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Full text of "Le procès de la neutralité belge, réplique aux accusations"

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LE  PROCÈS 


DE     LA 


NEUTRALITÉ  BELGE 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/leprocsdelaneOOwaxw 


Emile  Waxweiler 


Directeur  de  l'Institut  de  Sociologie  Solvay  à  l'Université  de  Bruxelles 
Membre  de  l'Académie  Royale  de  Belgique 


Le  Procès 


de  la 


Neutralité  Belge 


Réplique  aux  accusations 


LIBRAIRIE    PAYOT    &    C'« 


PARIS 

106,   Bd.  Saint-Germain 


LRUSflNNE 
1,   Rue  de   Bourg,  1 


1916 


en" 


AVANT-  PROPOS 

Un  des  faits  les  plus  inattendus  parmi  ceux  qui 
marquèrent  le  début  de  la  guerre  européenne,  demeu- 
rera assurément  la  campagne  de  presse  et  de  pamphlets 
organisée  en  Allemagne  contre  la  Belgique,  dès  que 
la  résistance  belge  fut  connue. 

Campagne  de  silence.  On  laisse  ignorer  au  public 
ce  qui  pourrait  représenter  l'attitude  de  la  Belgique 
sous  son  véritable  jour.  On  retarde  jusqu'au  8  août 
la  communication  à  la  presse  de  la  Note  allemande  du 

2  août  réclamant  le  passage  à  travers  le  territoire.  On 
ne  fait  pas  connaître,  même  dans  les  deux  Livres  blancs 
officiels,  la  réponse  du  Gouvernement  belge.  Bien  que 
cette  réponse  ait  été  transmise  la  nuit  même  du  2  au 

3  août,  tantôt  on  nie  simplement  la  vérité  et  Von  im- 
prime à  la  suite  de  la  Note  allemande  :  «  Cette  Note 
est  restée  sans  réponse  (auf  dièse  Note  erfolgte  keine 
Antwort  »  Urkunden,  Depeschen  und  Berichte  der 
Frankfurter  Zeitung,  p.  d>y),  —  tantôt  on  invente 
de  toutes  pièces  une  contre-vérité  et  l'on  déclare  :  «  A 
cette  Note,  la  Belgique  répondit  par  la  déclaration 
de  guerre  (Belgien  antwortete  darauf  mit  der  Kriegs- 
erklàrung».  Die  Wahrheit  iiber  den  Krieg,  brochure 
publiée  par  un  groupe  de  personnalités,  p.  lo). 

Campagne  de  diffamation.  La  population  belge  est 
«  assoiffée  de  sang  »  (Message  officiel  au  Président 


I.E    PROCES    Dh    LA    NEUTRAUTt    BHLGt 


des  Etais- Unis)  ;  les  civils  allemands  restés  en  Bel- 
gique sont  massacrés  ;  les  soldats  allemands  sont  har- 
celés par  une  abominable  guerre  populaire  de  francs- 
tireurs  ;  les  blessés  sont  martyrisés.  Le  Gouvernement 
belge  est  coupable  de  tous  ces  excès  ;  il  a  conduit  le 
pays  à  la  guerre  par  sa  politique  aventureuse  et  traî- 
tresse ;  il  avait  dès  longtemps  partie  liée  avec  V Angle- 
terre et  la  France  et  il  a  livré  la  Belgique  à  ces  puis- 
sances pour  les  aider  à  réaliser  leurs  projets  belliqueux 
contre  V Allemagne. 

La  Belgique,  d'abord  étonnée,  s  est  défendue  :  le 
Gouvernement,  les  autorités,  le  clergé,  des  publicistes 
ont  patiemment  relevé  les  imputations  et  en  ont  montré 
le  manque  absolu  de  fondement. 

On  aurait  pu  croire  que  la  campagne  prendrait  fin 
et  quelle  avait  été  peut-être  seulement  un  effet  de  la 
-fièvre  d' exaltation  des  premiers  temps  de  guerre. 

Point  du  tout. 

L'hostilité  ne  s'est  pas  apaisée  :  des  personnalités 
universitaires  ont  apporté  le  concours  de  leur  noto- 
riété ;  des  enquêtes  administratives  ont  été  instituées  ; 
des  publications  officielles  et  des  brochures  d'allure 
officieuse  ont  été  propagées  dans  les  pays  neutres. 

Devant  cette  persistance  des  attaques,  on  en  vient  à 
se  demander  s'il  faut  abandonner  le  terrain  à  l'Ac- 
cusation. 

Pour  beaucoup  de  personnes,  la  Belgique  n'a  plus 
besoin  d'être  défendue  :  elles  ont  fixé  leur  convic- 
tion.   Mais,   pour   d'autres   dont   les   scrupules  sont 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 


plus  résistants  ou  dont  le  jugement  a  été  surpris, 
le  silence  pourrait  sembler  un  acquiescement. 

Puis,  la  Belgique  doit,  à  l'issue  de  cette  mêlée,  appa- 
raître telle  que  rien  ne  puisse  entamer  son  renom  dans 
Vhistoire  :  elle  doit  pouvoir,  toute  droite,  poursuivre 
sa  destinée. 

Les  principaux  griefs  qui  ont  été  récemment  for- 
mulés contre  la  Belgique  seront  donc  discutés  dans  les 
pages  qui  vont  suivre.  Ils  peuvent  se  ramener,  je  pense, 
à  trois  chefs  dominants  d' accusation  : 

I.  —  «  Kn  bonne  politique,  la  résistance  de  la  Bel- 
gique est  incompréhensible.  » 

II.  —  «  Si  la  Belgique  a  résisté,  c'est  qu'elle  était 
engagée.  » 

III.  —  «  lya  Belgique  n'avait  pas  à  résister,  car 
son  territoire  n'était  pas  inviolable.  » 

C'est  sous  ce  triple  aspect  que  je  vais  considérer  le 
réquisitoire  de  V Accusation,  en  m' autorisant  de  docu- 
ments et  de  sources  authentiques,  dont  plusieurs 
n'ont  pas  encore  été  livrés  à  la  publicité. 

J'avais  déjà,  dans  un  écrit  antérieur  (lya  Belgique 
neutre  et  loyale),  entrepris  de  défendre  mon  pays 
contre  les  assauts  de  la  médisance.  Un  an  a  passé  : 
sur  aucun  point,  si  minime  soit-il,  la  contradiction 
na  pu  entamer  l'exposé  des  faits.  Ce  que  j'aurai  encore 
à  dire  s'ajoute  donc  à  ce  que  j'ai  déjà  dit,  sans  l'amen- 
der ni  l'atténuer  d' aucune  façon. 


Mars  içi6. 


«  En  bonne  politique,  la  résistance 
de  la  Belgique  est  incompréhensible.  » 

lyorsqu' après  avoir  lu  avec  attention  les  diverses 
publications  dirigées  contre  la  politique  extérieure 
de  la  Belgique,  on  se  prend  à  réfléchir  sur  les  raisons 
de  l'insistance  qu'elles  apportent  dans  leurs  accu- 
sations, on  aperçoit  qu'à  la  base  de  toutes  ces  criti- 
ques se  trouve  un  état  d'esprit,  qu'il  n'est  pas  rare 
d'ailleurs  de  rencontrer  dans  beaucoup  de  milieux 
neutres,  je  veux  dire  un  étonnement  profond,  une 
curiosité  déconcertée  s'exprimant  ainsi  :  «  Comment 
est-il  possible  que  la  Belgique,  sollicitée  par  l'Alle- 
magne de  laisser  simplement  traverser  son  terri- 
toire, ne  se  soit  pas  arrangée  de  façon  à  acquiescer  ? 
En  résistant,  la  Belgique  a  pris  une  attitude  qui, 
en  bonne  politique,  ne  peut  vraiment  pas  se  jus- 
tifier. » 

Bn  bonne  politique,  explique-t-on,  un  Etat  dont 
la  maturité  est  achevée,  ne  croit  plus  aux  chimères. 
La  Belgique  aura-t-elle  l'ingénuité  de  soutenir  qu'elle 


I"  IK    PROCf-S    DR   I.A    NHUTRAUTE    BHLGE 

j^iirdait  une  foi  robuste  dans  les  enj^agenients  inter- 
nationaux sanctionnés  par  des  traités?  Mais  —  objec- 
tera, par  exem])le,  la  brochure  d'allure  officieuse  La 
Neutralité  helgc,  imprimée  à  Berlin  (vStilke)  et  répan- 
due à  profusion  en  toutes  langues  dans  les  pays 
neutres,  —  la  Belgique  aurait  dû  être  la  première  à 
savoir  que  le  traité  même  (jui  l'a  créée  et  qu'elle 
se  plaît  tant  à  invoquer,  le  traité  de  neutralisation 
de  1839,  avait  été  disqualifié  par  un  des  représentants 
les  plus  notoires  de  la  puissance  qui  avait  préci- 
sément Jntérêt  à  le  défendre  :  en  1870,  à  l'occa- 
sion des  accords  conclus  entre  l'Angleterre,  d'une 
part,  et  la  France  et  l'Allemagne,  d'autre  part, 
touchant  le  respect  du  territoire  belge,  Gladstone 
n'avait-il  pas  dit  sans  ambages  à  la  Chambre  des 
Communes,  en  plaçant  ses  paroles  sous  l'autorité 
de  lord  Aberdeen  et  de  lord  Palmerston  :  «  Avant 
de  lier  sa  politique  à  un  engagement  de  garantie 
donné  à  un  tiers,  un  pays  doit  avoir  égard  à  la  si- 
tuation particulière  dans  laquelle  il  se  trouve  au 
moment  où  la  garantie  est  appelée  à  jouer.  »  Une 
telle  déclaration  était  bien  faite  pour  rappeler  à  la 
Belgique,  que  les  traités  ne  valent  que  dans  la 
mesure  où  les  nécessités  politiques,  variables  avec 
les  époques  et  les  circonstances,  peuvent  s'en 
accommoder. 

Ou  bien  la  Belgique  s'imaginait -elle  candide- 
ment qu'un  Etat  doit  ambitionner  l'héroïsme  du 
geste   et   sacrifier   à   l'attitude    théâtrale    le    souci 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  I  I 

réfléchi  de  ses  intérêts  ?  Mais,  —  lira-t-on  dans  la 
presse  allemande  et  même  dans  la  presse  neutre,  — 
tm  Etat  est  avant  tout  un  enchaînement  continu 
de  nécessités  collectives  ;  il  est  comptable  devant 
les  générations  à  venir  du  discernement  qu'il  met, 
dans  les  conjonctures  graves,  à  distinguer  les  données 
essentielles,  dominantes,  de  celles  qui  sont  éphé- 
mères et  épisodiques.  Ktait-ce  à  de  la  dialectique 
de  chancellerie  que  l'on  devait  se  livrer  en  Belgi- 
que, lorsqu'on  se  trouvait  jeté  avec  fracas  en  plein 
prologue  d'un  drame  où  allait  se  jouer  la  destinée 
de  l'Europe  ?  I^a  clairvoyance  n'aurait-elle  pas  dû 
conduire,  sinon  à  prendre  parti  pour  le  voisin  dont 
la  puissance  était,  à  tout  prendre,  assurée  contre 
tout  affaiblissement  durable,  du  moins  à  s'arranger 
de  façon  à  sauver  les  apparences  et  à  épargner  au 
pays  les  ruines  de  la  guerre  ? 

Toutes  ces  réflexions  ont  pris  un  relief  particulier 
depuis  les  événements  survenus  dans  les  Balkans. 
On  se  plaît  à  y  découvrir  une  variété  étonnante 
d'arguments. 

C'est  la  Serbie  qui,  elle  aussi,  a  préféré  la  politique 
«  romantique  »  d'alliance  avec  l'Entente  à  une 
pohtique  «  réaliste»  et  qui  a  vu,  par  un  juste  retour, 
sa  destinée  s'égaler  à  celle  de  la  Belgique. 

C'est  la  Bulgarie,  qui  a  mis  au-dessus  de  toute 
autre  considération  la  réalisation  impérative  de 
revendications  qu'elle  s'entendait  à  placer  sous  le 
patronage  de  l'Europe  entière. 


I  2  I.H    PROCHS    DE    LA    NEUTRALITfc    BRLGE 

C'est  la  Orèce  enfin,  (jui,  sollicitée  comme  la 
Bclgi(iiie,  d'accorder  à  des  j>uissances  une  «  neutra- 
lité bienveillante  »,  manœuvre  de  telle  façon  cjue, 
tout  en  ne  se  dérobant  pas  à  cette  invitation,  elle 
ne  s'aliène  pas  les  sympathies  des  ennemis  de  ceux 
qui  la  pressent. 

Et  l'on  généralise  aussitôt.  L'évolution  des  peu- 
ples a  ses  lois.  A  notre  époque,  elle  commande  aux 
petits  Etats  une  orientation  à  laquelle  ils  ne  peuvent 
se  soustraire  qu'au  péril  de  leur  existence  :  trop 
faibles  pour  entraver  le  mouvement  fatal  de  conso- 
lidation des  grands  Etats,  les  petits  doivent  réso- 
lument faire  un  choix  parmi  les  forces  qui  se  par- 
tageront le  monde  et  incliner  leur  politique  dans 
le  sens  de  leur  choix.  Telles,  dans  l'évolution  écono- 
mique, les  petites  entreprises  se  laissent  polariser 
par  les  grandes  et  se  contentent  de  l'autonomie 
qu'elles  gardent  au  sein  d'une  constellation  d'inté- 
rêts coordonnés. 

De  sorte  qu'en  résumé,  la  Belgique  aurait  réelle- 
ment, en  s'opposant  au  passage  des  troupes  alle- 
mandes à  travers  son  territoire,  commis  une  faute 
politique  si  flagrante  qu'il  ne  serait  pas  raisonnable- 
ment possible  de  la  lui  imputer  et  qu'il  faudrait  attri- 
buer à  d'autres  causes  son  inconcevable  attitude. 
L'explication  de  la  résistance  de  la  Belgique  par 
sa  prétendue  connivence  avec  les  adversaires  de 
l'Allemagne  gagnerait  ainsi  une  grande  vraisem- 
blance. 


LE  PROCES  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE 


*  * 


Or,  tous  ces  raisonnements  sont  spécieux,  parce 
qu'ils  laissent  dans  l'ombre  les  vérités  essentielles. 

lya  Belgique  serait  assurément  inexcusable,  si 
elle  avait  asservi  sa  politique  à  quelque  étroit  et 
ostentatoire  doctrinarisme  diplomatique,  si  elle 
avait,  pour  tout  dire,  agi  par  donquichottisme. 
Combien  la  réalité  est  différente  ! 

Il  est  facile  d'affirmer,  comme  M.  Richard  Grasshoff 
(La  Belgique  coupable  :  Une  réponse  à  M.  le  profes- 
seur Waxweiler  \  traduction  française,  Berlin,  1915, 
chez  Reimer)  que  «  la  question  si  disputée  de  la  vio- 
lation de  la  neutralité  belge  ne  joue  qu'un  rôle 
secondaire  dans  la  recherche  des  responsabilités 
concernant  le  sort  funeste  dont  la  guerre  a  frappé 
la  Belgique...  Si,  ajoute-t-il,  cette  question  revêt 
encore  quand  même  aux  yeux  de  beaucoup  de  per- 
sonnes parmi  lesquelles  M.  Waxweiler,  une  impor- 
tance absolument  hors  de  saison,  il  faut  l'attribuer 
à  ces  deux  motifs  plausibles  :  on  croit  pouvoir,  par 
de  longues  dissertations  sur  un  sujet  accessoire, 
détourner  l'attention  publique  des  objets  princi- 
paux et,  par  d'incessants  haros  sur  la  félonie  de 
l'Allemagne,  on  espère  éveiller  la  commisération 
universelle  et  gagner  la  sympathie  des  autres  peu- 
ples dont  la  neutralité  est  garantie  »  (p.  6). 

Bn  fait,  au  contraire,  tout  pivote  autour  de  la 


14  •  »••  i'Korj;s  df  i.a  nkutrauti:  bf:i,ge 

neutralité  belge  et  si  les  accusateurs  de  mou  pays 
s'obstinent  à  découvrir  à  ses  actes  des  mobiles 
déshonnétes  ou  perfides,  c'est  qu'ils  ne  veulent  pas 
instruire  cette  (luestion-là  avec  calme  et  sans  pré- 
jugés. 

Le  soir  du  2  août  19 14,  devant  la  Note  commi- 
natoire de  l'Allemagne,  il  n'a  point  fallu  à  Bruxelles 
de  longues  heures  de  délibérations  :  nulle  tergiver- 
sation, nulle  hésitation.  Fanfaronnade  !  disent  les 
accusateurs.  Témoignage  de  persévérance  politique, 
répondent  ceux  qui  connaissent  l'histoire  de  la  neu- 
tralité belge  depuis  1839. 

Car,  c'est  précisément  cette  histoire  qu'il  faut  con- 
sulter pour  apercevoir  que  la  résistance  de  1914, 
dictée  aux  Belges  par  le  sentiment  spontané  de 
leur  honneur,  était  aussi  dans  la  pleine  tradition 
de  leur  politique  nationale,  bien  plus,  que  cette 
politique  était  commandée  par  une  claire  conscience 
des  nécessités  d'existence  de  la  Belgique  comme 
nation  indépendante. 

Depuis  le  moment  où  les  Etats  européens  se 
sont  formés  jusqu'à  la  révolution  de  1830,  la  Bel- 
gique s'était  vu  refuser  le  droit  à  l'existence. 
Bien  que,  suivant  l'observation  de  Charles-Quint, 
<(  les  habitants  de  ces  contrées,  ne  pussent  souffrir 
le  gouvernement  des  étrangers  »,  pendant  de  longs 
siècles  ils  n'avaient  pas  réussi  à  s'en  libérer  :  les 
convoitises  rivales  des  grandes   puissances  étaient 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 


ï5 


trop  vives  autour  de  leurs  provinces,  qu'un  labeur 
infatigable  s'obstinait  à  faire  riches,  malgré  les 
dévastations  de  guerres  toujours  renouvelées.  I^'in- 
dépendance  fut  dure  à  conquérir.  Mais  au  cours 
de  luttes  incessantes,  la  nationalité  belge  avait 
subi  la  forte  trempe  du  temps  et,  dès  le  moment 
où  elle  put  jouir  de  la  liberté,  elle  trouva  en  elle- 
même  une  étonnante  force  d'épanouissement. 

Ce  peuple  n'avait  eu,  pour  soutenir  sa  for- 
mation, ni  l'armature  d'un  langage  commun,  ni  la 
protection  d'un  confinement  géographique,  ni  la 
contrainte  d'une  ^autorité  traditionnelle;  il  s'était 
trouvé  cahoté  à  travers  quatre  siècles  de  domina- 
tions étrangères  et  de  rébellions  ;  l'Europe  ne 
lui  avait  accordé  l'autonomie  qu'en  le  contrai- 
gnant à  l'isolement  aux  côtés  de  voisins  puissants 
et  rivaux,  —  et  ce  peuple-là,  une  fois  maître  de 
ses  destinées,  s'est  donné  des  institutions  telles 
que,  pendant  deux  générations,  elles  ont  été  citées 
par  les  autres  nations  comme  des  modèles  à  imiter. 
Il  a  fait  l'expérience  des  libertés  constitutionnelles 
contemporaines  sous  les  regards  d'abord  narquois, 
puis  surpris,  des  amis  de  la  Restauration  et  dans 
un  temps  où  de  grands  pays  voisins  s'essayaient 
à  peine  à  pratiquer  un  régime  qu'il  a,  par  sa 
sagesse,  son  esprit  de  progrès  et  de  conservation, 
contribué  à  faire  accepter  en  Europe.  En  même 
temps,  ce  peuple  a  dû,  à  peine  constitué,  subir 
le  premier  sur  le  continent  la  terrible  commotion 


1()  l.h    PROCÈS    Dh    I.A    NEUTKALITk    bhlCE 


sociale  dont  rindustrialisme  nouveau  avait  déjà 
fait  trembler  l'Angleterre.  J3ientôt  devenu,  sur 
son  ])ctit  morceau  de  territoire,  ];lus  compact  que 
tous  les  autres  peuples  du  monde,  il  s'est  trouvé 
placé  devant  tous  les  problèmes  de  l'organisation 
démocratique  des  foules  modernes.  Et  rien,  pen- 
dant ces  quatre-vingt-cinq  ans,  n'a  ébranlé  sa  soli- 
dité vigoureuse  ! 

Ce  n'est  pas  manquer  à  la  modestie  qui  sied  à  tout 
patriote  de  rappeler  qu'on  venait  souvent  de  l'étran- 
ger étudier  les  institutions  belges,  assister  aux  expé- 
riences de  la  représentation  proportionnelle,  du  vote 
obligatoire  et  du  scrutin  secret,  observer  les  résul- 
tats de  la  législation  sur  les  habitations  ouvrières,  sur 
l'épargne  populaire  et  sur  la  mutualité.  Bien  des 
choses  étaient  encore  imparfaites,  mais  combien 
d'autres  avaient  pris,  d'emblée,  la  marque  d'une 
originalité  saine  ? 

Méconnaissant  tout  cela,  de  petits  hommes, 
cuistres  et  impertinents,  s'évertuent  aujourd'hui 
en  Allemagne  à  ramasser  de  petits  faits  tendant 
à  mettre  en  doute  le  patriotisme  des  Belges,  voire 
les  fondements  de  leur  nationalité.  A  la  faveur 
du  silence  auquel  la  pensée  est  condamnée  dans 
mon  pays  depuis  dix-huit  mois,  ils  ont  cru 
qu'ils  pourraient  à  loisir,  sans  qu'on  leur  réph- 
quât,  défigurer  les  réalités  en  s' appuyant  sur  une 
demi-documentation,  en  invoquant  des  personnages 
dont  le  crédit    était  inexistant    dans   la    Belgique 


LE  PROCES  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE  17 

normale  et  en  érigeant  en  arbitres  du  sentiment 
public  des  exaltés,  que  leurs  fanatismes  suffisaient 
à  isoler.  La  presse  suisse  a  fait  justice  d'une  façon 
si  probe  du  plus  méprisable  de  ces  pamphlets 
(Neutralité  belge  et  Neutralité  suisse,  par  Edouard 
Blocher,  Zurich  et  Genève,  191 5,  série  des  Stini- 
men  im  Sturm  aus  der  deutschen  Schweiz),  que  je 
m'en  voudrais  de  les  dénoncer    autrement. 

Mais  j'ai  le  droit  de  demander  à  ces  gens  qui 
écrivent  dans  la  langue  dont  se  sont  servis  tant  de 
grands  esprits  pour  renouveler  l'histoire,  ce  qu'ils 
connaissent,  eux,  de  l'histoire  de  la  Belgique  ?  Ils 
parlent  avec  dédain  du  sens  patriotique  des  Bel- 
ges :  lequel,  parmi  eux,  a  connu  l'esprit  qui  ani- 
mait les  Belges  de  1830  à  1880  ?  Lequel  a  assisté 
aux  grandes  commémorations  nationales  de  1880  et 
de  1905  ?  Lequel  a  éprouvé  le  frisson  qui  a  couru 
à  travers  la  masse  sur  la  place  Poelaert  à  Bruxelles, 
le  jour  de  la  Fête  du  LXXV®  anniversaire  de  l'Indé- 
pendance ?  Lequel  a  lu  les  nombreux  recueils  où  tous 
les  représentants  de  la  pensée  belge,  d'un  accord 
unanime,  ont  rappelé  avec  une  fierté  contenue, 
ce  qu'était  devenu  leur  pays  depuis  soixante- quinze 
ans  et  pourquoi  ils  l'aimaient  ?  Lequel,  enfin,  a 
assisté  à  la  Joyeuse-Entrée  du  roi  Albert  et  de  la 
reine  Elisabeth  dans  toutes  les  villes  belges  et  a  com- 
pris cette  fraternisation  si  spontanée,  que  le  dra- 
peau rouge  pouvait  s'y  rencontrer  franchement 
avec  le  drapeau  tricolore  ? 

NEUTRALITÉ    BELGE  a 


|8  LE    PROT.KS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 

Ah  !  la  lamentable  besogne  que  l'on  a  faite  en 
venant  nier  devant  l'opinion  des  neutres  ce  qui 
surgit,  évident,  de  toute  l'histoire  de  la  Belgique  :  la 
volonté  de  vivre. 

La  volonté  de  la  nation  de  vivre  :  telle  a  été 
justement  la  force  directrice  de  la  politique  exté- 
rieure  de   la  Belgique. 

Comme  le  rappelait,  il  y  a  quinze  ans,  dans  la 
Revue  de  Droit  international  (tome  XXXII,  p.  608) 
mon  collègue  de  Bruxelles,  le  professeur  Nys,  «  la 
Belgique  avait  elle-même  acquis  et  affirmé  son 
indépendance  et  ainsi  le  fait  qu'elle  est  un  Etat  ne 
résultait  nullement  d'un  acte  gracieux  des  puis- 
sances. Elle  existait  comme  Etat  souverain  quand 
le  concert  européen  a  été  saisi  de  la  «  question 
belge»....  Iva  souveraineté  d'un  Etat  et  l'indépen- 
dance, conséquence  de  cette  souveraineté,  ne  dé- 
pendent nullement  du  bon  plaisir  des  autres  Etats 
et  n'ont  pas  besoin  d'être  reconnues  par  ceux-ci.  » 
Prenant  ainsi  son  appui  sur  des  éléments  qui  n'a- 
vaient rien  d'artificiel,  la  pohtique  extérieure  de 
la  Belgique  s'attacha  à  sauvegarder  le  droit  de  la 
nation  à  l'existence. 

Or,  dès  les  premiers  jours  du  règne  de  Léopold  I®', 
le  souverain  et  son  gouvernement  durent  se  pénétrer 
de  ce  fait  dominant  :  si  l'on  voulait  assurer  la  vie 
du  pays,  il  fallait  lui  donner  une  position  nettement 
indépendante  vis-à-vis  des  trois  puissances  dont  le 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  I9 

voisinage  encerclait  le  royaume  d'influences  ja- 
louses. Pour  la  Belgique,  la  condition  même  de  la 
vie,  c'était  l'équilibre,  —  je  ne  dis  point  tant  la 
neutralité,  formule  de  doctrine,  mais  l'équilibre, 
règle  d'action.  Toute  tendance  à  favoriser  l'une  des 
puissances  aux  dépens  des  deux  autres  inclinait,  par 
une  véritable  intuition  collective,  l'opinion  en  sens 
inverse  ;  toute  atteinte  portée  par  l'une  des  puis- 
sances à  la  souveraineté  nationale  poussait  à  un 
rapprochement  vers  les  autres.  Tel  un  système  mé- 
canique reposant  sur  trois  points  d'appui  dont  l'un 
viendrait  à  se  dérober,  ne  conserverait  son  intégrité 
que  s'il  se  redressait  dans  la  direction  des  deux 
premiers. 

lye  danger  extérieur  était  incessa»it.  I^es  puissances 
étaient  à  l'affût  des  moindres  manifestations  de 
sollicitude  ou  d'hostilité  dont  la  Belgique  pouvait 
être  l'objet  ;  bien  plus,  à  cette  méfiance  réciproque 
s'ajoutait  souvent  l'intention  non  dissimulée  d'at- 
tenter à  l'autonomie  du  pays.  Ce  n'était  que  par  une 
fermeté  vigilante  que  l'on  parvenait  à  échapper  aux 
écueils.  En  1840  déjà,  le  roi  lyéopold  I^^,  dans  un 
discours  adressé  au  Sénat,  formulait  la  maxime  qui 
devait  résumer  toute  la  politique  belge,  faite  à  la  fois 
de  prudence  et  d'énergie  :  «Maintenir  la  neutralité 
sincère,  loyale  et  forte,  doit  être  notre  but  constant.  » 
C'est  dans  les  mêmes  termes  que,  vingt-six  ans  plus 
tard,  au  lendemain  de  la  crise  européenne  de  1866, 
son  successeur  lyéopold  II  s'exprimait  en  ouvrant 


I 


20  I.H    PROr.KS    DP.    I.A    NHUTRAI.lTh    BF-L(iF 

la  session  législative  :  «  Au  milieu,  disait  le  roi,  des 
graves  événements  qui  ont  troublé  une  grande  partie 
de  l'Europe,  la  Belgique  est  demeurée  calme,  con- 
fiante et  pénétrée  des  droits  et  des  devoirs  d'une 
neutralité  qu'elle  maintiendra  dans  l'avenir  comme 
dans  le  passé,  sincère,  loyale  et  forte.  » 

Mais  cette  politique  si  correcte  éveillait  elle-même 
des  suspicions.  «  La  neutralité  n'est  pas  l'impuis- 
sance, avait  écrit  en  1840  le  ministre  des  Affaires 
étrangères  dans  une  circulaire  diplomatique  où  il 
arrêtait  des  principes  de  conduite  extérieure  :  si  les 
événements  l'exigent,  la  Belgique  prendra  telles  pré- 
cautions que  lui  dictera  le  soin  de  sa  sécurité.  » 
Cela  suffit  pour  qu'à  Berlin  et  à  Vienne,  on  s'a- 
larme; si  la  Belgique  tient  ce  langage,  c'est,  pré- 
tend-on, qu'elle  partage  les  desseins  belliqueux  de 
la  France.  «  On  pousse,  dit  un  mémoire  confiden- 
tiel, le  système  jusqu'à  considérer  tout  armement 
en  Belgique  comme  une  violation  de  la  neutralité.  » 

Ou  bien,  c'est  sur  le  terrain  économique  que  les 
antagonismes  se  font  jour  :  depuis  1836,  on  veut 
entraîner  la  Belgique  à  conclure  avec  la  monarchie 
française  une  union  économique.  La  Belgique  ré- 
siste. Pour  la  contraindre,  on  entreprend  contre  elle 
une  guerre  de  tarif  :  les  autres  puissances  garantes, 
à  l'intervention^ de  l'Angleterre,  soutiennent  alors 
le  jeune  royaume  et  déclarent,  notamment  en  op- 
position à  Guizot,  que  toute  fusion  commerciale  est 
contraire  à  la  neutralité. 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  21 

Quelques  années  plus  tard,  en  1848,  c'est  la  France 
républicaine  qui,  rompant  avec  l'attitude  pacifique 
de  lyamartine,  témoigne  de  dispositions  très  hostiles 
à  la  Belgique.  Aussitôt,  le  gouvernement  belge  sonde 
les  autres  cabinets  étrangers  et  lord  Palmerston  fait 
à  cette  occasion  une  déclaration  qui,  précisément, 
n'est  pas  sans  importance  pour  les  événements  ac- 
tuels :  les  puissances,  dit-il,  ont  non  seulement  le 
droit,  mais  encore  l'obligation  de  garantir  l'indé- 
pendance de  la  Belgique  et  cette  obligation  implique 
à  ses  yeux  le  devoir  général  :  1°  d'aider  par  tous  les 
moyens  la  partie  lésée  par  l'agression  d'une  puis- 
sance étrangère  ;  2°  de  lui  conserver  ou  de  lui  faire 
restituer  la  possession  territoriale  ainsi  sauve- 
gardée. 

C'est  à  cette  époque  que  les  autorités  belges  arrêtent 
à  la  frontière  une  troupe  de  révolutionnaires  français 
qui  voulaient  pénétrer  sur  le  territoire,  —  ce  qui 
n'empêcha  point  peu  de  temps  après  la  Belgique, 
accueillante  aux  défenseurs  des  institutions  libérales, 
de  donner  asile  aux  proscrits  du  Second  Empire. 

Mais,  pour  ne  rien  dire  des  susceptibilités  éveillées 
en  1855  par  l'organisation  de  la  défense  du  pays  et 
la  construction  du  camp  retranché  d'Anvers,  ni  des 
sollicitations  dont  on  fut  l'objet  pendant  la  guerre 
de  Crimée,  c'est  à  partir  de  1866  que  se  placent  les 
incidents  qui  montrent  le  mieux  combien  la  Belgique 
dut  toujours  conduire  une  politique  d'action  et  de 
sauvegarde,  très  éloignée  de  toute  idéologie  diploma- 


22  LE    PROCES    DE    LA    NEITTRALITE    BELGL 

tique.  Sans  que  l'ou  connût  exactement  à  Bruxelles 
la  portée  des  négociations  secrètes  engagées  par 
Napoléon  III  avec  Bismarck  pour  l'annexion  éven- 
tuelle de  la  Belgique  par  la  France,  on  avait  re- 
cueilli des  informations  graves.  Bientôt,  une  circu- 
laire diplomatique  du  ministre  français  des  Affaires 
étrangères  i)ar  intérim,  le  marquis  de  la  Valette, 
met  le  comble  aux  inquiétudes  :  ce  document  n'é- 
nonce ni  plus  ni  moins  que  la  théorie  de  l'élimination 
des  petits  Etats  au  profit  des  grands  et  il  annonce, 
en  outre,  une  réorganisation  militaire  qui  achève  de 
donner  à  ce  manifeste  toute  sa  signification.  Fait 
caractéristique  et  qui  révèle  bien  les  ambitions 
hypocrites  que  la  politique  belge  devait  sans  cesse 
dépister,  l'apparition  de  la  circulaire  française 
coïncide  avec  une  campagne  de  la  presse  officieuse 
allemande,  notamment  de  la  Norddeutsche  Allge- 
meine  Zeitung,  contre  la  Belgique.  Menacée  de  deux 
côtés,  l'opinion  dans  le  pays  se  tourne  instinctive- 
ment vers  le  troisième  garant  :  on  invite  à  Bruxelles 
une  délégation  de  volontaires  anglais  qui  est  ac- 
cueillie avec  chaleur  par  la  population.  La  presse 
anglaise,  sans  distinction  de  parti,  prend  fait  et 
cause  pour  la  Belgique  et  dénonce  la  conspiration 
latente  qui  s'ourdit  contre  elle. 

En  1867,  nouvelles  alertes.  D'abord,  le  sort  du 
grand-duché  du  Luxembourg,  qui  est  discuté  dans 
une  conférence  internationale,  a  trop  d'affinités  avec 
celui  de  la  Belgique  pour  que  les  convoitises  étran- 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  2} 

gères  ne  se  réveillent  pas.  Par  la  politique  pleine 
de  dignité  qu'il  adopte,  le  gouvernement  belge  s'as- 
sure la  confiance  de  l'Europe. 

A  peine  cette  question  est-elle  résolue,  que  l'Em- 
pire français  veut  mettre  la  main  sur  d'importantes 
lignes  de  chemins  de  fer  du  pays  :  c'est  une 
atteinte  évidente  à  la  souveraineté  nationale.  Mais 
l'habileté  tenace  d'un  homme  politique  qui  devait 
devenir  un  homme  d'Etat,  M.  Frère-Orban,  réus- 
sit à  faire  aboutir  à  Paris  des  négociations  longues 
et  difficiles. 

Puis,  c'est  1870  —  qui  offre  tant  de  sujets  de  rap- 
prochements avec  la  situation  présente. 

On  n'a  pas  assez  remarqué,  par  exemple,  que  si 
l'Angleterre  a  cru  alors  devoir  demander  à  la  France 
et  à  la  Prusse  un  engagement  particulier  de  respecter 
le  territoire  belge,  c'était  pour  des  raisons  très  sem- 
blables à  celles  qui  déterminèrent  son  action  dans  le 
conflit  actuel.  I^e  3  août  1914,  l'Angleterre  connais- 
sait depuis  six  jours  les  intentions  de  l'Allemagne 
à  l'égard  de  la  Belgique  :  dans  la  conversation  histo- 
rique du  29  juillet,  qui  reste  pour  les  Belges  la  date 
capitale,  il  avait  été  dit  que  la  Belgique  ne  conser- 
verait son  intégrité  que  si  elle  laissait  passer  les 
armées  allemandes  ;  quant  à  son  indépendance,  il 
n'en  était  pas  fait  mention.  (Voir  dans  La  Belgique 
neutre  et  loyale,  p.  m  à  117  et  122-123,  l^-  suren- 
chère des  conditions  dont  la  Belgique  faisait  les 
frais  et  qui  furent  offertes  du  29  juillet  au  4  août 


24  I  H    l'ROChS    DK    LA    NhUTRALITh    BELGF 

à    rAiigleterrc   pour  prix   de    son  abstention.)   De 
même,  en  1870,  l'Angleterre  venait  d'avoir  connais- 
sance de  la  tractation  secrète  entre  Napoléon  III 
et  Bismarck  et  c'est  l'émotion  provoquée  par  cette 
révélation  qui  décida  l'opinion  :  les  discussions  au 
parlement  britannique  eu  font  foi.  «  Il  est  impossible, 
dit,  le  2  août  1870,  le  comte  Russell  à  la  Chambre 
des  lyords,  de  n'être  pas  anxieux  pour  l'avenir  quand 
on  voit  qu'en  1866,  et  à  des  époques  encore  plus 
rapprochées,  le  premier  ministre  de  Prusse  et  l'am- 
bassadeur initié  aux  pensées  de  l'empereur  des  Fran- 
çais se  sont  concertés  pour  violer  le  traité  de  1831, 
fouler  aux  pieds  la  foi  publique  et  anéantir  l'indé- 
pendance de  la  Belgique.  I^a  Belgique  n'a  attaqué 
personne.  C'est  un  royaume  prospère,  en  possession 
d'institutions  libres,  et  bien  qu'il  ait  existé  de  temps 
à  autre  des  conflits,  comme  pour  les  chemins  de  fer 
et  autres  objets  de  peu  de  conséquence,   je   n'ai 
jamais  entendu  nier  que  sous  l'ancien  roi  Léopold, 
un  très  sage  et  intelligent  monarque,  comme  sous  le 
roi  actuel,  la  Belgique  ait  eu  des  relations  amicales 
avec  tous  les  autres  Etats,   maintenant  sa  propre 
indépendance  et  ne  lésant  aucun  autre  pays.  C'est 
donc  une  découverte  extraordinaire  que  d'apprendre 
que  l'indépendance  de  cet  Etat  a  fait  l'objet  de 
négociations  entre  d'autres  puissances...  Nous  som- 
mes tenus  de  défendre  la  Belgique.  » 

Je  ne  veux  pas  m' arrêter  davantage  à   ce  sug- 
gestif rapprochement  entre  1870  et  1914,  mais  il 


LE    PROCKS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  2 5 

est  nécessaire  de  noter  en  passant  que  dès  le  mo- 
ment où  l'attitude  de  l'Angleterre  se  dessina,  la 
Belgique  fut  en  mesure  de  connaître  les  raisons 
sur  lesquelles  elle  se  fondait.  Disraeli  avait 
pris  soin  de  rappeler  que  l'obligation  de  défendre 
la  Belgique  prenait  sa  source  dans  les  intérêts 
les  mieux  établis  de  la  politique  anglaise  :  «  Le 
traité  de  1839,  expliquait  l'orateur,  a  été  conclu 
dans  l'intérêt  général  de  l'Burope,  mais  avec 
une  notion  très  claire  de  l'importance  de  ses 
dispositions  pour  l'Angleterre.  Ce  fut  un  principe 
permanent  de  la  politique  de  ce  pays  que 
l'intérêt  de  l'Angleterre  exigeait  que  les  contrées 
situées  le  long  de  la  côte  du  continent,  de  Dunker- 
que  à  Ostende  et  jusqu'aux  îles  de  la  mer  du  Nord, 
fussent  possédées  par  des  Etats  libres  et  prospères, 
pratiquant  les  arts  de  la  paix,  jouissant  des  droits 
de  la  liberté,  s' adonnant  aux  opérations  du  com- 
merce qui  favorisent  la  civilisation  générale,  et  que 
ces  contrées  n'appartinssent  pas  à  une  grande  puis- 
sance militaire  qui,  par  les  conditions  de  son  exis- 
tence, doit  tendre  à  exercer  une  influence  prépon- 
dérante en  Europe.  » 

Attentive  à  toutes  ces  manifestations,  la  Belgi- 
que négocie  directement  avec  la  France  et  avec 
l'Allemagne  et  elle  obtient  leur  engagement  de  res- 
pecter sa  neutralité  —  «  déclaration  surabondante 
en  présence  des  traités  en  vigueur  »,  écrit  Bismarck 
au  ministre  de  Belgique,   le  22  juillet. 

Dans  cette  grave  circonstance  encore,  la  politique 


36  LE    PROCHS    DP.    I.A    NFUTRAI.ITK    BELGF. 

belge  garde  ainsi  le  contact  direct  avec  les  réalités  ; 
elle  ne  se  fait  pas  d'illusions  ;  elle  sait  que 
l'existence  autonome  du  pays  repose  sur  une  neutra- 
lisation d'intérêts.  Bien  plus,  les  yeux  fixés  sur 
l'avenir,  elle  tient  à  marquer  publiquement  la  si- 
gnification des  derniers  événements  :  le  i6  août,  le 
ministre  des  Affaires  étrangères  de  Belgique, 
M.  d'Anethan,  communique  au  parlement  le  texte 
des  accords  signés  par  la  France  et  par  la  Prusse 
avec  l'Angleterre  et  il  en  définit  ainsi  la  portée  :  «Les 
traités  identiques  et  séparés,  dit-il,  conclus  par 
l'Angleterre  avec  les  deux  puissances  en  guerre,  ne 
créent  ni  ne  modifient  les  obligations  résultant  du 
traité  de  1839  '>  ^^^  règlent  pour  un  cas  déterminé  le 
mode  pratique  d'exécution  de  ces  obligations,  ils 
n'infirment  en  rien  les  engagements  des  autres  puis- 
sances garantes  et,  leur  texte  en  fait  foi,  ils  laissent 
entier  pour  l'avenir  le  caractère  obligatoire  du  traité 
antérieur  avec  toutes  ses  conséquences  ^.  » 


^  On  remarquera  en  passant  combien  ces  déclarations  for- 
melles réduisent  à  néant  la  thèse  de  certains  accusateurs  qui 
soutiennent  qu'en  1914  la  Belgique  n'était  plus  garantie  par  le 
traité  initial  de  1859,  parce  qu'il  aurait  été  rendu  caduc  par 
ceux  de  1870.  (Voir,  par  exemple,  Frans  Kolbe,  dans  DasGrôssere 
Deiitschland,  n°  5,  30  janvier  1915  :  Prof.  Dr.  John  W.  Burgess, 
Der  Europàische  Krieg,  Hirzel,  Leipzig  :  Kap.  VI,  pp.  135-193,  et 
Dr.  R.  Pattai,  Wiener  Deiitsches  Volksblatt.  11  octobre  1914. 
Contra  :  «  Cahiers  Documentaires  »,  B.D.B.  Le  Havre,  note  n°  40.) 
Le  texte  du  double  traité  de  1870  est  d'ailleurs  catégorique  et 
il  faut  bien  supposer  que  ceux  qui  ont  défendu  la  thèse  dont 
je  parle  ne  l'avaient  pas  lu  : 

«  S.  M.  la  reine  du  Royaume-Uni  ....  et  S.  M ,  désirant 

dans  le  moment  actuel  consigner  dans  un  acte  solennel  leur  déter- 
mination bien  arrêtée  de  maintenir  l'indépendance  et  la  neutralité 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  2^ 

Depuis  1870,  la  politique  belge  ne  doit  pas  se  mon- 
trer moins  active  :  les  alternatives  de  malveillance  et 
de  sympathie  se  succèdent  presque  sans  interruption. 

Pendant  la  guerre,  déjà,  c'est  l'Allemagne  qui  ma- 
nifeste sa  mauvaise  humeur  à  propos  de  l'attitude 
d'une  partie  de  la  presse  belge  jugée  trop  sympa- 
thique à  la  France,  ce  qui  provoque  une  déclaration 
très  nette  du  ministre  des  Affaires  étrangères  de 
Belgique  au  Sénat  :  «  Il  serait,  dit-il,  souveraine- 
ment injuste  de  rendre  soit  la  nation,  soit  le  gou- 
vernement, responsables  de  certains  articles  de  jour- 
naux. »  «  Un  peu  plus  tard,  —  expose  M.  Banning 
dans  un  mémoire  confidentiel  auquel  sa  haute  fonc- 
tion, au  Département  des  Affaires  étrangères  à 
Bruxelles,  donnait  une  autorité  exceptionnelle,  — 
la  paix  de  Versailles  amène  une  détente  momenta- 
née. Mais,  dès  1872,  les  récriminations  commencent. 
C'est  au  printemps  de  1875  que  les  manifestations 
hostiles   atteignent   leur   apogée  :    l'Allemagne   est 


de  la  Belgique  telles  qu'elles  sont  établies  par  l'art.y  du  traité 
signé  à  Londres  le  19  avril  1839  entre  la  Belgique  et  les  Pays-Bas, 
lequel  article  a  été  déclaré  par  le  traité  quintuple  de  1839  avoir 
la  même  force  et  la  même  valeur  que  s'il  était  textuellement 
inséré  dans  le  dit  quintuple  traité,  leurs  dites  Majestés  ont  résolu 
de  conclure  entre  elles  un  traité,  séparé  qui,  sans  infirmer  et  sans 
affaiblir  les  conditions  du  quintuple  traité  stis-mentionnées ,  serait 
un  acte  subsidiaire  et  accessoire  à  l'autre. 

»  Art.  3.  —  Ce  traité  sera  obligatoire  pour  les  Hautes  Parties 
contractantes  pendant  la  durée  de  la  guerre  actuelle  entre  la 
France  et  la  Confédération  de  l'Allemagne  du  Nord  et  ses  alliés, 
et  pendant  douze  mois  après  la  ratification  du  traité  de  paix  conclu 
entre  les  belligérants,  et  à  l'expiration  de  ce  temps,  l'indépendance 
et  la  neutralité  de  la  Belgique  continueront  en  ce  qui  concerne  les 
Hautes  Parties  contractantes  à  reposer  comme  jusqu'ici  sur 
l'Art.  J«'  du  quintuple  traité  du  14  avril  183g,  » 


28  l.F.    PROCI  S    DE    LA    NEUTRAI.ITH    BF.I.GF. 

alors  sur  le  point  de  reprendre  la  lutte  contre  la 
France  ;  mais  l'empereur  de  Russie  impose  la 
paix  (mai  1875).  L'orage  artificiellement  déchaîné 
contre  la  Belgique  tombe  aussitôt  :  il  n'a  plus 
d'objet.  f> 

De  1888  à  1891,  c'est  en  France  qu'une  campa- 
gne de  presse  s'organise  contre  la  Belgique  :  la 
publication  de  documents  dérobés  à  Bruxelles  et 
les  commentaires  qui  les  accompagnent,  notam- 
ment dans  la  Nouvelle  Revue,  amènent  le  ministre 
des  Affaires  étrangères  de  Belgique  à  attester  au 
Parlement  la  loyauté  absolue  de  la  politique  belge, 
«  qui,  dit-il,  respecte  les  devoirs  de  la  neutralité 
jusqu'au  scrupule.»  Cependant,  un  pamphlet,  inti- 
tulé La  Belgique  vendue  à  V Allemagne,  reproche  au 
gouvernement  belge,  parmi  beaucoup  d'autres  cho- 
ses, de  s'être  abstenu  de  se  faire  représenter  offi- 
ciellement à  l'Exposition  de  Paris  et  de  s'obstiner 
à  commander  ses  canons  aux  établissements  Krupp 
(p.  200)  ;  le  8  août  1890,  le  Figaro  peut  écrire  : 
«  Il  faut  considérer  désormais  la  Belgique  non  plus 
comme  un  Etat  neutre,  mais  bien  comme  une  pro- 
vince germanique.  »  Au  bout  de  peu  de  temps,  le 
Gouvernement,  par  le  souci  qu'il  affirme  de  mainte- 
nir la  position  internationale  du  pays,  dissipe  tou- 
tes les  préventions  et  fait  taire  les  calomniateurs. 

A  partir  de  1895  environ,  c'est  d'Angleterre  que 
viennent  les  nuages  :  déjà  en  1887,  Sir  Charles  Dilke 
avait  pu  écrire  dans  une  étude  politique  publiée  par 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  29 

la  Fortnightly  Review  que  «  les  affaires  du  Congo 
avaient  singulièrement  nui  à  la  Belgique  dans  l'esprit 
de  la  nation  anglaise  ».  (L'Europe  en  i88y,  p.  49.) 
Un  article  du  Standard  du  4  février  1887,  auquel 
les  journaux  et  les  publicistes  d'Allemagne  font  au- 
jourd'hui une  fortune  inattendue,  avait  émis  des 
vues  qui  étaient,  à  la  vérité,  peu  favorables  à  la 
neutralité  belge,  mais  qui  exprimaient  uniquement 
une  opinion  privée  et  non,  comme  la  presse  alle- 
mande veut  le  faire  croire,  le  sentiment  du  gouver- 
nement anglais.  Bientôt,  la  campagne  anglaise 
contre  l'administration  de  l'Etat  Indépendant  avant 
l'annexion  par  la  Belgique,  provoque  de  vives 
protestations  dans  l'opinion  belge  ;  les  relations 
politiques  en  sont  atteintes.  Dans  son  discours 
d'avènement  au  trône,  en  décembre  1909,  le  roi 
Albert  fait  à  propos  de  l'introduction  des  réformes 
au  Congo  par  le  gouvernement  belge  une  déclara- 
tion dont  la  portée  est  très  nette  pour  tout  le 
monde  :  «  Quand  la  Belgique  prend  un  engagement, 
prononce- t-il,  personne  n'a  le  droit  de  douter  de 
sa  parole.  » 

Mais  la  période  à  laquelle  nous  venons  d'arriver 
est  celle  précisément  au  cours  de  laquelle  les  accu- 
sateurs de  la  politique  belge  s'entêtent  à  accumu- 
ler les  griefs.  Je  m'y  arrêterai  dans  une  partie 
spéciale  de  cette  étude.   (Voir  II,  p.  39   et  ss.) 

On  a  vu  dans  ce  très  sommaire  aperçu,  combien, 


30  I.R    FROCHS    DE    LA    NHUTRAUTF,    BEIXiR 

depiiis  les  premières  années  de  l'indépendance  de 
la  Belgique,  le  sentiment  jniblic  avait  pris,  par  un 
instinct  sûr  des  nécessités,  l'habitude  de  faire  front 
contre  le  voisin,  quel  ({u'il  fût,  qui  manifestait  des 
velléités  d'immixtion  ou  d'hégémonie  :  rodomonta- 
des, menaces,  sympathies  indiscrètes,  interprétations 
malveillantes,  ranimaient  aussitôt  l'esprit  de  fronde 
qui  couve  à  l'état  permanent  dans  le  peuple  belge.  Il 
ne  faut  pas  chercher  ailleurs  que  dans  cette  psycho- 
logie de  la  nation,  l'explication  de  la  vogue  dont  a 
joui  pendant  un  certain  temps  le  projet  de  rappro- 
chement avec  la  Hollande  :  on  serait  peut-être 
plus  à  son  aise,  si  l'on  était  deux  pour  faire  front... 

Une  chose  apparaît  surtout  avec  évidence  :  la 
résolution  prise  le  2  août  1914  vient  s'insérer  dans 
un  ensemble  parfaitement  continu  de  détermina- 
tions politiques. 

I^a  Belgique  pratiquait  depuis  quatre-vingt-quatre 
ans  une  politique  d'une  rare  constance.  Cette  poli- 
tique prolongeait  simplement  la  volonté  nationale 
de  vivre  :  <îTout  naît  et  périt  avec  l'indépendance  », 
avait  dit  le  roi  Ivéopold  II  en  inaugurant,  à  Bruges, 
en  1887,  le  monument  élevé  à  la  mémoire  des  com- 
muniers  flamands.  On  était  neutre  non  seulement 
parce  qu'on  entendait  demeurer  fidèle  à  l'engage- 
ment pris  envers  l'Europe  qui,  en  1830,  avait 
fait  de  la  neutralité  la  condition  de  la  liberté, 
mais  parce  que  pour  vivre,  il  fallait  rester  soi-même. 
C'était  une  raison  autrement  forte  que  toutes  celles 


LE  PROCES  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE 


3ï 


que  l'on  pouvait  tirer  de  la  casuistique  des  con- 
ventions internationales,  —  et  c'est  cette  raison-là 
qui  échappe  aux  accusateurs  de  la  Belgique  :  ne 
l'apercevant  pas,  ils  ne  voient  pas  non  plus  que 
pour  aucun  pays  l'obligation  de  ne  céder  à  aucune 
influence  étrangère,  ne  tient,  comme  pour  la  Bel- 
gique, aux  conditions  mêmes  de  sa  formation  poli- 
tique et  de  son  développement  comme  Ktat. 

Disons-le  d'un  mot  :  depuis  1830,  la  politique 
extérieure  de  la  Belgique  se  ramenait  à  ce  programme 
élémentaire  :  pas  d'inféodation,  —  pas  d'inféoda- 
tion  d'aucune  sorte,  ni  politique,  ni  économique,  ni 
coloniale;  pas  d'inféodation,  ni  dans  le  domaine  de  la 
langue  ni  dans  celui  de  la  pensée  :  l'intérêt  national 
pur  et  simple.  Le  premier  passant  venu  se  serait 
trouvé  d'accord  avec  le  gouvernement  sur  ce  pro- 
gramme-là, parce  qu'il  sortait  de  l'âme  même  du 
peuple.  Comme  l'exprime  encore  aujourd'hui  éner- 
giquement  le  récent  manifeste  par  lequel  les  person- 
nalités les  plus  autorisées  du  mouvement  flamand 
ont  répondu  aux  sollicitations  dont  les  Flamands 
sont  l'objet  de  la  part  des  Allemands  en  Belgique 
occupée  :  «  Wij  willen  in  geene  afhankelijkheid  leven 
van  eenige  vreemde  mogendheid.»  (nous  ne  voulons 
pas  vivre  dans  la  dépendance  d'une  puissance 
étrangère  quelconque.) 

Dès  lors,  que  vienne  en  face  d'une  politique  ainsi 
définie,  demeurée  semblable  à  elle-même  depuis  les 
débuts,    sans     oscillation,    sans    vacille  ment,    que 


32  IK    l'KOCKS    l)h    I.A    NFUTRAl.ITh    BELXiE 

vienîic  l.i  demande  de  ]>assage  des  armées  alleman- 
des !  Qu'on  se  représente  cette  demande,  —  même 
dépouillée  de  la  menace  fatale  qui  plaçait  le  pays 
dans  l'alternative  de  céder  ou  de  perdre  l'indépen- 
dance, —  qu'on  se  la  représente  adressée  aux 
Belges  de  1840,  de  1848,  de  1856,  de  1866,  de  1870: 
quelle  réponse  eussent-ils  donnée  ? 

I^e  refus. 

Le  refus,  non  par  romantisme  cocardier,  ni  par 
bigotisme  des  fictions  diplomatiques,  mais  parce 
que,  en  dehors  de  toute  considération  de  fidélité 
aux  Traités,  l'acceptation,  c'était  l'inféodation  — 
avant,  pendant  et  après  la  guerre  :  il  y  a  des  com- 
plaisances qui  préparent  la  servitude. 

Le  refus  :  par  nécessité. 

Car,  pour  la  Belgique  la  nécessité  lui  faisait  une  loi, 
«  Not  kannte  kein  Gebot  »,  :  non  pas  une  nécessité 
de  convenances  stratégiques,  mais  une  nécessité  te- 
nant à  l'existence  intime  de  la  nation  et  se  confon- 
dant avec  l'exigence  cardinale  de  ne  rien  abandonner 
de  sa  personnalité  à  l'une  ou  l'autre  des  trois  puis- 
sances voisines. 

La  Belgique  en  avait  une  conscience  si  nette  que, 
dans  sa  réponse  à  la  Note  allemande  du  2  août,  elle  a 
formulé  cette  déclaration  par  laquelle  s'exprimait 
encore  à  cette  heure  suprême,  sa  volonté  d'indé- 
pendance :  «  Si,  contrairement  à  notre  attente, 
une  violation  de  la  neutralité  belge  venait  à  être 
commise  par  la  France,  la  Belgique  remplirait  tous 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 


33 


ses  devoirs  internationaux  et  son  armée  opposerait  à 
l'envahisseur  la  plus  vigoureuse  résistance.  » 

Plus  précise  encore  dans  le  même  sens  est  cette 
opinion  que  m'exprimait  récemment  le  directeur  des 
Affaires  politiques  de  Belgique  :  «Jamais  un  instant, 
me  disait-il,  nous  n'avons  pensé  que,  dans  une 
conflagration  européenne  où  notre  neutralité  serait 
violée,  nous  aurions  le  choix  de  nos  alliés.  » 

Voit-on  à  présent  combien,  en  se  déterminant  le 
2  août  1914  par  le  respect  de  la  parole  donnée  en 
1830  aux  Puissances,  en  se  rangeant,  sans  peser  les 
chances  des  adversaires  en  présence,  du  côté  où 
rappelait  le  Droit,  la  Belgique  servait  en  même 
temps  ses  intérêts  les  plus  vitaux  ? 

Elle  aurait  pu,  dit-on  souvent  (voir  en  dernier 
lieu  Frankfurter  Zeitung,  23  février  1916,  n^  53), 
céder  à  la  mi-août  1914,  lorsque  l'Allemagne  a  re- 
nouvelé sa  demande.  Comme  si  livrer  à  ce  mo- 
ment le  territoire  à  l'un  des  garants  n'eût  pas  été, 
en  fait,  prendre  parti  pour  lui,  au  détriment  des 
deux  autres  !  Comme  si,  accepter  une  compromis- 
sion après  quinze  jours  d'une  guerre  marquée  par 
des  représailles  inhumaines  et  imméritées,  n'eût  pas 
été  un  outrage  au  sentiment  public  et  le  témoi- 
gnage de  la  pire  des  inféodations  ! 


*       * 


Que  reste-t-il,  après  tout  cela,  des  assimilations 
entre  la  position  de  la  Belgique  et  celle  de  certains 


NEUTRALITÉ    BELGE 


34  I-H    PKOCHS    DK    l.A    NI.UrkALITh    BKI.fiK 

Etats  des  Balkans,  que  la  presse  allemande  et,  jus- 
qu'à un  certain  point,  la  presse  des  pays  neutres,  ont, 
depuis  octobre  dernier,  multipliées  avec  une  satis- 
faction non  déguisée  ? 

Quand  le  Berner  Taghlatt  revient  (par  exemple, 
n°'  des  9  octobre  et  7  décembre  1915)  sur  les  mal- 
heurs de  la  Belgique  et  de  la  Serbie,  il  vise  non 
seulement  les  grandes  puissances  de  l'Entente,  mais 
encore  les  deux  petits  peuples.  Je  me  limite  volon- 
tairement à  la  défense  de  la  politique  de  la  Belgique 
et,  par  suite,  je  ne  me  laisse  pas  entraîner  à  consi- 
dérer les  événements  des  Balkans  autrement  que 
dans  la  mesure  où  ils  intéressent  cette  défense.  Or, 
selon  le  Berner  Taghlatt,  la  leçon  qu'ils  portent,  est 
qu'un  petit  peuple  doit  y  regarder  à  deux  fois  avant 
de  faire  dépendre  son  existence  de  l'interv^ention 
d'une  grande  puissance:  «la  Belgique  a  écouté  l'An- 
gleterre et  la  France,  comme  la  Serbie  a  suivi  la 
Russie  ;  la  Belgique  ne  s'est  décidée  à  résister  que 
dans  la  conviction  absolue  qu'elle  recevrait  de  l'En- 
tente une   aide  suffisante  ». 

Cette  opinion  contredit  un  des  faits  qui  ont  été 
le  plus  solidement  établis  par  le  Livre  gris  belge  :  elle 
avait  déjà  été  affirmée  par  la  lettre  que  trente  et  un 
professeurs  allemands  ont  envoyée  aux  universités 
anglaises  le  7  septembre  1914  et  j'ai  rappelé,  en  si- 
gnalant cette  manifestation,  combien  mes  collègues 
d'Allemagne  se  sont  mépris  : 

»  lycs    Belges,    ai- je  dit,   résistaient   à  l'invasion 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  3(5 

allemande,  que  l'Angleterre  acceptât  ou  qu'elle  refu- 
sât d'intervenir.  ly' appel  du  Roi  à  l'intervention 
diplomatique  du  Gouvernement  anglais  est  parti 
alors  que  le  refus  de  la  proposition  du  2  août  était 
déjà  notifié  à  l'Allemagne.  Iv' appel  du  Gouverne- 
ment à  la  coopération  militaire  des  forces  anglaises, 
françaises  et  russes  est  parti  après  la  violation  du 
territoire,  alors  que  l'armée  belge  combattait  déjà^. 
Et  je  sais  de  source  autorisée,  —  j'en  donne  ma 
parole  d'honneur, —  qu'à  ce  moment-là  les  angoisses 
étaient  grandes  dans  les  sphères  dirigeantes  de  Bel- 
gique, lorsqu'on  s'interrogeait  sur  ce  qu'allait  être 
la  réponse  de  lyOndres.  »  (La  Belgique  neutre  et 
loyale,  p.  173.) 

Une  comparaison  entre  l'attitude  de  la  Belgique 
et  celle  de  la  Serbie  est  d'ailleurs  sans  pertinence  : 
la  Serbie  avait  un  statut  qui  l'autorisait  à  pratiquer 
la  politique  qui  lui  convenait.  I^a  Belgique  était 
tenue,  obligée,  contrainte,  par  le  régime  que  l'Bu- 
rope  lui  avait  imposé  comme  condition  de  l'indé- 
pendance, non  seulement  de  résister  le  jour  où  sa 


*  Puisque  Toccasion  se  présente,  je  voudrais  redresser  une  opi- 
nion assez  répandue  au  sujet  de  l'intervention  militaire  de  la 
France.  On  parle  souvent  du  refus  que  le  Gouvernement  belge 
aurait  opposé  à  une  offre  française  d'envoyer  cinq  corps  d'armée 
au  secours  de  la  Belgique  menacée  par  la  Note  allemande.  Il  est 
officiellement  établi,  d'ime  part,  que  le  Ministre  de  France  n'a 
fait  que  les  communications  dont  le  premier  Livre  gris  rend  compte 
(voir  notamment  n°  24)  ;  d'autre  part,  que  l'attaché  militaire  fran- 
çais n'a  parlé  au  ministre  de  la  guerre  que  du  concours  de  principe 
que  le  Gouvernement  belge  n'a  voulu  accepter  qu'après  la  viola- 
tion du  terriroire  :  rien  n'a  jamais  été  spécifié  au  sujet  de  la  nature 
et  de  la  force  de  ce  concours. 


36  LK    PROChS    DE    LA    NEUTRALITÉ    BELGE 

frontière  était  violée,  mais  encore  de  se  concerter 
avec  ceux  de  ses  garants  r|iii  lui  étaient  restés 
lidéles. 

Le  contraste  qu'on  a  voulu  établir  entre  l'attitude 
de  la  Belgique  et  celle  de  la  Grèce  n'est  pas  fondé 
davantage. 

Dans  un  communiqué  de  presse  (25  novembre 
1915),  où  l'Agence  Wolfï  voulait  —  à  tort  d'ail- 
leurs, ainsi  que  le  Social  Demokraten  du  26  décem- 
bre l'a  rectifié  —  voir  un  reflet  du  sentiment  pu- 
blic au  Danemark,  on  opposait  le  roi  des  Belges  au  roi 
de  Grèce  :  celui-ci  aurait  usé  de  son  influence  pour 
soustraire  son  pays  aux  calamités  de  la  guerre  ; 
celui-là  aurait,  au  contraire,  jeté  son  épée  dans  la 
balance  et  appelé  ainsi  sur  son  peuple  le  destin  qui 
l'accable. 

Qui  ne  voit  cependant  que  rien,  dans  les  deux 
situations,  ne  se  laisse  comparer  ? 

lya  Belgique,  en  1914,  à  la  veille  d'un  conflit  qui 
va  mettre  aux  prises  ses  voisins,  qui  sont  en  même 
temps  ses  garants,  se  voit  imposer  par  l'un  d'eux 
au  prix  de  la  perte  de  la  liberté,  la  révocation  de 
ses  engagements  à  l'égard  des  autres.  Depuis  sa 
formation  comme  Etat,  toute  sa  politique,  née  des 
nécessités  mêmes  de  l'existence,  a  eu  pour  objet 
unique  d'échapper  à  l'assujettissement.  Sollicitée 
tout  à  fait  à  l'improviste,  alors  que  peu  d'heures 
auparavant  les  assurances  opposées  lui  étaient 
encore  prodiguées,  elle  a  une  nuit  pour  se  pronon- 


LE    PROCES   DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  37 

cer.  Si  elle  acquiesce,  non  seulement  elle  détruit 
tout  son  passé,  mais  elle  accroît  l'invraisemblance 
de  ce  coup  de  tête  de  tout  l'opprobre  sous  lequel 
on  s'ensevelit  quand  on  manque  à  ses  obligations. 
Nul  peuple,  nul  homme  n'eût  hésité. 

I^a  Grèce,  en  1915,  au  milieu  d'une  guerre  dont  les 
péripéties  se  sont  jusque-là  déroulées  loin  de  ses 
frontières,  reçoit  de  la  part  des  trois  puissances  qui, 
seules  en  Europe,  l'ont,  depuis  sa  régénération, 
aidée  à  conquérir  et  à  garder  son  indépendance, 
la  demande  de  laisser  les  troupes  de  ces  puis- 
sances traverser  son  territoire  pour  aller  au  secours 
de  son  propre  allié.  Son  gouvernement  a  eu,  depuis 
de  longs  mois  déjà,  le  loisir  de  la  réflexion  ;  il  avait 
pris  d'abord  une  position  favorable  aux  intérêts  des 
mêmes  puissances  et  conforme  à  la  tra'lition  natio- 
nale ;  il  n'est  tenu  par  aucun  traité  ;  il  demeure, 
dans  les  limites  que  tracent  la  gratitude  et  l'unité 
de  la  conduite,  maître  souverain  et  juge  de  ses  inté- 
rêts. Il  se  détermine  et  prend  ses  responsabilités. 

Où  trouver  la  plus  minime  analogie  ?  lyC  profes- 
seur Schweizer,  de  Zurich,  dans  une  étude  sur  la 
neutralité  bienveillante  de  la  Grèce,  comparée  à  la 
neutralité  de  la  Suisse  (Netie  Ziircher  Zcihing, 
26-27  novembre  1915),  a  lucidement  montré  que  le 
droit  de  passage  est  rigoureusement  incompatible 
avec  la  neutralité  permanente  et  que  la  demande 
de  l'Allemagne,  le  2  août  1914,  équivalait  à  vouloir 
transformer  la  Belgique,  territoire  neutralisé,  en  une 


58  l>    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITH    BELGE 

base  d'opérations  pour  une  attaque  contre  la  France. 
Quant  à  savoir  si  l'évolution  des  formes  politiques 
entraîne  les  Ktats  contemporains  vers  l'absorption 
des  petits  par  les  grands,  un  débat  ne  pourrait  uti- 
lement s'engager  sur  une  telle  question  qu'en  des 
circonstances  moins  défavorables.  Au  surplus,  l'Etat 
contemporain  se  constitue  sous  nos  yeux,  très  diffé- 
rent à  la  fois  de  ce  qu'il  était  il  y  a  moins  d'un  siècle 
et  de  ce  que  l'on  pensait  qu'il  serait  :  on  peut  à 
peine  deviner  quels  seront  ses  traits  dominants. 

Mais  une  chose  est  certaine  :  c'est  que  jamais  les 
hommes  réunis  en  nations  n'asserviront  le  sentiment 
qu'ils  ont  de  leur  existence  commune  à  des  calculs 
Il  commerciaux.  Peut-être  un  petit  Etat  aurait-il  éco- 

nomiquement avantage  à  se  fondre  dans  un  grand. 
Mais  il  y  a,  chez  les  citoyens  d'un  Etat,  d'autres 
J-  aspirations  que  le  souci  du  rendement  et  des  frais 

£:  généraux,  et  l'histoire  est  justement  faite  des  con- 

flits   qui   surgissent    entre    ces    aspirations-là,    que 
leur  noblesse  même  rend  incompressibles. 


II 


«  Si  la  Belgique  a  résisté, 
c'est  qu'elle  était  déjà  engagée  >'. 

C'est  le  13  octobre  1914,  voici  quinze  mois,  que, 
pour  la  première  fois,  l'accusation  a  été  portée  que 
le  Gouvernement  belge  s'était  rendu  coupable  d'une 
grave  violation  des  obligations  que  sa  situation 
d'Etat  neutre  lui  imposait.  L'accusation  prétendait 
se  fonder  «  sur  des  documents  démontrant  i,A  con- 
nivence DE  I.A  Bei<gique  (die  belgische  Konnivenz) 
avec  les  puissances  de  l'Entente,  fait  qui  aurait 
d'ailleurs  été  déjà  connu  longtemps  avant  la  guerre 
dans  les  milieux  autorisés  de  l'Allemagne  »  {Nord- 
deutsclu  Allgemeine  Zeitung,  13  octobre  1914.) 

Depuis  ce  moment,  il  ne  s'est  sans  doute  pas 
écoulé  une  semaine  sans  que,  de  l'une  ou  l'autre 
façon,  l'accusation  ne  fût  reproduite,  dans  un  livre, 
dans  une  brochure,  dans  un  journal,  dans  un  dis- 
cours ou  une  interwiew.  La  collection  de  documents 
que  j'ai  rassemblée  au  jour  le  jour  n'a  cessé  de 
s'augmenter,  et  il  n'est  vraiment  pas  banal  de  voir 


40  l.h    J'KO(.I..S    l)h    I.A    NhUTKAirrh    BhLGE 

comment    une  croyance    fait   prise  dans  l'opinion. 

Aujourd'hui  encore,  quand  d'Allemagne  on  parle 
aux  pays  neutres  on  dira,  par  exemple,  sans  embarras 
aucim,  comme  s'il  s'agissait  d'un  fait  universelle- 
ment accepté  :  «  I^a  Hollande  neutre  n'aura  jamais 
le  sort  de  sa  voisine  du  vSud,  la  Belgique  coupable  et 
violatrice  de  sa  propre  neutralité...  (des  Neutra- 
litàtsbriichigen  und  schuldigen  Belgiens).  Si  la 
Belgique  avait  suivi  la  politique  de  stricte  et  loyale 
neutralité  que  la  Hollande  observe,  si  elle  ne  s'était 
pas  laissée  prendre  par  l'Angleterre  et  si  elle  n'avait 
pas  préparé  avec  elle  des  plans  contre  l'Allemagne, 
elle  se  trouverait  aujourd'hui  dans  une  situation 
analogue  à  celle  de  la  Hollande.  »  {Germania, 
23  septembre  1915.) 

Ou  bien,  dans  une  lettre  accompagnant  l'envoi  de 
documents  aux  journaux  suisses,  le  ministre  d'Alle- 
magne à  Berne  écrira  :  «  La  Belgique  s'était  d'ailleurs 
trouvée  depuis  longtemps  sous  l'influence  de  la 
France  et  de  l'Entente  ».  {Journal  du  Jura,  15  sep- 
tembre 1915.) 

Ou  encore,  s' adressant  à  un  représentant  de 
r«  Associated  Press  »  des  Etats-Unis,  M.  le  secré- 
taire d'Etat  von  Jagow  expliquera  que  «  le  Gouver- 
nement belge,  encouragé  par  l'Angleterre  et,  en 
fait,  militairement  enchaîné  par  cette  puissance,  a 
jeté  son  pays  dans  la  guerre  ».  {Lokal  Anzeiger, 
16  octobre  1915.) 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  d'observer  avec  attention 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  4I 

les  procédés  par  lesquels  les  accusateurs  de  la  Bel- 
gique ont  pu  ainsi  parvenir  à  détourner  les  faits  de 
leur  interprétation  naturelle  et  à  obscurcir  le  bon 
droit  de  la  Belgique. 

D'abord,  on  n'accorde  pas  de  valeur  aux  démen- 
tis, si  solennels  soient-ils.  I^e  Gouvernement  belge, 
par  exemple,  lassé  de  voir  se  renouveler  sans  cesse 
les  mêmes  imputations  sans  fondement,  fait  la  dé- 
claration suivante,  qu'il  appuie  sur  des  faits  :  «  I^e 
Gouvernement  belge  déclare  sur  l'honneur  que  non 
seulement  aucune  convention  ne  fut  conclue,  mais 
encore  que  jamais  il  n'y  eut  de  la  part  d'un  gouver- 
nement quel  qu'il  soit  ni  pourparlers,  ni  propositions 
au  sujet  de  semblable  convention...  Tous  les  minis- 
tres belges,  sans  exception,  peuvent  en  attester  sous 
la  foi  du  serment  :  jamais  une  conclusion  quelconque 
de  ces  conversations  ne  fut  proposée  soit  au  Conseil 
des  ministres,  soit  à  un  ministre  en  particulier.  » 
(Livre  gris,  II  n^  103,  annexe,  p.  106).  A  cela,  le 
journal  officieux  de  l'Empire  d'Allemagne,  la 
Norddeutsche  Allgemeine  Zeitung,  se  borne  à  ré- 
pondre :  «  IvC  Gouvernement  belge  veut,  par  une 
déclaration  sur  l'honneur,  supprimer  des  documents 
compromettants  qui  existent.  Il  nie  que  jamais  une 
convention  ait  été  conclue  avec  un  gouvernement 
quel  qu'il  soit  ou  que  même  des  pourparlers  ou  des 
négociations  aient  eu  lieu.  Cette  déclaration  sur 
rhonneur  est  vraiment  trop  naïve  pour  que  n'im- 
porte qui  puisse  y  ajouter  foi  en  présence  des  preuves 


42  LK    F'RCK:F.*%    de    I.A    NkUTRAI.ITK    BhI/;K 

écrasantes    fournies    par    les    documents.  »    (n*^  du 
10  mars  1915.) 

De  l'objet  essentiel  du  débat,  à  savoir  la  distinc- 
tion évidente,  patente,  à  faire  d'une  part  entre  une 
prétendue  convention  liant  le  Gouvernement  belge 
au  Gouvernement  britannique  et  inféodant  la  Bel- 
gique à  la  politique  de  l'Entente  et,  d'autre  part, 
des  conversations  entre  militaires,  ayant  pour  objet 
de  sauvegarder,  conformément  aux  traités  et  aux 
précédents,  la  neutralité  belge  dans  l'hypothèse 
redoutée  et  d'ailleurs  précisément  réalisée  en  19 14, 
où  cette  neutralité  serait  au  préalable  violée  par 
l'Allemagne,  —  de  cela,  de  cela  qui  seul  compte, 
pas  un  mot.  Pour  le  lecteur,  l'effet  estproduit  :  «  Le 
Gouvernement  belge  nie  impudemment  des  faits 
établis  »,  de  sorte  que  l'on  peut  encore  imprimer, 
dans  une  note  officielle  envoyée  de  Berlin,  le  6  août 
dernier,  à  la  presse  internationale  :  «...La  connivence 
militaire  de  la  Belgique  avec  l'Angleterre  et  la  France 
est  établie  si  irréfutablement  par  les  documents..., 
qu'il  serait  superflu  de  dire  encore  un  seul  mot  à  ce 
sujet.  » 

Il  faudrait,  pour  découvrir  l'origine  et  suivre  la 
trajectoire  de  ces  traînées  persistantes  de  médisance, 
une  patience  laborieuse  que  le  sujet  ne  comporte  pas, 
mais,  lorsqu'on  veut  s'y  astreindre,  le  résultat  dé- 
dommage toujours  des  peines  de  la  recherche.  Le 
Bureau  Documentaire  Belge  (B.  D.  B.),  établi  au 
Havre,    a    ainsi    retracé    (dans    la    note    n^    136) 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE   BELGE  43 

les  avatars  successifs  de  l'information  suivante 
lancée  le  26  août  dernier  par  l'Agence  WolfE  en 
Allemagne,  en  Autriche-Hongrie  et  dans  tous  les 
pays  neutres. 

I  De  source  très  sérieuse,  il  nous  est  communiqué  l'inci- 
dent très  intéressant  et  très  caractéristique  d-apres  : 

»  Au  consulat  hollandais  d'ime  grande  ville  suisse,  s'est 
présenté  un  homme  revenu  de  France  et  qui,  désirant  se 
rendre  en  Belgique,  sollicitait  un  passeport  néerlandais.  Il 
fut  évidemment  vite  prouvé  que  l'impétrant  n'était  pas 
Néerlandais,  mais  Belge.  Parmi  les  documents  présentés  aux 
fins  d'identification,  se  trouvait,  par  hasard,  une  petite  bro- 
chure, destinée,  d'après  son  titie,  aux  soldats  belles.  Elle 
contient  le  croquis  des  différents  uniformes  français,  porte 
le  titre  :  «  Nos  Alliés  i>  et  comme  date  d'édition  :  juillet 
19 14.  L'histoire  est  absolument  certaine  et  les  personnes 
qui  nous  l'apprennent  sont  prêtes  à  en  garantir  de  leur 
nom  l'authenticité.  » 

Ce  récit  n'était  d'ailleurs  qu'une  réédition  un  peu 
transformée  d'une  information  qu'on  avait  pu  lire 
dans  la  Kôlnische  Zeitung  du  28  août  1914,  n^  967, 
sous  le  titre  de  «  Bin  Beweis  »  (Une  preuve).  Il  fit, 
sous  sa  forme  nouvelle,  son  tour  de  presse  et  les 
commentaires  ne  manquèrent  pas.  Or,  le  consulat 
hollandais  mis  en  cause  envoya  le  7  septembre  à  un 
journal  de  Bâle,  le  Basler  Anzeiger,  une  rectification 
décisive  dans  ces  termes  : 

«  Comme  l'affaire  donne  lieu  à  toutes  sortes  de  considéra- 
tions, le  consulat  en  question  nous  fait  remarquer  qu'il 
n'attache  aucune  importance  au  récit  de  ce  Belge,  qui,  vou- 
lant d'abord  s'attribuer  une  autre  nationalité,  ne  faisait 
donc  pas  grand  cas  de  la  vérité,  et  que  l'on  a  prêté,  erroné- 
ment  et  progressivement  à  cette  histoire,  —  qui  est  un 
exemple  de  la  naissance  de  bruits  sans  fondement  —  une 
importance  qu'elle  ne  mérite  évidemment  pas.» 

ly'Agence  Wolff  ni  aucun  des  journaux  qui  avaient 
inséré  son  information  ne  donnèrent  connaissance 


44  »-    PKOCKS    I)h    l,A    NHUTRAI.ITK    BELGE 

du  dcincnti.  Bien  plus,  trois  semaines  plus  tard,  le 
Bcrlincr  Tagcblatt  (29  septembre  191 5,  édition  du 
matin),  reprenait  encore  le  récit  primitif.  Mieux 
encore,  le  B.  D.  B.  a,  le  12  octobre  dernier,  jjublié 
des  renseignements  puisés  à  des  sources  officielles  et 
attestant,  avec  une  précision  incontestable,  que  le 
seul  document  figurant  des  uniformes  militaires 
étrangers  qui  ait  été  distribué  en  Belgique  à  l'occa- 
sion de  la  guerre,  a  été,  non  pas  même  mis  en  cir- 
culation, mais  confectionné  LE  6  août  1914,  c'est- 

A-DIRE  QUATRE   JOURS   APRÈS   LA   RÉCEPTION   DE   LA 

NOTE  DE  l'Allemagne.  Jusqu'à  présent,  aucun  des 
nombreux  journaux  qui  ont  accueilli  l'erreur,  n'a 
consacré  une  ligne  à  la  vérité. 

Je  disais  qu'un  premier  moyen  de  jeter  le  trouble 
dans  l'opinion  consistait  à  ignorer  ou  à  nier  les  dé- 
mentis. Un  autre  procédé  très  fréquent  aboutit  à  con- 
fondre, dans  un  exposé,  des  témoignages  de  premier 
ordre  avec  des  présomptions  sans  valeur,  à  brouiller 
des  faits  démonstratifs  avec  des  données  sans  con- 
sistance, si  bien  qu'il  devient  impossible  de  démêler 
la  trame  de  la  réalité. 

Une  des  applications  les  plus  fécondes  de  cette 
manière  s'observe  dans  les  imputations  qui  visent 
spécialement  à  discréditer  la  jDolitique  du  Gouver- 
nement belge  :  parmi  quelques  faits  de  caractère 
officiel,  on  jette  un  grand  nombre  de  découpures 
de  journaux,  d'extraits  de  discours  non  officiels, 
d'impressions  ou  de  racontars,   qui  sont  présumés 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  45 

fournir  un  tableau  de  l'état  de  l'opinion  dans  le 
pays.  Kn  général,  d'ailleurs,  cette  opinion  est  re- 
présentée comme  hostile  à  l'Allemagne,  puisqu'il 
s'agit  d'établir  qu'il  existait,  dès  avant  la  guerre, 
une  hostilité  systématique  contre  elle.  Cependant, 
la  thèse  inverse  se  rencontre  parfois,  comme 
par  exemple  dans  la  Schlesische  Volkszeitung  du 
17  août  1915,  où  pour  faire  pièce  à  l'influence 
française,  on  explique  qu'avant  la  guerre  une  grande 
partie  de  la  population  belge  s'entendait  très  bien 
avec  les  Allemands,  qui  s'étaient  assuré  de  réelles 
sympathies.  La  contradiction  des  deux  affirma- 
tions importe  peu  :  ce  ne  sont  pas  les  mêmes 
lecteurs  qui  ont  tous  les  articles  sous  les  yeux. 

De  même,  c'est  par  de  véritables  combinaisons 
d'alchimie  de  la  documentation  que  l'auteur  de  la 
brochure  Neutralité  belge  et  Neutralité  suisse,  que  j'ai 
épinglée  plus  haut,  (p.  17),  arrive  à  étayer  une  conclu- 
sion ainsi  formulée  :  si  l'Allemagne  a  demandé  à 
passer  à  travers  la  Belgique,  c'est  parce  qu'elle 
avait  perdu  toute  confiance  à  l'égard  de  ce  pays 
et  quelle  n'aurait  jamais  risqué  de  compter  sur 
sa  neutralité  pour  assurer  la  sécurité  de  ses  riches 
provinces  rhénanes;  par  contre,  l'Allemagne  avait 
en  la  Suisse  une  confiance  absolue,  parce  que  la 
Suisse  pratiquait  la  neutralité  d'une  façon  loyale  : 
aussi  l'Allemagne  a-t-elle  respecté  la  Suisse,  alors 
qu'elle  violait  la  Belgique  (pp.  29-30  de  l'édition 
allemande,  p.  32  de  l'édition  française).    Et  cette 


4^^  n    l'Ror;»  s  dh  i.a  ni.utraiitk  nixcF 

conclusion  repose  sur  l'exi^osé  d'une  série  de  faits 
qui  prétendent  apporter  des  témoignantes  du  senti- 
ment public  en  Belgique  et  qui,  étant  en  réalité 
sans  valeur  propre,  n'autorisent  aucune  générali- 
sation touchant  la  politique  extérieure  de  la  Bel- 
gique. Par  exemple,  l'auteur  citera  avec  insistance 
une  brochure  qui  eût  dû  lui  demeurer  suspecte, 
puisqu'elle  ne  portait  aucun  nom  couvrant  son 
contenu  ;  ou  bien  il  écrira  (je  souligne)  :  /<  On  alla 
MÊME  EN  Belgique  jusqu'à  participer  aux  ar- 
mements DE  LA  France.  En  191 2,  lorsqu'une  sous- 
cription nationale  fut  ouverte  en  France  au  profit 
de  l'aviation  militaire,   on   n'hésita  pas  à  étendre 

i„  l'œuvre  à  la  Belgique,  »  (p.  30  de  l'édition  française). 

ii;:; 

A  la  vérité,  tout  s'était  borné  à  une  proposition  dé- 
placée, surgie  dans  des  milieux  qui  ne  comptaient 
pas,  et  un  journal  gantois,  dont  les  tendances  n'é- 
taient rien  moins  que  flamingantes,  s'était  écrié  à 
.  cette  occasion  :  «  Ah  çà  !  sommes-nous  tout  à  fait 

fous  ?  et  faut-il  faire  remarquer  vraiment  que  ces 
aéroplanes  pourraient  être  appelés  à  faire  planer  leur 
menace  au-dessus  du  sol  belge  ?  «  L'auteur  sait 
cela,  puisqu'il  est  obligé  de  l'imprimer  :  mais  cela  ne 
l'empêche  aucunement  de  conclure  avec  aplomb  : 
«  Que  pouvait-on  attendre  d'un  pays  dont  la  po- 
pulation OFFRE  DES  AÉROPLANES  A  l'ARMÉE 
FRANÇAISE  ?  »  p.  29  de  l'édition  allemande,  passage 
non  reproduit  dans  l'édition  française). 

Je  pourrais  apporter  ici  de  très  nombreux  extraits 


LE  PROCES  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE  47 

de  la  presse  allemande  et  de  brochures  destinées 
aux  neutres,  où  l'on  invoque  ainsi  des  incidents 
futiles  ou  des  personnalités  discréditées.  Pour  n'ap- 
porter qu'un  exemple  encore,  je  dirai  ce  qu'il  faut 
penser  d'un  certain  major  Girard,  dont  l'Accusation 
se  plaît  à  reproduire  les  a^âs  :  M.  Girard  n'appar- 
tient plus  à  l'armée  belge  :  vingt-cinq  ans  avant  la 
guerre,  il  avait  déjà  été  unanimement  stigmatisé  au 
Parlement  et,  en  août  1891,  un  journal  reproduisit 
à  son  sujet  l'opinion  d'un  ancien  membre  du  gou- 
vernement :  «  lyC  major  Girard,  disait  celui-ci,  mène 
une  campagne  absolument  antipatriotique,  indigne 
d'un  ancien  officier.  »  Mais  que  voulez-vous  que  les 
neutres  sachent  de  tout  cela  ?  Ils  n'ont  retenu 
qu'une  chose,  c'est  qu'un  «  major  belge  »  a  des 
idées  favorables  à  certaines  thèses  allemandes. 

De  pareils  moyens  disqualifient  une  polémique. 
Il  est  particulièrement  regrettable  de  les  rencon- 
trer dans  des  écrits  auxquels  la  situation  de  leurs 
auteurs  paraît  conférer  le  prestige  reconnu  aux 
travaux   scientifiques. 

Ainsi,  le  professeur  Karl  Hampe,  de  Heidelberg, 
fait  tort  à  une  étude  d'allure  impartiale  {Belgiens 
Vergangenheit  und  Gegenwart  ;  Teubner,  I^eipzig 
und  Berlin,  1915),  en  composant,  dans  son  chapi- 
tre IX  (pp.  yy  et  ss.),  une  mosaïque  de  citations  de 
valeur  très  inégale  pour  démontrer  que,  dans  les 
dernières  années,  les  cercles  dirigeants  belges  avaient, 
comme  le  Gouvernement,  pris  parti,  pour  la  France 


4S  IK    PROCÈS    DE    LA    NP.UTRAI.1TK    BEI-CE 

contre  l'Alleiuagne  :  que  valent  ces  découpures  de 
seconde  main  aux  yeux  de  tous  ceux  qui  ont  connu 
l'opinion  éclairée  du  pays  pour  en  avoir  observé  et 
mesuré  les  courants  ? 

De  même,  le  professeur  Reinhard  P'rank,  de  Mu- 
nich, (Die  bclgischc  Neutr alitât,  Mohr,  Tiibingen, 
1915,  p.  19  et  suiv.)  et  son  collègue  Aloys  Schulte, 
de  Bonn,  (Von  der  Neutralitàt  Belgiens,  Marcus  und 
Weber,  Bonn,  1915  ;  p.  94  et  suiv.),  tentent  de  dé- 
montrer qu'une  évolution  se  serait  produite  au  cours 
des  dernières  années,  dans  les  sphères  officielles 
et  dans  les  milieux  autorisés  de  Belgique,  quant  aux 
obligations  qu'imposait  la  neutralité.  L<es  opinions 
K  citées,    extrêmement    peu    nombreuses,  sont  celles 

de  publicistes,  c'est-à-dire  de  particuliers  n'enga- 
geant ni  de  près  ni  de  loin  le  gouvernement.  Mes  col- 
lègues reconnaîtront  qu'à  transposer  ainsi  des  faits 
et  des  affirmations  du  domaine  privé  dans  le  do- 
maine public,  on  enlève  à  un  exposé  historique  toute 
sa  valeur.  Ces  procédés,  dangereux  et  s'éloignant 
fort  de  la  saine  critique,  conduisent  à  des  déclara- 
tions comme  celle-ci  :  «(En  Belgique),  tout  était  donc 
préparé  dans  l'esprit  des  juristes,  des  soldats  —  et 
SANS  DOUTE  aussi  DES  hommes  politiques  pour  que 
Ton  en  vînt  à  regarder  des  conspirations  avec  la 
France  et  l'Angleterre  comme  compatibles  avec  la 
neutralité.  »  Or,  cette  grave  affirmation  du  profes- 
seur R.  Frank  (p.  26)  repose  sur  deux  citations,  ni 
plus  ni  moins. 


t: 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  49 

Ou  bien,  on  trouve  chez  le  professeur  Schulte 
(p.  103)  cette  remarquable  série  d'inférences  spé- 
cieuses :  «Assurément,  i.e  gouvernement  bei.ge 
n'a  pas  fait  vai^oir  ce  point  de  vue,  mais... 
ce  que  des  hommes  comme  ceux-là  (le  général 
Brialmont  et  le  professeur  Nys)  disent,  ne  s'efface 
pas  et  grandit  au  contraire  dans  les  cœurs...  I^e 
bouillant  wallon  (Brialmont)  était  parmi  les  plus 
ardents  amis  de  la  France.  Dans  Iv' armée  bei.ge, 
les  partisans  de  l'alliance  française  dominaient  com- 
plètement. Ils  ONT  finalement  —  du  moins  cei.a 
SEMBI.E  —  triomphé  aussi  au  ministère  des  Affaires 
étrangères.  » 

Ou  bien  encore,  le  même  professeur  Schulte,  glis- 
sant subrepticement  dans  une  phrase  une  incidente 
qui  suggère  certaines  pensées  et  tend  à  forcer  le 
jugement,  écrira  en  parlant  du  port  de  Zeebrugge 
(p.  86)  :  «  Iv' Angleterre  ne  peut  venir  à  Anvers  par 
mer  :  mais  la  Belgique  construisit,  pour  des  buts 
commerciaux,  le  port  de  Zeebrugge  ;  celui-ci 
convient  d'ailleurs  aussi  comme  base  de  débar- 
quement POUR  LES  Anglais  et  il  a  été  employé 
déjà  ainsi  en  automne  1914.  » 

Pascal  aimait  fustiger  ces  sortes  de  dialecticiens... 

Voilà  pour  les  procédés  de  l'Accusation. 

lyCS  faits  qu'elle  invoque  sont  connus  :  on  n'en  a 
pas  allégué  de  nouveaux  depuis  un  an,  mais  on 
les  reprend  avec    des  variantes  dans  l'exposé.    Je 

NEUTRALITÉ   BELGE  4. 


^O  LK    PROCKS    DR    LA    NP.UTRALITh    BEIXË 

me  bornerai  îi  utiliser  ici  le  document  allemand  le 
plus  officiel  (jui  soit,  la  dernière  édition  du  Livre 
blanc  consacré  à  la  guerre  :  Aktenstûckc  ztim 
Kriegsausbruch,  herausgegeben  vom  Auswârtigen 
Amte,  publié  vers  le  mois  d'avril  1915.  Encore 
à  cette  date,  on  a  jugé  ojjportun  de  consacrer 
le  tiers  des  soixante-quinze  pages  de  ce  document 
aux  imputations  contre  la  Belgique  :  on  y  trouve 
reproduites  les  révélations  de  la  Norddeutsche 
Allgemeinc  Zeitung,  d'octobre  à  décembre  19 14, 
concernant  les  documents  «  Barnardiston-Du- 
carne  »,  «Bridges-Jungbluth»,  «Greindl»,  ^<  Espion- 
nage ,  manuels  militaires  et  rapports  anglais  *. 
i.  On  a  corrigé  r«  insignifiante  erreur  de  traduction  n 

(bedeutungsloser  Uebersetzungsfehler),  comme  l'a 
qualifiée  la  Norddeutsche  du  10  mars  1915,  qui,  dans 
le  rapport  Ducarne,  transformait  «  conversation  » 
en  «  convention  »  (Abkommen).  Pour  l'édification 
du  lecteur,  je  reproduis  ci-dessous  le  passage  du 
manuscrit  où  l'on  veut  trouver  à  la  fin  de  la  se- 
conde ligne  un  mot  écrit  d'une  façon  prétendument 
«  très  illisible  »   («  sehr    undeutlich  »)  \   chacun  lira 


c: 


cependant  d'emblée  dans  ce  mot:  «conversation»^. 


^  A  ce  propos,  un  fait  remarquable  vient  d'être  mis  en  lumière 
par  mon  compatriote,  M.  Passelecq,  qui,  dirigeant  le  Bureau  docu- 
mentaire belge  (B.  D.  C),   dispose  de  sources  nombreuses  d'in- 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  5I 

Kn  compensation  de  cette  rectification,  on  a  mis 
en  vedette  l'indication  que  le  général  belge  avait 
inscrite  sur  l'enveloppe  renfermant  le  rapport. 
J'avais  délibérément,  malgré  les  instances  de  plu- 
sieurs amis,  évité  de  discuter  cette  question  dans  La 
Belgique  neutre  et  loyale  ;  je  la  considérais  et  je  la 
considère  encore  comme  puérile;  mais  l'Accusation 
insiste  et  mes  critiques  me  reprochent  mon  silence  : 
P.  Schumann  (Hat  Belgien  sein  Schicksal  verschul- 
det  ?  Antwort  auf  Prof.  Waxweilers  gleichnamige 
Schrift  ;  Verlag  des  Dresdner  Anzeigers,  p.  30)  ne 
m'accuse- t-il  pas  à  ce  propos  de  falsifier  les 
textes  ? 

On  se  représente  aisément  dans  quelles  circonstan- 
ces une  inscription  a  été  faite  par  le  général  sur  l'en- 


formations.  Daus  une  étude  très  fouillée  du  Livre  Blanc,  il  dit  : 

«  Il  nous  est  venu  récemment  entre  les  mains  quelques  fascicules 
de  la  revue  mensuelle  de  propagande  officiellement  éditée  à  Berlin, 
en  plusieurs  langues,  depuis  le  mois  d'août  1914  (et  répandue  à 
foison  en  tous  pays  neutres),  sous  le  titre  de  Kriegschronik  :  Kriegs- 
tagehuch,  Soldatenbnefe,  Kriegsbilder  (en  français  :  Journal  de  la 
Guerre,  Lettres  de  soldats  en  campagne.  Illustrations  ;  —  en  hollan- 
dais :  Oorlogskroniek  ;  —  etc.)  et  avec  la  mention  «  Imprimé  et 
édité  par  M.  Berg  à  Berlin  ».  Parmi  ces  fascicules,  se  trouvaient, 
pour  le  «  mois  de  novembre  191 4  »,  un  exemplaire  de  l'édition  en 
langue  française  et  un  de  l'édition  en  langue  allemande. 

«  Or,  quelle  n'a  pas  été  notre  surprise,  en  comparant  ces  deux 
éditions  simultanées  de  la  même  brochure,  de  constater  que,  tan- 
dis que  l'édition  allemande  comporte,  dans  la  version  allemande 
du  manuscrit  Ducarne,  l'altération  de  la  Nordd.  A  II  g.  Zeitg  {Ab- 
kommen),  l'édition  en  langue  française  ne  la  comporte  pas,  mais, 
au  contraire,  porte,  correctement  typographie,  le  texte  exact  du 
manuscrit  :  «  Conversation». —  Voiries  fac-similés  dans  Passrlecq, 
Essai  critique  et  notes  sur  l'altération  officielle  des  documents  belges, 
p.  40.  (Berger-Levrault,  Pages  d'histoire,  1916).—  Ilest  évident  que 
si,  à  Berlin,  on  a  pu,  dans  une  édition,  faire  iypographier  correc- 
tement, c'est  qu'on  avait  lu  correctement... 


S2 


I.K  PROChS  1)K  LA  NKUTKAI.ITK  BELGK 


veloppe  dans  laquelle  il  venait  de  glisser  la  minute  de 
son  rapport.  Le  crayon  rouge  à  la  main,  il  va  inscrire 
sur  l'enveloppe  une  rubrique,  rappelant  l'objet  de  la 
pièce  qu'elle  contient  ;  il  n'est  pas  juriste,  le  général, 
il  n'a  pas  de  scrupules  quant  au  choix  du  mot  :  «  De 
quoi  traite  ce  rapport  ?  de  conventions,  que  diable  ! 
puisque  j'ai  convenu  diverses  choses  avec  l'attaché 
militaire  »,  et  le  général  écrit  en  grands  caractères, 
en  faisant  suivre  son  inscription  d'un  long  paraphe 
comme  on  en  trace  au  moment  où  une  affaire  est 
achevée  :    «  conventions    anglo-belges  »  A  Remarquez 


bien  qu'il  n'écrit  pas  «  convention  »  au  singulier, 
justement  parce  que  dans  son  esprit  il  n'y  a  que  des 
«  choses  convenues  ». 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  53 

Or,  cet  innocent  intitulé  d'enveloppe,  —  que  le 
professeur  Sculte  appelle  quelque  chose  de  très 
essentiel  («etwas  sehr  Wesentliches  »)  —  acquiert, 
dans  les  réquisitoires  contre  la  Belgique,  une  valeur 
de  témoignage  juridique  :  «  Kn  présence  de  ce  titre' 
proclame  gravement  la  Norddeutsche,  il  ne  peut  plus 
subsister  aucun  doute  sur  la  signification  de  droit 
PUBivic  (staatsrechtliche  Bedeutung)  que,  du  côté 
BELGE  LUI-MÊME,  OU  accordait  aux  documents.  » 
(Article  cité.) 

Je  n'ajouterai  rien,  sauf  peut-être  ceci.  Puisque, 
pour  apprécier  la  valeur  juridique  d'un  écrit,  il  suffit 
de  connaître  la  rubrique  sous  laquelle  il  a  été  placé 
dans  une  enveloppe  par  un  militaire,  je  puis  aussi 
invoquer  une  rubrique  de  classement,  que  la  Nord- 
deutsche a  citée,  en  passant,  le  13  octobre  1914,  mais 
dont  elle  a  négligé  de  faire  état  :  il  paraît  que  la 
fameuse  enveloppe  a  été  trouvée  dans  un  dossier 
portant  cette  inscription  :  «  Intervention  anglaise  en 
Belgique  ».  Rubrique  pour  rubrique,  je  retiens  la 
seconde. 

Ceci  est  plus  important.  Dans  la  dernière  édition 
officielle,  on  a  maintenu  la  principale  altération  du 
texte  :  la  phrase  essentielle  :  «  l'entrêE  des  an- 
glais NE  SE  FERAIT  QU' APRÈS  LA  VIOLATION  DE 
NOTRE  NEUTRALITÉ  PAR  L'ALLEMAGNE  »,  n'est  pas 
insérée  à  sa  place  dans  la  traduction  allemande  ; 
elle  n'est  toujours  citée,  —  exclusivement  en  fran- 
çais  d'ailleurs  et,   par  suite,  ignorée  par  la  majo- 


54  '>    J'ROCRS    DH    I.A    NKUTRAl.ITh    BRLGR 

rite  des  lecteurs  allemands,  —  qu'accessoirement, 
en   dehors    du   rapport    et    comme    si   ELLE   èTAiT 

UNE  NOTE  MARGINALE,  AJOUTÉE  APRÈS  LA  RÉDAC- 
TION :  «Auf  dem  vSchriftstiick  findet  sich  noch  der 
folgende  Randvermerk  ». 

J'ai  montré,  en  reproduisant  {La  Belgique  neutre 
et  loyale,  p.  178)  le  fac-similé  de  cette  partie  du  raj;- 
port,  combien  cette  façon  de  présenter  les  choses  est 
inexacte  :  en  réalité,  la  phrase  fait  partie  du  texte 
original,  elle  est  écrite  de  la  même  main,  au  même 
instant  que  l'ensemble  de  la  minute,  —  car  il  s'agit 
:;  d'une  minute  toute  émaillée  de  ratures,  de  suppres- 

5'  sions  et  d'additions.  En  retirant  la  phrase  du  texte 

i..,  avec  lequel  elle  fait  corps,  on  commet  un  faux. 


c 


Telles  sont,  sous  leur  forme  actuelle,  les  pièces 
versées  au  débat. 

Une  chose  est  surprenante  à  propos  de  ce  rapport 
militaire  désormais  célèbre  :  c'est  qu'aucun  de  ceux 
qui  en  Allemagne  s'en  sont  occupés,  n'a  fixé  son 
attention  sur  les  deux  premiers  paragraphes  du  docu- 
ment. On  les  trouvera  ci-contre  dans  leur  forme 
originale. 

Ces  paragraphes  sont  essentiels  :  ils  marquent  le 
début  de  l'exposé  ;  ils  définissent  la  nature,  l'objet, 
la  portée  de  l'affaire.  Relisons-les  lentement. 

«  lyA  première  visite  date  de  la  mi-janvier.  » 
L'Attaché  militaire  anglais  est  donc  venu  trouver 
le  général  :  visite  de  soldat  à  soldat.  Je  vais  préciser 


LE   PROCES   DE   LA    NEUTRALITE  BELGE 


55 


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S6  l.k    F'ROCHS    DE    LA    NHUTRAI.ITK    BFI.GK 

ce  point,  d'après  des  informations  sûres  :  visite 
personnelle,  faite  au  domicile  particulier  du  géné- 
ral et  que  rien  n'avait  annoncée. 

De  quoi  l'attaché  a-t-il  parlé  pour  débuter  ? 
«  Des  préoccupations  dk  l'état-major  de  son 
PAYS  »  :  soucis  de  soldats. 

Relativement  à  quoi  ?  «  A  la  situation  poli- 
tique GÉNÉRALE  ET  AUX  ÉVENTUALITÉS  DE  GUERRE 
DU   MOMENT.  » 

Ces  soucis  sont-ils  extraordinaires  ?  La  visite  date 
de  la  mi-janvier  1906.  Or,  précisément,  je  trouve 
dans  un  recueil  diplomatique  publié  par  le  Départe- 
ment des  Affaires  étrangères  de  Berlin  et  dont  je 
reparlerai  (Belgische  Aktenstûcke:  iço^-içi4.  Heraus- 
gegeben  vont  Auswârtigen  Amt),  une  lettre  du  14  jan- 
vier 1906  adressée  au  ministre  belge  des  Affaires 
étrangères  par  le  chargé  d'affaires  à  Londres,  et  j'y 
lis  :  «  Dans  ces  derniers  temps,  le  ministre  des  Affai- 
res étrangères  a  répété  à  plusieurs  reprises  aux  diffé- 
rents ambassadeurs  accrédités  à  Londres  que  la 
Grande-Bretagne  était  engagée  vis-à-vis  de  la  France 
en  ce  qui  concerne  le  Maroc  et  qu'elle  remplirait  ses 
engagements  jusqu'au  bout,  même  en  cas  d'une 
guerre  franco-allemande,  et  quoi  qu'il  pût  lui  en 
coûter.  La  presse  et  l'opinion  publique  font  preuve 
des  mêmes  sentiments.  L'on  rappelle  les  différents 
froissements  qui  se  sont  produits  entre  ce  pays  et 
l'Allemagne,  notamment  lors  de  la  guerre  sud- afri- 
caine, et  Ton  ajoute  que  si  la  conférence  d'Algésiras, 


LE    PROCÈS   DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  57 

qui  est  réunie  à  la  demande  de  TAllemagne,  venait  à 
échouer  par  la  faute  de  cette  dernière,  non  seulement 
tout  espoir  de  rapprochement  anglo-allemand  serait 
perdu,  mais  il  en  résulterait  une  réelle  hostilité  entre 
les  deux  pays.  » 

En  janvier  igo6,  il  y  avait  donc  véritablement 
en  Angleterre  des  préoccupations  très  graves. 

Mais  cela  intéresse-t-il  la  Belgique  ?  Assurément, 
car  voici  la  communication  importante,  la  raison 
d*être  de  la  visite  : 

«  Un  envoi  de  troupes  d'un  totai.  de  cent 
miixe  hommes  environ,  était  projeté  pour  le 
cas  où  i.a  bei.gique  serait  attaquée.  » 

Nous  lisons  bien  :  envoi  projeté  pour  le  cas  où 

I,A  BELGIQUE  SERAIT  ATTAQUÉE.  Eh  quoi  ?  En  187O, 

au  moment  de  la  révélation  des  négociations  secrètes 
engagées  entre  Napoléon  III  et  Bismarck  pour 
l'annexion  de  la  Belgique,  on  avait  été  bien  plus 
catégorique  :  le  30  juillet,  le  Cabinet  anglais  avait 
décidé  que  les  engagements  contractés  envers  la 
Belgique  seraient  tenus,  dussent-ils  conduire  à  la 
guerre  et  il  avait  obtenu  du  Parlement,  par  un  vote 
presque  unanime,  un  crédit  extraordinaire  de  deux 
millions  de  livres  et  un  contingent  supplémentaire 
de  vingt  mille  hommes  de  troupes.  Gladstone 
avait  dit  officiellement  au  ministre  de  Belgique  que 
M  l'incident  du  traité  secret  franco-prussien  était  de 
la  plus  haute  gravité  et  qu'il  engageait  l'Angle- 
terre plus  avant  dans  les  affaires  belges.  »  En  face 


58  l.K    Ï'ROOKS    DK    LA    NHUTRAI.ITh    BELGF 

de  tout  le  déploiement  politifjue  de  1870,  combien 
la  démarche  de  1906  i)araît  anodine  :  un  attaché 
militaire  anglais  vient  simplement  informer,  à  titre 
confidentiel,  le  chef  de  l'état-major  belge  d'un  pro- 
jet qui  consiste  à  envoyer  des  troupes  pour  le  cas 
où  la  Belgique  serait  attaquée... 

C'est  si  bien  une  première  information,  sans  plus, 
que  l'Attaché  militaire  s'empresse  de  «  demander 

COMMENT  CETTE  ACTION  SERAIT  INTERPRÉTÉE  PAR 
LA  BELGIQUE  ». 

A  une  telle  question,  dites-moi,  que  devait  ré- 
pondre n'importe  quel  chef  d'état-major  venant 
d'apprendre  qu'au  cas  où  son  pays,  convention- 
nellement  neutre,  serait  attaqué,  l'une  des  puis- 
sances qui  l'ont  garanti  viendrait  à  son  secours  ? 
Exactement  ce  que  le  général  belge  a  répondu  :  «  au 
point  de  vue  militaire,  cette  action  ne  pourra 
qu'Être  favorable,  mais  cette  question  d'in- 
tervention  (notez   le   mot    en    passant)    relève 

ÉGALEMENT  DU  POUVOIR  POLITIQUE  ET,  DÈS  LORS, 
JE  SUIS  TENU  d'en  ENTRETENIR  LE  MINISTRE  DE 
LA   GUERRE.  » 

Quant  aux  questions  d'ordre  militaires,  le  chef 
de  l'état-major  belge  avait  toujours,  au  cours 
de  sa  carrière,  considéré  ce  domaine  comme  étant 
le  sien,  par  ce  qu'il  en  avait  les  responsabilités  : 
«  C'était,  —  je  suis  autorisé  à  me  ser^dr  de  ses  pro- 
pres expressions,  —  une  règle  qu'il  s'était  imposée 
dans  tous  les  travaux  ou    études   stratégiques   ou 


LE  PROCES  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE  59 

tactiques,  car  il  jugeait  que  ces  questions,  spécia- 
lement de  son  ressort  et  de  sa  compétence,  ne 
relevaient  que  de  l'état- major.  »  Aussi  n'a-t-il 
adressé  un  rapport  au  ministre  de  la  Guerre  sur  ses 
conversations  avec  l'attaché  militaire  anglais  qu'au 
moment  où  elles  avaient  pris  fin. 

Si  je  voulais  poursuivre  l'analyse  attentive  du 
rapport  du  général  belge,  je  pourrais  multiplier 
encore  les  preuves  de  son  indiscutable  correction. 
Ainsi,  je  lis  un  peu  plus  loin  :  «  M.  Barnardis- 
ton  s'informa  si  nos  dispositions  étaient  suffisan- 
tes POUR    ASSURER    LA    DÉFENSE    DU    PAYS   durant 

la  traversée  et  les  transports  des  troupes  an 
glaises,  temps  qu'il  évaluait  à  une  dizaine  de 
jours.  Je  répondis  que  les  places  de  Namur  et  de 
lyiége  ÉTAIENT  A  l'abri  d'un  coup  de  main  et 
que,  en  quatre  jours,  notre  armée  de  campagne, 
forte  de  loo  ooo  hommes,  serait  en  état  d'inter- 
venir. » 

Plus  loin  encore,  notez  ces  expressions  :  «  Nous 
pouvions  compter,  que,  en  douze  ou  treize  jours, 
seraient  débarqués,  etc.  »  —  «  Il  me  demanda 
d'examiner  la  question  du  transport  de  ces  forces 

VERS     LA    partie      DU     PAYS    Oll    ELLES    SERAIENT 

UTILES.  »  —  «  J'ai  insisté  une  dernière  fois  et 
aussi  énergiquement  que  possible  sur  la  nécessité 
de  hâter  encore  les  transports  maritimes,  de  façon 
que  les  troupes  anglaises  fussent  prés  de  nous 
entre  le  onzième  et  le  douzième  jour.  » 


.«I 


6o  LK   PROCKS    DF.    I  A    NF.UTRALITH    BELGE 

Combien,  h  travers  toutes  ces  lij^nes,  transparaît 
l'idée  qu'il  s'agit  de  venir  au  secours  de  la  Bel- 
gique pr^:alablement  attaquée. 

Seuls,  les  auteurs  du  Livre  blanc  s'égarent  dans 
des  commentaires  en  marge  de  l'évidence.  Ils  atta- 
chent, par  exemple,  une  grande  importance  à  ce  que, 
parmi  les  documents  trouvés  à  Bruxelles  figurait 
une  carte  du  déploiement  de  l'armée  française,  et 
ils  en  tirent  hardiment  cette  conclusion  :  la  Belgique 
n'était  pas  seulement  d'accord  avec  l'Angleterre, 
mais  «  les  trois  puissances  alliées  avaient  établi 
exactement  («  genau  festgesetzt  »)  les  plans  d'une 
coopération  des  armées  alliées.  »  [Akienstûckc  zuvi 
Kriegsausbruch,  p.  58,  en  bas).  Or,  je  suis  en  mesure 
d'affirmer  que  cette  carte  était  une  «  carte  d'études  », 
faite  par  un  des  officiers  adjoints  à  l'état-major 
belge  ;  cet  officier  en  a  dessiné,  au  moment  des  con- 
versations de  1906,  aussi  bien  qu'avant  et  après 
cette  époque,  beaucoup  d'autres  pour  orienter  l'état- 
major  sur  la  marche  des  déploiements  stratégiques 
possibles  de  l'armée  française  —  et  aussi  de  l'armée 
allemande.  Ces  cartes  avaient  la  valeur  de  schémas 
et  j'ajoute  d'après  des  renseignements  émanant  du 
général  Ducarne  lui-même,  qu'aucune,  absolument 
aucune  carte  ne  fut  dressée  au  cours  des  entretiens 
avec  l'attaché  militaire  anglais,  ce  dont  le  dossier 
trouvé  à  Bruxelles  fait  d'ailleurs  foi. 

Pour  montrer  combien,  même  au  point  de  vue 
purement  militaire,  la  Belgique  était,  après  ces  con- 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 


versations,  exactement  dans  la  même  situation  qu'au- 
paravant à  l'égard  de  ses  garants,  j'avais  révélé  dans 
La  Belgique  neutre  et  loyale  (p.  179)  que  peu  de  temps 
après  1906,  un  voyage  d'études  de  l'état-major  belge 
avait  eu  pour  thème  tactique  un  débarquement  sup- 
posé de  troupes  anglaises  en  Belgique.  Je  puis  être 
aujourd'hui  plus  précis  :  voici  le  tableau  des  direc- 
tions données  aux  voyages  d'études  pendant  les 
cinq  années  qui  suivirent  les  conversations  : 

1906,  VERS    Iv'AlvLEMAGNE  ; 

1907,  VERS  I.A  France  ; 

1908,  VERS  Iv'Angi^eterre  ; 

1909,  VERS  l'AIvIvEMAGNE  ; 

1910,  VERS  i,A  France. 

En  particulier,  le  voyage  de  1908  était  basé  sur 
l'hypothèse  que  la  France  et  i.' Angleterre  fai- 
saient CAUSE  COMMUNE  POUR  TRAVERSER  LA  BEL- 
GIQUE   DANS   UNE   GUERRE   CONTRE    l' ALLEMAGNE. 

Véritablement,  peut-on  souhaiter  des  faits  qui 
anéantissent  plus  complètement  l'Accusation  ? 


* 

*       * 


ly'un  des  accusateurs  de  la  Belgique,  le  D^  Richard 
Grasshoff  ^,  l'a  bien  senti. 


1  D'  juris  et  phil.  Richard  Gkasshoff,  Belgiens  Schidd,  zu- 
gleick  eine  Antwort  an  Professor  D'  Waxueiler  ;  Reimer,  Berlin 
1915.  —  Traduction  française  :  La  Belgique  coupable  ;  même 
éditeur. 

Puisque  j'entre  en  discussion  avec  cet  auteur,  il  me  permettra 


à2  Ll:    l'KUChS    l)h    I.A    NtUTK ALITÉ    BELGE 


Aussi  ])asse-t-il  légèrement,  sur  les  commentaires 
des  brochures  officieuses  et  il  se  borne  à  dire  (je 
résume  l'argumentation)  : 

«  lyaissons  de  coté  tous  les  incidents  susceptibles 
d'une  interprétation  multiple  (p.  6)...  ne  tenons 
aucun  compte  des  suppositions  instinctives  que  le 
fait  suggère  immédiatement  chez  chaque  esprit  rai- 
sonnable (p.  7).  Il  n'en  reste  pas  moins  ceci  :  le 
Gouvernement  belge  devait  avertir  l'Allemagne, 
car  si,  dans  l'avenir,  l'Angleterre  voulait  un  jour 
débarquer  des  troupes  en  Belgique  sans  attendre 
f  l'attaque  allemande,  —  et  le  Gouvernement  belge 

devait  savoir  par  l'Histoire  que  l'Angleterre  était 


de  lui  faire  observer  qu'il  m'a  bien  inexactement  attribué  des  ten- 
dances d'esprit  et  des  expressions  qu'il  n'a  pas  trouvées  dans  mon 
livre.  Il  écrit  :  «  En  notre  qualité  d'Allemand  doué  d'un  jugement 
médiocre,  concession  la  plus  haute  que  fasse  à  notre  iutelli^ence  la 
magnanimité  de  M.  Waxweiler  (p.  7  de  la  traduction  française)  ; 
voici  le  passage  correspondant  de  l'édition  allemande  :  «  Wir 
wollen  als  besonnene  Deutsche  von  màssigem  Urteil  —  dass  uns 
Herr  Waxweiler  grossmûtig  im  hôchsten  Falle  der  Einsicht  zuge- 
steht  »  (p.  lo-ii). 

Je  n'ai  jamais  rien  écrit  de  semblable. 

J'ai  dit,  à  propos  des  démarches  diplomatiques  de  l'Allemagne 
du  29  juillet  au  4  août  19 14,  qui  ont  révélé  des  dispositions  si 
peu  correctes  à  l'égard  de  la  Belgique  :  c  Les  meilleurs  amis  de 
l'Allemagne,  les  Allemands  eux-mêmes  qui  ont  su  dans  les  angois- 
santes semaines  que  vit  notre  pays,  conserver  le  sens  de  la  mesure, 
n'éprouvent-ils  pas,  en  présence  de  ces  faits,  un  indicible  malaise 
et  pour  tout  dire,  un  troublant  remords  ?  »  (p.  117,)  Et  dans  la 
traduction  allemande  :  «  Empfinden  die  besten  Freunde  Deutsch- 
lands,  ja  die  Deutschen  selbst,  die  trotz  den  bangen  Ereignissen 
der  letzten  Monate  ein  mâssiges  Urteil  bewahrt  haben,  nicht  ein 
unbeschreibUches  Unbe  hagen  und,  um  es  ganz  zu  sagen,  nagende 
Reue  ?  (P.  102.) 

Aucun  de  mes  textes  ne  renferme,  on  le  voit,  rien  qui  autorise 
la  remarque  de  l'auteur. 

Dans  sa  brochure,  le  D^"  Grasshoff  revient  encore  en  trois  autres 
endroits  (pp.  10-17-45)  sur  cette  confusion  déplaisante. 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITÉ    BELGE  63 

assez  perfide  pour  le  faire,  —  elle  connaissait  désor- 
mais tous  les  détails  techniques  nécessaires.  Or, 
l'Allemagne,  garante  comme  l'Angleterre,  avait  le 
droit  de  connaître  les  mêmes  choses.  I^e  Gouverne- 
ment belge  devait  se  demander  :  à  présent  que 
l'Angleterre  s'est  assurée  un  pareil  monopole  d'in- 
formations, l'Allemagne  se  regardera-t-elle  toujours 
comme  liée  par  un  traité  de  garanties  dont  l'un  des 
contractants  menace  de  s'assurer  la  part  du  lion  ? 
Croit-on   en  Allemagne   à  la  loyauté   d'Albion  ?  » 

(p.  8-9.) 

En  somme,  pour  le  D'  Grasshoff,  toute  l'accusa- 
tion contre  la  Belgique  se  ramènerait  à  ceci  :  la 
Belgique  aurait  rompu  l'équilibre  de  la  neutralité  en 
assurant  à  l'Angleterre  un  monopole  par  la  com- 
munication de  secrets  militaires.  I^e  professeur 
Frank  voit  à  son  tour,  dans  cette  imputation,  le 
grief  fondamental  à  adresser  à  la  Belgique  {Die 
belgische  Neutr alitât,  p.  31). 

Mais  il  suffit  de  lire  le  rapport  complet  du  général 
Ducarne  {La  Belgique  neutre  et  loyale,  p.  283  et  suiv.), 
pour  constater  que  le  chef  de  l'état-major  belge  n'a 
eu  aucunement  à  confier  à  son  interlocuteur  des  se- 
crets militaires  belges  ;  il  a  recueilli,  au  contraire, 
de  très  intéressantes  confidences  sur  les  dispositions 
anglaises  ;  il  a  coordonné  des  mesures  pour  concerter 
l'action  des  deux  armées,  toujours  en  vue  «  d'opé- 
rations COMBINÉES  DANS  LE  CAS  d'UNE  AGRES- 
SION Ai.i,EMANDE  ».  Il  s'est  borné  «  à  convaincre  l'at- 


04  I.H    l'ROŒS    Dh    LA    NHU TKAUTI.    BEUih 

taché  anglais  de  la  volonté  ([un  l'armée  belge  avait 
d'entraver  dans  la  mesure  du  possible  les  mouve- 
ments de  l'ennemi  et  de  ne  pas  se  réfugier  dès  h- 
début  dans  Anvers  ».  Rien  de  plus. 

Je  suis  heureux  de  pouvoir  communiquer  ici 
une  déclaration  récente  de  l'ancien  chef  de  l'état- 
major  belge  :  si  un  attaché  militaire  français  ou 
allemand  s'était  adressé  à  lui  et  l'avait  invité  à 
prendre  des  mesures  en  vue  de  combiner  une  dé- 
fense éventuelle  du  territoire  garanti,  il  lui  eût 
réservé  exactement  le  même  accueil.  Mais  cela  n'eût 
pas  empêché  l'état-major  de  garder  le  secret  sur  ses 
propres  dispositions  et  de  ne  communiquer  à  aucun 
des  attachés  militaires  celles  qu'il  aurait  prises  avec 
les  autres. 

I/CS  accusateurs  de  la  Belgique  perdent  vraiment 
toujours  de  vue  que  cet  Etat  était  indépendant, 
souverain,  maître  chez  lui,  et  ne  voulait  d'aucune 
inféodation  :  il  prenait  pour  sa  défense  les  mesures 
«  qu'il  lui  convenait  de  prendre  »,  comme  le  disait 
en  1887  l'ancien  ministre  belge  Frère-Orban,  qui 
saisissait  cette  occasion  pour  rappeler  à  la  Chambre 
ces  paroles  du  maréchal  de  Moltke  :  «  C'est  affaire 
à  la  Belgique  de  choisir  ses  moyens  de  défense.  » 
(Cf.  E.  Descamps,  La  Neutralité  de  la  Belgique, 
p.  409,  §  5  :  «  I^e  choix  des  moyens  appropriés  à  la 
défense.  »). 

Eh  !  puisque  les  accusateurs   de  la  Belgique  se 
montrent  si  ombrageux  à  l'égard  du  rôle  des  atta- 


LE    PROCÈS  DE    LA    NEUTRALITÉ   BELGE  65 

chés  militaires  étrangers  à  Bruxelles,  je  vais  leur 
révéler  un  précédent  qui  ne  laisse  pas  d'être  assez 
piquant. 

I^e  12  mai  1875,  le  baron  lyambermont,  qui  a 
longtemps  dirigé  la  diplomatie  belge,  écrivait  à 
M.  Jules  Devaux,  chef  du  cabinet  du  roi  Ivéo- 
pold  II  : 

«  On  m'a  dit  et  redit  en  termes  presque  suppliants  : 
il  faut  mettre  Namur  et  I^iége  en  état  de  défense.  Il 
ne  s'agit  pas  de  grands  travaux,  mais  seulement 
d'un  système  n'entraînant  qu'une  très  modique  dé- 
pense. On  a  même  fait  remarquer  que  ces  travaux 
sont  indispensables  dans  les  deux  sens  :  vous  pourrez 
déclarer  en  les  proposant  que  vous  les  faites  aussi 
bien  pour  une  armée  venant  de  l'autre  côté.  Nous 
ne  demandons  donc  pas  de  privilèges,  mais  nous 
tenons  à  ce  que  la  ligne  de  la  Meuse  soit  barrée. 

»  Bn  somme,  je  ne  puis  mieux  condenser  la  pensée 
de  mon  interlocuteur  qu'en  répétant  les  mots  dont 
il  s'est  servi  :  Tout  ce  que  nous  vous  demandons, 
c'est  de  tenir  cinq  jours  ;  cela  fait,  votre  tâche  sera 
remplie.  » 

Iv'interlocuteur  du  baron  Lambermont  n'était  ni 
plus  ni  moins  que  l'Attaché  militaire  allemand  à 
Bruxelles,  le  major  von  Sommerfeld.  Il  était  venu 
trouver  non  pas  un  militaire,  mais  la  personnalité  la 
plus  éminente  du  Département  des  Affaires  étran- 
gères. Il  ne  lui  avait  pas  demandé  simplement  de 
prendre  en  commun  des  mesures  d'exécution  pra- 

NEUTRALITÉ    BELGE  S 


66  l.H    l'ROCKS    DE    LA    NEUTRALITÉ    BELGE 

tique,  i>our  le  cas  où  l'armée  allemande  devrait 
conformément  aux  traités,  aider  l'armée  belge  dans 
la  défense  du  territoire,  mais  il  l'avait  pressé  d'en- 
gager son  gouvernement  dans  une  voie  qui  était 
alors  toute  nouvelle,  de  modifier  profondément  le 
système  défensif  du  pays,  —  et  cela  simplement 
pour  répondre  aux  convenances  stratégiques  de 
l'Allemagne. 

La  conversation  militaire  de  1906  est  considérée 
aujourd'hui   en   Allemagne  comme  une  trahison   : 
comment  l'eût-on  qualifiée  si  elle  avait  eu  la  portée 
f  de  la  conversation  dipi^omatique  de  1875  ^  ? 

L.,  Que   les  conversation^  de   1906  n'aient  pas  dé- 

L,  passé  ce  qui  était  strictement  compatible  avec  les 

:  obligations  de  la  neutralité,  cela  ne  peut  être  con- 

testé par  aucun  esprit  droit.  Mais  il  est  possible 


^  Il  n'est  pas  inutile  de  souligner  le  fait  qu'en  1875,  c'était 
l'Allemagne  qui  insistait  avec  force  auprès  de  la  Belgique  pour 
que  celle-ci  mît  Namur  et  Liège  en  état  de  défense. 

Le  professeur  Schulte  sera  sans  doute  bien  surpris  d'apprendre 
ceci,  lui  qui,  dans  les  conjectures  qu'il  amoncelle  pour  incriminer 
la  politique  de  la  Belgique,  représente  les  fortifications  de  la 
Meuse  comme  dirigées  contre  l'Allemagne  (notamment,  p.  86), 
Il  importe  fort  peu,  d'ailleurs,  que  plus  tard  Moltke  ait  exprimé 
au  roi  Léopold  11  vm  avis  différent  :  ce  changement  d'opinion 
montre,  au  contraire,  combien  la  Belgique  avait  raison  de  con- 
sulter ses  seuls  intérêts  pour  décider  les  mesures  propres  à  assu- 
rer la  défense  de  son  territoire. 

De  même,  M.  Schulte  sera  étonné  d'apprendre  que,  vers  1890, 
il  y  eut  en  France,  précisément  à  propos  du  projet  des  fortifica- 
tions de  la  Meuse  déposé  en  1887,  toute  une  levée  de  boucliers  : 
on  prétendait  que  le  projet  faisait  partie  d'un  accord  liant  la 
Belgique  à  l'Allemagne.  J'ai  déjà  fait  allusion  précédemment 
(p.  28)  à  cette  campagne  injuste. 


LE   PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  67 

d'affirmer,  en  outre,  qu'elles  sont  restées  sans 
influence  aucune  sur  l'orientation  de  la  politique 
extérieure  de  la  Belgique. 

On  possède,  en  efFet,  depuis  peu  de  temps  une 
précieuse  source  de  renseignements,  émanant  du 
Département  des  Affaires  étrangères  de  Berlin, 
ce  qui  lui  confère  une  valeur  peu  banale  pour  la 
défense  de  la  politique  belge.  C'est  une  série  de  rap- 
ports diplomatiques  adressés  à  Bruxelles  par  dix 
ministres  et  chargés  d'affaires  belges,  qui  repré- 
sentaient la  Belgique  à  Berlin,  I^ondres  et  Paris 
entre  1905  et  1914  :  Belgische  Aktenstûcke;  j'y  ai 
déjà  fait  allusion  (p.  56).  Je  ne  veux  pas  montrer 
ici  que  le  choix  des  rapports  laisse  une  impression 
bien  différente  de  celle  que  donnerait  la  série  com- 
plète, si  elle  était  publiée  ;  je  ne  veux  pas  davan- 
tage savoir  dans  quelle  mesure  ces  rapports  expli- 
quent la  politique  de  telle  ou  telle  puissance  euro- 
péenne. Je  me  place  au  seul  point  de  vue  de  la 
Belgique  et  je  remarque  qu'à  ce  point  de  vue,  et 
indépendamment  de  toutes  les  opinions  person- 
nelles qui  peuvent  s'y  rencontrer,  il  faut  considérer 
ces  documents  comme  si  l'on  regardait  l'image  d'un 
objet  dans  un  miroir  :  envisagés  de  cette  façon,  les 
rapports  donnent  en  quelque  sorte  par  réflexion 
des  indications  précises  sur  la  politique  extérieure 
de  la  Belgique. 

Ouvrons    donc    le    recueil    que    la    Chancellerie 
allemande   a  cru  devoir   livrer  au  public  et  cher- 


68  IF.    PROCKS    DK    l.A    NHUTRAI.ITK    BELGE 

chons-y  ce  que  les  ministres  belges,  accrédités 
dans  les  trois  grandes  capitales,  écrivaient  au 
sujet  de  l'orientation  de  la  politique  à  laquelle 
ils  collaboraient.  Dans  les  cent-quarante  pages 
des  Aktcnstiicke  nous  ne  trouverons  pas  un  mot, 
pas  une  allusion  à  une  inféodation  de  la  politique 
belge  à  l'une  quelconque  des  trois  grandes  puissances 
voisines,  et,  en  particulier,  à  l'Angleterre.  Les  occa- 
sions d'en  parler  étaient  cependant  incessantes  :  dès 
la  première  page  du  recueil,  il  est  question  de  la 

tension  des  rapports  entre  la  France  et  l'Angleterre 
il»'  ' 
;;:.  d'une  part  et  l'Allemagne  d'autre  part  :  on  est  au 

c'  lendemain  de  Tanger  et  à  la  veille  d'Algésiras.  Le 

c  terrain  est  brûlant.  Observe-t-on  de  la  part  des  diplo- 

^'  mates  belges  quelque  hésitation   à  s'y  aventurer, 

quelque  gêne  à  entretenir  le  gouvernement  des  con- 
flits qui  se  déroulent  ou  se  préparent  ?  Nullement. 
Ils  étalent  ouvertement  leurs  opinions.  Dans  cette 
collection  qui  a  été  rassemblée  par  l'adversaire,  où 
il  n'a,  visiblement,  fait  entrer  parmi  les  pièces  dé- 
couvertes que  celles  d'où  sa  cause  pouvait  tirer 
quelque  force,  il  n'y  a  pas  une  pensée,  exprimée  ou 
sous-entendue,  qui  permette  d'incriminer  en  quoi 
que  ce  soit  la  politique  de  la  Belgique. 

Ces  rapports  sont  bien  ceux  que  l'on  devait  s'at- 
tendre à  trouver  dans  les  archives  d'un  pays  dont 
toutes  les  attitudes  extérieures  étaient,  ainsi  que  je 
l'ai  montré,  commandées  par  le  souci  d'assurer  la 
vie  de  la  nation  en  échappant  à  tout  assujettissement. 


c 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITÉ    BELGE  6() 

Quel  que  soit  l'événement  qui  survient  et  où  qu'il 
survienne,  les  représentants  de  la  Belgique  le  jugent 
toujours  au  point  de  vue  national,  aussi  bien  il  y  a 
dix  ans,  en  septembre  1905  (Aktenstucke,  p.  9  :  «  A 
NOTRE  POINT  DE  VUE,  il  est  à  souhaiter  que  le  secré- 
taire d'Etat,  à  Berlin,  ait  raison  »),  qu'à  la  veille  de 
la  guerre,  en  juillet  1914  (id.  p.  139  :  «  En  ce 
QUI  nous  concerne,  nous  n'avons  pas  à  prendre 
parti.  ») 

Ainsi,  les  dix  diplomates  belges  ignorent  tout 
d'une  prétendue  «  connivence  »  entre  la  Belgique  et 
l'Entente.  Or,  il  faudrait  ne  rien  connaître  de  l'or- 
ganisation diplomatique  pour  s'imaginer  que  pen- 
dant dix  années  consécutives,  dix  représentants  diffé- 
rents d'un  pays  auprès  de  trois  gouvernements  voi- 
sins auraient  pu  demeurer  systématiquement  dans 
l'ignorance  d'actes  décisifs,  qui  auraient  engagé  la 
politique  nationale  dans  une  voie  déterminée  précisé- 
ment à  l'égard  de  ces  trois  gouvernements.  Cela  est, 
en  particulier,  d'autant  moins  possible  en  ce  qui  con- 
cerne la  Belgique  pendant  cette  période,  que  l'un 
des  ministres  dont  le  nom  apparaît  le  plus  souvent 
dans  la  liste  des  rapports  publiés,  le  comte  Greindl, 
ministre  à  Berlin,  jouissait,  dans  les  milieux  diplo- 
matiques belges,  d'une  autorité  que  "son  âge  et  son 
expérience  lui  avaient  assurée.  I^es  rapports  publiés 
confirment  à  cet  égard  singulièrement  ce  que  je 
disais  ailleurs  de  ce  diplomate  {La  Belgique  neutre 
et  loyale,  p.  181),  à  savoir  qu'  «  on  lui  communiquait 


yO  LE    PROCÈS    DR    LA    NEUTRALITE    BELGE 

souvent  les  dociinients  qui  intéressaient  la  situa- 
tion internationale  du  pays.  » 

Mais  feuilletons  plus  attentivement  le  recueil  et 
cherchons  si  nous  n'y  découvrirons  pas  des  indica- 
tions concernant  spécialement  les  conversations 
militaires  de  1906. 

Il  s'en  trouve,  en  effet,  —  et,  ne  pouvant  les  passer 
sous  silence,  l'Accusation  a  imaginé  de  représenter 
les  opinions  émises  par  les  diplomates  belges 
comme  des  <<  avertissements  »  adressés  à  leur  gou- 
vernement, pour  lui  signaler  les  périls  d'une  préten- 
due politique  nouvelle.  I^a  brochure  de  propagande 
La  Neutralité  belge  dit,  par  exemple  :  «  Le  comte 
Greindl  met  avec  insistance  son  gouvernement  en 
garde  contre  le  terrible  danger  auquel  la  Belgique 
s'est  exposée  par  sa  réunion  aux  puissances  de 
l'Entente  »  (p.  7)  ;  la  brochure  dit  encore  :  «  Avec 
toute  la  lucidité  permise  à  un  diplomate  envers  son 
gouvernement,  le  comte  Greindl  a  rappelé  au  sien 
qu'il  violait  ses  devoirs  de  neutralité  en  se  liant  par 
des  engagements  subversifs  »  [id.)  ;  et  plus  loin  : 
«  lycs  avertissements  n'ont  pas  manqué  au  gouver- 
nement, belge  demeuré  aveugle  jusqu'au  bout  * 
(p.  8).  Le  professeur  D^  Hônn,  dans  son  article  Aus 
belgischen  Archiven  (dans  Das  grôssere  Deutschland, 
21  août  1915,  p.  1123),  n'hésite  pas  à  conclure 
que  «l'entêtement  du  gouvernement  belge  à  ne  pas 
suivre  les  avis  de  ses  diplomates  rend  sa  culpabi- 
lité deux  fois  plus   lourde  ».   Le  recueil  officiel  lui- 


LE    PROCES   DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  7I 

même  reprend  ce  thème  :  «  Cela  a  été,  lit-on  à  la 
fin  de  l'introduction,  un  malheur  pour  la  Belgique 
qu'elle  n'ait  pas  voulu  entendre  les  voix  de  ses 
diplomates.  » 

lya  thèse  que  le  Gouvernement  belge  aurait  été 
l'objet  de  remontrances  de  la  part  de  ses  représen- 
tants à  l'étranger  prétend  se  fonder,  en  particu- 
lier, sur  un  rapport  envoyé  en  191 1  par  le  comte 
Greindl  au  Département  des  Affaires  étrangères  à 
Bruxelles  ;  ce  rapport,  n'a  d'ailleurs,  pas  été  repro- 
duit dans  le  recueil  diplomatique  des  Belgische 
Aktenstiicke  ;  la  N orddeutsche  n'en  a  publié,  le 
13  octobre  1914,  qu'un  fragment  ingénieusement 
choisi  et  reproduit  dans  le  dernier  Livre  blanc 
(P-  59-)  J'^i  ^^Jà  dit  (La  Belgique  neutre  et  loyale, 
p.  180-181)  que  le  rapport  du  comte  Greindl  n'a 
aucunement  été  fait  à  l'occasion  des  conversations 
de  1906  avec  l'attaché  militaire  anglais  :  il  fournit 
au  Département  l'avis  que  celui-ci  avait  demandé 
concernant  une  étude  rédigée  par  un  fonctionnaire 
supérieur  et  portant  pour  titre  :  «  Que  fera  la  Bel- 
gique en  cas  de  guerre  franco-allemande  ?  »  Dans  sa 
réponse,  qui  constitue  un  long  mémoire,  le  comte 
Greindl  envisage  diverses  éventualités  de  viola- 
tion de  la  neutralité  belge.  Il  s'arrête  d'abord,  en 
un  langage  d'ailleurs  curieusement  prophétique,  au 
danger  allemand  ;  puis  il  signale  le  danger  franco - 
anglais.  Il  émet  des  réserves  sur  le  travail  qui  lui  a 
été  soumis,  mais,  à  aucun  endroit,  il  ne  laisse  devi- 


72  Ih    l'RDCKS    DK    l.A    NKUTRALITh    BRI.GF. 

ner  une  intention  de  critique  ou  d'avertissement  à 
l'égard  de  la  politique  du  gouvernement.  Et  ce- 
pendant il  fait  allusion  aux  conversations  de  1906  : 
le  moment  était  tout  indiqué  de  faire  entendre 
des  paroles  sévères  ;  tout  au  contraire,  le  Comte 
s'exprime  dans  des  termes  qui  révèlent  une  com- 
plète confiance  :  «  nous  »  savons  à  quoi  nous  en 
tenir  ;  «  nous  »  avons  montré  que  nous  ne  nous 
laisserions  pas  intimider,  etc. 

IfSi  même  attitude  d'esprit  s'observe  aussi  bien 
dans  les    autres    rapports   du   comte   Greindl   que 

:::•■:  dans  ceux  de  ses  collègues  de  Londres  et  de  Paris. 

c  L'Accusation   ne   pourrait  pas  apporter  une   seule 

c'  citation  en  faveur  de  sa  thèse. 

b'  Dès  lors,  il  est   établi    que  les  passages  où   les 

^    '  diplomates  belges  parlent   des  conversations   mili- 

taires sont  à  retenir  pour  ce  qu'ils  disent,  ni  plus 
ni  moins  :  ils  n'ont  aucune  portée  tendancieuse. 

Or,  tous  ces  passages,  sans  exception,  s'accor- 
dent à  montrer  que  les  représentants  de  la  Belgi- 
que SAVAIENT  que  les  conversations  n'avaient  pas 
eu  la  moindre  influence  sur  la  politique  du  pays. 
La  première  mention  des  conversations  de  1906 
est  du  5  avril  de  cette  même  année,  dans  un 
rapport  du  comte  Greindl,  —  preuve  précise  que  le 
gouvernement  belge,  loin  de  dissimuler  ce  qu'il 
venait  d'apprendre,  a,  sans  aucun  délai,  porté  la 
nouvelle  notamment  à  la  connaissance  du  doyen  de 
la  diplomatie  belge.  Et  comment  celui-ci  s'exprime- 


LE  PROCÈS  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE  73 

t-il  ce  jour-là,  alors  qu'il  vient  d'être  mis  au  cou- 
rant et  que  ses  impressions  sont  encore  vives  ? 
«  Si,  dit-il,  quelque  doute  (sur  la  signification 
d'une  visite  du  roi  d'Angleterre  à  Paris)  pouvait 
régner  encore,  la  singulière  démarche  faite  par  le 
colonel  Barnardiston  auprès  de  M.  le  général  Du- 
carne  l'aurait  dissipé»  (Belgische  Aktenstûcke, -p. 21). 
Rien  de  plus  :  aucune  allusion,  même  lointaine  ni 
à  une  convention,  ni  à  une  inféodation  quelconque 
de  la  politique  belge  ;  le  diplomate  sait  qu'il  n'y 
a  rien  eu  de  semblable. 

Un  an  plus  tard,  en  avril  1907,  le  comte  Greindl 
a  encore  l'occasion  de  donner  son  jugement  et,  chose 
caractéristique,  il  se  sert  sensiblement  des  mêmes 
termes  que  la  première  fois  :  «  Nous-mêmes,  écrit-il 
alors,  nous  avons  eu  à  enregistrer  les  singulières 
OUVERTURES  faites  par  le  colonel  Barnardiston  au 
général  Ducarne.  (Id.,  p.  34). 

Et,  dans  une  troisième  circonstance,  quatre  ans 
plus  tard,  il  s'exprime  encore  d'une  façon  analogue  : 
«  C'est  la  continuation  des  propositions  singulières 
qui  ont  été  faites  il  y  a  quelques  années  au  général 
Ducarne  par  le  colonel  Barnardiston.  »  (Id.,  p.  102.) 

DÉMARCHES    —    OUVERTURES    —    PROPOSITIONS    : 

c'est  bien  uniquement  sous  cet  aspect,  conforme  à  la 
stricte  réalité,  que  les  conversations  militaires  de 
1906  apparaissent  au  diplomate  belge,  dont  l'Accu- 
sation aime  tant  utiliser  le  témoignage. 

Bien  plus,  il  se  trouve  dans  le  rapport  dont  un 


74  '>     PKDCKS    DH    I.A    NKirrKAI.lTK    BHUiK 

fragment  a  été  publié  par  la  Norddeulsche  une  phrase 
qui  révèle  que  le  même  dij^lomate  considérait  que 
les  projets  communiqués  en  1906  par  l'Attaché 
militaire  anglais  tenaient  coni}>te  d'une  résistance 
éventuelle  de  l'armée  belge  à  l'avance  des  troupes 
anglaises.  Il  écrit,  en  effet  :  «  L'armée  anglaise  entre- 
rait tout  de  suite  chez  nous  par  le  nord-ouest,  ce  qui 
lui  donnerait  l'avantage  d'entrer  immédiatement  en 
action,  de  rencontrer  l'armée  belge,  si  nous  ris- 
quions UNE  BATAILLE,  dans  Une  région  où  nous  ne 
pouvons  nous  appuyer  sur  aucune  forteresse,  de  s'em- 
parer de  provinces  riches  en  ressources  de  toute 
espèce,  en  tout  cas  d'entraver  notre  mobilisa- 
tion, ou  de  ne  la  permettre  qu'après  avoir 
obtenu  de  nous  des  engagements  formels  donnant 
l'assurance  que  cette  mobilisation  se  fera  au  profit 
de  l'Angleterre.  » 

ly'indépendance  de  la  Belgique  à  l'égard  de  ses 
garants  apparaît  ainsi  de  toutes  parts  avec  évi- 
dence. Elle  est  si  grande  et  si  réelle  qu'un  an 
avant  la  guerre,  le  baron  Beyens,  ministre  de  Bel- 
gique à  Berlin,  ancien  ministre  de  la  Maison  du 
roi  Albert  et  particulièrement  en  situation  d'être 
au  courant  des  tendances  de  la  politique  extérieure 
de  son  pays,  pouvait  écrire  dans  un  des  rapports 
diplomatiques  que  l'Allemagne  a  publiés  :  «  lye 
danger  paraîtrait  réel  et  pressant  si  le  partage 
du  Congo  faisait,  sous  les  auspices  de  l'Angleterre, 
l'objet  de  pourparlers  secrets  entre  les  trois  grandes 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITÉ    BELGE  75 

puissances  qui  sont  nos  voisines  en  Europe  et  si 
nos  dépouilles  africaines  devenaient  entre  elles  l'ins- 
trument d'un  rapprochement  pacifique.  Mais  les 
choses  n'en  sont  pas  là.  Nous  n'en  devons  pas  moins 
à  mon  avis  tenir  l'œil  ouvert  sur  toutes  les  consé- 
quences possibles  d'une  entente  anglo-allemande  ». 
(Belgische  Aktenstucke,  p.  124.)  I^e  même  ministre, 
écrivant  trois  mois  avant  la  guerre  et  signalant  à 
son  gouvernement  qu'une  opinion  un  peu  moins 
hostile  à  l'Entente  paraissait  se  former  à  Berlin,  con- 
cluait que  pour  la  Belgique  la  question  la  plus  inté- 
ressante était  de  savoir  si,  en  cas  de  conflit  interna- 
tional, l'Angleterre  serait  encore  aussi  disposée  qu'en 
191 1  à  se  ranger  aux  côtés  de  la  France  et  si,  en 
somme,  la  Belgique  aurait  encore  à  redouter  l'entrée 
de  soldats  anglais.    {Id.  p.  133.) 

Même  en  recourant  exclusivement  à  la  documen- 
tation de  l'Accusation  et  en  ne  quittant  pas  le 
terrain  qu'elle  a  choisi,  on  fait  ainsi  surgir,  en  faveur 
de  la  politique  de  la  Belgique,  des  justifications  véri- 
tablement éclatantes  —  pour  reprendre  l'expression 
qui  a  été  employée  devant  moi  par  une  haute  per- 
sonnalité neutre. 

Dans  l'empressement  que  l'Accusation  met  à 
charger  la  politique  belge,  elle  apporte  même  des 
faits  qui,  à  l'examen,  se  retournent  totalement 
contre  elle.  Voici,  par  exemple,  le  professeur  Schulte 
qui  fait  grand  état  [Von  dcr  Neutralitàt  Belgiens, 


^11 


76  LE    PROCÈS    m    I  A    NF.l'TRALITE    BELGE 

p.  106  et  suiv.)  d'un  discours^  prononcé  le  11  dé- 
cembre 1909,  au  Sénat  de  Belgique,  par  un  ancien 
ministre,  M,  de  Favereau,  qui  détenait  précisément 
le  portefeuille  des  Affaires  étrangères  au  moment  où 
se  sont  produites  les  conversations  militaires  de 
1906.  Iv'intervention  de  M.  de  Favereau  au  Parle- 
ment était  motivée  par  la  discussion  de  la  réforme 
militaire  qui  introduisait  le  service  général  ;  l'ancien 
ministre  voulait  rallier  au  projet  ses  amis  de  la  droite  : 
il  n'hésite  pas  à  leur  tenir  un  langage  sévère,  ni  à 
faire  peser  sur  eux  le  poids  des  responsabilités  qui 
les  menacent. 

I^a  thèse  qu'il  entend  combattre  est  celle  de  la 
prétendue  quiétude  créée  par  les  traités  de  1839  • 
c'est  une  fausse  quiétude,  explique  l'orateur,  qui 
saisit  cette  occasion  pour  définir  à  nouveau  la  poli- 
tique, très  réaliste,  qu'impose  la  neutralité  perma- 
nente aussi  bien  à  la  Belgique  qu'à  ses  garants. 


^  Au  sujet  du  texte  de  ce  discours,  je  ne  vois  réellement  pas 
pourquoi  le  professeur  Schulte  dit  que  le  compte  rendu  officiel  des 
Annales  parlementaires  a  été  atténué,  ni  pourquoi  il  croit  trou- 
ver des  différences  entre  ce  compte-rendu  et  une  correspondance 
envoyée  de  Bruxelles  à  la  Kreuzzeitung  de  Berlin.  Le  premier 
alinéa  qu'il  veut  ajouter  au  compte  rendu  officiel  (p.  122)  se 
retrouve  plus  loin  dans  le  texte  du  discours  (p.  123  à  la  fin)  ;  le 
second  alinéa  (p. 123-124)  se  retrouve  P.126-Ï27,  enfin  le  troisième 
alinéa  (p.  125)  se  retrouve  à  cette  même  page.  Le  correspondant 
de  la  Kreuzzeitung  a  simplement  donné  du  relief  à  certaines 
idées,  mais  le  texte  qui  a  été  communiqué  au  Sénat  est  bien 
celui  qui  a  été  imprimé  aux  Annales  parlementaires.  Je  relève 
à  peine  l'affirmation  tout  à  fait  gratuite  tendant  à  faire  croire 
(p.  109)  que  si  le  correspondant  d'un  autre  journal  allemand  a, 
quelques  jours  après  que  le  discours  avait  été  prononcé,  donné  des 
indications  inexactes  sur  un  passage  essentiel,  c'est  parce  qu'il  y 
aurait  été  invité  officieusement. 


LE  PROCES  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE  77 

Gardons-nous,  dit  M.  de  Favereau,  de  penser  que 
les  Puissances  ont  obéi  en  1830  et  obéiront  dans 
l'avenir  à  autre  chose  qu'à  leurs  intérêts.  Elles  n'in- 
terviendront en  notre  faveur  que  précisément  dans 
les  limites  de  ces  intérêts.  On  nous  cite  toujours 
l'exemple  de  1870  et  l'on  nous  rappelle  l'action  pro- 
tectrice de  l'Angleterre,  qui  s'adressa  alors  en  notre 
faveur  aux  deux  belligérants.  Eh  bien,  depuis  1870 
la  situation  a  profondément  changé  :  la  nouvelle 
politique  que  l'Angleterre  paraît  avoir  adoptée  ivUi 

PERMETTRA-T-EI.I.E  DE  REMPLIR  PLUS  LONGTEMPS  LE 

MÊME  RÔLE  A  NOTRE  ÉGARD  ?  lyC  jour  du  danger,  NE 

SERA-T-ELLE  PAS  LIÉE  PAR  DES  ENGAGEMENTS  VIS- 
A-VIS  d'un  des  BELLIGÉRANTS  ET  AINSI  SON  IN- 
FLUENCE    POURRA- T-ELLE     ENCORE     ÊTRE     MISE     A 

NOTRE  SERVICE  ?  Je  base,  affirme  l'orateur,  mon  ju- 
gement SUR  CE  QUE  j'ai  VU  ÉTANT  MINISTRE  ;  je  re- 
grette de  ne  pouvoir,  en  raison  de  la  discrétion  que 
je  dois  garder,  vous  exposer  ici  les  choses  en  détail. 
Mais  disons-nous  bien  que,  dans   notre  situation, 

NOUS    SOMMES    FORCÉMENT    SANS    ALLIANCE    ;    NOUS 

RESTONS  isolés;  plaise  à  Dieu  que  jamais  une  grande 
puissance  ne  veuille,  à  la  faveur  de  cet  isolement, 
nous  entraîner  dans  des  combinaisons  contraires  à 
nos  intérêts.  Qu'arriverait-il,  par  exemple,  si  nous 
n'étions  pas  en  état  d'assurer  nous-mêmes  la  défense 
d'Anvers  ?  Ne  pouvant  être  défendue  par  nous  et  ne 
pouvant,  en  fait,  appartenir  à  aucune  grande  puis- 
sance continentale,  cette  place  ne  devrait-elle  pas 


7^  I-L    PROCLS    DJ.    LA    NKUTRALITK    BKLGK 


falaleiiienl  lonibcT  aux  mains  de  l'Angleterre,  et  c|ui 
sait  quand  et  comment  elle  serait  évacuée  ?  Il  suffit, 
concluait  l'ancien  ministre,  que  toutes  ces  questions 
soient  posées  pour  qu'un  pays,  qui  est  résolu  à  de- 
meurer maître  de  sa  destinée,  connaisse  ses  de- 
voirs. 

Telle  est,  ramenée  à  ses  données  essentielles,  la  sub- 
stance du  discours  prononcé  à  la  fin  de  l'année  1909 
au  Sénat  de  Belgique  par  celui  qui  avait,  à  ce  mo- 
ment, le  plus  d'autorité  pour  parler  de  la  politique 
extérieure  du  pays.  Il  en  ressort  avec  une  aveuglante 
fpi:  clarté    qu'après    les     conversations     militaires     de 

1906,  la  Belgique  n'a  pas  dévié  d'un  trait  de  sa 
ligne  de  conduite  traditionnelle.  Le  professeur 
Schulte  a  cru  embarrasser  les  défenseurs  de  la 
politique  belge    en    appelant    l'attention    sur    cet 


^4 


î;  exposé  :  ils  lui  savent,   au  contraire,  inâniment  de 

r-  gré  de  sa  bonne  inspiration.  A  la  vérité,  lui-même 

éprouve  quelques  scrupules  en  terminant  son  argu- 
mentation, mais  il  les  dissipe  aussitôt  en  insinuant 
(p.  112)  que  M.  de  Favereau  a  quitté  le  ministère 
pour  ne  pas  être  solidaire  de  la  prétendue  politique 
de  connivence.  En  fait,  le  départ  de  M.  de  Favereau 
n'a  pas  eu  le  moindre  rapport  avec  les  conversa- 
tions de  1906  et  rien  n'autorisait  le  professeur 
Schulte  à  établir  un  rapprochement  entre  ces  deux 
incidents. 


* 
*        * 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  79 

Soit  !  dit  alors  T Accusation:  ne  parlons  plus  des 
conversations  de  1906.  Mais  quelle  a  été  l'attitude 
du  gouvernement  belge  six  ans  plus  tard,  en  191 2, 
après  la  démarche  faite  par  un  autre  attaché  mili- 
taire anglais,  le  lieutenant-colonel  Bridges,  auprès 
du  chef  d'état-major  belge  ? 

Avant  de  discuter  les  reproches  de  l'Accusation 
à  cet  égard,  rappelons  ce  qu'a  été  la  démarche  de 
1912. 

On  est  en  avril,  quelques  mois  après  la  crise 
d'Agadir,  au  cours  de  laquelle  pour  la  première  fois 
l'Angleterre  a  affirmé  officiellement  sa  solidarité 
avec  la  France.  Iv' Attaché  anglais  vient  trouver  le 
général  Jungbluth  et  lui  dit  (je  reproduis  le  Livre 
blanc)  : 

«  ly' Angleterre  dispose  d'une  armée,  pouvant  être 
envoyée  sur  le  continent,  composée  de  six  divisions 
d'infanterie  et  de  huit  brigades  de  cavalerie,  en  tout 
cent  soixante  mille  hommes.  Elle  a  aussi  tout  ce 
qu'il  lui  faut  pour  défendre  son  territoire  insulaire. 
Tout  est  prêt.  » 

Rien,  dans  ces  informations  militaires,  n'inté- 
resse la  Belgique  ;  rien  n'est  même  nouveau  pour 
son  gouvernement,  car  —  d'après  les  Belgische 
Aktenstucke,  p.  101-102  —  le  ministre  belge  à 
Berlin  avait  écrit  à  Bruxelles  quatre  mois  plus 
tôt,  le  6  décembre  1911  :  «  Jusqu'à  nouvel  ordre, 
il  faut  tenir  pour  avéré  qu'à  I^ondres  on  a  dis- 
cuté le  projet  d'aider  la  France   dans  une  guerre 


8<)  I.K     l'KOCKS    DH    I.A    NHUTRALITK    BhLGE 

avec  r Allemagne  par  le  débarquement  d'un  corps 
de  cent  cinquante  mille  Anglais.  » 

Mais  voici  une  information  importante  —  et  nou- 
velle (je  reproduis  toujours  le  Livre  blanc)  : 

«  Le  Gouvernement  britannique,  lors  des  derniers 
événements,  aurait  débarqué  immédiatement  chez 

vous,  MÊME  SI  vous  N'AVIEZ  PAS  DEMANDÉ  DE  SE- 
COURS ^.  » 

»  Aussitôt  le  chef  d'état-major  belge,   proteste  : 
»  —  Mais  il  faudrait   pour  cela   notre  consente- 
ment. 
#3!:i  »  —  Je  le  sais,  répond  l'Attaché,  mais  comme  vous 

ne  seriez  pas  à  même  d'empêcher  les  Allemands  de 
^  Il  passer  chez  vous,  l'Angleterre  aurait  débarqué  ses 

troupes  en  tout  état  de  cause.  » 

La  riposte  du  général  belge  a  donc  été  immédiate  : 
le  général  connaissait,  en  effet,  la  thèse  que  la  Bel- 
gique a  toujours  soutenue,  à  savoir  qu'aucun  des 
garants  ne  pouvait  intervenir  sans  l'adhésion  de  la 
Belgique  elle-même.  J'ai  montré  {La  Belgique  neutre 
et  loyale,  p.  55-56)  qu'en  droit  international  cette 
thèse  est  fort  contredite,  tant  au  point  de  vue 
général  des  principes  qu'au  point  de  vue  spécial  de 
la  Belgique.  Aux  autorités  dont  j'ai  alors  rapporté 


1  Le  professeur  Schulte  (  Von  der  Neutralitàt  Belgiens,  p.  99) 
m'accuse  de  ne  pas  avoir  fait  mention  de  cette  déclaration  essen- 
tielle. Il  se  trompe  ;  elle  figure  dans  mon  livre,  p.  181  :  <<...Même  si 
la  Belgique  ne  le  demandait  pas.  »  Il  était  parfaitement  inutile  de 
la  reproduire  une  seconde  fois  avec  la  variante  :  «  En  tout  état  de 
cause.  » 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITÉ    BELGE  8l 

l'opinion,  je  tiens  à  ajouter  l'avis  d'un  auteur  alle- 
mand, le  D'  juris  Siegfried  Richter,  qui  a  fait  pa- 
raître, précisément  avant  la  guerre,  en  1913,   un 
ouvrage  important,  Die  Neutralisation  von  Staaten, 
dans  la  série  de   monographies  Die  Rechtseinheit, 
publiée  sous  la  direction  des  professeurs  Kohler  et 
Stier-Somlo  —  deux  collègues  qui  ne  ménagent  point 
aujourd'hui    les    reproches    à    mon    pays.    Richter 
n'hésite  pas  à  aiïirmer  qu'il  est  impossible  de  faire 
dépendre   l'intervention  d'un  garant   de  l'assenti- 
ment formel  ou  tacite  de  l'Ktat  couvert  par  la  neu- 
tralité permanante  (p.  220)  :  selon  cette  manière  de 
voir,  les  intentions  de  l'Angleterre  auraient  donc  été 
parfaitement  licites.  Mais  je  ne  reviens  plus  sur  ce 
débat  purement  doctrinal  et  j'ai  hâte  de  retrouver 
l'Accusation,  qui  incrimine  l'attitude  adoptée  par 
la  Belgique  après  la  révélation  de  l'attaché  anglais. 
C'est  à  ce  propos,  en  effet,  que  les  attaques  se  re- 
nouvellent sans  cesse,   pressantes,   catégoriques  et 
méchantes  : 

«  Quant  au  Gouvernement  belge,  dit  le  Livre  blanc 
(p.  66),  son  devoir  était  non  seulement  de  repousser 
avec  la  dernière  énergie  les  insinuations  anglaises, 
mais  encore  d'informer  les  puissances  signataires 
du  traité  de  1839,  ^^  particulier  le  Gouverne- 
ment allemand,  des  tentatives  réitérées  de  l'Angle- 
terre pour  détourner  la  Belgique  de  son  rôle  de  neu- 
tralité. I^e  Gouvernement  belge,  loin  d'agir  ainsi, 
s'est  cru  autorisé    et    obligé  à  prendre,  de  con- 

NEUTRALITÉ    BELGE  6 


82  I.I-    l'KO(,I.S    Uh    LA    NhUTKALITh    BELGE 

CKRT   AVEC    i/KTAT-MAJ(jR     ANGLAIS,    DES    MESURES 

MILITAIRES  DE  DÉFENSE  coiitre  une  prétendue  inva- 
sion projetée  de  l'Allemagne.  En  revanche,  jamais 
il  n'a  fait  la  moindre  démarche  pour  s'entendre  avec 
le  Gouvernement  allemand  ou  avec  les  autorités 
militaires  allemandes  com]jctentes,  au  sujet  de  l'é- 
ventualité d'une  entrée  des  troupes  anglo-françaises 
en  Belgique,  bien  qu'il  eût  parfaitement  connais- 
sance de  cette  intention,  comme  le  prouvent  les 
documents  trouvés.  Le  Gouvernement  belge  était 
donc  bien  résolu  d'avance  à  se  joindre  aux  enne- 

581;  mis    de    l'Allemagne    et    à    faire    cause    commune 

avec  eux.  » 

f^  j^  Plus  violente  encore  est  la  brochure  de  propagande 

La  Neutralité  belge,  où  on  lit  (p.  8)  ;  «Le  Gouverne- 
ment belge  est  demeuré  aveugle  jusqu'au  bout,  trop 
profondément  engagé  qu'il  était  dans  les  pourpar- 
lers sur  une  action  miHtaire  commune.  La  main 
de  l'Angleterre  ne  l'a  plus  jamais  lâché.  »  Et  plus 
loin  (pp.  9-10)  :  «  Les  trois  pays  se  livraient  à 
une  étroite  coopération.  La  Belgique  «  neutre  »  était 
donc  bien  devenue  de  fait  membre  actif  de  la 
coalition  contre  l'iVllemagne...  Grâce  aux  intrigues 
anglaises,  auxquelles  la  Belgique  ne  s'est  que  trop 
volontairement  prêtée,  le  traité  de  garantie  de  1839 
a  été  complètement  dépouillé  de  sa  teneur  et  de  sa 
nature  pour  devenir  un  sc;'^/)  of  paper....  Avec  l'aide 
de  la  Belgique  elle-même,  l'Angleterre  avait  miné 
intérieurement  la  neutralité  belge.  » 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITÉ    BELGE  83 

Enfin,  le  professeur  Schulte  dresse  un  vrai  réqui- 
sitoire {Von  der  Neiitr alitât  Belgiens,  pp.  115-117; 
je  souligne  deux  passages)  : 

«  En  1912,  s'écrie-t-il,  une  personnalité  militaire 
anglaise  responsable  déclare  carrément  que  l'Angle- 
terre aurait  débarqué  en  Belgique  en  tout  état  de 
cause.  lyà  dessus,  les  Belges  ne  se  fâchent  pas:  leur 
chef  d'état -major  continue  tranquii^lement  a 
NÉGOCIER  (ihr  Generalstabschef  verhandelt  ruhig 
weiter)  ;  le  Gouvernement  ne  fait  aucune  com- 
munication aux  autres  puissances  garantes...  I^es 
gouvernants  actuels  de  la  Belgique  avaient  oublié 
les  paroles  du  fondateur  de  la  dynastie  :  «  Maintenir 
la  neutralité  sincère,  loyale  et  forte,  doit  être  notre 
but  constant.  »  I^es  milieux  dirigeants  belges  regar- 
daient la  neutralité  comme  inexistante  («  hielten 
fiir  ein  Nichts  »)...  L'histoire  écrira  un  jour  en 
termes  clairs  :  La  Belgique  avait  reçu  de  l'Eu- 
rope une  garantie  solennelle  ;  sous  cette  garantie, 
le  pays  a  prospéré  pendant  quatre-vingt-trois 
ans  ; ...  mais  la  Belgique  a  fini  par  considérer 
sa  neutralité  comme  une  chaîne  ;  le  Gouvernement 
savait  que  l'Angleterre  allait  bientôt  la  violer, 
II,  n'en  a  pas  moins  en  secret  continué  a  né- 
gocier AVEC  ELLE,  et  ainsi  il  a  retiré  pour  l'Al- 
lemagne toute  raison  d'être  à  la  neutralité  de  la 
Belgique.  » 

A  tout  cela,  il  n'y  a  qu'une  réponse  à  faire  :  c'est 
contraire   aux  faits:  rien  ne  prévaudra  contre  eux. 


a. 


84  1.1:    l'KOCfS    I)h    l.A     NP.UTKAI.ITK    HHLCil- 

Cette  fois,  nous  tenons  l'Accusation  :  nous  ue  la 
lâcherons  pas. 

C'est  bien,  n'est-ce  pas,  la  déclaration  de  1912 
qui,  pour  le  moment,  importe  seule  ? 

Or,  depuis  1912,  après  l'entretien  unique  rapporté 
ci-dessus,  l'Accusation  sait  pertinemment  qu'iL  n'y 

A  PAS  EU  UN  SEUL  CONTACT  ENTRE  MILITAIRES  AN- 
GLAIS ET  BELGES. 

Il  est  donc  complètement  faux  de  dire  qu'après 
la  déclaration  de  1912,  soit  le  chef  de  l'état-major 
belge,  soit  le  gouvernement  belge  auraient  continué 
des  négociations  avec  l'Angleterre  et  que,  par  là,  la 
C;  Belgique  aurait  pris   position  dans   l'Entente. 

^^  Veut -on  savoir  ce  que  le  Gouvernement  belge  a 

h^f  fait  après  le  seul  et  unique  entretien  de  191 2  ? 

I^e  Gouvernement  belge,  loin  de  négocier  avec 
l'Angleterre  pour  prendre  position  dans  l'Entente,  a 
fait  part  au  Gouvernement  anglais  «  des  appréhen- 
sions QUE  l'on  avait  en  BELGIQUE  DE  VOIR  l' AN- 
GLETERRE   VIOLER    LA    PREMIÈRE    LA    NEUTRALITÉ 

BELGE  ».  Dans  l'entretien  qu'il  eut  à  cette  occasion 
avec  Sir  Edward  Grey,  le  ministre  de  Belgique  à 
I/Ondres  signala,  sans  préciser  autrement,  qu'il  avait 
été  question  que  «  1' Angleterre  débarquât  des 

TROUPES  EN  VUE  DE  DEVANCER  l' ENVOI  POSSIBLE 
DE  TROUPES    ALLEMANDES  A  TRAVERS   LA  BELGIQUE 

VERS  LA  France»,   et  il  expliqua   que   c'étaient 

CES  RUMEURS  QUI   CAUSAIENT  DES  APPRÉHENSIONS. 

A    la    suite    de    cette    démarche    à    Londres,    sir 


Cv 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  85 

Edward  Grey,  voulant  dissiper  les  interpréta- 
tions fâcheuses,  écrivit  le  7  avril  19 13  une  lettre 
au  Ministre  d'Angleterre  à  Bruxelles,  qui  en  remit 
copie  au  Ministère  des  Affaires  étrangères  de  Bel- 
gique ;  dans  cette  lettre,  le  chef  du  Foreign  Office 
déclarait  :  «  Je  suis  certain  que  le  Gouvernement 
anglais  actuel  ne  sera  jamais  le  premier  à  violer  la 
neutralité  de  la  Belgique  et  je  ne  crois  pas  qu'aucun 
gouvernement  anglais  le  ferait  ni  que  jamais  l'opi- 
nion publique  dans  ce  pays  l'approuverait...  Etre  les 
premiers  à  violer  la  neutralité  et  à  envoyer  des 
troupes  en  Belgique,  ce  serait  donner  à  l'Allemagne, 
par  exemple,  une  justification  pour  envoyer  des  trou- 
pes en  Belgique.  Ce  que  nous  désirons  dans  le  cas  de 
la  Belgique  aussi  bien  que  dans  le  cas  de  tous  les 
autres  pays  neutres,  c'est  que  leur  neutralité  soit 
respectée  :  aussi  longtemps  qu'elle  ne  serait  pas 
violée  par  une  autre  puissance,  nous  n'enverrions 
certainement  pas  nous-mêmes  des  troupes  sur  leur 
territoire.  »  (Voir  dans  le  Livre  gris,  II,  n^  100,  le 
texte  complet  de  ce  document  qui  a  été  publié 
la  première  fois  le  7  décembre  1914  par  la  presse 
anglaise). 

Voilà  ce  que  la  Belgique  a  fait  —  et  l'Accusation 
l'ignore  si  peu  que,  le  12  octobre  dernier,  la  Nord- 
detUsche  Allgemeine  Zeitung  s'occupait  encore  de 
cette  lettre  de  sir  Edward  Grey,  pour  dire  qu'elle 
ne  pouvait  être  réellement  considérée  comme  caté- 
gorique et   solennelle,  attendu  que...  la  raison  est 


H6  I.P.    PROr.HS    DH    !.A    NHUTRALITH    BRLGF. 

plaisante  —  le  ministre  avait  employé  l'expression  : 
«  Je  ne  crois  pas  »,  en  parlant  de  l'attitude  des 
futurs  gouvernements  de  l'Angleterre. 

Or,  ce  que  la  Belgique  a  fait  en  1913  à  I^ondres, 
elle  l'avait  fait  en  191 1  à  Berlin,  et  cette  der- 
nière démarche  présente  une  im|X)rtance  extrême 
pour  le  point  de  vue  qui  nous  occupe  ici. 

Une  polémique  venait  d'être  soulevée  par  le 
projet  hollandais  concernant  les  fortifications  de 
Flessingue  :  diverses  circonstances  avaient  à  nou- 
veau posé  le  problème  de  la  neutralité  belge  et  de 
rinterv^ention  éventuelle  de  ses  garants.  Le  gouver- 
nement saisit  l'occasion.  Il  suggère  aussitôt  k 
^^  Berlin  {Livre  gris,  n^  12)  l'idée  «  qu'une  déclaration 

uj  faite  au  Parlement  allemand,  à  l'occasion  d'un  débat 

£*  sur  la  politique  étrangère,  serait  de  nature  à  apaiser 

î^  l'opinion  publique  et  A  calmer  SES  défiances,  si 

REGRETTABLES    AU    POINT    DE    VUE    DES    RELATIONS 

ENTRE  LES  DEUX  PAYS,  d  M.  de  Bethmann-HoUweg 
fait  répondre  qu'il  est  très  sensible  aux  senti- 
ments QUI  ONT  inspiré  LA  DÉMARCHE  DE  LA 
Belgique  ;  c'est  alors  qu'il  déclare  que  l'Allemagne 
n'a  pas  l'intention  de  violer  la  neutralité  belge. 

Que  signifie  donc  cette  démarche  de  la  Belgique, 
en  réalité  sans  précédent  dans  l'histoire  poHtique 
du  pays,  sinon  que  le  gouvernement  belge  veut  pré- 
cisément éprouver  l'hypothèse  d'une  violation  de 
la  neutralité  par  les  armées  allemandes,  hypo- 
thèse que  les  conversations  militaires  ont  envisa- 


LE  PROCÈS  DE  LA  NEUTRALITÉ  BELGE  87 

gée     en     1906    et     qu'autorisent     tant     d'indices 
divers  ? 

C'est-à-dire  que,  tout  comme  elle  le  demande 
loyalement  à  l'Angleterre  en  1913,  la  Belgique  de- 
mande loyalement  à  l'Allemagne  en  191 1  de  dissi- 
per ses  appréhensions. 

Bt  non  seulement,  la  Belgique  parle  à  I^ondres 
et  à  Berlin,  mais  dans  un  esprit  d'impeccable  cor- 
rection, elle  engage  à  Paris  une  conversation  diplo- 
matique, dont  le  second  Livre  gris  a  fait  connaître 
la  teneur  significative  (n^  i). 

lyC  22  février  1913,  au  cours  d'un  entretien  que 
le  ministre  de  Belgique  a  avec  le  directeur  général 
des  Affaires  politiques  de  la  République,  celui-ci 
l'interroge  sur  la  portée  du  projet  de  réforme 
militaire  en  discussion  au  Parlement  belge. 

Dans  sa  réponse,  le  ministre  «  fait  remarquer  avec 
toutes  les  réserves  nécessaires,  que  les  relations 
étroites  établies  assez  récemment  par  l'Angleterre 
avec  certaines  grandes  puissances  ne  la  mettraient 
plus  vis-à-vis  de  la  Belgique  dans  la  même  position 
que  naguère,  quoique  l'existence  d'une  Belgique 
libre  et  indépendante  continue  à  être  vitale  pour  sa 
politique.  Nous  voulons  éviter,  si  possible,  dit  le 
ministre,  que  la  Belgique  ne  redevienne,  comme  elle 
ne  le  fut  que  trop  souvent,  le  champ  de  bataille  de 
l'Europe.  » 

Il  ajoute  que  «  la  Belgique  entend  avoir  une 
armée  solide  et  sérieuse  qui  lui  permette  de  faire 


irs.!. 


88  LE    PROr.hS    DH    LA    NF.UTRAI.ITF    BF.I.GH 

entièrement  et  pleinement  son  devoir  pour  sauve- 
garder son  indépendance  et  sa  neutralité.  » 

«  —  C'est  parfait,  répond  l'interlocuteur  du  mi- 
nistre de  Belgique,  mais  vos  nouveaux  armements 
ne  sont-ils  pas  motivés  par  la  crainte  que  cette  neu- 
tralité ne  soit  violée  par  la  France  ? 

»  —  Non,  reprend  le  ministre,  ils  ne  sont  pas 
plus  dirigés  contre  la  France  que  contre  l'Alle- 
magne ;  ils  sont  destinés  à  empêcher  quiconque 
d'entrer  chez  nous.  » 

Ht  le  ministre  conclut  :  <(  Je  vous  le  répète,  nous 
ne  nous  fions  à  aucun  calcul  de  probabilités  ;  d'ail- 
Q^  leurs,  ce  qui  peut  être  vrai  aujourd'hui  peut  ne  plus 

i  ^^'  l'être  demain,  à  raison  de  circonstances  nouvelles  et 

ju  NOTRE  BUT  EST  UNIQUEMENT  d'EMPÊCHER  DANS  LES 

I  ^  LIMITES  DE  NOS  FORCES  TOUTE  VIOLATION  DE  NOTRE 

^'  NEUTRALITE.  » 

-'  Au  cours  de  l'entretien,   il    est   rappelé    que    la 

France  ne  prendra  jamais  l'initiative  de  violer  la 
neutralité  belge  ;  mais  que  si  les  armées  allemandes 
entraient  en  Belgique  et  que  les  Belges  ne  fussent 
pas  de  force  à  les  repousser,  le  gouvernement  de  la 
République  se  reconnaîtra  le  droit  de  prendre  les 
mesures  qu'il  jugera  utiles  pour  défendre  son 
territoire. 

On  retrouve,  dans  les  paroles  du  ministre  de  Bel- 
gique à  Paris,  l'idée  politique  directrice  qui  avait 
déjà  été  exprimée  par  l'ancien  ministre  des  Affaires 
étrangères,  M.  de  Favereau,  dans  son  discours  de 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 


89 


1909  :  la  position  de  TAngleterre  dans  le  concert 
enropéen  n'est  désormais  plus  la  même  ;  la  Belgique 
se  trouve  ainsi  exposée  à  ne  plus  rencontrer  de  la 
part  de  cette  puissance  la  même  liberté  de  bienveil- 
lance, qui  était  dans  la  tradition  de  sa  politique  ; 
l'isolement  menace  le  pays  ;  de  plus  en  plus,  il  ne 
pourra  compter  que  sur  lui-même. 

Combien,  je  le  note  en  passant,  ces  préoccupations, 
qui,  depuis  les  nouveaux  arrangements  diplomati- 
ques survenus  en  Europe,  inspiraient  toute  la  poli- 
tique de  la  Belgique,  sont  éloignées  des  hypothèses 
que  formule  le  professeur  Karl  Rathgen  dans  son 
article  des  Preussische  Jahrbiichey  :  Belgiens  ans- 
wàrtigc  Politik  und  der  Kongo.  Selon  lui,  ce  serait 
l'Angleterre  —  encore  elle  !  —  qui  aurait  contraint 
la  Belgique  à  renforcer  son  organisation  militaire  et 
elle  aurait  mis  cette  condition  à  la  reconnaissance 
de  l'annexion  du  Congo.  On  voit  que  la  réalité  était 
bien  différente... 


J'allais  conclure  en  demandant  ce  qui  reste  de 
l'accusation  lancée  contre  le  gouvernement  belge 
d'avoir,  en  1912,  manqué  à  ses  obligations  envers 
les  garants  du  pays  et  notamment  envers  l'Alle- 
magne, lorsqu'un  fait  significatif  me  revient  à  la 
mémoire.  Il  date  de  la  veille  même  de  la  remise  de 
la  Note  allemande,  le  2  août.  I^e  traité  de  com- 
merce entre  la  Belgique  et  l'Allemagne  devait  ar- 
river à  échéance  le  31  décembre  1917  :  or,  le  Dépar- 


90  l.H    l'ROCHS    DK    LA    NEUTRAMTK    BELGE 

teineiit  des  Affaires  étrangères,  qui  a  le  commerce 
extérieur  dans  ses  attributions,  avait,  dans  les 
derniers  jours  de  juillet,  préparé  une  circulaire  pour 
les  chambres  de  commerce  et  les  associations  in- 
dustrielles et  commerciales,  les  invitant  à  mettre 
à  l'étude  les  questions  qui  pourraient  se  présenter 
à  cette  occasion.  Cette  circulaire  était  conçue  dans 
un  esprit  tout  à  fait  favorable  au  maintien  des 
relations  conventionnelles  avec  l'Allemagne.  Elle 
fut  expédiée  dans  le  même  moment  où  les  troupes 
allemandes  franchissaient  la  frontière...  Le  fait  est 
surtout  caractéristique,  si  on  le  rapproche  de  cet 
autre  que  la  Belgique  était  sans  traité  de  commerce 
avec  la  France  et  avec  l'Angleterre. 

ly'ensemble  de  ces  témoignages,  tous  concordants, 
qu'ils  viennent  de  l'Accusation  ou  de  la  Défense, 
n'admet  qu'une  seule  conclusion. 

Pendant  les  années  troublées  que  traversa  l'Eu- 
rope de  1905  à  1914,  la  Belgique  a  gardé  le  souci 
vigilant  d'elle-même.  Constante  dans  son  attitude 
de  neutralité  sincère,  elle  a  cherché  à  obtenir  de  la 
part  de  ses  trois  garants  les  plus  intéressés  à  son 
sort,  des  assurances  qui  pussent  fortifier  la  confiance 
qu'elle  plaçait  en  eux. 

Loin  de  s'inféoder,  elle  a  affirmé  son  autonomie. 

Loin  de  trahir,  elle  a  attesté  sa  loyauté. 


I 


III 


«  La  Belgique  n'avait  pas  à  résister, 
car  son  territoire  n'était  pas  inviolable  ». 

Dans  le  procès  que  l'on  a  institué  contre  mon  pays,  ç,i 

il  a  été  réservé  à  un  avocat  habitant  Bruxelles,  mais 
qui,  né  à  I^eipzig,  ne  possède  pas  la  nationalité  belge, 
de  soutenir  la  partie  la  plus  spécieuse  de  l'accusation.  a 

On  s'était  évertué  à  démontrer  que  la  Belgique  avait  j 

violé  elle-même  sa  neutralité  ;  M.  F.  Norden  a  en- 
trepris de  prouver  que  la  Belgique  ne  possédait 
même  pas  de  titre  juridique  au  respect  de  ses  fron- 
tières, parce  que  jamais  l'inviolabilité  de  son  terri- 
toire ne  lui  aurait  été  garantie.  A  vrai  dire,  M.  Norden 
n'a  pas  été  le  premier,  depuis  la  guerre,  à  formuler 
ce  grief  :  déjà  dans  le  numéro  de  février  191 5  de  la 
Deutsche  Revue,  le  Reichsgerichtsrat  Wittmaack 
avait  exposé  les  grandes  lignes  de  la  thèse,  et  le  pro- 
fesseur Schulte  en  a  dit  quelques  mots  dans  sa  bro- 
chure (p.  66-68)  à  propos  d'une  divergence  d'inter- 
prétation qui  séparait  les  juristes  belges  Nys  et 
Descamps. 


92  I.h   l'ROrjS  DI-:   i.a   np.utrai.ith   bhi.gh 

Pour  discuter  cette  thèse,  qui  fait  aujourd'hui 
l'objet  de  toute  une  brochure  (F.  Norden,  La  Bel- 
gique neutre  et  V Allemagne,  Bruxelles,  imprimerie 
Richard,  1915),  je  me  propose  d'abord  de  la  ramener 
à  ses  traits  essentiels. 

lya  Belgique  se  serait  trompée  en  se  tenant  pour 
obligée,  aux  termes  des  traités,  de  s'opposer  au 
passage  des  armées  allemandes  à  travers  son  terri- 
toire. Son  erreur  tirerait  son  origine  d'une  interpré- 
tation infondée  de  la  clause  visant  la  neutralité  du 
pays.  Iv'article  7  du  traité  conclu  le  19  avril  1839 
entre  la  Belgique  et  les  Pays-Bas  et  placé  le  même 
jour  sous  la  garantie  de  l'Autriche,  de  la  France,  de 
la  Grande-Bretagne,  de  la  Russie,  déclare,  en  effet, 
que  «  la  Belgique  formera  un  Etat  indépendant  et 
perpétuellement  neutre  ».  Ce  texte,  qui  reproduit 
une  convention  du  15  novembre  1831,  ne  fait  pas 
mention  de  l'invioIvABILITÉ  du  territoire.  Or,  l'omis- 
sion de  cette  garantie  complémentaire  aurait  été 
intentionnelle.  Une  rédaction  antérieure  (texte  du 
26  juin  1831)  connue  sous  le  nom  de  Traité  des  Dix- 
Huit  articles,  spécifiait  avec  précision  que  «  les  cinq 
Puissances  garantissaient  la  neutralité  perpétuelle, 
ainsi  que  l'intégrité  ET  l'inviolabilité  du  terri- 
toire. »  De  propos  délibéré,  les  Puissances  auraient 
ainsi  réduit  l'étendue  de  leurs  engagements  et  ac- 
cordé à  la  Belgique  une  garantie  précaire,  autorisant 
le  passage  à  travers  le  territoire  et  n'entraînant  pas 
pour  l'Etat  nouveau  l'obligation  à  l'égard  des  autres 


LE  PROCÈS  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE  93 

Puissances  contractantes  de  s'opposer  à  ce  passage 
éventuel. 

Visiblement,  cette  thèse  a  une  portée  purement 
théorique,  car  jamais  l'Allemagne  n'a  songé  à  l'in- 
voquer :  comme  le  Berner  Taghlatt  l'a  fait  judicieu- 
sement observer  (19 15,  n^  464),  aux  termes  de 
la  déclaration  du  Chancelier,  le  passage  à  travers 
la  Belgique  constituait  «  ein  Unrecht  »,  une  viola- 
tion du  droit  et  non  pas  l'exécution  d'un  engage- 
ment contractuel. 

Mais  puisque  l'Accusation  invoque  aujourd'hui 
cette  tardive  justification,  il  faut  bien  en  faire  une 
discussion  détaillée.  Dans  cette  discussion,  je  lais- 
serai momentanément  dans  l'ombre  la  question  pro- 
prement dite  du  changement  dans  la  rédaction  de 
l'Acte  diplomatique  qui  a  consacré  l'existence  de  la 
Belgique  et  j'examinerai,  d'abord,  si,  en  droit 
comme  en  fait,  la  neutralisation  du  pays  était  com- 
patible avec  une  servitude  de  passage  établie  au 
profit  d'une  des  Puissances. 


* 
*       * 


Quelle  était  donc  la  véritable  portée  de  la  neu- 
tralité belge  ?  Comment  faut-il  se  représenter  sa 
signification,  son  étendue,  ses  limites  ? 

Il  serait  vain,  pour  répondre  à  ces  questions,  de 
recourir  à  de  subtiles  exégèse  de  doctrine  :  les 
garanties  données  à  la  Belgique  se  définissent  par 


94  'P    l'ROCHS    DR    LA    NEUTRALITK    BELGE 

les  circonstances  qui  les  ont  fait  naître  ;  elles  pren- 
nent leur  pleine  valeur  par  les  expériences  qui  les 
ont  consolidées.  Il  convient  donc  de  rechercher,  en 
remontant  aux  sources  historiques,  quelles  ont  été 
les  intentions  des  Puissances  au  moment  oii  elles 
ont  proclamé  la  neutralité  de  la  Belgique,  à  quelles 
conditions  de  droit  et  de  fait  cette  neutralisation 
répondait  et  quels  enseignements  apportent  les 
événements  qui  ont  accompagné  les  débuts  du  nou- 
veau régime. 

Reportons-nous  à  la  formation  de  la  Belgique 
comme  Etat. 

I^a  Conférence  de  I^ondres  vient  de  se  mettre  d'ac- 
cord sur  la  proclamation  de  I'indépendance  du 
pays  (Protocole  du  20  décembre  1830).  Mais,  à 
l'heure  même  où  elle  reconnaît  ainsi  les  résultats  de 
la  Révolution  belge,  elle  déclare  solennellement  ne 
pas  vouloir  s'en  tenir  à  cette  reconnaissance  :  la 
séparation  de  la  Belgique  d'avec  la  Hollande  déchi- 
rait, en  effet,  un  système  politique,  pour  reprendre 
l'expression  même  des  plénipotentiaires,  je  veux 
dire  le  système  étabH  par  les  traités  de  1814  et  de 
1815. 

«  En  formant,  disent  les  plénipotentiaires,  par  les 
traités  en  question,  l'union  de  la  Belgique  et  de  la 
Hollande,  les  puissances  signataires  de  ces  mêmes 
traités  avaient  eu  pour  but  de  fonder  un  juste  équi- 
libre en  Europe  et  d'assurer  le  maintien  de  la  paix 
générale. 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  95 

)>  I^es  événements  des  quatre  derniers  mois  ont 
malheureusement  démontré  que  cet  amalgame  par- 
fait et  complet  que  les  puissances  voulaient  opérer 
entre  ces  deux  pays,  n'avait  pas  été  obtenu,  et  qu'il 
serait  désormais  impossible  à  effectuer,  qu'ainsi 
l'objet  même  de  l'union  de  la  Belgique  avec  la  Hol- 
lande se  trouve  détruit  et  que  dès  lors  il  devient 
indispensable  de  recourir  à  de  nouveaux  arran- 
gements POUR  ACCOMPLIR  ivES  INTENTIONS  à  l' exé- 
cution desquelles  cette  union  devait  servir  de  moyen. 

»  Unie  à  la  Hollande  et  faisant  partie  intégrante 
du  Royaume  des  Pays-Bas,  la  Belgique  avait  à 
remplir  sa  part  des  devoirs  européens  de  ce  royaume 
et  des  obligations  que  les  traités  lui  avaient  fait 
contracter  envers  les  autres  puissances.  Sa  séparation 
d'avec   la    Hollande   ne  saurait  la    libérer   de 

CETTE   PART    DE    CES    DEVOIRS   ET   DE    CES  OBLIGA- 
TIONS. 

»  I^a  Conférence  s'occupera  conséquemment  de 
discuter  et  de  concerter  les  nouveaux  arrange- 
ments LES  PLUS  propres  A  COMBINER  l' INDÉPEN- 
DANCE FUTURE  DE  LA  BELGIQUE  avec  les  Stipula- 
tions des  traités,  avec  les  intérêts  et  la  sécurité  des 
autres  puissances  et  avec  la  conservation  de 
l'équilibre  européen.  » 

Mais,  on  le  sait,  les  «stipulations  des  traités», 
les  M  intérêts  et  la  sécurité  des  puissances  »,  la  «con- 
servation de  l'équilibre  européen  »  apparaissaient 
id  comme  des  formules  diplomatiques,  recouvrant 


96  LE  PROCES   DE    LA    NEUTRALITÉ    BEIXiE 

un  jeu  d'influences,  de  résistances  et  de  convoitises. 
La  France,  suspecte  aux  quatre  autres  puissances, 
devait  être  contenue  dans  ses  frontières  ;  le  boule- 
vard construit  contre  elle  par  les  traités  de  18 14 
et  de  1815  par  l'union  de  la  Belgique  avec  la  Hol- 
lande venait  d'être  démoli  par  la  séparation  des 
deux  paj^s  :  on  devait  le  remplacer.  D'autre  part, 
la  France  elle-même,  désireuse  de  jeter  bas  toutes 
les  entraves  que  l'Europe  lui  avait  mises,  tendait  à 
la  création  sur  sa  frontière  du  nord  d'un  Etat 
«  confié  à  un  souverain  qui  serait  un  voisin 
commode  et  pourrait  devenir  un  allié  fidèle  )/, 
pour  reprendre  les  expressions  de  Talleyrand  (Mé- 
moires, édition  de  Broglie,  tome  III,  p.  421),  et  elle 
ne  voulait  à  aucun  prix  consentir  à  des  combinai- 
sons qui  auraient  donné  un  point  d'appui  quelconque 
à  l'Angleterre  sur  le  continent  (id.,  p.  410).  Enfin, 
l'Angleterre  ne  voyait  pas  d'un  œil  défavorable  la 
constitution  d'un  Etat  fort,  qui  fût  distinct  de  la 
Hollande,  surtout  que,  dès  le  début  des  négociations, 
elle  avait  aperçu  la  possibilité  de  remettre  les  desti- 
nées de  cet  Etat  nouveau  à  un  prince  en  qui  elle 
avait  toute  confiance,  lyéopold  de  Saxe-Cobourg. 

Les  «  nouveaux  arrangements  »  propres  à  combiner 
ces  diverses  exigences  politiques  avec  l'indépendance 
désormais  proclamée  de  la  Belgique  n'étaient  point 
aisés  à  découvrir  :  toutes  les  mesures  auxquelles 
on  s'arrêtait  «  n'étaient,  raconte  Tallej^rand,  que 
des  palliatifs  provisoires   qui   ne  tiraient  pas   des 


LE  PROCÈS  DE  LA  NEUTRALITE  BELGE  97 

dangers  permanents.  J'avais,  explique- t-il,  médité 
une  solution  pendant  plusieurs  jours,  que  je  regardais 
comme  décisive...  c'était  une  déclaration,  par  les 
puissances,  de  la  neutrai^ité  de  la  Belgique.  Je  la 
soumis  à  la  Conférence  dans  sa  séance  du  20 
janvier  1831,  oti  j'eus  la  satisfaction  de  la  faire 
adopter  et  consigner  dans  le  protocole  de  ce  jour  » 
(Tome  IV,  p.  17). 

lyC  protocole  dont  parle  Talleyrand  est  formel  : 
«  Ivcs  plénipotentiaires,  sont  unanimement  d'avis 
que  les  grandes  puissances  devaient  à  leur  intérêt 
bien  compris,  à  leur  union,  à  la  tranquillité  de  l'Eu- 
rope et  à  l'accomplissement   des   vues  consignées 
dans  leur  protocole  du  20  décembre,  une  manifesta- 
tion solennelle,   une  preuve  éclatante  de  la  ferme 
détermination  où  elles  sont  de  ne  rechercher,  dans 
les    arrangements    relatifs   à    la    Belgique,    comme 
dans    toutes    les    circonstances    qui    pourront    se 
présenter  encore,  aucune  augmentation  de  ter- 
ritoire,   AUCUNE     INFI^UENCE    EXCI.USIVE,    AUCUN 
AVANTAGE  ISOLÉ,  et  de  donner,  à  ce  pays  lui-même 
ainsi   qu'à    tous    les    Etats    qui    l'environnent,  les 
meilleures  garanties  de  repos  et  de  sécurité.  C'est 
par  suite  de  ces  maximes,  c'est  dans  ces  intentions 
salutaires  que  les  plénipotentiaires  ont  résolu,  etc..  » 
lya  Conférence  apercevait  si  nettement  la  nécessité 
de  rattacher  au  système  politique  général  de  l'Eu- 
rope l'arrangement  nouveau,  qui  était  essentielle- 
ment fondé  sur  la  double  base  de  l'indépendance  et 

NEUTRALITÉ    BELGE  T 


9^  l.K    FROChS    IJK    LA    NEUTRAUTt   BELGE 

de  la  neutralité  de  l'Ktat  nouveau,  qu'elle  réitéra 
l'affirmation  de  ses  vues  en  termes  catégoriques,  le 
19  février  1831  : 

«  I/union  de  la  Belgique  avec  la  Hollande  se 
brisa...  il  n'appartenait  pas  aux  puissances  de  juger 
des  causes  qui  venaient  de  rompre  les  liens  qu'elles 
avaient  formés.  Mais,  quand  elles  voyaient  ces  liens 
rompus,  il  leur  appartenait  d'atteindre  encore  l'objet 
qu'elles  s'étaient  proposé  en  les  formant.  Il  leur 
appartenait  d'assurer,  à  la  faveur  de  combinaisons 
nouvelles,  cette  tranquillité  de  l'Europe  dont  l'union 
de  la  Belgique  avec  la  Hollande  avait  constitué  une 
des  bases.  IvCS  puissances  y  étaient  impérieusement 
appelées.  Elles  avaient  le  droit,  et  les  événements 
leur    imposaient    le    devoir,  d' empêcher   que   i.es 

PROVINCES     BELGES,     DEVENUES     INDÉPENDANTES, 

ne  portassent  atteinte  à  la  sécurité  générale  et  a 

L'ÉQUIUBRE  EUROPÉEN... 

«  Chaque  nation  a  des  droits  particuliers,  mais 
e'europe  aussi  a  SON  droit  ;  c'est  l'ordre  social 
qui  le  lui  a  donné. 

»  I/CS  traités  qui  régissent  l'Europe,  la  Belgique 
devenue  indépendante,  les  trouvait  faits  et  en  vi- 
gueur ;  ELLE  DEVAIT  DONC  LES  RESPECTER  ET  NE 
PAS  LES  ENFREINDRE.  En  les  respectant,  elle  se  con- 
ciliait avec  l'intérêt  et  le  repos  de  la  grande  commu- 
nauté des  Etats  européens  ;  en  les  enfreignant,  elle 
eût  amené  la  confusion  et  la  guerre.  I^es  puissances 
seules  pouvaient  prévenir  ce  malheur,  et  puisqu'elles 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  99 

le  pouvaient,  elles  le  devaient  ;  elles  devaient  faire 
prévaloir  la  salutaire  maxime  que  tES  événements 

QUI  FONT  NAÎTRE  EN  EUROPE  UN  ÉTAT  NOUVEAU 
NE  I.UI  DONNENT  PAS  PLUS  LE  DROIT  d'alTÉRER 
LE    SYSTÈME      GÉNÉRAL     DANS    LEQUEL    IL    ENTRE, 

que  les  changements  survenus  dans  la  condition 
d'un  Etat  ancien  ne  l'autorisent  à  se  croire  délié 
de  ses  engagements  antérieurs.  » 

Cet  ensemble  d'actes  et  de  déclarations  donne  à  la 
neutralité  de  la  Belgique  sa  pleine  signification. 

lya  neutralité  de  la  Belgique,  c'est  un  rempart 
dressé  contre  des  ambitions  prêtes  à  se  heurter  ;  elle 
n'a  été  conçue,  reconnue  et  garantie  qu'en  vue  d'em- 
pêcher l'une  ou  l'autre  des  puissances  «  de  recher- 
cher dans  les  arrangements  comme  dans  toutes  les 
circonstances  qui  peuvent  se  présenter  encore  aucune 
influence  exclusive,  aucun  avantage  isolé  ». 

Ne  voit-on  pas,  dès  lors,  qu'elle  deviendrait  quel- 
que chose  d'incompréhensible,  d'indéfendable,  d'in- 
cohérent, si  elle  pouvait  tolérer  un  privilège  de  pas- 
sage à  travers  le  territoire  neutralisé  au  profit  de 
Tune  quelconque  des  puissances  garantes  ? 

C'est  une  neutralité  spéciale,  affirme  M.  Norden 
(p.  38),  une  neutralité  qui  n'est  pas  selon  le  sens 
usuel  et  vtdgaire  du  mot,  impénétrable  ;  c'est,  pour 
tout  dire,  une  neutralité  perméable  (p.  19). 

Du  tout  :  la  neutraHté  belge  était,  au  contraire, 
dans  la  pensée  de  ceux  qui  l'ont  formulée,  si  parfai- 


I 


loo  ih  l'Koos  t)H  i.A   nhi;ti<amtk  w.tnK 

teinent  étanche  cjue  Talleyrand  pouvait  écrire,  en 
transmettant  à  Paris  le  protocole  décisif  du  20  jan- 
vier 1831  (voir  ])lus  haut,  p.  97)  :  c  La  neutralité 
reconnue  de  la  Belgique  place  désormais  ce  pays 
dans  la  même  position  que  la  Suisse  »  (tome  IV, 
p.  19).  Et  il  définit  ailleurs  ce  que  signifie  i)Our  la 
France  cette  assimilation  :  «  La  neutralité  de  la  Bel- 
gique assurée  est,  de  Dunkerque  à  Luxembourg, 
UNE  DÉFENSE  égale  à  celle  que  nous  trouvons  de  Bâle 
à  Cliambér>^  par  la  neutralité  de  la  Suisse  »  (id.,  p.  3(S) 
Ailleurs,  encore,  il  précise  davantage  :  «  La  neutra- 
lité perpétuelle  de  la  Suisse  est  surtout  favorable  à 
la  France  qui,  entourée  de  places  fortes  sur  toutes 
les  autres  parties  de  ses  frontières,  en  est  dépour- 
vue sur  celle  qui  a  la  Suisse  pour  confins.  La  neu- 
tralité DE  CE  PAYS  LUI  DONNE  DONC,  SUr  le  seul 
point  où  elle  soit  faible  et  désarmée,  un  boulevard 

TNEXPUGNABLE.  »  (tome  II,  p.  23I.) 

Ainsi,  qu'il  s'agisse  de  la  Belgique  ou  de  la  Suisse, 
la  neutralité  permanente  entraîne  ipso  facto  l'invio- 
labilité du  territoire. 

Cela  tombe  sous  le  sens  :  si  la  combinaison  de  la 
neutralisation  n'avait  pas  eu  pour  objet  exclusif  de 
rendre  toutes  les  frontières  de  la  Belgique  infran- 
chissables, à  quoi  donc  eût-elle  bien  pu  répondre  ? 

M.  Norden  aperçoit  sans  doute  lui-même  la  fragi- 
lité de  sa  thèse,  car  il  se  demande  comment  une  neu- 
tralité qui  ne  comporterait  pas  l'inviolabilité  pour- 
rait bien  être  violée  ?  Et  il  répond  :  «  Ce  ne  pourrait 


LE  PROCES  DH  LA  NEUTRALITE  BELGE         lOI 

être  évidemment  que  par  une  agression  armée  ayant 
pour  but  de  s'emparer  de  tout  ou  partie  du  terri- 
toire ou  des  provinces  de  l'Etat  neutre  »  (p.  37). 
On  devine  où  ce  raisonnement  conduit  :  comme,  en 
août  1914,  l'Allemagne  n'avait  pas  d'intentions 
agressives  et  réclamait  seulement  le  droit  de  pas- 
sage, elle  n'a  même  pas  violé  la  neutralité  perméable 
que,  selon  M.  Norden,  les  puissances  avaient  entendu 
octroyer  à  la  Belgique  (id.). 

M.  Norden  pense-t-il  qu'en  guerre  les  mots  per- 
dent leur  signification  ?  Ce  n'est  pas  la  neutralité 
qui  serait  violée  par  une  «  agression  armée  contre  la 
Belgique»,  mais  bien  1,'indépEndance,  garantie  au 
même  titre  par  le  Traité  de  1839.  L'indépendance 
d'un  pays  est  une  chose;  sa  neutralité,  une  autre  chose, 
et  si  M.  Norden  en  vient  à  opérer  une  simple  sub- 
stitution entre  ces  deux  notions,  c'est  justement 
parce  qu'il  a,  au  préalable,  vidé  la  seconde  de  tout 
contenu  et  qu'il  l'a  réduite  à  une  pure  expression 
verbale. 

Peut-être,  me  ripostera  M.  Norden,  avez-vous 
raison  :  il  est  possible  qu'en  droit  comme  en  fait, 
la  neutralisation  de  la  Belgique  entraînât  l'in- 
violabilité de  ses  frontières,  mais  il  n'en  reste  pas 
moins  que  le  traité  définitif  diffère  des  traités 
provisoires,  précisément  par  l'omission  de  la  ga- 
rantie d'inviolabilité  ;  dès  lors,  en  fait  au  moins. 


102  LK    PROCES    DK    I.A    NHUTRAI.ITF    BP.I.GK 

les  intentions  des   puissances  ont  dû  se   modifier. 

Je  réponds  : 

Précisément,  en  fait,  cela  n'est  pas  exact,  car  peu 
de  temps  après  le  moment  oii  les  puissances  avaient 
adopté  la  rédaction  nouvelle,  divers  incidents  sur- 
girent qui  leur  fournirent  l'occasion  de  préciser 
leurs  vues. 

En  décembre  183 1,  une  convention  subsidiaire, 
dont  j'aurai  à  parler  longuement  ci-après,  provoqua 
de  la  part  du  gouvernement  français  de  très  vives 
protestations.  Or,  à  ce  propos,  M.  Casimir  Périer, 
faisant  allusion  au  cas  où  une  puissance  tenterait 
de  franchir  la  frontière  belge,  s'exprima  comme 
suit  :  «  lya  garantie  donnée  par  les  cinq  puissances 
emporte  l'union  de  quatre  contre  la  cinquième  qui 
tenterait  de  violer  l'indépendance  ou  la  neutralité 
belge.  »  Au  moment  oti  M.  Casimir  Péfier  parlait 
ainsi,  la  P'rance  se  trouvait  déjà  non  plus  devant 
le  texte  primitif  du  26  juin  1831,  mais  devant  le 
texte  modifié,  qui  avait  été  approuvé  le  15  novem- 
bre 1831  ;  elle  n'en  affirmait  pas  moins  que  la 
neutralité  belge  avait  et  ne  pouvait  avoir  d'autre 
sens  que  celui  que  la  nature  des  choses  com- 
mandait. 

Un  autre  événement  —  également  postérieur  au 
Traité  du  15  novembre  —  a  mis  en  évidence, 
avec  plus  de  netteté  encore,  que  la  neutralité  de  la 
Belgique  emportait  toujours,  dans  les  intentions  des 
puissances  signataires,   l'inviolabilité  du  territoire  : 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  IO3 

les  faits  ont  été  rappelés  en  190 1  au  Sénat  de  Belgi- 
que par  le  ministre  des  Affaires  étrangères  (séance 
du  6  juin)  : 

«  Après  i^e  traité  du  15  novembre  1831, 
disait  le  ministre,  la  Belgique  a  été  amenée  à 
recourir  à  la  garantie  qui  lui  avait  été  donnée.  A  ce 
moment,  une  partie  du  territoire  belge  était  encore 
occupée  par  les  armées  des  Pays-Bas,  et  la  cita- 
delle d'Anvers,  notamment,  était  entre  leurs  mains. 
Qu'a  fait  la  Belgique  ?  Elle  a  invoqué  la  garan- 
tie INSCRITE  DANS  I^'ART.  25  DU  TRAITÉ  DU  I5 
NOVEMBRE,  pour  obtenir  l'aide  militaire  des  puis- 
sances. Iva  France  et  l'Angleterre  se  déclarèrent 
disposées  à  prêter  leur  concours  et  l'intervention 
des  armées  étrangères  assura  le  respect  de  l'in- 
tégrité DU  TERRITOIRE  en  Ce  qui  concernait 
Anvers.  » 

Cette  intervention  des  puissances  garantes,  au 
lendemain  du  traité  de  novembre  183 1,  n'était,  au 
surplus,  que  le  renouvellement,  dans  des  condi- 
tions identiques,  d'une  première  intervention  sur- 
venue entre  le  traité  de  juin  et  celui  de  novem- 
bre. Ivcs  Pays-Bas  ayant  envahi  la  Belgique, 
la  Conférence  de  lyondres  avait  alors  approuvé 
l'emploi,  pour  un  temps  limité,  d'une  armée 
française  et  décidé  qu'une  escadre  anglaise  re- 
pousserait du  côté  de  la  mer  les  attaques  des  Hol- 
landais. 


I04  l>    PKOCHS    r)F.    I.A    NF.UTRAl.ITh    BhlX^F 

Après  novembre  1831,  comme  avant  cette  date, 
sous  l'empire  du  texte  nouveau  comme  sous  l'empire 
du  texte  primitif,  les  puissances  étaient,  on  le  voit, 
pleinement  d'accord  pour  s'opposer  par  la  force  à  la 
violation  du  territoire  belge.  Dans  toutes  les  cir- 
constances où,  postérieurement  au  changement  de 
rédaction,  les  puissances  ont  dû  manifester  par  des 
actes  la  portée  qu'elles  attriVjuaient  elles-mêmes  à 
leur  décision  solennelle,  elles  ont  attesté  que  le  texte 
nouveau  n'altérait  en  aucune  façon  la  nature  de 
leurs  obligations  et,  qu'en  proclamant  la  neutralité 
de  la  Belgique,  elles^  avaient  expressément  entendu 
tenir  ses  frontières  fermées  à  toute  invasion. 

Mais,  insistera  encore  M.  Norden,  pourquoi  donc, 
alors,  le  traité  de  novembre  a-t-il  supprimé  la 
mention  de  l'inviolabilité  territoriale  ? 

M.  Norden  a  une  explication  :  entre  juin  et 
novembre  1831,  il  est  arrivé,  dit-il  (p.  25)  que  les 
Hollandais  ont  rompu  l'armistice,  envahi  la  Belgique 
et  que  les  Belges  n'ont  pas  pu  leur  résister;  les  puis- 
sances constatant  ainsi  que  l'armée  belge  était  trop 
faible,  en  auraient  conclu  que,  si  la  France  voulait 
un  jour  faire  à  son  tour  invasion  en  Belgique,  les 
Belges  ne  pourraient  lui  opposer  une  résistance  sé- 
rieuse et  que,  dès  lors,  il  fallait  pourvoir  à  cette 
résistance  d'une  manière  effective  ;  elles  y  auraient 
pourvu  en  décidant  de  faire  revivre  à  l'égard  de  la 


LE    PROCES   DE    LA    NEUTRALITE   BELGE  IO5 

Belgique  une  ancienne  stipulation  relative  à  l'occu- 
pation de  certaines  forteresses  situées  sur  son  terri- 
toire et,  comme  cette  stipulation  devait  avoir 
comme  conséquence  de  permettre  à  la  Prusse  et  à 
TAngleterre  d'introduire  des  troupes  d'occupation, 
les  puissances  auraient  supprimé  dans  le  traité  la 
clause  relative  à  l'inviolabilité. 

On  ne  peut  refuser  à  cette  explication  une  cer- 
taine séduction  de  vraisemblance.  Mais  un  roman 
peut  aussi  être  vraisemblable  et,  dans  le  cas  pré- 
sent, nous  nous  trouvons  devant  un  roman.  Pour 
le  démontrer,  je  devrai  bien,  au  risque  d'allonger 
ma  réplique,  entrer  dans  le  détail  de  certains  faits 
historiques . 

Il  faut  se  rappeler  qu'en  1814-1815,  les  grandes 
puissances,  dans  leur  souci  d'ériger  contre  la  France 
une  barrière  effective,  avaient  décidé  de  construire 
ou  d'entretenir  au  sud  des  Pays-Bas,  c'est-à-dire  sur 
le  territoire  de  la  future  Belgique,  une  ligne  de  treize 
forteresses.  En  1818,  l'Angleterre,  l'Autriche,  la 
Prusse  et  la  Russie  avaient  réglé  l'utilisation  éven- 
tuelle de  ces  forteresses  par  un  protocole  signé  à 
Aix-la-Chapelle. 

«  lyC  système  de  la  barrière  était  rétabU  »,  dit 
R.  Dollot  dans  son  excellent  exposé  historique 
sur  Les  origines  de  la  neutralité  de  la  Belgique  et  le 
système  de  la  barrière  (p.  533).  Mais  l'existence  de 
cette  Hgne  de  forteresses  était  ressentie  par  la 
France  comme  une  humiliation  permanente  et  Tal- 


I()6  l>.    l'kOCHS    DK    I.A    NkUTRAUTh    BKLGK 

leyrand,  en  soutenant  à  la  Conférence  de  Londres 
la  neutralisation  de  la  Belgique  avait  le  ferme 
dessein  de  faire  tomber  ce  remi)art  matériel  j>our 
le  remplacer  par  un  rempart  conventionnel.  Il  ne 
s'en  était  pas  caché  dans  sa  correspondance  avec 
son  gouvernement  :  il  écrivait,  à  propos  du  proto- 
cole du  20  janvier  183 1,  dans  lequel  il  était  parvenu, 
comme  je  l'ai  expliqué  plus  haut  (p.  97),  à  faire 
insérer  la  neutralisation  de  la  Belgique  :  «  Les  treize 
forteresses  de  la  Belgique  à  l'aide  desquelles  on  me- 
naçait sans  cesse  notre  frontière  du  Nord,  tombent, 
pour  ainsi  dire,  à  la  suite  de  cette  résolution,  et  nous 
sommes  désormais  dégagés  d'entraves  importunes.  » 
(Mé77ioires,  tome  IV,  p.  19.) 

Cette  opinion  de  Talleyrand  était  partagée 
d'ailleurs,  au  moins  en  partie,  par  les  quatre  puis- 
sances intéressées  à  l'établissement  de  la  barrière 
des  forteresses,  l'Autriche,  la  Grande-Bretagne,  la 
Prusse  et  la  Russie  :  le  17  avril  1831,  elles  décla- 
rèrent, par  un  protocole  spécial,  que  «les  forteresses 
étaient  trop  nombreuses  pour  être  efficacement 
défendues  et  qu'une  partie  de  ces  forteresses,  éle- 
vées sous  des  circonstances  différentes,  pourraient 
être  démolies.  » 

Notons  attentivement  les  termes  et  aussi  la  date 
de  ce  protocole  ;  le  17  avril  1831,  c'est-à-dire  avant 
le  traité  primitif  de  juin.  Dès  ce  moment,  alors  que 
le  changement  de  rédaction  qui  inquiète  tant 
M.  Norden  n'était  pas  encore  introduit  ;  alors  que 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  IO7 

l'armée  belge  n'avait  pas  subi  les  revers  qui,  selon 
M.  Norden,  eussent  été  nécessaires  pour  appeler 
l'attention  des  plénipotentiaires  sur  ce  fait  que 
l'armée  d'un  pays  de  quatre  millions  d'habitants 
ne  serait  jamais  en  état  d'opposer  une  résistance 
sérieuse  aux  armées  de  France  ;  alors  que  rien  n'exis- 
tait diplomatiquement  en  dehors  des  déclarations  si 
claires  de  la  Conférence  en  faveur  de  la  pleine  neu- 
tralité de  la  Belgique,  —  les  quatre  puissances  inté- 
ressées déclarent  qu'il  faut  quoi  ?  raser  toutes  les 
forteresses,  comme  la  France  l'eût  souhaité  ?  Non 
pas,  mais  simplement  qu'il  sera  opportun  d'en 
supprimer  un  certain  nombre. 

Il  apparaît  donc  nettement  que  l'idée  de  conser- 
ver en  Belgique  une  partie  de  la  barrière  de  1815 
n'est,  ni  de  près  ni  de  loin,  liée  à  la  revision  du 
traité  de  juin. 

Si,  à  présent,  on  veut  bien  se  rappeler  (voir  p.  94 
et  98)  les  déclarations  répétées  et  emphatiques  par 
lesquelles  la  Conférence,  dans  ses  protocoles  du  20 
décembre  1830  et  du  19  février  1831,  a  affirmé  à  l'é- 
gard du  droit  de  l'Europe  la  stricte  nécessité  pour  la 
Belgique  désormais  indépendante  de  remplir  sa  part 
des  devoirs  et  obligations  que  sa  réunion  antérieure 
aux  Pays-Bas  lui  avait  fait  contracter,  on  devine 
aisément  l'attitude  que  les  quatre  puissances  ont 
prise  à  l'égard  de  la  Belgique.  Un  certain  nombre  de 
forteresses  devaient  subsister  ;  les  Pays-Bas  suppor- 
taient, du  chef  de  ces  forteresses,  certaines  charges 


I()8  Lh    PKOChS    Dh    LA    NKUTRAI.lTh    Bhl,GE 

déterminées  ])ar  le  protocole  d*Aix-la-Chai)elle  :  dès 
lors,  hi  Belgique  serait  substituée  aux  Pays-Bas 
dans  leurs  rapports  avec  les  quatre  puissances  quant 
aux  dites  forteresses. 

C'est  exactement  ce  qui  se  produisit.  On  négocia; 
la  Belgique  et  la  France  se  mient  d'accord  pour 
démolir  Charleroi,  Mons,  Tournai,  Ath  et  Menin. 
Dans  l'intervalle,  la  Hollande  avait  rompu  l'armis- 
tice ;  la  France  était  intervenue.  Dès  lors,  tout 
l'édifice  laborieusement  construit  se  trouve  me- 
nacé ;  les  jalousies  et  les  ambitions  à  peine  éteintes 
se  raniment  :  «  Le  jour  où  nos  troupes,  écrit 
Talleyrand  le  17  août,  ont  passé  la  frontière,  ce 
jour-là  même  a  commencé  une  réaction  dans 
l'esprit  anglais,  dont  le  Times  offre  des  symp- 
tômes frappants.  Cette  réaction  s'est  visiblement 
étendue  ;  elle  menace  essentiellement  le  cabinet 
actuel  ;  elle  devient  nationale.  »  [Mémoires,  tome  IV, 
p.   270.) 

I^a  Belgique,  de  son  côté,  est  inquiète  ;  elle  envoie 
à  Londres  un  plénipotentiaire  spécial,  le  général 
comte  Goblet  d'Alviella  ;  il  s'agit  pour  elle  d'éviter 
que  les  charges  qu'elle  va  hériter  des  Pays-Bas  au 
sujet  des  forteresses  ne  soient  incompatibles  avec 
l'indépendance  et  la  neutralité  du  pays  (voir  Goblet, 
Des  cinq  grandes  Puissances  de  l'Europe  dans  leurs 
rapports  politiques  et  militaires  avec  la  Belgique.) 
Au  cours  des  négociations  de  Londres,  des  modifica- 
tions sont  apportées  au  projet  franco-belge  ;  on  sub- 


LE   PROŒS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  IO9 

stitue  notamment,  parmi  les  places  à  démanteler, 
Philippeville  etMariembourg  à  Charleroi  et  Tournai. 

I^a  France  se  fâche,  son  gouvernement  est  vive- 
ment indisposé  par  la  pensée  qui  inspire  les  quatre 
autres  cours  ;  toute  apparence  de  restauration  du 
système  défensif  de  1815  soulève  chez  elle  les  plus 
grandes  susceptibilités.  Le  roi  lyOuis-Philippe  écrit 
à  Talleyrand  que  jamais  il  n'aurait  accepté  la  neu- 
tralité perpétuelle  de  la  Belgique,  s'il  n'avait  pas  cru 
que  les  forteresses  érigées  pour  menacer  la  France 
seraient  démolies.  (Mémoires,  tome  IV,  p.  364.) 

Enfin,  on  aboutit.  Le  14  décembre  183 1,  un  accord 
spécial,  dit  «  convention  des  forteresses  »  est  signé, 
qui  stipule  les  forteresses  à  démanteler  et  à  conser- 
ver ;  mais  craignant  que  la  véhémente  opposition 
de  la  France  ne  compromette  le  succès  de  ces  labo- 
rieuses négociations,  les  plénipotentiaires  des  quatre 
puissances  autres  que  la  France  ne  font  pas  figurer, 
dans  la  convention,  l'article  qui  pourrait  déchaîner 
des  colères  et  ils  en  font  l'objet  d'une  clause  secrète, 
—  à  laquelle  la  Belgique  adhère  par  la  force  des  cho- 
ses, puisqu'elle  est  substituée  aux  Pays-Bas. 

C'est  cette  clause  secrète,  dont  l'existence  a  été 
révélée  en  1864,  qui  est  pour  M.  Norden  le  nœud 
du  roman  qu'il  a  construit  :  là  se  trouve,  prétend- 
il,  la  consécration  de  la  servitude  de  passage  im- 
posée à  la  Belgique.  Or,  si  l'on  consulte  le  texte, 
on  aperçoit  que  c'est  exactement  le  contraire  qui 
est  vrai  :  la  clause  secrète  libère  la  Belgique  de 


I  :o 


I.H    PKOOES    Dk    LA    NhUlKALITk    BKl.GË 


toute  obligation  incompatible  avec  sa  neutralité. 
M.  Norden  s'est  abstenu  de  donner  ce  texte  :  je  le 
reproduis  ci-dessous,  en  mettant  en  regard  le  texte 
du  protocole  d'Aix-la-Chapelle,  (^ui  précisait  les 
charges  imposées  aux  Pays-Bas,  et  en  soulignant 
les  passages  essentiels  : 


ClvAUSE  SECRÈTE. 

*  Il  est  bien  entendu  que 
S.  M.  le  Roi  des  Belles  suc- 
cède à  tous  les  droits  que 
S.  M.  le  Roi  des  Pays-Bas 
exerçait  sur  les  forteresses 
élevées,  réparées  ou  éten- 
dues dans  la  Belgique  en 
tout  ou  en  partie  aux  frais 
des  Cours  d'Autriche,  de 
Prusse  et  de  Russie  et  qui 
doivent  être  conservées  en 
vertu  de  la  clause  patente 
de  ce  jour.  Il  est  également 
entendu  qu'à  l'égard  de  ces 
forteresses  S.  M.  le  Roi  des 
Belges  se  trouve  placé  dans 
la  position  où  se  trouvait  le 
Roi  des  Pays-Bas  envers  les 
quatre  Cours  ci  dessus  nom- 
mées, sauf  les  obligations 
gu'ihiposera  à  S.  M.  le  Roi 
des  Belges  et  aux  quatre 
Cours  elles-mêmes  la  neutra- 
lité perpétuelle  de  la  Belgique. 

En  conséquence  dans  le 
cas  où  par  malheur  la  sécu- 
rité des  forteresses  dont  il 
est  question  viendrait  à  être 
compromise,  S.  M.  le  Roi 
des  Belges  concerterait  avec 
les  Cours  d'Autriche,  de  la 
Grande-Bretagne,  de  Prusse 
et  de  Russie  toutes  les  me- 
sures que  réclamera  la  con- 
servation de  ses  forteresses 
toujours  sous  la  réserve  de  la 
neutralité  de  la  Belgique.  » 


Protocole 
d'Aix-i^-Chapelle. 

«  Messieurs  les  plénipoten- 
tiaires ont  discuté  easuite 
les  moyens  de  fournir  à  ces 
forteresses  les  gamisf^ns  né- 
cessaires, le  cas  de  guerre 
échéant  et  la  guerre  se  por 
tant  dans  les  Pays-Bas  et, 
vu  que  les  établissements 
militaires  de  ce  royaume 
n'ont  jamais  pu  être  formés 
pour  la  défense  exclusive 
d'un  pays  dont  la  défense 
intéresse  à  un  si  haut  degré 
toutes  les  puissances,  il  a  été 
convenu  ae  recommander  à 
Sa  Majesté  le  Roi  des  Pays- 
Bas  de  faire  occuper,  le  casus 
fœderis  ayant  été  déclaré, 
les  forteresses  d'Os  tende, 
Nieuport,  Ypres  et  celles 
situées  sur  l'Escaut,  à  l'ex- 
ception de  la  citadelle  de 
Tournai  et  de  la  place  d'An- 
vers, par  les  troupes  de  Sa 
Majesté  britannique,  et  les 
citadelles  de  Huy,  Namur  et 
Dinant,  ainsi  que  les  places 
de  Charleroi,  Mariembourg 
et  Philippe  ville  par  les  trou- 
pes de  Sa  Majesté  prus- 
sienne. » 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  1  I  I 

Les  différences  sautent  aux  yeux. 

Désormais  il  n'est  plus  question,  parmi  les  obliga- 
tions des  Pays-Bas  qui  seront  dévolues  à  la  Belgique, 
que  de  celles  que  tolérera  la  neutralité  du  pays  :  c'est 
pourquoi  i.'on  renonce   explicitement   a  faire 

OCCUPER  I.ES  FORTERESSES  PAR  LA  PRUSSE  ET 

L'ANGLETERRE  et  l'on  se  borne  à  dire  que  le  roi  des 
Belges  «  concertera  avec  les  quatre  Puissances  toutes 
les  mesures  que  réclamera  la  conservation  des  places 
fortes  »  —  et  ce,  non  point  encore  en  cas  de  guerre 
commune  contre  la  France  (casus  fœderis),  mais 
dans  le  cas  où  «  par  malheur,  la  sûreté  des  forteresses 
viendrait  à  être  compromise  ».  Fait  caractéristique, 
au  moment  de  signer  au  nom  de  la  Belgique,  le 
général  Goblet  adressa  aux  quatre  plénipotentiaires 
une  note  qui  précisait  ces  points  ;  les  plénipotentiai- 
res lui  en  donnèrent  acte  dans  un  protocole  spécial. 

En  résumé  : 

ce  n'est  pas  à  la  suite  de  l'invasion  de  la  Belgi- 
que par  la  Hollande  que  la  question  des  forteres- 
ses a  été  sotdevée  ;  c'est  en  conformité  des  décla- 
rations constantes  de  la  Conférence  ; 

on  n'a  pas,  au  moment  de  la  rédaction  abrégée  de 
novembre  1831,  voulu  faire  revivre  une  ancienne 
clause,  que  l'on  aurait,  en  juin,  eu  l'intention  de 
laisser  dans  l'oubli  ;  car  dès  le  mois  d'avril  on  en 
avait  prévu  l'adaptation  au  régime  nouveau  de  la 
Belgique  ; 


112  Ih    l'KOt:hS    Dh    I.A    NhUTKAI.iri.    BKI.Cih 

loin  (le  vouloir  affail^lir  la  garantie  de  la  pleine 
neutralité  de  la  Belgique  par  quelque  condition 
pouvant  entraîner  la  violation  éventuelle  du  terri- 
toire, on  a  expressément  et  catégoriquement  su- 
bordonné toute  mesure  quelconque  concernant  les 
forteresses  au  respect  de  cette  neutralité  ; 

non  seulement  la  convention  des  forteresses  et  sa 
clause  secrète  ne  donnaient  pas  à  l'Allemagne  le 
droit  d'occuper  un  millimètre  carré  de  la  Belgique, 
mais  on  avait  précisément  dans  la  clause  secrète 
supprimé  toute  allusion  à  une  occupation  quel- 
conque ; 

loin  de  charger  la  Belgique  d'une  servitude  de 
passage,  les  arrangements  de  novembre  1831  con- 
sacraient définitivement  le  statut  politique  de  la 
Belgique,  Etat  indépendant,  perpétuellement 

NEUTRE,  PERPÉTUELLEMENT  INVIOLABLE,  GARANTI 
DANS  SON  INDÉPENDANCE,  SA  NEUTRALITÉ  ET  SON 
INVIOLABILITÉ  PAR  l' ENGAGEMENT  FORMEL  DE 
CINQ  PUISSANCES. 

Telle  est  la  vérité  de  l'histoire  —  «  cette  grande 
indiscrète  »  comme  dit  M.  Norden. 

Il  reste  encore,  pour  être  complet,  à  expliquer 
comment  il  se  fait  que,  le  15  novembre  1831,  la 
Conférence  de  Londres  a  adopté  un  autre  texte 
que  celui  du  26  juin. 

Aucun  document,  aucun  rapport  diplomatique  ne 
permettent  de  présumer  que  cette  modification  ait 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  II 3' 

été  intentionnelle  :  elle  apparaît  simplement  comme 
une  mise  au  point  de  rédaction. 

En  effet,  la  formule  sur  laquelle  l'accord  entre  les 
plénipotentiaires  s'était  établi  le  26  juin  1831 
(Traité  des  Dix-Huit  articles)  s'inspirait  visiblement 
de  celle  qui,  dans  le  Traité  de  Vienne  du  20 
novembre  1815,  avait  reconnu  la  neutralité  de  la 
Suisse,  revendiquée  par  les  délégués  de  ce  pays 
comme  une  tradition  nationale. 
En  1815,  on  avait  dit  : 

«  lyCS  puissances  font  une  reconnaissance  formelle 
et  authentique  de  la  neutralité  perpétuelle  de  la 
Suisse  et  elles  lui  garantissent  l'intégrité  et  l'invio- 
labilité dans  ses  nouvelles  limites.  lycs  puissances  re- 
connaissent authentiquement  que  la  neutralité  et 
l'inviolabilité  de  la  Suisse  et  son  indépendance  de 
toute  influence  étrangère  sont  dans  les  vrais  intérêts 
de  la  politique  de  l'Europe  entière.  » 
En  1831,  on  disait  : 

«  Art.  9.  —  lya  Belgique,  dans  ses  limites  telles 
qu'elles  seront  tracées  conformément  aux  principes 
posés  dans  les  présents  préliminaires,  formera  un 
Etat  perpétuellement  neutre.  Les  cinq  puissances, 
sans  vouloir  s'immiscer  dans  le  régime  intérieur 
de  la  Belgique,  lui  garantissent  cette  neutralité 
perpétuelle,  ainsi  que  l'intégrité  et  l'inviolabilité 
de  son  territoire  dans  les  limites  mentionnées  au 
présent  article.  » 

Ce  rapprochement  n'a  rien  de  surprenant  :  l'un 

NEUTRALITÉ   BELGE  8 


I 


114  IH    PROCHS    DE    LA    NFUTRALITF.    BELGE 

des  principaux  artisans  de  la  neutralisation  de  la 
Belgique,  Talleyrand,  a,  je  l'ai  rappelé  plus  haut 
(p.  loo),  toujours  eu  en  vue  de  placer  la  Belgique 
dans  la  même  situation  que  la  Suisse  quant  aux 
effets  de  la  neutralité  dans  l'ensemble  du  système 
politique  de  l'Europe. 

Mais,  cinq  mois  plus  tard,  en  novembre,  on  dut 
soumettre  le  traité  à  une  refonte  générale,  parce 
que  les  Pays-Bas  refusaient  de  l'approuver,  notam- 
ment en  raison  des  sacrifices  territoriaux  qu'il 
leur  imposait.  Dans  cette  refonte,  l'article  9  dis- 
^  parut  comme  article  autonome   et  les  stipulations 

'^  qu'il  énonçait  firent  l'objet  de  deux  articles  nou- 

o  veaux,  a  savoir  : 

LU  C 

:;<^  «  Art.  7.  —  La  Belgique,  dans  les  limites  indiquées 

f  aux  art.  i,  2  et  4,  formera  un  Etat  indépendant  per- 

r 

t  pétuellement  neutre.  Elle  sera  tenue  d'observer  cette 

:  J  même  neutralité  envers  tous  les  Etats.  » 


»  Art.  25.  —  lycs  Cours  d'Autriche,  de  France,  de 
la  Grande-Bretagne,  de  Prusse  et  de  Russie  garan- 
tissent à  S.  M.  le  Roi  des  Belges  l'exécution  de  tous 
les  articles  qui  précèdent.  » 

Dans  la  nouvelle  rédaction,  on  a  visiblement  le 
souci  d'affirmer  que  la  garantie  donnée  par  les 
puissances  à  la  Belgique  s'étend  à  la  totalité  des 
stipulations,  qu'elle  recouvre  tous  les  aspects,  tous 


LE    PROCÈS    DE    LA   NEUTRALITE    BELGE  I  1 5 

les  attributs  de  l'Etat  nouveau  :  sa  souveraineté, 
son  indépendance,  sa  neutralité,  ses  limites  ;  on 
rejette,  à  cet  effet,  la  clause  de  garantie  à  la  fin 
de  la  rédaction  (art.  25),  et  l'on  dissocie  la  formule 
du  début,  qui  était  inspirée  du  précédent  de  181 5. 
Il  eût  été  pratiquement  impossible  d'introduire, 
dans  la  rédaction  nouvelle,  l'expression  «  inviolable  » 
à  l'art.  7,  car  l'inviolabilité  ne  peut  être  évoquée 
qu'au  moment  où  il  s'agit  de  la  garantir  ;  l'in- 
violabilité n'existe  pas  en  soi,  elle  ne  peut  être, 
comme  la  neutralité  et  l'indépendance,  un  attribut 
spécial  d'un  Etat  ;  on  ne  se  représente  donc  pas 
l'art.  7  rédigé  comme  suit  :  «  I^a  Belgique  formera 
un  Etat  indépendant,  inviolable  et  perpétuellement 
neutre  !  »  D'autre  part,  il  était  superflu  d'introduire 
l'expression  «  inviolable  »  dans  l'art.  25,  car  il  n'y 
avait  pas  l'ombre  d'une  raison  pour  mettre  ici  en 
évidence  cet  aspect  particulier  de  la  souveraineté 
de  l'Etat  nouveau,  puisque  tous  les  articles  du 
traité  se  trouvaient  expressément  garantis,  sans 
en  excepter  ceux  qui  traçaient  les  limites  du  ter- 
ritoire :  or,  qu'est-ce  que  garantir  des  limites, 
sinon  garantir  en  même  temps  leur  inviolabilité  ? 
La  rédaction  de  novembre  apparaît  donc  comme 
tout-à-fait  équivalente  à  celle  de  juin. 

De  tout  l'exposé  de  M.  Norden,  il  ne  demeure 
donc  littéralement  rien  qu'une  tentative  attristante 
de  semer    la  méfiance  parmi  les   Belges  au  milieu 


Q 

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S: 

>». 

C) 


llb  I-E    l'ROChS    DE    LA     NhUTKALlTh    BELGE 

desquels  il  habite  et  le  doute  parmi  les  neutres, 
qui  subordonnent  leurs  sympathies  pour  la  Belgique 
à  la  certitude  que  la  violation  de  sa  neutralité  a  été 
effectivement  un  acte  contraire  à  des  engagements 
formels,  sanctionnés  par  des  traités. 


Dernières  paroles. 

Parmi  les  accusations  dont  on  persiste  à  charger 
la  Belgique,  il  s'en  trouve  qui  sont  si  puériles  que 
l'on  éprouve  une  sorte  de  gêne  à  devoir  les  réfuter. 
On  reste  déconcerté  devant  une  publication  comme 
celle  de  M.  Grasshoff  {Belgiens  Schuld,  citée  plus 
haut  p.  6i),  où  véritablement  les  droits  de  la  logi- 
que et  du  bon  sens  sont  ignorés. 

Pour  démontrer  que  «  la  Belgique  avait  violé  sa 
neutralité  bien  longtemps  avant  qu'un  seul  soldat 
allemand  n'eût  foulé  son  territoire  »  (p.  6),  M.  Grass- 
hoff  se  contente,  dit-il,  «  de  deux  faits  d'une  impor- 
tance qui  défie  toute  casuistique  »  (p.  7).  J'ai  déjà 
relevé  le  premier  :  grief  au  gouvernement  belge 
d'avoir  favorisé  l'Angleterre  d'un  monopole  d'infor- 
mations militaires  (voir  p.  63  et  suiv.).  Voici  le 
second  :  «  Avant  l'entrée  obligée  des  troupes 
allemandes  en  Belgique  le  4  août  19 14,  ce  pays 
avait  ouvert  déjà  sa  frontière  aux  Français  :...  les 
PREUVES  à  cet  égard,  dit  l'auteur,  sont  conci^uan- 
TES  »  (p.  7  et  II).  Quelles  sont  ces  preuves? 

Un  Allemand,  séjournant  en  Belgique  comme  mar- 
chand et  comme  ouvrier,  a  vu  le  dimanche  26  juillet 


IlR  I.K    l'ROCFS    DK    LA    NRUTRAI.ITK    BHl.GH 

deux  officiers  français  et  un  officier  anglais  à  Bruxel- 
les ;  il  a  rencontré  le  29  juillet  huit  soldats  français 
et  «  a  entendu  dire  que  c'étaient  des  artilleurs  »  ;  du 
29  juillet  au  2  août,  il  a  vu  un  aéroplane  au-dessus 
de  Bruxelles,  «  c'était  un  biplan  français  à  son  idée 
il  le  croit  parce  qu'en  1910  il  a  vu  beaucoup  d'appa- 
reils français  au  concours  d'aviation  à  Bruxelles  » 
(p.  12).  —  Deux  personnes,  dont  le  nom  n'est  pas 
donné,  déclarent  que  «  d'après  l'affirmation  des 
habitants  de  trois  localités  belges  de  la  région  du 
nord  de  Lille,  la  mobilisation  de  l'armée  belge  a  été 
proclamée  dans  les  villages  dès  le  30  juillet  1914,  et 
que  des  patrouilles  françaises  ont  franchi  la  frontière 
le  i®^  août  pour  se  réunir  aux  patrouilles  belges 
(p.  13).  —  Un  soldat  français  prisonnier,  du  8^  hus- 
sards, a  déposé  que  son  régiment  avait  passé  la  fron- 
tière belge  le  2  août,  se  dirigeant  sur  Bouillon  (p.  14); 
un  autre,  du  21^  dragons,  sans  fixer  de  date,  dit 
qu'il  est  entré  en  Belgique  le  lendemain  de  la  mobili- 
sation française  (id.)  ;  un  troisième,  du  28^  dra- 
gons, certifie  que  la  frontière  a  été  franchie  le 
31  juillet  au  soir  (p.  15).  —  Je  laisse  de  côté  l'inof- 
fensive  information  d'un  journal  belge,  qui  s'est 
borné  à  annoncer  le  30  juillet  «d'importants  mou- 
vements de  troupes  françaises  ce  jour-là  à  la  fron 
tière,  ainsi  que  le  départ  de  sept  trains  militaires 
spéciaux,  partis  le  28  juillet  de  Charleville  à  desti- 
nation de  la  frontière  »  (p.  17). 

J'ai  déjà  répondu  aiix  déclarations  de  civils  con- 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 


119 


cernant  la  présence  d'officiers  et  de  soldats  français 
dans  les  rues  de  Bruxelles  avant  le  3  août  1914  (La 
Belgique  neutre  et  loyale,  p.  143  à  147),  et  j'ai  conclu 
alors  en  ces  termes  :  «  Je  ne  veux  pas  prétendre  que 
les  témoins  dont  on  rapporte  les  déclarations  n'aient 
pas  dit  ce  qu'ils  croient  être  la  vérité  :  divers  faits 
qui  sont  à  ma  connaissance  me  portent  plutôt  à 
penser  que  des  méprises  se  sont  produites.  »  (p.  146.) 
Il  y  a  eu,  d'ailleurs,  plus  que  des  méprises  :  le 
gouvernement  français  a  pris  la  peine  de  faire 
recueillir  à  Bruxelles,  à  Iviége  et  à  Namur  de  ren- 
seignements précis,  qui  établissent  que  «  les  témoi- 
gnages invoqués  fourmillent  d'erreurs  grossières  et 
d'inexactitudes  plus  ou  moins  volontaires.  »  (Voir 
Livre  gris,  II,  no  118,  2®  et  3®  annexes). 

La  question  de  la  présence  de  militaires  français 
dans  les  rues  de  certaines  villes  belges  avant  les 
hostilités  est  aujourd'hui  tranchée  :  il  serait  puéril 
d'y   revenir. 

Mais,  parmi  les  déclarations  rapportées  par  M. 
Grasshoff,  il  en  est  trois  qui  ont,  je  le  sais,  produit 
une  réelle  impression  chez  les  neutres  :  je  veux 
parler  des  allégations  des  trois  soldats  français 
prisonniers  en  Allemagne.  Je  suis  aujourd'hui  en 
mesure   d'y   répondre. 

lyC  Grand  Quartier  Général  des  armées  françaises 
de  l'Est  a  eu  la  complaisance  de  préciser,  à  ma  de- 
mande, d'une  façon  formelle  et  décisive,  quels  ont 
été  les  cantonnements  effectifs  des  unités  françaises 


120  LE    PROCES    DE    LA    NhUTRAI.ITh     BEIGE 

accusées  d'avoir  traversé  la  frontière  belge  avant 
l'appel  fait,  le  4  août,  par  la  Belgique  au  concours 
militaire  des  nations  garantes.  Le  rapport  du  Grand 
Quartier  Général,  que  je  reproduis  ci-après,  rax)pelle 
d'abord  les  ordres  donnés  au  début  de  la  campagne 
par  le  haut  commandement  français  en  exécution 
des  instructions  du  gouvernement  de  la  Répu- 
blique. 

IvE  4  AOUT,  le  Ministre  de  la  Guerre  écrivait  : 

«  Iv' Allemagne  va  tenter  par  de  fausses  nouvelles 

de  nous  amener  à  violer  la  neutralité  belge.  //  est 

^1  interdit  rigoureuse^nent  et  de  la  manière  la  plus  for- 

g  melle,  jusqu'à  ce  qu'un  ordre  contraire  soit  donné,  à 

u  toutes  nos  troupes,  de  pénétrer,  même  par  des  patrouil- 

o 

les  ou  de  simples  cavaliers  sur  le  territoire  de  la  Bel- 
gique, ainsi  qu'à  tout  aviateur  de  survoler  ce  terri- 
toire. Un  ordre  contraire  ne  sera  d'ailleurs  donné  que 
lorsque  le  G.  Q.  G.  se  sera  entendu  avec  le  gouver- 
nement belge.  —  Signé  :  Messimy.  » 

Le  5  AOUT  seulement,  après  entente  réalisée 
AVEC  I.E  GOUVERNEMENT  BELGE,  le  Général  en  chef 

AUTORISAIT    LES    RECONNAISSANCES    DE    CAVALERIE 

A  PÉNÉTRER  EN  TERRITOIRE  BELGE,  et  leur  ordon- 
nait de  s'y  comporter  comme  en  pays  ami  et 
allié. 

Enfin,  c'est  LE  même  jour,  5  août,  a  19  heures, 
qu'ordre  était  donné  par  le  Général  en  chef  au  corps 
de  cavalerie  (région  de  Charle\411e)  et  à  la  ...  ®  di- 
vision   de    cavalerie    (région    de    Mangiennes),    de 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  12  1 

franchir  la  frontière  i,E  i^endemain  6  août   et  de 
se  porter  vers  Neufchâteau  ^. 

Mais  il  y  a  plus  :  l'examen  des  déclarations  invo- 
quées par  M.  Grasshoff  fait,  comme  on  va  le  voir,  res- 
sortir des  inexactitudes  de  dates,  des  confusions  de 
noms  et  des  erreurs  de  fait  qui  leur  enlèvent  défi- 
nitivement toute  valeur.  Je  donne  la  parole  au 
Grand  Quartier  Général  : 

Le  cavalier  Julien  Requet,  du  8^  régiment  de  hussards 
aurait  prétendu  que  son  régiment,  arrive  à  La  Neuville-aux- 
Toumeurs  dans  la  nuit  du  31  juillet  au  i^^  août,  y  aurait 
séjourné  deux  jours,  puis  se  serait  rendu  à  Donchery  et  de  là 
à  Bouillon  ;  il  y  aurait  franchi  la  frontière  «le  2  août  19 14, 
vers  5  heures  de  l'après-midi  ».  A  Bouillon,  le  8»^  hussards 
aurait  rejoint  le  3^  régiment  de  hussards,  ainsi  que  les  23  et 
27  e  dragons,  qui  auraient  franchi  la  frontière  «  vers  le  même 
temps  ». 

La  division  à  laquelle  appartenait  le  8^  hussards  faisait 
partie  du  corps  de  cavalerie.  Cette  division  est  bien  arrivée 
le  matin  du  i^f  août  dans  ses  cantonnements  de  concentra- 
tion (région  Aubenton-Rmnigny),  mais  elle  y  est  demeurée 
les  2,  $  et  4  août. 

En  particulier,  la  brigade  légère  à  laquelle  appartenait  le 
8 6  hUvSsards  a  cantonné  pendant  ces  trois  jours  dans  la  région 
Girondelle-Foulzy-Cuvillers-La  Neuville-aux-Tourneurs  (S.  O 
de  Rocroi). 

Conformément  aux  déclarations  du  cavalier  Requet,  cette 
brigade  s'est  ensuite  portée  sur  Donchery  ;  cette  marche  a 
eu  heu  le  5  août  ;  le  5  août  au  soir,  elle  a  cantonné  dans  la 
zone  Donchery,  le  Dancourt,  Vrigne-sur-Meuse. 

C'est  dans  la  journée  du  6  août  que  la  brigade  s'est  portée 
de  Donchery  sur  Bouillon  par  Saint  Menges  et  Corbion  ;  c'est 
donc  dans  la  matinée  de  ce  jour  et  non  pas  le  2  août,  que  la  fron- 
tière a  été  passée. 

Le  3«  hussards  auquel  il  est  fait  allusion  dans  l'affirmation 
du  cavalier  Requet,  formait  brigade  avec  le  8^  hussards  ;  il 
a  stationné  et  fait  mouvement  avec  ce  régiment  du  i^^  au 
6  août. 

Quant  aux  23e  et  27 «  dragons,  ils  faisaient  partie~d'une 


^  La  Note  adressée  par  l'Allemagne  au  Gouvernement  belge 
est  du  2  août  ;  la  violation  du  territoire  belge  par  les  troupes  alle- 
mandes et  l'appel  de  la  Belgique  aux  Puissances  Alliées,  du  4  août. 


122  I.l.    PROCKS    DK    I.A    NEUTRALITE    BELGE 


autre  division  du  corps  de  cavalerie,  la(juelle  a  quitté  le  6  aoi 
la  région  de  Charleville  et  s'est  portée  ce  jour-là  vers  Paliseï 


août 
Paliseul 
par  Givonue  et  liouillon,  franchissant  ainsi  la  frontière  belge 
à  la  mcnic  date  que  le  8'-  hussards. 

I/C  cavalier  Recjuet  a  pu  effectivement  croiser  ces  régi- 
ments à  Bouillon,  mais  pas  à  la  date  qu'il  indique. 

En  définitive,  le  cavalier  Requet  a  rapporté  des  faits  qui 
paraissent  exacts,  mais  dont  les  dates  sont  erronées. 

Ivn  outre,  certains  points  de  cette  déclaration  sont  ambi- 
gus ;  si  son  régiment  est  arrivé  à  La  Neuville  dans  la  nuit  du 
31  juillet  au  i^"'  août  et  y  a  séjourné  "  deux  jours  n,  s'il  a  fait 
ensuite  étape  sur  Donchery  (50  km.),  puis  sur  Bouillon,  com- 
ment a-t-il  pu  pénétrer  en  Belgique  le  2  août  ? 

Le  cavalier  Bailly  du  2i«  dragons  aurait  rapporté  que  le 

lendemain  du  jour  où  la  mobilisation  fut  annoncée  à  Ilirson, 

son  régiment  avait  quitté  ses  cantonnements  de  couverture 

(région  de  Bossus)  et  avait  franchi  la  frontière  belge  pour 

atteindre  Bouillon  le  même  jour.  Le  5^' dragons  et  plusieurs 

<^  régiments  de  cuirassiers,  \'tis  par  le  cavalier  Sailly  à  Bouillon, 

^*  auraient  franchi  la  frontière  à  la  même  date.  Ces  régiments 

^  auraient,  par  suite,  pénétré  en  Belgique  le  2  août. 

Le  21  <^  et  le  56  dragons  constituaient  une  brigade  appar- 
^J  tenant  à  la  même  division  que  le  8^  hussards,  visé  plus  haut. 

Toute  la  division  ayant  fait  mouvement  à  la  fois,  ce  qui  a 
^  C.  été  dit  pour  le  8^  hussards  s'applique  d'une  façon  générale 

c>^-  aux  21^  et  3  e  dragons. 

^  "^  Arrivée  le  i^^  août  à  ses  emplacements  de  couverture,  cette 

K  brigade  a  cantonné  les  i,  2,  3  <?^  4  août  dans  la  région  Auben- 

S  ton,   Hannapes,   Bo.ssus-lès-Rumigny,   ^Vntheny. 

r.'  .;  Le  s,  elle  s'est  portée  sur  Doncher\^  en  même  temps  que  la 

:  f  brigade  de  hussards  et  a  cantonné  dans  la  région  Vrigne-aux- 

BoivS,  Vivier-au-Court,  Issancourt,  Lûmes,  Villers.  Le  6  août 
seulement,  elle  a  fait  mouvement  vers  Bouillon  dans  les 
mêmes  conditions  que  la  brigade  de  hussards. 

Deux  erreurs  doivent  donc  être  relevées  dans  l'affirmation 
du  cavalier  Bailly  : 

Une  erreur  de  date  :  le  21  ^  dragons  n'a  pas  quitté  ses  can- 
tonnements de  couverture  le  lendemain  du  jour  où  la  mobi- 
lisation a  dû  être  connue  à  Hirson,  mais  trois  jours  plus  tard 
(5  août)  ; 

Une  erreur  de  fait  :  ce  régiment  ne  s'est  pas  porté  directe- 
ment de  Bossus  vers  Bouillon,  mais  bien  vers  Lûmes,  Vrignes- 
aux-Bois,  Issancourt,  région  qu'il  a  quittée  le  lendemain 
6  août  pour  se  rendre  à  Bouillon.  L'étape  du  5  août  est 
oubliée  dans  la  déposition  du  cavalier  BaiUy. 

D'après  le  cavaUer  Cochard  du  28®  dragons,  la  brigade 
formée  par  les  28^  et  30^  dragons  aurait  quitté  Sedan,  sa 
garnison,  le  31  juillet  au  matin,  se  serait  d'abord  portée  sur 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 


123 


Mouzon  où  elle  serait  arrivée  vers  midi,  puis  se  serait  rendue 
dans  la  soirée  du  même  jour  par  Bazelles  et  La  Chapelle  à 
Bouillon,  où  le  28®  dragons  serait  entré  le  31  juillet  à  10  heu- 
res du  soir. 

I^e  lendemain,  i  er  août,  la  brigade  serait  allée  de  Bouillon 
vers  Arlon  par  Florenville,  Bellefontaine  et  Sainte  Marie, 
«  ayant  fait  le  i^^'  août  plus  de  40  km.  dans  la  direction  de 
l'Kst,  exclusivement  sur  territoire  belge.  » 

Le  28^  dragons  aurait  cantonné  le  i®^  août  au  soir  à  Saint 
Laurent  près  Arlon. 

Kntre  Bouillon  et  Florenville,  la  brigade  aurait  croisé  en 
territoire  belge  le  4®  hussards  et  les  3®  et  6<^  cuirassiers. 

Cette  déclaration  qui  tendrait  à  démontrer  que  toute  la 
division  à  laquelle  appartenait  le  28^  dragons  se  trouvait 
en  territoire  belge  dès  le  i  ^^  août,  est  dénuée  de  toute  vérité. 

Bn  effet,  la  brigade  constituée  par  les  28 «  et  30^  dragons  a 
bien  quitté  Sedan  le  31  juillet  par  la  grand'route  de  Mouzon 
mais  elle  a  poursuivi  sa  route  par  Stenay  et  Jametz  pour 
gagner  ses  cantonnements  de  couverture  sur  l'Othain.  L'es- 
cadron auquel  appartenait  le  cavalier  Cochard  a  bien  été 
arrêté  au  passage  à  Mouzon  pour  y  attendre  l'arrivée  du 
groupe  à  cheval  de  la  division  venant  de  Charleville  et  l'es- 
corter à  destination.  Mais  il  a  continué  sa  route,  avec  ce 
groupe,  dans  la  soirée  du  31  juillet  et  est  venu  cantonner  à 
Stenay.  Le  lendemain  matin,  il  a  rejoint  la  division  dans  ses 
cantonnements.  Pas  plus  que  le  gros  du  régiment,  cet  esca- 
dron n'est  revenu  sur  Sedan  le  jour  où  il  en  avait  quitté  sa 
garnison. 

La  brigade  est  arrivée  sm*  l'Othain  le  31  juillet  vers  22  heu- 
res. Le  28e  dragons  a  cantonné  à  Saint-Laurent-sur-Authain 
(18  km.  S.  B.  de  Montmedy),  le  3<^  dragons  à  Pillon  (5  km. 
S.  B.  de  Saint-Laurent). 

Ces  deux  régiments  n'ont  pas  quitté  leurs  cantonnements 
jusqu'au  6  août  matin  ;  pendant  toute  cette  période  les  avant- 
postes  n'ont  pas  dépassé  l'Othain. Le  6  août,  la  division  se  met- 
tait en  marche  et  pénétrait  en  Belgique  par  Montmedy,  Thouelle, 
Avioth,  Fagny,  Bellefontaine.  Le  28®  dragons  formait  l'avant- 
garde  de  la  division  et  prenait  en  fin  de  marche  les  avant- 
postes  sur  la  Semoy  à  Breuvanne  (15  km.  N.  de  Virton)  ; 
ie  30^  dragons  cantonnait  à  Tintigny  (S.  B.  de  Breuvanne). 

Les  deux  régiments  de  cuirassiers  que  le  cavaUer  Cochard 
a  prétendus  avoir  rencontrés  le  i^^  août  entre  Bouillon  et 
Florenville  étaient  eux-mêmes  à  cette  date  en  cantonnement 
sur  l'Othain. 

Le  36  cuirassiers  a,  en  effet,  quitté  Vouziers,  sa  garnison,  le 
31  juillet  dans  l'après-midi  et  est  venu  cantonner  ce  jour-là 
à  BrieuUes  sur  Meuse  (5  km.  S.  de  Dmi).  Le  lendemain,  il 
s'est  rendu  à  Mangiennes  en  Woevre,  où  il  est  resté  jusqu'au 
6  août  matin,  date  à  laquelle  il  s'est  porté  en  Belgique,  a  Ja- 


124  Lh    l'ROCHS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE 

inoij^ne  (lo  km.    Ivst  de  l'iorenville)  par  le  même  itinéraire 
(jue  les  28«et  30»  dragons. 

Quant  au  6^  cuirassiers,  il  a  fait  mouvement  dans  des  con- 
ditions analoj^ues. 

Parti  de  Sainte-Menehould,  le  31  juillet,  il  est  venu  can- 
tonner à  Consenvoye  (15  km.  N.  de  Verdun)  et  s'est  porté 
le  lendemain  i^r  août  à  ïiilly  sous  Man^iennes  (7  km.  L,st  de 
Spincourt)  où  il  est  resté  jusqu'au  6  août.  Le  6  août,  il  a  suivi 
le  ^^  cuirassiers  dans  sa  tnarche  vers  la  frontière  belge. 

Il  est  donc  inexact  que  les  3^  et  6^  cuirassiers  se  soient 
trouvés  dans  la  matinée  du  i*^""  août  sur  le  territoire  belge 
entre  Bouillon  et  Florenville. 

En  résumé,  la  narration  du  cavalier  Cochard  ne  se  rappro- 
che de  la  réalité  sur  aucun  point,  si  ce  n'est  sur  la  date  à 
laquelle  son  régiment  a  quitté  sa  garnison  et  sur  la  direction 
qu'il  a  prise  au  départ. 

Le  récit  abonde  en  confusions  de  dates  et  de  noms  :  Saint- 
Laurent-sur-Othain  devient  Saint- Laurent  près  d'Arlon,  qui 
n'existe  pas.  Un  certain  nombre  de  localités,  citées  au  hasard 
des  souvenirs,  jalonnent  l'itinéraire  tracé  par  le  cavalier  Co- 
chard à  sa  brigade  le  1^^  août  :  «  Sainte  Cécile  où  le  régiment 
a  cantonné  le  18  août,  Chassepierre  traversé  le  même  jour, 
Florenville  et  Pin  traversés  ou  vus  presque  chaque  jour  du 

6  au  18  août  ;  Saint  Vincent  occupé  par  le  28^  dragons  le 

7  août  ;  Bellefontaine  sur  l'itinéraire  de  l'entrée  en  Belgique 
le  6  août  »  (rapport  du  colonel-commandant  le  28*^  dragons). 

En  outre,  on  relève  dans  les  déclarations  du  cavalier  Co- 
chard des  faits  inventés  de  toutes  pièces  ;  c'est  ainsi  que  l'iti- 
néraire Bazeilles-La  Chapelle-Bouillon  par  lequel  le  28*^  dra- 
gons aurait  pénétré  en  Belgique  est  distant  de  25  km.  de 
celui  suivi  en  réalité  par  ce  régiment  (Montmedy-Avioth- 
Bellefontaine). 

De  même  le  cantonnement  qu'aurait  occupé  son  régiment 
à  Bouillon  le  31  juillet  au  soir,  ne  peut  être  attribué  à  une 
confusion  de  sa  part,  car  «  jamais,  à  aucun  moment,  une 
unité  du  28 ^  dragons  n'a  stationné  à  Bouillon  ni  traversé 
cette  ville  »  (Rapport  du  heutenant-colonel  commandant  le 
28^  dragons). 

De  même,  aussi  l'itinéraire  imaginé  par  lui  —  et  de  manière 
précise  —  pour  la  marche  qu'aurait  exécutée  son  régiment 
le  i^r  août  de  Bouillon  sur  Axlon,  etc. 

Les  déclarations  de  Cochard  resteraient  d'ailleurs  sus- 
pectes, alors  même  qu'elles  ne  seraient  pas  démenties  par 
les  faits. 

Les  renseignements  fournis  sur  ce  cavalier  par  son  chef  de 
corps  sont,  en  effet,  mauvais  :  «  Médiocre  soldat,  d'intelligence 
limitée,  nature  fruste,  caractère  sournois  et  très  indépendant  ; 
Cochard  répondait  tout  à  fait  au  type  du  braconnier,  d'homme 
des  bois,  qu'il  se  vantait  d'être.   » 


RUSSE 


R      H 


N      A       N      E 


•■  y 


I 


]•>()  IF.    l'ROCKS    DE    I.A    NKUTRALITK    BHI.Cr 

I/iiicxactitude  de  ses  renseignements  s'étend  jusqu'à  ses 

fonctions  :  affecte'-  roimne  cycliste  au  3'-  escadron  du  28*^  dra- 
;4ons,  il  n'a  jamais  été  à  cheval  dans  le  rang,  ainsi  qu'il  le 
laisse  entendre  (§  1-6-7  de  sa  déclaration). 

//  importe  d'ajouter  que  sa  disparition  le  22  août  est  restée 
suspecte  et  a  provoqua  de  la  part  de  ses  chefs  les  versions  les 
plus  fâcheuses  pour  lui. 

On  m'en  voudrait  d'ajouter  un  mot  à  cet  exposé 
bourré  de  faits  et  de  si  sérieuse  tenue. 


lycs    preuves   «  convaincantes  »   de    M.  Grasshoiï 

ont   été   abondamment   utilisées  par  l'Accusation  : 

^  elle  y  trouvait  une  justification  inespérée  pour  son 

g  imputation  que  la  Belgique  aurait  prématurément 

uj  ouvert  ses  frontières  aux  troupes  françaises.  Puis- 

en 

^  (;.  qu'elle    insiste,    je    vais    apporter    un    fait    qui    la 

b^  contraindra  sans  doute  au  silence. 

k  IvC  plan  de  concentration  de  l'armée  belge  en  cas 

c 

";  de  mobilisation,  c'est-à-dire  le  dispositif  des  empla- 

à" 

"■  *  céments  à  occuper  par  les  différentes  unités  à  la  veille 

d'un  conflit,  avait  été  établi  en  1913,  au  moment  de 
la  réorganisation  militaire.  Or,  comment,  dans  ce 
plan,  les  positions  de  concentration  des  forces  bel- 
ges avaient-elles  été  choisies  ?  Le  rapport  officiel 
du  commandement  de  l'armée  [L'Action  de  l'armée 
belge,  du  31  juillet  au  31  décembre  1914,  Chapelot, 
Paris  1915),  répond  en  termes  formels  (p.  2  et 
voir  le  croquis  ci-contre). 

«  Les  positions  de  concentration  avaient  été  choi- 
sies en  vue  d'assurer  la  défense  du  territoire,  tout  en 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  1 27 

se  conformant  strictement  aux  obligations  qu'im- 
posait à  la  Belgique  sa  neutralité,  définie  par  les 
traités  de  1839. 

»  En  effet,  (en  dehors  des  2®  et  6®  divisions  et 
de  la  division  de  cavalerie,  qui  restaient  à  Anvers 
et  Bruxelles),  les  i'^,  3e  ^e  et  5^  divisions  remplis- 
saient le  rôle  de  divisions  d'avant-garde  et  se  trou- 
vaient placées  respectivement  dans  chacune  des 
directions  d'où  un  péril  pouvait  menacer  la  Belgique: 

«  la  i^®  division,  ou  division  des  Flandres,  regardait 
l'Angleterre  ; 

«  la  36  division,  ou  division  de  Iviége,  regardait 
l'Allemagne  ; 

<^  les  4®  et  5®  divisions  regardaient  la  France,  la  4® 
devant  faire  face  à  une  attaque  sur  Namur,  la  5®  à 
une  attaque  qui  déboucherait  de  Maubeuge-Iville. 

»  Chacune  de  ces  divisions  d'avant-garde  avait 
pour  mission  de  fournir  la  première  résistance  et  de 
donner  par  cette  résistance  même,  le  temps  de  trans- 
porter les  cinq  autres  divisions  dans  la  partie  me- 
nacée du  territoire. 

»  lye  système  défensif  de  la  Belgique  comportait, 
en  outre,  trois  places  fortes  :  Anvers,  constituant 
un  camp  retranché  et  place  de  refuge,  I^iége  et 
Namur  servant  de  places  d'arrêt,  de  têtes  de  pont 
et  de  points 'd'appui  :  l'armée  devait  donc  être  ré- 
partie en  troupes  de  forteresse  et  troupes  de  cam- 
pagne ;  survies  quinze  classes  de  milice  appelées  sous 
les  armes,  les  sept  dernières  furent  réservées  au  ser- 


128  I.H    PROCHS    DK    LA    NhUTRAIJTh    BhlXiV. 

vice  des   forteresses,   et   les   huit   premières  furent 
affectées  à  l'armée  de  campagne.  » 

Telles  étaient  les  dispositions  prescrites  dès  avant 
la  guerre.  On  s'y  conforma  strictement  au  moment 
de  la  mobilisation  et,  le  i^''  août  au  matin,  les  ras- 
semblements s'opéraient  comme  il  est  indiqué  sur 
le  croquis. 

Or,  et  c'est  ici  que  vient  se  placer  le  fait  décisif, 
après  que  le  dimanche  2  août,  à  7  heures  du  soir,  le 
gouvernement  belge  eût  reçu  la  note  de  l'Allemagne 
demandant  le  passage  pour  ses  troupes,  la  concen- 
tration NE  FUT  PAS  MODIFIÉE,  c'est-à-dire  que  les 
;i^  quatre  divisions  d'avant-garde  conservèrent  leurs 

^  positions  respectives,  une  face  à  l'Angleterre,  deux 

lu 

û  face  à  la  France  (deux,  en  raison  de  l'étendue  de  la 

^Ç  frontière  de  ce  côté),  une  seule  face  a  l'Allema- 

::  "^  GNE.  On  lit,  en  effet,  dans  le  rapport  officiel  : 

«  I^a  Note    allemande    du    2  août  n'eut,  il  faut 
|i''  le  remarquer,  pas  d'influence  immédiate  sur  la  con- 

centration  de  l'armée,  qui  demeura  disposée  sur 
le  territoire  suivant  les  exigences  miUt aires  impo- 
sées par  la  neutralité  du  pays  ;  ordre  était  donné 
aux  postes  placés  à  toutes  les  frontières,  d'ouvrir 

LE  FEU  SUR  TOUTE  TROUPE  ÉTRANGÈRE  ENTRANT 

EN  Belgique.  » 

Bt  le  rapport  ajoute  :  «  Cette  attitude  du  haut 
commandement  reflétait  fidèlement  l'attitude  poU- 
tique  prise  par  le  gouvernement  du  Roi  ;  celui-ci 
avait,  en  effet,  répondu  à  la  note  allemande,  d'une 


LE    PROCÈS    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  1 29 

part,  qu'il  repousserait  par  tous  les  moyens  en  son 
pouvoir  toute  atteinte  portée  par  l'Allemagne  au 
droit  de  la  Belgique  ;  d'autre  part,  que  si,  contraire- 
ment à  toute  attente,  une  violation  de  la  neutralité 
belge  venait  à  être  commise  par  la  France,  la  Bel- 
gique remplirait  tous  ses  devoirs  internationaux  et 
que  son  armée  opposerait  à  l'envahisseur  la  plus 
vigoureuse  résistance.  » 

Ce  ne  fut  que  dans  i,a  nuit  du  3  au  4  août, 
lorsque  la  certitude  eût  été  acquise  que  les  trou- 
pes allemandes  entendaient  traverser  la  Belgique 
de  vive  force,  que  le  haut  commandement  fit 
exécuter  les  mesures  qu'imposait  la  situation 
nouvelle. 

«  Ai,ORS  seui^ement,  expose  le  rapport,  ordre  est 
donné  de  détruire  les  grands  ouvrages  d'art  sur  les 
voies  de  communication  susceptibles  d'être  utili- 
sées par  les  troupes  allemandes.  I^es  gouverneurs 
militaires  des  provinces  sont  avertis  de  ne  pi.us 

CONSIDÉRER  LES  MOUVEMENTS  DE  TROUPES  FRAN- 
ÇAISES SUR  LE  TERRITOIRE  BELGE  COMME  DES  ACTES 
DE  VIOLATION  DE  LA  NEUTRALITÉ. 

»  Conformément  au  plan  de  défense,  la  3^  division 
doit  résister  à  l'ennemi,  appuyée  sur  la  position  for- 
tifiée de  lyiége  ;  sous  sa  protection,  les  autres  divi- 
sions doivent  se  transporter  face  à  l'envahisseur,  à 
l'exception  toutefois  de  la  division  de  Namur  (la  4^), 
qui  reçoit  mission  de  garder  cette  place  ;  la  i'^  divi- 
sion est  dirigée  de  Gand  à  Tirlemont,  la  2®  d'Anvers 

NEUTRALITÉ   BELGE  O 


I^o  II-     l'ROrfS    l)K    I.A    NHI'TKAI.ITK    BF.I-GH 

à  lyOïivain  ;  la  5<*  de  Mons  à  Perwez  ;  la  6^  de  Bruxel- 
les à  Wavre. 

«  Ces  transports  doivent  être  couverts  :  i®  par  la 
division  de  cavalerie,  qui,  concentrée  à  Gembloux, 
doit  se  porter  sur  Waremme  ;  2°  par  une  brigade 
mixte  de  la  3^  division,  dirigée  sur  Tongres  ;  30  par 
une  brigade  mixte  de  la  4^  division,  envoyée  à 
Huy. 

»  Les  mouvements  de  concentration,  commencés 
le  4  août,  s'achèvent  le  lendemain  ;  ils  s'exécutent 
avec  rapidité  et  régularité,  partie  par  route,  partie 
par  chemin  de  fer. 

»  Le  Roi  prend,  en  vertu  de  la  Constitution,  le 
haut  commandement  de  l'armée. 

»  Le  6  août,  au  matin,  l'armée  est  prête  à  faire 
mouvement  avec  tous  ses  convois.  » 

Kn  présence  de  ces  faits-là,  je  dis  à  l'Accusation  : 
lorsqu'on  s'occupe  d'un  petit  pays  entraîné  tout 
à  coup  dans  un  conflit  dont  l'enjeu  était  pour  lui  la 
perte  de  son  indépendance;  lorsqu'on  voit  qu'en  ce 
moment  où  il  ne  s'agissait  plus  de  fixer  des  atti- 
tudes politiques  dont  les  sanctions  sont  souvent 
incertaines,  mais  de  prendre  des  déterminations 
qui  engagent  la  vie  de  la  nation,  il  est  demeuré 
si  totalement  fidèle  à  ses  obUgations  et  si  abso- 
lument affranchi  de  toute  tutelle  étrangère,  qu'il  a 
organisé  sa  défense  suprême  au  seul  et  unique  point 
de  vue  de  ses  intérêts  propres,  —  alors,  quand  on  ne 
veut  pas  lui  rendre  l'hommage  d'estime  qu'on  doit  à 


i 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  I  3  I 

quiconque  accomplit  son  devoir,  on  passe  et  l'on 
se  tait. 

* 
*  * 

On  ne  me  demandera  pas  de  revenir  sur  la  ques- 
tion de  la  conduite  des  troupes  allemandes  en  Bel- 
gique et  sur  la  prétendue  guerre  populaire  (Volks- 
krieg)  qu'elles  auraient  eu  à  réprimer.  Un  Livre  blanc, 
gros  de  plus  de  300  pages  {Die  vôlkerrechtswidrige 
Fiihrungdes  belgischen  Volkskriegs)  y  a  été  consacré. 
M.  Grasshofï  était  au  nombre  de  ceux  qui  ont  re- 
cueilli des  dépositions  qu'on  y  a  rassemblées.  C'est 
ce  qui  lui  a  permis  de  réserver  à  ces  affaires  les 
quatre  cinquièmes  de  la  brochure  dont  j'ai  déjà 
parlé  plus  haut. 

Je  me  bornerai  ici  à  une  seule  remarque,  le  Livre 
blanc  allemand  devant  être  prochainement  l'objet 
d'une  réfutation  détaillée  de  la  part  de  la  Belgique. 

Dans  le  message  officiel  allemand  adressé  le 
14  août  au  Président  des  Etats-Unis,  il  était  dit  : 

«  Le  Gouvernement  belge  a  publiquement  encou- 
ragé la  population  à  la  guerre  et  il  avait  depuis  long- 
temps préparé  cette  participation.  » 

Aujourd'hui,  M.  Grasshoff  se  charge  lui-même,  en 
publiant  un  certain  nombre  de  documents  émanant 
des  autorités  belges,  de  faire  justice  de  cette  in- 
croyable accusation  :  arrêté  royal  appelant  à  l'acti- 
vité la  garde  civique  non  active  (p.  43),  circulaires 
du  Ministre  de  l'Intérieur  (id.),  du  Gouverneur  du 


:,^ 


Q 


132  LE    l'kOChS    Ut.    LA    NEUTRALITh    BELGK 

Brabant  (p.  48),  du  Commandant  supérieur  des 
gardes  civiques  des  provinces  d'Anvers  et  de  Bra- 
bant (j).  45),  dépositions  de  personnalités  belges 
(p.  46-47),  ou  de  bourgmestres  (p.  51),  toutes  les 
pièces  officielles,  y  com])ris  les  fac-similés  de  télé- 
grammes administratifs,  que  M.  Grasshoff  a  ras- 
semblées, confirment  sans  aucune  hésitation  possible 
cette  chose  évidente  pour  toute  personne  de  bonne 
foi  :  le  Gouvernement  belge  a,  dès  les  premières 
heures,  pris  toutes  les  mesures  en  son  pouvoir  pour 

ORGANISER  LA  PASSIVITÉ  DE  LA  POPULATION  (voir  La 

Belgique  neutre  et  loyale,  p.  197-229). 
aj  '  lya  population  était  hostile  !  la  presse  était  passion- 

Q 

^,  née!  s'écrie  M.  Grasshofï.  A  qui  la  faute  ?  je  vous 

prie.  Iv' Accusation  fait  bon  marché  des  deux  seuls 
faits  qui  comptent,  à  savoir,  d'abord  l'indignation 
■ —  c'est  le  mot  —  éprouvée  par  tous  les  Belges  le 
lundi  3  août,  quand  ils  apprirent  que  l'Allemagne, 
non  contente  de  violer  un  engagement  formel, 
les  menaçait  de  leur  enlever  l'indépendance  s'ils 
n'acceptaient  pas  d'agir  contrairement  à  leur  de- 
voir et  à  leur  intérêt  vital;  ensuite  l'horreur  —  le 
mot  n'est  pas  assez  fort  —  que  ces  mêmes  Belges 
ont  ressentie  à  partir  du  6  août,  quand  ils  apprirent 
les  premières  représailles  des  troupes  allemandes  en 
Belgique. 

Quant  à  toutes  les  dépositions  d'Allemands,  re- 
cueillies par  des  Allemands,  dont  le  Livre  blanc  fait 
état  pour  démontrer  que  des  coups  de  feu  auraient 


j» 


LE    PROCES    DE    LA    NEUTRALITE    BELGE  153 

été  tirés  par  des  Belges  sur  les  troupes  allemandes, 
elles  sont  dépourvues  de  force  probante  :  tout  récem- 
•ment,  une  étude  strictement  scientifique,  basée 
sur  les  seules  sources  allemandes,  a  montré  com- 
ment les  récits  qui  sont  à  la  base  de  ces  témoi- 
gnages relèvent  de  la  formation  légendaire  et  se 
sont  trouvés  lentement  élaborés,  selon  des  thèmes 
directeurs,  sur  de  menus  incidents,  défigurés  et 
exagérés  au  cours  de  la  transmission  (voir  van  Lan- 
GENHOVE  :  Comment  se  forme  un  cycle  de  légendes  : 
Francs-tireurs  et  Atrocités  en  Belgique;  Payot,  1916). 
Puis,  qu'on  veuille  bien  attendre  :  audiatur  et  altéra 
pars  !  lycs  Belges  soumis  à  l'occupant  et  qui  pour- 
raient répondre  ne  peuvent  se  faire  entendre. 

Mais  on  peut  tout  de  même  demander  dès  à  pré- 
sent aux  lecteurs  du  Livre  blanc  ou  de  la  brochure 
de  M.  Grasshofï  si,  quelque  part,  ils  y  ont  trouvé 
une  justification  ou  une  excuse  pour  le  procédé  des 
représailles  collectives . 

«  Aucune  peine  coi.i.ective,  pécuniaire  ou 
autre,  ne  pourra  être  édictée  contre  i.es 
populations  a  raison  de  faits  individuels, 
dont  elles  ne  pourraient  être  considérées 
comme  solidairement  responsables.  » 

Ainsi  en  avaient  décidé  toutes  les  nations,  l'Alle- 
magne comprise,  à  la  11^  Conférence  de  La  Haye. 

Pendant  tout  le  mois  d'août  1914,  s'est  déchaîné 
sur  mon  pays  un  système  de  guerre  qui  est  exacte- 
ment le  contre-pied  de  cette  prescription.   C'était 


1^4  'P-    PROCÈS    DH    I.A    NEUTRALITE    BELGE 

der  schneidig  f^c/uhrtc  Krieg,  la  guerre  conduite 
crânement,  que  le  général  von  Hartmann  avait 
naguère  o})])osée  à  la  guerre  menée  avec  quelques 
égards. 

Pour  tous  ceux  qui  pensent  que,  même  aux  jours 
où  sévit  la  guerre,  l'humanité  et  l'équité  gardent 
leurs  exigences,  ce  système  est  exécrable.  On  n'en 
a  pas  encore  tenté  l'apologie.  On  ne  la  tentera  pas. 
Il  appartient  aux  choses  qui  se  font,  mais  dont  on 
ne  parle  que  pour  les  condamner. 


:;\  Et  maintenant,  je  m'arrête. 

3  Depuis  dix-huit  mois,  la  Belgique  innocente  souf- 

:îj  fre,  en  expiation  de  méfaits  qu'elle  n'a  jamais  com- 

.jû  mis  et  dont  ses  ennemis  ne  l'ont  accusée  qu'après 

^  l'avoir  frappée,    pour   se    justifier  devant  le  juge- 


■  i 


'/ 


ment  du  monde  :  s'il  se  trouve  encore  en  Allemagne 
des  hommes  qui  aient  le  courage  d'imaginer  contre 
elle  de  nouveaux  griefs,  qu'ils  parlent  !  Ils  ne  las- 
seront pas  la  patience  des  Belges  ni  leur  volonté  de 
défendre  leur  patrimoine  d'honneur  et  de  loyauté. 


TABLE  DES  MATIÈRES 

Pages 

AVANT-PROPOS 4 

Campagne  de  silence  et  campagne  de  diffamation  en  Alle- 
magne contre  la  Belgique  (p,  4).  —  Les  trois  chefs  domi- 
nants d'accusation  (p.  7). 

I.  —  «  EN    BONNE  POLITIQUE,    LA   RÉSISTANCE 

DE  LA  BELGIQUE  EST  INCOMPRÉHENSIBLE  ».    .         17 

Réflexions  générales  et  allusions  aux  récents  événements 
dans  les  Balkans  (p.  10).  —  Combien  la  réalité  est  diffé- 
rente (p.  14).  —  La  formation  de  la  Belgique  indépen- 
dante et  le  patriotisme  des  Belges  (p.  15).  —  Comment, 
dès  les  débuts  de  l'Indépendance,  une  politique  d'équi- 
libre a  apparu  comme  la  condition  même  de  la  vie  de 
la  nation  (p.  18).  —  Les  incidents  internationaux  entre 
1840  et  les  premières  années  du  XX^  siècle  (p.  19).  — 
Le  refus  opposé  à  la  demande  de  passage  de  l'Allema- 
gne le  2  août  1914  était  dans  la  pure  tradition  de  la 
politique  extérieure  de  la  Belgique  depuis  1830  (p.  30). 
— Les  assimilations  à  la  Serbie  et  à  la  Grèce  ne  sont 
fondées  ni  en  droit  ni  en  fait  (p.  33).  —  Le  sort  des 
petits  Etats  (p.  38). 

II.  —    «  SI    LA    BELGIQUE    A     RÉSISTÉ,     C'EST 

qu'elle  Était  déjà  engagée  » 39 

Les  procédés  par  lesquels  les  accusateurs  de  la  Belgique 
détournent  les  faits  de  leur  interprétation  naturelle 
(p.  41).  —  Les  altérations  de  texte  dans  le  rapport  du 
chef  de  l'état-major  belge  au  sujet  de  ses  conversations 
avec  l'Attaché  militaire  anglais  en  1906  (p.  50).  — 
L'intitulé  de  l'enveloppe  (p.  50).  —  Analj^se  du  rap- 
port (p.  54).  —  Les  voyages  d'études  de  l'état-major 
belge  de  1906  à  1910  (p.  61).  —  Variante  de  l'accusa- 
tion :  la  Belgique  a  assuré  à  l'Angleterre  im  monopole 
d'informations  mihtaires  (p.  62).  —  Un  précédent 
inattendu  :  une  démarche  de  l'attaché  mihtaire  alle- 
mand en  1875  (p.  65).  —  La  correspondance  diploma- 
tique belge  publiée  à  Berhn  atteste  que  les  conversa- 
tions de  1906  ont  été  sans  influence  sur  la  politique 
de  la  Belgique  (p.  67).  —  Le  discours  du  Ministre  des 
Affaires  Etrangères  au  Sénat  de  Belgique  en  1909  (p. 
76).  —  Une  autre  accusation  :  la  Belgique  aurait  dû 
informer  l'Allemagne  après  l'entretien  de  l'attaché 
militaire  anglais  en  1912  (p.  78).  —  Cette  accusation 


\^t  TABLE   DES   MATIERES 


Page» 

est  contraire  aux  faits  :  exposé  de  ce  que  le  Ciouverne- 
ment  lul^^e  a  fait  après  l'entretien  de  1912  :  la  démar- 
che à  I/)ndrcs  (p.  84).  —  La  démarche  à  lierlin  (p.  8^^), 

—  La  démarche  à  l'aris  (p.  87).  —  Le  Congo  et  la  poli- 
tique extérieure  de  la  Belgique  (p.  89).  —  A  la  veille 
de  la  jiuerrc,  la  Belgique  préparait  le  renouvellement 
de  son  traité  de  commerce   avec  l'Allemagne  (p.  89). 

—  Conclusion  (p.  90). 

III.  —  «  LA  BELGIQUE  n'avAIT  PAS  A  RÉSISTER^ 
CAR  SON  TERRITOIRE  N'ÉTAIT  PAS  INVIO- 
LABLE » 91 

La  Belgique  se  serait  trompée  en  se  tenant  pour  obligée, 
aux  termes  des  traités  de  s'opposer  au  passage  des  ar- 
mées allemandes  (p.  92).  —  La  neutralisation  du  pays 
en  1839  était-elle  compatible  avec  une  servitude  de  pas- 
sage, établie  au  profit  d'une  des  puissances  ?  (p.  93). 
-,  — Analyse  des  principaux  protocoles  de  la  Conférence 

v^  de  Londres  en  1830-1831  (p.  94).  —  La  vraie  significa- 

3^!  tion  de  la  neutralisation  de  la  Belgique,  au  point  de  vue 

^  de  l'équilibre  européen  (p.  99).  —  La  neutralité  perma- 

nente entraînait  ipso  facto  l'inviolabilité  du  territoire 
^  (p.    100).  —  Après  comme  avant  la  modification  de 

,  texte  survenue  entre  le  traité  du  26  juin  1S31  et  celui 

^r  du  15  novembre  suivant,  les  événements  vérifient  cette 

ly^  cette  conclusion  (p.  102).  —  Réfutation  de  la  conjec- 

^^^  ture  tirée  de  la  convention  des  forteresses  :  l'accord 

h  préalable  des  quatre  puissances  le   17  avril  1831  (p. 

P  106).  —  Le  rôle  de  la  Belgique  dans  les  négociations 

'  (p.  107).  —  La  clause  secrète  et  sa  véritable  portée  (p. 

109),  —  Pourquoi  la  rédaction  du  traité  de  juin  a  été 
modifiée  (p.  112). 

DERNIÈRES   PAROLES 117 

Note  inédite  du  Grand  Quartier  Général  des  Armées  fran- 
çaises de  l'Est  faisant  justice  des  imputations  selon  les- 
quelles des  troupes  françaises  auraient  franchi  la  fron- 
tière belge,  avant  l'appel  adressé  par  la  Belgique  à  ses 
garants  (p.  120).  —  Autre  témoignage  décisif  de  la 
loyauté  de  la  Belgique  dans  l'organisation  de  sa 
défense  :  l'armée  belge  a  gardé  jusque  dans  la  nuit  du 
3  au  4  août  ses  positions  de  concentration,  telles 
qu'elles  avaient  été  choisise  en  conformité  des  obliga- 
tions que  la  neutralité  imposait  au  pays  (p.  127). 
—  Quelques  mots  sur  la  conduite  des  troupes  alleman- 
des en  Belgique  et  sur  la  prétendue  guerre  popu- 
laire qu'elles  auraient  eu  à  réprimer  (p.  131).  —  Con- 
clusion (p.  132). 


LAUSANNi:.   —  IMPRIMERIES  REUNIES 


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Ce  volume  doit  être  rendu  à  la  dernière 
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