre)  150  grammes. 

Carbonate  de  soude  cristallisé 130        — 

Potasse  à  la  chaux 1 00         — 

Sulfate  de  cuivre oO        — 

Eau,  quantité  suffisante  pour  que  le  tout 
fasse  un  litre. 

1 0  centimètres  cubes  de  ce  réactif  sont  décolorés  par 
0,05  de  sucre  de  diabète.  Voici  le  sucre  qui  a  été  extrait 
des  urines  de  diabète  et  qui  nous  a  servi  à  titrer  notre 
réactif.  Il  est  blanc  et  très-pur  ;  nous  le  devons  à  l'o- 
bligeance de  M.  Quevenne,  pharmacien  en  chef  de 
l'hôpital  delà  Charité. 

L'exemple  que  nous  mettons  sous  vos  yeux  vous  fera 
comprendre  mieux  que  toutes  les  descriptions  la  ma- 
nière dont  on  s'y  prend  pour  doser  le  sucre  dans  le  foie. 

Nous  av(ms  là  un  foie  de  bœuf  dont  le  poids  total  est 
de  S'^'^SOO;  on  a  pesé  20  grammes  de  son  tissu  frais, 
qui  ont  été  bi^oyés,  dans  un  mortier,  et  l'on  a  fait  une  dé- 
coction qui  a  été  jetée  dans  une  épi^ouvette  graduée,  en 
y  ajoutant  l'eau  qui  avait  servi  à  laver  à  diverses  reprises 
les  vases,  pour  ne  rien  perdre.  Après  le  refroidissement, 
nous  lisons  actuellement  sur  l'éprouvette  le  nombre  de 
centimètres  cubes  que  présente  son  contenu  :  ce  nom- 
bre est  de  169  centimètres  cubes,  représentant  le  vo- 
lume du  tissu  du  foie  et  du  liquide  qui  l'accompagne. 


()4  DOSAGE   DU    SUCRE 

Alors  nous  jetons  le  tout  sur  un  filtre,  et  recueillons, 
pour  le  doser,  le  liquide  qui  passe  légèrement  opralin. 
Mais  dans  les  169  centimètres  cubes  de  liquide,  il  faut 
tenir  compte  du  volume  du  tissu  du  foie  mêlé  au  li- 
quide :  c'est  pourquoi  nous  ramasserons  avec  soin,  et 
sans  en  perdre,  le  tissu  hépatique  resté  sur  le  filtre, 
nous  le  ferons  sécher  dans  une  étuve  à  100  degrés,  et, 
après  la  dessiccation  complète,  nous  en  évaluerons  le  vo- 
lume en  le  jetant  dans  l'eau  mesurée  d'un  vase  gradué. 
Un  grand  nombre  d'expériences  faites  à  ce  sujet  nous 
ont  appris  que  nous  trouverions  que  ce  tissu  pro- 
venant de  20  grammes  de  foie  frais  déplace  4  centi- 
mètres cubes  d'eau.  Il  faut  donc  soustraire  4  centimè- 
tres cubes  des  169  centimètres  cubes  que  nous  avions 
tout  à  l'heure,  ce  qui  réduit  à  165  centimètres  cubes 
la  quantité  réelle  de  liquide  sucré  pour  20  grammes  de 
tissu  frais  du  foie. 

Afin  de  reconnaître  la  richesse  en  sucre  de  cette  dé- 
coction hépatique,  nous  mesurons  très-exactement 
10  centimètres  cubes  de  notre  réactif  cupro-potassique, 
préalablement  titré  à  0§',05  pour  10  centimètres  cubes 
(ou 5 grammes  pour  100),  c'est-à-dire  que,  pour  réduire 
et  décolorer  10  centimètres  cubes  du  réactif,  il  faut  une 
quantité  de  liquide  renfermant  O^^OS  de  sucre.  Les 
10  centimètres  cubes  du  réactif  titré,  que  nous  avons 
étendus  àvolumeégal,à  peu  près,  avec  une  dissolution 
récente  de  potasse  à  la  chaux,  pour  rendre  la  précipi- 
tation de  l'oxyde  cuivrique  plus  facile,  sont  placés  dans 
un  petit  ballon,  sur  un  feu  doux,  et  lorsque  l'ébulUtion 
commence  à  se  manifester,  nous  y  ajoutons  directe- 


DANS  LE   FOIE.  65 

ment,  ainsi  que  vous  le  voyez,  avec  précaution  et  vers  la 
fin,  goutte  à  goutte,  avec  une  burette  graduée,  la  dé- 
coction du  foie.  Nous  agitons  le  liquide  à  mesure,  en 
allant  lentement  pour  laisser  la  précipitation  s'opérer, 
en  regardant  avec  soin  pour  ne  pas  dépasser  les  limites 
de  la  décoloration  du  liquide  cupro-potassique. 

Or,  dans  cette  expérience,  il  nous  faut  23  centimètres 
cubes  de  la  décoction  du  foie,  pour  réduire  et  décolorer 
complètement  les  10  centimètres  cubes  du  liquide  titré. 
Pour  calculer  maintenant  le  dosage  du  sucre  dans  le 
foie,  nous  avons  donc  les  éléments  suivants  : 

i  °  Poids  du  foie o'''i,3Û0 

2°  Liquide  total  de  décoction 165  cent.  cub. 

3°  Quantité  de  tissu  de  foie  analysé 20  gr. 

4°  Quantité  de  liquide  de  décoction  hépatique 

employéepourréduireet  décolorer  lOcent. 

cubes  du  réactif 23  cent.  cub. 

5°  Quantité  de  sucre  qui,  d'après  le  titre  du 

réactif,  correspond  à  la  décoloration  de 

10  cent,  cube 0§'-,0o 

Pour  savoir  combien  il  y  a  de  sucre  dans  les  165  cen- 
timètres cubes  de  décoction  hépatique,  nous  avons  la 
proportion  suivante  : 

23  cent,  cubes  :  165  cent,  cubes  :  :  06^05  :  x  =  iËl^-M^  =06^358. 

Ainsi  les  165  centimètres  cubes  de  la  décoction 
sucrée  provenant  des  20  grammes  de  foie  analysés, 
contiennent  donc  0^^,358  de  sucre. 

Si  nous  voulons  avoir  la  quantité  de  sucre  pour 
100  grammes  de  tissu  du  foie,  nous  ferons  la  propor- 
tion : 

BEUîîAUD.    I.  S 


66  PRESENCE  DU   SUCRE 

20  gr;  ;  O^-.TôS  :  :  100  gr.  :  x  =  ^^^oS^^X  100  ^  ^gr^-^g^^ 

Ainsi,  100  grammes  de  tissu  du  foie  frais  contien- 
nent i^\  790  de  sucre. 

Enfin  la  quantité  de  sucre  pour  la  totalité  du  foie 
résulte  de  la  proportion  suivante  : 

100  gr.  :o300gr.  :  :   1^^790  :  x  =  ^^^^^^-^1^  =  fiisr^siO 

Le  foie  entier  contient  donc  41^'',   870  de  sucre. 

Il  importe  surtout,  pour  ces  dosages,  d'avoir  un  ré- 
actif cupro-potassique  récemment  préparé  et  exacte- 
ment titré.  Il  faut  en  outre  faire  l'opération  assez  vite, 
et  s'arrêter  aussitôt  que  la  décoloration  complète  du 
réactif  est  obtenue,  sans  attendre  davantage.  En  effet, 
si  l'on  continue  à  faire  bouillir  le  liquide  cupro-potas- 
sique, ou  si  on  le  laisse  se  refroidir,  on  le  voit  au  b'Dut 
de  quelques  instants  reprendre  une  teinte  bleue  qui 
va  en  augmentant  avec  le  temps.  Quand  on  en  est 
prévenu  cette  particularité,  due  à  la  réoxydation  d'un 
peu  de  protoxyde  de  cuivre  dissous  sans  doute  à  la 
faveur  de  l'acide  tartrique,  ne  peut  pas  nuire  à  l'exac- 
titude de  l'analyse,  pourvu  que  l'on  arrête  l'expérience 
juste  au  moment  oii  la  décoloration  est  obtenue. 

Nous  pourrions  vous  parler  d'autres  moyens  de  do- 
sage, mais  j'aime  mieux  y  revenir  plus  tard  ,  si  nous 
le  trouvons  nécessaire.  Je  me  hâte  de  poursuivre  la 
partie  vraiment  physiologique  de  notre  sujet. 

La  présence  du  sucre  dans  le  foie,  à  l'exclusion  des 
autres  organes  du  corps,  ainsi  que  nous  venons  de  vous 
le  démontrer  chez  le  bœuf,  est  un  fait  général  dans  la 


DANS  LE  FOIE.  67 

série  animale,  que  nous  avons  constaté  depuis  l'homme 
jusqu'aux  invertébrés.  Nous  allons  vous  rapporter  quel- 
ques-uns des  résultats  que  nous  avons  obtenus  à  ce 
sujet,  vous  renvoyant  pour  le  détail  des  expériences  au 
Mémoire  que  nous  avons  publié  (1). 

Les  expériences  faites  chez  l'homme,  pour  corres- 
pondre physiologiquement  à  celles  faites  sur  les  ani- 
maux, devraient  être  instituées  sur  des  individus  sur- 
pris par  la  mort  en  état  de  santé. 

Nous  avons  fait  cinq  observations  sur  des  suppliciés. 
Sur  ces  cinq  observations,  deux  ont  eu  lieu  dans  la 
période  digestive,  et  les  trois  autres  chez  des  individus 
à  jeun  depuis  la  veille  :  néanmoins  tous  les  foies  conte- 
naient du  sucre. 

Le  tableau  suivant  donne  les  résultats  des  recher- 
ches que  nous  avons  faites  pendant  les  années  1850 
et  1851,  à  l'École  pratique,  sur  des  cadavres  de  sup- 
pliciés, grâce  à  l'obligeance  de  M.  le  docteur  Gosselin, 
alors  chef  des  travaux  anatomiques. 

(1)  Nouvelle  fonction  du  foie  considérée  comme  organe  producteur  de  ma- 
tière sucrée  chez  V homme  et  chez  les  animaux.  Paris,  1853. 


68 


PRESENCE  DU  SUCRE 


DATE 

de 

AGE. 

ALIMEHTATIOH. 

rOIDS 

QUANTITÉ 

poui- 

DE  SUCRE 

pour 

l'obs-ervation. 

43 

DU   FOIE. 

100   GR.   DE  FOIE 
FRAIS. 

LA     TOTALITE 
DU   FOIE. 

I.  —  22  mai  1830. 

(Aymé.) 

A  jeuu. 

1,300 

'■XT. 

'1,79 

l3> 

-2.  —   1er  fév.    18S1. 

(Bixner.) 

43 

A  jeun. 

1,330 

Présence  du  su- 
cre coust.  mais 
non  dosé. 

Non  dosé. 

3.  —  1851  

(Lafourcade.) 

" 

A  jeu». 

1,173 

Non  dosé. 

On   en  retire  de 
l'alcool  par  fer- 
mentation. 

4.  —  1831 

(Viou.) 

22 

Alimentation 
mixte. 

1,200 

2,142 

23,704 

3.  —  1831 

(Courtin.) 

Alimentation 
mixte. 

1,173 

On  en  retire  de 
l'alcool    par    la 
fermentation. 

Une  sixième  observation  a  été  faite  sur  le  foie  d'un 
homme  de  trente  ans,  mort  subitement  d'un  coup  de 
fusil.  Cet  individu,  au  moment  oiiil  fut  tué,  était  assis 
à  boire  chez  un  marchand  de  vin.  A  l'autopsie,  qui  fut 
faite  judiciairement  deux  jours  après  par  M.  Auibroise 
Tardieu,  on  ne  trouva  dans  l'estomac  que  du  vin  avec 
très-peu  d'aliments.  Le  foie  était  dans  un  état  de  pu- 
tréfaction commençante;  cependant  il  contenait  en- 
core du  sucre  dans  les  parties  les  moins  altérées  ;  il 
pesait  1*'^^  575.  La  quantité  du  sucre  pour  100  de  tissu 
du  foie  choisi  dans  les  portions  les  plus  saines  était 
{^%  10,  le  sucre  calculé  pour  la  totalité  du  foie  17^',  10. 

Il  est  bien  entendu  que,  dans  toutes  les  expériences 
précédentes  sur  les  hommes,  on  a  fait  les  mêmes 
épreuves  sur  les  autres  organes,  et  qu'aucun  tissu  que 
celui    du   foie    ne  renfermait    de  sucre,  ni  qu'aucun 


DANS  LE  FOIE  DES  ANIMAUX.  69 

liquide  contenu  dans  les  réservoirs  ordinaires,  ni  l'u- 
rine, ni  le  sperme,  ni  la  bile  extraite  de  la  vésicule 
aussitôt  après  la  mort  ne  renfermait  de  matière  sucrée. 

J'ai  poursuivi  celte  présence  du  sucre  dans  le  foie, 
dans  la  série  animale,  et  j'ai  pris,  autant  qu'il  m'a  été 
possible,  des  exemples  dans  chaque  ordre.  Il  vous 
suffira,  pour  juger  de  la  généralité  de  la  fonction 
glycogénique  dans  le  règne  animal,  de  jeter  les  yeux 
sur  la  liste  suivante,  que  j'ai  fait  écrire  sur  le  tableau. 

Le  sucre  a  été  constaté  dans  le  foie. 

Parmi  les  Mammifères  : 

1°  Dans  les  Quadrumanes  :  sur  un  Singe  cynocéphale  (grand  Pa- 
pion). 

2°  Dans  les  Carnassiers  :  sur  le  Chien,  le  Chat,  le  Hérisson,  la 
Taupe,  la  Chauve-souris. 

3°  Dans  les  Rongeurs  :  sur  l'Écureuil,  le  Cobaye,  le  Lapin,  le 
Lièvre,  le  Surmulot. 

4°  Dans  les  Ruminants  :  sur  la  Chèvre,  le  Mouton,  le  Bœuf. 

0°  Dans  les  Pachydermes  :  sur  le  Cheval,  le  Porc. 

Parmi  les  Oiseaux  : 

1°  Dans  lesRapaces  :  sur  la  Crécerelle,  la  Chouette,  l'Effraie. 

2°  Dans  les  Passereaux  :  sur  le  Moineau,  l'Hirondelle  de  chemi- 
née, le  Freux,  l'Alouette  des  champs. 

3°  Dans  les  Gallinacés  ;  sur  le  Pigeon  domestique,  le  Coq,  le  Din- 
don, la  Perdrix. 

4°  Bans  les  Échassiers  :  chez  la  Bécassine. 

:j"  Dans  les  Palmipèdes  :  chez  le  Canard,  l'Oie,  le  Goéland  à  man- 
teau noir,  la  Mouette  à  pieds  bleus. 

Parmi  les  Reptiles  : 

1°  Dans  les  Chéloniens  :  chez  la  Tortue  terrestre  et  la  Tortue  aqua- 
tique. 

2°  Dans  les  Sauriens  :  chez  le  Lézard  gris  des  murailles  et  chez  le 
Lézard  vert. 

3°  Dans  les  Ophidiens:  sur  la  Couleuvre  à  collier,  chez  la  Vipère 
commune  et  sur  TOrvet. 


70  PRÉSENCE  DU   SUCRE  DANS   LE   FOIE  DES  ANIMAUX. 

4°  Dans  les  Batraciens  :  sur  la  Grenouille  verte,  grise,  chez  le  Cra- 
paud brun  et  sur  la  Salamandre  aquatique. 

Parmi  les  Poissons  osseux  : 

l^Dans  les  Acanthoptérygiens  :  sur  le  Bar  commune!  chez  le  Thon 
commun. 

2°  Dans  les  Malacoptérygiens  abdominaux  :  chez  le  Gardon,  l'Ablette 
la  Carpe^  le  Chevaine  ou  Meunier,  le  Barbeau,  la  Truite  commune. 

3°  Dans  les  Malacoptérygiens  subbranchiens  :  sur  la  Morue,  le 
Turbot. 

4°  Dans  les  Malacoptérygiens  apodes  :  sur  l'Anguille,  le  Congre. 

Parmi  les  Poissons  cartilagineux  : 

1°  Dans  les  Sturioniens  :  sur  les  Esturgeons  ordinaires. 
2"  Dans  les  Sélaciens  :  sur  la  Roussette  ou  Chien  de  mer,  et  la  Raie 
bouclée. 

Parmi  les  Mollusque^  gastéropodes  : 

Sur  la  Limnée  des  étangs,  le  grand  Escargot,  la  Limace  rouge  et 
la  limace  des  caves. 

Parmi  les  Mollusques  acéphales  lamellibranches  : 

Chez  l'Huître  vulgaire,  la  Moule  commune,  l'Anodonte  des  cygnes, 
la  Moule  des  peintres. 
Chez  les  Articulés, 


J'ai  pu  seulement  démontrer  la  présence  du  sucre 
dans  le  foie  de  quelques  Crustacés  décapodes,  tels  que 
l'Écrevisse  commune,  le  Homard. 

Nous  avons  toujours  constaté  la  présence  du  sucre 
par  les  caractères  que  nous  avons  indiqués,  la  réduc- 
tion du  réactif  cupro-potassique  et  la  fermentation 
alcoolique. 

Ainsi  voici  des  tubes  contenant  de  l'alcool  provenant 
du  foie  de  certains  de  ces  animaux.  Nous  avons  dans 
ce  tube  de  l'alcool  provenant  d'un  foie  d'homme  ;  dans 
cet  autre  tube,  de  l'alcool  extrait  d'une  foie  de  chien 


NATURE  DU   SUCRE   QUI   EST  DANS   LE   FOIE.  71 

nourri  pendant  huit  mois  à  la  viande.  Dans  ce  qua- 
trième tube  nous  avons  de  l'alcool  qui  résulte  de  la  fer- 
mentation du  sucre  contenu  dans  des  foies  de  canard. 
Enfin,  nous  avons  encore  ici  de  l'alcool  provenant  du 
foie  de  poisson,  d'un  énorme  bar.  Quoique  ces  al- 
cools aient  été  distillés  sur  de  la  chaux  ou  sur  de  la 
potasse,  ils  ont  généralement  une  odeur  animale  siii 
generis.  L'alcool  de  poisson  a  surtout  une  odeur  fort 
désagréable. 

Il  résulte  donc  de  tout  ce  qui  précède  que  la  pré- 
sence du  sucre  dans  le  foie  est  un  fait  général  existant 
dans  toute  la  série  animale,  et  que  la  fonction  qui  pro- 
duit cette  substance  appartient  à  toutes  les  espèces, 
quelle  que  soit  leur  place  dans  la  série. 

La  proportion  du  sucre  dans  le  foie  à  l'état  physio- 
logique varie  peu  ;  elle  ne  dépasse  généralement  pas 
4  grammes  pour  100  du  tissu  du  foie  frais.  La  moyenne 
serait  encore  1/2  à  2  grammes  pour  100,  chez  les 
mammifères  et  chez  les  oiseaux. 

Dans  la  classe  des  Reptiles  et  des  Poissons,  la  pro- 
portion est  un  peu  moindre,  de  même  que  chez  les 
Mollusques. 

Maintenant,  Messieurs,  nous  arrivons  à  nous  de- 
mander quelle  est  la  nature  du  sucre  contenu  dans  le 
foie  de  l'homme  et  des  animaux.  D'après  les  réactions 
que  nous  avons  mises  en  usage  pour  déceler  la  matière 
sucrée  contenue  dans  le  foie,  vous  avez  pu  voir  que  ce 
sucre  avant  les  propriétés  de  brunir  sous  l'influence  de 
la  potasse,  de  réduire  le  tartrate  cupro-potassique,  de 
fermenter  sous  l'influence  de  la  levure  de  bière,  devait 


72  NATURE   DU  SUCRE 

appartenir  aux  sucres  de  la  seconde  espèce,  et  était 
analogue  au  sucre  de  diabète.  L'examen  au  polarisa- 
teur  établit  de  même  celte  similitude  en  ce  que  le 
sucre  du  foie  dévie  à  droite  le  rayon  lumineux  comme 
le  sucre  de  diabète.  Voici  comment  cette  dernière  expé- 
rience a  été  faite. 

Un  foie  de  bœuf  récemment  apporté  de  l'abaltoir 
fut  coupé  en  morceaux  très-minces.  On  exprima  en- 
suite, dans  un  petit  sac  de  crin,  le  tissu  du  foie  préala- 
blement chauffé  à  feu  nu  dans  un  vase,  pour  en  con- 
tracter légèrement  la  surface  extérieure,  ce  qui  facilite 
beaucoup  l'expression  du  tissu.  On  obtint  de  cette  fa- 
çon un  jus  hépatique  rougeâtre  sanguinolent  qui  était 
sucré  autant  que  possible,  puisqu'on  n'y  avait  pas 
ajouté  d'eau.  On  fit  ensuite  coaguler  au  bain-marie 
toutes  les  matières  albumineuses,  et  l'on  filtra.  Le  li- 
quide qui  résulta  de  ces  opérations  était  brun  jaunâtre, 
opalin  et  comme  laiteux.  11  était  impossible,  dans  cet 
état,  de  le  soumettre  à  l'appareil  de  polarisation.  C'est 
pourquoi  il  fallut  le  décolorer  et  le  clarifier,  en  y  ajou- 
tant une  quantité  suffisante  de  noir  animal  neutre, 
bien  lavé  et  en  portant  le  mélange  à  l'ébullition  au 
bain-marie  pendant  quelques  instants  ;  par  la  fiitra- 
tion,  on  eut  alors  ini  liquide  incolore  et  parfaitement 
limpide. 

Quelquefois,  cependant,  il  existe  dans  le  foie  une 
sorte  de  matière  opalescente,  qui  ne  peut  pas  être 
complètement  enlevée  par  le  charbon  animal.  Il  faut 
alors  traiter  le  hquide  par  quelques  gouttes  de  sous- 
acétate  de  plomb;  après  quoi  on  filtre   et  l'on  sépare 


QUI   EST   DANS  LE  FOIE.  73 

l'excès  de  plomb  par  l'hydrogène  sulfuré.  C'est  dans 
cette  dernière  partie  de  l'opération  que  l'hydrogène 
sulfuré,   en  formant   le  sulfure  de  plomb,  entraîne 
complètement  la  matière  opaline,  et  permet  d'obtenir, 
après    une  dernière  filtration,   un  liquide  hépatique 
parfaitement  transparent  et  incolore,    très-propre  à 
permettre  alors  l'examen  de  ses  caractères  optiques. 
Mais  j'ai  reconnu,   depuis  ces  premières  recherches, 
qu'on  pouvait,  dans  tous  les  cas,  se  passer  de  sous-acé- 
tate de  plomb.   Le  charbon  animal  suffit  toujours  ; 
seulement  il  faut  l'ajouter  en  très-grande  proportion. 
C'est  avec  des  liqueurs  préparées  de  cette  façon  que 
M.  Biot  a  bien  voulu  constater,  au  moyen  de  son  ap- 
pareil, la  présence  du  principe  sucré  dans  le  foie,  et  sa 
propriété  de  dévier  à  droite  la  lumière  polarisée. 

Parmi  plusieurs  expériences  qui  ont  été  faites,  je  ne 
vous  en  citerai  qu'une  qui  offre  un  intérêt  tout  parti- 
culier, parce  qu'elle  a  été  suivie  d'une  contre-épreuve 
qui  démontre  que  dans  le  liquide  hépatique,  ainsi  que 
nous  l'avions  préparé,  il  n'existait  pas  de  substances 
capables  d'induire  en  erreur,  relativement  à  la  pré- 
sence ou  à  la  quantité  de  sucre. 

Dans  cette  expérience,  le  charbon  animal  seul  avait 
suffi  pour  clarifier  complètement  le  liquide  hépatique 
qui,  à  l'examen  optique,  offrit  les  résultats  suivants  : 

Le  liquide  observé  dans  un  tube  de 5lo™'",35 

a  donné  une  rotation  très-ncianifeste  à  droite  se  mesurant 

par  une  déviation  de 9%o 

ce  qui^  évalué  approximativement,  représente o28'',316 

de  sucre  par  litre  de  liquide,  en  supposant  le  sucre  iden- 
tique avec  celui  du  diabète. 


7-i      NATURE  DU  SUCRE  QUI  EST  DANS  LE  FOIE. 

Après  ce  premier  examen,  on  ajouta  de  la  levure  de 
bière  au  liquide  hépatique,  et  on  le  plaça  à  une  tempé- 
rature convenable  pour  opérer  la  fermentation.  Le  len- 
demain elle  était  achevée,  et  le  liquide  filtré  fut  soumis 
de  nouveau  à  l'appareil  de  polarisation  dans  un  tube 
de  508"""", 85.  Cette  fois  il  ne  manifesta  plus  aucune 
trace  de  pouvoir  rotatoire  qui  fût  sensible,  même  h  la 
plaque  à  deux  rotations. 

Nous  devons  donc  nécessairement  conclure  de  cette 
dernière  partie  de  l'expérience  que  ladéviation  de  +0°,5, 
qui  avait  été  trouvée  dans  le  premier  examen  du  liquide, 
était  due  tout  entière  à  la  présence  du  sucre,  puisque, 
après  avoir  fait  disparaître  le  sucre  par  la  fermentation, 
la  déviation  a  été  complètement  nulle.  Celte  contre- 
épreuve  ajoute,  ainsi  que  vous  le  voyez,  une  grande 
rigueur  à  l'expérience,  parce  que  sans  cela  on  aurait 
pu  objecter  que  certains  principes  organiques  prove- 
nant de  la  bile  pouvaient  se  trouver  là  et  intervenir 
pour  une  part  quelconque  dans  les  phénomènes  de  ro- 
tation observés.  Cette  objection  n'est  plus  possible. 

Tel  est  l'examen  que  nous  avons  fait  il  y  a  deux  ans  ; 
mais  nous  avons  aujourd'hui  obtenu  à  froid  avec  le 
charbon  animal  et  la  pulpe  du  foie  frais  un  hquide  su- 
cré bien  clair.  On  a  pour  cela  gratté  avec  un  couteau 
le  tissu  du  foie  de  façon  à  en  obtenir  une  pulpe  demi- 
fluide  et  très-divisée,  puis  ensuite  on  a  broyé  cette 
pulpe  avec  une  grande  quantité  de  charbon  animal,  de 
manière  que  toute  l'humidité  fût  absorbée  et  que  le 
mélange  fût  redevenu  pulvérulent,  comme  vous  le 
voyez  ici.  C'est  alors  qu'on  a  ajouté  de  l'eau  au  mé- 


ORIGINE   DU  SUCRE   QUI   EST   DANS  LE   FOIE.  T6 

lange  pour  dissoudre  le  sucre.  On  a  jeté  sur  un  filtre 
et  l'on  a  recueilli  le  liquide  filtré  parfaitement  transpa- 
rent, incolore  et  sucré.  On  a  mélangé  ce  liquide  de  pre- 
mière fîltralion  avec  une  autre  portion  du  mélange  de 
charbon  et  de  foie  de  façon  à  charger  de  nouveau  la 
première  dissolution  d'une  nouvelle  quantité  de  sucre, 
et  ainsi  de  suite,  on  a  répété  jusqu'à  quatre  fois  l'opé- 
ration pour  avoir  une  Hqueur  toujours  de  plus  en  plus 
chargée  de  sucre.  On  a  eu  un  liquide  très-clair  et  in- 
colore qui  a  pu  facilement  être  soumis  au  polarimètre. 
Nous  avons  obtenu  toujours  le  même  résultat,  c'est- 
à-dire  déviation  de  la  lumière  polarisée  à  droite. 

Ainsi,  de  tout  cela,  il  résulte  clairement  que  le  sucre 
qui  existe  dans  le  foie  est  de  la  même  nature  que  celui 
que  les  diabétiques  rendent  dans  leurs  urines. 

Mais  ce  n'est  pas  assez,  Messieurs,  de  vous  avoir 
montré  qu'il  y  a  du  sucre  dans  le  foie  et  qu'il  est  ana- 
logue au  sucre  de  diabète;  je  n'ai  encore  résolu  qu'un 
des  points  de  la  question.  Il  faut  examiner  maintenant 
d'oii  vient  ce  sucre.  Bien  que  les  observations  que  je 
vous  ai  citées,  dans  lesquelles  on  a  rencontré  le  sucre 
chez  des  carnassiers  en  même  proportion  que  chez  les 
herbivores,  soient  déjà  une  preuve  que  le  sucre  se  forme 
oii  on  le  trouve,  je  veux  vous  démontrer  maintenant, 
par  des  expériences  directement  appropriées  à  ce  but, 
que  le  sucre  ne  provient  pas  de  l'alimentation.  C'est 
donc  la  question  d'origine  que  nous  devons  nécessaire- 
ment nous  poser  et  résoudre  devant  vous,  parce  que  le 
sucre  étant  une  substance  qui  entre  dans  l'alimentation 
des  animaux,  on  est  obligé  de  se  demander  si  c'est  là  la 


76  FORMATION  DU   SUCRE 

source  unique  du  sucre  que  l'on  rencontre  dans  l'éco- 
nomie. 

Nous  avons  donc  à  démontrer  que,  indépendam- 
ment des  substances  sucrées  ou  féculentes  fournies  par 
l'alimentation,  il  y  a  du  sucre  qui  se  produit  dans  l'in- 
dividu vivant. 

Le  moyen  le  plus  simple  qui  se  présente  à  l'esprit, 
c'est  de  supprimer  les  féculents  et  les  matières  sucrées 
dans  l'alimentation,  et  de  voir  si  néanmoins  le  sucre 
persiste  dans  l'économie.  Nous  avons  fait  ces  expérien- 
ces sur  un  grand  nombre  d'animaux  ;  nous  avons  choisi 
des  chiens,  et  on  les  a  nourris,  au  Collège  de  France, 
exclusivement  avec  de  la  viande,  pendant  six  et  même 
huit  mois  ;  au  bout  de  ce  temps,  les  animaux  ont  été 
sacrifiés,  etl'on  a  trouvé  dans  leur  foie  1^', 90  pour  100, 
c'est-à-dire  au  moins  la  même  proportion  que  sur  des 
chiens  nourris  par  l'alimentation  mixte. 

Des  oiseaux  de  proie,  des  Chouettes  prises  dans 
leurs  nids  et  nourries  exclusivement  avec  du  cœur  de 
bœuf  cru  pendant  trois  mois,  ont  été  tuées,  et  leur  foie 
contenait  toujours,  seul  entre  tous  les  autres  tissus  du 
corps,  du  sucre  en  quantité  normale  (l^^SO  pour  100). 

Ces  expériences  prouvent  donc  que  le  sucre  persiste 
malgré  l'impossibilité  d'introduction  de  matières  fécu- 
lentes ou  sucrées. 

Il  serait  absurde  de  supposer  que  le  sucre  ait  pu 
provenir  d'une  alimentation  antérieure,  et  se  localiser 
dans  le  foie.  D'ailleurs,  nous  verrons  plus  loin  que  le 
sucre  se  détruit  très-rapidement,  etqu'au  boutde  vingt- 
quatre  heures  par  exemple,  si  l'on  arrête  sa  produc- 


DANS  LE   FOIE.  77 

tion,  il  n'en  reste  plus  de  traces.  Comment  faire  une 
pareille  supposition  chez  les  oiseaux  de  proie  nourris 
pendant  toute  leur  vie  de  matières  exclusivement  mus- 
culaires? 

Mais  la  principale  démonstration  se  tire  de  l'examen 
du  sang  avant  et  après  le  foie.  Un  animal  qui  ne  mange 
ni  sucre  ni  fécule  n'en  a  pas  dans  le  sang  de  la  veine 
porte  venant  des  intestins,  tandis  qu'on  en  trouve  des 
quantités  considérables  dans  le  sang  qui  sort  du  foie. 
Cette  expérience  est  trop  importante  pour  que  nous  ne 
la  répétions  pas  devant  vous.  Vous  aurez  ainsi  la  preuve 
expérimentale  d'un  point  qu'il  faut  fixer  d'abord  dans 
votre  esprit  avant  d'aller  plus  loin. 

Voici  un  chien  que  nous  avons  laissé  h  jeun  pendant 
trente-six  heures,  et  auquel  on  a  fait  prendre,  il  y  a 
trois  heures  environ,  un  repas  copieux,  composé  exclu- 
sivement de  tête  de  mouton  cuite.  L'animal  est  main- 
tenant en  pleine  digestion.  C'est  à  cette  époque  et  dans 
ces  conditions  qu'il  faut  le  prendre,  parce  qu'au  delà 
de  ce  temps,  l'expérience  réussirait  moins  bien,  par  des 
raisons  que  nous  expliquerons  plus  tard. 

Je  vais  le  sacrifier  par  la  section  du  bulbe  rachidien, 
qui  est  un  procédé  plus  expéditif,  et  plus  expérimental 
que  la  strangulation  ou  l'assommement.  Le  procédé  est 
extrêmement  rapide.  De  la  main  gauche,  je  saisis  for- 
tement le  nez  de  l'animal,  et  je  fléchis  le  museau  en  bas, 
de  manière  à  le  rapprocher  du  cou,  afin  de  faire  saillir 
ia  bosse  occipitale  externe  par  cette  flexion  de  la  tête, 
et  rendre  aussi  grand  que  possible  l'écartement  occi- 
pito-atloïdien.  Alors,  avec  l'indicateur  de  la  main  droite, 


: 


78  FORMATION  DU  SUCRE 

armée  d'un  perforateur  aplati  (fig.  2),  je  sens  la  bosse 
occipitale  externe,  et,  à  1  ou  2  centimètres  en  arrière, 
je  plonge  l'instrument  acéré,  rapidement  et 
ohlquement  en  avant,  suivant  une  ligne  di- 
rigée vers  le  nez  de  l'animal.  Je  pénètre  ainsi 
d'emblée  dans  le  crâne,  en  traversant  les 
parties  molles  de  la  nuque,  et  en  passant  entre 
l'occipital  et  l'atlas.  Je  fais,  avec  la  pointe  de 
l'instrument,  un  mouvement  à  droite  et  à 
gauche  pour  dilacérer  le  bulbe  rachidien,  et 
l'animal  est  mort. 

La  vie  a  donc  été  surprise  et  arrêtée  dans 
un  état  pleinement  normal. 

Je  pratique  alors  une  incision  au-dessous 
du  rebord  des  fausses  côtes,  à  droite  de  l'ap- 
pendice xiphoïde.  Par  cette  incision  étroite, 
pénétrant  dans  l'abdomen,  j'introduis  le  doigt 
de  la  main  gauche,  et,  en  suivant  la  face  inté- 
rieure du  foie  jusqu'au  niveau  de  l'hiatus  de 
Winslow,  pour  saisir  le  paquet  des  vaisseaux 
et  nerfs  biliaires  entre  le  foie  et  le  duodénum. 
Dans  ce  paquet  se  trouve  la  veine  porte,  que  je 
pourrais  isoler  d'avec  le  conduit  cholédoque, 
mais  il  est  plus  simple  de  lier  tout  en  masse. 
Pour  cela,  pendant  que  je  soutiens  avec  l'in- 
dex de  la  main  gauche,  en  forme  de  crochet,  le  paquet 
des  nerfs  et  des  vaisseaiixhépatiques,  je  passe  au-dessous 
une  forte  ligature,  à  l'aide  d'une  aiguille  de  Cooper  te- 
nue de  la  main  droite,  après  quoi  un  aide  serre  éner- 
giquement  cette  ligature. 


Fig.  2. 


DANS  LE   FOIE.  79 

Le  sang  qui  va  au  foie  se  trouve  donc  ainsi  arrêté 
dans  la  veine  porte  et  ses  ramifications,  en  même  temps 
qu'il  ne  peut  plus  refluer  des  parties  supérieures,  ainsi 
que  cela  aurait  lieu  sans  cette  précaution,  lorsque  j'ou- 
vrirai largement  le  ventre  et  surtout  la  poitrine,  cir- 
constance qui  pourrait  ramener  dans  la  veine  porte, 
par  reflux,  une  certaine  quantité  de  sang  contenant  du 
sucre  provenant  alors  du  foie. 

J'ouvre  maintement  largement  l'abdomen,  vous  voyez 
ici  les  intestins  noirs  par  la  stase  du  sang  qui  résulte  de 
la  ligature  de  la  veine  porte;  les  vaisseaux  chylifères 
gorgés  de  chyle,  puisque  l'animal  est  en  digestion,  se 
détachent  en  blanc  sur  la  teinte  brune  de  l'intestin.  Je 
passe  aussitôt  une  ligature  autour  de  la  veine  cave  in- 
férieure, immédiatement  au-dessus  de  l'insertion  des 
veines  rénales.  Puis  ouvrant  le  diaphragme  en  avant 
et  du  côté  de  l'appendice  xiphoïde,  je  saisis  avec  les 
doigts  la  partie  de  la  veine  cave  inférieure  située  dans 
le  thorax,  et  j'en  fais  la  ligature  entre  le  foie  et  le 
cœur. 

Ceci  fait,  je  recueille,  par  une  première  incision,  le 
sang  de  la  veine  porte,  et  vous  voyez  aussitôt  les  intes- 
tins blanchir  à  mesure  que  ce  sang  s'écoule. 

Je  recueille  ensuite  le  sang  des  veines  hépatiques  en 
ouvrant  la  veine  cave  inférieure  qui  est  cernée,  comme 
nous  l'avons  dit,  entre  deux  ligatures,  au  point  d'abou- 
chement des  veines  hépatiques. 

Nous  obtenons  donc  ainsi  le  sang  qui  arrive  au  foie  et 
le  sang  qui  en  sort.  Nous  traitons  ces  deux  sangs  de  la 
même  manière:  en  ajoutant  une  quantité  égale  d'eau, 


80  FORMATION  DU  SUCRE 

puis  du  charbon  animal,  nous  faisons  bouillir  et  nous 
jetons  sur  un  filtre  pour  en  extraire  la  partie  liquide 
décolorée,  puis  nous  essayons  ce  qui  filtre,  par  le  tar- 
trate  cupro-potassique,  et  vous  voyez  que  le  sang  des 
veines  sus-hépatiques  précipite  fortement  notre  réactif, 
tandis  que  le  sang  de  la  veine  porte  n'y  fait  apparaître 
aucune  précipitation. 

//  71  existe  donc  aucune  trace  de  réduction  dans  le  san/j 
de  la  veine  porte  avant  son  entrée  dans  le  foie^  et  par 
conséquent  aucune  trace  de  sucre,  puisque  nous  savons 
que  le  réactif  cupro-potassique  donne  un  caractère  né- 
gatif absolu.  Il  y  a  toujours^  au  contraire^  une  réduction 
abondante  dans  le  sang  provenant  des  veines  sus-hépati- 
qiies^  et  de  plus ^  en  ajoutant  de  la  levure  de  bière ^  nous 
allons  avoir  une  fermentation. 

De  ces  deux  réactions  comparatives,  nous  devons 
donc  conclure  que  le  sucre  se  forme  dans  le  foie,  puis- 
qu'il n'y  en  a  pas  dans  le  sang  avant  cet  oigane,  et 
qu'on  en  trouve  de  grandes  quantités  dans  Je  sang 
après.  Nous  ajoutons  de  la  levure  à  ces  deux  dissolu- 
tions, et  vous  verrez  le  sang  des  veines  hépatiques  seul 
fermenter. 

Enfin,  Messieurs,  voulons-nous  nous  assurer  que  les 
matières  que  digérait  cet  animal  ne  contiennent  elles  - 
mêmes  aucune  trace  de  sucre,  il  nous  suffit  d'en  pren- 
dre une  certaine  quantité  et  de  les  jeter  sur  un  filtre 
avec  un  peu  d'eau.  C'est  ce  qu'on  a  fait,  et  nous  essayons 
au  réactif  cupro-potassique  ce  qui  résulte  de  la  filtra- 
lion  des  liquides  de  l'estomac  et  de  l'intestin  grêle.  Avec 
aucun  de  ces  liquides  nous  n'obtenons  réduction;  par 


DANS  LE   FOIE.  81 

conséquent  il  n'y  a  pas  de  sucre  dans  le  canal  intes- 
tinal, et  nous  comprenons  facilement  dès  lors  qu'il  n'y 
en  ait  pas  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  et  cependant, 
je  le  lépète  encore,  il  y  en  a  de  très-grandes  quantités 
dans  le  sang  qui  sort  du  foie. 

En  résumé.  Messieurs,  nous  avons  établi  aujour- 
d'hui qu'il  existe  du  sucre  chez  tous  les  animaux,  et 
en  second  lieu,  que  ce  sucre  se  forme  dans  l'orga- 
nisme, et  que  c'est  dans  le  foie  que  cette  fonction,  in- 
dépendante delà  nature  de  l'ahmentation,  doit  être  lo- 
calisée. Dans  la  prochaine  leçon,  nous  étudierons  le 
mécanisme  de  cette  fonction,  nous  rechercherons  les 
éléments  du  sang  aux  dépens  desquels  le  sucre  peut  être 
formé,  et  quelles  sont  les  circonstances  physiologiques 
qui  présidentàsa  formation,  circonstances  importantes 
à  déterminer  pour  arriver  finalement  à  l'analyse  patho- 
logique que  nous  avons  toujours  en  vue. 


BERNARD.   I. 


QUATRIEME  LEÇON 

6  JANVIER    1855. 


SOMMAIRE  :  L'expérience  force  à  conclure  que  le  sucre  se  forme  dans  le  foie. 
—  Réfutation  d'une  prétendue  localisation  de  la  matière  sucrée.  —  Le  sucre 
existe  dans  le  foie  avant  toute  espèce  d'alimentation.  —  La  fonction  glyco- 
génique  ne  commence  qu'à  une  certaine  période  de  la  vie  intra-utérine.  — 
Le  sucre  ne  saurait  se  conserver  longtemps  dans  le  foie;  cette  matière 
disparaît  bientôt  quand  on  empêche  le  foie  d'en  produire.  —  La  quantité 
de  sucre  ne  varie  pas  dans  le  foie  avec  la  nature  de  l'alimentation.  —  Il 
y  a  deux  sécrétions  dans  le  foie,  la  sécrétion  biliaire  et  la  sécrétion  du 
sucre.  —Ces  deux  sécrétions  ne  sont  pas  synchroniques;  elles  semblent 
être  indépendantes  l'une  de  l'autre.  —  L'anatomie  comparée  paraît  ap- 
puyer cette  vue.  Chez  les  Limaces,  les  deux  sécrétions  sont  successives.  — 
Chez  les  Articulés,  les  éléments  anatomiques  sécréteurs  semblent  distincts. 
Chez  les  Mammifères,  les  éléments  anatomiques  sont  confondus  et  mé- 
angés.  —  Idée  générale  de  la  structure  du  foie  chez    les  Mammifères. 


Messieurs,    . 

Dans  la  dernière  séance,  nous  avons  établi  ce  fait 
fondamental  dans  l'histoire  du  diabète,  que  le  sucre 
qui  se  trouve  normalement  dans  le  foie  de  l'homme  et 
de  tous  les  animaux  s'y  forme  sur  place,  et  ne  peut 
pas  être  considéré  comme  le  résultat  de  l'alimentation. 
Vous  avez  vu  que  le  sang  qui  entre  dans  le  foie  ne 
contient  pas  de  sucre,  tandis  que  le  sang  qui  en  sort 
en  présente  des  quantités  considérables ^ 

Chez  un  animal  Carnivore,  cette  expérience  réussit 
constamment  et  avec  des  résultats  invariables,  pourvu 
qu'on  ait  soin  de  s'entourer  des  précautions  que  nous 


FORMATION   DU    SUCRE   DANS  LE  FOIE.  83 

avons  indiquées  et  d'empêcher  le  mélange  des  divers 
liquides  sanguins,  en  liant  la  veine  porte  avant  d'ou- 
vrir largement  le  thorax  et  l'abdomen. 
La  fig,  3  représente  la  topoirraphie  anatomique  ex- 

VC 


Fi;r.  3 

D,  duodénum  et  masse  intestinale;  P,  pancréas;  /-,  rate;  e,  estomac; 
/,  rectum;  R,  rein  droit;  6,  vésicule  biliaire;  ch,  conduit  cystique  ;  FF^  foie; 
F,  lobe  du  foie  échancré  pour  montrer  la  distribution  de  la  veine  porte  qui 
porte  le  sang  dans  le  foie,  et  de  la  veine  hépatique  qui  le  ramène  ;  FP,  veine 
porte  contenant  du  sang  non  sucré;  TV^,  veine  hépatique  contenant  du  sang 
très-sucré j  d,  diaphragme;  KC,  veine  cave;  C,  cœur. 

cessivement  simple  de  cette  production  du  sucre  dans 


84  FORMATION   DU  SUCRE 

le  foie  chez  un  chien  qui  avait  été  mis  à  jeun  pendant 
\ingt-quatre  heures,  mais  qui,  au  moment  de  sa  mort, 
était  depuis  trois  heures  en  digestion  de  viande.  Les 
lettres  D,  P,  r,  e  indiquent  l'ensemble  des  organes 
digestifs,  savoir  :  le  duodénum  et  la  masse  intestinale  i), 
le  pancréas,  P,  la  rate  r  et  ] 'estomac  e.  Le  contenu 
de  Testomac  et  de  l'intestin  consiste  en  fragments  de 
tête  de  mouton  cuits  que  l'animal  avait  mangés,  on 
n'y  trouve  pas  les  moindres  traces  de  matière  sucrée.  Il 
n'est  pas  étonnant  que  le  sang  pris  dans  les  rameaux 
V,  P\  et  le  tronc,  Y,  /*,  de  la  veine  porte,  venant  des 
organes  digestifs,  ne  renferme  pas  de  sucre.  Ce  sang, 
circulant  dans  une  direction  ascendante,  pénètre  dans 
le  foie  par  deux  branches  principales;  il  ne  contient  à 
ce  moment  aucune  trace  de  sucre.  Mais  il  n'en  est  plus 
de  même  quand  le  sang  de  la  veine  porte,  après  s'être 
répandu  dans  tout  le  foie  à  l'aide  des  divisions  et  sub- 
divisions, traverse  les  capillaires,  et  est  repris  par  les 
veines  hépatiques  Y  h,  V h;  alors  le  sang  est  chargé 
de  sucre,  de  sorte  que  l'on  a,  en  V P,  un  sang  dépourvu 
de  sucre,  et  en  V  h^  le  même  sang  surchargé  de  sucre 
qui  alors  se  déverse  dans  la  veine  cave  inférieure  et 
remonte  vers  le  cœur  où  il  se  mélange  avec  le  sang 
veineux  de  toutes  les  parties  du  corps. 

Cette  expérience  suffirait  à  elle  seule  pour  faire  ad- 
mettre, comme  conclusion  naturelle  et  nécessaire  des 
faits,  que  le  sucre  se  produit  dans  le  foie.  Cependant 
nous  avons  accumulé  des  preuves  de  toute  espèce  au- 
tour de  cette  proposition,  et  nous  vous  avons  fait  voir 
que  le  tissu   hépatique  était   constamment  sucré,  et 


DANS  LE  FOIE.  8o 

qu'il  était  le  seul  des  tissus  du  corps  qui  offrît  ce  ca- 
ractère. 

Cette  découverte  de  la  production  du  sucre  dans  le 
foie  doit  changer  nécessairement  les  idées  que  l'on  s'é- 
tait faites  jusqu'ici  sur  la  nature  du  diabète,  fondées 
sur  la  croyance  que  le  sucre  qui  se  rencontre  dans  For- 
ganisne  provient  exclusivement  de  l'alimentation.  Cette 
opinion  ne  peut  plus  être  soutenue  aujourd'hui,  depuis 
que  nous  avons  établi  que  la  matière  sucrée  se  renou- 
velle constamment  dans  l'organisme  aux  dépens  des 
éléments  du  sang  et  indépendamment  de  la  nature  de 
l'alimentation.  Or,  cette  fonction  glycogénique  se  trou- 
vant localisée  dans  le  foie,  c'est  dans  cet  organe,  on 
le  comprend,  que  nous  devons  cherchera  placer  main- 
tenant le  siège  de  la  maladie. 

La  présence  du  sucre  dans  le  foie  d'animaux  actuel- 
lement, et  même  depuis  longtemps  soumis  à  un  régime 
dépourvu  de  matières  féculentes  ou  sucrées,  était  un 
fait  trop  évident  et  trop  facile  à  constater,  ainsi  que 
vous  l'avez  vu,  pour  qu'on  pût  songer  à  le  contredire, 
mais  les  théories  anciennes  ne  se  résignent  pas  à  dispa- 
raître sans  avoir  épuisé  tous  leurs  moyens  de  salut.  Si 
le  sucre  de  foie  ne  provient  pas  de  digestions  récentes, 
a-t-on  dit,  ne  peut-il  pas  résulter  de  matières  fécu- 
lentes ou  sucrées  contenues  dans  une  alimentation  anté- 
rieure, et  qui  seraient  restées  fixées  dans  le  foie,  organe, 
comme  on  le  sait,  essentiellement  propre  à  ces  sortes 
de  localisations,  et  ayant  la  propriété  de  retenir  très- 
longtemps  dans  son  tissu  certaines  matières  minérales  ? 
Quand  en  effet,  on  administre  à  des  animaux  certai- 


m  FORMATION   DU   SUCRE 

lies  préparations  métalliques  de  cuivre,  de  mercure, 
d'arsenic,  ces  métaux  se  retrouvent  en  certaine  pro- 
portion dans  le  foie,  et  souvent  au  bout  d'un  temps 
très-long.  Il  en  est  de  même  chez  les  malades  qui  ont 
été  soumis  h  une  médication  cuivreuse,  mercurielle  ou 
arsenicale;  ils  gardent  pendant  fort  longtemps  dans  le 
tissu  hépatique  des  quantités  plus  ou  moins  considéra- 
bles de  ces  substances.  C'est  d'après  la  connaissance  de 
cette  propriété  du  foie  pour  retenir  ces  substances  mi- 
nérales, qu'on  a  voulu  induire  qu'il  aurait  aussi  celle 
de  garder  le  sucre  pendant  un  temps  plus  ou  moins 
considérable,  et  que  les  chiens,  par  exemple,  que  l'on 
soumet  à  l'expérience,  ont  dû,  à  une  certaine  époque, 
manger  du  pain,  lequel  s'est  transformé  en  sucre  dans 
l'intestin  et  s'est  localisé  dans  le  foie,  où  nous  le  retrou- 
vons ensuite. 

Il  est  facile,  Messieurs,  de  répondre  h  ces  objections 
nullement  physiologiques  faites  exclusivement  pour 
sauvegarder  certaines  idées  théoriques  ;  elles  vont  tom- 
l)er  d'elles-mêmes  devant  les  faits  suivants  que  nous 
allons  exposer  en  continuant  l'histoire  de  la  fonction 
glycogénique  du  foie. 

Et  d'abord  le  sucre  existe  dans  le  foie  avant  toute 
espèce  d'alimeniation,  lorsque  les  animaux  sont  encore 
dans  la  période  de  la  vie  fœtale. 

Vous  pouvez  constater  que  des  petits  poulets  pris 
dans  leur  coquille  présentent  du  sucre  dans  leur  foie. 
Nous  avons  fait  la  même  observation  sur  des  créce- 
relles et  des  chouettes,  prises  également  au  sortir  de 
leur  coquille,    nourries  exclusivement  de   viande,  et 


DANS  LE   FOIE.  87 

dont  le  foie  contenait  de  1  à  1,50  pour  100  de  sucre. 
Dans  ces  expériences,  il  est  évidemment  impossible 
d'attribuer  à  l'alimentation  l'origine  du  sucre  dans  le 
foie. 

Il  en  est  de  même  chez  les  Mammifères.  Ainsi  vous 
voyez  sur  cette  table  des  fœtus  de  veau  à  différentes 
époques  de  leur  développement  intra-utérin,  et  qui 
arrivent  tout  frais  des  abattoirs  de  Paris;  nous  allons 
vous  convaincre  que  leur  foie  est  également  sucré. 

On  prend  un  morceau  de  foie  de  ce  fœtus  qui  peut 
avoir  de  quatre  à  cinq  mois,  et  dont  la  longueur  est 
de  60  centimètres.  On  broie  ce  tissu  hépatique  dans 
un  mortier,  comme  nousle  faisons  ordinairement,  avec 
une  suffisante  quantité  de  noir  animal,  pour  retenir 
toutes  les  matières  colorantes  et  albuminoïdes.  On  y 
ajoute  ensuite  de  l'eau  pour  dissoudre  la  matière  su- 
crée, on  jette  le  tout  sur  un  filtre;  le  liquide,  comme 
vous  voyez,  passe  parfaitement  limpide.  Nous  mettons 
dans  un  tube  parties  égales  de  liquide  filtré  avec  notre 
réactif  cupro-potassique,  nous  faisons  bouillir,  et  vous 
voyez  les  changements  de  coloration  et  la  précipita- 
tion de  l'oxyde  de  cuivre  indiquer  la  présence  du 
sucre.  La  fermentation  avec  la  levure  de  bière  achè- 
vera la  démonstration  positive  de  la  présence  du  sucre; 
on  obtiendra  de  l'acide  carbonique  et  de  l'alcool. 

Mais  dans  ce  cas  tout  spécial  d'un  Mammifère  her- 
bivore, on  pourrait  dire,  peut-être,  que  le  sucre  qui 
est  dans  le  foie  du  fœtus  vient  de  la  mère,  à  l'aide  des 
communications  utéro-placentaires. 

Eh  bien!  Messieurs,  cette  nouvelle  objection  va  dis- 


88  FORMATION   DU  SUCRE 

paraître  devant  un  fait  nouveau  prouvant  bien  que  la 
production  du  sucre  dans  Je  foie  est  une  véritable  fonc- 
tion, qui  ne  prend  naissance  qu'à  une  certaine  époque 
de  la  vie  intra-utérine.  Je  viens  de  vous  montrer  un 
fœtus  de  quatre  à  cinq  mois,  dont  le  foie  présentait  du 
sucre;  en  voici  un  autre  qui  a  environ  deux  mois,  et 
est  encore  contenu  dans  une  des  cornes  de  l'utérus. 
Nous  divisons  les  membranes  qui  l'enveloppent,  nous 
faisons  écouler  la  grande  quantité  de  liquide  qui  l'en- 
toure, et  nous  extrayons  ce  fœtus,  en  l'essuyant  avec 
soin  ;  nous  séparons  son  foie  avec  précaution,  sans  ou- 
vrir les  estomacs  que  vous  voyez  ici,  et  qui,  comme  cela 
a  lieu  toujours,  sont  remplis  d'un  liquide  légèrement 
jaune  et  filant.  On  prend,  comme  dans  l'expérience 
précédente,  un  morceau  du  foie  do  ce  fœtus,  on  le 
traite  de  la  même  manière,  après  quoi  on  soumet  le  li- 
quide obtenu  au  même  réactif  cupro-potassique,  qui 
reste  parfaitement  bleu  et  ne  présente  aucune  trace  de 
précipité.  La  fermentation  avec  la  levure  de  bière  n'a 
pas  lieu  non  plus.  Par  conséquent,  nous  sommes  bien 
certains  qu'il  n'existe  pas  de  matière  sucrée  dans  le  foie 
de  ce  fœtus. 

L'absence  de  sucre  dans  le  foie  des  fœtus  jeunes  est 
un  des  faits  les  plus  importants  à  constater  pour  l'his- 
toire de  la  fonction  glycogénique,  car  cela  prouve 
qu'originairement  la  matière  sucrée  n'existe  pas  dans 
le  foie,  et  que  ce  n'est,  pour  les  veaux,  que  vers  le  qua- 
trième ou  le  cinquième  mois  de  la  vie  intra-utérine  que 
cette  matière  apparaît  dans  le  tissu  hépatique.  Ainsi  se 
trouve  indiqué  le  moment  de  la  naissance  de  la  fonc- 


DANS  LE   FOIE.  89 

tion  glycogénique.  En  effet,  nous  avons  fait  un  grand 
nombre  d'expériences  sur  des  veaux  de  tout  âge  qu'on 
rencontre  en  grande  abondance  dans  les  abattoirs  de 
Paris,  et  nous  nous  sommes  assuré  que  ce  n'est  qu'à 
une  certaine  époque  de  développement,  vers  quatre  ou 
cinq  mois,  que  le  sucre  apparaît  dans  le  foie,  d'abord 
en  petite  quantité,  puis  la  proportion  augmente  peu  à 
peu  jusqu'au  terme  de  la  vie  intra-utérine.  Chez  les 
fœtus  humains,  oii  la  gestation  est  de  la  même  durée 
que  pour  les  veaux,  le  même  fait  a  lieu,  à  savoir,  que 
primitivement  le  foie  est  dépourvu  de  matière  sucrée  et 
que  cette  matière  y  apparaît,  autant  que  j'ai  pu  en  juger 
pardeuxobservations,  versle  quatrièmeou  lecinquième 
mois.  Sur  des  lapins,  des  chèvres,  des  moutons,  des 
cochons  d'Inde,  nous  avons  constaté  encore  l'absence 
de  sucre  dans  les  premiers  temps  de  la  vie  fœtale,  et  son 
apparition  ensuite  à  une  époque  variable  en  rapport 
avec  les  différences  de  la  durée  de  la  gestation.  Toutes 
ces  observations  concordent  pour  indiquer  que  la  fonc- 
tion glycogénique  prend  naissance  pendant  la  vie  intra- 
utérine  et  que  la  matière  sucrée  augmente  à  mesure  que 
l'animal  approche  de  la  naissance. 

Voici,  relativement  à  cette  portion,  des  expériences 
faites  sur  des  fœtus  d'espèces  différentes. 

Quantité  de  sucre 
dans  le  foie. 

Fœtus  humairi  de  six  mois  et  demi Os"",??  p.  100 

Fœtus  de  veau,  sept  à  huit  mois 0^^,80    — 

Fœtus  de  chat,  à  terme ls^;27    — 

Vous  voyez,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  que  la  pro- 
portion du  sucre  va  croissant  avec  l'âge  du  fœtus. 


90  FORMATION  DU   SUCRE 

Mais,  du  reste,  Messieurs,  tout  ceci  n'est  qu'une  sorte 
de  digression  sur  des  questions  sur  lesquelles  nous  re- 
viendrons plus  tard,  et  dont  nous  parlons  ici  seulement 
en  passant,  parce  que  nous  avons  sous  la  main  des 
sujets  d'expériences  qui  vous  permettent  de  vous  parler 
de  l'origine  de  la  matière  sucrée  dans  le  foie,  tout  en 
vous  démontrant  l'impossibilité  d'aller  chercher  dans  la 
mère  l'origine  de  la  matière  sucrée  qu'on  prétendrait 
être  venue  se  localiser  dans  le  foie. 

Nous  avons  encore  bien  d'autres  manières  de  démon- 
trer quele  sucre  de  foie  nerésulte  pas  d'une  localisation 
des  matières  sucrées  provenant  de  l'alimentation,  et 
nous  ne  devons  pas  craindre  de  les  accumuler,  parce 
que  chacune  d'elles  présente  la  question  physiologique 
sous  un  jour  nouveau. 

Je  vous  disais  tout  à  l'heure  que  certaines  substances 
minérales  jouissaient  de  la  propriétéde  selocahser  dans 
le  foie  et  d'y  rester  presque  indéfiniment,  de  sorte  que 
des  mois  et  même  des  années  après  l'emploi  de  ces  sub- 
stances, on  pouvait  encore  en  trouver  des  traces  dans 
le  tissu  hépatique. 

Mais  il  ne  saurait  en  être  de  même  pour  le  sucre  de 
foie,  le  plus  altérable  et  le  plus  fermentescible  de  tous, 
et  qui, àce titre,  ne  pouvant  rester  longtemps  dansl'or- 
ganisme,  ne  saurait  être  comparé  en  aucune  façon  avec 
les  substances  minérales.  Loin  de  séjourner,  le  sucre  se 
détruit  et  se  renouvelle  sans  cesse,  et  ce  qui  prouve 
qu'il  y  a  bien  une  fonction  pour  le  former,  c'est  qu'on 
peut  le  faire  disparaître  en  produisant  un  trouble  dans 
l'organisme,  en  faisant,  par  exemple,  mourir  lentement 


DANS   LE   FOIE.  91 

un  animal,  de  façon  à  laisser  se  consommer  peu  à  peu 
la  quantité  de  matière  sucrée  formée  dans  le  foie,  tout 
en  l'empêchant  d'en  produire  de  nouvelle.  On  démon- 
tre ainsi  que  le  sucre  n'existe  que  quand  l'animal  est 
dans  l'état  physiologique,  et  que  la  fonction  qui  les  pro- 
duit peut  s'interrompre  et  s'anéantir  comme  tous  les 
autres. 

Voici  par  exemple  un  lapin  auquel  nous  avons  coupé 
hier  soir  les  deux  nerfs  pneumogastriques.  L'animal 
est  mort  ce  matin,  c'est-à-dire  environ  quinze  heures 
après  l'opération.  Au  moment  où  nous  lui  avons  coupé 
ses  deux  pneumogastriques,  il  se  portait  parfaitement 
bien,  et  il  y  avait  du  sucre  dans  son  foie,  comme  cela 
a  lieu  constamment.  En  coupant  ces  nerfs  nous  avons 
arrêté  dans  celorgane  la  production  du  sucre,  et  entre  le 
moment  de  l'opération  et  la  mort  de  l'animal,  la  quan- 
tité de  sucre  qui  avait  été  antérieurement  formée  a  eu 
le  temps  de  se  détruire.  Nous  ne  devons  plus  en  trouver 
la  moindre  trace,  bien  que  l'animal  fût  en  pleine  diges- 
tion de  matières  végétales  au  moment  de  la  section  des 
nerfs.  C'est  même  une  circonstance  défavorable  pour 
le  succès  de  l'expérience,  puisque  ces  substances  ont  pu 
apporterune  quantité  plus  considérable  de  sucre  ajoutée 
cl  celle  qui  se  forme  normalement.  Nous  ouvrons  l'abdo- 
men de  ce  lapin,  nous  prenons  un  morceau  de  son 
foie,  nous  le  traitons  par  les  procédés  précédemment 
indiqués,  et  vous  voyez  que,  par  l'ébullition  du  liquide 
provenant  du  traitement,  avec  le  réactif  cupro-potassi- 
que,  il  n'y  a  ni  décoloration  ni  précipité. 

Le  sucre  a  donc  disparu,  parce  que,  sous  l'influence 


92  FORMATION   DU   SUCRE 

d'une  modification  imprimée  àla  fonction  glycogénique, 
il  a  cessé  de  se  former. 

Pendant  les  maladies  graves  et  surtout  aiguës,  lors- 
que les  fonctions  nutritives  sont  profondément  trou- 
blées, la  fonction  du  foieelle-même  s'arrête,  et  il  ne  se 
produit  plus  de  sucre, aussi  n'en  trouve- t-on  jamais  sur 
les  cadavres  apportés  dans  les  amphithéâtres  et  qui  ont 
succombé  à  des  maladies  graves.  Cependant,  nous  de- 
vons dire  que,  si  la  mort  a  été  assez  rapide  pour  que 
les  facultés  nutritives  n'aient  été  suspendues  que  peu  de 
temps,  il  reste  encore  du  sucre  dans  le  foie.  C'est  ainsi 
que  nous  en  avons  trouvé  chez  quelques  phthisiques, 
morts  à  la  suite  d'une  courte  agonie,  et  chez  les  diabé- 
tiques emportés  presque  subitement  par  des  engorge- 
ments pulmonaires.  J'en  ai  également  rencontré  chez 
des  individus  morts  en  quelques  heures,  à  la  suite  d'un 
empoisonnement  par  l'arsenic.  Il  y  aurait  une  étude  in- 
téressante à  faire  pour  rechercher  s'il  existe  des  mala- 
dies qui  respectent  plus  spécialement  cette  formation 
du  sucre  dans  le  foie.  Ce  serait  même  une  manière  de 
reconnaître  si  un  individu  ou  un  animal  ont  succombé 
à  la  suite  d'une  longue  maladie,  ou  sont  morts  subite- 
ment. Dans  le  premier  cas,  on  ne  trouvera  plus  de  su- 
cre dans  le  foie,  tandis  qu'il  y  en  aura  toujours  dans  le 
second,  comme  cela  arrive  chez  les  animaux  de  bouche- 
rie qui  ont  été  tués  dans  un  état  de  santé  parfaite.  Le 
goût  sucré  d'ailleurs  d'un  foie  provenant  d'un  animal 
sain  ou  malade  suffit  pour  établir  une  différence  dans 
sa  composition  sucrée. 

Ainsi,  non-seulement  le  sucre  hépatique  ne  provient 


DANS    LE   FOIE.  93 

pas  d'une  alimentation  antérieure,  dont  la  matière  su- 
crée aurait  été  depuis  plus  ou  moins  longtemps  retenue 
dans  le  foie  comme  les  substances  minérales  auxquelles 
il  est  impossible  de  l'assimiler  ;  mais  nous  allons  vous 
faire  voir  que  la  quantité  de  sucre  ne  dépend  pas  de  la 
nature  actuelle  de  l'alimentation,  car  la  quantité  de 
sucre  que  l'on  rencontre  dans  le  tissu  hépatique  ne 
varie  pas  sensiblement,  soit  qu'on  soumette  un  animal 
à  une  alimentation  exclusivement  animale,  soit  qu'on 
y  introduise  des  substances  féculentes,  soit  même  qu'il 
ne  mange  que  des  substances  féculentes  seules. 

Gela  ressortira  clairement  des  expériences  suivantes, 
qui,  pour  être  plus  comparables,  ont  été  faites  sur  des 
animaux  de  même  espèce,  sur  des  chiens,  dans  les 
conditions  normales  de  santé. 

Quautit.  de  sucre 
dans 
le  tissu  du  foie. 

1"  chien.  Nourri  à  la  viande Isi-ZJOp.  100 

2^    chien  —  isi',40  — 

je'"  chien.  Nourri  avec  viande  cl  pain is^,70  — 

2^   chien  —  [s^,30  — 

3^    chien  —  lg%30  — 

1^''  chien.  Nourri  trois  jours  avec  fécule    et  sucre 

exclusivement ier,88  — 

2^    chien.  Nourri  pendant  six  jours  exclusivement.  1^^,50  — 

Tous  ces  animaux  ont  été  sacrifiés,  autant  que  possi- 
ble, à  la  même  période  digestive.  Vous  voyez  donc  que, 
à  l'état  physiologique,  l'addition  des  matières  sucrées  et 
féculentes  n'a  pas  sensiblement  modifié  la  quantité  de 
sucre  contenue  dans  le  tissu  du  foie,  car  les  différences 
observées  uniquement  dans  les  fractions  ne  sont  à  l'a- 
vantage d'aucune  espèce  d'alimentation.  Il  n'y  a  donc 


04  FORMATION   DU    SUCRE 

pas  de  rapport  direct  entre  la  nature  des  aliments  et  la 
quantité  de  sucre  contenue  dans  le  foie.  La  production 
de  cette  substance  est  une  fonction  indépendante  de  ces 
circonstances  extérieures  dont  nous  devons  cependant 
établir  les  conditions  physiologiques  pour  interpréter 
les  variations  qu'elles  peuvent  apporter  à  l'état  patho- 
logique, et  les  effets  qui  peuvent  en  résulter. 

Pour  comprendre  cette  fonction  hépatique  et  nous 
rendre  compte  de  la  manière  dont  elle  peut  s'effectuer, 
revenons  à  noire  expérience  fondamentale,  dans  laquelle 
nous  avons  montré  que  le  sang  qui  entre  dans  le  foie 
ne  contient  pas  de  sucre,  tandis  qu'on  en  trouve  tou- 
jours dans  le  sang  qui  en  sort.  La  fonction  glycogéni- 
que  se  trouve  donc  ainsi  limitée  dans  le  tissu  du  foie, 
et  nous  sommes  conduits  à  chercher  le  mécanisme  de 
celte  fonction  dans  les  modifications  que  le  sang  subit 
dans  les  capillaires  en  se  mettant  en  contact  avec  le 
(issu  élémentaire  ou  les  cellules  hépatiques. 

Le  foie  est  un  organe  glandulaire  considérable  qui, 
chez  tous  les  vertébrés,  forme  une  sorte  de  barrière 
entre  le  système  circulatoire  digestif  et  le  système  cir- 
culatoire général.  La  veine  porte  charrie  dans  le  foie 
une  quantité  considérable  de  sang  qui,  à  chaque  pé- 
riode digestive,  y  arrive  chargé  des  matériaux  nutritifs 
rendus  solubles  par  la  digestion.  C'est  alors,  sous  l'in- 
fiuence  du  tissu  hépatique  animé  par  le  système  ner- 
veux, que  les  éléments  de  ce  sang  éprouvent  des  mé- 
tamorphoses en  vertu  desquelles  ils  servent,  d'une 
part,  à  la  production  du  sucre  qui  est  emporté  par 
les  veines  hépatiques,  et  d'autre  part  à  la  formation 


DANS  LE   FOIE.  9o 

de  la  bile  qui  est  excrétée  par  les  voies  biliaires. 
Le  système  afférent  est  donc  formé  par  la  veine 
porte,  et  le  système  efférent  par  les  veines  sus- hépati- 
ques. Il  y  a  en  outre  des  vaisseaux  lymphatiques  el 
l'artère  hépatique,  mais  celle-ci  est  considérée  comme 
n'ayant  aucune  influence  sur  les  fonctions  de  l'organe, 
parce  que  la  sécrétion  de  la  bile  n'éprouve,  par  suite 
de  la  ligature,  que  très-peu  de  modifications  :  nous 
verrons  plus  tard  s'il  en  est  de  même  pour  le  sucre. 
Toutefois  l'artère  hépatique  contribue  à  la  nutrition 
propre  du  foie. 

Il  faut  maintenant,  pour  comprendre  la  fonction  que 
nous  voulons  étudier,  c'est-à-dire  la  formation  du  sucre 
qui  a  lieu  aux  dépens  des  éléments  du  sang  qui  entre 
dans  le  foie,  que  nous  nous  fassions  une  idée  claire  de 
l'arrangement  anatomique  des  éléments  du  tissu  hépa- 
tique et  de  la  manière  dont  ils  peuvent  agir  pour  don- 
ner lieu  à  une  matière  sucrée. 

Vous  verrez  bientôt.  Messieurs,  que  cette  fonction  en 
vertu  de  laquelle  le  sang  se  modifie  dans  le  foie,  con- 
stitue une  véritable  sécrétion,  analogue  à  toutes  les  au- 
tres sécrétions  de  l'économie,  à  celle  de  la  bile,  par 
exemple,  de  sorte  qu'il  résulte  de  là  que  le  foie  n'est 
pas  un  organe  simple,  mais  un  organe  à  fonctions  mul- 
tiples, puisqu'il  sécrète  d'une  part  du  sucre,  de  l'autre 
de  la  bile. 

On  ne  connaissait  jusqu'à  présent  que  cette  dernière 
sécrétion.  Mais  il  paraissait  étrange  qu'un  organe  si  vo- 
lumineux, qui  apparaît  de  si  bonne  heure  dans  le  fœ- 
tus, qui  semble  si  indispensable  à  la  vie  de  l'animal, 


06  FORMATION   DU   SUCRE   ET    DE  LA  BILE 

puisqu'on  le  rencontre  depuis  les  invertébrés  jusqu'à 
l'homme,  n'eût  d'autre  fonction  que  de  sécréter  une 
petite  quantité  de  liquide  biliaire  évidemment  peu  en 
rapport  avec  son  volume.  Et  encore  certains  physiolo- 
f^istes  refusaient-ils  à  ce  liquide  toute  participation  ef- 
llcace  dans  l'acte  de  la  digestion,  si  bien  que  la  glande 
la  plus  volumineuse  de  l'économie,  et  certainement 
l'une  des  plus  constantes  dans  toute  la  série  animale, 
se  trouvait  réduite  à  un  rôle  presque  nul.  Il  n'y  a  plus 
de  doute  aujourd'hui,  depuis  que  nous  l'avons  établi, 
que  l'on  ignorait  une  des  plus  importantes  fonctions 
du  foie,  celle  par  laquelle  il  concourt  d'une  manière 
puissante  à  la  vie  de  nutrition  au  moyen  de  la  produc- 
tion du  sucre. 

Actuellement,  Messieurs,  il  s'agit  pour  nous,  s'il  est 
possible,  d'étudier  séparément  ces  deux  sécrétions,  de 
voir  si  chacune  d'elles  se  localise  ou  non  dans  les  élé- 
ments anatomiques  distincts,  et  de  chercher,  par  l'ob- 
servation expérimentale  aussi  bien  que  par  l'anatomie 
comparée,  à  éclaircir  ce  point  difficile  de  l'organisme 
vivant. 

On  s'est  fait  pendant  longtemps  une  très-fausse  idée 
de  ce  qu'est  un  organe  sécréteur.  On  pensait  que  toute 
sécrétion  devait  être  versée  sur  une  surface  interne  ou 
externe,  et  que  tout  organe  sécrétoire  devait  nécessai- 
rement être  pourvu  d'un  conduit  excréteur  destiné  à 
porter  au  dehors  les  produits  de  la  sécrétion. 

L'histoire  du  foie  étabUt  maintenant  d'une  manière 
très-nette  qu'il  y  a  des  sécrétions  internes^  c'est-à-dire 
des  sécrétions  dont  le  produit,  au  lieu  d'être  déversé  à 


DANS   LE   FOIE.  97 

l'extérieur  est  transmis  directement  clans  le  sang.  En 
effet,  dans  l'état  physiologique  on  ne  trouve  jamais  le 
sucre  hépatique  en  dehors  du  système  circulatoire. 
Quant  à  la  bile,  elle  n'en  présente  jamais  les  moindres 
traces. 

Voici  donc  une  glande  qui  donne  naissance  à  deux 
produits  :  le  sucre  qui  entre  dans  le  sang  et  la  bile  qui 
est  rejetée  au  dehors.  Quelle  relation  y  a-t-il  entre  ces 
deux  sécrétions?  Sont-ce  deux  phénomènes  concomi- 
tants, en  rapport  l'un  avec  l'autre,  ou  n'ont-ils  ensemble 
aucune  liaison?  Peut-on  admettre,  par  exemple,  que  les 
matières  albuminoïdes  du  sang,  en  arrivant  au  contact 
des  cellules  hépatiques,  se  dédoublent  en  deux  pro- 
duits, l'un  hydrocarboné  qui  serait  le  sucre,  l'autre 
azoté  qui  serait  la  bile?  S'il  en  était  ainsi,  ces  deux  pro- 
ductions devraient  se  faire  simultanément,  mais  l'expé- 
rience semblerait  indiquer  que  le  sucre  ne  se  forme 
pas  au  même  moment  que  la  bile,  et  qu'il  y  a,  en  quel- 
que sorte,  alternance  entre  ces  deux  formations,  de 
telle  façon  que  l'une  semble  s'arrêter  au  moment  de  la 
plus  grande  intensité  de  l'autre. 

Et  d'abord,  quand  on  veut  suivre  sur  un  animal  le 
phénomène  de  la  sécrétion  biliaire,  il  faut  pratiquer 
une  fistule  comme  nous  allons  faire  sur  le  chien  que 
vous  voyez  ici,  et  pour  cela  on  opère  de  la  manière  sui- 
vante : 

L'animal,  à  jeun  depuis  vingt-quatre  heures,  est 
placé  sur  le  dos  :  nous  faisons  une  incision  de  7  à  8  cen- 
timètres sur  le  côté  droit  de  l'appendice  xiphoïde,  sur 
le  bord  interne  du  muscle  droit,  nous  divisions  successi- 

BERNARD.    I.  7 


98         FORMATION  DU  SUCRE  ET  DE  LA  BILE 

vement  la  peau  et  les  muscles,  et  nous  arrivons  dans  la 
cavité  du  péritoine.  Nous  plongeons  le  doigt  indicateur 
de  la  main  gauche  dans  la  plaie,  et  nous  allons  à  la  face 
inférieure  du  foie  accrocher  avec  le  doigt  recourbé  l'ex- 
trémité supérieure  du  duodénum,  que  nous  amenons 
dans  la  plaie  :  maintenant  sur  la  face  droite  de  l'intestin , 
entre  cet  organe  et  le  pancréas,  nous  cherchons  le  con- 
duit cholédoque  qui  est  contenu  dans  un  paquet  com- 
mun avec  la  veine  porte,  l'artère  et  les  nerfs  hépatiques. 
Nous  apercevons  le  canal  cholédoque  superficiellement 
placé  dans  le  point  où  il  vient  s'insérer  obliquement  dans 
l'intestin,  à  3  centimètres  environ  au-dessous  du  pylore; 
nous  reconnaissons  ce  conduit  à  son  aspect  nacré.  Nous 
l'isolons  en  passant  au-dessous  de  lui  une  sonde  canne- 
lée sur  une  longueur  de  1  centimètre  à  1  centimètre  1/2, 
puis  nous  plaçons  autour  de  lui  deux  ligatures,  l'une 
sur  le  conduit  au  moment  oii  il  pénètre  dans  la  paroi 
de  l'intestin,  l'autre  aussi  haut  que  possible  du  côté  du 
foie,  et  nous  réséquons  toute  la  partie  du  conduit  com- 
prise entre  ces  deux  fils.  Cette  dernière  ligature,  placée 
du  côté  du  foie,  a  pour  but  d'empêcher  l'écoulement 
ultérieur  de  la  bile  ;  l'autre,  celle  du  côté  de  l'intestin, 
pourrait  paraître  sans  utilité  :  cependant  elle  sert  à  em- 
pêcher l'écoulement  du  sang  qui  résulterait  de  la  divi- 
sion d'une  petite  artériole  qui  accompagne  ordinaire- 
ment ce  conduit. 

Ce  premier  temps  étant  achevé,  nous  abandonnons 
l'intestin,  qui  revient  à  sa  position  naturelle,  et  nous 
coupons  les  fils  des  ligatures;  puis,  avec  l'index  de  la 
main  gauche  introduit  de  nouveau  dans  la  plaie,  nous 


DANS  LE   FOIE.  99 

allons  chercherla  vésicule  distendue  par  labile, et, quand 
nous  sentons  sa  fluctuation  particulière,  nous  la  saisis- 
sons par  son  fond  avec  une  pince  à  pansement  intro- 
duite avec  la  main  droite,  et  nous  l'attirons  vers  la  plaie. 
Nous  introduisons  dans  son  fond  un  trocart  présentant 
à  l'extrémité  de  sa  canule  des  rainures  transversales, 
sur  lequel  nous  fixons  une  forte  ligature  portée  au- 
dessous  des  mors  de  la  pince  à  pansements  qui  main- 
tiennent toujours  la  vésicule  attirée  vers  la  plaie. 

Maintenant  nous  tirons  le  mandrin  du  trocart,  et  nous 
évacuons  au  dehors  la  bile  contenue  dans  la  vésicule  ; 
nous  recousons  la  plaie  en  réunissant  d'abord  les  mus- 
cles, ensuite  la  peau,  en  assujettissant  la  canule  du 
trocart  dans  l'angle  supérieur  de  la  plaie.  Nous  atti- 
rons en  même  temps  la  vésicule  du  fiel  vers  les  parois 
de  l'abdomen;  un  aide  la  maintient  dans  cette  position 
en  nouant  sur  un  petit  morceau  de  bois  les  fils  qui  ont 
servi  à  fixer  la  vésicule  sur  la  canule  du  trocart,  et  cela 
afin  qu'il  se  forme  des  adhérences  entre  les  parois  de 
l'abdomen  et  la  vésicule.  Maintenant  l'expérience  est 
terminée. 

Au  bout  de  trois  ou  quatre  jours,  les  adhérences  se- 
ront établies,  les  fils  tomberont,  et  nous  aurons  une 
fistule  permanente. 

L'animal  survit  en  général  à  cette  opération .  On  com- 
prend maintenant  que  la  bile  ne  peut  plus  être  versée 
dans  l'intestin  et  qu'elle  s'échappera  de  la  vésicule  au 
fur  et  à  mesure  qu'elle  se  produira.  La  vésicule,  n'é- 
tant plus  alors  distendue  par  l'accumulation  de  la  sé- 
crétion biliaire  dans  l'intervalle  des  digestions,  revient 


100        FORMATION  DU  SUCRE  ET  DE  LA  BILE 

peu  ti  peu  sur  elle-même;  elle  se  transforme  en  une 
espèce  de  canal  excréteur  qui  s'ouvre  au  dehors  par  la 
plaie  que  l'on  a  pratiquée  et  qui  reste  fistuleuse  sur  ce 
point.  Voici  alors  ce  qu'on  observe  quand  on  fait  man- 
ger l'animal.  Au  moment  de  l'ingestion  des  aliments 
et  pendant  tout  le  temps  que  dure  la  digestion,  la  bile 
n'est  sécrétée  qu'en  très-petite  quantité.  Ce  n'est  qu'en- 
viron sept  heures  après  le  repas,  c'est-à-dire  quand  le 
travail  digestif  est  complètement  achevé,  qu'on  voit  la 
bile  couler  en  très-grande  abondance  par  la  fistule.  Si 
l'animal  n'avait  pas  eu  la  vésicule  ouverte,  cette  bile, 
au  lieu  de  couler  dans  l'intestin,  se  serait  accumulée 
dans  la  vésicule,  et  s'y  serait  mise  en  réserve  pour  la 
digestion  suivante,  et  ce  n'est  qu'alors  qu'elle  aurait  été 
évacuée  dans  l'intestin.  Ainsi,  la  bile  qui  arrive  dans  le 
duodénum  au  moment  de  la  digestion  n'est  pas  sécrétée 
au  moment  même;  elle  a  été  formée  antérieurement  et 
mise  en  réserve  dans  la  vésicule. 

Chez  les  animaux  qui  n'ont  pas  de  vésicule,  chez  le 
cheval,  par  exemple,  le  canal  cholédoque  est  pourvu 
d'un  sphincter  très-résistant  à  son  ouverture  duodé- 
nale;  le  canal  cholédoque  se  dilate  pendant  l'accumu- 
iation  de  la  bile,  et  fait  alors  l'office  de  réservoir. 

Ces  faits  avaient  déjà  été  constatés  par  divers  obser- 
vateurs, et  l'on  savait  très-bien  que,  quand  on  fait  jeû- 
ner les  animaux,  on  trouve  constamment  chez  eux  la 
vésicule  distendue  par  la  bile. 

Nous  verrons  plus  tard  que  le  sucre,  au  contraire, 
se  montre  en  plus  forte  proportion  environ  trois  ou 
quatre  heures  après  l'ingestion  des  aliments,  c'est-à- 


DANS  LE   FOIE.  101 

dire  au  moment  où  la  digestion  intestinale  est  en  pleine 
activité. 

Mais  cette  indépendance  des  deux  sécrétions  du  foie, 
celle  de  la  bile  et  celle  du  sucre,  apparaît  d'une  ma- 
nière bien  plus  nette  quand  on  suit  les  phénomènes 
de  la  digestion  chez  les  animaux  des  classes  mférieures, 
chez  des  Mollusques  par  exemple. 

Nous  avons  fait  de  nombreuses  expériences  sur  des 
limaces  grises  [Limax  flava),  prises  dans  les  regards 
des  conduits  d'eau  du  Collège  de  France,  et  se  nour- 
rissant presque  exclusivement  de  cloportes  et  de  larves, 
par  conséquent  de  matières  animales.  Nous  a\ons  con- 
stamment trouvé  du  sucre  dans  leur  foie. 

Nous  avons  de  plus  suivi,  chez  ces  animaux,  l'ordre 
de  succession  des  phénomènes  digestifs.  Voici  le  résul- 
tat de  nos  observations  : 

Quand  on  examine  l'estomac  et  les  intestins  des  li- 
maces grises  qui  sont  à  jeun  depuis  longtemps,  on  y 
constate  la  présence  d'une  certaine  quantité  de  bile 
très-brune,  ne  renfermant  aucune  trace  de  matière 
sucrée.  Si  alors  ces  animaux  viennent  à  introduire 
dans  leur  estomac  des  substances  alimentaires,  il  se 
fait  une  sécrétion  de  suc  gastrique  acide  qui  se  mé- 
lange avec  les  aliments,  dans  lesquels  on  ne  constate 
pas  encore  les  réactions  caractéristiques  du  sucre.  Ce 
n'est  qu'au  moment  oii  la  digestion  intestinale  s'effec- 
ne,  et  lorsque  les  aliments  sont  à  peu  près  compélte- 
ment  descendus  de  l'estomac  dans  l'intestin,  qu'un  li- 
quide sucré  et  incolore  arrive  dans  la  cavité  stomacale 
par  le  conduit  cholédoque  inséré,  près  du  pylore,  vers 


102        FORMATION  DU  SUCRE  ET  DE  LA  BILE 

l'extrémité  inférieure  de  l'estomac.  A  mesure  que  l'ab- 
sorption intestinale  devient  plus  active  et  plus  com- 
plète, la  sécrétion  de  ce  liquide  sucré  dans  le  foie 
devient  plus  abondante,  de  telle  sorte  que  bientôt  l'es- 
tomac s'en  trouve  rempli  et  distendu.  La  sécrétion  du 
fluide  sucré  et  son  déversement  dans  l'estomac  suc- 
cèdent, comme  on  le  voit,  à  la  digestion  stomacale  pro- 
prement dite,  et  coïncident  avec  la  période  de  l'ab- 
sorption  intestinale.  Le  liquide  remplit  alors  le  conduit 
cholédoque,  qui  communique  largement  avec  l'esto- 
mac, et  il  se  trouve  refoulé  par  la  distension  de  l'esto- 
mac jusque  dans  le  foie  lui-même,  qui  subit  alors  une 
sorte  de  dilatation  générale  très-remarquable  et  très- 
visible. 

Bientôt  la  plénitude  de  l'estomac,  du  canal  cholé- 
doque et  du  foie  diminue,  par  suite  de  l'absorption  de 
ce  liquide.  Cette  absorption  paraît  se  faire  spécialement 
dans  l'estomac,  oii  la  sécrétion  sucrée  s'accumule  sans 
qu'il  semble  en  passer  des  quantités  notables  dans 
l'intestin. 

Lorsque  l'absorption  de  ce  liquide  sucré  incolore 
est  à  peu  près  terminée,  on  voit  apparaître  une  autre 
sécrétion  provenant  également  du  foie,  mais  offrant 
des  propriétés  et  des  caractères  tout  à  fait  analogues  à 
ceux  du  fluide  biliaire.  En  effet,  au  moment  de  cette 
deuxième  sécrétion,  le  liquide  qui  coule  par  le  conduit 
cholédoque  devient  graduellement  de  moins  en  moins 
sucré  et  de  plus  en  plus  coloré,  au  point  de  n'être  plus, 
vers  la  fin  de  la  digestion,  qu'un  liquide  biliaire  pur, 
dépourvu  de  sucre,  et  ressemblant  à  celui  que  nous 


DANS  LE   FOIE.  103 

avons  signalé  dans  le  canal  intestinal  des  limaces  à 
jeun.  Alors  la  turgescence  du  foie  a  disparu  et  son 
volume  diminué.  Cette  bile  noire,  sécrétée  en  dernier 
lieu,  ne  paraît  pas  être  absorbée  sensiblement;  elle  sé- 
journe dans  l'intestin,  et  on  l'y  retrouve  encore  plus  ou 
moins  épaissie  et  avec  sa  couleur  brune,  à  l'époque  de 
la  digestion  suivante,  qui  donne  lieu  de  nouveau  à  la 
série  des  phénomènes  que  je  viens  de  vous  indiquer 
sommairement. 

Ainsi,  Messieurs,  chez  les  limaces,  il  y  a  deux  sé- 
crétions hépatiques  distinctes,  celle  du  sucre  et  celle 
de  la  bile.  Leur  production  et  leur  déversement  dans 
l'estomac  constituent  deux  phénomènes  successifs.  Il  y 
a  donc  là  une  séparation  physiologique  des  deux  fonc- 
tions du  foie.  Mais  les  organes  formateurs  de  chacune 
d'elles  restent  encore  confondus  dans  le  même  tissu. 

C'est  chez  les  Articulés,  et  en  particulier  chez  les 
Insectes,  que  la  distinction  anatomique  des  deux  por- 
tions du  foie,  l'une  destinée  à  la  production  de  la  bile, 
l'autre  servant  à  la  sécrétion  du  sucre,  semble  se  trou- 
ver naturellement  instituée  de  la  manière  la  plus  nette. 

Dans  tous  les  Insectes,  soit  ailés,  soit  à  l'état  de 
larves  (à  l'exception  des  pucerons  et  des  kermès),  on 
trouve,  à  la  terminaison  du  ventricule  chylifique  ou 
estomac,  un  plus  ou  moins  grand  nombre  de  vaisseaux 
presque  toujours  simples,  fort  déliés,  capillaires,  lis- 
ses ou  boursouflés,  variqueux,  tantôt  très-longs  et  re- 
ployés  au  milieu  des  viscères,  tantôt  courts,  mais  alors 
plus  multipliés.  Ces  appendices  tubulaires,  terminés  en 
cœcums,  sont,  d'après  M.  Léon  Dufour,  des  conduits 


104      FORMATION   DE    LA  BILE    ET   DU   SUCRE    DANS   LE   FOIE. 

biliaires,  ou  les  représentants  du  foie  chez  les  Insectes. 
Suivant  cet  auteur,  ces  tubes  renferment  un  liquide 
vert,  ou  jaune,  ou  brun,  ou  violet,  ou  blanc,  ou  inco- 
lore, d'une  saveur  amère  comme  la  bile. 

Bien  que  les  fonctions  de  ces  organes  aient  été  plus 
ou  moins  contestées  par  divers  zoologistes,  ce  qu'il  y  a 
de  certain,  c'est  que  nous  nous  sommes  assuré  qu'ils 
ne  représentent  pas  l'élément  sucré  du  foie,  car,  en 
ayant  réuni  un  certain  nombre  et  les  ayant  fait  bouillir 
avec  du  liquide  cupro-polassique,  il  ne  s'est  manifesté 
aucune  trace  de  réduction  dans  le  liquide,  à  l'œil  nu  ni 
même  au  microscope. 

Mais  indépendamment  de  ces  organes,  on  rencontre, 
dans  les  parois  mêmes  de  l'intestin  des  Insectes,  des 
cellules  parfaitement  analogues  aux  cellules  du  foie 
des  Vertébrés,  et  si  l'on  prend  le  liquide  qui  humecte 
les  parois  intestinales,  et  qu'on  le  traite  par  le  liquide 
cupro-potassique,  on  trouve  qu'il  le  réduit. 

Il  y  aurait  donc  chez  les  Mollusques  une  séparation 
physiologique  bien  évidente  des  deux  fonctions  du  foie, 
comme  il  y  aurait  chez  les  insectes  une  distinction 
anatomique  entre  ses  éléments. 

Chez  l'homme  et  les  Vertébrés,  ces  deux  fonctions 
sont  également  physiologiquement  distinctes,  ainsi  que 
je  vous  l'ai  dit,  mais  la  question  anatomique  qui  con- 
siste à  localiser  chacune  d'elles  dans  des  éléments  spé- 
ciaux est  beaucoup  plus  obscure,  et  l'on  ne  peut  guère 
faire  encore  à  ce  sujet  que  des  hypothèses  plus  ou 
moins  plausibles,  motivées  sur  la  structure  particulière 
de  l'organe  et  la  distribution  de  ses  cellules  et  de  ses 


FORMATION   DU    SLXRE  DANS  LE    FOIE  105 

vaisseaux,  hypothèses  qui  peuvent  seulement  guider 
dans  les  recherches  que  l'on  fera  à  ce  sujet,  pour  les 
juger  en  définitive  par  des  expériences  directes. 

Les  parties  anatomiques  constitutives  du  foie  sont^ 
chez  l'homme  et  les  animaux  vertébrés,  des  cellules 
groupées  les  unes  à  côté  des  autres,  de  manière  à  con- 
stituer par  leur  masse  un  lobule  parfaitement  visible 
chez  certains  animaux,  tels  que  chez  le  cochon,  et 
moins  évident  chez  d'autres,  et  chez  l'homme  en  parti- 
culier. Dans  le  ceutre  de  cette  agglomération  de  cellules 
ou  de  ce  lobule,  prend  naissance  la  veine  hépatique  ;  à 
sa  périphérie  se  distribuent  les  ramifications  de  la  veine 
porte  ainsi  que  les  conduits  biliaires.  Ces  derniers,  par 
une  disposition  exceptionnelle,  se  terminent  librement 
à  la  périphérie  des  lobules,  sans  que  l'on  puisse  établir 
exactement  le  genre  de  rapport  qui  existe  entre  eux  et 
les  cellules  hépatiques. 

Avant  qu'on  connût  la  formation  du  sucre  dans  le 
foie,  on  avait  cherché  à  mettre  en  harmonie  sa 
structure  anatomique  uniquement  avec  la  sécrétion  et 
l'excrétion  de  la  bile.  Kôlliker  admettait  que  la  bile 
commence  d'abord  à  être  sécrétée  dans  le  centre  du 
lobule  qui  contient  le  plus  de  sang,  et  qu'elle  était  en- 
suite amenée  à  sa  périphérie  vers  l'embouchure  des 
conduits  biliaires,  en  passant  successivement  par  une 
sorte  d'endosmose  de  cellules  en  cellules. 

Si  l'on  voulait  émettre  une  hypothèse  analogue,  re- 
lativement à  la  formation  du  sucre,  il  faudrait  faire 
marcher  ce  produit  d'une  manière  inverse  à  la  bile, 
c'est-à-dire  de  la  périphérie  vers  le  centre  du  lobule 


106  FORMATION   DU   SUCRE   DANS  LE   FOIE. 

hépatique,  pour  pouvoir  ainsi  rester  d'accord  avec  le 
fait  anatomique  qui  montre  le  conduit  excréteur  de  la 
matière  sucrée,  la  veine  hépatique,  placée  au  centre 
du  lobule.  11  resterait  ensuite  à  déterminer  comment 
les  nerfs  interviennent  pour  faire  marcher  ces  deux 
sécrétions  en  sens  inverse. 

Toutes  ces  questions,  qui  touchent  aux  phénomènes 
les  plus  intimes  de  la  fonction  glycogénique,  seront  exa- 
minées dans  un  autre  lieu.  Pour  aujourd'hui,  il  nous 
suffit  d'avoir  montré  que  le  foie  est  une  organe  complexe 
dans  lequel  nous  reconnaissons  déjà  deux  actes  physio- 
logiques et  dans  lequel  il  s'en  accomplit  encore  d'autres 
sans  doute  que  nous  ignorons. 


CINQUIEME  LEÇON 

9    JANVIER    1855. 


SOMMAIRE  ;  Il  y  a  deux  sécrétions  dans  le  foie,  l'une  externe,  celle  de  la 
bile;  l'autre  interne^  celle  du  sucre.  —  Le  sucre  est  un  produit  de  sécrétion 
et  non  d'excrétion.  —  Il  ne  sort  pas  du  sang  à  l'état  physiologique,  et  ne 
se  trouve  dans  aucun  liquide  versé  au  dehors,  pas  même  dans  la  bile.  — 
Expériences  contradictoires  à  ce  sujet,  causes  d'erreurs. —  Distribution  de 
la  matière  sucrée  dans  l'organisme  par  le  foie.  —  Dans  l'abstinence  le  sang 
n'est  sucré  que  du  foie  au  poumon;  pendant  la  digestion,  le  sucre  passe 
dans  tout  le  sang,  mais  ne  sort  cependant  par  aucune  sécrétion  ou  excré- 
tion. —  Ce  sont  les  oscillations  de  la  fonction  sécrétoire  du  sucre  qui  sont 
proportionnelles  à  la  quantité  de  sang  qui  traverse  le  foie.  —  Ces  oscilla- 
tions physiologiques  se  trouvent  chez  les  diabétiques.  —  Schème  repré- 
sentant ces  oscillations  à  l'état  normal  et  pathologique.  — Expériences  sur 
le  sang  pris  dans  différents  vaisseaux,  chez  des  chiens  à  jeun  et  en  diges- 
tion, pour  prouver  cette  ocsillation  de  la  fonction  glycogénique.  —  Le  sang 
qui  arrive  par  la  veine  cave  inférieure  dans  le  cœur  droit  est  toujours 
sucré;  cathétérisme  du  cœur  droit. 


Messieurs, 

Il  doit  être  maintenant  bien  établi  pour  vous  qu'il  y  a 
dans  le  foie  deux  fonctions  de  la  nature  des  sécrétions. 
1^'une,  sécrétion  externe,  produit  la  bile  qui  s'écoule  au 
dehors;  l'autre,  sécr  étion  interne ,  forme  le  sucre  qui  en- 
tre immédiatement  dans  le  sang  de  la  circulation  géné- 
rale. Nous  avons  dit  aussi  que  ces  deux  substances,  la 
bile  et  le  sucre,  ne  paraissaient  pas  être  le  résultat 
d'un  même  dédoublement  chimique,  de  matières  con- 
tenues dans  le  sang  amené  par  la  veine  porte,  parce 
que  les  formations  biliaire  et  sucrée  n'ont  pas  lieu  au 


108  DISTRIBUTION   DE   LA   MATIÈRE    SUCRÉE 

même  moment;  et  des  observations  d'anatomie  et  de 
physiologie  comparées  nous  ont  porté  à  conclure  qu'il 
devait  y  avoir  dans  le  foie  des  animaux  vertébrés, 
comme  dans  celui  des  Insectes,  où  cette  séparation 
semble  nettement  établie,  des  cellules  organiques 
distinctes  pour  la  sécrétion  de  chacun  de  ces  produits, 
la  bile  et  le  sucre. 

Comme  toutes  les  sécrétions,  celle  du  sucre  ne  pré- 
sente pas  une  marche  uniforme;  elle  oscille  constam- 
ment entre  certaines  limites  dans  l'état  physiologique  ; 
elle  varie  suivant  les  excitations  reçues,  soit  de  l'exté- 
rieur, soit  de  l'intérieur,  et  nous  savons  qu'il  en  est  de 
même  de  toutes  les  autres  sécrétions,  salivaire,  gas- 
trique, biliaire,  pancréatique,  lacrymale,  etc. ,  qui  n'ont 
point  une  intensité  constante,  qui  peuvent  même  cesser 
complètement  pendant  un  certain  temps  comme  la  sé- 
crétion gastrique  et  pancréatique  pendant  l'abstinence 
pour  reprendre  ensuite  leurs  cours  dans  d'autres  mo- 
ments. Nous  aurons  donc  à  étudier  cette  marche  de  la 
fonction  glycogénique  en  rapport  avec  les  diverses  in- 
fluences qui  peuvent  s'exercer  sur  elle,  à  déterminer 
dans  quels  cas  elle  augmente  et  dans  quels  cas  elle  dimi- 
nue, pour  arriver  ensuite  à  montrer  comment,  sous 
certaines  conditions  morbides,  elle  peut  s'exagérer 
pour  donner  naissance  à  la  maladie  diabétique  que  nous 
avons  toujours  en  vue. 

Mais  auparavant,  nous  croyons  devoir  nous  occuper 
du  produit  sécrété,  le  sucre,  pour  chercher  ce  qu'il  de- 
vient dans  l'organisme,  et  quel  rôle  il  a  à  y  remplir. 
Et  ce  sera  là  une  nouvelle  preuve  que  nous  avons  réel- 


DANS  L'ORGANISME.  109 

lement  affaire  à  un  produit  de  sécrétion  dont  le  ca- 
ractère est  d'être  formé  par  une  glande,  d'avoir  un 
usage  dans  l'accomplissement  d'un  acte  vital  et  de  ne 
jamais  sortir  au  dehors  sans  avoir  été  préalablement 
modifié,  dédoublé,  décomposé  par  l'exercice  même  de 
sa  fonction.  Le  sucre,  en  effet,  en  tant  que  produit 
de  sécrétion ,  ne  sort  jamais  de  l'économie  en  nature  dans 
l'état  physilogique.  Il  n'apparaît  ni  dans  les  sécrétions 
ni  dans  les  excrétions.  Voici  de  la  salive  que  nous 
avons  recueillie  sur  ce  chien  qui  vient  d'être  sacrifié, 
elle  ne  renferme  pas  de  traces  de  matière  sucrée  ;  nous 
prenons  actuellement  l'urine  dans  la  vessie  chez  ce 
même  animal,  nous  n'y  trouvons  pas  de  sucre.  La 
bile  elle-même  qui  sort  du  foie  rempli  de  sucre  n'en 
contient  jamais.  Voici,  par  exemple,  de  la  bile  que 
nous  venons  d'extraire  de  l'animal  auquel  nous  avons 
fait  une  fistule  biliaire  et  que  nous  vous  avons  déjà 
montré  dans  la  dernière  séance.  Nous  la  décolorons 
par  les  moyens  ordinaires,  nous  la  traitons  par  notre 
réactif  cupro-potassique  ;  vous  voyez  qu'elle  ne  le  ré- 
duit pas. 

Cependant  certains  observateurs  ont  prétendu  que 
la  bile  contenait  du  sucre.  Voilà  donc  une  assertion 
contradictoire  à  l'expérience  que  nous  venons  de  faire 
devant  vous.  Mais  nous  vous  avons  déjà  dit  que  deux 
faits  bien  observés  ne  sauraient  se  contredire,  que  leur 
antagonisme  ne  pouvait  jamais  être  qu'apparent,  et  que, 
pour  les  ramener  tous  deux  à  leur  véritable  valeur,  il 
suffisait  d'une  analyse  plus  exacte  des  conditions  dans 
lesquelles  on  les  avait  observés. 


110  DISTRIBL'TION   DE   LA   MATIÈRE   SUCRÉE 

En  effet,  Messieurs,  si  sur  un  animal  tué  en  état  de 
santé,  vous  examinez  la  bile  contenue  dans  la  vésicule 
aussitôt  après  la  mort,  vous  n'y  trouverez  pas  de  sucre, 
pas  plus  que  dans  la  bile  prise  sur  notre  chien  vivant 
portant  une  fistule  biliaire.  Mais  si  l'on  y  recherche  le 
sucre  un  ou' deux  jours  après  sa  mort,  lorsque  la  bile 
est  restée  dans  la  vésicule  en  contact  avec  le  tissu  du  foie, 

déjà  même  le  len- 
demain de  la  mort 
de  l'animal  on  y  trou- 
vera du  sucre  eu 
quantité  notable. Que 
s'est-il  passé  là?  Il  y 
atout  simplement  ev 
endosmose  du  sucre 
du  tissu  du  foie  dans 
la  vésicule  de  la  bile. 
Et  c'est  là  un  fait  fa- 
cile à  comprendre, 
pai'ce  que  le  sucre 
est  une  des  substan- 
ces dont  le  pouvoir 
endosmotique  est 
considérable  et  qui 
passe  le  plus  aisé- 
ment à  travers  les 
membranes.  Ainsi 
que  le  représente  la  figure  4,  on  peut  reproduire  ce 
phénomène  en  prenant,  sur  un  animal  récemment  mis 
à  mort,  la  vésicule  du  fiel  B  remplie  de  bile,  et  en  la 


DANS  L'ORGANISME.  Hi 

plongeant  dans  du  sang  ou  un  autre  liquide  sucré 
après  avoir  lié  son  col  sur  un  tube  de  verre  et  avoir 
fait  ainsi  une  sorte  d'endosmomètre.  Ou  constate  bien- 
tôt après  le  contact  qu'il  y  a  eu  endosmose;  le  sucre 
est  passé  le  premier  dans  la  bile,  et  le  liquide  est  monté 
jusqu'en  G  dans  le  tube  de  verre;  réciproquement  la 
bile  passe  ensuite  au  dehors  et  colore  le  liquide  envi- 
ronnant A.  Il  est  intéressant  de  remarquer  que  ce 
phénomène  n'a  lieu  qu'après  la  mort.  Pendant  la  vie, 
il  y  a  des  conditions  qui,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus 
tard,  empêchent  de  semblables  effets  de  se  produire  à 
travers  les  membranes. 

Vous  voyez  donc.  Messieurs,  par  ce  simple  fait, 
combien  il  importe,  pour  répéter  des  expériences  physio- 
logiques, de  se  placer  toujours  exactement  dans  des 
conditions  identiques,  et  combien  la  circonstance  la 
plus  minime  en  apparence  peut  influer  sur  la  certitude 
des  résultats.  Les  observations  sur  les  phénomènes  vi- 
taux peuvent  être  aussi  concordantes  que  les  expérien- 
ces les  mieux  établies  que  nous  présentent  la  physique 
et  la  chimie,  mais  sous  la  condition  d'être  répétées 
dans  les  mêmes  circonstances.  Nous  aurons  encore 
bien  d  autres  occasions  de  vous  faire  la  même  re- 
marque. 

Ainsi  aucune  sécrétion  ne  contient  du  sucre  à  l'état 
physiologique,  ni  la  bile,  ni  la  salive,  ni  l'urine,  ni 
les  larmes.  La  substance  sucrée  reste  dans  l'organisme, 
il  faut  dès  lors  qu'elle  serve  à  quelque  chose.  Et  comme, 
d'un  autre  côté,  elle  ne  se  trouve  pas  dans  le  sang  delà 
plupart  des  vaisseaux  en  proportion  égale,  bien   qu'il 


112  DISTRIBUTION   DE   LA   MATIÈRE   SUCRÉE 

s'en  produise  des  quantités  assez  considérables,  il  faut 
qu'elle  se  détruise  quelque  part.  Nous  connaissons  son 
lieu  d'origine  quiest  le  foie,  nous  devons  chercher  main- 
tenant le  point  oii  elle  disparaît,  de  façon  àcomprendre 
l'ensemble  du  phénomène  en  le  tenant,  pour  ainsi  dire, 
par  les  deux  bouts,  avant  d'étudier  les  variations  inter- 
médiaires. Puisqu'il  se  forme  incessamment  du  sucre, 
et  que,  d'un  autre  côté,  il  n'en  sort  point  au  dehors,  il 
faut  bien  que,  dans  l'état  physiologique,  il  y  ait  un 
équilibre  parfait  entre  la  formation  et  la  destruction. 
Car  si  cet  équilibre  était  un  instant  rompu,  si  la  sécré- 
tion prédominait  par  exemple  sur  la  destruction,  ce  qui 
peut  avoir  lieu  de  plusieurs  manières,  l'organisme,  ra- 
pidement saturé  de  matières  sucrées,  s'en  débarasserait 
parles  voies  d'excrétion  naturelles,  phénomène  que 
nous  avons  dit  constituer  le  diabète. 

Étudions  donc  d'abord  la  marche  du  sucre,  à  partir 
de  son  point  d'origine. 

Sécrété  par  les  cellules  du  foie,  le  sucre  passe  avec 
le  sang  des  capillaires  dans  les  veines  sus-hépatiques, 
et  de  là  dans  la  veine  cave  inférieure.  C'est  au  point 
d'abouchement  dans  ce  dernier  vaisseau  que  le  sang  est 
le  plus  sucré.  Là,  il  se  mélange  avec  le  sang  qui  arrive 
des  parties  inférieures  du  corps,  et  est  conduit  dans 
l'oreillette  droite,  où  le  sucre  subit  une  nouvelle  dilu- 
tion par  suite  de  son  mélange  avec  le  sang  veineux 
provenant  de  la  veine  cave  supérieure.  De  Foreillette 
droite,  le  sang  passe  dans  le  ventricule,  qui  l'envoie 
au  poumon.  Dans  tout  le  trajet  du  foie  au  poumon, 
le  sang  est  constamment  sucré,  mais  dans  des  propor- 


DANS  L'ORGANISME.  113 

lions  très-inégales  et  d'autant  plus  faibles  qu'il  s'éloi- 
gne davantage  de  son  point  de  départ.  Arrivé  au  pou- 
mon, le  sucre,  mis  au  contact  de  l'air  et  mêlé  à  toute 
la  masse  du  sang,  peut  quelquefois  disparaître  com- 
plètement. 

Ces  deux  organes,  le  foie  et  le  poumon,  semblent 
donc  être  alors,  vis-à-vis  de  la  matière  sucrée,  dans 
un  rapport  exactement  inverse.  Chez  un  animal  à  jeun, 
par  exemple,  le  sang  qui  arrive  au  foie  ne  contient 
aucune  trace  de  sucre,  le  sang  qui  en  sort  en  présente 
des  quantités  considérables.  Inversement,  le  sang  qui 
arrive  au  poumon  contient  du  sucre,  et  celui  qui  en 
sort  n'en  présente  plus  de  traces.  Le  sucre,  dans  cet 
état  physiologique,  reste  entre  le  foie  et  le  poumon 
profondément  caché,  et  ne  se  montre  pas  à  l'extérieur. 
C'est  ce  qui  fait  qu'on  a  été  si  longtemps  à  découvrir 
l'existence  et  la  formation  fonctionnelle  de  cette  ma- 
tière dans  l'animal.  L'analyse  du  sang  tiré  des  veines 
superficielles,  et  qu'on  a  répétée  mille  fois,  ne  pouvait 
donc  le  déceler  dans  ces  conditions. 

Cependant  quand  on  entre  plus  profondément  dans 
l'analyse  du  phénomène  de  la  distribution  du  sucre, 
et  qu'on  étudie,  d'une  manière  plus  spéciale,  les  cir- 
constances dans  lesquelles  il  s'opère,  on  s'aperçoit  qu'il 
faut  apporter  une  restriction  dans  l'expression  de  ce 
fait  général  que  le  sucre  ne  se  trouve,  jamais  qu'entre 
le  foie  et  le  poumon. 

Quand  on  prend  un  animal,  carnassier  par  exem- 
ple, à  jeun,  ou  dans  l'intervalle  qui  sépare  deux  diges- 
tions, on  trouve,  en  général,  ce  que  nous  avons  dit 

BERNARD.    I.  g 


114  DISTRIBUTION   DE   LA    MATIÈRE  SUCRÉE 

tout  à  riieiire,  c'est-à-dire  jamais  de  sucre  en  deçà  du 
foie,  ui  au  delà  du  poumon.  Le  sucre  se  produit  dans 
le  premier  de  ces  organes,  et  il  disparaît  dans  le  second. 
Mais  il  y  a  des  instants,  bien  que  toujours  physiologi- 
ques, oii  les  choses  ne  se  passent  pas  complètement 
ainsi. 

Vous  savez  que  toute  sécrétion  peut  augmenter  dans 
certains  moments,  suivant  la  quantité  de  sang  qui  ar- 
rive, ou  suivant  une  excitation  plus  forte  du  système 
nerveux.  Le  foie  est  soumis  également  à  ces  mêmes  in- 
fluences, sa  sécrétion  continuelle  dans  l'état  physiolo- 
gique devient  beaucoup  plus  considérable  pendant  les 
digestions  ;  la  production  de  sucre  s'augmente  dans  ces 
moments  pour  s'abaisser  dans  les  intervalles  digestifs. 

Entre  les  repas,  la  quantité  de  sucre  qui  sort  du  foie 
est  telle,  que  le  sang  des  veines  sus-hépatiques  en  pré- 
sente environ  en  nombre  rond  une  proportion  de 
1  pour  100,  mais  quand  le  sang  arrive  dans  l'oreillette 
droite,  mélangé  avec  tout  le  reste  du  sang  veineux  du 
corps,  la  proportion  du  sucre  est  venue  beaucoup  plus 
faible. 

C'est  dans  cet  état  de  dilution  que  le  sucre  arrive  au 
poumon,  et  dans  ces  conditions,  il  y  est  complètement 
détruit,  c'est-à-dire  qu'il  disparaît  aux  réactifs  qui  le 
décelaient  avant. 

Mais  au  moment  de  la  digestion,  le  foie,  qui  se  trouve 
placé  entre  le  système  circulatoire  intestinal  et  le  sys- 
tème circulatoire  général,  au  lieu  de  ne  recevoir  que  le 
sang  provenant  des  artères  mésentériques,  reçoit,  en 
outre,  toutes  les  matières  solubles  absorbées  par  les  ca- 


DANS   L'ORGANISME.  H5 

piJlaires  de  la  veine  porte,  c'est-à-dire,  en  définitive, 
une  quantité  de  sang  bien  plus  considérable,  double  et 
même  triple  chez  certains  animaux  qui  ont  l'intestin 
très-long  comme  les  herbivores,  de  ce  qu'elle  est,  lors- 
que le  même  individu  est  à  jeun. 

Le  foie,  comme  une  espèce  d'épongé,  se  gorge  de 
sang  et  devient  à  ce  moment  beaucoup  plus  volumineux, 
il  s'y  opère  une  espèce  de  congestion  physiologique.  La 
circulation,  très-lente  dans  l'état  ordinaire,  est  singu- 
lièrement activée,  et  le  flot  de  sang  qui  arrive  alors  dans 
cet  organe  déplace  probablement  la  plus  grande  partie 
du  sucre  qui  s'y  était  déjà  formé,  pour  le  lancer  dans  la 
circulation  générale.  Chez  les  diabétiques,  je  ne  serais 
pas  éloigné  de  croire  que  cette  apparition  si  rapide  du 
sucre  dans  les  urines  au  moment  de  la  digestion  ne  fût 
due,  en  grande  partie,  à  un  déplacement  de  cette  es- 
pèce, et  que,  d'un  autre  côté,  le  sucre  qu'ils  peuvent 
prendre  ne  passât  dans  les  urines  que  par  suite  d'une 
suractivité  de  la  circulation  hépatique  qui  permettrait 
son  expulsion  immédiate  du  foie.Maisnous  reviendrons 
sur  ces  questions  que  nous  ne  faisons  qu'indiquer  en 
passant. 

Indépendamment  de  ce  surcroît  d'activité  causé  par 
un  afflux  plus  considérable  de  sang,  le  foie  est  encore 
stimulé  par  le  système  nerveux,  sous  l'influence  des 
excitations  naturelles  apportées  par  la  digestion  des 
matières  alimentaires. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  augmentation  de  la  sécré- 
tion du  sucre  dans  le  foie  se  fait,  à  l'état  physiologique, 
d'une  manière  successive  et  orpaduée.  Dès  le  début  de 


liO  DISTRIBUTION    DE   LA   MATIÈRE   SUCRÉE 

l'absorplion  digestive,  lorsque  la  veine  porte  commence 
à  charrier  une  plus  grande  proportion  de  sang  dans  le 
foie,  la  fonction  glycogénique,  qui  semblait  sommeiller 
pendant  que  l'animal  était  à  jeun,  se  réveille.  Peu  à  peu 
l'activité  fonctionnelle  s'accroît,  à  mesure  que  la  quan- 
tité de  sang,  qui  traverse  le  tissu  hépatique,  devient 
elle-même  plus  considérable,  et  c'est  environ  quatre 
ou  cinq  heures  après  le  début  de  la  digestion  intes- 
tinale, que  cette  production  du  sucre  dans  le  foie  est 
parvenue  à  son  summum  d'intensité.  Après  ce  temps, 
la  digestion  venant  à  cesser,  l'absorption  intestinale  se 
ralentit,  et  la  formation  de  sucre  dans  le  foie  diminue, 
pour  reprendre  de  nouveau sasuractivité  au  premier  re- 
pas, et  pour  continuer  à  décroître  d'une  manière  gra- 
duelle à  mesure  que  le  sang  s'use  et  diminue  dans  l'or- 
ganisme, si  l'animal  est  laissé  à  l'abstinence. 

Il  existe  donc  une  espèce  d'oscillation  physiologique 
dans  la  fonction  productrice  du  sucre,  qui  fait  que 
cette  fonction,  bien  que  continue,  éprouve  une  surac- 
tivité intermittente  à  chaque  période  digestive. 

Si,  par  des  expériences  que  nous  vous  avons  déjà 
mentionnées,  il  est  prouvé  que  \<i?îature  de  F  alimenta- 
tion  n'exerce  pas  d'influence  sur  la  production  du  sucre 
dans  le  foie,  nous  devons  reconnaître  maintenant  que 
\di  période  de  la  digestion  en  exerce,  au  contraire,  une 
très-évidente. 

Cette  exubérance  de  matière  sucrée  qui  se  produit 
ainsi  dans  l'organisme,  au  moment  de  la  digestion, 
amène  à  sa  suite  d'autres  phénomènes  très-importants, 
et  sur  lesquels  il  est  nécessaire  d'insister. 


DAxNS   L'ORGANISME.  117 

Lorsqu'un  certain  nombre  d'heures  se  sont  écoulées 
depuis  le  dernier  repas,  et  que  l'animal  est  dans  cet  état 
qu'on  appelle  àjevn.,  la  formation  du  sucre  est  calmée 
et  arrivée  à  ce  point  qu'il  existe  un  rapport  équilibré 
entre  \ii  production  et  la  destruction  du  sucre,  c'est-à- 
dire  que  la  matière  sucrée,  expulsée  par  les  veines  hé- 
paliques  dans  la  circulation,  étant  alors  peu  considé- 
rable, disparaît  à  peu  près  en  entier  aussitôt  après  le 
mélange  du  sang  hépatique  avec  le  sang  des  veines  caves 
dans  le  cœur  droit,  et  à  son  entrée  dans  les  poumons. 
J'ai  constaté,  par  un  grand  nombre  d'expériences,  qu'à 
ce  moment  le  sucre  se  rencontre  dans  le  tissu  hépati- 
que et  dans  les  vaisseaux  qui  vont  du  foie  au  poumon, 
mais  pas  au  delà.  Il  n'y  en  a  pas  sensiblement  dans  le 
sang  des  artères,  ou  dans  les  veines  du  système  général, 
ni  dans  celui  de  la  veine  porte.  C'est  pour  cette  raison 
que,  dans  les  expériences  que  nous  avons  faites  devant 
vous,  pour  vous  montrer  que  chez  un  chien  on  ne 
trouve  pas  de  sucre  dans  le  sang  qui  arrive  au  foie,  nous 
avons  eu  bien  soin  de  prendre  l'animal  à  jeun  ou  à  une 
époque  assez  éloignée  de  son  dernier  repas.  Lorsque  la 
digestion  commence,  la  quantité  de  sucre  augmente 
graduellement,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  dans 
le  foie  et  dans  les  veines  sus-hépatiques;  cependant, 
durant  les  deux  ou  trois  premières  heures  qui  suivent 
l'ingestion  alimentaire,  malgré  l'accroissement  de  la 
sécrétion  sucrée,  tout  le  sucre  peut  encore  être  détruit 
avant  d'arriver  au  système  artériel  ;  c'est  après  ce  laps 
de  temps  seulement  que  la  production  sucrée,  dépas- 
sant les  limites  de  la  destruction,  amène  l'excès  mo- 


H8  DISTRIBUTION    DE  LA  MATIÈRE  SUCRÉE 

mentané  de  cetle  substance  dans  l'organisme.  De  telle 
sorte  que  la  quantité  de  sucre  dans  les  veines  sus-hépa- 
tiques, qui  n'était  à  jeun  que  1  pour  100,  pourra  de- 
venir 1  1/2  et  même  2  pour  100  au  moment  de  la  pleine 
digestion. 

Au  point  de  vue  de  la  circulation,  les  mêmes  choses 
se  passent  :  le  sang  chargé  de  ce  sucre  arrive  comme 
à  l'ordinaire  dans  le  cœur  et  de  là  dans  le  poumon. 
Mais  le  sang  pulmonaire,  qui  ne  peut  faire  disparaître 
qu'une  certaine  proportion  du  sucre,  laissera  passer  le 
reste  avec  le  sang  artériel,  dans  lequel  vous  pourrez  alors 
en  retrouver. 

A  celte  période  de  la  digestion,  on  rencontre  du 
sucre  dans  tous  les  vaisseaux  du  corps,  artériels  et  vei- 
neux; on  en  trouve  même  dans  les  artères  rénales, 
mais  en  proportion  trop  peu  considérable  pour  qu'il  en 
passe  dans  les  urines.  Cependant  nous  verrons  que, 
dans  certaines  circonstances  physiologiques,  cette  quan- 
tité de  sucre  peut  être  exagérée  au  point  qu'il  en  sorte 
par  les  urines  sans  que  l'animal  soit  pour  cela  diabéti- 
que. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  les  circonstances  ordinaires 
de  la  digestion,  cette  espèce  de  débordement  sucré  se 
manifeste  également  avec  les  alimentations  animales 
ou  féculentes,  et  il  dure  environ  trois  à  quatre  heures. 
Ce  n'est  que  six  ou  sept  heures  après  le  repas  que  l'excès 
du  sucre  dans  le  sang  commence  à  disparaître,  et  que 
l'équilibre  entre  sa  production  et  sa  destruction  tend  à 
se  rétablir  comme  avant  la  digestion. 

Nous  avons  dit  qu'il  était  important  de  connaître  les 


DANS  L^ORGANISME.  H9 

conditions  de  cette  oscillation  physiologique  de  la  for- 
mation du  sucre  dans  le  foie.  C'est,  en  effet,  pour  ne 
pas  les  avoir  connues,  que  Sclimidt  a  cru  donner  des  ré- 
sultats opposés  aux  miens,  et  a  dit  qu'il  n'admettait  pas 
la  production  du  sucre  dans  le  foie,  parce  qu'il  avait 
trouvé  du  sucre  dans  les  veines  superficielles  du  corps 
et  dans  la  veine  porte.  Vous  comprenez  donc  mainte- 
nant pourquoi  le  sang  qui  entre  dans  le  foie  est  complè- 
tement dépourvu  de  sucre,  quand  on  a  soin,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  de  ne  pas  faire  l'expérience  au  delà 
de  deux  heures  et  demie  à  trois  heures  après  le  repas.  Si 
l'on  attendait  plus  tard,  l'excès  de  sucre  se  serait  ré- 
pandu dans  tout  le  sang,  et  alors  on  en  trouverait  dans 
la  veine  porte;  ce  sucre  ne  viendrait  pas  des  intestins, 
mais  bien  des  artères  mésentériques.  Tous  ces  exemples 
sont  une  preuve  à  l'appui  de  la  recommandation  que  je 
vous  ai  déjà  faite,  et  que  je  ne  saurais  trop  répéter  à 
cause  de  son  importance:  à  savoir  que,  pour  ne  pas 
s'exposer  à  des  erreurs  ou  à  de  fausses  interprétations,  il 
faut  toujours,  dans  des  recherches  de  ce  genre,  fairemar- 
cher  de  concert  la  chimie  avec  la  physiologie,  et  tâcher 
sui'tout  d'instituer  les  recherches  chimiques  d'après  des 
études  physiologiques  bien  faites.  Nous  voyons,  en  effet, 
qu'oii  la  chimie  seule  trouve  des  résultats  contradic- 
toires, la  physiologie  les  explique  en  montrant  la  fiha- 
tiondes  phénomènes.  En  effet,  qu'il  y  ait  du  sucre  dans 
les  veines  superficielles,  dans  les  artères,  ou  qu'il  n'y 
en  ait  pas,  la  physiologie  nous  apprend  que  c'est  tou- 
jours le  foie  qui  est  son  point  de  départ,  et  que  c'est 
toujours  à  cet  organe  qu'il  faut  remonter  pour  trouver 


120  DISTRIBUTION   DE   LA   MATIÈRE   SUCRÉE 

l'origine  delà  matière  sucrée.  Ces  diverses  circonstances 
seront  très-importantes  à  considérer  plus  tard,  quand 
nous  parlerons  de  la  destruction  du  sucre  dans  l'orga- 
nisme animal. 

11  y  a  cependant  un  liquide  de  l'économie  dans  lequel 
le  sucre  passe  toujours,  lors  même  qu'il  arrive  dans  la 
circulation  générale  en  très- petite  quantité.  Ce  liquide 
est  le  fluide  céphalo-rachidien.  J'y  ai  trouvé  du  sucre 
d'une  manière  constante,  soit  à  jeun,  soit  en  digestion, 
chez  les  chiens,  les  chats  et  les  lapins  examinés  dans 
les  conditions  ordinaires  de  santé  :  cela  tient  à  ce  que, 
pendant  l'intervalle  d'un  repas  à  l'autre,  le  sucre  n'a 
pas  le  temps  de  se  détruire  dans  le  liquide  céphalo- 
rachidien,  avant  qu'il  en  soit  apporté  une  nouvelle  quan- 
tité par  la  digestion  suivante.  11  paraîtra  sans  doute  sin- 
gulier et  intéressant  de  voir  les  centres  nerveux  baignés 
dans  un  liquide  qui  reste  constamment  sucré.  Ce  fait 
s'accorde  avec  une  remarque  déjà  faite  par  M.  Magen- 
die.que  le  fluide  céphalo-rachidien  est  un  des  liquides 
daiis  lesquels  passent  le  plus  facilement  les  substances 
introduites  dans  le  sang.  Le  sucre  est  donc  en  quelque 
soi'te  normal  dans  le  liquide  céphalo-rachidien. 

Cependant,  il  ne  faudrait  pas  en  conclure  que  le  su- 
cre est  une  de  ses  parties  constituantes.  En  effet,  si  l'on 
soumet  l'animal  à  l'abstinence,  de  façon  à  empêcher 
pendant  quelque  temps  ce  débordement  de  sucre  qui 
apporte  cette  substance  depuis  le  foie  jusque  dans  le  li- 
quide céphalo-rachidien,  on  voit  qu'au  bout  de  quel- 
que temps  ce  dernier  n'en  contient  plus,  parce  que 
celui  qui  y  était  s'est  détruit,  et  qu'il  n'en  est  pas  re- 


DANS  L'ORGANISME .  121 

venu.  Ainsi,  quel  que  soit  le  point  de  l'économie  dans 
lequel  on  constate  la  présence  du  sucre,  il  a  toujours 
son  origine  dans  le  foie,  le  seul  organe  du  corps,  qui 
ait  la  propriété  d'en  fabriquer. 

.  Dans  le  cas  oii  nous  trouvons  du  sucre  répandu  dans 
tout  l'organisme,  il  est  toujours  réparti  de  telle  sorte 
que  sa  proportion  la  plus  considérable  se  trouve  dans 
la  foie;  puis  dans  la  \eine  cave  inférieure,  puis  dans 
l'oreille  droite,  etc.  Quand  ensuite  la  digestion  se  ra- 
lentit, le  sucre  diminue  peu  à  peu,  et  au  bout  de  quel- 
ques heures  tout  rentre  dans  l'état  physiologique  signalé 
plus  haut. 

Cette  espèce  d'oscillation  que  présente  la  fonction 
glycogénique  est  très-importante  à  connaître,  car,  dans 
l'état  pathologique,  nous  retrouvons  exactement  ses 
mêmes  phases,  avec  les  exagérations  que  comporte  la 
maladie. 

Différents  observateurs,  M.  Rayer,  en  France,  M. 
Traube,  en  Allemagne,  ont  remarqué  qu'il  y  a  des  dia- 
bétiques qui  ne  rendent  du  sucre  dans  leur  urine  qu'au 
moment  de  la  digestion,  et  que,  dans  l'intervalle  de  leurs 
repas,  leurs  urines  ne  sont  plus  sucrées.  Ce  phénomène 
peut  se  rattacher,  d'une  manière  toute  naturelle,  au 
fait  physiologique  que  je  viens  de  vous  signaler.  Il  n'y  a 
ici  rien  d'essentiellement  différent  entre  l'état  normal 
et  le  symptôme  pathologique,  sauf  l'intensité  du  phé- 
nomène causé  par  une  déviation  de  l'activité  vitale. 

Si  nous  vouhons  représenter  graphiquement  les  di- 
vers phénomènes  physiologiques  d'oscillation  glycogé- 
niques  que  je  viens  de  vous  indiquer  en  y  rattachant  les 


122  DISTRIBUTION   DE   LA   MATIÈRE   SUCRÉE 

oscillations  analogues  qui  se  rencontrent  dans  le  dia- 
bète, voici  comment  nous  pourrions  y  parvenir. 


Fii 


(a)  Présence  du  sucre  dans  l'urine, 
{b)  Ligne  du  maximum  de  la  produc- 
tion du  sucre:  il  n'y  en  a  pas 
dans  l'urine,  mais  le  sucre  appa- 
raît dans  tout  le  sans. 


(c)  Ligne  du  minimum  physiologique. 
[a]  Courbe  du   diabète  continu. 
{e)  Courbe  du  diabète  intermittent. 
i  if)  Courbe  de  l'état  physiologique. 


Sur  la  ligne  horizontale  XY,  nous  comptons  les  du- 
rées à  partir  du  point  0,  considéré  comme  le  milieu  de 
l'intervalle  entre  deux  repas,  quatre  heures  avant  une 
nouvelle  ingestion  d'aliments. 

Sur  la  ligne  OZ,  ou  sur  des  parallèles  à  cette  ligne, 
nous  prenons  des  longueurs  proportionnelles  aux  di- 
verses quantités  de  sucre  qui  se  rencontrent  dans  l'or- 
ganisme aux  époques  correspondantes  que  nous  consi- 
dérons. 

Supposons  d'abord  l'état  normal,  quatre  heures  avant 


DANS  l'organisme.  123 

un  repas  :  la  longueur  0  n  représente  la  quantité  de 
sucre  qui  sort  alors  du  foie,  et  qui  reste  la  même  jus- 
qu'au moment  oii  l'animal  commence  un  nouveau  re- 
pas, c'est-à-dire  en  n' ;  à  partir  de  ce  moment,  les  quan- 
tités de  sucre  formées  par  le  foie  sont  de  plus  en  plus 
grandes,  et  représentées  par  des  lignes  qui  vont  en 
croissant  jusqu'en  N,  oii  la  digestion  a  acquis  son  sum- 
mum d'activité,  et  oii  la  quantité  de  sucre  émise  par  le 
foie  est  la  plus  grande  possible  ;  à  partir  de  ce  moment,  la 
digestion  se  ralentissant  progressivement,  les  quantités 
de  sucre  vont  en  diminuant,  et  sont  représentées  par 
des  lignes  de  plus  eu  plus  courtes  jusqu'en  ?z",  où  les 
choses  sont  revenues  au  même  état  qu'elles  étaient  en 
n,  et  restent  dans  cet  état  jusqu'en  n\  où  commence 
une  nouvelle  digestion,  pour  suivre  la  même  phase  que 
nous  avons  décrite  à  partir  de  n .  Si  maintenant  nous 
relions  ensemble  tous  ces  points,  nous  aurons  une  li- 
gne ondulée  n  li  N  n  ri'  N',  qui  représentera  à  peu  près 
les  oscillations  de  la  fonction  glycogénique  aux  diverses 
périodes  de  l'état  normal.  Tant  que  cette  ligne  ne  sera 
pas  trés-éloignée  de  la  droite  n  n  n" n" ,  ligne  du  mini- 
mum, la  production  du  sucre  ne  dépassant  pas  la  des- 
truction, on  n'en  trouve  pas  dans  le  système  circula- 
toire général;  mais  quand  la  ligne  s'approche  de  e  h, 
ligne  du  maximum,  la  production  devenant  supérieure 
à  la  destruction,  le  sucre  se  généralise  dans  toute  l'éco- 
nomie, mais  cependant  il  n'apparaît  pas  dans  les  urines. 
La  limite  de  la  quantité  de  sucre  qui  peut  se  trouver 
dans  l'organisme,  sans  cependant  passer  au  dehors,  est 
déterminée  par  la  droite  e  h. 


124  DISTRIBUTION    DE   LA   MATIÈRE    SUCRÉE 

Maintenant  en  quoi  différera  l'état  diabétique  de  l'é- 
tat normal?  11  différera  en  ce  que  le  point  de  départ 
sera  plus  élevé.  La  quantité  de  sucre  correspondant  à 
la  même  époque  sera  plus  considérable  que  dans  l'état 
normal. 

La  courbe,  au  lieu  de  partir  de  n,  partira  par  exem- 
ple de  M  situé  au  niveau  delà  droite  e  b,  ou  de  M' situé 
au  niveau  de  a  d;  elle  sera  parallèle  à  la  courbe  nor- 
male, et  en  reproduira  toutes  les  ondulations,  mais  en 
se  tenant  toujours  à  une  plus  grande  distance  de  la 
ligne  XY;  alors  deux  cas  se  présentent.  Si  la  courbe 
représentant  un  état  diabétique  part  d'un  point  au- 
dessus  de  M,  limite  maximum  de  la  quantité  de  sucre 
qui  peut  exister  dans  l'organisme  sans  paraître  au 
dehors,  tant  que  la  courbe  ne  dépassera  pas  la  ligne  e  h, 
on  ne  trouvera  pas  de  sucre  dans  les  urines;  mais  cette 
substance  apparaîtra  au  moment  de  la  digestion,  et  le 
diabète  sera  représenté  en  durée  et  en  intensité  par  les 
portions  de  courbe  ni  iii\  etc.  Le  diabète  sera  alors 
discontinu,  intermittent  et  correspondant  seulement 
aux  périodes  digestives.  Les  urines  seront  tantôt  nor- 
males, tantôt  sucrées,  et  la  courbe  M  ni  M  m"  iM  pas- 
sera alternativement  au-dessus  et  au-dessous  de  e  h. 

Si,  au  contraire,  la  quantité  de  sucre  sécrétée  par  l'in- 
dividu malade  est  plus  grande  que  le  maximum  de  l'é- 
tat normal,  de  façon  à  correspondre  à  la  longueur  0  M', 
la  courbe,  tout  en  restant  toujours  parallèle  aux  courbes 
précédentes,  et  en  suivant  encore  leurs  sinuosités,  res- 
tera constamment  au-dessus  de  ^  <5>;  les  urines  seront 
constamment  sucrées  et  le  diabète  continu. 


DANS  L'ORGANISME.  1-25 

Il  est  bien  entendu.^  Messieurs,  que  nous  vous  repré- 
sentons ici  des  cas  types  d'une  simplicité  purement 
idéale,  afin  de  vous  faire  comprendre  la  liaison  de  ces 
phénomènes  nerveux  et  pathologiques.  Entre  les  ima- 
ges que  nous  vous  en  donnons,  vous  pouvez  concevoir 
tous  les  intermédiaires  possibles.  Mais  la  marche  de 
toute  fonction  vitale  ne  saurait  jamais  être  indiquée 
complètement  par  des  lignes  aussi  simples  que  celles 
que  nous  avons  figurées  ici,  car  indépendamment  des 
grandes  oscillations  dont  nous  donnons  la  direction 
générale,  en  creusant  plus  profondément  le  phéno- 
mène, on  trouverait  des  oscillations  de  deuxième  et 
troisième  ordre  que  nous  aurons  à  examiner  ultérieu- 
rement. 

Enfin,  Messieurs,  cette  marche  du  sucre  à  travers 
l'organisme,  ces  oscillations  physiologiques  de  sa  sécré- 
tion sous  rinflueijce  de  la  digestion,  et  dans  l'intervalle 
des  digestions,  sa  diffusion  limitée  dans  un  cas,  géné- 
ralisée dans  l'autre,  sont  des  faits  trop  importants  pour 
que  nous  n'ayons  pas  à  cœur  de  les  reproduire  devant 
vous,  et  de  les  fixer  dans  votre  esprit  au  moyen  des 
expériences  qui  ont  servi  à  les  établir. 

Yoici  deux  chiens,  l'un  à  jeun,  chez  lequel,  par  con- 
séquent, tout  le  sucre  sorti  du  foie  est  détruit  avant 
d'avoir  traversé  le  poumon  ;  l'autre  en  pleine  digestion, 
chez  lequel  la  matière  sucrée  est  répandue  dans  tout 
l'organisme  ;  nous  allons  faire  sur  eux  une  série  d'ex- 
périences comparatives,  qui  ne  sauraient  vous  laisser 
aucun  doute  sur  les  phénomènes  que  je  vous  ai  an- 
noncés. 


i'Zi)  DISTRIBUTION   DE   LA   MATIÈRE    SUCRÉE 

Nous  prenons  le  premier  animal,  c'est-à-dire  celui 
qui  est  à  jeun,  et  nous  allons  puiser  du  sang  dans  dif- 
férentes parties  du  corps  pour  vous  montrer 
qu'il  n'y  a  de  sucre  qu'entre  le  foie  et  le  pou- 
mon. Pour  cela  nous  prendrons  du  sang  dans 
le  cœur  droit  d'abord.  L'animal  étant  couché 
sur  le  flanc  gauche,  nous  faisons  une  incision 
longue  de  5  à  6  centimètres  sur  le  côté  droit  du 
cou,  et  immédiatement  au-dessous  de  la  pean 
nous  trouvons  la  veine  jugulaire  externe  bien 
plus  volumineuse  que  l'interne  chez  les  ani- 
maux, à  cause  de  la  prédominance  de  la  face. 
Nous  isolons  cette  veine  des  parties  voisines  au 
moyen  d'une  sonde  cannelée,  et  nous  plaçons 
sur  elle  une  ligature  du  côté  de  la  tête,  puis, 
saisissant  la  veine  entre  le  pouce  et  l'index  de  la 
1  main  gauche,  nous  y  faisons  une  incision  avec 
des  ciseaux.  Par  l'orifice  que  nous  venons  de 
pratiquer,  nous  allons  chercher  du  sang  dans 
le  cœur  droit  en  pratiquant  une  sorte  de 
cathétérisme  cardiaque.  Nous  nous  servons  pour 
cela  d'une  sonde  en  métal  (fig.  6),  légèrement 
courbée  vers  son  extrémité;  elle  est  munie  d'un 
^'°*  ^*  robinet  R,  et  offre  une  ouverture  à  son  bout 
effilé  ;  les  bords  de  cette  ouverture  sont  soigneu- 
sement arrondis  pour  ne  pas  couper  ou  déchirer  les 
vaisseaux.  Nous  introduisons  cette  sonde,  avec  son  ro- 
binet fermé  dans  la  veine  jugulaire,  nous  l'enfonçons 
à  une  profondeur  variable  suivant  la  taille  de  l'ani- 
mal ;  ici,  pour  ce  chien  de  taille  moyenne,  nous  l'en- 


DANS   L'ORGANISME.  127 

fonçons  à  20  centimètres.  Nous  tournons  d'abord  la 
concavité  de  l'instrument  en  avant,  puis  vers  le  ster- 
num, c'est-à-dire  en  dedans.  Nous  arrivons  ainsi  assez 
facilement  dans  l'oreillette  droite,  ce  que  nous  sentons 
aux  mouvements  imprimés  à  la  sonde  et  au  jet  sac- 
cadé du  sang  qui  s'en  écoule,  synchroniquement  avec 
les  battements  du  cœur.  Alors,  avec  une  seringue, 
dont  la  canule  est  ajustée  dans  le  bout  évasé  E  de  la 
sonde,  nous  aspirons  une  certaine  quantité  de  sang  du 
cœur  droit  de  l'animal.  Nous  retirons  ensuite  la  sonde 
et  nous  lions  le  bout  cardiaque  de  la  veine  jugulaire. 

Cela  fait,  nous  cherchons  l'artère  carotide  du  même 
côté,  nous  l'isolons  du  nerf  vague,  puis  nous  plaçons 
une  ligature;  au-dessous  de  celle-ci  nous  pratiquons 
une  ouverture  pour  extraire  une  certaine  quantité  de 
sang,  et  nous  lions  du  côté  du  cœur. 

Puis,  reprenant  le  bout  périphérique  de  la  veine  ju- 
gulaire, nous  délions  la  ligature  et  nous  laissons  couler 
une  certaine  quantité  de  sang. 

Nous  avons  donc  ainsi  :  1°  du  sang  venant  du  cœur 
droit,  c'est-à-dire  du  sang  provenant  de  la  veine  cave 
inférieure  et  des  veines  sus-hépatiques,  qui  s'est  mé- 
langé dans  le  cœur  avec  le  sang  arrivant  de  la  veine 
cave  supérieure  ; 

T  Du  sang  artériel  venant  de  passer  à  travers  le 
poumon  ; 

3°  Du  sang  veineux  descendant  des  capillaires  de  la 
tête. 

Nous  traitons  ces  trois  sangs  absolument  delà  même 
manière,  en  y  ajoutant  une  certaine  quantité  de  sulfate 


i28  DISTRIBUTION   DE  LA    MATIÈRE  SUCRÉE 

de  soude  cristallisé,  solide,  et  en  chauffant  dans  des 
capsules  de  porcelaine.  Sous  l'influence  de  la  chaleur, 
le  sang  se  coagule,  les  matières  albuminoïdes  sont  cris- 
pées et  ratatinées,  et  un  liquide  entièrement  décoloré 
s'en  sépare. 

Nous  prenons  ces  liquides  et  nous  les  faisons  bouil- 
lir avec  le  réactif  cupro-potassique.  Vous  voyez  que  le 
sang  provenant  du  cœur  précipite  très-nettement  le  sel 
de  cuivre,  tandis  qu'iln'y  a  ni  décoloration  ni  réduction 
avec  le  sang  artériel,  ni  avec  le  sang  veineux  provenant 
des  parties  périphériques  du  corps.  Le  sucre  qui  se  trou- 
vait dans  le  cœur  droit,  et  qui  provenait  du  foie,  n'a 
donc  pas  traversé  le  poumon,  puisqu'on  ne  le  trouve 
pas  dans  le  sang  après  cet  organe.  Il  n'est  pas  non  plus 
dans  le  système  veineux  général. 

Maintenant  nous  prenons  l'autre  chien  auquel  on  a 
fait  faire,  il  y  a  cinq  ou  six  heures,  environ,  un  repas 
copieux,  mais  composé  exclusivement  de  matières  ani- 
males (tête  de  mouton  cuite).  Nous  opérons  de  même 
que  sur  le  premier;  nous  prenons  d'abord  le  sang  du 
cœur,  puis  le  sang  de  l'artère  carotide  et  enfin  le  sang 
de  la  veine  jugulaire  qui  revient  de  la  tête.  Nous  trai- 
tons ces  trois  sortes  de  sang  de  la  même  manière  que 
nous  avons  traité  ceux  du  premier  animal,  en  ajoutant 
à  chacun  d'eux  à  peu  près  leur  poids  de  sulfate  de 
soude,  et  en  chauffant  le  mélange  dans  des  capsules  de 
porcelaine.  Nous  recueillons  les  liquides  très-incolores 
qui  se  séparent  des  parties  solides  contractées  et  coagu- 
lées, nous  y  ajoutons  dans  les  tubes  où  nous  les  ver- 
sons parties  égales  du  réactif  cupro-potassique,  nous 


DANS  L'ORGANISME.  î2*.) 

faisons  bouillir  ce  mélange,  et  vous  voyez  dans  tous 
des  changements  de  coloration  et  la  formation  de  pré- 
cipités qui  vous  indiquent  la  présence  du  sucre.  Vous 
remarquez  cependant  que  le  précipité  formé  est  bien 
plus  considérable  dans  le  liquide  provenant  du  sang  du 
cœur  de  cet  animal,  que  dans  les  liquides  provenant  du 
sang  artériel  ou  du  sang  veineux  de  la  circulation 
générale  ;  il  est  plus  considérable  aussi  que  dans  le  li- 
quide provenant  du  sang  du  cœur  du  premier  chien 
à  jeun. 

Ces  deux  expériences  comparatives  vous  prouvent , 
Messieurs,  qu'il  y  a  eu,  au  moment  de  la  digestion,  une 
plus  grande  proportion  de  sucre  formé  dans  le  foie, 
qu'une  partie  de  ce  sucre  a  été  détruite  sans  doute, 
mais  qu'il  en  est  passé  dans  le  système  artériel,  et  de 
là  dans  le  système  veineux  général  une  certaine  quan- 
tité que  nous  y  retrouvons.  Cependant  ce  sucre,  bien 
que  généralisé  dans  tout  l'organisme,  ne  s'est  pas 
montré  dans  les  sécrétions,  car  voici  de  la  salive  du 
même  chien  et  son  urine  qui  ne  donnent  aucun  signe 
de  la  présence  de  la  matière  sucrée  avec  le  réactif 
cupro-potassique. 


BERNARD.    I. 


SIXIEME    LEÇON 

13  JANVIER  1855. 


SOMMAIRE  :  La  destruction  comme  la  production  du  sucre  est  un  fait  com- 
mun au  règne  végétal  comme  au  règne  animal.  —  Circonstances  qui  peu- 
vent modifier  la  sécrétion  du  sucre. —  Altérations  de  la  substance  hépa- 
tique. —  Kystes.  —  Cancers.  —  Foie  gras.  —  Influences  agissant  sur  la 
fonction  glycogénique.  —  Influence  de  l'abstinence.  —  Cas  des  animaux 
hibernants  qui  ne  doivent  pas  être  considérés  comme  des  animaux  à  jeun. 
—  Influence  de  l'alimentation.  —  Influence  de  l'alimentation  graisseuse. — 
Influence  de  l'alimentation  azotée.  —  Influence  de  l'alimentation  féculente 
et  sucrée. 


Messieurs, 

Pour  arriver  à  tracer  l'histoire  physiologique  du 
diabète,  il  faut  continuer  l'histoire  de  la  formation 
du  sucre  dans  l'économie  animale. 

Nous  connaissons  actuellement  deux  phénomènes 
que  nous  ne  devons  jamais  perdre  de  vue;  savoir, 
d'une  part,  \di  production,  d'autre  part,  la  destruction 
delà  matière  sucrée,  qui  se  rencontrent  simultanément 
dans  tous  les  organismes  vivants  animaux  et  végétaux 
et  sont  solidairement  unies  l'une  à  l'autre. 

Au  milieu  du  monde  exléiieur,  certahis  êtres  vivants 
ont  pu  paraître,  au  point  de  vue  philosophique,  faits 
pour  créer  les  substances  destinées  à  l'alimentation  des 
autres.  Mais  au  point  de  vue  physiologique  chaque  in- 
dividu travaille  pour  soi  et  vit  comme  il  peut  aux  dé- 


SÉCRÉTION   ET  DESTRUCTION   DU  SUCRE.  131 

pens  de  ce  qui  l'entoure.  Si  les  animaux  utilisent  pour 
leur  nourriture  le  sucre  qu'ils  trouvent  dans  les  végé- 
taux, on  ne  peut  pas  dire  que  ce  soit  là  la  cause  finale 
physiologique  de  cette  substance,  car,  de  même  que 
l'animal,  le  végétal  produit  du  sucre  pour  sa  propre 
consommation,  et  il  le  détruit  dans  les  périodes  succes- 
sives de  son  existence.  Si  l'on  suit,  par  exemple,  la  série 
des  phénomènes  vitaux  dans  une  betterave,  on  voit  que, 
pendant  la  première  année,  la  plante  accumule  dans 
sa  racine  les  matières  sucrées  qui  s'y  trouvent  alors  en 
grande  abondance  ;  mais  si  on  la  laisse  se  développer 
l'année  suivante,  à  mesure  que  la  tige  va  s'élever  et  que 
les  bourgeons  se  formeront  pour  produire  des  fleurs  et 
des  fruits,  on  verra  le  sucre  monter  de  la  racine  dans  la 
tige,  s'y  changer  de  sucre  de  la  première  espèce  en  sucre 
de  la  seconde  espèce,  enfin  disparaître  peu  à  peu;  et  à 
l'époque  de  la  maturité  des  graines,  la  matière  sucrée 
aura  disparu  dans  toute  la  plante.  Le  sucre  accumulé 
la  première  année  aura  été  détruit  dans  la  seconde  pour 
servir  au  développement  complet  du  végétal. 

On  rencontre  donc  dans  les  végétaux  les  deux  phases 
de  production  et  de  destruction  du  sucre,  sous  quelque 
forme  que  cette  matière  se  présente.  On  voit  ainsi  que 
dans  ces  deux  règnes  les  phénomènes  se  ressemblent 
en  ce  qu'il  y  a  production  et  destruction  de  la  matière 
sucrée. 

Nous  verrons  plus  tard,  en  nous  occupant  plus  spé- 
cialementdeces  deux  questions,  qu'il  y  a  bien  d'autres 
rapprochements  à  faire  entre  les  deux  règnes  des  êtres 
vivants  au  point  de  vue  des  actes  nutritifs. 


132  INFLUENCES  QUI   MODIFIENT 

Nous  avons  actuellement  à  analyser  les  conditions 
diverses  dans  lesquelles  se  passent  ces  phénomènes  de 
production  et  de  destruction  du  sucre,  alîn  d'y  cher- 
cher les  éléments  de  la  maladie  diabétique  dont  nous 
poursuivons  toujours  le  mécanisme  dans  ces  recher- 
ches. 

Aujourd'hui  nous  allons  étudier  toutes  les  circon- 
stances qui  peuvent  influencer  la  production  de  la  ma- 
tière sucrée  dans  l'organisme  animal. 

Ces  circonstances  sont  de  trois  ordres. 

En  premier  lieu,  les  modifications  que  peut  subir 
l'élément  glandulaire  du  foie. 

Secondement,  les  modifications  que  peut  présenter 
la  circulation  de  l'organe,  soit  au  point  de  vue  chi- 
mique de  la  composition  du  sang  qui  le  traverse,  soit 
au  point  de  vue  des  conditions  mécaniques  de  cir- 
culation. 

Troisièmement,  enfin,  l'influence  du  système  ner- 
veux sur  cette  sécrétion. 

On  a  encore  très-peu  de  données  sur  l'influence  que 
les  altérations  de  la  cellule  hépatique  peuvent  avoir  sur 
la  production  du  sucre.  Je  n'ai,  jusqu'à  présent,  pu 
suivre  la  production  du  sucre  que  dans  quelques-unes 
des  altérations  du  foie,  et  en  particulier  dans  la  maladie 
à  laquelle  on  donne  le  nom  àe  foie  gras  (1),  et  que  Ton 
peut  produire  artificiellement  sur  des  oies  et  des  ca- 
nards en  les  soumettant  à  une  certaine  nourriture. 

11  était  intéressant  de  savoir  quelle  pouvait  être,  dans 

(1)  Voyez  le  mémoire  de  M.  Lereboullet  sur  le  Foie  gras.  (  Mémoires  de 
V Académie  de  médecine.  Paris,  1853,  t.  XVII,   p.  477.) 


LA  PRODUCTION   DU   SUCRE.  133 

ces  cas  de  modifications  du  tissu  hépatique,  l'influence 
exercée  sur  la  production  du  sucre. 

Vous  savez  que  les  cellules  du  foie  contiennent  dans 
leur  intérieur  des  gouttelettes  de  graisse  à  l'état  nor- 
mal. Par  suite  de  la  maladie  qu'on  communique  aux 
canards  ou  aux  oies  atteints  de  foie  gras,  ces  goutte- 
lettes deviennent  d'une  grosseur  considérable  et  finis- 
sent même  quelquefois  par  remplir  complètement  la 
cellule  hépatique. 

Dans  ces  celkiles  si  chargées  de  graisse,  il  semblerait 
que  la  production  du  sucre  dût  avoir  diminué. 

Cependant  il  n'en  est  point  ainsi,  car,  dans  l'analyse 
que  j'ai  faite  d'un  foie  gras  de  canard,  j'ai  trouvé  1,40 
pour  100  de  sucre  dans  le  tissu  du  foie.  Le  foie  d'un 
canard  ordinaire  ne  m'a  présenté  que  1,27  pour  100 
de  matière  sucrée. 

On  observe  assez  souvent  sur  les  animaux  de  bou- 
cherie un  épaississement  assez  considérable  des  con- 
duits biliaires,  ce  que  les  bouchers  appellent  des  foies 
nerveux.  Il  se  forme  là  du  tissu  fibro-plastique  en 
quantité  plus  ou  moins  grande  qui  atrophie  nécessai- 
rement les  cellules  voisines.  Aux  environs  de  cette 
altération,  qui  du  reste  est  toujours  purement  locale, 
la  proportion  de  sucre  est  nécessairement  moindre  que 
dans  les  endroits  oii  les  conduits  ont  leur  épaisseur 
normale;  mais  les  fonctions  des  autres  portions  du  foie 
n'en  sont  nullement  empêchées,  et  il  n'y  aurait  que 
dans  le  cas  oîi  ces  indurations  occuperaient  tout  l'or- 
gane que,  celui-ci  alors  ne  fonctionnant  plus,  la  mort 
de  l'animal  devrait  s'ensuivre. 


134      INFLUENCES  QUI  MODIFIENT  LA  PRODUCTION    DU   SUCRE. 

D'autres  altérations  locales  du  foie,  des  kystes,  des 
hydatides,  des  tumeurs  de  diverses  natures,  n'ont  d'au- 
tre effet  que  de  diminuer  la  masse  de  la  substance 
fonctionnante  du  foie;  car  à  côté  de  ces  lésions  on 
trouve  des  parties  saines  présentant  du  sucre  dans  les 
proportions  ordinaires.  C'est  ce  que  j'ai  pu  constater 
chez  des  moutons,  par  exemple,  chez  lesquels  ces  sor- 
tes d'altérations  sont  excessivement  fréquentes,  comme 
on  le  sait. 

Le  cancer  lui-même,  tant  qu'il  n'a  pas  envahi  tout 
le  tissu  de  l'organe,  n'a  qu'une  action  purement  locale; 
c'est  ainsi  que  je  Tai  constaté  sur  un  surmulet  qui 
avait  la  moitié  du  foie  envahi  par  un  cancer  encépha- 
loïde  :  les  parties  restées  saines  fonctionnaient  comme 
d'habitude  et  étaient  parfaitement  sucrées. 

Il  est  difficile  d'établir  une  relation  entre  les  altéra- 
tions morbides  du  foie  et  la  disparition  de  la  matière 
sucrée  dans  cet  organe  chez  l'homme,  parce  que, 
comme  on  ne  peut  les  observer  qu'après  la  mort,  l'a- 
gonie, qui  l'a  précédée  dans  la  plupart  des  cas,  suffit 
pour  faire  disparaître  le  sucre. 

Nous  arrivons  à  la  question  d'influence  que  peut 
avoir  la  composition  du  sang.  Cette  influence  est  d'au- 
tant plus  importante  à  considérer  que  le  foie  est  tra- 
versé sans  cesse  par  le  sang  delà  veine  porte,  et  que 
ses  éléments  sont  nécessairement  variables  par  suite  de 
toutes  les  substances  très-diverses,  suivant  la  nature  de 
l'alimentation,  qui  sont  absorbées  dans  le  tube  diges- 
tif. C'est  surtout  là  que  nous  pourrons  constater  ces 
différences  dans  la  composition  du  sang,  car  nous  ver- 


INFLUENCE  DE  L'ALIMENT.  SUR  LA  PROD.   DU  SUCRE.      i3o 

rons  que  le  fluide,  pris  dans  le  système  circulatoire 
général,  varie  beaucoup  moins  non-seulement  entre 
deux  individus  de  même  ordre,  mais  entre  des  indi- 
vidus d'ordre  différent,  entre  les  carnassiers  et  les  her- 
bivores, par  exemple. 

Quelle  est  donc  l'influence  que  ces  substances  de 
nature  si  diverse,  introduites  dans  l'alimentation  et  la 
veine  porte,  peuvent  avoir  sur  la  formation  du  sucre  ? 

Ceci,  comme  vous  le  voyez,  touche  de  très- près  à  la 
question  du  diabète.  Depuis  Rollo,  tous  les  médecins 
ont  l'esprit  fixé  sur  l'ahmentation  qui  convient  dans 
cette  maladie.  M.  Bouchardat  (!)  proscrit  l'usage  des 
féculents  et  des  matières  sucrées.  Des  faits  dont  j'ai  été 
témoin  dans  la  pratique  de  M.  Rayer  prouvent  évidem- 
ment l'utilité  d'une  alimentation  azotée. 

En  effet,  quoique  nous  ayons  élabU  qu'il  y  a  dans 
l'organisme  une  fonction  qui  produit  du  sucre  indé- 
pendamment de  la  nature  de  l'alimentation,  et  que 
conséquemment  cette  matière  ne  saurait  provenir  exclu- 
sivement du  dehors,  cela  n'empêche  pas  qu'il  puisse 
aussi  y  avoir  une  origine  extérieure  pour  la  matière 
sucrée  dont  nous  avons  à  faire  la  part.  Nous  allons 
pour  celte  raison  examiner  l'influence  de  la  nature  des 
diverses  substances  absorbées  dans  les  voies  digestives. 
Ces  substances  se  ramènent  à  trois  ordres,  quelle  que 
soit  la  variété  de  l'ahmentation,  savoir  :  les  matières 
graisseuses  absorbées  à  l'état  de  division  extrême,  les 
matières  albuminoïdes  et  féculentes  absorbées  h  l'état 
de  dissolution. 

(1)  Mémoires  de  r Académie  de  médecine.  Paris,  1852,  t.  XVI,  p.  69. 


m  INFLLENGE  DE  L'ALIMENTATION 

Mais  avant- d'étudier  le  rôle  de  ces  diverses  sub- 
stances dans  la  production  du  sucre,  c'est-à-dire  l'in- 
fluence des  alimentations  de  diverse  nature,  il  importe 
de  savoir  quels  sont,  au  point  de  vue  de  la  fonction 
glycogénique,  les  effets  d'une  alimentation  nulle,  c'est- 
à-dire  d'une  abstinence  complète.  Nous  aurons  ainsi 
un  point  de  comparaison  qui  nous  servira  à  isoler  le 
phénomène  sur  lequel  doit  porter  l'expérimentation. 

Voici  comment  nous  avons  institué  l'expérience. 
Nous  avons  choisi  quatre  chiens  de  même  âge  et  à  peu 
près  de  même  taille  :  le  premier  ne  recevait  que  de 
l'eau  pure,  le  deuxième  de  l'eau  plus  de  la  graisse,  le 
troisième  de  l'eau  plus  de  la  gélatine,  le  quatrième 
de  l'eau  plus  de  la  fécule.  Pour  apprécier  le  rôle 
appartenant  à  chaque  substance  alimentaire,  nous 
n'avons  eu  en  quelque  sorte  qu'à  soustraire  par  la 
pensée,  de  chacun  des  trois  derniers  chiens,  le  chien 
à  l'eau  pure,  et  la  différence  était  nécessairement  due 
à  la  substance  surajoutée  à  l'eau. 

Nous  vous  avons  déjà  dit  qu'après  la  privation 
des  aliments,  la  production  du  sucre  dans  le  foie  con- 
tinue à  avoir  lieu  uniquement  aux  dépens  des  maté- 
riaux du  sang.  Mais  les  oscillations  physiologiques  qui 
se  manifestent  dans  l'état  normal,  oii  les  digestions  se 
succèdent  à  des  intervalles  plus  ou  moins  éloignés, 
cessent  nécessairement  d'avoir  lieu  pendant  l'absti- 
nence. La  sécrétion  sucrée  décroit  alors  progressi- 
vement, à  mesure  que  le  liquide  sanguin  diminue 
de  quantité,  car  il  ne  se  répare  plus  avec  les  sub- 
stances que  lui  fournissait  la  digestion,  et,  néanmoins, 


SLR  LA   PRODUCTION   DU   SUCRE.  137 

les  sécrétions  liquides  et  gazeuses,  par  les  glandes  sa- 
livaires,  les  reins  et  le  poumon,  se  produisent  encore 
pendant  un  certain  temps.  La  sécrétion  du  sucre  parle 
^  foie  persiste  aussi  comme  les  autres,  mais  elle  va  en  di- 
minuant, et  finit  par  disparaître  complètement  trois  à 
quatre  jours  environ  avant  la  mort  de  l'animal  soumis 
à  une  diète  absolue. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  cette  diminution  et 
cette  disparition  du  sucre  dans  le  foie,  sous  l'influence 
de  la  privation  d'aliments,  dépendent  simplement  de 
ce  que  l'animal  use  et  détruit  progressivement  la  quan- 
tité de  matière  sucrée  qu'il  avait  formée  pendant  sa 
dernière  digestion.  Nous  vous  avons  déjà  dit,  et  nous 
aurons  encore  plus  d'une  fois  l'occasion  de  vous  mon- 
trer qu'il  faut  à  peine  quelques  heures  à  un  animal 
pour  consommer  toute  la  quantité  de  sucre  qu'il  a  dans 
le  foie,  de  sorte  que,  s'il  ne  s'en  formait  plus,  dès  le 
lendemain  déjà,  après  vingt-quatre  heures  de  jeûne, 
le  tissu  hépatique  en  serait  dépourvu.  Mais  il  n'en  est 
point  ainsi,  parce  que,  dans  l'abstinence,  il  se  refait 
encore  du  sucre  aux  dépens  du  sang  qui  traverse  inces- 
samment le  foie.  Seulement,  à  mesure  que  ce  sang 
s'use  et  s'appauvrit,  par  suite  de  l'absence  de  nourri- 
ture, la  sécrétion  sucrée  du  foie  diminue  d'énergie,  et 
finit,  avant  les  dernières  périodes  de  l'abstinence,  par 
s'éteindre  comme  les  autres  fonctions. 

Pendant  les  premiers  jours  de  l'abstinence,  la  sécré- 
tion sucrée  se  maintient  encore  assez  considérable  ;  car 
sur  un  chien  à  jeun  depuis  trente-six  heures,  j'ai  trouvé 
encore  une  proportion  de  J  ,255  de  sucre  pour  100  du 


138  INFLUENCE  DE   L'ALIMENTATION 

lissu  du  foie  ;  et  sur  un  autre  chien  à  jeun  depuis 
quatre  jours,  il  y  avait  0,93  pour  100.  Dans  les  jours 
suivants,  la  quantité  de  sucre  formé  va  en  diminuant 
plus  rapidement  pour  ne  cesser  toutefois  d'une  ma- 
nière complète  que  lorsque  l'animal,  après  avoir  perdu 
les  quatre  dixièmes  de  son  poids,  est  désormais  voué  à 
une  mort  inévitable.  Sur  des  chiens,  des  lapins  ou 
des  cochons  d'Inde  morts  d'inanition,  je  n'ai  jamais 
rencontré  de  sucre  dans  le  tissu  du  foie  ;  mais  sur  deux 
chiens  adultes,  à  l'abstinence  complète,  l'un  depuis 
quinze  jours,  l'autre  depuis  douze  jours  (ce  dernier 
buvait  de  l'eau),  j'ai  trouvé  encore  très-évidemment  du 
sucre  dans  le  foie.  Chez  les  chiens,  la  production  du 
sucre  ne  s'arrête  guère,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  que 
trois  jours  environ  avant  la  mort^  seulement,  quand 
on  approche  de  cette  période  de  l'inanition,  la  quantité 
de  sucre  hépatique  est  excessivement  faible  ;  et  pour 
faire  la  recherche  du  sucre  dans  le  foie  à  ce  moment, 
on  devra  avoir  soin  de  ne  pas  sacrifier  les  animaux  par 
hémorrhagies,  mais  bien  par  la  section  du  bulbe  ra- 
chidien,  comme  nous  le  faisons  habituellement,  parce 
que  dans  le  premier  genre  de  mort,  le  sang  non  sucré 
des  organes  abdominaux  voisins,  qui  ti'averse  le  tissu 
hépatique  pour  s'écouler  au  dehors,  lave  en  quelque 
sorte  l'organe,  et  lui  emporte  la  petite  quantité  de  sucre 
qu'il  contenait,  de  sorte  qu'on  pourrait,  dans  ces  cas, 
attribuer  à  l'abstinence  l'absence  du  sucre  dans  le  foie. 
Du  reste,  le  temps  nécessaire  pour  que  la  production 
du  sucre  dans  le  foie  s'éteigne  sous  l'influence  de  l'ab- 
stinence est  variable  suivant  l'âge  et  la  taille  des  ani- 


SUR  LA  PRODUCTION  DU  SUCRE.  139 

maux,  leur  classe,  leur  espèce,  et  la  faculté  de  résister 
plus  ou  moins  longtemps  à  l'inanition.  Parmi  les  Ver- 
tébrés, les  oiseaux  sont  les  animaux  chez  lesquels, 
dans  des  circonstances  égales,  la  privation  de  nourri- 
ture éteint  le  plus  rapidement  la  production  du  sucre 
dans  le  foie.  Ainsi,  au  bout  de  trente-six  ou  de  qua- 
rante-huit heures  d'abstinence,  chez  les  petits  oiseaux, 
tels  que  les  moineaux,  le  foie  est  déjà  complètement 
dépourvu  de  matière  sucrée.  Après  les  oiseaux  vien- 
nent les  mammifères,  surtout  quand  ils  sont  jeunes. 
J'ai  expérimenté  à  ce  point  de  vue  sur  des  rats,  des 
chiens,  des  chats  et  des  chevaux.  Chez  les  rats  et 
les  lapins,  il  suffit  de  quatre  à  huit  jours  ;  chez  les 
chiens,  les  chats  et  les  chevaux,  il  faut  douze  à  vingt 
jours,  pour  que  le  sucre  disparaisse  complètement  dans 
le  foie.  Ce  laps  de  temps  peut  devenir  moindre,  si 
pendant  l'abstinence  on  fait  prendre  de  l'exercice  aux 
animaux,  ou  bien  il  peut  être  plus  considérable,  si, 
dans  les  mêmes  circonstances,  on  condamne  les  ani- 
maux au  repos,  en  même  temps  qu'on  leur  fournit  de 
l'eau  à  boire. 

Les  reptiles  et  les  poissons  se  distinguent  des  ani- 
maux à  sang  chaud  par  une  résistance  beaucoup  plus 
considérable  aux  effets  de  l'abstinence  et  par  une  dis- 
parition plus  lente  du  sucre  dans  le  foie.  C'est  ainsi 
q\ie  des  crapauds,  des  couleuvres  et  des  carpes  pré- 
sentaient encore,  cinq  à  six  semaines  après  leur  dernier 
repas,  du  sucre  d'une  manière  très-évidente  dans  le 
tissu  du  foie.  Du  reste,  l'augmentation  de  la  tempé- 
rature ambiante  active  d'une  manière  évidente  cette 


r,0  INFLUEiNGE   DE   L'ALIMENTATION 

disparition  du  sucre  hépatique  en  accélérant  sans  doute 
les  phénomènes  nutritifs.  L'abaissement  de  tempéra- 
ture agit  d'une  manière  inverse. 

En  même  temps  que  le  sucre  disparaît,  on  voit 
d'autres  fonctions  se  modifier.  La  respiration,  par 
exemple,  qui  est  dans  un  rapport  si  intime  avec  la 
destruction  du  sucre,  se  ralentit. 

Il  y  a  cependant  un  cas  d'abstinence  apparente  qu'il 
est  intéressant  de  considérer  ici  :  c'est  celui  des  ani- 
maux hibernants,  des  marmottes,  par  exemple,  qui 
s'endorment  aux  approches  de  l'hiver  et  restent  dans 
cet  état,  sans  manger,  pendant  un  temps  considérable. 
Il  était  curieux  d'observer  les  phénomènes  de  la  nu- 
trition chez  ces  animaux  pendant  leur  sommeil,  et  en 
particuHer  la  sécrétion  si  importante  du  sucre.  M.  le 
professeur  Valentin,  de  Berne,  a  fait  à  ce  sujet  des 
expériences  très- intéressantes  dont  je  vous  indiquerai 
en  passant  les  résultats  principaux. 

Les  phénomènes  de  l'hibernation  chez  les  marmottes 
s'annoncent  cinq  ou  six  jours  avant  le  sommeil  réel  par 
uue  perte  complète  d'appétit.  L'animal  refuse  tous  les 
aliments  qu'on  lui  présente.  La  marmotte  mâle  qu'ob- 
serva M.  Valentin  pesait  2  livres  1/3,  et  n'avait  pas 
mangé  depuis  quelques  jours  lorsqu'elle  s'endormit. 
Son  premier  sommeil  dura  vingt-cinq  jours,  au  bout 
desquels  elle  se  réveilla  pendant  quelques  instants,  puis 
se  rendormit  le  jour  suivant,  et  resta  onze  jours  dans 
un  état  complet  d'hibernation.  Elle  se  réveilla  ensuite 
de  nouveau,  rendit  de  l'urine  et  des  selles  pour  la  pre- 
mière fois  depuis  le  commencement  de  son  sommeil. 


SUR  LA  PRODUCTION  DU  SUCRE.  141 

et  le  lendemain  elle  se  rendormit  encore  pendant  trois 
jours.  La  marmotte  fut  alors  tuée  par  asphyxie.  Elle 
n'avait  donc  pas  mangé  depuis  environ  (rente-neuf 
jours,  et  l'animal  n'avait  perdu  que  3  onces  de  son 
poids.  A  l'autopsie,  on  trouva  que  son  foie  donnait  une 
décoction  claire  et  neutre,  réduisant  énergiquemeut  le 
liquide  cupro-potassique,  brunissant  par  la  potasse, 
fermentant  très- bien  par  la  levure  de  bière  et  faisant 
tourner  à  droite  le  plan  de  polarisation.  Par  le  dosage, 
on  trouva  que  cette  décoction  hépatique  contenait  2,87 
pour  100  de  sucre,  c'est-à-dire  qu'il  y  en  avait  autant 
que  chez  d'autres  rongeurs  à  l'état  normal.  Quand  on 
ouvrit  l'estomac,  on  y  trouva  une  matière  neutre  d'un 
blanc  grisâtre  qui  existe  habituellement  pendant  le 
sommeil  hibernal  de  ces  animaux. 

Voici  donc,  Messieurs,  un  fait  extraordinaire  :  d'une 
part,  une  quantité  considérable  de  sucre  dans  le  foie; 
d'autre  part,  une  privation  de  nourriture  qui  dure 
trente-neuf  jours.  Ceci  ne  ressemble  en  rien  à  ce  qui 
a  heu  chez  un  animal  non  hibernant.  Si  l'on  cherche 
à  quoi  cela  peut  tenir,  on  n'a  pour  s'en  rendre  compte 
que  la  présence  de  cette  matière  jaunâtre  qui  se  trouve 
sécrétée  dans  l'estomac,  et  qui,  sans  doute,  est  réab- 
sorbée par  la  veine  porte  pour  servir  à  la  formation  du 
sucre.  Pendant  l'hibernation,  toutes  les  fonctions  sont, 
du  reste,  excessivement  ralenties,  et  la  perte  par  consé- 
quent beaucoup  moins  considérable  que  chez  les  ani- 
maux à  jeun. 

Les  animaux  qui  n'hibernent  pas  ont,  au  contraire, 
pendant  l'abstinence,  l'estomac  parfaitement  vide.  On 


442  INFLUENCE   DE  L'ALIMENTATION 

ne  peut  donc  pas  comparer  un  animal  à  hibernation 
complète,  comme  la  marmotte,  à  un  animal  à  jeun,  ni 
même  à  un  animal  dont  l'hibernation  est  incomplète 
et  qui  se  réveille  de  temps  en  temps  pour  manger, 
comme  les  loirs  et  certains  rongeurs  et  insectivores. 
Ces  derniers  animaux  peuvent  mourir  de  faim  et  ren- 
trer dans  le  cas  ordinaire  des  animaux  à  jeun;  ils  ne 
se  rendorment  plus  et  meurent  réellement  d'inanition  : 
c'est  ce  qui  est  arrivé  sur  un  jeune  hérisson  qu'avait 
observé  Valentin,  qui  mourut  au  bout  de  deux  mois, 
ne  présentant  que  des  phénomènes  d'un  sommeil  in- 
complet, et  dont  le  foie  n'offrit  plus  à  l'autopsie  aucune 
trace  de  sucre. 

Dans  la  marmotte  qui  a  fait  le  sujet  de  l'expérience 
citée  plus  haut,  il  est  question  d'une  sorte  de  diffusion 
de  la  matière  sucrée  dans  l'organisme;  car  on  constata 
qu'outre  le  tissu  du  foie,  il  y  avait  encore  des  traces 
de  sucre  dans  la  bile,  dans  le  diaphragme,  dans  la 
capsule  surrénale  droite  et  dans  l'estomac.  Cette  dif- 
fusion n'est  pas  physiologique  et  doit  être  considérée 
comme  purement  cadavérique,  car,  ainsi  que  nous 
l'avons  démontré  ailleurs,  après  la  mort  il  se  produit 
une  endosmose  de  la  matière  sucrée  dans  la  bile  et 
dans  les  organes  qui  environnent  le  foie.  C'est  ainsi 
seulement  qu'on  peut  comprendre  que  la  diaphragme 
ait  été  sucré,  de  même  que  la  capsule  droite,  la  plus 
rapprochée  du  foie,  tandis  que  la  gauche,  en  étant  plus 
éloignée,  ne  présentait  pas  de  traces  de  sucre. 

Nous  venons  de  voir  le  rôle  de  l'abstinence  sur  la 
production  du  sucre;  nous  avons  distingué  le  cas  des 


SUR  LA  PRODUCTION  DU  SUCRE.  143 

animaux  hibernants  qui  ne  doivent  pas  être  considérés 
comme  animaux  h  jeun.  Nous  avons  maintenant  à 
examiner  les  rôles  de  chaque  ahmentation  en  particu- 
lier. 

Voyons  d'abord  l'influence  de  l'alimentation  grais- 
seuse. Rollo  recommandait  de  donner  de  la  graisse  aux 
diabétiques.  M.  Thenard  et  Dupuytren  leur  faisaient 
manger  du  lard;  il  importe  donc  d'examiner  l'action 
spéciale  de  cette  alimentation. 

Nous  avons  nourri  des  chiens  avec  du  lard  et  avec  de 
l'axonge,  et  nous  avons  trouvé  ce  fait  très-curieux,  que 
sous  l'influence  de  cette  alimentation,  le  sucre  dimi- 
nuait dans  le  foie  absolument  de  la  même  manière  que 
si  l'animal  avait  été  mis  à  Fabstinence  absolue. 

r  Un  chien  de  taille  moyenne  fut  nourri  pendant 
trois  jours  avec  du  lard  non  salé,  cru  et  complètement 
privé  de  parties  musculaires.  Chaque  jour  l'animal 
mangea  bien,  et  même  avec  appétit,  125  grammes  de 
cette  substance  grasse  coupée  en  morceaux;  le  troi- 
sième jour,  le  chien  fut  sacrifié  par  la  section  du  bulbe 
rachidien,  trois  heures  après  son  dernier  repas,  c'est- 
à-dire  au  moment  où  la  digestion  était  en  pleine  acti- 
vité et  la  production  gylcogénique  à  son  summum.  Le 
foie  qui  donnait  une  décoction  jaunâtre  et  limpide, 
contenait  0,88  de  sucre  pour  100  du  tissu. 

2°  Un  autre  chien  robuste,  de  taille  moyenne,  sou- 
mis à  l'abstinence  absolue  pendant  huit  jours,  fut 
nourri  pendant  les  six  jours  qui  suivirent  avec  de  la 
graisse  de  porc  (saindoux)  fondue  et  tiède,  dont  on  lui 
injectait  chaque  jour  dans  l'estomac,  au  moyen  de  la 


444  INFLUENCE   DE   L'ALIMENTATION 

sonde  œsophagienne,  90  centimètres  cubes,  et  aussi- 
tôt après,  sans  relirer  la  sonde,  180  grammes  d'eau  or- 
dinaire. L'animal  fut  tué  au  bout  de  ce  temps. 

A  l'autopsie,  la  quantité  de  sucre  dans  le  tissu  hépa- 
tique n'était  que  de  0,57  pour  100. 

L'alimentation  a\ec  la  graisse  a  donné  sur  ces  deux 
chiens  ce  résultat  identique,  savoir  :  la  diminution  du 
sucre  dans  le  tissu  du  foie.  La  graisse  était  cependant 
parfaitement  absorbée  et  digérée,  seulement  elle  ne 
servait  à  rien  pour  la  production  du  sucre.  Car  nous 
avons  constaté  que,  sous  le  rapport  de  la  quantité  de 
sucre  qu'il  contient,  le  foie  des  animaux  soumis  à  la 
diète  graisseuse  est  tout  à  fait  comparable  à  celui  des 
animaux  complètement  privés  d'aliments. 

Il  y  a  ici  une  remarque  à  faire  au  sujet  de  la 
particularité  d'absorption  que  présente  la  matière 
grasse. 

C'est  à  travers  le  foie,  placé  comme  une  espèce  de 
fdtre  organique  entre  le  système  circulatoire  général 
et  l'intestin,  que  passent  la  plupart  des  substances  in- 
troduites dans  le  tube  digestif  et  dissoutes  par  les  sucs 
intestinaux. 

Or,  quelle  que  soit  la  diversité  des  aliments,  leurs 
principes  fondamentaux  sont  seulement,  comme  nous 
l'avons  dit,  de  trois  espèces,  savoir  :  les  màtièies  azo- 
tées ou  albuminoïdes,  les  matières  féculentes  ou  su- 
crées, et  les  matières  grasses.  De  ces  trois  ordres  de 
substances,  les  dernières  seules  ne  passent  pas  par  le 
foie,  et  sont  presque  exclusivement  absorbées  par  les 
chylifères,  pour  arriver  directement  au  poumon,  en 


SUR  LA   PRODUCTION   BV  SUCRE.  145 

suivant  le  canal  thoracique  qui  les  verse  dans  la  circu- 
lation veineuse  générale» 

On  peut  donc,  au  point  de  vue  de  leur  absorption, 
diviser  les  matières  alimentaires  en  deux  classes  : 
r  celles  qui  traversent  le  foie  en  sortant  de  l'intestin; 
2°  celles  qui,  charriées  par  les  chylifères,  sont  portées 
directement  dans  le  poumon. 

C'est  ainsi  que  les  choses  se  passent  chez  tous  les 
mammifères.  Chez  les  oiseaux,  les  reptiles  et  les  pois- 
sons, oii  il  n'y  a  pas  de  vaisseaux  chylifères  propre- 
ment dits,  il  y  a  un  autre  mécanisme  d'absorption  de 
la  graisse,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus  tard. 

Le  passage  de  la  graisse  à  travers  un  système  devais- 
seaux  différents  de  ceux  de  la  veine  porte  est  non-seu- 
lement un  fait  physiologique,  mais  il  est  en  rapport 
avec  la  structure  de  l'organe  hépatique;  car,  si  l'on 
pousse  une  injection  de  graisse  dans  la  veine  porte, 
elle  ne  passe  que  très-difficilement  dans  les  veines  sus- 
hépatiques,  elle  se  fixe  dans  le  tissu  du  foie.  Les  ana- 
lyses de  Lehmann  viennent  encore  confirmer  ces  faits. 
Ce  chimiste  a  trouvé  que  le  sang  qui  arrive  dans  le  foie 
contient,  quoique  en  faible  quantité,  de  la  matière 
grasse,  mais  que  le  sang  qui  en  sort  en  présente  beau- 
coup moins.  Le  sang  de  la  veine  porte  renferme  en 
moyenne,  sur  des  chevaux,  0§',04  de  graisse,  et  le 
sang  des  veines  hépatiques  seulement  0^',000o.  Cette 
impossibilité  où  se  trouve  la  graisse  de  traverser  le  foie 
est  en  rapport  avec  l'inutilité  de  cette  substance  pour 
former  le  sucre;  son  action  à  cet  égard  peut  donc 
être  considérée  comme  nulle.   Le   régime    conseillé 

BERNARD.  I.  10 


U6  INFLUENCE  DE    L'ALIMENTATION 

par  Rollo  équivalait  donc  à  l'abstinence,  et  l'on  ne 
doit  pas  s'étonner  qu'il  ait  obtenu  d'heureux  résultats 
avec  sa  méthode,  puisque  la  formation  du  sucre  est 
nécessairement  diminuée  par  suite  de  l'alimentation 
graisseuse,  qui  n'exerce  aucune  action  sur  le  foie. 

Nous  arrivons  maintenant  à  l'alimentation  azotée. 

Voici  les  expériences  que  nous  avons  faites  à  ce  sujet. 

r  Un  chien  adulte  et  de  petite  taille,  pesant  4^^\  91 , 
fut  d'abord  soumis  à  une  abstinence  absolue  pendant 
quatre  jours,  atin  de  laisser  les  intestins  se  débarrasser 
des  anciens  aliments.  (Depuis  huit  jours,  du  reste,  le 
chien  ne  mangeait  que  de  la  viande.)  Pendant  les  six 
jours  qui  suivirent,  on  lui  ingéra,  chaque  jour,  dans 
l'estomac,  370  grammes  d'eau  ordinaire  tiède,  conte- 
nant en  dissolution  20  grammes  de  gélatine  dite  ali- 
mentaire.  Une  heure  après  son  dernier  repas,  onsacritia 
l'animal  par  strangulation. 

A  l'autopsie,  faite  avec  beaucoup  de  précautions,  j'ai 
constaté  que  la  décoction  du  foie,  jaunâtre  et  légèrement 
louche,  renfermait  beaucoup  de  sucre.  Le  dosage  en 
donna  1,33  pour  100  du  tissu  hépatique. 

T  Un  autre  animal,  une  chienne,  de  taille  moyenne, 
fut  nourrie,  pendant  troisjours  exclusivement,  avec  des 
matières  gélatineuses,  consistant  en  pieds  de  mouton, 
dont  on  avait  enlevé  les  os,  et  qu'on  avait  fait  bouillir 
avec  de  l'eau  pour  en  séparer  la  plus  grandep  artie  de  la 
graisse,  qui  venait  surnager  à  la  surface  du  liquide  re- 
froidi. Chaque  jour,  l'animal  mangeait  quatre  pieds  de 
mouton  avec  la  gelée  qui  les  entourait.  Après  troisjours 
de  ce  régime,  et  trois  heures  après  son  dernier  repas, 


SUR  LA  PRODUCTION  DU  SUCRE.  147 

l'animal  fut  sacrifié  par  la  section  du  bulbe  rachidien. 
Je  constatai  que  le  tissu  de  son  foie  renfermait  1 ,  65 
pour  100  de  sucre.  La  décoction  hépatique  était  jaunâ- 
tre et  légèrement  opaline. 

L'action  de  la  gélatine,  que  j'ai  choisie  pour  mes 
expériences  comme  étant  la  substance  azotée  la  plus 
facile  à  se  procurer  à  l'état  de  pureté,  est  donc  des  plus 
remarquables.  Sous  son  influence,  le  sucre,  s'est  main- 
tenu dans  sa  proportion  à  peu  près  normale,  malgré 
une  abstinence  de  quatre  jours  dans  le  premier  cas.  Les 
chiffres  1,33  et  1,65  pour  100  sont  des  chiffres  nor- 
maux pour  le  chien,  et  qui  ne  diffèrent  pas  de  ceux 
qu'on  obtient  à  la  suite  d'une  alimentation  mixte.  La 
singularité  de  ce  résultat  a  dû  me  faire  redoubler  de 
précautions  pour  le  bien  conslater,  et  dans  ces  deux 
cas  j'ai  retiré  du  tissu  du  foie,  par  la  fermentation  avec 
la  levure  de  bière,  de  l'acide  carbonique  et  de  l'alcool, 
qui  ne  m'ont  laissé  aucun  doute  à  ce  sujet,  soit  qualita- 
tivement, soit  au  point  de  vue  quantitatif.  C'est  donc 
l'élément  azoté  qui  a  servi  à  faire  du  sucre  :  l'expé- 
rience chimique  a,  du  reste,  confirmé  ces  données 
physiologiques.  Lehmann  a  constaté  que  le  sang  de  la 
veine  porte,  en  traversant  le  foie,  perd  une  certaine 
quantité  de  ces  principes  azotés,  et  que  la  fibrine  y  di- 
minue notablement. 

Le  sucre  se  forme  donc,  non  pas  aux  dépens  de  la 
matière  grasse,  mais  aux  dépens  de  la  matière  azotée, 
chez  les  carnivores  au  moins  qui  ne  se  nourrissent  que 
de  substances  albuminoïdes,  et  ce  sucre  est  le  résultat 
de  l'action  physiologique  du  foie  sur  ces  principes  qui 


liN  INFLUENCE  DE   L'ALIMENTATION 

sont  dédoublés  de  manière  que  leur  oxygène,  hydro- 
gène, carbone,    se  groupent   pour  former  du   sucre, 
tandis  que  leur  azote  entre  dans  d'autres  combinai- 
sons,  et  probablement   dans  la  constitution  des  ma- 
tières azotées  de  la  bile.  On  ne  saurait,  en  efTet,  trou- 
ver une  autre  origine  à  cette  matière  sucrée,  qui   ne 
peut  pas  être  produite  dans  l'intestin  par  les  phéno- 
mènes digestifsn.  L'expérience  nous  a,  en  effet,  montré 
que,  pendant  l'alimentation  au  moyen  de  ces  substan- 
ces albumineuses,  l'intestin  et  le  sang  de  la  veine  porte 
ne  renferment  jamais  de  matière  sucrée  d'aucune  es- 
pèce. Ni  la  gélatine  ni  la  viande  ne  produisent  de  ma- 
tière sucrée  dans  le  tube  intestinal  par  les  procédés 
digestifs  connus. 

On  sait  que  Schœrer  a  signalé  dans  la  chair  muscu- 
laire la  présence  d'une  matière  qu'il  appelle  inosite,  et 
qui  présente  la  formule  chimique  du  sucre,  C^-^H*^0^^. 
M.  Bouchardat,  pour  soutenir  encore  que  la  matière 
sucrée  vient  du  dehors,  invoque  la  présence  de  l'ino- 
site  dans  la  chair,  pour  expliquer  la  présence  du  sucre 
dans  le  foie  des  carnivores  ;  mais  cette  exphcation  ne 
saurait  être  prouvée,  car,  si  l'inosite  a  la  formule  chi- 
mique du  sucre,  la  substance  n'a  pas  les  caractères  du 
sucre  du  foie.  Elle  ne  fermente  pas,  elle  n'est  altérée 
ni  par  les  alcalis  ni  par  les  acides,  et  ne  réduit  pas  les 
sels  de  cuivre.  Du  reste,  la  proportion  extrêmement 
minime  de  cette  matière,  qu'on  tire  des  muscles,  en 
rapport  avec  la  grande  quantité  du  sucre  du  foie,  suffit 
pour  détruire  la  moindre  idée  de  relation  entre  ces 
deux  substances. 


SUR  LA  PRODUCTION   DU  SUCRE.  i4i) 

Arrivons,  enfin,  au  rôle  de  l'alimentation  féculente, 
([ui  a  un  intérêt  tout  particulier,  en  raison  du  soin  que 
prennent  tous  les  médecins  d'écarter  toute  trace  de 
fécule  et  de  sucre  du  régime  de  leurs  malades  affectés 
de  diabète. 

Nous  avons  procédé  dans  nos  expériences  sur  ces 
substances  comme  pour  les  autres.  Tous  nos  animaux 
ont  été  mis  à  jeun,  sauf  la  quantité  de  fécule  ou  de 
sucre  que  nous  leur  faisions  absorber  chaque  jour. 

Un  premier  cbien  adulte,  et  de  petite  taille,  fut  sou- 
mis d'abord  à  une  abstinence  complète  pendant  quatre 
jours  ',  puis  pendant  les  six  jours  qui  suivirent,  on  in- 
géra, chaque  jour  dans  son  estomac,  270  grammes 
d'eau  ordinaire  légèrement  tiède,  contenant  en  suspen- 
sion 20  grammes  de  fécule  incomplètement  hydratée. 
On  sacrifia  l'animal  par  strangulation,  une  heure  après 
la  dernière  injection. 

A  l'autopsie,  très-soigneusement  faite,  il  y  avait  beau- 
coup de  sucre  dans  le  tissu  hépatique  ;  le  dosage  en 
donna  1,25  pour  200.  Chez  ce  chien,  la  décoction  hé- 
patique était  opaline,  et  blanchâtre  comme  du  lait,  ce 
qui  dépend  d'une  matière  émulsive  sur  laquelle  nous 
reviendrons  bientôt. 

Un  deuxième  chien,  de  taille  moyenne,  reçut  pen- 
dant trois  jours  une  pâtée  composée  de  pommes  de  terre 
broyées  avec  de  Tamidon,  du  sucre  et  un  peu  d'eau.  Le 
chien  n'aimait  pas  beaucoup  ce  mélange;  cependant, 
les  deux  derniers  jours,  il  le  mangea  bien.  Le  troisième 
jour,  et  trois  heures  après  son  dernier  repas,  il  fut  sa- 
crifié par  la  section  du  bulbe.  A  l'autopsie,  je  constatai 


150  INFLUENCE   DE   L'ALIMENTATION 

que  le  foie  était  très-sucré;  le  dosage  donna  1,88  pour 
100  du  tissu.  La  décoction  était  très-opaline  et  laiteuse, 
comme  dans  l'expérience  précédente. 

Dans  cette  alimentation,  la  matière  féculente  a  été 
transformée  en  matière  sucrée  dans  l'intestin,  sous  l'in- 
fluence du  suc  pancréatique.  Nous  voyons,  en  effet,  ici, 
le  canal  intestinal  d'un  chien  que  nous  avons  nourri 
avec  de  la  fécule  hydratée, et  qui  a  été  sacrifié  ce  matin, 
une  heure  après  l'ingestion  de  la  fécule  dans  l'œsophage 
à  l'aide  d'une  sonde.  Nous  ouvrons  l'estomac,  nous  y 
trouvons  une  bouillie  grisâtre,  que  nous  jetons  sur  un 
filtre.  Le  liquide,  qui  passe  parfaitement  limpide,  est 
acide,  et  prend  une  coloration  bleue  très-intense  par 
l'addition  d'une  goutte  de  teinture  d'iode,  ce  qui  indi- 
que la  présence  de  l'amidon. 

Si  nous  faisons  bouillir  ce  hquide  avec  le  tartrate  de 
cuivre  et  de  potasse,  il  n'y  a  aucune  espèce  de  réduc- 
tion; par  conséquent  absence  de  matière  sucrée  dans 
l'estomac. 

Dans  la  partie  inférieure  du  duodénum,  nous  trou- 
vons une  matière  visqueuse  jaunâtre,  colorée  par  la 
bile;  nous  y  ajoutons  un  peu  d'eau  et  nous  jetons  le 
tout  sur  un  filtre.  Le  liquide  transparent  qui  passe  est 
neutre  ou  très-légèrement  alcalin,  et  ne  donne  aucune 
coloration ,  comme  vous  le  voyez,. par  la  teinture  d'iode  : 
ce  qui  indique  la  disparition  de  l'amidon.  Mais,  parle 
tartrate  cupro-potassique,  nous  obtenons  un  précipité 
très-abondant  d'oxyde  de  cuivre  :  ce  qui  indique  l'ap- 
parition du  sucre  par  la  transformation  de  la  fécule  en 
cette  substance. 


SUR  LA  PRODUCTION  DU   SUCRE.  151 

Ainsi,  en  définitive,  l'animal  absorbe  du  sucre  de  fé- 
cule qui  s'est  produit  dans  l'intestin,  et  qui  passe  dans 
le  sang  de  la  veine  porte,  où  l'on  peut  le  rencontrer  dans 
ces  circonslances. 

Si,  au  lieu  d'ingérer  de  la  fécule,  nous  avions  donné 
du  sucre  soluble  et  directement  absorbable,  il  auraitpu 
passer  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  et  arriver  au  foie 
sans  aucune  modification  :  c'est  ce  que  j'ai  constaté  sur 
des  chevaux  à  qui  j'avais  fait  prendre  de  très-grandes 
quantités  de  sucre  de  canne.  J'ai  retrouvé  ce  sucre  en 
partie  à  cet  état  dans  le  sang  de  la  veine  porte. 

J'ai  également  observé  qu'au  contact  du  suc  pan- 
créatique, le  sucre  de  lait,  qui  est  très-peu  fermen- 
tescible,  acquiert  la  propriété  de  fermenter  facile- 
ment. 

Mais,  Messieurs,  dans  ces  expériences  sur  l'alimenta- 
tion féculente  ou  sucrée,  nous  devions  naturellement 
nous  attendre  à  trouver  une  plus  grande  proportion  du 
sucre  dans  le  foie;  au  lieu  de  cela,  nous  avons  trouvé 
qu'il  n'y  en  a  pas  une  plus  grande  quantité  après  l'in- 
gestion de  ces  substances  dans  l'intestin.  Les  chiffres  1 ,  25 
et  1,88  pour  100  ne  diffèrent  pas,  en  réahté,  de  ceux 
indiqués  pour  la  gélatine  et  de  ceux  que  nous  avons 
trouvés  ailleurs  pour  des  alimentations  mixtes. 

Mais  il  y  a  cependant  une  différence,  et  c'est  un  point 
qui  pourrait  passer  inaperçu,  si  je  n'y  insistais  pas 
d'une  manière  toute  particulière,  en  vous  en  rendant 
témoins  par  deux  expériences  comparatives  et  bien  net- 
tes :  c'est  le  fait  que  la  décoction  du  tissu  hépatique 
d'un  animal  nourri  avec  des  matières  exclusivement 


152  INFLUENCE   DE  L'ALIMENTATION 

féculentes  et  sucrées  présente  toujours  une  apparence 
émulsive  et  laiteuse. 

Ainsi,  Yoici  deux  chiens,  l'un  que  nous  avons  nourri 
pendant  trois  jours  exclusivement  avec  de  la  chair  mus- 
culaire de  mouton  cuit,  l'autre  que  nous  avons  soumis 
pendant  le  même  temps  à  une  alimentation  exclusive- 
ment féculente.  Ils  ont  été  tués  ce  matin  l'un  et  l'autre 
parla  section  du  bulbe  rachidien.  L'appareil  digestif  a 
été  mis  à  nu  :  nous  prenons  un  morceau  du  foie  de 
chacun  de  ces  animaux,  et  nous  le  faisons  bouillir  avec 
de  l'eau  ordinaire.  Voici  maintenant  les  deux  hquides 
de  décoction,  ils  réduisent  tous  deux  également  le  réac- 
tif cupro-potassique;  mais  vous  voyez  que,  tandis  que 
le  premier,  celui  de  l'animal  nourri  de  matières  azotées 
est  à  peu  près  limpide  ou  au  moins  très-légèrement 
opahn,  l'autre,  celui  de  l'animal  nourri  avec  de  la  fé- 
cule, a,  au  contraire,  tout  à  fait  une  apparence  laiteuse 
et  émulsive  qui  fait  penser  h  une  matière  particulière 
qui  existe  en  plus  dans  ce  liquide. 

Nous  avons  constaté  déjà  que  chez  ce  dernier  chien 
il  y  a  de  l'amidon  dans  l'estomac  et  du  sucre  dans  l'in- 
testin. Si  nous  ouvrons  actuellement  l'estomac  et  l'in- 
testin de  l'autre  animal,  nous  trouvons  dans  l'estomac 
une  matière  grisâtre  dans  laquelle  on  reconnaît  des 
fragments  de  tête  de  mouton  cuite.  Nous  jetons  le  tout 
sur  un  filtre, elle  liquide  limpide  et  acide  qui  passe  ne 
contient  ni  sucre  ni  fécule.  L'addition  de  la  teinture 
d'iode  et  l'ébullition  avec  le  liquide  cupro-potassique 
ne  produisent  aucun  résultat.  La  matière  recueillie  à  la 
fin  du  duodénum,  étendue  d'un  peu  d'eau,  estjetéesur 


SUR  LA  PRODUCTION  DU  SUCRE.  153 

un  filtre  ;  le  liquide  généralement  jaunâtre  qui  filtre,  et 
d'une  réaction  très-légèrement  acide,  ne  donne  lieu 
avec  les  mêmes  réactifs  à  aucun  des  caractères  de  la 
matière  sucrée;  il  n'y  a  donc  dans  l'intestin  ni  fécule 
ni  principe  sucré  de  deuxième  espèce.  Il  n'y  a  pas 
non  plus  de  sucre  delà  première  espèce, car,  en  faisant 
bouillir  avec  un  acide  et  traitant  ensuite  par  la  potasse, 
on  n'obtient  pas  la  réaction  du  glucose. 

Ainsi  que  vous  le  voyez,  l'alimentation  féculente,  ap- 
portant cependant  au  foie  du  sucre  venu  de  l'extérieur, 
n'en  donne  pas  davantage  dans  le  tissu  de  cet  organe, 
mais  elle  y  fait  apparaître  une  matière  nouvelle  restant 
en  suspension  dans  la  décoction. 

J'insiste  sur  ce  fait  parce  qu'il  faut  bien  savoir  que, 
dans  l'état  physiologique,  l'ingestion  de  matières  fécu- 
lentes ou  sucrées  n'augmente  pas  la  quantité  de  sucre 
dans  le  foie  et  par  suite  dans  l'économie.  Cette  source 
extérieure  n'apporte  aucun  changement  dans  la  sécré- 
tion intérieure  du  sucre;  elle  ne  saurait  donc  être  au- 
cunement considérée,  ainsi  que  nous  verrons,  comme 
son  auxiliaire. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  dans  le  diabète  où,  dès  qu'on 
donne  des  substances  sucrées  ou  féculente^,  il  apparaît 
immédiatement  dans  l'économie  et  par  suite  dans  les 
urines  une  plus  grande  quantité  de  sucre. 

A  l'état  physiologique,  on  doit  considérer  le  foie 
comme  étant  un  organe  destiné  pour  ainsi  dire  à  éta- 
bhr  un  certain  équilibre  dans  la  constitution  du  sang. 
En  effet,  si  vous  examinez  le  sang  des  animaux  dont 
l'alimentation  est  si  différente,  les  uns  se  nourrissent  de 


154     INFLUENCE   DE  L'ALIMENT.   SUR   LA  PROD.   DU   SUCRE. 

matières  animales,  les  autres  de  matières  végétales,  et, 
si  vous  analysez  leur  sang  dans  le  cœur,  par  exemple, 
vous  trouverez  chez  tous  une  composition  à  peu  près 
identique  de  ce  liquide  vivant.  Ces  matières  alimen- 
taires n'entrent  donc  pas  dans  l'organisme,  dans  l'état 
ni  dans  les  proportions  oii  elles  se  trouvent  quand  elles 
sont  dans  l'intestin,  elles  subissent  de  la  part  du  foie, 
placé  comme  un  laboratoire  vital,  entre  le  canal  intes- 
tinal et  le  fluide  circulatoire  général,  une  profonde 
élaboration  dans  laquelle  se  maintient  un  certain  équi- 
libre nécessaire  pour  établir  la  composition  semblable 
du  sang  qui  est  et  doit  être  doué  des  mêmes  propriétés 
chez  tous  les  animaux,  puisqu'il  sert  à  entretenir  des 
phénomènes  fonctionnels  identiques.  C'est  à  l'examen 
de  ce  mécanisme,  qui  est  un  des  points  les  plus  impor- 
tants de  la  physiologie  du  foie  au  point  de  vue  du  dia- 
bète, que  nous  consacrerons  la  prochaine  séance. 


SEPTIEME  LEÇON 

IG  JANVIER   1855. 

SOMMAIRE  :  Le  sucre  provenant  de  l'alimentation  ne  passe  pas  à  cet  état 
dans  la  circulation  générale.  —  Rôle  du  foie  vis-à-vis  des  matières  fécu- 
lentes et  sucrées.  —  II  les  transforme  en  une  substance  émulsive  particu- 
lière. —  Expéiiences  comparatives.—  Preuves  diverses.  — Sang  cliyleux. 
—  Urines  laiteuses.  —  Application  au  diabète.  —Rôle  de  la  circulation 
dans  la  production  du  sucre.—  Phénomènes  mécaniques.  Cas  d'apparitions 
accidentelle  du  sucre  dans  les  urines.  —  Production  artificielle  de  ce  phé- 
nomène. —  Critique  de  quelques  expériences. 


Messieurs, 

Nous  sommes  arrivés  à  un  des  points  les  plus  déli- 
cats de  la  fonction  glycogénique.  Nous  savons  que  le 
foie  pi^oduit  du  sucre  indépendamment  de  la  nature 
de  l'alimentation.  Nous  savons,  d'autre  part,  que  c'est 
aux  dépens  des  matières  albuminoïdes,  que  ce  suci^e 
se  forme;  caries  aliments  féculents  ou  sucrés  n'aug- 
mentent pas  la  quantité  de  sucre  dans  le  tissu  hépati- 
que, et  la  matière  sucrée  se  produit  constamment  chez 
les  animaux  exclusivement  nourris  de  substances  azo- 
tées, en  aussi  grande  quantité  que  chez  les  herbivores. 
Mais  il  se  présente  alors  une  question  :  que  devient 
le  sucre  qui  est  ingéré  par  l'alimentation  ?  Il  y  en  a 
d'absorbé,  c'est  incontestable,  car  on  en  rencontre 
dans  le  sang  de  la  veine  porte.  Mais  cependant  on  n'en 
trouve  pas  plus  au  delà  du  foie  que   dans  une  nour- 


lo6        INFLUENCE   DE   L'ALIMENT.    FÉCULENTE   OU   SUCRÉE 

riture  purement  azotée  ;  c'est  encore  là  un  fait  expé- 
rimental démontré. 

Gomment  se  comporte  ce  sucre  vis-à-vis  du  foie  ?  La 
fonction  glycogénique  de  cet  organe  n'est-elle  des- 
tinée qu'à  suppléer  au  défaut  de  la  matière  sucrée, 
quand  les  aliments  n'en  fournissent  pas?  et  doit-elle 
cesser,  quand  il  en  vient  du  dehors  une  quantité  suffi- 
sante ? 

Tels  sont  les  problèmes  qui  se  dressent  devant  nous, 
et  que  nous  avons  à  aborder. 

Eh  bien,  Messieurs,  la  fonction  glycogénique  du  foie 
est  constante,  quelle  que  soit  la  nature  de  l'alimenta- 
tion. Quand  l'animal  mange  exclusivement  des  ma- 
tières albuminoïdes,  la  proportion  de  sucre  contenue 
dans  son  foie,  comme  nous  l'avons  vu  dans  la  der- 
nière séance,  est  de  i,35  à  j,65  pour  100;  quand  il 
se  nourrit  de  matières  féculentes  ou  sucrées,  il  s'en 
trouve  encore  des  quantités  sensiblement  égales, de  1 ,50 
à  \  ,88  pour  100.  Le  sucre  venu  du  dehors  ne  s'ajoute 
pas  comme  tel  au  sucre  hépatique,  mais  il  est  changé 
dans  le  foie  en  une  autre  matière,  ainsi  que  je  vous 
l'ai  fait  pressentir  dans  la  dernière  leçon.  Je  remets 
encore  sous  vos  yeux  les  deux  liquides  qui  résultent, 
l'un  de  la  décoction  du  foie  d'un  chien  nourri  exclu- 
sivement de  matières  albuminoïdes,  vous  voyez  que  le 
liquide  est  parfaitement  limpide;  l'autre  de  la  dé- 
coction du  foie  d'un  chien  nourri  avec  une  bouillie 
de  fécule,  et  qui  est,  au  contraire,  trouble,  opalin, 
ayant  une  apparence  laiteuse.  Les  deux  chiens  ont  été 
sacrifiés  en  pleine  digestion,  et  ces  deux  liquides  con- 


SUR  LA  PRODUCTION   DU    SUCRE   DANS   LE    FOIE.  1o7 

tiennent  également  du  sucre.  Ce  n'est  donc  pas  à  ce 
dernier  point  de  vue  qu'ils  diffèrent,  mais  seulement 
par  la  matière  émulsive  tenue  en  suspension  dans  le 
second,  et  qui  n'existe  pas  dans  le  premier.  Les  matiè- 
res féculentes,  entrées  comme  sucre  dans  la  veine  porte 
et  arrivées  à  cet  état  dans  le  foie,  sont  donc  détruites 
par  cet  organe  et  changées  en  une  autre  matière  qui  a 
toute  l'apparence  d'une  substance  graisseuse  émulsion- 
née  par  une  matière  protéique  spéciale. 

Nous  avons  dit  que  le  sucre,  introduit  dans  le  tube 
intestinal,  n'augmente  pas  la  quantité  de  cette  matière 
contenue  dans  le  foie,  mais  qu'il  s'y  détruit  et  détermine 
Fapparition  d'une  autre  substance  émulsive.  C'est  de 
cette  disparition  du  sucre  alimentaire,  que  je  veux  ac- 
tuellement vous  rendre  témoins,  au  moyen  de  deux 
expériences  comparatives  qui  vous  prouveront  que  du 
sucre  en  solution  concentrée  (GOpart.  desucrepour  100 
d'eau),  ingéré  dans  le  canal  digestif  et  absorbé  paria 
veine  porte,  n'entre  pas  dans  la  circulation  générale, 
n'apparaît  pas  dans  les  urines,  et  se  trouve,  par  consé- 
quent, arrêté  et  détruit  dans  le  foie,  jusqu'auprès  du- 
quel on  peut  le  suivre,  tandis  que  dans  la  même  disso- 
lution concentrée  du  sucre,  introduit  dans  l'organisme 
par  toute  autre  voie,  par  l'absorption  sous-cutanée, 
par  exemple,  entre  dans  la  circulation  générale,  et 
est  éliminé  en  partie  au  moins  par  les  urines. 

Pour  cette  expérience  nous  prenons  deux  lapins, 
en  digestion.  Au  reste,  ces  animaux,  même  à  jeun, 
ainsi  que  vous  le  savez,  ont  toujours  des  aliments  dans 
l'estomac  ;  ce  qui  n'empêchera  pas  le  sucre  de  descen- 


158  INFLUEiNCE  DE   L'ALIMENTATION    SUCRÉE 

dre  dans  l'intestin.  Nous  extrayons  leurs  urines  assez 
facilement,  en  pressant  dans  le  petit  bassin  sur  la  vessie 
avec  le  pouce,  immédiatement  au-dessous  de  la  sym- 
physe pubienne.  Vous  voyez  que  ces  urines  sont  trou- 
bles, alcalines,  comme  celles  de  tous  les  herbivores  en 
digestion,  et  qu'en  outre,  elles  ne  contiennent  pas 
de  sucre,  puisqu'en  les  faisant  bouillir  avec  le  réactif 
cupro-potassique,  après  les  avoir  traitées  par  le  char- 
bon animal,  elles  ne  donnent  lieu  à  aucun  précipité. 

Nous  introduisons  chez  un  de  ces  lapins  une  sonde 
de  gomme  élastique  dans  l'estomac,  en  ayant  soin  d'é- 
viter la  trachée,  et  longeant  pour  cela  avec  précaution 
le  bord  dorsal  du  pharynx  et  de  l'œsophage.  Nous 
sommes  parvenu  dans  l'estomac  et  nous  ingérons  par 
cette  sonde,  et  à  l'aide  d'une  seringue,  32  centimètres 
cubes  d'une  dissolution  sucrée  contenant  60  grammes 
pour  100  de  sucre  de  fécule;  nous  avons  ajouté  une 
certaine  quantité  de  prussiate  jaune  à  cette  dissolution. 

Nous  prenons  maintenant  l'autre  lapin,  et,  à  l'aide 
d'une  canule  acérée,  taillée  en  biseau,  comme  un  tro- 
cart  (fig.  13),  nous  lui  injectons,  dans  le  tissu  cellulaire 
sous-cutané,  16  centimètres  cubes  seulement  de  la 
même  dissolution  de  sucre  et  de  prussiate  jaune  dépo- 
tasse, afin  de  rendre  l'expérience  plus  concluante.  Vous 
^oyez  le  liquide  entrer  très-facilement  sous  la  peau, 
à  raison  de  la  laxité  du  tissu  cellulaire  des  lapins.  Une 
semblable  injection  réussirait  plus  difficilement  chez 
des  chiens,  oh  le  tissu  cellulaire  est  beaucoup  plus 
dense. 

Nous  pouvons  constater  que  celte  dissolution  con- 


SUR   LA  PRODUCTION    DU   SUCRE    DANS  LE   FOIE-  lo9 

tient  bien,  d'une  part,  du  sucre  de  fécule,  dont  la  pré- 
sence se  manifeste  par  la  réduction  du  tartrate  cupro- 
potassique,  et,  d'une  part,  du  prussiate  de  potasse, 
car,  si  nous  y  versons  une  goutte  de  perchlorure  de  fer, 
nous  avons  une  coloration  bleue  intense,  qui  indique 
la  formation  du  bleu  de  Prusse,  et,  par  conséquent, 
l'existence  du  prussiate  jaune  dans  le  liquide.  Je  vous 
dirai  dans  un  instant  le  but  de  cette  addition  de  prus- 
siate jaune  de  potasse. 

Nous  laissons  maintenant  nos  lapins  en  repos  ;  l'ab- 
sorption va  se  faire,  et  voici  les  phénomènes  qui  vont 
se  passer  et  les  résultats  que  nous  constaterons  à  la  fin 
de  cette  séance  : 

Les  animaux  ont  reçu  tous  deux  une  dissolution  de 
sucre  et  de  prussiate  jaune,  l'un  dans  Testomac,  l'autre 
sous  la  peau.  Quand  nous  examinerons,  dans  une 
heure,  leurs  urines,  nous  verrons  que  l'urine  du  pre- 
mier lapin  ne  contiendra  pas  la  moindre  trace  de  su- 
cre, tandis  que  l'urine  du  second  en  offrira  des  quan- 
tités considérables.  Mais  on  pourrait  peut-être  objecter 
que,  si  le  sucre  n'apparaît  pas  encore  dans  les  urines  de 
l'animal  chez  lequel  cette  substance  a  été  ingérée  dans 
l'estomac,  cela  dépend  d'une  différence  dans  la  rapi- 
dité avec  laquelle  l'absorption  a  lieu  dans  les  différents 
points  de  l'organisme,  et  l'on  sait,  en  effet,  que  l'ab- 
sorption sous-cutanée  est  plus  rapide  que  l'absorption 
intestinale. 

C'est  en  vue  de  cette  objection  et  pour  y  répondre 
de  façon  à  ne  laisser  aucun  doute  dans  votre  esprit, 
que  nous  avons  eu  soin  d'ajouter  à  la  dissolution  su- 


]()(»  INFLUENCE  DE   L'ALIMENTATION   SUCRÉE 

crée  du  prussiate  de  potasse.  Cette  substance,  à  la  dose 
011  nous  l'introduisons,  traverse  l'organisme  sans  y  ap- 
porter aucun  trouble.  Or,  vous  verrez  que  les  urines 
de  l'animal  chez  lequel  l'injection  a  été  faite  dans  l'es- 
tomac ne  contiendront  pas  de  sucre,  tandis  que  celles 
de  l'animal  chez  lequel  rinjection  a  été  faite  sous  la 
peau  en  présenteront  des  quantités  notables;  cepen- 
dant les  urines  des  deux  lapins  offriront  la  même  réac- 
tion au  perchlorure  de  fer,  parce  qu'il  se  trouvera  dans 
l'une  et  l'autre  du  prussiate  jaune.  Ceci  prouvera  que 
l'absorption  s'est  effectuée  aussi  l)ien  dans  l'intestin 
que  sous  la  peau,  mais  que  dans  le  premier  cas  la  dis- 
solution a  abandonné  un  de  ses  éléments,  le  sucre,  en 
traversant  le  foie,  ce  qui  n'a  pas  lieu  dans  le  deuxième 
cas. 

Nous  aurions  encore  pu  faire  l'expérience  de  la  ma- 
nière suivante  :  Après  avoir  pratiqué  une  petite  plaie 
à  l'abdomen  d'un  lapin,  nous  aurions  pu  injecter  2  à 
3  centimètres  cubes  de  cette  même  dissolution  dans 
un  des  rameaux  de  la  veine  porte;  et  en  découvrant 
sur  un  autre  lapin  la  veine  jugulaire,  injecter  dans  ce 
vaisseau  la  même  quantité  de  la  même  dissolution  qui 
serait  ainsi  arrivée  au  cœur  sans  avoir  passé  par  le  foie. 
Il  est  clair  que,  dans  ce  mode  d'opérer,  on  ne  pourrait 
pas  invoquer  aucune  différence  d'absorption,  puisque 
dans  les  deux  cas  nous  introduisons  les  substances  di- 
rectement dans  le  sang.  Néanmoins  nous  aurions  ob- 
tenu exactement  le  même  résultat,  c'est-à-dire  que  chez 
le  lapin  injecté  par  la  veine  jugulaire  le  sucre  aurait 
passé  dans  les  urines  avec  le  prussiate  de  potasse,  et 


SUR  LA  FORMATION  DU   SUCRE   DANS  LE  FOIE.  161 

avec  une  très-grande  rapidité,  tandis  que  chez  le  lapin 
injecté  par  la  veine  porte  le  prussiate  de  potasse  seul 
aurait  passé  dans  les  urines,  oii  Ton  ne  retrouverait  pas 
la  moindre  trace  de  sucre. 

Il  ne  reste  donc  pas  de  doute  sur  ce  fait  que  les  ma- 
tières sucrées  arrivant  par  la  veine  porte  ne  traversent 
pas  le  foie,  mais  qu'elles  occasionnent  dans  cet  organe 
la  production  de  cette  matière  nouvelle  qui  donne  au 
liquide  cette  apparence  blanchâtre,  et  qui  paraît  être 
une  matière  grasse  unie  avec  une  substance  protéique. 

Du  reste,  nous  serons  confirmés  dans  cette  généra- 
tion de  la  graisse  aux  dépens  des  matières  féculentes  et 
sucrées  alimentaires,  par  les  faits  connus  dans  l'en- 
graissement des  bestiaux,  nous  trouverons  là  une  expé- 
rimentation faite  sur  une  plus  vaste  échelle.  Vous 
savez  tous  que  les  animaux  engraissent  surtout  par 
l'effet  d'une  alimentation  oii  prédomine  la  fécule;  que 
les  oies  et  les  canards,  dont  on  rend  artificiellement  le 
foie  gras,  sont  nourris  jusqu'à  l'engorgement  avec  une 
pâtée  de  maïs  ou  d'autre  fécule;  que  la  graisse  formée 
par  un  animal  n'est  nullement  en  proportion  avec  la 
quantité  de  graisse  en  nature  qu'il  prend;  que,  tout  au 
contraire,  les  animaux  qui  ne  mangent  que  de  la 
graisse,  loin  d'engraisser,  maigrissent  rapidement. 

D'après  tout  cela,  Messieurs,  nous  voyons  donc 
grandir  sous  nos  yeux  le  rôle  et  l'importance  du  foie, 
dont  les  fonctions  avaient  été  si  longtemps  méconnues. 
Désormais  ce  n'est  plus  seulement  la  sécrétion  biliaire 
que  nous  aurons  à  envisager  dans  cet  organe,  nous  y 
trouverons  en  outre  deux  fonctions  distinctes   d'une 

BERNARD.    I.  11 


d62  INFLUENCE    DE   L'ALIMENTATION   SUCRÉE 

importance  capitale  et  qui  sont  la  production  du  sucre 
aux  dépens  des  matières  albuminoïdes,  et  la  production 
de  la  graisse  aux  dépens  des  matières  féculentes  et 
sucrées  de  l'alimentation. 

Il  faut  donc  bien  comprendre  que  la  proportion  très- 
peu  variable  de  sucre  qui  se  trouve  dans  le  foie  et  dans 
le  sang  n'est  jamais,  à  l'état  physiologique,  complétée 
par  les  matières  sucrées  de  l'alimentation  venant  s'a- 
jouter purement  et  simplement  au  sucre  hépatique  ;  ce 
sucre  devrait  alors  être  formé  par  le  foie  en  proportion 
moindre,  de  manière  à  établir  une  sorte  de  balance- 
ment entre  la  quantité  de  sucre  que  le  foie  reçoit  de 
l'intestin  et  celle  qu'il  forme  dans  son  propre  tissu,  et 
ce  balancement  pourrait  même  aller  jusqu'à  anéantir 
la  formation  du  sucre  si  l'extérieur  en  donnait  assez. 
A  ce  point  de  vue,  le  foie  ne  serait  plus  qu'une  espèce 
de  source  sucrée  d'occasion  pour  suppléer  à  l'insuffi- 
sance de  celle  qui  proviendrait  de  l'alimentation.  Mais 
il  n'en  est  point  ainsi.  Quelle  que  soit  la  nature  de  l'ali- 
mentation, le  foie  fabrique  toujours  la  même  quantité 
de  sucre,  et  c'est  ce  sucre  seulement  qui  apparaît  dans 
le  sang  sortant  par  les  veines  hépatiques. 

Des  compensations  de  la  nature  de  celles  que  nous 
venons  d'indiquer,  et  telles  que  pourraient  les  rêver  les 
partisans  des  causes  fmales,  ne  se  voient  pas  ordinai- 
rement dans  la  nature.  Les  organes  de  nutrition,  sans 
conscience  de  leur  rôle,  exécutent  leurs  fonctions  pro- 
pres, quand  ils  en  ont  les  éléments  nécessaires,  et  qu'ils 
y  sont  sollicités  par  une  cause  excitante  ;  mais  on  ne 
saurait  placer  là  aucune  intelligence  spéciale  à  l'organe. 


SUR  LA   FORMATION   DU   SUCRE   DANS  LE   FOIE.  163 

Ce  n'est  point  parce  qu'il  reconnaît  les  aliments  que 
l'estomac  sécrète  le  suc  gastrique  ;  c'est  en  raison  seu- 
lement d'un  phénomène  d'excitation  qu'il  reçoit,  car 
nous  savons  que  cette  sécrétion  s'opère,  quand  on  in- 
gère à  un  animal  des  corps  qu'il  ne  saurait  s'assimiler, 
tels  que  des  petits  cailloux,  par  exemple.  Le  foie  de 
même  produit  à  l'état  physiologique  du  sucre  sous  l'in 
tluence  de  toute  excitation  nerveuse  ou  sanguine,  sans 
s'inquiéter  de  savoir  s'il  lui  arrive  ou  non  dans  l'orga- 
nisme du  sucre  pour  une  autre  voie. 

Nous  devons  ajouter  encore  que  le  sucre  arrivant 
du  dehors,  à  l'état  de  sucre  de  canne  ou  de  betterave, 
de  sucre  de  fruits  ou  de  fécule,  de  sucre  de  lait,  etc., 
n'a  point  les  mêmes  caractères  physiologiques  que  le 
sucre  produit  par  le  foie;  il  est  bien  moins  fermentes- 
cible,  bien  moins  destructible,  et  ne  serait  point  apte 
aux  usages  que  nous  aurons  à  vous  indiquer  plus  tard. 

En  résumé,  la  fonction  du  foie  n'est  point  une  fonc- 
tion supplémentaire,  variable  suivant  la  quantité  de 
matière  sucrée  introduite  par  l'alimentation;  elle  est, 
au  contraire,  essentiellement  fixe,  tant  que  le  sang  et 
les  matières  albuminoïdes,  aux  dépens  desquelles  elle 
se  fait  exclusivement,  lui  sont  fournies  en  quantité  suf- 
fisante. 

Quant  au  sucre  qui  arrive  du  dehors  par  l'alimen- 
tation, il  se  change  dans  le  foie  en  une  matière  laiteuse, 
qui  passe  ensuite  dans  le  sang,  accompagne  le  sucre,  et 
se  manifeste  également,  en  communiquant  au  sang  un 
aspect  blanchâtre  dit  chyleux.  Vous  voyez  ici  du  sang 
qui  a  été  retiré  de  la  veine  jugulaire  sur  un   lapin 


16i      INFLUENCE   DE   L'ALIMENTATION    FÉCULENTE  OU   SUCRÉE 

nourri  exclusivement  avec  des  carottes  et  des  féculents, 
au  moment  où  l'animal  était  en  pleine  digestion.  Ce 
sang  s'est  coagulé,  et  le  sérum  qui  s'est  séparé  est, 
comme  vous  voyez,  blanchâtre,  et  a  un  aspect  laiteux. 
On  dit  alors  que  le  sang  est  chyleux.  On  avait  cru  long- 
temps que  cette  apparence  était  nécessairement  due  h 
la  matière  grasse  que  l'on  faisait  prendre  à  un  animal 
avec  ses  aliments,  mais  ce  phénomène  se  produit  chez 
des  animaux  qui  ne  prennent  que  des  féculents  exempts 
de  matières  grasses,  comme  de  la  fécule  de  pomme  de 
terre,  par  exemple,  et  c'est  alors  dans  le  foie  que  cette 
substance  laiteuse  se  développe. 

Je  tiens  de  M.  Persoz,  qui  s'est  occupé  scientifique- 
ment de  l'engraissement  des  oies,  que,  si  l'on  découvre 
un  vaisseau  chez  un  de  ces  animaux  soumis  au  régime 
féculent  d'engraissem.ent  pour  obtenir  le  foie  gras,  le 
sang,  qu'on  voit  circuler,  n'est  pas  rouge,  comme  dans 
l'état  normal,  mais  blanchâtre,  offrant  une  teinte  rosée 
et  ayant  l'apparence  d'un  sang  mêlé  à  du  chyle.  C'est 
surtout  au  moment  de  la  digestion  que  ce  phénomène 
a  sapins  grande  intensité. 

Tous  ces  faits  concourent  donc,  comme  vous  le 
voyez.  Messieurs,  à  établir  que  le  sucre,  résultant  de 
la  digestion  des  féculents,  se  change  dans  le  foie  en 
matière  cJiyleuse.  Si,  maintenant,  nous  cherchons  dans 
les  faits  pathologiques,  nous  pourrons  en  trouver  peut- 
être  qui  sont  en  rapport  avec  cette  nouvelle  fonction 
du  foie. 

11  y  a  une  maladie  dont  un  des  caractères  principaux 
se   tire   des    urines   qui  sont  dites   chyleuses,   parce 


SUR    UNE  FONCTION  NOUVELLE  DU  FOIE.  163 

qu'elles  sont  blanchâtres  absolument  comme  si  on  les 
avait  mélangées  avec  du  lait,  qu'elles  contiennent  en 
effet  des  matières  grasses  émulsionnées.  Cette  maladie, 
qui  est  rare  dans  nos  climats,  se  rencontre  plus  fré- 
quemment dans  les  pays  chauds.  M.  Rayer  en  a  décrit 
plusieurs  cas,  et  j'ai  vu  plusieurs  fois  de  ces  urines 
dans  le  laboratoire  de  ce  médecin  célèbre. 

Je  dis  donc  qu'il  serait  possible  peut-être  de  rap- 
procher ce  cas  de  la  présence  de  la  matière  chyleuse 
dans  les  urines  de  la  fonction  nouvelle  que  je  viens  de 
vous  signaler  dans  le  foie;  de  même  que  nous  ratta- 
chons le  diabète  à  la  fonction  glycogénique  de  ce  même 
organe.  Ce  serait  là  un  argument  de  plus  à  ajouter  à 
cette  proposition  que  nous  avons  énoncée  bien  souvent, 
à  savoir,  que  les  phénomènes  morbides  ont  toujours 
leurs  représentants  dans  les  phénomènes  normaux. 

D'un  autre  côté,  quand  nous  analyserons  les  sym- 
ptômes du  diabète,  nous  verrons  que  cette  faculté  du 
foie,  de  changer  normalement  le  sucre  en  matière  lac- 
tescente, paraît  manquer  complètement  dans  cette 
maladie,  car  aussitôt  qu'on  donne  aux  diabétiques  du 
sucre  dans  l'intestin,  cette  matière  apparaît  dans  les 
urines;  si  alors  cette  matière  grasse,  résultant  de  la 
destruction  du  sucre  alimentaire  dans  le  foie,  ne  se  fait 
pas,  on  conçoit  que  ces  malades  maigrissent  avec  ra- 
pidité, ainsi  que  l'ont  constaté  tous  les  observateurs, 
évitant  de  donner  des  féculents  qui  font  augmenter  le 
symptôme  principal  de  cette  affection. 

Relativement  aux  caractères  chimiques  de  cette  ma- 
tière chyleuse,  voici  ce  que  nous  avons  constaté  : 


160     INFLUENCE   DE  L'ALIMENT.   FÉCULENTE  OU  SUCRÉE,   ETC. 

On  prend  ici  la  décoction  d'un  foi(3  de  chien, 
nourri  depuis  deux  jours  avec  une  pâlée  de  fécule  el 
de  pain.  Cetle  décoction  fdtrée  est  très -trouble  et 
comme  laiteuse.  M.  Leconte  a  traité  une  partie  de  ce 
liquide  en  y  ajoutant  de  l'alcool  mêlé  de  1/5  d'éther, 
jusqu'à  ce  qu'il  se  séparât  une  matière  caséeuse,  qui 
est  insoluble  dans  l'acide  acétique  cristallisable;  on 
jette  sur  un  filtre  qui  laisse  passer  un  liquide  limpide 
el  très-sucré.  La  matière  caséeuse  reste  sur  le  filtre; 
on  dessèche  au  bain-marie,  on  reprend  par  l'éther  et, 
en  laissant  évaporer,  on  obtient  une  petite  quantité  de 
matière  grasse. 

Il  semblerait  donc  que  la  matière  grasse  est  intime- 
ment unie  à  la  matière  caséeuse  qui  la  dissimule,  car 
on  ne  peut  pas  séparer  directement  cette  graisse  par 
les  moyens  ordinaires.  Dans  les  foies  de  chiens,  ou 
d'animaux  qui  n'ont  pas  été  nourris  avec  une  alimen- 
tation fortement  sucrée  ou  féculente,  on  n'obtient  que 
de  faibles  proportions  de  cette  substance  caséeuse  sus- 
ceptible de  céder  de  la  matière  grasse. 

Nous  n'entierons  pas  dans  de  plus  grands  détails  re- 
lativement aux  caractères  chimiques  de  cette  substance 
nouvelle,  qui  naît  dans  le  foie,  sous  l'infiuence  de  l'a- 
limentation sucrée  ou  féculente.  Nous  ne  faisons  ici 
que  l'indiquer  comme  sujet  d'étude  à  reprendre  plus 
tard,  car  nous  ne  devons  pas  perdre  de  vue  notre 
sujet  principal  d'étude,  l'histoire  physiologique  du 
diabète,  auquel  il  nous  faut  actuellement  revenir. 

Après  avoir  étudié  la  part  que  les  différentes  sub- 
stances contenues  dans  le  sang  prennent  à  la  production 


PHÉNOMÈNES   DE   CIRCULATION  DANS  LE   LOBULE   DU   FOIE.      167 

du  sucre  dans  le  foie,  nous  allons  chercher  à  apprécier 
l'influence  qu'exercent  sur  l'accomplissement  de  cette 
fonction  les  conditions  mécaniques  de  rapidité  ou  de 
ralentissement  de  la  circulation  du  fluide  sanguin  à  tra- 
vers le  foie. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  tout  le  sang  qui  traverse 
un  organe  soit  épuisé  de  la  matière  sur  laquelle  cet  or- 
gane opère  pour  accomplir  sa  fonction.  II  n'y  en  a  ja- 
mais qu'une  partie  d'employée,  le  reste  passe  sans  avoir 
éprouvé  d'altération.  Il  y  a  donc  dans  le  foie,  comme 
dans  tous  les  organes,  une  circulation  mécanique,  qui 
s'accomplit  avec  la  rapidité  de  la  circulation  générale, 
et  une  circulation  chimique  beaucoup  plus  lente  pour 
le  travail  d'élaboration  auquel  elle  est  destinée.  Il  en 
est  ainsi  de  tous  les  organes  glandulaires,  du  poumon, 
des  glandes  salivaires,  du  pancréas,  de  la  rate,  etc. 

C'est  de  cette  partie  mécanique  de  la  circulation  du 
foie  que  nous  allons  vous  dire  quelques  mots. 

Quand  on  fait  l'anatomie  du  foie,  on  trouve  des 
groupes  de  cellules,  qu'on  nomme  un  lobule  (fig.  7). 
Du  centre  de  ce  lobule  part  la  veine  sus-hépatique  V  H, 
et  autour  de  cet  amas  de  cellules  environné  par  la  cap- 
sule de  Glisson  arrive  la  veine  porte  Y  P,  qui  circonscrit 
en  quelque  sorte  le  lobule.  On  voit  ainsi  que  le  sang 
qui  est  amené  par  la  veine  porte  à  la  périphérie  du 
lobule  doit,  pour  parvenir  dans  la  veine  hépatique, 
circuler  à  travers  toute  la  série  de  cellules  hépatiques 
intermédiaires.  Durant  ce  trajet,  le  sang  est  en  contact 
avec  les  cellules  hépatiques,  à  travers  des  parois  vascu- 
laires  très-minces  qui  ne  sont  pas  distinctes  et  ne  cir- 


168  PHÉNOMÈNES  DE  CIRCULATION 

conscrivent  en  quelque  sorte  que  des  lacunes  vasculai- 
res.  C'est  là  que  se  passent  les  phénomènes  chimiques 


vil- 


wëmhw%2^ 


5^^r3 


O-ii-i 


Fia. 


VH,  veine  hépatique  prenant  naissance  au  milieu  du  lobule  hépatique.  — 
VP,  VP,  VP_,  terminaison  de  la  veine  porte  autour  du  lobule  hépatique  qui  se 
trouve  circonscrit  par  ces  divisions  vasculaires.  De  ces  divisions  de  la  veine 
porte  part  un  système  de  vaisseaux  capillaires  intermédiaire  entre  la  veine 
porte  et  la  veine  hépatique.  C'est  dans  les  mailles  de  ce  réseau  capillaire 
que  se  trouvent  situées  les  cellules  hépatiques  C,  qui  se  trouvent  immédiate- 
ment en  contact  avec  le  sang  qui  circule  de  la  veine  porte  à  la  veine  hépa- 
tique, c'est-à-dire  de  la  périphérie  du  lobule  hépatique  à  son  centre. —  B 
B  B,  terminaison  des  conduits  biliaires,  ou  plutôt  origine  de  ces  canaux  au- 
tour des  lobules  hépatiques;  ils  accompagnent  les  divisions  périphériques 
de  la  veine  porte. 


donnant  naissance  aux  métamorphoses  d'oii  résultent  le 
sucre  et  les  diverses  autres  matières  nouvelles  qui  se 
forment  dans  le  foie  aux  dépens  des  principes  que 
contient  le  sang.  C'est  encore  dans  ce  même  lobule  que 


DANS  LE   LOBULE   DU   FOIE.  i69 

se  produit  la  bile  qui  est  recueillie  par  les  canaux  bi- 
liaires B,  B,  B,  distribués  à  la  périphérie  du  lobule 
hépatique,  en  accompagnant  la  veine  porte,  sans  qu'on 
ait  pu  encore  déterminer  exactement  quels  rapports 
anatomiques  ces  conduits  biliaires  contractent  avec  les 
cellules  hépatiques.  La  plupart  des  anatomistes  pensent 
qu'ils  se  terminent  par  des  orifices  béants  au  milieu 
des  espaces  intercellulaires  du  lobule.  M.  le  docteur 
Hanfield  Jones  pense  que  ces  conduits  biliaires  se  ter- 
minent en  culs-de-sac,  de  sorte  que  la  bile  serait  sé- 
crété par  leurs  parois,  et  non  par  les  cellules  hépa- 
tiques. 

Or,  quand  on  examine  au  microscope  le  foie  d'un 


t:^|: 


Fig.    8.  Cellules  du  foie  du  lapin  à  Jeun  et  en  digestion  de  fécule. 

A,  cellules  du  foie  d'un  lapin  en  digestion  de  carottes  et  pain;  les  cel- 
lules, très-granuleuses  intérieurement,  sont  très-arrondies  et  comme  gonflées, 
présentant  des  contours  pâles  ;  elles  sont  comme  noyées  au  milieu  de  granu- 
lations moléculaires  D  qui  les  entourent,  et  sont  animées  d'un  mouvement 
brownien  très-actif.  —  0,  noyaux  de  cellules  isolés. 

B,  cellules  du  foie  de  lapin  à  jeun  depuis  trente-six  heures;  ces  cellules 
sont  de  forme  assez  irrégulière,  comme  aplaties  avec  des  bords  très-nets,  et 
ne  sont  pas  entourées  de  granulations  moléculaires.  —  O,  noyaux  de  cellules 
isolés. 


animal  en  digestion  de  substances  féculentes,  on  voit 
dans  les  cellules  hépatiques  une  infinité  de  petits  glo- 


170  PHÉNOMÈNES  GÉNÉRAUX  DE    CIRCULATION 

l)ules  de  graisse;  autour  de  ces  cellules  sont  répandues 
des  myriades  de  petites  molécules,  qui  offrent  égale- 
ment l'aspect  de  la  matière  graisseuse,  et  qui  sont  ani- 
mées d'un  mouvement  brownien  excessivement  rapide. 
^Fig.  8  A;  fig.  9  B.)  On  observe  particulièrement  ces 
faits  chez  un  animal  soumis  à  l'alimentation  féculente, 
et  ce  phénomène  de  production  de  la  matière  émulsive 


B 


A^^ft-^ 


c 


Fig.  9.  Cellules  du  foie  du  chien  à  jeun  et  en  digestion  de  féculents. 

A,  cellules  du  foie  d'un  chien  à  jeun;  ces  cellules  offrent  des  bords  très- 
nets  et  ne  sont  pas  entourées  de  granulations  moléculaires.  —  C,  cellules 
hépatiques.  0,  noyau  de  cellules  isolé. 

li,  cellules  du  foie  d'un  chien  en  digestion  de  pain  et  fécule;  les  cellules  C 
sont  très-granuleuses  à  l'intérieur,  et  entourés  de  granulations  moléculaires 
D,  douées  du  mouvement  brownien.  —  0,  noyau  de  cellules  isolé. 

est  déterminé  durant  le  passage  du  sang  de  la  veine 
porte  à  travers  les  cellules  glandulaires  du  foie. 

C'est  la  circulation  chimique  qui  s'opère  ainsi  que 
nous  l'avons  dit  (Fig.  7).  Mais  à  côté  de  cette  circulation 
(rès-lente,  il  s'en  fait  une  autre  :  on  voit  des  rameaux 
de  la  veine  porte,  qui,  au  lieu  de  s'enfoncer  dans  le 
lobule  du  foie,  le  circonscrivent,  et  viennent  s'anasto- 
moser avec  les  veines  hépatiques.  C'est  donc  là  une  voie 


DANS  LE    FOIE.  171 

collatérale,  par  laquelle  une  partie  du  sang  de  la  veine 
porte  s'écoule  sans  avoir  traversé  les  cellules  du  foie, 
pour  arriver  directement  dans  la  grande  circulation. 
Or,  ce  système  accessoire,  qui  est  très-peu  visible 


Fig.    10. 


Portion  d'un  foie  de  cheval  vu  par  sa  face  inférieure  pour  montrer  une 
nouvelle  espèce  de  communications  vasculaires  directes  qui  existent  entre  la 
veine  porte  hépatique  et  la  veine  cave  inférieure,  au  moment  de  sa  pénétra- 
tion dans  le  foie.  —  VP,  tronc  de  la  veine  porte  hépatique.  —  VC,  tronc  de 
la  veine  cave  inférieure,  s'élargissant  et  présentant  une  structure  musculaire 
très-prononcée  dans  toute  sa  portion  hépatique.  —  A,  branche  de  la  veine 
porte  hépatique  se  détachant  de  son  tronc  et  allant  se  ramifier  sur  la  face 
externe  de  la  veine  cave  inférieure,  à  la  matière  des  vasa  vnsorum,  mais 
offrant  cette  singulière  disposition  que  la  plupart  des  rameaux,  au  lieu  de  se 
terminer  en  capillaires;,  pénètrent  brusquement  en  «,  a,  a,  a  dans  la  cavité 
de  la  veine  cave  inférieure,  s'insinuant  entre  les  fibres  musculaires  qui  cons- 
tituent sa  paroi,  et  établissant  ainsi  une  communication  entre  le  sang  de  la 
veine  cave  inférieure  et  celui  de  la  veine  porte  hépatique. 

chez  l'homme,  acquiert  son  summum  de  développement 
chez  le  cheval  et  chez  certains  animaux  coureurs  oii  les 


172  PHÉNOMÈNES  GÉNÉRAUX  DE   CIRCULATION 

communiccilionsà  pleia  canal  entre  la  veine  porte  et  les 
veines  hépatiques  deviennent  excessivement  larges,  et 
permettent  au  sang  venu  de  l'intestin  de  passer  facile- 
ment dans  la  veine  cave  inférieure. 

On  voit,  môme  chez  le  cheval  (Fig.  10),  des  vaisseaux 
qui  se  détachent  de  la  veine  porte  VP,  à  son  entrée  dans 
le  foie,  pour  se  porter  vers  le  tronc  de  la  veine  cave  VC, 
dans  les  parois  de  laquelle  pénètrent  un  certainnombre 
de  branches  terminales^,  «',  a",  qui  versent  directement 
le  sang  dans  la  veine  cave  sans  qu'il  ait  passé  par  aucun 
système  capillaire.  Quand  on  examine  la  surface  interne 
de  la  veine  cave (Fig.  11),  on  y  voit  des  orifices  <^,  b,  bien 
nettement  circonscrits^  qui  ne  sont  autre  chose  que  les 
orifices  de  ces  communications  directes  entre  la  veine 
porte  et  la  veine  cave.  Il  n'y  a  pas  de  valvules  dans  ces 
vaisseaux.  Il  existe  également  de  ces  mêmes  communi- 
cations directes  dans  le  foie,  entre  les  vaisseaux  de  la 
veine  porte  et  les  veines  hépatiques.  On  peut  vérifier  la 
réalité  des  communications  quenous  venons  de  signaler, 
au  moyen  des  injections  qui,  sur  un  cheval  ou  sur  un 
chien,  passent  avec  la  plus  grande  facilité  de  la  veine 
porte  dans  la  veine  cave;  ce  qui  offre  beaucoup  plus  de 
difficulté  chez  l'homme. 

On  conçoit,  en  effet,  l'importance  de  telles  commu- 
nications entre  la  veine  porte  et  la  veine  cave,  de  même 
qu'avec  les  veines  hépatiques  qui  ne  sont  qu'une  dépen- 
dance de  la  veine  porte. 

Chacun  sait  que,  sous  l'influence  d'un  mouvement 
violent,  lacirculationesttrès-accélérée,le  sangparcourt 
plus  vite  et  plus  souvent,  dans  un  temps  donné,  le  sys- 


DANS   LE   FOIE.  173 

tème  vasculaire.  S'il  n'y  avait  pas  entre  le  système  porte 
et  le  système  veineux  général  ces  larges  communications 


Portion  d'une  veine  cave  inférieure  de  cheval  (grandeur  naturelle)  vue  par 
sa  face  intérieure,  pour  montrer  les  orifices  d'abouchement  des  vaisseaux 
anastomotiques  de  la  veine  porte.  —  a,  a, a,  a,  ouverture  de  section  des  vais- 
seaux anastomotiques  provenant  de  la  veine  porte,  et  se  ramifiantà  la  surface 
externe  de  la  veine  cave  inférieure.  On  aperçoit  par  transparence  leur  mode 
de  distribution  (la  pièce  est  sèche  et  Injectée,  elle  appartient  à  un  cheval 
dont  le  foie  était  malade,  et  par  suite  des  vaisseaux  anastomotiques  se  trou- 
vent excessivement  développés).  —  6,  b,  6,  6,  orifices  de  communication  de 
dimensions  variables,  par  lesquels  les  vaisseaux  anastomotiques  de  la  veine 
porte  hépatique  s'abouchent  dans  la  veine  cave  inférieure  en  écartant  les 
fibres  musculaires  et  en  continuant  leur  tunique  avec  la  membrane  qui 
tapisse  la  face  interne  de  la  veine  cave. 


à  travers  le  foie,  il  en  résulterait  un  engorgement  de 
cet  organe,  comme  cela  a  lieu  chez  Thomme  et  chez 
certains  animaux  non  habitués  à  la  course,  où,  sous 


174  PASSAGE  ACCIDENTEL  DU  SUCRE 

l'influence  d'une  marche  rapide,  le  sang,  s'accumu- 
lant  dans  le  foie,  reflue  dans  la  Yeine  porte  et  dans  la 
rate;  ce  qui  produirait,  suivant  certains  auteurs,  le 
point  de  côté. 

Il  y  a  donc  dans  le  foie  une  circulation  chimique 
lente  et  une  circulation  mécanique  rapide;  au  moyen 
de  cette  dernière  une  certaine  quantité  de  sang  échappe 
aux  transformations  que  lui  ferait  subir  un  contact 
prolongé  avec  l'élément  glandulaire.  De  là  résulte  que, 
pour  les  matières  albuminoïdes,  par  exemple,  il  n'y  en 
a  qu'une  certaine  quantité  qui  soit  changée  en  sucre,  et 
que,  quant  à  la  matière  sucrée  qui  arrive  avec  le  sang 
de  la  veine  porte,  il  y  en  a  toujours  également  une 
certaine  portion  qui  n'est  pas  transformée-  en  cette 
matière  émulsive  spéciale. 

La  proportion  de  sucre  qui,  dans  les  circonstances 
ordinaires,  passe  par  le  foie  sans  être  modifiée,  est 
trop  peu  considérable  pour  apparaître  dans  les  urines, 
parce  que  les  matières  alimentaires  féculentes  ne  don- 
nent pas  lieu  à  l'absorption  de  matière  sucrée  en  aussi 
grande  abondance  qu'on  serait  peut-être  porté  à  le 
croire. 

Néanmoins,  il  y  a  des  cas,  oii,  sous  l'influence  de 
conditions  particulières,  le  sucre  peut  accidentellement 
apparaître  dans  les  urines,  sans  pour  cela  constituer 
une  maladie.  Ce  n'est  alors  qu'un  phénomène  passager, 
qui  se  manifeste,  par  exemple,  quand,  étant  à  jeun 
depuis  un  certain  temps,  on  vient  à  prendre  une  grande 
quantité  de  sucre.  L'absorption  intestinale  se  faisant 
alors  avec  une  extrême  rapidité,  une  grande  quantité 


DANS  LES   URINES.  175 

de  sucre  arrive  en  masse  dans  le  foie  :  la  circulation 
mécanique  l'emporte  de  beaucoup  sur  la  circulation 
chimique,  le  sucre  est  versé  dans  le  système  général 
dans  des  proportions  plus  grandes  que  ne  le  comporte 
l'état  normal,  et  il  passe  alors  dans  les  urines  oii  son 
apparition  passagère  peut  être  constatée  pendant  un 
certain  temps.  Il  est  clair  que  l'on  ne  peut  pas  considé- 
rer cela  comme  un  cas  de  diabète,  ni  caractériser  la 
maladie  par  ce  seul  symptôme. 

M.  Biot  a  cité  déjà  ce  passage  du  sucre  chez  des  gens 
d'ailleurs  bien  portants.  Mais  pour  le  reproduire  h  vo- 
lonté, il  suffit  de  se  rappeler  dans  quelles  conditions 
particulières  l'absorption  intestinale  devenant  très-ra- 
pide, la  circulation  hépatique  se  trouve  exagérée,  ainsi 
que  nous  vous  l'exposerons  bientôt. 

Du  reste,  ce  phénomène  n'est  pas  spécial  pour  le 
sucre,  il  a  lieu  pour  toutes  les  substances  que,  dans 
les  mêmes  circonstances,  on  ingère  en  quantités  consi- 
dérables. Je  me  rappelle  qu'un  jour,  un  homme  bien 
portant  du  reste,  mais  étant  à  jeun,  avala  un  assez  grand 
nombre  d'œufs  crus.  Quelques  heures  après,  on  con- 
stata que  les  urines  étaient  devenues  très-albumineuses, 
et  elles  ne  reprirent  qu'au  bout  d'un  certain  temps  leurs 
qualités  normales. 

Donc  il  n'est  pas  indifférent,  lorsqu'on  ingère  une 
matière  naturellement  modifiée  dans  le  foie,  de  l'intro- 
duire dans  l'état  d'abstinence  ou  dans  l'état  de  diges- 
tion. 

Il  n'est  pas  indifférent  non  plus  de  prendre  une  dis- 
solution plus  ou  moins  saturée.  Si  l'on  emploie  une 


176  TASSAGE  ACCIDENTEL  DU    SL'CRE 

dissolution  de  sucre  peu  concentrée,  5  pour  100,  par 
exemple;  on  ne  verra  jamais  le  sucre  passer  dans  les 
urines,  même  chez  l'animal  en  abstinence,  parce  que 
la  quantité  qui  arrivera  dans  la  circulation  générale 
sera  nécessairement  très-faible  et  n'apparaîtra  pas  dans 
les  urines.  Seulement  celte  rapidité  d'absorption,  même 
pendant  l'abstinence,  pourra  être  diminuée  par  la  pré- 
sence de  matières  dans  l'intestin;  et  il  y  a,  sous  ce 
rapport,  une  différence  à  établir  entre  les  chiens  dont 
l'estomac  est  parfaitement  vide,  tandis  que,  chez  les 
lapins,  il  y  a  encore  des  aliments  même  après  une  abs- 
tinence de  plusieurs  jours. 

Toutes  ces  circonstances,  en  apparence  accessoires, 
sont  donc  très-importantes  à  considérer,  quand  on  veut 
faire  des  expériences  précises.  En  1853,  M.  le  docteur 
J.  de  Becker  a  publié,  dans  le  V^  volume  du  Journal  de 
zoologie  scientifique  de  Siebold  et  Kœlliker,  un  grand 
nombre  d'expériences  relatives  à  l'absorption  du  sucre 
dans  Tintestin.  Ces  expériences  ont  été  faites  avec  un 
très-grand  soin,  les  quantités  de  sucre  dosées  très-exac- 
tement, et  l'on  a  dressé  des  tables  statistiques  avec  une 
attention  toute  particulière.  Néanmoins  l'auteur  a  ob- 
tenu des  résultats  variables,  quoiqu'il  eût  fait  tous  ses 
efforts  pour  se  mettre  dans  des  conditions  identiques; 
seulement  il  a  pris  une  précision  en  dehors  des  condi- 
tions physiologiques  de  l'organisme.  Car, en  recherchant 
ces  conditions,  les  variations  des  résultats  obtenus  s'ex- 
pliquent très-simplement  :  c'est  ainsi,  par  exemple, 
qu'à  la  page  133,  deux  lapins  ont  reçu,  dans  l'esto- 
mac, la  même  quantité  d'une  solution  concentrée  et 


DANS  LES   URINES.  \n 

dosée  de  sucre,    et  cependant   on  n'a  trouvé  le  sucre 
dans  les  urines  que  chez  un  seul  animal. 

L'auteur  constate  les  deux  résulats  sans  rechercher 
autrement  d'oii  provient  la  différence,  et  cependant 
cette  différence  s'explique  par  les  circonstances  signa- 
lées, car  il  constate  que  chez  le  lapin,  où  le  sucre  a 
passé  dans  l'urine,  celle-ci  était  claire  et  acide,  ce  qui 
est  le  caractère  de  Tabstinence  sur  les  lapins. 

Vous  voyez  donc.  Messieurs,  que  la  précision  des 
calculs  n'apporterait  avec  elle  qu'une  rigueur  spé- 
cieuse si  l'on  n'avait  soin  de  diriger  son  attention  sur 
les  conditions  physiologiques  variables  des  fonctions 
qu'on  examine. 

M.  J.  de  Becker  a  produit  aussi  un  phénomène  pa- 
rement physique,  au  lieu  d'un  phénomène  physiolo- 
gique. Il  a  injecté,  par  exemple,  une  solution  concen- 
trée de  sucre  dans  une  anse  d'intestin,  et  au  bout  de 
quelque  temps,  il  a  constaté  dans  l'urine  le  passage  de 
la  matière  sucrée.  Il  n'y  a  pas  eu  là,  comme  dans  le 
cas  où  la  matière  sucrée  introduite  dans  l'estomac  peut 
circuler  librement,  une  absorption  physiologique  par 
les  vaisseaux  veineux,  qui  transportent  le  sucre  au 
cœur  avec  le  sang,  pour  qu'il  soit  ramené  ensuite  jus- 
qu'au rein  par  l'aorte  et  par  l'artère  rénale.  Il  y  a  eu 
dans  ce  cas  simplement  des  phénomènes  endosmo- 
tiques  qui  se  sont  passés  entre  les  parois  de  l'intestin 
et  les  parois  de  la  vessie,  à  cause  de  la  concentration 
considérable  des  liquides,  et  l'on  doit  reconnaître  là 
un  phénomène  tout  à  fait  différent  de  celui  qui  s'ob- 
serverait chez  un  animal  vivant  dont  l'intestin  n'aurait 

BERNARD.    I.  12 


178  PASSAGE  ACCIDENTEL  DU  SUCRE 

point  été  lié.  Ce  qui  prouve  que  c'est  bien  un  phéno- 
mène purement  physique  et  qui  n'a  rien  de  vital,  c'est 
que  nous  pouvons  le  reproduire  avec  les  mêmes  ré- 
sultats chez   un  animal  mort.   Voici  un  lapin,  mort 
depuis  hier,  dans  l'intestin  grêle  duquel  nous  avons  in- 
jecté, il  y  a  trois  heures,   une  dissolution  sucrée,  con- 
tenant 60  grammes  de  sucre  sur  100  grammes  d'eau 
et  2  grammes  de  prussiate  de  potasse.  Nous   allons 
maintenant  retirer  Turine  restée  dans  la  vessie  de  ce 
lapin.  Elle  contient,  ainsi  que  vous  le  voyez,  du  sucre, 
puisqu'elle  réduit  avec  le  tartrate  cupro-potassique  et 
du  prussiate  jaune,  puisqu'elle  donne  du  bleu  de  Prusse 
avec  le  perchlorure  de  fer. 

Telles  sont  donc.  Messieurs,  les  erreurs  auxquelles 
on  peut  être  exposé,  quand  on  n'a  pas  le  soin  de  s'at- 
tacher avant  tout  à  connaître  exactement  les  conditions 
physiologiques  des  phénomènes  vitaux.  C'est  là  que  se 
ti'ouve  la  véritable  précision  de  la  physiologie.  Tous 
les  moyens  de  précision,  basés  en  dehors  de  ces  con- 
sidérations, sont  purement  illusoires,  et  il  est  à  regret- 
ter que  très-souvent  on  ait  à  constater  de  ces  tenta- 
tives d'exactitude  prétendue  mathématique  qui  pèchent 
par  l'oubli  des  conditions  qui  devraient  leur  servir 
de  base. 

Maintenant,  Messieurs  en  terminant  la  séance,  con- 
statons les  résultats  que  nous  avons  annoncés  au  com- 
mencement. 

Voici  d'abord  le  lapin,  auquel  nous  avons  injecté 
notre  dissolution  de  sucre  et  de  prussiate  sous  la  peau. 
Nous  prenons  de  ces  urines,  elles  sont  toujours  troubles; 


DANS  LES    URINES.  17§ 

j'en  prends  une  portion,  à  laquelle  j'ajoute  du  per- 
chlorure  de  fer,  et  la  formation  du  bleu  de  Prusse  in» 
diquequele  prussiate  dépotasse  y  a  passé.  Maintenant, 
je  traite  l'autre  portion  par  le  tait  rate  cupro-potassi- 
que  ;  il  est  réduit  abondamment,  comme  vous  voyez. 
Donc,  le  sucre,  dans  ce  lapin,  a  passé  dans  les  urines 
comme  le  prussiate. 

Si  nous  extrayons  de  même  de  l'urine  de  l'autre  la- 
pin, elle  est  trouble  comme  l'autre. 

Le  perchlorure  de  fer  y  forme  du  bleu  de  Prusse; 
donc  le  prussiate  a  passé.  Examinons  au  réactif  cupro- 
potassique;  il  n'y  a  aucune  réduction.  Donc,  le  prus- 
siate seul  a  passé  dans  les  urines  de  ce  lapin.  Le  sucre 
a  été  détruit  dans  ce  dernier  cas  parce  qu'il  a  dû  tra- 
verser le  foie.  Voici  donc  la  vérification  des  résullati: 
que  nous  avions  annoncés  au  commencement  de  cette 
séance. 


HUITIEME  LEÇON 

20    JANVIER    1855 

SOMMAIRE  :  Conditions  anatomiques  qui  favorisent  la  circulation  dans  le 
foie..—  Structure  comparée  delà  veine  porte  et  des  veines  hépatiques.  - 
Mécanisme  de  la  circulation  hépatique.  —  Influence  des  maladies  sur  la 
sécrétion  du  sucre.  —  Influence  des  maladies  aiguës  sur  l'état  diabétique. 
—  Influence  de  la  température  sur  la  sécrétion  du  sucre.  —  Influence  des 
enduits.  —  Influence  du  froid.  —  Expériences  à  ce  sujet.  —  Influence  de 
la  chaleur.  —  A«e  et  sexe.  —Lactation. 


Messieurs, 

Nous  savons  que  dans  certaines  conditions  physiolo- 
giques la  sécrétion  glycogénique  subit  des  oscillations 
dans  lesquelles  elle  est  tour  à  tour  augmentée  et  di- 
minuée. 

L'activité  de  la  circulation  dans  le  foie  est  une  des 
conditions  qui  peuvent  augmenter  la  sécrétion  du  su- 
cre, et  cette  activité  elle-même  peut  être  déterminée 
principalement  par  deux  ordres  de  causes  purement 
mécaniques,  dont  les  unes  sont  extérieures  au  foie  et 
les  autres  intérieures  à  cet  organe,  et  agissent  en  vertu 
de  sa  constitution  anatomique. 

Le  sang  qui  arrive  par  la  veine  porte  est  soumis 
d'abord  h  la  pression  à  peu  près  constante  qui  lui  est 
transmise  par  le  sang  des  artères  mésentériques,  et, 
en  outre,  il  est  poussé  vers  le  foie  par  la  pression  des 
parois  abdominales.  Si  l'on  vient  à  ouvrir  le  ventre,  la 


PHÉNOMÈNES  DE   LA  CIRGLLAT.    DANS  LE   FOIE.  181 

pression  est  insuffisante  pour  faire  circuler  le  sang  vers 
le  foie,  et  si  l'on  ouvre  alors  le  thorax,  il  y  a  même 
reflux  du  sang  de  cet  organe,  qui  se  mélange  avec 
le  sang  de  la  veine  porle,  à  cause  de  l'absence  de  valvules 
dans  ce  système  veineux.  Mais  les  conditions  de  cir- 
culation que  nous  venons  de  signaler,  quoique  assez 
énergiques,  ne  suffiraient  certainement  pas  pour 
pousser  le  sang  à  travers  le  foie  jusqu'au  cœur,  s'il  n'y 
avait  pas  dans  cet  organe  lui-même  des  dispositions 
particulières  pour  empêcher  son  engorgement  d'avoir 
lieu. 

Je  vous  ai  déjà  indiqué,  dans  la  dernière  séance, 
comment  il  fallait  distinguer  deux  circulations  dans 
l'organe  hépatique,  l'une  purement  chimique  destinée 
à  Faccomphssement  des  phénomènes  de  sécrétion  ; 
l'autre,  mécanique,  destinée  à  faciliter  le  renouvelle- 
ment du  sang  dont  l'excès  peut  arriver  dans  les  veines 
hépatiques  par  des  canaux  spéciaux  qui  entourent  les 
lobules  du  foie,  sans  traverser  les  cellules  hépatiques. 
C'est  là  une  première  condition  qui  empêche  dans 
certains  moments,  comme  pendant  la  digestion,  et 
pendant  la  course,  oii  la  circulation  est  très-accélérée, 
le  foie  de  se  trouver  engorgé. 

Indépendamment  de  cette  circulation  collatérale  de 
dégorgement,  il  y  a  dans  le  foie  une  disposition  parti- 
culière dans  la  structure  même  des  veines  hépatiques, 
qui  supplée  à  l'insuffisance  d'impulsions  du  sang  qui 
arrive  dans  ces  vaisseaux,  soit  qu'il  ait  traversé  des 
cellules  pour  accomphr  les  phénomènes  chimiques, 
soit  qu'il  ait  passé  par  les  communications  directes 


182  PHÉNOMÈNES  DE   LA  CIRCULATION 

qui  existent  entre  la  veine  porte  et  les  veines  hépa- 
tiques.   • 
Le  toie,  comme  vous  le  savez,  possède  deux  ordres 

vp' 


Fig.  1-7. 

Foie  dhomme  dissèque  suivant  le  trajet  des  vaisseaux  pour  montrer  la  dis- 
position respective  des  rameaux  de  la  veine  porte  et  de  ceux  des  veines  hépa- 
tiques, ainsi  que  leur  rapport  avec  le  tissu  du  foie.  —  YP,  tronc  de  la  veine 
iporte  coupée  au  moment  de  son  entrée  dans  le  foie;  on  voit  la  portion  qui 
se  distribue  dans  le  lobe  gauche.—  VP',VP',  rameaux  de  la  veine  porte  qui 
soni  entourés  de  la  capsule  de  Glisson  et  n'adhèrent  pes  intimement  au 
tissu  hépatique.  Les  branches  de  l'artère  hépatique  pénètrent  dans  le  foie 
avec  la  veine  porte  et  la  suivent  dans  sa  dstribution.  —  VH,  VU,  veines 
hépatiques;  leur  paroi  adhère  au  tissu  du  foie  qui  les  entoure, 

âe  veines,  la  veine  porte,  formant  le  système  afférent, 
files  veines  hépatiques,  formant  le  système  efférent. 
Quand  on  examine  nne  coupe  du  foie,  vous  savez 
aussi  qu'il  est  facile  de  distinguer,  à  première  vue,  au- 
quel de  ces  deux  ordres  de   veines  appartiennent  les 


DANS  LE   FOIE.  1«^ 

orifices  vasculaires  qui  s'offrent  aux  yeux.  Les  ramifi- 
cations de  la  veine  porte,  entourées  par  la  capsule  de 
Glisson,  n'adhèrent  pas  à  la  substance  hépatique,  dont 
elles  sont  séparées  par  une  couche  de  tissu  cellulaire 
dans  lequel  rampent  les  branches  de  l'artère  hépatique, 
les  conduits  biliaires  ainsi  que  les  nerfs  ;  il  en  résulte 
que,  quand  on  vient  à  couper  ces  veines,  elles  se  ré- 
tractent de  manière  que  le  rapprochement  de  leurs  pa- 
rois obstrue  la  lumière  du  vaisseau. 

Les  veines  hépatiques  YH,  YH  (Fig.  12)  et  leurs 
ramifications  ne  sont  point  entourées  par  une  gaîne 
spéciale,  elles  sont  directement  en  contact  et  adhé- 
rentes, par  leur  face  externe,  avec  le  tissu  même  du 
foie,  de  sorte  qu'au  lieu  de  se  rétracter  après  la  sec- 
tion, elles  restent  béantes.  En  outre,  tandis  que  la  veine 
porte  YP  arrive  à  peu  près  au  centre  du  foie  pour  en- 
voyer dans  tous  les  sens  des  rameaux  qui  s'irradient  à 
la  manière  des  rayons  d'un  cercle,  les  veines  hépati- 
ques partent,  au  contraire,  toute  d'un  point  de  la  cir- 
conférence de  l'organe  et  envoient  leurs  rameaux  dans 
le  foie,  à  la  manière  des  branches  d'un  éventail  dont  le 
lieu  de  convergence  se  trouve  sur  la  veine  cave  infé- 
rieure YC.  Les  branches  forment  deux  plans  princi- 
paux, l'un  supérieur,  l'autre  inférieur,  entre  lesquels 
se  trouve  le  système  porte. 

Or,  à  cette  dispositio  n  spéciale  des  veines  hépatiques 
par  rapport  au  tissu  du  foie  correspond  un  rôle  physio- 
logique particulier  résultant  de  la  structure  intime  de 
ces  vaisseaux.  Les  veines  hépatiques  dépendent  de  la 
veine  cave  inférieure;  celle-ci,   dans  toute  la  portion 


484  ^PHÉNOMÈNES  DE   LA   CIRCULATION 

qui  est  logée  dans  le  foie,  offie  une  structure  muscu- 
laire extrêmement  prononcée.  Son  calibre  est  plus  con- 
sidérable, sa  paroi  acquiert  en  ce  point  une  couche 
charnue  très-épaisse.  Les  fibres  musculaires  sont  sur- 
tout longitudinales,  et  elles  forment  des  faisceaux 
rougeâtres,  placés  parallèlement  les  uns  aux  autres. 
Avant  d'entrer  dans  le  foie  et  après  en  être  sorties,  les 
parois  de  la  veine  cave  sont  beaucoup  plus  minces  et 
offrent  une  structure  tout  à  fait  différente. 

On  voit  quelquefois  la  veine  cave  présenter  des  batte- 
ments en  ce  point. 

Ce  système  musculaire  est  également  propre  aux  vei- 
nes hépatiques.  Là,  comme  dansla  veine  cave,  les  fibres 
sontlongitudinalement  disposées  et  constituent  de  petits 
faisceaux  rougeâtres  parallèles,  très -apparents.  Les 
fibres  musculaires,  examinées  au  microscope,  sont 
composées  de  fibres  lisses,  non  striées,  analogues  à  cel- 
les du  cœuret  de  l'intestin. 

C'est  surtout  chez  le  cheval  que  cette  structure  mus- 
culaire est  le  plus  évidente;  elle  existe  aussi  chez 
l'homme,  le  mouton,  le  chien,  le  lapin,  etc.,  mais  à 
un  degré  moins  prononcé.  Il  est  remarquable  que  c'est 
chez  les  chevaux  coureurs  que  j'ai  toujours  trouvé  cet 
appareil  à  son  summum  de  développement. 

Les  fibres,  en  se  contractant,  raccourcissent  la  lon- 
.  gueur  du  vaisseau,  rapprochent  les  uns  des  autres  les 
éléments  du  tissu  hépatique  auxquels  elles  sont  intime- 
ments  unies.  Les  veines  hépatiques  distribuant  leurs  ra- 
meaux et  leurs  ramuscules  dans  toutes  les  parties  du 
foie,  on  conçoit  que,  quand  elles  viennent  à  se  raccour- 


DANS   LE   FOIE.  185 

cir,  il  en  résulte  une  compression  générale  de  toutlor- 


gane. 


On  comprend  maintenant  comment  peut  se  faire  la 
circulation  sous  l'influence  de  ce  système  de  vaisseaux 
susceptibles  de  se  contracter.  Le  sang  conriuit  par  la 
\eine  porte  se  répand  autour  d'un  lobule  hépatique,  et 
après  avoir  traversé  les  cellules  ou  les  communications 
capillaires  directes,  il  arrive  enfin  à  la  \eine  hépatique, 
qui  occupe  le  centre  de  ces  lobules,  où  il  stagnerait, 
parce  que  la  faible  impulsion  qui  l'a  amené  jusque-là 
serait  impuissante  à  le  conduire  plus  loin.  Mais  les  vei- 
nes hépatiques,  se  raccourcissant,  expriment,  pourainsi 
dire,  le  foie,  à  la  manière  d'un  éponge,  et  le  sang,  trou- 
vant du  côté  de  la  veine  cave  un  débouché  plus  facile,  est 
chassé  dans  ce  vaisseau  qui  le  conduit  au  cœur. 

Nous  verrons  qu'il  y  a  des  cas  oii  l'activité  de  ce  sys- 
tème peut  être  exagérée  ou  ralentie  de  manière  à  pro- 
duire des  troubles  relatifs  à  l'affection  diabétique. 

Après  avoir  résumé  toutes  les  conditions  mécaniques 
et  chimiques  de  la  circulation  du  foie,  nous  devrions 
passer  à  l'intluence  du  système  nerveux,  mais  nous 
avons  encore  quelques  considérations  à  vous  présenter 
sur  des  actions  extérieures  du  milieu  ambiant.  Ce  sont 
les  influences  que  peuvent  exercer  sur  la  fonction  du 
foie  soit  les  différentes  maladies  aiguës,  soit  le  sexe  et 
l'âge,  etCv 

Relativement  aux  maladies  graves,  aiguës  ou  chroni- 
ques, leur  influence  est  extrêmement  remarquable,  en 
ce  qu'elle  détruit  très-rapidement  les  fonctions  du  foie 
et  en  particulier  celle  de  la  formation  du  sucre.  Aussi, 


18<j  INFLUENCE   DES   MALADIES 

Messieurs,  toutes  les  fois  que  vous  examinerez  le  tissu 
hépatique  des  cadavres  amenés  dans  les  amphithéâtres, 
et  morts  pour  la  plupart  après  un  séjour  plus  ou  moins 
long  dans  les  hôpitaux,  vous  n'y  trouverez  pas  ordinai- 
rement de  sucre. 

Voici,  par  exemple,  un  foie  d'homme,  apporté  ce 
matin  du  pavillon  de  l'École  pratique,  et  pris  au  hasard  : 
nous  pouvons  dire  d'avance,  avec  beaucoup  de  probabi- 
lité, qu'il  ne  contient  pas  de  sucre;  d'ailleurs,  pour  vous 
en  convaincre,  nous  allons  le  soumettre  à  nos  procédés 
ordinaires  d'analyse.  On  en  coupe  un  morceau,  on  le 
broie  et  on  le  fait  bouillir  avec  un  peu  d'eau.  Si  nous 
prenons  maintenant  le  liquide  et  la  décoction,  et  que 
nous  le  traitions  par  le  tartrate  cupro  -potassique,  vous 
voyez  qu'il  ne  le  réduit  pas,  et  par  conséquent  qu'il  ne 
contient  pas  de  sucre.  Aussi,  quand  nous  avons  voulu 
savoir  si  la  fonction  dont  nous  nous  occupons  existait 
chez  l'homme,  avons-nous  dû  prendre  des  foies  d'in- 
dividus morts  en  état  de  santé,  des  foies  de  suppliciés, 
par  exemple,  ou  d'individus  morts  subitement  par 
accident. 

Si  l'on  rend  un  animal  malade,  on  fera  disparaître, 
et  au  bout  de  très -peu  de  tempïj,  le  sucre  dans  son  foie. 
Voici  un  chien  auquel  on  a  ouvert  hier  le  canal  rachi- 
dien  et  fait  la  section  de  quelques  racines  nerveuses  de 
la  moelle  épinière,  opération  douloureuse  et  qui  exige 
qu'on  pratique  des  pertes  de  substance  assez  graves. 
L'animal  vient  d'être  tué  par  la  section  de  bulbe  et, 
quoiqu'il  soit  malade  depuis  Yingt-quatre  heures  à 
peine,  voici  le  liquide  résultant  de  la  décoction  de  son 


.  SUR  LA   FONCTION  GLYCOGÉNIQUE  DU   FOIE.  187 

foie,  qui,  ainsi  que  vous  le  voyez,  ne  réduit  pas  le  tar- 
trate  cupro-potassique. 

Ainsi,  Messieurs,  sous  l'influence  d'un  état  morbide, 
mais  particulièrement  sous  l'influence  d'un  état  fébrile 
aigu,  le  sucre  n'est  plus  sécrété  par  le  foie,  et  l'on  n'en 
retrouve  plus  dans  son  tissu.  C'est  là,  comme  vous  le 
sentez  bien,  un  fait  très-important,  et  qui  doit  éclairer 
la  pathologie  générale  au  point  de  vue  des  phénomènes 
de  nutrition  qui  ont  lieu  pendant  la  maladie. 

Dans  le  cas  particulier  qui  nous  occupe,  lorsqu'un  in- 
dividu diabétique  est  pris  d'une  maladie  aiguë  ou  chro- 
nique, les  choses  se  passent  de  même  :  le  sucre  n'est  plus 
sécrété  du  tout,  ou  bien  sa  sécrétion  diminue  considéra 
blement,  et  le  sucre  disparaît  des  urines,  à  tel  point 
qu'on  pourrait  croire  le  malade  guéri  de  sa  première  af- 
fection; mais  c'est  tout  simplement  le  symptôme  qui  a 
disparu,  parce  que  la  fonction  du  foie  s'est  arrêtée 
comme  beaucoup  d'autres  fonctions.  Le  sucre  reparaî- 
tra sitôt  que  l'affection  intercurrente  aura  disparu. 

M.  Rayer  a  insisté  sur  ce  fait  que,  si  un  diabétique  est 
pris  d'une  maladie  aiguë,  d'une  pneumonie  ou  d'une 
variole,  par  exemple,  il  cesse  de  rendre  du  sucre  dans 
les  urines  pendant  tout  le  temps  que  la  maladie  suit  ses 
périodes,  puis,  quand  elle  a  disparu,  le  diabète  revient 
comme  auparavant. 

J'ai  observé  moi-même  un  cas  très-curieux  cbez  une 
femme  diabétique  qui  avait  en  même  temps  une  altéra- 
tion chronique  des  intestins.  De  temps  en  temps  les  phé- 
nomènes de  cette  dernière  affection  passaient  h  l'état 
aigu,  la  malade  avait  des  coliques  et  delà  diarrhée.  Aus 


188  INFLUENCE  DES  MALADIES      ' 

sitôt  que  ces  symptômes  apparaissaient,  le  sucre  cessait 
de  se  montrer  dans  les  urines,  mais  y  revenait  dès  que 
l'affection  intestinale  se  calmait.  Je  vis  cinq  ou  six  fois 
se  reproduire  ces  alternatives. 

On  a  donc  pu  croire  souvent  que  des  diabétiques 
étaient  guéris  par  cela  qu'ils  contractaient  une  autre 
maladie  intercurrente.  Très-souvent  dans  la  dernière 
période  du  diabète,  quand  les  individus  commencent  à 
devenir  phthisiques,  et  quand  les  fonctions  digestives 
s'altèrent,  on  voit  le  sucre  disparaître  des  urines.  Cela 
indique  alors  que  le  malade  n'a  plus  longtemps  à  vivre. 

On  ne  trouve,  en  effet,  de  sucre  dans  le  foie  des  dia- 
bétiques que  quand  ceux-ci  sont  morts  rapidement  ou 
par  suite  d'accident. 

L'état  de  maladie  aiguë  est  donc  incompatible  avec 
le  diabète.  Cette  affection,  en  effet,  ne  se  rencontre,  en 
général,  que  chez  des  individus  dans  lesquels  les  fonc- 
tions nutritives,  les  fonctions  digestives  surtout,  ont 
une  grande  énergie.  Quand,  dans  nos  expériences,  nous 
voudrons  rendre  des  animaux  diabétiques,  ainsi  que 
nous  vous  le  ferons  voir  bientôt,  nous  aurons  soin  de 
les  prendre  aussi  vigoureux  que  possible,  car  nous  n'ob- 
tiendrions pas  de  résultats  aussi  nets  sur  des  animaux 
faibles  et  maladifs. 

En  résumé,  vous  voyez  donc  que,  soit  chez  les  indi- 
vidus non  diabétiques,  soit  chez  les  diabétiques  eux- 
mêmes,  une  maladie  aiguë  fait  disparaître  le  sucre  du 
foie,  etquandlamort  arrive  à  lasuite  de  ces  affections, 
le  tissu  hépatique  ne  présente  plus  trace  de  matière 
sucrée. 


SUR  LA  FONCTION  GLYGOGÉNIQUE   DU    FOIE.  189 

La  mort  emporte  souvent  avec  elle  par  conséquent 
un  certain  nombre  des  caractères  physiologiques  qu'on 
retrouve  dans  les  organes  pris  sur  des  individus  morts 
dans  un  état  de  santé  ;  elle  a  pour  effet,  en  particulier, 
d'enlever  ou  de  modifier  les  caractères  de  la  chimie 
vitale.  On  ne  peut  pas  toujours  par  conséquent  con- 
clure, de  l'examen  d'un  organe  pris  chez  un  individu 
mort  de  maladie,  à  ses  propriétés  dans  leur  exercice 
normal  pendant  la  vie.  Les  expériences  doivent  donc 
être  instituées  sur  l'être  vivant  et  en  état  de  santé  pour 
être  concluantes. 

Quant  à  la  présence  du  sucre,  il  est  clair  que,  dans  le 
plus  grand  nombre  des  cas  où  on  l'eût  recherchée  sur 
l'homme,  il  était  impossible  qu'elle  fût  constatée.  Et 
pour  le  dire  en  passant,  car  nous  devons  insister  sur 
cette  notion  pour  montrer  que  la  physiologie  déduite 
de  l'anatomie  du  cadavre  est  tout  à  fait  insuffisante,  ce 
n'est  pas  seulement  au  point  de  vue  chimique  que  la 
mort  apporte  des  modifications  dans  les  organes,  mais 
encore  au  point  de  vue  purement  anatomique  ;  elle  pro- 
duit des  déformations  dans  les  tissus  organiques,  elle 
fait  disparaître  les  éléments  anatomiques  d'une  foule 
de  muqueuses,  celles  de  l'intestin,  celles  de  l'utérus, 
par  exemple,  qu'on  n'a  bien  connues  qu'en  les  étudiant 
sur  des  individus  pris  en  état  de  santé  et  au  moment 
011  les  organes  fouctionnaient  suivant  leur  mode  nor- 
mal. 

Nous  arrivons  maintenant  à  considérer  l'infiuence 
des  conditions  de  température  extérieure,  de  chaleur 
ou  de  froid  sur  les  fonctions  du  foie. 


dOO  INFLUENCE  DE   LA   TEMPÉUATl  RE 

Quand  on  expose  un  animal  au  froid,  le  sucre  dis- 
paraît dans  son  foie.  Pour  faire  cette  expérience,  on 
prend  de  préférence  des  petits  animaux  qui,  en  raison 
de  leur  faible  masse,   sont  plus  faciles  à  refroidir^ 
comme  le  lapin  ou  le  cochon  d'Inde,  par  exemple.  Si 
donc  on  entoure  un  cochon  d'Inde  déneige  ou  de  2:Iace, 
ou  si  on  lui  maintient  le  ventre  appuyé  sur  un  corps 
très- bon  conducteur,  comme  le  mercure,  voici  ce  qui 
arrive:  l'animal  se  refroidit  peu  à  peu  et  d'autant  plus 
vite  qu'il  est  plus  petit,  surtout  s'il  est  mouillé.  Sa  tem- 
pérature, prise  dans  le  rectum,  qui  est  dans  les  condi- 
tions normales  de  38"  cent,  environ,  descend  successi- 
vement à  30,  25,  20  et  même  18  degrés.  Il  ne  faut  pas 
plus  d'une  heure  et  demie  à  deux  heures  pour  produire 
cet  abaissement  quand  l'animal  n'est  pas  mouillé.  Une 
fois  arrivé  vers  18  ou  20  degrés,  l'animal  est  devenu 
insensible  dans  les  extrémités,  a  perdu  la  faculté  de  se 
réchauffer  spontanément,  ainsi  que  l'a  déjà  vu  M.  Ma- 
gendie,  et,  si  on  Tabandonne  à  lui-même  daus  un  mi- 
lieu qui  n'a  pas  plus  de  18  à  20  degrés,  sa  tempéia- 
ture  continuera  à  baisser,  et  il  ne  tardera  pas  à  mourir. 
Mais  si,  au  contraire,  on  le  sèche,  si  on  le  réchauffe  peu 
à  peu,  il  se  rétablira  graduellement,  reprendra  sa  cha- 
leur primitive  et  pourra  vivre. 

Si  l'on  examine  comment  s'est  comportée  pendant 
ce  temps  la  fonction  glycogénique,  on  trouve  que,  h 
mesure  que  la  température  s'abaisse,  le  sucre  diminue 
dans  le  foie,  et  quand  le  thermomètre  n'indique  plus 
que  18  à  20  degrés,  on  n'en  trouve  plus  du  tout,  de 
sorte  qu'en  deux  heures  tout  le  sucre  du  foie  peut  avoir 


SUR   LA   FONCTION   GLYCOGÉNIQUE   DU    FOIE.  191 

disparu.  La  production  de  la  matière  sucrée  ne  re- 
commence que  quand  l'animal  a  repris  sa  température 
initiale  de  38  degrés,  ce  qui  arrive  seulement  au  bout 
de  trois  ou  quatre  heures,  oîi  il  a  recouvré  sa  chaleur, 
sa  sensibilité,  sa  vivacité  et  son  appétit  habituels. 

Du  reste,  le  temps  nécessaire  pour  faire  disparaître 
et  revenir  le  sucre  dans  le  foie  peut  aussi  éprouver 
quelques  variations  qui  dépendent  de  la  grosseur  des 
animaux  et  de  l'état  de  digestion  ou  d'abstinence  dans 
lequel  ils  se  trouvent,  quand  on  les  soumet  à  l'expé- 
rience, ainsi  que  de  la  rapidité  avec  laquelle  la  mort 
survient.  Nous  allons,  pour  mieux  préciser  ces  faits 
dans  votre  esprit,  vous  indiquer  quelques-uns  des  ré- 
sultats que  nous  avons  obtenus. 

Première  expérience,  —  Un  petit  cochon  d'Inde  a 
élé  plongé  dans  de  l'eau  glacée  pendant  dix  minutes,  la 
tête  en  hehors;  après  quoi  on  l'en  retire  et  on  l'aban- 
donne à  lui-même;  il  meurt  environ  dix  minutes  après. 
On  en  fait  l'ouverture,  et  l'on  constate  que  l'animal  est 
en  pleine  digestion,  et  que  son  foie  renferme  beaucoup 
de  sucre. 

On  voit,  par  cette  première  expérience,  qu'il  ne  suffît 
pas  que  l'animal  meure  par  le  froid,  mais  qu'il  faut,  en 
outre,  que  cette  action  dure  un  certain  temps  pour  faire 
disparaître  le  sucre  qui  existe  dans  le  foie  à  l'état  nor- 
mal avant  le  refroidissement.  Il  est  facile  de  com- 
prendre qu'il  doive  en  être  ainsi,  car,  si  l'action  du 
froid,  portée  sur  la  peau,  retentit  sur  le  foie  pour  le  pa- 
ralyser en  quelque  sorte,  et  arrêter  la  production  du 
sucre,  le  froid  ne  peut  pas  faire  disparaître  par  cela 


J92  INFLUENCE   DE  LA  TEMPÉRATURE 

même  le  sucre  qui  y  était  préalablement  formé.  Il  faut 
donc  qu'il  s'écoule  un  certain  temps  entre  le  commen- 
cement de  l'application  du  froid  et  la  mort  de  l'animal, 
temps  qui  devra  être  d'autant  plus  long,  que  la  quantité 
de  sucre  existant  dans  le  foie  sera  plus  considérable. 
Ce  temps  devra  être  conséquemment  plus  long  chez  un 
animal  en  digestion  que  chez  un  animal  à  jeun. 

Deuxième  expérience,  —  Un  petit  cochon  d'Inde,  de 
la  même  portée  que  le  précédent,  et  dans  les  mêmes 
conditions  d'alimentation,  a  été  mouillé,  par  simple 
immersion,  à  deux  ou  trois  reprises  différentes,  dans 
l'eau  froide,  de  manière  à  faire  baisser  successivement 
sa  température,  sans  lui  donner  le  temps  de  se  réchauf- 
fer dans  l'intervalle  des  immersions.  L'animal  s'est  re- 
froidi assez  lentement,  et  est  mort  au  bout  de  deux 
heures;  alors  on  a  examiné  son  foie,  qui  ne  contenait 
plus  que  des  traces  excessivement  faibles  de  sucre. 

Troisième  expérience.  — Un  cochon  d'Inde,  adulte, 
dans  l'intervalle  de  deux  digestions,  a  été  placé  au- 
dessus  d'une  cuve  à  mercure,  et  maintenu  en  contact 
avec  le  mercure,  à  l'aide  d'une  petite  planchette,  à  tra- 
vers laquelle  il  pouvait  passer  la  tête.  La  température 
ambiante  était  de  8  degrés.  La  température  de  l'animal 
était  primitivement  de  38  degrés  1  /  2 ,  elle  était,  au  bout 
d'une  heure  un  quart,  arrivée  à  12  degrés  1  /  2.  On  re- 
tira alors  l'animal,  qu'on  abandonna  à  lui-même  à  la 
température  ambiante,  et  il  mourut  en  se  refroidissant 
déplus  en  plus.  Un  quart  d'heure  après,  c'est-à-direune 
heure  et  demie  après  le  commencement  de  l'expérience, 
le  foie  de  l'animal  ne  contenait  pas  de  traces  de  sucre. 


SUR  LÀ   FONCTION   GLYCOGÉNIQUE  DU    FOIE.  10^ 

Qualrième  expérience.  —  Un  aulre  cochon  d'Inde, 
dans  les  mêmes  conditions  d'alimentation,  a  été  placé 
sur  le  mercure,  comme  le  précédent.  Au  bout  d'une 
heure,  sa  température  était  de'^cendue  à  25  degrés  ;  au 
bout  de  cinq  quarts  d'iieure  à  22  1  /2  ;  au  bout  d'une 
heure  et  demie  à  20  degrés.  Alors  on  le  retira  et  on  le 
réchauffa  graduellement.  Au  bout  de  cinq  quarts 
d'heure,  l'animal  était  revenu,  quoique  grelottant  en- 
core, et  la  température  de  son  rectum  était  de  35  degrés. 
Le  lendemain,  l'animal  était  parfaitement  rétabli,  et 
son  foie  contenait  beaucoup  de  sucre. 

Dans  les  expériences  précédentes,  que  nous  choisis- 
sons au  milieu  d'un  grand  nombre  d'autres  que  nous 
avons  faites,  le  refroidissement  de  l'animal  est  accom- 
pagné de  la  disparition  du  sucre  dans  le  foie,  dispari- 
tion qui  est  complète  lorsque  l'action  du  froid  a  été 
prolongée  suffisamment. 

En  même  temps  il  se  produit  une  influence  sur  la 
respiration  ;  celle-ci  diminue  de  fré(juence  à  mesure 
que  la  température  de  l'animal  décroît,  et  elle  aug- 
mente, à  mesure  que  la  chaleur  propre  de  l'animal  se 
relève.  Nous  allons,  du  reste,  vous  rendre  témoins  de 
toutes  ces  particularités  en  répétant  l'expérience  devant 
vous. 

jNous  avons  ici  trois  cochons  d'Inde  de  la  même 
portée,  pesant  chacun  environ  180  à  200  grammes; 
nous  les  avons  choisis  exprès  de  petite  taille,  afin  que  le 
refroidissement  soit  plus  facile;  car,  s'ils  étaient  plus 
gros,  la  neige  non  fondante  ne  suffirait  pas  pour  les 
refroidir.  Ils  sont  à  jeun  depuis  hier  soir.' 

BERNARD.    I.  13 


i  INFLUENCE  DE     LA  TEMPÉRATURE 

Nous  avons  sacrifié  un  de  ces  animaux,  et  nous  avons 
placé  les  deux  autres,  sans  les  mouiller,  dans  de  la 
neige  non  fondante,  de  sorte  qu'ils  reçoivent  actuelle- 
ment l'impression  du  froid  sans  humidité  ;  on  a  eu 
soin  de  leur  laisser  une  ouverture  pour  qu'ils  puissent 
respirer.  Ces  animaux  ont  été  mis  en  expérience  à  dix 
heures  et  demie.  Leur  température  initiale,  prise  dans 
le  rectum,  était  de  38  degrés.  A  onze  heures  trois 
quarts,  c'est-à-dire  après  une  heure  un  quart  de  re- 
froidissement, les  animaux  commencent  à  s'engour- 
dir; on  les  relire,  ils  ne  présentent  plus  que  19  degrés  ; 
ils  sont  couchés  sur  le  flanc,  insensibles  et  comme  pa- 
ralysés, leur  respiration  est  faible  et  rare  ;  alors  on  en 
abandonne  un  à  lui-même  à  la  température  ambiante 
de  12  à  13  degrés,  et  l'autre  cochon  d'Inde  est  ré- 
chauffé auprès  du  poêle.  Depuis  ce  temps,  l'animal, 
qu'on  avait  abandonné  à  lui-même,  et  que  vous  voyez 
sur  la  table,  a  continué  à  se  refroidir  et  est  mort,  il  y 
a  environ  un  quart  d'heure,  tandis  que  l'autre  est  re- 
venu, quoiqu'il  soit  encore  grelottant;  sa  température, 
qui  était  à  19  degrés,  est  maintenant  à  30  degrés 
environ. 

Nous  avons  donc  ici  trois  animaux  pris  dans  les 
mêmes  conditions,  dont  l'un  a  été  tué  sans  avoir  été 
soumis  à  l'expérience,  pour  nous  servir  de  terme  de 
comparaison,  et  dont  les  deux  autres  ont  été  soumis  à 
l'action  du  froid  jusqu'à  ce  que  leur  température  se 
soit  abaissée  à  19  degrés,  avec  cette  différence,  que 
l'un  de  ces  animaux  a  été  abandonné  à  lui-même,  et 
est  mort  en  se  refroidissant  successivement.  Examinons 


SUR  LA    FONCTION   GLYCOGÉNIQLE   DU    FOIE.  i9o 

ce  qu'est  devenue  la  fonction  glycogénique   dans   les 
trois  cas. 

D'abord,  elle  existait,  quand  les  animaux  ont  été 
soumis  à  l'expérience,  puisque  celui  que  nous  avons 
sacrifié  à  ce  moment  présente,  ainsi  que  vous  le  voyez, 
du  sucje  dans  son  foie,  dont  la  décoction  précipite 
abondamment  le  lartratecupro-potassique. 

Examinons  maintenant  le  foie  de  l'animal  mort  par 
le  froid  en  1  heure  1/2.  On  fait  cuire  son  foie  de  la 
même  manière,  on  le  soumet  au  même  réactif;  vous 
voyez  qu'il  n'y  a  pas  de  précipité,  et,  par  conséquent, 
qu'il  n'y  a  pas  de  traces  de  matière  sucrée  dans  le  foie 
de  cet  animal  ;  vous  avez  ainsi  la  preuve  la  plus  nette 
que  le  sucre  a  disparu  par  le  fioid  dans  le  temps  de 
l'expérience. 

Quant  au  troisième  animal,  que  vous  voyez  revenir 
par  suite  du  réchauffement,  le  sucre  n'a  pas  encore 
reparu  dans  son  foie,  parce  que  si,  comme  nous  l'a- 
vons dit,  l'action  du  froid,  dès  qu'elle  commence,  en- 
raye la  production  glycogénique,  cette  fonction  ne  doit 
reprendre  son  cours  que  lorsque  cette  action  réfrigé- 
rante a  complètement  cessé;  or  cet  animal,  bien  que 
déjà  revenu,  n'est  pas  encore  dans  l'état  normal.  Sa 
température  prise  dans  le  rectum  n'est  que  de  30  de- 
grés, il  est  encore  grelottant;  mais,  dans  quelques 
heures,  quand  cet  animal  aura  repris  sa  chaleur  nor- 
male, que  sa  vivacité  sera  revenue,  on  trouvera  du 
sucre  dans  son  foie. 

En  voyant  ainsi  disparaître  le  sucre  entre  deuxou  trois 
heures  et  le  voyant   réparai (re  si  rapidement,  on  re- 


\m  INFLLENCE   DE  LA   TEMPÉIUTIRE, 

connaît  bien  là  les  caractères  d'une  fonction  qu'on 
peut  déprimerjusqu'à  l'anéantir  et  ramener  à  son  type 
normal,  en  la  rétablissant  dans  les  conditions  ordi- 
naires de  son  accomplissement.  Cette  expérience  suffi- 
rait, si  cela  était  nécessaire  maintenant  pour  détruire 
complètement  l'objection  qui  voudrait  que  le  sucre  ré- 
sultât d'alimentations  antérieures  et  se  localisât  dans 
le  foie  sans  que  cet  organe  dût  lui-même  le  former. 

Nous  verrons  plus  lard  que  cette  influence  du  froid 
sur  le  foie  se  propage  par  une  sorte  d'action  réflexe  du 
système  nerveux,  transmise  par  les  nerfs  de  la  peau. 
Signalons  ici  que  la  peau  de  l'animal,  devenant  insen- 
sible par  le  froid,  ne  peut  plus  réagir  convenablement. 

Quand,  au  lieu  d'agir  avec  le  froid,  on  soumet  un 
animal  h  la  chaleur,  on  produit  des  phénomènes  un 
peu  différents.  Si  l'on  met  un  cochon  d'Inde  ou  un 
lapin  dans  une  étuve  d'air  chaud  dont  la  température 
ne  soit  pas  de  beaucoup  supérieure  à  celle  de  l'animal, 
de  45  degrés  par  exemple,  on  voit  que  les  fonctions 
du  foie  paraissent  exaltées,  et  en  particulier  la  forma- 
tion de  la  bile  ;  celle  du  sucre  ne  paraît  pas  autant  aug- 
menté. Mais  cette  surexcitation  a  seslimites,  et  si  l'on 
pousse  la  température  à  50  ou  60  degrés,  l'excitation 
générale  fait  place  à  un  effet  opposé  ;  le  sucre  disparaît, 
et  l'animal  meurt  au  bout  d'une  heure  à  une  heure  et 
demie,  sans  en  présenter  la  moindre  trace  dans  le  tissu 
hépatique. 

11  faut  noter  encore  que  sous  TinQuence  de  la  clia- 
leur  les  respirations  sont  accélérées,  tandis  que  leçon- 
Iraire  a  lieu  avec  le  froid,  et  cependant,  avec  ces  deux 


DE    I/AGE,    DU    SEXE,    ETC.  197 

états  opposés  de  la  respiration,  le  sucre  disparait  dans 
le  foie. 

Il  existe  encore  une  autre  manière  d'arrêter  la  fonc- 
tion glycogénique  du  foie  en  agissant  sur  la  peau.  C'est 
en  induisant  la  peau  des  animaux  avec  certains  vernis, 
tels  que  le  caoutchouc  liquide  ou  simplement  de  l'huile. 
Dansces  cas,  les  animaux  meurent  en  se  refroidissant, 
et  j'ai  constaté  souvent  que  la  fonction  glycogénique 
disparaît  radicalement,  et  qu'après  ce  genre  de  mort, 
qui  est  assez  rapide  chez  les  petits  animaux,  tels  que  les 
cochons  d'Inde  et  les  lapins,  la  substance  du  foie  ne 
contient  absolument  aucune  trace  de   matière  sucrée. 

Quant  à  l'influence  de  l'âge  et  du  sexe,  nous  n'en 
dirons  que  quelques  mots  : 

J'ai  fait  autrefois  quelques  expériences  pour  recher- 
cher quelle  pourrait  être  l'influence  de  l'âge  dans  la 
production  du  sucre,  je  n'ai  pas  obtenu  de  résultats 
bien  concluants.  Du  reste,  cette  question,  pour  être 
traitée,  devrait  nécessairement  être  instituée  sur  une 
très-grande  échelle  et  reposer  sur  un  nombre  considé- 
rable de  faits. 

Les  expériences  que  j'ai  faites  également  sur  des 
animaux  de  tout  sexe,  quoique  très-nombreuses,  ne 
peuvent  pas  servir  pour  établir  s'il  y  a  ou  non  une 
différence  dans  la  quantité  de  sucre  produit  chez  les 
mâles  ou  les  femelles,  parce  qu'elles  n'ont  point  été 
faites  à  ce  point  de  vue.  Chez  les  femelles,  l'état  de 
gestation  et  de  lactation  ne  semble  pas  modifier  sensi- 
blement la  formation  du  sucre  dans  le  foie-  Sur  des 
vaches  et  des  lapines  à  l'état  de   lactalion  et  qui  sécré- 


198  INFLUENCE   DE    L'AGE,    DU   SEXE,   ETC. 

taieiit  par  conséquent  du  sucre  de  lait,  j'ai  bien  sou- 
vent cherché,  mais  en  vain,  la  présence  du  lactose  dans 
le  foie.  D'oii  il  faudrait  admettre  que  cette  dernière 
espèce  de  sucre  se  sécrète  dans  la  mamelle,  organe 
chargé  de  produire  du  sucre  dans  le  cas  spécial  de  son 
fonctionnement  ;  car,  tandis  que  le  foie  forme  du  glu- 
cose dans  toute  l'échelle  animale,  depuis  avant  la  nais- 
sance jusqu'à  la  mort,  la  mamelle  n'existe  que  dans  les 
mammifères,  et  ne  fonctionne  que  dans  une  période 
déterminée  de  la  vie.  Il  faut  encore  ajouter  que  le  sucre 
du  foie  est  le  plus  fermentescible,  tandis  que  le  lactose 
est  le  moins  fermentescible  des  sucres  animaux,  ce  qui 
est  du  reste  en  harmonie  avec  les  usages  différents  de 
chacune  de  ces  matières  sucrées.  Il  y  a  toutefois  un 
rapprochement  que  Ton  peut  faire  entre  la  formation 
du  sucre  qui  a  lieu  dans  le  foie  et  celle  qui  se  fait  dans 
la  mamelle,  c'est  que  ces  deux  formations  sont  égale- 
ment indépendantes  de  Talimentation  ;  j'ai  bien  sou- 
vent constaté  que  le  sucre  de  lait  persistait  dans  le  lait 
des  chiennes,  malgré  l'alimentation  exclusive  avec  de 
la  viande  complètement  privée  de  matière  sucrée. 

L'époque  du  rutne  m'a  pas  paru  non  plus  exercer  une 
influence  évidente  sur  la  fonction  glycogéFiiquedu  foie. 

Telles  sont,  en  général,  Messieurs,  les  conditions 
extérieures  principales  sur  lesquelles  nous  avons  désiré 
en  finissant  fixer  votre  attention.  Actuellement  nous 
devons  entrer  plus  profondément  dans  la  glycogénie  et 
étudier  les  changements  du  sang  qui  coexistent  avec 
l'exercice  de  cette  fonction  dans  le  foie.  Nous  commen- 
cerons cet  examen  dans  la  prochaine  séance. 


NEUVIÈME    LEÇON 

23  JANVIER  1855. 


SOMMAIRE  :  Examen  comparatif  du  sang  de  la  veine  porte  et  du  sang  des 
veines  hépatiques.  — Globules.—  Sérum  et  caillot.  —  Eau  et  matières 
solides.  Matières  solides  du  sérum  et  du  caillot.  — Graisse. — Fibrine.  — 
Albumine.  —  Sucre.  —  Conséquences  de  ces  diverses  modifications.  — - 
Température  plus  élevée  du  sang  qui  sort  du  foie.  —Expériences  thermo- 
métriques à  ce  sujet.  ~  Distribution  de  la  chaleur  dans  l'organisme.  — 
Théories  anciennes  de  la  calorification.  —  Examen  d'expériences  sur  la 
température  du  sang  dans  les  deux  ventricules.  —  Expériences  faites  dans 
les  conditions  physiologiques.  —Procédés  opératoires.  — Instruments  em- 
ployés. —  Résultats  de  ces  expériences  :  le  sang  du  ventricule  droit  plus 
chaud  que  le  sang  du  ventricule  gauche. 


Messieurs, 

Nous  avons  examiné  les  différentes  fonctions  orga- 
niques de  nature  chimique  qui  se  passent  dans  le  foie 
et  les  conditions  dans  lesquelles  elles  se  produisent. 
Vous  avez  vu  que  le  foie  doit  être  considéré  comme  un 
véritable  laboratoire  vital  qui  change  profondément 
toutes  les  substances  qui  lui  sont  apportées  par  le  sang. 
il  importe,  avant  de  quitter  ce  sujet,  que  vous  soyez 
bien  fixés  sur  les  modifications  que  le  sang  éprouve  en 
traversant  le  foie  ;  c'est  pourquoi  je  vais  faire  rapide- 
ment passer  sous  vos  yeux  les  résultats  d'analyses  qui 
ont  été  instituées  à  ce  point  de  vue.  Tous  ces  résultats, 
obtenus  sur  des  chevaux,  sont  dus  à  Lehmann  qui  a 
étudié  comparativement  le  sang  dans  la  veine  porte 


200        MOOIFICATIO.NS   CIIIMIOUES  QUE   LE    SANG   ÉPROUVE 

avant  son  entrée  clans  le  foie,  et  le  sang  après  sa  sortie 
dans  les  veines  hépatiques.  Nous  passei'ons  successive- 
ment en  revue  les  modifications  qu'éprouvent  les  divers 
éléments  du  sang  : 

r  Globules  rouges.  — Quand  on  examine  le  sang 
après  sa  sortie  du  foie,  on  trouve  que  les  globules  sont 
notablement  plus  petits  que  dans  la  veine  porte.  Dans 
cette  veine,  ils  ont  environ  de  0™,0058  à  0"\0060  de 
millimètre,  tandis  que,  dans  les  veines  hépatiques, 
leur  diamètre  n'est  plus  que  de  0'",0042  à  0",004o  en 
moyenne.  A  quoi  tient  cette  différence  ?  Probablement 
à  ce  que  dans  les  veines  hépatiques  les  globules  se 
trouvent  baignés  dans  un  sang  sucré  ;  on  sait  que  dans 
ces  cas  les  globules  du  sang  se  crispent  et  se  rata- 
tinent. Ce  serait  donc  là  un  phénc>mène  en  quelque 
sorte  purement  physique  et  auquel  il  n'y  aurait  pas 
lieu  jusqu'à  présent  d'attribuer  une  importance  quel- 
conque. 

Sénim  ei  caillot.  Au  point  de  vue  de  la  proportion  du 
sérum  et  du  caillot  dans  les  deux  sangs,  voici  les  résul- 
tats obtenus  par  Lehmann  dans  six  observations,  et  ré- 
sumés dans  le  tableau  suivant  : 


Veine  porte. 

SÉRUM, 

caîl: 

Yeine  porte. 

LOTS. 

Observations. 

Veines  hépat. 

Veines  iiépat. 

I. 

332,2 

143,1 

687,8 

856,9 

H. 

353,09 

156,57 

646,91 

843,43 

m. 

361/14 

156,94 

638,86 

843,06 

IV. 

333,0 

146,8 

666,1 

853,2 

V. 

046,47 

230,33 

353,53 

769,67 

VI. 

614,14 

218,41 

385,86 

781,59 

EN  TRAVERSANT  LE   FOIE.  201 

Comme  résultat  général  de  ce  tableau,  vous  voyez 
que  toujours  le  sang  de  la  veine  porte  contient  plus  de 
sérum  que  le  sang  des  veines  hépatiques,  et  que,  par 
conséquent,  le  caillot  du  sang  des  veines  hépatiques  est 
plus  considérable  que  le  caillot  du  sang  de  la  veine 
porte  ;  mais  vous  voyez  aussi  que  dans  la  veine  porte 
les  quantités  de  sérum  varient  du  simple  au  double  en- 
tre les  quatre  premières  expériences  et  les  deux  der- 
nières. Il  est  évident  que  cette  différence  doit  tenir  à 
des  conditions  diverses  dans  lesquelles  se  trouvaient  les 
animaux  soumis  à  l'expérience.  En  effet,  elles  corres- 
pondent à  des  périodes  digestives  particulières  :  les  qua- 
tre premières  expériences  ont  été  faites  cinq  heures 
après  un  repas;  les  deux  dernières  au  bout  de  dix 
heures. 

Eau  et  madères  solides,  —  Sur  100  parties  de  sang, 
l'analyse  a  donné,  dans  les  mêmes  observations,  les  ré- 
sultats consignés  dans  le  tableau  suivant  : 


1 

■.\M. 

RÉSIDUS 

SOLIDE?. 

Observations. 

'   Veiue  porte. 

Veines  hépat. 

Veine  porte. 

Veines  liépat, 

]. 

76,921 

68,646 

23,079 

31,334 

H. 

77,743 

70,230 

22,233 

29,730 

m. 

77,878 

70,108 

22,122 

29,892 

IV. 

77,30o 

68,811 

22,693 

31,189 

V. 

86,234 

74,309 

13,766 

23,691 

VI. 

83,998 

73,383 

1 1,001 

26,415 

Les  observations  que  nous  avons  faites  au  sujet  des 
résultatsprécédentssurlesérumetlecaillots'appliquent 
évidemment  à  ceux-ci.  On  devait  s'attendre,  en  consé- 
quence, à  voir  le  sang  delà  veine  porte,  que  nous  avons 


202        MODIFICATIONS   CHIMIQUES  QUE   LE   SANG  ÉPROUVE 

déjà  trouvé  plus  riche  en  sérum,  contenir  plus  d'eau 
que  celui  des  veines  hépatiques,  et  moins  des  matières 
solides. 

Au  point  de  vue  des  matières  sohdes  que  présentent, 
le  sérum  et  le  caillot  de  chacun  de  ces  deux  sangs, 
voici  les  résultats  queLehmann  a  obtenus  : 


SERUM. 

CAILLOTS. 

Observations. 

Veine  porte. 

Yeines  hépat. 

Veine  porte. 

Veines  hépat, 

I. 

7,740 

10,702 

30,709 

34,803 

II. 

8,413 

10,487 

29,811 

33,163 

m. 

7,931 

10,557 

30,144 

33,491 

IV. 

8,14i 

10,712 

29,989 

3i,712 

V. 

9,829 

10,580 

23,340 

30,213 

VI. 

7,692 

10,664 

24,042 

38,311 

Ici  les  chiffres  ne  présentent  pas  de  grandes  différen- 
ces, mais  on  aperçoit  toujours  ce  même  fait,  à  savoir, 
que  le  sang  des  veines  hépatiques,  aussi  bien  dans  le 
sérum  que  dans  le  caillot,  présente  une  plus  grande 
proportion  d'éléments  solides  que  le  sang  de  la  veine 
porte. 

Mais  les  matières  qui  nous  intéressent  le  plus  sont  la 
graisse,  la  fibrine,  l'albumine  et  le  sucre. 

Quant  à  la  graisse,  Lehmann  a  trouvé,  sur  trois  ob- 
servations, les  résultats  suivants:  pour  100  parties  du 
résidu  sec  du  sang,  il  y  avait  : 


Observât! 

ons. 

Veine  porte. 

Veines  hépatiques. 

I. 

3,22:) 

1,685 

II. 

3,610 

2,570 

m. 

3,373 

1,946 

Vous  voyez  que  la  graisse  est  déjà  en   très-faibles 


EX   TRAVERSANT    LE   FOIE.  203 

proportions  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  et  qu'elle 
diminue  encore  dans  le  sang  des  veines  hépatiques. 
Nous  savons  déjà  que  chez  les  mammifères  cette  sub- 
stance suit  une  autre  voie  pour  se  rendre  dans  le  sys- 
tème circulatoire  général  ;  mais  que  devient  alors  cette 
graisse,  dont  la  plus  grande  partie  disparait  dans  le 
foie?  Entrerait-elle  dans  la  constitution  des  acides  de 
la  bile?  il  ne  s'agit  pas  ici,  bien  entendu,  de  la  matière 
émulsive  se  rapprochant  des  matières  grasses,  dont 
nous  avons  constaté  la  production  dans  le  foie  sous 
l'influence  d'une  alimentation  sucrée  :  cette  substance, 
à  cause  de  ses  caractères  spéciaux,  n'a  pas  été  signalée 
dans  les  analyses  de  Lehmann. 

Fibrine.  —  L'action  du  foie  sur  ce  principe  immé- 
diat est  extrêmement  remarquable,  et  l'analyse  chimi- 
que est  parfaitement  d'accord  avec  nos  expériences 
physiologiques  à  ce  sujet.  La  fibrine  disparaît  complè- 
tement dans  le  foie.  On  n'en  trouve  plus  trace  dans  le 
sang  des  veines  hépatiques. 

Sur  1,000  parties  du  liquide  entier  de  sang  (moins 
les  globules),  il  y  avait  en  fibrine  : 


DANS 


Obsei-vati 

0U5. 

Veine  porte. 

Veines 

;  hépatiques. 

I. 

5,010 

» 

II. 

4,2  iO 

» 

m. 

5,920 

» 

(Lehmann.) 

Si  l'on  bat  le  sang  sorti  du  foie  avec  des  verges,  il 
ne  s'y  attache  aucun  filament.  Cependant,  il  se  coagule. 
La  coagulation,  qu'on  avait  jusqu'alors  attribuée  à  la 


201-      MODIFICATIONS   CHIMIQUES  QUE   LE  SANG  ÉPROUVE,   ETC. 

fibrine  qu'on  extrait  par  le  battage,  ne  saurait  donc  lui 
être  exclusivement  rapportée. 

Nous  verrons,  du  reste,  que,  d'après  des  expériences 
sur  le  grand  sympathique,  nous  sommes  autorisés  à 
émettre  cette  opinion  que  la  matière  coagulablc  n'est 
pas  la  fibrine,  au  moins  suivant  la  définition  que  l'on 
donne  ordinairement  de  cette  substance. 

Albumine,  — Les  expériences  de  Lehmann  montrent 
que  l'albumine  se  trouve  dans  le  sang  de  la  veine  porte 
aussi  bien  que  dans  celui  des  veines  sus- hépatiques, 
mais  dans  des  proportions  différentes. 

Sur  1,000  parties  de  sang  (moins  les  globules),  il  y 
avait  en  albumine  : 


Observations. 

Veine  porte. 

Veines  hé[)utiqucs. 

I. 

24,453 

10,703 

II. 

29,603 

•  19,9o2 

m. 

44,340 

32,449  (digestion). 

Ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  c'est  qu'un  tiers  environ 
de  l'albumine  ait  disparu  en  traversant  le  foie,  ainsi  que 
le  montre  le  tableau  précédent. 

Enfin,  indépendamment  de  ces  substances,  il  y  a  le 
SLicre^  qu'on  ne  trouve  jamais  dans  le  sang  de  la  veine 
porte,  quand  on  prend  un  animal  à  jeun  depuis  un  cer- 
tain temps,  ou  nourri  exclusivement  de  matières  azo- 
tées; le  sucre  existe  toujours,  au  contraire,  en  notables 
proportions  dans  le  sang  des  veines  hépatiques.  Chez 
le  cheval,  par  exemple,  pour  faire  suite  aux  mêmes 
analyses    précédentes,     Lehmann    a    trouvé    O^'jOBS 


MODIFICATIONS   DE   TEMPÉRATURE,    ETC.  205 

pour  100  dans  le  sang  qui  entre  dans  le  foie,  et  0^', 792 
dans  le  sang  des  veines  hépatiques. 

Ces  résultats  d'analyses  faites  au  point  de  vue  chi- 
mique avec  beaucoup  de  soin,  quoiqu'elles  n'aient  pas 
é(é  répétées  encore  dans  toutes  les  conditions  physiolo- 
giques où  cela  serait  nécessaire,  suffisent  pour  montrer 
combien  est  grande  l'action  que  le  foie  exerce  sur  les 
substances  qui  le  traversent,  et  combien  il  modifie  et 
élabore  les  divers  matériaux  du  sang. 

Mais  toutes  ces  transformations  de  matières,  toutes 
ces  créations  de  principes  immédiats,  toutes  les  sécré- 
tions qui  s'accomplissent  dans  cet  organe,  ne  sauraient 
s'effectuer  sans  être  accompagnées  des  phénomènes 
physiques  de  développement  de  chaleur  auxquels  don- 
nent lieu  toutes  les  actions  chimiques. 

L'élévation  delà  température  est  aussi  un  produit  vital , 
qui  a  son  rôle  dans  l'organisme, et  dont  la  source  a  besoin 
d'être  cherchée  et  connue.  Quoique  nous  ne  voulions 
pas  faire  ici  Thistoire  de  la  chaleur  animale,  cependant, 
comme  on  a  toujours  relié  les  phénomènes  de  calorifica- 
tion  avec  la  production  des  phénomènes  chimiques, 
nous  sommesobligés  d'étudier  celte  question  dansle  foie. 

Toutes  les  modifications,  dont  nous  avons  précédem- 
ment tracé  le  tableau,  doivent  donc  entraîner,  comme 
conséquence,  une  élévation  de  température  que  le  sang 
éprouvera  en  traversant  le  foie.  Le  sang  qui  sort  du 
foie  est,  en  effet,  phis  chaud  que  le  sang  qui  y  entre,  et 
l'expérience  ne  laisse  aucun  doute  à  ce  sujet.  Pour  con- 
stater ce  fait,  nous  avons  opéré  de  la  manière  suivante 
sur  les  chiens  : 


-206  MODIFICATIOxNS  DE  TEMPÉRATURE 

Cn  fait  une  grande  incision  oblique  dans  le  flanc 
droit,  immédiatement  au-devant  de  la  masse  des  mus- 
cles sacro-lombaires,  et  remontant  aussi  haut  que  pos- 
sible dans  l'angle  de  la  dernière  fausse  côte.  On  arrive 
ainsi  sur  le  rein  droit,  immédiatement  au-dessus  du 
foie,  et  un  peu  au-dessous  des  veines  rénales.  On  in- 
troduit le  thermomètre  dans  la  veine  cave,  en  appli- 
quant convenablement  des  ligatures  pour  empêcher 
l'écoulement  du  sang.  En  même  temps,  à  l'aide  d'une 
aiguille  de  Cooper,  on  passe  un  fd  au-dessous  de  la 
veine  cave,  immédiatement  au-dessus  des  veines  réna- 
les; alors  le  thermomètre  étant  introduit,  on  dirige  sa 
cuvette  en  haut  et  à  gauche,  jusqu'à  ce  qu'elle  se  trouve 
placée  à  peu  près  en  face  des  veines  hépatiques.  Alors 
on  serre  sur  la  tige  du  thermomètre  des  fds  passés  au- 
dessous  de  la  veine  cave,  de  façon  à  empêcher  le  sang 
de  cette  veine  de  remonter. 

Puis,  toujours  par  la  même  plaie  faite  à  l'abdomen, 
on  saisit  le  tronc  principal  de  la  veine  porte  avant  son 
entrée  dans  le  foie,  en  ayant  soin  préalablement  aussi 
dépasser  des  fds  sous  cette  veine,  de  manière  à  empê- 
cher le  sang  de  s'écouler  après  qu'on  aura  placé  le 
thermomètre.  Dans  ces  expériences,  on  alterne  l'obser- 
vation de  façon  à  agir  tantôt  en  commençant  par  la 
veine  porte  et  finissant  par  la  veine  cave,  et  vice  versd. 
On  achève  enfin,  pour  avoir  un  terme  de  comparaison 
complet,  en  prenant  la  température  dans  l'aorte  en 
pénétrant  par  l'aorte  ventrale,  sur  laquelle  on  a  préa- 
lablement placé  des  ligatures. 

Voici  les  résultais  qu'a  donnés  une  expérience  que 


QUE   LE  SANG  ÉPROUVE   DANS  LE   FOIE.  207 

nous  venons  de  faire  sur  la  lempéralure  du  sang  des 
veines  hépatiques  comparée  à  celle  des  autres  vaisseaux  : 

HEURE 
des  VAISSEAUX  OBSERVÉS.  TEMPÉRATURE. 

OBSERVATIONS. 

2"^  25",     carotide  gauche  du  côté  du  cœur 39°,03  centigr. 

2  30,  veine  jugulaire  gauche,  bout  périphé- 
rique       37°,80  à  37°,6a 

2  40,  veine  jugulaire  droite,  bout  périphé- 
rique,  sans  avoir  lié  d'abord  la  ca- 
rotide       38S40 

2     41,      veine  jugulaire  jusque  dans  la  veine 

cave  supérieure 39°,20  à  39°,22 

2  48,      veine  cave  supérieure  à  l'entrée  de 

l'oreillette   droite 39*,20  à  39^25 

3  06,       veine  porte,  bout  périphérique 39"',40 

3  16,  veine  cave  à  l'entrée  des  veines  hépa- 
tiques   39^80. 

3    20,      veine   cave  jusque   auprès  du  cœur, 

sans  sortir  l'instrument 39'',o0  à  39o,(i5 

2  25,      veine  rénale  gauche 39°, 50 

3  28,      veine   cave  infér.  du  côté  des  mem- 

bres      39%20 

3    32,      artère  carotide    gauche  par  en  bas, 

jusque  dans  l'aorte 39°,20  à  39%26 

3    36,      veine  jugulaire  droite  du  côté  de  la 

tête 38°,15 

3     45,      veine  jugulaire  jusque  dans  la  veine 

cave  supérieure o9°,20 

3    47,      artère  carotide  gauche 39<^,20 

3    50,      artère  carotide  gauche  jusqu'au  cœur.     39°,30à  39°,40 
9    53,      veine  jugulaire  gauche  du  côté  de  la 
tête  (l'artère  carotide  était  liée  de  ce 
côté) 39^80 

3  47,      veine  cave  inférieure  dans  le  foie,  à 

l'entrée  des  veines  hépatiques  inté- 
rieures       19°,50 

4  02,      veine  cave  inférieure   au  niveau  des 

veines  hépatiques  les  plus  élevées.     30°,60  à39°,80 
4    05,      veine   cave   inférieure    au-dessus   du 

diaphragme 39^40 


20S                         MODIFICATIONS   DE   TEMPÉRATURE 
4h  Q-jm^      veine  cave  à  l'entrée  des  veines  hépa- 
tiques   35^^)o  à  39°,70 

4     08,       veine  rénale  gauche 39%20à  39°,30 

4     i2,      veine  porte,  bout  périphérique 39°,35  à  39°,40 

4    29^      aorte  abdominale 38°,70 

Le  chien  sur  lequel  nous  avons  opéré  est  de  forte 
taille  et  en  digestion.  On  peut  voir  que  le  sang  qui 
sort  du  foie  est  de  0^40  p!us  chaud  que  le  sang  qui 
entre  par  la  veine  porte,  et  de  0^60  plus  chaud  que  le 
sang  de  l'aorte.  La  température  du  sang  avant  le  foie 
est  de  39%40;  après  le  foie,  elle  est  de  39%80,  et  cette 
température  est  la  plus  élevée  du  corps  de  l'animal.  Le 
point  le  plus  chaud  de  tout  l'organisme  se  trouve  donc 
dans  la  veine  cave  à  l'endroit  où  débouchent  les  veines 
hépatiques. 

C'est  là  un  des  faits  les  plus  intéressants,  et  si  nous 
en  poursuivons  les  conséquences,  nous  allons  voir  com- 
bien vont  se  modifier  les  idées  qu'on  s  >  faisait  d'après 
les  anciennes  théories  chimiques  sur  la  répartition  de 
la  chaleur  dans  le  corps  d'un  animal. 

Le  sang  qui  sort  du  foie  avec  sa  température  sera 
d'autant  plus  chaud  qu'il  sera  plus  près  de  sa  source, 
et  il  perdra  de  sa  chaleur  à  mesure  qu'il  s'en  éloignera 
d'après  les  lois  physiques  qui  régissent  la  déperdition 
de  la  chaleur.  Sorti  des  veines  hépatiques,  il  est  conduit 
par  la  veine  cave  inférieure  dans  le  cœur  droit,  où  il  se 
mélange  avec  le  sang  moins  chaud  venant  des  parties 
supérieures;  de  là  il  se  rend  au  poumon,  qu'il  traverse, 
puis  revient  au  cœur  gauche,  qui  l'envoie  dans  les  ar- 
tères de  la  grande  circulation.  Or,  le  sang  arrivé  dans 
lecœurgauche  est  plus  éloigné  du  foie  que  le  sangdu 


QUE   LE  SANG   ÉPROLVE   DANS  LE    FOIE.  209 

cœur  droit;  de  plus,  il  s'est  mis  en  contact  avec  l'air 
froid  introduit  par  la  respiration.  11  doit  donc  être 
moins  chaud  que  ce  dernier  s'il  est  vrai  que  le  foie  est 
une  des  principales  sources  de  la  chaleur.  Nous  arri- 
vons donc  à  penser  d'après  cela  que  le  sang  des  cavités 
droites  du  cœur  doit  être  plus  cliaud  que  celui  des  cavi- 
tés gauches,  contrairement  à  la  théorie  généralement 
admise  et  d'après  laquelle  le  sang  artériel  serait  plus 
chaud  que  le  sang  veineux.  Mais  en  physiologie  surtout, 
ce  sont  les  faits  qui  doivent  juger  les  théories,  et  jamais 
le  contraire  ne  doit  avoir  lieu. 

D'après  la  théorie  chimique  de  Lavoisier,  on  croyait 
que  la  respiration  était  une  combustion  pulmonaire, 
accompagnée  du  dégagement  de  chaleur  qui  suit  tou- 
jours la  combinaison  de  l'oxygène  et  du  carbone;  cette 
explication  parut  d'abord  parfaitement  fondée,  parce 
que,  d'une  part,  on  absorbait  de  l'oxygène,  et  que,  de 
l'autre,  on  rejetait  de  l'acide  carbonique  absolument 
comme  une  lampe  qui  brûle  dans  l'air. 

Plus  tard,  l'explication  fut  changée,  lorsqu'on  dé- 
couvrit que  cette  combustion  ne  se  faisait  pas  dans  le 
poumon,  où  n'avait  lieu  qu'un  simple  échange  entre 
l'acide  carbonique  contenu  dans  le  sang  et  l'oxygène  de 
l'atmosphère,  de  sorte  que  la  respiration  pulmonaire 
n'était  qu'un  simple  déplacement  de  ces  deux  gaz  l'un 
par  l'autre.  Bien  qu'on  n'admit  plus  alors  que  ce  fût 
dans  le  poumon  que  se  faisait  cette  combinaison  entre 
l'oxygène  et  le  carbone,  on  avait  cependant  conservé 
des  expériences  qui  semblaient  établir  que  le  sang  arté- 
riel est  plus  chaud  que  le  sang  veineux.  Mais  ces  expé- 

BERNAKD.    I.  1  4 


210  DIFFÉRENCE   DE   TEMPÉRATURE  DU   SANG 

riences  sont  défectueuses,  non  pas  au  point  de  vue  de 
l'observation,  car  les  observateurs  ne  se  sont  pas  trom- 
pés sur  ce  qu'ils  ont  vu,  seulement  ils  sont  tombés  sou- 
vent dans  l'inconvénient  de  ne  pas  se  placer  dans  des 
conditions  vraiment  physiologiques. 

Mais  nous  vous  avons  souvent  dit,  Messieurs,  qu'une 
expérience  ne  se  critique  pas  par  des  raisonnements; 
elle  se  juge  par  des  faits  mieux  analysés,  et  nous  nous 
hâtons  d'y  arriver. 

Quand  on  a  observé  autrefois  que  le  sang  artériel  du 
cœur  gauche  était  plus  chaud  que  le  sang  veineux  du 
cœur  droit,  on  a  souvent  opéré  sur  des  animaux  récem- 
ment morts.  On  se  servait  soit  de  deux  thermomètres 
placés  simultanément  dans  les  deux  ventricules,  ce  qui 
est  déjà  une  cause  d'erreur, car  jamais  deux  instruments 
ne  sont  exactement  d'accord,  soit,  ce  qui  valait  mieux , 
d'un  seul  thermomètre  mis  successivement  dans  les  ca- 
vités droite  et  gauche  du  cœur.  On  a  généralement  ob- 
servé dans  ces  conditions  que  le  ventricule  gauche  avait 
une  température  plus  élevée  que  le  ventricule  droit. 
Mais  il  est  facile  de  démontrer  que,  dans  ce  cas,  oii 
le  sang  ne  circule  plus  dans  le  cœur,  cette  différence 
tient  à  un  refroidissement  plus  facile  dans  le  cœur  droit 
que  dans  le  cœur  gauche.  En  effet,  si  l'on  enlève  com- 
plètement le  cœur  à  un  animal,  qu'on  le  remplisse  d'eau 
après  avoir  lié  ses  diverses  ouvertures,  qu'on  place  deux 
thermomètres  bien  réglés  dans  chacun  de  ses  ventricu- 
les, qu'on  mette  le  tout  dans  un  bain  à  40  degrés,  on 
voit  la  température  dans  le  cœur  s'équilibrer  avec  celle 
de  Teau  qui  l'entoure.  Si  l'on  vient  alors  à  retirer  du 


DANS  LES  CAVITÉS  DU   CŒUR.  211 

bain  le  cœur  muni  de  ses  deux  thermomètres,  et  qu'on 
le  laisse  se  refroidira  Tair,  on  s'aperçoit  que  le  thermo- 
mètre placé  dans  le  ventricule  droit  s'abaisse  plus  rapi- 
dement que  celui  qui  est  placé  dansle  ventricule  gauche. 
Voilà  donc  une  expérience  purement  physique  qui 
donne  les  mêmes  résultats  qu'une  expérience  qu'on 
avait  crue  physiologique. 

Vous  voyez  ici  un  cœur  débarrassé  de  ses  vaisseaux; 
on  a  introduit  un  thermomètre  dans  chacun  de  ses  ven- 
tricules préalablement  remplis  d'eau.  On  a  placé  l'ap- 
pareil ainsi  disposé  dans  un  bain  à  une  température  de 
40  degrés  environ.  Au  bout  d'un  quart  d'heure,  les 
deux  thermomètres  placés  dans  le  cœuront  marqué  sen- 
siblement la  même  température  qu'un  autre  Ihermo- 
mlère  placé  dans  le  bain. 

On  observe  alors,  le  cœur  étant  sorti  du  bain,  la  mar- 
che comparative  aux  thermomètres  placés  dans  les  ven- 
tricules, et  l'on  obtient  les  résultats  suivants  : 


Époque              ; 

Th 

ermoraètre 

Thermomètre 

d( 

3S 

dans  le  ventricule 

dans  le  ventricule 

observations. 

gauche. 

droit. 

oh 

Om 

3hM 

3h°,3 

o 

0 

35 

3i 

o 

6 

34 

32°,8 

5 

7 

33%1 

32 

0 

10 

32 

31 

^ 

13 

30 

29 

5 

16 

28«,7 

28 

o 

18 

27«,4 

27 

5 

23 

2o%8 

2o°,6 

D'autres  expérimentateurs,  Legallois  et  Collard  de 
Martigny,   M.  Magendie  surtout,  et  plus  récemment 


-21 2  IiIFFÉHENCE  DE  TEMPÉRATURE   DU   SANG 

M.  G.  Liebig,  avaient  déjà  dit  que  le  sang  du  ventricule 
gauche  leur  avait  paru  moins  chaud  que  celui  du  ven- 
tricule droit.  Mais  on  ne  s'expliquait  pas  comment  le 
sang  artériel,  qui,  dans  toutle  reste  du  corps,  est  plus 
chaud  que  le  sang  veineux,  devenait  moins  chaud  au' 
contraire  que  ce  dernier  dans  le  cœur.  Ce  qui  se  passe 
dans  le  foie  nous  rendra  compte  maintenant  de  cette 
particularité. 

Pour  arriver  à  la  réalisation  de  nos  expériences  sur  la 
température  comparée  dusangdans  les  deux  cœurs, 
nous  nous  sommes  placés  dans  des  conditions  aussi 
voisines  que  possible  de  l'état  physiologique,  en  pre- 
nant la  température  dans  le  cœur  sur  le  vivant  pendant 
que  le  sang  continuait  à  circuler.  Mais  tous  les  animaux 
ne  se  prêtent  pas  également  bien  h  ces  expériences.  Il 
est  presque  impossible  d'introduire  un  thermomètre 
dans  le  cœur  d'un  chien,  par  exemple,  à  cause  de  la 
situation  profonde  du  tronc  brachio-céphalique;  on 
produit  des  désordres  très-graves  qui  nuisent  à  la  cer- 
titude des  résultats.  Chez  la  chèvre  et  le  mouton,  au 
contraire,  on  peut  assez  facilement  introduire  par  la 
veine  jugulaire  droite  et  le  tronc  artériel  brachio-cé- 
phalique un  thermomètre  dans  l'une  et  l'autre  cavité 
(lu  cœur.  Voici  comment  nous  opérions  sur  des  mou- 
lons :  l'animal  étant  couché  sur  le  dos,  et  tenu  la  tête 
forlement  renversée  en  arrière,  on  pratique  sur  la  ligne 
médiane  du  cou  une  incision  longitudinale,  longue  de 
iO  à  12  centimètres;  on  écarte  les  muscles,  on  arrache 
le  thymus,  et  Ton  a  sous  les  yeux  la  trachée  qui  a  été 
mise  à  nu,  la  veine  jugulaire  droite  qu'on  isolejusqu'au 


DANS   LES   CAVITÉS   DU    GŒUU.  213 

bas  du  cou,  ainsi  que  le  tronc  brachio-céphalique  arté- 
riel en  passant  deux  fils  sous  chacun  de  ces  vaisseaux. 
Alors  on  prend  la  température  avec  le  Ihcrmoinêlre, 
qu'on  commence  à  introduire  soit  par  Tarière,  soit  par 
la  veine.  Pour  agir  sur  le  tronc  brachio-céphalique  ar- 
tériel, on  commence  par  faire  une  ligature  au  lieu  d'o- 
rigine des  deux  carotides,  avec  un  iil  ciré  à  plusieurs 
doubles  pour  éviter  de  couper  le  vaisseau.  Puis  alors  on 
passe  le  doigt  de  la  main  gauche  sous  le  tronc,  on  y 
l'ait  une  incision  en  même  temps  qu'on  empêche  l'issue 
du  sang,  soit  en  prenant  l'artère,  soit  en  soulevant 
l'autre  fil  resté  libre.  Avec  la  main  droite  on  place  la 
cuvette  du  thermomètre  dans  l'ouverture  de  l'artère,  et 
l'on  pousse  l'instrument  en  le  dirigeant  un  peu  de  gau- 
che à  droite,  et  d'arrière  en  avant  jusque  dans  le  ven- 
tricule; il  peut  arriver  quelquefois  qu'on  soit  arrêté 
par  les  valvules  sigmoïdes,  alors  on  retire  l'instrument 
pour  le  replonger,  soit  qu'on  parvienne  à  éviter  ces  val- 
vules, soit  à  les  rompre,  comme  c'est  le  cas  le  plus  or- 
dinaire. On  s'aperçoit  que  l'on  est  dans  le  cœur  lorsque 
le  thermomètre  transmet  les  battements  du  ventricule 
dans  lequel  il  se  trouve. 

Quand  ou  veut  pénétrer  dans  la  veine  cave,  on  y  place 
d'abord  uneligature  pour  empêcher  le  sang  de  la  tête 
de  redescendre,  ensuite  on  fait  une  incision  au-dessous 
decette  ligature,  en  ayant  soin  de  comprimer  la  veiue 
pour  empêcher  l'entrée  de  l'air  dans  le  cœur.  Le  ther- 
momètre est  introduit  dans  la  veine  et  on  le  pousse 
jusque  dans  le  cœur,  en  le  dirigeant  un  peu  de  droite 
à  gauche  et  d'arrière  en  avant.  Si  l'on  n'avait  pas  le 


214  DIFFÉRENCE   DE  TEMPÉRATURE   DU    SANG 

soin  de  diriger  rinstrument  comme  nous  venons  de  le 
dire,  il  serait  conduit  en  bas  dans  la  veine  cave  infé- 
rieure, au-dessous  du  cœur.  On  sent  également  qu'on 
est  dans  cet  organe  lorsque  la  tige  du  thermomètre  est 
agitée  par  les  battements  cardiaques. 

On  comprend  que  pour  des  déterminations  aussi  dé- 
licates, car  bien  qu'il  y  ait  une  différence  de  tempéra- 
ture, cette  différence  ne  saurait  être  considérable,  puis- 
que la  cloison  intermédiaire  est  très-mince,  et  que 
d'ailleurs,  en  arrivant  au  cœur,  le  sang  venu  du  foie 
s'est  déjà  refroidi  par  son  mélange  avec  le  sang  du  reste 
du  corps;  on  comprend,  dis-je,  qu'il  faille  s'entourer 
de  précautions  minutieuses  et  d'instruments  à  la  fois 
très-sensibles  et  d'une  grande  précision.  Dans  toute  re- 
cherche thermométrique,  il  importe  de  se  servir  du 
même  instrument,  qui  est  toujours  comparable  à  lui- 
même,  tandis  que  deux  instruments  différents,  quelque 
bien  faits  qu'ils  soient  pour  marcher  d'accord,  ne  vont 
jamais  parfaitement  ensemble,  et  indiquent  presque 
toujours  des  différences,  quoique  placés  dans  des  con- 
ditions identiques.  Dans  ces  expériences  nous  étions 
assisté  de  M.  Walferdin,  dont  la  compétence  sur  toutes 
les  questions  de  détermination  de  température  est  si 
bien  établie,  et  dont  les  instruments  ont  acquis  une  si 
grande  précision.  Le  thermomètre  qui  nous  a  servi  était 
un  thermomètre  métastatique  de  M.  Walferdin,  dont 
l'échelle  arbitraire  a  été  ensuite  ramenée  à  l'échelle  du 
thermomètre  à  graduation  centésimale.  On  trouvera 
résumés  dans  le  tableau  suivant  les  résultats  des  expé- 
riences faites  sur  les  moutons.   Elles  montrent  que  la 


DANS   LES  CAVITÉS  DU   CŒUR.  215 

différence  de  température,  bien  qu'elle  soit  constante, 
est,  comme  nous  le  disions, peu  considérable;  enefPet, 
elle  ne  dépasse  pas  2  à  3  dixièmes  de  degré  ;  mais,  nous 
le  répétons,  l'excès  de  température  est  ordinairement 
àFavantai^^e  du  ventricule  droit. 


2IG       DIFFÉRENCE  DE   TEMPÉR.    DU   SANG   DANS  LE   CŒIR. 

Observations  faites  sur  des  moutons  avec  le  thermomètre  métastatique 
à  mercure  de  M.  Walferdin» 


DATi; 

i 

B      s 

.j- 

2        . 

de 

"Ê  1 

S  -"S  .3 

iJ 

--à 

i     1 
-g  Si 

OBSERVATIONS. 

l.'bXPEItlK^Ci;. 

~   _p 

g        -H. 

S       S 

'   1 

i    i 
1   1 

1853. 

m.     ?. 

, 

0 

»j--  i-ii  "i; 

gauche. 

307.5 

40,077 

droit. 

308.9 

40,329 

+  0,252 

i6j".n.  2.11  ;;;; 

gauche, 
dioit. 

308 
308 

40.167 
40,167 

Vu.  peu  de  sang  répandu. 

-        3.1    = 

droit. 

307 

39,987 

+  0,108 

Id. 

gauche. 

306.4 

39,879 

+ 

-     *•!  = 

gauche. 

304.5 

39,537 

Pas  de  sang  répandu. 

droit. 

304.6 

39,555 

+  o',ôi8 

-    5-!  = 

droit. 

309 

40,347 

+  0,144 

Id. 

gauche. 

308 

40,203 

-  e.{  = 

gauche. 

310 

40,527 



Déchirem'  du  venir,  gauche 

droit. 

308.04 

B 

par  le  thermoni.,  respirât. 

1             1 

très-accélérée,  trouble. 

-  M  = 

droit. 

306 

39.807 

+  0,270 

Animal  très-vigoureux. 

gauche. 

304.5 

39,537 

1854.         1 

n    (  2     30 

droit. 

309.00 

40,347 

Les  battem.  sont  plus  accélé- 

0 mars.  8-  (  3     00 

gauche. 

310.2 

40,563 

rés  pendant  l'observât,  du 

«    S  2     IH 

gauche. 

309  6 

40,455 

cœur   droit    que  pendant 

9.  ',2     30 

droit. 

309.8 

40,491 

+  0,036 

l'observ.  du  cœur  gauche. 

3     00 

droit. 

309.5 

40,437 

+  0,090 

t 



droit. 

309 

40,347 

—         10.     3     00 

gauche. 

300 

40,347 

gauche. 

309.2 

40,373 

Mouvements,  efforts  de  l'ani- 



gauche. 

309 

40,347 

mal,  puisât,  accélérées. 

/3     30 

gauche. 

310 

40,5-27 

L'animal  s'agite. 

- 

gauche . 

309.9 

40,509 

L'animal  est  plus  calme. 

\    - 

gauche . 

310 

40,527 

Mouvements,  etforts. 

—         Il-       — 

gauche . 

309.9 

40,509 

Calme. 

13     1;. 

droit. 

310 

40,527 

- 

droit , 

310.1 

40,545 

+ 

Efforts  et  mouvements. 

\    _ 

droit. 

310.2 

40,563 

+ 

Id. 

1      l'a 

droit. 

308.2 

40,203 

On  est  dans  l'oreillette. 

—       12-      — 

droit. 

309 

40,347 

+  0',18Ô 

On  est  dans  le  ventricule 

2     15 

gauche. 

308 

40,167 

L'animal  est  calme. 

2     45 
—         13.     3     00 

gauche, 
droit. 

306 

39,807 

305 

39,807 

On  est  dans  l'oreillette. 

droit. 

306.7 

39,933 

+  0*126 

Ou  est  dans  le  ventricule. 

.    . ,    ( 1     30 

gauche. 

545 

39,865 

Leà    expériences    suivantes 

io  sept.  14.  J  1     30 

droit. 

548 

40,088 

+  o',223 

sont  faites  avec  un  autre 

I  c    M     30 

droit . 

541.5 

39,605 

+  0,044 

thermomèt.  métastatique. 

-        15- Il     30 

gauche. 

540.9 

39,561 

fo    )  l     30 

droit. 

546 

39,939 

-        16- Ji    30 

gauche. 

547 

40,013 

1                           M     30 
-         •/•  j  1     30 

gauche. 

531.4 

38,854 

droit. 

535 

39,122 

+  0,267 

1                           i     — 

droit. 

540 

39,494 

1 

-       18-      - 

gauche. 

540 

.'!9,494 

1    _ 

1 

droit. 

543 

39,717 

+  0,223 

DIXIEME  LEÇON 

27  JANVIER  1855. 

SOMMAIRE  :  Destruction  du  sucre  dans  l'organisme.  —  Destructibilité  des 
diverses  espèces  de  sucres.  —  Expériences  comparatives  à  ce  sujet.  —  Li- 
mites de  la  destructibilité  du  glucose  dans  l'organisme.  —  Résultats  d'expé- 
riences. —  Influence  du  degré  de  concentration  de  la  dissolution.  —  In- 
fluence de  la  combinaison  du  sucre  avec  le  sel  marin.  —  Résultats  d'expé- 
riences à  ce  sujet.  —  Influence  de  la  saignée.  —  Nécessité  que  le  sucre  ne 
pénètre  qu'en  petit  s  quantités  à  la  fois  dans  l'organisme.  —  Réflexions 
sur  la  multiplicité  des  causes  qui  peuvent  faire  apparaître  le  sucre  dans 
les  urines  à  la  suite  des  injections. 


Messieurs, 

Nous  am^ivons  maintenant  à  un  autre  chapiti-e  de 
l'histoire  du  sucre.  Jusqu'ici  nous  vous  avons  entretenu 
de  sa  production  et  des  diverses  influences  qui  agissent 
sur  elle.  Nous  aurions  encore  à  vous  parler  de  l'action 
du  système  nerveux  sur  cette  fonction,  mais  nous  nous 
réservons  de  l'étudier  plus  tard,  à  propos  des  diabètes 
artificiels. 

Nous  devons  actuellement  examiner  les  phénomènes 
de  destruction  du  sucre  dans  l'organisme.  Car,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  le  sucre,  à  l'état  normal,  n'est 
pas  expulsé  au  dehors,  il  reste  dans  le  sang  pour  y  rem- 
plir certains  usages  dont  nous  vous  parlerons  bientôt, 
et  sur  lesquels  nous  avons  à  vous  annoncer  des  faits 
entièrement  nouveaux  qui  sont  de  nature,  je  crois,  à 


2i8  CAUSES  DE   L'APPARITION 

jeter  une  vive  lumière  sur  les  phénomènes  chimiques 
qui  se  passent  dans  l'organisme,  dans  leurs  rapports 
avec  les  actes  purement  vitaux. 

Pour  le  moment,  nous  allons  donc  rechercher  les 
conditions  physiologiques  de  la  disparition  du  sucre 
dans  l'animal.  Cette  étude  est  d'autant  plus  importante 
que  les  théories  du  diabète  roulent  toujours  sur  ces 
deux  faits  nécessairement  connexes,  production  ou  des- 
truction du  sucre,  soit  qu'on  suppose  la  production  exa- 
gérée, soit  que  l'on  considère  l'amoindrissement  de  la 
destruction.  Le  sucre  qui  apparaît  dans  les  urines  peut 
résulter  en  effet  ou  de  ce  qu'il  se  forme  en  trop  grande 
quantité  pour  être  complètement  détruit,  ou  de  ce  que 
se  produisant  comme  d'habitude,  la  faculté  que  l'or- 
ganisme a  de  le  détruire  est  devenue  insuffisante.  Il 
faut  donc  bien  fixer  les  idées  sur  ces  deux  points  pour 
apprécier  la  valeur  des  théories  basées  sur  l'une  ou  sur 
l'autre  des  deux  phases  de  la  même  fonction. 

Dans  l'état  physiologique  le  sucre,  incessamment  sé- 
crété dans  le  foie,  n'apparait  jamais  dans  aucune  des 
excrétions  naturelles,  il  est  donc  détruit  dans  l'orga- 
nisme; mais,  indépendamment  de  cette  quantité  nor- 
male qui  disparait  à  mesure  qu'elle  se  forme,  l'individu 
vivant  peut  encore  en  détruire  un  peu  plus;  de  sorte 
qu'à  l'état  sain  la  puissance  de  destruction  est  toujours 
supérieure  à  la  formation  glycogénique. 

Si  l'on  ajoute  du  sucre  dans  le  sang  d'un  animal, 
jusqu'à  une  certaine  limite,  ce  sucre  pourra  être  com- 
plètement détruit  et  n'apparaîtra  point  au  dehors. 

Mais  il  faut  ici  distinguer  ce  qui  se  passe  suivant 


DU   SUCRE   DANS  LES  URINES.  219 

qu'on  a  affaire    aux  différentes   espèces   de   sucres. 

Les  sucres  de  première  espèce,  les  sucres  de  canne 
et  de  betterave,  ne  sont  jamais  détruits,  ils  sont  con- 
stamment éliminés  par  les  urines  quand  on  les  injecte 
directement  dans  le  sang;  car  vous  savez  que,  mis  dans 
l'intestin,  ces  mêmes  sucres  sont,  en  partie  au  moins, 
transformés  en  sucre  de  deuxième  espèce.  Ces  der- 
niers, au  contraire,  injectés  dans  le  sang,  peuvent  y 
être  détruits  en  certaines  proportions. 

Nous  allons  vous  montrer  expérimentalement  ce  fait 
en  injectant  dans  le  sang  de  ces  deux  lapins,  qui  sont 
de  même  taille  et  dans  les  mêmes  conditions,  à  l'un, 
une  certaine  quantité  d'un  sucre  de  la  première  espèce, 
à  l'autre  la  même  quantité  d'un  sucre  de  deuxième 
espèce. 

Nous  découvrons  ici  la  veine  jugulaire  droite  en 
faisant  une  incision  dans  la  région  moyenne  du  cou, 
suivant  une  ligne  étendue,  depuis  l'angle  de  la  mâ- 
choire inférieure  jusqu'au  creux  sterno-coracoïdien  qui 
sépare  l'extrémité  supérieure  du  sternum  de  l'épaule. 
Nous  apercevons  la  veine  immédiatement  sous  la  peau, 
et  nous  la  dénudons  et  passons  au-dessous  d'elle  une 
double  ligature.  On  serre  en  haut  une  de  ces  ligatures 
qui  intercepte  la  circulation  dans  la  veine,  puis,  au- 
dessous  de  cette  ligature,  nous  incisons  la  veine  qui  est 
revenue  sur  elle-même,  en  se  vidant  de  son  sang.  Alors 
nous  introduisons  par  cette  ouverture  la  canule  d'une 
seringue  contenant  15  grammes  d'eau,  tenant  en  dis- 
solution 0s%5  de  sucre  de  canne  ou  sucre  de  la  première 
espèce.  On  pousse  l'injection  très-lentement,  et  c'est 


220  CAUSES  DE   L^VPPAKITION 

un  précepte  général  pour  toutes  les  injections  faites  sur 
les  animaux  vivants.  Vous  voyez  que  pendant  celte 
opération  l'animal  n'est  pas  troublé,  sa  respiration  reste 
normale  sans  s'accélérer,  ce  qui  n'aurait  pas  lieu  si 
nous  injectons  trop  rapidement.  Enfin,  nous  poussons 
l'injection  jusqu'à  la  fin  de  la  seringue,  parce  que  nous 
avons  eu  soin  de  chasser  tout  Tair  de  l'instrument.  Si 
l'on  n'avait  pas  pris  cette  précaution,  il  faudrait  se 
garder  d'injecter  les  dernières  parties  du  liquide  qui 
pourraient  contenir  de  l'air  et  causer  la  mort  de  l'animal . 

L'injection  étant  faite,  nous  plaçons  la  deuxième  li- 
gature'sur  la  veine,  nous  coupons  les  fils  et  nous  met- 
tons notre  animal  en  liberté.  INous  avons  pris  l'urine 
avant  l'opération;  nous  en  reprendrons  encore  dans 
une  demi-heure  environ,  et  nous  devrons  y  retrouver 
du  sucre  que  nous  venons  d'injecter  sans  qu'il  ait 
subi  aucune  modification  et  étant  encore  à  l'état  de 
sucre  de  canne. 

Nous  faisons  de  la  môme  manière  sur  l'autre  lapin, 
et  dans  la  veine  jugulaire,  l'injection  de  15  grammes 
d'eau  contenant  0^^',  5  de  sucre  de  fécule,  c'est-à-dire 
du  sucre  de  la  seconde  espèce.  L'animal  n'éprouve  au- 
cun inconvénient  de  cette  injection;  nous  avons  pris 
son  urine  avant,  nous  en  reprendrons  dans  une  demi- 
heure,  et  nous  ne  devrons  pas  rencontrer  les  moindres 
tiaces  du  sucre  que  nous  venons  de  lui  injecter,  parce 
qu'il  aura  été  détruit  dans  l'organisme,  ce  qui  vous 
prouvera  que  les  sucres  de  la  première  espèce  ne  sont 
pas  détruits,  tandis  que  ceux  de  la  deuxième  espèce  le 
sont. 


DU   SUCRE   DANS  LES  URINES.  221 

Maintenant,  parmi  ces  derniers,  il  y  en  a  qui  sont 
plus  destructibles  les  uns  que  les  autres,  et,  si  on  les 
range  d'après  leur  ordre  de  destructibilité  croissante, 
on  aura  la  série  suivante  : 

r  Sucre  de  lait; 

2"  Sucre  de  fécule  ou  glucose; 

T  Sucre  de  diabète; 

4°  Sucre  du  Foie. 

Les  sucres  de  canne  ou  de  betterave  (sucres  de  la 
première  espèce)  ne  se  détruisent  pas  sen- 
siblement  dans  le  sang^   ainsi  que  nous 
l'avons  dit. 

Du  reste,  nous  avons  rassemblé  dans  le 
tableau  suivant  quelques  résultats,  parmi 
beaucoup  d'expériences  que  nous  avons 
faites  sur  cette  propriété  des  sucres.  Seu- 
lement, au  lieu  d'injecter  la  solution  su- 
crée directement  dans  le  sang,  comme 
vous  nous  l'avez  vu  faire  tout  à  l'heure, 
nous  avons  toujours  poussé  cette  injection 
dans  le  tissu  cellulaire  sous-cutané,  en 
choisissant  pour  cette  expérience  les  la- 
pins, chez  lesquels  ce  tissu  est  très-lâche 
et  se  laisse  infiltrer  facilement  par  une 
certaine  quantité  de  liquide.  Par  cette  mé- 
thode, le  sucre  n'entre  pas  aussi  vite  dans 
la  circulation,  il  s'absorbe  peu  à  peu  dans 
le  tissu  cellulaire,  de  manière  qu'il  ne  s'en 
trouve  jamais  à  la  fois  qu'une  faible  quan- 
tité dans  l'organisme.  Cette  iujection  sous-cutanée  se 


Pi 


F,s.    13. 


222  CAUSES   DE  L'APPAUITION 

fait,  comme  vous  le  savez  déjà,  au  moyen  d'une  se- 
ringue (Fig.  13)  dont  la  tige  du  piston  P  est  graduée  de 
manière  à  mesurer  la  quantité  de  liquide  qu'on  injecte. 
La  canule  S  delà  seringue  est  piquante,  ce  qui  permet 
de  percer  directement  la  peau  et  de  pousser  Tinjection 
en  même  temps.  L'extrémité  de  la  canule  est  acérée  en 
forme  de  trocart,  et  l'ouverture  S  placée  latéralement. 
Voici  les  résultats  que  nous  avons  obtenus  à  la  suite 
des  injections  sous-cutanées  des  différents  sacres. 


SUCRES  INJECTES. 


Sucre  de  canne, 

—  de  lait.., 

—  de  fécule, 

—  de  diabèt 

—  de  foie.. 


COMPOSITION 

de 

l'injection. 


Sucre. 


0,liO 
1,00 

i,;io 

2,00 


Eau. 


APPARITION 
du  sucre 

DANS    LES   URINES. 


sucre. 
0 
0 

0 
0 


POIDS 

DU    LAPIN. 


gr. 
8K 

se: 
89: 

1001 


On  peut  voir,  d'après  les  chilfres  de  ce  tableau,  que 
sur  des  lapins,  dans  les  mêmes  conditions  de  digestion, 
aucun  des  sucres  de  deuxième  espèce  n'est  apparu  dans 
les  urines,  tandis  que  le  sucre  de  canne  seul  s'y  est 
montré  bien  qu'ayant  été"  injecté  comparativement  à 
une  plus  faible  dose. 

On  voit  aussi  que  le  sucre  de  foie  est  celui  dont  on 
peut  injecter  les  plus  grandes  quantités  sans  qu'on  le  re- 
trouve dans  les  urines.  On  se  demandera  naturellement 
ici  comment  nous  préparons  ces  dissolutions  du  sucre 
du  foie.  Son  extraction  directe  présente  les  plus  grandes 
difficultés  à  cause  du  grand  nombre  de  sels  et  particu- 


DU   SUCRE   DANS   LES   URINES.  223 

lièrement  de  chlorures  existant  dans  le  foie  d'où  résul- 
tent des  mélasses  qui  empêchent  la  séparation  de  la 
matière  sucrée  et,  par  conséquent,  la  possibilité  de  faire 
de  cette  façon  des  dissolutions  titrées.  Mais  nous  som- 
mes parvenus  au  même  résultat  en  prenant  du  foie  et 
broyant  sa  pulpe  avec  du  noir  animal,  en  très-fortes 
proportions,  ainsi  que  nous  l'avons  indiqué  dans  la 
deuxième  leçon,  et  en  faisant  passer  les  dissolutions  sur 
des  parties  nouvelles,  jusqu'à  ce  qu'elles  soient  arrivées 
au  degré  de  concentration  que  nous  voulons,  ce  que 
nous  constatons  par  le  dosage  au  moyen  du  liquide 
cupro-potassique.  Ce  sont  ces  dissolutions  que  nous  in- 
jectons sous  la  peau. 

Il  résulte  encore  de  tout  ce  qui  précède  que  les  su- 
cres qui  sont  destructibles  ont  cependant  leurs  limites 
de  destructibilité,  qui  ne  sauraient  être  dépassées  sans 
que,  immédiatement,  l'excès  de  cette  substance  appa- 
raisse dans  les  urines.  Il  était  important  de  fixer  celte  li- 
mite d'une  manière  pj'écise,  au  moins  pour  un  des  su- 
cres, afin  que  nous  pussions,  d'après  ce  point  de  départ, 
faire  des  études  sur  les  modifications  que  subit  la  des- 
tructibilité du  sucre  suivant  la  taille  des  animaux,  et  les 
diverses  circonstancesphysiologiques  dans  lesquelles  ils 
se  trouvent. 

Nous  avons  choisi  pour  cela  le  sucre  de  fécule,  qu'il 
est  le  plus  facile  de  se  procurer,  et  nous  avons  iixé  les 
limites  de  sa  destructibilité  d'une  manière  aussi  précise 
que  possible  dans  les  tableaux  suivants  que  nous  avons 
fait  mettre  sous  vos  yeux  pour  abréger  le  dé  tail  des  expé- 
riences. 


22^ 


CAUSES  DE   l'apparition 


à 

QLANTITIÎ 

CE    qu'elle 

ÉPOQUE 

POIDS 

S 

- 

REPRÉSENTE 

et 

de 

de 

en 

APPARITION   DU    SUCRE 

du 

a 

sucre  p.  100 

la    solution 

i.\pi>'. 

u, 

SUCRE  SEC. 

dans  les  urines. 

K 

(l'eau. 

injectée. 

P-. 

cent.  c. 

gr. 

gr. 

I. 

100 

2o 

12,50 

Après  15'  sucre. 

1008 

11. 

10 

23 

2,30 

—      i  h.  sucre. 

1050 

m. 

8 

25 

2  00 

—      1  h.  30'  sucre. 

1083 

IV. 

() 

25 

1,50 

—      2  h.  sucre. 

1087 

V. 

6 

25 

1,30 

—      2  h.  sucre. 

» 

VI. 

6 

23 

1,50 

—      2  h.  trac,  de  sucre. 

2030 

VII. 

4 

25 

1,00 

0 

lûOi 

VI 11. 

4 

23 

1,00 

0 

1020 

IX. 

4 

25 

1,00 

0 

863 

X. 

4 

25 

1,00 

0 

1105 

On  voit  par  les  expériences  consignées  dans  ce  ta- 
bleau, et  qui,  pour  être  comparables,  ont  été  faites  sur 
des  animaux  de  même  âge,  de  même  poids,  autant  que 
possible  dans  les  mêmes  conditions  d'alimentation  et 
pendant  la  digestion,  que  toutes  les  fois  qu'on  injecte 
plus  de  1  gramme  de  glucose  dissous  dans  25  centimè- 
tres cubes  d'ean,  il  en  passe  dans  les  urines  où  il  appa- 
raît d'autant  plus  \'ite  que  la  liqueur  est  plus  concen- 
trée. Ainsi,  pour  25  centimètres  cubes  d'une  liqueur 
dont  la  proportion  de  sucre  était  de  1 00  pour  100,  l'ap- 
parition a  eu  lieu  au  bout  d'un  quart  d'heure,  tandis 
que,  lorsque  la  proportion  n'était  que  de  6  pour  100,  le 
sucre  n'apparaissait  qu'au  bout  de  deux  heures. 

C'est  environ  1  gramme  de  sucre  qui  doit  être  consi- 
déré comme  la  dose  limite  de  la  destruction  de  cette 
substance  chez  des  lapins  pesant  de  1000  à  1200  gram- 
mes. Cette  limite  variera  nécessairement  avec  la  taille 
des  animaux;  c'est  ainsi  que  dans  le  tableau  précédent 
nous  voyons  qu'un  lapin  de  2050  grammes  avait  moins 


DU   SUCRE  DANS  LES  URINES.  22o 

de  sucre  dans  les  urines  que  d'autres  lapius  plus  petits. 
Il  est  bien  certain  que  pour  un  chien  ou  pour  un  che- 
val, la  limite  de  destruction  serait  tout  à  fait  différente, 
seulement  nous  n'avons  pas  fait  d'expériences  assez 
nombreuses  pour  savoirs!  la  quantité  de  1  gramme  de 
sucre  serait  toujours  correspondante  à  1200  grammes 
du  poids  de  l'animal,  il  serait  possible  qu'il  en  fûtainsi. 
Toutefois  nous  pouvons  dire  que  la  quantité  de  sucre 
détruit  parait  être  en  rapport  avec  la  quantité  de  sang 
contenue  dans  l'organisme;  car  si  l'on  prend  deux  la- 
pins de  même  taille  et  dans  des  conditions  physiologi- 
ques semblables,  et  si,  après  leur  avoir  injecté  la  même 
dose  de  sucre  qui,  dans  les  expériences  précédentes, 
était  complètement  détruite,  on  vient  à  saigner  ces  ani- 
maux, le  sucre  apparaîtra  bientôt  dans  les  urines. 

Sur  des  lapins  en  pleine  digestion,  on  peut  injecter 
sous  la  peau  une  plus  grande  quantité  de  sucre  sans  voir 
apparaître  cette  substance  dans  les  urines;  cela  tient 
probablement  à  ce  que  le  sang  se  trouve  alors  en  plus 
grande  quantité  dans  l'organisme. 

Voici,  du  reste^  quelques  résultats  d'expériences  sur 
ce  sujet  : 

Un  lapin,  pesant  1660  grammes,  est  saigné  à  la  veine 
jugulaire  et  on  lui  retire  16  grammes  de  sang,  et  aus- 
sitôt on  injecte  par  la  même  veine  4  centimètres 
cubes  d'eau  contenant  un  demi-gramme  de  sucre  de 
fécule. 

Sur  un  autre  lapin,  dans  l'intervalle  de  deux  repas, 
comme  le  précédent,  et  pesant  1570,  on  fait  l'injection 
de  lamême  quantité  de  sucre  et  d'eau  sans  saigner  lela- 

BERNARD.    I.  15 


226  CAUSES  DE  L'APPARITION 

pin.  On  donne  ensuite  des  aliments  aux  deux  animaux 
qui  mangent  avec  appétit. 

Une  heure  après  on  retire  de  l'urine  de  la  vessie  de 
ces  deux  lapins,  elles  sont  troubles  et  alcalines,  mais  l'u- 
rine de  celui  qui  a  été  saigné  contient  seule  du  sucre, 
l'autre  n'en  présente  pas  la  moindre  trace. 

Deux  jours  après  on  expérimente  de  nouveau  sur  les 
deux  mêmes  lapins,  dans  les  mêmes  conditions,  mais  en 
retirant  préalablement  16  grammes  de  sang  de  la 
veine  jugulaire  chez  le  lapin  qui,  dans  l'expérience 
précédente,  n'avait  pas  été  saigné.  Après  quoi  on  fait 
à  tous  deux,  par  la  veine  jugulaire,  l'injection  de  4 
centimètres  cubes  d'eau  contenant  un  demi-gramme  de 
sucre. 

Au  bout  d'une  heure  on  retire  les  urines  qui,  exami- 
nées avant  l'expérience,  ne  contenaient  pas  de  sucre. 
L'urine  du  lapin  saigné  contient  beaucoup  de  sucre,  celle 
du  lapin  non  saigné  n'en  présente  que  quelques  traces. 

On  a  encore  fait  l'expérience  suivante  sur  deux  au- 
tres lapins,  à  jeun  depuis  vingt-quatre  heures,  dont  les 
urines  étaient  claires  et  acides. 

Sur  l'un  d'eux  on  enlève  préalablement  10  grammes 
de  sang,  puis  on  fait  l'injection  à  tous  les  deux,  par  la 
veine  jugulaire,  de  4  centimètres  cubes  d'eau  contenant 
un  demi-gramme  de  sucre  de  fécule,  et  on  les  laisse  à 
jeun. 

Le  lapin  saigné  pèse  1 690  grammes  ;  le  lapin  non  sai- 
gné pèse  1500  grammes. 

On  examine  chez  ces  deux  animaux  les  urines  de  la 
nianière  suivante  : 


DU  SUCRE  DANS  LES    URINES.  227 

LAPIN  SAIGNÉ.  \  LAPIN  NON  SAIGNÉ 

Après  une  demi-heure. 

Urines  toujours   acides;   elles!      Urines  toujours  acides;  traces 
contiennent  beaucoup  de  sucre.  |  de  sucre. 

Après  une  heure. 


Urines  toujours  acides;  sucre, 
mais  en  proportion  un  peu  moin- 
dre que  précédemment. 


Urines  toujours  acides;  enccre 
quelques  traces  de  sucre. 


Après  deux  heures. 

Urines  toujours  acides;  traces  1     Urines   acides;    absence  com- 
de  sucre.  |  plète  de  sucre. 

Ces  expériences  prouvent  que  la  quantité  de  sang 
dans  un  animal  peut  avoir  une  influence  sur  l'appari- 
tion du  sucre  dans  les  urines. 

11  peut  se  faii^e  encore  que,  sans  rien  changer  ni  du 
côté  des  conditions  physiologiques  de  l'animal,  ni  dans 
la  quantité  de  sucre  injectée,  l'apparition  de  cette  sub- 
stance dans  les  urines  ait  lieu  par  l'influence  seule  de 
la  proportion  d'eau  de  l'injeclion. 
.  Dans  les  expériences  précédentes,  nous  avions  tou- 
jours une  solution  de  1  gramme  de  sucre  pour  25  cen- 
timètres cubes  d'eau.  Dans  ces  circonstances,  le  sucre 
n'apparaissait  pas  au  dehoi^s.  Si,  au  lieu  de  cela,  nous 
prenions  1  gramme  de  sucre  dissous  dans  8  centimètres 
cubes  d'eau,  c'est-à-dire  une  solution  environ  trois 
fois  plus  concentrée,  le  sucre  passerait  dans  les  urines 
bien  qu'on  n'en  ait  injecté  sous  la  peau  que  1  gramme 
seulement,  comme  dans  le  premier  cas. 

Toutes  les  expériences  que  nous  avons  faites  sur  ce 


228  CAUSES  DE  L'APPARITION 

point  ont  donné  le  même  résultat  qui  se  trouve  consigné 
dans  le  tableau  suivant  : 


QUANTITE 


de 

snfM  p.  lOft 

d"eau. 


de 
ta    solation 
injectée. 


cent.  c. 

8,33 
4,17 
8,33 


CE    QU  ELLB 
REPRÉSENTE 


gr- 

1 
1/2 

i 

t 


EPOQUE 

et 

APPARITION    DU    SUCRE 

dans  les  urines. 


1  h.  sucre. 

0 

1/2  h.  sucre. 

0 


POIDS 

du 

LAPIN. 


1100 
1112 

1 000 

1 1  o;i 


Pourquoi  le  sucre,  injecté  dans  la  proportion  de 
1  sur  8,33  d'eau,  apparaît-il  dans  les  urines,  tandis  que^ 
quand  il  est  injecté  dans  la  proportion  de  1  sur  25,  il  est 
complètement  détruit?  Cela  tient  à  la  rapidité  avec  la- 
quelle se  fait  l'absorption  qui  est  extrêmement  prompte 
dans  le  premier  cas,  tandis  qu'elle  est  beaucoup  plus 
lente  dans  le  second.  Le  pouvoir  endosmotique  d'un 
liquide  augmente  avec  son  degré  déconcentration,  de 
sorte  qu'il  en  passe  davantage  dans  le  même  temps.  Ce 
n'est  pas  la  même  chose  de  faire  absorber  1  gramme 
de  sucre  dans  une  demi-heure,  pendant  laquelle  il  peut 
être  entièrement  détruit,  ou  de  le  faire  absorber  en  un 
quart  d'heure.  Par  la  même  raison,  si  l'on  injecte  la 
substance  directement  dans  le  sang,  et  en  trop  grande 
quantité  à  la  fois,  il  est  clair  qu'on  la  retrouvera  dans 
les  urines. 

Il  y  a  une  autre  expérience  qu'on  peut  faire  et  qui 
rentre  dans  la  même  explication  :  c'est  que  la  pré- 
sence de  certaines  substances,  telles  que  le  sel  marin. 


DU  SUCRE  DANS  LES  URINES.  220 

peuvent  changer  la  limite  de  destruction  du  sucre. 

Si  nous  prenons  un  lapin,  et  qu'au  lieu  de  lui  injec- 
ter SOUS  la  peau  1  gramme  de  sucre  dissous  dans 
25  grammes  d'eau  pure,  nous  ajoutions  à  la  solution 
2  grammes  de  sel  marin,  dont  l'équivalent  endosmoti- 
que  est  considérable,  le  sucre  ne  se  détruira  plus  et 
apparaîtra  dans  les  urines. 

Quand  on  fait  ces  injections  d'eau  salée  sous  la  peau, 
ainsi  que  vous  nous  le  voyez  faire  en  ce  moment,  l'a- 
nimal pousse  constamment  des  cris,  ce  qui  provient 
sans  doute  de  l'action  du  sel  sur  les  nerfs.  Car  on  sait 
que,  si  l'on  place  dans  l'eau  salée  un  bout  de  nerf  de 
grenouille,  récemment  tuée,  tenant  encore  à  son  mem- 
bre, on  voit  immédiatement  les  muscles  pris  de  mou- 
vements tétaniques.  Le  sulfate  de  soude,  au  contraire, 
ne  donne  rien  de  pareil.  Et  vous  voyez  que  chez  ce 
lapin,  où  nous  l'injectons,  il  ne  se  produit  aucun 
mouvement  ni  aucun  cri  indiquant  une  sensation  dou- 
loureuse. S'il  était  permis  de  comparer  cette  action 
sous  la  peau  à  ce  qui  se  passe  quand  le  sel  marin  se 
trouve  dans  le  sang,  on  pourrait  conclure  que  cette 
substance  agit  comme  excitant  général  du  système  ner- 
veux. 

Nous  avons  consigné  les  résultats  de  nos  expériences, 
relatifs  à  la  question  qui  précède,  dans  le  tableau 
suivant  : 


230 


CAUSES  DE  L'APPARITION 


i 

COMPOSITION 

^ 

ÉPOQUE 

"S. 

DU     1 

IQUIDE     INJECTÉ. 

et 

POIDS 

"^ 

^^— -^ 

"           -- 

APPARITION    DU    SUCRE 

Dl      LAPIN. 

1: 

SlIfTP 

Sel  marin. 

Eau. 

dans  l'urine. 

gr. 

gr. 

c.  cube. 

gr. 

I. 

(glucose). 

0,fiO 

1"2,.=;() 

apr. 

15'  sucre. 

1000  à  1200 

11. 

id. 

0,50 

8,50 

apr. 

39'  sucre. 

id. 

III. 

id. 

o,^o 

id. 

apr. 

1  h.  sucre. 

id. 

lY. 

id. 

0,50 

id. 

apr. 

1  h.  sucre. 

id. 

V. 

id. 

1,00 

8,33 

apr. 

1  h.  sucre. 

id. 

VI. 

id. 

0,50 

12,00 

apr. 

1/2  h.  tr.  de  sucre. 

id. 

VII. 

(diabète). 

0.50 

12,50 

apr. 

1  h.  1/2  pas  de  sucre. 

id. 

Ylll. 

id. 

0,50 

8,50 

apr. 

15'  tr.  de  sucre. 

id. 

I.\. 

id. 

0,50 

id. 

apr. 

2  h.  pas  de  sucre. 

id. 

X. 

id. 

0,50 

id. 

apr. 

1  h.  pas  de  sucre. 

id. 

XI. 

id. 

0,50 

8,33 

apr. 

1  h.  traces  de  sucre. 

id. 

XII. 

id. 

0,50 

12,50 

apr. 

1  h.  pas  de  sucre. 

id. 

MU. 

id. 

1,00 

2  sulfate 
de  sonde. 

id. 

apr. 

1  h.  pas  de  sucre. 

id. 

On  voit,  d'après  les  chiffres,  que  la  quantité  de  su- 
cre détruit  diminue  quand  on  y  ajoute  en  même  temps 
du  sel  marin,  et  cela  a  lieu  même  pour  le  sucre  de 
diabète  dont  la  limite  de  destructibilité  est  beaucoup 
plus  élevée.  Ce  résultat  s'est  encore  manifesté  quand 
on  faisait  une  solution  plus  concentrée  du  liquide.  Dans 
ces  cas  encore  l'abaissement  de  la  limite  de  destructi- 
bilité dépend  de  l'absorption  plus  rapide  que  le  sucre  a 
éprouvée  par  suite  de  sa  combinaison  avec  le  sel  ma- 
rin, combinaison  décrite  dans  tous  les  livres  de  chimie 
et  qui  a  pour  formule  C^^  H^^  0^*  Na  Cl,  2H0.  La  fa- 
culté endosmotique  du  sel  marin  ne  se  communique- 
rait pas  au  sucre,  s'il  y  avait  simple  mélange  et  s'il 
n'existait  pas  une  combinaison  réelle  entre  ces  deux 
substances  ;  c'est  ce  qui  résulte  d'expériences  que  nous 
avons  faites  avec  le  sulfate  de  soude,  qui  n'entraîne  pas 
le  sucre  avec  lui,  bien  que  l'équivalent  endosmatique 
soit  plus  considérable  que  celui  du  sel. 


DU  SUCRE  DANS  LES  URINES.  231 

Ce  fiiit  n'est  pas  sans  exemple,  car  j'ai  prouvé,  ail- 
leurs, que  le  fer  pouvait  être  entraîné  par  l'iode  dans 
certaines  sécrétions,  telles  que  la  salive  où  ce  métal  ne 
passe  pas  à  l'état  d'autres  combinaisons. 

Il  faut  encore  noter  en  passant  que  l'acidité  des  urines 
chez  des  lapins  à  jeun,  ou  sur  des  chiens,  semble  di- 
minuer sous  l'influence  d'une  injection  de  glucose.  J'a- 
vais pensé  d'abord,  quand  j'observai  ces  phénomènes 
pour  la  première  fois,  que  cela  tenait  à  une  action  par- 
ticulière de  la  matière  sucrée,  mais  il  m'a  semblé  de- 
puis que  cette  diminution  de  l'acidité  pouvait  tenir  à 
la  dilution  de  l'urine  par  le  liquide  injecté.  J'ai  fait  dans 
ce  but  des  injections  d'eau  pure  dans  lesquelles  le 
même  fait  s'est  reproduit. 

Vous  voyez  donc,  Messieurs,  comme  de  sembla- 
bles phénomènes  sont  compliqués,  puisqu'il  faut  tenir 
compte  et  de  la  taille  de  l'animal,  de  l'état  de  digestion, 
de  la  nature  du  sucre,  de  sa  quantité,  de  son  degré  de 
concentration  et  de  l'état  de  combinaisons  qu'il  peut 
présenter  avec  les  matières  qu'il  rencontre. 

Toutes  ces  nuances  se  trouvent  représentées  dans  les 
tableaux  qui  précèdent. 

On  comprend  alors  quelle  difficulté  présente  l'appli- 
cation des  calculs  à  des  phénomènes  physiologiques 
en  apparence  simples,  mais  qui  dépendent  de  tant  de 
conditions  connues,  sans  parler  de  celles  sur  lesquelles 
nous  n'avons  encore  aucune  donnée. 

Ces  expériences  sont  plus  importantes  qu'on  ne 
pourrait  le  supposer  au  premier  abord.  Bien  que  faites 
en  dehors  des  conditions  normales,  elles  puissent  pa- 


232  APPARITION  DU  SUCRE   DANS   LES  URINES. 

raître  étrangères  à  l'histoire  de  la  destruction  du  sucre 
hépatique  dans  l'être  vivant,  elles  s'y  ramènent  ce- 
pendant parce  qu'elles  nous  prouvent  qu'il  faut,  pour 
que  le  sucre  se  détruise  dans  l'organisme,  qu'il  soit 
destructible,  ce  qui  n'c.  pas  lieu  pour  les  toutes  les  espèces 
de  sucre,  et  en  outre  qu'il  n'arrive  pas  dans  le  sang  en 
trop  grande  quantité  à  la  fois.  Quand  nous  viendrons 
à  l'analyse  des  phénomènes  du  diabète,  nous  verrons 
que  chacun  de  ces  faits  trouvera  son  application. 


ONZIEME  LEÇON 

30  JANVIER  1855. 

SOMMAIRE  :  Du  déversement  du  sucre  dans  le  sang  par  le  foie.  —  Applica- 
tion du  diabète.  —  Conditions  qui  font  apparaître  le  sucre  dans  le  système 
circulatoire  en  général.  —  Théorie  de  la  combustion  pulmonaire.  —  Exa- 
men de  cette  théorie.  — Objections.  —  Découverte  de  la  présence  du  sucre 
dans  l'urine  des  fœtus.  —  Circonstances  de  ce  phénomène.  —  Il  devient 
inexplicable  dans  la  théorie  de  la  destruction  du  sucre  dans  le  poumon.  — 
Expériences  sur  les  sangs  eu  co:)tact  avec  différents  gaz.  — Théorie  de  la 
destruction  du  sucre  par  les  alcalis  du  sang.  —  Théorie  de  la  destruction 
du  sucre  par  fermentation.  —  Preuves  à  l'appui.  —  Quelle  est  l'espèce  de 
fermentation  qui  s'opère  ainsi?  —  Accidents  qui  suivent  la  production  de 
l'alcool  dans  le  système  circulatoire.  —  Vues  sur  les  phénomènes  chimi- 
ques de  l'organisme. 


Messieurs, 

Nous  avons  fait  passer  sous  vos  yeux,  dans  la  der- 
nière séance,  une  série  de  résultats  destinés  à  vous 
montrer  qu'il  y  aune  distinction  à  établir  au  point  de 
vue  de  la  destructibilité  entre  les  diverses  espèces  de 
sucre  :  ceux  de  la  deuxième  espèce  (lactose,  glucose, 
sucre  de  raisin,  de  diabète,  de  foie,  etc.)  peuvent  être 
détruits  dans  le  sang,  ce  qui  n'a  jamais  lieu  pour  les 
sucres  de  canne  ou  de  betteraves,  qui,  placés  dans  les 
mêmes  conditions,  sont  constamment  éliminés  par  les 
urines.  Vous  avez  vu  aussi  que  la  quantité  de  sucre  qui 
se  répand  dans  l'organisme,  c'est-à-dire  dans  le  sang 
après  être  sortie  du  foie  doit  être  limitée  ;  car  si  l'on 
prend  un  animal  et  qu'on  lui  injecte  une  solution  su- 


234  DESTRUCTION   DU  SUCRE 

crc'o  soit  directement  dans  le  sang,  soit  dans  le  tissu 
cellulaire  sous-cutané,  il  ne  faudra  pas  dépasser  cer- 
taines doses,  autrement  la  matière  sucrée  apparaîtrait 
dans  les  urines.  Vous  savez,  en  outre,  que  même  dans 
les  limites  dans  lesquelles  le  sucre  peut  être  détruit,  il 
faut  encore  tenir  compte  du  temps  que  l'absorption  met 
à  s'effectuer,  car  si  elle  était  trop  rapide,  soit  par  l'effet 
d'une  injection  directe  dans  le  sang,  soit  par  suite  de  la 
concentration  du  liquide  poussé  dans  le  tissu  cellulaire, 
ou  de  la  combinaison  de  la  matière  sucrée  avec  cer- 
taines substances  très-endosmotiques,  comme  le  sel 
marin,  par  exemple,  le  sucre  pourrait  encore  se  mon- 
trer dans  les  urines. 

il  ne  faut  jamais  perdre  ces  faits  de  vue,  car  ils  sont 
la  clef  d'un  certain  nombre  de  phénomènes  qui  se 
rattachent  au  diabète.  Le  foie  est,  en  effet,  un  organe 
qui  contient  du  sucre  et  qui  l'injecte  peu  à  peu  dans  le 
sang.  Les  phénomènes  que  nous  produisons  avec  une 
seringue  chargée  de  la  matière  sucrée,  le  foie  peut  na- 
turellement les  accomplir,  c'est-à-dire  que  si,  dans  un 
temps  donné,  cet  organe  lance  dans  le  sang  une  quan- 
tité de  sucre  plus  grande  que  ne  le  comporte  l'état  phy- 
siologique, l'excès  de  cette  matière  apparaîtra  immé- 
diatement dans  les  urines,  et  nous  aurons  le  symptôme 
du  diabète. 

Lorsqu'un  animal  est  à  jeun  depuis  un  certain  temps, 
le  sucre  qui  se  produit  dans  le  foie  arrive  au  poumon, 
où  il  peut  être  alors  complètement  détruit  ;  dans  ce 
moment  on  ne  trouve  manifestement  du  sucre  qu'entre 
ces  deux  organes.  Si  l'animal  est  en  digestion,  hi  quan- 


DANS  LE   SANG.  235 

tité  de  sucre  versée  par  le  foie  est  trop  considérable 
pour  être  détruite  tout  entière  dans  le  poumon,  il  en 
passe  alors  une  partie  dans  le  sang  artériel  et  même 
dans  le  système  veineux  de  la  grande  circulation,  où 
l'on  peut  le  retrouver;  mais  dans  l'état  de  santé,  ce 
sucre,  généralisé  dans  tout  l'appareil  circulatoire,  ne 
se  montre  cependant  pas  dans  les  urines.  La  sensibilité 
des  reins  n'est  pas  éveillée  par  une  proportion  très-fai- 
ble de  sucre  dans  le  sang,  et  vous  savez.  Messieurs,  que 
la  sensibilité  des  organes  sécréteurs  n'est  pas  la  même 
pour  tous  vis-à-vis  des  mêmes  substances.  Ainsi,  les 
glandes  salivaires  éliminent  de  l'organisme  les  moin- 
dres traces  d'iode,  tandis  qu'il  en  faut  des  quantités 
plus  considérables  pour  que  cette  matière  se  manifeste 
dans  l'urine. 

Ainsi  l'apparition  du  sucre  dans  l'urine  n'est  donc 
qu'une  affaire  de  limite,  une  question  de  plus  ou  de 
moins.  Le  sucre,  à  l'état  physiologique,  peut  exister, 
et  existe  dans  certains  cas  dans  tout  le  sang,  mais  sans 
se  montrer  au  dehors;  si  sa  quantité  augmente  un  peu, 
l'individu  devient  diabétique,  soit  d'une  façon  continue, 
soit  d'une  manière  intermittente. 

Lehmann  a  constaté,  chez  les  chiens  et  les  lapins, 
que,  dès  que  la  quantité  du  sucre  dans  le  sang  arrivant 
au  poumon  dépasse  0^', 30  pour  100,  le  sucre  apparaît 
dans  les  urines. 

Supposons  maintenant  qu'au  lieu  de  verser  le  sucre 
dans  l'organisme  avecune  certaine  lenteur,  de  manière 
à  ne  pas  dépasser  les  limites  de  ce  que  doit  en  contenir 
le  sang,  le  foie,  sous  certaines  influences,  vienne  àêtre 


236  DESTRUCTION   DU  SUCRE 

pris  de  contractions,  qu'il  soit  comprimé  par  exemple, 
il  chassera  alors  de  son  tissu  une  quantité  de  matière 
sucrée,  double  ou  triple  de  ce  qu'elle  doit  être;  le  sucre 
pourra  apparaître  rapidement  dans  tout  ce  sang,  et 
même  dans  l'urine.  Le  phénomène  peut  être  produit 
d'une  façon  tout  à  fait  mécanique  au  moyen  d'une 
expérience  très-simple. 

Nous  choisissons  un  animal,  un  chien  ou  un  lapin, 
en  ayant  soin  de  le  prendre  dans  uu  moment  conve- 
nable, dans  l'intervalle  de  deux  repas,  la  digestion  pré- 
cédente étant  complètement  achevée.  Dans  ces  condi- 
tions, à  peu  près  tout  le  sucre  versé  par  le  foie  disparaît 
dans  le  poumon  et  l'on  en  retrouve  à  peine  des  traces 
dans  le  système  artériel  et  dans  le  système  veineux  gé- 
néral. Si  sur  l'animal  en  repos  on  tire  alors  du  sang  de 
la  veine  jugulaire,  on  n'y  trouvera  pas  sensiblement  de 
traces  de  matières  sucrées.  Si,  au  contraire,  on  com- 
prime l'abdomen,,  de  manière  à  exercer  une  certaine 
pression  sur  le  foie,  ou  bien  si  Ton  provoque  des  espèces 
de  convulsion,  et  des  contractions  violentes  des  mus- 
cles abdominaux  et  du  diaphragme,  en  bouchant  her- 
métiquement le  nez  de  l'animal  de  façon  à  l'empêcher 
de  respirer  pendant  quelques  instants,  et  qu'après  on 
leprenne  du  sang  de  la  veine  jugulaire  du  même  ani- 
mal, on  trouvera  qu'il  y  a  du  sucre.  L'expérience  aura 
cependant  duré  tout  au  plus  cinq  minutes.  Comment 
expliquer  cette  apparition  du  sucre?  Tout  simplement 
parce  quesous  l'influence  des  efforts  qu'afaits  l'animal 
pour  tenter  d'échapper  à  la  suffocation,  le  foie  a  été 
comprimé  et  a,  dès  lors,  versé  dans  le  sang  du  sucre  en 


DANS   LE   SANG.  237 

excès,  qui  est  alors  passé  dans  tout  le  système  circu- 
latoire. 

On  produira  un  effet  analogue  en  retirant  une  grande 
quantité  de  sang  dans  une  artère.  Les  dernières  parties 
du  sang  sorti  du  vaisseau  contiendront  beaucoup  de 
sucre,  tandis  que  les  premières  pourront  n'en  contenir 
que  peu  ou  même  pas  du  tout. 

Je  vous  prie,  Messieurs,  de  remarquer  celte  expé- 
rience dans  laquelle,  sous  Tinfluence  de  mouvements 
violents  produits  par  l'animal,  le  sucre  a  passé  dans 
tout  le  système  circulatoire,  sans  qu'on  puisse  suppo- 
ser que  les  autres  conditions  physiologiques,  d'accès  de 
l'air  dans  les  poumons  ou  de  composition  chimique  du 
sang,  aient  été  changées. 

Le  fait  que  nous  venons  de  vous  montrer  nous  mène 
à  \ous  parler  d'une  théorie  qui  suppose  que  la  destruc- 
tion du  sucre  s'opère  par  une  oxydation  dans  les  pou- 
mons. 

S'il  était  vrai  que  le  sucre  se  détruisîl  en  traversant 
les  poumons  par  suite  de  son  contact  avec  l'oxygène 
toutes  les  fois  que  l'on  trouble  la  respiration,  soit  en 
bouchant  les  voies  aériennes,  soit  en  mêlant  à  l'air 
certaines  vapeurs  comme  l'éther  ou  le  chloroforme, 
soit  en  appauvrissant  l'air  d'oxygène,  etc.,  le  sucre, 
n'étant  plus  alors  détruit,  passerait  dans  la  grande 
circulation  et  devrait  apparaître  dans  les  urines. 
M.  Reynoso,  ayant  vu  que  sous  l'influence  de  l'éthé- 
risalion  les  urines  devenaient  momentanément  sucrées, 
a  cru  pouvoir  expliquer  ce  résultat  par  un  défaut  d'oxy- 
dation du  sucre  dans  le  poumon.  Le  fait  est  exact,  ce- 


238  DESTRUCTION   DU    SUCHE 

pendant  il  ne  se  manifeste  pas  toujours,  et  il  m'a  paru 
que  c'était  surtout  chez  les  animaux  en  pleine  digestion 
que  l'expérience  réussissait  le  mieux.  Chez  les  animaux 
à  jeun,  je  suis  parvenu  tout  au  plus  par  ce  moyen  à 
faire  passer  du  sucre  dans  le  sang  au  delà  du  poumon. 
Cependant,  Messieurs,  notre  première  expérience 
nous  porte  à  nous  demandersice  passage  du  sucre  dans 
le  sang  ne  résulterait  pas  de  la  compression  qu'a  subie 
le  foie,  dans  les  efforts  violents  qu'a  faits  Tanimal,  plu- 
tôt que  de  l'empêchement  de  l'accès  de  l'air  dans  les 
poumons.  Et  dans  les  cas  d'élhérisation,  il  y  ade  même 
souvent  des  efforts  et  des  contractions  qui  peuvent  suf- 
fire pour  déterminer  cette  apparition  du  sucre  dans  les 
urines,  bien  qu'il  y  ait  aussi  une  action  spéciale  de  l'é- 
ther  ou  du  chloroforme,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus 
tard. 

Quoi  qu'il  en  soit,  au  début  de  mes  expériences,  j'a- 
vais pensé  moi-même  que  la  destruction  du  sucre  pou- 
vait pi'ovenir  d'une  oxydation.  C'est  même  guidé  par 
cette  théorie,  et  par  l'observation  que  j'avais  faite,  que 
la  fonction  glycogénique  commençait  à  une  certaine 
époque  de  la  vie  fœtale,  que  je  fusamené  à  induire  que 
la  production  du  sucre  ayant  déjà  lieu  avant  la  nais- 
sance, et  la  respiration  n'étant  pas  établie  pour  le  dé- 
truire, les  fœtus  devaient  être  diabétiques.  J'examinai 
donc,  d'après  cette  vue  théorique,  les  urines  de  fœtus 
de  veau  de  quatre  à  cinq  mois,  et  je  découvris  en  effet 
.  qu'elles  contenaient  des  quantités  notables  de  sucre. 
La  théorie  de  l'oxydation  paraissait  confirmée,  puis- 
que des  conséquences,  qui  en  étaient  logiquement  dé- 


DANS  LE   SANG.  239 

doutes,  se  trouvaient,  à  posieriori,  d'accord  avec  un  fait 
nouveau.  Mais,  en  étudiant  ce  phénomène  de  la  pré- 
sence du  sucre  dans  l'urine  des  fœtus  de  différents 
âges,  je  trouvai  d'autres  faits  qui  ne  pouvaient  plus 
s'expliquer  de  la  même  façon. 

La  fonction  glycogénique  du  foie  ne  commence  que 
vers  le  quatrième  mois  environ  de  la  vie  intra-utérine 
chez  les  veaux.  Il  était  naturel  de  penser  que  chez  des 
fœtus,  dont  le  foie  ne  sécrétait  pas  encore  du  sucre,  il 
ne  devait  pas  y  en  avoir  non  plus  dans  les  urines.  Or, 
ici  l'expérience  ne  vérifia  plus  ma  déduction.  Les 
urines  de  très-jeunes  fœtus  sont  très-sucrées  lorsque 
le  tissu  de  leur  foie  ne  contient  encore  aucune  trace 
de  sucre. 

D'un  autre  côté,  le  foie  présente  dans  son  tissu  des 
quantités  de  sucre  de  plus  en  plus  grandes,  à  mesure 
qu'on  approche  du  terme  de  la  gestation;  il  était  en- 
core très-logique  de  penser  que  les  urines  devaient  être 
sucrées  de  plus  en  plus  en  approchant  de  la  naissance; 
or,  c'est  encore  ce  qui  n'a  pas  lieu.  L'urine  des  fœtus 
de  veau,  dès  le  sixième  ou  septième  mois,  cesse  de 
contenir  du  sucre,  quoiqu'il  soit  alors  sécrété  dans 
l'organisme,  et  qu'on  en  trouve  beaucoup  dans  le  foie. 

Je  vous  donne  ces  détails,  Messieurs,  parce  qu'ils 
sont  importants  au  point  de  vue  de  la  méthode  expéri- 
mentale. Vous  voyez  quelle  a  été  l'utilité  de  cette 
théorie  pour  me  faire  découvrir  le  fait  nouveau  relatif 
au  sucre  dans  l'urine  des  fœtus;  mais  vous  voyez  en 
même  temps  qu'en  présence  de  ces  faits  la  théorie  dut 
disparaître  ;  car  si  elle  paraissait  confh'mée  dans  un  des 


240  DESTRUCTION   DU   SUCRE 

cas,  où  l'on  Irouve  du  sucre  dans  l'urine,  quand  il  n'y 
a  pas  encore  de  fonction  respiratoire,  elle  ne  pouvait 
plus  s'appliquer  à  l'autre  cas,  où  l'on  n'en  trouve 
plus  chez  les  fœtus  de  sept  ou  huit  mois,  bien  que  chez 
ces  derniers,  au  point  de  vue  du  défaut  d'oxygène,  et 
de  la  formation  du  sucre,  les  circonstances  sont  res- 
tées les  mêmes. 

Je  renonçai  donc  à  la  théorie  parce  qu'elle  ne  résis- 
tait pas  à  l'analyse  expérimentale.  Il  faut,  en  effet.  Mes- 
sieurs, quand  on  veut  édifier  une  théorie,  rechercher 
non  pas  ce  qui  peut  la  confirmer,  mais  il  faut  surtout 
regarder  ce  qui  peut  la  détruire,  car  elle  ne  sera  valable 
qu'autant  que  les  preuves  et  les  contre-épreuves  seront 
données. 

D'autres  faits,  d'ailleurs,  venaient  se  grouper  autour 
des  précédents,  et  montrer  que  la  théorie  de  l'oxyda- 
tion, pour  expliquer  la  disparition  du  sucre,  est  plus 
qu'insuffisante. 

Des  expériences  directes  nous  ont  fait  voir  que  la 
quantité  d'oxygène  absorbé,  comparée  avec  la  quantité 
d'acide  carbonique  rendu,  est  plus  grande  dans  le  sang 
non  sucré  recueilli  dans  la  veine  jugulaire  d'un  animal 
à  jeun,  que  dans  le  sang  d'un  animal  pris  en  digestion 
et  contenant  du  sucre,  ce  qui  veut  dire,  en  d'autres 
termes,  que  le  sang  non  sucré  absorbe  plus  d'oxy- 
gène et  rend  relativement  moins  d'acide  carboni- 
que le  sang  sucré.  Les  expériences  de  MM,  Re- 
gnault  et  Reiset  faites  sur  les  animaux  vivants  ont 
donné  un  résultat  identique;  on  Yoit  que  le  rapport  de 
l'oxygène,  exhalé  sous  forme  d'acide  carbonique  avec 


DANS  LE  SANG.  241 

l'oxygène  absorbé,  est  plus  grand  pendant  la  digestion 
que  pendant  l'abstinence. 

Il  résulte  donc  de  ces  expériences  que  la  quantité 
d'oxygène  introduite  n'est  pas  dans  un  rapport  crois- 
sant avec  la  quantité  d'acide  carbonique  qui  devrait 
être  formé. 

De  plus,  en  faisant  des  expériences  spéciales  pour 
nous  rendre  compte  de  la  destructihilité  du  sucre 
au  contact  de  différents  gaz,  nous  avons  trouvé  que 
l'oxygène  ne  possède  rien  de  particulier  à  ce  sujet. 

Du  sang  normalement  sucré,  qui  avait  été  retiré  des 
veines  hépatiques,  fut  divisé  en  deux  parties,  Tune 
soumise  à  un  courant  d'oxygène,  l'autre  à  un  courant 
d'acide  carbonique  prolongé  pendant  cinq  ou  six  heu- 
res. Le  sang  était  entretenu  rutilant  par  l'oxygène,  qui 
traversait  sans  cesse  ce  liquide,  et  le  sang  était,  au  con- 
traire, très-noir  au  contact  de  l'acide  carbonique.  Au 
bout  de  cinq  ou  six  heures,  le  sucre  n'était  détruit 
dans  aucun  des  deux  liquides,  mais  au  bout  de  vingt- 
quatre  heures  on  ne  rencontrait  plus  de  sucre  dans 
aucun  des  deux  sangs. 

Lorsqu'on  prend  du  sang  sucré  et  qu'on  le  met  au 
contact  de  différents  gaz,  on  ne  voit  pas  que  l'oxygène 
ait  la  propriété  d'opérer  la  destruction  plus  vite  que  les 
autres  gaz.  Voici  ce  que  nous  avons  vu  : 

l*"  Sur  un  chien  en  pleine  digestion  et  bien  portant 
on  retira  delà  veine  jugulaire,  du  côté  des  capillaires, 
du  sang  veineux,  dans  lequel  on  constata  la  présence 
évidente  du  sucre,  mais  en  petite  quantité.  Alors  à 
l'aide  d'une  seringue  on  aspira  24  grammes  de  sang 

BERNARD.    I.  16 


242  DESTRUCTION  DU   SUCRE 

de  la  veine  que  l'on  poussa  dans  un  flacon  renversé 
sur  le  mercure  et  contenant  500  centimètres  cubes 
d'oxygène. 

2*"  Dans  une  seconde  expérience,  la  même  quantité 
de  sang  tout  chaud  est  introduite  de  même  dans  un 
flacon  de  même  capacité  contenant  de  l'azote.  (Cet 
azote  avait  été  obtenu  par  l'action  de  l'oxyde  de  cuivre 
sur  l'ammoniaque.) 

3°  Une  même  quantité  de  sang  dans  les  mêmes 
conditions  est  placée  en  contact  avec  de  l'acide  car- 
bonique. 

On  avait  la  certitude  que  dans  chacun  de  ces  flacons 
se  trouvait,  avec  des  gaz  différents,  du  sang  également 
sucré,  car  à  la  fin  de  l'expérience,  on  constata  que  le 
sang  était  sucré  comme  au  commencement. 

Dans  tous  les  flacons  le  sang  s'étant  rapidement  coa- 
gulé, on  mêla  par  agitation  le  sang  avec  le  gaz,  et  le 
mélange  avait  une  couleur  très-noire  avec  l'acide  car- 
bonique, très-rutilant  avec  l'oxygène  et  rouge  avec 
l'azote.  Après  deux  heures  environ  de  contact,  on  re- 
tira un  peu  de  sang  de  chaque  flacon,  et  l'on  vit  que  le 
sucre  avait  disparu  complètement  dans  l'azote,  qu'il  en 
restait  encore  dans  l'oxygène,  et  qu'il  n'y  en  avait  pas 
disparu  sensiblement  dans  l'acide  carbonique. 

Ce  résultat  singulier  pouvait  laisser  quelques  doutes 
dans  l'esprit,  et  il  semblait  être  expliqué  en  disant  que 
l'azote,  au  contact  duquel  le  sucre  avait  complètement 
disparu,  devait  être  resté  alcalin,  par  suite  de  sa  pré- 
paration, et  que  l'action  de  l'alcali  était  intervenue 
dans  la  disparition  du  sucre,  qui  n'avait  pas  eu  lieu 


DANS  LE  SANG.  243 

dans  l'acide  carbonique,  par  suite  de  l'acidité  qui  pou- 
vait résulter  d'une  partie  de  ce  gaz  dissous  dans  le 
liquide. 

Nous  dûmes  répéter  d'autres  expériences  en  opérant 
comme  dans  les  circonstances  précédentes,  et  avec  du 
sang  pris  dans  les  mêmes  conditions,  et  à  la  tempéra- 
ture ambiante  avec  :  T  de  l'oxygène  pur;  2°  de  l'hydro- 
gène préparé  par  le  zinc,  et  purifié  en  le  faisant  passer 
dans  le  sulfate  de  cuivre  ;  3*"  avec  de  l'hydrogène  arsé- 
nié;   4°  avec  de  l'acide  carbonique;  5°  avec  de  l'air. 

Le  sang  se  coagula  rapidement  dans  tous  les  tlacons. 
On  l'agita  avec  le  gaz;  il  resta  rouge  en  contact  avec 
tous  les  gaz,  excepté  avec  l'hydrogène  arsénié  qui  l'a- 
vait rendu  très-noir.  Au  bout  de  deux  heures  de  contact, 
le  sucre  avait  complètement  disparu  dans  ce  dernier 
gaz,  mais  il  était  parfaitement  conservé  dans  l'hydro- 
gène pur.  On  n'examina  pas  les  autres  flacons  à  ce  mo- 
ment. 

Le  lendemain,  après  vingt  heures  de  contact, on  exa- 
mina tous  les  sangs  et  l'on  trouva  que  le  sucre  avait  dis- 
paru d'une  manière  complète  dans  l'hydrogène  arsénié 
et  dans  l'hydrogène  pur,  mais  il  en  restait  encore  des 
traces  dans  tous  les  autres  gaz,  oxygène,  acide  carboni- 
que et  air. 

Ces  expériences  ont  donné  des  résultats  très-rem.ar- 
quables,  en  ce  que  l'on  voit  que  l'hydrogène  arsénié, 
par  exemple,  a  une  très-grande  influence  sur  la  des- 
truction du  sucre,  et  que  l'hydrogène  pur  paraît  avoir 
une  action  semblable.  Ces  résultats  sont  à  poursuivre, 
mais  pour  le  moment  nous  voulons  simplement  con- 


2't't  DESTRUCTION  DU  SUCRE 

dure  que  l'oxygène  ne  se  distingue  pas  des  autres  gaz 
sous  le  rapport  de  la  destruction  du  sucre  ;  on  ne  sau- 
rait donc  lui  attribuer  l'influence  spécifique  dans  ]e 
phénomène  de  la  disparition  de  cette  substance  dans 
l'orcfanisme. 

Il  y  a  encore  une  autre  hypothèse  dont  nous  devons 
dire  quelques  mots  ;  c'est  celle  qui  suppose  que  la  des- 
truction du  sucre,  dans  l'économie,  est  due  â  une  com- 
bustion du  sucre  au  contact  des  alcalis.  On  sait ,  en  effet, 
que  le  sang  est  toujours  alcalin  ;  la  \ie  est  incompatible 
avec  l'acidité  ou  même  la  neutralité  de  ce  liquide.  Si 
l'on  injecte  dans  le  sang  un  acide  quelconque,  même 
un  des  acides  organiques,  qui  se  rencontrent,  à  l'état 
normal,  dans  certains  points  de  l'organisme  animal,  de 
l'acide  lactique,  par  exemple,  en  quantités  assez  consi- 
dérables pour  neutraliser  l'alcalinité  du  sang,  l'animal 
ne  tarde  pas  à  mourir,  bien  longtemps  avant  qu'on  ait 
rendu  le  sang  acide  ou  même  neutre. 

Mais,  la  faible  alcalinité  du  sang  n'est  pas  une  raison 
suffisante  pour  assimiler  h  la  réaction  de  la  potasse 
caustique  sur  le  sucre  ce  qui  se  passe  dans  le  corps  vi- 
vant, 011  les  liquides  sanguins,  bien  qu'alcalins,  ne  le 
sont  cependant  qu'à  un  faible  degré.  Cela  d'ailleurs 
n'explique  pas  le  cas  des  diabétiques,  car  chez  eux  le 
sang  est  alcalin. 

Voici,  à  ce  sujet,  une  expérience  directe  qu'on  peut 
répéter,  Si  l'on  prend  du  sang  sucré  des  veines  hépati- 
ques, et  que  l'on  en  fasse  deux  parts  égales,  l'une  qu'on 
abandonne  à  elle-même,  l'autre  qu'on  fait  cuire  et  dont 
onliltre  les  liquides  qui  s'en  échappent  :  dans  la  pre- 


DANS  LE  SANG.  24o 

mière  le  sucre  se  détruit,  tandis  qu'il  n'est  pas  modifié 
dans  le  liquide  de  la  seconde  qui  a  filtré,  bien  que  la 
coction  ne  lui  ait  pas  enlevé  son  alcalinité.  La  matière 
organique,  qui  opère  cette  destruction,  comme  nous 
allons  le  voir,  a  seule  été  modifiée.  Si,  d'ailleurs,  on 
injecte  dans  la  veine  jugulaire  d'un  lapin  un  demi- 
gramme  de  glucose  dissous  dans  l'eau  pure,  comparati- 
vement avec  l'injection  d'une  même  quantité  de  sucre 
additionné  de  1  gramme  de  carbonate  de  soude,  on 
verra  que  dans  les  deux  cas  le  glucose  apparaît  dans  les 
urines,  seulement  il  nous  a  semblé  s'éliminer  plus  ra- 
pidement, quand  il  y  avait  l'addition  de  carbonate  de 
soude. 

Leiimann  et  de  Becker  ont  fait  des  expériences  sem- 
bki blés  d'injection  de  sucre  avec  des  alcalis,  et  sont  ar- 
rivés à  la  même  conclusion,  savoir  :  que  le  sucre  ne  se 
détruit  pys  en  plus  grande  quantité  dans  ces  conditions 
que  dans  les  circonstances  ordinaires. 

11  va  sans  dire,  d'ailleurs,  que  toutes  les  objections 
qu'on  peut  faire  à  la  théorie  de  l'oxydation  s'adressent, 
à  plus  forte  raison,  h  celle  qui  repose  en  outre  sur 
le  fait  chimique  de  la  destruction  du  sucre  par  les 
alcalis. 

Ainsi,  Messieurs,  les  hypothèses  qu'on  faisait  pour 
expliquer  la  destruction  du  sucre  dans  l'organisme, 
deviennent  aujourd'hui  insuffisantes  en  présence  des 
faits  nouveaux  que  je  vous  ai  exposés.  Cependant,  je 
ne  dois  pas  me  borner  à  les  renverser,  sans  vous  pro- 
poser immédiatement  une  autre  théorie  qui  me  paraît 
rendre  mieux  compte  de  l'ensemble  des  phénomènes 


246  DESTRUCTION  DU  SUCRE 

observés,  en  vous  rappelanl  ce  que  je  vous  ai  dit  dans  la 
première  séance  de  ce  cours,  que  toutes  nos  explications 
sont  relatives  à  l'état  actuel  de  la  science. 

Les  matières  organiques  peuvent  se  détruire  de  deux 
manières  :  ou  par  une  oxydation,  ou  par  une  fermenta- 
lion.  Nous  venons  de  voir  que  l'oxydation  ne  rend  pas 
compte  des  phénomènes  ;  nous  devons  donc  nous  re- 
jeter sur  la  fermentation,  qui  est  un  phénomène  que 
nous  voyons  s'opérer  dans  une  foule  de  transforma- 
tions, soit  dans  le  règne  végétal,  soit  dans  le  règne 
animal. 

Pour  qu'une  fermentation  s'accomplisse,  vous  savez 
qu'il  faut,  d'une  part,  une  matière  fermentescible,  de 
l'autre  un  ferment.  Vous  savez  aussi  que  la  nature  du 
ferment  a  une  influence  considérable  sur  la  direction 
qu'il  imprimée  la  fermentation.  Ainsi  sous  l'influence 
de  la  levure  de  bière  intacte,  le  sucre  se  transforme  en 
acide  carbonique  et  en  alcool.  Mais  si  l'on  broie  cette 
levure,  qu'on  la  désorganise,  son  mode  d'action  de- 
vient tout  autre.  Au  lieu  de  dédoubler  le  sucre,  dont  la 
formule  chimique  est  C^-H^^O^^,  en  acide  carbonique  et 
alcool,  elle  le  changera  en  un  corps  isomère,  l'acide  lac- 
tique, présenté  par  C^^H^^O^^  +  2H0  =  G^'H^'^O^^ 

Or,  dans  l'organisme,  la  fermentation  alcoolique  ne 
se  produit  jamais,  parce  qu'il  n'y  a  pas  le  ferment  qui 
lui  est  propre,  la  levure  de  bière;  et  si  l'on  cherchait  à 
la  faire  naître  artificiellement,  il  en  résulterait  de  graves 
désordres,  qui  amèneraient  la  mort,  ainsi  que  nous  l'a- 
vons constaté  dans  l'expérience  suivante  : 

Nous  avons  injecté  dans  les  veines  d'un  chien  un  mé- 


DANS  LE    SANG.  247 

lange  de  sucre  et  de  levure  de  bière.  Rien  ne  s'oppose  ici 
ù  l'action  que  ces  deux  substances  exercent  l'une  sur 
l'autre;  mais,  au  bout  d'un  certain  temps,  l'animal  pré- 
sente le?  phénomènes  d'une  maladie  grave;  il  en  résulte 
une  espèce  de  décomposition  du  sang  qui  devient  noir, 
visqueux  ;  toutes  les  muqueuses  et,  en  particulier,  celles 
de  l'intestin  grêle  sont  rouges  et  laissent  suinter  du 
sang.  Il  survient  des  diarrhées  sanguinolentes  qui  amè- 
nent la  mort  avec  des  symptômes  plus  ou  moins  analo- 
gues aux  accidents  typhoïques. 

La  destruction  du  sucre  ne  s'opère  donc  pas  de  cette 
manière,  mais  le  sucre,  arrivant  au  poumon,  peut 
être,  sous  l'influence  de  la  division  extrême  du  sang, 
changé  en  acide  lactique,  ce  qui  s'opère  par  une  sim- 
ple modification  moléculaire,  dans  laquelle  l'oxygène 
ne  jouerait  qu'un  rôle  secondaire.  Vous  savez,  d'ail- 
leurs, que  ce  gaz  ne  fait  qu'imprimer  à  la  masse  fer- 
mentescible  un  mouvement  qui  peut  ensuite  se  con- 
tinuer sans  lui.  M.  le  docteur  Pavy  a  fait  sur  ce 
mécanisme  de  la  destruction  du  sucre  dans  l'organisme 
des  expériences  très-intéressantes. 

Ce  ne  serait  peut-être  ensuite  que  dans  le  systèuie 
capillaire  général  qu'aurait  lieu  l'oxydation  d'oii  naî- 
trait l'acide  carbonique,  rejeté  ensuite  par  les  poumons. 
Mais  nous  ne  pensons  pas  que  cette  combinaison,  de 
l'oxygène  avec  le  carbone,  se  fasse  aux  dépens  des  sub- 
stances versées  directement  dans  le  sang,  soit  qu'elles 
proviennent  de  la  digestion,  soit  qu'elles  aient  été  éla- 
borées dans  le  foie.  Nous  croyons,  au  contraire,  que 
ces  matières  nouvelles  qui,  pour  ainsi  dire,  n'ont  point 


248        DESTRUCTION  DU  SUCRE  DANS  LE  SANG. 

encore  vécu,  entrent  d'abord  dans  les  combinaisons 
organiques,  et  déplacent  les  matériaux  anciens  qui  sont 
excrétés  sous  forme  gazeuse,  liquide  ou  solide.  Nous 
ne  pensons  pas,  en  un  mot,  qu'aucun  des  phénomènes 
soit  de  composition,  soit  de  décomposition,  s'opère 
dans  l'organisme  d'une  manière  directe. 

A  mesure  que  nous  avancerons  dans  nos  études, 
nous  verrons  déplus  en  plus  que  ces  fermentations  ont 
dans  l'organisme  un  domaine  très-étendu. 

Nous  consacrerons  la  leçon  prochaine  à  vous  donner 
quelques  vues  générales  à  ce  sujet,  à  propos  d'une  dé- 
couverte que  nous  avons  faite  récemment  sur  la  pro- 
duction du  "sucr.e  pendant  les  premiers  temps  de  la  vie 
embryonnaire. 


DOUZIEME  LEÇON 

3     FÉVRIER    1855. 


SOMMAIRE  ;  Examen  du  foie  d'un  supplicié.  —  Découverte  sur  la  génération 
et  les  usages  de  la  matière  sucrée  dans  l'organisme.  —  Étude  des  conditions 
de  développement  des  cellules  organiques.  —  Levure  de  bière.  —  Néces- 
sité de  la  présence  d'une  matière  sucrée.  Expériences  sur  le  sérum.  — 
Génération  de  cellules  organiques  spéciales  .  —  Production  de  sucre  dans 
des  muscles  et  les  poumons  de  fœtus  en  voie  de  développement.—  Cette 
production  n'a  pas  lieu  dans  les  autres  tissus.  Ces  phénomènes  rentrent 
dans  l'ordre  des  fermentations.  —  Germination  animale.  —  Rapproche- 
ment des  animaux  et  des  plantes  au  point  de  vue  des  phénomènes  de  dé- 
veloppement. —  Phénomènes  de  fermentation  donnant  lieu  aux  principales 
actions  chimiques  de  l'organisme. 


Messieurs, 

Nous  saisissons,  à  mesure  qu'elles  se  présentent, 
toutes  les  occasions  de  vous  rendre  témoins  des  faits 
que  nous  vous  avons  annoncés  ici.  Nous  vous  avons 
dit  que  le  foie  de  l'homme  à  l'état  de  santé,  ainsi  que 
le  foie  des  animaux,  contient  des  quantités  notables 
de  sucre,  mais  qu'on  n'en  rencontre  généralement  pas 
dans  le  foie  d'individus  morts  de  maladie.  Nous  vous 
avons  montré  un  foie  qui  était  dans  ce  dernier  cas,  et 
qui  venait  de  l'École  pratique.  Vous  avez  vu  que  sa  dé- 
coction ne  réduisait  pas  le  tartrate  cupro -potassique. 
Pour  que  les  expériences  faites  sur  l'homme  soient 
comparables  à  celles  qui  ont  été  faites  sur  les  animaux, 
il  faut  donc  qu'elles  soient  reproduites  dans  les  mêmes 


2o0  DÉCOUVERTE  SUR  LES   USAGES  DE   LA  MATIÈRE  SUCRÉE 

conditions,  et  c'est  ce  que  nous  sommes  en  mesure  de 
vous  faire  voir  maintenant. 

Voici  le  foie  d'un  supplicié,  que  nous  devons  à  l'o- 
bligeance de  M.  Jarjavay,  chef  des  travaux analomiques  ; 
on  va  répéter  devant  vous  les  expériences  que  nous 
avons  faites  chez  les  animaux.  On  prend  un  morceau 
du  tissu  hépatique,  on  le  broie,  on  le  fait  bouillir  avec 
de  l'eau;  la  décoction,  comme  vous  voyez,  est  très -fai- 
blement opaline,  car  cet  individu  était  presque  à  jeun  : 
il  n'avait  pris  le  matin  qu'un  peu  de  chocolat  et  d'eau - 
de-vie.  Nous  traitons  la  décoction  par  le  réactif  cupro- 
potassique,  et  vous  voyez  qu'elle  le  réduit  très- abon- 
damment. 

Voici,  d'ailleurs,  un  appareil  à  fermentation  qu'on  a 
rempli  avec  la  même  décoction,  et  dans  lequel  ou  a 
ajouté  de  la  levure  de  bière;  vous  verrez  dans  quelques 
instants  la  fermentation  s'opérer,  et  le  gaz  qui  s'en  dé- 
gagera absorbable  par  la  potasse,  ce  qui  prouvera  la 
présence  de  l'acide  carbonique. 

La  foie  de  l'homme  sain  n'échappe  donc  pas  à  la  loi 
que  nous  avons  établie  sur  la  présence  du  sucre  dans 
le  tissu  hépatique  de  tous  les  êtres  de  l'échelle  zoolo- 
gique. 

Nous  reprenons  maintenant  l'histoire  du  sucre  au 
point  oii  nous  l'avons  laissée;  et  nous  allons  vous 
parler  de  ses  usages  dans  l'économie  animale. 

Il  est  difficile,  au  premier  abord,  de  savoir  au  juste  à 
quoi  peut  servir  le  sucre  dans  l'organisme.  Il  s'y  pro- 
duit constamment  dans  le  foie  depuis  une  certaine  épo- 
que (Je  la  vie  intra-utérine  jusqu'à  la  mort,  et  il  doit 


DANS   L'ORGANISME.  251 

avoir  des  usages  importants  à  remplii".  On  a  supposé 
dans  certaines  théories  qu'il  se  détruisait  en  produi- 
sant la  chaleur  destinée  à  entretenir  la  température 
propre  de  Tanimal.  Mais  ce  n'est  là  qu'une  supposi- 
tion, qui  ne  réunit  plus  aujourd'hui  assez  de  preuves 
en  sa  faveur,  pour  être  acceptée  comme  l'expression 
complète  de  la  réalité,  car  nous  avons  vu  que  c'était  au 
moment  surtout  de  la  formation  du  sucre  que  la  cha- 
leur se  produisait  dans  le  foie,  et  que,  par  conséquent, 
le  maintien  de  la  température  semhlait  dépendre  des 
phénomènes  de  formation  de  matières,  dans  lesquels 
le  système  nerveux  intervient  toujours,  plutôt  que  de  la 
destruction  spontanée  de  ces  matières. 

Je  pense  que  le  sucre  a  d'autres  usages  à  remplir, 
d'une  nature  tout  à  fait  différente,  et  d'une  bien  plus 
grande  importance.  J'ai  été  amené  à  celte  opinion  par 
des  découvertes  faites  dans  une  autre  voie,  que  je  vous 
demanderai  la  permission  de  vous  exposer  avec  quel- 
ques détails,  en  vous  montrant  par  quelles  séries  d'i- 
dées j'ai  dû  passer  pour  arriver  aux  résultats  que  j'ai  h 
vous  annoncer  dans  cette  séance.  Une  telle  histoire  est 
toujours  instructive,  surtout  au  point  de  vue  des  mé- 
thodes d'investigation.  Elle  montre  que  les  théories 
que  nous  faisons  sur  les  phénomènes  réels  ne  sont  ja- 
mais que  relatives  à  la  masse  de  nos  connaissances, 
qu'elles  changent  de  face  avec  les  faits  que  nous  dé- 
couvrons, qu'elles  n'ont  jamais  qu'une  existence  tem- 
poraire, et  qu'il  faut  les  envisager,  d'abord  comme  des 
liens  provisoires  des  notions  que  nous  possédons,  et 
ensuite  comme  des  moyens  puissants   po'ur   remuer 


252     ACTION  DU  SUCRE  DANS  LE  DÉVELOPPEMENT 

les  idées  et   faire  surgir  des   découvertes  nouvelles. 

Ainsi,  pour  rester  dans  notre  sujet,  les  connaissances 
que  Ton  avait  sur  les  métamorphoses  du  sucre  avaient 
pu  conduire  à  faire  croire  que  c'était  en  se  détruisant, 
après  avoir  pris  naissance  dans  le  foie,  que  cette  sub- 
stance remplissait  ses  principaux  usages.  Les  faits  que 
je  vais  maintenant  vous  exposer,  et  qu'on  n'avait  pas 
soupçonnés  jusqu'ici,  en  élargissant  le  cercle  de  nos 
connaissances,  ont  fait  naître  dans  notre  esprit  une 
théorie  nouvelle,  et  nous  ont  conduits  à  penser  que  le 
rôle  le  plus  important  qu'ait  à  remplir  le  sucre  dans 
l'économie,  s'accomplit  bien  plutôt  au  moment  de  sa 
formation,  qu'au  moment  où  il  se  détruit.  Eu  vous 
faisaut  suivre  ainsi  les  variations  que  subissent  nos 
manières  de  voir  sur  les  phénomènes  physiologiques,  à 
mesure  qu'il  s'en  présente  de  nouveaux,  vous  com- 
prendrez mieux  l'espèce  de  rapport  que  nous  avons 
voulu  établir  au  commencement  de  ce  cours  entre  les 
théories  toujours  subjectives,  et  les  faits  qui  sont  seuls 
réels. 

Après  cette  digression,  qui  rentre  pleinement,  ainsi 
que  nous  l'avons  annoncé  ailleurs,  dans  la  nature  de  ce 
cours,  abordons  directement  l'objet  de  cette  leçon. 

A  l'occasion  de  l'enseignement  qui  m'a  été  confié  à 
la  Faculté  des  sciences,  j'ai  été  conduit  à  faire  quelques 
recherches  de  physiologie  générale,  qui  m'ont  amené 
à  la  découverte  que  je  vais  vous  exposer  aujourd'hui. 
Je  portais  mes  études  sur  les  conilitions  d'existence  et 
de  développement  des  cellules  organiques.  Vous  savez, 
en  effet,  et  c'est  maintenant  un  fait  bien  connu,  que 


DES   CELLULES  ORGANIQUES.  233 

les  êtres  vivants  commencent  par  être  formés  de  cel- 
lules qui,  dans  leur  évolution  ultérieure,  produisent 
les  diverses  espèces  d'organes  et  de  tissus.  Or,  partout 
où  se  manifestent  des  phénomènes  vitaux,  il  y  a  deux 
choses  à  considérer,  l'être  ou  le  tissu  qui  se  dévelop- 
pent, elle  milieu  dans  lequel  ils  opèrent  leur  dévelop- 
pement. Nous  n'avons  pas  à  rechercher  pourquoi  cette 
cellule  primitive  produitun  être  plutôt  qu'un  autre,  un 
tissu  plutôt  qu'un  autre.  Ces  questions  de  cause  pre- 
mière ou  finale  ne  sont  pas  à  notre  avis  du  domaine  de 
la  science,  qui  doit  sagement  se  borner  à  constater  les 
faits,  en  recherchant  non  pas  pourquoi  tel  phénomène 
s'opère,  mais  de  quelle  manière,  suivant  quelle  loi,  et 
sous  quelles  conditions  il  se  passe.  Il  nous  importe  peu 
de  savoir  pourquoi  tel  embryon  produit  tel  être,  mais 
nous  sommes  très-intéressés  à  connaîtj-e  le  milieu,  le 
terrain  dans  lequel  il  se  développe,  le  mode  d'après  le- 
quel s'effectue  cette  évolution,  afin  que,  mis  à  même  de 
prévoir  ce  qui  doit  se  passer  pour  un  être  semblable, 
nous  puissions  réahser  les  circonstances  qui  lui  .'^ont 
favorables,  ou  les  modifier  à  notre  gré  et  à  notre  profit. 
C'est  ainsi  que  les  applications  pratiques  dérivent  de  la 
science  pure. 

Je  commençai  donc  par  faire  des  observations  sur 
les  conditions  d'existence  des  êtres  les  plus  simples.  Je 
pris  pour  cela  ces  végétaux  cellulaires  microscopiques, 
appartenant  à  la  classe  des  champignons,  et  je  choisis 
la  levure  de  bière.  On  savait  déjà  que  ces  végétaux  se 
développent  spontanément  quand  on  abandonne  à  la  pu- 
tréfaction des  liquides  contenant  des  matières  aibumi- 


2o4  ACTION   DU   SUCRE  DANS  LE  DÉVELOPPEMENT 

noïdes  et  du  sucre  en  dissolution.  Au  bout  d'un  certain 
temps  on  voit  la  liqueur  se  troubler,  et  il  se  dépose  de 
petits  corps  oviformes,  qui  croissent  jusqu'à  la  gros- 
seur de  1  /  100  de  millimètre,  et  donnent  naissance  par 
bourgeonnement  à  d'autres  corps  semblables  à  eux 
qui,  en  produisant  de  nouveaux  à  leur  tour,  finissent 
par  former  des  espèces  de  chapelets,  tantôt  simples, 
tantôt  plus  ou  moins  ramifiés,  et  composés  d'un  nom- 
bre, variable  de  grains.  Mais,  bien  qu'on  ait  indiqué 
vaguement  les  conditions  générales  de  cette  production 
de  la  levure  de  bière,  soit  dans  les  liquides  végétaux, 
soit  dans  les  urines  de  diabétiques,  on  n'avait  pas  une 
idée  nette  de  la  manière  dont  les  choses  se  passent  :  on 
pensait  que  c'était  la  matière  albuminoïde  qui  se  trans- 
formait en  ferment,  sans  se  rendre  bien  compte  du 
rôle  que  jouait  ici  la  matière  sucrée.  Mes  expériences 
me  conduisirent  d'abord  à  reconnaître  que  la  présence 
de  cette  matière  sucrée  était  indispensable  à  la  pro- 
duction du  ferment,  qu'elle  formait  le  milieu  néces- 
saire à  son  développement. 

Je  prenais  de  la  levure  de  bière  ordinaire  que  je  dé- 
layais dans  un  peu  d'eau,  je  filtrais  sur  un  filtre  com- 
posé de  plusieurs  feuilles  de  papier  superposées,  afin 
qu'il  ne  passât  aucun  globule,  puis  je  séparais  le  li- 
quide que  j'avais  filtré,  et  qui  contenait  quelques  traces 
de  matières  albuminoïdes,  en  deux  parts  :  l'une  que 
j'abandonnais  à  elle-même,  l'autre  à  laquelle  j'ajoutais 
un  peu  d'une  dissolution  sucrée. 

Or,  dans  la  première,  il  ne  se  développait  aucun 
grain  de  ferment,  tandis  que  des  globules  de  levure  de 


DES  CELLULES  ORGANIQUES.  255 

bière  se  produisaient  dans  la  seconde,  en  plus  ou  moins 
grande  abondance,  en  même  temps  que  la  fermenta- 
tion alcoolique  s'opérait.  Je  pouvais  étudier  ces  phé- 
nomènes en  mettant  un  peu  de  ces  liquides  dans  un 
pelit  godet  de  verre  recouvert  d'une  lamelle  sur  le 
porte-objet  du  microscope. 

J'aie  ensuite  fait  des  expériences  sur  des  liquides  ani- 
maux. J'aiprisdu  sérum  du  sang,  qui,  dans  l'état  normal, 
ne  contenait  pas  de  sucre,  je  l'ai  laissé  à  une  tempéra- 
ture de  15  à  20  degrés;  il  ne  s'y  produisait  rien,  et  il 
se  putréfiait  au  bout  de  quelques  jours;  mais,  si  je 
prenais  du  même  sérum  et  que  j'y  ajoutasse  un  peu  de 
matière  sucrée,  voici  ce  que  j'observais,  et  vous  pour- 
rez facilement  répéter  ces  expériences  et  constater  les 
mêmes  faits.  Au  bout  de  quatre  ou  cinq  jours,  il  se 
développe  des  cellules,  mais  ce  ne  sont  plus  des  cel- 
lules de  levure  de  bière,  ce  sont  des  cellules  blan- 
châtres qui  semblent  avoir  de  l'analogie  avec  les  glo- 
bules blancs  du  sang;  ces  cellules  adhèrent  les  unes 
avec  les  autres,  prennent  naissance  en  très-grande 
quantité  dans  certaines  circonstances  et  particulière- 
ment dans  le  sérum  du  sang  de  la  veine  porte,  ce  n'est 
qu'après  cette  formation  de  ces  cellules  particulières 
que  des  cellules  de  levure  de  bière  se  produisent  à  leur 
tour.  Si  l'on  ajoute  alors,  sous  le  microscope,  un  peu 
de  teinture  d'iode,  on  voit  que  celles-ci  se  colorent 
fortement  en  jaune  brun,  tandis  que  la  couleur  des 
premières  n'est  que  peu  modifiée.  De  plus,  les  cellules 
de  levure  ne  se  dissolvent  pas  dans  l'acide  acéti- 
que, tandis  que  les  autres  sont   complètement  dis- 


2oG     ACTION  DU  SUCRE  DANS  LE  DÉVELOPPEMENT 

soutes,   et   disparaissent   par   ractioii   de  ce   réactif. 

Or,  ces  caractères  chimiques  sont  justement  de  ceux 
qui  servent  dans  beaucoup  de  cas  à  distinguer,  sous  le 
microscope,  les  éléments  animaux  des  éléments  végé- 
taux. Il  semblait  devoir  en  résulter  que,  dans  ce  milieu 
composé  de  sérum  et  de  sucre,  il  s'était  développé 
deux  espèces  de  cellules,  les  unes  paraissant  d'organi- 
sation animale,  plus  ou  moins  analogue  aux  globules 
blancs  du  sang,  les  autres  vétégales,  qui  forment  la  le- 
vure de  bière.  Mais  ces  cellules,  qui  ont  ainsi  pris  nais- 
sance, ne  vont  pas  plus  loin  dans  leur  évolution;  au 
bout  d'un  temps  variable,  tout  disparaît,  et  le  liquide 
se  putréfie. 

Ces  expériences  me  prouvaient  que  la  présence  d'une 
matière  sucrée  était  nécessaire  pour  la  production  de 
cellules  organiques  isolées,  dont  certaines  d'entre  elles 
présentaient  quelques-uns  des  caractères  des  éléments 
animaux. 

J'en  vins  à  me  demander  alors  si  le  sucre,  qui  se 
rencontre  dans  le  végétal  partout  où  il  y  a  un  dévelop- 
pement à  accomplir,  dans  la  germination,  au  moment 
où  l'embryon  s'accroît,  dans  la  sève  quand  les  bour- 
geons grandissent,  ne  serait  pas  aussi  une  condilion  du 
développement  des  tissus  animaux,  au  moment  où  ce 
développement  s'opère  avec  la  plus  grande  intensité, 
c'est-à-dire  pendant  la  vie  fœtale;  si  le  milieu  sucré, 
dans  lequel  j'avais  vu  prendre  naissance  une  cellule 
très-analogue  à  un  élément  animal,  mais  qui  n'avait 
pas  en  elle  ou  en  dehors  d'elle  ce  qui  lui  était  nécessaire 
pour  poui'suivre  cette  évolution  et  former  un  tissu,  si 


DES   CELLULES  ORGANIQUES.  257 

ce  milieu,  dis-je,albuminoïde  et  sucré,  ne  se  retrouve- 
rait pas  lorsque  cette  évolution  continue  dans  l'animal, 
où  tout  commence  encore  par  une  cellule? 

Je  pris  donc  des  fœtus  de  veau  dans  les  abattoirs  de 
Paris,  oii  ils  se  trouvent  en  grande  quantité,  et  je  cher- 
chai d'abord  dans  leurs  différents  tissus  en  voie  de  dé- 
veloppement, s'il  n'y  avait  pas  de  matière  sucrée.  De 
quelque  manière  que  je  m'y  prisse,  je  n'obtins  rien  im- 
médiatement ;  mais  j'observai,  par  exemple,  que,  quand 
je  laissais  des  muscles  ou  des  poumons  dans  de  l'eau 
ordinaire,  exposée  à  une  température  de  15  à  20  de- 
grés, au  bout  de  très-peu  de  temps  le  liquide  devenait 
très-acide,  ce  qui  était  dû  à  un  développement  considé- 
rable d'acide  lactique,  dont  je  constatais  les  caractères 
comme  nous  le  dirons  plus  loin. 

Or,  vous  savez,  Messieurs,  que  l'acide  lactique  dé- 
rive ordinairement  de  la  matière  sucrée,  par  suite  d'une 
transformation  moléculaire,  et  qu'il  a  la  même  compo- 
sition élémentaire  que  le  glucose  (G^-H'*^0^^,2H0). 

Il  était  donc  naturel  de  penser  que  le  sucre  avait 
préexisté  où  nous  trouvions  de  l'acide  lactique,  de 
même  que,  lorsque  nous  trouvons  de  la  dextrine,  nous 
concluons  à  l'amidon  qui  lui  a  donné  naissance.  Mais 
il  fallait  surprendre  le  sucre  à  sa  formation,  puisque 
primitivement  on  ne  le  trouve  pas  dans  le  muscle,  m 
dans  le  poumon.  Il  fallait  arrêter  la  fermeutation,  ou 
du  moins  la  rendre  assez  lente  pour  que  nous  pussions 
en  saisir  les  diverses  périodes, et  c'est  ce  que  nous  avons 
obtenu,  soit  en  exposant  les  macérations  de  tissus  de 
fœtus  à  des  températures  basses,  soit  en  les   traitant 

BERNAUD.    I.  17 


258  POUMONS  ET  MUSCLES  GLYCOGÉNIQUES 

par  différentes  substances,  par  l'alcool,  par  exemple, 
qui  arrête  la  fermentation  lactique  sans  empêcher  la 
fermentation  glycosique.  Nous  avons  pu  ainsi  retirer 
du  sucre  du  tissu  des  poumons  et  des  muscles  ;  voici 
cette  matière  qui  en  contient  énormément,  ainsi  que 
vous  pouvez  le  voir  à  sa  réaction  sur  le  tartrate  cupro- 
potassique,  et  parce  que,  d'ailleurs,  mise  dans  un  tube 
avec  de  la  levure  de  bière,  elle  donne  de  l'acide  carbo- 
nique et  de  l'alcool,  dont  voici  également  un  échan- 
tillon. 

Nous  avons  donc  trouvé  ce  fait,  qui  n'avait  jamais 
été  soupçonné,  c'est  que  le  poumon,  c'est  qu'un  muscle 
qui  se  développe,  comme  la  graine  qui  germe,  contient 
une  matière  susceptible  de  se  transformer  en  sucre. 
Tant  que  l'être  vit,  ce  sucre,  pour  ainsi  dire  à  l'état 
naissant,  est  sans  doute  éliminé,  transformé  aussitôt 
que  produit,  et  ne  peut  pas  alors  être  décelé,  mais  au 
moment  où  les  fonctions  vitales  viennent  à  cesser,  l'é- 
volution spontanée  de  cette  sorte  de  fécule  animale,  que 
nous  n'avons  pu  isoler  jusqu'à  présent,  continue  néan- 
moins, mais  alors  comme  un  simple  phénomène  chi- 
mique. 

Et  ce  qui  prouve  que  cette  matière  sucrée  est  bien  en 
rapport  avec  les  phénomènes  de  développement,  c'est 
que  cette  propriété,  que  possèdent  les  poumons  et  les 
muscles  de  produire  de  la  matière  sucrée,  n'existe  que 
dans  l'état  embryonnaire,  c'est-à-dire  au  moment  où 
les  tissus  se  forment,  car,  lorsque  leur  évolution  est 
achevée,  les  mêmes  phénomènes  n'ont  plus  lieu.  Une 
ois   que  le  tissu  est  développé  et,  en  général,  à  partir 


DANS  LA  VIE   FŒTALE.  259 

du  cinquième  mois  de  la  vie  inlra-utérine,  cette  pro- 
priété diminue,  et  environ  vers  le  huitième  et  neuvième 
mois,  quand  le  muscle  est  définitivement  constitué  dans 
ses  éléments,  elle  m'a  paru  cesser  complètement. 

Mais  il  y  a  ici  un  fait  très-remarquable,  c'est  que 
tous  les  tissus  ne  sont  pas  aptes  à  donner  lieu  à  cette 
production  glycogénique;  ce  qui  porte  à  penser  qu'il 
y  enadont  le  développement  n'a  pas  besoin,  pour  s'ef- 
fectuer, de  l'intervention  d'un  principe  sucré.  Il  est 
probable  qu'il  y  aura  à  tiier  de  ce  fait  des  analogies 
fonctionnelles  encore  inconnues  entre  les  tissus,  par 
rapport  au  milieu  organique  primitif,  qui  n'est  pas  le 
même  pour  tous,  bien  qu'ils  procèdent  originairement 
de  l'élément  cellulaire  commun. 

Ainsi,  en  essayant  les  divers  tissus,  les  uns  après  les 
autres,  nous  avons  trouvé  que  le  sucre  ne  se  dévelop- 
pait que  dans  le  poumon,  et  dans  le  système  muscu- 
laire, soit  de  la  vie  animale,  soit  de  la  vie  végétative, 
comme  dans  le  cœur,  la  tunique  de  l'intestin,  celle  de 
la  vessie,  etc. 

Mais  tout  le  système  glandulaire,  le  système  nerveux, 
la  peau,  les  os,  ne  donnent  jamais  lieu  à  une  produc- 
tion sucrée;  et  ce  qui  est  surtout  remarquable,  c'est  de 
voir  que  le  foie,  qui  deviendra  plus  tard  l'organe  glyco- 
génique,  quand  les  fonctions  seront  localisées,  se 
trouve  à  cette  époque  de  la  vie  embryonnaire  dans  le 
même  cas  que  toutes  les  autres  glandes,  la  rate,  le  rein, 
le  thymus,  le  pancréas,  les  glandes  salivaires,  etc.,  qi7| 
ne  donnent  jamais  de  sucre. 

Je  n'ai  fait  ici.  Messieurs,  que  vous    esquisser   à 


26^        POUMONS  ET  MUSCLES  GLYCOGÉNIQUES 

grands  traits  l'histoire  de  cette  découverte,  dont  nous 
vous  donnerons  les  preuves  expérimentales  dans  une 
prochaine  séance,  quand  nous  aurons  à  examiner  le 
mécanisme  suivant  lequel  le  sucre  apparaît  dans  l'or- 
ganisme animal,  et  vous  verrez  que  nous  avons  là  une 
preuve  de  plus,  que  la  matière  sucrée  appartient  bien 
réellement  aux  deux  règnes  des  êtres  vivants,  de  telle 
façon  que  le  foie  représenterait  la  continuation  de  phé- 
nomènes embryonnaires.  L'animal  a  donc  en  lui  tous 
les  matériaux  nécessaires  pour  produire  du  sucre,  et 
certes  on  ne  dira  plus  ici  que  cette  matière  préexiste 
à  l'état  de  liberté  dans  les  muscles  du  fœtus,  car,  après 
avoir  lavé  et  broyé  ces  tissus,  la  matière  insoluble  dans 
l'eau  donne  naissance  à  du  sucre.  Bien  plus,  si  vous 
faites  cuire  ces  mêmes  tissus,  vous  leur  ferez  perdre 
la  propriété  de  produire  du  sucre,  parce  que  vous  au- 
rez détruit  la  matière  fermentescible,  qui  est  toujours 
une  substance  albuminoïde.  Ce  sucre  ne  peut  donc 
provenir,  ni  de  l'amidon  insoluble,  et  qui  ne  peut  être 
transporté  d'un  organisme  dans  l'autre,  ni  du  sucre  des 
végétaux.  On  ne  saurait  plus  conserver  de  doute  sur 
l'origine  animale  du  sucre,  malgré  les  tentatives  qui  se 
produisent  actuellement  de  la  part  de  quelques  per- 
sonnes, encore  au  point  de  vue  de  certaines  doctrines 
finalistes,  qui  ne  sont  plus  de  notre  époque  et  qu'il 
faut  reléguer  parmi  les  errements  de  la  métaphysique 
des  siècles  passés. 

La  théorie  d'une  séparation  tranchée  dans  les  phéno- 
mènes de  nutrition,  entre  les  deux  règnes  de  la  na- 
ture qui,  dans  certaines  limites,  peut  avoir  sa  raison 


DANS   LA  VIE   FŒTALE.  261 

(l'être,  n'est  pas  admissible  d'une  manière  générale,  et 
la  découverte  que  nous  venons  de  vous  exposer  établit 
entre  eux  un  rapprochement  de  plus.  Il  y  a  dans  les 
uns  comme  dans  les  autres  une  véritable  germination 
s'accomplissant  suivant  des  modes  différents  sans  doute, 
mais  dans  des  milieux  qui  ont  une  analogie  de  compo- 
sition. Dans  les  végétaux,  sous  l'influence  des  matières 
albuminoïdes,  l'amidon  insoluble  se  transforme  en 
glucose  soluble;  il  en  est  de  même  chez  les  animaux, 
bien  qu'on  n'ait  encore  coustaté  que  la  présence  du 
sucre,  mais  cela  suffit  pour  en  conclure  la  présence  de 
la  matière  insoluble  qui  doit  précéder  le  sucre,  matière 
sans  doute  différente  de  l'amidon,  mais  donnant  tou- 
jours lieu  à  la  fermentation  glycosique,  qui  est  la  condi- 
tion commune. 

Il  se  passe  donc  dans  les  poumons  et  muscles  du 
fœtus  deux  ordres  de  fermentations,  une  fermentation 
glycosique,  c'est-à-dire  une  formation  de  sucre  aux 
dépens  d'une  matière  azotée  insoluble  préexistante, 
et  une  fermentation  lactique  qui  se  produit  aux  dé- 
pens de  la  matière  sucrée  elle-même.  A  l'aide  de  l'al- 
cool, nous  empêchons  cette  dernière,  c'est  ce  qui  fait 
que  nous  pouvons  accumuler  le  sucre  dans  les  li- 
quides de  fermentation.  Mais  dans  les  fœtus  pendant 
la  vie  intra-utérine,  la  fermentation  glycosique  paraît 
seule  avoir  lieu,  et  le  sucre  qui  s'y  trouve  paraît  s'éli- 
miner à  ce  moment  sans  passer  à  l'état  d'acide  lac- 
tique. C'est  ainsi  que  nous  pouvons  comprendre  cette 
découverte  que  nous  avions  faîte,  et  que  nous  ne 
savions  plus  comment  expliquer  dans  la  théorie  de 


262  POUMONS  ET   MUSCLES  GLYCOGÉNIQUES 

l'oxydation,  à  savoir,  que  l'on  trouve  du  sucre  dans 
l'urine  des  fœtus,  dès  que  la  vessie  est  formée,  ainsi 
que  dans  les  liquides  de  l'amnios  et  de  l'allantoïde,  et 
cela  bien  avant  que  le  foie  ait  acquis  sa  propriété  glyco- 
génique.  C'est  ainsi  également  que  l'on  s'explique  que 
chez  les  fœtus  arrivés  aux  dernières  périodes  de  ia 
gestation,  le  sucre  cesse  de  se  rencontrer  dans  les  uri- 
nes, comme  il  cesse  aussi  de  se  produire  dans  les  mus- 
cles et  dans  les  poumons.  A  cette  époque,  le  liquide  de 
l'amnios  subit  probablement  une  espèce  de  fermenta- 
tion visqueuse,  car  il  devient  visqueux  en  même  temps 
que  le  sucre  disparaît. 

Maintenant,  comment  pouvons-nous  comprendre 
l'intervention  de  la  matière  sucrée  dans  la  germination 
soit  végétale,  soit  animale?  Nous  avons  des  cellules  or- 
ganiques qui,  pour  se  développer  dans  le  milieu  qui 
les  entoure,  doivent  lui  emprunter  incessamment  des 
matériaux  qui  se  trouvent  facilement  assimilables, 
parce  qu'ils  sont  dans  des  combinaisons  très-instables. 

C'est  cette  mobilité  des  éléments  qui  entretient 
constamment  les  phénomènes  de  la  vie,  en  permettant 
aux  matières  de  se  grouper  de  mille  façons  et  d'une 
manière  non  interrompue.  Tous  les  phénomènes  de 
fermentation  introduisent  dans  les  hquides  animaux 
cette  mobilité  nécessaire  pour  l'entretien  des  actes  de 
la  vie,  et  la  matière  sucrée  est  un  des  plus  communs 
soit  comme  résultats,  soit  comme  source  de  fermenta- 
tion. En  un  mot,  les  cellules  organiques  animales  et 
végétales  doivent  donc  se  développer  dans  un  liquide 
où  se  passent  des  phénomènes  de  fermentation  empê- 


DANS  LA  VIE   FŒTALE.  263 

chant  les  matières  de  tomber  à  l'état  de  produits  fixes 
et  d'acquérir  une  stabilité  ou  indifférence  chimique, 
qui  est  le  caractère  de  tout  ce  qui  ne  \it  plus.  On  com- 
prend de  cette  façon  que  les  cellules  organiques  puis- 
sent s'approprier  des  éléments  chimiques  qui  sont  dans 
un  état  qu'on  peut  comparer  h  ce  que  les  chimistes 
appellent  l'état  naissant.  La  nécessité  des  faits  que 
nous  \enons  de  signaler  parait  encore  démontrée  par 
ce  qui  arrive  quand  on  ajoute  dans  ces  liquides  des 
substances  capables  d'empêcher  la  fermentation,  telles 
que  l'acide  cyanhydrique,  l'arsenic,  etc.  ;  on  voit  alors 
tous  ces  phénomènes  de  développement  s'arrêter  aus- 
sitôt. 

Mais,  Messieurs,  comment  tout  ce  que  nous  venons 
de  dire  peut-il  s'appliquer  aux  usages  du  sucre  dans  la 
fonction  du  foie,  et  comment  cela  pourrait-il  nous 
fournir  quelques  lumières  relativement  à  la  théorie  du 
diabète? 

Nous  sommes,  sans  doute,  allés  par  des  déductions, 
en  apparence  bien  éloignées  de  notre  sujet,  chercher 
des  arguments  pour  lui  appliquer  les  résultats  que  nous 
venons  de  \ous  exposer.  J'aurais  pu  me  dispenser 
peut-être  de  vous  parler  de  tous  ces  développements 
cellulaires  et  aborder  directement  les  usages  du  sucre 
chez  l'adulte,  en  vous  donnant  comme  des  résultats  purs 
et  simples  tous  les  faits  dont  je  viens  de  vous  expliquer 
la  génération.  Mais  j'ai  voulu,  comme  cela  doit  se 
faire  dans  cet  enseignement  dont  nous  avons  retracé  le 
caractère  au  commencement  de  ces  leçons,  vous  con- 
duire par  toutes  les  phases  de  la  découverte  que  nous 


264  POUMONS  ET   MUSCLES   GLYCOGÉNIQUES 

devons  exposer,  afin  que  vous  voyiez  par  vous-mêmes 
par  quels  tâtonnements  l'esprit  doit  passer,  h  quelle 
diversité  de  points  de  vue  il  doit  se  placer  dans  l'é- 
tude de  questions  aussi  compliquées,  avant  d'arriver 
à  une  découverte  qui  peut  ensuite  se  résumer  en  quel- 
ques mots,  et  qui  change,  une  fois  établie,  la  théorie 
qui  avait  servi  de  fil  conducteur  dans  la  série  des  re- 
cherches. 

En  nous  plaçant  au  point  de  vue  de  l'organisme 
adulte,  nous  n'aurions  pu  concevoir  le  principal  rôle 
du  sucre  que,  dans  sa  destruction,  comme  on  l'avait 
déjà  supposé.  Mais,  par  la  théorie  du  développement, 
nous  arrivons,  au  contraire,  à  conclure  que  les  usages 
les  plus  importants  de  cette  matière  ne  sont  pas  rem- 
plis, au  moment  où  elle  se  détruit  dans  le  sang,  mais 
bien  quand  elle  prend  naissance  dans  le  foie. 

C'est  au  moment  où  la  matière  animale,  qu'on  n'a 
pu  encore  isoler,  mais  qui  préexiste  au  sucre,  se  dé- 
double de  manière  à  donner  naissance  à  ce  produit, 
c'est  à  ce  moment,  dis-je,  que  naissent  les  éléments  or- 
ganiques qui  doivent  ultérieurement  accomplir  leur 
évolution  pour  produire  la  rénovation  des  tissus  de  l'in- 
dividu. Il  faut  bien  remarquer  toutefois  ce  quia  été 
dit  relativement  à  ces  faits  de  germination,  en  présence 
de  la  matière  sucrée,  qui  n'ont  lieu  que  dans  les  mus- 
cles et  dans  le  poumon. 

Quant  aux  autres  tissus,  ils  se  développent  dans  des 
conditions  différentes,  et  pour  le  système  glandulaire, 
en  particulier,  nous  sommes  portés  à  croire,  par  des 
vues  encore  incertaines,  il  est  vrai,  mais  que  nous  pour- 


DANS   LA  VIE    FŒTALE.  265 

suivrons,  que  ce  sont  les  produits  des  ganglions  lym- 
phatiques qui  fournissent  les  matériaux  nécessaires  à 
leur  rénovation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  avons  voulu  vous  donner, 
dans  cette  séance,  une  vue  nouvelle  sur  les  usages  de 
la  matière  sucrée  dans  l'organisme,  sans  insister  da- 
vantage sur  cette  question  que  nous  traiterons  plus 
tard. 

Nous  reprendrons  dans  la  prochaine  leçon  Y  histoire 
de  la  fonction  glycogéniqne  du  foie. 


TREIZIEME  LEÇON 

6  FÉvniER  1855. 


SOMMAIRE  :  Examen  de  l'ancienne  théorie  de  la  production  exclusive  du 
sucre  par  les  végétaux.  —  Point  de  vue  de  celte  théorie  vis-à-vis  des  ques- 
tions physiologiques.  —  Erreurs  de  doctrines,  de  méthodes  et  de  faits.  — 
Expérience  fondamentale  pour  la  théorie  de  la  production  du  sucre  dans 
l'organisme  animal.  —  Examen  du  sang  avant  et  après  le  foie.  —  L'an- 
cienne théorie  n'en  tient  aucun  compte,  —  De  l'intervention  de  la  chimie 
diins  les  questions  physiologiques .  —  De  la  présence  du  sucre  dans  le  sang. 
—  Époque  de  cette  découverte.  —  Conditions  de  la  production  de  ce  phé- 
nomène. —  Théories  de  la  dépuration  du  sang  par  le  foie.  —  De  la  con- 
densation du  sucre  dans  le  même  organe.  —  Prétendues  preuves  à  l'appui 
de  ces  manières  de  voir.  --  Contradictions.  —  Sophismes.  —  Erreurs. 


Messieurs, 

Dans  la  dernière  séance  nous  avons  fait  une  sorte  de 
digression  en  vous  rendant  compte  des  recherches 
auxquelles  nous  nous  sommes  livré  touchant  le  rôle 
de  la  matière  sucrée  dans  l'état  embryonnaire.  Ceci  ne 
rentrait  pas  directement  dans  l'histoire  du  foie,  puis- 
que les  faits  que  nous  vous  annoncions  se  passaient  en 
partie  avant  que  cet  organe  opérât  ses  fonctions.  Nous 
avons  voulu  vous  donner  seulement  des  idées  nou- 
velles sur  les  usages  de  la  matière  sucrée  dans  l'or- 
ganisme, en  vous  montrant  de  quelle  manière  nous 
sommes  arrivé  à  penser  que  les  principaux  usages  du 
sucre  s'accomplissaient  bien  plus  au  moment  oii  ce 
produit  prend  naissance,  qu'au  moment  où  il  se  dé- 


EXAMEN   DE   CRITIQUES  SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.       267 

Iruit.  Nous  nous  bornons,  pour  le  moment,  à  établir 
cette  vue  que  nous  reprendrons  plus  tard,  et  nous  al- 
lons continuer  l'histoire  de  la  fonction  glycogénique 
du  foie  que  nous  développons  devant  vous  depuis  le 
commencement  de  ces  leçons. 

Mais,  à  ce  propos,  Messieurs,  je  crois  qu'il  est  né- 
cessaire, à  cause  des  attaques  récentes  dont  elle  a  été 
l'objet,  que  nous  revenions  en  quelques  mots  sur  cette 
fonction  toute  physiologique  de  la  production  du  sucre 
par  un  organe  spécial,  et  de  l'origine  intérieure  de 
cette  matière  chez  l'homme  et  les  animaux. 

Lorsque  nous  publiâmes,  il  y  a  quelques  années,  les 
faits  qui  établissaient  la  réalité  de  la  fonction  glyco- 
génique, ils  furent  admis  par  un  grand  nombre  de 
physiologistes  et  de  chimistes,  qui  examinèrent  les 
choses  de  très-près.  Lehmann,  en  particulier,  fit  un 
travail  très-étendu  sur  la  composition  du  sang,  avant 
et  après  le  foie,  et  il  fut  frappé  de  la  quantité  de  sucre 
qui  sortait  de  cet  organe  par  les  veines  hépatiques,  et 
qui  n'était  nullement  en  rapport  avec  celle  qu'il  avait 
rencontrée  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  et  il  fut 
amené,  comme  nous,  à  conclure  que  le  sucre  se  forme 
dans  le  foie.  Ensuite,  comparant  cette  production  du 
sucre  dans  le  foie  avec  la  disparition  d'une  partie  des 
éléments  albuminoïdes  du  sang  qui  traverse  le  tissu 
hépatique,  il  en  conclut  que  c'était  aux  dépens  des 
substances  albuminoïdes  que  la  matière  sucrée  se  pro- 
duisait. Nos  expériences  physiologiques  avaient  été  ré- 
pétées, soit  en  France,  soit  à  l'étranger,  par  un  grand 
nombre  d'observateurs  qui  sont  arrivés,  en  se  plaçant 


268  EXAMEN  DE  QUELQUES  CRITIQUES 

dans  les  conditions  physiologiques  que  nous  avions  in- 
diquées, aux  mêmes  résultats  et  aux  mêmes  conclu- 
sions que  nous. 

En  présence  des  faits  si  nets  que  nous  avions  repro- 
duits devant  une  commission  de  l'Académie  des  scien- 
ces, devant  un  grand  nombre  de  savants  français  et 
étrangers,  que  vous  avez  pu  voir  vous-mêmes,  puisque 
nous  avons  refait  les  expériences  devant  vous  pour 
prouver  le  rôle  du  foie  comme  producteur  de  sucre, 
on  avait  pu  croire  que  l'ancienne  théorie  qui  consi- 
dérait la  matière  sucrée  comme  venant  toujours  du 
dehors  ne  trouverait  plus  de  défenseurs.  Mais  les  théo- 
ries ne  se  résignent  point  ainsi  à  mourir,  elles  repa- 
raissent de  temps  à  autre,  toujours  avec  les  mêmes  ar- 
guments qui  avaient  servi  à  les  élever  autrefois,  et  sans 
tenir  compte  des  progrès  de  la  science. 

Dans  la  séance  de  l'Académie  des  sciences,  du 
29  janvier  dernier,  on  a  lu  le  résumé  d'un  Mémoire, 
qui  a  été  reproduit  depuis  dans  la  Gazelle  hebdomadaire 
du  2  février,  que  nous  avons  sous  les  yeux  et  dans  le- 
quel on  revient  encore  sur  cette  idée  :  Que  le  sucre 
qu'on  rencontre  dans  l'organisme  provient  exclusive- 
ment des  végétaux. 

J'avais  cru  d'abord  ne  devoir  rien  dire  de  ce  travail 
qui,  comme  je  vous  le  démontrerai  tout  à  l'heure,  n'a 
rien  de  physiologique,  bien  qu'il  ait  la  prétention  d'a- 
border et  de  juger  des  questions  physiologiques.  Mais 
quelques  personnes  qui  suivent  ce  cours  m'ayant  de- 
mandé de  m'expliquer  sur  la  portée  des  arguments 
qu'on  y  propose,  il  est  de  mon  devoir  d'y  répondre.  En 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE   ANIMALE.  269 

physiologie,  en  effet,  les  phénomènes  sont  tellement 
complexes,  et  pour  décider  une  question  il  faut  avoir 
présents  à  l'esprit  une  telle  masse  de  faits,  que  nous 
comprenons  sans  peine  le  trouble  et  l'hésitation  qui 
saisissent  l'esprit  du  public,  quand  on  vient  devant  lui 
contester  les  faits  les  mieux  établis  par  des  raisonne- 
ments dont  il  ne  saisit  pas,  au  premier  abord,  le  peu 
de  valeur  réelle. 

D'ailleurs,  Messieurs,  c'est  dans  cette  chaire  que 
doivent  se  débattre  les  questions  à  l'ordre  du  jour.  La 
science  militante,  qui  ne  peut  pas  entrer  dans  un  en- 
seignement dogmatique,  a  naturellement  sa  place  au 
Collège  de  France,  et  si  je  me  taisais  sur  une  pareille 
question,  on  pourrait  peut-être  s'autoriser  de  mon  si- 
lence pour  attribuer  à  ces  attaques  plus  de  portée 
qu'elles  n'en  ont  réellement. 

Dans  cette  discussion,  je  m'abstiendrai  de  toute 
personnalité.  Ce  ne  sont  pas  des  hommes  qui  sont  en 
présence,  ce  sont  des  idées  d'une  part,  et  des  faits  de 
l'autre.  C'est  une  théorie  que  nous  avons  à  combattre; 
elle  n'est  point  l'œuvre  des  personnes  qui  la  soutien- 
nent en  ce  moment  :  ce  n'est  donc  point  à  celles-ci  que 
nous  nous  adressons.  Si  nous  prenons  leur  travail 
pour  texte  de  discussion,  c'est  simplement  pour  fixer 
les  idées  sur  les  arguments  qui  y  sont  reproduits,  et  qui 
doivent  avoir  là  toute  leur  force,  puisqu'ils  sont  donnés 
dans  le  but  de  nous  combattre. 

L'auteur  du  travail  nie  d'abord  la  production  exclu- 
sive du  sucre  dans  les  végétaux,  par  sentiment.  Il  lui 
répugne,  dit-il,  d'admettre  que  l'économie  animale  se 


270  EXAMEN   DE   QUELQUES  CRITIQUES 

donne  la  peine  de  fabriquer  une  substance  pour  la  dé- 
truire aussitôt.  Ces  sortes  de  répugnances,  Messieurs, 
n'ont  en  rien  affaire  avec  la  science;  au  même  titre,  je 
pourrais  dire  qu'il  me  répugne,  à  moi,  d'admettre  que 
les  animaux,  qui  ont  une  vie  bien  plus  complexe  que 
les  végétaux,  ne  puissent  produire  tout  ce  que  font  ces 
derniers.  Mais  il  est  clair  qu'un  tel  point  de  vue,  pu- 
rement sentimental,  ne  saurait  constituer  un  argument 
en  pareille  matière.  Puis  vient  alors  cette  confusion 
entre  les  faits  et  les  théories.  Ainsi,  le  résultat  que 
nous  avons  obtenu  en  localisant  la  sécrétion  du  sucre 
dans  le  foie,  «  serait  (dit-on)  en  opposition  avec  les  dé- 
((  couvertes  de  la  chimie  organique,  et  avec  ces  belles 
((  et  simples  relations  que  la  science  moderne  a  si  lu- 
((  mineusement  établies  entre  les  fonctions  comparées 
«  des  animaux  et  des  plantes.  » 

Or,  Messieurs,  on  découvre  un  fait,  et  l'on  conçoit 
une  théorie.  Les  faits  que  nous  avons  découverts  ne 
contredisent  point  les  découvertes  de  la  chimie  orga- 
nique, ils  s'ajoutent  à  la  masse  des  connaissances  ac- 
quises; et  l'ensemble  de  tous  ces  faits  ne  pouvant  plus 
rentrer  alors  dans  les  relations  établies  entre  les  ani- 
maux et  les  plantes,  si  simples  et  si  lumineuses  quelle 
soient,  celles-ci  disparaissent  comme  désormais  in- 
suffisantes. Ce  sont  les  conceptions,  les  manières  de 
voir,  les  théories  qui  changent  et  se  contredisent,  ce 
ne  sont  jamais  les  faits. 

Vous  voyez  donc,  Messieurs,  dès  l'abord,  un  vice  de 
méthode  dans  la  manière  d'attaquer  la  question,  et  il 
va  être  intéressant  d'ensuivre  le  développement.  Ainsi, 


SUR  LA   GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  271 

on  aborde  le  sujet  avec  une  doctrine  préconçue.  11  ré- 
pugne de  voir  les  faits  autrement  que  la  théorie  ne  les 
conçoit,  et  l'on  vous  dira  plus  tard  que,  bien  qu'on  ait 
constaté  la  présence  bien  positive  du  glucose  dans  le 
tissu  du  foie,  on  persiste  toujours  dans  l'idée  que  le 
sucre  ne  peut  pas  provenir  d'une  sécrétion  propre  de 
cet  organe,  et  qu'il  a  sa  source  unique  dans  l'alimenta- 
tion. Nous  pourrions  en  rester  là  ;  de  telles  déclara- 
tions nous  suffisent  pour  juger  dans  quel  esprit  seront 
faits  des  travaux  entrepris  sous  la  pression  de  telles 
doctrines,  mais  nous  voulons  poursuivre  l'analyse, 
pour  vous  montrer  combien  une  idée  arrêtée,  dans  l'é- 
tude d'une  question,  apporte  de  trouble  dans  la  logique 
et  dissimule,  aux  yeux  de  l'observateur  prévenu,  les 
contradictions  flagrantes  pour  tout  autre,  entre  ses  rai- 
sonnements et  les  faits  qu'il  constate,  et  avec  quelle  fa- 
cilité il  oubliera  les  conditions  d'une  expérimentation 
sérieuse  et  vraiment  scientilique. 

Ne  comprenant  pas  le  point  de  vue  physiologique, 
qui  seul  devrait  dominer  dans  ces  études,  et  qui,  bien 
observé,  conduirait  à  la  véritable  solution,  l'auteur  en 
question  commet,  à  ce  sujet,  les  erreurs  les  plus  graves, 
et  avance,  par  exemple,  des  propositions  de  ce  genre  : 
((  Ces  oscillations,  ces  espèces  d'intermittences  recon- 
((  nues  dans  la  fonction  glycogénique,  nous  semblent 
«  un  autre  argument  contre  l'existence  même  de  cette 
«  fonction.  Une  sécrétion  qui  n'est  en  jeu  qu'à  certains 
((  intervalles,  qui  ne  s'éveille,  chez  les  animaux,  que 
«  sous  l'empire,  sous  l'excitation  de  l'acte  digestif,  qui 
((  diminue  par  le  jeûne,  et  s'éteint  par  une  abstinenœ 


272  EXAMEN   DE  QUELQUES   CRITIQUES 

((  prolongée  ou  par  les  maladies,  s'écartait  trop  mani- 
«  festement  du  mode  général  des  sécrétions  pliysiolo- 
«  giques,  pour  ne  pas  élever  de  doutes  sur  sa  réa- 
«  lité.  » 

Ainsi,  Messieurs,  l'intermittence  de  la  production  du 
sucre  prouverait  qu'elle  n'est  pas  le  résultat  d'une  sécré- 
tion, parce  que,  dit-on,  les  sécrétions  sont  continues. 
Mais  s'il  est,  en  physiologie,  un  point  bien  établi,  c'est 
certainement  celui-ci  :  que  les  sécrétions  n'ont  lieu  qu'à 
certains  moments,  et  qu'elles  offrent  précisément  ces 
oscillations,  ces  alternatives  de  repos  et  de  mouvement 
organique,  qui  sont  le  caractère  de  toute  fonction  vi- 
tale. Chacun  sait,  en  effet,  pour  prendre  quelques  exem- 
ples, que  la  sécrétion  parotidienne,  la  sécrétion  gastri- 
que, la  sécrétion  pancréatique,  lasécrétion  biliaire,  sont 
essentiellement  intermittentes.  Il  n'y  a  que  les  excrétions 
qui  peuvent  être  continues.  Aucun  physiologiste  ne  con- 
fondra ces  choses. 

Et,  toujours  pour  les  besoins  de  la  cause,  on  dira 
que  le  tissu  du  foie  ne  renferme  de  sucre  que  pendant 
la  digestion,  ce  qui  s'accorde  parfaitement  avec  la  théo- 
rie, mais  ce  qui  est  complètement  erroné,  ainsi  que  je 
vous  l'ai  prouvé  maintes  fois,  et  comme  je  vous  le  mon- 
trerai tout  à  l'heure.  Le  sucre,  en  effet,  ne  disparaît  du 
foie  qu'à  la  suite  d'une  longue  abstinence,  quand  la 
mort  est  prochaine,  et  que  l'animal  a  perdu  les  4  dixiè- 
mes de  son  poids,  et  que  son  retour  à  la  vie  est  désormais 
impossible. 

Ainsi,  Messieurs,  on  commence  par  des  erreurs  de 
doctrines,  on  continue  par  des  erreurs  de  faits;  je  vous 


SIR  LA  GLYCOGÉNIE   ANIMALE.  273 

montrerai  bieutôL  qu'on  linit  par  des  vices  de  logique 
vraiment  incroyables. 

Avant  d'aller  plus  loin,  permettez-moi  de  remettre 
sous  vos  yeux  cette  expérience  qui  consiste  à  montrer 
que,  chez  un  chien  à  jeun  depuis  deux  ou  trois  jours, 
le  sang  de  la  veine  porte  ne  contient  pas  de  traces  de 
sucre,  tandis  que  le  sang  des  veines  hépatiques  en  pré- 
sente des  quantités  considérables. 

Nous  tuons  l'animal  par  la  section  du  bulbe  rachi- 
dien,  comme  vous  l'avez  déjà  vu  faire;  nous  lui  ou- 
vrons le  ventre,  nous  saisissons  le  paquet  des  vaisseaux 
et  des  nerfs  hépatiques,  et  nous  lions  le  tout  en  masse 
pour  empêcher  le  reflux  du  sang  venu  du  foie  dans 
la  veine  porte,  puis  nous  prenons  alors  du  sang  de 
cette  même  veine;  nous  ouvrons  la  poitrine  et  pre- 
nons du  sang  des  veines  hépatiques.  On  va  traiter  ces 
deux  sangs  de  la  même  manière,  en  ajoutant  du  sul- 
fate de  soude  et  faisant  cuire  pour  en  exprimer  le 
liquide.  Vous  allez  voir  tout  à  l'heure  que  le  liquide 
sorti  du  sang  de  la  veine  porte,  ainsi  traité,  ne  ré- 
duira pas  le  tartrate  cupro-potassique,  tandis  que 
celui  des  veines  hépatiques  le  précipitera  abondam- 
ment. 

C'était  donc  là,  Messieurs,  l'expérience  fondamen- 
tale, qu'il  fallait  répéter  tout  d'abord,  et  qui  devait  ou- 
vrir les  yeux,  et  qui  aurait  empêché  de  dire  que  le 
sucre  n'existe  dans  le  tissu  du  foie  que  pendant  la  di- 
gestion. Mais  les  théories,  qui  se  regardent  comme  l'ex- 
pression absolue  et  définitive  de  la  réalité,  répugnent 
avoir  les  faits  ([ui  les  contredisent  et  persistent  dansleur 

BERiNAHl».    J.  18 


274  EXAMEN   DE  QUELQUES  CRITIQUES 

aveuglement.  Ceci  est  aussi  une  vérité  physiologique 
d'un  autre  ordre. 

Cependant,  des  expériences  ont  été  instituées,  des 
analyses  ont  été  faites,  qui,  restant  au  point  de  vue 
cliimique  pur,  sont  dès  lors  exactes,  et  viennent  con- 
firmer les  nôtres.  Mais,  le  côté  physiologique  étant  com- 
plètement méconnu,  on  n'a  vu  qu'une  des  faces  du 
problème  ;  on  a  cru  faire  la  découverte  de  faits  étabhs 
déjà  depuis  longtemps,  et  l'on  a  pris  pour  général  ce 
qui  n'est  qu'un  cas  particuHer,  et  l'on  a  cru  à  une  fixité 
de  phénomènes  qui  ne  se  rencontrent  pas.  11  ne  faut 
jamais  oublier,  en  effet,  Messieurs,  que  dans  la  science 
de  la  Yie  les  faits  bruts  ne  sont  pas  des  preuves.  Sur  la 
même  question  on  peut  répondre  oui  ou  non,  et  paraî- 
tre avoir  raison  des  deux  côtés,  quand  on  se  place  à  des 
points  de  vue  différents  et  incomplets.  Mais  la  science 
physiologique  permet  de  fixer  dans  quel  cas  il  faut  dire 
oui,  et  dans  quel  cas  non;  et  voilà  justement  pourquoi, 
pour  juger  une  question  vitale,  il  faut  être  physiologiste. 
Le  chimiste  qui  instituerait  seul  une  analyse  sur  un  cas 
particulier,  qu'il  prendrait  pour  un  fait  général,  igno- 
rerait, le  plus  souvent,  qu'on  peut,  un  moment  après, 
lui  faire  faire,  sur  un  cas  qui  lui  paraîtra  complètement 
identique,  une  autre  analyse  tout  à  fait  contradictoire 
avec  la  première.  Quelle  conclusion  tirera- t-il  de  là?  Et 
s'il  n'a  vu  qu'un  cas,  quelle  foi  peut-on  ajouter  à  sa  con- 
clusion? C'est  là  cependant  la  position  dans  laquelle 
s'est  mis  le  critique  en  question  pour  traiter  les  ques- 
tions de  physiologie,  quand  il  n'a  pas  tenu  compte  avant 
tout  des  conditions  physiologiques  des  phénomènes. 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE   ANIMALE.  275 

Ainsi,  Messieurs,  la  théorie  avait  besoin  de  constater, 
pour  les  conclusions  qu'elle  va  en  tirer  tout  à  l'heure, 
qu'il  existe  du  sucre  dans  le  sang  des  animaux,  et  en 
particulier,  dans  le  sang  des  animaux  de  boucherie. 
Le. fait  était  déjà  connu  et  étabU.  M.  Magendie,  en  1846, 
a  publié  un  travail  sur  ce  sujet;  Garot  en  Angleterre, 
Schimdt  à  Dorpat,  Lehmann  à  Leipzig,  etc.,  ont  cons- 
taté la  même  chose  ;  nous  avons  déterminé  nous-même 
dans  quelles  conditions  on  pouvait  rencontrer  cette 
substance  dans  le  système  circulatoire  général,  et  il 
suffît  de  vous  rappeler  ce  que  je  vous  ai  dit  dans  une 
des  séances  précédentes. 

Nous  savons,  de  plus,  qu'il  suffit  de  faire  exécutera 
un  animal  des  mouvements  \iolents  des  muscles  dia- 
phragmatiques  et  abdominaux,  en  particulier,  pour 
rencontrer  le  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  jugulaire. 
Vous  avez  aussi  que,  quand  la  sécrétion  glycogénique 
est  à  son  summum  d'activité,  le  sucre  se  généralise  dans 
tout  l'organisme. 

Dans  le  sang  de  bœuf  pris  dans  les  abattoirs,  quaud 
il  est  frais,  on  en  trouve  toujours,  et  voici  pourquoi. 
Pour  saigner  les  bœufs  que  l'on  vient  d'assommer,  le 
boucher  leur  enfonce  le  couteau  jusque  dans  l'oreillette 
droite  ;  le  sang  qui  s'en  écoule  vient  donc  en  partie  des 
veines  hépatiques.  Et  si  l'on  observe,  en  outre,  que,  pour 
faire  dégorger  le  sang  que  contient  l'animal,  on  appuie 
fortement  avec  le  pied  justement  dans  la  région  du  foie, 
de  manière  à  exprimer  le  plus  possible  cet  organe, 
voils  comprendrez  alors,  d'après  ce  que  nous  avons  dit 
dans  une  précédente  leçon,  comment  il  se  fait  que.le 


270  EXAMEN  DE  QUELQUES   CRITIQUES 

san^  qui  sort  par  la  plaie,  mélangé  avec  celui  qui  vient 
des  veines  hépatiques,  contienne  des  qualités  notables 
de  sucre;  et  toutes  les  lois  que  j'ai  pris  du  sang  venant 
de  l'abattoir,  j'ai  constaté  le  même  fait.  Il  faut  noter, 
en  outre,  que  ces  animaux  peuvent  être  en  digestion, 
ce  qui  augmente  encore  la  quantité  de  sucre  dans  l'or- 
ganisme; qu'ils  font  des  elForts  violents,  si,  au  lieu 
d'être  assommés,  ils  sont  simplement  égorgés,  etc.  Mais, 
si,  au  lieu  de  faire  l'expérience  de  cette  manière,  qui 
n'est  aucunement  physiologique,  on  l'eût  répétée 
comme  nous  venons  de  vous  la  montrer,  comme 
Lehmann  ainsi  que  d'autres  expérimentateurs  l'ont 
faite,  on  n'eût  pas  trouvé  de  sucre,  ou  bien  dans  les 
cas  où  l'on  en  eût  trouvé,  cas  que  nous  avons  déterminés 
nous- même,  on  en  eût  rencontré  des  quantités  beau- 
coup plus  considérables  dans  les  veines  hépatiques  que 
partout  ailleurs. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  faits  purement  chimiques  ne 
pouvant  être  niés,  car  ils  sont  trop  évidents,  on  est 
forcé  d'accorder  qu'il  y  a  du  sucre  dans  le  foie,  qu'il  y 
en  a  toujours,  toutes  proportions  gardées,  environ  trois 
fois  plus  que  dans  le  sang,  dans  les  circonstances  oh 
l'on  a  observé  et  sur  lesquelles  nous  avons  fait  nos 
réserves.  Ainsi,  on  reconnaît  qu'il  y  a  environ  0,50 
pour  100  de  sucre  dans  le  sang,  et  1 ,50  pour  100  dans 
le  foie.  Nous  fixons  ces  chiffres,  parce  que  nous  allons 
arriver  au  raisonnement  final,  et  vous  verrez  alors^ 
quelle  incohérence  il  y  a  entre  les  conclusions  et  les 
prémisses. 

We  voulant  pas  faire  du  foie  un  organe  sécréteur  du 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  277 

sucre,  la  théorie  en  fait  d'abord  un  organe  dépurateur, 
séparant  d'une  part  les  produits  inutiles  à  la  nutrition, 
de  l'autre  les  matériaux  qui  peuvent  directement  servir 
à  l'assimilation.  Indépendamment  du  vague  et  de 
l'indéfini  que  comporte  une  telle  qualification,  on  pour- 
rait demander  comment  il  se  fait  que  des  matériaux  au 
moins  inutiles  à  la  nutrition,  comme  l'arsenic,  le 
mercure,  et  un  certain  nombre  d'autres  métaux  qui 
se  fixent  dans  le  foie  d'une  manière  presque  indéfinie, 
ne  soient  pas  dépurés  par  cet  organe  essentiellement 
dépurateur. 

Puis,  quant  au  rôle  du  foie  vis-à-vis  de  la  matière 
sucrée,  il  devient  un  organe  condensateur .  Si  l'on  ne 
considérait  que  le  cas  des  animaux  herbivores,  on 
pourrait  concevoir  que  le  foie  gardât  le  sucre  que  lui 
apporte  chaque  digestion  pour  le  verser  ensuite  peu 
à  peu  dans  le  sang;  cependant,  comme  on  sait  qu'il 
s'y  détruit  très-vite,  on  pourrait  s'élonner  d'en  trouver 
encore  presque  autant,  après  trois  ou  quatre  jours  de 
jeûne  absolu,  que  dans  l'état  normal,  qui  en  apporte 
incessamment  des  quantités  nouvelles  ;  et  la  physiologie 
sait,  d'ailleurs,  que,  si  l'on  prend  deux  animaux  de 
même  espèce,  qu'on  les  mette  à  jeun  tous  les  deux,  et 
que  l'on  empêche  dans  l'un  le  sucre  de  se  produire, 
en  lui  coupant,  par  exemple,  les  pneumo-gastriques, 
de  ces  deux  animaux  tués  au  même  moment,  celui-ci 
ne  présentera  pas  la  moindre  trace  de  sucre  dans  son 
foie,  tandis  que  l'autre  en  aura  toujours  des  quantités 
considérables. 

Mais  on  n'en  reste  pas  là,  et  alors  voici  le  raisonne- 


278  EXAMEN   DE  QUELQUES  CRITIQUES 

ment  pour  les  animaux  qui  vivent  de  chair.  Le  sucre  qui 
so  trouve  dans  le  foie  des  Carnassiers  vient  du  sucre  qui 
se  trouve  dans  le  sang  des  Herbivores,  et  celui-ci  a  sa 
source  dans  les  végétaux. 

((La  viande  des  animaux  de  boucherie,  dit-on,  ren- 
«  ferme  des  vaisseaux;  ces  vaisseaux  contiennent  du 
«sang  (ce  sang  est  sucré,  0,50  pour  100).  Ainsi,  la 
«  chair  de  bœuf  et  de  mouton  qui  avait  servi  à  nourrir 
<(  les  chiens  dans  les  expériences  de  M.  Bernard  con- 
«  tenait  du  sucre,  et  l'on  administrait,  sans  s'en  douter, 
«  le  composé  même  que  l'on  voulait  ultérieurement 
«  rechercher.  » 

En  vérité,  il  faut  être  égaré  par  une  théorie  pour 
émettre  de  pareilles  assertions,  et  supposer  que  nous 
ayons  pu  donner,  sans  nous  en  douter^  sans  le  recher- 
cher, du  sucre  avec  les  aliments  :  et  celui-ci  même  qui 
avance  une  pareille  idée  ne  recherche  pas  lui-même, 
et  tout  d'abord, s'il  y  a  du  sucre  dans  cette  même  viande 
que  nous  aurions  pu  donner.  J'avoue  que  parmi  toutes 
les  objections  que  j'ai  pu  supposer,  je  n'aurais  jamais 
pensé  à  celle-là. 

D'ailleurs,  les  expériences  qui  réduisent  à  néant  de 
pareilles  assertions  sont  faciles  à  faire.  Voici  de  la  viande 
de  boucherie  fraîche,  c'est-à-dire  dans  les  conditions 
où  l'auteur  du  travail  en  question  supposait  que  nous 
la  donnions  à  nos  animaux;  on  la  broie,  on  la  traite 
par 'l'eau  chaude,  et  vous  verrez  qu'elle  ne  contient 
aucune  trace  de  sucre. 

Mais  nous  nourrissions  le  plus  souvent  les  chiens  en 
expérience  avec  de  la  tête  de  mouton  préalablement 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  279 

bouillie,  dont  l'eau  de  lavage  enlevait  les  matières  solu- 
bles,  et  par  conséquent  le  sucre.  Voici  de  cette  même 
viande  avec  laquelle  les  chiens  ont  été  nourris  pendant 
des  mois  entiers  ;  on  la  broie,  on  la  traite  par  l'eau,  le 
liquide  qui  s'en  échappe  ne  contient  pas  la  moindre 
trace  de  sucre.  On  ne  comprend  pas  de  pareilles  objec- 
tions, quand  des  expériences  aussi  simples  et  aussi  fa- 
ciles à  faire  n'ont  même  pas  été  vérifiées,  et  certes,  elles 
en  valaient  la  peine,  quand  on  se  permet  d'en  tirer  de 
telles  conclusions. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  encore,  et  suivez  un  peu   ce 
raisonnement. 

On  vient  de  dire  que  le  foie  contient  1  à  l,oO  de 
sucre  pour  100;  supposez  le  foie  d'un  chien  qui  pèse 
500  grammes,  il  contiendra  5  à  6  grammes  de  sucre 
au  minimum.  On  admet  que  le  sucre  se  détruit  à  me- 
sure qu'il  se  forme;  par  conséquent,  on  admet  qu'une 
digestion  fournit  au  moins  5  grammes  de  sucre  qui  se 
condensent  dans  le  foie,  et  l'on  ne  cherche  pas  s'il  y  a 
5  grammes  de  sucre  dans  un  repas  que  l'on  fait  faire 
à  l'animal.  Quand  même  on  le  nourrirait  avec  de  la 
viande  de  boucherie  saignante,  il  faudrait,  d'après  les 
calculs  énoncés  dans  le  Mémoire,  quelle  contînt  un 
kilogramme  de  sang!  Et  il  faudrait  de  plus  que  cette 
viande  et  ce  sang  fussent  encore  chauds,  extraits  à  l'ins- 
tant même  du  bœuf  qui  vient  d'être  abattu;  car  l'au- 
teur a  bien  soin  de  faire  remarquer  quelque  part,  qu'au 
bout  de  très-peu  de  temps  le  sucre  se  détruit  dans  le 
sang,  ce  qui  fait  qu'on  ne  l'avait  pas,  croyait-il,  observé 
avant  lui.  Tout  cela  devient  incompréhensible. 


280  EXAMEN   DE  QUELQUES   CRITIQUES 

Ainsi,  Messieurs,  en  résumé,  on  ne  nie  point  les  faits, 
parce  qu'ils  ne  sont  pas  niables  ;  on  ne  nie  pas  que  le 
foie  contienne  du  sucre  en  proportions  considérables. 
Mais  on  n'a  pas  voulu  faire  ces  expériences  si  simples  et 
si  nettes  que  j'ai  toutes  répétées  devant  vous,  savoir  :  en 
premier  lieu,  prouver  que  les  aliments  avec  lesquels 
nous  nourrissons  les  chiens  pendant  des  mois  entiers 
ne  contiennent  pas  de  traces  de  sucre;  que  le  sang  de 
la  veine  porte  de  ces  mêmes  animaux  carnassiers,  soit  à 
jeun,  soit  en  digestion,  n'en  présente  pas  de  traces 
quand  on  fait  l'expérience  convenablement.  On  con- 
state, en  second  lieu,  le  sucre  dans  le  tissu  du  foie 
comme  dans  les  veines  hépatiques;  ce  sucre  est  versé 
à  chaque  instant  dans  le  système  circulatoire,  où  il  dis- 
paraît peu  à  peu. 

Alors,  au  lieu  d'accepter  purement  et  simplement  le 
foie  comme  un  organe  sécréteur  du  sucre,  ce  qui  est 
prouvé  par  des  considérations  de  toute  nature,  on  tor- 
ture pour  le  besoin  de  théories  l'explication  des  phé- 
nomènes. 

Maintenant,  Messieurs,  achevons  les  expériences  que 
nous  avons  commencées.  Voici  le  liquide  provenant 
du  sang  de  la  veine  porte,  nous  y  ajoutons  du  tartrale 
cupro-potassique^  nous  chauffons,  pas  de  traces  de 
réduction.  Ici  il  a  été  mis  avec  de  la  levure  de  bière,  il 
n'y  a  pas  eu  de  fermentation. 

Nous  en  faisons  autant  avec  le  liquide  provenu  du 
sang  des  veines  hépatiques  ;  vous  voyez  dans  ce  cas  une 
réduction  abondante,  et  ici  dans  ce  tube  la  fermentation 
a  continué  sa  marche  très-activement. 


SUR  LA   GLYCOGÉiNIE   ANIMALE.  281 

Enfin,  voici  du  liquide  résultat  de  la  décoction  du 
foie;  vous  voyez  qu'il  est  jaunâtre,  transparent,  ce  qui 
tient  à  ce  que  l'animal  est  à  jeun,  car  il  serait  opalin 
ou  laiteux  s'il  était  en  digestion  de  matières  féculentes, 
comme  je  vous  l'ai  dit  déjà.  Il  réduit  abondamment  le 
réactif  cupro-potassique  et  fermente  très-vite,  car  vous 
voyez  qu'il  y  a  déjà  une  grande  quantité  d'acide  carbo- 
nique dans  l'appareil  à  fermentation. 

Voici  également  l'eau  de  décoction  de  la  viande  fraî- 
che, et  celle  de  la  tête  de  mouton,  aliment  dont  nous 
nourrissons  les  chiens;  nous  y  ajoutons  du  tartrate  de 
cuivre  :  vous  voyez  qu'il  n'y  a  pas  traces  de  précipité  ni 
aucun  indice  de  fermentation,  et,  par  conséquent,  pas 
de  traces  de  sucre,  ce  qui  réduit  à  néant  l'objection  fon- 
damentale qui  nous  était  adressée,  objection  qui,  bien 
que  servant  de  point  de  départ  à  tout  cet  échafaudage 
d'arguments  qu'on  nous  opposait^  n'avait  même  pas  été 
vérifiée  par  l'auteur  de  ces  arguments. 


QUATORZIEME   LEÇON 

ÏO  FÉVRIER  1855. 

SOMMAIRE  :  Analyse  d'un  nouveau  travail  critique  sur  l'origine  du  sucre 
dans  l'organisme,  —  Sa  linison  avecle  précèdent.  — Action  du  système 
nerveux  sur  la  production  du  sucre.  —  Expérience  sur  la  section  despneu- 
mo-gastriques.—  Des  méthodes  dans  les  sciences. —  Méthodes  à  priori  et 
à  posteriori.  —  Exemples  actuels.  —  Examen  des  résultats  de  l'expé- 
rience précédente. 


Messieurs, 

Nous  YOiis  avons  prouvé,  dans  la  dernière  séance, 
que  les  arguments  au  moyen  desquels  on  avait  espéré 
faire  revivre  l'ancienne  théorie  sur  la  provenance  exté- 
rieure du  sucre  de  l'organisme  animal  sont  sans  au- 
cune valeur.  Parmi  les  faits  invoqués  à  l'appui,  les  uns 
sont  exacts,  mais  ils  étaient  connus  depuis  longtemps, 
et  nous  en  avions  déjà  tenu  compte,  les  autres  ne  sont, 
comme  vous  l'avez  vu,  que  des  assertions  complètement 
erronées.  Rien  de  ce  que  nous  avions  avancé  et  prouvé 
ne  se  trouve  contredit;  nous  avons  toujours  l'expérience 
si  nette  que  nous  avons  produite  devant  vous,  et  à  la- 
quelle nous  nous  reportons  constamment,  à  savoir,  que 
chez  un  animal  nourri  de  matières  albuminoïdes,  le 
sang  de  la  veine  porte  ne  contient  pas  de  sucre,  tandis 
que  celui  des  veines  hépatiques  et  le  foie  lui-même  en 
présentent  des  quantités  considérables.  La  conclusion 


EXAMEN   DE   CRITIQUES  SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.      283 

toute  naturelle,  toute  simple,  est  toujours  celle-ci  :  que 
le  sucre  se  forme  dans  le  foie. 

Nous  aurons  encore,  par  la  suite,  à  ajouter  bien 
d'autres  preuves  à  celles  que  nous  vous  avons  déjà 
données  de  la  réalité  de  cette  fonction  glycogénique 
du  foie. 

Puisque  nous  sommes  entré  dans  cette  discussion,  et 
à  cause  du  désir  qui  nous  en  a  été  exprimé,  et  parce 
que,  au  point  de  vue  des  méthodes  scientifiques,  nous 
y  avons  vu  un  enseignement  réel,  nous  devons  la  pour- 
suivre jusqu'au  bout,  et  en  examiner  une  autre  face  par 
laquelle  la  critique  s'est  présentée,  quoique  d'une  ma- 
nière beaucoup  moins  franche. 

Un  autre  travail  a  été  lu  à  l'Académie  des  sciences  le 
5  février,  et  reproduit  dans  le  numéro  du  9  février  de 
la  Gazette  hebdomadaire,  11  règne,  dans  toute  cette  nou- 
velle forme  que  prend  l'argumentation,  une  insinua- 
tion perpétuelle  pour  essayer  d'établir  que  nous  au- 
rions bien  pu  nous  tromper  sur  la  valeur  des  réactifs 
dont  nous  nous  sommes  servi.  Ainsi  on  prétend  que 
dans  le  cas  où  l'on  donne  à  un  animal  des  matières  fé- 
culentes ou  sucrées,  le  sucre  pourrait  bien  se  trouver 
en  grande  quantité  dans  la  veine  porte,  mais  qu'il  y 
serait  masqué  par  sa  combinaison  avec  l'albuminose, 
et  ne  serait  plus  dès  lors  susceptible  d'être  décelé  par 
le  tartrate  cupro-potassique.  Ce  sucre  passerait  ina- 
perçu, pour  ne  reparaître  qu'après  le  foie,  qui  aurait 
dissocié  cette  combinaison  du  sucre  avec  des  matières 
albuminoïdes  qui  étaient  rebelles  à  notre  réactif. 

Nous  reviendrons  plus  tard  sur  la  question  de  sa- 


284  EXAMEN  DE  QUELQUES   CRITIQUES 

voir  clans  quelles  conditions  l'albuminose  peut  empê- 
cher la  réduction  du  sel  de  cuivre  par  le  glucose.  Pour 
le  moment,  nous  dirons  que  sur  des  chiens  nourris 
avec  de  la  viande  et  du  pain,  quand  nous  avons  voulu 
chercher  par  le  tartrate  cupro-potassique  le  glucose 
dans  le  sang  de  la  veine  porte,  nous  avons  constamment 
constaté  sa  présence,  mais  en  quantités  bien  moins  con- 
sidérables que  dans  le  sang  des  veines  hépatiques.  D'ail- 
leurs nous  ne  nous  sommes  jamais  contenté  de  cette 
réaction,  nous  avons  toujours  employé  comparative- 
ment la  fermentation,  qui  ne  saurait  laisser  aucun 
doute  en  pareille  matière. 

Lehmann,  dont  la  compétence  sur  des  détermina- 
tions chimiques  est  si  hautement  établie,  a  trouvé  éga- 
lement du  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  chez 
des  chevaux  qui  mangeaient  de  l'avoine,  mais  il  en  a 
trouvé  bien  davantage  dans  le  sang  des  veines  hépa- 
tiques. 

Mais  toutes  les  objections  précédentes  se  rapportent 
à  une  alimentation  mixte.  Nos  expériences,  au  con- 
traire, pour  établir  la  formation  du  sucre  dans  le  foie, 
ont  toujours  été  faites  sur  des  animaux  à  jeun,  ou  nour- 
ris exclusivement  avec  de  la  viande.  Cependant  la  fonc- 
tion glycogénique  du  foie  est  mise  en  jeu,  mais,  ainsi 
que  le  dit  l'auteur  lui-même,  d'une  manière  indirecte. 

Quelque  éloigné  que  puisse  vous  paraître,  au  pre- 
mier abord,  ce  travail  de  celui  que  nous  avons  analysé 
dans  la  précédente  séance,  vous  allez  voir  cependant 
que  c'est  une  nouvelle  face  sous  laquelle  l'ancienne 
théorie  de  la  provenance  extérieure  du  sucre  de  l'or- 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  285 

ganisme  présente  sa  défense.  C'est  une  argumentation 
en  deux  points  qui  se  relient  l'un  à  l'autre  d'une  ma- 
nière indirecte,  et  dont  la  logique  pourrait  passer  ina- 
perçue; je  suis  donc  obligé  de  remplir  les  lacunes  du 
raisonnement  complet.  Les  deux  prémisses  sont  :  l'une 
que  le  sucre  existe  dans  la  viande,  l'autre  que  la  pré- 
sence du  sucre,  dans  la  veine  porte  est  dissiuiulée  par 
les  matières  albuminoïdes  digérées  par  le  suc  gastri- 
que ;  donc  on  donne  toujours  du  sucre  avec  les  ali- 
ments; et  comme  ce  sucre  n'est  pas  décelé  dans  la 
veine  porte  par  le  tartrate  cupro-potassique,  il  en  ré- 
sulte que  notre  expérience  fondamentale  est  infirmée. 

Mais  d'abord,  Messieurs,  quant  à  la  présence  du  su- 
cre dans  la  viande,  c'est  une  pure  assertion,  et  vous 
avez  vu  par  expérience  ce  qu'elle  valait.  Quaut  à  la 
dissimulation  du  sucre  par  la  peptone  ou  albuminose 
dans  la  veine  porte,  cette  objection  n'a  aucune  valeur, 
parce  que,  en  supposant  que  cette  matière  existât  dans 
la  veine  porte,  ce  qui  n'est  pas  exact,  ainsi  que  nous  le 
dirons  plus  tard,  on  s'en  serait  débarrassé;  et  d'ail- 
leurs on  a  toujours  fait  usage  de  la  fermentation  con- 
curremment avec  le  réactif  cupro-potassique. 

De  plus,  on  a  oublié  de  dire  à  quels  caractères  on 
reconnaissait  que  ce  sucre,  qui  se  ti'ouve  isolé  dans 
le  foie,  était  bien  celui  qui  avait  circulé  dans  la  veiue 
porte  avec  la  peptone,  au  lieu  d'être  un  sucre  de  nou- 
velle formation  ;  évidemment  c'est  là  une  assertion  pure 
et  simple. 

On  ne  sait  quelquefois  pas  au  juste  ce  qu'on  prétend 
établir,  dans  ce  travail  ;  car  d'une  part  on  accorde  que 


286  EXAMEN  DE  QUELQUES  CRITIQUÉS 

la  fonction  glycogénique  n'est  pas  directement  en  jeu, 
et  l'on  crée,  d'autre  part,  un  nouvel  usage  pour  le  foie, 
qui  (levienl,  dans  le  cas  d'une  alimentation  mixte,  un 
organe  filtrateur  propre  à  isoler  l'un  de  l'autre  les 
deux  produits  ultimes  de  la  digestion  des  matières  al- 
buminoïdes  et  saccharines,  d'abord  confondues  et  mas- 
quées l'une  par  l'autre  dans  le  sang  de  la  veine  porte. 

Enfin  notons,  en  terminant,  un  fait  curieux,  au  point 
de  vue  des  méthodes,  qui  s'est  produit  dans  cette  dis- 
cussion. Le  travail  que  nous  avons  analysé  dans  la  der- 
nière séance  était  fait  par  un  chimiste  qui  juge  une 
question  physiologique;  il  a  pour  but,  en  effet,  de  dé- 
cider s'il  y  a  ou  non  une  fonction  pour  produire  le 
sucre.  Celui-ci  est  fait  par  un  physiologiste  qui  juge 
une  question  chimique,  sur  la  possibilité  de  reconnaî- 
tre comment  une  matière  albuminoïde  peut  masquer  le 
sucre. 

Nous  ne  voulons  pas.  Messieurs,  insister  davantage 
sur  ces  tentatives  impuissantes  pour  faire  revivre  une 
théorie  qui  a  fait  son  temps.  Nous  reprenons  notre 
sujet,  un  instant  interrompu  par  ces  réfutations  qu'on 
nous  avait  demandées,  et  nous  allons  continuer  à  éta- 
blir, par  des  preuves  d'une  autre  nature,  cette  nouvelle 
fonction  du  foie,  en  nous  plaçant  sur  un  terrain  oii 
toutes  ces  objections,  qui  ne  portent  en  définitive  que 
sur  la  nature  de  l'alimentation,  ne  pourront  plus  nous 
atteindre. 

Nous  nous  mettrons  donc  maintenant  complètement 
en  dehors  de  l'alimentation,  il  n'y  aura  donc  plus  lieu 
de  discuter  si  le  sucre  provient  de  là. 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  287 

En  effet,  Messieurs,  le  sucre  ne  se  fait  pas  aux  dé- 
pens de  l'aliment:  il  y  a  toujours  entre  la  nourriture 
et  le  produit  sécrété  un  intermédiaire  inévitable,  qui 
est  le  fluide  sanguin.  Quand  nous  vous  avons  dit  que  le 
sucre  du  foie  se  faisait  aux  dépens  des  matières  albu- 
minoïdes,  nous  n'avons  pas  prétendu  que  ce  fût  aux 
dépens  de  celles  qui,  digérées  dans  l'intestin,  arrivent 
directement  au  foie.  C'est  aux  dépens  des  matières  qui 
ont  vécu,  que  se  fait  toute  sécrétion,  car  pendant  l'ab- 
stinence, la  circulation  continue  dans  le  foie,  et  la 
production  du  sucre  se  fait  comme  à  l'ordinaire,  quoi- 
que un  peu  diminuée,  et  l'on  en  trouve  toujours  chez 
des  animaux  qui  n'ont  rien  mangé  depuis  quatre,  cinq, 
six  jours  et  plus.  Vous  avez  été  témoins  de  ce  fait  chez 
des  chiens  à  jeun  depuis  trois  jours.  Mais  on  pourrait 
faire,  car  l'expérience  nous  a  montré  qu'il  fallait  tout 
prévoir  désormais,  cette  objection  :  que  la  présence  du 
sucre,  constatée  après  une  abstinence  plus  ou  moins 
prolongée,  provenait  de  ce  que  le  foie  étant  un  organe 
condensateur,  cette  matière  s'y  localisait  indéfiniment. 
Vous  savez  déjà  que  la  matière  sucrée  est  très-destruc- 
tible ;  mais  nous  avons  une  preuve  plus  directe  à  vous 
donner  et  qui  vous  convaincra,  c'est  que,  quand  on 
empêche  le  sucre  de  se  produire,  on  n'en  trouve  plus 
au  bout  de  très-peu  de  temps. 

Voici  deux  chiens  à  jeun  depuis  deux  jours.  Nous 
avons  coupé  à  l'un  d'eux,  il  y  a  à  peu  près  vingt  heu- 
res, les  deux  nerfs  pneumo-gastriques  dans  la  région 
moyenne  du  cou.  Vous  voyez,  contrairement  à  ce  qu'on 
a  dit  souvent,  que  ce  dernier  animal  n'a  pas  de  ihon- 


288  EXAMEN  DE  QUELQUES  CRITIQUES 

chus;  sa  respiration  n'est  pas  gênée,  elle  se  fait  libre- 
ment, seulement  elle  est  très-lente.  Nous  tuons  les  deux 
chiens  par  la  section  du  bulbe  rachidien,  nous  prenons 
sur  l'un  et  sur  l'autre  du  sang  de  la  veine  porte,  en 
ayant  soin,  comme  nous  le  faisons  toujours,  déplacer 
une  hgature  sur  le  tronc  de  ce  vaisseau  avant  son  en- 
trée dans  le  foie,  pour  empêcher  le  reflux  du  sang  des 
veines  hépatiques  ;  on  prend  un  morceau  du  foie  qu'on 
va  faire  cuire  dans  un  peu  d'eau,  et  nous  examinerons 
dans  un  instant  cette  décoction,  ainsi  que  le  sang  des 
\eines  porte  et  hépatique. 

Remarquez,  en  passant,  que  l'estomac  de  ces  deux 
animaux  est  complètement  vide.  Voici  les  poumons  de 
celui  qui  a  eu  les  pneumo-gastriques  coupés;  ils  sont 
parfaitement  sains  et  ne  présentent  pas  de  traces  de 
pneumonie  :  cela  tient  à  ce  que  l'animal  est  assez  \ieux 
et  à  jeun;  s'il  eût  été  plus  jeune,  nous  aurions  trouvé 
probablement  ces  organes  plus  ou  moins  engorgés  de 
sang,  et  hépatisés,  comme  on  dit. 

Nous  avons  fait  des  expériences  nombreuses  touchant 
riufluence  de  la  section  des  pneumo-gastriques  sur  le 
foie.  Au  bout  de  trois  jours,  le  sucre  avait  toujours  dis- 
paru complètement.  Ce  temps  est,  sans  doute,  trop 
considérable,  mais  nous  ignorons  la  limite  inférieure 
qu'il  faut  atteindre  pour  que  le  sucre  se  détruise  entiè- 
rement. L'expérience  que  nous  ferons  devant  vous  ser- 
vira à  l'établir,  et  nous  en  apprendrons  ensemble  le  ré- 
sultat. Vous  voyez  ici  deux  animaux  placés  exactement 
dans  les  mêmes  conditions,  à  peu  près  de  même  âge  et 
de  même  taille,  tous  deux  à  jeun  depuis  le  même  mo- 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  289 

ment,  et  ne  différant  qu'en  ce  que  l'un  d'eux  a  les 
pneumo-gastriques  coupés.  Chez  ce  dernier,  la  sécré- 
tion glycogénique  a  cessé,  comme  cessent  toutes  les 
fonctions  d'un  organe  quand  on  a  coupé  les  nerfs  qui 
s'y  rendent,  mais  le  sucre  antérieurement  formé,  et  qui 
existait  au  moment  de  l'opération,  a  continué  de  se  dé- 
truire, et  si  le  temps  a  été  suffisant,  nous  ne  devons 
plus  en  trouver  dans  le  tissu  hépatique.  Si  nous  en 
trouvons  encore,  vous  verrez  qu'il  y  en  a  beaucoup 
moins  que  chez  l'autre  chien,  chez  lequel,  bien  qu'il 
soit  à  jeun,  la  glyçogénic  a  continué  de  s'exercer. 

Ces  deux  animaux  ne  diffèrent  donc  qu'en  ce  que  l'un 
fait  toujours  du  sucre,  tandis  qu'il  ne  s'en  produit  plus 
du  tout  chez  l'autre. 

Nous  constaterons  tout  à  l'heure  ce  que  va  nous  don- 
ner cette  expérience  qui  csl  en  train.  En  attendant 
qu'elle  s'achève,  et  puisque  l'occasion  s'en  présente  à 
propos  des  discussions  qui  s'élèvent  aulour  de  la  fonc- 
tion glycogénique  du  foie,  permettez-moi,  Messieurs, 
de  vous  rappeler  en  quelques  mots  la  manière  dont  on 
raisonne  en  physiologie  comme  dans  toute  autre  science 
expérimentale,  et  combien  le  point  de  vue  oii  l'on  est  a 
d'influence  sur  les  résultats  obtenus. 

Nous  vous  avons  déjà  parlé,  mais  d'une  manière 
abstraite  et  générale,  des  méthodes  d'investigation  ;  mais 
il  est  bon  d'éclaircir  ces  notions  sur  les  exemples  parti- 
culiers qui  s'offrent  à  nous  en  ce  moment. 

L'un  de  ces  modes  de  raisonnement  constitue  ce 
qu'on  nomme  la  méthode  à  priori.  Dans  cette  méthode, 
on  part  d'une  idée  préconçue,  sur  la  manière  suivan( 

BERNARD.    I.  19 


290  EXAMEN  DE   QUELQUES   CRITIQUES 

laquelle  doit  s'opérer  un  certain  ordre  de  phénomènes, 
puis  on  fait  des  expériences,  non  pas  pour  vérifier  cette 
idée,  mais  pour  la  confirmer.  Tout  ce  qu'on  voit,  tout 
ce  qu'on  observe,  doit  absolument  rentrer  dans  la  théo- 
rie, et  l'on  déclare  au  besoin  impossibles  et  absurdes 
les  faits  qui  la  contredisent.  Quelquefois  même  on  niera 
ces  faits,  parce  que  dans  la  disposition  d'esprit  où  l'on 
se  trouve,  on  ne  rechercha  point  à  reproduire  les  con- 
ditions dans  lesquelles  ils  se  manifestent  ;  et  quand  ils 
ne  se  seront  pas  montrés,  parce  que  Fexpérience  qu'on 
aura  tentée  par  une  espèce  de  condescendance  n'aura 
pas  été  faite  comme  elle  aurait  dû  l'être,  on  sera  heu- 
reux de  n'avoir  pas  vu  se  produire  le  phénomène  qui 
contrarie,  et  l'on  déclarera  qu'il  n'existe  pas.  Tantôt 
cette  idée  à  priori  reposera  sur  un  certain  nombre  de 
faits  réels,  tantôt  sur  des  conceptions  purement  méta- 
physiques. 

La  discussion  à  laquelle  nous  nous  sommes  livré  dans 
la  précédente  séance  nous  a  offert  un  exemple  de  cette 
double  source  des  idées  à  priori  dans  l'étude  d'un  phé- 
nomène: car,  d'une  part,  on  a  fait  parler  la  nature,  on 
lui  a  prêté  ses  répugnances  et  ses  préventions;  de  l'au- 
tre, on  s'est  basé  sur  des  faits  bien  constatés,  correspon- 
dants à  un  état  antérieur  de  la  science  qui  a  eu  sa  rai- 
son d'être  à  une  certaine  époque,  et  dans  lequel  on  a 
voulu  rester,  sauf  à  inventer  des  explications  étranges, 
et  même  à  poser  des  assertions  hasardées  pour  en  faire 
des  arguments  contre  des  découvertes  nouvelles. 

Quelquefois,  l'idée  à  priori  ^^i  purement  métaphysi- 
que, avons-nous  dit,  et  c'est  le  cas  le  plus  fatal,  qui, 


SUR   LA  GLYCOGÉNIE  AMMALE.  291 

heureusement,  disparaît  de  la  science  de  plus  en  plus. 
En  voici  un  exemple;  il  s'agit  de  la  nature  intelligente 
visant  partout  à  l'unité  dans  ses  créations. 

Uq  physiologiste,  recommandable  à  beaucoup  d'é- 
gards, a  voulu  appuyer  d  priori  cette  ancienne  idée  : 
que  dans  l'acte  de  la  digestion  il  doit  y  avoir  unité  de 
lieu  et  unité  d'agent;  que  tout  se  passe  dans  l'estomac 
et  par  la  puissance  du  suc  gastrique.  Dès  lors  toutes 
ses  expériences  partent  de  là,  et  depuis  quinze  ans  il 
s'évertue  à  démontrer,  sans  tenir  compte  des  travaux 
qui  se  produisent  autour  de  lui,  que  la  salive,  que  la 
bile,  que  les  sucs  pancréatiques  et  intestinaux  ne  ser- 
vent à  rien;  qu'il  n'y  a  dans  tout  l'appareil  digestif 
qu'un  point,  la  région  pylorique,  oii  se  sécrète  le  suc 
gastrique,  pour  accomplir  toutes  les  modifications  que 
subissent  les  diverses  sortes  d'aliments  avant  d'être 
absorbées;  que  tous  les  autres  organes  glandulaires  ne 
jouent  qu'un  rôle  uniquement  dépurateur.  Et  il  lait 
des  efforts  inouïs  de  travail  et  d'imagination,  il  se  crée 
des  agitations  qui  ne  mènent  à  rien,  pour  vouloir  à 
toute  force  voir  les  choses  comme  il  les  conçoit,  et  non 
comme  elles  sont. 

On  doit  considérer  les  expérimentateurs  qui  veulent 
absolument  confirmer  une  théorie  préconçue  par  des 
expériences,  comme  des  persécuteurs  de  la  nature.  En 
effet,  ayant  une  théorie  posée  en  avant  dans  laquelle  ils 
ont  foi;  comme  dans  un  axiome,  ils  veulent  lui  assu- 
jettir les  faits  ;  ils  tourmentent  de  toutes  les  manières 
les  expériences  de  façon  à  leur  faire  dire  ce  qu'ils  ont 
induit  ou  imaginé.  Si  l'expérimentation  leur  répond 


292  EXAMEN   DE   QUELQUES  CRITIQUES 

autre  chose,  ils  ne  veulent  pas  l'entendre,  ils  n'y  font 
pas  attention,  et  s'obstinent,  avec  une  opiniâtreté  qui 
fait  leur  malheur,  à  multiplier  les  expériences  sans  ré- 
sultats positifs;  ou  bien,  s'ils  croient  saisir  quelques 
fails  en  rapport  avec  leurs  idées,  ils  ne  voient  que  ce 
détail  du  résultat,  et  en  abandonnent  souvent  le  côté  le 
phis  important.  Rarement  cette  voie  conduit  à  des  dé- 
couvertes; et  si  les  hommes  qui  l'emploient  ont  du 
talent,  elle  ne  fait  que  créer  des  systèmes  mensongers 
avec  l'apparence  de  la  vérité. 

Dans  l'autre  manière  de  raisonner,  dite  méthode  à 
posteriori^  Tesprit,  par  des  faits  établis,  les  relie  provi- 
soirement par  une  théorie  qui  ne  lui  sert  qu'à  le  guider 
pour  en  découvrir  de  nouveaux;  cette  théorie  qu'il  mo- 
difie à  chaque  pas,  il  l'abandonne  sans  regret  dès 
([u'elle  ne  lui  suffit  plus.  Les  lois  qu'il  établit  viennent 
après  les  phénomènes  constatés,  les  raisonnements 
après  l'expérience.  Dans  ces  conditions,  l'observateur 
jouit  d'une  quiétude  qu'il  ne  saurait  avoir  quand  il 
tient  plus  à  ces  conceptions  qu'à  ses  observations.  Cette 
quiétude  ne  saurait  l'abandonner  dans  les  objections 
que  les  théoriciens  leur  suscitent.  Car  des  faits  qu'il  a 
vus,  et  quij  dans  de  telles  dispositions,  ne  peuvent 
jamais  le  contrarier,  il  a  tiré  les  conclusions  les  plus 
simples  et  donné  les  explications  les  plus  naturelles. 
L'imagination,  Messieurs,  doit  savoir  se  borner,  en 
pliysiologie,  à  instituer  un  bon  mode  d'expérimenta- 
tion, et  non  pas  à  inventer  des  théories  qui,  quelque 
artistement  conçues  qu'elles  puissent  être,  ne  sauraient 
jamais  avoir  la  valeur  d'un  fait  bien  établi.  Ceux  qui 


SLR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  293 

ne  veulent  pas  se  contenter  de  ce  rôle,  devraient  faire 
toute  autre  chose  que  de  la  physiologie,  car  ils  lui 
nuisent  plus  qu'ils  ne  la  servent. 

Nous  suivons,  Messieurs,  cette  marche  dite  à  poste- 
riori ;  nous  interrogeons  la  nature,  mais  nous  ne  la 
tourmentons  pas,  nous  ne  la  violentons  pas.  Sans  au- 
cun doute,  il  faut  d'abord  poser  la  question  ;  il  faut,  si 
l'on  veut,  que  nous  ayons  une  idée  préconçue  ou  à 
priori  quelconque  pour  instituer  une  expérience  :  mais 
quand  Texpérience  est  une  fois  bien  instituée,  nous 
écoutons  avec  soin  la  réponse;  nous  cherchons  à  bien 
la  comprendre,  qu'elle  soit  favorable  ou  non  à  notre 
idée  primitive.  Nous  nous  laissons  conduire,  en  un  mot, 
par  les  résultats  qui  surgissent  de  l'expérimentation,  et 
nous  ne  prétendons  pas  régenter  et  conduire  l'expé- 
rience. Cette  méthode  d'investigation  est  féconde  en 
découvertes,  et  nous  pourrions  vous  prouver  que  c'est 
à  elle  que  nous  devons  celles  que  nous  avons  eu  le 
bonheur  de  faire  en  physiologie. 

Après  cette  digression.  Messieurs,  arrivons  à  consta- 
ter les  résultats  de  l'expérience  que  nous  avons  com- 
mencée. 

Voici  d'abord  le  liquide  provenant  de  la  décoction 
du  sang  de  la  veine  porte  de  l'animal  qui  était  simple- 
ment à  jeun  et  auquel  nous  n'avions  pas  coupé  les 
pneumo-gastriques.  Nous  ne  devons  avoir  aucune  ré- 
duction du  sel  de  cuivre,  et  c'est  ce  qui  a  lieu  en  efPet. 

Le  liquide  provenant  du  sang  des  veines  hépatiques 
réduit,  au  contraire,  comme  vous  le  voyez,  très-abon- 
ilamnent  notre  réactif. 


294  EXAMEN   DE   QUELQUES  CRITIQUES 

Et  il  en  est  de  même  du  liquide  provenant  de  la  dé- 
coction du  tissu  du  foie,  dont  le  précipité  est  encore 
plus  abondant  que  le  précédent. 

Prenons  maintenant  l'animal  qui  était  à  jeun  comme 
le  premier,  et  qui  avait,  de  plus,  les  nerfs  pneumo- 
gastriques joupés. 

Dans  le  liquide  de  la  veine  porte,  pas  de  traces  de 
réduction. 

Dans  le  liquide  des  veines  hépatiques,  pas  davantage. 

Dans  le  tissu  du  foie,  nous  voyons  une  réduction, 
mais  très-faible,  comparativement  à  l'autre,  carie  li- 
quide reste  presque  complètement  bleu,  tandis  qu'il 
est,  dans  le  cas  précédent,  tout  à  fait  décoloré.  Gela 
nous  prouve  qu'il  n'y  a  pas  encore  assez  longtemps  que 
l'expérience  a  été  commencée,  mais  dans  quelques 
heures  la  disparition  du  sucre  eût  été  complète,  et  l'on 
n'en  eût  pas  trouvé  de  traces.  Dans  le  foie  du  chien 
laissé  simplement  à  jeun,  qui  n'a  pas  eu  les  vagues 
coupés,  vous  voyez  qu'il  y  en  a  des  quantités  beaucoup 
plus  grandes,  ainsi  que  dans  le  sang  des  veines  hépa- 
tiques et  dans  le  tissu  du  foie. 

Nous  voyons  donc  que  la  formation  du  sucre,  comme 
toutes  les  autres  sécrétions,  comme  la  sécrétion  de  la 
saHve,  des  larmes,  de  l'urine,  des  sucs  gastrique,  bi- 
liaire, pancréatique,  etc.,  est  soumise  au  système  ner- 
veux, et  qu'elle  est  complètement  indépendante  de  l'a- 
limentation. Si  l'on  arrête  la  formation  du  sucre,  en 
soustrayant  l'organe  sécréteur  à  l'action  excitatrice  des 
centres  nerveux,  la  destruction  seule  continuant,  tout 
ce  qui  s'était  produit  antérieurement  ne  tardera  pas  à 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  295 

disparaître,  et  au  bout  d'un  certain  temps  ou  n  en 
trouvera  plus  la  moindre  trace  dans  l'organisme. 

Il  y  a  plus,  nous  aurions  pu,  jusqu'au  moment  de  sa 
mort,  nourrir  avec  des  matières  féculentes  et  sucrées 
l'animal  auquel  nous  avons  coupé  les  pneumo-gas- 
triques,  et  nous  n'aurions  pas  trouvé  davantage  de 
sucre  dans  son  foie  ni  dans  le  sang  des  veines  hé- 
patiques. 

Ce  n'est  donc  pas  aux  dépens  du  sucre  de  l'aliment, 
mais  aux  dépens  du  sang  lui-même  que  se  forme  le 
sucre,  ainsi  que  tous  les  produits  divers  de  l'organisme; 
et  ces  productions  sont  sous  la  dépendance  immédiate 
du  système  nerveux,  dont  nous  étudierons  le  rôle  dans 
la  prochaine  séance. 


QUINZIEME  LEÇON 

13  FÉVRIER   1855. 

SOMMAIRE  :  Influence  du  système  nerveux  sur  la  sécrétion  du  foie.  — 
1°  Exagération  de  celtr;  sécrélion  par  piqûre  de  la  moelle  allongée.  —  Ins- 
trument employé;  procédé  opératoire.  —  De  rélimination  du  sucre  par 
les  diverses  sécrétions.  —  Élimination  par  les  reins,  par  la  muqueuse  sto- 
macale. —  Le  sucre  ne  passe  pas  dans  la  salive.  —  Expériences  chez  les 
diabétiques.  —  Spécialité  des  différentes  substances  au  point  de  vue  de 
leur  passage  dans  diverses  sécrétions,  —  Sucre.  —  Cyanure  jaune  de  po- 
tassium de  fer. —  lodure  de  potassium.  —  Passage  du  sucre  dans  l'esto- 
mac des  diabétiques.  —  Limite  de  la  quaniité  de  sucre  que  peut  contenir  le 
sang  sans  passer  dans  l'urine.  —  Résultat  d'une  expérience  sur  la  piqûre 
de  la  moelle  allongée  chez  un  lapin. 


Messieurs, 

Nous  avons  examiné  jusqu'ici  l'influence  qu'avaient 
sur  la  fonction  glycogénique  du  foie  les  conditions  di- 
verses dépendant  de  l'alimentation  et  de  la  circulation. 

Mais  vous  avez  vu,  dans  la  dernière  séance,  comment 
la  section  des  nerfs  pneumo-gastriques  amenait  la  dis- 
parition du  sucre  dans  l'organe  hépatique,  parce  qu'on 
empêchait  ainsi  la  production  d'avoir  lieu.  Nous  avons 
à  poursuivre  aujourd'hui  l'action  du  système  nerveux 
sur  cette  fonction. 

11  vous  est  bien  démontré  actuellement  que  le  foie 
est  un  organe  sécréteur  du  sucre;  comme  toutes  les 
autres  glandes,  il  est  dès  lors  soumis  à  l'influence  du 
système  nerveux,  par  l'intermédiaire  duquel  on  peut 


DIABÈTE   ARTIFICIEL.  297 

augmenter,  diminuer,  ou  même  anéantir  complètement 
sa  sécrétion  sucrée.  Et  ce  qu'il  y  a  de  remarquable, 
c'est  que  ce  n'est  pas  seulement  au  point  de  vue  de  l'in- 
tensité fonctionnelle  que  nous  pouvons  agir  sur  le  foie, 
pour  lui  faire  produire  plus  ou  moins  de  glucose,  mais 
nous  pouvons  aussi  modifier  la  qualité  de  la  sécrétion, 
nous  pouvons  la  pervertir  et  la  modifier  profondément, 
de  façon  qu'il  se  produise  une  matière  qui  ne  sera  pas 
du  sucre,  mais  qui  pourra  se  transformer  en  cette  sub- 
stance, quand  le  foie  aura  été  soustrait  aux  influences 
nerveuses.  Ce  dernier  fait,  jusqu'alors  inconnu,  est 
destiné,  je  crois,  à  jeter  un  jour  tout  nouveau  sur  les 
actions  chimiques  qui  se  passent  d'abord  dans  le  foie  et 
même  dans  tout  l'organisme,  et  sur  l'espèce  d'action 
que  le  système  nerveux  exerce  sur  ces  phénomènes. 

Nous  avons  donc  à  examiner  successivement  trois 
genres  d'influence  du  système  nerveux  :  1°  exagération  ; 
T  diminution  ou  anéantissement;  3°  modification  de  la 
matière  sucrée  sécrétée  par  le  foie. 

L'augmentation  de  la  production  du  sucre  dans  l'or- 
ganisme de  façon  à  produire  un  diabète  artificiel,  peut 
s'opérer  en  agissant  sur  les  centres  nerveux  ou  sui*  les 
filets  qui  en  émanent,  au  moyen  d'excitations  mécani- 
ques ou  galvaniques. 

Nous  allons  commencer  par  examiner  l'expérience 
qui  frappa  le  plus  vivement  l'esprit  des  physiologistes, 
lorsque  je  la  publiai  il  y  a  quelques  années.  Cette  expé- 
rience consiste  en  ceci  :  Si  l'on  pique  un  certain  point 
de  la  moelle  allongée  d'un  animal,  Carnivore  ou  herbi- 
vore, le  sucre,  après  un  certain  temps,  se  répand  dans 


298  DIABÈTE  ARTIFICIEL. 

l'organisme  en  si  grande  abondance,  qu'il  en  apparaît 
dans  les  urines. 

Voici  l'instrument  dont  nous  nous  servons  pour  pra- 
tiquer cette  piqûre  (Fig.  14). 

Il  se  compose,  comme  vous  le  voyez,,  d'une  tige 
aplatie  par  une  de  ses  extrémités,  amincie  et 
A  tranchante  comme  un  petit  ciseau.  Au  milieu 
de  la  lame  et  dans  l'axe  de  l'instrument,  la 
tige  se  prolonge  par  une  petite  pointe  très- 
aiguë,  longue  de  1  millimètre  environ.  Vous 
comprendrez  l'usage  de  cet  instrument,  quand 
je  vous  aurai  indiqué  le  point  où  il  faut  le 
porter.  Ce  point  se  trouve  sur  la  moelle  allon- 
gée, au  milieu  de  l'intervalle  compris  entre 
les  racines  des  nerfs  acoustiques,  b,  h  (Fig.  15) 
et  celles  des  nerfs  pneumo-gastriques. 

Maintenant  nous  considérerons  la  moelle 
allongée  comme  formée  de  trois  couches  :  l'une 
postérieure,  une  seconde  moyenne,  et  une 
troisième  antérieure. 

La  couche  postérieure  est  en  rapport  avec 
les  phénomènes  de  la  sensibilité,  et  sa  section 
ne  produit  que  des  troubles  de  sensibilité  au 
moment  où  on  la  traverse.  La  couche  anté- 
rieure en  rapport  avec  les  phénomènes  de 
mouvement,  n'a  aucune  espèce  d'action  sur 
le  foie,  mais  sa  lésion  produit  des  convulsions 
et  des  mouvements  désordonné  squi  viendraient  com- 
pliquer l'expérience.  Il  faut  donc  éviter  de  couper 
celte  dernière  partie  de  la  moelle  allongée.  C'est  pour 


Fig.  14, 


DIABÈTE  ARTIFICIEL.  299 

cela  que  l'instrument  est  terminé  par  une  pointe  très- 
fme,  qui  ne  peut  pas  causer  de  lésions  graves  dans  les 
parties  qu'elle  traverse.  Quant  à  la  couche  moyenne, 
elle  est  composée  par  le  faisceau  innominé  du  bulbe  et 
les  corps  olivaires;  c'est  cette  partie  dont  la  lésion  pro- 
duit plus  spécialement  l'apparition  du  suore,  et  qu'on 
a  pour  but  d'atteindre.  Cet  espace  peut  être  limité  en 
haut  par  une  ligne  transversale  qui  unit  les  deux  tu- 
bercules de  Wenzel  b,  b,  et  en  bas  par  une  autre  ligne 
qui  va  d'une  origine  d'un  pneumo-gastrique  à  l'autre. 


Fig.  15.  On  voit  le  quatrième 
ventricule  chez  un  lapin  ;  le 
cerveletaé'é  divisé,  et  ses  deux 
lobes  a,  a,  sont  déjetés  sur  les 
côtes. 

«,  o,  lobes  du  cervelet  ;^,6, 
tubercules  de  Wenzel  ou  ori- 
gine des  nerfs  acoustiques.  — 
c,c,  plancher  du  quatrième  ven- 
tricule. —  c?,  bec  du  calamus 
scriptorius.  —  e,  origine  du 
nerf  pneumo-gastrique. 


V\^. 


La  blessure  peut  aussi  quelquefois  porter  plus  haut  ou 
latéralement,  et  produire  l'apparition  du  sucre;  mais 
le  point  que  j'ai  limité  précédemment  m'a  paru  celui 
où  le  phénomène  s'opère  avec  le  plus  d'intensité.  Du 
reste,  nous  donnerons  plus  tard  l'explication  du  mode 
singulier  d'action  de  ces  lésions  sur  l'apparition  du 
sucre  dans  les  urines.  Mais  constatons  d'abord  les  phé- 
nomènes. 

Vous  allez  voir  comment  j'opère.  Voici  unlapintrès- 


300  DIABÈTE  ARTIFICIEL. 

\igoureux  :  c'est  l'animal  qui  se  prête  le  mieux  à  cette 
expérience.  Je  saisis  fortement  la  tête  de  la  main  gauche 
pendant  qu'un  aide  tient  solidement  les  quatre  pattes, 
pour  empêcher  l'animal  de  faire  aucun  mouvement; 
puis,  en  passant  la  main  sur  le  crâne  d'avant  en  arrière, 
je  sens  une  tubérosité  d  qui  correspond  à  la  bosse  occi- 
pitale supérieure  en  e.  Aussitôt  en  arrière,  je  plante 
l'instrument  dont  la  pointe  entre  dans  le  tissu  spongieux 
de  l'os.  Je  presse  d'une  manière  continue,  en  faisant 
exécuter  de  légers  mouvements  de  latéralité  pour  faire 
enfoncer  les  parties  tranchantes;  je  pénètre  dans  la 
cavité  du  crâne,  et  dès  que  j'y  suis  parvenu,  je  dirige 

l'instrument  obliquement  de 
haut  en  bas  et  d'arrière  en 
avant,  de  façon  à  lui  faire 
croiser  une  ligne  qui  s'éten- 
drait d'un  conduit  auricu- 
laire à  l'autre.  Pendant  cette 
opération,  le  moindre  mou- 
vement de  l'animal  pourrait 
faire  varier  l'instrument  et  produire  des  dilacérations 
graves  qui  amèneraient  la  mort  ou  des  désordres  con- 
sidérables. C'est  pourquoi  il  faut  surtout  avoir  la  pré- 
caution de  maintenir  très-solidement  la  tête  de  la  main 
gauche,  au  moment  oii  l'on  pénètre  dans  la  moelle 
allongée. 

Je  pousse  ainsi  jusqu'à  ce  que  j'atteigne  l'os  basilaire 
avec  la  pointe  de  l'instrument  /(Fig.  1 7) ,  puis  je  le  retire 
avec  précaution.  Dans  cette  opération,  j'ai  percé  succes- 
sivement le  crâne,  le  cervelet,  les  couches  postérieure 


DIABÈTE  ARTIFICIEL.  301 

et  moyenne  de  la  moelle  allongée.  Mais  la  partie  large 
et  tranchante  n'aura  pas  lésé  d'une  manière  sensible  la 
couche  antérieure  de  la  moelle,  qui  aura  seulement  été 
traversée  par  la  pointe  de  l'instrument,  ce  qui  n'y  pro- 
duit aucun  désordre  grave.  Vous  comprenez  maintenant 
la  raison  de  la  présence  de  cette  pointe. 


Fig.  17.  Coujje  d'une  tête  de  lapin   pour  voir  la  marche  de  l'instrument 
à  piqûre. 


«,  cervelet.  —  6, origine  du  nerf  de  la  septièmepaire.  —  e,  moelle  t^plnière. 
— <;/,  origine  du  pneumo-gastrique.  -—  e,  trou  d'entrée  de  l'instrument  dans 
le  crâne.  —  /,  instrument.  —  g,  nerf  de  la  cinquième  paire.  —  A,  conduit 
auditif,  r-2",  extrémité  de  Finstrument  arrivant  sur  la  moelle  après  avoir  tra- 
versé le  cervelet.  —  A-,  sinus  veineux  occipital.  —  /,  tubercules  quadnjumaux. 
—  w,  cerveau.  —  ;?,  coupe  de  Faila.s. 


L'animal  qui  vient  de  subir  cette  expéiience  ne  pa- 
rait pas,  comme  vous  le  voyez,  en  avoir  beaucoup  souf- 


302  DIABÈTE   ARTIFICIEL. 

fert,  il  ne  trébuche  pas,  il  se  tient  bien  sur  ses  pattes, 
ce  qui  n'aurait  pas  lieu  s'il  avait  été  piqué  à  droite  ou 
à  gauche.  Si  la  lésion  n'avait  pas  porté  exactement  sut- 
la  ligne  moyenne  du  plancher  du  quatrième  ventricule, 
et  si  nous  avions  touché  un  des  pédoncules  du  cervelet, 
l'animal  eût  tourné  dans  un  sens  ou  dans  l'autre  ;  il 
aurait  pu  y  avoir  des  convulsions  ou  des  désordres  de 
mouvement,  mais  cela  n'eût  pas  empêché  l'apparition 
du  sucre  qui  en  est  indépendante.  Cependant  ce  lapin 
semble  être  un  peu  étonné  sur  le  moment,  mais  il  se 
remettra  assez  rapidement;  seulement  nous  l'avons 
rendu  actuellement  diabétique;  et  dans  une  heure  ou 
deux,  peut-être  même  à  la  fin  de  cette  leçon,  nous 
pourrons  déjà  constater  la  présence  du  sucre  dans  ses 
urines;  et,  pour  être  bien  sûr  qu'il  n'en  existait 
pas  avant  l'expérience,  nous  vidons  sa  vessie.  L'urine 
est  trouble,  mais  elle  ne  réduit  pas  le  tartrate  cupro- 
potassique,  ainsi  que  vous  le  voyez;  elle  ne  donne  pas 
lieu  non  plus  à  la  fermentation. 

La  première  question  qui  se  présente,  c'est  de  sa- 
voir par  quel  mécanisme  s'opère  cette  apparition  du 
sucre  dans  les  urines,  chez  des  animaux  dont  on  a  pi- 
qué, ainsi  que  nous  venons  de  le  faire,  un  point  très- 
limité  de  la  moelle  allongée. 

Pour  passer  du  foie  dans  le  rein,  le  sucre  ne  suit  pas 
ici  des  voies  mystérieuses,  mais  la  piqûre  que  nous  ve- 
nons de  faire  en  ce  point  du  système  nerveux  central 
exerce  son  action  sur  la  sécrétion  glycogénique.  Cette 
IrritaHon  retentit  sur  le  foie,  et  dès  lors  la  quantité  de 
sucre  augmente  dans  l'organisme,  le  sang  en  est  alors 


DIABÈTE  ARTIFICIEL.  30:] 

saturé,  et  le  laisse  passer  dans  les  urines.  Le  rein  agit 
ici  simplement  comme  éliminateur. 

Mais  il  y  a  ici  une  question  qui  se  présente,  et  qui  se 
rattache  trop  directement  à  l'histoire  du  diabète,  pour 
que  nous  ne  l'examinions  pas  avec  soin  :  c'est  de  savoir 
si  les  reins  seuls  ont  la  propriété  d'excréter  du  sucre,  et 
si  cette  substance  ne  peut  pas  passer  dans  d'autres  sé- 
crétions. Nous  avons  fait  à  ce  sujet  un  grand  nombre 
d'expériences,  et  nous  avons  trouvé  qu'il  y  a  une  es- 
pèce d'élection  dans  l'excrétion  des  matières  qui  sortent 
de  l'organisme,  et  que  toutes  ne  sont  pas  susceptibles 
de  s'échapper  par  les  mêmes  voies  éliminatoires. 

Nous  avons  d'abord  recherché  comment  se  compor- 
tait le  sucre,  et  nous  avons  vu  qu'il  y  a  certaines  sé- 
crétions par  lesquelles  il  ne  passe  jamais. 

Cette  substance,  en  effet,  quand  elle  existe  en  grande 
quantité  dans  l'économie,  n'a  que  deux  voix  élimina- 
toires, qui  sont  les  reins,  d'une  part,  et  la  muqueuse 
stomacale  de  l'autre.  Quand  on  injecte  du  sucre  dans 
le  sang  d'un  animal,  de  manière  à  l'en  saturer  et  à  le 
mettre  momentanément  dans  l'état  où  se  trouvent  les 
individus  diabétiques,  on  n'en  trouve  ni  dans  la  salive, 
ni  dans  les  larmes,  ni  dans  le  suc  pancréatique,  ni  dans 
la  bile,  ni  dans  la  sueur,  tandis  que  les  urines  et  le  suc 
gastrique  en  décèlent  des  proportions  plus  ou  moins 
notables.  Les  expériences  sur  l'animal  pris  en  état  de 
santé  donnent  des  résultats  complètement  semblables  à 
ceux  qu'on  observe  chez  les  malades. 

Ainsi,  dans  le  service  de  M.  Rayer,  nous  avons  eu 
fréquemment  l'occasion  d'examiner  la  salive  des  dia- 


304  DIABÈTE   ARTIFICIEL. 

béliques,  jamais  uous  n'y  avons  trouvé  la  moindre 
trace  de  matière  sucrée.  Nous  faisions  d'abord  rincer 
la  bouche  des  malades  avec  de  l'eau  pure,  et  on  leur 
donnait  à  mâcher  quehjue  sialagogue,  comme  la  racine 
de  jjyrèthre,  par  exemple,  pour  activer  la  sécrétion  qui, 
recueilHe  de  cette  manière,  n'a  pas  été  sucrée  dans  six 
observations  que  nous  avons  faites. 

On  a  dit  quelquefois  que  les  diabétiques  avaient  un 
goût  sucré  dans  la  bouche,  et  l'on  a  pensé  que  cela 
pouvait  provenir  de  la  sécrétion  salivaire.  Quoique  le 
fait  soit  exact,  cependant,  il  ne  tient  pas  à  la  cause  à 
laquelle  on  Ta  rapporté.  Cela  ne  doit  être  qu'un  phé- 
nomène de  môme  nature  que  ceux  que  M.  Magendie  a 
observés  en  injectant  dans  le  sang  des  chiens  des  soki- 
tions  amères.  Il  a  vu  aussitôt  après  l'opération  les  ani- 
maux manifester  les  mêmes  signes  de  dégoût  que  si  la 
substance  eut  été  mise  directement  sur  la  muqueuse 
buccale;  et,  de  même,  si  l'on  injecte  du  bouillon  dans 
les  veines  d'un  chien,  on  le  voit  aussitôt  se  lécher  les 
lèvres  avec  une  sensation  agréable.  11  y  a  lieu  de  croire 
que  dans  ce  cas,  comme  dans  celui  des  diabétiques,  la 
substance  qui  se  trouve  dans  le  sang  en  assez  grande 
quantité  arrive  avec  lu  idans  les  capillaires,  et  agit  alors 
sur  les  extrémités  nerveuses  comme  si  elle  venait  d'être 
absorbée  au  contact  de  la  muqueuse  linguale.  Lehmann 
dit  avoir  trouvé  du  suci'e  dans  la  salive  du  diabétique. 
Il  serait  intéressant  de  savoii*  si  les  diabétiques  qui  ont 
du  sucre  dans  la  salive  sont  piécisément  ceux  qui  ac- 
cusent une  sensation  sucrée  dans  la  bouche. 

On  a  encore  signalé  la  présence  du  sucre  dans  les 


DIABÈTE   ARTIFICIEL.  303 

crachats  des  diabétiques.  Nous  admettons  qu'il  peut  y 
avoir  du  sucre  en  quantité  notable  dans  les  crachats. 
Mais  il  ne  faut  pas  confondre  les  mucosités  bronchi- 
ques que  les  malades,  pi'esque  toujours  phthisiques 
dans  la  dernière  période  de  l'afPection,  expulsent  en 
abondance,  avec  la  sécrétion  salivaire  proprement  dite. 
Ce  sont  en  effet  ces  mucosités  formées  dans  le  poumon 
qui  contiennent  la  matière  sucrée. 

Toutefois  le  fait  ne  serait  pas  constant,  car  M.  Rayer 
a  rapporté  à  la  Société  de  biologie  un  cas  dans  lequel 
les  crachats  d'un  phthisique  diabétique,  examinés  par 
M.  Wurtz,  ne  contenaient  pas  de  sucre. 

Il  y  a  donc  encore  là,  Messieurs,  un  rapprochement 
à  établir  entre  les  phénomènes  de  la  maladie  et  les 
faits  physiologiques,  et  comme  ces  particularités  sont 
intéressantes,  nous  allons  faire  devant  vous  une  expé- 
rience pour  vous  montrer  que  le  sucre  ne  peut  pas  s'éli- 
miner par  toutes  les  voies  de  sécrétion  par  où  passent 
cependant  d'autres  substances  telles  que  l'iodure  de  po- 
tassium, par  exemple. 

Voici  un  chien  sur  lequel  nous  avons  mis  à  nu  le 
conduit  parotidien  dans  lequel  nous  avons  introduit 
un  tube  d'argent.  Remarquez  qu'il  ne  coule  rien  par 
ce  tube,  ce  qui  prouve  que  la  sécrétion  n'est  pas  con- 
tinue et  que  l'assertion  dont  on  nous  faisait  un  argu- 
ment que  nous  avons  relevé  dans  l'avant-dernière  leçon 
est  complètement  erronée.  Comme  nous  avons  besoin 
de  prendre  cette  salive  avant  l'injection,  vous  allez  voir 
qu'elle  va  couler  en  abondance  quand  nous  allons  por- 
ter une  excitation  sur  la  muqueuse  buccale  en  y  versant 

BERNARD.    I.  20 


300  DIABÈTE  ARTIFICIEL. 

du  vinaigre,  ainsi  que  nous  le  faisons  en  ce  moment. 
Vous  voyez  maintenant  de  grosses  gouttes  se  succéder 
avec  rapidité  à  l'extrémité  du  tube;  nous  les  recueillons 
pour  constater  tout  à  l'heure  qu'elle  ne  contient  au- 
cune des  substances  que  nous  allons  injecter  et  faire 
passer  dans  le  sang. 

Je  découvre  maintenant  la  veine  jugulaire  de  l'ani- 
mal, et  je  lui  injecte  une  dissolution  contenant  4  gram- 
mes de  sucre,  0^%50  de  prussiate  de  potasse  et  Os',50 
d'iodure  de  potassium. 

Nous  excitons  de  nouveau,  et  immédiatement  après 
cette  injection,  la  sécrétion  salivaire  en  mettant  du  vi- 
naigre dans  la  gueule  de  l'animal.  Le  liquide  s'écoule 
parfaitement  pur,  ce  qui  n'aurait  pas  lieu  si,  au  lieu  de 
mettre  un  tube  dans  le  conduit  parotidien,  nous  nous 
étions  contenté  de  dénuder  ce  conduit  et  de  le  laisser 
prendre  en  dehors.  Nous  recueillons  la  salive  dans  trois 
verres  pour  y  rechercher  successivement  les  trois  sub- 
stances que  nous  avons  injectées. 

Nous  ajoutons  dans  l'une  de  ces  portions  le  réactif 
cupro-potassique,  nous  faisons  chauffer.  Vous  voyez 
qu'il  n'y  a  pas  trace  de  réduction,  et  cependant,  si  nous 
faisons  tomber  dans  ce  mélange  une  goutte  de  la  so- 
lution que  nous  avons  injectée,  la  coloration  du  liquide 
apparaît  aussitôt.  Le  sucre  n'a  donc  pas  passé  dans  la 
salive. 

Si  nous  prenons  la  seconde  portion  et  que  nous  y 
ajoutions  du  persulfate  de  fer,  qui  est  lui-même  acide, 
ou  un  persel  de  fer  quelconque,  mais  alors  en  ayant  soin 
d'acidifier  le  mélange  avec  de  l'acide  acétique^  vous 


DIABÈTE  ARTIFICIEL.  307 

voyez  encore  qu'aucune  modification  ne  s'y  produit, 
tandis  que,  s'il  y  eût  du  prussiate  jaune,  on  eût  vu  appa- 
raître la  coloration  caractéristique  du  bleu  de  Prusse 
qui  se  manifeste  dans  ce  ^lême  liquide  dès  que  nous 
y  versons  une  goutte  de  notre  injection  contenant  du 
prussiate  jaune  :  donc  cette  dernière  substance  n'a  pas 
passé  non  plus  dans  la  salive. 

Si  maintenant  nous  prenons  la  troisième  portion  du 
liquide  recueilli  et  que  nous  y  ajoutions  de  l'empois 
d'amidon,  vous  voyez  la  coloration  bleue  y  déceler  l'exis- 
tence de  l'iode,  quand  nous  y  avons  ajouté  quelques 
gouttes  d'acide  sulfuj'ique  pour  mettre  l'iode  en  liberté. 
L'iodure  de  potassium  passe  donc  immédiatement  dans 
la  salive,  tandis  que  le  prussiate  de  potasse  et  le  glu- 
cose, soluble  comme  lui,  ne  s'y  rencontrent  pas.  Vous 
voyez  donc  qu'il  y  a  des  points  d'élection  pour  l'éli- 
mination des  diverses  substances  qu'on  introduit  dans 
l'organisme.  D'ailleurs  ce  n'est  pas  une  question  de 
temps;  car,  puisque  l'iodure  a  bien  pu  arriver  déjà 
dans  les  artères  parotidiennes,  le  sucre  devrait  aussi  s'y 
rencontrer  :  or,  quelle  que  soit  l'époque  à  laquelle  on 
prenne  la  salive  après  l'injeclion,  jamais  on  ne  ren- 
contrera de  sucre  dans  cette  sécrétion. 

Dans  la  salive  que  nous  avons  extraite  avant  l'in- 
jection, aucune  des  substances  n'existait,  comme  nous 
pouvons  nous  en  convaincre  en  l'essayant  de  la  même 
manière. 

Voici  les  urines  du  même  animal  qu'on  vient  de  re- 
cueillir; nous  les  soumettons  aux  mêmes  réactifs,  qui 
nous  y  indiquent  la  présence  du  prussiate  en  quantités 


30.S  DIABÈTE   ARTIFICIEL. 

considérables  ;  l'iodure  de  potassium  ne  s'y  trouve  qu'en 
petite  proportion;  quant  au  sucre,  il  n'y  en  a  pas  en- 
core, mais  nous  en  trouverons  dans  un  instant. 

L'urine  élimine  donc  toutes  ces  substances,  mais 
d'une  manière  plus  ou  moins  rapide.  Le  prussiate  de 
potasse  y  apparaît  d'abord,  et  le  glucose  en  dernier 
lieu. 

Une  autre  sécrétion,  dans  laquelle  on  peut  constater 
dans  certains  cas  la  présence  du  sucre,  c'est  le  suc  gas- 
trique. Le  passage  du  sucre  dans  l'estomac  a  surpris 
beaucoup  d'observateurs  qui  avaient  vu,  déjà  depuis 
bien  longtemps,  que,  lorsque  les  diabétiques  venaient  à 
vomir,  bien  qu'ils  n'eussent  mangé  que  de  la  viande, 
tes  matières  vomies  étaient  sucrées.  On  avait  pensé, 
dans  l'idée  où  l'on  était  que  le  diabète  provenait  d'une 
perversion  des  fonctions  digestives,  que  la  viande  était 
changée  en  sucre  dans  l'estomac.  Mais  il  ne  faut  pas 
s'y  tromper,  la  viande  n'est  sucrée  que  parce  que  le 
suc  gastrique  lui-même  est  sucré.  J'ai  eu  moi-même 
occasion  d'observer  des  diabétiques  qui  vomissaient  à 
jeun,  et  dans  les  matières  vomies  de  qui  on  pouvait 
constater  la  présence  du  sucre.  Mais  cela  n'a  lieu  que 
quand  la  maladie  est  à  son  summum  d'intensité;  et 
dans  tous  les  cas,  même  chez  les  animaux  que  l'on 
rend  artificiellement  diabétiques,  il  est  bien  plus  diffi- 
cile d'obtenir  le  passage  du  glucose  dans  le  suc  gastri- 
que que  dans  les  urines.  Il  est  rare  en  particulier  de 
rencontrer  ce  phénomène  chez  le  chien. 

Le  suc  gastrique  peut  aussi  entraîner  d'auti-es  sub- 
stances. Si  l'on  fait  manger  à  un  animal  des  aliments 


DIABÈTE   ARTIFICIEL.  309 

contenant  un  sel  de  fer,  et  qu'on  injecte  ensuite  dans 
ses  veines  du  prussiate  jaune  de  potasse,  on  trouve  le 
contenu  de  son  estomac  coloré  en  bleu  ;  ce  qui  prouve 
que  cette  substance  a  passé  pour  venir  former  du  bleu 
de  Prusse,  avec  la  matière  ferrugineuse. 

Si,  chez  l'animal  sur  lequel  nous  avons  fait  l'injec- 
tion précédente,  nous  recherchions  les  subst'ances  in- 
jectées dans  la  bile,  nousy  trouverions  de  l'iodure  et  du 
prussiate,  mais  pas  de  sucre. 

Dans  la  sécrétion  pancréatique,  nous  n'aurions  pu 
constater  que  le  passage  de  l'iodure  ;  quant  au  prussiate 
jaune  et  au  sucre,  nous  n'en  aurions  rencontré  aucune 
trace. 

Ainsi  les  mêmes  matières  solubles  ne  sortent  pas  par 
toutes  les  sécrétions.  Il  y  a  même,  à  ce  sujet,  un  fait 
très-curieux  :  c  est  que  des  substances  qui  ne  sont  pas 
éliminées  par  une  sécrétion  peuvent  l'être,  si  on  les 
combine  avec  une  substance  qui  passe  très-facilement 
dans  cette  même  sécrétion.  Le  fer,  par  exemple,  h 
l'état  de  lactate,  ne  passe  jamais  dans  la  salive,  tandis 
que  l'iode  est  très-facilement  entraîné,  ainsi  que  nous 
l'avons  vu  tout  à  l'heure.  Mais  si  nous  combinons  l'iode 
avec  le  fer,  cette  dernière  substance  pourra  alors  pas- 
ser dans  la  sécrétion  salivaire  sous  forme  d'iodure. 
Vous  voyez  donc  encore  ici  combien  il  importe  de  dé- 
terminer exactement  les  conditions  d'une  expérience, 
et  combien  il  faut  se  garder  de  généraliser  trop  vite, 
quand  on  n'a  observé  qu'un  petit  nombre  de  cas.  Cela 
vous  prouve  une  fois  de  plus  combien  un  problème 
physiologique  est  complexe,  et  quelle  circonspection  il 


310  DIABETE   ARTIFICIEL. 

faut  garder  dans  les   conclusions  qu'on  peut  tirer  de 
faits  isolés. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  relativement  au 
passage  des  substances  par  telles  ou  telles  sécrélions, 
ne  peut  pas  être  considéré  comme  une  propriété  abso- 
lue. En  physiologie,  il  n'en  est  jamais  ainsi;  ce  sont 
plutôt  des  limites  de  sensibilité  d'organes  pour  telles 
ou  telles  substances,  qui,  néanmoins,  doivent  être 
prises  en  grande  considération,  parce  que  c'est  dans 
ces  limites  que  les  phénomènes  s'accomplissent.  Nous 
voyons,  en  résumé,  que  le  rein  est  l'organe  le  plus  sen- 
sible pour  l'excrétion  du  glucose,  c'est-à-dire  que  c'est 
dans  cette  excrétion  qu'on  le  trouve  d'abord  avant  qu'il 
ait  apparu  ailleurs;  mais  il  faut,  d'après  Lehmann,  au 
moins  que  le  sang  en  contienne  0,  3  pour  100,  et  tant 
qu'il  n'y  aura  pas  celte  proportion,  il  n'en  passera  pas 
dans  les  urines. 

Quand  on  voudra  rendre  un  animal  diabétique,  il 
faudra  encore  avoir  le  soin  de  le  prendre  en  pleine  di- 
gestion, c'est-à-dire  quand  la  quantité  de  sucre  qui 
existe  dans  l'organisme  est  le  plus  grande  possible,  et  il 
suffit  alors  qu'elle  soit  légèrement  augmentée  pour 
que  les  symptômes glycosuriques  se  produisent.  Ce  sont 
les  conditions  dans  lesquelles  nous  avons  opéré  l'expé- 
rience tentée  sur  ce  lapin  ;  nous  allons  voir  dans  un 
instant  si  elle  a  réussi. 

A  la  rigueur,  si  le  sang  pouvait  être  saturé  de  sucre 
comme  un  sirop,  il  serait  peut-être  possible  d'en  trou- 
ver ailleurs  que  dans  la  vessie  et  dans  l'estomac.  C'est 
ainsi  que  sur  un  chien  vigoureux  nous  avons  fait  Fin- 


DIABÈTE  ARTIFICIEL.  311 

jection  dans  l'artère  carotide  primitive  d'une  solution 
concentrée  de  sucre  et  de  prussiate  de  potasse,  de  telle 
façon  qiîe  le  sang,  qui  est  arrivé  à  ce  moment  à  la 
glande  salivaire,  était  chargé  d'une  quantité  de  ces  sub- 
stances telle,  qu'il  avait  réellement  perdu  ses  proprié- 
tés, et,  si  cela  eût  été  général,  l'animal  serait  mort. 
Dans  ce  cas  seulement  on  a  vu  passer  dans  la  salive 
un  peu  de  ces  deux  substances  injectées  ;  mais  ce  n'était 
plus  là  qu'un  simple  phénomène  exceptionnel. 

Si  le  rein  est  l'organe  le  plus  sensible  pour  le  sucre, 
il  ne  l'est  pas  pour  l'iodure  de  potassium,  qui  apparaît 
plus  rapidement  dans  la  salive  que  partout  ailleurs,  de 
sorte  que  cette  substance  est  éliminée  par  la  salive  avant 
de  l'être  par  tout  autre  organe.  Cette  sensibilité  de  la 
glande  salivaire  produit  un  phénomène  très-intéressant 
au  point  de  vue  pathologique,  et  que  je  veux  vous  si- 
gnaler en  passant. 

Lorsqu'on  injecte  directement  une  certaine  quantité 
d'iodure  de  potassium  dans  le  sang,  ou  qu'on  l'ingère 
parl'estomacpour  qu'il  entre  alorspar  voie  d'absorption, 
on  observe  bientôt  le  passage  de  cette  substance  dans 
la  salive  et  dans  l'urine.  Mais,  dès  le  lendemain,  cette 
dernière  sécrétion  n'en  offre  plus  de  traces,  et  l'on 
pourrait  croire  qu'alors  il  n'en  existe  plus  dans  l'orga- 
nisme. On  se  tromperait  évidemment,  car  il  y  en  a  en- 
core dans  le  sang  une  certaine  quantité  trop  faible 
pour  passer  dans  l'urine,  mais  pouvant  cependant  se 
manifester  dans  la  sécrétion  des  glandes  salivaires  où 
on  la  constate  toujours.  Il  résulte  de  ce  mécanisme  que 
l'iodure  de  potassium  peut  séjourner  dans  l'organisme 


312  DIABÈTE   ARTIFICIEL. 

pendant  très-longtemps  après  l'ingestion  de  cette  sub- 
stance. En  effet,  les  glandes  salivaires,  rapportant  cette 
substance  dans  le  canal  intestinal,  font  qu'elle  se  trouve 
incessamment  soumise  à  une  nouvelle  absorption  qui  la 
ramène  toujours  au  même  point  et  qui  la  fait  circuler 
ainsi  presque  indéfiniment  entre  l'estomac  et  les  glan- 
des salivaires.  C'est  ainsi  que  nous  en  avons  constaté 
dans  ces  organes  au  moins  trois  semaines  après  que  les 
urines  n^en présentaient  pi  us  la  moindre  trace.  Les  éva- 
cuations alvines  peuvent  seules  finir  par  emporter  ces 
restes  d'iodure  de  potassium ,  et  un  purgatif  a  pour  effet 
d'en  faire  rapidement  disparaître  toute  trace. 

C'en  est  assez.  Messieurs,  nous  avons  fait  cette  digres- 
sion sur  ces  substances,  parce  que,  comme  le  symptôme 
caractéristique  du  diabète  est  une  excrétion  de  matière 
sucrée,  nous  avons  voulu,  par  des  exemples  pris  en 
dehors  de  la  fonction  qui  nous  occupe,  vous  donner 
quelques  idées  sur  son  mécanisme.  Il  y  a  là,  comme 
vous  voyez,  une  foule  de  questions  intéressantes,  mais 
nous  ne  pouvons  pas  aller  plus  loin  sans  sortir  de  notre 
sujet,  et  nous  revenons  à  notre  expérience  faite  sur  le 
lapin  dont  nous  avons  piqué  la  moelle  allongée  au 
commencement  delà  séance. 

Vous  voyez  que  cet  animal  s'est  bien  rétabli  de  l'o- 
pération que  nous  lui  avons  faite  il  y  a  trois  quarts 
d'heure,  et  qu'il  ne  paraît  pas  en  souffrir.  Nous  allons 
prendre  ses  urines,  et  nous  y  constaterons  la  présence 
du  sucre,  si  le  temps  a  été  assez  considérable  pour  qu'il 
apparaisse  dans  cette  excrétion  ;  car  nous  vous  avons 
dit  qu'il  faut  souvent  attendre  une  heure  ou  deux  pour 


DIABÈTE   ARTIFICIEL.  '  313 

que  ce  phénomène  se  soit  manifesté  et  pour  que  l'ani- 
mal soit  devenu  nettement  diabétique. 

Voici  les  urines;  nous  y  ajoutons  du  tartrate  cupro- 
potassique,  nous  chauffons,  et  vous  voyez  une  réduc- 
tion abondante  qui  vous  indique  que  le  sucre  y  a  déjà 
passé.  Si  nous  mélangions  avec  de  la  levure  de  bière 
dans  un  appareil  à  fermentation,  on  verrait  la  produc- 
tion d'acide  carbonique  et  d'alcool  nous  en  donner  une 
preuve  encore  plus  positive. 

Quant  aux  urines  que  nous  avons  extraites  avant 
l'opération,  elles  ne  présentent  ni  l'une  ni  Tautre  de 
ces  réactions  caractéristiques. 

Vous  avez  donc  vu.  Messieurs,  se  produire  sous  vos 
yeux,  par  une  simple  lésion  de  la  moelle  allongée,  le 
phénomène  du  diabète.  Par  quel  mécanisme  physiolo- 
gique ce  phénomène  s'est-il  produit?  C'est  ce  que  nous 
aurons  à  vous  expliquer  dans  la  prochaine  séance. 


SEIZIEME  LEÇON 

17  FÉVRIER  1855. 

SOMMAIRE  :  Présence  du  sucre  dans  le  liquide  céphalo-rachidien.  —  Remar- 
ques à  ce  sujet.  —  Diabète  traumatique.  —  Présence  du  sucre  dans  les 
sérosités  chez  les  diabétiques.  —  Passage  du  sucre  dans  la  lymphe.  — 
Conditions  dans  lesquelles  ce  passage  s'effectue.  —  Chyle  sucré  du  canal 
thoracique  provenant  du  foie.  —  Du  mécanisme  de  l'action  nerveuse  sur  la 
production  du  sucre.  —  Idées  qui  ont  guidé  dans  la  découverte  des  faits 
indiqués.  —  Expérience. 

Messieurs, 

Indépendamment  de  l'urine  dans  laquelle  se  rencon- 
tre toujours  le  sucre  chez  les  diabétiques,  et  du  suc  gas- 
trique oii  l'on  peut  le  trouver  quelquefois,  il  y  a  d'au- 
tres liquides  normaux  ou  anormaux  qui  en  présentent 
des  quantités  plus  ou  moins  considérables  :  ce  sont  le 
liquide  céphalo-rachidien  et  les  sérosités. 

Vous  savez  qu'il  existe  dans  la  cavité  du  crâne  et  de 
la  moelle  épinière,  dans  l'espace  sous-arachnoïdien,  un 
liquide  qui  entoure  les  centres  nerveux,  et  dont  M.  Ma- 
gendie  a  fait  connaître  l'histoire  anatomique  et  physio- 
logique (1).  Ce  liquide,  qui  n'est  pas  une  sérosité, 
comme  je  vous  le  démontrerai  tout  à  l'heure,  est  con- 
stamment sucré,  soit  pendant  la  digestion,  soit  dans  l'in- 
tervalle de  deux  repas,  soit  même  au  bout  de  plusieurs 
jours  d'abstinence.  Ce  sucre  du  fluide  céphalo-rachi- 

(1)  Recherches  phijsiologiques  et  cliniques  sur  le  liquide  céphalo-rachidien 
ou  cérébro-spinal.  Paris,  18i"2,  in-4'',  et  atlas. 


DIABÈTE  TRâUMATIQUE.  31d 

dien  vient  du  foie,  et  toutes  les  causes  qui  augmentent 
ou  diminuent  ]a  sécrétion  glycogénique  de  cet  organe, 
augmentent  ou  diminuent  dans  le  même  rapport  la 
quantité  de  sucre  contenue  normalement  dans  ce  li- 
quide. La  section  des  pneumo -gastriques  le  fait  dispa- 
raître là  comme  partout  ailleurs,  tandis  que  la  piqûre 
telle  que  nous  l'avons  pratiquée  devant  vous  dans  la 
dernière  séance  en  exagère  la  quantité. 

Ceci  me  conduit  à  vous  parler  d'une  observation  in- 
téressante qu'on  a  communiquée  il  y  a  déjà  quelque 
temps  à  l'Académie  de  médecine. 

Vous  savez  qu'il  arrive  assez  souvent  que,  par  l'effet 
de  chute  sur  la  tête,  il  y  a  fracture  du  rocher  et  des 
os  du  crâne,  et  qu'à  la  suite  de  ces  fractures  il  se  pro- 
duit quelquefois  un  écoulement  plus  ou  moins  abon- 
dant d'un  liquide  limpide.  J'ai  vu  moi-même  un  cas 
où  le  malade  en  a  rendu  en  deux  jours  plusieurs  litres. 
On  avait  cru  pendant  longtemps  que  ce  liquide  était 
de  la  sérosité;  on  supposait  qu'il  se  faisait  là  un  épan- 
chement  de  sang,  et  que  c'était  le  sérum  du  sang  qui 
s'échappait  par  une  rupture  de  la  dure-mère  adhé- 
rente au  rocher,  tandis  que  les  globules  et  la  fibrine 
restaient  en  caillot  dans  l'intérieur  de  la  cavité  crâ- 
nienne. Cela  pourrait  en  effet  avoir  heu,  mais  il  serait 
facile  alors  de  reconnaître  si  le  liquide  qui  s'écoule  est 
bien  du  sérum  ;  car  il  coagulera  fortement  par  la  cha- 
leur et  l'acide  nitrique,  ce  qui  n'arrive  pas  pour  le  li- 
quide céphalo-rachidien,  et  ce  caractère  le  distinguo 
des  sérosités  proprement  dites,  qui  contiennent  toujours 
de  l'albumine. 


316  DIABÈTE  TRâUMâTIQUE. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  avait  fait,  dans  l'observation 
dont  je  parle,  l'examen  chimique  du  liquide  qui  s'était 
écoulé  d'une  fracture  du  rocher,  et  l'on  y  avait  trouvé 
du  sucre.  Le  chimiste  qui  avait  analysé  le  liquide  en 
avait  conclu  que  le  malade  chez  lequel  on  l'avait  re- 
cueilli deux  ou  trois  jours  après  l'accident  était  devenu 
diabétique,  c'est-à-dire  que  la  chute  avait  opéré  une  lé- 
sion de  la  moelle  allongée,  et  que  cette  lésion  avait  pro- 
duit le  même  effet  que  nous  obtenons  en  piquant  un 
animal  dans  ce  point.  11  y  aurait  eu  ainsi  diabète  trau- 
matique;  ce  cas  est  possible  et  a  déjà  été  observé  plus 
d'une  fois.  Dans  le  service  de  M.  Rayer  était  entrée 
une  malade  qui,  disait-elle,  était  devenue  diabétique 
après  une  chute  sur  la  nuque;  mais  on  pouvait  croire 
que  la  malade  était  peut-être,  sans  s'en  douter,  déjà 
diabétique  auparavant,  et  que  l'affection  n'avait  été 
qu'augmentée  par  l'accident. 

Mais  ce  fait  n'est  pas  resté  isolé.  On  a  publié  dans 
plusieurs  journaux  l'observation  d'un  carrier  devenu 
diabétique,  à  la  suite  d'une  chute,  qui  avait  cessé  de 
l'être  quand  il  fut  guéri  de  la  plaie  de  tête. 

Nous  produirons  également  devant  vous  des  diabètes, 
artificiels  produits  par  ce  mécanisme  au  moyen  de  com- 
motions ;  par  un  choc  porté  sur  la  tête,  il  y  a  reten- 
tissement dans  la  moelle  allongée,  et  même  épanche- 
ment  dans  cette  région.  M.  Fano,  dans  un  Mémoire 
sur  la  commotion ,  a  signalé  des  lésions  dans  la  région  de 
la  m_oelle  allongée,  voisine  du  point  que  nous  piquons. 

Des  chutes  sur  la  tête  peuvent  donc  déterminer  des 
lésions  dans  les  centres  nerveux,  et  déterminer  le  dia- 


DIABÈTE   ARTIFICIEL.  317 

bète.  Mais,  cependant,  il  faut  savoir  aussi,  et  c'est  ce 
que  ne  paraissait  pas  connaître  le  chimiste  qui  a  fait  l'a- 
nalyse en  question,  qu'à  l'état  normal  le  liquide  cé- 
phalo-rachidien contient  toujours  du  sucre,  desorte  que, 
lorsqu'on  constate  la  présence  de  cette  substance  dans 
la  sérosité  qui  s'échappe  par  une  fracture  du  crâne  à  la 
suite  d'un  accident,  on  n'est  pas  fondé  à  en  conclure  que 
l'individu  est  diabétique,  si  l'on  n'a  pas  examiné  les  uri- 
nes. Ainsi,  dans  l'observation  en  question,  je  ne  sache 
pas  qu'on  ait  parlé  des  urines. 

Nous  allons,  du  reste,  vous  montrera  l'instant  même 
que  le  liquide  céphalo-rachidien  réduit  toujours  le 
réatif  cupro-potassique  à  la  manière  du  liquide  sucré. 

Voici  le  lapin  que  nous  avons  piqué  dans  la  dernière 
séance,  et  qui  avait  cessé  dès  le  lendemain  d'être  diabé- 
tique. Ses  urines  ne  contiennent  pas  de  sucre,  elles  ont 
repris  leur  couleur  et  leur  densité  normales,  et  ne  ré- 
duisent pas,  comme  vous  le  voyez,  le  tartrate  cupro-po- 
tassique. La  piqûre  que  nous  lui  avons  faite  n'a  donc 
produit  qu'une  glycosurie  temporaire,  et  quand  l'opé- 
ration est  bien  faite,  elle  n'a  aucune  gravité. 

Pour  extraire  du  liquide  céphalo-rachidien  chez  cet 
animal,  nous  lui  faisons  une  plaie  derrière  la  nuque, 
nous  arrivons  à  l'espace  occipito-atloïdien,  et  nous  aper- 
cevons une  membrane  derrière  laquelle  se  trouve  un 
liquide.  Remarquez,  en  passant,  que  cette  membrane 
est  en  mouvement  par  un  tlux  et  reflux  continuel,  en 
rapport  avec  l'état  de  plénitude  ou  de  vacuité  des  vais- 
seaux crâniens,  et  coïncidant  avec  les  mouvements  res- 
piratoires. 


318  DIFFUSION   DU   SUCRE 

Nous  perçons  la  membrane,  bien  dénudée,  avec  l'ex- 
Irémité  d'une  pipette,  et  nous  extrayons  une  petite 
quantité  du  liquide  qui  se  trouve  derrière  elle.  Vous 
voyez  que  ce  liquide,  mis  dans  un  tube,  ne  coagule  pas 
par  la  chaleur,  ce  qui  vous  prouve  qu'il  n'est  pas  une 
véritable  sérosité,  mais  il  réduit  abondamment  le  tartrate 
cupro-potassique;  nous  n'avons  jamais  pu  en  obtenir 
d'assez  grandes  quantités  pour  le  faire  fermenter  de 
manière  à  ne  laisser  aucun  doute  sur  la  présence  du 
sucre. 

Quant  à  ses  usages,  nous  verrons  que  peut-être  ce 
sucre  a  pour  objet  d'empêcher  l'infiU ration  dans  le  tissu 
nerveux. 

Les  véritables  sérosités  sont-elles  sucrées?  On  n'a 
pas  fait  à  ce  sujet  d'observations  suivies. 

J'ai  examiné  plusieurs  fois  les  liquides  provenant  d"é- 
panchements  dans  le  thorax,  dans  le  péricarde,  dans  le 
péritoine;  jamais  je  n'y  ai  rencontré  de  sucre  dans  les 
conditions  oii  je  les  ai  observés.  Mais  il  faut  dire  que 
dans  ces  cas  les  malades  ont  souvent  la  fièvre,  ce  qui, 
comme  vous  le  savez,  suftit  pour  faire  très- rapidement 
disparaître  le  sucre  ;  il  faudrait  examiner  ces  liquides 
sur  des  individus  bien  portants  d'ailleurs. 

Chez  les  diabétiques  qui  ont  des  épanchements  sé- 
reux, il  y  a  du  sucre  dans  ces  liquides.  J'ai  eu  occasion 
d'observer  un  diabétique  qui  était  mort  d'apoplexie  en 
une  nuit,  et  qui  présentait  un  hydropéricarde  dont  la 
sérosité  était  sucrée.  Chez  les  animaux  sur  lesquels  on 
produit  des  hydropéricardes  par  la  section  des  nerfs 
sympathiques,  j'ai  rarement  trouvé  du  sucre. 


DANS  LES  LIQUIDES  DE  L'ÉCONOMIE.  319 

Il  a  été  publié  dans  un  journal  américain  une  obser- 
vation très-intéressante,  où  l'on  avait  trouvé  du  sucre 
dans  le  liquide  résultant  de  la  ponction  d'un  hydropi- 
que ;  seulement  on  ajoute  que  le  malade  mangeait  habi- 
tuellement beaucoup  de  sucre;  évidemment  ce  n'était 
pas  le  même  que  l'on  rencontrait  dans  la  sérosité  de  la 
ponction.  On  ne  dit  pas  si  le  malade  était  diabétique. 

Je  ne  suis  pas  porté  à  penser  qu'il  puisse  y  avoir  du 
sucre  dans  la  plupart  des  sérosités  normales  ou  anor- 
males; mais  cependant,  chezles  lapinset  les  chevaux,  il 
y  a  toujours,  au  moment  de  la  digestion,  un  épanche- 
ment  de  sérosité  temporaire  que  nous  avons  pu  recueil- 
lir, et  dans  lequel  nous  avons  pu  constater  la  présence 
du  sucre,  et  je  ne  serais  pas  surpris  que  cette  sérosité 
transsudât  du  foie  au  moment  de  la  digestion,  car  on 
voit  en  effet  à  ce  moment  les  lymphatiques  de  cet  organe 
excessivement  gorgés  de  lymphe  qui  est  sucrée. 

Enfin  il  y  a  un  autre  liquide  dans  lequel  nous  devons 
rechercher  le  sucre,  c'est  la  lymphe.  Beaucoup  de  sub- 
stances qui  passent  dans  le  sang  ne  passent  pas  dans  les 
vaisseaux  lymphatiques,  et  le  sucre,  en  particulier,  ne 
s'y  rencontre  pas,  sauf  le  cas  exceptionnel  où  l'orga- 
nisme est  saturé  de  cette  substance. 

Nous  avons  à  ce  sujet  fait  des  expériences  d'abord  sur 
les  lymphatiques  de  l'intestin,  et  nous  avons  vu  que  les 
chylifères  qui  pouvaient  absorber  la  graisse  émulsion- 
née  par  le  suc  pancréatique  ne  laissaient  pas  passer  la 
matière  sucrée.  Nous  avons  expérimenté  sur  des  che- 
vaux auxquels  nous  donnions  jusqu'à  1  kilogramme  de 
sucre  dissous  dans  un  seau  d'eau  que  l'animal  avalait 


320  SUCRE  DANS  LE  SYSTÈME 

parfaitement;  au  bout  d'un  quart  d'heure  ou  d'une 
demi-heure,  on  tuait  l'animal,  et  après  avoir  ouvert  le 
ventre  et  posé  des  ligatures  sur  les  vaisseaux,  on  recueil- 
lait le  sang  des  veines  qui  sortent  de  l'intestin,  on  re- 
cueillait également  le  chyle  avant  les  ganglions  mésenté- 
riques  ;  ce  chyle,  chez  l'animal  n'ayant  pas  mangé  de 
matières  grasses,  était  semblable  à  de  la  lymphe  un  peu 
trouble.  Dans  le  sang  veineux  on  trouvait  du  sucre, 
même  à  l'état  de  sucre  de  canne,  tel  qu'il  avait  été  pris, 
car  tout  n'avait  pas  été  changé  en  glucose.  Mais,  dans  le 
chyle  et  dans  les  vaisseaux  lympathiques,  jamais  nous 
n'avons  pu  trouver  la  moindre  trace  de  matière  sucrée. 
Ainsi  les  graisses  à  l'état  d'émulsion  ou  de  division  ex- 
trême sont  absorbées  par  les  chylifères,  tandis  que  les 
matières  sucrées  et  albuminoïdes  passent  dans  le  sys- 
tème veineux  de  la  veine  porte,  et,  quoique  à  l'état  de 
dissolution,  elles  ne  se  rencontrent  pas  dans  les  lym- 
phatiques. De  sorte  que  les  substances  alimentaires  peu- 
vent, suivant  leur  mode  d'absorption,  se  diviser  en  deux 
classes  :  les  unes  passant  d'abord  par  le  poumon,  les  au- 
tres passant  par  le  foie. 

Nous  avons  fait  dans  le  même  but  d'autres  expérien- 
ces sur  des  chiens.  Nous  placions  un  tube  d'argent  dans 
un  des  vaisseaux  lymphatiques  qui  descendent  delà  tête, 
et  l'on  recueillait  le  liquide  qui  s'en  écoulait;  nous 
avons  constaté  que  cette  lymphe  ne  contenait  pas  de 
sucre,  tandis  que  le  sang  en  présentait  une  certaine  pro- 
portion, comme  cela  a  lieu  pendant  la  période  digestive. 
Nous  avons  même  injecté  une  dissolution  concentrée  de 
sucre  par  l'artère  carotide,  la  substance  revenait  par 


DES  VAISSEAUX  LYMPHATIQUES.  321 

les  veines,  mais  jamais  par  les  lymphatiques.  Seulement, 
dans  les  cas  oii  nous  injections  de  cette  manière  des 
quantités  considérables  de  sucre,  de  façon  à  modifier 
tellement  la  composition  du  sang  qu'il  eût  perdu  ses 
propriétés  normales,  on  voyait  dans  ces  cas  le  sucre  ap- 
paraître dans  le  système  lymphatique;  mais  il  est  clair 
que  ce  sont  là  des  conditions  tout  à  fait  exceptionnelles 
et  qui  s'éloignent  complètement  de  l'état  ordinaire  dans 
lequel  on  ne  rencontre  pas  de  sucre  dans  les  vaisseaux 
lymphatiques. 

Cejjendant  il  y  a  un  point  de  ce  système  où  l'on  peut 
constater  la  présence  de  la  matière  sucrée,  qui  n'y 
existe  nulle  part  ailleurs,  et  il  faut  être  averti  de  ce 
fait  qui  pourrait  induire  en  erreur  si  l'on  n'en  était 
prévenu.  Quand  on  prend  le  chyle  dans  le  canal  thora- 
cique  qui  reçoit  la  lymphe  de  toutes  les  parties  du 
corps,  et  au  moment  où  il  débouche  dans  la  sous- 
clavière,  on  le  trouve  sucré.  Ce  fait,  qui  avait  été  vu 
par  Tiedemann  et  Gmehn  (1),  avait  été  mal  interprété  ; 
on  en  avait  conclu,  contrairement  à  ce  que  nous  ve- 
nons de  vous  dire,  que  le  sucre  était  absorbé  dans 
l'intestin.  Mais  on  eût  dû  remarquer  que  l'on  trouvait 
encore  du  sucre  dans  le  canal  thoracique,  même  chez 
des  animaux  carnivores  qui  n'en  prennent  pas  la 
moindre  trace  avec  leurs  ahments.  C'est  qu'en  effet  le 
sucre  vient  ici  de  l'organe  où  il  se  forme.  Vous  savez, 
en  effet,  que  le  foie  contient  des  vaisseaux  lympha- 
tiques énormes,  et  qu'il  n'y  a  pas  un  organe  de  l'éco- 

(1)  Recherches  cxpérijnenUdespliijsioh-jiques  et  c,'iimi<iues surla  di^e^tion. 
Paris,  1827. 

BliRx^ARD.    I.  21 


322  ACTION   Dr   SYSTÈME   NERVEUX 

lîomie  qui  en  soit  plus  richement  pourvu.  La  lymphe 
qui  circule  dans  ces  vaisseaux  est  très-sucrée,  et  c  est 
elle  qui,  en  venant  déboucher  dans  le  canal  thora- 
cique,  donne  à  tout  le  liquide  qui  y  circule,  à  partir 
du  point  d'abouchement  des  lymphatiques  du  foie,  les 
réactions  sucrées. 

Sur  un  singe  qui  fut  sacrifié  par  strangulation  pen- 
dant la  période  digestive,  sur  des  chevaux  tués  dans  le 
même  état,  nous  avons  examiné  les  vaisseaux  lympha- 
tiques de  la  surface  du  foie,  et,  en  les  incisant,  nous 
avons  pu  en  extraire  assez  de  lymphe  pour  les  soumet- 
tre à  l'analyse  et  constater  la  réaction  sucrée.  C'est 
donc  ainsi  que  s'explique  la  présence  du  sucre  dans  le 
canal  thoracique,  à  l'exception  de  toutes  les  autres 
parties  du  système  lymphatique  auquel  il  appartient. 
Nous  voyons  que  le  glucose  peut  se  trouver  dans  dif- 
férents liquides  de  l'économie,  normaux  ou  anormaux; 
mais  quand  nous  voulons  remonter  à  la  source  de  cette 
matière,  quel  que  soit  le  lieu  où  nous  observons,  nous 
arrivons  toujours  au  foie,  qui  est  le  lieu  unique  de  sa 
formation  et  le  point  central  d'où  émane  sa  distribu- 
tion. Toutes  les  fois  donc  qu'il  y  aura  une  augmenta- 
tion ou  une  diminution  dans  la  sécrétion  sucrée  de 
l'organe  hépatique,  nous  aurons  également  une  aug- 
mentation ou  une  diminution  de  la  matière  sucrée  dans 
les  différents  liquides,  et  il  était  nécessaire  de  savoir 
quels  étaient  les  liquides  qui  pouvaient  être  sucrés 
avant  d'entrer  dans  le  mécanisme  de  l'augmentation  de 
la  fonction  sucrée  par  la  piqûre  dont  nous  vous  avons 
parlé  dans   la   dernière  séance,  et  dont,  après  cette 


DANS   LE   DIABÈTE  ARTIFD:;IEL.  323 

question  incidente,  nous  allons  reprendre  l'histoire. 

On  s'est  demandé  et  l'on  se  demande  même  encore 
comment  j'ai  pu  être  conduit  à  trouver  ce  fait,  en  ap- 
parence fort  singulier,  qui  consiste  à  rendre  un  ani- 
mal diabétique  en  lui  piquant  un  point  du  système 
nerveux.  Eh  bien  !  Messieurs,  cette  découverte  n'est 
point  due,  comme  on  a  été  porté  à  le  supposer,  à  un 
hasard  heureux  :  j'y  ai  été  conduit  en  suivant  pas  à  pas 
une  idée  qui  était  loin  d'être  exacte,  comme  l'expé- 
rience me  l'a  démontré  depuis,  mais  qui  m'a  servi  de 
guide  jusqu'au  moment  où  les  faits  ne  se  sont  plus 
trouvés  d'accord  avec  elle.  D'ailleurs  je  vous  indique 
cela  comme  question  de  méthode,  car,  si  l'on  doit  tou- 
jours avoir  une  idée  théorique  quand  on  fait  des  re- 
cher(:h(\s,  il  ne  faut  la  publier  que  quand  les  faits  sont 
venus  lui  donner  une  base  solide.  C'est  pourquoi,  à 
l'époque  oii  je  fis  cette  découverte,  je  n'en  publiai  d'a- 
bord que  le  résultat,  qui  parut  surprenant.  Mais  ici  je 
dois  vous  dire  comment  j'y  arrivai. 

J'avais  déjà  vu  que  le  foie  était  un  organe  sécréteur 
de  la  matière  sucrée,  et  l'on  savait  d'ailleurs  que  le 
système  nerveux  exerce  sur  tous  les  organes  de  sécré- 
tion une  iniluence  par  laquelle  s'exagèrent  ou  se  dé- 
priment les  fonctions  sécrétoires.  Ainsi  M.  Magendie 
avait  vu  qu'en  excitant  la  branche  lacrymale  de  la  cin- 
quième paire,  on  faisait  couler  les  larmes  en  plus 
grande  abondance,  et  qu'elles  cessaient  de  s'épancher 
quand  on  venait  à  couper  ce  nerf.  J'avais  vu,  de  mon 
côté,  que,  quand  on  coupe  les  pneumo -gastriques  à  un 
animal,  comme  je  vous  l'ai  montré  dans  une  des  pré- 


324  ACTION   DU   SYSTÈME  NERVEUX 

cédentes  séances,  la  sécrétion  glycogénique  est  inter- 
rompue dans  le  foie.  Je  voulus  alors  tenter  de  produire 
le  cas  inverse,  c'est-à-dire  l'exagération  de  cette  fonc- 
^  tion.  Dans  celte  vue,  je  galvanisai  le  pneumo-gastri- 
que,  mais  je  ne  pus  jamais  d'une  manière  bien  claire, 
parce  moyen,  obtenir  le  résultat  que  j'attendais.  Alors 
je  me  rappelai  qu'en  faisant  des  expériences  sur  un 
autre  sujet,  en  coupant  la  cinquième  paire  dans  le 
crâne,  il  m'était  arrivé  quelquefois,  au  lieu  d'opérer 
cette  section,  de  piquer  simplement  le  centre  nerveux 
à  l'origine  de  ce  nerf;  et  alors  les  sécrétions  qui  étaient 
interrompues  quand  on  faisait  nettement  la  section  du 
nerf,  étaient  au  contraire  exagérées  dans  le  cas  oii  l'on 
ne  lésait  que  la  protubérance  annulaire  :  les  larmes,  la 
salive,  coulaient  alors  en  grande  abondance. 

L'idée  me  vint,  puisque  je  ne  pouvais  pas  réussir  en 
excitant  directement  le  foie  par  le  galvanisme  porté  sur 
le  pneumo-gastrique,  de  piquer  l'origine  de  ce  nerf,  et 
de  voir  si  je  produirais  un  effet  analogue  à  celui  que 
j'avais  vu  se  manifester  pour  les  sécrétions  qui  sont 
sous  la  dépendance  de  la  cinquième  paire.  Je  mis  donc 
à  nu  le  plancber  du  quatrième  ventricule,  je  piquai 
vers  l'endroit  d'oii  naissent  les  pneumo-gastriques,  et 
je  réussis  du  premier  coup  à  rendre  l'animal  diabéti- 
que. Au  bout  d'une  heure,  le  lapin  sur  lequel  j'avais 
opéré  avait  le  sang  et  les  urines  chargés  de  sucre. 

J'avais  cru  pouvoir  expliquer  cette  apparition  du 
sucre  dans  cette  expérience,  en  disant  que  la  sécrétion 
était  sous  l'influence  directe  du  pneumo-gastrique,  et 
l'expérience  semblait  venir  confirmer  ma  théor-ie  sur 


DANS   LE   DIABETE   ARTIFICIEL.  'M'ô 

le  mécanisme  suivant  lequel  s'opérait  cette  action.  C  e- 
lait  cependant  une  erreur,  comme  je  le  vis  plus  tard 
par  l'expérience;  car  ce  n'est  pas  par  le  pneumo-gas- 
trique  que  se  tiansmet  l'excitation  que  part  des  centres 
nerveux  pour  déterminer  la  sécrétion  à  se  produire. 
Car  si,  avant  de  pratiquer  la  piqûre  de  la  moelle  al- 
longée chez  un  animal,  je  lui  coupais  d'abord  les 
pneumo-gastriques,  le  sucre  n'en  apparaissait  pas 
moins  dans  le  sang  et  dans  les  urines  en  très-grande 
abondance.  L'influence  de  la  piqûre  ne  se  propageait 
doncpas  le  longdupneumo-gastrique.  Si,  au  contraire, 
on  laissait  ce  nerf  intact,  et  qu'on  coupât  la  moelle  épi- 
nière  au-dessus  de  l'origine  des  fdets  sympathiques 
qui  se  rendent  au  foie,  la  production  du  sucre  était  in- 
terrompue. 

Cela  me  conduisit  à  examiner  de  plus  près  l'influence 
du  système  nerveux  sur  les  sécrétions,  et  j'arrivai  à 
penser  que  cette  influence,  au  lieu  d'être  directe,  a 
presque  toujours  lieu  par  action  réflexe,  en  passant  par 
un  ganglion  du  système  sympathique.  Il  fallut  donc 
renoncer  à  l'explication  qui  m'avait  servi  de  point  de 
départ,  et  dans  laquelle  je  supposais  que  l'action  ex- 
citatrice, partie  des  centres  nerveux,  descendait  par  le 
pneumo-gastrique  pour  arriver  au  foie.  Les  choses  se 
passent  autrement;  le  pneumo-gastrique  paraît  conduire 
ici  une  impression  centripète,  qui  arrive  au  centre 
nerveux,  redescend  ensuite  par  la  moelle  épinière,  et 
arrive  au  foie  par  l'intermédiaire  des  filets  et  des  gan- 
glions sympathiques. 

Nous  examinerons,  dans  la  prochaine  séance,  cette 


326  DIABÈTE   ARTIFICIEL. 

iniporlarite  théorie  qui  touche  h  tous  les  phénomènes 
(le  la  vie  de  nutrition,  et  nous  relierons  ce  qui  se  passe 
clans  le  foie  avec  ce  qui  s'opère  pour  toutes  les  autres 
sécrétions. 

Permettez-moi,  en  terminant,  de  vous  montrer  un 
autre  lapin,  chez  lequel  la  piqûre  de  la  moelle  allongée 
n'a  pas  été  faite  exactement  sur  la  ligne  médiane  du 
plancher  du  quatrième  ventricule;  vous  voyez  que  cet 
animal  présente  des  désordres  de  mouvements  que  n'of- 
frait pas  celui  que  nous  avons  piqué  dans  la  dernière 
séance.  Mais  je  vous  ai  dit  que  cela  n'empêchait  pas  le 
sucre  de  se  produire  en  plus  grande  quaiitité  qu'à  l'or- 
dinaire, et  l'animal  de  devenir  diabétique.  Nous  pre- 
nons ses  urines  :  elles  sont,  comme  vous  le  voyez,  trans- 
parentes et  claires  comme  de  l'eau,  ce  qui  a  le  plus 
ordinairement  lieu  dans  l'état  de  diabète,  et  elles  ré- 
duisent abondamment  le  tartratecupropotassique.  Vous 
voyez  donc,  en  comparant  ce  cas  avec  le  précédent, 
que  sous  le  rapport  de  l'api  arition  du  sucre  rien  n'est 
changé,  et  que  les  troubles  nerveux  d'une  autre  nature 
qui  se  manifestent  ici  sont  tout  à  fait  étrangers  à  cette 
production. 


.  DIX-SEPTIEWE    LEÇOA^ 

24  FÉVRIER  1855. 

SOMMAIRE  :M('cnnisnie  de  l'action  nerveuse  sur  la  sécrétion  glycogénique.— 
Rôle  du  pneumog.istriqne.  Rôle  du  poumon.  —  Distribution  des  divers 
nerfs  qui  se  rendent  au  foie.  —  Rôle  de  chacun  d'eux.  —  l'ôle  de  la  moelle 
épinière.  —  Expérience  sur  la  seciion  des  pneumo-gastriques  entre  le  foie 
elle  poumon.  —  Procédé  opératoire.  —  La  production  du  surre  continue. 

—  Durée  de  l'effet  de  la  piqûre  de  la  moelle  allongée.  —  Influence  de  la 
piqûre  sur  la  circulation  abdominale.  —  Rôle  du  grand  sympathique  dans 
la  circulation  d'un  organe.  —  Action  de  ce  nerf  dans  la  région  cervicale. 

—  Procédé  opératoire.  —  Résultats.  —  Distinction  de  la  sécrétion  et  de 
l'excrétion. 


Messieurs, 

On  peut  donc  pi'oduire  le  principal  symptôme  du 
diabète,  c'est-à-dire  l'apparition  du  sucre  dans  les 
urines,  par  une  simple  piqûre  dans  un  point  déterminé 
de  la  moelle  allongée,  d'oii  paraît  résulter  une  exagé- 
ration dans  la  fonction  glycogénique.  Nous  avons  au- 
jourd'hui à  Yous  expliquer  comment  s'opèt^e  ce  phéno- 
mène, et  par  quel  mécanisme  l'irritation  portée  sur  le 
centre  cérébro-spinal,  est  transmise  au  foie,  ce  qui  nous 
conduira  à  comprendie  comment  le  système  nerveux 
excite  cet  organe  à  l'état  physiologique. 

Le  mécanisme  de  l'action  uerveiise  sur  le  foie  nous 
permettra  ainsi  d'établir  un  rapprochement  de  plus 
entre  les  fonctions  de  cet  organe  et  les  autres  sécrétions. 

Vous  savez  que  les  actions  chimiques  de  l'organisme 


328  ACTION   DU    SYSTÈME   NERVEUX 

qui  constituent  les  phénomènes  de  la  vie  de  nutrition, 
comme  tous  les  phénomènes  de  sécrétion,  ne  sont  pas 
sous  la  dépendance  de  la  volonté;  elles  se  passent  au 
sein  des  organes,  sans  que  le  cerveau  errait  conscience, 
bien  qu'il  soit  le  centre  auquel  elles  se  rapportent  toutes 
en  définitive.  Dans  la  plupart  des  actions  involontaires, 
une  impression  venue  du  dehors  arrive  sur  un  organe, 
et  est  transmise  par  un  nerf  de  sensation  jusqu'au  centre 
nerveux,  et  de  là  se  propage,  par  un  autre  système  de 
nerfs,  vers  l'organe  dans  lequel  s'accomplit  le  phéno- 
mène vital,  phénomène  qui  se  traduit  par  un  mouve- 
ment, si  c'est  un  muscle;  par  une  sécrétion,  si  c'est  une 
glande,  etc. 

Par  exemple,  lorsqu'un  corps  étranger  tombe  entre 
les  paupières  et  excite  la  surface  de  la  conjonctive,  im- 
médiatement il  en  résulte  un  écoulement  de  larmes  très- 
abondant,  qui  s'opère  par  une  action  réflexe,  c'est- 
à-dire  que  le  nerf  de  la  cinquième  paire  transmet  au 
centre  nerveux  l'impression  qu'il  reçoit;  celle-ci  se 
trouve  ensuite  transmise  à  la  glande  lacrymale,  qui 
fonctionne  d'autant  plus  activement  que  l'excitation  de 
la  conjonctive  est  plus  forte.  Quand  on  met  un  corps 
sapide  sur  la  langue,  la  sécrétion  salivaire  devient  très- 
abondante  également  encore  par  action  réflexe. 

Il  est  remarquable  que,  généralement,  il  existe  un 
appareil  ganglionnaire  appartenant  au  grand  sympa- 
thique, entre  l'organe  qui  reçoit  l'action  réflexe  et  le 
centre  nerveux  qui  la  propage. 

D'après  ces  considérations,  voici  comment  nous  avons 
été  conduit  à  comprendre  l'excitation  nerveuse  qui  fait 


DANS  LE   DIABÈTE   ARTIFICIEL.  320 

fonctionner  le  foie  d'une  manière  continue.  Le  point  de 
départ  de  l'excitation  est  le  poumon,  qui  reçoit  inces- 
samment à  sa  surface  l'impression  de  l'air  extérieur. 
Nous  n'avons  pas,  il  est  vrai,  conscience  de  cette  sen- 
sation organique  que  produit  l'air,  mais  elle  n'eu  existe 
pas  moins,  et  se  trouve  perçue  par  les  extrémités  ner- 
veuses des  nerfs  pneumo-gastriques  qui  se  distribuent 
dans  les  poumons.  C'est  par  ces  nerfs  que  l'excitation 
est  apportée  aux  centres  nerveux,  c'est-à-dire  à  la 
moelle  allongée,  puis  de  là  elle  se  propage  par  la  moelle 
épinière  et  par  les  filets  du  grand  sympathique  jus- 
qu'au foie;  L'appareil  nerveux,  qui  met  ainsi  en  rela- 
tion continuelle,  par  action  réflexe,  l'excitation  venue 
du  dehors  et  la  sécrétion  du  sucre,  représente  donc, 
comme  on  le  voit,  une  ligne  courbe.  A  l'une  des  extré- 
mités de  cette  ligne  se  trouve  le  poumon  comme  organe 
excitateur,  à  l'autre  le  foie  comme  organe  recevant  cette 
excitation,  et  intermédiairement  le  centre  nerveux  con- 
stitué par  la  moelle. 

Avant  d'entrer  plus  avant  dans  l'explication  de  ce 
mécanisme,  il  est  bon  de  dire  quelques  mots  de  la  dis- 
tribution des  nerfs  dans  le  foie.  Cet  organe  reçoit  deux 
ordres  de  nerfs,  les  uns  venant  du  système  cérébro- 
spinal, et  les  autres  du  grand  sympathique.  Les  premiers 
sont  les  pneumo-gastriques  et  les  diaphragmatiques,  les 
seconds  sont  les  rameaux  envoyés  par  le  plexus  solaire. 

Chez  l'homme,  le  pneumo-gastriquedoit  se  terminer 
entièrement  dans  le  plexus  solaire  sans  qu'on  puisse 
directement  suivre  ses  rameaux  jusqu'au  foie.  Le 
pneumo-gastrique  gauche  se  rend  surtout  à  l'estomac. 


330 


ACTION   DU    SYSTÈME   NERVEUX, 


Fip.  l 'è.  Appareil  nerveux  cérêbrn-spiiial  el  sp/anc/mique  du  lopin^  pour  mon- 
trer les  rapports  nenieiix  qui  existent  entre  le  foie,  le  poumon  et  le  rein^ 
el  pour  comprendre  le  mécanisme  du  diabète  artificiel. 


DANS  LE  DIABETE   ARTIFICIEL.  331 

o^  cerveau.  —  6,  cervelet.  —  c,  ^,  moelle  épinière.  —  d,  d',  tronc  des 
nerfs  pneuino-gastriqnes.  —  e,  ganglion  cervical  supérieur.  — f,  tionc  com- 
mun des  deux  nerfs  pneumo-gastriques  réunis  au-dessous  des  poumons. — 
g,  ganiilion  cervical  inférieur.  — //,  filet  de  comnmnication  entre  lesganglions 
cervical  supérieur  et  cervical  infér  ein".  —  i,  filet  cardiaque  du  pneuino-gas- 
triqup.  —  ;,  filet  cardiaque  panant  du  premier  ganglion  thoraciqne  du  grand 
syni|iaihique.  — n,  m',  ûlels  de  communication  des  ganglions  du  grand  sym- 
pathique les  uns  avec  les  autres.  —  /,  gang'ion  thoraciqne.  —  n.  filet  de 
communication  entre  la  moelle  et  le  grand  sympathique.  —  o,  nerfs  hépa- 
thiques  provenant  du  grand  sympathique. —jd,  nerfs  rénaux  venant  du  grand 
symp  nhique.— ^,  q',  ganglion  du  plexus  solaire.  — r,  nerfs  hépatiques  pro- 
venant du  pneuuio-gastiique.  —  •?,  nerfs  rénaux.  —  ^  nerfs  hépatiques  réu- 
nis. —  M,  nerfs  olfactifs.  —  v,  nerfs  optiques.  —  x,  nerfs  de  la  troisième 
paire,  —y,  nerfs  de  la  cinquième  paire. —  y',  nerfs  de  la  septième  paire.  — 
Ijcœur.  — 2, aorte.  — 3  veineca  einférieure.  —  4,  veine  [(Orte.  — 5,  veine 
cave  inférieure  au-dessuus  d»  s  veines  rénales.—  6,  poumons.—  7,  foie.  — 
8,  vésicules  du  fiel.  —  9,  9',  capsules  surrénales.  —  10,  rein.  —  11,  11', 
uretères. 


Chez  les  animaux  tels  quele  chien  et  lelaphi  (fig.  18), 
les  deux  pneumo-gastriques,  droit  et  gauche,  arrivés 
au-dessous  du  diaphragme,  envoient  très-distinctement 
des  filets  qui  se  dirigent  vers  le  foie  en  accompagnant 
l'artère  hépatique.  On  voit  d'un  autre  côté  des  filets 
émanés  de  ganghons  semi-lunaires  se  diriger  vers  la 
scissure  médiane  du  foie  et  s'anastomoser  avant  d'en- 
trer dans  l'organe  avec  les  filets  provenant  des  pneumo- 
gastriques. 

Le  foie  reçoit  en  outre  des  filets  provenant  des  nerfs 
diaphragmatiques.  Le  diaphragmatique  droit,  particu-  ■♦ 
lièrement,  fournit  des  hranches  qui  descendent  sur  la 
^'einecave,  et  qui,  arrivées  au  niveau  de  l'abouchement 
des  veines  hépatiques,  se  distribuent  dans  les  parois  de 
ces  veines  qui  sont,  comme  nous  Tavons  dit,  éminem- 
ment musculeuses. 

On  est  donc  porté  à  penser  que  les  nerfs  diaphragma- 


332  ACTION   DU    SYSTÈME    NERVEUX 

tiques  président  aux  fonctions  mécaniques  des  veines 
hépatiques  dans  le  rôle  que  nous  leur  avons  attribué, 
tandis  que  les  nerfs  pneumo-gastriques  et  les  sympa- 
thiques se  rendent  aux  éléments  mêmes  du  tissu  hépa- 
tique, et  président  aux  phénomènes  chimiques. 

Quant  à  la  manière  dont  les  nerfs  se  termiuenl  dans 
le  foie  et  quant  aux  rapports  qu'ils  affectent  avec  la  cel- 
lule hépatique,  on  n'en  sait  absolument  rien,  pas  plus 
ici  que  dans  les  autres  organes  glandulaires.  L'aua- 
tomie  montre  en  effet  que  les  tubes  nerveux  ne  peuvent 
pas  être  poursuivis  bien  loin  dans  les  organes  glandu- 
laires, car  bientôt  ils  se  confondent  avec  les  tissus  et 
cessent  d'être  distincts.  On  n'est  pas  en  droit  de  con- 
clure de  cette  disparition  des  nerfs  au  microscope,  que 
leurs  extrémités  n'arrivent  pas  jusqu'à  la  cellule  élé- 
mentaire, car  on  sait  que  l'enveloppe  des  tubes  ner- 
veux disparaît  avant  que  ceux-ci  se  terminent,  seule- 
ment alors  ils  ne  peuvent  plus  être  reconnus. 

Ces  notions  établies,  vous  allez  comprendre  mainte- 
nant les  expériences  que  nous  allons  faire  devant  vous 
dans  leur  connexion  avec  celles  que  nous  vous  avons 
déjà  montrées. 

Nous  avons  déjà  coupé  les  pneumo-gastriques  à  un 
chien,  et  vous  avez  vu  que,  si  l'on  tuait  l'animal  le  len- 
demain ou  le  surlendemain  de  l'opération,  il  n'y  avait 
plus  de  sucre  dans  son  foie  ;  la  sécrétion  s'était  arrêtée. 
Que  s'est-il  passé  dans  cette  expérience?  Eb  bien  î  Mes- 
sieurs, la  fonction  glycogénique  n'a  pas  été  suspendue 
par  suite  de  la  cessation  d'une  action  directe  partant  de 
la  moelle  allongée  et  descendant  le  long  des  pneumo- 


DAiNS   LE   DIABÈTE   ARTIFICIEL.  :î33 

gastriques,  puisque  nous  savons,  d'une  part,  qu'après 
cette  section  on  peut  piquer  l'animal  dans  le  point  in- 
diqué et  le  rendre  encore  diabétique,  et,  d'autre  part, 
exciter  le  bout  périphérique  des  pueumo-gastriques 
coupés  au  cou,  et  qu'on  ne  voit  pas  pour  cela  continuer 
la  sécrétion  du  sucre. 

Nous  ne  pouvons  donc  pas  admettre  que  le  courant 
nerveux  qui  arrive  au  foie  descende  le  long  des  pneumo- 
gastriques. 

Ce  nerf,  au  contraire,  porte  au  centre  cérébro-spi- 
nal les  sensations  internes  émanées  de  sa  périphérie; 
l'excitation  qu'il  transmet  est,  dans  ce  cas,  centripète 
et  non  pas  centrifuge.  Et,  en  effet,  après  avoir  coupé  le 
pneumo-gastrique,  si,  au  lieu  d'agir  sur  le  bout  pé- 
riphérique, ce  qui  n'a  aucun  effet  sur  la  sécrétion  du 
sucre,  on  excite  avec  le  galvanisme  l'extrémité  qui  se 
rend  à  la  moelle,  la  fonction  glycogénique  non-seule- 
ment n'est  pas  interrompue  dans  le  foie,  mais  elle  peut 
même  être  exagérée  lorsque  l'excitation  a  été  poussée 
assez  loin . 

Voici  plusieurs  expériences  que  nous  avons  faites  : 

Chez  un  chien  en  pleine  digestion,  on  galvanisa  les 
deux  bouts  supérieurs  des  nerfs  vagues,  on  agit  avec 
une  machine  électro-magnétique  dans  toute  sa  force 
(machine  de  Breton).  On  appliqua  le  galvanisme  pen- 
dant six  à  dix  minutes,  et  on  laissa  ensuite  un  intervalle 
de  repos  d'une  heure.  On  a  remarqué  que,  quand  on 
galvanisait  le  vague  droit,  il  y  avait  toujours  vomisse- 
ment des  aliments  et  arrêt  des  mouvements  respiratoi- 
res ;  quand  on  galvanisait  le  vague  gauche,  il  n'y  avait 


33i  ACTION   Dr   SYSTÈME  NERVEUX 

pas  (le  vomissements,  et  il  semblait  que  la  respiration 
n'était  pas  arrêtée  aussi  facilement.  Après  une  heure 
on  galvanisa  de  nouveau  l'animal,  et  l'on  prit  aussitôt 
après  ses  urines  en  le  sondant.  Les  urines  étaient  de- 
venues alcalines,  d'acides  qu'elles  étaient  avant  l'opé- 
ration, et  elles  contenaient  très  manifestement  du 
sucre.  Le  lendemain  l'animal  n'é(ait  pas  mort;  ses 
urines  étaient  toujours  alcalines,  mais  elles  ne  renfer- 
maient plus  de  sucre.  Le  jour  suivant,  ce  chien  étant 
mort,  on  fit  son  autopsie,  et  son  foie  ni  aucun  tissu  ou 
liquide  du  corps  ne  contenaient  de  sucre. 

Sur  un  autre  chien,  également  en  digestion,  on  gal- 
vanisa de  la  même  manière  que  précédemment  les  bouts 
centraux  des  nerfs  vagues,  et  l'on  obtint  le  passage  du 
sucre  dans  les  urines,  qui  devinrent  alcalines. 

Alors  on  sacrifia  l'animal  par  la  section  du  bulbe 
rachidien,  et  Ton  trouva  le  sucre  répandu  partout  dans^ 
le  sang  de  la  veine  porte,  dans  le  sang  des  veines  hépa- 
tiques, dans  le  sang  du  cœur  droit  et  dans  le  sang  du 
cœur  gauche.  Toutefois,  le  sang  des  veines  hépatiques 
fut  celui  qui  contenait  le  plus  de  sucre.  Hexistait  dans 
le  péricai'de  un  épanchement  de  séiosité  qui  était  très- 
sucré.  Le  tissu  du  foie  dosé  donna  \^\  41  5  pour  100  de 
sucre. 

Un  troisième  chien  fut  de  même  galvanisé,  et  le 
sucre  apparut  dans  les  urines,  qui,  cette  fois,  restèrent 
acides. 

Lors  donc  que  nous  coupons  les  pneumo-gastriques 
dans  la  région  cervicale,  la  sécrétion  s'arrête,  non  pas 
parce  que  l'influence  du  centre  nerveux  ne  peut  plus 


DANS   LE    DIABÈTE   ARTIFICIEL.  335 

être  transmise  au  foie,  mais  parce  que  nous  avons  em- 
pêché les  excitations  périphériques  émanant  d'autres 
organes,  ei  en  particulier  des  poumons,  de  parvenir  à 
la  moelle  allongée,  qui  n'est  plus  dès  lors  sollicitée  à 
réagir  sur  le  foie. 

Dans  l'état  physiologique,  c'est  donc  principalement 
l'excitation  incessante  appoitée  au  poumon  par  l'air 
extérieur,  transmise  au  centre  nerveux  par  le  nerf 
pneumo -gastrique,  qui  détermine  la  sécrétion  du  sucre 
au  moyen  d'une  action  réflexe. 

Pour  vous  prouver  que,  normalement,  c'est  bien 
ainsi  que  les  choses  se  passent,  nous  allons,  au  lieu 
de  couper  le  pneumogastrique  dans  la  région  cervi- 
cale, ce  qui  amène  la  disparition  du  sucre,  opérer  la 
section  de  ce  nerf  au-dessous  du  poumon  et  au-dessus 
du  foie.  La  communication  directe  entre  le  foie  et  le 
centre  nerveux  se  trouve  arrêtée  comme  précédem- 
ment, et  cependant  le  sucre  continue  à  se  produire 
comme  à  l'ordinaire. 

C'est  donc  du  poumon  que  part  l'excitation  qui  dé- 
termine la  fonction  glycogénique  à  entrer  en  action  ;  et 
cela  est  si  vrai,  que  nous  pouvons,  jusqu'à  un  certain 
point,  remplacer  l'influence  pulmonaire  par  toute 
autre  action  physique,  parle  galvanisme,  par  exemple, 
appliqué  sur  le  bout  central  du  nerf  coupé,  ou  exa- 
gérer cette  même  influence,  quand  le  nerf  étant  intact, 
on  fait  respirer  des  substances  irritantes  ;  on  déter- 
mine par  cela  même  une  hypersécrétion  du  sucre. 

Nous  allons  actuellement  couper  les  pneumo-gastri- 
ques  entre  le  foie  et  le  poumon.  Pour  faire  celte  expé- 


336  ACTIO^^    DU   SYSTÈME   NERVEUX 

rience,  nous  prenons  un  chien  de  petite  taille.  Nous 
le  chloroformons,  afin  d'éviter  des  mouvements  vio- 
lents de  l'animal  pendant  l'opération,  qui  se  fait  de  la 
manière  suivante  : 

Sur  le  côté  gauche  de  la  poitrine,  nous  pratiquons 
une  incision  de  2  à  3  centimètres  parallèlement  à  une 
côte  et  au  niveau  de  la  douzième  environ,  puis  nous 
faisons  glisser  la  peau  de  manière  à  amener  l'incision 
entre  la  neuvième  et  la  dixième  côte,  à  peu  près  à 
égale  distance  du  sternum  et  de  la  colonne  vertébrale. 

Nous  faisons  avec  un  bistouri,  dans  cet  intervalle 
intercostal,  une  piqûre  étroite  par  laquelle  nous  intro- 
duisons immédiatement  et  avec  force  l'indicateur  de  la 
main  gauche,  de  façon  à  pénétrer  dans  la  cavité  tho- 
racique  sans  qu'il  y  entre  d'air.  On  enfonce  alors  le 
doigt  vers  la  colonne  vertébrale  jusqu'à  ce  qu'on  sente 
l'aorte  qu'on  reconnaît  à  ses  battements.  11  faut,  on  le 
comprend,  prendre  un  chien  d'une  taille  assez  petite, 
comme  celui  que  nous  avons  là,  car  autrement  il  se- 
rait impossible  d'avoir  le  doigt  assez  long  pour  parve- 
nir jusqu'à  la  colonne  vertébrale. 

Une  fois  que  l'on  a  le  bout  du  doigt  sur  l'aorte,  on 
sent  immédiatement  à  côté,  et  un  peu  en  dedans,  un 
tube  cylindi'ique  et  comme  élastique;  c'est  l'œsophage 
qui  est  accomptigné  par  les  cordons  des  nerfs  pneumo- 
gastriques parfaitement  reconnaissables,  parce  qu'ils 
donnent  au  bout  du  doigt  la  sensation  d'une  corde 
fortement  tendue.  Dès  qu'on  est  parvenu  à  reconnaître 
ainsi  la  position  de  ces  nerfs,  on  saisit  de  la  main 
droite  l'instrument  (fig.  19)  formé  par  une  tige  longue 


DANS  LE    DIABÈTE   ARTIFICIEL.  337 

(le  12  à  15  centimètres,  terminée  par  un  cro-  ^ 
chet  tranchant  sur  son  bord  interne  et  à  ex- 
trémité mousse.  On  le  fait  glisser  le  long  de 
l'index,  qui  est  enfoncé  dans  le  thorax,  en  l'in- 
troduisant dans  la  poitrine  sans  laisser  péné- 
trer d'air,  et  Ton  accroche  successivement  les 
cordons  nerveux  que  l'on  sent  au  bout  de  son 
doigt,  en  évitant  de  léser  d'autres  organes  im- 
portants tels  que  la  veine  cave  et  l'aorte,  qui 
pourraient  être  atteintes.  Alors  on  retire  le 
doigt  en  même  temps  qu'on  déplace  rapide- 
ment l'incision  de  la  peau.  L'orifice  extérieur 
et  Torifice  interne  ne  correspondant  plus  l'un 
à  l'autre,  l'air  ne  peut  pas  pénétrer  dans  le 
thorax. 

L'opération  ne  présente  aucun  danger  ; 
quand  même  il  serait  entré  quelques  bulles 
d'air  dans  la  poitrine,  cet  air  ne  tarderait  pas 
à  être  absorbé  et  l'animal  n'en  souffrirait  au- 
cunement. 

Cet  animal  que  nous  venons  d'opérer  a 
donc  maintenant  les  pneumo-gastriques  cou- 
pés entre  le  poumon  et  le  foie  ;  vous  verrez 
dans  la  prochaine  séance  que  néanmoins  le 
sucre  aura  continuée  se  sécréter  dans  le  foie, 
et  que  nous  en  retrouverons  à  peu  près  autant 
que  dans  l'état  normal,  ce  qui  n'aurait  cer- 
tainement pas  lieu  si  l'action  nerveuse  qui  agit 
sur  le  foie  y  parvenait  par  le  nerf  de  la  hui- 
tième paire.  Pi^  ^ç^^ 

BERNARD.   I.  9  2 


338  ACTION   DU   SYSTÈME    NERVEUX 

Étant  donc  bien  établi  que  l'excitation  ne  descend 
pas  par  les  pneumo-gastriques,  mais  qu'elle  remonle 
au  contraire  par  ces  nerfs  jusqu'au  cerveau,  il  nous 
reste  à  rechercher  quel  chemin  elle  suit  pour  arriver 
au  foie. 

11  est  d'abord  positif  que  l'action  se  propage  par  la 
moelle  épinière.  La  moelle  épinière  ne  peut  agir  de 
son  côté  sur  le  foie  que  par  l'intermédiaire  des  nerfs 
grand  et  petit  splanchnique  ou  autres  filets,  qui  tous 
établissent  une  communication  entre  le  système  ner- 
veux ganglionnaire  et  le  système  nerveux  cérébro-ra- 
chidien.  Mais,  d'un  autre  côté,  la  moelle  épinière  peut 
elle-même  agir  comme  centre,  de  sorte  qu'en  coupant 
la  moelle  à  différentes  hauteurs,  on  obtient  des  résul- 
tats différents,  tantôt,  par  exemple,  une  cessation  ab- 
solue, tantôt,  au  contraire,  une  perversion  dans  la 
production  des  matières  que  produit  le  foie.  Cette  ques- 
tion devra  être  examinée  avec  beaucoup  de  soin  dans 
une  des  prochaines  séances,  et  à  ce  propos  nous  trai- 
terons des  deux  cas,  ou  la  moelle  agissant  comme  cen- 
tre, ou  la  moelle  agissant  comme  conducteur,  et  nous 
pourrons  comprendre  alors  de  quelle  façon  la  piqûre 
d'un  point  de  la  moelle  allongée  agit  pour  produire  ce 
phénomène  singulier  auquel  nous  avons  donné  le  nom 
de  diabète  artificiel. 

Pour  le  moment,  nous  allons  examiner  la  durée  de 
l'effet  de  cette  piqûre. 

Vous  savez  déjà  que  l'augmentation,  dans  la  quantité 
du  sucre,  que  nous  produisons  chez  un  animal  au 
moyen  d'une  piqûre  de  la  moelle  allongée,  n'est  ja- 


DANS   LE   DIABÈTE   ARTIFICIEL.  339 

mais  que  temporaire.  Au  bout  de  quelques  jours,  l'ani- 
mal guérit  et  cesse  d'être  diabétique.  Nous  avons  cher- 
ché en  vain  jusqu'ici  à  rendre  cet  état  permanent.  Pour 
cela  nous  avons  laissé  l'instrument  en  place;  mais 
alors  ce  corps  étranger  enflammait  les  parties  avec 
lesquelles  il  se  trouvait  en  contact,  il  survenait  de  la 
fièvre  et  des  désordres  plus  ou  moins  graves,  qui  suf- 
fisaient, comme  cela  a  lieu  dans  tout  état  morbide, 
pour  faire  disparaître  le  sucre,  non-seulement  des 
urines,  mais  du  foie  lui-même. 

Il  faut  cependant,  pour  que  nous  parvenions  à  com- 
prendre la  nature  du  diabète  chez  Thomme,  que  nous 
trouvions  le  moyen  de  rendre  cet  état  permanent  chez 
un  animal;  ce  que  nous  n'avons  pas  encore  obtenu  et 
ce  que  nous  allons  rechercher  devant  vous. 

Quand,  après  avoir  piqué  chez  un  chien  ou  chez  un 
lapin  l'origine  des  pneumo-gastriques,  nous  lui  avons 
ouvert  le  ventre  au  moment  ou  la  surexcitation  portée 
sur  le  foie  présentait  son  summum  d'intensité,  nous 
avons  \u  qu'alors  il  y  avait  une  plus  grande  activité  de 
la  circulation  abdominale,  le  système  capillaire  élait 
gorgé  de  sang,  et  les  vaisseaux  de  la  surface  du  foie 
plus  apparents  qu'à  l'état  normal.  Les  reius  sont  alors 
eux-mêmes  très-surexcités,  les  uretères  sont  Irès-irri- 
lables,  il  suffit  de  les  toucher  avec  la  pointe  d'un  bis- 
louri  pour  les  voir  se  contracter  énergiquement.  Cette 
suractivité  de  la  circulation  ne  dure  qu'un  certain 
temps,  comme  le  diabète  lui-même,  de  sorte  que  j'ai 
été  amené  à  penser  que  l'exagération  de  la  sécrétion  du 
sucre  tenait  à  une  action  particulière  du  système  ner- 


3iO  MODIFICATION   DE    LA    ClUCL  LATlON 

veux  sur  la  circulation  hépatique.  Au  point  de  vue  chi- 
mique, il  n'y  a  pas  lieu  de  supposer,  en  effet,  que  Fé- 
lément  qui  se  transforme  en  sucre  en  donne  plus 
à  l'état  pathologique  qu'à  Télat  normal.  On  compren- 
drait mieux  l'augmentation  dans  la  formation  de  cette 
substance,  en  supposant  que  les  matériaux  qui  la  pro- 
duisent sont  eux-  mêmes  apportés  en  quantités  plus 
considérables.  Ce  ne  serait  donc  pas  un  atome  d'albu- 
mine qui  formerait  plus  de  sucre,  mais  bien  une  plus 
grande  quantité  de  ces  atomes  qui  seraient  soumis, 
dans  un  temps  donné,  à  l'action  du  foie. 

Nous  pensons  donc  que  c'est  en  produisant  une  sur- 
activité durable  dans  la  circulation  abdominale,  que 
nous  parviendrions  à  établir  chez  l'animal,  comme 
nous  les  trouvons  chez  l'homme,  des  diabètes  perma- 
nents. 

Or,  comment  faire  pour  déterminer  cet  effet?  Eh 
bien.  Messieurs,  nous  avons  un  moyen  pour  produire 
dans  un  organe  une  circulation  beaucoup  plus  active 
que  dans  Tétat  normal,  et  qui  peut  s'y  maintenir  long- 
temps :  c'est  en  coupant  les  fdets  sympathiques  qui  se 
rendent  à  cet  organe,  et  nous  allons  vous  rendre  té- 
moins de  ce  fait  extrêmement  curieux  et  que  je  vous  ai 
déjà  indiqué. 

Voici  un  lapin  sur  lequel  nous  allons  couper  le  nerf 
sympathique  dans  la  région  cervicale;  vous  allez  voir 
qu'aussitôt  après  cette  opération,  tout  le  côté  de  la  face 
correspondant  à  la  section  va  présenter  une  activité  de 
circulation  beaucoup  plus  grande  et  une  température 
bien  plus  élevée  que  l'autre  côté. 


DANS   LE   DIABÈTE    ARTIFICIEL.  3'i-1 

Pour  cela,  ranimai  étant  solidement  maintenu,  nous 
faisons  une  incision  longitudinale  de  2  à  3  centimètres 
dans  la  partie  moyenne  du  cou  ;  on  divise  ensuite  le 
raplié  de  séparation  des  muscles  sous-hyoïdiens,  jus- 
qu'à la  trachée  qu'on  aperçoit  au-dessous;  alors,  avec 
une  érigne,  un  aide  saisit  et  relève  les  muscles  sous- 
hyoïdiens  du  côté  gauche.  Comme  aucun  vaisseau  n'a 
été  blessé,  on  aperçoit  l'artère  carotide  qui  se  trouve 
sur  les  côtés  de  la  trachée,  accompagnée  par  le  nerf 
pneumo-gastrique;  nous  servant  de  l'extrémité  fine  de 
nos  pinces  comme  d'une  sonde  cannelée,  nous  sépa- 
rons doucement  l'artère  carotide  du  pneumo-gastrique, 
et  immédiatement  en  arrière  de  l'artère,  nous  décou- 
vrons un  filet  nerveux  très-délié,  dirigé  parallèlement 
à  l'artère  et  au  nerf  pneumo-gastrique.  C'est  le  fdet 
sympathique  cervical  qui  fait  communiquer  le  ganglion 
cervical  supérieur  avec  l'inférieur.  Le  ganglion  cervical 
moyen  manque  ordinairement  chez  le  lapin.  Nous  sou- 
levons ce  filet  avec  nos  pinces,  pour  le  couper  avec  des 
ciseaux;  il  aurait  suffi  même  de  le  casser. 

L'expérience  terminée,  nous  remettons  l'animal  en 
liberté,  et  nous  pouvons  déjà  constater  que  la  circula- 
tion s'est  considérablement  activée  dans  l'oreille,  où 
les  vaisseaux  sont  très-visibles.  Cette  instantanéité  du 
résultat  tient  ici  à  la  grande  vigueur  de  l'animal  sur 
lequel  nous  avons  fait  l'opération  ;  car  s'il  eût  été  lan- 
guissant ou  malade,  cette  exagération  de  circulation 
du  côté  de  la  section  du  nerf  aurait  été  très-lente  à  se 
manifester  et  n'aurait  apparu  qu'avec  peu  d'intensité. 
Ceci  vous  prouve  qu'il  existe,  comme  nous  l'avons  dit 


312  MODIFICATION   DE  LA  CIRCULATION 

déjà,  une  espèce  de  relalion  entre  ces  actions  des  nerfs 
sympathiques  et  la  production  du  diabète  artificiel  par 
piqûre  de  la  moelle  allongée.  Nous  vous  avons  montré, 
en  effet,  que  ce  dernier  phénomène  se  produit  aussi 
d'autant  plus  facilement  que  les  animaux  sont  plus  vi- 
goureux et  mieux  portants,  et  qu'il  est  absolument  im- 
possible de  le  déterminer  sur  un  animal  malade. 

Cet  exemple  que  nous  vous  montrons,  sans  vouloir 
entrer  dans  le  mécanisme  du  phénomène,  vous  prouve 
que  l'on  peut  exagérer  d'une  manière  durable  la  circu- 
lation dans  une  partie  limitée  du  corps.  Cette  suracti- 
vité, en  effet,  continuera  pendant  plusieurs  semaines, 
ainsi  que  vous  le  verrez  dans  les  séances  suivantes. 

Nous  voudrions  produire  quelque  chose  d'analogue 
sur  la  circulation  du  foie,  et  pour  cela  nous  avons  l'in- 
tention de  tenter  une  opération  que  nous  n'avons  ja- 
mais faite,  et  qui  consistera  à  couper  tous  les  filets 
nerveux  qui  entrent  dans  le  foie.  Si  alors  l'activité  cir- 
culatoire hépatique  devient  plus  considérable,  et  si  en 
même  temps  l'organe  n'est  pas  troublé  dans  ses  fonc- 
tions, nous  devrons  avoir  une  production  plus  grande 
de  la  matière  sécrétée,  car  il  est  de  règle  que  la  sur- 
activité fonctionnelle  d'un  organe  coïncide  toujours 
avec  une  accélération  de  circulation.  Les  choses  se 
passent  ainsi,  et  dans  les  organes  de  la  vie  de  relation, 
et  dans  ceux  de  la  vie  organique,  parmi  lesquels  se 
rangent  les  organes  sécréieur s  ou  excréteurs. 

Et  à  propos  d'organes  excréteurs  et  sécréteurs,  per- 
mettez-moi de  terminer  cette  séance  en  vous  indiquant 
quelle  sorte  de  confusion  on  peut  commettre  à  leur 


DANS  LE  DIABÈTE   ARTIFICIEL^  343 

égard  ;  et  il  importe  de  bien  comprendre  ce  que  c'est 
qu'un  organe  de  sécrétion,  car  j*ai  souvent  occasion  de 
remarquer  qu'on  fait  une  confusion  entre  les  organes 
sécréteurs  et  les  organes  excréteurs,  et  qu'on  n'a  pas 
d'idées  bien  claires  à  ce  sujet.  C'est  pourquoi  je  vous 
demanderai  la  permission  de  fixer  en  quelques  mots 
la  différence  fondamentale  qui  existe  entre  les  deux 
ordres  d'organes.  Du  reste,  il  faut  le  dire  aussi,  cette 
confusion  a  peut-être  primitivement  trouvé  sa  source 
dans  le  langage  lui-même.  Le  mot  sécrétion  vient, 
comme  vous  le  savez,  de  secernere,  qui  veut  dire  sépa- 
rer; sécrétion  semblerait  donc  vouloir  dire  séparation. 
Mais  une  séparation  peut  s'effecter  de  deux  manières  : 
ou  bien  les  éléments  qui  se  séparent  sont  seulement 
mélangés,  ou  bien  ces  éléments  sont  combinés,  et  les 
produits  ultimes  résultant  de  leur  séparation  sont  des 
dédoublements  du  composé  qu'ils  formaient  d'abord; 
dans  ce  dernier  cas,  il  y  a  vraiment  production  de  ma- 
tières nouvelles. 

Ces  deux  modes  se  rencontrent  dans  l'organisme. 
Ainsi,  le  sang  qui  arrive  au  rein  contient  de  l'urée,  de 
l'acide  urique  et  divers  sels  qui  s'y  trouvent  à  l'état  de 
dissolution,  reconnaissables  à  tous  leurs  caractères, 
pouvant  être  extraits  directement,  et  que  le  rein  sépare 
réellement  du  sang.  On  rencontre  ces  substances  dans 
les  artères  qui  arrivent  à  l'organe  ;  on  ne  les  retrouve 
plus  dans  les  veines  qui  en  sortent.  11  n'y  a  pas  eu  là 
de  production  proprement  dite  ni  décomposition,  il  y  a 
eu  séparation  pure  et  simple. 

Dans  le  foie,  au  contraire,  quand  on  se  place  dans 


34-i  .  SÉCRÉTION,    EXCRÉTION. 

des  conditions  convenables,  on  trouve  des  quantités  de 
sucre  considérables  dans  le  sang  qui  sort,  on  n'en  trouve 
aucune  trace  dans  le  sang  qui  entre  :  le  sucre  s'est  pro- 
duit là  aux  dépens  d'autres  matières  dont  le  foie  a  dis- 
socié les  éléments,  qui  se  sont  reconstitués  dans  de 
nouvelles  combinaisons  ;  mais  il  est  clair  qu'une  telle 
séparation  est  essentiellement  différente  de  celle  qui 
avait  lieu  pour  le  rein. 

Voilà  donc  deux  ordres  de  faits  qui  doivent  êire  re- 
présentés par  des  mots  distincts  correspondant  à  des 
idées  différentes. 

Nous  dirons  qu'il  y  a  sécrétion  toutes  les  fois  qu'on 
trouvera  dans  les  liquides  qui  sortent  d'un  organe  des 
substances  qui  n'existent  pas  dans  le  sang  à  son  entrée 
dans  cet  organe. 

Nous  dirons  qu'il  y  a  excrétion  toutes  les  fois  que  les 
substances  contenues  dans  les  liquides  excrétés  se  ren- 
contrent dans  le  sang  qui  entre  dans  l'orgaue. 


DIX-HUITIÈME  LEÇON 


27  FÉVRIER  1856. 


SOMMAIRE  :  De  la  polyurie.  —  Elle  est  indépendante  de  la  glycosurie.  — 
Observations  expérimentales  à  ce  sujet.  —  Autres  procédés  de  production 
du  diabète  artiûciel.  —  Par  anéantissement  du  système  nerveux  cérébro- 
spinal :  1°  au  moyen  de  l'empoisonnement  par  le  curare  ;  2°  par  apoplexie 
suite  de  contusions  cérébrales.  —  Expérience.  —  Diabète  consécutif  à  l'é- 
thérisation.  --  Examen  des  théories  sur  le  diabète  spontané  et  artificiel.  — 
Réflexions  sur  la  complication  de  ces  phénomènes.  Résultat  de  l'expérience 
faite  à  la  leçon  précédente. 


*    Messieurs, 

Nous  vous  avons  indiqué  un  moyen  d'augmenter l'ac- 
livitéglycogénique  du  foie  et  de  produire  par  là  un  dia- 
bète artificiel  en  piquant  un  point  déterminé  de  la  moelle 
allongée,  mais  ce  moyen  n'est  pas  le  seul,  et  nous 
avons  encore  plusieurs  procédés  à  vous  annoncer  pour 
arriver  au  même  résultat. 

Mais  avant  de  passer  outre,  nous  devons  examiner 
un  autre  phénomène  qui  est  presque  toujours  lié  à 
l'apparition  du  sucre  dans  les  urines.  Vous  savez,  en 
effet,  que  dans  le  diabète  les  urines  ne  sont  pas  seule- 
ment modifiées  quant  à  la  nature  des  substances  qu'on 
y  rencontre,  mais  que  leur  quantité  est  ordinairement 
augmentée  d'une  manière  très-notable.  Ainsi,  vous 
avez  vu  que  sur  les  lapins  dont  nous  avons  piqué  la 
moelle  allongée,  les  urines,  qui,  avant  l'expérience, 


346  POLYURIE. 

étaient  troubles,  sont  devenues  claires  et  transparentes 
après  l'opération,  et  nous  avons  observé  qu'elles  étaient 
bien  plus  abondantes  que  dans  l'état  normal.  Quand 
nous  avons  ouvert  l'animal,  après  l'avoir  rendu  diabé- 
tique, nous  avons  trouvé  les  reins  plus  gorgés  de  sang 
et  les  uretères  très-irritables  ;  le  moindre  attouchement 
avec  la  pointe  d'un  bistouri  y  déterminait  des  contrac- 
tions très-rapides  dans  toute  la  partie  située  au-dessous 
du  point  touché. 

Ainsi  la  piqûre  de  la  moelle  allongée,  telle  que  nous 
l'avons  faite  devant  vous,  a  eu  pour  effet  d'exciter  les 
fonctions  de  deux  organes,  le  foie  et  le  rein  :  le  premier 
pour  fournir  plus  de  sucre,  le  second  pour  donner  da- 
vantage d'urine.  Cependant  il  ne  faudrait  pas  croire  que 
ces  deux  phénomènes  soient  nécessairement  liés  l'un 
à  l'autre,  de  manière  à  se  produire  toujours  simulta- 
nément. 

Vous  savez  que,  s'il  est  très-ordinaire  que  les  diabé- 
tiques soient  polyuriques,  il  se  présente  cependant  des 
cas  où  l'on  trouve  du  sucre  dans  leurs  urines  sans  que 
la  quantité  de  ces  dernières  soit  augmentée;  et  réci- 
proquement, des  individus  peuvent  être  polyuriques 
sans  offrir  dans  leursurines  de  traces  de  matière  sucrée. 
L'indépendance  deces  deux  phénomènes  avait  déjà  été 
si  bien  constatée,  que  les  pathologistes  avaient  désigné 
sous  le  nom  de  polyuriques  les  individus  chez  lesquels 
la  sécrétion  urinaire  était  simplement  augmentée,  et 
sous  le  nom  de  diabétiques  ceux  qui  présentaient  cette 
exagération  dans  la  quantité  des  urines  u  nie  à  la  pré- 
sence de  la  matière  sucrée. 


ET  GLÏCOSL'RIE.  347 

Mais  il  y  a  encore  un  troisième  casa  ajouter  aux  deux 
premiers,  c'est  celui  où  les  urines  sont  chargées  de 
sucre  sans  être  pour  cela  plus  abondantes  qu'à  l'état 
normal. 

Dans  nos  recherches  physiologiques,  nous  avons  vu 
les  mêmes  faits  se  produire.  Il  nous  est  arrivé  souvent, 
dans  les  très-nombreuses  expériences  que  nous  avons 
faites,  d'obtenir  le  passage  du  sucre  dans  les  urines  sans 
que  celles-ci  soient  devenuesplus  abondantes  ni  qu'elles 
aient  changé  d'aspect;  dans  d'autres  cas,  nous  avons 
eu  purement  et  simplement  une  exagération  de  celte 
sécrétion  sans  apparence  de  matière  sucrée. 

J'ai  donc  dû  cherchera  isoler  ces  deux  phénomènes, 
et  à  déterminer  le  point  où  il  fallait  piquer  l'animal 
pour  produire  l'un  ou  l'autre  à  volonté.  D'après  un 
certain  nombre  d'expériences,  voici  ce  que  j'ai  observé: 
quand  on  pique  sur  la  ligne  médiane  du  plancher  du 
quatrième  ventricule,  exactement  au  milieu  de  l'espace 
compris  entre  l'origine  des  nerfs  acoustiques  et  l'origine 
des  nerfs  pneumo-gastriques,  on  produit  à  la  fois  l'exa- 
gération des  deux  sécrétions  hépatique  et  rénale;  si  la 
piqûre  atteint  un  peu  plus  haut,  on  ne  produit  très-sou- 
vent que  l'augmentation  dans  la  quantité  des  urines, 
qui  sont  alors  souvent  chargées  de  matièies  albumi- 
noïdes;  au-dessous  du  point  précédemment  signalé, 
le  passage  du  sucre  seulement  s'observe,  et  les  urines 
restent  troubles  et  peu  abondantes.  Il  nous  a  donc  paru 
qu'il  pouvait  y  avoir  possibilité  de  distinguer  là  deux 
points  correspondant,  l'inférieur  à  la  sécrétion  du  foie, 
lesupérieurà  celle  du  rein.  Seulement,  comme  ces  deux 


348  POLYURIE 

points  sont  très- rapprochés  l'un  de  l'autre,  il  arrivera 
le  plus  souvent  qu'en  traversant  la  région  où  ils  se  trou- 
vent, d'une  manière  oblique,  et  c'est  là  le  cas  le  plus 
fréquent,  on  les  blesse  tous  deux  ensemble,  et  que  l'on 
produise  les  deux  effets  simultanément;  de  sorte  que 
l'animal  est  à  la  fois  diabétique  et  polyurique. 

Vous  voyez  donc  encore,  Messieurs,  que  h  pliysio- 
logie  pourrait  parvenir  à  analyser  les  divers  symp(ômes 
si  obscurs  de  l'affection  qui  nous  occupe,  en  vous  ap- 
prenant à  séparer  d'une  part  la  présence  du  sucre,  et  de 
l'autre  l'abondance  des  urines.  Il  semble  possible  d'ar- 
river à  produire  isolément  l'un  ou  l'autre  de  ces  phé- 
nomènes, suivant  qu'on  viendrait  à  piquer  tel  ou  tel 
point  des  centres  nerveux,  et  cela  fait  comprendre  pour- 
quoi on  rencontre  en  pathologie  des  diabétiques  sans 
polyurie  et  des  polyuriques  sans  sucre. 

Après  ces  quelques  détails  sur  les  rapports  qui  exis- 
tent entre  la  présence  du  sucre  dans  les  urines  et  l'abon- 
dance de  cette  sécrétion,  nous  revenons  aux  procédés 
qui  peuvent  rendre  un  animal  diabétique.  Car  ce  n'est 
pas  seulement  en  piquant  la  moelle  allongée  que  nous 
pouvons  produire  ce  phénomène  :  nous  avons  été  con- 
duit dans  nos  recherches  à  constater  qu'on  peut  mettre 
un  animal  dans  cet  état  toutes  les  fois  que  ses  fonctions 
de  la  vie  de  relation  sont  supprimées,  en  même  temps 
que  les  fonctions  purement  nutritives  restent  intactes  ; 
il  semble  que  celles-ci  s'exagèrent  alors  d'autant  plus 
que  les  premières  ont  conservé  moins  d'action.  Ainsi, 
quand  sur  un  animalon  vient  à  éteindre  les  mouvements 
volontaires  et  la  sensibilité,  on  voit  tous  les  organes  iu- 


ET   GLYCOSURIE.  349 

ternes,  le  foie,  les  intestins,  les  glandes,  en  un  mot,  tous 
les  viscères  qui  ne  sont  pas  soumis  à  l'influence  de  la 
volonté,  présenter  une  activité  plus  grande  que  dans 
l'état  normal.  L'énergie  vitale  qui  a  cessé  pour  toutes 
les  actions  de  la  vie  animale  semble  se  concentrer  sur 
les  actes  purement  organiques.  Nous  avons  trouvé  de- 
puis quelques  années  qu'il  existe  une  substance  extrê- 
mement précieuse  pour  démontrer  ainsi  cette  indépen- 
dance de  la  vie  animale  et  de  la  vie  organique;  cette 
substance  est  le  curare  dont  les  sauvages  des  bords  de 
l'Amazone  se  servent  pour  empoisonner  leurs  flèches, 
et  qui  jouit  de  la  propriété  d'anéantir  complètement  le 
système  nerveux  et  cérébro-spinal. 

Permettez-moi  de  vous  laconter  d'abord  à  ce  sujet 
une  observation  que  j'extrais  de  mon  journal  d'expé- 
riences. 

Sur  un  gros  chien,  au  commencement  de  la  diges- 
tion, nous  avons  introduit  sous  la  peau  du  dos  une  cer 
taine  quantité  de  curare  en  dissolution.  Au  bout  de  dix 
à  douze  minutes,  les  effets  de  la  substance  s'étaient 
manifestés  et  la  respiration  était  arrêtée;  dès  lors  on 
pratiqua  l'insufflation  artificielle  avec  précaution,  pen- 
dant deux  heures  et  demie,  en  cessant  seulement  pen- 
dant une  demi-minute  de  temps  en  temps;  pendani; 
tout  ce  temps  la  circulation  continuait  parfaitement 
bien,  le  sang  était  noir  dans  les  veines,  vermeil  dans 
les  artères^  mais  il  devenait  noir  partout,  dès  que  l'on 
cessait  l'insufflation. 

Pendant  tout  ce  temps  il  y  avait  abondante  sécré- 
tion des  larmes  et  de  la  salive.  Une  plaie  qui,  depuis 


350  AUTRES   PROCÉDÉS  POUR  PRODUIRE 

quelques  jours,  avait  élé  faite  pour  recueillir  du  suc 
pancréatique,  et  qui  commençait  à  se  cicatriser, lais- 
sait échapper  une  abondante  sérosité.  On  examina  l'u- 
rine à  différentes  reprises  sans  y  trouver  du  sucre;  ce 
ne  fut  que  deux  heures  et  demie  après  que  l'on  y  con- 
stata sa  présence  en  grande  quantité. 

La  proportion  de  l'urine  était  augmentée,  et  il  s'en 
écoula  à  plusieurs  reprises.  La  contraclililé  musculaire 
était  très-exagérée,  et  quand  on  touchait  un  muscle 
avec  la  pointe  d'un  bistouri,  on  y  déterminait  des  con- 
tractions violentes. 

Nous  avons  voulu  vous  rendre  témoins  d'une  partie 
de  ces  phénomènes. 

Voici  un  chien  sous  la  peau  duquel  nous  avons 
placé,  environ  un  quart  d'heure  avant  le  commence- 
ment de  cette  leçon,  un  peu  de  curare;  au  bout  de 
dix  minutes  l'animal  est  tombé  et  n'a  plus  donné  au- 
cun signe  de  sensibilité  ni  de  mouvements  volontaires. 
Le  cerveau  et  la  moelle  épinière  sont  comme  frappés 
de  mort  ;  les  actions  organiques  continuent  néanmoins 
à  s'effectuer,  mais  comme  elles  ne  sauraient  se  passer 
du  contact  de  l'air,  et  que  les  mouvements  respira- 
toires, qui  sont  sous  la  dépendance  du  système  ner- 
veux central,  se  sont  anéantis  avec  lui,  nous  sommes 
obligés,  pour  prolonger  cette  vie  purement  organique, 
de  maintenir  les  conditions  extérieures  de  son  accom- 
plissement en  pratiquant  l'insufflation  artificielle,  qui 
détermine  l'accès  de  l'air  dans  les  poimions.  Avec  ce 
simple  secours,  dont  vous  comprenez  la  nécessité  pu- 
rement pliysique,  toutes  les  fonctions  organiques  pour- 


LE  DIABÈTE  ARTIFICIEL.  3ol 

ront  continuer  pendant  fort  longtemps.  Le  cœur  ne 
cesse  pas  de  battre,  la  circulation  n'est  pas  inter- 
rompue, la  digestion  s'opère  comme  dans  l'état  nor- 
mal, et  les  sécrétions  s'effectuent.  Mais,  comme  je 
vous  l'ai  dit,  toutes  ces  fonctions  sont  exagérées; 
vous  voyez  en  effet,  sur  ce  chien,  la  salive  arriver  en 
très-grande  abondance,  les  larmes  couler  de  l'angle 
interne  des  paupières,  l'urine  s'épancher  par  suite 
du  regorgement  de  la  vessie.  Si  la  présence  du  sucre 
dans  l'organisme  dépend  d'une  sécrétion,  celle-ci  ne 
doit  pas  échapper  à  cette  loi;  et,  en  effet,  c'est  ce 
qui  arrive  :  le  sucre,  produit  en  plus  grande  abon- 
dance, passera  d'abord  dans  le  sang  qui  commencera 
par  s'en  saturer,  puis  enfin  dans  les  urines,  où  nous 
ne  pourrons  en  constater  la  présence  qu'environ  dans 
deux  heures. 

Gomment  se  produit  donc  ce  phénomène  que  vous 
voyez  ici? 

lih  bien,  Messieurs,  ce  n'est  point  par  une  excitation 
directe  des  sécrétions  que  le  curare  agit  dans  cette  expé- 
rience, c'est  en  agissant  sur  le  système  nerveux.  Nous 
pouvons,  en  effet,  arriver  aux  mêmes  résultats,  exa*|érer 
de  la  même  manière  toutes  les  sécrétions,  et  par  consé- 
quent celle  du  sucre  comme  toutes  les  autres,  en  pro- 
duisant un  épaiichement  dans  le  cerveau,  et  en  dé- 
terminant  une  apoplexie,  qui  fera  cesser  de  même  la 
sensibilité  et  le  mouvement  volontaire.  Si  alors,  au  lieu 
de  laisser  s'éteindre  dans  Taiiimal  les  actions  organi- 
ques qui  ont  besoin  de  l'oxygène  pour  s'accomplir, 
nous  pratiquons  l'insufflation  artificielle,  nous  oblien- 


:^52  AUTRES   PROCEDES   POUR  PRODUIRE 

(Irons  les  mêmes  effets,  et  nous  aurons  encore  un  dia- 
bète artificiel. 

Seulement,  tandis  qu'au  moyen  de  la  piqûre  prati- 
tiquée  à  l'origine  des  pneumo-gastriques,  nous  n'obte- 
nions qu'une  irritation  locale  sur  le  foie,  dans  ce  cas, 
comme  dans  l'expérience  sur  le  curare,  nous  avons 
une  excitation  générale  de  tous  les  organes  glandu- 
laires.    • 

Voici  quelques-unes  des  expériences  que  nous  avons 
faites  à  ce  sujet. 

Un  animal,  jeune  chien  en  pleine  digestion,  reçut 
sur  la  tête  plusieurs  coups  de  marteau  qui  déterminè- 
rent une  fracture  du  crâne,  avec  épanchèment  sous-cu- 
tané et  infiltration  sanguine  qui  se  manifestait  jusque 
sous  la  conjonctive  ;  la  pupille  était  contractée,  la  sen- 
sibilité de  l'œil  obtuse;  quand  on  comprimait  sur  le 
fragment  du  crâne  brisé,  l'animal  tombait  dans  un 
coma  complet,  qui  cessait  avec  la  compression. 

L'animal  fut  abandonné  à  lui-même  pendant  une 
heure  et  un  quart  à  deux  heures,  il  était  dans  un  état 
paralytique  complet,  mais  la  respiration  continuait  et 
était  même  accélérée.  Alors  on  coupa  les  deux  pneumo- 
gastriques dans  la  région  moyenne  du  cou,  et  au  bout 
de  quelques  instants,  la  respiration  se  ralentit  et  s'ar- 
rêta même  tout  à  coup.  Alors,  pour  empêcher  la  vie 
de  cesser,  on  pratiqua  l'insufflation  artificielle,  la  sali- 
vation devint  abondante  et  le  liquide  était  filant.  L'a- 
nimal mourut  au  bout  de  quelque  temps;  à  l'autopsie, 
on  trouva  la  vessie  pleine  d'urine  contenant  beaucoup 
de  sucre.  Le  sang  de  la  jugulaire  et  de  la  carotide  en 


LE   DIABÈTE   ARTIFICIEL.  3:):^ 

présentait  également  des  quantités  notables.  11  n'y  a  pas 
là  évidemment  de  substance  qui  puisse  agir  sur  les  sé- 
crétions, c'est  un  effet  purement  traumatique  qui  pro- 
duit le  diabète  artificiel.  11  pourrait  se  faire,  à  la  rigueur, 
qu'un  épanchement  se  fût  produit,  et  ait  agi  mécaiii- 
quement  comme  dans  les  cas  de  diabète  traumatique. 

Voilà  donc  des  diabètes  occasionnés  par  des  lésions 
générales  ou  locales  portées  sur  le  système  nerveux; 
nous  pouvons  encore  produire  le  même  phénomène  en 
agissant  d'une  manière  directesurle  tissu  même  du  foie. 
M.  Harlay,  qui  a  suivi  autrefois  mes  cours,  a  fait  des 
expériences  qui  consistent  à  injecter  par  un  des  rameaux 
de  la  veine  porte  une  substance  irritante,  telle  que  de 
Tammoniaque  étendue  ou  de  l'éther.  11  a  vu  que  l'in- 
jection, arrivant  au  foie,  y  déterminait  une  excitation 
locale  et  directe,  et  au  bout  de  quelque  temps  il  a  con- 
staté que  le  sucre  apparaissait  dans  les  urines  de  l'ani- 
mal sur  lequel  il  avait  pratiqué  ces  injections. 

On  pourrait  comprendre,  de  cette  manière,  que  ces 
substances  irritantes  pussent  arriver  au  foie  après  avoir 
été  placées  dans  l'intestin  et  absorbées  par  les  veines 
mésaraïques,  et  y  produire  les  mêmes  efTets.  C'est  ce 
que  M.  Lecomte  a  observé  en  empoisonnant  des  chiens 
avec  de  l'azotate  d'uranium.  Les  animaux  meurent  as- 
sez lentement,  quand  la  substance  est  prise  à  petites 
doses,  et  il  a  constaté  dans  leurs  urines  la  présence  de 
sucre,  ce  qu'on  ne  peut  attribuer  qu'à  cette  irritation 
locale  dont  nous  venons  de  parler. 

C'est  aux  mêmes  causes  qu'il  faut  rapporter  certains 
diabètes  produits  par  des  contusions  dans  la  région  du 

BERNARD,    f.  23 


354         AUTRES  PROCÉDÉS  POUR  PRODUIRE 

foie.  On  me  citait  dernièrement  le  cas  d'un  individu  qui 
avait  reçu  un  coup  de  pied  de  cheval  dans  l'hypochon- 
(!re  droit,  et  qui,  à  la  suite  de  celteb  lessure,  avait  pré- 
senté du  sucre  dans  ses  urines  ;  mais  ce  symptôme  avait 
disparu  lorsque  le  malade  avait  été  guéri  de  sa  contu- 
sion, seulement  il  était  resté  polyurique. 

Ainsi,  Messieurs,  nous  avons  déjà  des  diabètes  pro- 
duits, soit  par  des  actions  portées  sur  le  système  ner- 
veux, soit  par  des  irritations  locales  du  tissu  hépatique. 
Nous  allons  examiner  d'autres  cas  où  les  mêmes  symp- 
tômes vont  se  manifester  à  la  suite  d'excitations  sur 
d'autres  organes,  et  qui  retentissent  sympathiquement 
sur  le  foie. 

Je  vous  ai  montré  dans  la  dernière  séance  comment  il 
y  avait  solidarité  d'action  entre  le  poumon  et  le  foie,  et 
comment  la  sécrétion  glycogénique  se  trouvait  liée  avec 
l'excitation  apportée  par  l'air  extérieur  sur  la  surface 
pulmonaire.  Vous  devez  comprendre  alors  qu'il  peut  y 
avoir  là  des  causes  nouvelles  de  diabète.  Si  l'excitation 
du  poumon  est  trop  forte,  de  même  que  lorsqu'on  ap- 
plique le  galvanisme  sur  le  bout  central  pneumo-gas- 
trjque,  l'activité  du  foie  sera  augmentée,  et  le  sucre 
pourra  saturer  le  sang  et  pas  les  urines. 

M.  Reynoso,  qui  a  signalé  l'apparition  du  sucre  dans 
les  urines  à  la  suite  de  l'inhalation  de  l'éther,  pensait 
que  dans  ces  cas  le  diabète  artificiel  se  produisait  par 
un  défaut  d'oxygénation.  Au  lieu  de  placer  la  cause  du 
phénoniène  dans  une  suractivité  vitale  de  la  fonction 
hépatique,  il  l'attribue  à  une  destruction  insuffisante 
de  la  matière  sucrée  se  produisant  toujours  en  même 


LE   DIABÈTE   ARTIFICIEL.  355 

quantité.  D'abord,  relativement  à  l'éther  et  au  chlore- 
forme,  le  phénomène  est  complexe,  [parce  que,  indé- 
pendamment de  l'action  excitante  sur  le  poumon,  ces 
substances  agissent  encore  en  anéantissant  le  système 
nerveux  delà  vie  de  relation,  et  exaltant  par  cela  même 
les  fonctions  organiques,  ainsi  que  nous  venons  de  le 
voir.  En  outre,  comme  elles  entrent  dans  le  sang,  elles 
peuvent  agir  d'une  manière  directe  sur  le  tissu  hépati- 
que, ainsi  que  l'a  fait  M.  Harlay. 

Au  point  de  vue  de  la  théorie  de  la  combustion  consi- 
dérée comme  cause  delà  disparition  du  sucre,  on  com- 
prend qu'on  puisse  expliquer  le  diabète  par  une  gêne  de 
la  respiration. 

J'avais  cru  moi-même,  à  une  certaine  époque,  que 
les  choses  pouvaient  se  passer  ainsi,  et  je  vous  ai  expli- 
qué dans  une  précédente  leçon  comment  cela  m'avait 
conduit  à  rechercher  si  les  fœlus  où  il  n'y  a  pas  oxygé- 
nation du  sang  avaient  l'urine  sucrée,  et  comment  en- 
suite j'avais  été  forcé  d'abandonner  cette  théorie  en 
présence  de  faits  nouveaux  qu'elle  ne  pouvait  plus  expli- 
quer. Ce  n'est  pas,  d'ailleurs,  l'accès  de  l'oxygène  dans 
le  sang  qui  produit  la  destruction  du  sucre,  car  cette 
destruction  en  dehors  des  vaisseaux  s'opère  tout  aussi 
bien  dans  l'acide  carbonique  ou  l'hydrogène  que  dans 
l'air  lui-même.  On  peut  d'ailleurs  gêner  la  respiration 
en  obstruant  la  trachée  presque  complètement,  et  main- 
tenir ainsi  pendant  plusieurs  heures  des  animaux  dans 
un  état  de  suffocation  imminente  sans  pour  cela  pro- 
duire le  diabète,  et  cependant  dans  ces  cas  l'air  n'arrive 
plus  au  poumon  en  quantité  suffisante.  Il  en  est  de 


.i:i6  AUTRES   CAS 

même  quand  on  coupe  lespneumo-gastriques;  vous  sa- 
vez qu'un  des  effets  de  celte  section  est  de  rendre  la 
respiration  laborieuse  et  lente,  ce  qui,  loin  d'amener  du 
sucre  dans  les  urines,  le  fait  au  contraire  disparaître 
du  foie  lui-même. 

C'est  qu'en  effet  la  disparition  du  sucre  de  l'orga- 
nisme ne  s'opère  pas  par  une  combustion,  mais  bien 
par  une  fermentation  qu'on  ne  peut  arrêter  qu'avec  la 
vie.  C'est  peut-être  à  la  propriété  de  certaines  substan- 
ces telles  que  l'acide  arsénieux,  l'acide  cyanhydrique, 
les  sels  de  mercure,  d'arrêter  les  fermentations  qu'il 
faut  attribuer  l'action  toxique  qu'elles  exercent  sur  l'or- 
ganisme. On  pourrait  penser  que  l'élher  et  le  chloro- 
forme agissent  dans  le  même  sens,  mais  il  n'en  est 
rien.  Nous  avons  fait  à  ce  sujet  des  expériences  direc- 
tes en  ajoutant  à  du  sang  sucré  une  goutte  d'éther  ou 
de  chloroforme,  quantité  relativement  bien  supérieure 
à  celle  qui  peut  se  trouver  dans  l'organisme  par  suite 
de  l'inhalation,  et  nous  avons  trouvé  cependant  que  le 
sucre  se  détruisait  tout  aussi  vite  que  sans  l'addition 
de  ces  substances. 

A  ce  propos,  je  dois  encore  vous  signaler  une  cause 
d'erreur  qui  pourrait  se  présenter,  si  l'on  employait  le 
liquide  cupro-potassique  seul.  En  efPet,  ce  réactif  donne 
une  réduction  abondante  en  présence  du  chloroforme 
même  en  petite  quantité  :  or  on  pourrait  attribuer  au 
chloroforme  la  réaction  du  sucre,  si  l'on  n'y  prenait 
garde.  Pour  se  débarrasser  de  cette  substance,  le  sous- 
acétate  de  plomb  est  insuffisant.  L'ébullition  avec  ou 
sans  le  sulfate  de  soude  parvient  à  faire  évaporer  cette 


DE  DIABÈTE   ARTIFICIEL.  357 

substance;  mais  ce  qui  vaut  encore  mieux,  c'est  le  traite- 
ment par  le  charbon  animal,  qui  retient  le  chloroforme 
et  laisse  passer  le  sucre  quand  il  n'a  pas  été  détruit. 

En  se  plaçant  toujours  au  point  de  vue  du  défaut  de 
combustion  comme  cause  du  diabète,  on  a  recherché  la 
présence  du  sucre  dans  tous  les  cas  oii  les  organes  pul- 
monaires semblaient  accomplir  d'une  manière  insuffi- 
sante leur  action.  C'est  ainsi  que  M.  Reynoso  et  M.  De- 
chambre,  se  fondant  sur  ce  que  les  vieillards  ont  le 
poumon  raréfié  et  la  respiration  moins  active,  ont  dit 
qu'il  y  avait  une  certaine  quantité  de  sucre  dans 
leurs  urines;  c'est  ainsi  encore  qu'on  dit  avoir 
trouvé  du  sucre  dans  l'urine  des  épileptiques;  mais 
on  comprend  que  dans  toutes  ces  circonstances  les 
phénomènes  sont  complexes,  et  que,  pour  qu'il  fût  bien 
prouvé  que  c'est  l'insuffisance  de  la  respiration  qui  pro- 
duit le  diabète,  on  devrait,  dans  tous  les  cas,  rendre  l'in- 
dividu diabétique  en  le  faisant  respirer  dans  une  atmo- 
sphère appauvrie.  Or,  nous  avons  fait  mourir  des  chiens 
et  des  lapins  dans  un  espace  limité  où  l'air  ne  se  renou- 
velaitpas,  et  nous  neles  avonsjamais  rendus  diabétiques. 

C'est  encore  avec  celte  même  hypothèse  que  M.  Rey- 
noso avait  voulu  expliquer  le  diabète  provenant  de  la 
piqûre  de  la  moelle  allongée,  en  disant  qu'il  y  avait  une 
gêne  de  la  respiration  produite  par  suite  de  la  lésion  de 
ce  point  de  la  moelle  allongée  qui  préside  à  la  respira- 
tion, et  auquel  M.  Flourens  a  donné  le  nom  de  nœud 
vital  (1).  La  lésion  de  cette  partie  des  centres  nerveux 

(1)  Recherches  expérimentales  sur  les  propriétés  et  les  fondions  du  système 
nerveux.  P;iris,  1843. 


:5:;8  explication 

réagit  en  effet  sur  les  phénomènes  de  la  respiration,  et 
même  les  arrête  complètement,  comme  vous  nous  l'avez 
vu  pratiquer  plus  d'une  fois  quand  nous  tuons  instanta- 
nément un  animal  par  la  section  du  bulbe. 

Nous  ne  pouvons  pas  admettre  cette  explication,  d'a- 
bord parce  que  la  partie  lésée  dans  notre  opération  n'est 
pas  précisément  le  nœud  vital,  elle  est  placée  un  peu 
plus  haut.  A  cette  raison  déjà  suffisante  nous  pouvons 
en  ajouter  beaucoup  d'autres  :  ainsi  les  mouvements 
respiratoires  sont  plutôt  accélérés  que  ralentis,  et  quand 
l'opération  est  bien  faite,  ils  ne  sont  jamais  ralentis  et  le 
sang  coule  parfaitement  vermeil  dans  le  système  arté- 
riel; j'ai  même  cru  remarquer  qu'il  était  moins  noir 
qu'à  l'ordinaire  dans  le  système  veineux. 

Enfin  l'expérience  directe  ne  prouve  pas  qu'il  y  ait 
moins  d'acide  carbonique  produit  chez  les  animaux  dont 
on  a  piqué  la  moelle  que  chez  ceux  auxquels  on  n'a 
pas  fait  cette  expérience.  Voici  des  résultats  qu'a  donnés 
M.  de  Becker  à  ce  sujet  : 

Première  expérience.  —  Sur  un  lapin  non  piqué  : 

Poids  du  lapin 0^^,730 

Température  ambiante -|~  1''°  c. 

Acide  carboniq.  expiré  en  une  heure.        Os^^jOlG 

Donc  1  kilogramme  de  lapin  sain  rend  par  heure 
is,  260  00^ 
Deuxième  expérience,  —  Sur  des  lapins  non  piqués  : 

Poids  de  5  lapins 3^605 

Température  ambiante +  18°  c. 

CO^  en  une  heure 4g'-,o72 


DU   DIABÈTE   ARTIFICIEL.  359 

Donc  1  kilogramme  de  lapin  sain  rend  par  heure 
1^^237C02. 

Troisième  expérience.  —  Sur  un  lapin  piqué  : 

1  heure  45  minutes,  commencement  de  l'expérience. 

4  heures,  les  urines  sont  fortement  sucrées. 

5  heures  30  minutes,  il  en  est  de  même. 

Poids 1N407 

Température -f  18°  c. 

CO^en  une  heure lg%8il 

Donc  un  kilogramme  de  lapin  piqué  rend  par  heure 
lg\  308. 

L'urine,  à  la  fin  de  l'opération,  est  très-acide  et  ne 
renferme  plus  que  quelques  traces  de  sucre. 

Vous  voyez  donc,  Messieurs,  d'après  tout  cela,  que, 
pour  faire  l'histoire  d'une  maladie  telle  que  le  diabète, 
on  ne  doit  pas  se  fixer  à  une  seule  explication,  puisque 
les  phénomènes  physiologiques  prouvent  qu'on  peut 
pi^oduire  le  même  symptôme  d'une  foule  de  manières 
différentes,  mais  qui  toutes  cependant  ont  pour  résultat 
d'augmenter  l'activité  de  la  sécrétion  du  sucre  dans  le 
foie;  car  nous  n'avons  aucun  moyen  d'agir  sur  sa  des- 
truction. 

Cependant,  Messieurs,  tous  ces  procédés  n'ont  amené 
jusqu'à  présent  que  des  diabètes  temporaires,  et  nous 
voulons  obtenir  un  effet  continu  tel  que  nous  le  voyons 
se  produire  chez  l'homme.  Nous  vous  avons  dit  de 
quelle  matière  nous  espérions  arriver  à  ce  résultat. 
Une  indication  nous  est  donnée  par  une  expéi^ience 
faite  devant  vous  et  dans  laquelle  vous  avez  vu.  après 
la    section    du    nerf    sympathique    au   cou,  tout   le 


360  DIABÈTE   ARTIFICIEL   PERMANENT. 

côté  correspondant  de  la  tête  présenter  une  circulation 
plus  active  et  une  température  plus  élevée  qu'à  l'état 
normal. 

Pourrons-nous  produire  les  mêmes  effets  dans  le 
foie?  C'est  ce  que  l'expérience  directe  décidera  et  ce 
qu'il  nous  est  impossible  de  prévoir  maintenant,  car 
un  problème  physiologique  comporte  tant  d'inconnues, 
qu'on  n'est  jamais  en  droit  d'admettre  qu'une  prévi- 
sion, quelque  fondée  qu'elle  paraisse,  soit  confirmée 
par  les  faits.  Nous  avons  souvent  coupé  les  sympathi- 
ques qui  se  rendaient  à  différents  organes,  nous  avons 
amené  des  inflammations  intenses  qui  produisaient 
une  fièvre  générale  et  se  terminaient  par  la  suppura- 
tion. Ce  n'est  pas  l'effet  que  nous  voulons  obtenir  ici, 
car  la  fonction  glycogénique,  loin  d'être  alors  exagé- 
rée, se  trouverait  complètement  anéantie.  Il  nous  faut 
produire  une  simple  excitation  permanente  comme 
celle  qui  existe  dans  la  moitié  de  la  tête  de  ce  lapin,, 
mais  sans  que  la  santé  générale  soit  le  moins  du  monde 
atteinte.  Car  si  l'animal  était  un  peu  affaibli,  si  la  plaie 
que  nous  lui  avons  pratiquée  l'avait  rendu  malade, 
vous  verriez  aussitôt  tout  le  côté  de  la  tête  être  pris 
d'inflammation  et  de  suppuration.  C'est  là  l'écueil  que 
nous  cherchons  à  éviter  en  coupant  les  nerfs  sympa- 
thiques du  foie. 

Revenons  à  l'expérience  qui  se  passe  sous  vos  yeux. 
Voilà  notre  animal  qui  a  été  empoisonné  par  le  curare 
et  que  nous  continuons  à  insuffler.  Le  temps  n'est  pas 
encore  suffisant  pour  que  nous  trouvions  du  sucre  dans 
les  urines,   mais  il  y  en  déjà  certainement  dans   le 


DIABÈTE    ARTIFICIEL.  361 

sang,  ainsi  qu'il  est  facile  de  yous  le  montrer.  Pour 
cela  nous  ouvrons  la  veine  jugulaire,  et  vous  voyez  le 
jet  s'échapper  comme  à  l'ordinaire,  ce  qui  prouve  que 
la  circulation  continue  ;  nous  le  traitons  par  le  sulfate 
de  soude,  et  le  liquide  qui  en  résulte  donne  une  réduc- 
tion abondante  avec  le  tartrate  cupro-potassique.  Voici 
les  urines  qui  coulent  par  la  sonde,  placée  à  demeure 
dans  la  vessie,  elles  ne  contiennent  pas  encore  manifes- 
tement du  sucre.  Mais  dans  la  prochaine  séance,  nous 
aurons  soin  de  mettre  sous  vos  yeux  une  expérience 
commencée  plus  tôt. 

Enfin  j'ai,  en  terminant,  à  vous  dire  quelques  mots 
d'une  expérience  que  nous  avons  faite  sous  vos  yeux, 
dans  la  dernière  séance,  et  dont  nous  devions  vous 
montrer  les  résultats  aujourd'hui.  Nous  avions  coupé 
les  pneumo-gastriques  à  un  chien,  entre  le  foie  et  le 
poumon,  et  nous  devions  vous  faire  voir  que,  contrai- 
rement à  ce  qui  a  lieu  quand  on  coupe  les  mômes  nerfs 
dans  la  région  cervicale,  le  sucre  continue  à  se  sécré- 
ter dans  le  foie.  L'animal  est  mort  des  suites  de  cette 
opération;  à  Tautopsie,  nous  avons  trouvé  que  la  veine 
cave  avait  été  piquée,  et  que  le  sang  remplissait  la 
poitrine.  Cet  accident  peut  arriver  quelquefois,  et  il 
est  bon  de  vous  montrer  ces  insuccès,  car  vous  voyez 
ainsi  que  les  personnes  qui  ont  le  plus  l'habitude  des 
vivisections,  peuvent  échouer  dans  une  expérience.  Si 
donc  vous  ne  réussissiez  pas  du  premier  coup,  ce  ne  doit 
pas  être,  pour  vous,  un  motif  de  découragement,  mais 
cela  vous  indique  qu'il  y  a  un  apprentissage  à  faire 
dans  loute  science,  surtout  dans  celle  des  êtres  vivants 


362  INFLUENCE  NERVEUSE  SUR  LE   FOIE. 

sur  lesquels  l'expérimentation  sera  toujours  nécessaire- 
ment moins  facile  que  dans  tout  autre  sujet.  Mais  je 
ne  veux  pas  que  vous  perdiez  les  résultats  de  cette 
expérience,  et  nous  vous  la  montrerons  dans  une  des 
prochaines  séances. 


DIX-NEUVIE>]E   LEÇON 

3  MARS  IS55. 


SOMMAIRE  :  Nouvelle  expérience  sur  l'empoisonnement  par  le  curare,  et  ré- 
sultats de  la  précédente.  —  Expériences  sur  des  lapins.  —  Apparition  du 
sucre  dans  les  urines  à  la  suite  de  l'intoxication  par  le  curare.  —  Autres 
phénomènes.  —  Réflexions  sur  la  distinction  entre  l'excitation  et  l'irri- 
tation. —  Exemples  et  applications.  —  Perversion  de  la  fonction  glycogé- 
nique.  —  Expériences  à  ce  sujet.  —  Particularités  de  ces  expériences.  — 
Production  spontanée  du  sucre  dans  le  foie  d'un  animal  mort  dans  cer- 
taines conditions.  —  Manuel  opératoire  de  l'expérience.  —  Hypothèses  sur 
la  production  de  ce  phénomène.  Part  de  l'action  nerveuse.  —  Part  de  la 
fermentation.  —  Résultats  de  l'expérience  sur  l'empoisonnement  par 
le  curare. 


Messieurs, 

Dans  la  dernière  leçon,  nous  avons  montré  des  exem- 
ples de  diabète  artificiel  produit  par  des  procédés  qui 
consistent  à  anéantir  par  le  curare  les  fonctions  de  la 
vie  extérieure.  Vous  avez  vu  que  sous  cette  influence 
les  sécrétions  devenaient  plus  actives,  et  que  le  foie, 
qui  est  lui-même  un  organe  sécréteur,  exagérait  sa  pro- 
duction de  sucre  qui,  dès  lorSj  se  répandait  dans  le 
sang  et  finissait,  au  bout  d'environ  deux  heures,  par 
apparaître  dans  les  urines.  Voici  celles  de  l'animal  qui 
avait  été  empoisonné  au  commencement  de  la  séance 
dernière  et  dont  les  urines  n'étaient  pas  encore  su- 
crées à  la  fin;  nous  en  avons  recueilli  une- heure 
après,  et  vous  voyez  maiutenant  qu'elles  réduisent  abon- 


364  DIABÈTE  ARTIFICIEL. 

dammeiit  le  tartrate  cupro-polassique.  Du  reste,  nous 
avons  replacé  ici  sous  vos  yeux  un  autre  Chien  égale- 
ment empoisonné  par  le  curare  depuis  une  heure  et 
demie  environ;  on  pratique  l'insufflation  pour  que  les 
fonctions  organiques  ne  s'arrêtent  pas.  Nous  prendrons 
ses  urines  à  la  fin  de  cette  leçon  et  vous  verrez  que  le 
sucre  qui  n'y  est  pas  encore  y  aura  passé  alors  en 
grande  quantité. 

L'action  que  vousvoyez  se  produire  sous  vos  yeuxchez 
cet  animal  empoisonné,  sur  lequel  on  pratique  l'insuf- 
flation artificielle,  ne  provient  pas  d'une  excitation  du 
poumon,  par  le  fait  de  l'insufflation  artificielle  qui  se- 
rait transmise  ensuite  parlespneumo-gastriques  au  foie, 
suivant  un  mécanisme  analogue  à  celui  que  nous  avons 
décrit  pour  l'action  de  la  piqûre.  S'il  en  était  ainsi, 
nous  n'aurions  qu'une  excitation  locale  sur  le  foie,  et 
non  pas  une  excitation  plus  ou  moins  générale  sur  le 
système  glandulaire,  comme  vous  le  voyez  chez  ces 
animaux  soumis  à  l'influence  du  curare  ou  plutôt  pri- 
vés des  fonctions  de  la  vie  de  relation.  Du  reste,  l'ob- 
servation directe  montre  qu'il  n'en  est  point  ainsi, 
comme  le  prouvent  les  résultats  que  nous  avons  ob- 
tenus dans  les  deux  expériences  comparatives  suivantes  : 

Un  jeune  lapin,  bien  portant  et  en  digestion,  eut  les 
deux  vagues  coupés  dans  la  région  moyenne  du  cou,  les 
deux  filets  sympathiques  de  communication  entre  les 
ganglions  cervicaux,  furent  ménagés.  J'injectai  alors, 
sous  la  peau  du  dos,  2  centimètres  cubes  d'un  liquide 
contenant  en  dissolution  0^%'6  de  curare  dans  12  gram- 
mes d'eau.  Après  un  quart  d'heure,  l'animal  éprouva 


DIABÈTE  ARTIFICIEL.  36o 

les  effets  du  poison,  il  s'affaissa  et  resta  sans  mouve- 
ment, et  il  se  manifesta  des  contractions  convulsives 
dans  les  muscles  peauciers;  peu  à  peu  la  respiration 
baissa,  et  cessa  complètement  après  une  demi-heure. 
C'est  alors  qu'on  commença  l'insufflation,  qui  se  fit  à 
l'aide  d'un  tube  lié  sur  la  trachée  et  communiquant 
avec  un  soufflet.  Dès  les  premières  insufflations  le 
lapin  sembla  revenir,  mais  il  s'échappa  une  grande 
quantité  de  mucosités  par  la  trachée;  bientôt  les  respi- 
rations se  rétablirent  et  continuèrent  sans  le  secours 
de  l'insufflation  ;  la  salive,  les  larmes  coulaient  en  abon- 
dance, les  yeux  à  demi  clos  restaient  sensibles  (ce  qui 
n'eut  pas  lieu  chez  l'autre  lapin,  dont  les  véigues  n'a- 
vaient pas  été  coupés). 

Après  une  heure  trois  quarts  environ  on  examina 
l'urine  qui  était  devenue  claire  et  est  très-abondante; 
elle  contenait  beaucoup  de  sucre.  Une  demi-heure 
après,  on  reprit  de  l'urine  qui  semblait  contenir  moins 
de  sucre;  les  respirations,  qui  étaient  spontanées,  bais- 
saient déplus  en  plus.  On  tua  l'animal  par  hémorrha- 
gie.  Le  sang  de  ses  artères  était  parfaitement  vermeil  et 
contenait  beaucoup  de  sucre  ;  on  ouvrit  le  ventre,  et 
l'on  trouva  les  organes  intestinaux  gorgés  de  sang,  les 
uretères  gonflés  et  très-irritables  ;  il  y  avait  beaucoup  de 
sérosité  dans  le  péritoine.  Le  foie,  qui  était  pale  par 
suite  de  l'hémorrhagie,  donna  une  décoction  opaline 
très-sucrée. 

Un  autre  lapin  de  la  même  taille,  de  la  même  por- 
tée, dans  les  mêmes  conditions  que  le  précédent,  re- 
çut, comme  lui,  sous  la  peau  du  dos,  deux  centime- 


366  DIABÈTE   ARTIFICIEL. 

très  cubes  de  la  même  dissolution  de  curare  conte- 
nant 0^'',0o  dissous  dans  12  centimètres  cubes  d'eau. 
Après  un  quart  d'heure  le  lapin  éprouva  les  effets  du 
poison  et  tomba  anéanti  présentant  quelques  contrac- 
tions inYolontaires  dans  les  muscles  peauciers;  mais 
pendant  une  heure  et  demie  encore  les  mouvements 
respiratoires  continuèrent,  après  quoi  ils  s'éteignirent. 
C'est  alors  quel'on  commença  l'insufflation  artificielle. 
Pendant  tout  ce  temps  il  y  eut  sécrétion  abondante  de 
larmes,  de  salive  et  d'urine.  Après  une  heure  et  demie, 
et  un  peu  avant  que  la  respiration  fût  éteinte,  on  exa- 
mina les  urines  du  lapin  qui  étaient  évidemment  su- 
crées. Dès  que  la  respiration  fut  arrêtée,  pour  que  l'a- 
nimal ne  mourût  pas,  on  pratiqua  l'insufflation. 

Pendant  les  quelques  moments  qu'on  avait  laissé  l'a- 
nimal sans  l'insuffler,  les  sécrétions  salivaire,  lacry- 
male et  urinaire  s'étaient  ralenties,  mais  aussitôt  qu'on 
reprit  l'insufflation,  les  sécrétions  furent  singulière- 
ment activées;  toutefois  les  yeux,  qui  étaient  saillants, 
devinrent  complètement  insensibles,  ce  qui  n'avait  pas 
lieu  dans  les  cas  précédents.  On  cessa  à  dessein  pen- 
dant quelques  instants  l'insufflation,  le  sang  devint  aus- 
sitôt noir  dans  les  artères,  les  sécrétions  diminuèrent 
d'intensité  et  le  sucre  diminua  lui-même  dans  Turine. 
Aussitôt  qu'on  recommença  l'insufflation,  le  sang  re- 
devint vermeil,  circula  plus  activement,  les  sécrétions 
coulèrent  plus  abondamment  et  l'urine  qu'on  retira 
était  beaucoup  plus  sucrée  que  la  précédente.  On  ré- 
péta cette  expérience  à  différentes  reprises,  et  chaque 
fois  on  obtint  des  résultats  analogues,  puis  enfin  on 


DIABÈTE  ARTIFICIEL.  367 

abandonna  l'animal  à  lui-même  et  on  le  laissa  mourir 
d'asphyxie.  Il  se  passa  encore  longtemps  jusqu'au  mo- 
ment où  la  respiration  fut  éteinte;  alors  on  fit  son  au- 
topsie ;  le  foie  contenait  peu  de  sucre  et  l'urine  n'en 
présenta  plus  du  tout. 

Ainsi,  chez  ces  deux  lapins,  outre  les  détails  inté- 
ressants que  ces  deux  expériences  renferment,  elles 
prouvent  que  l'apparition  du  sucre  a  été  possible  mal- 
gré la  section  des  pneumo-gastriques,  puisqu'un  seul 
de  ces  animaux  avait  été  soumis  à  cette  opération. 

Nous  pourrions  encore,  Messieurs,  vous  citer  bien 
d'autres  procédés  pour  produire  le  diahèle  artificiel  par 
une  excitation  du  système  nerveux  de  la  vie  organique 
sous  l'influence  duquel  le  foie  se  trouve  placé.  Mais  il 
nous  suffisait  de  vous  indiquer  la  multiplicité  des 
moyens  par  lesquels,  en  physiologie,  on  peut  arriver 
au  même  résultat,  ce  qui  démontre  l'union  et  la  dépen- 
dance de  tous  les  systèmes  organiques  entre  eux.  Dans 
tous  les  cas,  il  faut  que  le  foie  se  trouve  excité  soit  d'une 
manière  directe,  soit  d'une  manière  indirecte.  Ce  qu'il 
est  surtout  important  de  fixer  ici,  et  c'est  là  une  vérité 
générale  qui  s'appliquera  à  beaucoup  d'autres  actions 
organiques  et  aux  sécrétions  en  particulier,  c'est  que 
cette  excitation  ne  doit  pas  dépasser  certaines  limites 
sous  peine  d'agir  d'une  manière  inverse  et  de  produire 
la  dépression  ou  même  l'anéantissement  complet  des 
fonctions  qu'on  voudrait  activer. 

Ainsi  nous  venons  de  voir  qu'une  excitation  légère 
portée  sur  le  système  nerveux  active  la  sécrétion  du  su- 
cre. Mais  si  l'on  dépasse  ces  limites  et  surtout  si  l'on 


:m  EXCITATION,    IRRITATION. 

arrive  à  déterminer  des  douleurs  violentes  chez  les  ani- 
maux, la  sécrétion  du  sucre  s'arrête  immédiatement. 
C'est  ainsi  que,  si  l'on  pratique  l'ouverture  de  la  co- 
lonne vertébrale  pour  mettre  à  nu  la  moelle  épinière,  on 
vsit  le  sucre  diminuer  rapidement,  et,  si  l'on  fait  l'au- 
topsie quelques  heures  après,  il  peut  arriver  que  le 
foie  ne  contienne  que  peu  de  sucre  ou  même  pas  du 
tout. 

Si  encore  on  asphyxie  un  animal  lentement,  les  an- 
goisses de  l'agonie  font  encore  disparaître  le  sucre. 
Ceci  prouve  donc  que  les  douleurs  violentes,  c'est-à-dire 
les  troubles  profonds  apportés  dans  les  organes  de  la 
vie  extérieure,  troublent  et  arrêtent  les  fonctions  sécré- 
toires  organiques,  et  nous  ne  trouverons  plus  étonnant 
dès  lors  que,  quand  nous  supprimons  cette  cause  de 
trouble,  c'est-à-dire  la  sensibilité,  comme  chez  cet  ani- 
mal  sous  l'influence  du  curare,  nous  voyons  les  sécré- 
tions marcher  avec  plus  d'activité. 

En  appliquant  d'une  manière  générale  la  proposi- 
lion  que  nous  venons  d'émettre,  il  faut  reconnaître 
qu'il  y  a  dans  l'action  portée  sur  un  organe  deux  de- 
grés entre  lesquels  il  est  difficile  d'établir  une  limite 
(ranchée,  mais  qui  cependant  doivent  être  distingués, 
puisqu'ils  produisent  des  effets  diamétralement  oppo- 
sés. L'un  serait  \ excitation,  l'autre  Xirritation  propre- 
ment dite.  Ainsi,  pour  vous  en  donner  un  exemple, 
prenons,  si  vous  voulez,  une  fonction  bien  connue,  la 
sécrétion  du  suc  gastrique  qui  a  été  étudiée  par  Beau- 
mont  sur  l'homme  et  par  d'autres  observateurs  au 
moyen  de  fistules  pratiquées  à  l'estomac  sur  les  ani- 


EXCITATION,    IRRITATION.  369 

maux.  Oii  a  vu  que,  quaudl'estomac  était  vide,  et  que, 
par  conséquent,  la  sécrétion  du  suc  gastrique  n'avait 
pas  lieu,  si  Ton  venait  à  promener  sur  les  parois  sto- 
macales une  liaguette  de  verre  bien  polie,  de  façon  à 
agir  très-doucement  sur  la  membrane  muqueuse,  ou 
si  l'on  frottait  avee  une  éponge  très-fine  la  muqueuse 
stomacale,  celle-ci  devenait  rouge  de  pâle  qu'elle  était 
d'abord,  et  le  suc  gastrique  sortait  en  abondance  des 
ijlandules  qui  le  produisent,  comme  cela  a  lieu  quand 
il  y  a  des  aliments  dans  l'estomac.  On  déterminait  ainsi 
une  simple  excitation  analogue  à  celle  qui  a  lieu  dans 
Fétat  normal  pendant  la  digestion. 

Mais  si,  au  lieu  d'exercer  des  attouchements  modérés, 
oi]  venait  à  frotter  rudement  la  paroi  de  l'estomac,  si 
ou  la  grattait  fortement  avec  un  corps  dur  et  rugueux, 
les  choses  changeaient  de  face;  au  lieu  de  produire 
una  plus  grande  abondance  de  suc  gastrique,  on  faisail 
disparaître  celte  sécrétion;  la  surface  interne  de  l'es- 
tomac devenait  d'un  rouge  vifet  ne  laissait  plus  suinter 
aucun  liquide.  Dans  ce  dernier  cas,  on  avait  déterminé 
non  plus  une  excitation,  mais  une  irrilation  véritable. 

Vous  voyez  qu'il  en  est  tout  autrement  dans  l'or. Ire 
physiologique  que  dans  l'ordre  mécanique  abstrait, 
qu'à  une  force  double  ne  correspond  pas  toujours  un 
résultat  proportionnel.  Il  y  a  dans  tous  ces  phénomènes 
des  limites  dans  lesquelles  l'accroissement  de  l'action 
correspond  à  une  augmenlation  du  résultat;  mais,  la 
limite  dépassée,  le  rapport  devient  inverse,  et  l'ac- 
croissement de  l'action  produit  un  effet  d'autaut  moin- 
dre. Ajoutons  que  ces  limites  elles-mêmes  peuvent  en- 

BERNARD.    [.  2  4 


370  EXCITATION,    IRRITATION. 

core  changer,  car  la  quantité  d'action  qu'il  faut 
produire  pour  déterminer  une  excitation  ou  une  irri- 
tation est  extrêmement  variable,  non-seulement  entre 
des  individus  différents,  mais  aussi  pour  le  même  in- 
dividu pris  à  différentes  époques  de  sa  vie  et  dans  des 
conditions  de  santé  diverses. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  les  phénomènes  vitaux 
par  excellence  dans  lesquels  intervient  le  système  ner- 
veux, qu'on  observe  de  semblables  effets  ;  on  en  con- 
state aussi  d'analogues  dans  certaines  actions  chimiques 
des  liquides  organiques;  toutes  les  fermentations  sont 
dans  ce  cas.  La  température,  jusqu'à  un  certain  degré, 
augmente  leur  action  et,  passé  cette  limite,  l'activité 
diminue.  Ainsi  l'action  du  suc  gastrique,  qui  se  rap- 
proche de  celle  des  ferments,  commence  à  agir  vers 
17  degrés,  atteint  son  summum  d'énergie  à  35  à  40'', 
diminue  vers  45  à  50°  et  s'éteint  complètement  à  une 
température  plus  élevée. 

Enfin,  Messieurs,  pour  étendre  la  proposition  que 
nous  venons  d'énoncer,  nous  pourrions  lui  trouver  des 
analogues  en  dehors  de  l'organisme  :  tel  est,  parmi  un 
grand  nombre  d'autres,  le  fait  bien  connu  du  sulfate  de 
soude  qui  ne  se  dissout  pas  en  raison  directe  de  la  tem- 
pérature et  atteint  son  maximum  dcvsolubilité  à  40%7. 

Vous  voyez.  Messieurs,  que  nous  saisissons  à  dessein 
toutes  les  occasions  de  vous  montrer  combien  les  phé- 
nomènes delà  vie  sont  complexes  et  combien  il  faut  re- 
doubler de  soins  dans  l'analyse  physiologique;  c'est 
seulement  dans  cette  vue  que  nous  nous  sommes  per- 
mis la  petite  digression  que  nous  venons  de  faire. 


PERVERSION  DE  LA  GLYCOGÉNIE.  371 

Actuellement,  nous  avons  à  examiner  l'influence  que 
le  système  nerveux  peut  exercer  pour  pervertir  la  fonc- 
tion glycogénique.  Voici,  à  ce  sujet,  le  fait  extrême- 
ment intéressant,  au  point  de  vue  chimique,  auquel 
j'ai  été  conduit  en  faisant  des  expériences  sur  le  grand 
sympathique.  Je  recherchais  quelle  était  l'influence 
de  la  section  de  la  moelle  épinière  sur  les  fonctions  du 
foie,  et  j'ai  vu  que,  si  l'on  coupait  la  moelle  daus  la  ré- 
gion du  dos,  au-dessous  du  renflement  brachial,  la 
sécrétion  du  sucre  était  constamment  arrêtée,  de  sorte 
qu'au  bout  de  vingt-quatre  à  trente-six  heures  on  n'en 
trouvait  plus  du  tout  dans  le  tissu  hépatique.  Mais  si 
l'on  coupe  la  moelle  un  peu  plus  haut,  au-dessus  du 
renflement  brachial  et  au-dessous  de  l'origine  des  nerfs 
diaphiagmatiques,  qu'on  tue  l'animal  le  lendemain, 
on  observe  alors  un  phénomène  très-singulier  :  au  mo- 
ment même  où  l'on  extrait  le  foie  du  corps  de  l'aninic)! 
qu'on  vient  de  sacrifier,  si  l'on  traite  une  partie  de  cet 
organe  par  les  moyens  ordinaires  pour  y  reconnaître  la 
présence  du  sucre,  c'est-à-dire  si  l'on  en  fait  une  dé- 
coction, on  voit  que  le  tartrate  cupro-potassique  et  Ions 
les  réactifs  ordinaires  du  sucre  du  foie  ne  décèlenl  [wis 
la  présence  de  cette  matière  dans  le  liquide  de  décoc- 
tion. On  peut  démontrer  aussi  par  les  moyens  ordi- 
naires qu'il  n'y  a  pas  non  plus  dans  le  liquide  du  sucre 
delà  première  espèce;  mais  si  on  laisse  l'autre  partie 
du  fuie  sur  une  assiette,  abandonnée  à  l'air  extérieur,  et 
qu'au  bout  de  cinq  à  six  heures  on  traite  de  nouveau  le 
tissu  de  la  même  manière,  on  le  trouvera  chargé  de 
matière  sucrée. 


372  INFLUENCE    DE  LA   MOELLE   ÉPINIÈRE 

Ainsi,  au  moment  de  la  mort  de  l'animal,  le  sucre 
était  masqué  dans  le  foie,  ou  bien  la  transformation 
delà  substance  qui  lui  donne  naissance  était  sur  le 
point  de  s'accomplir  et  se  trouvait  seulement  arrêtée 
par  l'opération  qu'on  avait  fait  subir  à  l'animal.  Il  sem- 
blerait donc  qu'il  y  ait  ici  une  matière  susceptible  de 
se  transformer  en  sucre,  comme  dans  le  règne  végétal, 
où  le  sucre  n'arrive  que  comme  une  des  modifications 
de  l'amidon  et  de  la  dextrine.  Dans  le  foie,  nous  savons 
maintenant  que  ce  sont  les  matières  albumineuses  qui 
donnent  naissance  au  sucre;  seulement  il  s'agira  plus 
tard  de  rechercher  si  entre  cette  matière  albumineuse 
et  le  sucre  il  n'y  a  pas  d'autres  produits  intermédiaires 
qui  se  forment,  de  même  que  la  dextrine,  entre  l'ami- 
don et  le  glucose. 

Avant  d'entrer  dans  l'examen  de  cette  question  de 
chimie  vitale,  nous  avons  à  vous  dire  comment  se 
pratique  l'expérience,  et  quels  sont  les  trajets  par  les- 
quels passe  l'action  nerveuse.  Vuici  àce  sujet  quelques- 
unes  de  nos  observations  : 

Une  lapine  pleine  eut,  à  neuf  heures  du  matin,  la 
moelle  épinière  coupée  immédiatement  au-dessus  du 
renflement  brachial.  Au  moment  de  l'opération,  la 
respiration  était  accélérée;  bientôt  ensuite  elle  cessa. 
L'animal  se  refroidit,  comme  cela  a  toujours  lieu 
dans  des  circonstances  pareilles.  Revu  h  quatre  heures 
du  soir,  l'animal  n'était  pas  mort,  mais  il  était  para- 
lysé de  tout  le  train  postérieur  au-dessous  de  la  section, 
et  il  présentait  des  mouvements  réflexes  excessivement 
énergiques  dans  les  membres  postérieurs.  Seulement, 


SUR   LA   (iLYCOfjKMK.  Tii 

il  avait  rendu  une  quantité  énorme  d'excréments,  et  il 
on  rendait  continuellement,  en  faisant  des  mouvements 
continuels  de  sa  queue.  On  voyait  même  parfois  des 
mouvements  péristaltiques  violents  de  l'intestin  à  tra- 
vers la  peau.  A  ce  moment,  c'est-à-dire  sept  heures 
après  la  section  à  la  moelle,  l'animal  fut  tué  par  la  sec- 
tion du  bulbe  rachidien  ;  on  l'ouvrit,  et  l'on  constata 
que  toutes  les  parties  intérieures  du  corps  avaient  une 
contractilité  extrêmement  vive;  le  cœur  ballit  très- 
longtemps  et  ses  propriétés  semblaient  avoir  quelque 
rapport  avec  celte  irritabilité  intense  qu'on  observe 
chez  les  animaux  à  sang  froid. 

On  prit  alors  un  morceau  du  foie,  on  le  broya  avec 
de  l'eau,  on  le  sépara  en  deux  parlies,  l'une  que  l'on  fit 
cuire,  l'autre  qu'on  abandonnna  à  elle-même  dans  une 
éprouvette,  de  façon  qu'il  y  avait  une  partie  du  liquide 
rougeâtre  qui  surnageait  et  que  le  tissu  hépatique  tom- 
bait au  fond.  A  ce  moment,  les  liquides  ne  réduisaient 
pas  sensiblement  le  réactif  cupro-potassique;  la  décoc- 
tion présentait  une  teinte  opaline  et  était  neutre  ou  lé- 
gèrement alcaline. 

On  prit  encore  à  ce  moment  la  densité  du  liquide 
rougeâtre  surnageant  au-dessus  du  tissu  du  foie  non 
soumis  à  l'ébullition  ;  cela  fait,  on  abandonna  ces  deux 
dissolutions  précédentes,  ain;?i  que  la  partie  du  foie  qui 
n'avait  pas  été  employée  à  une  température  de  12  à  15 
degrés  centigrades.  Le  lendemain,  on  fit  cuire  dans 
l'eau  une  troisième  portion  du  foie  abandonnée  à  elle- 
même  depuis  la  veille;  cette  décoction,  faite  dans  les 
mêmes  conditions  que  la  précédente,  donnait  unedin-^ 


374  INFLUENCE   DE   LA    MOELLE   ÉPINIF.RK 

silé  plus  grande,  elle  élait  moins  opaline,  mais  elle  ré- 
duisait le  liquide  cupro-potassiqueavec  une  Irès-grande 
énergie.  On  mit  comparativement  dans  deux  tubes  à 
fermentation,  avec  de  la  levure  de  bière,  les  deux  dé- 
codions hépatiques,  V  celle  de  la  veille  réduisant  à 
peine  le  tartrate  cupro-polassique,  2"  celle  du  lende- 
main réduisant  abondamment  le  réaclif.  Cette  dernière 
donna  lieu  à  un  dégagement  d'une  grande  quantité  d'a- 
cide carbonique,  tandis  qu'il  ne  se  forma  dans  l'autre 
que  quelques  bulles  de  gaz. 

Cependant,  pensant  que  peut-être  le  foie  n'était  pas 
en'  ore  arrivé  à  son  état  de  plus  grande  saturation  de 
matière  sucrée,  je  pris  un  même  poids  de  foie  dans  une 
même  quantité  d'eau  que  précédemment,  et,  après 
l'avoir  fait  bouillir,  je  laissai  digérer  sur  les  cendres 
chaudes  pendant  trois  ou  quatre  heures,  entre  40  et 
50  degrés;  après  quoi,  je  portai  le  mélange  à  l'ébulli- 
lion.  Je  constatai  que  la  quantité  de  sucre  avait  évi- 
demment augmenté. 

Ledensimètre,  qui  marquait  5  la  veille,  marquait  15 
le  lendemain,  dans  la  même  dissolution  qui,  avec  le 
réactif,  donnait  alors  une  réduction  excessivement  abon- 
dante. 

On  voit  ainsi  que,  en  exposant  du  tissu  du  foie  broyé 
dans  de  l'eau  à  une  température  de  40  à  50  degrés 
cent.,  on  active  singulièrement  le  retour  de  la  matière 
sucrée  ;  c'est  là  ce  qui  explique  comment  il  peut  se  faire 
qu'il  apparaisse  un  peu  de  sucre  quant  on  fait  cuire 
un  liquide  pendant  que  celui-ci  arrive  à  l'ébullition.  Il 
jljerait  plus  convenable,  pour  arrêter  immédiatement 


SUR   LA  GLYGOGÉNIE   ANIMALE.  375 

cet  effet,  de  plonger  le  Ibie  dans  l'eau  bouillante,  pour 
ne  pas  passer  par  une  température  intermédiaire  pou- 
vant déterminer  la  production  d'une  certaine  quantité 
de  sucre  qui  ne  se  serait  pas  développé  sans  cela. 

Comme  détail  intéressant  de  l'expérience,  nous  avons 
observé  que  la  décoction  aqueuse  du  foie,  qui  élait  très- 
opaline  au  moment  de  la  mort  de  l'animal,  lorsque  le 
foie  ne  contenait  pas  de  sucre,  élait  devenue  moins  opa- 
que le  lendemain,  quand  il  y  avait  déjà  beaucoup  de 
sucre  formé,  et  enfin  élait  devenue  tout  à  fait  limpide 
dans  la  portion  que  nous  avions  soumise  à  la  chaleur 
et  qui  contenait  une  très-grande  proportion  de  matières 
sucrées. 

Une  autre  particularité  très-curieuse,  c'est  que,  en 
même  temps  que  ces  décoctions  du  foie  changent  d'as- 
pect, et  que  la  quantité  de  sucre  qui  s'y  forme  devient 
plus  considérable,  la  réaction  du  liquide  change  de  na- 
ture. La  première  décoction  hépatique,  qui  était  lou- 
che lorsqu'elle  était  faite  au  moment  de  la  mort,  quand 
le  foie  ne  contenait  pas  encore  de  sucre,  était  très- 
manifestement  alcaline  le  lendemain  quand  la  décoc- 
tion, devenue  plus  sucrée,  était  déjà  très-légèrement 
acide;  enfin  la  troisième  décoction,  placée  pendant 
quelques  instants  de  3o  à  40  degrés,  avait  une  réaction 
acide  très-manifeste. 

Nous  avons  répété  différentes  fois  cette  expérience, 
toujours  avec  le  même  résultat;  seulement  ces  phéno- 
mènes peuvent  se  manifester  avec  plus  ou  moins  d'in- 
tensité, suivant  que  la  température  ambiante  est  plus 
ou  moins  élevée,  ou  suivant  d'autres  circonstances  dont 


370  INFLIENCK   DE   LA   MOELLE   ÉPI>ilÈRE 

il  1:0ns  est  difficile  d'apprécier  aclueliement  les  diver- 
ses condilions. 

Mais  cette  expérience,  qui  est  une  des  plus  impor- 
tantes, devra,  comme  c'est  notre  habitude,  être  répefée 
devant  \ous. 

Voici  un  lapin  adulte  dans  un  état  de  parfaite  sanlé, 
sur  lequel  nous  faisons  la  section  de  la  moelle  épiiiière 
immédiatement  au-dessus  du  renflement  brachial  et 
au-dessous  cependant  de  l'origine  des  nerfs  diaphrau- 
matiques.  Pour  cela,  nous  suivons  du  doigt  les  apo- 
physes épineuses  des  vertèbres  du  dos,  en  remontant 
vers  le  cou,  et  nous  arrivons  ainsi  au  niveau  de  la  der- 
nière vertèbre  cervicale  où  s'insère  le  ligament  cervical 
postérieur.  La  colonne  vertébrale  présente  ici  une  in- 
flexion vers  la  partie  aniérieure,  en  même  temps  que 
les  apophyses  épineuses  deviennent  moins  saillantes, 
de  telle  façon  qu'il  est  presque  impossible  de  sentir  en 
cet  endroit,  à  travers  les  parties  molles,  les  apophyses 
épineuses,  qui  sont  très-profondément  situées.  C'est  en 
ce  point  qu'il  faut  plonger  l'instrument,  et  là  on  se 
trouve  silué  à  peu  près  entre  la  sixième  et  la  septième 
vertèbre  cervicale.  L'instrument  que  nous  employons 
est  une  espèce  de  pointe  en  fer  de  lance  assez  solide, 
comme  vous  le  voyez  ici. 

En  même  temps  que  nous  introduisons  l'instrunienl 
entre  deux  vertèbres,  nous  infléchissons  fortemeni, 
comme  vous  le  voyez,  la  lêle  de  l'animal,  pour  rendre 
plus  considérable  Técartement  entre  les  lames  verté- 
brales. Nous  coupons  ainsi  transversalement  la  moelle, 
et  vous  voyez  qu'au  momenl  où  nous  faisons  cette  sec- 


SIR  LA  GLYCOGÉM!-:.  377 

tion,  il  y  a  des  soubresauts  convulsifs  dans  le  tronc, 
au-dessous  de  la  section.  Actuellement  que  l'opération 
est  faite,  vous  voyez  l'animal  complètement  paralysé, 
mais  ses  respirations  ne  sont  pas  abolies,  elles  sont 
même  accélérées;  seulement  vous  pouvez  remarquer 
que  les  mouvements  respiratoires  se  font  surtout  pai' 
l'abdomen,  car  les  muscles  de  la  poitrine  ne  reçoivent 
plus  l'influence  nerveuse. 

Malgré  la  section  de  la  moelle  faite  au-dessus  de 
l'origine  du  plexus  cervical,  ce  lapin  pourrait  vivre  à 
la  rigueur  deux  jours  dans  cet  état,  surtout  si  l'on 
avait  soin  de  le  maintenir  dans  un  endroit  chaud. 

Mais,  quoi  qu'il  en  soit,  bientôt  nous  verrons  les 
respirations  diminuer  en  nombre  et  en  intensité;  l'a- 
nimal se  refroidira  en  même  temps  que  les  mouvements 
réflexes  qu'on  pourra  produire  dans  son  tronc  devien- 
dront plus  faciles  à  exciter.  Cette  excitabilité  se  mani- 
festera même  sur  les  organes  intérieurs,  car  on  obser- 
vera des  mouvements  périst;iltiques  très-actifs  dans  les 
intestins,  qui  seront  suivis  d'une  défécation  presque 
continuelle. 

Il  faut  avoir  soin  de  ne  pas  attendre  que  l'animal  soit 
mort,  parce  que  alors  cette  transformation,  que  nous 
avons  vue  s'effectuer  quand  on  a  retiré  le  foie  du  corps, 
pourrait  commencer  iiprès  la  mort, et  nous  trouverions 
alors  le  foie  sucré  comme  s'il  eut  été  placé  en  dehors 
de  l'organisme.  C'est  en  général  au  bout  de  huit  à  dix 
heures  qu'il  est  convenable  de  sacrifier  les  animaux, 
parce  qu'alors  le  sucre  contenu  dans  leur  foie  a  eu  le 
temps  de  disparaître  pour  être  remplacé  par  cette  ma- 


378  INFLUENCE   DE   LA    MOELLE   ÉPINIÈRE 

lière  que  uous  ne  connaissons  pas  encore,  mais  qui  su- 
bil  la  transformation  glycosique. 

Que  s'est-il  passé  dans  cette  expérience,  et  comment 
pouvons-nous  comprendi  eanatomiquement  l'influence 
si  différente  qu'exerce  la  section  de  la  moelle  épinière 
sur  le  foie;  car  nous  avons  dit  que  la  section  de  la 
moelle  au-dessous  du  renflement  brachial  produit  pu- 
rement et  simplement  la  disparition  du  sucre  dans  le 
foie,  tandis  que  celte  même  section  au-dessus  de  ce 
même  renflement  a  pour  effet  d'opérer  une  perversion 
dans  la  fonction  glycogénique?  Dans  ce  cas,  Messieurs, 
il  faut  voir  là  une  action  particulière  du  renflement 
brachial  de  la  moelle  agissant  sur  le  foie  comme  un 
véritable  centre  nerveux. 

On  sait  déj.à  que  cette  portion  de  la  moelle  épinière 
joue  le  rôle  d*un  centre  relativement  à  la  portion  cé- 
plialique  du  grand  sympathique.  Si,  par  exemple,  on 
g.ilvanise  cette  partie  de  la  moelle,  on  voit  que  la  pu- 
pille se  dilate  absolument  comme  quand  on  opère  sur 
le  filet  cervical  du  grand  sympathique  lui-même,  de 
sorte  que  cette  action  qu'on  produit  sur  la  pupille 
émane  en  réalité  de  cette  portion  de  la  moelle  épinière 
dont  les  filets  sympathiques  ne  doivent  être  considérés 
que  comme  les  conducteurs. 

Nous  pensons  que  dans  le  cas  de  notre  opération  le 
foie  reçoit  également  par  des  filets  du  grand  sym- 
pathii|ue  provenant  de  celte  région  de  la  moelle 
une  influence  spéciale.  Quand  nous  avons  en- 
levé préalablement,  dans  certains  cas,  le  ganglion 
cervical   inférieur   et   le    premier    thoracique,    nous 


SLR  LA   GLYCOGÉME.  379 

n'avons    pas  alors   observé   ces    effets    se  produire. 

Si  l'on  voulait  analyser  le  phénomène  plus  profon- 
dément et  rechercher  comment  il  peut  se  faire  que  sous 
Tinfluence  de  celte  action  nerveuse,  quelle  que  soit  sa 
source,  nous  obtenons  une  perversion  et  une  espèce 
d'arrêt  dans  le  développement  de  la  matière  glycogé- 
nique,  on  arriverait  à  conclure  qu'il  se  forme  là  une 
substance  intermédiaire  qui  se  change  ensuite  sous  nos 
yeux  en  matière  sucrée  par  un  mécanisme  analogue  à 
celui  des  fermentations.  Nous  avons  vu,  en  effet,  que, 
lorsqu'on  fait  bouillir  le  foie,  on  empêchait  celte  ac- 
tion de  se  produire,  tandis  que,  lorsqu'on  n'avait  pas 
coagulé  les  matières  organiques  par  l'ébullition,  cette 
matière  se  développait  d'autant  plus  rapidement  que  la 
température  était  plus  élevée  en  ne  dépassant  pas  tou- 
tefois certaines  limites. 

Peut-on  supposer  que,  par  suite  de  la  section  de  la 
moelle  épinière,  l'action  nerveuse  ait  été  diminuée  au 
point  de  permettre  seulement  une  transformation  par- 
tielle ou  incomplète  de  la  matière  albuminoïde  primi- 
tive? Ou  bien  doit- on  penser,  et  c'est  à  cette  dernière 
hypothèse  que  je  m'arrêterais  volontiers,  que  l'action 
nerveuse  sur  le  foie  s'exerce  toujours,  qu'elle  y  est 
même  exagérée,  mais  que  seulement  la  température  de 
l'animal  s'abaissant,  la  fermentation  de  la  matière  su- 
crée ne  peut  plus  avoir  lieu  pour  opérer  la  formation 
complète  de  la  matière  sucrée?  Cette  supposition  se 
trouve  appuyée  par  ce  fait,  que  l'apparition  du  sucre 
est  d'autant  plus  rapide  quand  on  extrait  le  foie  de 
l'animal,  qu'on  l'expose  à  une  température  plus  éle- 


^RO  l'EHVERSION   DE   LA   GLYCOGÉNIE. 

Aéo;  (le  telle  sorte  que  nous  devrions  en  définitive  con- 
sidérer le  système  nerveux  comme  agissant  pour  pré- 
parer une  matière  autre  que  le  sucre,  mais  pouvant  se 
transformer  en  cette  substance  sous  l'influence  d'une 
fermentation  pure  et  simple  qui  aurait  lieu  dans  le 
foie. 

Nous  vous  donnerons  dans  \a  prochaine  séance  plus 
de  développement  sur  l'explication  de  cette  expérience, 
une  des  plus  intéressantes  au  point  de  vue  de  l'influence 
que  le  système  nerveux  peut  exercer  sur  les  actions 
chimiques. 

Nous  rapprochons  ces  phénomènes  d'autres  faits 
que  nous  avons  découverts  cette  année,  et  dont  nous 
avons  déjà  dit  quelques  mots.  Ce  sont  ces  transforma- 
tions de  matières  albuminoïdes  en  matières  sucrées, 
qui  s'opèrent  chez  les  fœtus  dans  certains  états  de  la 
vie  embryonnaire  et  en  coïncidence  avec  le  développe- 
ment des  tissus.  Plus  tard,  dans  l'état  adulte,  les  tissus 
cessent  d'être  le  siège  de  ces  phénomènes,  et  c'est  le 
foie  qui  désormais  devient  le  seul  point  de  l'organisme 
où  se  localisent  ces  productions  sucrées,  en  rapport 
avec  le  développement  des  éléments  nécessaires  à  la  ré- 
novation des  tissus. 

Maintenant,  revenons,  en  terminant,  sur  l'animal 
empoisonné  par  le  curare  qui  est  devant  vous,  et  qui 
ne  diffère  de  celui  que  je  vous  ai  déjà  montré  dans  la 
séance  précédente,  qu'en  ce  qu'il  est  à  jeun,  tandis  que 
l'autre  était  en  digestion.  Vous  voyez  que  toutes  ses 
fonctions  nutritives  sont  exagérées,  et  ses  sécrétions  se 
produisent  en  abondance.   Nous  lui  avons  placé  des 


DIABÈTE   ARTIFICIEL.  381 

tubes  dans  les  conduits  de  diverses  glandes,  dans  le 
conduit  de  la  parotide  et  de  la  sous-maxillaire.  Les  li- 
quides qui  en  coulent  sont  aussi  abondants  que  si  les 
organes  masticateurs  fonctionnaient,  ou  que  si  l'on  avait 
placé  du  vinaigre  sur  la  muqueuse  buccale;  mais  il  y 
a,  en  outre,  le  fait  singulier  que  ces  deux  glandes  ne 
sont  pas  également  excitées.  Vous  pouvez  voir,  en  effet, 
que  la  gl:mde  sous-maxillaire  fournil  une  quantité  de 
liquide  bien  plus  abondante  que  la  parotide,  ce  qui 
lient  peut-être  à  ce  qu'elle  reçoit  une  plus  grande  quan- 
tité de  nerfs  ganglionnaires,  et  qu'elle  se  trouve  liée 
ainsi  d'une  manière  bien  plus  intime  à  l'action  du  sys- 
tème sympathique.  Sa  sécrétion  est,  en  effet,  trois  ou 
quatre  fois  plus  considérable  que  la  sécrétion  paioli- 
dienne.  Remarquez  aussi,  en  passant,  la  différence  qui 
existe  entre  les  deux  liquides  :  celui  de  la  parotide  est 
fluide  comme  de  l'eau,  celui  de  la  sous-maxillaire  est 
niant  et  visqueux;  il  en  est  de  mêmeàl'élat  normal.  Les 
actions  nutritives  ne  sont  nullement  interrompues  et 
c'est  encore  là  un  exemple  de  leur  indépendance  vis- 
à-vis  du  système  nerveux  de  la  vie  de  relation.  Quant 
aux  urines  que  l'on  vient  de  recueillir,  vous  voyez,  h 
l'abondance  de  la  réduction  qu'elles  déterminent  dans 
le  liquide  cupro-potassique,  qu'elles  sont  extrêmement 
sucrées. 


VINGTIEME  LEÇON 

6  MARS  1855. 


SOMMAIRE  :  Expéricncps  sur  des  lapins  auxquels  on  coupe  la  moelle  épi- 
nière  au-dessus  du  renflement  brachial.  —  Phénomènes  singuliers  produits 
sur  le  foie.  —  Hypothèses  sur  ces  phénomènes.  —  Découverte  de  la  pro- 
duction de  la  matière  sucrée  dans  les  muscles  et  dans  les  poumons 
du  fœtus.  — Acide  lactique.  Moyens  d'obtenir  ce  sucre  du  fœtus  à  une  tem- 
pérature basse.  —  Procédé  pour  obtenir  l'acide  lactique.  —  Tous  les  tissus 
de  l'embryon  ne  dorment  pas  du  sucre.  —  Le  sucre  se  forme  aux  dépens 
d'une  matière  albumineuse  insoluble.  —  Preuves  physiologiques.  — 
Preuves  chimiques.  —  Découverte  de  Lehmann,  qui  transforme  l'héma- 
tine  en  sucre. 


Messieurs, 

Nous  allons  entrer  aujourd'hui  dans  le  mécanisme 
intime  de  la  formation  du  sucre  dans  le  foie.  Vous  vous 
rappelez  que  nous  avons  fait,  dans  la  dernière  séance, 
une  expérience  fort  singulière,  et  qui  doit  servir  à  nous 
guider  clans  cette  voie.  INous  avons  coupé  la  moelle 
à  deux  lapins,  à  deux  hauteurs  différentes,  et  nous 
avons  vu  que,  quand  on  opérait  la  section  au  -dessus 
du  renflement  brachial,  ce  qui  se  fait  en  plongeant 
l'instrument  entre  la  sixième  et  la  septième  vertèbre 
cervicale,  à  peu  près  entre  lesomiTiet  des  deux  épaules, 
on  produisait  dans  le  foie  une  moditication  toute  parti- 
culière, une  sorte  de  perversion  de  la  sécrétion,  ou 
plutôt  un  véritable  arrêt  dans  la  série  des  transforma- 
tions qui  s'opèrent  dans  le  foie  pour  changer  en  suer 


PERVERSION   DE   LA   GLYCOGÉNIE.  :i^:i 

les  nialières  albuiuinoïdes  du  ?ang.  Quand  on  coupe  la 
moelle  en  ce  point,  le  sucre  disparaît  bien  du  foie,  mais 
il  y  reparaît  bientôt  comme  s'il  élait,  pour  ainsi  dire,  à 
l'état  latent.  Voici  le  lapin  auquel  nous  avons  fait  l'o- 
pération ci-dessus  indiquée  dans  la  séance  précédente, 
et  que  nous  avons  tué  le  lendemain.  Au  moment  de  la 
mort  il  ne  présentait  pas  d'indice  de  sucre  dans  sou 
foie.  Voici,  en  effet,  la  décoction  d'une  partie  de  cet 
organe  faite  au  moment  même  de  l'autopsie;  elle  ne 
contient  pas  la  moindre  trace  de  matière  sucrée.  Si, 
maintenant,  nous  reprenons  l'autre  portion  deceméme 
foie  qui  a  été  abandonnée  à  elle-même  et  qu'on  en  fasse 
une  décoction,  vous  verrez  qu'elle  contient  maintenant 
énormément  de  matière  sucrée. 

Si,  ayant  pris  le  tissu  du  foie  de  ce  même  animal  au 
moment  de  sa  mort,  on  l'avait  broyé  avec  de  l'eau  ordi- 
naire, puis  qu'on  eût  filtré  ce  mélange,  le  liquide  qui 
aurait  passé  n'eût  décelé,  par  aucun  des  moyens  physi- 
ques, ou  des  reactifs  chimiques,  la  présence  du  sucre. 
Observé  au  densimètre,  on  eût  trouvé  sa  densité  égale 
à  peu  près  à  celle  de  l'eau  ;  mais,  en  examinant  deux 
jours  après  ce  même  liquide  abandonné  à  lui-même, 
on  lui  trouvera  alors  tous  les  caraclères  d'une  dissolu- 
tion fortement  sucrée,  et  sa  densité  aura  considérable- 
ment augmenté. 

Si,  au  contraire,  on  fait  la  section  de  la  moelle  au- 
dessous  du  renflement  brachial,  comme  nous  l'avoi's 
pratiquée  sur  un  deuxième  lapin,  ces  mêmes  phéuc- 
mènes  n'ont  plus  lieu,  le  sucre  disparaît  du  foie,  mais 
il  n'est  plus  susceptible  d'y  revenir  quand  onabandoi  ne 


:^.S4  INFLUENCE    DE   LA   MOELLE   ÉPINIÈRE 

l'organe  à  lui-même  comme  dans  le  cas  précédent.  Vous 
voyez  aussi  que  l'aspect  du  foie  est  bien  différent  ;  il 
est  plus  ratatiné,  sa  couleur  est  d'un  brun  foncé,  et 
enfin  il  ne  contient  pas  la  moindre  trace  de  sucre,  bien 
qu'il  Y  ait  un  temps  suffisant  entre  le  moment  de  sa 
morl,  qui  a  eu  lieu  il  y  a  six  lieures  environ,  et  celui 
où  nous  l'examinons,  pour  que  cette  substance  ait  eu  le 
temps  de  se  manifester  si  elle  devait  le  faire.  Si  l'on 
examine  ultérieurement  ce  foie,  et  en  le  mettant  dans 
toutes  les  conditions  pour  que  le  sucre  revienne,  il  n'y 
reparaîtra  pas. 

Ce  fait  de  la  production  dans  un  organe  d'une  ma- 
tière qui  n'y  existait  pas  d'abord,  mais  qui  s'y  est  dé- 
veloppée par  une  sorte  de  fermentation,  est  certai- 
nement l'un  des  plus  étonnants  au  point  de  vue  des 
phénomènes  chimiques  qui  s'accomplissent  dans  l'or- 
ganisme. 

Nos  connaissances  actuelles  sur  les  décompositions 
des  matières  animales  ne  peuvent  nous  expliquer  cette 
production  du  sucre,  et  ces  questions  pbysiologiques 
étant  entièrement  neuves,  nous  sommes  obligé  de  faire 
des  hypothèses  afin  de  solliciter  des  expérimentations 
nouvellesqui  pounont  nousconduire  un  peu  plusluin. 
11  en  est  toujours  ainsi  quand  on  se  trouve  en  pi'ésence 
d'un  fait  nouveau,  extraordinaire,  qui  ne  se  rattache  à 
rien  de  connu.  On  ne  peut  faire  alors  que  des  hypo- 
thèses, avec  ]a  précaution  seulement  de  les  instituer 
de  telle  sorte  qu'elles  soient  toujours  véritlables  par 
une  expérimentation  dirigée  dans  cette  vue.  Comme 
ces  liypothèses  ne  sont  que  des  moyens  directeurs,  peu 


SUR  LA  GLYCOGÉME.  3,85 

nous  importe  que  le  résultat  de  l'expérimenfation  les 
confirme  on  non.  Nous  ne  devrons  jamais  conserver 
que  les  faits  nouveaux  que  ces  hypothèses  nous  auront 
fait  découvrir.  C'est  précisément  ici  le  cas  qui  se  pré- 
sente. D^s  lors,  donc,  deux  hypothèses  sont  possibles. 
On  peut  supposer  qu'en  coupant  la  moelle  au-dessus  du 
reiiflement  brachial,  ce  qui  réduit  ce  renflement  à  agir 
comme  un  centre,  par  l'intermédiaire  du  grand  sympa- 
thique, sur  le  foie  et  indépendant  du  cerveau,  on  di- 
minue l'influence  nerveuse  qui  arrive  au  foie.  Par  suite 
de  cette  diminulion  de  l'activité  nerveuse,  la  fonction 
glycogénique  serait  enrayée,  et  les  transformations  qui 
doivent  finalement  donner  du  sucre  seraient  arrêtées 
dans  un  état  intermédiaire  ;  car  il  est  probable  qu'entre 
la  matière  albuminoïde,  qui  donne  naissance  au  sucre, 
et  ce  dernier  produit,  il  y  a  une  série  de  passages  suc- 
cessifs, qui  nous  sont  encore  inconnus. 

Voici  une  première  hypothèse  ;  mais  elle  devient  peu 
probable,  lorsqu'on  examine  ce  qui  se  passe  chez  l'a- 
nimal vivant  auquel  on  fait  la  section  de  la  moelle 
au-dessus  du  renflement  brachial.  On  ne  voit  pas,  en 
effet,  que  Taction  nerveuse  soit  diminuée;  elle  parait 
au  contraire  exaltée.  Quand  on  ouvre  le  ventre  de  cet 
animal,  on  trouve  dans  cette  région  une  circulation 
plus  active,  les  urines  se  sécrètent  plus  abondamment 
que  dans  l'état  normal,  les  muscles  sont  plus  excita- 
bles, et  les  actions  réflexes  ont  une  très-grande  énergie. 
Ces  propriétés  persistent  après  la  mort  bien  plus  long- 
temps que  chez  les  animaux  qu'on  aurait  tués  brusque- 
ment sans  être  dans  ces  coïKiition^. 

BLUNAKD.    I.  2  5 


8  6  INFLCENCE  DE   LA   MOELLE   ÉPINIÈRE 

Il  semlile  que  celte  section  de  lamoelle  ait  déterminé 
ici  une  excitabilité  musculaire  et  nerveuse  beaucoup 
plus  persistante,  et  jusqu'à  uncerlain  [)oint  analogue  à 
ce  qui  a  lieu  chez  les  animaux  à  sang  froid. 

Mais  si  les  fonctions  du  système  nerveux  ne  parais- 
sent pas  diminuer,  si  les  sécrétions  semblent  s'accom- 
plir plus  énergiquement  qu'à  l'ordinaire,  il  n'y  en  a 
pas  moins  simullanément,  et  d'uue  manière  conslaiite, 
un  abaissement  de  température  notable.  Ce  dernier 
fait  peut  devenir  à  son  lour  la  source  d'une  deuxième 
hypothèse  plus  probable  que  la  piemière.  Cetle  nou- 
velle hypothèse  consisterait  à  dire  que  h  s  transforma- 
tions qui  se  font  dans  le  foie  ont  besoin,  non- seulement 
de  l'influence  nerveuse,  mais  aussi  d  une  température 
suffisante,  et  que  la  température  de  Tanimal  que  vous 
avez  sons  les  yeux  n'étant  plus  que  de  24  degrés  au  mo- 
ment où  nous  l'avons  sacrifié,  n'e^t  pas  suffisante  pour 
l'accomplissement  des  phénomènes  en  question.  Vous 
savez,  en  effet,  que  les  actions  vitales  chimiques  ne  peu- 
vent se  passer  d'une  certaine  quantité  de  chaleur,  et 
que,  chez  les  animaux  à  température  variable,  elles  s'ar- 
rêtent quand  le  refroidissement  est  arrivé  à  un  certain 
point,  bien  que  l'excitabilité  nerveuse  paraisse  alors 
plus  intense,  comme  cela  se  passe  justement  sur  nos 
lapins  auxquels  nous  avons  coupé  la  moelle  épinière. 
il  peut  en  être  de  même  pour  la  fonction  glycogénique  : 
la  température  à  laquelle  l'animal  se  trouve  descendu 
peut  n'être  plus  suffisante  pour  déterminer  la  série  des 
transformations  qui  donnent  finalement  du  sucre  ;  et 
ce  qui  prouve  que  la  chaleur  favorise  celte  formation. 


SUR  LA  GLYCOGÉME.  387 

c'est  que  si,  après  avoir  enlevé  le  foie  ainsi  modifié,  on 
l'expose  à  une  température  assez  élevée,  on  voit  bientôt 
le  sucre  apparaître  dans  le  tissu.  Il  en  serait  probable- 
ment de  même  si,  sans  extraire  l'organe  hépatique,  on 
plaçait  l'animal  dans  un  milieu  où  sa  température  nor- 
male, qui  est  de  37  à  40  degrés,  se  trouverait  main^ 
tenue  sans  amener  de  refroidissement.  Si,  au  coiitiaire, 
on  exposait  le  foie  à  une  basse  température,  le  sucre  ne 
s'y  formerait  que  très-lentement.  Ainsi  le  sucre  sem- 
ble réapparaiti'e  dans  le  foie  sous  les  mêmes  influences 
qui  font  que  les  fermenlations  se  développent.  Car  si, 
d'un  autre  côté,  on  jetait  le  foie  dans  l'eau  bouillante 
après  son  extraction  du  corps  de  l'animal,  les  matières 
albuminoïdes  se  trouvant  coagulées,  la  fermentation 
ne  pourrait  plus  avoir  lieu  et  le  foie  ne  serait  plus  sus- 
ceptible de  devenir  sucré. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  hypothèses,  qui  n'ont  pour 
nous,  comme  vous  le  savez^  qu'une  valeur  tout  à  fait 
secondaire,,  nous  nous  trouvons  en  présence  d'un  fait 
nouveau  très-extraordinaire  et  très-obscur.  Pour  jeter 
quelque  lumière  dans  cette  question,  nous  avons  à  re- 
chercher autour  de  nous  si  nous  ne  trouverions  pas,  dans 
les  animaux,  d'autres  exeii  pies  de  phénomènes  analo- 
gues et  d'autres  cas  dans  lesquels  il  se  formerait  une 
matière  sucrée  aux  dépens  d'une  substance  animale  et 
par  le  moyen  d'une  fermentation  semblable.  Nous 
avons  trouvé  des  conditions  dans  lesquelles  des  phéno- 
mènes tout  à  fait  analogues  ont  lieu,  et  dans  lesquelles 
on  voit  des  njatièn^s  organi(|ues  fermenter  et  donner 
naissance  à  des  principes  sucrés.  C'est  une  découverte 


388  GLYGOGÉiNIE  FŒTALE. 

que  nous  pouvons  rapprocher  (Je  celle  que  nous  venons 
devons  signaler  àpiopos  du  foie,  et  nous  aurons  encore 
par  là  une  démonstration  nouvelle  de  cette  proposition 
que  nous  avons  établie,  à  savoir,  que  le  sucre  n'est  pas 
une  production  d'origine  exclusivement  végétale,  mais 
qu'il  se  développe  aussi  dans  les  animaux,  et  qu'il  n'y 
a  pas,  sous  ce  rapport,  entre  les  deux  règnes,  cette  dis- 
tinction si  tranchée  qu'on  s'était  cru  fondé  à  y  voir. 

Nous  vous  avons  déjà  dit  quelques  mots  sur  les  phé- 
nomènes qui  se  passent  chez  le  fœtus  pendant  les  pre- 
miers temps  de  la  vie  embryonnaire,  avant  que  la  fonc- 
tion du  foie  soit  établie. 

C'est  dans  celle  période  qui  précède  Tapparition  du 
sucre  dans  le  foie  que  nous  voyons  des  fermentations 
glycosiques  se  montrer  dans  divers  tissus. 

Vous  vous  rappelez  sans  doute  qu'en  étudiant  les 
phénomènes  chimiques  qui  accompagnent  le  dévelop- 
pement de  l'embryon,  j'avais  été  conduit  à  voir  que, 
quand  on  abandonne  h  eux-mêmes  des  muscles  et  des 
poumons  dans  des  conditions  de  température  convena- 
bles, on  voit  que  ces  tissus  musculaire  et  pulmonaire 
deviennent  très-acides,  tandis  que  les  mêmes  tissus  pris 
sur  un  animal  adulte  fournissaient  facilement  des  pro- 
duits ammoniacaux  très-alcalins.  Cette  acidité  me  pa- 
raissait être  due  à  de  l'acide  lactique  . 

Voici  en  effet  cet  acide  et  des  sels  cristallisés  qu'il 
forme  avec  le  cuivre,  le  zinc  et  la  chaux,  et  dont  la 
préparation  a  été  faite  par  M.  Leconle. 

Ulc  fois  l'acide  lactique  bien  constaté,  nous  devions 
naturellement  penser,  d'après  les  connaissances  chimi- 


GLYCOGÉME    FŒTALE.  ^^^ 

ques  actuelles,  qu'il  décrivait  du  sucre,  car  nous  sa- 
vions que  l'un  des  moyens  de  l'obtenir  consiste  à  met- 
tre en  présence,  à  une  douce  chaleur,  du  sucre  et  des 
matières  albuminoïdes.  Il  y  avait  lieu  de  se  demander 
alors  si  les  fermentations  spontanées  que  nous  voyons 
s'opérer  sous  nos  yeux,  et  qui  aboutissent  à  la  forma- 
tion d'acide  lactique,  ne  présenteraient  pas  comme  in- 
termédiaire la  production  d'une  matière  sucrée.  C'est 
en  effet  ce  qui  a  lieu  :  nous  avons  extrait  de  ces  mus- 
cles du  sucre  ayant  tous  les  caractères  du  glucose,  et 
se  transformant,  sous  l'intluence  de  la  levure,  en  acide 
carbonique  et  en  alcool,  dont  voici  un  échantillon  très- 
concentré. 

Ces  expériences  sont  très-simples  à  faire  et  à  répé- 
ter; il  suffit  d'aller  prendre  dans  les  abattoirs  des  fœtus 
de  veaux  qui  y. sont  en  grande  abondance,  de  séparer 
leurs  poumons  et  leurs  muscles,  de  les  laver  et  d'y 
ajouter  de  l'eau  en  proportion  telle  que  les  tissus  soient 
complètement  immergés. 

Mais  quand  la  température  est  élevée,  la  fermenta- 
tion marche  si  vite  et  arrive  si  rapidement  à  la  produc- 
tion d'acide  lactique,  qu'il  est  très-difficile  de  saisir 
l'intermédiaire  sucré  par  lequel  elle  passe.  C'est  ce  qui 
nous  arrivait  l'été  dernier,  lorsque  nous  commençâmes 
ces  recherches. 

11  fallait  trouver  un  moyen  pour  faire  que  la  fermen- 
tation n'allât  pas  si  vite  et  que  le  sucre  pût  s'accumuler 
sans  se  détruire  aussitôt  après  sa  formation.  Nous  avons 
pour  cela  employé  diverses  substances,  et  celle  à  la- 
quelle nous  nous  sommes  arrêté  est  l'alcool.  Au  lieu 


390  GLYCOGÉNIE  FŒTALE. 

donc  (Je  laisser  biigiier  les  muscles  et  les  poumons  de 
nos  fœtus  dans  Teau  pure,  nous  les  placions  dans  de 
l'eau  additionnée  d'un  tiers  ou  d'un  quart  d'alcool.  Le 
liquide,  dans  ces  conditions,  se  charge  de  sucre  qu'on 
y  voit  apparaître  dès  le  lendemain. 

L'accès  de  l'air  est  un  des  plus  puissants  agents  de 
ces  fermentations,  et  il  est  convenable  de  tenir  ces 
produits  dans  des  flacons  bouchés  où  il  n'y  ait  pas  un 
trop  grand  renouvellemerit  d'air,  surtout  si  la  tempéra- 
ture se  trouve  élevée;  ou  voit  alors,  quand  on  recu(iile 
l'air  resté  emprisonné  dans  le  flacon  en  contact  avec  la 
matière  en  fermenlation,  qu'il  y  a  eu  disparition  de 
l'oxygène  et  formation  d'acide  carbonique.  Ce  gaz  ne 
peut  pas  provenir  de  la  fermentation  laclique,  qui  con- 
siste simplement  dans  la  fixation  d'un  équivalent  d'eau 
sur  le  sucre.  Provienl-il  de  la  fermentation  glycosique 
aux  dépens  de  la  matière  organique?  C'est  ce  que  nous 
ne  pouvons  pas  déterminer  encore. 

Voici,  par  exemple,  un  morceau  de  muscles  de  fœtus 
dans  de  l'eau  alcoolisée.  Si  je  prends  le  liquide  de  ma- 
cération, si  j'y  ajoute  du  tartratecuprc-potassiqueelsije 
fais  bouillir,  vous  voyez  une  réduction  extrêmement 
abondante  vous  accuser  l'existence  de  la  matière  sucrée. 

On  peut  concentrer  ce  liquide  en  lévaporant  à  sec, 
reprenant  par  l'eau  ;  puis  eu  retirer  le  sucre  et  en  ob- 
tenir finalement,  par  la  levure,  de  l'alcool  et  de  l'acide 
carbonique  au  moyen  du  dédoublement  que  vous  con- 
naissez tous. 

Mais  il  faut  toujours  éviter  toutes  les  objections,  et 
Ton  pourrait  dire  que  l'alcool  que  nous  obtenons  pro- 


GLYGOGÉNIE   FŒTALE.  391 

vient  de  celui  que  nous  avons  employé  et  qui  est  resté 
d'une  manière  quelconque  fixé  sur  les  substances  or- 
ganiques en  contact  desquelles  on  l'a  mis.  Cette  objec- 
tion n'est  pas  sérieuse,  car  nous  avons  toujours  fait 
évaporer  l'alcool  que  nous  avons  employé;  elle  porte- 
rait au  même  litre  sur  les  analyses  des  chimistes  qui 
ont  constaté  ainsi  dans  le  sang  la  présence  du  sucre. 
Nous  avons  cherché  cependant  à  nous  mettre  en  garde 
contre  celte  objection,  et,  pour  cela,  nous  avons  vu 
qu'il  sufiisait  de  placer  les  tissus  dans  l'eau  pure  dans 
des  conditions  de  température  assez  basse,  pour  que  la 
fermentation  glycosique  pût  s'opérer  sans  qu'elle  fût 
immédiatement  suivie  de  la  fermentation  lactique.  De 
celte  façon  nous  avons  pu  obtenir  du  sucre  reconnais- 
sabie  à  tous  ses  caractères.  Ce  sucre  fournissait,  en 
définitive,  de  l'acide  carbonique  et  de  l'alcool,  sans 
avoir  employé  la  substance  qui  est  le  produit  final 
qu'on  a  pour  but  de  rechercher. 

Nous  avons  donc  pris  des  poumons  ou  des  muscles 
de  veau  que  nous  laissions  baigner  dans  de  l'eau  or- 
dinaire à  une  température  de  +  5  à  -f  6°  seulement. 
Au  moment  même  de  leur  immersion,  les  muscles, 
bien  lavés  pour  les  débarrasser  de  leur  sang,  ne  conte- 
naient pas  de  trace  de  matière  sucrée.  Le  lendemain, 
l'eau  de  macération  présentait  déjà  une  certaine  pro- 
portion de  sucre;  elle  en  était  plus  chargée  le  sur- 
lendemain. Nous  enlevions  alors  celte  eau  que  nous 
faisions  bouillir  pour  détruire  les  matières  fermentes- 
cibl<  s,  et  nous  évaporions  pour  avoir  des  liquides  suffi- 
samment concentrés. 


392  GLYCOGÉNIE    FŒCALK. 

Si  nous  remplaçons  le  liquide  ([ue  nous  avions  en- 
levé par  une  nouvelle  quantité  d'eau  pure,  les  mêmes 
réactions  pouvaient  recommencer. 

Le  lendemain,  il  y  avait  seulement  dans  le  liquide 
des  traci^s  de  matière  sucrée  qui  augmentaient  le  jour 
suivant,  et,  aussitôt  qu'à  l'aide  du  réactif  cupro-polas- 
sique  nous  obtenions  une  réduction  considérable,  nous 
arrêtions  la  fermentation  avant  que  l'acide  lactique  se 
fût  formé  aux  dépens  du  sucre;  puis  nous  séparions 
le  liquide,  que  nous  faisions  bouillir  pour  arrêter  la 
fermentation  et  conserver  le  sucre,  que  nous  concen- 
trions par  une  évaporation  suffisante.  Nous  ajoutions 
de  nouveau  de  l'eau  aux  tissus  pulmonaire  et  muscu- 
laire, et  nous  pouvions  obtenir  ainsi  trois  ou  quatre 
infusions  sucrées,  après  quoi  la  matière  semblait  épui- 
sée, et  l'on  ne  pouvait  plus  en  retirer  de  sucre. 

C'est  avec  des  liquides  sucrés  obtenus  de  cette  façon 
que  nous  avons  retiré  l'alcool  que  nous  vous  montrons 
ici,  et  qui  brûle  parfaitement,  comme  vous  pouvez  en 
juger  tous. 

Si  nous  n'avions  pas  retiré  le  sucre  à  mesure  qu'il  se 
produisait,  bientôt  il  se  serait  formé  dans  la  liqueur 
une  réaction  très-acide,  par  suite  de  la  décomposition 
du  sucre  en  acide  lactique.  11  faut  que  la  fermentation 
marche  ainsi  lentement,  quand  on  veut  obtenir  ce  pro- 
duit. Si  la  température  est  trop  élevée  et  la  fermenta- 
tion trop  prolongée,  les  gaz  qui  se  dégagent  alors  de  la 
fermentation  sont  des  mélanges  d'acide  carbonique  et 
d'hydrogène,  et  l'on  trouve  de  l'acide  butyrique  dans 
la  liqueur. 


GLYCOGÉNIE   FŒTALE.  30:^ 

Mais,  pour  obtenir  seulement  de  l'acide  lactique,  on 
arrête  la  fermentation  à  un  certain  point,  et  l'on  em- 
ploie le  procédé  suivant,  qui  est  celui  dont  M.  Leconte 
s'est  servi.  On  sature,  à  l'aide  du  carbonate  de  chaux,  la 
liqueur  acide  provenant  de  la  fermentation  des  muscles 
ou  des  poumons  de  fœtus;  on  filtre  et  l'on  évapore  à 
siccité  au  bain-marie.  On  traite  alors  par  l'alcool,  qui 
sépare  le  résidu  en  deux  parties  :  l'une  soluble  et  l'autre 
insoluble.  On  ajoute,  dans  la  partie  alcoolique  soluble, 
de  l'acide  sulfurique  jusqu'à  ce  qu'il  y  en  ait  un  léger 
excès  de  manière  à  précipiter  toute  la  chaux,  et  en  se 
débarrassant  de  la  plus  grande  partie  de  l'alcool  par 
une  distillation  au  bain-marie,  après  avoir  ajouté  un 
excès  de  carbonate  de  plomb  et  un  peu  d'eau,  on  main- 
tient la  température  jusqu'à  ce  que  le  liquide  ne  rou- 
gisse plus  le  papier  bleu  de  tournesol;  on  filtre  pour  se 
débarrasser  de  l'excès  de  carbonate  et  de  sulfate  de 
plomb  :  il  reste  ainsi  le  sel  organique  (iactate)  de  plomb 
qu'on  évapore  au  bain-marie.  On  traite  derechef  le 
résidu  par  l'alcool,  on  obtient  encore  une  solution  al- 
coolique et  un  nouveau  résidu  insoluble,  La  solution 
alcoolique  doit  contenir  le  lactate  de  plomb.  On  sépare 
la  majeure  pai  lie  de  l'alcool  par  la  distillation ,  on 
ajoute  de  l'eau  et  l'on  se  débarrasse  par  l'ébullition  du 
reste  de  l'alcool.  On  fait  passer  alors  dans  la  liqueur 
un  courant  d'hydrogène  sulfuré  qui  forme  du  sulfure 
de  plomb,  qu'on  sépare  par  filtratiou.  On  concentre  de 
nouveau  le  liquide  très-fortement  au  bain-marie,  on 
traite  le  résidu  ainsi  obtenu  par  l'éther,  qui  laisse  une 
liqueur  brune,  insoluble,  et  enlève  une  substance  très- 


39i  GLYCOGÉNIE   FŒTALE. 

acide;  on  distille  l'éiher  au  bain-marie,  et,  après  avoir 
ajouté  de  l'eau  à  la  lijjueur  brunâtre  acide,  on  la  divise 
en  trois  parties  :  l'une,  saturée  par  le  zinc,  donne  lieu 
à  un  dégagement  d'hydrogène  très-infect  ;  la  deuxième, 
saturée  par  l'oxyde  de  cuivre,  se  colore  fortement  en 
vert;  la  troisième  est  saturée  par  le  carbonate  de  chaux. 

Ces  trois  liqueurs,  filtrées  et  abandonnées  à  l'évapo- 
ralion  spontanée  dans  des  verres  de  montre,  donnent 
lieu  à  des  crislaux  faciles  à  reconnaître  au  microscope 
pour  des  lactates  de  zinc,  de  cuivre  et  de  chaux.  Du 
reste,  la  liqueur  acide  présente  toutes  les  propriétés 
physiques  de  l'acide  lactique. 

Tous  ces  phénomènes  dont  nous  venons  de  parler 
sont  très-intéressants  pour  le  chimiste,  mais  ils  le  sont 
bien  plus  pour  le  physiologisti^,  parce  qu'ils  ne  se 
produisent  que  pendant  un  temps  déterminé  de  la  vie 
embryonnaire. 

En  effet,  cette  propriété  qu'ont  les  muscles  de  se 
convertir  en  sucie  est  tout  à  fait  temporaiie,  et  elle 
n'appartient  qu'au  fœtus,  et  senlemeut  pendant  les  pi'e- 
miers  temps  de  la  vie  intra-utérine;  car,  du  moment 
que  les  fonctions  du  foie  sont  établies,  les  phénomènes 
que  nous  venons  d'indiquer  cesst^nt  peu  à  peu  d'avoir 
lieu  dans  les  muscles  et  dans  les  poumons.  Voici,  en 
effet,  un  muscle  de  veau  âgé  d'un  an,  qui  a  été  mis 
depuis  très-longtemps  dans  de  l'eai  alcoolisée  et  qui 
n'a  développé  aucune  matière  sucrée,  tandis  qu'un 
muscle  de  la  même  partie  du  corps  d'un  fœtus  très- 
jeune  présente  du  sucre  en  très-grande  quantité;  ce 
dernier  liquide  réduit  abondamment  le  réactif  bleu, 


GLYCOGÉNIE    FŒTALE.  39o 

tandis  que  l'autre  ne  donne  aucune  espèce  de  précipité. 
11  y  a,  ainsi  que  vous  le  voyez,  une  différence  radicale 
dans  les  produits  de  la  décomposition  d<'s  chairs  mus- 
culaires et  pulmonaires  prises  à  ditrérents  âges. 

Dans  le  fœtus,  cette  décomposition  donne  lieu  à  une 
réaclion  acide  qui  est  un  caractère  de  la  viécomposition 
de  beaucoup  de  matières  végéiales,  et  là  nous  pouvons 
encore,  en  invoquant  de  nouveau  un  rapprochement 
entre  les  végétaux  et  les  animaux,  dire  qu'il  se  passe  en 
réalité,  dans  le  dév<doppement  des  iissus  animaux,  des 
phénomènes  chimiques  tout  à  fait  analogues  à  ceux  de 
la  germination.  En  effet,  dans  les  deux  cas,  les  jeunes 
embryons  animaux  ou  végétaux,  ou  plutôt  leurs  cellules 
organiques,  se  développent  dans  un  milieu  où  il  se 
forme  incessamment  de  la  matière  sucrée.  Les  éléments 
qui  servent  à  la  formation  des  divers  tissus  sont  main- 
tenus par  les  fermentations  dans  un  état  de  dissociation 
imminente  et  de  mobilité  continuelle,  quidoit  être  émi- 
nemment favorable  pour  faciliter  leur  assimilation.  Il 
y  aurait  là  quelque  chose  d'analogue  à  ce  que  les  chi- 
mistes appelleraient  les  éléments  nutritifs  à  ïétat  nais- 
sant. 

Du  reste.  Messieurs,  la  connaissance  de  tous  ces  phé- 
nomènes est  loin  d'être  complète.  Nous  n'avons  pas  en- 
core pu  saisir  ni  isoler  la  matière  qui,  dans  les  poumons 
et  les  muscles,  donne  naissance  à  du  sucre.  Nous  savons 
seulement  qu'elle  est  complètement  insoluble  dans 
l'eau,  dans  l'alcool  et  dansl'éther.  Ainsi,  nous  pouvons 
prendre  des  tissus  de  poumons  ou  de  muscles  de  fœlus, 
soit  à  1  état  frais  et  bien  lavés,  soit  après  les  avoir  fait 


396  (iLVCOi.EME   FŒTALE. 

préalablement  dessécher,  les  traiter  par  l'alcool  et  Té- 
llier  de  façon  à  les  épuiser  de  leurs  niatièies  solubles,  et 
les  remettre  ensuite  dans  de  l'eau,  nous  en  obtiendrons 
du  sucre  dès  le  lendemain  ou  le  suilendemain. 

Par  ces  traitements  alcooliques  on  sépare  des  mus- 
cles et  des  poumons,  une  matière  cristalline  nouvelle 
(luevousvoyezicisous  l'aspect  de  beaux  cristaux  nacrés, 
nageant  dans  l'alcool.  Cette  matière  a  presque  toutes 
les  propriétés  physiques  et  quelques-uns  des  caractères 
chimiques  de  la  cholestérine;  elle  est  en  lames  ou  ta- 
bles rectangulaires,  mais  elle  a  d'autres  caractères  qui 
sont  encore  à  déterminer  et  qui,  sansdoule,  seront  l'ob- 
jet de  l'étude  des  chimistes.  Dans  tous  les  cas,  cette  sub- 
stance n'a  en  rien  affaire  avec  le  sucie  puisque  le  tissu, 
après  en  être  débarrassé,  peut  encore  fournir  du  sucre 
et  que  la  matière  cristalline  séparée  n'en  donne  pas. 

Enfin,  Messieurs,  une  autre  particularité  extrême- 
ment remarquable  de  ces  découvertes  toutes  récentes, 
c'est  que  tous  les  tissus  ne  forment  pas  du  sucre  comme 
les  muscles  et  le  poumon.  Aucun  autre  organe  de  l'éco- 
nomie ne  donne  de  semljlables  résultats.  Ainsi  le  cer- 
veau et  la  moelle  épinière,  les  reins,  la  rate,  le  pan- 
créas, tout  le  système  glandulaire,  les  os,  les  tendons, 
les  cartilages,  la  peau,  mis  avec  de  l'eau  alcoolisée  ou 
pure  dans  les  mêmes  conditions,  ne  donnent  lieu  ni  à  la 
production  glycosique  ni  à  la  fermentation  lactique. 
Le  foie  lui-même,  quiseraplus  lard  l'organe  produc- 
teur de  la  matière  sucrée,  ne  se  développe  pas  dans  un 
milieu  sucré;  ressemblant,  en  cela  à  toutes  les  autres 
glandes  de  l'économie.  Il  se  passe,  sansdoule,  ici  d'au- 


GLYCOGÉNIE   FŒTALE.  397 

1res  phénomènes  que  nous  ne  connaissons  pas  encore, 
mais  sur  lesquels  nous  espérons  que  la  découverte  des 
fails  que  nous  venons  de  vous  annoncer  va  désormais 
appeler  l'attention.  iNous  remarquons,  en  outre,  qu'il  y 
aura  lieu  d'établir  o'es  rapprochements  entre  les  i issus 
qui  se  développent  dans  le  même  miUeu  chimique;  ce 
seront  là  des  sujets  de  recherches  d'un  liant  intérêt. 

Pour  le  moment,  nous  nous  bornons  à  constater  ce 
lait  très-important  :  c'est  que  nous  voyons  du  sucre  se 
produire  sur  place  aux  dépens  de  matières  neutres,  al- 
buminoïdes,  dans  lesquelles  il  était  impossible  d'en 
constater,  au  premier  moment,  la  présence.  Les  résul- 
tats que  nous  venons  de  vous  signaler  ont  été  principa- 
lement obtenus  sur  des  fœtus  de  veau  et  de  mouton, 
mais  ils  ont  été  vérifiés  sur  des  muscles  de  fœtus  dechaL 
de  chien,  de  lapin,  et  même  sur  des  muscles  et  des 
poumons  de  fœtus  humain.Toutes  ces  expériences  s'ac- 
cordent pour  établir  que  le  sucre  doit  et  peu  se  former 
dans  le  foie  aux  dépens  des  substances  azotées.  Vous 
avez  vu  que  l'alimentation  exclusivement  animale  en- 
tretenait la  formation  continuelle  du  sucre,  contraire- 
ment à  l'alimentation  graisseuse,  qui  diminue  cette  pro- 
duction. Vous  vous  rappelez,  en  outre,  les  expériences 
de  Lehmann,  dans  lesquelles  cet  habile  chimiste  a  con- 
staté qu'une  partie  des  matières  albuminoïdes  qui  se 
trouvent  dans  le  sang  de  la  veine  porte  disparait  en  tra- 
versant le  foie  de  façon  qu'on  n'en  trouve  qu'une  pro- 
portion moindre  dans  le  sang  des  veines  hépatiques.  De 
sorte  qu'il  y  a  au  moins  une  coïncidence  très-remarqua- 
ble enire  cette  dispai  ilion  derallnimineetlaproduction 


398  GLYCOGÉNIE   FŒTALE. 

(lu  suciede  laquelle  Lelimann  a  tiré  cette  conclusion  : 
que  le  sucre  se  forme  clans  l'organisme  aux  dépens  de 
substances  albumine  rides.  Cecliimisleacherché,dèslors, 
à  réiliser  artificiellement  ce  fait  dont  les  découvertes 
physi(jlogiques  n^connaissaient  lapossihilité;  il  a  voulu 
savoir  s'il  y  aurait  moyen  de  transformer  directement 
des  matières  albumiiioïdes  en  sucre.  C'est  ce  à  quoi  il 
est  eifectivement  arrivé. 

Il  a  obtenu  la  cri>taliisafion  de  l'hématine,  matière 
constiluaute  des  globules  du  sang,  il  a  pu  l'avoir  à  l'état 
de  pureté,  et  c'est  avec  cette  substance  qu'il  a  fait  du  su- 
cre de  la  manière  suivante. 

Il  a  observé,  en  soumettant  cette  matière  à  la  distilla- 
tion sèche,  qu'elle  doFinait  lieu  d'abord  à  un  pi'oduit 
acide,  et  que  ce  n'est  qu'ensuite,  lursque  la  lempérature 
devenait  plus  élevée,  qii'il  se  développait  des  malières 
ammoniacales;  dès  lors  il  pensa  qu'il  pouvait  y  avoir  là 
d(Mix  principes  copules,  l'un  azoté,  l'autre  non  azoté. 
Or  il  s'agissait  d'enlever  l'azote  à  l'hématine.  Pour  cela 
Lelimann  fit  dissoudre  c^^tte  substance  dans  do  l'alcool, 
puis  ajouta  de  l'acide  nitrique,  et  porta  le  mélange  à 
l'ébullition.  Sous  Tinfluence  de  la  chaleur  il  se  forma 
de  l'éther  nilreux  qui  se  dégagea  et  enleva  l'azote  delà 
matière  organi  pie,  et  ce  qui  resta  était  du  sucre  et  une 
autre  matière  acide  non  azotée.  Ce  sucre  reluit  lessels 
de  cuivre  dissous  dans  un  excès  d'acali  et  donne 
avec  la  levure  de  bière  de  l'acide  carbonique  et  de 
l'alcool. 

Cette  expérience  très-élégante  de  Lehmann  démon- 
tra donc,  pour  la  première  l'ois,  la  possibilité  de  trans- 


GLYCOGÉNIE   FŒTALE.  399 

former  chimiquement  une  matière  albuminuïde  en 
sucre. 

Mais  il  est  clair,  Messieurs,  que  ce  n'est  point  ainsi 
que  les  choses  se  passent  dans  le  f'ue  et  dans  les  tissus 
du  fœtus,  où  nous  avons  observé  de  semblables  trans- 
formations. Li's  réactions  que  nous  produisons  dans 
nos  laboratoires  avec  des  agents  chimiques  énergiques 
ne  font  qu'indiquer  la  possibilité  de  décompositions  ou 
de  transformations  qui  peuvent  s'opérer  sous  l'action 
vitale  d'une  manière  moins  violente.  C'est  ainsi  qu'avec 
de  l'aride  sulfuri([ue  ou  chlorhydrique  nous  transfor- 
mons de  l'amidon  en  sucre,  mais  cela  s't  ffcclue  au  sein 
des  tissus  végétaux  ou  dans  nos  organes  par  une  sim- 
ple fermentation. 

Il  en  est  de  même  de  la  graisse,  qui  ne  se  dédouide 
dans  nos  laboratoires  en  acide  gras  et  en  glycérine 
qu'avec  les  agents  acides  ou  alcalins  les  plus  énergi- 
ques, mais  pour  laquelle  le  suc  panciéalique  tout  seul, 
qiii  ne  paraît  doué  que  de  propriétés  chimiques  très- 
faibles,  amène  immédiatemi^nt  ie  même  résultat  au 
moyen  d'une  matière  organique  qui  joue  le  rôle  de  fer- 
ment. 

Nous  arrivons  à  conclure,  comme  données  défini- 
tives sur  le  mécanisme  de  la  formation  du  sucre  dans 
le  foie  :  r  que  le  sucre  se  forme  aux  dépens  des  ma- 
tières albuminoïdes;  2°  que  ces  matières  albuminoïdes 
donnent  naissance  au  sucre  par  suite  d'une  véritable 
fermentation  qu'elles  subissent,  et  dans  laquelle  il  se 
forme  des  produits  intermédiaires  encore  peu  connus. 

Tels  sont  les  deux  résultats  que  nous  ne  devons  pas 


100  GLYCOGÉNIE   FŒTALE. 

perdre  tle  \ue  au  milieu  de  ces  digressions  dans  les- 
quelles nous  ont  entraînés  nos  découvertes  nouvelles^ 
sur  lesquelles  ie  vous  demanderai  la  permission  de 
vous  dire  encore  quelques  mois  dans  la  prochaine 
séance. 


VINGT  ET  UNIEME  LEÇON 

10  MARS  1855. 


SOMMAIRE  :  Présence  du  sucre  dans  l'urine  des  fœtus.  —  Dans  l'allantoïde. 
—  Explication  de  ce  phénomène.  —  Propriétés  du  sucre  des  muscles.  — 
Transformations  du  liquide  amniotique.  —  Usages  du  sucre  dans  la  vie 
intra-utérine  pour  empêcher  l'infiltration  des  tissus.  —  Expériences.  — 
L'animal  a  constamment  besoin  de  matière  sucrée.  —  De  la  mort  à  la  suite 
de  la  cessation  des  fonctions  du  foie.  —  Terminaison  de  quelques  expé- 
riences commencées  dans  les  séances  précédentes.  —  Suite  de  l'expérience 
de  la  section  des  pneumo-gastriques  entre  le  poumon  et  le  foie.  —  Au- 
topsie de  l'animal.  —  Expérience  sur  la  section  des  nerfs  sympathiques 
qui  se  rendent  au  foie.  —  Réflexions  sur  la  difficulté  des  expériences  phy- 
siologiques. 


Messieurs, 

Nous  savons  actuellement  que  la  fonction  glycogéni- 
que  du  foie  ne  commence  qu'à  un  certain  âge  de  la  vie 
intra-utérine,  mais  nous  savons  aussi  que  l'èli^e  orga- 
nisé ne  manque  pas  pour  cela  de  matière  sucrée  pen- 
dant cette  période  primitive  de  la  vie.  Nous  avons  vu 
que  cette  matière  se  produit  dans  la  gangue  des  tissus 
et  qu'il  y  là  une  sorte  de  phénomène  de  germination 
animale  sur  lequel  je  n'ai  pu  encore  vous  indiquer  que 
quelques  détails  très-insuffîsants,  car  nous  sommes, 
sous  ce  rapport  seulement,  à  l'entrée  d'une  voie  toute 
nouvelle,  destinée,  je  crois,  à  fournir  des  résultats  très- 
féconds. 

Toutefois  il  me  reste  encore  quelques  faits  nouveaux 

BERNARD.    \.  26 


402  GLYCOGÉNIE    FŒTALE. 

à  vous  indiquer  relativement  h  cet  état  primitif  de  la 
fonction  glycogénique  chez  les  fœtus.  Ces  détails  se 
relieront  d'ailleurs  avec  des  faits  que  j'avais  vus  anté- 
rieurement, mais  dont  je  n'avais  pas  saisi  alors  la  signi- 
fication; et,  de  plus,  nous  verrons  qu'il  se  passe  dans 
les  différentes  périodes  de  la  vie  intra-utérine  des  phé- 
nomènes que  nous  ignorons  encore  complètement. 

Je  vous  ai  dit  comment  j'avais  découvert  autrefois  que 
l'urine  des  fœtus  contient  toujours  du  sucre,  et  com- 
ment je  m'étais  trouvé  embarrassé  ensuite  de  ce  fait 
qui  n'était  plus  aucunement  en  rapport  avec  les  théo- 
ries qui  m'y  avaient  conduit. 

En  effet,  j'avais  vu  que  ce  sucre  existe  dans  l'urine 
avant  qu'il  se  forme  dans  le  foie.  Et  voici,  par  exem- 
ple, un  fœtus  de  veau  dans  l'urine  duquel  nous  con- 
statons une  grande  quantité  de  sucre,  tandis  qu'en  trai- 
tant son  foie  comme  nous  le  faisons  habituellemenl, 
nous  n'obtenons  pas  la  moindre  trace  de  cette  matière. 
D'un  autre  côté,  j'avais  vu  que  le  sucre  disparaissait 
de  l'urine  des  veaux  bien  avant  la  naissance  et  au  mo- 
ment où  la  matière  sucrée  se  développait  dans  le  foie. 
11  n'y  avait  donc  pas,  comme  on  le  voit,  possibilité, 
chez  le  fœtus,  d'établir  un  rapport  entre  cette  matière 
sucrée  de  l'urine  et  la  fonction  glycogénique  du  foie, 
puisque,  quand  le  sucre  existait  dans  l'urine,  le  foie 
n'en  contenait  pas,  et  que,  lorsqu'il  cessait  de  s'y  ma- 
nifester, le  foie  commençait  au  contraire  à  en  pro- 
duire. 

Nous  voyons  ainsi  que,  primitivement,  tous  les  in- 
dividus sont  diabétiques,  et  j'ai  constaté  cela  sur  d'au- 


GLYCOGÉNIE   FŒTALE.  403 

ires  animaux,  sur  des  petits  chiens,  par  exemple. 
Mais  cela  n'ayant  lieu  que  pendant  une  époque  très -li- 
mitée, on  ne  trouve  plus  ce  symptôme  au  moment  de 
la  naissance,  et  j'ai  vainement  cherché,  à  Fépoque  de 
la  naissance,  du  sucre  dans  l'urine  des  fœtus  humains 
ou  dans  leur  liquide  amniotique.  Cela  n'a  rien  qui  doive 
étonner,  puisque,  comme  je  viens  de  vous  le  dire, 
les  choses  se  passent  exactement  de  même  chez  les  ani- 
maux. 

Maintenant,  nous  pouvons  établir  la  liaison  de  ce  fait 
singulier  avec  cette  formation  du  sucre  dont  nous 
avons  parlé  dans  la  dernière  séance,  et  qui  se  rencontre 
dans  les  premiers  temps  de  la  vie  intm-ulérine.  Dès  le 
début,  et  pendant  les  premières  semaines  de  l'organi- 
sation, cette  matière  sucrée  se  forme,  comme  nous  l'a- 
vons vu,  dans  le  tissu  qui  se  développe,  mais  elle  ne 
paraît  pas  se  détruire  à  ce  moment  de  la  vie,  elle  est 
emportée  par  la  circuhition  dès  que  celle-ci  s'établit 
et  passe  alors  dans  l'urine. 

Maintenant  cette  urine  sucrée  qui  s'accumule  en 
grande  quantité  remplit  non-seulement  la  vessie,  mais 
encore  un  réservoir  communiquant  avec  celle-ci,  qui 
est  l'allantoïde,  dans  laquelle  on  trouve  constamment 
aussi  un  liquide  sucré. 

Vous  voyez  ici  {{[g,  20)  un  fœtus  entouré  de  ses 
membranes  ;  vous  pouvez  distinguer  d'une  part  Tallan- 
toïde  AL,  d'autre  part  l'amnios  AM,  reconnaissables 
à  la  couleur  de  leur  liquide  qui  est  citrin  dans  la  pre- 
mière cavité,  clair  et  opalin  dans  la  seconde. 


404 


GLYCOGÉNIE   FŒTALE. 


Fig.  20.  Fœtus  de  veau  entouré  de  ses  membranes. 

AL,  allantoïde.  Du  côté  droit  on  a  enlevé  la  membrane  externe,  et 
le  liquide  amniotique  est  entouré  par  une  membrane  unique.  —  C,  du  côté 
gauche,  on  a  laissé  la  membrane  cotylédonaire  dont  on  voit  la  coupe  en  G; 
sur  elle  rampent  les  vaisseaux  omphalo-mésentériques  X,  allant  se  rendre  au 
corps  cotylédonaire  CP,  CP,  CP  ;  du  côté  droit,  ces  vaisseaux  X  ont  été  cou- 


GLYCOGÉNIE   FŒTALE.  405 

pés.  Chaque  extrémité  de  l'amnios  est  fermée  par  un  bouchon  jaunâtre  de 
nature  épithéliale  ^7,  a.  —  L'amnios  AM,  AM,  contient  le  fœtus  nageant  dans 
le  liquide  amniotique,  et  tenant  avec  l'allantoïde  par  le  cordon  ombilical. 
On  voit  encore  la  vésicule  ombilicale. 

Fig.  IL  Le  fœtus  extrait  de  la  cavité  amniotique.  Le  ventre  a  été  ouvert  et 
les  éléments  du  cordon  ombilical  servant  de  communication  avec  l'allantoïde 
ont  été  disséqués.  —  F,  foie.  —  V,  V,  extrémités  de  la  veine  ombilicale  se 
réunissant  en  un  seul  tronc  au  moment  où  elle  traverse  l'ombilic.  —  V,  0, 
vésicule  ombilicaire  communiquant  avec  l'intestin.  —  0,  ouraque  faisant 
communiquer  la  vessie  du  fœtus  V  avec  l'allantoïde.  Les  deux  artères  ombi- 
licales sont  situées  de  chaque  côté  de  l'ouraque,  et  parallèlement  à  elle. 

Nous  constatons  la  présence  du  sucre  dans  ce  liquide 
allantoïdien  en  proportions  considérables.  Il  y  a  en 
effet  une  forte  réduction  du  tartrate  cupro-potassique. 
Le  liquide  amniotique  en  contient  également,  mais  de 
très-faibles  traces,  soit  que  cette  matière  y  parvienne 
par  endosmose  entre  les  membranes  délicates  et  conti- 
guës  qui  enveloppent  ces  liquides,  soit  que  cette  pro- 
portion de  sucre  y  arrive  par  le  canal  de  l'urètre  qui 
doit  déverser  l'urine  dans  la  cavité  amniotique,  si  la 
vessie  expulse  son  contenu. 

Il  y  a  un  autre  fait  intéressant  relatif  à  ce  sucre  de 
la  vie  primitive  du  fœtus,  c'est  qu'il  dévie  la  lumière 
polarisée  autrement  que  le  sucre  du  foie.  Ainsi,  le  li- 
quide allantoïdien  dévie  la  lumière  polarisée  à  gauche 
comme  le  sucre  de  canne;  cependant  il  a  toutes  les  au- 
tres propriétés  de  sucres  de  deuxième  espèce,  il  fer- 
mente très-facilement,  brunit  avec  la  potasse,  et  réduit 
les  sels  de  cuivre. 

Proust  a  dit  que  le  liquide  allantoïdien  contient  du 
sucre  de  lait,  mais  le  sucre  de  l'amnios  fermente  très- 
vite,  et  sous  ce  rapport  il  diffère  beaucoup  de  l'espèce 
de  sucre  signalée  par  ce  chimiste. 


400  GLYCOGÉNIE    FŒTALE. 

Le  sucre  de  muscles  ou  de  i^oumon  dévie  à  droite 
comme  le  sucre  de  diabèles.  Celte  différence  de  résul- 
tats dans  l'examen  optique  du  sucre  obtenu  dans  l'al- 
lantoïde  ou  dans  la  vessie,  avec  celui  du  sucre  obtenu 
des  muscles  ou  du  poumon  par  voie  d'une  fermenta- 
tion spéciale,  n'indiquerait  pas  du  tout  que  ces  sucres 
sont  d'origine  différente;  cela  pourrait  tenir  tout 
simplement  à  ce  que  le  sucre  que  nous  avons  dû  obte- 
nir en  assez  grande  quantité  pour  pouvoir  le  soumet- 
tre à  la  lumière  polarisée  provient  toujours  d'une  fer- 
mentation. Or,  pendant  cette  fei'mentalion,  il  se  forme 
toujours  une  proportion  assez  notable  d'acide  pouvant 
alors  réagir  sur  le  sucre  pour  modifier  les  caractères 
optiques  qu'il  aurait  s'il  restait  dans  une  liqueur  neu- 
tre ou  légèrement  alcaline,  comme  cela  a  lieu  pour  le 
liquide  aîlantoïdien. 

On  connaît  d'autres  exemples  de  cette  modification, 
et  l'on  sait  que  le  sucre  de  fruits  dévie  à  gauche  pri- 
mitivement, mais  que,  après  avoir  été  soumis  pendant 
longtemps  à  Faction  de  Tair  ou  à  l'action  d'un  acide, 
il  dévie  à  droite,  sans  que,  pour  cela,  ses  autres  carac- 
tères chimiques  aient  été  modifiés. 

Le  sucre  qui  existe  dans  l'allantoïde  de  même  que 
celui  qu'on  rencontre  dans  l'amnies,  mais  en  plus 
petite  quantité,  disparaît  chez  les  veaux  vers  le  cin- 
quième ou  sixième  mois  de  la  vie  intra-utérine,  à  la 
même  époque  où  cette  matière  sucrée  disparaît  égale- 
ment de  l'urine.  Voici^  par  exemple,  du  liquide  aîlan- 
toïdien pris  sur  un  veau  qui  avait  au  moins  six  mois 
de  vie  intra-utérine.  Ce  liquide  est  bien  plus  coloré  que 


GLYCOGÉNIE   FŒTALE.  407 

chez  les  fœtus  plus  jeunes  :  il  est  devenu  en  même 
temps  visqueux,  il  n'est  nullement  sucré.  Le  liquide 
amniotique,  de  même,  ne  contient  aucune  trace  de 
sucre,  et  il  a  pris  une  consistance  gluante  et  visqueuse. 
On  dirait  que  ce  sucre  a  subi  cette  espèce  de  fermenta- 
tion qu'on  appelle  visqueuse,  et  qui  pourrait  s'opérer 
d'autant  plus  facilement  dans  ces  conditions,  qu'elle 
s'accomplit  sans  dégagement  d'aucun  gaz.  S'il  en  était 
ainsi,  les  partisans  des  causes  finales  pourraient  voir  là 
un  des  usages  secondaires  du  sucre  pendant  la  vie  in- 
tra-utérine; ce  sucre,  après  avoir,  pendant  un  certain 
temps,  empêché  l'imbibition  ou  l'infiltration  des  tis- 
sus, qui  sont  si  délicats  h  cette  époque  de  la  vie,  parle 
liquide  amniotique,  se  changerait,  vers  les  approches 
de  la  parturition,  en  subissant  la  fermentation  vis- 
queuse, en  une  matière  propre  à  favoriser  la  lubrifac- 
tion  des  voies  et  le  glissement  facile  du  fœtus. 

Quant  à  moi.  Messieurs,  je  veux  tout  simplement 
fixer  dans  votre  esprit  les  faits  qui  sont  les  suivants  : 

l**  La  présence  du  sucre  dans  l'urine  du  fœtus,  dans 
le  liquide  allantoïdien  et  amniotique,  pendant  les  pre- 
miers temps  de  la  vie  intra-utérine. 

2°  La  disparition  de  ce  sucre  de  tous  les  liquides  pré- 
cités vers  la  période  qui  précède  la  naissance,  ce  qui 
coïncide  avec  l'épaississement  et  la  viscosité  qu'acquiè- 
rent alors  ces  mêmes  liquides,  qui  peut-être  ont  pour 
effet  de  favoriser  la  parturition. 

Si,  maintenant,  nous  réfléchissons  à  tout  ce  que 
nous  avons  dit  précédemment,  nous  voyons  qu'il  y  a 
deux  périodes  dans  la  vie  du  fœtus;  l'une  pendant  la- 


408  GLYCOGÉNIE   FŒTALE. 

quelle  le  sucre  paraît  se  former  sans  se  détruire,  l'au- 
tre pendant  laquelle  le  sucre  se  produit  et  se  détruit. 
En  effet,  dans  les  premiers  temps  du  développement 
organique,  avant  que  le  foie  entre  en  fonctions,  nous 
trouvons  du  sucre  qui  se  forme  dans  les  tissus,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit,  et  qui  passe  dans  la  circulation  et 
est  porté  de  cette  manière  dans  la  vessie  et  dans  les 
liquides  allantoïdien  et  amniotique,  où  il  séjourne  sans 
qu'on  voie  sa  destruction  s'opérer.  Plus  tard,  lorsque 
le  foie  commence  à  fonctionner,  il  se  forme  toujours  du 
sucre,  peut-être  même  en  plus  grande  quantité,  et  ce- 
pendant nous  n'en  trouvons  plus  aucune  trace  dans  la 
vessie.  Il  y  a  deux  conclusions  très-importantes  qu'on 
peut  tirer  de  ces  faits  :  la  première,  c'est  que,  si  le  su- 
cre a  un  usage,  comme  cela  n'est  pas  douteux,  dans  les 
premiers  temps  de  la  vie  intra-utérine,  cela  ne  peut  pas 
être  en  se  détruisant  qu'il  le  remplit,  mais  au  contraire 
en  se  formant;  et  ce  serait  au  moment  où  la  matière 
animale  azotée  entre  dans  une  sorte  de  fermentation  et 
se  dédouble  en  abandonnant  les  éléments  qui  consti- 
tuent le  sucre,  que  les  cellules  organiques  prennent 
naissance.  Nous  pourrons  rapprocher  cette  hypothèse 
de  ce  qui  se  passe  dans  le  foie  chez  l'adulte,  où  nous 
voyons  le  sucre  se  former  et  des  cellules  analogues  aux 
globules  blancs  se  produire  en  très-grande  quantité, 
ainsi  que  le  démontrent  les  expériences  de  Lehmann. 
Ces  globules,  en  effet,  ne  sont  que  des  cellules  organi- 
ques destinées  à  une  évolution  ultérieure,  ce  qui  n'em- 
pêche pas,  dans  cette  période  de  la  vie  adulte,  que  le 
sucre  ne  puisse  encore,  indépendamment  de  cet  usage, 


USAGES  DU  SUCRE  DANS  LE  SANG.         409 

en  remplir  d'autres  secondaires,  soit  en  circulant  avec 
le  sang,  dont  il  augmente  la  densité  et  empêche  l'in- 
filtration dans  les  tissus  et  dont  il  favorise  conséquem- 
ment  la  circulation  en  général,  et  particulièrement 
dans  le  tissu  délicat  du  poumon  où  il  doit  recevoir  le 
contact  de  l'air. 

Des  expériences  extrêmement  intéressantes  prouvent 
cette  utilité.  Si  l'on  fait  traverser  le  poumon  par  de  l'eau 
pure,  en  ayant  soin  de  pratiquer  la  respiration  artifi- 
cielle, dans  les  premiers  moments  le  liquide  injecté 
dans  l'artère  pulmonaire  revient  par  la  veine  sans  dif- 
ficulté, mais  bientôt  le  tissu  du  poumon  s'infiltre,  le 
liquide  éprouve  une  grande  difficulté  à  passer,  il  s'ex- 
travase  dans  les  bronches,  et  bientôt  la  circulation  est 
impossible.  Les  mêmes  choses  se  produisent  pour  les 
reins  et  le  système  capillaire  des  membres,  etc. 

Mais,  si  l'on  ajoute  à  l'eau  du  sucre,  même  en  pe- 
tite quantité,  l'infiltration  n'a  pas  lieu,  et  la  circulation 
peut  continuer  pendant  des  heures  entières;  il  serait 
donc  probable  que,  sur  l'animal  vivant,  le  sucre  qui 
sort  du  foie  ait  pour  effet  de  concourir  à  empêcher  l'in- 
filtralion  quand  le  sang  traverse  les  poumons. 

La  seconde  conclusion  à  tirer  de  ces  faits,  c'est  qu'il 
y  a  dans  le  fœtus  une  période  de  la  vie  où  le  sucre  se 
détruit  parfaitement  sans  l'intervention  de  la  respira- 
tion. Ainsi,  dans  les  quatre  ou  cinq  derniers  mois  de 
la  vie  intra-utérine  des  veaux,  il  y  a  beaucoup  de  sucre 
dans  leur  foie,  dans  le  sang  qui  en  sort,  et  cependant 
les  urines  n'en  contiennent  pas,  preuve  que  le  sucre  se 
détruit  dans  le  torrent  de  la  circulation  sans  interven- 


•*10  GLYGOGÉiNIE  ANIMALE. 

tion  de  l'air,  dans  le  placenta  ou  ailleurs  ;  ceci  est  im- 
possible à  vérifiera  cause  des  difficultés  de  faire  desex- 
périences sur  des  animaux  de  Loucherie  en  état  de 
gestation,  ces  animaux  seraient  cependant  seuls  assez 
gros  pour  se  prêter  à  des  observations  de  ce  genre.  Cela 
vient  à  l'appui  d'une  proposition  que  nous  avons  émise 
dans  une  des  séances  précédentes,  que  le  sucre  ne  se  dé- 
truit pas  par  un  phénomène  de  combustion  en  rapport 
avec  la  quantité  d'oxygène  en  nature  qui  entre  dans 
l'organisme,  car,  chez  le  fœtus,  la  respiration  ne  s'ef- 
fectue pas,  et  le  contact  direct  du  sang  et  de  Toxygène 
ne  saurait  avoir  lieu.  C'est  donc,  comme  nous  le  di- 
sions, par  une  sorte  de  fermentation  que  le  sucre  se 
détruit  dans  le  sang.  Nous  n'avons  pas  encore  pu  isoler 
]a  matière  fermentescible  qui  détruit  le  sucre  dans  l'or- 
ganisme, et  nous  ne  pouvons  pas  dire  précisément  si 
cette  matière  ne  proviendrait  pas  du  foie  lui-même. 
Nous  ne  pouvons  qu'établir  l'apparence  de  coïncidence 
qui  existe  entre  le  moment  où  le  sucre  commence  à  se 
détruire  chez  le  fœtus  et  le  moment  où  il  commence  à 
apparaître  dans  le  foie. 

Ainsi,  l'être  organisé  est  toujours  pourvu  de  matière 
sucrée.  Dès  les  premiers  moments  de  sa  vie,  le  sucre 
existe  dans  ses  tissus,  bien  que  le  foie  n'en  produise  pas 
encore,  et  l'on  en  trouvera  jusqu'à  la  mort. 

J'ai  fait  beaucoup  d'expériences  pour  savoir  si  les 
animaux  peuvent  vivre  longtemps  quand  les  fonctions 
du  foie  sont  arrêtées,  et  j'ai  toujours  vu  que  la  vie  ne 
pouvait  se  prolonger  au  delà  de  quelques  jours.  Quand 
on  coupe  les  pneumo-gastriques  chez  un  animal,  il 


L'ARRÊT   DE   LA  GLYCOGÉNIE  AMÈNE  LA  MORT.  411 

meurt  au  bout  de  trois  ou  quatre  jours.  On  a  cherché 
dans  ce  cas  à  expliquer  la  mort  de  bien  des  manières, 
en  la  rapportant  à  la  paralysie  des  organes  auxquels  se 
rendent  les  nerfs. 

On  a  dit  que  c'était  parce  que  l'estomac  ne  fonctionne 
plus,  mais  on  sait  que  les  animaux  peuvent  vivre  sans 
manger  pendant  seize  ou  vingt  jours,  et  qu'ils  ne  pé- 
rissent d'inanition  qu'au  bout  de  ce  temps. 

On  a  prétendu  ensuite  que  la  mort  arrivait  par  suite 
de  l'engorgement  des  poumons,  qui  survient  très- 
souvent  à  la  suite  de  cette  section,  et  qui  amène  alors 
une  véritable  asphyxie  ;  mais  cet  engorgement  manque 
très-fréquemment.  11  a  lieu  surtout  quand  on  opère 
sur  déjeunes  animaux;  mais  chez  les  vieux  mammi- 
fères et  chez  les  oiseaux,  on  ne  trouve  jamais  les  pou- 
mons altérés,  et  le  sang  est  vermeil  dans  les  artères 
comme  à  l'ordinaire. 

On  a  dit  encore  que  la  mort  arrivait  par  le  cœur,  qui 
reçoit  aussitôt  les  filets  des  pneumo-gastriques;  mais  les 
mouvements  du  cœur  ne  sont  pas  interrompus  un  seul 
instant,  ils  se  continuent  jusqu'à  la  mort  et  sont  même 
plus  rapides.  Ainsi,  toutes  ces  explications  sont  insuf- 
fisantes, et  ce  qui  me  paraît  le  plus  probable,  c'est  que 
la  mort  survienne  par  suite  de  la  cessation  des  fonc- 
tions du  foie,  qui  ne  sécrète  plus  alors  une  matière  indis- 
pensable aux  phénomènes  de  nutrition  des  organes.  Le 
sucre  qui  était  formé  au  moment  de  l'opération  s'épuise 
rapidement,  et  la  vie  s'éteint  quand  il  n'y  en  a  plus. 

C'est  peut-être  pour  suppléer  à  l'absence  du  sucre, 
qui  ne  se  produit  plus  dès  que  la  fièvre  survient  chez 


412  L'ARRÊT   DE  LA  GLYCOGÉNIE  AMÈNE   LA  MORT. 

les  malades,  qu'on  leur  donne,  et  qu'ils  prennent  avec 
plaisir  et  par  instinct,  des  tisanes  sucrées. 

Maintenant,  Messieurs,  nous  sommes  arrivés  à  la  fin 
de  l'histoire  physiologique  de  la  formation  du  sucre 
dans  l'organisme  animal,  et  vous  voyez  combien  de 
phénomènes  intéressants  nous  ont  dévoilés  ces  études, 
combien  de  questions  nouvelles  ont  soulevées  ces  re- 
cherches, qui,  il  y  a  quelques  années,  étaient  entière- 
ment ignorées;  elles  ouvrent  aujourd'hui  un  champ 
qui  s'élargit  chaque  jour  de  plus  en  plus  devant  l'expé- 
rimentation. 

Nous  ne  prétendons  pas  avoir  tout  dit  sur  cette  ques- 
tion; nous  avons,  au  contraire,  indiqué  avec  soin  les 
desiderata  de  la  science,  en  vous  disant  nettement  ce 
qu'il  y  avait  d'acquis  et  ce  qu'il  y  avait  à  faire  dans 
cette  même  direction. 

Actuellement,  il  est  temps  que  nous  abordions  l'exa- 
men comparatif  des  connaissances  que  nous  a  fournies 
la  physiologie,  avec  les  phénomènes  pathologiques  que 
nous  avons  eu  pour  but  d'éclairer  par  elle,  ce  qui  est  le 
but  final  de  notre  cours. 

Mais  avant  de  clore  cette  partie  purement  physiologi- 
que, nous  avons  quelques  expériences  qui  sont  restées 
en  arrière  et  dont  nous  allons  vous  rendre  compte. 

La  première  est  celle  par  laquelle  nous  devons  dé- 
montrer que  la  section  des  pneumo-gastriques  produit 
des  effets  différents  sur  la  sécrétion  du  sucre,  suivant 
que  l'on  opère  à  différentes  hauteurs.  Nous  avons  prouvé 
que  la  section  de  ce  nerf  opérée  dans  la  région  cervicale 
fait  disparaître  constamment  le  sucre  dans  le  tissu  du 


LES  NERFS  INFLUENCENT   DIFFÉREM.   LA   GLYGOGÉNIE.       413 

foie;  nous  voulons  vous  montrer  actuellement  que  la 
section  de  ces  nerfs  au-dessous  du  poumon  ne  produit 
pas  le  même  effet .  Voici  un  animal  que  nous  avons  opéré 
depuis  douze  jours  environ,  et,  certes,  le  sucre  au- 
rait bien  eu  le  temps  de  disparaître,  s'il  n'avait  pas 
continué  à  se  former,  puisque,  comme  vous  le  savez, 
vingt-quatre  heures  au  plus  suffisent  pour  le  détruire. 
Du  reste,  cet  animal  n'a  pas  été  complètement  à  jeun; 
nous  l'avons  nourri  avec  des  substances  d'une  digestion 
facile,  telles  que  du  bouillon.  Car  les  pneumo-gastri- 
ques  qui  se  rendent  à  l'estomac  étant  coupés,  les  sécré- 
tions de  cet  organe  sont,  sinon  suspendues,  au  moins 
dérangées,  et  l'estomac  surtout  est  complètement  pa- 
ralysé du  mouvement. 

En  un  mot,  la  direction  stomacale  seule  est  troublée 
par  l'opération  ;  mais  la  digestion  intestinale  continue 
parfaitement,  ce  qui,  pour  le  dire  en  passant,  improuve 
le  système  dans  lequel  on  a  voulu  que  l'estomac,  et  sur- 
tout le  pylore,  fût  le  seul  point  du  tube  intestinal  où  se 
fît  la  digestion,  idée  qu'on  pouvait  soutenir  peut-être 
dans  le  siècle  dernier,  mais  qui  n'est  plus  en  rapport 
avec  les  faits  actuels.  Ce  chien  a  été  sacrifié  ce  matin. 
Les  nerfs  avaient  été  parfaitement  coupés,  comme  vous 
pouvez  le  voir,  sur  l'animal  mort,  qu'on  a  préparé  pour 
vous  montrer  le  travail  de  cicatrisation  qui  a  déjà  com- 
mencé à  s'opérer  sur  les  bouts  nerveux.  Vous  voyez,  en 
effet,  au  deux  extrémités  du  nerf,  de  petits  renflements 
comme  des  ganglions,  qui  indiquent  le  commencement 
du  travail  de  réparation. 

Il  y   a  encore  des  aliments   dans  l'œsophage,   ce 


414  INFLUENCE   DES  NERFS 

qui  prouve  que  la  déglutition  était  rendue  difficile.  Les 
sécrétions  stomacales  ont  continué  h  s'efFectuer,  ce  qui 
n'aurait  pas  eu  lieu  si  le  pneumo-gastrique  eût  été 
coupé  dans  la  région  du  cou  ;  mais  les  fibres  muscu- 
culaires  de  l'organe  sont  complètement  paralysées. 

Quant  au  foie,  il  contient  toujours  beaucoup  de  su- 
cre. Voici,  en  effet,  une  décoction  de  son  tissu  qui 
donne,  avec  le  réactif  cupro-potassique,  une  réduction 
abondante  et  qui  fermente  activement.  La  section  des 
pneumo-gastriques,  qui,  faite  dans  la  région  cervicale, 
arrêtait  la  production  du  sucre,  ne  l'empêche  donc  plus 
quand  elle  est  opérée  dans  la  poitrine  entre  le  poumon 
et  le  foie. 

Il  s'agit  d'une  autre  expérience  dont  nous  vous  avons 
promis  le  résultat.  Celle-ci,  nous  ne  l'avions  jamais  * 
faite,  elle  nous  est  venue  à  la  pensée,  et  nous  vous  avons 
associés  aux  éventualités  denses  résultats,  afin  que  vous 
puissiez  être  initiés  à  la  manière  dont  on  fait  les  expé- 
riences de  physiologie.  Nous  nous  sommes  guidé  d'a- 
près deux  idées,  l'une  que  l'activité  plus  grande  de  la 
circulation  pouvait  favoriser  ou  exagérer  la  formation 
du  sucre  dans  le  foie,  l'autre  que  l'on  pouvait  obtenir 
cette  exagération  de  la  circulation  par  la  section  des 
filets  du  grand  sympathique,  comme  vous  avez  vu  cet 
effet  se  produire  dans  la  tête  après  la  section  du  filet 
cervical  du  grand  sympathique. 

Maintenant  il  y  avait  dans  cette  expérience  une  infi- 
nité de  difflcultés  de  tout  genres  que  vous  allez  com- 
prendre sans  peine.  D'abord,  difficulté  matérielle  d'al- 
ler couper  profondément,  à  l'entrée  du  foie,  des  nerfs 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE.  415 

qui  se  trouvent  entourés  de  la  veine  porte,  des  artères 
hépatiques,  des  vaisseaux  lymphatiques  et  du  canal 
cholédoque,  toutes  choses  qu'il  fallait  ménager;  en 
second  lieu,  l'incertitude  desavoir  si  nous  produirions 
le  résultat  que  nous  voulions  obtenir.  Et  l'insuccès 
pouvait  dépendre  do  deux  causes,  soit  que  l'activité 
de  la  circulation  ne  fût  pas  augmentée,  car  toutes  les 
parties  du  système  sympathique  ne  produisent  pas  cette 
exagération  de  calorification  que  nous  vous  avons  mon- 
trée pour  la  portion  cervicale  de  ce  nerf.  La  section 
de  la  partie  thoracique  du  grand  sympathique  ne  pro- 
duit aucunement  les  mêmes  effets,  sans  que  nous  con- 
naissions la  cause  de  cette  différence.  D'autre  part, 
nous  pouvions  produire  une  activité  de  circulation  telle, 
qu'une  inflammation  en  fût  la  conséquence,  et  qu'alors, 
au  lieu  d'obtenir  une  exagération  physiologique  de  la 
fonction  du  foie,  nous  n'eussions  produit  qu'une  périto- 
nite et  une  hépatite  amenant  en  même  temps  l'aboli- 
tion du  sucre. 

Vous  voyez  donc,  Messieurs,  par  ces  exemples,  que 
nous  pourrions  multiplier  k  l'infini,  de  combien  d'in- 
certitudes on  se  trouve  entouré  quand  on  veut  insti- 
tuer une  expérience  et  en  prévoir  les  résultats.  Les  in- 
connues sont  si  nombreuses,  qu'on  ne  peut  jamais  être 
certain  de  ce  que  l'expérience  donnera. 

Il  arrive^  par  conséquent,  très-souvent  qu'on  fait  des 
expériences  qui  ne  fournissent  aucun  résultat  satis- 
faisant pour  le  but  qu'on  se  propose.  Seulement  il  est 
bien  entendu  que,  lorsqu'on  publie  un  travail,  on  doit 
éviter,  pour  la  clarté  du  sujet,  de  faire  connaître  ces 


410  INFLUENCE  DES   NERFS  SUR  LA  GLYCOGÉNIE. 

làtonnements  inutiles.  Mais  cela  présente  alors,  à  l'es- 
prit de  celui  qui  ne  fait  que  lire,  la  physiologie  comme 
une  science  facile  dans  laquelle  toutes  les  expériences 
réussissent,  ce  qui  est  loin  d'être  vrai  dans  la  pratique. 
C'est  ici  le  lieu  de  vous  initier  à  ces  difficultés  dont 
il  est  important  que  vous  ayez  une  idée  exacte  pour 
bien  comprendre  les  complications  du  sujet,  et  ne  pas 
vous  décourager  quand  vous  voudrez  l'aborder  plus 
tard. 

ici ,  par  exemple,  contrairement  à  nos  prévisions,  nous 
n'avons  produit  ni  diabète  ni  péritonite;  l'animal  paraît 
être  en  pleine  santé  comme  avant  l'opération ,  et  nous  le 
garderons  en  cet  état  pour  en  faire  plus  tard  l'autopsie. 

Messieurs,  la  fin  du  semestre  nous  oblige  prochaine- 
ment à  terminer  ce  cours.  Il  ne  nous  reste  plus  que 
quatre  leçons.  Les  deux  prochaines  seront  consacrées  à 
l'examen  des  symptômes  pathologiques  du  diabète  sucré 
et  à  leur  explication  au  moyen  du  rapprocliement  des 
faits  physiologiques. 

Les  deux  dernières  séances  seront  consacrées  à  un 
résumé  général  et  à  une  revue  de  toutes  les  discussions 
dont  la  fonction  glycogénique  du  foie  a  été  l'objet 
depuis  sa  découverte,  soit  en  France,  soit  à  l'étranger. 
Nous  ne  laisserons  de  côté  aucun  des  arguments  pour 
ou  contre;  nous  les  résumerons  devant  vous  de  la 
manière  la  plus  complète  et  de  façon  que  vous  ayez 
l'état  actuel  de  la  question,  et  que  vous  ne  sortiez  d'ici 
qu'avec  l'esprit  bien  fixé  sur  les  faits,  sur  la  valeur  des 
arguments  qui  ont  été  employés  de  part  et  d'autre  dans 
la  discussion. 


VINGT-DEUXIEME  LEÇON 

13  MARS  1855. 


SOMMAIRE  :  Application  de  la  physiologie  à  la  pathologie  du  diabète.  — 
Pathologie  comparée.  —  Cas  de  diabète  signalés  chez  les  animaux.  —  Or- 
ganes malades  dans  cette  affection.  —  Hypertrophie  des  reins.  —  Hyper- 
trophie des  membranes  de  l'estomac.  —  De  l'état  du  foie  dans  le  diabète. 
—  Atrophie  du  pancréas.  —  Présence  du  sucre  dans  tous  les  organes  chez 
les  diabétiques  morts  subitement.  —  Désordres  nerveux.  —  Les  matières 
féculentes  et  saccharoïdes  ne  sont-elles  pas  des  excitants  du  foie?  —  Réac- 
tion d'autres  organes  sur  le  foie. 


Messieurs, 

Nous  devons  actuellement  nous  servir  des  lumières 
que  nous  a  fournies  jusqu'ici  la  physiologie  pour  éclai- 
rer autant  que  possible  les  phénomènes  de  la  maladie 
connue  sous  le  nom  de  diabète.  C'est  toujours  ainsi 
qu'il  faut  procéder,  des  sciences  les  plus  simples  aux 
plus  comphquées,  et  sous  ce  rapport,  quoique  la  physio- 
logie étudie  des  phénomènes  excessivement  complexes, 
ceux  de  la  pathologie  le  sont  encore  bien  davantage; 
mais  quand  les  premiers  sont  suffisamment  connus,  il 
devient  très-facile  d'y  rattacher  les  seconds. 

Nous  devrions  d'abord  chercher  si  la  pathologie 
comparée  peut  nous  fournir  des  matériaux,  car  c'est 
toujours  une  circonstance  très-heureuse  pour  l'étude 
d'une  maladie,  qu'elle  soit  commune  à  l'homme  et  aux 
animaux.  On  peut  faire  alors  sur  ces  derniers  des  étu- 

BERNARD.    I.  27 


418  APPLICATION  DE  LA  PHYSIOLOGIE 

des  expérimentales  qui,  seules,  sont  susceptibles  de 
conduire  rapidement  à  la  détermination  des  rapports 
entre  les  symptômes  et  les  lésions  qui  se  présentent 
dans  un  cas  morbide.  Quand  on  ne  peut  faire  de  telles 
études  que  sur  l'homme,  la  difficulté  des  observations, 
la  rareté  des  cas,  l'impossibilité  des  autopsies  dans 
toutes  les  circonstances  et  à  différentes  époques  de  la 
maladie,  rendent  nécessairement  beaucoup  plus  lente 
la  solution  du  problème.  C'est  grâce  à  cette  excursion 
dans  le  champ  de  la  pathologie  comparée,  dont  le  do- 
maine a  été  considérablement  agrandi  en  France  par 
M.  Rayer,  qu'on  doit  de  connaître  si  bien  aujour- 
d'hui l'histoire  pathologique  comparée  de  certaines 
maladies. 

Relativement  au  diabète,  la  pathologie  comparée  ne 
peut  rien  nous  fournir.  Les  vétérinaires  signalent  à  la 
vérité  un  diabète  assez  fréquent  chez  les  chevaux,  se 
manifestant  surtout  après  l'ingestion  de  certaines  sub- 
stances, telles  que  la  luzerne  fraîche,  par  exemple.  Mais 
le  diabète  en  question  n'est  qu'une  simple  polyurie;  les 
chevaux  rendent  alors  de  très -grandes  quantités  d'u- 
rines, qui  sont  souvent  claires,  au  lieu  d'être  jumen- 
teuses  comme  à  l'ordinaire.  Mais  l'analyse  chimique 
n'y  a  jamais  démontré  la  présence  du  sucre.  Il  s'agi- 
rait donc  là  de  ce  qu'on  appelle  le  diabète  non  sucré  ; 
mais  vous  savez  qu'on  ne  donne  plus  aujourd'hui  ce 
nom  à  l'accroissement  pur  et  simple  de  la  quantité  des 
urines. 

M.  le  docteur  Jessen,  directeur  de  l'école  de  méde- 
cine vétérinaire  de  Dorpat,  dit  qu'on  rend  les  chevaux 


A   LA  PATHOLOGIE   DU   DIABÈTE.  419 

réellement  diabétiques,  c'est-à-dire  glycosuriqiies,  en 
leur  faisant  manger  de  l'avoine  altérée  par  l'humidité. 
Dans  tous  les  cas,  il  ne  s'agirait  ici  que  d'un  symptôme 
tout  à  fait  temporaire  et  en  rapport  avec  une  alimenta- 
tion spéciale  ;  nous  savons  qu'on  pourrait,  à  la  rigueur, 
produire  le  même  effet,  en  ingérant  de  grandes  quan- 
tités de  matières  sucrées  dans  l'intestin. 

Je  ne  connais  qu'un  seul  cas  de  diabète  persistant  qui 
ait  été  observé  sur  un  chien  par  M.  Leblanc,  vétérinaire 
à  Paris;  mais  on  n'a  pas  fait  d'expériences  bien  détail- 
lées, et  le  cas  de  cette  observation  doit  être  considéré 
comme  un  fait  très-rare. 

Jusqu'à  présent  nous  n'avons  pas  pu  réussir  physio- 
logiquementà  produire  un  diabète  continu.  La  piqûre 
rend  les  lapins  diabétiques,  mais  quelquefois  seulement 
pendant  une  heure,  si  elle  est  légère;  si  elle  est  plus 
profonde,  l'effet  peut  durer  pendant  cinq  ou  six  heures, 
ce  qui  est  le  cas  le  plus  commun  ;  rarement  le  diabète 
dure  plus  de  vingt-quatre  heures.  Chez  des  chiens,  j'ai 
observé  des  diabètes  qui  duraient  plus  longtemps,  et 
dans  un  cas,  entre  autres, j'ai  gardé  un  chien  diabé- 
tique pendant  sept  jours. 

Il  résulte  donc  de  tout  cela  que  le  diabète  sucré,  tel 
qu'il  se  présente  chez  l'homme,  avec  sa  gravité,  est 
une  maladie  dont  sont  exempts  les  animaux,  et  qui 
n'appartient  spécialement  qu'à  notre  espèce,  sur  la- 
quelle nous  sommes  réduits,  par  conséquent,  à  faire 
nos  études. 

La  première  question  qu'on  se  pose  quand  il  s'agit 
d'une  maladie,  c'est  de  se  demander  quel  est  l'organe 


420  APPLICATION  DE  LA   PHYSIOLOGIE 

malade.  C'est  un  besoin  de  noire  esprit  de  se  reposer 
sur  quelque  chose  de  précis;  sans  oublier  que  souvent 
ces  lésions  peuvent  nous  échapper,  parce  qu'elles  ne 
sont  pas  sensibles  à  nos  moyens  actuels  d'investigation, 
et  qu'elles  peuvent  souvent  exister  comme  conséquence 
localisée  de  maladies  plus  ou  moins  générales  ;  et  sans 
oublier  enfin  que,  même  dans  une  lésion  locale,  il  y  a 
toujours  une  harmonie  entre  tous  les  organes,  de  telle 
façon  qu'une  altération  retentit  plus  ou  moins  loin  sur 
les  fonctions  voisines. 

On  a  placé  le  diabète  dans  beaucoup  d'organes,  on 
en  a  fait  tour  à  tour  une  maladie  des  reins,  une  maladie 
de  l'estomac,  une  maladie  du  sang,  etc.  ;  et  il  y  avait 
sans  aucun  doute  des  raisons  pour  étayer  quelques-unes 
de  ces  opinions. 

Ainsi^en  ce  qui  concerne  les  reins,  il  est  évident  que 
chez  les  diabétiques  en  général,  particulièrement  lors- 
que le  diabète  a  duré  longtemps,  ces  organes  sont  hy- 
pertrophiés. xM.  Rayera  déjà  signalé  ce  fait  depuis  long- 
temps, et  je  l'ai  retrouvé  chez  un  diabétique  mort  dans 
son  service  d'apoplexie  pulmonaire,  et  dont  j'ai  fait 
l'autopsie.  Les  reins  étaient  plus  volumineux;  le  droit, 
bien  dépouillé  de  sa  capsule  et  de  ses  vaisseaux,  pe- 
sait 240  grammes;  le  gauche,  250  grammes.  Cette  dif- 
férence entre  les  deux  reins  existe  généralement  ;  mais 
les  poids  que  nous  venons  de  donner  sont  bien  plus 
forts  que  ceux  que  l'on  rencontre  dans  l'état  normal. 
Huschke  donne  1 1 1  grammes  pour  poids  du  rein  gau- 
che, et  108  pour  le  rein  droit.  M.  Rayer  indique,  dans 
son  ouvrage  sur  les  maladies  des  reins,  aussi  100  à 


A  LA  PATHOLOGIE   DU    DIABÈTE.  421 

125  grammes  comme  poids  ordinaire  du  rein.  La  sub- 
stance des  reins  parait  du  reste  plus  vasculaire  et  comme 
hypertrophiée,  ce  qui  s'explique  jusqu'à  un  certain 
point  par  l'excès  de  la  fonction  excrétoire  de  l'urine 
chez  les  diabétiques  qui  offrent  en  même  temps  une 
évacuation  considérable  de  ce  liquide;  et  ce  qui  prouve 
cette  proposition,  c'est  que,  dans  les  polyuries  simples, 
sans  apparition  du  sucre,  il  y  a  également  une  hyper- 
trophie des  reins  sans  altération  du  tissu.  Chez  les  dia- 
bétiques qui  ne  sont  pas  polyuriques,  cette  augmenta- 
tion de  volume  des  reins  n'a  pas  lieu.  Quand  on  enlève 
un  rein,  opération  qui  se  fait  facilement  chez  un  chien, 
et  dont  l'animal  se  rétablit  parfaitement,  on  sait  que 
l'autre  s'hypertrophie,  de  sorte  qu'on  voit  que  l'hyper- 
trophie coïncide  avec  une  augmentation  de  l'action 
excrétoire.  On  ne  peut  donc  pas  attribuer  au  sucre  une 
influence  particulière  sur  le  rein,  et  admettre  que  cet 
organe  élimine  le  sucre,  parce  qu'il  est  malade;  on  sait 
d'ailleurs  que,  à  l'état  de  santé,  le  rein  laisse  parfaite- 
ment passer  le  sucre,  pourvu  qu'il  y  en  ait  une  assez 
grande  quantité  dans  le  fluide  sanguin.  Bien  que  je 
n'admette  pas  que  généralement  le  sucre  puisse  avoir 
une  action  irritante  nuisible  sur  le  rein,  cependant  je 
dois  dire  que  souvent,  quand  on  fait  des  injections  su- 
crées dans  les  veines  des  animaux  les  reins  finissent 
par  devenir  malades.  Je  présentai,  il  y  a  trois  ans,  à  la 
Société  de  biologie,  les  reins  d'un  lapin  qui  avait  subi 
des  injections  sucrées  dans  les  veines  pendant  un  cer- 
tain nombre  de  jours,  et  chez  lequel  le  rein  par  con- 
séquent avait  dû  éliminer  l'excès  de  sucre  injecté.  Ces 


422  APPLICATION  DE  LA   PHYSIOLOGIE 

organes  présentaient  évidemment  des  traces  d'inflam- 
mation, et  dans  le  rein  gauche  il  y  avait  des  abcès,  dont 
un  était  assez  considérable.  J'ai  observé  des  faits  ana- 
logues après  l'injection  des  substances  autres  que  le 
sucre,  et  peut-être  même  ces  résultats  se  présenteraient- 
ils  après  des  injections  d'eau  pure  répétées  longtemps. 

Pour  justifier  l'opinion  d'une  maladie  de  l'estomac, 
on  a  signalé  chez  les  diabétiques  une  hypertrophie  des 
membranes  de  ce  viscère.  J'ai  également  constaté,  à 
l'autopsie  de  diabétiques  qui  avaient  eu  un  appétit  très- 
considérable,  que  les  parois  de  l'estomac  étaient  plus 
épaisses  qu'à  l'état  normal.  Mais  il  y  avait,  dans  les  cas 
que  j'ai  observés,  hypertrophie  pure  et  simple  sans  al- 
tération organique.  Les  fibres  musculaires  de  l'esto- 
mac se  voyaient  parfaitement;  la  membrane  muqueuse 
avait  des  villosités  plus  visibles  qu'à  l'ordinaire.  Cette 
hypertrophie  dépend  de  Texcitation  du  système  diges- 
tif des  diabétiques,  dont  on  sait  que  toutes  les  fonctions 
nutritives  sont  singulièrement  activées. 

Chez  les  malades  qui  n'ont  pas  l'appétit  exagéré^  et 
cela  se  rencontre  assez  souvent,  on  ne  trouve  générale- 
ment pas  alors  cette  hypertrophie  des  membranes  de 
l'estomac,  tandis  qu'on  l'observe  aussi  dans  les  cas  de 
polydipsie  pure  et  simple  dans  lesquels  il  existe  sou- 
vent, comme  on  le  sait,  un  appétit  vorace. 

On  a  dit  que  les  diabétiques  sécrétaient  dans  leur 
estomac  une  diastase  particulière,  mais  on  a  retrouvé 
cette  matière  dans  la  salive,  qui  peut  être  avalée.  Je 
me  borne  donc  à  vous  signaler  cette  opinion,  qui  est 
de  M.  Bouchardat. 


A  LA  PATHOLOGIE  DU   DL\BÈTE.  423 

Quant  aux  altérations  du  sang  qu'on  a  supposées 
coïncider  avec  le  diabète,  à  savoir,  son  acidité  ou  plu- 
tôt son  défaut  d'alcalinité,  jamais  aucune  observation 
ne  l'a  confirmé,  et  c'est  là  une  pure  hypothèse. 

Maintenant,  Messieurs,  que  la  fonction  glycogénique 
se  trouve  parfaitement  établie,  nous  sommes  conduits 
tout  naturellement  à  localiser  le  diabète  dans  le  foie. 
Mais  alors  quelle  sera  l'altération  de  cet  organe  qui 
correspondra  au  diabète  ?  D'après  tout  ce  que  nous 
avons  dit  du  mécanisme  physiologique  de  la  maladie, 
l'altération  fonctionnelle  qui  doit  y  correspondre  est 
évidemment  une  exagération  de  la  formation  du  sucre 
qui  coïncide  très-souvent,  comme  nous  l'avons  dit,  avec 
une  exagération  des  facultés  digestives  et  de  l'excrétion 
urinaire. 

Mais  comment  comprendre  cette  exagération  fonc- 
tionnelle du  foie  au  point  de  vue  du  sucre?  D'une  part, 
par  l'augmentation  du  volume  de  l'organe,  qui  se  pré- 
sente très-gorgé  de  sang,  et  d'autre  part,  par  la  quan- 
tité plus  considérable  de  sucre  que  présente  son  tissu. 
Nous  sommes  porté  à  penser  que  chez  les  diabétiques 
l'état  du  foie  doit  être  ainsi,  et  quand  on  peut  observer 
cet  organe  dans  des  conditions  favorables,  on  y  trouve 
les  caractères  que  nous  venons  d'indiquer.  C'est  ainsi 
que  chez  un  diabétique  mort  presque  subitement,  dans 
le  service  de  M,  Rayer,  d'une  apoplexie  pulmonaire,  j'ai 
trouvé  le  foie  très-volumineux  et  son  tissu  très-abon- 
damment chargé  de  matière  sucrée.  Voici  les  chiffres 
que  nous  avons  obtenus  à  ce  sujet,  et  que  nous  avons  mis 
en  regard  avec  les  résultats  obtenus  sur  Thomme  sain. 


424  APPLICATION   DE   LA   PHYSIOLOGIE 


Sucre  calculé 


Poids  pour  100  p.  ,         ^  ,.  , 

,     c  ■  IX-        r    •      P*^"''  la  lotahté 

du  foie.        du  tissu  frais  ,     r- 


du  foie. 


Sucre 
■  la  lot 
du  foie. 


Diabétique  mort  subitement  ;  à 

jeun  depuis  la  veille 2,500  2,300  57,500 

Supplicié  en  digestion 1,200  2/142  25,704 

—        cà  jeun  de  la  veille 1,300  1,790  23,270 

Homme  tué  d'un  coup  de  fusil. .  1,575  1,100  17,000 


On  voit  par  ce  tableau  que  la  quantité  de  sucre  pro- 
duit par  un  poids  égal  de  tissu  hépatique  ne  diffère  pas 
beaucoup  chez  le  diabétique  et  chez  l'individu  sain  ; 
c'est  au  point  de  vue  de  la  masse  des  parties  sécrétan- 
tes qu'il  y  a  des  différences  qui  sont  ici  comme  i  est 
à  2,  et  l'on  voit  les  quantités  de  sucre  produit  propor- 
tionnelles à  cette  masse. 

Mais  il  arrive  souvent  que  les  diabétiques  meurent 
lentement;  ordinairement  la  maladie  se  termine  par 
la  phthisie,  qui,  lorsqu'elle  est  parvenue  à  sa  dernière 
période,  suffit  pour  faire  disparaître  les  symptômes  du 
diabète;  les  urines,  devenues  moins  abondantes,  ne 
contiennent  plus  de  sucre,  l'appétit  alors  diminue,  la 
fièvre  hectique  s'allume,  etc.  Le  malade  n'est  plus  dia- 
bétique; aussi  quand  on  vient,  dans  ces  conditions,  à 
faire  son  autopsie,  le  foie  ne  contient  plus  de  sucre,  et 
ne  présente  pas  non  plus  de  traces  d'hypertrophie.  J'ai 
fait  un  certain  nombre  d'autopsies  de  malades  morts 
dans  cet  élat,  et  le  foie,  comme  dans  la  plupart  des 
cadavres,  ne  présentait  pas  de  sucre,  et  il  n'y  avait 
pas  de  différence  sensible  entre  cette  autopsie  et  celle 
d'un  phthisique  ordinaire.  C'est  là  ce  qui  se  présente 
quand  la  phthisie  est   lente;  mais  j'ai  vu  un  cas  de 


A  LA   PATHOLOGIE  DU   DL\BÈTE.  42o 

phthisie  aiguë,  où  une  malade  diabétique  est  morte, 
présentant  encore  du  sucre  dans  l'urine  et  dans  le 
foie. 

Je  signalerai  en  passant  deux  cas  d'autopsie  de  dia- 
bétiques dans  lesquels  j'ai  trouvé  le  pancréas  excessi- 
vement petit  et  très-atrophié,  sans  pourtant  présenter 
d'autres  altérations  que  cette  diminution  de  volume. 
Cette  atrophie  du  pancréas  coïnciderait-elle  avec  un 
symptôme  signalé  par  certains  auteurs,  savoir,  la  pré- 
sence des  matières  grasses  dans  les  selles  des  diabéti- 
ques? Dans  les  cas  dont  il  est  ici  question,  l'attention 
n'avait  pas  été  dirigée  vers  les  symptômes  pendant  la  vie 
des  malades. 

Indépendamment  de  la  présence  du  sucre  dans  le 
foie,  il  faut  encore  signaler  l'existence  de  cette  matière 
en  très-grande  quantité  dans  tout  le  sang.  C'est  là  un 
fait  qui  est  bien  connu  aujourd'hui,  et  bien  souvent  j'ai 
eu  l'occasion  de  vérifier,  dans  le  service  de  M.  Rayer, 
que  le  sérum  du  sang  d'un  diabétique,  qui  est  alcalin 
comme  le  sérum  ordinaire,  réduit  très-abondamment 
par  le  liquide  cupro-polassique,  tandis  que  le  sérum 
des  autres  malades,  traité  de  la  même  manière,  ne 
donne  pas  de  rédaction.  Du  reste,  lorsque  le  sang  des 
diabétiques  est  abandonné  à  lui-même,  le  sucre  finit 
par  disparaître,  ce  qui  prouve  qu'il  n'y  a  rien  qui  em- 
pêche le  sucre  de  s'y  détruire. 

On  trouve  également  du  sucre  dans  le  sang  des  dia- 
bétiques qui  sont  morts  subitement  en  présentant  le 
symptôme  des  urines  sucrées. 

Quand  on  vient  à  faire  l'autopsie  d'un  diabétique, 


420  APPLICATION   DE   LA   PHYSIOLOGIE 

mort  subitement,  vingt-quatre  ou  trente-six  heures 
après  le  décès,  on  trouvera  du  sang  sucré  dans  tous  les 
organes  et  dans  tous  les  tissus,  et  vous  le  comprendrez 
facilement,  car  le  sang  d'un  diabétique  étant  chargé  de 
sucre,  l'infiltration  qui  survient  après  la  mort  imprègne 
de  cette  matière  toutes  les  parties  du  corps.  C'est  un 
phénomène  purement  cadavérique,  et  qui  d'ailleurs 
peut  être  reproduit  directement  avec  facilité.  Si  l'on 
prend,  par  exemple,  deux  lapins  et  qu'on  les  rende  tous 
deux  diabétiques,  et  que,  au  moment  de  la  plus  grande 
intensité  du  phénomène  qu'a  produit  la  piqûre  de  la 
moelle  allongée,  on  les  sacrifie  tous  deux,  l'un  par  hé- 
morrhagie,  l'autre  par  strangulation,  et  qu'on  les 
abandonne  tous  deux  jusqu'au  lendemain  dans  les 
mêmes  conditions,  on  verra  que  celui  qui  a  perdu  tout 
son  sang  ne  présente  plus  dans  ces  organes  la  moindre 
trace  de  sucre,  tandis  que  les  tissus  de  l'animal  tué  par 
strangulation  sont  imbibés  de  sucre. 

Nous  avons  déjà  signalé  quelque  chose  de  semblable 
à  propos  de  la  bile.  Vous  savez  qu'on  avait  été  induit  en 
erreur  quand  on  a  émis  l'opinion  que  la  bile  était  su- 
crée, parce  qu'on  avait  rencontré  du  sucre  dans  la  bile 
des  cadavres  dont  on  faisait  l'autopsie  vingt-quatre 
heures  après  la  mort.  Vous  savez  que  c'est  là  un  simple 
effet  d'endosmose  qui  n'a  jamais  lieu  pendant  la  vie,  où 
jamais  on  ne  trouve  là  de  sucre  dans  le  liquide  biliaire 
de  la  vésicule. 

De  même  chez  les  diabétiques,  pendant  la  vie,  le 
sang  seul  est  sucré;  les  tissus,  excepté  celui  du  foie,  ne 
le  sont  jamais;  mais,  après  la  mort,  en  vertu  de  son 


A  LA   PATHOLOGIE   DU    DL\BETE.  427 

pouvoir  endosmotique  considérable,  le  sucre  s'infiltre 
dans  tout  l'organisme. 

Le  cervelet,  et  en  particulier  les  parties  qui  sont  voi- 
sines du  confluent  postérieur,  du  liquide  céphalora- 
chidien,  constamment  sucré,  même  à  l'état  normal, 
paraissent  présenter  une  plus  grande  proportion  de 
sucre  que  le  reste  de  l'encéphale,  ce  qui  s'explique  par 
l'infiltration  cadavérique  du  liquide  céphalorachidien, 
très-sucré  chez  les  diabétiques. 

Ainsi,  il  est  très-bien  établi,  par  des  autopsies  faites 
dans  des  conditions  convenables,  que  chez  les  diabéti- 
ques il  y  a  plus  de  sucre  que  dans  l'état  ordinaire  ;  que 
ce  sucre  est  répandu  par  tout  l'organisme,  et  que  cela 
tient  à  ce  que  le  foie  ayant  augmenté  de  volume,  la 
quantité  de  sa  sécrétion  sucrée  se  trouve  par  là  même 
considérablement  augmentée. 

C'est  donc  le  foie  qui  est  l'organe  affecté;  mais,  où 
est  la  lésion  qui  produit  cette  exagération  de  la  fonc- 
tion glycogénique?  Évidemment  cette  cause  peut  siéger 
dans  le  tissu  hépatique  lui-même,  mais  elle  peut  égale- 
ment lui  être  extérieure  et  déterminer  l'exagération 
morbide  de  la  sécrétion  glycogénique,  par  des  actions 
portées  sur  des  organes  qui  réagissent  d'une  manière 
réflexe  sur  le  foie  lui-même,  sans  que  l'individu  en  ait 
conscience  ;  ces  phénomènes  pathologiques  sont  pro- 
duits par  des  troubles  des  centres  nerveux.  On  peut 
comprendre  que  les  fonctions  organiques  puissent  se 
trouver  perverties,  par  l'influence  nerveuse,  au  même 
titre  que  les  fonctions  de  la  vie  de  relation,  comme  cela 
a  lieu,  par  exemple,  dans  l'épilepsie,  la  chorée,  etc.  On 


428  APPLICATION  DE  LA   PHYSIOLOGIE 

remarque,  en  effet,  que  la  plupart  des  diabétiques  pré- 
sentent généralement  quelques  désordres  émanant  du 
centre  cérébro-spinal. 

Dans  l'harmonie  générale  des  fonctions  de  l'indi- 
vidu, le  foie  se  trouve  lié  aux  autres  organes,  de  telle 
sorte  que  l'un  de  ces  derniers  recevant  une  excitation, 
celle-ci  se  transmet  au  foie  par  une  action  réflexe,  dont 
nous  n'avons  pas  conscience,  mais  qui  cependant  se 
trouve  démontrée  par  des  faits  physiologiques.  Vous 
vous  rappelez,  en  effet,  qu'en  agissant  au  moyen  du 
galvanisme  sur  le  bout  central  pneumo-gastrique,  coupé 
dans  la  région  du  cou,  nous  déterminons  une  suracti- 
vité dans  la  fonction  glycogénique,  qui  fait  apparaître 
le  sucre  dans  les  urines. 

Or,  dans  ces  actions  sympathiques,  il  peut  se  pré- 
senter deux  cas  qui  deviendront  deux  causes  de  dia- 
bète :  ou  bien  les  organes  qui  sont  en  connexité  d'ac- 
tion avec  le  foie  reçoivent  des  impressions  plus  vives 
et  les  transmettent  à  l'organe  hépatique;  ou  bien  les 
excitations  venues  du  dehors  restant  les  mêmes,  le  foie 
est  devenu  plus  excitable  et  sécrète  davantage. 

Dans  le  dernier  cas,  on  comprendra  que  les  aliments 
absorbés  dans  l'intestin  et  charriés  par  la  veine  porte, 
réagissent  d'une  manière  plus  énergique  sur  l'organe 
devenu  plus  irritable,  et  produisent  ainsi  le  diabète. 

Nous  vous  avons  dit,  en  effet,  que  l'on  faisait  appa- 
raître le  sucre  dans  l'urine  des  animaux  en  leur  injec- 
tant dans  la  veine  porte  de  l'ammoniaque  ou  de  l'éther. 

On  comprend  qu'un  liquide  plus  excitant,  ou  un 
foie  plus  excitable  puisse  déterminer  les  mêmes  effets. 


A  LA   PATHOLOGIE  DU   DIABÈTE.  429 

11  resterait  à  savoir  si  la  matière  sucrée  ne  serait  pas, 
dans  les  cas  de  diabète,  un  excitant  du  foie,  car  on  s'a- 
perçoit que  chez  les  malades,  pour  peu  qu'on  leur 
donne  des  matières  féculentes  ou  saccharoïdes,  les  uri- 
nes présentent  aussitôt  de  grandes  quantités  de  sucre 
qui  ne  sont  nullement  en  proportion  avec  la  quantité 
de  celte  même  matière  qui  a  pu  être  introduite  dans 
l'intestin. 

Dans  d'autres  cas,  sans  que  le  foie  lui-même  soit 
malade,  l'excitation  peut  encore  venir  d'un  autre  or- 
gane et  être  transmise  par  action  réfiexe. 

Quand  on  porte,  par  exemple,  une  irritation  sur  le 
poumon,  dont  les  fonctions  sont  liées  d'une  manière  si 
intime  avec  celles  du  foie,  on  détermine  une  plus 
grande  sécrétion  du  sucre,  qui  peut  alors  passer  dans 
les  urines,  ainsi  que  cela  a  lieu  sous  l'influence  des  va- 
peurs qui  excitent  le  poumon.  Ici  l'irritation  agit  sur 
les  extrémités  nerveuses  des  filets  du  pneumo-gastrique, 
qui  existent  dans  le  poumon,  de  la  même  manière  que 
le  galvanisme  agit  quand  on  excite  directement  le  bout 
central  du  mêaie  nerf,  coupé  dans  la  région  du  cou. 

Et  ce  qui  tend  encore  à  prouver  qu'il  en  est  ainsi,  c'est 
que,  si  après  cette  section  du  même  nerf,  on  fait  res- 
pirer à  l'animal  les  mêmes  vapeurs  irritantes  qui  tout 
à  l'heure  produisaient  le  diabète,  on  n'obtient  plus 
rien  de  semblable,  parce  que  l'impression  portée  sur 
le  poumon  n'arrive  plus  aux  centres  nerveux. 

11  pourrait  donc  se  faire  que  le  poumon  fût  plus 
excitable,  et  que  l'action  de  l'air  produisit  sur  lui  une 
impression  plus  vive  qu'à  l'état  normal  ;  dès  lors  le  foie 


430  PHYSIOLOGIE  DU    DIABÈTE. 

serait  aussi  plus  vivement  excité.  On  sait,  en  effet,  que 
les  diabètes  meurent  presque  tous  de  phthisie  pul- 
monaire. Cette  affection  a-t-elle  précédé  celle  du  foie 
ou  en  est-elle  une  conséquence,  c'est  ce  qu'il  serait 
difficile  de  déterminer. 

Pour  produire  le  diabète,  il  y  aurait  donc  deux  or- 
dres de  lésions,  les  unes  intérieures  au  foie,  les  autres 
qui  lui  sont  extérieures.  De  sorte  que,  lorsqu'on  veut 
localiser  la  maladie,  il  faut  savoir  qu'on  peut  en  trou-^ 
ver  le  point  de  départ  dans  une  infinité  de  parties  de 
l'organisme,  et  l'on  voit  aussi  combien  un  problème 
pathologique  est  compliqué,  mais  combien  aussi  il  est 
susceptible  de  s'éclairer  pas  les  données  physiologi- 
ques. 


VINGT-TROISIÈME  LEÇON 

17  MARS  1855. 

SOMMAIRE  :  Symptômes  du  diabète.  —  C'est  une  maladie  apyrétique.  —  Ca- 
ractères des  urines.  —  Sucre.  —  Sucre  de  lait  dans  l'urine  d'une  femme 
récemment  accouchée.  —  La  présence  du  sucre  dans  l'urine  suffit-elle  pour 
caractériser  le  diabète?  —  Présence  passagère  du  sucre  dans  les  urines.  — 
Diabètes  intermittents.  —  Aigus.  —  Alternants.  —  Continus.  —  De  l'urée 
dans  l'urine  des  diabétiques.  —  Acide  urique.  —  Albumine.  —  Quantité 
des  urines  dans  le  diabète.  —  Leur  rapport  avec  les  boissons  ingérées.  — 
Observation.  —  Boulimie  et  polydipsie.  —  Absence  de  la  sueur.  —  Théorie 
à  ce  sujet.  —  Phénomènes  nerveux  accompagnant  le  diabète.  —  Influence 
des  féculents  sur  le  diabète.  —  Influence  des  médicaments  énergiques  sur 
les  symptômes  du  diabète. 


Messieurs, 

Nous  ne  pouvons  qu'esquisser  très-largement  les  ca- 
ractères du  diabète,  parce  que  le  temps  nous  presse. 

Dans  la  dernière  séance,  nous  avons  jeté  un  coup 
d'œil  rapide  sur  le  siège  anatomo-pathologique  de  cette 
affection.  Aujourd'hui  nous  allons  en  examiner  les  ma- 
nifestations extérieures,  c'est-à-dire  les  symptômes. 

Nous  devons  d'abord  remarquer  que  le  caractère  es- 
sentiel du  diabète,  c'est  d'être  une  maladie  ne  ressem- 
blant en  rien  aux  maladies  aiguës  ou  fièvres  continues 
qui  entraînent  après  elle  l'abolition  des  fonctions  diges- 
tives  ou  nutritives,  et  obligent  les  malades  à  rester  dans 
leur  lit,  etc.  Le  diabète,  au  contraire,  est  ce  qu'on  ap- 
pelle une  maladie  apyrétique.  Cette  affection,  loin  d'en- 


432  APPLICATION   DE   LA    PHYSIOLOGIE 

traîner  une  diminution  ou  une  abolition  des  facultés 
digestives,  coïncide  plutôt,  au  contraire,  avec  une  exa- 
gération de  ces  mêmes  fonctions  :  la  faim,  la  soif,  sont 
souvent  considérablement  augmentées,  les  digestions 
très-actives,  et  cependant,  à  côté  de  cette  suractivité  des 
propriétés  digestives,  nous  voyons  les  individus  maigrir 
rapidement  et  arriver  à  un  état  de  marasme  qui  est 
même  un  des  caractères  de  la  maladie.  Ceci  prouve 
qu'il  y  a  une  perversion  dans  un  des  points  des  facultés 
nutritives.  Les  aliments,  quoique  parfaitement  digérés 
et  absorbés,  ne  remplissent  pas  leurs  usages  ordinaires 
de  restaurer  l'individu,  et,  malgré  cette  alimentation 
surabondante,  l'organisme  s'affaiblit,  soit  que  l'on  con- 
sidère que  l'action  morbide  agisse  mécaniquement  en 
donnant  lieu  à  des  pertes  exagérées  qui  ne  peuvent  se 
réparer  suffisamment,  soit  qu'on  considère  l'action 
morbide  comme  un  dérangement  chimique  qui  rend 
les  aliments  digérés  impropres  à  l'assimilation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  allons  passer  rapidement  en 
revue  les  différents  symptômes  du  diabète,  et  voir  leur 
relation  avec  les  phénomènes  normaux  de  la  fonction 
glycogénique. 

Examinons  d'abord  le  symptôme  le  plus  saillant  et 
celui  qui  est  regardé  comme  le  principal  caractère.  Je 
veux  parler  de  l'examen  des  urines. 

La  modification  essentielle  et  pathognomonique  des 
urines  des  diabéti'^es,  c'est  la  présence  d'un  sucre 
analogue  au  glucose,  ayant  la  propriété,  comme  vous 
savez,  de  dévier  à  droite  le  rayon  polarisé,  de  brunir  par 
la  potasse,  de  réduire  les  sels  de  cuivre,  de  fermenter  en 


A  LA  PATHOLOGIE  DU   DL\BÈTE.  433 

donnant  de  l'acide  carbonique  et  de  l'alcool.  On  ne 
trouve  jamais  dans  les  urines  une  autre  espèce  de  sucre, 
quand  même  ce  principe  y  arriverait  accidentellement 
par  une  ingestion  considérable  de  matières  sucrées. 
Quand  les  diabétiques,  par  exemple,  prennent  du  sucre 
de  canne,  ils  rendent  toujours  du  sucre  de  diabète,  et 
jamais  du  sucre  de  première  espèce  en  nature. 

Quand  un  homme  bien  portant  ou  un  animal  ingè- 
rent, étant  à  jeun,  une  quantité  considérable  de  sucre 
de  canne,  il  arrive  souvent,  comme  nous  vousl'avons  dit 
déjà,  qu'une  certaine  quantité  de  sucre  peut  passer  dans 
les  urines  ;  mais  on  le  trouve  toujours  à  l'état  de  glucose, 
ce  qui  tient  sans  aucun  doute  à  une  transformation  qu'il 
a  dû  subir  en  traversant  le  foie. 

Cependant,  quand  le  sucre  est  ingéré  en  aussi  grande 
quantité  et  surtout  dans  une  liqueur  très-concentrée,  il 
peut  arriver,  ainsi  que  cela  a  été  dit  ailleurs,  qu'il  y  ait 
une  endosmose  directe  entre  l'intestin  et  la  vessie,  à 
travers  les  parois  de  ces  organes,  sans  que  le  sucre,  dans 
cette  circonstance,  soit  changé  de  nature.  C'est  sans 
doute  à  des  phénomènes  de  ce  genre  que  sont  dus  les 
résultats  obtenus  par  Schmidt,  qui  dit  avoir  trouvé  à  la 
fois  du  sucre  de  canne  et  du  sucre  de  raisin  dans  l'urine 
des  chats,  dans  l'estomac  desquels  il  avait  ingéré  une 
solution  concentrée  de  sucre  de  canne.  Il  peut  se  pro- 
duire dans  ces  cas  quelque  chose  d'analogue  à  ce  qui  a 
lieu  quand  on  injecte  dans  l'estomac  d'un  animal  mort 
une  dissolution  concentrée  de  sucre  de  canne  :  au  bout 
d'un  certain  temps  on  en  retrouve  dans  la  vessie. 
Dans  un  cas,  en  examinant  l'urine  d'une  femme  qui 

BERNARD.    I.  2  8 


434  APPLICATION  DE    LA   PHYSIOLOGIE 

avait  présenté  pendant  l'accouchement  des  phénomènes 
d'éclampsie,  et  qui  avait  en  même  temps  de  l'albumine 
dans  les  urines,  j'ai  trouvé  des  proportions  assez  consi- 
dérables de  sucre,  qui  me  parut  être  du  sucre  de  lait, 
parce  que  ce  sucre  présentait  tous  les  caractères  du 
glucose,  sauf  la  fermentation  qui  fut  excessivement 
lente.  La  présence  de  ce  sucre  de  lait  pouvait,  jusqu'à 
un  certain  point,  s'expliquer,  parce  que  cette  femme, 
nouvellement  accouchée  et  n'allaitant  pas  son  enfant, 
avait  les  mamelles  distendues  par  le  lait.  C'est  le  seul 
cas  de  ce  genre  que  j'aie  eu  l'occasion  d'observer,  et  il 
serait  intéressant  de  savoir  si  le  sucre  de  lait,  dans  ces 
circonstances,  se  rencontre  toujours  ou  souvent  dans 
les  urines. 

On  voit  donc  par  cela  que  les  urines  des  diabétiques 
sont  caractérisées  par  une  espèce  de  sucre  bien  déter- 
miné, tout  à  fait  analogue  au  sucre  de  fécule,  et  que  la 
présence  du  sucre  de  canne  et  du  sucre  de  lait,  dans 
les  urines,  ne  peut  être  due  qu'à  des  circonstances  tout  à 
fait  exceptionnelles  et  qui  ne  constituent  jamais  un  cas 
de  diabète. 

Mais  la  présence  dans  l'urine  du  sucre  de  diabète 
analogue  à  celui  du  foie  est-elle  suffisante  pour  carac- 
tériser le  diabète,  et  est-on  diabétique  par  ce  seul  fait 
qu'on  a  trouvé  du  sucre  dans  l'urine?  La  déQnition  de 
la  maladie  ne  saurait  être  aussi  exclusive,  car  nous  avons 
vu  qu'il  peut  accidentellement,  et  d'une  manière  tout  à 
fait  temporaire,  passer  du  sucre,  dans  le  cas  de  certaines 
alimentations,  et  nous  pouvons  dire  aussi  que  le  sucre 
apparaît  dans  certaines  circonstances  sans  que  Ton  soit 


A   LA  PATHOLOGIE   DU   DIABÈTE.  43S 

diabétique.  On  a  dit,  par  exemple,  que  le  sucre  passait 
dans  les  urines  chez  les  épileptiques  pendant  l'accès  ;  ce 
fait,  qui  n'a  pas  été  confirmé  par  tous  les  observateurs, 
peut,  suivant  nous,  s'expliquer  par  un  trouble  momen- 
tané du  système  nerveux  qui  ait  pour  effet,  soit  de  chas- 
ser par  les  convulsions  une  plus  grande  quantité  de  su- 
cre du  foie,  soit  de  produire  cette  apparition  par  -un 
autre  mécanisme;  mais,  dans  tous  le  cas,  ce  sont  des 
quantités  très-faibles  qui  existent  alors. 

On  a  encore  dit  qu'il  y  avait  du  sucre  dans  l'urine 
des  vieillards  dans  certains  états  pathologiques  du  pou- 
mon, ainsi  que  chez  des  vieillards  atteints  de  gangrène 
sénile.  On  a  même  prétendu  que  les  diabétiques  pou- 
vaient être  plus  facilement  atteints  de  gangrène,  ce  que 
je  n'ai  jamais  observé,  etc. 

Il  peut  se  faire  que  dans  un  certain  nombre  de  cir- 
constances qui  sont  encore  à  déterminer,  car  il  y  a  dis- 
sidence entre  les  observateurs  à  ce  sujet,  le  sucre  se  ma- 
nifeste dans  les  urines  d'une  manière  passagère.  Mais, 
dans  tous  ces  cas,  la  matière  sucrée  est  en  très-faible 
quantité,  et  nous  pensons  qu'on  ne  peut  pas  les  ranger 
sous  la  catégorie  de  diabète  dans  lequel,  non-seulement 
le  sucre  est  beaucoup  plus  abondant,  mais  se  présente 
accompagné  d'autres  phénomènes.  Il  y  a  ici  à  faire  pour 
le  diabète  la  distinction  que  M.  Rayer  a  établie  depuis 
longtemps  pour  la  maladie  de  Bright  (1),  à  savoir,  que 
l'albumine  qui  caractérise  spécialement  les  urines  dans 
cette  affection  se  rencontre  dans  beaucoup  d'autres  cas 


(1)  Traité  des  maladies  des  reins  et  des  altérations  de  la  sécrétion  ur 


maij^e. 


436  APPLICATION  DE   LA   PHYSIOLOGIE 

qu'on  ne  saurait  considérer  comme  des  cas  d'albumi- 
nurie. 

Il  en  est  de  même  du  sucre  qui,  bien  qu'il  caracté- 
rise le  diabète,  peut  se  rencontrer  dans  d'autres  cas  qui 
ne  doivent  pas  pour  cela  être  rapportés  à  cette  affection. 

Nous  avons  dit  aussi  que  la  présence  du  sucre^  en 
certaine  quantité  et  d'une  manière  durable,  était  un 
des  caractères  du  diabète;  cependant  nous  devons 
nous  rappeler  qu'il  y  a  des  diabètes  intermittents  dans 
lesquels  le  sucre  n'apparaît  qu'au  moment  de  la  diges- 
tion pour  disparaître  dans  l'intervalle  de  deux  repas, 
mais  qui  finissent  souvent  par  aboutir  au  diabète  con- 
tinu. Nous  devons  savoir  aussi  qu'il  y  a  ce  qu'on  appelle 
des  diabètes  aigus^  c'est-à-dire  des  diabètes  dans  les- 
quels le  sucre  apparaît  subitement  et  avec  intensité  dans 
les  urines,  le  plus  ordinairement  sous  l'influence  d'une 
cause  morale,  et  disparaît  ensuite  rapidement  sous 
l'influence  d'un  traitement  quelconque.  Nous  devons 
savoir  encore  reconnaître  ce  qu'on  pourrait  appeler  des 
diabètes  alternants,  c'est-à-dire  des  diabètes  se  succé- 
dant par  accès  avec  les  symptômes  d'une  autre  mala- 
die, et,  particulièrement,  avec  des  accès  dégoutte  ou  de 
rhumatisme.  On  voit  quelquefois  des  malades  goutteux, 
dont  les  urines  contiennent  beaucoup  d'acide  urique, 
présenter  tout  à  coup  le  symptôme  des  diabétiques,  et 
les  urines  se  charger  de  sucre,  c'est-à-dire  la  goutte  se 
changer  en  un  accès  de  diabète.  M.  Rayer  cite  un  cer- 
tain nombre  de  ces  cas,  et  moi-même  j'en  connais  un 
qui  est  très- caractérisé. 

Enfin,  on  a  encore  parlé  des  diabètes  périodiques, 


A  LA   PATHOLOGIE   DU    DL\BÉTE.  437 

c'est-à-dire  dans  lesquels  la  maladie  ne  se  manifeste 
que  par  périodes  distinctes,  apparaissant  de  loin  en 
loin. 

Peut-être  pourrait-on  encore  admettre  d'autres  for- 
mes de  diabètes  ;  mais  de  toutes,  la  plus  grave  est,  sans 
contredit,  le  diabète  continu.  Dans  tous  ces  cas,  la 
quantité  de  sucre  est  bien  plus  considérable  au  mo- 
ment oîi  la  digestion  est  dans  toute  son  activité,  c'est- 
à-dire  environ  quatre  ou  cinq  heures  après  un  repas, 
ce  qui  est  parfaitement  d'accord  avec  les  données 
physiologiques. 

En  même  temps  que  les  urines  des  diabétiques  pré- 
sentent du  sucre,  elles  offrent  encore  d'autres  carac- 
tères soit  dans  leur  quantité,  soit  dans  quelques-uns 
de  leurs  principes  constituants  ;  c'est  ce  que  nous  allons 
examiner  successivement. 

On  a  dit  que  les  urines  des  diabétiques  ne  contenaient 
pas  d'urée,  et  l'on  en  a  conclu  que,  chez  les  diabéti- 
ques, cette  substance  ne  se  formait  plus.  Schmidt,  en 
particulier,  se  basant  sur  cette  idée,  émet  l'hypothèse 
que  les  matériaux  de  l'urée  peuvent  servir  à  faire  le  su- 
cre, et  que  la  quantité  de  sucre  produite  serait  d'autant 
plus  grande  que  la  quantité  d'urée  serait  moindre. 

Mac  Gregor  prétend,  au  contraire,  que  les  diabéti- 
ques ont  beaucoup  plus  d'urée  que  les  hommes  en 
état  de  santé,  parce  que,  dit-il,  si  l'on  trouve  moins 
d'urée  dans  un  litre  d'urine  d'un  diabétique  que  dans 
un  litre  d'urine  d'un  homme  sain,  cela  tient  à  ce  que 
Turine  des  diabétiques  est  beaucoup  plus  diluée;  mais 
si  l'on  rassemble  toutes  les  urines  pendant  vingt-quatre 


438  APPLICATION   DE    LA   PHYSIOLOGIE 

heures,  on  reconnaît  que  la  quantité  totale  d'urée  e«L 
plus  considérable  que  dans  Tétat  normal. 

Cependant,  aux  observations  de  Mac  Gregor  on  peut 
opposer  celle  de  Lehmann,  qui  a  trouvé  que,  même  en 
prenant  l'urine  de  vingt-quatre  heures,  la  quantité  de 
l'urée  est  moindre  chez  les  diabétiques.  C'est  encore 
sur  cette  diminution  de  l'urée,  observée,  d'ailleurs,  de- 
puis très-longtemps,  que  serait  fondé  le  traitement  de 
Nicolas  et  Gueudeville,  dans  lequel  on  donnait  de  l'am- 
moniaque. C'est  sur  cette  même  croyance  que  MM.  Yau- 
quelin  et  Ségalas  ont  eu  l'idée  de  faire  prendre  de 
l'urée  aux  diabétiques  pour  en  faire  revenir  dans  les 
urines  ;  mais  l'expérience  ne  répondit  pas  à  leur  pré- 
vision, et  chez  les  diabétiques  qui  prenaient  des  quan- 
tités considérables  d'urée,  on  n'en  trouva  pas  davan- 
tage dans  les  urines  :  ce  qui  tient  à  ce  que  l'urée  dans 
l'estomac  se  transforme  en  sels  ammoniacaux,  et  que 
les  malades  en  question,  au  lieu  d'absorber  de  l'urée, 
ne  prenaient,  en  réalité,  que  du  carbonate  d'ammonia- 
que. La  même  transformation  de  l'urée  a  lieu  quand 
elle  est  excrétée  par  les  voies  digestives.  Ainsi,  sur  les 
chiens  qui  ont  eu  les  reins  enlevés,  l'urée  sort  du  sang 
pendant  le  premier  jour  après  l'opération,  à  l'état 
de  carbonate  d'ammoniaque. 

L'acide  urique  se  rencontre  rarement  aussi  dans  les 
urines  des  diabétiques,  et  l'on  a  même  cru  que  la  pré- 
sence du  sucre  était  incompatible  avec  cette  matière. 
Mais  il  n'en  est  rien;  car,  s'il  arrive  quelquefois  qu'on 
ne  rencontre  pas  d'acide  urique,  on  en  trouve  d'autres 
fois  d'une  manière,  très-évidente,  et  même  quelquefois 


A   LA  PATHOLOGIE   DU    DL\BÉTE.  439 

en  quantités  suffisantes  pour  que  cet  acide  forme  des 
dépôts  cristallins. 

Da  reste,  en  général,  on  doit  dire  que  la  matière  su- 
crée n'exclut  aucun  autre  des  éléments  de  l'urine,  et 
que,  si  l'urée  et  l'acide  urique  n'existent  pas  chez  les 
diabétiques,  où  le  sucre  est  en  très-grande  proportion  et 
les  urines  très-abondantes,  ces  principes  peuvent  exis- 
ter dans  d'autres  circonstances,  surtout  chez  des  dia- 
bétiques qui  n'ont  pas  de  polydipsie  et  qui  ne  rendent 
pas  plus  d'urine  que  dans  l'état  normal. 

Enfin,  il  est  encore  une  matière  qu'on  peut  rencon- 
trer dans  l'urine  des  diabétiques,  et  à  laquelle  on  a  at- 
tribué une  certaine  importance  :  c'est  l'albumine  qui 
apparaît  quelquefois  pendant  la  dernière  période  de  la 
maladie  chez  les  diabétiques.  MM.  Thénard  et  Du- 
puytren  pensaient  que  c'était  un  symptôme  favorable, 
parce  que  cela  indiquait  la  réapparition  des  matières 
animales  dans  l'urioe,  qui  sont  généralement  d'autant 
moins  abondantes  que  le  diabète  est  plus  intense,  et 
qui  reparaissent  successivement  à  mesure  que  le  sucre 
diminue.  M.  Rayer  croit,  au  contraire,  d'après  des  ré- 
sultats cliniques,  que  c'est  toujours  un  symptôme  fâ- 
cheux et  grave  pour  le  pronostic,  lorsqu'on  voit  l'al- 
bumine apparaître  dans  les  urines,  la  physiologie  appuie 
cette  dernière  manière  de  voir,  en  ce  que  l'on  produit 
quelquefois,  comme  nous  l'avons  dit,  par  la  piqûre  de 
la  moelle  allongée,  l'apparition,  dans  l'urine,  de  l'al- 
bumine en  même  temps  que  celle  du  sucre.  Or,  ce  der- 
nier cas  n'arrive  que  lorsque  la  lésion  traumatique 
porte  plus  haut  et  produit  des  désordres  plus  graves, 


.  440  APPLICATION   DE   LA  PHYSIOLOGIE 

de  sorte  que  les  animaux  meurent  généralement  de  la 
lésion  qui  produit  ces  deux  symptômes  à  la  fois. 

Enfin,  nous  terminerons  ce  que  nous  voulons  dire 
sur  les  urines  des  diabétiques,  en  ajoutant  que  leur 
l'éaction  est  généralement  acide,  et  que,  lorsque  cette 
urine  est  abandonnée  à  elle-même,  il  s'y  développe 
spontanément  des  globules  de  ferment  alcoolique  ou 
levure  de  bière. 

Nous  devons  actuellement  nous  arrêter  sur  la  quan- 
tité des  urines  fournies  par  des  diabétiques.  On  a  dit 
depuis  très-longtemps  que  ces  malades  rendaient  des 
quantités  énormes  d'urines.  Nous  savons  que  ce  carac- 
tère n'est  pas  constant,  car  on  peut  trouver  des  diabéti- 
ques qui  ne  rendent  pas  plus  d'urines  qu'à  l'état 
normal  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  polydip- 
sie  est  un  symptôme  grave  et  qui  se  rencontre  fréquem- 
ment alliée  au  diabète.  Seulement,  on  a  prétendu  qu'il 
y  avait  des  diabétiques  qui  rendaient  des  quantités 
d'urine  plus  grandes  que  la  quantité  des  boissons 
absorbées  ;  de  sorte  que,  pour  expliquer  cet  excès,  il 
fallait  invoquer  des  hypothèses,  à  savoir,  que  les  dia- 
bétiques pouvaient  absorber  de  la  vapeur  d'eau  par 
les  poumons  ou  par  la  peau,  dont  les  fonctions  seraient 
alors  perverties  ;  qu'ils  pouvaient  fabriquer  directe- 
ment de  l'eau  avec  l'oxygène  de  l'air  ou  l'hydrogène 
provenant  de  leurs  ahments,  etc. 

Toutes  ces  hypothèses  reposaient  nécessairement  sur 
l'exactitude  du  fait  qu'elles  voulaient  expliquer  ;  mais, 
dernièrement,  M.  Nasse  a  avancé  qu'aucun  de  ces  faits 
ne  paraissait  être  exact,  car  cet  auteur,  ayant  voulu  les 


A  LA  PATHOLOGIE    DU   DL\BÈTE.  441 

vérifier,  fut  conduit  à  des  résultats  analogues  d'abord, 
puis  il  reconnut  bientôt  une  cause  d'erreur  venant  de 
la  part  des  malades,  qui  n'accusaient  pas  la  moitié  des 
boissons  qu'ils  prenaient. 

Pour  éviter  cette  source  d'erreur,  M.  Nasse  enferma 
les  malades  dans  des  appartements  séparés,  en  leur 
donnant  des  boissons  autant  qu'ils  en  désiraient,  mais 
sans  qu'ils  pussent  s'en  procurer  autrement.  Or  dans  ces 
cas,  jamais  cet  auteur  n'a  observé  qu'il  y  ait  une  quantité 
d'urine  rendue  excédant  celle  de  l'eau  contenue  dans 
les  boissons  ou  dans  les  aliments,  de  sorte  qu'il  faut  re- 
noncer tout  à  fait  à  admettre  comme  réel  ce  phénomène, 
ainsi  que  les  hypothèses  qui  servaient  à  l'expliquer. 

Nous  allons  passer  aux  phénomènes  qui  se  rappor- 
tent aux  fonctions  digestives.  On  a  signalé  comme 
symptôme  du  diabète  la  boulimie^  c'est-à-dire  l'appétit 
exagéré,  ainsi  qu'une  soif  ardente.  Ces  phénomènes 
existent  sans  doute  dans  beaucoup  de  cas,  et  dans 
les  plus  graves,  mais  on  ne  saurait  cependant  re- 
garder ces  symptômes  comme  pathognomoniques  de 
cette  affection  ;  car,  d'une  part,  on  ne  les  trouve  pas 
dans  tous  les  cas  de  diabète,  et,  d'autre  part,  on  les 
rencontre  aussi  dans  d'autres  maladies.  Ainsi,  dans 
lapolydipsie,  la  boulimie  et  la  soif  ardente  sont  aussi 
fréquentes  que  dans  le  diabète  proprement  dit,  et 
chez  les  diabétiques  oii  la  quantité  d'urine  émise  n'est 
pas  très-considérable,  la  soif  et  l'appétit  n'ont  rien 
d'exagéré,  de  sorte  que  ces  phénomènes  seraient  plutôt 
en  rapport  avec  la  quantité  des  excrétions  qu'avec  la 
présence  ou  l'absence  du  sucre -dans  les  urines. 


442  APPLICATION   DE  LA   PHYSIOLOGIE 

Du  reste,  on  a  toujours  mis  en  rapport  la  soif  des 
diabétiques  avec  la  déperdition  considérable  de  liquide 
par  les  voies  urinaires,  et  la  boulimie,  la  polydipsie, 
n'étaient  que  l'expression  du  besoin  de  réparation  des 
matières  solides  et  liquides  incessamment  rejetées. 

On  a  cherché  à  expliquer  l'expulsion  considérable 
des  urines  par  la  présence  du  sucre  qui,  ayant  un  pou- 
voir endosmotique  considérable,  peut  traverser  avec 
plus  de  facilité  les  parois  des  capillaires  des  reins.  Sans 
entrer  dans  l'appréciation  de  cette  explication,  nous  re- 
marquerons qu'elle  n'embrasse  pas  tous  les  faits,  puis- 
que Qous  retrouvons  la  même  abondance  d'urines  dans 
la  polydipsie  simple.  On  a  expliqué  aussi  cette  exagé- 
ration dans  les  phénomènes  digestifs  par  une  propriété 
d'absorption  plus  grande  que  dans  l'état  normal.  Le 
fait  est  évident,  mais  sa  cause  n'est  nullement  connue, 

On  a  encore  parlé  d'un  autre  symptôme  fréquent  chez 
les  diabétiques,  c'est  l'absence  de  la  sueur,  et  l'on  a 
même  fait  à  ce  sujet  des  théories  très-singulières.  On  a 
supposé,  par  exemple,  que  la  sueur  étant  arrêtée  chez 
les  diabétiques,  l'acide  qui,  à  l'état  normal,  constitue 
un  des  principes  de  cette  sécrétion,  restait  dans  le  sang, 
devenu  alors  moins  alcalin,  et  empêchait  par  là  le 
sucre  de  se  détruire.  Cette  hypothèse,  qui  ne  repose 
sur  aucune  preuve  directe,  puisqu'on  n'a  jamais  trouvé 
de  sang  moins  alcalin  chez  les  diabétiques,  se  base 
aussi  sur  un  fait  qui  n'est  pas  constant  ;  car  s'il  y  a 
beaucoup  de  malades  dans  lesquels  la  sueur  est  arrêtée, 
il  y  en  a  un  grand  nombre  aussi  dans  lesquels  ce  phé- 
nomène n'a  pas  lieu.  Toutefois  l'apparition  du  diabète 


A  LA    PATHOLOGIE   DU  DIABÈTE.  443 

lui-même  coïncide  souvent  avec  un  refroidissement  à 
la  suite  duquel  la  transpiration  est  supprimée,  et  l'on  a 
remarqué  que  la  peau  devient  souvent  rude  et  écail- 
leuse. 

On  a  donné  encore  cette  explication  que  l'acide  de 
la  sueur,  se  trouvant  alors  éliminé  par  l'estomac,  de- 
venait la  cause  d'une  excitation  d'où  résultait  un  appétit 
exagéré. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  discuter  de  pareilles  supposi- 
tions. 

Maintenant  nous  arrivons  à  un  ordre  de  considéra- 
tions qui  se  rapportent  à  un  appareil  dont  le  rôle  est  plus 
important  dans  la  production  du  diabète,  ce  sont  celles 
qui  sont  relatives  au  système  nerveux.  Jusqu'à  présent 
on  a  peu  insisté  sur  ces  phénomènes.  Nicolas  et  Gueu- 
deville  considèrent  que  le  tempérament  musculaire  est 
une  prédisposition  au  diabète  ;  mais  cependant  il  paraît 
bien  établi  que  ce  sont  les  tempéraments  nerveux  qui 
sont  plus  disposés  à  ce  genre  d'affection.  Depuis  que 
l'attention  a  été  portée  de  ce  côté  par  les  expériences 
que  nous  avons  faites  sur  les  animaux,  on  a  fréquem- 
ment observé  des  troubles  du  système  nerveux  chez 
les  diabétiques,  et  M.  Rayer  considère  qu'il  y  a  à 
peu  près  constamment  des  désordres  nerveux  chez  ces 
malades.  Seulement  ces  troubles  sont  excessivement 
variés,  comme  les  manifestations  elles-mêmes  du  sys- 
tème nerveux.  Tantôt  ce  sont  des  désordres  de  sensi- 
bilité, de  mouvement  ou  des  phénomènes  intellectuels, 
mais  le  plus  souvent  ces  troubles  portent  sur  les  or- 
ganes intérieurs  ou  sur  les  organes  génitaux  ;  ces  der- 


444  APPLICATION  DE    LA   PHYSIOLOGIE 

niers  sont  souvent  exaltés  dans  leur  action  au  com- 
mencement de  la  maladie,  mais,  plus  tard,  à  une 
période  plus  avancée,  leurs  facultés  s'abolissent  com- 
plètement. 11  y  a  même  souvent  des  troubles  de  la  vue, 
et  l'on  a  signaléla  cataracte  comme  étant  un  symptôme 
accompagnant  souvent  le  diabète. 

L'affection  diabétique  peut  être  également  en  rap- 
port avec  des  lésions  directes  du  centre  nerveux.  C'est 
ainsi  qu'on  a  fait  une  nouvelle  espèce  de  diabète  trau- 
matique  qui  serait  la  conséquence  de  certaines  lésions 
directes  ;  ainsi  on  a  observé,  après  des  chutes,  des 
commotions  qui  ont  été  suivies  de  diabète  plus  ou 
moins  persistant. 

Nous  devons  maintenant  chercher  à  comprendre 
pourquoi  le  diabète  est  regardé  comme  une  maladie 
grave-;  autrefois  on  le  considérait  même  comme  com- 
plètement incurable.  Aujourd'hui  le  pronostic  est  moins 
grave,  ce  qui  tient  sans  doute  à  ce  qu'on  reconnaît 
plus  facilement  le  diabète  à  l'aide  des  caractères  chi- 
miques de  l'urine,  ce  qui  n'avait  pas  lieu  autrefois,  où 
l'on  ne  devait  diagnostiquer  ces  affections  que  quand 
elles  étaient  arrivées  au  degré  le  plus  intense. 

Nous  savons,  d'autre  part,  que  le  signe  réellement 
pathognomoniqueest  l'émission  du  sucre  par  les  urines 
en  quantité  considérable  et  d'une  manière  permanente 
coïncidant  généralement  avec  des  perturbations  dans 
les  fonctions  du  système  nerveux.  Car  les  autres  symp- 
tômes, tels  que  la  bouhmie,  n'offrent  pas  une  gravité 
très-grande,  puisqu'on  les  trouve  dans  la  polydipsie, 
dont  le  pronostic  n'est  pas  très-fâcheux.  On  rencontre 


A  LA  PATHOLOGIE   DU   DIABÈTE.  445 

également  des  troubles  nerveux  dans  une  foule  d'autres 
cas  peu  sérieux,  de  sorte  que,  en  réalité,  il  paraîtrait 
que  c'est  à  la  pertuibation  de  la  fonction  glycogénique 
qu'il  faut  attribuer  toute  la  gravité  de  la  maladie.  Gom- 
ment l'altération  de  cette  fonction  glycogénique  peut- 
elle  avoir  des  conséquences  si  fâcheuses? 

Si  nous  consultons  les  lumières  que  nous  fournit  la 
physiologie  sur  ce  point,  nous  nous  rappellerons  qu'il 
paraît  y  avoir  dans  le  foie  des  diabétiques  deux  choses, 
d'abord  une  formation  exagérée  du  sucre  qui  augmente 
encore  sous  l'influence  d'une  alimentation  sucrée,  ce 
qui  n'a  pas  lieu  dans  l'état  normal.  Or,  voici  ce  qui 
semble  arriver  chez  les  diabétiques.  Le  sucre  se  forme, 
comme  nous  l'avons  vu,  aux  dépens  des  matières  albu- 
minoïdes.  Chez  l'homme  sain,  il  est  clair  qu'une  partie 
seulement  des  matières  albuminoïdss  est  consommée 
pour  cet  usage.  Le  diabétique,  qui  fait  beaucoup  de 
sucre,  dépense  une  bien  plus  grande  quantité  de  sub- 
stance azotée;  le  sang  s'appauvrit,  et,  bien  que  l'indi- 
vidu mange  énormément,  il  maigrit  comme  un  homme 
mal  nourri.  Le  foie  prend  en  quelque  sorte  la  ration 
des  autres  organes,  qui  subissent  alors  une  atténuation 
considérable,  parce  qu'il  transforme  en  sucre  leurs  élé- 
ments albumineux. 

On  avait  compris  de  tout  temps  que  c'était  par  suite 
de  cette  disparition  des  éléments  azotés  que  la  maladie 
était  grave;  aussi  les  médecins  conseillent  universelle- 
ment, dans  cette  affection,  l'usage  d'ahments  exclusive- 
ment albuminoïdes. 

Depuis  Rollo  on  cherche  à  donner  aux  diabétiques 


446  APPLICATION   DE  LA  PHYSIOLOGIE 

de  l'azote  sous  toutes  les  formes,  et  c'est,  je  crois,  ce 
qu'il  y  a  de  plus  conforme  aux  notions  physiologiques. 

Il  y  a  une  autre  considération  qui  doit  faire  pros- 
crire du  régime  des  diabétiques  les  aliments  végétaux  ; 
c'est  qu'il  est  évident  que  ces  derniers  augmentent  la 
suractivité  fonctionnelle  du  foie  ;  vous  savez  aussi  qu'ils 
sont  excitants  pour  les  reins,  qu'ils  sont  beaucoup  plus 
diurétiques  que  les  matières  animales.  Ainsi,  tous  les 
herbivores  rendent  beaucoup  plus  d'urine  que  les  car- 
nassiers. Il  y  a  donc  encore,  dans  le  régime  azoté  mis 
en  usage  par  les  diabétiques,  l'avantage  de  donner  une 
substance  qui  ne  soit  pas  diurétique. 

Enfin,  nous  terminerons  par  une  dernière  remarque. 
Quand  on  traite  un  diabétique,  il  ne  faut  pas  perdre 
de  vue  que  la  première  condition  de  la  présence  du 
sucre  dans  les  urines  est  un  état  d'activité  parfaite  des 
fonctions  digestives,  et  que  toute  altération  dans  ces 
fonctions  par  une  cause  quelconque  fait  immédiate- 
ment disparaître  le  diabète  pendant  tout  le  temps  que 
dure  l'altération.  Sitôt  qu'un  diabétique  est  pris  de 
fièvre,  il  cesse  d'avoir  du  sucre  dans  ses  urines;  mais 
il  ne  faudrait  pas  en  conclure  que  la  maladie  primi- 
tive a  disparu,  car,  sitôt  la  fièvre  passée,  le  diabète 
reviendra. 

Si  l'on  trouble  les  fonctions  par  une  médication  éner- 
gique, le  diabète  disparaîtra,  jusqu'à  ce  que  ce  trouble 
soit  passé  ;  il  peut  arriver  alors  que,  pendant  un  certain 
temps,  le  malade  ne  présentera  plus  le  symptôme  de 
la  glycosurie. 

Ainsi,  je  connais  Thistoire  d'un  malade  atteint  d'un 


A  LA  PATHOLOGIE   DU   DIABÈTE.  447 

diabète  exlrêmement  rebelle.  On  essaya  sur  lui  un  cer- 
tain nombre  de  médicaments,  et  il  arrivait  que  tous 
diminuèrent  pendant  les  premiers  jours  les  symptômes 
du  diabète.  L'individu  rendait  moins  d'urines  et  elles 
étaient  moins  sucrées  ;  mais,  au  bout  de  quelques  jours, 
le  malade  était  habitué  à  ce  médicament,  et  la  maladie 
revenait  aussi  intense  qu'auparavant.  Il  se  passait,  dans 
ce  cas,  quelque  chose  de  tout  naturel  :  chaque  médica- 
tion nouvelle  apportait  du  trouble  dans  toutes  les  fonc- 
tions, celle  du  foie  était  atteinte  comme  toutes  les 
autres,  et  le  sucre  cessait  alors  momentanément  d'être 
produit  en  aussi  grande  abondance.  Il  ne  faut  donc  ja- 
mais se  faire  illusion  sur  de  semblables  résultats,  et  ne 
pas  considérer  comme  guéri  un  individu  dont  on  aura, 
au  moyen  d'une  médication  quelconque,  empêché  mo- 
mentanément l'apparition  du  sucre  dans  les  urines. 
Messieurs,  le  temps  nous  presse,  et  nous  ne  voulons 
pas  en  dire  plus  long  sur  ce  sujet  :  nous  croyons,  d'ail- 
leurs, qu'il  est  plus  important  que  nous  consacrions 
les  deux  dernières  leçons  qui  nous  restent  à  faire  une 
revue  rapide  des  objections  qui  ont  été  opposées  à  la 
fonction  glycogénique,  et  à  rappeler  les  preuves  de 
toute  nature  à  l'appui  de  cette  même  fonction,  afin  que 
vous  sortiez  d'ici  ayant  l'esprit  bien  ïixé  sur  l'état  actue 
de  la  question. 


VINGT-QUATRIEME  LEÇON 

20  MAiiS  1855. 


SOMMAIRE  :  Revue  succincte  des  objections  faites  à  la  découverte  de  la  fonc- 
tion glycogénique  du  foie.  —  Théorie  de  la  formation  du  sucre  aux  dépens 
des  matières  grasses.  —  La  formation  de  la  matière  sucrée  ne  serait-elle 
pas  localisée  dans  un  point  de  l'organisme?  —  Réfutation  de  ces  opinions. 
—  Mémoire  contre  la  fonction  glycogénique  du  foie.  —  Erreurs  contenues 
dans  ce  travail.  —  Autre  mémoire  dans  lequel  on  a  pour  but  d'établir  que 
le  réactif  cupro-potassique  ne  décèle  pas  toujours  la  présence  du  sucre 
quand  cette  dernière  substance  est  mélangée  avec  l'albuminose.  —  Exa- 
men de  cette  opinion.  —  Expériences.  —  Liaison  de  ces  deux  travaux.  — 
Le  sang  de  l'artère  hépatique  ne  contient  pas  de  sucre.  —  Sucre  formé  par 
la  glande  mammaire,  etc. 


Messieurs, 

Vous  avez  pu  voir  se  vérifier  pendant  la  durée  de  ce 
cours  ce  que  je  vous  disais  au  commencement,  au  su- 
jet de  l'enseignement  du  Collège  de  France,  qui  diffère 
essentiellement  de  celui  des  Facultés  en  ce  qu'il  ne  s'oc- 
cupe que  des  questions  qui  s'agitent  actuellement  dans 
la  science.  Cet  enseignement  ne  pouvait  donc  être  ren- 
fermé strictement  dans  un  programme  prévu  d'avance, 
parce  qu'il  naît  toujours  dans  des  études  de  ce  genre 
une  foule  de  points  de  vue  nouveaux  qui  interrompent 
la  marche  dogmatique  des  idées,  et  auxquels  on  doit 
nécessairement  consacrer  quelques  instants  dans  l'inté- 
rêt même  de  la  science. 

C'est  ce  qui  nous  est  arrivé,  et  vous  avez  vu  qu'au 


EXAMEN  CRITIQUE   DE   LA  GLYCOGÉNIE.  449 

moment  où  nous  exposions  successivement  toutes  les 
preuves  sur  lesquelles  nous  avions  établi  la  fonction 
glycogénique  du  foie,  et  lorsque  nous  étions  parvenu 
au  milieu  du  cours,  une  discussion  s'est  subitement 
élevée  et  nous  a  mis  en  demeure  de  l'examiner,  d'une 
part,  parce  que  c'est  notre  devoir,  et,  d'autre  part, 
parce  que  cette  question  relative  à  la  formation  de 
matière  sucrée  dans  les  animaux  et  les  végétaux  avait 
fait  une  sensation  qui  intéresse  la  physiologie  générale 
au  plus  haut  point. 

Nous  vous  avons  déjà  dit  quelques  mots  de  celte  dis- 
cussion à  l'époque  oii  elle  prit  naissance,  mais  nous 
avons  voulu  la  laisser  se  développer  tout  entière  dans 
tous  les  arguments  avant  de  revenir  sur  elle  d'une  ma- 
nière plus  complète.  Aujourd'hui  nous  pensons  que  la 
plupart  des  objections  se  sont  produites  que  nous  allons 
les  reprendre  devant  vous;  et  cet  examen,  qui  résumera 
en  même  temps  d'une  manière  complète  la  question  qui 
a  fait  le  sujet  de  ce  cours,  nous  permettra  de  formuler 
définitivement  d'une  manière  nette  et  précise  l'état  ac- 
tuel de  la  science  sur  ce  sujet. 

Dans  cette  énumération  des  arguments  nous  ne  dis- 
tinguerons, comme  nous  l'avons  déjà  dit,  aucune  per- 
sonne, nous  ne  chercherons  pas  à  connaître  la  source 
des  arguments,  nous  n'en  discuterons  que  la  valeur. 
Nous  résoudrons,  je  l'espère,  toutes  les  objections  qui 
sont  parvenues  à  notre  connaissance,  et,  s'il  en  existait 
que  nous  ignorions  encore,  nous  serons  heureux  qu'on 
nous  les  adressât,  en  tant  toutefois  qu'elles  seront  ba- 
sées sur  des  faits  d'expérience.  Nous  ne  reconnaissons 

BERNARD.    I.  .    29 


4o0  EXAMEN   DES  OBJECTIONS 

pas  d'autres  arguments,  le  raisonnement  scolastique 
devant  être  banni  désormais  de  toute  discussion  scien- 
tifique. 

Nous  suivrons  tout  naturellement  ici  l'ordre  histo- 
rique, en  prenant  les  travaux  qui  ont  paru  successive- 
ment depuis  la  publication  de  notre  premier  mémoire, 
à  la  fin  de  1848. 

En  1850,  un  chimiste  bien  connu,  M.  Schmidt,  pu- 
blia un  ouvrage  sur  le  choléra  épidémique.  A  la  fin  de 
ce  travail  il  a  placé  un  fragment  sur  la  théorie  du  dia- 
bète, dans  lequel  l'auteur  se  pose  parmi  beaucoup  d'au- 
tres les  questions  suivantes  : 

1°  Le  sucre  des  urines  doit-il  être  considéré  comme 
un  produit  anormal  du  sang,  ou  comme  un  produit  qui 
y  existerait  normalement  comme  l'urée? 

1"  Le  sucre  est-il  formé  uniquement  sous  l'influence 
d'une  alimentation  végétale,  et  disparait-il  complète- 
ment par  suite  d'une  alimentation  animale? 

A  la  première  question  Fauteur  répond  par  l'affirma- 
tive, et  reconnaît  avec  nous  que  le  sucre  doit  être  con- 
sidéré comme  un  élément  normal  du  sang.  Quant  à  la 
seconde  question,  l'auteur  est  encore  d'accord  avec 
nous,  et  il  reconnaît  que  le  sucre  continue  à  se  rencon- 
trer dans  l'organisme  lorsque  les  aliments  ne  peuvent 
en  contenir  et  que  les  individus  se  trouvent  soumis  h 
une  alimentation  exclusivement  animale;  de  sorte  que, 
ainsi  que  l'on  voit,  M.  Schmidt  ne  regarde  plus  le  su- 
cre comme  une  substance  nécessairement  dérivée  du 
règne  végétal,  il  la  considère  avec  nous  comme  un  pro- 
duit de  l'organisme  animal.  Seulement  c'est  sur  le  lieu 


FAITES  A  LA  GLYCOGÉNIE   HÉPATIQUE.  451 

et  sur  le  mécanisme  de  la  production  de  ce  sucre  qu'il 
est  en  dissidence  avec  nous.  M.  Schmidt  compare  le 
sucre  h  Turée,  et  il  pense  que  ces  deux  principes,  ré- 
pandus dans  le  sang  de  toutes  les  parties  du  corps, 
n'ont  pas  une  source  précise  qui  puisse  être  localisée 
dans  un  organe  spécial,  mais  que  ces  deux  produits 
prennent  naissance  partout,  par  suite  des  changements 
moléculaires  qui  s'opèrent  dans  le  sang;  et  il  admet, 
d'après  les  formules  hypothétiques,  que  la  graisse,  en 
se  dédoublant  en  glycérine  et  acide  cholalique,  peut 
donner  du  sucre. 

Les  dissidences  ne  portent,  comme  on  le  voit,  que 
sur  deux  points.  Le  premier  est  la  supposition  que  le 
sucre  se  forme  aux  dépens  des  matières  grasses,  et  n'au- 
rait pas  sa  formation  localisée  dans  le  foie.  D'abord, 
cette  formation  du  sucre  est  une  hypothèse  pure  et 
simple,  et  qui  est  en  désaccord  avec  l'expérimentation 
physiologique  et  avec  les  analyses  chimiques  d'autres 
auteurs.  Nous  disons  que  c'est  une  hypothèse  chimi- 
que, parce  que  M.  Schmidt  n'a  donné  comme  preuve 
que  des  formules  écrites,  sans  avoir  fait  aucune  expé- 
rience directe;  car  s'il  en  avait  fait,  il  aurait  vu  que 
son  hypothèse  ne  pouvait  être  soutenue. 

Nous  savons,  en  effet,  que  l'alimentation  graisseuse 
fait  diminuer  la  quantité  de  sucre  dans  l'organisme, 
tandis  que  l'aUmentation  purement  azotée  entretient 
cette  formation  dans  son  intensité  normale.  Il  suffît,  du 
reste,  de  vous  rappeler  les  chiffres  que  nous  avons  ob- 
tenus h  ce  sujet  : 


452  EXAMEN   DES  OBJECTIONS 

Quantité  de  sucre  dans  le  foie  d'un  chien  soumis  à 
l'alimentation  graisseuse  pendant  six  jours O^^^Hl  p.  100 

Chien  ayant  mangé  de  la  gélatine  pendant  le  même 
temps 1,35 

Chien  soumis  à  l'abstinence  pendant  le  même  temps.    0,13 

Il  est  évident,  d'api'ès  cela,  que  ralimentation  grais- 
seuse produit  pour  le  sucre  un  effet  sensiblement  ana- 
logue à  celui  de  l'abstinence.  Nous  savons  aujourd'hui, 
du  reste,  par  les  analyses  de  Lehmann,  si  complète- 
ment d'accord  avec  nos  expériences,  que  ce  sont  les  ma- 
tières azotées  qui  servent  à  la  formation  du  sucre  dans 
l'organisme  animal  ;  de  sorte  qu'il  n'est  pas  possible 
d'admetti^e  un  seul  instant  cette  hypothèse  de  la  forma- 
tion du  sucre  aux  dépens  des  matières  grasses. 

Maintenant,  quelles  sont  les  raisons  sur  lesquelles 
M.  Schmidt  s'appuie  pour  dire  que  le  foie  ne  fait  pas 
de  sucre?  EJles  se  réduisent  à  une  pure  assertion  sans 
aucune  valeui\  En  effet,  nous  avions  dit,  dans  notre  pre- 
mier travail,  que  nous  admettions  la  formation  du  sucre 
dans  le  foie,  paixe  que,  d'une  part,  nous  ne  trouvions 
pas  de  sucre  dans  la  veine  porte  au  moment  ou  le  sang 
entre  dans  le  foie,  et  que  nous  en  trouvions  constam- 
ment dans  le  sang  des  veines  hépatiques  qui  sortent  du 
foie,  et  parce  que,  enfin,  le  tissu  hépatique  se  trouve, 
dans  l'élat  physiologique,  constamment  imprégné  de 
cette  matière,  de  la  même  façon  que  les  autres  organes 
sécréteurs  sont  imprégnés  de  leurs  produits  de  sécré- 
tion. Or,  nous  disons  que  M.  Schmidt  n'oppose  à  tous 
ces  faits  qu'une  simple  opinion  tout  à  fait  dénuée  de 
fondement.  Cet  auteur  dit,  en  effet,  qu'il  ne  peut  ad- 
mettre la  formation  du  sucre  dans  le  foie,  parce  qu'on 


FAITES  A  LA  GLYGOGÉNIE    HÉPATIQUE. 

trouve  du  sucre  aussi  bien  dans  la  veine  porte  que  dans 
la  veine  jugulaire.  Celle  assertion  est  d'autant  plus 
étonnante,  que  dans  le  Mémoire  de  l'auteur  il  ne  s'agit 
que  d'observations  faites  sur  du  sang  retiré  dans  des 
conditions  physiologiques  peu  déterminées,  tantôt  sur 
des  animaux  de  boucherie,  tantôt  sur  des  saignées, 
et  que  dans  aucun  cas  il  n'y  a  eu  des  expériences 
qui  soient  relatives  à  l'examen  comparatif  du  sang  de 
la  veine  porte  avec  le  sang  des  autres  veines.  Il  eût 
suffi  h  l'auteur  de  faire  une  seule  de  ses  expériences 
dans  les  conditions  voulues  pour  être  convaincu  qu'il 
avançait  une  erreur.  Du  reste,  cette  assertion  se  trouve 
l'eléguée  dans  une  note  dont  on  ne  peut  comprendre  jus- 
qu'à un  certain  point  la  nécessité,  parce  que,  ainsi  que 
l'avance  M.  Schmidt,  son  travail  était  terminé  lorsqu'il 
eut  connaissance  de  nos  expériences  :  il  préféra  néan- 
moins le  publier  tel  qu'il  se  trouvait  sans  tenir  compte 
des  faits  que  je  venais  d'établir.  C'est  ce  qui  explique 
comment  l'auteur  s'est  trouvé  dans  ce  cas  réduit  à  une 
assertion  pure  et  simple,  qu'il  n'a  pas  tenté  de  repro- 
duire depuis,  ce  qui  nous  fait  penser  qu'il  a  aujour- 
d'hui abandonné  complètement  les  raisons  qui  étaient 
plutôt  une  fin  de  non-recevoir  que  des  arguments  réels. 
Jusque  dans  ces  derniers  temps,  des  confirmations 
de  nos  expériences  étaient  arrivées  de  toutes  parts, 
et  des  travaux  avaient  été  publiés  sur  ce  sujet  en  Angle- 
terre, en  Hollande,  en  Allemagne,  en  Amérique,  par 
des  expérimentateurs  exercés.  Aucune  attaque  directe 
n'avait  été  faite  à  notre  découverte  avant  le  travail  lu 
le  2  février,  à  l'Académie  des  sciences.  Ici,  l'auteur  se 


454  EXAMEN  DES  OBJECTIONS 

pose  neltemeiit  en  antagoniste  de  la  théorie  de  la  for- 
mation du  sucre  dans  l'organisme  animal,  indépendam- 
ment de  toute  alimentation  féculente  ou  sucrée. 

Je  ne  puis  m'empêcher,  à  ce  propos,  de  vous  faire 
une  remarque  relative  aux  préjugés  qui  sont  les  ob- 
stacles ordinaires  de  tout  progrès.  Or,  ces  préjugés 
n'existent  pas  seulement  dans  le  monde,  ils  se  ren- 
contrent aussi  dans  la  science,  qu'ils  troublent  profon- 
dément :  c'est  ainsi  que,  sous  la  pression  de  véritables 
préjugés  scientifiques,  l'auteur  en  question  avoue  qu'il 
lui  répugne  d'admettre  que  l'organisme  se  donne  la 
peine  de  fabriquer  du  sucre,  quand  les  végétaux  peu- 
vent lui  en  fournir;  et,  partant  de  cette  manière  de 
voir,  il  veut  prouver  que  tout  le  sucre  qu'on  rencontre 
dans  l'organisme  animal  n'a  jamais  d'autre  origine  que 
des  principes  sucrés  venant  toujours  du  règne  végétal. 
Et  voyons  comment,  pour  rester  fidèle  à  la  doctrine 
qu'il  soutient,  l'auteur  parvient  à  expliquer  que  nous 
avons  pu  retrouver  du  sucre  dans  le  foie  et  dans  le 
sang  des  animaux  soumis  pendant  des  temps  très-con- 
sidérables à  une  alimentation  exclusivement  animale. 

Voici  comment  il  s'exprime  à  ce  sujet  :  «  Nous  avons 
((  reconnu  qu'il  existe  près  de  \  /2  pour  100  de  glucose 
«  dans  le  sang  des  animaux  de  boucherie,  dans  le  sang 
«  du  bœuf  et  du  mouton  recueilli  au  moment  où  ces 
«  animaux  sont  abattus  pour  être  livrés  à  la  consomma- 
«  tion  publique;  or  la  viande  des  animaux  de  bouclie- 
«  rie  renferme  des  vaisseaux,  ces  vaisseaux  contiennent 
«du  sang:  ainsi  la  chair  de  bœuf  et  de  mouton  qui 
«  avait  servi  à  nourrir  les  chiens  dans  les  expériences 


FAITES  A  LA  GLYCOGÉNIE   HÉPATIQUE.  455 

((  de  M.  Bernard  contient  du  sucre,  et  l'on  administrait, 
((  sans  s'en  douter,  le  composé  même  qu'on  voulait 
((  postérieurement  rechercher.  » 

Cette  explication  qui  fait  descendre  le  sucre  trouvé 
dans  les  chiens,  des  végétaux  qu'ont  mangés  les  herbi- 
vores, suppose  que  la  chair  de  ces  derniers  en  contient. 
Cette  supposition  méritait  bien,  cependant,  la  peine 
d'être  vérifiée  avant  d'en  faire  ainsi  le  point  de  départ 
d'un  argument  d'après  lequel  on  prétend  renverser  tou- 
tes nos  expériences,  et  expliquer  conment,  sans  nous 
en  douter,  nous  sommes  tombé  dans  une  cause  d'erreur 
grossière.  Il  est  malheureux  que  nous  soyons  obligé 
de  reconnaître  ici  combien  il  y  a  de  légèreté  dans  cette 
manière  de  traiter  ainsi  la  science.  Vous  avez  pu  voir 
que  le  sucre  n'existe  pas  dans  la  viande  fraîche,  et,  à 
plus  forte  raison,  dans  la  viande  bouillie  ;  et,  ici,  c'est 
l'auteur  qui,  sans  s'en  douter,  se  basant  sur  une  asser- 
tion erronée  pour  établir  ses  raisonnements,  oublie  les 
principes  les  plus  vulgaires  qui  doivent  guider  dans  les 
sciences  expérimentales. 

Le  point  de  départ  de  ce  raisonnement,  c'est-à-dire 
la  présence  du  sucre  dans  la  viande,  est  faux.  Tout 
l'échafaudage  croule,  et,  par  conséquent,  l'auteur  n'ex- 
plique absolument  rien  ;  nos  expériences  restent  ce 
qu'elles  sont,  et  elles  prouvent  que  chez  des  animaux 
nourris  avec  des  matières  qui  ne  contiennent  aucune 
trace  de  sucre,  il  y  en  a  toujours  dans  le  foie,  et  que, 
par  conséquent,  on  ne  peut  pas  faire  intervenir  le  rc^gne 
végétal  pour  expliquer  la  présence  de  cette  matière. 
Il  n'y  a  pas  lieu  de  nous  arrêter  aux  autres  parties  de 


450  EXAMEN  DES  OBJECTIONS 

ce  travail,  qui  reposent  toutes  sur  la  même  erreur. 
Seulement,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  signa- 
ler cette  singulière  opinion,  de  regarder  le  foie  comme 
un  organe  condensateur  delà  matière  sucrée,  toujours 
dans  cette  supposition  qu'elle  vient  des  végétaux,  ce 
qui  repose  à  la  fois  sur  deux  erreurs  de  fait  :  en  'pre- 
mier lieu,  sur  l'existence  du  sucre  dans  la  viande  dont 
nous  avons  démontré  la  fausseté;  en  second  lieu,  sur 
la  supposition  que  le  foie  condense  le  sucre,  ce  qui 
voudrait  dire  qu'il  en  reçoit  plus  qu'il  n'en  donne.  Or, 
on  ne  s'explique  pas  sur  les  limites  de  cette  condensa- 
tion, qui  pourrait  aller  jusqu'à  saturer  le  foie  de  glucose  ; 
mais,  en  outre,  comment  pourrait  se  faire  cette  conden- 
sation, puisqu'il  y  a  plus  de  sucre  dans  le  tissu  du  foie 
et  dans  le  sang  qui  sort  de  cet  organe  que  dans  le  sang 
qui  y  entre. 

En  résumé,  tous  les  arguments  de  ce  travail  repo- 
sent sur  deux  points  :  T  l'existence  du  sucre  dans  la 
viande;  2°  condensation  du  sucre  dans  le  foie.  Vous 
venez  de  voir  que  ces  deux  assertions  sont  radicalement 
erronées;  par  conséquent,  le  travail  n'a  aucune  valeur 
à  notre  point  de  vue.  Quant  aux  faits  réels  qui  y  sont 
établis,  ils  ne  sont  pas  nouveaux,  car  la  présence  du 
sucre  dans  le  foie,  que  l'auteur  annonce  comme  une 
découverte,  était  connue  depuis  longtemps  par  M.  Ma- 
gendie,  en  France;  par  Garrod,  en  Angleterre;  par 
Schmidt,  Lehmann,  et  par  bien  d'autres  expérimen- 
ateurs,  en  Allemagne. 

Enfin,  nous  n'examinerons  pas  les  opinions  physio- 
logiques bizarres  émises  dans  ce  travail  et  auxquelles 


FAITES  A  LA  GLYCOGÉNIE  HÉPATIQUE.  4o7 

l'auteur  ne  tient  sans  doute  pas.  Nous  ferons  remarquer 
seulement  que  des  expériences  faites  avec  du  sang  re- 
cueilli sur  des  animaux  de  boucherie  ou  autres,  qu'on 
épuise  d'hémorrhagie,  ne  peuvent  avoir  aucune  valeur 
quand  il  s'agit  de  la  composition  du  sang  dans  les  dif- 
férents vaisseaux  oh  il  circule  normalement.  En  effet, 
lorsqu'on  égorge  un  animal,  toute  la  circulation  est 
troublée,  et  le  sang,  se  précipitant  vers  l'ouverture  des 
vaisseaux,  entraîne  avec  lui  des  principes  qui  se  sépa- 
rent des  organes  oij  ils  sont  formés,  à  mesure  que  la 
quantité  du  liquide  sanguin  diminue  dans  l'organisme. 
C'est  ainsi  que,  si  Ton  prend  une  artère  ou  la  veine 
porte  sur  un  animal  à  l'état  physiologique,  et  si  l'on 
retire  une  petite  quantité  de  sang  de  ces  vaisseaux,  on 
n'y  rencontrera  pas  de  sucre,  tandis  que  si  l'hémor- 
rhagie  a  été  considérable,  on  finira  souvent,  vers  la 
fin,  par  en  trouver  une  certaine  proportion. 

Or,  on  voit  que  dans  ces  deux  cas  on  pourrait  dire, 
tantôt  qu'il  n'y  a  pas  de  sucre  dans  le  sang  artériel, 
tantôt  qu'il  y  en  a.  Seulement  il  est  évident  que  les 
premières  parties  de  sang  ont  été  retirées  dans  des  con- 
ditions physiologiques,  et  qu'il  n'en  est  plus  de  même 
lorsque  l'animal  commence  à  périr  d'hémorrhagie. 

Dans  la  séance  de  l'Académie  du  9  février,  un  autre 
travail  a  été  lu  contre  la  glycogénie.  Ici  l'auteur,  sans 
attaquer  directement  la  fonction  glycogénique  du  foie, 
insinue  que  nous  aurions  pu  tomber  dans  l'erreur  re- 
lativement à  l'emploi  des  réactifs  que  nous  avons  mis 
en  usage  pour  la  recherche  du  sucre  dans  l'organisme. 
Ce  ne  sont  pas  les  idées  elles-mêmes  qui  sont  atta- 


458  EXAMEN  DES   OBJECTIONS 

qiiées,  ce  sont  les  moyens  à  l'aide  desquels  nous  avons 
établi  les  faits  qui  leur  servent  de  base.  C'est  un  moyen 
détourné  de  venir  infirmer  la  fonction  glycogénique  du 
foie.  Voyons  quels  sont  les  arguments  qui  sont  mis  en 
avant  dans  ce  mémoire. 

•L'auteur  dit  que  dans  l'estomac  il  existe  une  ma- 
tière, la  peptone  ou  l'albuminose,  qui  est  capable  de 
dissimuler  le  sucre  au  liquide  cupro-potassique,  et  il 
prétend  que  cette  propriété  est  un  caractère  qui  distin- 
gue les  matières  qui  ont  été  digérées  par  le  suc  gastri- 
que. Ensuite  on  suppose  que  le  sucre,  ainsi  dissimulé, 
peut  être  absorbé  par  la  veine  porte  et  se  trouver 
transporté  par  cette  voie  de  circulalion  jusqu'au  foie, 
sans  qu'on  puisse  le  reconnaître  dans  tout  ce  trajet. 

Ainsi  l'auteur  jette  des  doutes  sur  la  possibilité  de 
constater  avec  certitude  la  présence  du  sucre  dans  la 
veine  porte  au  moyen  du  réactif  cupro-potassique. 
Après  le  foie  on  pourrait  le  reconnaître,  parce  que  dans 
cet  organe  il  se  ferait  une  séparation  du  sucre  et  de 
l'albuminose  qui  le  masquait.  C'est  à  l'aide  de  ces  sup- 
positions gratuites  qu'on  croit  attaquer  une  proposition 
que  nous  avons  émise  relativement  au  liquide  cupro- 
potassique,  à  savoir,  qu'il  constitue  un  réactif  négatif 
absolu. 

Examinons  la  valeur  de  l'objection  qui  a  été  faite, 
et  voyons  s'il  est  vrai  que  dans  certaines  circonstances 
le  sucre  peut  ne  pas  donner  de  réduction  avec  le  liquide 
cupro-potassique. 

D'abord  nous  devons  dire  que  jamais  nous  n'avons 
conseillé  de  nous  servir  du  liquide  cupro-potassique 


FAITES  A  LA  GLYCOGÉNIE   HÉPATIQUE.  439 

qu'après  avoir  précipité  les  liquides  animaux  et  s'être 
débarrassé  des  matières  organiques  qu'ils  contiennent, 
parce  que  nous  savions,  comme  tout  le  monde,  que, 
quand  il  existe  certaines  matières  albuminoïdes  dans 
des  liquides,  en  même  temps  qu'une  très-petite  quan- 
tité de  sucre,  il  peut  ne  pas  y  avoir  de  réduction.  Gela 
s'explique,  parce  que  la  matière  organique  redissout  la 
petite  quantité  d'oxyde  de  cuivre  qui  se  forme;  ce  dont 
on  peut  s'assurer  en  ajoutant  un  peu  de  ces  matières 
albuminoïdes  après  qu'on  aura  préalablement  déter- 
miné la  précipitation  dans  le  liquide. 

Or,  si  nous  cherchons  du  sucre  dans  un  liquide  oii  il 
se  trouve  masqué  par  une  matière  albuminoïde,  comme 
la  gélatine,  par  exemple,  et  si  nous  traitons  ce  hquide 
sucré  par  le  charbon,  nous  arriverons  à  séparer  la  ma- 
tière organique  qui  restera  sur  le  filtre,  tandis  que  le 
sucre  passera.  C'est  ce  que  vous  voyez  dans  l'expérience 
que  nous  faisons  sous  vos  yeux. 

Voici  une  dissolution  de  gélatine  à  laquelle  nous 
avons  ajouté  du  sucre  de  raisin  en  très-faible  propor- 
tion, nous  y  mêlons  du  hquide  cupro-potassique  et 
nous  chaufTons;  il  n'y  a  pas  trace  de  réduction.  Si 
maintenant  nous  traitons  cette  même  dissolution  de  gé- 
latine et  de  sucre  par  le  noir  anim.al,  le  liquide  parfai- 
tement hmpide  qui  passe  présente  avec  le  réactif  une 
réduction  parfaitement  évidente. 

Vous  voyez  donc  qu'il  n'y  a  pas  que  la  peptone  qui 
soit  dans  le  cas  de  masquer  de  très-faibles  proportions 
de  sucre  ;  mais  vous  voyez  aussi  que  le  charbon  animal, 
qui  jouit  de  la  propriété  de  retenir  les  matières  organi- 


460  EXAMEN   DES  OBJECTIONS 

ques,  permet  après  à  la  réaction  caractéristique  du 
glucose  de  se  manifester. 

Pour  ce  qui  concerne  la  propriété  qu'aurait  la  pep- 
tone,  c'est-à-dire  la  \iande  dirigée  par  le  suc  gastrique, 
de  masquer  le  sucre,  voici  des  résultats  obtenus  à  ce 
sujet  par  M.  Bertlielot,  qui  a  opéré  avec  du  suc  gas- 
trique artificiel.  Ce  suc,  que  nous  lui  avons  remis,  fait 
avec  l'estomac  d'homme  provenant  d'un  supplicié,  dé- 
sagrégeait en  quelques  heures  complètement  la  viande, 
de  manière  à  en  dissoudre  une  partie.  C'est  une 
semblable  dissolution  que  l'expérience  a  été  instituée 
directement. 

Un  centimètre  cube  de  ce  suc  gastrique  masquait, 
vis-à-vis  du  tartrate  de  cuivre  et  de  potasse,  la  réaction 
de  Os',001  de  sucre  de  diabète. 

10  centimètres  cubes  de  ce  même  suc  gastrique,  éva- 
porés à  sec  au  bain-marie,  puis  séchés  dans  le  vide, 
laissaient  0?',535  d'un  résidu  solide  assez  acide,  solu- 
ble  dans  Teau  et  même  dans  l'alcool.  Redissous  dans 
l'eau,  ce  résidu  masquait  la  réaction  du  sucre  comme 
avant  l'évaporation. 

Ainsi,  ces  10  centimètres  cubes  de  suc  gastrique 
ayant  dissous  de  la  viande  ont  pu  masquer  1  centi- 
gramme de  sucre  de  diabète.  Mais,  nous  le  répétons, 
en  traitant  le  mélange  par  le  charbon  animal,  la  ma- 
tière organique  est  enlevée,  et  le  sucre,  démasqué, 
redevient  sensible  au  réactif. 

11  est  facile  de  comprendre  d'ailleurs  que  les  faits 
annoncés  par  l'auteur  du  travail  en  question  n'infir- 
ment nullement  ceux  que  nous  avons  étabhs  nous- 


FAITES  A  LA  GLYCOGÉME  HÉPATIQUE.  461 

même.  Dans  le  seul  cas  où  les  animaux  mangeraient 
(les  matières  albuminoïdes  en  même   temps   que  du 
sucre,  ce  qui  n'est  pas  la  condition  dans  laquelle  nous 
avons  eu  soin  de  nous  placer,  il  pourrait  se  faire  qn'en 
n'employant  pas  les  précautions  que  nous  avons  indi- 
quées nous-même,  c'est-à-dire  le  traitement  par  le 
charbon,  on  ne  reconnût  pas  des  quantités  infiniment 
petites  de  sucre  dans  des  liquides  albuminoïdes.  Mais  il 
est  clair  aussi  que  le  rôle  d'organe  filtrateur  qu'on 
semble  attribuer  au  foie  ne  saurait  se  concilier  avec 
cette  proportion  énorme  du  sucre  dans  le  tissu  hépa- 
tique et  le  sang  qui  en  sort.  Car  si  la  peptone  peut 
masquer  un  millième  de  sucre,  il  est  évident  que  la 
peptone,  dans  le  sang  delà  veine  porte,  doit  se  trouver 
singulièrement  diluée  et  ne  doit  plus  dès  lors  être  sus- 
ceptible de  masquer  des  proportions  de  sucre  qui  se- 
raient peut-être  moins  que  des  centièmes  de  miiïi- 


gramme. 


Eu  supposant  donc  que  le  foie  séparât  des  centièmes 
de  milligramme,  comment  expliquerait-on  la  présence 
de  2  à  3  grammes  pour  100  de  sucre  dans  son  tissu,  et 
celle  de  près  de  1  gramme  pour  100  dans  le  sang  des 
veines  hépatiques? 

Vous  voyez  donc  que,  si  c'est  là  une  objection  qu'on 
a  voulu  faire,  elle  tombe  d'elle-même. 

D'ailleurs,  on  ne  trouve  dans  le  sang  de  la  veine 
porte  pas  plus  d'albuminose  ou  de  peptone  que  dans 
le  sang  des  autres  veines,  ainsi  que  Lehmann  l'a  dé- 
montré. 

La  valeur  du  réactif  cupro-potassique  n'est  donc  pas 


462  EXAMEN   DES  OBJECTIONS 

infirmée;  seulement  il  faut,  comme  pour  toute  espèce 
de  caractère,  l'employer  dans  des  conditions  conve- 
nables, ainsi  que  nous  le  faisons  toujours.  Il  faut  sa- 
voir encore  que,  si  l'on  ajoute  de  l'ammoniaque  à  ce 
réactif,  il  ne  réduit  plus;  que  si  on  l'emploie  avec  une 
dissolution  très-concentrée  du  sucre,  il  n'y  a  pas  de 
réduction  non  plus,  mais  une  coloration  jaune  qui  ré- 
sulte de  ce  que  l'oxyde  de  cuivre  qui  s'est  précipité 
d'abord  se  redissout  dans  un  excès  de  matière  sucrée, 
phénomène  qui  a  fait  illusion  à  des  expérimentateurs 
peu  exercés. 

La  fermentation  elle-même,  qui  est  le  caractère  dé- 
cisif, doit  être  employée  convenablement  et  avec  une 
certaine  précaution.  On  se  sert,  en  effet,  pour  l'opérei", 
de  levure  de  bière  ordinairement  prise  chez  les  bou- 
langers, levure  qui  contient  une  grande  quantité  de  fé- 
cule susceptible  de  se  transformer  au  bout  d'un  jour 
ou  deux  en  glucose,  et  pouvant  donner  alors  de  l'acide 
carbonique  et  de  l'alcool,  comme  s'il  y  avait  eu  du  sucre 
dans  la  liqueur.  Aussi,  quand  on  a  fait  des  expériences 
sur  la  fermentation,  faut-il  avoir  le  soin  de  les  faire 
comparativement.  Par  exemple,  si  l'on  met  un  liquide 
sucré  dans  un  tube  en  fermentation  avec  de  la  levure 
de  bière  impure,  il  faut  avoir  soin  de  placer  dans  les 
mêmes  conditions  de  la  même  levure  avec  de  l'eau  or- 
dinaire. Dans  le  premier  tube  alors  la  fermentation  se 
fera  au  bout  de  quelques  heures;  dans  le  second,  elle 
n'aura  lieu  qu'au  bout  de  deux  jours.  Dans  ces  cas,  par 
une  appréciation  comparative  de  la  quantité  du  gaz  dé- 
veloppé, on  pourrait  éviter  l'erreur;  mais  il  vaut  mieux 


FAITES  A  LA  GLYCOGÉNIE  HÉPATIQUE.  463 

avoir  de  la  levure  de  bière  bien  lavée  et  exempte  de 
fécule. 

En  résumé,  les  arguments  de  ce  travail  sont  établis 
sur  la  supposition  que  nous  employons  mal  le  réactif 
cupro-potassique;  sur  ce  qu'ensuite  nous  n'employons 
que  ce  réactif,  car  on  admet  heureusement  que  la  fer- 
mentation continue  à  avoir  lieu,  malgré  la  peptone,  et 
qu'on  peut  se  servir  de  ce  caractère.  Or,  nous  nous 
sommes  toujours  servi  de  la  fermentation,  ainsi  que 
nous  vous  l'avons  dit  au  commencement  de  ces  leçons, 
dans  toutes  nos  expériences  comparatives. 

Les  arguments  signalés  plus  haut  ne  peuvent  s'appli- 
quer qu'aux  cas  d'ahmentations  mixtes,  aussi,  pour 
avoir  toute  leur  valeur,  ces  arguments  du  9  février  ne 
devaient-ils  venir  qu'après  ceux  du  2  février,  qui  avaient 
pour  but  d'étabhr  que  l'alimentation  animale  n'était 
elle-même,  en  réalité,  sans  que  nous  nous  en  doutions, 
qu'une  alimentation  mixte.  Or,  nous  savons  à  quoinous 
en  tenir  à  ce  sujet. 

Et,  à  ce  propos,  nous  devons  faire  remarquer  combien 
il  est  malheureux  pour  la  science  que  l'on  ne  confirme 
pas  toujours  ce  que  l'on  avance  par  des  expériences, 
car  il  s'agit  ici  d'arguments  enchaînés  les  uns  à  la  suite 
des  autres  et  fondés  sur  des  faits  fictifs.  Si  lés  auteurs 
avaient  réfléchi  et  s'étaient  assurés  de  leur  point  de 
départ,  ils  auraient  reculé  avant  de  présenter  des  argu- 
mentations qui  pèchent  par  la  base  d'une  manière  aussi 
radicale. 

Messieurs,  nous  avons  encore  quelques  autres  objec- 
tions à  passer  en  revue  ;  nous  allons  le  faire  rapidement. 


464  EXAMEN   DES  OBJECTIONS. 

On  nous  a  dit,  par  exemple  :  a  Vous  avez  examiné  le 
sang  de  la  veine  porte,  et  vous  n'y  avez  pas  trouvé  de 
sucre  ;  mais  avez-vous  examiné  le  sang  des  artères  hépa- 
tiques? Vous  savez  d'abord,  Messieurs,  que  l'artère 
hépatique  est  nourricière,  de  même  que  les  artères 
bronchiques;  qu'elle  se  distribue  aux  conduits  biliaires, 
h  la  veine  porte,  sans  participer  d'une  manière  directe 
aux  sécrétions  de  Forgane.  Mais,  de  plus,  cette  objec- 
tion peut  être  levée  directement,  car  si  l'on  prend  un 
des  rameaux  de  l'artère  hépatique  à  son  entrée  dans  le 
foie,  on  ne  trouve  pas  plus  de  sucre  dans  le  sang  qui 
s'en  écoule  que  dans  le  resle  du  système  artériel;  de 
sorte  que,  si  l'on  veut  être  rigoureux,  voici  ce  que  l'on 
peut  dire  :  Il  y  a  deux  ordres  de  vaisseaux  afférents  qui 
amènent  le  sang  au  foie,  ce  sont  la  veine  porte  et  l'ar- 
tère hépatique  ;  ni  l'un  ni  l'autre  ne  contiennent  de 
sucre  dans  des  conditions  convenables.  Il  y  a  d'autre 
part  deux  ordres  de  vaisseaux  efférents,  ce  sont  les 
veines  hépatiques  et  les  lymphatiques  du  foie.  Tous 
deux  renferment  du  sucre,  qui  est  versé  par  ces  deux 
voies  dans  la  veine  cave  et  dans  le  canal  thoracique. 

On  a  dit  encore  que  nous  avions  émis  une  proposition 
trop  générale,  et  qu'il  y  avait  d'autres  organes  que  le 
foie  qui  étaient  susceptibles  de  faire  du  sucre  ;  que  la 
glande  mammaire,  par  exemple,  était  de  ce  nombre  ; 
qu'elle  pouvait  en  faire  indépendamment  de  Talimenta- 
tion,  car  nous  avions  trouvé  nous-même  du  sucre  dans 
le  lait  de  mammifères  carnivores.  Ce  n'est  pas  là  une 
objection,  c'est  au  contraire  une  confirmation  de  ce  que 
nous  avons  dit,  que  le  sucre  pouvait  être  formé  directe- 


FAITES  A  LA  GLYCOGÉNIE   HÉPATIQUE.  465 

ment  dans  l'organisme  sans  l'alimentation  féculente  ou 
sucrée. 

Mais  on  ne  saurait  assimiler  la  sécrétion  du  sucre  de 
lait,  qui  est  une  fonction  tout  à  fait  intermittente,  dis- 
continue, n'apparaissant  qu'à  des  intervalles  très-éloi- 
gnés  et  spéciale  seulement  à  une  classe  de  vertébrés, 
avec  la  production  glycogénique  qui,  elle,  au  contraire, 
est  constante  et  continue,  et  appartenant  à  tout  sexe  et 
à  tout  règne  animal. 

Il  y  a  enfin  quelques  médecins  qui,  après  avoir  en- 
tendu dire  vaguement,  d'après  nos  expériences,  que  le 
sang  des  veines  hépatiques  était  sucré,  ont  été  recueil- 
lir le  même  sang  sur  des  cadavres  de  malades  morts 
dans  les  hôpitaux,  et  n'y  apnt  pas  trouvé  de  sucre,  se 
sont  imaginé  que  ce  résultat  venait  contredire  les  nôtres. 
Mais  vous  savez  maintenant  quelle  valeur  il  faut  attri- 
buer à  une  pareille  objection;  vous  vous  rappelez  que 
la  fonction  glycogénique  s'éteint  comme  toutes  les 
autres  fonctions,  à  la  suite  d'une  maladie,  sous  l'in- 
fluence d'une  fièvre  grave  ;  de  sorte  que  dans  la  plupart 
des  cas  on  ne  trouve  pas  dans  le  foie  des  malades  morts 
dans  les  hôpitaux  la  moindre  trace  de  matière  sucrée. 

Des  anatomistes  arriérés  ont  pu  même  dire  :  Com- 
ment voulez-vous  qu'il  y  ait  une  sécrétion  sucrée  dans 
le  foie,  puisqu'il  n'y  a  pas  de  conduit  excréteur?  Au 
point  de  vue  purement  anatomique,  on  ne  définissait 
autrefois  une  glande  que  par  son  conduit.  Il  est  clair 
que  nous  n'en  sommes  plus  là,  et  que  nous  comprenons 
bien  qu'il  y  ait  des  sécrétions  versées  dans  le  sang  et 
d'autres  qui  sortent  au  dehors. 

BERNARD.    [.  30 


466     EXAMEN   DES  OBJECTIONS  FAITES  A  LA  GLYCOGÉNIE. 

Vous  voyez  donc,  Messieurs,  que  toutes  ces  objections 
se  réfutent  très-facilement,  et  n'infirment  en  rien  ce 
que  nous  avons  avancé.  Je  consacrerai  la  prochaine 
séance  à  résumer  l'ensemble  des  preuves  d'après  les- 
quelles nous  avons  établi  devant  vous  la  réalité  de  la 
fonction  glycogénique  du  foie. 


VINGT-CINQUIEME  LEÇON 

24  MARS  1855. 


SOMMAIRE  :  Travaux  comparatifs  de  la  fonction  glycogénique  du  foie*  — 
Analyses  du  sang  de  la  veine  porte  et  des  veines  hépatiques,  par  Lehmann, 
communiquées  à  l'Académie  des  sciences.  —  Remarques  à  l'occasion  de 
cette  communication.  —  Figure  schématique  représentant  l'ensemble  de 
la  production  et  de  la  diffusion  du  sucre  dans  l'organisme.  —  Résumé  des 
faits  qui  établissent  la  fonction  glycogénique  du  foie. 


Messieurs, 

Nous  arrivons  au  terme  de  nos  leçons  pour  ce  semes- 
tre, et  je  crois  avoir  rempli  les  promesses  que  je  vous 
avais  faites  au  commencement.  Vous  avez  vu  comment 
nous  avons  marché  dans  le  champ  des  investigations 
physiologiques,  constamment  appuyé  sur  Texpérience. 
Nous  avons  été  assez  heureux  pour  faire  devant  vous 
quelques  découvertes,  par  exemple  celle  de  la  produc- 
tion de  la  matière  sucrée  dans  la  vie  embryonnaire,  et 
celle  de  cette  perversion  singulière  que  produit  la  sec- 
tion de  la  moelle  épinière  sur  la  sécrétion  sucrée  du 
foie.  Vous  avez  vu  par  quelles  séries  d'hypothèses  il  faut 
quelquefois  passer  pour  arriver  à  la  découverte  de  faits 
nouveaux  ;  mais  vous  avez  été  témoins  du  soin  avec  le- 
quel nous  avons  toujours  écarté  les  hypothèses  qui  nous 
avaient  guidé,  pour  ne  conserver  que  le  résultat  expéri- 
mental, qui,  tout  incomplet  qu'il  est,  ouvre  cependant 


-iC8  TRAVAUX  CONFIRMATIFS 

un  champ  immense,  et  nous  montre  que  nous  ne  som- 
mes qu'à  l'entrée  de  cette  science  de  la  vie,  sans  contre- 
dit la  plus  complexe  de  toutes  celles  que  nous  connais- 
soub  actuellement. 

Nous  allons  terminer  par  une  revue  rapide  des  faits 
et  des  arguments  par  lesquels  nous  avons  établi  la  réa- 
lité de  la  fonction  glycogénique  du  foie.  Au  point  de 
vue  chimique,  il  nous  suffira  de  vous  faire  connaître 
l'ensemble  des  expériences  chimiques  qui  viennent 
corroborer  notre  opinion,  et  qui  se  trouvent  contenues 
dans  la  communication  faite  par  M.  Lehmann  dans  la 
séance  de  l'Académie  des  sciences  du  12  mars.  Voici 
le  résumé  de  ce  beau  travail  : 

Analyses  comparées  du  sang  de  laveine  porte  et  du  sang 
des  veines  hépatiques^  etc.^  pour  servir  à  l'histoire  de  la 
production  du  sucre  dans  le  foie,  par  M.  G.  G.  Lehmann, 
professeur  de  chimie  physiologique  à  l'université  de 
Leipzig. 

«  Les  résultats  des  analyses  qui  vont  suivre  ont  été 
obtenus  sur  des  chiens  et  des  chevaux  soumis  à  des  ali- 
mentations diverses.  (On  a  toujours  eu  soin  de  placer 
convenablement  des  ligatures  sur  les  vaisseaux,  pour 
obtenir  sans  mélange  les  sangs  dont  on  a  fait  l'examen 
chimique.) 

((  Je  ne  m'étendrai  pas  sur  les  procédés  d'analyse  que* 
j'ai  suivis  ;  ils  se  trouvent  décrits  dans  mon  Traité  de 
chimie  physiologique  (1).  Je  négligerai  également  cer- 

(1)  Lehrbuch  dcrphysiologischen  Chemie.  Leipzig,  1852,  3  vol. 


DE  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  469 

tains  détails  sur  la  composition  des  sangs  de  la  veine 
porte  et  des  veines  hépatiques,  qui  sont  consignés  d'ail- 
leurs dans  un  premier  mémoire  que  j'ai  déjà  publié  sur 
ce  sujet  (1).  Je  n'insisterai  ici  que  sur  les  points  qui  peu- 
vent servira  éclairer  la  formation  du  sucre  dans  le  foie. 

«  1°  Sucre,  — Le  sang  de  la  veine  porte  ne  renferme 
jamais  les  moindres  traces  de  sucre  chez  les  chiens  à 
jeun  et  chez  les  chiens  nourris  avec  de  la  viande.  Les 
mêmes  animaux  nourris  avec  des  substances  végétales 
(pommes  de  terre  cuites)  présentent  évidemment  du 
sucre  dans  le  sang  de  leur  veine  porte,  mais  en  quantité 
si  faible,  que  le  dosage  n'est  pas  possible. 

«  Chez  les  chevaux  nourris  avec  du  son  de  seigle,  de 
la  paille  hachée  et  du  foin,  le  sang  de  la  veine  porte 
contient  des  proportions  très-faibles  de  matière  sucrée. 
J'ai  trouvé  dans  un  cas  0^',055  de  sucre  pour  100  par- 
ties du  sang.  Dans  un  autre  cas,  sur  un  cheval,  le  sérum 
de  la  veine  porte  renfermait  0^',0052  pour  100  de 
sucre. 

((  Le  sang  des  veines  hépatiques  contient  toujours  du 
sucre  en  forte  proportion.  Sur  trois  chiens  nourris  avec 
de  la  viande,  j'ai  trouvé  les  chiffres  suivants,  calculés 
sur  100  parties  de  sang  sec:  0^^  813  pour  100,0?',  799 
pour  100,  0«',  946  pour  100.  Sur  trois  autres  chiens  à 
l'abstinence  complète  depuis  deux  jours,  j'ai  trouvé 
dans  le  sang  des  veines  hépatiques  les  quantités  de  sucre 
ci-après  :  0s^764  pour   100,  0?^  638   pour   iOO,  et 

(1)  Einige  vergleichende  Aaalysen  des  Blutes  der  Pfortader  uad  der  Leber- 
venen-{B  lericht.  û.  d,  Verhand.  der  Kôiigl.  Sàch.  Gesellsck.  der  Wissea- 
schaften  zu  Leipzig,  1850.) 


470  TRAVAUX   CONFIRMATIFS 

0^',  814  pour  100.  Chez  deux  autres  chiens  nourris 
avec  des  pommes  de  terre  cuites,  le  sang  des  veines 
hépatiques  renfermait  0^\  981  pour  100  de  sucre  chez 
l'un,  et  0^',  854  pour  100  de  sucre  chez  l'autre. 

«  Chez  deux  chevaux  soumis  à  une  alimentation  vé- 
gétale (son,  paille,  foin),  le  sang  des  veines  hépatiques 
contenait  dans  un  cas  0^',  635  pour  100  de  sucre,  et 
dans  l'autre  cas  0^',  893  pour  100  de  sucre. 

«  Les  résultats  des  analyses  qui  précèdent  se  trouvent 
l'ésumés  dans  le  tableau  suivant  : 


QUANTITÉ 

DE  SUCRE. 

ANIMAUX. 

ALIBIENTATION. 

dans  le  sang 

dans  le  sang 

de  la 

des 

veine  porte, 

veines  hépatiques, 

à  rentrée  du  foie. 

k  la  sortie  du  foie. 

Chien 

A  jeun  depuis  deux  jours 

0,000 

0,764  p.  100. 

Id. 

Id. 

Id. 

0,638 

Id. 

Id. 

Id. 

0,804 

Id. 

Nourri  avec  de  la  viande 

Id. 

0,814 

Id. 

Id. 

Id. 

0,799 

Id. 

Id. 

kl. 

0,946 

Id. 

Nourri  avec  pomra.de  terres  cuites. 

traces  impossi- 

bles à  doser. 

0,981 

id. 

Id. 

Id. 

0,854 

CAeval.... 

Nourri  avec  son,  foin  et  paille 

0,055     p.  100. 

0,893 

Id. 

Id. 

0,0052  p.  100. 

0,635 

«  Il  suffira  de  jeter  les  yeux  sur  les  quantités  compa- 
ratives de  sucre  que  contiennent  le  sang  de  la  veine 
porte  qui  entre  dans  le  foie  et  le  sang  des  veines  hépa- 
tiques qui  en  sort,  pour  voir  que  l'opinion  de  la  for- 
mation du  sucre  dans  le  foie,  que  M.  Cl.  Bernard  a 
annoncée  le  premier,  est  mise  hors  de  doute. 

H  2°  Fibrine,  albumine.  —  Le  sang  de  la  veine  porte 
chez  les  chevaux  et  chez  les  chiens  renferme  de  la  fi- 


DE  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  471 

brine  qui  ne  diffère  pas  sensiblement,  par  ses  caractères 
et  sa  quantité,  de  la  fibrine  des  autres  veines.  Quelle 
que  soit  la  nature  de  l'alimentation,  le  sang  de  la  veine 
porte  des  chiens  renferme  en  moyenne  plus  de  fibrine 
que  celui  de  chevaux. 

«  Le  sang  des  veines  hépatiques,  soigneusement  re- 
cueilli et  sans  aucun  mélange,  ne  contientpas  de  fibrine. 
Les  quelques  flocons  qu'on  obtient  quelquefois  par  le 
battage,  chez  les  chevaux,  sont  presque  entièrement 
constituées  par  des  globules  blancs  qui  se  montrent  en 
très-grande  abondance  dans  le  vsang  des  veines  hépati- 
ques comparé  au  sang  de  la  veine  porte.  Le  sang  des 
veines  hépatiques  chez  les  chiens  se  comporte  de  la 
même  manière  par  rapport  à  la  fibrine,  c'est-à-dire  que 
cette  matière  disparaît  presque  en  totalité  dans  le  foie. 

((  Des  analyses  très-soignées  et  comparatives  entre 
le  sang  de  la  veine  porte  et  celui  des  veines  hépatiques 
m'ont  prouvé  qu'une  quantité  remarquable  d'albumine 
disparaît  aussi  dans  le  foie,  et  la  quantité  disparue  est 
relativement  plus  grande  chez  les  chiens  que  chez  les 
chevaux. 

((  Sur  ce  fait  incontestable,  que  la  fibrine  disparaît 
dans  le  foie,  j'ai  établi  mon  opinion,  déjà  émise  dans 
mon  premier  Mémoire,  que  le  sucre  qui  se  forme  dans 
le  foie  prend  naissance  de  la  fibrine. 

a  3°  Graisses  et  globules  sanguins.  —  Le  sang  de  la 
veine  porte  renferme  toujours  beaucoup  plus  de  graisse 
que  le  sang  des  veines  hépatiques.  Le  sérum  du  sang 
de  la  veine  porte  chez  les  chiens  nourris  avec  de  la 
viande  est  généralement  plus  riche  en  graisse  que  celui 


472  TRAVAUX   CONFIRMATIFS 

des  chevaux.  Néanmoins  on  ne  trouve  pas  plus  de 
graisse  dans  le  sérum  des  veines  hépatiques  chez  les 
chiens  que  chez  les  chevaux. 

«  Chez  les  chevaux,  les  globules  du  sang  delà  veine 
porte  sont  plus  riches  en  eau  et  particulièrement  en  fer  ; 
au  contraire,  ils  sont  plus  pauvres  en  globuline,  en  ma- 
tières extractives  et  en  sels  que  ceux  des  veines  hépati- 
ques. Chez  les  chiens,  comme  chez  les  chevaux,  le  sang 
des  veines  hépatiques  est  beaucoup  plus  riche  en  glo- 
bules du  sang  et  en  matières  extractives  que  celui  de 
la  veine  porte. 

«  J'ai  remarqué,  sur  les  chiens  comme  sur  les  che- 
vaux, qu'une  quantité  considérable  de  fer  disparaît  tou- 
jours dans  le  sang  en  traversant  le  foie.  Mais  les  diffé- 
rences de  quantité  de  fer  qu'on  rencontre  dans  le  sang 
qui  arrive  au  foie  et  dans  celui  qui  en  sort,  sont  plus 
grandes  encore  chez  les  chiens  que  chez  les  chevaux.  Il 
en  résulte  qu'une  partie  de  l'hématine  du  sang  disparaît 
dans  le  foie,  et  contribue  probablement  à  la  formation 
de  la  matière  colorante  de  la  bile,  ce  que  prouverait  en- 
corda complète  analogie  delà  bilifulvine  et  de  l'héma- 
toïdine,  ainsi  que  vient  de  le  montrer  un  de  mes  élèves. 

((  Analyses  comparatives  du  sang  de  diverses  veines  avec 
le  sang  artériel.  {Toutes  ces  comparaisons  ont  été  faites 
avec  des  sangs  toujours  pris  sur  le  même  cheval.)  —  Le 
sang  qui  sort  du  foie  par  les  veines  hépatiques  est  tou- 
jours le  sang  incomparablement  le  plus  sucré  de  tout  le 
corps.  Ensuite  ce  sang  se  mélange  au  sang  de  la  veine 
cave  pour  remonter  vers  le  cœur.  Je  ne  puis  ici  que  con- 
firmer ce  que  M.  Cl.  Bernard  a  déjà  dit  depuis  long- 


DE   LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  473 

temps,  à  savoir,  que  le  sang  de  la  veine  cave  inférieure 
est  celui  qui  contient  toujours  la  plus  grande  quantité 
de  sucre  après  les  veines  hépatiques.  J'ai  trouvé  dans  le 
résidu  solide  du  sang  de  la  veine  cave,  chez  les  chevaux, 
0^^346  pour  100, 0^^  2M  pour  100  eiO^%  492  pour 
100  de  sucre. 

«  Lorsque  le  sang  a  traversé  le  poumon  et  est  devenu 
artériel,  on  ne  trouve  généralement  pas  de  sucre.  Je 
n'en  ai  pas  trouvé  dans  le  sang  artériel  de  chevaux  qui 
avaient  cependant  mangé  de  l'amidon  et  de  l'avoine. 
Chez  les  chiens  et  chez  les  lapins,  on  peut  seulement 
trouver  du  sucre  dans  le  sang  artériel,  si  le  sang  vei- 
neux renferme  plus  de  0^',  3  pour  100  de  sucre.  C'est 
ce  qui  arrive  dans  toutes  les  conditions  qui  font  passer 
du  sucre  dans  l'urine  :  par  exemple,  après  la  piqûre 
telle  que  la  fait  M.  Bernard,  après  l'injection  du  sucre 
en  grande  quantité  dans  les  veines  ou  dans  l'estomac, 
ou  enfin  chez  les  Lapins  qui  ont  mangé  des  quantités 
considérables  de  betteraves  ou  de  carottes.  Mais,  dans 
toutes  ces  circonstances,  ce  sont  encore  les  veines  hé- 
patiques qui  contiennent  la  plus  grande  quantité  de  su- 
cre, puis  la  veine  cave,  etc. 

«  Le  sang  des  petites  veines,  telles  que  la  veine  cé- 
phalique,  la  veine  digitale,  la  veine  temporale  et  l;i 
veine  abdominale  externe  des  chevaux,  contient  tou- 
jours moins  de  globules  du  sang,  plus  de  sérum,  et 
par  conséquent  plus  d'eau  que  le  sang  artériel.  Mais  les 
veines  plus  grosses,  et  principalement  la  veine  cave  in- 
férieure, contiennent  un  sang  qui  possède  la  même 
concentration  que  le  sang  artériel,  ou  qui  est  peut-être 


474  REMARQUES 

même  encore  plus  concentré.  Toules  mes  expériences 
semblent  montrer  qu'une  quantité  remarquable  de 
globules  de  sang  disparaît  dans  les  vaisseaux  capillaires 
généraux.  L'observation  que  la  densité  du  sang  de  la 
veine  cave  inférieure  se  rapproche  de  celle  du  sang  ar- 
tériel, ou  même  la  surpasse,  ne  dépend  pas  seulement 
de  l'expulsion  de  l'eau  par  la  sécrétion  urinaire,  mais 
principalement  de  l'affluence  du  sang  des  veines  hépa- 
tiques :  c'est  ce  que  m'ont  prouvé  d'une  manière  frap- 
pante les  analyses  du  sang  d'un  cheval  qui  n'avait  par 
bu  depuis  vingt-quatre  heures  quand  il  fut  sacrifié.  La 
comparaison  de  toutes  ces  analyses  semble  prouver  en 
même  temps  que  dans  le  foie  deux  fonctions  marchent 
séparément,  savoir,  la  formation  du  sucre  et  des  glo- 
bules du  sang  et  celle  de  la  bile  ainsi  que  M.  Bernard 
l'a  pressenti  et  établi  depuis  longtemps. 

«  Le  sang  de  plus  petites  veines  renferme  plus  de 
fibrine  que  le  sang  artériel,  et  que  celui  de  la  veine 
cave  et  de  la  veine  jugulaire.  Dans  la  veine  cave,  j'ai 
trouvé  deux  fois  moins  de  fibrine  que  dans  le  sang  ar- 
tériel. 

((  Le  sang  artériel  contient  toujours  plus  de  sels  mi- 
néraux que  le  sang  veineux.  » 

J'ai  fait  sur  le  travail  de  IVL  Lehmann  des  remarques 
qui  ont  été  communiquées  à  l'Académie  le  12  mars, 
dans  les  termes  suivants  : 

((  Lorsque,  il  y  a  six  ans,  j'annonçai  aux  physiolo- 
gistes que  le  sucre  est  un  produit  normal  de  sécrétion 
chez  l'homme  et  les  animanx,  j'établis  par  des  preuves 
expérimentales  diverses  que  cette   fonction   animale. 


SL'R  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  47o 

restée  jusqu'alors  inconnue,  devait  être  localisée  dans 
le  foie.  Pour  prouver  que  la  matière  sucrée  est  bien 
réellement  formée  dans  l'organisme,  qu'elle  ne  vient 
pas  du  dehors  et  qu'elle  prend  naissance  surplace  dans 
le  foie  011  on  la  trouve,  j'instituai  une  expérience  phy- 
siologique qui  est  nette  et  décisive.  Sur  des  animaux 
carnivores,  nourris  exclusivement  pendant  des  temps 
très-considérables  (3,  6  ou  8  mois)  avec  de  la  viande 
cuite  à  Teau  et  dans  laquelle  l'expérience  directe  ne 
décèle  pas  la  moindre  trace  de  matière  sucrée,  je  re- 
cueillis le  sang  de  la  veine  porte  avant  son  entrée  dans 
le  foie,  et  je  n'y  constituai  jamais,  dans  des  conditions 
physiologiques  convenables,  la  présence  du  sucre,  tan- 
dis qu'en  recueillant  le  fluide  sanguin  dans  les  veines 
hépatiques  à  sa  sortie  du  foie,  j'y  rencontrai  constam- 
ment du  sucre  en  grande  quantité. 

((  Depuis  lors  ces  résultais  ont  été  partout  vérifiés 
par  les  physiologistes  exercés  qui  les  ont  reproduits  en 
Angleterre,  en  Allemagne,  en  Hollande,  en  Améri- 
que, etc.  Les  belles  analyses  de  M.  Lehmann  sur  la 
composition  comparée  des  sangs  de  la  veine  porte  et 
des  veines  hépatiques  confirment  pleinement,  au  point 
de  vue  chimique,  et  avec  une  autorité  des  plus  consi- 
dérables en  pareille  matière,  mes  propres  recherches 
physiologiques. 

((  Tous  les  arguments  relatifs  à  la  question  de  savoir 
si  le  foie  fabrique  ou  non  du  sucre  doivent  être  ra- 
menés à  cette  expérience  fondamentale  qui  a  pour  ob- 
jet Texamen  comparatif  des  sangs  de  la  veine  porte  et 
des  veines  hépatiques;  et,  tant  qu'il  restera  établi  que 


476  REMARQUES 

le  sang  qui  entre  dans  le  foie  ne  renferme  pas  de 
sucre  et  que  le  sang  qui  en  sort  en  contient  des  pro- 
portions considérables,  il  faudra  bien  admettre  que  la 
matière  sucrée  se  produit  dans  le  foie,  car  on  ne  sau- 
rait échapper  à  cette  conséquence  de  la  logique  la  plus 
simple  :  que,  puisque  le  sucre  n'existe  pas  avant  le  foie 
et  qu'il  existe  après,  il  faut  bien  qu'il  se  soit  formé 
dans  cet  organe. 

«  Mais  le  sucre  sécrété  dans  le  foie  se  répand  ensuite 
dans  tout  l'organisme  au  moyeu  de  la  circulation,  qui 
le  porte  par  la  veine  cave  dans  le  cœur  droit,  puis  dans 
les  poumons,  etc.  Suivant  les  quantités  de  sucre  qui 
s'échappent  du  foie,  cette  matière  peut  se  trouver  dé- 
truite en  traversant  le  poumon,  ou  bien  dans  certains 
cas,  et  particulièrement  pendant  et  aussitôt  après  la 
période  digestive,  un  excès  peut  se  répandre  plus  loin 
dans  le  système  artériel  et  même  dans  le  système  vei- 
neux superficiel.  Néanmoins,  dans  tous  les  cas,  on 
constate  invariablement  que  la  proportion  de  sucre 
diminue  d'autant  plus  qu'on  s'éloigne  davantage  du 
toie,  qui  est  son  lieu  d'origine.  Ce  sont  ces  résultats 
physiologiques  que  viennent  encore  prouver  de  la  ma- 
nièrc3  la  plus  évidente  les  analyses  de  M.  Lehmann. 

((  Cette  diffusion  du  sucre  dans  tout  l'organisme  ex- 
plique donc  comment  cette  matière  peut  se  rencontrer 
dans  le  sang  de  toutes  les  parties  du  corps.  En  1846  (1), 
M.  Magendie  a  lu  à  cette  Académie,  sur  la  présence 
normale  du  sucre  dans  le  sang,  un  Mémoire  dans  le- 

(1)  Compter  rendus  de  VAcadéinie  des  sciences,  t.  XXIII,  27  juillet  1836. 


SLR   LA  GLYCOGENIE  ANIMALE.  477 

quel  il  indique  déjà  que  c'est  surtout  au  moment  de  la 
digestion  que  l'on  trouve  la  matière  sucrée  en  plus 
grande  quantité  dans  le  sang.  Ce  fait  était  donc  connu 
et  admis  par  les  physiologistes  depuis  longtemps,  bien 
qu'on  ne  connût  pas  la  formation  physiologique  de 
cette  matière  dans  le  foie  ainsi  que  je  l'ai  établi. 

«  iMais  il  est  arrivé  que  certains  auteurs,  ne  répétant 
pas  mes  expériences  méthodiquement  et  dans  les  condi- 
tions physiologiques  requises,  n'ont  nécessairement  pas 
pu  comprendre  le  rapport  qui  existe  entre  cette  diffusion 
du  sucre  dans  l'organisme  et  son  point  réel  d'origine. 

((  C'est  ainsi  que  M.  Schmidt  (l),en  1850,  se  fon- 
dant sur  ce  qu'il  avait  trouvé  du  sucre  en  quantité  va- 
riable, mais  toujours  très-faible,  tantôt  dans  le  sang 
des  saignées  pratiquées  sur  l'homme  (traces  de  sucre 
non  dosées),  tantôt  dans  le  sang  des  animaux  de  bou- 
cherie (0?^00j95  à  0«^00074  pour  1000  dans  le  sang 
de  bœuf,  etc.),  arrive  à  comparer  la  diffusion  du  sucre 
dans  le  sang  avec  la  diffusion  de  l'urée,  et  poussant  sa 
comparaison  jusqu'au  bout,  cet  auteur  admet  pure- 
ment par  hypothèse  que  la  formation  du  sucre  et  celle 
deTurée  ne  sont  localisées  dans  aucun  organe,  mais 
que  ces  substances  se  forment  partout  dans  l'organisme, 
l'urée  aux  dépens  des  matières  azotées,  et  le  sucre  aux 
dépens  des  matières  grasses. 

Quant  aux  expériences  de  M.  Schmidt  sur  la  pré- 
sence du  sucre  dans  le  sang,  et  quant  à  celles  qu'on  a 
pu  reproduire  depuis  dans  de  semblables  conditions, 

(I).  Charakieristik  der  epidemischen  Choiera,  etc.,  von  Cari  Schmidt, 
p.  163.  Leipzig  und  Mitau,  1850. 


478  REMARQUES 

elles  peuvent  avoir,  en  elles-mêmes  et  au  point  de  vue 
chimique,  la  valeur  qu'on  leur  accordera;  mais  on  ne 
saurait  leur  en  reconnaître  aucune  au  point  de  vue 
physiologique,  parce  que  les  auteurs  n'ayant  pas  tenu 
compte  de  l'examen  comparatif  du  sang  de  la  veine 
porte  et  du  sang  des  veines  hépatiques,  leurs  analyses 
restent  insuffisantes  et  ne  peuvent  s'appliquer  à  la  ques- 
tion qui  nous  occupe. 

((  Lorsqu'on  a  soin,  comme  l'a  fait  M.  Lehmann, 
d'instituer  des  analyses  comparatives  du  sang  dans  tous 
les  points  du  système  circulatoire  en  se  plaçant  dans 
les  conditions  que  la  physiologie  indique,  toutes  les  ex- 
périences s'enchaînent  naturellement  pour  établir  que 
le  sucre,  véritable  produit  d'une  sécrétion  intérieure,  à 
laquelle  j'ai  donné  le  nom  de  glycogénie,  prend  nais- 
sance dans  le  foie  aux  dépens  des  éléments  du  sang  et 
indépendamment  de  l'alimentation  féculente  et  sucrée, 
pour  se  répandre  ensuite  dans  tout  l'organisme  où  il  se 
détruit  successivement  en  s'éloignant  de  son  lieu  d'o- 


rigme. 


Si  l'on  ne  fait  au  contraire  que  des  expériences  in- 
complètes en  se  plaçant  dans  des  conditions  non  mé- 
thodiquement et  physiologiquement  déterminées,  on 
peut,  par  l'interprétation  des  résultats,  arriver  aux  con- 
fusions les  plus  étranges.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que 
cette  comparaison  du  sucre  avec  l'urée,  qui,  au  point 
de  vue  chimique,  paraît  peut-être  spécieuse,  ne  sau- 
rait un  seul  instant  soutenir  l'examen  physiologique. 

«  Comment  pourrait-on  imaginer,  en  effet,  que  le 
foie  joue,  par  rapport  au   sucre,  le  rôle  d'un  organe 


SUR  LA  GLYCOGÉNIE  ANIMALE.  479 

dépuratew\  condensateur^  fHtratem\  ou  qu'il  est  à  la 
matière  sucrée  ce  que  le  reiu  est  à  l'urée,  quand  nous 
savons  que  le  sang  qui  entre  dans  le  foie  ne  contient  pas 
de  sucre,  mais  que  le  sang  qui  en  sort  en  contient  beau- 
coup, tandis  que  pour  le  rein,  au  contraire,  l'urée 
existe  dans  le  sang  qui  entre  et  ne  se  trouve  plus  dans 
le  sang,  qui  sort;  quand  nous  savons  enfin  que,  si  l'on 
supprime  les  reins,  on  fait  accumuler  l'urée  dans  le 
sang,  tandis  que,  si  l'on  arrête  la  fonction  du  foie  en 
détruisant  certains  nerfs  qui  s'y  rendent,  le  sucre  dis- 
paraît complètement  et  rapidement  de  l'organisme?  Il 
y  a  donc  là,  d'une  part,  un  phénomène  de  production 
ou  de  sécrétion^  et,  d'autre  part,  un  phénomène  d'expul- 
sion ou  à' excrétion,  que  l'on  doit  distinguer  de  la  ma- 
nière la  plus  radicale,  au  lieu  de  chercher  à  établir 
entre  eux  un  rapprochement  impossible. 

«  Je  me  bornerai  à  ces  quelques  remarques  pour 
montrer  que  les  recherches  chimiques  appliquées  à 
l'explication  des  phénomènes  de  la  vie  ne  sauraient  être 
instituées  vaguement  et  comme  au  hasard,  mais 
qu'elles  doivent  reposer,  au  contraire,  sur  la  connais- 
sance de  conditions  fonctionnelles  précises  que  la 
physiologie  seule  peut  déterminer. 

«  En  finissant  je  ferai  remarquer,  ainsi  que  l'on  a  pu 
s'en  convaincre,  que  la  formation  du  sucre  dans  le  foie 
n'est  pas  en  litige.  C'est  une  vérité  physiologique  par- 
faitement établie  et  complètement  acquise  à  la  science. 
La  question  qui  se  trouve  actuellement  en  jeu,  c'est  de 
savoir  quels  sont  les  éléments  du  sang  que  le  foie  uti- 
lise pour  fabriquer  la  matière  sucrée.  L'hypothèse  de 


480  RÉSUMÉ   DES  FAITS 

cette  formation  du  sucre  aux  dépens  des  matières 
grasses  se  trouve  renversée  par  mes  expériences,  dans 
lesquelles  j'ai  fait  voir  que  l'alimentation  purement 
graisseuse  diminue  la  production  du  sucre  dans  le  foie 
et  la  quantité  de  cette  matière  dans  tout  l'organisme.  11 
reste  à  examiner  la  théorie  de  la  formation  du  sucre 
aux  dépens  des  matières  azotées,  que  les  analyses  chi- 
miques de  M.  Lehmann  et  mes  expériences  physiologi- 
ques indiquent.  C'est  le  sujet  dont  j'entretiendrai  inces- 
samment l'Académie.  » 

Toutes  les  fois,  Messieurs,  que  l'on  voudra  faire  des 
expériences  sur  la  fonction  glycogénique  du  foie,  il 
faudra  embrasser  et  comprendre  dans  son  ensemble  les 
connexions  physiologiques  de  cette  fonction  avec  les 
autres  systèmes  organiques.  Sans  cela  on  aura  des  expé- 
riences incomplètes  pour  l'interprétation  desquelles  on 
n'aura  aucune  espèce  de  critérium. 

J'ai  fait  faire  ici  une  figure  schématique,  sur  laquelle 
vous  pouvez  saisir  d'une  manière  simple  et  exacte  les 
divers  rapports  de  la  fonction  glycogénique  avec  le 
système  sanguin   (fig.  21). 

Maintenant,  Messieurs,  le  résumé  de  toutes  ces  le- 
çons, et  les  preuves  à  l'appui  de  cette  fonction  glyco- 
génique nouvelle,  peuvent  se  donner  en  quelques  li- 
gnes, qui  seront  en  quelque  sorte  le  programme  de  la 
démonstration  expérimentale  de  la  formation  du  sucre 
dans  le  foie. 

Premier  fait.  11  y  a  du  sucre  dans  le  foie  de  l'homme 
et  de  tous  les  animaux  en  état  de  santé.  Ceci  n'a  jamais 
été  contesté. 


QUI   ÉTABLISSENT   LA  GLYGOGÉNIE  ANIMALE. 


481 


Le  foyer  de  la  matière  sucrée  est  dans  le  foie  F  qui  la  produit,  et  dont  le 
tissu  en  renferme  constamment.  Le  foie  reçoit  les  matériaux  de  cette  sécré- 
tion par  le  sang  qui  entre  par  la  veine  porte  VP,  et  qui  ne  renferme  pas  de 
sucre  chez  les  carnivores.  Ce  sang  vient  en  partie  du  sang  des  artères  mé- 
sentériques  qui  passe  par  les  capillaires  dans  les  rameaux  de  la  veine  porte 
BERNARD.    I.  31 


482  RÉSUMÉ   DES  FAITS 

b,  et_,  d'autre  part,  des  matériaux  absorbés  en  «,  directement  dans  l'intestin. 
Le  sang  non  sucré  de  la  veine  porte  VP  entre  dans  le  foie,  s'y  répand,  y  subit 
des  métamorphoses  au  contact  de  l'élément  glandulaire,  devient  très-sucré, 
et  passe  dans  la  veine  hépatique  HS.  On  a  ainsi  du  sang  qui  entre  en  YP 
sans  renfermer  aucune  trace  de  sucre,  tandis  qu'il  en  contient  beaucoup  en 
HS.  Il  faut  bien  que  ce  sucre  ait  pris  naissance  dans  le  foie  F.  Le  sang  sucré 
de  la  veine  hépatique  SH  arrive  alors  dans  la  veine  cave  inférieure  VCI,  près 
du  cœur,  se  mélange  avec  le  sang  non  sucré  de  la  veine  cave  inférieure, 
et  va  dans  le  cœiir  C,  où  il  se  mélange  encore  avec  le  sang  de  la  veine 
cave  supérieure  VCS,  de  telle  sorte  que  la  quantité  du  sucre  a  été  considé- 
rablement diluée,  au  point  que  la  quantité  du  sucre,  qui  était  en  HS  de  Os%98 
pour  100,  est  en  c  moins  de  08',.300  pour  100.  Le  sang  sucré  du  ventricule 
droit  c  est  chassé  dans  les  poumons  par  l'artère  pulmonaire  AP,  arrive  dans 
les  capillaires  du  poumon  P,  où  il  se  détruit  en  presque  totalité,  et  le  sang 
revient  alorsparla  veine  pulmonaire  dans  le  ventricule  gauche.  De  là  le  sang, 
qui  ne  contient  plus  de  sucre  d'une  manière  appréciable,  passe  dans  le  sys- 
tème artériel  ou  aortique  AA,  puis  arrive  dans  les  capillaires  généraux  CG. 
Là  le  sang  subit  d'autres  modifications,  puis  passe  de  l'état  de  sang  artériel  à 
l'état  de  sang  veineux,  puis  repasse  dans  les  veines  caves  inférieure  et  supé- 
rieure VCI,  V'CS.  Le  sang  de  l'artère  mésentérique  m  se  répand  dans  les 
capillaires  intestinaux,  se  charge  en  passant  des  matériaux,  dissous  par  la 
digestion  dans  l'intestin  I,  puis  arrive  au  foie.  Le  sang  de  l'artère  rénale  R 
arrive  au  rein  R,  et  cède  les  matériaux  de  l'urine,  mais  ne  cède  pas  de  sucre 
habituellement.  Il  n'en  cède  que  lorsque  la  quantité  de  cette  matière  dans 
le  cœur  droit  excède  O^^SOO  pour  100,  que  tout  n'a  pas  été  détruit  dans  le 
poumon,  et  qu'H  en  est  passé  dans  le  sang  artériel,  qui  l'apporte  alors  au 
rein.  Le  rein  devient  alors  un  organe  éliminateur  du  sucre,  et  l'individu  se 
trouve  diabétique. 

Deuxième  fait.  Le  sucre  existe  dans  le  foie  des  car- 
nassiers comme  dans  celui  des  herbivores,  à  jeun  ou 
en  digestion. 

Corollaire,  La  présence  du  sucre  dans  le  foie  est 
donc  indépendante  de  la  nature  de  l'alimentation. 

Troisième  fait.  Chez  un  Carnivore,  on  ne  trouve 
point  de  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte. 

On  en  trouve  toujours,  au  contraire,  des  quantités 
considérables  dans  le  sang  des  veines  hépatiques. 

Corollaire,  Le  sucre  se  forme  donc  dans  le  foie. 

Quatrième  fait.  Le  sucre  versé  dans  le  sang  se  détruit 


QUI   ÉTABLISSENT  LA  GLYCOGÉxME  ANIMALE.  483 

successivement  à  mesure  qu'il  s'éloigne  du  foie,  sans 
toutefois,  chez  l'animal  sain,  apparaître  dans  les  urines. 

Cinquième  fait.  Le  sang  qui  sort  du  foie,  en  même 
temps  qu'il  contient  davantage  de  sucre,  ne  renferme 
plus  du  tout  de  fibrine  et  beaucoup  moins  d'albumine 
que  le  sang  qui  y  entre. 

Corollaire.  Le  sucre  semble  se  produire  dans  le  foie 
aux  dépens  des  matières  albuminoïdes  du  sang. 

Tous  les  faits  qui  précèdent  sont  établis  par  des 
expériences  chimiques  ;  elles  prouvent  déjà  qu'il  y  a 
formation  du  sucre  dans  le  foie.  Mais  comme  cette 
fonction  se  passe  dans  l'organisme,  il  en  résulte  que 
cette  production  glycogénique  doit  par  conséquent  su- 
bir toutes  les  influences  de  diverse  nature  qui  agissent 
su  ries  fonctions  organiques. 

En  effet,  nous  constatons  au  point  de  vue  physiolo- 
gique : 

Premier  fait,  La  fonction  glycogénique  subit  des 
oscillations,  comme  toutes  les  sécrétions,  et  en  parti- 
culier comme  celles  qui  sont  liées  à  l'appareil  digestif. 

Elle  est  plus  active  au  moment  de  la  digestion. 

Elle  diminue  dans  les  intervalles. 

Elle  peut  finir  par  disparaître  à  la  suite  d'un  jeûne 
prolongé. 

Deuxième  fait.  Les  influences  extérieures  agissent 
sur  la  sécrétion  du  sucre. 

Le  froid  la  fait  disparaître,  soit  complètement,  soit 
en  partie,  suivant  son  intensité. 

La  chaleur  la  rétablit. 

Troisième  fait,  l^es  actions  sur  le  système  nerveux 


484  RÉSUMÉ   DES  FAITS. 

retentissent  sur  cette  fonction  pour  l'exagérer,  pour  la 
diminuer,  pour  la  pervertir. 

Quatrième  fait.  La  fonction  glycogénique  est  en  sym- 
pathie d'action  avec  les  autres  fonctions  de  l'économie, 
et  en  particulier  a^ec  la  respiration. 

Cinquième  fait.  A  l'état  morbide,  la  fonction  glyco- 
génique s'exagère  ou  s'anéantit. 

Son  exagération  produit  le  diabète. 

Son  anéantissement  a  lieu  sous  l'influence  de  tout 
état  fébrile. 

Le  foie  des  individus  morts  de  maladie  ne  contient 
généralement  pas  de  sucre. 

Tel  est.  Messieurs,  l'ensemble  des  preuves  qui  con- 
courent à  établir  que  la  production  directe  du  sucre 
parle  foie  est  une  véritable  fonction  physiologique. 

Quand  vous  voudrez  vous  convaincre  par  des  expé- 
reinces  personnelles  de  la  réalité  de  cette  fonction 
glycogénique,  vous  devrez  passer  successivement  par 
cette  série  de  faits  que  nous  venons  de  vous  énoncer,  qui 
s'enchaînent  les  uns  avec  les  autres,  et  qui  vous  con- 
duiront à  coup  sûr  au  résultat  que  nous  vous  avons 
annoncé,  et  alors  vous  partagerez  nos  convictions. 

Il  ne  me  reste  plus,  Messieurs,  en  terminant,  qu'à 
vous  remercier  de  l'intérêt  constant  avec  lequel  vous 
avez  suivi  ces  leçons. 


APPENDICE 


Les  expériences  si  concluantes  de  M.  le  professeur 
Lehmann,  que  nous  avons  rapportées  dans  la  dernière 
leçon,  ainsi  que  les  remarques  dont  nous  les  avions 
fait  suivre,  devaient  naturellement  fait  taire  nos  con- 
tradicteurs, ou  bien  les  irriter  et  les  amener  à  quelque 
argument  extrême.  Les  deux  cas  sont  arrivés,  il  en  est 
qui  n'ont  plus  rien  dit,  tandis  que  d'autres  ont  été 
moins  prudents.  Immédiatement  après  la  fin  du  cours, 
dans  la  séance  académique  du   26  mars  dernier,    il 
parut  un  nouveau  travail,  dans  lequel  on  crut  conve- 
nable, pour  faire  plus  d'effet,  de  prendre  exactement 
le  contre-pied  des  analyses  de  M.  Lehmann,  et  d'avan- 
cer qu'il  y  avait  plus  de  sucre  dans  le  sang  de  la  veine 
porte  que  dans  celui  des  veines  hépatiques.  L'auteur 
de  cette  contradiction  est  le  même  qui,  le  29  janvier, 
avait  soutenu  que  le  sucre  du  foie  provient  des  végétaux, 
au  moyen  de  la  viande  de  boucherie  qu'on  donne  aux 
carnivores;  seulement  il  semble  abandonner  la  plupart 
des  arguments  émis  dans  son  premier  travail,  car  il 
n'en  est  plus  fait  mention  dans  le  second.  Mais  il  ima- 


486  APPENDICE. 

gine  alors  des  conditions  expérimentale  tout  h  fait 
particulières,  et  il  annonce  avec  assurance  que,  deux 
heures  après  un  repas  de  viande  crue,  il  y  a  plus  de 
sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte  que  dans  celui  des 
veines  hépatiques,  tandis  que  l'inverse  a  lieu  quatre 
heures  après.  Il  est  évident  qu'il  fallait  que  les  expé- 
riences qui  sont  annoncées,  au  nombre  d'une  seule- 
ment, donnassent  ces  résultats  pour  prouver  que,  deux 
heures  après  le  repas,  le  foie  reçoit  plus  de  sucre  qu'il 
n'en  donne,  et  qu'au  contraire,  quatre  heures  plus  tard, 
le  sucre  s'étant  accumulé  dans  le  foie,  l'organe  en  rend 
plus  qu'il  n'en  reçoit. 

On  paraît  peu  au  courant  des  notions  physiologiques 
sur  la  digestion,  car  on  dit  qu'au  bout  de  deux  heures 
la  viande  crue  est  digérée,  et  que  le  sucre  des  aliments 
a  passé  dans  la  veine  porte.  Si  Ton  y  eût  regardé 
de  près,  on  aurait  vu  que  la  digestion  de  la  viande 
crue,  après  deux  heures,  loin  d'être  en  pleine  activité 
dans  l'intestin,  n'est  pas  même  bien  commencée  dans 
l'estomac. 

Voici,  du  reste,  comment  l'auteur  s'exprime  dans 
son  Mémoire,  qui,  tel  qu'il  a  été  lu,  se  trouve  repro- 
duit dans  la  Gazet/e  médicale  du  31  mars,  p.  202  : 

Un  chien  jeune  et  de  forte  taille  a  été  privé  de  toute  nourriture 
pendant  trois  jours.  On  a  commencé  alors  à  le  nourrir  avec  de  la 
viande  de  bœuf  crue^  et  l'on  a  continué  pendant  huit  jours  ce  régime. 
Au  bout  de  ce  temps,  le  chien  a  été  laissé  à  jeun  pendant  quarante 
heures.  On  lui  a  donné  alors  un  repas  composé  de  2  livres  et  demie 
de  viande  de  bœuf,  et,  deux  heures  après,  on  a  procédé  à  l'opéra- 
tion, qui  consistait  à  recueillir  séparément  le  sang  de  la  veine  porte 
et  celui  des  vaisseaux  situés  au-dessus  du  foie.  A  cet  effet,  une  in- 
cision a  été  pratiquée  au  flanc  droit  de  l'animal,  le  doigt  indicateur 


APPENDICE.  487 

introduit  par  cette  ouverture,  et  suivant  le  bord  inférieur  du  foie,  a 
permis  de  saisir  le  paquet  des  nerfs  et  des  vaisseaux  gui  pénètrent 
dans  cet  organe;  la  veine  porte  étant  saisie,  on  l'a  liée.  Après  cette 
ligature,  on  a  ouvert  l'abdomen,  ce  qui  a  permis  d'apercevoir  les 
vaisseaux  de  l'intestin  noirs  et  gonflés  par  la  stase  du  sang,  suite  de 
la  ligature.  En  incisant  la  veine  porte,  on  a  recueilli  le  sang  de  ce 
vaisseau.  On  s'était  procuré  de  même  celui  des  veines  mésentériques. 
Après  ces  diverses  opérations,  la  poitrine  de  l'animal  a  été  ouverte, 
et  l'on  a  recueilli  le  sang  du  ventricule  droit  du  cœur,  et  celui  de  la 
veine  cave  inférieure  à  son  entrée  dans  cet  organe .  Enfin^  on  a  extrait 
le  foie.  L'estomac  du  chien  contenait  encore  une  assez  grande  quan- 
tité de  viande  digérée  et  d'une  couleur  grisâtre. 

Voici  maintenant  les  résultats  auxquels  a  conduit  l'analyse  chi- 
mique comparée  du  sang  de  la  veine  porte  et  du  sang  pris  au-dessus 
du  foie. 

Sa?ig  de  la  veine  porte.  —  Ce  sang  pesait  102  grammes.  Il  a  été  coa- 
gulé par  l'addition  de  trois  fois  son  volume  d'alcool.  Le  liquide, 
passé  à  travers  un  linge,  a  été  rendu  acide  par  quelques  gouttes 
d'acide  acétique  et  évaporé  à  siccité.  En  reprenant  par  de  l'eau  dis- 
tillée, on  a  obtenu  une  liqueur  limpide  qui  a  été  évaporée  à  siccité. 
Le  poids  de  ce  dernier  résidu  était  de  1,07.  Une  partie  de  cette 
liqueur,  traitée  par  le  réactif  de  Frommherz,  a  fourni  un  précipité 
abondant  de  sous-oxyde  de  cuivre,  ce  qui  indiquait  la  présence  d'une 
notable  quantité  de  sucre. 

Le  lendemain,  avec  la  liqueur  cupro-potassîque  titrée  à  5  centi- 
grammes de  sucre  d'amidon  pour  10  centimètres  cubes  de  liqueur, 
j'ai  procédé  à  la  détermination  de  la  quantité  de  glucose  contenue 
dans  un  poids  connu  du  résidu  de  l'évaporation.  J'ai  trouvé  ainsi 
que  le  sang  sur  lequel  j'avais  opéré  contenait,  sur  100  parties,  0,^48 
de  glucose.  Ajoutons  que  le  sang  des  veines  mésentériques  renfer- 
mait aussi  du  sucre,  mais  la  proportion  n'en  a  pas  été  dosée  (1). 

Sang  pris  au-dessus  du  foie.  —  Le  poids  de  ce  sang  était  de  2o  gramm. 
Traité  comme  précédemment,  il  a  laissé  un  résidu  du  poids  de  0,1 50. 
Le  réactif  cupro-potassique  n'a  indiqué  dans  ce  résidu  que  des  traces 
à  peine  appréciables  de  glucose.  La  quantité  en  était  si  faible, 

(()  On  s'est  assuré,  avec  un  autre  chien  placé  dans  les  mêmes  conditions 
qu'après  un  jeûne  de  quarante  heures,  la  veine  porte  ne  contenait  pas  de 
sucre.  A  cet  eiïet,  le  chien  a  été  tué  par  la  section  du  bulbe  rachidien.  L'ab- 
domen étant  ouvert,  on  a  appliqué  une  ligature  sur  la  veine  porte,  et  l'on  a 
recueilli  le  sang  de  ce  vaisseau.  Ce  sang  ne  renfermait  aucune  trace  de  glu- 
cose; on  s'en  est  assuré  en  le  traitant  par  l'alcool,  suivant  le  procédé  ci- 
dessus  décrit. 


488  APPENDICE. 

qu'ayant  essayé  de  la  doser  avec  la  liqueur  cupro-potassique  qui  avait 
servi  à  l'analyse  du  sang  de  la  veine  porte,  je  n'ai  pu  y  parvenir, 
car  la  coloration  bleue  de  la  liqueur  titrée  a  été  à  peine  altérée  par 
l'afTusion  de  la  presque  totalité  du  liquide. 

Dans  le  sang  pris  au-dessus  du  foie,  deux  heures  après  le  repas,  il 
n'existait  donc  que  des  traces  de  glucose. 

Quant  au  foie,  qui  pesait  315  grammes,  il  était  chargé  d'une  quan- 
tité notable  de  sucre. 

Il  résulte  de  cette  première  expérience  que,  chez  un  chien  nourri 
de  viande  crue  et  tué  deux  heures  après  le  repas,  on  trouve  dans  la 
veine  porte  une  quantité  notable  de  glucose,  et  qu'il  n'existe  que 
des  traces  de  ce  produit  dans  le  sang  qui  sort  du  foie,  bien  que  ce 
dernier  organe  soit  lui-même  chargé  de  sucre. 

La  même  expérience  a  été  répétée,  quatre  heures  après  le  repas, 
avec  un  chien  placé  dans  les  mêmes  conditions  que  le  précédent,  et 
nourri  exclusivement  depuis  douze  jours  avec  de  la  viande  de  bœuf 
crue.  Au  bout  de  quarante  heures  de  jeûne,  on  a  donné  à  ce  chien 
un  repas  composé  de  2  livres  de  viande  de  bœuf  crue,  et,  quatre 
heures  après,  on  l'a  opéré  comme  le  précédent.  On  a  recueilli,  par 
incision,  le  sang  de  la  veine  porte.  La  poitrine  étant  ouverte,  on  a 
pris  le  sang  du  ventricule  droit  et  celui  de  la  veine  cave  inférieure. 
La  digestion  était  presque  entièrement  terminée,  car  l'estomac  ne 
contenait  plus  que  quelques  morceaux  de  viande  au  milieu  d'une 
masse  demi-liquide  et  pultacée  qui  n'occupait  qu'une  partie  du  vis- 
cère. En  procédant  à  l'analyse  comparée  de  ces  deux  sangs,  j'ai 
obtenu  les  résultats  qui  suivent  : 

Sang  de  la  veine  porte.  —  Le  sang  recueilli  pesait  76  grammes.  A 
la  seconde  évaporation  (l'évaporation  du  liquide  aqueux),  il  a  laissé 
un  résidu  du  poids  de  0,39,  J'ai  trouvé,  en  analysant  un  poids  connu 
de  ce  résidu  avec  la  liqueur  cupro-potassique  titrée,  qu'il  renfer- 
mait 0,231  pour  100  de  glucose. 

Sang  pris  au-dessus  du  foie.  —  Ce  sang  pesait  2o  grammes.  Le  ré- 
sidu alcoolique  pesait  0,165.  On  a  trouvé,  par  le  même  procédé 
d'analyse,  que  ce  sang  contenait  0,304  pour  100  de  glucose. 

Le  foie  renfermait  une  quantité  notable  de  sucre. 

Ainsi,  chez  un  chien  nourri  de  viande  crue,  et  tué  quatre  heures 
après  le  repas,  on  trouve  du  glucose  dans  le  sang  de  la  veine  porte, 
et  le  sang  qui  sort  du  foie  renferme  alors  une  quantité  de  glucose 
plus  considérable  que  quand  on  l'a  recueilli  deux  heures  seulement 
après  le  repas. 

Examinons  maintenant  les  conséquences  auxquelles  conduisent 


APPENDICE.  489 

ces   deux  expériences  si  importantes  dans  la  question  qui   nous 
occupe. 

Ce  que  tout  le  monde  remarquera  certainement  dans  leur  résul- 
tat, c'est  la  démonstration  de  ce  fait  capital,  que  le  sang  qui  pénètre 
dans  le  foie  pendant  la  digestion  renferme  déjà  du  sucre^,  et  que 
par  conséquent  le  foie  ne  joue  point  dans  la  production  de  ce  prin- 
cipe le  rôle  qui  lui  est  attribué. 

Une  seconde  particularité,  qui  ressort  des  mêmes  expériences, 
frappera  peut-être  moins  que  la  précédente,  mais  elle  est  pour  nous 
tout  aussi  précieuse,  car  elle  démontre  avec  évidence  que  le  foie  est 
bien,  comme  nous  l'avons  dit,  un  organe  dans  lequel  les  produits 
de  la  digestion  viennent  séjourner  un  certain  temps,  s'y  accumuler, 
s'y  réunir,  pour  être  ensuite  répandus  et  distribués  dans  la  circula- 
tion générale. 

Rapprochons,  en  effet,  les  résultats  de  ces  deux  expériences.  Dans 
la  première,  quand  on  recueille  le  sang  deux  heures  après  le  repas, 
le  sang  qui  provient  du  foie  ne  renferme  encore  qu'une  quantité 
insignifiante  de  sucre,  bien  que  cet  organe  soit  rempli  de  matière 
sucrée.  Dans  la  seconde  expérience,  faite  quatre  heures  après  le 
repas,  le  sang  qui  s'échappe  du  foie  contient  des  proportions  no- 
tables de  glucose.  Xe  voit-on  pas  là  la  démonstration  évidente  de  ce 
fait,  que  le  foie  arrête  quelque  temps  dans  son  tissu  les  matières  qui 
lui  sont  apportées  de  l'intestin?  Par  suite  de  l'extrême  lenteur  delà 
circulation  dans  l'organe  hépatique,  par  la  nature  même  du  tissu 
spongieux  de  cette  glande,  le  sang  est  contraint  de  subir  dans  le  foie 
une  stagnation  qui  a  pour  effet  d'y  retenir  ces  produits  un  temps 
plus  ou  moins  long.  Aussi,  lorsque,  dans  la  première  expérience, 
nous  avons  recueilli  le  sang  deux  heures  seulement  après  le  repas, 
nous  avons  saisi  le  moment  précis  où  le  sucre,  arrivant  du  tube  in- 
testinal par  suite  de  la  digestion,  avait  pénétré  dans  le  foie,  mais 
n'avait  eu  le  temps  d'en  sortir,  et  se  trouvait  encore  arrêté  dans 
le  réseau  vasculaire  de  cette  glande.  Et  c'était  un  spectacle  remar- 
quable et  plein  d'enseignements  physiologiques  que  de  voir  s'échap- 
per d'un  foie  gorgé  de  sucre  un  sang  presque  dépourvu  de  ce  pro- 
duit! Mais  lorsque,  dans  la  seconde  expérience,  on  a  recueilli  le 
sang  quatre  heures  après  le  repas,  on  a  laissé  au  glucose  le  temps 
de  s'échapper  par  les  vaisseaux  sus-hépatiques,  et  l'analyse  a  permis 
de  constater  dans  le  sang  de  ces  vaisseaux  l'existence  d'une  notable 
proportion  de  matière  sucrée. 

J'ai  reproduit  textuellement  les  paroles  de  l'auteur, 


490  APPENDICE. 

parce  qu'il  faut  avoir  lu,  de  ses  yeux,  de  semblables 
résultats,  pour  croire  qu'on  les  ait  avancés  d'après  une 
expérience  faite  une  seule  fois.  On  comprend,  jusqu'à 
un  certain  point,  que  l'illusion  puisse  se  glisser  dans  le 
raisonnement  sous  l'influence  de  certaines  idées  pré- 
conçues, mais  il  est  plus  difficile  de  comprendre  que 
l'on  trouve  et  que  l'on  dose  du  sucre  dans  le  sang  de  la 
veine  porte,  quand  il  n'y  en  a  pas,  et  que  l'on  n'en  voie 
pas  dans  le  sang  des  veines  hépatiques  où  il  y  en  a.  La 
possibilité  de  semblables  contradictions  doit  attrister  les 
homme  qui  recherchent  la  vérité. 

Le  résultat  énoncé,  à  savoir,  qu'il  y  a  plus  de  sucre 
dans  le  sang  de  la  veine  porte  que  dans  celui  des  veines 
hépatiques,  est  tellement  opposé  à  ce  que  tout  le 
monde  a  vu,  que  j'avais  cru  d'abrd  à  quelque  erreur 
anatomique  et  à  quelque  confusion  de  vaisseaux.  On 
remarque,  en  effet,  de  l'ambiguïté  dans  les  désigna- 
tions anatomiques.  On  parle,  d'une  part,  du  sang  re- 
cueilli dans  la  veine  porte  et  du  sang  recueilli  dans  les 
veines  mésentériques,  distinction  qui  n'a  pas  sa  raison 
d'être  puisque  la  veine  porte  n'est  que  la  réunion  de 
toutes  les  veines  mésentériques.  D'autre  part,  on  dit 
qu'on  a  recueilli  du  sang  au-dessus  du  foie,  et  puis, 
dans  le  détail  de  l'expérience,  on  ajoute  que  l'on  a 
ouvert  la  veine  cave  à  son  embouchure  dans  l'oreillette 
droite  du  cœur.  L'auteur  n'a  sans  doute  pas  voulu  dési- 
gner par  cette  expression  :  sang  pris  au-dessus  du  foie, 
le  sang  du  cœur  droit  provenant  de  tout  le  système 
veineux  du  corps,  car  il  sait  bien  que  c'est  dans  les 
veines  hépatiques,  immédiatement  à  la  sortie  du  tissu 


APPENDICE.  491 

du  foie,  qu'il  faut  prendre  le  sang  sus-hépatique  pour 
le  comparer  au  sang  de  la  veine  porte  qui  entre 
dans  l'organe.  Du  reste,  dans  ses  conclusions,  l'auteur 
s'explique  plus  clairement  quand  il  s'écrie,  dans  l'éton- 
nement  et  l'admiration  oii  il  est  de  ses  propres  résultats  : 
«  Et  c'était  un  spectacle  remarquable  et  plein  d'ensei- 
gnements physiologiques  que  de  voir  s'échapper  d'un 
foie  gorgé  de  sucre  un  sang  presque  dépourvu  de  ce 
produit!  » 

Or,  si  l'auteur  a  vu  sur  un  chien  le  sang  s'échapper 
du  foie,  il  n'a  pu  le  voir  s'échapper  que  par  les  veines 
hépatiques  qui  s'abouchent  dans  la  veine  cave  au-dessous 
du  diaphragme,  et  non  à  l'entrée  de  l'oreillette  droite 
du  cœur.  Enfin,  l'auteur  ajoute,  deux  lignes  plus  bas  : 
((  On  a  laissé  au  glucose  le  temps  de  s'échapper  par  les 
vaisseaux  sus-hépatiques .  »  D'après  tout  cela,  je  crois 
bien  que  notre  contradicteur  a  pris  du  sang  des  veines 
hépatiques  et  du  sang  de  la  veine  porte  ;  mais  ce  que  je 
n'admettrai  jamais,  pas  plus  que  personne,  c'est  ce 
qu'on  a  avancé,  à  savoir,  que,  deux  heures  après  un 
repas  de  viande  crue,  il  y  a  plus  de  sucre  dans  le  dernier 
sang  que  dans  le  premier. 

Sans  rechercher  la  cause  des  erreurs  matérielles  qui 
ont  pu  se  glisser  dans  les  expériences,  je  ferai  seule- 
ment sur  la  direction  d'idées  de  l'auteur  une  remarque 
générale  qui  me  semble  assez  explicative. 

Il  est  bien  clair  que,  dans  toute  cette  discussion, 
l'auteur  en  question,  sans  s'en  apercevoir,  et  de  très- 
bonne  foi  sans  aucun  doute,  se  place  toujours  en  de- 
hors du  point  de  vue  scientifique,  en  ce  qu'il  traite  la 


492  APPENDICE, 

question  comme  un  avocat  qui  soutient  un  plaidoyer, 
mais  non  comme  un  savant  qui  cherche  la  vérité.  Cette 
méthode  de  procéder  est  surtout  dangereuse  dans  les 
sciences  complexes  comme  la  physiologie,  et  il  est 
d'autant  plus  important  de  la  signaler  ici,  que,  pour  ne 
pas  y  être  trompé,  il  faut  être  bien  an  courant  des 
questions  dont  il  s'agit.  En  effet,  une  fois  le  point  de 
départ  admis,  les  raisonnements  s'enchaînent  logique- 
ment, et  les  personnes  étrangères  aux  faits  sont  sé- 
duites par  cet  enchaînement,  sans  se  douter  que  c'est 
précisément  le  point  de  départ  qui  pèche,  et  que 
c'est  là  ce  qu'il  faut  déterminer  exactement.  Or,  je  dis 
que,  dans  le  travail  que  nous  examinons,  l'auteur  se 
préoccupe  beaucoup  plus  de  rechercher  des  appa- 
rences d'arguments  pour  le  besoin  de  sa  cause  que 
de  s'enquérir  si  les  arguments  qui  servent  de  point 
de  départ  à  ses  raisonnements  sont  solidement  éta- 
blis. 

Voyons,  en  effet,  ce  qui  est  arrivé.  Dans  son  pre- 
mier Mémoire,  l'auteur  se  pose  en  défenseur  d'une 
théorie  en  vertu  de  laquelle  le  sucre  trouvé  dans  le  foie 
des  carnivores  doit  provenir  des  végétaux.  Alors  il  ima- 
gine, pour  son  explication,  qu'il  y  a  du  sucre  dans  la 
viande  des  animaux  de  boucherie,  qui  sont  herbivores, 
et  là-dessus  il  construit  tout  un  échafaudage  de  consi- 
dérations pour  prouver  que  l'origine  du  sucre  n'est  pas 
dans  le  foie. 

Mais  on  lui  dit  que  d'abord  le  fait  de  la  présence  du 
sucre  dans  la  viande  est  erroné.  Ensuite,  pour  démon- 
trer que  le  foie  ne  fait  pas  de  sucre,  et  que  cette  sub- 


APPENDICE.  493 

slance  vient  de  Faliment,  il  faudrait  prouver  qu'il  y  a 
du  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte  qui  entre  dans 
l'organe;  et  enfin,  pour  établir  que  le  sucre  se  con- 
dense dans  le  foie,  il  faudrait  encore  montrer  qu'il 
entre  plus  de  sucre  dans  le  foie  qu'il  n'en  sort. 

L'auteur  n'est  pas  embarrassé  pour  résoudre  ces  ob- 
jections qu'on  lui  oppose.  La  présence  du  sucre  dans 
la  viande  n'est  pas  exacte  :  il  n'en  parle  plus.  11  fau- 
drait, pour  prouver  ce  qu'il  a  avancé,  qu'il  y  eût  plus 
de  sucre  dans  la  veine  porte  que  dans  le  sang  des 
veines  hépatiques  :  immédiatement  paraît  le  Mémoire 
précédemment  rapporté,  dans  lequel  il  croit  avoir  vu 
ces  résultats,  qui  sans  doute  peuvent  constituer  un  bon 
argument,  mais  qui,  malheureusement  pour  la  théorie 
qu'on  soutient,  est  tout  aussi  illusoire  que  la  présence 
du  sucre  dans  la  viande.  D'après  cette  disposition 
d'esprit  de  l'auteur,  il  est  probable  que,  quand  on  lui 
aura  prouvé  qu'il  n'y  a  pas,  comme  il  le  croit,  du 
sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte  en  plus  grande 
quantité  que  dans  le  sang  des  veines  hépatiques,  il 
abandonnera  cet  argument  pour  en  imaginer  un  ou 
plusieurs  autres  à  la  discussion  desquels  il  espérera 
qu'on  puisse  s'arrêter. 

Les  discussions  dans  lesquelles  on  se  laisse  conduire 
par  ses  idées  en  dehors  de  l'examen  sérieux  des  faits 
ne  peuvent  avoir  aucun  résultat  scientifique.  Pour  ces 
raisons,  je  me  serais  abstenu,  pour  mon  compte,  de 
poursuivre  cette  espèce  de  procès  qu'on  a  voulu  in- 
tenter à  la  fonction  glycogénique  du  foie  ;  mais  je  suis 
ici  professeur  de  physiologie  expérimentale,  j'ai   foi 


494  APPENDICE. 

dans  la  méthode  expérinientale  et  dans  l'invariabilité 
des  expériences  bien  faites.  Il  est  de  mon  devoir  de 
m'élever  contre  ceux  qui,  par  la  manière  dont  ils  trai- 
tent les  questions,  peuvent  jeter  du  doute  dans  les 
esprits  sur  la  constance  des  résultats  physiologiques, 
et  retarder  cette  belle  science  dans  son  développement 
aujourd'hui  si  brillant.  Je  ne  dois  d'ailleurs  laisser 
échapper  aucune  source  d'instruction  pour  les  élèves. 
Or,  on  instruit  à  la  fois  en  mettant  sous  les  yeux  les 
méthodes  d'investigation  qui  conduisent  à  la  vérité, 
afin  de  les  suivre,  et  en  signalant  celles  qui  conduisent 
à  l'erreur,  afin  de  les  éviter.  C'est  comme  exemple  de 
ce  dernier  genre  que  j'ai  eu  à  indiquer  la  manière  de 
procéder  de  l'auteur  dont  nous  nous  occupons,  et  c'est 
pour  montrer  jusqu'oii  cette  manière  de  raisonner  peut 
conduire,  que  j'ai  voulu  poursuivre  la  question  dans 
cet  appendice. 

Au  point  de  vue  de  la  physiologie,  il  aurait  pu  y 
avoir  inconvénient  à  ne  pas  suivre  la  discussion  jus- 
qu'au bout.  En  effet,  à  voir  l'assurance  et  la  facilité 
avec  lesquelles  l'auteur  explique  tout,  et  rétorque  les 
objections,  certaines  personnes  pouvaient  croire  à 
l'exactitude  des  faits  contradictoires  avancés,  et  en  ti- 
rer cette  conclusion,  que  les  expériences  de  physiolo- 
gie sont  des  expériences  incertaines  qui  donnent  des 
résultats  variables  et  même  opposés,  et  que  les  conclu- 
sions qu'on  en  tire  ne  doivent  conséquemment  avoir 
aucune  valeur  absolue.  Or,  cette  conclusion  serait  es- 
sentiellement injuste,  comme  je  l'ai  prouvé  dans  main- 
tes circonstances,  et  j'ai  expliqué  dans  la  première 


APPENDICE.  495 

leçon  de  ce  cours  que  les  expériences  physiologiques 
sont  aussi  certaines  et  aussi  positives  que  celles  de  chi- 
mie et  de  physique,  pourvu  que  l'on  ait  soigneusement 
étudié  les  conditions  de  l'expérience  pour  reproduire 
les  phénomènes  toujours  dans  les  conditions  iden- 
tiques. 

Quand  on  dit,  par  exemple,  que  chez  un  Carnivore 
il  n'y  a  pas  de  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  et 
qu'il  y  en  a  dans  le  sang  des  veines  hépatiques,  ce  n'est 
pas  là  un  résultat  moyen  fourni  par  beaucoup  d'expé- 
riences, dans  lesquelles  on  aurait  trouvé  quelquefois 
des  résultats  opposés.  C'est  une  expérience  constante 
et  absolue,  ei  jamais,  quand  elle  est  bien  faite  et  dans 
les  conditions  indiquées,  il  n'y  a  de  sucre  dans  le  sang 
de  la  veine  porte.  C'est  à  cause  de  cette  foi  scientifique 
que  j'ai  dans  la  certitude  et  l'invariabilité  des  expé- 
riences physiologiques,  dont  les  conditions  sont  bien 
étudiées,  que  je  crois  de  mon  devoir,  comme  profes- 
seur de  physiologie  expérimentale,  de  m'élever  non 
contre  les  personne  que  je  laisse  toujours  en  dehors, 
mais  contre  les  travaux,  dont  la  légèreté  inspire  de  la 
défiance  à  l'égard  de  la  physiologie  expérimentale,  en 
apportant  dans  une  question  des  résultats  qui  n'ont 
pas  même  été  constatés,  comme  la  présence  du  sucre 
dans  la  viande.  C'est  pour  toutes  ces  raisons,  et  uni- 
quement dans  l'intérêt  de  la  science,  que  je  crus  qu'il 
fallait  protester  contre  les  faits  avancés  dans  le  Mé- 
moire que  nous  examinons;  c'est  ce  que  je  fis  dans  la 
séance  de  l'Académie  du  2  avril,  dans  les  termes  sui- 
vants : 


406  APPENDICE. 

Dans  la  séance  de  l'Académie  du  12  mars  dernier,  j'ai  rappelé  que 
M.  le  professeur  Lehmann,  de  Leipzig,  venait  encore,  avec  une  au- 
torité des  plus  considérables  en  pareille  malière,  confirmer  une  de 
mes  expériences  fondamentales  à  l'aide  desquelles  j'ai  établi  depuis 
longtemps  que  le  foie  fabrique  du  sucre.  Cette  expérience  consiste, 
comme  on  sait,  à  montrer  que  chez  des  animaux  carnivores  à  jeun 
ou  en  digestion  de  viande,  il  n'existe  pas  de  sucre  dans  le  sang  de 
la  veine  porte  qui  circule  des  intestins  vers  le  foie,  tandis  qu'il  en 
existe  constamment  et  en  notable  proportion  dans  le  sang  qui  sort 
du  foie  parles  veines  hépatiques  pour  circuler  vers  le  cœur. 

Dans  la  dernière  séance  de  l'Académie,  on  a  nié  l'exactitude  de 
ces  faits  constatés  et  vérifiés  par  les  hommes  les  plus  compétents 
et  les  plus  habiles. 

L'auteur  qui  a  émis  cette  négation  est  arrivé  non-seulement  à  dire 
que  chez  les  animaux  carnivores,  à  certaines  périodes  de  la  diges- 
tion, il  y  a  du  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte  aussi  bien  que 
dans  celui  des  veines  hépatiques,  mais  il  n'a  pas  craint  'd'avancer  que, 
deux  heures  après  le  repas,  on  trouve  chez  un  chien  qui  a  mangé 
de  la  viande  de  bœuf  crue  une  plus  forte  proportion  de  sucre  dans 
le  sang  de  la  veine  porte  que  dans  le  sang  pris  au-dessus  du  foie. 

L'assurance  avec  laquelle  une  pareille  assertion  a  été  avancée 
pourrait  peut-être  en  imposer  à  certaines  personnes.  C'est  pour- 
quoi je  crois  de  mon  devoir  de  venir  déclarer  ici  que  ces  résultats 
sont  entièrement  inexacts. 

Par  suite  d'expériences  très-nombreuses  faites  depuis  six  années 
et  que  j'ai  répétées  devant  des  savants  de  tous  les  pays,  je  ne  pouvais 
avoir  aucun  doute  à  cet  égard.  Je  viens  même  encore  cette  semaine 
de  refaire  mon  expérience  devant  différents  physiologistes  ou  chi- 
mistes^ en  plaçantles  animaux  dans  les  diverses  conditions  de  diges- 
tion, et  spécialement  dans  celles  indiquées  par  l'auteur  du  Mémoire, 
soit  relativement  à  la  nature  de  l'alimentation,  soit  relativement 
à  l'époque  de  la  digestion,  soit  enfin  relativement  à  la  manière 
dont  le  sang  a  été  traité,  pour  y  rechercher  la  matière  sucrée. 
Or,  je  déclare  de  nouveau  que  j'ai  t^^ujours  obtenu  le  résultat  que 
j'avais  annoncé,  à  savoir,  que  chez  un  chien  en  digestion  de 
viande  cuite  ou  crue  il  n'y  a  pas  de  sucre  dans  la  veine  porte,  ni 
une  heure,  ni  deux  heures,  ni  trois  heures,  etc.,  après  le  repas, 
et  qu'il  y  en  a  au  contraire  dans  les  mêmes  circonstances,  cons- 
tamment et  en  notable  proportion,  dans  le  sang  des  veines  hépa- 
tiques. 

Maintenant,  quant  à  apprécier  les  causes  de  l'erreur  dans  laquelle 


APPENDICE.  497 

est  tombé  l'auteur  du  Mémoire  en  question,  ce  rôle  appartient  à  la 
Commission  qui,  je  l'espère,  ne  tardera  pas  à  faire  son  rapport. 

Mais,  par  un  sentiment  que  l'Académie  comprendra,  j'ai  l'hon- 
neur de  prier  M.  le  Président  de  vouloir  bien  nommer  en  ma  place 
un  autre  commissaire  pour  examiner  les  Mémoires  de  M.  Figuier. 


Je  n'ai  pas  à  m'occuper  dans  cette  note  de  la  ques- 
tion de  savoir  si  les  causes  d'erreur  provenaient  des 
moyens  employés  pour  reconnaître  le  sucre,  car  il  est 
probable  que  l'auteur,  voulant  répéter  nos  expériences 
et  celles  de  M.  Lehmann,  a  dû  les  reproduire  dans  les 
mêmes  circonstances  et  avec  les  mêmes  réactifs,  car 
sans  cela  ce  seraient  d'autres  expériences. 

Quant  aux  réactifs  dont  il  faut  se  servir  pour  recon- 
naître le  sucre,  nous  nous  sommes  déjà  expliqué  suffi- 
samment à  ce  sujet.  On  sait  que  nous  ne  nous  servons 
comme  caractère  certain  que  de  la  fermentation  au 
contact  de  la  levure  de  bière,  avec  pi^oduction  d'acide 
carbonique  et  d'alcool.  Nous  devons  ajouter  que  nous 
agissons  quelquefois  en  mélangeant  directement  la  le- 
vure avec  du  sang  frais  sucré,  comme  cela  a  lieu  dans 
les  veines  hépatiques.  La  fermentation  s'établit  rapide- 
ment au  bout  de  dix  minutes,  pour  peu  que  la  chaleur 
soit  de  30  à  40  degrés,  et  elle  dure  généralement  cinq 
ou  six  heures,  tandis  que  jamais  le  sang  frais  de  la 
veine  porte,  mélangé  de  même  à  de  la  levure  de  bière, 
ne  fermente  dans  le  même  temps.  Quand  on  emploie 
de  la  levtii^e  de  bière  prise  chez  les  boulangers,  il  im- 
porte de  ne  pas  laisser  la  fermentation  durer  plus  de 
vingt-quatre  heures,  car  alors  la  fécule  pourrait,  sous 
l'influence  des  matières  animales  du  sang,  se  trans- 

BERNARD.  I.  32 


498  APPENDICE. 

former  en  sucre  et  donner  de  ralcool  et  de  l'acide  car- 
bonique, comme  nous  nous  en  sommes  assuré.  Au 
lieu  de  faire  fermenter  directement  le  sang,  on  peut  le 
traiter  par  quatre  ou  cinq  fois  son  volume  d'alcool,  et 
reprendre  le  résidu  par  l'eau,  qu'on  soumet  alors  à  la 
fermentation.  Mais,  soit  qu'on  prenne  directement  le 
sang  des  veines  portes  et  des  veines  hépatiques,  soit 
qu'on  le  traite  par  l'alcool  préalablement,  on  voit 
constamment  dans  tous  les  cas  la  fermentation  s'éta- 
blir avec  le  sang  des  veines  hépatiques,  et  jamais  avec 
le  sang  de  la  veine  porte. 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  répéter  ici  que,  pour  ob- 
tenir ces  résultats,  il  faut  recueillir  le  sang  dans  des 
conditions  physiologiques.  On  ne  peut  avoir  le  sang 
qui  circule  dans  des  conditions  normales  dans  la  veine 
porte,  ou  dans  les  veines  hépatiques,  qu'en  opérant 
par  le  procédé  que  nous  avons  indiqué,  qui  consiste  à 
tuer  l'animal  par  la  section  du  bulbe  rachidien,  et  à 
recueillir  immédiatement  le  sang  contenu  dans  la  veine 
porte  et  celui  contenu  dans  les  veines  hépatiques,  après 
avoir  placé  des  ligatures  sur  ces  vaisseaux.  De  cette 
manière,  on  est  bien  sûr  que  le  sang  recueilli  dans  la 
veine  porte  est  celui  qui  allait  entrer  dans  le  foie  au 
moment  de  la  mort  de  l'animal. 

Quand,  à  la  suite  de  la  fermentation,  on  veut  obtenir 
de  l'alcool,  ce  qui  est,  suivant  nous,  une  condition  in- 
dispensable de  l'expérience,  il  faut  se  procurer  d'assez 
grandes  quantités  de  sang  et  sacrifier  un  certain  nom- 
bre d'animaux  dans  les  mêmes  conditions.  On  réunit 
tous  les  sangs  des  veines  hépatiques  et  ceux  des  veines 


APPENDICE.  499 

portes  qu'on  traite  comparativement  à  quantités  égales. 

Dans  ces  circonstances,  on  recueille  les  plus  grandes 
quantités  de  sang  possible,  en  faisant  l'expérience  sur 
l'animal  vivant,  comme  nous  l'avons  souvent  pratiquée, 
que  l'on  veuille  obtenir  le  sang  de  la  veine  porte  ou 
le  sang  des  veines  sus-hépatiques. 

Pour  obtenir  le  sang  de  la  veine  porte,  il  suffît  de 
faire  la  ligature  du  tronc  de  cette  veine,  d'ouvrir  l'ab- 
domen, et  de  piquer  au-dessous  de  la  ligature.  On  fait 
jaillir  ainsi  du  sang  circulant  dans  la  veine  porte  chez 
l'animal  vivant.  Mais  on  comprendra  que,  pour  que 
ce  sang  soit  dans  des  conditions  physiologiques,  il  ne 
faut  en  prendre  qu'une  petite  quantité  ;  car,  si  l'on  fait 
mourir  l'animal  d'hémorrhagie  en  ouvrant  la  veine 
porte,  par  exemple,  le  sang  detoutes  les  parties  du  corps 
se  trouvant  évacué,  le  foie  comprimé  par  les  convul- 
sions de  l'animal,  le  sucre  que  contient  cet  organe 
passe  avec  les  dernières  portions  du  sang,  qui  alors  ne 
sont  plus  identiques  avec  les  premières,  qu'on  peut 
seules  considérer  comme  recueillies  dans  des  condi- 
tions physiologiques. 

Pour  obtenir  une  grande  quantité  de  sang  des  veines 
hépatiques,  nous  avons  employé  le  même  procédé  que 
pour  constater  la  température  du  sang  qui  sort  du  foie. 
Ce  procédé  consiste  à  faire  une  grande  incision  dans  le 
flanc  droit,  jusque  dans  l'angle  de  la  dernière  côte,  et 
à  placer  deux  ligatures  sur  la  veine  inférieure,  au- 
dessus  des  veines  rénales.  Ces  ligatures  sont  destinées 
l'une  à  arrêter  le  sang  qui  vient  des  parties  inférieures, 
l'autre  à  lier  un  tube  ouvert  par  les  deux  bouts,  qu'on 


oOO  APPENDICE. 

introduit  dans  la  veine.  Ensuite,  lorsqu'on  a  placé  ces 
deux  ligatures  d'attente  dans  le  ventre,  il  s'agit  de  faire 
la  ligature  do  la  veine  cave  inférieure  au-dessus  du 
diaphragme,  dans  la  poitrine.  Pour  cela,  on  fait  une 
incision  entre  la  dixième  et  la  onzième  côte  du  côté 
droit.  On  incise  d'abord  la  peau,  puis,  en  changeant 
le  parallélisme,  on  fait  une  petite  incision  dans  un  es- 
pace intercostal,  de  façon  à  introduire  le  doigt  pour 
qu'il  bouche  exactement  l'ouverture,  et  empêche  l'en- 
trée de  l'air;  ensuite  on  introduit  le  long  du  doigt,  à 
l'aide  d'un  stylet,  un  fil  qu'on  passe  au-dessous  de  la 
veine,  on  fait  la  ligature,  et  de  cette  façon  le  sang  des 
parties  inférieures  ne  peut  plus  remonter  dans  le  cœur. 

Pour  éviter  de  faire  cette  ligature  de  la  veine  cave 
inférieure,  qui  est  souvent  assez  laborieuse,  on  peut 
faire  la  première  partie  de  l'opération  comme  nous 
l'avons  décrite,  après  quoi  on  introduit  dans  la  veine 
cave  un  tube  qui  est  une  espèce  de  sonde  au  bout  de 
laquelle  on  peut  souffler,  au  moyen  d'un  tube  latéral, 
une  petite  vessie  destinée  à  boucher  le  calibre  de  la 
veine  inférieure  (fig.  22). 

On  introduit  la  sonde  par  la  veine  cave  inférieure, 
au-dessous  des  reins,  dans  l'abdomen,  et  Ton  pousse 
l'instrument  de  façon  que  son  extrémité  soit  au-dessus 
du  diaphragme.  Alors  on  souffle  de  l'air  par  le  tube  0. 
L'air  insufflé  conduit  par  le  petit  tube  /,  va  s'ouvrir 
en  /',  et  distendre  la  petite  vessie  de  caoutchouc  G; 
alors  on  ferme  le  robinet  r,  et  la  vessie,  restant  dis- 
tendue, bouche  et  obstrue  la  veine  cave  au-dessus  du 
diaphragme,  c'est-à-dire  au-dessus  du  lieu  d'abouché- 


APPENDICE. 

ment  des  veines  hépatiques.  Alors 
ce  sang,  ne  pouvant  plus  remon- 
ter dans  le  cœur,  pénètre  dans  la 
sonde  par  l'ouverture  latérale  0', 
et  ^ient  s'écouler  au  dehors,  par 
le  pavillon  0  de  la  sonde,  dont 
le  robinet  R  a  été  ouvert. 

Par  l'un  ou  l'autre  des  deux 
procédés  précédents,  on  peut 
avoir  des  quantités  considérables 
de  sang  sucré,  parce  que,  la  cir- 
culation continuant  sur  l'animal 
vivant,  on  recueille  du  sang  qui 
ne  peut  s'échapper  qu'après  avoir 
traversé  le  foie.  On  possède  assez 
de  sang  pour  obtenir  de  l'alcool 
par  la  fermentation  en  distillant 
le  hquide,  ainsi  que  nous  l'avons 
expliqué  dans  le  cours  de  ces  le- 
çons. Or,  la  fermentation  dé- 
montre toujours  ce  que  nous 
avons  indiqué,  c'est-à-dire  une 
grande  quantité  de  sucre  dans  le 
sang  des  veines  hépatiques,  et  ab- 
sence complète  ou  traces  très- 
faibles  dans  le  sang  de  la  veine  ^ 
porte. 

Par  ces  raisons,  nous  ne  sau- 
rions comprendre  comment  l'au- 
teur qui  nous  a  contredit  a  pu 


501 


Fis.  2-2. 


502  APPENDICE. 

arriver  à  trouver  plus  de  sucre  dans  le  sang  de  la  veine 
porte  que  dans  celui  des  veines  hépatiques.  Nous  ferons 
remarquer  seulement  qu'il  ne  mentionne  pas  la  fermen- 
tation, qui  est  cependant  le  seul  caractère  absolu  pour 
déceler  le  sucre.  Si  ce  n'est  pas  là  un  oubli,  et  si  réelle- 
ment, c'est  ce  que  l'on  saura  quand  la  commission 
aura  fait  son  rapport,  ce  moyen  n'avait  pas  été  em- 
ployé, on  est  en  droit  de  refuser  aux  expériences  de 
l'auteur  toute  espèce  de  valeur. 

Après  notre  note  du  1 2  mars,  parurent  plusieurs  Mé- 
moires pour  venir  corroborer  de  nouveau  nos  expé- 
riences; car,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  tous  les 
hommes  qui  ont  répété  sérieusement  les  expériences 
ont  retrouvé  nos  résultats,  et  aucun  observateur  n'a  pu 
reproduire  ce  qu'a  dit  notre  contradicteur. 

Les  Mémoires  qui  ont  paru  sont,  le  premier,  de 
M.  Poggiale,  professeur  de  chimie  au  Yal-de-Grâce, 
communiqué  à  l'Académie  des  sciences  le  16  avril.  Ce 
Mémoire  est  relatif  à  la  formation  du  sucre  dans  le  foie 
et  dans  la  mamelle.  Nous  ne  discuterons  pas  ici  ce 
travail,  nous  n'en  rapportons  que  ce  qui  se  rattache  à 
la  formation  du  sucre  dans  le  foie,  et  particulièrement 
à  la  question  que  nous  examinons,  à  savoir,  que  chez 
les  animaux  carnivores  il  y  a  du  sucre  dans  le  sang  des 
veines  hépatiques,  qui  sort  du  foie,  tandis  qu'il  n'y  en 
a  pas  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  qui  entre  dans  l'or- 
gane. Voici  ce  travail  : 


APPENDICE.  o()3 


La  matière  sucrée  se  forme-t-elle,  parTaction  digestîve,  dans  le  foie 
et  dans  le  torrent  circulatoire?  par  M.  Poggiale. 

Première  expérience,  —  Un  chien  adulte  a  été  nourri  pendant  huit 
jours  au  pain  arrosé  de  bouillon  gras.  Après  deux  jours  d'une  absti- 
nence complète  d'aliments,  on  lui  a  donné  un  kilogramme  de  pain 
et  de  l'eau.  Trois  heures  après  ce  repas,  l'abdomen  ayant  été  ouvert 
et  le  sang  des  divers  vaisseaux  recueilli  séparément,  j'ai  déterminé 
la  quantité  de  sucre  dans  tous  ces  produits^  et  j'ai  trouvé  dans  le  sang 
de  la  veine  porte  0S'',322  de  sucre  pour  100  de  sang;  dans  le  sang 
des  veines  hépatiques,  0S'',327,-  dans  le  sang  de  la  veine  cave  infé- 
rieure, 08^,03,  et  dans  celui  de  l'artère  carotide,  Os'",0o2.  Les  ma- 
tières contenues  dans  l'estomac  et  dans  l'intestin  renfermaient  beau- 
coup de  sucre.  J'ai  fait  trois  expériences  dans  les  mêmes  conditions, 
et  les  résultats  généraux  n'ont  pas  varié. 

Deuxième  expérience.  —  Un  chien  adulte  et  de  forte  taille  fut  sou- 
mis à  l'action  du  chloroforme  le  troisième  jour  d'une  abstinence 
absolue,  et  l'on  recueillit  du  sang  de  la  veine  porte,  du  sang  des 
veines  sus-hépatiques,  du  sang  de  la  veine  cave  inférieure  et  du 
sang  de  l'artère  crurale.  On  obtint  par  l'analyse  les  résultats  sui- 
vants :  ûs%02o  de  sucre  dans  100  parties  de  sang  de  la  veine  porte; 
0''',049  dans  le  sang  des  veines  hépatiques;  0S'-,042  dans  le  sang  de 
la  veine  cave  inférieure,  et  0s%023  dans  le  sang  de  l'artère  crurale. 

Troisième  expérience.  —  Un  chien  fut  laissé  sans  nourriture  pen- 
dant huit  jours,  puis  sacrifié.  L'examen  du  sang  des  différents  vais- 
seaux donna  les  chiffres  suivants  :  0S'",022  de  sucre  pour  100  de  sang 
des  veines  hépatiques,  et  des  traces  seulement  dans  la  veine  cave 
inférieure.  Le  sang  de  la  veine  porte  ne  contenait  pas  de  sucre.  Chez 
un  autre  chien  à  jeun  depuis  quatre  jours,  on  n'a  pas  trouvé  de 
sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte,  tandis  qu'on  en  a  rencontré 
dans  le  sang  des  veines  hépatiques. 

Quatrième  expérience,  —  Un  chien  nourri  pendant  huit  jours  a  ec 
de  la  viande  cuite,  puis,  après  une  abstinence  de  trente-six  heures, 
ayant  reçu  un  repas  copieux  de  viande  cuite,  fut  sacrifié  au  moment 
de  la  digestion.  Le  sang  de  la  veine  porte  ne  renfermait  pas  de  sucre. 
Le  sang  des  veines  hépatiques  en  contenait  Os-^jSiO  pour  100;  le 
sang  de  la  veine  cave  inférieure,  0s'^,0S3,  et  celui  de  l'artère  crurale, 
CS'",032.  On  n'a  pas  constaté  la  présence  du  sucre  dans  les  matières 
alimentaires.  Dans  deux  autres  expériences  analogues,  on  eut  les 
chiffres  indiqués  dans  les  deux  dernières  lignes  du  tableau  suivant, 


504 


APPENDICE. 


qui  offre  les  résultats  des  analyses  pour  les  expériences  appartenant 
à  la  troisième  série. 


ALIMENTATION. 

QUiMl 

Sang 

de  la  veine 

porte. 

TÉ  DE  Sl'CRE 

Sang 
des  veines 
hépatiques. 

POUR  100  DE 

Sang 

de  la  veine 

cave  inf. 

SDCRE. 

Sang 
artériel. 

MATIÈRES 

ALIMENTAIRES. 

Pain  et  bouillon  gras.. .. 

Id. 
Abstin.  depuis  3  jours  . . 
—              S  jours.. . 
Viande  cuite. 

0,32 
0,26 
0,02 

0,327 
0,267 
0,049 
0,022 
0,340 
0,152 
0,159 

gr. 
0,103 

0,042 

0,083 

gr. 

0.052 
0,132 
0,023 

0,032 

0,060 

Beaucoup  de  sucre. 

Id 

Id 

C0NCLU.S10XS.  —  Il  résulte  des  expériences  consignées  dans  ce  Mé- 
moire : 

1°  Que  le  sucre  peut  se  former  dans  l'économie  aux  dépens  des 
aliments  azotés,  et  peut-être  des  corps  gras; 

2°  Que  l'alimentation  absolue  à  la  graisse  ne  semble  pas  diminuer 
la  proportion  du  sucre  dans  l'organisme  ; 

3°  Que  les  aliments  amylacés  se  transforment  en  sucre  par  l'ac- 
tion digestive; 

4°  Que,  chez  les  animaux  nourris  avec  des  matières  amylacées, 
le  sang  de  la  veine  porte  contient  une  proportion  considérable  de 
sucre; 

5°  Que,  chez  les  animaux  nourris  avec  de  la  viande,  il  n'existe  pas 
de  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte;  qu'on  en  trouve,  au  con- 
traire, une  quantité  notable  dans  les  veines  hépatiques,  dans  la  veine 
cave  inférieure,  et  même  dans  le  sang  artériel; 

6°  Que  le  sang  de  la  veine  porte  des  animaux  soumis  à  l'absti- 
nence complète  ne  contient  pas  de  sucre; 

7°  Que,  par  conséquent,  on  est  bien  obligé  d'admettre  que,  chez 
les  animaux  nourris  avec  des  matières  azotées  et  de  la  graisse,  la 
production  du  sucre  a  heu  dans  le  foie. 


La  deuxième  communication  confirmative  de  nos 
expériences  fut  faite  également  dans  la  séance  du  16  avril 
par  M.  Leconte,  professeur  agrégé  de  chimie  à  la  Fa- 


APPENDICE.  oOo 

culte  de  médecine.  Voici  ce  travail,  tel  qu'il  a  été  pré- 
senté à  l'Académie. 

Recherches  sur  la  fonction  ghjcogénique  du  foie,  par  M.   Lecoxte. 

Attaché  au  Collège  de  France  comme  préparateur  du  cours  de 
M.  Magendie,  il  m'a  été  donné  d'assister  M.  Cl.  Bernard  dans  la  plu- 
part de  ses  expériences  sur  le  foie,  et  de  répéter  un  grand  nombre 
de  fois  moi-même,  soit  pour  les  besoins  du  cours,  soit  dans  d'autres 
circonstances,  les  recherches  qui  démontrent  qu'il  n'existe  pas  de 
sucre  dans  le  sang  de  la  \eine  porte  d'animaux  nourris  de  viande, 
tandis  qu'il  en  existe  dans  le  sang  des  veines  hépatiques.  La  question 
étant  aujourd'hui  controversée,  j'ai  cru  devoir  soumettre  à  l'Aca- 
démie les  résultats  de  ces  recherches. 

Tous  les  animaux  qui  m'ont  servi  ont  été  rapidement  sacrifiés  par 
la  section  du  bulbe  rachidien.  Une  incision,  pratiquée  au  flanc 
droit,  permettait  de  lier  la  veine;  l'abdomen  était  alors  ouvert.  On 
liait  la  veine  cave  inférieure  au-dessous  du  diaphragme  ;  puis,  fai- 
sant une  incision  à  ce  muscle,  on  appliquait  une  seconde  ligature 
sur  la  veine  cave  inférieure,  au-dessus  du  diaphragme.  Il  était  alors 
facile  de  recueillir  sans  mélange  le  sang  des  veines  hépatiques  en 
introduisant  un  tube  de  verre  dans  la  portion  de  la  veine  cave  com- 
prise entre  les  deux  ligatures.  En  introduisant  de  même  un  tube 
de  verre  dans  la  portion  de  la  veine  porte  comprise  entre  la  ligature 
et  les  intestins,  on  recueillait  sans  mélange  le  sang  provenant  de 
ces  derniers  organes. 

L'expérience  m'a  démontré  qu'en  recueillant  le  sang  entre  la 
ligature  et  le  foie,  ce  fluide  contenait  toujours  une  quantité  notable 
de  sucre,  par  suite  d'un  reflux  depuis  longtemps  signalé  par  M.  Cl. 
Bernard. 

Le  sang,  mêlé  exactement  avec  trois  fois  son  poids  d'alcool  à 
36  degrés,  était  jeté  sur  des  carrés  de  toile  fine  et  fortement  com- 
primé. Les  liqueurs  étaient  filtrées;  le  contenu  des  toiles,  les  vases 
et  le  filtre  étaient  lavés  à  l'alcool.  Toutes  les  liqueurs  étaient  éva- 
porées au  bain-marie,  après  avoir  été  acidulées  par  l'acide  acétique 
pur.  Les  extraits  alcooliques  étaient  délayés  dans  l'eau,  additionnés 
de  1  gramme  de  levure  de  bière  fraîche,  introduits  dans  des  cloches 
graduées  pleines  de  mercure,  et  placés  à  une  douce  température. 
1  gramme  de  la  même  levure  délayée  dans  l'eau  distillée  était  placé 
dans  le  tube  rempli  de  mercure,  et  servait  à  prouver  que  la  levure 
seule  ne  produisait  pas  de  gaz.  Après  dix-huit  à  vingt-quatre  heures, 


506  APPENDICE. 

on  mesurait  l'acide  carbonique,  et  l'on  opérait  les  corrections  rela- 
tives à  la  pression  et  à  la  température.  Le  poids  du  sucre  était  cal- 
culé d'après  la  formule 

Ci2H)2oi2  _  4C02  +  2(C41602). 

Avant  de  doser  le  sucre  dans  le  sang,  je  fis  les  deux  expériences 
qualitatives  suivantes  : 

Première  expérience.  —  Un  chien  de  moyenne  taille,  laissé  à  jeun 
pendant  vingt-quatre  heures,  fut  sacrifié  une  heure  après  un  repas 
composé  de  i  kilogramme  de  viande  de  bœuf  crue.  L'extrait  alcoo- 
lique du  sang  de  la  veine  porte  ne  donna  rien  par  la  fermentation 
ni  parle  cupro-tartrate  de  potasse  ;  avec  celui  des  veines  hépatiques, 
réduction  très-notable  avec  le  même  réactif.  La  fermentation  donna 
une  quantité  assez  considérable  d'acide  carbonique. 

Deuxième  expérience.  —  Un  jeune  chien  de  trois  mois  fut  nourri 
de  viande  cuite  pendant  dix  jours;  on  le  sacrifia  le  onzième,  deux 
heures  après  un  repas  composé  de  viande  de  bœuf  crue.  33  grammes 
de  sang  de  la  veine  porte  donnèrent  un  extrait  alcoolique  qui  donna 
une  réduction  douteuse  avec  le  cupro-tartrate  de  potasse,  et  rien 
par  la  fermentation.  4  grammes  de  sang  des  veines  hépatiques 
fournirent  un  extrait  alcoolique  qui  donna  une  réduction  abondante 
par  le  cupro-tartrate  de  potasse,  et  par  la  fermentation  une  quantité 
appréciable  de  gaz  carbonique. 

Troisième  expérience.  —  Un  chien  de  très-forte  taille  fut  nourri 
pendant  quinze  jours  avec  de  la  viande  cuite  ;  le  seizième  jour 
on  le  sacrifia  deux  heures  après  un  repas  composé  de  i  kilogramme 
de  viande  crue  de  bœuf.  On  recueillit  :  sang  de  la  veine  porte, 
73  grammes,  qui  donnèrent  ;  extrait  alcoolique  repris  une  seconde 
fois  par  l'alcool,  0,60;  ce  qui  donne,  pour  sang  frais,  iOOO  parties  : 
extrait  sec  de  la  deuxième  solution  alcoolique,  8,22.  Cet  extrait 
alcoolique  ne  donna  aucune  trace  de  gaz  par  la  fermentation.  On 
obtint  de  môme  :  sang  des  veines  hépatiques,  49  grammes,  qui  don- 
nèrent :  extrait  alcoolique  repris  une  seconde  fois  par  l'alcool,  0S'',70; 
ce  qui  donne,  pour  sang  frais,  1000  parties  :  extrait  sec  de  la  se- 
conde solution  alcoolique,  14,65.  Cet  extrait  sec  donna  par  la  fer- 
mentation, après  dix-huit  heures,  21*^%39  d'acide  carbonique,  qui 
représentent  0S'',0422  de  ce  gaz,  soit  Oe'",0863  de  sucre  ;  ce  qui  donne, 
pour  sang  frais  des  veines  hépatiques,  1000  parties  ;  sucre,  1,771,  et 
pour  extrait  alcoolique  des  veines  hépatiques,  1000  parties  :  sucre, 
123  parties.  Le  tube  ternaire  ne  donna  pas  de  gaz. 

Quatrième  expérience.  —  Un  épagneul  de  forte  taille  fut  mis  à  la 
diète  pendant  vingt-quatre  heures,  puis  nourri  cinquante-huitjours 


APPENDICE.  o07 

à  la  viande  cuite  ;  on  le  sacrifia  deux  heures  et  demie  aprt's  son  der- 
nier repas.  On  obtint,  sang  de  la  veine  porte,  149  grammes,  qui 
donnèrent  :  extrait  alcoolique,  2,059,  soit  pour  sang  frais,  1000  par- 
ties :  extrait  alcoolique  sec,  13,74.  Cet  extrait  ne  donna  rien  par  la 
fermentation.  Le  produit  resté  dans  la  toile,  séché  à  100  degrés, 
pesait  33  grammes  ;  en  y  ajoutant  l'extrait  alcoolique,  2,0o(j,  on  ob- 
tint 3o,0oo  ;  ce  qui  donne,  pour  sang  de  la  veine  porte,  1000  parties  : 
eau,  766,20;  substances  sèches,  233,74.  Le  sang  des  veines  hépa- 
tiques pesait  o4s'-,8;  il  laissa,  extrait  alcoolique  sec,  1,096,  soit,  pour 
sang  frais,  1000  parties  :  extrait  alcoolique  sec,  21 ,82.  Cet  extrait,  ainsi 
que  le  précédent,  ne  fut  pas  repris  une  seconde  fois  par  l'alcool; 
après  dix  heures  de  fermentation,  il  fournit  17''<^,9  d'acide  carbo- 
nique, représentant  0='^,0726  de  sucre  ;  ce  qui  donne,  pour  sang  frais 
des  veines  hépatiques,  1000  parties  :  sucre,  1,334,  et  pour  extrait 
alcoolique  des  veines  hépatiques,  1000  parties  :  sucre,  06,2.  Les  sub- 
stances restées  sur  la  toile  séchées  à  100  degrés  pesaient  13"'',21  ;  y 
ajoutant  l'extrait  alcoolique  1,096,  on  obtient  14,306;  ce  qui  donne, 
pour  sang  des  veines  hépatiques,  iOOO  parties  :  eau,  737,20;  sub- 
stances sèches,  272,62.  Donc,  substances  sèches  des  veines  hépa- 
tiques, 1000  parties,  contiennent  :  sucre,  5,11. 

Cinquième  expérience.  —  Un  chien  de  très-forte  taille  fut  misa  jeun 
pendant  vingt-quatre  heures;  puis  il  fit  un  repas  composé  de 
1250  grammes  de  viande  crue;  on  prit  61  grammes  de  sang  de  la 
veine  porte  et  51  grammes  de  sang  des  veines  hépatiques.  L'extrait 
alcoolique  du  premier  ne  donna  rien  par  la  fermentation;  celui  des 
veines  hépatiques,  au  contraire,  donna  par  la  fermentation  67  cen- 
timètres cubes  d'acide  carbonique,  représentant  0-'',271o  de  sucre; 
ce  qui  donne  la  composition  suivante  :  sang  frais  des  veines  hépa- 
tiques, 1000  parties,  sucre,  4,4 


A-^o 


o 

Tableau  résumant  les  quantités  de  sucre  contenues  dans  1000  parties 
de  sang  frais. 

De  la  veine  porte.  Des  veines  hépatiques. 

1^*^  expérience 0  notable,  non  dosé. 

2«  —         0  .  Id. 

3«  —  0  '    *         1,771 

4-=  —         0  1,344 

5*=  —         0  4,452 

En  résumé,  il  résulte  des  expériences  précédentes  : 

1°  Qu'en  se  plaçant  dans  les  conditions  indiquées  plus  haut,  et  eti 


508  APPENDICE. 

opérant  rapidement  la  section  du  bulbe  rachidien  et  la  ligature  des 
vaisseaux,  on  ne  trouve  pas  de  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  orte 
d'animaux  nourris  de  viande  crue  ou  cuite; 

2°  Que,  dans  les  mêmes  circonstances,  le  sang  frais  des  veines 
hépatiques  contient  d'un  à  quatre  millièmes  de  son  poids  de  sucre, 
ce  qui  prouve  que  l'intervention  des  substances  amylacées  n'est  pas 
nécessaire  à  la  formation  du  sucre  dans  le  foie; 

3°  Que  le  foie  est  bien  un  organe  formateur  du  sucre,  et  non  pas 
un  organe  condensateur,  comme  on  l'avait  avancé; 

4°  Que  le  sang  des  veines  hépatiques  laisse  plus  de  substances 
sèches,  et  fournit  plus  d'extrait  alcoolique  que  la  même  quantité  de 
sang  de  la  veine  porte. 

Enfin,  clans  la  séance  du  30  avril,  M.  MoleschoU, 
professeur  de  physiologie  à  Heidelberg,  m'a  piié  de 
communiquer  à  l'Académie  les  résultats  confirmatif's 
qui  suivent  : 

Sur  la  sécrétion  du  sucre  et  de  la  bile  dans  le  foie, 
par  M.  Moi.EscBOTT. 

En  lisant  vos  intéressantes  remarques  sur  la  sécrétion  du  sucre 
dans  le  foie,  faites  à  l'occasion  d'une  communication  de  M.  Leh- 
mann,  je  me  suis  rappelé  les  expériences  que  j'avais  faites  en  1852, 
et  qui  ne  sont  pas  connues  en  France.  Comme  le  résultat  de  ces 
recherches  vient  aussi  prouver  que  le  foie  qui  produit  du  sucre  ne 
saurait  être  comparé  aux  reins  qui  excrètent  l'urée,  j'ai  pensé  qu'il 
était  de  mon  devoir  de  vous  le  communiquer. 

J'ai,  sur  un  grand  nombre  de  grenouilles,  extirpé  du  foie,  qui, 
comme  on  le  sait  depuis  vos  travaux,  contient  du  sucre  tout  aussi 
bien  que  celui  des  mammifères,  et  j'ai  réussi  à  garder  ces  animaux 
vivants,  pendant  deux  ou  trois  semaines  après  l'opération.  Après  ce 
laps  de  temps  assez  considérable,  j'ai  examiné  le  sang,  les  muscles, 
le  sucre  gastrique  et  l'uriue  de  ces  grenouilles,  sans  y  pouvoir  trou- 
ver aucune  trace  de  bile  ni  de  sucre.  Or,  c'est  un  fait  avéré  en  phy- 
siologie, qu'après  l'extirpation  des  reins,  l'urée  s'accumule  dans  le 
sang.  On  devrait  donc  s'attendre  à  trouver  les  acides  organiques  et 
la  matière  colorante  de  la  bile,  ainsi  que  du  sucre,  dans  le  sang  ou 
dans  le  tissu  d'animaux  privés  du  foie,  pendant  quinze  à  vingt  et  un 
jours,  si  le  foie  n'était  pour  ces  substances  qu'un  appareil  de  filtra- 


APPENDICE.  509 

lion.  Puisqu'il  n'en  est  rien,  j'en  conclus  que  la  bile  et  le  sucre  sont 
formés  dans  le  foie,  ce  qui  vient  appuyer  un  fait  dont,  pour  le  sucre, 
la  science  est  redevable  à  vous,  tandis  que,  pour  la  bile,  M.  J.  Millier 
l'a  fait  connaître  le  premier,  et  JMM.  Kunde  et  Lehmann  l'ont  con- 
staté avant  moi;  mais,  dans  les  expériences  de  ces  savants^,  les  gre- 
nouilles n'avaient  survécu  que  trois  ou  quatre  jours  à  l'opération, 
c'est-à-dire  pendant  un  temps  qui  n'est  que  la  quatrième  ou  même 
la  cinquième  partie  de  ce  que  j'ai  pu  atteindre  chez  mes  animaux. 
Après  avoir  rangé  la  fonction  glycogénique  du  foie  parmi  les  vé- 
rités les  plus  fécondes  de  la  science,  en  démontrant  que  le  sucre 
formé  dans  le  foie  est  détruit  par  la  respiration,  vous  accorderez 
peut-être  quelque  intérêt  à  ce  que  j'ai  trouvé  que  le  fuie  ne  contri- 
bue pas  peu  à  la  métamorphose  rétrograde  des  substances  animales. 
Si  l'on  a  ôté  le  foie  aux  grenouilles,  ces  animaux  exhalent,  pour  la 
même  unité  de  poids  et  de  temps,  beaucoup  moins  d'acide  carbo- 
nique que  des  animaux  intacts.  J'ai  comparé  des  grenouilles,  chez 
lesquelles  j'avais  fait  l'excision  du  foie,  à  d'autres  auxquellesj'avais 
amputé  les  deux  jambes  pour  leur  faire  perdre  une  quantité  plus 
grande  de  sang  qu'il  ne  s'en  perdait  par  l'extirpation  du  foie.  D'ail- 
leurs, tous  les  animaux  qui  servaient  à  la  comparaison,  ceux  qui 
étaient  intacts  et  ceux  qui  avaient  subi  les  deux  genres  d'opération, 
étaient  pris  le  même  jour  dans  les  fossés  et  marais  de  nos  environs; 
ils  étaient  gardés  dans  la  même  eau,  et  de  plus  ils  étaient  du  même 
sexe,  et,  autant  que  possible,  du  même  poids  et  de  la  même  gran- 
deur. Les  expériences,  comparées  entre  elles,  étaient  exécutées  le 
même  jour,  à  peu  près  à  la  même  température  et  à  la  même  pres- 
sion atmosphérique.  Le  nombre  des  expériences  pour  chacune  des 
trois  catégories  n'est  pas  inférieur  à  vingt-six.  Eh  bien,  tOO  grammes 
dé  grenouilles  intactes  ont  donné  en  moyenne,  pour  vingt-quatre 
heures,  Os^^joGe  d'acide  carbonique;  100  grammes  de  grenouilles 
amputées  en  ont  exhalé  0s'",4o7,  et  iOO  grammes  de  grenouilles  sans 
foie  n'en  ont  produit  que  G?'", 332.  On  voit  donc  que  l'excision  du 
foie  diminue  la  quantité  d'acide  carbonique  exhalé  par  les  gre- 
nouilles d'une  manière  plus  intense  que  ne  pourrait  l'expliquer  la 
perte  du  sang  inévitable  dans  une  opération  si  grande.  Le  rapport 
entre  ce  fait  et  la  fonction  glycogénique  du  foie  me  paraît  assez 
bien  établi  pour  oser  vous  prier  de  communiquer  cette  lettre  à 
l'Académie  des  sciences. 

Tels  sont  les  travaux  qui  ont  paru  depuis  la  fin  de 
notre  cours.  Ils  confirment  tous  de  la  manière  la  plus 


510  APPENDICE. 

complèfe  nos  propres  expériences.  Nous  ne  doutons  pas 
que  toutes  les  recherches  sérieuses  qui  seront  faites  sur 
la  même  question  n'aboutissent  au  même  résultat. 


RAPPORT  DE  M.  DUMAS 

Nous  pensons  que  les  lecteurs  de  ces  Leçons  liront 
avec  intérêt  le  rapport  présenté  par  M.  Dumas  à  l'Aca- 
démie des  sciences,  à  l'occasion  des  communications 
faites  par  MM.  Figuier,  Leconte  et  Poggiale,  dont  les 
Mémoires  se  trouYcnt  reproduits  dans  ce  volume.  Nous 
plaçons  ici  ce  rapport  comme  appendice. 

J.  B.  B. 

«  L'Académie  nous  a  chargés,  MM.  Pelouze,  Rayer  et  moi,  de  lui 
rendre  compte  des  expériences  relatives  aux  vraies  fonctions  du 
foie,  instituées  dans  ces  derniers  temps  par  MM.  Figuier,  Poggiale 
et  Leconf.e.  Votre  Commission  a  pensé  qu'elle  devait,  laissant  de  côté 
toute  préoccupation  théorique,  réduire  la  question  qui  lui  était  sou- 
mise aux  simples  termes  d'une  vérification  de  faits.  Elle  a  donc  porté 
toute  son  attention  sur  les  moyens  à  prendre  pour  donner  à  cette 
vérification  des  garanties  de  précision  dont  l'état  de  la  science  lai 
permettait  de  les  entourer. 

«  Un  de  nos  confrùres,  M.  Claude  Bernard,  avait  fait  connaître, 
conjointement  avec  M.  Barreswil,  l'existence  dans  le  foie  d'une  quan- 
tité considérable  de  sucre.  Poursuivant  les  conséquences  de  cette 
découverte,  M.  Claude  Bernard  a  prouvé  que  le  sucre  existe  dans  le 
foie  de  tous  les  animaux,  que  sa  présence  est  conséquemment  un 
témoin  de  la  nature  même  des  fonctions  de  cet  important  organe. 

«  Jusque-là,  les  observations  nouvelles  de  M.  Claude  Bernard  et  la 
conséquence  qu'il  en  tire  ne  sont  contestées  par  personne,  elles 
constituent  l'une  des  plus  sérieuses  acquisitions  de  la  physiologie 
moderne. 

«  Mais  d'où  vient  ce  sucre  qui  existe  si  constamment  dans  le  foie? 
Comment  disparaît-il  de  cet  organe?  Quel  est  son  emploi? 


APPENDICE.  5H 

«  Ici  les  opinions  se  montrent  divergentes,  les  difficullés  appa 
raissent  et  les  expériences  elles-mêmes  ne  seraient  plus  d'accord. 

«  M.  Claude  Bernard  pense  que  la  formation  du  sucre  a  lieu  dans  le 
foie.  Bien  entendu  que  notre  savant  confrère  ne  met  point  en  doute 
la  production  du  sucre  qui  a  lieu  par  le  fait  de  la  digestion  dans  l'es- 
tomac  aux  dépens  des  aliments  amylacés,  moins  encore  le  passage 
du  glucose  et  de  ses  analogues  de  l'estomac  ou  de  l'intestin  dans  les 
veines.  Mais  il  admet  qu'en  dehors  de  cette  source  intermittente, 
par  laquelle  le  glucose  peut  s'introduire  dans  le  sang,  au  moment 
où  la  digestion  s'accomplit,  il  y  en  aurait  une  autre  permanente  et 
tout  à  fait  spéciale  :  ce  serait  la  fabrication  du  sucre  dans  le  foie 
même. 

«  Ce  qui  démontrerait  cette  fabrication,  c'est  l'absence  du  sucre 
dans  le  sang  de  la  veine  porte  d'un  animal  soumis  au  régime  de  la 
viande;  c'est  la  présence  de  ce  sucre  dans  le  sang  des  veines  sus- 
hépatiques  de  ce  même  animal. 

«  M.  Figuier  a  élevé  contre  celte  doctrine  diverses  objections. 

«  Reprenant  une  opinion  déjà  émise  par  M.  Mialhe,  M.  Figuier 
fait  remarquer  qu'il  serait  plus  naturel  de  considérer  le  foie  comme 
un  organe  séparateur,  à  la  façon  des  reins,  que  d'en  faire  un  organe 
créateur.  Dans  cette  hypothèse,  le  foie,  véritable  régulateur  de  la 
composition  du  sang,  arrêterait  au  passage  le  sucre  provenant  de  la 
digestion  qui  se  trouverait  en  excès  dans  le  sang,  comme  il  arrête 
certains  poisons  métalliques,  et  le  restituerait  peu  à  peu  à  ce  liquide, 
lorsque  celui-ci  en  serait  dépourvu  ou  que  la  proportion  de  sucre  y 
serait  descendue  au-dessous  de  la  moyenne,  pendant  les  heures  de 
repos  de  l'estomac. 

«  Comme  le  rôle  attribué  au  foie  par  M.  Claude  Bernard  repose 
sur  quatre  données,  savoir  :  1°  la  présence  constante  du  sucre  dans 
le  foie  des  animaux  herbivores  ou  carnivores;  2°  la  présence  non 
moins  constante  du  sucre  dans  les  veines  sus-hépatiques  ;  3°  l'absence 
du  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte  chez  les  animaux  nourris 
avec  de  la  viande;  4°  l'apparition  momentanée  du  sucre  dans  le 
sang  de  la  veine  porte  sous  l'influence  de  la  digestion  des  matières 
sucrées  ou  féculentes,  votre  Commission  devait  s'attacher  à  exa- 
miner si  ces  données  étaient  contestées  et  si  elles  l'étaient  avec 
quelque  raison . 

Or,  de  ces  données,  il  en  est  deux  qu'on  ne  conteste  pas,  la  pre- 
mière et  la  quatrième.  Il  est  admis  que  le  foie  contient  toujours  du 
sucre,  môme  chez  les  animaux  carnivores.  Il  ne  l'est  pas  moins  que, 
sous  l'influence  de  la  digestion  des  matières  féculentes  ou  sucrées, 
le  sang  de  la  veine  porte  en  contient  aussi. 


512  APPENDICE. 

«  Reste  donc  à  savoir  si  le  sang  de  la  veine  porte  contient  ou  non 
du  sucre  chez  les  animaux  nourris  de  viande.  A  cet  égard,  les  ex- 
périences de  votre  Commission  lui  ont  semblé  décisives.  Elle  n'a 
pas  trouvé  trace  appréciable  de  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte 
d'un  chien  nourri  à  la  viande  crue. 

«  Reste  encore  à  décider  si,  indépendamment  de  la  digestion  des 
matières  végétales,  le  sang  des  veines  sus-hépatiques  contient  du 
sucre;  si,  sous  l'influence  de  la  digestion  de  la  viande,  le  sang  de 
la  veine  porte  en  est  dépourvu;  si  enfin,  lorsque  le  sang  de  la  veine 
porte  n'en  contient  pas,  celui  des  veines  sus-hépatiques  en  contient 
au  contraire. 

«  11  suffit,  pour  éclairer  tous  ces  points,  d'examiner,  comme  l'a 
fait  M.  Claude  Bernard,  sur  le  même  animal  le  sang  de  la  veine 
porte  et  celui  des  veines  sus-hépatiques,  sous  l'influence  de  la  diges- 
tion, après  un  repas  uniquement  composé  de  viande,  succédant  soit 
à  une  abstinence  prolongée,  soit  à  quelques  journées  d'un  régime 
purement  animal. 

«  Dans  une  expérience  faite  dans  cette  dernière  condition,  votre 
Commission  s'est  assurée  que  le  sang  de  la  veine  porte  ne  renfer- 
mait pas  trace  de  sucre,  tandis  que  celui  des  veines  sus-hépatiques 
en  contenait  des  quantités  parfaitement  appréciables,  ainsi  que 
M.  Claude  Bernard  l'avait  annoncé. 

«  Comme  la  difficulté  se  concentre  tout  entière  sur  ce  point  :  — 
Y  a-t-il  ou  non  du  sucre  dans  le  sang  de  la  veine  porte  pendant  la 
digestion  après  un  repas  formé  de  viande,  l'animal  ayant  été  con- 
venablement soustrait  à  l'influence  d'une  alimentation  sucrée?  — 
votre  Commission  a  examiné,  avec  tout  le  soin  dont  elle  était  ca- 
pable, les  produits  extraits  par  M.  Figuier  du  sang  de  la  veine  porte 
dans  un  animal  sacrifié  dans  ces  conditions,  et  où  l'auteur  croyait 
reconnaître  la  présence  du  sucre  à  l'aide  du  réactif  Frommherz. 
Votre  Commission  n'en  a  pas  trouvé  en  employant,  il  est  vrai,  la 
fermentation. 

«  Ainsi,  tous  les  faits  annoncés  par  notre  confrère  M.  Claude  Ber- 
nard, au  sujet  de  la  fonction  qu'il  attribue  au  foie,  ont  été  vérifiés 
par  nous,  et  nous  ne  pouvons  qu'applaudir  à  la  rare  habileté  du 
savant  physiologiste  qui  les  a  mis  le  premier  en  évidence. 

«  Sur  la  question  de  doctrine,  votre  Commission  n'avait  pas  à  se 
prononcer.  Le  tbiefabrique-t-il  le  sucre?  Le  fabrique-t-il  aux  dépens 
des  éléments  albumineux  du  sang?  Le  sucre  serait-il,  au  contraire, 
un  produit  de  la  digestion  des  aliments  ou  de  l'élaboration  des  élé- 
ments du  sang  pendant  1,^^  cours  de  la  circulation  qui  resterait  mas- 
qué par  la  présence  de  quelque  substance  étrangère  jusqu'à  son 


APPENDICE.  513 

arrivée  au  foie,  chargé  de  le  rendre  libre?  Ces  questions  méritent 
assurément  d'être  débattues,  mais  c'est  à  l'expérience  seule  à  les 
résoudre  définitivement,  et  nous  verrions  avec  plaisir  les  jeunes 
savants  qui  les  ont  abordées  persévérer  dans  leurs  travaux. 

((  Jusqu'ici,  la  doctrine  professée  par  notre  confrère  paraît  intacte. 
«  Les  recherches  sur  ce  sujet  imporlant  n'ont  pourtant  pas  tout 
appris  sans  doute,  et  nous  dirons  ici  à  ceux  qui  voudront  s'en  occu- 
per, qu'on  ne  doit  pas  accorder  une  confiance  trop  complète  à  des 
réactions  semblables  à  celles  qu'on  obtient  avec  la  dissolution  de 
tarlrate  de  cuivre  dans  la  potasse.  Tous  ces  phénomènes  de  colora- 
tion, de  réduction  produits  par  des  matières  organiques,  sont  trom- 
peurs et  incertains.  Lorsqu'on  ne  peut  pas  isoler  le  sucre  en  nature, 
il  faut  au  moins  s'assurer  de  sa  présence  par  l'action  du  ferment  et 
par  le  développement  d'acide  carbonique  que  la  fermentation  pro- 
duit. Il  faut,  s'il  se  peut  surtout,  extraire  l'alcool  lui-même  du  résidu 
de  la  fermentation,  comme  l'a  fait  la  Commission  de  l'Académie 
qui  a  examiné  les  travaux  de  M.  Bernard. 

«  Votre  Commission,  sans  entrer  plus  avant  dans  l'examen  spécial 
des  Notes  que  l'Académie  lui  a  renvoyées,  se  borne  donc  à  établir 
comme  conséquence  de  son  travail  : 

«  1°  Que  le  sucre  n'a  pas  été  appréciable  dans  le  sang  de  la  veine 
porte  d'un  chien  nourri  de  viande  crue; 

((  2*'  Que  la  présence  du  sucre  a  été  facile  à  constater,  au  con- 
traire, dans  le  sang  des  veines  sus-hépatiques  recueilli  dans  le  même 
moment  sur  le  même  chien. 

«  Comme  les  Mémoires  de  M.  Figuier,  ceux  de  MM.  Poggiale  et 
Leconle  ont  été  publiés,  l'Académie  n'avait  plus,  d'après  les  règle- 
ments, à  se  prononcer  sur  leur  mérite  respectif;  mais  votre  Com- 
mission a  cru  qu'il  était  de  son  devoir  néanmoins  de  lui  faire  con- 
naître le  résultat  de  ses  propres  expériences  sur  le  fond  même  de  la 
question  que  ces  savants  ont  étudiée.  » 

{ComptfS  rendus  des  séances  de  l'Académie  des  sciences, 
iS"b,  t.  Xr,  n°  2o,  î 8  juin.) 


BERNARD.    I.  33 


TABLE  DES  MATIÈRES 


DU    TOME    PREMIER. 


Avant-propos 


PREMIÈRE  LEÇON.  —  Nature  spéciale  de  renseignement  du  Cullége  de 
France  compaié  à  l'enseignement  des  Facultés.  —  De  l'investigation  phy- 
siologique. --  Des  faits  et  des  théories  en  physiologie.  —  Des  découvertes 
prévues  et.  imprévue?.  —  De  la  critique  expérimentale.  Des  faits  contra- 
dictoires. —  lie  la  complexité  des  phénomènes  physiologiques  et  des  diffi- 
cultés attachées  à  leur  étude.  —  Applications  des  sciences  physico-chimi- 
ques à  la  physiologie.  —  Applications  de  la  physiologie  à  la  médecine.        5) 

DEUXIÈME  LEÇON.  —  Union  nécessaire  de  la  physiologie  et  de  la  pathologie. 
—  Application  des  découvertes  physiologiques  récentes  à  la  pathologie.  — 
Études  physiologiques  sur  le  diahète  à  propos  des  découvertes  sur  les  fonc- 
tions du  foie.  —  Aperçu  historique  sur  les  théories  du  diahète.  —  Toutes 
ces  théories  reposent  sur  un  principe  physiologique  faux,  à  savoir^  qu'il 
ne  se  formerait  pas  de  sucre  dans  l'organisme  animal.  —  Il  exisleune  fonc- 
tion animale  qui  produit  du  sucre,  et  dont  le  diabète  n'est  qu'un  état  pa- 
thologique. —  Caraclères  chimiques  des  matières  sucrées  animales  et  vé- 
gétales. —  Sucres  de  la  première  et  de  la  deuxième  espèce.  —  Réactifs 
propres  à  distinguer  les  sucres  et  à  les  reconnaître  dans  les  divers  liqui- 
des animaux.  —  Alcalis  caustiques,  réactif  cupro-potassique,  etc.  — 
Fermentation,  polarisation.  —  Moyens  propres  à  enlever  la  coloration  et 
les  malières  albuminoïdes  aux  liquides  animaux  qui  renferment  du 
sucre 31 

TROISIÈME  LEÇON.  —  La  production  du  sucre  est  un  phénomène  apparte- 
nant aux  deux  règnes  des  êtres  vivants.  —  Les  animaux  forment  de  la 


TABLE   DES   MATIÈRES.  ."ilo 

matière  sucrée.  —  Le  foie  est  chargé  de  celte  fonction  glycogénique,  qui 
jusqu'alors  était  restée  inconnue.  —  Le  foie  de  Thomme  et  des  animax  ren- 
ferme toujours  de  fortes  proportions  de  sucre  à  l'état  physiologique.  — 
Observation  chez  l'homme,  expériences  sur  les  animaux  dans  toute  l'é- 
chelle zoologique.  —  Quantité  de  sucre  contenu  dans  le  foie.  —  Nature  de 
ce  sucre;  son  analogie  avec  le  sucre  de  diabète.  —  Le  sucre  qu'on  ren- 
cantre  dans  le  foie  est  sécrété  dans  cet  organe;  il  ne  vient  pas  de  l'ali- 
mentation. —  Expériences  à  ce  sujet.  —  Examen  comparatif  du  sang  avant 
et  après  le  foie  chez  un  Carnivore.  —  Le  premier  sang  ne  contient  pas  de 
traces  de  matières  sucrées,  le  second  en  renferme  en  grande  propor- 
tion         56 

QUATRIÈ3IE  LEÇON.  —  L'expérience  force  à  conclure  que  le  sucre  se  forme 
dans  le  foie.  — Réfutation  d'une  prétendue  localisation  de  la  matière  sucrée. 

—  Le  sucre  existe  dans  le  fuie  avant  toute  espèce  d'alimentation.  —  La 
fonction  glycogénique  ne  commence  qu'à  une  certaine  période  de  la  vie 
intra-utérine.  --  Le  sucre  ne  saurait  se  conserver  longtemps  dans  le  foie; 
cette  matière  disparait  bientôt  quand  on  empêche  le  foie  d'en  produire.  — 
La  quantité  de  sucre  ne  varie  pas  dans  le  foie  avec  la  nature  de  l'alimen- 
tation. —  Il  y  a  deux  sccrétions  dans  le  foie,  la  sécrétion  biliaire  et  la 
sécrétion  du  sucre.  —  Ces  deux  sécrétions  ne  sont  pas  isochrones;  elles 
semblent  être  indépendantes  Tune  de  l'autre.  —  L'anatomie  com- 
parée paraît  appuyer  cette  vue.  Chez  les  Limaces,  les  deux  sécrétions  sont 
successives.  —  Chez  les  Articulés,  les  éléments  anatomiques  sécréteurs 
semblent  distincts.  —  Chez  les  Mammifères,  les  éléments  anatomiques  sont 
confondus  et  mélangés.  —  Idée  générale  de  la  structure  du  foie  chez  les 
Mammifères 82 

CINQUIÈME  LEÇON.  —  Il  y  a  deux  sécrétions  dans  le  foie,  l'une  externe, 
celle  de  la  bile;  V-àwiXQ  interne^  celle  du  sucre.  — Le  sucre  est  un  produit  de 
sécrétion  et  non  d'excrétion.  —  Il  ne  sort  pas  du  sang  à  l'état  physiologique, 
et  ne  se  trouve  dans  aucun  liquide  versé  au  dehors,  pas  même  dans  la  bile. 

—  Expériences  contradictoires  à  ce  sujet,  causes  d'erreurs.  —  Distribution 
de  la  matière  sucrée  dans  l'organisme  par  le  foie.  —  Dans  l'abstinence  le 
sang  n'est  sucré  que  du  foie  au  poumon;  pendant  la  digestion,  le  sucre 
passe  dans  tout  le  sang,  mais  ne  sort  cependant  par  aucune  sécrétion  ou 
excrétion.  —  Ce  sont  les  oscillations  de  la  fonction  sécrétoire  du  sucre  qui 
sont  proportionnelles  à  la  quantité  de  sang  qui  traverse  le  foie.  —  Ces  os- 
cillations physiologiques  se  retrouvent  chez  les  diabétiques.  —  Schéma 
représentant  ces  oscillations  à  l'état  normal  et  pathologique.  —  Expérien- 
ces sur  le  sang  pris  dans  différents  vaisseaux,  chez  des  chiens  à  jeun  et  en 
digestion,  pour  prouver  cette  oscillation  de  la  fonction  glycogénique.  — 
Le  sang  qui  arrive  par  la  veine  cave  inférieure  dans  le  cœur  droit  est  tou- 
jours sucré;  cathétérisme  du  cœur  droit i07 

S1\IÈ3IE  LEÇON.  —  La  destruction  comme  la  production  du  sucre  est  un  fait 
commun  au  règne  végétal  comme  au  règne  animal.  —  Circonstances  qui 


ol6  TARLE   DES  MATIÈRES. 

peuvent  morlifier  la  sécrétion  du  sucre.  —  Altérations  de  la  substance  hépa- 
tique. —  Kystes.  —  Cancers.  —  Foie  gras.  —  Influences  agissant  sur  la 
fonction  glycogénique.  —  Influence  de  l'abstinence.  —  Cas  des  animaux 
hibernants  qui  ne  doivent  pas  être  considérés  comme  des  animaux  à  jeun. 

—  Influence  de  l'alimentation.  —  Influence  de  l'alimentation  graisseuse.  — 
Influence  de  l'alimentation  azotée.  ~  Influence  de  l'alimentation  féculente 
et  sucrée j30 

SEPTIEME  LEÇON.  —  Le  sucre  provenant  de  l'alimentation  ne  passe  pas  à 
cet  état  dans  la  circulation  générale.  —  Rôle  du  foie  vis-à-vis  des  matières 
féculentes  et  sucrées.  —  II  les  transforme  en  une  substance  émulsive  par- 
ticulière. —  Expéi  iencescomparative?.  —  Preuvesdiverses.  —  Sang  chyleux. 

—  Urines  laiteuses.  —  Application  au  diabète.  —  Rôle  de  la  circulation 
dans  la  production  du  sucre.  —  Phénomènes  mécaniques.  Cas  d'apparition 
accidentelle  du  sucre  dans  les  urines.  —  Production  artificielle  de  ce  phé- 
nomène. —  Critique  de  quelques  expériences 155 

HUITIÈME  LEÇON.  —  Conditions  anatomiques  qui  favorisent  la  circulation 
dans  le  foie.  —  Structure  comparée  de  la  veine  porte  et  des  veines  hépa- 
tiques. —  Mécanisme  de  la  circulation  hépatique.  —Influence  des  maladies 
sur  la  sécrétion  du  sucre.  —  Influence  des  maladies  aiguës  sur  l'état  dia- 
bétique. —  Influence  de  la  température  sur  la  sécrétion  du  sucre.  —In- 
fluence des  enduits.  —  Influence  du  froid.  —  Expériences  à  ce  sujet.  — 
Influence  de  la  chaleur.  —  Age  et  sexe.  —  Lactation. 180 

NEUVIÈME  LEÇON.  —  Examen  comparatif  du  sang  de  la  veine  porte  et  du 
sang  des  veines  hépatiques.  —  Globules.  —  Sérum  et  caillot.  —  Eau  et 
matières  solides.  Matières  solides  du  sérum  et  du  caillot.  —  Graisse.  — 
Fibrine.  —  Albumine.  —  Sucre.  —  Conséquences  de  ces  diverses  modiflca- 
tions.  —  Température  plus  élevée  du  sang  qui  sort  du  foie.  —  Expériences 
thermométriques  à  ce  sujet.  —  Distribution  de  la  chaleur  dans  l'orga- 
nisme. —  Théories  anciennes  de  la  calorification.  —Examen  d'expériences 
sur  la  température  du  sang  dans  les  deux  ventricules.  —  Expériences  faites 
dans  les  conditions  physiologiques.  —  Procédés  opératoires.  —Instruments 
employés.  —  Résultats  de  ces  expériences  :  le  sang  du  ventricule  droit 
plus  chaud  que  le  sang  du  ventricule  gauclie 199 

DIXIÈME  LEÇON.  —  Destruction  du  sucre  dans  l'organisme.  —  Destructi- 
bilité  des  diverses  espèces  de  sucres.  —  Expériences  comparatives  à  ce  su- 
jet. —Limites  de  la  destructibilité  du  glucose  dans  l'organisme.  —  Résultats 
d'expériences.  —  Influence  du  degré  de  concentration  de  la  dissolution. 

—  Influence  de  la  combinaison  dusucre  avec  le  sel  marin.  —Résultats  d'ex- 
périences à  ce  sujet.  —  Influence  de  la  saignée.  —  Nécessité  que  le  sucre  ne 
pénètre  qu'en  petites  quantités  à  la  fois  dans  l'organisme.  —  Réflexions 
sur  la  multiplicité  des  causes  qui  peuvent  faire  apparaître  le  sucre  dans 
les  urines  à  la  suite  des  injections 217 


TABLE   DES   MATIERES.  Ml 

ONZIÈME  LEÇON.  —  Du  déversement  du  sucre  dans  le  sang  par  le  foie.  — 
Application  au  diabète.  —  Conditions  q;  :  font  appaniître  le  sucre  tians  le 
système  circulatoire  en  général.  —Théorie  de  la  combusiion  pulmonaire. 

—  Examen  de  cette  théorie.  —  Objections.  —  Découverte  de  la  présence  du 
sucre  dans  l'urine  des  fœtus.  —  Circonstance.^^  de  ce  phéiiomène.  — Il  de- 
vient inexplicable  dans  la  théorie  de  la  destrucliun  du  suore  dans  le  pou- 
mon. —  Expériences  sur  les  sangs  en  contact  avec  dilTérents  gaz.  —  Tbéorie 
de  la  destruction  du  sucre  par  les  alcalis  du  sang.  —  Théorie  de  la  des- 
truction du  sucre  par  fermentation.  —  Preuves  à  l'appui.  —  Quelle  est 
l'espèce  de  fermentation  qui  s'opère  ainsi?  —  Accidents  qui  suivent 
la  production  de  l'alcool  dans  le  système  circulatoire.  —  Vues  sur  les  phé- 
nomènes chimiques  de  l'organisme 233 

DOUZIÈME  LLÇON.  —  Examen  du  foie  d'un  supplicié.  —  Découverte  sur  la 
génération  et  les  usages  de  la  matière  sucrée  dans  l'organisme.  —  Élude  des 
conditions  de  développement  des  cellules  organiques.  —  Levure  de  bière. 

—  Nécessitédela  présence  d'une  matière  sucrée.  Expériences  sur  le  sérum. 

—  Génération  de  cellules  organiquesspéciales.  —Production  de  sucredans 
des  muscles  et  les  poumons  de  fœtus  en  voie  de  développement  —  Cette 
production  n'a  pas  lieu  dans  les  autres  tissus.  Ces  phénomènes  rentrent 
dans  l'ordre  des  fermentations.  —  Germination  animale.  —  Rapproche- 
ment des  animaux  et  des  plantes  au  point  de  vue  des  phénomènes  de  dé- 
veloppement. —  Phénomènesde  fermentation  donnant  lieu  aux  principales 
actions  chimiques  de  l'organisme 249 

TREIZIÈME  LEÇON.  —  Examen  de  l'ancienne  théorie  de  la  production  ex- 
clusive du  sucre  par  les  végétaux.  —  Point  de  vue  de  celte  théorie  vis-à-vis 
des  questions  physiologiques.—  Erreursdedoctrines,demélhodesetde  faits. 

—  Expérience  fondamentale  pour  la  théorie  de  la  production  du  sucre  dans 
*  l'organisme  animal.  —  Examen  du  sang  avant  et  après  le  foie.  —  L'an- 
cienne théorie  n'en  tient  aucun  compte.  —  De  l'intervention  de  la  chimie 
dans  les  questions  physiologiques.  —  Delà  présence  du  sucre  dans  le  sang. 

—  Époque  de  cette  découverte.  —  Conditions  de  la  production  de  ce  phé- 
nomène. —  Théories  de  la  dépuration  du  sang  par  le  foie.  —  De  la  con- 
densation du  sucre  dans  le  même  organe.  —  Prétendues  preuves  à  l'appui 
de  ces  manières  de  voir.  —Contradictions. —  Sophismes.  —Erreurs.     266 

QUATORZIÈME  LEÇON.  —  Analyse  d'un  nouveau  travail  critique  sur  l'ori- 
gine du  sucre  dans  l'organisme.  —  Sa  liaison  avec  le  précèdent.  —  Action 
du  système  nerveux  sur  la  production  du  sucre.  —  Expérience  sur  la  section 
des  pneumo-gastriques.  —  Des  méthodes  dans  les  sciences.  —  Méthodes  à 
priori  et  à  posteriori.  —  Exemples  actuels.  —  Examen  des  résultats  de 
l'expérience  précédente , 282 

QUINZIÈME  LEÇON.  —  Influence  du  système  nerveux  sur  la  sécrétion  du 
foie.  —  1°  Exagération  de  cette  sécrétion  par  piqûre  de  la  moelle  allongée. 

—  Instrument  employé;  procédé  opératoire,  —  De  l'élimination  du  sucre 


^ 


ois  TABLE   DES   MATIERES. 

par  les  diverses  sécrétions-  —  Élimination  par  les  reins,  par  la  muqueuse 
stomacale.  —  Le  sucre  \.  ;  passe  pas  dans  la  salive.  —  Expériences  chez 
les  diabétiques.  —  Spécialité  des  dillerentes  substances  au  point  de  vue  de 
leur  passage  dans  divei  ^es  sécrétions.  —  Sucre.  —  Cyanure  jaune  de  po- 
tassium et  de  fer.  —  I  dure  de  potassium.  —  Passage  du  sucre  dans  l'es- 
tomac des  diabétiques.  —  Limite  de  la  quantité  de  sucre  que  peut  contenir 
le  sang  sans  passer  da  ,s  l'urine.  —  Résultat  d'une  expérience  sur  la  pi- 
qûre de  la  moelle  allongée  chez  un  lapin 29G 

SEIZIÈME  LEÇON.  —  Présence  du  sucre  dans  le  liquide  céphalo-rachidien. 
—  Remarques  à  ce  sujet.  —  Diabète  traumatique.  —  Présence  du  sucre 
dans  les  sérosités  chez  les  diabétiques.  —  Passage  d-i  sucre  dans  la  lym- 
phe. —  Conditions  dans  lesquelles  ce  passage  s'ellectue.  —  Chyle  sucre 
du  canal  thoracique  provenant  du  foie.  —  Du  mécanisme  de  l'action  ner- 
veuse sur  la  production  du  sucre.  —  Idées  qui  ont  guidé  dans  la  décou- 
verte des  faits  indiqués.  —  Expérience 314 

DIX- SEPTIÈME  LEÇON.  —  Mécanisme  de  l'action  nerveuse  sur  la  sécrétion 
glycogénique.  —  Rôle  du  pneumo-gastrique.  Rôle  du  poumon.  —  Distri- 
bution des  divers  nerfs  qui  se  rendent  au  foie.  —  Rôle  de  chacun  d'eux.  — 
Rôle  de  la  moelle  épinière.  —  Expérience  sur  la  section  des  pneumo-gas- 
triques  entre  le  foie  et  le  poumon.  —  Procédé  opératoire.  —  La  production 
du  sucre  continue  —  Durée  de  Tellet  de  la  piqûre  de  la  moelle  allongée. 
■—  Influence  de  la  piqûre  sur  la  circulation  abdominale.  —  Rôle  du  grand 
sympathique  dans  la  circulation  d'un  organe.  —  Action  de  ce  nerf  dans  la 
région  cervicale.  —  Procédé  opératoire.  —  Résultats.  —  Distinction  de  la 
sécrétion  et  de  l'excrétion 327 

DIX-HUITIÈME  LEÇON.  —  De  la  polyurie.  —  Elle  est  indépendante  de  la 
glycosurie.  —Observations  expérimentales  à  ce  sujet.  —  Autres  procédés 
de  production  du  diabète  artificiel.  —  Par  anéantissement  du  système 
nerveux  cérébro-spinal  :  V  au  moyen  de  l'empoisonnement  par  le  curare-, 
T  par  apoplexie  suite  de  contusions  cérébrales.  —  Expériences.  —  Diabèle 
consécutif  à  l'éthérisation.  —  Examen  des  théories  sur  le  diabète  spontané 
et  artificiel.  —  Réflexions  sur  la  complication  de  ces  phénomènes.  Résultat 
de  l'expérience  faite  à  la  leçon  précédente 345 

DIX-NEUVIÈME  LEÇON.  —Nouvelle  expérience  sur  l'empoisonnement  par 
le  curare,  et  résultats  de  la  précédente.  —  Expériences  sur  des  lapins.  — 
Apparition  du  sucre  dans  les  urines  à  la  suite  de  l'intoxication  par  le  cu- 
rare. —  Autres  phénomènes.  —  Réflexions  sur  la  distinction  entre  l'exci- 
tation et  l'irritation.  —  Exemples  et  applications.  —  Perversion  de  la 
foiiction  glycogénique.  —  Expériences  à  ce  sujet.  —  Particularités  de  ces 
expériences.  — Production  spontanée  du  sucre  dans  le  foie  d'un  animal  mort 
dans  certaines  conditions.  —  Manuel  opératoire  de  l'expérience.  —  Hypo- 
thèses sur  la  production  de  ce  phénomène.  —  Part  de  l'action  nerveuse. 


TABLE  DES    MATIÈRES.  ol9 

—  Part  de  la  fermentation.  —  Résultais  de  l'expérience  sur  l'empoisou- 
nement  par  le  curare ,- 3G3 

VINGTIÈME  LEÇON.  —  Expériences  sur  des  Ia}>-ns  auxquels  on  coupe  la 
moelle  épinière  au-dessus  du  renflement  Lracliia'.  -—  Phénomènes  singu- 
liers produits  sur  le  foie.  —  Hypothèses  sur  ces  pbénomènes.  —  Découverte 
de  la  production  de  la  matière  sucrée  dans  les  mu;ples  et  dans  les  poumons 
du  fœtus.  —  Acide  lactique.  Moyens  d'obtenir  ce  sucre,du  fœtus  à  une  tem- 
pérature basse.  —  Procédé  pour  obtenir  l'acide  lactique.  —  Tous  les  tissus 
de  l'embryon  ne  donnent  pas  du  sucre.  —  Le  sucre  se  forme  aux  dépens 
d'une  matière  all)umineiise  insoluble.  —  Preuves  ph\siologiques.  — 
Preuves  chimiques.  —  Découverte  de  Lehniann,  qui  transforme  l'héma- 
tine  en  sucre 38? 

VINGT  ET  UNIÈME  LEÇON.  --  Présence  du  sucre  dans  l'urine  des  fœtus.  — 
Dans  l'ailaiitoïde.  —  Explication  de  ce  phénomène.  —  Propriétés  du  sucre 
des  muscles.  —  Transformations  du  liquide  amniotique.  —  Usages  du 
sucre  dans  la  vie  intra-utérine  pour  empêcher  rinfiltralion  des  tissus.  — 
Expériences.  —  L'animal  a  constamment  besoin  de  matière  sucrée.  —  De 
la  mort  à  la  suite  de  la  cessation  des  fonctions  du  foie.  —  Terminaison  de 
quelques  expériences  commencées  dans  les  séances  précédentes.  —  Suite 
de  l'expérience  de  la  section  des  pneumo-gastriques  entre  le  poumon  et 
le  foie.  —  Autopsie  de  l'animal.  —  Expérience  sur  la  section  des  nerfs 
sympathiques  qui  se  rendent  au  foie.  —  Réflexions  sur  la  difficulté  des 
expériences  physiologiques 401 

VINGT-DEUXIÈME  LEÇON.  —  Application  de  la  physiologie  à  la  pathologie 
du  diabète.  —  Pathologie  comparée.  —  Cas  de  diabète  signalé  chez  les  ani- 
maux. —  Organes  malades  dans  cette  affection.  —  Hypertrophie  des  reins. 

—  Hypertrophie  des  membranes  de  l'estomac.  —  De  l'état  du  foie  dans  le 
diabète.  —  Atrophie  du  pancréas.  —  Présence  du  sucre  dans  tous  les  or- 
ganes chez  les  diabétiques  morts  subitement.  —  Désordres  nerveux.  —  Les 
matières  féculentes  et  saccharoïdes  ne  sont-elles  pas  des  excitants  du  foie? 

—  Réaction  d'autres  organes  sur  le  foie 417 

VINGT-TROISIÈME  LEÇON.  —  Symptômes  du  diabète.  —  C'est  une  mala- 
die apyrétique.  —  Caractères  des  urines.  —  Sucre.  —  Sucre  de  lait  dans 
l'urine  d'une  femme  récemment  accouchée.  —  La  présence  du  sucre  dans 
l'urine  suffit-elle  pour  caractériser  le  diabète?  —  Présence  passagère  du 
sucre  dans  les  urines.  —  Diabètes  intermittents.  —  Aigus.  — Alternants. 

—  Continus.  —  De  l'urée  dans  l'urine  des  diabétiques.  —  Acide  uriiiue. 

—  Albumine.  —  Quantité  des  urines  dans  le  diabète.  —  Leur  rapport  avec 
les  boissons  ingérées.  —Observation.  —Boulimie  et  polydipsie.  —  Absence 
de  la  sueur.  —  Théorie  à  ce  sujet.  —  Phénomènes  nerveux  accompagnant 
le  diabète.  —  Influence  des  féculents  sur  le  diabète.  —  Influence  des  mé- 
dicaments énergiques  sur  les  symptômes  du  diabète 431 


.S20  TABLE    DES  MATIÈRES. 

VINGT-QUATHIÈME  LEÇON.  —  Revue  succincte  des  objections  faites  à  la 
découverte  de  la  fonction  glycogénique  du  foie.  —  Théorie  de  la  formation 
du  sucre  aux  dépens  des  matières  grasses.  —  La  formation  de  la  matière 
sucrée  ne  serait-elle  pas  localisée  dans  un  point  de  l'organisme?  —  Réfu- 
tation de  ces  opinions.  —  Mémoire  contre  la  fonction  glycogénique  du  foie. 
—  Erreurs  contenues  dans  ce  travail.  —  Autre  mémoire  dans  lequel  on  a 
pour  but  d'établir  que  le  réactif  cupro-potassique  ne  décèle  pas  toujours 
la  présence  du  sucre  quand  cette  dernière  substance  est  mélangée  avec 
l'albuminose.  —  Examens  de  celte  opinion.  —  Expériences.  —  Liaison  de 
ces  deux  travaux.  —  Le  sang  de  l'artère  hépatique  ne  contient  pas  de 


sucre.  —  Sucre  formé  par  la  glande  mammaire,  etc 448 

VINGT-CINQUIÈME  LEÇON.  —  Travaux  comparatifs  de  la  fonction  glyco- 
génique du  foie.  —  Analyses  du  sang  de  la  veine  porte  et  des  veines  hé- 
patiques, par  Lehmann  ,  communiquées  à  l'Académie  des  sciences.  — 
Remarquas  à  l'occasion  de  cette  communication.  —  Figure  schématique 
représentant  l'ensemble  de  la  proiluction  et  de  la  diffusion  du  sucre  dans 
l'organisme.  —  Résumé  des  faits  qui  établissent  la  fonction  glycogéni- 
que du  foie 4GT 

Appendice 485 

Mémoire 480 

La  matière  sucrée  se  forme-t-elle  par  l'action  digeslive  dans  le  foie  et 

dans  le  torrent  circulatoire  ?  par  M.  Poggiale 503 

Recherches  sur  les  fonctions  glycogéniques  du  foie^  par  M.  Leconte. . .  505 
Sur  la  sécrétion  du  sucre  et  de  la  bile  dans  le  foie,  par  M.  Molescholt.  ôu8 
Rapport  présenté  par  M.  Dumas  à  l'Académie  des  sciences,  à  l'occa- 
sion des  communications  faites  par  MM.  Figuier, Leconte  et  Poggiale.  610 


FIN    DE    I.A   TABLE    DES    MATIERES    DU    TOiME    PREMIER. 


Par  suite  d'une  erreur  d'imprimerie,  les  exemplaires  du  tome  I*=%  prove- 
nant du  deuxième  tirage  fait  en  18G5  et  du  troisième  tirage  fait  en  1874, 
diffèrent  comme  pagination  de  ceux  provenant  du  premier  tirage  faiten  1855. 

Pour  établir  la  concordance,  il  faut  diminuer  de  "^  le  numéro  de  chaque 
page  des  L*  et  3''  tirages  :  la  page  9  ûo'v.  être  considérée  comme  page  1,  et 
ainsi  de  suite  jusqu'à  la  lin,  la  page  520  devant  être  considérée  comme 
page  513. 


Gor.BElL.    —    TïP.    KT    SlÉlî.    Dh    CRKTh   FILS 

4