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LEÇONS
DE
PHYSIOLOGIE
EXPÉRIMENTALE
APPLIQUÉE A LA MÉDECINE
TOME P^-
L'auteur et les éditeurs de cet ouvrage se réservent le droit de le tra-
duire ou de le faire traduire en toutes les langues. Ils ponrsuivionJ. en
vertu ' lois discrets et traités, internationaux, toutes contrefaçons foites
au iné,= :8 de leurs droits.
Le o' pôt légal de cet .ouvrage a été fait à Paris en juin 18S5, et toutes les
forma' u es prescrites par les traités sont remplies dans les divers Étais avec
lesqurij ra France' a Conclu des conventions littéraires.
Oi:iVRJL€i£«: IIE M. €Ii. BERNARD.
C^£Z LES MÊMES LIBRAIRES.
R«^cherche8 expérimenfaSeg sur les fonctions fin nerf spi-
ntrkl x"?! actressoire »le "t^'illis {Mémoires présentés //a-- Uive>s sa-
vants étrangers ù VAcad^....^ des Sciences. Paris, 1851, tome XI )
]%louTelle fonction do foie, considéré comme organe polunienr de
matière sucrée chez l'homme et chez les animaux. Paris, 1853. In-4 de
94 pages.
SOT S PRESSE :
Mémoire sur le pancréas et sur le rôle du suc pancréatique dans les
phénomènes digestifs, particulièrement dans la digestion des m.iUères
grasses neutres. Paris, 1856, in-4 de 190 pages, avec 9 planches gravées,
en partie coloriées.
Leçons de physiologie eTcpérimentale appliquée à la méde-
cine, faites au Collège de France. Semestre d'été, 1855. 1 vul. in-8, avec
figures intercalées dans le texte. 7 fr.
Leçons sur les effets des substances toxiques et médicanicn-
leuses. Paris, 1857. 1 vol. in-8, avec figures. 7 fr.
Leçons sur la physiologie et la pathologie du système ner-
veux. Paris. 1858. 2 vol. in-8, avec figures. li fr.
Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérHtioiis
pathologiques des liquides de l'organisme, l'aiis. 1859. 2 \o'.
in-8, avec figures. li fr.
Introduction à Tétude de la médecine expérimentale. Paiis,
1855, in-8, 400 p. 1 fr.
Leçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 v< 1. in-s <le
000 pages. 1 fr.
LeçoHS sur les anesthésiques de l'asphyxie. Paris, 1874, 1 vol.
iii-8 de GOO pages avec figures.
Principes de médecine expérimentale. 2 vol. grand in-8, avec
figures.
r.ouBi:iL. — ryp. de Cukti; fils.
LEÇONS
DE
PHYSIOLOGIE
/ EXPÉRIMENTALE
APPLIQUÉE A LA MÉDECINE
TAITES AU COLLÈGE DE FRANCE
PAR *'
M. Claude BERNARD
Membre de l'iustilut de France,
Professeur suppléant de M. Magendie au Collège de France,
Professeur de physiologie générale à la Faculté des Sciences,
Membre des Sociétés de Biologie, philomathique de Paris,
Correspondant de l'Académie de médecine de Turin, des Sociétés médicales
et des sciences naturelle? de Lyon, do Suisse, de Vienne, etc.
TOME {'
COURS DU SEMESTRE D'HIVER I854-I855
Avec 22 firmes inlfrcalée'!! dans k loAe.
PARIS
J. B. BAILLIÈRE ut FTLS,
LIBRAIRES DE l'aCADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE
Rue Hautefeuille, 19
liondres 1 Madrid
HiPPOLYTE BaILLIÊRK | C BAILLY-BaILLIÈRK
18oo
L'auteur et les éditeurs se réservent le drot de 1radui;tiin à^l'étrau^er.
AVANT-PROPOS
Aujourcrhui, la physiologie expérimentale est
entraînée dans un mouvement de développement
qui y sans contredit, n'a jamais été aussi considé-
rable ni aussi rapide à aucune autre époque de
son histoire. Dans tous les pays, de tous côtés,
les travailleurs sont à l'œuvre , et chaque jour
l'expérimentation apporte quelque fait nouveau
ou quelque découverte importante, soit pour la
(^olution de questions de détail, encore incertai-
^'^nes, soit pour rétablissement de principes géné-
raux, d'autant plus nécessaires que les résultats
?0 particuliers se multiplient davantage.
On comprend qu'aux époques de transition
les traités dogmatiques soient difficiles, parce
qu'un ouvrage est déjà vieux avant d'être achevé,
et qu'une doctrine court risque d'être renversée
avant d'avoir été entièrement formulée. Dans un
VI AVANT-PROPOS.
certain nombre d'années, lorsque cette sorte de
fermentation scientifique aura subi son évolution,
et que le temps aura mûri les résultats de l'expéri-
mentation , on pourra seulement réunir les con-
quêtes modernes de la science et les relier par
les principes ou les lois qui découleront de leur
rapprochement.
Mais, en attendant, il m'a paru utile de mon-
trer ce mouvement de la physiologie aux person-
nes qui s'intéressent à cette belle science , afin
qu'elles puissent se rendre compte de la tendance
de ses progrès, tant par la méthode suivant la-
quelle elle procède, que par la nature des idées
nouvelles qui surgissent et se trouvent en lutte
avec les idées anciennes ^qui disparaissent. C'est
cette considération qui m'a déterminé à publier
ces leçons, qui ne sont que le début d'une série
de cours que j'ai l'intention de faire paraître.
Je n'ai pas à m'expliquer sur le point de vue
qui règne dans ce livre \ on trouvera des éclair-
cissements suffisants à ce sujet dans la première
leçon, qui sert en quelque sorte de préface à ce
volume. Je désire seulement avertir le lecteur
que j'ai voulu conserver ici la forme qu'entraîne
l'exposition de travaux de recherches qui sont en
AVANT-PROPOS. VII
voie de se faire. Ces leçons ont été recueillies
et rédigées sous mes yeux par un de mes amis
et de mes élèves, M. Henri Lefèvre, licencié ès-
sciences naturelles, qui était constamment parmi
mes assistants, soit dans le laboratoire, quand
j'instituais mes expériences, soit dans Tamphi-
théàtre, quand j'en exposais les résultats au pu-
blic. On a de la sorte la simple narration de ce
qui se passe dans l'intérieur du laboratoire et de
l'amphithéâtre d'un physiologiste qui travaille et
discute la science.
Une telle manière de faire a des avantages qui
me paraissant très-réels. Le premier bénéfice
qu'on en tirera sera de voir les expériences phy-
siologiques telles qu'elles sont, avec leurs com-
plications et les difficuHés que l'on a quelquefois
à surmonter pour en triompher. Un autre avan-
tage que je crois aussi très-important, c'est qu'en
voyant les recherches expérimentales se dérouler,
passer d'abord à l'état d'ébauche, et puis se perfec-
tionner successivement, l'esprit souvent discerne,
dans ces notions naissantes et fécondes, diverses
questions qui peuvent être pour lui la source
d'investigations nouvelles, ce qui a rarement
lieu, quand on lui présente des résultats complets
de travaux parfaitement achevés.
VIII AVANT-PROPOS.
Maintenant je ne dissimule pas qu'un livre
ainsi conçu puisse donner plus facilement prise à
la critique stérile de ces parasites scientifiques qui,
impuissants à rien créer par eux-mêmes, s'accro-
chent ordinairement aux découvertes des autres,
pour les attaquer et chercher ainsi l'occasion de
faire parler d'eux. On comprend que cette con-
sidération ne mérite pas même de me préoccuper,
si j'ai atteint mon but, et si ces leçons peuvent
être utiles aux hommes qui cherchent dans les
travaux d'autrui ce qu'il y a de bon pour s'en
inspirer, et faire faire à la science de nouveaux
progrès.
Paris, mai 185,i.
Claude BERNARD.
LEÇONS
DE PHYSIOLOGIE
APPLIQUEE
A LA MEDECINE
PREMIERE LEÇON
23 DÉCRAIBRE 1854.
SOMMAIRE : Nature spéciale de l'enseignement du Collège de France com-
paré à l'enseignement des Facultés. — De l'investigation physiologique. —
Des faits et des théories en physiologie. — Des découvertes prévues et im-
prévues. -- De la critique expérimentale. Des faits contradictoires. — De
la complexité des phénomènes physiologiques et des difficultés attachées à
leur élude. — Applications des sciences physico-chimiques à la physiologie.
— Applications de la physiologie à la médecine.
Messieurs,
L'illustre professeur qui occupe cette chaire, M. Ma-
gendie, que j'ai l'honneur de suppléer en ce moment,
a plusieurs fois fixé devant vous (1) la nature de l'en-
seignement que vous venez chercher ici. Permettez-moi
de revenir en quelques mots sur ce sujet, afin que nous
puissions mieuxcomprendi^e , et atteindre d' une manière
(1) Leçons sur les phénomènes physiques de la vie, Paiis, 1842, 4 vol.,
in-8.
55666
0 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
plus siire le but que nous poursuivrons dans le cours de
ces leçons.
Tout le monde sait que l'enseignement du Collège de
France est d'une autre nature que celui des facultés,
qu'il répond à d'autres besoins, qu'il s'adresse à un
autre public, que sa manière de procéder est essentiel-
lement différente.
Ici le professeur toujours placé au point de vue de
l'exploration, doit considérer la science, non dans ce
qu'elle a d'acquis et d'établi, mais dans les lacunes
qu'elle présente, pour tâcher de les combler par des
recherches nouvelles. C'est donc aux questions les plus
ardues et les plus obscures qu'il s'attaque de préfé-
rence, devant un auditoire déjà préparé à les aborder
par des études antérieures.
Dans les Facultés, au contraire, le professeur placé
au point de vue dogmatique, se propose de réunir, dans
un exposé synthétique, l'ensemble des notions positives
que possède la science, en les rattachant au moyen de
ces liens que l'on nomme des théories, destinées à dis-
simuler autant que possible les points obscurs et con-
troversé<v qui troubleraient sans profit l'esprit de l'é-
lève qra débute.
Ainsi, ces deux genres d'enseignement sont, pour
ainsi dire, opposés dos à dos. Le professeur de faculté
voit la science dans son passé; elle est pour lui comme
parfaite dans le présent; il la vulgarise en exposant
dogmatiquement son état actuel. Le professeur du Col-
lège de France, au contraire, doit avoir les yeux tournés
vers l'inconnu, vers l'avenir.
AL COLLÈGE DE FRANCE. H
Loin d'être achevée, la science de la vie se présen-
tera donc à nous avec ses imperfections; nous nous
préoccuperons sans cesse, non de ce qui est fait, mais
de ce qui reste à faire; et cette direction progressive est
d'autant plus importante, \ous le comprenez sans peine,
que la science dont nous nous occupons ici est plus
éloignée de son entier développpment.
11 était nécessaire, Messieurs, de bien fixer notre
point de vue pour comprendre l'espèce de liberté dans
notre exposition, de variété dans le choix de nos su-
jets que comporte cet enseignement, oii aucun pro-
gramme ne saurait être rigoureusement suivi, con-
trairement aux cours des Facultés, nécessairement
encadrées dans un programme recommencé périodi-
quement et ne dépassant pas le niveau des connais-
sances acquises. On peut changer ici de sujet tous les
ans, tous les semestres; et même, dans le cours
d'un semestre, notre plan pourra se trouver modifié,
si, tombant sur un filon de recherches intéressan-
tes, il y a profit pour la science à le poursuivre sans
délai.
En un mot, nous choisissons nos études sous la seule
condition de faire des effoits incessants pour concourir
aux progrès de la physiologie et de la médecine, en clier-
chant à réaliser ces progrès sur tous les points oii il
nous est permis de les atteindre, et partons les moyens
qui sont en notre pouvoir.
Or, Messieurs, ces moyens se rapportent à deux di-
rections :
Dans la première, on institue des recherches nou-
12 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
velles, sources de découvertes. C'est Y investigation ou
V invention.
Dans la seconde, on exerce un jugement sévère sur
les faits obtenus, de manière à en éloigner les causes
d'erreurs, et à leur donner une valeur et une significa-
tion précises dans la science. C'est ce que j'appellerai la
critique expérimentale.
Relativement à l'investigation., les philosophes ont
beaucoup disserté sur l'art d'interroger la nature et d'y
faire des découvertes.
Les uns, avec J. de Maistre, ont soutenu qu'il n'y
avait en cela aucune règle à suivre, que celui qui faisait
des découvertes possédait quelque chose d'instinctif, un
quid jwoprium, et que le hasard se chargeait du reste.
Quelques esprits, allant plus loin, ont même fait de l'i-
gnorance une condition favorable.
D'autres philosophes, avec Bacon, anoncent qu'ils y
a des méthodes sûres pour arriver à réaliser les progrès
de la science, et en ont théoriquement tracé les règles.
Toute l'application qu'ils en ont faite serait loin d'a-
voir prouvé leur efficacité. C'est pourquoi, au lieu de
vous donner des principes abstraits sur l'art d'instituer
des recherches et de faire des découvertes, je préfère
joindre l'exemple au précepte, et vous montrer, dans le
cours de ces leçons, par la pratique expérimentale des
choses, comment doit procéder l'esprit d'investigation
pour arriver à la solution des problèmes physiologiques.
J'e n'entrerai donc pas dans l'exposition ni dans la
discussion des opinions philosophiques précédentes, ce
qui nous éloignerait entièrement de notre sujet. Je dirai
AU COLLÈGE DE FRANCE. \'^
seulement (F une manière générale qu'on ne réussira
dans les recherches physiologiques qu'à la condition
d'avoir le sentiment exact de la complexité et de la mo-
bilité des phénomènes de la vie, et d'être bien fixé sur
l'importance relative qu'on doit accorder, en physiolo-
gie, aux faits et aux théories; en se servant, du reste,
des moyens logiques ordinaires en vertu desquels on
procède et l'on juge dans toute autre science. Je vous
demanderai la permission de donner quelques explica-
tions h ce sujet.
On a raison d'admettre que l'esprit de l'homme ne
s'exerce que sur deux ordres de notions : les unes ^^^^-
j'ectiv es ou. oBstraites^ les autres objectives ou concrètes.
Mais il faut aussi reconnaître que jamais un seul de ces
ordres de notions ne peut exister isolément en nous,
de telle sorte que l'rn appelle toujours l'autre à sa suite,
et qu'en vertu de cette tendance qui nous est naturelle;
nous donnons constamment des formes objectives aux
notions idéales ou subjectives que nous possédons tous,
et que, d'autre part, nous subjectivons, c'est-à-dire que
nous élevons toujours à l'état de théorie abstraite l'en-
semble des notions objectives qui nous sont transmises
par les sens.
En physiologie et en médecine, nous n'avons af-
faire qu'à des réalités objectives, et nous sommes en
plein dans ce qu'on appelle les sciences d'observa-
tion et d'expérimentation, parce que Fobservation et
l'expérimentation peuvent seules établir les m?/// ^'^ ou
\q^ faits sur lesquels ces sciences se fondent. Mais,
comme je le disais tout à l'heure, ces faits, une fois éta-
14 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
blis, ne restent jamais isolés dans notre esprit; nous
les comparons, nous les rapprochons, et nous y mêlons
immédiatement des notions subjectives en formulant
sur eux des lois ou des théories qui ne sont que des re-
présentations abstraites que nous nous faisons, relati-
vement aux causes ou au mécanisme de ces faits ou de
ces phénomènes. Telle est, en efFtt, la marche inévita-
ble que l'homme suit dans l'étude de toutes ces scien-
ces: V Établir les faits ou les phénomènes par l'obser-
vation et 1 expérimentation jusqu'à ce qu'il ait épuisé
ce que ces moyens peuvent lui fournir; 2'' s'élever par
induction de ces faits ou phénomènes à leurs rapports
généraux qu'il appelle des lois ; 3° entîn partir de
ces lois pour aller, par un raisonnement logique de
déduction, à la recherche d'autres faits paiticuliers
qui puissent à leur tour être compris dans la loi gé-
nérale.
Rapprocher les fails pour en tirer des lois, c'est la
méthode suivant laquelle toute science se constitue; de
même que le procédé logi(|ue qui consiste à partir de
ces lois formulées pour y faire rentrer les recherches
nouvelles, est le seul moyen que celle science possède
pour avancer réellement. Seulement, ce qu'il faut ne
pas perdre de \ue, c'est que les faits bien observés sont
eux seuls les rèalilh invariables, indestructibles, tandis
qiiejes interprétations que nous appelons des lois et des
théories ne sont que des ahsiraciions ou des manières de
voir en rappoit avec l'étendue de nos connaissances, et
conséquemment susceptibles de varier à mesure que
nos coimaissances se niuiliplieronl. s'élendiont davan-
AU COLLÈGE DE FRANGE.
tage en présentant d'autres faces à cette même interpré-
tation.
Lorsque les phénomènes, ainsi que cela a lieu dans
certaines parties des sciences physico-chimiques, sur-
passent, dans des conditions simples et faciles à appré-
cier, les lois que l'on trouve se rapprochent beaucoup
plus de la réalité, sans toutefois que l'on soit jamais
autorisé à les considérer comme la représentant com-
plètement ; le raisonnement peut alors s'appuyer sur
ces lois assez sûrement pour conduire par voie de dé-
duction logique à la connaissance de faits nouveaux.
Mais quand il s'agit des sciences biologiques où les
phénomènes sont très^difticiles à observer et à expé-
rimenter, à cause de leur complication et du grand
nombre des éléments qui les constituent, les lois sont
alors beaucoup plus difficiles à établir, et elles sont
toujours très-loin de représenter la réalité.
Ce dernier cas est celui des lois que nous posons en
physiologie et en médecine, où leur multiplicité même
atteste leur imperfection.
Cependant c'est toujours exclusivement sur ces abs-
tractions et sur ces lois, bonnes ou mauvaises, que nous
basons notre raisonnement pour déduire des résul-
tats nouveaux qui doivent ensuite, comme dans toutes
les sciences d'observation, être vérifiés par l'expérience.
On concevra facilement que la conclusion à laquelle
nous arriverons par le raisonnement sera d'autant plus
incertaine que la loi sur laquelle nous l'avons établie
sera elle-même moins sûre ; et, à ce sujet, on peut dire
que si, dans les sciences purement physiques, l'expé-
I(i ENSEIGNEMENT DE LA PliYS10L0(iIE
rience vient le plus ordinairement confirmer ce qu'in-
diquait le calcul de la théorie, en physiologie on voit,
dans l'état actuel de cette science, presque toujours le
contraire arriver, c'est-à-dire, le raisonnement et l'ex-
périence se trouver le plus souvent en désaccord.
Malgré le peu de valeur réelle que nous devions re- .
connaître dans ce que nous appelons des lois aujour-
d'hui en physiologie, il faut cependant nous en servir,
car dans une science quelconque il est impossible do
passer d'un fait connu à un fait encore inconnu, sans
l'intermédiaire d'une idée abstraite ou d'une théorie.
Mais, en physiologie, ainsi que nous l'avons déjà dit,
les conditions des phénomènes sont si compUquées, et
souvent même si mal établies, que nous devons, à cause
des difficultés inhérentes à Texpérimentation et l'obser-
vation, nous tenir toujours en garde contre les lois que
nous formulons, et n'avoir dès lors qu'une confiance
très-médiocre dans les résultats qu'elles peuvent nous
faire prévoir. En un mot, nous devons prendre, pour le
moment, ces théories beaucoup plus comme des moyens
capables de remuer le terrain de la physiologie en pro-
voquant des expérimentions nouvelles que comme des .
guides sur lesquels le raisonnement puisse s'appuyer
avec certitude.
Il résultera delà que, pour réussiridans l'investigation
physiologique, il ne suffira pas, comme dans des scien-
ces plus avancées, d'avoir seulement en vue de vérifier
le résultat que la théorie indique, mais il faudra en
même temps avoir l'esprit et les yeux attentifs à tous
les phénomènes qui pourront naître intercurremment,
AU COLLÈGE DE FRANCE. 17
qu'ils soient en faveur de la théorie ou contre elle.
En se plaçant à ce point de vue, vous comprenez,
Messieurs, qu'on pourra faire dans nos sciences deux
espèces de découvertes :
Les unes prévues par le raisonnement ou indiquées
parla théorie ; elles se réalisent d'autant mieux que les
sciences sont plus avancées, que les phénomènes sont
plus simples et les lois mieux établies, et c'est dans les
sciences physiques qu'on les rencontre le plus souvent.
Les autres, imprévues^ sont des découvertes qui sur-
gissent inopinément dans l'expérimentation, non plus
comme corollaires de la théorie, et propres à la confir-
mer, mais toujours en dehors d'elle, et par conséquent
lui étant contraires.
Ces^décou vertes imprévues.dgivent être d'autant plus
rares que les sciences sont mieux constituées^ et d'au-
tant plus fréquentes que les sciences sont moins avan-
cé_es^ En physiologie, tout expérimentateur pourra en
faire, pourvu qu'il soit bien pénétré de cette idée, que
les théories sont tellement défectueuses dans cette
science, qu'il y a, dans l'état actuel des choses, autant
de probabilités pour découvrir des faits qui les ren-
versent, qu'il y en a pour en trouver qui les appuient.
S'il nous a été donné de faire en physiologie quelques-
unes de ces découvertes imprévues, nous croyons le
devoir à ce que nous nous sommes toujours placé dans
cette disposition d'esprit qui n'accorde aux théories
physiologiques qu'une valeur essentiellement relative
et entièrement subjective, tout en appréciant leur im-
portance pour diriger les investigations et solliciter
BERNARD. I. 2
18 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
l'expérimentateur à voir des phénomènes qu'il n'aurait
pas vus sans cela, quoique ceux-ci fussent d'ailleurs
d'une évidence extrême. Tout le monde s'étonne alors
de les avoir, pendant si longtemps, laissés passer ina-
perçus, ce qui justifie le mot d'un illustre physicien
de nos jours (1), que « rien n'est plus clair que ce qu'on
a trouvé hier, et rien n'est plus difficile à voir que ce
qu'on trouvera demain. »
Je désire, Messieurs, mettre un exemple sous vos
yeux, pour mieux fixer vos idées sur ce que nous ve-
nons de dire, et pour attirer votre attention sur cette
sorte d'utilité que peut avoir quelquefois une théorie,
même mauvaise, pour faire découvrir un fait qu'on
avait depuis longtemps sous les yeux sans le voir.
Voici un lapin sur lequel nous mettons à nu et nous
coupons le filet nerveux du sympathique qui unit du
côté gauche le ganglion cervical supérieur avec le gan-
glion cervical inférieur. Nous répétons là une expé-
rience que Pourfour du Petit a faite en 1727, et qu'un
grand nombre d'expérimentateurs ont reproduite de-
puis lui, en observant tout le résultat le plus saillant
qui avait été annoncé, savoir, un rétrécissement de la
pupille que nous pouvons constater ici, et sur lequel
on fit ensuite beaucoup d'hypothèses. On supposa, par
exemple, que le nerf moteur oculaire commun don-
nait le mouvement aux muscles constricteurs pupillai-
res, et le grand sympathique aux dilatateurs, etc. Tous
les ans, dans mes cours, je faisais cette expérience, dans
laquelle je vérifiais comme tout le monde les phéno-
(1) M. Biot^ Journal des savants.
AU COLLÈGE DE FRANCE. l9
mènes relatifs à cette théorie des mouvements de la
pupille, mais sans rien y voir autre chose ; lorsqu'il y
a trois ans environ, rassemblant les observations que
possède la science sur les effets de la section des nerfs
dans les différentes parties du corps, et sur l'influence
que cette section exerce sur la chaleur de ces mêmes
parties, je trouvai des faits en apparence contradic-
toires consignés par les expérimentateurs, les uns an-
nonçant qu'après la section des nerfs, il y a abais-
sement de température, les autres disant que cet
abaissement n'existait pas. Étant bien pénétré de cette
pensée qu'il ne pouvait pas y avoir contradiction dans
ces faits bien observés ; et que cette diversité des ré-
sultats dépendait des conditions particulières à l'expé-
rimentation, je résolus de les rechercher. Je partis pour
cela d'une loi ou d'une idée, si vous voulez, générale-
ment admise, à savoir, que le grand sympathique est
un nerf qui suit les artères, et se rend aux organes
glandulaires, pour servir surtout à l'accomplissement
des phénomènes chimiques que l'on regarde comme la
source de la chaleur animale. Admettant cette théorie
comme vraie, le raisonnement logique fut de conclure
que le refroidissement dans les organes dont les nerfs
avaient été coupés tenait à ce que les filets du nerf
sympathique avaient été détruits, et à ce que, par suite,
les phénomènes chimiques, source de la chaleur, se
trouvaient diminués ou anéantis. Restait à instituer
l'expérience pour vérifier les données de la théorie. Il
s'agissait de couper isolément un filet du nerf sympa-
thique afin d'examiner si cette opération amènerait un
'20 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
abaissement de la température des parties). J'ai choisi
Je lapin, chez lequel cette expérience est parfaitement
réalisable au cou, parce que le grand sympathique y est
séparé du pneumo-gastrique ; il est d'ailleurs admis que
ce filet du grand symphatique, sur lequel nous avons
agi, prend naissance dans la moelle épinière et monte
le long du cou pour se distribuer vers la tête.
D'après les prévisions de la théorie, la section du
nerf sympathique à gauche, chez notre lapin, a dû pa-
ralyser les actes chimiques qui se passent dans les ca-
pillaires de la tête, et la température devra se trouver
abaissée dans la moitié de la tête correspondant au côté
oii ce nerf a été coupé. Or l'expérience est faite depuis
environ un quart d'heure; constatons ce qui s'est passé
sous le rapport de la modification de température. Nous
touchons avec la main les deux côtés de la face et les
deux oreilles du lapin, et nous jugeons avec la plus
grande évidence, par la simple sensation, que, loin
d'être abaissée, la température s'est au contraire consi-
dérablement accrue à gauche, du côté oii nous avons
coupé le nerf sympathique. En plongeant un thermo-
mètre dans l'oreille gauche, nous y trouvons quatre
degrés de plus que dans l'oreille droite. Vous-même
pouvez sentir à la main cette différence de température,
tant elle est évidente et considérable. L'observation m'a
appris, du reste, que cet excès de température peut
durer plusieurs semaines après la section du nerf sym-
pathique.
Voilà, Messieurs, ce que j'appelle une découverte im-
prévue, c'est-à-dire un résultat d'expérience qui, au
AU COLLÈGE DE FRANCE. 21
lieu de confirmer la théorie qui a provoqué à sa recher-
che, se trouve au contraire complètement en désaccord
ou en opposition avec elle. Le phénomène que nous
avons découvert est on ne peut plus facile à voir, et il
était cependant passé iuaperçu sous les yeux de beau-
coup d'observateurs éminents, ainsi que sous les nôtres
pendant longtemps.
Si la théorie n'a pas été confirmée, néanmoins c'est
elle qui, en dirigeant l'esprit dans un certain sens, a
conduit à la découverte du fait nouveau. C'est ainsi
que nous comprenons l'importance purement directrice
et provisoire des théories. Nous devons les prendre
comme des instruments intellectuels, prêts à les aban-
donner et à les sacrifier à la plus petite vérité, et la
science ne peut qu'y gagner. Ici, par exemple, rien
n'est perdu pour la physiologie. Ce qu'a découvert
Pourfour du Petit persiste toujours ; il y a seulement
un autre résultat qui est acquis en plus. Quant à la
théorie du nerf grand sympathique, elle changera et se
modifiera sans doute; mais peu nous importe. Nous sa-
<;rifierons des hypothèses et des théories tant qu'il en
faudra, pourvu que nous découvrions des faitsnouveaux
qui seront, ainsi que nous l'avons déjà dit, les seules
réalités indestructibles sur lesquelles la science positive
doit se fonder et s'élever peu à peu.
Si nous faisons si bon marché de nos théories et de
nos lois, c'est que nous avons conscience de leur im-
perfection. Mais il yadesesprits qui, saisis ajuste titre
d^admiration pour la simplicité et la généralité des lois
qui régissent les sciences astronomiques et quelques
22 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
parties des sciences physico-chimiques, \oient, dans
l'application sûre de ces théories à la découverte des
faits nouveaux, l'idéal de la puissance intellectuelle de
l'homme sur la nature. Ces esprits se trouvent comme
humiliés quand, en physiologie, ils se voient arrêtés à
chaque pas dans leur essor imaginaire par la réalité ma-
térielle, par ce qu'on appelle le fait brutal. Alors, il
peut se faire qu'au lieu de se résigner et de procéder
ainsi que nous le recommandions, ces physiologistes
aient l'ilhision de croire que leurs théories vaudront
mieux que celles des autres. On les voit alors tordant
et mutilant les faits pour les faire entrer dans leurs
vues, éliminant ceux qui leur sont contraires, arriver à
construire des systèmes que leur talent peut faire briller
d'un éclat plus ou moins vif, mais dont la vérité finit
toujours par faire justice. Aujourd'hui, en physiologie,
cette tendance systématique est des plus malheureuses
pour la science, qu'elle retarde; et, quant aux hommes
dont je parle, il ne saurait faire en ce cas preuve d'une
supériorité d'esprit générahsateur ; ils prouvent uni-
quement qu'ils n'ont pas le sentiment de la nature
delà science qu'ils cultivent, ni la conscience de l'état
dans lequel elle se trouve. Il faut bien être convaincu,
en effet, que, dans ces problèmes si complexes delà vie,
les esprits, même les plus vastes, ne peuvent pas faire
l'impossible, et faire que des phénomènes complexes
soient simples, et que des lois ou théories mauvaises
soient bonnes. Les généralisateurs ne manquent pas,
mais les grandes généralisations sont encore impossibles
en physiologie. L'expérimentateur, guidé par cette lueur
AU COLLÈGE DE FRANGE. 23
provisoire des théories actuelles, doit se considérer
comme un aveugle, et n'avancer qu'avec circonspec-
tion, en donnant toujours la main à l'expérience qui,
seule, peut l'empêcher de tomber dans l'erreur et de
s'égarer. Sans doute, il faut avoir foi dans l'avenir et
croire à un temps meilleur, oii la science physiolo-
gique, mieux constituée, permettra à la généralisation
un plus libre essor ; mais c'est à la préparation de cet
avenir qu'il faut travailler, et nous sommes intimement
convaincu qu'il n'y a pas aujourd'hui 'de moyens plus
efficaces d'accélérer les progrès de la physiologie que
d'y faire des découvertes. Ce sera, ainsi que nous l'a-
vons dit, le but unique de nos efforts dans cet ensei-
gnement.
Maintenant, Messieurs, nous arrivons à ce que nous
appelons la critique expérimentale . Elle a un rôle
très-important à remplir, car elle étabht les faits dans
leur signification et dans leurs conditions d'existence.
Elledirigedonc l'expérimentation en déterminant les cir-
constances dans lesquelles elle doit être instituée. Avant
tout, il importe que les faits soient bien fixés, car sou-
vent les débats portent sur des questions de ce genre,
les uns soutenant qu'une chose est, les autres qu'elle
n'est pas. Relativement à ces contradictions si fré-
quentes en médecine et en physiologie, il y a un pre-
mier principe dont il ne faut jamais se départir, c'est
qu'on ne saurait admettre que, dans des conditions
identiques, des phénomènes puissent se passer diffé-
remment ; ce serait absurde, cela équivaudrait à ad-
mettre des effets sans cause. Les mots exception^ idio-
24 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
sijncrasie, etc., ne sont donc pas des réalités scientifi-
ques; ces expressions, à Taide desquelles nous couvrons
notre ignorance, prouvent tout simplement que nous
ne connaissons pas toutes les données qui entrent dans
la production du phénomène. Mais nous n'en sommes
pas moins forcés scientifiquement de reconnaître que
ces diirérences, que nous ne pouvons expliquer, ont
leurs causes appréciables, qui resteront comme des
desiderata tant qu'elles n'auront pas été trouvées.
Ceci revient à dire, en d'autres termes, que les faits
ne se contredisent jamais. Permettez-moi encore. Mes-
sieurs, de vous citer un exemple pris parmi les faits les
plus simples, afin que vous soyez bien convaincus de
cette vérité.
Nous prenons un lapin, de la vessie duquel nous
extrayons de l'urine. Celle-ci est trouble, alcaline, fait
effervescence quand on y ajoute un acide, elle contient
fort peu d'urée. Nous avons examiné les urines de cinq
ou six autres lapins, et nous les avons trouvées toutes
douées des mêmes caractères physiques et chimiques ;
ce qui est bien d'accord avec ce que l'on admet généra-
lement, que l'urine des herbivores est toujours alcaline,
et ne contient que peu d'urée et beaucoup de carbo-,
nates, tandis que l'urine des carnivores est acide, con-
tient beaucoup d'urée et pas de carbonates, etc. Mais
voici un autre lapin de même taille, de la vessie duquel
nous extrayons également l'urine ; nousla trouvonscette
fois claire, limpide, acide, contenant beaucoup d'urée
et ne faisant aucunement effervescence par les acides.
Est-ce un fait exceptionnel chez ce lapin, qui, ainsique
AU COLLÈGE DE FRANCE. 2o
VOUS le voyez, offrirait des urines analogues à celle des
carnivores? Il y a huit ans que je fis pour la première
fois cette observation, que les urines peuvent parfois se
montrer acides chez les lapins et chez les chevaux. Me
conformant alors aux principes que je vous ai signalés
plus haut, je ne pensai pas que ce fut là une exception,
c'est-à-dire un fait n'ayant pas sa raison d'être. J'étais
convaincu, au contraire, qu'il y avait une cir^constance
particulière qui devait expliquer la différence du phé-
nomène, et je cherchai à apprécier cette circonstance.
J'arrivai bientôt à trouver que cela dépendait de l'état
d'abstinence 011 se trouvaient les animaux herbivores, et
que chez tous les lapins, ainsi que chez les chevaux à
jeun, les urines sont toujours acides et chargées d'urée,
comme cela se voit chez les carnivores. Cette détermi-
nation delà condition du phénomène n'a pas détruit le
fait que les urines des herbivores sont généralement al-
calines, mais on a su de plus qu'il fallait considérer
les animaux herbivores à jeun comme des carnivores
se nourrissant de leur propre substance, qui est le
sang. Nous pourrions vous citer encore beaucoup
d'exemples analogues, pour vous prouver que Ja cir-
constance la plus légère suffît quelquefois pour changer
les apparences d'un phénomène, et lui donner laspect
d'un fait contradictoire. Mais les cas de ce genre s'offri-
ront très-souvent à nous dans le cours de ces leçons,
et nous ne manquerons pas d'attirer votre attention sur
eux chaque fois que l'occasion s'en présentera.
Tout ceci prouve. Messieurs, qu'il faut redoubler
de soin dans les expériences physiologiques, juste-
26 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
ment à cause de la complexité des phénomènes.
Et à ce propos, permettez-moi de vous dire que la plu-
part de ceux qui font des explorations sur les êtres vi-
vants ne paraissent pas assez se douter de la complica-
tion des phénomènes qu'ils veulent observer, ni du soin
et de l'exactitude toute particulière qu'il faut apporter
dans de semblables recherches. Le physicien et le chi-
miste s'entourent des précautions les plus minutieuses,
des instruments les plus précis pour éviter, autant que
possible, les chances d'erreur, et pour déterminer avec
une scrupuleuse exactitude les conditions dans lesquel-
les ils opèrent. Ils n'abordent leurs recherches délica-
tes, mais relativement bien plus simples que celles de la
physiologie, qu'après de longs exercices préalables dans
leurs laboratoires. N'a-t-on pas dès lors lieu de s'étonner
de la légèreté avec laquelle on traite souvent les ques-
tions vitales, cependant bien plus difficiles en ce
qu'elles renferment non-seulement des conditions
physiques et chimiques à élucider, mais qu'elles exi-
gent en outre des études anatomiques et physiologiques
profondes? L'assurance des ignorants ainsi que la con-
fiance avec laquelle certaines personnes se croient, sans
études préalables, aptes à faire de la physiologie, amè-
nent dans notre science une foule d'expériences mal
faites qui sont le germe de discussions interminables.
Toutes ces choses fâcheuses ont du reste le même point
de départ commun, l'oubli des conditions indispensa-
bles à remplir pour aborder la science delà vie.
D'autres fois, par suite d'une erreur qui résulte en-
core d'un défaut du sentiment exact de la nature du ter-
AU COLLÈGE DE FRANGE. 27
rain vital, on apportera dans les recherches physiolo-
giques une espèce de précision beaucoup plus spécieuse
que réelle; on appliquera le calcul mathématique à
des phénomènes où la complication des données ne
comporte nullement l'emploi de pareils procédés; on
tentera d'arriver à des résultats absolus dans des sujets
qui n'admettent que des approximations relatives, ou
dans lesquels les déterminations qualitatives sont beau-
coup plus importantes que les déterminations quanti-
tatives.
Vous savez, Messieurs, que la physique et la chimie
sont d'un secours absolument indispensable dans l'é-
tude des phénomènes de la vie; c'est là une vérité tel-
lement banale aujourd'hui, que je me serais dispensé de
vous l'énoncer, si je n'avais voulu vous prévenir que ces
sciences peuvent aussi devenir la source de grandes er-
reurs quand elles sont mal appliquées. Or, je crois
qu'on appliquera mal la physique ou la chimie à la
physiologie toutes les fois que les éludes physiques ou
chimiques d'un phénomène précéderont son étude
physiologique. On commence alors par oii l'on devrait
finir, et l'on s'expose ainsi à expliquer les actes vitaux,
non tels qu'ils sont, mais tels qu ils pourraient exister'
théoriquement, d'après les données physico-chimiques
pures.
Dans chaque science, le point de vue propre à cette
science doit prévaloir et subordonner les autres. En
physiologie, le point de vue physiologique doit dominer.
La première chose à faire dans l'étude d'une fonction,
c'est donc d'étudier le phénomène dans l'organisme
28 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE
vivant, en imaginant et instituant toutes les expériences
nécessaires pour l'analyser dans chacun de ses éléments.
On appellera ensuite à son secours l'anatomie, la phy-
sique, la chimie, etc., qui pourront alors élucider dans
des mesures diverses, selon la nature de la fonction, les
phénomènes dont on aura déterminé d'abord les con-
ditions physiologiques ou vitales. Souvent, en effet,
nous aurons occasion de vous prouver qu'il se passe,
pendant la vie, des phénomènes physiques et chimi-
ques qu'il aurait été absolument impossible de prévoir
par les faits physiques ou chimiques connus, parce
qu'ils n'ont leurs analogues nulle part en dehors de l'or-
ganisme vivant. Enfin je me résumerai en disant que
toujours les conditions des problèmes vitaux doivent
être posées par la physiologie, les sciences physico-chi-
miques intervenant seulement après pour les expliquer.
Le temps ne nous permet pas d'entrer dans les dé-
tails, et je ne puis ici que vous signaler quelques-uns
des divers genres d'erreurs sur lesquels portera notre
critique, qui sera toujours expérimentale. Les discus-
sions scolastiques ne sont plus de notre époque, au
moins en physiologie. Une expérience mal faite et
donnant des résultais défectueux ne saurait être éclai-
rée que par une expérience mieux instituée; il faut, en
un mot, une critique expérimentale pour juger des faits
d'expérience.
Enfin, Messieurs, après vous avoir exposé la na-
ture de l'enseignement du Collège de France et les mé-
thodes que nous suivons dans les investigations physio-
logiques, il nous resterait à examiner comme dernière
AU COLLEGE 1)E FRANCE. 29
question le but tinal que nous nous proposons, c'est-à-
dire les applications delà physiologie à la pathologie.
L'utilité de ces applications est hors de contestation
pour la plupart des médecins célèbres qui sont aujour-
d'hui à la tète de la science, et qui considèrent à juste
titre la physiologie comme la base de toute médecine
scientifique. Cependant, comme toute vérité a ses con-
tradicteurs, vous entendrez peut- être répéter encore au-
jourd'hui par d'autres médecins que la physiologie ne
peut être d'aucune utilité en médecine, que c'est dans
les études médicales une science de luxe dont on
pourrait parfaitement se passer, parce qu'il n'y a
entre les phénomènes de la santé et ceux de la maladie
aucun hen nécessaire, et que ces derniers constituent
un domaine complètement séparé, dans lequel agissent
d'autres forces et des propriétés toutes nouvelles.
Quels que soient les arguments par lesquels certai-
nes personnes cherchent à établir cette proposition, ils
ne sauraient tenir contre le fait général qu'aux diverses
époques de la médecine, toute explication pathologique
et toute thérapeutique ont toujours été basées en quel-
que sorte sur les opinions physiologiques existantes.
On a instinctivement senti la relation intime qui existe
entre les actes normaux et les phénomènes morbides,
au point de manifester constamment la tendance de
faire découler les seconds des premiers.
Nous pourrions prendre des exemples dans le passé
pour vous montrer l'heureuseinfluence qu'ont toujours
exercée, sur la pathologie et la médecine, les décou-
vertes physiologiques sérieuses et bien établies : nous
30 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE, ETC.
préférons puiser ces preuves dans nos faits qui datent
d'hier, et que nous ferons passer sous vos yeux.
Nous désirons donc, Messieurs, aborder et examiner
avec vous cette question des applications de la physio-
logie à la pathologie. Mais, ainsi que vous le voyez, ce
n'est pas seulement par quelques raisonnements et
comme en passant que nous voulons la traiter ici ; nous
voulons développer les faits qui seront les éléments de
votre jugement.
Nous espérons ainsi vous faire partager notre con-
viction que la physiologie est intimement liée aux pro-
grès à venir de la médecine, et qu'elle en constitue la
base scientifique. C'est toujours dans l'état sain que doit
être cherchée l'explication du symptôme pathologique,
car tout phénomène morbide a sa racine dans un trou-
ble de l'état physiologique. C'est d'après ce principe
que nous procéderons, et si l'analyse pathologique ne
peut pas encore, dans l'état actuel de la science, être
portée sous cette forme dans les facultés de médecine,
il faut que l'enseignement conserve ce caractère scien-
tifique au Collège de France. Les mots de médecine
expérimentale^ (^UQ^ M. Magendie a choisis depuis plu-
sieurs années pour titre de ce cours, ont pour but de
consacrer cette union indissoluble de la physiologie
expérimentale et de la pathologie que nous ne devrons
jamais perdre de vue.
DEUXIEME LEÇON
2G DÉCEMBRE 1854.
SOMMAIRE : Union nécessaire de la physiologie et de la pathologie. — Appli-
cation des découvertes physiologiques récentes à la pathologie, — Études
physiologiques sua le diabète à propos des découvertes sur les fonctions du
foie. — Aperçu historique sur les théories du diabète. — Toutes ces théo-
ries reposent sur un principe physiologique faux, à savoir, qu'il ne se for-
merait pas de sucre dans l'organisme animal. — Il existe une fonction ani-
male qui produit du sucre, et dont le diabète n'est qu'un état pathologique.
— Caractères chimiques des matières sucrées animales et végétales. —
Sucres de la première et de la deuxième espèce. — Réactifs propres à dis-
tinguer les sucres et à les reconnaître dans les divers liquides animaux.
Alcalis caustiques, réactif cupro-potassique, etc. — Fermentation, polari-
sation. — Moyens propres à enlever la coloration et les matières albumi-
noides aux liquides animaux qui renferment du sucre.
Messieurs,
Nous avons dit, dans la dernière séance, que l'on n'é-
tait point autorisé scientifiquement à regarder la physio-
logie et la pathologie comme deux domaines distincts oii
se passent des phénomènes de natu re essentiellement dif-
férente. Si dans l'application il existe encore une infinité
de faits morbides dont nous ne pouvons physiologique-
ment nous rendre compte, cela indique seulement qu'il
reste encore beaucoup à faire dans la physiologie elle-
même, mais cela ne saurait en aucune façon prouverque
les symptômes pathologiques, au lieu d'être les mani-
festations de troubles physiologiques, soient le résultat
de forces ou propriétés nouvelles créées par l'état patho-
32 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE A LA PATHOLOGIE.
logique, et sur lesquels la physiologie ne pourra jamais
répandre aucune lumière. L'histoire montre, au con-
traire, que dans tous les temps les doctrines médicales
ont été en lapport avec les idées physiologiques, et qu'à
chaque progrès accompli dans la science de la vie à
l'état normal a correspondu un progrès équivalent dans
la pathologie.
Nous trouverions à toutes les époques de la méde-
cine un grand nombre d'exemples poui' appuyer cetle
proposition, mais nous préférons choisir parmi les de-
couvertes nouvelles, et parmi celles faites dans cette
chaire. Nous verrons comment des résultats physiolo-
giques annoncés il y a à peine trois ou quatre ans sur
les fonctions du foie, du pancréas, du grand sympathi-
que, etc., ont déjà trouvé leur application en suscitant
des observations pathologiques non velles , ou en éclairant
des symptômes morbides dont l'explication était jus-
qu'alors restée obscure. Cette espèce de revue rétros-
pective nous permettra d'ailleurs d'ajouter des faits
nouveauxquenous avons vusdepuislapublicationdeces
découvertes, et de relever en même temps des observa-
vations ou des expériences défectueuses qui se sont pro-
duites à cette occasion, ainsi que cela arrive presque
constamment dans tout sujet nouveau livré à l'appré-
ciation des savants qui s'occupent de physiologie et de
médecine, c'est-à-dire des sciences dans lesquelles
l'expérimentation et l'observation sont des plus diffi-
ciles.
APERÇU HISTORIQUE SUR LE DIABÈTE. 33
Études physiolo«^iques sur le diabète.
Nous parlerons d'abord du diabète et de la théorie
toute nouvelle qu'il faut se faire de cette maladie depuis
les découvertes sur les fonctions du foie.
Les anciens considéraient comme diabétique tout in-
dividu qui émettait une grande quantité d'urines, et qui
en même temps maigrissait, et présentait le plus sou-
vent un appétit extraordinaire et une soif ardente. On
ignorait encore la présence du sucre dans les urines,
et l'on plaçait souvent cette affection dans la classe des
phdiisies, qui comprenait toutes les maladies dans les-
quelles l'amaigrissement était considérable.
C'est Willis qui, le premier, vers 1674, reconnut
que les urines de diabétiques présentaient une saveur
douce, sucrée, mais ce ne fut qu'en 1778 que Cowley
isola le principe sucré du diabétique.
A partir de Willis, on divisa la maladie caractérisée
toujours par les symptômes précédemment indiqués en
deux classes, suivant que les urines étaient ou non su-
crées. On eut alors le diabète sucré et le diabète 7i07i
sucré.
Aujourd'hui, tout en reconnaissant l'exactitude des
phénomènes généraux indiqués parles anciens, on at-
tache une importance prédominante aux caractères
qualificatifs des urines, et l'on a l'esprit immédiatement
dirigé vers l'affection diabétique quand on trouve une
personne dont les urines sont sucrées. Nous verrons
plus tard, en analysant physiologiquement les phéno-
mènes du diabète, si ce symptôme unique est suffisant
BERNARD. I. 3
34 APERÇU HISTORIQUE
pour caractériser la maladie. Willis n'avait du reste
fait aucune théorie sur la présence du sucre dans les
urines.
Vers lafindu dix-huitième siècle, d'après les opinions
physiologiques du temps, on pensait que le suc gastri-
que changeait de nature suivant les substances qu'il avait
à digérer, qu'il était alcalin dans l'alimentation ani-
male, et devenait acide dans l'ahmentation végétale, etc.
SousTinduencede ces idées, Rollo, vers 1797, consi-
déra le diabète comme dû à un vice de la digestion, à un
dérangement qui avait son siège dans l'estomac, résul-
tant d'une altération particulière des sucs gastriques
qui auraient acquis une prétendue propriété morbide de
changer en sucre les matières végétales ingérées. Cette
théorie le conduisit naturellement à supprimer les vé-
gétaux dans les aliments de ses malades, qu'il soumet-
tait à un régime exclusivement animal et graisseux.
En 1803, Nicolas et Gueudeville publièrent des re-
cherches et des expériences sur le diabète qu'ils nom-
mèrent laphthisiirie sucrée. Selon ces auteurs, le siège
de cette affection était dans l'intestin. Le chyle, par
suite d'une altération des sucs intestinaux, au lieu de
se former comme à l'ordinaire, se confectionnait sans
azote, et dès lors, au lieu de se trouver constitué par
des matières animalisées, il était formé par un principe
moins bien élaboré, qui était la matière sucrée impro-
pre à entretenir complètement la nutrition. La théra-
peutique de ces auteurs, d'accord avec leur théorie,
.consistait à donner de l'azote ; ils soumettaient, comme
Rollo, leurs malades à une diète animale, et leur admi-
SUR LES THÉORIES DU DIABÈTE. 35
nistraient en outre de l'ammoniaque et des phos-
phates.
Mais on ignorait encore quelle était l'espèce de sucre
qui existe dans l'urine des diabétiques, lorsqu'en
J815 M. Chevreul vint démontrer que ce sucre était
chimiquement analogue à celui qui résultait de la trans-
formation de la fécule. Quelques années plus tard, vers
1825, Tiedemann et Gmelin firent voir que dans la di-
gestion de la fécule il se formait norinalement du sucre
dans l'intestin. On ne pouvait donc plus, dès cette épo-
que, regarder l'existence de cette substance dans le canal
intestinal comme provenant d'une altération des fonc-
tions digestives.
Toutefois, en 1838, M. Bouchardat admettait que le
sucre se formait anormalement par la digestion des
fécules dans l'estomac sous l'influence d'une diastase
spéciale aux diabétiques, pensant qu'à l'état pliysiolo-
gique cette matière devait être changée en acide lacti-
que. Plus tard, le même auteur admit que la formation
du sucre était un résultat normal de la digestion des
fécules, mais que chez les diabétiques seulement cette
substance était surtout absorbée dans l'estomac, et s'en
allait par les vasa breviora en suivant un système de cir-
culation assez peu connu. Mais nous devons ajouter que
M. Bouchardat lui-même, dans son dernier travail
publié en 1852 (1), a avoué qu'il ne tenait en aucune
façon à ses théories, et qu'il attachait uniquement de
l'importance à son mode de traitement, qui consiste,
comme moyen principal, à supprimer dans l'alimenta-
(1) Mémoires de l'Académie de médecine. Paris, 185.2, t. XVI, p. G9et212,
36 APERÇU HISTORIQUE
tioii des malades toute espèce de matière féculente et
sucrée.
Mais, peu à peu, la formation du sucre dans l'intes-
tin par la digestion normale des féculents était non-
seulement établie et généralement admise, mais M. Ma-
gendie, et avec lui d'autres observateurs, avaient prouvé
que le sucre passe physiologiquement dans le sang
pendant l'absorption digestive des féculents. 11 n'y avait
donc plus moyen de considérer la maladie qui nous oc-
cupe comme une altération des fonctions digestives, et
force fut alors de faire d'autres théories sur ce sujet.
M. Mialhe, en 1844 (1), plaça le siège du diabète
dans le sang, en même temps qu'il émit une explica-
tion fondée sur un fait chimique vulgaireo Nous ver-
rons en effet bientôt que'^e sucre de diabète peut se dé-
truire en présence d'un alcali. Dès lors, dit M. Mialhe,
si le sucre introduit normalement dans l'organisme par
l'acte de la digestion du sucre ou des féculents ne trouve
pas dans le sang l'alcalinité convenable pour le brûler
au contact de l'air, il s'accumulera dans le sang et sera
éliminé par les reins. D'oii l'indication thérapeutique,
pour cet auteur, de donner des alcalis aux malades.
Mais, vous le voyez, Messieurs, ces théories sur le
diabète, soit qu'elles considèrent le sucre comme une
production normale de la digestion, soit qu'elles re-
gardent cette substance comme anormalement produite
dans l'intestin ou l'estomac, reposent toutes sur la
croyance que la matière sucrée qui se trouve dans l'orga-
nisme provient exclusivement et toujours de l'alimenta-
(1) Comptes rendus de VAcad. des sciences^ t. XVIII, p. 707.
SUR LES THÉORIES DU DIABÈTE. 37
tion féculente ou végétale. C'est là précisément un point
de départ qui est physiologiquement faux.
Nous avons prouvé que la matière sucrée n'est pas
mi principe accidentel de l'organisme, qu'elle se ren-
contre constamment dans l'économie, et s'y trouve for-
mée par une fonction toute spéciale, quelle que soit,
du reste, la nature de l'alimentation. Cette fonction
glycogénique, ou productrice de sucre, que nous avons
récemment établie, existe dans l'homme et chez tous
les animaux. Nous devons actuellement vous faire son
histoire; ensuite nous examinerons l'état diabétique,
qui n'est, suivant nous, qu'une déviation de cette fonc-
tion physiologique des plus importantes. Il est d'autant
plus nécessaire de bien établir notre base physiologi-
que, que toujours, ainsi que vous venez de le voir, il y
a eu la liaison la plus intime entre la thérapeutique pro-
posée pour le diabète et les idées physiologiques qu'on
s'était faites de cette maladie. Ceci prouve combien il
est important que les idées physiologiques qu'on a,
soient aussi saines que possible.
Mais, avant d'établir expérimentalement devant vous
la réalité de cette fonction nouvelle, permettez-moi.
Messieurs, de nous arrêter quelques instants sur le
sucre qui sera si souvent en cause dans nos expériences.
Il importe que vous connaissiez les divers réactifs ou les
moyens les plus ordinaires dont nous ferons usage pour
constater la présence de cette matière dans les difTé-
rentshquides ou tissus animaux. Cela nous permettra
ensuite d'aller plus vite dans notre exposition, et d'être
mieux compris.
38 MOYENS DE RECONNAITRE
On disliiiguepiusiPAirs sortes de matières sucrées d'o-
rigines vaiiées qui ont entre elles des caractères com-
muns et des différences spécifiques de plusieurs ordres.
Les sucres fournis par le règne végétal sont : les su-
cres de canne, de betterave, d'érable, etc. ; les sures
de fruits, de fécule ou d'amidon, etc.
Les sucres appartenant au règne animal sont : les
sucres de lait, le sucre normal produit par le foie, le
sucre de l'œuf, celui de l'allantoïde, etc.
Tous ces sucres, quelle que soit leur origine, se divi-
sent ensuite en deux espèces, suivant la manière dont
ils se comportent en présence des acides et en présence
des alcalis.
Les sucres dits de la première espèce sont ceux sur les-
quels les alcalis n'ont aucune action, tandis que les
acides les transforment en sucres intervertis ou sucres
de la seconde espèce. Ce sont : les sucres de canne, de
betterave, d'érable, etc.
Les sucres dits de la seconde espèce^ qui compren-
nent le sucre de fécule ou glucose^ les sucres des fruits,
le sucre de diabète, le sucre de lait ou lactose, le sucre
normal du foie, celui de l'œuf, de l'allantoïde, etc., se
distinguent par des caractères opposés, c'est-à-dire que
les acides étendus n'agissent aucunement sur eux, tan-
dis que les alcalis caustiques, tels que la potasse, la
soude, la chaux, etc., les détruisent en les changeant
en des acides bruns particuliers avec une rapidité d'au-
tant plus grande que les alcalis sont plus concentrés et
la température plus élevée.
Je vais vous rendre témoins de ces caractères diffé-
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 39
rentiels des sucres par l'expérience. Je prends dans un
tube de verre bouché par un bout un peu d'une disso-
lution de sucre de betteraves parfaitement pur, j'y
ajoute une dissolution concentrée de potasse caustique
à la chaux, je chauffe, et vous voyez ce mélange bouillir.
Il ne se produit aucune modification dans le hquide,
qui reste parfaitement transparent et incolore, ce qui
n'aurait pas lieu si le sucre n'était pas pur et contenait
du sucre de la seconde espèce. L'alcali caustique n'a
pas coloré la liqueur ni détruit le sucre, car on s'assu-
rerait, en séparant le principe sucré de la potasse, qu'il
a conservé les caractères primitifs.
Je mets dans un autre tube un peu d'une dissolution
de sucre de fécule, j'y ajoute la même solution de po-
tasse caustique, et je fais bouillir; vous voyez la liqueur
se colorer en jaune, et prendre successivement une
teinte brune de plus en plus foncée. Cette réaction fut
indiquée en 1842 (1) par M. Chevalier, qui s'en servit
pour reconnaître la richesse des cassonades et la falsi-
fication du sucre de canne par le sucre de fécule.
Maintenant, pour constater l'action des acides, je
prends dans un troisième tube un peu de notre pre-
mière dissolution de sucre de betterave; je la chauffe,
aprèsy avoir ajouté quelques traces d'acide sulfurique;
vous voyez la liqueur bouillir. Bien qu'à la première
vue il semble n'y avoir aucune modification dans le mé-
lange, qui reste limpide et transparent, il s'y est fait
cependant une transformation importante; car, après
avoir saturé l'acide sulfurique par la craie et avoir filtré,
(1) Balldin de la Société cV encouragement . Paris^ 184?, p. 207.
40 MOYENS DE RECONNAITRE
si j'ajoute de la dissolution de potasse dans cette li-
queur et si je fais bouillir de nouveau, vous voyez le li-
quide devenir jaune, puis brun, absolument comme
pour le sucre de deuxième espèce.
Ceci vous prouve que, sous Finfluence de l'ébullition
avec l'acide, le sucre de betterave appartenant à la pre-
mière espèce s'est changé en sucre de la seconde es-
pèce, et a offert alors la réaction qui lui est propre en
présence de la potasse.
Lorsqu'on fait agir ainsi un alcali sur un sucre de
la seconde espèce, le sucre s'oxyde en s'emparant de
l'oxygène de l'air, et se transforme en partie en un acide
brun étudié par M. Peligot, qui lui a donné le nom
d' acide m élas signe .
Si, au lieu de prendre du sucre de raisin ou du sucre
de fécule, nous prenons du sucre de diabète, et que
nous le chauffions avec un alcali, nous obtiendrons
exactement les mêmes phénomènes; la liqueur devien-
dra jaune, puis brune, et ce sucre se détruira comme
les sucres de la seconde espèce, en se transformant
en matière acide brune. C'est de cette réaction que
M. Mialhe est parti pour établir sa théorie, en assimi-
lant faussement ce qui se passe au contact du liquide
sanguin faiblement alcalin, avec les réactions que nous
venons de vous montrer, et dans lesquelles nous fai-
sons intervenir, pour détruire le sucre, l'ébuintion et
la potasse caustique.
Toutes les réactions précédemment citées apparaî-
tront avec des caractères un peu différents, mais d'une
manière encore plus évidente, si, au lieu d'employer la
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 41
potasse caustique, seule, nous y ajoutons un sel de
cuivre.
Mais il importe de rappeler les conditions dans les-
quelles peut se faire un pareil mélange. Si vous mê-
liez un sel de cuivre à acide minéral avec un alcali
comme la potasse, il n'y aurait pas dissolution, le métal
serait précipité à l'état d'oxyde.
Si, au contraire, vous avez soin de mettre dans la
liqueur une matière organique quelconque acide ou
neutre, la dissolution du sel métallique par l'alcali
pourra avoir lieu.
Trommer avait vu qu'en ajoutant dans l'urine de
diabétique sucrée du sulfate de cuivre et de la potasse,
il se produisait par l'ébullition une réduction du sel
métallique et une précipitation de l'oxyde de cuivre.
M. Becquerel a trouvé que cette réduction ne s'opère
qu'avec les sucres de la seconde espèce, et qu'elle n'a
pas lieu avec les sucres de la première espèce.
Sur ces données, M. Barreswil a composé un liquide
dans lequel le sel de cuivre se trouve tenu en dissolu-
tion dans la potasse par un acide organique, l'acide tar-
trique. Voici la manière de préparer ce réaclif. On dis-
sout à chaud 50 grammes de crème de tartre et 40
grammes de carbonate de soude dans un tiers de litre
d'eau. On ajoute ensuite à cette dissolution 30 gram-
mes de sulfate de cuivre réduit en poudre; après avoir
fait bouillir le mélange, on le laiss'e refroidir et l'on y
ajoute 40 grammes de potasse préalablement dissoute
dans un quart de litre d'eau. Enfin on étend toute la
masse avec assez d'eau pour en faire un litre.
42 MOYENS DE RECONNAITRE
Fehiinga donné, après M. Barres\^il, un réactif de
même nature composé ainsi qu'il suit. On dissout 40
grammes de sulfate de cuivre cristallisé dans 1 60 gram-
mes d'eau. On mélange avec celte dissolution une autre
solution concentrée de 160 grammes de tartrate de po-
tasse et 560 grammes d'une lessive de soude dont le
poids spécifique est de J , 1 2 ; et l'on ajoute une quantité
d'eau suffisante pour que le volume total atteigne un
litre à la température de + 15 degrés.
On pourrait encore préparer le réactif de sucre par
un procédé plus simple, seulement un peu moins éco-
nomique; il suffirait, en effet, de prendre du tartrate
de cuivre et de le dissoudre simplement dans de la po-
tasse. Quoi qu'il en soit, vous voyez ici le liquide pré-
paré par la formule de M. Barreswil : c'est un liquide
d'un beau bleu parfaitement transparent, que nous
désignerons désormais sous le nom de réactif cupro-
pt assigne ; car c'est en effet un sel double de potasse et
de cuivre. Nous allons l'essayer avec les différents su-
cres, afin de vous montrer qu'il n'y a réduction du sel
de cuivre qu'en présence des sucres qui sont altérables
par les alcalis.
Je mélange, à parties à peu près égales, ce réactif
avec une dissolution de sucre de canne bien pur; je
fais bouillir. Vous pressentez déjà qu'il ne se produira
rien, et vous voyez, en effet, le liquide rester parfaite-
ment transparent, et la couleur bleue n'a pas varié.
J'ajoute, au contraire, le réactif à une dissolution
de sucre de fécule, je fais bouillir ; yous voyez la liqueur
se colorer, perdre sa transparence, passer par diffé-
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 43
rentes nuances de jaunes, et laisser déposer un précipité
rouge qui est du protoxyde de cuivre.
Il en est de même si j'opère avec les sucres de fruits,
de lait, de fécale, ou avec cette urine provenant d'un
diabétique, en un mot, avec tous les sucres de deuxième
espèce.
Vous comprenez qu'au moyen de telles épreuves, il
soit possible de suivre dans l'économie les diverses
transformations du sucre de canne, et de distinguer
les deux espèces de sucres. Quand on essaye par le
tartrate cupro-potassique un liquide supposé sucré,
deux choses peuvent arriver : ou bien le sel de cuivre
est réduit et le liquide change de coloration; ou bien,
au contraire, le liquide reste bleu sans offrir de réduc-
tion. Dans le premier cas, on conclut à la présence du
glucose, et dans le second, on peut affirmer que le
mélange essayé ne renferme pas de glucose ni aucun
sucre de la deuxième espèce. Mais il pourrait se faire
qu il contînt du sucre de canne ou tout autre sucre de
kl première espèce. Pour le savoir, il faudra préalable-
ment faire bouillir le liquide présumé sucré, après l'a-
voir acidulé très-légèrement avec quelques traces d'un
acide énergique, d'acide sulfurique, parexemple, pour
transformer en glucose le sucre de canne qui pourrait
s'y trouver. Après cette opération on neutralise le liquide
et on l'essaye de nouveau par le tartrate de cuivre. Si
à cette deuxième épreuve il n'y a pas de réduction, on
en conclura qu'il n'y avait pas de principe sucré, ni à
l'état de sucre de deuxième espèce, ni à l'état de sucre
de la première espèce. Si, au contraire, il y a réduction,
44 MOYExNS DE RECONNAITRE
il faudra admettre que le sucre existait à l'état de sucre
de la première espèce, puisqu'il n'a opéré la réduction
du sel de cuivre qu'après avoir été transformé en sucre
de la deuxième espèce par l'action de l'acide sulfuri-
que. Enfin, si l'on avait affaire à un mélange des deux
sucres, on commencerait par détruire le sucre de la
deuxième espèce par l'ébullition avec le lait de chaux,
puis, saturant le liquide refroidi avec de l'acide sulfu-
rique en léger excès, on filtrera pour se débarrasser du
sulfate de chaux; ensuite on fera bouillir de nouveau
la liqueur rendue acide pour transformer le sucre de
la première espèce en sucre de la seconde, qui réagira
à unedernièreépreuveavecle liquide cupro-potassique.
Que s'est-il passé dans cette réaction du liquide
cupro-potassique sur les sucres de la deuxième es-
pèce ? On l'explique en disant que le sucre de raisin, de
fécule ou de diabète, etc., chaufPé en présence de la
potasse, s'est oxydé ; mais qu'au lieu d'emprunter
l'oxygène à l'air, il l'a pris au deutoxyde de ciàvre, qui
s'est trouvé réduit à l'état de protoyxde insoluble dans
l'acide tartrique, et s'est montré alors dans la liqueur
sous la forme d'un précipité rouge quand il est anhydre,
et d'un précipité jaune quand il est hydraté.
Le réactif cupro-potassique a la propriété d'être extrê-
mement sensible au point de faire reconnaître par sa
précipitation les plus petites traces de matières sucrées;
car il suffit, d'après M. Barreswil, qu'un grain de raisin
mûr ait été broyé dans un litre d'eau pour qu'on puisse
constater que celte eau a acquis la propriété de réduire
le sel de cuivre.
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 45
Quand on fait la réaction, on peut avoir tantôt un
mélange trop riche en cuivre pour la quantité de sucre,
tantôt un liquide trop chargé de sucre pour la quantité
de réactif qu'on emploie. Ces deux circonstances de-
viennent la source d'une foule de variétés dans l'aspect
de la réaction dont il est bon d'être prévenu. Quand le
liquide sucré est très-pauvre et que la proportion du
réactif est au contraire trop considérable, comme cela
a lieu dans ce tube, il n'y a qu'une portion du cuivre
réduit par l'ébuUition, et en même temps qu'il se pré-
cipite de l'oxyde, vous voyez le mélange rester encore
bleu, parce que la petite quantité de cuivre réduit est
dans un rapport direct avec la quantité de sucre con-
tenu dans le mélange. Si, au contraire, nous prenons
un liquide sucré très-riche et une très-faible proportion
du réactif, nous aurons non-seulement par l'ébuUition
la réduction de tout le cuivre, mais de plus vous voyez la
liqueur se colorer en brun et l'oxyde de cuivre se re-
dissoudre, parce que l'excès du sucre a réagi avec la
potasse qui se trouve elle-même en excès dans le même
liquide. Nous avons ici, comme vous le voyez, la réac-
tion du cuivre mêlée à la réaction de la potasse pure.
Vous pouvez maintenant supposer tous les in termédiaires
possibles entre ces deux extrêmes, ettmites les variétés
de coloration verte, jaune, rouge, etc., qui peuvent en
résulter. Ceci prouve que la coloration en elle-même
n'a pas une très-grande valeur, mais que c'est la ré-
duction de l'oxyde métallique qui est le caractère im-
portant.
Nous venons de dire que la quantité d'oxyde réduit
46 ' MOYENS DE RECONNAITRE
était toujours en rapport avec la quantité de sucre
contenu dans le mélange. M. Barreswil s'est fondé sur
ce caractère pour doser au moyen du réactif cupro-
potassique titré les quantités de sucre qu'on peut ren-
contrer dans différents liquides ; nous aurons occasion
de nous servir de ce procédé plus tard.
Maintenant, Messieurs, quel est le degré de certitude
que présentent les réactifs potassique et cupro-potas-
sique, et quelle confiance devons-nous leur accorder ?
Vous devez toujours considérer ces réactifs comme
extrêmement utiles, parce qu'ils sont très-faciles à em-
ployer, et qu'ils donnent des indications très- pré-
cieuses, mais vous ne devez pas vous en contenter.
Leur caractère absolu n'est qu'un caractère négatif,
c'est-à-dire que l'on peut affirmer que toute liqueur
qui ne produit pas avec eux les réactions indiquées ne
contient aucun des sucres delà deuxième espèce. Mais
quand cette réaction existe, on n'est pas absolument
certain qu'elle soit due à du sucre, car la glycérine, le
tanlin, la cellulose (coton), l'acide urique, le choro-
forme, peuvent la produire à divers degrés; il faut donc
alors s'en référer à d'autres moyens.
En outre, vous ne devez pas oublier une autre cause
d'erreurs assez fréquente, c'est que dans le liquide cu-
pro-potassique préparé depuis un certain temps, la
potasse a pu passer à l'état de carbonate de potasse,
probablement par une modification à l'air de l'acide
tartrjque, et que dans ce cas le liquide peut précipiter
de lui-même sous l'influence de la cbaleur sans pour
cela qu'il y ait du sucre dans les liquides essayés. Il est
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 47
donc toujours bon de faire cette épreuve avant d'em-
ployer le réactif, et s'il est un peu ancien, il faudra lui
ajouter un peu de potasse caustique fraîche pour lui
rendre ses propriétés.
On connaît encore d'autres réactifs empiriques pro-
pres à déceler la présence du sucre et basés sur des
réactions analogues. Tels sont l'étoffe blanche de laine
trempée dans le bichlorure d'étain, proposée par
M. Maumené, et le chromate de potasse, auquel on
ajoute un acide. Nous ne nous arrêterons pas à ces
réactifs, parce qu'ils n'ont pas d'avantage sur ceux qui
précèdent.
Cependant nous dirons quelques mots du chromate
de potasse, qui pourra nous être utile pour reconnaître
l'alcool quand nous aurons de trop faibles quantités de
cette substance pour pouvoir en obtenir par la distil-
lation.
Ce réactif, dont les proportions ont été détermi-
nées ainsi par M. Lecomte, se prépare en ajoutant à
100 grammes d'acide sulfurique concentré 0^^,25 de
chromate de potasse, de manière que l'acide chromi-
quemis en liberté puisse facilement réagir.
La hqueur est limpide et d'une couleur jaune bru-
nâtre; quand on ajoute environ un volume égal de ce
réactif à un liquide renfermant de l'alcool, de manière
à colorer nettement le mélange, il y a échauffement;
aussitôt la réaction se manifeste, et le liquide devient
d'un beau vert-émeraude, tout en restant transparent.
Cette réaction est une oxydation également com-
mune au sucre, à la dextrine, à la gomme et à l'alcool;
48 MOYENS DE RECONNAITRE
toutes ces substances ne sauraient conséquemment être
distinguées par ce réactif. Mais dans le liquide oii nous
rechercherons l'alcool, le sucre aura été éliminé par
la fermentation, ce que nous pourrons du reste vérifier
en employant le tartrate cupro-potassique. Quant à la
dextrine, nous pourrons la reconnaître par l'iode; la
gomme ne se rencontrera pas dans les circonstances
où nous opérerons. Du reste, en nous servant de char-
bon animal pour décolorer le liquide supposé alcooli-
que, nous précipiterons la dextrine, la gomme et toutes
les matières albumineuses, tandis que l'alcool passera
avec le liquide fîlti'é. Il est utile d'ajouter encore que
l'acide urique, l'urée et l'albumine peuvent réduire ce
réactif.
On pourrait employer, au lieu de l'acide sulfurique,
l'acide chlorhydrique.
Dans tous les cas, il sera toujours préférable d'agir
sur des liquides distillés qui se trouveront conséquem-
ment débarrassés des substances tîxes ci-dessus in-
diquées.
Nous devons m.entionner maintenant des caractères
beaucoup plus rigoureux pour constater la présence
du sucre dans les liquides ou tissus organiques.
Indépendamment de l'extraction de la matière sucrée
et de son analyse élémentaire, qui ne sont pas toujours
praticables quand on a du sucre à reconnaître, on trouve
un caractère d'une certitude absolue dans la fermen-
tation au contact de la levure de bière, qui produit
le déboublement du sucre en alcool et en acide car-
bonique.
^^
LES SLCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 49
Voici (fig. 1) un petit appareil assez simple que nous
employons le plus ordinairement pour opérer cette
fermentation, surtout quand nous
avons peu de liquide sucré à notre /'y x \
disposition. Il consiste àprendre,
comme vous le voyez ici, un tube
T de 1 centimètre à 1 centimètre
et demi de diamètre, fermé à la
lampe par l'une de ses extrémi-
mités B. On le remplit complète-
ment du liquide supposé sucré
dans lequel on ajoute de la le-
vure de bière. On le bouche en-
suite à sa partie supérieure par
un bouchon C percé d'un trou
dans lequel s'introduit à frotte-
ment un tube EE', assez mince,
ouvert aux deux bouts, et quel'on
enfonce jusqu'au fond du pre-
mier tube. On expose l'appareil
à une douce chaleur. De cette fa-
çon, si une fermentation s'établit,
le gaz emplit la partie supérieure ^°* '"
du premier tube, chasse le hquide par le petit tube ER,
sans pouvoir s'échapper. A la fin de l'opération, on
peut constater si le gaz qui s'est formé est de l'acide
carbonique, et si le liquide qui s'est échappé et celui
qui reste encore dans le premier tube contiennent de
l'alcool.
La propriété de fermenter caractérise la matière su-
BERNARD. I. ^
i:1
50 MOYENS DE RECONNAITRE
crée, car on définit le sucre une substance donnant lieu
h la fermentation alcoolique. Tous les sucres ne fer-
mentent pas avec la même rapidité; le sucre de fruits
et le sucre normal du foie fermentent plus vite que
les sucres de fécules, de canne et de betterave. Le
sucre de lait est celui qui fermente le plus difficile-
ment, et seulement après quelques jours de contact
avec la levure de bière.
Il importe toujours de se servir de la levure de bière
purifiée, ou bien de contrôler son résultat par une
même expérience comparative, qui consiste à mettre de
la même levure avec de l'eau seule dans les mêmes
conditions de température.
Quand la fermentation est terminée, on constate les
caractères de l'acide carbonique recueilli, et l'on dis-
tille le liquide pour en séparer l'alcool. S'il y en avait
de très-faibles proportions, on pourrait agir sur le li-
quide avec le chromate de potasse et l'acide sulfurique,
ainsi qu'il a été dit plus haut.
Un autre procédé pour reconnaître si une matière
sucrée existe dans un liquide consiste à examiner l'ac-
tion de ce liquide sur la lumière polarisée. Cette mé-
thode d'analyse optique des liquides, qui a été entière-
ment créée par M. Biot, donne les caractères d'une dé-
licatesse extrême, car l'action de la lumière polarisée
peut faire connaître, par exemple, des différences de
composition dans des sucres oii l'on n'en distingue au-
cune par l'analyse chimique; tous les sucres de la se-
conde espèce sur lesquels agissent les alcalis ne sont
pas identiques au polarimètre ou au saccharimètre, car
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 51
les sucres de fruits dévient à gauche le plan de pola-
risation, tandis que le sucre de fécule et celui de dia-
bète le dévient à droite. Les sucres de la première es-
pèce dévient tout le plan de polarisation à gauche.
Toutes ces réactions sont très-nettes quand on em-
ploie des solutions du sucre dans de l'eau pure ; mais
lorsqu'on a à agir sur des liquides animaux, il faut
préalablement avoir le soin de les débarrasser des ma-
tières colorantes et albumineuses. On peut employer
différents moyens pour arriver à ce résultat. D'abord
on peut traiter la liqueur par un excès d'acétate de
plomb et filtrer, puis se débarrasser de l'excès de plomb
par l'hydrogène sulfuré, par l'acide sulfurique, par un
sulfate soluble, ou enfin par le carbonate de soude. On
sépare par une seconde filtration le sulfure de plomb,
le sulfate ou le carbonate précipité, puis on soumet la
liqueur à l'essai.
Si l'on a affaire à du sang ou à quelques liquides très-
albumineux, il conviendra de les coaguler par la cha-
leur. Si le sang est frais, il suffira même d'y ajouter
une fois ou deux son poids d'eau acidulée avec un peu
d'acide acétique, et de filtrer pour obtenir un liquide
limpide et incolore. Mais si le sang est ancien, ou si, à
cause de la petite quantité de sucre dont il est chargé,
on ne veut pas y ajouter d'eau, on aura un très-bon ré-
sultat en ajoutant au sang, comme nous le faisons ici,
environ son poids de sulfate de soude cristallisé. En
faisant bouillir ce mélange, toutes les matières albumi-
neuses sont crispées, et le liquide chargé de sulfate de
soude qui se sépare entraîne tout le sucre. L'excès de
52 MOYENS DE RECONNAITRE
sulfate de soucie resté dans le liquide ne nuit aucune-
ment aux réactions avec le liquide cupro-potassique
ni avec la potasse.
Mais j'ai trouvé que le charbon animal est un moyen
plus simple pour enlever les matières colorantes et or-
ganiques. Voici une urine diabétique, et par conséquent
sucrée, qui a été apportée de la Charité, du service
de M. Rayer; nous y ajoutons du sang, de telle sorte
que les réactions avec la potasse et le liquide cupro-po-
tassique seraient difficiles à voir et l'épreuve optique
impossible. Je fais une bouillie assez épaisse avec le
noir animal et cette urine sanguinolente; je jette sur
un filtre et le liquide passe parfaitement limpide, en-
traînant la matière sucrée, qui, comme vous pouvez
€n juger, présente avec le liquide cupro-potassique la
réaction caractéristique, très-nette, tandis que toute
l'albumine, la matière colorante du sang, l'acide uri-
que, etc., ont été retenus complètement sur le filtre
avec le charbon animal.
Je ne sache pas qu'on ait signalé encore cette action
particulière du charbon animal pour précipiter les ma-
tières albuminoïdes, mais elle est des plus remarqua-
bles. Ainsi du sang pur peut être complètement débar-
rassé de son albumine et de sa matière colorante; du
lait peut également être totalement privé de sa caséine
et de sa matière grasse par le noir animal ; il en est
ainsi de beaucoup d'autres liquides animaux.
11 faut employer une quantité de charbon en rapport
avec la quantité de matière animale contenue dans le
liquide que l'on veut purifier. Si, par exemple, on
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 53
ajoute au san^i>' la moitié ou les deux tiers de son poids
d'eau, il suffît d'y ajouter du charbon de manière à
obtenir une bouillie épaisse que l'on jette sur le filtre,
et le liquide qui passe est incolore et débarrassé de
toutes les matières albuminoïdes. Mais si le sang est
pur, il faudra non-seulement faire une pâte très-épaisse
avec le charbon, mais il faudra en outre la battre dans
un mortier et y incorporer encore de nouvelles quan-
tités de charbon, jusqu'à ce que la masse ait, pour
ainsi dire, cessé d'être humide et qu'elle soit redeve-
nue pulvérulente. Alors, si l'on ajoute de l'eau à ce
charbon, toute la matière sucrée est dissoute et passe
dans un liquide parfaitement limpide.
Les matières fixées par le charbon, telles que l'albu-
mine, la matière colorante du sang, la caséine, l'acide
urique, etc., paraissaient réellement combinées avec
le charbon et l'on ne peut plus les en séparer par le
lavage, même à l'eau tiède. Le sucre, au contraire, ({ui
était dans les liquides animaux, quelle que soit son es-
pèce, n'a été aucunement retenu par le charbon, et il
coule avec le liquide qui filtre; on peut même, par des
lavages successifs, obtenir toute la quantité du sucre
dont le charbon était imprégné, sans craindre, ainsi
que nous venons de le dire, d'entraîner des matières
étrangères redissoutes.
Je recommande donc le charbon animal comme un
moyen très-expéditif et indispensable quand on veut
essayer quelque liquide animal au réactif cupro-po-
tassique. Quand on voudra, par exemple, dans une
clinique, faire cet essai, il suffira d'ajouter un peu de
5i MOYENS DE RECONNAITRE
noir animal à l'urine, on jettera sur un filtre, et l'on
recueillera le liquide limpide qu'on essayera alors au
réactif. Si l'on obtient la réduction caractéristique,
on sera beaucoup plus certain d'avoir affaire à du
sucre de la deuxième espèce, parce que le charbon a
aussi la propriété de retenir l'acide urique, la dextrine,
le chloroforme, la cellulose pouvant réduire le réac-
tif cupro-potassique. A Taide du charbon animal, on
peut même extraire le sucre dans des parties animales
semi-soHdes ou l'éduites à l'état de bouillie, ainsi que
nous aurons occasion de vous le montrer dans des
expériences physiologiques que nous répéterons devant
vous.
Nous aurions encore à nous occuper des caractères
de certaines matières très-voisines des sucres, telles
que l'amidon, la dextrine, la gomme, mais ces sub-
stances ne se rencontrent jamais à cet état dans l'or-
ganisme ; elles pourraient seulement se trouver dans le
canal intestinal, comme intermédiaires de la transfor-
mation de l'amidon en glucose. Nous aurons, du reste,
à exposer ailleurs les phases de ces transformations,
et, à ce propos, nous indiquerons à quels caractères
ces substances se reconnaissent.
Tels étaient, Messieurs, les principaux moyens que
je désirais vous indiquer sur la manière de rechercher
et de constater le sucre dans les liquides et organes ani-
maux avant d'entrer dans l'examen de la fonction qui
produit cette matière dans l'organisme animal, et dont
nous commencerons l'histoire dans la séance prochaine.
Dans les expériences très-nombreuses que nous répé-
LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. o3
ferons devant vous, nous aurons souvent occasion de
mettre en pratique les procédés que nous ne vous avons
indiqués ici que d'une manière abrégée, nous réser-
vant d'ajouter les détails que nous aurions omis ici à
propos du cas même auquel ils s'appliquent.
TROISIEME LEÇON
aO DÉCEMBRE 1854.
SOMMAIRE : La production du sucre est un phénomène appartenant aux
deux règnes des êtres vivants. — Les animaux forment de la matière su-
crée. — Le foie est chargé de cette fonction glycogénique, qui jusqu'alors
était restée inconnue. — Le foie de l'homme et des animaux renferme tou-
jours de fortes proportions de sucre à l'état physiologique. — Observation
chez l'homme, expériences sur les animaux dans toute l'échelle zoologique.
-Quantité de sucre contenu dans le foie. — Nature de ce sucre; son ana-
logie avec le sucre de diabète. — Le sucre qu'on rencontre dans le foie est
sécrété dans cet organe; il ne vient pas de l'alimentation. — Expériences
à ce sujet. — Examen comparatif du sang avant et après le foie chez un
Carnivore. — Le premier sang ne contient pas de traces de matières su-
crées, le second en renferme en grande proportion.
Messieurs,
J'ai cl vous prouver aujourd'hui que la production
du sucre est un fait commun au règne animal et au
règne végétal. J'ai à vous apprendre ensuite quel est,
dans les animaux, l'organe qui accomplit cette fonction
glycogénique.
On avait cru, jusque dans ces derniers temps, que
le règne végétal était seul capable de produire du
sucre, et que les principes immédiats en général qui se
rencontrent dans le règne animal étaient formés exclu-
sivement par les végétaux, oii les animaux ne faisaient
que les puiser pour se les assimiler directement ; que
les uns produisaient ce que les autres ne faisaient que
ORIGINE DU SUCRE DANS L'ORGANISME ANIMAL. 57
détruire. Sans aucun doute il existe entre le règne vé-
gétal et le règne animal une sorte de relation nécessaire,
mais cependant, comme la vie est plus élevée chez les
animaux, comme les phénomènes y sont plus com-
plexes, il est naturel de penser que ce qui se passe dans
le végétal peut avoir lieu dans des êtres présentant une
vitahté supérieure.
Quoi qu'il en soit, quand on trouvait du sucre dans
un animal, on croyait que cette matière était constam-
ment d'origine végétale et avait été introduite par l'ali-
mentation. On admettait que la quantité de sucre qui
existait dans un animal devait varier en raison môme
de la nature de son alimentation ; que l'on devait en
trouver chez les herbivores, qui prennent en abon-
dance des matières féculentes aisément transformables
en sucre, mais qu'on ne pouvait pas s'attendre à en
rencontrer chez les carnassiers, nourris seulement de
substances azotées ou graisseuses, qui ne peuvent pas,
dans l'intestin, se transformer en sucre par les procédés
digestifs connus.
L'expérience] a démontré qu'il n'en est pas ainsi : le
sucre existe normalement dans le sang chez tous les
animaux herbivores ou carnivores, et les quantités de
sucre qu'on rencontre dans les uns et les autres sont
sensiblement égales. Cela tient, Messieurs, à ce qu'il y
a une fonction qui produit chez tous ces animaux de
la matière sucrée, indépendamment de l'espèce de
nourriture à laquelle ils sont soumis.
On a lieu de s'étonner qu'une action organique d'une
telle importance, et si facile à voir, n'ait pas été décou-
58 ORIGINE DU SUCRE DANS L'ORGANISME ANIMAL.
Yerte plus tôt. Cela peut tenir à plusieurs causes. D'a-
bord quand on cherche à pénétrer les phénomènes de
la vie, on a toujours l'habitude de se tenir à un point
de vue ou anatomique, ou chimique, ou physique, et
l'on ne se place pas assez au point de vue du phéno-
mène vital, qu'il faut cependant surtout considérer
quand on veut faire de la physiologie.
L'anatomie, en effet, peut permettre d'expliquer, au
moyen de la structure d'un organe, le mécanisme d'une
fonction, mais elle ne saurait en aucune façon la faire
découvrir. On a étudié avec le plus grand soin la struc-
ture des cellules et des vaisseaux du foie, sans soup-
çonner même l'existence de cette fonction glycogéni-
que. La chimie elle-même ne dirige pas ses réactifs sur
des substances dont elle ignore l'existence. C'est ce
qui est arrivé pour le foie, qu'on a analysé bien sou-
vent, sans avoir aperçu cependant qu'il contenait des
quantités énormes de sucre.
Ni l'anatomie ni la chimie ne suffisent donc pour
résoudre une question physiologique; il faut surtout
l'expérimentation sur les animaux qui, permettant de
suivre dans un être vivant le mécanisme d'une fonc-
tion, conduit à la découverte de phénomènes qu'elle
seule peut mettre en lumière, et que rien n'aurait pu
faire prévoir.
Mais il est temps d'aborder les caractères de la fonc-
tion qui nous occupe.
Il y a dans l'homme et dans tous les animaux un or-
gane qui produit le sucre, c'est le foie ; et comme tous
les organes qui sécrètent sont imprégnés du produit
PRÉSENCE DU SLCRE DANS LE FOIE. o9
de leur sécrétion, comme le rein est imprégné d'urine,
le testicule de liqueur spermatique, le pancréas de suc
pancréatique, les glandes salivaires de leurs diverses
salives, le foie lui-même est imprégné de sucre, et il est
le seul organe du corps qui, à l'état normal, présente
ce caractère. Pour s'en convaincre, il suffit de prendre
le tissu du foie d'un animal quelconque, récemment
tué, de le broyer, de le faire cuire avec un peu d'eau,
et de rechercher dans le liquide de la décoction la pré-
sence du sucre par les moyens ordinaires.
Nous allons faire l'expérience devant vous. Voici un
foie de bœuf frais récemment apporté de Tabattoir, on
en prend un morceau, on le broie, après quoi on le fait
bouillir avec un peu d'eau ; puis on jette le tout sur un
filtre; il passe un liquide opalin légèrement jaunâtre,
que l'on décolore par le noir animal et que l'on filtre
de nouveau. Le liquide passe alors parfaitement inco-
lore; nous en mettons dans un tube bouché par un
bout, nous y ajoutons une quantité égale de réactif
cupro-potassique, nous chauffons le mélange à la lampe
à esprit-de-vin. Vous voyez se former le précipité abon-
dant de protoxyde de cuivre qui est un signe de la pré-
sence du sucre de la deuxième espèce; nous faisons
bouillir le même liquide avec de la potasse caustique,
et nous avons une coloration jaune-brune.
Mais nous avons dit que ces réactions n'entraînent
pas avec elles une certitude aussi absolue que la fermen-
tation alcoolique. Pour achever de vous convaincre que
cette réaction est bien due h la matière sucrée, nous
plaçons une autre portion de cette même décoction de
60 PRÉSENCE DU SUCRE
foie dans le petit appareil à fermentation que je vous ai
décrit dans la dernière séance, nous l'exposons à une
chaleur de 40 degrés environ, et vous allez voir dans
quelques instants la fermentation s'opérer.
On devrait employer dans ces expériences de la le-
vûre de bière lavée, afin de la débarrasser des traces de
sucre et de fécule qu'elle pourrait contenir. La levure
que l'on achète chez les boulangers contient toujours
de la fécule, ce qui n'a pas d'inconvénients quand cette
levure est fraîche, mais, au boutde quelques jours, si la
fécule se changeait en sucre, il pourrait peut-être se
développer une fermentation. Pouréviter toutes chances
d'erreur, nous faisons une expérience comparative en
ajoutant de la même levure de bière avecde l'eau pure,
dans un autre tube semblable que nous plaçons dans
les mêmes conditions de température que le premier.
En attendant que cette expérience soit achevée, on
va faire bouillir et traiter par le réactif cupro-potassique
les décoctions de la rate, du rein, du pancréas, du
poumon, des muscles, du cerveau, tous organes prove-
nant du bœuf, c'est-à-dire du même animal dont nous
avons trouvé le foie très- sucré. Vous voyez qu'aucun de
ces tissus ne présente les réactions caractéristiques que
nous avons obtenues avec le parenchyme hépatique,
c'est-à-dire que leur décoction ne donne lieu ni à la
fermentation avec la levure de bière, ni à la coloration
par la potasse, ni à la réduction du liquide cupro-po-
tassique. Or, si ce dernier caractère, ainsi que nous l'a-
vons dit, n'a pas une valeur absolue pour indiquer la
présence du sucre, en revanche, il fournit un caractère
DANS LE FOIE. 61
négatif excessivement certain, c'est-à-dire que l'ab-
sence de réduction du réactif prouve absolument l'ab-
sence de matière sucrée. Nous pouvons donc conclure
hardiment qu'aucun organe du corps, si ce n'est le foie,
ne renferme du sucre à l'état physiologique;
Vous pouvez voir maintenant ce que je vous annon-
çais tout à l'heure : parmi tous les liquides que nous
avons mis avec de la levure depuis trente minutes en-
viron, celui qui résulte de la décoction du foie est le
seul 011 la fermentation se soit produite, et déjà le tube
est rempli en grande partie par un gaz qui est de l'acide
carbonique, ainsi que nous allons vous le démontrer.
Pour cela nous débouchons ce tube sous le mercure, et
nous y introduisons un petit fragment de potasse; en
l'agitant, vous voyez peu à peu le mercure monter et le
gaz disparaître, parce que l'acide carbonique est ab-
sorbé par la potasse.
On distille ensuite environ le tiers du liquide qui a
fermenté, on y ajoute un peu de chaux, on place le
mélange dans un tube que l'on chauffe à la lampe ; au
moment de l'ébuintion, en tenant une allumette en-
flammée à l'orifice du tube, on aperçoit une petite
flamme bleuâtre qui descend dans le tube et est due à
la combustion d'une faible quantité d'alcool. Quand la
fermentation est complète ment terminée, on peut se
servir du réactif au chromate dépotasse, d'après la ma-
nière que nous avons indiquée dans la deuxième leçon.
Nous n'avons fait l'expérience que sur un petit frag-
ment du foie; si nous avions opéré sur le foie entier,
nous eussions obtenu des qualités assez considérables
02 DOSAGE DU SUCRE
d'alcool. Voici, dans ce flacon, environ 3 grammes d'al-
coolrésullant de la fermentation d'un foie de bœuf. Il
a été distillé surlachaux,et il est concentré de manière
à brûler comme vous le voyez; mais il a toujours con-
servé une odeur animale particulière.
Maintenant, si nous voulions savoir combien il y a
de sucre dans ce foie de bœuf, il faudrait le doser.
Pour cela, nous allons employ er devant vous le pro-
cédé indiqué par M. Barreswil, qui consiste à calculer
la quantité de sucre d'après la réduction et la décolo-
ration d'une quantité déterminée d'un réactif cupro-
potassique titré.
Nous avons fait écrire sur le tableau la composition
de quelques-uns de ces réactifs ainsi que la quantité de
sucre à laquelle ils correspondent.
Réactif de M, Barreswil :
Crème de tartre 50 grammes. *
Carbonate de soude 40 —
Sulfate de cuivre 30 —
Potasse à la chaux 40 —
Eau, quantité suffisante pour que le tout
fasse un litre.
iQÛcentimètres cubes de ce réactif sont exactement
décolorés par 1 gramme de glucose.
Réactif de Fehling :
Sulfate de cuivre 40 grammes.
Solution concentrée de tarlrate de po-
tasse 160 —
Lessive de soude ayant un poids spéci-
fique =1,12 560 —
Eau, quantité suffisante pour que le tout
fasse un litre à -f- 15°.
DANS LE FOIE. 63
10 centimètres cubes de cette liqueur sont précipités
complètement par 11,5 centimètres cuIdcs d'une disso-
lution contenant 5 pour 100 de glucose.
Nous employons ici un liquide dont la richesse est
un peu différente. Voici sa composition :
Bicarbonate de potasse (crème détartre) 150 grammes.
Carbonate de soude cristallisé 130 —
Potasse à la chaux 1 00 —
Sulfate de cuivre oO —
Eau, quantité suffisante pour que le tout
fasse un litre.
1 0 centimètres cubes de ce réactif sont décolorés par
0,05 de sucre de diabète. Voici le sucre qui a été extrait
des urines de diabète et qui nous a servi à titrer notre
réactif. Il est blanc et très-pur ; nous le devons à l'o-
bligeance de M. Quevenne, pharmacien en chef de
l'hôpital delà Charité.
L'exemple que nous mettons sous vos yeux vous fera
comprendre mieux que toutes les descriptions la ma-
nière dont on s'y prend pour doser le sucre dans le foie.
Nous av(ms là un foie de bœuf dont le poids total est
de S'^'^SOO; on a pesé 20 grammes de son tissu frais,
qui ont été bi^oyés, dans un mortier, et l'on a fait une dé-
coction qui a été jetée dans une épi^ouvette graduée, en
y ajoutant l'eau qui avait servi à laver à diverses reprises
les vases, pour ne rien perdre. Après le refroidissement,
nous lisons actuellement sur l'éprouvette le nombre de
centimètres cubes que présente son contenu : ce nom-
bre est de 169 centimètres cubes, représentant le vo-
lume du tissu du foie et du liquide qui l'accompagne.
()4 DOSAGE DU SUCRE
Alors nous jetons le tout sur un filtre, et recueillons,
pour le doser, le liquide qui passe légèrement opralin.
Mais dans les 169 centimètres cubes de liquide, il faut
tenir compte du volume du tissu du foie mêlé au li-
quide : c'est pourquoi nous ramasserons avec soin, et
sans en perdre, le tissu hépatique resté sur le filtre,
nous le ferons sécher dans une étuve à 100 degrés, et,
après la dessiccation complète, nous en évaluerons le vo-
lume en le jetant dans l'eau mesurée d'un vase gradué.
Un grand nombre d'expériences faites à ce sujet nous
ont appris que nous trouverions que ce tissu pro-
venant de 20 grammes de foie frais déplace 4 centi-
mètres cubes d'eau. Il faut donc soustraire 4 centimè-
tres cubes des 169 centimètres cubes que nous avions
tout à l'heure, ce qui réduit à 165 centimètres cubes
la quantité réelle de liquide sucré pour 20 grammes de
tissu frais du foie.
Afin de reconnaître la richesse en sucre de cette dé-
coction hépatique, nous mesurons très-exactement
10 centimètres cubes de notre réactif cupro-potassique,
préalablement titré à 0§',05 pour 10 centimètres cubes
(ou 5 grammes pour 100), c'est-à-dire que, pour réduire
et décolorer 10 centimètres cubes du réactif, il faut une
quantité de liquide renfermant O^^OS de sucre. Les
10 centimètres cubes du réactif titré, que nous avons
étendus àvolumeégal,à peu près, avec une dissolution
récente de potasse à la chaux, pour rendre la précipi-
tation de l'oxyde cuivrique plus facile, sont placés dans
un petit ballon, sur un feu doux, et lorsque l'ébulUtion
commence à se manifester, nous y ajoutons directe-
DANS LE FOIE. 65
ment, ainsi que vous le voyez, avec précaution et vers la
fin, goutte à goutte, avec une burette graduée, la dé-
coction du foie. Nous agitons le liquide à mesure, en
allant lentement pour laisser la précipitation s'opérer,
en regardant avec soin pour ne pas dépasser les limites
de la décoloration du liquide cupro-potassique.
Or, dans cette expérience, il nous faut 23 centimètres
cubes de la décoction du foie, pour réduire et décolorer
complètement les 10 centimètres cubes du liquide titré.
Pour calculer maintenant le dosage du sucre dans le
foie, nous avons donc les éléments suivants :
i ° Poids du foie o'''i,3Û0
2° Liquide total de décoction 165 cent. cub.
3° Quantité de tissu de foie analysé 20 gr.
4° Quantité de liquide de décoction hépatique
employéepourréduireet décolorer lOcent.
cubes du réactif 23 cent. cub.
5° Quantité de sucre qui, d'après le titre du
réactif, correspond à la décoloration de
10 cent, cube 0§'-,0o
Pour savoir combien il y a de sucre dans les 165 cen-
timètres cubes de décoction hépatique, nous avons la
proportion suivante :
23 cent, cubes : 165 cent, cubes : : 06^05 : x = iËl^-M^ =06^358.
Ainsi les 165 centimètres cubes de la décoction
sucrée provenant des 20 grammes de foie analysés,
contiennent donc 0^^,358 de sucre.
Si nous voulons avoir la quantité de sucre pour
100 grammes de tissu du foie, nous ferons la propor-
tion :
BEUîîAUD. I. S
66 PRESENCE DU SUCRE
20 gr; ; O^-.TôS : : 100 gr. : x = ^^^oS^^X 100 ^ ^gr^-^g^^
Ainsi, 100 grammes de tissu du foie frais contien-
nent i^\ 790 de sucre.
Enfin la quantité de sucre pour la totalité du foie
résulte de la proportion suivante :
100 gr. :o300gr. : : 1^^790 : x = ^^^^^^-^1^ = fiisr^siO
Le foie entier contient donc 41^'', 870 de sucre.
Il importe surtout, pour ces dosages, d'avoir un ré-
actif cupro-potassique récemment préparé et exacte-
ment titré. Il faut en outre faire l'opération assez vite,
et s'arrêter aussitôt que la décoloration complète du
réactif est obtenue, sans attendre davantage. En effet,
si l'on continue à faire bouillir le liquide cupro-potas-
sique, ou si on le laisse se refroidir, on le voit au b'Dut
de quelques instants reprendre une teinte bleue qui
va en augmentant avec le temps. Quand on en est
prévenu cette particularité, due à la réoxydation d'un
peu de protoxyde de cuivre dissous sans doute à la
faveur de l'acide tartrique, ne peut pas nuire à l'exac-
titude de l'analyse, pourvu que l'on arrête l'expérience
juste au moment oii la décoloration est obtenue.
Nous pourrions vous parler d'autres moyens de do-
sage, mais j'aime mieux y revenir plus tard , si nous
le trouvons nécessaire. Je me hâte de poursuivre la
partie vraiment physiologique de notre sujet.
La présence du sucre dans le foie, à l'exclusion des
autres organes du corps, ainsi que nous venons de vous
le démontrer chez le bœuf, est un fait général dans la
DANS LE FOIE. 67
série animale, que nous avons constaté depuis l'homme
jusqu'aux invertébrés. Nous allons vous rapporter quel-
ques-uns des résultats que nous avons obtenus à ce
sujet, vous renvoyant pour le détail des expériences au
Mémoire que nous avons publié (1).
Les expériences faites chez l'homme, pour corres-
pondre physiologiquement à celles faites sur les ani-
maux, devraient être instituées sur des individus sur-
pris par la mort en état de santé.
Nous avons fait cinq observations sur des suppliciés.
Sur ces cinq observations, deux ont eu lieu dans la
période digestive, et les trois autres chez des individus
à jeun depuis la veille : néanmoins tous les foies conte-
naient du sucre.
Le tableau suivant donne les résultats des recher-
ches que nous avons faites pendant les années 1850
et 1851, à l'École pratique, sur des cadavres de sup-
pliciés, grâce à l'obligeance de M. le docteur Gosselin,
alors chef des travaux anatomiques.
(1) Nouvelle fonction du foie considérée comme organe producteur de ma-
tière sucrée chez V homme et chez les animaux. Paris, 1853.
68
PRESENCE DU SUCRE
DATE
de
AGE.
ALIMEHTATIOH.
rOIDS
QUANTITÉ
poui-
DE SUCRE
pour
l'obs-ervation.
43
DU FOIE.
100 GR. DE FOIE
FRAIS.
LA TOTALITE
DU FOIE.
I. — 22 mai 1830.
(Aymé.)
A jeuu.
1,300
'■XT.
'1,79
l3>
-2. — 1er fév. 18S1.
(Bixner.)
43
A jeun.
1,330
Présence du su-
cre coust. mais
non dosé.
Non dosé.
3. — 1851
(Lafourcade.)
"
A jeu».
1,173
Non dosé.
On en retire de
l'alcool par fer-
mentation.
4. — 1831
(Viou.)
22
Alimentation
mixte.
1,200
2,142
23,704
3. — 1831
(Courtin.)
Alimentation
mixte.
1,173
On en retire de
l'alcool par la
fermentation.
Une sixième observation a été faite sur le foie d'un
homme de trente ans, mort subitement d'un coup de
fusil. Cet individu, au moment oiiil fut tué, était assis
à boire chez un marchand de vin. A l'autopsie, qui fut
faite judiciairement deux jours après par M. Auibroise
Tardieu, on ne trouva dans l'estomac que du vin avec
très-peu d'aliments. Le foie était dans un état de pu-
tréfaction commençante; cependant il contenait en-
core du sucre dans les parties les moins altérées ; il
pesait 1*'^^ 575. La quantité du sucre pour 100 de tissu
du foie choisi dans les portions les plus saines était
{^% 10, le sucre calculé pour la totalité du foie 17^', 10.
Il est bien entendu que, dans toutes les expériences
précédentes sur les hommes, on a fait les mêmes
épreuves sur les autres organes, et qu'aucun tissu que
celui du foie ne renfermait de sucre, ni qu'aucun
DANS LE FOIE DES ANIMAUX. 69
liquide contenu dans les réservoirs ordinaires, ni l'u-
rine, ni le sperme, ni la bile extraite de la vésicule
aussitôt après la mort ne renfermait de matière sucrée.
J'ai poursuivi celte présence du sucre dans le foie,
dans la série animale, et j'ai pris, autant qu'il m'a été
possible, des exemples dans chaque ordre. Il vous
suffira, pour juger de la généralité de la fonction
glycogénique dans le règne animal, de jeter les yeux
sur la liste suivante, que j'ai fait écrire sur le tableau.
Le sucre a été constaté dans le foie.
Parmi les Mammifères :
1° Dans les Quadrumanes : sur un Singe cynocéphale (grand Pa-
pion).
2° Dans les Carnassiers : sur le Chien, le Chat, le Hérisson, la
Taupe, la Chauve-souris.
3° Dans les Rongeurs : sur l'Écureuil, le Cobaye, le Lapin, le
Lièvre, le Surmulot.
4° Dans les Ruminants : sur la Chèvre, le Mouton, le Bœuf.
0° Dans les Pachydermes : sur le Cheval, le Porc.
Parmi les Oiseaux :
1° Dans lesRapaces : sur la Crécerelle, la Chouette, l'Effraie.
2° Dans les Passereaux : sur le Moineau, l'Hirondelle de chemi-
née, le Freux, l'Alouette des champs.
3° Dans les Gallinacés ; sur le Pigeon domestique, le Coq, le Din-
don, la Perdrix.
4° Bans les Échassiers : chez la Bécassine.
:j" Dans les Palmipèdes : chez le Canard, l'Oie, le Goéland à man-
teau noir, la Mouette à pieds bleus.
Parmi les Reptiles :
1° Dans les Chéloniens : chez la Tortue terrestre et la Tortue aqua-
tique.
2° Dans les Sauriens : chez le Lézard gris des murailles et chez le
Lézard vert.
3° Dans les Ophidiens: sur la Couleuvre à collier, chez la Vipère
commune et sur TOrvet.
70 PRÉSENCE DU SUCRE DANS LE FOIE DES ANIMAUX.
4° Dans les Batraciens : sur la Grenouille verte, grise, chez le Cra-
paud brun et sur la Salamandre aquatique.
Parmi les Poissons osseux :
l^Dans les Acanthoptérygiens : sur le Bar commune! chez le Thon
commun.
2° Dans les Malacoptérygiens abdominaux : chez le Gardon, l'Ablette
la Carpe^ le Chevaine ou Meunier, le Barbeau, la Truite commune.
3° Dans les Malacoptérygiens subbranchiens : sur la Morue, le
Turbot.
4° Dans les Malacoptérygiens apodes : sur l'Anguille, le Congre.
Parmi les Poissons cartilagineux :
1° Dans les Sturioniens : sur les Esturgeons ordinaires.
2" Dans les Sélaciens : sur la Roussette ou Chien de mer, et la Raie
bouclée.
Parmi les Mollusque^ gastéropodes :
Sur la Limnée des étangs, le grand Escargot, la Limace rouge et
la limace des caves.
Parmi les Mollusques acéphales lamellibranches :
Chez l'Huître vulgaire, la Moule commune, l'Anodonte des cygnes,
la Moule des peintres.
Chez les Articulés,
J'ai pu seulement démontrer la présence du sucre
dans le foie de quelques Crustacés décapodes, tels que
l'Écrevisse commune, le Homard.
Nous avons toujours constaté la présence du sucre
par les caractères que nous avons indiqués, la réduc-
tion du réactif cupro-potassique et la fermentation
alcoolique.
Ainsi voici des tubes contenant de l'alcool provenant
du foie de certains de ces animaux. Nous avons dans
ce tube de l'alcool provenant d'un foie d'homme ; dans
cet autre tube, de l'alcool extrait d'une foie de chien
NATURE DU SUCRE QUI EST DANS LE FOIE. 71
nourri pendant huit mois à la viande. Dans ce qua-
trième tube nous avons de l'alcool qui résulte de la fer-
mentation du sucre contenu dans des foies de canard.
Enfin, nous avons encore ici de l'alcool provenant du
foie de poisson, d'un énorme bar. Quoique ces al-
cools aient été distillés sur de la chaux ou sur de la
potasse, ils ont généralement une odeur animale siii
generis. L'alcool de poisson a surtout une odeur fort
désagréable.
Il résulte donc de tout ce qui précède que la pré-
sence du sucre dans le foie est un fait général existant
dans toute la série animale, et que la fonction qui pro-
duit cette substance appartient à toutes les espèces,
quelle que soit leur place dans la série.
La proportion du sucre dans le foie à l'état physio-
logique varie peu ; elle ne dépasse généralement pas
4 grammes pour 100 du tissu du foie frais. La moyenne
serait encore 1/2 à 2 grammes pour 100, chez les
mammifères et chez les oiseaux.
Dans la classe des Reptiles et des Poissons, la pro-
portion est un peu moindre, de même que chez les
Mollusques.
Maintenant, Messieurs, nous arrivons à nous de-
mander quelle est la nature du sucre contenu dans le
foie de l'homme et des animaux. D'après les réactions
que nous avons mises en usage pour déceler la matière
sucrée contenue dans le foie, vous avez pu voir que ce
sucre avant les propriétés de brunir sous l'influence de
la potasse, de réduire le tartrate cupro-potassique, de
fermenter sous l'influence de la levure de bière, devait
72 NATURE DU SUCRE
appartenir aux sucres de la seconde espèce, et était
analogue au sucre de diabète. L'examen au polarisa-
teur établit de même celte similitude en ce que le
sucre du foie dévie à droite le rayon lumineux comme
le sucre de diabète. Voici comment cette dernière expé-
rience a été faite.
Un foie de bœuf récemment apporté de l'abaltoir
fut coupé en morceaux très-minces. On exprima en-
suite, dans un petit sac de crin, le tissu du foie préala-
blement chauffé à feu nu dans un vase, pour en con-
tracter légèrement la surface extérieure, ce qui facilite
beaucoup l'expression du tissu. On obtint de cette fa-
çon un jus hépatique rougeâtre sanguinolent qui était
sucré autant que possible, puisqu'on n'y avait pas
ajouté d'eau. On fit ensuite coaguler au bain-marie
toutes les matières albumineuses, et l'on filtra. Le li-
quide qui résulta de ces opérations était brun jaunâtre,
opalin et comme laiteux. 11 était impossible, dans cet
état, de le soumettre à l'appareil de polarisation. C'est
pourquoi il fallut le décolorer et le clarifier, en y ajou-
tant une quantité suffisante de noir animal neutre,
bien lavé et en portant le mélange à l'ébullition au
bain-marie pendant quelques instants ; par la fiitra-
tion, on eut alors ini liquide incolore et parfaitement
limpide.
Quelquefois, cependant, il existe dans le foie une
sorte de matière opalescente, qui ne peut pas être
complètement enlevée par le charbon animal. Il faut
alors traiter le hquide par quelques gouttes de sous-
acétate de plomb; après quoi on filtre et l'on sépare
QUI EST DANS LE FOIE. 73
l'excès de plomb par l'hydrogène sulfuré. C'est dans
cette dernière partie de l'opération que l'hydrogène
sulfuré, en formant le sulfure de plomb, entraîne
complètement la matière opaline, et permet d'obtenir,
après une dernière filtration, un liquide hépatique
parfaitement transparent et incolore, très-propre à
permettre alors l'examen de ses caractères optiques.
Mais j'ai reconnu, depuis ces premières recherches,
qu'on pouvait, dans tous les cas, se passer de sous-acé-
tate de plomb. Le charbon animal suffit toujours ;
seulement il faut l'ajouter en très-grande proportion.
C'est avec des liqueurs préparées de cette façon que
M. Biot a bien voulu constater, au moyen de son ap-
pareil, la présence du principe sucré dans le foie, et sa
propriété de dévier à droite la lumière polarisée.
Parmi plusieurs expériences qui ont été faites, je ne
vous en citerai qu'une qui offre un intérêt tout parti-
culier, parce qu'elle a été suivie d'une contre-épreuve
qui démontre que dans le liquide hépatique, ainsi que
nous l'avions préparé, il n'existait pas de substances
capables d'induire en erreur, relativement à la pré-
sence ou à la quantité de sucre.
Dans cette expérience, le charbon animal seul avait
suffi pour clarifier complètement le liquide hépatique
qui, à l'examen optique, offrit les résultats suivants :
Le liquide observé dans un tube de 5lo™'",35
a donné une rotation très-ncianifeste à droite se mesurant
par une déviation de 9%o
ce qui^ évalué approximativement, représente o28'',316
de sucre par litre de liquide, en supposant le sucre iden-
tique avec celui du diabète.
7-i NATURE DU SUCRE QUI EST DANS LE FOIE.
Après ce premier examen, on ajouta de la levure de
bière au liquide hépatique, et on le plaça à une tempé-
rature convenable pour opérer la fermentation. Le len-
demain elle était achevée, et le liquide filtré fut soumis
de nouveau à l'appareil de polarisation dans un tube
de 508"""", 85. Cette fois il ne manifesta plus aucune
trace de pouvoir rotatoire qui fût sensible, même h la
plaque à deux rotations.
Nous devons donc nécessairement conclure de cette
dernière partie de l'expérience que ladéviation de +0°,5,
qui avait été trouvée dans le premier examen du liquide,
était due tout entière à la présence du sucre, puisque,
après avoir fait disparaître le sucre par la fermentation,
la déviation a été complètement nulle. Celte contre-
épreuve ajoute, ainsi que vous le voyez, une grande
rigueur à l'expérience, parce que sans cela on aurait
pu objecter que certains principes organiques prove-
nant de la bile pouvaient se trouver là et intervenir
pour une part quelconque dans les phénomènes de ro-
tation observés. Cette objection n'est plus possible.
Tel est l'examen que nous avons fait il y a deux ans ;
mais nous avons aujourd'hui obtenu à froid avec le
charbon animal et la pulpe du foie frais un hquide su-
cré bien clair. On a pour cela gratté avec un couteau
le tissu du foie de façon à en obtenir une pulpe demi-
fluide et très-divisée, puis ensuite on a broyé cette
pulpe avec une grande quantité de charbon animal, de
manière que toute l'humidité fût absorbée et que le
mélange fût redevenu pulvérulent, comme vous le
voyez ici. C'est alors qu'on a ajouté de l'eau au mé-
ORIGINE DU SUCRE QUI EST DANS LE FOIE. T6
lange pour dissoudre le sucre. On a jeté sur un filtre
et l'on a recueilli le liquide filtré parfaitement transpa-
rent, incolore et sucré. On a mélangé ce liquide de pre-
mière fîltralion avec une autre portion du mélange de
charbon et de foie de façon à charger de nouveau la
première dissolution d'une nouvelle quantité de sucre,
et ainsi de suite, on a répété jusqu'à quatre fois l'opé-
ration pour avoir une Hqueur toujours de plus en plus
chargée de sucre. On a eu un liquide très-clair et in-
colore qui a pu facilement être soumis au polarimètre.
Nous avons obtenu toujours le même résultat, c'est-
à-dire déviation de la lumière polarisée à droite.
Ainsi, de tout cela, il résulte clairement que le sucre
qui existe dans le foie est de la même nature que celui
que les diabétiques rendent dans leurs urines.
Mais ce n'est pas assez, Messieurs, de vous avoir
montré qu'il y a du sucre dans le foie et qu'il est ana-
logue au sucre de diabète; je n'ai encore résolu qu'un
des points de la question. Il faut examiner maintenant
d'oii vient ce sucre. Bien que les observations que je
vous ai citées, dans lesquelles on a rencontré le sucre
chez des carnassiers en même proportion que chez les
herbivores, soient déjà une preuve que le sucre se forme
oii on le trouve, je veux vous démontrer maintenant,
par des expériences directement appropriées à ce but,
que le sucre ne provient pas de l'alimentation. C'est
donc la question d'origine que nous devons nécessaire-
ment nous poser et résoudre devant vous, parce que le
sucre étant une substance qui entre dans l'alimentation
des animaux, on est obligé de se demander si c'est là la
76 FORMATION DU SUCRE
source unique du sucre que l'on rencontre dans l'éco-
nomie.
Nous avons donc à démontrer que, indépendam-
ment des substances sucrées ou féculentes fournies par
l'alimentation, il y a du sucre qui se produit dans l'in-
dividu vivant.
Le moyen le plus simple qui se présente à l'esprit,
c'est de supprimer les féculents et les matières sucrées
dans l'alimentation, et de voir si néanmoins le sucre
persiste dans l'économie. Nous avons fait ces expérien-
ces sur un grand nombre d'animaux ; nous avons choisi
des chiens, et on les a nourris, au Collège de France,
exclusivement avec de la viande, pendant six et même
huit mois ; au bout de ce temps, les animaux ont été
sacrifiés, etl'on a trouvé dans leur foie 1^', 90 pour 100,
c'est-à-dire au moins la même proportion que sur des
chiens nourris par l'alimentation mixte.
Des oiseaux de proie, des Chouettes prises dans
leurs nids et nourries exclusivement avec du cœur de
bœuf cru pendant trois mois, ont été tuées, et leur foie
contenait toujours, seul entre tous les autres tissus du
corps, du sucre en quantité normale (l^^SO pour 100).
Ces expériences prouvent donc que le sucre persiste
malgré l'impossibilité d'introduction de matières fécu-
lentes ou sucrées.
Il serait absurde de supposer que le sucre ait pu
provenir d'une alimentation antérieure, et se localiser
dans le foie. D'ailleurs, nous verrons plus loin que le
sucre se détruit très-rapidement, etqu'au boutde vingt-
quatre heures par exemple, si l'on arrête sa produc-
DANS LE FOIE. 77
tion, il n'en reste plus de traces. Comment faire une
pareille supposition chez les oiseaux de proie nourris
pendant toute leur vie de matières exclusivement mus-
culaires?
Mais la principale démonstration se tire de l'examen
du sang avant et après le foie. Un animal qui ne mange
ni sucre ni fécule n'en a pas dans le sang de la veine
porte venant des intestins, tandis qu'on en trouve des
quantités considérables dans le sang qui sort du foie.
Cette expérience est trop importante pour que nous ne
la répétions pas devant vous. Vous aurez ainsi la preuve
expérimentale d'un point qu'il faut fixer d'abord dans
votre esprit avant d'aller plus loin.
Voici un chien que nous avons laissé h jeun pendant
trente-six heures, et auquel on a fait prendre, il y a
trois heures environ, un repas copieux, composé exclu-
sivement de tête de mouton cuite. L'animal est main-
tenant en pleine digestion. C'est à cette époque et dans
ces conditions qu'il faut le prendre, parce qu'au delà
de ce temps, l'expérience réussirait moins bien, par des
raisons que nous expliquerons plus tard.
Je vais le sacrifier par la section du bulbe rachidien,
qui est un procédé plus expéditif, et plus expérimental
que la strangulation ou l'assommement. Le procédé est
extrêmement rapide. De la main gauche, je saisis for-
tement le nez de l'animal, et je fléchis le museau en bas,
de manière à le rapprocher du cou, afin de faire saillir
ia bosse occipitale externe par cette flexion de la tête,
et rendre aussi grand que possible l'écartement occi-
pito-atloïdien. Alors, avec l'indicateur de la main droite,
:
78 FORMATION DU SUCRE
armée d'un perforateur aplati (fig. 2), je sens la bosse
occipitale externe, et, à 1 ou 2 centimètres en arrière,
je plonge l'instrument acéré, rapidement et
ohlquement en avant, suivant une ligne di-
rigée vers le nez de l'animal. Je pénètre ainsi
d'emblée dans le crâne, en traversant les
parties molles de la nuque, et en passant entre
l'occipital et l'atlas. Je fais, avec la pointe de
l'instrument, un mouvement à droite et à
gauche pour dilacérer le bulbe rachidien, et
l'animal est mort.
La vie a donc été surprise et arrêtée dans
un état pleinement normal.
Je pratique alors une incision au-dessous
du rebord des fausses côtes, à droite de l'ap-
pendice xiphoïde. Par cette incision étroite,
pénétrant dans l'abdomen, j'introduis le doigt
de la main gauche, et, en suivant la face inté-
rieure du foie jusqu'au niveau de l'hiatus de
Winslow, pour saisir le paquet des vaisseaux
et nerfs biliaires entre le foie et le duodénum.
Dans ce paquet se trouve la veine porte, que je
pourrais isoler d'avec le conduit cholédoque,
mais il est plus simple de lier tout en masse.
Pour cela, pendant que je soutiens avec l'in-
dex de la main gauche, en forme de crochet, le paquet
des nerfs et des vaisseaiixhépatiques, je passe au-dessous
une forte ligature, à l'aide d'une aiguille de Cooper te-
nue de la main droite, après quoi un aide serre éner-
giquement cette ligature.
Fig. 2.
DANS LE FOIE. 79
Le sang qui va au foie se trouve donc ainsi arrêté
dans la veine porte et ses ramifications, en même temps
qu'il ne peut plus refluer des parties supérieures, ainsi
que cela aurait lieu sans cette précaution, lorsque j'ou-
vrirai largement le ventre et surtout la poitrine, cir-
constance qui pourrait ramener dans la veine porte,
par reflux, une certaine quantité de sang contenant du
sucre provenant alors du foie.
J'ouvre maintement largement l'abdomen, vous voyez
ici les intestins noirs par la stase du sang qui résulte de
la ligature de la veine porte; les vaisseaux chylifères
gorgés de chyle, puisque l'animal est en digestion, se
détachent en blanc sur la teinte brune de l'intestin. Je
passe aussitôt une ligature autour de la veine cave in-
férieure, immédiatement au-dessus de l'insertion des
veines rénales. Puis ouvrant le diaphragme en avant
et du côté de l'appendice xiphoïde, je saisis avec les
doigts la partie de la veine cave inférieure située dans
le thorax, et j'en fais la ligature entre le foie et le
cœur.
Ceci fait, je recueille, par une première incision, le
sang de la veine porte, et vous voyez aussitôt les intes-
tins blanchir à mesure que ce sang s'écoule.
Je recueille ensuite le sang des veines hépatiques en
ouvrant la veine cave inférieure qui est cernée, comme
nous l'avons dit, entre deux ligatures, au point d'abou-
chement des veines hépatiques.
Nous obtenons donc ainsi le sang qui arrive au foie et
le sang qui en sort. Nous traitons ces deux sangs de la
même manière: en ajoutant une quantité égale d'eau,
80 FORMATION DU SUCRE
puis du charbon animal, nous faisons bouillir et nous
jetons sur un filtre pour en extraire la partie liquide
décolorée, puis nous essayons ce qui filtre, par le tar-
trate cupro-potassique, et vous voyez que le sang des
veines sus-hépatiques précipite fortement notre réactif,
tandis que le sang de la veine porte n'y fait apparaître
aucune précipitation.
// 71 existe donc aucune trace de réduction dans le san/j
de la veine porte avant son entrée dans le foie^ et par
conséquent aucune trace de sucre, puisque nous savons
que le réactif cupro-potassique donne un caractère né-
gatif absolu. Il y a toujours^ au contraire^ une réduction
abondante dans le sang provenant des veines sus-hépati-
qiies^ et de plus ^ en ajoutant de la levure de bière ^ nous
allons avoir une fermentation.
De ces deux réactions comparatives, nous devons
donc conclure que le sucre se forme dans le foie, puis-
qu'il n'y en a pas dans le sang avant cet oigane, et
qu'on en trouve de grandes quantités dans Je sang
après. Nous ajoutons de la levure à ces deux dissolu-
tions, et vous verrez le sang des veines hépatiques seul
fermenter.
Enfin, Messieurs, voulons-nous nous assurer que les
matières que digérait cet animal ne contiennent elles -
mêmes aucune trace de sucre, il nous suffit d'en pren-
dre une certaine quantité et de les jeter sur un filtre
avec un peu d'eau. C'est ce qu'on a fait, et nous essayons
au réactif cupro-potassique ce qui résulte de la filtra-
lion des liquides de l'estomac et de l'intestin grêle. Avec
aucun de ces liquides nous n'obtenons réduction; par
DANS LE FOIE. 81
conséquent il n'y a pas de sucre dans le canal intes-
tinal, et nous comprenons facilement dès lors qu'il n'y
en ait pas dans le sang de la veine porte, et cependant,
je le lépète encore, il y en a de très-grandes quantités
dans le sang qui sort du foie.
En résumé. Messieurs, nous avons établi aujour-
d'hui qu'il existe du sucre chez tous les animaux, et
en second lieu, que ce sucre se forme dans l'orga-
nisme, et que c'est dans le foie que cette fonction, in-
dépendante delà nature de l'ahmentation, doit être lo-
calisée. Dans la prochaine leçon, nous étudierons le
mécanisme de cette fonction, nous rechercherons les
éléments du sang aux dépens desquels le sucre peut être
formé, et quelles sont les circonstances physiologiques
qui présidentàsa formation, circonstances importantes
à déterminer pour arriver finalement à l'analyse patho-
logique que nous avons toujours en vue.
BERNARD. I.
QUATRIEME LEÇON
6 JANVIER 1855.
SOMMAIRE : L'expérience force à conclure que le sucre se forme dans le foie.
— Réfutation d'une prétendue localisation de la matière sucrée. — Le sucre
existe dans le foie avant toute espèce d'alimentation. — La fonction glyco-
génique ne commence qu'à une certaine période de la vie intra-utérine. —
Le sucre ne saurait se conserver longtemps dans le foie; cette matière
disparaît bientôt quand on empêche le foie d'en produire. — La quantité
de sucre ne varie pas dans le foie avec la nature de l'alimentation. — Il
y a deux sécrétions dans le foie, la sécrétion biliaire et la sécrétion du
sucre. —Ces deux sécrétions ne sont pas synchroniques; elles semblent
être indépendantes l'une de l'autre. — L'anatomie comparée paraît ap-
puyer cette vue. Chez les Limaces, les deux sécrétions sont successives. —
Chez les Articulés, les éléments anatomiques sécréteurs semblent distincts.
Chez les Mammifères, les éléments anatomiques sont confondus et mé-
angés. — Idée générale de la structure du foie chez les Mammifères.
Messieurs, .
Dans la dernière séance, nous avons établi ce fait
fondamental dans l'histoire du diabète, que le sucre
qui se trouve normalement dans le foie de l'homme et
de tous les animaux s'y forme sur place, et ne peut
pas être considéré comme le résultat de l'alimentation.
Vous avez vu que le sang qui entre dans le foie ne
contient pas de sucre, tandis que le sang qui en sort
en présente des quantités considérables ^
Chez un animal Carnivore, cette expérience réussit
constamment et avec des résultats invariables, pourvu
qu'on ait soin de s'entourer des précautions que nous
FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 83
avons indiquées et d'empêcher le mélange des divers
liquides sanguins, en liant la veine porte avant d'ou-
vrir largement le thorax et l'abdomen.
La fig, 3 représente la topoirraphie anatomique ex-
VC
Fi;r. 3
D, duodénum et masse intestinale; P, pancréas; /-, rate; e, estomac;
/, rectum; R, rein droit; 6, vésicule biliaire; ch, conduit cystique ; FF^ foie;
F, lobe du foie échancré pour montrer la distribution de la veine porte qui
porte le sang dans le foie, et de la veine hépatique qui le ramène ; FP, veine
porte contenant du sang non sucré; TV^, veine hépatique contenant du sang
très-sucré j d, diaphragme; KC, veine cave; C, cœur.
cessivement simple de cette production du sucre dans
84 FORMATION DU SUCRE
le foie chez un chien qui avait été mis à jeun pendant
\ingt-quatre heures, mais qui, au moment de sa mort,
était depuis trois heures en digestion de viande. Les
lettres D, P, r, e indiquent l'ensemble des organes
digestifs, savoir : le duodénum et la masse intestinale i),
le pancréas, P, la rate r et ] 'estomac e. Le contenu
de Testomac et de l'intestin consiste en fragments de
tête de mouton cuits que l'animal avait mangés, on
n'y trouve pas les moindres traces de matière sucrée. Il
n'est pas étonnant que le sang pris dans les rameaux
V, P\ et le tronc, Y, /*, de la veine porte, venant des
organes digestifs, ne renferme pas de sucre. Ce sang,
circulant dans une direction ascendante, pénètre dans
le foie par deux branches principales; il ne contient à
ce moment aucune trace de sucre. Mais il n'en est plus
de même quand le sang de la veine porte, après s'être
répandu dans tout le foie à l'aide des divisions et sub-
divisions, traverse les capillaires, et est repris par les
veines hépatiques Y h, V h; alors le sang est chargé
de sucre, de sorte que l'on a, en V P, un sang dépourvu
de sucre, et en V h^ le même sang surchargé de sucre
qui alors se déverse dans la veine cave inférieure et
remonte vers le cœur où il se mélange avec le sang
veineux de toutes les parties du corps.
Cette expérience suffirait à elle seule pour faire ad-
mettre, comme conclusion naturelle et nécessaire des
faits, que le sucre se produit dans le foie. Cependant
nous avons accumulé des preuves de toute espèce au-
tour de cette proposition, et nous vous avons fait voir
que le tissu hépatique était constamment sucré, et
DANS LE FOIE. 8o
qu'il était le seul des tissus du corps qui offrît ce ca-
ractère.
Cette découverte de la production du sucre dans le
foie doit changer nécessairement les idées que l'on s'é-
tait faites jusqu'ici sur la nature du diabète, fondées
sur la croyance que le sucre qui se rencontre dans For-
ganisne provient exclusivement de l'alimentation. Cette
opinion ne peut plus être soutenue aujourd'hui, depuis
que nous avons établi que la matière sucrée se renou-
velle constamment dans l'organisme aux dépens des
éléments du sang et indépendamment de la nature de
l'alimentation. Or, cette fonction glycogénique se trou-
vant localisée dans le foie, c'est dans cet organe, on
le comprend, que nous devons cherchera placer main-
tenant le siège de la maladie.
La présence du sucre dans le foie d'animaux actuel-
lement, et même depuis longtemps soumis à un régime
dépourvu de matières féculentes ou sucrées, était un
fait trop évident et trop facile à constater, ainsi que
vous l'avez vu, pour qu'on pût songer à le contredire,
mais les théories anciennes ne se résignent pas à dispa-
raître sans avoir épuisé tous leurs moyens de salut. Si
le sucre de foie ne provient pas de digestions récentes,
a-t-on dit, ne peut-il pas résulter de matières fécu-
lentes ou sucrées contenues dans une alimentation anté-
rieure, et qui seraient restées fixées dans le foie, organe,
comme on le sait, essentiellement propre à ces sortes
de localisations, et ayant la propriété de retenir très-
longtemps dans son tissu certaines matières minérales ?
Quand en effet, on administre à des animaux certai-
m FORMATION DU SUCRE
lies préparations métalliques de cuivre, de mercure,
d'arsenic, ces métaux se retrouvent en certaine pro-
portion dans le foie, et souvent au bout d'un temps
très-long. Il en est de même chez les malades qui ont
été soumis h une médication cuivreuse, mercurielle ou
arsenicale; ils gardent pendant fort longtemps dans le
tissu hépatique des quantités plus ou moins considéra-
bles de ces substances. C'est d'après la connaissance de
cette propriété du foie pour retenir ces substances mi-
nérales, qu'on a voulu induire qu'il aurait aussi celle
de garder le sucre pendant un temps plus ou moins
considérable, et que les chiens, par exemple, que l'on
soumet à l'expérience, ont dû, à une certaine époque,
manger du pain, lequel s'est transformé en sucre dans
l'intestin et s'est localisé dans le foie, où nous le retrou-
vons ensuite.
Il est facile, Messieurs, de répondre h ces objections
nullement physiologiques faites exclusivement pour
sauvegarder certaines idées théoriques ; elles vont tom-
l)er d'elles-mêmes devant les faits suivants que nous
allons exposer en continuant l'histoire de la fonction
glycogénique du foie.
Et d'abord le sucre existe dans le foie avant toute
espèce d'alimeniation, lorsque les animaux sont encore
dans la période de la vie fœtale.
Vous pouvez constater que des petits poulets pris
dans leur coquille présentent du sucre dans leur foie.
Nous avons fait la même observation sur des créce-
relles et des chouettes, prises également au sortir de
leur coquille, nourries exclusivement de viande, et
DANS LE FOIE. 87
dont le foie contenait de 1 à 1,50 pour 100 de sucre.
Dans ces expériences, il est évidemment impossible
d'attribuer à l'alimentation l'origine du sucre dans le
foie.
Il en est de même chez les Mammifères. Ainsi vous
voyez sur cette table des fœtus de veau à différentes
époques de leur développement intra-utérin, et qui
arrivent tout frais des abattoirs de Paris; nous allons
vous convaincre que leur foie est également sucré.
On prend un morceau de foie de ce fœtus qui peut
avoir de quatre à cinq mois, et dont la longueur est
de 60 centimètres. On broie ce tissu hépatique dans
un mortier, comme nousle faisons ordinairement, avec
une suffisante quantité de noir animal, pour retenir
toutes les matières colorantes et albuminoïdes. On y
ajoute ensuite de l'eau pour dissoudre la matière su-
crée, on jette le tout sur un filtre; le liquide, comme
vous voyez, passe parfaitement limpide. Nous mettons
dans un tube parties égales de liquide filtré avec notre
réactif cupro-potassique, nous faisons bouillir, et vous
voyez les changements de coloration et la précipita-
tion de l'oxyde de cuivre indiquer la présence du
sucre. La fermentation avec la levure de bière achè-
vera la démonstration positive de la présence du sucre;
on obtiendra de l'acide carbonique et de l'alcool.
Mais dans ce cas tout spécial d'un Mammifère her-
bivore, on pourrait dire, peut-être, que le sucre qui
est dans le foie du fœtus vient de la mère, à l'aide des
communications utéro-placentaires.
Eh bien! Messieurs, cette nouvelle objection va dis-
88 FORMATION DU SUCRE
paraître devant un fait nouveau prouvant bien que la
production du sucre dans Je foie est une véritable fonc-
tion, qui ne prend naissance qu'à une certaine époque
de la vie intra-utérine. Je viens de vous montrer un
fœtus de quatre à cinq mois, dont le foie présentait du
sucre; en voici un autre qui a environ deux mois, et
est encore contenu dans une des cornes de l'utérus.
Nous divisons les membranes qui l'enveloppent, nous
faisons écouler la grande quantité de liquide qui l'en-
toure, et nous extrayons ce fœtus, en l'essuyant avec
soin ; nous séparons son foie avec précaution, sans ou-
vrir les estomacs que vous voyez ici, et qui, comme cela
a lieu toujours, sont remplis d'un liquide légèrement
jaune et filant. On prend, comme dans l'expérience
précédente, un morceau du foie do ce fœtus, on le
traite de la même manière, après quoi on soumet le li-
quide obtenu au même réactif cupro-potassique, qui
reste parfaitement bleu et ne présente aucune trace de
précipité. La fermentation avec la levure de bière n'a
pas lieu non plus. Par conséquent, nous sommes bien
certains qu'il n'existe pas de matière sucrée dans le foie
de ce fœtus.
L'absence de sucre dans le foie des fœtus jeunes est
un des faits les plus importants à constater pour l'his-
toire de la fonction glycogénique, car cela prouve
qu'originairement la matière sucrée n'existe pas dans
le foie, et que ce n'est, pour les veaux, que vers le qua-
trième ou le cinquième mois de la vie intra-utérine que
cette matière apparaît dans le tissu hépatique. Ainsi se
trouve indiqué le moment de la naissance de la fonc-
DANS LE FOIE. 89
tion glycogénique. En effet, nous avons fait un grand
nombre d'expériences sur des veaux de tout âge qu'on
rencontre en grande abondance dans les abattoirs de
Paris, et nous nous sommes assuré que ce n'est qu'à
une certaine époque de développement, vers quatre ou
cinq mois, que le sucre apparaît dans le foie, d'abord
en petite quantité, puis la proportion augmente peu à
peu jusqu'au terme de la vie intra-utérine. Chez les
fœtus humains, oii la gestation est de la même durée
que pour les veaux, le même fait a lieu, à savoir, que
primitivement le foie est dépourvu de matière sucrée et
que cette matière y apparaît, autant que j'ai pu en juger
pardeuxobservations, versle quatrièmeou lecinquième
mois. Sur des lapins, des chèvres, des moutons, des
cochons d'Inde, nous avons constaté encore l'absence
de sucre dans les premiers temps de la vie fœtale, et son
apparition ensuite à une époque variable en rapport
avec les différences de la durée de la gestation. Toutes
ces observations concordent pour indiquer que la fonc-
tion glycogénique prend naissance pendant la vie intra-
utérine et que la matière sucrée augmente à mesure que
l'animal approche de la naissance.
Voici, relativement à cette portion, des expériences
faites sur des fœtus d'espèces différentes.
Quantité de sucre
dans le foie.
Fœtus humairi de six mois et demi Os"",?? p. 100
Fœtus de veau, sept à huit mois 0^^,80 —
Fœtus de chat, à terme ls^;27 —
Vous voyez, ainsi que nous l'avons dit, que la pro-
portion du sucre va croissant avec l'âge du fœtus.
90 FORMATION DU SUCRE
Mais, du reste, Messieurs, tout ceci n'est qu'une sorte
de digression sur des questions sur lesquelles nous re-
viendrons plus tard, et dont nous parlons ici seulement
en passant, parce que nous avons sous la main des
sujets d'expériences qui vous permettent de vous parler
de l'origine de la matière sucrée dans le foie, tout en
vous démontrant l'impossibilité d'aller chercher dans la
mère l'origine de la matière sucrée qu'on prétendrait
être venue se localiser dans le foie.
Nous avons encore bien d'autres manières de démon-
trer quele sucre de foie nerésulte pas d'une localisation
des matières sucrées provenant de l'alimentation, et
nous ne devons pas craindre de les accumuler, parce
que chacune d'elles présente la question physiologique
sous un jour nouveau.
Je vous disais tout à l'heure que certaines substances
minérales jouissaient de la propriétéde selocahser dans
le foie et d'y rester presque indéfiniment, de sorte que
des mois et même des années après l'emploi de ces sub-
stances, on pouvait encore en trouver des traces dans
le tissu hépatique.
Mais il ne saurait en être de même pour le sucre de
foie, le plus altérable et le plus fermentescible de tous,
et qui, àce titre, ne pouvant rester longtemps dansl'or-
ganisme, ne saurait être comparé en aucune façon avec
les substances minérales. Loin de séjourner, le sucre se
détruit et se renouvelle sans cesse, et ce qui prouve
qu'il y a bien une fonction pour le former, c'est qu'on
peut le faire disparaître en produisant un trouble dans
l'organisme, en faisant, par exemple, mourir lentement
DANS LE FOIE. 91
un animal, de façon à laisser se consommer peu à peu
la quantité de matière sucrée formée dans le foie, tout
en l'empêchant d'en produire de nouvelle. On démon-
tre ainsi que le sucre n'existe que quand l'animal est
dans l'état physiologique, et que la fonction qui les pro-
duit peut s'interrompre et s'anéantir comme tous les
autres.
Voici par exemple un lapin auquel nous avons coupé
hier soir les deux nerfs pneumogastriques. L'animal
est mort ce matin, c'est-à-dire environ quinze heures
après l'opération. Au moment où nous lui avons coupé
ses deux pneumogastriques, il se portait parfaitement
bien, et il y avait du sucre dans son foie, comme cela
a lieu constamment. En coupant ces nerfs nous avons
arrêté dans celorgane la production du sucre, et entre le
moment de l'opération et la mort de l'animal, la quan-
tité de sucre qui avait été antérieurement formée a eu
le temps de se détruire. Nous ne devons plus en trouver
la moindre trace, bien que l'animal fût en pleine diges-
tion de matières végétales au moment de la section des
nerfs. C'est même une circonstance défavorable pour
le succès de l'expérience, puisque ces substances ont pu
apporterune quantité plus considérable de sucre ajoutée
cl celle qui se forme normalement. Nous ouvrons l'abdo-
men de ce lapin, nous prenons un morceau de son
foie, nous le traitons par les procédés précédemment
indiqués, et vous voyez que, par l'ébullition du liquide
provenant du traitement, avec le réactif cupro-potassi-
que, il n'y a ni décoloration ni précipité.
Le sucre a donc disparu, parce que, sous l'influence
92 FORMATION DU SUCRE
d'une modification imprimée àla fonction glycogénique,
il a cessé de se former.
Pendant les maladies graves et surtout aiguës, lors-
que les fonctions nutritives sont profondément trou-
blées, la fonction du foieelle-même s'arrête, et il ne se
produit plus de sucre, aussi n'en trouve- t-on jamais sur
les cadavres apportés dans les amphithéâtres et qui ont
succombé à des maladies graves. Cependant, nous de-
vons dire que, si la mort a été assez rapide pour que
les facultés nutritives n'aient été suspendues que peu de
temps, il reste encore du sucre dans le foie. C'est ainsi
que nous en avons trouvé chez quelques phthisiques,
morts à la suite d'une courte agonie, et chez les diabé-
tiques emportés presque subitement par des engorge-
ments pulmonaires. J'en ai également rencontré chez
des individus morts en quelques heures, à la suite d'un
empoisonnement par l'arsenic. Il y aurait une étude in-
téressante à faire pour rechercher s'il existe des mala-
dies qui respectent plus spécialement cette formation
du sucre dans le foie. Ce serait même une manière de
reconnaître si un individu ou un animal ont succombé
à la suite d'une longue maladie, ou sont morts subite-
ment. Dans le premier cas, on ne trouvera plus de su-
cre dans le foie, tandis qu'il y en aura toujours dans le
second, comme cela arrive chez les animaux de bouche-
rie qui ont été tués dans un état de santé parfaite. Le
goût sucré d'ailleurs d'un foie provenant d'un animal
sain ou malade suffit pour établir une différence dans
sa composition sucrée.
Ainsi, non-seulement le sucre hépatique ne provient
DANS LE FOIE. 93
pas d'une alimentation antérieure, dont la matière su-
crée aurait été depuis plus ou moins longtemps retenue
dans le foie comme les substances minérales auxquelles
il est impossible de l'assimiler ; mais nous allons vous
faire voir que la quantité de sucre ne dépend pas de la
nature actuelle de l'alimentation, car la quantité de
sucre que l'on rencontre dans le tissu hépatique ne
varie pas sensiblement, soit qu'on soumette un animal
à une alimentation exclusivement animale, soit qu'on
y introduise des substances féculentes, soit même qu'il
ne mange que des substances féculentes seules.
Gela ressortira clairement des expériences suivantes,
qui, pour être plus comparables, ont été faites sur des
animaux de même espèce, sur des chiens, dans les
conditions normales de santé.
Quautit. de sucre
dans
le tissu du foie.
1" chien. Nourri à la viande Isi-ZJOp. 100
2^ chien — isi',40 —
je'" chien. Nourri avec viande cl pain is^,70 —
2^ chien — [s^,30 —
3^ chien — lg%30 —
1^'' chien. Nourri trois jours avec fécule et sucre
exclusivement ier,88 —
2^ chien. Nourri pendant six jours exclusivement. 1^^,50 —
Tous ces animaux ont été sacrifiés, autant que possi-
ble, à la même période digestive. Vous voyez donc que,
à l'état physiologique, l'addition des matières sucrées et
féculentes n'a pas sensiblement modifié la quantité de
sucre contenue dans le tissu du foie, car les différences
observées uniquement dans les fractions ne sont à l'a-
vantage d'aucune espèce d'alimentation. Il n'y a donc
04 FORMATION DU SUCRE
pas de rapport direct entre la nature des aliments et la
quantité de sucre contenue dans le foie. La production
de cette substance est une fonction indépendante de ces
circonstances extérieures dont nous devons cependant
établir les conditions physiologiques pour interpréter
les variations qu'elles peuvent apporter à l'état patho-
logique, et les effets qui peuvent en résulter.
Pour comprendre cette fonction hépatique et nous
rendre compte de la manière dont elle peut s'effectuer,
revenons à noire expérience fondamentale, dans laquelle
nous avons montré que le sang qui entre dans le foie
ne contient pas de sucre, tandis qu'on en trouve tou-
jours dans le sang qui en sort. La fonction glycogéni-
que se trouve donc ainsi limitée dans le tissu du foie,
et nous sommes conduits à chercher le mécanisme de
celte fonction dans les modifications que le sang subit
dans les capillaires en se mettant en contact avec le
(issu élémentaire ou les cellules hépatiques.
Le foie est un organe glandulaire considérable qui,
chez tous les vertébrés, forme une sorte de barrière
entre le système circulatoire digestif et le système cir-
culatoire général. La veine porte charrie dans le foie
une quantité considérable de sang qui, à chaque pé-
riode digestive, y arrive chargé des matériaux nutritifs
rendus solubles par la digestion. C'est alors, sous l'in-
fiuence du tissu hépatique animé par le système ner-
veux, que les éléments de ce sang éprouvent des mé-
tamorphoses en vertu desquelles ils servent, d'une
part, à la production du sucre qui est emporté par
les veines hépatiques, et d'autre part à la formation
DANS LE FOIE. 9o
de la bile qui est excrétée par les voies biliaires.
Le système afférent est donc formé par la veine
porte, et le système efférent par les veines sus- hépati-
ques. Il y a en outre des vaisseaux lymphatiques el
l'artère hépatique, mais celle-ci est considérée comme
n'ayant aucune influence sur les fonctions de l'organe,
parce que la sécrétion de la bile n'éprouve, par suite
de la ligature, que très-peu de modifications : nous
verrons plus tard s'il en est de même pour le sucre.
Toutefois l'artère hépatique contribue à la nutrition
propre du foie.
Il faut maintenant, pour comprendre la fonction que
nous voulons étudier, c'est-à-dire la formation du sucre
qui a lieu aux dépens des éléments du sang qui entre
dans le foie, que nous nous fassions une idée claire de
l'arrangement anatomique des éléments du tissu hépa-
tique et de la manière dont ils peuvent agir pour don-
ner lieu à une matière sucrée.
Vous verrez bientôt. Messieurs, que cette fonction en
vertu de laquelle le sang se modifie dans le foie, con-
stitue une véritable sécrétion, analogue à toutes les au-
tres sécrétions de l'économie, à celle de la bile, par
exemple, de sorte qu'il résulte de là que le foie n'est
pas un organe simple, mais un organe à fonctions mul-
tiples, puisqu'il sécrète d'une part du sucre, de l'autre
de la bile.
On ne connaissait jusqu'à présent que cette dernière
sécrétion. Mais il paraissait étrange qu'un organe si vo-
lumineux, qui apparaît de si bonne heure dans le fœ-
tus, qui semble si indispensable à la vie de l'animal,
06 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE
puisqu'on le rencontre depuis les invertébrés jusqu'à
l'homme, n'eût d'autre fonction que de sécréter une
petite quantité de liquide biliaire évidemment peu en
rapport avec son volume. Et encore certains physiolo-
f^istes refusaient-ils à ce liquide toute participation ef-
llcace dans l'acte de la digestion, si bien que la glande
la plus volumineuse de l'économie, et certainement
l'une des plus constantes dans toute la série animale,
se trouvait réduite à un rôle presque nul. Il n'y a plus
de doute aujourd'hui, depuis que nous l'avons établi,
que l'on ignorait une des plus importantes fonctions
du foie, celle par laquelle il concourt d'une manière
puissante à la vie de nutrition au moyen de la produc-
tion du sucre.
Actuellement, Messieurs, il s'agit pour nous, s'il est
possible, d'étudier séparément ces deux sécrétions, de
voir si chacune d'elles se localise ou non dans les élé-
ments anatomiques distincts, et de chercher, par l'ob-
servation expérimentale aussi bien que par l'anatomie
comparée, à éclaircir ce point difficile de l'organisme
vivant.
On s'est fait pendant longtemps une très-fausse idée
de ce qu'est un organe sécréteur. On pensait que toute
sécrétion devait être versée sur une surface interne ou
externe, et que tout organe sécrétoire devait nécessai-
rement être pourvu d'un conduit excréteur destiné à
porter au dehors les produits de la sécrétion.
L'histoire du foie étabUt maintenant d'une manière
très-nette qu'il y a des sécrétions internes^ c'est-à-dire
des sécrétions dont le produit, au lieu d'être déversé à
DANS LE FOIE. 97
l'extérieur est transmis directement clans le sang. En
effet, dans l'état physiologique on ne trouve jamais le
sucre hépatique en dehors du système circulatoire.
Quant à la bile, elle n'en présente jamais les moindres
traces.
Voici donc une glande qui donne naissance à deux
produits : le sucre qui entre dans le sang et la bile qui
est rejetée au dehors. Quelle relation y a-t-il entre ces
deux sécrétions? Sont-ce deux phénomènes concomi-
tants, en rapport l'un avec l'autre, ou n'ont-ils ensemble
aucune liaison? Peut-on admettre, par exemple, que les
matières albuminoïdes du sang, en arrivant au contact
des cellules hépatiques, se dédoublent en deux pro-
duits, l'un hydrocarboné qui serait le sucre, l'autre
azoté qui serait la bile? S'il en était ainsi, ces deux pro-
ductions devraient se faire simultanément, mais l'expé-
rience semblerait indiquer que le sucre ne se forme
pas au même moment que la bile, et qu'il y a, en quel-
que sorte, alternance entre ces deux formations, de
telle façon que l'une semble s'arrêter au moment de la
plus grande intensité de l'autre.
Et d'abord, quand on veut suivre sur un animal le
phénomène de la sécrétion biliaire, il faut pratiquer
une fistule comme nous allons faire sur le chien que
vous voyez ici, et pour cela on opère de la manière sui-
vante :
L'animal, à jeun depuis vingt-quatre heures, est
placé sur le dos : nous faisons une incision de 7 à 8 cen-
timètres sur le côté droit de l'appendice xiphoïde, sur
le bord interne du muscle droit, nous divisions successi-
BERNARD. I. 7
98 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE
vement la peau et les muscles, et nous arrivons dans la
cavité du péritoine. Nous plongeons le doigt indicateur
de la main gauche dans la plaie, et nous allons à la face
inférieure du foie accrocher avec le doigt recourbé l'ex-
trémité supérieure du duodénum, que nous amenons
dans la plaie : maintenant sur la face droite de l'intestin ,
entre cet organe et le pancréas, nous cherchons le con-
duit cholédoque qui est contenu dans un paquet com-
mun avec la veine porte, l'artère et les nerfs hépatiques.
Nous apercevons le canal cholédoque superficiellement
placé dans le point où il vient s'insérer obliquement dans
l'intestin, à 3 centimètres environ au-dessous du pylore;
nous reconnaissons ce conduit à son aspect nacré. Nous
l'isolons en passant au-dessous de lui une sonde canne-
lée sur une longueur de 1 centimètre à 1 centimètre 1/2,
puis nous plaçons autour de lui deux ligatures, l'une
sur le conduit au moment oii il pénètre dans la paroi
de l'intestin, l'autre aussi haut que possible du côté du
foie, et nous réséquons toute la partie du conduit com-
prise entre ces deux fils. Cette dernière ligature, placée
du côté du foie, a pour but d'empêcher l'écoulement
ultérieur de la bile ; l'autre, celle du côté de l'intestin,
pourrait paraître sans utilité : cependant elle sert à em-
pêcher l'écoulement du sang qui résulterait de la divi-
sion d'une petite artériole qui accompagne ordinaire-
ment ce conduit.
Ce premier temps étant achevé, nous abandonnons
l'intestin, qui revient à sa position naturelle, et nous
coupons les fils des ligatures; puis, avec l'index de la
main gauche introduit de nouveau dans la plaie, nous
DANS LE FOIE. 99
allons chercherla vésicule distendue par labile, et, quand
nous sentons sa fluctuation particulière, nous la saisis-
sons par son fond avec une pince à pansement intro-
duite avec la main droite, et nous l'attirons vers la plaie.
Nous introduisons dans son fond un trocart présentant
à l'extrémité de sa canule des rainures transversales,
sur lequel nous fixons une forte ligature portée au-
dessous des mors de la pince à pansements qui main-
tiennent toujours la vésicule attirée vers la plaie.
Maintenant nous tirons le mandrin du trocart, et nous
évacuons au dehors la bile contenue dans la vésicule ;
nous recousons la plaie en réunissant d'abord les mus-
cles, ensuite la peau, en assujettissant la canule du
trocart dans l'angle supérieur de la plaie. Nous atti-
rons en même temps la vésicule du fiel vers les parois
de l'abdomen; un aide la maintient dans cette position
en nouant sur un petit morceau de bois les fils qui ont
servi à fixer la vésicule sur la canule du trocart, et cela
afin qu'il se forme des adhérences entre les parois de
l'abdomen et la vésicule. Maintenant l'expérience est
terminée.
Au bout de trois ou quatre jours, les adhérences se-
ront établies, les fils tomberont, et nous aurons une
fistule permanente.
L'animal survit en général à cette opération . On com-
prend maintenant que la bile ne peut plus être versée
dans l'intestin et qu'elle s'échappera de la vésicule au
fur et à mesure qu'elle se produira. La vésicule, n'é-
tant plus alors distendue par l'accumulation de la sé-
crétion biliaire dans l'intervalle des digestions, revient
100 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE
peu ti peu sur elle-même; elle se transforme en une
espèce de canal excréteur qui s'ouvre au dehors par la
plaie que l'on a pratiquée et qui reste fistuleuse sur ce
point. Voici alors ce qu'on observe quand on fait man-
ger l'animal. Au moment de l'ingestion des aliments
et pendant tout le temps que dure la digestion, la bile
n'est sécrétée qu'en très-petite quantité. Ce n'est qu'en-
viron sept heures après le repas, c'est-à-dire quand le
travail digestif est complètement achevé, qu'on voit la
bile couler en très-grande abondance par la fistule. Si
l'animal n'avait pas eu la vésicule ouverte, cette bile,
au lieu de couler dans l'intestin, se serait accumulée
dans la vésicule, et s'y serait mise en réserve pour la
digestion suivante, et ce n'est qu'alors qu'elle aurait été
évacuée dans l'intestin. Ainsi, la bile qui arrive dans le
duodénum au moment de la digestion n'est pas sécrétée
au moment même; elle a été formée antérieurement et
mise en réserve dans la vésicule.
Chez les animaux qui n'ont pas de vésicule, chez le
cheval, par exemple, le canal cholédoque est pourvu
d'un sphincter très-résistant à son ouverture duodé-
nale; le canal cholédoque se dilate pendant l'accumu-
iation de la bile, et fait alors l'office de réservoir.
Ces faits avaient déjà été constatés par divers obser-
vateurs, et l'on savait très-bien que, quand on fait jeû-
ner les animaux, on trouve constamment chez eux la
vésicule distendue par la bile.
Nous verrons plus tard que le sucre, au contraire,
se montre en plus forte proportion environ trois ou
quatre heures après l'ingestion des aliments, c'est-à-
DANS LE FOIE. 101
dire au moment où la digestion intestinale est en pleine
activité.
Mais cette indépendance des deux sécrétions du foie,
celle de la bile et celle du sucre, apparaît d'une ma-
nière bien plus nette quand on suit les phénomènes
de la digestion chez les animaux des classes mférieures,
chez des Mollusques par exemple.
Nous avons fait de nombreuses expériences sur des
limaces grises [Limax flava), prises dans les regards
des conduits d'eau du Collège de France, et se nour-
rissant presque exclusivement de cloportes et de larves,
par conséquent de matières animales. Nous a\ons con-
stamment trouvé du sucre dans leur foie.
Nous avons de plus suivi, chez ces animaux, l'ordre
de succession des phénomènes digestifs. Voici le résul-
tat de nos observations :
Quand on examine l'estomac et les intestins des li-
maces grises qui sont à jeun depuis longtemps, on y
constate la présence d'une certaine quantité de bile
très-brune, ne renfermant aucune trace de matière
sucrée. Si alors ces animaux viennent à introduire
dans leur estomac des substances alimentaires, il se
fait une sécrétion de suc gastrique acide qui se mé-
lange avec les aliments, dans lesquels on ne constate
pas encore les réactions caractéristiques du sucre. Ce
n'est qu'au moment oii la digestion intestinale s'effec-
ne, et lorsque les aliments sont à peu près compélte-
ment descendus de l'estomac dans l'intestin, qu'un li-
quide sucré et incolore arrive dans la cavité stomacale
par le conduit cholédoque inséré, près du pylore, vers
102 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE
l'extrémité inférieure de l'estomac. A mesure que l'ab-
sorption intestinale devient plus active et plus com-
plète, la sécrétion de ce liquide sucré dans le foie
devient plus abondante, de telle sorte que bientôt l'es-
tomac s'en trouve rempli et distendu. La sécrétion du
fluide sucré et son déversement dans l'estomac suc-
cèdent, comme on le voit, à la digestion stomacale pro-
prement dite, et coïncident avec la période de l'ab-
sorption intestinale. Le liquide remplit alors le conduit
cholédoque, qui communique largement avec l'esto-
mac, et il se trouve refoulé par la distension de l'esto-
mac jusque dans le foie lui-même, qui subit alors une
sorte de dilatation générale très-remarquable et très-
visible.
Bientôt la plénitude de l'estomac, du canal cholé-
doque et du foie diminue, par suite de l'absorption de
ce liquide. Cette absorption paraît se faire spécialement
dans l'estomac, oii la sécrétion sucrée s'accumule sans
qu'il semble en passer des quantités notables dans
l'intestin.
Lorsque l'absorption de ce liquide sucré incolore
est à peu près terminée, on voit apparaître une autre
sécrétion provenant également du foie, mais offrant
des propriétés et des caractères tout à fait analogues à
ceux du fluide biliaire. En effet, au moment de cette
deuxième sécrétion, le liquide qui coule par le conduit
cholédoque devient graduellement de moins en moins
sucré et de plus en plus coloré, au point de n'être plus,
vers la fin de la digestion, qu'un liquide biliaire pur,
dépourvu de sucre, et ressemblant à celui que nous
DANS LE FOIE. 103
avons signalé dans le canal intestinal des limaces à
jeun. Alors la turgescence du foie a disparu et son
volume diminué. Cette bile noire, sécrétée en dernier
lieu, ne paraît pas être absorbée sensiblement; elle sé-
journe dans l'intestin, et on l'y retrouve encore plus ou
moins épaissie et avec sa couleur brune, à l'époque de
la digestion suivante, qui donne lieu de nouveau à la
série des phénomènes que je viens de vous indiquer
sommairement.
Ainsi, Messieurs, chez les limaces, il y a deux sé-
crétions hépatiques distinctes, celle du sucre et celle
de la bile. Leur production et leur déversement dans
l'estomac constituent deux phénomènes successifs. Il y
a donc là une séparation physiologique des deux fonc-
tions du foie. Mais les organes formateurs de chacune
d'elles restent encore confondus dans le même tissu.
C'est chez les Articulés, et en particulier chez les
Insectes, que la distinction anatomique des deux por-
tions du foie, l'une destinée à la production de la bile,
l'autre servant à la sécrétion du sucre, semble se trou-
ver naturellement instituée de la manière la plus nette.
Dans tous les Insectes, soit ailés, soit à l'état de
larves (à l'exception des pucerons et des kermès), on
trouve, à la terminaison du ventricule chylifique ou
estomac, un plus ou moins grand nombre de vaisseaux
presque toujours simples, fort déliés, capillaires, lis-
ses ou boursouflés, variqueux, tantôt très-longs et re-
ployés au milieu des viscères, tantôt courts, mais alors
plus multipliés. Ces appendices tubulaires, terminés en
cœcums, sont, d'après M. Léon Dufour, des conduits
104 FORMATION DE LA BILE ET DU SUCRE DANS LE FOIE.
biliaires, ou les représentants du foie chez les Insectes.
Suivant cet auteur, ces tubes renferment un liquide
vert, ou jaune, ou brun, ou violet, ou blanc, ou inco-
lore, d'une saveur amère comme la bile.
Bien que les fonctions de ces organes aient été plus
ou moins contestées par divers zoologistes, ce qu'il y a
de certain, c'est que nous nous sommes assuré qu'ils
ne représentent pas l'élément sucré du foie, car, en
ayant réuni un certain nombre et les ayant fait bouillir
avec du liquide cupro-polassique, il ne s'est manifesté
aucune trace de réduction dans le liquide, à l'œil nu ni
même au microscope.
Mais indépendamment de ces organes, on rencontre,
dans les parois mêmes de l'intestin des Insectes, des
cellules parfaitement analogues aux cellules du foie
des Vertébrés, et si l'on prend le liquide qui humecte
les parois intestinales, et qu'on le traite par le liquide
cupro-potassique, on trouve qu'il le réduit.
Il y aurait donc chez les Mollusques une séparation
physiologique bien évidente des deux fonctions du foie,
comme il y aurait chez les insectes une distinction
anatomique entre ses éléments.
Chez l'homme et les Vertébrés, ces deux fonctions
sont également physiologiquement distinctes, ainsi que
je vous l'ai dit, mais la question anatomique qui con-
siste à localiser chacune d'elles dans des éléments spé-
ciaux est beaucoup plus obscure, et l'on ne peut guère
faire encore à ce sujet que des hypothèses plus ou
moins plausibles, motivées sur la structure particulière
de l'organe et la distribution de ses cellules et de ses
FORMATION DU SLXRE DANS LE FOIE 105
vaisseaux, hypothèses qui peuvent seulement guider
dans les recherches que l'on fera à ce sujet, pour les
juger en définitive par des expériences directes.
Les parties anatomiques constitutives du foie sont^
chez l'homme et les animaux vertébrés, des cellules
groupées les unes à côté des autres, de manière à con-
stituer par leur masse un lobule parfaitement visible
chez certains animaux, tels que chez le cochon, et
moins évident chez d'autres, et chez l'homme en parti-
culier. Dans le ceutre de cette agglomération de cellules
ou de ce lobule, prend naissance la veine hépatique ; à
sa périphérie se distribuent les ramifications de la veine
porte ainsi que les conduits biliaires. Ces derniers, par
une disposition exceptionnelle, se terminent librement
à la périphérie des lobules, sans que l'on puisse établir
exactement le genre de rapport qui existe entre eux et
les cellules hépatiques.
Avant qu'on connût la formation du sucre dans le
foie, on avait cherché à mettre en harmonie sa
structure anatomique uniquement avec la sécrétion et
l'excrétion de la bile. Kôlliker admettait que la bile
commence d'abord à être sécrétée dans le centre du
lobule qui contient le plus de sang, et qu'elle était en-
suite amenée à sa périphérie vers l'embouchure des
conduits biliaires, en passant successivement par une
sorte d'endosmose de cellules en cellules.
Si l'on voulait émettre une hypothèse analogue, re-
lativement à la formation du sucre, il faudrait faire
marcher ce produit d'une manière inverse à la bile,
c'est-à-dire de la périphérie vers le centre du lobule
106 FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE.
hépatique, pour pouvoir ainsi rester d'accord avec le
fait anatomique qui montre le conduit excréteur de la
matière sucrée, la veine hépatique, placée au centre
du lobule. 11 resterait ensuite à déterminer comment
les nerfs interviennent pour faire marcher ces deux
sécrétions en sens inverse.
Toutes ces questions, qui touchent aux phénomènes
les plus intimes de la fonction glycogénique, seront exa-
minées dans un autre lieu. Pour aujourd'hui, il nous
suffit d'avoir montré que le foie est une organe complexe
dans lequel nous reconnaissons déjà deux actes physio-
logiques et dans lequel il s'en accomplit encore d'autres
sans doute que nous ignorons.
CINQUIEME LEÇON
9 JANVIER 1855.
SOMMAIRE ; Il y a deux sécrétions dans le foie, l'une externe, celle de la
bile; l'autre interne^ celle du sucre. — Le sucre est un produit de sécrétion
et non d'excrétion. — Il ne sort pas du sang à l'état physiologique, et ne
se trouve dans aucun liquide versé au dehors, pas même dans la bile. —
Expériences contradictoires à ce sujet, causes d'erreurs. — Distribution de
la matière sucrée dans l'organisme par le foie. — Dans l'abstinence le sang
n'est sucré que du foie au poumon; pendant la digestion, le sucre passe
dans tout le sang, mais ne sort cependant par aucune sécrétion ou excré-
tion. — Ce sont les oscillations de la fonction sécrétoire du sucre qui sont
proportionnelles à la quantité de sang qui traverse le foie. — Ces oscilla-
tions physiologiques se trouvent chez les diabétiques. — Schème repré-
sentant ces oscillations à l'état normal et pathologique. — Expériences sur
le sang pris dans différents vaisseaux, chez des chiens à jeun et en diges-
tion, pour prouver cette ocsillation de la fonction glycogénique. — Le sang
qui arrive par la veine cave inférieure dans le cœur droit est toujours
sucré; cathétérisme du cœur droit.
Messieurs,
Il doit être maintenant bien établi pour vous qu'il y a
dans le foie deux fonctions de la nature des sécrétions.
1^'une, sécrétion externe, produit la bile qui s'écoule au
dehors; l'autre, sécr étion interne , forme le sucre qui en-
tre immédiatement dans le sang de la circulation géné-
rale. Nous avons dit aussi que ces deux substances, la
bile et le sucre, ne paraissaient pas être le résultat
d'un même dédoublement chimique, de matières con-
tenues dans le sang amené par la veine porte, parce
que les formations biliaire et sucrée n'ont pas lieu au
108 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
même moment; et des observations d'anatomie et de
physiologie comparées nous ont porté à conclure qu'il
devait y avoir dans le foie des animaux vertébrés,
comme dans celui des Insectes, où cette séparation
semble nettement établie, des cellules organiques
distinctes pour la sécrétion de chacun de ces produits,
la bile et le sucre.
Comme toutes les sécrétions, celle du sucre ne pré-
sente pas une marche uniforme; elle oscille constam-
ment entre certaines limites dans l'état physiologique ;
elle varie suivant les excitations reçues, soit de l'exté-
rieur, soit de l'intérieur, et nous savons qu'il en est de
même de toutes les autres sécrétions, salivaire, gas-
trique, biliaire, pancréatique, lacrymale, etc. , qui n'ont
point une intensité constante, qui peuvent même cesser
complètement pendant un certain temps comme la sé-
crétion gastrique et pancréatique pendant l'abstinence
pour reprendre ensuite leurs cours dans d'autres mo-
ments. Nous aurons donc à étudier cette marche de la
fonction glycogénique en rapport avec les diverses in-
fluences qui peuvent s'exercer sur elle, à déterminer
dans quels cas elle augmente et dans quels cas elle dimi-
nue, pour arriver ensuite à montrer comment, sous
certaines conditions morbides, elle peut s'exagérer
pour donner naissance à la maladie diabétique que nous
avons toujours en vue.
Mais auparavant, nous croyons devoir nous occuper
du produit sécrété, le sucre, pour chercher ce qu'il de-
vient dans l'organisme, et quel rôle il a à y remplir.
Et ce sera là une nouvelle preuve que nous avons réel-
DANS L'ORGANISME. 109
lement affaire à un produit de sécrétion dont le ca-
ractère est d'être formé par une glande, d'avoir un
usage dans l'accomplissement d'un acte vital et de ne
jamais sortir au dehors sans avoir été préalablement
modifié, dédoublé, décomposé par l'exercice même de
sa fonction. Le sucre, en effet, en tant que produit
de sécrétion , ne sort jamais de l'économie en nature dans
l'état physilogique. Il n'apparaît ni dans les sécrétions
ni dans les excrétions. Voici de la salive que nous
avons recueillie sur ce chien qui vient d'être sacrifié,
elle ne renferme pas de traces de matière sucrée ; nous
prenons actuellement l'urine dans la vessie chez ce
même animal, nous n'y trouvons pas de sucre. La
bile elle-même qui sort du foie rempli de sucre n'en
contient jamais. Voici, par exemple, de la bile que
nous venons d'extraire de l'animal auquel nous avons
fait une fistule biliaire et que nous vous avons déjà
montré dans la dernière séance. Nous la décolorons
par les moyens ordinaires, nous la traitons par notre
réactif cupro-potassique ; vous voyez qu'elle ne le ré-
duit pas.
Cependant certains observateurs ont prétendu que
la bile contenait du sucre. Voilà donc une assertion
contradictoire à l'expérience que nous venons de faire
devant vous. Mais nous vous avons déjà dit que deux
faits bien observés ne sauraient se contredire, que leur
antagonisme ne pouvait jamais être qu'apparent, et que,
pour les ramener tous deux à leur véritable valeur, il
suffisait d'une analyse plus exacte des conditions dans
lesquelles on les avait observés.
110 DISTRIBL'TION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
En effet, Messieurs, si sur un animal tué en état de
santé, vous examinez la bile contenue dans la vésicule
aussitôt après la mort, vous n'y trouverez pas de sucre,
pas plus que dans la bile prise sur notre chien vivant
portant une fistule biliaire. Mais si l'on y recherche le
sucre un ou' deux jours après sa mort, lorsque la bile
est restée dans la vésicule en contact avec le tissu du foie,
déjà même le len-
demain de la mort
de l'animal on y trou-
vera du sucre eu
quantité notable. Que
s'est-il passé là? Il y
atout simplement ev
endosmose du sucre
du tissu du foie dans
la vésicule de la bile.
Et c'est là un fait fa-
cile à comprendre,
pai'ce que le sucre
est une des substan-
ces dont le pouvoir
endosmotique est
considérable et qui
passe le plus aisé-
ment à travers les
membranes. Ainsi
que le représente la figure 4, on peut reproduire ce
phénomène en prenant, sur un animal récemment mis
à mort, la vésicule du fiel B remplie de bile, et en la
DANS L'ORGANISME. Hi
plongeant dans du sang ou un autre liquide sucré
après avoir lié son col sur un tube de verre et avoir
fait ainsi une sorte d'endosmomètre. Ou constate bien-
tôt après le contact qu'il y a eu endosmose; le sucre
est passé le premier dans la bile, et le liquide est monté
jusqu'en G dans le tube de verre; réciproquement la
bile passe ensuite au dehors et colore le liquide envi-
ronnant A. Il est intéressant de remarquer que ce
phénomène n'a lieu qu'après la mort. Pendant la vie,
il y a des conditions qui, ainsi que nous le verrons plus
tard, empêchent de semblables effets de se produire à
travers les membranes.
Vous voyez donc. Messieurs, par ce simple fait,
combien il importe, pour répéter des expériences physio-
logiques, de se placer toujours exactement dans des
conditions identiques, et combien la circonstance la
plus minime en apparence peut influer sur la certitude
des résultats. Les observations sur les phénomènes vi-
taux peuvent être aussi concordantes que les expérien-
ces les mieux établies que nous présentent la physique
et la chimie, mais sous la condition d'être répétées
dans les mêmes circonstances. Nous aurons encore
bien d autres occasions de vous faire la même re-
marque.
Ainsi aucune sécrétion ne contient du sucre à l'état
physiologique, ni la bile, ni la salive, ni l'urine, ni
les larmes. La substance sucrée reste dans l'organisme,
il faut dès lors qu'elle serve à quelque chose. Et comme,
d'un autre côté, elle ne se trouve pas dans le sang delà
plupart des vaisseaux en proportion égale, bien qu'il
112 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
s'en produise des quantités assez considérables, il faut
qu'elle se détruise quelque part. Nous connaissons son
lieu d'origine quiest le foie, nous devons chercher main-
tenant le point oii elle disparaît, de façon àcomprendre
l'ensemble du phénomène en le tenant, pour ainsi dire,
par les deux bouts, avant d'étudier les variations inter-
médiaires. Puisqu'il se forme incessamment du sucre,
et que, d'un autre côté, il n'en sort point au dehors, il
faut bien que, dans l'état physiologique, il y ait un
équilibre parfait entre la formation et la destruction.
Car si cet équilibre était un instant rompu, si la sécré-
tion prédominait par exemple sur la destruction, ce qui
peut avoir lieu de plusieurs manières, l'organisme, ra-
pidement saturé de matières sucrées, s'en débarasserait
parles voies d'excrétion naturelles, phénomène que
nous avons dit constituer le diabète.
Étudions donc d'abord la marche du sucre, à partir
de son point d'origine.
Sécrété par les cellules du foie, le sucre passe avec
le sang des capillaires dans les veines sus-hépatiques,
et de là dans la veine cave inférieure. C'est au point
d'abouchement dans ce dernier vaisseau que le sang est
le plus sucré. Là, il se mélange avec le sang qui arrive
des parties inférieures du corps, et est conduit dans
l'oreillette droite, où le sucre subit une nouvelle dilu-
tion par suite de son mélange avec le sang veineux
provenant de la veine cave supérieure. De Foreillette
droite, le sang passe dans le ventricule, qui l'envoie
au poumon. Dans tout le trajet du foie au poumon,
le sang est constamment sucré, mais dans des propor-
DANS L'ORGANISME. 113
lions très-inégales et d'autant plus faibles qu'il s'éloi-
gne davantage de son point de départ. Arrivé au pou-
mon, le sucre, mis au contact de l'air et mêlé à toute
la masse du sang, peut quelquefois disparaître com-
plètement.
Ces deux organes, le foie et le poumon, semblent
donc être alors, vis-à-vis de la matière sucrée, dans
un rapport exactement inverse. Chez un animal à jeun,
par exemple, le sang qui arrive au foie ne contient
aucune trace de sucre, le sang qui en sort en présente
des quantités considérables. Inversement, le sang qui
arrive au poumon contient du sucre, et celui qui en
sort n'en présente plus de traces. Le sucre, dans cet
état physiologique, reste entre le foie et le poumon
profondément caché, et ne se montre pas à l'extérieur.
C'est ce qui fait qu'on a été si longtemps à découvrir
l'existence et la formation fonctionnelle de cette ma-
tière dans l'animal. L'analyse du sang tiré des veines
superficielles, et qu'on a répétée mille fois, ne pouvait
donc le déceler dans ces conditions.
Cependant quand on entre plus profondément dans
l'analyse du phénomène de la distribution du sucre,
et qu'on étudie, d'une manière plus spéciale, les cir-
constances dans lesquelles il s'opère, on s'aperçoit qu'il
faut apporter une restriction dans l'expression de ce
fait général que le sucre ne se trouve, jamais qu'entre
le foie et le poumon.
Quand on prend un animal, carnassier par exem-
ple, à jeun, ou dans l'intervalle qui sépare deux diges-
tions, on trouve, en général, ce que nous avons dit
BERNARD. I. g
114 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
tout à riieiire, c'est-à-dire jamais de sucre en deçà du
foie, ui au delà du poumon. Le sucre se produit dans
le premier de ces organes, et il disparaît dans le second.
Mais il y a des instants, bien que toujours physiologi-
ques, oii les choses ne se passent pas complètement
ainsi.
Vous savez que toute sécrétion peut augmenter dans
certains moments, suivant la quantité de sang qui ar-
rive, ou suivant une excitation plus forte du système
nerveux. Le foie est soumis également à ces mêmes in-
fluences, sa sécrétion continuelle dans l'état physiolo-
gique devient beaucoup plus considérable pendant les
digestions ; la production de sucre s'augmente dans ces
moments pour s'abaisser dans les intervalles digestifs.
Entre les repas, la quantité de sucre qui sort du foie
est telle, que le sang des veines sus-hépatiques en pré-
sente environ en nombre rond une proportion de
1 pour 100, mais quand le sang arrive dans l'oreillette
droite, mélangé avec tout le reste du sang veineux du
corps, la proportion du sucre est venue beaucoup plus
faible.
C'est dans cet état de dilution que le sucre arrive au
poumon, et dans ces conditions, il y est complètement
détruit, c'est-à-dire qu'il disparaît aux réactifs qui le
décelaient avant.
Mais au moment de la digestion, le foie, qui se trouve
placé entre le système circulatoire intestinal et le sys-
tème circulatoire général, au lieu de ne recevoir que le
sang provenant des artères mésentériques, reçoit, en
outre, toutes les matières solubles absorbées par les ca-
DANS L'ORGANISME. H5
piJlaires de la veine porte, c'est-à-dire, en définitive,
une quantité de sang bien plus considérable, double et
même triple chez certains animaux qui ont l'intestin
très-long comme les herbivores, de ce qu'elle est, lors-
que le même individu est à jeun.
Le foie, comme une espèce d'épongé, se gorge de
sang et devient à ce moment beaucoup plus volumineux,
il s'y opère une espèce de congestion physiologique. La
circulation, très-lente dans l'état ordinaire, est singu-
lièrement activée, et le flot de sang qui arrive alors dans
cet organe déplace probablement la plus grande partie
du sucre qui s'y était déjà formé, pour le lancer dans la
circulation générale. Chez les diabétiques, je ne serais
pas éloigné de croire que cette apparition si rapide du
sucre dans les urines au moment de la digestion ne fût
due, en grande partie, à un déplacement de cette es-
pèce, et que, d'un autre côté, le sucre qu'ils peuvent
prendre ne passât dans les urines que par suite d'une
suractivité de la circulation hépatique qui permettrait
son expulsion immédiate du foie.Maisnous reviendrons
sur ces questions que nous ne faisons qu'indiquer en
passant.
Indépendamment de ce surcroît d'activité causé par
un afflux plus considérable de sang, le foie est encore
stimulé par le système nerveux, sous l'influence des
excitations naturelles apportées par la digestion des
matières alimentaires.
Quoi qu'il en soit, cette augmentation de la sécré-
tion du sucre dans le foie se fait, à l'état physiologique,
d'une manière successive et orpaduée. Dès le début de
liO DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
l'absorplion digestive, lorsque la veine porte commence
à charrier une plus grande proportion de sang dans le
foie, la fonction glycogénique, qui semblait sommeiller
pendant que l'animal était à jeun, se réveille. Peu à peu
l'activité fonctionnelle s'accroît, à mesure que la quan-
tité de sang, qui traverse le tissu hépatique, devient
elle-même plus considérable, et c'est environ quatre
ou cinq heures après le début de la digestion intes-
tinale, que cette production du sucre dans le foie est
parvenue à son summum d'intensité. Après ce temps,
la digestion venant à cesser, l'absorption intestinale se
ralentit, et la formation de sucre dans le foie diminue,
pour reprendre de nouveau sasuractivité au premier re-
pas, et pour continuer à décroître d'une manière gra-
duelle à mesure que le sang s'use et diminue dans l'or-
ganisme, si l'animal est laissé à l'abstinence.
Il existe donc une espèce d'oscillation physiologique
dans la fonction productrice du sucre, qui fait que
cette fonction, bien que continue, éprouve une surac-
tivité intermittente à chaque période digestive.
Si, par des expériences que nous vous avons déjà
mentionnées, il est prouvé que \<i?îature de F alimenta-
tion n'exerce pas d'influence sur la production du sucre
dans le foie, nous devons reconnaître maintenant que
\di période de la digestion en exerce, au contraire, une
très-évidente.
Cette exubérance de matière sucrée qui se produit
ainsi dans l'organisme, au moment de la digestion,
amène à sa suite d'autres phénomènes très-importants,
et sur lesquels il est nécessaire d'insister.
DAxNS L'ORGANISME. 117
Lorsqu'un certain nombre d'heures se sont écoulées
depuis le dernier repas, et que l'animal est dans cet état
qu'on appelle àjevn., la formation du sucre est calmée
et arrivée à ce point qu'il existe un rapport équilibré
entre \ii production et la destruction du sucre, c'est-à-
dire que la matière sucrée, expulsée par les veines hé-
paliques dans la circulation, étant alors peu considé-
rable, disparaît à peu près en entier aussitôt après le
mélange du sang hépatique avec le sang des veines caves
dans le cœur droit, et à son entrée dans les poumons.
J'ai constaté, par un grand nombre d'expériences, qu'à
ce moment le sucre se rencontre dans le tissu hépati-
que et dans les vaisseaux qui vont du foie au poumon,
mais pas au delà. Il n'y en a pas sensiblement dans le
sang des artères, ou dans les veines du système général,
ni dans celui de la veine porte. C'est pour cette raison
que, dans les expériences que nous avons faites devant
vous, pour vous montrer que chez un chien on ne
trouve pas de sucre dans le sang qui arrive au foie, nous
avons eu bien soin de prendre l'animal à jeun ou à une
époque assez éloignée de son dernier repas. Lorsque la
digestion commence, la quantité de sucre augmente
graduellement, ainsi que nous venons de le dire, dans
le foie et dans les veines sus-hépatiques; cependant,
durant les deux ou trois premières heures qui suivent
l'ingestion alimentaire, malgré l'accroissement de la
sécrétion sucrée, tout le sucre peut encore être détruit
avant d'arriver au système artériel ; c'est après ce laps
de temps seulement que la production sucrée, dépas-
sant les limites de la destruction, amène l'excès mo-
H8 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
mentané de cetle substance dans l'organisme. De telle
sorte que la quantité de sucre dans les veines sus-hépa-
tiques, qui n'était à jeun que 1 pour 100, pourra de-
venir 1 1/2 et même 2 pour 100 au moment de la pleine
digestion.
Au point de vue de la circulation, les mêmes choses
se passent : le sang chargé de ce sucre arrive comme
à l'ordinaire dans le cœur et de là dans le poumon.
Mais le sang pulmonaire, qui ne peut faire disparaître
qu'une certaine proportion du sucre, laissera passer le
reste avec le sang artériel, dans lequel vous pourrez alors
en retrouver.
A celte période de la digestion, on rencontre du
sucre dans tous les vaisseaux du corps, artériels et vei-
neux; on en trouve même dans les artères rénales,
mais en proportion trop peu considérable pour qu'il en
passe dans les urines. Cependant nous verrons que,
dans certaines circonstances physiologiques, cette quan-
tité de sucre peut être exagérée au point qu'il en sorte
par les urines sans que l'animal soit pour cela diabéti-
que.
Quoi qu'il en soit, dans les circonstances ordinaires
de la digestion, cette espèce de débordement sucré se
manifeste également avec les alimentations animales
ou féculentes, et il dure environ trois à quatre heures.
Ce n'est que six ou sept heures après le repas que l'excès
du sucre dans le sang commence à disparaître, et que
l'équilibre entre sa production et sa destruction tend à
se rétablir comme avant la digestion.
Nous avons dit qu'il était important de connaître les
DANS L^ORGANISME. H9
conditions de cette oscillation physiologique de la for-
mation du sucre dans le foie. C'est, en effet, pour ne
pas les avoir connues, que Sclimidt a cru donner des ré-
sultats opposés aux miens, et a dit qu'il n'admettait pas
la production du sucre dans le foie, parce qu'il avait
trouvé du sucre dans les veines superficielles du corps
et dans la veine porte. Vous comprenez donc mainte-
nant pourquoi le sang qui entre dans le foie est complè-
tement dépourvu de sucre, quand on a soin, comme
nous l'avons déjà dit, de ne pas faire l'expérience au delà
de deux heures et demie à trois heures après le repas. Si
l'on attendait plus tard, l'excès de sucre se serait ré-
pandu dans tout le sang, et alors on en trouverait dans
la veine porte; ce sucre ne viendrait pas des intestins,
mais bien des artères mésentériques. Tous ces exemples
sont une preuve à l'appui de la recommandation que je
vous ai déjà faite, et que je ne saurais trop répéter à
cause de son importance: à savoir que, pour ne pas
s'exposer à des erreurs ou à de fausses interprétations, il
faut toujours, dans des recherches de ce genre, fairemar-
cher de concert la chimie avec la physiologie, et tâcher
sui'tout d'instituer les recherches chimiques d'après des
études physiologiques bien faites. Nous voyons, en effet,
qu'oii la chimie seule trouve des résultats contradic-
toires, la physiologie les explique en montrant la fiha-
tiondes phénomènes. En effet, qu'il y ait du sucre dans
les veines superficielles, dans les artères, ou qu'il n'y
en ait pas, la physiologie nous apprend que c'est tou-
jours le foie qui est son point de départ, et que c'est
toujours à cet organe qu'il faut remonter pour trouver
120 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
l'origine delà matière sucrée. Ces diverses circonstances
seront très-importantes à considérer plus tard, quand
nous parlerons de la destruction du sucre dans l'orga-
nisme animal.
11 y a cependant un liquide de l'économie dans lequel
le sucre passe toujours, lors même qu'il arrive dans la
circulation générale en très- petite quantité. Ce liquide
est le fluide céphalo-rachidien. J'y ai trouvé du sucre
d'une manière constante, soit à jeun, soit en digestion,
chez les chiens, les chats et les lapins examinés dans
les conditions ordinaires de santé : cela tient à ce que,
pendant l'intervalle d'un repas à l'autre, le sucre n'a
pas le temps de se détruire dans le liquide céphalo-
rachidien, avant qu'il en soit apporté une nouvelle quan-
tité par la digestion suivante. 11 paraîtra sans doute sin-
gulier et intéressant de voir les centres nerveux baignés
dans un liquide qui reste constamment sucré. Ce fait
s'accorde avec une remarque déjà faite par M. Magen-
die.que le fluide céphalo-rachidien est un des liquides
daiis lesquels passent le plus facilement les substances
introduites dans le sang. Le sucre est donc en quelque
soi'te normal dans le liquide céphalo-rachidien.
Cependant, il ne faudrait pas en conclure que le su-
cre est une de ses parties constituantes. En effet, si l'on
soumet l'animal à l'abstinence, de façon à empêcher
pendant quelque temps ce débordement de sucre qui
apporte cette substance depuis le foie jusque dans le li-
quide céphalo-rachidien, on voit qu'au bout de quel-
que temps ce dernier n'en contient plus, parce que
celui qui y était s'est détruit, et qu'il n'en est pas re-
DANS L'ORGANISME . 121
venu. Ainsi, quel que soit le point de l'économie dans
lequel on constate la présence du sucre, il a toujours
son origine dans le foie, le seul organe du corps, qui
ait la propriété d'en fabriquer.
. Dans le cas oii nous trouvons du sucre répandu dans
tout l'organisme, il est toujours réparti de telle sorte
que sa proportion la plus considérable se trouve dans
la foie; puis dans la \eine cave inférieure, puis dans
l'oreille droite, etc. Quand ensuite la digestion se ra-
lentit, le sucre diminue peu à peu, et au bout de quel-
ques heures tout rentre dans l'état physiologique signalé
plus haut.
Cette espèce d'oscillation que présente la fonction
glycogénique est très-importante à connaître, car, dans
l'état pathologique, nous retrouvons exactement ses
mêmes phases, avec les exagérations que comporte la
maladie.
Différents observateurs, M. Rayer, en France, M.
Traube, en Allemagne, ont remarqué qu'il y a des dia-
bétiques qui ne rendent du sucre dans leur urine qu'au
moment de la digestion, et que, dans l'intervalle de leurs
repas, leurs urines ne sont plus sucrées. Ce phénomène
peut se rattacher, d'une manière toute naturelle, au
fait physiologique que je viens de vous signaler. Il n'y a
ici rien d'essentiellement différent entre l'état normal
et le symptôme pathologique, sauf l'intensité du phé-
nomène causé par une déviation de l'activité vitale.
Si nous vouhons représenter graphiquement les di-
vers phénomènes physiologiques d'oscillation glycogé-
niques que je viens de vous indiquer en y rattachant les
122 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
oscillations analogues qui se rencontrent dans le dia-
bète, voici comment nous pourrions y parvenir.
Fii
(a) Présence du sucre dans l'urine,
{b) Ligne du maximum de la produc-
tion du sucre: il n'y en a pas
dans l'urine, mais le sucre appa-
raît dans tout le sans.
(c) Ligne du minimum physiologique.
[a] Courbe du diabète continu.
{e) Courbe du diabète intermittent.
i if) Courbe de l'état physiologique.
Sur la ligne horizontale XY, nous comptons les du-
rées à partir du point 0, considéré comme le milieu de
l'intervalle entre deux repas, quatre heures avant une
nouvelle ingestion d'aliments.
Sur la ligne OZ, ou sur des parallèles à cette ligne,
nous prenons des longueurs proportionnelles aux di-
verses quantités de sucre qui se rencontrent dans l'or-
ganisme aux époques correspondantes que nous consi-
dérons.
Supposons d'abord l'état normal, quatre heures avant
DANS l'organisme. 123
un repas : la longueur 0 n représente la quantité de
sucre qui sort alors du foie, et qui reste la même jus-
qu'au moment oii l'animal commence un nouveau re-
pas, c'est-à-dire en n' ; à partir de ce moment, les quan-
tités de sucre formées par le foie sont de plus en plus
grandes, et représentées par des lignes qui vont en
croissant jusqu'en N, oii la digestion a acquis son sum-
mum d'activité, et oii la quantité de sucre émise par le
foie est la plus grande possible ; à partir de ce moment, la
digestion se ralentissant progressivement, les quantités
de sucre vont en diminuant, et sont représentées par
des lignes de plus eu plus courtes jusqu'en ?z", où les
choses sont revenues au même état qu'elles étaient en
n, et restent dans cet état jusqu'en n\ où commence
une nouvelle digestion, pour suivre la même phase que
nous avons décrite à partir de n . Si maintenant nous
relions ensemble tous ces points, nous aurons une li-
gne ondulée n li N n ri' N', qui représentera à peu près
les oscillations de la fonction glycogénique aux diverses
périodes de l'état normal. Tant que cette ligne ne sera
pas trés-éloignée de la droite n n n" n" , ligne du mini-
mum, la production du sucre ne dépassant pas la des-
truction, on n'en trouve pas dans le système circula-
toire général; mais quand la ligne s'approche de e h,
ligne du maximum, la production devenant supérieure
à la destruction, le sucre se généralise dans toute l'éco-
nomie, mais cependant il n'apparaît pas dans les urines.
La limite de la quantité de sucre qui peut se trouver
dans l'organisme, sans cependant passer au dehors, est
déterminée par la droite e h.
124 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
Maintenant en quoi différera l'état diabétique de l'é-
tat normal? 11 différera en ce que le point de départ
sera plus élevé. La quantité de sucre correspondant à
la même époque sera plus considérable que dans l'état
normal.
La courbe, au lieu de partir de n, partira par exem-
ple de M situé au niveau delà droite e b, ou de M' situé
au niveau de a d; elle sera parallèle à la courbe nor-
male, et en reproduira toutes les ondulations, mais en
se tenant toujours à une plus grande distance de la
ligne XY; alors deux cas se présentent. Si la courbe
représentant un état diabétique part d'un point au-
dessus de M, limite maximum de la quantité de sucre
qui peut exister dans l'organisme sans paraître au
dehors, tant que la courbe ne dépassera pas la ligne e h,
on ne trouvera pas de sucre dans les urines; mais cette
substance apparaîtra au moment de la digestion, et le
diabète sera représenté en durée et en intensité par les
portions de courbe ni iii\ etc. Le diabète sera alors
discontinu, intermittent et correspondant seulement
aux périodes digestives. Les urines seront tantôt nor-
males, tantôt sucrées, et la courbe M ni M m" iM pas-
sera alternativement au-dessus et au-dessous de e h.
Si, au contraire, la quantité de sucre sécrétée par l'in-
dividu malade est plus grande que le maximum de l'é-
tat normal, de façon à correspondre à la longueur 0 M',
la courbe, tout en restant toujours parallèle aux courbes
précédentes, et en suivant encore leurs sinuosités, res-
tera constamment au-dessus de ^ <5>; les urines seront
constamment sucrées et le diabète continu.
DANS L'ORGANISME. 1-25
Il est bien entendu.^ Messieurs, que nous vous repré-
sentons ici des cas types d'une simplicité purement
idéale, afin de vous faire comprendre la liaison de ces
phénomènes nerveux et pathologiques. Entre les ima-
ges que nous vous en donnons, vous pouvez concevoir
tous les intermédiaires possibles. Mais la marche de
toute fonction vitale ne saurait jamais être indiquée
complètement par des lignes aussi simples que celles
que nous avons figurées ici, car indépendamment des
grandes oscillations dont nous donnons la direction
générale, en creusant plus profondément le phéno-
mène, on trouverait des oscillations de deuxième et
troisième ordre que nous aurons à examiner ultérieu-
rement.
Enfin, Messieurs, cette marche du sucre à travers
l'organisme, ces oscillations physiologiques de sa sécré-
tion sous rinflueijce de la digestion, et dans l'intervalle
des digestions, sa diffusion limitée dans un cas, géné-
ralisée dans l'autre, sont des faits trop importants pour
que nous n'ayons pas à cœur de les reproduire devant
vous, et de les fixer dans votre esprit au moyen des
expériences qui ont servi à les établir.
Yoici deux chiens, l'un à jeun, chez lequel, par con-
séquent, tout le sucre sorti du foie est détruit avant
d'avoir traversé le poumon ; l'autre en pleine digestion,
chez lequel la matière sucrée est répandue dans tout
l'organisme ; nous allons faire sur eux une série d'ex-
périences comparatives, qui ne sauraient vous laisser
aucun doute sur les phénomènes que je vous ai an-
noncés.
i'Zi) DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
Nous prenons le premier animal, c'est-à-dire celui
qui est à jeun, et nous allons puiser du sang dans dif-
férentes parties du corps pour vous montrer
qu'il n'y a de sucre qu'entre le foie et le pou-
mon. Pour cela nous prendrons du sang dans
le cœur droit d'abord. L'animal étant couché
sur le flanc gauche, nous faisons une incision
longue de 5 à 6 centimètres sur le côté droit du
cou, et immédiatement au-dessous de la pean
nous trouvons la veine jugulaire externe bien
plus volumineuse que l'interne chez les ani-
maux, à cause de la prédominance de la face.
Nous isolons cette veine des parties voisines au
moyen d'une sonde cannelée, et nous plaçons
sur elle une ligature du côté de la tête, puis,
saisissant la veine entre le pouce et l'index de la
1 main gauche, nous y faisons une incision avec
des ciseaux. Par l'orifice que nous venons de
pratiquer, nous allons chercher du sang dans
le cœur droit en pratiquant une sorte de
cathétérisme cardiaque. Nous nous servons pour
cela d'une sonde en métal (fig. 6), légèrement
courbée vers son extrémité; elle est munie d'un
^'°* ^* robinet R, et offre une ouverture à son bout
effilé ; les bords de cette ouverture sont soigneu-
sement arrondis pour ne pas couper ou déchirer les
vaisseaux. Nous introduisons cette sonde, avec son ro-
binet fermé dans la veine jugulaire, nous l'enfonçons
à une profondeur variable suivant la taille de l'ani-
mal ; ici, pour ce chien de taille moyenne, nous l'en-
DANS L'ORGANISME. 127
fonçons à 20 centimètres. Nous tournons d'abord la
concavité de l'instrument en avant, puis vers le ster-
num, c'est-à-dire en dedans. Nous arrivons ainsi assez
facilement dans l'oreillette droite, ce que nous sentons
aux mouvements imprimés à la sonde et au jet sac-
cadé du sang qui s'en écoule, synchroniquement avec
les battements du cœur. Alors, avec une seringue,
dont la canule est ajustée dans le bout évasé E de la
sonde, nous aspirons une certaine quantité de sang du
cœur droit de l'animal. Nous retirons ensuite la sonde
et nous lions le bout cardiaque de la veine jugulaire.
Cela fait, nous cherchons l'artère carotide du même
côté, nous l'isolons du nerf vague, puis nous plaçons
une ligature; au-dessous de celle-ci nous pratiquons
une ouverture pour extraire une certaine quantité de
sang, et nous lions du côté du cœur.
Puis, reprenant le bout périphérique de la veine ju-
gulaire, nous délions la ligature et nous laissons couler
une certaine quantité de sang.
Nous avons donc ainsi : 1° du sang venant du cœur
droit, c'est-à-dire du sang provenant de la veine cave
inférieure et des veines sus-hépatiques, qui s'est mé-
langé dans le cœur avec le sang arrivant de la veine
cave supérieure ;
T Du sang artériel venant de passer à travers le
poumon ;
3° Du sang veineux descendant des capillaires de la
tête.
Nous traitons ces trois sangs absolument delà même
manière, en y ajoutant une certaine quantité de sulfate
i28 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE
de soude cristallisé, solide, et en chauffant dans des
capsules de porcelaine. Sous l'influence de la chaleur,
le sang se coagule, les matières albuminoïdes sont cris-
pées et ratatinées, et un liquide entièrement décoloré
s'en sépare.
Nous prenons ces liquides et nous les faisons bouil-
lir avec le réactif cupro-potassique. Vous voyez que le
sang provenant du cœur précipite très-nettement le sel
de cuivre, tandis qu'iln'y a ni décoloration ni réduction
avec le sang artériel, ni avec le sang veineux provenant
des parties périphériques du corps. Le sucre qui se trou-
vait dans le cœur droit, et qui provenait du foie, n'a
donc pas traversé le poumon, puisqu'on ne le trouve
pas dans le sang après cet organe. Il n'est pas non plus
dans le système veineux général.
Maintenant nous prenons l'autre chien auquel on a
fait faire, il y a cinq ou six heures, environ, un repas
copieux, mais composé exclusivement de matières ani-
males (tête de mouton cuite). Nous opérons de même
que sur le premier; nous prenons d'abord le sang du
cœur, puis le sang de l'artère carotide et enfin le sang
de la veine jugulaire qui revient de la tête. Nous trai-
tons ces trois sortes de sang de la même manière que
nous avons traité ceux du premier animal, en ajoutant
à chacun d'eux à peu près leur poids de sulfate de
soude, et en chauffant le mélange dans des capsules de
porcelaine. Nous recueillons les liquides très-incolores
qui se séparent des parties solides contractées et coagu-
lées, nous y ajoutons dans les tubes où nous les ver-
sons parties égales du réactif cupro-potassique, nous
DANS L'ORGANISME. î2*.)
faisons bouillir ce mélange, et vous voyez dans tous
des changements de coloration et la formation de pré-
cipités qui vous indiquent la présence du sucre. Vous
remarquez cependant que le précipité formé est bien
plus considérable dans le liquide provenant du sang du
cœur de cet animal, que dans les liquides provenant du
sang artériel ou du sang veineux de la circulation
générale ; il est plus considérable aussi que dans le li-
quide provenant du sang du cœur du premier chien
à jeun.
Ces deux expériences comparatives vous prouvent ,
Messieurs, qu'il y a eu, au moment de la digestion, une
plus grande proportion de sucre formé dans le foie,
qu'une partie de ce sucre a été détruite sans doute,
mais qu'il en est passé dans le système artériel, et de
là dans le système veineux général une certaine quan-
tité que nous y retrouvons. Cependant ce sucre, bien
que généralisé dans tout l'organisme, ne s'est pas
montré dans les sécrétions, car voici de la salive du
même chien et son urine qui ne donnent aucun signe
de la présence de la matière sucrée avec le réactif
cupro-potassique.
BERNARD. I.
SIXIEME LEÇON
13 JANVIER 1855.
SOMMAIRE : La destruction comme la production du sucre est un fait com-
mun au règne végétal comme au règne animal. — Circonstances qui peu-
vent modifier la sécrétion du sucre. — Altérations de la substance hépa-
tique. — Kystes. — Cancers. — Foie gras. — Influences agissant sur la
fonction glycogénique. — Influence de l'abstinence. — Cas des animaux
hibernants qui ne doivent pas être considérés comme des animaux à jeun.
— Influence de l'alimentation. — Influence de l'alimentation graisseuse. —
Influence de l'alimentation azotée. — Influence de l'alimentation féculente
et sucrée.
Messieurs,
Pour arriver à tracer l'histoire physiologique du
diabète, il faut continuer l'histoire de la formation
du sucre dans l'économie animale.
Nous connaissons actuellement deux phénomènes
que nous ne devons jamais perdre de vue; savoir,
d'une part, \di production, d'autre part, la destruction
delà matière sucrée, qui se rencontrent simultanément
dans tous les organismes vivants animaux et végétaux
et sont solidairement unies l'une à l'autre.
Au milieu du monde exléiieur, certahis êtres vivants
ont pu paraître, au point de vue philosophique, faits
pour créer les substances destinées à l'alimentation des
autres. Mais au point de vue physiologique chaque in-
dividu travaille pour soi et vit comme il peut aux dé-
SÉCRÉTION ET DESTRUCTION DU SUCRE. 131
pens de ce qui l'entoure. Si les animaux utilisent pour
leur nourriture le sucre qu'ils trouvent dans les végé-
taux, on ne peut pas dire que ce soit là la cause finale
physiologique de cette substance, car, de même que
l'animal, le végétal produit du sucre pour sa propre
consommation, et il le détruit dans les périodes succes-
sives de son existence. Si l'on suit, par exemple, la série
des phénomènes vitaux dans une betterave, on voit que,
pendant la première année, la plante accumule dans
sa racine les matières sucrées qui s'y trouvent alors en
grande abondance ; mais si on la laisse se développer
l'année suivante, à mesure que la tige va s'élever et que
les bourgeons se formeront pour produire des fleurs et
des fruits, on verra le sucre monter de la racine dans la
tige, s'y changer de sucre de la première espèce en sucre
de la seconde espèce, enfin disparaître peu à peu; et à
l'époque de la maturité des graines, la matière sucrée
aura disparu dans toute la plante. Le sucre accumulé
la première année aura été détruit dans la seconde pour
servir au développement complet du végétal.
On rencontre donc dans les végétaux les deux phases
de production et de destruction du sucre, sous quelque
forme que cette matière se présente. On voit ainsi que
dans ces deux règnes les phénomènes se ressemblent
en ce qu'il y a production et destruction de la matière
sucrée.
Nous verrons plus tard, en nous occupant plus spé-
cialementdeces deux questions, qu'il y a bien d'autres
rapprochements à faire entre les deux règnes des êtres
vivants au point de vue des actes nutritifs.
132 INFLUENCES QUI MODIFIENT
Nous avons actuellement à analyser les conditions
diverses dans lesquelles se passent ces phénomènes de
production et de destruction du sucre, alîn d'y cher-
cher les éléments de la maladie diabétique dont nous
poursuivons toujours le mécanisme dans ces recher-
ches.
Aujourd'hui nous allons étudier toutes les circon-
stances qui peuvent influencer la production de la ma-
tière sucrée dans l'organisme animal.
Ces circonstances sont de trois ordres.
En premier lieu, les modifications que peut subir
l'élément glandulaire du foie.
Secondement, les modifications que peut présenter
la circulation de l'organe, soit au point de vue chi-
mique de la composition du sang qui le traverse, soit
au point de vue des conditions mécaniques de cir-
culation.
Troisièmement, enfin, l'influence du système ner-
veux sur cette sécrétion.
On a encore très-peu de données sur l'influence que
les altérations de la cellule hépatique peuvent avoir sur
la production du sucre. Je n'ai, jusqu'à présent, pu
suivre la production du sucre que dans quelques-unes
des altérations du foie, et en particulier dans la maladie
à laquelle on donne le nom àe foie gras (1), et que Ton
peut produire artificiellement sur des oies et des ca-
nards en les soumettant à une certaine nourriture.
11 était intéressant de savoir quelle pouvait être, dans
(1) Voyez le mémoire de M. Lereboullet sur le Foie gras. ( Mémoires de
V Académie de médecine. Paris, 1853, t. XVII, p. 477.)
LA PRODUCTION DU SUCRE. 133
ces cas de modifications du tissu hépatique, l'influence
exercée sur la production du sucre.
Vous savez que les cellules du foie contiennent dans
leur intérieur des gouttelettes de graisse à l'état nor-
mal. Par suite de la maladie qu'on communique aux
canards ou aux oies atteints de foie gras, ces goutte-
lettes deviennent d'une grosseur considérable et finis-
sent même quelquefois par remplir complètement la
cellule hépatique.
Dans ces celkiles si chargées de graisse, il semblerait
que la production du sucre dût avoir diminué.
Cependant il n'en est point ainsi, car, dans l'analyse
que j'ai faite d'un foie gras de canard, j'ai trouvé 1,40
pour 100 de sucre dans le tissu du foie. Le foie d'un
canard ordinaire ne m'a présenté que 1,27 pour 100
de matière sucrée.
On observe assez souvent sur les animaux de bou-
cherie un épaississement assez considérable des con-
duits biliaires, ce que les bouchers appellent des foies
nerveux. Il se forme là du tissu fibro-plastique en
quantité plus ou moins grande qui atrophie nécessai-
rement les cellules voisines. Aux environs de cette
altération, qui du reste est toujours purement locale,
la proportion de sucre est nécessairement moindre que
dans les endroits oii les conduits ont leur épaisseur
normale; mais les fonctions des autres portions du foie
n'en sont nullement empêchées, et il n'y aurait que
dans le cas oîi ces indurations occuperaient tout l'or-
gane que, celui-ci alors ne fonctionnant plus, la mort
de l'animal devrait s'ensuivre.
134 INFLUENCES QUI MODIFIENT LA PRODUCTION DU SUCRE.
D'autres altérations locales du foie, des kystes, des
hydatides, des tumeurs de diverses natures, n'ont d'au-
tre effet que de diminuer la masse de la substance
fonctionnante du foie; car à côté de ces lésions on
trouve des parties saines présentant du sucre dans les
proportions ordinaires. C'est ce que j'ai pu constater
chez des moutons, par exemple, chez lesquels ces sor-
tes d'altérations sont excessivement fréquentes, comme
on le sait.
Le cancer lui-même, tant qu'il n'a pas envahi tout
le tissu de l'organe, n'a qu'une action purement locale;
c'est ainsi que je Tai constaté sur un surmulet qui
avait la moitié du foie envahi par un cancer encépha-
loïde : les parties restées saines fonctionnaient comme
d'habitude et étaient parfaitement sucrées.
Il est difficile d'établir une relation entre les altéra-
tions morbides du foie et la disparition de la matière
sucrée dans cet organe chez l'homme, parce que,
comme on ne peut les observer qu'après la mort, l'a-
gonie, qui l'a précédée dans la plupart des cas, suffit
pour faire disparaître le sucre.
Nous arrivons à la question d'influence que peut
avoir la composition du sang. Cette influence est d'au-
tant plus importante à considérer que le foie est tra-
versé sans cesse par le sang delà veine porte, et que
ses éléments sont nécessairement variables par suite de
toutes les substances très-diverses, suivant la nature de
l'alimentation, qui sont absorbées dans le tube diges-
tif. C'est surtout là que nous pourrons constater ces
différences dans la composition du sang, car nous ver-
INFLUENCE DE L'ALIMENT. SUR LA PROD. DU SUCRE. i3o
rons que le fluide, pris dans le système circulatoire
général, varie beaucoup moins non-seulement entre
deux individus de même ordre, mais entre des indi-
vidus d'ordre différent, entre les carnassiers et les her-
bivores, par exemple.
Quelle est donc l'influence que ces substances de
nature si diverse, introduites dans l'alimentation et la
veine porte, peuvent avoir sur la formation du sucre ?
Ceci, comme vous le voyez, touche de très- près à la
question du diabète. Depuis Rollo, tous les médecins
ont l'esprit fixé sur l'ahmentation qui convient dans
cette maladie. M. Bouchardat (!) proscrit l'usage des
féculents et des matières sucrées. Des faits dont j'ai été
témoin dans la pratique de M. Rayer prouvent évidem-
ment l'utilité d'une alimentation azotée.
En effet, quoique nous ayons élabU qu'il y a dans
l'organisme une fonction qui produit du sucre indé-
pendamment de la nature de l'alimentation, et que
conséquemment cette matière ne saurait provenir exclu-
sivement du dehors, cela n'empêche pas qu'il puisse
aussi y avoir une origine extérieure pour la matière
sucrée dont nous avons à faire la part. Nous allons
pour celte raison examiner l'influence de la nature des
diverses substances absorbées dans les voies digestives.
Ces substances se ramènent à trois ordres, quelle que
soit la variété de l'ahmentation, savoir : les matières
graisseuses absorbées à l'état de division extrême, les
matières albuminoïdes et féculentes absorbées h l'état
de dissolution.
(1) Mémoires de r Académie de médecine. Paris, 1852, t. XVI, p. 69.
m INFLLENGE DE L'ALIMENTATION
Mais avant- d'étudier le rôle de ces diverses sub-
stances dans la production du sucre, c'est-à-dire l'in-
fluence des alimentations de diverse nature, il importe
de savoir quels sont, au point de vue de la fonction
glycogénique, les effets d'une alimentation nulle, c'est-
à-dire d'une abstinence complète. Nous aurons ainsi
un point de comparaison qui nous servira à isoler le
phénomène sur lequel doit porter l'expérimentation.
Voici comment nous avons institué l'expérience.
Nous avons choisi quatre chiens de même âge et à peu
près de même taille : le premier ne recevait que de
l'eau pure, le deuxième de l'eau plus de la graisse, le
troisième de l'eau plus de la gélatine, le quatrième
de l'eau plus de la fécule. Pour apprécier le rôle
appartenant à chaque substance alimentaire, nous
n'avons eu en quelque sorte qu'à soustraire par la
pensée, de chacun des trois derniers chiens, le chien
à l'eau pure, et la différence était nécessairement due
à la substance surajoutée à l'eau.
Nous vous avons déjà dit qu'après la privation
des aliments, la production du sucre dans le foie con-
tinue à avoir lieu uniquement aux dépens des maté-
riaux du sang. Mais les oscillations physiologiques qui
se manifestent dans l'état normal, oii les digestions se
succèdent à des intervalles plus ou moins éloignés,
cessent nécessairement d'avoir lieu pendant l'absti-
nence. La sécrétion sucrée décroit alors progressi-
vement, à mesure que le liquide sanguin diminue
de quantité, car il ne se répare plus avec les sub-
stances que lui fournissait la digestion, et, néanmoins,
SLR LA PRODUCTION DU SUCRE. 137
les sécrétions liquides et gazeuses, par les glandes sa-
livaires, les reins et le poumon, se produisent encore
pendant un certain temps. La sécrétion du sucre parle
^ foie persiste aussi comme les autres, mais elle va en di-
minuant, et finit par disparaître complètement trois à
quatre jours environ avant la mort de l'animal soumis
à une diète absolue.
Il ne faudrait pas croire que cette diminution et
cette disparition du sucre dans le foie, sous l'influence
de la privation d'aliments, dépendent simplement de
ce que l'animal use et détruit progressivement la quan-
tité de matière sucrée qu'il avait formée pendant sa
dernière digestion. Nous vous avons déjà dit, et nous
aurons encore plus d'une fois l'occasion de vous mon-
trer qu'il faut à peine quelques heures à un animal
pour consommer toute la quantité de sucre qu'il a dans
le foie, de sorte que, s'il ne s'en formait plus, dès le
lendemain déjà, après vingt-quatre heures de jeûne,
le tissu hépatique en serait dépourvu. Mais il n'en est
point ainsi, parce que, dans l'abstinence, il se refait
encore du sucre aux dépens du sang qui traverse inces-
samment le foie. Seulement, à mesure que ce sang
s'use et s'appauvrit, par suite de l'absence de nourri-
ture, la sécrétion sucrée du foie diminue d'énergie, et
finit, avant les dernières périodes de l'abstinence, par
s'éteindre comme les autres fonctions.
Pendant les premiers jours de l'abstinence, la sécré-
tion sucrée se maintient encore assez considérable ; car
sur un chien à jeun depuis trente-six heures, j'ai trouvé
encore une proportion de J ,255 de sucre pour 100 du
138 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION
lissu du foie ; et sur un autre chien à jeun depuis
quatre jours, il y avait 0,93 pour 100. Dans les jours
suivants, la quantité de sucre formé va en diminuant
plus rapidement pour ne cesser toutefois d'une ma-
nière complète que lorsque l'animal, après avoir perdu
les quatre dixièmes de son poids, est désormais voué à
une mort inévitable. Sur des chiens, des lapins ou
des cochons d'Inde morts d'inanition, je n'ai jamais
rencontré de sucre dans le tissu du foie ; mais sur deux
chiens adultes, à l'abstinence complète, l'un depuis
quinze jours, l'autre depuis douze jours (ce dernier
buvait de l'eau), j'ai trouvé encore très-évidemment du
sucre dans le foie. Chez les chiens, la production du
sucre ne s'arrête guère, ainsi que nous l'avons dit, que
trois jours environ avant la mort^ seulement, quand
on approche de cette période de l'inanition, la quantité
de sucre hépatique est excessivement faible ; et pour
faire la recherche du sucre dans le foie à ce moment,
on devra avoir soin de ne pas sacrifier les animaux par
hémorrhagies, mais bien par la section du bulbe ra-
chidien, comme nous le faisons habituellement, parce
que dans le premier genre de mort, le sang non sucré
des organes abdominaux voisins, qui ti'averse le tissu
hépatique pour s'écouler au dehors, lave en quelque
sorte l'organe, et lui emporte la petite quantité de sucre
qu'il contenait, de sorte qu'on pourrait, dans ces cas,
attribuer à l'abstinence l'absence du sucre dans le foie.
Du reste, le temps nécessaire pour que la production
du sucre dans le foie s'éteigne sous l'influence de l'ab-
stinence est variable suivant l'âge et la taille des ani-
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 139
maux, leur classe, leur espèce, et la faculté de résister
plus ou moins longtemps à l'inanition. Parmi les Ver-
tébrés, les oiseaux sont les animaux chez lesquels,
dans des circonstances égales, la privation de nourri-
ture éteint le plus rapidement la production du sucre
dans le foie. Ainsi, au bout de trente-six ou de qua-
rante-huit heures d'abstinence, chez les petits oiseaux,
tels que les moineaux, le foie est déjà complètement
dépourvu de matière sucrée. Après les oiseaux vien-
nent les mammifères, surtout quand ils sont jeunes.
J'ai expérimenté à ce point de vue sur des rats, des
chiens, des chats et des chevaux. Chez les rats et
les lapins, il suffit de quatre à huit jours ; chez les
chiens, les chats et les chevaux, il faut douze à vingt
jours, pour que le sucre disparaisse complètement dans
le foie. Ce laps de temps peut devenir moindre, si
pendant l'abstinence on fait prendre de l'exercice aux
animaux, ou bien il peut être plus considérable, si,
dans les mêmes circonstances, on condamne les ani-
maux au repos, en même temps qu'on leur fournit de
l'eau à boire.
Les reptiles et les poissons se distinguent des ani-
maux à sang chaud par une résistance beaucoup plus
considérable aux effets de l'abstinence et par une dis-
parition plus lente du sucre dans le foie. C'est ainsi
q\ie des crapauds, des couleuvres et des carpes pré-
sentaient encore, cinq à six semaines après leur dernier
repas, du sucre d'une manière très-évidente dans le
tissu du foie. Du reste, l'augmentation de la tempé-
rature ambiante active d'une manière évidente cette
r,0 INFLUEiNGE DE L'ALIMENTATION
disparition du sucre hépatique en accélérant sans doute
les phénomènes nutritifs. L'abaissement de tempéra-
ture agit d'une manière inverse.
En même temps que le sucre disparaît, on voit
d'autres fonctions se modifier. La respiration, par
exemple, qui est dans un rapport si intime avec la
destruction du sucre, se ralentit.
Il y a cependant un cas d'abstinence apparente qu'il
est intéressant de considérer ici : c'est celui des ani-
maux hibernants, des marmottes, par exemple, qui
s'endorment aux approches de l'hiver et restent dans
cet état, sans manger, pendant un temps considérable.
Il était curieux d'observer les phénomènes de la nu-
trition chez ces animaux pendant leur sommeil, et en
particuHer la sécrétion si importante du sucre. M. le
professeur Valentin, de Berne, a fait à ce sujet des
expériences très- intéressantes dont je vous indiquerai
en passant les résultats principaux.
Les phénomènes de l'hibernation chez les marmottes
s'annoncent cinq ou six jours avant le sommeil réel par
uue perte complète d'appétit. L'animal refuse tous les
aliments qu'on lui présente. La marmotte mâle qu'ob-
serva M. Valentin pesait 2 livres 1/3, et n'avait pas
mangé depuis quelques jours lorsqu'elle s'endormit.
Son premier sommeil dura vingt-cinq jours, au bout
desquels elle se réveilla pendant quelques instants, puis
se rendormit le jour suivant, et resta onze jours dans
un état complet d'hibernation. Elle se réveilla ensuite
de nouveau, rendit de l'urine et des selles pour la pre-
mière fois depuis le commencement de son sommeil.
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 141
et le lendemain elle se rendormit encore pendant trois
jours. La marmotte fut alors tuée par asphyxie. Elle
n'avait donc pas mangé depuis environ (rente-neuf
jours, et l'animal n'avait perdu que 3 onces de son
poids. A l'autopsie, on trouva que son foie donnait une
décoction claire et neutre, réduisant énergiquemeut le
liquide cupro-potassique, brunissant par la potasse,
fermentant très- bien par la levure de bière et faisant
tourner à droite le plan de polarisation. Par le dosage,
on trouva que cette décoction hépatique contenait 2,87
pour 100 de sucre, c'est-à-dire qu'il y en avait autant
que chez d'autres rongeurs à l'état normal. Quand on
ouvrit l'estomac, on y trouva une matière neutre d'un
blanc grisâtre qui existe habituellement pendant le
sommeil hibernal de ces animaux.
Voici donc, Messieurs, un fait extraordinaire : d'une
part, une quantité considérable de sucre dans le foie;
d'autre part, une privation de nourriture qui dure
trente-neuf jours. Ceci ne ressemble en rien à ce qui
a heu chez un animal non hibernant. Si l'on cherche
à quoi cela peut tenir, on n'a pour s'en rendre compte
que la présence de cette matière jaunâtre qui se trouve
sécrétée dans l'estomac, et qui, sans doute, est réab-
sorbée par la veine porte pour servir à la formation du
sucre. Pendant l'hibernation, toutes les fonctions sont,
du reste, excessivement ralenties, et la perte par consé-
quent beaucoup moins considérable que chez les ani-
maux à jeun.
Les animaux qui n'hibernent pas ont, au contraire,
pendant l'abstinence, l'estomac parfaitement vide. On
442 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION
ne peut donc pas comparer un animal à hibernation
complète, comme la marmotte, à un animal à jeun, ni
même à un animal dont l'hibernation est incomplète
et qui se réveille de temps en temps pour manger,
comme les loirs et certains rongeurs et insectivores.
Ces derniers animaux peuvent mourir de faim et ren-
trer dans le cas ordinaire des animaux à jeun; ils ne
se rendorment plus et meurent réellement d'inanition :
c'est ce qui est arrivé sur un jeune hérisson qu'avait
observé Valentin, qui mourut au bout de deux mois,
ne présentant que des phénomènes d'un sommeil in-
complet, et dont le foie n'offrit plus à l'autopsie aucune
trace de sucre.
Dans la marmotte qui a fait le sujet de l'expérience
citée plus haut, il est question d'une sorte de diffusion
de la matière sucrée dans l'organisme; car on constata
qu'outre le tissu du foie, il y avait encore des traces
de sucre dans la bile, dans le diaphragme, dans la
capsule surrénale droite et dans l'estomac. Cette dif-
fusion n'est pas physiologique et doit être considérée
comme purement cadavérique, car, ainsi que nous
l'avons démontré ailleurs, après la mort il se produit
une endosmose de la matière sucrée dans la bile et
dans les organes qui environnent le foie. C'est ainsi
seulement qu'on peut comprendre que la diaphragme
ait été sucré, de même que la capsule droite, la plus
rapprochée du foie, tandis que la gauche, en étant plus
éloignée, ne présentait pas de traces de sucre.
Nous venons de voir le rôle de l'abstinence sur la
production du sucre; nous avons distingué le cas des
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 143
animaux hibernants qui ne doivent pas être considérés
comme animaux h jeun. Nous avons maintenant à
examiner les rôles de chaque ahmentation en particu-
lier.
Voyons d'abord l'influence de l'alimentation grais-
seuse. Rollo recommandait de donner de la graisse aux
diabétiques. M. Thenard et Dupuytren leur faisaient
manger du lard; il importe donc d'examiner l'action
spéciale de cette alimentation.
Nous avons nourri des chiens avec du lard et avec de
l'axonge, et nous avons trouvé ce fait très-curieux, que
sous l'influence de cette alimentation, le sucre dimi-
nuait dans le foie absolument de la même manière que
si l'animal avait été mis à Fabstinence absolue.
r Un chien de taille moyenne fut nourri pendant
trois jours avec du lard non salé, cru et complètement
privé de parties musculaires. Chaque jour l'animal
mangea bien, et même avec appétit, 125 grammes de
cette substance grasse coupée en morceaux; le troi-
sième jour, le chien fut sacrifié par la section du bulbe
rachidien, trois heures après son dernier repas, c'est-
à-dire au moment où la digestion était en pleine acti-
vité et la production gylcogénique à son summum. Le
foie qui donnait une décoction jaunâtre et limpide,
contenait 0,88 de sucre pour 100 du tissu.
2° Un autre chien robuste, de taille moyenne, sou-
mis à l'abstinence absolue pendant huit jours, fut
nourri pendant les six jours qui suivirent avec de la
graisse de porc (saindoux) fondue et tiède, dont on lui
injectait chaque jour dans l'estomac, au moyen de la
444 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION
sonde œsophagienne, 90 centimètres cubes, et aussi-
tôt après, sans relirer la sonde, 180 grammes d'eau or-
dinaire. L'animal fut tué au bout de ce temps.
A l'autopsie, la quantité de sucre dans le tissu hépa-
tique n'était que de 0,57 pour 100.
L'alimentation a\ec la graisse a donné sur ces deux
chiens ce résultat identique, savoir : la diminution du
sucre dans le tissu du foie. La graisse était cependant
parfaitement absorbée et digérée, seulement elle ne
servait à rien pour la production du sucre. Car nous
avons constaté que, sous le rapport de la quantité de
sucre qu'il contient, le foie des animaux soumis à la
diète graisseuse est tout à fait comparable à celui des
animaux complètement privés d'aliments.
Il y a ici une remarque à faire au sujet de la
particularité d'absorption que présente la matière
grasse.
C'est à travers le foie, placé comme une espèce de
fdtre organique entre le système circulatoire général
et l'intestin, que passent la plupart des substances in-
troduites dans le tube digestif et dissoutes par les sucs
intestinaux.
Or, quelle que soit la diversité des aliments, leurs
principes fondamentaux sont seulement, comme nous
l'avons dit, de trois espèces, savoir : les màtièies azo-
tées ou albuminoïdes, les matières féculentes ou su-
crées, et les matières grasses. De ces trois ordres de
substances, les dernières seules ne passent pas par le
foie, et sont presque exclusivement absorbées par les
chylifères, pour arriver directement au poumon, en
SUR LA PRODUCTION BV SUCRE. 145
suivant le canal thoracique qui les verse dans la circu-
lation veineuse générale»
On peut donc, au point de vue de leur absorption,
diviser les matières alimentaires en deux classes :
r celles qui traversent le foie en sortant de l'intestin;
2° celles qui, charriées par les chylifères, sont portées
directement dans le poumon.
C'est ainsi que les choses se passent chez tous les
mammifères. Chez les oiseaux, les reptiles et les pois-
sons, oii il n'y a pas de vaisseaux chylifères propre-
ment dits, il y a un autre mécanisme d'absorption de
la graisse, ainsi que nous le verrons plus tard.
Le passage de la graisse à travers un système devais-
seaux différents de ceux de la veine porte est non-seu-
lement un fait physiologique, mais il est en rapport
avec la structure de l'organe hépatique; car, si l'on
pousse une injection de graisse dans la veine porte,
elle ne passe que très-difficilement dans les veines sus-
hépatiques, elle se fixe dans le tissu du foie. Les ana-
lyses de Lehmann viennent encore confirmer ces faits.
Ce chimiste a trouvé que le sang qui arrive dans le foie
contient, quoique en faible quantité, de la matière
grasse, mais que le sang qui en sort en présente beau-
coup moins. Le sang de la veine porte renferme en
moyenne, sur des chevaux, 0§',04 de graisse, et le
sang des veines hépatiques seulement 0^',000o. Cette
impossibilité où se trouve la graisse de traverser le foie
est en rapport avec l'inutilité de cette substance pour
former le sucre; son action à cet égard peut donc
être considérée comme nulle. Le régime conseillé
BERNARD. I. 10
U6 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION
par Rollo équivalait donc à l'abstinence, et l'on ne
doit pas s'étonner qu'il ait obtenu d'heureux résultats
avec sa méthode, puisque la formation du sucre est
nécessairement diminuée par suite de l'alimentation
graisseuse, qui n'exerce aucune action sur le foie.
Nous arrivons maintenant à l'alimentation azotée.
Voici les expériences que nous avons faites à ce sujet.
r Un chien adulte et de petite taille, pesant 4^^\ 91 ,
fut d'abord soumis à une abstinence absolue pendant
quatre jours, atin de laisser les intestins se débarrasser
des anciens aliments. (Depuis huit jours, du reste, le
chien ne mangeait que de la viande.) Pendant les six
jours qui suivirent, on lui ingéra, chaque jour, dans
l'estomac, 370 grammes d'eau ordinaire tiède, conte-
nant en dissolution 20 grammes de gélatine dite ali-
mentaire. Une heure après son dernier repas, onsacritia
l'animal par strangulation.
A l'autopsie, faite avec beaucoup de précautions, j'ai
constaté que la décoction du foie, jaunâtre et légèrement
louche, renfermait beaucoup de sucre. Le dosage en
donna 1,33 pour 100 du tissu hépatique.
T Un autre animal, une chienne, de taille moyenne,
fut nourrie, pendant troisjours exclusivement, avec des
matières gélatineuses, consistant en pieds de mouton,
dont on avait enlevé les os, et qu'on avait fait bouillir
avec de l'eau pour en séparer la plus grandep artie de la
graisse, qui venait surnager à la surface du liquide re-
froidi. Chaque jour, l'animal mangeait quatre pieds de
mouton avec la gelée qui les entourait. Après troisjours
de ce régime, et trois heures après son dernier repas,
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 147
l'animal fut sacrifié par la section du bulbe rachidien.
Je constatai que le tissu de son foie renfermait 1 , 65
pour 100 de sucre. La décoction hépatique était jaunâ-
tre et légèrement opaline.
L'action de la gélatine, que j'ai choisie pour mes
expériences comme étant la substance azotée la plus
facile à se procurer à l'état de pureté, est donc des plus
remarquables. Sous son influence, le sucre, s'est main-
tenu dans sa proportion à peu près normale, malgré
une abstinence de quatre jours dans le premier cas. Les
chiffres 1,33 et 1,65 pour 100 sont des chiffres nor-
maux pour le chien, et qui ne diffèrent pas de ceux
qu'on obtient à la suite d'une alimentation mixte. La
singularité de ce résultat a dû me faire redoubler de
précautions pour le bien conslater, et dans ces deux
cas j'ai retiré du tissu du foie, par la fermentation avec
la levure de bière, de l'acide carbonique et de l'alcool,
qui ne m'ont laissé aucun doute à ce sujet, soit qualita-
tivement, soit au point de vue quantitatif. C'est donc
l'élément azoté qui a servi à faire du sucre : l'expé-
rience chimique a, du reste, confirmé ces données
physiologiques. Lehmann a constaté que le sang de la
veine porte, en traversant le foie, perd une certaine
quantité de ces principes azotés, et que la fibrine y di-
minue notablement.
Le sucre se forme donc, non pas aux dépens de la
matière grasse, mais aux dépens de la matière azotée,
chez les carnivores au moins qui ne se nourrissent que
de substances albuminoïdes, et ce sucre est le résultat
de l'action physiologique du foie sur ces principes qui
liN INFLUENCE DE L'ALIMENTATION
sont dédoublés de manière que leur oxygène, hydro-
gène, carbone, se groupent pour former du sucre,
tandis que leur azote entre dans d'autres combinai-
sons, et probablement dans la constitution des ma-
tières azotées de la bile. On ne saurait, en efTet, trou-
ver une autre origine à cette matière sucrée, qui ne
peut pas être produite dans l'intestin par les phéno-
mènes digestifsn. L'expérience nous a, en effet, montré
que, pendant l'alimentation au moyen de ces substan-
ces albumineuses, l'intestin et le sang de la veine porte
ne renferment jamais de matière sucrée d'aucune es-
pèce. Ni la gélatine ni la viande ne produisent de ma-
tière sucrée dans le tube intestinal par les procédés
digestifs connus.
On sait que Schœrer a signalé dans la chair muscu-
laire la présence d'une matière qu'il appelle inosite, et
qui présente la formule chimique du sucre, C^-^H*^0^^.
M. Bouchardat, pour soutenir encore que la matière
sucrée vient du dehors, invoque la présence de l'ino-
site dans la chair, pour expliquer la présence du sucre
dans le foie des carnivores ; mais cette exphcation ne
saurait être prouvée, car, si l'inosite a la formule chi-
mique du sucre, la substance n'a pas les caractères du
sucre du foie. Elle ne fermente pas, elle n'est altérée
ni par les alcalis ni par les acides, et ne réduit pas les
sels de cuivre. Du reste, la proportion extrêmement
minime de cette matière, qu'on tire des muscles, en
rapport avec la grande quantité du sucre du foie, suffit
pour détruire la moindre idée de relation entre ces
deux substances.
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. i4i)
Arrivons, enfin, au rôle de l'alimentation féculente,
([ui a un intérêt tout particulier, en raison du soin que
prennent tous les médecins d'écarter toute trace de
fécule et de sucre du régime de leurs malades affectés
de diabète.
Nous avons procédé dans nos expériences sur ces
substances comme pour les autres. Tous nos animaux
ont été mis à jeun, sauf la quantité de fécule ou de
sucre que nous leur faisions absorber chaque jour.
Un premier cbien adulte, et de petite taille, fut sou-
mis d'abord à une abstinence complète pendant quatre
jours ', puis pendant les six jours qui suivirent, on in-
géra, chaque jour dans son estomac, 270 grammes
d'eau ordinaire légèrement tiède, contenant en suspen-
sion 20 grammes de fécule incomplètement hydratée.
On sacrifia l'animal par strangulation, une heure après
la dernière injection.
A l'autopsie, très-soigneusement faite, il y avait beau-
coup de sucre dans le tissu hépatique ; le dosage en
donna 1,25 pour 200. Chez ce chien, la décoction hé-
patique était opaline, et blanchâtre comme du lait, ce
qui dépend d'une matière émulsive sur laquelle nous
reviendrons bientôt.
Un deuxième chien, de taille moyenne, reçut pen-
dant trois jours une pâtée composée de pommes de terre
broyées avec de Tamidon, du sucre et un peu d'eau. Le
chien n'aimait pas beaucoup ce mélange; cependant,
les deux derniers jours, il le mangea bien. Le troisième
jour, et trois heures après son dernier repas, il fut sa-
crifié par la section du bulbe. A l'autopsie, je constatai
150 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION
que le foie était très-sucré; le dosage donna 1,88 pour
100 du tissu. La décoction était très-opaline et laiteuse,
comme dans l'expérience précédente.
Dans cette alimentation, la matière féculente a été
transformée en matière sucrée dans l'intestin, sous l'in-
fluence du suc pancréatique. Nous voyons, en effet, ici,
le canal intestinal d'un chien que nous avons nourri
avec de la fécule hydratée, et qui a été sacrifié ce matin,
une heure après l'ingestion de la fécule dans l'œsophage
à l'aide d'une sonde. Nous ouvrons l'estomac, nous y
trouvons une bouillie grisâtre, que nous jetons sur un
filtre. Le liquide, qui passe parfaitement limpide, est
acide, et prend une coloration bleue très-intense par
l'addition d'une goutte de teinture d'iode, ce qui indi-
que la présence de l'amidon.
Si nous faisons bouillir ce hquide avec le tartrate de
cuivre et de potasse, il n'y a aucune espèce de réduc-
tion; par conséquent absence de matière sucrée dans
l'estomac.
Dans la partie inférieure du duodénum, nous trou-
vons une matière visqueuse jaunâtre, colorée par la
bile; nous y ajoutons un peu d'eau et nous jetons le
tout sur un filtre. Le liquide transparent qui passe est
neutre ou très-légèrement alcalin, et ne donne aucune
coloration , comme vous le voyez,. par la teinture d'iode :
ce qui indique la disparition de l'amidon. Mais, parle
tartrate cupro-potassique, nous obtenons un précipité
très-abondant d'oxyde de cuivre : ce qui indique l'ap-
parition du sucre par la transformation de la fécule en
cette substance.
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 151
Ainsi, en définitive, l'animal absorbe du sucre de fé-
cule qui s'est produit dans l'intestin, et qui passe dans
le sang de la veine porte, où l'on peut le rencontrer dans
ces circonslances.
Si, au lieu d'ingérer de la fécule, nous avions donné
du sucre soluble et directement absorbable, il auraitpu
passer dans le sang de la veine porte, et arriver au foie
sans aucune modification : c'est ce que j'ai constaté sur
des chevaux à qui j'avais fait prendre de très-grandes
quantités de sucre de canne. J'ai retrouvé ce sucre en
partie à cet état dans le sang de la veine porte.
J'ai également observé qu'au contact du suc pan-
créatique, le sucre de lait, qui est très-peu fermen-
tescible, acquiert la propriété de fermenter facile-
ment.
Mais, Messieurs, dans ces expériences sur l'alimenta-
tion féculente ou sucrée, nous devions naturellement
nous attendre à trouver une plus grande proportion du
sucre dans le foie; au lieu de cela, nous avons trouvé
qu'il n'y en a pas une plus grande quantité après l'in-
gestion de ces substances dans l'intestin. Les chiffres 1 , 25
et 1,88 pour 100 ne diffèrent pas, en réahté, de ceux
indiqués pour la gélatine et de ceux que nous avons
trouvés ailleurs pour des alimentations mixtes.
Mais il y a cependant une différence, et c'est un point
qui pourrait passer inaperçu, si je n'y insistais pas
d'une manière toute particulière, en vous en rendant
témoins par deux expériences comparatives et bien net-
tes : c'est le fait que la décoction du tissu hépatique
d'un animal nourri avec des matières exclusivement
152 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION
féculentes et sucrées présente toujours une apparence
émulsive et laiteuse.
Ainsi, Yoici deux chiens, l'un que nous avons nourri
pendant trois jours exclusivement avec de la chair mus-
culaire de mouton cuit, l'autre que nous avons soumis
pendant le même temps à une alimentation exclusive-
ment féculente. Ils ont été tués ce matin l'un et l'autre
parla section du bulbe rachidien. L'appareil digestif a
été mis à nu : nous prenons un morceau du foie de
chacun de ces animaux, et nous le faisons bouillir avec
de l'eau ordinaire. Voici maintenant les deux hquides
de décoction, ils réduisent tous deux également le réac-
tif cupro-potassique; mais vous voyez que, tandis que
le premier, celui de l'animal nourri de matières azotées
est à peu près limpide ou au moins très-légèrement
opahn, l'autre, celui de l'animal nourri avec de la fé-
cule, a, au contraire, tout à fait une apparence laiteuse
et émulsive qui fait penser h une matière particulière
qui existe en plus dans ce liquide.
Nous avons constaté déjà que chez ce dernier chien
il y a de l'amidon dans l'estomac et du sucre dans l'in-
testin. Si nous ouvrons actuellement l'estomac et l'in-
testin de l'autre animal, nous trouvons dans l'estomac
une matière grisâtre dans laquelle on reconnaît des
fragments de tête de mouton cuite. Nous jetons le tout
sur un filtre, elle liquide limpide et acide qui passe ne
contient ni sucre ni fécule. L'addition de la teinture
d'iode et l'ébullition avec le liquide cupro-potassique
ne produisent aucun résultat. La matière recueillie à la
fin du duodénum, étendue d'un peu d'eau, estjetéesur
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 153
un filtre ; le liquide généralement jaunâtre qui filtre, et
d'une réaction très-légèrement acide, ne donne lieu
avec les mêmes réactifs à aucun des caractères de la
matière sucrée; il n'y a donc dans l'intestin ni fécule
ni principe sucré de deuxième espèce. Il n'y a pas
non plus de sucre delà première espèce, car, en faisant
bouillir avec un acide et traitant ensuite par la potasse,
on n'obtient pas la réaction du glucose.
Ainsi que vous le voyez, l'alimentation féculente, ap-
portant cependant au foie du sucre venu de l'extérieur,
n'en donne pas davantage dans le tissu de cet organe,
mais elle y fait apparaître une matière nouvelle restant
en suspension dans la décoction.
J'insiste sur ce fait parce qu'il faut bien savoir que,
dans l'état physiologique, l'ingestion de matières fécu-
lentes ou sucrées n'augmente pas la quantité de sucre
dans le foie et par suite dans l'économie. Cette source
extérieure n'apporte aucun changement dans la sécré-
tion intérieure du sucre; elle ne saurait donc être au-
cunement considérée, ainsi que nous verrons, comme
son auxiliaire.
Il n'en est pas ainsi dans le diabète où, dès qu'on
donne des substances sucrées ou féculente^, il apparaît
immédiatement dans l'économie et par suite dans les
urines une plus grande quantité de sucre.
A l'état physiologique, on doit considérer le foie
comme étant un organe destiné pour ainsi dire à éta-
bhr un certain équilibre dans la constitution du sang.
En effet, si vous examinez le sang des animaux dont
l'alimentation est si différente, les uns se nourrissent de
154 INFLUENCE DE L'ALIMENT. SUR LA PROD. DU SUCRE.
matières animales, les autres de matières végétales, et,
si vous analysez leur sang dans le cœur, par exemple,
vous trouverez chez tous une composition à peu près
identique de ce liquide vivant. Ces matières alimen-
taires n'entrent donc pas dans l'organisme, dans l'état
ni dans les proportions oii elles se trouvent quand elles
sont dans l'intestin, elles subissent de la part du foie,
placé comme un laboratoire vital, entre le canal intes-
tinal et le fluide circulatoire général, une profonde
élaboration dans laquelle se maintient un certain équi-
libre nécessaire pour établir la composition semblable
du sang qui est et doit être doué des mêmes propriétés
chez tous les animaux, puisqu'il sert à entretenir des
phénomènes fonctionnels identiques. C'est à l'examen
de ce mécanisme, qui est un des points les plus impor-
tants de la physiologie du foie au point de vue du dia-
bète, que nous consacrerons la prochaine séance.
SEPTIEME LEÇON
IG JANVIER 1855.
SOMMAIRE : Le sucre provenant de l'alimentation ne passe pas à cet état
dans la circulation générale. — Rôle du foie vis-à-vis des matières fécu-
lentes et sucrées. — II les transforme en une substance émulsive particu-
lière. — Expéiiences comparatives.— Preuves diverses. — Sang cliyleux.
— Urines laiteuses. — Application au diabète. —Rôle de la circulation
dans la production du sucre.— Phénomènes mécaniques. Cas d'apparitions
accidentelle du sucre dans les urines. — Production artificielle de ce phé-
nomène. — Critique de quelques expériences.
Messieurs,
Nous sommes arrivés à un des points les plus déli-
cats de la fonction glycogénique. Nous savons que le
foie pi^oduit du sucre indépendamment de la nature
de l'alimentation. Nous savons, d'autre part, que c'est
aux dépens des matières albuminoïdes, que ce suci^e
se forme; caries aliments féculents ou sucrés n'aug-
mentent pas la quantité de sucre dans le tissu hépati-
que, et la matière sucrée se produit constamment chez
les animaux exclusivement nourris de substances azo-
tées, en aussi grande quantité que chez les herbivores.
Mais il se présente alors une question : que devient
le sucre qui est ingéré par l'alimentation ? Il y en a
d'absorbé, c'est incontestable, car on en rencontre
dans le sang de la veine porte. Mais cependant on n'en
trouve pas plus au delà du foie que dans une nour-
lo6 INFLUENCE DE L'ALIMENT. FÉCULENTE OU SUCRÉE
riture purement azotée ; c'est encore là un fait expé-
rimental démontré.
Gomment se comporte ce sucre vis-à-vis du foie ? La
fonction glycogénique de cet organe n'est-elle des-
tinée qu'à suppléer au défaut de la matière sucrée,
quand les aliments n'en fournissent pas? et doit-elle
cesser, quand il en vient du dehors une quantité suffi-
sante ?
Tels sont les problèmes qui se dressent devant nous,
et que nous avons à aborder.
Eh bien, Messieurs, la fonction glycogénique du foie
est constante, quelle que soit la nature de l'alimenta-
tion. Quand l'animal mange exclusivement des ma-
tières albuminoïdes, la proportion de sucre contenue
dans son foie, comme nous l'avons vu dans la der-
nière séance, est de i,35 à j,65 pour 100; quand il
se nourrit de matières féculentes ou sucrées, il s'en
trouve encore des quantités sensiblement égales, de 1 ,50
à \ ,88 pour 100. Le sucre venu du dehors ne s'ajoute
pas comme tel au sucre hépatique, mais il est changé
dans le foie en une autre matière, ainsi que je vous
l'ai fait pressentir dans la dernière leçon. Je remets
encore sous vos yeux les deux liquides qui résultent,
l'un de la décoction du foie d'un chien nourri exclu-
sivement de matières albuminoïdes, vous voyez que le
liquide est parfaitement limpide; l'autre de la dé-
coction du foie d'un chien nourri avec une bouillie
de fécule, et qui est, au contraire, trouble, opalin,
ayant une apparence laiteuse. Les deux chiens ont été
sacrifiés en pleine digestion, et ces deux liquides con-
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE DANS LE FOIE. 1o7
tiennent également du sucre. Ce n'est donc pas à ce
dernier point de vue qu'ils diffèrent, mais seulement
par la matière émulsive tenue en suspension dans le
second, et qui n'existe pas dans le premier. Les matiè-
res féculentes, entrées comme sucre dans la veine porte
et arrivées à cet état dans le foie, sont donc détruites
par cet organe et changées en une autre matière qui a
toute l'apparence d'une substance graisseuse émulsion-
née par une matière protéique spéciale.
Nous avons dit que le sucre, introduit dans le tube
intestinal, n'augmente pas la quantité de cette matière
contenue dans le foie, mais qu'il s'y détruit et détermine
Fapparition d'une autre substance émulsive. C'est de
cette disparition du sucre alimentaire, que je veux ac-
tuellement vous rendre témoins, au moyen de deux
expériences comparatives qui vous prouveront que du
sucre en solution concentrée (GOpart. desucrepour 100
d'eau), ingéré dans le canal digestif et absorbé paria
veine porte, n'entre pas dans la circulation générale,
n'apparaît pas dans les urines, et se trouve, par consé-
quent, arrêté et détruit dans le foie, jusqu'auprès du-
quel on peut le suivre, tandis que dans la même disso-
lution concentrée du sucre, introduit dans l'organisme
par toute autre voie, par l'absorption sous-cutanée,
par exemple, entre dans la circulation générale, et
est éliminé en partie au moins par les urines.
Pour cette expérience nous prenons deux lapins,
en digestion. Au reste, ces animaux, même à jeun,
ainsi que vous le savez, ont toujours des aliments dans
l'estomac ; ce qui n'empêchera pas le sucre de descen-
158 INFLUEiNCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE
dre dans l'intestin. Nous extrayons leurs urines assez
facilement, en pressant dans le petit bassin sur la vessie
avec le pouce, immédiatement au-dessous de la sym-
physe pubienne. Vous voyez que ces urines sont trou-
bles, alcalines, comme celles de tous les herbivores en
digestion, et qu'en outre, elles ne contiennent pas
de sucre, puisqu'en les faisant bouillir avec le réactif
cupro-potassique, après les avoir traitées par le char-
bon animal, elles ne donnent lieu à aucun précipité.
Nous introduisons chez un de ces lapins une sonde
de gomme élastique dans l'estomac, en ayant soin d'é-
viter la trachée, et longeant pour cela avec précaution
le bord dorsal du pharynx et de l'œsophage. Nous
sommes parvenu dans l'estomac et nous ingérons par
cette sonde, et à l'aide d'une seringue, 32 centimètres
cubes d'une dissolution sucrée contenant 60 grammes
pour 100 de sucre de fécule; nous avons ajouté une
certaine quantité de prussiate jaune à cette dissolution.
Nous prenons maintenant l'autre lapin, et, à l'aide
d'une canule acérée, taillée en biseau, comme un tro-
cart (fig. 13), nous lui injectons, dans le tissu cellulaire
sous-cutané, 16 centimètres cubes seulement de la
même dissolution de sucre et de prussiate jaune dépo-
tasse, afin de rendre l'expérience plus concluante. Vous
^oyez le liquide entrer très-facilement sous la peau,
à raison de la laxité du tissu cellulaire des lapins. Une
semblable injection réussirait plus difficilement chez
des chiens, oh le tissu cellulaire est beaucoup plus
dense.
Nous pouvons constater que celte dissolution con-
SUR LA PRODUCTION DU SUCRE DANS LE FOIE- lo9
tient bien, d'une part, du sucre de fécule, dont la pré-
sence se manifeste par la réduction du tartrate cupro-
potassique, et, d'une part, du prussiate de potasse,
car, si nous y versons une goutte de perchlorure de fer,
nous avons une coloration bleue intense, qui indique
la formation du bleu de Prusse, et, par conséquent,
l'existence du prussiate jaune dans le liquide. Je vous
dirai dans un instant le but de cette addition de prus-
siate jaune de potasse.
Nous laissons maintenant nos lapins en repos ; l'ab-
sorption va se faire, et voici les phénomènes qui vont
se passer et les résultats que nous constaterons à la fin
de cette séance :
Les animaux ont reçu tous deux une dissolution de
sucre et de prussiate jaune, l'un dans Testomac, l'autre
sous la peau. Quand nous examinerons, dans une
heure, leurs urines, nous verrons que l'urine du pre-
mier lapin ne contiendra pas la moindre trace de su-
cre, tandis que l'urine du second en offrira des quan-
tités considérables. Mais on pourrait peut-être objecter
que, si le sucre n'apparaît pas encore dans les urines de
l'animal chez lequel cette substance a été ingérée dans
l'estomac, cela dépend d'une différence dans la rapi-
dité avec laquelle l'absorption a lieu dans les différents
points de l'organisme, et l'on sait, en effet, que l'ab-
sorption sous-cutanée est plus rapide que l'absorption
intestinale.
C'est en vue de cette objection et pour y répondre
de façon à ne laisser aucun doute dans votre esprit,
que nous avons eu soin d'ajouter à la dissolution su-
]()(» INFLUENCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE
crée du prussiate de potasse. Cette substance, à la dose
011 nous l'introduisons, traverse l'organisme sans y ap-
porter aucun trouble. Or, vous verrez que les urines
de l'animal chez lequel l'injection a été faite dans l'es-
tomac ne contiendront pas de sucre, tandis que celles
de l'animal chez lequel rinjection a été faite sous la
peau en présenteront des quantités notables; cepen-
dant les urines des deux lapins offriront la même réac-
tion au perchlorure de fer, parce qu'il se trouvera dans
l'une et l'autre du prussiate jaune. Ceci prouvera que
l'absorption s'est effectuée aussi l)ien dans l'intestin
que sous la peau, mais que dans le premier cas la dis-
solution a abandonné un de ses éléments, le sucre, en
traversant le foie, ce qui n'a pas lieu dans le deuxième
cas.
Nous aurions encore pu faire l'expérience de la ma-
nière suivante : Après avoir pratiqué une petite plaie
à l'abdomen d'un lapin, nous aurions pu injecter 2 à
3 centimètres cubes de cette même dissolution dans
un des rameaux de la veine porte; et en découvrant
sur un autre lapin la veine jugulaire, injecter dans ce
vaisseau la même quantité de la même dissolution qui
serait ainsi arrivée au cœur sans avoir passé par le foie.
Il est clair que, dans ce mode d'opérer, on ne pourrait
pas invoquer aucune différence d'absorption, puisque
dans les deux cas nous introduisons les substances di-
rectement dans le sang. Néanmoins nous aurions ob-
tenu exactement le même résultat, c'est-à-dire que chez
le lapin injecté par la veine jugulaire le sucre aurait
passé dans les urines avec le prussiate de potasse, et
SUR LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 161
avec une très-grande rapidité, tandis que chez le lapin
injecté par la veine porte le prussiate de potasse seul
aurait passé dans les urines, oii Ton ne retrouverait pas
la moindre trace de sucre.
Il ne reste donc pas de doute sur ce fait que les ma-
tières sucrées arrivant par la veine porte ne traversent
pas le foie, mais qu'elles occasionnent dans cet organe
la production de cette matière nouvelle qui donne au
liquide cette apparence blanchâtre, et qui paraît être
une matière grasse unie avec une substance protéique.
Du reste, nous serons confirmés dans cette généra-
tion de la graisse aux dépens des matières féculentes et
sucrées alimentaires, par les faits connus dans l'en-
graissement des bestiaux, nous trouverons là une expé-
rimentation faite sur une plus vaste échelle. Vous
savez tous que les animaux engraissent surtout par
l'effet d'une alimentation oii prédomine la fécule; que
les oies et les canards, dont on rend artificiellement le
foie gras, sont nourris jusqu'à l'engorgement avec une
pâtée de maïs ou d'autre fécule; que la graisse formée
par un animal n'est nullement en proportion avec la
quantité de graisse en nature qu'il prend; que, tout au
contraire, les animaux qui ne mangent que de la
graisse, loin d'engraisser, maigrissent rapidement.
D'après tout cela, Messieurs, nous voyons donc
grandir sous nos yeux le rôle et l'importance du foie,
dont les fonctions avaient été si longtemps méconnues.
Désormais ce n'est plus seulement la sécrétion biliaire
que nous aurons à envisager dans cet organe, nous y
trouverons en outre deux fonctions distinctes d'une
BERNARD. I. 11
d62 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE
importance capitale et qui sont la production du sucre
aux dépens des matières albuminoïdes, et la production
de la graisse aux dépens des matières féculentes et
sucrées de l'alimentation.
Il faut donc bien comprendre que la proportion très-
peu variable de sucre qui se trouve dans le foie et dans
le sang n'est jamais, à l'état physiologique, complétée
par les matières sucrées de l'alimentation venant s'a-
jouter purement et simplement au sucre hépatique ; ce
sucre devrait alors être formé par le foie en proportion
moindre, de manière à établir une sorte de balance-
ment entre la quantité de sucre que le foie reçoit de
l'intestin et celle qu'il forme dans son propre tissu, et
ce balancement pourrait même aller jusqu'à anéantir
la formation du sucre si l'extérieur en donnait assez.
A ce point de vue, le foie ne serait plus qu'une espèce
de source sucrée d'occasion pour suppléer à l'insuffi-
sance de celle qui proviendrait de l'alimentation. Mais
il n'en est point ainsi. Quelle que soit la nature de l'ali-
mentation, le foie fabrique toujours la même quantité
de sucre, et c'est ce sucre seulement qui apparaît dans
le sang sortant par les veines hépatiques.
Des compensations de la nature de celles que nous
venons d'indiquer, et telles que pourraient les rêver les
partisans des causes fmales, ne se voient pas ordinai-
rement dans la nature. Les organes de nutrition, sans
conscience de leur rôle, exécutent leurs fonctions pro-
pres, quand ils en ont les éléments nécessaires, et qu'ils
y sont sollicités par une cause excitante ; mais on ne
saurait placer là aucune intelligence spéciale à l'organe.
SUR LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 163
Ce n'est point parce qu'il reconnaît les aliments que
l'estomac sécrète le suc gastrique ; c'est en raison seu-
lement d'un phénomène d'excitation qu'il reçoit, car
nous savons que cette sécrétion s'opère, quand on in-
gère à un animal des corps qu'il ne saurait s'assimiler,
tels que des petits cailloux, par exemple. Le foie de
même produit à l'état physiologique du sucre sous l'in
tluence de toute excitation nerveuse ou sanguine, sans
s'inquiéter de savoir s'il lui arrive ou non dans l'orga-
nisme du sucre pour une autre voie.
Nous devons ajouter encore que le sucre arrivant
du dehors, à l'état de sucre de canne ou de betterave,
de sucre de fruits ou de fécule, de sucre de lait, etc.,
n'a point les mêmes caractères physiologiques que le
sucre produit par le foie; il est bien moins fermentes-
cible, bien moins destructible, et ne serait point apte
aux usages que nous aurons à vous indiquer plus tard.
En résumé, la fonction du foie n'est point une fonc-
tion supplémentaire, variable suivant la quantité de
matière sucrée introduite par l'alimentation; elle est,
au contraire, essentiellement fixe, tant que le sang et
les matières albuminoïdes, aux dépens desquelles elle
se fait exclusivement, lui sont fournies en quantité suf-
fisante.
Quant au sucre qui arrive du dehors par l'alimen-
tation, il se change dans le foie en une matière laiteuse,
qui passe ensuite dans le sang, accompagne le sucre, et
se manifeste également, en communiquant au sang un
aspect blanchâtre dit chyleux. Vous voyez ici du sang
qui a été retiré de la veine jugulaire sur un lapin
16i INFLUENCE DE L'ALIMENTATION FÉCULENTE OU SUCRÉE
nourri exclusivement avec des carottes et des féculents,
au moment où l'animal était en pleine digestion. Ce
sang s'est coagulé, et le sérum qui s'est séparé est,
comme vous voyez, blanchâtre, et a un aspect laiteux.
On dit alors que le sang est chyleux. On avait cru long-
temps que cette apparence était nécessairement due h
la matière grasse que l'on faisait prendre à un animal
avec ses aliments, mais ce phénomène se produit chez
des animaux qui ne prennent que des féculents exempts
de matières grasses, comme de la fécule de pomme de
terre, par exemple, et c'est alors dans le foie que cette
substance laiteuse se développe.
Je tiens de M. Persoz, qui s'est occupé scientifique-
ment de l'engraissement des oies, que, si l'on découvre
un vaisseau chez un de ces animaux soumis au régime
féculent d'engraissem.ent pour obtenir le foie gras, le
sang, qu'on voit circuler, n'est pas rouge, comme dans
l'état normal, mais blanchâtre, offrant une teinte rosée
et ayant l'apparence d'un sang mêlé à du chyle. C'est
surtout au moment de la digestion que ce phénomène
a sapins grande intensité.
Tous ces faits concourent donc, comme vous le
voyez. Messieurs, à établir que le sucre, résultant de
la digestion des féculents, se change dans le foie en
matière cJiyleuse. Si, maintenant, nous cherchons dans
les faits pathologiques, nous pourrons en trouver peut-
être qui sont en rapport avec cette nouvelle fonction
du foie.
11 y a une maladie dont un des caractères principaux
se tire des urines qui sont dites chyleuses, parce
SUR UNE FONCTION NOUVELLE DU FOIE. 163
qu'elles sont blanchâtres absolument comme si on les
avait mélangées avec du lait, qu'elles contiennent en
effet des matières grasses émulsionnées. Cette maladie,
qui est rare dans nos climats, se rencontre plus fré-
quemment dans les pays chauds. M. Rayer en a décrit
plusieurs cas, et j'ai vu plusieurs fois de ces urines
dans le laboratoire de ce médecin célèbre.
Je dis donc qu'il serait possible peut-être de rap-
procher ce cas de la présence de la matière chyleuse
dans les urines de la fonction nouvelle que je viens de
vous signaler dans le foie; de même que nous ratta-
chons le diabète à la fonction glycogénique de ce même
organe. Ce serait là un argument de plus à ajouter à
cette proposition que nous avons énoncée bien souvent,
à savoir, que les phénomènes morbides ont toujours
leurs représentants dans les phénomènes normaux.
D'un autre côté, quand nous analyserons les sym-
ptômes du diabète, nous verrons que cette faculté du
foie, de changer normalement le sucre en matière lac-
tescente, paraît manquer complètement dans cette
maladie, car aussitôt qu'on donne aux diabétiques du
sucre dans l'intestin, cette matière apparaît dans les
urines; si alors cette matière grasse, résultant de la
destruction du sucre alimentaire dans le foie, ne se fait
pas, on conçoit que ces malades maigrissent avec ra-
pidité, ainsi que l'ont constaté tous les observateurs,
évitant de donner des féculents qui font augmenter le
symptôme principal de cette affection.
Relativement aux caractères chimiques de cette ma-
tière chyleuse, voici ce que nous avons constaté :
160 INFLUENCE DE L'ALIMENT. FÉCULENTE OU SUCRÉE, ETC.
On prend ici la décoction d'un foi(3 de chien,
nourri depuis deux jours avec une pâlée de fécule el
de pain. Cetle décoction fdtrée est très -trouble et
comme laiteuse. M. Leconte a traité une partie de ce
liquide en y ajoutant de l'alcool mêlé de 1/5 d'éther,
jusqu'à ce qu'il se séparât une matière caséeuse, qui
est insoluble dans l'acide acétique cristallisable; on
jette sur un filtre qui laisse passer un liquide limpide
el très-sucré. La matière caséeuse reste sur le filtre;
on dessèche au bain-marie, on reprend par l'éther et,
en laissant évaporer, on obtient une petite quantité de
matière grasse.
Il semblerait donc que la matière grasse est intime-
ment unie à la matière caséeuse qui la dissimule, car
on ne peut pas séparer directement cette graisse par
les moyens ordinaires. Dans les foies de chiens, ou
d'animaux qui n'ont pas été nourris avec une alimen-
tation fortement sucrée ou féculente, on n'obtient que
de faibles proportions de cette substance caséeuse sus-
ceptible de céder de la matière grasse.
Nous n'entierons pas dans de plus grands détails re-
lativement aux caractères chimiques de cette substance
nouvelle, qui naît dans le foie, sous l'infiuence de l'a-
limentation sucrée ou féculente. Nous ne faisons ici
que l'indiquer comme sujet d'étude à reprendre plus
tard, car nous ne devons pas perdre de vue notre
sujet principal d'étude, l'histoire physiologique du
diabète, auquel il nous faut actuellement revenir.
Après avoir étudié la part que les différentes sub-
stances contenues dans le sang prennent à la production
PHÉNOMÈNES DE CIRCULATION DANS LE LOBULE DU FOIE. 167
du sucre dans le foie, nous allons chercher à apprécier
l'influence qu'exercent sur l'accomplissement de cette
fonction les conditions mécaniques de rapidité ou de
ralentissement de la circulation du fluide sanguin à tra-
vers le foie.
Il ne faudrait pas croire que tout le sang qui traverse
un organe soit épuisé de la matière sur laquelle cet or-
gane opère pour accomplir sa fonction. II n'y en a ja-
mais qu'une partie d'employée, le reste passe sans avoir
éprouvé d'altération. Il y a donc dans le foie, comme
dans tous les organes, une circulation mécanique, qui
s'accomplit avec la rapidité de la circulation générale,
et une circulation chimique beaucoup plus lente pour
le travail d'élaboration auquel elle est destinée. Il en
est ainsi de tous les organes glandulaires, du poumon,
des glandes salivaires, du pancréas, de la rate, etc.
C'est de cette partie mécanique de la circulation du
foie que nous allons vous dire quelques mots.
Quand on fait l'anatomie du foie, on trouve des
groupes de cellules, qu'on nomme un lobule (fig. 7).
Du centre de ce lobule part la veine sus-hépatique V H,
et autour de cet amas de cellules environné par la cap-
sule de Glisson arrive la veine porte Y P, qui circonscrit
en quelque sorte le lobule. On voit ainsi que le sang
qui est amené par la veine porte à la périphérie du
lobule doit, pour parvenir dans la veine hépatique,
circuler à travers toute la série de cellules hépatiques
intermédiaires. Durant ce trajet, le sang est en contact
avec les cellules hépatiques, à travers des parois vascu-
laires très-minces qui ne sont pas distinctes et ne cir-
168 PHÉNOMÈNES DE CIRCULATION
conscrivent en quelque sorte que des lacunes vasculai-
res. C'est là que se passent les phénomènes chimiques
vil-
wëmhw%2^
5^^r3
O-ii-i
Fia.
VH, veine hépatique prenant naissance au milieu du lobule hépatique. —
VP, VP, VP_, terminaison de la veine porte autour du lobule hépatique qui se
trouve circonscrit par ces divisions vasculaires. De ces divisions de la veine
porte part un système de vaisseaux capillaires intermédiaire entre la veine
porte et la veine hépatique. C'est dans les mailles de ce réseau capillaire
que se trouvent situées les cellules hépatiques C, qui se trouvent immédiate-
ment en contact avec le sang qui circule de la veine porte à la veine hépa-
tique, c'est-à-dire de la périphérie du lobule hépatique à son centre. — B
B B, terminaison des conduits biliaires, ou plutôt origine de ces canaux au-
tour des lobules hépatiques; ils accompagnent les divisions périphériques
de la veine porte.
donnant naissance aux métamorphoses d'oii résultent le
sucre et les diverses autres matières nouvelles qui se
forment dans le foie aux dépens des principes que
contient le sang. C'est encore dans ce même lobule que
DANS LE LOBULE DU FOIE. i69
se produit la bile qui est recueillie par les canaux bi-
liaires B, B, B, distribués à la périphérie du lobule
hépatique, en accompagnant la veine porte, sans qu'on
ait pu encore déterminer exactement quels rapports
anatomiques ces conduits biliaires contractent avec les
cellules hépatiques. La plupart des anatomistes pensent
qu'ils se terminent par des orifices béants au milieu
des espaces intercellulaires du lobule. M. le docteur
Hanfield Jones pense que ces conduits biliaires se ter-
minent en culs-de-sac, de sorte que la bile serait sé-
crété par leurs parois, et non par les cellules hépa-
tiques.
Or, quand on examine au microscope le foie d'un
t:^|:
Fig. 8. Cellules du foie du lapin à Jeun et en digestion de fécule.
A, cellules du foie d'un lapin en digestion de carottes et pain; les cel-
lules, très-granuleuses intérieurement, sont très-arrondies et comme gonflées,
présentant des contours pâles ; elles sont comme noyées au milieu de granu-
lations moléculaires D qui les entourent, et sont animées d'un mouvement
brownien très-actif. — 0, noyaux de cellules isolés.
B, cellules du foie de lapin à jeun depuis trente-six heures; ces cellules
sont de forme assez irrégulière, comme aplaties avec des bords très-nets, et
ne sont pas entourées de granulations moléculaires. — O, noyaux de cellules
isolés.
animal en digestion de substances féculentes, on voit
dans les cellules hépatiques une infinité de petits glo-
170 PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX DE CIRCULATION
l)ules de graisse; autour de ces cellules sont répandues
des myriades de petites molécules, qui offrent égale-
ment l'aspect de la matière graisseuse, et qui sont ani-
mées d'un mouvement brownien excessivement rapide.
^Fig. 8 A; fig. 9 B.) On observe particulièrement ces
faits chez un animal soumis à l'alimentation féculente,
et ce phénomène de production de la matière émulsive
B
A^^ft-^
c
Fig. 9. Cellules du foie du chien à jeun et en digestion de féculents.
A, cellules du foie d'un chien à jeun; ces cellules offrent des bords très-
nets et ne sont pas entourées de granulations moléculaires. — C, cellules
hépatiques. 0, noyau de cellules isolé.
li, cellules du foie d'un chien en digestion de pain et fécule; les cellules C
sont très-granuleuses à l'intérieur, et entourés de granulations moléculaires
D, douées du mouvement brownien. — 0, noyau de cellules isolé.
est déterminé durant le passage du sang de la veine
porte à travers les cellules glandulaires du foie.
C'est la circulation chimique qui s'opère ainsi que
nous l'avons dit (Fig. 7). Mais à côté de cette circulation
(rès-lente, il s'en fait une autre : on voit des rameaux
de la veine porte, qui, au lieu de s'enfoncer dans le
lobule du foie, le circonscrivent, et viennent s'anasto-
moser avec les veines hépatiques. C'est donc là une voie
DANS LE FOIE. 171
collatérale, par laquelle une partie du sang de la veine
porte s'écoule sans avoir traversé les cellules du foie,
pour arriver directement dans la grande circulation.
Or, ce système accessoire, qui est très-peu visible
Fig. 10.
Portion d'un foie de cheval vu par sa face inférieure pour montrer une
nouvelle espèce de communications vasculaires directes qui existent entre la
veine porte hépatique et la veine cave inférieure, au moment de sa pénétra-
tion dans le foie. — VP, tronc de la veine porte hépatique. — VC, tronc de
la veine cave inférieure, s'élargissant et présentant une structure musculaire
très-prononcée dans toute sa portion hépatique. — A, branche de la veine
porte hépatique se détachant de son tronc et allant se ramifier sur la face
externe de la veine cave inférieure, à la matière des vasa vnsorum, mais
offrant cette singulière disposition que la plupart des rameaux, au lieu de se
terminer en capillaires;, pénètrent brusquement en «, a, a, a dans la cavité
de la veine cave inférieure, s'insinuant entre les fibres musculaires qui cons-
tituent sa paroi, et établissant ainsi une communication entre le sang de la
veine cave inférieure et celui de la veine porte hépatique.
chez l'homme, acquiert son summum de développement
chez le cheval et chez certains animaux coureurs oii les
172 PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX DE CIRCULATION
communiccilionsà pleia canal entre la veine porte et les
veines hépatiques deviennent excessivement larges, et
permettent au sang venu de l'intestin de passer facile-
ment dans la veine cave inférieure.
On voit, môme chez le cheval (Fig. 10), des vaisseaux
qui se détachent de la veine porte VP, à son entrée dans
le foie, pour se porter vers le tronc de la veine cave VC,
dans les parois de laquelle pénètrent un certainnombre
de branches terminales^, «', a", qui versent directement
le sang dans la veine cave sans qu'il ait passé par aucun
système capillaire. Quand on examine la surface interne
de la veine cave (Fig. 11), on y voit des orifices <^, b, bien
nettement circonscrits^ qui ne sont autre chose que les
orifices de ces communications directes entre la veine
porte et la veine cave. Il n'y a pas de valvules dans ces
vaisseaux. Il existe également de ces mêmes communi-
cations directes dans le foie, entre les vaisseaux de la
veine porte et les veines hépatiques. On peut vérifier la
réalité des communications quenous venons de signaler,
au moyen des injections qui, sur un cheval ou sur un
chien, passent avec la plus grande facilité de la veine
porte dans la veine cave; ce qui offre beaucoup plus de
difficulté chez l'homme.
On conçoit, en effet, l'importance de telles commu-
nications entre la veine porte et la veine cave, de même
qu'avec les veines hépatiques qui ne sont qu'une dépen-
dance de la veine porte.
Chacun sait que, sous l'influence d'un mouvement
violent, lacirculationesttrès-accélérée,le sangparcourt
plus vite et plus souvent, dans un temps donné, le sys-
DANS LE FOIE. 173
tème vasculaire. S'il n'y avait pas entre le système porte
et le système veineux général ces larges communications
Portion d'une veine cave inférieure de cheval (grandeur naturelle) vue par
sa face intérieure, pour montrer les orifices d'abouchement des vaisseaux
anastomotiques de la veine porte. — a, a, a, a, ouverture de section des vais-
seaux anastomotiques provenant de la veine porte, et se ramifiantà la surface
externe de la veine cave inférieure. On aperçoit par transparence leur mode
de distribution (la pièce est sèche et Injectée, elle appartient à un cheval
dont le foie était malade, et par suite des vaisseaux anastomotiques se trou-
vent excessivement développés). — 6, b, 6, 6, orifices de communication de
dimensions variables, par lesquels les vaisseaux anastomotiques de la veine
porte hépatique s'abouchent dans la veine cave inférieure en écartant les
fibres musculaires et en continuant leur tunique avec la membrane qui
tapisse la face interne de la veine cave.
à travers le foie, il en résulterait un engorgement de
cet organe, comme cela a lieu chez Thomme et chez
certains animaux non habitués à la course, où, sous
174 PASSAGE ACCIDENTEL DU SUCRE
l'influence d'une marche rapide, le sang, s'accumu-
lant dans le foie, reflue dans la Yeine porte et dans la
rate; ce qui produirait, suivant certains auteurs, le
point de côté.
Il y a donc dans le foie une circulation chimique
lente et une circulation mécanique rapide; au moyen
de cette dernière une certaine quantité de sang échappe
aux transformations que lui ferait subir un contact
prolongé avec l'élément glandulaire. De là résulte que,
pour les matières albuminoïdes, par exemple, il n'y en
a qu'une certaine quantité qui soit changée en sucre, et
que, quant à la matière sucrée qui arrive avec le sang
de la veine porte, il y en a toujours également une
certaine portion qui n'est pas transformée- en cette
matière émulsive spéciale.
La proportion de sucre qui, dans les circonstances
ordinaires, passe par le foie sans être modifiée, est
trop peu considérable pour apparaître dans les urines,
parce que les matières alimentaires féculentes ne don-
nent pas lieu à l'absorption de matière sucrée en aussi
grande abondance qu'on serait peut-être porté à le
croire.
Néanmoins, il y a des cas, oii, sous l'influence de
conditions particulières, le sucre peut accidentellement
apparaître dans les urines, sans pour cela constituer
une maladie. Ce n'est alors qu'un phénomène passager,
qui se manifeste, par exemple, quand, étant à jeun
depuis un certain temps, on vient à prendre une grande
quantité de sucre. L'absorption intestinale se faisant
alors avec une extrême rapidité, une grande quantité
DANS LES URINES. 175
de sucre arrive en masse dans le foie : la circulation
mécanique l'emporte de beaucoup sur la circulation
chimique, le sucre est versé dans le système général
dans des proportions plus grandes que ne le comporte
l'état normal, et il passe alors dans les urines oii son
apparition passagère peut être constatée pendant un
certain temps. Il est clair que l'on ne peut pas considé-
rer cela comme un cas de diabète, ni caractériser la
maladie par ce seul symptôme.
M. Biot a cité déjà ce passage du sucre chez des gens
d'ailleurs bien portants. Mais pour le reproduire h vo-
lonté, il suffit de se rappeler dans quelles conditions
particulières l'absorption intestinale devenant très-ra-
pide, la circulation hépatique se trouve exagérée, ainsi
que nous vous l'exposerons bientôt.
Du reste, ce phénomène n'est pas spécial pour le
sucre, il a lieu pour toutes les substances que, dans
les mêmes circonstances, on ingère en quantités consi-
dérables. Je me rappelle qu'un jour, un homme bien
portant du reste, mais étant à jeun, avala un assez grand
nombre d'œufs crus. Quelques heures après, on con-
stata que les urines étaient devenues très-albumineuses,
et elles ne reprirent qu'au bout d'un certain temps leurs
qualités normales.
Donc il n'est pas indifférent, lorsqu'on ingère une
matière naturellement modifiée dans le foie, de l'intro-
duire dans l'état d'abstinence ou dans l'état de diges-
tion.
Il n'est pas indifférent non plus de prendre une dis-
solution plus ou moins saturée. Si l'on emploie une
176 TASSAGE ACCIDENTEL DU SL'CRE
dissolution de sucre peu concentrée, 5 pour 100, par
exemple; on ne verra jamais le sucre passer dans les
urines, même chez l'animal en abstinence, parce que
la quantité qui arrivera dans la circulation générale
sera nécessairement très-faible et n'apparaîtra pas dans
les urines. Seulement celte rapidité d'absorption, même
pendant l'abstinence, pourra être diminuée par la pré-
sence de matières dans l'intestin; et il y a, sous ce
rapport, une différence à établir entre les chiens dont
l'estomac est parfaitement vide, tandis que, chez les
lapins, il y a encore des aliments même après une abs-
tinence de plusieurs jours.
Toutes ces circonstances, en apparence accessoires,
sont donc très-importantes à considérer, quand on veut
faire des expériences précises. En 1853, M. le docteur
J. de Becker a publié, dans le V^ volume du Journal de
zoologie scientifique de Siebold et Kœlliker, un grand
nombre d'expériences relatives à l'absorption du sucre
dans Tintestin. Ces expériences ont été faites avec un
très-grand soin, les quantités de sucre dosées très-exac-
tement, et l'on a dressé des tables statistiques avec une
attention toute particulière. Néanmoins l'auteur a ob-
tenu des résultats variables, quoiqu'il eût fait tous ses
efforts pour se mettre dans des conditions identiques;
seulement il a pris une précision en dehors des condi-
tions physiologiques de l'organisme. Car, en recherchant
ces conditions, les variations des résultats obtenus s'ex-
pliquent très-simplement : c'est ainsi, par exemple,
qu'à la page 133, deux lapins ont reçu, dans l'esto-
mac, la même quantité d'une solution concentrée et
DANS LES URINES. \n
dosée de sucre, et cependant on n'a trouvé le sucre
dans les urines que chez un seul animal.
L'auteur constate les deux résulats sans rechercher
autrement d'oii provient la différence, et cependant
cette différence s'explique par les circonstances signa-
lées, car il constate que chez le lapin, où le sucre a
passé dans l'urine, celle-ci était claire et acide, ce qui
est le caractère de Tabstinence sur les lapins.
Vous voyez donc. Messieurs, que la précision des
calculs n'apporterait avec elle qu'une rigueur spé-
cieuse si l'on n'avait soin de diriger son attention sur
les conditions physiologiques variables des fonctions
qu'on examine.
M. J. de Becker a produit aussi un phénomène pa-
rement physique, au lieu d'un phénomène physiolo-
gique. Il a injecté, par exemple, une solution concen-
trée de sucre dans une anse d'intestin, et au bout de
quelque temps, il a constaté dans l'urine le passage de
la matière sucrée. Il n'y a pas eu là, comme dans le
cas où la matière sucrée introduite dans l'estomac peut
circuler librement, une absorption physiologique par
les vaisseaux veineux, qui transportent le sucre au
cœur avec le sang, pour qu'il soit ramené ensuite jus-
qu'au rein par l'aorte et par l'artère rénale. Il y a eu
dans ce cas simplement des phénomènes endosmo-
tiques qui se sont passés entre les parois de l'intestin
et les parois de la vessie, à cause de la concentration
considérable des liquides, et l'on doit reconnaître là
un phénomène tout à fait différent de celui qui s'ob-
serverait chez un animal vivant dont l'intestin n'aurait
BERNARD. I. 12
178 PASSAGE ACCIDENTEL DU SUCRE
point été lié. Ce qui prouve que c'est bien un phéno-
mène purement physique et qui n'a rien de vital, c'est
que nous pouvons le reproduire avec les mêmes ré-
sultats chez un animal mort. Voici un lapin, mort
depuis hier, dans l'intestin grêle duquel nous avons in-
jecté, il y a trois heures, une dissolution sucrée, con-
tenant 60 grammes de sucre sur 100 grammes d'eau
et 2 grammes de prussiate de potasse. Nous allons
maintenant retirer Turine restée dans la vessie de ce
lapin. Elle contient, ainsi que vous le voyez, du sucre,
puisqu'elle réduit avec le tartrate cupro-potassique et
du prussiate jaune, puisqu'elle donne du bleu de Prusse
avec le perchlorure de fer.
Telles sont donc. Messieurs, les erreurs auxquelles
on peut être exposé, quand on n'a pas le soin de s'at-
tacher avant tout à connaître exactement les conditions
physiologiques des phénomènes vitaux. C'est là que se
ti'ouve la véritable précision de la physiologie. Tous
les moyens de précision, basés en dehors de ces con-
sidérations, sont purement illusoires, et il est à regret-
ter que très-souvent on ait à constater de ces tenta-
tives d'exactitude prétendue mathématique qui pèchent
par l'oubli des conditions qui devraient leur servir
de base.
Maintenant, Messieurs en terminant la séance, con-
statons les résultats que nous avons annoncés au com-
mencement.
Voici d'abord le lapin, auquel nous avons injecté
notre dissolution de sucre et de prussiate sous la peau.
Nous prenons de ces urines, elles sont toujours troubles;
DANS LES URINES. 17§
j'en prends une portion, à laquelle j'ajoute du per-
chlorure de fer, et la formation du bleu de Prusse in»
diquequele prussiate dépotasse y a passé. Maintenant,
je traite l'autre portion par le tait rate cupro-potassi-
que ; il est réduit abondamment, comme vous voyez.
Donc, le sucre, dans ce lapin, a passé dans les urines
comme le prussiate.
Si nous extrayons de même de l'urine de l'autre la-
pin, elle est trouble comme l'autre.
Le perchlorure de fer y forme du bleu de Prusse;
donc le prussiate a passé. Examinons au réactif cupro-
potassique; il n'y a aucune réduction. Donc, le prus-
siate seul a passé dans les urines de ce lapin. Le sucre
a été détruit dans ce dernier cas parce qu'il a dû tra-
verser le foie. Voici donc la vérification des résullati:
que nous avions annoncés au commencement de cette
séance.
HUITIEME LEÇON
20 JANVIER 1855
SOMMAIRE : Conditions anatomiques qui favorisent la circulation dans le
foie..— Structure comparée delà veine porte et des veines hépatiques. -
Mécanisme de la circulation hépatique. — Influence des maladies sur la
sécrétion du sucre. — Influence des maladies aiguës sur l'état diabétique.
— Influence de la température sur la sécrétion du sucre. — Influence des
enduits. — Influence du froid. — Expériences à ce sujet. — Influence de
la chaleur. — A«e et sexe. —Lactation.
Messieurs,
Nous savons que dans certaines conditions physiolo-
giques la sécrétion glycogénique subit des oscillations
dans lesquelles elle est tour à tour augmentée et di-
minuée.
L'activité de la circulation dans le foie est une des
conditions qui peuvent augmenter la sécrétion du su-
cre, et cette activité elle-même peut être déterminée
principalement par deux ordres de causes purement
mécaniques, dont les unes sont extérieures au foie et
les autres intérieures à cet organe, et agissent en vertu
de sa constitution anatomique.
Le sang qui arrive par la veine porte est soumis
d'abord h la pression à peu près constante qui lui est
transmise par le sang des artères mésentériques, et,
en outre, il est poussé vers le foie par la pression des
parois abdominales. Si l'on vient à ouvrir le ventre, la
PHÉNOMÈNES DE LA CIRGLLAT. DANS LE FOIE. 181
pression est insuffisante pour faire circuler le sang vers
le foie, et si l'on ouvre alors le thorax, il y a même
reflux du sang de cet organe, qui se mélange avec
le sang de la veine porle, à cause de l'absence de valvules
dans ce système veineux. Mais les conditions de cir-
culation que nous venons de signaler, quoique assez
énergiques, ne suffiraient certainement pas pour
pousser le sang à travers le foie jusqu'au cœur, s'il n'y
avait pas dans cet organe lui-même des dispositions
particulières pour empêcher son engorgement d'avoir
lieu.
Je vous ai déjà indiqué, dans la dernière séance,
comment il fallait distinguer deux circulations dans
l'organe hépatique, l'une purement chimique destinée
à Faccomphssement des phénomènes de sécrétion ;
l'autre, mécanique, destinée à faciliter le renouvelle-
ment du sang dont l'excès peut arriver dans les veines
hépatiques par des canaux spéciaux qui entourent les
lobules du foie, sans traverser les cellules hépatiques.
C'est là une première condition qui empêche dans
certains moments, comme pendant la digestion, et
pendant la course, oii la circulation est très-accélérée,
le foie de se trouver engorgé.
Indépendamment de cette circulation collatérale de
dégorgement, il y a dans le foie une disposition parti-
culière dans la structure même des veines hépatiques,
qui supplée à l'insuffisance d'impulsions du sang qui
arrive dans ces vaisseaux, soit qu'il ait traversé des
cellules pour accomphr les phénomènes chimiques,
soit qu'il ait passé par les communications directes
182 PHÉNOMÈNES DE LA CIRCULATION
qui existent entre la veine porte et les veines hépa-
tiques. •
Le toie, comme vous le savez, possède deux ordres
vp'
Fig. 1-7.
Foie dhomme dissèque suivant le trajet des vaisseaux pour montrer la dis-
position respective des rameaux de la veine porte et de ceux des veines hépa-
tiques, ainsi que leur rapport avec le tissu du foie. — YP, tronc de la veine
iporte coupée au moment de son entrée dans le foie; on voit la portion qui
se distribue dans le lobe gauche.— VP',VP', rameaux de la veine porte qui
soni entourés de la capsule de Glisson et n'adhèrent pes intimement au
tissu hépatique. Les branches de l'artère hépatique pénètrent dans le foie
avec la veine porte et la suivent dans sa dstribution. — VH, VU, veines
hépatiques; leur paroi adhère au tissu du foie qui les entoure,
âe veines, la veine porte, formant le système afférent,
files veines hépatiques, formant le système efférent.
Quand on examine nne coupe du foie, vous savez
aussi qu'il est facile de distinguer, à première vue, au-
quel de ces deux ordres de veines appartiennent les
DANS LE FOIE. 1«^
orifices vasculaires qui s'offrent aux yeux. Les ramifi-
cations de la veine porte, entourées par la capsule de
Glisson, n'adhèrent pas à la substance hépatique, dont
elles sont séparées par une couche de tissu cellulaire
dans lequel rampent les branches de l'artère hépatique,
les conduits biliaires ainsi que les nerfs ; il en résulte
que, quand on vient à couper ces veines, elles se ré-
tractent de manière que le rapprochement de leurs pa-
rois obstrue la lumière du vaisseau.
Les veines hépatiques YH, YH (Fig. 12) et leurs
ramifications ne sont point entourées par une gaîne
spéciale, elles sont directement en contact et adhé-
rentes, par leur face externe, avec le tissu même du
foie, de sorte qu'au lieu de se rétracter après la sec-
tion, elles restent béantes. En outre, tandis que la veine
porte YP arrive à peu près au centre du foie pour en-
voyer dans tous les sens des rameaux qui s'irradient à
la manière des rayons d'un cercle, les veines hépati-
ques partent, au contraire, toute d'un point de la cir-
conférence de l'organe et envoient leurs rameaux dans
le foie, à la manière des branches d'un éventail dont le
lieu de convergence se trouve sur la veine cave infé-
rieure YC. Les branches forment deux plans princi-
paux, l'un supérieur, l'autre inférieur, entre lesquels
se trouve le système porte.
Or, à cette dispositio n spéciale des veines hépatiques
par rapport au tissu du foie correspond un rôle physio-
logique particulier résultant de la structure intime de
ces vaisseaux. Les veines hépatiques dépendent de la
veine cave inférieure; celle-ci, dans toute la portion
484 ^PHÉNOMÈNES DE LA CIRCULATION
qui est logée dans le foie, offie une structure muscu-
laire extrêmement prononcée. Son calibre est plus con-
sidérable, sa paroi acquiert en ce point une couche
charnue très-épaisse. Les fibres musculaires sont sur-
tout longitudinales, et elles forment des faisceaux
rougeâtres, placés parallèlement les uns aux autres.
Avant d'entrer dans le foie et après en être sorties, les
parois de la veine cave sont beaucoup plus minces et
offrent une structure tout à fait différente.
On voit quelquefois la veine cave présenter des batte-
ments en ce point.
Ce système musculaire est également propre aux vei-
nes hépatiques. Là, comme dansla veine cave, les fibres
sontlongitudinalement disposées et constituent de petits
faisceaux rougeâtres parallèles, très -apparents. Les
fibres musculaires, examinées au microscope, sont
composées de fibres lisses, non striées, analogues à cel-
les du cœuret de l'intestin.
C'est surtout chez le cheval que cette structure mus-
culaire est le plus évidente; elle existe aussi chez
l'homme, le mouton, le chien, le lapin, etc., mais à
un degré moins prononcé. Il est remarquable que c'est
chez les chevaux coureurs que j'ai toujours trouvé cet
appareil à son summum de développement.
Les fibres, en se contractant, raccourcissent la lon-
. gueur du vaisseau, rapprochent les uns des autres les
éléments du tissu hépatique auxquels elles sont intime-
ments unies. Les veines hépatiques distribuant leurs ra-
meaux et leurs ramuscules dans toutes les parties du
foie, on conçoit que, quand elles viennent à se raccour-
DANS LE FOIE. 185
cir, il en résulte une compression générale de toutlor-
gane.
On comprend maintenant comment peut se faire la
circulation sous l'influence de ce système de vaisseaux
susceptibles de se contracter. Le sang conriuit par la
\eine porte se répand autour d'un lobule hépatique, et
après avoir traversé les cellules ou les communications
capillaires directes, il arrive enfin à la \eine hépatique,
qui occupe le centre de ces lobules, où il stagnerait,
parce que la faible impulsion qui l'a amené jusque-là
serait impuissante à le conduire plus loin. Mais les vei-
nes hépatiques, se raccourcissant, expriment, pourainsi
dire, le foie, à la manière d'un éponge, et le sang, trou-
vant du côté de la veine cave un débouché plus facile, est
chassé dans ce vaisseau qui le conduit au cœur.
Nous verrons qu'il y a des cas oii l'activité de ce sys-
tème peut être exagérée ou ralentie de manière à pro-
duire des troubles relatifs à l'affection diabétique.
Après avoir résumé toutes les conditions mécaniques
et chimiques de la circulation du foie, nous devrions
passer à l'intluence du système nerveux, mais nous
avons encore quelques considérations à vous présenter
sur des actions extérieures du milieu ambiant. Ce sont
les influences que peuvent exercer sur la fonction du
foie soit les différentes maladies aiguës, soit le sexe et
l'âge, etCv
Relativement aux maladies graves, aiguës ou chroni-
ques, leur influence est extrêmement remarquable, en
ce qu'elle détruit très-rapidement les fonctions du foie
et en particulier celle de la formation du sucre. Aussi,
18<j INFLUENCE DES MALADIES
Messieurs, toutes les fois que vous examinerez le tissu
hépatique des cadavres amenés dans les amphithéâtres,
et morts pour la plupart après un séjour plus ou moins
long dans les hôpitaux, vous n'y trouverez pas ordinai-
rement de sucre.
Voici, par exemple, un foie d'homme, apporté ce
matin du pavillon de l'École pratique, et pris au hasard :
nous pouvons dire d'avance, avec beaucoup de probabi-
lité, qu'il ne contient pas de sucre; d'ailleurs, pour vous
en convaincre, nous allons le soumettre à nos procédés
ordinaires d'analyse. On en coupe un morceau, on le
broie et on le fait bouillir avec un peu d'eau. Si nous
prenons maintenant le liquide et la décoction, et que
nous le traitions par le tartrate cupro -potassique, vous
voyez qu'il ne le réduit pas, et par conséquent qu'il ne
contient pas de sucre. Aussi, quand nous avons voulu
savoir si la fonction dont nous nous occupons existait
chez l'homme, avons-nous dû prendre des foies d'in-
dividus morts en état de santé, des foies de suppliciés,
par exemple, ou d'individus morts subitement par
accident.
Si l'on rend un animal malade, on fera disparaître,
et au bout de très -peu de tempïj, le sucre dans son foie.
Voici un chien auquel on a ouvert hier le canal rachi-
dien et fait la section de quelques racines nerveuses de
la moelle épinière, opération douloureuse et qui exige
qu'on pratique des pertes de substance assez graves.
L'animal vient d'être tué par la section de bulbe et,
quoiqu'il soit malade depuis Yingt-quatre heures à
peine, voici le liquide résultant de la décoction de son
. SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 187
foie, qui, ainsi que vous le voyez, ne réduit pas le tar-
trate cupro-potassique.
Ainsi, Messieurs, sous l'influence d'un état morbide,
mais particulièrement sous l'influence d'un état fébrile
aigu, le sucre n'est plus sécrété par le foie, et l'on n'en
retrouve plus dans son tissu. C'est là, comme vous le
sentez bien, un fait très-important, et qui doit éclairer
la pathologie générale au point de vue des phénomènes
de nutrition qui ont lieu pendant la maladie.
Dans le cas particulier qui nous occupe, lorsqu'un in-
dividu diabétique est pris d'une maladie aiguë ou chro-
nique, les choses se passent de même : le sucre n'est plus
sécrété du tout, ou bien sa sécrétion diminue considéra
blement, et le sucre disparaît des urines, à tel point
qu'on pourrait croire le malade guéri de sa première af-
fection; mais c'est tout simplement le symptôme qui a
disparu, parce que la fonction du foie s'est arrêtée
comme beaucoup d'autres fonctions. Le sucre reparaî-
tra sitôt que l'affection intercurrente aura disparu.
M. Rayer a insisté sur ce fait que, si un diabétique est
pris d'une maladie aiguë, d'une pneumonie ou d'une
variole, par exemple, il cesse de rendre du sucre dans
les urines pendant tout le temps que la maladie suit ses
périodes, puis, quand elle a disparu, le diabète revient
comme auparavant.
J'ai observé moi-même un cas très-curieux cbez une
femme diabétique qui avait en même temps une altéra-
tion chronique des intestins. De temps en temps les phé-
nomènes de cette dernière affection passaient h l'état
aigu, la malade avait des coliques et delà diarrhée. Aus
188 INFLUENCE DES MALADIES '
sitôt que ces symptômes apparaissaient, le sucre cessait
de se montrer dans les urines, mais y revenait dès que
l'affection intestinale se calmait. Je vis cinq ou six fois
se reproduire ces alternatives.
On a donc pu croire souvent que des diabétiques
étaient guéris par cela qu'ils contractaient une autre
maladie intercurrente. Très-souvent dans la dernière
période du diabète, quand les individus commencent à
devenir phthisiques, et quand les fonctions digestives
s'altèrent, on voit le sucre disparaître des urines. Cela
indique alors que le malade n'a plus longtemps à vivre.
On ne trouve, en effet, de sucre dans le foie des dia-
bétiques que quand ceux-ci sont morts rapidement ou
par suite d'accident.
L'état de maladie aiguë est donc incompatible avec
le diabète. Cette affection, en effet, ne se rencontre, en
général, que chez des individus dans lesquels les fonc-
tions nutritives, les fonctions digestives surtout, ont
une grande énergie. Quand, dans nos expériences, nous
voudrons rendre des animaux diabétiques, ainsi que
nous vous le ferons voir bientôt, nous aurons soin de
les prendre aussi vigoureux que possible, car nous n'ob-
tiendrions pas de résultats aussi nets sur des animaux
faibles et maladifs.
En résumé, vous voyez donc que, soit chez les indi-
vidus non diabétiques, soit chez les diabétiques eux-
mêmes, une maladie aiguë fait disparaître le sucre du
foie, etquandlamort arrive à lasuite de ces affections,
le tissu hépatique ne présente plus trace de matière
sucrée.
SUR LA FONCTION GLYGOGÉNIQUE DU FOIE. 189
La mort emporte souvent avec elle par conséquent
un certain nombre des caractères physiologiques qu'on
retrouve dans les organes pris sur des individus morts
dans un état de santé ; elle a pour effet, en particulier,
d'enlever ou de modifier les caractères de la chimie
vitale. On ne peut pas toujours par conséquent con-
clure, de l'examen d'un organe pris chez un individu
mort de maladie, à ses propriétés dans leur exercice
normal pendant la vie. Les expériences doivent donc
être instituées sur l'être vivant et en état de santé pour
être concluantes.
Quant à la présence du sucre, il est clair que, dans le
plus grand nombre des cas où on l'eût recherchée sur
l'homme, il était impossible qu'elle fût constatée. Et
pour le dire en passant, car nous devons insister sur
cette notion pour montrer que la physiologie déduite
de l'anatomie du cadavre est tout à fait insuffisante, ce
n'est pas seulement au point de vue chimique que la
mort apporte des modifications dans les organes, mais
encore au point de vue purement anatomique ; elle pro-
duit des déformations dans les tissus organiques, elle
fait disparaître les éléments anatomiques d'une foule
de muqueuses, celles de l'intestin, celles de l'utérus,
par exemple, qu'on n'a bien connues qu'en les étudiant
sur des individus pris en état de santé et au moment
011 les organes fouctionnaient suivant leur mode nor-
mal.
Nous arrivons maintenant à considérer l'infiuence
des conditions de température extérieure, de chaleur
ou de froid sur les fonctions du foie.
dOO INFLUENCE DE LA TEMPÉUATl RE
Quand on expose un animal au froid, le sucre dis-
paraît dans son foie. Pour faire cette expérience, on
prend de préférence des petits animaux qui, en raison
de leur faible masse, sont plus faciles à refroidir^
comme le lapin ou le cochon d'Inde, par exemple. Si
donc on entoure un cochon d'Inde déneige ou de 2:Iace,
ou si on lui maintient le ventre appuyé sur un corps
très- bon conducteur, comme le mercure, voici ce qui
arrive: l'animal se refroidit peu à peu et d'autant plus
vite qu'il est plus petit, surtout s'il est mouillé. Sa tem-
pérature, prise dans le rectum, qui est dans les condi-
tions normales de 38" cent, environ, descend successi-
vement à 30, 25, 20 et même 18 degrés. Il ne faut pas
plus d'une heure et demie à deux heures pour produire
cet abaissement quand l'animal n'est pas mouillé. Une
fois arrivé vers 18 ou 20 degrés, l'animal est devenu
insensible dans les extrémités, a perdu la faculté de se
réchauffer spontanément, ainsi que l'a déjà vu M. Ma-
gendie, et, si on Tabandonne à lui-même daus un mi-
lieu qui n'a pas plus de 18 à 20 degrés, sa tempéia-
ture continuera à baisser, et il ne tardera pas à mourir.
Mais si, au contraire, on le sèche, si on le réchauffe peu
à peu, il se rétablira graduellement, reprendra sa cha-
leur primitive et pourra vivre.
Si l'on examine comment s'est comportée pendant
ce temps la fonction glycogénique, on trouve que, h
mesure que la température s'abaisse, le sucre diminue
dans le foie, et quand le thermomètre n'indique plus
que 18 à 20 degrés, on n'en trouve plus du tout, de
sorte qu'en deux heures tout le sucre du foie peut avoir
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 191
disparu. La production de la matière sucrée ne re-
commence que quand l'animal a repris sa température
initiale de 38 degrés, ce qui arrive seulement au bout
de trois ou quatre heures, oîi il a recouvré sa chaleur,
sa sensibilité, sa vivacité et son appétit habituels.
Du reste, le temps nécessaire pour faire disparaître
et revenir le sucre dans le foie peut aussi éprouver
quelques variations qui dépendent de la grosseur des
animaux et de l'état de digestion ou d'abstinence dans
lequel ils se trouvent, quand on les soumet à l'expé-
rience, ainsi que de la rapidité avec laquelle la mort
survient. Nous allons, pour mieux préciser ces faits
dans votre esprit, vous indiquer quelques-uns des ré-
sultats que nous avons obtenus.
Première expérience, — Un petit cochon d'Inde a
élé plongé dans de l'eau glacée pendant dix minutes, la
tête en hehors; après quoi on l'en retire et on l'aban-
donne à lui-même; il meurt environ dix minutes après.
On en fait l'ouverture, et l'on constate que l'animal est
en pleine digestion, et que son foie renferme beaucoup
de sucre.
On voit, par cette première expérience, qu'il ne suffît
pas que l'animal meure par le froid, mais qu'il faut, en
outre, que cette action dure un certain temps pour faire
disparaître le sucre qui existe dans le foie à l'état nor-
mal avant le refroidissement. Il est facile de com-
prendre qu'il doive en être ainsi, car, si l'action du
froid, portée sur la peau, retentit sur le foie pour le pa-
ralyser en quelque sorte, et arrêter la production du
sucre, le froid ne peut pas faire disparaître par cela
J92 INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE
même le sucre qui y était préalablement formé. Il faut
donc qu'il s'écoule un certain temps entre le commen-
cement de l'application du froid et la mort de l'animal,
temps qui devra être d'autant plus long, que la quantité
de sucre existant dans le foie sera plus considérable.
Ce temps devra être conséquemment plus long chez un
animal en digestion que chez un animal à jeun.
Deuxième expérience, — Un petit cochon d'Inde, de
la même portée que le précédent, et dans les mêmes
conditions d'alimentation, a été mouillé, par simple
immersion, à deux ou trois reprises différentes, dans
l'eau froide, de manière à faire baisser successivement
sa température, sans lui donner le temps de se réchauf-
fer dans l'intervalle des immersions. L'animal s'est re-
froidi assez lentement, et est mort au bout de deux
heures; alors on a examiné son foie, qui ne contenait
plus que des traces excessivement faibles de sucre.
Troisième expérience. — Un cochon d'Inde, adulte,
dans l'intervalle de deux digestions, a été placé au-
dessus d'une cuve à mercure, et maintenu en contact
avec le mercure, à l'aide d'une petite planchette, à tra-
vers laquelle il pouvait passer la tête. La température
ambiante était de 8 degrés. La température de l'animal
était primitivement de 38 degrés 1 / 2 , elle était, au bout
d'une heure un quart, arrivée à 12 degrés 1 / 2. On re-
tira alors l'animal, qu'on abandonna à lui-même à la
température ambiante, et il mourut en se refroidissant
déplus en plus. Un quart d'heure après, c'est-à-direune
heure et demie après le commencement de l'expérience,
le foie de l'animal ne contenait pas de traces de sucre.
SUR LÀ FONCTION GLYCOGÉNIQUE DU FOIE. 10^
Qualrième expérience. — Un aulre cochon d'Inde,
dans les mêmes conditions d'alimentation, a été placé
sur le mercure, comme le précédent. Au bout d'une
heure, sa température était de'^cendue à 25 degrés ; au
bout de cinq quarts d'iieure à 22 1 /2 ; au bout d'une
heure et demie à 20 degrés. Alors on le retira et on le
réchauffa graduellement. Au bout de cinq quarts
d'heure, l'animal était revenu, quoique grelottant en-
core, et la température de son rectum était de 35 degrés.
Le lendemain, l'animal était parfaitement rétabli, et
son foie contenait beaucoup de sucre.
Dans les expériences précédentes, que nous choisis-
sons au milieu d'un grand nombre d'autres que nous
avons faites, le refroidissement de l'animal est accom-
pagné de la disparition du sucre dans le foie, dispari-
tion qui est complète lorsque l'action du froid a été
prolongée suffisamment.
En même temps il se produit une influence sur la
respiration ; celle-ci diminue de fré(juence à mesure
que la température de l'animal décroît, et elle aug-
mente, à mesure que la chaleur propre de l'animal se
relève. Nous allons, du reste, vous rendre témoins de
toutes ces particularités en répétant l'expérience devant
vous.
jNous avons ici trois cochons d'Inde de la même
portée, pesant chacun environ 180 à 200 grammes;
nous les avons choisis exprès de petite taille, afin que le
refroidissement soit plus facile; car, s'ils étaient plus
gros, la neige non fondante ne suffirait pas pour les
refroidir. Ils sont à jeun depuis hier soir.'
BERNARD. I. 13
i INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE
Nous avons sacrifié un de ces animaux, et nous avons
placé les deux autres, sans les mouiller, dans de la
neige non fondante, de sorte qu'ils reçoivent actuelle-
ment l'impression du froid sans humidité ; on a eu
soin de leur laisser une ouverture pour qu'ils puissent
respirer. Ces animaux ont été mis en expérience à dix
heures et demie. Leur température initiale, prise dans
le rectum, était de 38 degrés. A onze heures trois
quarts, c'est-à-dire après une heure un quart de re-
froidissement, les animaux commencent à s'engour-
dir; on les relire, ils ne présentent plus que 19 degrés ;
ils sont couchés sur le flanc, insensibles et comme pa-
ralysés, leur respiration est faible et rare ; alors on en
abandonne un à lui-même à la température ambiante
de 12 à 13 degrés, et l'autre cochon d'Inde est ré-
chauffé auprès du poêle. Depuis ce temps, l'animal,
qu'on avait abandonné à lui-même, et que vous voyez
sur la table, a continué à se refroidir et est mort, il y
a environ un quart d'heure, tandis que l'autre est re-
venu, quoiqu'il soit encore grelottant; sa température,
qui était à 19 degrés, est maintenant à 30 degrés
environ.
Nous avons donc ici trois animaux pris dans les
mêmes conditions, dont l'un a été tué sans avoir été
soumis à l'expérience, pour nous servir de terme de
comparaison, et dont les deux autres ont été soumis à
l'action du froid jusqu'à ce que leur température se
soit abaissée à 19 degrés, avec cette différence, que
l'un de ces animaux a été abandonné à lui-même, et
est mort en se refroidissant successivement. Examinons
SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQLE DU FOIE. i9o
ce qu'est devenue la fonction glycogénique dans les
trois cas.
D'abord, elle existait, quand les animaux ont été
soumis à l'expérience, puisque celui que nous avons
sacrifié à ce moment présente, ainsi que vous le voyez,
du sucje dans son foie, dont la décoction précipite
abondamment le lartratecupro-potassique.
Examinons maintenant le foie de l'animal mort par
le froid en 1 heure 1/2. On fait cuire son foie de la
même manière, on le soumet au même réactif; vous
voyez qu'il n'y a pas de précipité, et, par conséquent,
qu'il n'y a pas de traces de matière sucrée dans le foie
de cet animal ; vous avez ainsi la preuve la plus nette
que le sucre a disparu par le fioid dans le temps de
l'expérience.
Quant au troisième animal, que vous voyez revenir
par suite du réchauffement, le sucre n'a pas encore
reparu dans son foie, parce que si, comme nous l'a-
vons dit, l'action du froid, dès qu'elle commence, en-
raye la production glycogénique, cette fonction ne doit
reprendre son cours que lorsque cette action réfrigé-
rante a complètement cessé; or cet animal, bien que
déjà revenu, n'est pas encore dans l'état normal. Sa
température prise dans le rectum n'est que de 30 de-
grés, il est encore grelottant; mais, dans quelques
heures, quand cet animal aura repris sa chaleur nor-
male, que sa vivacité sera revenue, on trouvera du
sucre dans son foie.
En voyant ainsi disparaître le sucre entre deuxou trois
heures et le voyant réparai (re si rapidement, on re-
\m INFLLENCE DE LA TEMPÉIUTIRE,
connaît bien là les caractères d'une fonction qu'on
peut déprimerjusqu'à l'anéantir et ramener à son type
normal, en la rétablissant dans les conditions ordi-
naires de son accomplissement. Cette expérience suffi-
rait, si cela était nécessaire maintenant pour détruire
complètement l'objection qui voudrait que le sucre ré-
sultât d'alimentations antérieures et se localisât dans
le foie sans que cet organe dût lui-même le former.
Nous verrons plus lard que cette influence du froid
sur le foie se propage par une sorte d'action réflexe du
système nerveux, transmise par les nerfs de la peau.
Signalons ici que la peau de l'animal, devenant insen-
sible par le froid, ne peut plus réagir convenablement.
Quand, au lieu d'agir avec le froid, on soumet un
animal h la chaleur, on produit des phénomènes un
peu différents. Si l'on met un cochon d'Inde ou un
lapin dans une étuve d'air chaud dont la température
ne soit pas de beaucoup supérieure à celle de l'animal,
de 45 degrés par exemple, on voit que les fonctions
du foie paraissent exaltées, et en particulier la forma-
tion de la bile ; celle du sucre ne paraît pas autant aug-
menté. Mais cette surexcitation a seslimites, et si l'on
pousse la température à 50 ou 60 degrés, l'excitation
générale fait place à un effet opposé ; le sucre disparaît,
et l'animal meurt au bout d'une heure à une heure et
demie, sans en présenter la moindre trace dans le tissu
hépatique.
11 faut noter encore que sous TinQuence de la clia-
leur les respirations sont accélérées, tandis que leçon-
Iraire a lieu avec le froid, et cependant, avec ces deux
DE I/AGE, DU SEXE, ETC. 197
états opposés de la respiration, le sucre disparait dans
le foie.
Il existe encore une autre manière d'arrêter la fonc-
tion glycogénique du foie en agissant sur la peau. C'est
en induisant la peau des animaux avec certains vernis,
tels que le caoutchouc liquide ou simplement de l'huile.
Dansces cas, les animaux meurent en se refroidissant,
et j'ai constaté souvent que la fonction glycogénique
disparaît radicalement, et qu'après ce genre de mort,
qui est assez rapide chez les petits animaux, tels que les
cochons d'Inde et les lapins, la substance du foie ne
contient absolument aucune trace de matière sucrée.
Quant à l'influence de l'âge et du sexe, nous n'en
dirons que quelques mots :
J'ai fait autrefois quelques expériences pour recher-
cher quelle pourrait être l'influence de l'âge dans la
production du sucre, je n'ai pas obtenu de résultats
bien concluants. Du reste, cette question, pour être
traitée, devrait nécessairement être instituée sur une
très-grande échelle et reposer sur un nombre considé-
rable de faits.
Les expériences que j'ai faites également sur des
animaux de tout sexe, quoique très-nombreuses, ne
peuvent pas servir pour établir s'il y a ou non une
différence dans la quantité de sucre produit chez les
mâles ou les femelles, parce qu'elles n'ont point été
faites à ce point de vue. Chez les femelles, l'état de
gestation et de lactation ne semble pas modifier sensi-
blement la formation du sucre dans le foie- Sur des
vaches et des lapines à l'état de lactalion et qui sécré-
198 INFLUENCE DE L'AGE, DU SEXE, ETC.
taieiit par conséquent du sucre de lait, j'ai bien sou-
vent cherché, mais en vain, la présence du lactose dans
le foie. D'oii il faudrait admettre que cette dernière
espèce de sucre se sécrète dans la mamelle, organe
chargé de produire du sucre dans le cas spécial de son
fonctionnement ; car, tandis que le foie forme du glu-
cose dans toute l'échelle animale, depuis avant la nais-
sance jusqu'à la mort, la mamelle n'existe que dans les
mammifères, et ne fonctionne que dans une période
déterminée de la vie. Il faut encore ajouter que le sucre
du foie est le plus fermentescible, tandis que le lactose
est le moins fermentescible des sucres animaux, ce qui
est du reste en harmonie avec les usages différents de
chacune de ces matières sucrées. Il y a toutefois un
rapprochement que Ton peut faire entre la formation
du sucre qui a lieu dans le foie et celle qui se fait dans
la mamelle, c'est que ces deux formations sont égale-
ment indépendantes de Talimentation ; j'ai bien sou-
vent constaté que le sucre de lait persistait dans le lait
des chiennes, malgré l'alimentation exclusive avec de
la viande complètement privée de matière sucrée.
L'époque du rutne m'a pas paru non plus exercer une
influence évidente sur la fonction glycogéFiiquedu foie.
Telles sont, en général, Messieurs, les conditions
extérieures principales sur lesquelles nous avons désiré
en finissant fixer votre attention. Actuellement nous
devons entrer plus profondément dans la glycogénie et
étudier les changements du sang qui coexistent avec
l'exercice de cette fonction dans le foie. Nous commen-
cerons cet examen dans la prochaine séance.
NEUVIÈME LEÇON
23 JANVIER 1855.
SOMMAIRE : Examen comparatif du sang de la veine porte et du sang des
veines hépatiques. — Globules.— Sérum et caillot. — Eau et matières
solides. Matières solides du sérum et du caillot. — Graisse. — Fibrine. —
Albumine. — Sucre. — Conséquences de ces diverses modifications. — -
Température plus élevée du sang qui sort du foie. —Expériences thermo-
métriques à ce sujet. ~ Distribution de la chaleur dans l'organisme. —
Théories anciennes de la calorification. — Examen d'expériences sur la
température du sang dans les deux ventricules. — Expériences faites dans
les conditions physiologiques. —Procédés opératoires. — Instruments em-
ployés. — Résultats de ces expériences : le sang du ventricule droit plus
chaud que le sang du ventricule gauche.
Messieurs,
Nous avons examiné les différentes fonctions orga-
niques de nature chimique qui se passent dans le foie
et les conditions dans lesquelles elles se produisent.
Vous avez vu que le foie doit être considéré comme un
véritable laboratoire vital qui change profondément
toutes les substances qui lui sont apportées par le sang.
il importe, avant de quitter ce sujet, que vous soyez
bien fixés sur les modifications que le sang éprouve en
traversant le foie ; c'est pourquoi je vais faire rapide-
ment passer sous vos yeux les résultats d'analyses qui
ont été instituées à ce point de vue. Tous ces résultats,
obtenus sur des chevaux, sont dus à Lehmann qui a
étudié comparativement le sang dans la veine porte
200 MOOIFICATIO.NS CIIIMIOUES QUE LE SANG ÉPROUVE
avant son entrée clans le foie, et le sang après sa sortie
dans les veines hépatiques. Nous passei'ons successive-
ment en revue les modifications qu'éprouvent les divers
éléments du sang :
r Globules rouges. — Quand on examine le sang
après sa sortie du foie, on trouve que les globules sont
notablement plus petits que dans la veine porte. Dans
cette veine, ils ont environ de 0™,0058 à 0"\0060 de
millimètre, tandis que, dans les veines hépatiques,
leur diamètre n'est plus que de 0'",0042 à 0",004o en
moyenne. A quoi tient cette différence ? Probablement
à ce que dans les veines hépatiques les globules se
trouvent baignés dans un sang sucré ; on sait que dans
ces cas les globules du sang se crispent et se rata-
tinent. Ce serait donc là un phénc>mène en quelque
sorte purement physique et auquel il n'y aurait pas
lieu jusqu'à présent d'attribuer une importance quel-
conque.
Sénim ei caillot. Au point de vue de la proportion du
sérum et du caillot dans les deux sangs, voici les résul-
tats obtenus par Lehmann dans six observations, et ré-
sumés dans le tableau suivant :
Veine porte.
SÉRUM,
caîl:
Yeine porte.
LOTS.
Observations.
Veines hépat.
Veines iiépat.
I.
332,2
143,1
687,8
856,9
H.
353,09
156,57
646,91
843,43
m.
361/14
156,94
638,86
843,06
IV.
333,0
146,8
666,1
853,2
V.
046,47
230,33
353,53
769,67
VI.
614,14
218,41
385,86
781,59
EN TRAVERSANT LE FOIE. 201
Comme résultat général de ce tableau, vous voyez
que toujours le sang de la veine porte contient plus de
sérum que le sang des veines hépatiques, et que, par
conséquent, le caillot du sang des veines hépatiques est
plus considérable que le caillot du sang de la veine
porte ; mais vous voyez aussi que dans la veine porte
les quantités de sérum varient du simple au double en-
tre les quatre premières expériences et les deux der-
nières. Il est évident que cette différence doit tenir à
des conditions diverses dans lesquelles se trouvaient les
animaux soumis à l'expérience. En effet, elles corres-
pondent à des périodes digestives particulières : les qua-
tre premières expériences ont été faites cinq heures
après un repas; les deux dernières au bout de dix
heures.
Eau et madères solides, — Sur 100 parties de sang,
l'analyse a donné, dans les mêmes observations, les ré-
sultats consignés dans le tableau suivant :
1
■.\M.
RÉSIDUS
SOLIDE?.
Observations.
' Veiue porte.
Veines hépat.
Veine porte.
Veines liépat,
].
76,921
68,646
23,079
31,334
H.
77,743
70,230
22,233
29,730
m.
77,878
70,108
22,122
29,892
IV.
77,30o
68,811
22,693
31,189
V.
86,234
74,309
13,766
23,691
VI.
83,998
73,383
1 1,001
26,415
Les observations que nous avons faites au sujet des
résultatsprécédentssurlesérumetlecaillots'appliquent
évidemment à ceux-ci. On devait s'attendre, en consé-
quence, à voir le sang delà veine porte, que nous avons
202 MODIFICATIONS CHIMIQUES QUE LE SANG ÉPROUVE
déjà trouvé plus riche en sérum, contenir plus d'eau
que celui des veines hépatiques, et moins des matières
solides.
Au point de vue des matières sohdes que présentent,
le sérum et le caillot de chacun de ces deux sangs,
voici les résultats queLehmann a obtenus :
SERUM.
CAILLOTS.
Observations.
Veine porte.
Yeines hépat.
Veine porte.
Veines hépat,
I.
7,740
10,702
30,709
34,803
II.
8,413
10,487
29,811
33,163
m.
7,931
10,557
30,144
33,491
IV.
8,14i
10,712
29,989
3i,712
V.
9,829
10,580
23,340
30,213
VI.
7,692
10,664
24,042
38,311
Ici les chiffres ne présentent pas de grandes différen-
ces, mais on aperçoit toujours ce même fait, à savoir,
que le sang des veines hépatiques, aussi bien dans le
sérum que dans le caillot, présente une plus grande
proportion d'éléments solides que le sang de la veine
porte.
Mais les matières qui nous intéressent le plus sont la
graisse, la fibrine, l'albumine et le sucre.
Quant à la graisse, Lehmann a trouvé, sur trois ob-
servations, les résultats suivants: pour 100 parties du
résidu sec du sang, il y avait :
Observât!
ons.
Veine porte.
Veines hépatiques.
I.
3,22:)
1,685
II.
3,610
2,570
m.
3,373
1,946
Vous voyez que la graisse est déjà en très-faibles
EX TRAVERSANT LE FOIE. 203
proportions dans le sang de la veine porte, et qu'elle
diminue encore dans le sang des veines hépatiques.
Nous savons déjà que chez les mammifères cette sub-
stance suit une autre voie pour se rendre dans le sys-
tème circulatoire général ; mais que devient alors cette
graisse, dont la plus grande partie disparait dans le
foie? Entrerait-elle dans la constitution des acides de
la bile? il ne s'agit pas ici, bien entendu, de la matière
émulsive se rapprochant des matières grasses, dont
nous avons constaté la production dans le foie sous
l'influence d'une alimentation sucrée : cette substance,
à cause de ses caractères spéciaux, n'a pas été signalée
dans les analyses de Lehmann.
Fibrine. — L'action du foie sur ce principe immé-
diat est extrêmement remarquable, et l'analyse chimi-
que est parfaitement d'accord avec nos expériences
physiologiques à ce sujet. La fibrine disparaît complè-
tement dans le foie. On n'en trouve plus trace dans le
sang des veines hépatiques.
Sur 1,000 parties du liquide entier de sang (moins
les globules), il y avait en fibrine :
DANS
Obsei-vati
0U5.
Veine porte.
Veines
; hépatiques.
I.
5,010
»
II.
4,2 iO
»
m.
5,920
»
(Lehmann.)
Si l'on bat le sang sorti du foie avec des verges, il
ne s'y attache aucun filament. Cependant, il se coagule.
La coagulation, qu'on avait jusqu'alors attribuée à la
201- MODIFICATIONS CHIMIQUES QUE LE SANG ÉPROUVE, ETC.
fibrine qu'on extrait par le battage, ne saurait donc lui
être exclusivement rapportée.
Nous verrons, du reste, que, d'après des expériences
sur le grand sympathique, nous sommes autorisés à
émettre cette opinion que la matière coagulablc n'est
pas la fibrine, au moins suivant la définition que l'on
donne ordinairement de cette substance.
Albumine, — Les expériences de Lehmann montrent
que l'albumine se trouve dans le sang de la veine porte
aussi bien que dans celui des veines sus- hépatiques,
mais dans des proportions différentes.
Sur 1,000 parties de sang (moins les globules), il y
avait en albumine :
Observations.
Veine porte.
Veines hé[)utiqucs.
I.
24,453
10,703
II.
29,603
• 19,9o2
m.
44,340
32,449 (digestion).
Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'un tiers environ
de l'albumine ait disparu en traversant le foie, ainsi que
le montre le tableau précédent.
Enfin, indépendamment de ces substances, il y a le
SLicre^ qu'on ne trouve jamais dans le sang de la veine
porte, quand on prend un animal à jeun depuis un cer-
tain temps, ou nourri exclusivement de matières azo-
tées; le sucre existe toujours, au contraire, en notables
proportions dans le sang des veines hépatiques. Chez
le cheval, par exemple, pour faire suite aux mêmes
analyses précédentes, Lehmann a trouvé O^'jOBS
MODIFICATIONS DE TEMPÉRATURE, ETC. 205
pour 100 dans le sang qui entre dans le foie, et 0^', 792
dans le sang des veines hépatiques.
Ces résultats d'analyses faites au point de vue chi-
mique avec beaucoup de soin, quoiqu'elles n'aient pas
é(é répétées encore dans toutes les conditions physiolo-
giques où cela serait nécessaire, suffisent pour montrer
combien est grande l'action que le foie exerce sur les
substances qui le traversent, et combien il modifie et
élabore les divers matériaux du sang.
Mais toutes ces transformations de matières, toutes
ces créations de principes immédiats, toutes les sécré-
tions qui s'accomplissent dans cet organe, ne sauraient
s'effectuer sans être accompagnées des phénomènes
physiques de développement de chaleur auxquels don-
nent lieu toutes les actions chimiques.
L'élévation delà température est aussi un produit vital ,
qui a son rôle dans l'organisme, et dont la source a besoin
d'être cherchée et connue. Quoique nous ne voulions
pas faire ici Thistoire de la chaleur animale, cependant,
comme on a toujours relié les phénomènes de calorifica-
tion avec la production des phénomènes chimiques,
nous sommesobligés d'étudier celte question dansle foie.
Toutes les modifications, dont nous avons précédem-
ment tracé le tableau, doivent donc entraîner, comme
conséquence, une élévation de température que le sang
éprouvera en traversant le foie. Le sang qui sort du
foie est, en effet, phis chaud que le sang qui y entre, et
l'expérience ne laisse aucun doute à ce sujet. Pour con-
stater ce fait, nous avons opéré de la manière suivante
sur les chiens :
-206 MODIFICATIOxNS DE TEMPÉRATURE
Cn fait une grande incision oblique dans le flanc
droit, immédiatement au-devant de la masse des mus-
cles sacro-lombaires, et remontant aussi haut que pos-
sible dans l'angle de la dernière fausse côte. On arrive
ainsi sur le rein droit, immédiatement au-dessus du
foie, et un peu au-dessous des veines rénales. On in-
troduit le thermomètre dans la veine cave, en appli-
quant convenablement des ligatures pour empêcher
l'écoulement du sang. En même temps, à l'aide d'une
aiguille de Cooper, on passe un fd au-dessous de la
veine cave, immédiatement au-dessus des veines réna-
les; alors le thermomètre étant introduit, on dirige sa
cuvette en haut et à gauche, jusqu'à ce qu'elle se trouve
placée à peu près en face des veines hépatiques. Alors
on serre sur la tige du thermomètre des fds passés au-
dessous de la veine cave, de façon à empêcher le sang
de cette veine de remonter.
Puis, toujours par la même plaie faite à l'abdomen,
on saisit le tronc principal de la veine porte avant son
entrée dans le foie, en ayant soin préalablement aussi
dépasser des fds sous cette veine, de manière à empê-
cher le sang de s'écouler après qu'on aura placé le
thermomètre. Dans ces expériences, on alterne l'obser-
vation de façon à agir tantôt en commençant par la
veine porte et finissant par la veine cave, et vice versd.
On achève enfin, pour avoir un terme de comparaison
complet, en prenant la température dans l'aorte en
pénétrant par l'aorte ventrale, sur laquelle on a préa-
lablement placé des ligatures.
Voici les résultais qu'a donnés une expérience que
QUE LE SANG ÉPROUVE DANS LE FOIE. 207
nous venons de faire sur la lempéralure du sang des
veines hépatiques comparée à celle des autres vaisseaux :
HEURE
des VAISSEAUX OBSERVÉS. TEMPÉRATURE.
OBSERVATIONS.
2"^ 25", carotide gauche du côté du cœur 39°,03 centigr.
2 30, veine jugulaire gauche, bout périphé-
rique 37°,80 à 37°,6a
2 40, veine jugulaire droite, bout périphé-
rique, sans avoir lié d'abord la ca-
rotide 38S40
2 41, veine jugulaire jusque dans la veine
cave supérieure 39°,20 à 39°,22
2 48, veine cave supérieure à l'entrée de
l'oreillette droite 39*,20 à 39^25
3 06, veine porte, bout périphérique 39"',40
3 16, veine cave à l'entrée des veines hépa-
tiques 39^80.
3 20, veine cave jusque auprès du cœur,
sans sortir l'instrument 39'',o0 à 39o,(i5
2 25, veine rénale gauche 39°, 50
3 28, veine cave infér. du côté des mem-
bres 39%20
3 32, artère carotide gauche par en bas,
jusque dans l'aorte 39°,20 à 39%26
3 36, veine jugulaire droite du côté de la
tête 38°,15
3 45, veine jugulaire jusque dans la veine
cave supérieure o9°,20
3 47, artère carotide gauche 39<^,20
3 50, artère carotide gauche jusqu'au cœur. 39°,30à 39°,40
9 53, veine jugulaire gauche du côté de la
tête (l'artère carotide était liée de ce
côté) 39^80
3 47, veine cave inférieure dans le foie, à
l'entrée des veines hépatiques inté-
rieures 19°,50
4 02, veine cave inférieure au niveau des
veines hépatiques les plus élevées. 30°,60 à39°,80
4 05, veine cave inférieure au-dessus du
diaphragme 39^40
20S MODIFICATIONS DE TEMPÉRATURE
4h Q-jm^ veine cave à l'entrée des veines hépa-
tiques 35^^)o à 39°,70
4 08, veine rénale gauche 39%20à 39°,30
4 i2, veine porte, bout périphérique 39°,35 à 39°,40
4 29^ aorte abdominale 38°,70
Le chien sur lequel nous avons opéré est de forte
taille et en digestion. On peut voir que le sang qui
sort du foie est de 0^40 p!us chaud que le sang qui
entre par la veine porte, et de 0^60 plus chaud que le
sang de l'aorte. La température du sang avant le foie
est de 39%40; après le foie, elle est de 39%80, et cette
température est la plus élevée du corps de l'animal. Le
point le plus chaud de tout l'organisme se trouve donc
dans la veine cave à l'endroit où débouchent les veines
hépatiques.
C'est là un des faits les plus intéressants, et si nous
en poursuivons les conséquences, nous allons voir com-
bien vont se modifier les idées qu'on s > faisait d'après
les anciennes théories chimiques sur la répartition de
la chaleur dans le corps d'un animal.
Le sang qui sort du foie avec sa température sera
d'autant plus chaud qu'il sera plus près de sa source,
et il perdra de sa chaleur à mesure qu'il s'en éloignera
d'après les lois physiques qui régissent la déperdition
de la chaleur. Sorti des veines hépatiques, il est conduit
par la veine cave inférieure dans le cœur droit, où il se
mélange avec le sang moins chaud venant des parties
supérieures; de là il se rend au poumon, qu'il traverse,
puis revient au cœur gauche, qui l'envoie dans les ar-
tères de la grande circulation. Or, le sang arrivé dans
lecœurgauche est plus éloigné du foie que le sangdu
QUE LE SANG ÉPROLVE DANS LE FOIE. 209
cœur droit; de plus, il s'est mis en contact avec l'air
froid introduit par la respiration. 11 doit donc être
moins chaud que ce dernier s'il est vrai que le foie est
une des principales sources de la chaleur. Nous arri-
vons donc à penser d'après cela que le sang des cavités
droites du cœur doit être plus cliaud que celui des cavi-
tés gauches, contrairement à la théorie généralement
admise et d'après laquelle le sang artériel serait plus
chaud que le sang veineux. Mais en physiologie surtout,
ce sont les faits qui doivent juger les théories, et jamais
le contraire ne doit avoir lieu.
D'après la théorie chimique de Lavoisier, on croyait
que la respiration était une combustion pulmonaire,
accompagnée du dégagement de chaleur qui suit tou-
jours la combinaison de l'oxygène et du carbone; cette
explication parut d'abord parfaitement fondée, parce
que, d'une part, on absorbait de l'oxygène, et que, de
l'autre, on rejetait de l'acide carbonique absolument
comme une lampe qui brûle dans l'air.
Plus tard, l'explication fut changée, lorsqu'on dé-
couvrit que cette combustion ne se faisait pas dans le
poumon, où n'avait lieu qu'un simple échange entre
l'acide carbonique contenu dans le sang et l'oxygène de
l'atmosphère, de sorte que la respiration pulmonaire
n'était qu'un simple déplacement de ces deux gaz l'un
par l'autre. Bien qu'on n'admit plus alors que ce fût
dans le poumon que se faisait cette combinaison entre
l'oxygène et le carbone, on avait cependant conservé
des expériences qui semblaient établir que le sang arté-
riel est plus chaud que le sang veineux. Mais ces expé-
BERNAKD. I. 1 4
210 DIFFÉRENCE DE TEMPÉRATURE DU SANG
riences sont défectueuses, non pas au point de vue de
l'observation, car les observateurs ne se sont pas trom-
pés sur ce qu'ils ont vu, seulement ils sont tombés sou-
vent dans l'inconvénient de ne pas se placer dans des
conditions vraiment physiologiques.
Mais nous vous avons souvent dit, Messieurs, qu'une
expérience ne se critique pas par des raisonnements;
elle se juge par des faits mieux analysés, et nous nous
hâtons d'y arriver.
Quand on a observé autrefois que le sang artériel du
cœur gauche était plus chaud que le sang veineux du
cœur droit, on a souvent opéré sur des animaux récem-
ment morts. On se servait soit de deux thermomètres
placés simultanément dans les deux ventricules, ce qui
est déjà une cause d'erreur, car jamais deux instruments
ne sont exactement d'accord, soit, ce qui valait mieux ,
d'un seul thermomètre mis successivement dans les ca-
vités droite et gauche du cœur. On a généralement ob-
servé dans ces conditions que le ventricule gauche avait
une température plus élevée que le ventricule droit.
Mais il est facile de démontrer que, dans ce cas, oii
le sang ne circule plus dans le cœur, cette différence
tient à un refroidissement plus facile dans le cœur droit
que dans le cœur gauche. En effet, si l'on enlève com-
plètement le cœur à un animal, qu'on le remplisse d'eau
après avoir lié ses diverses ouvertures, qu'on place deux
thermomètres bien réglés dans chacun de ses ventricu-
les, qu'on mette le tout dans un bain à 40 degrés, on
voit la température dans le cœur s'équilibrer avec celle
de Teau qui l'entoure. Si l'on vient alors à retirer du
DANS LES CAVITÉS DU CŒUR. 211
bain le cœur muni de ses deux thermomètres, et qu'on
le laisse se refroidira Tair, on s'aperçoit que le thermo-
mètre placé dans le ventricule droit s'abaisse plus rapi-
dement que celui qui est placé dansle ventricule gauche.
Voilà donc une expérience purement physique qui
donne les mêmes résultats qu'une expérience qu'on
avait crue physiologique.
Vous voyez ici un cœur débarrassé de ses vaisseaux;
on a introduit un thermomètre dans chacun de ses ven-
tricules préalablement remplis d'eau. On a placé l'ap-
pareil ainsi disposé dans un bain à une température de
40 degrés environ. Au bout d'un quart d'heure, les
deux thermomètres placés dans le cœuront marqué sen-
siblement la même température qu'un autre Ihermo-
mlère placé dans le bain.
On observe alors, le cœur étant sorti du bain, la mar-
che comparative aux thermomètres placés dans les ven-
tricules, et l'on obtient les résultats suivants :
Époque ;
Th
ermoraètre
Thermomètre
d(
3S
dans le ventricule
dans le ventricule
observations.
gauche.
droit.
oh
Om
3hM
3h°,3
o
0
35
3i
o
6
34
32°,8
5
7
33%1
32
0
10
32
31
^
13
30
29
5
16
28«,7
28
o
18
27«,4
27
5
23
2o%8
2o°,6
D'autres expérimentateurs, Legallois et Collard de
Martigny, M. Magendie surtout, et plus récemment
-21 2 IiIFFÉHENCE DE TEMPÉRATURE DU SANG
M. G. Liebig, avaient déjà dit que le sang du ventricule
gauche leur avait paru moins chaud que celui du ven-
tricule droit. Mais on ne s'expliquait pas comment le
sang artériel, qui, dans toutle reste du corps, est plus
chaud que le sang veineux, devenait moins chaud au'
contraire que ce dernier dans le cœur. Ce qui se passe
dans le foie nous rendra compte maintenant de cette
particularité.
Pour arriver à la réalisation de nos expériences sur la
température comparée dusangdans les deux cœurs,
nous nous sommes placés dans des conditions aussi
voisines que possible de l'état physiologique, en pre-
nant la température dans le cœur sur le vivant pendant
que le sang continuait à circuler. Mais tous les animaux
ne se prêtent pas également bien h ces expériences. Il
est presque impossible d'introduire un thermomètre
dans le cœur d'un chien, par exemple, à cause de la
situation profonde du tronc brachio-céphalique; on
produit des désordres très-graves qui nuisent à la cer-
titude des résultats. Chez la chèvre et le mouton, au
contraire, on peut assez facilement introduire par la
veine jugulaire droite et le tronc artériel brachio-cé-
phalique un thermomètre dans l'une et l'autre cavité
(lu cœur. Voici comment nous opérions sur des mou-
lons : l'animal étant couché sur le dos, et tenu la tête
forlement renversée en arrière, on pratique sur la ligne
médiane du cou une incision longitudinale, longue de
iO à 12 centimètres; on écarte les muscles, on arrache
le thymus, et Ton a sous les yeux la trachée qui a été
mise à nu, la veine jugulaire droite qu'on isolejusqu'au
DANS LES CAVITÉS DU GŒUU. 213
bas du cou, ainsi que le tronc brachio-céphalique arté-
riel en passant deux fils sous chacun de ces vaisseaux.
Alors on prend la température avec le Ihcrmoinêlre,
qu'on commence à introduire soit par Tarière, soit par
la veine. Pour agir sur le tronc brachio-céphalique ar-
tériel, on commence par faire une ligature au lieu d'o-
rigine des deux carotides, avec un iil ciré à plusieurs
doubles pour éviter de couper le vaisseau. Puis alors on
passe le doigt de la main gauche sous le tronc, on y
l'ait une incision en même temps qu'on empêche l'issue
du sang, soit en prenant l'artère, soit en soulevant
l'autre fil resté libre. Avec la main droite on place la
cuvette du thermomètre dans l'ouverture de l'artère, et
l'on pousse l'instrument en le dirigeant un peu de gau-
che à droite, et d'arrière en avant jusque dans le ven-
tricule; il peut arriver quelquefois qu'on soit arrêté
par les valvules sigmoïdes, alors on retire l'instrument
pour le replonger, soit qu'on parvienne à éviter ces val-
vules, soit à les rompre, comme c'est le cas le plus or-
dinaire. On s'aperçoit que l'on est dans le cœur lorsque
le thermomètre transmet les battements du ventricule
dans lequel il se trouve.
Quand ou veut pénétrer dans la veine cave, on y place
d'abord uneligature pour empêcher le sang de la tête
de redescendre, ensuite on fait une incision au-dessous
decette ligature, en ayant soin de comprimer la veiue
pour empêcher l'entrée de l'air dans le cœur. Le ther-
momètre est introduit dans la veine et on le pousse
jusque dans le cœur, en le dirigeant un peu de droite
à gauche et d'arrière en avant. Si l'on n'avait pas le
214 DIFFÉRENCE DE TEMPÉRATURE DU SANG
soin de diriger rinstrument comme nous venons de le
dire, il serait conduit en bas dans la veine cave infé-
rieure, au-dessous du cœur. On sent également qu'on
est dans cet organe lorsque la tige du thermomètre est
agitée par les battements cardiaques.
On comprend que pour des déterminations aussi dé-
licates, car bien qu'il y ait une différence de tempéra-
ture, cette différence ne saurait être considérable, puis-
que la cloison intermédiaire est très-mince, et que
d'ailleurs, en arrivant au cœur, le sang venu du foie
s'est déjà refroidi par son mélange avec le sang du reste
du corps; on comprend, dis-je, qu'il faille s'entourer
de précautions minutieuses et d'instruments à la fois
très-sensibles et d'une grande précision. Dans toute re-
cherche thermométrique, il importe de se servir du
même instrument, qui est toujours comparable à lui-
même, tandis que deux instruments différents, quelque
bien faits qu'ils soient pour marcher d'accord, ne vont
jamais parfaitement ensemble, et indiquent presque
toujours des différences, quoique placés dans des con-
ditions identiques. Dans ces expériences nous étions
assisté de M. Walferdin, dont la compétence sur toutes
les questions de détermination de température est si
bien établie, et dont les instruments ont acquis une si
grande précision. Le thermomètre qui nous a servi était
un thermomètre métastatique de M. Walferdin, dont
l'échelle arbitraire a été ensuite ramenée à l'échelle du
thermomètre à graduation centésimale. On trouvera
résumés dans le tableau suivant les résultats des expé-
riences faites sur les moutons. Elles montrent que la
DANS LES CAVITÉS DU CŒUR. 215
différence de température, bien qu'elle soit constante,
est, comme nous le disions, peu considérable; enefPet,
elle ne dépasse pas 2 à 3 dixièmes de degré ; mais, nous
le répétons, l'excès de température est ordinairement
àFavantai^^e du ventricule droit.
2IG DIFFÉRENCE DE TEMPÉR. DU SANG DANS LE CŒIR.
Observations faites sur des moutons avec le thermomètre métastatique
à mercure de M. Walferdin»
DATi;
i
B s
.j-
2 .
de
"Ê 1
S -"S .3
iJ
--à
i 1
-g Si
OBSERVATIONS.
l.'bXPEItlK^Ci;.
~ _p
g -H.
S S
' 1
i i
1 1
1853.
m. ?.
,
0
»j-- i-ii "i;
gauche.
307.5
40,077
droit.
308.9
40,329
+ 0,252
i6j".n. 2.11 ;;;;
gauche,
dioit.
308
308
40.167
40,167
Vu. peu de sang répandu.
- 3.1 =
droit.
307
39,987
+ 0,108
Id.
gauche.
306.4
39,879
+
- *•! =
gauche.
304.5
39,537
Pas de sang répandu.
droit.
304.6
39,555
+ o',ôi8
- 5-! =
droit.
309
40,347
+ 0,144
Id.
gauche.
308
40,203
- e.{ =
gauche.
310
40,527
Déchirem' du venir, gauche
droit.
308.04
B
par le thermoni., respirât.
1 1
très-accélérée, trouble.
- M =
droit.
306
39.807
+ 0,270
Animal très-vigoureux.
gauche.
304.5
39,537
1854. 1
n ( 2 30
droit.
309.00
40,347
Les battem. sont plus accélé-
0 mars. 8- ( 3 00
gauche.
310.2
40,563
rés pendant l'observât, du
« S 2 IH
gauche.
309 6
40,455
cœur droit que pendant
9. ',2 30
droit.
309.8
40,491
+ 0,036
l'observ. du cœur gauche.
3 00
droit.
309.5
40,437
+ 0,090
t
droit.
309
40,347
— 10. 3 00
gauche.
300
40,347
gauche.
309.2
40,373
Mouvements, efforts de l'ani-
gauche.
309
40,347
mal, puisât, accélérées.
/3 30
gauche.
310
40,5-27
L'animal s'agite.
-
gauche .
309.9
40,509
L'animal est plus calme.
\ -
gauche .
310
40,527
Mouvements, etforts.
— Il- —
gauche .
309.9
40,509
Calme.
13 1;.
droit.
310
40,527
-
droit ,
310.1
40,545
+
Efforts et mouvements.
\ _
droit.
310.2
40,563
+
Id.
1 l'a
droit.
308.2
40,203
On est dans l'oreillette.
— 12- —
droit.
309
40,347
+ 0',18Ô
On est dans le ventricule
2 15
gauche.
308
40,167
L'animal est calme.
2 45
— 13. 3 00
gauche,
droit.
306
39,807
305
39,807
On est dans l'oreillette.
droit.
306.7
39,933
+ 0*126
Ou est dans le ventricule.
. . , ( 1 30
gauche.
545
39,865
Leà expériences suivantes
io sept. 14. J 1 30
droit.
548
40,088
+ o',223
sont faites avec un autre
I c M 30
droit .
541.5
39,605
+ 0,044
thermomèt. métastatique.
- 15- Il 30
gauche.
540.9
39,561
fo ) l 30
droit.
546
39,939
- 16- Ji 30
gauche.
547
40,013
1 M 30
- •/• j 1 30
gauche.
531.4
38,854
droit.
535
39,122
+ 0,267
1 i —
droit.
540
39,494
1
- 18- -
gauche.
540
.'!9,494
1 _
1
droit.
543
39,717
+ 0,223
DIXIEME LEÇON
27 JANVIER 1855.
SOMMAIRE : Destruction du sucre dans l'organisme. — Destructibilité des
diverses espèces de sucres. — Expériences comparatives à ce sujet. — Li-
mites de la destructibilité du glucose dans l'organisme. — Résultats d'expé-
riences. — Influence du degré de concentration de la dissolution. — In-
fluence de la combinaison du sucre avec le sel marin. — Résultats d'expé-
riences à ce sujet. — Influence de la saignée. — Nécessité que le sucre ne
pénètre qu'en petit s quantités à la fois dans l'organisme. — Réflexions
sur la multiplicité des causes qui peuvent faire apparaître le sucre dans
les urines à la suite des injections.
Messieurs,
Nous am^ivons maintenant à un autre chapiti-e de
l'histoire du sucre. Jusqu'ici nous vous avons entretenu
de sa production et des diverses influences qui agissent
sur elle. Nous aurions encore à vous parler de l'action
du système nerveux sur cette fonction, mais nous nous
réservons de l'étudier plus tard, à propos des diabètes
artificiels.
Nous devons actuellement examiner les phénomènes
de destruction du sucre dans l'organisme. Car, comme
nous l'avons déjà dit, le sucre, à l'état normal, n'est
pas expulsé au dehors, il reste dans le sang pour y rem-
plir certains usages dont nous vous parlerons bientôt,
et sur lesquels nous avons à vous annoncer des faits
entièrement nouveaux qui sont de nature, je crois, à
2i8 CAUSES DE L'APPARITION
jeter une vive lumière sur les phénomènes chimiques
qui se passent dans l'organisme, dans leurs rapports
avec les actes purement vitaux.
Pour le moment, nous allons donc rechercher les
conditions physiologiques de la disparition du sucre
dans l'animal. Cette étude est d'autant plus importante
que les théories du diabète roulent toujours sur ces
deux faits nécessairement connexes, production ou des-
truction du sucre, soit qu'on suppose la production exa-
gérée, soit que l'on considère l'amoindrissement de la
destruction. Le sucre qui apparaît dans les urines peut
résulter en effet ou de ce qu'il se forme en trop grande
quantité pour être complètement détruit, ou de ce que
se produisant comme d'habitude, la faculté que l'or-
ganisme a de le détruire est devenue insuffisante. Il
faut donc bien fixer les idées sur ces deux points pour
apprécier la valeur des théories basées sur l'une ou sur
l'autre des deux phases de la même fonction.
Dans l'état physiologique le sucre, incessamment sé-
crété dans le foie, n'apparait jamais dans aucune des
excrétions naturelles, il est donc détruit dans l'orga-
nisme; mais, indépendamment de cette quantité nor-
male qui disparait à mesure qu'elle se forme, l'individu
vivant peut encore en détruire un peu plus; de sorte
qu'à l'état sain la puissance de destruction est toujours
supérieure à la formation glycogénique.
Si l'on ajoute du sucre dans le sang d'un animal,
jusqu'à une certaine limite, ce sucre pourra être com-
plètement détruit et n'apparaîtra point au dehors.
Mais il faut ici distinguer ce qui se passe suivant
DU SUCRE DANS LES URINES. 219
qu'on a affaire aux différentes espèces de sucres.
Les sucres de première espèce, les sucres de canne
et de betterave, ne sont jamais détruits, ils sont con-
stamment éliminés par les urines quand on les injecte
directement dans le sang; car vous savez que, mis dans
l'intestin, ces mêmes sucres sont, en partie au moins,
transformés en sucre de deuxième espèce. Ces der-
niers, au contraire, injectés dans le sang, peuvent y
être détruits en certaines proportions.
Nous allons vous montrer expérimentalement ce fait
en injectant dans le sang de ces deux lapins, qui sont
de même taille et dans les mêmes conditions, à l'un,
une certaine quantité d'un sucre de la première espèce,
à l'autre la même quantité d'un sucre de deuxième
espèce.
Nous découvrons ici la veine jugulaire droite en
faisant une incision dans la région moyenne du cou,
suivant une ligne étendue, depuis l'angle de la mâ-
choire inférieure jusqu'au creux sterno-coracoïdien qui
sépare l'extrémité supérieure du sternum de l'épaule.
Nous apercevons la veine immédiatement sous la peau,
et nous la dénudons et passons au-dessous d'elle une
double ligature. On serre en haut une de ces ligatures
qui intercepte la circulation dans la veine, puis, au-
dessous de cette ligature, nous incisons la veine qui est
revenue sur elle-même, en se vidant de son sang. Alors
nous introduisons par cette ouverture la canule d'une
seringue contenant 15 grammes d'eau, tenant en dis-
solution 0s%5 de sucre de canne ou sucre de la première
espèce. On pousse l'injection très-lentement, et c'est
220 CAUSES DE L^VPPAKITION
un précepte général pour toutes les injections faites sur
les animaux vivants. Vous voyez que pendant celte
opération l'animal n'est pas troublé, sa respiration reste
normale sans s'accélérer, ce qui n'aurait pas lieu si
nous injectons trop rapidement. Enfin, nous poussons
l'injection jusqu'à la fin de la seringue, parce que nous
avons eu soin de chasser tout Tair de l'instrument. Si
l'on n'avait pas pris cette précaution, il faudrait se
garder d'injecter les dernières parties du liquide qui
pourraient contenir de l'air et causer la mort de l'animal .
L'injection étant faite, nous plaçons la deuxième li-
gature'sur la veine, nous coupons les fils et nous met-
tons notre animal en liberté. INous avons pris l'urine
avant l'opération; nous en reprendrons encore dans
une demi-heure environ, et nous devrons y retrouver
du sucre que nous venons d'injecter sans qu'il ait
subi aucune modification et étant encore à l'état de
sucre de canne.
Nous faisons de la môme manière sur l'autre lapin,
et dans la veine jugulaire, l'injection de 15 grammes
d'eau contenant 0^^', 5 de sucre de fécule, c'est-à-dire
du sucre de la seconde espèce. L'animal n'éprouve au-
cun inconvénient de cette injection; nous avons pris
son urine avant, nous en reprendrons dans une demi-
heure, et nous ne devrons pas rencontrer les moindres
tiaces du sucre que nous venons de lui injecter, parce
qu'il aura été détruit dans l'organisme, ce qui vous
prouvera que les sucres de la première espèce ne sont
pas détruits, tandis que ceux de la deuxième espèce le
sont.
DU SUCRE DANS LES URINES. 221
Maintenant, parmi ces derniers, il y en a qui sont
plus destructibles les uns que les autres, et, si on les
range d'après leur ordre de destructibilité croissante,
on aura la série suivante :
r Sucre de lait;
2" Sucre de fécule ou glucose;
T Sucre de diabète;
4° Sucre du Foie.
Les sucres de canne ou de betterave (sucres de la
première espèce) ne se détruisent pas sen-
siblement dans le sang^ ainsi que nous
l'avons dit.
Du reste, nous avons rassemblé dans le
tableau suivant quelques résultats, parmi
beaucoup d'expériences que nous avons
faites sur cette propriété des sucres. Seu-
lement, au lieu d'injecter la solution su-
crée directement dans le sang, comme
vous nous l'avez vu faire tout à l'heure,
nous avons toujours poussé cette injection
dans le tissu cellulaire sous-cutané, en
choisissant pour cette expérience les la-
pins, chez lesquels ce tissu est très-lâche
et se laisse infiltrer facilement par une
certaine quantité de liquide. Par cette mé-
thode, le sucre n'entre pas aussi vite dans
la circulation, il s'absorbe peu à peu dans
le tissu cellulaire, de manière qu'il ne s'en
trouve jamais à la fois qu'une faible quan-
tité dans l'organisme. Cette iujection sous-cutanée se
Pi
F,s. 13.
222 CAUSES DE L'APPAUITION
fait, comme vous le savez déjà, au moyen d'une se-
ringue (Fig. 13) dont la tige du piston P est graduée de
manière à mesurer la quantité de liquide qu'on injecte.
La canule S delà seringue est piquante, ce qui permet
de percer directement la peau et de pousser Tinjection
en même temps. L'extrémité de la canule est acérée en
forme de trocart, et l'ouverture S placée latéralement.
Voici les résultats que nous avons obtenus à la suite
des injections sous-cutanées des différents sacres.
SUCRES INJECTES.
Sucre de canne,
— de lait..,
— de fécule,
— de diabèt
— de foie..
COMPOSITION
de
l'injection.
Sucre.
0,liO
1,00
i,;io
2,00
Eau.
APPARITION
du sucre
DANS LES URINES.
sucre.
0
0
0
0
POIDS
DU LAPIN.
gr.
8K
se:
89:
1001
On peut voir, d'après les chilfres de ce tableau, que
sur des lapins, dans les mêmes conditions de digestion,
aucun des sucres de deuxième espèce n'est apparu dans
les urines, tandis que le sucre de canne seul s'y est
montré bien qu'ayant été" injecté comparativement à
une plus faible dose.
On voit aussi que le sucre de foie est celui dont on
peut injecter les plus grandes quantités sans qu'on le re-
trouve dans les urines. On se demandera naturellement
ici comment nous préparons ces dissolutions du sucre
du foie. Son extraction directe présente les plus grandes
difficultés à cause du grand nombre de sels et particu-
DU SUCRE DANS LES URINES. 223
lièrement de chlorures existant dans le foie d'où résul-
tent des mélasses qui empêchent la séparation de la
matière sucrée et, par conséquent, la possibilité de faire
de cette façon des dissolutions titrées. Mais nous som-
mes parvenus au même résultat en prenant du foie et
broyant sa pulpe avec du noir animal, en très-fortes
proportions, ainsi que nous l'avons indiqué dans la
deuxième leçon, et en faisant passer les dissolutions sur
des parties nouvelles, jusqu'à ce qu'elles soient arrivées
au degré de concentration que nous voulons, ce que
nous constatons par le dosage au moyen du liquide
cupro-potassique. Ce sont ces dissolutions que nous in-
jectons sous la peau.
Il résulte encore de tout ce qui précède que les su-
cres qui sont destructibles ont cependant leurs limites
de destructibilité, qui ne sauraient être dépassées sans
que, immédiatement, l'excès de cette substance appa-
raisse dans les urines. Il était important de fixer celte li-
mite d'une manière pj'écise, au moins pour un des su-
cres, afin que nous pussions, d'après ce point de départ,
faire des études sur les modifications que subit la des-
tructibilité du sucre suivant la taille des animaux, et les
diverses circonstancesphysiologiques dans lesquelles ils
se trouvent.
Nous avons choisi pour cela le sucre de fécule, qu'il
est le plus facile de se procurer, et nous avons iixé les
limites de sa destructibilité d'une manière aussi précise
que possible dans les tableaux suivants que nous avons
fait mettre sous vos yeux pour abréger le dé tail des expé-
riences.
22^
CAUSES DE l'apparition
à
QLANTITIÎ
CE qu'elle
ÉPOQUE
POIDS
S
-
REPRÉSENTE
et
de
de
en
APPARITION DU SUCRE
du
a
sucre p. 100
la solution
i.\pi>'.
u,
SUCRE SEC.
dans les urines.
K
(l'eau.
injectée.
P-.
cent. c.
gr.
gr.
I.
100
2o
12,50
Après 15' sucre.
1008
11.
10
23
2,30
— i h. sucre.
1050
m.
8
25
2 00
— 1 h. 30' sucre.
1083
IV.
()
25
1,50
— 2 h. sucre.
1087
V.
6
25
1,30
— 2 h. sucre.
»
VI.
6
23
1,50
— 2 h. trac, de sucre.
2030
VII.
4
25
1,00
0
lûOi
VI 11.
4
23
1,00
0
1020
IX.
4
25
1,00
0
863
X.
4
25
1,00
0
1105
On voit par les expériences consignées dans ce ta-
bleau, et qui, pour être comparables, ont été faites sur
des animaux de même âge, de même poids, autant que
possible dans les mêmes conditions d'alimentation et
pendant la digestion, que toutes les fois qu'on injecte
plus de 1 gramme de glucose dissous dans 25 centimè-
tres cubes d'ean, il en passe dans les urines où il appa-
raît d'autant plus \'ite que la liqueur est plus concen-
trée. Ainsi, pour 25 centimètres cubes d'une liqueur
dont la proportion de sucre était de 1 00 pour 100, l'ap-
parition a eu lieu au bout d'un quart d'heure, tandis
que, lorsque la proportion n'était que de 6 pour 100, le
sucre n'apparaissait qu'au bout de deux heures.
C'est environ 1 gramme de sucre qui doit être consi-
déré comme la dose limite de la destruction de cette
substance chez des lapins pesant de 1000 à 1200 gram-
mes. Cette limite variera nécessairement avec la taille
des animaux; c'est ainsi que dans le tableau précédent
nous voyons qu'un lapin de 2050 grammes avait moins
DU SUCRE DANS LES URINES. 22o
de sucre dans les urines que d'autres lapius plus petits.
Il est bien certain que pour un chien ou pour un che-
val, la limite de destruction serait tout à fait différente,
seulement nous n'avons pas fait d'expériences assez
nombreuses pour savoirs! la quantité de 1 gramme de
sucre serait toujours correspondante à 1200 grammes
du poids de l'animal, il serait possible qu'il en fûtainsi.
Toutefois nous pouvons dire que la quantité de sucre
détruit parait être en rapport avec la quantité de sang
contenue dans l'organisme; car si l'on prend deux la-
pins de même taille et dans des conditions physiologi-
ques semblables, et si, après leur avoir injecté la même
dose de sucre qui, dans les expériences précédentes,
était complètement détruite, on vient à saigner ces ani-
maux, le sucre apparaîtra bientôt dans les urines.
Sur des lapins en pleine digestion, on peut injecter
sous la peau une plus grande quantité de sucre sans voir
apparaître cette substance dans les urines; cela tient
probablement à ce que le sang se trouve alors en plus
grande quantité dans l'organisme.
Voici, du reste^ quelques résultats d'expériences sur
ce sujet :
Un lapin, pesant 1660 grammes, est saigné à la veine
jugulaire et on lui retire 16 grammes de sang, et aus-
sitôt on injecte par la même veine 4 centimètres
cubes d'eau contenant un demi-gramme de sucre de
fécule.
Sur un autre lapin, dans l'intervalle de deux repas,
comme le précédent, et pesant 1570, on fait l'injection
de lamême quantité de sucre et d'eau sans saigner lela-
BERNARD. I. 15
226 CAUSES DE L'APPARITION
pin. On donne ensuite des aliments aux deux animaux
qui mangent avec appétit.
Une heure après on retire de l'urine de la vessie de
ces deux lapins, elles sont troubles et alcalines, mais l'u-
rine de celui qui a été saigné contient seule du sucre,
l'autre n'en présente pas la moindre trace.
Deux jours après on expérimente de nouveau sur les
deux mêmes lapins, dans les mêmes conditions, mais en
retirant préalablement 16 grammes de sang de la
veine jugulaire chez le lapin qui, dans l'expérience
précédente, n'avait pas été saigné. Après quoi on fait
à tous deux, par la veine jugulaire, l'injection de 4
centimètres cubes d'eau contenant un demi-gramme de
sucre.
Au bout d'une heure on retire les urines qui, exami-
nées avant l'expérience, ne contenaient pas de sucre.
L'urine du lapin saigné contient beaucoup de sucre, celle
du lapin non saigné n'en présente que quelques traces.
On a encore fait l'expérience suivante sur deux au-
tres lapins, à jeun depuis vingt-quatre heures, dont les
urines étaient claires et acides.
Sur l'un d'eux on enlève préalablement 10 grammes
de sang, puis on fait l'injection à tous les deux, par la
veine jugulaire, de 4 centimètres cubes d'eau contenant
un demi-gramme de sucre de fécule, et on les laisse à
jeun.
Le lapin saigné pèse 1 690 grammes ; le lapin non sai-
gné pèse 1500 grammes.
On examine chez ces deux animaux les urines de la
nianière suivante :
DU SUCRE DANS LES URINES. 227
LAPIN SAIGNÉ. \ LAPIN NON SAIGNÉ
Après une demi-heure.
Urines toujours acides; elles! Urines toujours acides; traces
contiennent beaucoup de sucre. | de sucre.
Après une heure.
Urines toujours acides; sucre,
mais en proportion un peu moin-
dre que précédemment.
Urines toujours acides; enccre
quelques traces de sucre.
Après deux heures.
Urines toujours acides; traces 1 Urines acides; absence com-
de sucre. | plète de sucre.
Ces expériences prouvent que la quantité de sang
dans un animal peut avoir une influence sur l'appari-
tion du sucre dans les urines.
11 peut se faii^e encore que, sans rien changer ni du
côté des conditions physiologiques de l'animal, ni dans
la quantité de sucre injectée, l'apparition de cette sub-
stance dans les urines ait lieu par l'influence seule de
la proportion d'eau de l'injeclion.
. Dans les expériences précédentes, nous avions tou-
jours une solution de 1 gramme de sucre pour 25 cen-
timètres cubes d'eau. Dans ces circonstances, le sucre
n'apparaissait pas au dehoi^s. Si, au lieu de cela, nous
prenions 1 gramme de sucre dissous dans 8 centimètres
cubes d'eau, c'est-à-dire une solution environ trois
fois plus concentrée, le sucre passerait dans les urines
bien qu'on n'en ait injecté sous la peau que 1 gramme
seulement, comme dans le premier cas.
Toutes les expériences que nous avons faites sur ce
228 CAUSES DE L'APPARITION
point ont donné le même résultat qui se trouve consigné
dans le tableau suivant :
QUANTITE
de
snfM p. lOft
d"eau.
de
ta solation
injectée.
cent. c.
8,33
4,17
8,33
CE QU ELLB
REPRÉSENTE
gr-
1
1/2
i
t
EPOQUE
et
APPARITION DU SUCRE
dans les urines.
1 h. sucre.
0
1/2 h. sucre.
0
POIDS
du
LAPIN.
1100
1112
1 000
1 1 o;i
Pourquoi le sucre, injecté dans la proportion de
1 sur 8,33 d'eau, apparaît-il dans les urines, tandis que^
quand il est injecté dans la proportion de 1 sur 25, il est
complètement détruit? Cela tient à la rapidité avec la-
quelle se fait l'absorption qui est extrêmement prompte
dans le premier cas, tandis qu'elle est beaucoup plus
lente dans le second. Le pouvoir endosmotique d'un
liquide augmente avec son degré déconcentration, de
sorte qu'il en passe davantage dans le même temps. Ce
n'est pas la même chose de faire absorber 1 gramme
de sucre dans une demi-heure, pendant laquelle il peut
être entièrement détruit, ou de le faire absorber en un
quart d'heure. Par la même raison, si l'on injecte la
substance directement dans le sang, et en trop grande
quantité à la fois, il est clair qu'on la retrouvera dans
les urines.
Il y a une autre expérience qu'on peut faire et qui
rentre dans la même explication : c'est que la pré-
sence de certaines substances, telles que le sel marin.
DU SUCRE DANS LES URINES. 220
peuvent changer la limite de destruction du sucre.
Si nous prenons un lapin, et qu'au lieu de lui injec-
ter SOUS la peau 1 gramme de sucre dissous dans
25 grammes d'eau pure, nous ajoutions à la solution
2 grammes de sel marin, dont l'équivalent endosmoti-
que est considérable, le sucre ne se détruira plus et
apparaîtra dans les urines.
Quand on fait ces injections d'eau salée sous la peau,
ainsi que vous nous le voyez faire en ce moment, l'a-
nimal pousse constamment des cris, ce qui provient
sans doute de l'action du sel sur les nerfs. Car on sait
que, si l'on place dans l'eau salée un bout de nerf de
grenouille, récemment tuée, tenant encore à son mem-
bre, on voit immédiatement les muscles pris de mou-
vements tétaniques. Le sulfate de soude, au contraire,
ne donne rien de pareil. Et vous voyez que chez ce
lapin, où nous l'injectons, il ne se produit aucun
mouvement ni aucun cri indiquant une sensation dou-
loureuse. S'il était permis de comparer cette action
sous la peau à ce qui se passe quand le sel marin se
trouve dans le sang, on pourrait conclure que cette
substance agit comme excitant général du système ner-
veux.
Nous avons consigné les résultats de nos expériences,
relatifs à la question qui précède, dans le tableau
suivant :
230
CAUSES DE L'APPARITION
i
COMPOSITION
^
ÉPOQUE
"S.
DU 1
IQUIDE INJECTÉ.
et
POIDS
"^
^^— -^
" --
APPARITION DU SUCRE
Dl LAPIN.
1:
SlIfTP
Sel marin.
Eau.
dans l'urine.
gr.
gr.
c. cube.
gr.
I.
(glucose).
0,fiO
1"2,.=;()
apr.
15' sucre.
1000 à 1200
11.
id.
0,50
8,50
apr.
39' sucre.
id.
III.
id.
o,^o
id.
apr.
1 h. sucre.
id.
lY.
id.
0,50
id.
apr.
1 h. sucre.
id.
V.
id.
1,00
8,33
apr.
1 h. sucre.
id.
VI.
id.
0,50
12,00
apr.
1/2 h. tr. de sucre.
id.
VII.
(diabète).
0.50
12,50
apr.
1 h. 1/2 pas de sucre.
id.
Ylll.
id.
0,50
8,50
apr.
15' tr. de sucre.
id.
I.\.
id.
0,50
id.
apr.
2 h. pas de sucre.
id.
X.
id.
0,50
id.
apr.
1 h. pas de sucre.
id.
XI.
id.
0,50
8,33
apr.
1 h. traces de sucre.
id.
XII.
id.
0,50
12,50
apr.
1 h. pas de sucre.
id.
MU.
id.
1,00
2 sulfate
de sonde.
id.
apr.
1 h. pas de sucre.
id.
On voit, d'après les chiffres, que la quantité de su-
cre détruit diminue quand on y ajoute en même temps
du sel marin, et cela a lieu même pour le sucre de
diabète dont la limite de destructibilité est beaucoup
plus élevée. Ce résultat s'est encore manifesté quand
on faisait une solution plus concentrée du liquide. Dans
ces cas encore l'abaissement de la limite de destructi-
bilité dépend de l'absorption plus rapide que le sucre a
éprouvée par suite de sa combinaison avec le sel ma-
rin, combinaison décrite dans tous les livres de chimie
et qui a pour formule C^^ H^^ 0^* Na Cl, 2H0. La fa-
culté endosmotique du sel marin ne se communique-
rait pas au sucre, s'il y avait simple mélange et s'il
n'existait pas une combinaison réelle entre ces deux
substances ; c'est ce qui résulte d'expériences que nous
avons faites avec le sulfate de soude, qui n'entraîne pas
le sucre avec lui, bien que l'équivalent endosmatique
soit plus considérable que celui du sel.
DU SUCRE DANS LES URINES. 231
Ce fiiit n'est pas sans exemple, car j'ai prouvé, ail-
leurs, que le fer pouvait être entraîné par l'iode dans
certaines sécrétions, telles que la salive où ce métal ne
passe pas à l'état d'autres combinaisons.
Il faut encore noter en passant que l'acidité des urines
chez des lapins à jeun, ou sur des chiens, semble di-
minuer sous l'influence d'une injection de glucose. J'a-
vais pensé d'abord, quand j'observai ces phénomènes
pour la première fois, que cela tenait à une action par-
ticulière de la matière sucrée, mais il m'a semblé de-
puis que cette diminution de l'acidité pouvait tenir à
la dilution de l'urine par le liquide injecté. J'ai fait dans
ce but des injections d'eau pure dans lesquelles le
même fait s'est reproduit.
Vous voyez donc, Messieurs, comme de sembla-
bles phénomènes sont compliqués, puisqu'il faut tenir
compte et de la taille de l'animal, de l'état de digestion,
de la nature du sucre, de sa quantité, de son degré de
concentration et de l'état de combinaisons qu'il peut
présenter avec les matières qu'il rencontre.
Toutes ces nuances se trouvent représentées dans les
tableaux qui précèdent.
On comprend alors quelle difficulté présente l'appli-
cation des calculs à des phénomènes physiologiques
en apparence simples, mais qui dépendent de tant de
conditions connues, sans parler de celles sur lesquelles
nous n'avons encore aucune donnée.
Ces expériences sont plus importantes qu'on ne
pourrait le supposer au premier abord. Bien que faites
en dehors des conditions normales, elles puissent pa-
232 APPARITION DU SUCRE DANS LES URINES.
raître étrangères à l'histoire de la destruction du sucre
hépatique dans l'être vivant, elles s'y ramènent ce-
pendant parce qu'elles nous prouvent qu'il faut, pour
que le sucre se détruise dans l'organisme, qu'il soit
destructible, ce qui n'c. pas lieu pour les toutes les espèces
de sucre, et en outre qu'il n'arrive pas dans le sang en
trop grande quantité à la fois. Quand nous viendrons
à l'analyse des phénomènes du diabète, nous verrons
que chacun de ces faits trouvera son application.
ONZIEME LEÇON
30 JANVIER 1855.
SOMMAIRE : Du déversement du sucre dans le sang par le foie. — Applica-
tion du diabète. — Conditions qui font apparaître le sucre dans le système
circulatoire en général. — Théorie de la combustion pulmonaire. — Exa-
men de cette théorie. — Objections. — Découverte de la présence du sucre
dans l'urine des fœtus. — Circonstances de ce phénomène. — Il devient
inexplicable dans la théorie de la destruction du sucre dans le poumon. —
Expériences sur les sangs eu co:)tact avec différents gaz. — Théorie de la
destruction du sucre par les alcalis du sang. — Théorie de la destruction
du sucre par fermentation. — Preuves à l'appui. — Quelle est l'espèce de
fermentation qui s'opère ainsi? — Accidents qui suivent la production de
l'alcool dans le système circulatoire. — Vues sur les phénomènes chimi-
ques de l'organisme.
Messieurs,
Nous avons fait passer sous vos yeux, dans la der-
nière séance, une série de résultats destinés à vous
montrer qu'il y aune distinction à établir au point de
vue de la destructibilité entre les diverses espèces de
sucre : ceux de la deuxième espèce (lactose, glucose,
sucre de raisin, de diabète, de foie, etc.) peuvent être
détruits dans le sang, ce qui n'a jamais lieu pour les
sucres de canne ou de betteraves, qui, placés dans les
mêmes conditions, sont constamment éliminés par les
urines. Vous avez vu aussi que la quantité de sucre qui
se répand dans l'organisme, c'est-à-dire dans le sang
après être sortie du foie doit être limitée ; car si l'on
prend un animal et qu'on lui injecte une solution su-
234 DESTRUCTION DU SUCRE
crc'o soit directement dans le sang, soit dans le tissu
cellulaire sous-cutané, il ne faudra pas dépasser cer-
taines doses, autrement la matière sucrée apparaîtrait
dans les urines. Vous savez, en outre, que même dans
les limites dans lesquelles le sucre peut être détruit, il
faut encore tenir compte du temps que l'absorption met
à s'effectuer, car si elle était trop rapide, soit par l'effet
d'une injection directe dans le sang, soit par suite de la
concentration du liquide poussé dans le tissu cellulaire,
ou de la combinaison de la matière sucrée avec cer-
taines substances très-endosmotiques, comme le sel
marin, par exemple, le sucre pourrait encore se mon-
trer dans les urines.
il ne faut jamais perdre ces faits de vue, car ils sont
la clef d'un certain nombre de phénomènes qui se
rattachent au diabète. Le foie est, en effet, un organe
qui contient du sucre et qui l'injecte peu à peu dans le
sang. Les phénomènes que nous produisons avec une
seringue chargée de la matière sucrée, le foie peut na-
turellement les accomplir, c'est-à-dire que si, dans un
temps donné, cet organe lance dans le sang une quan-
tité de sucre plus grande que ne le comporte l'état phy-
siologique, l'excès de cette matière apparaîtra immé-
diatement dans les urines, et nous aurons le symptôme
du diabète.
Lorsqu'un animal est à jeun depuis un certain temps,
le sucre qui se produit dans le foie arrive au poumon,
où il peut être alors complètement détruit ; dans ce
moment on ne trouve manifestement du sucre qu'entre
ces deux organes. Si l'animal est en digestion, hi quan-
DANS LE SANG. 235
tité de sucre versée par le foie est trop considérable
pour être détruite tout entière dans le poumon, il en
passe alors une partie dans le sang artériel et même
dans le système veineux de la grande circulation, où
l'on peut le retrouver; mais dans l'état de santé, ce
sucre, généralisé dans tout l'appareil circulatoire, ne
se montre cependant pas dans les urines. La sensibilité
des reins n'est pas éveillée par une proportion très-fai-
ble de sucre dans le sang, et vous savez. Messieurs, que
la sensibilité des organes sécréteurs n'est pas la même
pour tous vis-à-vis des mêmes substances. Ainsi, les
glandes salivaires éliminent de l'organisme les moin-
dres traces d'iode, tandis qu'il en faut des quantités
plus considérables pour que cette matière se manifeste
dans l'urine.
Ainsi l'apparition du sucre dans l'urine n'est donc
qu'une affaire de limite, une question de plus ou de
moins. Le sucre, à l'état physiologique, peut exister,
et existe dans certains cas dans tout le sang, mais sans
se montrer au dehors; si sa quantité augmente un peu,
l'individu devient diabétique, soit d'une façon continue,
soit d'une manière intermittente.
Lehmann a constaté, chez les chiens et les lapins,
que, dès que la quantité du sucre dans le sang arrivant
au poumon dépasse 0^', 30 pour 100, le sucre apparaît
dans les urines.
Supposons maintenant qu'au lieu de verser le sucre
dans l'organisme avecune certaine lenteur, de manière
à ne pas dépasser les limites de ce que doit en contenir
le sang, le foie, sous certaines influences, vienne àêtre
236 DESTRUCTION DU SUCRE
pris de contractions, qu'il soit comprimé par exemple,
il chassera alors de son tissu une quantité de matière
sucrée, double ou triple de ce qu'elle doit être; le sucre
pourra apparaître rapidement dans tout ce sang, et
même dans l'urine. Le phénomène peut être produit
d'une façon tout à fait mécanique au moyen d'une
expérience très-simple.
Nous choisissons un animal, un chien ou un lapin,
en ayant soin de le prendre dans uu moment conve-
nable, dans l'intervalle de deux repas, la digestion pré-
cédente étant complètement achevée. Dans ces condi-
tions, à peu près tout le sucre versé par le foie disparaît
dans le poumon et l'on en retrouve à peine des traces
dans le système artériel et dans le système veineux gé-
néral. Si sur l'animal en repos on tire alors du sang de
la veine jugulaire, on n'y trouvera pas sensiblement de
traces de matières sucrées. Si, au contraire, on com-
prime l'abdomen,, de manière à exercer une certaine
pression sur le foie, ou bien si Ton provoque des espèces
de convulsion, et des contractions violentes des mus-
cles abdominaux et du diaphragme, en bouchant her-
métiquement le nez de l'animal de façon à l'empêcher
de respirer pendant quelques instants, et qu'après on
leprenne du sang de la veine jugulaire du même ani-
mal, on trouvera qu'il y a du sucre. L'expérience aura
cependant duré tout au plus cinq minutes. Comment
expliquer cette apparition du sucre? Tout simplement
parce quesous l'influence des efforts qu'afaits l'animal
pour tenter d'échapper à la suffocation, le foie a été
comprimé et a, dès lors, versé dans le sang du sucre en
DANS LE SANG. 237
excès, qui est alors passé dans tout le système circu-
latoire.
On produira un effet analogue en retirant une grande
quantité de sang dans une artère. Les dernières parties
du sang sorti du vaisseau contiendront beaucoup de
sucre, tandis que les premières pourront n'en contenir
que peu ou même pas du tout.
Je vous prie, Messieurs, de remarquer celte expé-
rience dans laquelle, sous Tinfluence de mouvements
violents produits par l'animal, le sucre a passé dans
tout le système circulatoire, sans qu'on puisse suppo-
ser que les autres conditions physiologiques, d'accès de
l'air dans les poumons ou de composition chimique du
sang, aient été changées.
Le fait que nous venons de vous montrer nous mène
à \ous parler d'une théorie qui suppose que la destruc-
tion du sucre s'opère par une oxydation dans les pou-
mons.
S'il était vrai que le sucre se détruisîl en traversant
les poumons par suite de son contact avec l'oxygène
toutes les fois que l'on trouble la respiration, soit en
bouchant les voies aériennes, soit en mêlant à l'air
certaines vapeurs comme l'éther ou le chloroforme,
soit en appauvrissant l'air d'oxygène, etc., le sucre,
n'étant plus alors détruit, passerait dans la grande
circulation et devrait apparaître dans les urines.
M. Reynoso, ayant vu que sous l'influence de l'éthé-
risalion les urines devenaient momentanément sucrées,
a cru pouvoir expliquer ce résultat par un défaut d'oxy-
dation du sucre dans le poumon. Le fait est exact, ce-
238 DESTRUCTION DU SUCHE
pendant il ne se manifeste pas toujours, et il m'a paru
que c'était surtout chez les animaux en pleine digestion
que l'expérience réussissait le mieux. Chez les animaux
à jeun, je suis parvenu tout au plus par ce moyen à
faire passer du sucre dans le sang au delà du poumon.
Cependant, Messieurs, notre première expérience
nous porte à nous demandersice passage du sucre dans
le sang ne résulterait pas de la compression qu'a subie
le foie, dans les efforts violents qu'a faits Tanimal, plu-
tôt que de l'empêchement de l'accès de l'air dans les
poumons. Et dans les cas d'élhérisation, il y ade même
souvent des efforts et des contractions qui peuvent suf-
fire pour déterminer cette apparition du sucre dans les
urines, bien qu'il y ait aussi une action spéciale de l'é-
ther ou du chloroforme, ainsi que nous le verrons plus
tard.
Quoi qu'il en soit, au début de mes expériences, j'a-
vais pensé moi-même que la destruction du sucre pou-
vait pi'ovenir d'une oxydation. C'est même guidé par
cette théorie, et par l'observation que j'avais faite, que
la fonction glycogénique commençait à une certaine
époque de la vie fœtale, que je fusamené à induire que
la production du sucre ayant déjà lieu avant la nais-
sance, et la respiration n'étant pas établie pour le dé-
truire, les fœtus devaient être diabétiques. J'examinai
donc, d'après cette vue théorique, les urines de fœtus
de veau de quatre à cinq mois, et je découvris en effet
. qu'elles contenaient des quantités notables de sucre.
La théorie de l'oxydation paraissait confirmée, puis-
que des conséquences, qui en étaient logiquement dé-
DANS LE SANG. 239
doutes, se trouvaient, à posieriori, d'accord avec un fait
nouveau. Mais, en étudiant ce phénomène de la pré-
sence du sucre dans l'urine des fœtus de différents
âges, je trouvai d'autres faits qui ne pouvaient plus
s'expliquer de la même façon.
La fonction glycogénique du foie ne commence que
vers le quatrième mois environ de la vie intra-utérine
chez les veaux. Il était naturel de penser que chez des
fœtus, dont le foie ne sécrétait pas encore du sucre, il
ne devait pas y en avoir non plus dans les urines. Or,
ici l'expérience ne vérifia plus ma déduction. Les
urines de très-jeunes fœtus sont très-sucrées lorsque
le tissu de leur foie ne contient encore aucune trace
de sucre.
D'un autre côté, le foie présente dans son tissu des
quantités de sucre de plus en plus grandes, à mesure
qu'on approche du terme de la gestation; il était en-
core très-logique de penser que les urines devaient être
sucrées de plus en plus en approchant de la naissance;
or, c'est encore ce qui n'a pas lieu. L'urine des fœtus
de veau, dès le sixième ou septième mois, cesse de
contenir du sucre, quoiqu'il soit alors sécrété dans
l'organisme, et qu'on en trouve beaucoup dans le foie.
Je vous donne ces détails, Messieurs, parce qu'ils
sont importants au point de vue de la méthode expéri-
mentale. Vous voyez quelle a été l'utilité de cette
théorie pour me faire découvrir le fait nouveau relatif
au sucre dans l'urine des fœtus; mais vous voyez en
même temps qu'en présence de ces faits la théorie dut
disparaître ; car si elle paraissait confh'mée dans un des
240 DESTRUCTION DU SUCRE
cas, où l'on Irouve du sucre dans l'urine, quand il n'y
a pas encore de fonction respiratoire, elle ne pouvait
plus s'appliquer à l'autre cas, où l'on n'en trouve
plus chez les fœtus de sept ou huit mois, bien que chez
ces derniers, au point de vue du défaut d'oxygène, et
de la formation du sucre, les circonstances sont res-
tées les mêmes.
Je renonçai donc à la théorie parce qu'elle ne résis-
tait pas à l'analyse expérimentale. Il faut, en effet. Mes-
sieurs, quand on veut édifier une théorie, rechercher
non pas ce qui peut la confirmer, mais il faut surtout
regarder ce qui peut la détruire, car elle ne sera valable
qu'autant que les preuves et les contre-épreuves seront
données.
D'autres faits, d'ailleurs, venaient se grouper autour
des précédents, et montrer que la théorie de l'oxyda-
tion, pour expliquer la disparition du sucre, est plus
qu'insuffisante.
Des expériences directes nous ont fait voir que la
quantité d'oxygène absorbé, comparée avec la quantité
d'acide carbonique rendu, est plus grande dans le sang
non sucré recueilli dans la veine jugulaire d'un animal
à jeun, que dans le sang d'un animal pris en digestion
et contenant du sucre, ce qui veut dire, en d'autres
termes, que le sang non sucré absorbe plus d'oxy-
gène et rend relativement moins d'acide carboni-
que le sang sucré. Les expériences de MM, Re-
gnault et Reiset faites sur les animaux vivants ont
donné un résultat identique; on Yoit que le rapport de
l'oxygène, exhalé sous forme d'acide carbonique avec
DANS LE SANG. 241
l'oxygène absorbé, est plus grand pendant la digestion
que pendant l'abstinence.
Il résulte donc de ces expériences que la quantité
d'oxygène introduite n'est pas dans un rapport crois-
sant avec la quantité d'acide carbonique qui devrait
être formé.
De plus, en faisant des expériences spéciales pour
nous rendre compte de la destructihilité du sucre
au contact de différents gaz, nous avons trouvé que
l'oxygène ne possède rien de particulier à ce sujet.
Du sang normalement sucré, qui avait été retiré des
veines hépatiques, fut divisé en deux parties, Tune
soumise à un courant d'oxygène, l'autre à un courant
d'acide carbonique prolongé pendant cinq ou six heu-
res. Le sang était entretenu rutilant par l'oxygène, qui
traversait sans cesse ce liquide, et le sang était, au con-
traire, très-noir au contact de l'acide carbonique. Au
bout de cinq ou six heures, le sucre n'était détruit
dans aucun des deux liquides, mais au bout de vingt-
quatre heures on ne rencontrait plus de sucre dans
aucun des deux sangs.
Lorsqu'on prend du sang sucré et qu'on le met au
contact de différents gaz, on ne voit pas que l'oxygène
ait la propriété d'opérer la destruction plus vite que les
autres gaz. Voici ce que nous avons vu :
l*" Sur un chien en pleine digestion et bien portant
on retira delà veine jugulaire, du côté des capillaires,
du sang veineux, dans lequel on constata la présence
évidente du sucre, mais en petite quantité. Alors à
l'aide d'une seringue on aspira 24 grammes de sang
BERNARD. I. 16
242 DESTRUCTION DU SUCRE
de la veine que l'on poussa dans un flacon renversé
sur le mercure et contenant 500 centimètres cubes
d'oxygène.
2*" Dans une seconde expérience, la même quantité
de sang tout chaud est introduite de même dans un
flacon de même capacité contenant de l'azote. (Cet
azote avait été obtenu par l'action de l'oxyde de cuivre
sur l'ammoniaque.)
3° Une même quantité de sang dans les mêmes
conditions est placée en contact avec de l'acide car-
bonique.
On avait la certitude que dans chacun de ces flacons
se trouvait, avec des gaz différents, du sang également
sucré, car à la fin de l'expérience, on constata que le
sang était sucré comme au commencement.
Dans tous les flacons le sang s'étant rapidement coa-
gulé, on mêla par agitation le sang avec le gaz, et le
mélange avait une couleur très-noire avec l'acide car-
bonique, très-rutilant avec l'oxygène et rouge avec
l'azote. Après deux heures environ de contact, on re-
tira un peu de sang de chaque flacon, et l'on vit que le
sucre avait disparu complètement dans l'azote, qu'il en
restait encore dans l'oxygène, et qu'il n'y en avait pas
disparu sensiblement dans l'acide carbonique.
Ce résultat singulier pouvait laisser quelques doutes
dans l'esprit, et il semblait être expliqué en disant que
l'azote, au contact duquel le sucre avait complètement
disparu, devait être resté alcalin, par suite de sa pré-
paration, et que l'action de l'alcali était intervenue
dans la disparition du sucre, qui n'avait pas eu lieu
DANS LE SANG. 243
dans l'acide carbonique, par suite de l'acidité qui pou-
vait résulter d'une partie de ce gaz dissous dans le
liquide.
Nous dûmes répéter d'autres expériences en opérant
comme dans les circonstances précédentes, et avec du
sang pris dans les mêmes conditions, et à la tempéra-
ture ambiante avec : T de l'oxygène pur; 2° de l'hydro-
gène préparé par le zinc, et purifié en le faisant passer
dans le sulfate de cuivre ; 3*" avec de l'hydrogène arsé-
nié; 4° avec de l'acide carbonique; 5° avec de l'air.
Le sang se coagula rapidement dans tous les tlacons.
On l'agita avec le gaz; il resta rouge en contact avec
tous les gaz, excepté avec l'hydrogène arsénié qui l'a-
vait rendu très-noir. Au bout de deux heures de contact,
le sucre avait complètement disparu dans ce dernier
gaz, mais il était parfaitement conservé dans l'hydro-
gène pur. On n'examina pas les autres flacons à ce mo-
ment.
Le lendemain, après vingt heures de contact, on exa-
mina tous les sangs et l'on trouva que le sucre avait dis-
paru d'une manière complète dans l'hydrogène arsénié
et dans l'hydrogène pur, mais il en restait encore des
traces dans tous les autres gaz, oxygène, acide carboni-
que et air.
Ces expériences ont donné des résultats très-rem.ar-
quables, en ce que l'on voit que l'hydrogène arsénié,
par exemple, a une très-grande influence sur la des-
truction du sucre, et que l'hydrogène pur paraît avoir
une action semblable. Ces résultats sont à poursuivre,
mais pour le moment nous voulons simplement con-
2't't DESTRUCTION DU SUCRE
dure que l'oxygène ne se distingue pas des autres gaz
sous le rapport de la destruction du sucre ; on ne sau-
rait donc lui attribuer l'influence spécifique dans ]e
phénomène de la disparition de cette substance dans
l'orcfanisme.
Il y a encore une autre hypothèse dont nous devons
dire quelques mots ; c'est celle qui suppose que la des-
truction du sucre, dans l'économie, est due â une com-
bustion du sucre au contact des alcalis. On sait , en effet,
que le sang est toujours alcalin ; la \ie est incompatible
avec l'acidité ou même la neutralité de ce liquide. Si
l'on injecte dans le sang un acide quelconque, même
un des acides organiques, qui se rencontrent, à l'état
normal, dans certains points de l'organisme animal, de
l'acide lactique, par exemple, en quantités assez consi-
dérables pour neutraliser l'alcalinité du sang, l'animal
ne tarde pas à mourir, bien longtemps avant qu'on ait
rendu le sang acide ou même neutre.
Mais, la faible alcalinité du sang n'est pas une raison
suffisante pour assimiler h la réaction de la potasse
caustique sur le sucre ce qui se passe dans le corps vi-
vant, 011 les liquides sanguins, bien qu'alcalins, ne le
sont cependant qu'à un faible degré. Cela d'ailleurs
n'explique pas le cas des diabétiques, car chez eux le
sang est alcalin.
Voici, à ce sujet, une expérience directe qu'on peut
répéter, Si l'on prend du sang sucré des veines hépati-
ques, et que l'on en fasse deux parts égales, l'une qu'on
abandonne à elle-même, l'autre qu'on fait cuire et dont
onliltre les liquides qui s'en échappent : dans la pre-
DANS LE SANG. 24o
mière le sucre se détruit, tandis qu'il n'est pas modifié
dans le liquide de la seconde qui a filtré, bien que la
coction ne lui ait pas enlevé son alcalinité. La matière
organique, qui opère cette destruction, comme nous
allons le voir, a seule été modifiée. Si, d'ailleurs, on
injecte dans la veine jugulaire d'un lapin un demi-
gramme de glucose dissous dans l'eau pure, comparati-
vement avec l'injection d'une même quantité de sucre
additionné de 1 gramme de carbonate de soude, on
verra que dans les deux cas le glucose apparaît dans les
urines, seulement il nous a semblé s'éliminer plus ra-
pidement, quand il y avait l'addition de carbonate de
soude.
Leiimann et de Becker ont fait des expériences sem-
bki blés d'injection de sucre avec des alcalis, et sont ar-
rivés à la même conclusion, savoir : que le sucre ne se
détruit pys en plus grande quantité dans ces conditions
que dans les circonstances ordinaires.
11 va sans dire, d'ailleurs, que toutes les objections
qu'on peut faire à la théorie de l'oxydation s'adressent,
à plus forte raison, h celle qui repose en outre sur
le fait chimique de la destruction du sucre par les
alcalis.
Ainsi, Messieurs, les hypothèses qu'on faisait pour
expliquer la destruction du sucre dans l'organisme,
deviennent aujourd'hui insuffisantes en présence des
faits nouveaux que je vous ai exposés. Cependant, je
ne dois pas me borner à les renverser, sans vous pro-
poser immédiatement une autre théorie qui me paraît
rendre mieux compte de l'ensemble des phénomènes
246 DESTRUCTION DU SUCRE
observés, en vous rappelanl ce que je vous ai dit dans la
première séance de ce cours, que toutes nos explications
sont relatives à l'état actuel de la science.
Les matières organiques peuvent se détruire de deux
manières : ou par une oxydation, ou par une fermenta-
lion. Nous venons de voir que l'oxydation ne rend pas
compte des phénomènes ; nous devons donc nous re-
jeter sur la fermentation, qui est un phénomène que
nous voyons s'opérer dans une foule de transforma-
tions, soit dans le règne végétal, soit dans le règne
animal.
Pour qu'une fermentation s'accomplisse, vous savez
qu'il faut, d'une part, une matière fermentescible, de
l'autre un ferment. Vous savez aussi que la nature du
ferment a une influence considérable sur la direction
qu'il imprimée la fermentation. Ainsi sous l'influence
de la levure de bière intacte, le sucre se transforme en
acide carbonique et en alcool. Mais si l'on broie cette
levure, qu'on la désorganise, son mode d'action de-
vient tout autre. Au lieu de dédoubler le sucre, dont la
formule chimique est C^-H^^O^^, en acide carbonique et
alcool, elle le changera en un corps isomère, l'acide lac-
tique, présenté par C^^H^^O^^ + 2H0 = G^'H^'^O^^
Or, dans l'organisme, la fermentation alcoolique ne
se produit jamais, parce qu'il n'y a pas le ferment qui
lui est propre, la levure de bière; et si l'on cherchait à
la faire naître artificiellement, il en résulterait de graves
désordres, qui amèneraient la mort, ainsi que nous l'a-
vons constaté dans l'expérience suivante :
Nous avons injecté dans les veines d'un chien un mé-
DANS LE SANG. 247
lange de sucre et de levure de bière. Rien ne s'oppose ici
ù l'action que ces deux substances exercent l'une sur
l'autre; mais, au bout d'un certain temps, l'animal pré-
sente le? phénomènes d'une maladie grave; il en résulte
une espèce de décomposition du sang qui devient noir,
visqueux ; toutes les muqueuses et, en particulier, celles
de l'intestin grêle sont rouges et laissent suinter du
sang. Il survient des diarrhées sanguinolentes qui amè-
nent la mort avec des symptômes plus ou moins analo-
gues aux accidents typhoïques.
La destruction du sucre ne s'opère donc pas de cette
manière, mais le sucre, arrivant au poumon, peut
être, sous l'influence de la division extrême du sang,
changé en acide lactique, ce qui s'opère par une sim-
ple modification moléculaire, dans laquelle l'oxygène
ne jouerait qu'un rôle secondaire. Vous savez, d'ail-
leurs, que ce gaz ne fait qu'imprimer à la masse fer-
mentescible un mouvement qui peut ensuite se con-
tinuer sans lui. M. le docteur Pavy a fait sur ce
mécanisme de la destruction du sucre dans l'organisme
des expériences très-intéressantes.
Ce ne serait peut-être ensuite que dans le systèuie
capillaire général qu'aurait lieu l'oxydation d'oii naî-
trait l'acide carbonique, rejeté ensuite par les poumons.
Mais nous ne pensons pas que cette combinaison, de
l'oxygène avec le carbone, se fasse aux dépens des sub-
stances versées directement dans le sang, soit qu'elles
proviennent de la digestion, soit qu'elles aient été éla-
borées dans le foie. Nous croyons, au contraire, que
ces matières nouvelles qui, pour ainsi dire, n'ont point
248 DESTRUCTION DU SUCRE DANS LE SANG.
encore vécu, entrent d'abord dans les combinaisons
organiques, et déplacent les matériaux anciens qui sont
excrétés sous forme gazeuse, liquide ou solide. Nous
ne pensons pas, en un mot, qu'aucun des phénomènes
soit de composition, soit de décomposition, s'opère
dans l'organisme d'une manière directe.
A mesure que nous avancerons dans nos études,
nous verrons déplus en plus que ces fermentations ont
dans l'organisme un domaine très-étendu.
Nous consacrerons la leçon prochaine à vous donner
quelques vues générales à ce sujet, à propos d'une dé-
couverte que nous avons faite récemment sur la pro-
duction du "sucr.e pendant les premiers temps de la vie
embryonnaire.
DOUZIEME LEÇON
3 FÉVRIER 1855.
SOMMAIRE ; Examen du foie d'un supplicié. — Découverte sur la génération
et les usages de la matière sucrée dans l'organisme. — Étude des conditions
de développement des cellules organiques. — Levure de bière. — Néces-
sité de la présence d'une matière sucrée. Expériences sur le sérum. —
Génération de cellules organiques spéciales . — Production de sucre dans
des muscles et les poumons de fœtus en voie de développement.— Cette
production n'a pas lieu dans les autres tissus. Ces phénomènes rentrent
dans l'ordre des fermentations. — Germination animale. — Rapproche-
ment des animaux et des plantes au point de vue des phénomènes de dé-
veloppement. — Phénomènes de fermentation donnant lieu aux principales
actions chimiques de l'organisme.
Messieurs,
Nous saisissons, à mesure qu'elles se présentent,
toutes les occasions de vous rendre témoins des faits
que nous vous avons annoncés ici. Nous vous avons
dit que le foie de l'homme à l'état de santé, ainsi que
le foie des animaux, contient des quantités notables
de sucre, mais qu'on n'en rencontre généralement pas
dans le foie d'individus morts de maladie. Nous vous
avons montré un foie qui était dans ce dernier cas, et
qui venait de l'École pratique. Vous avez vu que sa dé-
coction ne réduisait pas le tartrate cupro -potassique.
Pour que les expériences faites sur l'homme soient
comparables à celles qui ont été faites sur les animaux,
il faut donc qu'elles soient reproduites dans les mêmes
2o0 DÉCOUVERTE SUR LES USAGES DE LA MATIÈRE SUCRÉE
conditions, et c'est ce que nous sommes en mesure de
vous faire voir maintenant.
Voici le foie d'un supplicié, que nous devons à l'o-
bligeance de M. Jarjavay, chef des travaux analomiques ;
on va répéter devant vous les expériences que nous
avons faites chez les animaux. On prend un morceau
du tissu hépatique, on le broie, on le fait bouillir avec
de l'eau; la décoction, comme vous voyez, est très -fai-
blement opaline, car cet individu était presque à jeun :
il n'avait pris le matin qu'un peu de chocolat et d'eau -
de-vie. Nous traitons la décoction par le réactif cupro-
potassique, et vous voyez qu'elle le réduit très- abon-
damment.
Voici, d'ailleurs, un appareil à fermentation qu'on a
rempli avec la même décoction, et dans lequel ou a
ajouté de la levure de bière; vous verrez dans quelques
instants la fermentation s'opérer, et le gaz qui s'en dé-
gagera absorbable par la potasse, ce qui prouvera la
présence de l'acide carbonique.
La foie de l'homme sain n'échappe donc pas à la loi
que nous avons établie sur la présence du sucre dans
le tissu hépatique de tous les êtres de l'échelle zoolo-
gique.
Nous reprenons maintenant l'histoire du sucre au
point oii nous l'avons laissée; et nous allons vous
parler de ses usages dans l'économie animale.
Il est difficile, au premier abord, de savoir au juste à
quoi peut servir le sucre dans l'organisme. Il s'y pro-
duit constamment dans le foie depuis une certaine épo-
que (Je la vie intra-utérine jusqu'à la mort, et il doit
DANS L'ORGANISME. 251
avoir des usages importants à remplii". On a supposé
dans certaines théories qu'il se détruisait en produi-
sant la chaleur destinée à entretenir la température
propre de Tanimal. Mais ce n'est là qu'une supposi-
tion, qui ne réunit plus aujourd'hui assez de preuves
en sa faveur, pour être acceptée comme l'expression
complète de la réalité, car nous avons vu que c'était au
moment surtout de la formation du sucre que la cha-
leur se produisait dans le foie, et que, par conséquent,
le maintien de la température semhlait dépendre des
phénomènes de formation de matières, dans lesquels
le système nerveux intervient toujours, plutôt que de la
destruction spontanée de ces matières.
Je pense que le sucre a d'autres usages à remplir,
d'une nature tout à fait différente, et d'une bien plus
grande importance. J'ai été amené à celte opinion par
des découvertes faites dans une autre voie, que je vous
demanderai la permission de vous exposer avec quel-
ques détails, en vous montrant par quelles séries d'i-
dées j'ai dû passer pour arriver aux résultats que j'ai h
vous annoncer dans cette séance. Une telle histoire est
toujours instructive, surtout au point de vue des mé-
thodes d'investigation. Elle montre que les théories
que nous faisons sur les phénomènes réels ne sont ja-
mais que relatives à la masse de nos connaissances,
qu'elles changent de face avec les faits que nous dé-
couvrons, qu'elles n'ont jamais qu'une existence tem-
poraire, et qu'il faut les envisager, d'abord comme des
liens provisoires des notions que nous possédons, et
ensuite comme des moyens puissants po'ur remuer
252 ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT
les idées et faire surgir des découvertes nouvelles.
Ainsi, pour rester dans notre sujet, les connaissances
que Ton avait sur les métamorphoses du sucre avaient
pu conduire à faire croire que c'était en se détruisant,
après avoir pris naissance dans le foie, que cette sub-
stance remplissait ses principaux usages. Les faits que
je vais maintenant vous exposer, et qu'on n'avait pas
soupçonnés jusqu'ici, en élargissant le cercle de nos
connaissances, ont fait naître dans notre esprit une
théorie nouvelle, et nous ont conduits à penser que le
rôle le plus important qu'ait à remplir le sucre dans
l'économie, s'accomplit bien plutôt au moment de sa
formation, qu'au moment où il se détruit. Eu vous
faisaut suivre ainsi les variations que subissent nos
manières de voir sur les phénomènes physiologiques, à
mesure qu'il s'en présente de nouveaux, vous com-
prendrez mieux l'espèce de rapport que nous avons
voulu établir au commencement de ce cours entre les
théories toujours subjectives, et les faits qui sont seuls
réels.
Après cette digression, qui rentre pleinement, ainsi
que nous l'avons annoncé ailleurs, dans la nature de ce
cours, abordons directement l'objet de cette leçon.
A l'occasion de l'enseignement qui m'a été confié à
la Faculté des sciences, j'ai été conduit à faire quelques
recherches de physiologie générale, qui m'ont amené
à la découverte que je vais vous exposer aujourd'hui.
Je portais mes études sur les conilitions d'existence et
de développement des cellules organiques. Vous savez,
en effet, et c'est maintenant un fait bien connu, que
DES CELLULES ORGANIQUES. 233
les êtres vivants commencent par être formés de cel-
lules qui, dans leur évolution ultérieure, produisent
les diverses espèces d'organes et de tissus. Or, partout
où se manifestent des phénomènes vitaux, il y a deux
choses à considérer, l'être ou le tissu qui se dévelop-
pent, elle milieu dans lequel ils opèrent leur dévelop-
pement. Nous n'avons pas à rechercher pourquoi cette
cellule primitive produitun être plutôt qu'un autre, un
tissu plutôt qu'un autre. Ces questions de cause pre-
mière ou finale ne sont pas à notre avis du domaine de
la science, qui doit sagement se borner à constater les
faits, en recherchant non pas pourquoi tel phénomène
s'opère, mais de quelle manière, suivant quelle loi, et
sous quelles conditions il se passe. Il nous importe peu
de savoir pourquoi tel embryon produit tel être, mais
nous sommes très-intéressés à connaîtj-e le milieu, le
terrain dans lequel il se développe, le mode d'après le-
quel s'effectue cette évolution, afin que, mis à même de
prévoir ce qui doit se passer pour un être semblable,
nous puissions réahser les circonstances qui lui .'^ont
favorables, ou les modifier à notre gré et à notre profit.
C'est ainsi que les applications pratiques dérivent de la
science pure.
Je commençai donc par faire des observations sur
les conditions d'existence des êtres les plus simples. Je
pris pour cela ces végétaux cellulaires microscopiques,
appartenant à la classe des champignons, et je choisis
la levure de bière. On savait déjà que ces végétaux se
développent spontanément quand on abandonne à la pu-
tréfaction des liquides contenant des matières aibumi-
2o4 ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT
noïdes et du sucre en dissolution. Au bout d'un certain
temps on voit la liqueur se troubler, et il se dépose de
petits corps oviformes, qui croissent jusqu'à la gros-
seur de 1 / 100 de millimètre, et donnent naissance par
bourgeonnement à d'autres corps semblables à eux
qui, en produisant de nouveaux à leur tour, finissent
par former des espèces de chapelets, tantôt simples,
tantôt plus ou moins ramifiés, et composés d'un nom-
bre, variable de grains. Mais, bien qu'on ait indiqué
vaguement les conditions générales de cette production
de la levure de bière, soit dans les liquides végétaux,
soit dans les urines de diabétiques, on n'avait pas une
idée nette de la manière dont les choses se passent : on
pensait que c'était la matière albuminoïde qui se trans-
formait en ferment, sans se rendre bien compte du
rôle que jouait ici la matière sucrée. Mes expériences
me conduisirent d'abord à reconnaître que la présence
de cette matière sucrée était indispensable à la pro-
duction du ferment, qu'elle formait le milieu néces-
saire à son développement.
Je prenais de la levure de bière ordinaire que je dé-
layais dans un peu d'eau, je filtrais sur un filtre com-
posé de plusieurs feuilles de papier superposées, afin
qu'il ne passât aucun globule, puis je séparais le li-
quide que j'avais filtré, et qui contenait quelques traces
de matières albuminoïdes, en deux parts : l'une que
j'abandonnais à elle-même, l'autre à laquelle j'ajoutais
un peu d'une dissolution sucrée.
Or, dans la première, il ne se développait aucun
grain de ferment, tandis que des globules de levure de
DES CELLULES ORGANIQUES. 255
bière se produisaient dans la seconde, en plus ou moins
grande abondance, en même temps que la fermenta-
tion alcoolique s'opérait. Je pouvais étudier ces phé-
nomènes en mettant un peu de ces liquides dans un
pelit godet de verre recouvert d'une lamelle sur le
porte-objet du microscope.
J'aie ensuite fait des expériences sur des liquides ani-
maux. J'aiprisdu sérum du sang, qui, dans l'état normal,
ne contenait pas de sucre, je l'ai laissé à une tempéra-
ture de 15 à 20 degrés; il ne s'y produisait rien, et il
se putréfiait au bout de quelques jours; mais, si je
prenais du même sérum et que j'y ajoutasse un peu de
matière sucrée, voici ce que j'observais, et vous pour-
rez facilement répéter ces expériences et constater les
mêmes faits. Au bout de quatre ou cinq jours, il se
développe des cellules, mais ce ne sont plus des cel-
lules de levure de bière, ce sont des cellules blan-
châtres qui semblent avoir de l'analogie avec les glo-
bules blancs du sang; ces cellules adhèrent les unes
avec les autres, prennent naissance en très-grande
quantité dans certaines circonstances et particulière-
ment dans le sérum du sang de la veine porte, ce n'est
qu'après cette formation de ces cellules particulières
que des cellules de levure de bière se produisent à leur
tour. Si l'on ajoute alors, sous le microscope, un peu
de teinture d'iode, on voit que celles-ci se colorent
fortement en jaune brun, tandis que la couleur des
premières n'est que peu modifiée. De plus, les cellules
de levure ne se dissolvent pas dans l'acide acéti-
que, tandis que les autres sont complètement dis-
2oG ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT
soutes, et disparaissent par ractioii de ce réactif.
Or, ces caractères chimiques sont justement de ceux
qui servent dans beaucoup de cas à distinguer, sous le
microscope, les éléments animaux des éléments végé-
taux. Il semblait devoir en résulter que, dans ce milieu
composé de sérum et de sucre, il s'était développé
deux espèces de cellules, les unes paraissant d'organi-
sation animale, plus ou moins analogue aux globules
blancs du sang, les autres vétégales, qui forment la le-
vure de bière. Mais ces cellules, qui ont ainsi pris nais-
sance, ne vont pas plus loin dans leur évolution; au
bout d'un temps variable, tout disparaît, et le liquide
se putréfie.
Ces expériences me prouvaient que la présence d'une
matière sucrée était nécessaire pour la production de
cellules organiques isolées, dont certaines d'entre elles
présentaient quelques-uns des caractères des éléments
animaux.
J'en vins à me demander alors si le sucre, qui se
rencontre dans le végétal partout où il y a un dévelop-
pement à accomplir, dans la germination, au moment
où l'embryon s'accroît, dans la sève quand les bour-
geons grandissent, ne serait pas aussi une condilion du
développement des tissus animaux, au moment où ce
développement s'opère avec la plus grande intensité,
c'est-à-dire pendant la vie fœtale; si le milieu sucré,
dans lequel j'avais vu prendre naissance une cellule
très-analogue à un élément animal, mais qui n'avait
pas en elle ou en dehors d'elle ce qui lui était nécessaire
pour poui'suivre cette évolution et former un tissu, si
DES CELLULES ORGANIQUES. 257
ce milieu, dis-je,albuminoïde et sucré, ne se retrouve-
rait pas lorsque cette évolution continue dans l'animal,
où tout commence encore par une cellule?
Je pris donc des fœtus de veau dans les abattoirs de
Paris, oii ils se trouvent en grande quantité, et je cher-
chai d'abord dans leurs différents tissus en voie de dé-
veloppement, s'il n'y avait pas de matière sucrée. De
quelque manière que je m'y prisse, je n'obtins rien im-
médiatement ; mais j'observai, par exemple, que, quand
je laissais des muscles ou des poumons dans de l'eau
ordinaire, exposée à une température de 15 à 20 de-
grés, au bout de très-peu de temps le liquide devenait
très-acide, ce qui était dû à un développement considé-
rable d'acide lactique, dont je constatais les caractères
comme nous le dirons plus loin.
Or, vous savez, Messieurs, que l'acide lactique dé-
rive ordinairement de la matière sucrée, par suite d'une
transformation moléculaire, et qu'il a la même compo-
sition élémentaire que le glucose (G^-H'*^0^^,2H0).
Il était donc naturel de penser que le sucre avait
préexisté où nous trouvions de l'acide lactique, de
même que, lorsque nous trouvons de la dextrine, nous
concluons à l'amidon qui lui a donné naissance. Mais
il fallait surprendre le sucre à sa formation, puisque
primitivement on ne le trouve pas dans le muscle, m
dans le poumon. Il fallait arrêter la fermeutation, ou
du moins la rendre assez lente pour que nous pussions
en saisir les diverses périodes, et c'est ce que nous avons
obtenu, soit en exposant les macérations de tissus de
fœtus à des températures basses, soit en les traitant
BERNAUD. I. 17
258 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES
par différentes substances, par l'alcool, par exemple,
qui arrête la fermentation lactique sans empêcher la
fermentation glycosique. Nous avons pu ainsi retirer
du sucre du tissu des poumons et des muscles ; voici
cette matière qui en contient énormément, ainsi que
vous pouvez le voir à sa réaction sur le tartrate cupro-
potassique, et parce que, d'ailleurs, mise dans un tube
avec de la levure de bière, elle donne de l'acide carbo-
nique et de l'alcool, dont voici également un échan-
tillon.
Nous avons donc trouvé ce fait, qui n'avait jamais
été soupçonné, c'est que le poumon, c'est qu'un muscle
qui se développe, comme la graine qui germe, contient
une matière susceptible de se transformer en sucre.
Tant que l'être vit, ce sucre, pour ainsi dire à l'état
naissant, est sans doute éliminé, transformé aussitôt
que produit, et ne peut pas alors être décelé, mais au
moment où les fonctions vitales viennent à cesser, l'é-
volution spontanée de cette sorte de fécule animale, que
nous n'avons pu isoler jusqu'à présent, continue néan-
moins, mais alors comme un simple phénomène chi-
mique.
Et ce qui prouve que cette matière sucrée est bien en
rapport avec les phénomènes de développement, c'est
que cette propriété, que possèdent les poumons et les
muscles de produire de la matière sucrée, n'existe que
dans l'état embryonnaire, c'est-à-dire au moment où
les tissus se forment, car, lorsque leur évolution est
achevée, les mêmes phénomènes n'ont plus lieu. Une
ois que le tissu est développé et, en général, à partir
DANS LA VIE FŒTALE. 259
du cinquième mois de la vie inlra-utérine, cette pro-
priété diminue, et environ vers le huitième et neuvième
mois, quand le muscle est définitivement constitué dans
ses éléments, elle m'a paru cesser complètement.
Mais il y a ici un fait très-remarquable, c'est que
tous les tissus ne sont pas aptes à donner lieu à cette
production glycogénique; ce qui porte à penser qu'il
y enadont le développement n'a pas besoin, pour s'ef-
fectuer, de l'intervention d'un principe sucré. Il est
probable qu'il y aura à tiier de ce fait des analogies
fonctionnelles encore inconnues entre les tissus, par
rapport au milieu organique primitif, qui n'est pas le
même pour tous, bien qu'ils procèdent originairement
de l'élément cellulaire commun.
Ainsi, en essayant les divers tissus, les uns après les
autres, nous avons trouvé que le sucre ne se dévelop-
pait que dans le poumon, et dans le système muscu-
laire, soit de la vie animale, soit de la vie végétative,
comme dans le cœur, la tunique de l'intestin, celle de
la vessie, etc.
Mais tout le système glandulaire, le système nerveux,
la peau, les os, ne donnent jamais lieu à une produc-
tion sucrée; et ce qui est surtout remarquable, c'est de
voir que le foie, qui deviendra plus tard l'organe glyco-
génique, quand les fonctions seront localisées, se
trouve à cette époque de la vie embryonnaire dans le
même cas que toutes les autres glandes, la rate, le rein,
le thymus, le pancréas, les glandes salivaires, etc., qi7|
ne donnent jamais de sucre.
Je n'ai fait ici. Messieurs, que vous esquisser à
26^ POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES
grands traits l'histoire de cette découverte, dont nous
vous donnerons les preuves expérimentales dans une
prochaine séance, quand nous aurons à examiner le
mécanisme suivant lequel le sucre apparaît dans l'or-
ganisme animal, et vous verrez que nous avons là une
preuve de plus, que la matière sucrée appartient bien
réellement aux deux règnes des êtres vivants, de telle
façon que le foie représenterait la continuation de phé-
nomènes embryonnaires. L'animal a donc en lui tous
les matériaux nécessaires pour produire du sucre, et
certes on ne dira plus ici que cette matière préexiste
à l'état de liberté dans les muscles du fœtus, car, après
avoir lavé et broyé ces tissus, la matière insoluble dans
l'eau donne naissance à du sucre. Bien plus, si vous
faites cuire ces mêmes tissus, vous leur ferez perdre
la propriété de produire du sucre, parce que vous au-
rez détruit la matière fermentescible, qui est toujours
une substance albuminoïde. Ce sucre ne peut donc
provenir, ni de l'amidon insoluble, et qui ne peut être
transporté d'un organisme dans l'autre, ni du sucre des
végétaux. On ne saurait plus conserver de doute sur
l'origine animale du sucre, malgré les tentatives qui se
produisent actuellement de la part de quelques per-
sonnes, encore au point de vue de certaines doctrines
finalistes, qui ne sont plus de notre époque et qu'il
faut reléguer parmi les errements de la métaphysique
des siècles passés.
La théorie d'une séparation tranchée dans les phéno-
mènes de nutrition, entre les deux règnes de la na-
ture qui, dans certaines limites, peut avoir sa raison
DANS LA VIE FŒTALE. 261
(l'être, n'est pas admissible d'une manière générale, et
la découverte que nous venons de vous exposer établit
entre eux un rapprochement de plus. Il y a dans les
uns comme dans les autres une véritable germination
s'accomplissant suivant des modes différents sans doute,
mais dans des milieux qui ont une analogie de compo-
sition. Dans les végétaux, sous l'influence des matières
albuminoïdes, l'amidon insoluble se transforme en
glucose soluble; il en est de même chez les animaux,
bien qu'on n'ait encore coustaté que la présence du
sucre, mais cela suffit pour en conclure la présence de
la matière insoluble qui doit précéder le sucre, matière
sans doute différente de l'amidon, mais donnant tou-
jours lieu à la fermentation glycosique, qui est la condi-
tion commune.
Il se passe donc dans les poumons et muscles du
fœtus deux ordres de fermentations, une fermentation
glycosique, c'est-à-dire une formation de sucre aux
dépens d'une matière azotée insoluble préexistante,
et une fermentation lactique qui se produit aux dé-
pens de la matière sucrée elle-même. A l'aide de l'al-
cool, nous empêchons cette dernière, c'est ce qui fait
que nous pouvons accumuler le sucre dans les li-
quides de fermentation. Mais dans les fœtus pendant
la vie intra-utérine, la fermentation glycosique paraît
seule avoir lieu, et le sucre qui s'y trouve paraît s'éli-
miner à ce moment sans passer à l'état d'acide lac-
tique. C'est ainsi que nous pouvons comprendre cette
découverte que nous avions faîte, et que nous ne
savions plus comment expliquer dans la théorie de
262 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES
l'oxydation, à savoir, que l'on trouve du sucre dans
l'urine des fœtus, dès que la vessie est formée, ainsi
que dans les liquides de l'amnios et de l'allantoïde, et
cela bien avant que le foie ait acquis sa propriété glyco-
génique. C'est ainsi également que l'on s'explique que
chez les fœtus arrivés aux dernières périodes de ia
gestation, le sucre cesse de se rencontrer dans les uri-
nes, comme il cesse aussi de se produire dans les mus-
cles et dans les poumons. A cette époque, le liquide de
l'amnios subit probablement une espèce de fermenta-
tion visqueuse, car il devient visqueux en même temps
que le sucre disparaît.
Maintenant, comment pouvons-nous comprendre
l'intervention de la matière sucrée dans la germination
soit végétale, soit animale? Nous avons des cellules or-
ganiques qui, pour se développer dans le milieu qui
les entoure, doivent lui emprunter incessamment des
matériaux qui se trouvent facilement assimilables,
parce qu'ils sont dans des combinaisons très-instables.
C'est cette mobilité des éléments qui entretient
constamment les phénomènes de la vie, en permettant
aux matières de se grouper de mille façons et d'une
manière non interrompue. Tous les phénomènes de
fermentation introduisent dans les hquides animaux
cette mobilité nécessaire pour l'entretien des actes de
la vie, et la matière sucrée est un des plus communs
soit comme résultats, soit comme source de fermenta-
tion. En un mot, les cellules organiques animales et
végétales doivent donc se développer dans un liquide
où se passent des phénomènes de fermentation empê-
DANS LA VIE FŒTALE. 263
chant les matières de tomber à l'état de produits fixes
et d'acquérir une stabilité ou indifférence chimique,
qui est le caractère de tout ce qui ne \it plus. On com-
prend de cette façon que les cellules organiques puis-
sent s'approprier des éléments chimiques qui sont dans
un état qu'on peut comparer h ce que les chimistes
appellent l'état naissant. La nécessité des faits que
nous \enons de signaler parait encore démontrée par
ce qui arrive quand on ajoute dans ces liquides des
substances capables d'empêcher la fermentation, telles
que l'acide cyanhydrique, l'arsenic, etc. ; on voit alors
tous ces phénomènes de développement s'arrêter aus-
sitôt.
Mais, Messieurs, comment tout ce que nous venons
de dire peut-il s'appliquer aux usages du sucre dans la
fonction du foie, et comment cela pourrait-il nous
fournir quelques lumières relativement à la théorie du
diabète?
Nous sommes, sans doute, allés par des déductions,
en apparence bien éloignées de notre sujet, chercher
des arguments pour lui appliquer les résultats que nous
venons de \ous exposer. J'aurais pu me dispenser
peut-être de vous parler de tous ces développements
cellulaires et aborder directement les usages du sucre
chez l'adulte, en vous donnant comme des résultats purs
et simples tous les faits dont je viens de vous expliquer
la génération. Mais j'ai voulu, comme cela doit se
faire dans cet enseignement dont nous avons retracé le
caractère au commencement de ces leçons, vous con-
duire par toutes les phases de la découverte que nous
264 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES
devons exposer, afin que vous voyiez par vous-mêmes
par quels tâtonnements l'esprit doit passer, h quelle
diversité de points de vue il doit se placer dans l'é-
tude de questions aussi compliquées, avant d'arriver
à une découverte qui peut ensuite se résumer en quel-
ques mots, et qui change, une fois établie, la théorie
qui avait servi de fil conducteur dans la série des re-
cherches.
En nous plaçant au point de vue de l'organisme
adulte, nous n'aurions pu concevoir le principal rôle
du sucre que, dans sa destruction, comme on l'avait
déjà supposé. Mais, par la théorie du développement,
nous arrivons, au contraire, à conclure que les usages
les plus importants de cette matière ne sont pas rem-
plis, au moment où elle se détruit dans le sang, mais
bien quand elle prend naissance dans le foie.
C'est au moment où la matière animale, qu'on n'a
pu encore isoler, mais qui préexiste au sucre, se dé-
double de manière à donner naissance à ce produit,
c'est à ce moment, dis-je, que naissent les éléments or-
ganiques qui doivent ultérieurement accomplir leur
évolution pour produire la rénovation des tissus de l'in-
dividu. Il faut bien remarquer toutefois ce quia été
dit relativement à ces faits de germination, en présence
de la matière sucrée, qui n'ont lieu que dans les mus-
cles et dans le poumon.
Quant aux autres tissus, ils se développent dans des
conditions différentes, et pour le système glandulaire,
en particulier, nous sommes portés à croire, par des
vues encore incertaines, il est vrai, mais que nous pour-
DANS LA VIE FŒTALE. 265
suivrons, que ce sont les produits des ganglions lym-
phatiques qui fournissent les matériaux nécessaires à
leur rénovation.
Quoi qu'il en soit, nous avons voulu vous donner,
dans cette séance, une vue nouvelle sur les usages de
la matière sucrée dans l'organisme, sans insister da-
vantage sur cette question que nous traiterons plus
tard.
Nous reprendrons dans la prochaine leçon Y histoire
de la fonction glycogéniqne du foie.
TREIZIEME LEÇON
6 FÉvniER 1855.
SOMMAIRE : Examen de l'ancienne théorie de la production exclusive du
sucre par les végétaux. — Point de vue de celte théorie vis-à-vis des ques-
tions physiologiques. — Erreurs de doctrines, de méthodes et de faits. —
Expérience fondamentale pour la théorie de la production du sucre dans
l'organisme animal. — Examen du sang avant et après le foie. — L'an-
cienne théorie n'en tient aucun compte, — De l'intervention de la chimie
diins les questions physiologiques . — De la présence du sucre dans le sang.
— Époque de cette découverte. — Conditions de la production de ce phé-
nomène. — Théories de la dépuration du sang par le foie. — De la con-
densation du sucre dans le même organe. — Prétendues preuves à l'appui
de ces manières de voir. -- Contradictions. — Sophismes. — Erreurs.
Messieurs,
Dans la dernière séance nous avons fait une sorte de
digression en vous rendant compte des recherches
auxquelles nous nous sommes livré touchant le rôle
de la matière sucrée dans l'état embryonnaire. Ceci ne
rentrait pas directement dans l'histoire du foie, puis-
que les faits que nous vous annoncions se passaient en
partie avant que cet organe opérât ses fonctions. Nous
avons voulu vous donner seulement des idées nou-
velles sur les usages de la matière sucrée dans l'or-
ganisme, en vous montrant de quelle manière nous
sommes arrivé à penser que les principaux usages du
sucre s'accomplissaient bien plus au moment oii ce
produit prend naissance, qu'au moment où il se dé-
EXAMEN DE CRITIQUES SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 267
Iruit. Nous nous bornons, pour le moment, à établir
cette vue que nous reprendrons plus tard, et nous al-
lons continuer l'histoire de la fonction glycogénique
du foie que nous développons devant vous depuis le
commencement de ces leçons.
Mais, à ce propos, Messieurs, je crois qu'il est né-
cessaire, à cause des attaques récentes dont elle a été
l'objet, que nous revenions en quelques mots sur cette
fonction toute physiologique de la production du sucre
par un organe spécial, et de l'origine intérieure de
cette matière chez l'homme et les animaux.
Lorsque nous publiâmes, il y a quelques années, les
faits qui établissaient la réalité de la fonction glyco-
génique, ils furent admis par un grand nombre de
physiologistes et de chimistes, qui examinèrent les
choses de très-près. Lehmann, en particulier, fit un
travail très-étendu sur la composition du sang, avant
et après le foie, et il fut frappé de la quantité de sucre
qui sortait de cet organe par les veines hépatiques, et
qui n'était nullement en rapport avec celle qu'il avait
rencontrée dans le sang de la veine porte, et il fut
amené, comme nous, à conclure que le sucre se forme
dans le foie. Ensuite, comparant cette production du
sucre dans le foie avec la disparition d'une partie des
éléments albuminoïdes du sang qui traverse le tissu
hépatique, il en conclut que c'était aux dépens des
substances albuminoïdes que la matière sucrée se pro-
duisait. Nos expériences physiologiques avaient été ré-
pétées, soit en France, soit à l'étranger, par un grand
nombre d'observateurs qui sont arrivés, en se plaçant
268 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
dans les conditions physiologiques que nous avions in-
diquées, aux mêmes résultats et aux mêmes conclu-
sions que nous.
En présence des faits si nets que nous avions repro-
duits devant une commission de l'Académie des scien-
ces, devant un grand nombre de savants français et
étrangers, que vous avez pu voir vous-mêmes, puisque
nous avons refait les expériences devant vous pour
prouver le rôle du foie comme producteur de sucre,
on avait pu croire que l'ancienne théorie qui consi-
dérait la matière sucrée comme venant toujours du
dehors ne trouverait plus de défenseurs. Mais les théo-
ries ne se résignent point ainsi à mourir, elles repa-
raissent de temps à autre, toujours avec les mêmes ar-
guments qui avaient servi à les élever autrefois, et sans
tenir compte des progrès de la science.
Dans la séance de l'Académie des sciences, du
29 janvier dernier, on a lu le résumé d'un Mémoire,
qui a été reproduit depuis dans la Gazelle hebdomadaire
du 2 février, que nous avons sous les yeux et dans le-
quel on revient encore sur cette idée : Que le sucre
qu'on rencontre dans l'organisme provient exclusive-
ment des végétaux.
J'avais cru d'abord ne devoir rien dire de ce travail
qui, comme je vous le démontrerai tout à l'heure, n'a
rien de physiologique, bien qu'il ait la prétention d'a-
border et de juger des questions physiologiques. Mais
quelques personnes qui suivent ce cours m'ayant de-
mandé de m'expliquer sur la portée des arguments
qu'on y propose, il est de mon devoir d'y répondre. En
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 269
physiologie, en effet, les phénomènes sont tellement
complexes, et pour décider une question il faut avoir
présents à l'esprit une telle masse de faits, que nous
comprenons sans peine le trouble et l'hésitation qui
saisissent l'esprit du public, quand on vient devant lui
contester les faits les mieux établis par des raisonne-
ments dont il ne saisit pas, au premier abord, le peu
de valeur réelle.
D'ailleurs, Messieurs, c'est dans cette chaire que
doivent se débattre les questions à l'ordre du jour. La
science militante, qui ne peut pas entrer dans un en-
seignement dogmatique, a naturellement sa place au
Collège de France, et si je me taisais sur une pareille
question, on pourrait peut-être s'autoriser de mon si-
lence pour attribuer à ces attaques plus de portée
qu'elles n'en ont réellement.
Dans cette discussion, je m'abstiendrai de toute
personnalité. Ce ne sont pas des hommes qui sont en
présence, ce sont des idées d'une part, et des faits de
l'autre. C'est une théorie que nous avons à combattre;
elle n'est point l'œuvre des personnes qui la soutien-
nent en ce moment : ce n'est donc point à celles-ci que
nous nous adressons. Si nous prenons leur travail
pour texte de discussion, c'est simplement pour fixer
les idées sur les arguments qui y sont reproduits, et qui
doivent avoir là toute leur force, puisqu'ils sont donnés
dans le but de nous combattre.
L'auteur du travail nie d'abord la production exclu-
sive du sucre dans les végétaux, par sentiment. Il lui
répugne, dit-il, d'admettre que l'économie animale se
270 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
donne la peine de fabriquer une substance pour la dé-
truire aussitôt. Ces sortes de répugnances, Messieurs,
n'ont en rien affaire avec la science; au même titre, je
pourrais dire qu'il me répugne, à moi, d'admettre que
les animaux, qui ont une vie bien plus complexe que
les végétaux, ne puissent produire tout ce que font ces
derniers. Mais il est clair qu'un tel point de vue, pu-
rement sentimental, ne saurait constituer un argument
en pareille matière. Puis vient alors cette confusion
entre les faits et les théories. Ainsi, le résultat que
nous avons obtenu en localisant la sécrétion du sucre
dans le foie, « serait (dit-on) en opposition avec les dé-
(( couvertes de la chimie organique, et avec ces belles
(( et simples relations que la science moderne a si lu-
(( mineusement établies entre les fonctions comparées
« des animaux et des plantes. »
Or, Messieurs, on découvre un fait, et l'on conçoit
une théorie. Les faits que nous avons découverts ne
contredisent point les découvertes de la chimie orga-
nique, ils s'ajoutent à la masse des connaissances ac-
quises; et l'ensemble de tous ces faits ne pouvant plus
rentrer alors dans les relations établies entre les ani-
maux et les plantes, si simples et si lumineuses quelle
soient, celles-ci disparaissent comme désormais in-
suffisantes. Ce sont les conceptions, les manières de
voir, les théories qui changent et se contredisent, ce
ne sont jamais les faits.
Vous voyez donc, Messieurs, dès l'abord, un vice de
méthode dans la manière d'attaquer la question, et il
va être intéressant d'ensuivre le développement. Ainsi,
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 271
on aborde le sujet avec une doctrine préconçue. 11 ré-
pugne de voir les faits autrement que la théorie ne les
conçoit, et l'on vous dira plus tard que, bien qu'on ait
constaté la présence bien positive du glucose dans le
tissu du foie, on persiste toujours dans l'idée que le
sucre ne peut pas provenir d'une sécrétion propre de
cet organe, et qu'il a sa source unique dans l'alimenta-
tion. Nous pourrions en rester là ; de telles déclara-
tions nous suffisent pour juger dans quel esprit seront
faits des travaux entrepris sous la pression de telles
doctrines, mais nous voulons poursuivre l'analyse,
pour vous montrer combien une idée arrêtée, dans l'é-
tude d'une question, apporte de trouble dans la logique
et dissimule, aux yeux de l'observateur prévenu, les
contradictions flagrantes pour tout autre, entre ses rai-
sonnements et les faits qu'il constate, et avec quelle fa-
cilité il oubliera les conditions d'une expérimentation
sérieuse et vraiment scientilique.
Ne comprenant pas le point de vue physiologique,
qui seul devrait dominer dans ces études, et qui, bien
observé, conduirait à la véritable solution, l'auteur en
question commet, à ce sujet, les erreurs les plus graves,
et avance, par exemple, des propositions de ce genre :
(( Ces oscillations, ces espèces d'intermittences recon-
(( nues dans la fonction glycogénique, nous semblent
« un autre argument contre l'existence même de cette
« fonction. Une sécrétion qui n'est en jeu qu'à certains
(( intervalles, qui ne s'éveille, chez les animaux, que
« sous l'empire, sous l'excitation de l'acte digestif, qui
(( diminue par le jeûne, et s'éteint par une abstinenœ
272 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
(( prolongée ou par les maladies, s'écartait trop mani-
« festement du mode général des sécrétions pliysiolo-
« giques, pour ne pas élever de doutes sur sa réa-
« lité. »
Ainsi, Messieurs, l'intermittence de la production du
sucre prouverait qu'elle n'est pas le résultat d'une sécré-
tion, parce que, dit-on, les sécrétions sont continues.
Mais s'il est, en physiologie, un point bien établi, c'est
certainement celui-ci : que les sécrétions n'ont lieu qu'à
certains moments, et qu'elles offrent précisément ces
oscillations, ces alternatives de repos et de mouvement
organique, qui sont le caractère de toute fonction vi-
tale. Chacun sait, en effet, pour prendre quelques exem-
ples, que la sécrétion parotidienne, la sécrétion gastri-
que, la sécrétion pancréatique, lasécrétion biliaire, sont
essentiellement intermittentes. Il n'y a que les excrétions
qui peuvent être continues. Aucun physiologiste ne con-
fondra ces choses.
Et, toujours pour les besoins de la cause, on dira
que le tissu du foie ne renferme de sucre que pendant
la digestion, ce qui s'accorde parfaitement avec la théo-
rie, mais ce qui est complètement erroné, ainsi que je
vous l'ai prouvé maintes fois, et comme je vous le mon-
trerai tout à l'heure. Le sucre, en effet, ne disparaît du
foie qu'à la suite d'une longue abstinence, quand la
mort est prochaine, et que l'animal a perdu les 4 dixiè-
mes de son poids, et que son retour à la vie est désormais
impossible.
Ainsi, Messieurs, on commence par des erreurs de
doctrines, on continue par des erreurs de faits; je vous
SIR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 273
montrerai bieutôL qu'on linit par des vices de logique
vraiment incroyables.
Avant d'aller plus loin, permettez-moi de remettre
sous vos yeux cette expérience qui consiste à montrer
que, chez un chien à jeun depuis deux ou trois jours,
le sang de la veine porte ne contient pas de traces de
sucre, tandis que le sang des veines hépatiques en pré-
sente des quantités considérables.
Nous tuons l'animal par la section du bulbe rachi-
dien, comme vous l'avez déjà vu faire; nous lui ou-
vrons le ventre, nous saisissons le paquet des vaisseaux
et des nerfs hépatiques, et nous lions le tout en masse
pour empêcher le reflux du sang venu du foie dans
la veine porte, puis nous prenons alors du sang de
cette même veine; nous ouvrons la poitrine et pre-
nons du sang des veines hépatiques. On va traiter ces
deux sangs de la même manière, en ajoutant du sul-
fate de soude et faisant cuire pour en exprimer le
liquide. Vous allez voir tout à l'heure que le liquide
sorti du sang de la veine porte, ainsi traité, ne ré-
duira pas le tartrate cupro-potassique, tandis que
celui des veines hépatiques le précipitera abondam-
ment.
C'était donc là, Messieurs, l'expérience fondamen-
tale, qu'il fallait répéter tout d'abord, et qui devait ou-
vrir les yeux, et qui aurait empêché de dire que le
sucre n'existe dans le tissu du foie que pendant la di-
gestion. Mais les théories, qui se regardent comme l'ex-
pression absolue et définitive de la réalité, répugnent
avoir les faits ([ui les contredisent et persistent dansleur
BERiNAHl». J. 18
274 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
aveuglement. Ceci est aussi une vérité physiologique
d'un autre ordre.
Cependant, des expériences ont été instituées, des
analyses ont été faites, qui, restant au point de vue
cliimique pur, sont dès lors exactes, et viennent con-
firmer les nôtres. Mais, le côté physiologique étant com-
plètement méconnu, on n'a vu qu'une des faces du
problème ; on a cru faire la découverte de faits étabhs
déjà depuis longtemps, et l'on a pris pour général ce
qui n'est qu'un cas particuHer, et l'on a cru à une fixité
de phénomènes qui ne se rencontrent pas. 11 ne faut
jamais oublier, en effet, Messieurs, que dans la science
de la Yie les faits bruts ne sont pas des preuves. Sur la
même question on peut répondre oui ou non, et paraî-
tre avoir raison des deux côtés, quand on se place à des
points de vue différents et incomplets. Mais la science
physiologique permet de fixer dans quel cas il faut dire
oui, et dans quel cas non; et voilà justement pourquoi,
pour juger une question vitale, il faut être physiologiste.
Le chimiste qui instituerait seul une analyse sur un cas
particulier, qu'il prendrait pour un fait général, igno-
rerait, le plus souvent, qu'on peut, un moment après,
lui faire faire, sur un cas qui lui paraîtra complètement
identique, une autre analyse tout à fait contradictoire
avec la première. Quelle conclusion tirera- t-il de là? Et
s'il n'a vu qu'un cas, quelle foi peut-on ajouter à sa con-
clusion? C'est là cependant la position dans laquelle
s'est mis le critique en question pour traiter les ques-
tions de physiologie, quand il n'a pas tenu compte avant
tout des conditions physiologiques des phénomènes.
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 275
Ainsi, Messieurs, la théorie avait besoin de constater,
pour les conclusions qu'elle va en tirer tout à l'heure,
qu'il existe du sucre dans le sang des animaux, et en
particulier, dans le sang des animaux de boucherie.
Le. fait était déjà connu et étabU. M. Magendie, en 1846,
a publié un travail sur ce sujet; Garot en Angleterre,
Schimdt à Dorpat, Lehmann à Leipzig, etc., ont cons-
taté la même chose ; nous avons déterminé nous-même
dans quelles conditions on pouvait rencontrer cette
substance dans le système circulatoire général, et il
suffît de vous rappeler ce que je vous ai dit dans une
des séances précédentes.
Nous savons, de plus, qu'il suffit de faire exécutera
un animal des mouvements \iolents des muscles dia-
phragmatiques et abdominaux, en particulier, pour
rencontrer le sucre dans le sang de la veine jugulaire.
Vous avez aussi que, quand la sécrétion glycogénique
est à son summum d'activité, le sucre se généralise dans
tout l'organisme.
Dans le sang de bœuf pris dans les abattoirs, quaud
il est frais, on en trouve toujours, et voici pourquoi.
Pour saigner les bœufs que l'on vient d'assommer, le
boucher leur enfonce le couteau jusque dans l'oreillette
droite ; le sang qui s'en écoule vient donc en partie des
veines hépatiques. Et si l'on observe, en outre, que, pour
faire dégorger le sang que contient l'animal, on appuie
fortement avec le pied justement dans la région du foie,
de manière à exprimer le plus possible cet organe,
voils comprendrez alors, d'après ce que nous avons dit
dans une précédente leçon, comment il se fait que.le
270 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
san^ qui sort par la plaie, mélangé avec celui qui vient
des veines hépatiques, contienne des qualités notables
de sucre; et toutes les lois que j'ai pris du sang venant
de l'abattoir, j'ai constaté le même fait. Il faut noter,
en outre, que ces animaux peuvent être en digestion,
ce qui augmente encore la quantité de sucre dans l'or-
ganisme; qu'ils font des elForts violents, si, au lieu
d'être assommés, ils sont simplement égorgés, etc. Mais,
si, au lieu de faire l'expérience de cette manière, qui
n'est aucunement physiologique, on l'eût répétée
comme nous venons de vous la montrer, comme
Lehmann ainsi que d'autres expérimentateurs l'ont
faite, on n'eût pas trouvé de sucre, ou bien dans les
cas où l'on en eût trouvé, cas que nous avons déterminés
nous- même, on en eût rencontré des quantités beau-
coup plus considérables dans les veines hépatiques que
partout ailleurs.
Quoi qu'il en soit, les faits purement chimiques ne
pouvant être niés, car ils sont trop évidents, on est
forcé d'accorder qu'il y a du sucre dans le foie, qu'il y
en a toujours, toutes proportions gardées, environ trois
fois plus que dans le sang, dans les circonstances oh
l'on a observé et sur lesquelles nous avons fait nos
réserves. Ainsi, on reconnaît qu'il y a environ 0,50
pour 100 de sucre dans le sang, et 1 ,50 pour 100 dans
le foie. Nous fixons ces chiffres, parce que nous allons
arriver au raisonnement final, et vous verrez alors^
quelle incohérence il y a entre les conclusions et les
prémisses.
We voulant pas faire du foie un organe sécréteur du
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 277
sucre, la théorie en fait d'abord un organe dépurateur,
séparant d'une part les produits inutiles à la nutrition,
de l'autre les matériaux qui peuvent directement servir
à l'assimilation. Indépendamment du vague et de
l'indéfini que comporte une telle qualification, on pour-
rait demander comment il se fait que des matériaux au
moins inutiles à la nutrition, comme l'arsenic, le
mercure, et un certain nombre d'autres métaux qui
se fixent dans le foie d'une manière presque indéfinie,
ne soient pas dépurés par cet organe essentiellement
dépurateur.
Puis, quant au rôle du foie vis-à-vis de la matière
sucrée, il devient un organe condensateur . Si l'on ne
considérait que le cas des animaux herbivores, on
pourrait concevoir que le foie gardât le sucre que lui
apporte chaque digestion pour le verser ensuite peu
à peu dans le sang; cependant, comme on sait qu'il
s'y détruit très-vite, on pourrait s'élonner d'en trouver
encore presque autant, après trois ou quatre jours de
jeûne absolu, que dans l'état normal, qui en apporte
incessamment des quantités nouvelles ; et la physiologie
sait, d'ailleurs, que, si l'on prend deux animaux de
même espèce, qu'on les mette à jeun tous les deux, et
que l'on empêche dans l'un le sucre de se produire,
en lui coupant, par exemple, les pneumo-gastriques,
de ces deux animaux tués au même moment, celui-ci
ne présentera pas la moindre trace de sucre dans son
foie, tandis que l'autre en aura toujours des quantités
considérables.
Mais on n'en reste pas là, et alors voici le raisonne-
278 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
ment pour les animaux qui vivent de chair. Le sucre qui
so trouve dans le foie des Carnassiers vient du sucre qui
se trouve dans le sang des Herbivores, et celui-ci a sa
source dans les végétaux.
((La viande des animaux de boucherie, dit-on, ren-
« ferme des vaisseaux; ces vaisseaux contiennent du
«sang (ce sang est sucré, 0,50 pour 100). Ainsi, la
« chair de bœuf et de mouton qui avait servi à nourrir
<( les chiens dans les expériences de M. Bernard con-
« tenait du sucre, et l'on administrait, sans s'en douter,
« le composé même que l'on voulait ultérieurement
« rechercher. »
En vérité, il faut être égaré par une théorie pour
émettre de pareilles assertions, et supposer que nous
ayons pu donner, sans nous en douter^ sans le recher-
cher, du sucre avec les aliments : et celui-ci même qui
avance une pareille idée ne recherche pas lui-même,
et tout d'abord, s'il y a du sucre dans cette même viande
que nous aurions pu donner. J'avoue que parmi toutes
les objections que j'ai pu supposer, je n'aurais jamais
pensé à celle-là.
D'ailleurs, les expériences qui réduisent à néant de
pareilles assertions sont faciles à faire. Voici de la viande
de boucherie fraîche, c'est-à-dire dans les conditions
où l'auteur du travail en question supposait que nous
la donnions à nos animaux; on la broie, on la traite
par 'l'eau chaude, et vous verrez qu'elle ne contient
aucune trace de sucre.
Mais nous nourrissions le plus souvent les chiens en
expérience avec de la tête de mouton préalablement
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 279
bouillie, dont l'eau de lavage enlevait les matières solu-
bles, et par conséquent le sucre. Voici de cette même
viande avec laquelle les chiens ont été nourris pendant
des mois entiers ; on la broie, on la traite par l'eau, le
liquide qui s'en échappe ne contient pas la moindre
trace de sucre. On ne comprend pas de pareilles objec-
tions, quand des expériences aussi simples et aussi fa-
ciles à faire n'ont même pas été vérifiées, et certes, elles
en valaient la peine, quand on se permet d'en tirer de
telles conclusions.
Mais ce n'est pas tout encore, et suivez un peu ce
raisonnement.
On vient de dire que le foie contient 1 à l,oO de
sucre pour 100; supposez le foie d'un chien qui pèse
500 grammes, il contiendra 5 à 6 grammes de sucre
au minimum. On admet que le sucre se détruit à me-
sure qu'il se forme; par conséquent, on admet qu'une
digestion fournit au moins 5 grammes de sucre qui se
condensent dans le foie, et l'on ne cherche pas s'il y a
5 grammes de sucre dans un repas que l'on fait faire
à l'animal. Quand même on le nourrirait avec de la
viande de boucherie saignante, il faudrait, d'après les
calculs énoncés dans le Mémoire, quelle contînt un
kilogramme de sang! Et il faudrait de plus que cette
viande et ce sang fussent encore chauds, extraits à l'ins-
tant même du bœuf qui vient d'être abattu; car l'au-
teur a bien soin de faire remarquer quelque part, qu'au
bout de très-peu de temps le sucre se détruit dans le
sang, ce qui fait qu'on ne l'avait pas, croyait-il, observé
avant lui. Tout cela devient incompréhensible.
280 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
Ainsi, Messieurs, en résumé, on ne nie point les faits,
parce qu'ils ne sont pas niables ; on ne nie pas que le
foie contienne du sucre en proportions considérables.
Mais on n'a pas voulu faire ces expériences si simples et
si nettes que j'ai toutes répétées devant vous, savoir : en
premier lieu, prouver que les aliments avec lesquels
nous nourrissons les chiens pendant des mois entiers
ne contiennent pas de traces de sucre; que le sang de
la veine porte de ces mêmes animaux carnassiers, soit à
jeun, soit en digestion, n'en présente pas de traces
quand on fait l'expérience convenablement. On con-
state, en second lieu, le sucre dans le tissu du foie
comme dans les veines hépatiques; ce sucre est versé
à chaque instant dans le système circulatoire, où il dis-
paraît peu à peu.
Alors, au lieu d'accepter purement et simplement le
foie comme un organe sécréteur du sucre, ce qui est
prouvé par des considérations de toute nature, on tor-
ture pour le besoin de théories l'explication des phé-
nomènes.
Maintenant, Messieurs, achevons les expériences que
nous avons commencées. Voici le liquide provenant
du sang de la veine porte, nous y ajoutons du tartrale
cupro-potassique^ nous chauffons, pas de traces de
réduction. Ici il a été mis avec de la levure de bière, il
n'y a pas eu de fermentation.
Nous en faisons autant avec le liquide provenu du
sang des veines hépatiques ; vous voyez dans ce cas une
réduction abondante, et ici dans ce tube la fermentation
a continué sa marche très-activement.
SUR LA GLYCOGÉiNIE ANIMALE. 281
Enfin, voici du liquide résultat de la décoction du
foie; vous voyez qu'il est jaunâtre, transparent, ce qui
tient à ce que l'animal est à jeun, car il serait opalin
ou laiteux s'il était en digestion de matières féculentes,
comme je vous l'ai dit déjà. Il réduit abondamment le
réactif cupro-potassique et fermente très-vite, car vous
voyez qu'il y a déjà une grande quantité d'acide carbo-
nique dans l'appareil à fermentation.
Voici également l'eau de décoction de la viande fraî-
che, et celle de la tête de mouton, aliment dont nous
nourrissons les chiens; nous y ajoutons du tartrate de
cuivre : vous voyez qu'il n'y a pas traces de précipité ni
aucun indice de fermentation, et, par conséquent, pas
de traces de sucre, ce qui réduit à néant l'objection fon-
damentale qui nous était adressée, objection qui, bien
que servant de point de départ à tout cet échafaudage
d'arguments qu'on nous opposait^ n'avait même pas été
vérifiée par l'auteur de ces arguments.
QUATORZIEME LEÇON
ÏO FÉVRIER 1855.
SOMMAIRE : Analyse d'un nouveau travail critique sur l'origine du sucre
dans l'organisme, — Sa linison avecle précèdent. — Action du système
nerveux sur la production du sucre. — Expérience sur la section despneu-
mo-gastriques.— Des méthodes dans les sciences. — Méthodes à priori et
à posteriori. — Exemples actuels. — Examen des résultats de l'expé-
rience précédente.
Messieurs,
Nous YOiis avons prouvé, dans la dernière séance,
que les arguments au moyen desquels on avait espéré
faire revivre l'ancienne théorie sur la provenance exté-
rieure du sucre de l'organisme animal sont sans au-
cune valeur. Parmi les faits invoqués à l'appui, les uns
sont exacts, mais ils étaient connus depuis longtemps,
et nous en avions déjà tenu compte, les autres ne sont,
comme vous l'avez vu, que des assertions complètement
erronées. Rien de ce que nous avions avancé et prouvé
ne se trouve contredit; nous avons toujours l'expérience
si nette que nous avons produite devant vous, et à la-
quelle nous nous reportons constamment, à savoir, que
chez un animal nourri de matières albuminoïdes, le
sang de la veine porte ne contient pas de sucre, tandis
que celui des veines hépatiques et le foie lui-même en
présentent des quantités considérables. La conclusion
EXAMEN DE CRITIQUES SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 283
toute naturelle, toute simple, est toujours celle-ci : que
le sucre se forme dans le foie.
Nous aurons encore, par la suite, à ajouter bien
d'autres preuves à celles que nous vous avons déjà
données de la réalité de cette fonction glycogénique
du foie.
Puisque nous sommes entré dans cette discussion, et
à cause du désir qui nous en a été exprimé, et parce
que, au point de vue des méthodes scientifiques, nous
y avons vu un enseignement réel, nous devons la pour-
suivre jusqu'au bout, et en examiner une autre face par
laquelle la critique s'est présentée, quoique d'une ma-
nière beaucoup moins franche.
Un autre travail a été lu à l'Académie des sciences le
5 février, et reproduit dans le numéro du 9 février de
la Gazette hebdomadaire, 11 règne, dans toute cette nou-
velle forme que prend l'argumentation, une insinua-
tion perpétuelle pour essayer d'établir que nous au-
rions bien pu nous tromper sur la valeur des réactifs
dont nous nous sommes servi. Ainsi on prétend que
dans le cas où l'on donne à un animal des matières fé-
culentes ou sucrées, le sucre pourrait bien se trouver
en grande quantité dans la veine porte, mais qu'il y
serait masqué par sa combinaison avec l'albuminose,
et ne serait plus dès lors susceptible d'être décelé par
le tartrate cupro-potassique. Ce sucre passerait ina-
perçu, pour ne reparaître qu'après le foie, qui aurait
dissocié cette combinaison du sucre avec des matières
albuminoïdes qui étaient rebelles à notre réactif.
Nous reviendrons plus tard sur la question de sa-
284 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
voir clans quelles conditions l'albuminose peut empê-
cher la réduction du sel de cuivre par le glucose. Pour
le moment, nous dirons que sur des chiens nourris
avec de la viande et du pain, quand nous avons voulu
chercher par le tartrate cupro-potassique le glucose
dans le sang de la veine porte, nous avons constamment
constaté sa présence, mais en quantités bien moins con-
sidérables que dans le sang des veines hépatiques. D'ail-
leurs nous ne nous sommes jamais contenté de cette
réaction, nous avons toujours employé comparative-
ment la fermentation, qui ne saurait laisser aucun
doute en pareille matière.
Lehmann, dont la compétence sur des détermina-
tions chimiques est si hautement établie, a trouvé éga-
lement du sucre dans le sang de la veine porte, chez
des chevaux qui mangeaient de l'avoine, mais il en a
trouvé bien davantage dans le sang des veines hépa-
tiques.
Mais toutes les objections précédentes se rapportent
à une alimentation mixte. Nos expériences, au con-
traire, pour établir la formation du sucre dans le foie,
ont toujours été faites sur des animaux à jeun, ou nour-
ris exclusivement avec de la viande. Cependant la fonc-
tion glycogénique du foie est mise en jeu, mais, ainsi
que le dit l'auteur lui-même, d'une manière indirecte.
Quelque éloigné que puisse vous paraître, au pre-
mier abord, ce travail de celui que nous avons analysé
dans la précédente séance, vous allez voir cependant
que c'est une nouvelle face sous laquelle l'ancienne
théorie de la provenance extérieure du sucre de l'or-
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 285
ganisme présente sa défense. C'est une argumentation
en deux points qui se relient l'un à l'autre d'une ma-
nière indirecte, et dont la logique pourrait passer ina-
perçue; je suis donc obligé de remplir les lacunes du
raisonnement complet. Les deux prémisses sont : l'une
que le sucre existe dans la viande, l'autre que la pré-
sence du sucre, dans la veine porte est dissiuiulée par
les matières albuminoïdes digérées par le suc gastri-
que ; donc on donne toujours du sucre avec les ali-
ments; et comme ce sucre n'est pas décelé dans la
veine porte par le tartrate cupro-potassique, il en ré-
sulte que notre expérience fondamentale est infirmée.
Mais d'abord, Messieurs, quant à la présence du su-
cre dans la viande, c'est une pure assertion, et vous
avez vu par expérience ce qu'elle valait. Quaut à la
dissimulation du sucre par la peptone ou albuminose
dans la veine porte, cette objection n'a aucune valeur,
parce que, en supposant que cette matière existât dans
la veine porte, ce qui n'est pas exact, ainsi que nous le
dirons plus tard, on s'en serait débarrassé; et d'ail-
leurs on a toujours fait usage de la fermentation con-
curremment avec le réactif cupro-potassique.
De plus, on a oublié de dire à quels caractères on
reconnaissait que ce sucre, qui se ti'ouve isolé dans
le foie, était bien celui qui avait circulé dans la veiue
porte avec la peptone, au lieu d'être un sucre de nou-
velle formation ; évidemment c'est là une assertion pure
et simple.
On ne sait quelquefois pas au juste ce qu'on prétend
établir, dans ce travail ; car d'une part on accorde que
286 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUÉS
la fonction glycogénique n'est pas directement en jeu,
et l'on crée, d'autre part, un nouvel usage pour le foie,
qui (levienl, dans le cas d'une alimentation mixte, un
organe filtrateur propre à isoler l'un de l'autre les
deux produits ultimes de la digestion des matières al-
buminoïdes et saccharines, d'abord confondues et mas-
quées l'une par l'autre dans le sang de la veine porte.
Enfin notons, en terminant, un fait curieux, au point
de vue des méthodes, qui s'est produit dans cette dis-
cussion. Le travail que nous avons analysé dans la der-
nière séance était fait par un chimiste qui juge une
question physiologique; il a pour but, en effet, de dé-
cider s'il y a ou non une fonction pour produire le
sucre. Celui-ci est fait par un physiologiste qui juge
une question chimique, sur la possibilité de reconnaî-
tre comment une matière albuminoïde peut masquer le
sucre.
Nous ne voulons pas. Messieurs, insister davantage
sur ces tentatives impuissantes pour faire revivre une
théorie qui a fait son temps. Nous reprenons notre
sujet, un instant interrompu par ces réfutations qu'on
nous avait demandées, et nous allons continuer à éta-
blir, par des preuves d'une autre nature, cette nouvelle
fonction du foie, en nous plaçant sur un terrain oii
toutes ces objections, qui ne portent en définitive que
sur la nature de l'alimentation, ne pourront plus nous
atteindre.
Nous nous mettrons donc maintenant complètement
en dehors de l'alimentation, il n'y aura donc plus lieu
de discuter si le sucre provient de là.
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 287
En effet, Messieurs, le sucre ne se fait pas aux dé-
pens de l'aliment: il y a toujours entre la nourriture
et le produit sécrété un intermédiaire inévitable, qui
est le fluide sanguin. Quand nous vous avons dit que le
sucre du foie se faisait aux dépens des matières albu-
minoïdes, nous n'avons pas prétendu que ce fût aux
dépens de celles qui, digérées dans l'intestin, arrivent
directement au foie. C'est aux dépens des matières qui
ont vécu, que se fait toute sécrétion, car pendant l'ab-
stinence, la circulation continue dans le foie, et la
production du sucre se fait comme à l'ordinaire, quoi-
que un peu diminuée, et l'on en trouve toujours chez
des animaux qui n'ont rien mangé depuis quatre, cinq,
six jours et plus. Vous avez été témoins de ce fait chez
des chiens à jeun depuis trois jours. Mais on pourrait
faire, car l'expérience nous a montré qu'il fallait tout
prévoir désormais, cette objection : que la présence du
sucre, constatée après une abstinence plus ou moins
prolongée, provenait de ce que le foie étant un organe
condensateur, cette matière s'y localisait indéfiniment.
Vous savez déjà que la matière sucrée est très-destruc-
tible ; mais nous avons une preuve plus directe à vous
donner et qui vous convaincra, c'est que, quand on
empêche le sucre de se produire, on n'en trouve plus
au bout de très-peu de temps.
Voici deux chiens à jeun depuis deux jours. Nous
avons coupé à l'un d'eux, il y a à peu près vingt heu-
res, les deux nerfs pneumo-gastriques dans la région
moyenne du cou. Vous voyez, contrairement à ce qu'on
a dit souvent, que ce dernier animal n'a pas de ihon-
288 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
chus; sa respiration n'est pas gênée, elle se fait libre-
ment, seulement elle est très-lente. Nous tuons les deux
chiens par la section du bulbe rachidien, nous prenons
sur l'un et sur l'autre du sang de la veine porte, en
ayant soin, comme nous le faisons toujours, déplacer
une hgature sur le tronc de ce vaisseau avant son en-
trée dans le foie, pour empêcher le reflux du sang des
veines hépatiques ; on prend un morceau du foie qu'on
va faire cuire dans un peu d'eau, et nous examinerons
dans un instant cette décoction, ainsi que le sang des
\eines porte et hépatique.
Remarquez, en passant, que l'estomac de ces deux
animaux est complètement vide. Voici les poumons de
celui qui a eu les pneumo-gastriques coupés; ils sont
parfaitement sains et ne présentent pas de traces de
pneumonie : cela tient à ce que l'animal est assez \ieux
et à jeun; s'il eût été plus jeune, nous aurions trouvé
probablement ces organes plus ou moins engorgés de
sang, et hépatisés, comme on dit.
Nous avons fait des expériences nombreuses touchant
riufluence de la section des pneumo-gastriques sur le
foie. Au bout de trois jours, le sucre avait toujours dis-
paru complètement. Ce temps est, sans doute, trop
considérable, mais nous ignorons la limite inférieure
qu'il faut atteindre pour que le sucre se détruise entiè-
rement. L'expérience que nous ferons devant vous ser-
vira à l'établir, et nous en apprendrons ensemble le ré-
sultat. Vous voyez ici deux animaux placés exactement
dans les mêmes conditions, à peu près de même âge et
de même taille, tous deux à jeun depuis le même mo-
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 289
ment, et ne différant qu'en ce que l'un d'eux a les
pneumo-gastriques coupés. Chez ce dernier, la sécré-
tion glycogénique a cessé, comme cessent toutes les
fonctions d'un organe quand on a coupé les nerfs qui
s'y rendent, mais le sucre antérieurement formé, et qui
existait au moment de l'opération, a continué de se dé-
truire, et si le temps a été suffisant, nous ne devons
plus en trouver dans le tissu hépatique. Si nous en
trouvons encore, vous verrez qu'il y en a beaucoup
moins que chez l'autre chien, chez lequel, bien qu'il
soit à jeun, la glyçogénic a continué de s'exercer.
Ces deux animaux ne diffèrent donc qu'en ce que l'un
fait toujours du sucre, tandis qu'il ne s'en produit plus
du tout chez l'autre.
Nous constaterons tout à l'heure ce que va nous don-
ner cette expérience qui csl en train. En attendant
qu'elle s'achève, et puisque l'occasion s'en présente à
propos des discussions qui s'élèvent aulour de la fonc-
tion glycogénique du foie, permettez-moi, Messieurs,
de vous rappeler en quelques mots la manière dont on
raisonne en physiologie comme dans toute autre science
expérimentale, et combien le point de vue oii l'on est a
d'influence sur les résultats obtenus.
Nous vous avons déjà parlé, mais d'une manière
abstraite et générale, des méthodes d'investigation ; mais
il est bon d'éclaircir ces notions sur les exemples parti-
culiers qui s'offrent à nous en ce moment.
L'un de ces modes de raisonnement constitue ce
qu'on nomme la méthode à priori. Dans cette méthode,
on part d'une idée préconçue, sur la manière suivan(
BERNARD. I. 19
290 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
laquelle doit s'opérer un certain ordre de phénomènes,
puis on fait des expériences, non pas pour vérifier cette
idée, mais pour la confirmer. Tout ce qu'on voit, tout
ce qu'on observe, doit absolument rentrer dans la théo-
rie, et l'on déclare au besoin impossibles et absurdes
les faits qui la contredisent. Quelquefois même on niera
ces faits, parce que dans la disposition d'esprit où l'on
se trouve, on ne rechercha point à reproduire les con-
ditions dans lesquelles ils se manifestent ; et quand ils
ne se seront pas montrés, parce que Fexpérience qu'on
aura tentée par une espèce de condescendance n'aura
pas été faite comme elle aurait dû l'être, on sera heu-
reux de n'avoir pas vu se produire le phénomène qui
contrarie, et l'on déclarera qu'il n'existe pas. Tantôt
cette idée à priori reposera sur un certain nombre de
faits réels, tantôt sur des conceptions purement méta-
physiques.
La discussion à laquelle nous nous sommes livré dans
la précédente séance nous a offert un exemple de cette
double source des idées à priori dans l'étude d'un phé-
nomène: car, d'une part, on a fait parler la nature, on
lui a prêté ses répugnances et ses préventions; de l'au-
tre, on s'est basé sur des faits bien constatés, correspon-
dants à un état antérieur de la science qui a eu sa rai-
son d'être à une certaine époque, et dans lequel on a
voulu rester, sauf à inventer des explications étranges,
et même à poser des assertions hasardées pour en faire
des arguments contre des découvertes nouvelles.
Quelquefois, l'idée à priori ^^i purement métaphysi-
que, avons-nous dit, et c'est le cas le plus fatal, qui,
SUR LA GLYCOGÉNIE AMMALE. 291
heureusement, disparaît de la science de plus en plus.
En voici un exemple; il s'agit de la nature intelligente
visant partout à l'unité dans ses créations.
Uq physiologiste, recommandable à beaucoup d'é-
gards, a voulu appuyer d priori cette ancienne idée :
que dans l'acte de la digestion il doit y avoir unité de
lieu et unité d'agent; que tout se passe dans l'estomac
et par la puissance du suc gastrique. Dès lors toutes
ses expériences partent de là, et depuis quinze ans il
s'évertue à démontrer, sans tenir compte des travaux
qui se produisent autour de lui, que la salive, que la
bile, que les sucs pancréatiques et intestinaux ne ser-
vent à rien; qu'il n'y a dans tout l'appareil digestif
qu'un point, la région pylorique, oii se sécrète le suc
gastrique, pour accomplir toutes les modifications que
subissent les diverses sortes d'aliments avant d'être
absorbées; que tous les autres organes glandulaires ne
jouent qu'un rôle uniquement dépurateur. Et il lait
des efforts inouïs de travail et d'imagination, il se crée
des agitations qui ne mènent à rien, pour vouloir à
toute force voir les choses comme il les conçoit, et non
comme elles sont.
On doit considérer les expérimentateurs qui veulent
absolument confirmer une théorie préconçue par des
expériences, comme des persécuteurs de la nature. En
effet, ayant une théorie posée en avant dans laquelle ils
ont foi; comme dans un axiome, ils veulent lui assu-
jettir les faits ; ils tourmentent de toutes les manières
les expériences de façon à leur faire dire ce qu'ils ont
induit ou imaginé. Si l'expérimentation leur répond
292 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
autre chose, ils ne veulent pas l'entendre, ils n'y font
pas attention, et s'obstinent, avec une opiniâtreté qui
fait leur malheur, à multiplier les expériences sans ré-
sultats positifs; ou bien, s'ils croient saisir quelques
fails en rapport avec leurs idées, ils ne voient que ce
détail du résultat, et en abandonnent souvent le côté le
phis important. Rarement cette voie conduit à des dé-
couvertes; et si les hommes qui l'emploient ont du
talent, elle ne fait que créer des systèmes mensongers
avec l'apparence de la vérité.
Dans l'autre manière de raisonner, dite méthode à
posteriori^ Tesprit, par des faits établis, les relie provi-
soirement par une théorie qui ne lui sert qu'à le guider
pour en découvrir de nouveaux; cette théorie qu'il mo-
difie à chaque pas, il l'abandonne sans regret dès
([u'elle ne lui suffit plus. Les lois qu'il établit viennent
après les phénomènes constatés, les raisonnements
après l'expérience. Dans ces conditions, l'observateur
jouit d'une quiétude qu'il ne saurait avoir quand il
tient plus à ces conceptions qu'à ses observations. Cette
quiétude ne saurait l'abandonner dans les objections
que les théoriciens leur suscitent. Car des faits qu'il a
vus, et quij dans de telles dispositions, ne peuvent
jamais le contrarier, il a tiré les conclusions les plus
simples et donné les explications les plus naturelles.
L'imagination, Messieurs, doit savoir se borner, en
pliysiologie, à instituer un bon mode d'expérimenta-
tion, et non pas à inventer des théories qui, quelque
artistement conçues qu'elles puissent être, ne sauraient
jamais avoir la valeur d'un fait bien établi. Ceux qui
SLR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 293
ne veulent pas se contenter de ce rôle, devraient faire
toute autre chose que de la physiologie, car ils lui
nuisent plus qu'ils ne la servent.
Nous suivons, Messieurs, cette marche dite à poste-
riori ; nous interrogeons la nature, mais nous ne la
tourmentons pas, nous ne la violentons pas. Sans au-
cun doute, il faut d'abord poser la question ; il faut, si
l'on veut, que nous ayons une idée préconçue ou à
priori quelconque pour instituer une expérience : mais
quand Texpérience est une fois bien instituée, nous
écoutons avec soin la réponse; nous cherchons à bien
la comprendre, qu'elle soit favorable ou non à notre
idée primitive. Nous nous laissons conduire, en un mot,
par les résultats qui surgissent de l'expérimentation, et
nous ne prétendons pas régenter et conduire l'expé-
rience. Cette méthode d'investigation est féconde en
découvertes, et nous pourrions vous prouver que c'est
à elle que nous devons celles que nous avons eu le
bonheur de faire en physiologie.
Après cette digression. Messieurs, arrivons à consta-
ter les résultats de l'expérience que nous avons com-
mencée.
Voici d'abord le liquide provenant de la décoction
du sang de la veine porte de l'animal qui était simple-
ment à jeun et auquel nous n'avions pas coupé les
pneumo-gastriques. Nous ne devons avoir aucune ré-
duction du sel de cuivre, et c'est ce qui a lieu en efPet.
Le liquide provenant du sang des veines hépatiques
réduit, au contraire, comme vous le voyez, très-abon-
ilamnent notre réactif.
294 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES
Et il en est de même du liquide provenant de la dé-
coction du tissu du foie, dont le précipité est encore
plus abondant que le précédent.
Prenons maintenant l'animal qui était à jeun comme
le premier, et qui avait, de plus, les nerfs pneumo-
gastriques joupés.
Dans le liquide de la veine porte, pas de traces de
réduction.
Dans le liquide des veines hépatiques, pas davantage.
Dans le tissu du foie, nous voyons une réduction,
mais très-faible, comparativement à l'autre, carie li-
quide reste presque complètement bleu, tandis qu'il
est, dans le cas précédent, tout à fait décoloré. Gela
nous prouve qu'il n'y a pas encore assez longtemps que
l'expérience a été commencée, mais dans quelques
heures la disparition du sucre eût été complète, et l'on
n'en eût pas trouvé de traces. Dans le foie du chien
laissé simplement à jeun, qui n'a pas eu les vagues
coupés, vous voyez qu'il y en a des quantités beaucoup
plus grandes, ainsi que dans le sang des veines hépa-
tiques et dans le tissu du foie.
Nous voyons donc que la formation du sucre, comme
toutes les autres sécrétions, comme la sécrétion de la
saHve, des larmes, de l'urine, des sucs gastrique, bi-
liaire, pancréatique, etc., est soumise au système ner-
veux, et qu'elle est complètement indépendante de l'a-
limentation. Si l'on arrête la formation du sucre, en
soustrayant l'organe sécréteur à l'action excitatrice des
centres nerveux, la destruction seule continuant, tout
ce qui s'était produit antérieurement ne tardera pas à
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 295
disparaître, et au bout d'un certain temps ou n en
trouvera plus la moindre trace dans l'organisme.
Il y a plus, nous aurions pu, jusqu'au moment de sa
mort, nourrir avec des matières féculentes et sucrées
l'animal auquel nous avons coupé les pneumo-gas-
triques, et nous n'aurions pas trouvé davantage de
sucre dans son foie ni dans le sang des veines hé-
patiques.
Ce n'est donc pas aux dépens du sucre de l'aliment,
mais aux dépens du sang lui-même que se forme le
sucre, ainsi que tous les produits divers de l'organisme;
et ces productions sont sous la dépendance immédiate
du système nerveux, dont nous étudierons le rôle dans
la prochaine séance.
QUINZIEME LEÇON
13 FÉVRIER 1855.
SOMMAIRE : Influence du système nerveux sur la sécrétion du foie. —
1° Exagération de celtr; sécrélion par piqûre de la moelle allongée. — Ins-
trument employé; procédé opératoire. — De rélimination du sucre par
les diverses sécrétions. — Élimination par les reins, par la muqueuse sto-
macale. — Le sucre ne passe pas dans la salive. — Expériences chez les
diabétiques. — Spécialité des différentes substances au point de vue de
leur passage dans diverses sécrétions, — Sucre. — Cyanure jaune de po-
tassium de fer. — lodure de potassium. — Passage du sucre dans l'esto-
mac des diabétiques. — Limite de la quaniité de sucre que peut contenir le
sang sans passer dans l'urine. — Résultat d'une expérience sur la piqûre
de la moelle allongée chez un lapin.
Messieurs,
Nous avons examiné jusqu'ici l'influence qu'avaient
sur la fonction glycogénique du foie les conditions di-
verses dépendant de l'alimentation et de la circulation.
Mais vous avez vu, dans la dernière séance, comment
la section des nerfs pneumo-gastriques amenait la dis-
parition du sucre dans l'organe hépatique, parce qu'on
empêchait ainsi la production d'avoir lieu. Nous avons
à poursuivre aujourd'hui l'action du système nerveux
sur cette fonction.
11 vous est bien démontré actuellement que le foie
est un organe sécréteur du sucre; comme toutes les
autres glandes, il est dès lors soumis à l'influence du
système nerveux, par l'intermédiaire duquel on peut
DIABÈTE ARTIFICIEL. 297
augmenter, diminuer, ou même anéantir complètement
sa sécrétion sucrée. Et ce qu'il y a de remarquable,
c'est que ce n'est pas seulement au point de vue de l'in-
tensité fonctionnelle que nous pouvons agir sur le foie,
pour lui faire produire plus ou moins de glucose, mais
nous pouvons aussi modifier la qualité de la sécrétion,
nous pouvons la pervertir et la modifier profondément,
de façon qu'il se produise une matière qui ne sera pas
du sucre, mais qui pourra se transformer en cette sub-
stance, quand le foie aura été soustrait aux influences
nerveuses. Ce dernier fait, jusqu'alors inconnu, est
destiné, je crois, à jeter un jour tout nouveau sur les
actions chimiques qui se passent d'abord dans le foie et
même dans tout l'organisme, et sur l'espèce d'action
que le système nerveux exerce sur ces phénomènes.
Nous avons donc à examiner successivement trois
genres d'influence du système nerveux : 1° exagération ;
T diminution ou anéantissement; 3° modification de la
matière sucrée sécrétée par le foie.
L'augmentation de la production du sucre dans l'or-
ganisme de façon à produire un diabète artificiel, peut
s'opérer en agissant sur les centres nerveux ou sui* les
filets qui en émanent, au moyen d'excitations mécani-
ques ou galvaniques.
Nous allons commencer par examiner l'expérience
qui frappa le plus vivement l'esprit des physiologistes,
lorsque je la publiai il y a quelques années. Cette expé-
rience consiste en ceci : Si l'on pique un certain point
de la moelle allongée d'un animal, Carnivore ou herbi-
vore, le sucre, après un certain temps, se répand dans
298 DIABÈTE ARTIFICIEL.
l'organisme en si grande abondance, qu'il en apparaît
dans les urines.
Voici l'instrument dont nous nous servons pour pra-
tiquer cette piqûre (Fig. 14).
Il se compose, comme vous le voyez,, d'une tige
aplatie par une de ses extrémités, amincie et
A tranchante comme un petit ciseau. Au milieu
de la lame et dans l'axe de l'instrument, la
tige se prolonge par une petite pointe très-
aiguë, longue de 1 millimètre environ. Vous
comprendrez l'usage de cet instrument, quand
je vous aurai indiqué le point où il faut le
porter. Ce point se trouve sur la moelle allon-
gée, au milieu de l'intervalle compris entre
les racines des nerfs acoustiques, b, h (Fig. 15)
et celles des nerfs pneumo-gastriques.
Maintenant nous considérerons la moelle
allongée comme formée de trois couches : l'une
postérieure, une seconde moyenne, et une
troisième antérieure.
La couche postérieure est en rapport avec
les phénomènes de la sensibilité, et sa section
ne produit que des troubles de sensibilité au
moment où on la traverse. La couche anté-
rieure en rapport avec les phénomènes de
mouvement, n'a aucune espèce d'action sur
le foie, mais sa lésion produit des convulsions
et des mouvements désordonné squi viendraient com-
pliquer l'expérience. Il faut donc éviter de couper
celte dernière partie de la moelle allongée. C'est pour
Fig. 14,
DIABÈTE ARTIFICIEL. 299
cela que l'instrument est terminé par une pointe très-
fme, qui ne peut pas causer de lésions graves dans les
parties qu'elle traverse. Quant à la couche moyenne,
elle est composée par le faisceau innominé du bulbe et
les corps olivaires; c'est cette partie dont la lésion pro-
duit plus spécialement l'apparition du suore, et qu'on
a pour but d'atteindre. Cet espace peut être limité en
haut par une ligne transversale qui unit les deux tu-
bercules de Wenzel b, b, et en bas par une autre ligne
qui va d'une origine d'un pneumo-gastrique à l'autre.
Fig. 15. On voit le quatrième
ventricule chez un lapin ; le
cerveletaé'é divisé, et ses deux
lobes a, a, sont déjetés sur les
côtes.
«, o, lobes du cervelet ;^,6,
tubercules de Wenzel ou ori-
gine des nerfs acoustiques. —
c,c, plancher du quatrième ven-
tricule. — c?, bec du calamus
scriptorius. — e, origine du
nerf pneumo-gastrique.
V\^.
La blessure peut aussi quelquefois porter plus haut ou
latéralement, et produire l'apparition du sucre; mais
le point que j'ai limité précédemment m'a paru celui
où le phénomène s'opère avec le plus d'intensité. Du
reste, nous donnerons plus tard l'explication du mode
singulier d'action de ces lésions sur l'apparition du
sucre dans les urines. Mais constatons d'abord les phé-
nomènes.
Vous allez voir comment j'opère. Voici unlapintrès-
300 DIABÈTE ARTIFICIEL.
\igoureux : c'est l'animal qui se prête le mieux à cette
expérience. Je saisis fortement la tête de la main gauche
pendant qu'un aide tient solidement les quatre pattes,
pour empêcher l'animal de faire aucun mouvement;
puis, en passant la main sur le crâne d'avant en arrière,
je sens une tubérosité d qui correspond à la bosse occi-
pitale supérieure en e. Aussitôt en arrière, je plante
l'instrument dont la pointe entre dans le tissu spongieux
de l'os. Je presse d'une manière continue, en faisant
exécuter de légers mouvements de latéralité pour faire
enfoncer les parties tranchantes; je pénètre dans la
cavité du crâne, et dès que j'y suis parvenu, je dirige
l'instrument obliquement de
haut en bas et d'arrière en
avant, de façon à lui faire
croiser une ligne qui s'éten-
drait d'un conduit auricu-
laire à l'autre. Pendant cette
opération, le moindre mou-
vement de l'animal pourrait
faire varier l'instrument et produire des dilacérations
graves qui amèneraient la mort ou des désordres con-
sidérables. C'est pourquoi il faut surtout avoir la pré-
caution de maintenir très-solidement la tête de la main
gauche, au moment oii l'on pénètre dans la moelle
allongée.
Je pousse ainsi jusqu'à ce que j'atteigne l'os basilaire
avec la pointe de l'instrument /(Fig. 1 7) , puis je le retire
avec précaution. Dans cette opération, j'ai percé succes-
sivement le crâne, le cervelet, les couches postérieure
DIABÈTE ARTIFICIEL. 301
et moyenne de la moelle allongée. Mais la partie large
et tranchante n'aura pas lésé d'une manière sensible la
couche antérieure de la moelle, qui aura seulement été
traversée par la pointe de l'instrument, ce qui n'y pro-
duit aucun désordre grave. Vous comprenez maintenant
la raison de la présence de cette pointe.
Fig. 17. Coujje d'une tête de lapin pour voir la marche de l'instrument
à piqûre.
«, cervelet. — 6, origine du nerf de la septièmepaire. — e, moelle t^plnière.
— <;/, origine du pneumo-gastrique. -— e, trou d'entrée de l'instrument dans
le crâne. — /, instrument. — g, nerf de la cinquième paire. — A, conduit
auditif, r-2", extrémité de Finstrument arrivant sur la moelle après avoir tra-
versé le cervelet. — A-, sinus veineux occipital. — /, tubercules quadnjumaux.
— w, cerveau. — ;?, coupe de Faila.s.
L'animal qui vient de subir cette expéiience ne pa-
rait pas, comme vous le voyez, en avoir beaucoup souf-
302 DIABÈTE ARTIFICIEL.
fert, il ne trébuche pas, il se tient bien sur ses pattes,
ce qui n'aurait pas lieu s'il avait été piqué à droite ou
à gauche. Si la lésion n'avait pas porté exactement sut-
la ligne moyenne du plancher du quatrième ventricule,
et si nous avions touché un des pédoncules du cervelet,
l'animal eût tourné dans un sens ou dans l'autre ; il
aurait pu y avoir des convulsions ou des désordres de
mouvement, mais cela n'eût pas empêché l'apparition
du sucre qui en est indépendante. Cependant ce lapin
semble être un peu étonné sur le moment, mais il se
remettra assez rapidement; seulement nous l'avons
rendu actuellement diabétique; et dans une heure ou
deux, peut-être même à la fin de cette leçon, nous
pourrons déjà constater la présence du sucre dans ses
urines; et, pour être bien sûr qu'il n'en existait
pas avant l'expérience, nous vidons sa vessie. L'urine
est trouble, mais elle ne réduit pas le tartrate cupro-
potassique, ainsi que vous le voyez; elle ne donne pas
lieu non plus à la fermentation.
La première question qui se présente, c'est de sa-
voir par quel mécanisme s'opère cette apparition du
sucre dans les urines, chez des animaux dont on a pi-
qué, ainsi que nous venons de le faire, un point très-
limité de la moelle allongée.
Pour passer du foie dans le rein, le sucre ne suit pas
ici des voies mystérieuses, mais la piqûre que nous ve-
nons de faire en ce point du système nerveux central
exerce son action sur la sécrétion glycogénique. Cette
IrritaHon retentit sur le foie, et dès lors la quantité de
sucre augmente dans l'organisme, le sang en est alors
DIABÈTE ARTIFICIEL. 30:]
saturé, et le laisse passer dans les urines. Le rein agit
ici simplement comme éliminateur.
Mais il y a ici une question qui se présente, et qui se
rattache trop directement à l'histoire du diabète, pour
que nous ne l'examinions pas avec soin : c'est de savoir
si les reins seuls ont la propriété d'excréter du sucre, et
si cette substance ne peut pas passer dans d'autres sé-
crétions. Nous avons fait à ce sujet un grand nombre
d'expériences, et nous avons trouvé qu'il y a une es-
pèce d'élection dans l'excrétion des matières qui sortent
de l'organisme, et que toutes ne sont pas susceptibles
de s'échapper par les mêmes voies éliminatoires.
Nous avons d'abord recherché comment se compor-
tait le sucre, et nous avons vu qu'il y a certaines sé-
crétions par lesquelles il ne passe jamais.
Cette substance, en effet, quand elle existe en grande
quantité dans l'économie, n'a que deux voix élimina-
toires, qui sont les reins, d'une part, et la muqueuse
stomacale de l'autre. Quand on injecte du sucre dans
le sang d'un animal, de manière à l'en saturer et à le
mettre momentanément dans l'état où se trouvent les
individus diabétiques, on n'en trouve ni dans la salive,
ni dans les larmes, ni dans le suc pancréatique, ni dans
la bile, ni dans la sueur, tandis que les urines et le suc
gastrique en décèlent des proportions plus ou moins
notables. Les expériences sur l'animal pris en état de
santé donnent des résultats complètement semblables à
ceux qu'on observe chez les malades.
Ainsi, dans le service de M. Rayer, nous avons eu
fréquemment l'occasion d'examiner la salive des dia-
304 DIABÈTE ARTIFICIEL.
béliques, jamais uous n'y avons trouvé la moindre
trace de matière sucrée. Nous faisions d'abord rincer
la bouche des malades avec de l'eau pure, et on leur
donnait à mâcher quehjue sialagogue, comme la racine
de jjyrèthre, par exemple, pour activer la sécrétion qui,
recueilHe de cette manière, n'a pas été sucrée dans six
observations que nous avons faites.
On a dit quelquefois que les diabétiques avaient un
goût sucré dans la bouche, et l'on a pensé que cela
pouvait provenir de la sécrétion salivaire. Quoique le
fait soit exact, cependant, il ne tient pas à la cause à
laquelle on Ta rapporté. Cela ne doit être qu'un phé-
nomène de môme nature que ceux que M. Magendie a
observés en injectant dans le sang des chiens des soki-
tions amères. Il a vu aussitôt après l'opération les ani-
maux manifester les mêmes signes de dégoût que si la
substance eut été mise directement sur la muqueuse
buccale; et, de même, si l'on injecte du bouillon dans
les veines d'un chien, on le voit aussitôt se lécher les
lèvres avec une sensation agréable. 11 y a lieu de croire
que dans ce cas, comme dans celui des diabétiques, la
substance qui se trouve dans le sang en assez grande
quantité arrive avec lu idans les capillaires, et agit alors
sur les extrémités nerveuses comme si elle venait d'être
absorbée au contact de la muqueuse linguale. Lehmann
dit avoir trouvé du suci'e dans la salive du diabétique.
Il serait intéressant de savoii* si les diabétiques qui ont
du sucre dans la salive sont piécisément ceux qui ac-
cusent une sensation sucrée dans la bouche.
On a encore signalé la présence du sucre dans les
DIABÈTE ARTIFICIEL. 303
crachats des diabétiques. Nous admettons qu'il peut y
avoir du sucre en quantité notable dans les crachats.
Mais il ne faut pas confondre les mucosités bronchi-
ques que les malades, pi'esque toujours phthisiques
dans la dernière période de l'afPection, expulsent en
abondance, avec la sécrétion salivaire proprement dite.
Ce sont en effet ces mucosités formées dans le poumon
qui contiennent la matière sucrée.
Toutefois le fait ne serait pas constant, car M. Rayer
a rapporté à la Société de biologie un cas dans lequel
les crachats d'un phthisique diabétique, examinés par
M. Wurtz, ne contenaient pas de sucre.
Il y a donc encore là, Messieurs, un rapprochement
à établir entre les phénomènes de la maladie et les
faits physiologiques, et comme ces particularités sont
intéressantes, nous allons faire devant vous une expé-
rience pour vous montrer que le sucre ne peut pas s'éli-
miner par toutes les voies de sécrétion par où passent
cependant d'autres substances telles que l'iodure de po-
tassium, par exemple.
Voici un chien sur lequel nous avons mis à nu le
conduit parotidien dans lequel nous avons introduit
un tube d'argent. Remarquez qu'il ne coule rien par
ce tube, ce qui prouve que la sécrétion n'est pas con-
tinue et que l'assertion dont on nous faisait un argu-
ment que nous avons relevé dans l'avant-dernière leçon
est complètement erronée. Comme nous avons besoin
de prendre cette salive avant l'injection, vous allez voir
qu'elle va couler en abondance quand nous allons por-
ter une excitation sur la muqueuse buccale en y versant
BERNARD. I. 20
300 DIABÈTE ARTIFICIEL.
du vinaigre, ainsi que nous le faisons en ce moment.
Vous voyez maintenant de grosses gouttes se succéder
avec rapidité à l'extrémité du tube; nous les recueillons
pour constater tout à l'heure qu'elle ne contient au-
cune des substances que nous allons injecter et faire
passer dans le sang.
Je découvre maintenant la veine jugulaire de l'ani-
mal, et je lui injecte une dissolution contenant 4 gram-
mes de sucre, 0^%50 de prussiate de potasse et Os',50
d'iodure de potassium.
Nous excitons de nouveau, et immédiatement après
cette injection, la sécrétion salivaire en mettant du vi-
naigre dans la gueule de l'animal. Le liquide s'écoule
parfaitement pur, ce qui n'aurait pas lieu si, au lieu de
mettre un tube dans le conduit parotidien, nous nous
étions contenté de dénuder ce conduit et de le laisser
prendre en dehors. Nous recueillons la salive dans trois
verres pour y rechercher successivement les trois sub-
stances que nous avons injectées.
Nous ajoutons dans l'une de ces portions le réactif
cupro-potassique, nous faisons chauffer. Vous voyez
qu'il n'y a pas trace de réduction, et cependant, si nous
faisons tomber dans ce mélange une goutte de la so-
lution que nous avons injectée, la coloration du liquide
apparaît aussitôt. Le sucre n'a donc pas passé dans la
salive.
Si nous prenons la seconde portion et que nous y
ajoutions du persulfate de fer, qui est lui-même acide,
ou un persel de fer quelconque, mais alors en ayant soin
d'acidifier le mélange avec de l'acide acétique^ vous
DIABÈTE ARTIFICIEL. 307
voyez encore qu'aucune modification ne s'y produit,
tandis que, s'il y eût du prussiate jaune, on eût vu appa-
raître la coloration caractéristique du bleu de Prusse
qui se manifeste dans ce ^lême liquide dès que nous
y versons une goutte de notre injection contenant du
prussiate jaune : donc cette dernière substance n'a pas
passé non plus dans la salive.
Si maintenant nous prenons la troisième portion du
liquide recueilli et que nous y ajoutions de l'empois
d'amidon, vous voyez la coloration bleue y déceler l'exis-
tence de l'iode, quand nous y avons ajouté quelques
gouttes d'acide sulfuj'ique pour mettre l'iode en liberté.
L'iodure de potassium passe donc immédiatement dans
la salive, tandis que le prussiate de potasse et le glu-
cose, soluble comme lui, ne s'y rencontrent pas. Vous
voyez donc qu'il y a des points d'élection pour l'éli-
mination des diverses substances qu'on introduit dans
l'organisme. D'ailleurs ce n'est pas une question de
temps; car, puisque l'iodure a bien pu arriver déjà
dans les artères parotidiennes, le sucre devrait aussi s'y
rencontrer : or, quelle que soit l'époque à laquelle on
prenne la salive après l'injeclion, jamais on ne ren-
contrera de sucre dans cette sécrétion.
Dans la salive que nous avons extraite avant l'in-
jection, aucune des substances n'existait, comme nous
pouvons nous en convaincre en l'essayant de la même
manière.
Voici les urines du même animal qu'on vient de re-
cueillir; nous les soumettons aux mêmes réactifs, qui
nous y indiquent la présence du prussiate en quantités
30.S DIABÈTE ARTIFICIEL.
considérables ; l'iodure de potassium ne s'y trouve qu'en
petite proportion; quant au sucre, il n'y en a pas en-
core, mais nous en trouverons dans un instant.
L'urine élimine donc toutes ces substances, mais
d'une manière plus ou moins rapide. Le prussiate de
potasse y apparaît d'abord, et le glucose en dernier
lieu.
Une autre sécrétion, dans laquelle on peut constater
dans certains cas la présence du sucre, c'est le suc gas-
trique. Le passage du sucre dans l'estomac a surpris
beaucoup d'observateurs qui avaient vu, déjà depuis
bien longtemps, que, lorsque les diabétiques venaient à
vomir, bien qu'ils n'eussent mangé que de la viande,
tes matières vomies étaient sucrées. On avait pensé,
dans l'idée où l'on était que le diabète provenait d'une
perversion des fonctions digestives, que la viande était
changée en sucre dans l'estomac. Mais il ne faut pas
s'y tromper, la viande n'est sucrée que parce que le
suc gastrique lui-même est sucré. J'ai eu moi-même
occasion d'observer des diabétiques qui vomissaient à
jeun, et dans les matières vomies de qui on pouvait
constater la présence du sucre. Mais cela n'a lieu que
quand la maladie est à son summum d'intensité; et
dans tous les cas, même chez les animaux que l'on
rend artificiellement diabétiques, il est bien plus diffi-
cile d'obtenir le passage du glucose dans le suc gastri-
que que dans les urines. Il est rare en particulier de
rencontrer ce phénomène chez le chien.
Le suc gastrique peut aussi entraîner d'auti-es sub-
stances. Si l'on fait manger à un animal des aliments
DIABÈTE ARTIFICIEL. 309
contenant un sel de fer, et qu'on injecte ensuite dans
ses veines du prussiate jaune de potasse, on trouve le
contenu de son estomac coloré en bleu ; ce qui prouve
que cette substance a passé pour venir former du bleu
de Prusse, avec la matière ferrugineuse.
Si, chez l'animal sur lequel nous avons fait l'injec-
tion précédente, nous recherchions les subst'ances in-
jectées dans la bile, nousy trouverions de l'iodure et du
prussiate, mais pas de sucre.
Dans la sécrétion pancréatique, nous n'aurions pu
constater que le passage de l'iodure ; quant au prussiate
jaune et au sucre, nous n'en aurions rencontré aucune
trace.
Ainsi les mêmes matières solubles ne sortent pas par
toutes les sécrétions. Il y a même, à ce sujet, un fait
très-curieux : c est que des substances qui ne sont pas
éliminées par une sécrétion peuvent l'être, si on les
combine avec une substance qui passe très-facilement
dans cette même sécrétion. Le fer, par exemple, h
l'état de lactate, ne passe jamais dans la salive, tandis
que l'iode est très-facilement entraîné, ainsi que nous
l'avons vu tout à l'heure. Mais si nous combinons l'iode
avec le fer, cette dernière substance pourra alors pas-
ser dans la sécrétion salivaire sous forme d'iodure.
Vous voyez donc encore ici combien il importe de dé-
terminer exactement les conditions d'une expérience,
et combien il faut se garder de généraliser trop vite,
quand on n'a observé qu'un petit nombre de cas. Cela
vous prouve une fois de plus combien un problème
physiologique est complexe, et quelle circonspection il
310 DIABETE ARTIFICIEL.
faut garder dans les conclusions qu'on peut tirer de
faits isolés.
Tout ce que nous venons de dire, relativement au
passage des substances par telles ou telles sécrélions,
ne peut pas être considéré comme une propriété abso-
lue. En physiologie, il n'en est jamais ainsi; ce sont
plutôt des limites de sensibilité d'organes pour telles
ou telles substances, qui, néanmoins, doivent être
prises en grande considération, parce que c'est dans
ces limites que les phénomènes s'accomplissent. Nous
voyons, en résumé, que le rein est l'organe le plus sen-
sible pour l'excrétion du glucose, c'est-à-dire que c'est
dans cette excrétion qu'on le trouve d'abord avant qu'il
ait apparu ailleurs; mais il faut, d'après Lehmann, au
moins que le sang en contienne 0, 3 pour 100, et tant
qu'il n'y aura pas celte proportion, il n'en passera pas
dans les urines.
Quand on voudra rendre un animal diabétique, il
faudra encore avoir le soin de le prendre en pleine di-
gestion, c'est-à-dire quand la quantité de sucre qui
existe dans l'organisme est le plus grande possible, et il
suffit alors qu'elle soit légèrement augmentée pour
que les symptômes glycosuriques se produisent. Ce sont
les conditions dans lesquelles nous avons opéré l'expé-
rience tentée sur ce lapin ; nous allons voir dans un
instant si elle a réussi.
A la rigueur, si le sang pouvait être saturé de sucre
comme un sirop, il serait peut-être possible d'en trou-
ver ailleurs que dans la vessie et dans l'estomac. C'est
ainsi que sur un chien vigoureux nous avons fait Fin-
DIABÈTE ARTIFICIEL. 311
jection dans l'artère carotide primitive d'une solution
concentrée de sucre et de prussiate de potasse, de telle
façon qiîe le sang, qui est arrivé à ce moment à la
glande salivaire, était chargé d'une quantité de ces sub-
stances telle, qu'il avait réellement perdu ses proprié-
tés, et, si cela eût été général, l'animal serait mort.
Dans ce cas seulement on a vu passer dans la salive
un peu de ces deux substances injectées ; mais ce n'était
plus là qu'un simple phénomène exceptionnel.
Si le rein est l'organe le plus sensible pour le sucre,
il ne l'est pas pour l'iodure de potassium, qui apparaît
plus rapidement dans la salive que partout ailleurs, de
sorte que cette substance est éliminée par la salive avant
de l'être par tout autre organe. Cette sensibilité de la
glande salivaire produit un phénomène très-intéressant
au point de vue pathologique, et que je veux vous si-
gnaler en passant.
Lorsqu'on injecte directement une certaine quantité
d'iodure de potassium dans le sang, ou qu'on l'ingère
parl'estomacpour qu'il entre alorspar voie d'absorption,
on observe bientôt le passage de cette substance dans
la salive et dans l'urine. Mais, dès le lendemain, cette
dernière sécrétion n'en offre plus de traces, et l'on
pourrait croire qu'alors il n'en existe plus dans l'orga-
nisme. On se tromperait évidemment, car il y en a en-
core dans le sang une certaine quantité trop faible
pour passer dans l'urine, mais pouvant cependant se
manifester dans la sécrétion des glandes salivaires où
on la constate toujours. Il résulte de ce mécanisme que
l'iodure de potassium peut séjourner dans l'organisme
312 DIABÈTE ARTIFICIEL.
pendant très-longtemps après l'ingestion de cette sub-
stance. En effet, les glandes salivaires, rapportant cette
substance dans le canal intestinal, font qu'elle se trouve
incessamment soumise à une nouvelle absorption qui la
ramène toujours au même point et qui la fait circuler
ainsi presque indéfiniment entre l'estomac et les glan-
des salivaires. C'est ainsi que nous en avons constaté
dans ces organes au moins trois semaines après que les
urines n^en présentaient pi us la moindre trace. Les éva-
cuations alvines peuvent seules finir par emporter ces
restes d'iodure de potassium , et un purgatif a pour effet
d'en faire rapidement disparaître toute trace.
C'en est assez. Messieurs, nous avons fait cette digres-
sion sur ces substances, parce que, comme le symptôme
caractéristique du diabète est une excrétion de matière
sucrée, nous avons voulu, par des exemples pris en
dehors de la fonction qui nous occupe, vous donner
quelques idées sur son mécanisme. Il y a là, comme
vous voyez, une foule de questions intéressantes, mais
nous ne pouvons pas aller plus loin sans sortir de notre
sujet, et nous revenons à notre expérience faite sur le
lapin dont nous avons piqué la moelle allongée au
commencement delà séance.
Vous voyez que cet animal s'est bien rétabli de l'o-
pération que nous lui avons faite il y a trois quarts
d'heure, et qu'il ne paraît pas en souffrir. Nous allons
prendre ses urines, et nous y constaterons la présence
du sucre, si le temps a été assez considérable pour qu'il
apparaisse dans cette excrétion ; car nous vous avons
dit qu'il faut souvent attendre une heure ou deux pour
DIABÈTE ARTIFICIEL. ' 313
que ce phénomène se soit manifesté et pour que l'ani-
mal soit devenu nettement diabétique.
Voici les urines; nous y ajoutons du tartrate cupro-
potassique, nous chauffons, et vous voyez une réduc-
tion abondante qui vous indique que le sucre y a déjà
passé. Si nous mélangions avec de la levure de bière
dans un appareil à fermentation, on verrait la produc-
tion d'acide carbonique et d'alcool nous en donner une
preuve encore plus positive.
Quant aux urines que nous avons extraites avant
l'opération, elles ne présentent ni l'une ni Tautre de
ces réactions caractéristiques.
Vous avez donc vu. Messieurs, se produire sous vos
yeux, par une simple lésion de la moelle allongée, le
phénomène du diabète. Par quel mécanisme physiolo-
gique ce phénomène s'est-il produit? C'est ce que nous
aurons à vous expliquer dans la prochaine séance.
SEIZIEME LEÇON
17 FÉVRIER 1855.
SOMMAIRE : Présence du sucre dans le liquide céphalo-rachidien. — Remar-
ques à ce sujet. — Diabète traumatique. — Présence du sucre dans les
sérosités chez les diabétiques. — Passage du sucre dans la lymphe. —
Conditions dans lesquelles ce passage s'effectue. — Chyle sucré du canal
thoracique provenant du foie. — Du mécanisme de l'action nerveuse sur la
production du sucre. — Idées qui ont guidé dans la découverte des faits
indiqués. — Expérience.
Messieurs,
Indépendamment de l'urine dans laquelle se rencon-
tre toujours le sucre chez les diabétiques, et du suc gas-
trique oii l'on peut le trouver quelquefois, il y a d'au-
tres liquides normaux ou anormaux qui en présentent
des quantités plus ou moins considérables : ce sont le
liquide céphalo-rachidien et les sérosités.
Vous savez qu'il existe dans la cavité du crâne et de
la moelle épinière, dans l'espace sous-arachnoïdien, un
liquide qui entoure les centres nerveux, et dont M. Ma-
gendie a fait connaître l'histoire anatomique et physio-
logique (1). Ce liquide, qui n'est pas une sérosité,
comme je vous le démontrerai tout à l'heure, est con-
stamment sucré, soit pendant la digestion, soit dans l'in-
tervalle de deux repas, soit même au bout de plusieurs
jours d'abstinence. Ce sucre du fluide céphalo-rachi-
(1) Recherches phijsiologiques et cliniques sur le liquide céphalo-rachidien
ou cérébro-spinal. Paris, 18i"2, in-4'', et atlas.
DIABÈTE TRâUMATIQUE. 31d
dien vient du foie, et toutes les causes qui augmentent
ou diminuent ]a sécrétion glycogénique de cet organe,
augmentent ou diminuent dans le même rapport la
quantité de sucre contenue normalement dans ce li-
quide. La section des pneumo -gastriques le fait dispa-
raître là comme partout ailleurs, tandis que la piqûre
telle que nous l'avons pratiquée devant vous dans la
dernière séance en exagère la quantité.
Ceci me conduit à vous parler d'une observation in-
téressante qu'on a communiquée il y a déjà quelque
temps à l'Académie de médecine.
Vous savez qu'il arrive assez souvent que, par l'effet
de chute sur la tête, il y a fracture du rocher et des
os du crâne, et qu'à la suite de ces fractures il se pro-
duit quelquefois un écoulement plus ou moins abon-
dant d'un liquide limpide. J'ai vu moi-même un cas
où le malade en a rendu en deux jours plusieurs litres.
On avait cru pendant longtemps que ce liquide était
de la sérosité; on supposait qu'il se faisait là un épan-
chement de sang, et que c'était le sérum du sang qui
s'échappait par une rupture de la dure-mère adhé-
rente au rocher, tandis que les globules et la fibrine
restaient en caillot dans l'intérieur de la cavité crâ-
nienne. Cela pourrait en effet avoir heu, mais il serait
facile alors de reconnaître si le liquide qui s'écoule est
bien du sérum ; car il coagulera fortement par la cha-
leur et l'acide nitrique, ce qui n'arrive pas pour le li-
quide céphalo-rachidien, et ce caractère le distinguo
des sérosités proprement dites, qui contiennent toujours
de l'albumine.
316 DIABÈTE TRâUMâTIQUE.
Quoi qu'il en soit, on avait fait, dans l'observation
dont je parle, l'examen chimique du liquide qui s'était
écoulé d'une fracture du rocher, et l'on y avait trouvé
du sucre. Le chimiste qui avait analysé le liquide en
avait conclu que le malade chez lequel on l'avait re-
cueilli deux ou trois jours après l'accident était devenu
diabétique, c'est-à-dire que la chute avait opéré une lé-
sion de la moelle allongée, et que cette lésion avait pro-
duit le même effet que nous obtenons en piquant un
animal dans ce point. 11 y aurait eu ainsi diabète trau-
matique; ce cas est possible et a déjà été observé plus
d'une fois. Dans le service de M. Rayer était entrée
une malade qui, disait-elle, était devenue diabétique
après une chute sur la nuque; mais on pouvait croire
que la malade était peut-être, sans s'en douter, déjà
diabétique auparavant, et que l'affection n'avait été
qu'augmentée par l'accident.
Mais ce fait n'est pas resté isolé. On a publié dans
plusieurs journaux l'observation d'un carrier devenu
diabétique, à la suite d'une chute, qui avait cessé de
l'être quand il fut guéri de la plaie de tête.
Nous produirons également devant vous des diabètes,
artificiels produits par ce mécanisme au moyen de com-
motions ; par un choc porté sur la tête, il y a reten-
tissement dans la moelle allongée, et même épanche-
ment dans cette région. M. Fano, dans un Mémoire
sur la commotion , a signalé des lésions dans la région de
la m_oelle allongée, voisine du point que nous piquons.
Des chutes sur la tête peuvent donc déterminer des
lésions dans les centres nerveux, et déterminer le dia-
DIABÈTE ARTIFICIEL. 317
bète. Mais, cependant, il faut savoir aussi, et c'est ce
que ne paraissait pas connaître le chimiste qui a fait l'a-
nalyse en question, qu'à l'état normal le liquide cé-
phalo-rachidien contient toujours du sucre, desorte que,
lorsqu'on constate la présence de cette substance dans
la sérosité qui s'échappe par une fracture du crâne à la
suite d'un accident, on n'est pas fondé à en conclure que
l'individu est diabétique, si l'on n'a pas examiné les uri-
nes. Ainsi, dans l'observation en question, je ne sache
pas qu'on ait parlé des urines.
Nous allons, du reste, vous montrera l'instant même
que le liquide céphalo-rachidien réduit toujours le
réatif cupro-potassique à la manière du liquide sucré.
Voici le lapin que nous avons piqué dans la dernière
séance, et qui avait cessé dès le lendemain d'être diabé-
tique. Ses urines ne contiennent pas de sucre, elles ont
repris leur couleur et leur densité normales, et ne ré-
duisent pas, comme vous le voyez, le tartrate cupro-po-
tassique. La piqûre que nous lui avons faite n'a donc
produit qu'une glycosurie temporaire, et quand l'opé-
ration est bien faite, elle n'a aucune gravité.
Pour extraire du liquide céphalo-rachidien chez cet
animal, nous lui faisons une plaie derrière la nuque,
nous arrivons à l'espace occipito-atloïdien, et nous aper-
cevons une membrane derrière laquelle se trouve un
liquide. Remarquez, en passant, que cette membrane
est en mouvement par un tlux et reflux continuel, en
rapport avec l'état de plénitude ou de vacuité des vais-
seaux crâniens, et coïncidant avec les mouvements res-
piratoires.
318 DIFFUSION DU SUCRE
Nous perçons la membrane, bien dénudée, avec l'ex-
Irémité d'une pipette, et nous extrayons une petite
quantité du liquide qui se trouve derrière elle. Vous
voyez que ce liquide, mis dans un tube, ne coagule pas
par la chaleur, ce qui vous prouve qu'il n'est pas une
véritable sérosité, mais il réduit abondamment le tartrate
cupro-potassique; nous n'avons jamais pu en obtenir
d'assez grandes quantités pour le faire fermenter de
manière à ne laisser aucun doute sur la présence du
sucre.
Quant à ses usages, nous verrons que peut-être ce
sucre a pour objet d'empêcher l'infiU ration dans le tissu
nerveux.
Les véritables sérosités sont-elles sucrées? On n'a
pas fait à ce sujet d'observations suivies.
J'ai examiné plusieurs fois les liquides provenant d"é-
panchements dans le thorax, dans le péricarde, dans le
péritoine; jamais je n'y ai rencontré de sucre dans les
conditions oii je les ai observés. Mais il faut dire que
dans ces cas les malades ont souvent la fièvre, ce qui,
comme vous le savez, suftit pour faire très- rapidement
disparaître le sucre ; il faudrait examiner ces liquides
sur des individus bien portants d'ailleurs.
Chez les diabétiques qui ont des épanchements sé-
reux, il y a du sucre dans ces liquides. J'ai eu occasion
d'observer un diabétique qui était mort d'apoplexie en
une nuit, et qui présentait un hydropéricarde dont la
sérosité était sucrée. Chez les animaux sur lesquels on
produit des hydropéricardes par la section des nerfs
sympathiques, j'ai rarement trouvé du sucre.
DANS LES LIQUIDES DE L'ÉCONOMIE. 319
Il a été publié dans un journal américain une obser-
vation très-intéressante, où l'on avait trouvé du sucre
dans le liquide résultant de la ponction d'un hydropi-
que ; seulement on ajoute que le malade mangeait habi-
tuellement beaucoup de sucre; évidemment ce n'était
pas le même que l'on rencontrait dans la sérosité de la
ponction. On ne dit pas si le malade était diabétique.
Je ne suis pas porté à penser qu'il puisse y avoir du
sucre dans la plupart des sérosités normales ou anor-
males; mais cependant, chezles lapinset les chevaux, il
y a toujours, au moment de la digestion, un épanche-
ment de sérosité temporaire que nous avons pu recueil-
lir, et dans lequel nous avons pu constater la présence
du sucre, et je ne serais pas surpris que cette sérosité
transsudât du foie au moment de la digestion, car on
voit en effet à ce moment les lymphatiques de cet organe
excessivement gorgés de lymphe qui est sucrée.
Enfin il y a un autre liquide dans lequel nous devons
rechercher le sucre, c'est la lymphe. Beaucoup de sub-
stances qui passent dans le sang ne passent pas dans les
vaisseaux lymphatiques, et le sucre, en particulier, ne
s'y rencontre pas, sauf le cas exceptionnel où l'orga-
nisme est saturé de cette substance.
Nous avons à ce sujet fait des expériences d'abord sur
les lymphatiques de l'intestin, et nous avons vu que les
chylifères qui pouvaient absorber la graisse émulsion-
née par le suc pancréatique ne laissaient pas passer la
matière sucrée. Nous avons expérimenté sur des che-
vaux auxquels nous donnions jusqu'à 1 kilogramme de
sucre dissous dans un seau d'eau que l'animal avalait
320 SUCRE DANS LE SYSTÈME
parfaitement; au bout d'un quart d'heure ou d'une
demi-heure, on tuait l'animal, et après avoir ouvert le
ventre et posé des ligatures sur les vaisseaux, on recueil-
lait le sang des veines qui sortent de l'intestin, on re-
cueillait également le chyle avant les ganglions mésenté-
riques ; ce chyle, chez l'animal n'ayant pas mangé de
matières grasses, était semblable à de la lymphe un peu
trouble. Dans le sang veineux on trouvait du sucre,
même à l'état de sucre de canne, tel qu'il avait été pris,
car tout n'avait pas été changé en glucose. Mais, dans le
chyle et dans les vaisseaux lympathiques, jamais nous
n'avons pu trouver la moindre trace de matière sucrée.
Ainsi les graisses à l'état d'émulsion ou de division ex-
trême sont absorbées par les chylifères, tandis que les
matières sucrées et albuminoïdes passent dans le sys-
tème veineux de la veine porte, et, quoique à l'état de
dissolution, elles ne se rencontrent pas dans les lym-
phatiques. De sorte que les substances alimentaires peu-
vent, suivant leur mode d'absorption, se diviser en deux
classes : les unes passant d'abord par le poumon, les au-
tres passant par le foie.
Nous avons fait dans le même but d'autres expérien-
ces sur des chiens. Nous placions un tube d'argent dans
un des vaisseaux lymphatiques qui descendent delà tête,
et l'on recueillait le liquide qui s'en écoulait; nous
avons constaté que cette lymphe ne contenait pas de
sucre, tandis que le sang en présentait une certaine pro-
portion, comme cela a lieu pendant la période digestive.
Nous avons même injecté une dissolution concentrée de
sucre par l'artère carotide, la substance revenait par
DES VAISSEAUX LYMPHATIQUES. 321
les veines, mais jamais par les lymphatiques. Seulement,
dans les cas oii nous injections de cette manière des
quantités considérables de sucre, de façon à modifier
tellement la composition du sang qu'il eût perdu ses
propriétés normales, on voyait dans ces cas le sucre ap-
paraître dans le système lymphatique; mais il est clair
que ce sont là des conditions tout à fait exceptionnelles
et qui s'éloignent complètement de l'état ordinaire dans
lequel on ne rencontre pas de sucre dans les vaisseaux
lymphatiques.
Cejjendant il y a un point de ce système où l'on peut
constater la présence de la matière sucrée, qui n'y
existe nulle part ailleurs, et il faut être averti de ce
fait qui pourrait induire en erreur si l'on n'en était
prévenu. Quand on prend le chyle dans le canal thora-
cique qui reçoit la lymphe de toutes les parties du
corps, et au moment où il débouche dans la sous-
clavière, on le trouve sucré. Ce fait, qui avait été vu
par Tiedemann et Gmehn (1), avait été mal interprété ;
on en avait conclu, contrairement à ce que nous ve-
nons de vous dire, que le sucre était absorbé dans
l'intestin. Mais on eût dû remarquer que l'on trouvait
encore du sucre dans le canal thoracique, même chez
des animaux carnivores qui n'en prennent pas la
moindre trace avec leurs ahments. C'est qu'en effet le
sucre vient ici de l'organe où il se forme. Vous savez,
en effet, que le foie contient des vaisseaux lympha-
tiques énormes, et qu'il n'y a pas un organe de l'éco-
(1) Recherches cxpérijnenUdespliijsioh-jiques et c,'iimi<iues surla di^e^tion.
Paris, 1827.
BliRx^ARD. I. 21
322 ACTION Dr SYSTÈME NERVEUX
lîomie qui en soit plus richement pourvu. La lymphe
qui circule dans ces vaisseaux est très-sucrée, et c est
elle qui, en venant déboucher dans le canal thora-
cique, donne à tout le liquide qui y circule, à partir
du point d'abouchement des lymphatiques du foie, les
réactions sucrées.
Sur un singe qui fut sacrifié par strangulation pen-
dant la période digestive, sur des chevaux tués dans le
même état, nous avons examiné les vaisseaux lympha-
tiques de la surface du foie, et, en les incisant, nous
avons pu en extraire assez de lymphe pour les soumet-
tre à l'analyse et constater la réaction sucrée. C'est
donc ainsi que s'explique la présence du sucre dans le
canal thoracique, à l'exception de toutes les autres
parties du système lymphatique auquel il appartient.
Nous voyons que le glucose peut se trouver dans dif-
férents liquides de l'économie, normaux ou anormaux;
mais quand nous voulons remonter à la source de cette
matière, quel que soit le lieu où nous observons, nous
arrivons toujours au foie, qui est le lieu unique de sa
formation et le point central d'où émane sa distribu-
tion. Toutes les fois donc qu'il y aura une augmenta-
tion ou une diminution dans la sécrétion sucrée de
l'organe hépatique, nous aurons également une aug-
mentation ou une diminution de la matière sucrée dans
les différents liquides, et il était nécessaire de savoir
quels étaient les liquides qui pouvaient être sucrés
avant d'entrer dans le mécanisme de l'augmentation de
la fonction sucrée par la piqûre dont nous vous avons
parlé dans la dernière séance, et dont, après cette
DANS LE DIABÈTE ARTIFD:;IEL. 323
question incidente, nous allons reprendre l'histoire.
On s'est demandé et l'on se demande même encore
comment j'ai pu être conduit à trouver ce fait, en ap-
parence fort singulier, qui consiste à rendre un ani-
mal diabétique en lui piquant un point du système
nerveux. Eh bien ! Messieurs, cette découverte n'est
point due, comme on a été porté à le supposer, à un
hasard heureux : j'y ai été conduit en suivant pas à pas
une idée qui était loin d'être exacte, comme l'expé-
rience me l'a démontré depuis, mais qui m'a servi de
guide jusqu'au moment où les faits ne se sont plus
trouvés d'accord avec elle. D'ailleurs je vous indique
cela comme question de méthode, car, si l'on doit tou-
jours avoir une idée théorique quand on fait des re-
cher(:h(\s, il ne faut la publier que quand les faits sont
venus lui donner une base solide. C'est pourquoi, à
l'époque oii je fis cette découverte, je n'en publiai d'a-
bord que le résultat, qui parut surprenant. Mais ici je
dois vous dire comment j'y arrivai.
J'avais déjà vu que le foie était un organe sécréteur
de la matière sucrée, et l'on savait d'ailleurs que le
système nerveux exerce sur tous les organes de sécré-
tion une iniluence par laquelle s'exagèrent ou se dé-
priment les fonctions sécrétoires. Ainsi M. Magendie
avait vu qu'en excitant la branche lacrymale de la cin-
quième paire, on faisait couler les larmes en plus
grande abondance, et qu'elles cessaient de s'épancher
quand on venait à couper ce nerf. J'avais vu, de mon
côté, que, quand on coupe les pneumo -gastriques à un
animal, comme je vous l'ai montré dans une des pré-
324 ACTION DU SYSTÈME NERVEUX
cédentes séances, la sécrétion glycogénique est inter-
rompue dans le foie. Je voulus alors tenter de produire
le cas inverse, c'est-à-dire l'exagération de cette fonc-
^ tion. Dans celte vue, je galvanisai le pneumo-gastri-
que, mais je ne pus jamais d'une manière bien claire,
parce moyen, obtenir le résultat que j'attendais. Alors
je me rappelai qu'en faisant des expériences sur un
autre sujet, en coupant la cinquième paire dans le
crâne, il m'était arrivé quelquefois, au lieu d'opérer
cette section, de piquer simplement le centre nerveux
à l'origine de ce nerf; et alors les sécrétions qui étaient
interrompues quand on faisait nettement la section du
nerf, étaient au contraire exagérées dans le cas oii l'on
ne lésait que la protubérance annulaire : les larmes, la
salive, coulaient alors en grande abondance.
L'idée me vint, puisque je ne pouvais pas réussir en
excitant directement le foie par le galvanisme porté sur
le pneumo-gastrique, de piquer l'origine de ce nerf, et
de voir si je produirais un effet analogue à celui que
j'avais vu se manifester pour les sécrétions qui sont
sous la dépendance de la cinquième paire. Je mis donc
à nu le plancber du quatrième ventricule, je piquai
vers l'endroit d'oii naissent les pneumo-gastriques, et
je réussis du premier coup à rendre l'animal diabéti-
que. Au bout d'une heure, le lapin sur lequel j'avais
opéré avait le sang et les urines chargés de sucre.
J'avais cru pouvoir expliquer cette apparition du
sucre dans cette expérience, en disant que la sécrétion
était sous l'influence directe du pneumo-gastrique, et
l'expérience semblait venir confirmer ma théor-ie sur
DANS LE DIABETE ARTIFICIEL. 'M'ô
le mécanisme suivant lequel s'opérait cette action. C e-
lait cependant une erreur, comme je le vis plus tard
par l'expérience; car ce n'est pas par le pneumo-gas-
trique que se tiansmet l'excitation que part des centres
nerveux pour déterminer la sécrétion à se produire.
Car si, avant de pratiquer la piqûre de la moelle al-
longée chez un animal, je lui coupais d'abord les
pneumo-gastriques, le sucre n'en apparaissait pas
moins dans le sang et dans les urines en très-grande
abondance. L'influence de la piqûre ne se propageait
doncpas le longdupneumo-gastrique. Si, au contraire,
on laissait ce nerf intact, et qu'on coupât la moelle épi-
nière au-dessus de l'origine des fdets sympathiques
qui se rendent au foie, la production du sucre était in-
terrompue.
Cela me conduisit à examiner de plus près l'influence
du système nerveux sur les sécrétions, et j'arrivai à
penser que cette influence, au lieu d'être directe, a
presque toujours lieu par action réflexe, en passant par
un ganglion du système sympathique. Il fallut donc
renoncer à l'explication qui m'avait servi de point de
départ, et dans laquelle je supposais que l'action ex-
citatrice, partie des centres nerveux, descendait par le
pneumo-gastrique pour arriver au foie. Les choses se
passent autrement; le pneumo-gastrique paraît conduire
ici une impression centripète, qui arrive au centre
nerveux, redescend ensuite par la moelle épinière, et
arrive au foie par l'intermédiaire des filets et des gan-
glions sympathiques.
Nous examinerons, dans la prochaine séance, cette
326 DIABÈTE ARTIFICIEL.
iniporlarite théorie qui touche h tous les phénomènes
(le la vie de nutrition, et nous relierons ce qui se passe
clans le foie avec ce qui s'opère pour toutes les autres
sécrétions.
Permettez-moi, en terminant, de vous montrer un
autre lapin, chez lequel la piqûre de la moelle allongée
n'a pas été faite exactement sur la ligne médiane du
plancher du quatrième ventricule; vous voyez que cet
animal présente des désordres de mouvements que n'of-
frait pas celui que nous avons piqué dans la dernière
séance. Mais je vous ai dit que cela n'empêchait pas le
sucre de se produire en plus grande quaiitité qu'à l'or-
dinaire, et l'animal de devenir diabétique. Nous pre-
nons ses urines : elles sont, comme vous le voyez, trans-
parentes et claires comme de l'eau, ce qui a le plus
ordinairement lieu dans l'état de diabète, et elles ré-
duisent abondamment le tartratecupropotassique. Vous
voyez donc, en comparant ce cas avec le précédent,
que sous le rapport de l'api arition du sucre rien n'est
changé, et que les troubles nerveux d'une autre nature
qui se manifestent ici sont tout à fait étrangers à cette
production.
. DIX-SEPTIEWE LEÇOA^
24 FÉVRIER 1855.
SOMMAIRE :M('cnnisnie de l'action nerveuse sur la sécrétion glycogénique.—
Rôle du pneumog.istriqne. Rôle du poumon. — Distribution des divers
nerfs qui se rendent au foie. — Rôle de chacun d'eux. — l'ôle de la moelle
épinière. — Expérience sur la seciion des pneumo-gastriques entre le foie
elle poumon. — Procédé opératoire. — La production du surre continue.
— Durée de l'effet de la piqûre de la moelle allongée. — Influence de la
piqûre sur la circulation abdominale. — Rôle du grand sympathique dans
la circulation d'un organe. — Action de ce nerf dans la région cervicale.
— Procédé opératoire. — Résultats. — Distinction de la sécrétion et de
l'excrétion.
Messieurs,
On peut donc pi'oduire le principal symptôme du
diabète, c'est-à-dire l'apparition du sucre dans les
urines, par une simple piqûre dans un point déterminé
de la moelle allongée, d'oii paraît résulter une exagé-
ration dans la fonction glycogénique. Nous avons au-
jourd'hui à Yous expliquer comment s'opèt^e ce phéno-
mène, et par quel mécanisme l'irritation portée sur le
centre cérébro-spinal, est transmise au foie, ce qui nous
conduira à comprendie comment le système nerveux
excite cet organe à l'état physiologique.
Le mécanisme de l'action uerveiise sur le foie nous
permettra ainsi d'établir un rapprochement de plus
entre les fonctions de cet organe et les autres sécrétions.
Vous savez que les actions chimiques de l'organisme
328 ACTION DU SYSTÈME NERVEUX
qui constituent les phénomènes de la vie de nutrition,
comme tous les phénomènes de sécrétion, ne sont pas
sous la dépendance de la volonté; elles se passent au
sein des organes, sans que le cerveau errait conscience,
bien qu'il soit le centre auquel elles se rapportent toutes
en définitive. Dans la plupart des actions involontaires,
une impression venue du dehors arrive sur un organe,
et est transmise par un nerf de sensation jusqu'au centre
nerveux, et de là se propage, par un autre système de
nerfs, vers l'organe dans lequel s'accomplit le phéno-
mène vital, phénomène qui se traduit par un mouve-
ment, si c'est un muscle; par une sécrétion, si c'est une
glande, etc.
Par exemple, lorsqu'un corps étranger tombe entre
les paupières et excite la surface de la conjonctive, im-
médiatement il en résulte un écoulement de larmes très-
abondant, qui s'opère par une action réflexe, c'est-
à-dire que le nerf de la cinquième paire transmet au
centre nerveux l'impression qu'il reçoit; celle-ci se
trouve ensuite transmise à la glande lacrymale, qui
fonctionne d'autant plus activement que l'excitation de
la conjonctive est plus forte. Quand on met un corps
sapide sur la langue, la sécrétion salivaire devient très-
abondante également encore par action réflexe.
Il est remarquable que, généralement, il existe un
appareil ganglionnaire appartenant au grand sympa-
thique, entre l'organe qui reçoit l'action réflexe et le
centre nerveux qui la propage.
D'après ces considérations, voici comment nous avons
été conduit à comprendre l'excitation nerveuse qui fait
DANS LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 320
fonctionner le foie d'une manière continue. Le point de
départ de l'excitation est le poumon, qui reçoit inces-
samment à sa surface l'impression de l'air extérieur.
Nous n'avons pas, il est vrai, conscience de cette sen-
sation organique que produit l'air, mais elle n'eu existe
pas moins, et se trouve perçue par les extrémités ner-
veuses des nerfs pneumo-gastriques qui se distribuent
dans les poumons. C'est par ces nerfs que l'excitation
est apportée aux centres nerveux, c'est-à-dire à la
moelle allongée, puis de là elle se propage par la moelle
épinière et par les filets du grand sympathique jus-
qu'au foie; L'appareil nerveux, qui met ainsi en rela-
tion continuelle, par action réflexe, l'excitation venue
du dehors et la sécrétion du sucre, représente donc,
comme on le voit, une ligne courbe. A l'une des extré-
mités de cette ligne se trouve le poumon comme organe
excitateur, à l'autre le foie comme organe recevant cette
excitation, et intermédiairement le centre nerveux con-
stitué par la moelle.
Avant d'entrer plus avant dans l'explication de ce
mécanisme, il est bon de dire quelques mots de la dis-
tribution des nerfs dans le foie. Cet organe reçoit deux
ordres de nerfs, les uns venant du système cérébro-
spinal, et les autres du grand sympathique. Les premiers
sont les pneumo-gastriques et les diaphragmatiques, les
seconds sont les rameaux envoyés par le plexus solaire.
Chez l'homme, le pneumo-gastriquedoit se terminer
entièrement dans le plexus solaire sans qu'on puisse
directement suivre ses rameaux jusqu'au foie. Le
pneumo-gastrique gauche se rend surtout à l'estomac.
330
ACTION DU SYSTÈME NERVEUX,
Fip. l 'è. Appareil nerveux cérêbrn-spiiial el sp/anc/mique du lopin^ pour mon-
trer les rapports nenieiix qui existent entre le foie, le poumon et le rein^
el pour comprendre le mécanisme du diabète artificiel.
DANS LE DIABETE ARTIFICIEL. 331
o^ cerveau. — 6, cervelet. — c, ^, moelle épinière. — d, d', tronc des
nerfs pneuino-gastriqnes. — e, ganglion cervical supérieur. — f, tionc com-
mun des deux nerfs pneumo-gastriques réunis au-dessous des poumons. —
g, ganiilion cervical inférieur. — //, filet de comnmnication entre lesganglions
cervical supérieur et cervical infér ein". — i, filet cardiaque du pneuino-gas-
triqup. — ;, filet cardiaque panant du premier ganglion thoraciqne du grand
syni|iaihique. — n, m', ûlels de communication des ganglions du grand sym-
pathique les uns avec les autres. — /, gang'ion thoraciqne. — n. filet de
communication entre la moelle et le grand sympathique. — o, nerfs hépa-
thiques provenant du grand sympathique. —jd, nerfs rénaux venant du grand
symp nhique.— ^, q', ganglion du plexus solaire. — r, nerfs hépatiques pro-
venant du pneuuio-gastiique. — •?, nerfs rénaux. — ^ nerfs hépatiques réu-
nis. — M, nerfs olfactifs. — v, nerfs optiques. — x, nerfs de la troisième
paire, —y, nerfs de la cinquième paire. — y', nerfs de la septième paire. —
Ijcœur. — 2, aorte. — 3 veineca einférieure. — 4, veine [(Orte. — 5, veine
cave inférieure au-dessuus d» s veines rénales.— 6, poumons.— 7, foie. —
8, vésicules du fiel. — 9, 9', capsules surrénales. — 10, rein. — 11, 11',
uretères.
Chez les animaux tels quele chien et lelaphi (fig. 18),
les deux pneumo-gastriques, droit et gauche, arrivés
au-dessous du diaphragme, envoient très-distinctement
des filets qui se dirigent vers le foie en accompagnant
l'artère hépatique. On voit d'un autre côté des filets
émanés de ganghons semi-lunaires se diriger vers la
scissure médiane du foie et s'anastomoser avant d'en-
trer dans l'organe avec les filets provenant des pneumo-
gastriques.
Le foie reçoit en outre des filets provenant des nerfs
diaphragmatiques. Le diaphragmatique droit, particu- ■♦
lièrement, fournit des hranches qui descendent sur la
^'einecave, et qui, arrivées au niveau de l'abouchement
des veines hépatiques, se distribuent dans les parois de
ces veines qui sont, comme nous Tavons dit, éminem-
ment musculeuses.
On est donc porté à penser que les nerfs diaphragma-
332 ACTION DU SYSTÈME NERVEUX
tiques président aux fonctions mécaniques des veines
hépatiques dans le rôle que nous leur avons attribué,
tandis que les nerfs pneumo-gastriques et les sympa-
thiques se rendent aux éléments mêmes du tissu hépa-
tique, et président aux phénomènes chimiques.
Quant à la manière dont les nerfs se termiuenl dans
le foie et quant aux rapports qu'ils affectent avec la cel-
lule hépatique, on n'en sait absolument rien, pas plus
ici que dans les autres organes glandulaires. L'aua-
tomie montre en effet que les tubes nerveux ne peuvent
pas être poursuivis bien loin dans les organes glandu-
laires, car bientôt ils se confondent avec les tissus et
cessent d'être distincts. On n'est pas en droit de con-
clure de cette disparition des nerfs au microscope, que
leurs extrémités n'arrivent pas jusqu'à la cellule élé-
mentaire, car on sait que l'enveloppe des tubes ner-
veux disparaît avant que ceux-ci se terminent, seule-
ment alors ils ne peuvent plus être reconnus.
Ces notions établies, vous allez comprendre mainte-
nant les expériences que nous allons faire devant vous
dans leur connexion avec celles que nous vous avons
déjà montrées.
Nous avons déjà coupé les pneumo-gastriques à un
chien, et vous avez vu que, si l'on tuait l'animal le len-
demain ou le surlendemain de l'opération, il n'y avait
plus de sucre dans son foie ; la sécrétion s'était arrêtée.
Que s'est-il passé dans cette expérience? Eb bien î Mes-
sieurs, la fonction glycogénique n'a pas été suspendue
par suite de la cessation d'une action directe partant de
la moelle allongée et descendant le long des pneumo-
DAiNS LE DIABÈTE ARTIFICIEL. :î33
gastriques, puisque nous savons, d'une part, qu'après
cette section on peut piquer l'animal dans le point in-
diqué et le rendre encore diabétique, et, d'autre part,
exciter le bout périphérique des pueumo-gastriques
coupés au cou, et qu'on ne voit pas pour cela continuer
la sécrétion du sucre.
Nous ne pouvons donc pas admettre que le courant
nerveux qui arrive au foie descende le long des pneumo-
gastriques.
Ce nerf, au contraire, porte au centre cérébro-spi-
nal les sensations internes émanées de sa périphérie;
l'excitation qu'il transmet est, dans ce cas, centripète
et non pas centrifuge. Et, en effet, après avoir coupé le
pneumo-gastrique, si, au lieu d'agir sur le bout pé-
riphérique, ce qui n'a aucun effet sur la sécrétion du
sucre, on excite avec le galvanisme l'extrémité qui se
rend à la moelle, la fonction glycogénique non-seule-
ment n'est pas interrompue dans le foie, mais elle peut
même être exagérée lorsque l'excitation a été poussée
assez loin .
Voici plusieurs expériences que nous avons faites :
Chez un chien en pleine digestion, on galvanisa les
deux bouts supérieurs des nerfs vagues, on agit avec
une machine électro-magnétique dans toute sa force
(machine de Breton). On appliqua le galvanisme pen-
dant six à dix minutes, et on laissa ensuite un intervalle
de repos d'une heure. On a remarqué que, quand on
galvanisait le vague droit, il y avait toujours vomisse-
ment des aliments et arrêt des mouvements respiratoi-
res ; quand on galvanisait le vague gauche, il n'y avait
33i ACTION Dr SYSTÈME NERVEUX
pas (le vomissements, et il semblait que la respiration
n'était pas arrêtée aussi facilement. Après une heure
on galvanisa de nouveau l'animal, et l'on prit aussitôt
après ses urines en le sondant. Les urines étaient de-
venues alcalines, d'acides qu'elles étaient avant l'opé-
ration, et elles contenaient très manifestement du
sucre. Le lendemain l'animal n'é(ait pas mort; ses
urines étaient toujours alcalines, mais elles ne renfer-
maient plus de sucre. Le jour suivant, ce chien étant
mort, on fit son autopsie, et son foie ni aucun tissu ou
liquide du corps ne contenaient de sucre.
Sur un autre chien, également en digestion, on gal-
vanisa de la même manière que précédemment les bouts
centraux des nerfs vagues, et l'on obtint le passage du
sucre dans les urines, qui devinrent alcalines.
Alors on sacrifia l'animal par la section du bulbe
rachidien, et Ton trouva le sucre répandu partout dans^
le sang de la veine porte, dans le sang des veines hépa-
tiques, dans le sang du cœur droit et dans le sang du
cœur gauche. Toutefois, le sang des veines hépatiques
fut celui qui contenait le plus de sucre. Hexistait dans
le péricai'de un épanchement de séiosité qui était très-
sucré. Le tissu du foie dosé donna \^\ 41 5 pour 100 de
sucre.
Un troisième chien fut de même galvanisé, et le
sucre apparut dans les urines, qui, cette fois, restèrent
acides.
Lors donc que nous coupons les pneumo-gastriques
dans la région cervicale, la sécrétion s'arrête, non pas
parce que l'influence du centre nerveux ne peut plus
DANS LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 335
être transmise au foie, mais parce que nous avons em-
pêché les excitations périphériques émanant d'autres
organes, ei en particulier des poumons, de parvenir à
la moelle allongée, qui n'est plus dès lors sollicitée à
réagir sur le foie.
Dans l'état physiologique, c'est donc principalement
l'excitation incessante appoitée au poumon par l'air
extérieur, transmise au centre nerveux par le nerf
pneumo -gastrique, qui détermine la sécrétion du sucre
au moyen d'une action réflexe.
Pour vous prouver que, normalement, c'est bien
ainsi que les choses se passent, nous allons, au lieu
de couper le pneumogastrique dans la région cervi-
cale, ce qui amène la disparition du sucre, opérer la
section de ce nerf au-dessous du poumon et au-dessus
du foie. La communication directe entre le foie et le
centre nerveux se trouve arrêtée comme précédem-
ment, et cependant le sucre continue à se produire
comme à l'ordinaire.
C'est donc du poumon que part l'excitation qui dé-
termine la fonction glycogénique à entrer en action ; et
cela est si vrai, que nous pouvons, jusqu'à un certain
point, remplacer l'influence pulmonaire par toute
autre action physique, parle galvanisme, par exemple,
appliqué sur le bout central du nerf coupé, ou exa-
gérer cette même influence, quand le nerf étant intact,
on fait respirer des substances irritantes ; on déter-
mine par cela même une hypersécrétion du sucre.
Nous allons actuellement couper les pneumo-gastri-
ques entre le foie et le poumon. Pour faire celte expé-
336 ACTIO^^ DU SYSTÈME NERVEUX
rience, nous prenons un chien de petite taille. Nous
le chloroformons, afin d'éviter des mouvements vio-
lents de l'animal pendant l'opération, qui se fait de la
manière suivante :
Sur le côté gauche de la poitrine, nous pratiquons
une incision de 2 à 3 centimètres parallèlement à une
côte et au niveau de la douzième environ, puis nous
faisons glisser la peau de manière à amener l'incision
entre la neuvième et la dixième côte, à peu près à
égale distance du sternum et de la colonne vertébrale.
Nous faisons avec un bistouri, dans cet intervalle
intercostal, une piqûre étroite par laquelle nous intro-
duisons immédiatement et avec force l'indicateur de la
main gauche, de façon à pénétrer dans la cavité tho-
racique sans qu'il y entre d'air. On enfonce alors le
doigt vers la colonne vertébrale jusqu'à ce qu'on sente
l'aorte qu'on reconnaît à ses battements. 11 faut, on le
comprend, prendre un chien d'une taille assez petite,
comme celui que nous avons là, car autrement il se-
rait impossible d'avoir le doigt assez long pour parve-
nir jusqu'à la colonne vertébrale.
Une fois que l'on a le bout du doigt sur l'aorte, on
sent immédiatement à côté, et un peu en dedans, un
tube cylindi'ique et comme élastique; c'est l'œsophage
qui est accomptigné par les cordons des nerfs pneumo-
gastriques parfaitement reconnaissables, parce qu'ils
donnent au bout du doigt la sensation d'une corde
fortement tendue. Dès qu'on est parvenu à reconnaître
ainsi la position de ces nerfs, on saisit de la main
droite l'instrument (fig. 19) formé par une tige longue
DANS LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 337
(le 12 à 15 centimètres, terminée par un cro- ^
chet tranchant sur son bord interne et à ex-
trémité mousse. On le fait glisser le long de
l'index, qui est enfoncé dans le thorax, en l'in-
troduisant dans la poitrine sans laisser péné-
trer d'air, et Ton accroche successivement les
cordons nerveux que l'on sent au bout de son
doigt, en évitant de léser d'autres organes im-
portants tels que la veine cave et l'aorte, qui
pourraient être atteintes. Alors on retire le
doigt en même temps qu'on déplace rapide-
ment l'incision de la peau. L'orifice extérieur
et Torifice interne ne correspondant plus l'un
à l'autre, l'air ne peut pas pénétrer dans le
thorax.
L'opération ne présente aucun danger ;
quand même il serait entré quelques bulles
d'air dans la poitrine, cet air ne tarderait pas
à être absorbé et l'animal n'en souffrirait au-
cunement.
Cet animal que nous venons d'opérer a
donc maintenant les pneumo-gastriques cou-
pés entre le poumon et le foie ; vous verrez
dans la prochaine séance que néanmoins le
sucre aura continuée se sécréter dans le foie,
et que nous en retrouverons à peu près autant
que dans l'état normal, ce qui n'aurait cer-
tainement pas lieu si l'action nerveuse qui agit
sur le foie y parvenait par le nerf de la hui-
tième paire. Pi^ ^ç^^
BERNARD. I. 9 2
338 ACTION DU SYSTÈME NERVEUX
Étant donc bien établi que l'excitation ne descend
pas par les pneumo-gastriques, mais qu'elle remonle
au contraire par ces nerfs jusqu'au cerveau, il nous
reste à rechercher quel chemin elle suit pour arriver
au foie.
11 est d'abord positif que l'action se propage par la
moelle épinière. La moelle épinière ne peut agir de
son côté sur le foie que par l'intermédiaire des nerfs
grand et petit splanchnique ou autres filets, qui tous
établissent une communication entre le système ner-
veux ganglionnaire et le système nerveux cérébro-ra-
chidien. Mais, d'un autre côté, la moelle épinière peut
elle-même agir comme centre, de sorte qu'en coupant
la moelle à différentes hauteurs, on obtient des résul-
tats différents, tantôt, par exemple, une cessation ab-
solue, tantôt, au contraire, une perversion dans la
production des matières que produit le foie. Cette ques-
tion devra être examinée avec beaucoup de soin dans
une des prochaines séances, et à ce propos nous trai-
terons des deux cas, ou la moelle agissant comme cen-
tre, ou la moelle agissant comme conducteur, et nous
pourrons comprendre alors de quelle façon la piqûre
d'un point de la moelle allongée agit pour produire ce
phénomène singulier auquel nous avons donné le nom
de diabète artificiel.
Pour le moment, nous allons examiner la durée de
l'effet de cette piqûre.
Vous savez déjà que l'augmentation, dans la quantité
du sucre, que nous produisons chez un animal au
moyen d'une piqûre de la moelle allongée, n'est ja-
DANS LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 339
mais que temporaire. Au bout de quelques jours, l'ani-
mal guérit et cesse d'être diabétique. Nous avons cher-
ché en vain jusqu'ici à rendre cet état permanent. Pour
cela nous avons laissé l'instrument en place; mais
alors ce corps étranger enflammait les parties avec
lesquelles il se trouvait en contact, il survenait de la
fièvre et des désordres plus ou moins graves, qui suf-
fisaient, comme cela a lieu dans tout état morbide,
pour faire disparaître le sucre, non-seulement des
urines, mais du foie lui-même.
Il faut cependant, pour que nous parvenions à com-
prendre la nature du diabète chez Thomme, que nous
trouvions le moyen de rendre cet état permanent chez
un animal; ce que nous n'avons pas encore obtenu et
ce que nous allons rechercher devant vous.
Quand, après avoir piqué chez un chien ou chez un
lapin l'origine des pneumo-gastriques, nous lui avons
ouvert le ventre au moment ou la surexcitation portée
sur le foie présentait son summum d'intensité, nous
avons \u qu'alors il y avait une plus grande activité de
la circulation abdominale, le système capillaire élait
gorgé de sang, et les vaisseaux de la surface du foie
plus apparents qu'à l'état normal. Les reius sont alors
eux-mêmes très-surexcités, les uretères sont Irès-irri-
lables, il suffit de les toucher avec la pointe d'un bis-
louri pour les voir se contracter énergiquement. Cette
suractivité de la circulation ne dure qu'un certain
temps, comme le diabète lui-même, de sorte que j'ai
été amené à penser que l'exagération de la sécrétion du
sucre tenait à une action particulière du système ner-
3iO MODIFICATION DE LA ClUCL LATlON
veux sur la circulation hépatique. Au point de vue chi-
mique, il n'y a pas lieu de supposer, en effet, que Fé-
lément qui se transforme en sucre en donne plus
à l'état pathologique qu'à Télat normal. On compren-
drait mieux l'augmentation dans la formation de cette
substance, en supposant que les matériaux qui la pro-
duisent sont eux- mêmes apportés en quantités plus
considérables. Ce ne serait donc pas un atome d'albu-
mine qui formerait plus de sucre, mais bien une plus
grande quantité de ces atomes qui seraient soumis,
dans un temps donné, à l'action du foie.
Nous pensons donc que c'est en produisant une sur-
activité durable dans la circulation abdominale, que
nous parviendrions à établir chez l'animal, comme
nous les trouvons chez l'homme, des diabètes perma-
nents.
Or, comment faire pour déterminer cet effet? Eh
bien. Messieurs, nous avons un moyen pour produire
dans un organe une circulation beaucoup plus active
que dans Tétat normal, et qui peut s'y maintenir long-
temps : c'est en coupant les fdets sympathiques qui se
rendent à cet organe, et nous allons vous rendre té-
moins de ce fait extrêmement curieux et que je vous ai
déjà indiqué.
Voici un lapin sur lequel nous allons couper le nerf
sympathique dans la région cervicale; vous allez voir
qu'aussitôt après cette opération, tout le côté de la face
correspondant à la section va présenter une activité de
circulation beaucoup plus grande et une température
bien plus élevée que l'autre côté.
DANS LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 3'i-1
Pour cela, ranimai étant solidement maintenu, nous
faisons une incision longitudinale de 2 à 3 centimètres
dans la partie moyenne du cou ; on divise ensuite le
raplié de séparation des muscles sous-hyoïdiens, jus-
qu'à la trachée qu'on aperçoit au-dessous; alors, avec
une érigne, un aide saisit et relève les muscles sous-
hyoïdiens du côté gauche. Comme aucun vaisseau n'a
été blessé, on aperçoit l'artère carotide qui se trouve
sur les côtés de la trachée, accompagnée par le nerf
pneumo-gastrique; nous servant de l'extrémité fine de
nos pinces comme d'une sonde cannelée, nous sépa-
rons doucement l'artère carotide du pneumo-gastrique,
et immédiatement en arrière de l'artère, nous décou-
vrons un filet nerveux très-délié, dirigé parallèlement
à l'artère et au nerf pneumo-gastrique. C'est le fdet
sympathique cervical qui fait communiquer le ganglion
cervical supérieur avec l'inférieur. Le ganglion cervical
moyen manque ordinairement chez le lapin. Nous sou-
levons ce filet avec nos pinces, pour le couper avec des
ciseaux; il aurait suffi même de le casser.
L'expérience terminée, nous remettons l'animal en
liberté, et nous pouvons déjà constater que la circula-
tion s'est considérablement activée dans l'oreille, où
les vaisseaux sont très-visibles. Cette instantanéité du
résultat tient ici à la grande vigueur de l'animal sur
lequel nous avons fait l'opération ; car s'il eût été lan-
guissant ou malade, cette exagération de circulation
du côté de la section du nerf aurait été très-lente à se
manifester et n'aurait apparu qu'avec peu d'intensité.
Ceci vous prouve qu'il existe, comme nous l'avons dit
312 MODIFICATION DE LA CIRCULATION
déjà, une espèce de relalion entre ces actions des nerfs
sympathiques et la production du diabète artificiel par
piqûre de la moelle allongée. Nous vous avons montré,
en effet, que ce dernier phénomène se produit aussi
d'autant plus facilement que les animaux sont plus vi-
goureux et mieux portants, et qu'il est absolument im-
possible de le déterminer sur un animal malade.
Cet exemple que nous vous montrons, sans vouloir
entrer dans le mécanisme du phénomène, vous prouve
que l'on peut exagérer d'une manière durable la circu-
lation dans une partie limitée du corps. Cette suracti-
vité, en effet, continuera pendant plusieurs semaines,
ainsi que vous le verrez dans les séances suivantes.
Nous voudrions produire quelque chose d'analogue
sur la circulation du foie, et pour cela nous avons l'in-
tention de tenter une opération que nous n'avons ja-
mais faite, et qui consistera à couper tous les filets
nerveux qui entrent dans le foie. Si alors l'activité cir-
culatoire hépatique devient plus considérable, et si en
même temps l'organe n'est pas troublé dans ses fonc-
tions, nous devrons avoir une production plus grande
de la matière sécrétée, car il est de règle que la sur-
activité fonctionnelle d'un organe coïncide toujours
avec une accélération de circulation. Les choses se
passent ainsi, et dans les organes de la vie de relation,
et dans ceux de la vie organique, parmi lesquels se
rangent les organes sécréieur s ou excréteurs.
Et à propos d'organes excréteurs et sécréteurs, per-
mettez-moi de terminer cette séance en vous indiquant
quelle sorte de confusion on peut commettre à leur
DANS LE DIABÈTE ARTIFICIEL^ 343
égard ; et il importe de bien comprendre ce que c'est
qu'un organe de sécrétion, car j*ai souvent occasion de
remarquer qu'on fait une confusion entre les organes
sécréteurs et les organes excréteurs, et qu'on n'a pas
d'idées bien claires à ce sujet. C'est pourquoi je vous
demanderai la permission de fixer en quelques mots
la différence fondamentale qui existe entre les deux
ordres d'organes. Du reste, il faut le dire aussi, cette
confusion a peut-être primitivement trouvé sa source
dans le langage lui-même. Le mot sécrétion vient,
comme vous le savez, de secernere, qui veut dire sépa-
rer; sécrétion semblerait donc vouloir dire séparation.
Mais une séparation peut s'effecter de deux manières :
ou bien les éléments qui se séparent sont seulement
mélangés, ou bien ces éléments sont combinés, et les
produits ultimes résultant de leur séparation sont des
dédoublements du composé qu'ils formaient d'abord;
dans ce dernier cas, il y a vraiment production de ma-
tières nouvelles.
Ces deux modes se rencontrent dans l'organisme.
Ainsi, le sang qui arrive au rein contient de l'urée, de
l'acide urique et divers sels qui s'y trouvent à l'état de
dissolution, reconnaissables à tous leurs caractères,
pouvant être extraits directement, et que le rein sépare
réellement du sang. On rencontre ces substances dans
les artères qui arrivent à l'organe ; on ne les retrouve
plus dans les veines qui en sortent. 11 n'y a pas eu là
de production proprement dite ni décomposition, il y a
eu séparation pure et simple.
Dans le foie, au contraire, quand on se place dans
34-i . SÉCRÉTION, EXCRÉTION.
des conditions convenables, on trouve des quantités de
sucre considérables dans le sang qui sort, on n'en trouve
aucune trace dans le sang qui entre : le sucre s'est pro-
duit là aux dépens d'autres matières dont le foie a dis-
socié les éléments, qui se sont reconstitués dans de
nouvelles combinaisons ; mais il est clair qu'une telle
séparation est essentiellement différente de celle qui
avait lieu pour le rein.
Voilà donc deux ordres de faits qui doivent êire re-
présentés par des mots distincts correspondant à des
idées différentes.
Nous dirons qu'il y a sécrétion toutes les fois qu'on
trouvera dans les liquides qui sortent d'un organe des
substances qui n'existent pas dans le sang à son entrée
dans cet organe.
Nous dirons qu'il y a excrétion toutes les fois que les
substances contenues dans les liquides excrétés se ren-
contrent dans le sang qui entre dans l'orgaue.
DIX-HUITIÈME LEÇON
27 FÉVRIER 1856.
SOMMAIRE : De la polyurie. — Elle est indépendante de la glycosurie. —
Observations expérimentales à ce sujet. — Autres procédés de production
du diabète artiûciel. — Par anéantissement du système nerveux cérébro-
spinal : 1° au moyen de l'empoisonnement par le curare ; 2° par apoplexie
suite de contusions cérébrales. — Expérience. — Diabète consécutif à l'é-
thérisation. -- Examen des théories sur le diabète spontané et artificiel. —
Réflexions sur la complication de ces phénomènes. Résultat de l'expérience
faite à la leçon précédente.
* Messieurs,
Nous vous avons indiqué un moyen d'augmenter l'ac-
livitéglycogénique du foie et de produire par là un dia-
bète artificiel en piquant un point déterminé de la moelle
allongée, mais ce moyen n'est pas le seul, et nous
avons encore plusieurs procédés à vous annoncer pour
arriver au même résultat.
Mais avant de passer outre, nous devons examiner
un autre phénomène qui est presque toujours lié à
l'apparition du sucre dans les urines. Vous savez, en
effet, que dans le diabète les urines ne sont pas seule-
ment modifiées quant à la nature des substances qu'on
y rencontre, mais que leur quantité est ordinairement
augmentée d'une manière très-notable. Ainsi, vous
avez vu que sur les lapins dont nous avons piqué la
moelle allongée, les urines, qui, avant l'expérience,
346 POLYURIE.
étaient troubles, sont devenues claires et transparentes
après l'opération, et nous avons observé qu'elles étaient
bien plus abondantes que dans l'état normal. Quand
nous avons ouvert l'animal, après l'avoir rendu diabé-
tique, nous avons trouvé les reins plus gorgés de sang
et les uretères très-irritables ; le moindre attouchement
avec la pointe d'un bistouri y déterminait des contrac-
tions très-rapides dans toute la partie située au-dessous
du point touché.
Ainsi la piqûre de la moelle allongée, telle que nous
l'avons faite devant vous, a eu pour effet d'exciter les
fonctions de deux organes, le foie et le rein : le premier
pour fournir plus de sucre, le second pour donner da-
vantage d'urine. Cependant il ne faudrait pas croire que
ces deux phénomènes soient nécessairement liés l'un
à l'autre, de manière à se produire toujours simulta-
nément.
Vous savez que, s'il est très-ordinaire que les diabé-
tiques soient polyuriques, il se présente cependant des
cas où l'on trouve du sucre dans leurs urines sans que
la quantité de ces dernières soit augmentée; et réci-
proquement, des individus peuvent être polyuriques
sans offrir dans leursurines de traces de matière sucrée.
L'indépendance deces deux phénomènes avait déjà été
si bien constatée, que les pathologistes avaient désigné
sous le nom de polyuriques les individus chez lesquels
la sécrétion urinaire était simplement augmentée, et
sous le nom de diabétiques ceux qui présentaient cette
exagération dans la quantité des urines u nie à la pré-
sence de la matière sucrée.
ET GLÏCOSL'RIE. 347
Mais il y a encore un troisième casa ajouter aux deux
premiers, c'est celui où les urines sont chargées de
sucre sans être pour cela plus abondantes qu'à l'état
normal.
Dans nos recherches physiologiques, nous avons vu
les mêmes faits se produire. Il nous est arrivé souvent,
dans les très-nombreuses expériences que nous avons
faites, d'obtenir le passage du sucre dans les urines sans
que celles-ci soient devenuesplus abondantes ni qu'elles
aient changé d'aspect; dans d'autres cas, nous avons
eu purement et simplement une exagération de celte
sécrétion sans apparence de matière sucrée.
J'ai donc dû cherchera isoler ces deux phénomènes,
et à déterminer le point où il fallait piquer l'animal
pour produire l'un ou l'autre à volonté. D'après un
certain nombre d'expériences, voici ce que j'ai observé:
quand on pique sur la ligne médiane du plancher du
quatrième ventricule, exactement au milieu de l'espace
compris entre l'origine des nerfs acoustiques et l'origine
des nerfs pneumo-gastriques, on produit à la fois l'exa-
gération des deux sécrétions hépatique et rénale; si la
piqûre atteint un peu plus haut, on ne produit très-sou-
vent que l'augmentation dans la quantité des urines,
qui sont alors souvent chargées de matièies albumi-
noïdes; au-dessous du point précédemment signalé,
le passage du sucre seulement s'observe, et les urines
restent troubles et peu abondantes. Il nous a donc paru
qu'il pouvait y avoir possibilité de distinguer là deux
points correspondant, l'inférieur à la sécrétion du foie,
lesupérieurà celle du rein. Seulement, comme ces deux
348 POLYURIE
points sont très- rapprochés l'un de l'autre, il arrivera
le plus souvent qu'en traversant la région où ils se trou-
vent, d'une manière oblique, et c'est là le cas le plus
fréquent, on les blesse tous deux ensemble, et que l'on
produise les deux effets simultanément; de sorte que
l'animal est à la fois diabétique et polyurique.
Vous voyez donc encore, Messieurs, que h pliysio-
logie pourrait parvenir à analyser les divers symp(ômes
si obscurs de l'affection qui nous occupe, en vous ap-
prenant à séparer d'une part la présence du sucre, et de
l'autre l'abondance des urines. Il semble possible d'ar-
river à produire isolément l'un ou l'autre de ces phé-
nomènes, suivant qu'on viendrait à piquer tel ou tel
point des centres nerveux, et cela fait comprendre pour-
quoi on rencontre en pathologie des diabétiques sans
polyurie et des polyuriques sans sucre.
Après ces quelques détails sur les rapports qui exis-
tent entre la présence du sucre dans les urines et l'abon-
dance de cette sécrétion, nous revenons aux procédés
qui peuvent rendre un animal diabétique. Car ce n'est
pas seulement en piquant la moelle allongée que nous
pouvons produire ce phénomène : nous avons été con-
duit dans nos recherches à constater qu'on peut mettre
un animal dans cet état toutes les fois que ses fonctions
de la vie de relation sont supprimées, en même temps
que les fonctions purement nutritives restent intactes ;
il semble que celles-ci s'exagèrent alors d'autant plus
que les premières ont conservé moins d'action. Ainsi,
quand sur un animalon vient à éteindre les mouvements
volontaires et la sensibilité, on voit tous les organes iu-
ET GLYCOSURIE. 349
ternes, le foie, les intestins, les glandes, en un mot, tous
les viscères qui ne sont pas soumis à l'influence de la
volonté, présenter une activité plus grande que dans
l'état normal. L'énergie vitale qui a cessé pour toutes
les actions de la vie animale semble se concentrer sur
les actes purement organiques. Nous avons trouvé de-
puis quelques années qu'il existe une substance extrê-
mement précieuse pour démontrer ainsi cette indépen-
dance de la vie animale et de la vie organique; cette
substance est le curare dont les sauvages des bords de
l'Amazone se servent pour empoisonner leurs flèches,
et qui jouit de la propriété d'anéantir complètement le
système nerveux et cérébro-spinal.
Permettez-moi de vous laconter d'abord à ce sujet
une observation que j'extrais de mon journal d'expé-
riences.
Sur un gros chien, au commencement de la diges-
tion, nous avons introduit sous la peau du dos une cer
taine quantité de curare en dissolution. Au bout de dix
à douze minutes, les effets de la substance s'étaient
manifestés et la respiration était arrêtée; dès lors on
pratiqua l'insufflation artificielle avec précaution, pen-
dant deux heures et demie, en cessant seulement pen-
dant une demi-minute de temps en temps; pendani;
tout ce temps la circulation continuait parfaitement
bien, le sang était noir dans les veines, vermeil dans
les artères^ mais il devenait noir partout, dès que l'on
cessait l'insufflation.
Pendant tout ce temps il y avait abondante sécré-
tion des larmes et de la salive. Une plaie qui, depuis
350 AUTRES PROCÉDÉS POUR PRODUIRE
quelques jours, avait élé faite pour recueillir du suc
pancréatique, et qui commençait à se cicatriser, lais-
sait échapper une abondante sérosité. On examina l'u-
rine à différentes reprises sans y trouver du sucre; ce
ne fut que deux heures et demie après que l'on y con-
stata sa présence en grande quantité.
La proportion de l'urine était augmentée, et il s'en
écoula à plusieurs reprises. La contraclililé musculaire
était très-exagérée, et quand on touchait un muscle
avec la pointe d'un bistouri, on y déterminait des con-
tractions violentes.
Nous avons voulu vous rendre témoins d'une partie
de ces phénomènes.
Voici un chien sous la peau duquel nous avons
placé, environ un quart d'heure avant le commence-
ment de cette leçon, un peu de curare; au bout de
dix minutes l'animal est tombé et n'a plus donné au-
cun signe de sensibilité ni de mouvements volontaires.
Le cerveau et la moelle épinière sont comme frappés
de mort ; les actions organiques continuent néanmoins
à s'effectuer, mais comme elles ne sauraient se passer
du contact de l'air, et que les mouvements respira-
toires, qui sont sous la dépendance du système ner-
veux central, se sont anéantis avec lui, nous sommes
obligés, pour prolonger cette vie purement organique,
de maintenir les conditions extérieures de son accom-
plissement en pratiquant l'insufflation artificielle, qui
détermine l'accès de l'air dans les poimions. Avec ce
simple secours, dont vous comprenez la nécessité pu-
rement pliysique, toutes les fonctions organiques pour-
LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 3ol
ront continuer pendant fort longtemps. Le cœur ne
cesse pas de battre, la circulation n'est pas inter-
rompue, la digestion s'opère comme dans l'état nor-
mal, et les sécrétions s'effectuent. Mais, comme je
vous l'ai dit, toutes ces fonctions sont exagérées;
vous voyez en effet, sur ce chien, la salive arriver en
très-grande abondance, les larmes couler de l'angle
interne des paupières, l'urine s'épancher par suite
du regorgement de la vessie. Si la présence du sucre
dans l'organisme dépend d'une sécrétion, celle-ci ne
doit pas échapper à cette loi; et, en effet, c'est ce
qui arrive : le sucre, produit en plus grande abon-
dance, passera d'abord dans le sang qui commencera
par s'en saturer, puis enfin dans les urines, où nous
ne pourrons en constater la présence qu'environ dans
deux heures.
Gomment se produit donc ce phénomène que vous
voyez ici?
lih bien, Messieurs, ce n'est point par une excitation
directe des sécrétions que le curare agit dans cette expé-
rience, c'est en agissant sur le système nerveux. Nous
pouvons, en effet, arriver aux mêmes résultats, exa*|érer
de la même manière toutes les sécrétions, et par consé-
quent celle du sucre comme toutes les autres, en pro-
duisant un épaiichement dans le cerveau, et en dé-
terminant une apoplexie, qui fera cesser de même la
sensibilité et le mouvement volontaire. Si alors, au lieu
de laisser s'éteindre dans Taiiimal les actions organi-
ques qui ont besoin de l'oxygène pour s'accomplir,
nous pratiquons l'insufflation artificielle, nous oblien-
:^52 AUTRES PROCEDES POUR PRODUIRE
(Irons les mêmes effets, et nous aurons encore un dia-
bète artificiel.
Seulement, tandis qu'au moyen de la piqûre prati-
tiquée à l'origine des pneumo-gastriques, nous n'obte-
nions qu'une irritation locale sur le foie, dans ce cas,
comme dans l'expérience sur le curare, nous avons
une excitation générale de tous les organes glandu-
laires. •
Voici quelques-unes des expériences que nous avons
faites à ce sujet.
Un animal, jeune chien en pleine digestion, reçut
sur la tête plusieurs coups de marteau qui déterminè-
rent une fracture du crâne, avec épanchèment sous-cu-
tané et infiltration sanguine qui se manifestait jusque
sous la conjonctive ; la pupille était contractée, la sen-
sibilité de l'œil obtuse; quand on comprimait sur le
fragment du crâne brisé, l'animal tombait dans un
coma complet, qui cessait avec la compression.
L'animal fut abandonné à lui-même pendant une
heure et un quart à deux heures, il était dans un état
paralytique complet, mais la respiration continuait et
était même accélérée. Alors on coupa les deux pneumo-
gastriques dans la région moyenne du cou, et au bout
de quelques instants, la respiration se ralentit et s'ar-
rêta même tout à coup. Alors, pour empêcher la vie
de cesser, on pratiqua l'insufflation artificielle, la sali-
vation devint abondante et le liquide était filant. L'a-
nimal mourut au bout de quelque temps; à l'autopsie,
on trouva la vessie pleine d'urine contenant beaucoup
de sucre. Le sang de la jugulaire et de la carotide en
LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 3:):^
présentait également des quantités notables. 11 n'y a pas
là évidemment de substance qui puisse agir sur les sé-
crétions, c'est un effet purement traumatique qui pro-
duit le diabète artificiel. 11 pourrait se faire, à la rigueur,
qu'un épanchement se fût produit, et ait agi mécaiii-
quement comme dans les cas de diabète traumatique.
Voilà donc des diabètes occasionnés par des lésions
générales ou locales portées sur le système nerveux;
nous pouvons encore produire le même phénomène en
agissant d'une manière directesurle tissu même du foie.
M. Harlay, qui a suivi autrefois mes cours, a fait des
expériences qui consistent à injecter par un des rameaux
de la veine porte une substance irritante, telle que de
Tammoniaque étendue ou de l'éther. 11 a vu que l'in-
jection, arrivant au foie, y déterminait une excitation
locale et directe, et au bout de quelque temps il a con-
staté que le sucre apparaissait dans les urines de l'ani-
mal sur lequel il avait pratiqué ces injections.
On pourrait comprendre, de cette manière, que ces
substances irritantes pussent arriver au foie après avoir
été placées dans l'intestin et absorbées par les veines
mésaraïques, et y produire les mêmes efTets. C'est ce
que M. Lecomte a observé en empoisonnant des chiens
avec de l'azotate d'uranium. Les animaux meurent as-
sez lentement, quand la substance est prise à petites
doses, et il a constaté dans leurs urines la présence de
sucre, ce qu'on ne peut attribuer qu'à cette irritation
locale dont nous venons de parler.
C'est aux mêmes causes qu'il faut rapporter certains
diabètes produits par des contusions dans la région du
BERNARD, f. 23
354 AUTRES PROCÉDÉS POUR PRODUIRE
foie. On me citait dernièrement le cas d'un individu qui
avait reçu un coup de pied de cheval dans l'hypochon-
(!re droit, et qui, à la suite de celteb lessure, avait pré-
senté du sucre dans ses urines ; mais ce symptôme avait
disparu lorsque le malade avait été guéri de sa contu-
sion, seulement il était resté polyurique.
Ainsi, Messieurs, nous avons déjà des diabètes pro-
duits, soit par des actions portées sur le système ner-
veux, soit par des irritations locales du tissu hépatique.
Nous allons examiner d'autres cas où les mêmes symp-
tômes vont se manifester à la suite d'excitations sur
d'autres organes, et qui retentissent sympathiquement
sur le foie.
Je vous ai montré dans la dernière séance comment il
y avait solidarité d'action entre le poumon et le foie, et
comment la sécrétion glycogénique se trouvait liée avec
l'excitation apportée par l'air extérieur sur la surface
pulmonaire. Vous devez comprendre alors qu'il peut y
avoir là des causes nouvelles de diabète. Si l'excitation
du poumon est trop forte, de même que lorsqu'on ap-
plique le galvanisme sur le bout central pneumo-gas-
trjque, l'activité du foie sera augmentée, et le sucre
pourra saturer le sang et pas les urines.
M. Reynoso, qui a signalé l'apparition du sucre dans
les urines à la suite de l'inhalation de l'éther, pensait
que dans ces cas le diabète artificiel se produisait par
un défaut d'oxygénation. Au lieu de placer la cause du
phénoniène dans une suractivité vitale de la fonction
hépatique, il l'attribue à une destruction insuffisante
de la matière sucrée se produisant toujours en même
LE DIABÈTE ARTIFICIEL. 355
quantité. D'abord, relativement à l'éther et au chlore-
forme, le phénomène est complexe, [parce que, indé-
pendamment de l'action excitante sur le poumon, ces
substances agissent encore en anéantissant le système
nerveux delà vie de relation, et exaltant par cela même
les fonctions organiques, ainsi que nous venons de le
voir. En outre, comme elles entrent dans le sang, elles
peuvent agir d'une manière directe sur le tissu hépati-
que, ainsi que l'a fait M. Harlay.
Au point de vue de la théorie de la combustion consi-
dérée comme cause delà disparition du sucre, on com-
prend qu'on puisse expliquer le diabète par une gêne de
la respiration.
J'avais cru moi-même, à une certaine époque, que
les choses pouvaient se passer ainsi, et je vous ai expli-
qué dans une précédente leçon comment cela m'avait
conduit à rechercher si les fœlus où il n'y a pas oxygé-
nation du sang avaient l'urine sucrée, et comment en-
suite j'avais été forcé d'abandonner cette théorie en
présence de faits nouveaux qu'elle ne pouvait plus expli-
quer. Ce n'est pas, d'ailleurs, l'accès de l'oxygène dans
le sang qui produit la destruction du sucre, car cette
destruction en dehors des vaisseaux s'opère tout aussi
bien dans l'acide carbonique ou l'hydrogène que dans
l'air lui-même. On peut d'ailleurs gêner la respiration
en obstruant la trachée presque complètement, et main-
tenir ainsi pendant plusieurs heures des animaux dans
un état de suffocation imminente sans pour cela pro-
duire le diabète, et cependant dans ces cas l'air n'arrive
plus au poumon en quantité suffisante. Il en est de
.i:i6 AUTRES CAS
même quand on coupe lespneumo-gastriques; vous sa-
vez qu'un des effets de celte section est de rendre la
respiration laborieuse et lente, ce qui, loin d'amener du
sucre dans les urines, le fait au contraire disparaître
du foie lui-même.
C'est qu'en effet la disparition du sucre de l'orga-
nisme ne s'opère pas par une combustion, mais bien
par une fermentation qu'on ne peut arrêter qu'avec la
vie. C'est peut-être à la propriété de certaines substan-
ces telles que l'acide arsénieux, l'acide cyanhydrique,
les sels de mercure, d'arrêter les fermentations qu'il
faut attribuer l'action toxique qu'elles exercent sur l'or-
ganisme. On pourrait penser que l'élher et le chloro-
forme agissent dans le même sens, mais il n'en est
rien. Nous avons fait à ce sujet des expériences direc-
tes en ajoutant à du sang sucré une goutte d'éther ou
de chloroforme, quantité relativement bien supérieure
à celle qui peut se trouver dans l'organisme par suite
de l'inhalation, et nous avons trouvé cependant que le
sucre se détruisait tout aussi vite que sans l'addition
de ces substances.
A ce propos, je dois encore vous signaler une cause
d'erreur qui pourrait se présenter, si l'on employait le
liquide cupro-potassique seul. En efPet, ce réactif donne
une réduction abondante en présence du chloroforme
même en petite quantité : or on pourrait attribuer au
chloroforme la réaction du sucre, si l'on n'y prenait
garde. Pour se débarrasser de cette substance, le sous-
acétate de plomb est insuffisant. L'ébullition avec ou
sans le sulfate de soude parvient à faire évaporer cette
DE DIABÈTE ARTIFICIEL. 357
substance; mais ce qui vaut encore mieux, c'est le traite-
ment par le charbon animal, qui retient le chloroforme
et laisse passer le sucre quand il n'a pas été détruit.
En se plaçant toujours au point de vue du défaut de
combustion comme cause du diabète, on a recherché la
présence du sucre dans tous les cas oii les organes pul-
monaires semblaient accomplir d'une manière insuffi-
sante leur action. C'est ainsi que M. Reynoso et M. De-
chambre, se fondant sur ce que les vieillards ont le
poumon raréfié et la respiration moins active, ont dit
qu'il y avait une certaine quantité de sucre dans
leurs urines; c'est ainsi encore qu'on dit avoir
trouvé du sucre dans l'urine des épileptiques; mais
on comprend que dans toutes ces circonstances les
phénomènes sont complexes, et que, pour qu'il fût bien
prouvé que c'est l'insuffisance de la respiration qui pro-
duit le diabète, on devrait, dans tous les cas, rendre l'in-
dividu diabétique en le faisant respirer dans une atmo-
sphère appauvrie. Or, nous avons fait mourir des chiens
et des lapins dans un espace limité où l'air ne se renou-
velaitpas, et nous neles avonsjamais rendus diabétiques.
C'est encore avec celte même hypothèse que M. Rey-
noso avait voulu expliquer le diabète provenant de la
piqûre de la moelle allongée, en disant qu'il y avait une
gêne de la respiration produite par suite de la lésion de
ce point de la moelle allongée qui préside à la respira-
tion, et auquel M. Flourens a donné le nom de nœud
vital (1). La lésion de cette partie des centres nerveux
(1) Recherches expérimentales sur les propriétés et les fondions du système
nerveux. P;iris, 1843.
:5:;8 explication
réagit en effet sur les phénomènes de la respiration, et
même les arrête complètement, comme vous nous l'avez
vu pratiquer plus d'une fois quand nous tuons instanta-
nément un animal par la section du bulbe.
Nous ne pouvons pas admettre cette explication, d'a-
bord parce que la partie lésée dans notre opération n'est
pas précisément le nœud vital, elle est placée un peu
plus haut. A cette raison déjà suffisante nous pouvons
en ajouter beaucoup d'autres : ainsi les mouvements
respiratoires sont plutôt accélérés que ralentis, et quand
l'opération est bien faite, ils ne sont jamais ralentis et le
sang coule parfaitement vermeil dans le système arté-
riel; j'ai même cru remarquer qu'il était moins noir
qu'à l'ordinaire dans le système veineux.
Enfin l'expérience directe ne prouve pas qu'il y ait
moins d'acide carbonique produit chez les animaux dont
on a piqué la moelle que chez ceux auxquels on n'a
pas fait cette expérience. Voici des résultats qu'a donnés
M. de Becker à ce sujet :
Première expérience. — Sur un lapin non piqué :
Poids du lapin 0^^,730
Température ambiante -|~ 1''° c.
Acide carboniq. expiré en une heure. Os^^jOlG
Donc 1 kilogramme de lapin sain rend par heure
is, 260 00^
Deuxième expérience, — Sur des lapins non piqués :
Poids de 5 lapins 3^605
Température ambiante + 18° c.
CO^ en une heure 4g'-,o72
DU DIABÈTE ARTIFICIEL. 359
Donc 1 kilogramme de lapin sain rend par heure
1^^237C02.
Troisième expérience. — Sur un lapin piqué :
1 heure 45 minutes, commencement de l'expérience.
4 heures, les urines sont fortement sucrées.
5 heures 30 minutes, il en est de même.
Poids 1N407
Température -f 18° c.
CO^en une heure lg%8il
Donc un kilogramme de lapin piqué rend par heure
lg\ 308.
L'urine, à la fin de l'opération, est très-acide et ne
renferme plus que quelques traces de sucre.
Vous voyez donc, Messieurs, d'après tout cela, que,
pour faire l'histoire d'une maladie telle que le diabète,
on ne doit pas se fixer à une seule explication, puisque
les phénomènes physiologiques prouvent qu'on peut
pi^oduire le même symptôme d'une foule de manières
différentes, mais qui toutes cependant ont pour résultat
d'augmenter l'activité de la sécrétion du sucre dans le
foie; car nous n'avons aucun moyen d'agir sur sa des-
truction.
Cependant, Messieurs, tous ces procédés n'ont amené
jusqu'à présent que des diabètes temporaires, et nous
voulons obtenir un effet continu tel que nous le voyons
se produire chez l'homme. Nous vous avons dit de
quelle matière nous espérions arriver à ce résultat.
Une indication nous est donnée par une expéi^ience
faite devant vous et dans laquelle vous avez vu. après
la section du nerf sympathique au cou, tout le
360 DIABÈTE ARTIFICIEL PERMANENT.
côté correspondant de la tête présenter une circulation
plus active et une température plus élevée qu'à l'état
normal.
Pourrons-nous produire les mêmes effets dans le
foie? C'est ce que l'expérience directe décidera et ce
qu'il nous est impossible de prévoir maintenant, car
un problème physiologique comporte tant d'inconnues,
qu'on n'est jamais en droit d'admettre qu'une prévi-
sion, quelque fondée qu'elle paraisse, soit confirmée
par les faits. Nous avons souvent coupé les sympathi-
ques qui se rendaient à différents organes, nous avons
amené des inflammations intenses qui produisaient
une fièvre générale et se terminaient par la suppura-
tion. Ce n'est pas l'effet que nous voulons obtenir ici,
car la fonction glycogénique, loin d'être alors exagé-
rée, se trouverait complètement anéantie. Il nous faut
produire une simple excitation permanente comme
celle qui existe dans la moitié de la tête de ce lapin,,
mais sans que la santé générale soit le moins du monde
atteinte. Car si l'animal était un peu affaibli, si la plaie
que nous lui avons pratiquée l'avait rendu malade,
vous verriez aussitôt tout le côté de la tête être pris
d'inflammation et de suppuration. C'est là l'écueil que
nous cherchons à éviter en coupant les nerfs sympa-
thiques du foie.
Revenons à l'expérience qui se passe sous vos yeux.
Voilà notre animal qui a été empoisonné par le curare
et que nous continuons à insuffler. Le temps n'est pas
encore suffisant pour que nous trouvions du sucre dans
les urines, mais il y en déjà certainement dans le
DIABÈTE ARTIFICIEL. 361
sang, ainsi qu'il est facile de yous le montrer. Pour
cela nous ouvrons la veine jugulaire, et vous voyez le
jet s'échapper comme à l'ordinaire, ce qui prouve que
la circulation continue ; nous le traitons par le sulfate
de soude, et le liquide qui en résulte donne une réduc-
tion abondante avec le tartrate cupro-potassique. Voici
les urines qui coulent par la sonde, placée à demeure
dans la vessie, elles ne contiennent pas encore manifes-
tement du sucre. Mais dans la prochaine séance, nous
aurons soin de mettre sous vos yeux une expérience
commencée plus tôt.
Enfin j'ai, en terminant, à vous dire quelques mots
d'une expérience que nous avons faite sous vos yeux,
dans la dernière séance, et dont nous devions vous
montrer les résultats aujourd'hui. Nous avions coupé
les pneumo-gastriques à un chien, entre le foie et le
poumon, et nous devions vous faire voir que, contrai-
rement à ce qui a lieu quand on coupe les mômes nerfs
dans la région cervicale, le sucre continue à se sécré-
ter dans le foie. L'animal est mort des suites de cette
opération; à Tautopsie, nous avons trouvé que la veine
cave avait été piquée, et que le sang remplissait la
poitrine. Cet accident peut arriver quelquefois, et il
est bon de vous montrer ces insuccès, car vous voyez
ainsi que les personnes qui ont le plus l'habitude des
vivisections, peuvent échouer dans une expérience. Si
donc vous ne réussissiez pas du premier coup, ce ne doit
pas être, pour vous, un motif de découragement, mais
cela vous indique qu'il y a un apprentissage à faire
dans loute science, surtout dans celle des êtres vivants
362 INFLUENCE NERVEUSE SUR LE FOIE.
sur lesquels l'expérimentation sera toujours nécessaire-
ment moins facile que dans tout autre sujet. Mais je
ne veux pas que vous perdiez les résultats de cette
expérience, et nous vous la montrerons dans une des
prochaines séances.
DIX-NEUVIE>]E LEÇON
3 MARS IS55.
SOMMAIRE : Nouvelle expérience sur l'empoisonnement par le curare, et ré-
sultats de la précédente. — Expériences sur des lapins. — Apparition du
sucre dans les urines à la suite de l'intoxication par le curare. — Autres
phénomènes. — Réflexions sur la distinction entre l'excitation et l'irri-
tation. — Exemples et applications. — Perversion de la fonction glycogé-
nique. — Expériences à ce sujet. — Particularités de ces expériences. —
Production spontanée du sucre dans le foie d'un animal mort dans cer-
taines conditions. — Manuel opératoire de l'expérience. — Hypothèses sur
la production de ce phénomène. Part de l'action nerveuse. — Part de la
fermentation. — Résultats de l'expérience sur l'empoisonnement par
le curare.
Messieurs,
Dans la dernière leçon, nous avons montré des exem-
ples de diabète artificiel produit par des procédés qui
consistent à anéantir par le curare les fonctions de la
vie extérieure. Vous avez vu que sous cette influence
les sécrétions devenaient plus actives, et que le foie,
qui est lui-même un organe sécréteur, exagérait sa pro-
duction de sucre qui, dès lorSj se répandait dans le
sang et finissait, au bout d'environ deux heures, par
apparaître dans les urines. Voici celles de l'animal qui
avait été empoisonné au commencement de la séance
dernière et dont les urines n'étaient pas encore su-
crées à la fin; nous en avons recueilli une- heure
après, et vous voyez maiutenant qu'elles réduisent abon-
364 DIABÈTE ARTIFICIEL.
dammeiit le tartrate cupro-polassique. Du reste, nous
avons replacé ici sous vos yeux un autre Chien égale-
ment empoisonné par le curare depuis une heure et
demie environ; on pratique l'insufflation pour que les
fonctions organiques ne s'arrêtent pas. Nous prendrons
ses urines à la fin de cette leçon et vous verrez que le
sucre qui n'y est pas encore y aura passé alors en
grande quantité.
L'action que vousvoyez se produire sous vos yeuxchez
cet animal empoisonné, sur lequel on pratique l'insuf-
flation artificielle, ne provient pas d'une excitation du
poumon, par le fait de l'insufflation artificielle qui se-
rait transmise ensuite parlespneumo-gastriques au foie,
suivant un mécanisme analogue à celui que nous avons
décrit pour l'action de la piqûre. S'il en était ainsi,
nous n'aurions qu'une excitation locale sur le foie, et
non pas une excitation plus ou moins générale sur le
système glandulaire, comme vous le voyez chez ces
animaux soumis à l'influence du curare ou plutôt pri-
vés des fonctions de la vie de relation. Du reste, l'ob-
servation directe montre qu'il n'en est point ainsi,
comme le prouvent les résultats que nous avons ob-
tenus dans les deux expériences comparatives suivantes :
Un jeune lapin, bien portant et en digestion, eut les
deux vagues coupés dans la région moyenne du cou, les
deux filets sympathiques de communication entre les
ganglions cervicaux, furent ménagés. J'injectai alors,
sous la peau du dos, 2 centimètres cubes d'un liquide
contenant en dissolution 0^%'6 de curare dans 12 gram-
mes d'eau. Après un quart d'heure, l'animal éprouva
DIABÈTE ARTIFICIEL. 36o
les effets du poison, il s'affaissa et resta sans mouve-
ment, et il se manifesta des contractions convulsives
dans les muscles peauciers; peu à peu la respiration
baissa, et cessa complètement après une demi-heure.
C'est alors qu'on commença l'insufflation, qui se fit à
l'aide d'un tube lié sur la trachée et communiquant
avec un soufflet. Dès les premières insufflations le
lapin sembla revenir, mais il s'échappa une grande
quantité de mucosités par la trachée; bientôt les respi-
rations se rétablirent et continuèrent sans le secours
de l'insufflation ; la salive, les larmes coulaient en abon-
dance, les yeux à demi clos restaient sensibles (ce qui
n'eut pas lieu chez l'autre lapin, dont les véigues n'a-
vaient pas été coupés).
Après une heure trois quarts environ on examina
l'urine qui était devenue claire et est très-abondante;
elle contenait beaucoup de sucre. Une demi-heure
après, on reprit de l'urine qui semblait contenir moins
de sucre; les respirations, qui étaient spontanées, bais-
saient déplus en plus. On tua l'animal par hémorrha-
gie. Le sang de ses artères était parfaitement vermeil et
contenait beaucoup de sucre ; on ouvrit le ventre, et
l'on trouva les organes intestinaux gorgés de sang, les
uretères gonflés et très-irritables ; il y avait beaucoup de
sérosité dans le péritoine. Le foie, qui était pale par
suite de l'hémorrhagie, donna une décoction opaline
très-sucrée.
Un autre lapin de la même taille, de la même por-
tée, dans les mêmes conditions que le précédent, re-
çut, comme lui, sous la peau du dos, deux centime-
366 DIABÈTE ARTIFICIEL.
très cubes de la même dissolution de curare conte-
nant 0^'',0o dissous dans 12 centimètres cubes d'eau.
Après un quart d'heure le lapin éprouva les effets du
poison et tomba anéanti présentant quelques contrac-
tions inYolontaires dans les muscles peauciers; mais
pendant une heure et demie encore les mouvements
respiratoires continuèrent, après quoi ils s'éteignirent.
C'est alors quel'on commença l'insufflation artificielle.
Pendant tout ce temps il y eut sécrétion abondante de
larmes, de salive et d'urine. Après une heure et demie,
et un peu avant que la respiration fût éteinte, on exa-
mina les urines du lapin qui étaient évidemment su-
crées. Dès que la respiration fut arrêtée, pour que l'a-
nimal ne mourût pas, on pratiqua l'insufflation.
Pendant les quelques moments qu'on avait laissé l'a-
nimal sans l'insuffler, les sécrétions salivaire, lacry-
male et urinaire s'étaient ralenties, mais aussitôt qu'on
reprit l'insufflation, les sécrétions furent singulière-
ment activées; toutefois les yeux, qui étaient saillants,
devinrent complètement insensibles, ce qui n'avait pas
lieu dans les cas précédents. On cessa à dessein pen-
dant quelques instants l'insufflation, le sang devint aus-
sitôt noir dans les artères, les sécrétions diminuèrent
d'intensité et le sucre diminua lui-même dans Turine.
Aussitôt qu'on recommença l'insufflation, le sang re-
devint vermeil, circula plus activement, les sécrétions
coulèrent plus abondamment et l'urine qu'on retira
était beaucoup plus sucrée que la précédente. On ré-
péta cette expérience à différentes reprises, et chaque
fois on obtint des résultats analogues, puis enfin on
DIABÈTE ARTIFICIEL. 367
abandonna l'animal à lui-même et on le laissa mourir
d'asphyxie. Il se passa encore longtemps jusqu'au mo-
ment où la respiration fut éteinte; alors on fit son au-
topsie ; le foie contenait peu de sucre et l'urine n'en
présenta plus du tout.
Ainsi, chez ces deux lapins, outre les détails inté-
ressants que ces deux expériences renferment, elles
prouvent que l'apparition du sucre a été possible mal-
gré la section des pneumo-gastriques, puisqu'un seul
de ces animaux avait été soumis à cette opération.
Nous pourrions encore, Messieurs, vous citer bien
d'autres procédés pour produire le diahèle artificiel par
une excitation du système nerveux de la vie organique
sous l'influence duquel le foie se trouve placé. Mais il
nous suffisait de vous indiquer la multiplicité des
moyens par lesquels, en physiologie, on peut arriver
au même résultat, ce qui démontre l'union et la dépen-
dance de tous les systèmes organiques entre eux. Dans
tous les cas, il faut que le foie se trouve excité soit d'une
manière directe, soit d'une manière indirecte. Ce qu'il
est surtout important de fixer ici, et c'est là une vérité
générale qui s'appliquera à beaucoup d'autres actions
organiques et aux sécrétions en particulier, c'est que
cette excitation ne doit pas dépasser certaines limites
sous peine d'agir d'une manière inverse et de produire
la dépression ou même l'anéantissement complet des
fonctions qu'on voudrait activer.
Ainsi nous venons de voir qu'une excitation légère
portée sur le système nerveux active la sécrétion du su-
cre. Mais si l'on dépasse ces limites et surtout si l'on
:m EXCITATION, IRRITATION.
arrive à déterminer des douleurs violentes chez les ani-
maux, la sécrétion du sucre s'arrête immédiatement.
C'est ainsi que, si l'on pratique l'ouverture de la co-
lonne vertébrale pour mettre à nu la moelle épinière, on
vsit le sucre diminuer rapidement, et, si l'on fait l'au-
topsie quelques heures après, il peut arriver que le
foie ne contienne que peu de sucre ou même pas du
tout.
Si encore on asphyxie un animal lentement, les an-
goisses de l'agonie font encore disparaître le sucre.
Ceci prouve donc que les douleurs violentes, c'est-à-dire
les troubles profonds apportés dans les organes de la
vie extérieure, troublent et arrêtent les fonctions sécré-
toires organiques, et nous ne trouverons plus étonnant
dès lors que, quand nous supprimons cette cause de
trouble, c'est-à-dire la sensibilité, comme chez cet ani-
mal sous l'influence du curare, nous voyons les sécré-
tions marcher avec plus d'activité.
En appliquant d'une manière générale la proposi-
lion que nous venons d'émettre, il faut reconnaître
qu'il y a dans l'action portée sur un organe deux de-
grés entre lesquels il est difficile d'établir une limite
(ranchée, mais qui cependant doivent être distingués,
puisqu'ils produisent des effets diamétralement oppo-
sés. L'un serait \ excitation, l'autre Xirritation propre-
ment dite. Ainsi, pour vous en donner un exemple,
prenons, si vous voulez, une fonction bien connue, la
sécrétion du suc gastrique qui a été étudiée par Beau-
mont sur l'homme et par d'autres observateurs au
moyen de fistules pratiquées à l'estomac sur les ani-
EXCITATION, IRRITATION. 369
maux. Oii a vu que, quaudl'estomac était vide, et que,
par conséquent, la sécrétion du suc gastrique n'avait
pas lieu, si Ton venait à promener sur les parois sto-
macales une liaguette de verre bien polie, de façon à
agir très-doucement sur la membrane muqueuse, ou
si l'on frottait avee une éponge très-fine la muqueuse
stomacale, celle-ci devenait rouge de pâle qu'elle était
d'abord, et le suc gastrique sortait en abondance des
ijlandules qui le produisent, comme cela a lieu quand
il y a des aliments dans l'estomac. On déterminait ainsi
une simple excitation analogue à celle qui a lieu dans
Fétat normal pendant la digestion.
Mais si, au lieu d'exercer des attouchements modérés,
oi] venait à frotter rudement la paroi de l'estomac, si
ou la grattait fortement avec un corps dur et rugueux,
les choses changeaient de face; au lieu de produire
una plus grande abondance de suc gastrique, on faisail
disparaître celte sécrétion; la surface interne de l'es-
tomac devenait d'un rouge vifet ne laissait plus suinter
aucun liquide. Dans ce dernier cas, on avait déterminé
non plus une excitation, mais une irrilation véritable.
Vous voyez qu'il en est tout autrement dans l'or. Ire
physiologique que dans l'ordre mécanique abstrait,
qu'à une force double ne correspond pas toujours un
résultat proportionnel. Il y a dans tous ces phénomènes
des limites dans lesquelles l'accroissement de l'action
correspond à une augmenlation du résultat; mais, la
limite dépassée, le rapport devient inverse, et l'ac-
croissement de l'action produit un effet d'autaut moin-
dre. Ajoutons que ces limites elles-mêmes peuvent en-
BERNARD. [. 2 4
370 EXCITATION, IRRITATION.
core changer, car la quantité d'action qu'il faut
produire pour déterminer une excitation ou une irri-
tation est extrêmement variable, non-seulement entre
des individus différents, mais aussi pour le même in-
dividu pris à différentes époques de sa vie et dans des
conditions de santé diverses.
Ce n'est pas seulement dans les phénomènes vitaux
par excellence dans lesquels intervient le système ner-
veux, qu'on observe de semblables effets ; on en con-
state aussi d'analogues dans certaines actions chimiques
des liquides organiques; toutes les fermentations sont
dans ce cas. La température, jusqu'à un certain degré,
augmente leur action et, passé cette limite, l'activité
diminue. Ainsi l'action du suc gastrique, qui se rap-
proche de celle des ferments, commence à agir vers
17 degrés, atteint son summum d'énergie à 35 à 40'',
diminue vers 45 à 50° et s'éteint complètement à une
température plus élevée.
Enfin, Messieurs, pour étendre la proposition que
nous venons d'énoncer, nous pourrions lui trouver des
analogues en dehors de l'organisme : tel est, parmi un
grand nombre d'autres, le fait bien connu du sulfate de
soude qui ne se dissout pas en raison directe de la tem-
pérature et atteint son maximum dcvsolubilité à 40%7.
Vous voyez. Messieurs, que nous saisissons à dessein
toutes les occasions de vous montrer combien les phé-
nomènes delà vie sont complexes et combien il faut re-
doubler de soins dans l'analyse physiologique; c'est
seulement dans cette vue que nous nous sommes per-
mis la petite digression que nous venons de faire.
PERVERSION DE LA GLYCOGÉNIE. 371
Actuellement, nous avons à examiner l'influence que
le système nerveux peut exercer pour pervertir la fonc-
tion glycogénique. Voici, à ce sujet, le fait extrême-
ment intéressant, au point de vue chimique, auquel
j'ai été conduit en faisant des expériences sur le grand
sympathique. Je recherchais quelle était l'influence
de la section de la moelle épinière sur les fonctions du
foie, et j'ai vu que, si l'on coupait la moelle daus la ré-
gion du dos, au-dessous du renflement brachial, la
sécrétion du sucre était constamment arrêtée, de sorte
qu'au bout de vingt-quatre à trente-six heures on n'en
trouvait plus du tout dans le tissu hépatique. Mais si
l'on coupe la moelle un peu plus haut, au-dessus du
renflement brachial et au-dessous de l'origine des nerfs
diaphiagmatiques, qu'on tue l'animal le lendemain,
on observe alors un phénomène très-singulier : au mo-
ment même où l'on extrait le foie du corps de l'aninic)!
qu'on vient de sacrifier, si l'on traite une partie de cet
organe par les moyens ordinaires pour y reconnaître la
présence du sucre, c'est-à-dire si l'on en fait une dé-
coction, on voit que le tartrate cupro-potassique et Ions
les réactifs ordinaires du sucre du foie ne décèlenl [wis
la présence de cette matière dans le liquide de décoc-
tion. On peut démontrer aussi par les moyens ordi-
naires qu'il n'y a pas non plus dans le liquide du sucre
delà première espèce; mais si on laisse l'autre partie
du fuie sur une assiette, abandonnée à l'air extérieur, et
qu'au bout de cinq à six heures on traite de nouveau le
tissu de la même manière, on le trouvera chargé de
matière sucrée.
372 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
Ainsi, au moment de la mort de l'animal, le sucre
était masqué dans le foie, ou bien la transformation
delà substance qui lui donne naissance était sur le
point de s'accomplir et se trouvait seulement arrêtée
par l'opération qu'on avait fait subir à l'animal. Il sem-
blerait donc qu'il y ait ici une matière susceptible de
se transformer en sucre, comme dans le règne végétal,
où le sucre n'arrive que comme une des modifications
de l'amidon et de la dextrine. Dans le foie, nous savons
maintenant que ce sont les matières albumineuses qui
donnent naissance au sucre; seulement il s'agira plus
tard de rechercher si entre cette matière albumineuse
et le sucre il n'y a pas d'autres produits intermédiaires
qui se forment, de même que la dextrine, entre l'ami-
don et le glucose.
Avant d'entrer dans l'examen de cette question de
chimie vitale, nous avons à vous dire comment se
pratique l'expérience, et quels sont les trajets par les-
quels passe l'action nerveuse. Vuici àce sujet quelques-
unes de nos observations :
Une lapine pleine eut, à neuf heures du matin, la
moelle épinière coupée immédiatement au-dessus du
renflement brachial. Au moment de l'opération, la
respiration était accélérée; bientôt ensuite elle cessa.
L'animal se refroidit, comme cela a toujours lieu
dans des circonstances pareilles. Revu h quatre heures
du soir, l'animal n'était pas mort, mais il était para-
lysé de tout le train postérieur au-dessous de la section,
et il présentait des mouvements réflexes excessivement
énergiques dans les membres postérieurs. Seulement,
SUR LA (iLYCOfjKMK. Tii
il avait rendu une quantité énorme d'excréments, et il
on rendait continuellement, en faisant des mouvements
continuels de sa queue. On voyait même parfois des
mouvements péristaltiques violents de l'intestin à tra-
vers la peau. A ce moment, c'est-à-dire sept heures
après la section à la moelle, l'animal fut tué par la sec-
tion du bulbe rachidien ; on l'ouvrit, et l'on constata
que toutes les parties intérieures du corps avaient une
contractilité extrêmement vive; le cœur ballit très-
longtemps et ses propriétés semblaient avoir quelque
rapport avec celte irritabilité intense qu'on observe
chez les animaux à sang froid.
On prit alors un morceau du foie, on le broya avec
de l'eau, on le sépara en deux parlies, l'une que l'on fit
cuire, l'autre qu'on abandonnna à elle-même dans une
éprouvette, de façon qu'il y avait une partie du liquide
rougeâtre qui surnageait et que le tissu hépatique tom-
bait au fond. A ce moment, les liquides ne réduisaient
pas sensiblement le réactif cupro-potassique; la décoc-
tion présentait une teinte opaline et était neutre ou lé-
gèrement alcaline.
On prit encore à ce moment la densité du liquide
rougeâtre surnageant au-dessus du tissu du foie non
soumis à l'ébullition ; cela fait, on abandonna ces deux
dissolutions précédentes, ain;?i que la partie du foie qui
n'avait pas été employée à une température de 12 à 15
degrés centigrades. Le lendemain, on fit cuire dans
l'eau une troisième portion du foie abandonnée à elle-
même depuis la veille; cette décoction, faite dans les
mêmes conditions que la précédente, donnait unedin-^
374 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIF.RK
silé plus grande, elle élait moins opaline, mais elle ré-
duisait le liquide cupro-potassiqueavec une Irès-grande
énergie. On mit comparativement dans deux tubes à
fermentation, avec de la levure de bière, les deux dé-
codions hépatiques, V celle de la veille réduisant à
peine le tartrate cupro-polassique, 2" celle du lende-
main réduisant abondamment le réaclif. Cette dernière
donna lieu à un dégagement d'une grande quantité d'a-
cide carbonique, tandis qu'il ne se forma dans l'autre
que quelques bulles de gaz.
Cependant, pensant que peut-être le foie n'était pas
en' ore arrivé à son état de plus grande saturation de
matière sucrée, je pris un même poids de foie dans une
même quantité d'eau que précédemment, et, après
l'avoir fait bouillir, je laissai digérer sur les cendres
chaudes pendant trois ou quatre heures, entre 40 et
50 degrés; après quoi, je portai le mélange à l'ébulli-
lion. Je constatai que la quantité de sucre avait évi-
demment augmenté.
Ledensimètre, qui marquait 5 la veille, marquait 15
le lendemain, dans la même dissolution qui, avec le
réactif, donnait alors une réduction excessivement abon-
dante.
On voit ainsi que, en exposant du tissu du foie broyé
dans de l'eau à une température de 40 à 50 degrés
cent., on active singulièrement le retour de la matière
sucrée ; c'est là ce qui explique comment il peut se faire
qu'il apparaisse un peu de sucre quant on fait cuire
un liquide pendant que celui-ci arrive à l'ébullition. Il
jljerait plus convenable, pour arrêter immédiatement
SUR LA GLYGOGÉNIE ANIMALE. 375
cet effet, de plonger le Ibie dans l'eau bouillante, pour
ne pas passer par une température intermédiaire pou-
vant déterminer la production d'une certaine quantité
de sucre qui ne se serait pas développé sans cela.
Comme détail intéressant de l'expérience, nous avons
observé que la décoction aqueuse du foie, qui élait très-
opaline au moment de la mort de l'animal, lorsque le
foie ne contenait pas de sucre, élait devenue moins opa-
que le lendemain, quand il y avait déjà beaucoup de
sucre formé, et enfin élait devenue tout à fait limpide
dans la portion que nous avions soumise à la chaleur
et qui contenait une très-grande proportion de matières
sucrées.
Une autre particularité très-curieuse, c'est que, en
même temps que ces décoctions du foie changent d'as-
pect, et que la quantité de sucre qui s'y forme devient
plus considérable, la réaction du liquide change de na-
ture. La première décoction hépatique, qui était lou-
che lorsqu'elle était faite au moment de la mort, quand
le foie ne contenait pas encore de sucre, était très-
manifestement alcaline le lendemain quand la décoc-
tion, devenue plus sucrée, était déjà très-légèrement
acide; enfin la troisième décoction, placée pendant
quelques instants de 3o à 40 degrés, avait une réaction
acide très-manifeste.
Nous avons répété différentes fois cette expérience,
toujours avec le même résultat; seulement ces phéno-
mènes peuvent se manifester avec plus ou moins d'in-
tensité, suivant que la température ambiante est plus
ou moins élevée, ou suivant d'autres circonstances dont
370 INFLIENCK DE LA MOELLE ÉPI>ilÈRE
il 1:0ns est difficile d'apprécier aclueliement les diver-
ses condilions.
Mais cette expérience, qui est une des plus impor-
tantes, devra, comme c'est notre habitude, être répefée
devant \ous.
Voici un lapin adulte dans un état de parfaite sanlé,
sur lequel nous faisons la section de la moelle épiiiière
immédiatement au-dessus du renflement brachial et
au-dessous cependant de l'origine des nerfs diaphrau-
matiques. Pour cela, nous suivons du doigt les apo-
physes épineuses des vertèbres du dos, en remontant
vers le cou, et nous arrivons ainsi au niveau de la der-
nière vertèbre cervicale où s'insère le ligament cervical
postérieur. La colonne vertébrale présente ici une in-
flexion vers la partie aniérieure, en même temps que
les apophyses épineuses deviennent moins saillantes,
de telle façon qu'il est presque impossible de sentir en
cet endroit, à travers les parties molles, les apophyses
épineuses, qui sont très-profondément situées. C'est en
ce point qu'il faut plonger l'instrument, et là on se
trouve silué à peu près entre la sixième et la septième
vertèbre cervicale. L'instrument que nous employons
est une espèce de pointe en fer de lance assez solide,
comme vous le voyez ici.
En même temps que nous introduisons l'instrunienl
entre deux vertèbres, nous infléchissons fortemeni,
comme vous le voyez, la lêle de l'animal, pour rendre
plus considérable Técartement entre les lames verté-
brales. Nous coupons ainsi transversalement la moelle,
et vous voyez qu'au momenl où nous faisons cette sec-
SIR LA GLYCOGÉM!-:. 377
tion, il y a des soubresauts convulsifs dans le tronc,
au-dessous de la section. Actuellement que l'opération
est faite, vous voyez l'animal complètement paralysé,
mais ses respirations ne sont pas abolies, elles sont
même accélérées; seulement vous pouvez remarquer
que les mouvements respiratoires se font surtout pai'
l'abdomen, car les muscles de la poitrine ne reçoivent
plus l'influence nerveuse.
Malgré la section de la moelle faite au-dessus de
l'origine du plexus cervical, ce lapin pourrait vivre à
la rigueur deux jours dans cet état, surtout si l'on
avait soin de le maintenir dans un endroit chaud.
Mais, quoi qu'il en soit, bientôt nous verrons les
respirations diminuer en nombre et en intensité; l'a-
nimal se refroidira en même temps que les mouvements
réflexes qu'on pourra produire dans son tronc devien-
dront plus faciles à exciter. Cette excitabilité se mani-
festera même sur les organes intérieurs, car on obser-
vera des mouvements périst;iltiques très-actifs dans les
intestins, qui seront suivis d'une défécation presque
continuelle.
Il faut avoir soin de ne pas attendre que l'animal soit
mort, parce que alors cette transformation, que nous
avons vue s'effectuer quand on a retiré le foie du corps,
pourrait commencer iiprès la mort, et nous trouverions
alors le foie sucré comme s'il eut été placé en dehors
de l'organisme. C'est en général au bout de huit à dix
heures qu'il est convenable de sacrifier les animaux,
parce qu'alors le sucre contenu dans leur foie a eu le
temps de disparaître pour être remplacé par cette ma-
378 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
lière que uous ne connaissons pas encore, mais qui su-
bil la transformation glycosique.
Que s'est-il passé dans cette expérience, et comment
pouvons-nous comprendi eanatomiquement l'influence
si différente qu'exerce la section de la moelle épinière
sur le foie; car nous avons dit que la section de la
moelle au-dessous du renflement brachial produit pu-
rement et simplement la disparition du sucre dans le
foie, tandis que celte même section au-dessus de ce
même renflement a pour effet d'opérer une perversion
dans la fonction glycogénique? Dans ce cas, Messieurs,
il faut voir là une action particulière du renflement
brachial de la moelle agissant sur le foie comme un
véritable centre nerveux.
On sait déj.à que cette portion de la moelle épinière
joue le rôle d*un centre relativement à la portion cé-
plialique du grand sympathique. Si, par exemple, on
g.ilvanise cette partie de la moelle, on voit que la pu-
pille se dilate absolument comme quand on opère sur
le filet cervical du grand sympathique lui-même, de
sorte que cette action qu'on produit sur la pupille
émane en réalité de cette portion de la moelle épinière
dont les filets sympathiques ne doivent être considérés
que comme les conducteurs.
Nous pensons que dans le cas de notre opération le
foie reçoit également par des filets du grand sym-
pathii|ue provenant de celte région de la moelle
une influence spéciale. Quand nous avons en-
levé préalablement, dans certains cas, le ganglion
cervical inférieur et le premier thoracique, nous
SLR LA GLYCOGÉME. 379
n'avons pas alors observé ces effets se produire.
Si l'on voulait analyser le phénomène plus profon-
dément et rechercher comment il peut se faire que sous
Tinfluence de celte action nerveuse, quelle que soit sa
source, nous obtenons une perversion et une espèce
d'arrêt dans le développement de la matière glycogé-
nique, on arriverait à conclure qu'il se forme là une
substance intermédiaire qui se change ensuite sous nos
yeux en matière sucrée par un mécanisme analogue à
celui des fermentations. Nous avons vu, en effet, que,
lorsqu'on fait bouillir le foie, on empêchait celte ac-
tion de se produire, tandis que, lorsqu'on n'avait pas
coagulé les matières organiques par l'ébullition, cette
matière se développait d'autant plus rapidement que la
température était plus élevée en ne dépassant pas tou-
tefois certaines limites.
Peut-on supposer que, par suite de la section de la
moelle épinière, l'action nerveuse ait été diminuée au
point de permettre seulement une transformation par-
tielle ou incomplète de la matière albuminoïde primi-
tive? Ou bien doit- on penser, et c'est à cette dernière
hypothèse que je m'arrêterais volontiers, que l'action
nerveuse sur le foie s'exerce toujours, qu'elle y est
même exagérée, mais que seulement la température de
l'animal s'abaissant, la fermentation de la matière su-
crée ne peut plus avoir lieu pour opérer la formation
complète de la matière sucrée? Cette supposition se
trouve appuyée par ce fait, que l'apparition du sucre
est d'autant plus rapide quand on extrait le foie de
l'animal, qu'on l'expose à une température plus éle-
^RO l'EHVERSION DE LA GLYCOGÉNIE.
Aéo; (le telle sorte que nous devrions en définitive con-
sidérer le système nerveux comme agissant pour pré-
parer une matière autre que le sucre, mais pouvant se
transformer en cette substance sous l'influence d'une
fermentation pure et simple qui aurait lieu dans le
foie.
Nous vous donnerons dans \a prochaine séance plus
de développement sur l'explication de cette expérience,
une des plus intéressantes au point de vue de l'influence
que le système nerveux peut exercer sur les actions
chimiques.
Nous rapprochons ces phénomènes d'autres faits
que nous avons découverts cette année, et dont nous
avons déjà dit quelques mots. Ce sont ces transforma-
tions de matières albuminoïdes en matières sucrées,
qui s'opèrent chez les fœtus dans certains états de la
vie embryonnaire et en coïncidence avec le développe-
ment des tissus. Plus tard, dans l'état adulte, les tissus
cessent d'être le siège de ces phénomènes, et c'est le
foie qui désormais devient le seul point de l'organisme
où se localisent ces productions sucrées, en rapport
avec le développement des éléments nécessaires à la ré-
novation des tissus.
Maintenant, revenons, en terminant, sur l'animal
empoisonné par le curare qui est devant vous, et qui
ne diffère de celui que je vous ai déjà montré dans la
séance précédente, qu'en ce qu'il est à jeun, tandis que
l'autre était en digestion. Vous voyez que toutes ses
fonctions nutritives sont exagérées, et ses sécrétions se
produisent en abondance. Nous lui avons placé des
DIABÈTE ARTIFICIEL. 381
tubes dans les conduits de diverses glandes, dans le
conduit de la parotide et de la sous-maxillaire. Les li-
quides qui en coulent sont aussi abondants que si les
organes masticateurs fonctionnaient, ou que si l'on avait
placé du vinaigre sur la muqueuse buccale; mais il y
a, en outre, le fait singulier que ces deux glandes ne
sont pas également excitées. Vous pouvez voir, en effet,
que la gl:mde sous-maxillaire fournil une quantité de
liquide bien plus abondante que la parotide, ce qui
lient peut-être à ce qu'elle reçoit une plus grande quan-
tité de nerfs ganglionnaires, et qu'elle se trouve liée
ainsi d'une manière bien plus intime à l'action du sys-
tème sympathique. Sa sécrétion est, en effet, trois ou
quatre fois plus considérable que la sécrétion paioli-
dienne. Remarquez aussi, en passant, la différence qui
existe entre les deux liquides : celui de la parotide est
fluide comme de l'eau, celui de la sous-maxillaire est
niant et visqueux; il en est de mêmeàl'élat normal. Les
actions nutritives ne sont nullement interrompues et
c'est encore là un exemple de leur indépendance vis-
à-vis du système nerveux de la vie de relation. Quant
aux urines que l'on vient de recueillir, vous voyez, h
l'abondance de la réduction qu'elles déterminent dans
le liquide cupro-potassique, qu'elles sont extrêmement
sucrées.
VINGTIEME LEÇON
6 MARS 1855.
SOMMAIRE : Expéricncps sur des lapins auxquels on coupe la moelle épi-
nière au-dessus du renflement brachial. — Phénomènes singuliers produits
sur le foie. — Hypothèses sur ces phénomènes. — Découverte de la pro-
duction de la matière sucrée dans les muscles et dans les poumons
du fœtus. — Acide lactique. Moyens d'obtenir ce sucre du fœtus à une tem-
pérature basse. — Procédé pour obtenir l'acide lactique. — Tous les tissus
de l'embryon ne dorment pas du sucre. — Le sucre se forme aux dépens
d'une matière albumineuse insoluble. — Preuves physiologiques. —
Preuves chimiques. — Découverte de Lehmann, qui transforme l'héma-
tine en sucre.
Messieurs,
Nous allons entrer aujourd'hui dans le mécanisme
intime de la formation du sucre dans le foie. Vous vous
rappelez que nous avons fait, dans la dernière séance,
une expérience fort singulière, et qui doit servir à nous
guider clans cette voie. INous avons coupé la moelle
à deux lapins, à deux hauteurs différentes, et nous
avons vu que, quand on opérait la section au -dessus
du renflement brachial, ce qui se fait en plongeant
l'instrument entre la sixième et la septième vertèbre
cervicale, à peu près entre lesomiTiet des deux épaules,
on produisait dans le foie une moditication toute parti-
culière, une sorte de perversion de la sécrétion, ou
plutôt un véritable arrêt dans la série des transforma-
tions qui s'opèrent dans le foie pour changer en suer
PERVERSION DE LA GLYCOGÉNIE. :i^:i
les nialières albuiuinoïdes du ?ang. Quand on coupe la
moelle en ce point, le sucre disparaît bien du foie, mais
il y reparaît bientôt comme s'il élait, pour ainsi dire, à
l'état latent. Voici le lapin auquel nous avons fait l'o-
pération ci-dessus indiquée dans la séance précédente,
et que nous avons tué le lendemain. Au moment de la
mort il ne présentait pas d'indice de sucre dans sou
foie. Voici, en effet, la décoction d'une partie de cet
organe faite au moment même de l'autopsie; elle ne
contient pas la moindre trace de matière sucrée. Si,
maintenant, nous reprenons l'autre portion deceméme
foie qui a été abandonnée à elle-même et qu'on en fasse
une décoction, vous verrez qu'elle contient maintenant
énormément de matière sucrée.
Si, ayant pris le tissu du foie de ce même animal au
moment de sa mort, on l'avait broyé avec de l'eau ordi-
naire, puis qu'on eût filtré ce mélange, le liquide qui
aurait passé n'eût décelé, par aucun des moyens physi-
ques, ou des reactifs chimiques, la présence du sucre.
Observé au densimètre, on eût trouvé sa densité égale
à peu près à celle de l'eau ; mais, en examinant deux
jours après ce même liquide abandonné à lui-même,
on lui trouvera alors tous les caraclères d'une dissolu-
tion fortement sucrée, et sa densité aura considérable-
ment augmenté.
Si, au contraire, on fait la section de la moelle au-
dessous du renflement brachial, comme nous l'avoi's
pratiquée sur un deuxième lapin, ces mêmes phéuc-
mènes n'ont plus lieu, le sucre disparaît du foie, mais
il n'est plus susceptible d'y revenir quand onabandoi ne
:^.S4 INFLUENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
l'organe à lui-même comme dans le cas précédent. Vous
voyez aussi que l'aspect du foie est bien différent ; il
est plus ratatiné, sa couleur est d'un brun foncé, et
enfin il ne contient pas la moindre trace de sucre, bien
qu'il Y ait un temps suffisant entre le moment de sa
morl, qui a eu lieu il y a six lieures environ, et celui
où nous l'examinons, pour que cette substance ait eu le
temps de se manifester si elle devait le faire. Si l'on
examine ultérieurement ce foie, et en le mettant dans
toutes les conditions pour que le sucre revienne, il n'y
reparaîtra pas.
Ce fait de la production dans un organe d'une ma-
tière qui n'y existait pas d'abord, mais qui s'y est dé-
veloppée par une sorte de fermentation, est certai-
nement l'un des plus étonnants au point de vue des
phénomènes chimiques qui s'accomplissent dans l'or-
ganisme.
Nos connaissances actuelles sur les décompositions
des matières animales ne peuvent nous expliquer cette
production du sucre, et ces questions pbysiologiques
étant entièrement neuves, nous sommes obligé de faire
des hypothèses afin de solliciter des expérimentations
nouvellesqui pounont nousconduire un peu plusluin.
11 en est toujours ainsi quand on se trouve en pi'ésence
d'un fait nouveau, extraordinaire, qui ne se rattache à
rien de connu. On ne peut faire alors que des hypo-
thèses, avec ]a précaution seulement de les instituer
de telle sorte qu'elles soient toujours véritlables par
une expérimentation dirigée dans cette vue. Comme
ces liypothèses ne sont que des moyens directeurs, peu
SUR LA GLYCOGÉME. 3,85
nous importe que le résultat de l'expérimenfation les
confirme on non. Nous ne devrons jamais conserver
que les faits nouveaux que ces hypothèses nous auront
fait découvrir. C'est précisément ici le cas qui se pré-
sente. D^s lors, donc, deux hypothèses sont possibles.
On peut supposer qu'en coupant la moelle au-dessus du
reiiflement brachial, ce qui réduit ce renflement à agir
comme un centre, par l'intermédiaire du grand sympa-
thique, sur le foie et indépendant du cerveau, on di-
minue l'influence nerveuse qui arrive au foie. Par suite
de cette diminulion de l'activité nerveuse, la fonction
glycogénique serait enrayée, et les transformations qui
doivent finalement donner du sucre seraient arrêtées
dans un état intermédiaire ; car il est probable qu'entre
la matière albuminoïde, qui donne naissance au sucre,
et ce dernier produit, il y a une série de passages suc-
cessifs, qui nous sont encore inconnus.
Voici une première hypothèse ; mais elle devient peu
probable, lorsqu'on examine ce qui se passe chez l'a-
nimal vivant auquel on fait la section de la moelle
au-dessus du renflement brachial. On ne voit pas, en
effet, que Taction nerveuse soit diminuée; elle parait
au contraire exaltée. Quand on ouvre le ventre de cet
animal, on trouve dans cette région une circulation
plus active, les urines se sécrètent plus abondamment
que dans l'état normal, les muscles sont plus excita-
bles, et les actions réflexes ont une très-grande énergie.
Ces propriétés persistent après la mort bien plus long-
temps que chez les animaux qu'on aurait tués brusque-
ment sans être dans ces coïKiition^.
BLUNAKD. I. 2 5
8 6 INFLCENCE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
Il semlile que celte section de lamoelle ait déterminé
ici une excitabilité musculaire et nerveuse beaucoup
plus persistante, et jusqu'à uncerlain [)oint analogue à
ce qui a lieu chez les animaux à sang froid.
Mais si les fonctions du système nerveux ne parais-
sent pas diminuer, si les sécrétions semblent s'accom-
plir plus énergiquement qu'à l'ordinaire, il n'y en a
pas moins simullanément, et d'uue manière conslaiite,
un abaissement de température notable. Ce dernier
fait peut devenir à son lour la source d'une deuxième
hypothèse plus probable que la piemière. Cetle nou-
velle hypothèse consisterait à dire que h s transforma-
tions qui se font dans le foie ont besoin, non- seulement
de l'influence nerveuse, mais aussi d une température
suffisante, et que la température de Tanimal que vous
avez sons les yeux n'étant plus que de 24 degrés au mo-
ment où nous l'avons sacrifié, n'e^t pas suffisante pour
l'accomplissement des phénomènes en question. Vous
savez, en effet, que les actions vitales chimiques ne peu-
vent se passer d'une certaine quantité de chaleur, et
que, chez les animaux à température variable, elles s'ar-
rêtent quand le refroidissement est arrivé à un certain
point, bien que l'excitabilité nerveuse paraisse alors
plus intense, comme cela se passe justement sur nos
lapins auxquels nous avons coupé la moelle épinière.
il peut en être de même pour la fonction glycogénique :
la température à laquelle l'animal se trouve descendu
peut n'être plus suffisante pour déterminer la série des
transformations qui donnent finalement du sucre ; et
ce qui prouve que la chaleur favorise celte formation.
SUR LA GLYCOGÉME. 387
c'est que si, après avoir enlevé le foie ainsi modifié, on
l'expose à une température assez élevée, on voit bientôt
le sucre apparaître dans le tissu. Il en serait probable-
ment de même si, sans extraire l'organe hépatique, on
plaçait l'animal dans un milieu où sa température nor-
male, qui est de 37 à 40 degrés, se trouverait main^
tenue sans amener de refroidissement. Si, au coiitiaire,
on exposait le foie à une basse température, le sucre ne
s'y formerait que très-lentement. Ainsi le sucre sem-
ble réapparaiti'e dans le foie sous les mêmes influences
qui font que les fermenlations se développent. Car si,
d'un autre côté, on jetait le foie dans l'eau bouillante
après son extraction du corps de l'animal, les matières
albuminoïdes se trouvant coagulées, la fermentation
ne pourrait plus avoir lieu et le foie ne serait plus sus-
ceptible de devenir sucré.
Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, qui n'ont pour
nous, comme vous le savez^ qu'une valeur tout à fait
secondaire,, nous nous trouvons en présence d'un fait
nouveau très-extraordinaire et très-obscur. Pour jeter
quelque lumière dans cette question, nous avons à re-
chercher autour de nous si nous ne trouverions pas, dans
les animaux, d'autres exeii pies de phénomènes analo-
gues et d'autres cas dans lesquels il se formerait une
matière sucrée aux dépens d'une substance animale et
par le moyen d'une fermentation semblable. Nous
avons trouvé des conditions dans lesquelles des phéno-
mènes tout à fait analogues ont lieu, et dans lesquelles
on voit des njatièn^s organi(|ues fermenter et donner
naissance à des principes sucrés. C'est une découverte
388 GLYGOGÉiNIE FŒTALE.
que nous pouvons rapprocher (Je celle que nous venons
devons signaler àpiopos du foie, et nous aurons encore
par là une démonstration nouvelle de cette proposition
que nous avons établie, à savoir, que le sucre n'est pas
une production d'origine exclusivement végétale, mais
qu'il se développe aussi dans les animaux, et qu'il n'y
a pas, sous ce rapport, entre les deux règnes, cette dis-
tinction si tranchée qu'on s'était cru fondé à y voir.
Nous vous avons déjà dit quelques mots sur les phé-
nomènes qui se passent chez le fœtus pendant les pre-
miers temps de la vie embryonnaire, avant que la fonc-
tion du foie soit établie.
C'est dans celle période qui précède Tapparition du
sucre dans le foie que nous voyons des fermentations
glycosiques se montrer dans divers tissus.
Vous vous rappelez sans doute qu'en étudiant les
phénomènes chimiques qui accompagnent le dévelop-
pement de l'embryon, j'avais été conduit à voir que,
quand on abandonne h eux-mêmes des muscles et des
poumons dans des conditions de température convena-
bles, on voit que ces tissus musculaire et pulmonaire
deviennent très-acides, tandis que les mêmes tissus pris
sur un animal adulte fournissaient facilement des pro-
duits ammoniacaux très-alcalins. Cette acidité me pa-
raissait être due à de l'acide lactique .
Voici en effet cet acide et des sels cristallisés qu'il
forme avec le cuivre, le zinc et la chaux, et dont la
préparation a été faite par M. Leconle.
Ulc fois l'acide lactique bien constaté, nous devions
naturellement penser, d'après les connaissances chimi-
GLYCOGÉME FŒTALE. ^^^
ques actuelles, qu'il décrivait du sucre, car nous sa-
vions que l'un des moyens de l'obtenir consiste à met-
tre en présence, à une douce chaleur, du sucre et des
matières albuminoïdes. Il y avait lieu de se demander
alors si les fermentations spontanées que nous voyons
s'opérer sous nos yeux, et qui aboutissent à la forma-
tion d'acide lactique, ne présenteraient pas comme in-
termédiaire la production d'une matière sucrée. C'est
en effet ce qui a lieu : nous avons extrait de ces mus-
cles du sucre ayant tous les caractères du glucose, et
se transformant, sous l'intluence de la levure, en acide
carbonique et en alcool, dont voici un échantillon très-
concentré.
Ces expériences sont très-simples à faire et à répé-
ter; il suffit d'aller prendre dans les abattoirs des fœtus
de veaux qui y. sont en grande abondance, de séparer
leurs poumons et leurs muscles, de les laver et d'y
ajouter de l'eau en proportion telle que les tissus soient
complètement immergés.
Mais quand la température est élevée, la fermenta-
tion marche si vite et arrive si rapidement à la produc-
tion d'acide lactique, qu'il est très-difficile de saisir
l'intermédiaire sucré par lequel elle passe. C'est ce qui
nous arrivait l'été dernier, lorsque nous commençâmes
ces recherches.
11 fallait trouver un moyen pour faire que la fermen-
tation n'allât pas si vite et que le sucre pût s'accumuler
sans se détruire aussitôt après sa formation. Nous avons
pour cela employé diverses substances, et celle à la-
quelle nous nous sommes arrêté est l'alcool. Au lieu
390 GLYCOGÉNIE FŒTALE.
donc (Je laisser biigiier les muscles et les poumons de
nos fœtus dans Teau pure, nous les placions dans de
l'eau additionnée d'un tiers ou d'un quart d'alcool. Le
liquide, dans ces conditions, se charge de sucre qu'on
y voit apparaître dès le lendemain.
L'accès de l'air est un des plus puissants agents de
ces fermentations, et il est convenable de tenir ces
produits dans des flacons bouchés où il n'y ait pas un
trop grand renouvellemerit d'air, surtout si la tempéra-
ture se trouve élevée; ou voit alors, quand on recu(iile
l'air resté emprisonné dans le flacon en contact avec la
matière en fermenlation, qu'il y a eu disparition de
l'oxygène et formation d'acide carbonique. Ce gaz ne
peut pas provenir de la fermentation laclique, qui con-
siste simplement dans la fixation d'un équivalent d'eau
sur le sucre. Provienl-il de la fermentation glycosique
aux dépens de la matière organique? C'est ce que nous
ne pouvons pas déterminer encore.
Voici, par exemple, un morceau de muscles de fœtus
dans de l'eau alcoolisée. Si je prends le liquide de ma-
cération, si j'y ajoute du tartratecuprc-potassiqueelsije
fais bouillir, vous voyez une réduction extrêmement
abondante vous accuser l'existence de la matière sucrée.
On peut concentrer ce liquide en lévaporant à sec,
reprenant par l'eau ; puis eu retirer le sucre et en ob-
tenir finalement, par la levure, de l'alcool et de l'acide
carbonique au moyen du dédoublement que vous con-
naissez tous.
Mais il faut toujours éviter toutes les objections, et
Ton pourrait dire que l'alcool que nous obtenons pro-
GLYGOGÉNIE FŒTALE. 391
vient de celui que nous avons employé et qui est resté
d'une manière quelconque fixé sur les substances or-
ganiques en contact desquelles on l'a mis. Cette objec-
tion n'est pas sérieuse, car nous avons toujours fait
évaporer l'alcool que nous avons employé; elle porte-
rait au même litre sur les analyses des chimistes qui
ont constaté ainsi dans le sang la présence du sucre.
Nous avons cherché cependant à nous mettre en garde
contre celte objection, et, pour cela, nous avons vu
qu'il sufiisait de placer les tissus dans l'eau pure dans
des conditions de température assez basse, pour que la
fermentation glycosique pût s'opérer sans qu'elle fût
immédiatement suivie de la fermentation lactique. De
celte façon nous avons pu obtenir du sucre reconnais-
sabie à tous ses caractères. Ce sucre fournissait, en
définitive, de l'acide carbonique et de l'alcool, sans
avoir employé la substance qui est le produit final
qu'on a pour but de rechercher.
Nous avons donc pris des poumons ou des muscles
de veau que nous laissions baigner dans de l'eau or-
dinaire à une température de + 5 à -f 6° seulement.
Au moment même de leur immersion, les muscles,
bien lavés pour les débarrasser de leur sang, ne conte-
naient pas de trace de matière sucrée. Le lendemain,
l'eau de macération présentait déjà une certaine pro-
portion de sucre; elle en était plus chargée le sur-
lendemain. Nous enlevions alors celte eau que nous
faisions bouillir pour détruire les matières fermentes-
cibl< s, et nous évaporions pour avoir des liquides suffi-
samment concentrés.
392 GLYCOGÉNIE FŒCALK.
Si nous remplaçons le liquide ([ue nous avions en-
levé par une nouvelle quantité d'eau pure, les mêmes
réactions pouvaient recommencer.
Le lendemain, il y avait seulement dans le liquide
des traci^s de matière sucrée qui augmentaient le jour
suivant, et, aussitôt qu'à l'aide du réactif cupro-polas-
sique nous obtenions une réduction considérable, nous
arrêtions la fermentation avant que l'acide lactique se
fût formé aux dépens du sucre; puis nous séparions
le liquide, que nous faisions bouillir pour arrêter la
fermentation et conserver le sucre, que nous concen-
trions par une évaporation suffisante. Nous ajoutions
de nouveau de l'eau aux tissus pulmonaire et muscu-
laire, et nous pouvions obtenir ainsi trois ou quatre
infusions sucrées, après quoi la matière semblait épui-
sée, et l'on ne pouvait plus en retirer de sucre.
C'est avec des liquides sucrés obtenus de cette façon
que nous avons retiré l'alcool que nous vous montrons
ici, et qui brûle parfaitement, comme vous pouvez en
juger tous.
Si nous n'avions pas retiré le sucre à mesure qu'il se
produisait, bientôt il se serait formé dans la liqueur
une réaction très-acide, par suite de la décomposition
du sucre en acide lactique. 11 faut que la fermentation
marche ainsi lentement, quand on veut obtenir ce pro-
duit. Si la température est trop élevée et la fermenta-
tion trop prolongée, les gaz qui se dégagent alors de la
fermentation sont des mélanges d'acide carbonique et
d'hydrogène, et l'on trouve de l'acide butyrique dans
la liqueur.
GLYCOGÉNIE FŒTALE. 30:^
Mais, pour obtenir seulement de l'acide lactique, on
arrête la fermentation à un certain point, et l'on em-
ploie le procédé suivant, qui est celui dont M. Leconte
s'est servi. On sature, à l'aide du carbonate de chaux, la
liqueur acide provenant de la fermentation des muscles
ou des poumons de fœtus; on filtre et l'on évapore à
siccité au bain-marie. On traite alors par l'alcool, qui
sépare le résidu en deux parties : l'une soluble et l'autre
insoluble. On ajoute, dans la partie alcoolique soluble,
de l'acide sulfurique jusqu'à ce qu'il y en ait un léger
excès de manière à précipiter toute la chaux, et en se
débarrassant de la plus grande partie de l'alcool par
une distillation au bain-marie, après avoir ajouté un
excès de carbonate de plomb et un peu d'eau, on main-
tient la température jusqu'à ce que le liquide ne rou-
gisse plus le papier bleu de tournesol; on filtre pour se
débarrasser de l'excès de carbonate et de sulfate de
plomb : il reste ainsi le sel organique (iactate) de plomb
qu'on évapore au bain-marie. On traite derechef le
résidu par l'alcool, on obtient encore une solution al-
coolique et un nouveau résidu insoluble, La solution
alcoolique doit contenir le lactate de plomb. On sépare
la majeure pai lie de l'alcool par la distillation , on
ajoute de l'eau et l'on se débarrasse par l'ébullition du
reste de l'alcool. On fait passer alors dans la liqueur
un courant d'hydrogène sulfuré qui forme du sulfure
de plomb, qu'on sépare par filtratiou. On concentre de
nouveau le liquide très-fortement au bain-marie, on
traite le résidu ainsi obtenu par l'éther, qui laisse une
liqueur brune, insoluble, et enlève une substance très-
39i GLYCOGÉNIE FŒTALE.
acide; on distille l'éiher au bain-marie, et, après avoir
ajouté de l'eau à la lijjueur brunâtre acide, on la divise
en trois parties : l'une, saturée par le zinc, donne lieu
à un dégagement d'hydrogène très-infect ; la deuxième,
saturée par l'oxyde de cuivre, se colore fortement en
vert; la troisième est saturée par le carbonate de chaux.
Ces trois liqueurs, filtrées et abandonnées à l'évapo-
ralion spontanée dans des verres de montre, donnent
lieu à des crislaux faciles à reconnaître au microscope
pour des lactates de zinc, de cuivre et de chaux. Du
reste, la liqueur acide présente toutes les propriétés
physiques de l'acide lactique.
Tous ces phénomènes dont nous venons de parler
sont très-intéressants pour le chimiste, mais ils le sont
bien plus pour le physiologisti^, parce qu'ils ne se
produisent que pendant un temps déterminé de la vie
embryonnaire.
En effet, cette propriété qu'ont les muscles de se
convertir en sucie est tout à fait temporaiie, et elle
n'appartient qu'au fœtus, et senlemeut pendant les pi'e-
miers temps de la vie intra-utérine; car, du moment
que les fonctions du foie sont établies, les phénomènes
que nous venons d'indiquer cesst^nt peu à peu d'avoir
lieu dans les muscles et dans les poumons. Voici, en
effet, un muscle de veau âgé d'un an, qui a été mis
depuis très-longtemps dans de l'eai alcoolisée et qui
n'a développé aucune matière sucrée, tandis qu'un
muscle de la même partie du corps d'un fœtus très-
jeune présente du sucre en très-grande quantité; ce
dernier liquide réduit abondamment le réactif bleu,
GLYCOGÉNIE FŒTALE. 39o
tandis que l'autre ne donne aucune espèce de précipité.
11 y a, ainsi que vous le voyez, une différence radicale
dans les produits de la décomposition d<'s chairs mus-
culaires et pulmonaires prises à ditrérents âges.
Dans le fœtus, cette décomposition donne lieu à une
réaclion acide qui est un caractère de la viécomposition
de beaucoup de matières végéiales, et là nous pouvons
encore, en invoquant de nouveau un rapprochement
entre les végétaux et les animaux, dire qu'il se passe en
réalité, dans le dév<doppement des iissus animaux, des
phénomènes chimiques tout à fait analogues à ceux de
la germination. En effet, dans les deux cas, les jeunes
embryons animaux ou végétaux, ou plutôt leurs cellules
organiques, se développent dans un milieu où il se
forme incessamment de la matière sucrée. Les éléments
qui servent à la formation des divers tissus sont main-
tenus par les fermentations dans un état de dissociation
imminente et de mobilité continuelle, quidoit être émi-
nemment favorable pour faciliter leur assimilation. Il
y aurait là quelque chose d'analogue à ce que les chi-
mistes appelleraient les éléments nutritifs à ïétat nais-
sant.
Du reste. Messieurs, la connaissance de tous ces phé-
nomènes est loin d'être complète. Nous n'avons pas en-
core pu saisir ni isoler la matière qui, dans les poumons
et les muscles, donne naissance à du sucre. Nous savons
seulement qu'elle est complètement insoluble dans
l'eau, dans l'alcool et dansl'éther. Ainsi, nous pouvons
prendre des tissus de poumons ou de muscles de fœlus,
soit à 1 état frais et bien lavés, soit après les avoir fait
396 (iLVCOi.EME FŒTALE.
préalablement dessécher, les traiter par l'alcool et Té-
llier de façon à les épuiser de leurs niatièies solubles, et
les remettre ensuite dans de l'eau, nous en obtiendrons
du sucre dès le lendemain ou le suilendemain.
Par ces traitements alcooliques on sépare des mus-
cles et des poumons, une matière cristalline nouvelle
(luevousvoyezicisous l'aspect de beaux cristaux nacrés,
nageant dans l'alcool. Cette matière a presque toutes
les propriétés physiques et quelques-uns des caractères
chimiques de la cholestérine; elle est en lames ou ta-
bles rectangulaires, mais elle a d'autres caractères qui
sont encore à déterminer et qui, sansdoule, seront l'ob-
jet de l'étude des chimistes. Dans tous les cas, cette sub-
stance n'a en rien affaire avec le sucie puisque le tissu,
après en être débarrassé, peut encore fournir du sucre
et que la matière cristalline séparée n'en donne pas.
Enfin, Messieurs, une autre particularité extrême-
ment remarquable de ces découvertes toutes récentes,
c'est que tous les tissus ne forment pas du sucre comme
les muscles et le poumon. Aucun autre organe de l'éco-
nomie ne donne de semljlables résultats. Ainsi le cer-
veau et la moelle épinière, les reins, la rate, le pan-
créas, tout le système glandulaire, les os, les tendons,
les cartilages, la peau, mis avec de l'eau alcoolisée ou
pure dans les mêmes conditions, ne donnent lieu ni à la
production glycosique ni à la fermentation lactique.
Le foie lui-même, quiseraplus lard l'organe produc-
teur de la matière sucrée, ne se développe pas dans un
milieu sucré; ressemblant, en cela à toutes les autres
glandes de l'économie. Il se passe, sansdoule, ici d'au-
GLYCOGÉNIE FŒTALE. 397
1res phénomènes que nous ne connaissons pas encore,
mais sur lesquels nous espérons que la découverte des
fails que nous venons de vous annoncer va désormais
appeler l'attention. iNous remarquons, en outre, qu'il y
aura lieu d'établir o'es rapprochements entre les i issus
qui se développent dans le même miUeu chimique; ce
seront là des sujets de recherches d'un liant intérêt.
Pour le moment, nous nous bornons à constater ce
lait très-important : c'est que nous voyons du sucre se
produire sur place aux dépens de matières neutres, al-
buminoïdes, dans lesquelles il était impossible d'en
constater, au premier moment, la présence. Les résul-
tats que nous venons de vous signaler ont été principa-
lement obtenus sur des fœtus de veau et de mouton,
mais ils ont été vérifiés sur des muscles de fœtus dechaL
de chien, de lapin, et même sur des muscles et des
poumons de fœtus humain.Toutes ces expériences s'ac-
cordent pour établir que le sucre doit et peu se former
dans le foie aux dépens des substances azotées. Vous
avez vu que l'alimentation exclusivement animale en-
tretenait la formation continuelle du sucre, contraire-
ment à l'alimentation graisseuse, qui diminue cette pro-
duction. Vous vous rappelez, en outre, les expériences
de Lehmann, dans lesquelles cet habile chimiste a con-
staté qu'une partie des matières albuminoïdes qui se
trouvent dans le sang de la veine porte disparait en tra-
versant le foie de façon qu'on n'en trouve qu'une pro-
portion moindre dans le sang des veines hépatiques. De
sorte qu'il y a au moins une coïncidence très-remarqua-
ble enire cette dispai ilion derallnimineetlaproduction
398 GLYCOGÉNIE FŒTALE.
(lu suciede laquelle Lelimann a tiré cette conclusion :
que le sucre se forme clans l'organisme aux dépens de
substances albumine rides. Cecliimisleacherché,dèslors,
à réiliser artificiellement ce fait dont les découvertes
physi(jlogiques n^connaissaient lapossihilité; il a voulu
savoir s'il y aurait moyen de transformer directement
des matières albumiiioïdes en sucre. C'est ce à quoi il
est eifectivement arrivé.
Il a obtenu la cri>taliisafion de l'hématine, matière
constiluaute des globules du sang, il a pu l'avoir à l'état
de pureté, et c'est avec cette substance qu'il a fait du su-
cre de la manière suivante.
Il a observé, en soumettant cette matière à la distilla-
tion sèche, qu'elle doFinait lieu d'abord à un pi'oduit
acide, et que ce n'est qu'ensuite, lursque la lempérature
devenait plus élevée, qii'il se développait des malières
ammoniacales; dès lors il pensa qu'il pouvait y avoir là
d(Mix principes copules, l'un azoté, l'autre non azoté.
Or il s'agissait d'enlever l'azote à l'hématine. Pour cela
Lelimann fit dissoudre c^^tte substance dans do l'alcool,
puis ajouta de l'acide nitrique, et porta le mélange à
l'ébullition. Sous Tinfluence de la chaleur il se forma
de l'éther nilreux qui se dégagea et enleva l'azote delà
matière organi pie, et ce qui resta était du sucre et une
autre matière acide non azotée. Ce sucre reluit lessels
de cuivre dissous dans un excès d'acali et donne
avec la levure de bière de l'acide carbonique et de
l'alcool.
Cette expérience très-élégante de Lehmann démon-
tra donc, pour la première l'ois, la possibilité de trans-
GLYCOGÉNIE FŒTALE. 399
former chimiquement une matière albuminuïde en
sucre.
Mais il est clair, Messieurs, que ce n'est point ainsi
que les choses se passent dans le f'ue et dans les tissus
du fœtus, où nous avons observé de semblables trans-
formations. Li's réactions que nous produisons dans
nos laboratoires avec des agents chimiques énergiques
ne font qu'indiquer la possibilité de décompositions ou
de transformations qui peuvent s'opérer sous l'action
vitale d'une manière moins violente. C'est ainsi qu'avec
de l'aride sulfuri([ue ou chlorhydrique nous transfor-
mons de l'amidon en sucre, mais cela s't ffcclue au sein
des tissus végétaux ou dans nos organes par une sim-
ple fermentation.
Il en est de même de la graisse, qui ne se dédouide
dans nos laboratoires en acide gras et en glycérine
qu'avec les agents acides ou alcalins les plus énergi-
ques, mais pour laquelle le suc panciéalique tout seul,
qiii ne paraît doué que de propriétés chimiques très-
faibles, amène immédiatemi^nt ie même résultat au
moyen d'une matière organique qui joue le rôle de fer-
ment.
Nous arrivons à conclure, comme données défini-
tives sur le mécanisme de la formation du sucre dans
le foie : r que le sucre se forme aux dépens des ma-
tières albuminoïdes; 2° que ces matières albuminoïdes
donnent naissance au sucre par suite d'une véritable
fermentation qu'elles subissent, et dans laquelle il se
forme des produits intermédiaires encore peu connus.
Tels sont les deux résultats que nous ne devons pas
100 GLYCOGÉNIE FŒTALE.
perdre tle \ue au milieu de ces digressions dans les-
quelles nous ont entraînés nos découvertes nouvelles^
sur lesquelles ie vous demanderai la permission de
vous dire encore quelques mois dans la prochaine
séance.
VINGT ET UNIEME LEÇON
10 MARS 1855.
SOMMAIRE : Présence du sucre dans l'urine des fœtus. — Dans l'allantoïde.
— Explication de ce phénomène. — Propriétés du sucre des muscles. —
Transformations du liquide amniotique. — Usages du sucre dans la vie
intra-utérine pour empêcher l'infiltration des tissus. — Expériences. —
L'animal a constamment besoin de matière sucrée. — De la mort à la suite
de la cessation des fonctions du foie. — Terminaison de quelques expé-
riences commencées dans les séances précédentes. — Suite de l'expérience
de la section des pneumo-gastriques entre le poumon et le foie. — Au-
topsie de l'animal. — Expérience sur la section des nerfs sympathiques
qui se rendent au foie. — Réflexions sur la difficulté des expériences phy-
siologiques.
Messieurs,
Nous savons actuellement que la fonction glycogéni-
que du foie ne commence qu'à un certain âge de la vie
intra-utérine, mais nous savons aussi que l'èli^e orga-
nisé ne manque pas pour cela de matière sucrée pen-
dant cette période primitive de la vie. Nous avons vu
que cette matière se produit dans la gangue des tissus
et qu'il y là une sorte de phénomène de germination
animale sur lequel je n'ai pu encore vous indiquer que
quelques détails très-insuffîsants, car nous sommes,
sous ce rapport seulement, à l'entrée d'une voie toute
nouvelle, destinée, je crois, à fournir des résultats très-
féconds.
Toutefois il me reste encore quelques faits nouveaux
BERNARD. \. 26
402 GLYCOGÉNIE FŒTALE.
à vous indiquer relativement h cet état primitif de la
fonction glycogénique chez les fœtus. Ces détails se
relieront d'ailleurs avec des faits que j'avais vus anté-
rieurement, mais dont je n'avais pas saisi alors la signi-
fication; et, de plus, nous verrons qu'il se passe dans
les différentes périodes de la vie intra-utérine des phé-
nomènes que nous ignorons encore complètement.
Je vous ai dit comment j'avais découvert autrefois que
l'urine des fœtus contient toujours du sucre, et com-
ment je m'étais trouvé embarrassé ensuite de ce fait
qui n'était plus aucunement en rapport avec les théo-
ries qui m'y avaient conduit.
En effet, j'avais vu que ce sucre existe dans l'urine
avant qu'il se forme dans le foie. Et voici, par exem-
ple, un fœtus de veau dans l'urine duquel nous con-
statons une grande quantité de sucre, tandis qu'en trai-
tant son foie comme nous le faisons habituellemenl,
nous n'obtenons pas la moindre trace de cette matière.
D'un autre côté, j'avais vu que le sucre disparaissait
de l'urine des veaux bien avant la naissance et au mo-
ment où la matière sucrée se développait dans le foie.
11 n'y avait donc pas, comme on le voit, possibilité,
chez le fœtus, d'établir un rapport entre cette matière
sucrée de l'urine et la fonction glycogénique du foie,
puisque, quand le sucre existait dans l'urine, le foie
n'en contenait pas, et que, lorsqu'il cessait de s'y ma-
nifester, le foie commençait au contraire à en pro-
duire.
Nous voyons ainsi que, primitivement, tous les in-
dividus sont diabétiques, et j'ai constaté cela sur d'au-
GLYCOGÉNIE FŒTALE. 403
ires animaux, sur des petits chiens, par exemple.
Mais cela n'ayant lieu que pendant une époque très -li-
mitée, on ne trouve plus ce symptôme au moment de
la naissance, et j'ai vainement cherché, à Fépoque de
la naissance, du sucre dans l'urine des fœtus humains
ou dans leur liquide amniotique. Cela n'a rien qui doive
étonner, puisque, comme je viens de vous le dire,
les choses se passent exactement de même chez les ani-
maux.
Maintenant, nous pouvons établir la liaison de ce fait
singulier avec cette formation du sucre dont nous
avons parlé dans la dernière séance, et qui se rencontre
dans les premiers temps de la vie intm-ulérine. Dès le
début, et pendant les premières semaines de l'organi-
sation, cette matière sucrée se forme, comme nous l'a-
vons vu, dans le tissu qui se développe, mais elle ne
paraît pas se détruire à ce moment de la vie, elle est
emportée par la circuhition dès que celle-ci s'établit
et passe alors dans l'urine.
Maintenant cette urine sucrée qui s'accumule en
grande quantité remplit non-seulement la vessie, mais
encore un réservoir communiquant avec celle-ci, qui
est l'allantoïde, dans laquelle on trouve constamment
aussi un liquide sucré.
Vous voyez ici {{[g, 20) un fœtus entouré de ses
membranes ; vous pouvez distinguer d'une part Tallan-
toïde AL, d'autre part l'amnios AM, reconnaissables
à la couleur de leur liquide qui est citrin dans la pre-
mière cavité, clair et opalin dans la seconde.
404
GLYCOGÉNIE FŒTALE.
Fig. 20. Fœtus de veau entouré de ses membranes.
AL, allantoïde. Du côté droit on a enlevé la membrane externe, et
le liquide amniotique est entouré par une membrane unique. — C, du côté
gauche, on a laissé la membrane cotylédonaire dont on voit la coupe en G;
sur elle rampent les vaisseaux omphalo-mésentériques X, allant se rendre au
corps cotylédonaire CP, CP, CP ; du côté droit, ces vaisseaux X ont été cou-
GLYCOGÉNIE FŒTALE. 405
pés. Chaque extrémité de l'amnios est fermée par un bouchon jaunâtre de
nature épithéliale ^7, a. — L'amnios AM, AM, contient le fœtus nageant dans
le liquide amniotique, et tenant avec l'allantoïde par le cordon ombilical.
On voit encore la vésicule ombilicale.
Fig. IL Le fœtus extrait de la cavité amniotique. Le ventre a été ouvert et
les éléments du cordon ombilical servant de communication avec l'allantoïde
ont été disséqués. — F, foie. — V, V, extrémités de la veine ombilicale se
réunissant en un seul tronc au moment où elle traverse l'ombilic. — V, 0,
vésicule ombilicaire communiquant avec l'intestin. — 0, ouraque faisant
communiquer la vessie du fœtus V avec l'allantoïde. Les deux artères ombi-
licales sont situées de chaque côté de l'ouraque, et parallèlement à elle.
Nous constatons la présence du sucre dans ce liquide
allantoïdien en proportions considérables. Il y a en
effet une forte réduction du tartrate cupro-potassique.
Le liquide amniotique en contient également, mais de
très-faibles traces, soit que cette matière y parvienne
par endosmose entre les membranes délicates et conti-
guës qui enveloppent ces liquides, soit que cette pro-
portion de sucre y arrive par le canal de l'urètre qui
doit déverser l'urine dans la cavité amniotique, si la
vessie expulse son contenu.
Il y a un autre fait intéressant relatif à ce sucre de
la vie primitive du fœtus, c'est qu'il dévie la lumière
polarisée autrement que le sucre du foie. Ainsi, le li-
quide allantoïdien dévie la lumière polarisée à gauche
comme le sucre de canne; cependant il a toutes les au-
tres propriétés de sucres de deuxième espèce, il fer-
mente très-facilement, brunit avec la potasse, et réduit
les sels de cuivre.
Proust a dit que le liquide allantoïdien contient du
sucre de lait, mais le sucre de l'amnios fermente très-
vite, et sous ce rapport il diffère beaucoup de l'espèce
de sucre signalée par ce chimiste.
400 GLYCOGÉNIE FŒTALE.
Le sucre de muscles ou de i^oumon dévie à droite
comme le sucre de diabèles. Celte différence de résul-
tats dans l'examen optique du sucre obtenu dans l'al-
lantoïde ou dans la vessie, avec celui du sucre obtenu
des muscles ou du poumon par voie d'une fermenta-
tion spéciale, n'indiquerait pas du tout que ces sucres
sont d'origine différente; cela pourrait tenir tout
simplement à ce que le sucre que nous avons dû obte-
nir en assez grande quantité pour pouvoir le soumet-
tre à la lumière polarisée provient toujours d'une fer-
mentation. Or, pendant cette fei'mentalion, il se forme
toujours une proportion assez notable d'acide pouvant
alors réagir sur le sucre pour modifier les caractères
optiques qu'il aurait s'il restait dans une liqueur neu-
tre ou légèrement alcaline, comme cela a lieu pour le
liquide aîlantoïdien.
On connaît d'autres exemples de cette modification,
et l'on sait que le sucre de fruits dévie à gauche pri-
mitivement, mais que, après avoir été soumis pendant
longtemps à Faction de Tair ou à l'action d'un acide,
il dévie à droite, sans que, pour cela, ses autres carac-
tères chimiques aient été modifiés.
Le sucre qui existe dans l'allantoïde de même que
celui qu'on rencontre dans l'amnies, mais en plus
petite quantité, disparaît chez les veaux vers le cin-
quième ou sixième mois de la vie intra-utérine, à la
même époque où cette matière sucrée disparaît égale-
ment de l'urine. Voici^ par exemple, du liquide aîlan-
toïdien pris sur un veau qui avait au moins six mois
de vie intra-utérine. Ce liquide est bien plus coloré que
GLYCOGÉNIE FŒTALE. 407
chez les fœtus plus jeunes : il est devenu en même
temps visqueux, il n'est nullement sucré. Le liquide
amniotique, de même, ne contient aucune trace de
sucre, et il a pris une consistance gluante et visqueuse.
On dirait que ce sucre a subi cette espèce de fermenta-
tion qu'on appelle visqueuse, et qui pourrait s'opérer
d'autant plus facilement dans ces conditions, qu'elle
s'accomplit sans dégagement d'aucun gaz. S'il en était
ainsi, les partisans des causes finales pourraient voir là
un des usages secondaires du sucre pendant la vie in-
tra-utérine; ce sucre, après avoir, pendant un certain
temps, empêché l'imbibition ou l'infiltration des tis-
sus, qui sont si délicats h cette époque de la vie, parle
liquide amniotique, se changerait, vers les approches
de la parturition, en subissant la fermentation vis-
queuse, en une matière propre à favoriser la lubrifac-
tion des voies et le glissement facile du fœtus.
Quant à moi. Messieurs, je veux tout simplement
fixer dans votre esprit les faits qui sont les suivants :
l** La présence du sucre dans l'urine du fœtus, dans
le liquide allantoïdien et amniotique, pendant les pre-
miers temps de la vie intra-utérine.
2° La disparition de ce sucre de tous les liquides pré-
cités vers la période qui précède la naissance, ce qui
coïncide avec l'épaississement et la viscosité qu'acquiè-
rent alors ces mêmes liquides, qui peut-être ont pour
effet de favoriser la parturition.
Si, maintenant, nous réfléchissons à tout ce que
nous avons dit précédemment, nous voyons qu'il y a
deux périodes dans la vie du fœtus; l'une pendant la-
408 GLYCOGÉNIE FŒTALE.
quelle le sucre paraît se former sans se détruire, l'au-
tre pendant laquelle le sucre se produit et se détruit.
En effet, dans les premiers temps du développement
organique, avant que le foie entre en fonctions, nous
trouvons du sucre qui se forme dans les tissus, ainsi
que nous l'avons dit, et qui passe dans la circulation et
est porté de cette manière dans la vessie et dans les
liquides allantoïdien et amniotique, où il séjourne sans
qu'on voie sa destruction s'opérer. Plus tard, lorsque
le foie commence à fonctionner, il se forme toujours du
sucre, peut-être même en plus grande quantité, et ce-
pendant nous n'en trouvons plus aucune trace dans la
vessie. Il y a deux conclusions très-importantes qu'on
peut tirer de ces faits : la première, c'est que, si le su-
cre a un usage, comme cela n'est pas douteux, dans les
premiers temps de la vie intra-utérine, cela ne peut pas
être en se détruisant qu'il le remplit, mais au contraire
en se formant; et ce serait au moment où la matière
animale azotée entre dans une sorte de fermentation et
se dédouble en abandonnant les éléments qui consti-
tuent le sucre, que les cellules organiques prennent
naissance. Nous pourrons rapprocher cette hypothèse
de ce qui se passe dans le foie chez l'adulte, où nous
voyons le sucre se former et des cellules analogues aux
globules blancs se produire en très-grande quantité,
ainsi que le démontrent les expériences de Lehmann.
Ces globules, en effet, ne sont que des cellules organi-
ques destinées à une évolution ultérieure, ce qui n'em-
pêche pas, dans cette période de la vie adulte, que le
sucre ne puisse encore, indépendamment de cet usage,
USAGES DU SUCRE DANS LE SANG. 409
en remplir d'autres secondaires, soit en circulant avec
le sang, dont il augmente la densité et empêche l'in-
filtration dans les tissus et dont il favorise conséquem-
ment la circulation en général, et particulièrement
dans le tissu délicat du poumon où il doit recevoir le
contact de l'air.
Des expériences extrêmement intéressantes prouvent
cette utilité. Si l'on fait traverser le poumon par de l'eau
pure, en ayant soin de pratiquer la respiration artifi-
cielle, dans les premiers moments le liquide injecté
dans l'artère pulmonaire revient par la veine sans dif-
ficulté, mais bientôt le tissu du poumon s'infiltre, le
liquide éprouve une grande difficulté à passer, il s'ex-
travase dans les bronches, et bientôt la circulation est
impossible. Les mêmes choses se produisent pour les
reins et le système capillaire des membres, etc.
Mais, si l'on ajoute à l'eau du sucre, même en pe-
tite quantité, l'infiltration n'a pas lieu, et la circulation
peut continuer pendant des heures entières; il serait
donc probable que, sur l'animal vivant, le sucre qui
sort du foie ait pour effet de concourir à empêcher l'in-
filtralion quand le sang traverse les poumons.
La seconde conclusion à tirer de ces faits, c'est qu'il
y a dans le fœtus une période de la vie où le sucre se
détruit parfaitement sans l'intervention de la respira-
tion. Ainsi, dans les quatre ou cinq derniers mois de
la vie intra-utérine des veaux, il y a beaucoup de sucre
dans leur foie, dans le sang qui en sort, et cependant
les urines n'en contiennent pas, preuve que le sucre se
détruit dans le torrent de la circulation sans interven-
•*10 GLYGOGÉiNIE ANIMALE.
tion de l'air, dans le placenta ou ailleurs ; ceci est im-
possible à vérifiera cause des difficultés de faire desex-
périences sur des animaux de Loucherie en état de
gestation, ces animaux seraient cependant seuls assez
gros pour se prêter à des observations de ce genre. Cela
vient à l'appui d'une proposition que nous avons émise
dans une des séances précédentes, que le sucre ne se dé-
truit pas par un phénomène de combustion en rapport
avec la quantité d'oxygène en nature qui entre dans
l'organisme, car, chez le fœtus, la respiration ne s'ef-
fectue pas, et le contact direct du sang et de Toxygène
ne saurait avoir lieu. C'est donc, comme nous le di-
sions, par une sorte de fermentation que le sucre se
détruit dans le sang. Nous n'avons pas encore pu isoler
]a matière fermentescible qui détruit le sucre dans l'or-
ganisme, et nous ne pouvons pas dire précisément si
cette matière ne proviendrait pas du foie lui-même.
Nous ne pouvons qu'établir l'apparence de coïncidence
qui existe entre le moment où le sucre commence à se
détruire chez le fœtus et le moment où il commence à
apparaître dans le foie.
Ainsi, l'être organisé est toujours pourvu de matière
sucrée. Dès les premiers moments de sa vie, le sucre
existe dans ses tissus, bien que le foie n'en produise pas
encore, et l'on en trouvera jusqu'à la mort.
J'ai fait beaucoup d'expériences pour savoir si les
animaux peuvent vivre longtemps quand les fonctions
du foie sont arrêtées, et j'ai toujours vu que la vie ne
pouvait se prolonger au delà de quelques jours. Quand
on coupe les pneumo-gastriques chez un animal, il
L'ARRÊT DE LA GLYCOGÉNIE AMÈNE LA MORT. 411
meurt au bout de trois ou quatre jours. On a cherché
dans ce cas à expliquer la mort de bien des manières,
en la rapportant à la paralysie des organes auxquels se
rendent les nerfs.
On a dit que c'était parce que l'estomac ne fonctionne
plus, mais on sait que les animaux peuvent vivre sans
manger pendant seize ou vingt jours, et qu'ils ne pé-
rissent d'inanition qu'au bout de ce temps.
On a prétendu ensuite que la mort arrivait par suite
de l'engorgement des poumons, qui survient très-
souvent à la suite de cette section, et qui amène alors
une véritable asphyxie ; mais cet engorgement manque
très-fréquemment. 11 a lieu surtout quand on opère
sur déjeunes animaux; mais chez les vieux mammi-
fères et chez les oiseaux, on ne trouve jamais les pou-
mons altérés, et le sang est vermeil dans les artères
comme à l'ordinaire.
On a dit encore que la mort arrivait par le cœur, qui
reçoit aussitôt les filets des pneumo-gastriques; mais les
mouvements du cœur ne sont pas interrompus un seul
instant, ils se continuent jusqu'à la mort et sont même
plus rapides. Ainsi, toutes ces explications sont insuf-
fisantes, et ce qui me paraît le plus probable, c'est que
la mort survienne par suite de la cessation des fonc-
tions du foie, qui ne sécrète plus alors une matière indis-
pensable aux phénomènes de nutrition des organes. Le
sucre qui était formé au moment de l'opération s'épuise
rapidement, et la vie s'éteint quand il n'y en a plus.
C'est peut-être pour suppléer à l'absence du sucre,
qui ne se produit plus dès que la fièvre survient chez
412 L'ARRÊT DE LA GLYCOGÉNIE AMÈNE LA MORT.
les malades, qu'on leur donne, et qu'ils prennent avec
plaisir et par instinct, des tisanes sucrées.
Maintenant, Messieurs, nous sommes arrivés à la fin
de l'histoire physiologique de la formation du sucre
dans l'organisme animal, et vous voyez combien de
phénomènes intéressants nous ont dévoilés ces études,
combien de questions nouvelles ont soulevées ces re-
cherches, qui, il y a quelques années, étaient entière-
ment ignorées; elles ouvrent aujourd'hui un champ
qui s'élargit chaque jour de plus en plus devant l'expé-
rimentation.
Nous ne prétendons pas avoir tout dit sur cette ques-
tion; nous avons, au contraire, indiqué avec soin les
desiderata de la science, en vous disant nettement ce
qu'il y avait d'acquis et ce qu'il y avait à faire dans
cette même direction.
Actuellement, il est temps que nous abordions l'exa-
men comparatif des connaissances que nous a fournies
la physiologie, avec les phénomènes pathologiques que
nous avons eu pour but d'éclairer par elle, ce qui est le
but final de notre cours.
Mais avant de clore cette partie purement physiologi-
que, nous avons quelques expériences qui sont restées
en arrière et dont nous allons vous rendre compte.
La première est celle par laquelle nous devons dé-
montrer que la section des pneumo-gastriques produit
des effets différents sur la sécrétion du sucre, suivant
que l'on opère à différentes hauteurs. Nous avons prouvé
que la section de ce nerf opérée dans la région cervicale
fait disparaître constamment le sucre dans le tissu du
LES NERFS INFLUENCENT DIFFÉREM. LA GLYGOGÉNIE. 413
foie; nous voulons vous montrer actuellement que la
section de ces nerfs au-dessous du poumon ne produit
pas le même effet . Voici un animal que nous avons opéré
depuis douze jours environ, et, certes, le sucre au-
rait bien eu le temps de disparaître, s'il n'avait pas
continué à se former, puisque, comme vous le savez,
vingt-quatre heures au plus suffisent pour le détruire.
Du reste, cet animal n'a pas été complètement à jeun;
nous l'avons nourri avec des substances d'une digestion
facile, telles que du bouillon. Car les pneumo-gastri-
ques qui se rendent à l'estomac étant coupés, les sécré-
tions de cet organe sont, sinon suspendues, au moins
dérangées, et l'estomac surtout est complètement pa-
ralysé du mouvement.
En un mot, la direction stomacale seule est troublée
par l'opération ; mais la digestion intestinale continue
parfaitement, ce qui, pour le dire en passant, improuve
le système dans lequel on a voulu que l'estomac, et sur-
tout le pylore, fût le seul point du tube intestinal où se
fît la digestion, idée qu'on pouvait soutenir peut-être
dans le siècle dernier, mais qui n'est plus en rapport
avec les faits actuels. Ce chien a été sacrifié ce matin.
Les nerfs avaient été parfaitement coupés, comme vous
pouvez le voir, sur l'animal mort, qu'on a préparé pour
vous montrer le travail de cicatrisation qui a déjà com-
mencé à s'opérer sur les bouts nerveux. Vous voyez, en
effet, au deux extrémités du nerf, de petits renflements
comme des ganglions, qui indiquent le commencement
du travail de réparation.
Il y a encore des aliments dans l'œsophage, ce
414 INFLUENCE DES NERFS
qui prouve que la déglutition était rendue difficile. Les
sécrétions stomacales ont continué h s'efFectuer, ce qui
n'aurait pas eu lieu si le pneumo-gastrique eût été
coupé dans la région du cou ; mais les fibres muscu-
culaires de l'organe sont complètement paralysées.
Quant au foie, il contient toujours beaucoup de su-
cre. Voici, en effet, une décoction de son tissu qui
donne, avec le réactif cupro-potassique, une réduction
abondante et qui fermente activement. La section des
pneumo-gastriques, qui, faite dans la région cervicale,
arrêtait la production du sucre, ne l'empêche donc plus
quand elle est opérée dans la poitrine entre le poumon
et le foie.
Il s'agit d'une autre expérience dont nous vous avons
promis le résultat. Celle-ci, nous ne l'avions jamais *
faite, elle nous est venue à la pensée, et nous vous avons
associés aux éventualités denses résultats, afin que vous
puissiez être initiés à la manière dont on fait les expé-
riences de physiologie. Nous nous sommes guidé d'a-
près deux idées, l'une que l'activité plus grande de la
circulation pouvait favoriser ou exagérer la formation
du sucre dans le foie, l'autre que l'on pouvait obtenir
cette exagération de la circulation par la section des
filets du grand sympathique, comme vous avez vu cet
effet se produire dans la tête après la section du filet
cervical du grand sympathique.
Maintenant il y avait dans cette expérience une infi-
nité de difflcultés de tout genres que vous allez com-
prendre sans peine. D'abord, difficulté matérielle d'al-
ler couper profondément, à l'entrée du foie, des nerfs
SUR LA GLYCOGÉNIE. 415
qui se trouvent entourés de la veine porte, des artères
hépatiques, des vaisseaux lymphatiques et du canal
cholédoque, toutes choses qu'il fallait ménager; en
second lieu, l'incertitude desavoir si nous produirions
le résultat que nous voulions obtenir. Et l'insuccès
pouvait dépendre do deux causes, soit que l'activité
de la circulation ne fût pas augmentée, car toutes les
parties du système sympathique ne produisent pas cette
exagération de calorification que nous vous avons mon-
trée pour la portion cervicale de ce nerf. La section
de la partie thoracique du grand sympathique ne pro-
duit aucunement les mêmes effets, sans que nous con-
naissions la cause de cette différence. D'autre part,
nous pouvions produire une activité de circulation telle,
qu'une inflammation en fût la conséquence, et qu'alors,
au lieu d'obtenir une exagération physiologique de la
fonction du foie, nous n'eussions produit qu'une périto-
nite et une hépatite amenant en même temps l'aboli-
tion du sucre.
Vous voyez donc, Messieurs, par ces exemples, que
nous pourrions multiplier k l'infini, de combien d'in-
certitudes on se trouve entouré quand on veut insti-
tuer une expérience et en prévoir les résultats. Les in-
connues sont si nombreuses, qu'on ne peut jamais être
certain de ce que l'expérience donnera.
Il arrive^ par conséquent, très-souvent qu'on fait des
expériences qui ne fournissent aucun résultat satis-
faisant pour le but qu'on se propose. Seulement il est
bien entendu que, lorsqu'on publie un travail, on doit
éviter, pour la clarté du sujet, de faire connaître ces
410 INFLUENCE DES NERFS SUR LA GLYCOGÉNIE.
làtonnements inutiles. Mais cela présente alors, à l'es-
prit de celui qui ne fait que lire, la physiologie comme
une science facile dans laquelle toutes les expériences
réussissent, ce qui est loin d'être vrai dans la pratique.
C'est ici le lieu de vous initier à ces difficultés dont
il est important que vous ayez une idée exacte pour
bien comprendre les complications du sujet, et ne pas
vous décourager quand vous voudrez l'aborder plus
tard.
ici , par exemple, contrairement à nos prévisions, nous
n'avons produit ni diabète ni péritonite; l'animal paraît
être en pleine santé comme avant l'opération , et nous le
garderons en cet état pour en faire plus tard l'autopsie.
Messieurs, la fin du semestre nous oblige prochaine-
ment à terminer ce cours. Il ne nous reste plus que
quatre leçons. Les deux prochaines seront consacrées à
l'examen des symptômes pathologiques du diabète sucré
et à leur explication au moyen du rapprocliement des
faits physiologiques.
Les deux dernières séances seront consacrées à un
résumé général et à une revue de toutes les discussions
dont la fonction glycogénique du foie a été l'objet
depuis sa découverte, soit en France, soit à l'étranger.
Nous ne laisserons de côté aucun des arguments pour
ou contre; nous les résumerons devant vous de la
manière la plus complète et de façon que vous ayez
l'état actuel de la question, et que vous ne sortiez d'ici
qu'avec l'esprit bien fixé sur les faits, sur la valeur des
arguments qui ont été employés de part et d'autre dans
la discussion.
VINGT-DEUXIEME LEÇON
13 MARS 1855.
SOMMAIRE : Application de la physiologie à la pathologie du diabète. —
Pathologie comparée. — Cas de diabète signalés chez les animaux. — Or-
ganes malades dans cette affection. — Hypertrophie des reins. — Hyper-
trophie des membranes de l'estomac. — De l'état du foie dans le diabète.
— Atrophie du pancréas. — Présence du sucre dans tous les organes chez
les diabétiques morts subitement. — Désordres nerveux. — Les matières
féculentes et saccharoïdes ne sont-elles pas des excitants du foie? — Réac-
tion d'autres organes sur le foie.
Messieurs,
Nous devons actuellement nous servir des lumières
que nous a fournies jusqu'ici la physiologie pour éclai-
rer autant que possible les phénomènes de la maladie
connue sous le nom de diabète. C'est toujours ainsi
qu'il faut procéder, des sciences les plus simples aux
plus comphquées, et sous ce rapport, quoique la physio-
logie étudie des phénomènes excessivement complexes,
ceux de la pathologie le sont encore bien davantage;
mais quand les premiers sont suffisamment connus, il
devient très-facile d'y rattacher les seconds.
Nous devrions d'abord chercher si la pathologie
comparée peut nous fournir des matériaux, car c'est
toujours une circonstance très-heureuse pour l'étude
d'une maladie, qu'elle soit commune à l'homme et aux
animaux. On peut faire alors sur ces derniers des étu-
BERNARD. I. 27
418 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
des expérimentales qui, seules, sont susceptibles de
conduire rapidement à la détermination des rapports
entre les symptômes et les lésions qui se présentent
dans un cas morbide. Quand on ne peut faire de telles
études que sur l'homme, la difficulté des observations,
la rareté des cas, l'impossibilité des autopsies dans
toutes les circonstances et à différentes époques de la
maladie, rendent nécessairement beaucoup plus lente
la solution du problème. C'est grâce à cette excursion
dans le champ de la pathologie comparée, dont le do-
maine a été considérablement agrandi en France par
M. Rayer, qu'on doit de connaître si bien aujour-
d'hui l'histoire pathologique comparée de certaines
maladies.
Relativement au diabète, la pathologie comparée ne
peut rien nous fournir. Les vétérinaires signalent à la
vérité un diabète assez fréquent chez les chevaux, se
manifestant surtout après l'ingestion de certaines sub-
stances, telles que la luzerne fraîche, par exemple. Mais
le diabète en question n'est qu'une simple polyurie; les
chevaux rendent alors de très -grandes quantités d'u-
rines, qui sont souvent claires, au lieu d'être jumen-
teuses comme à l'ordinaire. Mais l'analyse chimique
n'y a jamais démontré la présence du sucre. Il s'agi-
rait donc là de ce qu'on appelle le diabète non sucré ;
mais vous savez qu'on ne donne plus aujourd'hui ce
nom à l'accroissement pur et simple de la quantité des
urines.
M. le docteur Jessen, directeur de l'école de méde-
cine vétérinaire de Dorpat, dit qu'on rend les chevaux
A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 419
réellement diabétiques, c'est-à-dire glycosuriqiies, en
leur faisant manger de l'avoine altérée par l'humidité.
Dans tous les cas, il ne s'agirait ici que d'un symptôme
tout à fait temporaire et en rapport avec une alimenta-
tion spéciale ; nous savons qu'on pourrait, à la rigueur,
produire le même effet, en ingérant de grandes quan-
tités de matières sucrées dans l'intestin.
Je ne connais qu'un seul cas de diabète persistant qui
ait été observé sur un chien par M. Leblanc, vétérinaire
à Paris; mais on n'a pas fait d'expériences bien détail-
lées, et le cas de cette observation doit être considéré
comme un fait très-rare.
Jusqu'à présent nous n'avons pas pu réussir physio-
logiquementà produire un diabète continu. La piqûre
rend les lapins diabétiques, mais quelquefois seulement
pendant une heure, si elle est légère; si elle est plus
profonde, l'effet peut durer pendant cinq ou six heures,
ce qui est le cas le plus commun ; rarement le diabète
dure plus de vingt-quatre heures. Chez des chiens, j'ai
observé des diabètes qui duraient plus longtemps, et
dans un cas, entre autres, j'ai gardé un chien diabé-
tique pendant sept jours.
Il résulte donc de tout cela que le diabète sucré, tel
qu'il se présente chez l'homme, avec sa gravité, est
une maladie dont sont exempts les animaux, et qui
n'appartient spécialement qu'à notre espèce, sur la-
quelle nous sommes réduits, par conséquent, à faire
nos études.
La première question qu'on se pose quand il s'agit
d'une maladie, c'est de se demander quel est l'organe
420 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
malade. C'est un besoin de noire esprit de se reposer
sur quelque chose de précis; sans oublier que souvent
ces lésions peuvent nous échapper, parce qu'elles ne
sont pas sensibles à nos moyens actuels d'investigation,
et qu'elles peuvent souvent exister comme conséquence
localisée de maladies plus ou moins générales ; et sans
oublier enfin que, même dans une lésion locale, il y a
toujours une harmonie entre tous les organes, de telle
façon qu'une altération retentit plus ou moins loin sur
les fonctions voisines.
On a placé le diabète dans beaucoup d'organes, on
en a fait tour à tour une maladie des reins, une maladie
de l'estomac, une maladie du sang, etc. ; et il y avait
sans aucun doute des raisons pour étayer quelques-unes
de ces opinions.
Ainsi^en ce qui concerne les reins, il est évident que
chez les diabétiques en général, particulièrement lors-
que le diabète a duré longtemps, ces organes sont hy-
pertrophiés. xM. Rayera déjà signalé ce fait depuis long-
temps, et je l'ai retrouvé chez un diabétique mort dans
son service d'apoplexie pulmonaire, et dont j'ai fait
l'autopsie. Les reins étaient plus volumineux; le droit,
bien dépouillé de sa capsule et de ses vaisseaux, pe-
sait 240 grammes; le gauche, 250 grammes. Cette dif-
férence entre les deux reins existe généralement ; mais
les poids que nous venons de donner sont bien plus
forts que ceux que l'on rencontre dans l'état normal.
Huschke donne 1 1 1 grammes pour poids du rein gau-
che, et 108 pour le rein droit. M. Rayer indique, dans
son ouvrage sur les maladies des reins, aussi 100 à
A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 421
125 grammes comme poids ordinaire du rein. La sub-
stance des reins parait du reste plus vasculaire et comme
hypertrophiée, ce qui s'explique jusqu'à un certain
point par l'excès de la fonction excrétoire de l'urine
chez les diabétiques qui offrent en même temps une
évacuation considérable de ce liquide; et ce qui prouve
cette proposition, c'est que, dans les polyuries simples,
sans apparition du sucre, il y a également une hyper-
trophie des reins sans altération du tissu. Chez les dia-
bétiques qui ne sont pas polyuriques, cette augmenta-
tion de volume des reins n'a pas lieu. Quand on enlève
un rein, opération qui se fait facilement chez un chien,
et dont l'animal se rétablit parfaitement, on sait que
l'autre s'hypertrophie, de sorte qu'on voit que l'hyper-
trophie coïncide avec une augmentation de l'action
excrétoire. On ne peut donc pas attribuer au sucre une
influence particulière sur le rein, et admettre que cet
organe élimine le sucre, parce qu'il est malade; on sait
d'ailleurs que, à l'état de santé, le rein laisse parfaite-
ment passer le sucre, pourvu qu'il y en ait une assez
grande quantité dans le fluide sanguin. Bien que je
n'admette pas que généralement le sucre puisse avoir
une action irritante nuisible sur le rein, cependant je
dois dire que souvent, quand on fait des injections su-
crées dans les veines des animaux les reins finissent
par devenir malades. Je présentai, il y a trois ans, à la
Société de biologie, les reins d'un lapin qui avait subi
des injections sucrées dans les veines pendant un cer-
tain nombre de jours, et chez lequel le rein par con-
séquent avait dû éliminer l'excès de sucre injecté. Ces
422 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
organes présentaient évidemment des traces d'inflam-
mation, et dans le rein gauche il y avait des abcès, dont
un était assez considérable. J'ai observé des faits ana-
logues après l'injection des substances autres que le
sucre, et peut-être même ces résultats se présenteraient-
ils après des injections d'eau pure répétées longtemps.
Pour justifier l'opinion d'une maladie de l'estomac,
on a signalé chez les diabétiques une hypertrophie des
membranes de ce viscère. J'ai également constaté, à
l'autopsie de diabétiques qui avaient eu un appétit très-
considérable, que les parois de l'estomac étaient plus
épaisses qu'à l'état normal. Mais il y avait, dans les cas
que j'ai observés, hypertrophie pure et simple sans al-
tération organique. Les fibres musculaires de l'esto-
mac se voyaient parfaitement; la membrane muqueuse
avait des villosités plus visibles qu'à l'ordinaire. Cette
hypertrophie dépend de Texcitation du système diges-
tif des diabétiques, dont on sait que toutes les fonctions
nutritives sont singulièrement activées.
Chez les malades qui n'ont pas l'appétit exagéré^ et
cela se rencontre assez souvent, on ne trouve générale-
ment pas alors cette hypertrophie des membranes de
l'estomac, tandis qu'on l'observe aussi dans les cas de
polydipsie pure et simple dans lesquels il existe sou-
vent, comme on le sait, un appétit vorace.
On a dit que les diabétiques sécrétaient dans leur
estomac une diastase particulière, mais on a retrouvé
cette matière dans la salive, qui peut être avalée. Je
me borne donc à vous signaler cette opinion, qui est
de M. Bouchardat.
A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 423
Quant aux altérations du sang qu'on a supposées
coïncider avec le diabète, à savoir, son acidité ou plu-
tôt son défaut d'alcalinité, jamais aucune observation
ne l'a confirmé, et c'est là une pure hypothèse.
Maintenant, Messieurs, que la fonction glycogénique
se trouve parfaitement établie, nous sommes conduits
tout naturellement à localiser le diabète dans le foie.
Mais alors quelle sera l'altération de cet organe qui
correspondra au diabète ? D'après tout ce que nous
avons dit du mécanisme physiologique de la maladie,
l'altération fonctionnelle qui doit y correspondre est
évidemment une exagération de la formation du sucre
qui coïncide très-souvent, comme nous l'avons dit, avec
une exagération des facultés digestives et de l'excrétion
urinaire.
Mais comment comprendre cette exagération fonc-
tionnelle du foie au point de vue du sucre? D'une part,
par l'augmentation du volume de l'organe, qui se pré-
sente très-gorgé de sang, et d'autre part, par la quan-
tité plus considérable de sucre que présente son tissu.
Nous sommes porté à penser que chez les diabétiques
l'état du foie doit être ainsi, et quand on peut observer
cet organe dans des conditions favorables, on y trouve
les caractères que nous venons d'indiquer. C'est ainsi
que chez un diabétique mort presque subitement, dans
le service de M, Rayer, d'une apoplexie pulmonaire, j'ai
trouvé le foie très-volumineux et son tissu très-abon-
damment chargé de matière sucrée. Voici les chiffres
que nous avons obtenus à ce sujet, et que nous avons mis
en regard avec les résultats obtenus sur Thomme sain.
424 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
Sucre calculé
Poids pour 100 p. , ^ ,. ,
, c ■ IX- r • P*^"'' la lotahté
du foie. du tissu frais , r-
du foie.
Sucre
■ la lot
du foie.
Diabétique mort subitement ; à
jeun depuis la veille 2,500 2,300 57,500
Supplicié en digestion 1,200 2/142 25,704
— cà jeun de la veille 1,300 1,790 23,270
Homme tué d'un coup de fusil. . 1,575 1,100 17,000
On voit par ce tableau que la quantité de sucre pro-
duit par un poids égal de tissu hépatique ne diffère pas
beaucoup chez le diabétique et chez l'individu sain ;
c'est au point de vue de la masse des parties sécrétan-
tes qu'il y a des différences qui sont ici comme i est
à 2, et l'on voit les quantités de sucre produit propor-
tionnelles à cette masse.
Mais il arrive souvent que les diabétiques meurent
lentement; ordinairement la maladie se termine par
la phthisie, qui, lorsqu'elle est parvenue à sa dernière
période, suffit pour faire disparaître les symptômes du
diabète; les urines, devenues moins abondantes, ne
contiennent plus de sucre, l'appétit alors diminue, la
fièvre hectique s'allume, etc. Le malade n'est plus dia-
bétique; aussi quand on vient, dans ces conditions, à
faire son autopsie, le foie ne contient plus de sucre, et
ne présente pas non plus de traces d'hypertrophie. J'ai
fait un certain nombre d'autopsies de malades morts
dans cet élat, et le foie, comme dans la plupart des
cadavres, ne présentait pas de sucre, et il n'y avait
pas de différence sensible entre cette autopsie et celle
d'un phthisique ordinaire. C'est là ce qui se présente
quand la phthisie est lente; mais j'ai vu un cas de
A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 42o
phthisie aiguë, où une malade diabétique est morte,
présentant encore du sucre dans l'urine et dans le
foie.
Je signalerai en passant deux cas d'autopsie de dia-
bétiques dans lesquels j'ai trouvé le pancréas excessi-
vement petit et très-atrophié, sans pourtant présenter
d'autres altérations que cette diminution de volume.
Cette atrophie du pancréas coïnciderait-elle avec un
symptôme signalé par certains auteurs, savoir, la pré-
sence des matières grasses dans les selles des diabéti-
ques? Dans les cas dont il est ici question, l'attention
n'avait pas été dirigée vers les symptômes pendant la vie
des malades.
Indépendamment de la présence du sucre dans le
foie, il faut encore signaler l'existence de cette matière
en très-grande quantité dans tout le sang. C'est là un
fait qui est bien connu aujourd'hui, et bien souvent j'ai
eu l'occasion de vérifier, dans le service de M. Rayer,
que le sérum du sang d'un diabétique, qui est alcalin
comme le sérum ordinaire, réduit très-abondamment
par le liquide cupro-polassique, tandis que le sérum
des autres malades, traité de la même manière, ne
donne pas de rédaction. Du reste, lorsque le sang des
diabétiques est abandonné à lui-même, le sucre finit
par disparaître, ce qui prouve qu'il n'y a rien qui em-
pêche le sucre de s'y détruire.
On trouve également du sucre dans le sang des dia-
bétiques qui sont morts subitement en présentant le
symptôme des urines sucrées.
Quand on vient à faire l'autopsie d'un diabétique,
420 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
mort subitement, vingt-quatre ou trente-six heures
après le décès, on trouvera du sang sucré dans tous les
organes et dans tous les tissus, et vous le comprendrez
facilement, car le sang d'un diabétique étant chargé de
sucre, l'infiltration qui survient après la mort imprègne
de cette matière toutes les parties du corps. C'est un
phénomène purement cadavérique, et qui d'ailleurs
peut être reproduit directement avec facilité. Si l'on
prend, par exemple, deux lapins et qu'on les rende tous
deux diabétiques, et que, au moment de la plus grande
intensité du phénomène qu'a produit la piqûre de la
moelle allongée, on les sacrifie tous deux, l'un par hé-
morrhagie, l'autre par strangulation, et qu'on les
abandonne tous deux jusqu'au lendemain dans les
mêmes conditions, on verra que celui qui a perdu tout
son sang ne présente plus dans ces organes la moindre
trace de sucre, tandis que les tissus de l'animal tué par
strangulation sont imbibés de sucre.
Nous avons déjà signalé quelque chose de semblable
à propos de la bile. Vous savez qu'on avait été induit en
erreur quand on a émis l'opinion que la bile était su-
crée, parce qu'on avait rencontré du sucre dans la bile
des cadavres dont on faisait l'autopsie vingt-quatre
heures après la mort. Vous savez que c'est là un simple
effet d'endosmose qui n'a jamais lieu pendant la vie, où
jamais on ne trouve là de sucre dans le liquide biliaire
de la vésicule.
De même chez les diabétiques, pendant la vie, le
sang seul est sucré; les tissus, excepté celui du foie, ne
le sont jamais; mais, après la mort, en vertu de son
A LA PATHOLOGIE DU DL\BETE. 427
pouvoir endosmotique considérable, le sucre s'infiltre
dans tout l'organisme.
Le cervelet, et en particulier les parties qui sont voi-
sines du confluent postérieur, du liquide céphalora-
chidien, constamment sucré, même à l'état normal,
paraissent présenter une plus grande proportion de
sucre que le reste de l'encéphale, ce qui s'explique par
l'infiltration cadavérique du liquide céphalorachidien,
très-sucré chez les diabétiques.
Ainsi, il est très-bien établi, par des autopsies faites
dans des conditions convenables, que chez les diabéti-
ques il y a plus de sucre que dans l'état ordinaire ; que
ce sucre est répandu par tout l'organisme, et que cela
tient à ce que le foie ayant augmenté de volume, la
quantité de sa sécrétion sucrée se trouve par là même
considérablement augmentée.
C'est donc le foie qui est l'organe affecté; mais, où
est la lésion qui produit cette exagération de la fonc-
tion glycogénique? Évidemment cette cause peut siéger
dans le tissu hépatique lui-même, mais elle peut égale-
ment lui être extérieure et déterminer l'exagération
morbide de la sécrétion glycogénique, par des actions
portées sur des organes qui réagissent d'une manière
réflexe sur le foie lui-même, sans que l'individu en ait
conscience ; ces phénomènes pathologiques sont pro-
duits par des troubles des centres nerveux. On peut
comprendre que les fonctions organiques puissent se
trouver perverties, par l'influence nerveuse, au même
titre que les fonctions de la vie de relation, comme cela
a lieu, par exemple, dans l'épilepsie, la chorée, etc. On
428 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
remarque, en effet, que la plupart des diabétiques pré-
sentent généralement quelques désordres émanant du
centre cérébro-spinal.
Dans l'harmonie générale des fonctions de l'indi-
vidu, le foie se trouve lié aux autres organes, de telle
sorte que l'un de ces derniers recevant une excitation,
celle-ci se transmet au foie par une action réflexe, dont
nous n'avons pas conscience, mais qui cependant se
trouve démontrée par des faits physiologiques. Vous
vous rappelez, en effet, qu'en agissant au moyen du
galvanisme sur le bout central pneumo-gastrique, coupé
dans la région du cou, nous déterminons une suracti-
vité dans la fonction glycogénique, qui fait apparaître
le sucre dans les urines.
Or, dans ces actions sympathiques, il peut se pré-
senter deux cas qui deviendront deux causes de dia-
bète : ou bien les organes qui sont en connexité d'ac-
tion avec le foie reçoivent des impressions plus vives
et les transmettent à l'organe hépatique; ou bien les
excitations venues du dehors restant les mêmes, le foie
est devenu plus excitable et sécrète davantage.
Dans le dernier cas, on comprendra que les aliments
absorbés dans l'intestin et charriés par la veine porte,
réagissent d'une manière plus énergique sur l'organe
devenu plus irritable, et produisent ainsi le diabète.
Nous vous avons dit, en effet, que l'on faisait appa-
raître le sucre dans l'urine des animaux en leur injec-
tant dans la veine porte de l'ammoniaque ou de l'éther.
On comprend qu'un liquide plus excitant, ou un
foie plus excitable puisse déterminer les mêmes effets.
A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 429
11 resterait à savoir si la matière sucrée ne serait pas,
dans les cas de diabète, un excitant du foie, car on s'a-
perçoit que chez les malades, pour peu qu'on leur
donne des matières féculentes ou saccharoïdes, les uri-
nes présentent aussitôt de grandes quantités de sucre
qui ne sont nullement en proportion avec la quantité
de celte même matière qui a pu être introduite dans
l'intestin.
Dans d'autres cas, sans que le foie lui-même soit
malade, l'excitation peut encore venir d'un autre or-
gane et être transmise par action réfiexe.
Quand on porte, par exemple, une irritation sur le
poumon, dont les fonctions sont liées d'une manière si
intime avec celles du foie, on détermine une plus
grande sécrétion du sucre, qui peut alors passer dans
les urines, ainsi que cela a lieu sous l'influence des va-
peurs qui excitent le poumon. Ici l'irritation agit sur
les extrémités nerveuses des filets du pneumo-gastrique,
qui existent dans le poumon, de la même manière que
le galvanisme agit quand on excite directement le bout
central du mêaie nerf, coupé dans la région du cou.
Et ce qui tend encore à prouver qu'il en est ainsi, c'est
que, si après cette section du même nerf, on fait res-
pirer à l'animal les mêmes vapeurs irritantes qui tout
à l'heure produisaient le diabète, on n'obtient plus
rien de semblable, parce que l'impression portée sur
le poumon n'arrive plus aux centres nerveux.
11 pourrait donc se faire que le poumon fût plus
excitable, et que l'action de l'air produisit sur lui une
impression plus vive qu'à l'état normal ; dès lors le foie
430 PHYSIOLOGIE DU DIABÈTE.
serait aussi plus vivement excité. On sait, en effet, que
les diabètes meurent presque tous de phthisie pul-
monaire. Cette affection a-t-elle précédé celle du foie
ou en est-elle une conséquence, c'est ce qu'il serait
difficile de déterminer.
Pour produire le diabète, il y aurait donc deux or-
dres de lésions, les unes intérieures au foie, les autres
qui lui sont extérieures. De sorte que, lorsqu'on veut
localiser la maladie, il faut savoir qu'on peut en trou-^
ver le point de départ dans une infinité de parties de
l'organisme, et l'on voit aussi combien un problème
pathologique est compliqué, mais combien aussi il est
susceptible de s'éclairer pas les données physiologi-
ques.
VINGT-TROISIÈME LEÇON
17 MARS 1855.
SOMMAIRE : Symptômes du diabète. — C'est une maladie apyrétique. — Ca-
ractères des urines. — Sucre. — Sucre de lait dans l'urine d'une femme
récemment accouchée. — La présence du sucre dans l'urine suffit-elle pour
caractériser le diabète? — Présence passagère du sucre dans les urines. —
Diabètes intermittents. — Aigus. — Alternants. — Continus. — De l'urée
dans l'urine des diabétiques. — Acide urique. — Albumine. — Quantité
des urines dans le diabète. — Leur rapport avec les boissons ingérées. —
Observation. — Boulimie et polydipsie. — Absence de la sueur. — Théorie
à ce sujet. — Phénomènes nerveux accompagnant le diabète. — Influence
des féculents sur le diabète. — Influence des médicaments énergiques sur
les symptômes du diabète.
Messieurs,
Nous ne pouvons qu'esquisser très-largement les ca-
ractères du diabète, parce que le temps nous presse.
Dans la dernière séance, nous avons jeté un coup
d'œil rapide sur le siège anatomo-pathologique de cette
affection. Aujourd'hui nous allons en examiner les ma-
nifestations extérieures, c'est-à-dire les symptômes.
Nous devons d'abord remarquer que le caractère es-
sentiel du diabète, c'est d'être une maladie ne ressem-
blant en rien aux maladies aiguës ou fièvres continues
qui entraînent après elle l'abolition des fonctions diges-
tives ou nutritives, et obligent les malades à rester dans
leur lit, etc. Le diabète, au contraire, est ce qu'on ap-
pelle une maladie apyrétique. Cette affection, loin d'en-
432 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
traîner une diminution ou une abolition des facultés
digestives, coïncide plutôt, au contraire, avec une exa-
gération de ces mêmes fonctions : la faim, la soif, sont
souvent considérablement augmentées, les digestions
très-actives, et cependant, à côté de cette suractivité des
propriétés digestives, nous voyons les individus maigrir
rapidement et arriver à un état de marasme qui est
même un des caractères de la maladie. Ceci prouve
qu'il y a une perversion dans un des points des facultés
nutritives. Les aliments, quoique parfaitement digérés
et absorbés, ne remplissent pas leurs usages ordinaires
de restaurer l'individu, et, malgré cette alimentation
surabondante, l'organisme s'affaiblit, soit que l'on con-
sidère que l'action morbide agisse mécaniquement en
donnant lieu à des pertes exagérées qui ne peuvent se
réparer suffisamment, soit qu'on considère l'action
morbide comme un dérangement chimique qui rend
les aliments digérés impropres à l'assimilation.
Quoi qu'il en soit, nous allons passer rapidement en
revue les différents symptômes du diabète, et voir leur
relation avec les phénomènes normaux de la fonction
glycogénique.
Examinons d'abord le symptôme le plus saillant et
celui qui est regardé comme le principal caractère. Je
veux parler de l'examen des urines.
La modification essentielle et pathognomonique des
urines des diabéti'^es, c'est la présence d'un sucre
analogue au glucose, ayant la propriété, comme vous
savez, de dévier à droite le rayon polarisé, de brunir par
la potasse, de réduire les sels de cuivre, de fermenter en
A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 433
donnant de l'acide carbonique et de l'alcool. On ne
trouve jamais dans les urines une autre espèce de sucre,
quand même ce principe y arriverait accidentellement
par une ingestion considérable de matières sucrées.
Quand les diabétiques, par exemple, prennent du sucre
de canne, ils rendent toujours du sucre de diabète, et
jamais du sucre de première espèce en nature.
Quand un homme bien portant ou un animal ingè-
rent, étant à jeun, une quantité considérable de sucre
de canne, il arrive souvent, comme nous vousl'avons dit
déjà, qu'une certaine quantité de sucre peut passer dans
les urines ; mais on le trouve toujours à l'état de glucose,
ce qui tient sans aucun doute à une transformation qu'il
a dû subir en traversant le foie.
Cependant, quand le sucre est ingéré en aussi grande
quantité et surtout dans une liqueur très-concentrée, il
peut arriver, ainsi que cela a été dit ailleurs, qu'il y ait
une endosmose directe entre l'intestin et la vessie, à
travers les parois de ces organes, sans que le sucre, dans
cette circonstance, soit changé de nature. C'est sans
doute à des phénomènes de ce genre que sont dus les
résultats obtenus par Schmidt, qui dit avoir trouvé à la
fois du sucre de canne et du sucre de raisin dans l'urine
des chats, dans l'estomac desquels il avait ingéré une
solution concentrée de sucre de canne. Il peut se pro-
duire dans ces cas quelque chose d'analogue à ce qui a
lieu quand on injecte dans l'estomac d'un animal mort
une dissolution concentrée de sucre de canne : au bout
d'un certain temps on en retrouve dans la vessie.
Dans un cas, en examinant l'urine d'une femme qui
BERNARD. I. 2 8
434 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
avait présenté pendant l'accouchement des phénomènes
d'éclampsie, et qui avait en même temps de l'albumine
dans les urines, j'ai trouvé des proportions assez consi-
dérables de sucre, qui me parut être du sucre de lait,
parce que ce sucre présentait tous les caractères du
glucose, sauf la fermentation qui fut excessivement
lente. La présence de ce sucre de lait pouvait, jusqu'à
un certain point, s'expliquer, parce que cette femme,
nouvellement accouchée et n'allaitant pas son enfant,
avait les mamelles distendues par le lait. C'est le seul
cas de ce genre que j'aie eu l'occasion d'observer, et il
serait intéressant de savoir si le sucre de lait, dans ces
circonstances, se rencontre toujours ou souvent dans
les urines.
On voit donc par cela que les urines des diabétiques
sont caractérisées par une espèce de sucre bien déter-
miné, tout à fait analogue au sucre de fécule, et que la
présence du sucre de canne et du sucre de lait, dans
les urines, ne peut être due qu'à des circonstances tout à
fait exceptionnelles et qui ne constituent jamais un cas
de diabète.
Mais la présence dans l'urine du sucre de diabète
analogue à celui du foie est-elle suffisante pour carac-
tériser le diabète, et est-on diabétique par ce seul fait
qu'on a trouvé du sucre dans l'urine? La déQnition de
la maladie ne saurait être aussi exclusive, car nous avons
vu qu'il peut accidentellement, et d'une manière tout à
fait temporaire, passer du sucre, dans le cas de certaines
alimentations, et nous pouvons dire aussi que le sucre
apparaît dans certaines circonstances sans que Ton soit
A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 43S
diabétique. On a dit, par exemple, que le sucre passait
dans les urines chez les épileptiques pendant l'accès ; ce
fait, qui n'a pas été confirmé par tous les observateurs,
peut, suivant nous, s'expliquer par un trouble momen-
tané du système nerveux qui ait pour effet, soit de chas-
ser par les convulsions une plus grande quantité de su-
cre du foie, soit de produire cette apparition par -un
autre mécanisme; mais, dans tous le cas, ce sont des
quantités très-faibles qui existent alors.
On a encore dit qu'il y avait du sucre dans l'urine
des vieillards dans certains états pathologiques du pou-
mon, ainsi que chez des vieillards atteints de gangrène
sénile. On a même prétendu que les diabétiques pou-
vaient être plus facilement atteints de gangrène, ce que
je n'ai jamais observé, etc.
Il peut se faire que dans un certain nombre de cir-
constances qui sont encore à déterminer, car il y a dis-
sidence entre les observateurs à ce sujet, le sucre se ma-
nifeste dans les urines d'une manière passagère. Mais,
dans tous ces cas, la matière sucrée est en très-faible
quantité, et nous pensons qu'on ne peut pas les ranger
sous la catégorie de diabète dans lequel, non-seulement
le sucre est beaucoup plus abondant, mais se présente
accompagné d'autres phénomènes. Il y a ici à faire pour
le diabète la distinction que M. Rayer a établie depuis
longtemps pour la maladie de Bright (1), à savoir, que
l'albumine qui caractérise spécialement les urines dans
cette affection se rencontre dans beaucoup d'autres cas
(1) Traité des maladies des reins et des altérations de la sécrétion ur
maij^e.
436 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
qu'on ne saurait considérer comme des cas d'albumi-
nurie.
Il en est de même du sucre qui, bien qu'il caracté-
rise le diabète, peut se rencontrer dans d'autres cas qui
ne doivent pas pour cela être rapportés à cette affection.
Nous avons dit aussi que la présence du sucre^ en
certaine quantité et d'une manière durable, était un
des caractères du diabète; cependant nous devons
nous rappeler qu'il y a des diabètes intermittents dans
lesquels le sucre n'apparaît qu'au moment de la diges-
tion pour disparaître dans l'intervalle de deux repas,
mais qui finissent souvent par aboutir au diabète con-
tinu. Nous devons savoir aussi qu'il y a ce qu'on appelle
des diabètes aigus^ c'est-à-dire des diabètes dans les-
quels le sucre apparaît subitement et avec intensité dans
les urines, le plus ordinairement sous l'influence d'une
cause morale, et disparaît ensuite rapidement sous
l'influence d'un traitement quelconque. Nous devons
savoir encore reconnaître ce qu'on pourrait appeler des
diabètes alternants, c'est-à-dire des diabètes se succé-
dant par accès avec les symptômes d'une autre mala-
die, et, particulièrement, avec des accès dégoutte ou de
rhumatisme. On voit quelquefois des malades goutteux,
dont les urines contiennent beaucoup d'acide urique,
présenter tout à coup le symptôme des diabétiques, et
les urines se charger de sucre, c'est-à-dire la goutte se
changer en un accès de diabète. M. Rayer cite un cer-
tain nombre de ces cas, et moi-même j'en connais un
qui est très- caractérisé.
Enfin, on a encore parlé des diabètes périodiques,
A LA PATHOLOGIE DU DL\BÉTE. 437
c'est-à-dire dans lesquels la maladie ne se manifeste
que par périodes distinctes, apparaissant de loin en
loin.
Peut-être pourrait-on encore admettre d'autres for-
mes de diabètes ; mais de toutes, la plus grave est, sans
contredit, le diabète continu. Dans tous ces cas, la
quantité de sucre est bien plus considérable au mo-
ment oîi la digestion est dans toute son activité, c'est-
à-dire environ quatre ou cinq heures après un repas,
ce qui est parfaitement d'accord avec les données
physiologiques.
En même temps que les urines des diabétiques pré-
sentent du sucre, elles offrent encore d'autres carac-
tères soit dans leur quantité, soit dans quelques-uns
de leurs principes constituants ; c'est ce que nous allons
examiner successivement.
On a dit que les urines des diabétiques ne contenaient
pas d'urée, et l'on en a conclu que, chez les diabéti-
ques, cette substance ne se formait plus. Schmidt, en
particulier, se basant sur cette idée, émet l'hypothèse
que les matériaux de l'urée peuvent servir à faire le su-
cre, et que la quantité de sucre produite serait d'autant
plus grande que la quantité d'urée serait moindre.
Mac Gregor prétend, au contraire, que les diabéti-
ques ont beaucoup plus d'urée que les hommes en
état de santé, parce que, dit-il, si l'on trouve moins
d'urée dans un litre d'urine d'un diabétique que dans
un litre d'urine d'un homme sain, cela tient à ce que
Turine des diabétiques est beaucoup plus diluée; mais
si l'on rassemble toutes les urines pendant vingt-quatre
438 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
heures, on reconnaît que la quantité totale d'urée e«L
plus considérable que dans Tétat normal.
Cependant, aux observations de Mac Gregor on peut
opposer celle de Lehmann, qui a trouvé que, même en
prenant l'urine de vingt-quatre heures, la quantité de
l'urée est moindre chez les diabétiques. C'est encore
sur cette diminution de l'urée, observée, d'ailleurs, de-
puis très-longtemps, que serait fondé le traitement de
Nicolas et Gueudeville, dans lequel on donnait de l'am-
moniaque. C'est sur cette même croyance que MM. Yau-
quelin et Ségalas ont eu l'idée de faire prendre de
l'urée aux diabétiques pour en faire revenir dans les
urines ; mais l'expérience ne répondit pas à leur pré-
vision, et chez les diabétiques qui prenaient des quan-
tités considérables d'urée, on n'en trouva pas davan-
tage dans les urines : ce qui tient à ce que l'urée dans
l'estomac se transforme en sels ammoniacaux, et que
les malades en question, au lieu d'absorber de l'urée,
ne prenaient, en réalité, que du carbonate d'ammonia-
que. La même transformation de l'urée a lieu quand
elle est excrétée par les voies digestives. Ainsi, sur les
chiens qui ont eu les reins enlevés, l'urée sort du sang
pendant le premier jour après l'opération, à l'état
de carbonate d'ammoniaque.
L'acide urique se rencontre rarement aussi dans les
urines des diabétiques, et l'on a même cru que la pré-
sence du sucre était incompatible avec cette matière.
Mais il n'en est rien; car, s'il arrive quelquefois qu'on
ne rencontre pas d'acide urique, on en trouve d'autres
fois d'une manière, très-évidente, et même quelquefois
A LA PATHOLOGIE DU DL\BÉTE. 439
en quantités suffisantes pour que cet acide forme des
dépôts cristallins.
Da reste, en général, on doit dire que la matière su-
crée n'exclut aucun autre des éléments de l'urine, et
que, si l'urée et l'acide urique n'existent pas chez les
diabétiques, où le sucre est en très-grande proportion et
les urines très-abondantes, ces principes peuvent exis-
ter dans d'autres circonstances, surtout chez des dia-
bétiques qui n'ont pas de polydipsie et qui ne rendent
pas plus d'urine que dans l'état normal.
Enfin, il est encore une matière qu'on peut rencon-
trer dans l'urine des diabétiques, et à laquelle on a at-
tribué une certaine importance : c'est l'albumine qui
apparaît quelquefois pendant la dernière période de la
maladie chez les diabétiques. MM. Thénard et Du-
puytren pensaient que c'était un symptôme favorable,
parce que cela indiquait la réapparition des matières
animales dans l'urioe, qui sont généralement d'autant
moins abondantes que le diabète est plus intense, et
qui reparaissent successivement à mesure que le sucre
diminue. M. Rayer croit, au contraire, d'après des ré-
sultats cliniques, que c'est toujours un symptôme fâ-
cheux et grave pour le pronostic, lorsqu'on voit l'al-
bumine apparaître dans les urines, la physiologie appuie
cette dernière manière de voir, en ce que l'on produit
quelquefois, comme nous l'avons dit, par la piqûre de
la moelle allongée, l'apparition, dans l'urine, de l'al-
bumine en même temps que celle du sucre. Or, ce der-
nier cas n'arrive que lorsque la lésion traumatique
porte plus haut et produit des désordres plus graves,
. 440 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
de sorte que les animaux meurent généralement de la
lésion qui produit ces deux symptômes à la fois.
Enfin, nous terminerons ce que nous voulons dire
sur les urines des diabétiques, en ajoutant que leur
l'éaction est généralement acide, et que, lorsque cette
urine est abandonnée à elle-même, il s'y développe
spontanément des globules de ferment alcoolique ou
levure de bière.
Nous devons actuellement nous arrêter sur la quan-
tité des urines fournies par des diabétiques. On a dit
depuis très-longtemps que ces malades rendaient des
quantités énormes d'urines. Nous savons que ce carac-
tère n'est pas constant, car on peut trouver des diabéti-
ques qui ne rendent pas plus d'urines qu'à l'état
normal ; mais il n'en est pas moins vrai que la polydip-
sie est un symptôme grave et qui se rencontre fréquem-
ment alliée au diabète. Seulement, on a prétendu qu'il
y avait des diabétiques qui rendaient des quantités
d'urine plus grandes que la quantité des boissons
absorbées ; de sorte que, pour expliquer cet excès, il
fallait invoquer des hypothèses, à savoir, que les dia-
bétiques pouvaient absorber de la vapeur d'eau par
les poumons ou par la peau, dont les fonctions seraient
alors perverties ; qu'ils pouvaient fabriquer directe-
ment de l'eau avec l'oxygène de l'air ou l'hydrogène
provenant de leurs ahments, etc.
Toutes ces hypothèses reposaient nécessairement sur
l'exactitude du fait qu'elles voulaient expliquer ; mais,
dernièrement, M. Nasse a avancé qu'aucun de ces faits
ne paraissait être exact, car cet auteur, ayant voulu les
A LA PATHOLOGIE DU DL\BÈTE. 441
vérifier, fut conduit à des résultats analogues d'abord,
puis il reconnut bientôt une cause d'erreur venant de
la part des malades, qui n'accusaient pas la moitié des
boissons qu'ils prenaient.
Pour éviter cette source d'erreur, M. Nasse enferma
les malades dans des appartements séparés, en leur
donnant des boissons autant qu'ils en désiraient, mais
sans qu'ils pussent s'en procurer autrement. Or dans ces
cas, jamais cet auteur n'a observé qu'il y ait une quantité
d'urine rendue excédant celle de l'eau contenue dans
les boissons ou dans les aliments, de sorte qu'il faut re-
noncer tout à fait à admettre comme réel ce phénomène,
ainsi que les hypothèses qui servaient à l'expliquer.
Nous allons passer aux phénomènes qui se rappor-
tent aux fonctions digestives. On a signalé comme
symptôme du diabète la boulimie^ c'est-à-dire l'appétit
exagéré, ainsi qu'une soif ardente. Ces phénomènes
existent sans doute dans beaucoup de cas, et dans
les plus graves, mais on ne saurait cependant re-
garder ces symptômes comme pathognomoniques de
cette affection ; car, d'une part, on ne les trouve pas
dans tous les cas de diabète, et, d'autre part, on les
rencontre aussi dans d'autres maladies. Ainsi, dans
lapolydipsie, la boulimie et la soif ardente sont aussi
fréquentes que dans le diabète proprement dit, et
chez les diabétiques oii la quantité d'urine émise n'est
pas très-considérable, la soif et l'appétit n'ont rien
d'exagéré, de sorte que ces phénomènes seraient plutôt
en rapport avec la quantité des excrétions qu'avec la
présence ou l'absence du sucre -dans les urines.
442 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
Du reste, on a toujours mis en rapport la soif des
diabétiques avec la déperdition considérable de liquide
par les voies urinaires, et la boulimie, la polydipsie,
n'étaient que l'expression du besoin de réparation des
matières solides et liquides incessamment rejetées.
On a cherché à expliquer l'expulsion considérable
des urines par la présence du sucre qui, ayant un pou-
voir endosmotique considérable, peut traverser avec
plus de facilité les parois des capillaires des reins. Sans
entrer dans l'appréciation de cette explication, nous re-
marquerons qu'elle n'embrasse pas tous les faits, puis-
que Qous retrouvons la même abondance d'urines dans
la polydipsie simple. On a expliqué aussi cette exagé-
ration dans les phénomènes digestifs par une propriété
d'absorption plus grande que dans l'état normal. Le
fait est évident, mais sa cause n'est nullement connue,
On a encore parlé d'un autre symptôme fréquent chez
les diabétiques, c'est l'absence de la sueur, et l'on a
même fait à ce sujet des théories très-singulières. On a
supposé, par exemple, que la sueur étant arrêtée chez
les diabétiques, l'acide qui, à l'état normal, constitue
un des principes de cette sécrétion, restait dans le sang,
devenu alors moins alcalin, et empêchait par là le
sucre de se détruire. Cette hypothèse, qui ne repose
sur aucune preuve directe, puisqu'on n'a jamais trouvé
de sang moins alcalin chez les diabétiques, se base
aussi sur un fait qui n'est pas constant ; car s'il y a
beaucoup de malades dans lesquels la sueur est arrêtée,
il y en a un grand nombre aussi dans lesquels ce phé-
nomène n'a pas lieu. Toutefois l'apparition du diabète
A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 443
lui-même coïncide souvent avec un refroidissement à
la suite duquel la transpiration est supprimée, et l'on a
remarqué que la peau devient souvent rude et écail-
leuse.
On a donné encore cette explication que l'acide de
la sueur, se trouvant alors éliminé par l'estomac, de-
venait la cause d'une excitation d'où résultait un appétit
exagéré.
Il n'y a pas lieu de discuter de pareilles supposi-
tions.
Maintenant nous arrivons à un ordre de considéra-
tions qui se rapportent à un appareil dont le rôle est plus
important dans la production du diabète, ce sont celles
qui sont relatives au système nerveux. Jusqu'à présent
on a peu insisté sur ces phénomènes. Nicolas et Gueu-
deville considèrent que le tempérament musculaire est
une prédisposition au diabète ; mais cependant il paraît
bien établi que ce sont les tempéraments nerveux qui
sont plus disposés à ce genre d'affection. Depuis que
l'attention a été portée de ce côté par les expériences
que nous avons faites sur les animaux, on a fréquem-
ment observé des troubles du système nerveux chez
les diabétiques, et M. Rayer considère qu'il y a à
peu près constamment des désordres nerveux chez ces
malades. Seulement ces troubles sont excessivement
variés, comme les manifestations elles-mêmes du sys-
tème nerveux. Tantôt ce sont des désordres de sensi-
bilité, de mouvement ou des phénomènes intellectuels,
mais le plus souvent ces troubles portent sur les or-
ganes intérieurs ou sur les organes génitaux ; ces der-
444 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
niers sont souvent exaltés dans leur action au com-
mencement de la maladie, mais, plus tard, à une
période plus avancée, leurs facultés s'abolissent com-
plètement. 11 y a même souvent des troubles de la vue,
et l'on a signaléla cataracte comme étant un symptôme
accompagnant souvent le diabète.
L'affection diabétique peut être également en rap-
port avec des lésions directes du centre nerveux. C'est
ainsi qu'on a fait une nouvelle espèce de diabète trau-
matique qui serait la conséquence de certaines lésions
directes ; ainsi on a observé, après des chutes, des
commotions qui ont été suivies de diabète plus ou
moins persistant.
Nous devons maintenant chercher à comprendre
pourquoi le diabète est regardé comme une maladie
grave-; autrefois on le considérait même comme com-
plètement incurable. Aujourd'hui le pronostic est moins
grave, ce qui tient sans doute à ce qu'on reconnaît
plus facilement le diabète à l'aide des caractères chi-
miques de l'urine, ce qui n'avait pas lieu autrefois, où
l'on ne devait diagnostiquer ces affections que quand
elles étaient arrivées au degré le plus intense.
Nous savons, d'autre part, que le signe réellement
pathognomoniqueest l'émission du sucre par les urines
en quantité considérable et d'une manière permanente
coïncidant généralement avec des perturbations dans
les fonctions du système nerveux. Car les autres symp-
tômes, tels que la bouhmie, n'offrent pas une gravité
très-grande, puisqu'on les trouve dans la polydipsie,
dont le pronostic n'est pas très-fâcheux. On rencontre
A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 445
également des troubles nerveux dans une foule d'autres
cas peu sérieux, de sorte que, en réalité, il paraîtrait
que c'est à la pertuibation de la fonction glycogénique
qu'il faut attribuer toute la gravité de la maladie. Gom-
ment l'altération de cette fonction glycogénique peut-
elle avoir des conséquences si fâcheuses?
Si nous consultons les lumières que nous fournit la
physiologie sur ce point, nous nous rappellerons qu'il
paraît y avoir dans le foie des diabétiques deux choses,
d'abord une formation exagérée du sucre qui augmente
encore sous l'influence d'une alimentation sucrée, ce
qui n'a pas lieu dans l'état normal. Or, voici ce qui
semble arriver chez les diabétiques. Le sucre se forme,
comme nous l'avons vu, aux dépens des matières albu-
minoïdes. Chez l'homme sain, il est clair qu'une partie
seulement des matières albuminoïdss est consommée
pour cet usage. Le diabétique, qui fait beaucoup de
sucre, dépense une bien plus grande quantité de sub-
stance azotée; le sang s'appauvrit, et, bien que l'indi-
vidu mange énormément, il maigrit comme un homme
mal nourri. Le foie prend en quelque sorte la ration
des autres organes, qui subissent alors une atténuation
considérable, parce qu'il transforme en sucre leurs élé-
ments albumineux.
On avait compris de tout temps que c'était par suite
de cette disparition des éléments azotés que la maladie
était grave; aussi les médecins conseillent universelle-
ment, dans cette affection, l'usage d'ahments exclusive-
ment albuminoïdes.
Depuis Rollo on cherche à donner aux diabétiques
446 APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE
de l'azote sous toutes les formes, et c'est, je crois, ce
qu'il y a de plus conforme aux notions physiologiques.
Il y a une autre considération qui doit faire pros-
crire du régime des diabétiques les aliments végétaux ;
c'est qu'il est évident que ces derniers augmentent la
suractivité fonctionnelle du foie ; vous savez aussi qu'ils
sont excitants pour les reins, qu'ils sont beaucoup plus
diurétiques que les matières animales. Ainsi, tous les
herbivores rendent beaucoup plus d'urine que les car-
nassiers. Il y a donc encore, dans le régime azoté mis
en usage par les diabétiques, l'avantage de donner une
substance qui ne soit pas diurétique.
Enfin, nous terminerons par une dernière remarque.
Quand on traite un diabétique, il ne faut pas perdre
de vue que la première condition de la présence du
sucre dans les urines est un état d'activité parfaite des
fonctions digestives, et que toute altération dans ces
fonctions par une cause quelconque fait immédiate-
ment disparaître le diabète pendant tout le temps que
dure l'altération. Sitôt qu'un diabétique est pris de
fièvre, il cesse d'avoir du sucre dans ses urines; mais
il ne faudrait pas en conclure que la maladie primi-
tive a disparu, car, sitôt la fièvre passée, le diabète
reviendra.
Si l'on trouble les fonctions par une médication éner-
gique, le diabète disparaîtra, jusqu'à ce que ce trouble
soit passé ; il peut arriver alors que, pendant un certain
temps, le malade ne présentera plus le symptôme de
la glycosurie.
Ainsi, je connais Thistoire d'un malade atteint d'un
A LA PATHOLOGIE DU DIABÈTE. 447
diabète exlrêmement rebelle. On essaya sur lui un cer-
tain nombre de médicaments, et il arrivait que tous
diminuèrent pendant les premiers jours les symptômes
du diabète. L'individu rendait moins d'urines et elles
étaient moins sucrées ; mais, au bout de quelques jours,
le malade était habitué à ce médicament, et la maladie
revenait aussi intense qu'auparavant. Il se passait, dans
ce cas, quelque chose de tout naturel : chaque médica-
tion nouvelle apportait du trouble dans toutes les fonc-
tions, celle du foie était atteinte comme toutes les
autres, et le sucre cessait alors momentanément d'être
produit en aussi grande abondance. Il ne faut donc ja-
mais se faire illusion sur de semblables résultats, et ne
pas considérer comme guéri un individu dont on aura,
au moyen d'une médication quelconque, empêché mo-
mentanément l'apparition du sucre dans les urines.
Messieurs, le temps nous presse, et nous ne voulons
pas en dire plus long sur ce sujet : nous croyons, d'ail-
leurs, qu'il est plus important que nous consacrions
les deux dernières leçons qui nous restent à faire une
revue rapide des objections qui ont été opposées à la
fonction glycogénique, et à rappeler les preuves de
toute nature à l'appui de cette même fonction, afin que
vous sortiez d'ici ayant l'esprit bien ïixé sur l'état actue
de la question.
VINGT-QUATRIEME LEÇON
20 MAiiS 1855.
SOMMAIRE : Revue succincte des objections faites à la découverte de la fonc-
tion glycogénique du foie. — Théorie de la formation du sucre aux dépens
des matières grasses. — La formation de la matière sucrée ne serait-elle
pas localisée dans un point de l'organisme? — Réfutation de ces opinions.
— Mémoire contre la fonction glycogénique du foie. — Erreurs contenues
dans ce travail. — Autre mémoire dans lequel on a pour but d'établir que
le réactif cupro-potassique ne décèle pas toujours la présence du sucre
quand cette dernière substance est mélangée avec l'albuminose. — Exa-
men de cette opinion. — Expériences. — Liaison de ces deux travaux. —
Le sang de l'artère hépatique ne contient pas de sucre. — Sucre formé par
la glande mammaire, etc.
Messieurs,
Vous avez pu voir se vérifier pendant la durée de ce
cours ce que je vous disais au commencement, au su-
jet de l'enseignement du Collège de France, qui diffère
essentiellement de celui des Facultés en ce qu'il ne s'oc-
cupe que des questions qui s'agitent actuellement dans
la science. Cet enseignement ne pouvait donc être ren-
fermé strictement dans un programme prévu d'avance,
parce qu'il naît toujours dans des études de ce genre
une foule de points de vue nouveaux qui interrompent
la marche dogmatique des idées, et auxquels on doit
nécessairement consacrer quelques instants dans l'inté-
rêt même de la science.
C'est ce qui nous est arrivé, et vous avez vu qu'au
EXAMEN CRITIQUE DE LA GLYCOGÉNIE. 449
moment où nous exposions successivement toutes les
preuves sur lesquelles nous avions établi la fonction
glycogénique du foie, et lorsque nous étions parvenu
au milieu du cours, une discussion s'est subitement
élevée et nous a mis en demeure de l'examiner, d'une
part, parce que c'est notre devoir, et, d'autre part,
parce que cette question relative à la formation de
matière sucrée dans les animaux et les végétaux avait
fait une sensation qui intéresse la physiologie générale
au plus haut point.
Nous vous avons déjà dit quelques mots de celte dis-
cussion à l'époque oii elle prit naissance, mais nous
avons voulu la laisser se développer tout entière dans
tous les arguments avant de revenir sur elle d'une ma-
nière plus complète. Aujourd'hui nous pensons que la
plupart des objections se sont produites que nous allons
les reprendre devant vous; et cet examen, qui résumera
en même temps d'une manière complète la question qui
a fait le sujet de ce cours, nous permettra de formuler
définitivement d'une manière nette et précise l'état ac-
tuel de la science sur ce sujet.
Dans cette énumération des arguments nous ne dis-
tinguerons, comme nous l'avons déjà dit, aucune per-
sonne, nous ne chercherons pas à connaître la source
des arguments, nous n'en discuterons que la valeur.
Nous résoudrons, je l'espère, toutes les objections qui
sont parvenues à notre connaissance, et, s'il en existait
que nous ignorions encore, nous serons heureux qu'on
nous les adressât, en tant toutefois qu'elles seront ba-
sées sur des faits d'expérience. Nous ne reconnaissons
BERNARD. I. . 29
4o0 EXAMEN DES OBJECTIONS
pas d'autres arguments, le raisonnement scolastique
devant être banni désormais de toute discussion scien-
tifique.
Nous suivrons tout naturellement ici l'ordre histo-
rique, en prenant les travaux qui ont paru successive-
ment depuis la publication de notre premier mémoire,
à la fin de 1848.
En 1850, un chimiste bien connu, M. Schmidt, pu-
blia un ouvrage sur le choléra épidémique. A la fin de
ce travail il a placé un fragment sur la théorie du dia-
bète, dans lequel l'auteur se pose parmi beaucoup d'au-
tres les questions suivantes :
1° Le sucre des urines doit-il être considéré comme
un produit anormal du sang, ou comme un produit qui
y existerait normalement comme l'urée?
1" Le sucre est-il formé uniquement sous l'influence
d'une alimentation végétale, et disparait-il complète-
ment par suite d'une alimentation animale?
A la première question Fauteur répond par l'affirma-
tive, et reconnaît avec nous que le sucre doit être con-
sidéré comme un élément normal du sang. Quant à la
seconde question, l'auteur est encore d'accord avec
nous, et il reconnaît que le sucre continue à se rencon-
trer dans l'organisme lorsque les aliments ne peuvent
en contenir et que les individus se trouvent soumis h
une alimentation exclusivement animale; de sorte que,
ainsi que l'on voit, M. Schmidt ne regarde plus le su-
cre comme une substance nécessairement dérivée du
règne végétal, il la considère avec nous comme un pro-
duit de l'organisme animal. Seulement c'est sur le lieu
FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 451
et sur le mécanisme de la production de ce sucre qu'il
est en dissidence avec nous. M. Schmidt compare le
sucre h Turée, et il pense que ces deux principes, ré-
pandus dans le sang de toutes les parties du corps,
n'ont pas une source précise qui puisse être localisée
dans un organe spécial, mais que ces deux produits
prennent naissance partout, par suite des changements
moléculaires qui s'opèrent dans le sang; et il admet,
d'après les formules hypothétiques, que la graisse, en
se dédoublant en glycérine et acide cholalique, peut
donner du sucre.
Les dissidences ne portent, comme on le voit, que
sur deux points. Le premier est la supposition que le
sucre se forme aux dépens des matières grasses, et n'au-
rait pas sa formation localisée dans le foie. D'abord,
cette formation du sucre est une hypothèse pure et
simple, et qui est en désaccord avec l'expérimentation
physiologique et avec les analyses chimiques d'autres
auteurs. Nous disons que c'est une hypothèse chimi-
que, parce que M. Schmidt n'a donné comme preuve
que des formules écrites, sans avoir fait aucune expé-
rience directe; car s'il en avait fait, il aurait vu que
son hypothèse ne pouvait être soutenue.
Nous savons, en effet, que l'alimentation graisseuse
fait diminuer la quantité de sucre dans l'organisme,
tandis que l'aUmentation purement azotée entretient
cette formation dans son intensité normale. Il suffît, du
reste, de vous rappeler les chiffres que nous avons ob-
tenus h ce sujet :
452 EXAMEN DES OBJECTIONS
Quantité de sucre dans le foie d'un chien soumis à
l'alimentation graisseuse pendant six jours O^^^Hl p. 100
Chien ayant mangé de la gélatine pendant le même
temps 1,35
Chien soumis à l'abstinence pendant le même temps. 0,13
Il est évident, d'api'ès cela, que ralimentation grais-
seuse produit pour le sucre un effet sensiblement ana-
logue à celui de l'abstinence. Nous savons aujourd'hui,
du reste, par les analyses de Lehmann, si complète-
ment d'accord avec nos expériences, que ce sont les ma-
tières azotées qui servent à la formation du sucre dans
l'organisme animal ; de sorte qu'il n'est pas possible
d'admetti^e un seul instant cette hypothèse de la forma-
tion du sucre aux dépens des matières grasses.
Maintenant, quelles sont les raisons sur lesquelles
M. Schmidt s'appuie pour dire que le foie ne fait pas
de sucre? EJles se réduisent à une pure assertion sans
aucune valeui\ En effet, nous avions dit, dans notre pre-
mier travail, que nous admettions la formation du sucre
dans le foie, paixe que, d'une part, nous ne trouvions
pas de sucre dans la veine porte au moment ou le sang
entre dans le foie, et que nous en trouvions constam-
ment dans le sang des veines hépatiques qui sortent du
foie, et parce que, enfin, le tissu hépatique se trouve,
dans l'élat physiologique, constamment imprégné de
cette matière, de la même façon que les autres organes
sécréteurs sont imprégnés de leurs produits de sécré-
tion. Or, nous disons que M. Schmidt n'oppose à tous
ces faits qu'une simple opinion tout à fait dénuée de
fondement. Cet auteur dit, en effet, qu'il ne peut ad-
mettre la formation du sucre dans le foie, parce qu'on
FAITES A LA GLYGOGÉNIE HÉPATIQUE.
trouve du sucre aussi bien dans la veine porte que dans
la veine jugulaire. Celle assertion est d'autant plus
étonnante, que dans le Mémoire de l'auteur il ne s'agit
que d'observations faites sur du sang retiré dans des
conditions physiologiques peu déterminées, tantôt sur
des animaux de boucherie, tantôt sur des saignées,
et que dans aucun cas il n'y a eu des expériences
qui soient relatives à l'examen comparatif du sang de
la veine porte avec le sang des autres veines. Il eût
suffi h l'auteur de faire une seule de ses expériences
dans les conditions voulues pour être convaincu qu'il
avançait une erreur. Du reste, cette assertion se trouve
l'eléguée dans une note dont on ne peut comprendre jus-
qu'à un certain point la nécessité, parce que, ainsi que
l'avance M. Schmidt, son travail était terminé lorsqu'il
eut connaissance de nos expériences : il préféra néan-
moins le publier tel qu'il se trouvait sans tenir compte
des faits que je venais d'établir. C'est ce qui explique
comment l'auteur s'est trouvé dans ce cas réduit à une
assertion pure et simple, qu'il n'a pas tenté de repro-
duire depuis, ce qui nous fait penser qu'il a aujour-
d'hui abandonné complètement les raisons qui étaient
plutôt une fin de non-recevoir que des arguments réels.
Jusque dans ces derniers temps, des confirmations
de nos expériences étaient arrivées de toutes parts,
et des travaux avaient été publiés sur ce sujet en Angle-
terre, en Hollande, en Allemagne, en Amérique, par
des expérimentateurs exercés. Aucune attaque directe
n'avait été faite à notre découverte avant le travail lu
le 2 février, à l'Académie des sciences. Ici, l'auteur se
454 EXAMEN DES OBJECTIONS
pose neltemeiit en antagoniste de la théorie de la for-
mation du sucre dans l'organisme animal, indépendam-
ment de toute alimentation féculente ou sucrée.
Je ne puis m'empêcher, à ce propos, de vous faire
une remarque relative aux préjugés qui sont les ob-
stacles ordinaires de tout progrès. Or, ces préjugés
n'existent pas seulement dans le monde, ils se ren-
contrent aussi dans la science, qu'ils troublent profon-
dément : c'est ainsi que, sous la pression de véritables
préjugés scientifiques, l'auteur en question avoue qu'il
lui répugne d'admettre que l'organisme se donne la
peine de fabriquer du sucre, quand les végétaux peu-
vent lui en fournir; et, partant de cette manière de
voir, il veut prouver que tout le sucre qu'on rencontre
dans l'organisme animal n'a jamais d'autre origine que
des principes sucrés venant toujours du règne végétal.
Et voyons comment, pour rester fidèle à la doctrine
qu'il soutient, l'auteur parvient à expliquer que nous
avons pu retrouver du sucre dans le foie et dans le
sang des animaux soumis pendant des temps très-con-
sidérables à une alimentation exclusivement animale.
Voici comment il s'exprime à ce sujet : « Nous avons
(( reconnu qu'il existe près de \ /2 pour 100 de glucose
« dans le sang des animaux de boucherie, dans le sang
« du bœuf et du mouton recueilli au moment où ces
« animaux sont abattus pour être livrés à la consomma-
« tion publique; or la viande des animaux de bouclie-
« rie renferme des vaisseaux, ces vaisseaux contiennent
«du sang: ainsi la chair de bœuf et de mouton qui
« avait servi à nourrir les chiens dans les expériences
FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 455
(( de M. Bernard contient du sucre, et l'on administrait,
(( sans s'en douter, le composé même qu'on voulait
(( postérieurement rechercher. »
Cette explication qui fait descendre le sucre trouvé
dans les chiens, des végétaux qu'ont mangés les herbi-
vores, suppose que la chair de ces derniers en contient.
Cette supposition méritait bien, cependant, la peine
d'être vérifiée avant d'en faire ainsi le point de départ
d'un argument d'après lequel on prétend renverser tou-
tes nos expériences, et expliquer conment, sans nous
en douter, nous sommes tombé dans une cause d'erreur
grossière. Il est malheureux que nous soyons obligé
de reconnaître ici combien il y a de légèreté dans cette
manière de traiter ainsi la science. Vous avez pu voir
que le sucre n'existe pas dans la viande fraîche, et, à
plus forte raison, dans la viande bouillie ; et, ici, c'est
l'auteur qui, sans s'en douter, se basant sur une asser-
tion erronée pour établir ses raisonnements, oublie les
principes les plus vulgaires qui doivent guider dans les
sciences expérimentales.
Le point de départ de ce raisonnement, c'est-à-dire
la présence du sucre dans la viande, est faux. Tout
l'échafaudage croule, et, par conséquent, l'auteur n'ex-
plique absolument rien ; nos expériences restent ce
qu'elles sont, et elles prouvent que chez des animaux
nourris avec des matières qui ne contiennent aucune
trace de sucre, il y en a toujours dans le foie, et que,
par conséquent, on ne peut pas faire intervenir le rc^gne
végétal pour expliquer la présence de cette matière.
Il n'y a pas lieu de nous arrêter aux autres parties de
450 EXAMEN DES OBJECTIONS
ce travail, qui reposent toutes sur la même erreur.
Seulement, nous ne pouvons nous empêcher de signa-
ler cette singulière opinion, de regarder le foie comme
un organe condensateur delà matière sucrée, toujours
dans cette supposition qu'elle vient des végétaux, ce
qui repose à la fois sur deux erreurs de fait : en 'pre-
mier lieu, sur l'existence du sucre dans la viande dont
nous avons démontré la fausseté; en second lieu, sur
la supposition que le foie condense le sucre, ce qui
voudrait dire qu'il en reçoit plus qu'il n'en donne. Or,
on ne s'explique pas sur les limites de cette condensa-
tion, qui pourrait aller jusqu'à saturer le foie de glucose ;
mais, en outre, comment pourrait se faire cette conden-
sation, puisqu'il y a plus de sucre dans le tissu du foie
et dans le sang qui sort de cet organe que dans le sang
qui y entre.
En résumé, tous les arguments de ce travail repo-
sent sur deux points : T l'existence du sucre dans la
viande; 2° condensation du sucre dans le foie. Vous
venez de voir que ces deux assertions sont radicalement
erronées; par conséquent, le travail n'a aucune valeur
à notre point de vue. Quant aux faits réels qui y sont
établis, ils ne sont pas nouveaux, car la présence du
sucre dans le foie, que l'auteur annonce comme une
découverte, était connue depuis longtemps par M. Ma-
gendie, en France; par Garrod, en Angleterre; par
Schmidt, Lehmann, et par bien d'autres expérimen-
ateurs, en Allemagne.
Enfin, nous n'examinerons pas les opinions physio-
logiques bizarres émises dans ce travail et auxquelles
FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 4o7
l'auteur ne tient sans doute pas. Nous ferons remarquer
seulement que des expériences faites avec du sang re-
cueilli sur des animaux de boucherie ou autres, qu'on
épuise d'hémorrhagie, ne peuvent avoir aucune valeur
quand il s'agit de la composition du sang dans les dif-
férents vaisseaux oh il circule normalement. En effet,
lorsqu'on égorge un animal, toute la circulation est
troublée, et le sang, se précipitant vers l'ouverture des
vaisseaux, entraîne avec lui des principes qui se sépa-
rent des organes oij ils sont formés, à mesure que la
quantité du liquide sanguin diminue dans l'organisme.
C'est ainsi que, si Ton prend une artère ou la veine
porte sur un animal à l'état physiologique, et si l'on
retire une petite quantité de sang de ces vaisseaux, on
n'y rencontrera pas de sucre, tandis que si l'hémor-
rhagie a été considérable, on finira souvent, vers la
fin, par en trouver une certaine proportion.
Or, on voit que dans ces deux cas on pourrait dire,
tantôt qu'il n'y a pas de sucre dans le sang artériel,
tantôt qu'il y en a. Seulement il est évident que les
premières parties de sang ont été retirées dans des con-
ditions physiologiques, et qu'il n'en est plus de même
lorsque l'animal commence à périr d'hémorrhagie.
Dans la séance de l'Académie du 9 février, un autre
travail a été lu contre la glycogénie. Ici l'auteur, sans
attaquer directement la fonction glycogénique du foie,
insinue que nous aurions pu tomber dans l'erreur re-
lativement à l'emploi des réactifs que nous avons mis
en usage pour la recherche du sucre dans l'organisme.
Ce ne sont pas les idées elles-mêmes qui sont atta-
458 EXAMEN DES OBJECTIONS
qiiées, ce sont les moyens à l'aide desquels nous avons
établi les faits qui leur servent de base. C'est un moyen
détourné de venir infirmer la fonction glycogénique du
foie. Voyons quels sont les arguments qui sont mis en
avant dans ce mémoire.
•L'auteur dit que dans l'estomac il existe une ma-
tière, la peptone ou l'albuminose, qui est capable de
dissimuler le sucre au liquide cupro-potassique, et il
prétend que cette propriété est un caractère qui distin-
gue les matières qui ont été digérées par le suc gastri-
que. Ensuite on suppose que le sucre, ainsi dissimulé,
peut être absorbé par la veine porte et se trouver
transporté par cette voie de circulalion jusqu'au foie,
sans qu'on puisse le reconnaître dans tout ce trajet.
Ainsi l'auteur jette des doutes sur la possibilité de
constater avec certitude la présence du sucre dans la
veine porte au moyen du réactif cupro-potassique.
Après le foie on pourrait le reconnaître, parce que dans
cet organe il se ferait une séparation du sucre et de
l'albuminose qui le masquait. C'est à l'aide de ces sup-
positions gratuites qu'on croit attaquer une proposition
que nous avons émise relativement au liquide cupro-
potassique, à savoir, qu'il constitue un réactif négatif
absolu.
Examinons la valeur de l'objection qui a été faite,
et voyons s'il est vrai que dans certaines circonstances
le sucre peut ne pas donner de réduction avec le liquide
cupro-potassique.
D'abord nous devons dire que jamais nous n'avons
conseillé de nous servir du liquide cupro-potassique
FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 439
qu'après avoir précipité les liquides animaux et s'être
débarrassé des matières organiques qu'ils contiennent,
parce que nous savions, comme tout le monde, que,
quand il existe certaines matières albuminoïdes dans
des liquides, en même temps qu'une très-petite quan-
tité de sucre, il peut ne pas y avoir de réduction. Gela
s'explique, parce que la matière organique redissout la
petite quantité d'oxyde de cuivre qui se forme; ce dont
on peut s'assurer en ajoutant un peu de ces matières
albuminoïdes après qu'on aura préalablement déter-
miné la précipitation dans le liquide.
Or, si nous cherchons du sucre dans un liquide oii il
se trouve masqué par une matière albuminoïde, comme
la gélatine, par exemple, et si nous traitons ce hquide
sucré par le charbon, nous arriverons à séparer la ma-
tière organique qui restera sur le filtre, tandis que le
sucre passera. C'est ce que vous voyez dans l'expérience
que nous faisons sous vos yeux.
Voici une dissolution de gélatine à laquelle nous
avons ajouté du sucre de raisin en très-faible propor-
tion, nous y mêlons du hquide cupro-potassique et
nous chaufTons; il n'y a pas trace de réduction. Si
maintenant nous traitons cette même dissolution de gé-
latine et de sucre par le noir anim.al, le liquide parfai-
tement hmpide qui passe présente avec le réactif une
réduction parfaitement évidente.
Vous voyez donc qu'il n'y a pas que la peptone qui
soit dans le cas de masquer de très-faibles proportions
de sucre ; mais vous voyez aussi que le charbon animal,
qui jouit de la propriété de retenir les matières organi-
460 EXAMEN DES OBJECTIONS
ques, permet après à la réaction caractéristique du
glucose de se manifester.
Pour ce qui concerne la propriété qu'aurait la pep-
tone, c'est-à-dire la \iande dirigée par le suc gastrique,
de masquer le sucre, voici des résultats obtenus à ce
sujet par M. Bertlielot, qui a opéré avec du suc gas-
trique artificiel. Ce suc, que nous lui avons remis, fait
avec l'estomac d'homme provenant d'un supplicié, dé-
sagrégeait en quelques heures complètement la viande,
de manière à en dissoudre une partie. C'est une
semblable dissolution que l'expérience a été instituée
directement.
Un centimètre cube de ce suc gastrique masquait,
vis-à-vis du tartrate de cuivre et de potasse, la réaction
de Os',001 de sucre de diabète.
10 centimètres cubes de ce même suc gastrique, éva-
porés à sec au bain-marie, puis séchés dans le vide,
laissaient 0?',535 d'un résidu solide assez acide, solu-
ble dans Teau et même dans l'alcool. Redissous dans
l'eau, ce résidu masquait la réaction du sucre comme
avant l'évaporation.
Ainsi, ces 10 centimètres cubes de suc gastrique
ayant dissous de la viande ont pu masquer 1 centi-
gramme de sucre de diabète. Mais, nous le répétons,
en traitant le mélange par le charbon animal, la ma-
tière organique est enlevée, et le sucre, démasqué,
redevient sensible au réactif.
11 est facile de comprendre d'ailleurs que les faits
annoncés par l'auteur du travail en question n'infir-
ment nullement ceux que nous avons étabhs nous-
FAITES A LA GLYCOGÉME HÉPATIQUE. 461
même. Dans le seul cas où les animaux mangeraient
(les matières albuminoïdes en même temps que du
sucre, ce qui n'est pas la condition dans laquelle nous
avons eu soin de nous placer, il pourrait se faire qn'en
n'employant pas les précautions que nous avons indi-
quées nous-même, c'est-à-dire le traitement par le
charbon, on ne reconnût pas des quantités infiniment
petites de sucre dans des liquides albuminoïdes. Mais il
est clair aussi que le rôle d'organe filtrateur qu'on
semble attribuer au foie ne saurait se concilier avec
cette proportion énorme du sucre dans le tissu hépa-
tique et le sang qui en sort. Car si la peptone peut
masquer un millième de sucre, il est évident que la
peptone, dans le sang delà veine porte, doit se trouver
singulièrement diluée et ne doit plus dès lors être sus-
ceptible de masquer des proportions de sucre qui se-
raient peut-être moins que des centièmes de miiïi-
gramme.
Eu supposant donc que le foie séparât des centièmes
de milligramme, comment expliquerait-on la présence
de 2 à 3 grammes pour 100 de sucre dans son tissu, et
celle de près de 1 gramme pour 100 dans le sang des
veines hépatiques?
Vous voyez donc que, si c'est là une objection qu'on
a voulu faire, elle tombe d'elle-même.
D'ailleurs, on ne trouve dans le sang de la veine
porte pas plus d'albuminose ou de peptone que dans
le sang des autres veines, ainsi que Lehmann l'a dé-
montré.
La valeur du réactif cupro-potassique n'est donc pas
462 EXAMEN DES OBJECTIONS
infirmée; seulement il faut, comme pour toute espèce
de caractère, l'employer dans des conditions conve-
nables, ainsi que nous le faisons toujours. Il faut sa-
voir encore que, si l'on ajoute de l'ammoniaque à ce
réactif, il ne réduit plus; que si on l'emploie avec une
dissolution très-concentrée du sucre, il n'y a pas de
réduction non plus, mais une coloration jaune qui ré-
sulte de ce que l'oxyde de cuivre qui s'est précipité
d'abord se redissout dans un excès de matière sucrée,
phénomène qui a fait illusion à des expérimentateurs
peu exercés.
La fermentation elle-même, qui est le caractère dé-
cisif, doit être employée convenablement et avec une
certaine précaution. On se sert, en effet, pour l'opérei",
de levure de bière ordinairement prise chez les bou-
langers, levure qui contient une grande quantité de fé-
cule susceptible de se transformer au bout d'un jour
ou deux en glucose, et pouvant donner alors de l'acide
carbonique et de l'alcool, comme s'il y avait eu du sucre
dans la liqueur. Aussi, quand on a fait des expériences
sur la fermentation, faut-il avoir le soin de les faire
comparativement. Par exemple, si l'on met un liquide
sucré dans un tube en fermentation avec de la levure
de bière impure, il faut avoir soin de placer dans les
mêmes conditions de la même levure avec de l'eau or-
dinaire. Dans le premier tube alors la fermentation se
fera au bout de quelques heures; dans le second, elle
n'aura lieu qu'au bout de deux jours. Dans ces cas, par
une appréciation comparative de la quantité du gaz dé-
veloppé, on pourrait éviter l'erreur; mais il vaut mieux
FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 463
avoir de la levure de bière bien lavée et exempte de
fécule.
En résumé, les arguments de ce travail sont établis
sur la supposition que nous employons mal le réactif
cupro-potassique; sur ce qu'ensuite nous n'employons
que ce réactif, car on admet heureusement que la fer-
mentation continue à avoir lieu, malgré la peptone, et
qu'on peut se servir de ce caractère. Or, nous nous
sommes toujours servi de la fermentation, ainsi que
nous vous l'avons dit au commencement de ces leçons,
dans toutes nos expériences comparatives.
Les arguments signalés plus haut ne peuvent s'appli-
quer qu'aux cas d'ahmentations mixtes, aussi, pour
avoir toute leur valeur, ces arguments du 9 février ne
devaient-ils venir qu'après ceux du 2 février, qui avaient
pour but d'étabhr que l'alimentation animale n'était
elle-même, en réalité, sans que nous nous en doutions,
qu'une alimentation mixte. Or, nous savons à quoinous
en tenir à ce sujet.
Et, à ce propos, nous devons faire remarquer combien
il est malheureux pour la science que l'on ne confirme
pas toujours ce que l'on avance par des expériences,
car il s'agit ici d'arguments enchaînés les uns à la suite
des autres et fondés sur des faits fictifs. Si lés auteurs
avaient réfléchi et s'étaient assurés de leur point de
départ, ils auraient reculé avant de présenter des argu-
mentations qui pèchent par la base d'une manière aussi
radicale.
Messieurs, nous avons encore quelques autres objec-
tions à passer en revue ; nous allons le faire rapidement.
464 EXAMEN DES OBJECTIONS.
On nous a dit, par exemple : a Vous avez examiné le
sang de la veine porte, et vous n'y avez pas trouvé de
sucre ; mais avez-vous examiné le sang des artères hépa-
tiques? Vous savez d'abord, Messieurs, que l'artère
hépatique est nourricière, de même que les artères
bronchiques; qu'elle se distribue aux conduits biliaires,
h la veine porte, sans participer d'une manière directe
aux sécrétions de Forgane. Mais, de plus, cette objec-
tion peut être levée directement, car si l'on prend un
des rameaux de l'artère hépatique à son entrée dans le
foie, on ne trouve pas plus de sucre dans le sang qui
s'en écoule que dans le resle du système artériel; de
sorte que, si l'on veut être rigoureux, voici ce que l'on
peut dire : Il y a deux ordres de vaisseaux afférents qui
amènent le sang au foie, ce sont la veine porte et l'ar-
tère hépatique ; ni l'un ni l'autre ne contiennent de
sucre dans des conditions convenables. Il y a d'autre
part deux ordres de vaisseaux efférents, ce sont les
veines hépatiques et les lymphatiques du foie. Tous
deux renferment du sucre, qui est versé par ces deux
voies dans la veine cave et dans le canal thoracique.
On a dit encore que nous avions émis une proposition
trop générale, et qu'il y avait d'autres organes que le
foie qui étaient susceptibles de faire du sucre ; que la
glande mammaire, par exemple, était de ce nombre ;
qu'elle pouvait en faire indépendamment de Talimenta-
tion, car nous avions trouvé nous-même du sucre dans
le lait de mammifères carnivores. Ce n'est pas là une
objection, c'est au contraire une confirmation de ce que
nous avons dit, que le sucre pouvait être formé directe-
FAITES A LA GLYCOGÉNIE HÉPATIQUE. 465
ment dans l'organisme sans l'alimentation féculente ou
sucrée.
Mais on ne saurait assimiler la sécrétion du sucre de
lait, qui est une fonction tout à fait intermittente, dis-
continue, n'apparaissant qu'à des intervalles très-éloi-
gnés et spéciale seulement à une classe de vertébrés,
avec la production glycogénique qui, elle, au contraire,
est constante et continue, et appartenant à tout sexe et
à tout règne animal.
Il y a enfin quelques médecins qui, après avoir en-
tendu dire vaguement, d'après nos expériences, que le
sang des veines hépatiques était sucré, ont été recueil-
lir le même sang sur des cadavres de malades morts
dans les hôpitaux, et n'y apnt pas trouvé de sucre, se
sont imaginé que ce résultat venait contredire les nôtres.
Mais vous savez maintenant quelle valeur il faut attri-
buer à une pareille objection; vous vous rappelez que
la fonction glycogénique s'éteint comme toutes les
autres fonctions, à la suite d'une maladie, sous l'in-
fluence d'une fièvre grave ; de sorte que dans la plupart
des cas on ne trouve pas dans le foie des malades morts
dans les hôpitaux la moindre trace de matière sucrée.
Des anatomistes arriérés ont pu même dire : Com-
ment voulez-vous qu'il y ait une sécrétion sucrée dans
le foie, puisqu'il n'y a pas de conduit excréteur? Au
point de vue purement anatomique, on ne définissait
autrefois une glande que par son conduit. Il est clair
que nous n'en sommes plus là, et que nous comprenons
bien qu'il y ait des sécrétions versées dans le sang et
d'autres qui sortent au dehors.
BERNARD. [. 30
466 EXAMEN DES OBJECTIONS FAITES A LA GLYCOGÉNIE.
Vous voyez donc, Messieurs, que toutes ces objections
se réfutent très-facilement, et n'infirment en rien ce
que nous avons avancé. Je consacrerai la prochaine
séance à résumer l'ensemble des preuves d'après les-
quelles nous avons établi devant vous la réalité de la
fonction glycogénique du foie.
VINGT-CINQUIEME LEÇON
24 MARS 1855.
SOMMAIRE : Travaux comparatifs de la fonction glycogénique du foie* —
Analyses du sang de la veine porte et des veines hépatiques, par Lehmann,
communiquées à l'Académie des sciences. — Remarques à l'occasion de
cette communication. — Figure schématique représentant l'ensemble de
la production et de la diffusion du sucre dans l'organisme. — Résumé des
faits qui établissent la fonction glycogénique du foie.
Messieurs,
Nous arrivons au terme de nos leçons pour ce semes-
tre, et je crois avoir rempli les promesses que je vous
avais faites au commencement. Vous avez vu comment
nous avons marché dans le champ des investigations
physiologiques, constamment appuyé sur Texpérience.
Nous avons été assez heureux pour faire devant vous
quelques découvertes, par exemple celle de la produc-
tion de la matière sucrée dans la vie embryonnaire, et
celle de cette perversion singulière que produit la sec-
tion de la moelle épinière sur la sécrétion sucrée du
foie. Vous avez vu par quelles séries d'hypothèses il faut
quelquefois passer pour arriver à la découverte de faits
nouveaux ; mais vous avez été témoins du soin avec le-
quel nous avons toujours écarté les hypothèses qui nous
avaient guidé, pour ne conserver que le résultat expéri-
mental, qui, tout incomplet qu'il est, ouvre cependant
-iC8 TRAVAUX CONFIRMATIFS
un champ immense, et nous montre que nous ne som-
mes qu'à l'entrée de cette science de la vie, sans contre-
dit la plus complexe de toutes celles que nous connais-
soub actuellement.
Nous allons terminer par une revue rapide des faits
et des arguments par lesquels nous avons établi la réa-
lité de la fonction glycogénique du foie. Au point de
vue chimique, il nous suffira de vous faire connaître
l'ensemble des expériences chimiques qui viennent
corroborer notre opinion, et qui se trouvent contenues
dans la communication faite par M. Lehmann dans la
séance de l'Académie des sciences du 12 mars. Voici
le résumé de ce beau travail :
Analyses comparées du sang de laveine porte et du sang
des veines hépatiques^ etc.^ pour servir à l'histoire de la
production du sucre dans le foie, par M. G. G. Lehmann,
professeur de chimie physiologique à l'université de
Leipzig.
« Les résultats des analyses qui vont suivre ont été
obtenus sur des chiens et des chevaux soumis à des ali-
mentations diverses. (On a toujours eu soin de placer
convenablement des ligatures sur les vaisseaux, pour
obtenir sans mélange les sangs dont on a fait l'examen
chimique.)
(( Je ne m'étendrai pas sur les procédés d'analyse que*
j'ai suivis ; ils se trouvent décrits dans mon Traité de
chimie physiologique (1). Je négligerai également cer-
(1) Lehrbuch dcrphysiologischen Chemie. Leipzig, 1852, 3 vol.
DE LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 469
tains détails sur la composition des sangs de la veine
porte et des veines hépatiques, qui sont consignés d'ail-
leurs dans un premier mémoire que j'ai déjà publié sur
ce sujet (1). Je n'insisterai ici que sur les points qui peu-
vent servira éclairer la formation du sucre dans le foie.
« 1° Sucre, — Le sang de la veine porte ne renferme
jamais les moindres traces de sucre chez les chiens à
jeun et chez les chiens nourris avec de la viande. Les
mêmes animaux nourris avec des substances végétales
(pommes de terre cuites) présentent évidemment du
sucre dans le sang de leur veine porte, mais en quantité
si faible, que le dosage n'est pas possible.
« Chez les chevaux nourris avec du son de seigle, de
la paille hachée et du foin, le sang de la veine porte
contient des proportions très-faibles de matière sucrée.
J'ai trouvé dans un cas 0^',055 de sucre pour 100 par-
ties du sang. Dans un autre cas, sur un cheval, le sérum
de la veine porte renfermait 0^',0052 pour 100 de
sucre.
(( Le sang des veines hépatiques contient toujours du
sucre en forte proportion. Sur trois chiens nourris avec
de la viande, j'ai trouvé les chiffres suivants, calculés
sur 100 parties de sang sec: 0^^ 813 pour 100,0?', 799
pour 100, 0«', 946 pour 100. Sur trois autres chiens à
l'abstinence complète depuis deux jours, j'ai trouvé
dans le sang des veines hépatiques les quantités de sucre
ci-après : 0s^764 pour 100, 0?^ 638 pour iOO, et
(1) Einige vergleichende Aaalysen des Blutes der Pfortader uad der Leber-
venen-{B lericht. û. d, Verhand. der Kôiigl. Sàch. Gesellsck. der Wissea-
schaften zu Leipzig, 1850.)
470 TRAVAUX CONFIRMATIFS
0^', 814 pour 100. Chez deux autres chiens nourris
avec des pommes de terre cuites, le sang des veines
hépatiques renfermait 0^\ 981 pour 100 de sucre chez
l'un, et 0^', 854 pour 100 de sucre chez l'autre.
« Chez deux chevaux soumis à une alimentation vé-
gétale (son, paille, foin), le sang des veines hépatiques
contenait dans un cas 0^', 635 pour 100 de sucre, et
dans l'autre cas 0^', 893 pour 100 de sucre.
« Les résultats des analyses qui précèdent se trouvent
l'ésumés dans le tableau suivant :
QUANTITÉ
DE SUCRE.
ANIMAUX.
ALIBIENTATION.
dans le sang
dans le sang
de la
des
veine porte,
veines hépatiques,
à rentrée du foie.
k la sortie du foie.
Chien
A jeun depuis deux jours
0,000
0,764 p. 100.
Id.
Id.
Id.
0,638
Id.
Id.
Id.
0,804
Id.
Nourri avec de la viande
Id.
0,814
Id.
Id.
Id.
0,799
Id.
Id.
kl.
0,946
Id.
Nourri avec pomra.de terres cuites.
traces impossi-
bles à doser.
0,981
id.
Id.
Id.
0,854
CAeval....
Nourri avec son, foin et paille
0,055 p. 100.
0,893
Id.
Id.
0,0052 p. 100.
0,635
« Il suffira de jeter les yeux sur les quantités compa-
ratives de sucre que contiennent le sang de la veine
porte qui entre dans le foie et le sang des veines hépa-
tiques qui en sort, pour voir que l'opinion de la for-
mation du sucre dans le foie, que M. Cl. Bernard a
annoncée le premier, est mise hors de doute.
H 2° Fibrine, albumine. — Le sang de la veine porte
chez les chevaux et chez les chiens renferme de la fi-
DE LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 471
brine qui ne diffère pas sensiblement, par ses caractères
et sa quantité, de la fibrine des autres veines. Quelle
que soit la nature de l'alimentation, le sang de la veine
porte des chiens renferme en moyenne plus de fibrine
que celui de chevaux.
« Le sang des veines hépatiques, soigneusement re-
cueilli et sans aucun mélange, ne contientpas de fibrine.
Les quelques flocons qu'on obtient quelquefois par le
battage, chez les chevaux, sont presque entièrement
constituées par des globules blancs qui se montrent en
très-grande abondance dans le vsang des veines hépati-
ques comparé au sang de la veine porte. Le sang des
veines hépatiques chez les chiens se comporte de la
même manière par rapport à la fibrine, c'est-à-dire que
cette matière disparaît presque en totalité dans le foie.
(( Des analyses très-soignées et comparatives entre
le sang de la veine porte et celui des veines hépatiques
m'ont prouvé qu'une quantité remarquable d'albumine
disparaît aussi dans le foie, et la quantité disparue est
relativement plus grande chez les chiens que chez les
chevaux.
(( Sur ce fait incontestable, que la fibrine disparaît
dans le foie, j'ai établi mon opinion, déjà émise dans
mon premier Mémoire, que le sucre qui se forme dans
le foie prend naissance de la fibrine.
a 3° Graisses et globules sanguins. — Le sang de la
veine porte renferme toujours beaucoup plus de graisse
que le sang des veines hépatiques. Le sérum du sang
de la veine porte chez les chiens nourris avec de la
viande est généralement plus riche en graisse que celui
472 TRAVAUX CONFIRMATIFS
des chevaux. Néanmoins on ne trouve pas plus de
graisse dans le sérum des veines hépatiques chez les
chiens que chez les chevaux.
« Chez les chevaux, les globules du sang delà veine
porte sont plus riches en eau et particulièrement en fer ;
au contraire, ils sont plus pauvres en globuline, en ma-
tières extractives et en sels que ceux des veines hépati-
ques. Chez les chiens, comme chez les chevaux, le sang
des veines hépatiques est beaucoup plus riche en glo-
bules du sang et en matières extractives que celui de
la veine porte.
« J'ai remarqué, sur les chiens comme sur les che-
vaux, qu'une quantité considérable de fer disparaît tou-
jours dans le sang en traversant le foie. Mais les diffé-
rences de quantité de fer qu'on rencontre dans le sang
qui arrive au foie et dans celui qui en sort, sont plus
grandes encore chez les chiens que chez les chevaux. Il
en résulte qu'une partie de l'hématine du sang disparaît
dans le foie, et contribue probablement à la formation
de la matière colorante de la bile, ce que prouverait en-
corda complète analogie delà bilifulvine et de l'héma-
toïdine, ainsi que vient de le montrer un de mes élèves.
(( Analyses comparatives du sang de diverses veines avec
le sang artériel. {Toutes ces comparaisons ont été faites
avec des sangs toujours pris sur le même cheval.) — Le
sang qui sort du foie par les veines hépatiques est tou-
jours le sang incomparablement le plus sucré de tout le
corps. Ensuite ce sang se mélange au sang de la veine
cave pour remonter vers le cœur. Je ne puis ici que con-
firmer ce que M. Cl. Bernard a déjà dit depuis long-
DE LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 473
temps, à savoir, que le sang de la veine cave inférieure
est celui qui contient toujours la plus grande quantité
de sucre après les veines hépatiques. J'ai trouvé dans le
résidu solide du sang de la veine cave, chez les chevaux,
0^^346 pour 100, 0^^ 2M pour 100 eiO^% 492 pour
100 de sucre.
« Lorsque le sang a traversé le poumon et est devenu
artériel, on ne trouve généralement pas de sucre. Je
n'en ai pas trouvé dans le sang artériel de chevaux qui
avaient cependant mangé de l'amidon et de l'avoine.
Chez les chiens et chez les lapins, on peut seulement
trouver du sucre dans le sang artériel, si le sang vei-
neux renferme plus de 0^', 3 pour 100 de sucre. C'est
ce qui arrive dans toutes les conditions qui font passer
du sucre dans l'urine : par exemple, après la piqûre
telle que la fait M. Bernard, après l'injection du sucre
en grande quantité dans les veines ou dans l'estomac,
ou enfin chez les Lapins qui ont mangé des quantités
considérables de betteraves ou de carottes. Mais, dans
toutes ces circonstances, ce sont encore les veines hé-
patiques qui contiennent la plus grande quantité de su-
cre, puis la veine cave, etc.
« Le sang des petites veines, telles que la veine cé-
phalique, la veine digitale, la veine temporale et l;i
veine abdominale externe des chevaux, contient tou-
jours moins de globules du sang, plus de sérum, et
par conséquent plus d'eau que le sang artériel. Mais les
veines plus grosses, et principalement la veine cave in-
férieure, contiennent un sang qui possède la même
concentration que le sang artériel, ou qui est peut-être
474 REMARQUES
même encore plus concentré. Toules mes expériences
semblent montrer qu'une quantité remarquable de
globules de sang disparaît dans les vaisseaux capillaires
généraux. L'observation que la densité du sang de la
veine cave inférieure se rapproche de celle du sang ar-
tériel, ou même la surpasse, ne dépend pas seulement
de l'expulsion de l'eau par la sécrétion urinaire, mais
principalement de l'affluence du sang des veines hépa-
tiques : c'est ce que m'ont prouvé d'une manière frap-
pante les analyses du sang d'un cheval qui n'avait par
bu depuis vingt-quatre heures quand il fut sacrifié. La
comparaison de toutes ces analyses semble prouver en
même temps que dans le foie deux fonctions marchent
séparément, savoir, la formation du sucre et des glo-
bules du sang et celle de la bile ainsi que M. Bernard
l'a pressenti et établi depuis longtemps.
« Le sang de plus petites veines renferme plus de
fibrine que le sang artériel, et que celui de la veine
cave et de la veine jugulaire. Dans la veine cave, j'ai
trouvé deux fois moins de fibrine que dans le sang ar-
tériel.
(( Le sang artériel contient toujours plus de sels mi-
néraux que le sang veineux. »
J'ai fait sur le travail de IVL Lehmann des remarques
qui ont été communiquées à l'Académie le 12 mars,
dans les termes suivants :
(( Lorsque, il y a six ans, j'annonçai aux physiolo-
gistes que le sucre est un produit normal de sécrétion
chez l'homme et les animanx, j'établis par des preuves
expérimentales diverses que cette fonction animale.
SL'R LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 47o
restée jusqu'alors inconnue, devait être localisée dans
le foie. Pour prouver que la matière sucrée est bien
réellement formée dans l'organisme, qu'elle ne vient
pas du dehors et qu'elle prend naissance surplace dans
le foie 011 on la trouve, j'instituai une expérience phy-
siologique qui est nette et décisive. Sur des animaux
carnivores, nourris exclusivement pendant des temps
très-considérables (3, 6 ou 8 mois) avec de la viande
cuite à Teau et dans laquelle l'expérience directe ne
décèle pas la moindre trace de matière sucrée, je re-
cueillis le sang de la veine porte avant son entrée dans
le foie, et je n'y constituai jamais, dans des conditions
physiologiques convenables, la présence du sucre, tan-
dis qu'en recueillant le fluide sanguin dans les veines
hépatiques à sa sortie du foie, j'y rencontrai constam-
ment du sucre en grande quantité.
(( Depuis lors ces résultais ont été partout vérifiés
par les physiologistes exercés qui les ont reproduits en
Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Améri-
que, etc. Les belles analyses de M. Lehmann sur la
composition comparée des sangs de la veine porte et
des veines hépatiques confirment pleinement, au point
de vue chimique, et avec une autorité des plus consi-
dérables en pareille matière, mes propres recherches
physiologiques.
(( Tous les arguments relatifs à la question de savoir
si le foie fabrique ou non du sucre doivent être ra-
menés à cette expérience fondamentale qui a pour ob-
jet Texamen comparatif des sangs de la veine porte et
des veines hépatiques; et, tant qu'il restera établi que
476 REMARQUES
le sang qui entre dans le foie ne renferme pas de
sucre et que le sang qui en sort en contient des pro-
portions considérables, il faudra bien admettre que la
matière sucrée se produit dans le foie, car on ne sau-
rait échapper à cette conséquence de la logique la plus
simple : que, puisque le sucre n'existe pas avant le foie
et qu'il existe après, il faut bien qu'il se soit formé
dans cet organe.
« Mais le sucre sécrété dans le foie se répand ensuite
dans tout l'organisme au moyeu de la circulation, qui
le porte par la veine cave dans le cœur droit, puis dans
les poumons, etc. Suivant les quantités de sucre qui
s'échappent du foie, cette matière peut se trouver dé-
truite en traversant le poumon, ou bien dans certains
cas, et particulièrement pendant et aussitôt après la
période digestive, un excès peut se répandre plus loin
dans le système artériel et même dans le système vei-
neux superficiel. Néanmoins, dans tous les cas, on
constate invariablement que la proportion de sucre
diminue d'autant plus qu'on s'éloigne davantage du
toie, qui est son lieu d'origine. Ce sont ces résultats
physiologiques que viennent encore prouver de la ma-
nièrc3 la plus évidente les analyses de M. Lehmann.
(( Cette diffusion du sucre dans tout l'organisme ex-
plique donc comment cette matière peut se rencontrer
dans le sang de toutes les parties du corps. En 1846 (1),
M. Magendie a lu à cette Académie, sur la présence
normale du sucre dans le sang, un Mémoire dans le-
(1) Compter rendus de VAcadéinie des sciences, t. XXIII, 27 juillet 1836.
SLR LA GLYCOGENIE ANIMALE. 477
quel il indique déjà que c'est surtout au moment de la
digestion que l'on trouve la matière sucrée en plus
grande quantité dans le sang. Ce fait était donc connu
et admis par les physiologistes depuis longtemps, bien
qu'on ne connût pas la formation physiologique de
cette matière dans le foie ainsi que je l'ai établi.
« iMais il est arrivé que certains auteurs, ne répétant
pas mes expériences méthodiquement et dans les condi-
tions physiologiques requises, n'ont nécessairement pas
pu comprendre le rapport qui existe entre cette diffusion
du sucre dans l'organisme et son point réel d'origine.
(( C'est ainsi que M. Schmidt (l),en 1850, se fon-
dant sur ce qu'il avait trouvé du sucre en quantité va-
riable, mais toujours très-faible, tantôt dans le sang
des saignées pratiquées sur l'homme (traces de sucre
non dosées), tantôt dans le sang des animaux de bou-
cherie (0?^00j95 à 0«^00074 pour 1000 dans le sang
de bœuf, etc.), arrive à comparer la diffusion du sucre
dans le sang avec la diffusion de l'urée, et poussant sa
comparaison jusqu'au bout, cet auteur admet pure-
ment par hypothèse que la formation du sucre et celle
deTurée ne sont localisées dans aucun organe, mais
que ces substances se forment partout dans l'organisme,
l'urée aux dépens des matières azotées, et le sucre aux
dépens des matières grasses.
Quant aux expériences de M. Schmidt sur la pré-
sence du sucre dans le sang, et quant à celles qu'on a
pu reproduire depuis dans de semblables conditions,
(I). Charakieristik der epidemischen Choiera, etc., von Cari Schmidt,
p. 163. Leipzig und Mitau, 1850.
478 REMARQUES
elles peuvent avoir, en elles-mêmes et au point de vue
chimique, la valeur qu'on leur accordera; mais on ne
saurait leur en reconnaître aucune au point de vue
physiologique, parce que les auteurs n'ayant pas tenu
compte de l'examen comparatif du sang de la veine
porte et du sang des veines hépatiques, leurs analyses
restent insuffisantes et ne peuvent s'appliquer à la ques-
tion qui nous occupe.
(( Lorsqu'on a soin, comme l'a fait M. Lehmann,
d'instituer des analyses comparatives du sang dans tous
les points du système circulatoire en se plaçant dans
les conditions que la physiologie indique, toutes les ex-
périences s'enchaînent naturellement pour établir que
le sucre, véritable produit d'une sécrétion intérieure, à
laquelle j'ai donné le nom de glycogénie, prend nais-
sance dans le foie aux dépens des éléments du sang et
indépendamment de l'alimentation féculente et sucrée,
pour se répandre ensuite dans tout l'organisme où il se
détruit successivement en s'éloignant de son lieu d'o-
rigme.
Si l'on ne fait au contraire que des expériences in-
complètes en se plaçant dans des conditions non mé-
thodiquement et physiologiquement déterminées, on
peut, par l'interprétation des résultats, arriver aux con-
fusions les plus étranges. C'est ainsi, par exemple, que
cette comparaison du sucre avec l'urée, qui, au point
de vue chimique, paraît peut-être spécieuse, ne sau-
rait un seul instant soutenir l'examen physiologique.
« Comment pourrait-on imaginer, en effet, que le
foie joue, par rapport au sucre, le rôle d'un organe
SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 479
dépuratew\ condensateur^ fHtratem\ ou qu'il est à la
matière sucrée ce que le reiu est à l'urée, quand nous
savons que le sang qui entre dans le foie ne contient pas
de sucre, mais que le sang qui en sort en contient beau-
coup, tandis que pour le rein, au contraire, l'urée
existe dans le sang qui entre et ne se trouve plus dans
le sang, qui sort; quand nous savons enfin que, si l'on
supprime les reins, on fait accumuler l'urée dans le
sang, tandis que, si l'on arrête la fonction du foie en
détruisant certains nerfs qui s'y rendent, le sucre dis-
paraît complètement et rapidement de l'organisme? Il
y a donc là, d'une part, un phénomène de production
ou de sécrétion^ et, d'autre part, un phénomène d'expul-
sion ou à' excrétion, que l'on doit distinguer de la ma-
nière la plus radicale, au lieu de chercher à établir
entre eux un rapprochement impossible.
« Je me bornerai à ces quelques remarques pour
montrer que les recherches chimiques appliquées à
l'explication des phénomènes de la vie ne sauraient être
instituées vaguement et comme au hasard, mais
qu'elles doivent reposer, au contraire, sur la connais-
sance de conditions fonctionnelles précises que la
physiologie seule peut déterminer.
« En finissant je ferai remarquer, ainsi que l'on a pu
s'en convaincre, que la formation du sucre dans le foie
n'est pas en litige. C'est une vérité physiologique par-
faitement établie et complètement acquise à la science.
La question qui se trouve actuellement en jeu, c'est de
savoir quels sont les éléments du sang que le foie uti-
lise pour fabriquer la matière sucrée. L'hypothèse de
480 RÉSUMÉ DES FAITS
cette formation du sucre aux dépens des matières
grasses se trouve renversée par mes expériences, dans
lesquelles j'ai fait voir que l'alimentation purement
graisseuse diminue la production du sucre dans le foie
et la quantité de cette matière dans tout l'organisme. 11
reste à examiner la théorie de la formation du sucre
aux dépens des matières azotées, que les analyses chi-
miques de M. Lehmann et mes expériences physiologi-
ques indiquent. C'est le sujet dont j'entretiendrai inces-
samment l'Académie. »
Toutes les fois, Messieurs, que l'on voudra faire des
expériences sur la fonction glycogénique du foie, il
faudra embrasser et comprendre dans son ensemble les
connexions physiologiques de cette fonction avec les
autres systèmes organiques. Sans cela on aura des expé-
riences incomplètes pour l'interprétation desquelles on
n'aura aucune espèce de critérium.
J'ai fait faire ici une figure schématique, sur laquelle
vous pouvez saisir d'une manière simple et exacte les
divers rapports de la fonction glycogénique avec le
système sanguin (fig. 21).
Maintenant, Messieurs, le résumé de toutes ces le-
çons, et les preuves à l'appui de cette fonction glyco-
génique nouvelle, peuvent se donner en quelques li-
gnes, qui seront en quelque sorte le programme de la
démonstration expérimentale de la formation du sucre
dans le foie.
Premier fait. 11 y a du sucre dans le foie de l'homme
et de tous les animaux en état de santé. Ceci n'a jamais
été contesté.
QUI ÉTABLISSENT LA GLYGOGÉNIE ANIMALE.
481
Le foyer de la matière sucrée est dans le foie F qui la produit, et dont le
tissu en renferme constamment. Le foie reçoit les matériaux de cette sécré-
tion par le sang qui entre par la veine porte VP, et qui ne renferme pas de
sucre chez les carnivores. Ce sang vient en partie du sang des artères mé-
sentériques qui passe par les capillaires dans les rameaux de la veine porte
BERNARD. I. 31
482 RÉSUMÉ DES FAITS
b, et_, d'autre part, des matériaux absorbés en «, directement dans l'intestin.
Le sang non sucré de la veine porte VP entre dans le foie, s'y répand, y subit
des métamorphoses au contact de l'élément glandulaire, devient très-sucré,
et passe dans la veine hépatique HS. On a ainsi du sang qui entre en YP
sans renfermer aucune trace de sucre, tandis qu'il en contient beaucoup en
HS. Il faut bien que ce sucre ait pris naissance dans le foie F. Le sang sucré
de la veine hépatique SH arrive alors dans la veine cave inférieure VCI, près
du cœur, se mélange avec le sang non sucré de la veine cave inférieure,
et va dans le cœiir C, où il se mélange encore avec le sang de la veine
cave supérieure VCS, de telle sorte que la quantité du sucre a été considé-
rablement diluée, au point que la quantité du sucre, qui était en HS de Os%98
pour 100, est en c moins de 08',.300 pour 100. Le sang sucré du ventricule
droit c est chassé dans les poumons par l'artère pulmonaire AP, arrive dans
les capillaires du poumon P, où il se détruit en presque totalité, et le sang
revient alorsparla veine pulmonaire dans le ventricule gauche. De là le sang,
qui ne contient plus de sucre d'une manière appréciable, passe dans le sys-
tème artériel ou aortique AA, puis arrive dans les capillaires généraux CG.
Là le sang subit d'autres modifications, puis passe de l'état de sang artériel à
l'état de sang veineux, puis repasse dans les veines caves inférieure et supé-
rieure VCI, V'CS. Le sang de l'artère mésentérique m se répand dans les
capillaires intestinaux, se charge en passant des matériaux, dissous par la
digestion dans l'intestin I, puis arrive au foie. Le sang de l'artère rénale R
arrive au rein R, et cède les matériaux de l'urine, mais ne cède pas de sucre
habituellement. Il n'en cède que lorsque la quantité de cette matière dans
le cœur droit excède O^^SOO pour 100, que tout n'a pas été détruit dans le
poumon, et qu'H en est passé dans le sang artériel, qui l'apporte alors au
rein. Le rein devient alors un organe éliminateur du sucre, et l'individu se
trouve diabétique.
Deuxième fait. Le sucre existe dans le foie des car-
nassiers comme dans celui des herbivores, à jeun ou
en digestion.
Corollaire, La présence du sucre dans le foie est
donc indépendante de la nature de l'alimentation.
Troisième fait. Chez un Carnivore, on ne trouve
point de sucre dans le sang de la veine porte.
On en trouve toujours, au contraire, des quantités
considérables dans le sang des veines hépatiques.
Corollaire, Le sucre se forme donc dans le foie.
Quatrième fait. Le sucre versé dans le sang se détruit
QUI ÉTABLISSENT LA GLYCOGÉxME ANIMALE. 483
successivement à mesure qu'il s'éloigne du foie, sans
toutefois, chez l'animal sain, apparaître dans les urines.
Cinquième fait. Le sang qui sort du foie, en même
temps qu'il contient davantage de sucre, ne renferme
plus du tout de fibrine et beaucoup moins d'albumine
que le sang qui y entre.
Corollaire. Le sucre semble se produire dans le foie
aux dépens des matières albuminoïdes du sang.
Tous les faits qui précèdent sont établis par des
expériences chimiques ; elles prouvent déjà qu'il y a
formation du sucre dans le foie. Mais comme cette
fonction se passe dans l'organisme, il en résulte que
cette production glycogénique doit par conséquent su-
bir toutes les influences de diverse nature qui agissent
su ries fonctions organiques.
En effet, nous constatons au point de vue physiolo-
gique :
Premier fait, La fonction glycogénique subit des
oscillations, comme toutes les sécrétions, et en parti-
culier comme celles qui sont liées à l'appareil digestif.
Elle est plus active au moment de la digestion.
Elle diminue dans les intervalles.
Elle peut finir par disparaître à la suite d'un jeûne
prolongé.
Deuxième fait. Les influences extérieures agissent
sur la sécrétion du sucre.
Le froid la fait disparaître, soit complètement, soit
en partie, suivant son intensité.
La chaleur la rétablit.
Troisième fait, l^es actions sur le système nerveux
484 RÉSUMÉ DES FAITS.
retentissent sur cette fonction pour l'exagérer, pour la
diminuer, pour la pervertir.
Quatrième fait. La fonction glycogénique est en sym-
pathie d'action avec les autres fonctions de l'économie,
et en particulier a^ec la respiration.
Cinquième fait. A l'état morbide, la fonction glyco-
génique s'exagère ou s'anéantit.
Son exagération produit le diabète.
Son anéantissement a lieu sous l'influence de tout
état fébrile.
Le foie des individus morts de maladie ne contient
généralement pas de sucre.
Tel est. Messieurs, l'ensemble des preuves qui con-
courent à établir que la production directe du sucre
parle foie est une véritable fonction physiologique.
Quand vous voudrez vous convaincre par des expé-
reinces personnelles de la réalité de cette fonction
glycogénique, vous devrez passer successivement par
cette série de faits que nous venons de vous énoncer, qui
s'enchaînent les uns avec les autres, et qui vous con-
duiront à coup sûr au résultat que nous vous avons
annoncé, et alors vous partagerez nos convictions.
Il ne me reste plus, Messieurs, en terminant, qu'à
vous remercier de l'intérêt constant avec lequel vous
avez suivi ces leçons.
APPENDICE
Les expériences si concluantes de M. le professeur
Lehmann, que nous avons rapportées dans la dernière
leçon, ainsi que les remarques dont nous les avions
fait suivre, devaient naturellement fait taire nos con-
tradicteurs, ou bien les irriter et les amener à quelque
argument extrême. Les deux cas sont arrivés, il en est
qui n'ont plus rien dit, tandis que d'autres ont été
moins prudents. Immédiatement après la fin du cours,
dans la séance académique du 26 mars dernier, il
parut un nouveau travail, dans lequel on crut conve-
nable, pour faire plus d'effet, de prendre exactement
le contre-pied des analyses de M. Lehmann, et d'avan-
cer qu'il y avait plus de sucre dans le sang de la veine
porte que dans celui des veines hépatiques. L'auteur
de cette contradiction est le même qui, le 29 janvier,
avait soutenu que le sucre du foie provient des végétaux,
au moyen de la viande de boucherie qu'on donne aux
carnivores; seulement il semble abandonner la plupart
des arguments émis dans son premier travail, car il
n'en est plus fait mention dans le second. Mais il ima-
486 APPENDICE.
gine alors des conditions expérimentale tout h fait
particulières, et il annonce avec assurance que, deux
heures après un repas de viande crue, il y a plus de
sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des
veines hépatiques, tandis que l'inverse a lieu quatre
heures après. Il est évident qu'il fallait que les expé-
riences qui sont annoncées, au nombre d'une seule-
ment, donnassent ces résultats pour prouver que, deux
heures après le repas, le foie reçoit plus de sucre qu'il
n'en donne, et qu'au contraire, quatre heures plus tard,
le sucre s'étant accumulé dans le foie, l'organe en rend
plus qu'il n'en reçoit.
On paraît peu au courant des notions physiologiques
sur la digestion, car on dit qu'au bout de deux heures
la viande crue est digérée, et que le sucre des aliments
a passé dans la veine porte. Si Ton y eût regardé
de près, on aurait vu que la digestion de la viande
crue, après deux heures, loin d'être en pleine activité
dans l'intestin, n'est pas même bien commencée dans
l'estomac.
Voici, du reste, comment l'auteur s'exprime dans
son Mémoire, qui, tel qu'il a été lu, se trouve repro-
duit dans la Gazet/e médicale du 31 mars, p. 202 :
Un chien jeune et de forte taille a été privé de toute nourriture
pendant trois jours. On a commencé alors à le nourrir avec de la
viande de bœuf crue^ et l'on a continué pendant huit jours ce régime.
Au bout de ce temps, le chien a été laissé à jeun pendant quarante
heures. On lui a donné alors un repas composé de 2 livres et demie
de viande de bœuf, et, deux heures après, on a procédé à l'opéra-
tion, qui consistait à recueillir séparément le sang de la veine porte
et celui des vaisseaux situés au-dessus du foie. A cet effet, une in-
cision a été pratiquée au flanc droit de l'animal, le doigt indicateur
APPENDICE. 487
introduit par cette ouverture, et suivant le bord inférieur du foie, a
permis de saisir le paquet des nerfs et des vaisseaux gui pénètrent
dans cet organe; la veine porte étant saisie, on l'a liée. Après cette
ligature, on a ouvert l'abdomen, ce qui a permis d'apercevoir les
vaisseaux de l'intestin noirs et gonflés par la stase du sang, suite de
la ligature. En incisant la veine porte, on a recueilli le sang de ce
vaisseau. On s'était procuré de même celui des veines mésentériques.
Après ces diverses opérations, la poitrine de l'animal a été ouverte,
et l'on a recueilli le sang du ventricule droit du cœur, et celui de la
veine cave inférieure à son entrée dans cet organe . Enfin^ on a extrait
le foie. L'estomac du chien contenait encore une assez grande quan-
tité de viande digérée et d'une couleur grisâtre.
Voici maintenant les résultats auxquels a conduit l'analyse chi-
mique comparée du sang de la veine porte et du sang pris au-dessus
du foie.
Sa?ig de la veine porte. — Ce sang pesait 102 grammes. Il a été coa-
gulé par l'addition de trois fois son volume d'alcool. Le liquide,
passé à travers un linge, a été rendu acide par quelques gouttes
d'acide acétique et évaporé à siccité. En reprenant par de l'eau dis-
tillée, on a obtenu une liqueur limpide qui a été évaporée à siccité.
Le poids de ce dernier résidu était de 1,07. Une partie de cette
liqueur, traitée par le réactif de Frommherz, a fourni un précipité
abondant de sous-oxyde de cuivre, ce qui indiquait la présence d'une
notable quantité de sucre.
Le lendemain, avec la liqueur cupro-potassîque titrée à 5 centi-
grammes de sucre d'amidon pour 10 centimètres cubes de liqueur,
j'ai procédé à la détermination de la quantité de glucose contenue
dans un poids connu du résidu de l'évaporation. J'ai trouvé ainsi
que le sang sur lequel j'avais opéré contenait, sur 100 parties, 0,^48
de glucose. Ajoutons que le sang des veines mésentériques renfer-
mait aussi du sucre, mais la proportion n'en a pas été dosée (1).
Sang pris au-dessus du foie. — Le poids de ce sang était de 2o gramm.
Traité comme précédemment, il a laissé un résidu du poids de 0,1 50.
Le réactif cupro-potassique n'a indiqué dans ce résidu que des traces
à peine appréciables de glucose. La quantité en était si faible,
(() On s'est assuré, avec un autre chien placé dans les mêmes conditions
qu'après un jeûne de quarante heures, la veine porte ne contenait pas de
sucre. A cet eiïet, le chien a été tué par la section du bulbe rachidien. L'ab-
domen étant ouvert, on a appliqué une ligature sur la veine porte, et l'on a
recueilli le sang de ce vaisseau. Ce sang ne renfermait aucune trace de glu-
cose; on s'en est assuré en le traitant par l'alcool, suivant le procédé ci-
dessus décrit.
488 APPENDICE.
qu'ayant essayé de la doser avec la liqueur cupro-potassique qui avait
servi à l'analyse du sang de la veine porte, je n'ai pu y parvenir,
car la coloration bleue de la liqueur titrée a été à peine altérée par
l'afTusion de la presque totalité du liquide.
Dans le sang pris au-dessus du foie, deux heures après le repas, il
n'existait donc que des traces de glucose.
Quant au foie, qui pesait 315 grammes, il était chargé d'une quan-
tité notable de sucre.
Il résulte de cette première expérience que, chez un chien nourri
de viande crue et tué deux heures après le repas, on trouve dans la
veine porte une quantité notable de glucose, et qu'il n'existe que
des traces de ce produit dans le sang qui sort du foie, bien que ce
dernier organe soit lui-même chargé de sucre.
La même expérience a été répétée, quatre heures après le repas,
avec un chien placé dans les mêmes conditions que le précédent, et
nourri exclusivement depuis douze jours avec de la viande de bœuf
crue. Au bout de quarante heures de jeûne, on a donné à ce chien
un repas composé de 2 livres de viande de bœuf crue, et, quatre
heures après, on l'a opéré comme le précédent. On a recueilli, par
incision, le sang de la veine porte. La poitrine étant ouverte, on a
pris le sang du ventricule droit et celui de la veine cave inférieure.
La digestion était presque entièrement terminée, car l'estomac ne
contenait plus que quelques morceaux de viande au milieu d'une
masse demi-liquide et pultacée qui n'occupait qu'une partie du vis-
cère. En procédant à l'analyse comparée de ces deux sangs, j'ai
obtenu les résultats qui suivent :
Sang de la veine porte. — Le sang recueilli pesait 76 grammes. A
la seconde évaporation (l'évaporation du liquide aqueux), il a laissé
un résidu du poids de 0,39, J'ai trouvé, en analysant un poids connu
de ce résidu avec la liqueur cupro-potassique titrée, qu'il renfer-
mait 0,231 pour 100 de glucose.
Sang pris au-dessus du foie. — Ce sang pesait 2o grammes. Le ré-
sidu alcoolique pesait 0,165. On a trouvé, par le même procédé
d'analyse, que ce sang contenait 0,304 pour 100 de glucose.
Le foie renfermait une quantité notable de sucre.
Ainsi, chez un chien nourri de viande crue, et tué quatre heures
après le repas, on trouve du glucose dans le sang de la veine porte,
et le sang qui sort du foie renferme alors une quantité de glucose
plus considérable que quand on l'a recueilli deux heures seulement
après le repas.
Examinons maintenant les conséquences auxquelles conduisent
APPENDICE. 489
ces deux expériences si importantes dans la question qui nous
occupe.
Ce que tout le monde remarquera certainement dans leur résul-
tat, c'est la démonstration de ce fait capital, que le sang qui pénètre
dans le foie pendant la digestion renferme déjà du sucre^, et que
par conséquent le foie ne joue point dans la production de ce prin-
cipe le rôle qui lui est attribué.
Une seconde particularité, qui ressort des mêmes expériences,
frappera peut-être moins que la précédente, mais elle est pour nous
tout aussi précieuse, car elle démontre avec évidence que le foie est
bien, comme nous l'avons dit, un organe dans lequel les produits
de la digestion viennent séjourner un certain temps, s'y accumuler,
s'y réunir, pour être ensuite répandus et distribués dans la circula-
tion générale.
Rapprochons, en effet, les résultats de ces deux expériences. Dans
la première, quand on recueille le sang deux heures après le repas,
le sang qui provient du foie ne renferme encore qu'une quantité
insignifiante de sucre, bien que cet organe soit rempli de matière
sucrée. Dans la seconde expérience, faite quatre heures après le
repas, le sang qui s'échappe du foie contient des proportions no-
tables de glucose. Xe voit-on pas là la démonstration évidente de ce
fait, que le foie arrête quelque temps dans son tissu les matières qui
lui sont apportées de l'intestin? Par suite de l'extrême lenteur delà
circulation dans l'organe hépatique, par la nature même du tissu
spongieux de cette glande, le sang est contraint de subir dans le foie
une stagnation qui a pour effet d'y retenir ces produits un temps
plus ou moins long. Aussi, lorsque, dans la première expérience,
nous avons recueilli le sang deux heures seulement après le repas,
nous avons saisi le moment précis où le sucre, arrivant du tube in-
testinal par suite de la digestion, avait pénétré dans le foie, mais
n'avait eu le temps d'en sortir, et se trouvait encore arrêté dans
le réseau vasculaire de cette glande. Et c'était un spectacle remar-
quable et plein d'enseignements physiologiques que de voir s'échap-
per d'un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce pro-
duit! Mais lorsque, dans la seconde expérience, on a recueilli le
sang quatre heures après le repas, on a laissé au glucose le temps
de s'échapper par les vaisseaux sus-hépatiques, et l'analyse a permis
de constater dans le sang de ces vaisseaux l'existence d'une notable
proportion de matière sucrée.
J'ai reproduit textuellement les paroles de l'auteur,
490 APPENDICE.
parce qu'il faut avoir lu, de ses yeux, de semblables
résultats, pour croire qu'on les ait avancés d'après une
expérience faite une seule fois. On comprend, jusqu'à
un certain point, que l'illusion puisse se glisser dans le
raisonnement sous l'influence de certaines idées pré-
conçues, mais il est plus difficile de comprendre que
l'on trouve et que l'on dose du sucre dans le sang de la
veine porte, quand il n'y en a pas, et que l'on n'en voie
pas dans le sang des veines hépatiques où il y en a. La
possibilité de semblables contradictions doit attrister les
homme qui recherchent la vérité.
Le résultat énoncé, à savoir, qu'il y a plus de sucre
dans le sang de la veine porte que dans celui des veines
hépatiques, est tellement opposé à ce que tout le
monde a vu, que j'avais cru d'abrd à quelque erreur
anatomique et à quelque confusion de vaisseaux. On
remarque, en effet, de l'ambiguïté dans les désigna-
tions anatomiques. On parle, d'une part, du sang re-
cueilli dans la veine porte et du sang recueilli dans les
veines mésentériques, distinction qui n'a pas sa raison
d'être puisque la veine porte n'est que la réunion de
toutes les veines mésentériques. D'autre part, on dit
qu'on a recueilli du sang au-dessus du foie, et puis,
dans le détail de l'expérience, on ajoute que l'on a
ouvert la veine cave à son embouchure dans l'oreillette
droite du cœur. L'auteur n'a sans doute pas voulu dési-
gner par cette expression : sang pris au-dessus du foie,
le sang du cœur droit provenant de tout le système
veineux du corps, car il sait bien que c'est dans les
veines hépatiques, immédiatement à la sortie du tissu
APPENDICE. 491
du foie, qu'il faut prendre le sang sus-hépatique pour
le comparer au sang de la veine porte qui entre
dans l'organe. Du reste, dans ses conclusions, l'auteur
s'explique plus clairement quand il s'écrie, dans l'éton-
nement et l'admiration oii il est de ses propres résultats :
« Et c'était un spectacle remarquable et plein d'ensei-
gnements physiologiques que de voir s'échapper d'un
foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce
produit! »
Or, si l'auteur a vu sur un chien le sang s'échapper
du foie, il n'a pu le voir s'échapper que par les veines
hépatiques qui s'abouchent dans la veine cave au-dessous
du diaphragme, et non à l'entrée de l'oreillette droite
du cœur. Enfin, l'auteur ajoute, deux lignes plus bas :
(( On a laissé au glucose le temps de s'échapper par les
vaisseaux sus-hépatiques . » D'après tout cela, je crois
bien que notre contradicteur a pris du sang des veines
hépatiques et du sang de la veine porte ; mais ce que je
n'admettrai jamais, pas plus que personne, c'est ce
qu'on a avancé, à savoir, que, deux heures après un
repas de viande crue, il y a plus de sucre dans le dernier
sang que dans le premier.
Sans rechercher la cause des erreurs matérielles qui
ont pu se glisser dans les expériences, je ferai seule-
ment sur la direction d'idées de l'auteur une remarque
générale qui me semble assez explicative.
Il est bien clair que, dans toute cette discussion,
l'auteur en question, sans s'en apercevoir, et de très-
bonne foi sans aucun doute, se place toujours en de-
hors du point de vue scientifique, en ce qu'il traite la
492 APPENDICE,
question comme un avocat qui soutient un plaidoyer,
mais non comme un savant qui cherche la vérité. Cette
méthode de procéder est surtout dangereuse dans les
sciences complexes comme la physiologie, et il est
d'autant plus important de la signaler ici, que, pour ne
pas y être trompé, il faut être bien an courant des
questions dont il s'agit. En effet, une fois le point de
départ admis, les raisonnements s'enchaînent logique-
ment, et les personnes étrangères aux faits sont sé-
duites par cet enchaînement, sans se douter que c'est
précisément le point de départ qui pèche, et que
c'est là ce qu'il faut déterminer exactement. Or, je dis
que, dans le travail que nous examinons, l'auteur se
préoccupe beaucoup plus de rechercher des appa-
rences d'arguments pour le besoin de sa cause que
de s'enquérir si les arguments qui servent de point
de départ à ses raisonnements sont solidement éta-
blis.
Voyons, en effet, ce qui est arrivé. Dans son pre-
mier Mémoire, l'auteur se pose en défenseur d'une
théorie en vertu de laquelle le sucre trouvé dans le foie
des carnivores doit provenir des végétaux. Alors il ima-
gine, pour son explication, qu'il y a du sucre dans la
viande des animaux de boucherie, qui sont herbivores,
et là-dessus il construit tout un échafaudage de consi-
dérations pour prouver que l'origine du sucre n'est pas
dans le foie.
Mais on lui dit que d'abord le fait de la présence du
sucre dans la viande est erroné. Ensuite, pour démon-
trer que le foie ne fait pas de sucre, et que cette sub-
APPENDICE. 493
slance vient de Faliment, il faudrait prouver qu'il y a
du sucre dans le sang de la veine porte qui entre dans
l'organe; et enfin, pour établir que le sucre se con-
dense dans le foie, il faudrait encore montrer qu'il
entre plus de sucre dans le foie qu'il n'en sort.
L'auteur n'est pas embarrassé pour résoudre ces ob-
jections qu'on lui oppose. La présence du sucre dans
la viande n'est pas exacte : il n'en parle plus. 11 fau-
drait, pour prouver ce qu'il a avancé, qu'il y eût plus
de sucre dans la veine porte que dans le sang des
veines hépatiques : immédiatement paraît le Mémoire
précédemment rapporté, dans lequel il croit avoir vu
ces résultats, qui sans doute peuvent constituer un bon
argument, mais qui, malheureusement pour la théorie
qu'on soutient, est tout aussi illusoire que la présence
du sucre dans la viande. D'après cette disposition
d'esprit de l'auteur, il est probable que, quand on lui
aura prouvé qu'il n'y a pas, comme il le croit, du
sucre dans le sang de la veine porte en plus grande
quantité que dans le sang des veines hépatiques, il
abandonnera cet argument pour en imaginer un ou
plusieurs autres à la discussion desquels il espérera
qu'on puisse s'arrêter.
Les discussions dans lesquelles on se laisse conduire
par ses idées en dehors de l'examen sérieux des faits
ne peuvent avoir aucun résultat scientifique. Pour ces
raisons, je me serais abstenu, pour mon compte, de
poursuivre cette espèce de procès qu'on a voulu in-
tenter à la fonction glycogénique du foie ; mais je suis
ici professeur de physiologie expérimentale, j'ai foi
494 APPENDICE.
dans la méthode expérinientale et dans l'invariabilité
des expériences bien faites. Il est de mon devoir de
m'élever contre ceux qui, par la manière dont ils trai-
tent les questions, peuvent jeter du doute dans les
esprits sur la constance des résultats physiologiques,
et retarder cette belle science dans son développement
aujourd'hui si brillant. Je ne dois d'ailleurs laisser
échapper aucune source d'instruction pour les élèves.
Or, on instruit à la fois en mettant sous les yeux les
méthodes d'investigation qui conduisent à la vérité,
afin de les suivre, et en signalant celles qui conduisent
à l'erreur, afin de les éviter. C'est comme exemple de
ce dernier genre que j'ai eu à indiquer la manière de
procéder de l'auteur dont nous nous occupons, et c'est
pour montrer jusqu'oii cette manière de raisonner peut
conduire, que j'ai voulu poursuivre la question dans
cet appendice.
Au point de vue de la physiologie, il aurait pu y
avoir inconvénient à ne pas suivre la discussion jus-
qu'au bout. En effet, à voir l'assurance et la facilité
avec lesquelles l'auteur explique tout, et rétorque les
objections, certaines personnes pouvaient croire à
l'exactitude des faits contradictoires avancés, et en ti-
rer cette conclusion, que les expériences de physiolo-
gie sont des expériences incertaines qui donnent des
résultats variables et même opposés, et que les conclu-
sions qu'on en tire ne doivent conséquemment avoir
aucune valeur absolue. Or, cette conclusion serait es-
sentiellement injuste, comme je l'ai prouvé dans main-
tes circonstances, et j'ai expliqué dans la première
APPENDICE. 495
leçon de ce cours que les expériences physiologiques
sont aussi certaines et aussi positives que celles de chi-
mie et de physique, pourvu que l'on ait soigneusement
étudié les conditions de l'expérience pour reproduire
les phénomènes toujours dans les conditions iden-
tiques.
Quand on dit, par exemple, que chez un Carnivore
il n'y a pas de sucre dans le sang de la veine porte, et
qu'il y en a dans le sang des veines hépatiques, ce n'est
pas là un résultat moyen fourni par beaucoup d'expé-
riences, dans lesquelles on aurait trouvé quelquefois
des résultats opposés. C'est une expérience constante
et absolue, ei jamais, quand elle est bien faite et dans
les conditions indiquées, il n'y a de sucre dans le sang
de la veine porte. C'est à cause de cette foi scientifique
que j'ai dans la certitude et l'invariabilité des expé-
riences physiologiques, dont les conditions sont bien
étudiées, que je crois de mon devoir, comme profes-
seur de physiologie expérimentale, de m'élever non
contre les personne que je laisse toujours en dehors,
mais contre les travaux, dont la légèreté inspire de la
défiance à l'égard de la physiologie expérimentale, en
apportant dans une question des résultats qui n'ont
pas même été constatés, comme la présence du sucre
dans la viande. C'est pour toutes ces raisons, et uni-
quement dans l'intérêt de la science, que je crus qu'il
fallait protester contre les faits avancés dans le Mé-
moire que nous examinons; c'est ce que je fis dans la
séance de l'Académie du 2 avril, dans les termes sui-
vants :
406 APPENDICE.
Dans la séance de l'Académie du 12 mars dernier, j'ai rappelé que
M. le professeur Lehmann, de Leipzig, venait encore, avec une au-
torité des plus considérables en pareille malière, confirmer une de
mes expériences fondamentales à l'aide desquelles j'ai établi depuis
longtemps que le foie fabrique du sucre. Cette expérience consiste,
comme on sait, à montrer que chez des animaux carnivores à jeun
ou en digestion de viande, il n'existe pas de sucre dans le sang de
la veine porte qui circule des intestins vers le foie, tandis qu'il en
existe constamment et en notable proportion dans le sang qui sort
du foie parles veines hépatiques pour circuler vers le cœur.
Dans la dernière séance de l'Académie, on a nié l'exactitude de
ces faits constatés et vérifiés par les hommes les plus compétents
et les plus habiles.
L'auteur qui a émis cette négation est arrivé non-seulement à dire
que chez les animaux carnivores, à certaines périodes de la diges-
tion, il y a du sucre dans le sang de la veine porte aussi bien que
dans celui des veines hépatiques, mais il n'a pas craint 'd'avancer que,
deux heures après le repas, on trouve chez un chien qui a mangé
de la viande de bœuf crue une plus forte proportion de sucre dans
le sang de la veine porte que dans le sang pris au-dessus du foie.
L'assurance avec laquelle une pareille assertion a été avancée
pourrait peut-être en imposer à certaines personnes. C'est pour-
quoi je crois de mon devoir de venir déclarer ici que ces résultats
sont entièrement inexacts.
Par suite d'expériences très-nombreuses faites depuis six années
et que j'ai répétées devant des savants de tous les pays, je ne pouvais
avoir aucun doute à cet égard. Je viens même encore cette semaine
de refaire mon expérience devant différents physiologistes ou chi-
mistes^ en plaçantles animaux dans les diverses conditions de diges-
tion, et spécialement dans celles indiquées par l'auteur du Mémoire,
soit relativement à la nature de l'alimentation, soit relativement
à l'époque de la digestion, soit enfin relativement à la manière
dont le sang a été traité, pour y rechercher la matière sucrée.
Or, je déclare de nouveau que j'ai t^^ujours obtenu le résultat que
j'avais annoncé, à savoir, que chez un chien en digestion de
viande cuite ou crue il n'y a pas de sucre dans la veine porte, ni
une heure, ni deux heures, ni trois heures, etc., après le repas,
et qu'il y en a au contraire dans les mêmes circonstances, cons-
tamment et en notable proportion, dans le sang des veines hépa-
tiques.
Maintenant, quant à apprécier les causes de l'erreur dans laquelle
APPENDICE. 497
est tombé l'auteur du Mémoire en question, ce rôle appartient à la
Commission qui, je l'espère, ne tardera pas à faire son rapport.
Mais, par un sentiment que l'Académie comprendra, j'ai l'hon-
neur de prier M. le Président de vouloir bien nommer en ma place
un autre commissaire pour examiner les Mémoires de M. Figuier.
Je n'ai pas à m'occuper dans cette note de la ques-
tion de savoir si les causes d'erreur provenaient des
moyens employés pour reconnaître le sucre, car il est
probable que l'auteur, voulant répéter nos expériences
et celles de M. Lehmann, a dû les reproduire dans les
mêmes circonstances et avec les mêmes réactifs, car
sans cela ce seraient d'autres expériences.
Quant aux réactifs dont il faut se servir pour recon-
naître le sucre, nous nous sommes déjà expliqué suffi-
samment à ce sujet. On sait que nous ne nous servons
comme caractère certain que de la fermentation au
contact de la levure de bière, avec pi^oduction d'acide
carbonique et d'alcool. Nous devons ajouter que nous
agissons quelquefois en mélangeant directement la le-
vure avec du sang frais sucré, comme cela a lieu dans
les veines hépatiques. La fermentation s'établit rapide-
ment au bout de dix minutes, pour peu que la chaleur
soit de 30 à 40 degrés, et elle dure généralement cinq
ou six heures, tandis que jamais le sang frais de la
veine porte, mélangé de même à de la levure de bière,
ne fermente dans le même temps. Quand on emploie
de la levtii^e de bière prise chez les boulangers, il im-
porte de ne pas laisser la fermentation durer plus de
vingt-quatre heures, car alors la fécule pourrait, sous
l'influence des matières animales du sang, se trans-
BERNARD. I. 32
498 APPENDICE.
former en sucre et donner de ralcool et de l'acide car-
bonique, comme nous nous en sommes assuré. Au
lieu de faire fermenter directement le sang, on peut le
traiter par quatre ou cinq fois son volume d'alcool, et
reprendre le résidu par l'eau, qu'on soumet alors à la
fermentation. Mais, soit qu'on prenne directement le
sang des veines portes et des veines hépatiques, soit
qu'on le traite par l'alcool préalablement, on voit
constamment dans tous les cas la fermentation s'éta-
blir avec le sang des veines hépatiques, et jamais avec
le sang de la veine porte.
Nous n'avons pas besoin de répéter ici que, pour ob-
tenir ces résultats, il faut recueillir le sang dans des
conditions physiologiques. On ne peut avoir le sang
qui circule dans des conditions normales dans la veine
porte, ou dans les veines hépatiques, qu'en opérant
par le procédé que nous avons indiqué, qui consiste à
tuer l'animal par la section du bulbe rachidien, et à
recueillir immédiatement le sang contenu dans la veine
porte et celui contenu dans les veines hépatiques, après
avoir placé des ligatures sur ces vaisseaux. De cette
manière, on est bien sûr que le sang recueilli dans la
veine porte est celui qui allait entrer dans le foie au
moment de la mort de l'animal.
Quand, à la suite de la fermentation, on veut obtenir
de l'alcool, ce qui est, suivant nous, une condition in-
dispensable de l'expérience, il faut se procurer d'assez
grandes quantités de sang et sacrifier un certain nom-
bre d'animaux dans les mêmes conditions. On réunit
tous les sangs des veines hépatiques et ceux des veines
APPENDICE. 499
portes qu'on traite comparativement à quantités égales.
Dans ces circonstances, on recueille les plus grandes
quantités de sang possible, en faisant l'expérience sur
l'animal vivant, comme nous l'avons souvent pratiquée,
que l'on veuille obtenir le sang de la veine porte ou
le sang des veines sus-hépatiques.
Pour obtenir le sang de la veine porte, il suffît de
faire la ligature du tronc de cette veine, d'ouvrir l'ab-
domen, et de piquer au-dessous de la ligature. On fait
jaillir ainsi du sang circulant dans la veine porte chez
l'animal vivant. Mais on comprendra que, pour que
ce sang soit dans des conditions physiologiques, il ne
faut en prendre qu'une petite quantité ; car, si l'on fait
mourir l'animal d'hémorrhagie en ouvrant la veine
porte, par exemple, le sang detoutes les parties du corps
se trouvant évacué, le foie comprimé par les convul-
sions de l'animal, le sucre que contient cet organe
passe avec les dernières portions du sang, qui alors ne
sont plus identiques avec les premières, qu'on peut
seules considérer comme recueillies dans des condi-
tions physiologiques.
Pour obtenir une grande quantité de sang des veines
hépatiques, nous avons employé le même procédé que
pour constater la température du sang qui sort du foie.
Ce procédé consiste à faire une grande incision dans le
flanc droit, jusque dans l'angle de la dernière côte, et
à placer deux ligatures sur la veine inférieure, au-
dessus des veines rénales. Ces ligatures sont destinées
l'une à arrêter le sang qui vient des parties inférieures,
l'autre à lier un tube ouvert par les deux bouts, qu'on
oOO APPENDICE.
introduit dans la veine. Ensuite, lorsqu'on a placé ces
deux ligatures d'attente dans le ventre, il s'agit de faire
la ligature do la veine cave inférieure au-dessus du
diaphragme, dans la poitrine. Pour cela, on fait une
incision entre la dixième et la onzième côte du côté
droit. On incise d'abord la peau, puis, en changeant
le parallélisme, on fait une petite incision dans un es-
pace intercostal, de façon à introduire le doigt pour
qu'il bouche exactement l'ouverture, et empêche l'en-
trée de l'air; ensuite on introduit le long du doigt, à
l'aide d'un stylet, un fil qu'on passe au-dessous de la
veine, on fait la ligature, et de cette façon le sang des
parties inférieures ne peut plus remonter dans le cœur.
Pour éviter de faire cette ligature de la veine cave
inférieure, qui est souvent assez laborieuse, on peut
faire la première partie de l'opération comme nous
l'avons décrite, après quoi on introduit dans la veine
cave un tube qui est une espèce de sonde au bout de
laquelle on peut souffler, au moyen d'un tube latéral,
une petite vessie destinée à boucher le calibre de la
veine inférieure (fig. 22).
On introduit la sonde par la veine cave inférieure,
au-dessous des reins, dans l'abdomen, et Ton pousse
l'instrument de façon que son extrémité soit au-dessus
du diaphragme. Alors on souffle de l'air par le tube 0.
L'air insufflé conduit par le petit tube /, va s'ouvrir
en /', et distendre la petite vessie de caoutchouc G;
alors on ferme le robinet r, et la vessie, restant dis-
tendue, bouche et obstrue la veine cave au-dessus du
diaphragme, c'est-à-dire au-dessus du lieu d'abouché-
APPENDICE.
ment des veines hépatiques. Alors
ce sang, ne pouvant plus remon-
ter dans le cœur, pénètre dans la
sonde par l'ouverture latérale 0',
et ^ient s'écouler au dehors, par
le pavillon 0 de la sonde, dont
le robinet R a été ouvert.
Par l'un ou l'autre des deux
procédés précédents, on peut
avoir des quantités considérables
de sang sucré, parce que, la cir-
culation continuant sur l'animal
vivant, on recueille du sang qui
ne peut s'échapper qu'après avoir
traversé le foie. On possède assez
de sang pour obtenir de l'alcool
par la fermentation en distillant
le hquide, ainsi que nous l'avons
expliqué dans le cours de ces le-
çons. Or, la fermentation dé-
montre toujours ce que nous
avons indiqué, c'est-à-dire une
grande quantité de sucre dans le
sang des veines hépatiques, et ab-
sence complète ou traces très-
faibles dans le sang de la veine ^
porte.
Par ces raisons, nous ne sau-
rions comprendre comment l'au-
teur qui nous a contredit a pu
501
Fis. 2-2.
502 APPENDICE.
arriver à trouver plus de sucre dans le sang de la veine
porte que dans celui des veines hépatiques. Nous ferons
remarquer seulement qu'il ne mentionne pas la fermen-
tation, qui est cependant le seul caractère absolu pour
déceler le sucre. Si ce n'est pas là un oubli, et si réelle-
ment, c'est ce que l'on saura quand la commission
aura fait son rapport, ce moyen n'avait pas été em-
ployé, on est en droit de refuser aux expériences de
l'auteur toute espèce de valeur.
Après notre note du 1 2 mars, parurent plusieurs Mé-
moires pour venir corroborer de nouveau nos expé-
riences; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, tous les
hommes qui ont répété sérieusement les expériences
ont retrouvé nos résultats, et aucun observateur n'a pu
reproduire ce qu'a dit notre contradicteur.
Les Mémoires qui ont paru sont, le premier, de
M. Poggiale, professeur de chimie au Yal-de-Grâce,
communiqué à l'Académie des sciences le 16 avril. Ce
Mémoire est relatif à la formation du sucre dans le foie
et dans la mamelle. Nous ne discuterons pas ici ce
travail, nous n'en rapportons que ce qui se rattache à
la formation du sucre dans le foie, et particulièrement
à la question que nous examinons, à savoir, que chez
les animaux carnivores il y a du sucre dans le sang des
veines hépatiques, qui sort du foie, tandis qu'il n'y en
a pas dans le sang de la veine porte, qui entre dans l'or-
gane. Voici ce travail :
APPENDICE. o()3
La matière sucrée se forme-t-elle, parTaction digestîve, dans le foie
et dans le torrent circulatoire? par M. Poggiale.
Première expérience, — Un chien adulte a été nourri pendant huit
jours au pain arrosé de bouillon gras. Après deux jours d'une absti-
nence complète d'aliments, on lui a donné un kilogramme de pain
et de l'eau. Trois heures après ce repas, l'abdomen ayant été ouvert
et le sang des divers vaisseaux recueilli séparément, j'ai déterminé
la quantité de sucre dans tous ces produits^ et j'ai trouvé dans le sang
de la veine porte 0S'',322 de sucre pour 100 de sang; dans le sang
des veines hépatiques, 0S'',327,- dans le sang de la veine cave infé-
rieure, 08^,03, et dans celui de l'artère carotide, Os'",0o2. Les ma-
tières contenues dans l'estomac et dans l'intestin renfermaient beau-
coup de sucre. J'ai fait trois expériences dans les mêmes conditions,
et les résultats généraux n'ont pas varié.
Deuxième expérience. — Un chien adulte et de forte taille fut sou-
mis à l'action du chloroforme le troisième jour d'une abstinence
absolue, et l'on recueillit du sang de la veine porte, du sang des
veines sus-hépatiques, du sang de la veine cave inférieure et du
sang de l'artère crurale. On obtint par l'analyse les résultats sui-
vants : ûs%02o de sucre dans 100 parties de sang de la veine porte;
0''',049 dans le sang des veines hépatiques; 0S'-,042 dans le sang de
la veine cave inférieure, et 0s%023 dans le sang de l'artère crurale.
Troisième expérience. — Un chien fut laissé sans nourriture pen-
dant huit jours, puis sacrifié. L'examen du sang des différents vais-
seaux donna les chiffres suivants : 0S'",022 de sucre pour 100 de sang
des veines hépatiques, et des traces seulement dans la veine cave
inférieure. Le sang de la veine porte ne contenait pas de sucre. Chez
un autre chien à jeun depuis quatre jours, on n'a pas trouvé de
sucre dans le sang de la veine porte, tandis qu'on en a rencontré
dans le sang des veines hépatiques.
Quatrième expérience, — Un chien nourri pendant huit jours a ec
de la viande cuite, puis, après une abstinence de trente-six heures,
ayant reçu un repas copieux de viande cuite, fut sacrifié au moment
de la digestion. Le sang de la veine porte ne renfermait pas de sucre.
Le sang des veines hépatiques en contenait Os-^jSiO pour 100; le
sang de la veine cave inférieure, 0s'^,0S3, et celui de l'artère crurale,
CS'",032. On n'a pas constaté la présence du sucre dans les matières
alimentaires. Dans deux autres expériences analogues, on eut les
chiffres indiqués dans les deux dernières lignes du tableau suivant,
504
APPENDICE.
qui offre les résultats des analyses pour les expériences appartenant
à la troisième série.
ALIMENTATION.
QUiMl
Sang
de la veine
porte.
TÉ DE Sl'CRE
Sang
des veines
hépatiques.
POUR 100 DE
Sang
de la veine
cave inf.
SDCRE.
Sang
artériel.
MATIÈRES
ALIMENTAIRES.
Pain et bouillon gras.. ..
Id.
Abstin. depuis 3 jours . .
— S jours.. .
Viande cuite.
0,32
0,26
0,02
0,327
0,267
0,049
0,022
0,340
0,152
0,159
gr.
0,103
0,042
0,083
gr.
0.052
0,132
0,023
0,032
0,060
Beaucoup de sucre.
Id
Id
C0NCLU.S10XS. — Il résulte des expériences consignées dans ce Mé-
moire :
1° Que le sucre peut se former dans l'économie aux dépens des
aliments azotés, et peut-être des corps gras;
2° Que l'alimentation absolue à la graisse ne semble pas diminuer
la proportion du sucre dans l'organisme ;
3° Que les aliments amylacés se transforment en sucre par l'ac-
tion digestive;
4° Que, chez les animaux nourris avec des matières amylacées,
le sang de la veine porte contient une proportion considérable de
sucre;
5° Que, chez les animaux nourris avec de la viande, il n'existe pas
de sucre dans le sang de la veine porte; qu'on en trouve, au con-
traire, une quantité notable dans les veines hépatiques, dans la veine
cave inférieure, et même dans le sang artériel;
6° Que le sang de la veine porte des animaux soumis à l'absti-
nence complète ne contient pas de sucre;
7° Que, par conséquent, on est bien obligé d'admettre que, chez
les animaux nourris avec des matières azotées et de la graisse, la
production du sucre a heu dans le foie.
La deuxième communication confirmative de nos
expériences fut faite également dans la séance du 16 avril
par M. Leconte, professeur agrégé de chimie à la Fa-
APPENDICE. oOo
culte de médecine. Voici ce travail, tel qu'il a été pré-
senté à l'Académie.
Recherches sur la fonction ghjcogénique du foie, par M. Lecoxte.
Attaché au Collège de France comme préparateur du cours de
M. Magendie, il m'a été donné d'assister M. Cl. Bernard dans la plu-
part de ses expériences sur le foie, et de répéter un grand nombre
de fois moi-même, soit pour les besoins du cours, soit dans d'autres
circonstances, les recherches qui démontrent qu'il n'existe pas de
sucre dans le sang de la \eine porte d'animaux nourris de viande,
tandis qu'il en existe dans le sang des veines hépatiques. La question
étant aujourd'hui controversée, j'ai cru devoir soumettre à l'Aca-
démie les résultats de ces recherches.
Tous les animaux qui m'ont servi ont été rapidement sacrifiés par
la section du bulbe rachidien. Une incision, pratiquée au flanc
droit, permettait de lier la veine; l'abdomen était alors ouvert. On
liait la veine cave inférieure au-dessous du diaphragme ; puis, fai-
sant une incision à ce muscle, on appliquait une seconde ligature
sur la veine cave inférieure, au-dessus du diaphragme. Il était alors
facile de recueillir sans mélange le sang des veines hépatiques en
introduisant un tube de verre dans la portion de la veine cave com-
prise entre les deux ligatures. En introduisant de même un tube
de verre dans la portion de la veine porte comprise entre la ligature
et les intestins, on recueillait sans mélange le sang provenant de
ces derniers organes.
L'expérience m'a démontré qu'en recueillant le sang entre la
ligature et le foie, ce fluide contenait toujours une quantité notable
de sucre, par suite d'un reflux depuis longtemps signalé par M. Cl.
Bernard.
Le sang, mêlé exactement avec trois fois son poids d'alcool à
36 degrés, était jeté sur des carrés de toile fine et fortement com-
primé. Les liqueurs étaient filtrées; le contenu des toiles, les vases
et le filtre étaient lavés à l'alcool. Toutes les liqueurs étaient éva-
porées au bain-marie, après avoir été acidulées par l'acide acétique
pur. Les extraits alcooliques étaient délayés dans l'eau, additionnés
de 1 gramme de levure de bière fraîche, introduits dans des cloches
graduées pleines de mercure, et placés à une douce température.
1 gramme de la même levure délayée dans l'eau distillée était placé
dans le tube rempli de mercure, et servait à prouver que la levure
seule ne produisait pas de gaz. Après dix-huit à vingt-quatre heures,
506 APPENDICE.
on mesurait l'acide carbonique, et l'on opérait les corrections rela-
tives à la pression et à la température. Le poids du sucre était cal-
culé d'après la formule
Ci2H)2oi2 _ 4C02 + 2(C41602).
Avant de doser le sucre dans le sang, je fis les deux expériences
qualitatives suivantes :
Première expérience. — Un chien de moyenne taille, laissé à jeun
pendant vingt-quatre heures, fut sacrifié une heure après un repas
composé de i kilogramme de viande de bœuf crue. L'extrait alcoo-
lique du sang de la veine porte ne donna rien par la fermentation
ni parle cupro-tartrate de potasse ; avec celui des veines hépatiques,
réduction très-notable avec le même réactif. La fermentation donna
une quantité assez considérable d'acide carbonique.
Deuxième expérience. — Un jeune chien de trois mois fut nourri
de viande cuite pendant dix jours; on le sacrifia le onzième, deux
heures après un repas composé de viande de bœuf crue. 33 grammes
de sang de la veine porte donnèrent un extrait alcoolique qui donna
une réduction douteuse avec le cupro-tartrate de potasse, et rien
par la fermentation. 4 grammes de sang des veines hépatiques
fournirent un extrait alcoolique qui donna une réduction abondante
par le cupro-tartrate de potasse, et par la fermentation une quantité
appréciable de gaz carbonique.
Troisième expérience. — Un chien de très-forte taille fut nourri
pendant quinze jours avec de la viande cuite ; le seizième jour
on le sacrifia deux heures après un repas composé de i kilogramme
de viande crue de bœuf. On recueillit : sang de la veine porte,
73 grammes, qui donnèrent ; extrait alcoolique repris une seconde
fois par l'alcool, 0,60; ce qui donne, pour sang frais, iOOO parties :
extrait sec de la deuxième solution alcoolique, 8,22. Cet extrait
alcoolique ne donna aucune trace de gaz par la fermentation. On
obtint de môme : sang des veines hépatiques, 49 grammes, qui don-
nèrent : extrait alcoolique repris une seconde fois par l'alcool, 0S'',70;
ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties : extrait sec de la se-
conde solution alcoolique, 14,65. Cet extrait sec donna par la fer-
mentation, après dix-huit heures, 21*^%39 d'acide carbonique, qui
représentent 0S'',0422 de ce gaz, soit Oe'",0863 de sucre ; ce qui donne,
pour sang frais des veines hépatiques, 1000 parties ; sucre, 1,771, et
pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties : sucre,
123 parties. Le tube ternaire ne donna pas de gaz.
Quatrième expérience. — Un épagneul de forte taille fut mis à la
diète pendant vingt-quatre heures, puis nourri cinquante-huitjours
APPENDICE. o07
à la viande cuite ; on le sacrifia deux heures et demie aprt's son der-
nier repas. On obtint, sang de la veine porte, 149 grammes, qui
donnèrent : extrait alcoolique, 2,059, soit pour sang frais, 1000 par-
ties : extrait alcoolique sec, 13,74. Cet extrait ne donna rien par la
fermentation. Le produit resté dans la toile, séché à 100 degrés,
pesait 33 grammes ; en y ajoutant l'extrait alcoolique, 2,0o(j, on ob-
tint 3o,0oo ; ce qui donne, pour sang de la veine porte, 1000 parties :
eau, 766,20; substances sèches, 233,74. Le sang des veines hépa-
tiques pesait o4s'-,8; il laissa, extrait alcoolique sec, 1,096, soit, pour
sang frais, 1000 parties : extrait alcoolique sec, 21 ,82. Cet extrait, ainsi
que le précédent, ne fut pas repris une seconde fois par l'alcool;
après dix heures de fermentation, il fournit 17''<^,9 d'acide carbo-
nique, représentant 0='^,0726 de sucre ; ce qui donne, pour sang frais
des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 1,334, et pour extrait
alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties : sucre, 06,2. Les sub-
stances restées sur la toile séchées à 100 degrés pesaient 13"'',21 ; y
ajoutant l'extrait alcoolique 1,096, on obtient 14,306; ce qui donne,
pour sang des veines hépatiques, iOOO parties : eau, 737,20; sub-
stances sèches, 272,62. Donc, substances sèches des veines hépa-
tiques, 1000 parties, contiennent : sucre, 5,11.
Cinquième expérience. — Un chien de très-forte taille fut misa jeun
pendant vingt-quatre heures; puis il fit un repas composé de
1250 grammes de viande crue; on prit 61 grammes de sang de la
veine porte et 51 grammes de sang des veines hépatiques. L'extrait
alcoolique du premier ne donna rien par la fermentation; celui des
veines hépatiques, au contraire, donna par la fermentation 67 cen-
timètres cubes d'acide carbonique, représentant 0-'',271o de sucre;
ce qui donne la composition suivante : sang frais des veines hépa-
tiques, 1000 parties, sucre, 4,4
A-^o
o
Tableau résumant les quantités de sucre contenues dans 1000 parties
de sang frais.
De la veine porte. Des veines hépatiques.
1^*^ expérience 0 notable, non dosé.
2« — 0 . Id.
3« — 0 ' * 1,771
4-= — 0 1,344
5*= — 0 4,452
En résumé, il résulte des expériences précédentes :
1° Qu'en se plaçant dans les conditions indiquées plus haut, et eti
508 APPENDICE.
opérant rapidement la section du bulbe rachidien et la ligature des
vaisseaux, on ne trouve pas de sucre dans le sang de la veine orte
d'animaux nourris de viande crue ou cuite;
2° Que, dans les mêmes circonstances, le sang frais des veines
hépatiques contient d'un à quatre millièmes de son poids de sucre,
ce qui prouve que l'intervention des substances amylacées n'est pas
nécessaire à la formation du sucre dans le foie;
3° Que le foie est bien un organe formateur du sucre, et non pas
un organe condensateur, comme on l'avait avancé;
4° Que le sang des veines hépatiques laisse plus de substances
sèches, et fournit plus d'extrait alcoolique que la même quantité de
sang de la veine porte.
Enfin, clans la séance du 30 avril, M. MoleschoU,
professeur de physiologie à Heidelberg, m'a piié de
communiquer à l'Académie les résultats confirmatif's
qui suivent :
Sur la sécrétion du sucre et de la bile dans le foie,
par M. Moi.EscBOTT.
En lisant vos intéressantes remarques sur la sécrétion du sucre
dans le foie, faites à l'occasion d'une communication de M. Leh-
mann, je me suis rappelé les expériences que j'avais faites en 1852,
et qui ne sont pas connues en France. Comme le résultat de ces
recherches vient aussi prouver que le foie qui produit du sucre ne
saurait être comparé aux reins qui excrètent l'urée, j'ai pensé qu'il
était de mon devoir de vous le communiquer.
J'ai, sur un grand nombre de grenouilles, extirpé du foie, qui,
comme on le sait depuis vos travaux, contient du sucre tout aussi
bien que celui des mammifères, et j'ai réussi à garder ces animaux
vivants, pendant deux ou trois semaines après l'opération. Après ce
laps de temps assez considérable, j'ai examiné le sang, les muscles,
le sucre gastrique et l'uriue de ces grenouilles, sans y pouvoir trou-
ver aucune trace de bile ni de sucre. Or, c'est un fait avéré en phy-
siologie, qu'après l'extirpation des reins, l'urée s'accumule dans le
sang. On devrait donc s'attendre à trouver les acides organiques et
la matière colorante de la bile, ainsi que du sucre, dans le sang ou
dans le tissu d'animaux privés du foie, pendant quinze à vingt et un
jours, si le foie n'était pour ces substances qu'un appareil de filtra-
APPENDICE. 509
lion. Puisqu'il n'en est rien, j'en conclus que la bile et le sucre sont
formés dans le foie, ce qui vient appuyer un fait dont, pour le sucre,
la science est redevable à vous, tandis que, pour la bile, M. J. Millier
l'a fait connaître le premier, et JMM. Kunde et Lehmann l'ont con-
staté avant moi; mais, dans les expériences de ces savants^, les gre-
nouilles n'avaient survécu que trois ou quatre jours à l'opération,
c'est-à-dire pendant un temps qui n'est que la quatrième ou même
la cinquième partie de ce que j'ai pu atteindre chez mes animaux.
Après avoir rangé la fonction glycogénique du foie parmi les vé-
rités les plus fécondes de la science, en démontrant que le sucre
formé dans le foie est détruit par la respiration, vous accorderez
peut-être quelque intérêt à ce que j'ai trouvé que le fuie ne contri-
bue pas peu à la métamorphose rétrograde des substances animales.
Si l'on a ôté le foie aux grenouilles, ces animaux exhalent, pour la
même unité de poids et de temps, beaucoup moins d'acide carbo-
nique que des animaux intacts. J'ai comparé des grenouilles, chez
lesquelles j'avais fait l'excision du foie, à d'autres auxquellesj'avais
amputé les deux jambes pour leur faire perdre une quantité plus
grande de sang qu'il ne s'en perdait par l'extirpation du foie. D'ail-
leurs, tous les animaux qui servaient à la comparaison, ceux qui
étaient intacts et ceux qui avaient subi les deux genres d'opération,
étaient pris le même jour dans les fossés et marais de nos environs;
ils étaient gardés dans la même eau, et de plus ils étaient du même
sexe, et, autant que possible, du même poids et de la même gran-
deur. Les expériences, comparées entre elles, étaient exécutées le
même jour, à peu près à la même température et à la même pres-
sion atmosphérique. Le nombre des expériences pour chacune des
trois catégories n'est pas inférieur à vingt-six. Eh bien, tOO grammes
dé grenouilles intactes ont donné en moyenne, pour vingt-quatre
heures, Os^^joGe d'acide carbonique; 100 grammes de grenouilles
amputées en ont exhalé 0s'",4o7, et iOO grammes de grenouilles sans
foie n'en ont produit que G?'", 332. On voit donc que l'excision du
foie diminue la quantité d'acide carbonique exhalé par les gre-
nouilles d'une manière plus intense que ne pourrait l'expliquer la
perte du sang inévitable dans une opération si grande. Le rapport
entre ce fait et la fonction glycogénique du foie me paraît assez
bien établi pour oser vous prier de communiquer cette lettre à
l'Académie des sciences.
Tels sont les travaux qui ont paru depuis la fin de
notre cours. Ils confirment tous de la manière la plus
510 APPENDICE.
complèfe nos propres expériences. Nous ne doutons pas
que toutes les recherches sérieuses qui seront faites sur
la même question n'aboutissent au même résultat.
RAPPORT DE M. DUMAS
Nous pensons que les lecteurs de ces Leçons liront
avec intérêt le rapport présenté par M. Dumas à l'Aca-
démie des sciences, à l'occasion des communications
faites par MM. Figuier, Leconte et Poggiale, dont les
Mémoires se trouYcnt reproduits dans ce volume. Nous
plaçons ici ce rapport comme appendice.
J. B. B.
« L'Académie nous a chargés, MM. Pelouze, Rayer et moi, de lui
rendre compte des expériences relatives aux vraies fonctions du
foie, instituées dans ces derniers temps par MM. Figuier, Poggiale
et Leconf.e. Votre Commission a pensé qu'elle devait, laissant de côté
toute préoccupation théorique, réduire la question qui lui était sou-
mise aux simples termes d'une vérification de faits. Elle a donc porté
toute son attention sur les moyens à prendre pour donner à cette
vérification des garanties de précision dont l'état de la science lai
permettait de les entourer.
« Un de nos confrùres, M. Claude Bernard, avait fait connaître,
conjointement avec M. Barreswil, l'existence dans le foie d'une quan-
tité considérable de sucre. Poursuivant les conséquences de cette
découverte, M. Claude Bernard a prouvé que le sucre existe dans le
foie de tous les animaux, que sa présence est conséquemment un
témoin de la nature même des fonctions de cet important organe.
« Jusque-là, les observations nouvelles de M. Claude Bernard et la
conséquence qu'il en tire ne sont contestées par personne, elles
constituent l'une des plus sérieuses acquisitions de la physiologie
moderne.
« Mais d'où vient ce sucre qui existe si constamment dans le foie?
Comment disparaît-il de cet organe? Quel est son emploi?
APPENDICE. 5H
« Ici les opinions se montrent divergentes, les difficullés appa
raissent et les expériences elles-mêmes ne seraient plus d'accord.
« M. Claude Bernard pense que la formation du sucre a lieu dans le
foie. Bien entendu que notre savant confrère ne met point en doute
la production du sucre qui a lieu par le fait de la digestion dans l'es-
tomac aux dépens des aliments amylacés, moins encore le passage
du glucose et de ses analogues de l'estomac ou de l'intestin dans les
veines. Mais il admet qu'en dehors de cette source intermittente,
par laquelle le glucose peut s'introduire dans le sang, au moment
où la digestion s'accomplit, il y en aurait une autre permanente et
tout à fait spéciale : ce serait la fabrication du sucre dans le foie
même.
« Ce qui démontrerait cette fabrication, c'est l'absence du sucre
dans le sang de la veine porte d'un animal soumis au régime de la
viande; c'est la présence de ce sucre dans le sang des veines sus-
hépatiques de ce même animal.
« M. Figuier a élevé contre celte doctrine diverses objections.
« Reprenant une opinion déjà émise par M. Mialhe, M. Figuier
fait remarquer qu'il serait plus naturel de considérer le foie comme
un organe séparateur, à la façon des reins, que d'en faire un organe
créateur. Dans cette hypothèse, le foie, véritable régulateur de la
composition du sang, arrêterait au passage le sucre provenant de la
digestion qui se trouverait en excès dans le sang, comme il arrête
certains poisons métalliques, et le restituerait peu à peu à ce liquide,
lorsque celui-ci en serait dépourvu ou que la proportion de sucre y
serait descendue au-dessous de la moyenne, pendant les heures de
repos de l'estomac.
« Comme le rôle attribué au foie par M. Claude Bernard repose
sur quatre données, savoir : 1° la présence constante du sucre dans
le foie des animaux herbivores ou carnivores; 2° la présence non
moins constante du sucre dans les veines sus-hépatiques ; 3° l'absence
du sucre dans le sang de la veine porte chez les animaux nourris
avec de la viande; 4° l'apparition momentanée du sucre dans le
sang de la veine porte sous l'influence de la digestion des matières
sucrées ou féculentes, votre Commission devait s'attacher à exa-
miner si ces données étaient contestées et si elles l'étaient avec
quelque raison .
Or, de ces données, il en est deux qu'on ne conteste pas, la pre-
mière et la quatrième. Il est admis que le foie contient toujours du
sucre, môme chez les animaux carnivores. Il ne l'est pas moins que,
sous l'influence de la digestion des matières féculentes ou sucrées,
le sang de la veine porte en contient aussi.
512 APPENDICE.
« Reste donc à savoir si le sang de la veine porte contient ou non
du sucre chez les animaux nourris de viande. A cet égard, les ex-
périences de votre Commission lui ont semblé décisives. Elle n'a
pas trouvé trace appréciable de sucre dans le sang de la veine porte
d'un chien nourri à la viande crue.
« Reste encore à décider si, indépendamment de la digestion des
matières végétales, le sang des veines sus-hépatiques contient du
sucre; si, sous l'influence de la digestion de la viande, le sang de
la veine porte en est dépourvu; si enfin, lorsque le sang de la veine
porte n'en contient pas, celui des veines sus-hépatiques en contient
au contraire.
« 11 suffit, pour éclairer tous ces points, d'examiner, comme l'a
fait M. Claude Bernard, sur le même animal le sang de la veine
porte et celui des veines sus-hépatiques, sous l'influence de la diges-
tion, après un repas uniquement composé de viande, succédant soit
à une abstinence prolongée, soit à quelques journées d'un régime
purement animal.
« Dans une expérience faite dans cette dernière condition, votre
Commission s'est assurée que le sang de la veine porte ne renfer-
mait pas trace de sucre, tandis que celui des veines sus-hépatiques
en contenait des quantités parfaitement appréciables, ainsi que
M. Claude Bernard l'avait annoncé.
« Comme la difficulté se concentre tout entière sur ce point : —
Y a-t-il ou non du sucre dans le sang de la veine porte pendant la
digestion après un repas formé de viande, l'animal ayant été con-
venablement soustrait à l'influence d'une alimentation sucrée? —
votre Commission a examiné, avec tout le soin dont elle était ca-
pable, les produits extraits par M. Figuier du sang de la veine porte
dans un animal sacrifié dans ces conditions, et où l'auteur croyait
reconnaître la présence du sucre à l'aide du réactif Frommherz.
Votre Commission n'en a pas trouvé en employant, il est vrai, la
fermentation.
« Ainsi, tous les faits annoncés par notre confrère M. Claude Ber-
nard, au sujet de la fonction qu'il attribue au foie, ont été vérifiés
par nous, et nous ne pouvons qu'applaudir à la rare habileté du
savant physiologiste qui les a mis le premier en évidence.
« Sur la question de doctrine, votre Commission n'avait pas à se
prononcer. Le tbiefabrique-t-il le sucre? Le fabrique-t-il aux dépens
des éléments albumineux du sang? Le sucre serait-il, au contraire,
un produit de la digestion des aliments ou de l'élaboration des élé-
ments du sang pendant 1,^^ cours de la circulation qui resterait mas-
qué par la présence de quelque substance étrangère jusqu'à son
APPENDICE. 513
arrivée au foie, chargé de le rendre libre? Ces questions méritent
assurément d'être débattues, mais c'est à l'expérience seule à les
résoudre définitivement, et nous verrions avec plaisir les jeunes
savants qui les ont abordées persévérer dans leurs travaux.
(( Jusqu'ici, la doctrine professée par notre confrère paraît intacte.
« Les recherches sur ce sujet imporlant n'ont pourtant pas tout
appris sans doute, et nous dirons ici à ceux qui voudront s'en occu-
per, qu'on ne doit pas accorder une confiance trop complète à des
réactions semblables à celles qu'on obtient avec la dissolution de
tarlrate de cuivre dans la potasse. Tous ces phénomènes de colora-
tion, de réduction produits par des matières organiques, sont trom-
peurs et incertains. Lorsqu'on ne peut pas isoler le sucre en nature,
il faut au moins s'assurer de sa présence par l'action du ferment et
par le développement d'acide carbonique que la fermentation pro-
duit. Il faut, s'il se peut surtout, extraire l'alcool lui-même du résidu
de la fermentation, comme l'a fait la Commission de l'Académie
qui a examiné les travaux de M. Bernard.
« Votre Commission, sans entrer plus avant dans l'examen spécial
des Notes que l'Académie lui a renvoyées, se borne donc à établir
comme conséquence de son travail :
« 1° Que le sucre n'a pas été appréciable dans le sang de la veine
porte d'un chien nourri de viande crue;
(( 2*' Que la présence du sucre a été facile à constater, au con-
traire, dans le sang des veines sus-hépatiques recueilli dans le même
moment sur le même chien.
« Comme les Mémoires de M. Figuier, ceux de MM. Poggiale et
Leconle ont été publiés, l'Académie n'avait plus, d'après les règle-
ments, à se prononcer sur leur mérite respectif; mais votre Com-
mission a cru qu'il était de son devoir néanmoins de lui faire con-
naître le résultat de ses propres expériences sur le fond même de la
question que ces savants ont étudiée. »
{ComptfS rendus des séances de l'Académie des sciences,
iS"b, t. Xr, n° 2o, î 8 juin.)
BERNARD. I. 33
TABLE DES MATIÈRES
DU TOME PREMIER.
Avant-propos
PREMIÈRE LEÇON. — Nature spéciale de renseignement du Cullége de
France compaié à l'enseignement des Facultés. — De l'investigation phy-
siologique. -- Des faits et des théories en physiologie. — Des découvertes
prévues et. imprévue?. — De la critique expérimentale. Des faits contra-
dictoires. — lie la complexité des phénomènes physiologiques et des diffi-
cultés attachées à leur étude. — Applications des sciences physico-chimi-
ques à la physiologie. — Applications de la physiologie à la médecine. 5)
DEUXIÈME LEÇON. — Union nécessaire de la physiologie et de la pathologie.
— Application des découvertes physiologiques récentes à la pathologie. —
Études physiologiques sur le diahète à propos des découvertes sur les fonc-
tions du foie. — Aperçu historique sur les théories du diahète. — Toutes
ces théories reposent sur un principe physiologique faux, à savoir^ qu'il
ne se formerait pas de sucre dans l'organisme animal. — Il exisleune fonc-
tion animale qui produit du sucre, et dont le diabète n'est qu'un état pa-
thologique. — Caraclères chimiques des matières sucrées animales et vé-
gétales. — Sucres de la première et de la deuxième espèce. — Réactifs
propres à distinguer les sucres et à les reconnaître dans les divers liqui-
des animaux. — Alcalis caustiques, réactif cupro-potassique, etc. —
Fermentation, polarisation. — Moyens propres à enlever la coloration et
les malières albuminoïdes aux liquides animaux qui renferment du
sucre 31
TROISIÈME LEÇON. — La production du sucre est un phénomène apparte-
nant aux deux règnes des êtres vivants. — Les animaux forment de la
TABLE DES MATIÈRES. ."ilo
matière sucrée. — Le foie est chargé de celte fonction glycogénique, qui
jusqu'alors était restée inconnue. — Le foie de Thomme et des animax ren-
ferme toujours de fortes proportions de sucre à l'état physiologique. —
Observation chez l'homme, expériences sur les animaux dans toute l'é-
chelle zoologique. — Quantité de sucre contenu dans le foie. — Nature de
ce sucre; son analogie avec le sucre de diabète. — Le sucre qu'on ren-
cantre dans le foie est sécrété dans cet organe; il ne vient pas de l'ali-
mentation. — Expériences à ce sujet. — Examen comparatif du sang avant
et après le foie chez un Carnivore. — Le premier sang ne contient pas de
traces de matières sucrées, le second en renferme en grande propor-
tion 56
QUATRIÈ3IE LEÇON. — L'expérience force à conclure que le sucre se forme
dans le foie. — Réfutation d'une prétendue localisation de la matière sucrée.
— Le sucre existe dans le fuie avant toute espèce d'alimentation. — La
fonction glycogénique ne commence qu'à une certaine période de la vie
intra-utérine. -- Le sucre ne saurait se conserver longtemps dans le foie;
cette matière disparait bientôt quand on empêche le foie d'en produire. —
La quantité de sucre ne varie pas dans le foie avec la nature de l'alimen-
tation. — Il y a deux sccrétions dans le foie, la sécrétion biliaire et la
sécrétion du sucre. — Ces deux sécrétions ne sont pas isochrones; elles
semblent être indépendantes Tune de l'autre. — L'anatomie com-
parée paraît appuyer cette vue. Chez les Limaces, les deux sécrétions sont
successives. — Chez les Articulés, les éléments anatomiques sécréteurs
semblent distincts. — Chez les Mammifères, les éléments anatomiques sont
confondus et mélangés. — Idée générale de la structure du foie chez les
Mammifères 82
CINQUIÈME LEÇON. — Il y a deux sécrétions dans le foie, l'une externe,
celle de la bile; V-àwiXQ interne^ celle du sucre. — Le sucre est un produit de
sécrétion et non d'excrétion. — Il ne sort pas du sang à l'état physiologique,
et ne se trouve dans aucun liquide versé au dehors, pas même dans la bile.
— Expériences contradictoires à ce sujet, causes d'erreurs. — Distribution
de la matière sucrée dans l'organisme par le foie. — Dans l'abstinence le
sang n'est sucré que du foie au poumon; pendant la digestion, le sucre
passe dans tout le sang, mais ne sort cependant par aucune sécrétion ou
excrétion. — Ce sont les oscillations de la fonction sécrétoire du sucre qui
sont proportionnelles à la quantité de sang qui traverse le foie. — Ces os-
cillations physiologiques se retrouvent chez les diabétiques. — Schéma
représentant ces oscillations à l'état normal et pathologique. — Expérien-
ces sur le sang pris dans différents vaisseaux, chez des chiens à jeun et en
digestion, pour prouver cette oscillation de la fonction glycogénique. —
Le sang qui arrive par la veine cave inférieure dans le cœur droit est tou-
jours sucré; cathétérisme du cœur droit i07
S1\IÈ3IE LEÇON. — La destruction comme la production du sucre est un fait
commun au règne végétal comme au règne animal. — Circonstances qui
ol6 TARLE DES MATIÈRES.
peuvent morlifier la sécrétion du sucre. — Altérations de la substance hépa-
tique. — Kystes. — Cancers. — Foie gras. — Influences agissant sur la
fonction glycogénique. — Influence de l'abstinence. — Cas des animaux
hibernants qui ne doivent pas être considérés comme des animaux à jeun.
— Influence de l'alimentation. — Influence de l'alimentation graisseuse. —
Influence de l'alimentation azotée. ~ Influence de l'alimentation féculente
et sucrée j30
SEPTIEME LEÇON. — Le sucre provenant de l'alimentation ne passe pas à
cet état dans la circulation générale. — Rôle du foie vis-à-vis des matières
féculentes et sucrées. — II les transforme en une substance émulsive par-
ticulière. — Expéi iencescomparative?. — Preuvesdiverses. — Sang chyleux.
— Urines laiteuses. — Application au diabète. — Rôle de la circulation
dans la production du sucre. — Phénomènes mécaniques. Cas d'apparition
accidentelle du sucre dans les urines. — Production artificielle de ce phé-
nomène. — Critique de quelques expériences 155
HUITIÈME LEÇON. — Conditions anatomiques qui favorisent la circulation
dans le foie. — Structure comparée de la veine porte et des veines hépa-
tiques. — Mécanisme de la circulation hépatique. —Influence des maladies
sur la sécrétion du sucre. — Influence des maladies aiguës sur l'état dia-
bétique. — Influence de la température sur la sécrétion du sucre. —In-
fluence des enduits. — Influence du froid. — Expériences à ce sujet. —
Influence de la chaleur. — Age et sexe. — Lactation. 180
NEUVIÈME LEÇON. — Examen comparatif du sang de la veine porte et du
sang des veines hépatiques. — Globules. — Sérum et caillot. — Eau et
matières solides. Matières solides du sérum et du caillot. — Graisse. —
Fibrine. — Albumine. — Sucre. — Conséquences de ces diverses modiflca-
tions. — Température plus élevée du sang qui sort du foie. — Expériences
thermométriques à ce sujet. — Distribution de la chaleur dans l'orga-
nisme. — Théories anciennes de la calorification. —Examen d'expériences
sur la température du sang dans les deux ventricules. — Expériences faites
dans les conditions physiologiques. — Procédés opératoires. —Instruments
employés. — Résultats de ces expériences : le sang du ventricule droit
plus chaud que le sang du ventricule gauclie 199
DIXIÈME LEÇON. — Destruction du sucre dans l'organisme. — Destructi-
bilité des diverses espèces de sucres. — Expériences comparatives à ce su-
jet. —Limites de la destructibilité du glucose dans l'organisme. — Résultats
d'expériences. — Influence du degré de concentration de la dissolution.
— Influence de la combinaison dusucre avec le sel marin. —Résultats d'ex-
périences à ce sujet. — Influence de la saignée. — Nécessité que le sucre ne
pénètre qu'en petites quantités à la fois dans l'organisme. — Réflexions
sur la multiplicité des causes qui peuvent faire apparaître le sucre dans
les urines à la suite des injections 217
TABLE DES MATIERES. Ml
ONZIÈME LEÇON. — Du déversement du sucre dans le sang par le foie. —
Application au diabète. — Conditions q; : font appaniître le sucre tians le
système circulatoire en général. —Théorie de la combusiion pulmonaire.
— Examen de cette théorie. — Objections. — Découverte de la présence du
sucre dans l'urine des fœtus. — Circonstance.^^ de ce phéiiomène. — Il de-
vient inexplicable dans la théorie de la destrucliun du suore dans le pou-
mon. — Expériences sur les sangs en contact avec dilTérents gaz. — Tbéorie
de la destruction du sucre par les alcalis du sang. — Théorie de la des-
truction du sucre par fermentation. — Preuves à l'appui. — Quelle est
l'espèce de fermentation qui s'opère ainsi? — Accidents qui suivent
la production de l'alcool dans le système circulatoire. — Vues sur les phé-
nomènes chimiques de l'organisme 233
DOUZIÈME LLÇON. — Examen du foie d'un supplicié. — Découverte sur la
génération et les usages de la matière sucrée dans l'organisme. — Élude des
conditions de développement des cellules organiques. — Levure de bière.
— Nécessitédela présence d'une matière sucrée. Expériences sur le sérum.
— Génération de cellules organiquesspéciales. —Production de sucredans
des muscles et les poumons de fœtus en voie de développement — Cette
production n'a pas lieu dans les autres tissus. Ces phénomènes rentrent
dans l'ordre des fermentations. — Germination animale. — Rapproche-
ment des animaux et des plantes au point de vue des phénomènes de dé-
veloppement. — Phénomènesde fermentation donnant lieu aux principales
actions chimiques de l'organisme 249
TREIZIÈME LEÇON. — Examen de l'ancienne théorie de la production ex-
clusive du sucre par les végétaux. — Point de vue de celte théorie vis-à-vis
des questions physiologiques.— Erreursdedoctrines,demélhodesetde faits.
— Expérience fondamentale pour la théorie de la production du sucre dans
* l'organisme animal. — Examen du sang avant et après le foie. — L'an-
cienne théorie n'en tient aucun compte. — De l'intervention de la chimie
dans les questions physiologiques. — Delà présence du sucre dans le sang.
— Époque de cette découverte. — Conditions de la production de ce phé-
nomène. — Théories de la dépuration du sang par le foie. — De la con-
densation du sucre dans le même organe. — Prétendues preuves à l'appui
de ces manières de voir. —Contradictions. — Sophismes. —Erreurs. 266
QUATORZIÈME LEÇON. — Analyse d'un nouveau travail critique sur l'ori-
gine du sucre dans l'organisme. — Sa liaison avec le précèdent. — Action
du système nerveux sur la production du sucre. — Expérience sur la section
des pneumo-gastriques. — Des méthodes dans les sciences. — Méthodes à
priori et à posteriori. — Exemples actuels. — Examen des résultats de
l'expérience précédente , 282
QUINZIÈME LEÇON. — Influence du système nerveux sur la sécrétion du
foie. — 1° Exagération de cette sécrétion par piqûre de la moelle allongée.
— Instrument employé; procédé opératoire, — De l'élimination du sucre
^
ois TABLE DES MATIERES.
par les diverses sécrétions- — Élimination par les reins, par la muqueuse
stomacale. — Le sucre \. ; passe pas dans la salive. — Expériences chez
les diabétiques. — Spécialité des dillerentes substances au point de vue de
leur passage dans divei ^es sécrétions. — Sucre. — Cyanure jaune de po-
tassium et de fer. — I dure de potassium. — Passage du sucre dans l'es-
tomac des diabétiques. — Limite de la quantité de sucre que peut contenir
le sang sans passer da ,s l'urine. — Résultat d'une expérience sur la pi-
qûre de la moelle allongée chez un lapin 29G
SEIZIÈME LEÇON. — Présence du sucre dans le liquide céphalo-rachidien.
— Remarques à ce sujet. — Diabète traumatique. — Présence du sucre
dans les sérosités chez les diabétiques. — Passage d-i sucre dans la lym-
phe. — Conditions dans lesquelles ce passage s'ellectue. — Chyle sucre
du canal thoracique provenant du foie. — Du mécanisme de l'action ner-
veuse sur la production du sucre. — Idées qui ont guidé dans la décou-
verte des faits indiqués. — Expérience 314
DIX- SEPTIÈME LEÇON. — Mécanisme de l'action nerveuse sur la sécrétion
glycogénique. — Rôle du pneumo-gastrique. Rôle du poumon. — Distri-
bution des divers nerfs qui se rendent au foie. — Rôle de chacun d'eux. —
Rôle de la moelle épinière. — Expérience sur la section des pneumo-gas-
triques entre le foie et le poumon. — Procédé opératoire. — La production
du sucre continue — Durée de Tellet de la piqûre de la moelle allongée.
■— Influence de la piqûre sur la circulation abdominale. — Rôle du grand
sympathique dans la circulation d'un organe. — Action de ce nerf dans la
région cervicale. — Procédé opératoire. — Résultats. — Distinction de la
sécrétion et de l'excrétion 327
DIX-HUITIÈME LEÇON. — De la polyurie. — Elle est indépendante de la
glycosurie. —Observations expérimentales à ce sujet. — Autres procédés
de production du diabète artificiel. — Par anéantissement du système
nerveux cérébro-spinal : V au moyen de l'empoisonnement par le curare-,
T par apoplexie suite de contusions cérébrales. — Expériences. — Diabèle
consécutif à l'éthérisation. — Examen des théories sur le diabète spontané
et artificiel. — Réflexions sur la complication de ces phénomènes. Résultat
de l'expérience faite à la leçon précédente 345
DIX-NEUVIÈME LEÇON. —Nouvelle expérience sur l'empoisonnement par
le curare, et résultats de la précédente. — Expériences sur des lapins. —
Apparition du sucre dans les urines à la suite de l'intoxication par le cu-
rare. — Autres phénomènes. — Réflexions sur la distinction entre l'exci-
tation et l'irritation. — Exemples et applications. — Perversion de la
foiiction glycogénique. — Expériences à ce sujet. — Particularités de ces
expériences. — Production spontanée du sucre dans le foie d'un animal mort
dans certaines conditions. — Manuel opératoire de l'expérience. — Hypo-
thèses sur la production de ce phénomène. — Part de l'action nerveuse.
TABLE DES MATIÈRES. ol9
— Part de la fermentation. — Résultais de l'expérience sur l'empoisou-
nement par le curare ,- 3G3
VINGTIÈME LEÇON. — Expériences sur des Ia}>-ns auxquels on coupe la
moelle épinière au-dessus du renflement Lracliia'. -— Phénomènes singu-
liers produits sur le foie. — Hypothèses sur ces pbénomènes. — Découverte
de la production de la matière sucrée dans les mu;ples et dans les poumons
du fœtus. — Acide lactique. Moyens d'obtenir ce sucre,du fœtus à une tem-
pérature basse. — Procédé pour obtenir l'acide lactique. — Tous les tissus
de l'embryon ne donnent pas du sucre. — Le sucre se forme aux dépens
d'une matière all)umineiise insoluble. — Preuves ph\siologiques. —
Preuves chimiques. — Découverte de Lehniann, qui transforme l'héma-
tine en sucre 38?
VINGT ET UNIÈME LEÇON. -- Présence du sucre dans l'urine des fœtus. —
Dans l'ailaiitoïde. — Explication de ce phénomène. — Propriétés du sucre
des muscles. — Transformations du liquide amniotique. — Usages du
sucre dans la vie intra-utérine pour empêcher rinfiltralion des tissus. —
Expériences. — L'animal a constamment besoin de matière sucrée. — De
la mort à la suite de la cessation des fonctions du foie. — Terminaison de
quelques expériences commencées dans les séances précédentes. — Suite
de l'expérience de la section des pneumo-gastriques entre le poumon et
le foie. — Autopsie de l'animal. — Expérience sur la section des nerfs
sympathiques qui se rendent au foie. — Réflexions sur la difficulté des
expériences physiologiques 401
VINGT-DEUXIÈME LEÇON. — Application de la physiologie à la pathologie
du diabète. — Pathologie comparée. — Cas de diabète signalé chez les ani-
maux. — Organes malades dans cette affection. — Hypertrophie des reins.
— Hypertrophie des membranes de l'estomac. — De l'état du foie dans le
diabète. — Atrophie du pancréas. — Présence du sucre dans tous les or-
ganes chez les diabétiques morts subitement. — Désordres nerveux. — Les
matières féculentes et saccharoïdes ne sont-elles pas des excitants du foie?
— Réaction d'autres organes sur le foie 417
VINGT-TROISIÈME LEÇON. — Symptômes du diabète. — C'est une mala-
die apyrétique. — Caractères des urines. — Sucre. — Sucre de lait dans
l'urine d'une femme récemment accouchée. — La présence du sucre dans
l'urine suffit-elle pour caractériser le diabète? — Présence passagère du
sucre dans les urines. — Diabètes intermittents. — Aigus. — Alternants.
— Continus. — De l'urée dans l'urine des diabétiques. — Acide uriiiue.
— Albumine. — Quantité des urines dans le diabète. — Leur rapport avec
les boissons ingérées. —Observation. —Boulimie et polydipsie. — Absence
de la sueur. — Théorie à ce sujet. — Phénomènes nerveux accompagnant
le diabète. — Influence des féculents sur le diabète. — Influence des mé-
dicaments énergiques sur les symptômes du diabète 431
.S20 TABLE DES MATIÈRES.
VINGT-QUATHIÈME LEÇON. — Revue succincte des objections faites à la
découverte de la fonction glycogénique du foie. — Théorie de la formation
du sucre aux dépens des matières grasses. — La formation de la matière
sucrée ne serait-elle pas localisée dans un point de l'organisme? — Réfu-
tation de ces opinions. — Mémoire contre la fonction glycogénique du foie.
— Erreurs contenues dans ce travail. — Autre mémoire dans lequel on a
pour but d'établir que le réactif cupro-potassique ne décèle pas toujours
la présence du sucre quand cette dernière substance est mélangée avec
l'albuminose. — Examens de celte opinion. — Expériences. — Liaison de
ces deux travaux. — Le sang de l'artère hépatique ne contient pas de
sucre. — Sucre formé par la glande mammaire, etc 448
VINGT-CINQUIÈME LEÇON. — Travaux comparatifs de la fonction glyco-
génique du foie. — Analyses du sang de la veine porte et des veines hé-
patiques, par Lehmann , communiquées à l'Académie des sciences. —
Remarquas à l'occasion de cette communication. — Figure schématique
représentant l'ensemble de la proiluction et de la diffusion du sucre dans
l'organisme. — Résumé des faits qui établissent la fonction glycogéni-
que du foie 4GT
Appendice 485
Mémoire 480
La matière sucrée se forme-t-elle par l'action digeslive dans le foie et
dans le torrent circulatoire ? par M. Poggiale 503
Recherches sur les fonctions glycogéniques du foie^ par M. Leconte. . . 505
Sur la sécrétion du sucre et de la bile dans le foie, par M. Molescholt. ôu8
Rapport présenté par M. Dumas à l'Académie des sciences, à l'occa-
sion des communications faites par MM. Figuier, Leconte et Poggiale. 610
FIN DE I.A TABLE DES MATIERES DU TOiME PREMIER.
Par suite d'une erreur d'imprimerie, les exemplaires du tome I*=% prove-
nant du deuxième tirage fait en 18G5 et du troisième tirage fait en 1874,
diffèrent comme pagination de ceux provenant du premier tirage faiten 1855.
Pour établir la concordance, il faut diminuer de "^ le numéro de chaque
page des L* et 3'' tirages : la page 9 ûo'v. être considérée comme page 1, et
ainsi de suite jusqu'à la lin, la page 520 devant être considérée comme
page 513.
Gor.BElL. — TïP. KT SlÉlî. Dh CRKTh FILS
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