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LE PROCÈS
DE LA
NEUTRALITÉ BELGE
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in 2011 with funding from
University of Toronto
http://www.archive.org/details/leprocsdelaneOOwaxw
Emile Waxweiler
Directeur de l'Institut de Sociologie Solvay à l'Université de Bruxelles
Membre de l'Académie Royale de Belgique
Le Procès
de la
Neutralité Belge
Réplique aux accusations
LIBRAIRIE PAYOT & C'«
PARIS
106, Bd. Saint-Germain
LRUSflNNE
1, Rue de Bourg, 1
1916
en"
AVANT- PROPOS
Un des faits les plus inattendus parmi ceux qui
marquèrent le début de la guerre européenne, demeu-
rera assurément la campagne de presse et de pamphlets
organisée en Allemagne contre la Belgique, dès que
la résistance belge fut connue.
Campagne de silence. On laisse ignorer au public
ce qui pourrait représenter l'attitude de la Belgique
sous son véritable jour. On retarde jusqu'au 8 août
la communication à la presse de la Note allemande du
2 août réclamant le passage à travers le territoire. On
ne fait pas connaître, même dans les deux Livres blancs
officiels, la réponse du Gouvernement belge. Bien que
cette réponse ait été transmise la nuit même du 2 au
3 août, tantôt on nie simplement la vérité et Von im-
prime à la suite de la Note allemande : « Cette Note
est restée sans réponse (auf dièse Note erfolgte keine
Antwort » Urkunden, Depeschen und Berichte der
Frankfurter Zeitung, p. d>y), — tantôt on invente
de toutes pièces une contre-vérité et l'on déclare : « A
cette Note, la Belgique répondit par la déclaration
de guerre (Belgien antwortete darauf mit der Kriegs-
erklàrung». Die Wahrheit iiber den Krieg, brochure
publiée par un groupe de personnalités, p. lo).
Campagne de diffamation. La population belge est
« assoiffée de sang » (Message officiel au Président
I.E PROCES Dh LA NEUTRAUTt BHLGt
des Etais- Unis) ; les civils allemands restés en Bel-
gique sont massacrés ; les soldats allemands sont har-
celés par une abominable guerre populaire de francs-
tireurs ; les blessés sont martyrisés. Le Gouvernement
belge est coupable de tous ces excès ; il a conduit le
pays à la guerre par sa politique aventureuse et traî-
tresse ; il avait dès longtemps partie liée avec V Angle-
terre et la France et il a livré la Belgique à ces puis-
sances pour les aider à réaliser leurs projets belliqueux
contre V Allemagne.
La Belgique, d'abord étonnée, s est défendue : le
Gouvernement, les autorités, le clergé, des publicistes
ont patiemment relevé les imputations et en ont montré
le manque absolu de fondement.
On aurait pu croire que la campagne prendrait fin
et quelle avait été peut-être seulement un effet de la
-fièvre d' exaltation des premiers temps de guerre.
Point du tout.
L'hostilité ne s'est pas apaisée : des personnalités
universitaires ont apporté le concours de leur noto-
riété ; des enquêtes administratives ont été instituées ;
des publications officielles et des brochures d'allure
officieuse ont été propagées dans les pays neutres.
Devant cette persistance des attaques, on en vient à
se demander s'il faut abandonner le terrain à l'Ac-
cusation.
Pour beaucoup de personnes, la Belgique n'a plus
besoin d'être défendue : elles ont fixé leur convic-
tion. Mais, pour d'autres dont les scrupules sont
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
plus résistants ou dont le jugement a été surpris,
le silence pourrait sembler un acquiescement.
Puis, la Belgique doit, à l'issue de cette mêlée, appa-
raître telle que rien ne puisse entamer son renom dans
Vhistoire : elle doit pouvoir, toute droite, poursuivre
sa destinée.
Les principaux griefs qui ont été récemment for-
mulés contre la Belgique seront donc discutés dans les
pages qui vont suivre. Ils peuvent se ramener, je pense,
à trois chefs dominants d' accusation :
I. — « Kn bonne politique, la résistance de la Bel-
gique est incompréhensible. »
II. — « Si la Belgique a résisté, c'est qu'elle était
engagée. »
III. — « lya Belgique n'avait pas à résister, car
son territoire n'était pas inviolable. »
C'est sous ce triple aspect que je vais considérer le
réquisitoire de V Accusation, en m' autorisant de docu-
ments et de sources authentiques, dont plusieurs
n'ont pas encore été livrés à la publicité.
J'avais déjà, dans un écrit antérieur (lya Belgique
neutre et loyale), entrepris de défendre mon pays
contre les assauts de la médisance. Un an a passé :
sur aucun point, si minime soit-il, la contradiction
na pu entamer l'exposé des faits. Ce que j'aurai encore
à dire s'ajoute donc à ce que j'ai déjà dit, sans l'amen-
der ni l'atténuer d' aucune façon.
Mars içi6.
« En bonne politique, la résistance
de la Belgique est incompréhensible. »
lyorsqu' après avoir lu avec attention les diverses
publications dirigées contre la politique extérieure
de la Belgique, on se prend à réfléchir sur les raisons
de l'insistance qu'elles apportent dans leurs accu-
sations, on aperçoit qu'à la base de toutes ces criti-
ques se trouve un état d'esprit, qu'il n'est pas rare
d'ailleurs de rencontrer dans beaucoup de milieux
neutres, je veux dire un étonnement profond, une
curiosité déconcertée s'exprimant ainsi : « Comment
est-il possible que la Belgique, sollicitée par l'Alle-
magne de laisser simplement traverser son terri-
toire, ne se soit pas arrangée de façon à acquiescer ?
En résistant, la Belgique a pris une attitude qui,
en bonne politique, ne peut vraiment pas se jus-
tifier. »
Bn bonne politique, explique-t-on, un Etat dont
la maturité est achevée, ne croit plus aux chimères.
La Belgique aura-t-elle l'ingénuité de soutenir qu'elle
I" IK PROCf-S DR I.A NHUTRAUTE BHLGE
j^iirdait une foi robuste dans les enj^agenients inter-
nationaux sanctionnés par des traités? Mais — objec-
tera, par exem])le, la brochure d'allure officieuse La
Neutralité helgc, imprimée à Berlin (vStilke) et répan-
due à profusion en toutes langues dans les pays
neutres, — la Belgique aurait dû être la première à
savoir que le traité même (jui l'a créée et qu'elle
se plaît tant à invoquer, le traité de neutralisation
de 1839, avait été disqualifié par un des représentants
les plus notoires de la puissance qui avait préci-
sément Jntérêt à le défendre : en 1870, à l'occa-
sion des accords conclus entre l'Angleterre, d'une
part, et la France et l'Allemagne, d'autre part,
touchant le respect du territoire belge, Gladstone
n'avait-il pas dit sans ambages à la Chambre des
Communes, en plaçant ses paroles sous l'autorité
de lord Aberdeen et de lord Palmerston : « Avant
de lier sa politique à un engagement de garantie
donné à un tiers, un pays doit avoir égard à la si-
tuation particulière dans laquelle il se trouve au
moment où la garantie est appelée à jouer. » Une
telle déclaration était bien faite pour rappeler à la
Belgique, que les traités ne valent que dans la
mesure où les nécessités politiques, variables avec
les époques et les circonstances, peuvent s'en
accommoder.
Ou bien la Belgique s'imaginait -elle candide-
ment qu'un Etat doit ambitionner l'héroïsme du
geste et sacrifier à l'attitude théâtrale le souci
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE I I
réfléchi de ses intérêts ? Mais, — lira-t-on dans la
presse allemande et même dans la presse neutre, —
tm Etat est avant tout un enchaînement continu
de nécessités collectives ; il est comptable devant
les générations à venir du discernement qu'il met,
dans les conjonctures graves, à distinguer les données
essentielles, dominantes, de celles qui sont éphé-
mères et épisodiques. Ktait-ce à de la dialectique
de chancellerie que l'on devait se livrer en Belgi-
que, lorsqu'on se trouvait jeté avec fracas en plein
prologue d'un drame où allait se jouer la destinée
de l'Europe ? I^a clairvoyance n'aurait-elle pas dû
conduire, sinon à prendre parti pour le voisin dont
la puissance était, à tout prendre, assurée contre
tout affaiblissement durable, du moins à s'arranger
de façon à sauver les apparences et à épargner au
pays les ruines de la guerre ?
Toutes ces réflexions ont pris un relief particulier
depuis les événements survenus dans les Balkans.
On se plaît à y découvrir une variété étonnante
d'arguments.
C'est la Serbie qui, elle aussi, a préféré la politique
« romantique » d'alliance avec l'Entente à une
pohtique « réaliste» et qui a vu, par un juste retour,
sa destinée s'égaler à celle de la Belgique.
C'est la Bulgarie, qui a mis au-dessus de toute
autre considération la réalisation impérative de
revendications qu'elle s'entendait à placer sous le
patronage de l'Europe entière.
I 2 I.H PROCHS DE LA NEUTRALITfc BRLGE
C'est la Orèce enfin, (jui, sollicitée comme la
Bclgi(iiie, d'accorder à des j>uissances une « neutra-
lité bienveillante », manœuvre de telle façon cjue,
tout en ne se dérobant pas à cette invitation, elle
ne s'aliène pas les sympathies des ennemis de ceux
qui la pressent.
Et l'on généralise aussitôt. L'évolution des peu-
ples a ses lois. A notre époque, elle commande aux
petits Etats une orientation à laquelle ils ne peuvent
se soustraire qu'au péril de leur existence : trop
faibles pour entraver le mouvement fatal de conso-
lidation des grands Etats, les petits doivent réso-
lument faire un choix parmi les forces qui se par-
tageront le monde et incliner leur politique dans
le sens de leur choix. Telles, dans l'évolution écono-
mique, les petites entreprises se laissent polariser
par les grandes et se contentent de l'autonomie
qu'elles gardent au sein d'une constellation d'inté-
rêts coordonnés.
De sorte qu'en résumé, la Belgique aurait réelle-
ment, en s'opposant au passage des troupes alle-
mandes à travers son territoire, commis une faute
politique si flagrante qu'il ne serait pas raisonnable-
ment possible de la lui imputer et qu'il faudrait attri-
buer à d'autres causes son inconcevable attitude.
L'explication de la résistance de la Belgique par
sa prétendue connivence avec les adversaires de
l'Allemagne gagnerait ainsi une grande vraisem-
blance.
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
* *
Or, tous ces raisonnements sont spécieux, parce
qu'ils laissent dans l'ombre les vérités essentielles.
lya Belgique serait assurément inexcusable, si
elle avait asservi sa politique à quelque étroit et
ostentatoire doctrinarisme diplomatique, si elle
avait, pour tout dire, agi par donquichottisme.
Combien la réalité est différente !
Il est facile d'affirmer, comme M. Richard Grasshoff
(La Belgique coupable : Une réponse à M. le profes-
seur Waxweiler \ traduction française, Berlin, 1915,
chez Reimer) que « la question si disputée de la vio-
lation de la neutralité belge ne joue qu'un rôle
secondaire dans la recherche des responsabilités
concernant le sort funeste dont la guerre a frappé
la Belgique... Si, ajoute-t-il, cette question revêt
encore quand même aux yeux de beaucoup de per-
sonnes parmi lesquelles M. Waxweiler, une impor-
tance absolument hors de saison, il faut l'attribuer
à ces deux motifs plausibles : on croit pouvoir, par
de longues dissertations sur un sujet accessoire,
détourner l'attention publique des objets princi-
paux et, par d'incessants haros sur la félonie de
l'Allemagne, on espère éveiller la commisération
universelle et gagner la sympathie des autres peu-
ples dont la neutralité est garantie » (p. 6).
Bn fait, au contraire, tout pivote autour de la
14 • »•• i'Korj;s df i.a nkutrauti: bf:i,ge
neutralité belge et si les accusateurs de mou pays
s'obstinent à découvrir à ses actes des mobiles
déshonnétes ou perfides, c'est qu'ils ne veulent pas
instruire cette (luestion-là avec calme et sans pré-
jugés.
Le soir du 2 août 19 14, devant la Note commi-
natoire de l'Allemagne, il n'a point fallu à Bruxelles
de longues heures de délibérations : nulle tergiver-
sation, nulle hésitation. Fanfaronnade ! disent les
accusateurs. Témoignage de persévérance politique,
répondent ceux qui connaissent l'histoire de la neu-
tralité belge depuis 1839.
Car, c'est précisément cette histoire qu'il faut con-
sulter pour apercevoir que la résistance de 1914,
dictée aux Belges par le sentiment spontané de
leur honneur, était aussi dans la pleine tradition
de leur politique nationale, bien plus, que cette
politique était commandée par une claire conscience
des nécessités d'existence de la Belgique comme
nation indépendante.
Depuis le moment où les Etats européens se
sont formés jusqu'à la révolution de 1830, la Bel-
gique s'était vu refuser le droit à l'existence.
Bien que, suivant l'observation de Charles-Quint,
<( les habitants de ces contrées, ne pussent souffrir
le gouvernement des étrangers », pendant de longs
siècles ils n'avaient pas réussi à s'en libérer : les
convoitises rivales des grandes puissances étaient
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
ï5
trop vives autour de leurs provinces, qu'un labeur
infatigable s'obstinait à faire riches, malgré les
dévastations de guerres toujours renouvelées. I^'in-
dépendance fut dure à conquérir. Mais au cours
de luttes incessantes, la nationalité belge avait
subi la forte trempe du temps et, dès le moment
où elle put jouir de la liberté, elle trouva en elle-
même une étonnante force d'épanouissement.
Ce peuple n'avait eu, pour soutenir sa for-
mation, ni l'armature d'un langage commun, ni la
protection d'un confinement géographique, ni la
contrainte d'une ^autorité traditionnelle; il s'était
trouvé cahoté à travers quatre siècles de domina-
tions étrangères et de rébellions ; l'Europe ne
lui avait accordé l'autonomie qu'en le contrai-
gnant à l'isolement aux côtés de voisins puissants
et rivaux, — et ce peuple-là, une fois maître de
ses destinées, s'est donné des institutions telles
que, pendant deux générations, elles ont été citées
par les autres nations comme des modèles à imiter.
Il a fait l'expérience des libertés constitutionnelles
contemporaines sous les regards d'abord narquois,
puis surpris, des amis de la Restauration et dans
un temps où de grands pays voisins s'essayaient
à peine à pratiquer un régime qu'il a, par sa
sagesse, son esprit de progrès et de conservation,
contribué à faire accepter en Europe. En même
temps, ce peuple a dû, à peine constitué, subir
le premier sur le continent la terrible commotion
1() l.h PROCÈS Dh I.A NEUTKALITk bhlCE
sociale dont rindustrialisme nouveau avait déjà
fait trembler l'Angleterre. J3ientôt devenu, sur
son ])ctit morceau de territoire, ];lus compact que
tous les autres peuples du monde, il s'est trouvé
placé devant tous les problèmes de l'organisation
démocratique des foules modernes. Et rien, pen-
dant ces quatre-vingt-cinq ans, n'a ébranlé sa soli-
dité vigoureuse !
Ce n'est pas manquer à la modestie qui sied à tout
patriote de rappeler qu'on venait souvent de l'étran-
ger étudier les institutions belges, assister aux expé-
riences de la représentation proportionnelle, du vote
obligatoire et du scrutin secret, observer les résul-
tats de la législation sur les habitations ouvrières, sur
l'épargne populaire et sur la mutualité. Bien des
choses étaient encore imparfaites, mais combien
d'autres avaient pris, d'emblée, la marque d'une
originalité saine ?
Méconnaissant tout cela, de petits hommes,
cuistres et impertinents, s'évertuent aujourd'hui
en Allemagne à ramasser de petits faits tendant
à mettre en doute le patriotisme des Belges, voire
les fondements de leur nationalité. A la faveur
du silence auquel la pensée est condamnée dans
mon pays depuis dix-huit mois, ils ont cru
qu'ils pourraient à loisir, sans qu'on leur réph-
quât, défigurer les réalités en s' appuyant sur une
demi-documentation, en invoquant des personnages
dont le crédit était inexistant dans la Belgique
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 17
normale et en érigeant en arbitres du sentiment
public des exaltés, que leurs fanatismes suffisaient
à isoler. La presse suisse a fait justice d'une façon
si probe du plus méprisable de ces pamphlets
(Neutralité belge et Neutralité suisse, par Edouard
Blocher, Zurich et Genève, 191 5, série des Stini-
men im Sturm aus der deutschen Schweiz), que je
m'en voudrais de les dénoncer autrement.
Mais j'ai le droit de demander à ces gens qui
écrivent dans la langue dont se sont servis tant de
grands esprits pour renouveler l'histoire, ce qu'ils
connaissent, eux, de l'histoire de la Belgique ? Ils
parlent avec dédain du sens patriotique des Bel-
ges : lequel, parmi eux, a connu l'esprit qui ani-
mait les Belges de 1830 à 1880 ? Lequel a assisté
aux grandes commémorations nationales de 1880 et
de 1905 ? Lequel a éprouvé le frisson qui a couru
à travers la masse sur la place Poelaert à Bruxelles,
le jour de la Fête du LXXV® anniversaire de l'Indé-
pendance ? Lequel a lu les nombreux recueils où tous
les représentants de la pensée belge, d'un accord
unanime, ont rappelé avec une fierté contenue,
ce qu'était devenu leur pays depuis soixante- quinze
ans et pourquoi ils l'aimaient ? Lequel, enfin, a
assisté à la Joyeuse-Entrée du roi Albert et de la
reine Elisabeth dans toutes les villes belges et a com-
pris cette fraternisation si spontanée, que le dra-
peau rouge pouvait s'y rencontrer franchement
avec le drapeau tricolore ?
NEUTRALITÉ BELGE a
|8 LE PROT.KS DE LA NEUTRALITE BELGE
Ah ! la lamentable besogne que l'on a faite en
venant nier devant l'opinion des neutres ce qui
surgit, évident, de toute l'histoire de la Belgique : la
volonté de vivre.
La volonté de la nation de vivre : telle a été
justement la force directrice de la politique exté-
rieure de la Belgique.
Comme le rappelait, il y a quinze ans, dans la
Revue de Droit international (tome XXXII, p. 608)
mon collègue de Bruxelles, le professeur Nys, « la
Belgique avait elle-même acquis et affirmé son
indépendance et ainsi le fait qu'elle est un Etat ne
résultait nullement d'un acte gracieux des puis-
sances. Elle existait comme Etat souverain quand
le concert européen a été saisi de la « question
belge».... Iva souveraineté d'un Etat et l'indépen-
dance, conséquence de cette souveraineté, ne dé-
pendent nullement du bon plaisir des autres Etats
et n'ont pas besoin d'être reconnues par ceux-ci. »
Prenant ainsi son appui sur des éléments qui n'a-
vaient rien d'artificiel, la pohtique extérieure de
la Belgique s'attacha à sauvegarder le droit de la
nation à l'existence.
Or, dès les premiers jours du règne de Léopold I®',
le souverain et son gouvernement durent se pénétrer
de ce fait dominant : si l'on voulait assurer la vie
du pays, il fallait lui donner une position nettement
indépendante vis-à-vis des trois puissances dont le
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE I9
voisinage encerclait le royaume d'influences ja-
louses. Pour la Belgique, la condition même de la
vie, c'était l'équilibre, — je ne dis point tant la
neutralité, formule de doctrine, mais l'équilibre,
règle d'action. Toute tendance à favoriser l'une des
puissances aux dépens des deux autres inclinait, par
une véritable intuition collective, l'opinion en sens
inverse ; toute atteinte portée par l'une des puis-
sances à la souveraineté nationale poussait à un
rapprochement vers les autres. Tel un système mé-
canique reposant sur trois points d'appui dont l'un
viendrait à se dérober, ne conserverait son intégrité
que s'il se redressait dans la direction des deux
premiers.
lye danger extérieur était incessa»it. I^es puissances
étaient à l'affût des moindres manifestations de
sollicitude ou d'hostilité dont la Belgique pouvait
être l'objet ; bien plus, à cette méfiance réciproque
s'ajoutait souvent l'intention non dissimulée d'at-
tenter à l'autonomie du pays. Ce n'était que par une
fermeté vigilante que l'on parvenait à échapper aux
écueils. En 1840 déjà, le roi lyéopold I^^, dans un
discours adressé au Sénat, formulait la maxime qui
devait résumer toute la politique belge, faite à la fois
de prudence et d'énergie : «Maintenir la neutralité
sincère, loyale et forte, doit être notre but constant. »
C'est dans les mêmes termes que, vingt-six ans plus
tard, au lendemain de la crise européenne de 1866,
son successeur lyéopold II s'exprimait en ouvrant
I
20 I.H PROr.KS DP. I.A NHUTRAI.lTh BF-L(iF
la session législative : « Au milieu, disait le roi, des
graves événements qui ont troublé une grande partie
de l'Europe, la Belgique est demeurée calme, con-
fiante et pénétrée des droits et des devoirs d'une
neutralité qu'elle maintiendra dans l'avenir comme
dans le passé, sincère, loyale et forte. »
Mais cette politique si correcte éveillait elle-même
des suspicions. « La neutralité n'est pas l'impuis-
sance, avait écrit en 1840 le ministre des Affaires
étrangères dans une circulaire diplomatique où il
arrêtait des principes de conduite extérieure : si les
événements l'exigent, la Belgique prendra telles pré-
cautions que lui dictera le soin de sa sécurité. »
Cela suffit pour qu'à Berlin et à Vienne, on s'a-
larme; si la Belgique tient ce langage, c'est, pré-
tend-on, qu'elle partage les desseins belliqueux de
la France. « On pousse, dit un mémoire confiden-
tiel, le système jusqu'à considérer tout armement
en Belgique comme une violation de la neutralité. »
Ou bien, c'est sur le terrain économique que les
antagonismes se font jour : depuis 1836, on veut
entraîner la Belgique à conclure avec la monarchie
française une union économique. La Belgique ré-
siste. Pour la contraindre, on entreprend contre elle
une guerre de tarif : les autres puissances garantes,
à l'intervention^ de l'Angleterre, soutiennent alors
le jeune royaume et déclarent, notamment en op-
position à Guizot, que toute fusion commerciale est
contraire à la neutralité.
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 21
Quelques années plus tard, en 1848, c'est la France
républicaine qui, rompant avec l'attitude pacifique
de lyamartine, témoigne de dispositions très hostiles
à la Belgique. Aussitôt, le gouvernement belge sonde
les autres cabinets étrangers et lord Palmerston fait
à cette occasion une déclaration qui, précisément,
n'est pas sans importance pour les événements ac-
tuels : les puissances, dit-il, ont non seulement le
droit, mais encore l'obligation de garantir l'indé-
pendance de la Belgique et cette obligation implique
à ses yeux le devoir général : 1° d'aider par tous les
moyens la partie lésée par l'agression d'une puis-
sance étrangère ; 2° de lui conserver ou de lui faire
restituer la possession territoriale ainsi sauve-
gardée.
C'est à cette époque que les autorités belges arrêtent
à la frontière une troupe de révolutionnaires français
qui voulaient pénétrer sur le territoire, — ce qui
n'empêcha point peu de temps après la Belgique,
accueillante aux défenseurs des institutions libérales,
de donner asile aux proscrits du Second Empire.
Mais, pour ne rien dire des susceptibilités éveillées
en 1855 par l'organisation de la défense du pays et
la construction du camp retranché d'Anvers, ni des
sollicitations dont on fut l'objet pendant la guerre
de Crimée, c'est à partir de 1866 que se placent les
incidents qui montrent le mieux combien la Belgique
dut toujours conduire une politique d'action et de
sauvegarde, très éloignée de toute idéologie diploma-
22 LE PROCES DE LA NEITTRALITE BELGL
tique. Sans que l'ou connût exactement à Bruxelles
la portée des négociations secrètes engagées par
Napoléon III avec Bismarck pour l'annexion éven-
tuelle de la Belgique par la France, on avait re-
cueilli des informations graves. Bientôt, une circu-
laire diplomatique du ministre français des Affaires
étrangères i)ar intérim, le marquis de la Valette,
met le comble aux inquiétudes : ce document n'é-
nonce ni plus ni moins que la théorie de l'élimination
des petits Etats au profit des grands et il annonce,
en outre, une réorganisation militaire qui achève de
donner à ce manifeste toute sa signification. Fait
caractéristique et qui révèle bien les ambitions
hypocrites que la politique belge devait sans cesse
dépister, l'apparition de la circulaire française
coïncide avec une campagne de la presse officieuse
allemande, notamment de la Norddeutsche Allge-
meine Zeitung, contre la Belgique. Menacée de deux
côtés, l'opinion dans le pays se tourne instinctive-
ment vers le troisième garant : on invite à Bruxelles
une délégation de volontaires anglais qui est ac-
cueillie avec chaleur par la population. La presse
anglaise, sans distinction de parti, prend fait et
cause pour la Belgique et dénonce la conspiration
latente qui s'ourdit contre elle.
En 1867, nouvelles alertes. D'abord, le sort du
grand-duché du Luxembourg, qui est discuté dans
une conférence internationale, a trop d'affinités avec
celui de la Belgique pour que les convoitises étran-
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 2}
gères ne se réveillent pas. Par la politique pleine
de dignité qu'il adopte, le gouvernement belge s'as-
sure la confiance de l'Europe.
A peine cette question est-elle résolue, que l'Em-
pire français veut mettre la main sur d'importantes
lignes de chemins de fer du pays : c'est une
atteinte évidente à la souveraineté nationale. Mais
l'habileté tenace d'un homme politique qui devait
devenir un homme d'Etat, M. Frère-Orban, réus-
sit à faire aboutir à Paris des négociations longues
et difficiles.
Puis, c'est 1870 — qui offre tant de sujets de rap-
prochements avec la situation présente.
On n'a pas assez remarqué, par exemple, que si
l'Angleterre a cru alors devoir demander à la France
et à la Prusse un engagement particulier de respecter
le territoire belge, c'était pour des raisons très sem-
blables à celles qui déterminèrent son action dans le
conflit actuel. I^e 3 août 1914, l'Angleterre connais-
sait depuis six jours les intentions de l'Allemagne
à l'égard de la Belgique : dans la conversation histo-
rique du 29 juillet, qui reste pour les Belges la date
capitale, il avait été dit que la Belgique ne conser-
verait son intégrité que si elle laissait passer les
armées allemandes ; quant à son indépendance, il
n'en était pas fait mention. (Voir dans La Belgique
neutre et loyale, p. m à 117 et 122-123, l^- suren-
chère des conditions dont la Belgique faisait les
frais et qui furent offertes du 29 juillet au 4 août
24 I H l'ROChS DK LA NhUTRALITh BELGF
à rAiigleterrc pour prix de son abstention.) De
même, en 1870, l'Angleterre venait d'avoir connais-
sance de la tractation secrète entre Napoléon III
et Bismarck et c'est l'émotion provoquée par cette
révélation qui décida l'opinion : les discussions au
parlement britannique eu font foi. « Il est impossible,
dit, le 2 août 1870, le comte Russell à la Chambre
des lyords, de n'être pas anxieux pour l'avenir quand
on voit qu'en 1866, et à des époques encore plus
rapprochées, le premier ministre de Prusse et l'am-
bassadeur initié aux pensées de l'empereur des Fran-
çais se sont concertés pour violer le traité de 1831,
fouler aux pieds la foi publique et anéantir l'indé-
pendance de la Belgique. I^a Belgique n'a attaqué
personne. C'est un royaume prospère, en possession
d'institutions libres, et bien qu'il ait existé de temps
à autre des conflits, comme pour les chemins de fer
et autres objets de peu de conséquence, je n'ai
jamais entendu nier que sous l'ancien roi Léopold,
un très sage et intelligent monarque, comme sous le
roi actuel, la Belgique ait eu des relations amicales
avec tous les autres Etats, maintenant sa propre
indépendance et ne lésant aucun autre pays. C'est
donc une découverte extraordinaire que d'apprendre
que l'indépendance de cet Etat a fait l'objet de
négociations entre d'autres puissances... Nous som-
mes tenus de défendre la Belgique. »
Je ne veux pas m' arrêter davantage à ce sug-
gestif rapprochement entre 1870 et 1914, mais il
LE PROCKS DE LA NEUTRALITE BELGE 2 5
est nécessaire de noter en passant que dès le mo-
ment où l'attitude de l'Angleterre se dessina, la
Belgique fut en mesure de connaître les raisons
sur lesquelles elle se fondait. Disraeli avait
pris soin de rappeler que l'obligation de défendre
la Belgique prenait sa source dans les intérêts
les mieux établis de la politique anglaise : « Le
traité de 1839, expliquait l'orateur, a été conclu
dans l'intérêt général de l'Burope, mais avec
une notion très claire de l'importance de ses
dispositions pour l'Angleterre. Ce fut un principe
permanent de la politique de ce pays que
l'intérêt de l'Angleterre exigeait que les contrées
situées le long de la côte du continent, de Dunker-
que à Ostende et jusqu'aux îles de la mer du Nord,
fussent possédées par des Etats libres et prospères,
pratiquant les arts de la paix, jouissant des droits
de la liberté, s' adonnant aux opérations du com-
merce qui favorisent la civilisation générale, et que
ces contrées n'appartinssent pas à une grande puis-
sance militaire qui, par les conditions de son exis-
tence, doit tendre à exercer une influence prépon-
dérante en Europe. »
Attentive à toutes ces manifestations, la Belgi-
que négocie directement avec la France et avec
l'Allemagne et elle obtient leur engagement de res-
pecter sa neutralité — « déclaration surabondante
en présence des traités en vigueur », écrit Bismarck
au ministre de Belgique, le 22 juillet.
Dans cette grave circonstance encore, la politique
36 LE PROCHS DP. I.A NFUTRAI.ITK BELGF.
belge garde ainsi le contact direct avec les réalités ;
elle ne se fait pas d'illusions ; elle sait que
l'existence autonome du pays repose sur une neutra-
lisation d'intérêts. Bien plus, les yeux fixés sur
l'avenir, elle tient à marquer publiquement la si-
gnification des derniers événements : le i6 août, le
ministre des Affaires étrangères de Belgique,
M. d'Anethan, communique au parlement le texte
des accords signés par la France et par la Prusse
avec l'Angleterre et il en définit ainsi la portée : «Les
traités identiques et séparés, dit-il, conclus par
l'Angleterre avec les deux puissances en guerre, ne
créent ni ne modifient les obligations résultant du
traité de 1839 '> ^^^ règlent pour un cas déterminé le
mode pratique d'exécution de ces obligations, ils
n'infirment en rien les engagements des autres puis-
sances garantes et, leur texte en fait foi, ils laissent
entier pour l'avenir le caractère obligatoire du traité
antérieur avec toutes ses conséquences ^. »
^ On remarquera en passant combien ces déclarations for-
melles réduisent à néant la thèse de certains accusateurs qui
soutiennent qu'en 1914 la Belgique n'était plus garantie par le
traité initial de 1859, parce qu'il aurait été rendu caduc par
ceux de 1870. (Voir, par exemple, Frans Kolbe, dans DasGrôssere
Deiitschland, n° 5, 30 janvier 1915 : Prof. Dr. John W. Burgess,
Der Europàische Krieg, Hirzel, Leipzig : Kap. VI, pp. 135-193, et
Dr. R. Pattai, Wiener Deiitsches Volksblatt. 11 octobre 1914.
Contra : « Cahiers Documentaires », B.D.B. Le Havre, note n° 40.)
Le texte du double traité de 1870 est d'ailleurs catégorique et
il faut bien supposer que ceux qui ont défendu la thèse dont
je parle ne l'avaient pas lu :
« S. M. la reine du Royaume-Uni .... et S. M , désirant
dans le moment actuel consigner dans un acte solennel leur déter-
mination bien arrêtée de maintenir l'indépendance et la neutralité
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 2^
Depuis 1870, la politique belge ne doit pas se mon-
trer moins active : les alternatives de malveillance et
de sympathie se succèdent presque sans interruption.
Pendant la guerre, déjà, c'est l'Allemagne qui ma-
nifeste sa mauvaise humeur à propos de l'attitude
d'une partie de la presse belge jugée trop sympa-
thique à la France, ce qui provoque une déclaration
très nette du ministre des Affaires étrangères de
Belgique au Sénat : « Il serait, dit-il, souveraine-
ment injuste de rendre soit la nation, soit le gou-
vernement, responsables de certains articles de jour-
naux. » « Un peu plus tard, — expose M. Banning
dans un mémoire confidentiel auquel sa haute fonc-
tion, au Département des Affaires étrangères à
Bruxelles, donnait une autorité exceptionnelle, —
la paix de Versailles amène une détente momenta-
née. Mais, dès 1872, les récriminations commencent.
C'est au printemps de 1875 que les manifestations
hostiles atteignent leur apogée : l'Allemagne est
de la Belgique telles qu'elles sont établies par l'art.y du traité
signé à Londres le 19 avril 1839 entre la Belgique et les Pays-Bas,
lequel article a été déclaré par le traité quintuple de 1839 avoir
la même force et la même valeur que s'il était textuellement
inséré dans le dit quintuple traité, leurs dites Majestés ont résolu
de conclure entre elles un traité, séparé qui, sans infirmer et sans
affaiblir les conditions du quintuple traité stis-mentionnées , serait
un acte subsidiaire et accessoire à l'autre.
» Art. 3. — Ce traité sera obligatoire pour les Hautes Parties
contractantes pendant la durée de la guerre actuelle entre la
France et la Confédération de l'Allemagne du Nord et ses alliés,
et pendant douze mois après la ratification du traité de paix conclu
entre les belligérants, et à l'expiration de ce temps, l'indépendance
et la neutralité de la Belgique continueront en ce qui concerne les
Hautes Parties contractantes à reposer comme jusqu'ici sur
l'Art. J«' du quintuple traité du 14 avril 183g, »
28 l.F. PROCI S DE LA NEUTRAI.ITH BF.I.GF.
alors sur le point de reprendre la lutte contre la
France ; mais l'empereur de Russie impose la
paix (mai 1875). L'orage artificiellement déchaîné
contre la Belgique tombe aussitôt : il n'a plus
d'objet. f>
De 1888 à 1891, c'est en France qu'une campa-
gne de presse s'organise contre la Belgique : la
publication de documents dérobés à Bruxelles et
les commentaires qui les accompagnent, notam-
ment dans la Nouvelle Revue, amènent le ministre
des Affaires étrangères de Belgique à attester au
Parlement la loyauté absolue de la politique belge,
« qui, dit-il, respecte les devoirs de la neutralité
jusqu'au scrupule.» Cependant, un pamphlet, inti-
tulé La Belgique vendue à V Allemagne, reproche au
gouvernement belge, parmi beaucoup d'autres cho-
ses, de s'être abstenu de se faire représenter offi-
ciellement à l'Exposition de Paris et de s'obstiner
à commander ses canons aux établissements Krupp
(p. 200) ; le 8 août 1890, le Figaro peut écrire :
« Il faut considérer désormais la Belgique non plus
comme un Etat neutre, mais bien comme une pro-
vince germanique. » Au bout de peu de temps, le
Gouvernement, par le souci qu'il affirme de mainte-
nir la position internationale du pays, dissipe tou-
tes les préventions et fait taire les calomniateurs.
A partir de 1895 environ, c'est d'Angleterre que
viennent les nuages : déjà en 1887, Sir Charles Dilke
avait pu écrire dans une étude politique publiée par
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 29
la Fortnightly Review que « les affaires du Congo
avaient singulièrement nui à la Belgique dans l'esprit
de la nation anglaise ». (L'Europe en i88y, p. 49.)
Un article du Standard du 4 février 1887, auquel
les journaux et les publicistes d'Allemagne font au-
jourd'hui une fortune inattendue, avait émis des
vues qui étaient, à la vérité, peu favorables à la
neutralité belge, mais qui exprimaient uniquement
une opinion privée et non, comme la presse alle-
mande veut le faire croire, le sentiment du gouver-
nement anglais. Bientôt, la campagne anglaise
contre l'administration de l'Etat Indépendant avant
l'annexion par la Belgique, provoque de vives
protestations dans l'opinion belge ; les relations
politiques en sont atteintes. Dans son discours
d'avènement au trône, en décembre 1909, le roi
Albert fait à propos de l'introduction des réformes
au Congo par le gouvernement belge une déclara-
tion dont la portée est très nette pour tout le
monde : « Quand la Belgique prend un engagement,
prononce- t-il, personne n'a le droit de douter de
sa parole. »
Mais la période à laquelle nous venons d'arriver
est celle précisément au cours de laquelle les accu-
sateurs de la politique belge s'entêtent à accumu-
ler les griefs. Je m'y arrêterai dans une partie
spéciale de cette étude. (Voir II, p. 39 et ss.)
On a vu dans ce très sommaire aperçu, combien,
30 I.R FROCHS DE LA NHUTRAUTF, BEIXiR
depiiis les premières années de l'indépendance de
la Belgique, le sentiment jniblic avait pris, par un
instinct sûr des nécessités, l'habitude de faire front
contre le voisin, quel ({u'il fût, qui manifestait des
velléités d'immixtion ou d'hégémonie : rodomonta-
des, menaces, sympathies indiscrètes, interprétations
malveillantes, ranimaient aussitôt l'esprit de fronde
qui couve à l'état permanent dans le peuple belge. Il
ne faut pas chercher ailleurs que dans cette psycho-
logie de la nation, l'explication de la vogue dont a
joui pendant un certain temps le projet de rappro-
chement avec la Hollande : on serait peut-être
plus à son aise, si l'on était deux pour faire front...
Une chose apparaît surtout avec évidence : la
résolution prise le 2 août 1914 vient s'insérer dans
un ensemble parfaitement continu de détermina-
tions politiques.
I^a Belgique pratiquait depuis quatre-vingt-quatre
ans une politique d'une rare constance. Cette poli-
tique prolongeait simplement la volonté nationale
de vivre : <îTout naît et périt avec l'indépendance »,
avait dit le roi Ivéopold II en inaugurant, à Bruges,
en 1887, le monument élevé à la mémoire des com-
muniers flamands. On était neutre non seulement
parce qu'on entendait demeurer fidèle à l'engage-
ment pris envers l'Europe qui, en 1830, avait
fait de la neutralité la condition de la liberté,
mais parce que pour vivre, il fallait rester soi-même.
C'était une raison autrement forte que toutes celles
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
3ï
que l'on pouvait tirer de la casuistique des con-
ventions internationales, — et c'est cette raison-là
qui échappe aux accusateurs de la Belgique : ne
l'apercevant pas, ils ne voient pas non plus que
pour aucun pays l'obligation de ne céder à aucune
influence étrangère, ne tient, comme pour la Bel-
gique, aux conditions mêmes de sa formation poli-
tique et de son développement comme Ktat.
Disons-le d'un mot : depuis 1830, la politique
extérieure de la Belgique se ramenait à ce programme
élémentaire : pas d'inféodation, — pas d'inféoda-
tion d'aucune sorte, ni politique, ni économique, ni
coloniale; pas d'inféodation, ni dans le domaine de la
langue ni dans celui de la pensée : l'intérêt national
pur et simple. Le premier passant venu se serait
trouvé d'accord avec le gouvernement sur ce pro-
gramme-là, parce qu'il sortait de l'âme même du
peuple. Comme l'exprime encore aujourd'hui éner-
giquement le récent manifeste par lequel les person-
nalités les plus autorisées du mouvement flamand
ont répondu aux sollicitations dont les Flamands
sont l'objet de la part des Allemands en Belgique
occupée : « Wij willen in geene afhankelijkheid leven
van eenige vreemde mogendheid.» (nous ne voulons
pas vivre dans la dépendance d'une puissance
étrangère quelconque.)
Dès lors, que vienne en face d'une politique ainsi
définie, demeurée semblable à elle-même depuis les
débuts, sans oscillation, sans vacille ment, que
32 IK l'KOCKS l)h I.A NFUTRAl.ITh BELXiE
vienîic l.i demande de ]>assage des armées alleman-
des ! Qu'on se représente cette demande, — même
dépouillée de la menace fatale qui plaçait le pays
dans l'alternative de céder ou de perdre l'indépen-
dance, — qu'on se la représente adressée aux
Belges de 1840, de 1848, de 1856, de 1866, de 1870:
quelle réponse eussent-ils donnée ?
I^e refus.
Le refus, non par romantisme cocardier, ni par
bigotisme des fictions diplomatiques, mais parce
que, en dehors de toute considération de fidélité
aux Traités, l'acceptation, c'était l'inféodation —
avant, pendant et après la guerre : il y a des com-
plaisances qui préparent la servitude.
Le refus : par nécessité.
Car, pour la Belgique la nécessité lui faisait une loi,
« Not kannte kein Gebot », : non pas une nécessité
de convenances stratégiques, mais une nécessité te-
nant à l'existence intime de la nation et se confon-
dant avec l'exigence cardinale de ne rien abandonner
de sa personnalité à l'une ou l'autre des trois puis-
sances voisines.
La Belgique en avait une conscience si nette que,
dans sa réponse à la Note allemande du 2 août, elle a
formulé cette déclaration par laquelle s'exprimait
encore à cette heure suprême, sa volonté d'indé-
pendance : « Si, contrairement à notre attente,
une violation de la neutralité belge venait à être
commise par la France, la Belgique remplirait tous
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
33
ses devoirs internationaux et son armée opposerait à
l'envahisseur la plus vigoureuse résistance. »
Plus précise encore dans le même sens est cette
opinion que m'exprimait récemment le directeur des
Affaires politiques de Belgique : «Jamais un instant,
me disait-il, nous n'avons pensé que, dans une
conflagration européenne où notre neutralité serait
violée, nous aurions le choix de nos alliés. »
Voit-on à présent combien, en se déterminant le
2 août 1914 par le respect de la parole donnée en
1830 aux Puissances, en se rangeant, sans peser les
chances des adversaires en présence, du côté où
rappelait le Droit, la Belgique servait en même
temps ses intérêts les plus vitaux ?
Elle aurait pu, dit-on souvent (voir en dernier
lieu Frankfurter Zeitung, 23 février 1916, n^ 53),
céder à la mi-août 1914, lorsque l'Allemagne a re-
nouvelé sa demande. Comme si livrer à ce mo-
ment le territoire à l'un des garants n'eût pas été,
en fait, prendre parti pour lui, au détriment des
deux autres ! Comme si, accepter une compromis-
sion après quinze jours d'une guerre marquée par
des représailles inhumaines et imméritées, n'eût pas
été un outrage au sentiment public et le témoi-
gnage de la pire des inféodations !
* *
Que reste-t-il, après tout cela, des assimilations
entre la position de la Belgique et celle de certains
NEUTRALITÉ BELGE
34 I-H PKOCHS DK l.A NI.UrkALITh BKI.fiK
Etats des Balkans, que la presse allemande et, jus-
qu'à un certain point, la presse des pays neutres, ont,
depuis octobre dernier, multipliées avec une satis-
faction non déguisée ?
Quand le Berner Taghlatt revient (par exemple,
n°' des 9 octobre et 7 décembre 1915) sur les mal-
heurs de la Belgique et de la Serbie, il vise non
seulement les grandes puissances de l'Entente, mais
encore les deux petits peuples. Je me limite volon-
tairement à la défense de la politique de la Belgique
et, par suite, je ne me laisse pas entraîner à consi-
dérer les événements des Balkans autrement que
dans la mesure où ils intéressent cette défense. Or,
selon le Berner Taghlatt, la leçon qu'ils portent, est
qu'un petit peuple doit y regarder à deux fois avant
de faire dépendre son existence de l'interv^ention
d'une grande puissance: «la Belgique a écouté l'An-
gleterre et la France, comme la Serbie a suivi la
Russie ; la Belgique ne s'est décidée à résister que
dans la conviction absolue qu'elle recevrait de l'En-
tente une aide suffisante ».
Cette opinion contredit un des faits qui ont été
le plus solidement établis par le Livre gris belge : elle
avait déjà été affirmée par la lettre que trente et un
professeurs allemands ont envoyée aux universités
anglaises le 7 septembre 1914 et j'ai rappelé, en si-
gnalant cette manifestation, combien mes collègues
d'Allemagne se sont mépris :
» lycs Belges, ai- je dit, résistaient à l'invasion
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 3(5
allemande, que l'Angleterre acceptât ou qu'elle refu-
sât d'intervenir. ly' appel du Roi à l'intervention
diplomatique du Gouvernement anglais est parti
alors que le refus de la proposition du 2 août était
déjà notifié à l'Allemagne. Iv' appel du Gouverne-
ment à la coopération militaire des forces anglaises,
françaises et russes est parti après la violation du
territoire, alors que l'armée belge combattait déjà^.
Et je sais de source autorisée, — j'en donne ma
parole d'honneur, — qu'à ce moment-là les angoisses
étaient grandes dans les sphères dirigeantes de Bel-
gique, lorsqu'on s'interrogeait sur ce qu'allait être
la réponse de lyOndres. » (La Belgique neutre et
loyale, p. 173.)
Une comparaison entre l'attitude de la Belgique
et celle de la Serbie est d'ailleurs sans pertinence :
la Serbie avait un statut qui l'autorisait à pratiquer
la politique qui lui convenait. I^a Belgique était
tenue, obligée, contrainte, par le régime que l'Bu-
rope lui avait imposé comme condition de l'indé-
pendance, non seulement de résister le jour où sa
* Puisque Toccasion se présente, je voudrais redresser une opi-
nion assez répandue au sujet de l'intervention militaire de la
France. On parle souvent du refus que le Gouvernement belge
aurait opposé à une offre française d'envoyer cinq corps d'armée
au secours de la Belgique menacée par la Note allemande. Il est
officiellement établi, d'ime part, que le Ministre de France n'a
fait que les communications dont le premier Livre gris rend compte
(voir notamment n° 24) ; d'autre part, que l'attaché militaire fran-
çais n'a parlé au ministre de la guerre que du concours de principe
que le Gouvernement belge n'a voulu accepter qu'après la viola-
tion du terriroire : rien n'a jamais été spécifié au sujet de la nature
et de la force de ce concours.
36 LK PROChS DE LA NEUTRALITÉ BELGE
frontière était violée, mais encore de se concerter
avec ceux de ses garants r|iii lui étaient restés
lidéles.
Le contraste qu'on a voulu établir entre l'attitude
de la Belgique et celle de la Grèce n'est pas fondé
davantage.
Dans un communiqué de presse (25 novembre
1915), où l'Agence Wolfï voulait — à tort d'ail-
leurs, ainsi que le Social Demokraten du 26 décem-
bre l'a rectifié — voir un reflet du sentiment pu-
blic au Danemark, on opposait le roi des Belges au roi
de Grèce : celui-ci aurait usé de son influence pour
soustraire son pays aux calamités de la guerre ;
celui-là aurait, au contraire, jeté son épée dans la
balance et appelé ainsi sur son peuple le destin qui
l'accable.
Qui ne voit cependant que rien, dans les deux
situations, ne se laisse comparer ?
lya Belgique, en 1914, à la veille d'un conflit qui
va mettre aux prises ses voisins, qui sont en même
temps ses garants, se voit imposer par l'un d'eux
au prix de la perte de la liberté, la révocation de
ses engagements à l'égard des autres. Depuis sa
formation comme Etat, toute sa politique, née des
nécessités mêmes de l'existence, a eu pour objet
unique d'échapper à l'assujettissement. Sollicitée
tout à fait à l'improviste, alors que peu d'heures
auparavant les assurances opposées lui étaient
encore prodiguées, elle a une nuit pour se pronon-
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 37
cer. Si elle acquiesce, non seulement elle détruit
tout son passé, mais elle accroît l'invraisemblance
de ce coup de tête de tout l'opprobre sous lequel
on s'ensevelit quand on manque à ses obligations.
Nul peuple, nul homme n'eût hésité.
I^a Grèce, en 1915, au milieu d'une guerre dont les
péripéties se sont jusque-là déroulées loin de ses
frontières, reçoit de la part des trois puissances qui,
seules en Europe, l'ont, depuis sa régénération,
aidée à conquérir et à garder son indépendance,
la demande de laisser les troupes de ces puis-
sances traverser son territoire pour aller au secours
de son propre allié. Son gouvernement a eu, depuis
de longs mois déjà, le loisir de la réflexion ; il avait
pris d'abord une position favorable aux intérêts des
mêmes puissances et conforme à la tra'lition natio-
nale ; il n'est tenu par aucun traité ; il demeure,
dans les limites que tracent la gratitude et l'unité
de la conduite, maître souverain et juge de ses inté-
rêts. Il se détermine et prend ses responsabilités.
Où trouver la plus minime analogie ? lyC profes-
seur Schweizer, de Zurich, dans une étude sur la
neutralité bienveillante de la Grèce, comparée à la
neutralité de la Suisse (Netie Ziircher Zcihing,
26-27 novembre 1915), a lucidement montré que le
droit de passage est rigoureusement incompatible
avec la neutralité permanente et que la demande
de l'Allemagne, le 2 août 1914, équivalait à vouloir
transformer la Belgique, territoire neutralisé, en une
58 l> PROCÈS DE LA NEUTRALITH BELGE
base d'opérations pour une attaque contre la France.
Quant à savoir si l'évolution des formes politiques
entraîne les Ktats contemporains vers l'absorption
des petits par les grands, un débat ne pourrait uti-
lement s'engager sur une telle question qu'en des
circonstances moins défavorables. Au surplus, l'Etat
contemporain se constitue sous nos yeux, très diffé-
rent à la fois de ce qu'il était il y a moins d'un siècle
et de ce que l'on pensait qu'il serait : on peut à
peine deviner quels seront ses traits dominants.
Mais une chose est certaine : c'est que jamais les
hommes réunis en nations n'asserviront le sentiment
qu'ils ont de leur existence commune à des calculs
Il commerciaux. Peut-être un petit Etat aurait-il éco-
nomiquement avantage à se fondre dans un grand.
Mais il y a, chez les citoyens d'un Etat, d'autres
J- aspirations que le souci du rendement et des frais
£: généraux, et l'histoire est justement faite des con-
flits qui surgissent entre ces aspirations-là, que
leur noblesse même rend incompressibles.
II
« Si la Belgique a résisté,
c'est qu'elle était déjà engagée >'.
C'est le 13 octobre 1914, voici quinze mois, que,
pour la première fois, l'accusation a été portée que
le Gouvernement belge s'était rendu coupable d'une
grave violation des obligations que sa situation
d'Etat neutre lui imposait. L'accusation prétendait
se fonder « sur des documents démontrant i,A con-
nivence DE I.A Bei<gique (die belgische Konnivenz)
avec les puissances de l'Entente, fait qui aurait
d'ailleurs été déjà connu longtemps avant la guerre
dans les milieux autorisés de l'Allemagne » {Nord-
deutsclu Allgemeine Zeitung, 13 octobre 1914.)
Depuis ce moment, il ne s'est sans doute pas
écoulé une semaine sans que, de l'une ou l'autre
façon, l'accusation ne fût reproduite, dans un livre,
dans une brochure, dans un journal, dans un dis-
cours ou une interwiew. La collection de documents
que j'ai rassemblée au jour le jour n'a cessé de
s'augmenter, et il n'est vraiment pas banal de voir
40 l.h J'KO(.I..S l)h I.A NhUTKAirrh BhLGE
comment une croyance fait prise dans l'opinion.
Aujourd'hui encore, quand d'Allemagne on parle
aux pays neutres on dira, par exemple, sans embarras
aucim, comme s'il s'agissait d'un fait universelle-
ment accepté : « I^a Hollande neutre n'aura jamais
le sort de sa voisine du vSud, la Belgique coupable et
violatrice de sa propre neutralité... (des Neutra-
litàtsbriichigen und schuldigen Belgiens). Si la
Belgique avait suivi la politique de stricte et loyale
neutralité que la Hollande observe, si elle ne s'était
pas laissée prendre par l'Angleterre et si elle n'avait
pas préparé avec elle des plans contre l'Allemagne,
elle se trouverait aujourd'hui dans une situation
analogue à celle de la Hollande. » {Germania,
23 septembre 1915.)
Ou bien, dans une lettre accompagnant l'envoi de
documents aux journaux suisses, le ministre d'Alle-
magne à Berne écrira : « La Belgique s'était d'ailleurs
trouvée depuis longtemps sous l'influence de la
France et de l'Entente ». {Journal du Jura, 15 sep-
tembre 1915.)
Ou encore, s' adressant à un représentant de
r« Associated Press » des Etats-Unis, M. le secré-
taire d'Etat von Jagow expliquera que « le Gouver-
nement belge, encouragé par l'Angleterre et, en
fait, militairement enchaîné par cette puissance, a
jeté son pays dans la guerre ». {Lokal Anzeiger,
16 octobre 1915.)
Il n'est pas sans intérêt d'observer avec attention
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 4I
les procédés par lesquels les accusateurs de la Bel-
gique ont pu ainsi parvenir à détourner les faits de
leur interprétation naturelle et à obscurcir le bon
droit de la Belgique.
D'abord, on n'accorde pas de valeur aux démen-
tis, si solennels soient-ils. I^e Gouvernement belge,
par exemple, lassé de voir se renouveler sans cesse
les mêmes imputations sans fondement, fait la dé-
claration suivante, qu'il appuie sur des faits : « I^e
Gouvernement belge déclare sur l'honneur que non
seulement aucune convention ne fut conclue, mais
encore que jamais il n'y eut de la part d'un gouver-
nement quel qu'il soit ni pourparlers, ni propositions
au sujet de semblable convention... Tous les minis-
tres belges, sans exception, peuvent en attester sous
la foi du serment : jamais une conclusion quelconque
de ces conversations ne fut proposée soit au Conseil
des ministres, soit à un ministre en particulier. »
(Livre gris, II n^ 103, annexe, p. 106). A cela, le
journal officieux de l'Empire d'Allemagne, la
Norddeutsche Allgemeine Zeitung, se borne à ré-
pondre : « IvC Gouvernement belge veut, par une
déclaration sur l'honneur, supprimer des documents
compromettants qui existent. Il nie que jamais une
convention ait été conclue avec un gouvernement
quel qu'il soit ou que même des pourparlers ou des
négociations aient eu lieu. Cette déclaration sur
rhonneur est vraiment trop naïve pour que n'im-
porte qui puisse y ajouter foi en présence des preuves
42 LK F'RCK:F.*% de I.A NkUTRAI.ITK BhI/;K
écrasantes fournies par les documents. » (n*^ du
10 mars 1915.)
De l'objet essentiel du débat, à savoir la distinc-
tion évidente, patente, à faire d'une part entre une
prétendue convention liant le Gouvernement belge
au Gouvernement britannique et inféodant la Bel-
gique à la politique de l'Entente et, d'autre part,
des conversations entre militaires, ayant pour objet
de sauvegarder, conformément aux traités et aux
précédents, la neutralité belge dans l'hypothèse
redoutée et d'ailleurs précisément réalisée en 19 14,
où cette neutralité serait au préalable violée par
l'Allemagne, — de cela, de cela qui seul compte,
pas un mot. Pour le lecteur, l'effet estproduit : « Le
Gouvernement belge nie impudemment des faits
établis », de sorte que l'on peut encore imprimer,
dans une note officielle envoyée de Berlin, le 6 août
dernier, à la presse internationale : «...La connivence
militaire de la Belgique avec l'Angleterre et la France
est établie si irréfutablement par les documents...,
qu'il serait superflu de dire encore un seul mot à ce
sujet. »
Il faudrait, pour découvrir l'origine et suivre la
trajectoire de ces traînées persistantes de médisance,
une patience laborieuse que le sujet ne comporte pas,
mais, lorsqu'on veut s'y astreindre, le résultat dé-
dommage toujours des peines de la recherche. Le
Bureau Documentaire Belge (B. D. B.), établi au
Havre, a ainsi retracé (dans la note n^ 136)
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 43
les avatars successifs de l'information suivante
lancée le 26 août dernier par l'Agence WolfE en
Allemagne, en Autriche-Hongrie et dans tous les
pays neutres.
I De source très sérieuse, il nous est communiqué l'inci-
dent très intéressant et très caractéristique d-apres :
» Au consulat hollandais d'ime grande ville suisse, s'est
présenté un homme revenu de France et qui, désirant se
rendre en Belgique, sollicitait un passeport néerlandais. Il
fut évidemment vite prouvé que l'impétrant n'était pas
Néerlandais, mais Belge. Parmi les documents présentés aux
fins d'identification, se trouvait, par hasard, une petite bro-
chure, destinée, d'après son titie, aux soldats belles. Elle
contient le croquis des différents uniformes français, porte
le titre : « Nos Alliés i> et comme date d'édition : juillet
19 14. L'histoire est absolument certaine et les personnes
qui nous l'apprennent sont prêtes à en garantir de leur
nom l'authenticité. »
Ce récit n'était d'ailleurs qu'une réédition un peu
transformée d'une information qu'on avait pu lire
dans la Kôlnische Zeitung du 28 août 1914, n^ 967,
sous le titre de « Bin Beweis » (Une preuve). Il fit,
sous sa forme nouvelle, son tour de presse et les
commentaires ne manquèrent pas. Or, le consulat
hollandais mis en cause envoya le 7 septembre à un
journal de Bâle, le Basler Anzeiger, une rectification
décisive dans ces termes :
« Comme l'affaire donne lieu à toutes sortes de considéra-
tions, le consulat en question nous fait remarquer qu'il
n'attache aucune importance au récit de ce Belge, qui, vou-
lant d'abord s'attribuer une autre nationalité, ne faisait
donc pas grand cas de la vérité, et que l'on a prêté, erroné-
ment et progressivement à cette histoire, — qui est un
exemple de la naissance de bruits sans fondement — une
importance qu'elle ne mérite évidemment pas.»
ly'Agence Wolff ni aucun des journaux qui avaient
inséré son information ne donnèrent connaissance
44 »- PKOCKS I)h l,A NHUTRAI.ITK BELGE
du dcincnti. Bien plus, trois semaines plus tard, le
Bcrlincr Tagcblatt (29 septembre 191 5, édition du
matin), reprenait encore le récit primitif. Mieux
encore, le B. D. B. a, le 12 octobre dernier, jjublié
des renseignements puisés à des sources officielles et
attestant, avec une précision incontestable, que le
seul document figurant des uniformes militaires
étrangers qui ait été distribué en Belgique à l'occa-
sion de la guerre, a été, non pas même mis en cir-
culation, mais confectionné LE 6 août 1914, c'est-
A-DIRE QUATRE JOURS APRÈS LA RÉCEPTION DE LA
NOTE DE l'Allemagne. Jusqu'à présent, aucun des
nombreux journaux qui ont accueilli l'erreur, n'a
consacré une ligne à la vérité.
Je disais qu'un premier moyen de jeter le trouble
dans l'opinion consistait à ignorer ou à nier les dé-
mentis. Un autre procédé très fréquent aboutit à con-
fondre, dans un exposé, des témoignages de premier
ordre avec des présomptions sans valeur, à brouiller
des faits démonstratifs avec des données sans con-
sistance, si bien qu'il devient impossible de démêler
la trame de la réalité.
Une des applications les plus fécondes de cette
manière s'observe dans les imputations qui visent
spécialement à discréditer la jDolitique du Gouver-
nement belge : parmi quelques faits de caractère
officiel, on jette un grand nombre de découpures
de journaux, d'extraits de discours non officiels,
d'impressions ou de racontars, qui sont présumés
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 45
fournir un tableau de l'état de l'opinion dans le
pays. Kn général, d'ailleurs, cette opinion est re-
présentée comme hostile à l'Allemagne, puisqu'il
s'agit d'établir qu'il existait, dès avant la guerre,
une hostilité systématique contre elle. Cependant,
la thèse inverse se rencontre parfois, comme
par exemple dans la Schlesische Volkszeitung du
17 août 1915, où pour faire pièce à l'influence
française, on explique qu'avant la guerre une grande
partie de la population belge s'entendait très bien
avec les Allemands, qui s'étaient assuré de réelles
sympathies. La contradiction des deux affirma-
tions importe peu : ce ne sont pas les mêmes
lecteurs qui ont tous les articles sous les yeux.
De même, c'est par de véritables combinaisons
d'alchimie de la documentation que l'auteur de la
brochure Neutralité belge et Neutralité suisse, que j'ai
épinglée plus haut, (p. 17), arrive à étayer une conclu-
sion ainsi formulée : si l'Allemagne a demandé à
passer à travers la Belgique, c'est parce qu'elle
avait perdu toute confiance à l'égard de ce pays
et quelle n'aurait jamais risqué de compter sur
sa neutralité pour assurer la sécurité de ses riches
provinces rhénanes; par contre, l'Allemagne avait
en la Suisse une confiance absolue, parce que la
Suisse pratiquait la neutralité d'une façon loyale :
aussi l'Allemagne a-t-elle respecté la Suisse, alors
qu'elle violait la Belgique (pp. 29-30 de l'édition
allemande, p. 32 de l'édition française). Et cette
4^^ n l'Ror;» s dh i.a ni.utraiitk nixcF
conclusion repose sur l'exi^osé d'une série de faits
qui prétendent apporter des témoignantes du senti-
ment public en Belgique et qui, étant en réalité
sans valeur propre, n'autorisent aucune générali-
sation touchant la politique extérieure de la Bel-
gique. Par exemple, l'auteur citera avec insistance
une brochure qui eût dû lui demeurer suspecte,
puisqu'elle ne portait aucun nom couvrant son
contenu ; ou bien il écrira (je souligne) : /< On alla
MÊME EN Belgique jusqu'à participer aux ar-
mements DE LA France. En 191 2, lorsqu'une sous-
cription nationale fut ouverte en France au profit
de l'aviation militaire, on n'hésita pas à étendre
i„ l'œuvre à la Belgique, » (p. 30 de l'édition française).
ii;:;
A la vérité, tout s'était borné à une proposition dé-
placée, surgie dans des milieux qui ne comptaient
pas, et un journal gantois, dont les tendances n'é-
taient rien moins que flamingantes, s'était écrié à
. cette occasion : « Ah çà ! sommes-nous tout à fait
fous ? et faut-il faire remarquer vraiment que ces
aéroplanes pourraient être appelés à faire planer leur
menace au-dessus du sol belge ? « L'auteur sait
cela, puisqu'il est obligé de l'imprimer : mais cela ne
l'empêche aucunement de conclure avec aplomb :
« Que pouvait-on attendre d'un pays dont la po-
pulation OFFRE DES AÉROPLANES A l'ARMÉE
FRANÇAISE ? » p. 29 de l'édition allemande, passage
non reproduit dans l'édition française).
Je pourrais apporter ici de très nombreux extraits
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 47
de la presse allemande et de brochures destinées
aux neutres, où l'on invoque ainsi des incidents
futiles ou des personnalités discréditées. Pour n'ap-
porter qu'un exemple encore, je dirai ce qu'il faut
penser d'un certain major Girard, dont l'Accusation
se plaît à reproduire les a^âs : M. Girard n'appar-
tient plus à l'armée belge : vingt-cinq ans avant la
guerre, il avait déjà été unanimement stigmatisé au
Parlement et, en août 1891, un journal reproduisit
à son sujet l'opinion d'un ancien membre du gou-
vernement : « lyC major Girard, disait celui-ci, mène
une campagne absolument antipatriotique, indigne
d'un ancien officier. » Mais que voulez-vous que les
neutres sachent de tout cela ? Ils n'ont retenu
qu'une chose, c'est qu'un « major belge » a des
idées favorables à certaines thèses allemandes.
De pareils moyens disqualifient une polémique.
Il est particulièrement regrettable de les rencon-
trer dans des écrits auxquels la situation de leurs
auteurs paraît conférer le prestige reconnu aux
travaux scientifiques.
Ainsi, le professeur Karl Hampe, de Heidelberg,
fait tort à une étude d'allure impartiale {Belgiens
Vergangenheit und Gegenwart ; Teubner, I^eipzig
und Berlin, 1915), en composant, dans son chapi-
tre IX (pp. yy et ss.), une mosaïque de citations de
valeur très inégale pour démontrer que, dans les
dernières années, les cercles dirigeants belges avaient,
comme le Gouvernement, pris parti, pour la France
4S IK PROCÈS DE LA NP.UTRAI.1TK BEI-CE
contre l'Alleiuagne : que valent ces découpures de
seconde main aux yeux de tous ceux qui ont connu
l'opinion éclairée du pays pour en avoir observé et
mesuré les courants ?
De même, le professeur Reinhard P'rank, de Mu-
nich, (Die bclgischc Neutr alitât, Mohr, Tiibingen,
1915, p. 19 et suiv.) et son collègue Aloys Schulte,
de Bonn, (Von der Neutralitàt Belgiens, Marcus und
Weber, Bonn, 1915 ; p. 94 et suiv.), tentent de dé-
montrer qu'une évolution se serait produite au cours
des dernières années, dans les sphères officielles
et dans les milieux autorisés de Belgique, quant aux
obligations qu'imposait la neutralité. L<es opinions
K citées, extrêmement peu nombreuses, sont celles
de publicistes, c'est-à-dire de particuliers n'enga-
geant ni de près ni de loin le gouvernement. Mes col-
lègues reconnaîtront qu'à transposer ainsi des faits
et des affirmations du domaine privé dans le do-
maine public, on enlève à un exposé historique toute
sa valeur. Ces procédés, dangereux et s'éloignant
fort de la saine critique, conduisent à des déclara-
tions comme celle-ci : «(En Belgique), tout était donc
préparé dans l'esprit des juristes, des soldats — et
SANS DOUTE aussi DES hommes politiques pour que
Ton en vînt à regarder des conspirations avec la
France et l'Angleterre comme compatibles avec la
neutralité. » Or, cette grave affirmation du profes-
seur R. Frank (p. 26) repose sur deux citations, ni
plus ni moins.
t:
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 49
Ou bien, on trouve chez le professeur Schulte
(p. 103) cette remarquable série d'inférences spé-
cieuses : «Assurément, i.e gouvernement bei.ge
n'a pas fait vai^oir ce point de vue, mais...
ce que des hommes comme ceux-là (le général
Brialmont et le professeur Nys) disent, ne s'efface
pas et grandit au contraire dans les cœurs... I^e
bouillant wallon (Brialmont) était parmi les plus
ardents amis de la France. Dans Iv' armée bei.ge,
les partisans de l'alliance française dominaient com-
plètement. Ils ONT finalement — du moins cei.a
SEMBI.E — triomphé aussi au ministère des Affaires
étrangères. »
Ou bien encore, le même professeur Schulte, glis-
sant subrepticement dans une phrase une incidente
qui suggère certaines pensées et tend à forcer le
jugement, écrira en parlant du port de Zeebrugge
(p. 86) : « Iv' Angleterre ne peut venir à Anvers par
mer : mais la Belgique construisit, pour des buts
commerciaux, le port de Zeebrugge ; celui-ci
convient d'ailleurs aussi comme base de débar-
quement POUR LES Anglais et il a été employé
déjà ainsi en automne 1914. »
Pascal aimait fustiger ces sortes de dialecticiens...
Voilà pour les procédés de l'Accusation.
lyCS faits qu'elle invoque sont connus : on n'en a
pas allégué de nouveaux depuis un an, mais on
les reprend avec des variantes dans l'exposé. Je
NEUTRALITÉ BELGE 4.
^O LK PROCKS DR LA NP.UTRALITh BEIXË
me bornerai îi utiliser ici le document allemand le
plus officiel (jui soit, la dernière édition du Livre
blanc consacré à la guerre : Aktenstûckc ztim
Kriegsausbruch, herausgegeben vom Auswârtigen
Amte, publié vers le mois d'avril 1915. Encore
à cette date, on a jugé ojjportun de consacrer
le tiers des soixante-quinze pages de ce document
aux imputations contre la Belgique : on y trouve
reproduites les révélations de la Norddeutsche
Allgemeinc Zeitung, d'octobre à décembre 19 14,
concernant les documents « Barnardiston-Du-
carne », «Bridges-Jungbluth», «Greindl», ^< Espion-
nage , manuels militaires et rapports anglais *.
i. On a corrigé r« insignifiante erreur de traduction n
(bedeutungsloser Uebersetzungsfehler), comme l'a
qualifiée la Norddeutsche du 10 mars 1915, qui, dans
le rapport Ducarne, transformait « conversation »
en « convention » (Abkommen). Pour l'édification
du lecteur, je reproduis ci-dessous le passage du
manuscrit où l'on veut trouver à la fin de la se-
conde ligne un mot écrit d'une façon prétendument
« très illisible » (« sehr undeutlich ») \ chacun lira
c:
cependant d'emblée dans ce mot: «conversation»^.
^ A ce propos, un fait remarquable vient d'être mis en lumière
par mon compatriote, M. Passelecq, qui, dirigeant le Bureau docu-
mentaire belge (B. D. C), dispose de sources nombreuses d'in-
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 5I
Kn compensation de cette rectification, on a mis
en vedette l'indication que le général belge avait
inscrite sur l'enveloppe renfermant le rapport.
J'avais délibérément, malgré les instances de plu-
sieurs amis, évité de discuter cette question dans La
Belgique neutre et loyale ; je la considérais et je la
considère encore comme puérile; mais l'Accusation
insiste et mes critiques me reprochent mon silence :
P. Schumann (Hat Belgien sein Schicksal verschul-
det ? Antwort auf Prof. Waxweilers gleichnamige
Schrift ; Verlag des Dresdner Anzeigers, p. 30) ne
m'accuse- t-il pas à ce propos de falsifier les
textes ?
On se représente aisément dans quelles circonstan-
ces une inscription a été faite par le général sur l'en-
formations. Daus une étude très fouillée du Livre Blanc, il dit :
« Il nous est venu récemment entre les mains quelques fascicules
de la revue mensuelle de propagande officiellement éditée à Berlin,
en plusieurs langues, depuis le mois d'août 1914 (et répandue à
foison en tous pays neutres), sous le titre de Kriegschronik : Kriegs-
tagehuch, Soldatenbnefe, Kriegsbilder (en français : Journal de la
Guerre, Lettres de soldats en campagne. Illustrations ; — en hollan-
dais : Oorlogskroniek ; — etc.) et avec la mention « Imprimé et
édité par M. Berg à Berlin ». Parmi ces fascicules, se trouvaient,
pour le « mois de novembre 191 4 », un exemplaire de l'édition en
langue française et un de l'édition en langue allemande.
« Or, quelle n'a pas été notre surprise, en comparant ces deux
éditions simultanées de la même brochure, de constater que, tan-
dis que l'édition allemande comporte, dans la version allemande
du manuscrit Ducarne, l'altération de la Nordd. A II g. Zeitg {Ab-
kommen), l'édition en langue française ne la comporte pas, mais,
au contraire, porte, correctement typographie, le texte exact du
manuscrit : « Conversation». — Voiries fac-similés dans Passrlecq,
Essai critique et notes sur l'altération officielle des documents belges,
p. 40. (Berger-Levrault, Pages d'histoire, 1916).— Ilest évident que
si, à Berlin, on a pu, dans une édition, faire iypographier correc-
tement, c'est qu'on avait lu correctement...
S2
I.K PROChS 1)K LA NKUTKAI.ITK BELGK
veloppe dans laquelle il venait de glisser la minute de
son rapport. Le crayon rouge à la main, il va inscrire
sur l'enveloppe une rubrique, rappelant l'objet de la
pièce qu'elle contient ; il n'est pas juriste, le général,
il n'a pas de scrupules quant au choix du mot : « De
quoi traite ce rapport ? de conventions, que diable !
puisque j'ai convenu diverses choses avec l'attaché
militaire », et le général écrit en grands caractères,
en faisant suivre son inscription d'un long paraphe
comme on en trace au moment où une affaire est
achevée : « conventions anglo-belges » A Remarquez
bien qu'il n'écrit pas « convention » au singulier,
justement parce que dans son esprit il n'y a que des
« choses convenues ».
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 53
Or, cet innocent intitulé d'enveloppe, — que le
professeur Sculte appelle quelque chose de très
essentiel («etwas sehr Wesentliches ») — acquiert,
dans les réquisitoires contre la Belgique, une valeur
de témoignage juridique : « Kn présence de ce titre'
proclame gravement la Norddeutsche, il ne peut plus
subsister aucun doute sur la signification de droit
PUBivic (staatsrechtliche Bedeutung) que, du côté
BELGE LUI-MÊME, OU accordait aux documents. »
(Article cité.)
Je n'ajouterai rien, sauf peut-être ceci. Puisque,
pour apprécier la valeur juridique d'un écrit, il suffit
de connaître la rubrique sous laquelle il a été placé
dans une enveloppe par un militaire, je puis aussi
invoquer une rubrique de classement, que la Nord-
deutsche a citée, en passant, le 13 octobre 1914, mais
dont elle a négligé de faire état : il paraît que la
fameuse enveloppe a été trouvée dans un dossier
portant cette inscription : « Intervention anglaise en
Belgique ». Rubrique pour rubrique, je retiens la
seconde.
Ceci est plus important. Dans la dernière édition
officielle, on a maintenu la principale altération du
texte : la phrase essentielle : « l'entrêE des an-
glais NE SE FERAIT QU' APRÈS LA VIOLATION DE
NOTRE NEUTRALITÉ PAR L'ALLEMAGNE », n'est pas
insérée à sa place dans la traduction allemande ;
elle n'est toujours citée, — exclusivement en fran-
çais d'ailleurs et, par suite, ignorée par la majo-
54 '> J'ROCRS DH I.A NKUTRAl.ITh BRLGR
rite des lecteurs allemands, — qu'accessoirement,
en dehors du rapport et comme si ELLE èTAiT
UNE NOTE MARGINALE, AJOUTÉE APRÈS LA RÉDAC-
TION : «Auf dem vSchriftstiick findet sich noch der
folgende Randvermerk ».
J'ai montré, en reproduisant {La Belgique neutre
et loyale, p. 178) le fac-similé de cette partie du raj;-
port, combien cette façon de présenter les choses est
inexacte : en réalité, la phrase fait partie du texte
original, elle est écrite de la même main, au même
instant que l'ensemble de la minute, — car il s'agit
:; d'une minute toute émaillée de ratures, de suppres-
5' sions et d'additions. En retirant la phrase du texte
i.., avec lequel elle fait corps, on commet un faux.
c
Telles sont, sous leur forme actuelle, les pièces
versées au débat.
Une chose est surprenante à propos de ce rapport
militaire désormais célèbre : c'est qu'aucun de ceux
qui en Allemagne s'en sont occupés, n'a fixé son
attention sur les deux premiers paragraphes du docu-
ment. On les trouvera ci-contre dans leur forme
originale.
Ces paragraphes sont essentiels : ils marquent le
début de l'exposé ; ils définissent la nature, l'objet,
la portée de l'affaire. Relisons-les lentement.
« lyA première visite date de la mi-janvier. »
L'Attaché militaire anglais est donc venu trouver
le général : visite de soldat à soldat. Je vais préciser
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
55
"^ '^ 1 ^
i >v i j -1,1 r-*-'
?
\s
i
t
S6 l.k F'ROCHS DE LA NHUTRAI.ITK BFI.GK
ce point, d'après des informations sûres : visite
personnelle, faite au domicile particulier du géné-
ral et que rien n'avait annoncée.
De quoi l'attaché a-t-il parlé pour débuter ?
« Des préoccupations dk l'état-major de son
PAYS » : soucis de soldats.
Relativement à quoi ? « A la situation poli-
tique GÉNÉRALE ET AUX ÉVENTUALITÉS DE GUERRE
DU MOMENT. »
Ces soucis sont-ils extraordinaires ? La visite date
de la mi-janvier 1906. Or, précisément, je trouve
dans un recueil diplomatique publié par le Départe-
ment des Affaires étrangères de Berlin et dont je
reparlerai (Belgische Aktenstûcke: iço^-içi4. Heraus-
gegeben vont Auswârtigen Amt), une lettre du 14 jan-
vier 1906 adressée au ministre belge des Affaires
étrangères par le chargé d'affaires à Londres, et j'y
lis : « Dans ces derniers temps, le ministre des Affai-
res étrangères a répété à plusieurs reprises aux diffé-
rents ambassadeurs accrédités à Londres que la
Grande-Bretagne était engagée vis-à-vis de la France
en ce qui concerne le Maroc et qu'elle remplirait ses
engagements jusqu'au bout, même en cas d'une
guerre franco-allemande, et quoi qu'il pût lui en
coûter. La presse et l'opinion publique font preuve
des mêmes sentiments. L'on rappelle les différents
froissements qui se sont produits entre ce pays et
l'Allemagne, notamment lors de la guerre sud- afri-
caine, et Ton ajoute que si la conférence d'Algésiras,
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 57
qui est réunie à la demande de TAllemagne, venait à
échouer par la faute de cette dernière, non seulement
tout espoir de rapprochement anglo-allemand serait
perdu, mais il en résulterait une réelle hostilité entre
les deux pays. »
En janvier igo6, il y avait donc véritablement
en Angleterre des préoccupations très graves.
Mais cela intéresse-t-il la Belgique ? Assurément,
car voici la communication importante, la raison
d*être de la visite :
« Un envoi de troupes d'un totai. de cent
miixe hommes environ, était projeté pour le
cas où i.a bei.gique serait attaquée. »
Nous lisons bien : envoi projeté pour le cas où
I,A BELGIQUE SERAIT ATTAQUÉE. Eh quoi ? En 187O,
au moment de la révélation des négociations secrètes
engagées entre Napoléon III et Bismarck pour
l'annexion de la Belgique, on avait été bien plus
catégorique : le 30 juillet, le Cabinet anglais avait
décidé que les engagements contractés envers la
Belgique seraient tenus, dussent-ils conduire à la
guerre et il avait obtenu du Parlement, par un vote
presque unanime, un crédit extraordinaire de deux
millions de livres et un contingent supplémentaire
de vingt mille hommes de troupes. Gladstone
avait dit officiellement au ministre de Belgique que
M l'incident du traité secret franco-prussien était de
la plus haute gravité et qu'il engageait l'Angle-
terre plus avant dans les affaires belges. » En face
58 l.K Ï'ROOKS DK LA NHUTRAI.ITh BELGF
de tout le déploiement politifjue de 1870, combien
la démarche de 1906 i)araît anodine : un attaché
militaire anglais vient simplement informer, à titre
confidentiel, le chef de l'état-major belge d'un pro-
jet qui consiste à envoyer des troupes pour le cas
où la Belgique serait attaquée...
C'est si bien une première information, sans plus,
que l'Attaché militaire s'empresse de « demander
COMMENT CETTE ACTION SERAIT INTERPRÉTÉE PAR
LA BELGIQUE ».
A une telle question, dites-moi, que devait ré-
pondre n'importe quel chef d'état-major venant
d'apprendre qu'au cas où son pays, convention-
nellement neutre, serait attaqué, l'une des puis-
sances qui l'ont garanti viendrait à son secours ?
Exactement ce que le général belge a répondu : « au
point de vue militaire, cette action ne pourra
qu'Être favorable, mais cette question d'in-
tervention (notez le mot en passant) relève
ÉGALEMENT DU POUVOIR POLITIQUE ET, DÈS LORS,
JE SUIS TENU d'en ENTRETENIR LE MINISTRE DE
LA GUERRE. »
Quant aux questions d'ordre militaires, le chef
de l'état-major belge avait toujours, au cours
de sa carrière, considéré ce domaine comme étant
le sien, par ce qu'il en avait les responsabilités :
« C'était, — je suis autorisé à me ser^dr de ses pro-
pres expressions, — une règle qu'il s'était imposée
dans tous les travaux ou études stratégiques ou
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 59
tactiques, car il jugeait que ces questions, spécia-
lement de son ressort et de sa compétence, ne
relevaient que de l'état- major. » Aussi n'a-t-il
adressé un rapport au ministre de la Guerre sur ses
conversations avec l'attaché militaire anglais qu'au
moment où elles avaient pris fin.
Si je voulais poursuivre l'analyse attentive du
rapport du général belge, je pourrais multiplier
encore les preuves de son indiscutable correction.
Ainsi, je lis un peu plus loin : « M. Barnardis-
ton s'informa si nos dispositions étaient suffisan-
tes POUR ASSURER LA DÉFENSE DU PAYS durant
la traversée et les transports des troupes an
glaises, temps qu'il évaluait à une dizaine de
jours. Je répondis que les places de Namur et de
lyiége ÉTAIENT A l'abri d'un coup de main et
que, en quatre jours, notre armée de campagne,
forte de loo ooo hommes, serait en état d'inter-
venir. »
Plus loin encore, notez ces expressions : « Nous
pouvions compter, que, en douze ou treize jours,
seraient débarqués, etc. » — « Il me demanda
d'examiner la question du transport de ces forces
VERS LA partie DU PAYS Oll ELLES SERAIENT
UTILES. » — « J'ai insisté une dernière fois et
aussi énergiquement que possible sur la nécessité
de hâter encore les transports maritimes, de façon
que les troupes anglaises fussent prés de nous
entre le onzième et le douzième jour. »
.«I
6o LK PROCKS DF. I A NF.UTRALITH BELGE
Combien, h travers toutes ces lij^nes, transparaît
l'idée qu'il s'agit de venir au secours de la Bel-
gique pr^:alablement attaquée.
Seuls, les auteurs du Livre blanc s'égarent dans
des commentaires en marge de l'évidence. Ils atta-
chent, par exemple, une grande importance à ce que,
parmi les documents trouvés à Bruxelles figurait
une carte du déploiement de l'armée française, et
ils en tirent hardiment cette conclusion : la Belgique
n'était pas seulement d'accord avec l'Angleterre,
mais « les trois puissances alliées avaient établi
exactement (« genau festgesetzt ») les plans d'une
coopération des armées alliées. » [Akienstûckc zuvi
Kriegsausbruch, p. 58, en bas). Or, je suis en mesure
d'affirmer que cette carte était une « carte d'études »,
faite par un des officiers adjoints à l'état-major
belge ; cet officier en a dessiné, au moment des con-
versations de 1906, aussi bien qu'avant et après
cette époque, beaucoup d'autres pour orienter l'état-
major sur la marche des déploiements stratégiques
possibles de l'armée française — et aussi de l'armée
allemande. Ces cartes avaient la valeur de schémas
et j'ajoute d'après des renseignements émanant du
général Ducarne lui-même, qu'aucune, absolument
aucune carte ne fut dressée au cours des entretiens
avec l'attaché militaire anglais, ce dont le dossier
trouvé à Bruxelles fait d'ailleurs foi.
Pour montrer combien, même au point de vue
purement militaire, la Belgique était, après ces con-
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
versations, exactement dans la même situation qu'au-
paravant à l'égard de ses garants, j'avais révélé dans
La Belgique neutre et loyale (p. 179) que peu de temps
après 1906, un voyage d'études de l'état-major belge
avait eu pour thème tactique un débarquement sup-
posé de troupes anglaises en Belgique. Je puis être
aujourd'hui plus précis : voici le tableau des direc-
tions données aux voyages d'études pendant les
cinq années qui suivirent les conversations :
1906, VERS Iv'AlvLEMAGNE ;
1907, VERS I.A France ;
1908, VERS Iv'Angi^eterre ;
1909, VERS l'AIvIvEMAGNE ;
1910, VERS i,A France.
En particulier, le voyage de 1908 était basé sur
l'hypothèse que la France et i.' Angleterre fai-
saient CAUSE COMMUNE POUR TRAVERSER LA BEL-
GIQUE DANS UNE GUERRE CONTRE l' ALLEMAGNE.
Véritablement, peut-on souhaiter des faits qui
anéantissent plus complètement l'Accusation ?
*
* *
ly'un des accusateurs de la Belgique, le D^ Richard
Grasshoff ^, l'a bien senti.
1 D' juris et phil. Richard Gkasshoff, Belgiens Schidd, zu-
gleick eine Antwort an Professor D' Waxueiler ; Reimer, Berlin
1915. — Traduction française : La Belgique coupable ; même
éditeur.
Puisque j'entre en discussion avec cet auteur, il me permettra
à2 Ll: l'KUChS l)h I.A NtUTK ALITÉ BELGE
Aussi ])asse-t-il légèrement, sur les commentaires
des brochures officieuses et il se borne à dire (je
résume l'argumentation) :
« lyaissons de coté tous les incidents susceptibles
d'une interprétation multiple (p. 6)... ne tenons
aucun compte des suppositions instinctives que le
fait suggère immédiatement chez chaque esprit rai-
sonnable (p. 7). Il n'en reste pas moins ceci : le
Gouvernement belge devait avertir l'Allemagne,
car si, dans l'avenir, l'Angleterre voulait un jour
débarquer des troupes en Belgique sans attendre
f l'attaque allemande, — et le Gouvernement belge
devait savoir par l'Histoire que l'Angleterre était
de lui faire observer qu'il m'a bien inexactement attribué des ten-
dances d'esprit et des expressions qu'il n'a pas trouvées dans mon
livre. Il écrit : « En notre qualité d'Allemand doué d'un jugement
médiocre, concession la plus haute que fasse à notre iutelli^ence la
magnanimité de M. Waxweiler (p. 7 de la traduction française) ;
voici le passage correspondant de l'édition allemande : « Wir
wollen als besonnene Deutsche von màssigem Urteil — dass uns
Herr Waxweiler grossmûtig im hôchsten Falle der Einsicht zuge-
steht » (p. lo-ii).
Je n'ai jamais rien écrit de semblable.
J'ai dit, à propos des démarches diplomatiques de l'Allemagne
du 29 juillet au 4 août 19 14, qui ont révélé des dispositions si
peu correctes à l'égard de la Belgique : c Les meilleurs amis de
l'Allemagne, les Allemands eux-mêmes qui ont su dans les angois-
santes semaines que vit notre pays, conserver le sens de la mesure,
n'éprouvent-ils pas, en présence de ces faits, un indicible malaise
et pour tout dire, un troublant remords ? » (p. 117,) Et dans la
traduction allemande : « Empfinden die besten Freunde Deutsch-
lands, ja die Deutschen selbst, die trotz den bangen Ereignissen
der letzten Monate ein mâssiges Urteil bewahrt haben, nicht ein
unbeschreibUches Unbe hagen und, um es ganz zu sagen, nagende
Reue ? (P. 102.)
Aucun de mes textes ne renferme, on le voit, rien qui autorise
la remarque de l'auteur.
Dans sa brochure, le D^" Grasshoff revient encore en trois autres
endroits (pp. 10-17-45) sur cette confusion déplaisante.
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITÉ BELGE 63
assez perfide pour le faire, — elle connaissait désor-
mais tous les détails techniques nécessaires. Or,
l'Allemagne, garante comme l'Angleterre, avait le
droit de connaître les mêmes choses. I^e Gouverne-
ment belge devait se demander : à présent que
l'Angleterre s'est assurée un pareil monopole d'in-
formations, l'Allemagne se regardera-t-elle toujours
comme liée par un traité de garanties dont l'un des
contractants menace de s'assurer la part du lion ?
Croit-on en Allemagne à la loyauté d'Albion ? »
(p. 8-9.)
En somme, pour le D' Grasshoff, toute l'accusa-
tion contre la Belgique se ramènerait à ceci : la
Belgique aurait rompu l'équilibre de la neutralité en
assurant à l'Angleterre un monopole par la com-
munication de secrets militaires. I^e professeur
Frank voit à son tour, dans cette imputation, le
grief fondamental à adresser à la Belgique {Die
belgische Neutr alitât, p. 31).
Mais il suffit de lire le rapport complet du général
Ducarne {La Belgique neutre et loyale, p. 283 et suiv.),
pour constater que le chef de l'état-major belge n'a
eu aucunement à confier à son interlocuteur des se-
crets militaires belges ; il a recueilli, au contraire,
de très intéressantes confidences sur les dispositions
anglaises ; il a coordonné des mesures pour concerter
l'action des deux armées, toujours en vue « d'opé-
rations COMBINÉES DANS LE CAS d'UNE AGRES-
SION Ai.i,EMANDE ». Il s'est borné « à convaincre l'at-
04 I.H l'ROŒS Dh LA NHU TKAUTI. BEUih
taché anglais de la volonté ([un l'armée belge avait
d'entraver dans la mesure du possible les mouve-
ments de l'ennemi et de ne pas se réfugier dès h-
début dans Anvers ». Rien de plus.
Je suis heureux de pouvoir communiquer ici
une déclaration récente de l'ancien chef de l'état-
major belge : si un attaché militaire français ou
allemand s'était adressé à lui et l'avait invité à
prendre des mesures en vue de combiner une dé-
fense éventuelle du territoire garanti, il lui eût
réservé exactement le même accueil. Mais cela n'eût
pas empêché l'état-major de garder le secret sur ses
propres dispositions et de ne communiquer à aucun
des attachés militaires celles qu'il aurait prises avec
les autres.
I/CS accusateurs de la Belgique perdent vraiment
toujours de vue que cet Etat était indépendant,
souverain, maître chez lui, et ne voulait d'aucune
inféodation : il prenait pour sa défense les mesures
« qu'il lui convenait de prendre », comme le disait
en 1887 l'ancien ministre belge Frère-Orban, qui
saisissait cette occasion pour rappeler à la Chambre
ces paroles du maréchal de Moltke : « C'est affaire
à la Belgique de choisir ses moyens de défense. »
(Cf. E. Descamps, La Neutralité de la Belgique,
p. 409, § 5 : « I^e choix des moyens appropriés à la
défense. »).
Eh ! puisque les accusateurs de la Belgique se
montrent si ombrageux à l'égard du rôle des atta-
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITÉ BELGE 65
chés militaires étrangers à Bruxelles, je vais leur
révéler un précédent qui ne laisse pas d'être assez
piquant.
I^e 12 mai 1875, le baron lyambermont, qui a
longtemps dirigé la diplomatie belge, écrivait à
M. Jules Devaux, chef du cabinet du roi Ivéo-
pold II :
« On m'a dit et redit en termes presque suppliants :
il faut mettre Namur et I^iége en état de défense. Il
ne s'agit pas de grands travaux, mais seulement
d'un système n'entraînant qu'une très modique dé-
pense. On a même fait remarquer que ces travaux
sont indispensables dans les deux sens : vous pourrez
déclarer en les proposant que vous les faites aussi
bien pour une armée venant de l'autre côté. Nous
ne demandons donc pas de privilèges, mais nous
tenons à ce que la ligne de la Meuse soit barrée.
» Bn somme, je ne puis mieux condenser la pensée
de mon interlocuteur qu'en répétant les mots dont
il s'est servi : Tout ce que nous vous demandons,
c'est de tenir cinq jours ; cela fait, votre tâche sera
remplie. »
Iv'interlocuteur du baron Lambermont n'était ni
plus ni moins que l'Attaché militaire allemand à
Bruxelles, le major von Sommerfeld. Il était venu
trouver non pas un militaire, mais la personnalité la
plus éminente du Département des Affaires étran-
gères. Il ne lui avait pas demandé simplement de
prendre en commun des mesures d'exécution pra-
NEUTRALITÉ BELGE S
66 l.H l'ROCKS DE LA NEUTRALITÉ BELGE
tique, i>our le cas où l'armée allemande devrait
conformément aux traités, aider l'armée belge dans
la défense du territoire, mais il l'avait pressé d'en-
gager son gouvernement dans une voie qui était
alors toute nouvelle, de modifier profondément le
système défensif du pays, — et cela simplement
pour répondre aux convenances stratégiques de
l'Allemagne.
La conversation militaire de 1906 est considérée
aujourd'hui en Allemagne comme une trahison :
comment l'eût-on qualifiée si elle avait eu la portée
f de la conversation dipi^omatique de 1875 ^ ?
L., Que les conversation^ de 1906 n'aient pas dé-
L, passé ce qui était strictement compatible avec les
: obligations de la neutralité, cela ne peut être con-
testé par aucun esprit droit. Mais il est possible
^ Il n'est pas inutile de souligner le fait qu'en 1875, c'était
l'Allemagne qui insistait avec force auprès de la Belgique pour
que celle-ci mît Namur et Liège en état de défense.
Le professeur Schulte sera sans doute bien surpris d'apprendre
ceci, lui qui, dans les conjectures qu'il amoncelle pour incriminer
la politique de la Belgique, représente les fortifications de la
Meuse comme dirigées contre l'Allemagne (notamment, p. 86),
Il importe fort peu, d'ailleurs, que plus tard Moltke ait exprimé
au roi Léopold 11 vm avis différent : ce changement d'opinion
montre, au contraire, combien la Belgique avait raison de con-
sulter ses seuls intérêts pour décider les mesures propres à assu-
rer la défense de son territoire.
De même, M. Schulte sera étonné d'apprendre que, vers 1890,
il y eut en France, précisément à propos du projet des fortifica-
tions de la Meuse déposé en 1887, toute une levée de boucliers :
on prétendait que le projet faisait partie d'un accord liant la
Belgique à l'Allemagne. J'ai déjà fait allusion précédemment
(p. 28) à cette campagne injuste.
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 67
d'affirmer, en outre, qu'elles sont restées sans
influence aucune sur l'orientation de la politique
extérieure de la Belgique.
On possède, en efFet, depuis peu de temps une
précieuse source de renseignements, émanant du
Département des Affaires étrangères de Berlin,
ce qui lui confère une valeur peu banale pour la
défense de la politique belge. C'est une série de rap-
ports diplomatiques adressés à Bruxelles par dix
ministres et chargés d'affaires belges, qui repré-
sentaient la Belgique à Berlin, I^ondres et Paris
entre 1905 et 1914 : Belgische Aktenstûcke; j'y ai
déjà fait allusion (p. 56). Je ne veux pas montrer
ici que le choix des rapports laisse une impression
bien différente de celle que donnerait la série com-
plète, si elle était publiée ; je ne veux pas davan-
tage savoir dans quelle mesure ces rapports expli-
quent la politique de telle ou telle puissance euro-
péenne. Je me place au seul point de vue de la
Belgique et je remarque qu'à ce point de vue, et
indépendamment de toutes les opinions person-
nelles qui peuvent s'y rencontrer, il faut considérer
ces documents comme si l'on regardait l'image d'un
objet dans un miroir : envisagés de cette façon, les
rapports donnent en quelque sorte par réflexion
des indications précises sur la politique extérieure
de la Belgique.
Ouvrons donc le recueil que la Chancellerie
allemande a cru devoir livrer au public et cher-
68 IF. PROCKS DK l.A NHUTRAI.ITK BELGE
chons-y ce que les ministres belges, accrédités
dans les trois grandes capitales, écrivaient au
sujet de l'orientation de la politique à laquelle
ils collaboraient. Dans les cent-quarante pages
des Aktcnstiicke nous ne trouverons pas un mot,
pas une allusion à une inféodation de la politique
belge à l'une quelconque des trois grandes puissances
voisines, et, en particulier, à l'Angleterre. Les occa-
sions d'en parler étaient cependant incessantes : dès
la première page du recueil, il est question de la
tension des rapports entre la France et l'Angleterre
il»' '
;;:. d'une part et l'Allemagne d'autre part : on est au
c' lendemain de Tanger et à la veille d'Algésiras. Le
c terrain est brûlant. Observe-t-on de la part des diplo-
^' mates belges quelque hésitation à s'y aventurer,
quelque gêne à entretenir le gouvernement des con-
flits qui se déroulent ou se préparent ? Nullement.
Ils étalent ouvertement leurs opinions. Dans cette
collection qui a été rassemblée par l'adversaire, où
il n'a, visiblement, fait entrer parmi les pièces dé-
couvertes que celles d'où sa cause pouvait tirer
quelque force, il n'y a pas une pensée, exprimée ou
sous-entendue, qui permette d'incriminer en quoi
que ce soit la politique de la Belgique.
Ces rapports sont bien ceux que l'on devait s'at-
tendre à trouver dans les archives d'un pays dont
toutes les attitudes extérieures étaient, ainsi que je
l'ai montré, commandées par le souci d'assurer la
vie de la nation en échappant à tout assujettissement.
c
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITÉ BELGE 6()
Quel que soit l'événement qui survient et où qu'il
survienne, les représentants de la Belgique le jugent
toujours au point de vue national, aussi bien il y a
dix ans, en septembre 1905 (Aktenstucke, p. 9 : « A
NOTRE POINT DE VUE, il est à souhaiter que le secré-
taire d'Etat, à Berlin, ait raison »), qu'à la veille de
la guerre, en juillet 1914 (id. p. 139 : « En ce
QUI nous concerne, nous n'avons pas à prendre
parti. »)
Ainsi, les dix diplomates belges ignorent tout
d'une prétendue « connivence » entre la Belgique et
l'Entente. Or, il faudrait ne rien connaître de l'or-
ganisation diplomatique pour s'imaginer que pen-
dant dix années consécutives, dix représentants diffé-
rents d'un pays auprès de trois gouvernements voi-
sins auraient pu demeurer systématiquement dans
l'ignorance d'actes décisifs, qui auraient engagé la
politique nationale dans une voie déterminée précisé-
ment à l'égard de ces trois gouvernements. Cela est,
en particulier, d'autant moins possible en ce qui con-
cerne la Belgique pendant cette période, que l'un
des ministres dont le nom apparaît le plus souvent
dans la liste des rapports publiés, le comte Greindl,
ministre à Berlin, jouissait, dans les milieux diplo-
matiques belges, d'une autorité que "son âge et son
expérience lui avaient assurée. I^es rapports publiés
confirment à cet égard singulièrement ce que je
disais ailleurs de ce diplomate {La Belgique neutre
et loyale, p. 181), à savoir qu' « on lui communiquait
yO LE PROCÈS DR LA NEUTRALITE BELGE
souvent les dociinients qui intéressaient la situa-
tion internationale du pays. »
Mais feuilletons plus attentivement le recueil et
cherchons si nous n'y découvrirons pas des indica-
tions concernant spécialement les conversations
militaires de 1906.
Il s'en trouve, en effet, — et, ne pouvant les passer
sous silence, l'Accusation a imaginé de représenter
les opinions émises par les diplomates belges
comme des << avertissements » adressés à leur gou-
vernement, pour lui signaler les périls d'une préten-
due politique nouvelle. I^a brochure de propagande
La Neutralité belge dit, par exemple : « Le comte
Greindl met avec insistance son gouvernement en
garde contre le terrible danger auquel la Belgique
s'est exposée par sa réunion aux puissances de
l'Entente » (p. 7) ; la brochure dit encore : « Avec
toute la lucidité permise à un diplomate envers son
gouvernement, le comte Greindl a rappelé au sien
qu'il violait ses devoirs de neutralité en se liant par
des engagements subversifs » [id.) ; et plus loin :
« lycs avertissements n'ont pas manqué au gouver-
nement, belge demeuré aveugle jusqu'au bout *
(p. 8). Le professeur D^ Hônn, dans son article Aus
belgischen Archiven (dans Das grôssere Deutschland,
21 août 1915, p. 1123), n'hésite pas à conclure
que «l'entêtement du gouvernement belge à ne pas
suivre les avis de ses diplomates rend sa culpabi-
lité deux fois plus lourde ». Le recueil officiel lui-
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 7I
même reprend ce thème : « Cela a été, lit-on à la
fin de l'introduction, un malheur pour la Belgique
qu'elle n'ait pas voulu entendre les voix de ses
diplomates. »
lya thèse que le Gouvernement belge aurait été
l'objet de remontrances de la part de ses représen-
tants à l'étranger prétend se fonder, en particu-
lier, sur un rapport envoyé en 191 1 par le comte
Greindl au Département des Affaires étrangères à
Bruxelles ; ce rapport, n'a d'ailleurs, pas été repro-
duit dans le recueil diplomatique des Belgische
Aktenstiicke ; la N orddeutsche n'en a publié, le
13 octobre 1914, qu'un fragment ingénieusement
choisi et reproduit dans le dernier Livre blanc
(P- 59-) J'^i ^^Jà dit (La Belgique neutre et loyale,
p. 180-181) que le rapport du comte Greindl n'a
aucunement été fait à l'occasion des conversations
de 1906 avec l'attaché militaire anglais : il fournit
au Département l'avis que celui-ci avait demandé
concernant une étude rédigée par un fonctionnaire
supérieur et portant pour titre : « Que fera la Bel-
gique en cas de guerre franco-allemande ? » Dans sa
réponse, qui constitue un long mémoire, le comte
Greindl envisage diverses éventualités de viola-
tion de la neutralité belge. Il s'arrête d'abord, en
un langage d'ailleurs curieusement prophétique, au
danger allemand ; puis il signale le danger franco -
anglais. Il émet des réserves sur le travail qui lui a
été soumis, mais, à aucun endroit, il ne laisse devi-
72 Ih l'RDCKS DK l.A NKUTRALITh BRI.GF.
ner une intention de critique ou d'avertissement à
l'égard de la politique du gouvernement. Et ce-
pendant il fait allusion aux conversations de 1906 :
le moment était tout indiqué de faire entendre
des paroles sévères ; tout au contraire, le Comte
s'exprime dans des termes qui révèlent une com-
plète confiance : « nous » savons à quoi nous en
tenir ; « nous » avons montré que nous ne nous
laisserions pas intimider, etc.
IfSi même attitude d'esprit s'observe aussi bien
dans les autres rapports du comte Greindl que
:::•■: dans ceux de ses collègues de Londres et de Paris.
c L'Accusation ne pourrait pas apporter une seule
c' citation en faveur de sa thèse.
b' Dès lors, il est établi que les passages où les
^ ' diplomates belges parlent des conversations mili-
taires sont à retenir pour ce qu'ils disent, ni plus
ni moins : ils n'ont aucune portée tendancieuse.
Or, tous ces passages, sans exception, s'accor-
dent à montrer que les représentants de la Belgi-
que SAVAIENT que les conversations n'avaient pas
eu la moindre influence sur la politique du pays.
La première mention des conversations de 1906
est du 5 avril de cette même année, dans un
rapport du comte Greindl, — preuve précise que le
gouvernement belge, loin de dissimuler ce qu'il
venait d'apprendre, a, sans aucun délai, porté la
nouvelle notamment à la connaissance du doyen de
la diplomatie belge. Et comment celui-ci s'exprime-
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 73
t-il ce jour-là, alors qu'il vient d'être mis au cou-
rant et que ses impressions sont encore vives ?
« Si, dit-il, quelque doute (sur la signification
d'une visite du roi d'Angleterre à Paris) pouvait
régner encore, la singulière démarche faite par le
colonel Barnardiston auprès de M. le général Du-
carne l'aurait dissipé» (Belgische Aktenstûcke, -p. 21).
Rien de plus : aucune allusion, même lointaine ni
à une convention, ni à une inféodation quelconque
de la politique belge ; le diplomate sait qu'il n'y
a rien eu de semblable.
Un an plus tard, en avril 1907, le comte Greindl
a encore l'occasion de donner son jugement et, chose
caractéristique, il se sert sensiblement des mêmes
termes que la première fois : « Nous-mêmes, écrit-il
alors, nous avons eu à enregistrer les singulières
OUVERTURES faites par le colonel Barnardiston au
général Ducarne. (Id., p. 34).
Et, dans une troisième circonstance, quatre ans
plus tard, il s'exprime encore d'une façon analogue :
« C'est la continuation des propositions singulières
qui ont été faites il y a quelques années au général
Ducarne par le colonel Barnardiston. » (Id., p. 102.)
DÉMARCHES — OUVERTURES — PROPOSITIONS :
c'est bien uniquement sous cet aspect, conforme à la
stricte réalité, que les conversations militaires de
1906 apparaissent au diplomate belge, dont l'Accu-
sation aime tant utiliser le témoignage.
Bien plus, il se trouve dans le rapport dont un
74 '> PKDCKS DH I.A NKirrKAI.lTK BHUiK
fragment a été publié par la Norddeulsche une phrase
qui révèle que le même dij^lomate considérait que
les projets communiqués en 1906 par l'Attaché
militaire anglais tenaient coni}>te d'une résistance
éventuelle de l'armée belge à l'avance des troupes
anglaises. Il écrit, en effet : « L'armée anglaise entre-
rait tout de suite chez nous par le nord-ouest, ce qui
lui donnerait l'avantage d'entrer immédiatement en
action, de rencontrer l'armée belge, si nous ris-
quions UNE BATAILLE, dans Une région où nous ne
pouvons nous appuyer sur aucune forteresse, de s'em-
parer de provinces riches en ressources de toute
espèce, en tout cas d'entraver notre mobilisa-
tion, ou de ne la permettre qu'après avoir
obtenu de nous des engagements formels donnant
l'assurance que cette mobilisation se fera au profit
de l'Angleterre. »
ly'indépendance de la Belgique à l'égard de ses
garants apparaît ainsi de toutes parts avec évi-
dence. Elle est si grande et si réelle qu'un an
avant la guerre, le baron Beyens, ministre de Bel-
gique à Berlin, ancien ministre de la Maison du
roi Albert et particulièrement en situation d'être
au courant des tendances de la politique extérieure
de son pays, pouvait écrire dans un des rapports
diplomatiques que l'Allemagne a publiés : « lye
danger paraîtrait réel et pressant si le partage
du Congo faisait, sous les auspices de l'Angleterre,
l'objet de pourparlers secrets entre les trois grandes
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITÉ BELGE 75
puissances qui sont nos voisines en Europe et si
nos dépouilles africaines devenaient entre elles l'ins-
trument d'un rapprochement pacifique. Mais les
choses n'en sont pas là. Nous n'en devons pas moins
à mon avis tenir l'œil ouvert sur toutes les consé-
quences possibles d'une entente anglo-allemande ».
(Belgische Aktenstucke, p. 124.) I^e même ministre,
écrivant trois mois avant la guerre et signalant à
son gouvernement qu'une opinion un peu moins
hostile à l'Entente paraissait se former à Berlin, con-
cluait que pour la Belgique la question la plus inté-
ressante était de savoir si, en cas de conflit interna-
tional, l'Angleterre serait encore aussi disposée qu'en
191 1 à se ranger aux côtés de la France et si, en
somme, la Belgique aurait encore à redouter l'entrée
de soldats anglais. {Id. p. 133.)
Même en recourant exclusivement à la documen-
tation de l'Accusation et en ne quittant pas le
terrain qu'elle a choisi, on fait ainsi surgir, en faveur
de la politique de la Belgique, des justifications véri-
tablement éclatantes — pour reprendre l'expression
qui a été employée devant moi par une haute per-
sonnalité neutre.
Dans l'empressement que l'Accusation met à
charger la politique belge, elle apporte même des
faits qui, à l'examen, se retournent totalement
contre elle. Voici, par exemple, le professeur Schulte
qui fait grand état [Von dcr Neutralitàt Belgiens,
^11
76 LE PROCÈS m I A NF.l'TRALITE BELGE
p. 106 et suiv.) d'un discours^ prononcé le 11 dé-
cembre 1909, au Sénat de Belgique, par un ancien
ministre, M, de Favereau, qui détenait précisément
le portefeuille des Affaires étrangères au moment où
se sont produites les conversations militaires de
1906. Iv'intervention de M. de Favereau au Parle-
ment était motivée par la discussion de la réforme
militaire qui introduisait le service général ; l'ancien
ministre voulait rallier au projet ses amis de la droite :
il n'hésite pas à leur tenir un langage sévère, ni à
faire peser sur eux le poids des responsabilités qui
les menacent.
I^a thèse qu'il entend combattre est celle de la
prétendue quiétude créée par les traités de 1839 •
c'est une fausse quiétude, explique l'orateur, qui
saisit cette occasion pour définir à nouveau la poli-
tique, très réaliste, qu'impose la neutralité perma-
nente aussi bien à la Belgique qu'à ses garants.
^ Au sujet du texte de ce discours, je ne vois réellement pas
pourquoi le professeur Schulte dit que le compte rendu officiel des
Annales parlementaires a été atténué, ni pourquoi il croit trou-
ver des différences entre ce compte-rendu et une correspondance
envoyée de Bruxelles à la Kreuzzeitung de Berlin. Le premier
alinéa qu'il veut ajouter au compte rendu officiel (p. 122) se
retrouve plus loin dans le texte du discours (p. 123 à la fin) ; le
second alinéa (p. 123-124) se retrouve P.126-Ï27, enfin le troisième
alinéa (p. 125) se retrouve à cette même page. Le correspondant
de la Kreuzzeitung a simplement donné du relief à certaines
idées, mais le texte qui a été communiqué au Sénat est bien
celui qui a été imprimé aux Annales parlementaires. Je relève
à peine l'affirmation tout à fait gratuite tendant à faire croire
(p. 109) que si le correspondant d'un autre journal allemand a,
quelques jours après que le discours avait été prononcé, donné des
indications inexactes sur un passage essentiel, c'est parce qu'il y
aurait été invité officieusement.
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 77
Gardons-nous, dit M. de Favereau, de penser que
les Puissances ont obéi en 1830 et obéiront dans
l'avenir à autre chose qu'à leurs intérêts. Elles n'in-
terviendront en notre faveur que précisément dans
les limites de ces intérêts. On nous cite toujours
l'exemple de 1870 et l'on nous rappelle l'action pro-
tectrice de l'Angleterre, qui s'adressa alors en notre
faveur aux deux belligérants. Eh bien, depuis 1870
la situation a profondément changé : la nouvelle
politique que l'Angleterre paraît avoir adoptée ivUi
PERMETTRA-T-EI.I.E DE REMPLIR PLUS LONGTEMPS LE
MÊME RÔLE A NOTRE ÉGARD ? lyC jour du danger, NE
SERA-T-ELLE PAS LIÉE PAR DES ENGAGEMENTS VIS-
A-VIS d'un des BELLIGÉRANTS ET AINSI SON IN-
FLUENCE POURRA- T-ELLE ENCORE ÊTRE MISE A
NOTRE SERVICE ? Je base, affirme l'orateur, mon ju-
gement SUR CE QUE j'ai VU ÉTANT MINISTRE ; je re-
grette de ne pouvoir, en raison de la discrétion que
je dois garder, vous exposer ici les choses en détail.
Mais disons-nous bien que, dans notre situation,
NOUS SOMMES FORCÉMENT SANS ALLIANCE ; NOUS
RESTONS isolés; plaise à Dieu que jamais une grande
puissance ne veuille, à la faveur de cet isolement,
nous entraîner dans des combinaisons contraires à
nos intérêts. Qu'arriverait-il, par exemple, si nous
n'étions pas en état d'assurer nous-mêmes la défense
d'Anvers ? Ne pouvant être défendue par nous et ne
pouvant, en fait, appartenir à aucune grande puis-
sance continentale, cette place ne devrait-elle pas
7^ I-L PROCLS DJ. LA NKUTRALITK BKLGK
falaleiiienl lonibcT aux mains de l'Angleterre, et c|ui
sait quand et comment elle serait évacuée ? Il suffit,
concluait l'ancien ministre, que toutes ces questions
soient posées pour qu'un pays, qui est résolu à de-
meurer maître de sa destinée, connaisse ses de-
voirs.
Telle est, ramenée à ses données essentielles, la sub-
stance du discours prononcé à la fin de l'année 1909
au Sénat de Belgique par celui qui avait, à ce mo-
ment, le plus d'autorité pour parler de la politique
extérieure du pays. Il en ressort avec une aveuglante
fpi: clarté qu'après les conversations militaires de
1906, la Belgique n'a pas dévié d'un trait de sa
ligne de conduite traditionnelle. Le professeur
Schulte a cru embarrasser les défenseurs de la
politique belge en appelant l'attention sur cet
^4
î; exposé : ils lui savent, au contraire, inâniment de
r- gré de sa bonne inspiration. A la vérité, lui-même
éprouve quelques scrupules en terminant son argu-
mentation, mais il les dissipe aussitôt en insinuant
(p. 112) que M. de Favereau a quitté le ministère
pour ne pas être solidaire de la prétendue politique
de connivence. En fait, le départ de M. de Favereau
n'a pas eu le moindre rapport avec les conversa-
tions de 1906 et rien n'autorisait le professeur
Schulte à établir un rapprochement entre ces deux
incidents.
*
* *
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 79
Soit ! dit alors T Accusation: ne parlons plus des
conversations de 1906. Mais quelle a été l'attitude
du gouvernement belge six ans plus tard, en 191 2,
après la démarche faite par un autre attaché mili-
taire anglais, le lieutenant-colonel Bridges, auprès
du chef d'état-major belge ?
Avant de discuter les reproches de l'Accusation
à cet égard, rappelons ce qu'a été la démarche de
1912.
On est en avril, quelques mois après la crise
d'Agadir, au cours de laquelle pour la première fois
l'Angleterre a affirmé officiellement sa solidarité
avec la France. Iv' Attaché anglais vient trouver le
général Jungbluth et lui dit (je reproduis le Livre
blanc) :
« ly' Angleterre dispose d'une armée, pouvant être
envoyée sur le continent, composée de six divisions
d'infanterie et de huit brigades de cavalerie, en tout
cent soixante mille hommes. Elle a aussi tout ce
qu'il lui faut pour défendre son territoire insulaire.
Tout est prêt. »
Rien, dans ces informations militaires, n'inté-
resse la Belgique ; rien n'est même nouveau pour
son gouvernement, car — d'après les Belgische
Aktenstucke, p. 101-102 — le ministre belge à
Berlin avait écrit à Bruxelles quatre mois plus
tôt, le 6 décembre 1911 : « Jusqu'à nouvel ordre,
il faut tenir pour avéré qu'à I^ondres on a dis-
cuté le projet d'aider la France dans une guerre
8<) I.K l'KOCKS DH I.A NHUTRALITK BhLGE
avec r Allemagne par le débarquement d'un corps
de cent cinquante mille Anglais. »
Mais voici une information importante — et nou-
velle (je reproduis toujours le Livre blanc) :
« Le Gouvernement britannique, lors des derniers
événements, aurait débarqué immédiatement chez
vous, MÊME SI vous N'AVIEZ PAS DEMANDÉ DE SE-
COURS ^. »
» Aussitôt le chef d'état-major belge, proteste :
» — Mais il faudrait pour cela notre consente-
ment.
#3!:i » — Je le sais, répond l'Attaché, mais comme vous
ne seriez pas à même d'empêcher les Allemands de
^ Il passer chez vous, l'Angleterre aurait débarqué ses
troupes en tout état de cause. »
La riposte du général belge a donc été immédiate :
le général connaissait, en effet, la thèse que la Bel-
gique a toujours soutenue, à savoir qu'aucun des
garants ne pouvait intervenir sans l'adhésion de la
Belgique elle-même. J'ai montré {La Belgique neutre
et loyale, p. 55-56) qu'en droit international cette
thèse est fort contredite, tant au point de vue
général des principes qu'au point de vue spécial de
la Belgique. Aux autorités dont j'ai alors rapporté
1 Le professeur Schulte ( Von der Neutralitàt Belgiens, p. 99)
m'accuse de ne pas avoir fait mention de cette déclaration essen-
tielle. Il se trompe ; elle figure dans mon livre, p. 181 : <<...Même si
la Belgique ne le demandait pas. » Il était parfaitement inutile de
la reproduire une seconde fois avec la variante : « En tout état de
cause. »
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITÉ BELGE 8l
l'opinion, je tiens à ajouter l'avis d'un auteur alle-
mand, le D' juris Siegfried Richter, qui a fait pa-
raître, précisément avant la guerre, en 1913, un
ouvrage important, Die Neutralisation von Staaten,
dans la série de monographies Die Rechtseinheit,
publiée sous la direction des professeurs Kohler et
Stier-Somlo — deux collègues qui ne ménagent point
aujourd'hui les reproches à mon pays. Richter
n'hésite pas à aiïirmer qu'il est impossible de faire
dépendre l'intervention d'un garant de l'assenti-
ment formel ou tacite de l'Ktat couvert par la neu-
tralité permanante (p. 220) : selon cette manière de
voir, les intentions de l'Angleterre auraient donc été
parfaitement licites. Mais je ne reviens plus sur ce
débat purement doctrinal et j'ai hâte de retrouver
l'Accusation, qui incrimine l'attitude adoptée par
la Belgique après la révélation de l'attaché anglais.
C'est à ce propos, en effet, que les attaques se re-
nouvellent sans cesse, pressantes, catégoriques et
méchantes :
« Quant au Gouvernement belge, dit le Livre blanc
(p. 66), son devoir était non seulement de repousser
avec la dernière énergie les insinuations anglaises,
mais encore d'informer les puissances signataires
du traité de 1839, ^^ particulier le Gouverne-
ment allemand, des tentatives réitérées de l'Angle-
terre pour détourner la Belgique de son rôle de neu-
tralité. I^e Gouvernement belge, loin d'agir ainsi,
s'est cru autorisé et obligé à prendre, de con-
NEUTRALITÉ BELGE 6
82 I.I- l'KO(,I.S Uh LA NhUTKALITh BELGE
CKRT AVEC i/KTAT-MAJ(jR ANGLAIS, DES MESURES
MILITAIRES DE DÉFENSE coiitre une prétendue inva-
sion projetée de l'Allemagne. En revanche, jamais
il n'a fait la moindre démarche pour s'entendre avec
le Gouvernement allemand ou avec les autorités
militaires allemandes com]jctentes, au sujet de l'é-
ventualité d'une entrée des troupes anglo-françaises
en Belgique, bien qu'il eût parfaitement connais-
sance de cette intention, comme le prouvent les
documents trouvés. Le Gouvernement belge était
donc bien résolu d'avance à se joindre aux enne-
581; mis de l'Allemagne et à faire cause commune
avec eux. »
f^ j^ Plus violente encore est la brochure de propagande
La Neutralité belge, où on lit (p. 8) ; «Le Gouverne-
ment belge est demeuré aveugle jusqu'au bout, trop
profondément engagé qu'il était dans les pourpar-
lers sur une action miHtaire commune. La main
de l'Angleterre ne l'a plus jamais lâché. » Et plus
loin (pp. 9-10) : « Les trois pays se livraient à
une étroite coopération. La Belgique « neutre » était
donc bien devenue de fait membre actif de la
coalition contre l'iVllemagne... Grâce aux intrigues
anglaises, auxquelles la Belgique ne s'est que trop
volontairement prêtée, le traité de garantie de 1839
a été complètement dépouillé de sa teneur et de sa
nature pour devenir un sc;'^/) of paper.... Avec l'aide
de la Belgique elle-même, l'Angleterre avait miné
intérieurement la neutralité belge. »
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITÉ BELGE 83
Enfin, le professeur Schulte dresse un vrai réqui-
sitoire {Von der Neiitr alitât Belgiens, pp. 115-117;
je souligne deux passages) :
« En 1912, s'écrie-t-il, une personnalité militaire
anglaise responsable déclare carrément que l'Angle-
terre aurait débarqué en Belgique en tout état de
cause. lyà dessus, les Belges ne se fâchent pas: leur
chef d'état -major continue tranquii^lement a
NÉGOCIER (ihr Generalstabschef verhandelt ruhig
weiter) ; le Gouvernement ne fait aucune com-
munication aux autres puissances garantes... I^es
gouvernants actuels de la Belgique avaient oublié
les paroles du fondateur de la dynastie : « Maintenir
la neutralité sincère, loyale et forte, doit être notre
but constant. » I^es milieux dirigeants belges regar-
daient la neutralité comme inexistante (« hielten
fiir ein Nichts »)... L'histoire écrira un jour en
termes clairs : La Belgique avait reçu de l'Eu-
rope une garantie solennelle ; sous cette garantie,
le pays a prospéré pendant quatre-vingt-trois
ans ; ... mais la Belgique a fini par considérer
sa neutralité comme une chaîne ; le Gouvernement
savait que l'Angleterre allait bientôt la violer,
II, n'en a pas moins en secret continué a né-
gocier AVEC ELLE, et ainsi il a retiré pour l'Al-
lemagne toute raison d'être à la neutralité de la
Belgique. »
A tout cela, il n'y a qu'une réponse à faire : c'est
contraire aux faits: rien ne prévaudra contre eux.
a.
84 1.1: l'KOCfS I)h l.A NP.UTKAI.ITK HHLCil-
Cette fois, nous tenons l'Accusation : nous ue la
lâcherons pas.
C'est bien, n'est-ce pas, la déclaration de 1912
qui, pour le moment, importe seule ?
Or, depuis 1912, après l'entretien unique rapporté
ci-dessus, l'Accusation sait pertinemment qu'iL n'y
A PAS EU UN SEUL CONTACT ENTRE MILITAIRES AN-
GLAIS ET BELGES.
Il est donc complètement faux de dire qu'après
la déclaration de 1912, soit le chef de l'état-major
belge, soit le gouvernement belge auraient continué
des négociations avec l'Angleterre et que, par là, la
C; Belgique aurait pris position dans l'Entente.
^^ Veut -on savoir ce que le Gouvernement belge a
h^f fait après le seul et unique entretien de 191 2 ?
I^e Gouvernement belge, loin de négocier avec
l'Angleterre pour prendre position dans l'Entente, a
fait part au Gouvernement anglais « des appréhen-
sions QUE l'on avait en BELGIQUE DE VOIR l' AN-
GLETERRE VIOLER LA PREMIÈRE LA NEUTRALITÉ
BELGE ». Dans l'entretien qu'il eut à cette occasion
avec Sir Edward Grey, le ministre de Belgique à
I/Ondres signala, sans préciser autrement, qu'il avait
été question que « 1' Angleterre débarquât des
TROUPES EN VUE DE DEVANCER l' ENVOI POSSIBLE
DE TROUPES ALLEMANDES A TRAVERS LA BELGIQUE
VERS LA France», et il expliqua que c'étaient
CES RUMEURS QUI CAUSAIENT DES APPRÉHENSIONS.
A la suite de cette démarche à Londres, sir
Cv
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 85
Edward Grey, voulant dissiper les interpréta-
tions fâcheuses, écrivit le 7 avril 19 13 une lettre
au Ministre d'Angleterre à Bruxelles, qui en remit
copie au Ministère des Affaires étrangères de Bel-
gique ; dans cette lettre, le chef du Foreign Office
déclarait : « Je suis certain que le Gouvernement
anglais actuel ne sera jamais le premier à violer la
neutralité de la Belgique et je ne crois pas qu'aucun
gouvernement anglais le ferait ni que jamais l'opi-
nion publique dans ce pays l'approuverait... Etre les
premiers à violer la neutralité et à envoyer des
troupes en Belgique, ce serait donner à l'Allemagne,
par exemple, une justification pour envoyer des trou-
pes en Belgique. Ce que nous désirons dans le cas de
la Belgique aussi bien que dans le cas de tous les
autres pays neutres, c'est que leur neutralité soit
respectée : aussi longtemps qu'elle ne serait pas
violée par une autre puissance, nous n'enverrions
certainement pas nous-mêmes des troupes sur leur
territoire. » (Voir dans le Livre gris, II, n^ 100, le
texte complet de ce document qui a été publié
la première fois le 7 décembre 1914 par la presse
anglaise).
Voilà ce que la Belgique a fait — et l'Accusation
l'ignore si peu que, le 12 octobre dernier, la Nord-
detUsche Allgemeine Zeitung s'occupait encore de
cette lettre de sir Edward Grey, pour dire qu'elle
ne pouvait être réellement considérée comme caté-
gorique et solennelle, attendu que... la raison est
H6 I.P. PROr.HS DH !.A NHUTRALITH BRLGF.
plaisante — le ministre avait employé l'expression :
« Je ne crois pas », en parlant de l'attitude des
futurs gouvernements de l'Angleterre.
Or, ce que la Belgique a fait en 1913 à I^ondres,
elle l'avait fait en 191 1 à Berlin, et cette der-
nière démarche présente une im|X)rtance extrême
pour le point de vue qui nous occupe ici.
Une polémique venait d'être soulevée par le
projet hollandais concernant les fortifications de
Flessingue : diverses circonstances avaient à nou-
veau posé le problème de la neutralité belge et de
rinterv^ention éventuelle de ses garants. Le gouver-
nement saisit l'occasion. Il suggère aussitôt k
^^ Berlin {Livre gris, n^ 12) l'idée « qu'une déclaration
uj faite au Parlement allemand, à l'occasion d'un débat
£* sur la politique étrangère, serait de nature à apaiser
î^ l'opinion publique et A calmer SES défiances, si
REGRETTABLES AU POINT DE VUE DES RELATIONS
ENTRE LES DEUX PAYS, d M. de Bethmann-HoUweg
fait répondre qu'il est très sensible aux senti-
ments QUI ONT inspiré LA DÉMARCHE DE LA
Belgique ; c'est alors qu'il déclare que l'Allemagne
n'a pas l'intention de violer la neutralité belge.
Que signifie donc cette démarche de la Belgique,
en réalité sans précédent dans l'histoire poHtique
du pays, sinon que le gouvernement belge veut pré-
cisément éprouver l'hypothèse d'une violation de
la neutralité par les armées allemandes, hypo-
thèse que les conversations militaires ont envisa-
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITÉ BELGE 87
gée en 1906 et qu'autorisent tant d'indices
divers ?
C'est-à-dire que, tout comme elle le demande
loyalement à l'Angleterre en 1913, la Belgique de-
mande loyalement à l'Allemagne en 191 1 de dissi-
per ses appréhensions.
Bt non seulement, la Belgique parle à I^ondres
et à Berlin, mais dans un esprit d'impeccable cor-
rection, elle engage à Paris une conversation diplo-
matique, dont le second Livre gris a fait connaître
la teneur significative (n^ i).
lyC 22 février 1913, au cours d'un entretien que
le ministre de Belgique a avec le directeur général
des Affaires politiques de la République, celui-ci
l'interroge sur la portée du projet de réforme
militaire en discussion au Parlement belge.
Dans sa réponse, le ministre « fait remarquer avec
toutes les réserves nécessaires, que les relations
étroites établies assez récemment par l'Angleterre
avec certaines grandes puissances ne la mettraient
plus vis-à-vis de la Belgique dans la même position
que naguère, quoique l'existence d'une Belgique
libre et indépendante continue à être vitale pour sa
politique. Nous voulons éviter, si possible, dit le
ministre, que la Belgique ne redevienne, comme elle
ne le fut que trop souvent, le champ de bataille de
l'Europe. »
Il ajoute que « la Belgique entend avoir une
armée solide et sérieuse qui lui permette de faire
irs.!.
88 LE PROr.hS DH LA NF.UTRAI.ITF BF.I.GH
entièrement et pleinement son devoir pour sauve-
garder son indépendance et sa neutralité. »
« — C'est parfait, répond l'interlocuteur du mi-
nistre de Belgique, mais vos nouveaux armements
ne sont-ils pas motivés par la crainte que cette neu-
tralité ne soit violée par la France ?
» — Non, reprend le ministre, ils ne sont pas
plus dirigés contre la France que contre l'Alle-
magne ; ils sont destinés à empêcher quiconque
d'entrer chez nous. »
Ht le ministre conclut : <( Je vous le répète, nous
ne nous fions à aucun calcul de probabilités ; d'ail-
Q^ leurs, ce qui peut être vrai aujourd'hui peut ne plus
i ^^' l'être demain, à raison de circonstances nouvelles et
ju NOTRE BUT EST UNIQUEMENT d'EMPÊCHER DANS LES
I ^ LIMITES DE NOS FORCES TOUTE VIOLATION DE NOTRE
^' NEUTRALITE. »
-' Au cours de l'entretien, il est rappelé que la
France ne prendra jamais l'initiative de violer la
neutralité belge ; mais que si les armées allemandes
entraient en Belgique et que les Belges ne fussent
pas de force à les repousser, le gouvernement de la
République se reconnaîtra le droit de prendre les
mesures qu'il jugera utiles pour défendre son
territoire.
On retrouve, dans les paroles du ministre de Bel-
gique à Paris, l'idée politique directrice qui avait
déjà été exprimée par l'ancien ministre des Affaires
étrangères, M. de Favereau, dans son discours de
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
89
1909 : la position de TAngleterre dans le concert
enropéen n'est désormais plus la même ; la Belgique
se trouve ainsi exposée à ne plus rencontrer de la
part de cette puissance la même liberté de bienveil-
lance, qui était dans la tradition de sa politique ;
l'isolement menace le pays ; de plus en plus, il ne
pourra compter que sur lui-même.
Combien, je le note en passant, ces préoccupations,
qui, depuis les nouveaux arrangements diplomati-
ques survenus en Europe, inspiraient toute la poli-
tique de la Belgique, sont éloignées des hypothèses
que formule le professeur Karl Rathgen dans son
article des Preussische Jahrbiichey : Belgiens ans-
wàrtigc Politik und der Kongo. Selon lui, ce serait
l'Angleterre — encore elle ! — qui aurait contraint
la Belgique à renforcer son organisation militaire et
elle aurait mis cette condition à la reconnaissance
de l'annexion du Congo. On voit que la réalité était
bien différente...
J'allais conclure en demandant ce qui reste de
l'accusation lancée contre le gouvernement belge
d'avoir, en 1912, manqué à ses obligations envers
les garants du pays et notamment envers l'Alle-
magne, lorsqu'un fait significatif me revient à la
mémoire. Il date de la veille même de la remise de
la Note allemande, le 2 août. I^e traité de com-
merce entre la Belgique et l'Allemagne devait ar-
river à échéance le 31 décembre 1917 : or, le Dépar-
90 l.H l'ROCHS DK LA NEUTRAMTK BELGE
teineiit des Affaires étrangères, qui a le commerce
extérieur dans ses attributions, avait, dans les
derniers jours de juillet, préparé une circulaire pour
les chambres de commerce et les associations in-
dustrielles et commerciales, les invitant à mettre
à l'étude les questions qui pourraient se présenter
à cette occasion. Cette circulaire était conçue dans
un esprit tout à fait favorable au maintien des
relations conventionnelles avec l'Allemagne. Elle
fut expédiée dans le même moment où les troupes
allemandes franchissaient la frontière... Le fait est
surtout caractéristique, si on le rapproche de cet
autre que la Belgique était sans traité de commerce
avec la France et avec l'Angleterre.
ly'ensemble de ces témoignages, tous concordants,
qu'ils viennent de l'Accusation ou de la Défense,
n'admet qu'une seule conclusion.
Pendant les années troublées que traversa l'Eu-
rope de 1905 à 1914, la Belgique a gardé le souci
vigilant d'elle-même. Constante dans son attitude
de neutralité sincère, elle a cherché à obtenir de la
part de ses trois garants les plus intéressés à son
sort, des assurances qui pussent fortifier la confiance
qu'elle plaçait en eux.
Loin de s'inféoder, elle a affirmé son autonomie.
Loin de trahir, elle a attesté sa loyauté.
I
III
« La Belgique n'avait pas à résister,
car son territoire n'était pas inviolable ».
Dans le procès que l'on a institué contre mon pays, ç,i
il a été réservé à un avocat habitant Bruxelles, mais
qui, né à I^eipzig, ne possède pas la nationalité belge,
de soutenir la partie la plus spécieuse de l'accusation. a
On s'était évertué à démontrer que la Belgique avait j
violé elle-même sa neutralité ; M. F. Norden a en-
trepris de prouver que la Belgique ne possédait
même pas de titre juridique au respect de ses fron-
tières, parce que jamais l'inviolabilité de son terri-
toire ne lui aurait été garantie. A vrai dire, M. Norden
n'a pas été le premier, depuis la guerre, à formuler
ce grief : déjà dans le numéro de février 191 5 de la
Deutsche Revue, le Reichsgerichtsrat Wittmaack
avait exposé les grandes lignes de la thèse, et le pro-
fesseur Schulte en a dit quelques mots dans sa bro-
chure (p. 66-68) à propos d'une divergence d'inter-
prétation qui séparait les juristes belges Nys et
Descamps.
92 I.h l'ROrjS DI-: i.a np.utrai.ith bhi.gh
Pour discuter cette thèse, qui fait aujourd'hui
l'objet de toute une brochure (F. Norden, La Bel-
gique neutre et V Allemagne, Bruxelles, imprimerie
Richard, 1915), je me propose d'abord de la ramener
à ses traits essentiels.
lya Belgique se serait trompée en se tenant pour
obligée, aux termes des traités, de s'opposer au
passage des armées allemandes à travers son terri-
toire. Son erreur tirerait son origine d'une interpré-
tation infondée de la clause visant la neutralité du
pays. Iv'article 7 du traité conclu le 19 avril 1839
entre la Belgique et les Pays-Bas et placé le même
jour sous la garantie de l'Autriche, de la France, de
la Grande-Bretagne, de la Russie, déclare, en effet,
que « la Belgique formera un Etat indépendant et
perpétuellement neutre ». Ce texte, qui reproduit
une convention du 15 novembre 1831, ne fait pas
mention de l'invioIvABILITÉ du territoire. Or, l'omis-
sion de cette garantie complémentaire aurait été
intentionnelle. Une rédaction antérieure (texte du
26 juin 1831) connue sous le nom de Traité des Dix-
Huit articles, spécifiait avec précision que « les cinq
Puissances garantissaient la neutralité perpétuelle,
ainsi que l'intégrité ET l'inviolabilité du terri-
toire. » De propos délibéré, les Puissances auraient
ainsi réduit l'étendue de leurs engagements et ac-
cordé à la Belgique une garantie précaire, autorisant
le passage à travers le territoire et n'entraînant pas
pour l'Etat nouveau l'obligation à l'égard des autres
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 93
Puissances contractantes de s'opposer à ce passage
éventuel.
Visiblement, cette thèse a une portée purement
théorique, car jamais l'Allemagne n'a songé à l'in-
voquer : comme le Berner Taghlatt l'a fait judicieu-
sement observer (19 15, n^ 464), aux termes de
la déclaration du Chancelier, le passage à travers
la Belgique constituait « ein Unrecht », une viola-
tion du droit et non pas l'exécution d'un engage-
ment contractuel.
Mais puisque l'Accusation invoque aujourd'hui
cette tardive justification, il faut bien en faire une
discussion détaillée. Dans cette discussion, je lais-
serai momentanément dans l'ombre la question pro-
prement dite du changement dans la rédaction de
l'Acte diplomatique qui a consacré l'existence de la
Belgique et j'examinerai, d'abord, si, en droit
comme en fait, la neutralisation du pays était com-
patible avec une servitude de passage établie au
profit d'une des Puissances.
*
* *
Quelle était donc la véritable portée de la neu-
tralité belge ? Comment faut-il se représenter sa
signification, son étendue, ses limites ?
Il serait vain, pour répondre à ces questions, de
recourir à de subtiles exégèse de doctrine : les
garanties données à la Belgique se définissent par
94 'P l'ROCHS DR LA NEUTRALITK BELGE
les circonstances qui les ont fait naître ; elles pren-
nent leur pleine valeur par les expériences qui les
ont consolidées. Il convient donc de rechercher, en
remontant aux sources historiques, quelles ont été
les intentions des Puissances au moment oii elles
ont proclamé la neutralité de la Belgique, à quelles
conditions de droit et de fait cette neutralisation
répondait et quels enseignements apportent les
événements qui ont accompagné les débuts du nou-
veau régime.
Reportons-nous à la formation de la Belgique
comme Etat.
I^a Conférence de I^ondres vient de se mettre d'ac-
cord sur la proclamation de I'indépendance du
pays (Protocole du 20 décembre 1830). Mais, à
l'heure même où elle reconnaît ainsi les résultats de
la Révolution belge, elle déclare solennellement ne
pas vouloir s'en tenir à cette reconnaissance : la
séparation de la Belgique d'avec la Hollande déchi-
rait, en effet, un système politique, pour reprendre
l'expression même des plénipotentiaires, je veux
dire le système étabH par les traités de 1814 et de
1815.
« En formant, disent les plénipotentiaires, par les
traités en question, l'union de la Belgique et de la
Hollande, les puissances signataires de ces mêmes
traités avaient eu pour but de fonder un juste équi-
libre en Europe et d'assurer le maintien de la paix
générale.
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 95
)> I^es événements des quatre derniers mois ont
malheureusement démontré que cet amalgame par-
fait et complet que les puissances voulaient opérer
entre ces deux pays, n'avait pas été obtenu, et qu'il
serait désormais impossible à effectuer, qu'ainsi
l'objet même de l'union de la Belgique avec la Hol-
lande se trouve détruit et que dès lors il devient
indispensable de recourir à de nouveaux arran-
gements POUR ACCOMPLIR ivES INTENTIONS à l' exé-
cution desquelles cette union devait servir de moyen.
» Unie à la Hollande et faisant partie intégrante
du Royaume des Pays-Bas, la Belgique avait à
remplir sa part des devoirs européens de ce royaume
et des obligations que les traités lui avaient fait
contracter envers les autres puissances. Sa séparation
d'avec la Hollande ne saurait la libérer de
CETTE PART DE CES DEVOIRS ET DE CES OBLIGA-
TIONS.
» I^a Conférence s'occupera conséquemment de
discuter et de concerter les nouveaux arrange-
ments LES PLUS propres A COMBINER l' INDÉPEN-
DANCE FUTURE DE LA BELGIQUE avec les Stipula-
tions des traités, avec les intérêts et la sécurité des
autres puissances et avec la conservation de
l'équilibre européen. »
Mais, on le sait, les «stipulations des traités»,
les M intérêts et la sécurité des puissances », la «con-
servation de l'équilibre européen » apparaissaient
id comme des formules diplomatiques, recouvrant
96 LE PROCES DE LA NEUTRALITÉ BEIXiE
un jeu d'influences, de résistances et de convoitises.
La France, suspecte aux quatre autres puissances,
devait être contenue dans ses frontières ; le boule-
vard construit contre elle par les traités de 18 14
et de 1815 par l'union de la Belgique avec la Hol-
lande venait d'être démoli par la séparation des
deux paj^s : on devait le remplacer. D'autre part,
la France elle-même, désireuse de jeter bas toutes
les entraves que l'Europe lui avait mises, tendait à
la création sur sa frontière du nord d'un Etat
« confié à un souverain qui serait un voisin
commode et pourrait devenir un allié fidèle )/,
pour reprendre les expressions de Talleyrand (Mé-
moires, édition de Broglie, tome III, p. 421), et elle
ne voulait à aucun prix consentir à des combinai-
sons qui auraient donné un point d'appui quelconque
à l'Angleterre sur le continent (id., p. 410). Enfin,
l'Angleterre ne voyait pas d'un œil défavorable la
constitution d'un Etat fort, qui fût distinct de la
Hollande, surtout que, dès le début des négociations,
elle avait aperçu la possibilité de remettre les desti-
nées de cet Etat nouveau à un prince en qui elle
avait toute confiance, lyéopold de Saxe-Cobourg.
Les « nouveaux arrangements » propres à combiner
ces diverses exigences politiques avec l'indépendance
désormais proclamée de la Belgique n'étaient point
aisés à découvrir : toutes les mesures auxquelles
on s'arrêtait « n'étaient, raconte Tallej^rand, que
des palliatifs provisoires qui ne tiraient pas des
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 97
dangers permanents. J'avais, explique- t-il, médité
une solution pendant plusieurs jours, que je regardais
comme décisive... c'était une déclaration, par les
puissances, de la neutrai^ité de la Belgique. Je la
soumis à la Conférence dans sa séance du 20
janvier 1831, oti j'eus la satisfaction de la faire
adopter et consigner dans le protocole de ce jour »
(Tome IV, p. 17).
lyC protocole dont parle Talleyrand est formel :
« Ivcs plénipotentiaires, sont unanimement d'avis
que les grandes puissances devaient à leur intérêt
bien compris, à leur union, à la tranquillité de l'Eu-
rope et à l'accomplissement des vues consignées
dans leur protocole du 20 décembre, une manifesta-
tion solennelle, une preuve éclatante de la ferme
détermination où elles sont de ne rechercher, dans
les arrangements relatifs à la Belgique, comme
dans toutes les circonstances qui pourront se
présenter encore, aucune augmentation de ter-
ritoire, AUCUNE INFI^UENCE EXCI.USIVE, AUCUN
AVANTAGE ISOLÉ, et de donner, à ce pays lui-même
ainsi qu'à tous les Etats qui l'environnent, les
meilleures garanties de repos et de sécurité. C'est
par suite de ces maximes, c'est dans ces intentions
salutaires que les plénipotentiaires ont résolu, etc.. »
lya Conférence apercevait si nettement la nécessité
de rattacher au système politique général de l'Eu-
rope l'arrangement nouveau, qui était essentielle-
ment fondé sur la double base de l'indépendance et
NEUTRALITÉ BELGE T
9^ l.K FROChS IJK LA NEUTRAUTt BELGE
de la neutralité de l'Ktat nouveau, qu'elle réitéra
l'affirmation de ses vues en termes catégoriques, le
19 février 1831 :
« I/union de la Belgique avec la Hollande se
brisa... il n'appartenait pas aux puissances de juger
des causes qui venaient de rompre les liens qu'elles
avaient formés. Mais, quand elles voyaient ces liens
rompus, il leur appartenait d'atteindre encore l'objet
qu'elles s'étaient proposé en les formant. Il leur
appartenait d'assurer, à la faveur de combinaisons
nouvelles, cette tranquillité de l'Europe dont l'union
de la Belgique avec la Hollande avait constitué une
des bases. IvCS puissances y étaient impérieusement
appelées. Elles avaient le droit, et les événements
leur imposaient le devoir, d' empêcher que i.es
PROVINCES BELGES, DEVENUES INDÉPENDANTES,
ne portassent atteinte à la sécurité générale et a
L'ÉQUIUBRE EUROPÉEN...
« Chaque nation a des droits particuliers, mais
e'europe aussi a SON droit ; c'est l'ordre social
qui le lui a donné.
» I/CS traités qui régissent l'Europe, la Belgique
devenue indépendante, les trouvait faits et en vi-
gueur ; ELLE DEVAIT DONC LES RESPECTER ET NE
PAS LES ENFREINDRE. En les respectant, elle se con-
ciliait avec l'intérêt et le repos de la grande commu-
nauté des Etats européens ; en les enfreignant, elle
eût amené la confusion et la guerre. I^es puissances
seules pouvaient prévenir ce malheur, et puisqu'elles
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 99
le pouvaient, elles le devaient ; elles devaient faire
prévaloir la salutaire maxime que tES événements
QUI FONT NAÎTRE EN EUROPE UN ÉTAT NOUVEAU
NE I.UI DONNENT PAS PLUS LE DROIT d'alTÉRER
LE SYSTÈME GÉNÉRAL DANS LEQUEL IL ENTRE,
que les changements survenus dans la condition
d'un Etat ancien ne l'autorisent à se croire délié
de ses engagements antérieurs. »
Cet ensemble d'actes et de déclarations donne à la
neutralité de la Belgique sa pleine signification.
lya neutralité de la Belgique, c'est un rempart
dressé contre des ambitions prêtes à se heurter ; elle
n'a été conçue, reconnue et garantie qu'en vue d'em-
pêcher l'une ou l'autre des puissances « de recher-
cher dans les arrangements comme dans toutes les
circonstances qui peuvent se présenter encore aucune
influence exclusive, aucun avantage isolé ».
Ne voit-on pas, dès lors, qu'elle deviendrait quel-
que chose d'incompréhensible, d'indéfendable, d'in-
cohérent, si elle pouvait tolérer un privilège de pas-
sage à travers le territoire neutralisé au profit de
Tune quelconque des puissances garantes ?
C'est une neutralité spéciale, affirme M. Norden
(p. 38), une neutralité qui n'est pas selon le sens
usuel et vtdgaire du mot, impénétrable ; c'est, pour
tout dire, une neutralité perméable (p. 19).
Du tout : la neutraHté belge était, au contraire,
dans la pensée de ceux qui l'ont formulée, si parfai-
I
loo ih l'Koos t)H i.A nhi;ti<amtk w.tnK
teinent étanche cjue Talleyrand pouvait écrire, en
transmettant à Paris le protocole décisif du 20 jan-
vier 1831 (voir ])lus haut, p. 97) : c La neutralité
reconnue de la Belgique place désormais ce pays
dans la même position que la Suisse » (tome IV,
p. 19). Et il définit ailleurs ce que signifie i)Our la
France cette assimilation : « La neutralité de la Bel-
gique assurée est, de Dunkerque à Luxembourg,
UNE DÉFENSE égale à celle que nous trouvons de Bâle
à Cliambér>^ par la neutralité de la Suisse » (id., p. 3(S)
Ailleurs, encore, il précise davantage : « La neutra-
lité perpétuelle de la Suisse est surtout favorable à
la France qui, entourée de places fortes sur toutes
les autres parties de ses frontières, en est dépour-
vue sur celle qui a la Suisse pour confins. La neu-
tralité DE CE PAYS LUI DONNE DONC, SUr le seul
point où elle soit faible et désarmée, un boulevard
TNEXPUGNABLE. » (tome II, p. 23I.)
Ainsi, qu'il s'agisse de la Belgique ou de la Suisse,
la neutralité permanente entraîne ipso facto l'invio-
labilité du territoire.
Cela tombe sous le sens : si la combinaison de la
neutralisation n'avait pas eu pour objet exclusif de
rendre toutes les frontières de la Belgique infran-
chissables, à quoi donc eût-elle bien pu répondre ?
M. Norden aperçoit sans doute lui-même la fragi-
lité de sa thèse, car il se demande comment une neu-
tralité qui ne comporterait pas l'inviolabilité pour-
rait bien être violée ? Et il répond : « Ce ne pourrait
LE PROCES DH LA NEUTRALITE BELGE lOI
être évidemment que par une agression armée ayant
pour but de s'emparer de tout ou partie du terri-
toire ou des provinces de l'Etat neutre » (p. 37).
On devine où ce raisonnement conduit : comme, en
août 1914, l'Allemagne n'avait pas d'intentions
agressives et réclamait seulement le droit de pas-
sage, elle n'a même pas violé la neutralité perméable
que, selon M. Norden, les puissances avaient entendu
octroyer à la Belgique (id.).
M. Norden pense-t-il qu'en guerre les mots per-
dent leur signification ? Ce n'est pas la neutralité
qui serait violée par une « agression armée contre la
Belgique», mais bien 1,'indépEndance, garantie au
même titre par le Traité de 1839. L'indépendance
d'un pays est une chose; sa neutralité, une autre chose,
et si M. Norden en vient à opérer une simple sub-
stitution entre ces deux notions, c'est justement
parce qu'il a, au préalable, vidé la seconde de tout
contenu et qu'il l'a réduite à une pure expression
verbale.
Peut-être, me ripostera M. Norden, avez-vous
raison : il est possible qu'en droit comme en fait,
la neutralisation de la Belgique entraînât l'in-
violabilité de ses frontières, mais il n'en reste pas
moins que le traité définitif diffère des traités
provisoires, précisément par l'omission de la ga-
rantie d'inviolabilité ; dès lors, en fait au moins.
102 LK PROCES DK I.A NHUTRAI.ITF BP.I.GK
les intentions des puissances ont dû se modifier.
Je réponds :
Précisément, en fait, cela n'est pas exact, car peu
de temps après le moment oii les puissances avaient
adopté la rédaction nouvelle, divers incidents sur-
girent qui leur fournirent l'occasion de préciser
leurs vues.
En décembre 183 1, une convention subsidiaire,
dont j'aurai à parler longuement ci-après, provoqua
de la part du gouvernement français de très vives
protestations. Or, à ce propos, M. Casimir Périer,
faisant allusion au cas où une puissance tenterait
de franchir la frontière belge, s'exprima comme
suit : « lya garantie donnée par les cinq puissances
emporte l'union de quatre contre la cinquième qui
tenterait de violer l'indépendance ou la neutralité
belge. » Au moment oti M. Casimir Péfier parlait
ainsi, la P'rance se trouvait déjà non plus devant
le texte primitif du 26 juin 1831, mais devant le
texte modifié, qui avait été approuvé le 15 novem-
bre 1831 ; elle n'en affirmait pas moins que la
neutralité belge avait et ne pouvait avoir d'autre
sens que celui que la nature des choses com-
mandait.
Un autre événement — également postérieur au
Traité du 15 novembre — a mis en évidence,
avec plus de netteté encore, que la neutralité de la
Belgique emportait toujours, dans les intentions des
puissances signataires, l'inviolabilité du territoire :
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE IO3
les faits ont été rappelés en 190 1 au Sénat de Belgi-
que par le ministre des Affaires étrangères (séance
du 6 juin) :
« Après i^e traité du 15 novembre 1831,
disait le ministre, la Belgique a été amenée à
recourir à la garantie qui lui avait été donnée. A ce
moment, une partie du territoire belge était encore
occupée par les armées des Pays-Bas, et la cita-
delle d'Anvers, notamment, était entre leurs mains.
Qu'a fait la Belgique ? Elle a invoqué la garan-
tie INSCRITE DANS I^'ART. 25 DU TRAITÉ DU I5
NOVEMBRE, pour obtenir l'aide militaire des puis-
sances. Iva France et l'Angleterre se déclarèrent
disposées à prêter leur concours et l'intervention
des armées étrangères assura le respect de l'in-
tégrité DU TERRITOIRE en Ce qui concernait
Anvers. »
Cette intervention des puissances garantes, au
lendemain du traité de novembre 183 1, n'était, au
surplus, que le renouvellement, dans des condi-
tions identiques, d'une première intervention sur-
venue entre le traité de juin et celui de novem-
bre. Ivcs Pays-Bas ayant envahi la Belgique,
la Conférence de lyondres avait alors approuvé
l'emploi, pour un temps limité, d'une armée
française et décidé qu'une escadre anglaise re-
pousserait du côté de la mer les attaques des Hol-
landais.
I04 l> PKOCHS r)F. I.A NF.UTRAl.ITh BhlX^F
Après novembre 1831, comme avant cette date,
sous l'empire du texte nouveau comme sous l'empire
du texte primitif, les puissances étaient, on le voit,
pleinement d'accord pour s'opposer par la force à la
violation du territoire belge. Dans toutes les cir-
constances où, postérieurement au changement de
rédaction, les puissances ont dû manifester par des
actes la portée qu'elles attriVjuaient elles-mêmes à
leur décision solennelle, elles ont attesté que le texte
nouveau n'altérait en aucune façon la nature de
leurs obligations et, qu'en proclamant la neutralité
de la Belgique, elles^ avaient expressément entendu
tenir ses frontières fermées à toute invasion.
Mais, insistera encore M. Norden, pourquoi donc,
alors, le traité de novembre a-t-il supprimé la
mention de l'inviolabilité territoriale ?
M. Norden a une explication : entre juin et
novembre 1831, il est arrivé, dit-il (p. 25) que les
Hollandais ont rompu l'armistice, envahi la Belgique
et que les Belges n'ont pas pu leur résister; les puis-
sances constatant ainsi que l'armée belge était trop
faible, en auraient conclu que, si la France voulait
un jour faire à son tour invasion en Belgique, les
Belges ne pourraient lui opposer une résistance sé-
rieuse et que, dès lors, il fallait pourvoir à cette
résistance d'une manière effective ; elles y auraient
pourvu en décidant de faire revivre à l'égard de la
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE IO5
Belgique une ancienne stipulation relative à l'occu-
pation de certaines forteresses situées sur son terri-
toire et, comme cette stipulation devait avoir
comme conséquence de permettre à la Prusse et à
TAngleterre d'introduire des troupes d'occupation,
les puissances auraient supprimé dans le traité la
clause relative à l'inviolabilité.
On ne peut refuser à cette explication une cer-
taine séduction de vraisemblance. Mais un roman
peut aussi être vraisemblable et, dans le cas pré-
sent, nous nous trouvons devant un roman. Pour
le démontrer, je devrai bien, au risque d'allonger
ma réplique, entrer dans le détail de certains faits
historiques .
Il faut se rappeler qu'en 1814-1815, les grandes
puissances, dans leur souci d'ériger contre la France
une barrière effective, avaient décidé de construire
ou d'entretenir au sud des Pays-Bas, c'est-à-dire sur
le territoire de la future Belgique, une ligne de treize
forteresses. En 1818, l'Angleterre, l'Autriche, la
Prusse et la Russie avaient réglé l'utilisation éven-
tuelle de ces forteresses par un protocole signé à
Aix-la-Chapelle.
« lyC système de la barrière était rétabU », dit
R. Dollot dans son excellent exposé historique
sur Les origines de la neutralité de la Belgique et le
système de la barrière (p. 533). Mais l'existence de
cette Hgne de forteresses était ressentie par la
France comme une humiliation permanente et Tal-
I()6 l>. l'kOCHS DK I.A NkUTRAUTh BKLGK
leyrand, en soutenant à la Conférence de Londres
la neutralisation de la Belgique avait le ferme
dessein de faire tomber ce remi)art matériel j>our
le remplacer par un rempart conventionnel. Il ne
s'en était pas caché dans sa correspondance avec
son gouvernement : il écrivait, à propos du proto-
cole du 20 janvier 183 1, dans lequel il était parvenu,
comme je l'ai expliqué plus haut (p. 97), à faire
insérer la neutralisation de la Belgique : « Les treize
forteresses de la Belgique à l'aide desquelles on me-
naçait sans cesse notre frontière du Nord, tombent,
pour ainsi dire, à la suite de cette résolution, et nous
sommes désormais dégagés d'entraves importunes. »
(Mé77ioires, tome IV, p. 19.)
Cette opinion de Talleyrand était partagée
d'ailleurs, au moins en partie, par les quatre puis-
sances intéressées à l'établissement de la barrière
des forteresses, l'Autriche, la Grande-Bretagne, la
Prusse et la Russie : le 17 avril 1831, elles décla-
rèrent, par un protocole spécial, que «les forteresses
étaient trop nombreuses pour être efficacement
défendues et qu'une partie de ces forteresses, éle-
vées sous des circonstances différentes, pourraient
être démolies. »
Notons attentivement les termes et aussi la date
de ce protocole ; le 17 avril 1831, c'est-à-dire avant
le traité primitif de juin. Dès ce moment, alors que
le changement de rédaction qui inquiète tant
M. Norden n'était pas encore introduit ; alors que
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE IO7
l'armée belge n'avait pas subi les revers qui, selon
M. Norden, eussent été nécessaires pour appeler
l'attention des plénipotentiaires sur ce fait que
l'armée d'un pays de quatre millions d'habitants
ne serait jamais en état d'opposer une résistance
sérieuse aux armées de France ; alors que rien n'exis-
tait diplomatiquement en dehors des déclarations si
claires de la Conférence en faveur de la pleine neu-
tralité de la Belgique, — les quatre puissances inté-
ressées déclarent qu'il faut quoi ? raser toutes les
forteresses, comme la France l'eût souhaité ? Non
pas, mais simplement qu'il sera opportun d'en
supprimer un certain nombre.
Il apparaît donc nettement que l'idée de conser-
ver en Belgique une partie de la barrière de 1815
n'est, ni de près ni de loin, liée à la revision du
traité de juin.
Si, à présent, on veut bien se rappeler (voir p. 94
et 98) les déclarations répétées et emphatiques par
lesquelles la Conférence, dans ses protocoles du 20
décembre 1830 et du 19 février 1831, a affirmé à l'é-
gard du droit de l'Europe la stricte nécessité pour la
Belgique désormais indépendante de remplir sa part
des devoirs et obligations que sa réunion antérieure
aux Pays-Bas lui avait fait contracter, on devine
aisément l'attitude que les quatre puissances ont
prise à l'égard de la Belgique. Un certain nombre de
forteresses devaient subsister ; les Pays-Bas suppor-
taient, du chef de ces forteresses, certaines charges
I()8 Lh PKOChS Dh LA NKUTRAI.lTh Bhl,GE
déterminées ])ar le protocole d*Aix-la-Chai)elle : dès
lors, hi Belgique serait substituée aux Pays-Bas
dans leurs rapports avec les quatre puissances quant
aux dites forteresses.
C'est exactement ce qui se produisit. On négocia;
la Belgique et la France se mient d'accord pour
démolir Charleroi, Mons, Tournai, Ath et Menin.
Dans l'intervalle, la Hollande avait rompu l'armis-
tice ; la France était intervenue. Dès lors, tout
l'édifice laborieusement construit se trouve me-
nacé ; les jalousies et les ambitions à peine éteintes
se raniment : « Le jour où nos troupes, écrit
Talleyrand le 17 août, ont passé la frontière, ce
jour-là même a commencé une réaction dans
l'esprit anglais, dont le Times offre des symp-
tômes frappants. Cette réaction s'est visiblement
étendue ; elle menace essentiellement le cabinet
actuel ; elle devient nationale. » [Mémoires, tome IV,
p. 270.)
I^a Belgique, de son côté, est inquiète ; elle envoie
à Londres un plénipotentiaire spécial, le général
comte Goblet d'Alviella ; il s'agit pour elle d'éviter
que les charges qu'elle va hériter des Pays-Bas au
sujet des forteresses ne soient incompatibles avec
l'indépendance et la neutralité du pays (voir Goblet,
Des cinq grandes Puissances de l'Europe dans leurs
rapports politiques et militaires avec la Belgique.)
Au cours des négociations de Londres, des modifica-
tions sont apportées au projet franco-belge ; on sub-
LE PROŒS DE LA NEUTRALITE BELGE IO9
stitue notamment, parmi les places à démanteler,
Philippeville etMariembourg à Charleroi et Tournai.
I^a France se fâche, son gouvernement est vive-
ment indisposé par la pensée qui inspire les quatre
autres cours ; toute apparence de restauration du
système défensif de 1815 soulève chez elle les plus
grandes susceptibilités. Le roi lyOuis-Philippe écrit
à Talleyrand que jamais il n'aurait accepté la neu-
tralité perpétuelle de la Belgique, s'il n'avait pas cru
que les forteresses érigées pour menacer la France
seraient démolies. (Mémoires, tome IV, p. 364.)
Enfin, on aboutit. Le 14 décembre 183 1, un accord
spécial, dit « convention des forteresses » est signé,
qui stipule les forteresses à démanteler et à conser-
ver ; mais craignant que la véhémente opposition
de la France ne compromette le succès de ces labo-
rieuses négociations, les plénipotentiaires des quatre
puissances autres que la France ne font pas figurer,
dans la convention, l'article qui pourrait déchaîner
des colères et ils en font l'objet d'une clause secrète,
— à laquelle la Belgique adhère par la force des cho-
ses, puisqu'elle est substituée aux Pays-Bas.
C'est cette clause secrète, dont l'existence a été
révélée en 1864, qui est pour M. Norden le nœud
du roman qu'il a construit : là se trouve, prétend-
il, la consécration de la servitude de passage im-
posée à la Belgique. Or, si l'on consulte le texte,
on aperçoit que c'est exactement le contraire qui
est vrai : la clause secrète libère la Belgique de
I :o
I.H PKOOES Dk LA NhUlKALITk BKl.GË
toute obligation incompatible avec sa neutralité.
M. Norden s'est abstenu de donner ce texte : je le
reproduis ci-dessous, en mettant en regard le texte
du protocole d'Aix-la-Chapelle, (^ui précisait les
charges imposées aux Pays-Bas, et en soulignant
les passages essentiels :
ClvAUSE SECRÈTE.
* Il est bien entendu que
S. M. le Roi des Belles suc-
cède à tous les droits que
S. M. le Roi des Pays-Bas
exerçait sur les forteresses
élevées, réparées ou éten-
dues dans la Belgique en
tout ou en partie aux frais
des Cours d'Autriche, de
Prusse et de Russie et qui
doivent être conservées en
vertu de la clause patente
de ce jour. Il est également
entendu qu'à l'égard de ces
forteresses S. M. le Roi des
Belges se trouve placé dans
la position où se trouvait le
Roi des Pays-Bas envers les
quatre Cours ci dessus nom-
mées, sauf les obligations
gu'ihiposera à S. M. le Roi
des Belges et aux quatre
Cours elles-mêmes la neutra-
lité perpétuelle de la Belgique.
En conséquence dans le
cas où par malheur la sécu-
rité des forteresses dont il
est question viendrait à être
compromise, S. M. le Roi
des Belges concerterait avec
les Cours d'Autriche, de la
Grande-Bretagne, de Prusse
et de Russie toutes les me-
sures que réclamera la con-
servation de ses forteresses
toujours sous la réserve de la
neutralité de la Belgique. »
Protocole
d'Aix-i^-Chapelle.
« Messieurs les plénipoten-
tiaires ont discuté easuite
les moyens de fournir à ces
forteresses les gamisf^ns né-
cessaires, le cas de guerre
échéant et la guerre se por
tant dans les Pays-Bas et,
vu que les établissements
militaires de ce royaume
n'ont jamais pu être formés
pour la défense exclusive
d'un pays dont la défense
intéresse à un si haut degré
toutes les puissances, il a été
convenu ae recommander à
Sa Majesté le Roi des Pays-
Bas de faire occuper, le casus
fœderis ayant été déclaré,
les forteresses d'Os tende,
Nieuport, Ypres et celles
situées sur l'Escaut, à l'ex-
ception de la citadelle de
Tournai et de la place d'An-
vers, par les troupes de Sa
Majesté britannique, et les
citadelles de Huy, Namur et
Dinant, ainsi que les places
de Charleroi, Mariembourg
et Philippe ville par les trou-
pes de Sa Majesté prus-
sienne. »
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 1 I I
Les différences sautent aux yeux.
Désormais il n'est plus question, parmi les obliga-
tions des Pays-Bas qui seront dévolues à la Belgique,
que de celles que tolérera la neutralité du pays : c'est
pourquoi i.'on renonce explicitement a faire
OCCUPER I.ES FORTERESSES PAR LA PRUSSE ET
L'ANGLETERRE et l'on se borne à dire que le roi des
Belges « concertera avec les quatre Puissances toutes
les mesures que réclamera la conservation des places
fortes » — et ce, non point encore en cas de guerre
commune contre la France (casus fœderis), mais
dans le cas où « par malheur, la sûreté des forteresses
viendrait à être compromise ». Fait caractéristique,
au moment de signer au nom de la Belgique, le
général Goblet adressa aux quatre plénipotentiaires
une note qui précisait ces points ; les plénipotentiai-
res lui en donnèrent acte dans un protocole spécial.
En résumé :
ce n'est pas à la suite de l'invasion de la Belgi-
que par la Hollande que la question des forteres-
ses a été sotdevée ; c'est en conformité des décla-
rations constantes de la Conférence ;
on n'a pas, au moment de la rédaction abrégée de
novembre 1831, voulu faire revivre une ancienne
clause, que l'on aurait, en juin, eu l'intention de
laisser dans l'oubli ; car dès le mois d'avril on en
avait prévu l'adaptation au régime nouveau de la
Belgique ;
112 Ih l'KOt:hS Dh I.A NhUTKAI.iri. BKI.Cih
loin (le vouloir affail^lir la garantie de la pleine
neutralité de la Belgique par quelque condition
pouvant entraîner la violation éventuelle du terri-
toire, on a expressément et catégoriquement su-
bordonné toute mesure quelconque concernant les
forteresses au respect de cette neutralité ;
non seulement la convention des forteresses et sa
clause secrète ne donnaient pas à l'Allemagne le
droit d'occuper un millimètre carré de la Belgique,
mais on avait précisément dans la clause secrète
supprimé toute allusion à une occupation quel-
conque ;
loin de charger la Belgique d'une servitude de
passage, les arrangements de novembre 1831 con-
sacraient définitivement le statut politique de la
Belgique, Etat indépendant, perpétuellement
NEUTRE, PERPÉTUELLEMENT INVIOLABLE, GARANTI
DANS SON INDÉPENDANCE, SA NEUTRALITÉ ET SON
INVIOLABILITÉ PAR l' ENGAGEMENT FORMEL DE
CINQ PUISSANCES.
Telle est la vérité de l'histoire — « cette grande
indiscrète » comme dit M. Norden.
Il reste encore, pour être complet, à expliquer
comment il se fait que, le 15 novembre 1831, la
Conférence de Londres a adopté un autre texte
que celui du 26 juin.
Aucun document, aucun rapport diplomatique ne
permettent de présumer que cette modification ait
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE II 3'
été intentionnelle : elle apparaît simplement comme
une mise au point de rédaction.
En effet, la formule sur laquelle l'accord entre les
plénipotentiaires s'était établi le 26 juin 1831
(Traité des Dix-Huit articles) s'inspirait visiblement
de celle qui, dans le Traité de Vienne du 20
novembre 1815, avait reconnu la neutralité de la
Suisse, revendiquée par les délégués de ce pays
comme une tradition nationale.
En 1815, on avait dit :
« lyCS puissances font une reconnaissance formelle
et authentique de la neutralité perpétuelle de la
Suisse et elles lui garantissent l'intégrité et l'invio-
labilité dans ses nouvelles limites. lycs puissances re-
connaissent authentiquement que la neutralité et
l'inviolabilité de la Suisse et son indépendance de
toute influence étrangère sont dans les vrais intérêts
de la politique de l'Europe entière. »
En 1831, on disait :
« Art. 9. — lya Belgique, dans ses limites telles
qu'elles seront tracées conformément aux principes
posés dans les présents préliminaires, formera un
Etat perpétuellement neutre. Les cinq puissances,
sans vouloir s'immiscer dans le régime intérieur
de la Belgique, lui garantissent cette neutralité
perpétuelle, ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité
de son territoire dans les limites mentionnées au
présent article. »
Ce rapprochement n'a rien de surprenant : l'un
NEUTRALITÉ BELGE 8
I
114 IH PROCHS DE LA NFUTRALITF. BELGE
des principaux artisans de la neutralisation de la
Belgique, Talleyrand, a, je l'ai rappelé plus haut
(p. loo), toujours eu en vue de placer la Belgique
dans la même situation que la Suisse quant aux
effets de la neutralité dans l'ensemble du système
politique de l'Europe.
Mais, cinq mois plus tard, en novembre, on dut
soumettre le traité à une refonte générale, parce
que les Pays-Bas refusaient de l'approuver, notam-
ment en raison des sacrifices territoriaux qu'il
leur imposait. Dans cette refonte, l'article 9 dis-
^ parut comme article autonome et les stipulations
'^ qu'il énonçait firent l'objet de deux articles nou-
o veaux, a savoir :
LU C
:;<^ « Art. 7. — La Belgique, dans les limites indiquées
f aux art. i, 2 et 4, formera un Etat indépendant per-
r
t pétuellement neutre. Elle sera tenue d'observer cette
: J même neutralité envers tous les Etats. »
» Art. 25. — lycs Cours d'Autriche, de France, de
la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie garan-
tissent à S. M. le Roi des Belges l'exécution de tous
les articles qui précèdent. »
Dans la nouvelle rédaction, on a visiblement le
souci d'affirmer que la garantie donnée par les
puissances à la Belgique s'étend à la totalité des
stipulations, qu'elle recouvre tous les aspects, tous
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE I 1 5
les attributs de l'Etat nouveau : sa souveraineté,
son indépendance, sa neutralité, ses limites ; on
rejette, à cet effet, la clause de garantie à la fin
de la rédaction (art. 25), et l'on dissocie la formule
du début, qui était inspirée du précédent de 181 5.
Il eût été pratiquement impossible d'introduire,
dans la rédaction nouvelle, l'expression « inviolable »
à l'art. 7, car l'inviolabilité ne peut être évoquée
qu'au moment où il s'agit de la garantir ; l'in-
violabilité n'existe pas en soi, elle ne peut être,
comme la neutralité et l'indépendance, un attribut
spécial d'un Etat ; on ne se représente donc pas
l'art. 7 rédigé comme suit : « I^a Belgique formera
un Etat indépendant, inviolable et perpétuellement
neutre ! » D'autre part, il était superflu d'introduire
l'expression « inviolable » dans l'art. 25, car il n'y
avait pas l'ombre d'une raison pour mettre ici en
évidence cet aspect particulier de la souveraineté
de l'Etat nouveau, puisque tous les articles du
traité se trouvaient expressément garantis, sans
en excepter ceux qui traçaient les limites du ter-
ritoire : or, qu'est-ce que garantir des limites,
sinon garantir en même temps leur inviolabilité ?
La rédaction de novembre apparaît donc comme
tout-à-fait équivalente à celle de juin.
De tout l'exposé de M. Norden, il ne demeure
donc littéralement rien qu'une tentative attristante
de semer la méfiance parmi les Belges au milieu
Q
UJ
Q
u C
S:
>».
C)
llb I-E l'ROChS DE LA NhUTKALlTh BELGE
desquels il habite et le doute parmi les neutres,
qui subordonnent leurs sympathies pour la Belgique
à la certitude que la violation de sa neutralité a été
effectivement un acte contraire à des engagements
formels, sanctionnés par des traités.
Dernières paroles.
Parmi les accusations dont on persiste à charger
la Belgique, il s'en trouve qui sont si puériles que
l'on éprouve une sorte de gêne à devoir les réfuter.
On reste déconcerté devant une publication comme
celle de M. Grasshoff {Belgiens Schuld, citée plus
haut p. 6i), où véritablement les droits de la logi-
que et du bon sens sont ignorés.
Pour démontrer que « la Belgique avait violé sa
neutralité bien longtemps avant qu'un seul soldat
allemand n'eût foulé son territoire » (p. 6), M. Grass-
hoff se contente, dit-il, « de deux faits d'une impor-
tance qui défie toute casuistique » (p. 7). J'ai déjà
relevé le premier : grief au gouvernement belge
d'avoir favorisé l'Angleterre d'un monopole d'infor-
mations militaires (voir p. 63 et suiv.). Voici le
second : « Avant l'entrée obligée des troupes
allemandes en Belgique le 4 août 19 14, ce pays
avait ouvert déjà sa frontière aux Français :... les
PREUVES à cet égard, dit l'auteur, sont conci^uan-
TES » (p. 7 et II). Quelles sont ces preuves?
Un Allemand, séjournant en Belgique comme mar-
chand et comme ouvrier, a vu le dimanche 26 juillet
IlR I.K l'ROCFS DK LA NRUTRAI.ITK BHl.GH
deux officiers français et un officier anglais à Bruxel-
les ; il a rencontré le 29 juillet huit soldats français
et « a entendu dire que c'étaient des artilleurs » ; du
29 juillet au 2 août, il a vu un aéroplane au-dessus
de Bruxelles, « c'était un biplan français à son idée
il le croit parce qu'en 1910 il a vu beaucoup d'appa-
reils français au concours d'aviation à Bruxelles »
(p. 12). — Deux personnes, dont le nom n'est pas
donné, déclarent que « d'après l'affirmation des
habitants de trois localités belges de la région du
nord de Lille, la mobilisation de l'armée belge a été
proclamée dans les villages dès le 30 juillet 1914, et
que des patrouilles françaises ont franchi la frontière
le i®^ août pour se réunir aux patrouilles belges
(p. 13). — Un soldat français prisonnier, du 8^ hus-
sards, a déposé que son régiment avait passé la fron-
tière belge le 2 août, se dirigeant sur Bouillon (p. 14);
un autre, du 21^ dragons, sans fixer de date, dit
qu'il est entré en Belgique le lendemain de la mobili-
sation française (id.) ; un troisième, du 28^ dra-
gons, certifie que la frontière a été franchie le
31 juillet au soir (p. 15). — Je laisse de côté l'inof-
fensive information d'un journal belge, qui s'est
borné à annoncer le 30 juillet «d'importants mou-
vements de troupes françaises ce jour-là à la fron
tière, ainsi que le départ de sept trains militaires
spéciaux, partis le 28 juillet de Charleville à desti-
nation de la frontière » (p. 17).
J'ai déjà répondu aiix déclarations de civils con-
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
119
cernant la présence d'officiers et de soldats français
dans les rues de Bruxelles avant le 3 août 1914 (La
Belgique neutre et loyale, p. 143 à 147), et j'ai conclu
alors en ces termes : « Je ne veux pas prétendre que
les témoins dont on rapporte les déclarations n'aient
pas dit ce qu'ils croient être la vérité : divers faits
qui sont à ma connaissance me portent plutôt à
penser que des méprises se sont produites. » (p. 146.)
Il y a eu, d'ailleurs, plus que des méprises : le
gouvernement français a pris la peine de faire
recueillir à Bruxelles, à Iviége et à Namur de ren-
seignements précis, qui établissent que « les témoi-
gnages invoqués fourmillent d'erreurs grossières et
d'inexactitudes plus ou moins volontaires. » (Voir
Livre gris, II, no 118, 2® et 3® annexes).
La question de la présence de militaires français
dans les rues de certaines villes belges avant les
hostilités est aujourd'hui tranchée : il serait puéril
d'y revenir.
Mais, parmi les déclarations rapportées par M.
Grasshoff, il en est trois qui ont, je le sais, produit
une réelle impression chez les neutres : je veux
parler des allégations des trois soldats français
prisonniers en Allemagne. Je suis aujourd'hui en
mesure d'y répondre.
lyC Grand Quartier Général des armées françaises
de l'Est a eu la complaisance de préciser, à ma de-
mande, d'une façon formelle et décisive, quels ont
été les cantonnements effectifs des unités françaises
120 LE PROCES DE LA NhUTRAI.ITh BEIGE
accusées d'avoir traversé la frontière belge avant
l'appel fait, le 4 août, par la Belgique au concours
militaire des nations garantes. Le rapport du Grand
Quartier Général, que je reproduis ci-après, rax)pelle
d'abord les ordres donnés au début de la campagne
par le haut commandement français en exécution
des instructions du gouvernement de la Répu-
blique.
IvE 4 AOUT, le Ministre de la Guerre écrivait :
« Iv' Allemagne va tenter par de fausses nouvelles
de nous amener à violer la neutralité belge. // est
^1 interdit rigoureuse^nent et de la manière la plus for-
g melle, jusqu'à ce qu'un ordre contraire soit donné, à
u toutes nos troupes, de pénétrer, même par des patrouil-
o
les ou de simples cavaliers sur le territoire de la Bel-
gique, ainsi qu'à tout aviateur de survoler ce terri-
toire. Un ordre contraire ne sera d'ailleurs donné que
lorsque le G. Q. G. se sera entendu avec le gouver-
nement belge. — Signé : Messimy. »
Le 5 AOUT seulement, après entente réalisée
AVEC I.E GOUVERNEMENT BELGE, le Général en chef
AUTORISAIT LES RECONNAISSANCES DE CAVALERIE
A PÉNÉTRER EN TERRITOIRE BELGE, et leur ordon-
nait de s'y comporter comme en pays ami et
allié.
Enfin, c'est LE même jour, 5 août, a 19 heures,
qu'ordre était donné par le Général en chef au corps
de cavalerie (région de Charle\411e) et à la ... ® di-
vision de cavalerie (région de Mangiennes), de
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 12 1
franchir la frontière i,E i^endemain 6 août et de
se porter vers Neufchâteau ^.
Mais il y a plus : l'examen des déclarations invo-
quées par M. Grasshoff fait, comme on va le voir, res-
sortir des inexactitudes de dates, des confusions de
noms et des erreurs de fait qui leur enlèvent défi-
nitivement toute valeur. Je donne la parole au
Grand Quartier Général :
Le cavalier Julien Requet, du 8^ régiment de hussards
aurait prétendu que son régiment, arrive à La Neuville-aux-
Toumeurs dans la nuit du 31 juillet au i^^ août, y aurait
séjourné deux jours, puis se serait rendu à Donchery et de là
à Bouillon ; il y aurait franchi la frontière «le 2 août 19 14,
vers 5 heures de l'après-midi ». A Bouillon, le 8»^ hussards
aurait rejoint le 3^ régiment de hussards, ainsi que les 23 et
27 e dragons, qui auraient franchi la frontière « vers le même
temps ».
La division à laquelle appartenait le 8^ hussards faisait
partie du corps de cavalerie. Cette division est bien arrivée
le matin du i^f août dans ses cantonnements de concentra-
tion (région Aubenton-Rmnigny), mais elle y est demeurée
les 2, $ et 4 août.
En particulier, la brigade légère à laquelle appartenait le
8 6 hUvSsards a cantonné pendant ces trois jours dans la région
Girondelle-Foulzy-Cuvillers-La Neuville-aux-Tourneurs (S. O
de Rocroi).
Conformément aux déclarations du cavalier Requet, cette
brigade s'est ensuite portée sur Donchery ; cette marche a
eu heu le 5 août ; le 5 août au soir, elle a cantonné dans la
zone Donchery, le Dancourt, Vrigne-sur-Meuse.
C'est dans la journée du 6 août que la brigade s'est portée
de Donchery sur Bouillon par Saint Menges et Corbion ; c'est
donc dans la matinée de ce jour et non pas le 2 août, que la fron-
tière a été passée.
Le 3« hussards auquel il est fait allusion dans l'affirmation
du cavalier Requet, formait brigade avec le 8^ hussards ; il
a stationné et fait mouvement avec ce régiment du i^^ au
6 août.
Quant aux 23e et 27 « dragons, ils faisaient partie~d'une
^ La Note adressée par l'Allemagne au Gouvernement belge
est du 2 août ; la violation du territoire belge par les troupes alle-
mandes et l'appel de la Belgique aux Puissances Alliées, du 4 août.
122 I.l. PROCKS DK I.A NEUTRALITE BELGE
autre division du corps de cavalerie, la(juelle a quitté le 6 aoi
la région de Charleville et s'est portée ce jour-là vers Paliseï
août
Paliseul
par Givonue et liouillon, franchissant ainsi la frontière belge
à la mcnic date que le 8'- hussards.
I/C cavalier Recjuet a pu effectivement croiser ces régi-
ments à Bouillon, mais pas à la date qu'il indique.
En définitive, le cavalier Requet a rapporté des faits qui
paraissent exacts, mais dont les dates sont erronées.
Ivn outre, certains points de cette déclaration sont ambi-
gus ; si son régiment est arrivé à La Neuville dans la nuit du
31 juillet au i^"' août et y a séjourné " deux jours n, s'il a fait
ensuite étape sur Donchery (50 km.), puis sur Bouillon, com-
ment a-t-il pu pénétrer en Belgique le 2 août ?
Le cavalier Bailly du 2i« dragons aurait rapporté que le
lendemain du jour où la mobilisation fut annoncée à Ilirson,
son régiment avait quitté ses cantonnements de couverture
(région de Bossus) et avait franchi la frontière belge pour
atteindre Bouillon le même jour. Le 5^' dragons et plusieurs
<^ régiments de cuirassiers, \'tis par le cavalier Sailly à Bouillon,
^* auraient franchi la frontière à la même date. Ces régiments
^ auraient, par suite, pénétré en Belgique le 2 août.
Le 21 <^ et le 56 dragons constituaient une brigade appar-
^J tenant à la même division que le 8^ hussards, visé plus haut.
Toute la division ayant fait mouvement à la fois, ce qui a
^ C. été dit pour le 8^ hussards s'applique d'une façon générale
c>^- aux 21^ et 3 e dragons.
^ "^ Arrivée le i^^ août à ses emplacements de couverture, cette
K brigade a cantonné les i, 2, 3 <?^ 4 août dans la région Auben-
S ton, Hannapes, Bo.ssus-lès-Rumigny, ^Vntheny.
r.' .; Le s, elle s'est portée sur Doncher\^ en même temps que la
: f brigade de hussards et a cantonné dans la région Vrigne-aux-
BoivS, Vivier-au-Court, Issancourt, Lûmes, Villers. Le 6 août
seulement, elle a fait mouvement vers Bouillon dans les
mêmes conditions que la brigade de hussards.
Deux erreurs doivent donc être relevées dans l'affirmation
du cavalier Bailly :
Une erreur de date : le 21 ^ dragons n'a pas quitté ses can-
tonnements de couverture le lendemain du jour où la mobi-
lisation a dû être connue à Hirson, mais trois jours plus tard
(5 août) ;
Une erreur de fait : ce régiment ne s'est pas porté directe-
ment de Bossus vers Bouillon, mais bien vers Lûmes, Vrignes-
aux-Bois, Issancourt, région qu'il a quittée le lendemain
6 août pour se rendre à Bouillon. L'étape du 5 août est
oubliée dans la déposition du cavalier BaiUy.
D'après le cavaUer Cochard du 28® dragons, la brigade
formée par les 28^ et 30^ dragons aurait quitté Sedan, sa
garnison, le 31 juillet au matin, se serait d'abord portée sur
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE
123
Mouzon où elle serait arrivée vers midi, puis se serait rendue
dans la soirée du même jour par Bazelles et La Chapelle à
Bouillon, où le 28® dragons serait entré le 31 juillet à 10 heu-
res du soir.
I^e lendemain, i er août, la brigade serait allée de Bouillon
vers Arlon par Florenville, Bellefontaine et Sainte Marie,
« ayant fait le i^^' août plus de 40 km. dans la direction de
l'Kst, exclusivement sur territoire belge. »
Le 28^ dragons aurait cantonné le i®^ août au soir à Saint
Laurent près Arlon.
Kntre Bouillon et Florenville, la brigade aurait croisé en
territoire belge le 4® hussards et les 3® et 6<^ cuirassiers.
Cette déclaration qui tendrait à démontrer que toute la
division à laquelle appartenait le 28^ dragons se trouvait
en territoire belge dès le i ^^ août, est dénuée de toute vérité.
Bn effet, la brigade constituée par les 28 « et 30^ dragons a
bien quitté Sedan le 31 juillet par la grand'route de Mouzon
mais elle a poursuivi sa route par Stenay et Jametz pour
gagner ses cantonnements de couverture sur l'Othain. L'es-
cadron auquel appartenait le cavalier Cochard a bien été
arrêté au passage à Mouzon pour y attendre l'arrivée du
groupe à cheval de la division venant de Charleville et l'es-
corter à destination. Mais il a continué sa route, avec ce
groupe, dans la soirée du 31 juillet et est venu cantonner à
Stenay. Le lendemain matin, il a rejoint la division dans ses
cantonnements. Pas plus que le gros du régiment, cet esca-
dron n'est revenu sur Sedan le jour où il en avait quitté sa
garnison.
La brigade est arrivée sm* l'Othain le 31 juillet vers 22 heu-
res. Le 28e dragons a cantonné à Saint-Laurent-sur-Authain
(18 km. S. B. de Montmedy), le 3<^ dragons à Pillon (5 km.
S. B. de Saint-Laurent).
Ces deux régiments n'ont pas quitté leurs cantonnements
jusqu'au 6 août matin ; pendant toute cette période les avant-
postes n'ont pas dépassé l'Othain. Le 6 août, la division se met-
tait en marche et pénétrait en Belgique par Montmedy, Thouelle,
Avioth, Fagny, Bellefontaine. Le 28® dragons formait l'avant-
garde de la division et prenait en fin de marche les avant-
postes sur la Semoy à Breuvanne (15 km. N. de Virton) ;
ie 30^ dragons cantonnait à Tintigny (S. B. de Breuvanne).
Les deux régiments de cuirassiers que le cavaUer Cochard
a prétendus avoir rencontrés le i^^ août entre Bouillon et
Florenville étaient eux-mêmes à cette date en cantonnement
sur l'Othain.
Le 36 cuirassiers a, en effet, quitté Vouziers, sa garnison, le
31 juillet dans l'après-midi et est venu cantonner ce jour-là
à BrieuUes sur Meuse (5 km. S. de Dmi). Le lendemain, il
s'est rendu à Mangiennes en Woevre, où il est resté jusqu'au
6 août matin, date à laquelle il s'est porté en Belgique, a Ja-
124 Lh l'ROCHS DE LA NEUTRALITE BELGE
inoij^ne (lo km. Ivst de l'iorenville) par le même itinéraire
(jue les 28«et 30» dragons.
Quant au 6^ cuirassiers, il a fait mouvement dans des con-
ditions analoj^ues.
Parti de Sainte-Menehould, le 31 juillet, il est venu can-
tonner à Consenvoye (15 km. N. de Verdun) et s'est porté
le lendemain i^r août à ïiilly sous Man^iennes (7 km. L,st de
Spincourt) où il est resté jusqu'au 6 août. Le 6 août, il a suivi
le ^^ cuirassiers dans sa tnarche vers la frontière belge.
Il est donc inexact que les 3^ et 6^ cuirassiers se soient
trouvés dans la matinée du i*^"" août sur le territoire belge
entre Bouillon et Florenville.
En résumé, la narration du cavalier Cochard ne se rappro-
che de la réalité sur aucun point, si ce n'est sur la date à
laquelle son régiment a quitté sa garnison et sur la direction
qu'il a prise au départ.
Le récit abonde en confusions de dates et de noms : Saint-
Laurent-sur-Othain devient Saint- Laurent près d'Arlon, qui
n'existe pas. Un certain nombre de localités, citées au hasard
des souvenirs, jalonnent l'itinéraire tracé par le cavalier Co-
chard à sa brigade le 1^^ août : « Sainte Cécile où le régiment
a cantonné le 18 août, Chassepierre traversé le même jour,
Florenville et Pin traversés ou vus presque chaque jour du
6 au 18 août ; Saint Vincent occupé par le 28^ dragons le
7 août ; Bellefontaine sur l'itinéraire de l'entrée en Belgique
le 6 août » (rapport du colonel-commandant le 28*^ dragons).
En outre, on relève dans les déclarations du cavalier Co-
chard des faits inventés de toutes pièces ; c'est ainsi que l'iti-
néraire Bazeilles-La Chapelle-Bouillon par lequel le 28*^ dra-
gons aurait pénétré en Belgique est distant de 25 km. de
celui suivi en réalité par ce régiment (Montmedy-Avioth-
Bellefontaine).
De même le cantonnement qu'aurait occupé son régiment
à Bouillon le 31 juillet au soir, ne peut être attribué à une
confusion de sa part, car « jamais, à aucun moment, une
unité du 28 ^ dragons n'a stationné à Bouillon ni traversé
cette ville » (Rapport du heutenant-colonel commandant le
28^ dragons).
De même, aussi l'itinéraire imaginé par lui — et de manière
précise — pour la marche qu'aurait exécutée son régiment
le i^r août de Bouillon sur Axlon, etc.
Les déclarations de Cochard resteraient d'ailleurs sus-
pectes, alors même qu'elles ne seraient pas démenties par
les faits.
Les renseignements fournis sur ce cavalier par son chef de
corps sont, en effet, mauvais : « Médiocre soldat, d'intelligence
limitée, nature fruste, caractère sournois et très indépendant ;
Cochard répondait tout à fait au type du braconnier, d'homme
des bois, qu'il se vantait d'être. »
RUSSE
R H
N A N E
•■ y
I
]•>() IF. l'ROCKS DE I.A NKUTRALITK BHI.Cr
I/iiicxactitude de ses renseignements s'étend jusqu'à ses
fonctions : affecte'- roimne cycliste au 3'- escadron du 28*^ dra-
;4ons, il n'a jamais été à cheval dans le rang, ainsi qu'il le
laisse entendre (§ 1-6-7 de sa déclaration).
// importe d'ajouter que sa disparition le 22 août est restée
suspecte et a provoqua de la part de ses chefs les versions les
plus fâcheuses pour lui.
On m'en voudrait d'ajouter un mot à cet exposé
bourré de faits et de si sérieuse tenue.
lycs preuves « convaincantes » de M. Grasshoiï
ont été abondamment utilisées par l'Accusation :
^ elle y trouvait une justification inespérée pour son
g imputation que la Belgique aurait prématurément
uj ouvert ses frontières aux troupes françaises. Puis-
en
^ (;. qu'elle insiste, je vais apporter un fait qui la
b^ contraindra sans doute au silence.
k IvC plan de concentration de l'armée belge en cas
c
"; de mobilisation, c'est-à-dire le dispositif des empla-
à"
"■ * céments à occuper par les différentes unités à la veille
d'un conflit, avait été établi en 1913, au moment de
la réorganisation militaire. Or, comment, dans ce
plan, les positions de concentration des forces bel-
ges avaient-elles été choisies ? Le rapport officiel
du commandement de l'armée [L'Action de l'armée
belge, du 31 juillet au 31 décembre 1914, Chapelot,
Paris 1915), répond en termes formels (p. 2 et
voir le croquis ci-contre).
« Les positions de concentration avaient été choi-
sies en vue d'assurer la défense du territoire, tout en
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 1 27
se conformant strictement aux obligations qu'im-
posait à la Belgique sa neutralité, définie par les
traités de 1839.
» En effet, (en dehors des 2® et 6® divisions et
de la division de cavalerie, qui restaient à Anvers
et Bruxelles), les i'^, 3e ^e et 5^ divisions remplis-
saient le rôle de divisions d'avant-garde et se trou-
vaient placées respectivement dans chacune des
directions d'où un péril pouvait menacer la Belgique:
« la i^® division, ou division des Flandres, regardait
l'Angleterre ;
« la 36 division, ou division de Iviége, regardait
l'Allemagne ;
<^ les 4® et 5® divisions regardaient la France, la 4®
devant faire face à une attaque sur Namur, la 5® à
une attaque qui déboucherait de Maubeuge-Iville.
» Chacune de ces divisions d'avant-garde avait
pour mission de fournir la première résistance et de
donner par cette résistance même, le temps de trans-
porter les cinq autres divisions dans la partie me-
nacée du territoire.
» lye système défensif de la Belgique comportait,
en outre, trois places fortes : Anvers, constituant
un camp retranché et place de refuge, I^iége et
Namur servant de places d'arrêt, de têtes de pont
et de points 'd'appui : l'armée devait donc être ré-
partie en troupes de forteresse et troupes de cam-
pagne ; survies quinze classes de milice appelées sous
les armes, les sept dernières furent réservées au ser-
128 I.H PROCHS DK LA NhUTRAIJTh BhlXiV.
vice des forteresses, et les huit premières furent
affectées à l'armée de campagne. »
Telles étaient les dispositions prescrites dès avant
la guerre. On s'y conforma strictement au moment
de la mobilisation et, le i^'' août au matin, les ras-
semblements s'opéraient comme il est indiqué sur
le croquis.
Or, et c'est ici que vient se placer le fait décisif,
après que le dimanche 2 août, à 7 heures du soir, le
gouvernement belge eût reçu la note de l'Allemagne
demandant le passage pour ses troupes, la concen-
tration NE FUT PAS MODIFIÉE, c'est-à-dire que les
;i^ quatre divisions d'avant-garde conservèrent leurs
^ positions respectives, une face à l'Angleterre, deux
lu
û face à la France (deux, en raison de l'étendue de la
^Ç frontière de ce côté), une seule face a l'Allema-
:: "^ GNE. On lit, en effet, dans le rapport officiel :
« I^a Note allemande du 2 août n'eut, il faut
|i'' le remarquer, pas d'influence immédiate sur la con-
centration de l'armée, qui demeura disposée sur
le territoire suivant les exigences miUt aires impo-
sées par la neutralité du pays ; ordre était donné
aux postes placés à toutes les frontières, d'ouvrir
LE FEU SUR TOUTE TROUPE ÉTRANGÈRE ENTRANT
EN Belgique. »
Bt le rapport ajoute : « Cette attitude du haut
commandement reflétait fidèlement l'attitude poU-
tique prise par le gouvernement du Roi ; celui-ci
avait, en effet, répondu à la note allemande, d'une
LE PROCÈS DE LA NEUTRALITE BELGE 1 29
part, qu'il repousserait par tous les moyens en son
pouvoir toute atteinte portée par l'Allemagne au
droit de la Belgique ; d'autre part, que si, contraire-
ment à toute attente, une violation de la neutralité
belge venait à être commise par la France, la Bel-
gique remplirait tous ses devoirs internationaux et
que son armée opposerait à l'envahisseur la plus
vigoureuse résistance. »
Ce ne fut que dans i,a nuit du 3 au 4 août,
lorsque la certitude eût été acquise que les trou-
pes allemandes entendaient traverser la Belgique
de vive force, que le haut commandement fit
exécuter les mesures qu'imposait la situation
nouvelle.
« Ai,ORS seui^ement, expose le rapport, ordre est
donné de détruire les grands ouvrages d'art sur les
voies de communication susceptibles d'être utili-
sées par les troupes allemandes. I^es gouverneurs
militaires des provinces sont avertis de ne pi.us
CONSIDÉRER LES MOUVEMENTS DE TROUPES FRAN-
ÇAISES SUR LE TERRITOIRE BELGE COMME DES ACTES
DE VIOLATION DE LA NEUTRALITÉ.
» Conformément au plan de défense, la 3^ division
doit résister à l'ennemi, appuyée sur la position for-
tifiée de lyiége ; sous sa protection, les autres divi-
sions doivent se transporter face à l'envahisseur, à
l'exception toutefois de la division de Namur (la 4^),
qui reçoit mission de garder cette place ; la i'^ divi-
sion est dirigée de Gand à Tirlemont, la 2® d'Anvers
NEUTRALITÉ BELGE O
I^o II- l'ROrfS l)K I.A NHI'TKAI.ITK BF.I-GH
à lyOïivain ; la 5<* de Mons à Perwez ; la 6^ de Bruxel-
les à Wavre.
« Ces transports doivent être couverts : i® par la
division de cavalerie, qui, concentrée à Gembloux,
doit se porter sur Waremme ; 2° par une brigade
mixte de la 3^ division, dirigée sur Tongres ; 30 par
une brigade mixte de la 4^ division, envoyée à
Huy.
» Les mouvements de concentration, commencés
le 4 août, s'achèvent le lendemain ; ils s'exécutent
avec rapidité et régularité, partie par route, partie
par chemin de fer.
» Le Roi prend, en vertu de la Constitution, le
haut commandement de l'armée.
» Le 6 août, au matin, l'armée est prête à faire
mouvement avec tous ses convois. »
Kn présence de ces faits-là, je dis à l'Accusation :
lorsqu'on s'occupe d'un petit pays entraîné tout
à coup dans un conflit dont l'enjeu était pour lui la
perte de son indépendance; lorsqu'on voit qu'en ce
moment où il ne s'agissait plus de fixer des atti-
tudes politiques dont les sanctions sont souvent
incertaines, mais de prendre des déterminations
qui engagent la vie de la nation, il est demeuré
si totalement fidèle à ses obUgations et si abso-
lument affranchi de toute tutelle étrangère, qu'il a
organisé sa défense suprême au seul et unique point
de vue de ses intérêts propres, — alors, quand on ne
veut pas lui rendre l'hommage d'estime qu'on doit à
i
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE I 3 I
quiconque accomplit son devoir, on passe et l'on
se tait.
*
* *
On ne me demandera pas de revenir sur la ques-
tion de la conduite des troupes allemandes en Bel-
gique et sur la prétendue guerre populaire (Volks-
krieg) qu'elles auraient eu à réprimer. Un Livre blanc,
gros de plus de 300 pages {Die vôlkerrechtswidrige
Fiihrungdes belgischen Volkskriegs) y a été consacré.
M. Grasshofï était au nombre de ceux qui ont re-
cueilli des dépositions qu'on y a rassemblées. C'est
ce qui lui a permis de réserver à ces affaires les
quatre cinquièmes de la brochure dont j'ai déjà
parlé plus haut.
Je me bornerai ici à une seule remarque, le Livre
blanc allemand devant être prochainement l'objet
d'une réfutation détaillée de la part de la Belgique.
Dans le message officiel allemand adressé le
14 août au Président des Etats-Unis, il était dit :
« Le Gouvernement belge a publiquement encou-
ragé la population à la guerre et il avait depuis long-
temps préparé cette participation. »
Aujourd'hui, M. Grasshoff se charge lui-même, en
publiant un certain nombre de documents émanant
des autorités belges, de faire justice de cette in-
croyable accusation : arrêté royal appelant à l'acti-
vité la garde civique non active (p. 43), circulaires
du Ministre de l'Intérieur (id.), du Gouverneur du
:,^
Q
132 LE l'kOChS Ut. LA NEUTRALITh BELGK
Brabant (p. 48), du Commandant supérieur des
gardes civiques des provinces d'Anvers et de Bra-
bant (j). 45), dépositions de personnalités belges
(p. 46-47), ou de bourgmestres (p. 51), toutes les
pièces officielles, y com])ris les fac-similés de télé-
grammes administratifs, que M. Grasshoff a ras-
semblées, confirment sans aucune hésitation possible
cette chose évidente pour toute personne de bonne
foi : le Gouvernement belge a, dès les premières
heures, pris toutes les mesures en son pouvoir pour
ORGANISER LA PASSIVITÉ DE LA POPULATION (voir La
Belgique neutre et loyale, p. 197-229).
aj ' lya population était hostile ! la presse était passion-
Q
^, née! s'écrie M. Grasshofï. A qui la faute ? je vous
prie. Iv' Accusation fait bon marché des deux seuls
faits qui comptent, à savoir, d'abord l'indignation
■ — c'est le mot — éprouvée par tous les Belges le
lundi 3 août, quand ils apprirent que l'Allemagne,
non contente de violer un engagement formel,
les menaçait de leur enlever l'indépendance s'ils
n'acceptaient pas d'agir contrairement à leur de-
voir et à leur intérêt vital; ensuite l'horreur — le
mot n'est pas assez fort — que ces mêmes Belges
ont ressentie à partir du 6 août, quand ils apprirent
les premières représailles des troupes allemandes en
Belgique.
Quant à toutes les dépositions d'Allemands, re-
cueillies par des Allemands, dont le Livre blanc fait
état pour démontrer que des coups de feu auraient
j»
LE PROCES DE LA NEUTRALITE BELGE 153
été tirés par des Belges sur les troupes allemandes,
elles sont dépourvues de force probante : tout récem-
•ment, une étude strictement scientifique, basée
sur les seules sources allemandes, a montré com-
ment les récits qui sont à la base de ces témoi-
gnages relèvent de la formation légendaire et se
sont trouvés lentement élaborés, selon des thèmes
directeurs, sur de menus incidents, défigurés et
exagérés au cours de la transmission (voir van Lan-
GENHOVE : Comment se forme un cycle de légendes :
Francs-tireurs et Atrocités en Belgique; Payot, 1916).
Puis, qu'on veuille bien attendre : audiatur et altéra
pars ! lycs Belges soumis à l'occupant et qui pour-
raient répondre ne peuvent se faire entendre.
Mais on peut tout de même demander dès à pré-
sent aux lecteurs du Livre blanc ou de la brochure
de M. Grasshofï si, quelque part, ils y ont trouvé
une justification ou une excuse pour le procédé des
représailles collectives .
« Aucune peine coi.i.ective, pécuniaire ou
autre, ne pourra être édictée contre i.es
populations a raison de faits individuels,
dont elles ne pourraient être considérées
comme solidairement responsables. »
Ainsi en avaient décidé toutes les nations, l'Alle-
magne comprise, à la 11^ Conférence de La Haye.
Pendant tout le mois d'août 1914, s'est déchaîné
sur mon pays un système de guerre qui est exacte-
ment le contre-pied de cette prescription. C'était
1^4 'P- PROCÈS DH I.A NEUTRALITE BELGE
der schneidig f^c/uhrtc Krieg, la guerre conduite
crânement, que le général von Hartmann avait
naguère o})])osée à la guerre menée avec quelques
égards.
Pour tous ceux qui pensent que, même aux jours
où sévit la guerre, l'humanité et l'équité gardent
leurs exigences, ce système est exécrable. On n'en
a pas encore tenté l'apologie. On ne la tentera pas.
Il appartient aux choses qui se font, mais dont on
ne parle que pour les condamner.
:;\ Et maintenant, je m'arrête.
3 Depuis dix-huit mois, la Belgique innocente souf-
:îj fre, en expiation de méfaits qu'elle n'a jamais com-
.jû mis et dont ses ennemis ne l'ont accusée qu'après
^ l'avoir frappée, pour se justifier devant le juge-
■ i
'/
ment du monde : s'il se trouve encore en Allemagne
des hommes qui aient le courage d'imaginer contre
elle de nouveaux griefs, qu'ils parlent ! Ils ne las-
seront pas la patience des Belges ni leur volonté de
défendre leur patrimoine d'honneur et de loyauté.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
AVANT-PROPOS 4
Campagne de silence et campagne de diffamation en Alle-
magne contre la Belgique (p, 4). — Les trois chefs domi-
nants d'accusation (p. 7).
I. — « EN BONNE POLITIQUE, LA RÉSISTANCE
DE LA BELGIQUE EST INCOMPRÉHENSIBLE ». . 17
Réflexions générales et allusions aux récents événements
dans les Balkans (p. 10). — Combien la réalité est diffé-
rente (p. 14). — La formation de la Belgique indépen-
dante et le patriotisme des Belges (p. 15). — Comment,
dès les débuts de l'Indépendance, une politique d'équi-
libre a apparu comme la condition même de la vie de
la nation (p. 18). — Les incidents internationaux entre
1840 et les premières années du XX^ siècle (p. 19). —
Le refus opposé à la demande de passage de l'Allema-
gne le 2 août 1914 était dans la pure tradition de la
politique extérieure de la Belgique depuis 1830 (p. 30).
— Les assimilations à la Serbie et à la Grèce ne sont
fondées ni en droit ni en fait (p. 33). — Le sort des
petits Etats (p. 38).
II. — « SI LA BELGIQUE A RÉSISTÉ, C'EST
qu'elle Était déjà engagée » 39
Les procédés par lesquels les accusateurs de la Belgique
détournent les faits de leur interprétation naturelle
(p. 41). — Les altérations de texte dans le rapport du
chef de l'état-major belge au sujet de ses conversations
avec l'Attaché militaire anglais en 1906 (p. 50). —
L'intitulé de l'enveloppe (p. 50). — Analj^se du rap-
port (p. 54). — Les voyages d'études de l'état-major
belge de 1906 à 1910 (p. 61). — Variante de l'accusa-
tion : la Belgique a assuré à l'Angleterre im monopole
d'informations mihtaires (p. 62). — Un précédent
inattendu : une démarche de l'attaché mihtaire alle-
mand en 1875 (p. 65). — La correspondance diploma-
tique belge publiée à Berhn atteste que les conversa-
tions de 1906 ont été sans influence sur la politique
de la Belgique (p. 67). — Le discours du Ministre des
Affaires Etrangères au Sénat de Belgique en 1909 (p.
76). — Une autre accusation : la Belgique aurait dû
informer l'Allemagne après l'entretien de l'attaché
militaire anglais en 1912 (p. 78). — Cette accusation
\^t TABLE DES MATIERES
Page»
est contraire aux faits : exposé de ce que le Ciouverne-
ment lul^^e a fait après l'entretien de 1912 : la démar-
che à I/)ndrcs (p. 84). — La démarche à lierlin (p. 8^^),
— La démarche à l'aris (p. 87). — Le Congo et la poli-
tique extérieure de la Belgique (p. 89). — A la veille
de la jiuerrc, la Belgique préparait le renouvellement
de son traité de commerce avec l'Allemagne (p. 89).
— Conclusion (p. 90).
III. — « LA BELGIQUE n'avAIT PAS A RÉSISTER^
CAR SON TERRITOIRE N'ÉTAIT PAS INVIO-
LABLE » 91
La Belgique se serait trompée en se tenant pour obligée,
aux termes des traités de s'opposer au passage des ar-
mées allemandes (p. 92). — La neutralisation du pays
en 1839 était-elle compatible avec une servitude de pas-
sage, établie au profit d'une des puissances ? (p. 93).
-, — Analyse des principaux protocoles de la Conférence
v^ de Londres en 1830-1831 (p. 94). — La vraie significa-
3^! tion de la neutralisation de la Belgique, au point de vue
^ de l'équilibre européen (p. 99). — La neutralité perma-
nente entraînait ipso facto l'inviolabilité du territoire
^ (p. 100). — Après comme avant la modification de
, texte survenue entre le traité du 26 juin 1S31 et celui
^r du 15 novembre suivant, les événements vérifient cette
ly^ cette conclusion (p. 102). — Réfutation de la conjec-
^^^ ture tirée de la convention des forteresses : l'accord
h préalable des quatre puissances le 17 avril 1831 (p.
P 106). — Le rôle de la Belgique dans les négociations
' (p. 107). — La clause secrète et sa véritable portée (p.
109), — Pourquoi la rédaction du traité de juin a été
modifiée (p. 112).
DERNIÈRES PAROLES 117
Note inédite du Grand Quartier Général des Armées fran-
çaises de l'Est faisant justice des imputations selon les-
quelles des troupes françaises auraient franchi la fron-
tière belge, avant l'appel adressé par la Belgique à ses
garants (p. 120). — Autre témoignage décisif de la
loyauté de la Belgique dans l'organisation de sa
défense : l'armée belge a gardé jusque dans la nuit du
3 au 4 août ses positions de concentration, telles
qu'elles avaient été choisise en conformité des obliga-
tions que la neutralité imposait au pays (p. 127).
— Quelques mots sur la conduite des troupes alleman-
des en Belgique et sur la prétendue guerre popu-
laire qu'elles auraient eu à réprimer (p. 131). — Con-
clusion (p. 132).
LAUSANNi:. — IMPRIMERIES REUNIES
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