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Full text of "Le peuple"

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Lbrox Library 







4^ l:t^ ?;^1 ii^ a\ 




Il 1^ 



LE âAx .,<' 

PEUPLE 



PAR 



I.^TàlCHELET. 



PARIS 

COMPTOIR DBS IMPRIMEURS-UNIS, 

QVAI MALAQUAISy 15; 

HACHETTE, T |PAULIN, 

»VB PUBU-SAIBAZIIf, 13. ^ HUB BKHBUBO, 6*. 
184$ 



TKE NEW YORK] 

TUlLICLIBRARYl 

THJ3CM F«UMftATIPNft, 



V ,^. •-.. -»i 



3 04^^Mr&+ 



A M. EDGAR QUINET. 

Ce livre est plus qu'up livre; c'est moi- 
même. Voilà pourquoi il vous appartient. 

C'est moi et c'est vous, mon ami, j'ose le dire. 
Vous l'avez remarqué avec raison, nos pensées, 
communiquées ou non, concordent toujours. 
Nous vivons du même cœur... Belle harmonie 
qui peut surprendre; mais n'est-elle pas natu- 
relle? Toute la variété de nos travaux a germé 
d'une même racine vivante : « Le sentiment de 
la France et Tidée de la Patrie. 

Recevez-le donc, ce livre du Peuple, parce 
qu'il est vous, parce qu'il est moi. Par vos ori- 
gines militaires, par la mienne, industrielle, 
nous représentons nous-mêmes, autant que 
d'autres peut-être, les deux faces modernes du 
^euplej^^juycécent avènement. 




-n 

VI CE LIVRE Sqft^DpL'^(ABIl^NGE ^ ^ '* 

Ce livre je l'ai fait de moi-mênîe, de^nja vie, 
et de mon cœur. Il est sorti de ïSlbm]^ôn'ce, 
bien plus que de mon étude. Je l'ai tiré de 
mon observation, de mes rapports d'amitié, de 
voisinage; je l'ai ramassé sur les routes; le ha- 
sard aime à servir celui qui suit toujours une 
même pensée. Enfin, Je l'ai trouvé surtout dans 
les souvenirs de ma jeunesse. Pour connaître la 
vie du peuple, ses travaux, ses souffrances, il me 
suffisait d'interroger mes souvenirs. 

Car, moi aussi, mon ami, j'ai travaillé de mes 
mains. Le vrai nom de l'homme moderne, celui 
de travailleur, je le mérite en plus d'un sens. 
Avant de faire des livres, j'en ai composé matériel- 
lement; j'ai assemblé des lettres avant d'assem- 
bler des idées, je n'ignore pas les mélancolies de 
l'atelier, l'ennui des longues heures.... 

Triste époque ! c'étaient les dernières années 
de l'Empire ; tout semblait périr à la fois pour 
moi, la famille, la fortune et la patrie. ^ 

Ce que j'ai de meilleur, sans nul doute, je le 
dois à ces épreuves; le peu que vaut l'homme et 
l'historien, il faut le leur rapporteçJ[^naigardé 



DR L'AufEUrf PLUS QUE DES LIVRES. VU 

sortout un sentiment profond du peuple, la pleine 
connaissance du trésor qui est en lui : la vertu 
du sacrifice, le tendre ressouvenir des âmes d'or 
que j'ai connues dans les plus humbles condi- 

tions« 

Il ne faut point s'étonner, si, connaissant au- 
tant que personne les précédents historiques de ce 
peuple, d'autre part ayant moi-même partagé sa 
vie, j'éprouve quand on me parle de lui, un besoin 
exigeant de vérité. Lorsque le progrès de mon 
Histoire m'a conduit à m'occuper des questions 
actuelles, et que j'ai jeté les yeux sur les livres où 
elles sont agitées, j'avcme que j'ai été surpris de 
les trouver presque tous en contradiction avec 
mes souvenirs. Alors, j'ai fermé les livres, et je me 
suis replacé dans le peuple autant qu'il m'était 
possible; l'écrivain solitaire s'est replongé dans la 
foule, il en a écouté les bruits, noté les voix... 
C'était bien le même peuple, les changements 
sont extérieurs; ma mémoire ne me trompait 
point... J'allai donc consultant les hommes, les 
entendant eux-mêmes sur leur propre sort, re- 
OHcilla^^ de' leur bouche ce qu'on ne trouve 



Vllt LA GONYEAKATION DU PEUPLE EST INSTRUCTIVE. 

pas toujours dans les plus brillants écrivains, les 
paroles du bon sens. 

Cette enquête, commencée à Lyon, il y a en- 
viron dix ans, je l'ai suivie dans d'autres villes, 
étudiant en même temps auprès des hommes 
pratiques, des esprits les plus positifs , la véri« 
table situation des campagnes si négligées de nos 
économistes. Tout ce que j'amassai ainsi de ren- 
seignements nouveaux qui ne sont dans aucun 
livre, c'est ce qu'on aurait peine à croire. Après 
la conversation des hommes de génie et des sa- 
vants très spéciaux, celle du peuple est certaine- 
ment la plus instructive. Si l'on ne peut causer 
avec Béranger, Lamennais ou Lamartine, il faut 
s'en aller dans les champs et causer avec un 
paysan. Qu'apprendre avec ceux du milieu? Pour 
les salons, je n'en suis sorti jamais, sans trouver 
mon cœur diminué et refroidi. 

Mes études variées d'histoire m'avaient révélé 
des faits du plus grand intérêt que taisent les 
historiens, les phases par exemple et les alterna- 
tives de la petite propriété avant la Révolution. 
Mon enquête sur le m/ m'apprit de gnome' beaiP 



LES STATISTIQUES SONT INSUFFISANTES. IX 

coup de choses qui ne sont point dans les statisti- 
ques. J'en citerai une, que Ton trouvera peut-être 
indifTérente, mais qui pour moi est importante, 
digne de toute attention. C'est l'immense acqui- 
sition du linge de coton qu'ont faite les ménages 
pauvres vers 1842, quoique les salaires aient 
baissé, ou tout au moins diminué de valeur par la 
diminution naturelle du prix de Taisent. Ce fait, 
grave en lui-même, comme progrès dans la pro« 
prêté qui tient à tant d'autres vertus , l'est plus 
encore en ce qu'il prouve une fixité croissante 
dans le ménage et la famille, l'influence surtout 
de la femme qui, gelant peu par elle-même, ne 
peut faire cette dépense qu'en y appliquant une 
partie du salaire de l'homme. La femme, dans ces 
ménages, c'est l'économie, l'ordre, la providen- 
ce. Toute influence qu'elle gt^e, est un progrès 
dans la moralité ^. 

> Celte prodigieuse acqaisiUoo de linge doni tons les fabricants peu- 
vent témoigner fait supposer aussi «luelqne acquisition 4e meubles et 
objeu de ménage. Il de faut pas s*étonner si les caiises d*épargne re- 
çoivent moins de rouvrier que du domestique. Celui-ci n'achète point 
de meubles, et peu de nippes; il trouve bien moyen de se faire nipper 
par ses madrés. Il ne faut pas mesurer comme on fait, le progrès de 
l'économie à celui des caisses d'épargne, ni croire que tout ce qui n*y 



X PEINTRES DE MOEUBS PEU FIDÈLES. 

Cet exemple n'était pas sans utilité pour 
montrer combien les documents recueillis dans 
les statistiques et autres ouvrages d'économie, en 
les supposant exacts, sont insuffisants pour faire 
comprendre le peuple ; ils donnent 'des résultats 
partiels, artificiels, pris sous un angle étroit, 
qui prête aux malentendus. 

Les écrivains, les artistes, dont les procédés 
sont directement contraires à ces méthodes abs- 
traites, semblaient devoir porter dans Fétude du 
peuple le sentiment de la vie. Plusieurs d'entre 
eux, des plus éminents, ont abordé ce grand sujet, 
et le talent ne leur a pas fait défaut; les succès 
ont été -immenses. L'Europe, depuis longtemps 
peu inventive , reçoit avec avidité les produits 
de notre littérature. Les Anglais ne font |rius 
guère que des articles de revues. Quant aux 
livres Allemands , qui les lit, sinon l'Alle- 
magne ? 



va pas se boit, se mange au cabaret. U semble qae la famille, Je parle 
surtout de la femme, ait voulu avant tout, rendre propre, attachant, 
agréable, le petit intérieur qui dispense d*y aller. De là aussi le goût des 
fleurs qui descend aujourd'hui dans des classes voisines de la pauvreté. 



LA FRANGE MIEUX GONNIJE QUE L'EUROPE XI 

Il importerait d'examiner si ces livres français 
qui ont tant de popularité en Europe, tant d'au- 
torité, représentent vraiment la France, s'ils n'en 
ont pas montré certaines faces exceptionnelles, 
très-défavorables, si ces peintures où l'on ne 
trouve guère que nos vices et nos laideurs, n'ont 
pas fait à notre pays un tort immense près des na- 
tions étrangères. Le talent, la bonne foi des au- 
teurs, la libéralité connue de Içurs principes^ 
donnaient à leurs paroles un poids accablant. Le 
monde a reçu leurs livres, comme un jugement 
terrible de la France sur elle-même. 

La France a cela de grave contre elle, qu'elle 
se montre nue aux nations. Les autres, en quel- 
que sorte, restent vêtues, habillées. L'Alle- 
magne, l'Angleterre même, avec toutes ses en- 
quêtes, toute sa publicité, sont en comparaison 
peu connues; elles ne peuvent se voir elles- 
mêmes, n'étant point centralisées. 

Ce qu'on remarque le mieux sur une personne 
qui est nue, c'est telle ou telle partie, qui sera 
défectueuse. Le défaut d'abord saute aux yeux. 
Que serait-ce, si une main obligeante plaçait sur 



Xll • ET JUGÉE PLUS SÉVÈREMENT. 

ce défaut même un verre grossissaut qui le ren-- 
drait colossal, qui l'illuminerait d*un jour terril 
ble, impitoyable, au point que les accidents les 
plus naturels de la peau ressortiraient à l'œil 
effrayé ! 

Voilà précisément ce qui est arrivé à la 
France. Ses défauts incontestables, que l'activité 
infinie, le choc des intérêts, des idées, expli- 
quent suffisamment, ont grossi sous la main de 
ses puissants écrivains , et sont devenus des 
monstres. Et voilà que l'Europe tout à l'heure la 
voit comme un monstre elle-même. 

Rien n'a mieux servi, dans le jmonde politi- 
que, l'entente des honnêtes gens. Toutes les aris-* 
tocraties, anglaise, russe, allemande, n'ont be- 
soin que de montrer une chose en témoignage 
contre elle : les tableaux qu'elle fait d'elle 
même par la main de ses grands écrivains, la 
plupart amis du peuple et partisans du progrés. 
Le peuple qu'on peint ainsi, n'est-ce pas l'effroi 
du monde? Y a-t-il assez d'armées, de forteresses, 
pour le cerner, le surveiller, jusqu'à ce qu'un 
moment favorable se présente pour l'accabler? 



DANGER DE SB DiRE MÉPRISABLE. XIU 

Des romans classiques, immortels, révélant les 
tragédies dcmiestiques des classes riches et aisées, 
ont établi solidement dans la pensée de l'Europe, 
qu'il n'y a plus de famille en France. 

D'autres, d'un grand talent, d'une fantas* 
magorie terrible, ont donné pour la vie com- 
mune de nos villes, celle d'un point où la police 
concentre sous sa main les repris de justice et 
les forçats libérés. 

Un peintre de genre, admirable par le génie 
du détail, s'amuse à peindre un horrible cabaret 
de campagne, une taverne de valetaille et de vo- 
leurs, et, sous cette ébauche hideuse, il écrit 
hardiment un mot qui est le nom de la plupart 
des habitants de la France. 

L'Europe lit avidement, elle admire, elle re-* 
connaît tel ou tel petit détail. D'un accident mi- 
nime, dont elle sent la vérité, elle en conclut 
aisément la vérité du tout. 

Nul peuple ne résisterait à une telle épreuve. 
Cette manie singulière de se dénigrer soi-même, 
d'étaler ses plaies, et comme d'aller chercher la 
honte, serait mortelle à la longue. Beaucoup, je 



XIV CE PEUPLE fVB&l PAS CELUI QU'ON A PEINT. 

le sais, maudissent ainsi le présent, pour hâter 
un meilleur avenir; ils exagèrent les maux, pour 
nous faire jouir plus vite de la félicité que leurs 
théories nous préparent*. Prenez garde, pourtant, 
prenez garde. Ce jeu-là est dangereux. L'Europe 
ne s'informe guère de toutes ces habiletés. Si 
nous nous disons méprisables, elle pourra bien 
nous croire. Ultalie avait encore une grande 
force au seizième siècle. Le pays de Michel-Ange 
et de Christophe Colomb ne manquait pas d'é- 
nergie. Mais lorqu'elle se fut proclamée miséra- 
ble, infâme, par la voix de Machiavel, le monde 
la prit au mot, et marcha dessus. 
Nous ne sommes pas l'Italie, grâce à Dieu, et 

1 Philosophes, socialistes, politiqnes, toas semblent d*accord aa- 
joard*hm pour amoindrir dans l'esprit do peaple l'idée de la France. 
Grand danger! Songez dpnc qae ce people plus qu*aaain autre est, 
dans toute rexcellence et la force du terme, une vraie société. Isolez- 
le de son idée sociide, il redevient trë»-f«tble. La France de la Révo- 
lution, qui fut sa gloire, sa foi, tous les gouyernements lui disent, de- 
puis cinquante ans, qu'elle fut un désordre, un non-sens, une pure 
négation. La Révolution, d'autre part, avait bilTé l'ancienne- France, 
dit au peuple que rien, dans son passé, ne méritait un souvenir. L'an- 
cienne « disparu de sa mémoire, la- nouvelle a pAll. Il n'a pas tena 
aux politiques que le peuple ne devint table-rase, ne s*oubUAt lui- 
même. 

Comment ne seraitril pas faible dans ce moment? Il s'ignote ; «a 



LA VIE DU PEUPLE A UNE POÉSIE SAINTE XV 

le jour où le monde s*entendrait pour venir voir 
de près la France, serait salué par nos soldats 
comme le plus beau de leurs jours. 

Qu*il suffise aux nations de bien savoir que ce 
peuple n'est nullement conforme à ses prétendus 
portraits. Ce n'est pas que nos grands peintres 
aient été toujours infidèles ; mais ils ont peint gé - 
néralement des détails exceptionnels, des acci- 
dents, tont au plus, dans chaque genre, la mino- 
rité, le second côté des choses. Les grandes faces 
leur paraissaient trop connues, triviales, vulgai- 
res. Il leur fallait des effets, et ils les mit cherchés 
souvent dans ce qui s'écartait de la vie normale. 
Nés de l'agitatiop, de l'émeute, pour ainsi dire, 

fait tout pour qa*il perde le sens de la belle onité qui fut sa vie ; on 
lai ôte son âme. Son âme fat le sens de la France, comme grande 
fralemité d'hommes vivants, comme société glorieuse avec nos Fran- 
çais des vieux âges. Il les contient ces âges, il les porte, les sent 
obseurément qui se mentent, et il ne pent les reconnaître; on ne lui 
dit pas ce qae c*est que cette grande voix basse qui souvent, comme 
un sourd retentissement d*orgue dans une cathédrale, se fait entendre 
en loi. 

Hommes de réflexion et d*étades, artistes, écrivains, nous avons un 
devoir saint et sacré envers le peuple. 0*est de laisser là nos tristes 
paradoxes, nos Jenx d* esprit, qui n'ont pas peu aidé les politiques â 
lui cacher la France, à lui en obscurcir IMdée, lui faire mépriser sa 
piArie. 



XVI QU'IL FAUT SAVOIR PÉMÉTRER. 

ils oDt eu la force orageuse, la passion, la touche 
vraie parfois aussi bien que fiqe et forte; — 
généralement, il leur a manqué le sens de la 
grande harmonie. 

Les romantiques avaient cru que Part était 
surtout dans le laid. Ceux^si ont cru que les eflfots 
d'art les plus infaillibles étaient dans le laid moral. 
L'amour errant leur a semblé plus poétique que 
la famille, et le vol que le travail, et le bagne que 
l'atelier. S'ils étaient descendus eux-mêmes, par 
leurs souffrances personnelles, dans les profondes 
réalités de la vie de cette époque, ils auraient vu 
que la famille, le travail, la plus humble vie du 
peuple, ont d'eux-mêmes une poésie sainte. La 
sentir et la montrer, ce n'est point l'affaire du 
machiniste ; il n'y faut multiplier les accidents de 
théâtre. Seulement, il faut des yeux faits à cette 
douce lumière, des yeux pour voir dans Fobscur, 
dans le petit et dans l'humble, et le cœur aussi 
aide à voir dans ces recoins du foyer et ces om- 
bres de Rembrandt. 

Dès que nos grands écrivains ont regardé là, 
ils ont été admirables. Mais généralement, ils 



COMBIEN IL A LA ^^IITU DU SACRIFICE, IVII 

ont détooraé les yeux vers le fantastique y le 
violent, le bizarre, rexceptionnel. Ils n'ont dai- 
gné, avertir qu'ils peignaient rexception. Les 
lecteurs^ surtout étrangers, ont cru qu'ils pei- 
gnaient la rè^e. Usent dit : < Ce peuple est tel. » 

Et moi, qui en suis sorti, moi qui ai véeu avec 
lui, travaillé, souffert avec lui, qui plus qu*un 
autre ai acheté le droit de dire que je le connais, 
je viens poser contre tous la personnalité du 
peuple. 

Cette personnalité, je ne l'ai point prise à la 
surface dans ses aspects pittoresques ou dramati- 
ques; je ne l'ai point vue du dehors, mais expé- 
rimentée au dedans. Et, dans cette expérience 
même, plus d'une 6hosë intime du peuple, qu'il 
a en lui sans la comprendre, je l'ai comprise, 
pourquoi? Parce que je pouvais la .suivre dans 
ses origines historiques, la voir venir du fond du 
temps. Celui qui veut s'en tenir au présent , à 
l'actuel, ne comprendra pas l'actuel. Celui qui se 
contente de voir l'extérieur, dépeindre la forme, 
ne saura pas même la voir: pour la voir avec 
justesse, pour la traduire fidèlement, il faut sa- 



KVllI BT DU SACRIFICE PBRSÉVÉRAIIT. 

voir ce qu'elle couvre ; nulle peinture sans ana* 
tomie. 

Ce n*est pas dans ce petjt livre que je puis 
enseigner une telle science* Il me suffit de don^ 
ner, en supprimant tout détail de méthode, d'é- 
rudition, de travail préparatoire, quelques ob- 
sorvatioB^ essentielles dans Tètat dç nos nMiuxs^ 
quelques résultats généraux* 

Un mot seulement ici : 

Le trait éminenty capital^ qui m*a tpujours 
finappé le plus, dans ma longue étude du peuple, 
c'est que, parmi les désordres de Tabandon, les 
vices de la misère, j'y trouvais une richesse de 
sentiment et une bonté de cœur, très^-rares dans 
les classes riches. Tout le monde, au reste, a pu 
l'observer; à l'époque du choléra, qui a adopté 
les enfants orphelins? les pauvres. 

I La faculté du dévouement, la puissance du sa- 
crifice, c'est, je l'avoue, ma mesure pour classer 
les hommes. Celui qui l'a au plus haut degré, 
est plus près de rbérojsme. Les supériorités de 
l'esprit, qui résultent en partie de la culture, ne 
peuvent jamais entrer en bal^tnce avec cette fa- 
culté souveraine. 



EXEMPLE TMIÉ US MA FAMILLE. XIX 

A ceci, on fait ordioairement une réponse 
« Les gens du peuple sont généralesoent peu 
prévoyants; ils suivent un instinct de bonté, 
Taveugle élan d'un bon cœur , parce qu'ils ne 
devinent point tout ce quMl en pourra coûter. » 
L'observation fût-^Ue juste, elle ne détrait nul- 
lement ee qu'on peut observer ans» du dé- 
vouement persévérant, du !»tcrifice infatigable 
dont les familles laborieuses donnent si souvent 
l'exemple, dévouement qui ne s'épuise même 
pas dans l'entière immolation d'une vie, mais se 
continue souvent de l'une à l'autre, pendant plu- 
sieurs générations. 

J'aurais ici de belles histoires à raconter, et 
nombreuses. Je ne le puis. La tentation est 
pourtant forte ^ur moi, mon ami, de vous en 
dire une seule, celle de ma profnre &mille. Vous 
ne la savez pas encore; nous causons plus sou- 
vent de matières philosophiques ou politiques, 
que de détails personnels» Je cède à cette tenta- 
tion. C'est pour moi une rare occasion de recon* 
naître les sacrifices persévérants, héroïques, que 
ma famille m'a bits, et de remercier mes pa-^ 



XX EXEMPLE 

rents, gens modestes, dont quelques-uns ont 
enfoui (kns l'obscurité des dons supérieurs , et 
n'ont voulu vivre qu'en moi. 

Les deux familles dont je procède^l'une picarde 
et l'autie aidennaise, étaient originairement des 
famille de i^ysans qui mêlaient à la culture un 
peu d'industrie. Ces familles étant fort nombreu- 
ses (douze enftmts, dix-neuf enfants)^ une grande 
partie des frères et des sœurs de mon père et de 
ma mère ne voulurent pas se marier pour fiicili* 
ter l'éducs^ion de quelques-uns des garçons que 
Ton mettait au collège. Premier sacrifice que je 
dois noter. 

Dans ma famille maternelle particulièrement, 
les scBurs, toutes remarquables par l'économie, le . 
sérieux, l'austérité, se faisaient les humbles ser- 
vantes de messieurs leurs frères, et pour suffire 
a leurs dépenses elles s*enterraient au village. 
Plusieurs cependant, sans culture et dans cette 
solitude sur la lisière des bois, n'en avaient pas 
moins une très-fine fleur d'esprit. J'en ai enten- 
du une, bien âgée, qui contait les anciennes hi^ 



TIRÉ DE MA FAMILLE. XKI 

toires de la frontière aussi bien que Walter 
Scott. Ce qui leur était commun, c'était une ex- 
trême netteté d'esprit et de raisonnement. Il y 
avait force prêtres dans les cousins et parents , 
des prêtres de diverses sortes, mondains, fanati- 
ques; mais ils ne dominaient point. Nos judi- 
cieuses et sévères demoiselles ne leur donnaient 
la moindre prise. Elles racontaient volontiers 
qu'un de nos grands*oncles (du nom de Hichaud? 
ou Paillart?) avait été brûlé jadis pour avoir fiât 
certain livre. 

Le père de mon père qui était mattre de mu-* 
^que à Laon, ramassa sa petite épar^e, après la 
Terreur, et vint à Paris, où mon père était em- 
ployé à l'imprimerie des assignats. Au lieu 
d'acheter de la terre, comme faisaient alors tant 
d'autres, il confia ce qu'il avait à la fortune de 
mon père, son fils atné, et mit le tout dans une 
imprimerie au hasard de la Révolution. Un frère, 
une sœur de mon père, ne se marièrent point, 
pour faciliter l'arrangement, mais mon père se 
maria; il épousa une de ces sérieuses demoiselles 
ardennaises dont je parlais tout à Theure. Je 



XUl EXEMPLE 

naquis en 1798, dans le chœur d'une église de 
religieuses, occupée alors par notre imprimerie; 
occupée, et non profanée ; qu'est-ce que la 
Presse, au temps moderne, sinon Tarche sainte? 

Cette imprimerie prospéra d'abord, alimentée 
par les débats de nos assemblées^ par les nou-* 
velles des armées, par l'artiente vie de ce temps. 
Vers 1800> elle fut frappée par la grande sup- 
pression des journaux. On ne permit à mon père 
qu'un journal ecclésiastique, et l'entreprise com- 
mencée avec beaucoup de dépenses, l'autorisa- 
tion fui brusquement retirée, pour être donnée 
à un prêtre que Napoléon croyait sûr, et qui le 
trahit bientôt. 

On sait comment ce grand homme fut puni 
par les prêtres même d'avoir cru le sacre de Rome 
meilleur que celui de la France. Il vit clair en 
181 0« Sur qui tomba son courroux?... sur la 
Presse ; il la frappa de seize décrets en deux ans. 
Mon père, à demi ruiné parlai au profit des prê- 
tres, le fut alors tout à fait, en expiation de leur 
foute» >. 

Un matin, nous recevons la visite d'un Mon- 



TIRÉ m MA FAMILLE. XXIU 

sieur, plus poli que ne Tétaient gé&èral^nent les 
agents impériaux, lequel nous apprend que 
S. M. l'Empereur a réduit le nombre des impri- 
meurs à soixante; les plus gros sont eonservés, 
les petits sont supprimés, mais avec bonne indem- 
nîtéy à peu près sur le pied de quatre sols pour 
quatre francs* Nous étions de ces petits: se ré^ 
signer, mourir de faim, il n'y avait rien de plus 
à faire. Cependant, nous avions des dettes. L'Em* 
pereur ne nous donnait pas de sursis contre les 
juifs, comme il l'avait fait pour l'Alsace. Vous ne 
trouvâmes qu'un moyen ; c'était d'imprimer pwr 
nos çréimciers quelques ouvrages qui apparte-- 
naient à mon père. Nous n'avions plus d'ouvriers, 
nous fîmes ce travail nous-mêmes^ Mon père qui 
vaquait aux afikirès du dehors, ne pouvait noifô y 
aider. Ma mère, malade, se fît brocheuse, coupa, 
plia. Moi, enfant, je composai* Mon grand-père, 
très fodble et vieux, se mit au dur ouvrage de la 
presse, et il imprima de ses mains tremblantes. 
Ces livres que nous imprimions, et qui se ven- 
daient assez bien, contrastaient singulièrement 
par leur futilité avec ces années tra^^ques d'im- 



XXIV EXEMPLE 

menses destructions. Ce n'était que petit esprit, 
petits jeux, amusements de société, charades, 
acrostiches. II n'y avait là rien pour nourrir 
rame du jeune compositeur. Mais, justement, la 
sécheresse, le vide de ces tristes productions me 
laissaient d'autant plus libre. Jamais, je ne crois, 
je n'ai tant voyagé d'imagination, que pendant 
que j'étais immobile à cette case. Plus mes ro- 
mans personnels s'animaient dans mon esprit, 
plus ma main était rapide, plus la lettre se levait 
vite... J'ai compris dès lors que les travaux ma- 
nuels qui n'exigent ni délicatesse extrême, ni 
grand emploi de la force, ne sont nullement des 
entraves pour l'imagination. J'ai connu plusieurs 
femmes distinguées qui dissent ne pouvoir bien 
penser, ni bien causer, qu'en faisant de la tapis- 
serie. 

J'avais douze ans, et ne savais rien encore, sauf 
quatre mots de latin, appris chez un vieux li- 
braire, ex-magister de village, passionné pour 
la grammaire , homme de mœurs antiques, 
ardent révolutionnaire, qui n'en avait pas moins 
sauvé au péril de sa vie ces émigrés qu'il 



TIRÉ l« MA FAMILLE. XXV 

détestait. Il m'a laissé en mouraot, tout ce qu'il 
avait au monde, un manuscrit, une très-remar- 
quable grammaire, incomplète, n'ayant pu y con- 
sacrer que trente ou quarante années. 

Très-solitaire et très-libre, laissé tout à fait 
sur ma foi par Findulgence excessive de mes pa- 
rents, j'étais tout Imaginatif. J'avais lu quelques 
volumes qui m'étaient tombés sous la main, une 
Mytholc^ie, un Boileau, quelques pages de l'I- 
mitation. 

Dans les embarras extrêmes, incessants, de 
ma famille, ma mère étant malade, mon père si 
occupé au dehors, je n'avais reçu encore aucune 
idée religieuse... Et voilà que dans ces pages, j'a- 
perçois tout à coup au bout de ce triste monde, 
la délivrance de la mort, l'autre vie et l'espé- 
rance! La religion reçue ainsi, sans intermé- 
diaire humain, fut très-forte en moi. Elle me 
resta comme chose mienne, chose libre, vivante, 
si bien mêlée à ma vie qu'elle s'alimenta de tout, 
se fortifiant sur la route d'une foule de choses 
tendres et saintes, dans l'art et dans la poésie, 
qu'à tort on lui croit étrangères. 



XXYl EXEMPLE 

Comment dire l'état de rêve où me jetèrent 
ces premières paroles de Tlmitation? je ne lisais 
pas, j'entendais. •• comme si cette voix douce et 
paternelle se fût adressée à moi^ûième... Je 
vois encore la grande chambre froide et dé^ 
meublée, elle me parut vraiment éclairée d'une 
lueur mystérieuse... Je ne pus aller bien loin 
dans ce livre, ne comprenant pas le Christ, mais 
je sentis Dieu. 

Ma plus forte impression d'enfance, aprèscelle* 
là, c'est le Musée des monuments fr^çais, simal- 
heureusement détruit. C'est là, et nulle autre 
part« que j'ai reçu d'abord la vive impression de 
l'histoire. Je remplissais ces tombeaux de mon 
imagination, je sentais ces morts à travers les 
marbres, et ce n'était pas sans quelque terreur 
que j'entrais sous les voûtes basses où dormaient 
Dagobert, Chilpéric et Frédégonde. 

Le lieu de mon travail, notre atelier, n'était 
guère moins sombre. Pendant quelque temps, ce 
fut une cave, cave pour le boulevart où nous de- 
meurions, rez-de-chaussée pour la rue basse. J'y 
avais pour compagnie, parfois mon grand<{)èrey 



TIRÉ D& Uk FAMILLE. XMO 

quand il y venait , mais toujours ^ trôeni^dû- 
ment, une araignée laborieuse qui trayaittait près 
de moi, et plus que moi, & ooup^sûr. 

Parmi des privations fort dures et bien au- 
delà de ce que supportent les ouvriers ordinaires^ 
j'avais des compensations : la douceur de mes 
parents, leur foi dans mon avenir, inexplicable 
vraiment, quand on songe combien j^étais peu 
avancé. J'avais, sauf les nécessités du travaiU 
une extrême indépendance, dont je n'abusai 
jamais. J'étais apprenti, mais sans contact avec 
des gens grossiers, dont la brutalité aurait peut- 
être brisé en moi cette fleur de liberté. Le ma- 
tin, avant le travail, j'allais cbez mon vieux 
grammairien, qui me donnait cinq ou six lignes 
de devoir. J'en ai retenu ceci, que la quantité du 
travail y fait bien moins qu'on ne croit; les en- 
fants n'en prennent jamais qu'un peu tous les 
jours; c'est comme un vase dont l'entrée est 
étroite; versez peu, versez beaucoup, il n'y en- 
trera jamais beaucoup à la fois. 

Malgré mon incapacité musicale, qui désolait 
mon grand-père, j'étais très-sensible à rbarmo^ 



XXVIII EXEMPLE 

nie majestueuse et royale du lâlin; cette gran- 
diose mélodie italique, me rendait comme un 
rayon du soleil méridional. J'étais né, comme 
ime herbe sans soleil entre deux pavés de Paris. 
Cette chaleur d'un autre climat opéra si bien sur 
moi, qu'avant de rien savoir de la quantité, du 
rhythme savant des langues antiques, j'avais 
cherché et trouvé dans mes thèmes des mélo- 
dies romano-rustiques, comme les proses du 
moyen âge. Un enfant, pour peu qu'il soit libre, 
suit précisément la route que suivent les peuples 
enfants. 

Sauf lessoufifrances de la pauvreté, très-fraudes 
pour moi l'hiver, cette époque, mêlée de travail 
manuel, de latin et d'amitié (j'eus un instant un 
ami et j'en parle dans ce livre), est très-douce à 
mon souvenir. Riche d'enfance, d'imagination, 
d'amour peut-être déjà, je n'enviais rien à per- 
sonne. Je l'ai dit : l'homme de lui-même ne sau- 
rait point l'envie, il faut qu'on la lui apprenne. 

Cependant, tout s'assombrit. Ma mère devient 
plus malade,la France aussi (Moscou !... 1813!...) 
L'indemnité est épuisée. Dans notre extrême 



TIRÉ DE MA FAMILLE. XXIX 

pénurie, un ami de mon père lui propose de me 
faire entrer à Tlmprimerie impériale. Grande 
tentation pour mes parents! D^autres n'auraient 
pas hésité. Mais la foi avait toujours été grande 
dans notre famille : d'abord la foi dans mon père, 
à qui tous s'étaient immolés; puis la foi en moi; 
moi, je devais tout réparer, tout sauver... 

Si mes parents, obéissant à la raison, m'avaient 
fait ouvrier, et s'étaient sauvés eux-mêmes, au- 
rais-je été perdu, moi? Non, je vois parmi les 
ouvriers des hommes de grand mérite, qui pour 
Tesprit valent bien les gens de lettres, et mieux 
pour le caractère... Mais enfin, quelles diffi- 
cultés aurais»je rencontrées^! quelle lutte contre 
le manque de tous les moyens! contre la fatalité 
du temps!... Mon père sans ressources, et ma 
mère malade, décidèrent que j'étudierais, quoi 
qu'il arrivât. 

Notre situation pressait. Ne sachant ni vers, 
ni grec, j'entrai en troisième au collège de Char- 
lemagne. Mon embarras, on le comprend, n'ayant 
nul mattre pour m'aider. Ma mère, si ferme jus- 
que-là, se désespéra et pleura. Mon père se mit 



XXX EXEMPLE 

à faire des vers ktias, lui qui n en avait fait 
jamais. 

Le meilleur encore pour moi^ dans oe terrible 
passage de la solitude à la foule^ de la nuit au 
jour, c'était sans contredit le professeur, M. Ân^ 
drieu d'Âlba, homme de cœur, homme de Dieu. 
Le pis, c'étaient les camarades. J'étais justement 
au milieu d'eux, comme un hibou en plein jour, 
tout effîurouchè. Ils me trouvaient ridicule, et je 
crois maintenant qu'ils avaient raison. J'attri- 
buais alors leurs risées à ma mise, à ma pauvreté. 
Je commençai à m'apercevoir d'une chose : Que 
j'étais pauvre. 

Je crus tous les riches mauvais, tous les 
hommes; je n'en voyais guère qui ne. fussent 
plus riches que moi. Je tombai dans une misan- 
thropie rare chez les enfants. Dans le quartier 
le plus désert de Paris, le Marais, je cherchais 
les rues désertes... Toutefois dans cette antipa- 
thie excessive pour l'espèce humaine,, il restait 
ceci de bon : Je n'avais aucune envie. 

Mon charme le plus grand, qui me remettait 
le cœur, c'était le dimanche ou le jeudi, de lire 



TIRÉ.DB MA FAMILLE. XXXI 

deux, trois fois de suite un chant de Virgile, un 
livre d'Horace. Peu à peu, je les retenais; du 
reste, je n'ai jamais pu apprendre une seule 
leçon par cœur. 

Je me rappelle que dans ce malheur accom- 
pli, privations du présent, craintes de l'avenir, 
l'ennemi étant à deux pas (1814!), et mes en- 
nemis k moi se moquant de moi tous les jours, 
un jour , un jeudi matin, je me ramassai sur 
moi-même: wns feu (la neige couvrait tout), ne 
sachant pas trop si le patn viendrait le soir , 
tout semblant finir pour moi, — j'eus en moi , 
sans nnl mélange d'espérance religieuse, un pur 
sentiment stoïcien > — je frappai de ma main, 
crevée par le. froid, sur ma table de chêne (qu6 
j'ai toujours conservée), et sentis une joie virile 
de jeunesse et d'avenir. 

Qu'estH)e que je craindrais maintenant, mm 
ami, dites-le-moi? moi, qui suis mort tant de fois, 
en moi-même, et dans l'histoire. — Et qu'est-ce 
que je désirerais?... Dieu m'a donné, par l'his- 
toire, de participer à toute chose. 

La vie n'a sur moi qu'une prise, celle que j'ai 



Xmi EXEMPLE TiMé DE MA FAMILLE. 

resseotie le 12 février dernier, environ trente 
ans après. Je me retrouvais dans un jour sem- 
blable, également couvert de neige , en face 
de la même table. Une chose me monta au cœur : 
« Tu as chaud, les autres ont froid.. • cela n'est 
pas juste... Oh! qui me soulagera de la dure 
in^;alité? » Alors, regardant celle de mas mains 
qui depuis 1813 a gardé la trace du froid, je me 
dis pour me consoler : « Si tu travaillais avec le 
peuple, tu ne travaillerais pas pour lui... Va 
donc, si tu donnes à la patrie son histoire, je 
t'absoudrai d'être heureux. » 

Je reviens. Ma foi n'était pas absurde ; elle 
se fondait sur la volonté. Je croyais à l'avenir, 
parce que je le faisais moi-même. Mes études 
finirent bien et vite ^. J'eus le bonheur, à la sor- 
tie, d*échapper aux deux influences qui perdaient 
lés jeunes gens, celle de l'école doctrinaire, ma- 
jestueuse et stérile, et la littérature industrielle, 

* Je du beaucoup tux eneouragementf de mes illustres professeurs, 
MM. Villemain et Leclerc. Je me rappellerai toujours que M. Yillemain, 
après la lecture d*un devoir qui lui avait plu, descendit de sa chaire, 
et vint avec un mouvement de sensibilité charmante, s*asseoir sur mon 
bane d'élère, A e«lé de moi. 



MON ENSEIGNBMEMT. XXXIil 

dont la librairie, àpmne ressuscitée, accueillait 
akNTs facilement les plus malheureux essais. 

Je ne voulus point vivre de ma plume. Je 
voulus un vrai métier; je pris celui que mes étu- 
des me facilitaient, l'enseignement. Je pensai 
dès lorSy comme Rousseau, que la littérature 
doit être la chose réservée, le beau luxe de la 
vie, la fleur intérieure de l'âme. C'était un grand 
bonheur pour moi, lorsque dans la matinée, j'a- 
vais donné mes leçons, de rentrer dans mon fau*- 
bourg, près du Père-Lachaise, et là paresseu* 
sèment de lire tout le jour les poètes, Ifomère , 
Sophocle, Théocrite, parfois les historiens. Un 
de mes anciens camarades et de mes plus ehers 
amis, M. Poret, faisait les mêmes lectures, dont 
nous conférions ensemble, dans nos longues pro- 
menades au bois de Vincennes. 

Cette vie insoucieuse ne dura guère moins de 
dix ans, pendant lesquels je ne me doutais pas 
que je dusse écrire jamais. J'enseignais concur- 
remment les langues, la philosophie et l'his- 
toire. En 1821, le concours m'avait fait profes- 
seur dans un collège. En 1827, deux ouvrages 



XXXIV MON ENSEIGNBHBirr. 

ff 

qui parurent en même temps» mon Vico et mon 
Précis d'histoire moderne, me firent professeur à 
TËcole normale K 

L'enseignement me servit beaucoup. La ter- 
rible épreuve du collège avait changé mon ea*- 
ractère, m'avait comme serré et fmné, rendu 
timide et défiant. Marié jeune» et vivant dans 
une grande solitude» je désirais de moins en 
moins ta société des hommes. Celle que je trou- 
vai dans mes élèves, à TÉcole normale et ail- 
leurs, rouvrit mon cœur» le dilata. Ces jeunes 
générations» aimables et confiantes» qui croyaient 
en moi» me réconcilièrent à Thumanité. J'étais 
touché» attristé souvent aussi» de les voir se suc- 
céder devant moi si rapidement. A peine m'atta- 
dmis-je^ que déjà ils s'éloignairat. Les voilà tous 
dispersés, et plusieurs (si jeunes!) sont morts. 
Peu m'ont oublié; pour moi» vivants ou morts» 
je ne les oublierai jamais. 

Ils m'ont rendu» sans le savoir, un service 



A Je l'ai faittée à regiei en 1837, lorsque 1* influence éclectique y 
Tut dominante. En 1858, l'Institut et le collège de France m'ayant 
également élu pour leur eandidat, j'olttins la chairs que J'occupe 



LA SITUATION M*A OBLIGÉ OE PARLER. XXXIX 

mort d'intérêts; j'arrivais aux questions avec le 
désintéressement des morts. . 

Je souffrais d'ailleurs bien plus qu'un autre 
du divorce déplorable que l'on tâche de produire 
entre les hommes, entare les classes, moi qui les 
ai tous en moi* 

La situation de la France est » grave qu'il n'y 
avait pas moyen d'hésiter. Je ne m'exagère pas 
ce que peut un livre; mais il s'agb; du devoir, ei 
nuUement du pouvdr. 

Eh bien I je vois la France baisser d'heure en 
heure, s'abîmer comme une Atlantide. Pendant 
que nous sommes là, à nous quereller, ce paya 
enfonce. 

Qui ne voit, d'Orient et d'Occident, une om^ 
bre de mort peser sur l'Europe, et que chaque 
jour, il y a moins de soleil, et que l'Italie a péri, et 
que l'Irlande a péri, et que la Pologne a péri...» 
Et que rAllemagne veut périr!... Allemagne, 
Allemagne!... ' 

Si la France mourait de mort naturelle , si 
les teinps étaient venus, je me résignerais peut- 
être, je ferais comme le voyageur sur un vaisseau 



XL LA SITUATION WK OBLIGÉ DS PARLER. 

qui va sombrer, je m'envelopperais la tête, et me 
remettnûs à Dieu. • . . Mais la situation n'est pas du 
tout ceUe-là; et c'est là ce qui m'indigne ; notre 
raine est absurde, ridicule, elle ne vient que de 
nous. Qui a une littérature, qui domine encore 
la pensée européenne? Nous, tout aflhiblis que 
nous sommes. Qui a une armée? Nous seuls. 

L'Angleterre et la Rusme, deux géants faibles 
et boufiis, font illusion à l'Europe. Grands empi- 
res, et faibles peuples ! . . . Que la France soit une, 
uninstant ; elle est forte comme le monde. 

La première chose, c'est qu'avant la crise ^, 
nous nous reconnaissons bien, et que nous 
n'ayons pas, comme en 1792, comme en 1816, 
à changer de front, de manœuvre et de système, 
en présence de l'ennemi. 

La seconde chose, c'est que nous nous fiions à 
la France, et point du tout à l'Europe. 



* J« n'ai Jamais n dans l'histoire une paix d« trente années.— Les 
lutnqnien qui n*ont préva ancune révolution (pas même celle de 
Juillet que plusieurs d'entre eux traTaillaient), répondent que rien ne 
lK>ugera en Europe. La première raison» qu'ils en donnent, c*est que 
la paix profite au monde. An monde, oui, et peu à nous ; les autres 
courent et nous marchons ; nous serons dans peu à la queue. Deuxié- 



LA SITUATION Wk OBLIGÉ DE PARLER. XLl 

Id, chacun \a chercher ses amis ailleurs \ le 
politique à Londres, le philosophe à Berlin ; le 
communiste dit : Nos frères les Chartistes. — Le 
paysan seul a gardé la tnulition du salut; un 
Prussien pour lui est un Prussien, un Anglais est 
un Anglais. — - Son bon sens a eu raison, contre 
vous tous, httmaniteirest La Prusse, votre amie, 
etTÂngleterre, votre amie, ont bn l'autre jour à 
la France la santé de Waterloo. 

Enïantb, en&nts, je vous le dis : Afontez sur 
une montagne, pourvu qu'eDe soit assez haute; 
regardez aux quatre vents, vous ne verrez qu'en- 
nemis. 

TAchez donc de vous entendre. La paix perpé- 
tuelle que qudques-uns vous promettent (pen- 



memeat, diêeni-Ua, ia guerre ne peut commencer qu*avee un «m- 
prtml, et nout ne l* encorderons pat. Hais, si on la commence avec 
mi trésor, comme la Rassle en fttt us, si la goerre aoarrii la guerre» 
comme au tçmps de Napoléon, etc. , etc. 

1 Prenez un Allemand, un Anglais an hasard, le plus libéral, par- 
lei-)«i de ttl>ené, iir répondra liberté. Et puis tâches un peu de voir 
comment Us l'entendent. Vous vous apercevrez alors que ce mot a 
autant de sens qu'il y a de nations, ^e le démocrate allemand, an- 
glais, sont aristocrates au cœur, que la barrière des nationalités que 
vous croyez effacée, r<;sl<) presque entière. Tous ces gens que vous 
oroyes si prés, sent à cinq eents lieues de vons. 

c 



XIII LA SITUATION M'A OBLIGÉ DE PARLER. 

dant que les arsenaux fumentl... voyez cette 
noire fumée sur Cronstadt et sur Portsmouth), 
essayons^ cette paix, de la commencer entre 
nous. Nous sommes divisés , sans doute^ mais 
l'Europe nous croit phis divisés que nous ne 
sommes. Voilà ce qui Tenhardit. Ce que nous 
avons de dur à nous dire, disons-le, versons no- 
tre cœur, ne cachons rien des maux, et cher- 
chons bien les remèdes. 

Un peuple! une patrie! une France !..« Ne 
devenons jamais deux nations, je vous prie. 

Sans Tunité, nous périssons. Comment ne le 
sentez-vous pas? 

Français, de toute condition, de toute classe, 
et de tout parti, retenez bien une chose, vous 
n'avez sur cette terre qu'un ami sûr, c'est la 
France. Vous aurez toujours, par-devant la coa- 
lition, toujours subsistante, des aristocraties, 
un crime, d'avoir, il y a cinquante ans, voulu 
délivrer le monde. Ils ne l'ont pas pardonné, et 
ne le pardonneront pas. Vous êtes toujours leur 
danger. Vous pouvez vous distinguer entre vous 
par différents noms de partis* Mais, vous ôtes, 



LA SITUATION M'A OBLIGÉ DE PARLER. XLIII 

comme Français, condamnés d'ensemble. Par- 
devant rEurope, la France, sachez-le, n'aura ja- 
mais qu'un seul nom, inexpiable, qui est son 
Trai nom étemel : La Révolution I 

t4 jaiiTtor 1846. 



PREMIÈRE PARTIE. 

DU SERVAGE ET DE LA HAINE. 



CîlAPITREI. 

SertiUides du payMo. 

Si nous voulons connaître la pensée intime, la 
passion du paysan de France, cela est fort mé. 
Promenons-nous le dimanche dans la campagne, 
suivons-le. Le voilà qui s'en va là-bas devant 
nous, n est deux heures ; sa femme est à vêpres; 
il est endimanché; je réponds qu'il va voir sa mai^ 
tresse. 

Quelle maîtresse? sa terre. 

Je ne dis pas qu'il y aille tout droit. Non, il est 

libre ce jour-là, il est mailre d'y aller ou de n'y 

i 



2 MARIAGE DE L*HOMME 

pas aller. N'y va-t-il pas assez tous les jours de la 
semaine?... Aussi, il se détourne, il va ailleurs, 
il a affaire ailleurs. . . Et pourtant, il y va. 

Il est vrai qu'il passait bien près ; c'était une 
occasion. Il la regarde, mais apparemment il n'y 
entrera pas; qu'y ferait-il?... Et pourtant il y 
entre. 

Du moÎQs^ il est probable qu'il n'y travaillera 
pas ; il est endimanché ; il a blouse et chemise 
blancl^f r^ Rien n'empêche cependant d'ôter 
quelque mauvaise herbe, de rejeter cette pierre. Il 
y a bien encore cette souche qui gêne, mais il n'a 
pas sa pioche, ce sera pour demain. 

Alors, il croise ses bras et s'arrête, regarde, sé- 
rieux, soucieux. Il regarde longtemps, très-*long- 
temps, et semble s'oublier. A la fin, s'il se croit 
. observé, s'il aperçoit un passant, il s'éloigne à pas 
.l^Kts. A trente pas encore, il s'arrête, se retourne, 
et jette sur sa terre un dernier regard, regard pro- 
. fond et sombre; mais pour qui sait bien voir, il 
est tout passionné, ce regard, tout de cœur, plein 
-de dévotion. 

Si ce n'est là l'amour, à quel signe donc le re- 
reconnaîtrez-vous en ce monde? C'est lui, n'en 
irie^ point. . . La terre le veut ainsi^ pour produire ; 
autrement, die ne donnerait rien, cette pauvre 



KT SB LA mmE. s 

terre 4e France, sans bestiaux presque et s^ps 
engrais. Elle rsqpporte^ parce qu'elle est aimée« 

La terre de France appartient à quinze pu 
vingt millions de paysans qui la cultivent; la terre 
d'Angleterre à une aristocratie de trentenleux 
mille personnes qui la font «ultivcà*^. 

Les Anglais n'arjrant pâus les mâines racines dans 
le sol, émirent où il yaprofit/Il? disent le pay9; 
nous disons la patrie^. Çh^ nous, rtioinme et 
la terre se tiennent, et ils qe se quitteront pa?; U 
y a entre eux légitime mariage^ ^ la vie, à la mort. 
Le Français a épousé la Fraqce^ 

La France est une terre d'équité* ËHe a g^é- 
ralement, en cas douteux» adjugé la terre à celmi 
qui travaillait la terre'. L'Anglet^re au çx)ntraire a 

^ Et sur ces trenle-deax mille, douze mille sont des corporations de 
feiaifr-motfeé— SI l'Ofi oppose à ceci qu'en Angleterre, près de trois mflf- 
NMtf de ^efflomtes participent à la propriété foncière, c'est que eeinot, 
ottre les terres, désigne les maisons, et les petits terrains, cours, Jar- 
dins d'agrément, qni sont joints «tn maisôfli, ftnrtottt dans tes IdCalItés 
indoitrielles. 

* Nos Anglais de r^nce disent le payé pénr éVitéfr de dire la' pfttHè. 
V. me page spiritaelle et châleareoAë de M. Génftt, Bes rarlaHoAs 
da tangage français, J>. 417. 

' Cest on des caractères ^IrtrttaaHétes' de ndtre Réirdtution. 
L*hofluné et le trayail deriionimehii ont ptrn d'nn piril inestimable et 
qu'on ne ponvxft mettre en balance Aveé cëlni du fonda ; l'homme a 
emporté U terre. Et en Angleterre, ta terre a emponé rirobime. Dans 



4 ACQUlSmOM DB LA TIRBE, 

prononcé pour le seigneur, chassé le paysan; elle 
n'est plus cultivée que par d^ ouvriers. 

Grave différence morale ! Que la propriété soit 
grande ou soit petite, elle relève le cœur. Tel qui 
ne se serait point respecté pour lui-même, se 
respecte et s'estinie pour sa propriété. Ce senti** 
ment ajoute au juste orgueil que donne à ce peuple 
son incomparable tradition mUitaire. Prenez au 
hasard dans cette foule un petit join^nalier qui posh 
sède un vingtième d'arpent, vous n'y trouverez 
point les sentiments du journalier, du mercenaire; 
c'est un propriétaire, un soldat (il l'a été, et le se- 
rait demain) ; son père Ait de la grande armée. 

La petite propriété n'est pas nouvelle en France. 
On se figure à tort qu'elle a été constituée der- 
nièrement, dans une seule crise, qu'elle est un 
accident de la Révolution. Erreur. La Révolution 

Iw pays même qui ne Mot nullement féodaux, mais organisés sur lo 
inrineipe du clan celtique, Jet légistes anglais ont appliqué la loi féo- 
dale dans la plus extrême rigueur, décidant que le seigneur n'était pas 
seulement suxerain, mais propriétaire. Ainsi M»« la duchesse de S»- 
therland s'est fait adjuger via comté d'Ecosse plus grand que le dépar- 
tement du Haut-Rhin, et en a chassé (de Iftli à 1890) trois mille 
familles, qui l'occupaient depuis qu'il y a une Ecosse. La dnchesso 
leur a ùilt donner une indemnité légère que beaucoup n'ont pas acceptée. 
Lire le récit de cette belle opération, que nous doTons à l'agent de la du- 
chesse : James Loch,. Compte rendit des bonifications faites aux do- 
maines du marquis de Stalford» in-S», isso. M. de Sismondi en donne 
l'analyse dans ses Études d'économie politique, i8S7. 



àVAMT LA RÉ?dLtTI(Mi 5 

trouva ce mouvement trfes-ayaiicé, et eHe-mêim 
en sortait. En 1785, un excelient observateur, 
Arthur Young, s'étonne et s'effî*aie de voir ici la 
terre tellement dwisée. En 1738, l'abbé de Saint- 
Pierre remarque qu'en France. c les journaliers 
om presque tous tm jardin ou quelque morceau de 
vigne ou de terre^. > En 1697, Boisguillebert dé- 
plore la nécessité où les petits propriétaires se 
sont trouvés sous Louis XI Y de vendre une grande 
iensacquisaux seizième et dix«-sqptième 



Cette grande histoire, si peu connue, offi*e ce 
earsA^ëre singulier : aux temps les plus mauvais, 
aux moments de pauvreté universelle, où le riche 
mme est pauvre et vend par force, alors le pau- 
vre se trouve en état d'acheter; nul acquéreur ne 
se pr^enlant, le paysan en guenilles arrive avec sa 
pièce d'or, et il acquiert un bout de terre. 

Mystère étrange; il faut que éet homme ait un 
trésor caché... Etilenaun, en effet : le travail per- 
sistant, la sobriété et le jeûne. Dieu semble avoir 
donné pour patrimoine à cette indestructible race 
le don de travailler, de combattre, au besoin, sans 

^ 1 Saint-Pierre, t. X, p. Mi (Rotterdam). L'autorité de cet aatear 
pea gravé est grave ici, parce qu'il écrivait sur les renseignemenU 
qtt*il aiait demandés à pkisieiirs intendants. 



ô ARi^TÉB wssama fois, 

manger, de vivre à'ee^évmee, de gaîté couragoiuse. 

Ces moments de désastro oh të paysan a pu ae*- 
quérir la terre à bon marché, ont toujours été suivis 
d'un élan subit de fécondité qu'on ne s'e&pliquait 
pas. Vers 1500, par exemple, quand la Fvance 
épuisée par Loms XI eend)le aebever sa ruine en 
Italie, la noblesse qui part est obligée de vendes; 
la terre, passant àdenouvdieô mains, refleuidt tout 
à coup ; on travaille, on bâtit. Ce bemi moment 
(dans la style de l'histoire monarehique) a'est ap^ 
pelé le bon Louis XIL 

Il dure peu malheureiisement. La tarre est à 
pdme remise en bon âiat, le fisc fond desmis ; les 
guerres de religion arrivent qui semblent raser 
tout jusqu'au sol ^ misères horribles, &mines afcro*» 
oes où. les mërbs mangeaient leurs en&nÉs 1. . . Qui 
croirait que le pays se relève de là?. .; £h bien, h 
guerre finit à peine, de ce champ ravagé, de eette 
chaumière encore noire et brûlée, sort l'épai^ne 
du paysan. H achète; en dix ans, la France a 
changé de face ; en vingt où trente, tous leâ biens 
ont doublé, triplé de valeur. Ce moment, encore 
baptisé d'un noip royale s'appelle U bon Henri IV 
et le grand Richelieu. 

1 Voir Froamenteaa : Secret des finances de France (t581), PreaveS| 
surtout p. S97-8. 



ET ENCORE AUJOURD'HUI. 7 

Beau mouvement! quel cœur d*bomme n'y , 
preudrait part ! Et pourquoi donc faut-il qu'il s'ar- 
rête toujours^ et que tant d'efforts^ à peine récom- 
pensés, soient presque perdus?... Ces mots le 
pauvre épargne, le paysan achète, ces simples 
mots qu'on dit si vite, sait-on bien tout ce qu'ils 
contiennent de travaux et de sacrifices, de mor- 
telles privations? La sueur vient au firont, quand 
on observe dans le détail les accidents divers, les 
succès et les cbutes de cette lutte obstinée, quand 
on voit l'invincible effort dont cet homme misé- 
rable a saisi, lâché, repris la terre de France..* 
Comme le pauvre naufiragé qui touche le rivage, ' 
s'y attache, mais toujours le flot l'emporte en 
mer; il s'y reprend encore, et s'y déchire, et 
il n'en serre pas moins le roc de ses mains san-^ . 
glantes. t 

Le mouvement, je suis obligé de le dire, se ra- 
lentit, ou s'arrêta, vers 1650. Les nobles qui 
avaient vendu, trouvèrent moyen de racheter à vil 
prix. Au moment où nos ministres italiens, un 
Mazarin, un Emeri, doublaient les taxes, les no- 
bles qui remplissaient la cour, obtinrent aisément' 
d'être exemptés, de sorte que le fardeau doublé . 
tomba d'aplomb sur les épaules des faibles et des 
pauvres qui furent bien obligés de vendre ou clou- 



8 LE PAYSAN 

ner cette terre à peine acquise, et de redevenir des 
mercenaires, fermiers, métayers, journaliers. Par 
quels incroyables efforts purent-ils, à travers les 
guerres et les banqueroutes du grand roi, du ré- 
gent, garder ou reprendre les terres que nous 
avons vues plus haut se trouver dans leurs mains 
ail dix-huitième siècle, c'est ce qu'on ne peut 
s'expliquer. 

Je prie et je supplie ceux qui nous font des lois 
ou les appliquent, de lire le détail delà funeste réac- 
tion de Mazarin et de Louis XIV dans les pages 
pleines d'indignation et de douleur où l'a consi- 
gnée un grand citoyen. Pesant de Boisguiîlebert *. 
Puisse cette histoire les avertir, dans un moment 
où diverses influences travaillent à Tenvi pour ar- 
rêter l'œuvre capitale de la France : l'acquisition 
de la terre par le travailleur. 

Nos magistrats spécialement ont besoin de 
s'éclairer là-dessus , d'armer leur conscience ; 

1 Grand citoyen, éloquent écrivain, esprit positir, qa*il ne faut pas 
confondre avec les utopistes de Tépoqae. On lai a attribué k tort Tidée 
de .la dim$ royale, ^ Quoi de plus bardi que le commencement de 
son Faetum, et en même temps, quoi de plus douloureux? c*est le 
profond soupir de Tagonie de la France. Boisguiîlebert lé publia en 
mars 1707, lorsque Vauban venait d'être condamné en février pour un 
livre bien moins bardi. Gomment cet homme héroïque n*a-t-0 pas en- 
core une statue i Rouen, qui le reçut en triomphe au retour de son 
exil?... '(Réimprimé récemment dans la Collection des économistes.) 



A FAIT LA TERRE. 9 

la ruse les assiège. Les grands propriétaires, tirés 
de leur apathie naturelle par les gens de loi, se 
sont jetés dernièrement dans milleprocès injustes, 
n s'est créé contre les conununes, contre les petits 
propriétaires, une spécialité d'avocats antiquaires 
qui travaillent tous ensemble à fausser l'histoire 
pour tromper la justice. Os savent que rarement 
lés juges auront le temps d'examiner ces œuvres 
de mensonge. Ds savent que ceux qu'ils attaquent 
n'ont presque jamais de titres en règle. Les com- 
munes surtout les ont mal conservés, ou n'en 
ont jamais eu; pour<pioi? justement parce que 
leur droit est souvent très-cantique, et d'une épo- 
que où l'on se fiait à la tradition* 

Dans tous les pays de frontière spédalement^ 
les droits des pauvres gens sont d'autant plus sa- 
crés que personne sans eux n'aurait habité des 
marches si dangereuses ; la terre çût été déserte, 
il n'y eût eu ni peuple ni culture. Et voilà qu'au- 
jourd'hui, à une époque de paix et de sécurité, 
vous venez disputer la terre à ceux sans lesquels 



1 Ajoutez qu'an moyen âge, dans la dhision de iant de proTînees, de 
seigneuries, de fiefs, qui forment comme anUnt d'États, la frontière 
9tt partout. Dans des temps même plus récents, la frontière anglaise 
élait an centre de la France, en Poitou Jusqu'au treizième siècle, en 
Limousin Jusqu'au quatorzième siècle, etc. 

1. 



10 »< Ki BST 

la terré n'existait pas! Youd demandez leur» ti^ 
très; ils sont enfouis; ce sont les os de leurs 
aïeux qui ont gardé votre frontière, et qui en oo^ 
cupent encore la ligne sacrée. 

Il est plus d'un pays en France où le cultivateur 
a sur la terre Un droit qui certes est le premier de 
tous, celui de l'avoir faite. Je parle sans figure. 
Voyez ces rocs brûlés, ces arides sommets du 
ifnidi; là, je vous prie, où serait la terre sans 
rhomme? La propriété y est toute dans le proprié^ 
taire. Me est dans lé in^as infatigable qui brise le 
caillou toîit te jour, et mêle cette pousâëre d'un 
peu d'humus. Elle est dans la forte échine du vi- 
gneron qui du bas de la Côte remonte toujours Mn 
champ qui s'écoule toujours. Elle est dans la doci- 
lité, dans l'ardeur patiente de la femme et de l'en- 
fant qui tirent à la charrue avec un âne. . . Chose pé- 
nible à voir. . . Et la nature y compatit elle-même. 
Entre le roc et le roc, s'accroche la petite vigne. 
Le châtaignier, sans terré, se tient en serrant le pur 
caillou de ses racines, sobre et courageux végétal; 
il semble vivre de l'air, et comme son maître, pro- 
duire tout en jeûnant * . 

1 Je sentis tout cela, lors qa^au mois de mai 1844, allant de Nfmes 
au Pny, je traversais TÂrdéche, cette contrée si Apre où Phomme a créé 
tout. La nature l*avait faite afirease ; grâce â lai, la voilà charmante ; 
charmante en mai, et même alors toujours an pén sévère, niais d'un 



AMOUREUX. H 

Oui, l'homme fait la terre.; qn peut W dm, 
même des pays moins pauvres. Ne l'oublions jsH' 
mais, si nous voulons comprendre combien il 
Taime et de quelle passion. Songeons que, des siè- 
cles durant, les générations ont mis là la speur de^^ 
vivants, les os des morts, leur épargne, l^Hr.. 
nourriture... Cette terre, où l'homme a siloûg*r!, 
temps déposé le meilleur de l'homme, son sue et | 
sa substance , son effort, sa vertu, il sent bien 
que c'est une terre humaine, et il l'aime comme* . 
une personne. 

Il l'aime ; pour l'acquérir, il consent à. tout, 
même à ne plus la voir; il émigré, il s'élpigne, s'U. 
le faut, soutenu .dç cette pensée et de ce souvenir, ^ 
 quoi supposez-vous que rêve, à votre pointe, ^ 

cbanii0 moral d'auUnl plus ioaeliant. Là, on no dira pas qàé lo uéih' 
gneur a donné la terre an vilain ; il n*y avait pas do terre. Aumî, copv* , 
bien mon cœur était blessé de voir encore, sur les hauteurs, ces affreux 
donjons noirs qui ont levé tribut si longtemps sur un peuple si pauvre, 
si mériunt, qui ao doit rien qii*i loi. Mes moaiiments à moi, ceux qui ; 
me reposaient les yeux, c'étaient dans la vallée les humbles maison» de 
pierre sèche, de cailloux entassés, où vit le paysan. Ces maisons sont 
fort sérieuses, tristes mémo avec leur petit Jardin mal arrosé, Indigent ' 
et maigret; mais les arcades qui les portent, Tescalier à grandes mar^! 
ches, le perron spacieux sous les arcades, leur donnent beaucoup de 
style. Justement, c'était la grande récolte ; à ce beau moment de Tan- 
née, on travaillait la soie, le pauvre pays semblait riche ; chaque mai- 
son, sous la sombre arcade» montrait «ne Jense devideuse, q«ii tout 
en piétinant sur la pédale du dévidoir, souriait de ses Jolies de^tsMu^/ 
chip et aiiit de Tor. 



12 IL EMPRUNTE 

assis sur une borne, le commissionnaire savoyard? 
i\ rêve au petit champ de seigle, au maigre pâtu- 
rage qu'au retour il achètera dans sa montagne. Il 
faut dix ans! n'importe*... L'Alsacien, pour 
avoir de la terre dans sept ans, vend sa vie, va 
irieurir en Afrique*. Pour avoir quelques pieds 
de vigne, la femme de Bourgogne ôte son sein de 
là bouche de son enfant, met à la place un enfant 
étranger, sèvre le sien, trop jeune : < Tu vivras, 
dit le père, ou tu mourras, mon fils; mais si tu vis, 
tu auras de la terre ! > 

N'est-ce pas là une chose bien dure à dire, et 
presque impie?.,. Songeons-y bien avant de dé- 
cider. « Tu auras de la terre, i cela veut dire : 
< Tu ne seras point un mercenaire qu'on prend et 
qu'on renvoie demain; tu ne seras point serf pour 
ta nourriture quotidienne, tu seras libre!... > Li- 
bre ! grande parole, qui contient en effet toute di- 
gnité humaine : nulle vertu sans la liberté. 

Les poètes ont parlé souvent des attractions de 
l'eau, de ces dangereuses £siscinations qui attiraient 
le pêcheur imprudent. Plus dangereuse, s'il se 
peut, est l'attraction de la terre. Grande ou petite, 

1 LéMi FMoher, La eoloaie des Savoyards A Paris, Revue des Deux*) 
Muttées,' tor. 1884, IV, 348. 
9 Voir plus bas, p. S5, iiq(9« '^ 



POUR CONTINUER L'ACQUISITION DE LA TERRE, 13 

elle à cela d'étrange, et qui attire, qu'elle est tou- 
jours incoiiïpMe; elle demande toujours qu'on 
l'arrondisse. Il y manque très-peu, ce quartier seu- 
lement, ou moins encore, ce coin. . . Voilà la tenta- 
tion : s'arrondir, acheter, emprunter. < Amasse, 
si tu peux, n'emprunte pas, dit la raison. > Mais 
cela est trop long, la passion dit : « Emprunte ! > 
— Le propriétaire, homme timide, ne se soucie 
pas de prêter; quoique le paysan lui montre une 
terre bien nette et qui jusque-là ne doit rien, il a 
peur -que du sol ne surgissent (car nos lois sont 
telles) une femme, un pupille, dont les droits 
supérieurs emportent toute la valeur du gage. 
Donc, il n'ose prêter. — Qui prêtera? l'usurier du 
lieu, ou l'homme de loi qui a tous les papiers du 
paysan, qui connaît ses affaires mieux que lui, qui 
sait ne rien risquer,et qui voudra bien, d'amitié, lui; 
prêter? non, lui faire prêter, à sept, à huit, àdix! 
Prendra~t-il cet argent fimeste? Rarement sa 
femme en est d'avis. Son grand-père, s'il le con- 
sultait, ne le lui conseillerait pas. Ses aïeux, nos 
vieux paysans de France, à coup sûr, ne l'auraient 
pas fait. Race humble et patiente, ils ne comp- 
taient jamais que sur leur épargne personnelle, 
sur un sou qu'ils étaient à leur nourriture, sur la 
petite pifcc0 que parfois ils sauvwent, au retou^ 



U IL SUCCOMBE. 

du marché, et qui la même nuit, allait (comme 
on en trouve encore) dormir avec ses sœurs au 
fond d'un pot, enterré dans la cave. 

Celui d'aujourd'hui n'est plus cet homme-*là; il 
a le cœur plus haut, il a été soldat. Les grandes 
choses qu'il a faites en ce siècle l'ont habitué à 
croire sans difficulté l'impossible. Cette acquî** 
sition de terre, pour lui, c'est un combat; il y 
va comme à la charge, il ne reculera pas* C'est sa 
bataille d'Âusterlitz ; il la gagnera, il y aura du mal, 
il le sait, il en a vu bien d'autres som V Ancien. 

S'il a combattu d'un grand cœur, quand il n'y 
avait à gagner que des bsdles, croyez-vous qu'il 
y aille mollement ici, dans ce combat contre la 
terre? Suivez-le avant jour, vous trouverez votre 
homme au travail, lui, les siens, sa femme qui 
vient d'accoucher, qui se traîne sur la terre hu- 
mide. Â midi, lorsque les rocs se fendent, Iprsque 
le planteur fait reposer son nègre, le nègre volon- 
taire ne se repose pas,.. Voyez sa nourriture, et 
comparez-la à celle de l'ouvrier ; ce^i-ci a mieux 
tous les jours que le paysan le dimanche. 

Cet homme héroïque a cru, par la grandeur de 
sa volonté, pouvoir tout, jusqu'à supprimer le 
temps. Mais ici ce n'est p^is comme en guerre; le 
Hmp^.ne se supprime pas; il pèse> la lutte dure 



SON IRBITATION. 15 

et se probnge eDtre l'usure que le temps accu- 
mule, et la force de Thomme qui baisse. La terre 
lui rapporte deux, l'usure demande huit, c'est-à- 
dire que l'usure combat contre lui comme quatre 
hommes contre un. Chaque année d'intérêt enlève 
quatre années de travail. 

Étonnez-vous maintenant si ce Français, ce 
rieur, ce chanteur d'autrefois, ne rit plu? au-, 
jourd'hui ! Étonnez-vous, si, le rencontrant sur 
cette terre qui le dévore, vous le trouvez si som- 
bre... Vous passez, vous le saluez cordialement; 
il ne veut pas vous voir, il enfonce son chapeau. 
Ne lui demandez pas le chemin; il pourrait bien, 
s'il vous répond, vous faire tourner le dos au 
lieu oh vous allez. 

Âin$i le paysan s'isole, s'aigrit de plus en plus, 
n a le cœur trop serré pour l'ouvrir à aucun senti- 
ment de bienveillance. Il hait le riche , il hait son 
voisin, et le monde. Seul, dans cette misérable 
propriété, comme dans une île déserte, il devient 
un sauvage. Son insociabilité , née du sentiment 
de sa misère, la rend irrémédiable ; elle l'empêche 
de s'entendre avec ceux qui devraient être ses ai- 
das et amis naturels^, les autres paysans ; il mour- 
rait plutôt que de faire un pas vers eux. D'autre 

t Je parlerai plot loin 4ê ranMiMîtn, Oittt mx «untigfli «( ii% 



16 L'HOMME DES VILLES S'ÉLOIGNE. 

part J^hâbitant des villes n'a garde d'approcher de 
cet homme farouche; il en a presque peur : « Le 
paysan est méchant, haineux, il est capable de 
tout... Il n'y a pas de sûreté à être son voisin. > 
Ainsi, de plus en plus les gens aisés s'éloignent, 
ils passent quelque temps à la campagne, mais ils 
n'y habitent pas d'une manière fixe; leur domicile 
est à la ville. Ils laissent le champ libre au ban- 
quier de village, à l'homme de loi, confesseur 
occulte de tous et qui gagne sur tous. < je ne 
veux plus avoir affaire à ces gens-là, dit le pro~ 
priétaire; le notaire arrangera tout, je m'en rap- 
porte à lui; il comptera avec moi, et donnera, di- 
visera^ comme il voudra, le fermage. » Le notaire, 
dans plusieurs endroits, devient ainsi le seul fer- 
mier, l'unique intermédiaire entre le propriétaire 
riche et le laboureur. Grand malheur pour le pay- 
san. Pour échapper au servage du propriétaire 
qui, généralement savait attendre, et se laissait 
payer trësrlongtemps de paroles, il a pris pour 
maître l'homme de loi, l'homme d'argent, qui ne 
connaît que l'échéance . 

La malveillance du propriétaire ne manqué 
guère d'être justifiée près de lui par les pieux per- 

convéniento économiques de la petite propriété, qui sont étrange» à 
dbn n^» V, ^p^fia, P^y» pi|l«aa DeknMdle, eie. 



ON CALOMNIE LE PAYSAN. 17 

sonnages que reçoit sa femme. Le matérialisme du 
paysan est le texte ordinaire de leurs lamentations : 
€ Age impie, disent-ils, race matérielle! ces gens- 
là n'aiment que la terre ! c'est toute leur religion! 
ils n'adorent que le fumier de leur champ!.. » 
Malheureux plié|isiens, si cette terre n'était que de 
la terre, ils ne l'achèteraient pas à ces prix insensés, 
elle n'entraînerait pas pour eux ces égarements, 
ces illusions. Vous, hommes de l'esprit et point 
matériels, on ne vous y prendrait pas ; vous cal- 
culez, à un franc près, ce que ce champ donne 
en blé ou en vin. Et lui, le paysan, il y ajoute 
un prix infini d'imagination; c'est lui qui donne 
ici tirop à l'esprit, lui qui est le poète... Dans 
cette terre sale, infime, obscure, il voit distincte- 
ment reluire Tor de la liberté. La liberté, pour 
qui connaît les vices obligés de l'esclave, c'est la 
vertu possible. Une famille qui, de mercenaire de- 
vient propriétaire, se respecte, s'élève dans son 
estime, et la voilà changée ; elle récolte de sa terre 
une moisson de vertus. La sobriété du père, l'éco- 
nomie de la mère, le travail courageux du fils, la 
chasteté de la fille, tous ces fruits de la liberté, 
sont-ce là, je vous prie, des biens matériels, sont- 
ce des trésors qu'on peut payer trop cher* ? 

^ Le paysan ii*e8t pas quitte. Voici venir, après le prêtre, l'artiste 



i9 NOiH.ESSE BT MIStRE 

Hommes du passé, qui vous dites les hommes 
de la foi, si vous l'êtes vraiment, reconnaissez que 
ce fut une foi celle qui, de nos jours, par le bras 
de ce peuple, défendit la liberté du monde contre 
le monde même. Ne parlez pai^ toujours, je vous 
prie, de chevalerie. Ce fiit une chevalerie, et la 
plus fière, celle de nos paysans-soldats... On dit 
que la Révolution a supprimé la noblesse; mais' 
c'est tout le contraire , elle a fait trente-quatre 
millions de nobles... Un émigré opposait la gloire 
de ses ancêtres; un paysan, qui avait gagné des 
batailles, répondit : « Je suis un ancêtre! > 

Ce peuple est noble, après ces grandes choses; 
l'Europe est restée roturière. Mais cette noblesse, 
il faut que nous la défendions sérieusement : elle 
est en péril. Le paysan, devenant le serf de l'usu- 
rier, ne seraitpas misérable seulement, il baisserait 
de cœur. Un triste débiteur, inquiet, tremblant, qui 
a peur de rencontrer son créancier et qui se cache, 
croyez-vQus que cet homme-là garde beaucoup de 



pour le calomnier, l'artiste néo^catboUqae, cette race impuissaste de 
pleurears du moyen Age, qui ne sait antre chose que pleurer et copier... 
Pleurer les pierres, car pour les hommes, qu'ils meurent de faim, s'ils 
veulent. Comme si le mérite de ces pierres n'était pas de rappeler 
l'homme et d'en porter l'empreinte. Le paysan, pour ce monde-là, n'est 
qu'un démolisseur. Tout vieux mur qu'il ahat^ toute pierre qu'a remuée 
la el)«Knie, Uni w» inoompaiabto mine. 



DU PAYSAN FRANÇAIS. 19 

courage? Que s«raît-ce d'une race élevée ainsii 
sous la terreur des juifs, et dont les émotions se^ 
raient celles de la contrainte, de la saisie, de Tex- 
propriation» 

Il faut q^e les lois changent ; il faut que le droit 
subisse cette haute nécessite politique et morale. 

Si vous étiez des Allemands, des Italiens, je 
vous dirais : < Consultez les légistes ; vous n'avez 
rien à observer que les règles de Féquité civile. » 
— Mais, vous êtes la France; vous n'êtes pas une 
nation seulemrat, vous êtes un principe, un grand 
principe politique. Il faut le défendre à tout prix. 
Comme principe, il vous faut vivre. Vivez pour le 
salut du nipode ! 

Au second rang par l'industrie, vous êtes au . 
premier dans l'Europe par cette vaste et profonde, 
légion de paysans propriétaires soldats, la plus: 
forte base qu'aucune nation ait eue depuis l'empire 
romain. C'est par là que la France est formidable 
au monde, et secourable aussi; c'est là ce qu'il 
regarde avec crainte et espoir. Ûu'§st-ce en effet? 
l'armée de l'avenir, au jour où viendront les Bar- 
bares. 

Une chose rassure nos ennemis ; c'est que cette 
grande France muette qui est dessous, est depuis 
longtemps dominée par unepetîte France, bruyante 



SA SUPÉBIORITÉ. 

et remuante. Nul gouvernement, depuis la Révo- 
lution, ne s'est préoccupé de l'intérêt agricole. 
L'industrie, sœur cadette de l'agriculture, a fait 
oublier son ainée. La Restauration favorisa la pro- 
priété, mais la grande propriété. Napoléon même, 
si cher au paysan et qui le comprit bien, com- 
mença par supprimer l'impôt du revenu qui attei- 
gnait le capitaliste et soulageait la terre ; il effaça 
les lois hypothécaires que la Révolution avsât Êdteâ 
pour rapprocher l'argent du laboureur. 

Aujourd'hui, le capitaliste et l'industriel gou- 
vernent seuls. L'agriculture, qui compte pour moi- 
tié et plus dans nos recettes, n'obtient dans nos 
dépenses qu'un cent huitième ! La théorie ne la 
traite guère mieux que l'administration ; elle s'in- 
quiète surtout de l'industrie et des industriels. 
Plusieurs de nos économistes disent le travailleur 
pourdirerot^t>ner,oubliantseulementvingt-quatre 
millions de travailleurs agricoles. 

Et cependant le paysan n'est pas seulement la 
partie la plus nombreuse de la nation, c'est la plus 
forte, la plus saine, et, en balançant bien le phy- 
sique et le moral, au total la meilleure*. Dans l'af- 
faiblissement des croyances qui le soutinrent jadis, 

^ La popoltUon arl>aUie qui ne fait qu'on daquème de la naUoo 
fminiU lei deux cinqaièmei des aecnsés. 



SA SUPÉRIORITÉ. 21 

abandonné à lui-même, entre la foi ancienne qu'il 
n'a plus et la lumière moderne qu'on ne lui donne 
pas, il garde pour soutien le sentiment national, 
la grande tradition militaire, quelque chose de 
rhonneur du soldat. H est intéressé, âpre en affaire 
sans doute; qui peut y trouver à dire, quand on 
sait ce qu'il souffre?... Tel qu'il est, quoi qu'on 
puisse lui reprocher parfois, comparez-le, je vous 
prie, dans la vie habitiidle^ à vos marchands qui 
mentent. tout le jour, à la tourbe des manu&o- 
tures. ' 

Hpinme de la tert^, et vivant tout en ;éUe, :il 
semble fait à son ims^e. Gomme elle, il est avide; 
la terre ne dit jamais : assez. Il est obstiné, lautattt 
qu'elle est ferme et persistante; il est patient, à 
son exemple, et non moins qu'elle, indestruictible; 
tout passe, et lui, il reste. .. Appelez-vous cela des 
défauts? Eh! s'il ne les avait pas, depuis long- 
temps vous n'auriez plus de France. 

Voulez-vous juger nos paysans? regardez-les, 
au retour! du service militaire ! voud voyez c^s sol- 
dats terribles, les premiers du monde, qui reve- 
nant à peine d'Afrique^ de la guerre des lions, se 
mettent doucement à triavailter, entre leur sœur et 
leur mère, reprennent la vie paternelle d'épargne 
et de jeûne^ ae font plusdeguenre qu'à eux-mêmes. 



Î2 PEUT -IL RESTER 

Vous les voyez, sans plainte, sans violence, cher- 
cher par les moyens les plus honorables Taccom- 
pBssement de l'œuvre sainte qui feit la force de la 
France t je veux dire, le mariage de Thomme et de 
la terre. 

La France tout entière, si elle avait le vrai 
sentiment de sa mission, aiderait à cent qui conti- 
nuent cette œuvre. Par quelle fetalité faut -il 
qu'elle s'arrête aujowd^hui dans leurs mains ^!.. 
Si la situation présente continuait, le paysan, loin 
d'acquérir, vendrait, conune il fit au milieu du dix- 
s^t^Dftesiëcle, et redeviendrait mercenaire. Deux 
cents ans de perdus I. . . Ce ne serait pas là la chute 
d'une classe d'hommes, mais celle de la patrie. 

Ils paient plus d'un demir-milKard à l'État cha- 
que année! un milliard à l'usure! Est-ce tout? 
Non, la chaire indirecte est peut-être aussi forte, 
celle que l'industrie impose au paysan par ses 
douanes, qui repoussant les produits étrangers, 
empêclient aussi nos denrées de sortir. 

Ce» hommes si laborieux sont les plus mal 

1 Elle s%rréte, ou même recale. M. Hi]tp. Pasiy assure (M^m. Acad. 
polit. II, SOI) ^aa de lllC i idss, lenombre 4es propriélaires, com- 
paré à CfiVA da i^ite de la |>f palatioB, • iêmimi4 de 9 ifit pour 0/0, 
on d'im quarcmtiimê. — II part da recensement de 1815. Mais ce re- 
censement 6st-il eiactt esiril plus sérient qne eelni de 18)8, qne les 
iàUeaiix du iMafemeni dt la pofmlftlk»^ m temps do rBttpitOt «te.T 
V. Villermé, Joniiua des Économiitef, n» «S» mai i845« 



PROPMÉTAIRH? S5 

nourris. Point de viande ; nos éleveurs (qui sont au 
fond des industriels) ^npêchent Tagriculteur d'en 
manger^, dans l'intérêt de V agriculture. Le der- 
nier ouvrier mange du pain blanc; mais celui qui 
fait venir le blé» ne le mange que noir. Ils font le 
vin, et la ville le boit. Que dis-je ! le monde en- 
tier boit la joie à la coupe de la France^ excepté le 
vigneron français^. 

L'industrie de nos villes a obtenu récmmient 
un soulagement considérable, dont le poids re- 
tombe sur la terre» au moment où la petite indus- 



< Et qai Ini rendent à si haut prix son unique vaclie «t tes bœufs de 
làiN>iir. «^ Lee életeiin disent : Point d*agrieiiIteQTs sans engtats, ni 
d'engrais sans bestiaax. ^ Ils «ni raison, mais eontre eu-mèines. Ke 
changeant rien e^ n'améliorant rien (sauf pour la production de laxe 
et les succès 4o gloriole), maintenant les prix élevés pour les qualités 
inférieures, ils empêchent tous les pays pauTres d'acheter les petits bes- 
tiaux qui leur conviennent, d'obtenir les engrais qui leur sent néoes- 
sairea ; l'homme et \$. terre» ne pouvant réparer leurs forées, languis- 
sent d'épuisement. 

> On se rappelle le calcul de Paul-Louis GouErier, qui trowaU qu'au 
total, l'arpent de vigne rapportait iSO fr. an vigneron et 1500 fr. au 
fisc. Cela est exagéré, liais, en récompenso, il fam aiomer que eet ar- 
pent est ai:yourd'hui bien ^us endetté qu'en 1830. t- Point de métier 
plus pénible cependant, ni qui mérite mieux son salaire. Traverses la 
Bouiyogne au piintemps ou à l'automao ; voua Isitef quarante lieues 
à travers un pays deux fois par an rumné, bemlevetsét dépianté, replanté 
d'échalas. Quel travail 1... Et peur qu'à Berey, à Rouen, ee produit qui 
a tant coûté, soit falsifié et "déshonoré ; un art infâme ealomnle la nature 
et la bonne liqneui ; la vin Miavssi maltuaité que le vignavon. 



24 IL POBTE ENVIE 

trie des campagnes, l'humble travail de la fileuse, 
. est tué par la machine à lin. 

Le paysan, perdant ainsi, une à une, ses in- 
dustries, aujourd'hui le Un, demain la soie peut- 
être, a grand'peine à garder la terre; die lui 
échappe, et elle emporte avec elle tout ce qu'il y a 
mis d'années laborieuses, d'épargne, de sacrifices. 
C'est de sa vie elle-même qu'il est exproprié. S'il 
reste quelque chose, les spéculateurs l'en débar- 
rassent ; il écoute, avec la crédulité du mdheur, 
toutes les fables qu'ils débitent; Âlg^r produit le 
sucre et le café ; tout homme en Amérique gagne 
dix francs par jour ; il faut passer la mer ; qu'im- 
porte? l'Alsacien croit, sur leur piœole, que l'Océan 
n'est guère plus large que le Rhin *. 

1 C'est ce qn*iin Alsacien disait en propres termes i ttn de mes amis 
(septembre 1M6). — Nos Alsaciens qxA émigt^nt ainsi, rendent le pea 
qu'Hs ont an départ ; le jnif est là à point poar aclieter. Les Allemands 
tâclient d'emporter lenrs meubles ; ils voyagent en chariots, comme les 
Barbares qui émigrérent dans l'empire romain. Je me rappelle qu'un joar, 
en Sonabe, dans un Jour trés-cfaand, trè»*poudreux, je rencontrai un 
de ces chariots d'émigrants, plein de colfres, de meubles, d'effets en- 
tassés. Derrière, un tout petit .chariot, attaché au grand, traînait' an 
eafant de deux ans, d'aimable et douce figure, tl allait ainsi pleurant, 
80QS la garde d'une petite sœar qui marchait auprès, sans pouvoir 
l'apaiser. Qikel^es tewmm reprochant ans parents de laisser leur en- 
fant derrière, le père fit descendre sa femme pour le reprendre. Ces 
fens me paraissaient tous deux abattus, presque insensibles, morts 
d'avance, de «Isère Y ou de regrets? Pouvaient-ils arriver Jamais? 
cela n'était gnèie probable. Et l'enfant? sa ftrèle voiture dure- 



A L'ODVRIBR. ^ 

Âvsyit d*en venir là, avant de quitter la France, 
toute ressource sera employée. Le fils se vendra^. 
La fille se fera domestique. Le jeune enfont en- 
trera dans la manufacture voisine. La femme se 
placera conune nourrice dans la maison du bour* 
geois ^,, ou prendra chez die Fenfant du petit mar- 
chand, de Touvria* même. 

rait-elte dans ee long voyage? je n'osais me le demander.... Un seul 
membre de la ftmille me paraissait YÎTant, et promettait' de durer; 
c'était nn garçon de quatorze ans, qui, k ee moment même, emrayait 
pour une descente. Ce garçon à clieTeui noirs, d'un sérieux pas- 
siômié, semUait plein de forée morale, d'ardeur; du moins. Je le 
Jugeai ainsi. H se sentait déj4 eemme le ehêf de la: famille, sa provi- 
dence et chargé de sa sûreté. La vraie mère était la sœur; elle en 
remplissait le rôle. Le petit, pleurant dans son berceau, avait son réie 
aumi, et ee n'était pas le moins impertant; il était l'unité de la Camille, 
le lien du .frère et de la smur, leur nourrisson commun; en son petit 
chariot d'osier, il emportait 4e foyer et la patrie ; là devait toujours, 
s'il durait, Jusque dans un monde inconnu, se retrouver la Souabe... 
Ah I que de choses, ils auront, ces enfants, i faire et à souffrir I En 
regardant l'atné, sa belle tête sérieuse. Je le bénis de corar, et le douai, 
autant qu'il était en moi. 

1 On méprise trop ces remplaçants. M. Titien qui, comme membre 
d'une commission de la Chambre, a fait une enquête à ce si||et, m'a 
fsft rhouneur de me dire que leurs motifs étaient sauvent trè»4ouidiIes, 
venir en aide à la famille, acquérir une petite propriété^ etc. 

* Aucun peintre de mmurs, romancier, socialiste, que Je sache, n-a 
daigné nous parler de la nourrice. Il 7 a pourtant là une triste histoire 
qu'on ne connaît pas assez. On ne sait pas combien ces pauvres fem- 
meii sont exploitées et mal menées, d'abord par les voitures qui les 
transportent (souvent à peine accouchées), ot ensuite par les bureaux 
qui les reçoivent. Prises comme nourrices sur U$Uf Û faut qu'elles 
renvoient leur enfant, qui souvent en meurt. Elles n'ont aucun traité 

3 



96 IL PORTE BNtlE A L'OUVRIER. 

L'ouvrîer, pour peu qu'U gagne bien sâ vie, est 
Tobjet de Fenvie du paysan. Lui qui appelle bour- 
geois le fabricant, il est un bourgeois pour 
rhomme de la campagne. Celui-ci le voit le di- 
mancbe se promena Têtu comme un Monsieur, 
Attaché à la terre, il croit qu'un homme qui porte 
avec lui son métier, qui travaîfte sans s'i nquiéter des 
saisons, de la gelée ni de la grêle, est libre conune 
Toiseau. IlignQreetneveutpointvoirlesseFvitadM 
derhomme d'industrie. Il en jugèd'àprës le jeune 
ouvrier vqyageur qu'il rencontre sur les routes, 
faisant son tour de France, qui gagne à chaque 
halte pour le séjour et le voyage, puis, reprenant 
la longue canne de compagnonnage et le petit pa- 
quet, s'achemine vers une autre ville en chantant 
ses chansons. 

avec 1« famille qui lea loae, et peuvent eue ronvayée» ao f s^mier.ea- 
price de la mère, de la garde, da médecin ; ai le .ohipgemeBt d'air et 
de vie leur tarit lenr la|t».fllee sont ranvoy^ea aana ipdewrité. 81 elles 
restent, elles prennent ici )ea.ka)>itodea de l'aisance» et a^nffirent int- 
niment quand il leur faut rentrer dans leur vie pauvre ; pluaieura se faut 
domestiques, pour ne plus quitter la ville» elloa ne rejoignent plua leur 
n^aii, et la faoûUe est vonpue. 



CHAPITRE U. 

Servitudes de reavrieir dépendant des machines. 

€ Que la ville est brillante ! que la campagne est 
triste et pauvre ! > Voilà ce que vous entendez dire 
aux paysans qui viennent voir la ville aux jours de 
fête. Ds ne savent pas que si la campagne est^ai^- 
vre, la ville, avec tout son éclat, est peut-être plus 
misérable ^. Peu de gens au reste font cette dis- 
tinction. 

Regardez le dimanche aux barrières ces deux 
foules qui vont en sens inverse, Touvr^ef y^rs ja 
campagne, le paysan vers la ville. Entre ces deux 
mouvements qui semblent analogues, la différence 

*■ Distindion posée fort nettement dans TottVNge'de l'estina^le (et 
regrettable!) M. Buret : De la miêèrê^ etc., 18*0; Il a peal<-étre dans 
cet ouvrage accneilli trop facilement les exagérations des enqaétes 
anglaises. 



28 LE PAYSAN 

est grande. Celui du paysan n'est pas une simple 
promenade ; il admire tout à la ville, il désire tout , 
il y restera, s'il le peut. 

Qu'il y regarde. La campagne, une fois quittée, 
on n'y retourne guère. Ceux qui viennent conune 
domestiques et qui partagent la plupart des jouis- 
sances des maîtres, ne se soucient nullement de 
revenir à leur vie d'abstinence. Ceux qui se font 
ouvriers des manufactures voudraient retourner 
aux champs, qu'ils ne le pourraient ; ils sont en 
peu de temps énervés, incapables de supporter les 
rudes travaux, les variations rapides du chaud, du 
froid : le grand air les tuerait. 

Si la ville est tellement absorbante, il ne faut 
pas trop l'en accuser, ce semble ; elle repousse le 
paysan autant qu'il est en elle, par des octrois ter- 
ribles, par rénorme cherté du prix des vivres. As- 
siégée par ces foules, elle essaie ainsi de chasser 
l'assaillant. Mais rien ne le rebute; nulle condi- 
tion n'est assez dure. Il entrera, comme on vou- 
dra, domestique, ouvrier, simple aide des machines 
et machine lui-même. On se rappelle ces ancien- 
nes populations italiques qui, dans leur frénétique 
désir d'entrer dans Rome, se vendaient comme es- 
claves, pour y devenir plus tard affranchis, citoyens. 

Le paysan ne se laisse pas effrayer par les 



ÉBUGRE DANS LA VILLE. 29 

plaintes de l'ouvrier, par les peintures terribles 
qu'on lui fait de sa situation. Il ne comprend pas» 
lui qui gagne un franc ou deux, qu'avec des 
salaires de trois, quatre ou cinq francs, on puisse 
être misérable, c Mais les variations du travsdl? 
les chômages? > Qu'importe? Il économisait sur 
ses faibles journées, combien plus aisément sur 
un si gros salsdre il épargnera pour: le mauvais 
temps ! 

Même en mettant le gain à part, la yïe est plus 
douce à la ville. On y travaille généralement à cou- 
vert ; cela seul, d'avoir un toit sur la tête, semble 
une grande amélioration ; Sans parler de la chaleur, 
le froid dans nos climats est une souflôrance, pour 
ceux même qui y semblent le plus h^itués. J'ai 
passé pour ma part bien des hivers sans feu^ sans 
être moins sensible au froid. Quand la gelée cessait, 
j'éprouvais un bonheur auquel peu de jouissances 
sont comparables. Au printemps, c'était un ravis- 
sement. Ces changements de saisons, » indiffé- 
rents pour les riches, font le fond de la vie du pau- 
vre, ses vrais événements. 

Le paysan gagne encore en entrant à la ville, 
sous le rapport de la nourriture; elle est, sinon 
plus saine, au moins plus savoureuse. H n'est pas 
rare, dans lès premiers mois du séjour, de le voir 



30 LE PAYSAU EMIGRE 

engraisser. En récompense, son teint diange, et 
ce n'est pas en bien. C'est qu'il a perdu, danô sa 
transplantation, une chose très-vitale, et mêipe 
nutritive, qui seule explique comment les travail- 
leurs de la pampagne restent forts avec des alinients 
très-peu réparateurs ; cette chose, c'est l'air libre, 
l'air pur, rafraîchi sans cesse, renouvelé des par- 
fums végétaux. L'air des villes est-il aussi mal- 
sain qu'on le dit, je ne le crois pas ; mais il l'est à 
coup sûr dan^ les misérables logis oii s'eataséent 
la nuit un si ^and nombre de pauvres ouvriers, 
entre les fdles elles voleurs. 

Le paysan n'a pas^compté cela. U n'a pas compté 
davantage qu'en gagnant plus d'argent à la ville, il 
perdait son trésor, i— la sobriété, l'épargne, l'ava- 
rice, s'il faut trancher le mot. Il est facile d'épar- 
gner, loin des tentations de dépense, lorsqu'un 
seul plaisir se présente, celui d'épargner. Mais 
combien est-ce dilBctle, quelle force faut-il, quelle 
domination de soi^^-même, pour tenir l'argent cap- 
tif et la poche sœllée, quand tout sollicite à l'ou- 
vrir! Ajoutez que la Caisse d'épargne qui garde 
un argent invisible, ne donne nijdlement les émo- 
tions du trésor que le paysan enteir^ et déterre 
avec tant de plaisir, de mystère et de peur ; encore 
moins, y a-^t-il là le charme d'une jolie pièce de 



DANS LA VU.LB ET SB FAIT OUVRIER. 31 

terre qu'on voit toujours^ qu'on, remtie toujours, 
qu'on veut toujours étendre. 

Certes, l'ouvrieif a besoin d'ube grande vertu 
pour épargner. S'il est facile, bon enfant et se 
laisse aller aux eamarades, mille dépenses va- 
riables emportent tout, le cabaret, le café et le 
reste. S'il est sérieux, honnête, il se marie dans 
quelque bon moment, où l'ouvrage va bieifi; la 
femme gagne peu> puis rien» quand elle a des 
enfents; l'homme, à Taise quand it était garçon, 
ne sait comment faire face à cette dépense, fixe, 
ac€fid>lante, qui revient tous les jours. 

Il y avait Jadis, outre les droits d'etiti*ée. Une 
autre barrière qui repoussait le paysan des villes et 
Fémpêchait de fee faire ouvtier ; cette barrière était 
la difficulté d'entrer dans un métier, la longueur 
de l'apprentissage , l'esprit d'exclusion des con- 
fréries et corporations. Les familles industrielles 
prenaient peu d'apprentis, le plus souvent leurs en- 
fonts qu'elles échangeaient entre elles. Aujourd'hui 
de nouveaux métiers se sont créés, qui ne deman- 
dent guère d'apprentissage et reçoivent un homme 
quelconque. Le véritable ouvrier, dans ces mé- 
ti^s, e'est la madbine ; l'hoBime n'a pas^ besoin de 
beaucoup de forcé, nî d'adresse; il est là seu- 
lemœt pour wrveiUer» aider cçt ouvrier de fer. 



52 IMPLUENGB DÉMOCRATIQUE 

Cette malheureuse population asservie aux ma- 
chines comprend quatre cent mille âmes» ou un 
peu plus ^. C'est environ la quinzième partie 

i Ceux qui étendent ce ehifflre, y comprennent des oavriera ioccii» 
pés, il est vrai, dans les manuractares qui emploient des machines, 
mais nullement asservis aux machines. GeuxHsi sont et seront toujours 
une exception. ^L*extension du maekiniime (po«r désigner ee système 
d*un mot) est-elle i craindre? La machine doit-elle tout envahir? La 
France deviendra-t-elle sous ce rapport une Angleterre? — A ces 
questions graves. Je réponds sans hésiter : Non. Il ne faut pas 'juger 
de l'extension de ce système par Tépoque de la grande guerre < 
péenne où il a été surexcité par des primes monstrueuses que le;( 
merce ordinaire n'offire point. Éminemment propre i abaisser le prix 
des objets qui doivent descendre dans toutes les classes, il a répoi^ndu à 
un besoin immense, celui des classes inrérieures, qui, dans un moment 
d'ascension rapide, ont voulu tout d'abord avoir le comfortable, le 
brillant même, mais en se contentant d'un brillant médiocre, sonvent 
vulgaire, et, comme on dit, de fabrique. Quoique, par un effort |admi- 
rable, la manufacture se soit élevée A des produits très-beaux qu'on 
ne pouvait attendre, ces produits, fabriqués en gros et par des moyens 
uniformes, sont irrémédiablement marqués d'un caractère monotone. 
Le progrés du goût rend sensible cette monotonie, et la fait parfois 
trouver ennuyeuse. Telle œuvre irrégulière des arts non mécaniques 
cliarme l'œil et l'esprit plus que ces irréprochables ckefr-d'œnTre in- 
dustriels qui rappellent tristement par l'absence de vie le métal qui fut 
leur père, et leur mère, la vapeur. 

Ajoutez que chaque homme maintenant ne Veut plus être teiie eiatee, 
mais Ul hommes il veut être lui-même ; par suite, il doit souvent faire 
moins de cas des produits fabriqués par elanes, sans individualité qui 
réponde A la sienne. Le monde avance dans cette route ; chacun veut, 
tout en comprenant mien le général, caractériser son indiptéutUiU, D 
est très'vraisemblable que,toute cboee égale d'eiUeurs, onpréférerA aux 
fabrications uniformes des machines les produits varil^s sans cesse qui 
portent l'empreinte de la personnalité b«naine,qtti pour «lier à Vhaum^t 



DE LA MANUPACTCBE. 33 

de nos ouvriers. Tout ce qui ne sait rien faire, 
vient s'offrir aux manufactures pour servir les 
machines. Plus il en vient, plus le salaire baisse, 
plus ils sont misérables. D'autre part, la mar- 
chandise, fabriquée ainsi à vil prix, descend à 
la portée des pauvres, en sorte que la misère de 
Touvrier-machine diminue quelque peu la misère 
des ouvriers et paysans, qui très-probablement 
sont soixante-dix fois plus nombreux. 

C*est ce que nous avons vu en 1842. La fila- 
ture était aux abois. Elle étouffait; les magasins 
crevaient, nul écoulement. Le fabricant terrifié 
n'osait ni travailler, ni chômer avec ces dévorantes 
machines; l'usure ne chôme pas; il faisait des 
demi-journées, et il encombrait l'encombrement. 
Les prix baissaient, en vain ; nouvelles baisses, 
jusqu'à ce que le coton fiït tombé à six sols. .• Là, 
il y eut une chose inattendue. Ce mot six soh, fut 
un réveil. Des millions d'acheteurs, de pauvre» 
gens qui n'achetaient jamais, se mirent en mouve- 

et changer» eomne il châDge, partent de rbonime Immédiatement. — 
LA est le véritable avenir de la France industrielle, "bien pins qae dans 
la fabrication méeantqne où elle reste inférieure. — An reste^ les deux 
systèmes se prêtent on mntnel appui. Pins les premiers beseiittS seront 
satisfaiu A bas prix par les machines, pins le goAt s*élèf era an-dessus 
des produits du machiqiame, et recherchera les prodnila d'un art tout 
personnel. 



U INFLUENCE DÉMOCRATIQUE 

ment. On vit alors quel ûnmeiHie et puissant con- 
sommateur est le peuple, quand il s'en mêle. Les 
magasins âœent vidés d'un coup. Les machines se 
remirent à travailler avec furie; les cheminées fil- 
mèrent... Ce fiit une révolution en France, peu 
remarquée, mais grande ; révolution dans la pro*- 
preté, embellissement subit dans le ménage pau-* 
vre; linge de corps, linge de lit, de table, de 
fenêtres : des classes entières en eur^t, qui n'en 
avaient pas eu depuis l'origine du monde. 

On le comprend assez, sans autre exemple : la 
machine, qui semble une force tout aristocratique 
par la centralisation de capitaux qu'elle suppose, 
n'en est pas moins, par le bon marché et la vul- 
garisation de ses produits, un très-puissant agent 
du progrès démocratique; elle met à \^ portée 
des plus pauvres une foule d'objets d'utilité, de 
luxe même et d'art, dont ils ne pouvaient appro- 
cher. La laine, grâceà Dieu, a desc^du partout 
au peuple , ^t le réchauffe. La soie commence à le 
parer. Mais la grande et capitale révolution a été 
l'indienne. Il a fellu l'effort combiné de la science 
et de l'art pour forcer un tissu rebelle , ingrat, le 
coton, à subir chaque jour tant de transformations 
brillantes, puis transformé ainsi, le répandre par- 
tout, le mettre à la portée des pauvres. Toute 



DE LA MANUFACTCKE. 35 

femme partait jadis une robe bleue ou noire qu'elle 
gardait dix ans sans la laver, de peur qu'elle ne 
s'en allât en lambeaux. Aujourd'hui, son mari, 
pauvre ouvrier , au prix d'une journée de travail , 
la couvre d'un vêtement de fleurs. Tout ce peuple 
de femmes qui présente sur nos promenades une 
éblouissante iris de mille couleurs, naguère était 
en deuil. 

Ces changements qu'on croit fiitiles, ont une 
portée immense. Ce ne sont pas là de simples 
améliorations matérielles, c'est un progrès du 
peuple daûs l'extérieur et l'apparence, sur les- 
quels les hommes se jugent entre eux; c'est, pour 
ainsi parler, Yégalité visible, D s'élève parla à des 
idées nouvelles qu'autrement il n'atteignait pas ; 
la mode et le goût sont pour lui une initiation dans 
l'art. Ajoutez, chose plus grave encore, que l'habit 
impose à celui même qui le porte ; il veut en être di- 
gne, et s'eflforce d'y répondre par sa tenue morale. 

n ne faut pas moins, en vérité, que ce progrès 
de tous, l'avantage évident des masses, pour nous 
faire accepter la dure condition dont il faut l'ache- 
ter, celle d'avoir, au milieu d'un peuple d'hommes, 
un misérable petit peuple d'hommes-machines qui 
vivent à moitié, qui produisent dés choses mer- 
veilleuses, et qui ne se reproduisent pas eux* 



36 AVILISSEMENT DB VHOMME 

mémes^ qui n'engendrent que pour h mort» et ne 
se perpétuent qu'en absorbant sans cesse d'autres 
populations qui se perdent là pour toujours. 

Avoir, dans les machines, créé des créateurs, 
de puissants ouvriers qui poursuivent invariable- 
ment l'œuvre qui leur fut imposée une fois, certes, 
c'est une grande tentation d'orgueil. Mais à côté, 
quelle humiliation, de voir en face de la machine, 
l'homme tombé si bas! . . La tète tourne, etleoœur se 
serre, quand, pour la première fois, on parcourt ces 
maisons fées, où le fer et le cuivre éblouissants, 
polis, semblent aller d'eux-mêmes, ont l'air de 
penser, de vouloir, tandis que l'homme faible et 
pâle est l'humble serviteur de ces géants d'ader. 
c Regardez, me disait un manufacturier, cette 
ingénieuse et puissante machine qui. prend d'af- 
freux chiffons et, les £ûsant passer, sans se trom- 
per jamais, par les transformations les plus com- 
pliquées, les rend en tissus aussi beaux que les 
plus belles soies de Vérone ! » J'admirais triste- 
ment; il m'était impossible de ne pas voir en 
même temps ces pitoyables visages d'hommes, ces 
jeunes filles fanées, ces enfants tortus ou bouffis. 
Beaucoup de gens sensibles, pour ne pas trop 
souffrir de leur compassion, la font taire, en disant 
• bien vile que cette population n'a une si triste 



QUI tiamm des magbuibs. m 

appflffenee que parce qu'elle est mauvaiie^ gâtée, 
fonciër^QBeut corpompué. Us la jugent ordinaire- 
ment sur le,m(»nent où elle est le plus choquante 
à voir» aur Vaspect qu'elle présente à la sortie de 
la manufacture, brsque la cloche la. jette tout à 
coup dans la rue. Cette sortie est toujours 
bruyantip. Les hommes parient très-haut, vous 
diriez qu'ils disputât; 1^ filles s'appeQent d'une 
voix criarde ou rarouée ; les enfants se battent et 
jcsttent des pierres, ils s'agitent avec violence. Ce 
spectacle n'est pas beau à voir^;^ le passant se dé- 
tourne; la dame a peur,, die croit qu'une émeute 
commence, et prend une autre ri^. 

Il ne faut pas se délayraer. Il &ut eirt^er dsms 
la maiHifacture» quand elle est «i travaU, et l'on 
comprend cpie. ce ^lefice, cette captivité pendant 
de longues heures, commandeait, à la sortie, pour 
le rétabtissement de l'équiUbre vitd, le bruit, les 
cris, le mouvement. Cela est vrai surtout pour les 
grands ateliers de filage et tissage, véritable en(&r 
de l'ennui. Toujours, toujours, toujours, c'est le 
mot invariable que tomie à votre oreille le roule- 
ment automatique dont tremblent les planchers. 
Jamais l'on ne s'y habitue. Au bout de vingt ans^ 
emnme au premier jour, l'ennui, Tétourdissement 
sont les mêmes> et l'afiadissement. Le cœur bat-il 

3 



dans cette foule? bien peu, son acttoti est i^ôminé 
suspendue; il seihble> pendant ees longes heu- 
res, qu'un autre oœur, commun à tmis^ ait pris la 
place^ cœur métallique, indifférent, impitoyable^ 
et que ce grand bruit assourdissant dans sa régu- 
larité, n'en soit que le battement. 

Le travail solitaire du tissa^and était bieti moins 
pénible. Pourquoi? e'est qp^*û pouvait révei". La 
maèfaiiie ne comporte aucuiie réirerie, nulle dis- 
trà^tiin» Voua toudribi un moment ralmilir le 
mouveitoMt) sauf à le presser plus tattl^ tous m 
le pourriez pas. L'infatigable chariot aux cent 
broches est à peine repoussé, qu'il refient à vous. 
Le iisswand à la main, tîss^ Vite ou tefatehieut be- 
km qu'il respire ieiltement 4m vite ; il agit comme 
il vit; le métier se Conforme à l'homme. Là^ au 
contraire, il faut bien que l'homme se conforme 
au métier, que l'être de sang et de chsdr où la vie 
varie sdon les heures, subisse l'invariabihté de 
cet être d'acier. 

Il arrive dans les fravaux manuels qui suivent 
notre impulsion, c^ue notre pensée intime, s'i- 
dentifie le travail^ le met à son degré, et que 
l'instrument inerte à qui l'on donne le mouve^ 
ment, loin d'être un obstacle au mouvement 
spirituel en devient l'aide et te compagnon. Les 



DB L'OimUtÉ SOLITAtRB. S^ 

tiMâr^s mystiques du moyen âge ftffeut célè- 
bres sous le nom de Mlûrds, pprbé qu'en eSéU 
tout en trafvâHsÉif» i\6 Mlaient, chanbdeiit à voix 
basse, ou du moins en esprit, quelque chant dtf 
nourrice. Le liiythme de la navrtte, lancée et râ^ 
menée à temps égatlx, s'assôeiait au rhythme dil 
cosnr ; le soir, il se trouvait sotivMit qu'Avec! là toile, 
s'était tinsue, aux mêmes ilombféë^ tm hytene> më 
complainte. 

kûM qtid changent ^oiàr eelAi qui èèt ferdé 
de quitter le travail dMUMtiique pour eiitrer k là 
mauufàetul^t QUittef Mil p»»fté 'éfiez â<H\ lés 
meubleii ventidûlus de la flftiiHe» tant île vit^b 
choses aimées*, cela eét dur, plus du^ ëneom de 
renoncer à la libre possession do soff imé. Ceé 
vastes atefi^rs tout hlmek, tout i^bfe ^ inondés de 
lumière, blessent Tœil accoutumé aux ombres 
d^an logis obscur. Là, nuHe obicurité oii la pensée 
se plonge, nul angle sombre oii fimagiiiatii»! 
piilsse sœpéndré son rêve ; {loint d'illusion pos« 
sible , Sous un tel jour y qui «us eei^se avénitdu^ 
Mment dfe là réalité: Ne nous étonnons pas si nos 
tiëselrailds dé Roueit^ nos tisserands fknçaifii da 



qa'écriTîl Ton d'eax : Noirét, Mémoires d*aa ouvrier RoueniMis , i856« 
li déel«re qa*ils ne font plm d'apprentis. 



40 infORAUTÊ PRBPQIBi PATALB 

Londres, ont résilié à cette nécesàté, de tout leur 
courage» de leur stoiquje.patieiice , aimant mieux 
jeûner et mourir, mais mourir au foyer. On leis a 
Vus longtemps lutter du faible bras de Thomme , 
d'un bras amaigri par la &^m, confire la fécondité 
Inillante, impitoyable, de ces terribles Brim^ées de 
l'industrie qui, jour et nuit, poussés^ par la i^^ap^ur, 
feravâUleat de mille bras à la fcis; à chaque per- 
fectionnement de la machine, son rival infortuné 
ajoutait à son travafl, diminuait de sa nourriture. 
Notre eobnie des tkksenmds de Londres s'est 
étante ainsi peu àpeu. Pauvres gens, si honnêtes» 
d'une vie si résignée et si innocente,.pour qui Tin-* 
^ence et la faim ne dirent jamais une tentation ! 
Dans leur misérable Spitsdfield, ils oultivaiept les 
fleurs avec intdUgwoe; Londres mmait à les vi-* 
siter. 

J'ai parlé tout àPheure des tisserands de Flan- 
dre au moyen âge, des Lollards,Béghards,.comme 
on les appelât. L'Église, qui souvent les persécuta 
comme hérétiques , ne reprocha jamais à ces ré- 
yeurs qu'une seule chose : Y amour ; l'amour 
exalté et subtil pour l'invisible amant, pour Dieu ; 
ptffois aussi l'amour vulgaire, sous les formes 
qu'il prend dais les centres populeux de l'indus- 
trie, vulgaire, et néanmoins mystique, enseijgnant 



DE L*OUVRIER MACHINE. 41 

pour doetrinfe une eomniuoauté plus que fréter- 
nette qui deyait mettre un paradis sensuel id-bas. 

Cette tendance à la sensualité est la même chez 
ceux d'aujourd'hui^ qui d'aiUeurs n'ont pas, pour 
s'élever au-dessus, larêverie poétique. Un puritain 
anglais, qui de nos jours a fait un tableau délicieux 
du bonheur dont jouit l'ouvrier des manufactures, 
avoue que la chair s*y échauffe fort et s'y révolte. 
Cela ne vient pas seulement du rapprochement 
des sexes, de la température, etc. H y a une cause 
morale. C'est justement parce que la manu&cture 
est un monde de fer, où l'homme ne sent partout 
que la dureté et le froid du métal, qu'il seTappro- 
che d'autant plus de la femme, dans ses moments 
de liberté. L'stolier mécimique, c'est le règne de 
là nécessité, de la fatalité. Tout ce qui y entre de 
vivant, c'^st la sévérité du cpntre-msdtre; on y 
punit souvent, on n'y récompense jamais. L'homme 
se sent là si peu homme, que dès qu'il en sort, il 
doit chercher avidement la plus vive exaltation des 
facultés humaines, celle qui concentre le senti- 
ment d'une immense liberté dans le court moment 
d'un beau rêve. Cette exaltation, c'est l'ivresse, 
surtout celle de l'amour. 

Malheureusement, l'ennui, la monotonie à la- 
quelle ces captifs éprouvent lé besoin d'échapper. 



41 iMifaiui.iT£ ^wmm nt alb 

les rendent, danp ce que kur^ a ée libre, incap»? 
blés ieÛxité, amisdu changement. L'amour^ cfaan^ 
géant toujours d^bjet, n'est plus rameur, ce tt*«st 
plus; que débauche. Le remède est pire que le 
mal ; éqervés par Taiiservissêment du travail, ils le 
sont encore plus p»r Tabus de la liberté^ 

Faiblesse physique, impuissance asorale. Le 
sentiment de ^impuissance est une des grandes 
misères de cette condition. Cet homme, si fâable 
devant la machitie et qui la suit dans tous sesmo«- 
vemeiH;s, il dépend du maître de h manufacture^ 
et dépend plus encore de miHe causes inconnues 
qui d^un moment à l'autre peuvent feire manquer 
l'ouvrage et lui èter son pain. Les anciens 
tisserands, qui pourtant n'étaient pas, comn^ 
ceux-K^i, les sgrfe de la machine, avouaient hum-^ 
bleiâent cette impuissance, l'enseignaient, c^éteit 
leur théologie : t Dieu peut tout, l'homme rien. 9 
Le vrai nom de cette classe, c'est le premier que 
l'Italie leur donne au moyen âge : HumiliaH^. 

1 J'ai plusieurs fois, dans oies cours et mes livres (surtout au t. V de 
THistoire de France) esquissé rhistolre de l'industrie. Pour la corn- 
prendce. cependant, il ,faiidrait remonter .ploi kamlr n» p«i rent&sager 
d'abord, comme on fait, dans ces grandes et puissantes corporations 
qui dominent la cité même. Il faudrait prendre d'abord le travailleur, 
dans ton humble origine, méprisé comme il fut à son priacipe, lorsque 
le pcimitif baliUaBt.d« U «ille, pcof^ié^life de U| banlieue, l§t mai^ 



DS L*QUVRIBR MACHINE. |5 

Les nôtres ne se réâgnent pas si aisément. 
Sortis de races militaires, ils font sans cesse effort 
pour se relever, ils voudrsaent rester hommes. Ils 
cherchent, autant qu'ils peuvent, une fausse éner- 
gie dans le vin. En faut-il beaucoup pour être ivre? 
Observez au cabaret même, si vous pouvez sur- 
monter ce dégoût: vous v^rez qu'un homme en 
état ordin^re, buvant du vin non frelaté, boirait 
dien davantage, sans inconvénient. Mais, pour celui 
qui ne boit pas de vii) tous les jours, qui sort énervé, 
affi^di pw Tatmosphèfe de l'atelier, qui ne boit, 
sous le nœn de vin» qu'un misérable mélange al^ 
çQoUque^ Vivresse est infaiUible. 

Extrême dépendance physique, réekimalims de 
}a vie instinctive qui tournent eneore en dépen- 
dwee, impuissance lûorde et vide de l'esprit^ 
voilfi Iqs causes de leurs vices Ne la ch^chez pas 
tant, comme on fait aujourd'hui, dans les causes 
extérieures, par exemple, dans Tinconvénient que 
présente la réunion d'une foule en un même lieu : 
Gomm^ si la nature humadne était si ipauvmse que 

chand même qui y avait halle, cloche et jastice, s'accordaient pour mé- 
priser Touvrier, Vongle bleu, comme ils rappelaient, lorsqae le bour- 
geois le reeenit A peine hors la Tille à l'ombre des murs, entre deux 
enceintes (pfahlbnrg), lorsqu'il était défendu de lui faire justiee s'il ne 
pouvait payer impdt, lorsqu'on lui fixait avec un arbitraire bizarp le 
prfet anqMi fl pouvtit Yendre^ tant ani; riches, tant aux pauvres, etc. 



41 LÂPEMlffl; 

pour se gâter tout à fait, il suffit de se réunir. 
Voilà nos philanthropes, sur cette belle idée, qui 
travaillept à isoler les hommes, à les murer, s'ils 
peuvent; ils ne croient pouvoir préserver ou gué- 
rir l'homme inor£d,qu'enlui bâtissant des sépulcres. 

Cette foule n'est pas mauvaise en soi. Ses dés- 
ordres dérivent en grande partie de sa condi- 
tion,^ de son assujettissement à l'ordre mécani- 
que qui pour les corps vivants est lui-même un 
désordre, une mort, et qui par cela provoque, 
dans les rares moments de liberté, de violette re- 
tours à là vie., Si quelque chose ressemble à la fa- 
talité, c'est bien ceci. Gomme elle pèse durement, 
presque invinciblement, cette fatalité, sur l'en- 
fant et la femme ! Celle*-ci qu'on plaint moins , est 
peut-être encore plus à plaindre; elle a double 
servage ; esclave du travail, elle gagne si peu de 
sesmainsqu'il faut que la malhéur^se gs^ne aussi 
de sa jeunesse, du plaisir qu'elle donne. Vieille, 
que devient-elle?... La nature a porté une loi sur 
la femme, que la vie lui fiiit impossible, à moins 
d'être appuyée sur l'homme. 

Dans la violence du grand duel entre l'Angle- 
terre et la France, lorsque les manufacturiers an- 
glais vinrent dire à M.Pitt que les salaires élevés 
de l'ouvrier les mettaient horsd'état de payer Tim- 



L*ENrANT, 45 

pôt> U dit un mot terrible : « Prenez les en&nts. » 
Ce mot-là pèse lourdement sur l'Angleterre, 
comme une malédiction. Depuis ce temps, la race 
y baisse; ce peuple, jadis athlétique, s'énerve et 
s'affaiblit; qu'est devenue cette fleur de teint et de 
firaicheur qui faisait tant admirer la jeunesse an* 
glaise?... fanée, flétrie... On a cruM. I^tt, on 
a pris les enfants. 

Profitons de cette leçon. H s'agit de l'avenir; la 
loi doit être ici plus prévoyante que le père; l'en- 
^t doit trouver, au défaut de sa mëre, une mère 
dans la patrie. Elle lui ouvrira l'école comme 
asile, comme repos, comme protection contre 
l'atelier. 

Le vide de l'esprit, nous l'avons dit, l'absence 
de tout intérêt intellectuel est une des causes 
principales de l'abaissement de l'ouvrier des ma- 
nufactures. Un travail qui ne demande ni force ni 
adresse, qui ne sollicite jamais la pensée! Rien, 
rien, et toujours jrien!... Nulle force morale ne 
tiendrait à cela! L'école doit donner au jeune es- 
prit qu'un tel travail ne relèvera pas, quelque idée 
haute et généreuse qui lui revienne dans ces 
grandes journées vides, le soutienne dans l'ennui 
des longues heures. 

Dans le présent état des choses, les écoles, orga- 



le COMPARÉ A (^m PP§ CAMPAGNES. 

fatigue à la fatigue. CeUei^ du sciir «out, gp^r |s^ 
plupart, une clérision. (magi^z ces panures petits) 
qui, partis avant JQur, re^^nneot las et mou^lfis^ 
à ifne lieue^ ^eux lieues de ]|Iu)bpuse., qui, ^ 
lanteroe à 1^ ip^iq^ gUssenf, tré^uçl^^i^t le sokr 
pip* \^ S9n)ipfs bçii^^ux ^e Dévil|e, appelez-les 
alors pour commencer Tétude et l^f^tr^ ? Ter 
polel 

OueUps gHp sp jpç); le^ ïptfère^ du paypau, H y g^ 
eu les caDfip^Rt ^ c|9)les clont nou^. ^q^^ qecHp<u{6 
ici, upe |»rFiI}l^ 4i^érpnç3, (^ui n'iijftua pa^ acr 
cideutel}pmei|( surriu4Î¥idu, im^, profoudémput, 
généralement, sur la race même. On peut \^ ^f^ 
d'un mo(; : àlacaïup^gne, rep&nt est {leui^u:^» 

Presque nu, saas sabots, ^yep uo more^^u fie 
pain miv, il ga^e uqe yacbe ou dei^ oies^ il vi^ à 
l'air, il joue. Les travaux agricoles auxqu^^^ ^^ 
Tasa^cie peu à peu^ ne fpnt que |p 1x>i^\i&eT. I^e^ 
précieuse^ années pendsait ^squelle§ Tbommp 
fait §pu corps^ sa fwoe, pour toujours, se pa^seut 
aiu^i pour lui d^ns upp grapd^ libepté^ dans la 
dpucpuf* de 1^ farpil}e. )[a xmui^n?ifi\f te y,qilà fart> 
quoi f^e tif sQufiQ^^ Qu fftsse^^ tu peuiii tpiiur tête à 
la vie. 

Lp i^m\ ^r^ P^ tapd misér^bl^, df pédant 



SOCIABILITE ET BOIT^ QB NOS OUVRIERS. 47 

paut-être ; mais, il a> tout d'abord, gag»^ douze 
aQ6, quinze ans) de liberté* Cela seul met pour lui 
uiie di^érence immense dans la balance du bon- 
heur. 

L'ouvrier de^ manufactures p<»rte toute la vie 
un poids très-lourd, le poids d'une enfance qui l'a 
affaibli de bonne heure, bien souvent eorrompu. 
n est inférieur au paysan pour la fopce physique, 
inférieur pour la régularité des mœurs. Et avec 
tout cela, il a une cho^ qui réclame peur lui : il est 
plu$ sociale et plus doux. Les plus misérablei^ 
d'entre eux, dans leurs plus extrêmes besoins, se 
s(mt sbs/imns de lout acte de violence ; ils ont at-* 
tendu, mourants de faim, et se sont résinés. 

L'auteur de 1^ meilleure enquête de ce temps ^, 

1 Villenné, Tableau de l'état physique et moral des "ouvrien des ma- 
nufactures dp ootoDy etc. (1840). On les a vus, en noT. 19S9, dans un 
chômage qui obligeait le manufacturier A ne garder que les plus an- 
ciens ouvriers , demander i partager entre tous le travail et le salaire, 
pour que personne ne fût renvoyé, t. II, p. 71. Voir aussi I, 89, S66- 
369, et II, 59, lis. — Beaucoup d*entre eux, A qui Ton reproche le 
concubinage, se marieraient, s'ils avaient l'argent et les papiers néces- 
saires, I, 54, et II, 385 (cf. Frégier, II, 160). — A Tassertion de ceux 
qui prétendent que les ouvriers des manufactures gagneraient assex, 
s'ils faisaient un bon usage de leurs salaires, opposons Tobserration 
Judicieuse de M. Villermé (II, 14). Pour qu'ils gagnent assex, il faut, 
selon lui, quatre choses : Qu'ils se portent toujours bien, qu'ils soient 
employés toujours, que chaque ménage n'ait que deux enfants au plus, 
enfin qu'ils n'aient aucun vice... Voili quatre conditions qui se trou- 
veront rarement. 



4g BONTâ DB NOS OUVRIERS. 

ferme et froid observateur qu'on ne soupçonnera 
de nul entraînement, porte en faveur de cette 
classe d'hommes dont il ne dissimule aucunement 
les vices, ce grave témoignage : € Je n'ai trouvé 
chez nos ouvriers qu'une vertu qu'ils possédas- 
sent à un plus haut degré que les classes sociales 
plus heureuses : c'est une disposition naturelle à 
aider, à secourir les autres dans toute espèce de 
besoins. ». 

Je ne sais s'ils n'ont que cette supériorité, 
mais combien elle est grande!... Qu'ils soient 
les moins heureux, et les plus charitables ! qu'ils 
se préservent de l'endurcissement si naturel à la 
misère ! que dans cette servitude extérieure , ils 
gardent un cœur libre de haine, qu'ils aiment 
davantage/. . Âhl c'est là une belle gloire , et qui 
sans doute met l'homme, qu'on croirait dégradé, 
bien haut, au jugement de Dieu ! 



CHAPITRE III. 

Servitudes de l'ouvrier. 

L'enfant qui laisse la manufacture et le service 
de la machine pour entrer apprenti chez un 
maître, monte certainement dans Téchelle in- 
dustrielle; on exige davantage de ses mains et 
de son esprit. Sa vie ne sera pas Taccessoired'ua 
mouvement sans vie, il agira lui-même, il sera 
vraiment ouvrier. 

Progrès dans Tintelligence , progrès dans la 
souffrance. La machine était réglée, et l'homme 
ne l'est pas^. Elle était impassible, sans caprice, 

1 M. Léon Faacher a marqué aâmiraUement ees différeaces dans son 
mémoire sor le Tracaii des enfanU d Paris (Revue des Déni-Mondes, 
15 nov. 1844]. Voir aussi, sur TappreDiissage dans Vindustrie parcel- 
laire, le tome II de ses Éiudêt $mr VAngMtrrt ; l'excellent écono- 
miste qni s'est montré là trèa^rand écrivain, noos y révèle, par delà 
Tenfçr des manufactures, un antre enfer qu'on ne soupçonnait pas. ^ 

4 



île DURETÉ DE L'APPBENTISSAGE. 

sans colère, sans brutalité. Elle laissait d'ailleurs 
Tenfant libre, à heure fixe ; au moins la nuit re- 
posait-il. Mais ici, l'apprenti du petit fabricant, le 
jour, la nuit, appartient à son maître. Son tra- 
vail n'est borné que par l'exigence des commandes 
qui pressent plus ou moins. H a le travail, et par- 
dessus, il a toutes les misères du domestiqué; ou- 
tre les caprices du maître^ tous ceux de la famille. 
Ce qui chagrine, irrite le mari ou la femme, re- 
tombe bien souvent sur squ dos. Une faillite ar- 
rive, l'apprenti est battu; le maître revient ivre, 
l'apprenti est battu ; le trayail manque, le trayail 
presse. . . battu également. 

C'est le régime ancien de l'industrie, oui n^était 
que servage. Dans le contrat d'apprentissage, Ip 
maître devient un père, mais c'est pour appliquer le 
mot de Salomon : « N'épargne la verge à ton fils. » 
Dès le treizième siècle, nous voyons l'autorité pu- 
blique intervenir pour modérer cette paternité. 

Et ce n'était pas seulement du m^tre à l'ap- 
prenti qu'il y avait dureté et violence ; dans les 
métiers ou la hiérarchie se compliquait, les coups 
tombaient de degrés en degrés, toujours multi- 
pliant. Certaines nomenclatures du compagnon- 
nage t^rooigoeot eocfiire de cette dureté. Le eom- 
pagnon est hmp ; vexé par le singe, qui est le 



DURETÉ D^ ^A^l^^TJ^GE. ^l 

lçq4^ Iç seiid ^yec n^fisp ^ iopm^ gi^pauv^a f^p- 
preati. 

Pofir être piidtraitéj b^ittu^ dif aifs (|e suite, il 
fallait (|)|^ l'appi^nti p^yât; et il payait à ebaqui; 
4^r(é qii'oi^ j^i pepfnçttait f^ franchir daio^ çptt^ 
rude initiation. Enfin, quand il ^yait ifsé çfxame 
apprenti la corde, comme vallet, le bâton, il su- 
J)issait le jugement d'une corporation intéressée ^ 
se pas augmenter de nombre, i} pouvait être ren-* 
voyé, refusé, sans appel. 

Les portes aujourd'hui sont ouvertes. L'appreur 
tissage est moins long, sinon moins dur. Les ap- 
pf*entis pe sont reçus que trop facilement; le mi- 
sérable petit gain qu'on ea tire (que le maître en 
profite, le père, ou le corps du métier) est une 
tratation continueUe pou4P en faire de nouveaux^ 
et multiplier les ouvriers, au delà du besoin. 

L'ouvrier d'autrefojis, adjpis difficilepient, peu 
nombreux, et jouissant par là d'jme sorte de mo- 
nopole, n'avait nullement les inquiétudes de celui 
d'aujourd'hui. Il gagnait beaucoup moins ^, mais 

i Noas avons parlé pins haut (p. Vf) du salaire des ouvriers des ma- 
nufactures. Si nous voulons étudier le salaire en général , nous 
Iroaverpna que ç^tte question tanf controversée, se réduit à ceci : Isi 
talairei ont augmenié, disent les uns. Et ils ont raison, parce qu'ils 
partent de 1789, ou des temps antérieurs. — Les sn/atreff n'&nt poi 



52 ' EXISTENCE INQUIÈTE 

rarement il manquait d'ouvrage. Gai compagnon 
et leste, il voyageait beaucoup. Où il trouvait à 
travailler, il restait. Son bourgeois le logeait le plus 
souvent, le nourrissait parfois ; sobre nourriture 
et légère; le soir, quand il avait mangé son 
pain sec, il montait au grenier, à la soupente^ et 
s'endormait content. 

augmenté, disent les aatres. Et ils oat raisqn, paVce qa*ils partent de 
1824 ; depuis ce temps, les onvriers de mannractures gagnent moins, et 
les autres n^ont <in*une augmentation illusoire ; le prli 4e raigeni ayant 
changé, celui qui gagne ce qu'il gagnait alors, re^it dans ia réalité un 
tiers de mojns ; celui qui gagnait et qui gagne encore trois francs, ne 
reçoit guère qu'une valeur de deux francs ; ajoutei que les besoins étant 
devenus plus nombreux avec les idées. Il soulfre de n*avoir pas mille 
choses qui alors lui étaient indifférentes. — Les salaires sont tréç-élevés 
en France,' en comparaison de la Suisse et de TAUemagne ; mais ici, les 
besoins sent bien plus vivement sentis. — La moyenne des tmUUm de 
Partie que MM. L. Faucher et L. Blane fixent également à trois franco 
cinquante centimes, est suffisante pour le célibataire, trés-insuffisante 
ponr l'homme marié qui a des enfants.^ Je donne ici la moyenne géné- 
rale des salaires que plusieurs auteurs ont essayé de fixer pour ia 
France, depuis Louis XIV ; mais je ne sais s'il est possible d'établir 
une moyenne pour des éléments si variés : 

1698 (Vauban)... 13 sons. 
47»8 (Saint-Pierre.) 16 
1788 (A. Yonng)... 19 
1S19 (Ghaptal)... 25 
1S3S (Morogne)... 30 
1840 (Yillermé)... 40 

Ceci pour l'indostrie des rilles* Les salaires ont très-peu angmeaté 
pCQl !ç campaçfje. 



DE L'OUVMEft MODERNE ; S5 

Que dechangèmentë snrvenus dans sa condition^ 
en bien, en mal ! amélioration matérielle, condi- 
tion mobile, inquiète, la sombre obscurité du sort! 
Mille éléments nouveaux de souffi*ances morales. 

Ces changements, résufhons-les d'un mot : Il 
est devenu homme. 

Êtrehomtne, au vrai siens, c'est d*abord, c'est 
surtout, avoir une femme. L'ouvrier, rarement 
marié autrefois, l'est souvent aujourd'hui. Marie 
ou non, il retrouve généralement, en rentrant, une 
femme chez lui. Un chez soi, un foyer, une 
femme... Oh! la vie s'est transfigurée. 

Une femme, une famille, des enfants tout à 
l'heure ! La dépense, la misère ! Si l'ouvrage man- • 
quait?... 

Il est fort touchant de voir le soir tout ce monde 
laborieux qui retourne à grands pas. L-homme, 
après cette longue journée passée souvent à une 
lieue de chez lui, après avoir tristement déjeuné, 
dîné seul, cet homme qui est resté quinze heures 
debout, quelles jambes il a le soir ! ... Il vole au 
nid... Être homme une heure par jour, ail fedt, ce 
n'est pas trop. 

Chose sainte ! lui, il apporté le pain à la mai- 
son, et une fois arrivé, il se repose, il n'est plus 
rien, il se remet, comme un enfant, â la femme. 



^ SON utak^ , 

Nouirie p9r lui» el|e 1# aourrit et te réchauffe ; 
tous deux servent l'enfaut, qui ne fait rien, qui est 
Ii)>re, qui est maître*.. Que le dernier soit maitrei 
voilà bien la cité de Dieu. 

Le Tic\k9 p'a jainais cette grande jouisi^ance, 
cette suprême bénédiction de l'homme, de nourrir 
chaque JQiir la famille, du meilleur de sa vie, 4e son 
travail. Le pauvre seul est père ; cliaque jour il 
crée encore, et refait les siens.* 

Ce befm mystère est senti de la fen^e nûenj, 
que des sages du monde. Elle est heureuse de tout 
devoh* à l'homme. Gela seul do^nq au ménage 
pauvre qn charme singulier. Là, nulle chose 
étraqgère, iQ^ifférente; tout porte l'empreinte 
d'une main aifhée, tout aie sceau du cœur.L'homme 
ignore le pluq souvent les privations qu'on s'jpi- 
pose p04r qu'en rentrant il retrouve cet inté- 
rieur modeste, orné pourtant. Grande est l'ambi- 
tion de la femme pour le ménage, le vêtement^ le 
linge. Ge dernier article est nouveau; Varrfioire au 
ling0 qui fait l'orguMl de la femme de campagne 
était iqconnue à celle de l'ouvrier des villes, avant 
la révolution industrielle dont j'ai parlé. Propreté, 
pureté, pudeur, ces grâces de la femmç, enchantè- 
rent la maison; le lit s'enveloppa de rideaux, le 
berceau de l'enfant, éblouissant de blapcbeur, de^ 



SA F^VB* HfS 

vint MQ pi^radi^T Le tput tsdllé^ cpii$u en quelques 
veilles... kJQxU^^^y pQCorp ipie fleuB sur \^ oroi- 
^^... Quçll^ surprise! rhomote» au fetour, nere- 
poni^ai{; plu$ ^a maison. 

Ce ^Q\4 d^ llear^ qui s'est répffndi} (il y ep ^ 
ipainteqiiQt ici plusieurs q^archés), ceg petites d^ 
peqçpsi pour prner rifttprif pr, ne soçt-eUes pas 
regrettal:)}es, qu^nd pn ne s^it jamais si Ton ad|» 
travail demaip? -r Ne dites pas dépense^, ditp^ 
économie. C'en est (ing bien grai^cjii^» si Tinooeepte 
séduction de la fempe rpnd pçttç maison cbîff-T 
piante à rhoîpwe, (Çt p|e^t l'y r^t^nûr. Parons, jç 
vpps prie, Ifi fpaison^ et la femu^e elle-même- Q^h 
ques aunes d'indiepne refapt upe mtçj^ femme, I9 
voil^ redevenue jeune pt renouvelée. 

< ^pstp ici, je t'en prie, • C'est le 1^ 
medi aoi^; ellp lui Je|te le br^s^ 9^ cq1| et pUp re^ 
tient lepaip ^e ses en&nts qu'il allait déppnser^^ 

Le diip^che viept^ et ji^ femmp a vaincu^ 
L'homme rasé, changé, se laisse m^tre un bon e); 
chaud vêtpinent. Cela est bientôt fait. Ce qui est 
long, ce qui est une œuvre sérieuse, c'est l'enfant, 
tel qu'on vaut le paier ee jour*4à. Oq part, il 

i L^HNil l« piopiiéltirel 4ewf. pisoféed de U fmn«« qui ne l^ 
pour 8MTM» «MMer ^«igwi é*iu ter»e I «li l« moi» j«Bi«kit 



56 AMBITION DE LA MÈRE. 

marche devant, sous Tœil maternel; qu'il prenne 
garde surtout de gâter ce chef-d'œuvre. 

Regardez bien ces gens, et sachez bien qu'à 
quelque hauteur que vous montiez, vous ne trou- 
verez rien qui soit moralement supérieur. Cette 
femme, c*estla vertu, avec un charme particulier 
de naïve raison et d'adresse pour gouverner la 
force., à son insu. Cet homme, c'est le fort, le pa- 
tient, le courageux, qui porte pouir la société le 
plus grand poids de la vie humaine. Véritable 
compagnon du devoir (beau titre du compagnon- 
nage!), il s'y est tenu fort et ferme, comme un 
soldat au poste. Plus soh métier est dangereux, 
plus sa moralité est sûre. Un célèbre architecte 
sorti du peuple, et qui le connaissait bien, disait 
un jour à un de mes amis : € Les hommes les plus 
honnêtes que j'aie connus étaient dé cette classe. 
Ils savent, en partant le matin, qu'ils peuvent ne 
pas revenir le soir, et Hs sont toujours prêts à pa- 
raître devant Dieu * . » 

Un tel métier, quelque noble qu'il soit, n'est 

1 C*eBt ce qnlB If. Percier disait on Jo«r an direeienr de TÉcole gratuite 
de dessin, M. Belloe. Le spiritael artiste saisit ce mot, et le plaça dans 
tm de ses eieelteiits diseoors (pleins de vues neayes et d*aperçasféeonds), 
«t Ml Peroier, feeoniiiissant de cetheimnaBe renda A ses oottvietioiis les 
plus ehéres, feiida «ne rente po«r l*Éeole, un mois iraat sa nwrt. - 



LE FILS I^VKNT ^TISTE? LETTBÉT 87 

pas oqpeodant cehii qu'une mère souhaite à son 
fils. Le sien promet beaucoup, il ira loin. Les 
Frères en font Téloge, et je caressent fort. Sefl 
dessins» compliments et pièces d'écriture» ornent 
déjà la chambre, entre Napoléon et le Sacré- Cœur • 
n sera, c^tainement envoyé à l'école gratuite de 
dessin. Le père deoiande pourquoi? Le dessin, dit 
la mère, lui servira toujours daçsson métier. Ré-« 
ponse doubla,. ilfautrMOuer, sous laquelle elle 
caehe une bien aujtrç ambijtîoa. Cet en&nt, si 
bien m et <^é, pouifqu^l :¥# ^ers^tnl.paa peintre 
ou sculptoiir, toiit qoipiQe u» autre? EUe se vole 
des sous pour les croyons; povr ce papier si cher. . . 
Son fils> tout à l'heure, va exposer, ^nporter toua 
les prix ; dai^ les songes siat^nels, roide déjà la 
grand nom de Rome. 

. L'ambition maternelle réuswit trop souvent 
ainsi à faire un pauvre ^artiste, très^néces^iteux» 
de celui qui, comme ouvrier, eût mieux gagné sa 
vie. hefk arts ne peuvwt guère produire, même ea 
temps de paix, lorsque tous les gws aisés, spé- 
cijalement loB. Çgaoïunes, au lieu d'acheter des pro- 
4uits d'art, /soiit artistes eiix-^némesw Qu'une 
guerre vienne, wer^vdiiticm, l'art, c'est juste-^ 
ment la famiine. 
Souvent aussi l'artiste; en espérance, dé^ em 



^ SOUlitlUNGÉS DE L'OtiVRIBil ElSTTRÉ. 

f ôuté> t>léiii d'ardeur et de souffle; est arrêté touf 
court i sonpëre tneurt, il fautqu^il aide aux siens ; 
le Toilà ouvrier. GrUiidè douleur ^our la mère, 
gl-andê hVAèûtskûoïki qui ôtent le oourage au jeune 
hoiiitne. 

Toute sa vie, il màtidira lé sert^ il travaillera 
ici, et il aura Tàtaie hilleurs; Cruel tiraillement... 
Et èet)eiidatit rien îie Varrêtéra. Ne venez point 
ici avec vod céltseilâ^ Vdus seriez mal reçu. Il est 
trop tisrè/il faiit qu'il affie à ti^tei^ les obètâdes^ 
Vous I9 ywez tmfmts HuiM^ rôvani; lisant mt 
courtes heures de repas, et le soir, la tt«ii ëd cérë; 
absorbé dans m \ii^^ h dimianehé, ettfeAtlé et 
Sdii^re. Otl se flgu^ à peme ce que b'èst qtië Ifi 
faim de leiiltare^ dans cet état d'espriti Pehdant lé 
travail, et le plus inconciliable de touâ avec Tétudèf 
parmi le roulement, le tt*emblemebt de vingt nié- 
tiers, un malfaeoi*eu!!L flleur que J'ai cdhnu, met^ 
tait un livre au coin de sou métier^ et lisait Une 
Kgne chaque jfols que le chariot reeulâit et faii lais-^ 
saituné seconde. 

-Que la fournée est lôUgue, quand elle passe 
ainsi t c^'irri(àu(^ Mtkt les demiëreÉrheùfési ! Pànt 
celui qui atteM la etoéhe et maudit 6es retardé, 
l'odieux atelier, au jour tombant, samblè tout fkfl-^ 
tasticpié; les démons de limpatience se jouent 



SOUFFRANCES DE L'OUVRIER LETTRÉ. 99 

cHiéHemetit daÂs ces ombres... « liberté! îti- 
mière ! ihe laissez-vous là pour loujoiu's? » 

Je plains sa famille, au retour, s'il a une famille. 
Un homme acharné à ce combat, et tout pi^éoc- 
ciipé du progrès personnel, met le reste bien loin 
après. La faculté d^aimer diminué dans cette vie 
sombre. On aime moins la lamille, elle importune; 
oïl se détache même de la patrie, on lui impiite 
^injustice du sort. 

Le père de l'ouvrier lettré, plus grossier et pltiô 
lourd, inférieur de tant de manières, àvaît héan- 
moiilii plus d*ùh avantage sur son fils. Lé senti- 
ment tiational ëtët chez lui bien plus puissant; 
il pensait moins aii genre humain, davantage à la 
France. La gi*ande famille française, et ba chère 
petite femille, c'était son monde, il y mettait son 
cœur: Ce charmant intérieur, ce doux métiagë que 
nous admirions, hélas ! que sont-ilâ deventiô t 

La science en elle-même ne sèche point le 
cœur, ne le refroidit point. Si elle produit ici 
cet effet, c'est qu'elle n'airi^e à l'esprit que ré- 
trécîe crudlement. Elle ne se présente paé sôùS 
son joilr naturel, dans sa vraie et coihplète lumière, 
mais obliquement, partiellement, comme ces jours 
étroits et faux que reçoit ubé cave. Elle ne i^end 
point hainéu:!C, envieux, par ce qu^élIe fait savoir. 



60 CULTURE QU*IL SE BONNE. 

m^s par ce qu'elle laisse ignorer. Celui par exem- 
ple qui ne connaît point les moyens compliqués 
par lesquels se crée là richesse, croira naturelle- 
ment qu'elle ne se crée point, qu'elle n'augmente 
point en ce monde, que seulement elle se déplace, 
que l'ijn n'itcquierjt qu'en dépouillant un autre; 
toute acquisition lui semblera un vol, et il haïra 
tout ce qui possqde... Haïr? pourquoi? pour les 
biens de ce monde? mais le monde m^e ne vaut 
que par l'amour. 

Quelles que soient les erreurs inévitables d'une 
étude incomjpilëte, il faut respecter ce mom^t. 
Quoi de plus touchaiit,.de plqs grave,, que de voir 
l'homme qui jusqu'ici apprenait par hasard, vow- 
loir étudiw, poursuivre la. science d'une volonté 
passionnée à travers tant d'obstacles? La culture 
volontaire est ce qui met l'ouvrier, au moment où 
nous l'observons^ non-seulement au-dessus du 
paysan, mais au-dessus des classes que l'on croit 
supérieures, qiii en effet ont tout, livres, loisir, 
que la science vient chercher, et qui pourtant, 
une fols quittes de l'éducation obligée, laissent 
l'étude, ne se soucient plus de la vérité. Je vois tel 
homme, sorti avec honneur de nos premières 
écoles^ qui, jeune encore, et déjà vieux de 
cœur, oublie la science qu'il cultiva, sans même 



VGÉSaS DES OUVRIBBS. G| 

avoir Tèxcuse de rentraînement des passons, 
mais s'ennuye, s'endort, fume et rêve* 

L'obstacle, je le sais, est un grand aiguillon . 
L'ouvriar aime les livres, parce qu'il a peu de li- 
vres ; il n'en a qu'un parfois, et s'il est bon, il n'en 
apprend que mieux. Un livre unique qu'on lit et 
qu'on relit, qu'on rumine et digère, développe 
souvent mieux qu'une vaste lecture indigeste. 
J'ai vécu des années d'un Yii^e, et m'en^kis 
bien trouvé. Un volume dépareillé de Racine, 
acheté sur le qusd par hasard, a £ût le poète de 
Toulon. 

Ceux qui sont riches à l'intérieur, ont toujours 
assez de i^ssources. Ce qu'ils ont, ils l'étendent, le 
fécondent par la pensée, le poussent jusque dana 
l'infini. Au lieu d'envier ce monde de boue, ils 
s'en font un à eux, tout d'or et de lumière. Us di- 
sent à celui-ci : c Garde ta pauvreté que tu appelles 
richesse, je suis plus riche en moi. > 

La plupart des poésies que les ouvriers ont 
écrites dans les derniers temps, offirent un ca- 
ractère particulier de tristesse et de douceur qui 
me rappellent souvent leurs prédécesseurs, les ou- 
vriers du moyen âge. S'il y en a d'âj^res et vio- 
lentes, c'est le petit nombre. Cette inspiration âe- 
vée eût porté plus haut encore ces vrais poètes, 

4 



62 ESSOR UNrVERSEL 

s'ils n'eussent suivi dans la forme avec trop de dé- 
férence les modèles aristocratiques. 

Ils coihijtiencënt à peine. Pourquoi vous hâtez- 
vous dé dire qu'ils n^atteindront jamais les pre^ 
miers rangs? Vous partez de l'idée fausse que lé 
temps et la cultui^e fôiit tout; vous ne compte^ 
pour rien lé développement ihtértéur que prend 
l'âme par sa forcé propre; au milieu métae des 
tr^aux manuels, la végétation spontanée qui 
s'accroît par l'cibstaele. Hommes de livres, saches 
bien que cet homme lààns livre et de Êdble ctdture 
a en récompense une chose qui en tient lieu : Il est 
mafbre en douleurs. 

Qu'il réussisse; m noii, je h'y vois ûUl l'emède; 
n ira son chèminv le chemin de la pënikée et de la 
ôouffràhce. 4 ff chercha là ïùmière (dit mon Vir- 
gile), il ï'énfrevit, gériiit 1 ...» Et, tout en gémis-^ 
salit, ilW cherchera toujours. Qui pieiit l'avoir en- 
trevue, et y rfenoncet* jamais? ' 

€ Luniièré! plus die îiimifeté enfcore! » Tel hit 
le dernier faiot de Gœttié. ' Ce mot du gériie expî*- 
ràÀt, d'est le cii gèfêral de la haturë, et il retentit* 
dé 'mondé éii mbhdé. Ce que disait cet honlme 
puissant, ?ùn dés àîùés dé Dieu, ses plus httmbles 
enfants, les tnolns àvânéès dans la vië'anitiiiale, les 
mollusques lô disent au fond des mers, ilà ne veu-^ 



lent point vivre partout où la lumière p'atteiqt 
pas. La fleur veut la lumière, $e tourne vQrç elle, 
et 3WS elle languit. Nos compagnons de tr^ivail, 
le^ ammaiii^ se réjouissent^ cpmine qous, ou s'af- 
fligent^ setop qu'elle vijent ou s'en ys). Mon pe- 
tit-fils, qui a deuic mois, pl^we dès qpia le jour 
baisse. 

Cet été, me promenant dans mon jardin, j'en- 
tendis, je vis sur une branche un oiseau qui chan- 
tait au soleil couchant; il se dressait vers la lu- 
mière, et il était visiblement ravi... Je le fus de le 
voir; nos tristes oiseaux privés ne m'avaient ja- 
mais donné l'idée de cette intelUgente et puis- 
sante créature, si petite, si passionnée... Je vibrais 
à son chant... Il renversait en arrière sa tête, sa 
poitrine gonflée; jamais chanteur, jamsds poète, 
n'eut si naïve extase. Ce n'était pourtant pas 
l'amour (le temps était passé), c'était manifeste- 
ment le charme du jour qui le ravissait, celui du 
doux soleil ! 

Science barbare, dur orgueil, qui ravale si bas la 
nature animée, et sépare tellement l'homme de ses 
frères inférieurs ! 

Je lui dis avec des larmes : c Pauvre fils de la 
lumière, qui la réfléchis dans ton chant, que tu as 
donc raison de la chanter! La nuit, pleine d'em- 



M ESSOR UNIVERSEL VERS LA LUMIÈRE. 

bûches 6t de danger pour toi^ ressemble de bien 
près à la mort. Verras-tu seulement la lumière de 
demain !... > Puis, de sa destinée, passant en es- 
prit à celle de tous les êtres qui, des profondeurs 
de la création, montent si lentement au jour, je dis 
comme Goethe et le petit oiseau : c De la lumière î 
Seigneur ! Plus de lumière encore I > 



CHAPITRE IV. 

Servitades da fabricMit. 

Je lis dans le petit livre <hi tisserand de Rouen 
quej'aidéjà cité : c Nos manufacturiers sont tot^ou- 
vriers d'origine; > et encore: c La plupart de nos 
manufacturiers d'aujourd'hui (1836) sont des oti-- 
vriers laborieux et économesdes premiers temps de 
la Restauration. > Ceci est, je crois, assez géné- 
ral, et non particulier à la fabrique de Rouen. 

Plusieurs entrepreneurs des industries du bâti- 
ment m'ont dit qu'ils avaient été tous ouvriers, 
qu'ils étaient arrivés à Paris maçons, charpen- 
tiers, etc- . 

Si les ouvriers ont pu s'élever à l'exploitation si 

vaste, si compliquée des grandes manufactures, 

on croira sans peine qu'à plus forte raison, ils sont 

4. 



66 NOS FABRICANTS 

devenus maîtres dans les industries qui demandent 
bien moins de capitaux, dans la petite fabrique et 
les métiers, dans le commerce de détail. Les pa- 
tentés qui n'avaient presque pas augmenté sous 
TEmpire, ont doublé de nombre dans les trente 
ans qui se sont écoulés depuis 1815. Six cent 
mille hommes environ sont devenus fabricants ou 
marchands. Or, comme, en ce pays, tout ce qui 
peut strictementTÎvre, $'y:ti#pt et ne va nulle- 
ment se jeter dans les hasards de rindustrie, on 
peut dire hardiment que c'est un demi-million 
d'ouvriers qui sont devenus maîtres et ont obte- 
nuf ce qu'ils croyaient l'îadépendaMe. 

Ce mouvement fiit trèsi^rapide dans hè dix 
premièl*es années^ de 4815 à 1835. Ces braves 
qui , de k guerre , firent subitement vQlte-fftee du 
côté de l'industrie, montèrent comme à l'assaut, 
et sans difficulté emportèrent toutes les. positions. 
Leur confianee était si grande qu'iisen donnèrent 
même aux capitalistes, fies hon|mês d'un tel i^an 
entraînaient les plus froids ; on, croyait sans diffi- 
culté qu'ils allaient recommencer dans l'industrie 
toute la série de nos victoires, et nous donner sur 
ce terrain la revanche des derniers revers» 

On ne peut contester à ces ouvfi^s parvenus 
qui fondèrent nos mapu&ctures , d'éaiînent0f{ 



SONT LESI OyYAfS|t$ I^ 1815, Ç7 

qualités ^ l'élan , j'aud^pf , ripjitiatiYe, souvent un 
coi^pr-d'œil 3Ûr. Bç^uqoup pn^ f^t fprtune ; puis* 
sent leurs fil^ pe se. pas ruiner t 

Avec cps qualités, nos febricants de 1813 ne 
prouvèrent qi|e trop la démoralisation de cette 
triste époqup. J^a mort politjq^e n'est pas Ipin de 
la mort mwaje, pn pijt le yoir alor^. I)^ la vie {ni- 
litaire, ils gardèrent g^éçalen^e^t, nqn Jp sept-i- 
inent de TJionniçur^.qiaisJbiQn la vio^piçp, na se 
^ouciërept pi 4^ hoipmes ni desi çbQ$e)s^ pi de 
Y^mifiXf et trjâfèrçRt impjtpyableipçyat ^eu^i: §ortçs 
de perspnwBi?, rçuyriçr, le consommatiçur. 

Toutefoisrouvri^r étant rare encore k cette épo- 
que^; qiêipe dgns Iqs paanuffiçtures à maçl^in^s». qui 
den^wdentsipeud'apprentis^agç^âl^ firent obligés 
de lui dpnn^r de grpf salaires. Ih pressèrent ainsi 
des homjines (lï^ns les villes çt dans {es qaippagaes; 
ces conscrits du travail^ Us les mettaient au pas de 
la machine > ils exigeaient qu'il^^ssent, comme 
elle, in&tigabies. Us semblgi^nt appliqu^r à Tin- 
diistrie le grand principe impérial,. ^crifîer des 
lHQWu^ pour abr^gpr les guerres. L'inq[)atien)ce 
natiaq^iq^i nf us re^dsquvent b^r^ar^.c^tre les 
j^ifim^i^, «'autorisait çqntrp les hommes dps tra*- 
diitione^ milil^îres ; le travail devait aller au pas de 
<àarge«|i}acoiirsp; taiiip^sfonr œwqi^péw^ieAt. 



68 OU LEUBS FILS. 

Quant au commerce, les fabricants d'alors le 
firent comme en pays ennemi; ils traitèreut Ta- 
cheteur, justement comme en 1815 les mar- 
chandes de Paris rançonnaient le cosaque. Ds ven- 
dment à faux teint, à faux poids, à fausse mesure ; 
ils firent ainsi leur main très-vite, et se retirè- 
rent , ayant fermé à la France ses meilleurs dé- 
bouchés, compromis pour longtemps sa réputa- 
tion commerciale, et, ce qui est plus grave, rendu 
auxÂnglaisFessentielservice de nous aliéner, pour 
ne rien dire du reste, un monde , l'Amérique Es- 
pagnole, un monde imitateur de notre Révolution. 

Leurs successeurs, qui sont leurs fils ou leurs 
principaux ouvriers, ont fort à faire maintenant, 
retrouvant sur tous les marchés cette réputation. 
Ils s'étonnent, s'irritent de trouver les bénéfices 
tellement réduits. La plupart se tireraient de là 
de grand cœur, s'ils pouvaient; mais ils sont en- 
gagés, il faut aller : Marche! marche/ 

Ailleurs, l'industrie est assise sur de grands 
capitaux, sur un ensemble d'habitudes, de tradi- 
tions, de relations sûres; elle porte sur la base 
d'un commerce vaste et r^Uer. Ici, die n'est, à 
vrai dire , qu'un combat. Un ouvrier hardi qui 
inspire confiance, s'est fait commanditer; ou bien 
un jeune homme veut hasarder ee qu'a gagné 



LEURS EMSARIUS ACTUELS. 60 

son père; il part d'un petit cs^tal, d'une dot^ 
d'un emprunt. Dieu yeuille qu'il se tire d'af- 
faire entre deux crises; nous en avons tous les 
six ans { 1818, 1825, 1830, 1856). C'est tou- 
jours la même histoire ; un an, deux ans après la 
crise, quelques commandes viennent, l'oubli, l'es-^ 
poir; le fabricant se croit lancé; il pousse, il 
presse, il éreinte les hommes et lea choses, les 
ouvriers et les machines; le Bonaparte industriel 
de 1820 reparait un moment; puis, l'on est en- 
combré, l'on étouffe, il faut vendre à perte... 
Ajoutez, que ces coûteuses machines sont, tous 
les cinq ans à peu près, hors de sarvice, ou dé*- 
passées par quelque invention ; s'il y a eu qudque 
bénéfice, il sert à changer les machines. 

Le capitaliste, averti par tant de leçons, 
croit maintenant que la France est un peuple 
plus industrieux que commerçant , pbis propre 
à fabriquer qu'à vendre. Il prête au nouveau 
fabricant, comme à un homme qui p«rt pour une 
navigation périlleuse. Quelle sûreté a-t-41? les fa* 
briques les plus splendides ne se vendent qu'à 
grande perte; ces brillants ustaisiles, en peu 
d'années, ne vatent plus que le fer et le cuivre. 
Ce n'est pas sur la M>rique qu'on prête, c'est sur 
l'homme ; l'industriel a ce triste avantage de pou- 



W USIffifi BVBAIUUS ACTW^t 

Toir éln «qprisoBiié; oeld don^e ya^ur ^ 9a f^n 
gnâture. Il sait parfaitement qu'il a engagé aa per- 
sonne, parfiNS hîen plus que sa p^sonne* là vie 
de sa femme et de ses enfents, le bien de son 
bean-^pèra, celui d'un ami trop crédule, peut-être 
même un dép6t de eonfianoe, dans l'entrainepfient 
ée cette vie temble... Deno» il n'y a pas à mar- 
chander» il &ut vaincre ou meurir, £aâre. fortune 
ou se jeten* i l'eau, 

Unbomnlie> dans cet état d'espmt n'a pas lecœur 
bieft te^idre. S'il était doux et bon pour ses e»^ 
ployésj ses ouvriers, ce serait un miracle. Voyez- 
le paroQurir à grands pas ses vastes atdiiers, l'air 
sonÉoreet dur. . . Qpand il. est à un bout, à l'autre 
bout rouYjmr dit tout bas : « Est-il donc féroce 
aujourd'hui ! coRvne il a traité le eonire-inaitre ! » 
**- Il Ips. traite comme il l'a été tout à l'heure. Il 
femn\ de |a. ville d'airgent, de Baie à AlulboiMe 
par. exemple, de Jlotten à Déville: Il crie, et Ton 
s'étonne; on. ne sait pas que le juif vient de lui 
lever sur le corps une livre de dbaîr. 

Sun qui va^t^l reprendre eela? sur le cansom- 
maleur? Gehii-^i est en gaarde« Le fabmcaat re- 
tombe sur 1 Vmvrier. Partout op il n'y a pa^ appren- 
tissage , pprtout QÙ Ton ipultiplie imprudemment 
les af pfentîs» ils se présentent ei fOulèî 9'offî*eiit k 



^LEim DURBTÉ. 7t 

vii pKxj 4^t le fabricant profite de kbaîsfi&itea^a^ 
làirèâ^. Piiis^ FenecmibremÊnt des marchandigas 
l'obligeant de vendre même à perte, TaYlliss^meirt 
des 6alaiiie&, mortel i Toiivrier, ne profite plus 
au febrteâîit; le eonsommatéur i^eul y gagne. 

Le fabricant iç ftàs dur étaîl pourtant n4 
homme; dans(}esoominenceinents>-il aMtaît en- 
core qbelque intérêt poui cette fgde^.' Peu à p6u» 

1 Je refusais de crçire ce qu'on ine meonCait des fraudes infflmes 
que certains fabricants comniettèht, Â regard dd cddsommeteur eut' Ift 
qdalilé, à Végard de ronvrier Mrlk <ii«ilMi(ééli trévaU».J'âi d4in« 
ve&drp. hfis même», choses in'ont été confirmées par les amis des fabri- 
cants qui en parlaient avec douleur et humiliation, par des notables, 
négociants et baniiuiers. Les ^d*iiômibei nNtet iiallinMiil ^'iVMrHé 
pov rè|>rHnêr«fs ^pies; (e malhfur^ui d'^e^s n'o^e^e, plaindre. 
Une telle enquête regarde le procureur du Roi. 

s Cet endurcissement graduel, cette habileté que Von prend peu à 
peu pour étouffer en soi la voix de l'humanité, est trés-finement ana-« 
lysé par M. Emmery, dans sa brochure sur VÀméiioratioh du tort det 
ouvrier* dont ieê IronotM? publies (1837). Il parle spécia'lement des 
ouvriers blessés dans les travaux dangereux que les entrepreneur^ 
font pour le gouvernement, 

« Un entrepreneur qui aura le coeur bien placé, pourra, une pre- 
mière fois, peut-être même plusieurs fois d'abord, secourir des ou* 
vriers blessés; mais quand cela se renouvelle, quand les secours s'accu- 
mulent, ils deviennent trop pesants ; Tentrepreneur compose alors avec 
lui-même» il se défend de ses premiers mouvements de générosité , fl 
en restreint insensiblement les applications, et il diminued'une maniéré 
plus notable le chiiCre de chaque secours. 11 remarque que dans ses ate- 
liens 1^ plus dangereux, lui, entrepreneur, ne reçoit aucune plus-value 
à ce titre, et qu'au contraire il est obligé de payer à ses ouvriers une 
plus forte Journée. Or, cette plus forte journée lui semble ;^blent4t U 



Tft VELLÉITÉS 

la préoccupation des affsdres, l'iHcertitade de sa 
situation, ses périls, ses souffirances morales. 
Font rendu fort indifférât aux souffirance» maté- 
ridles des ouvriers. U ne les connaît pas aussi 
bien que son përe ^ qui avait été ouvrier lui-même. 
Renouvelés sans cesse, ils lui apparaissent comme 
des chiifres , des machines , niais mcnns dodles et 
moins régulières, dont le progrès de l'industrie 
permettra de se passer ; ils sont le défaut du sys- 
tème ; dans ce monde de fer, ou les mouvements 
sont si précis, la seule (^ose à dire, c'est Thonmie. 
Ce qui est curieux à observer, c'est que les seuls 
( bien peu nombreux) qui se préoccupent du sort 
de Touvrielf ^ ce sont psofois de bès-petits fidnri-* 



prix des aecidenu 4 craindre. Ces secours addHioniiels hii paraissent 
au-desBos de ses moyens. L'ouvrier blessé n*est d'ailleurs pas asseï 
ancien dans le chantier ; Touvrier malade n'est pas des plos adroite, 
des plus Qtlles, etc. C'est-à-dire que le ccBOr s'endurcit par l'habitude, 
souvent par la nécessité, que tonte charité S'éteint bientôt, que le peu 
de secours accordé n*est même plus réparti suivant une rigoureuse justice 
pour tous, et que le seul résultat de toutes les émotions généreuses que 
devraient faire naître d'aussi tristes tableaux, se réduit à quelques gra- 
tifications accordées arbitrahrement , et calculées, non sur les besoine 
réels des familles écrasées, mais dans Thitérét A venir du chantier ^(W 
des travaux de Tentrepreneur. n 

< La différence entre le père et le fils, c'est que celui-ci, qui a*c 
pas été ouvrier, connaissant moins la fabrication, sachant oMiins les 
Umiles du possible et de rimpossible, est quelquefois phw dur p» 
ignorance. 



D'HUMANITÉ. 73 

cants qui vivent avec lui d'une maniéré patriar- 
cale, ou bien au contraire les très-grandes çt puis- 
santes maisons, qui s'appuyant sur des fortunes 
solides, sont àTabri des inquiétudes ordinaires du 
commerce. Tout l'intervalle moyen est un champ 
de combat sans pitié . 

On sait que nos manufacturiers de Mulhouse 
ont réclamé, contre leur intérêt, une loi qûï réglât 
le travail des enfants. En 1856, feur uri;essaî que 
Tun d'eux avait fait pour donner aux ouvriers des 
logements salubres avec petits jardins, ces mêmes 
fabricants d'Alsace furent émus de cette heureuse 
idée, et dans ce mouvement généreux ils souscri- 
virent pour deux millions. Que devint cette sous- 
cription? je n'ai pu le savoir. 

Les manufacturiers seraient à coup sûr plus 
humains, si leur famille, souvent tres-charitable, 
restait moins étrangère à la manufacture * . Elle vit 

1 Je me rappellerai tonjoars une chose touchante, pleine de grAce 
et de charme dont j'ai été témoin. Le mattre d'une fabrique ayant eu 
l'obligeance de me conduire lui-même pour me montrer ses atelier», 
sa jeune femme voulut être de la partie. Surpris d'abord de la voir, 
avec sa blanche robe, tenter ce voyage à travers l'humide et le sec 
(tout n'est pas beau, ni propre, dans la . fabrication d^es plus brillants 
objets), je compris mieux ensuite pourquoi eU^ affrontait ce purgatoirew 
Où son mari me faisait voir des choses^ elle voyait des hommes, des 
âmes, et souvent bien blessées. Sans qu'elle m'expliquât rjei^, je. con^ 
pris que, tout en glissant à travers cette foule, fU? avait i^n sentiment 

5 



74 . ILS. NE CONNAISSENT PAS BIEN L'OUVRIER. 

ordinairement à part, ne voit les ouvriers que de 
loin . Elle s'exagère volontiersleurs vices, les jugeant 
presque toujours sur ce moment dont j'ai parlé, 
où la liberté, longtemps contenue, s'échappe enfin 
avec bruit et désordre, je veux dire, sur le moment 
de la sortie. Souvent aussi, le manufacturier et les 
siens haïssent l'ouvrier- parce qu'ils s'en croient 
haïs; et je dirai, contre l'opinion conunune, qu'en 
cela, il n'est pas rare qu'ils se trompent. Dans les 
grandes manufactures, l'ouvrier hait le contre- 
maître dont il subit la tyrannie immédiate; celle 
du maître, plus éloignée, lui est moins odieuse; à 
moins qu'on ne lui ait appris à la haïr, il l'en- 
visage comme celle de la fatalité et il ne s'en irrite 
pas. 

Le problème industriel se complique fort pour 
la France de sa situation extérieure. Bloquée en 
quelque sorte par la malveillance unanime de 
rEurope.!., elle a perdu, aussi bien que ses an- 

délicat, pénétrant, de toutes les pensées, Je ne did pas haineuses, mais 
soucieuses, envieuses peut-être, qui fermentaient lÂ-dedans. Sur sa 
route, elle Jetait des paroles Justes et fines, parfois presque tendres, 
par exemple à une Jeune fille souffrante ; maladive elle-même, la Jeune 
dame avait bonne grâce à cela. Plusieurs étaient touchés ; un vieil ou- 
vrier, qui la crut fatiguée, lui présenta un siège avee une vivacité char- 
mante. Les Jeunes étaient plus sombres ; elle, qui voyait tout, disait 
un mot, et chassait le nuage. 



Î/INDUSTRIE FRANÇAISE ÉTOUFFE. 75 

ciennes alliances > tout espoir de s'ouvrir, en 
Orient ou en Occident, de nouveaux débouchés. 
L'industrialisme qui a fondé le système actuel 
sur la supposition étrange que les Anglais, nos 
rivaux, seraient nos amis, se trouve, avec cette 
amitié, bloqué, muré, comme dans un tom- 
beau... Certes, la grande France agricole et 
guerrière de vingt-cinq millions d'hommes, qui a 
bien voulu croire les industriels, qui s'est tenue 
immobile, sur leur parole, qui , par bonté pour 
eux, n'a pas repris le Rhin, elle a droit aujour- 
d'hui de déplorer leur crédulité ; plus sensée 
qu'eux, elle avait toujours eru que les Anglais 
restaient Anglais^ 

Distinguons toutefois eQb*e les industriels. Il 
en est qui, au lieu de s'endormir derrière la triple 
ligne des douanes, ont noblement continué la 
guerre contre l'Angleterre. Nous les remercions 
de leurs héroïques efforts, pouy soulever la pierre 
sous laquelle elle crut nous écraser. Leur industrie 
qui lutte contre elle, avec tous les désavantages 
(souvent un tiers de frais de plus!) 1'^ néanmoins 
vaincue sur plusieurs points, ceux qui exigeaient 
les facultés les plus bi^illantes, la plu@ inépuisabljs 
ricjtesse d'invention. Elle a vamw par l'art, 

n faut un livre exprès pour faire connaître le 



76 ELLE LUTTE 

grandiose effort de TAlsace, qui, d*une âme nul- 
lement mercantile, sans marchander sur la dé- 
pense, a réuni tous les moyens, appelé toute 
science, voulu le beau, quoi qu'il en pût coûter. 
Lyon a résolu le problème d'une continuelle mé- 
tamorphose, de plus en plus ingénieuse et bril- 
lante. Que dire de cette fée parisienne , qui répond 
de minute en minute aux mouvements les plus 
imprévus de la fantaisie? 

Chose inattendue, surprenante! la France 
vend!... cette France exclue, condamnée, inter- 
dite... Ils viennent malgré eux, malgré eux ils 
achètent. 

Ils achètent.., des modèles, qu'ils vont, tant 
bien que mal, copier chez «ux. Tel Anglais déclare 
dans une enquête qu'il a une maison à Paris, pour 
avoir des modèles. Quelques pièces achetées à 
Paris, à Lyon, en Alsace, puis copiées là-bas, suf- 
fisent au contrefacteur anglais, allemand, pour 
inonder le monde. C'est comme en librairie : la 
France écrit, et la Belgique vend. 

Ces produits où nous excellons , sont malheu- 
reusement ceux qui changent le plus, qui exigent 
une mise en train toujours nouvelle. Quoique ce 
soit le propre de l'art d'ajouter infiniment à la va- 
leur des matières premières^ un art aussi coûteux 



PAR L'ART. 77 

que celui-ci ne permet guère de bénéfices. L'An- 
gleterre au contraire ayant des débouchés chez les 
peuples inférieurs des cinq parties du monde, fa- 
brique par grandes masses, par genres uniformes, 
longtemps suivis sans mise en train, sans recher-- 
ches nouvelles; de tels produits, vulgaires, ou 
non, sont toujours lucratifs. 

Travaille donc, ô France, pour rester pauvre ! 
Travaille, soufifre, sans jamais te lasser. La devise 
des grandes fabriques qui font ta gloire, qui im- 
posent ton goût, ta pensée d'art, au monde, est 
celle-ci : Inventer, ou périr. 



CHAPITRE Y. 

Servitudes du marchand l. 

L'homme de travail, ouvrier, fabricant, regarde 
généralement le marchand comme un homme de 
loisir. Assis dans sa boutique, qu'a-t-il à faire la 
matinée que de lire le journal, puis causer tout le 
jour, le soir fermer sa caisse? L'ouvrier se promet 
bien que s'il peut épargner quelque chose, il se 
fera marchand. 

Le marchand est le tyran du fabricant. Il lui 
rend toutes les tracasseries, les vexations de l'ache- 
teur. Or, l'acheteur, dans l'état de nos mœurs, 
c'est l'homme qui veut acheter pour rien, c'est le 
pauvre qui veut trancher du riche , c'est l'enrichi 

1 Nous parlons ici du commerce individuel, comme il est générale- 
ment en France, non du commerce en commandite qui n'existe en- 
core que dans quelques grandes villes. 



LE MARCHAND TYRAN DU FABRICANT. 79 

d'hier qui tire à grand'peine de sa poche un argent 
qui vient d'y entrera Ils exigent deux choses, la 
qualité brillante , et le prix le plus vil ; la bonté de 
l'objet est secondaire. Qui veut mettre le prix à 
une bonne montre? personne. Les riches même 
ne veulent autre chose qu'une belle montré à bon 
marché. 

Il faut que le marchand trompe ces gens-^là, ou 
qu'il périsse. Toute sa vie se compose dé deux 
guerres, guerre de tromperie et de ruse contre cet 
acheteur déraisonnable, guerre de vexations et 
d'exigence contre le fabricant. Mobile , inquiet , 
minutieux, il lui rend jour par jour les plus absur- 
des caprices de son maître, le public, le tire à 
droite, à gauche, change à chaque instant sa di- 
rection, l'empêche de suivre aucune idée , et rend 
presque impossible, dans plusieurs genres, la 
grande invention. 

Le point capital pour le marchand, c'est que le 
fabricant l'aide à tromper l'acheteur , qu'il entre 
dans les petites fraudes, qu'il ne recule pas devant 
les grandes. J'ai entendu des fabricants gémir des 
choses que l'on exigeait d'eux, contre l'honneur; 

^ Ce sont de nouvelles classes qui arrivent , comme Téxplique très- 
bien M. Leclaire {Peinture en bdHmeni), lit no («iMni nallement le 
prix réel des objets. Ils venlent^du brillant, en détrpQtpf, n'importe. 



80 IL EST CONDAMNÉ AU MENSONGE. 

il Jeur fallait ou perdre leur état , ou devenir com- 
plices des tromperies les plus audacieuses. Ce n'est 
plus asseiz d'altérer les qualités , il leur faut quel- 
quefois devenir faussaires, prendre les marques 
des fabriques en renom. 

La répugnance que montrait pour l'industrie 
les nobles républiques de l'antiquité , les fiers ba- 
rons du moyen âge, est peu raisonnable sans 
doute, si par industrie l'on entend les fabrications 
compliquées qui ont besoin de la science et de 
l'art, ou.bién h grand négoce qui suppose tant de 
éonnaissances , d'informations, de combinaisons. 
Mais cette répugnance est vraiment raisonnable, 
quand elle s'applique aux habitudes ordinaires du 
conHnerce,,àla nécessité misérable où le marchand 
se trouve de mentir, de frauder et de falsifier. 

Je n'hésite point à affirmer que pour l'homme 
d'honneur la situation du travailleur le plus dé- 
pendant, est libre en comparaison de celle-ci. Serf 
du corps, ilest libre d'âme. Asservir son âme au 
contraire et sa parole, être obligé du matin au soir 
de masquer sa pensée, c'est le dernier servage. 

Représentez-vous bien cet homme qui a été 
militaire,,flui a conservé dans tout le reste le sen- 
timent de l'honneur, et qui se résigne à cela. . . Il 
doit souffrir beaucoup. 



' FALSIFICATIONS. 81 

Ce qu'il y a de singulier, c'est que c'est juste- 
ment par honneur qu'il ment tous les jours, pour 
faire honneur à ses affaires. Le déshonneur pour 
lui, ce n'estpas le mensonge, c'est la faillite. Plu- 
tôt que de /ixi7/ir, l'honneur commercial le poussera 
jusqu'au point où la fraude équivaut au vol, où la 
falsification est l'empoisonnement. 

Empoisonnement bénin, à petite dose, je le 
sais, qui ne tue qu'à la longue. Quand même on 
voudrait dire qu'ils ne mêlent aux denrées que 
des substances innocentes^, sans action, inertes, 
l'homme de travail qui croit y puiser la réparation 
de ses forces, et qui n'y trouve rien, ne peut plus 
se refaire, il va se ruinant , s'épuisant , il vit ( pour 
parler ainsi) sur le capital, sur le fonds de sa vie; 
elle lui échappera peu à peu. 

Ce que je trouve de coupable, dans ce falsifi- 
cateur qui vend l'ivresse, ce n'estpas seulement 
d'empoisonner le peuple, c'est de l'avilir. L'homme 
fatigué du travail , entre confiant dans cette 
boutique; il l'aime comme sa maison de liberté; 
eh bien! qu'y trouve-t-il? la honte. Le mélange 



1 II a été constaté juridiquemeni que beaacoap de ces sobstances 
n*étaient nullement innocentes V. le Journal de chimie médicale , les 
Annales d'Hygiène, et MM. Garnier et Harel, FtUêifUmimi deê iuhiêa 
enalimenkUrei, 1844. 

S. 



g2 CONCURRENCE 

Spiritueux qu'on lui vend sous le nom de vin, 
produit, dès qu*il est bu, Teffet qu'une double 
et triple quantité de vin n'eût pas produit; il 
s'empare du cerveau, trouble l'esprit, la langue, 
le mouvement du corps. Ivre et la poche vide, le 
marchand le jette à la rue. . . Qui n'a le cœur percé, 
en voyant quelquefois, l'hiver, une pauvre vieille 
femme, qui a bu le poison pour se réchauffer, 
et qu'on livre, en cet état, pour jouet à la barbarie 
des enfants?... Le riche passe, et dit : « Voilà le 
peuple! > 

Tout homme qui peut avoir, ou emprunter, 
mille francs, commence hardiment le commerce. 
D'ouvrier, il se fait marchand, c'est-à-dire homme 
de kisir. Il vivait au cabaret, il ouvre un ca- 
baret, n s'établit, non pas loin des anciens : 
au contraire, au plus près, pour leur soutirer la 
pratique ; il se flatte de la douce idée qu'il tuera le 
voisin. Immédiatement, il a des pratiques en effet, 
tous ceux qui doivent à l'autre et qui ne paieront 
pas. Au bout de quelques mois, ce nouveau est 
devenu ancien ; d'autres sont venus tout autour. 
11^ languit, il périt; il a perdu l'argent, mais de 
plus, ce qui valait mieux, l'habitude du travail... 
Grande joie parmi les survivants, qui peu à peu 
finissent de même. D'autres viennent, il n'y paraît 



DESTRUCTIVE, 83 

pas. . . Triste et misérable commerce, sans indus- 
trie, sans autre idée que celle de se manger l'un 

l'autre. 

. , , •- 'j 

La vente augmente à peine, et les marcjiands 
augmentent, multiplient à vue d'œil, la qçnç^r- 
rence aussi, l'envie, la haine. Ils ne fqnt,^r,ien^.ils 
sont là sur leur porte, les bras croisés, à^^p regar- 
der de travers, à voir si la pratique infii^èla^ pe va 
pas se tromper de boutique. Ceux det.f^fjis, qui 
sont quatre-vingt mille, ont eu Tan der,i^^r q^U:^, 
rante-six mille procès au seul tribunal dç. pom- 
merce, sans parler des autres tribunaux. Chiffre 
afifreux! Que de querelles et de haines ^ sup- 
pose!... 

L'objet spécial de cette haine, celui que le pa- 
tenté poursuit, fait saisir quand il peut, c'est le 
pauvre diable qui roule sa boutique , et s'arrête 
un moment, c'est la malheureuse femme qui sur 
un éventaire, porte la sienne ! hélas, et souvent 
encore un enfant*... Qu'elle ne s'avise pas de 
s'asseoir, qu'elle marche toujours.., sinon ^le es): 
saisie. 

Je ne sais pas vraiment si celui qui la fait saisir, 
ce triste homme de boutique, est plus heureux 

i Lire la piôce si toachante de Savinien Lapointe, 



84 LE xMARCHAND COMPAKÉ A L'OUVRIER. 

pour être assis. Ne point bouger, attendre, ne 
pouvoir rien prévoir. Le marchand ne sait 
presque jamais d'où lui viendra le gain. Recevant 
la marchandise de la seconde, de la troisième 
main, il ignore quel est en Europe Fétat de son 
propre commerce, et ne peut deviner si Tan pro- 
chain il fera fortune ou faillite. 

Le fâbricant, l'ouvrier même, ont deux choses, 
qui, malgré le travail; rendent leur destinée meil- 
leut^è que celle du marchand. V Le marchand ne 
crée point, il n'a pas le bonheur sérieux, digne de 
l'homme, de faire naître une chose, de voir avancer 
sous ■ sa main une œuvre qui prend forme, qui 
devient harmonique, qui, par son progrès, ré- 
pond à son créateur, console son ennui et sa 
peine. 

2** Autre désavantage, terrible, à mon avis : 
Le marchand est obligé de plaire. L'ouvrier donne 
son temps, le fabricant sa marchandise pour tant 
d'argent; voilà un contrat simple, et qui n'abaisse 
pas. Ni l'un ni l'autre n'a besoin de flatter. Il 
n'est pas obligé, souvent le cœur navré et les 
yeux pleins de larmes, d'être aimable et gai tout à 
coup, comme cette dame de comptoir. Le mar- 
(^haiid inquiet, mortellement occupé du billet qui 
échoit demain, il faut qu'il sourie, qu'il se prête. 



Il EST OBLIGÉ DE PLAIRE. 85 

par un effort cruel, au babil de la jeune élégante 
qui lui fait déplier cent pièces, cause deux heu- 
res, et part sans acheter. 

Il faut qu'il plaise, et que sa femme plaise. Il a 
mis dans le commerce, non-seulement son bien, 
sa personne et sa vie, mais souvent sa famille^. 

L'homme le moins susceptible pour lui-même, 
souffrira, à chaque heure, de voir sa femme ou sa 
fille au comptoir. L'étranger même, le témoin 
désintéressé ne voit pas sans peine dans une hon- 
nête famille qui commence un commerce, les ha- 
bitudes intérieures violemment troublées, le foyer 
dans la rue, le saint des saints à l'étalage ! La jeune 
demoiselle écoute, les yeux baissés, l'impertinent 
propos d'un honune indélicat. On y retourne quel- 
ques mois après, on la retrouve hardie. 

La femme, au reste, fait bien plus que la fille, 
pour le succès d'une maison de commerce. Elle 
cause avec grâce, avec charme. . . Où est l'inconvé- 
nient, dans une vie si publique, sous les yeux de 

1 On a parlé de TouTriére en soie et dn commis qui se faisait payer 
sa connîTence au vol. On a parlé de i*oavriére en coton, je crois, 
i tort ; le fabricant est trés-peu en rapport avec ses ouvriers et ou^ 
vriéres. On a dit enfin que Tosurier de campagne mettait souvent 
les délais i un prix immoral. Pourquoi n'a-i-on pas parlé de la mar- 
chande, si exposée, obligée de plaire à Tacheteur, de causer longuement 
avec lui, et qui s'en trouve ordinairement si mai ? 



S6 SA FAMILLE 

la foule?... Elle cause, mais elle écoute... et tout 
le monde plutôt que son mari. C'est un esprit cha- 
grin, ce mari, nullement amusant, plein d'hésita- 
tion et de minuties, flottant en politique, en tout, 
mécontent du gouvernement, et mécontent dps 
mécontents. 

Cette femme s'aperçoit de plus en plus qu'Ole 
fait là un ennuyeux métier ; douze heures par 
jour à la même place, exposée derrière une vitre, 
parmi les marchandises. Elle ne s'y tiendra pas 
toujours si immobile; la statue pourra s'animer. 

Voilà de grandes souffrances qui commencent 
pour le mari. Le lieu du monde le plus cruel pour 
un jaloux, c'est une boutique... Tous viennent, 
tous flattent la dame... L'infortuné ne sait pas 
même toujours à qui s'en prendre. Parfois il de- 
vient fou, ou se tue, ou la tue ; tel autre s'alite, et 
meurt... Plus malheureux peut-être celui qui s'est 
résigné. 

n s'est trouvé un homme qui est mort ainsi len- 
tement, non pas de jalousie, mais de douleur et 
d'humiliation, chaque jour insulté, outragé dans 
la personne de sa femme. Je parle de l'infortuné 
Louvet. Après avoir échappé aux dangers de la 
Terreur, rentré àla Convention, mais sans moyens 
pour vivre, il établit sa femme libraire au Palais- 



SOUVENT COMPROMISE. 87 

Royal : la librairie était à cette époque un com- 
merce brillant, et le seul. Malheureusement Tar- 
dent Girondin, aussi contraire aux royalWtes 
qu'aux montagnards, avait mille ennemis. La 
jeunesse dorée, celle qui courut si bien le 15 ven- 
démiaire, venait bravement parader devant la 
boutique de LoUvet, entrait, ricanait, se vengeait 
sur une femme. Aux provocations du mari fiirieux, 
ils ne répondaient que par ^es risées. Lui-même 
leur avait donné des armes, en imprimant, dans le 
récit de sa fuite et de ses malheurs, mille détails 
passionnés, indiscrets sans doute et imprudents, 
sur sa Lodoïska. Une chose devait la protéger, la 
rendre sacrée pour des hommes de cœur, son cou- 
rage, son dévouement; elle avait sauvé son mari. . . 
Nos chevaliers ne atntirent point cela ; ils pous- 
sèrent froidement la cruelle plaisanterie, et Louvet 
en mourut. Sa femme voulait mourir ; ses enfants 
qu'on lui amena, la condamnèrent à vivre. 



CHAPITRE VI. 



Servitudes du fonctionnaire. 



Quand les enfants grandissent et que la famille 
réunie commence à se demander : < Qu'en fera-t- 
on? > le plus vif, le moins disciplinable, ne man- 
que guère de dire : « Moi, je veux être indépen- 
dant. :& Il entrera dans le commerce, et il y trouvera 
l'indépendance que nous venons de caractériser. 
L'autre frère, le docile, le bon sujet, sera fonc- 
tionnaire. 

On tâchera du moins qu'il le devienne. La fa- 
mille fera pour cela d'énormes sacrifices, souvent 
par delà sa fortune. Grands efforts, et quel but? 
Après dix ans de classes, plusieurs années d'école, 
il deviendra surnuméraire, et enfin petit employé. 
Son frère, le commerçant qui, pendant ce temps- 



mobilité;dë 8â condition actuelle. 89 

là, a eu bien d'autres aventures, lui porte grande 
envie, et perd peu d'occasions de faire allusion aux 
gens qui ne produisent pas, « qui s'endorment 
commodément assis au banquet du budget. > Aux 
yeux de l'industriel, nul ne produit que lui ; le 
juge, le militaire, le professeur, l'employé, sont 
« des consommateurs improductifs^. > 

Les parents savaient bien que la carrière des 
fonctions publiques n'était pas lucrative. Mais ils 
ont désiré pour cet enfant doux et tranquille une 
vie sûre, fixe et régulière. Tel est l'idéal des fa- 
milles, après tant de révolutions, tel, dans leur 
opinion, est le sort du fonctionnaire; le reste va, 
vient, varie et change, le fonctionnaire seul est 
sorti des alternatives de cette vie mortelle, il est 
comme en un meilleur monde. 

Je ne sais si l'employé a jamais eu ce paradis 
sur la terre, cette vie d'immobilité et de sommeil. 
Aujourd'hui, je ne vois pas un honmie plus mo- 
bile. Sans parler des destitutions qui frappent 
quelquefois et que l'on craint toujours, sa vie n'est 
que mutations, voyages, translations subites (pour 
tel ou tel mystère électoral) d'un bout de la France 
à l'autre, disgrâces inexplicables, prétendus avan- 

1 Comme si la justice et Tordre civil, la défense du pays, FimU-uc- 
iion, D*élaienl pas aussi des productioM, el les premières de toutes ! 



90 FAIBLES TRAITEMENTS. 

céments qui, pour deux cents francs de plus, le 
font aller de Perpignan à Lille. Toutes les routes 
sont couvertes de fonctionnaires qui voyagent avec 
leurs meubles ; beaucoup ont renoncé à en avoir. 
Campés dans une auberge, et le paquet tout fait, 
ils vivent là ua an, ou moins, d'une vie seule et 
triste, dans une ville inconnue ; vers la fin, lors- 
qu'ils commencent à former quelque relation, on 
les dépêche à Tautre pôle. 

Qu'ils ne se marient pas surtout; leur situation 
en serait empirée. Indépendamment de cette mo- 
bilité, leurs faibles traitements ne comportent 
point un ménage. Ceux d'çntre eux qui sont obli- 
gés de faire respecter leur position, ayant charge 
d'âmes, le juge, l'officier, le professeur, passeront 
leur vie, s'ils n'ont point de fortune, dans un état 
de lutt«, d'effort misérable pour cacher leur mi- 
sère et la couvrir de quelque dignité. 

N'avez-vous pas rencontré en diligence (je ne 
dis pas une fois, mais plusieurs) une dame res- 
pectable, sérieuse, ou plutôt triste, d'upe mise 
modeste et quelque peu passée, un enfant ou 
deux, beaucoup de malles, de bagage, un mé- 
nage sur l'impériale. Au débarqué, vous la voyez 
reçue par son mari, un brave et digne officier qui 
n'est plus jeune. Elle le suit ainsi , avea toute es- 



FAIBLES TRAITEMENTS. 91 

pèce d'incommodité et d'ennui, de garnison en 
garnison, accouche en route, nourrit à l'auberge, 
puis se remet encore en route. Rien de plus triste 
que de voir ces pauvres femmes associées ainsi 
par Taffection et le devoir aux servitudes de la vie 
militaire. 

Les traitements des fonctionnaires, militaires et 
civils, ont peu changé depuis l'Empire*. La fixité 
que l'on considère comme leur suprême bonheur, 
presque tous l'ont sous ce rapport. Mais comme 
l'argent a baissé, le même chiffire va diminuant 
de valeur réelle^ et représentant toujours moins ; 
nous l'avons remarqué pour les salaires industriels. 

La France peut se vanter d'une chose, c'est 
qu'à l'exception de quelques grandes places trop 
rétribuées, nos fonctionnaires publics servent 
l'État presque pour rien. Et avec cela, j'affirme 
qu'en ce pays dont on dit tant de mal, il est peu, 
très-peu de fonctionnaires accessibles à l'argent. 

J'entends l'objection : beaucoup sont corrom- 
pus par l'espoir d'avancer, par l'intrigue, par les 

1 Us se sont améliorés dans tout les antres États de l'Europe. Ici, ils 
ont augiaenté pour nn très-petit nombre de places, baissé pour d'antres, 
par exemple pour les commis de prérectures et sous-préfectares.— ^ur 
le caractère général et les divisions de cette grande armée des fonc- 
tionnaires, lire r important ouvrage de W. Vivien : £i^de$ adminii- 
iratives, 1845. 



^ LE FONCTIOMiNAIKË ËST-IL CORROMPU? 

mauvaises influences ; je le sais, je l'accorde. Et 
jen'en soutiendrai pasmoins que, parmi cesgens si 
peu rétribués, vous n'en trouverez pas qui reçoi- 
vent de l'argent, comme on voit en Russie, en 
Italie, dans tant d'autres contrées. 

Voyons l'ordre le plus élevé. Le juge qui dé- 
cide du sort, de la fortune des hommes, qui tous 
les jours a dans les mains des affaires de plusieurs 
millions, et qui pour des fonctions si hautes, si 
assidues, si ennuyeuses, gagne moins que tel ou- 
vrier, le juge ne reçoit pas d'argent. 

Prenez en bas, dans une classe où les tentations 
sont grandes, prenez le douanier: il en est peut-être 
qui recevraient un léger pour^boire dans une occa- 
sion insignifiante, mais jamais pour ce qui donne le 
moindre soupçon de fraude. — Voulez-vous savoir, 
maintenant, combien il a pour ce service ingrat? six 
cents francs, un peu plus de trente sous par jour ; 
ajoutons-yj les nuits qui ne sont point payées ; il 
passe, de deux nuits l'une, sur la frontière» sur la 
côte, sans abri que son manteau, exposé à l'attaque 
du contrebandier, auvent de la tempête, qui, de la 
falaise, parfois l'emporte en mer. C'est là, sur cette 
grève, que sa femme lui apporte son maigre repas ; 
car il est marié, il a des enfants, et, pour nourrir 
quatre ou cinq personnes, il aàpeu près trente sous. 



A 



MISERE DE QUELQUES FONGTIONNAIHES. 9S 

Un garçoia boulanger à Paris * gagne plus que 
deux douaniers, plus qu'un lieutenant d'infanterie, 
plus que tel magistrat, plus que la plupart des 
professeurs; il gagne autant çwe six maîtres 
d'école ! 

Honte! infamie!... Le peuple qui paye le moins 
ceux qui instruisent le peuple (cachons-nous, pour 
Tavouer), c'est la France. 

LaFranced'aujourd'hui. — Au contraire, la vraie 
France, celle de la Révolution, déclara que rensei- 
gnement était un sacerdoce, que le maître d'école 
était l'égal du prêtre. Elle posa en principe que la 
première dépense de l'État, c'était l'instruction. 
Dans sa terrible misère, la Convention voulait 
donner cinquante-quatre millions à l'instruction 
primaire*, et elle l'eût fait certainement, si elle 
eût duré davantage. . .Temps singulier où les hom- 
mes se disaient matérialistes, et qui fut en réalité 
l'apothéose de la pensée, le règne de l'esprit ! 

Je ne le cache pas ; de toutes les misères de ce 
temps-ci, il n^y en a pas qui me pèse davantage. 
L'homme de France le plus méritant, le plus mi- 

1 Je veux dire en général Tonvrier de salaire moyen sans chômage 
d*hiver. V. pins haut, p. 52, note. 
s Trois mois après le 9 thermidor (27 brumaire, an III], sar lerap- 
. port de Lakanal. Voir VExpoté tommaire des travaux de Lakan^f , 
p. 135. 



N 



9i PROFONDE MISÈRE ' 

sérable*, le plus oublié, c'est le mSître d'école. 
L'État qui ne sait pas seulenieiit quels sont ses 
vrais instruments et sa force , qui ne soup- 
çonne pas que son plus puissant levier moral, se- 
rait cette classe d'hommes, l'État, dis-je, Taban- 
donne aux ennemis de l'Étal. Vous dites que les 
Frères enseignent mieux; je le nié; quand cela 
serait vrai, que m'importe? le maître d'école, c'est 
la France ; le Frère, c'est Rome, c'est l'étranger et 
l'ennemi : lisez plutôt leurs livres; suivez leurs 
habitudes et leurs relations ; flatteurs pour l'U- 
niversité, et tout jésuites au cœur. 

J'ai parlé ailleurs des servitudes du prêtre ; elles 
sont grandes , dignes de compassion ; serf de 

1 M. Lorain, dans son Tableau de Vinttruetion primaire , ouvrage 
officiel de la plus haute impoitance, où il résume les rapports des 4^0 
inspeelears qui visicôrent en iS53 toutes les écoles^ n*a pas d'expres- 
sions assez fortes pour dire Tétat de misère et d'abjeetion où se trouvent 
nos instituteurs. II déclare (p. 60) qu'il y en a qui gagnent en tout 100 
francs, 60 francs, SQfl Encore, àttendeni-ils longtemps I^ paiement, 
qui souvent ne vient pasi On ne paye pas en argent; chaque famille 
met de côté ce qu*elle a. de plus mauvais dans sa récolte pour le maître 
d'école, quand it vient le dimanche mendier à chaque porte ta heeaeê 
êwr le dos ; il n'est pas bien venu à réclamer son petit lot de pommes 
de terre, on trouve qu'il fait foitt auic pourceaux y etc. Depuis ces rap- 
porU officiels, on a créé de nouvelles écoles; mais le sort des anciens 
maîtres n'a pas été amélioré. Espérons que la Chambre des députés 
accordera cette année l'augmentation de cent francs qui a été demam-" 
dée envain Taimée dernière. 



DU MAITRE D'ÉCOLE. 95 

Kome, serf de son évêque, d'ailleurs presque 
toujours dans une position qui donné au su- 
périeur, bien informé , hypothèque sur lui. Eh ! 
bien, ce prêtre, ce serf, c'est le tyran du maî- 
tre d'école. Celui-ci n'est pas son subordonné lé- 
galement, mais il est son valet. Sa femme, mère de 
famille, fait sa cour à madame la gouvernante de 
M. le curé, à la pénitente préférée, influente. Elle 
sent bien, cette femme qui a des enfants et qui a 
tant de peine à vivre, qu'un maître d'école, mal 
avec le curé, c'est un homme perdu!... On ne va 
pas par deux chemins pour le couler à fond; on 
ne s'amuse pas à dire qu'il est ignorant; non, il 
est vicieux, il est ivrogne, il est... Ses enfants, 
multipliés, hélas! année par année, ont beau 
témoigner pour ses mœurs. Les Frères seuls ont 
des mœurs; ils ont bien quelques petits procès, 
mais si vite étouffés ! 

Servitude ! pesante servitude! je la retrouve en 
montant, descendant, à tous les degrés, écrasant 
les plus dignes, les plus humbles, les plus méri- 
tants ! 

Et je ne parle pas de la dépendance hiérarchi- 
que et légitime, de l'obéissance au supérieur natu- 
rel. Je parle de l'autre dépendance, oblique, in- 
directe, qui part de haut, (jui descend bas, qui 



m NULLITÉ VOLONTAIRE DE L'EMPLOYÉ. 

pèse lourdement, qui pénètre, qui entre dans le 
détail, qui s'informe, qui veut gouverner jusqu'à 
Fâme. 

Grande différence entre le marchand et le fonc- 
tionnaire ! le premier, nous Tavons dit, est con- 
damné à mentir, sur des objets minimes, d'intérêt 
extérieur; pour ce qui est de Fâme, il garde sou- 
vent l'indépendance. C'est justement ce côté-là 
qu'on attaque dans le fonctionnaire ; il est inquiété 
dans les choses de l'âme, parfois mis en demeure 
de mentir en ce qui touche la foi et la foi poli- 
tique. 

Les plus sages travaillent à se fîdre oublier ; ils 
évitent de vivre et de penser, font semblant d'être 
nuls, et jouent si bien ce jeu, qu'à la longue ils 
n'ont besoin d'aucun semblant; ils deviennent 
vraiment ce qu'ils voulaient paraître. Les fonc- 
tionnaires qui sont pourtant les yeux et les bras de 
la France, visent à ne plus voir, ni remuer; un 
corps qui a de tels membres doit être bien ma- 
lade. 

Pour s'annuler ainsi, le malheureux est-il 
quitte? pas toujours. Plus il cède, plus il recule, et 
plus on exige. On en vient àlui demander ce qu'on 
appelle des gages de dévouement, des services 
po^tifs. Il pourrait avancer, s'il se rendait utile. 



L'HOMME CORROMPU PAR LA FAMILLE; 97 

s'il éclairait sur telle ou telle personne. . . « Tel par 
exemple, qui est votre collègue, est-ce un homme 
bien sûr? > 

Voilà un homme troublé, malade. Il rentre chez 
lui très-soucieux. Pressé tendrement, il avoue ce 
qu'il a... Où croyez-vous, dans cette grave cir- 
constance, qu'il trouve appui? Dans les siens? Ra- 
rement. 

Chose triste et dure à dire, mais qu'il faut dire : 
l'homme aujourd'hui n'est pas corrompu par le 
monde, il le connaît trop bien ; pas davantage par 
ses amis... qui a des amis?... Non, ce qui le cor- 
rompt le plus souvent, c'est sa famille même. Une 
excellente femme, inquiète pour ses enfants, est 
capable de tout, pour faire avancer son mari, jus- 
qu'à le pousser aux lâchetés. Une mère dévote 
trouve tout simple qu'il fasse sa fortune par la 
dévotion; le but sanctifie tout; comment pécher 
en servant la bonne cause?... Que fera l'homme, 
quand il trouve la tentation dans la famille même, 
qui devait l'en garder? quand le vice lui vient par 
la vertu, par l'obéissance filiale, par le respect de 
l'autorité paternelle? 

Ce côté de nos mœurs est grave; je n'en con- 
nais pas de plus sombre. 

Au reste, que la bassesse, même avec, ces 

6 . 



98 SOUTENU PAR L'HONNEUR MILITAIRE. 

moyens, que le servilisirie et le jésuitisme, puis- 
sent triompher en France, je ne le croirai jamais. 
La répugnance ppur tout ce qui est faux et per- 
fide, est invincible dans ce noble pays. La masse 
est bonne ; n*en jugez pas par Técume qui sur- 
nage. Cette masse, quoiqu'elle flotte, elle a en elle 
une force qui l'assure : le sentiment dé Thonneur 
•militaire renouvelé toujours par notre légende hé- 
roïque. Tel, au moment de faillir, s'arrête sans 
qu'on sache pourquoi... c'est qu'il a senti passer 
sur sa face l'esprit invisible des héros de nos 
guerres, le vent du vieux drapeau ! . . . 

Ah ! je n'espère qu'en lui ! qu'il sauve la France, 
ce drapeau, et là France de l'armée ! Notre glo- 
rieuse armée sur qui le monde a les yeux *, qu'elle 
se maintienne pure ! qu'elle soit de fer contre l'en- 
nemi, et d'acier contre la corruption ! que jamais 
l'esprit de police n'y pénètre ! qu'elle garde l'hor- 
reur des traîtres, des vilaines offres, des moyens 
souterrains d'avancer ! 

Quel dépôt dans les mains de ces jeunes sol- 
dats îquelle responsabilité pour l'avenir ! ... Au jour 
du suprême, combat de la civilisation et de la bar- 

* S'il y a en des actes atroces, ils ont été commandés. Qu'ils retom- 
bent sor ceux qui ont donné de tels ordres 1 — Remarquons, en pas- 
sait, qae trdp souvent nos Journaux aocueiU«at dans on iotôrèt do 
parti Iw inventions calonmieues des Anglais. 



VaSUX POUR L'ARMÉE. 99 

barie (qui sait si ce n'est pas demain?) il faut que 
le Juge les trouve irréprochables, leur épée nette, 
et que leurs baïonnettes étincellent sans tache !... 
Chaque fois que je les vois passer, mon cœur s'é- 
meut en moi : « Ici seulement, ici, vont d'accord 
la force et l'idée, la vaillance et le droit, ces deux 
choses, séparées par toute la terre... Si le monde 
est sauvé par la guerre, vous seuls le sauverez... 
Saintes baïonnettes de France, cette lueur qui 
plane sur vous, que nul œil ne peut soutenir, gar- 
dez que rien ne l'obscurcisse! » 



406408 



CHAPITRE VU. 

Senitudes du riche et du bourgeois. 

Le seul peuple qui ait une armée sérieuse» est 
celui qui ne compte pour rien en Europe. Ce phé- 
nomène ne s'explique pas suffisamment par la fai- 
blesse d'un ministère, d'un gouvernement ; il tient 
malheureusement à une cause plus générale, au 
déclin de la classe gouvernante, classe très-nou- 
velle et très-usée. Je parle de la bourgeoisie. 

Je remonterai un peu haut, pour mieux me faire 
comprendre. 

La glorieuse bourgeoisie qui brisa le moyen âge 
et fit notre première Révolution, au quatorzième 
siècle, eut ce caractère particulier d'être une ini- 
tiation rapide du peuple à la noblesse ^ Elle fut 

H 1 Le passage se faisait, comme on sait, par la noblesse de robe. 
Nais, ce qu*on ne sait pas, c*est la facilité avec laquelle celte noblesse 
devenait militaire, ans qaa^iiidme et qniniième siècles. 



L'ANCIENNE BOURGËÎDISIK; LA NOUVELLE, DEJA VIEILLE, 101 ' 

moins encore une classe qu'un passage, un degré. 
Puis, ayant fait son œuvre, une noblesse nouvelle 
et une royauté nouvelle, elle perdit sa mobilité, 
se stéréotypa, et resta une classe, trop souvent ri- ' 
dicule. Le bourgeois du dix- septième et dix-hui- 
tième sièele est un être bâtard, que la nature sem- 
ble avoir arrêté dans son développement imparfait, 
être mixte, peu gracieux à voir, qui n'est ni d'en 
haut iii d'en bas, ne sait ni marcher ni voler, 
qui se plait à lui-même et se prélasse dans ses 
prétentions. 

Notre bourgeoisie actuelle, née en si peu de 
temps de la Révolution, n'a pas rencontré, en mon- 
tant, de nobles sur sa tête. Elle a voulu d'autant 
plus être une classe tout d'abord. Elle s'est fixée 
en naissant, et, si bien, qu'elle a cru naïvement 
pouvoir tirer de son sein une aristocratie ; autant 
vaut dire, improviser une antiquité. Cette créa- 
tion s'est trouvée, comme on pouvait prévoir, non 
antique, mais vieille et caduque^. 

Quoique les bourgeois ne demandent pas mieux 
que d'être une classe à part, il n'est pas facile de 
préciser leslimitesde cette classe, où elle commen- 
ce, où elle finit. Elle ne renferme pas exclusivement 

* L'ancienne France eut trois classes. La nouvelle n'en ^a |)liu» q«e 
éen, l< peaple ti la bpgrgpoiae. %#^ A. '^ ^ 



102 N'A PAS ÉTÉ RAJEUNIE PAR L'INDUSTRIE* ^ 

lesgens aisés; ily âbeaueoup de bourgeois pauvres^ . 
Dans nos campagnes, le même hommeestjournalier 
ici, et là bourgeois, parce qu'il y a du bien. Cela 
fait, grâce à Dieu, qu'on ne peut opposer rigou- 
reusement la bourgeoisie au peuple, comme font 
quelques-uns, ce qui n'irait pas à moins qu'à créer 
deux nations. Nos petits propriétaires ruraux, 
qu'on les appelle ou non bourgeois, sont le peuple 
et le cœur du peuple. 

Qu'on étende ou qu'on resserre cette dénomi- 
nation, ce qui importe à observer, c'est que la 
bourgeoisie qui s'est chargée presque seule d'agir 
depuis cinquante ans, semble aujourd'hui para-: 
lysée, incapable d'action. Une classe toute récente 
semblait devoir la renouveler ; je parle de la classe 



^ Si Yoas observez)' avec attention comment le peuple emploie ce 
mot, vous troQYerez^iiae pour lui il désigne moins la richesse, qu'âne 
certaine mesure d'indépendance et de loisir, l'absence d'inquiétude 
pour la nourriture quotidienne. Tel ouvrier qui gagne cinq francs 
par jour appelle sans difficulté Mon bourgeois le rentier famélique 
de trois cents francs de rente qui se promène eA habit noir au 
plein cœur de janvier. — Si la sécurité est l'essence du bourgeois, 
faudra-t-il y comprendre ceux qui ne savent jamais s*ils sont riches 
ou pauvres, les commerçants, d^autres encore qui semblent mieux 
assis, mais qui, pour des achats de charge, ou autrement, sont les 
serfs du capitaliste? S'ils ne sont pas vraiment bourgeois, ils se rat- 
tachent néanmoins à la même classe par Pintérét, la peur, l'idée fixe 
de la paix à touLprix, 



DÉCUN RAPIDE. i03 

industrielle, née de 1815, grandie dans les luttes 
de la Restauration, et qui plus qu'aucune autre, 
a fait la Révolution de Juillet. Petut-être plus 
française que la bourgeoisie proprement dite , 
elle est bourgeoise d'intérêt; elle n'ose bouger. 
La bourgeoisie ne le veut, ne le peut; elle ^ 
perdu le mouvement. Un demi-siècle a donc suffi 
pour la voir sortir du peuple, s'élever par son ac- 
tivité et son énergie, et tout à coup, au milieu de 
son triomphe, s'affaisser sur elle-même. Il n'y a 
p^s d'exemple d'un déclin si rapide. 

Ce n'est pas nous qui disons cela; c'est elle. 
Les plus tristes aveux lui échappent sur son déclin 
et celui de la France qu'elle entraîne. 

Un ministre disait, il y a dix Ans, devant plu- 
sieurs personnes :. « La France sera la première 
des puissances secondaires. » Ce mot, qui alors 
était humble, au point où les choses sont venues 
depuis, est presque ambitieux. Tellement la des- 
cente est rapide! 

Aussi rapide au dedans qu'au dehors. Le pro- 
grès du mal se marque au découragement de ceux 
même qui en profitent. Ils ne peuvent guère 
s'intéresser à un jeu où personne n'espère plus 
tromper personne. Les acteurs s'ennuyent pres- 
que autant que les spectateurs ; pis bâillent avec 
• • .. -^ • \'^ \ ''' * 



• 



104 DÉGLliN RAPIDE. 

le public, excédés d'eux-mêmes et de sentir qu'ils 
baissent. 

L'un d'eux, homme d'esprit, écrivait il y a 
quelques années qu'il ne fallait plus de grands 
hommes, que désormais on saurait s'en passer. 
Ce mot venait à point. Seulement, s'il le réim- 
prime, il faudra qu'il l'étende et prouve cette fois 
que les hommes moyens, les talents secondaires, 
ne sont pas indispensables et qu'on peut s'en 
passer aussi. 

La presse, il y a dix ans, prétendait influer. 
Elle en est revenue. Elle a senti, pour parler seu- 
lement de la littérature, que la bourgeoisie qui lit 
seule (le peuple ne lit guère), n'avait plus besoin 
d'art. Donc, elle a pu, sans que personne s'en 
plaignit, réformer deux choses- coûteuses, l'art et 
la critique; elle s'est adressée aux improvisateurs, 
aux romantîiers en commandite, puis, gardant 
seulement leur nom, aux ouvriers de troisième 
ordre. 

L'affaissement général est moins senti, parce 
qu'il a lieu d'ensemble; tous descendant, le niveau 
relatif est le même. 

Qui dirait, au peu de bruit qui se fait, que nous 
ayons été un peuple si bruyant? l'oreille s'y fait 
peu à peu» la voix aussi. Le diapason change. Tel 



• • 



INEKTIE. 105 

croit crier, et crie tout bas.. Le seul bruit un peu 
haut, c'est celui de la Bourse. Celui qui l'entend 
de près, et qui voit cette agitation, croira trop ai- 
sément que ce courant trouble profondément le 
grand marais dormant de la bourgeoisie. Erreur. 
C'est faire trop de tort, trop d'honneur à la masse 
bourgeoise que de lui supposer tant d'activité pour 
les intérêts matériels *. Elle est fort égoïste, il est 
vrai, mais routinière, inerte. Sauf quelques courts 
accès, elle s'en tient ordinairement aux premières 
acquisitions qu'elle craint de compromettre. II est 
incroyable combien cette classe, en province sur- 
tout, se résigne aisément à la médiocrité en toute 
chose. Elle a peu, elle l'a d'hier ; pourvu qu'elle 

1 La France n'a pas l'âme marchande /sauf ses moments anglais 
(comme celui de Law, et celni-^ci), qai sont des accès rares. Cela se 
voit snrtoat i la facilité avec laquelle les hommes qui d'abord semblent 
les plus âpres, s'arrêtent généralement de bonne heure sur le chemin 
de la fortune. Le Français qui a gagné dans le commerce ou autrement 
quelques mille livres de rente, se croit riche et ne fait plus rien. 
L'Anglais, tout au contraire, voit dans la richesse acquise un moyen de 
s'enrichir ; il persévère Jusqu'à la mort dans le travail. Il reste rivé i 
sa chaîne, définitivement spécialisé dans son affaire; seulement, il 
poursuit cette spécialité sur une plus grande échelle. Il n'éprouve pas 
le besoin du loisir, qui lui permettrait d'arranger sa vie librement. 

Aussi, il y a fort peu de riches en France, si vous mettez à part nos 
capitalistes étrangers. Ce peu de riches seraient presque tous des pau- 
vres en Angleterre. De nos riches, déduisez nombre de gens qui font 
bonne figure, et dont la fortune est ou engagée, ou incertaine encore, 
hypothétique. 



106 FRAYEUR DE LA BOURGEOISIE. 

le garde , elle s'arrange pour vivre sans agir, sans 
penser *. 

Ce qui caractérisait Tancienne bourgeoisie , ce 
qui manque à la nouvelle, c'est surtout la sécu- 
rité. 

Celle des deux derniers siècles, fortement as- 
sise sur la base de fortunes dé^à anciennes, sur des 
charges de robe et de finance qui comptaient pour 
propriétés, sur le monopole des corporations mar- 
chandes, etc., se croyait tout aussi ferme en 
France que le Roi. Son ridicule fut Torgueil, la 
gauche imitation des grands. Cet effort pour mon- 
ter plus haut qu'on ne le peut, se traduit par l'em- 
phase, la bouffissure qui marque la plupart des 
monuments du XVII® siècle. 

Le ridicule de la nouvelle bourgeoisie, c'est le 
contraste de ses précédents militaires, et de cette 
peur actuelle qu'elle ne cache nullement , qu'elle 
exprime à tout propos avec une naïveté singulière. 

^ Je connais, prés de Paris, une ville assez considérable, oè l^on 
compte quelques centaines de propriétaires ou rentiers de 4000, 6000 
livres de rente ou un peu plus, qui ne songent nullement à aller au-delà, 
qui ne font rien, ne lisent rien, 'ni livres, ni Journaux ( presque ), ne 
s*intéressent à rien, ne se voient point, ne se réunissent Jamais, se 
connaissent à peine. L'entraînement de la Bourse ne se fait sentir là 
aucunement, mais malheureusement plus bas, parmi les pauvres ëco> 
nomes des villes, et Jusque dans les campagnes, où le paysan n'a pas 
même un Journal qui puisse l'éclairer sur le guet-apens. 



TERRORISME 107 

Que trois hommes soient dans la rue à causer 
de salaires^ qu'ils demandent à l'entrepreneur, ri- 
che de leur travail, un sol d'augmentation, le bour- 
geois s'épouvante, il crie, il appelle main-forte. 

L'ancien bourgeois du moins était plus consé- 
quent. Il s'admirait dans ses privilèges, il voulait 
les étendre, il regardait en haut* Le nôtre regarde 
en bas, il voit monter la foule derrière lui, comme 
il a monté, et il n'aime pas qu'elle monte, il re- 
cule, il se serre du côté du pouvoir. S'avoue-t-il 
nettement ses tendances rétrogrades? Rarement, 
son passé y répugne; il reste presque toujours 
dans cette position contradictoire, libéral de prin- 
cipe, égoïste d'application, voulant, ne voulant 
pas. S'il lui reste quelque chose de français qui ré- 
clame, il l'apaise par la lecture de quelque Journal 
innocemment grondeur, pacifiquement belliqueux. 

La plupart des gouvernements, il faut le dire, 
ont spéculé sur ce triste progrès de la peur qui 
n'est autre à la longue que celui de la mort morale. 
Us ont pensé qu'on avait meilleur marché des morts 
que des vivants. Pour leur faire peur du peuple, 
ils ont montré sans cesse à ces gens effrayés deux 
têtes de Méduse qui les ont à la longue chaqgés en 
pierre : la Terreur et le Communisme. 

L'histoire n'a pas encore examiné de près ce 



108 COMMUNISME 

phénomène unique de la Terreur, qu'aucun 
homme, aucun parti, à coup sûr, ne pourrait ra- 
mener. Tout ce que J'en puis dire ici, c'est que, 
derrière cette fantasmagorie populaire, les me- 
neurs, nos grands Terroristes, n'étaient nulle- 
ment des hommes du peuple, mais des bourgeois, 
des nobles, des esprits cultivés, subtils, bizarres, 
des sophistes et des scolastiques. 

Quant au Communisme, auquel je reviendrai, 
un mot suffit. Le dernier pays du monde où la 
propriété sera abolie, c'est justement la France. 
Si, comme disait quelqu'un de cette école, c la 
propriété n'est autre chose que le vol >, il y a ici 
vingt-cinq millions de voleurs, qui ne se dessai- 
siront pas demain. 

Ce n'en sont pas moins là d'excellentes ma- 
chines politiques pour effrayer ceux qui possè- 
dent, les faire agir contre leurs principes, leur 
ôter tout principe. Voyez le bon parti que les 
Jésuites et leurs amis tirent du Communisme, 
spécialement en Suisse. Chaque fois que le parti 
de la liberté va gagner du terrain , on découvre, à 
point nommé, on pubUe à grand bruit quelque 
noirceur nouvelle, quelque atroce menée qui fait 
frémir d'horreur les bons propriétaires, protes- 
tants , catholiques , Berne autant que Frîbourg. 



ISOLEMENT DU BOURGEOIS, 409 

Nulle pass^îon n*est fixe , la peur moins qu^au- 
cune autre. Il faut en subir le progrès. Or, la 
peur a ceci qu'elle va toujours grossissant son 
objet, toujours affaiblissant l'imagination mala- 
dive. Chaque jour nouvelle défiance ; telle idée 
semble dangereuse aujourd'hui, tel homme de- 
main, telle classe; on s'enferme de plus en plus, 
on barricade , on bouche solidement sa porte et 
son esprit; plus de jour, point de petite fente 
par où puisse entrer la lumière. 

Plus de contact avec le peuple. Le bourgeois 
ne le connaît plus que par la Gazette des Tribu- 
naux. Il le voit dans «on domestique qui le vole 
et se moque de lui. Il le voit, à travers les vitres, 
dans l'homme ivre qui passe là-bas, qui crie, 
tombe, roule dans la boue. Il ne sait pas que le 
pauvre diable est, après tout, plus honnête que 
les empoisonneurs en gros et en détail qui l'ont 
mis dans ce triste état. 

Les rudes travaux font les hommes rudes , et 
les rudes paroles. La voix de l'homme du peuple 
est âpre ; il a été soldat, il affecte toujours l'éner- 
gie militaire. Le bourgeois en conclut que ses 
mœurs sont violentes, et le plus souvent il se 
trompe. Le progrès du temps n'est sensible en 
nulle chose plus qu'en ceci. Récemment, lorsque la 



110 ISOLEMENT PB VSNBICHl QUI S'EST OUBLIÉ. 

force année egtra brusquement chez la mère des 
charpentiers, que leur caisse Ait brisée, leurs 
papiers saisis, leurs pauvres épargnes, n'ayons- 
nous pas vu ces hommes courageux se contenir 
dans la modération, et s'en remettre aux lois? 

Le riche, c'est l'enrichi généralement, c'est 
le pauvre d'hier. Hier, il était lui-même l'ou- 
vrier, le soldat, le paysan qu'il évite aujour- 
d'hui. Je comprends n^ieux que le petit-fils, né 
riche, puisse oublier cela; nms, que dans une vie 
d'honune, en tjrente ou quarante ans, on se mé- 
connaisse, c'est cho^ inexplicable. De grâce, 
homme des temps belliqueux, qui cent fois avez 
vu l'ennemi, ne craignes pas d'envisager en face 
vos pauvres compatriotes dont on vous fait tant 
peur. Que font-ils? ils commencent aujourd'hui, 
comme vous avez commencé. Celui qui passe là- 
bas, c!est vous plus jeune... Ce petit conscrit qui 
s'en va, chantant la Marseillaise, n'est-ce pas 
vous, enfant, qui partiez en 92? L'officier d'Afri- 
que, plein d'ambition et d^un souffle de guerre, 
ne vous rappelle-t-il pas 1804 et le camp de Bou- 
logne? Le commerçant, l'ouvrier, le petit fabri- 
cant, ressemblent for( à ceux qui, comme vous, 
vers 1820, ont suivi la fortune. 
Geux-d sont conmote vous ; s'ils peuvent, ils 



DANS L'rSOLBMENT S'&ST FAIT LE VIDE. 111 

monteront, et très-probableipent par de meilleurs 
moyens, étant nés dans un temps meilleur* Ils 
gagneront, et vous n'y perdrez rien... Laissez 
cette idée fausse qu'on ne gagne qu'en prenant 
aux autres. Chaque 0ot de peuple qui monte, 
amène avec lui un flot de.ric)iesse nouvelle. 

Savez-vous le danger 4^ s'isoler, de s'enfermer 
si bien ? c'est de n'enfermer que le vide. En ex- 
cluant les hommes et les idées, on va diminuant 
soi-même, s'appauvrissant. On se serre dans sa 
classe, dans son petit cercle d'habitudes où l'es- 
prit, l'activité perçopnelle ne sont plus nécessaires. 
La porte est bien fermée; qiais il p'y a personne 
dedans... Pauvre riche, $i tu p'es plus rieq, que 
veux-tu donc si bien garder? 

Ouvrons cette âme, voyons avec elle, si elle a 
du souvenir, ce qui y fat, ce qui y reste. Le Jeune 
élan de la Révolution, hélas! qui en trouverait ici 
la moindre trace ? La force guerrière de l'Empire, 
l'aspiration libérale de la Restauration, n'y parais- 
sent pas davantage. 

Cet homme d'aujourd'hui, nous l'avons vu 
décroître, à chaque degré qui sein):^lait l'élever. 
Paysan, il eut les mœurs sévères, la sobriété et 
l'épargne; ouvrier, il fut bon cainarade et secou- 
rable aux siens; fabricant, il était actif, éner-* 



112 ALLIANCES DE LA BOURGEOISIE. 

gique, il avait son patriotisme industriel, qui 
faisait eflfort contre l'industrie étrangère. Tout 
cela, il Ta laissé en chemin, et rien n*est venu à 
la place ; sa maison s'est remplie, son coffre est 
plein, son âme n'est que vide. 

La vie s'allume et s'aimante à la vie, s'éteint 
par l'isolement. Plus elle se mêle aux vies diffé- 
rentes d'elle-même, plus elle devient solidaire des 
autres existences, et plus elle existe avec force, 
bonheur, fécondité. Descendez dans l'échelle ani- 
male jusqu'aux pauvres êtres qui laissent douter 
s'ils sont plantes ou animaux, vous entrez dans 
la solitude; ces misérables créatures n'ont pres- 
que aucun rapport avec les autres. 

Ëgoïsme inintelligent! de quel côté la classe 
craintive des riches et bourgeois regarde-t-elle? où 
va-t-elle s'alUer, s'associer? justement à ce qui est 
le plus mobile, aux puissances politiques qui vont 
et viennent en ce pays, aux capitalistes qui, le jour 
des révolutions, prendront leurs portefeuilles et 
passeront le détroit... Propriétaires, savez-vous 
bien *celui qui ne bougera point, pas plus que 
la terre même?. .. C'est le peuple. Appuyez-vous 
sur lui. 

Le salut de la France et le vôtre, gens riches, 
c'est que vous n'ayez pas peur du peuple, que 



L'ALLIÉ SOLIDE, C'EST LE PEUPLE. 115 

VOUS alliez à lui, que vous le connaissiez, que 
vous laissiez là les fables qu'on vous fait et qui 
n'ont nul rapport à la réalité. . . Il faut s'entendre, 
desserrer les dents , le cœur aussi , se parler, 
comme on fait entre hommes. 

Vous irez descendant, faiblissant, déclinant 
toujours, si vous n'appelez à vous et n'adoptez 
tout ce qui est fort, tout ce qui est capable. Il ne 
s'agit pas des capacités dans le sens ordinaire. Peu 
importe qu'une assemblée qui possède cent cin- 
quante avocats, en ait trois cents. Les hommes 
élevés dans nos scolastiques modernes ne re- 
nouvelleront pas le monde... Non, ce sont les 
hommes d'instinct, d'inspiration, sans culture, 
ou d'autres cultures (étrangères à nos procédés et 
que nous n'apprécions pas ) , ce sont eux dont 
l'alliance rapportera la vie à l'homme d'études , à 
l'homme d'affaires le sens pratique, qui certaine- 
ment lui a manqué aux derniers temps ; il n'y pa- 
raît que trop à l'état de la France. 

Ce que je dois espérer des riches et des bour- 
geois pour l'association large, franche, généreuse, 
je l'ignore. Ils sont bien malades; on ne revient 
pasaisémentde si loin. Mais, jel'avoue, j'ai encore 
espérance en leurs fils. Ces jeunes gens, tels que 
je les vois dans nos écoles, devant ma chaire, ont 



lU FATIGUE, ÉPUISEMENT. 

de meilleures tendances. Toujours ils ont accueilli 
d'un grand cœur toute parole en faveur Ju peuple. 
Qu'ils fassent plus, qu'ils lui tendent la main, et 
forment de bonne heure avec lui l'alliance de la 
régénération commune. Qu'elle n'oublie pas» cette 
jeunesse riche, qu'elle porte un poids lourd, la vie 
de ses pères, qui, en si peu de temps, ont monté» 
joui et déchu ; elle est lasse en naissant, et, toute 
jeune qu'elle est, elle a grand besoin de rajeunir 
en recueillant la pensée populaire. Ce qu'elle a de 
plus fort, c'est d'être encore tout près du peuple, 
sa racine , d'où elle est à peine sortie. Eh bien ! 
qu'elle y retourne de sympathie et de cœur, qu'elle 
y reprenne un peu de la sève puissante qui a fait, 
depuis 89, le génie, la richesse, la force de la 
France. 

Jeunes et vieux, nous sommes fatigués. Pour- 
quoi ne l'avouerions-nous pas, vers la fin de cette 
journée laborieuse qui fait une moitié de siècle ?. . . 
Ceux même qui ont traversé, comme moi, diverses 
classes, et qui à travers toute sorte d'épreuves, ont 
conservé l'instinct fécond du peuple, ils n'en ont 
pas moins perdu sur la route, en luttes intérieures, 
une grande partie de leurs forces... Il est tard, je 
le sens, le soir ne peut tarder, c Déjà l'ombre plus 
grande tombe du haut des monts. » 



LE PEUPLE RENOUVELLERA LA VtE ET LA SCIENCE. 115 

A nous donc, les jeunes et les forts. Venez, 
les travailleurs. Nous vous ouvrons les bras. Rap- 
portez-nous une chaleur nouvelle; que le monde, 
que la vie, que la science, recommencent 
encore. 

Pour ma part, j'espère bien que ma science, 
ma chère étude, Fhistoire, ira se ravivant à cette 
vie populaire, et deviendra par ces nouveaux ve- 
nus, la chose grande et salutaire que j'avais rêvée. 
Du peuple, sortira l'historien du peuple. 

Celui-là ne l'aimera pas plus que moi, sans 
doute. J'y ai tout mon passé, ma vraie patrie, 
mon foyer et mon cœur... Mais bien des choses 
m'ont empêché d'en prendre l'élément le plus 
fécond. La culture tout abstraite qu'on nous 
donne, m'a bien longtemps séché. Il m'a fallu 
de longues années pour effacer le sophiste qu'on 
avait fait en moi* Je ne suis arrivé à moi-même 
qu'en me dégageant de cet accessoire étranger; 
je ne me suis connu que par voie négative. Voilà 
pourquoi, toujours sincère, toujours passionné 
pour le vrai, je n'ai pas atteint l'idéal de simplicité 
grandiose que j'avais devant l'esprit. . . A toi, jeune 
homme, à toi reviennent les dons qui m'ont man- 
qué^. Fils du peuple, t'étant moins éloigné de lui, 

1 Mais je dois l'aider d'avance, et le préparer, ce jeune homme. Voilà 



il6 LE PEUPLE HENOUYËLLEHA LA SCIENCE. 

tu arriveras tout d'abord sur le terrain de son his- 
toire avec sa force colossale et son inépuisable 
sève; mes ruisseaux viendront d'eux-mêmes se 
perdre dans tes torrents. 

Je te donne tout ce que j'ai fait . . • Toi, tu me don- 
neras l'oubli. Puisse mon histoire imparfaite s'ab- 
sorber dans un monument plus digne , oii s'accor- 
dent mieux la science et l'inspiration, où parmi les 
vastes et pénétrantes recherches, on sente partout 
le souffle des grandes foules, et l'âme féconde du 
peuple ! 

pourquoi je continue mon histoire. Un livre est an moyen de faire un 
meilleur livre. 



CHAPITRE Vm. 

Revae de la première partie. Introduction à la seconde. 

En repassant des yeux cette longue échelle so- 
ciale, indiquée en si peu de pages, une foule 
d^idées, de sentiments pénibles m'obsède, un 
monde de tristesse. .. Tant de douleurs physiques! 
mais combien plus de souffrances morales ! . . . Peu 
me sont inconnues ; je sais, je sens, j'ai eu ma 
bonne part... Je dois néanmoins écarter et mes 
sentiments et mes souvenirs, et suivre dans ce 
nuage ma petite lumière. 

Ma lumière d'abord, qui ne me trompera pas, 
c'est la France. Le sentiment français, le dévoue- 
ment du citoyen à la patrie, est ma mesure pour 
juger ces hommes et ces classes ; mesure morale, 
mais naturelle aussi; en toute chose vivante, cha- 



118 GOMMENT CHAQUE CLASSE 

que partie vaut surtout par son rapport avec l'en- 
semble. 

En nationalité, c'est tout comme en géologie, la 
chaleur est en bas. Descendez, vous trouverez 
qu'elle augmente; aux couches inférieures, elle 
brûle. 

Les pauvres aiment la France, comme lui ayant 
obligation, ayant des devoirs envers elle. Les ri- 
ches l'aiment comme leur ap|)artenant, leur étant 
obligée. Le patriotisme des premiers, c'est le sen- 
timent du devoir; celui des autres, l'exigence, la 
prétention d'un droit. 

Le paysan, nous l'avons dit, a épousé la France 
en légitime mariage; c'est sa femme, à toujours; 
il est un avec elle. Pour l'ouvrier, c'est sa belle 
maîtresse; il n'a rien, mais il a la France, son 
noble passé, sa gloire. Libre d'idées locales, il 
adore la grande unité. Il faut qu'il soit bien misé- 
rable, asservi par la faim, le travail, lorsque ce 
sentiment faiblit en lui; jamais il ne s'éteint. 

Le malheureux servage des intérêts augmente 
encore, si nous montons aux fabricants, aux mar- 
chands. Us se sentent toujours en péril, marchent 
comme sur la corde tendue... La faillite! pour 
l'éviter partielle, ils risqueraient plutôt de la faire 
générale. . . Ils ont fait et défait Juillet. 



AIME LA FRANCE. 119 

Et pourtant peut-on dire que dans cette grande 
classe de plusieurs millions d'âmes, le feu sacré 
soit éteint, décidément et sans remède? Non, je 
croirais plus volontiers que la flamme est chez eux 
à l'état latent. La rivalité étrangère, l'Anglais, les 
empêchera d'en perdre l'étincelle. 

Quel froid, si je monte plus haut ! c'est comme 
dans les Alpes, J'atteins la région des neiges. La 
végétation morale disparaît peu à peu, la fleur de 
nationalité pâlit. C'est comme un monde saisi en 
une nuit d'un froid subit d'cgoïsme et de peur. . . 
Que je monte encore un degré, la peur même a 
cessé, c'est l'égoïsme pur du calculateur sans pa- 
trie; plus d'hommes, mais des chiffres... Vrai gla- 
cier abandonné de la nature * . . . Qu'on me permette 



^ Ces glaciers n*ont pas Tiroparliale indifférence de ceux des Alpes, 
qai n'accumulent les eaux fécondes que pour les terser indistincte- 
ment aux nations. Les Juifs, quoi qQ*on dise, ont une patrie, la bourse 
de Londres ; ils agissent partout , mais leur racine est au pays de l'or. 
Aujourd'hui que la paix armée, celte guerre immobile qui ronge l'Eu- 
rope , leur a mis f es fonds de tous les états entre les mains, que pen- 
veat-il8 aimer? le pays du êialu quo, l'Angleterre. Que peuvent-ils 
hé^irt le pays du mouvement, la France... Us ont cru dernièrement 
l'amortir en achetant une vingtaine d'hommes que la France renie. 
Autre faute : par vanité, par un sentiment exagéré de sécurité, ils ont 
mis des rois dans leur bande , se sont mêlés à l'aristocratie, et par là, 
se sont associés aux hasards politiques. Voilà ce que leurs pères, Mes 
Juifs du moyen âge, n*auraient jamais fait. Quelle décadence dans la 
sagesse jttive ! 



1:20 MiSÈKES DES CLASSES SUPÉRIEURES. 

de descendre, le froid est trop grand ici pour moi, 
je ne respire plus. 

Si, comme je le crois, Tamour est la vie même, 
on vit bien peu là haut. Il semble qu'au point de 
vue du sentiment national, qui fait qu'un homme 
étend sa vie de toute la grande vie de la France, 
plus on monte vers les classes supérieures, moins 
on est vivant. 

Du moins, en récompense, est-on moins sensi- 
ble aux souffrances, plus libre, plus heureux? j'en 
doute. Je vois par exemple que le grand manufac- 
turier, tellement supérieur au misérable petit pro- 
priétaire rural, est comme lui, et plus souvent en- 
core que lui, esclave du banquier. Je vois que le petit 
marchand qui a mis son éparçne aux hasards du 
commerce, qui y compromet sa famille (comme j'ai 
expliqué), qui sèche d'attente inquiète, d'envie, de 
concurrence, n'est pas beaucoup plus heureux que 
l'ouvrier. Celui-ci, s'il est célibataire, s'il peut, sur 
sa journée de quatre francs, épargner trente sols, 
pour les chômages, est sans comparaison plus 
gai que l'homme de boutique, et plus indépendant. 

Le riche, dira-t-on, ne souffire que de ses vices. 
— Cela déjà, c'est beaucoup ; mais il y faut ajou- 
ter l'ennui , la défaillance morale , le sentiment 
d'un homme qui valut mieux, et qui conserve as- 



L'UOMMB DEVENU TftÉS-SENSlBLE. 12! 

sez de vie pour sentir qu'elle baisse » pour voir 
dans les moments lucides qu'il ^fonce dans les 
misères et les ridicules du petit esprit... Baisser, 
ne plus pouvoir faire acte de volonté qui vous 
relève , quoi de plus triste? Du Français, tomber 
au cosmopolite, à l'homme quelconque, et de 
l'homme au mollusque ! 

Qu'ai-je voulu dire, en tout ceci? que le pauvre 
est heureux ? Que toute destinée est égale? c Qu'il 
y a compensation? » Dieu me garde de soutenir 
une thèse si fausse, si propre à tuer le cœur, à 
rassurer l'égoïsme!... Ne vois-je pas, ne sais-je 
pas d'expérience , que la souffirance physique, loin 
d'exclure la souffirance morale , s'unit le plus sou- 
vent à elle ; terribles sœurs qui s'entendent si bien 
pour écraser le pauvre ! . . . Voyez, par exemple, le 
destin de la femme dans nos quartiers indigents; 
elle n'enfante presque que pour la mort, et trouve 
dans le besoin matériel une cause infinie de dou- 
leurs morales. 

Au moral, au physique, cette société a, par- 
dessus les autres, un mal qui lui est propre: 
elle est devenue infiniment sensible. Que les 
maux ordinaires à l'homme aient diminué, je le 
crois, l'histoire le prouve assez, fls ont diminué 
toutefois dans une proportion finie, et la sensibi- 



122 iROissé 

lité a augmenté infinbiieiit; Pendant que la pensée 
agrandie ouvrait une sphère nouvelle à la douleur» 
le ooQuf donnait^ par l'amouT, fwt les liens de fa- 
mille, de nouvelles prises à la fortune. .. Chères 
occasions de souffrir, que personne à coup sûr, 
ne veut sacrifier... Mais c<)mbien elles ont rendu 
la vie plus inquiète ! On nb souffre plus du présent 
seulement, mais de l'avenir^ du possible. L'âme, 
tout endolorie d'avance^ sent et pressent le vd^\ 
qui doit venir, celui parfois qui ne viendra Jamais. 

Pour comMe, cet âge d'extrême sensibilité indi- 
viduelle est justement celui où tout se fait par les 
moyens coUectifé qui se prêtent le moins à mé- 
nager l'individu. L'action, en tout genre, se cen- 
tralise autour de quelque grande force, et bon 
gré malgré l'homme entre dans ce tourbillon. 
Combien peu il y pèse, ce que deviennent^ dans 
ces vastes systèmes impersonnels, ses pensées 
les plus chères, ses poignantes douleurs, hélas ! 
qui peut le dire?... La machine roule immense, 
majestueuse, indifférente, sans savoir seulement 
que ses petits rouages, si durement froissés, ce 
sont des hommes vivants. 

Ces roues animées qui fonctionnent sous une 
même impulsion, se connaissent-elles au moins 
les unes les autres? Leur rapport nécessaire de 



RàR LB KACBDIlfllIB. i» 

eoopéhition produit-il un rapport moral?... Nul- 
lement. C'est le mystère étrange de cet âge ; le 
temps où Ton agit le plus ensemble, est peùt--être 
celui où les cœurs sont le moins unis. Les moyens 
collectifs qui mettent en commun la pensée, la 
font circuler, la répandent, n'ont jamais été plus 
grands, jamais l'isolement plus profond. 

Le mystère reste inexplicable^ pour qui n'ob- 
serve pas historiquement le prc^ës du système 
dont il résulte. Ce système, je l'appelle d'un mot 
le Machinisme; qu'on me permette d'en rappeler 
l'origine. 

Le moyen âge posa une formule d'amour, et 
il n'aboutit qu'à la haine. U consacrait l'inégalité, 
l'injustice, qui rendait l'amour impossible. La 
violente réaction de l'amour et de la nature qu'on 
appelle la Renaissance, ne fonda point l'ordre 
nouveau, et parut un désordre. Le monde, pour 
qui l'ordre était un besoin, dit alors: < Eh! bien, 
n'aimons pas; c'est assez d'une expérience de 
mille ans. Cherchons l'ordre et la force dans 
l'union des forces; nous trouverons des machi- 
nes qui les tiendront assemblées sans amour, qui 
encadreront, serreront si bien les hommes, cloués, 
rivés, vissés, que, tout en se détestant, ils agiront 
d'ensemble. > £t alors, on refit des machines ad- 



121 MACHINISME ADMINISTRATIF, 

ministratives^ analogues à celles du vieil Empire 
romain, bureaucratie à la Colbert, armées à la 
Louvois. Ces machines avaient l'avantage d'em- 
ployer l'homme comme force régulière, la vie, 
moins ses caprices, ses inégaUtés. 

Toutefois, ce sont encore des hommes; ils en 
gardent quelque chose. La merveille du Machi- 
nisme, ce serait de se passer d'hommes. Cherchons 
des forces qui, une fois mues par nous, puissent 
agir sans nous, comme les roues de l'horlogerie. 

Mues par nous? c'est encore de l'homme, c'est 
un défaut. Que la nature fournisse, non-seulement 
les éléments de la machine, mais le moteur. . . C'est 
alors qu'on créa ces ouvriers de fer, qui, de cent 
mille bras, cent mille dents, peignent, filent, tis- 
sent, ouvrent de toute façon ; la force, ils la pren- 
nent, comme Ântée, au sein de leur mère, la na- 
ture, aux éléments, à l'eau qui tombe, ou qui, cap- 
tive, distendue en vapeur, les anime, les soulève, 
de son puissant soupir. 

Machines politiques pour rendre nos actes so- 
ciaux uniformément automatiques, nous dispenser 
de patriotisme; machines industrielles qui, créées 
une fois, multiplient à l'infini des produits mono- 
tones, et qui, par l'art d'un jour, nous dispensent 
d'être artistes tous les jours... tlela, c'est déjà 



INDUSTRIEL, PHILOSOPHIQUE, LITTÉRAmE. 125 

bien, l'homme ne paraît plus beaucoup^. Le Ma- 
chinisme néanmoins veut davantage; l'homme 
n'est pas encore mécanisé assez profondément. 

Il garde la réflexion solitaire, la méditation phi- 
losophique, la pensée pure du Vrai. Là, on ne 
peut l'atteindre, à moins qu'une scolastique d'em- 
prunt ne le lire de lui-même pour l'engager dans 
ses formules. Une fois qu'il aura mis le pied dans 
cette roue qui tourne à vide, la Machine à pen- 
ser, engrenée dans la machine politique, roulera 
triomphante, et s'appellera pAi/osopAte d'États 

La fantaisie reste encore libre, la vaine poésie, 
qui aime et crée à son caprice... Inutile mouve- 
ment! fôcheuse disperdition de forces!... Les ob- 
jets que la fantaisie va suivant au hasard , sont-ils 
donc si nombreux, qu'on ne puisse, en les classant 
bien, frapper pour chaque classe, un moule, où 
nous n'aurons plus qu'à couler, au besoin du jour, 
tel roman ou tel drame, toute œuvre qu'on com- 
mandera? Phis d'hommes alors dans le travail 
littéraire, plus de passion, plus de caprice... 
L'économie anglaise rêvait, comme idéal indusr- 
triel, une seule machine, un seul homme pour 
la remonter. Combien le triomphe est plus beau, 
pour le Machinisme, d'avoir mécanisé le monde 
ailé de la fantaisie ! 



126 a NOUS DISPENSE D'UNION MORALE. 

Résumons cette histoire : 

L'État, moins la patrie ; l'industrie et la littéra- 
ture, moins l'art; la philosophie, moins l'examen; 
l'humanité, moins l'homme. 

Comment s'étonner si le monde souffre, ne 
respire plus sous cette machine pneumatique; il 
a trouvé moyen de se passer de ce qui est son 
âme, sa vie ; je parle de l'amour. 

Trompé par le moyen âge qui promit l'union et 
ne tint pas parole, il a renoncé, et cherché, dans 
son découragement, des arts pour n'simer pas. 

Les machines (je n'excepte pas les plus belles, 
industrielles, administratives), ont donné, à 
l'homme, parmi tant d'avantages^ > une malheu- 
reuse faculté, celle d'unir les forces sans c^voir 
besoin d'unir les cœurs, de coopérer sans aimer ^ 
d'agir et vivre ensemble, sans se connaître ; la 
puissance morale d'association a perdu tout ce que 
gagnait la concentration mécanique. 

Isolement sauvage dans la coopération même, 
contact ingrat, sans volonté, sans chaleur, qu'on 
ne ress^t qu'à la dureté des frottements. Le ré- 
sultat n'est pas l'indifférepce^ comme on croirait, 

1 Je ne songe nullement à contester ces avantages (V. plus haut, 
p. 54). Qui voudrait revenir aux temps dMmpuissance, oh l'homme 
n'avait point de machines ? 



HAINES D'IGNORANCE BNTKE LES CLASSES. 127 

mais l'antipathie et la haine, non la simple néga- 
tion de la société , mais son contraire, la société 
travaillant activement à devenir insodable. 

J'ai sous les yeux , j'ai dans le cœUr, la grande 
revue de nos misères qu'on a faite avec moi. Eh ! 
bien, j'affirmerais sous serment, qu'entre toutes 
ces misères, très-réelles, que je n'atténue pas, 
la pire encore, c'est la misère d'esprit. J'entends 
par là l'ignorance incroyable oh nous vivons les 
uns à l'égard des autres , les hommes pratiques 
aussi bien que les sj[)éculatiib. Et de cette ignorance, 
la cause principale^ c'est que nous ne croyons pas 
avoir besoin de nous connaître; mille moyens 
mécaniques d'agir sans l'âme , nùus dispensent de 
savoir ce que c'est que l'homme, de le voir autre- 
ment que comme force, comme chiffre... Chiffre 
nous-mêmes et chose abstraite, débarrassés de 
l'action vitale par le secours du Machinisme, nous 
nous sentons chaque jour baisser et tourner à 
z^o. 

J'ai observé cent fois la parfaite ignorance où 
chaque classe vit à l'égard des autres , ne voyant 
pas, et ne voulant pas voir. 

Nous, par exemple, les esprits cultivés , que de 
peine nous avons à reconnaître ce qu'il y a de 
bon dans le peuple! Nous lui imputons mille 



128 MAINES D'IGNORANCE. 

choses qui tiennent, presque fatalement, à sa si- 
tuation, un habit vieux ou sale , un excès après 
l'abstinence, un mot grossier, de rudes mains, que 
sais-je?... Et que deviendrions-nous, s'ils les 
avaient moins rudes?... Nous nous arrêtons à des 
choses extérieures , à des misères de forme, et 
nous ne voyons pas le bon cœur, le grand cœur qui 
est souvent dessous. 

Eux d'autre part, ils ne soupçonnent pas qu'une 
âme énergique puisse se trouver dans un corps 
faible. Ils se moquent de la vie de cul-de-jatte que 
mène le savant. C'est un fainéant, à leur sens. Ils 
n'ont aucune idée des puissances de la réflexion, 
de la méditation, de la force de calcul décuplée par 
la patience. Toute supériorité qui n'est point ga- 
gnée à la guerre, leur semble mal gagnée. Que de 
fois, j'ai entrevu en souriant que la Légion-d'Hon- 
neur leur semblait mal placée sur ua homme ché- 
1k(, de pâle et triste mine. . . 

Oui, il y a mal entendu. Ils méconnaissent les 
puissances de l'étude, delà réflexion persévérante, 
qui font les inventeurs. Nous méconnaissons l'ins- 
tinct, l'inspiration, l'énergie qui font les héros. 

C'est là, soyez en sûr, le plus grand mal du 
monde. Nous nous haussons, nous nous méprisons, 
c'est-à-dire, nous nous ignorons. 



LE MAL EST SURTOUT DANS LE DIVORCE 129 

Les remèdes partiels qu'on pourra appliquer, 
sont bons, sans doute, mais le remède essentiel, 
est un remède général. Il faudrait guérir Tâme. 

Le pauvre suppose qu'en liant le riche par telle 
loi, tout est fini, que le monde ira bien. Le riche 
croit qu'en ramenant le pauvre à telle forme reli- 
ligieuse, morte depuis deux siècles, il raffermit la 
société. . . Beaux topiques I Hs imaginent apparem- 
ment que ces formules, politiques ou religieuses, 
ont une certaine force cabalistique pour lier le 
monde, comme si leur puissance n'était pas dans 
l'accord qu'elles trouvent ou ne trouvent pas dans 
le cœur ! 

Le mal est dans le cœur. Que le remède soit 
aussi dans le cœur ! Laissez là vos vieilles recettes. 
Il faut que le cœur s'ouvre, et les bras... Eh! 
ce sont vos frères, après tout. L'avez-vous 
oublié?... 

Je ne dis pas que telle ou telle forme d'associa- 
tion ne puisse être excellente. Mais il s'agit bien 
moins d'abord déformes que de fonds. Les formes 
les plus ingénieuses ne vous serviront guère si 
vous êtes insociables. 

Entre les hommes d'étude, de réflexion, et les 
hommes d'instinct, qui fera le premier pas? Nous, 
les hommes d'étude. L'obstacle (répugnance? pa- 



iSO DES HOBfMES D*INSTIN€T BT DES HOMHES DE RÉFLEXIONJ 

reçse? indiiférence?) est frivole de notre côté. Du 
leur, l'obstacle est vraiment grave, c'est la fata- 
lité d'ignorance, c'est la soufi&*ance qui ferme et 
sèche le cœur. 

Le peuple réfléchit, sans doute, et souvent plus 
que nous. Néanmoins, ce qui le caractérise, ce 
sont les puissances instinctives, qui touchent éga- 
lement à la pensée et à l'activité. L'homme du peu- 
ple, c'est surtout l'homme d'instinct et d'action. 

Le divorce du monde est principalement l'ab-i 
surde opposition qui s'est faite aujourd'hui, dans 
l'âge machiniste, entre l'instinct et la réflexion, 
c'est le mépris de celle-ci pour les facultés instinc- 
tives, dont elle (^oit pouvoir se passer. 

Donc, il faut que J'explique ce que c'est que 
l'instinct, l'inspiration, que je pose leur droit. 
Suivez-moi, je vous prie, dans cette recherche. 
C'est la condition de mon sujet. La cité politique 
ne se connaîtra en soi, dans ses maux et dans ses 
remèdes, que quand elle se sera vue au miroir de 
la cité morale. 



DEUXIÈME PARTIE. 

DE L'AFFRANCHISSEMENT PAR L'AMOUR. 



LA NATURE. 



CHAPITRE I. 

L'instinet du peuple, pea étadié JasqaMci. 

AU moment de commencer cette vaste et difficile 
recherche, je m'aperçois d'une chose peu rassu- 
rante, c'est que je suis seul sur cette route; je n'y 
rencontre personne dont je puisse tirer secours. 
Seul ! je n'en irai pas moins, plein de courage et 
d'espérance. 

De nobles écrivains, d'un génie aristocratique, 

8 



134 ON N'A GUÈRE PEINT 

et qui toujours avaient peint les mœurs des classes 
élevées, se sont souvenus du peuple; ils ont entre- 
pris, dans leur bienveillante intention, de mettre 
le peuple à la mode. Ils sont sortis de leurs salons, 
ont descendu dans la rue, et demandé aux pas- 
sants où le peuple demeurait. On leur a indiqué les 
bagnes, les prisoijs, les mauvais lieux, 

n est résulté de ce malentendu une chose très- 
fâcheuse, c'est qu'ils ont produit un eflTet contraire 
à celui qu'ils avaient cherché. Ils ont choisi, peint, 
raconté, pour nous intéresser au peuple, ce qui 
devait naturellement éloigner et effrayer, c Quoi ! 
le peuple est fait ainsi ? i> s'est écrié d'une voix la 
gent timide des bourgeois. « Vite, augmentons la 
police, armons-nous, fermons nos portes, et met- 
tons-y le verrou! > 

H se trouve cependant, à bien regarder les 
choses, que ces artistes, grands dramaturges 
avant tout, ont peint, sous le nom du peuple, une 
classe fort limitée, dont la vie, toute d'accidents, 
de violences et de voies de fait, leur ofirait un pit- 
toresque facile» et des succès de terreur. 

Criminalistes, économistes, peintres de mœurs, 
ils se sont occupés tous, à peu près exclusivement, 
d'un peuple exceptionnel. 

De cette classe déclassée, qui nous effraye tous 



QU'UN PEUPLE EXCEPTIONNEL, 135 

les ans du progrès du crime, du nombre des réci- 
dives. C'est un peuple bien connu qui, grâce à la 
publicité de nos tribunaux, à la lenteur conscien- 
cieuse de nos procédures, occupe ici dans Tatten- 
tion une place qu'il n'obtient en nul pays de l'Eu- 
rope. Les jugements secrets de l'Allemagne, la 
rapide justice anglaise, ne donnent aux criminels 
que l'on cache ou qu'on déporte, nulle illustration. 
L'Angleterre, deux ou trois fois plus riche que la 
France en ce genre, n'étale pas ainsi ses plaies. 
Ici, au contraire, il n'est aucune classe qui ob- 
tienne les honneurs d'une publicité plus complète. 

Société étrange, qui vit aux dépens de l'autre, 
et qui n'en est pas moins suivie par elle avec 
intérêt; elle a ses journaux pour enregistrer 
ses gestes, arranger ses paroles et lui prêter de 
l'esprit. Elle a ses héros, ses illustres, que tout le 
monde connaît par leur nom, et qui viennent pé- 
riodiquement aux assises nous raconter leurs 
campagnes. 

Cette tribu d'élite qui a le privilège de poser 
presque seule devant les peintres du peuple, se re- 
crute principalement dans la foule des grandes 
villes ; nulle classe n'y contribue plus que la classe 
industrielle. 

Ici encore les criminalistes ont dominé l'opi- 



J36 UNE CLASSE PEU NATURELLE, 

nion ; c'est à leur suite et sous leur inspiration, 
que les économistes ont étudié ce qu'ils appelaient 
le peuple ; pour eux, le peuple, c'est surtout l'ou- 
vrier, et très-spécialement l'ouvrier des manufac- 
tures. Cette façon de parler qui ne serait pas im- 
propre en Angleterre, où la population industrielle 
fait les deux tiers du tout, l'est singulièrement en 
France, dans une grande nation agricole, où l'ou- 
vrier ne fait pas la sixième partie de la population*. 
C'est une classe nombreuse, mais, enfin, une pe- 
tite minorité. Ceux qui y vont chercher leurs mo- 
dèles n'ont pas droit d'écrire au bas que c'est là le 
portrait du peuple. 

Examinez bien ces foules spirituelles et cor- 
rompues de nos grandes villes qui occupent tant 
l'observateur, écoutez leur langage, recueillez 
leurs saillies, souvent heureuses, vous découvri- 
rez une chose que personne n'a remarquée encore, 
c'est que ces gens qui parfois ne savent pas lire, 
n'en sontpas moins à leur manière des esprits très- 
cultivés. 

Les hommes qui vivent ensemble, et se tou- 
chent toujours, se développent nécessairement 
au simple contact, et comme par l'effet de 1 a 

1 Et sur ce siiléme, l'ouvrier desmanufactares fail une partie minime. 



DÉPRAVÉE. 137 

chaleur naturelle. Ils se donnent une éducation, 
mauvaise, si Ton veut, mais enfin une éducation. 
La vue seule d'une grande ville où, sans vouloir 
rien apprendre, on s'instruit à chaque instant, où, 
pour avoir connaissance de mille choses nouvelles, 
il suffit d'aller dans la rue, de marcher les yeux 
ouverts, cette vue, cette ville, sachez-le bien, 
c'est une école. Ceux qui y vivent, ne vivent 
nullement d'une vie instinctive et naturelle ; ce 
sont des hommes cultivés, qui observent bien ou 
mal, et bien ou mal réfléchissent. Je les vois 
souvent très-subtils et d'une subtilité mauvaise. 
Les effets d'une culture raffinée ne sont là que trop 
visibles. 

Si vous voulez trouver dans le monde quel- 
que chose de contraire à la nature, de directe- 
ment opposé à tous les instincts de l'enfance, re- 
gardez cette créature artificielle qu'on nomme le 
gamin de Paris ^. Plus artificiel encore, le dernier 
né du Diable, l'affreux petit homme de Londres, 
qui à douze ans trafique, vole, boit du gin et va 
chez les filles. 



1 C*e8t one merveille du caractère national, que cet enfant aban- 
donné, provoqué au mal et surexcité de toute façon, conserve quelques 
qualités, l'esprit, le courage. 

8. 



438 CE N'EST POINT LA LE PEUPLE. 

Artistes, voilàdonc vos modèles... Le bizarre, 
l'exceptionnel, le monstrueux, c'est là ce qiie vous 
cherchez . Moraliste, caricaturiste ? Quelle différence 
aujourd'hui? 

Un homme vint un jour proposer une mnémo- 
nique au grand Thémistocle. Il répondit amère- 
ment : « Donne-moi donc plutôt un art d'oublier. » 

Que Dieu me le donne, cet art, pour oublier au- 
jourd'hui tous vos monstres, vos créations fantas- 
ques, les exceptions choquantes dont vous em- 
brouillez mon sujet. Vous allez, la loupe à la main, 
vous cherchez dans les ruisseaux, vous trouvez là 
je ne sais quoi de sale et d'immonde, et vous 
nous le rapportez : « Triomphe ! Triomphe ! Nous 
avons trouvé lé peuple \ :» 

Pour nous intéresser à lui, ils nous le montrent 
forçant les portes et crochetant les serrures. A ces 
récits pittoresques, ils ajoutent les théories pro- 
fondes par lesquelles le peuple, à les entendre, se 
justifie à lui-même cette guerre à la propriété... 
Vraiment, c'est une terrible misère pour lui, par- 
dessus tant d'autres, d'avoir ces imprudents amis. 
Ces actes, ces théories, ne sont nullement du 
peuple. La masse n'est sans doute ni pure, ni ir- 
réprochable; mais enfin, si vous voulez la carac- 
tériser par l'idée qui la domine dans son immense 



IL FAUT LE PRENDRE DANS SA MAS% 139 

majorité, vous la verrez occupée tout au contraire 
de fonder par le travail, Téconomie, les moyens les 
plus respectables, l'œuvre immense qui fait la force 
de ce pays, la participation de tous à la propriété. 

Je le disais, je me sens seul, et j'en serais at- 
tristé,, si je n'avais avec moi ma foi et mon espé- 
rance. Je me vois faible, et de nature, et de mes 
travaux antérieurs, devant ce sujet immense, 
comme au pied d'un gigantesque monument que 
seul il me faut remuer. . . Ah ! qu'il est aujourd'hui 
défiguré, chargé d'agrégations étrangères, de 
mousses et de moisissures, sali des pluies, de la 
terre, de Tinjure des passants!... Le peintre, 
l'homme de r art pour l'art, vient, repurde, et 
ce qui lui plaît, ce sont justement ces mousses... 
Moi, je voudrais les arracher. Ceci, peintre qui 
passez, jce n'est pas un jouet d'art, voyez-vous, 
c'est un autel ! 

Il faut que je perce la terre, que je découvre les 
bases profondes de ce monument; l'inscription, je 
le vois, est maintenant tout enfouie , cachée bien 
loin là-dessous... Je n'ai pour creuser là, ni pio- 
che, ni fer, ni pic ; mes ongles y suffiront. 

J'aurai peut-être le bonheur que j'eus il y a dix 
ans, lorsque je découvris à Holyrood deux curieux 
monuments. J'étais dans la fameuse chapelle qui , 



140 IL FAUT LE PRENDRE DANS SA MASSE 

depuis longtemps n'ayant plus de toit ^ reçoit la 
pluie, le brouillard, et a couvert tous ses tom- 
beaux d'une mousse épaisse , verdâtre. Le souve- 
nir de l'ancienne alliance, si malheureusement per- 
due , me faisait regretter de ne pouvoir rien lire 
sur ces tombeaux des vieux amis de la France. 
Machinalement, j'écartai les mousses d'une de ces 
pierres, et je lus l'inscription d'un Français qui le 
premier avait pavé Edimbourg. Ma curiosité exci- 
tée me mena vers une autre pierre marquée d'une 
tête de mort. Cette tombe, tout à fait couchée, 
était ensevelie elle-même dans un linceul de moi- 
sissures. De mes ongles, je grattai, n'ayant nul 
autre instrument, et je commençai à lire quelque 
chose d'une inscription latine, quatre mots presque 
effacés, que je déchiffrai à la longue, des mots 
d'un sens fort grave, bien propre à faire rêver et 
qui faisait soupçonner une destinée tragique. Ces 
mots étaient ceux-ci : « Legibus fidus, non régi-- 
bus, » Fidèle aux lois, non aux rois* 

Aujourd'hui encore je creuse... Je voudrais at- 
teindre au fond de la terre. Mais ce n'est pas cette 

1 Voici rinscription toute entière, comme je la los, ou crus la lire, 
car elle était presque effacée sous cette mousse de trois siècles : 
W, BiÊTUr, Legibui /IdiM, non regihu, Januar. 1588. 



ET DANS SA PROFONDEUR. Ul 

fois un monument de haine et de guerre civile que 
je voudrais exhumer... Ce que je veux, c'est au 
contraire, de trouver, en descendant sous cette 
terre stérile et froide , les profondeurs où recom- 
mence la chaleur sociale , où se garde le trésor de 
la vie universelle, où se rouvriraient pour tous 
les sources taries de Tamour. 



CHAPITRE II. 

L*instinct da peuple, altéré, mais paissant. 

La critique m'attend au premier mot , et elle 
m'impose silence : « Vous avez fait en cent et quel- 
ques pages un long bilan des misères sociales, des 
servitudes attachées à chaque condition. Nous 
avons patienté , dans l'espoir qu'après les maux, 
nous saurions enfin les remèdes. A des maux si 
réels, si positifs, tellement spécifiés, nous attendons 
que vous opposerez autre chose que des paroles 
vagues , une banale sentimentalité, des remèdes 
moraux, métaphysiques. Proposez des réformes 
précises ; dressez, pour chaque abus, une formule 
nette de ce qu'il faut changer ; adressez-la aux 
Chambres... Ou, si vous en restez aux plaintes, 
aux rêveries, il vaut mieux retourner à votre 
moyen âge que vous n'auriez pas dû quitter. » 



NOTRE RECHERCHE N'EST POINT EXTÉRIEURE 145 

Les remèdes spéciaux n'ont pas manqué , ce 
semble. Nous en ayons quelque cinquante mille 
au Bulletin des lois; nous y ajoutons tous les 
jours, et je pe vois pas que nous en allions mieux. 
Nos médecins législatifs traitent chaque sym- 
ptôme « qui apparaît ici et là, comme une maladie 
isolée et distincte, et croient y remédier par telle 
application locale. Us sentent peu la solidarité 
profonde de toutes les parties du corps social, 
et celle de toutes les questions qui s'y rappor- 
tent*. 

Hérodote nous conte que les Égyptiens, dans 
l'enfance de la science, avaient des médecins diffé- 
rents pour chaque partie du corps; l'un soignait 
le nez, l'autre l'oreille, tel le ventre, etc. Il leur 
importait peu que leurs remèdes s'accordassent; 
chacun d'eux travaillait à part, sans déranger les 
autres ; si, chaque membre guéri, l'homme mou- 
rait, c'était son affaire. 

J'ai eu, je l'avoue, unautre idéal de la médecine. 

1 Pour citer un exemple , ils n'ont pas voulu voir que la question 
pénitentiaire était une dépendance de celle de rinstniction publique. 
QuMl s'agisse de former Thomme ou de le reformer, de l'élever ou de 
le relever, ce n'est pas le maçon, c'est l'instituteur que doit appeler 
rÉtat; l'instituteur religieux, moral, national, qui parlera au nom de 
Dieu et au nom de la France, J'ai vu telle misérable créature qu'on 
croyait désespérée , où le sentiment moral et religieux n'aurait eu au- 
cune prise, garder encore celui de la patrie. 



iU NOUS:ÉTUDIONS LE PEUPLE DANS SON PRÉSENT, ' 

Il m'a paru, qu'avant tout remède extérieur et lo- 
cal^ il ne serait pas inutile de s'informer du mal 
intérieur qui produit tous ces symptômes. Ce 
mal, c'est, selon moi, le refroidissement, la pa- 
ralysie du cœur qui fait Tinsociabilité; et celle- 
ci lient surtout à Tidée feusse que nous pouvons 
impunément nous isoler, que nous n'avons aucun 
besoin des autres. Les classes riches et cultivées 
spécialement s'imaginent qu'elles n'ont rien à voir 
avec l'instinct du peuple, que leur science de livres 
suffit à tout, que les hommes d'action ne leur ap- 
prendraient rien. Il m'a fallu, pour les éclairer, 
approfondir ce qu'il y a de fécond dans les facultés 
instinctives et actives. Cette route était longue, 
mais légitime, et nulle autre ne l'était. 

J'apporte à cet examen trois choses avec moi. 
Quand je disais tout à l'heure que j'étais seul, 
j'avais tort. 

1^ J'apporte V observation du présmty observa- 
tion d'autant plus sérieuse, qu'en moi, elle n'est 
pas seulement du dehors, mais aussi du dedans. 
Fils du peuple, j'ai vécu avec lui, je le connais, 
c'est moi-même... Comment pourrais-je, étant 
ainsi au fond des choses, me fourvoyer, comme 
d'autres, et m'en aller prendre l'exception pour la 
règle, les monstruosités pour la nature. 



DANS SON PASSÉ. Ul'i 

2° Mon deuxième avantage, c'est que m'occu- 
pant moins de telle nouveauté dans les mœurs, de 
telle classe spéciale, née d'hier, mais me tenant 
dans la généralité légitime de la ms^se, je la relie 
sans peine à son passé. Les changements, dans 
les classes inférieures, sont bien plus lents qu'en 
haut. Je ne vois point naître cette masse brusque- 
ment, par hasard, comme un monstre éphé- 
mère qui jaillirait du sol ; je la vois qui descend 
par une génération légitime du fond de l'histoire. 
La vie est moins mystérieuse quand on sait la 
naissance, les aïeux et les précédents, quand on 
a vu longtemps comment l'être vivant existait, 
pour ainsi parler, bien avant de naître. 

S** Prenant ainsi ce peuple dans son présent et 
son passé, je vois ses rapports nécessaires se ré- 
tablir a'i;ec les autres peuples, à quelque degré de 
civilisation ou de barbarie qu'ils soient parvenus. 
Ils s'expUquent tous entre eux, et se commen- 
tent. A telle question que vous posez sur l'un, 
c'est l'autre qui répond. Tel détail, par exemple, 
dans les habitudes de nos montagnards des Pyré- 
nées, d'Auvergne, vous le trouvez grossier ; moi, 
je le vois barbare ; comme tel, je le comprends, je 
le classe, j'en sais la place et la valeur dans la vie 
générale. Que de choses, effacées à demi dans nos 



i46 DANS SES RAPPORTS AVEC LES AUTRES PEUPLES. 

mœurs populaires, semblaient inexplicables, dé- 
pourvues de rai^n et de sens, et qui repanâssaot 
pour moi dans leur accord avec l'inspiration primi- 
tive, se sont trouvées n'être autre chose que la 
sagesse d'un monde oublié... Pauvres débris sans 
forme que je rencontrais sans les reconnaître, 
mais, par je ne sais quel pressentiment, je nç vou- 
lais pas les laisser traîner sur le chemin ; au hasard, 
je les ramassais, j'en remplissais les paâs de mon 
manteau... Puis, en bien regardant, je découvrais 
avec une émotion religieuse, que ce n'était ni 
pierre, ni caillou, que j'avais rapporté, maia le3 os 
de mes pères ^. 

Cette critique du présent par. le passé, par la 
comparaison variée des peuples, des âges diffé- 
rents, je ne pouvais la faire dans ce petit livre. 
Elle ne m'en a pas moins servi à contrôler, à 
éclairer les résultats que me donnaient sur nos 
mœurs actuelles l'observation, la lecture, l'infor- 
mation de toute espèce. 

« Mais, dira-t-on, ce contrôle lui-même n'a-t- 
il, pas son danger? Cette critique n'est-cdle pas 
hardie? Le peuple que nous voyons, conserve- 
t-il quelque rapport sérieux avec ses origines? 

*■ Ceux qai connaissent mon livre des Originei du droite compren- 
éront bien ceci. 



Le NOTRE ESt-lL POÉTIQUE? U7 

Prosaïque à ce points peut-il rappeler en rien les 
tribus qui, dans leur barbarie/gardent un souffle 
poétique?. . . Nous ne prétendons pas que la fécon- 
dité, la puissance créatrice ait manqué aux masses 
populaires. Elles produisent, à Tétat sauvage ou 
barbare ; les chants nationaux de tous les peuples 
primitifs le témoignent assez. Elles produisent 
aussi, lorsque transformées par la culture, elles 
s- approchent des classes supérieures et s'y mê- 
lent. Mais le peuple qui n'a ni l'inspiration primi- 
tive , ni la culture, le peuple qui n'est ni civilisé, 
ni sauvage, qui est> dans l'état intermédiaire, tout 
à la fois vulgaire et rude, ne reste-fr-il pas impuis- 
sant?... Les sauvages eux-mêmes, qui ont natu- 
rellement beaucoup d'élévation et de poésie, voient 
avec dégoût nos émîgrants, sortis de ces popula- 
tions grossières. > 

Je ne conteste pas l'état de dépression , de dé- 
génération physique, parfois morale/ où se 
trouve aujourd'hui le peuple, surtout celui des 
villes. Toute la masse des travaux pesants , toute 
la charge que , dans l'antiquité , l'esclave portait 
seul, s'est trouvée aujourd'hui partagée entre 
les hommes libres des classes inférieures*' Tous 
participent aux misères, aux vulgarités prosaï-- 
ques, aux laideurs de l'esclavage. Les races les 



148 IL SB DÉFIE TR(H» DE LUI-MÊME. 

plus heureusement nées, nos jolies races du Midi , 
par exemple , si vives et si chanteuses , sont tris- 
tement courbées par le travail. Le pis, c^est qu'au- 
jourd'hui Tâme est souvent aussi courbée que les 
épaules; la misère, le besoin, la peur de Tusurier, 
du garnisaire, quoi de moins poétique? 

Le peuple a moins de poésie en lui-même, et 
il en trouve moins dans la société qui l'entoure. 
Cette société a du moins rarement le genre de 
poésie qu'il peut apprécier, le détail saisissant dans 
le pittoresque ou le pathétique. Si elle a une 
haute poésie, c'est dans les harmonies, souvent 
très-compliquées^ qu'un œil peu exercé ne saisit 
pas. 

L'homme pauvre et seul, entouré de ces objets 
immenses, de ces énormes forces collectives qui 
l'entraînent, sans qu'il les comprenne, se sent 
faible, humilié. Il n'a nullement l'orgueil qui rendit 
jadis si puissant le génie individuel. Si l'interpré- 
tation lui manque, il reste découragé devant cette 
grande société qui lui semble si forte, si sage et si 
savante. Tout ce qui vient du centre lumineux , il 
l'accepte, le préfère sans difficulté à ses propres 
conceptions. Devant cette sagesse, la petite muse 
populaire se contient, elle n'ose souffler. La pre- 
mière impose à cette villageoise , la fait taire , ou 



IL SE DÉFIE TROP DE LUI-MÊME. J4d 

même lui fait chanter ses chants. C'est ainsi que 
nous avons vu Béranger, dans sa forme exquise 
et noblement classique > devenir le chansonnier 
national^ envahir tout le peuple^ remplacer les 
vieux chants des villages , jusqu'aux mélodies an- 
tiques que chantaient nos matelots. Les poètes 
ouvriers des derniers temps ont imité les rhytbmes 
de Lamartine, s'abdiquant , autant qu'il était en 
eux, et sacrifiant trop souvent ce qu'ils pouvaient 
avoir d'originalité populmre. 

Le tort du peuple^ quand il écrit, c'est toujours 
de sortir de son cœur, où est sa force, pour aller 
emprunter aux classes supérieures des abstrac- 
tions, des généralités. Il a un grand avantage, 
mais qu'il n'apprécie nullement, celui de ne pas 
savoir la langue convenue, de n'être pas, comme 
nous le sommes, obsédé, poursuivi, de phrases 
toutes faites, de formules, qui viennent d'elles- 
mêmes , lorsque nous écrivons , se poser sur 
notre papier. Voilà justement ce que nous en- 
vient, ce que nous empruntent, autant qu'ils peu- 
vent, les littérateurs ouvriers. Ils s'habillent , ils 
mettent des gants pour écrire , et perdent ainsi la 
supériorité que donnent au peuple, quand il sait 
s'en servir, sa main forte et son bras puissant. 

Qu'importe ? Pourquoi demander à des hommes 



150 IL GARDE POURTANT 

d^action quels sont leurs écrits? Les yrais produits 
du génie populaire, ce ne sont pas des livres^ ce 
sont des actes courageux, des mots spirituels, des 
paroles chaleureuses, inspirées, comme je les re- 
cueille tous les jours dans la rue, sortant d'une 
bouche vulgaire, de celle qui sémUait le moins 
faite pour l'inspiration. Cet homme, au reste, qui 
vous repousse par la vulgarité, ôtéz-lui son vieux 
vêtement, mettez-lui Tumlorme, le sabre, le fusil, 
un tambour, un drapeau en aviuit... On ne le re*- 
connaît plus ; c'est un autre homme. Le premier, 
où est-il? impossible de le retrouver. 

La dépression, la dégénération, n'est qu'été- 
rieure. Le fonds subsiste. Cette race a toujours du 
vin dans le sang ; en ceux même qui semblent lé 
plus éteints, vous retrouverez une étincelle. Tou- 
jours l'énergie militaire, toujours l'insouciance 
courageuse, grande parade d'esprit indépendant. 
Cette indépendance qu'ils ne savent où placer (en* 
trayés, comme ils sont, de toutes parts), ils la met^ 
tent trop souvent dans les vices, et se vantent 
d'être pires qu'ils ne sont. Exactement le con- 
traire des Anglais. 

Entraves extérieures, vie forte qui réclame au 
dedans, ce contraste produit beauœup de faux 
mouvements, une discordance dans les ftctes, les 



sm HEimEUX INSTINCT. iSJi 

paroles, qui choque au premier regard. Elle feit 
aussi que l'Europe aristocratique se plaît à con- 
fondre le peuple de France avec les peuples imagi* 
natifs et gesticulateurs, comme les Italiens, les Ir- 
landais, Gallois, etc. Ce qui l'en distingue d'une 
manière très-forte et très-tranchée, c'est que dans 
ses plus grands écarts, dans ses saillies d'imagi- 
nation, dans ce qu'on aime à appeler ses accès de 
Don Quichotisme, il garde le bon sens. Aux mo- 
ments les plus exaltés, une parole ferme et froide 
indique que l'hcmime n'a pas perdu terre, qu'il 
n'est p^ dupe lui-même de son exaltation. 

Ceci regarde le caractère français en général. 
Pour revenir au peuple spécialement, remarquons 
que l'instinct qui domine chez lui, lui donne pour 
l'action un avantage immense. La pensée réfléchie 
n'âffrive à l'action que par tous les intermédiaires 
de délibération et de discussion ;. elle arrive à tra- 
vers tant de choses que souvent elle n'arrive pas. 
Au contraire, la pensée instinctive touche à Vacte, 
est presque l'acte ; elle est presque en même temps 
une idée et une action. 

Les classes que nous appelons inférieures, et 
qui suivent de plus près l'instinct, sont par cela 
même éminemment capables d'action, toujours 
prêtes à agir. Nous autres, gens cultivés, nous ja- 



i5i UUN SENS £i FINESSE DE NOS VIEUX PAYSANS. 

sons» nous disputons, nous répandons en paroles 
ce que nous avons d'énergie. Nous nous énervons 
par la dispersion de l'esprit, parle vain amusement 
de courir de livre en livre, ou de les faire battre 
entre eux. Nous avons de grandes colères sur de 
petits sujets ; nous trouvons de fortes injures, de 
grandes menaces d'action. . . Cela dit, nous ne fai- 
sons rien, nous n'agissons pas... Nous passons à 
d'autres disputes. 

Eux, ils ne parlent pas tant, ils ne s'enrouent 
pas à crier, conune font les savants et les vieilles. 
Mais qu'il vienne une occasion, sans faire bruit, 
ils en profitent, ils agissent avec vigueur. L'éco- 
nomie des paroles profite à l'énergie des actes. 

Cela posé, prenons pour juges, entre ces clas- 
ses, les hommes héroïques de l'antiquité ou du 
moyen âge, et demandons-leur lesquels, de ceux 
qui parlent, ou de ceux qui agissent, constituent 
l'aristocratie. Ils répondront: < Ceux qui agis- 
c sent, » sans la moindre hésitation. 

Si l'on aimait mieux placer la supériorité dans le 
bon sens et le bon jugement, je ne sais trop dans 
quelle classe on trouverait un homme plus sensé 
que le vieux paysan de France. Sans parler de sa 
finesse en matière d'intérêt, il connaît bien les 
hommes, il devine la société qu'il n'a pas vue. Il 



SAGESSE ET GRANDE EXPÉRIENCE 1^ 

d beaucoup de réflexion intérieure, et une pres- 
cience singulière des choses naturelles. Il juge du 
ciel, et parfois de la terre, mieux qu'un augure de 
l'antiquité. 

Sous Tapparence d'une vie toute physique et 
végétative, ces gens-là smigent, rêvent, et ce qui 
est rêve chez le jeune homme, devient chez le 
vieillard réflexion et sagesse. Nous autres, nous 
avons tous les secours qui peuvent provoquer, 
soutenir, et fixer la méditation. Mais, d'autre part, 
plus mêlés à la vie, aux plaisirs, aux vaines con- 
versations, nous pouvons rarement réfléchir, et le 
voulons encore moins. L'homme du peuple au 
contraire trouve souvent dans la nature de son tra- 
vail une solitude obligée. Isolé par la culture des 
champs, isolé par les métiers bruyants qui créent 
dans la foule même une solitude, il faut, s'il ne 
veut périr d'ennui, qu'en lui l'âme se tourne 
vers elle-même, qu'elle converse avec Tâme. 

Les femmes du peuple particulièrement, obli- 
gées bien plus que les autres d'être la providence 
de la famille, celle de leur mari même , forcées 
tous les jours d'employer avec lui infiniment d'a- 
dresse et de vertueuses ruses, atteignent parfois à 
la longue un degré étonnant de maturité. J'en ai 
vu qui, vers la Qn de l'âge, ayant conservé, à 

9. 



i54 DES VIEILLES FËMVB$ DU PEUPLE. 

travers tant de rudes é(H*euveSi les meilleurs ins- 
tincts, s'étant toujours cultivées par la réflexion,- 
élevées par le progrès naturel d'une vie dévouée et 
pure, n'étaient plus du tout de leur classe, ni, JQ 
crois, d'aucune, mais vraiment siipérieurei» à 
toutes. Elles étaient. extraordinakement pru^ 
dentea, pénétrantes » idans les matières même sur 
lesquelles vous ne leur auriez supposé aucune ex- 
périence« Elles Toy aient d'une vue si nette dans 
les probabilités, qu'on leur aurait cm volontiers 
un esprit de divination. Nulle part. Je n'ai rpn-- 
contré une telle association de deux choses qu'oi^ 
croit ordinairement très-distinctes ëi mêpie op-? 
posées , la sages'se du monde et l'esprit de Dieu: 



CHAPITRE III. 



Le peuple gagoe-tr-il be^ocoup à sacrifier son iDstincl? 

— Classes bâtardes. 



Ce paysan dont nous parlions, cet homme si 
avisé, si sage, a pourtant une idée fixe ; c'est que 
son fils ne soit paô paysan, qu'il monte, qu'il de- 
vienne un bourgeois. Il n'y réussit que trop bien. 
Ce fils, qui fait ses classes, qui devient M. le curé, 
M. l'avocat, M. le fabricant, vous le reconnaîtrez 
sans peine. Rouge et de forte race, il remplira 
tout , occupera tout de son activité vulgaire ; ce 
sera un parleur, un politique, un homme impor- 
tant, de grand vol, qui n'a plus rien de commun 
avec les petites gens. Vous le trouverez partout 
dans le monde, avec sa voix qui couvre tout, et 
cachant sous des gants glacés les grosses mains de 
son père. 



156 DES NOUVEAUX BOURGEOIS. 

Je m'exprime mal ; le père les eut fortes, et le 
fils les a grosses. Le père, sans nul doute, était 
plus nerveux et plus fin. Il était bien plus près de 
l'aristocratie. Il ne parlait pas tant, et il allait au 
but. 

Le fils a-t-il monté en quittant la condition de 
son père? y a-t-il eu progrès de l'un à l'autre?... 
Oui, sans nul doute, pour la culture et le savoir. 
Non, pour l'originalité et la distinction réelle. 

Tous quittent aujourd'hui leur condition ; ils 
montent ou croient monter. Cinq cent mille ou- 
vriers, en trente ans, ont pris patente et sont 
devenus maîtres. Le nombre des journaliers des 
campagnes qui sont devenus propriétaires ne peut 
se calculer. Les professions dites libérales ont re- 
cruté immensément dans les rangs inférieurs; les 
voilà pleines, combles. 

Un changement profond est résulté de tout cela, 
dans les idées et la moralité. L'homme fait son âme 
sur sa situation matérielle ; chose étrange ! il y a 
âme de pauvre, âme de riche, âme de marchand. . . 
Il semble que l'homme ne soit que l'accessoire de 
la fortune. 

Il y a eu, entre les classes, non pas union et 
association, mais mélange rapide et grossier. Sans 
doute il fallait bien qu'il en fût ainsi pour neutra- 



VULGARITÉ DES ENRICHIS 157 

liser les obstacles, autrement insurmontables, que 
rencontrait l'égalité nouvelle. Mais ce changement 
n'en a pas moins eu pour résultat d'empreindre 
l'art, la littérature, toutes choses d'une grande vul- 
garité. Les gens aisés, même les riches, s'accom- 
modent à merveille de choses médiocres, à bas prix ; 
vous rencontrez dans telle maison de grand luxe 
des objets communs, laids et vils ; on veut l'art, 
au rabais. La chose qui fait la vraie noMesse, la 
puissance du sacrifice, est celle qui fait défaut à 
l'enrichi; elle lui manque dans l'art, autant que 
dans la politique. Il ne sait rien sacrifier, même 
dans son intérêt réel. Cette infirmité morale le 
suit dans ses jouissances même, et dans ses vani- 
tés, les rend vulgaires, mesquines. 

Cette classe de toutes classes, ce mélange 
bâtard qui s'est fait si vite, et qui faiblit déjà, 
sera-t-il productif? j'en doute. Le mulet est sté- 
rile. 

Un peuple qui, comparé aux peuples militaires 
(France, Pologne, etc.), me parait être le peuple 
éminemment bourgeois, l'Anglais, peut nous éclai- 
rer sur les chances futures de la bourgeoisie. Nul 
autre au monde n'a eu plus de changements de 
classes, et nul n'a mis plus d'adresse à déguiser en 
lords l'enrichi, le fils du marchand. Ceux-ci, qui. 



ISS EFFORT DES ANOLAIS POUR Y ÉGHAPPËR. 

aux deux derniers siëeles ont renouvelé toute la 
noblesse anglaise, ont<su une attention singulière 
à conserver, avec les noms et les armes, les ma- 
nair$ vénérables, les meublas, les collections hé-^ 
réditaires ; ils ont été juaqu'à copier, de manières 
et de caractères,, les familles antiques dont ils oc- 
cupaient Je feyer. Avec un oi^ueil soutenu, ils 
cmt, dans l'atjitude, d^ns le parler, dan6 louté 
chose de forme, représenté, joué, ces vieux ba- 
rons. Eh bien ! qû^ont-ils produit avec tout ce tra- 
vail, cet art de, conserver la tradition, de fabri(|uer 
du vieux ? U^ ont &it une noblesse séneuse, qui 
a beaucoup d'esprit de suite/ maia, au fonds, d6 
peu de ressources^ de peu d'invention politique» 
nullement digne des grapdes eircon&itànc6«i dans 
lesquelles se trouve et se trouvera l'empire Bri- 
tannique. Où est^ je vous prie, l'Angieterre de 
Sbakspeare,. de Bacon? La bourgeoisie (déguisée» 
anoblie, peu m'importe), a dominé depuis Croiû- 
well; la puissance, la riçfaeèse, ont augmenté 
incalculableqient; la moyenne de cultuiie s'est éle- 
vée, mais en même temps, je ne sms quelle triste 
égalité s'est étab(ie entre les gentlemen^ Mtm res* 
semblance universelle des honimeâ et des choses. 
Vous distinguer à peine dans leur élégante écriture 
une lettre d'une lettre, pi dam leuirs villes, une 



SUPÉRIORITÉ DES HOMMES QUI ONT VOULU 1^9 

maison d'une mai^on^ ni dans leur peuple, un An- 
glais d'un Anglais. 

Pour revenir > je croirais volontiers que dan« 
l'avenir, les grandes originalités inventives appar- 
tiendront aux hommes qiû ne se perdront point 
dans ces moyennes bâtardes où s'énerve to^t<;a- 
ractëre natif. Il se trouvera^des hommes forts qui 
ne voudront pas. monter; qui, nés peuple, vou- 
dront rester peuple. S'élever à l'aisance, àla bonne 
heure ; mais entrer dan& la bourgeoisie, changer 
de condition et 4-habitudes^ celd leur paraîtra peu 
souhaitable ; ils sentiront qu'ils y gagneraient peu. 
I^a forte sève, le large instinct des masses, le cou- 
rage de l'esprit, tout cela se conserve mieux chez 
le travailleur, lorsqu'il n'est point brisé par le 
travail, lor§qu'il a la vie un peu facile, avec quel- 
ques loisirs. 

J'ai eu sous les yeux deux exemples d'hommes 
qui, avec beaucoup de sens, n'ont pas voulu mon- 
ter. L'un, ouvrier d'une manufacture, intelligent 
et recueilli , avait toujours refusé d'être contre- 
maître , craignant la responsabilité , les repro- 
ches, le dur contact du manufacturier, aimant 
mieux travailler silencieux, seul avec sa pensée. 
Son admirable paix intérieure, qui rappelait 
celle des ouvriers mystiques dont j'ai parlé, était 



i60 RESTER 

perdue, s'il avait accepté cette position nouvelle. 

L'autre, fils de cordonnier, ayant fait des étu- 
des classiques, son droit même, et reçu avocat, 
obéit sans murmurer aux nécessités de sa famille 
et reprit le métier paternel, montrant qu'une âme 
forte peut indiflFéremment ou monter ou descen- 
dre. Sa résignation a été récompensée. Cet homme, 
qui ne chercha pas la gloire, l'a maintenant dans 
son fils, qui, doué d'un don singulier, prit dans le 
métier même le sentiment de l'art, et qui plus 
tard est devenu l'un des plus grands peintres de 
l'époque. 

Les changements continuels de conditions, de 
métiers, d'habitudes, empêchent tout perfection- 
nement intérieur ; ils produisent ces mélanges, 
qui sont tout à la fois vulgaires, prétentieux, in- 
féconds. Celui qui, dans un instrument, sous pré- 
texte d'améliorer, les cordes , changerait leur va- 
leur, et les rapprocherait toutes d'une moyenne 
commune, au fond il les aurait annulées, rendu 
l'instrument inutile, l'harmonie impossible. 

Rester soi, c'est une grande force, une chance 

d'originalité. Si la fortune change , tant mieux ; 

.mais que la nature reste. L'homme du peuple 

doit y regarder, avant d'étouflTer son instinct, 

pour se mettre à la suite des beaux esprits bour- 



EUX-MÊMES. 1(51 

geois. S*il reste fidèle à son métier et qu'il le 
^change, comme Jacquart; si d'un métier il fait un 
art, comme Bernard Palissy, quelle gloire plus 
grande aurait-il en ce monde? 



CHAPITRE IV. 

Des simples. — L*enfànt, interprète da peuple. 

Celui qui veut connaitre les donis les plus hauts 
de Tinstinct du peuple^ doit faire peu d'attention 
aux esprits mixtes, bâtards, demi-cultivés, qui 
participent aux qualités et aux défauts des classes 
bourgeoises. Ce qu*il doit chercher et étudier , ce 
sont spécialement les simples. 

Les simples sont en général ceux qui divisent 
peu la pensée, qui n'étant pas armés des rnse 
chines d'analyse et d'abstraction, voient chaque 
chose, une, entière, concrète, comme la vie la 
présente. 

Les simples font un grand peuple. Il y a les 
simples de nature, et les simples de culture, les 
pauvres d'esprit qui ne distingueront jamais, les 



SIMPLICITÉ D*ESPR1T, DE GCGUR. i€3 

enfants qui ne distinguent pas encore, les paysans, 
les gens du peuple qui n'en ont pas l'habitude. . 

Le scolastique, le critique, Thomme d'analyse, 
de nisi , de dfistinguo , regarde de haut les sim- 
ples. Ils ont cependant l'avantage, ne divisant 
pas , de voir ordinairement les choses à leur état 
naturel, organisées et vivantes. Donniant peu à 
la réflexion, ils sont souvent riches d'instinct. 
L'inspiration n'est pas rare dans ces clauses d'hom- 
mes, quelquefois même une 3orte de divination. 
On trouve parmi eux des personnes tout à fait à 
part, qui oonservent, dans une vie prosaïque, ce 
qui est la plus haute poésie n^orale , la simplicité 
du cœur. Rien de plus rare que de garder ces dons 
divins de l'enfapce; cela, suppose ordinairement 
une grâce particulière et une sorte de sainteté. 

Il faudrait l'avoir, cette grâce, pour en parler 
seulement. La spience n'exclut nullement la sim- 
plicité, il est vrai; mais elle ne la donne pas. La 
volonté y fait peu. 

Le grand légiste de Toulouse, au point le plus 
difficile de son œuvre , s'arrête et prie son audi- 
toire de demander pour lui une lumière spéciale 
en matière si subtile . Combien plus en avons-nous, 
besoin! et moi, et vous, amis, qui me. lisez! 
Combien il nous fendrait obtenir, non un don de 



164 LES SAGES PEUVENT APPRENDUE PRÈS DES ENFANTS. 

subtilité , mais de simplicité au contraire et d'en- 
fance de cœur! 

Il ne faut plus que les sages se contentent de 
dire : < Laissez venir les petits. > Il faut qu'ils 
aillent à eux. Ils ont beaucoup à apprendre au mi- 
lieu de ces enfants. Ce qu'ils ont de mieux à faire, 
c'est d'ajourner leur étude, de bien serrer leurs 
livres qui leur ont servi de peu, et de s'en aller 
bonnement, parmi les mères et les nourrices, dés- 
apprendre et oublier. 

Oublier? non, mais plutôt encore réformer leur 
sagesse, la contrôler p^ l'instinct de ceux qui sont 
plus près de Dieu , la rectifier en la mettant à cette 
petite mesure, et se dire que la science des trois 
mondes ne contient pas plus qu'il n'y a dans un 
berceau. 

Pour ne parler que du sujet qui nous occupe, 
nul n'y pénétrera profondément s'il n'a bien ob- 
servé l'enfant. L'enfant est Tinterprèle du peuple. 
Que dis-je ? il est le peuple même, dans sa vérité 
native, avant qu'il ne soit déformé, le peuple sans 
vulgarité, sans rudesse, sans envie, n'inspirant ni 
défiance, ni répulsion. Non-seulement il l'inter- 
prète^ mais il le justifie et l'innocente en bien des 
choses ; telle parole que vous trouvez rude et gros- 



L'ENFANT EXPLIQUE LE PEUPLE, L'ANTIQUITÉ i65 

siëre dans la bouche d'un homme rude, dans celle 
de votre enfant vous la trouvez (ce qu'elle est 
véritablement) naïve ; vous apprenez ainsi à vous 
défendre d'injustes préventions. L'enfant étant, 
comme le peuple, dans une heureuse ignorance 
du langage convenu, des formules et des phrases 
fôites qui dispensent d'invention, vous montre, 
par son exemple, comment le peuple est obligé de 
chercher son langage et de le trouver sans cesse ; 
l'un et l'autre trouvent souvent avec une heureuse 
énergie. 

C'est encore par l'enfant que vous pouvez ap- 
précier ce que le peuple, tout changé qu'il est, 
garde encore de jeune et de primitif. Votre fils, 
comme le paysan de Bretagne et des Pyrénées, 
parle à chaque instant la langue de la Bible ou de 
l'Iliade. La critique la plus hardie des Vico, des 
Wolf, des Niebuhr, n'est rien en comparaison des 
lumineux et profonds éclairs que certains mots de 
l'enfant vous ouvriront tout à coup dans la nuit de 
l'antiquité. Que de fois en observant la forme his- 
torique et narrative qu'il donne aux idées même 
abstraites, vous sentirez comment les peuples en- 
fants ont dû narrer leurs dermes en légendes, 
et faire une histoire de chaque vérité morale !... 
C'est, là, ô sages, qu'il nous fawt bien nous taire... 



im LOGIQUB PRÉCOCE DES ENFANTS. 

Entourons, écoutons ce jeune maître deâ vieux 
temps ; il n'a nullement besoin pour nous instruire 
de pénétrer ce qu'il dit ; mais c'est comme un té- 
moin vivant; « îl y était, il en sait mieux le 
conte. > 

En lui, comme chez les peuples jeunes, tout est 
encore concentré, à Fétat concret et vivant. Il nous 
suffit de le regarder, pour sentir Tétat singulière- 
ment abstrait où nous sommes arrivés aujour- 
d'hui. Beaucoup d'abstractions creuses ne tien- 
nent pas à cet examen. Nos enfants de France 
surtout, qui sont ôi^fs «t si parleurs, avec un bon 
sens très-précoce, nous ramènent sans cesse aux 
réalités. Ces innocents critiques ne laissent- pas 
d'être embarrassants pour le sage. Leurs naïves 
questions liiî présentent trop souvent l'insoluble 
nœud des choses. Ils n'ont pas appris, comme 
nous, à tourner les difficultés, à éviter tels pro- 
blèmes, qu'il semble convenu, entre sages, de 
n'approfondir jamais. Leur hardie petite logique 
va toujours droit devant elle. Nulle absurdité sa- 
crée n'aurait tenu en ce monde, si l'homme n'avait 
fait taire les objections de l'enfant. De quatre à 
douze ans surtout, c'est l'époque raisonneuse; 
entre la lactation et l'apparition du sexe, ils sem- 
blent pttis légers, moins matériels, plus vifs d'es- 



CARACTÈRE DIVIN »ES PETITS ENFANTS, 161 

prit qu'ils ne sont après. Un éminent grammai- 
rien, qui n'a jamais voulu vivre qu'avec les en- 
fants, me disait qu'à cet âge, il leur trouvait la 
capacité des plus subtiles abstractions. 

Ils perdent infiniment à se dégrossir si vite, 
à passer rapidement de la vie instinctive, à la 
vie de réfleKion. Jusque là, ils vivaient sur le 
large fonds de l'instinct, ils nageaient dans la mer 
de lait. Lorsque de cette mer obscure et féconde, 
la logique commence à dégager quelques filets lu-*- 
mineux, il y a progrès sans doute, progrès néces- 
saire qui est une condition dé la vie ; mais ce pro- 
grès en un sen^ n'en est pès moins une chute. 
L'enfant se Mt homme alors, et c^était uii petit 
dieu. 

Là première enfance et la mort, ce sont les mo- 
ments où l'infini rayonne en Thomme, la grâce, 
prenez ce mot au sens de l'ar* ou de la théologie. 
Grâce mobile du petit enfant qui joue et s'essaye à 
la vie, grâce austère et solennelle du mourant où 
la vie s'achève, toujours la grâce divine. Rien qui 
fasse mieux sentir la grande parole biblique : 
€ Vous êtes dés Dieux, vous serez des Dieux. ^ 

ApeUes et Corrège étudiaient saas cesse ces 
moments divins. Corrègè passait les jours à voir 
jouer les petits enfants* Àpelles» dit un ancien^ 



168 CARACTÈRE DIVIN DES MOURANTS 

n'aimait à peindre que des personnes mourantes. 

En ces jours d'arrivée, de départ, de passage 
entre deux mondes, l'homme semble les conte- 
nir tous ensemble^. La vie instinctive où il est alors 
plongé, est comme l'aube et le crépuscule de la 
pensée, plus vague que la pensée sans doute, mais 
combien plus vaste ! Tout le travail intermédiaire 
de la vie raisonneuse et réfléchie est comme une 
ligne étroite qui part de l'immensité obscure et qui 
y retourne. Si vous voulez le bien sentir, étudiez 
de près l'enfant, le mourant. Placez-vous à leur 
chevet, obsarvez, faites silence. 

J'ai malheureusement eu trop d'occasions de 
contempler les approches de la mort, et sur des 
personnes chères. Je me rappelle spécialement 
une longue journée d'hiver que je passai entre le 
lit d'une mourante et la lecture d'Isaîe. Ce spec- 
tacle, très-pénible, était celui d'un combat entre 
la veille et le sommeil, un songe laborieux de 
l'âme qui se soulevait, retombait... Les yeux qui 



•1 L'horréàr de la fatale énigme, le scea« qui ferme la bouche au 
moment où Ton sait le mot, tout cela a été saisi une fois, dans une 
œuTre dablime, que j*ai découverte dans une partie fermée du Père- 
Lâchasse, au cimetière des Juifs. C'est un buste de PréanU, on plutôt 
une tète, prise et serrée dans son linceul, le doigt pressé sur les lèvres. 
GEuvre vraiment ierrible, dont le cœur soutient à peine Timpression, et 
qui a Tahr d'avoir été taillée du grand eisean de la mort. 



CARACTÈRE DIVIN DES PETITS ENFANTS. 169 

nageaient dans le vide exprimaient, avec une vé- 
rité douloureuse , l'incertitude entre deux mon- 
des. La pensée obscure et vaste roulait toute la 
vie écoulée, et elle s'agrandissait de pressenti- 
ments immenses... Le témoin de cette grande 
lutte qui en partageait le flux, le reflux, toutes les 
anxiétés , se serrait , comme en un naufrage , à 
cette ferme croyance, qu'une âme qui, tout en 
revenant à nos instincts primitifs, anticipait déjà 
dans celui du monde inconnu, ne pouvait s'ache- 
miner parla à l'anéantissement. 

Tout faisait supposer plutôt qu'elle allait de ce 
double instinct douer quelque jeune existence, qui 
reprendrait plus heureusement l'oeuvre de la vie, 
et donnerait aux rêves de cette âme, à ses pensées 
commencées, à ses volontés muettes , les voix qui 
leur avaient manqué *. 



1 « L'aïeul reçoit l'enfant, lorsqu'il sort du sang maternel... Te voilà 
« donc renée, 6 mon âme, pour dormir de nouveau dans un corps. » 
(Lois Indiennes, citées dans mes OrifinesAu droit), -^Sins admettre Thy- 
pothése de la transmission des âmes (encore moins celle de la trans- 
. mission du péciié), on est bien tenté de croire que nos premiers insUncts 
sont la pensée des ancêtres que le Jeune voyageur apporte comme pro- 
vision de voyage. 11 y i^oute beaucoup. Si J*écarte les théories, si Je 
ferme les livres pour regarder la nature. Je vois la pensée naître en 
nous corome instinct obscur, poindre dans un demi-jour, s'éclaircir 
et se diviser au joui de la réflexion; puis, formulée, et de plus en 
plus acceptée comme formule, passer dans nos habitudes, dans les 

10 



170 L*ENFANT LE PERD EN GRANDISSANT, 

Une chose frappe toujours en observant les 
enfants et les mourants, c'est la noblesse parfaite 
dont la nature les enipreint. L'homme nait noble, 
et il meurtnoble ; il faut tout le travail de la vie pour 
devenir grossier , ignoble , pour créer l'inégalité. 

Voyez cet enfant que sa mère à genoux nom- 
mait si bien son Jésus... La société , l'éducatioo, 
l'ont changé bien vite. L'infini qui était en lui, et 
qui le div^iisait, va disparaissant ; il se caractérise, 
il est vrsgi, se précise, mais se rétrécit... La logi- 
que, la critique , taille, sculpte impitoyablement 
dans ce qui lui semble un bloc ;. dur statuaire dont 
le fer mord dans la matière trop tendre, chaque 
coup abat des pans entiers^ . . Âh ! que le voilà déjà 
maigre , mutilé ! La noble ampleur de sa nature, 
où est-elle maintenant?... Le pis, c'est que, sous 
l'influence d'une éducation si rude, il ne sera pas 
seulement faible et stérile, mais deviendra vul- 
gaire. 

Quand nous regrettons notre enfance, ce n'est 
pas tant la vie> les ann^s qui alors étaient devant 
nous, c'est notre noblesse que nous regrettons. 
Nous avions alors en effet cette naïve dignité de 



choses qui nous sont propres, que nous n'examinons plus, et alors, 
obscurcie de nouveau, faire partie de nos instincts. 



IL LE REPRENDRA 171 

Têtre qui n'a pas ployé encore, Tégalité avec tous ; 
tous jeunes alors, tous beaux, tous libres... Pa- 
tientons, cela doit revenir; rinégalité n'est que 
pour la vie; égalité, liberté, noblesse, tout nous 
revient par la mort. 

Hélas ! ce moment ne revient que trop vite pour 
le grand nombre des enfants. On ne veut voir dans 
l'enfance qu'un apprentissage de la vie, une pré- 
paration à vivre , et la plupart ne vivent point. On 
veut qu'ils soient heureux « plus tard , » et pour 
assurer le bonheur de ces années incertaines, on 
accable d'ennui et de douleur le petit moment 
qu'ils ont d'assuré . . . ^ . 

Non, l'enfance n'est pas seulement un âge, 
un degré de la vie, c'est un peuple , le peuple in- 
nocent... Cette fleur du genre humain, qui géné- 
ralement n'a que peu à vivre, suit la nature, au sein 
de laquelle elle doit bientôt retomber... Et c'est 
justement la nature que l'on veut dompter en elle. 
L'homme qui, pour lui-même, s'éloigne de la bar- 



1 Je ne parle point de l'accablement du travail, ni des punitions in- 
nombrables, excessives, que noas infligeons à lear mobilité, voulue par 
ïa nature même, mais de l'inepte dureté qui nous fait plonger brus- 
quement, sans précaution, dans les froides abstractions, un être Jeune, 
sorti à peine du sang et du lait maternels, tiède encore et qui ne de- 
mande qu'A s'épanouir en fleurs. 



172 IL LE KËPIIËNDIU A LA MOUT. 

barie du moyen âge, la maintient encore pour l'en- 
fant , partant toujours du principe inhumain, que 
notre nature est mauvaise, queTéducation n'en est 
pas la bonne économie, mais la réforme, que l'art 
et la sagesse humaine doivent amender, châtier, 
l'instinct que Dieu nous donna. 



CHAPITRE V. 

Suite. — L'instinct naturel de Tenfant est^l pervers i? 

L'instinct humain est-il perverti d'avance? 
l'hoaime est-il méchant de naissance? l'enfant 
que je reçois dans mes bras, sortant du sein de sa 
mère, serait-ce un petit damné ? 

A cette question atroce, qui coûte, rien qu'à 
l'écrire, le moyen âge, sans pitié, sans hésitation, 
répond : Oui. 

Quoi ! cette créature qui semble tellement dés- 
armée, innocente, sur qui la nature entière s'at- 
tendrit, que la louve ou la lionne viendrait allai- 
ter, au défaut de mère, elle n'a que l'instinct du 
mal, le souffle de celui qui perdit Adam? elle 
appartiendrait au Diable, si l'on ne se hâtait de 
l'exorciser ? Même après, si elle meurt dans les 

1 Ce chapitre que les esprits inaltenlirs croiront étranger au sujet, 
en est le fond même. V. p. 316. 

10. 



174 L*ENFANT DAMNÉ A SA NAISSANCE PAR LE MOYEN AGE. 

bras de sa nourrice, elle est jugée, elle est en péril 
de damnation, elle peut être jetée auoo bêtes noires 
de Tenfer ! « Ne livre pas aux bêtes, dit l'Église, 
les âmes qui te portent témoignage ! » Et comment 
celui-ci témoignerait-il? il ne peut comprendre 
encore, ni parler. 

En visitant au mois, d'iioût 1845 quelques 
cimetières des environs de Luceme, j'y trouvai 
une bien naïve et douloureuse expression des 
terreurs religieuses. Au pied de chaque tombe se 
trouvait (selon un usagé antique) un bénitier, 
pour garder le mort jour et nuit, et empêcher que 
les Bêtes de l'enfer né vinssent prendre ce corps, 
le vexer, le promener, en faire un vampire. Pour 
l'âme, hélas ! on n'avait mil moyen de la défendre ; 
cette peur cruelle était avouée dans plusieurs 
inscriptions. Je restai longtemps devant celle-ci, 
sans pouvoir m'en arracher : « Je suis un enfant 
de deux ans... Quelle chose terrible est-ce donc 
pour un enfant si petit de s*en aller au Jugement 
et de comparaître déjà devant la face de Dieu! > 
Je fondis en larmes, j'avais entrevu l'abîme du 
désespoir maternel ! 

Les quartiers indigents de nos grandes villes, 
ces vastes oflRcines de mort, ou les femmes, mi- 
sérablement fécondes, n'enfantent que pour pieu- 



FÉCONDITÉ, MORTALITÉ, DAMNATION. 175 

rer> nous donnent quelque idée, mais trop impar-- 
faite, du deuil perpétuel delà n^reau moyen âge. 
Celle-ci, fécondée sans cesse par l'imprévoyance 
barbare, produisait, sans cesse ni trêve» dans les 
larmes et la désolation, des enÊmts, des morts^ 
des. damnés/,.. 

Âge affireux! monde d'illusions ca^uelles, sur le- 
quel semble planer une infernale ironie ! L'homme, 
jouet de son rêve mobile, divin, diabolique ! la 
fenjime, jouet de l'homme, toujours mère, tou- 
jours en deuil! L'enfant qui joue, hélas! un jour, 
au triste jeu de la vie, sourit, pleure et disparait. . . 
malheureuses petites ombrés qui viennent par 
millions, par milliards, et ne durent que dans la 
mémoire d'une mère. . . Le désespoir de celle-ci se 
marque surtout à une chose; elle s'abandonne ai- 
sément au péché et à la damnation ; elle se venge 
volontiers de la brutalité de l'homme, elle le 
trompe, elle pleure, elle rit ^... Elle se perd; que 
lui importe, si elle rejoint son enfant ? 

L'enfant qui survit, n'en est guère plus heureux. 

i L*infidélité de U femme^ est. le sujet propre àa Moyen Age. L«s 
antres temps Tont peu oodhh. Ce texte éternel de plaisanteries, ces 
Jayeutes histoires, ne peuvent qu'attrister celui qui fait et qui com- 
prend. Elles font tvop sentir le prodigieux ennui de oe temps, le vide 
des âmes sans aliment approprié à leur faiblesse, la prostration mo- 
rale, le désespoir du bien, Tabandoo de soi-même et de son s«lttt«j 



176 ENSEIGNEMENT SUBTIL, ÉDUCATION CRUELLE. 

Le moyen âge est pour lui un terrible pédagogue ; 
il lui propose le symbole le plus compliqué qu'on 
ait enseigné jamais, le plus inaccessible aux sim- 
ples. Cette leçon subtile que l'Empire romain, 
dans sa plus haute sagesse, avait eu peine à enten- 
dre, il faut que l'enfant des Barbares, le fils du serf 
rustique, perdu dans les bois, la retienne et la 
comprenne. Il la retient, la répète; pour la com- 
prendre, cette épineuse formule, byzantine et sco- 
lastique, c'est ce que la férule, les coups, les fouets, 
n'obtiendront jamais de lui. 

L'Ëglise, démocratique par son principe d'élec- 
tion, fut éminemment aristocratique par la diffi- 
culté de son enseignement et le très-petit nombre 
d'hommes <jui y purent vraiment atteindre. Elle 
damna l'instinct naturel comme pervers et gâté 
d'avance, et fit de la science, de la métaphysique, 
d'une formule très-abstraite, la condition du 
sainte 

1 Si Ton répond que les esprits non cultivés (ce quij pour ce tempi" 
là, veut dire iout le monde, on A peu prés) étaient dispensés de com- 
prendre, il faudra avouer qu'une si terrible énigme imposait, sous 
peine de damnation, Tabdlcalion générale de Tintelligence humaine 
entre les mains TIe quelques doctes qui croyaient en savoir le mot. 
Voyer. aussi le résultat. L'énigme une fois posée, une fois entourée de 
ses commentaires, non moins obscurs, le genre humain se tait, il reste 
en face muet et stérile. Dans une période immense, aussi longue que 
toute la période brillaDle de raniiquité, du cioqaiéme au onzième 



L'AMOUK ET LIMJMANITÉ; RÉCLAMENT. i77 

Tous les mystères des religions d'Asie, toutes 
les subtilités des écoles occidentales, en un mot, 
tout ce que le monde contient de difficultés 
d'Orient et d'Occident, tout cela, pressé, entassé 
dans une même formule ! < Eh bien ! oui, nous dit 
l'Église, c'est le monde tout entier dans une pro- 
digieuse coupe. Buvez-la au nom de l'amour! » 
Et elle apporte ici, à l'appui de la doctrine, l'his- 
toire, la touchante légende ; c'est le miel au bord 
du vase... 

< Quoi qu'il contienne, je boirai, si vraiment 
l'amour est au fond. * Telle fut la réponse du 
genre humain. Ce fut là la vraie difficulté, l'ob- 
jection, et c'est l'amour qui la fit, non la haine, la 
superbe humaine, comme on le répète toujours. 

Le moyen âge avait promis l'amour et ne l'avait 
pas donné. Il avait dit : < Aimez , aimez ^ ! » mais 



siècle, il hasarde à peine quelques prières, quelques légendes enfan- 
Unes, et encore ce mouvement est-il arrêté par la défense expresse 
des conciles carlovingiens. 

1 Non-seulement, il avait dit, mais il avait voulu sincèrement. Cette 
touchante aspiration à Tamour est ce qui a fait le génie du Moyen âge, 
et ce qui lui assure notre sympathie étemelle. Je n'efface pas un mot 
de ce que J*en ai dit au second volume de Vttiêtoiré de France, Sen* 
lement, j'ai donné là son élan, son idéal ; aujourd'hui, dans un livre 
d'intérêt pratique, Je ne puis donner que le réel, les résultats. ~ J'ai 
exprimé (à la fin du même volume, imprimé en 1855), l'impuissance 
de ce système, et l'espoir qu'il échappera à sa ruine , et parviendra à 



178 L*AMOUR ET L'HUMANITÉ RÉCLAMENT. 

il avait c(msacré un ordre civil haineux, rînéga- 
lité dans la loi, dans l'état, dans la famille. Son 
enseignement trop subtil, accessible à si peu 
d'hommes; avait apporté dans le monde une 
nouvelle inégalité. Il avait hms le salut à un prix 
qu'on n'atteignit guère, au prix d'une science 
abstruse, et il avait ainsi pesé, de toute la méta- 
physique du inonde, sur I0 simple et sur renfant. 
Cehii-ci, qui avait été si heureux dans l'antiquité, 
eut son enfer au moyen âge. 

Il fallut des siècles pour que la raison se 
fît jour , pour que l'enfant reparût , ce qu'il 
est, un innocent. On eut de la peine à croire que 
rhomme fût un être héréditairement pervB^^. Il 

se transformer. ~ Combien .il ^st déjà éloigné de nous, on Ta va le 
11 mai 1S44, lorsqu'à la €h«mbre un magistrat, sincèrement et coura- 
geusement orthodoxe, a dé^^ une théorie pénale da Péché originel et 
de la Chute ; les catholiques même en ont reculé. 

i L*embarras de la' théologie vint surtout des progrés de la jurispru- 
dence. Tant que la Jurispnidenoe soutint dans leur rigueur les lois de 
lése-Màjesté, qui par la confiscation» etc., étendaient les peines à Thé- 
ritier, la théologie put défendre sa loi de Lèse-Miyesté divine qui dam- 
nait, les enfants pour le péché du père. Mais, lorsque le droit devint 
plus clément, il fut de plus en plus difficile de maintenir dans U théo- 
logie qui est le monde de. Tamour et de la grâce, cette horrible doc- 
tripe de Y hérédité du erim9, abandonnée de la juf(Mce bamaine. Les 
scoUstiques, saint Bonaventure, Jnnoceat 111, saint Thomas, ne trou- 
vèrent d'autre adoucissement quQ d'exempter les enfants du feu éter- 
nel, en les Imutmt du rMto.iuas la DAmiATioK. Bossuet a fort bien 
étalon (contre SfondraU) que cette doctrine n'est point particulière aux 



PALLIATir BES LIMBES. 179 

devint difficile de maintenir dans sa barbarie 
le principe qui damnait leis sages non chrétiens, 
les simples et ignorants, les enfants morts sans 
baptême. On inventa pour les enfants le pal- 
liatif des limbes, un petit enfer phis doux où ûs 
flotteraient toujours » loin de leurs nières, en 
pleurant. 

Remèdes insuffisants; lé cœur ne s'en contenta 
pas. Avec la Renaissance éclata, contre la du- 
reté des vieilles doctrines, la réaction de 
Famour. Il vint , au nom de la justice, sauver les 
innocents, condamnés dans le système qui s'était 
dit celui de l'amour et de la grâce. Mais ce sys- 
tème, qui reposait tout entier sur les deux idées 
de la damnation de tous par un seul, du salut de 
tous par un seul, ne pouvait renoncer à la pre- 
mière sans ébranler la seconde. 

Les mères se remirent à croire au salut de leurs 
enfants. Désormais elles disent toujours, sans 
s'informer si elles sont bien orthodoxes : < Ils 
doivent être là-haut des anges, comme ils forent 
en leur vivant.. » 

Jansénistes, comme on faisait semblant de le croire, qu'elle était celle 
même de TÉglise*, celle des Pérès ( sauf Grégoire de Nazianze], celle 
des conciles, des papes ; ' en effet, si l'on exempte les enfants de la 
damnation, on abandonne le Péché originel et VMréditi du crime, qui 
est la base de tout le système. 



180 VICTOIRE DE L'HUMANITÉ. 

Le cœur a vaincu, la miséricorde a vaincu. 
L'humanité va s'éloignant de Tinjustice antique. 
Elle cingle , au rebours du vieux monde. . . Oii va- 
t-elle? Vers un mond« (nous pouvons bien le 
prévoir) qui ne condamnera plus Tinnocence, et 
ou la sagesse pourra vraiment dire : < Laissez 
venir à moi les simples et les petits. » 



CHAPITRE VI. 

DiffraMion. Imtinet des uimanx. RécUmalion poor eui. 

Quelque pressé que je sois^ dans cette revue 
des simples, des humbles fils de rinstinct, mon 
cœur m'arrête et m'oblige de dire un mot des 
simples par excellence, des plus innocents, des plus 
malheureux peut-être, je veux dire, des animaux. 

Je remarquais tout à l'heure, que tout enfant 
naissait noble. Les naturalistes ont remarqué de 
même que le jeune animal , plus intelligent à sa 
naissance, semblait alors rapproché de Tenfant. Â 
mesure qu'il grandit, il devient brute et tombe à 
la bête. Il semble que sa pauvre âme succombe 
sous le poids du corps, qu'elle subisse la fascina- 
tion de la Nature , la magie de la grande Circé. 

11 



182 L'ANIMAL EN RAPPORT AVEC L*ENFANT. 

L'homme se détourne alors , et n'y veut plus voir 
une âme. L'enfant seul, par Tinstinct ducœur, 
sent encore une personne dans cet être dédaigné; 
il lui parle et l'interroge. Et lui aussi , de son 
côté, il écoute, il aime l'enfant. 

L'animal! sombre mystère!... monde immense^ 
de rêves et de douleurs muettes. . . Mais des signes 
trop visibles exprlitient ces douleurs, au défaut de 
langage. Toute la nature proteste contre la barba- 
rie de l'homme qui méconnaît, âvilit, qui torture 
son frère inférieur ; elle l'accuse devant Celui qui 
les créa tous les deux ! 

Regardez saiis prévention leur air doux et fê- 
veur, et l'attrait que les plus avancés d'entre eilk 
éprouvent visiblement pour l'homme; ne diriez- 
vous pas des enfants doiït une fée mauvaise em- 
pêcha le développement, qui n'ont pu débrouiller 
le premier songe du bèi'ceau, peut-être des âmes 
punies, humiUées, sur qui pèse une fatalité passa- 
gère?... Triste enchantement où l'être captif d'une 
forme imparfaite, dépend de tous ceux qui Ten^ 
tourent, comme une personne endormie... Mais, 
parce qu'il est comme endormi, il a, en récom- 
pense, accès vers une sphère de rêves dont nous 
n'avons pas l'idée. Nous voyons la face lumineuse 



L*ORIENT A RECONNU LA NATURE, COMME SCEUR. 183 

du mondée lui la face obscure ; ^> qui sait m c^e-^ 
ci n'est pas la plus vaste dès deux ^ ? 

y Orient m esi resté à cette croyance, qtie TanP 
mal est une âme endormie ou enchantée ; le 
moyen âge y est revenu. Les rtsligions, les systè^ 
m^, b'oDt pu rieii pemf éfouflfer cette voix de la 
nature* 

\ Llnde, plus Voisiné que nous de la cHâtion, a 
iniéusLgsaralé la tradition de la firatornité universelle. 
£Ue l'a insulte au début' et à la fin de ses deux 
gr^spoimes sacrés, le Ramayan; le Mahabharat, 
gigantesques pyraflâides devant lesquelles toutes* 
nos {^ites oeuvres, occideiitalèsdiiîvi^t se tenir 
humbleaetrespebtiieiBeb. Qusmd vous serez fatigué 
de cet Occident disptateuir, donn^-vous, je voue 
prie, la douceur de revenir à votre mère, à cette 

1 « Faisons aBjonrd'hui, si nous voolons, les fljer^, le» rofs de la créa- 
tion. Mais n*oablions pas notre édacation soo^ la discipline de la na- 
tnro. Les plaaiess les animaux, voilà nos premiers précepteurs, tonâ 
ces êtres que nous dirigeons. Us noés conduifaient alors, miévx que 
nous n'aurions fait nous-mêmes. Ils guidaient noire jeune raison par un 
instinct plussàr; ils nous Conseillaient, ces petits, que nods inéprisons 
rafimtenanti Nova proQlioos à coslmnplêr km irrépraofaaUes enSÉtta< 
de Dieu. Calmes et pvrs, ils avalent l'ajr,* ^aja» leor s^le^cipuse existence, 
de garder les secrets d'en haut. L*arbre qui a vu tous les temps, Tol- 
sean qui parcourt tons féii lieuk, ii*ont4lé- done rien à ttous apprendre! 
L'aigle ne lit-il pas dans le soleil, e&le hiboa dans las ténèbreat Gai 
grands bœufs eux-mêmes, si graves sous le chêne sombre, n'esl-il au- 
cune pensée dans leurs lopgues rêveries? 9 Otigineêâu droite p. txix. 



184 FÉCONDITÉ. 

majestueuse antiquité , si noble et si tendre» 
Amour, humilité» grandeur» vous y trouvez tout 
réuni, et dans un sentiment si simple, si détaché 
de toute misère d'orguâl» qu'on n'a jamais besoin 
d'y parler d'humilité. 

L'Inde fut bien payée de sa douceur pour la na* 
ture ; chez elle, le génie fiit un don de la pitié. Le 
premier poëte indien voit voltigeur deux colombes, 
et pendant qu'il adoube leur grâce, leur poursuite 
amoureuse, l'une d'elles tombe firappée d'une flè- 
che... n pleure; ses génûss^oients mesurés, sans 
qu'il y songe, aux battements de son cœur, pren- 
nent un mouvement rhytlmiique, et la poésie est 
née... Depuis ce tamps, deux à deux, les mélo- 
dieuses colombes, renées dansle chant de l'homme, 
aiment et volent par toute la terre (Ramayan). 

La nature reconnaissante a doué l'Inde d'un au- 
tre don admirable, la fécondité. Entourée par elle 
de tendresse 0t de respect, elle lui a multiplié, 
avec l'animal, la source de vie où la terre se renou- 
velle. Là, jamais d'épuisement. Tant de guerres, 
tant de désastres et de servibides, n'ont pu tarir 
la mamelle de la vache sacrée. Un fleuve de 
lait coule toujours pour cette terre bénie... bénie 
de sa propre bonté, de ses doux ménagements 
. pour la créature inférieure. 



LA CITÉ GREGOUE ET ROMAINE L'A MÉCONNUE. 185 

Cette union touchante qui d'abord liait l'homme 
aux plus humbles enfants de Dieu, l'orgueil Ta 
rompue. . . Mais non pas impunément ; la terre est 
devenue rebelle, elle a refiisé de nourrir des races 
inhumaines. 

Le monde de Torgueil, la cité grecque et ro- 
maine, eut le mépris de la nature; elle ne tint 
compte que de l'art, ellc^ n'estima qu'elle-même. 
Cette fière antiquité, qui ne voulait rien que de 
noble, ne réussit que trop bien à supprimer tout 
le reste. Tout ce qui semblait bas, ignoble, dispa- 
rut des yeux ; les animaux périrent, aussi bien 
que les esclaves. L'empire romain, débarrassé des 
uns et des autres, entra dans la majesté du désert. 
La terre dépensant toujours et ne se réparant plus, 
devint, parmi tant de monuments qui la cou- 
vraient, comme un jardin de marbre. Il y avait en- 
core des villes, mais plus de campagnes ; des cir- 
ques, des arcs de triomphe, plus de chaumières, 
plus de laboureurs. Des voies magnifiques atten- 
daient toujours le voyageur qui ne passait plus ; de 
somptueux aqueducs continuaient de porter des 
fleuves aux cités silencieuses, et n'y trouvaient 
plus personne à désaltérer. 

Un seul homme, avant cette désolation, avait 
trouvé dans son cœur une réclamation, une plainte 



186 STÉRILITÉ. 

pour tout ce! qui s'éteignait Un seul, parmi les 
destructions des gueires civiles, où périssaient à 
la fois le$ bomwçs et les animaux, trouva dans sa 
vaste pitié des larmea pour le ^œuf de labour qui 
avait fécondé Tantique Italie. Il consacra lin ehànt 
divin à oes races disparues ^ . 

Tendre et profond Virgile!.,, moi, qui ai été 
nourri par lui «t comme sur ses genoux, je 
suis, he^r^ux quç cette gloire unique lui re-^ 
vienne, la gloire de la pitié et de reEcellanoe 
du cœur..... Ce payssm de Mantoue, avec sa 
timidité de \iergQ et sqs Ipngs cbaveux rustir 
ques, c'est pourtant, ssgis qu'il Tait su, le 
vï*ai pontife et l'augure , entre deux mondes , 
entre deux âges, à moitié chemin de l'bîatoire. 
Indien par sa tendresse pour la nature, chrétien 
par soii amour de l'homme, il reconstitue, cet 
bomm^ simple, dans son cœur immense, labdle 
cité universellq dont n'est exclu rien qui ait ^, 



t Dans an aulcQ obani, le plqs achevé pent-étre, nû ehant qu'il 
consacre à son ami le plus cher, au consul, au poêle Gallus, il ne 
craint pas de lui donner pour frères el consolateurs, les plus humbles 
filf de lanature, des aninyanx fonooests. Après avoir amené tous les 
dieux champêtres pour adoucir la blessure du poël« malade d'amour : 
« Ses brehit autti te tenaient autour de lui (puis, par un mouvement 
charmant, craignant de blesser l'orgueil de GalIus) : Nottri née pœni* 
tet jifoê; née i^pmkiteai peàori», édmnepo9ta. 



LE CHRIST N'A PAS SAUVÉ L'ANIMAL. 187 

tandis que chacun n'y veut faire entrer que les 
siens. 

Le christianisme, malgré son esprit de douceur, 
ne renoua pas l'ancienne union. Il garda contre la 
nature un préjugé Judaïque ; la Judée, qui se con- 
naissait, avait craint d'aimer trop cette sœur de 
l'homme; elle la fuyait en la Qiaudissant. Le 
duristianisme, fidèle à ces (u^intes, tint la na- 
ture animale à une distance infinie de l'homme, 
et la ravala. Les animaux symboliques qui accom- 
pagnent les évangélistes, le froid allégorisme de 
l'agneau et de la colombe, ne relevèrent pas la 
bête. La bénédiction nouvelle ne l'atteignit pas ; 
le salut ne vint pas pour les plus petits, les plus 
humbles de la création. Le Dieu-Homme est mort 
pour l'homme, et non pas pour eux. N'ayant 
point part au salut, ils restent hors la loi chré- 
tienne, comme païens, comme impurs, et trop 
souvent suspects de connivence au mauvais prin- 
cipe. Le Christ, dans l'Évangile, n'a-t-il pas per- 
mis aux démpns de s'epiparer des pourceaux? 

On ne saura jamais les terreurs où, plusieurs 
siècles durant, le mpyen âge vécut, toujours en 
présence du Diable ! La vision du Mal invisible, 
mauvais rêve, absurde torture ! et de là une vie 
bizarre qui ferait rire à chaque instant si l'on ne 



188 fLE DIABLE VU DANS LESJANIMAUX/ 

sentait qu'elle fut triste à en pleurer... Qui dou- 
terait alors du Diable? Je Tai vu, dit Tempereur 
Charles. Je Tai vu, dit Grégoire VIL Les évêques 
qui font les papes, les moines qui prient toute leur 
vie, déclarent qu'il est là derrière eux, qu'ils le 
sentent, qu'il n'en bouge pas... Le pauvre serf des 
campagnes qui le voit sous figure de bête, sculpté 
au porche des églises, a peur en revenant chez lui 
de le retrouver dans ses bêtes. Celles-ci prennent 
le soir, aux mobiles reflets du fOyer, un aspect 
tout fantastique; le taureau a un masque étrange, 
la chëyre une mine équivoque, et que penser de 
ce chat dont le poil, dès qu'on le touche, jette du 
feu dans la nuit? 

C'est l'enfant qui rassure l'homme. Il craint si 
peu ces animaux qu'il en fait ses camarades. H 
donne des feuilles au bœuf, il monte sur la chèvre, 
manie hardiment le chat noir. Il fait mieux, il les 
imite, contrefait leur voix... et la famille sourit : 
€ Pourquoi craindre aussi. J'avais tort. C'est ici 
une maison chrétienne, eau bénite et buis bénit; 
il n'oserait approcher... Mes bêtes sont des bêtes 
de Dieu, des innocents, des enfants... Et même, 
les animaux des champs ont bien l'air de connaî- 
tre Dieu ; ils vivent conmie des ermites. Ce beau 
cerf, par exemple, qui a la croix sur la tête, qui va. 



ILS SONT RÉHABILITÉS PAR L'ES^FANT. 189 

comme un bois vivant, à travers les bois, il semble 
lui-même un miracle. La biche est douce comme 
ma vache, et elle a les cornes de moins ; la biche au 
défaut de mère, aurait nourri mon en&nt... » Ce 
dernier mot exprimé, comme tout l'est alors, sous 
forme historique, finit, en se développant, par 
produire la plus belle des légendes du moyen âge, 
celle de Geneviève de foabant : la famille op- 
primée par l'homme, recueiUie par Tanimal, la 
femme innocente sauvée par l'innocente bête des 
bob, le salut venant mnsi du plus petit, du plus 
humble. 

Les animaux, réhabilités, prennent place dans 
la famille rustique après l'enfant qui les aime, 
comme les petits parents figurent au bas bout de 
la table dans une noble maison. Ds sont traités 
comme tels aux grands jours, prennent part aux 
joies, aux tristesses, portent habits de deuil ou 
de noces (naguère encore en Bretagne). Ils ne di- 
sent rien, il est vrai, mais ils sont dociles, ils 
écoutent patiemment; l'homme, comme prêtre en 
sa maison, les prêche au nom du Seigneur^. 

Ainsi le génie populaire, plus naïf et plus pro- 
fond que la sophistique sacrée, opéra timidement, 

A Voir le petil sermon tu abeilles Aigitites, dans mes Origina du 

il. 



490 L*É«USE REFUSE DE LES RECEVOIR. 

mais avec efficacité, la réhabilitation de la nature. 
Celle-ci ne fut pas ingrate. L'homme fut récom- 
pensé; ces pauvres êtres qui n'ont rien, donnèrent 
des trésors. L'animal, dès qu'il fiit aimé, diira, se 
multiplia,.. Et la t^rre redevint féconde, et le 
mqnde qui semblait finir, recommença riche et 
puissant, parce qu'il avait reçu, conmie une rosée, 
la bénâdiction de la miséricorde. 

La frâiilte, upe fois composée ainsi, il s'agit de 
la faire, si l'on peut, entrer tout enti^ dans l'É-^ 
glise* Ici grandes difficultés! On veut bien rece- 
voir l'animal, mais pour lui jeter l'eau bénite, 
l'exorciser en quelque sorte, et seulement au par- 
vis... « Homme simple, laisse là ta bête, etitre 
seul. L'entrée de l'Église, c'est le Jugement que 
tu vois représenté sur les portes; la Loi siège au 
seuil, saint Michel debout tient l'épée et la ba-- 
lance... Gomment juger, sauver ou damner, ce 
que tu amènes avec toi ?. La bête, cela a-t41 une 
âme ?. . . Ces âmes de bêtes» qu'en feire ? leur ou- 
vrirons-nous, des limbes, comme à celles des pe- 
tits enfants ? > 

N'importe, notre homme s'obstine; il écoute 
avec respect, mais ne se soucie de comprendre. II 
ne veut pas être sauvé seul , et sans les siens. 
Pourquoi son bœuf et son âne ne feraient-ils. pas 



L'HOMME LES LUIAMÈNE A NOËL, |i91 

leur salut avec le chien de saint Paulin? ils ont 
bien autant travaillé ! 

c Eh bien! je serai habile, dit-il en hii- 
même, je prendrai le jour de Noël où FÉglise est 
en&mille» le jour où Dieu est encore trop petit 
pour être juste... Justes ou non, nous passerons 
tous, moi, ma femme, mon enfant, mon âne. ..Lui 
aussi! Il a été à Bethléem, il a porté Notre-Sei- 
gneur. Il faut bien en récompense que la pauvre 
bête ait son jour. . . Il n'est pas trop sûr d'ailleurs 
qu'elle soit ce qu'elle parait; elle est, au fond, 
malicieuse» fainéante; c'est tout comme moi; si 
je n'étais aussi traîné, je ne travaillerais guère. » 

C'était un grand spectacle, touchant, plus que 
risible encore, lorsque la bête du peuple était, mal* 
gré les défenaes des évoques et des conciles, 
amenée par lui dans l'égUse. La nature, condam- 
née, maudite, rentrait victorieuse, sous la forme la 
plus humble qui pût la faire pardonner. Elle re- 
venait avec les saints du paganisme, entre la Si- 
bylle et Virgile ^ . . On présentait à l'animal le glaive 
qui Tarrêta sous Balaam ; mais ce glaive de l'an- 
cienne Loi, émoussé, ne l'ei&ayait plus ; la Loi fi- 
nissait en ce jour, et faisait place à la Grâce. Hum- 

1 Conservé longtemps à Rouen. Ducange, verbo Festum, 



1^ ET LES PAIT ENTRER DANS L'ÉGLISB. 

blcuient, mais assurément, il allait droit à la crè- 
che. Il y écoutât l'office, et, comme un chrétien 
baptisé, s'agenouillait dévotement. On lui chantait 
alors, pour lui, partie en langue de Téglise, partie 
en gaulois, afin qu'il comprit, son antienne, bouf- 
fonne et sublime : 

A genoux ! et dis amen ! 
AMes mangé d'herbe et de foin. 
Amen ! encore une fois. 
Laisse les vieilles choses, et Ta! 

L'animal profita peu de cette réparation ^. Les 
conciles lui fermèrent l'Ëglise. Les philosophes 
qui, pour l'orgueil et la sécheresse continuèrent les 
théologiens, décidèrent qu'il n'avait pas d'âme ^. 
Il souffire en ce monde, qu'importe? il ne doit at- 
tendre aucune compensation dans une vie supé- 
rieure... Ainsi, il n'y aurait point de Dieu pour 

1 Le génie populaire fit plus pour son protégé. Sans s'arrêter aux ré- 
sistances de rÉglise , il créa A l'animal nne position légale, le traita 
comme une personne, le fit ester en droit, et Jusque dans Tacte le plus 
grave, le Jugement criminel; il y figura comme témoin, quelquefois 
comme coupable. Nul doute que cette importance attribuée A ranimai 
n*ait puissamment contribué A sa conservation, A sa durée, et, par 
suite, i la fécondité de la terre, qui dépend généralement des ména- 
gements qu'il trouve en l'homme. C'est peut-être la vraie eause pour 
laquelle le Moyen âge se relevait toujours après Unt d'affreuses ruines. 

^ Le Jésuite Bongeant objecta que les bétes devaient avoir nne âme, 
puitqu'eiiei étaient det dioblei. 



LA SCIENCE VIENT UE LEUR RENUKE LEUR PLACE. 195 

lui; le père tendre de rhomme serait pour ce qui 
n'est pas homoie un cruel tyran!... Créer des 
jouets» mais sensibles, des machines, mais souf- 
frantes, des automates, qui ne ressembleraient aux 
créature;s supérieures que par la faculté d'endurer 
le mal ! . . . Que la terre vous soit pesante, hommes 
durs qui avez pu avoir cette idée impie, qui portez 
une telle sentence sur tant de vies innocentes et 
douloureuses! 

Notre siècle aura une grande gloire. H s'y est 
rencontré un philosophequi eut un cœur d'homme^ • 
Il aima l'enfant, l'animal. L'enfant, avant sa nais- 
sance, n'avait excité l'intérêt que comme une 
ébauche, une préparation de la vie; lui, il l'aima 
en lui-même, il le suivit patiemment dans sa petite 
vie obscure, et il surprit dans ses changements la 
fidèle reproduction des métamorphoses animales. 
Ainsi, au sein de la femme, au vrai sanctuaire de 
la nature, s'est découvert le mystère de la frater- 
nité universelle. . . Grâces soient rendues à Dieu I 

Ceci est la véritable réhabilitation de la vie in* 
férieure. L'animal, ce serf des serfs se retrouve le 
parent du roi du monde. 

*■ Si glorieusemeiit eontinaé par son ami et son fiit, MM. Serres el 
Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Je vois avec bonheur une jeunesse pleioo 
d'avenir entrer dans cette voie scientillciae, qui est la voie de la vie. 



191 QUE LTIOMME REPRENNE L'ÉDUCATION DE L'ANIMAL. 

Que fcehii-ci reprenne donc, avec un sen- 
timent plus doux, le grand travail de Téducation 
des animaux, qui jadis lui soumit le globe*, etqu'îl 
a abandonné depuis deux miWe ans, au grand dom- 
mage de la terre. Que le peuple apprenne que sa 
prospérité tient aux ménagements qu'il aura pour 
ce pauvre peuple inférieur. Que la science se sou- 
vienne que l'animal, en rapport plus étroit avec lai 
nature, en fut l'augure et l'interprète dans Tanti- 
qurté- Elle trouvera une voix de Dieu dans l'in- 
stinct du simple des simples. 

i NetrôA^e iB^chiiiiWi qui parfoiit Teoi des niacliiiies, défiait »*ap«r- 
cevoir, cfi «emblée (|ue si Top viut que les animaiu ne soient rien da 
pins, ce sont A coup sût les premières de tontes, donnant, oatre une' 
tella quantité d6 furce pMHW«, «m aotr^ ïowe inâiiie, qn*on ne poqlkt 
appréciçr e\ qui résulte (si l'on ne vept dire, de Târoe) de l'anination, 
de la vie. Il semblait donc qa'on dût reprendre Télade et la domesti- 
cation des animàu. Voi^ )• bel article AmmiIImIiVni, de M« IfidOEe 
Qeofijroy Saietr-Hilaire, d^na rEnçyclopédie nouvelle, dç MM. Lerqot 
et Reynaud. 



CHAWTRÇ Vn. 



L*JÉstinot des simples. LMnsUnct da génie. — L*homme de génie 
est par oLeeUeMu Iq simple, rearaftt et le peuple^ 



J'ai lu dans la vie d'un grand docteur de l'É- 
glise, qu'étant revenu aprës sa mort dans son mo- 
nastère, il honora de son apparition , non les pre- 
miers de ses frères, mais le dernier, le plus simple, 
un pauvre d'esprit. Celui-ci en eut cette faveur 
de mourir trois jours après. Il avait sur le visage 
une joie vraiment céleste, t On pouvait, dit le lé- 
gendaire, lui dire le vers de Virgile : 

<f Petit enfant, connais ta mère à son sourire I » 

C'est on fait remarquable, que la plupart des 
hommes de génie ont une prédileotion particulière 
pour les en^ts et les simples. Ceui--ci , de leur 



196 LES SIMPLES N'AIMENT PAS DECOMPOSER. 

côté, ordinairement timides devant la foule, muets 
devant les gens d'esprit, éprouvent en présence 
du génie une sécurité complète. Cette puissance 
qui impose à tout le monde, elle l'es rassure au 
contraire. Ils sentent qu'ils ne trouveront là nulle 
moquerie, mais bienveillance et protection. Mon, 
ils se trouvent vraiment dans leur état nafairel, 
leur langue se délie, jet Ton peut voir que ces gens 
qu'on a nommés simples, parce qu'ils ignorent le 
langage convenu, n'en sont bien souvent que plus 
originaux, surtout tjrës-imaginatifs, doués d'un 
singulier instinct pour saisir des rapports fort 
éloignés. 

Us rapprochentet lient volontiers, divisent, ana- 
lysent peu. Non-seulement toute division coûte a 
leur esprit, mais elle leur fait peine, leur semble un 
démembrement. Ils n'aiment pas à scinder la vie, 
et tout leur paraît avoir vie. Les choses, quelles 
qu'elles soient, sont pour eux comme des êtres or- 
ganiques, qu'ils se feraient scrupule d'altérer en 
rien. Us reculent du moment qu'il faut déranger 
par l'analyse ce qui présente la moindre appa- 
rence d'harmonie vitsde. Cette disposition impli- 
que ordinairement de la douceur naturdle et de la 
bonté ; on les appelle bannes gms. 

Non-seulement ils ne divisent pas, mais dès 



ILS B£C0M1M)SËNT FACILEMENT. |97 

qu'Us trouvent une chose divisée, partielle» ou ils la 
négligent, ou ils la rejoignent en esprit au tout 
dont elle est séparée; ils recomposent ce tout 
avec unie rapidité d'imagination qu'on n'atten- 
drait nullement de leur lenteur natureOe. Os sont 
puissants pour composer en proportion de leur 
impuissance pour diviser. Ou plutôt, il semble , à 
voir une opération si facile qu'il a'y ait là ni puis- 
sance, ni impuissance., mais un fait nécessaire, 
inh^ent à leur existence. En effet , c'est en cela 
qu'ils existent comme simples. 

Une main parait dans la lumière. Le raisonneur 
conclut que sans doute il y a dans l'ombre un 
homme dont on ne voit que la main; de la main, 
il conclut l'homme. Le simple ne raisonne pas, ne 
conclut pas; tout d'abord, en voyant la main, il 
dit : c Je vois un homme. > Et il l'a vu en effet 
des yeux de l'esprit. 

Ici, tous deux sont d'accord. Mais, dans mille 
occasions , le simple qui, sur une partie, voit un 
tout qu'on ne voit pas, qui, sur un signe, devine, 
aiBrme un être invisible encore, fait rire et passe 
pour fol. 

Voir ce qui ne parait aux yeux de personne, 
c'est la seconde vue. Voir ce qui semble à venir, 
à naître, c'est la prophétie. Deux choses qui font 



i98 ILS SYMPATHISENT A LA VIE. 

rétonnement de la foule, la dérision des sages, 
et qui sont généralement un don naturel de sim- 
plicité. 

Ce don, rare chez les hommes civilisés-, 
est, comme on sait, fort commun chez les 
peuples simples, qu'ils soient sauvages ou bar- 
bares. 

Les simples sympathisent à la vie, et ils ont, 
en récompense , ce don magnifique , qu'il leur 
suffit du moindre signe pour la voir et la pré- 
voir. 

C'est là leur parenté secrète avec J'homme de 
génie. Us atteignent siouvent sans eflbrt, par sim- 
plicité , ce qu'il obtient par la puissance de 
simplification qui est en lui; ensorte que le 
premier du genre humain et ceux qui semblent 
les derniers , se rencontrent très-bien et s'enten- 
dent. Ils s'entendent par une chose, leur sym- 
pathie commune pour la nature , pour la vie, 
qui fait qu'ils ne se complaisent que dans l'unité 
vivante. 

Si vous étudiez sérieusement dans sa vie et 
dans ses œuvres ce mystère de la nature qu'on 
appelle l'homme de génie, vous trouverez gé- 
néralement que c'est celui qui, tout en acqué- 
rant les dons du critique, a gardé les dons du 



LE GÉNIE RÉUNIT LES DONS 1U9 

simple*. Ces deux hommes, opposés ailleiurs, sont 
conciliés en lui . Au moment où son critique intérieur 
semble l'avoir poussé à Tinfinie division, le simple 
lui maintient Tunité présente. Il jui conserve tou- 
jours le sentiment de la vie, la lui garde indivisi- 
ble. Mais, quoique le génie ait en lui les deux puis- 
sances, Tampur de Tharmonie vivapte, Ip tendre 
respect de la vie sont chez lui si forts, qu'il sacri- 
fierait rétifdç et la science elle-même, si elle ne 
pouvait s'obtenir que par voie dp d^membreniept. 
Des deux hommes qui sont ei) liii, il laisserait celui 
qui divise ; le simple resterait, ayec s» force igno- 
rante de divination et ^e prophétiei. 

Ceci est un mystère du coeur. Si le génie, à trjh- 
vers les divisions, les anatomies fictives de la 
science , conserve en lui toujours un simple, qui 
ne consent jamais à la vraie division , qui tend 
toujours à Tunité , qui craint de la détruire dans 
la plus petite existence, c'est que le propre du 
génie, c'est l'amour de la vie niême, l'aniour 
qui fait qu'on la conservet , , et l'amour qui la 
produit. 

1 Le géQie, je le sais, a mille formes. QeUë qae Je donne ici est 
certainement celle des génies les plus origlnapx, les plus féconds, celle 
qui caractérise le plus souvent les grands inven^urs. La Fontaine et 
Corneille, Newton et Lagrange, Ampère et Geoffiroy Saint-Hilaire, ont 
été en même temps les plus flmpfe^ et l«9 plu^ |u]|til|idetf hommes. . 



200 DE SIMPLICITÉ ET D'ANALYSE. 

La foule qui voit tout cela confusément et du 
dehors, sans pouvoir s'en rendre compte, trouve 
parfois que ce grand homme est un bon homme et 
nn sifripk. Elle s'étonne du contraste; mais il n'y a 
pas de contraste ; c'est la simplicité , la bonté, qui 
sont le fonds du génie, sa raison première, 
c'est par elle qu'il participe à la fécondité de 
Dieu. 

Cette bonté qui lui donne le respect des petites 
existences que les autres ne regardent pas, qui 
l'arrête parfois tout à coup , pour ne pas détruire 
un brin d'herbe, elle est l'amusement de la foule. 
L'esprit de simplicité qui fait que les divisions 
n'entravent jamais son esprit, qui sur une partie, 
un signe, lui fait voir, prévoir un êlre entier, un 
système que personne ne de\itie encore, cette fa- 
culté merveilleuse est justement celle qui fait 
l'étonnement, le scandale presque du vulgaire. 
Elle le sort du monde, en quelque sorte, le met 
hors de l'opinion, hors du lieu, du temps... lui 
qui seul y doit laisser trace. 

La trace qu'il y laissera, ce n'est pas seulement 
l'œuvre de génie. C'est cette vie même de simpli- 
cité, d'enfance, de bonté et de sainteté, où tous 
les siècles viendront chercher une sorte de rafraî- 
chissement moral. Telle ou telle de ses découvertes 



LB GÉNIE EST PAR EXCELLENCE LE SIMPLE, L*ENPANT. S(M 

deviendra peut-être moins utile dans le progrès du 
genre humain; mais sa vie, qui parut de son. vi- 
vant le côté faible, où l'envie se dédommageait, 
restera le trésor du monde et l'étemelle fête du 
cœur. 

Certes, le peuple a bien raison d'appelçr cet 
homme un simple. C'est le simple par excellence, 
l'enfant des enfants^ il est le peuple plus que n'est 
le peuple même. 

Je m'explique. Le simple a des côtés inintelli- 
gents, des vues troubles et indécises, ou il flotte, 
cherche , suit plusieurs routes à la fois , et sort du 
caractère de simple. La simplicité du génie, qui 
est la vraie, n'a jamais rien de ces vues louches: 
elle s'applique aux objets, comme une lumière 
puissante qui n'a pas besoin de détour, parce 
qu'elle pénètre et traverse tout. 

Le génie a le don d'enfance , comme ne l'a ja-- 
mais l'enfant. Ce don, nous l'avons dit, c'est 
l'instinct vague, immense, que la réflexion pré- 
cise et rétrécit bientôt, de sorte que l'enfant est 
de bonne heure questionneur , épilogueur et tout 
plein d'objections. Le génie garde l'instinct natif 
daiis sa grandeur, dans sa forte impulsion , avec 
une grâce de Dieu que malheureusement l'en- 
fant perd, la jeune et vivace espérance^ 



soi ÎL EST PEUPLE 

Le peuple, en S|a plus haute iclée^sé trouvé diffî- 
cilement danè le peuple. Que je Tobserye ici ou là, ce 
n'est pas lui, c'eât telle classe, telle forme partielle 
dti peuple, altérée , et éphémère. H n^esî; (tans sa 
vérité, à sa plus haute puissance, que dans Thomme 
dé génie ; en Itil féîsidë là grande âmè. . . Tout le 
monde li^étonué de voii* les masseâ inertes, vibrer 
au moindre mot qu'il dit, les bruits de TÔcéan se 
taire devant cette voix , la vague populaire, traîner 
à ses pieds... Pourquoi donc s*^efi étôniier? Cette 
voix, c'est celle du peuple; muet en lui-même, il 
parle en cet homme, et Dieu avec lui. C'est là 
vrainient qti^ôn peut dire : < Voi populi , vox 
Dei. > 

Est-ce un Dieu , ou est-ce un homme? Faùt-îl, 
pour l'instinct du génie, que nous cherchions des 
noms mystiques , inspiration? révélation? — C'est 
la tendance du vulgaire; il lui faut se forger des 
dieux. — «L'instinct? la nature? Fi! disent- 
ils. Si ce n'était' que Finstinct, nous ne serions 
pas entraînés... CW l'inspiration d'en haut, 
c'est le bien-aimê de Dieu, c'est un Dieu, un 
nouveau messie! > — Plutôt que d'admirer un 
homme , d'admettre la supériorité de son sembla- 
ble, on le fera inspiré de Dieu, Dieu s'il le faut; 
chacun se dit qu'il n*a pas fallu moins qu'un 



PLUS atlK LE PEUPLE. 305 

rayon surnaturel pour Téblouir à ce point. • . Ainsi, 
Ton met hors de la nature , hors de l'observation 
et de la science , celui qui fut la vraie nature, celui 
que la science , entre tous , devait observer ; on 
exclut de l'humanité celui qui seul était homme. . . 
Cet homme par excellence , une imprudente 
adoration le rejette au ciel , Fisole de la terre 
des vivants, où il avait sa racine. . . £h ! laissez-le 
donc parmi novA^ «elui qui Mi la vie d'ici-bas. 
Qu'il reste homme, qu'il reste peuple. Ne le sé- 
parez pas des enfents, des pauvres et des siiiiples, 
où il a son cœur, pour l'exiler sur un autel. Qu'il 
soit enveloppé datiB cette foide dont il est l'esprit, 
qu'il plonge en pleine vie féconde, vive avec nous, 
souffre avec nous; il puisera dans la participation 
de nos souffrances et de nos faiblesses la force 
que Dieu y a caehée» Qt qui sera son génie 
même. 



CHAPITRE ym. 

fi^enfantemeot du géoie, type de reifantement sofial. 

Si la perfection n'est point d'ici-bas^ ce qui en 
approche le plus, c'est selon toute apparence 
rhomme harmonique et fécond qui manifeste son 
excellence intérieure par une surabondance d'a- 
mour et de force, qui la prouve non-seulement par 
des actes passagers, mais par.des œuvres immor- 
telles où sa grande âme restera en société avec tout 
le genre humain. Cette surabondance de dons, 
cette fécondité, cette création durable, c'est appa- 
remment le signe que là nous devons trouver la 
plénitude de la nature et le modèle de Tart. L'art 
social, de tous le plus compliqué, doit bien regar- 
der si ce chef-d'œuvre de Dieu> où la riche divers 
site s'accorde dans l'unité féconde, ne pourrait lui 



LHOimB DB GÉNIE EST PÊCOH IK 9D5 

donner quelques lumières sur l'objet de ses re- 
cherches. 

Qu'on me permette donc d'insister sur le carac- 
tëre du génie, de pénétrer dans son harmonie in- 
térieure, de regarder la sage économie et la bonne 
pofice de cette grande cité morale qui tient dans 
une âme d'homme. 

Le génie^ la puissance inventive et génératrice, 
suppose, nous l'avons dit, qu'un même homme 
est doué des deux puissances, qu'il réunit en lui 
ce qu'on peut appeler les deux sexes de l'esprit, 
l'instinct des simples, et la réflexion des sages. Il 
est en quelque sorte homme et femme, enfant et 
mûr, barbare et civilisé, peuple et aristocratie. 

Cette dualité, qui étonne, et qui fait que le vul- 
gaire le regarde souvent comme un phénomène 
bizarre, une monstruosité, c'est ce qui lui consti- 
tue, au plus haut degré, le caractère normal et lé- 
gitime de l'homme. À vrai dire, lui seul est homme, 
et il n'y en a pas d'autres. Le simple est une 
moitié d'homme, le critique une moitié d'homme ; 
ils n'engendrent pas ; encore moins les médiocres, 
qu'on pouirait appeler les neiUres, n'ayant ni 
l'un ni l'autre sexe. Lui, qui est seul complet, 
seul aussi il peut engendrer ; il est chargé de con- 
tinuer la création divine. Tous les autres sont sté- 



Sm PARCE Qira- réunit LHS I>UÎMA!)CIS9 <w^posées. 

rilee^ sauf leA^ moments ou ils se peodpstàtnentpa# 
Tamour une sorte d'unité double ; leurs aptihidfjs 
natnreUesi trani^séâ piff 'ld><gé»éi^ioDyiré8tént 
impuissantes juaqu^à m qu'allés Teneorïtrent 
Fhomihe complet qui seul » te féconâilii. '• i 

Cb n'est pqs topitf^tiilceHè iastintîtis^^ inspi-^ 
ratrice, ait manqué à tous ces'homtiies^ koÊB' 
chez msifh rtîfl«iài»iibi«iit6t k glaice<aiiV^^ 
cit. Le pfivilégedûfénié^ c'est qu'en lui l'imipi^ 
ration agitparâèrani;4ftr^texîi9n; sa flanknie btele 
eil'pleine lumière. :To<k seltvalne ehèe les autres^ 
lèhtemeat^ kteoéssitemdnt ç . l'intemUe les stért^ 
lise. Le génie ^mUe l'intervalle > joipi 1^ ée^x 
bouts ^ supp»rîme ie tçmps» 41 est ui> éalaif de l'é^ 
ternité-.i : ^ ' : 

L'instinct, rapide à ce point> touche à l'acte^ et 
devient acte ; l'idée concentrée mad, «se &ît vi-* 
vante et engendre. . • . , 
/Tel autre, aujoiird'hui vulgaire> dvail aussi reçu 
ai germe cette dusdité féconde des deux personnes^ 
du simple et 'du critique; maïs sà^mattgaîté natu** 
relie a àé hotaie heure «détruit l'b^innonie ; dès . leti 
predûers pas^dans la semiœ/l'pfguéiliart venu> la^ 
subtilité ; le critique a tuë lé simple. La réflexion, 
sottement fi^ ^ de sa virilité précoce » a m^risé 
rinstinet, commie un fiûhle en&nt ; vaiiiteuse, an»* 



EN> LUI, hK CRITIÔVE m TUE POINT L'INSPlBATlOIt 167 

tocratique^ elle s'est mêlée dès qu'elle a pu, à la 
foule dorée des sophistes^ elle a reniée devant leurs 
risées, rhumblé pimenté qui la rapprochait trop 
du peuple. Elle les a devancées ; de peur qu'ils. n« 
s'^n moquassent, elle s'est mise, choseii^ie^à 
se moquer de son fràre... Ëh bim! elle festei^ 
seulô; sieule elle ne fait pas un homme. Celui -et 
eBtîm|)uisisant. i > . 

Le génie ne connaît rienà eette triste politique: 
Il n'a gafde d'étouffer sa flaoltne intérieure, par 
crainte des risées dii monde; il ne ks entend 
même pas. En lui la réflexion n'a rien d'amer, m 
d'imnique^^lle traite avçie m^g^meûts leis en^ 
famés, à^Y'm$tiïKcL Cette xp(^itié ii^stinetive a be^ 
^in que l'autre l'^pargn^; faible et vagulB, elle e^ 
■SKjjette aux mouteroents désordonnés, parce qu'éy 
tantiplieiJded'âspu^Qn, aveugla d^amour, elle se 
firécipite au devaûtde h lumière. La réfleidon sait 
hien que, si elle 0st supmeurç 0n ce qu'^elle a déjà 
ia lumière» ^lle esl; inférieur^ à l'insti^eti comme 
chaleur féconde, comme concentration vivante^ 
^pbre«0lle&i o'ie^ une que^tioi^ d'âg^ plutôt que de 
4ign:it^. Tqut commence sougforijftQ d'ipBtinct. La 
réflexion d'anjourdlhui fut instinct hier. Lequel 
vwt. mieux? Qui le dira?... Le plua jeune etjl^ 
l^lus faible a peut-être l'avantage, w 



988 EN LUI, LA CRITIQUE NE TUE POINT L*1NSP1BAT10N. 

La fécondité du génie, répétons-le^ tieik, en 
grande partie sans nul doute, à la bonté, douceur 
et implicite de coeur, avec lesquelles il accueilleles 
faibles essais de Tinstinct. Il les accueille en lui- 
même, dans son monde intérieur, et tout autant 
dans Textérieur, chez l'homme et dans la nature. 
Partout il sympathise aux singes, et sa facile in- 
dulgence évoque incessamment des limbes de nou- 
veaux germes de pensée. 

D'euxHmèmes, ils volent à lui. Je ne ms com- 
bien de choses qui n'avaient pas forme encore, qui 
flottaient seules et délaissées, elles viennent à lui 
sans crûnte. Et lui, Thomme au regard perçant, il 
ne veut pas examiner si elles sont informes^ gros- 
sières, il les accueille et leur sourit, il leur sait gré 
d'être vivantes, les absout et les relève... De 
cette clémence, il résulte pour lui ce singulier avan-< 
tage, c'est que tout vient l'enrichir, le secourir, le 
fortifier. Le monde, pour tous les autres, est un 
sablonneux désert où ils cherchent et ne trouvent 
pas. 

Dans cette âme> pleine et comble des dons vi- 
vants de la nature, comment ne viendrait pas l'a- 
mour? Une chose aimée suivit. . . , D'oii vienirelle ? 
on ne peut le dire. Elle est aimée, il suffit... Elle 
va croître et vivre en lui, comme lui-même vit 



L'ENFANTEMENT DU GENIE ,209 

dans la Nature, accueillant tout ce qui viendra, se 
nourrissant de toute chose, s'augmentant et s'em- 
bellissant, devenant la fleur du génie, comme lui- 
même est la fleur du monde. 

Type sublime de Tadoption. . . Ce point vivant 
qui tout à l'heure apparut obscur encore , couvé 
de Toeil paternel , il va s'organisant , se vivifiant , 
il s'illumine de splendeur, c'est une grande in- 
vention, uneœuvre d'art, un poème... J'admire 
cette belle création dans son résultat; mais com- 
bien j'aurais voulu la suivre en sa génération*, 
dans la tendre incubation sous laquelle commença 
savie, sa chaleur! 

Hommes puissants, en qui Dieu accomplit ces 
grandes choses, daignez donc nous dire vous- 

i GMBbien il est regrettable tgê» les hommes de géaie effiiceiit la 
trace socceasive de lenr propre eréation ! Rarement ils gardent la série 
des élMacbes qai l'ont préparée. Vous en trouvez quelque chose , {in- 
complet et ià grand*peise , dans la série progressive des tableaux de 
quelques grands peintres qui sans cesse ont peint leur pensée, et en 
ont fixé chaque moment par des œuvres immortelles. 11 n*est pas im- 
possible de suivre ainsi la génération d'une idée dans Raphaël, le Ti- 
lien , Robens, Rembrandt. Pour ne parler que de ce dernier , le bon 
Samariuin, le Christ d'Emmatts, le Lazare, enfin le Chritt eontotant 
iê peuple (gravure aux cent florins) , indiquent les degrés successirs par 
lesquels le grand artiste , ému du spectacle nouveau des profondes mi- 
sères modernes, couva et enfanta son idée. Dans la dernière expression 
qu'il lui donne , si forte et si populaire , Vcsuvre et Touvrier ont atteint 
un degré inouï d'attendrissement, ^j 

12. 



îiO EST LE TYPE DE L*£NFANTEMENT SOCIAL 

mêmes ^ quel fut le mopieut s^cré oii riiwentiani, 
rœuvre4'art, jaillit pour la premiJerjB fois... quelles 
furent dans votre âme les pren^ières pçiroleg avec cet 
être nouveau , le dialogue qui s'engagea eq vous 
entre la vieille sagesse et la jeune ciréatioa^ le 
doux accueil qu'elle lui fit, comment elle rèucftu- 
rageîi, rude et brute encore, la forma sans la chan- 
ger, et, loin de gêner sa liberté, fit tout pour 
qu'elle devînt libre, qu'elle fut vraiment ellej 
même. 

Àh! si vous révéliez pela^ vçgus aurie^z éçlsûré» 
poo-seulement l'art, jgifus l'M mor^ aqssi, l'aM 
de l'éducation et de la politique.. 3â PQUS savîofiis 
la cuHure que donnp le géniç au bi^Uraimé de 
sa pensée, comment ils vivent entre eux:,, par 
quelle adresse et quelle douceur, sans attenter 
à son originalité, il l'anime à se prt)duîre se- 
lon sa nature, nous aurions à la fois, la règle de 
l'art, et le modèle de l'éducation, de l'initidtîon 
civile*. 



1 Ceci n*e8t pas une simple comparai^n comme celle quet donne 
Platon au livre IV de la République. Kon, c*esl la chose eUe*méme, 
prise en soi, dans son plus intime , dans sa naissance et sa natur/e. A 
mesure qu'on s'habituera à regarder le monde social dans 1» monde 
moral , on verra que celui-*ci est Torigine , la mère , la matrice de l'aa- 
tre, ou plutôt qu'ils ne font qu'un. 

Le combat de Tâme avec Pâme, le progrès et l'édi^eiatipDi qui ea r^- 



DU COMBAT ^1 

Banté de Diou^ c'est là qu'il faut que nous vous 
contemplions ! C'est dans c^tte ânie supérieure où 
la sag^^se et l'instinct sQntsil)ien harmQnipȎ$> que 
nous devons chercher le typ^ pour toqte ceuvrç 
sociale. L'âme de. l'homo^e de génie^ cette âme 
visiblement divine^ puisqu'elle crée comme Dieu^ 
c'est la. cité iqtérieiure sur laquelle nous dQvqps 
modeler )ar cité ^Mérieijire> a^i^ qu'elle soit^ivio^ 
augsi- : 

Cet homme est harrmonîque et ppoductif quand 
les deux hommes qui sont. en lui^ le simple et le 
réfléchi, s'entendent et s'entr'aident* 

Eh bien ! la société sera au plus haut point har- 
monique et productive, si les classes cultivées, ré- 
fléchief^, accueillant et adoptant les hommes d'in- 



saltent, les traités qae font entre elles ses puissances intérieures, 
Vautour ^*e11e a pour elle^mèrae, les mariages, les adoptions accom> 
pli> 4a9S cetift eoeeiote étroite et si variée, révéleront à. la philosophie 
le sccfet de la politique, 4e l'éducation, de IMnitiation sociale. Uue 
Par liste élève son œuvre, que l'homme élève Tenfant de son choix, 
que la cité élève les classes qui sont encore enfants, ce sont trois choses 
analogues ; H arrivera du moins, par les progrès de la science et de 
Tamour, qu'elles le seront de plus en plus. 

Cette ;icience est .i créer. La philosophie, qui depuis des siècles 
tourne sur I^s mêmes idées, n*y a pas touché encçre. Les mystiques 
qui.opt tant.TegaBdé dans l'Orne J^u^iaine, s'.aveugliaient à y chercher 
i)icii» qu^ ï P^ ^^* ^^ doute, mais qu'on y distingue bien mieux quand 
on i*y voit en so.a^oMg* qu;|l y dépQ^, la Cité.-.humaine et divine. 



2i2 ET DU SACRIFIGB INTÉRIEUR. 

stinct et d'action, reçoivent d'eux la chaleur, et 
leur prêtent la lumière * . 

€ Quelle différence! dira-t-on. Ne voyez- vous 
pas que dans Tâme d'un seul homme^ la cité inté- 
rieure se compose du même et du même ; entre deux 
parents si proches, facile est le rapprochement. 
Dans la cité politique, que d'éléments opposés, 
discordants, que de résistances variées ! la donnée 
est ici infiniment plus complexe; que dis-je? Fun 
des objets comparés est presque le contraire de 
l'autre; dans Tun, je ne vois que la paix, €t dans 
l'autre que la guerre^ » 

Plût au ciel que l'objection lut raisonnable, que 
je pusse l'accepter ! Plût à Dieu que la discorde ne 
fût que dans la cité extérieure, et que dans Tinté*- 
rieure, dans l'apparente unité de l'individu, il y 
eût vraiment la paix ! ... Je sens plutôt tout le con- 
traire... La bataille générale du monde est moins 
discordante encore que celle que je porte en moi, 
la dispute de moi avec moi, le combat de Vhomo 
duplex. 



* Étendez ceci à la igrande société du genre tiumain. Telles nations 
sont relativement à l'état instinctif, telles à l'état de réflexion. Lors* 
qu'elles entrent en contact, les nations cultivées doivent, au nom do 
l'humanité, au nom de leur intérêt, se faire un art, une* langue, pour 
s'entendre avec celles qui n'ont que rinstinct l»arbare« - 



L'HOMME DE GÉNIE S'AMÉLIORE PAR SON OEUVRE. 215 

Cette guerre est visible en tout homme. S'il y a 
dans rhomme de génie trêve et pacification, cela 
tient à un beau mystère, aux sacrifices intérieurs 
que ses puissances opposées se font les unes aux 
autres. Le fonds de Tart, comme celui de la société, 
ne rouHiez point, c'est le sacrifice. 

Cette lutte est dignement payée. L'œuvre qu'on 
croirait inerte et passive, modifie son ouvrier. Elle 
l'améliore moralement, récompensant ainsi la bien- 
veillance dont l'entoura le grand artiste, quand 
die était jeune, faible, informe encore. Il l'a faite^ 
mais elle le fait; elle le rend, à mesure qu'elle 
grandit, très-grand et très-bon. Si le monde en^ 
lier, avec ses misères, ses nécessités, ses fatalités 
hostiles, ne pesait sur lui, on verrait qu'il n'est 
point d'homme de génie qui, pour l'excellence du 
cœur, ne soit un héros. 

Toutes ces épreuves intérieures que le monde 
ne sait guère, préservait le génie de toute misère 
d'oi^eil. S'il repousse, au nom de son œuvre, la 
stupide risée du vulgaire, c'est pour elle, et non 
pour lui. Il reste intérieurement dans une douceur 
héroïque, toujours enfant, peuple et simple. Quoi 
qu'il accomplisse de grand, il est du côté des petits. 
Il laisse aller la foule des vaniteux, des subtils, se 
promener dans le vide, se réjouir de moqueries, de 



2)4 IL RESTE UN DES SIMPLES, ET LES RÉHABILITE. 

sophismes, de négatious. Qu'ils triQmphjent^ qu'ils 
courent, tant qu'ils veyjent, dans Je^ voies du 
monde... Lui, il reste tranquille \^ où viendront 
tous les simples , ^ux marches du trône du 
Père. 

Et c'est par lui qu'ils y viendront. Qufil ^ppui» 
quel protecteur ont-ils autre que lui? H est leur 
commun héritage à ceg déshérité^, ,]em glorieux 
dédommagement. Il est leur ydix j^,,.ç^ Wl^t^i 
^eur puissance à ces impuissants^ Vacçompliseç- 
ment tardif de toutes leurs aspii^^tio^s. (Ift l^ii, fiT 
nalement,ils sontgVorifiésj çt sauvés ptirlu^ Il les 
entraîne et les enlevé, tous, dans Içf long^ie chaîne 
des classes et des genres en lesquels ils se divisent: 
femmes, enfants, igqor^qts, pauypes d'esprit,, çt 
avec eux, nos humbles .çompagnous de travail qw 
n'ont eu que le pur instinct, et derrière ceux^-ci, 
les tribus infinies de la. vie inférieure^ aufii^i loin 
que l'instinct s'étend. 

Tous se réclament du Simple, à 'la^^x^rte xlç. b 
Cité où ils doivept entrçr tôt ou t^d. % Qqe ve- 
nez-vous faire ici? qui êtes-vou§, pauvres, sim- 
ples? — Les petits frères de l'aîné de Pieu. » 



..j 



CHAPITRE IX. 

Bévue de la leconde ^iTtieL.Intrôdu'cliai à;u troitiétif . 

Tt été loin, bien loin ^eut-être dans rehtrai- 
lïement de mon cœur. 

Je Totilaîs caractériser rinstincf populaire, y 
montrer la source de vie où les classes cultivées 
doivent chercher aujourd'hui leur rajeunisse- 
ment; je voulais prouver à ces classes, nées d'hier, 
usées déjà, qu'elles ont besoin de se rapprocher 
du peuple d'où elles sont sorties. 

Ce peuple, défiguré par ses maux, altéré par son 
progrès même, j'ai dû, pour trouver son génie, 
l'étudier spécialement daiis son élément le plus 
pur, le peuple des enfants et des siinples. C'est là 
que Dieu nous garde le dépôt de l'instinct vivant, 
le trésor d'étemelle jeunesse* 



216 L'INSTINCT DE LTÎNPANT ITEST PAS PERVERS. 

Mais oes^mples^ ces enfantsqae j'appelais dans 
mon livre à témoigner pour le peuple, il s'est 
trouvéqu'ils ont réclamé pour eux-mêmes. Et moi, 
je les ai écoutés; j*ai vengé comme j*ai pu les sim- 
ples du mépris du monde. J'ai demandé pour Ten- 
fant comment la dureté du moyen-âge continuait 
toujours contre lui. 

Quoi! vous avez repoussé, dans la oroyance et 
dans la vie, le fatalisme cruel qui supposait Thomme 
perverti en naissant d'une' faute qu'il n'a pas 
faite; et quand il s'a^t de l'enfslnt, vous partez 
de cette idée; vous châtiez l'innocent; vous dé- 
duisez, d'une hypothèse diaque jour plus aban- 
donnée , une éducation de supplices. Vous 
étouffez, vous bâillonnez le jeune révélateur, 
ce Joseph, ce Daniel, qui seul vous dirait votre 
énigme et votre rêve oublié. 

Si vous maintenez que l'instinct de l'homme est 
mauvais 9 gâté d'avance, que l'homme ne vaut 
qu'autant qu'il est châtié, ^amendé, métamprpbmé 
par la science ou la scolâstique religieuse, vous 
avez condamné le peuple, et le peuple des enfants, 
et les peuples encore enfents, qu'on les nomme 
sauvages ou barbares. 

Ce préjugé a été meurtrier pour tous les pauvres 
fils de l'instinct. Il a rendu les classes cultivées dé- 



m L'INSTINCT DES PEUPLES ENFANTS. . 2i7 

daigneuses, haineuses pour les classes non culti- 
vées. Il a infligé aux enfants Tenfer de notre édu- 
cation. Il a autorisé contre les peuples enfants 
mille fables ineptes et malveillantes qui n'ont pas 
peu contribué à rassurer nos soi-disant chrétiens 
dans Textermlnation de ces peuples. 

Mon livre voulait encore envelopper ceux-ci, 
les sauvages ou les barbares, abriter ce qui en 
reste... Tout à l'hjeure, il sera trop tard. Le 
travail d'extermination se poursuit rapidement. 
En moins d'un demi-siècle, que de nations j'ai 
vu disparaître! Où sont maintenant nos alliés, 
les montagnards d'Ecosse? Un huissier anglais a 
chassé le peuple de Fingal et de Robert-Bruce. 
Où sont nos autres amis, les Indiens de l'Amé- 
rique du Nord, à qui notre vieille France avait si 
bien donné la main? hélas! je viens de voir les 
derniers qu'on montrait sur des tréteaux... Les 
Anglais d'Amérique, marchands, puritains, dans 
leur dure inintelligence, ont refoulé, affamé, 
anéanti tout à l'heure ces races héroïques, qui 
laissent une place vide à jamais sur le globe, un 
regret au genre humain. 

En présence de ces destructions, et de celle du 
nord de Tlnde , de celle du Caucase, de celle du 
Liban , puisse la France sentir à temps que notre 

13 



2i8 L'AFRIQUE AIDERA LA FRANGE A SE COMPRENDRE. 

interminable guerre d'Afrique tient surtout à ce 
que nous méconnaissons le génie de ces peu- 
ples; nous restons toujours à distance^ sans 
rien faire pour dissiper l'ignorance mutuelle^ les 
malentendus qu'elle cause. Ils ont avoué l'autre 
jour qu'ils ne combattaient contre nous^ que 
parce qu'ils nous croyaient ennemis de leur reli- 
gion, qui est l'Unité de Dieu ; ils ignoraient que la 
France, et presque toute l'Europe, eussent secoué 
les croyances idolâtriques qui pendant le moyen 
âge ont obscurci l'Unité. Bonaparte le leur dit au 
Caire ; qui le redira maintenant? 

Le brouillard se lèvera un jour ou l'autre entre 
les deux rives, et l'on se reconnaîtra. L'Afrique, 
dont les races se rapprochent tellement de nos 
races du Midi, TAfrique que je reconnsds parfois 
dans mes amis les plus distingués des Pyrénées, 
de la Provence, rendra à la France un grand 
service ; elle expliquera en elle bien des choses 
qu'on méprise et qu'on n'entend pas. Nous com- 
prendrons mieux alors l'âpre sève populaire de 
nos habitants des montagnes, des pays les moins 
mélangés. Tel détail de mœurs, je l'ai dit, que l'on 
trouve rude et grossier, est en effet barbare, et 
relie notre peuple à ces populations, barbares sans 
doute, mais nullement vulgaires. 



NOUS DEVONS AUX INSTINCTS MUETS 219 

Barbares, sauvages, enfants, peuple même (pour 
la plus grande part), ils ont cette misère com- 
mune, que leur instinct est méconnu, qu'eux- 
mêmes ne savent point nous le faire comprendre. 
Ils sont comme des muets , souffrent, s'éteignent 
en silence. Et nous n'entendons rien, nous le savons 
à peine. L'homme d^Afrique meurt de faim sur son 
silo dévasté, il meurt et ne se plaint pas. L'homme 
d'Europe travaille à mort, finit dans un hôpital, 
sans que personne l'ait su. L'enfant, même l'en- 
fant riche, languit et ne peut se plaindre ; personne 
ne veut Técouter ; le moyen âge, fini pour nous, 
continue pour lui dans sa barbarie. 

Spectacle étrange! D'une part, des existences 
pleines de jeune et puissante vie. . . Mais ces êtres 
sont comme enchantés encore, ils ne peuvent bien 
faire entendre leurs pensées et leurs douleurs. 
D'autre part, en voilà d'autres qui ont recueilli 
tout ce que l'humanité a jamais forgé d'instru- 
ments pour analyser, pour exprimer la pensée, 
langues, classifications, et logique, et rhétorique, 
mais la vie est faible en eux... Ils auraient besoin 
que ces muets, en qui Dieu versa sa sève à pleins 
bords, leur en donnassent une goutte. ^ 

Qui ne ferait des vœux pour ce grand peuple, 
qui, des basses et obscures régions, aspire et 



2âa UNE VOIX, UNE PROTECTION, 

monte à tâtons, sans lumière pour monter, n'ayant 
pas même une voix pour gémir... Mais leur si- 
lence parle... 

On dit que César, naviguant le long des côtes 
de TAfrique, s'endormit et eut un songe : il voyait 
comme une grande armée, qui pleurait et lui ten- 
dait les bras. En s'éveillant, il écrivit sur ses ta- 
blettes : Gorinthe et Carthage. Et il rebâtit ces 
deux villes. 

Je ne suis pas César, mais que de uns j'ai eu le 
songe de César ! Je les voyais pleurer, je compre- 
nais ces pleurs : c Urbem orant. » Ils veulent la 
Cité ! ils demandent qu'elle les reçoive et les pro- 
tège. . . Moi, pauvre rêveur solitaire, que pouVais- 
je donner à ce grand peuple muet! ce que j'avais, 
une voix... Que ce soit leur première entrée dans 
la Cité du droit, dont ils sont exclus jusqu'ici. 

J'ai fait parler dans ce livre ceux qui n'en sont 
pas même à savoir s'ils ont un droit au monde. 
Tous ceux-là qui gémissent ou souffrent en si- 
lence, tout ce qui aspire et monte à la vie, 
c'est mon peuple... C'est le Peuple. — Qu'ils 
viennent tous avec moi. 

Que ne puis-je agrandir la Cité, afin qu'elle soit 
solide ! Elle branle, elle croule, tant qu'elle est 
incomplète, exclusive, injuste. Sa justice, c'est sa 



L'ENTRÉE DANS LA CITÉ IHJ DROIT. 221 

solidité. Si elle veut n'être que juste, elle ne sera 
pas même juste. II faut qu'elle soit sainte et di- 
vine, fondée par Celui qui seul fonde. 

Elle sera divine, si au lieu de fermer jalouse- 
ment ses portes, elle rallie tout ce qu'il y a d'en- 
fants de Dieu, les derniers, les plus humbles 
(malheur à qui rougira de son frère!) Tous, sans 
distinction de classe ni classification , faibles ou 
forts, simples ou sages, qu'ils apportent ici leur 
sagesse ou leur instinct. Ces impuissants, ces 
incapables, miserabiles personœ, qui ne peuvent 
rien pour eux-mêmes, ils peuvent beaucoup pour 
nous. Us ont en eux un mystère de puissance 
inconnue, une fécondité cachée, des sources vives 
au fond de leur nature. La Cité, en les appelant, 
appelle la vie, qui peut seule la renouveler. 

Donc, qu'ici l'homme avec l'homme, que 
rhomme avec la nature, aient, après ce long di- 
vorce, l'heureuse réconciUation; que tous les or- 
gueils finissent, que la Cité protectrice aille du 
ciel à l'abîme, vaste comme le sein de Dieu ! 

Je proteste, pour ma part, que s'il reste quel- 
qu'un derrière qu'elle repousse encore et n'abrite 
point de son droit, moi, je n'y entrerai point, et 
je resterai au seuil. 



TROISIEME PARTIE. 

DE L'AFFRANCHISSEMENT PAR L'AMOUR, 



LA PATRIE. 



CHAPITRE L 

L*ainitlé. 

C'est une grande gloire pour nos vieilles com- 
munes de France , d'avoir trouvé les premières le 
vrai nom de la patrie. Dans leur simplicité pleine 
de sens et de profondeur, elles rappelaient 
V Amitié K 

La patrie c'est bien en effet la grande amitié 
qui contient toutes les autres. J'aime la France, 
parce qu'elle est la France > et aussi parce que 

^ La patrie n*étaU encore que dans la commane. On disait VamiM 
de Lille, Vamitié d*Âire, etc. Voir Michelet, Histoire de France, 
V, 515. 



224 LA GRANDE ÂMITlÊ OU PATIIIE. 

c'est le pays de c^ux que j'aime et que j'ai aimés. 

La patrie, la grande amitié, où sont tous nos 
attachements, nous est d'abord révélée par eux; 
puis, à son tour, elle les généralise, les étend, 
les ennoblit. L'ami devient tout un peuple. Nos 
amitiés individueUès sont comme des premiers 
degrés de cette grande initiation , des stations par 
où l'âme passe, et peu à peu monte , pour se con- 
naître et s'aimer dans cette âme meilleure , plus 
désintéressée, plus haute, qu'on appelle la 
Patrie. 

Je dis désintéressée, parce que là où elle est 
forte, elle fait que nous nous aimons, malgré 
l'opposition des intérêts, la différence des condi* 
tiens, malgré l'inégalité. Pauvres, riches, grands 
et petits, elle nous enlève tous au-dessus de toutes 
nos misères d'envie. C'est vraiment la grande 
amitié, parce qu'elle rend héroïque. Ceux qui se 
sont liés en elle, sont solidement liés; leur atta- 
chement durera tout autant que la Patrie. Que 
dis-je? Elle n'est nulle part plus indestructible que 
dans leurs âmes immortelles. Elle finirait dans le 
monde et dans l'histoire, eHe s'abîmerait au sein 
du globe, qu'elle survivrait comme Amitié. 

Il semble, à entendre nos philosophes, que 



L*HOMME NAIT AMI DE L*HOMME. 22S 

rhomme est un être tellement insociable» qu'à 
grand'peine^ par tous les efforts de Tart et de la 
méditation, pourront-ils inventer la machine in- 
génieuse, qui rapprocherait l'homme de l'homme. 
Et moi, pour peu que j'observe, à sa naissance 
même, je le vois déjà sociable. Avant d'avoir les 
yeux ouverts, il aime la société; il pleure, dès 
qu'il est laissé seul... Comment s'en étonnerait- 
on? au jour qu'on dit le premier, il quitte une 
société déjà bien ancienne, et si douce ! Il a com- 
mencé par elle ; vieux de neuf mois, il lui faut di- 
vorcer, entrer dans la soUtude, chercher à tâtons 
s'il pourra rétrouver une ombre de la chère union 
qu'il avait, qu'il a perdue. 

Il aime sa nourrice et sa mère, et les distingue 
peu de lui-*-mème. . . Mais quel est son ravissement, 
quand il voit pour la première fois un autre, un 
enfant de son âge, qui est lui, qui n'est pas lui! Â 
peine, retrouvera-t-il quelque chose de ce mo- 
ment dans les plus vives joies de l'amour. La fa- 
mille, la nourrice, la mère même pour quelque 
temps, tout cède devant le camarade, il a fait tout 
oublier. 

C'est là qu'il faut voir combien l'inégalité, cette 
pierre d'achoppement des politiques, embarrasse 

peu la nature. Elle s'amuse au contraire, dans 

u. 



226 L'INÉGALITÉ NE FAIT POINT OBSTACLE A L'AMITIÉ. 

tous les rapports du cœur, à se jouer iies difféh- 
renées^ des inégalités, qui sembleraient devoir 
créer à l'union d'insurmontables obstacles* h^ 
femme, par exemple, aime l'homme, justement 
parce qu'il est plus fort. L'enfant aime son ami, 
souvent parce qu'il est supérieur. L'inégalité leur 
plaît comme occasion de dévouement, comme ému- 
lation, comme espoir d'égalité* Le vœu le plus 
cher de l'amour, c'est de se faire un égd; sa 
crainte, c'est de rester supérieur, de garder un 
avantage que l'autre n'ait pas. 

C'est le caractère singulier des belles amitiés 
d'ei^fance, que l'inégalité y sert puissamment. Il 
faut qu'elle y soit, pour qu'il y ait aspiration, 
échange et mutualité. Regardez ces enfants, ce 
qui leur rçnd ces amitiés charmantes, c'est, dans 
l'analogie de caractère et d'habitude, l'inégalité 
d'esprit et de culture; le faible suit le fort, sans 
servilité, sans envie; il l'écoute avec ravissement, 
il suit avec bonheur l'attrait de l'initiation. 

L'amitié,quoi qu'on dise, est, bien plus que l'a- 
mour, un moyen de progrès. L'amour est, conune 
elle, une initiation sans doute, mais il ne peut 
créer d'émulation entre ceux qu'il unit; les 
amants différent de sexe et de nature; le moins 
avancé des deifx ne peut beaucoup changer, pour 



L'AMOUR FAIT LE PREMIER DU DERNIER. 227 

ressembler à l'autre; TefTort d'assimilation mu- 
tuelle s'arrête de bonne heure. 

L'esprit de rivalité qui s'éveille si vite entre les 
petites filles, commence tard chez les garçons. 
Il faut l'école, le collée, tous les efforts du 
maître, pour éveiller ces tristes passions . L'homme, 
sous ce rapport, naît généreux, héroïque. Il fauf 
lui apprendre l'envie ; il ne la sait pas de lui- 
même. 

Ah! qu'il a bien raison, et qu'il y gagne! L'a- 
mour ne compte pas, il ne sait mesurer. Il ne s'at 
tache point à calculer une égalité mathématique e 
rigoureuse que l'on n'atteint jamais. Il aime biei 
mieux la dépasser. D crée, le plus souvent, contr 
l'inégalité de la nature, une inégalité en sens in- 
verse. Entre l'homme et la femme, par exemple, i 
fait que le plus fort veut être serviteur du plus fai 
ble. Dans le progrès de la famille, quand Tenfan 
naît, le privilège descend à ce nouveau venu 
L'inégalité de la nature favorisait le fort qui est 1 
père ; l'inégalité qu'y substitue l'amour, favoris 
le faible , le plus faible, et le fait le premier. 

Voilà la beauté de la famille naturelle. Et 1 
beauté de la famille artificielle, c'est de favorise 
le fils élu, fils de la volonté, plus cher que ceu: 
de la nature. L'idéal de la Cité qu'elle doit pour 



228 LA DÉMOCRATIE» COMME AMOUR ET INITIATION. 

suivre , c'est l'adoption des faibles par les forts, 
l'inégalité au profit des moindres. 

Aristote dit très-bien contre Platon : < La Cité 
se fait non d'hommes semblables, mais d'hommes 
différents. » À quoi j'ajoute : < Différents, mais 
harmonisés par l'amour, rendus de plus en plus 
semblables. » La démocratie, c'est l'amour dans 
la Cité, et l'initiation. 

L'initiation du patronage, romain ou féodal, 
était chose artificielle et née des circonstances^. 
C'est aux invariables et naturels rapports de 
l'homme qu'il nous faut revenir. 

Ces rapports, quels sont-ils?... Ne cherchez 
pas bien loin. Regardez seulement l'homme avant 
qu'il soit asservi à la passion, brisé par la dure 
éducation , aigri par les rivalités. Prenez-le, avant 



t Le patronage anUqoe et féodal ne reviendra pas, ne doit point re- 
venir. Noos nous sentons égaux. Le caractère d'ailleurs perdait infini- 
ment, et l'originalité, dans ces rapports de dépendance étroite où 
l'homme avait toujours les yeux sur l'homme, devenait son ombre, sa 
triste copie. La longue table commune où le baron siégeait au feu, et 
qui, du chapelain, du sénéchal et des autres vassaux, allait se proton-* 
géant jusqu'à la porte, où mangeait, en servant debout, le petit valet de 
cuisine, celte Uble élait une école, où l'imitation allait descendant ; 
chacun étudiait, copiait son voisin du rang supérieur. Les sentiments 
n'éuient pas tovyours serviles, mais les esprits l'étaient. Cette servi- 
lité d'imitation est sans nul doute une des causes qui retardèrent le 
moyen Age, et le stérilitèrent longtemps. 



LES PREMIÈRES AMITIÉS. 229 

Tanfiour, avant Tenvie. Que trouvez-vous en hii? 
la chose qui lui est la plus naturdie entre toutes, 
la première ( ah ! qu'elle soit aussi la dernière ! ) : 
l'anûtié. 

Me voilà bientôt vieux. J'ai, par-dessus mon 
âge, deux ou trois mille ans que l'histoire a entas- 
sés sur moi, tant d'événements, de passions, de 
souvenirs divers où entrent pêle-mêle ma vie et 
celle du monde. Eh bien! parmi ces grandes cho- 
ses innombrables, et ces choses poignantes, une 
domine, triomphe, toujours jeune, fraîche, floris- 
sante, ma première amitié ! 

C'était, je me le rappelle (bien mieux que mes 
pensées d'hier), c'était un désir immense, insatia- 
ble, de communications, de confidences, de révéla- 
tions mutuelles. Ni la parole, ni le papier, n'y 
suffisait. Après d'immenses promenades, nous 
nouB conduisions, et nous reconduisions. Quelle 
joie, lorsque revenait le jour, d'avoir tant à se 
dire ! Je partais de bonne heure, dans ma force et 
ma liberté, impatient de parler, de reprendre l'en- 
tretien, de confier tant de choses. — « Quels se- 
crets? Quels mystères? » — Que sais-je? tel fait 
historique peut-être, ou tel vers de Virgile que je 
venais d'apprendre. . . 

Que de fois je me trompais d'heure ! à quatre, à 



aSO COMBIEN PRÉCIEUSES, ENTRE RICHE ET PAUVRE ! 

cinq heures du matin J'allais, jefrappais, jefaisais 
ouvrir les portes, je réveillais mon ami. Comment 
peindre avec des paroles les vives et légères lueurs 
sous lesquelles, dans ces matinées, brillaient, vol- 
tigeaient toutes choses? Moioi existence était ailée, 
j'en ai encore l'impression, mêlée au matin, au 
printemps; je sentais, vivais dans l'aurore. 

Age regr^table, vrm paradis sur terre, qui ne 
connaît ni haine, ni mépris, ni bassesse, où l'iné- 
galité est si parfaitement inconnue, oii la société 
est encore vraiment humaine, vraiment divine... 
Tout cela passe vite. Les intérêts viennent, les con- 
currence$, les rivalités. . . Et pourtant il en resterait 
quelque chose, si l'éducation travaillait à réunir les 
hommes autant qu'elle s'attache à les diviser. 

Si seulement les deux enfants, le pauvre et le 
riche, avaient été assis aux bancs d'une même 
école, si, liés d'amitié, divisés de carrières, ils 
se voyaient souvent , ils feraient plus entre 
eux que toutes les politiques, toutes les mo- 
rales du monde. Us conserveraient dans leur 
amitié désintéressée, innocente, le nœud sacré de 
la Cité... Le riche saurait la vie, l'inégalité, et il 
en gémirait; tout son effort serait de partager. 
Le pauvre prendrait un grand cœur, et le conso- 
lerait d'être riche. 



ILS SONT NÉGESSAIRBa L'UN A L'AUTRE. S31 

Comment vivre, sans savoir la vie? Or, on ne la 
sait, qu'à un prix : Souffrir, travailler, être pau- 
vre, — ou bien encore se faire pauvre, de sym- 
pathie^ de cœur, s'associer de volonté au travail et , 
à la souffrance. ' 

Que voulez-vous que sache un rithe, avec toute 
la science du monde? par cela seul qu'il a la vie 
facile, il en ignore les fortes et profondes réalités. 
Ne creusant point, n'appuyant pas, il court, glisse, 
comme sur une glace ; nulle part il n'entre, il est 
toujours dehors ; danscette rapide existence, ex- 
térieure et superficielle, demain il sera au terme et 
s'en ira dans l'ignorance aussi bien qu'il était 
venu. 

Ce qui lui a manqué, c'était un point solide où, 
de son âme, il appuyât, creusât, dans la vie et la 
connaisssffice. T(mt au contraire, le pauvre est 
fixé sur un point obscur, sans voir ni ciel ni terre. 
Ce qui lui manque, c'est de pouvoir se relever, 
respirer, regarder le ciel. Rivé à cette place par la 
fatalité, il lui faudrait s'étendre, généraliser son 
existence et sa souffirance même, vivre hors de ce 
point où il souffire, et puisqu'il a unie âme infinie, 
l'épanouir infiniment. . . Tous les moyens lui man- 
quent; les lois y feront peu; il y faut l'amitié. 
L'homme de loisir, cultivé, réfléchi, doit remettre 



^2 NÉCESSAIRES L'UN A L'AUTRE. 

cette âme captive dans son rapport avec le monde, 
la changer? non; mais Taider à être elle-même, 
écarter l'obstacle qui Tempêchait de déployer ses 
ailes. 

Tout cela deviendrait facile, si chacun des deux 
comprenait qu'il ne trouvera qu'en l'autre son 
aflSranchissement. L'homme de science et de cul- 
ture, aujourd'hui serf des abstractions, des for- 
mules, ne reprendra sa liberté qu'au contact de 
l'homme d'instinct. Sa jeunesse et sa vie qu'il 
croit renouveler dans de lointains voyages, elle est 
là, près de lui, dans ce qui est la jeunesse sociale, 
je veux dire dans le peuple. Celui-ci, d'autre part, 
pour qui l'ignorance et l'isolement sont comme 
une prison, il étendra son hcnrizoo , retrouvera 
l'air libre, s'il accepte la communication de la 
science, si, au lieu de la dénigrer par envie, il y 
respecte l'accumulation des travaux de l'huma- 
nité, tout l'effort de l'homme antérieur. 

Cette assistance, cette culture mutuelle, forte et 
sérieuse, qu'ils trouveront l'un dans l'autre, elle 
suppose, je l'avoue, dans tous les deux une ma- 
gnanimité véritable ; nous les appelons à l'hé- 
roïsme. Quel appel plus digne de l'homme?... 
plus naturel aussi, dès qu'il revient à hii et se re- 
lève, avec la grâce de Dieu. 



CÛNGUinŒNCES, ENVIES. 235 

L'héroïsme du pauvre, c'est d'immoler l'envie, 
c'est d'être lui-même assez haut au-dessus de sa 
pauvreté, pour ne pas même vouloir s'informer si 
la richesse est gagnée bien ou mal. L'héroïsme du 
riche, c'est, tout en connsûssant le droit du pau- 
vre, de l'aimer et d'aller à lui. 

€ Héroïsme?... N'est-ce pas là le plus simple 
devoir ? > Sans doute , mais c'est justement 
parce qu'il y a devoir, qa% le cœur se resserre. 
Triste infirmité de notre nature; nous n'aimons 
guère que celui à qui nous ne devons rien, l'être 
abandonné, désarmé, qui n'allègue nul droit con- 
tre nous. 

Il faut des deux côtés que le cœur s'élargisse. 
On a pris la démocratie par le droit et le devoir, 
par la Loi, et l'on n'a eu que la loi morte. .. Ah ! 
reprenons-la par la Grâce. 

Vous dites ; « Que nous importe? nous ferons 
de si sages lois, si artificieusement dressées et 
combinées, qu'on n'aura que faire de s'aimer... > 
Pour vouloir de sages lois, pour les suivre, il faut 
aimer d'abord. 

c Comment aimer? Ne voyez^vous les insur* 
montables barrières que l'intérêt élève entre nous? 
Dans la concurrence accablante où nous, nous dé- 
battons, pouvons-nous bien êtreassez simples pour 



S34 MAGNANIMITÉ DES GÉNÉRAUX DE LA RÉVOLUTION. 

aider nos rivaux, pour donner la main aujourd'hui 
à ceux qui le seraient demain? 

Triste aveu! quoi! pour quelque argent, pour 
une place misérable que vous perdrez bientôt, 
vous livrez le trésor de l'homme, tout ce qu'il a de 
bon, de grand, l'amitié, la patrie, la véritable vie 
du cœur) 

£h ! malheureux ! si près, si loin de la Révolu- 
tion, avez-vous déjà oubUé que les premiers 
hommes du monde, ces jeunes généraux, dans leur 
terrible élan, leur course violente à la mort immor- 
telle, qu'ils se disputaient tous, rivaux acharnés 
pour la belle maîtresse qui brûle les cœurs du plus 
âpre amour, la Victoire ! n'éprouvèrent point de 
jalousie. Elle restera toujours la glorieuse lettre 
par laquelle le vainqueur de la Vendée couvrit de 
sa vertu, de sa popularité l'homme qui déjà faisait 
peur ^, le vainqueur d'Ârcole, et se porta garant 

i On Mit que Bonaparte 8*était renda suspect , en agissant comme 
maître et arbitre de i*Italie, accordant on refusant, sans consulter 
personne, des armistices qui décidaient de la paiioa de la guerre, 
envoyant directement des fonds à l'armée du Rhin, sans prendre l'in- 
termédiaire de la trésorerie, etc. On faisait courir le bruit qu'il allait 
être arrêté au milieu de son armée. ^ Hoehe éerivH, pour le Justifier, 
au ministre de la police, une leUre qui fut rendue publique. R y renvoie 
aux royalistes les brtiits calomnieux qu'on faisait courir : c Pourquoi 
Bonaparte se trouve->i-il l'objet des fureurs de ces messieursY Est-ce 
parce qu'il Ifi a baltoa en vendémiaiiet est^e paroo qu'il dissont les 



MAGNANIMITÉ DBS GÉNÉRAUX DE LA RÉVOLUTION. 235 

pour lui... Âh! grande époque, grands hommes, 
vrais vainqueurs à qui tout devait céder! Vous 
aviez vaincu l'envie aussi aisément que le 
monde I Nobles âmes, où que vous soyez, don- 
nez-nous, pour nous sauver, un souffle de votre 
esprit! 



armées des rois , et qa'il fournit à la République les moyens de 1 
glorieusement cette guerre?... Ahl bravo jeune homme, quel est le 
militaire républicain qui ne brûle de t'imiter? Courage, Bonaparte, 
conduis à Naples, à Vienne, nos armées victorienses ; réponds à tes 
ennemis personnels en humiliant les rois» en donnant à nos armes un 
lustre nouveau, et laisse-nous le soin de ta gloire ! » 



CHAPITRE n. 

De Tamôur et da mariage. 

Il faudrait sentir bien peu la gravité d'un tel 
sujet, pour entreprendre de le traiter en quelques 
pages. Je me contenterai de faire une observation, 
essentielle dans l'état de nos mœurs. 

Indifférents, comme nous sommes à la patrie 
et au monde, ni citoyens , ni philanthropes , nous 
n'avons guère qu'une chose par laquelle nous 
prétendions échapper à l'égoïsme; ce sont les 
liens de famille. Être un bon père de famille, 
c'est un mérite qu'on affiche, et souvent à grand 
profit. 

Eh bien! il faut l'avouer, dans les classes su- 
périeures, la famille est très-malade. Si les cho- 
ses continuaient, elle deviendrait impossible. 



LE MARIAGE DEVINT IMPOSSIBLE DANS L'EMPIRE ROMAIN. 257 

On a accusé les hommes, et non sans raison. J'ai 
parlé moi-même ailleurs de leur matérialisme, de 
leur sécheresse, de l'insigne maladresse avec la- 
quelle ils perdent l'ascendant des premiers jours. 
Cependant, il faut l'avouer, la faute est surtout 
aux femmes, je veux dire, aux mères. L'éducation 
qu'elles donnent , ou laissent donner à leurs filles, 
a fait du mariage une charge intolérable. 

Ce que nous voyons ne rappelle que trop les 
derniers siècles de l'empire romsdo. Les femmes, 
étant devenues des héritières, sachant qu'elles 
étaient riches, et protégeant leurs maris, rendi- 
rent la condition de ceux-ci tellement misérable, 
qu'aucun avantage pécuniaire, aucune prescrip- 
tion législative, ne put décider les hommes à 
subir cette servitude. Hs aioiaient mieux fiiir au 
désert. La Thébaïde se peupla. 

Le législateur, effrayé de la dépopulation, fat 
obligé de favoriser, de régulariser les attachements 
inférieurs, les seuls que l'homme accepta. Il en se- 
rait peut-être aujourd'hui de même, si notre so-^ 
ciété, plus industrielle que celle de l'Empire ro- 
main, ne spéculait sur le mariage. L'homme mo- 
derne accepte par cupidité, par nécessité, les chan- 
ces qui rebutsient les Romains. Spéculation peu 
&ùre. Là jeune femme sait qu'elle apporte beau- 



238 INGONVÊHtEirr D*ÉPO0SER tlNB FBMMB INFÊRIEURe. 

coup^ maid elle n*a nullement appris la valeur de 
Targent, elle dépense encore davantage. Si je re- 
gardais aux événements récents, aux bouleverse^ 
ments des fortunes, je serais tenté de dire : 
€ Voulez-vous vous ruiner? épousez une femme 
riche. » 

Je sais tout ce qu'ily ad'inconvénients àprendre 
une femme de condition, d'éducation inférieures. 
Le premier, c'est de s'isoler, de sortir de son mi- 
lieu, de perdre ses relations. Un autre, c^est qu'on 
n'épouse pas la femme seule, msds la famille, dont 
les habitudes sont souvent grossiferes. Cette 
femme, on espère bien l'élever, la faire à soi et 
pour soi; mais, il se trouve souvent qu'avec un 
heureux instinct et de la docilité, elle n'est point 
élevable. Ged éducations tardives qu'on essaie de 
donner aux fortes races du peuple, moins mal- 
léables et plus dures, ont rarement prise sur 
elles. 

Ces inconvénients reconnus, je n'en suis pas 
moins obl^é de revenir à celui, bien autrement 
grave, des mariages brillants d'aujourd'hui. Il con- 
siste simplement en ceci, que la vie y est tmpos- 
sible. 

Cette vie consiste à commencer tous les soirs, 
après une journée de travail, une journée plus &ti« 



INCONVÉNIENT D*ÉPODSBll UNB FEIflfB RICHE. 259 

gante encore d'amudements, de plaisirs. Rien de 
pareil dans les autres pays de l'Europe, rien de 
semblable dans le peuple; le Français des classes 
riches est le seul homme du monde qui ne repose 
jamais. C'est peut-être la cause principale pour la- 
quelle nos enrichis, nos bourgeois, une classe née 
d'hier, est déjà usée. 

Dans cet âge travailleur, où le temps a un prix 
incalculable, les hommes sérieux, productifs, 
qui veulent des résultait, ne peuvent accepter, 
comme condition du mariage, une dépense si 
énorme de la vie. La nuit, employée ainsi à 
promener une femme, tue d'avance le lende- 
main. 

L'homme a besoin, le soir, du foyer et dii 
repos. Il revient plein de pensées; il fendrait qu'il 
pût se recueillir, confier ses idées, ses projets, ses 
anxiétés, les combats du jour, qu'il eût où verser 
son cœur. H trouve une femme qui n'a rien fait, 
qui a hâte d'employer ses forces, prête, parée, 
impatiente... Quel moyen de lui parier! c C'est 
bon, monsieur, il est tard, nous manquerions 
l'heure... Vous direz cela demain. » 

Qu'il aille, s'il ne veut la confier à une amie plus 
âgée, qui trop souvent fort gâtée, maligne et ma- 
licieuse, n'aura nul plus grand plaisir que d'aigrir 



210 BONHEUR DU MéMAGE PAUVRE. 

la jeune femme contre son tyran, de la compro- 
mettre^ de la lancer dans les plus tristes folies. 

Non, il ne peut la laisser sous cette conduite 
suspecte. Il la conduira lui-même, il part... Avec 
quelle envie il voit revenir chez lui, le travailleur 
attardé. Celui-ci, il est vrai, a bien fatigué le jour, 
mais il va trouver le repos, un intérieur, une fa- 
mille, le somme enfin, ce bonheur légitime que 
Dieu lui donne tous les soirs. Sa femme l'attend, 
elle compte les minutes ; le couvert est mis ; la 
mère et l'enfant regardent s'il vient. Pour peu qu'il 
vaille quelque chose, cet homme, elle met en lui 
sa vanité, elleTadmire et le révère..* Et que de 
soins ! je la vois, dans leur faible nourriture, je 
la vois, sans qu'il l'aperçoive, garder le moindre 
pour elle, réserver pour l'homme qui a plus 
de mal l'aliment nourrissant qui réparera ses 
forces. 

Il se courbe, elle couche les ^nfents, et elle 
veille. Elle travaille bien tard dans la nuit. De 
grand matin, longtemps avant qu'il ouvre les 
yeux, elle est debout, tout est prêt, la nourriture 
chaude qu'il prend, et celle qu'il emporte avec lui. 
n part, le cœur satisfait, bien tranquiUe sur ce 
qu'il laisse, ayant embrassé sa femme et ses en- 
fants endormis. 



CE QirON PERD EN DÉLAISSANT LA FILLE PAUVRE. 241 

Je Tai dit^ et le redirai: le bonheur est là. Elle 
sent qu'elle est nourrie par lui, elle en est heu- 
reuse ; il travaille d'autant mieux qu'il sait 
qu'il travaille pour elle. Yoilà le vrai mariage. 
Bonheur monotone! dira-t-on. Non, l'enfant y 
met le progrès... S'il s'y joignait l'étincelle, si le 
travailleur, avec un peu de sécurité, de loisir, 
avait des moments de vie plus haute, s'il y asso- 
ciait la femme et la nourrissait de son esprit. . . Ce 
serait trop; on ne demanderait rien au ciel qu'une 
éternité d'ici-bas. 

Triste victime de la cupidité, ce bonheur, voua 
pouviez l'avoir; vous l'avez sacrifié. L'humble fille 
que vous aimiez, qui vous aimait, que vous avez 
délaissée, regrettez-la bien maintenant! Était- il 
sage (je ne parle pas d'honneur ni d'humanité) de 
briser la pauvre créature et de briser votre cœur, 
pour épouser l'esclavage? L'argent que vous avez 
cherché , il s'enfuira de lui-même, il ne restera 
pas dans vos mains. Les enfants de cette union 
sans amour, conçus d'un calcul, porteront sur 
leur face pâle leur triste origine ; leur existence in** 
harmonique témoignera du divorce intérieur que 
contint ce mariage ; ils n'auront pas le cœur de 
vivre. 

La différence était-elle donc si grande entre cette 

14 



242 trriLITÉ DU MÉLANGtt 

fille et cette fille; toutes deux, aprës tout, sont du 
peuple. La plus riche a pour père un trayailleur 
enrichi. Du vrai peuple , non-mèlé , au peuple 
bourgeois, aux classes bâtardes, il n'y a pas un 
abime. 

Si la bourgeoisie veut se releva de son épuise- 
ment précoce, elle craindra moins de s'unir aux fa- 
milles qui sont aujourd'hui ce qu'elle-même était 
hier. Là, est la force, la beauté et l'avenir. Nos jeu- 
' nés gens arrivent tard au mariage, bien fatigués 
déjà, et ils épousent ordinairement une jeune fille 
étiolée; les enfants meurent ou languissent. A la 
seconde ou troisième génération, la bourgeoisie 
sera aussi chétive que nos nobles l'étaient avant la 
Révolution*. 

Et ce n'est pas seulement le physique qui fait 
défeut, mais le moral baisse. Qu'attendre pour les 
travaux suivis, pour les af&ires sérieuses, pour la 
grande invention, d'un homme qui, s'étant vendu 
à un mariage d'argent, est serf d'une femme, d'une 
famille, obligé de se disperser, de jeter aux quatre 
vents son temps et sa vie? Imaginez ce qui doit ad- 
venir d'une nation oii les classes dirigeantes se 
consument dans les vaines paroles, dans l'agitation 

i. Comme M. de Maistre le lear dit si bien dans ses Considérationa 
sur la Révolntibn. 



DES BACES ET DES CONDITIONS. ^ 

à vide. , .Pour que la vie soit féconde, il faut le re- 
cueillement de Tesprit, le repos du coaur. 

Un fait remarquable de ce temps, c'est que les 
femmes du peuple (qui ne sont nullement gros- 
sières, comme les hommes, et qui éprouvent le 
besoin de délicatesse et de distinction), écou- 
tent les hommes au-dessus d'elles, avec une 
confiance qu'elles n'avaient nullement autre- 
fois... Elles voyaient la noblesse comme une bar- 
rière insurmontable à l'amour ; mais la richesse 
ne leur paraît pas une séparation de classes ^ ; on la 



^ Obsenration de Pierre Leroux, anni judicieux ici qu*il est ail* 
leurs ingénieux et profond. Que de choses il faudrait i^outer ! Quel côté 
triste de nos mœurs I Je m*afflige surtout de voir la famille , la mère ! 
pousser le jeune homme à la trahison. Et n*es^ce pas de cette mère 
que la jeune fille trompée, devrait espérer quelque protection? Une 
femme pieuse ne devrait-elle pas avoir des entrailles, un cœur infini 
pour* cette pauvre enfant , qui après tout (quMmporte devant Dieu que 
Tergueil du monde en murmure) est devenue la sienne? Quels égards les 
femmes attendront-elles de nous, si elles ne se protègent pas entre 
elles? Elles ont en commun un mystère, qui devrait les lier bien plus 
que les hommes ne peuvent Tétre , le mystère de renfantement, de la 
maternité, qui est celui de la vie et de la mort, celui qui leur fait at- 
teindre Textrème limite dans la souffrance et dans la jouissance. La 
participation à ce mystère terrible , que Thomme ne connaît pas, les 
rend toutes égales, toutes sœurs; il n'y a d'inégalité qu'entre les hom- 
mes. C'est à la mère, c'est à la sœur, à réclamer du fils ou du frère pour 
la fille trompée, et, si le mariage est impossible, à la couvrir de leur 
protection. A leur défaut, celle même qu'il épouse, la jeune femme 
vertueuse doit expier les torts, couvrir tout de sa bonté, ouvrir ses 



241 UTILITÉ DU MÉLANGE DES CONDITIONS. 

compte si peu, quand on aime! Touchante con- 
fiance du peuple, qui, dans sa partie la meilleure» 
la plus aimable et la plus tendre, se rapproche 
ainsi des rangs supérieurs, et vient y rapporter la 
sève, la beauté, la grâce morale ! . . . Âh ! malheur à 
ceux qui la trompent ! S'ils sont inaccessibles aux 
remords, ils auront du moins des regrets, en son- 
geant qu'ils ont perdu ce qui vaut les trésors du 
monde, le ciel et la terre : Être aimé ! 

bras et son cœor aux enfants da premier #moar. Oa*eUe se rappelle la 
tendresse de Valentine de Milan pour Danois, et cet embrassement 
pathétique : « Ah I tu m*as été dérobé !...» (Voir dans mon histoire U 
mort de Lonis d'Orléans. C 



CHAPITRE m. 

De rassocialioQ. 

Je me suis longtemps occupé des anciennes as- 
sociations de la France. De toutes, la plus belle, à 
mon sens/ est celle des filets pour la pêche, sur les 
côtes d'Harfleur et de Barfleur . Chacun de ces vas- 
tes filets (de cent vingt brasses ou six cents pieds), 
se divise en plusieurs parts qui passent par héri- 
tage aux filles aussi bien qu'aux garçons. Les fil- 
les^ héritant de ce droit, mais n'allant pas à la pè- 
che, y concourent néanmoins en tissant leurs lots 
de filets, qu'elles confient aux pêcheurs. La belle 
et sage Normande file ainsi sa dot ; ce lot de filet, 
c'est son fief qu'elle administre avec la prudence 
de la femme de GuilIaume-le-Conquérant. De son 
droit et de son travail, doublement pn^riétaire, 

14. 



246 ASSOGUTIONS DES PÊCHEURS KORMANDS. 

il faut bien^ comme telle^ qu'elle sache le détail de 
Fexpédition ; elle en apprécie les chances, s'inté- 
resse au choix de l'équipage, s'associe aux in- 
quiétudes de cette vie aventureuse. Elle risque 
souvent sur la barque plus que son filet. Souvent, 
celui qu'au départ elle a choisi pour pécheur, la 
choisit pour femme au retour. 

Vrai paysdesapience! Cette Normandie, qui, en 
tant de choses,, a sem de modèle à la France et à 
l'Angleterre, me semble avoir trouvé là un type 
d'association plus digne qu'aucun autre d'être re- 
commandé à l'attention de l'avenir. 

Celle-ci est bien autre chose que les associa- 
tions fromagères du Jura^, où l'on n'associe après 



. ' t Sottveâteilées pur Fonrier. Je suit rhomme de Thistoire et de la tra- 
ditioB ; donc je n*ai rien à dire à celai qui se vante de procéder par voie 
dVcarl absolu. Ce livre du Peuple, particulièrement fondé sur Vidée delà 
patrie, e'est-à-dire du dévouement, du sacrifice, K*a rien à voir avec la 
doctrine de VaUraetitm pattionneile. Je saisis néanmoins cette occa- 
sion pour exprimer mon admiration pour tant de vues de détail ingé- 
nieuses, profondes, quelquefois très-applicables, ma tendre admiration 
pour un génie méconnu, pour une vie occupée tout entière du bon- 
heur du genre humain. Ten parlerai un jour, selon mon ciOBur. — Sin- 
gulier contraste d*une telle ostentation de matérialisme, et d*une vie 
spiritualiste, abstinente, désintéressée I Ce contraste s'est reproduit tout 
récemment, â la gloire de ses disciples. Tandis que les amis de la vertu 
et de la' religion, leurs défenseurs obligés, les conservateurs nés de la 
morale publique; s'enrôlaient sons main dans la bande de ceux qui 
jonept 4 oovp *ûiv les disciples de Fourierqiii ne parient que 4*intérèt, 



ASSOCIATIONS FROHAGÈRES DU JURA. 247 

tout que la mise et le profit. Chacun apporte son 
lait au fromage commun, et partage propor- 
tionnellement dans la vente. Cette économie col- 
lective n'exige aucun rapprochement moral, elle 
met Tégoïsme à Taise, et peut se concilier avec 
toute la sécheresse de l'individualisme. Elle ne me 
semble pas mériter le beau nom d'association. 

Celle des pêcheurs de Normandie le mérite émi- 
nemment; elle est morale et sociale tout autant 
qu'économique. Qu'est^-ce au fond? une jeune 
fille sérieuse, honnête, qui, de son travail, de ses 
veilles, de sa petite épargne, commandite les jeu- 
nes gens, met sur leur barque sa fortune, avant 
d'y mettre son cœur ; elle a droit de connaître , de 
choisir, d'aimer le pêcheur habile, heureux* Voilà 
une association vraiment digne de ce nom; loin 
d'éloigner de l'association naturelle de la famille, 
elle en prépare le lien, — et par là, elle profite à 
la grande association, à celle de la patrie. 

Ici, mon cœur m'échappe, et ma plume s'ar- 
rête... Je dois avouer que la patrie, la famille, 
y profiteront peu maintenant. Les associations du 
filet n'existeront bientôt plus que dans l'histoire; 

d'argent et de Jonimmees, ont mis rintérét sons \èan pieds, et frappé 
covrageasenent le Baal de It Boofse... le Baal 1 non, le Holoch, l'idole 
qui dévorait des hommes. 



t48 PLUS B'ASSOGlATiONS EN FRANGE, 

elles sont déjà remplacées, sur plusieurs points de 
la côte, par ce qui remplace tout... par la banque 
et par l'usure. 

Grande race des marins normands, qui la pre- 
mière trouva TAmérique , fonda les comptoirs 
d'Afrique, conquit les deux Siciles, l'Angleterre ! 
ne vous retrouverai-je donc plus que dans la ta- 
pisserie de Bayeux?... Qui n'a le cœur percé, en 
passant des falaises aux dunes, de nos côtes si lan- 
guissantes à celles d'en face qui sont si vivantes, de 
Tinertie de Cherbourg ^ à la brûlante et terrible 
activité dePortsmouth?... Que m'importe que le 
Havre s'emplisse de vaisseaux américains, d'un 
commerce de transit, qui se fait par la France^ 
sans la France, parfois contre elle ? 

Pesante malédiction ! punition vraiment sévère 
de notre insociabilité ! Nos économistes déclarent 
qu'il n'y a rien à faire pour la libre association. 
Nos académies en effacent le nom de leurs con- 
cours. Ce nom est celui d'un délit, prévu par nos 
lois pénales... Une seule association reste per- 
mise, l'intimité croissante entre Saint-Cloud et 
Windsor. • 

^ Ineriie miritine ; mais les maçoos ne manquent point, pas pins 
qu'aillenrs. Un ingénleor met ,ane louable activité à terminer la 

digne. 



âSSOCUTIONS agricoles qui se DlSSOLVËiNT. 2|9 

Le commerce a formé quelques sociétés^ mais 
de guerre, pour absorber le petit commerce, dé- 
truire les petits marchands. Il a nui beaucoup, 
gagné peu. Les grosses maisons de commandite 
qui s'étaient créées dans cet espoir, ont peu 
réussi. Elles ne sont pas en progrès; dès qu^il 
s'en forme une nouvelle, les autres souffi^nt et 
languissent. Plusieurs sont déjà tombées, et celles 
qui subsistent ne tendent point à s'accroître. 

Dans les campagnes, je vois nos très-anciennes 
communautés agricoles du Morvan, de Berri, de 
Picardie, qui peu à peu se dissolvent et demandent 
séparation aux tribunaux. Elles avaient duré des 
siècles ; plusieurs avaient prospéré. Ces couvents 
de laboureurs mariés qui réunissaient ensemble 
une vingtaine de familles, parentes entre elles, 
sous un même toit, sous la direction d'un chef 
qu'elles élisaient, avaient pourtant sans aucun 
doute de grands avantages économiques*. 

Si, de ces paysans, je passe aux esprits les plus 
cultivés, je ne vois guère d'esprit d'association dans 

1 Mais vraUemblAblement elles gênaient trop les deux sentiments 
qui caractérisent notre époque, l*amour de la propriété personnelle, et 
celui de U famille. Lire une trés-cnrieuse brochure de M. Duptn aîné : 
Sxeursûm dam la Nièvre^ 1840. V. aussi mes Origines d» droite sur 
la eoUaboraiiOf les parumniert, le ehanleau, vivre à un pain et un 
potf etc. 



^ LÀ riUNGE EST-ELLE MOINS SOCIilBLET 

la littérature. Les hommes les plus naturellement 
rapprochés par les lumières, pasire^time et Tad- 
miration mutuelle, n'en vivent pas moins isolés. 
La parenté du génie même sert peu pour rappro- 
cher les cœurs. Je connais ici quatre ou cinq 
hoQimas qui sont certainement l'aristocratie du 
genre humsiin , qui n'ont de pairs et de Juges 
qu'entre eux. Ces hommes qui vivront toujours, 
s'ils avaient été séparés par les siècles , au- 
raient regretté amèrement de ne point s'être 
çpnnus. Us vivent dans le même temps, dans la 
m^\ne ville, porte, à porte , et ils ne se voient 
point. 

Dans un de mes pèlerinages à Lyon, je visitai 
quelques tisseurs, et à mon ordinaire, je m'informai 
des maux, des remèdes. Je leur demandai surtout 
s'ils ne pourraient, quelle que fût leur divergence 
d'opinions, s'associer dans certaines choses maté- 
rielles, économiques. L'un d'eux, homme plein de 
aebs^ et d'une haute moralité , qui sentait bien tout 
pe-que j'apportais dans ces recherches de cœur et 
de bonne intention, me laissa pousser mon en- 
quête plus loin que je n'avais fait encore. € Le 
mal, disait41 d'abord, c'est la partialité du gou- 
vernement pour les fabricants. — Et après? — 
Leur monopole, leur tyrannie, leur exigence... — 



LA FRANCE EST-ELLE MOINS SOCIABLE? 251 

Est-ce tout? > Il se tut deux minutes, et dit en- 
suite, avec un soupir, cette grave parote : « Il y 
a un autre mal, monsieur, nous sommes imo- 
ciables. » 

Ce mot me retentit au cœur, me frappa comme 
une sentence. Que de raisons j'avais de le suppo^' 
ser juste et vrai! que de fois il me révint!..; 
€ Quoi ! me disais-je, la France, le pays renommé 
entre tous pour la douceur éminemment sociable 
de ses mœurs et de son génie, est-elle immuable- 
ment divisée, et pour jamais?... S'il en est ainsi, 
nous reste-t-il chance de vivre, et n'avons-nous pas 
déjà péri, avant de périr?... L'âme est-elle morte 
en nous? Sommes-nous pires que nos pères, dont 
on nous vante sans cesse les pieuses associations^ 9 

i La nécessité seule, de ses chaînes d'airain, avait Hé les anciènAeid 
anoeiatioiia barbares (V. dans mes OrigitiM, les foroiea terribles 4» 
sang ba, oo versé sons la terre, etc.], la nécessité, dis-je, et la certi- 
tude de périr, si l'on restait désuni. — Dans les associations monacales, 
ramiiié est sévèrement défendue, comme «n vol qa*on fait à INett 
(V. Michelet, HisL de Fr.^ t. V. p. IS, note). —La barbarie da 
compagnonnage, et sa tentative même pour se réformer (V. A. Perdi- 
guier), noua fait assez connaître ce qu'étaient les associations induB«- 
trielles do moyen Age. La confrérie, née du danger, et.de la.t>Hévé 
(si naturelle i l'homme en danger), baissait certainement l'étranger 
plus qu'elle ne s'aimait elle-même. La bannière du saint patron la 
ralliait, et de la procession elle la menait au combat. G'éUit blet 
moins fraternité que ligue et force défensive, souvent offensive aossi^ 
dans les haines et jalousies de métiers. 



2$i LA FRANCE EST-ELLE MOINS SOCUBLE? 

L'amour, la fraternité, sont-ils donc finis en ce 
monde ?» 

Dans cette pensée si sombre, résolu, comme 
un mourant, à bien lâter si je mourais, je regar- 
dai sérieusement non les plus hauts, non les der- 
niers, mais un homme, ni bon, ni mauvais, un 
homme en qui sont plusieurs classes, qui a tu, 
souffert, qui , certainement d'esprit et de cœur, 
porte en lui la pensée du peuple... Cet homme 
qui n'est autre que moi, pour vivre seul et volon- 
tairement solitaire , il n'en est pas moins resté 
sociable et sympathique. 

n en est ainsi de bien d'autres. Un fond im- 
muable, inaltérable de sociabilité, dort ici dans les 
profondeurs. D est tout entier en réserve; je le 
sens partout dans les masses, lorsque j'y descends, 
lorsque j'écoute et observe. Mais pourquoi s'éton- 
nerait-on si cet instinct de sociabilité facile, telle- 
ment découragé aux derniers temps, s'est res- 
serré, replié?... Trompé par les partis, exploité 
par les industriels, mis en suspicion par le gou- 
Vjernement, il ne remue plus, n'agit plus. Toutes 
les forces de la société semblent tournées contre 
l'instîiict sociable!... Unir les pierres, désunir les 
liommes, ils ne savent rien de plus. 
' Le patronage ne supplée nullement ici à 



LE PRÉTENTION k L'ÉGALITÉ A TUÉ LE PATRONAGE. 2S5 

ce qui manque à l'esprit d'association. L'ap- 
parition récente de l'idée d'égalité a tué (pour 
un temps) l'idée qui l'avait précédée , celle de 
protection bienveillante, d'adoption, de paternité. 
Le riche a dit durement au pauvre : « Tu réclames 
l'égalité, et le rang de frère? eh bien, soit ! mais 
dès ce moment, tu ne trouveras plus d'assistance 
en moi ; Dieu m'imposait les devoirs de père ; 
en réclamant l'égalité, tu m'en as toi-même af- 
franchi*. » 

Chez ce peuple , moins qu'aucun autre , on 
ne peut prendre ici le change. Nulle comédie 
sociale , nulle déférence extérieure , ne peut 
faire illusion sur sa sociabilité. Il n'a pas 
les manières humbles des Allemands. Il n'est 
point, comme les Anglais^ toujours chapeau bas, 
devant ce qui est riche ou noble. Si vous lui 
parlez, et qu'il réponde honnêtement, cordia- 
lement, vous pouvez croire qu'il accorde vraiment 
cela à la personne, fort peu à la position. 

Le Français a passé par bien des choses , par la 



1 L'effort du monde et son salut, sera de recouvrer Taccord de ces 
deux idées. Fraternité, paternité, ces mots inconciliables dans la fa- 
mille, ne le sont nullement dans la société civile. Elle trouve, Je l'ai 
déjà dit, le modèle qui les accorde, dans la société morale que chaque 
homme poite en lui. Voir la fin de la seconde partie. 

15 



254 LE FRANÇAIS A BEAUCOUP D'INDIVIDUALITÉ, ET NE SE 

Révolution, par la guerre. Un tel homme à coup 
sûr est difficile à conduire , difficile à associer. 
Pourquoi? précisément parce que, comme indi- 
vidu, il a beaucoup de valeur. 

Vous faites des hommes de fer dans votre 
guerre d'Afrique, une guerre très-individuelle qui 
oblige sans cesse l'homme à ne compter que sur 
soi; nul doute que vous n'ayez raison de les vou- 
loir et former tels , à la veille des crises qu'il nous 
faut attendre en Europe. Mais aussi, ne vous éton- 
nez pas trop, si ces lions, à peine revenus, gar- 
dent, tout en se soumettant au frein des lois, 
quelque chose de Findépendance sauvage. 

Ces hommes , je vous en préviens, ne se pren- 
dront à l'association que par le cœur, par l'amitià 
Ne croyez pas que vous les attellerez à une société 
négative où l'âme ne sera pour rien, qu'ils vivront 
ensemble, sans s'aimer, par économie et par dou- 
ceur naturelle, comme font, par exemple à Zurich, 
les ouvriers allemands. La société coopérative des 
Anglais, qui s'unissent parfaitement pour telle af- 
faire spéciale, tout en se haïssant, se contrecar- 
rant dans telle autre où leurs intérêts difiFerent^ 
çUe ne convient pas davantage à nos Français. Il 
faut une société d'amis à la France ; c'«st son dés- 
avantage industriel, mais sa supériorité sociale, de 



CONTENTE PAS D'UNE SOCIÉTÉ NtGÀTfVB, COOPÉRATIVE.^^ 

n'en pas comporter d'autres. L'union ne se fait 
ici ni par mollesse de caractère et communauté 
d'habitudes^ ni par âpreté de chasseurs qui se 
mettent, comme les loups, en bande pour une 
proie. Ici, la seule union possible^ c'est l'union 
des esprits. 

Il n'est guère de forme d'association qui ne soit 
excellente, si cette condition existe. La question 
dominante, chez ce peuple sympathique, est celle 
des personnes et des dispositions morales. < Les 
associés s'aiment^ils? se conviennent-ils? » voilà 
ce qu'il faut toujours se demander en premier lieu^ . 

1 Dans Tassociation, la forme est importante sans doute, mais elle 
ne vient qn'en seconde ligne. Rétablir les anciennes formes , les 
cofporiUioM 9, les tyrannies indostriçUes , reprendre les entraves 
ponr mieux marcher, défaire Tœuvre de la Révolution, détruire à la 
légère ce qu*on a demandé pendant tant de siècles, cela me paraît in- 
sensé. — D*autre part, imaginer que TÉtat qui fait si peu ce qui est de 
son ressort naturel, pourrait remplir la fonction de fabricant, de mar- 
chand universel, qu'est-ce autre chose que te remettre de toute chose au 
fakotiimnaire ; ce fonctionnaire est-ce an ange? investi de cet étrange 
pouvoir, sera-t41 moins corrompu que le fabricant on le marchatid? 
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'aura nullement leur activité. — Quant à la 
communauté^ trois mots suffisent. La communauté naturelle est un 
état très-antiqne, très-barbare, très-improductif. La communauté oo- 
lontaire est un élan passager, un mouvement héroïque qui signale une 
foi nouvelle, et qui retombe bientôt. La communauté forcée y imposée 
par la violence, est une chose impossible à une époque où la propriété 
est infiniment divisée, nulle part plus impossible qu'en France. — Pour 
revenir aux fonnes possibles d'association, Je erols qu'elles doivent 



256 IL LUI FAUT UNE SOCIÉTÉ D'AMES. 

Des sociétés d'ouvriers se formeront, et elles du- 
reront, s'ils s'aiment; des sociétés d'ouvriers- 
maîtres, qui, sans chefs, vivront en frères^ mais 
il faut qu'ils s'aiment beaucoup. 

S'aimer, ce n'est pas seulement avoir bienveil- 
lance mutuelle. L'attractiog naturelle des carac- 
tères, des goûts analogues, n'y suflSrait pas. Il 
faut y suivre sa nature, mais de cœur, c'est-à-dire 
toujours prêt au sacrifice, au dévouement qui im- 
mole la nature. 

Que voulez-vous faire en ce monde sans le sa- 
crifice*?... Il eii est le soutien même; le monde, 
sans lui, croulerait tout à l'heure. Supposez les 
meilleurs instincts, les caractères les plus droits, 
les natures les plus parfaites (telles qu'on n'en voit 
pas ici-bas), tout périrait encore sans ce remède 
suprême. 

c Se sacrifier à un autre! » Chose étrange, 
inouïe, qui scandalisera l'oreille de nos philoso- 
phes, c S'immoler à qui? à un homme, qu'on sait 

différer 9el<m lu dtfférenUi profeuiantt^qvd, plus ou moins compli- 
quées, exigent plus ou moins Tunlté de direction ; — ei différer am»i 
teion iet différente payt^ selon la dîTersité des génies nationaux. Cette 
observation essentielle que Je développerai un Jour pourrait être appuyée 
sur un nombre immense de faits. 

1 Nulle époque n'en a montré de tels exemples. Dans quel siècle 
a-t-on vu de si grandes armées, unt de millions d'hommes, souftir, 
mourir, sans révolte, aver douceur, en silence? 



NULLE SOCIÉTÉ D*AMES SANS LE SACRIFICE. 257 

valoir moins que soi ; perdre au profit de ce néant 
une valeur infinie. » C'est celle, en effet, que 
chacun ne manque guère de s'attribuer à lui- 
même. 

n y a là, nous ne le dissimulons point, une vé- 
ritable difficulté. On ne se sacrifie guère qu'à ce 
qu'on croit infini. Il faut, pour le sacrifice, un 
Dieu, un autel... un Dieu, en qui les hommes 
se reconnaissent et s'aiment... Gomment sacrifie- 
rions*nous? Nous avons perdu nos dieux ! 

Le dieu Verbe, sous la forme où le vit le 
moyen âge , fiit-il ce lien nécessaire? L'his- 
toire tout entière est là pour répondre : Non. Le 
moyen âge promit l'union, et ne donna que la 
guerre. Il fallut que ce Dieu eût sa seconde épo- 
que, qu'il apparût sur la terre, en son incarnation 
de 89. Alors , il donna à l'association sa forme 
à la fois la plus vaste et la plus vraie, celle qui, 
seule encore, peut nous réunir, et par nous, 
sauver le monde. 

France, glorieuse mère, qui n'êtes pas seule- 
ment la nôtre, mais qui devez enfanter toute na- 
tion à la liberté, faites que nous nous aimions en 
vous! 



CHAPITRE IV. 1 V 1 S 

La Patrio. Les nationalités vonl-eUe» disparaître? 

Les antipathies nationales ont diminué, le 
droit des gens s'est adouci, nous sommes entrés 
dans une ère de bienveillance et de fraternité , Si 
l'on veut comparel» ce temps aul temps haineux 
du moyen âge. Les nations se sont déjà quelque 
peu mêlées d'întérêtè, ont copié mutuellement 
leurs modes, leurs littératures. Est-ce à dite 
pour cela que les nationalités s'affaiblissent? Exa- 
minons bien. 

Ce qui s'est affaibli bien certainement, c'est, 
dans chaque nation , la dissidence intérieure. Nos 
provincialités françaises s'effacent rapidement. 
L'Ecosse et le Pavs de Galles se sont rattachées 
à l'unité Britannique. L'Allemagne cherche la 



LE8PR0VINGIALITÉSDISPÀRUESAU PROFIT DE LA NAnONALITÉ 259 

sienne, et se croit prête à lui sacrifier une 
foule d'intérêts divergents qui la divisaient Jus- 
qu'ici. 

Ce sacrifice des diverses nationalités intérieures 
à la grande nationalité qui les contient, fortifie 
celle-ci, sans nul doute. Elle efface peut-être le 
détail saillant, pittoresque, qui caractérisait un 
peuple aux yeux de Tobservateur superficiel ; mais 
elle fortifie son génie , et lui permet de le mani- 
fester. C'est au moment oii la France a supprimé 
dans son èein toutes les Frances divergentes, 
qu'elle a donné sa haute et originale révélation. 
Elle s'est trouvée elle-même, et, tout en pro- 
clamant le futur droit comiïiun du monde, elle 
s'est distinguée du monde plus qu'elle n'avait fait 
jamais. 

On peut en dire autant de l'Angleterre; avec 
ses machines, ses vaisseaux, ses quinze millions 
d'ouvriers, elle diffère aujourd'hui de toutes les 
nations bien plus qu'au temps d'Elisabeth. L'Al- 
lemagne qui se cherchait à tâtons aux dix-sep- 
tième et dix-huitième siècles, s'est enfin décou- 
verte en Goethe, Schelling et Beethoven ; c'est 
depuis lors seulement qu'elle a pu sérieusement 
aspirer à l'unité. 

Loin que les nationalités s'effacent, je les vois 



260 m VA SE FORTIFIANT. 

chaque Jour se caractériser moralement, et, de 
collections d'hommes qu'elles étaient, devenir 
des personnes. C'est le progrès naturel de la 
vie. Chaque homme, en commençant, sent con- 
fusément son génie ; il semble.dans le premier âge 
que ce soit un homme quelconque ; en avançant, 
il s'approfondit lui-même , et va se caractérisant 
au dehors par ses actes, par ses œuvres; il devient 
peu à peu tel homme, sort de classe, et mérite un 
nom. 

Pour croire que les nationalités vont disparaître 
bientôt, je ne connais que deux moyens : 1** igno- 
rer l'histoire, la savoir par formules creuses, 
conune les philosophes qui ne l'étudient jamais, 
ou encore par lieux communs littéraires, pour en 
causer, comme les femmes. Ceux qui la savent 
ainsi, la voient dans le passé comme un petit point 
obscur, qu'on peut biffer, si l'on veut. — 2* Ce 
n'est pas tout; il faut encore ignorer la nature 
autant que l'histoire, oublier que les caractères 
nationaux ne dérivent nullement de nos ce^rices, 
mais sont profondément fondés dans l'influence 
du climat, de l'alimentation , des productions na- 
turelles d'un pays, qu'ils se modifient quelque 
peu, mais ne s'effacent jamais. — Ceux qui ne 
sont ainsi liés ni par la physiologie ni par l'his- 



UNE AME DE PEUPLE A BESOIN 0*UN CORPS, D'UN LIEU. 261 

toire , ceux qui constituent Thumanité , sans s'in- 
former de rhomme ni de la nature, il leur est 
loisible d'effacer toute frontière, de combler les 
fleuves, d'aplanir les montagnes. Cependant, je 
les en préviens , les nations dureront encore , 
s'ils n'ont l'attention de supprimer les villes, les 
grands centres de civilisation, où les nationalités 
ont résumé leur génie. 

Nous avons dit vers la fin de la seconde partie, 
que si Dieu a mis quelque part le type de la Cite 
politique, c'était, selon toute apparence, dans la 
Cité morale, je veux dire dans une âme d'homme. 
Eh bien ! que fait d'abord cette âme, elle se fixe 
en un lieu, s'y recueille, elle s'organise un corps, 
une demeure, un ordre d'idées. Et alors, elle peut 
agir. — Tout de même, une âme de peuple doit se 
faire un point central d'organisme ; il faut qu'elle 
s'asseoie en un lieu, s'y ramasse et s'y recueille, 
qu'elle s'harmonise à une telle nature, comme 
vous diriez les sept collines pour cette petite 
Rome, ou pour notre France, la mer et le Rhin, 
les Alpes et les Pyrénées; ce sont là nos sept 
collines. 

C'est une force, pour toute vie, de se circon- 
scrire, de couper quelque chose à soi dans l'es- 
pace et dans le tempsi de mordre une pièce qui 

15. 



262 LA PATRIE LUI EST UN MOYEN DE RÉALISER SA NATURE. 

soit sienne^ au sein de l'indifférente et dissolrante 
nature qui voudrait toujours confondre. Cela, 
c'est exister, c'est vivre. 

Un esprit fixé sur un point ira s'appî'ofondis- 
sant. Un esprit flottant dans l'espace, se dis- 
perse et s'évanouit. Voyez, l'homme qui va don- 
nant son amoiir à toutes, il passe sans avoir su 
l'amour; qu'il aime une fois et longteinps, il 
trouve en une passion l'infini de la nature et tout 
le progrès du monde *• 

La Patrie, la Cité, loin d'être opposées à la na- 
ture, sont pour cette âme de peuple qui y réside 
l'unique et tout-puissant moyen de réaliser sa na- 
ture. Elle lui donne à la fois et le point de départ 
vital et la liberté de développement. Supposez le 
génie athénien, moins Athènes, il flotte, il diva- 
gue, se perd, il meurt inconnu. Enfermé dans 
ce cadre étroit, mais heureux, d'une telle Cité, 
fixé sur cette terre exquise où l'abeille cueillait 
le miel de Sophocle et de Platon, le génie puis- 
sant d'Athènes, d'une imperceptible ville, a fait 



1 La patrie (la mairte, comme disaient si bien les Ooriens) est Ta- 
moàr des aoioars. Elle nous appar&tt dans nos songes comme one 
jeuBO mère Jidorée, on comme une puissante nourrice qui nous allaite 
par millions... Faible image! non-seulement elle nous alliyte, mais 
noQs contient en soi : In eâ moYemur et snmus. 



NULLE AME, NULLE AME DE PEUPLE NE PÉRIRA. 263 

en deux ou trois siècles, autant que douze peuples 
du moyen âge en mille ans. 

Le plus puissant moyen de Dieu pour créer et 
augmenter roriginalité distinctive, c'est de main- 
tenir le monde harmoniquement divisé en ces 
grands et beaux systèmes qu'on appelle des na- 
tions, dont chacun ouvrant à l'homme un champ 
divers d'activité, est une éducation vivante*. Plus 
l'homme avance, plus il entre dans le génie de sa 
patrie, mieux il concourt à l'harmonie du globe ; 
il apprend à connaître cette patrie, et dans sa va- 
leur propre, el: dans sa valeur relative, comme une 
note du grand concert; il s'y associe par elle; en 
elle, il aime le monde. La patrie est l'initiation né- 
cessaire à l'universelle patrie. 

L'union avance ainsi toujours sans péril d'at- 
teindre jamais l'unité, puisque, toute nation, 
à chaque pas qu'elle fait vers la concorde *, est 

* Toat coDCoart à cotte édacation. Nul objet d*art, nalle indoslrie, 
mi^rae de luxe, nulle Torme de culture élevée, n'est sans action sur la 
masse, sans influence sur les derniers, sur les plus pauvres. Dans ce 
grand corps d*uoe nation, la circulation spirituelle se fait, insensible, 
descend, monte, va au plus haut, au plus bas. Telle idée entre par les 
yeux (modes, boutiques, mpsées, etc.)* telle autre par la conversation, 
par la langue qui est le grand dépôt du progrés commun. Tous re-« 
coivent la pensée de tous, sans l'analyser peut-être, mais enfin ils la 
reçoivent. 

* A mesure qu'une nation entre en possession de son génie propre » 



964 NULLE NATION NC PÉRIRA. 

plus originale en soi. Si , par impossible, les 
diversités cessaient, si l'unité était venue, toute 
nation chantant même note, le concert serait fini; 
rharmonie confondue ne serait plus qu'un vain 
bruit. Le inonde, monotone et barbare, pourrait 
alors mourir, sans laisser même un regret. 

Rien ne périra, j'en suis sûr, ni âme d'homme, 
ni âme de peuple; nous sommes en trop bonnes 
mains. Npus irons, tout au contraire, vivant tou- 
jours davantage, c'est-à-dire fortifiant notre indi- 
vidualité, acquérantdesoriginalités plus puissantes 
et plus fécondes. Dieu nous garde de nous perdre 
en lui!... Et si nulle âme ne périt, comment ces 
grandes âmes de nations, avec leur génie vivace, 
leur histoire riche en martyrs, comble de sacrifices 
héroïques, toute pleine d'immortalité, comment 
pourraient-elles s'éteindre? Lorsqu'une d'elles s'é- 
clipse un instant, le monde entier est malade en 
toutes ses nations, et le monde du cœur en ses 

qu'elle le révèle et le constate par des œoYres, elle a de moins en 
moins besoin de l'opposer par la gaerre A celai des autres peuples. Son 
originalité, chaque Jour mieux assurée, éclate dans la production, 
plus que dans Topposition. La diversité des nations qui se manires- 
tait violemment par la gaerre, elle se marque mieux encore , lorsque 
chacune d'elles fait entendre distinctement sa grande voix ; toutes 
Priaient sur la même note, chacune Tait maintenant sa partie ; il y a 
peu k peu concert, harmonie, le monde devient une lyre. Mais cette 
barmonie, à quel prix? tu prix de la divenité. 



NULLE NATION NE PÉUIRA. 265 

fibres qui répondent aux nations... Lecteur, 
cette fibre souffrante que je vois dans votre cœur, 
c'est la Pologne et l'Italie *. 

La nationalité, la patrie, c'est toujours la vie du 
monde. Elle morte, tout serait mort. Demandez 
plutôt au peuple, il le sent, il vous.le dira. Deman- 
dez à la science, à Fhistoire, à Texpérience du 
genre humain. Ces deux grandes voix sont d'ac- 
cord. Deux voix? non, deux réalités, ce qui est 
et ce qui fut, contre la vaine abstraction. 

J'avais là-dessus mon cœur et l'histoire ; j'étais 
ferme sur ce rocher; je n'avais besoin de personne 
pour me confirmer ma foi. Mais j'ai été dans les 
foules, j'ai interrogé le peuple, jeunes et vieux, pe- 
tits et grands. Je les ai entendus tous témoigner 
pour la patrie. C'est là la fibre vivante qui chez 
eux meurt la dernière. Je l'ai trouvée dans des 
morts... J'ai été dans les cimetières qu'on appelle 
des prisons, des bagnes, et là, j'ai ouvert des 
hommes; eh! bien, dans ces hommes morts, ou 
la poitrine était vide, devinez ce que je trouvais... 
la France encore, dernière étincelle par laquelle 
peut-être on les aurait fait revivre. 



i SonlfriBtc, et mtfntentnt naette an collège de France, lUms la 
toli qui lui restait, notre cher et grand Mickiewici 1 



266 NULLE NATION NE PÉRIRA. 

Ne dites pas, je vous prie, que ce ne soit rien 
du tout que d'être né dans le pays qu'entourent 
les Pyrénées, les Alpes, le Rhin, l'Océan. Prenez 
le plus pauvre homme, mal vêtu et affamé, celui 
que vous croyez uniquement occupé des besoins 
matériels. Il vous dira que c'est un patrimoine que 
de participer à cette gloire immense, à cette lé- 
gende unique qui fait l'entretien du monde. Il sait 
bien que s'il allait au dernier désert du globe, sous 
l'équateur, sous les pôles, il trouverait là Napoléon, 
nos armées, notre grande histoire, pour le couvrir 
et le protéger, que les enfants viendraient à lui, 
que les vieillards se tairaient et le prieraient de 
parler, qu'à l'entendre seulement nommer ces 
noms, ils baiseraient ses vêtements. 

Pour nous, quoi qu'il advienne de nous, pauvre 
ou riche, heureux, malheureux, vivant, et par delà 
la mort, nous remercierons toujours Dieu, de 
nous avoir donné cette grande patrie, la France. 
Et cela, non pas seulement à cause de tant de 
choses glorieuses qu'elle a faites, mais surtout 
parce qu'en elle nous trouvons à la fois le repré- 
sentant des libertés du monde et le pays sympa- 
thique entre tous, l'initiation à l'amour universel. 
Ce dernier trait est si fort en la France, que sou- 
vent elle s'en est oubliée. Il nous faut aujourd'hui 



QU*ADVIENDRA1T-IL DtJ MONDE, 967 

la rappeler à elle-même, la prier d'aimer toutes les 
nations moins que soi. 

Sans doute, tout grand peuple représente une 
idée importante au genre humain. Mais que cela, 
grand Dieu, est bien plus vrai de la France ! Sup- 
posez un moment qu'elle s'éclipse, qu'elle finisse, 
le lieii sympathique du monde est relâché, dissout, 
et probablement détruit. L'amour qui fait la vie 
du globe, en serait atteint en ce qu'il a de plus 
vivant. La terre entrerait dans l'âge glacé où déjà 
tout près de nous sont arrivés d'autres globes. 

J'eus, à ce sujet, un songe aSl'eux en plein jour, 
que je suis forcé de conter. J'étais à Dublin, près 
d'un pont, je suivais un quai; je regarde la rivière, 
et je la vois traîner faible et étroite entre de larges 
grèves sablonneuses, à peu près comme on voit la 
nôtre du quai des Orfèvres ; je crois reconnaître la 
Seine. Les quais même ressemblment, moins les 
riches boutiques, moins les monuments, les Tui- 
leries, le Louvre, c'était presque Paris, moins 
Paris. De ce pont descendaient quelques person- 
nes mal vêtues, non, comme chez nous, en blouse, 
mais en vieux habits tachés. Ils disputaient vio- 
lemment, d'une voix acre, gutturale, toute bar- 
bare, avec un aifireux bossu en haillons que je vois 
encore ; d'autres gens passaient à côté, misérables 



268 SI Lk FRANGE PÉRISSAIT? 

et contrefaits... Une chose, en regardant, me sai- 
sit, me terrifia, toutes ces figures étaient fran- 
çaises. . . C'était Paris, c'était laFrance, une France 
enlaidie, abrutie, sauvage. J'éprouvai à ce moment 
combien la terreur est crédule ; je ne fis nulle ob- 
jection. Je me dis qu'apparemment il était venu 
un autre 1815, mais depuis longtemps, bien long- 
temps, que des siècles de misère s'étaient appe- 
santis sur mon pays condamné sans retour, et 
moi, je revenais là pour prendre ma part de cette 
immense douleur. Ds pesaient sur moi, ces siè- 
cles, en une masse de plomb; tant de siècles en 
deux minutes !.. Je restai cloué à cette place et ne 
marchai plus. . . Mon compagnon de voyage me se- 
coua, et alors je revins un peu... Mais je ne 
retirai pas tout à fait de mon esprit le terrible 
songe, je ne pouvais me consoler; tant que je fiis 
en Irlande, j'en gardai une tristesse profonde, qui 
me revient tout entière, pendant que j'écris 
ceci. 



CHAPITRE V. 



La France. 



Le chef d'une de nos écoles socialistes disait, 
ily a quelques années : « Qu'est-ce que c'est que la 
Patrie?» 

Leurs utopies cosmopolites de jouissances ma- 
térielles, me paraissent, je l'avoue, un commen- 
taire prosaïque de la poésie d'Horace : « Rome 
s'écroule, fuyons aux îles fortunées • , ce triste 
chant d'abandon et de découragement. 

Les chrétiens qui arrivent après, avec la patrie 
céleste, et l'universelle fraternité ici-bas, n'en 
donnent pas moins, par cette belle et touchante 
doctrine, le coup mortel à l'Empire. Leurs frères 
du nord viennent bientôt leur mettre la corde au 
col. 



270 DANGER OU COSMOPOLITISME. 

Nous ne sommes point des fils d'esclave, sans 
patrie, sans dieux, comme était le grand poëte que 
nous venons de citer ; nous ne sommes pas des ro- 
mains de Tarse, comme Fapôtre des gentils; 
nous sommes les Romains de Rome , et les Fran*- 
çais de la France. Nous sommes les fils de ceux 
qui par l'effort d'une nationalité héroïque, ont 
fait l'ouvrage du monde, et fondé, pour toute na-« 
tion, l'évangile de l'égalité. Nos pères n'ont pas 
compris la fi^atemité comme cette vague sympa- 
thie qui fait accepter, aimer tout, qui mêle, abâ- 
tardit, confond. Ils crurent que la fraternité n'é- 
tait pas l'aveugle mélange des existences et des 
caractères, mais bien l'unioù des cœurs. Ils gar- 
dèrent pour eux, pour la France, l'originalité du 
dévouement, du sacrifice, que personne ne lui dis- 
puta; seule, elle arrosa de son sang cet arbre 
qu'elle plantait. L'occasion était belle ^our les au- 
tres nations de ne pas la laisser seule. Elles n'imi- 
tèrent pas la France dans son dévouement; veut- 
on aujourd'hui que la France les imite dans leur 
égoïsme, leur immorale indifférence, que n'ayant 
pu les élever, elle descei^de à leur niveau? 

Qui pourrait voir sans étonnement le peuple 
qui naguère a levé le phare de l'avenir vers lequel 
regarde le monde, voir ce peuple aujourd'hui traî- 



DANGER D'IMITER. 27 

ner la tête basse dans la voie de l'imitation. . . Cette 
voie, quelle est-ellë? nous ne la connaissent 
que trop, bien des peuples Font suivie : c'est tout 
simplement la voie du suicide et de la mort. 

Pauvres imitateurs , vous croyez donc qu'on 
imite?... On prend à un peuple voisin telle chose 
qui chez lui est vivante; on se l'approprie tant 
bien que mal, malgré les répugnances d'un orga- 
nisme qui n'était pas fait pour elle; mais c'est 
un corps étranger que vous vous mettez dans la 
chair; c'est une chose inerte et morte, c'est la 
mort que Vous adoptez. 

Que dire, si cette chose, n'est pas étrangère 
seulement et différente, mais ennemie! si vous 
l'allez chercher justement chez ceux que la na- 
ture vous a donnés pour adversaires, qu'elle vous 
a symétriquement opposés? si vous deiîiandez un 
renouvellement de vie à ce qui est la négation de 
votre vie propre? Si la France, par exemple, se 
mettant à marcher au rebours de son histoire, de 
sa nature, s'en va copier ce qu'on peut appeler 
l'anti-France, l'Angleterre. 

Il ne s'agit point ici de haine nationale , ni de 
malveillance aveugle. Nous avons l'estime que 
nous devons avoir pour cette grande nation britan- 
nique; nous l'avons prouvé en l'étudiant aussi 



272 DANGER POUR LA FRANCE D*IMITER L'ANGLETERRE. 

sérieusement qu'aucun homme de ce temps. Le 
résultat de cette étude et de cette estime même, 
c'est la conviction que le progrès du monde 
tient à ce que les deux peuples ne perdent 
point leurs qualités dans un mélange indistinct, 
que ces deux aimants opposés agissent en sens 
inverse , que ces deux électricités , positive et né- 
gative, ne soient jamais confondues. 

L'élément qui, entre tous, était pour nous le 
plus hétérogène, l'élément anglais, est celui pré- 
cisément que nous avons préféré. Nous l'avons 
adopté politiquement, dans notre constitution, sur 
la foi des doctrinaires qui copiaient sans compren- 
dre ; — adopté littérairement, sans voir que le 
premier génie que l'Angleterre aiteu de nos jours, 
est celui qui l'a le plus violemment démentie. — 
Enfin, nous l'avons adopté, ce même élément an- 
glais, chose incroyable et risible, dans l'art, dans 
la mode. Cette raideur, cette gaucherie, qui n'est 
point extérieure, ni accidentelle, mais qui tient 
à un profond mystère physiologique, c'est là ce 
que nous copions. 

J'ai sous les yeux deux romans, écrits avec un 
grand talent. Eh bien ! dans ces romans français, 
quel est l'homme ridicule? le Français, toujours 
le Français. L'Anglais est l'homme admirable, la 



L'ANGLETERRE EST RICHE, 275 

Providence invisible , mais présente , qui sauve 
tout. Il arrive juste à point pour réparer toutes les 
sottises de l'autre. Et comment?... c'est qu'il 
est riche. Le Français est pauvre , et pauvre 
d'esprit. 

Riche! est-ce donc là la cause de cet engouement 
singulier? Le riche (le plus souvent l'Anglais), 
c'est le bien aimé de Dieu. Les plus libres, les plus 
fermes esprits ont peine à se défendre d'une pré- 
vention en sa faveur. . . Les femmes le trouvent 
beau, les hommes veulent bien le croire noble. Son 
cheval étique est pris pour modèle par les artistes. 

Riche! avouez-le donc, c'est le secret motif de 
l'admiration universelle. L'Angleterre est le peuple 
riche ; peu importent ses millions de mendiants. 
Pour qui ne s'informe point des hommes, elle pré- 
sente au monde un spectacle unique, celui du 
plus énorme entassement de richesses qui ait été 
fait jamais. Triomphante agriculture, tant de ma- 
chines, tant de vaisseaux, tant de magasins pleins 
et combles, cette bourse maîtresse du monde,... 
For coule là, comme de l'eau. 

Ah ! la France n'a rien de semblable ; c'est un 
pays de pauvreté. L'énumération comparée de 
tout ce que possède l'une, de tout ce que l'autre 
n'a pas, nous nlènerait vraiment trop loin. L'An- 



â7i ET LA FRANCE EST PAUVS£« POURQUOI? 

gleterre a bonne grâce de demander en souriant à 
la France, quels sont donc après tout les résultats 
matériels de son activité, ce qui reste de son tra- 
vail, de tant de mouvements, d'efforts^? 

La voilà, cette France, assise par terre, comme 
Job, entre ses amies, les nations, qui viennent la 
consoler, l'interroger, l'améliorer, si elles peuvent, 
travailler à son salut. 

c Où sont tes vaisseaux, tes machines, dit 
TÂngleterre? — Et F Allemagne : < Où sont tes 
systèmes? N'auras-tu donc pas au moins, comme 
l'Italie, des œuvres d'art à montrer? > 

Bonnes sœurs qui venez consoler ainsi la 

1 Les produits matériels de la France, les résultats durables de 
son traTaily ne sont rien en comparaison de ses produits invisibles. 
€euz-ei furent le plus souvent des aetes, des nonvenents, des 
paroles et des pensées. Sa littérature écrite (la première pourtant, 
selon mot), est loin, bien loin au-dessous de sa parole, de sa conver- 
sation brillante et féconde. Sa fdwieaAioa en tout genre B*est rien 
prés de son action. Pour machines, elle eut des hommes héroïques ; 
pour systèmes des hommes inspirés, a Cette parole , cette action , 
ne soni-ce pas choses Improductives? » Et c'est là précisément ce 
qui place la France très-haut. Elle a excellé dans les choses du 
mouvement et de la grâce, dans celles qui ne servent à rien. Au- 
dessus de tout ce qui est matériel, tangible, commencent les impon- 
dérables, les Insaisissables, les invisibles.. Ne la classes donc Jamais 
par les choses de la matière, par ce qii*on touche et qu'on voit. Ne la 
uges pas, comme une autre, sur ce que vous remarques de la misère 
extérieure. C'est le pajs de Tesprit, et cehU par ooiiséqQent qal donne 
le moins de prise à l'action matérielle du monde. 



PABCE ÛITELLE A EU LE GÉNIE DU SACRIFICE. 275 

France, permettez que je vous réponde. Elle est 
malade, voyez-vous ; je lui vois la tête basse, elle 
ne veut pas parler. 

Si Ton voulait entasser ce que chaque nation a 
dépensé de sang, et d'or, et d'efforts de toute 
sorte, pour les choses désintéressées qui ne de- 
vaient profiter qu'au monde, la pyramide de la 
France irait montant jusqu'au ciel... Et la vôtre, 
ô nations, toutes tant que vous êtes ici, ah ! la vô- 
tre, l'entassement de vos sacrifices, irait au genou 
d'un enfant. 

Ne venez donc pas me dire : < Comme elle, est 
pâle, cette France !. ..> Elle a versé son sang pour 
vous.. — € Qu'elle est pauvre! » Pour votre 
cause, elle a donné sans compter* ... Et n'ayant plus 

1 J*éeri8 ici, en l'affaiblissant, ane pensée qni ni*assaillit les .pce- 
mâénê fois qne Je passai ta frontière. Une fois not«nmeat qjue J'entrais 
en Saisse, J'en fns blessé an cœar. — Voir nos pauvres paysans de la 
Franche- Comté si misérables, et tout à coup, en passant nn ruisseau, 
les gens de Nenfobâtel, si. aisés, si bien Yétus, visiblement heorena ! — 
Les deox charges principales qni écrasent la France, la dette et l'ar- 
mée, qu'est-ce an fonds? deux sacrifices qu'elle fait an monde autant 
qu*A elle-même. La dette, c'est l'argent qu'elle lui paie pour Ini avoir 
donné son principe de salut, la loi de liberté qu'il copie en la calom- 
niant. Et l'armée de la France? c'est la défense du monde, la réserve 
qu'il lui garde, le Jow où les Barbares arriveront, où rAllemagne 
eherchant toujours son unité qu'elle cherche depnia Gbarlemagne, 
sera bien obligée on de nous mettre devant elle, on de le foire contre 
la liberté ravtBtpgardo de la Rnstie. 



276 LA FRANCE A EU 

rien, elle a dit : « Je n'ai ni or, ni argent, mais ce 
qire j'ai, je vous le donne. . . » Alors elle a donné 
son âme, et c'est de quoi vous vivez ^. 

« Ce qui lui reste, c'est ce qu'elle a donné. . . » 
Mais, écoutez-bien, nations, apprenez, ce que 
sans nous, vous n'auriez appris jamais : « Plus on 
donne, et plus on garde ! » Son esprit peut dormir 
en elle, mais il est toujours entier, toujours près 
d'un puissant réveil. 

Il y a bien longtemps que je suis la France, 
vivant jour par jour avec elle depuis deux milliers 
d'années. Nous avons vu ensemble les plus mau- 
vais jours, et j'ai acquis cette foi que ce pays est 
celui de l'invincible espérance. Il faut bien que 
Dieu Téclaire plus qu'une autre nation, puisqu'on 
pleine nuit, elle voit quand nulle autre ne voit 
plus ; dans ces affi*euses ténèbres qui se faisaient 
souvent au moyen âge et dépuis, personne ne dis- 
tinguait le ciel ; la France seule le voyait. 

Voilà ce que c'est que là France. Avec elle, rien 
n'est fini ; toujours à recommencer. 



1 NoB, ce n'est pu le naeliiDinne industriel de l'Angleterre, ce 
n'est pas le machinisme scolastique de l'Allemagne, qni fait la vie du 
monde ; c'eet le soaffle de la France, dans quel(|ve eut qu'elle seit, 
la chaleur latente de sa Révolutton que l'Europe porte toiyours en 

elle. 



LE GÉNIE DU SAGRIHCE. 277 

Quand nos paysans gaulois chassèrent un mo- 
ment les Romains, et firent un empire des Gaules, 
ils mirent sur leur monnaie le premier mot de ce 
pays (et le dernier) : Espérance. 



16 



CHAPITRE VI. 



La France sapérieare, comme dogme, et comme légende. 
— La France est une religion. 



L'étranger croit avoir tout dit, quand il 
dit en souriant : « La France est l'enfant de 
TEurope. » 

Si vous lui donnez ce titre , qui devant Dieu 
n'est pas le moindre, il faudra que vous conveniez 
que c'est l'enfant Salomon qui siège et qui fait 
justice. Qui donc a conservé, sinon la France, la 
tradition du droit? 

Du droit religieux , politique et civil ; la chaise 
de Papinien, et la chaire de Grégoire VII. 

Rome n'est nulle autre part qu'ici. Dès saint 
Louis, à qui l'Europe vient elle demander justice, 
le pape, l'empereur, les rois?... La papauté théo- 
logique en Gerson et en Bossuet^ la papauté phi- 



LA PAPAUTÉ DE LA FRANCE, 279 

losophique en Descartes et en Voltaire, la papauté 
politique, civile, en Cujas et Dumoulin, en Rous- 
seau et Montesquieu, qui pourrait la méconnaître? 
Ses lois, qui ne sont autres que celles de la raison, 
s'imposent à ses ennemis même. . L'Angleterre 
vient de donner le Code civil a l'île de Ceylan. 

Rome eut le pontificat du temps obscur, la 
royauté de l'équivoque. Et la France a été le pon-. 
tife du temps de lumière. 

Ceci n'est pas un accident des derniers siècles, 
un hasard révolutionnaire.' C'est le résultat légi- 
time d'une tradition liée à toute la tradition depuis 
deux mille ans. Nul peuple n'en a une semblable. 
En celui-ci, se continue le grand mouvement hu- 
main (si nettement marqué par les langues), de 
l'Inde à la Grèce, à Rome, et de Rome à nous. 

Toute autre histoire est mutilée , la nôtre seule 
est complète; prenez l'histoire de l'Italie, il y 
manque les derniers siècles ; prenez l'histoire de 
TAUemagne, de l'Angleterre, il y manque les pre- 
miers. Prenez celle de la France; avec elle, vous 
sayez le monde. 

Et dans cette grande tradition il n'y a pas seu- 
lement suite, mais progrès. La France a continué 
l'œuvre romaine et chrétienne. Le christianisme 
avait promis, et elle a tenu. L'égalité fraternelle. 



280 SON PRINCIPE PLUS HUMAIN, SA TRADITION PLUS SUIVIE. 

ajournée à l'autre vie, elle Ta enseignée au inonde^ 
comme la loi d'ici-bas. 

Cette nation a deux choses très-fortes que je ne 
vois chez nulle autre. Elle a à la fois le principe et 
la légende , l'idée plus large et plus humaine, et 
en même temps la tradition plus suivie. 

Ce principe , cette idée, enfouis dans le moyen 
âge sous le dogme de la grâce , ils s'appellent en 
langue d'homme, la fraternité. 

Cette tradition, c'est celle qui de César à Char^- _ 
magne , à saint Louis , de Louis XIV à Napoléon, 
fait de l'histoire de France celle de Thumanité. 
En elle se perpétue, sous forme diverse, Tidéal 
moral du monde, de saint Louis à laPucelle, d^ 
Jeanne d'Arc à nos jeunes généraux de la Révolu- 
tion; le saint de la France, quel qu'il soit, est 
celui de toutes les nations, il est adopté, béni et 
pleuré du genre humain. 

€ Pour tout homme, disait impartialement un 
philosophe américain, le premier pays, c'est sa 
patrie, et le second, c'est la France. » — Mais 
combien d'hommes aiment mieux vivre ici qu'en 
leur pays ! Dès qu'ils peuvent un moment briser 
le fil qui les tient, ils viennent, pauvres oiseaux de 
passage, s'y abattre, s'y réfugier, y prendre au 
moins un moment de chaleur vitale. Ils avouent 



ELLE EST LA FRATERNITÉ VIVANTE); 281 

tacitement que c'est ici la patrie universelle. 

Cette nation, considérée ainsi comme Tasile 
du monde, est bien plus qu'une nation ; c'est la 
fraternité vivante. En quelque défaillance qu'elle 
tombe, elle contient au fond de sa nature ce prin- 
cipe vivace, qui lui conserve, quoi qu'il arrive, des 
chances particulières de restauration. 

Le jour où, se souvenant qu'elle fiit et doit 
être le salut du genre humain, la France s'entou- 
rera de ses enfants et leur enseignera la France, 
comme foi et comme religion, elle se retrouvera 
vivante, et solide comme le globe. 

Je dis là une chose grave, à laquelle j'ai pensé 
longtemps, et qui contient peut-être la rénova- 
tion de notre pays. C'est le seul qui ait droit de 
s'enseigner ainsi lui-même^ parce, qu'il est celui 
qui a le plus confondu son intérêt et sa desti- 
née avec ceux de l'humanité. C'est le seul qui 
puisse le faire, parce que sa grande légende na- 
tionale, et pourtant humaine, est la seule complète 
et la mieux suivie de toutes, celle qui, par son en- 
chaînement historique, répond le mieux aux exi- 
gences de la raison. 

Et il n'y a pas là de fanatisme ; c'est l'expres- 
sion trop abrégée d'un jugement sérieux, fondé 
sur une longue étude. Il me serait trop (acile de 

16. 



2g2 ELLE PEUT S'ENSEIGNER 

montrer que les autres nations n'ont que des lé- 
gendes spéciales que le monde n'a pas reçues. Ces 
légendes, d'ailleurs, ont souvent ce caractère 
d'être isolées, individuelles, sans lien, comme des 
points lumineux, éloignés les uns des autres^. La 
légende nationale de France est une traînée de lu- 
mière immense, non interrompue, véritable voie 
lactée sur laquelle le monde eut toujours les 
yeux. 

L'Allemagne et l'Angleterre, comme race, 
comme langue et comme instinct, sont étrangères 





1 Pour parler d'abord dn grand peuple qui semble le plus riche en 
légendes, de TAUemagne, eelles de Sigfrid Tinvulnérable, de Frédério 
Barberonsse, de Goetz à] la main de fer, sont des rêves poétiques qui 
tournent la Yie dans le passé, dans l'impossible et le^ Tains regrets 
Luther, rejeté, eonàpoé de la moitié dé l'Allemagne, n'a pu. laisser une 
légende. Frédéric, personnage peu Allemand, mais Prussien (ce qui est 
tout autre). Français de plus et philosophe, a laissé la trace d'une force, 
mais rien au cœur, rien comme poésie, comme foi nationale. 

Les légendcft historiques de l'Angleterre, la. vietoire d'Edouard III et 
celle d'Elisabeth donnent un fait glorieux plutôt qu'un modèle moral. 
Un type, grâce A Shakespeare, est resté trés-puissant dans l'espirit an^ 
glais, et il n'e que trop influé : c'est celui de Richard III. -r H est 
curieux d'observer combien leur tradition s'est brisée facilement ; i| 
semble par trois fois qu'on y voit surgir trois peuples. Les ballades de 
Robin Hood et autres, dont se berçait le moyen âge , finissent avec 
Shakespeare; Shakespeare, i^t tué par la Bible, par Cromwell et par 
Milton, lesquels s'effacent devant l'industrialisme et les demf-grands 
hommes des derniers temps... Où est leur homme oomplat 06 plisse se 
fonder la légande? 



COMME DOGME ET GOMME LÉGENDE 283 

à la grande tradition du monde, romano-chré- 
tienne et démocratique. Elles en prennent quel- 
que chose, mais sans l'harmoniser bien avec leur 
fond qui est exceptionnel; elles le prennent de 
côte, indirectement, gauchement, le prennent et 
ne le prennent pas. Observez bien ces peuples, 
vous y trouverez, au physique, au moral, un dés- 
accord de vie et de principe que n'offre pas la 
France, et qui (même sans tenir compte de la 
valeur intrinsèque, en s'arrêtant à la forme et ne 
consultîjpt que l'art), doit empêcher toujours le 
monde d'y chercher ses modèles et ses ensei- 
gnements. 

La France, au contraire, n'est pas mêlée de 
deux principes. En elle, l'élément celtique s'est 
pénétré du romain, et ne fait plus qu'un avec 
lui. L'élément germanique, dont quelques-uns 
font tant de bruit, est vraiment imperceptible. 

Elle procède de Rome, et elle doit enseigner 
Rome, sa langue, son histoire, son droit. Notre 
éducation n'est point absurde en ceci. Elle l'est 
en ce qu'elle ne pénètre point cette éducation ro- 
maine du sentiment de la France; elle appuie 
pesamment, scolastiquement sur Rome qui est le 
chemin, elle cache la France qui est le but. 

Ce but, H faudrait dès l'entrée, le montrera 



281 ET FONDER FAR L*INSE1GNEMENT LA RELIGION DE LA PATRIE. 

l'enfant, le faire partir de la France qui est lui, et 
par Rome, le mener à la France, encore à lui. 
Alors seulement notre éducation serait harmo- 
nique. 

Le jour où ce peuple, revenu à lui-même, ou- 
vrira les yeux et se regardera, il comprendra que 
la première institution qui peut le faire vivre et 
durer, c'est de donner à tom ( avec plus ou moins 
d'étendue, selon le temps dont ils disposent) cette 
éducation harmonique qui fonderait la patrie au 
cœur même de Tenfant. Nul autre salut. Nous 
avons vieilli dans nos vices, et nous n'en voulons 
pas guérir. Si Dieu sauve ce glorieux et infortuné 
pays, il le sauvera par l'enfance. 



CHAPITRE VII. 

La foi de la Révointion. Elle n'a pas gardé la foi Jasqa'aa boaf, 
et n'a pas transmis son esprit par l'édacation. 

Le seul gouvernement qui se soit occupé» d'un 
grand cœur, de Téducation du peuple, c'est celui 
de la Révolution. L'Assemblée constituante et la 
législative posèrent les principes dans une admi- 
rable lumière, avec un sens vraiment humain. La 
Convention, au milieu de sa lutte terrible contre 
le monde, contre la France qu'elle sauvait malgré 
elle, parmi les dangers personnels qu'elle courait, 
assassinée en détail, décimée et mutilée, elle ne 
lâcha pas prise, elle poursuivit obstinément ce su- 
jet saint et sacré de l'éducation populaire; dans 
ses orageuses nuits, où elle siégeait armée, prolon- 
geant chaque séance qui pouvait être la dernière, 
elle prit néanmoins le temps d'évoquer tous les 



286 ÉCOLES NORMALES, PRIMAIRES, CENTRALES. 

systèmes et de les examiner, c Si nous décrétons 
l'éducation, disait un de ses membres, nous au- 
rons assez vécu. » 

Les trois projets adoptés sont pleins de sens et 
de grandeur. Ils organisent d'abord le haut et le 
bas, les écoles normales et les écoles primaires. 
Ils allument une vive lumière, et la portent tout 
d'abord dans la vaste profondeur du peuple. Après 
cela, plus à loisiif, ils remplissent l'espace inter- 
médisdre, les écoles centrales ou eolléges où pour- 
ront s'élever les riches. Néanmoins, tout est 
créé, d'enseiçble et harmoniquement ; on savait 
alors qu'une œuvre vivante ne se fait pas pièce à 
pièce. 

Moment de mémoire éternelle ! c'était deux mois 
après le Neuf thermidor... Qn se remettait à croire 
à la vie- La France sortie du tombeau, tout à <t;oup 
mûrie de vingt siècles, la France lumineuse et 
sanglante, appela tous ses enfants à recevoir l'en- 
seignement souverain de sa grande expérience, 
elle leur dit : Venez et voyez *. 

1 Et le fruit principal de cette expérience, c*eét que le sang' humain 
a one verta terrible contre cens qui l'ont versé. Il me serait trop fa* 
cile d'établir qae la France Tat sauvée malgré la terreur. Les terro- 
ristes nous ont fait un mal immense, et qui dure. Allez dans la dernière 
chaumière du pays le plus reculé de l'Europe, vous retreavez ce seave- 
nir, et cette malédiction. Les rois ont fait périr de saog-froid sur lears 



ÉCOLES NORMALES, PRIMAIRES, CENTRALES. 287 

Lorsque le rapporteur de la Convention pro- 
nonça cette simple et grave parole : « Le temps 
seul pouvait être le professeur de la République , » 
quels yeux ne se remplirent de larmes? Tous 
avaient chèrement paye la leçon du temps, tous 
avaient traversé la mort, et ils n'en sortaient pas 
tout entiers ! 



échafanâs, dans leurs Spieiberg, leu^ preiiâsf, leurs Sibéries, etc., etc., 
an nombre d'hommes bien pins grand, n'importe? les victimes de la 
Terreur n'eu restent pas moins toujours sanglantes dans la pensée des 
peu|^s. Nous ne devons Jamais perdre Toceasion de protester contre 
ces horreurs qui ne sont point nôtres, et ne nous so^it point impu- 
tables. L'élan dos armées sauva seul la France. Le' Comité de salut 
public seconda cet élan, sans doute, mais justement par les excellents 
administrateurs militaires qu'il avait dans son sein, que Robespierre 
détestait, et qq*il aurait foit périr, s'il avait pu se passer d*eux. Nos 
généraux les plus purs ne trouvèrent dans Robespierre et ses anris» 
que malveillance, défiance, obstacles de tonte sorte. Je n*ai pas le 
temps aujourd'hui de m'arréler sur tout ceci. — A ce propos, je fais 
deft vœux peur que ceux qui léimpriment l'utile compilation de MM. Roux 
et Bûchez en faMent disparaître leurs tristes paradoxes, Tapologie du 
a septembre et de la Saint-Barthélemi, le brevet de bons catholiques 
donné aux Jacobins, la satire de Charlotte Corday (t. XXYIII, p. 8S7), 
et l'éloge fle Marat, etc. « Marat distribuait ses dénonciations aœe tm 
sens droit et un tact à peu près sûr» (p. 545). Judicieux éloge de 
celui qui demandait deux cent mille tètes i la fois (v. le Pubiieiste^ 
14 décembre 1792). Ces néo-catholiques, dans leurs belles justifica- 
tions de la Terreur, ont pris aux sérieux celle que s'est amusé à faire 
le paradoxal rédacteur de la Quotidienne^ Charles Nodier. Je n'aurais 
pas fait cette observation si l'on ne s'attachait i répandre ces étranges 
folies, par des journaux i bon marché, dans le peuple et parmi les 
travailleurs qui n'ont pas le temps d'examiner. 



288 ÉCOLE NORMALE. 

Après ces grandes épreuves, il semblait qu'il y 
eût un moment de silence pour toutes les passions 
humaines; on put croire qu'il n'y aurait plus 
d'orgueil, j'inlérêt, ni d'envie. Les hommes les 
plus hauts dans l'Ëtat, dans la science, acceptè- 
rent les plus humbles fonctions de renseigne- 
ment ^. Lagrange et Laplace enseignèrent l'arith- 
métique. 

Quinze cents élèves, hommes faits, et plusieurs 
déjà illustres, vinrent sans difficulté s'asseoir sur 
les bancs de l'école normale, et apprendre à ensei- 
gner. Il vinrent, comme ils purent, en plein hiver, 
dans ce moment de pauvreté et de famine. Sur les 
ruines de toutes choses matérielles, planait seule 
et sans ombre la majesté de l'esprit. La chaire de 
la griande école était occupée tour à tour par de? 
génies créateurs; les uns, comme Berthollet, Mor- 
vàu, venaient dé fonder la chimie, d'ouvrir et pé- 
nétrer le monde intime des corps; les autres, 
comme Laplace et Lagrange avaient, par le calcul. 



1 J*ai soas les yeax {aux Àrehivét) la liste originale de ceux qui 
acceptèrent lès fonctions de professears aux écoles centrales, qui éCaienI 
|es collèges d'alors : Sieyès, Daunou, Rœderer, HaUy, Cabanis, Legen- 
dre, Lacroix, Bossut, Saussure, Cuvier, Pontanes, Ginguené, Laharpe, ' 
Laromiguière, etc. 



' «COLE POLVTECHNIOUC. ' ^ B» 

' rflfièrihi le système du monde, rassuré' Id lertti^SliP 
' ka bàèel Jamais pouvoir spirituel îi*appiârtrt^^tiis 
incontestable. La raison, en obéissartt, se rtiiMàit 
à la raison. — Et combien le cœur s'y jtoi^St, 
qtïkftd,' bairmi ces hommes uniques, dont chacun 
apfpàfràttune seule fois dans rétémité, on vo^it 
ime tête, bien précieuse, (jaî avait farlK tèttibër, 
'(ieBé du boffl Haiiy, sauvé par Geoflftoy-Ssiirrt- 

«iikire'î ••;.;•. ..;.;.:.;. 

Un grand citoyen, Carnot, celui qui orgàtifèài^a 
Victbite, quîdteviiîa Hoché et Bonaparte, quiisanva 
la'i^rance malgré la Terreur, fut le véritabléfbft^ 
teur de l'école Polytechnique. Ds apprirent, ôtMiÉiie 
on combattait, firent trois ans de ëôurs éri ttrdis 
mois. Au bout de six, Monge déclara qu'ils n'a- 
vaient pas seulement reçu la science, maîèqtinis 
1-av^ent avancée. Spectateurs dé Fînveiitïôn coA- 
tinuelïeâé letirs maîtres, ils allaient itivén tarit àiisii. 
Imagine^ Ce spectacle d'unLagrangfe'cJuî,' àirrM- 
lieu de stin enseignement, s^iarrêtàît tout â'^cottp, 

' rêvait. .70n attendait en* silence. H s'êvëaÉaftâla 
longue, et îèur livrât; fout ^éntè, fa jëtiké ii- 
Ventîb», a peiile hée dé son esqprît . ' ' - ' î ^ - '^ ' 
Tout manquait, moins le ^énie . Les élèves p'au- 

. iraient pu venir, s'ils n'avaient ou un traitement de 
route dé quatre sous par jour. Ils recieVatent le 



pjgO L'ÉCOLE NOBMAI^ N'IWVIGME W LA FRANCE, 

si^^^jl 4^ voulut pour traitement jq[u'uiico|^ 4e 
ùtm^f^fihvk^ die^s Çablon^, ?t..Y|éfiUt .^ç^ lé- 

„„.„Ûme\lf.a^te^ apï^s (^ temps-là Ijçbjrtefliqr^le, 
,;(rt„îV>*»™9»^s.-8W^e .dis ^a,sBbp!« 4^, Vi^ç^sée. 

,-fJmhi après .^.raHj>o.rts faits, à ,1a Ço^^yeniiw» 
_ rt«}j?L.4q f oufçrqjr^H dç^Foptaiiies, vo^^i . tqn^b^fj^^n 
quelques années ae la virilité à la vieillç^q;| la 
cr««Hfi8se4^çrépi^ % ... ) . ....,, . ;.,*, ,, „ i 
,.-;„,jj'^t-ilpiasapai«ewtdew(^ji;|i^<j,élanl^^ 
Jj^^t^^4 , , s'pbatttfi el, tpinbier., si tôt?,...,;(^tte 
.^^JjJçjçuftÇi.^çftlftnçmnale ne porte pas frjvf.^QH 8>n 
«iéto'WPfiW>1'*ftD4 9^ y voit l'homme si faiblement 
-CT^gfté' HSSi^tâfnÇÇS de r^pmme.s'abdiquam;^ se 
«irÇW^^^X'^MfflDMW hnwï^d'eUes-mêmes. Lf £rp- 
lj^^^ei^t4:^i#<?ir^,,yolpey, enseignait, «ue i;^i8- 
.iJ»ffi?jfi?^ .^«;»we, ^ faila:mort$., q^'^i n'j a 
lj^^,/d'i^tpipei vivamte. Le prpfesse^^e pP»- 
.(f«S'i'if?"!l^*^*^> ''^^* We la phU(^«P^e n'.f^t 

-te «fekf W^^?*.. ni^f riep. ;SijRe^ .floiv 8i«a^, 
les mathémati(j^i^..,aviaieat l'av^nt^e „ et Jes 

». 'y . 1 ..*".. ., .. ♦ : .1 j 

* * Un homme cul le rare cotirage de réclamer ,)[soas TEmpire, en fa- 
t)Uir!'dëi>tMrgahisâfiob tféiniée à VenÉefgneflaeol par la Qoiiveûtidii : 



'Sciéiloes quia'; mUaehent, teHeq iqtiei lîaslnl- 
«bmie. «Aiaslv. laFiraliéei DfivblutUuiriairei^lidans 
iU^and^ éedlprjqui devaîtiiritpaiidmrpiapiouÉ.scm 
.eàprît^; ense^gB«i les éfeîles/fises^ijets'cjabliaîeUé- 

f"}\ (>qslilà surtout quel Ij'o&i vit , idsm» «cet âupiréihe 
^ettifft i de la liiéTOluÉÎQU péiiR. fonikir jtiqu'dietQe 
Ihoufrà. être xïtt'unîppéphôtti qli'dile) jft*urrât 
id{tafile|d6«fti:t!Qt(0aa»toir kkemetpirQîAlse. Qcné- 
itndftt|^,fàtreUe .atfrinréfS til lu4ahfa\tifeHu)tout£ûi^> 

dans le système qui la précéÔmt^ Bll*)QtlâttftntBée 
;«ii^iMl^»,^'u}i^»itoi^il(id0^^ eênp^vdr^ de 
^9ifénmç$MibWi(mixsimmU JQUi! Juaqu'à^Kéii^^biiée 
.qjo^àk flb tffimya<rUi) à;4éf£uim4 vLfi(<d6S^iétaît 

fi\i»M'^\9àunm dtt'tpuit poitr môtU^e^èik.^pteol. 
;>fiUe tûwitwt.dwMk^aiCû^la YweOx. JlofaUaîtfides 
, hû(iu»W'|)0br'iakb la >I^0lU{iani(a<^tft^ttif>€4éQP 
. fOi» ibotnmef^ il 4ùt &Uu.^u ^eli^ fitit .Me. rjE^laen 

Ji'autrel I]A:abiinâ à,b«i!ef Aer^et^pomt^'aîle^ payr 
vle^fraoehitt^v... .. -.ii.-.- .i ;iVj;. !i/.n 'm-i ;i , >:.»ji'i 
si 11 eti; doulûurenxidi^^voir. oombieb poutkfiiilu- 
,tourodu>p<9ttpta> lâ< loyauté sb X^^akfgéli^mnt 
6àtpmf\*éé^ev daittileaiquiftFe» ddittiâr^ siècles. 



i9S tk NftVOLUTlON NON PHÉRAHÉB MNS L'ÉDUCATION. 

L'Église Itti ptfhit Une langue savante qu'H ne 
comprenait plut. Efle lui faisait répéter de bondie 
ce prodigieux enseignement métaphysique, dont 
la subtilité étonne les esprits les plus cultivés. 
L'État n'avait fait qu'une chose, et fort indirecte; 
il avait rassemilé le peuple dans les caïkips, les 
grandes armées, oii il commença à ee reconnaître. 
Les légions dç François l*', les régiments de 
Louis XlY, forent des écoles , éix, sans qu'on lui 
enseignât rien, il se formait toi-même /pirenait 
des idées communes, et «'élevak peu à peu au 
sentiment de la patrie. 

■' Le seul enseignement direet âlsât celui qu0 les 
bow*geois rece^^nt; dans les oeNéges, et qu'ik 
eontkittaie&t comme irrocats et gens de lettres. 
£tiide veiMe de» fougues, dé la rhéftoriqiiè, de ia 
fittèratùre; étude des fôis, non jSavacMieirprédse, 
o^mne èdle.4e iios ancsmsjuriseensifHiss, muds 
soinlisttf 'philosophique et pleine d'abstfMtions 
cfeuses. Logiciens sans métaphysique^ légistes, 
moinsle droîiet rhiMeîre,ils necf^^entqp'an: si- 
gnt^s^ MX formel, aux flgaret, à la phrase. Bn toute 
chose, il leur manquait la substance^ la vi»etie 
"Setitimenl; de la vie. Quand, ils an^ivèirent stu* le 
^grand théâtre oii les v^tnité» s'àigiisseient à mort, 
on put voir tout ee^quq la sidHilité scolastique peut 



SCOLASTlOUfi ET RH^TORiaUE W) TBAftORISliE. ây6 

ajouter de mauvais à une mauvaise nature. Ces 
terribles abstracteurs de. qm&tessence s'arme^ 
reat de cinq ou &i)L formules, qui, comme autsoit 
de guillotines , leur servirent à ahstrure des hom^ 
we?^* 

Ce ^t une chose bien terrible, lorsque la grande 
assemblée qui, sous Robespierre, avait fait la Ter*- 
reur par (erreur même, releva la tête, et vit tout le 
sang qu'elle avait versé. La foi ne lui avait pas 
manqué contre le monde Ugué, pas même contre 



* Le génie de l'inquisition et de la poliee qui a étonné Unt de gens 
dans Robespierte et fiaint-liist , n'étonne guère eenx qvi connaissent 
le moyepi Age et qni y tmivent al lomvent eet taspéranents d*ta* 
qnisitean et d'ergotenn sangoinaires. Ce rapport des deux époques 
a été saisi viee beaaeoap de pénétration par tf. Qninet : la cAritlia- 
nfMv êi /• rtfooluMa», p. S49-851 (iMa). ^ Danx hoanmea d*nne 
équité scrupuleuse, et portés i Juger favorablement leurs onnenûs, 
Camot] et Daunou, concordaient parfaitement dans leur opinion sur 
Robespierre. Le demlef m*a dit souvent que, sauf le dernier mo- 
ment où la nécessité et le péril le rendirent éloquonl, le ftmeux dicta- 
teur était un homme de second ordre. Satnt-Jost avait plus de talent. 
Ceux qui veulent nous faire accroire qu'ils sont tous deux innocents des 
déniera eicéa da la Tertaur, som rétatéa par Saint-Just lui*méoBe. 
Le 15 avril i7M (si peu de tempe avant le Neuf thermidor I), il déplore 
la coupable indulgence qu'on a eue jusqu'à ce moment : « Dans ces 
demiers temps, le reiéckemêM en itibvnmtx l'était accru, au point 
que, etc. Qu'ont fuit let êribwnttuœ depuis deux ans? À'^onpërU de 
ieur justice?,.. Institués pour maintenir la révolution, leur indulgence 
a laissé partout te crime libre, etc. Histoire parlementaire, t XXX1I« 
p. 31ft, S19| M germinal an IL 



294 LiK OQl^VBNTION VRlkti LA FCli; ' ' '^ 

la fVai)C0^' loTMfa'^vet tnetlte dép^iiéinmtô f^ 
centiat et sauva- tèttt. La 'foi ne Idî manqua psts 
méHiryd8n8iBon.àapg^f)iePdofaiiel, forskfofe n'âyàMt ' 
pkmihêiée iHttàs^tienë fot' ^rédllhè ta ârmej^'âë^ 
propres membres, et se vit tout près de n'avttii* 
pUisrdeddfenfeupkpilélie^iliéiffief. Maib;«tt!^Mbdm;e 
du^ing, t devant tous ieps» in^ts qpai i »prtài^M' ^^ 
lQilm)aépul<niei9,; d6fdantio«t w<p«upl6 utei prt^oAf^ ^ 
meif lA^iroéri qui ivèiia]entfiq|e]><toiA*s Jb^, i^^ 
dffaittH/»6ltaicamp[\è»ç^Iài&'iaèandèii^ -'! :*<•«'( 
Elle ne franchit point le pas qui lui eût livré l'a- 
venir. Elle n'eut pas le courage de mettre la maip 
s}ir'le,,Jft44je/iwfl4e qui- 'Yeqaiil.X'8i.Ri饫lutii>ii^ . 
pour fr'en emparer^' de?£tft' enseigner tine cho^; 
Une seul^içhose i^lâ'Reyôjutîoi^. / .. i. ,., ,■ 
^.P^uf..cdA> il lui ,eAii fallu,, non i^iîer le passé; 
mairie i^ëvefldittilejr au ddhfrâîre; Te ressaisir et le 
fairp^jeù, cpfjttiie; elle Jusant m pyéseafc woiUrer 
qu^eUrsnribt; «wc^rautorité de «la raiëon, celle de 
rhisloîre,* ^e toute notre nationalité. îii^tftrifjqç, , 
qjUiB la(iKémiutiaQ< était b t^iWf iiam juste '^' 
nécessaire màftifèètàtfdn dû ^éftiè *de ce" peuple, 
qif'cilift 9'était quQ ià Fr^cejwéw^ ayattt eafia. 
trouvé, son droit/ v. » - x . . 

Elle pe fît rien de cela, 'et 1î\ raisoii abstraie, . 
qu'elle invoquait seule, ne laisoutint pas m pré^i 



ELLE NE TRANSMET PAS LE GÉNIE DE LA RÉVOLUTION. ^TS 

sence des réalités terribles qui se soulevaient con- 
tre elle. Elle douta d'elle-même, s'abdiqua et s'ef- 
faça. Il fallait qu'el^^0érit^^(|i;'e|l&^trât au sépul- 
cre, pour que son vivant esprit se répandit dans 
le monde. Ruinée j^ar sMf défenseur, il lui rend 
hommage aux Cent jours. Ruinée par la Sainte- 
Aifiàhcé, les^ rois fimdent *lerir tnité '€0»*^%ie 
sur le dogme feoèial qu'elle^ l^dsa «fi! SO.^^te'Ai» 
qu'elle n'eut pas en elle-même, gagne 'jcëtixl ^i 
Fdrif cdnîbàlttu^j.' lié fer qu'ils lui wt^nteà^ûu 
cœur, fait if es itairacles et gui|rvf. .EWetAwmiÉai^ 
sefpierâééutéui^s, elfe €fKfêeignesd^etîlliMiiAi.Tii04e 
n*ërisêi^à-t-rfle 'ses eiifetits ! • • i m ^ r I > î^o' t 



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CHAPITRE Vm. 



-(f(V) '.■ ■ ' 

I 

;:f; ■ > • 

-'îjiii . •• ' , . . 

Mk#f)peiiiîère question deréducatûm est celle-;cî : 
c iAtvur-yons la foi? doopes-vous la {ci ? 

iiU f^utj^ue' enfs^nt croie. 

iiQn'H qpoie itnfmt, aux choses qu'il poucrii, 
dimMw h^mtii^, j9iepimiYer par k raL^ 

:K%ire.miBofeftii^9Ûwniieur»4^^ critique» 

c'est chose insensée.; Remuer san» cesse à plaisir 
tous les germes qu'on dépose; quelle agriculture ! 
Faire un enfant érudit, c'est chose insensée. 
V Lui chaîner la mémoire d'un chaos de connais- 
sances utiles^ inutiles^ entasser en lui l'indigeste 
magasin de mille choses toutes faites» de choses 
non vivantes, mais mortes et par fragments morts» 
sws qu'il en ait jamais l'ensemble... c'est assas- 
siner son esprit... 

Avant d'ajouter, d'accumuler» il faut être. Il 
faut créer et fortifier le germe vivant du jeune 
être. L'enfant est d'abord par la foi. 

La foi» c'est la base commune d'inspiration et 
d'action. Nulle grande chose sans elle. 



LA FOI DANS LA PATRIE. 397 

L'Àtbéoien AvaH là foi qu^ toute culture hu-> 
maine était desçeQikie de rÂcropolid d'Athènes , 
que de sa Pâllas, sortie du cerveau de Jupiter, 
avait jailli la lumière de Tart et de la science. Gela 
s'est, vârii^é; cett9 viU^ de vingt mille citoyens, a 
mmàé le monde de sa Itittûi^; morte, elle Fé^ 
claire encore. . 

Le Romain avait la foi que la tète vivante et sai- 
gnante qu'où trouva sous son Gapitelè, lui promet- 
fait d'être la tète» le juge, le préteur du monde. 
Cela s'est vâ*ifié; si son empire a passé, son droit 
reste, et continue de régir les nations. 
. Le chrétien avait la foi qu'un Dieu descendu 
dans l'homme ferait un peuple de frères, et tôt ou 
tard unirait le mondé dans un même oonir. Cela 
n'est pas vérifié, mais se vérifiera par nous. 

n ne suffisait pas de dire que Dieu était ^s- 
pcHddu dans l'homme; cette vérité, restant dans 
4es termes si généraux, n'a pas eu sa fécondité. Il 
faut chercher comment Dieu s'est manifesté dans 
l'homme de chaque nation, comment, dans la va- 
xiété éeA génies nationaux» le Père s'est approprié 
aux besoins de ses enfants. L'unité qu'il doit nous 
donner, n'est pas l'unité monotone, mais l'unité 
harmonique oii toutes les diversités s'aiment. 
Qu'elles s'aiment, mais qu'elles subsistent, qu'elles 



fîl8 COMMENT '0^< ^El^ R^COÛVllEIf iX FOI. 

dillebt fli^^inentiant ($è^^pleii(téi# {/(Mif tniùtix ecfai- 
rer ^ fe ' monde', ' (* us[(xê lliôWibe , dbs ■ • l%nùtnee, 
s'hûbjuie 4 feeoniïaîtrfe uri Keu VîVàntdâbià' lir 
Patrie.* ''-' ■' *• ^'î •»• • » 'î'î' '•■*' '*«''^' '' ' "' '•'*• î *^"' • 
• ici, $'"élève uïië olfjectlon'^ravêl € td^i/ com- 
ment là ddftnap, qi«a»*ijë Vmii pieu wtoi-^^iftème ? 
La foi en la patrie, comme la foi religieuse; & fuî- 
bll«]|tmoii »' * • . ^ '^ ' • • '* ^ 

Si 1» foiéilk i^môh étaient des ^dséeVi^dÉ^s^ 
n'à^ranfc ntalnitijrcq râisoqn^J^ d^bbtehîr la foi, il 
faQdrait/HComi»Qles)mystique8,'reHter &; Aiompiiier; 
attendre. Maisrla^ifoidignQ derhomiîiev c^estttne 
eroyancd) d^anlbiir ^daps œ que piH)^ve la raîsbn. 
Sort db^etf eenfefk pâqlellexHèrreille accidentelle; 
clesl lei aunaole permanenlk de he nature et de l'hi»* 
toire-. .-.i'î!'^ i^ [ •:-•./• -'^•;..i / ; ■• • . • 

lV)Ur repretjdve fkn àia Francç, é^érer dansî son 
aneiiiit,. il&nt rëmonteÉlsDn passé, ap|)roftmcKb^'Scm 
^éniei isatiitieL Si/vou^ Teifakes sérieusement et dk 
eœiir; tous verrèff/dtioèUeetade^de oes^ puémiteéfe 
posécb^y M lae icQHiéqiiewe! ^saiwcf > kfaîUibtementi 
De« )a ( ^^HctkD > du ^assé> <iéeouiera poof to^ls 
IWenirj >lâ>']ié6sioxi dfe la^Frbnce ; léHè ^ous s^[)pa^ 
r«teaeB<pieii;iekilfiièri«> Vbus'éreirç^t^et^ vOM aî^ 
merezià croire ^flafibi a-'ést pîisnlsiiitpe chç«et'« . 

iGâipqtc»l^d]S'Péi%hqpie^v(Aia> if • rigiidlre'v U 

.1 



LA lEORESSB MUS KENORA LA tût J flT 

Fr»c89 V09 origines 'sqnt en ellè'i 6l'n^i|i«â^*hi 
œoTiMssèz;' vous ne Bsirez rien de vous; fiUêP^oiiar 
Q]itourev<vQ«si]^esBe< de toutes* parts; vôiis<¥îyeij 
m{tUfv;<et#eUey'Siveodie voiisinoutTei?! ' l.''> nu 
-Qu'MlèTÎPne^ i)tvii!<evpâiiIafoi) ^ .. vint^/iv 
: "Elle ^vMi mJendrâ.au'cœur, si tous fé^^dàH 
vos rafanls, . 4e 'jeuM^sionde <[w<veut riiimeipi 
qui est bon et docile encore, qui demande la \i^dê\ 
croyance. Vous avez vieilli dans Tindifférence ; 
mais c[ui de vous peut désirer que son fils soit 
mort de cœur, sans patrie, sans Dieu?. . . Tous ces 
enfants, en qui sont lésâmes de nos ancêtres, c'est 
la patrie vieille et nouvelle... Âidons-la à se con- 
naître; elle nous rendra le don d'aimer. 

Gomme le pauvre est nécessaire au riche, Fen- 
fant est nécessaire à Thomme. Nous lui donnons 
moins encore que nous ne recevons de lui. 

Jeune monde qui devez prendre bientôt notre 
place, il faut que je vous remercie. Qui, plus que 
moi, avait étudié le passé de la France? qui devait 
la sentir mieux, par tant d'épreuves personnelles, 
qui m'ont révélé ses épreuves?... Cependant, je 
dois le dire, mon âme, dans la solitude, s'était 
alanguie en moi, elle se traînait dans les curiosités 
oisives et minutieuses, ou bien elle s'envolait 
vers l'idéal, et elle ne marchait pas. La réalité 



Ht: LA JEUNESSE MOUS MRflIRA Là FM. 

iBTécilMfl^mt > et notre patrie qm je poursuv* 
^ kmjMirs» que j'aioidi te^joops, Jq: la; rayais 
tpi^purs là-baa; elle était taooB objet» mon bit, 
un objet de science «t d'étbde* EU9 injéstappâvue 
vivante.., c£n qui? » ' En v(mis« cpiimè Uèez. * — 
Ea' rvoufi^ jeune ttomme^ . j'at v« lai Patrioi ! aon 
^temièHe jeunesse... Gonumitt )»y eroirais^Je 
pteîi.'!-' ../'•: . . •■ .'. :-•: ':> '. 

ynvj" 1, *! • ' ' ; ■": ' s . • • ' -^'t" .'^ • ; .*' 

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CriAPltREIX; 

Dieu en la Pairie. La jeune Patrie de l'avenir. — .Le sacriâce.* 

^ ■ * . ' . . ' . I 

VédvLcèêo^, coinine toute tebirre d'art; demande 
avant tout tine ébahché wnpié et forte. Poiiit de 
sabtilité^poiiit de minutie, riënqm fasse difficulté, 
qui provoqué robjectioil. "^ ' 

- n faut-, dans cet enfant, par une impression 
gMftde, salatïûrel durable, foiidei^ Ûbomme, créer 
la vie (hi odôw. 

Dieu d'abord , révélé par la mère , dans Taiilour 
et dans ta naturie^ Dieu ensuite, .révélé pâ^ le père, 
dans la patrie vivaqte, dan$ son histoire héroïque; 
dans le sentiihent de la Praiioe. . ' • 



302 LA NÊRE RÉVÈLE DIEU. 

pieu et l'amour de Dieu. Que la mère le prenne, 
à la Saint-Jean, quand la terre accomplit son 
miracle annuel , quand toute herbe est en fleurs , 
quand vous voyez la plante qui monte de moment 
en moment, qu'elle le mène en un jardin, Tem- 
brasse... et tendrement lui dise : « Tu m'aimes, 
tu ne connais que moi... Eh! bien, écoute : moi, 
je ne suis pas tout. Tu as une autre mère. . . Nous 
avons une mèrecommune, tous, hommes, femmes, 
enfants, animaux^ plantes, tout ce qui a vie , une 
mère tendre qui n(msi|f3|upj^ invisible et 

présente... Aimons -la, cher enfant, embrassons- 
la du cœur. » 

Rièii de 'plus pour longtemps. Point de méta- 
physique qui tue l'impression. Laissez-le couver 

les obscurités de la science^, ^f^^ji^fi Is^nPII^^oa^ 
QtU wiif..des.|Çjfag»Sp Ift.rfpiiît i§qleil4« l*S»i||t- 

ipm iî4ïft:it«iq<wfiHi»U'.pr^N' fte=^4^ 

avec la fleur immortelle du plus pmji^f^iliibilteWi 

Uï\ m*^> jour > ipM tar4 ^:qiiMil'bd»É)i^ sUhst 
un fmMt^ \m 0W|)èrb leipc^D^&jgriiUfde fête 
publique, grande f«^e/i}ltQ4 {!$UM..rll;i9inMie:de 



LE FÉRE «ÉVÊLB Ul f ATJUB. ! 305 

Notm-Bamea}! LottVFèiiiut Tirilpries^' veife l'Arc, 
d^trkmqpliè. D'un toit, d'une teiîrpsfie^ .il lui mo»^ 
tr« J^fiemple/rairniée qui ptisëe^ilé^ baiemieltes) 
fréflabaanteç /le drapeau tncotme^... BaBS les rtoh^ 
mwU d'^ittente surtout y mmt la. ftte*; lauK ifeflets^ 
fiultaattque$i ! de rjUuminatÎKm , ; dans œ» foittoMam 
blfiis ^il^Raea qtoi ^ fonttout à eoup-^ucie spo^bra 
Qqéap^ du: peuple , iyi M'pttidiQ, il h&ét:%Tm^ï 

trie! .Tpil. f^c^^MCielsticMjmiiie)»» isçyl ihiMin^ 
]|l|a«e!â<ii^ fit ml«9fi'e(çiir/ToiiS)inour][taîei4 
un $eul ;^ê|; çba$!ii«doit au^ai Mim^eti mourir pwr 
t(Mifi^.«.:(]M}:i<luî paa9etntil^*lm,'qui aont. 9tménk\ 
qui parteifti»fiteâ'en j^rontiiMoihUti^ poui^n^wa^.Uâ. 
Immii la tour pèwt, leur.Mçilte.mwe, quiaurm»nt 
hmm 4?Bux..^.Tu,QB ftyas,ftutefil, .tim»'Qi|Ww>rWt 
iai»5isqtt«ten^ètjîP5tiaiFwn«Qiti' . :• ii . • I 
' Je connais bien peu la naturid^ .^ùfit^mp^^f^^, 
^\m 4 wevdt II a vu Jia^ Patrie» . . Gi3 ( f^m^ inviolé 
eq 3a bwte :umt^^;4st %Î3)blQ{mi ae^^wombr^^^. 

et 4^m J«p; gçaii4«P:«ûi[fp3. Wi. s'wtvWfiqwci 

la vie nationale. C'est bien une personne vivante 
qu'il^toiich©, cetenfatat; et «entde toutes paHs;' il 
ne peut l'embrasser/ piaîs elle, elle l'èinbrasfe^ 
elleréchaufié de s» gratade' âme fépamke doM] \m 
foulé, Éftle lui parie pàf ses monuments;;. ' Cèst' 



304 L'ÉOOLE COMB PATRIE ENFANT, 

une belle chose' (iôur ie Sxnsse de pouvoir, d'bn 
regard, contemplei' son catiton, emlvasser du 
haut de son Alpe, le pays bien^umé, d'en empor^ 
ter rimagev Mais; c'en est une grande, vraiment^ 
pour le fVançftis, d'ayoîr ici cette glorieuse et im-- 
morteHe patrie ramassée en un point, tous les- 
temps, tous le^ lieux ensemble, d0 suivre, des^ 
Thermes dé'Éiéis^à la :Ck)lonÀe»'âi)^ L^ au 
Ghaônp^ê^ltos, def AréiteTribmph(etâlaplaced^ 
la Concorde, rUitoîre delà France et cfcï monde. 

Au reste, pour feifant, rintàitidn dtirâMe et 
forte de la Patrie, c-est, avant tout^ l^étole, la 
grande école nationale, comme on jaléraun jouir. 
Je parie d'une école vraiment commune, où les 
énfents de toute dasse^ de toute condition, vien-- 
draient, un ttH, deux ans, s'asseoir ensemble,atafit 
Téducation spéciale^, et Au Voti n'âppfendiiait rien 
autre que là France. 

Noua nl^us hâtons de parqljier nos enfants pattoi 
desenfenfs de notre classe^ bourgeois ou popu- 
laire, à réèole^ aux collèges ; nous évitons tous les 

;:t>'M«MtiM «p44ii««[, àa^t^é^ o« 4e VfrtrSM', yStpHraH «aH**^: 
l'atelier, aàoaoi et réglé ^r Técole (leloii les vues Jifdiçieiifes de 
M. Faacber, Travaii art EnfimU); \e collège adouci , 'sariout dans 
ui pMMlèrei» MBée», «è reniant D'e|i|>reii<Mit 4e giramMaîre qte ce 
qp'U en peat coii^px^iidce. ,Pla9 d^xerplçe et 4e réei4et|oMi^9»A*è* 
critares inutiles. — Grâce, grâce pour M peùla etofaela ! 



UNE PMUIlèilE âCOb£, ÛOIMilME A TOUS 51)5 

luétotiges; nous i^j^aronsidea vite 1^ paùwe^ et 
le»^^ riches à c&iite h^Hfeusie époque mi rëiifant de 
liiîiifiêina n'eâlt pas dbnti ceâ yaiûes distinctions. 
Nous semblons avoir peur qu'ils ne connaissent au 
vrai' le monde çii ils doivent vivre. Nous prépa- 
rais, par cet iac^emèmt précoce, les haines d'igno- 
raiiceetid*'envie, eettèf ùorre intérieure dont qous 
soiiffiïoas fâûs tard. : 

Que je voudrais^ s'il faut qike l'inégalité subsiste 
eatreiés hommes» cpi^au moins l'eniuicè put sui- 
vre «un moment son rn^pct» et vivre, dans l'éga- 
lité! cpia ces. petits hoaunes de Di^u> innocents, 
saAS^mvie^ nous eotiservaèsaeat, dans l'école» le 
touchant idéal de la Société! Et ce s^aitl'éoc^ 
aussi pMMir iMNis;' nous ^dns ^prendre d'eu la 
vanité des rangs» la sottise des prétentions rivilles» 
et tout eequ'ily ade vte vraie» de hcmhemr^ à.n'a- 
vioir premier» ni dendîer. 
j: La patrie applarntraît là»; jînifiié! et charmante» 
dans sa variété» à la fois, et dans sa oonèordOi fA*^ 
vArsité tout instructive- de caractëres; de vidages» 
de racfsv iris au cent! couleurs. Touti^uag» tdutet 
fortune» tout>htbiÉ; ensemble aux; mêmes bancs» 
lerélours et la blelisè» le/pcuin noir» ralimeiîtldé- 
lieât.O.Que \ë riche apprenne là» tout jéuiie» ce^ue 
c'ebt qu'être pauvre» qu'il sôuffire de rinJégdifé» 



309 OU ILS ssmiBAinjhr la paimb < 

qu'il obtieqiie'dé parlag^^ qu(it tr&vtiUa déjà à 
rétablir régulité selpn ces ftirefB;.^tt'iltrou¥Eis6ise 
sur léi banc de fcotsr ta> cité^do inqnde, et qirïl y 
caiiiineiio0^èa'cité.del)ic|iik..! •'' / ^ • 

Lfpqutre 'itppreddrivé'aatreK^aiil, et retiendifo ' 
pevt-eè'lire qii&bi «e nehe eftffiohei ee li-es(f|a»m 
fautev àprk ^%mi^ il est né ^) ^ et .sôaveèt: m tîh • 
chesse le rend pauvre du premi^idès^Ufos; pttu- 
yvède-veloiiié, etde%eemt)ral^'j^^ : / - j. m ' 

fie eepaîtaiitee'i^nde idioP|e<if[Ud^/lod& Ua^fib 
d'uii ifaèmd ffeiipld^; rémilbiainiiiv au aïoias-poiir 
qiittfkpie'tiQip»/{id tibseutd aè «ddtu^uaaeotii^v&Qt 
leé ykses^^^ieK la^p^fewpvelé^t^ 4e>lahii«iie$se» avMil 
Y'égdiikiài^9iiA'ea[y\ki UmhoA yiieeë^kràîl une . Imh 
pifeaskKÎ iDefibQal][lf(2dejla pateîey la^taoïiiHMti daos 
radier ttOQ-seiriemf BtiecHuitte ékUde:6t estdsigdue*- 
ment, iQW éoBOunéipatria vmdteii uiièpalvieieii- 
faut, semblable à lui, unet»téidieîUQ|cireevaftla' 
Cité, cité d'égalîtéioJi tous serfiDeBtj^is am foéàie 
baii^ueitpintodi ^ . . > / ,^ ^ V 

, -Ei je' ne ymnAtùa pas; > sevtemctit. qu'il «^prit, 
qù'AffitiBiipatm^ maÎB^uUlliiaenittjciMnoia pswi*- 
dence^'qttSl'kireomiût pov (ÉkfaeletsiDUinfie.à: 
seni lait loÉtif ^t, à ^a viti^UBtiitei èh^eur . . . Steu ■ 
noqs'garde dç venvo^er* ub qqfiint' de Fieol^ dahii 
roftièca^ tfdimdnt sfAvitaèlJ :pacmi|ii^| o^'apif «crtnî . 



di>4»qols* . \ Ob l l'àvtrtce iiUpte* qui donnerait des/ 
mttmfi at& maQan8iet.a«a psétre&/qui ne serait > 
ridbèicpMi pobr^detér 4a^0iort^;etqui ibarol^aèderaî^ 
a>tté>ke6>itçtîÉi eafiÉitB^ èpii ëanit Tespoiby; la chërii » 
v^edèflatPrapwjr^t^te eoenrdebm'eonn^ 

JarUffivditfaîlMts.. Je ne inôs^ paà de ceoxqi»* 
pleurent toujours, tantél spr. roayriër i^buatei 
qjli'gpgtie €Biq 'fraae8;)twt5t ^kr la pauyrb femîhe 
q^tt/gilga^ di& $ote*< Une 'pkià'<fiisnnptrtiak|^ 
nT^ilt pas tl0làt)UB4^ .0. ûaVâin fe^ibea des^eou^i 
v^^XïJnei^l'tèSûkny iateUersftcy[nplHrsirès;:ébque jçsi 
cobTëntstflà bsiÉiîiipiébti^liuï^i.!Et4i^ pkits/ 
edfi^itevlîl faut-qoëiSfeoitafsojioiii 1foi»f|pètlè;^tie) 
nous leur ouvrions les bras, que Fécole soH Jeurf 
ap^i>f|i» I aiNleiKtoii^ et géoéreliiiii^ tipCtTil y ftof eibbn 
pouPlAvc^uplUb^y. ^UèiA 4'4i»tMÎmih;fqfiHla aif^l 
mdift «Mii|t.«tr plM ^e la i»^soii patelmeilQ eetfie. 
HiQÎmp de la Fi^aoteewi: Site HiÊjûPta^sut f4 pourrir, 

itibpaj loQn.fiterleàpii^teaiscAt'tautel'l^^ 

: .)•; / ;î •• ' .■' • ■'• • .''î. -tiMl; 

.t,J^ c*eAi« Qtocf Wf ^oieigpe^ Les j|i(or«ntip8 impoiei^t m^x 9i|-» 
Tants l'histoire de France des Jésuites (Lori<)iiet), J*y lis. entre autres 
c&loteûifM InfAine^^ eelle ^e rémtgVé VânbÀn a Idf-médié démentie :• 

mettraient bas les arîn«s, t. II, p. SJ56.| * .,,^ , . 

* y. fa Préface de la ^i^ édition dé mon livre du Prêtre, de la Temmè' 

e$il0la«hBtll0J . .'^' 1 . . .»,'ï i>i ,••' -'îi :•! «:*■ » '••• • 



3t)8 LA l>ATIIIE ENSElG1iÉ£ 05MIIB DOGMB ET LÉGENDE ; 

vertes» et la Franee est au seuil pour t'emfaraaser 
et te recevoir. E31e ne rougira jamais, cette grande 
mère^ de prendre pdur tm les soins de la umamée, 
elle të feKde i|a maân hérpïqub la soupe du siddaC, 
et si elle n'àvs^ pas dequoi envelopper, réehaufier, 
tés petits membres engourdis, elle arracjberaîi plu- 
tôt un pan de son drapeau. 
' Conéolé, caressé, beHleux, libre d*e|iprit, 
qd'il reçoive sur ces bancs Ts^ment de la vé- 
rité. Qu'il sadie, tout d'abord, que IMèu lui a Ibit 
lagrâce d'avoir cette patrie, qui promulgua, écri- 
vit de sob sang, la loi de Téqûilé divine, de b 
fraternité, que te Dieu des nations: a parlé par la 
Rraiicè. *. . '. •^:7 . ■ ' ' ' '^.• 
Lla pafrie'd^^bord comme dogme et' principe. 
Puis, la patrie^eônmie légeoade 1 nos^ d^ix rédem- 
ptions, fwt la sainte Pucelle dHMlStiis, par la Ré- 
volution, l'élan de 92v ^ miracle du jeune drapeau, 
nos jeunes généraux adiAîrés, pleures dèl'i^tvïeini, 
lapureté de lia^ceàù, la magnatHmité de Hobbe^ la 
gloire d'Ârcole et d'Âusterlitz, César et le second 
César, en qui nos plus grands roiis repaitissaient 
plusgranijlst • PIu3 haute epcore lagloire de nos a&* 
sembléessouteraines, le génie pacifique et vraiment 
humain de J$9, quand la France offtût à tous de si 
bon cœur la liberté, la paix... Enfin, pardessus 



ELt« SWLB DOIT iHimft iO) lONDB. S09 

ééffOÊiietaÊBt, de sâonfiôe» que^ hqb^ pèm ont 
montrée» et cmmiie tant de Ibîsia Finnee a donné 
sa vie pour le monde. ^ \ 

Enfant» que ce soit là ton prunier évangile» le 
«jotiéi 4r:tfr vie» Falîipenrdevtan coeur. Tu te le 
rappellerai' dm» les trevan ingrats» péttîbfes» où la 
néeessttéjva te jetsr^ bientôt. H sei» pow toi un 
epidilal puîsstt qilî par moptents, viendiia te râv(^ 
ver. Il duamerà ton souvenir dans les longues 
jomiMsda ta|>obr» dans le nàortd ennui de la nuH 
nu&eture; ta le retTOUvçrw au désert d' Afrique, 
pour remède a» mal du ]^ys»tà i'abutlenieiit^âes 
marebeS' eib des; v^lie»» sentindle perdue^ à deux 
-pMdesBaièjtfes:- . /-;/...(;-. 

L'enfant saura le monde» mais d'abord qti-il se 

-saieheifaii^méûaie» en ee<|[U^ i^dti meillèw» je Veux 

dire en la France. Le reste» il rapp^Mdl^')par^elle. 

A j^Ue» àt rimiter» de \tà dit« ^ tttidîtioii. EBë lui 

-diit:lbi!trdfsi^vèlâiib6s qu'elle' flf réelles» boran 

-iMhfr^Reine>llii«ipprit le juste» étlâ €rrèeê fe'beao» 

ietJaittdéele'sàlm; E)lei«llerâfsm etfMign^Vieilt 

«upséme à la preftti^e' leçon que lui donpa la 

nièfé; oelle^i lui ^pplitl>i^yètrlâgiiandfeiiière 

lut apprends (e dogme de^î'^mour; Dieu 'en 

;rAoi»i»e> Mctiristianidihe;^^ et' comm^ilfs Ka- 



ida iBgjra|i-âge, fut\ë(nit'iiaM4eSiibiSkpmèBRéf6^ 

pût se manifester. . J •! ^ »! i:.< j > / i. 

#aÎ6 odmment Viédudaiiûiiigiio'ér^lây silsfitaiiièkfMr 

: doibrcfwâiidm séba teidnà^ei» pour le/ j«iuie>abl«- 

4tt:t Gleillân0l€pi9larpatrÎ6:4oi(k|kiî|Mym 

.qu'il doiatile. ftèntté >diii8 son kfêt^iMedok^ïe 

,«fapiit)lri iQftèteottiMifMMrîdraod cinriJe^irMdmie 

j^U^\è(m\li]f^,\hî^^ les 

spectacles, les fêtes de tout gc^AJ^^.iniitaut mii- 

, , ,ÇQ^lwMrwNaâW.4iv^]^^ Jiiitel 

K : Ûuigl^.j3$t.jfi {ir«0}ièlotp*ti<i>d€i.hi^lii^u«.? 

l^iéducatjm^ llfag^nde ;*{ l4'éduoatk»4 lEtlbtedi- 

^mmt lié^cf^im/.ryrifaî trc^DiyyiUtdattsiUUa- 

iliW^>t!piHH'] >cffaire,aux,kib; quîusul <^Uâi île ;Miit 

;;pa^pr4par40S9i(|^af)d d,e lci]»gfl^â^tl^SthoMiiafiae 

,M0t^OÎi»|^«ll^W « vaî|n<«V;àiy(ii)|oÎAiaiM. ;Moîiis 

4e Imsvje v0Wipi^e!,|inaî^,par r41i|^tim.%tifidz 

le pdiM^e dqsi lois ; ,ii»ad€l:(-lâ» appUeaUea bt 



'. ji:« 



NOS ENFANTS IfiaWI mBNtBCHlTrtiâ J^QB DU SACRIFIGEi.ttI 

. iM^^litîfQiuetdcMs |iBQ«tet .Ifôfdréi Jat^îai, lia 
Miiiiillé» piiÂititpifit »Mai»'fml^qw)ii(Ms(6e8'hieBâ? 
.f>oiir;ipiik*^;pp«rjiM«if iiffjiiliwir>dàti&uft jdditf^ 

nous associer?... Q^'^fi^p^^ismi 3i.<^?6ttli>sim 
jMlt^iOiMnt^iiliM^'îi^f <«tl^ f^ cet 

e!6fili4'tayi^ tejtibf»'iB;p«^ftvid^!f«oriter. Të- 
li$ilMilIle*l;4#^4o^4\4^^;1^^ ne doit 

$t*0^u'ii|tt inHi^tift])^.!{)e;U;fa$lfs^9HMià>^ij 
une éducation qui embrasse notre vie de c<3 Mlind®, 

-iiui.':éduoiti0éM iie%fiiiojt .fififU/dMi^irisi .eeiffl^éét 
pas seulement la culture du fiU pér>ie/pèni9 >^is 

raiitaot, (9t.piii^|^QipliM^iai8iii)dni:pèv^ par le 
fil«4>$î ftowipQiinPW nous ti^^iv^iieinQire\àéêsk\- 
lance morale, c'est par nos ottfitQtk èt'pèurieiTX 
qmmm\i^(m9^ietS»^iii^ ^s.tiHfiyaisiHàëitous 

/ Yèuliqpf)iif«il . fi^i^ilKHii GcAlii cgai^M^ 

• 6a«ifti6À^'biNP9»i|4». .à; h. ipatrib^. «a- fait édcole 

t Bans iih ' plai de cènsuintion que nous devons à 'l'un des plus 
tHh» ^dl^ lias «lèflM rs: donàate ^i «ié*t 4jLikéJ I Tdè^i 4V^t 
l'élut il f5)p(hJ,l4;c9J^lI|llf^^j«^^YJl^{|la wmmvfi il.(yp4f|)'h<]^i|ipe^|^r 
l'éducation. Cela est admirable. Seulement, qu'il soit bien entendu qae 
' TéduetitiWMotiA^ dâinMà boÀimàne,'ddH'éoiatief je VÉàli) dllà>ii<» 
trie. Cen*eftp«8làime «CEairQ commanale. ,) «i (;! 



à laflinUe. S'il n'a pM(do41a!fobMle:86M moral 
et}é9^vâ, liai pij&é^ide Mt enfluit'qttiifiiBipie de 
lttî»iiieBi6iiibl6r«.v€MVMS'1oiii >^ttift jcétts^'Ane, 
toiitest îgâté et wiéyi6t |p«wtflMi<[à la Rentière 
proliraéew, tous Ivoiifi^ez^fiMqpwtfNiîil^ un 
fondisolide, ramour pâtëPiMâ: • • •• - ^ ^^ ' ^ 

fih bien 1 aii nomid»> nwiilhote ^ iMtlàÛBMns 

pas, je TOUS prie» pét# oMrfepaMe» Vonles^^vous 

leur léguêpîIe^naiift«g^,:eâiportei^ lrar«fiaiédic- 

lion.. 4 edte^^e tout raveiiiii^)<'èelie d<i^< «MMle, 

.peidu>^é«;«f»e j^rmlH^ IftFntnttditC' 

Vous ne sauverec VMiëti&ilsv etiaMeieHpL la 
France, ]ei)Q(s«de,^^fqe^pattt^e>»eiife Ûum : Fon- 

'desen^éqx-ia'ifiiîfiiî ':i) /h.:.;.;..! 

La Ibi ;au! (Mi«UMM4tv M "âa^ -^ à la 
grande â8soclatien'4>ti toutf se^<ilcÉ^dttfrà «ôw, je 

Yeux dire la Patiie.' ^^ «^ '--: î-.'/*- /'••'' * • 

C'êstlà; )e le sii^ bîéni'ùlte^eoseigheftfieM 

fieilè, pto(8^K{tie lès pSaMlëitt^y suiliMtip^^ i)y 

fiuit'kb 'èxmipleë.' M foroè; iataittfe* irii a ÉI I< du 

sacrjfice, . si commune chez nos père?^ senjble 

j.piordue .diez/nous. . C'^st la^ mraie <Miifie<ide nps 

> tnaux; denos hàines/dë là dlsfeùlrdfe int^ qui 

Tr^p^ /ce *pay^ *^^ i|ui:en fiiit la 

risée du monde, ' ' - •" '• * » ' ' 



mJ SACRIFICE CT W SALOT. 813 

SI je prends à part les meilleurs, les plus ho- 
nonMesV^i i^ 1^ presse un peu, je vois que 
chacun d'eut, désintéressé en apparence, a au 
fond quelque petite chose en réserve qu'il ne vou- 
drai pour rien sacrifier. Demandez-lui le reste... 
Tel dômieratt sa vie à la France ; il ne donnerait 
pas tel amusement, teDe habitude, tel vice... 

Il y a encore des hommes purs du côté de l'ar- 
gent, qo^ qu'on dise; mais d'orgueil? le sont-ils? 
ôieront-ils leurs gants, pour tendre la main au 
pauvre homme qui grimpe dans le rude sentier de 
la fatditél... Et pourtant, je vous le dis, mon- 
mm, votre mam blanche et firoide, si elle ne 
-toocbe Fautre, htte, chaude et vivante, eHe ne 
fera pas des œuvres de vie. 

Nos hafritttdes; plus chëres encore que nos 
jouissances, il faudra pourtant bien les sacrifier, 
dansqbrique temps. Voici venir le temps des 
conlbite..:'' ■ ''• 

Et le cœur a ses habitudes, ses chers liens, qui 
sont maintenant si bien mêlés en lui, à ses vivantes 
fibres, qu'ils sont d'autres fibres vivantes... Cela 
est dur à arracher. . . Je l'ai senti parfois en écri- 
vant ce livre, où j'ai blessé plus d'un qui m'était 
dier# 

I^ moyen âge d'abord, où j'ai passé ma vie. 



'fH* .m?^mw.fiiw>^w- 




des amitiés, derniers QJ^t^fi^^iWii.iMtD^'Mf t:iM^ 
le beau nom que trouva l'ancienne Fran9g,.^ifi|^ 

- rf'»\ II.'» ' . Im..i; •!.»»' if î '*l ...lui »i»ri.; . it,li l •> 
]i l*/ii» ..•,. îHi h >iî!.| »'".'»I<I i'> I îio /#î'ii •» » ht... 



; ' i >,ll'...l r'. ; ' ) 'I 

■<■■ ...... -TABLE"- •• -■ ••■■ n 

7f n.:'/i'î ': ' . ,1 nO 

AW. Edgar Quinêt .-" * ; i» ;■«.' irU"l> :>■;.* .'t ''iv-^ 

Cfe Kvre sortde i^eupérienge de raut«ur,.plus que des U viiÉ6« ' : " vi*''^ 

Léf statistic[uefisont4nsuflisantes.- ••• *. •' • «i'v^^'l • •• n'I 

Nèl peiBiras de mœurs sont* peu Adèlas. j i ';<'." i^ .-•' * iii 
La France est mirux connue que TEurope, et jugée plus 

sévèrement. .... . ^ 4;MHyH.> ^" 

Ce peuple a^est pas celui qu*oa a peint. ...... xiv 

LAviedupcù)[Jlea'^Ae'pbésiésàimë, .'^: . ;' .''.*'.''."- xv 

Combien il a la vertu du sacrifice, et du sacrifice per- 

• ^ ^ . / 'ir.y ù\ -.'..h " J"A ',. ... î 

sévérant. . xvii 

Exemple tiré de ma farpUle. ........... xix 

Mon enseignement. xxxiii 

Avantages au peuple^ des barbares ...... ^ . xxxvi 

Mes livres : nouveau nom de rliistoire. /, .. . . . . . xxxvii 

La situation m'a obligé dé parler. ,* .' . .' .'. ', .' . xxxix 

M'; ,•'!( ,'ifr i"»'! ^l' . ''*„* -ï'p-'ii , ;' ^' i 

, ; . [ [ [ çRÇMiÈP: piRTMi. • . .. ■ , !!. / .' i 

^ * D13 SERVAGE ET Hè' iX UÂIirE. ^ ' * " * 

M ■» '^ . ^J . . / 



CHAPITRE L 

ServiiMes dtipài/sdn/" 

MfiViage de l'homme et^e la terre. . . r ' /i* j ' » - . ^ ' • f 1 
Ac<iuisition de la tepre,>imHHtH 1IÉti6MJb»h .' «. i ;• =4'1 
Mtêtée plusieurs fois, et encore aujeurd^titflr 1 .'.;♦;;'''•■* • 
Lbf^paysan.a l^la'tb»»;' t>. • ' J^ *» 4» :;>i'*u 4I ^I» a * ** 



SI6 TABLK. 

Il en 6at amoureux « io 

11 empninte pour continuer racquisitkm de latent. • 99 

11 succombe; son irritation 14 

L*homme des villes s*éloigne. !• 

On calomnie le paysan. • • • 17 

NcMesse et misère du.payqan ftaoçais.. ••.... is 

8a supériorité ••••. 4 •••..•. • 90 

Ptt«t-il rester propriétaire? • • « * M 

Il porte envie à Touvrier. .••;••••••«:«. 14 

GHAFITRE H. 

Sertitudeê de Voynrier. d^pen^iainl de$ mockwes. 

Le paysan émlgie dans la riUe, ••••••.. 17 

D se fait ouvrier^ • . . ... .,'..'• ^ \ . • so 

Noie. Du machinisme. — S^étendia-t-il ? • • • • ^ • • SS 

Influence démocratique de la nianufiicturé. . . . • . 8 S 

Avilissement de riiomme qui déjiendi des machines. . . 36 

Condition meillejure de Touvrier solitaire. . ...... 98 

Immoralité» presque fatale, de Touvrier-machine. . . 40 

La femme 44 

L*enfont comparé à celui des campagnes 45 

Sociabilité et bonté de nos owrriecs.. • « ^ ^ .. • . 47 

Noies. Des salaires. • . • • 47 et 41 

CHAPITRE UI. 

Serti^iu^ê deVoitcrief*. 

Dtireté de Tappreniissage. • .• 4 . .; 49 

Eaistenee inquiète d» ronvtkv moderne., « . « • . . 62 

Son ménage ;. sa femme. ..».••.:.•... 44 

Ambition de la mère ; le fils devient ailisto T* lettiét . . 46 



TABLE. 317 

$Q[uftrances de Touvrier lettré . « . • i • • . ^ ,58 

Cultiiie qii*il le donne • . • * , * * ^* 

Poésies des ouvriers .•••«••••••• ^^ 

EiBoruniyersei vers la lumière. •••••••.• tfS 

ÇfflAPITRElv/ 
ServUmâes du foArieani. 

Nos bbricanis sont les ouvriers de ISIS, ou leurs ils. . 65 

Leurs embsTfvaaçluels • «.,«,,«......• €9 

(«^dureté; velléités d'humanité «.••••« 71 

Us ne connaissent pas bien Touvrier. * • • 74 

L*indu8tiie française étouffe, 7$ 

Wp lutte car Tari, ••«•.••..•«•••««• 7C 



GHAMTHE V. 

, Semtudes du vMrchanâ, 

l^roarclfBiidryranidu fabricant; ;;:••;;•..: 7a 

Le maxchand est condamné au mensonge. .«••••• 89 

Falsiflcations 81 

Goncuffeofoe destructive. » « 83 

Le marchand comparé à Touvrier; il est obligé de plaire. 84 

^.Ikmille souvent cooipromise. ••»••,»•»•• H 



GHAPrrRE VL 
Sef mlufies du fbnctimnaire. 



Mobilité de sa conditinn-aotuelle.. •••««•«* 88 

Faibles traitemenU. •.•..>.. ^ •..«••. . V » f« 

Le Ibnetiomiaire est^H corrompu? « •«••••••• tS 

Misère de quelques fonctionnairee. .••••»••« 81 

It. 



j^rofonâe misère* dii maître d'école*, i .^M"; .' .'V .'\* ''^'dl 
NulIilé'voTonlâiré dé remploya. *. .* .*. -i'^*"! "^ ."? l*"'*'»? 
L'homme corronîpu'par la'femillô, j / . '. . 'î'.*^.' ." ?'*' 9? 
Soutenu par l'honneur ftiilîtaifc. ; :V''l'; i *'.*;" :'V"'V '^ él 

Vœux pour Tarmée 99 

.71 i.-' ' '\ 

X S^(ude« du riç/w e( du bouvaeois. 

tfanciénnè bbur^dlsirf; fti ûouvelte déjà Vléîfte''ri'*'^irt&' "^ ' 
l'été fajéuftierpar riifdastfie: .•'.'; V". '/ .' .' .' •: . '1^ -994 

ftéciin-rôpiae; : ; : : : ;'.=".". '; . '.' - 'W*. :■ '.'^lo«J 
fnertie-. :::::;:; ; ; / /.•; : •: .; •. vv""!^* 

^rayeifr de *la*b<tui^bl^e': terrorisme; comnrâHiimé.' ï^'-j' l'^é 
Isolement du bourgeois, de Tenrichi qui s'est oublié. • . 109 

Dans risolement s'est fkit'ie Vlife. '." 111 

Alliances de la bourgjBoisie ; l'allié solide, c'est le peuple. . 113 

Fatigue, épuisement; le peuple renouvellera la vie et la 

r -science .,..•.... •.t-»,, v •:•»',-•:. ^ îf„V»ÎjM?H 

r ....... CHAPITRE VIII. ^ .,.,......• f 

Rtme de la première' partie, 'Introduction à fit ircebrtdk?.'"*'^ 

Comment chaque tltese aimeia-fi^Hfeé; '•* ♦/'i'V'^ «^^ '. 'iti 

Misères des classes supérieures ISO 

L'homme devenu trè8-8eh&ibiéWi''i^ lîl 

Froissé par le machift\9ïfîp. ».. , ^.. . .•. ^ > IM 

Machinisme administratif, industriel, philosophique, litté- 

'^ raire « • « # • .• .« . «'I«»"k«4tt «f.'ii' *»>4* •>)» -h dl4 

ttiines dUgnorancQ. ^ .. .. « ^ ^^ ^ / .. .. .«'f».,!**!*- « •>• m 
U mal est, surtout 4^n^ \e (iiTorpedi^^QPQW^9,d)mitfic^ • J 

^^•et des.hpawnps,de,réflçxionk. .^:.^. >• ^ .•. ^...^.••» •• v. •.. 4itf 
• ^ t 



TABÏÏ.' Mi 



* , » 


■•-'•;'•• ••♦ t ;••.'.'■» 




f .' i; ■» .•-... ;. .' . '.. . '\\u ■ : ' . •. V . ; 


^f.l 


SECONDÉ HRtfE: ' ' ' '^'''* 




*.uî :i.ri:'w 




pji^.jL>fFp>iîfÇ9^ssç^jpNT ^R .t^»»»iVR, i 




,. ^T. lî •* .••.^1. ■>-- 

La Nature. 


ti \ 




X \ 


, . . . • ■' x' -f .•■, . . . •• i-A . {• '".'*"» 


<V.Î 


•"•■n-îr. ]....-.»WAP^T?^r,4î' v.m - î .; «i» ■.r,..t -.:.-. 



Vin&ii'nci du Sf^pk» P^w ^|j«itV^ jusqu'ici. 

On ifa gudij^ni*^ 9^*<i<I^P^l*'^^I^<»^^* *^*'^- ^"^^ • ^^^ 
Une classe peu naturelle, dépravée; ce n'est point là le 
.-^feuple^. ........ . .^ ..,., •. .,«^ ..,,.. .,.^_ I'.tii;^?fî 

11. |iut, le prendre .d^î^f,.8^7iî^e*^^^i^.pj:pj^^^ • ,-. '^^,H 
. '-» J 

..... , CHAPITRE. Hj » - .. 

L'mstinct du peuple f cMréi imât pmsêaw^. 



•A» 



Notre recherche n'est point extérieure 142 

Nous étudions le peuple. d2fo»*s6h''^^ésléht. . , 144 

— dans son passé 145 

— dans sefeitepptes^à'^ite'îe^'iuti'ès'peuplesV . ! ". .• ;". 146 

Le nôtre est-il poétique? 147 

IFIb défie trop de4Hi<in4me «• *< .- s ; *: 4 « •• •« >-« '.km '(d4l 
11: ^rde{K)urtant son. heureux iostinoti- >!,. ». ^..^Vii;; 160 



^m TABLE. 

Bon sens et finesse de nos vieux paysans 152 

Sagesse et grande espérienee des vieilles femmes du 
peuple. ••••«••••,•••.• 153 

GBAPITU m. "" 

Le peupie gagne^-il beaucoup à eaaifèr son iiMmci? 
'^Claêses bùtardes* 

Des nouveaux bourgeois. • 155 

Vulgarité des enrichis. . • • » • . 157 

Effort des Anglais pour y échapper. • • . % 158 

Supériorité des homme» qui ont voulu rester eux-mêmes. 159 

GHAPITRB IV» 

Simplicité d^esprit; de cœur; •* •'•;;;;•- j •• • 162 

Lés sages peuvent apprendre près des ettftmta. • ; • • • #64 

L^enûuit explique le peuple, Tantiquité. ••••••»• 165 

Logique prfoooe des enfaolB ••••• 166 

Caractère divin des petits enflmts, des mourants* • • • . 167 

L*enftint le perd en giaadissiiit* •#•••« 170 

Il le reprendra à la mort. •••••••« 171 

. . . GBAPITW V* : 

Suile. -7 î'tnslîiicl naiureldeVenfanl^SêtrUperwrê? 

L*enl)uit.damuéà sa naissance par le moyen At®.> « . • • 175 
Fécondité, mortalité, damnation v <. • . > • 175 



Enseignement BubUl, éducation cruelle, t •.••••• 176 

L*ainour et rhamanité réclament 177 

Palliatif des UuAes • / 179 

Victoire de Hnimanité •..•••••• Itfi , 

GHAnTRE VI. 

Digreuim* /fMl«NC( en amwatix. Bkhfimêkm pom eux. 

" ï . . . . 

L^aitoal en rapport âtree Tenfont. .•••.••••• ttl 

L'Orient a ffeecmnn la nature, comme soBur; Kcondilé • • 183 

La Cité grecque et romaine. Ta méconnue; stérilité • • • 18B 

Le Christ n*a pas sauvé Tanimal, •••••••• • • 187 

LediaMeTnduislesanimaîix. . • ; • 188 

Ils sont réhalnlités par ren&nt . • . • • 189 

L'Église reftise de les recevoir ••••••• 198 

L'homme les lui amène à Noël, et les îà\t rentrer dans 

l'Église 19! 

La science vient de leur rendre leur place 198 

Que l'homme repirenne l*édùcation de l'animal • • • • . 194 

CRAPmiE VU. 

L'iftstincl de» amples, L'insUnd du génie» ~ L'homme de génie 
eêtpar excellence le stvipif, l'enfant et le peuple. 

Les simples n'aiment pas décomposer • • . • 195 

Us recomposent liM^ilement » • • «. • • « . 197 

Us sympathisent à la vie • 198 

Le génie réunit les dons de simplioité et d'analyse. ... 199 

Le génie est par excellence le simple, l'enfont 901. 

U esi peuple plus que le peuple ses 



3^' TAéilS; 



^^ 



CHAPITRE VIII.. , 

L'himiife fle'géhië eM'fétoûd,* pàrde qu^Uréuriit "lès puis- 
sances opposées .. 204 

En lui la critique ne tue pdîAt^lak^lilrlIîbn 207 

L'enfantement du génie, 209 

Type dte l^miiliftteiiwnt - racial , 11» eomt)àti>«i^ii\saeri^^ 

intérieur 210 

L'Iwinie de^énie s'améliore j)af,^j>g.qEîmff^.t,i>,|^, , .^, ^îff*P • 
Il.ii^te uu,d«^ |^mp^s,^.lesx4babUitA «i - «j «..,»,..• ,m .^^JI* ■ 

• • • • • " ' * 'cMpitttÉ'ïx;" "' '" ••'*""''* '^'^ * ' 

/ ^ |Rcw/€ de la secçn^ partie. Intr^ç^^f^m AfOnteiW^* • . - ! 

LJjjjstinct de Tonfant n'est pas pervei-s. ,^. ,- ; . . , •.,♦;,• ^IJ5 , 
Ni rinsO/?,« di^.Bf^Plc»! cnfiij^y.-.^'. „• „'; .,5, '.j '.. '..','.*.^_. au ' 

L'AXcique aidera la France à se comprendre 21S 

Nous devons aux instincts muets, une voix, uneiprotection. 219 . 
Ll^^^^rée dans la Ci^é du,d;pi^t,,..^^..^,., ,.^ .. ,,,,, ^^^^.^ .^ ^UvliVi^^}.^ 

R*^,.JH.^fÇ4^9?.!l*.?\Ff*f''î*T BAR .L'AMoyn. ^^, 

<*"^ • . • I'»-; '«, t» j*«Ii f;j..| î îj'.-jijSîl •- »*»|i -M J 

''' CHAPITRE- 1*:"'*'" •'•'•' •"'""• " • 

>'«f ..••.• •.- j:'; m- 

I^^ grande omilt^* OÙ Patrie. I . . . . I . * 1' .' 1 '. •* . ^23 
L'homme naît anii de l'IfoiftiTfc.-.^' J'?*. '"l **!'^ . "l'i"' » .' » ^î-j 



;,j^négajité n^ fait, point gbatacle à l'usflftô ». -v • «-••'•« '. ^«ate 

. L^amoui foit le premier (lu.djinikr » • » ••■'•. .;•.*. « «..227 

Lad4ijaf>^^atiexP9au9e.4mQMre(ii»^ ^.« ./• • .*> .o 91% 

Las premières amitiés ....« • •• . .)229 

Combien précieuses, entre riche et pauvre ! 230 

Ils sont nécessaires l'un à i'uitre..^.^ 231 

Concurrences, envies. *. • . • . • 233 

Magn3ni|Q^«4eA.|;éiiâl»«K>4i9U»Mv^utioin>, . ;'^ .^ . 234 



■.. . . . ^— '- -' 

I'- ■ ' •' Dh\ifho^' et du mariage, ' '' '' 

'r^ mariage devint itn^ssible daiià l'empire romain ', .\ 236 

* hiconvânient d'épodsel' Une fémmé inférieur^. . , 1 • » 238 

'Incoirvénieut d*épouser une femme riche. .•,.... 239 

Bonheur du ménage pauvre .*••... 240 

Ce qu'on perd en délaisâiinl^^liHë^tAivre 241 

Utilité du mélange des races et- fies conditions 242 



« ¥ «ffiinnii'iH/ 






' Aisodafiohs 'de's pèclieurâ normands ..'•....•. 245 
Associations firomagères du Jura. Note sur Fourier. . . . 246 

Plus d'associations en France *.* .'.''. 247 

AssociatlQnsagriçoJesqui.a^dis^çlvent... A • ; 248 

La France est-elle moins sociable? , . ,. ^ * . • . • . 250 

La prétention à i'égalité a tué le patronage 253 

j^ Français a beaycQup 4'iQdiriduali(éw « J.i, • ./^. 26% 
Il oe se contemo.ya^d'une MNâété négatire» coopérante . . Kft 



IM mu. 

|llui.tolJiiiftsooiité4rteei ^ « t Mû 

Mulk société d'ânes sAiis te êêoMo» ••;•••••• »A7 

J9oêê, Goi|NM«iMMt> -^ Oi«iAi«tioii du trattH. •-' Odoi» 

. ...... .•....;.•.. M« 



CeAMTEliïV. 

. la faêriê. U» mal l i e êÊ t NMf ^tmê •i fg t Ha p m^ l r ^ ? 

U natkMirtHé y% se fortiflani • • • • Ma 

Une Aaoe de peuple a iKBSoia d'un. OMcpsyd*!!! Ueu . • • . Sil 

La Patrie lui est un moyen de réaliser sa nature Ml 

Nulle âme, nulle âoMi de peuple ne périra . % • • « • • Stt 

Nulle liation ne périra. . . • • . • ^, • . • • • • « m 

Ôu'adviéndrait-il du monde, si la France périssaitt . , . . W 



Za 'IVône^, 



Danger du eosmopolitisiiiiidaiifKd'lBiiier. • • ^ • • • lO 

Danger pour la France d*imiter r Angietecrs 171 

L^Anglelerreestridie. «.»«,, è 171 

La France est pauTre, pourquoi? . • • 174 

Parce qu*elle a eu le génie du sacrifice. ••••••«• 176 

•• ' ... . . . '-î' • • •• ' ' •• '""î '■*' '■■'' 

CHAPITRE YL .,; ,. 



" Lm Finance ^ufériemtywtimiÉ\êo^f eî tmiM Vgende, 
^^ ^^La-France ett ttnc religiùti, 

Xa pi^vté de Ja France, • •-/« v i> ••••;•• • 17S 
.-Son principe. p|ii8 humain,, sa tfadiiioii' plus suivie* • » • iso 



TABLfi. 3f^ 

La France est la fraternité vivante. • • 981 

Elle peut s'enseigner comme dogme et comme légende. . 28t 

Et fonder par renseignement la religion de la patrie. • . 284 

CHAPITRE VII. 

La foi de la RévoliUkm, Elle li'a pàsgftrdé la foi jusqu'au boni, 
' ' et n*a pas transmis son esprit par l'éducaUon. 

Écoles normales, primaires, centrales. 1794 285 

École normale. 288 

École polytechnique. 289 

L'École normale n'enseigne ni la France, ni la Révolution. 290 

La Révolution non préparée dans l'éducation 292 

Scolastique et rhétorique du terrorisme 293 

La Ck)nvention perd la foi ^94 

Elle ne transmet pas le génie de la Révolution. . ... 295 
Notes. La France a été sauvée malgré la Terreur, non par 

elle. . 287 et 293 

CHAPITRE VIIÏ. 

Nulle édvcatimv sans la foi, 

La foi dans la patrie. 298 

Gomment on peut recouvrer la foi? . , . 298 

La jeunesse nous rendra la foi. .......... . 299 

CHAPITRE IX. 

Dieu en la patrie, La jeune patrie de Vavenir* 
— Le sacrifice* 

La mère révèle Dieu« 301 

Xe père révèle la patrie. • . . . . 808 

19 



3â6 TABLE. 

L*école comme patrie enfant 304 

Une première école, commune à tous, où ils sentiraient la 

patrie comme providence 305 

La patrie enseignée comme dogme et légende 308 

Elle seule doit initier au monde 309 

La politique identique à réducation 310 

Nos enfants nous rendront la fo^ce du sacrifice. . . • . 31*1 

Du sacrifice et du salut 312 



FIN, 






13 1958 



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