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LE
ROMAN DE LA ROSE
TOME II
TYrOCRAPIIIE DE II. FIRMIN DIDOT. — MESN1L ( EURE).
LE ROMAN
DE LA ROSE
GUILLAUME DE LORRIS
JEAN DE MEUNG
NOUVELLE EDITION REVUE ET CORRIGEE
FRANCISQUE-MICHEL
CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DE FRANCE
(ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BKLLES-LETTRES), etc., etc.
Instituut
i. talen
GRONINGEN
PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET C'e
IMPRIMEURS DE L'iNSTITUT, RUE JACOB, 50
1864
Univers/*^
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LE ROMAN
DE LA ROSE.
Comment le dieu d'Amours retient
Faulx-Semblant, qui ses noms * devien', * Son homme.
Dont ses gens sont joyeulx et baulx *, * Gais.
Quant il le fait roy des ribaulx.
« Faus-Semblans, par tel convenant * * Convention.
Seras à moi tout maintenant,
Que tous nos amis aideras,
Et que jà nul n'en grèveras;
Aius* penseras d'eus eslever, * Au contraire.
Et de nos anemis grever.
Tiens soit li pooirs et li baus* , "Le pouvoir et le couver-
„, ,.-,., nemcnt.
Tu seras mes rois des nbaus (1),
Ainsinc le vuet nostres chapitres.
Sans faille* tu es maus** traïstres *Sansfaute. ** Mauvais.
Et lerres* trop desmesurés, "Larron.
Cent mil fois t'i es parjurés :
Mes toutevois en audiance,
(I) Voyez sur les ribauds, les ribaudes et le roi des ribauds, les disserta-
tions d'Etienne Pasquier, de Sauvai et de Gouye de Longuemarre, réim-
primées à la suite l'une de l'autre dans la Collection des meilleures dis-
sertations, notices et traités particuliers relatifs à l'histoire de France, etc.,
par C. Leber, tom. VIII, pag. IS7-235.
ROMAN DE J.A ROSE. — T. I£. 1
2 LE ROMAN (v.
Por nos gens oster de doutance*, * Doute.
Comant-ge que tu lor enseignes,
Au mains par généraus enseignes,
En quel leu il te troveroient,
*Se du trover mestier* avoient, * Besoin.
Et comment l'en te congnoistra ,
Car grant sens en toi congnoistre a.
Di-nous en quel leu tu converses*. » * Habites.
Faulx-Semblant.
« Sire, j'ai mansions* diverses * Demeures.
Que jà ne vous quier * réciter, * Feux.
S'il vous plest à m'en respiter* ; * Dispenser.
Car, se le voir * vous en raconte, * Le vrai.
Avoir i puis domage et honte;
Se mi* compaignon le savoient, "Si mes.
Sachiés de voir*, il m'en haroieut, * Véritablement.
Et m'en procurroient anui,
S'onques lor cruauté couui* : *Je connus.
Car il vuelent en totis leus taire
Vérité qui lor est contraire.
.là ne la querroient* oïr, * Voudraient.
Trop en porroient mal joïr,
Se ge disoie d'eus parole
Qui ne lor fust plésante et mole :
Car la parole qui les point*, * Pique.
Ne lor abelist* onques point, * finit.
Se c'estoit néis* l'évangile *Mém».
Qui les repréist de lor guile*, * Fourberie.
Car trop sunt cruel malemeut*. * Mauvai&ement.
Si sai-ge* bien certainement, *Ètje sais.
Se ge vous en di nule chose,
Jà si bien n'iert* vostre cort close *Ne sera.
Qu'il n'el sachent, combien qu'il tarde.
fi
DE LA ROSE.
Des prodes homes* n'ai-ge garcte, * Des hommes de bien.
Car jà sur eus riens n'en prendront
Prodome, quant il m'entendront;
Mes cil qui sor soi le prendra,
Por soupeconeus se rendra
Qu'il ne voille mener la vie
De Barat et d'Ypocrisie,
Qui m'engendrèrent et norrirent*. »
Amours.
« Moult bone engendréure* firent,
Dist Amours, et moult profitable,
Qu'il * engendrèrent le déable.
Mes toutevois, comment qu'il aille,
Convient-il, dist Amors, sans faille*,
Que ci tes mansions* nous somes
Tantost oians trestous nos homes,
Et que ta vie nous espoingnes*.
N'est pas bon que plus la respoingnes*.
Tout convient que tu nous descuevres
Comment tu sers et de quelz euvres,
Puisque céans t'ies embatus * ;
Et se por voir dire ies* batus,
Si n'en ies-tu pas coustumiers,
Ta ne seras pas li premiers. «
Faulx-Semblant .
« Sire, quant vous vient à plaisir,
Se g'en dévoie mort gésir* , * Être couda
Ge ferai vostre volenté ;
Car du faire grant talent* é. » * Désir.
L'Acteur.
FausSemblans qui plus n'i aient,
Commence son sermon atant*, * Alors.
* Élevèrent .
* Génération.
* Car ils.
* Sans faute.
* Demeures.
* Exposes .
* Caches.
* Pvisqu'ici dedans lu t'es
engagé.
* El si pour dira vrai tu es.
4 LE ROMAN
Et dist à tous eu audience.
Faulx- Semblant.
« Barons, entendes ma sentence.
Qui Faus Semblant vodra conguoistre,
Si le quière au siècle* ou en cloistre;
Nul leu, fors en ces deus, ne mains* :
Mes en l'un plus, en l'autre mains.
Briefment, ge me vois osteler*
Là où ge me puis miex celer :
C'est la celée * plus séure
Sous la plus simple vesléure.
Religieus sont moult couvers,
Li séculer sunt plus ouvers.
Si ne voil-ge mie * blasmer
Religion, ne diffamer,
En quelque abit que ge la truisse* :
Jà religieus, que ge puisse*,
Humble et loial ne blasmerai,
Neporquantjà* ne ramerai.
« J'entens des faus religieus,
Des félons, des malicieus,
Qui l'abit en vuelent vestir,
Et ne vuelent lor cuers mestir*.
Religieus sunt trop piteus*,
Jà n'en verres un despiteus* :
Il n'ont cure d'orguel ensivre*,
Tuit se vuelent humblement vivre :
Avec tex* gens jà ne maindrai**,
Et se g'i mains, ge me faindrai.
Lor habit porrai-ge bien prendre,
Mes ainçois me lerroie* pendre
Que ja de mon propos ississe*,
Quelque chière* que g'i féisse.
* Qu'il le cherche dans le
monde.
'Je ne demeure.
* Fais
* Cachette.
* El je iv veux pas.
* Trouve .
* Jamais religieux, tant
que je pourrai.
* Néanmoins jamais.
* Dompter.
"Pieux.
* Hautain, dédaigneux.
* Suivre.
* Telles. * * Demeurerai .
' Plutôt je me laisserais.
fc Sortisse.
"Mine.
(y. 11803.) DE LA ROSE. 5
Ge mains* avec les orguilleus, "Reste.
Les veziés, les artilleUS*, "Les ruses, les fourbes.
Qui mondaines honors convoitent,
Et les grans besoignes exploitent,
Et vont traçant* les grans pitances, "Suivant.
Et porchacent les acointances* * Liaisons.
Des poissans homes, et les sivent,
Et se font povre, et si se vivent
Des bous morciaus délicieus,
Et boivent les vins précieus ;
Et la povreté vout presebant,
Et les grans richesces pesebant
As saynes et as trainaus*: * Engins de pèche.
Par mon cbief! il en istra* maus. "Parmatéte.'ilensortira.
~Se sunt religieus ne monde* ; * Purs.
Il font un argument au monde,
Où conclusion a honteuse :
Cist* a robe religieuse, "Celui-là.
Donques est-il religieus.
Cist argument est trop fieus*, * Faible.
Il ne vaut pas un coutel troine*, * De bois blanc.
La robe ne fait pas le moine (1).
IS'eporquant nus * n'i set respondre, "Néanmoins nul.
ïaut face haut sa teste tondre,
Voire rere* au rasoer de lanches , * Raser.
Qui Barat trenche en treze trenches.
Nul ne set si bien distinter*, "Distinguer.
Qu'il en ose un seul mot tinter ;
(I) Ce proverbe existait aussi en latin à une épojue plus ancienne. Le
classicpje el célèbre Alexandre Neckham, qui mourut abbé de Cirencester
en 1217, l'emploie dans cette définition de la manière d'être d'un moine au
xiii6 siècle :
Non tonsura facit monachum, nrc horrida vestis,
Sed vii tus animi, perpetuusque rigor :
Mens liumilis, mundi contemplus, vita pudica,
Sanclauue sobrietas, b;ec faciunl monachum.
0 LE ROMAN (v. usai.)
Tuit lessent vérité confondre,
Por ce me vois là plus repondre*. *je me vais là plus cacher.
Mes en quelque leu que ge viengne,
Ne comment que ge me contiengne,
Nule riens fors Barat n'i chas ;
Ne plus que dam Tibers (1) li chas
Ne tent qu'à soris et à ras ,
N'entens-ge à riens fors qu'à Baras.
Ne jà certes por mon habit
Ne saurés o quex * gens j'abit. * Avec quels.
Non ferés-vous, voir as * paroles, *Même aux.
Jà tant n'ierent* simples ne moles. *Taut ne seront.
Les ovres regarder devés,
Se vous n'avés les iex crevés;
Car s'il font tel que il ne dient,
Certainement il vous concilient* , * Trompent, bafouait.
Quelconques robes que il aient,
De quelconques estas qu'il soient,
Soit clers ou laiz *, soit bons on famé, * Laïques,
Sires, Serjans, bajasse* ou dame. » * Seigneur, serviteur, ser-
vante.
L\ Icteur.
T ant qu'ainsinc Faus-Semblant sermone,
Amors de rechief l'araisone,
Et dist, en rompant sa parole,
Ausinc cum s'el fust fauce ou foie :
Le dieu d'Amours.
« Qu'est-ce, diable? es tu esfrontés?
Quex gens nous as-tu ci contés ?
Puet-1'en trover religion
En séculière mansion*? » * Demeure.
(I) Personnage du Roman du Renard.
(v. H359.) DE LA ROSE. 7
Faux-Semblant.
« Oïl, sire, il ne s'ensuit mie
Que cil mainent mauvèse vie,
TNe que por ce lor âmes perdent ,
Qui as dras du siècle s'nherdent* : *Qmaux habits mondains
s'attachent
Car ce seroi trop grans dolors.
Bien puet en robes de colors
Sainte religion florir :
Maint saint a l'en véu morir,
Et maintes saintes glorieuses,
Dévotes et religieuses,
Qui dras " communs tous jors vestirent, * Habits.
JVonquesporce mains n'ensaintirent*, *Ne devinrent saints.
Et ge vous en nomasse maintes;
Mes presque trestoutes les saintes
Qui par églises sunt priées,
Virges chastes, et mariées
Qui mainz biaus enfans enfantèrent,
Les robes du siècle portèrent,
Et en cels* méismes morurent, * Et en ceux-là.
Qui saintes sunt, seront et furent.
Néis* les onze mile vierges, * Môme.
Qui devant Diex tieuent lor cierges,
Dont l'en fait feste par églises,
Furent es dras du siècle prises
Quant elz reçurent lor martires ;
IN'encor n'en sont-el mie pires.
Bons cuers fait la peusée bone,
La roben'i toit*, ne ne done; * Enlève, prend.
Et la bone pensée l'uevre,
Qui la religion descuevre.
Ilec* gist la religion *Là.
Selonc la droite entencion.
« Qui de la toison dan* Belin, *Sire.
8
LE ROMAN
(v. II892.)
En leu de mantel sebeliu*,
Sire Ysangrin (1; al'ubleroit,
Li leus qui mouton sembleroit,
S'il o* les brebis demorast,
Cuidiés-vous qu'il n'es* dévorast?
Jà de lor sanc mains ne bevroit,
ÎMès plus tost les en décevroit.
Jà n'eu seroit mains fami Iléus*,
]\"e mains mais* ne mains périlleus;
Car, puisque ne le congnoistroient,
S'il voloit fuire, eus le sivroient.
S'il a gaires de tex loviaus*
Entre ces apostres noviaus,
Eglise, tu es mal-baillie*,
Se ta cité est assaillie
Par les chevaliers de ta table.
Ta seignorie est moult endable*,
Se cil s'esforcent de la prendre
Cui tu 1 as bailiie* à desl'endre.
Qui la puet vers eus garentir?
Prise sera sans cop sentir
De mangonel, ne de perrière*,
Sans desploier au veut banière ;
Et se d'eus ne la vues rescorre*,
Ainçois* les lessc par tout corre,
Lesses? mes se tu lor comandes,
Dont n'i a fors que tu te rendes,
Ou lor tributaires deviengnes
Par pez faisant, et d'eus la tiengnes,
Se meschief ne t'en vient greiguor*,
Qu'il en soient du tout seignor.
Bien te sevent ore escbarnir*,
Par jor corcnt les murs garnir,
* Au lieu de martre zibe-
line.
A vec .
* Croyez-vous qu'il ne les.
'Famélique.
' i\i moins inclurais.
* Beaucoup de tels louve-
teaux.
* Maltraitée.
* Faible.
* A qui tu l'as donnée.
* Vangonneau , pienier,
machines de guêtre.
* Secourir.
* Auparavant.
" Il n'y a plus qu'à te ren-
dre.
* Plus grand.
* Railler.
(I) Delin, Ysangrin, personnages du Roman du Renard'.
(v. ii925.) DE LA ROSE. 9
Par nuit n'es* cessent de miner ; * Ne les.
Pense d'aillors enraciner
Les entes (1) où tu vues fruit prendre :
Là ne te dois-tu pas atendre.
3Iès atant* pez, ci m'en retour**, * Maintenant.** Retourne.
N'en vueil plus ci dire à ce tour,
Se ge m'en puis atant passer,
Car trop vous porroie lasser.
Mais Lien vous vueil convenancier* * Promettre
De tous vos amis avancier,
Por quoi* ma compaignie voillent; * Pour que.
Si sunt-il mort, s'il ne m'acoillent,
Et m'amie ausinc serviront,
Ou jà par Dieu n'en cheviront* : * tiendront ù bout.
Sans faille* traïstre sui-gié, * Sans faute.
Et por larron m'a Diex jugié.
Parjura sui ; mes ce que j'afin*, * Termine.
Set-I'en envis* devant la lin, * Maigre soi.
Car plusor par moi mort reçurent,
Qui onc mon barat* n'aperçurent, * Tromperie.
Et reçoivent et recevront,
Que jamès ne l'aparcevront.
Qui l'aparcevra, s'il est sage,
Garts'en,ou c'iert* son grant domage. * Qu'il s'en gante, ou ce
sera.
Mes tant est fort la décevance*, * Déception.
Que trop est grief l'aparcevance* : * Pénible la perception.
(l) Je n'expliquerai pascemot,donl l'Académie a donné le sens; je ferai
seulement remarquer qu'il ligure dans une locution ligurée :
Dist saint Pieres : «Moult m'est « ente
Que vous de mon geu me blasmastes. o
De saint Pierre et du Jouglcor, v. 230. (Fabliaux et coules, édition de
(Méon, t. III, p. 291.)
Ele est forment en grant tormente,
Fet-ele : « Corne gis ù ente... »
Le Fabel cCAlonl.y. 251. [Ibid., pag. 334.)
10 LE ROMAN (t. iiosi.)
Car Prothéus, qui se soloit* * Avait l'habitude.
Muer* eu tout quauqiul** voloit, * Changer ** Ce qu'il.
Ne SOt onc tant barat ne guile* * Tromperie ni fraude.
Cum ge fais ; car onques en vile
N'entrai où fusse congnéus,
Tant i fusse ois ne véus.
Comment le traistre Faulx-Semblant
Si va les cueursdes gens emblant *, * f'olanl.
Pour ses vestemens noirs et gris,
Et pour son viz * pasle amaisgris. * Visage.
Trop sai bien mes babiz changier,
Prendre l'un, et l'autre estrangier*. * Écarter.
Or* sui chevaliers, or sui moines, * Maintenant.
Or sui prélas, or sui chanoioes,
Or sui clers, autre ore* sui prestres, * D'autres fois.
Or sui desciples, or sui mestres,
Or cbastelains, or forestiers :
Briément*, ge sui de tous mestiers. *Bref.
Or resui princes, or sui pages ,
Or sai parler trestous langages ;
Autre ore sui viex et chenus,
Or resui joncs devenus.
Or sui Robers, or sui Robins ,
Or cordeliers, or jacobins.
Si pren por sivre ma compaigne
Qui me solace* et acompaigne, * Recrée.
(C'est dame Astenancc-Contrainte,)
Autre desguiséure * mainte, 'Déguisement.
Si cum il li vient à plesir
Por acomplir le sien désir.
Autre ore vest* robe de lame; * Je revêts.
Or sui damoisele, or sui dame,
Autre ore sui religieuse,
Or sui rendue*, or sui prieuse, * Nonne.
(v. U98T.) DE LA ROSE. , Il
Or sui nonain*, or sui abesse, "Nonne.
Or sui novice, or sui professe;
Et vois * par toutes régions "Et je vais.
Cerchant toutes religions.
Mes de religion, sans faille*, "Sans faute.
G'en pren le grain et laiz* la paille ; * Je laisse.
Por gens avugler i abit% *fy habite.
Ge n'en quier*, sans plus, que Tabit. "Feux.
Que vous diroie? en itel guise
Cum il me plaist ge me desguise;
Moult sunt en moi mué* li vers, "Changés.
Moult SUnt li faiz aux diz divers (1 j *. * Différents des paroles.
Si fais chéoir dedans mes pièges
Le monde par mes privilèges ;
Ge puis confesser et assoldre*, * Absoudre.
(Ce ne me puet nus prélas toldre*,) "Enlever, ravir.
Toutes gens où que ge les truisse* ; "Trouve.
Ne sai prélat nul qui ce puisse,
Fors l'apostole* solement * Le pape.
Qui fist cest establissement
Tout en la laveur de nostre ordre.
N'i a prélat nul qui remordre
Ne grocier* contre mes gens ose, 'Gronder.
Ge lor ai bien la bouche close;
Mes mes trais ont aparcétis ,
(I) Dans un des manuscrits que j'ai collalionnés , les vers suivants
jusqu'au 12204 manquent ; on y lit cette note ainsi ligurée :
o Ce qui s'ensuit trespasseroiz à lire
■ Devant genz de religion et
o Mesmement devant ordres
a Mendions, car il sunt sotif,
o Artilieux : si vous porroient
o 'l'ost grever ou nuire,
a Et de\ant genz du sicle, que l'en les
« l'orroit inestre en erreur,
o Et trespasseroiz jusques à ce chapistre
« Où il commence ainsi :
Faus-Semblant, dit Amors, di-moi. 12205. (Méon.)
12
LE ROMAN
(t. 12004.
Si n'en sui mes si recéus
Envers eus si cum ge soloie* ,
Por ce que trop fort les boloie*.
Mes ne me chaut* comment qu'il aille,
J'ai des deniers, j'ai de l'aumaille * ;
Tant ai fait, tant ai sermoné,
Tant ai pris, tant m'a-l'en* doné
Tout le monde par sa folie,
Que ge maine vie jolie*
Par la simplesce des prélas
Qui trop fort redotent mes las*.
Nus d'eus à moi ne s'acompere*,
Ne ne prent qu'il ne le compère * :
Ainsinc faiz-ge tout à ma guise
Par mon semblant, par ma faiutise.
Mes, por ce que confès doit estre
Chascun an chascuns à son prestre,
Une fois, ce dist l'Escripture,
Ains qu'on li face sa droiture* :
(Car ainsinc le vuet l'Apostoile*),
L'estatut chascuns de nous çoile*
Qui vint çà, si les enortons*;
Mes moult bien nous en déportons*,
Car nous avons un priviliége
Qui de plusors faiz nous aliége.
Mes cestui mie ne taisons.
Car assés plus grant le faisons
Que l'Apostole ne l'a fait,
Dont li bons, se péchiés a fait,
S'il li plaist, il porra lors dire :
En confession vous di, sire,
Que cil à qui ge fui confès*,
M'a alégié de tout mou fés-,
Absolu m'a de mes péchiés,
Dont ge me sentoie entéchiés*;
* J'avais l'habitude.
* Trompais.
*Ne m'importe.
* Troupeaux.
* M'en a.
* Gaie, joyeuse.
* Lacs, lacets.
* Se compare.
*Paye.
* Ce qui lui est dû.
* L'apôtre.
* Cèle.
* Et nous les exhortons.
* Détachons.
* A qui je me confessai.
'Entaché.
(v. 12039.)
DE LA ROSE.
13
Ne ge n'ai pas enteneion
De faire autre confession,
Ne n'en vueil ci plus réciter :
Si m'en poés atant quiter*,
Et vous en tenez à paies*,
Quelque gré que vous en aies ;
Car se vous l'aviés juré,
Ge n'en dout* prélat ne curé
Qui de confesser me contraingne
Autrement que ge ne m'en plaingne,
Car je m'en ai bien à qui plaindre.
Vous ne m'en poés* pas contraindre,
Ne faire force ne troubler,
Por ma confession doubler,
Ne si n'ai* pas affeccion
D'avoir double absplucion.
Assés en ai de la première,
Si vous quit ceste darrenière;
Desliés sui,n'el quier* nier,
Ne me poés plus deslier :
Car cil qui le pooir * i a,
De tous liens me deslia.
Et se vous m'en osés contraindre,
Si que ge m'en aille complaindre,
Jà voir* juges emperiaus,
Rois, prévos ne offlciaus,
Por moi n'en rendra jugement ;
Ge m'en plaindrai tant solement
A mon bon confesseur novel , ■
Qui n'a pas non frère Love! ,
Mes frère Leus, qui tout deveure,
Combien que devant la gent eure* :
Que cil*, jurer l'ose et plevir**,
Me saura bien de vous cbevir*.
Car si vous saura atraper,
* Et vins pouvez en con-
séquence m'acquitter.
* Satisfait.
'Crains, redoute.
Pouvez.
*Nije n'ai.
' IVe le veux.
' Pouvoir
* Jamais vraiment.
*Prie.
*Car celui-là.** Garantir.
* f'enir à bout.
14
LE ROMAN
Que ne li porrés eschaper
Sans honte et sans diffamement ,
S'il n'a du vostre largement.
Qu'il n'est si fox ne si entules*,
Qu'il n'ait bien de Rome des bules,
S'il li plest, à vous tous semondre*,
Por vous travailler et confondre
Assés plus loing de deus jornées.
Ses letres sunt à ce tornées,
Qu'eles valent miex qu'autentiques
Communes, qui sunt si escliques*,
Qui ne valent qu'à huit persones.
Tex* letres ne sunt mie bones;
ÎMès les soes* à tous s'estendent
Et à tous leus, qui droit desfeudent;
IMès de vos drois n'a-il que faire,
Tant est poissans, de grant affaire.
Ainsinc de vous esploitera,
Jà por prière n'el lera*,
Ne por défaute de deniers,
Qu'assés en a en ses greniers :
Car Chevance est ses séneschaus,
Qui d'aquerre est ardens et chaus;
Et Porchas, ses frères germains,
Qui n'est pas de porchacier* vains,
Mes curieus trop plus d'assés,
Por quoi il a tant amassés,
Par ce est-il si haut monté,
Que tous autres a sormonté. •
Et si m'aïst* Diex et sains Jaque?,
Se vous ne me volés à Pasques
Douer le cors nostre Seigneur,
Sans vous faire presse greigneur*,
Ge vous lairrai* sans plus atendre,
Et Tirai tantost de li prendre ;
* Fou, étourdi.
Convoquer.
* Minces.
* Telles.
* Les siennes.
'' Laissent.
* Cogner.
: Et m'aide
'Plus grande.
* Laisserai.
(v. 12109.) DE LA ROSE. 15
Car hors soi de vostre dangier*, ■ * Pouvoir.
Si me vueil de vous estrangier*. *E*Je veur de vous WiV-
° carter.
Ainsinc se [met cil * confessier * Celui-là.
Qui vuet son provoire* Iessier ; * Prêtre.
Et se li prestres le refuse ,
Ge sui prest que ge l'en encuse,
Et de li pugnir en tel guise,
Que perdre li ferai s'église*. *Son église.
Et qui de tel confession
Entent la consécucion,
James prestres n'aura puissance
De congnoistre la conscience
De celi dont il a la cure* : * Le soin.
C'est contre la sainte Escripture,
Quicomande au pastour honeste
Coguoistre la vois de sa beste;
Mes povres famés, povres homes,
Qui de deniers n'ont pas grans somes ,
Vueil -ge bien as prélas Iessier,
Et as curés por confessier,
Car cil noient* ne me douroient. * Néant, rien.
Le dieu d'Amours.
Porquoi?
Faux-Semblant.
Par foi! qui ne porroient,
Comme chétives geus et lasses * ; * Malheureuses.
Si que g'en ai les berbis grasses,
Et li pastour auront les maigres.,
Combien que ce mot lor soit aigres.
Et se prélat oseut groucier*, * Gronder.
Car bien se doivent correcier
Quant il perdent lor grasses bestes,
Tiex cop* lor donrai sor les testes, *7W coup.
16
LE ROMAN
I3I40.)
Que lever i ferai tex* boces,. * Telles.
Qu'il en perdront mitres et croces.
Ainsiuc les ai tous corrigiés,
Tant sui fort privilégiés.
L'Acteur.
Ci se volt* taire Faus-Semblant; * Voulut.
Mes Amors ne fait pas semblant
Qu'il soit ennoiés de l'oïr,
Ains li dist, por eus esjoïr :
Le dieu cV Amours.
Di-nous plus espéciaument,
Comment tu sers desloiaument,
Ne n'aies pas du dire bonté :
Car, si cum* tes babis nous conte, * Ainsi que.
Tu semblés estre uns sains lier mi tes.
Faux-Semblant .
C'est voirs*, mes ge sui ypocrites. * C'est vrai.
Le dieu d'Amours.
Tu vas préescbant astenance*. * Abstinence.
Faux-Semblant.
Voire voir, mes g'emple * ma pance
De bons morciaus et de bons vins,
Tiex comme il affiert à devins*.
Le dieu d'Amours.
Tu vas préescbant povreté
Faulx-Semblant.
Voir, mes riche Sui à planté* * Avec abondance.
Mes, combien que povre me faingne,
*:■:•. ; ni :, en vi ntir mais
j'emplis.
* Tels comme il appartient
a iin ologiens.
(v. I2TGI.J
DE LA ROSE.
17
Nul povre ge ne contredaingne.
J'ameroie miex l'acointance,
Cent mile tans*, du roi de France, * Fois.
Que d'un povre, par nostre Dame!
Tout éust-il ausinc* bone ame. *Auss
/ Quant ge voi tous nus ces truans
Tremliler sor ces femiers puans,
De froit, de fain crier et braire,
JNe m'entremet de lor affaire.
S'il sunt à l'ostel-Diex porté,
Jà n'ierent par moi conforté*,
Que d'une aumosne toute seul 3
Ne me paistroieut-il la geule,
Qu'il* n'ont pas vaillant une sècbe :
Que donra qui son coutiau lèche?
De folie m'entremetroie,
Se en lit à chien saiug querroie*;
Mes d'un riche usurier malade
La visitance est bone et sade* :
Celi vois-ge * réconforter,
Car g'en cuit * deniers aporter ;
Et se la maie mort l'enosse*,
Bien le convoi* jusqu'à la fosse.
Et s'aucuns vient qui me repraingne
Porquoi du povre me rel'raiugue*,
Savés-vous comment g'en eschape?
Ge fais entendant par ma chape
Que li riches est entéchiés
Plus que li povres de péchiés,
S'a greignor mestier* de conseil,
Por ce i vois, por ce le conseil.
Neporquant autresinc* grant perte
Reçoit Pâme en trop grant poverte*,
Cum el fait en trop grant richesce ;
L'une et l'autre igaument* la blesce : * Également.
* Ils ne seront pas par moi
réconfortés.
* Car ils.
* Graisse je cherchais
* Sa coureuse.
* Celui-là vais-je.
('mis.
* La mauvaisemortletue.
* L'accompagne.
* Dispense.
* Il a plus grand besoin.
* Pour cela j'y vais.
* Néanmoins aussi.
* Pauvreté.
18 LE ROMAN (v. 1219c.)
Car ce sunt deus extrémités
Que richesce et mendicités.
Li moiens* a non So/fisance : * Le juste milieu.
Là gist des vertus l'abondance,
Car Salemons tout au délivre * *Tout nu long.
Nous a escrit en un sien livre \
Des Paraboles, c'est le titre,
Tout droit ou trentiesme chapitre :
« Garde-moi, Diex, par ta puissance,
De richesce et de mendiance*. * Mendicité.
Car riches lions, quant il s'adresce
A trop penser à sa richesce,
Tant met son cuer en sa folie,
Que son Creator en oblie.
Cil que mendicité guerroie,
De péclhé comment le guerroie?
Envis* avient qu'il ne soit lierres** * Rarement. ** Larron.
Et parjurs,ouDiexestmentierres* (I). » *. Menteur.
Se Salemons dist de par lui
La letre que ci vous parlui* ; * Rapportai.
Si puis bien jurer sans délai
Qu'il n'est escrit en nule lai,
(Au mains n'est-il pas en la nostre)
Que Jhésu-Cris, ne si apostre,
Tant cinii il alèrent par terre,
Fussent onques véus pain querre * : * Chercher.
Car mendier pas ne voloient.
Ainsinc préeschier le soloieut* * Avaient l'habitude.
Jadis par Paris la cite
Li mestre de divinité* : *Thêologie.
(ii Vanitalem, et verba mendacia longe fac a me. — Mendicitatcm et
divilias ne dederis milii; Iribue lanlum victui meo necessaria, ne forte
salialus illiciac ad negandum, et dicam : Quis est Dominus? aut egestate
compulsus lurer, et perjurem nonien Dei mci. [Liber Proverbiorum ,
vers. 8, cap. 30.)
V. 12220.
DE LA ROSE.
19
Si péussent-il demander
De plain pooir, sans truander* ; * Mendier.
Car, de par Dieu, pastor estoient,
Et des âmes la cure* avoient : *Le soin.
Néis* après la mort lor mestre, * Même.
Recommencièrent-il à estre
Tantcst laboréors* de mains ; * Travailleurs.
De lor labor, ne plus ne mains,
Recevoient lor sostenance*, * ils se sustentaient.
Et vivoient en paeience ;
Et se remnnant* en avoient , * Reste.
As autres povres le donoient ;
N'en fondoient paies ne sales,
Ains gisoient en maisons sales (1).
Puissans lions doit, bien le recors* , * Rappelle.
As propres mains, au propre cors,
En laborant* querre son vivre, * Travaillant.
S'il n'a dont il se puisse vivre ,
Combien qu'il soit religieus,
Ne de servir Dieu curieus ;
Ainsinc faire le li convient,
Fors es* cas dont il me sovient, * Si ce n'est dans les.
Que bien raconter vous saurai,
Quant tens de raconter aurai.
Et encor devroit-il tout vendre,
(I) Dans quelques manuscrits on lit de plus les vers suivants :
Les dis saint Augustin cerehiez,
Entre ses escris reverchiez *
Les livres des ouvres des moines :
Là Mirez que nules essoines *
Ne doit querre * li honis parfeiz,
Ne par parole ne par l'eu,
Combien qu'il soit religieus
Et de servir Dieu curieus ;
Qu'il ne doie, bien le recors *,
As propres mains et propre cors
En laborant* quérir son vivre,
S'il n'a propre dont puisse vivre.
Feuilletez.
Excuses.
Chercher.
* Je le rappelle.
* En travaillant.
20
LE ROMAN
V. I225I.
Et du labor sa vie prendre,
S'il est bien parlais en bonté :
Ce m'a PEscripture conté.
Car qui oiseus hante autrui table,
Lobierres* est, et sert de fable. *Conteur de sornettes.
N'il n'est pas, ce sachiés, raison
D'escuser soi par oraison :
Car il convient en toute guise
Entrelessier le Diex servise
Por ses autres nécessités.
Mangier estuet*, c'est vérités, ' * il faut.
Et dormir et faire autre chose,
Nostre oroison lors se repose :
Ausinc se convient-il retraire* * Retirer.
D'oroison por son labor faire ;
Car l'Escripture s'i acorde,
Qui la vérité en recorde*. * Rapporte.
Et si desfent Justiuiens,
Qui (ist nos livres anciens (1),
Que nus bons*, en mile manière, * Nul homme.
Poissans de cors, son pain ne cpiière*, *Ne cherche.
Por qu'il le truisse* à graingnier;
L'en le devroit miex mehaingnier*
Ou en faire aperte* justice,
Que soustenir en tel malice.
Ne font pas ce que faire doivent
Cil qui tex * aumosnes reçoivent ,
S'il n'en ont espoir* priviliége
Qui de la poine les aliége;
Mais ne cuit* pas qu'il soit eus
Se li princes n'est décéus,
* Pourpeu qu'il le trouve.
Supplicier.
* Ouverte, publique.
' Crus qui telles.
' Peut-être
* Crois.
(i) Ce passage a fait soupçonner que l'auteur éloit homme de loi-
Voyez, sur la législation romaine du moyen âge, et sur la connaissance du
code de Juslinien à celle époque, notre commentaire sur VHistoire de la
(/uerre de Navarre, de Guillaume Anelier, pag. 390, 391.
12282.)
DE LA ROSE.
21
Ne si ne recuit* pas savoir
Qu'il le puissent par droit avoir.
Si ne fais-ge pas terminance*
Du prince ne de sa puissance ,
Me par mon dit* ne voil comprendre
S'el se puet en tel cas estendre ,
De ce ne me doi entremette.
Mes ge croi que, selonc la letre,
Les aumosnes qui sont déues
As lasses* gens povres et nues,
Fiebles et viez et mehaiugniés*,
Par qui pains n'iert mes* gaaingniés
Por ce qu'il n'en ont la puissance ,
Qui les mangue en lor grevance *,
Il mangue son dampnement*,
Se Cil* qui (ist Adam ne ment.
Et sachiés, là où Diex comande
Que li prodons quanqu'il* a vende,
Et doint* as povres et le sise,
Por ce ne vuet-il pas qu'il vive
De li servir en mendience* :
Ce ne l'u onqucs sa seutence ;
Ains* entent que de ses mains ouvre,
Et qu'il le sive par bone euvre.
Car sains Pous* comanda ovrer
As apostres por recovrer
Lor nécessités et lor vies ,
Et lor desfeudoit truandies *,
Et disoit : « De vos mains ovrés ,
Jà sor autrui ne recorés. »
Ne voloit que riens demandassent
A quelques gens qu'il préeschassent,
Ne que l'évangile vendissent;
Ains* doutoit que s'il requéissent,
Qu'il ne tossissent en requerre* ;
* Ni je ne crois encore.
* Et je ne pose pas des bor-
nes.
* Ma parole.
* Malheureuses.
* Vieilles et infirmes.
* Ne sera pins.
* A leur détriment.
* Sa damnation.
* Celui, Dieu.
* Que l'honnête homme
ce qu'il,
* Lionne (sulij .) .
'Mendicité.
Mais.
"Saint Paul.
* Gueuseries.
Mais.
* l 'niassent en deman-
dant.
22 LE ROMAN (v. 10317.)
Qu'il sunt* maint donéor eu terre * Car d y a.
Qui por ce douent, au voir* dire, * frai.
Qu'il Ont honte de l'eSCOlldire*, * Refuser, ('conduire.
Ou li requérans lor ennuie,
Si li* douent por qu'il s'enfuie. * Et ils lui.
Et savés que ce lor prou f fi te ?
Le don perdent et la mérite. »
Quant les bones gens qui ooient
Le sermon saint Pol, li prioient
Por Dieu qu'il vosist* du lor prendre, * Voulût-
N'i vosist-il jà la main tendre;
Mes du labor* des mains prenoit * Travail.
Ce dont sa vie sostenoit.
Amours.
Di-moi donques comment puet vivre
Fors homs de cors qui Dieu vuet sivre,
Puis qu'il a tout le sien vendu,
Et as povres Dieu despeudu* , * Dépense.
Et vuet tant solement orer * * Prier.
Sans jamès de mains laborer * . * Travailler.
Le puet-il faire?
Faulx-Semblant.
Oïl.
Amours.
Comment?
Faulx-Semblant.
S'il entroit, selon le commant (I)
(I) Tout ce qui est dit par Faulx-Semblant de l'obligation dans laquelle
sont les moines de vaquer a des œuvres manuelles, est tiré d'un traité
de saint Augustin, intitulé de Opère monachorum, ad Jureliam, episco-
pum Carlhaginïensem. Ce fut à l'instigation de cet évéque que saint Au-
gustin entreprit cet ouvrage. 11 y avoit de son lumps plusieurs monas-
(v.
DE LA ROSE.
23
Saint Augustin, eu abbaie
Qui fust de propre bien garnie,
Si cum sunt ore cil* blanc moine,
Cil noir, cil réguler chanoine,
Cil de TOspital, cil du Temple,
Car bien puis faire d'eus exemple,
Et i préist sa soustenance* ,
Car là n'a point de mendiance* :
Neporquant* maint moine laborent**,
Et puis au Dieu service* acorent ;
Et por ce qu'il fu grant discorde
En un tens dont ge me recorde*,
Sur Testât de mendicité,
Briefment vous iert ci* recité
Comment puet bons mendians estre
Qui n'a dont il se puisse pestre.
Les cas en orrés tire-à-tire*,
Si qu'il n'i aura que redire,
Maugré les felonesses jangles* ;
Car vérités ne quiert nus angles * ,
Si porrai-ge bien comparer*
Quant onc osai tel champ arer*.
U Acteur.
Paulx-Semlilant dit cy vérité.
De tous cas de mendicité.
'Ces.
* Et s'y sustentât.
* Mendicité.
* Néanmoins. *kTravail.
lent.
' Au sci vice de Dieu.
' Rappelle.
Sera ici.
* llout il bout.
* Méchants propos.
*Ke cherche nuls coins,
détours.
* Payer.
* Labourer.
Vez-ci les cas espéciaus :
tères à Cartilage; el parmi ces différents moines, les uns Iravailloient ,
suivant le précepte de l'Apôtre; les autres, appuyés sur le conseil évangé-
licjue,, qui dit : Regardes les oiseaux et les lis des champs, à qui la Pro-
vidence/ail trouver des ressources journalières, se croyoient en droit de
vivre des dilations des lidéles, sans se donner la moindre j:eine. Cet excès
de fainéantise avoit révolté les laïcs; ce fui donc pour terminer ces dis-
putes et pour iixer le» oMigalions des n.oines, que saint Augustin com-
posa son, traité, qui se trouve au tome III de ses Œuvres, édit. de Paris,
lGôl , et au tome VI de l'édit. Ces PP. Bénédictins. tL. D. P.)
24
LE ROMAN
Se li bons* est si bestiaus
Qu'il n'ait de nul mestier science,
Ne n'en désire l'ignorance,
A mendiance se puet traire*
Tant qu'il sache aucun mestier faire
Dont il puisse sans truandie*
Loiaument gaaiugnier sa vie ;
Ou s'il laborer* ne péust
Por maladie qu'il éust,
Ou por viellesce ou por enfance,
Torner se puet en meudiance*;
Ou s'il a trop, par aventure,
D'acoustumée norreture
Vescu délicieusement,
Les bones gens communément
En doivent lors avoir pitié,
Et souffrir-le par amitié
Mendier et son pain quérir,
ISon pas lessier de tain morir ;
Ou s'il a d'ovrer la science,
Et le voloir et la puissance,
Prest de laborer* bonement,
Mes ne trueve pas prestement
Qui laborer faire li voille
Por riens que faire puisse ou soille*,
Bien puet lors en mendicité
Porchacier* sa nécessité;
Ou s'il à son labor gaaiugne ,
Mes il ne puet de sa gaaingne*
Suffisamment vivre sor terre,
Bien se puet lors mètre à pain qucrre*,
Et d'huis en buis partout tracier*
Por le remenant porchacier*;
Ou s'il vuct por la loi desfendre
Quelque chevalerie empreudre*,
* Si l'homme.
* Tirer, mettre.
* Gueuserie.
* Travailler.
* II jicut se mettre à men-
dier.
^Travailler.
'Ail habitude.
* Gagner.
* Son gain.
* Chercher.
* Suivre.
*Gagner le reste.
* Entreprendre.
(v. i23<js.) DELAROSE. 25
Soit d'armes, ou de lectréure*, * Littérature.
Ou d'autre convenable cure*, * Occupation.
Se povreté le va grevant ,
Bien puet, si cum * j'ai dit devant, * Ainsi que.
Mendier tant qu'il puisse ovrer
Por ses estovoirs* recovrer, * Besoins.
Mes* qu'il ovre de mains itiex**, * Pourvu. ** Telles.
Non pas de mains esperitiex*, * Spirituelles.
Mes de mains du cors proprement,
Sans metre-i double entendement.
En tous ces cas et en semblables,
Se plus en trovés raisouables
Sor ceus que ci présens vous livre,
Qui de mendiance vuet vivre,
Faire le puet, non autrement,
Se cil de Saint-Amor ne ment,
Qui disputer soloit* et lire, * Avait coutume.
Et préeschier ceste ma tire
A Paris, avec les devins* : * Théologiens.
Jà ne m'aïst* ne pains ne vins, *Que jamais ne m'aide.
S'il n'avoit en sa vérité
L'acort de l'Université
Et du pueple communément,
Qui ooient sou presebement.
Nus prodons * de ce refuser * Homme de bien.
Vers Dieu ne se puet escuser.
Qui grocier* eu vodra, si grouce, * Gronder.
Qui correcier, si s'en corrouce,
Car ge ne m'en teroie mie,
Se perdre en dévoie la vie,
Ou estre mis, contre droiture * , * Justice.
CommesainsPous,enchartre*oscure, " Comme saint Paul en
prison.
Ou estre bannis du roiaume
A tort, cum fu mestre Guillaume (1)
(I; Guillaume de Saint- Amour, chanoine de Beauvais, prêcha contre
2G
LE ROMAN
V. 12432.
De Saint-Amor, qu'Ypocrisie
Fist essilier, par grant envie.
Ma mère en essil le chaca.
Le vaillant home tant braça
Por vérité qu'il soustenoit,
Vers ma mère trop mesprenoit*,
Por ce qu'il fist un novel livre
Où sa vie fist toute escrivre.
Et voloit que je renoiasse
Mendicité et laborasse* ,
Se ge n'avoie de quoi vivre;
P.icn me voloit tenir por ivre ,
Car laborer ne me puet plaire,
De laborer n'ai-ge que faire :
Trop a grant paine en laborer;
.T'aim miex devant les gens orer*,
Et affubler ma reuardie*
Du mantel de papelardie *.
Le dieu d'amours.
Qu'est-ce, diable! quiex sunt ti dit*?
Qu'est-ce que tu ;is ici dit?
Agissait trop mal.
* travaillasse.
* Prier.
* Duplicité .
Hypocrisie.
* Quelles sont tes paroles
l'hypocrisie des ecclésiastiques, et principalement des moines. (Du Haillan,
llist. de France.)
Floruit Guillelmus de Sancto-Amore, doctor sorbonicus, qui scripsit
contra ordinem mendicantium. (Genehrardus in Chronographia .)
« Ce docteur, qui vivoit en I2GO, composa un traité sous le titre des
■< Périls des derniers temps, pour la défense de l'Écriture et de l'Église,
« contre les périls qui menaçoient l'Église universelle, de la part des hy-
i pocrites et faux prédicateurs, se fourrant es maisons, oiseux, curieux,
« vagabonds. » Cet ouvrage est divité en quatre livres; il a pour but de
rendre à l'Université de Paris la tranquillité qui avoil été troublée en (213,
par la doctrine des religieux mendiants. Saint Bonaventure et saint Tho-
mas d'Aquin y répondirent. Le pape Alexandre IV condamna le livre de
Saint-Amour, de Periculis novissimorum lemporum, où il déclame contre
la pauvreté fictive des mendiants; et ceux-ci remuèrent tant de ressorts
qu'ils le tirent bannir du royaume. (L. D. D.)
(v. 12452.)
DE LA ROSE.
27
Faux-Semblant.
Quoi?
Amours.
Grans desloiautés apertes*. * Claires.
^Dont ne criens-tu pas Dieu?
Faux-Semblant.
J\"on, certes,
Qu'envis* puet à grant chose ataindre * Car difficilement.
En ce siècle, qui Dieu vuet craindre :
Car li bon qui le mal eschivent*, * Évitent.
Et loiaument du lor se vivent,
Et qui sclonc Dieu se maintienent,
Envis de pain à autre vienent.
ïex* gens boivent trop de mésaise : * Telles.
Ps'est vie qui tant me desplaise.
Mes esgardés cum de deniers
Ont usurier en lor greniers,
Faussonnier* et terminéour**,
Baillif, prévoz, bediaus, maiour*.
Tuit vivent presque de rapine,
Li menus pueples les encline * ,
Et cil comme leus les déveurent.
Trestuit sor les povres gens queurent,
IV'est nus qui despoillier n'es vueille ,
Tuit s'afublent de lor despueille ,
Trestuit de lor sustances hument,
Sans eschauder tous viz * les plument. * Vifs.
Li plus fors le plus liéble robe*; "Dérobe.
Mes ge qui vest ma simple robe;
Lobans* lobés et lobéors, * Dupant.
Robe* robes et robéors. * Je dt robe.
Par ma lobe entasse et amasse
* Commis des gabelles, et
non fa ux- m onn a ;/c urs,
comme le veut Méon.
" arpenteurs, et non ban-
queroutiers.
* Maires.
* Salue.
28
LE ROMAN
Grans trésors en tas et en masse ,
Qui De puet por riens afunder * ;
Car, se g'en lais palais funder,
Et acomplis tous mes déliz*
De compaignies en déliz,
De tables plaines d'entremez
(Car ne voil autre vie mes),
Recroist mes argens et mes ors :
Car, ains que soit vuis* mes trésors,
Deniers me vienent a resours* :
Ne fais-ge bien tuinber mes hours* ?
En aquerre est toute m'entente*,
Miex vaut mes porchas* que ma rente. * Gain.
S'en me devoit tuer ou batre,
Si me voilge par tout embatre*. * M'ingérer,
* Tarir, s'épuiser.
Goûts.
* Car avant que soit vide.
* En abondance.
* Manœuvres
* Ma pensée.
Amours.
Tu semblés sains bons*.
* Saint homme.
F aulx- Semblant.
Certes voire*.
Ordener me fis à provoire*,
Sui le curé de tout le monde
Si cum il dure à la réoude.
Par tout vois les âmes curer *,
Nus ne puet mes sans moi durer,
Et préeschier et conseillier,
Sansjamèsde mains travcillier;
De Tapostole* en ai la bule.
Qui ne me tient pas por entule*.
Si ne querroie* jà cessier
Ou d'empereors confessier,
Ou rois, ou dux, ou bers*, ou contes ;
TMès de povres gens est-ce hontes.
1 Vraiment.
k Comme prêtre.
* Je vais prendre soin des
âmes:
* Du pape.
* Étourdi.
* I-ijî ne voudrais
* Barons.
(v. I25H.) DE LA ROSE. 29
Je n'aime pas tel confession,
Se n'est par autre occasion;
Ge n'ai cure de povre gent,
Lor estât n'est ne bel ne gent.
Ces empereris*, ces duchesses, * Impératrices.
Ces roïnes et ces contesses,
, Ces hautes dames palasines,
Ces abéesses, ces béguines (1),
Ces baillives, ces chevalières,
Ces borgoises comtes* et fières, * Coquettes.
Ces nonains et ces damoiseles,
Por* que soient riches ou bêles, * Pourvu.
Soient nues ou bien parées,
.Ta ne s'en iront esgarées ;
Et por le sauveraient* des âmes *Saiut.
J'enquiers des seignors et des dames
Et de trestoutes lor mesnies*, * Maisons.
Les propriétés* et les vies, *Ce qui leur est propre.
Et lor fais croire et mez es* testes *Dans les.
Que lor prestres curez sunt bestes
Envers moi et mes compaignons,
Dont j'ai moult de mauves gaignon *, * Chiens.
A qui ge suel*, sans riens celer, *J'ai l'habitude.
Les secrés des gens révéler ;
Et eus ausinc tout me révèlent,
Que* riens du monde ne me cèlent. *Car.
Et por les félons aparçoiv/e
Qui ne cessent des gens déçoivre,
(l)Ce nom se donnoit aux lilles d'une ancienne congrégation séculière
établie en plusieurs lieux de Flandres, de Picardie et de Lorraine. Il y a
des auteurs, au nombre desquels est le P. Thomassin, qui ont regardé
les béguines comme des espèces de chanoinesses ou de bénélicières. Jean
de Meun paroit les prendre ici dans cette acception.
Du Cange le fait dériver de Begi/a, tille de Pépin de Landau, sœur de
sainte Gfertru.de, qui institua des religieuses nommées béguines. (Mêon.
3.
30
LE ROMAN
12539.)
Paroles vous dirai jà ci
Que nous lisons de saint Maci*,
C'est assavoir l'évangelistre,
Au vingt et troisième chapistre (1) :
Sor la chaière Moysi*
(Caria glose l'espont* ainsi,
C'est le Testament ancien),
Sistrent* Scribe et Pharisien,
(Ce sunt les lauces gens maudites
Que la letre apele ypocrites).
Faites ce qu'il sermoneront,
Ne faites pas ce qu'il feront.
De bien dire n'icrent jà* lent,
Mes de faire n'ont -il talent*.
Il lient as gens décevables
Criés* faiz qui ne sunt pas portables,
Et sor lor espaules lor posent ;
Mais o* lor doi movoir n'es osent.
* Saint Matthieu.
k Sur la chaire de Moïse.
* L'expose.
S'assirent.
* Ne seront pas.
■ * Désir.
* Lourds.
"Avec.
.Imuurs.
Porquoi non-
Faulx- Semblant.
Par foi, qu'il ne vuelent,
Car les espaules sovent suelent*
As portéors des faiz doloir* :
Por ce fuient-il tel voloir.
S'il font euvres qui boues soient,
C'est por ce que les gens les voient.
Lor philatères* eslargissent,
Et lor fimbries* agrandissent,
Ont coutume,
* Faire mal.
* Reliquaires portatifs.
* Franges.
(i) Super catliedram Moysi sederunt Sciïhae et Pharisœi. Omnia ergo
quxeumque dixerint vobis, servate, et facile; secundum opéra vero
eorum nolile facere : dicunt enim, et non faciunt. {Vers, 2 et 3.;
12566.)
DE LA ROSE.
31
Et des sièges aiment as tables
Les plus haus, les plus honorables,
Et les premiers es* sinagogues,
Cum fier et orguilleus et rogues ,
Et ament que l'eu les salue
Quant il trespassent par la rue,
Et vuelent estre apelé mestre,
Ce qu'il ne devroient pas estre :
Car l'évangile vet* encontre,
Qui lordesloiauté démonstre.
Une autre coustume r'avons
Sor eeus que contre nous savons :
Trop les volons forment haïr,
Et tuit par acort envaïr.
Ce que l'un het, li autres héent*,
Trestuit à confundre le béent*,
Se nous véons qu'il puist conquerre
Par quelque engin* honor en terre,
Provendes* ou possessions,
A savoir nous estudions
Par quele eschiele il puet monter;
Et por li miex prendre et douter,
Par traïsons le diffamons
Vers ceus, puis que nous ne l'amons.
De s'eschiele les eschilons *
Ainsinc copons, et l'essillons
De ses amis, qu'il n'en saura
Jà mot, que perdus les aura.
Car s'en apert* les grevions,
Espoir* blasmés en serions.
Et si faudrions à nostre esme*;
Car se nostre entencion pesme*
Savoit cil*, il s'en desfendroit,
Si que l'en nous en reprendroit.
Grant bien se l'uns de nous a fait.
'Dans les.
Ta.
* Haïssent,
* Aspirent .
* Artifice.
* Prébendes.
" De son échelle les êche-
lons.
* Ouvertement.
* Peut-être.
* Et nous manquerions
notre but.
* Très-mauvaise.
*Celui-là.
32 LE ROMAN (t.
Par nous tous le tenons à fait;
Voire*, par Dieu, s'il le faiguoit, * Vraiment.
Ou sans plus vanter s'en daignoit
D'avoir avanciés aucuns homes,
Tuit du fait parçoniers* nous somes, * Participants.
Et disons, bien savoir devés,
Que tex* est par nous eslevés. *Tel.
Et por avoir des gens loenges ,
Des riches homes, par losenges*, * Flatteries.
Empêtrons que letres nous doignent
Qui la bonté de nous tesmoignent,
Si que l'en croie par le munde
Que vertu toute en nous habunde.
Et tous jors povres nous faignons;
Mes comment que nous nous plaignons,
ISTous somes , ce vous fais savoir,
Cil qui tout out sans riens avoir.
Ge m'entremet de corretages,
Ge faiz pais, ge joing mariages,
Sor moi preng execucions,
Et vois* en procuracions; "Fais.
Messagiers sui, et fais euquestes
Qui ne me sunt pas moult honestes;
Les autrui besoignes traitier,
Ce m'est un trop plesant* mestier; "Agréable.
Et se vous avés riens à faire
Vers cens entor qui ge repaire* , * Retourne.
Dites-le moi, c'est chose faite :
Si tost eu m la m'aurés retraite*, "Rapportée.
Por quoi vous m'aies bien servi,
Mon servise avés déservi*. «. * Mérite.
Mes qui chastier me vodroit ,
Tantost ma grâce se todroit* : "S'enlèverait.
Je n'aim pas home ne ne pris* * Prise
Par qui ge sui de riens repris.
(v. 12036.)
DE LA ROSE.
33
Les autres voil-ge tous reprendre,
Mes ne voil lor reprise entendre :
Car ge qui les autres chasti*,
rs'ai mestier d'estrange chasti*.
Si n'ai mes cure d'ermitages •
T'ai laissié désers et bocages,
Et quil* à saint Jehan-Baptiste
Du désert et manoir et giste.
Trop par estoie loin gités.
Es bors*, es cbastiaus, es cités,
Fais mes sales et mes paies,
Où l'en puet corre à plains eslès* ;
Et di que ge sui hors du monde,
Mes ge m'i plonge et m'i al'onde* ,
Kt m'i aése et baigne et noe*
Miex que nus poissons de sa noe*.
Ge sui des valez Antecrist ,
Des larrons dont il est escrit
Qu'il ont habiz de saintéé*,
Et vivent en tel faîntéé*.
Dehors semblons aigniaus pitables '
Dedens somes leus ravissables,
Si avirons-nous* mer et terre ;
A tout le monde avons pris guerre,
Et voulons du tout ordener
Quel vie l'en i doit mener.
S'il i a chastel ne cité
~, , t ■ .--.-«, * Hérétiques, sodomltes.
Ou bogre * soient récite , *« /, ,
Néis s'il ierent de Melan * , ^*"« s''7s étaient de m
;i) Après avoir parlé, sous l'année 1179, d'hérétiques qui Iroublaient
lors la France, el de leurs doctrines, Guillaume Guiart ajoute :
Dont touz jors a en Lnmbardie
Qui ce croient ouvertement, etc.
[Branche des royaux lignages, v. ltS"> ; clans les Chroniques
nationales françaises, éd. de Yerdière, t. Vil, p. 37.)
* Reprends.
* Je n'ai besoin de remon-
trance d'étranger.
* Et j'abandonne.
* Dons les bourgs.
* Course, élan.
* Enfonce.
* Nage.
* 'Nageoire.
* Sainteté.
* Dissimulation.
* Pleins de pitié.
* Et nous environnons.
31 LE ROMAN (y. raeos.)
Car ausinc les en blasme-1'en ;
Ou se nus* home oultre mesure *ûu si nul.
Vent à terme ou preste à usure,
Tant iert* d'aquerre curieus, *Sera.
Ou s'il iert trop luxurieus,
Ou lerres* ou simoniaus, * Larron.
Soit prévost ou officiaus,
Ou prélas de jolive* vie, *Gaie.
Ou prostrés qui tiengue s'amie,
Ou vielles putains hostelières,
Ou maqueriaus ou bordelières,
Ou repris de quelconque vice
Dont l'en devroit faire justice :
Par trestous les sainz que Peu proie*, * Prie.
S'il ne se desfent de lamproie,
De luz*, de saumon ou d'anguile, *Dc brochet.
S'en le puet trover eu la vile,
Ou de tartes ou de flaons,
Ou de fromages en glaons*, "Osiers.
Qu'ausinc est-ce moult bel joel ,
Ou la poire de cailloel*, * Espèce de poire.
Ou d'oisons gras ou de chapons
Dont par les geules nous frapons;
Ou s'il ne lait venir en haste
Chevriaus, connis* lardés en paste, * Lapins.
Ou de porc au mains une longe ,
11 aura de corde une longe
A quoi l'en le menra brusler,
Si que l'en l'orra bien nier * * De unie qu'on l'entendra
1 bien hurler.
D'une grant liue tout entor.
Ou sera pris et mis en tor,
Dans une noie de noire édition de la Chronique d'Anelier consacrée à
signaler l'antipathie que les Italiens inspiraient autrefois aux Français,
nous avons cité les vers de Jean de Meung; mais nous craignons de les
avoir mal compris. Voyez pag. 481-480.
(v. I2G05.'
DE LA ROSE.
35
Por estre à tous jors enmurés,
S'il ne nous a bien procurés,
Ou sera pu gui du mesfait,
Plus espoir* qu'il n'aura mesfait.
Mais cil se tant d'engin* a voit
Qu'une grant tor faire savoit,
Ne li chausist* jà de quel pierre,
Fust sans compas ou sans esquierre,
Z^séis* de motes ou de fust**,
Ou d'autres riens quéque ce fust,
Mes qu'il éust léans* assés
De biens teraporex amassés,
Et drecast sus une pcrrière
Qui lancast devant et derrière,
Et des deus costés ensement*
Encontre nous espessement,
Tex* cailloz cum m'oés nomer,
Por soi faire bien renomer,
Et gitast à grans mangonniaus*
Vins en bariz ou en tonniaus,
Ou grans sas* de centaine livre,
Tost se porroit véoir délivre;
Et s'il ne trueve tex* pitances ,
Estudit en équipolances*,
Et lest ester leus et fallaces*,
S'il n'en cuide aquerre nos grâces;
Ou tel tesmoing li porterons,
Que tout vif ardoir* le ferons,
Ou li donrons tel pénitence
Qui vaudra pis que la pitance.
.là ne les conguoistrés as robes
Les faus traïstres plains de lobes* :
Lor faiz vous estuet* regarder,
Se vous volés d'eus bien garder;
Et se ne fust la bone garde
Peut-être.
* Il use, habileté.
* Importât,
*Méme. **Bois.
Là-dedans.
* Pareillement.
*Tels.
* E-pèccs de machines de
guerre.
Sacs.
* Telles.
* Qu'il étudie en équipol-
lences.
"Et laisse de côté lieux
(communs] et fourbe ries.
* Brûler,
Sornettes.
'Faut.
36 LE ROMAN (t. 12730.)
De l'Université qui garde
La clef de la crestienté ,
Tout éust esté tormenté,
Quant par mauvèse entencion,
En l'an de l'Incarnation
Mil et deus cens cinc et cinquante ,
(N'est lions vivans qui m'en démeute,)
Fu baillés, c'est bien chose voire*, * fraie.
Por prendre commun exemploire,
Uns livres de par le déable :
C'est l'Evangile pardurable (1),
Que li Sainz-Esperiz meuistre*, * Administre.
Si cum il aparoit au tistre ;
Ainsiuc est-il entitulé,
Bien est digue d'estre bruslé.
A Paris n'ot home ne faîne
Ou parvis, devant Nostre-Dame (1),
Qui lors avoir ne le péust
A transcrire, s'il li pléust :
(i) Évangile pardurable ; voici ce qu'en dit Henri Estienne, au chap. 30
de l'Apologie d'Hérodote :
« Lts jacobins et les cordeliers, sur les Mémoires de l'abbé Joachim et
sur les visions d'un canne nommé Cyrille, tirent un livre intitulé l'É-
vangile éternel ou du Suint-Esprit, dont le but étoit de prouver que
l'état de grâce ne procédoit pas de la loi de l'Évangile, mais de la loi de
l'Esprit. C'est avec de telles armes que ces religieux mendiants voulurent
combattre l'hérésie des Vaudois ou pauvres de Lyon, don! fut auteur un
Jean de Vauldois , qui \ivoit en 1170. Alexandre IV, comme le raconte
Platine, lit briller l'Évangile pardurable. Guillaume de Saint-Amour,
au nom de l'Université de Paris, s'éleva beaucoup contre cet ouvrage, que
ses auteurs disoient être autant au-dessus de l'Évangile de J.-C. que le
soleil est supérieur à la lune par sa clarté. » (L. D. D.)
(2) Il y avoit auprès Lie Notre-Dame une école qu'Abailard appeloit
Schola Parisiaca. Les écoliers en étoient devenus si nombreux, que les
cbanoines de Notre-Dame s'en trouvèrent incommodés, et en 1257 ces
écoles, qui éloient au septentrion, furent transférées au midi, entre le
palais épiscopal et l'Hôlel-DTeu. MÉON.J
[y-
DE LA ROSE.
37
Là trovast par grant mesprison*
Mainte tele comparaison.
Autant cum par sa grant valor,
Soit de clarté, soit de chalor,
Sormonte li solaus* la lune,
Qui trop est plus troble et plus brune,
Et li nciaus des nois la coque,
(Ne cuidiés pas que ge vous moque,
Sor m'ame, le vous di sans guile*, )
Tant sormonte ceste Evangile
Ceus que li quatre évangélistres
Jhésu-Crist firent à lor tistres.
De tex comparoisons grant masse
I trovast-1'en, que ge trespasse.
L'Université, qui lors ière*
Endormie, leva la chière*;
Du bruit du livre s'esveilla,
N'onc puis gaires ne someilla;
Ains s'arma por aler encontre ,
Quant el vit cel horrible monstre
Toute preste de bataillier,
Et du livre as juges baillier.
Mes cil qui là le livre mistrent,
Saillirent sus* et le repristrent,
Et se hastèrent d'el repondre*,
Car il ne savoient respondre
Par espondre, ne par gloser *
A ce qu'en voloit oposer
Contre les paroles maldites
Qui en ce livre sunt escriptes.
Or ne sai qu'il en avendra,
Ne quel cbief cis livres tendra ;
Mes encor lor convient atendre
Tant qu'il le puissent miex desfendre.
Ainsiuc Autecrist atendrons,
ROMAN DE LA ROSE. — T. II.
'Faute.
Le soleil.
* Tromperie.
* Etait.
* Figure.
* S'élancèrent.
* De le cacher.
* Par exposition ou par
glose.
38 LE ROMAN (v. i27si.)
Tuit ensemble à li nous rendrons :
Cil qui ne s'i vodront aerdre*, * Attacher.
La vie lor con vendra perdre.
Les gens encontre eus esmovrons
Par les baraz* que nous covrons, * Tromperies.
Et les ferons deSglavier*, . * Périr par le glaire.
Ou par autre mort dévier*, * Mourir.
Puisqu'il ne nous vodront ensivre*, * Suivre.
Qu'il est ainsinc escript ou* livre *Car n est ainsi écrit au.
Oui ce raconte et segnefie :
Tant cum Pierres ait seignorie,
Ne puet Jehans monstrer sa force.
Or vous ai dit du sens l'escorce
Qui fait l'entencion repondre* : * Cacher.
Or vous en voil* la moele espondre**. "Feux. "Eœposer,
Par Pierre voil le Pape entendre,
Et les clercs séculiers comprendre
Qui la loi Jhésu-Crist tendront,
Et garderont et desfendront
Contre trestous empeschéors ;
Et par Jehan les preschéors,
Qui diront qu'il n'est loi tenable
Fors l'Evangile pardurable,
Que li Sains-Esperiz envoie
Por mètre gens en bone voie.
Par la force Jehan entent
La grâce dont se va vantant
Qui vuet peschéors convertir
Por eus faire à Dieu revertir*. * Reton
Moult i a d'autres déablies
Commandées et establies
En ce livre que ge vous nome,
Qui sunt contre la loi de Rome,
Et se tienent à Antecrist ,
Si cum gc truis ou* livre escrit. ''Ainsi quejt trouve au.
(y. I28I9.)
DE LA ROSE.
39
Lors commanderont à occierre
Tous ceus de la partie Pierre;
Mes jà n'auront pooir d'abatre ,
Ne por occirre, ne por batre
La loi Pierre, ce vous plevis*,
Qu'il n'en demore assés de vis*
Qui tous jors si la maintendront,
Que tuit en la fin i vendront,
Et sera la loi confondue
Qui par Jehan est entendue.
Mes or ne vous en voil* plus aire,
Que trop i a longue matire * ;
Mes se cis livres iïist passés,
En greignor* estât fusse assés;
S'ai-ge jà de moult grans amis,
Qui en grant estât m'ont jà mis.
De tout le monde est emperères
Baras, mes sires et mes pères;
Ma mère en est empereris*.
Maugré qu'en ait Sains-Esperis,
Rostre poissans lignages règne :
Nous régnons ore en chascun règne'
Et bien est drois que nous régnons,
Que trestout le monde fesnoiis* ,
Et savons si les gens déçoivre,
Que nus ne s'en set aparçoivre ;
Ou qui le set aparcevoir,
.N'en ose-il descovrir le voir*.
Mes cil en l'ire Dieu se boute *,
Quant plusde* Dieu mes frères doute*'
N'est pas en foi bons champions
Qui crient tex* simulacions,
Ne qui vuet poine refuser
Qui puist venir d'eus encuser.
Tex lions* ne vuet entendre à voir**.
* Garantis.
* l'irants.
"Mais maintenant je ni
vous en veux.
* Ma tic iv.
*Plus grand.
* Impératrice.
* Royaume.
* Charmons, ensorcelons.
*Frai.
* Mais celui-ci en la colère
de Dieu se met.
* Que. " Craint, redou-
te.
*Telles.
* Tel humme.
rite.
**A la vé-
40
LE ROMAN
(v. 12854.
Sans faute.
* M'emporte.
* Personne.
* Quelles.
* De ■prier.
* Ouvertement .
* Dernier.
* Plus grande folie.
* Exalter.
* Élégantes.
** Paraissent .
ÏSe Dieu devant ses iex avoir;
Si l'en pugnira Diex sans l'aille*.
Mes ne m'en chaut* comment qu'ilaille,
Puisque l'amor avons des homes;
Por si bones gens tenus somes,
Que de reprendre avons le pris,
Sans estre de nulli* repris.
Quex * gens doit-1'en donc honorer,
Fors nous qui ne cessons d'orer*
Devant les gens apertement*,
Tout soit-il darriers* autrement?
Est-il greignor forsenerie*
Que d'essaucier* chevalerie,
Et d'amer gens nobles et cointes *
Qui robes ont gentes et jointes?
S'il sunt tex* gens cum il aperçut **,
Si net cum netement se perent*,
Que lor diz s'acort à lor lais*,
iVest-ce grans duels et grans sorfais*,
S'il ne vuelent estre ypocrite?
Tes gens puist* estre là maudite!
.Ta certes tiex gens n'amerons,
Mes béguins à grans chaperons (l),
As chières* pasles et alises**,
Qui ont ces larges robes grises
Toutes fretelées* de crotes,
Hosiaus froncis* et larges botes
Qui resemblent borce à caillier* :
A ceus doivent princes baillier
A governer eus et lor terre,
Ou soit par pais, ou soit par guerre.
A ceus se doit princes tenir
(I) Les béguins estoient une espèce de moines qui estoient mariés; ils
furent condamnés au concile de Cologne en 1260, et au concile généra
de Vienne l'an 131 1. On les apptloit aussi béguards. (L. D. D.)
* Telles.
* Parent.
* Que leur parole s' accorde
avec leurs actions.
" Excès.
*Tel monde puisse.
* Mines. ** Maigres.
* Brodées.
* Chausses froncées.
* Chasseur de cailles.
DE LA ROSE.
41
Qui vuet à grant honor venir;
Et s'il sunt autres qu'il ne semblent,
Qu'ainsinc la grâce du inonde emblent '
Là me voil embatre* et fichier,
Por décevoir et por trichier.
Si ne voil-ge* pas por ce dire
Que l'en doie humble habit despire*,
Por quoi dessous orgoil n'abit :
Nus ne doit haïr por l'abit
Le povre qui s'en est vestus ;
Mes Diex n'el prise deus festus,
S'il dist qu'il a lessié le monde,
Et de gloire mondaine habonde,
Et de délices vuet user.
Qui puet tel béguin escuser,
Tel papelart*, quant il se rent,
Puis va mondains déliz* quérant,
Et dist que tous les a lessiés,
S'il en vuet puis estre engressiés?
C'est li mastins qui gloutement*
Retorue à son vomissement.
Mes à vous n'osé-ge mentir ;
Car se ge péusse sentir
Que vous ne l'aparcéussiés,
La menchoigne* ou poing éussiés,
Certainement ge vous boulasse * :
Jà por péchié ne le lessasse ;
Si vous poré-ge bien faillir,
S'ous* m'en déviés mal-baillir**.
* fuient.
* Enfoncer.
* Et je ne veux.
* Mépriser.
* Hypocrite.
* Délices mondaines.
* Gloutonnement.
'Mensonge.
* Trompasse .
* Si vous.
Maltraiter.
L'Acteur.
Li diex sorrist de la merveille,
Chascuns s'en rist et s'en merveille,
Et dient • « Ci a biau sergent*,
Où bien se doivent fier gent. »
'Serviteur.
V2
LE ROMAN
V. 12019.
Le dieu d 'Amours.
Faulx-Semblant, dist Amors, di-moi,
Puisque de moi tant t'aprimoi *, * T'approches .
Qu'en ma cort si grant pooir as,
Que rois des ribaus i seras ,
Me tendras-tu ma convenance * ? * Promesse.
Faulx-Semblant.
Oïl, g'el vous jure et fiance* ;
N'onc n'orent sergent plus leal
Yostre père ne vostre eal*.
Amours.
Comment! c'est contre ta nature.
Faulx-Semblant.
Mctés-vous-en à l'aventure;
Car se pièges* en requerés,
.Ta plus aséur n'en serés,
>"on voir, se g'en balloie* ostages,
Ou letres, ou tesmoings, ou gages.
Car, à tesmoing vous eu apel,
L'on ne puet oster de sa pel *
Le leu*, tant qu'il soit escorcliiés,
Jà tant n'iert* batus ne torchiés.
Cuidiés-vous que ne tricbe et lobe*,
Por ce se ge vest simple robe ,
Sous qui j'ai maint grant mal ovré?
Jà par Dieu mon cuer n'en movré;
Et se j'ai simple cbière et coie*,
Que de mal faire me recroie*?
M'amie Contrainte-Astenance
A mesticr de ma porvéance * :
Piecà* fust morte et mal-baillie** ,
* Certifie.
* I. I.
Cautions.
' Donnais.
* Prou.
* Loup.
*Tant fût-il.
* Plaisante.
* Figure et tranquille.
* Cesse.
I besoin que je la pourvoie.
* Depuis longtemps.
** Maltraitée.
(v. 12945.)
DE LA ROSE.
43
S'el ue m'éost en sa baillie*;
Lessiés-nous li et moi chevir*.
Amonrs.
Or soit; gc t'en croi sons plevir*.
L Acteur.
Et li lierres eus* en la place,
Qui de traïson ot * la face
Blanche dehors, dcdens nercie,
Si s'agenouille et l'en mercie.
Doue n'i a fors de l'atornér* :
« Or à l'assaut sans séjorner*, »
Ce dist Amors apertement.
Dont s'arment tuit communément
De tex* armes cum armer durent.
Armé sunt; et quant armé furent,
Si saillent sus tuit abrivé*.
Au fort chastel sunt arrivé,
Dont jà ne béent* à partir
Tant que tuit i soient martir,
Ou qu'il soit prisains* qu'il s'en partent.
Lor batailles* en quatre partent** :
Si s'en vont as quatre parties
Si cum lor gens oreut parties*,
Por assaillir les quatre portes
Dont les gardes n'ièrent* pas mortes,
Ne malades ne pareceuses,
Ains èrent* fors et viguereuses.
* Puissance.
* l'unir a bout.
* Garantir.
'El le larron dedans.
'Eut.
* Préparer.
* Retarder.
* 'Clair* ment.
*De telles.
* Ils s'élancent tous em-
pressés.
* Cherchent, veulent.
* Avant.
* Bataillons,
g en t.
Partagés.
*N'étaient.
* Mais étaient.
'Parla-
Comment Fauta-Semblant cy sermone
De ses habit/., et puis s'en tome,
Luy et Abstinence-Contrainte,
Vers Ma!c-Bouchc, tout par feinte.
Or vous dirai la contenance
De Faulx- Semblant et d' Astenance ,
u
LE ROMAN
(v. 12972.)
Qui contre Maie-Bouche vindrent.
Entr'eus deus un parlement tindrent
Comment contenir se devroient,
Et se congnoistre se feroient,
Ou s'il iroient desguisié.
Si ont par acort devisié*
Qu'il s'en iront en tapinage*
Ausinc cum en pèlerinage,
Cum boue gent piteuse* et sainte.
Tantost Astenance-Contrainte
Vest une robe cameline*,
Et s'atorne comme béguine,
Et ot d'un large cuevrecbief
Et d'un blanc drap covert le chief * :
Son psaltier mie n'oblia.
Unes patenostres i a
A un blanc laz* de fil pendues,
Qui ne li lurent pas vendues :
Douées les li ot uns frères
Qu'ele disoit qu'il ert ses pères*,
Et le visitoit moult sovent
Plus que nul autre du coveut;
Et il sovent la visitoit,
Maint biau sermon li récitoit.
Jà por Faulx-Semblant ne lessost
Que sovent ne la confessast ;
Et par si grant dévocion
Faisoient lor confession ,
Que deus testes avoit ensemble
En un cbaperon, ce me semble.
De bêle taille la devis*.
Mes un poi fu pâle de vis* ;
El resembloit, la pute* lisse,
Le cheval de l'Apocalipse,
Qui sénefie la gent maie*
* Arrête, résolu,
* Tapinois.
* Miséricordieuse .
* De laine grossière.
* La tête.
* Lac, lacet.
* Était son parc.
* Décris.
* Visage.
* Puante.
* Mauvaise.
(y. 13007.) DELAROSE. 45
D'ypocrisie tainte et pâle :
Car ce cheval sor soi ne porte
Nule color, lors pale et morte.
D'itel COlor eillaugorée* * Annonçant la langueur.
lert* Astenance colorée; * Était.
De son estât se repentoit,
Si cum ses vis* représentoit. *Son visage.
De larrecin ot un bordon
Qu'el reçut de Barat por don,
De triste pensée roussi :
Escharpe ot plaine de soussi.
Quant el fu preste, si s'en torne
Faulx-Semblans, qui bien se ratorne ,
Et aussi cum por essoier,
Vestuz les dras frère Sohier.
Lachière*otmoultsimpleetpiteuse**: "Mine. ** Empreinte de
Ne regardeure orgiulleuse
N'ot-il pas, mes douce et peisible.
A son col portoit une bible.
Après s'en va sans escuier,
Mes por ses membres apuier
Ot, ausinc cum par impotence,
De traïson une potence ;
Et list en sa manche glacier* * Glisser.
Un bien trenchant rasoer d'acier,
Qu'il fist forgier à une forge
Que l'en apele Cope-Gorge.
Tant va chascun et tant s'aprouche,
Qu'il sunt venu à Maie-Bouche
Qui à sa porte se séoit.
Trestous les trespassans véoit,
Les pèlerins choisist* qui vienent, *Vit.
Qui moult humblement se contienent.
46
LE ROMAN
(y. lao-io.
Com Faulx-Semblant et Abstinence
Pour l'Amant s'en vont sans doubtance
Saluer e faulx Maie-Bouche,
Qui des bons souvent dit reprouche.
Encline l'ont moult humblement;
Astenanee premièrement
Le salue, et de li va près.
Faulx-Semblans le salue après ,
Et cil eus; mes onc ne se mut,
Qu'il n'es douta ne ne eremut* :
Car quant véus les ot ou vis*,
Bien les conut. Ce li fu vis*
Qu'il conoissoit bien Astenanee,
Mes n'i sot riens de contraignance.
Ne savoit pas que fust contrainte
Sa larronesse vie fainte ;
Ains cuidoit qu'el venist de gré *.
Mes el venoit d'autre degré;
Et s'ele de gré commença,
Failli-li grés dès lors en çà.
Semblant r'avoit-il moult véu,
Mais faus ne Pot pas conéu.
Faus iert-il*, mes de fausseté
>"e l'éust-il jamais reté* :
Car li Semblans si fort ovroit,
Que la fausseté li covroit;
Mes s'avaut le conéussiés,
Qu'en ses dras véu réussies,
Bien jurissiés le B.oi célestre
Que cil qui devant soloit estre*
De la dance li biaus Robins,
Or est devenus jacobins.
Mes sans faille*, c'en est la some,
Li jacobin sunt tuit prodome* :
Mauvèsement l'ordre tendroient,
* Car il ne I '.s redouta ni
né les craignit.
* lu visage.
* Avis.
* Mais croyait qu'elle vint
de son bon gre.
* Était-il.
* Accusé.
* Avait coutume d'être.
1 Sans faute.
Gens de bien.
(y. ami.) DE LA ROSE. 47
Se tel mer.esterel estaient;
Si* sunt cordelier et barré, * Ainsi.
Tout soient-il gros etquarré ,
Et sachent tuit li autre frère,
N'i a cel qui prodons n'apère*. 'Homme de bien ne jxi-
Mes jà ne verres d'aparence
Conduire bonne conséquence
En nul argument que l'en face,
Se défaut existence esface :
Tous jors i troverés sofime
Qui la conséquence envenime,
Se vous avés sotilité* * Subtilité.
D'entendre la duplicité.
Quant li pèlerin venu furent
A Maie-Bouche où venir durent,
Tout lor bernois moult près d'eus mistrent;
Delez Maie-Bouche s'assistrent,
Qui lor a dit : « Or ça venés,
De vos novcles m'aprenés,
Et me dites quel achoison* * Occasion .
Vous amaine en ceste maison. »
Abstinence-Contrainte .
« Sire, dist Contrainte-Asteneuce,
Por faire nostre pénitence
De fin cuer net et enterin* * Entier.
Somes ci venu pèlerin.
Presque tous jors à pié alons,
Moult avons poudrais les talons;
Si somes andui* envoie "Et nous sommes tous
deux.
Parmi cest pueple desvoie* 'Égaré.
Doner essample et préeschier
Por les péchéors péeschier;
Autre pescbaille * ne volons. * Pèche.
Et por Dieu, si cum nous solons *, * Sommes dans l'usage.
48
LE ROMAN
L'ostel* vous volons demander;
Et por vostre vie amander,
Mes* qu'il ne vous déust desplaire,
Nous vous vodrions ci retraire*
Un bon sermon à brief parole. »
L'Acteur.
Adonc* Maie-Bouche parole** :
Maie-Bouche.
L'ostel, dist-il, tel cum véés,
Prenés, jà ne vous iert nées*,
Et dites quanqu'il* vous plaira ;
G'escouterai que ce sera.
Abstinence-Contrainte.
Grant merci, sire.
V Acteur.
Adonc comence
Premièrement dame Astenence.
* Le logement.
* Pourvu.
* Rapporter.
Alors. ** Parle.
* Une vous. sera pas dénie.
'"Tout ce qu'il.
Comment Abstinence reprouche
Les paroles a Male-Bouclie.
Sire, la vertu premeraine,
La plus grant, la plus soveraine,
Que nus lions mortiex* puisse avoir
Par science, par avoir,
C'est de sa langue refréner * :
A ce se doit cbascun pener*,
Qu'adès vieut-il miex qu'en * se taise
Que dire parole mauvaise ;
Et cil* qui vclentiers l'escoutc,
* Xul homme mortel.
* Retenir.
* Prendre peine.
* Car toujours vaut-il
mieux qu'on.
* Celui.
DE LA ROSE.
-49
N'est pas prodoms*, ne Dieu ne doute**.
Sire, sor tous autres péchiés
De cestui estes entéchiés.
Une trufle pieçà* déistes,
Dont trop malement mespréistes *,
D'un varlet*, qui ci repairoit**.
Vous déistes qu'il ne queroit*
Fors que BelAcuel décevoir;
Ne déistes pas de ce voir*,
Ains en mentistes, se Dé vient,
IS'il ne va mes ci, ce ne vient,
N'espoir* jamès ne l!i verres.
Bel-Acuel en r'est enserrés*,
Qui avec vous ci se jooit
Des plus biaus gens que il pooit,
Le plus des jors de la semaine,
Sans nule pensée vilaine.
Or ne s'ose mes solacier*,
Le varlet avés fait chacier,
Qui se venoit ici déduire*.
Qui vous esmut à li tant nuire,
Fors que vostre maie* pensée
Qui mainte mençonge a pensée?
Ce mut vostre foie loquence*
Qui bret et crie et noise et tence*
Et les blasmes as gens esliève,
Et les désonore et les griève
Por chose qui n'a point de prueve,
Fors d'aparence ou de contrueve*.
Dire vous os tout en apert*
* Homme de bien. ** Re-
doute.
* Un mensonge depuis
longtemps.
* Michamment.
* Jeune homme. ** Tenait.
* Foulait.
* Vérité.
*Ni peut-être.
* En est de son côté enfer-
* Recréer.
* Amuser.
* Mauvaise.
* Bavardage.
* Et fait du bruit et dis-
pute [l).
* Invention.
* Clairement.
(1) ISoiser était encore en usage en 1627, date d'une pièce où on ie re-
trouve; mais il commençait à vieillir. Voyez les Lettres nouvelles conte-
nant le privilège d'avoir deux femmes, etc., dans les Variétés historiques
et littéraires, revues et annotées par M. Edouard Fournier, tom. III,
pag. I4G.
5
50
LE ROMAN
I3I5G.)
Qu'il n'est pas voir quanqu'il apert*.
Si r'est péchiés de controver*
Chose qui fait* à réprover;
Vous-méismes bien le savés,
Por quoi plus grant tort en avés;
Et neporquant* il n'i fait force,
Il n'i donroit pas une escorce
De chesne, comment qu'il en soit.
Sachiés que nul mal n'i pensoit;
Car il i alast et venist,
Nule essoigne* ne le tenist.
Or n'i vient mes, n'il n'en a cure .
Se n'est par aucune aventure ,
En trespassant, mains que li autre ;
Et vousgaitiés laucc sus (autre*
A ceste porte sans sejor* :
Là muse musart toute jor.
Par nuit et par jor i veilliés,
Par droit néant vous traveilliés*.
Jalousie, qui s'en atent
A vous, ne vous vaudra jà tant;
Si r'est de Bel-Acueil damages,
Qui sans riens acroire* est en gages,
Sans forfait en prisou demore :
Là languis! li chetis, et plore.
Se vous n'aviés plus mesfait
Ou monde que cestui forfait,
Vous déust-1'en, ne vous poist* mie,
Bouter* hors de ceste baillie*,
Mètre en charlre*, ou lier en fer.
Vous eu irés ou puis d'enfer,
Se vous ne vous en repentes.
* frai tout ce qui parait .
Inventer.
*Qni est.
'Néanmoins.
Excuse.
* Lu arrêt.
* Retard.
Ne vous fatiguez.
* Devoir,
* Pèse (sul)j .)
* fausser. ** Domination,
l'risnu .
Maie- Bouche.
Certes, dist-il, vous i mentes;
(v. I3I39.)
DE LA ROSE.
51
Mal soiés-vous ores venu.
Vous ai-ge por ce retenu,
Por moi dire honte et lédure*?
Par vostre grant malaventure
Me tenissiés-vous por bergier;
Or aies aillors herbergier,
Qui m'apelés ci mentéor :
Vous estes dui enchanléor
Que m'estes ci venu blasmer.
Et, por voir dire, mésamer*.
Alés-vous ore ce quérant?
A tous les déables me rent,
Et vous, biau Diex, me confondes,
S'ains* que cis chastiaus fust fondés,
Ne passèrent jor plus de dis
Qu'en le me dist, et g'el redis ,
Et que cil la Rose bèsa,
Ne sai se plus s'en aésa*.
Porquoi me féist-1'en acroire
La chose, s'ele ne fust voire*?
Par Dieu, ge dis et redirai,
Et croi que jà n'en mentirai,
Et cornerai à mes buisines*,
Et as voisins et as voisines,
Comment par ci vint et par là.
V Acteur.
Adonques Faulx-Semblans parla.
* Injure.
* El, à vrai dire, détester.
* Si avant.
* En prit ses aises.
* rentable.
* Avec mes trompettes.
Comment Maie-Bouche escouta
Faux-Semblant, t|ui tost le mata.
Sire, tout n'est pas évangile
Quanque* l'en dit aval la vile :
Or n'aies mie oreilles sordes,
* Tout ce que.
52
LE ROMAN
(v. I32I8.)
Vous savés bien certainement
Que nus n'aime entérinement*,
Por tant qu'il le puisse savoir,
Et ge vous pruef* que ce sunt bordes,
Tant ait en li poi* de savoir,
Home qui mesdie de lui.
Et si r'est voirs, s'onques le lui*.
Tuit amant volentiers visitent
Les leus où lor amor habitent;
Gis* vous honore, cis vous aime,
Cis son très-chier ami vous claime*;
Cis partout là où vous encontre,
Bêle chière et lie* vous monstre,
Et de vous saluer ne cesse.
Si ne vous fait pas ci grant presse,
IN'estes pas trop par lui lassés ;
Li autre i vienent plus assés.
Sachiés, se ses ciiers l'en pressast,
A la Rose il s'en apressast " ,
Et ci sovent le véissiés,
Voire* prové le préissiés,
Qu'il ne s'en péust pas garder,
S'en le déust* tout vif larder :
Il ne fust or mie en ce point.
Donc sachiés qu'il n'i bée* point;
Non fait Bel-Acueil vraiement,
Tant en ait-il mal* paiement.
Par Dieu, s'andui bien le vosissent*,
Maugré vous la Rose coillisseut.
Quant du valet* mesdit avés
Qui vous aime, bien le savés,
Sachiés, s'il i éust béance*,
.là n'en soies en mescréance,
James nul jor ne vous amast,
Ne ses amis ne vous clamast*;
* Complètement.
* Prouve.
*Peu.
* Lus.
* Celui-là.
* Appelle.
* Mine et joyeuse.
* Ils' approchât de lu Rose.
* l'raiment.
* Le dût-on.
* Aspire.
* Mauvais.
' Si tous deux bien le mu.
latent .
* Jeune homme.
* Désir, intention .
* Appelât.
(v. 13253.) DE LA ROSE. 53
Et vosist* penser et veillier *froulùt.
Au chastel prendre et essillier*, * Ruiner.
S'il fust voirs*, car il le séust, * Frai.
Qui que soit dit le li éust.
De soi le pooit-il savoir,
Puis qu'accès n'i poïst* avoir *N'y put.
Si cum* avant a voit eu ? * Ainsi que.
Tantost l'éust aparcéu.
Or le fait-il tout autrement,
Donc avés-vous outréement* * De reste.
La mort d'enfer bien déservie* , * Méritée.
Qui tel gent avés asservie.
V Jeteur.
Faulx-Semblans ainsinc le li prueve.
Cil ne set respondre à la prueve ,
Et voit toutevois aparance ;
Près qu'il n'en chiet* en repentance, * Choit, tombe.
Et lor dit :
Maie-Bouche.
« Par Dieu, bien puet estre.
Semblant, ge vous tiens à bon mestre,
Et Astenance moult à sage :
Bien semblés estre d'un corage*. * Avoir le même esprit.
Que meloés-VOUS* que je face? * Conseillez-vous ■
Faulx-Semblant .
Confès serés en ceste place,
Et ce péchié, sans plus, dires,
De cestui vous repentirés;
Car ge sui d'ordre*, et si sui prestre, * Dans les ordres.
De confessier le plus haut mestre
Qui soit, tant cum li mondes dure ;
LE ROMAN
I32SI.
J'ai de tout le monde la cure*.
Ce n'ot onques prestres curés ,
Tant fust à s'église jurés ;
Et si ai, par la haute Dame,
Cent tans* plus pitié de vostre ame,
Que vos prestres parochiaus*,
Ta tant n'iert vostre espéciaus*.
Si r'ai-ge* un moult grant avantage,
Prélat ne sunt mie si sage
Ne si letré de trop com gié*.
.l'ai de divinité* congié,
Voire par Dieu pieçà* l'eu,
Por confessier m'ont esléu
Li meillor qu'en puisse savoir
Par mon sens et par mon savoir.
Se vous volés ci confessier,
Et ce péchié sans plus lessier,
Sans faire-eu jamès mencion,
Vous aurés m'asolucion. »
* Le soin.
'Fois.
* De paroisse.
* Jamais tant ne sera- 1- il
votre spécial.
* Et foi de mon coté.
* Comme moi.
* Théologie.
* Il ij a longtemps.
Comment la langue fut coupée,
D'un usiner, non pas d'une espée,
Par Faulx-Semblant à Maie-Bouche,
Dont il client mort comme une souche.
L'. Jeteur
Maie-Bouche tantost s'abesse,
Si s'agenoille et se confesse,
Car verais repentans jà iert*; *il était déjà.
Et cil par la gorge l'aiert*, * Le saisit.
A deus poius l'estraint*, si l'estrangle, #* Le serra.
Si li a tolue la jangle*; * Le caquet.
La langue à* son rasoer li oste. * Avec.
Ainsinc chevirent* de lor oste, * Ainsi vinrent à bout.
Ne l'ont autrement enossé*, *Tiré.
(V. 13309.
DE LA ROSE.
Puis le tumbent* en un fossé ;
Sans desfcnse la porte quassent,
Quassée l'ont, outre s'en passent.
Si troverent léans* dormans
Trestous les sodoiers * normans,
Tant orent béu à Guersai *
Du vin que ge pas ne versai ;
Eus-méismes Forent versé
Tant que luit furent enversé.
Ivres et dormans les estranglent,
.là ne seront mes tex qu'il janglent*.
' Le font tomber,
* Là dedans.
* Soldats.
* Jersey.
" Ils ne seront jamais tels
qu'ils bavardent.
Comment Faulx -Semblant, qui conforte
Maint amant, passa tost la porte
Du chastel, avecques s'amie,
Aussi Largesse et Courtoisie.
Fz-vous* Cortoisie et Largece
La porte passent sans parece ;
Si sunt là tuit quatre assemblé,
Repostement et en emblé*.
La vielle qui ne s'en gardoit,
Qui Bel-Acuel pieçà * gardoit,
Ont tuit quatre ensemble véue :
De la tor estoit descendue,
Si s'esbatoit parmi le baile* ;
D'un ebaperon en leu de vaile*,
Sor sa guimple ot covert sa teste.
Contre li corurent en beste*,
Si la vous assallent tuit quatre.
Kl ne se volt* pas faire batre,
Quant les vit tous quatre assemblés.
La Fiet lie.
Par foi, dist-ele, vous semblés
Bone gent, vaillant et cortoise :
/ 'oici .
* En secret et en cachette.
* Depuis longtemps.
Enceinte.
* foi le.
*Hdte.
* Voulut.
56 LE ROMAN (v. 13337
Or me dites, sans faire noise*, * Bruit,
Si ne me tiens-ge pas por prise,
Que querés en ceste porprise *. "Endos.
Les quatre respondent :
Por prise, douce mère tendre!
Nous ne venons pas por vous prendre ,
Mes solement por vous véoir;
Et S'il VOUS puet plaire et Seoir* , * Et paraître séant.
Nos cors offrir tout plenement
A vostre douz comandement ,
Et quanque* nous avons vaillant, *Tout ce que.
Sans estre à nul jor desfallant* : * Manquant.
Et s'il vous plesoit, douce mère,
Qui ne fustes onques amère,
Requerre vous qu'il vous pléust,
Sans ce que nul mal i éust,
Que plus laiens* ne lauguissist * Là dedans.
Bel-Acuel, ainçois s'en issist* * Mais en sortit.
O* nous un pelitet joer, * Avec.
Sans ses pies gaires emboer ;
Ou voilliés au mains qu'il parole* * Qu'il parle.
A Ce valet* Une parole , * Jeune homme.
Et que li Uns l'autre Confort* , * Réconforte, console.
Ce lor sera moult grant confort,
Ne gaires ne vous coustera;
Et cil vostre homs lige sera,
Neis* vostre serf, dont vous porrés * Même.
Eaire tout quanque vous vorrés*, *Ce que vous voudrez.
Ou vendre ou pendre ou méhaignier*. * Estropier.
Bon fait un ami gaaignier,
Et vez ci de ses joelés* ; * Joyaux.
Cest fermail* et ces anelés *Agraffe.
Vous doue, voire un garnement* * Costume.
Vous donra-il prochainement.
(v. 13370.) DELAHOSE. 57
Moult a franc cuer, cortois et large,
Et si ne vous fait pas grant charge;
De li estes forment amée ,
Et si n'en serez jà blasmée,
Qu'il est moult sages et celés*. * Discret.
Si prions que vous le celés
Ou qu'il i aut* sans vilenie, * Aille.
Si li aurés rendu la vie.
Et maintenant ce chapelet* * Chapeau.
De par li de flors novelet,
S'il vous plest, Bel-Acuel portés,
Et de par li le confortés,
Et l'estrenés d'un biau salu :
Ce li aura cent mars valu.
La Vieille respond.
Se Diex m'aïst*, s'estre péust * Si Dieu m'aide.
Que Jalousie n'el séust,
Et que jà blasme n'en oïsse,
Dist la vielle, bien le féisse ;
Mes trop est maternent janglerres* * Méchamment bavard.
Maie-Bouche li fléutieres*. "Flûieur.
Jalousie l'a fait sa gaite*, * Sentinelle.
C'est cil qui trestous nous agaite;
Cil bret et crie sans desfense
Quanqu'il * set, voire quanqu'il pense, *Tout ce qu'il.
Et contrueve néis matire*, ' EtinventemémemaHère.
Quant il ne set de qui mesdire.
S'il eu devoit estre pendus ,
N'en seroit-il jà desfendus.
S'il le disoit à Jalousie,
Li lerres*, il m'auroit honnie. *Le larron.
Les quatre respondent.
De ce, font-il, n'estuet* douter, *.v faut.
58 LE ROMAN (▼. 13401.)
James n'en puet riens escouter,
Ne véoir en nnle manière ;
Mors gist là hors en leu de bière
En ces fossés gole baée*. * Béante.
Sachiés, se n'est chose faée*, *Fée.
James d'eus deus ne janglera*, * Causera.
Car il ne résuscitera,
Se déables n'i font miracles
Ou par venins ou par triades* ; *Thériaques.
James ne les puet encuser. ^
La ïicille respond :
« Donc ne quiers-ge jà * refuser, * Feux-je pas.
Dist la vielle, vostre requeste,
Mes dites-li que il se heste*. *H<\ie.
Ge li troveré bien passage,
.Mes n'i parost mie à outrage*, * v"h ?»'« »'.'/ Parle p08
' avec excès.
Ne n'i demeurt pas longuement,
Et viengne trop celéement (t),
Quant ge le li ferai savoir;
Et gart sor cors et sor avoir
Que nus bons* ne s'en aparçoive, *Nvl homme.
Ne riens n'i face qu'il ne doive,
Bien die sa volenté toute. »
Les quatre.
« Dame, ainsi fera-il, sans doute, »
Font cil.
I? Acteur.
Et chascuns l'en mercie :
Ainsinc ont ceste euvre bastie;
Mes comment que la chose soit,
(i) Si non caslé, liât caulè.
V. 13428.
DE LA ROSE.
59
Faulx-Semblans, qui aillors pensoit,
Dist à voiz basse à soi-méisme :
Faulx-Semblant.
Se cil por qui nous empréismes
Ceste euvre, de riens me créust,
Puisque d'amer ne recréusl*,
S'ous* ne vous i acordissiés,
Jà guères n'i gaainguissiés
Au loing aler, mien escient,
Qu'il i eutrast en espiant,
S'il en éust et tens et leu.
L'en ne voit pas tous jors le leu*,
Ains prent bien ou tart* la berbis,
Tout la gart-1'en par les herbis*.
Une bore alissiés* au mostier,
Vous i demorastes moult ier;
Jalousie qui si le guile*,
R'alast espoir * hors de la vile ;
Où que soit convient-il qu'il aille.
Il venist lors en repostaille*,
Ou par nuit devers les cortiz*,
Seus*, sans chandele et sans tortiz**;
Se n'iert* d'amis qui le guetast,
Espoir si l'en amonestast;
Par confort * tost le conduisist,
Mes* que la lune ne luisist :
Car la lune, par son cler luire,
Seult* as amans mainte fois nuire.
Ou il entrast par les fenestres,
Qu'il* set bien de l'ostel les estres ;
Par une corde s'avalast* :
Ainsinc i venist et alast.
Bel-Acuel, espoir, descendist
Es* cortiz où cil l'atcndist,
'Cessât.
* Si vous.
*Loup.
* Mais il prend bien tar-
divement.
* Herbages.
* Iriez.
* Trompe.
* Peut-être.
* Cachette .
* Basses-cours.
*Seul. ** Torches.
* S'il n'était.
* Consolation.
Pourvu.
* Coutume.
*Car il.
* Descendit.
* Dans te:-;.
60
LE ROMAN
Ou s'enfoïst hors du porpris"
Où tenu Pavés maint jor pris,
Et venist au valet* parler,
S'il à li ne poïst * aler ;
Ou quant endormis vous séust,
Se tens et leu avoir péust,
Les huis* eutr'overs li lessast.
Ainsinc du bouton s'apressast*
Li fins* amans qui tant i pense ,
Et le coillist lors sans desl'ence ,
S'il poïst par nule manire
Les autres portiers desconfire.
* Enceinte.
* Jeune homme.
* Pouvait (subj.).
* Portes.
* S'approchât.
* L'accompli.
L'Amant.
Et ge qui guères loing n'estoie,
Me pensai qu'ainsinc le l'eroie.
Se la vielle me met conduire,
Ce ne me doit grever ne nuire;
Et s'el ne vuet, g'i enterrai
Par là où miex mon point verrai,
Si cum Faulx-Semblans l'ot pensé
Du tout m'en tieng à son pensé.
V Acteur.
La vielle illec* plus ne séjoroe, * Là.
Le trot à Bel-Acael retorne,
Qui la tor outre son gré garde,
Car bien se soffrist de tel garde.
Tant va, qu'ele vient à l'entrée
De la tor, où tost est entrée.
Les degrés monte liément*, * Joyeusement.
Au plus qu'el pot hastivement,
Si li trembloient tuit li membre ;
Bel-Acuel quiert de chambre en chambre,
I349I.)
DE LA ROSE.
Gl
Qui s'iert as karniaus * apuiés
De la prison, tous ennuies;
Pensif le trueve et triste et morne,
De li réconforter s'atorne*.
t. a Vieille.
« Bîaus filz, dist-ele, moult m'esmoi
Quant vous truis en si grant esmoi :
Dites-moi quiex sunt cil pensé*,
Car se conseillier vous en se ,
Jà ne m'en verres nul jor faindre. »
L'Acteur.
Bel-Acuel ne s'ose complaindre,
Ne dire-li quoi ne comment,
Qu'il ne set s'el dit voir* ou ment.
Trestout son penser li nia,
Que point de séurté n'i a ;
De riens en li ne se iioit,
Néis* ses cuers la desfioit,
Qu'il ot paoreus et tremblant,
Mes n'en osoit monstrer semblant,
Tant l'avoit tous jors redotée,
La pute vielle radotée.
Garder se volt de mesprison*,
Qu'il a paor de traïson ;
Ne li desclot* pas sa mésaise,
En soi-méismes se rapaise,
Par semblant li fait lie cbière*.
Del-Acueil.
« Certes, fait-il, ma dame cbière,
Combien que mis sus le m'aies ,
Ge ne sui de riens esmaiés*,
' Qui s'était aux créneaux.
'S'apprête.
Quelles sont ces pensées.
* Vrai.
* Même.
* Faute.
* Découvre.
* Joyeuse mine.
* En émoi.
02
LE ROMAN
V. I3Ô19.
Fors, sans plus, de vostre demore*-, * Retard.
Sans vous envis* céans demore, * Malgré moi.
Car en vous trop grant amor é.
Où avés-vous tant demore? »
La J teille.
« Où? par mon chief* ! tost le saurés , *Ma tête.
Et du savoir* grant joie aurés, *£n le sachant.
Comment la Vieille à Bel-Acueil,
Pour le consoler en son dueil,
Luy dist de l'amant tout le l'ait,
Et le grant dueil que pour luy fait.
Se proz estes, vaillans et sages,
Car en leu d'estranges messages*,
Li plus cortois valés* du monde,
Oui de toutes grâces habonde,
Qui plus de mil fois vous salue,
(Car g'el vi ore en celé rue,
Si cum il trespassoit* la voie,)
Par moi ce cliapel vous envoie ;
Volentiers, ce dist , vous verroit,
James plus vivre ne querroil*,
N'avoir un seul jor de santé,
Se n'iert* par vostre volcnté,
Se le gart Diex et sainte Fois,
Mes qu'une toute seule fois
Parler à vous, se dist, péust
A loisir, mes* qu'il vous pléust.
For vous, sans plus, aime-il sa vie,
Tous nus vodroit estre à Pavie,
Par tel couvent* qu'il séust l'aire
Chose qui bien vous péust plaire;
Ne li chaudroit * qu'il devenist,
Mes que près de li vous tenist. »
* Messagers.
* Jeune homme.
* Ainsi qu'il passait.
* fondrait .
* Si ce n'était.
* Pourvu.
* Condition.
* Importerait.
(v. 13547.) DELAROSE. 63
L'Acteur.
Eel-Acuel enquiert toutevoie
Qui cil est qui ce li envoie,
Ains* qu'il reçoive le présent, * Avant.
Por ce que doutable le sent,
Qu'il * péust de tel leu venir *Car il.
Qu'il n'el vosist* pas retenir. * Qu'il ne le voulut.
Et la vielle, sans autre conte ,
Toute la vérité li conte-
La f'ieille.
« C'est li valés* que VOUS savés, * Jeune homme.
Dont tant oï parler avés ,
Por qui pieçà * tant vous greva , * il y a longtemps.
Quant le blasme vous aleva
Feu Maie-Bouche de jadis :
.Ta n'aille s'ame en paradis!
Maint prodome* a desconforté, * Homme de bien.
Or l'en ont déables porté,
Qu'il* est mors, eschapés li somes, * Car il.
Ne pris mes sa jangle* deus pomes: *Jc "e prise plus son ca-
A tous jors en somes délivre;
Et s'il pooit ores* revivre, ' El s'il pouvait mainte-
L liant.
Ne vous porroit-il pas grever,
Tant vous séust blasme eslever :
Car ge sai plus qu'il ne iist onques.
Or me créés*, et prenés donques * Maintenant croyez-moi.
Cest chapel, et si le portés;
De tant au mains le confortés* * Réconfortez.
Qu'il vous aime, n'en doutés mie ,
De bone amor sans vilenie ;
Et s'il à autre ebose tent,
Ne m'en desciot-il* mie tant, * Révèle-t-il.
Aies bien vous i poés fier.
64 LE ROMAN (v. 13578.)
Vous li resaurez bieu nier,
S'il requiert chose qu'il ne doive.
S'il fait folie, si la boive ;
Si n'est- il pas fox, mes est sages,
C'onc par li ne lu fais outrages*, * Excès.
Dont ge le pris mie\ et si Pains*, */« le prise mieux et je
" l Vanne.
N'il ne sera jà si vilains
Qu'il de chose vous requéist
Qui à requierre ne féist.
Loiaus est sor tous ceus qui vivent ;
Cil qui sa compaignie sivent,
L'en ont tous jors porté tesmoing;
Et ge-méismes le tesmoing.
Moult est de meurs bien ordenés,
One ne fut bonis de mère nés
Qui de li nul mal entendist,
Fors tant cum Maie-Bouche en dist.
S'a-l'en jà* tout mis en oubli ; * Et Von Va déjà.
Ge-méismes par poi * l'obli, * Peu s'en faut.
Ne me sovient plus des paroles,
Fors qu'els furent fauees et l'oies,
Et li lerres les controva*, * Larron les invita.
Qui onques bien ne se prova.
Certes bien sai que mort l'éust
Li valés*, Se riens eu séllSt, * Jeune homme.
Qu'il* est preùs et hardis sans faille** : "Car il. ** Sans faute.
En cest pais n'a qui le vaille,
Tant a le cuer plain de noblece;
Il sormonteroit de largece
Le roi Artus, voire Alixandre,
S'il éust autant à despendre * * Dépenser.
D'or et d'argent corne cil orent*, * Ceux-là eurent.
Onques cil tant douer ne sorent,
Que cil cent tans * plus ne donast; * Cent fois.
Par dons tout le monde estonast,
DE LA ROSE.
Go
Se d'avoir éllSt tel planté*, * Abondance.
Tant a bon cuer en soi planté ;
JN'el puet nus* de largece aprendre. *Ne le peut nul.
Or vous lo* ce cliapel à prendre, * Conseille.
Les flors en oient* miex que basme. » * Sentent.
V Acteur.
« Par foi, g'en craindroie avoir blasme, ,
Dist Bel-Acuel qui tout frémist,
Et tremble et tressaut* et gémist, * Tressaillit.
Rougist, palist, pert contenance (1);
Et la vielle es* poins le li lance, *Dans les.
Et li vuet faire à force prendre,
Car cil n'i osoit la main tendre,
Ains dist por soi miex escuser,
Que miex li vient à refuser.
Si le vosist-il jà* tenir, * Et le voudrait déjà.
Que qu'il en déust avenir. »
Bel-Acueil.
« Moult est biaus, fait-il, li cbapiaus,
Mes miex me vendroit mes drapiaus
Avoir tous ars* et mis en cendre,
Que de par li l'osasse prendre;
Mes or soit posé que g'el praingne,
A Jalousie la grifaingne*
Que porrions-nous ore dire?
Bien sai qu'ele esrageroit d'ire,
Et sor mon cbief le descirra *
Pièce à pièce, et puis m'occirra ,
S'el set qu'il soit de là venus.
* Brûlé.
* Méchante, hargneuse.
* Et sur ma tète le déchi-
rera.
(1) M. de la Monnoye a imilé ces deux vers dans son Noël qui com-
mence :
Ein jour lai hau Dei le fi.
6.
66 LE ROMAN (v. imm.)
Or serai pris, et pis tenus
Qu'onques en ma vie ne t'ai*; * Je ne fus.
Oa S3 ge li esehappe et fui,
Quel part m'en porrai-ge fou' ?
Tout vif me verres enfoïr,
Se ge sui pris après la fuite;
Si croi-ge que j'auroie suite,
Si seroie pris eu fuiant ,
Tout li mondes m'iroit huiant.
N'el prendrai pas.
La J ieille.
Si ferés, certes :
Jà n'en aurés blasme ne pertes.
Lel-Acueil.
Et s'ele m'enquiert dont ce vint?
La Vieille.
Responses aurés plus de vint.
Bel-.lcueil.
Toutevois s'el le me demande,
Que puis-ge dire à sa demande?
Se g'cn sui blasmés ne repris,
Où diré-ge que ge le pris?
Car il le me convient respondre,
Ou aucune menconge espondre *. * Exposer.
S'el le savoit, ce vous plevis*, * Garantis.
Miex vodroie cstre mors que vis.
La J'ieille.
Que vous dires ? se n'el savés,
Se meillor response n'avès,
(v. i36«4.) DE LA ROSE. 67
Dites que gc- le vous donné :
Bien savés que tel renon é,
Que n'aurés blasme ne vergoigne
De riens prendre que ge vous doigne.
Comment, tout par l'enliortemcnt * * Exhortation.
De la Vieille, joyeusement
Bel-Acueil receut le chappel,
Pour erres * de vendre sa pel. * Arrhes.
V Acteur.
Bel-Acuel, sans dire autre chose,
Le chape! prent, et si le pose
Sor ses crins* blons, et s'asséure ; * Cheveux.
Et la vielle li rit, et jure
S'ame, son cors, ses os, sa pel*, * Peau.
C'onc ne li sist si bien cbapel.
Bel-Acuel sovent se remire*, * Regarde.
Dedens son miréor se mire
Savoir s'il est si bien séans.
Quant la vielle voit que léans* * Là-dedans.
N'avoit fors eus deus solement,
Lez li * s'assiet tout bêlement, * Prés de lui.
Si li comence à préeschier.
La rie i lie.
Ha, Bel-Acuel ! tant vous ai obier,
Tant estes biaus et tant valés !
Mon tens jolis* est tous aies , * Gui.
Et li vostres est à venir.
Poi* me porrai mes** soustenir * Peu. ** Plus.
Fors à* baston ou à potence; * Sinon avec.
Vous estes encor en enfance ,
Si ne savés que vous ferés.
Mes bien sai que vous passerés
G8
LE ROMAN
lT. 13690.
Quanque ce soit, ou tempre*, ou tart,
Parmi la flambe qui tout art*,
Et vous baingnerés en l'estuve
Où Vénus les clames estuve.
Bien sai, le brandon sentirés,
Si vous lo que vous atirés*
Ains que là vous aliés baignier,
Si cum vous m'orrés* enseignier.
Car périlleusement s'i baigne
Jones bonis qui n'a qui l'enseigne;
Mes se mon conseil ensivés*,
A bon port estes arrivés.
Saichiés, se ge fusse ausinc sage,
Quant g'estoie de votre aage,
Des geus d'Amors, cum ge sui ores*,
Car de trop grant biauté fui lores;
Mes or m'estuet* plaindre et gémir,
Quant mon vis esfacié remir*,
Et voi que froncir le convient,
Quant de ma biauté me sovieut
Qui ces valez faisoit triper*.
Tant les faisoic desfriper*,
Que ce n'iert se merveille non*.
Trop ière* lors de grant renon;
Partout coroit la renomée
De ma grant biauté renomée.
Tele aie* avoit en ma mèson,
Conques tele ne vit mes non*.
Moult iert* par nuit mes huis** hurtés,
Trop lor faisoic de durtés
Quant lor failloie de couvent* ;
Et ce m'avenoit trop soveut,
Car j'avoie autre compaignie.
. Faite eu estoit mainte folie,
Dout j'avoie courrous assés;
*Tùt.
* Brûle.
'Et je vous conseille de
vous arranger.
' Avant.
" .tinsi que vous m'enten-
drez.
Suivez.
Maintenant.
* Il nie faut.
* Regarde.
* Qui ces jeunes gens fai-
sait sauter.
" Sécher.
* S'était sinon merveille.
* J'étais trop.
* Afjluence.
* On ne vit plus.
* Était. **Ma porte.
'Manquais de parole.
(y. 13725.)
DE LA ROSE.
C9
Sovcnt en iert* mes huis cassés,
Et faites maintes tex * meslées,
Qu'aincois* qu'els fussent desmeslées,
Membres i perdoient et vies,
Par haines et par envies,
Tant i avenoit de contens*.
Se mestre Argus li bien contens
I vosist* bien mètre ses cures ,
Et venist o* ses dix figures,
Par quoi tout certifie et nombre,
Si ne péust-il pas le nombre
Des grans contens certefier,
Tant séust bien monteplier*.
Lors ert mes cors fors et délivres* ,
G'éusse or plus vaillant mil livres
De blans estellins* que ge n'ai ;
Mes trop nicement' me menai.
Bêle ère* et joue et nice** et foie,
IVonc ne fu d'Amors à escole
Où l'en léust la téorique ;
Mes ge sai tout par la pratique (1),
Expériment m'en ont fait sage (2),
Que j'ai hanté tout mon aage.
Or en sai jusqu'à la bataille,
Si n'est* pas drois que ge vous faille
Des biens aprendre que ge sai ,
Puis que tant esprové les ai.
Bien fait qui joues gens conseille.
Sans faille* ce n'est pas merveille
S'ous* n'en savés quartier ne aune,
Car vous avés trop le bec jaune*.
Mes tant a que ge ne fine,
* Était.
* Telles.
* Qu'avant.
* Disputes.
* y roulât.
* Avec.
* Multiplier. ■
" llurs était mon corps
fort et leste.
* Stcrliurjs.
* Sottement .
* Étais. ** Simple.
' El il n'est.
*Sans faute.
* Si VOUS.
* fous êtes trop simple.
(0 Ususetars docuit quod sapit omnis liomo.
(2) Experto crede magislro.
70
LE ROMAN
13757.
Que la science eu la fin é,
Dont puis bien en chaière lire.
Ne fait à foïr n'a despire*
Tout ce qui est en grant aage ;
Là trueve-1'en* sens et usage.
Ce a-l'en esprové de maint ,
Qu'au mains en la fin lor remaint*
Usage et sens por le chaté*,
Combien qu'il l'aient aehaté.
Et puis que j'ai sens et usage,
Que ge n'ai pas sans grant domage,
Maint vaillant homme ai décéu,
Quant en mes laz* les ting chéu;
Mes ains fui* par mains decéue,
Que ge m'en fusse aparcéue.
Ce fu trop tart, lasse dolente*!
G'iere jà bors de ma jovente*;
Mes buis, qui jà sovent evroit,
(Car par nuit et par jor ovroit *,)
Se tient adés près du lintier* :
Nus n'i vint bai, nus n'i vint hier,
Pensoie-ge, lasse ebétive!
En tristor estuet * que ge vive :
De duel* me deust li cuers partir**.
Lors m'en voil du pais partir,
Quant vi mou huis en tel repos ;
Et ge-méismes me repos,
Car ne poi* la bonté endurer.
Comment néussc-ge durer,
Quant cil jolis valez* venoient,
Qui jà si cbière me tenoient ,
Qu'il ne s'en pooient lasser,
Et g'es vcoie trespasser,
Qui me regardoient de coste,
Et jadis furent mi cbier hoste ?
* Mépriser.
* Là trouve-t-on.
* Leur reste.
*Bien.
* Lacs.
* Mais avant je fus.
* Hélas, malheureuse!
"J'étais déjà hors de ma
jeunesse.
* Travaillait.
* Se trouve toujours près
du linteau {fermée).
* En tristesse il faut.
'De douleur. "Partager.
* Car je ne pus.
* Ces gais jeunes gens.
* Paro
lei
*i
Aises.
* Plui
nr
6.
* Qui
lées.
s't
tu
ieni
' si lut CHVO-
(v. 13792.) DE LA ROSE. 71
Lez* moi s'en aloient saillant**, * Pris de. ** Sautant.
Sans moi prisier un œf vaillant.
Neis* cil qui jadis plus m'amoient, * Même.
Vielle ridée me clamoient*, * M'appelaient.
Et pis disoit chascuns assés,
Ains qu'il s'en fust outre passés.
D'autre part, mes enfés* gentis, *Mon enfa it.
Nus, se trop n'iert bien ententis* , *nm, si trop n'était bien
i~ i , ■■ , ■ attentif.
Ou grans duel essaie n auroit,
Ne penseroitne ne sauroit
Quel dolor au cuer me tenoit,
Quant en pensant me sovenoit
Des biaus diz *, des dons aésiers **,
Des douz déduiz*, des douz besiers,
Et des très-douces acolées
Qui s'en ierent si tost volées*.
Volées! voire, et sans retor;
IMiex me venisten une tor
Estre à tous jors emprisonnée,
Que d'avoir esté si tost née.
Diex! en quel soussi me metoient
Li biaus dons qui failli* m'estoient! * En défaut.
Et ce qui reines* lor estoit, *Resté.
En quel tonnent me remetoit !
Lasse! porquoi si tostnasqui?
A qui m'en puis-ge plaindre; à qui,
Fors à vous, fiz que j'ai taut chier?
Ne m'en puis autrement venchier
Que par aprendre ma doctrine.
Por ce, biau fiz, vous endoctrine;
Et quant endoctrinés serés,
Des ribaudiaus* me vengerés : * Des petits drôles.
Car, se Diex plest, quant là vendra,
De cest sermon vous souvendra;
Car sachiés que du retenir,
12 LE ROMAN (v. 13827.)
Si qu'il vous en puist* sovenir, * De façon qu'il vous en
1 r puisse.
Avés-vous moult grant avantage,
Par la raison de vostre aage.
Car Platous dist, c'est chose voire*, * fraie.
Que plus tenable est la mémoire
De ce qu'en aprent en enfance,
De quiconques soit la science.
Certes, chier liz, tendre jovente*, * Jeunesse.
Se ma jonesce fust présente
Si cum est la vostre orendroit*, 'Maintenant.
>"e porroit estre escrite en droit
La venjance que g'en préisse.
Par tous les leus où ge venisse
Ge féisse tant de merveilles,
Conques n'oïstes les pareilles,
Desribaus qui si poi* me prisent, *Peu.
Et me lédengcnt et despisent*, * fitipendent et dêdai-
1 quant.
Et si Filment lez* moi s'en passent ; -Près de.
Et il et autre comparassent* * Payeraient .
Eor grant orgoil et lor despit ,
Sans prendre-en pitié ne respit :
Car, au sens que Diex m'a doné ,
Si cum ge vous ai sermoné,
Savés en quel point g'es* méisse? * Je les.
Tant les plumasse et tant préisse
Du lor de tort et de travers,
Que mengier les féisse as vers,
Et gésir* tous nuz es** fumiers; * Coucher. **Sur les.
Méismement cens les premiers
Qui de plus loial cueur m'amassent,
Et plus volentiers se pénassent
De moi servir et honorer.
Ne lor lessasse demorer
Vaillant uu ail, se ge péusse,
Que toufen ma borce n'eusse ;
(y. 13862.) DE LA ROSE. 73
A povreté tous les méisse,
Et tous emprès* moi les feisse * Après.
Par vive rage tripeter *. * Trépigner.
Mes rieus n'i vaut le regreter :
Qui est aie, ne puet venir.
James n'en porrai nul tenir ;
Car tant ai ridée la face ,
Qu'il n'ont garde de ma menace.
Pieçà* que bien le me disoient * Il y a longtemps.
Li ribant, qui me despisoieut*; * Méprisaient.
Si me pris à plorer dès lores.
Par Dieu ! si me plest-il eucores.
Quant ge m'i sui bien porpeasée*, *J';/ ai bien pensé.
Moult me délite* en ma pensée, * Délecte.
Et me resbaudissent* li membre, * Deviennent joyeux.
Quaut de mon bon tens me remembre,
Et de la jolivete* vie *Gale.
Dont mes cuers a si grant envie.
Tout me rajovenist* li cors, * Rajeunit.
Quant g'i pense et quant g'el recors* ; * Rappelle.
Tous les biens du monde me fait,
Quant me sovient de tout le fait,
Qu'au mains ai-ge ma joie eue,
Combien qu'il m'aient décéue.
Jone dame n'est pas oiseuse,
Quant el maine vie joietfse,
Méismement celé qui pense
D'aquerre à faire sa despense.
« Lors m'en vins en ceste contrée,
Où j'ai vostre dame encontrée,
Qui ci m'a mise eu son servise
Por vous garder en sa porprise*. * Enceinte.
Diex, qui sires est et tout garde,
Doint* que g'en face bone garde! "Donne (snbj.).
Si feré-ge * certainement * El je ferai
ROMAN DE L,\ ROSE. — T. 11. 7
74
LE ROMAN
Par vostre biau contenement*.
Mes la garde fust périlleuse
Por la grant biauté merveilleuse
Que Nature a dedens vous mise,
S'el ne vous éust taut aprise
Proesce, sens, valor et grâce ;
Et por ce que tens et espace
Nous est or venu si à point,
Que de destorbier* n'i a point
De dire quanque* nous volons
Un poi miex que nous ne solons * ,
Tout vous doie-ge conseilliez
Ne vous devés pas merveillier
Se ma parole un poi recop* :
Ge vous di bien avant le cop ,
Ne vous voil mie en amor mètre;
Mes s'ous * en volés entremetre,
Ge vous monsterrai* volentiers
Et les chemins et les sentiers
Par où ge déusse estre alée,
Ains* que ma biauté fust alée. »
* Contenance.
* Embarras.
* Tout ce que.
* Un peu mieux que nous
n'avons coutume.
* Recoupe, retranche.
* Si vous.
* Montrerai.
* Ara nt.
H Acteur.
Lors se taist la Vielle, et sospire
Por oïr que cis* vodroit dire;
Mes n'i va gaires atendant :
Car, quant le voit bien entendant
A escouter et à soi taire,
A son propos se prent à traire*,
Et se pense : « Sens contredit ,
Tout otroie qui mot ne dit*.
Quant tout li plest à escouter,
Tout puis dire sans riens douter*.
Lors a recomencié sa verve*,
* Celui-ci.
* Tirer.
* Qui ne dit mot consent.
* Redouter, craindre.
* Caprice, fantaisie.
V. 13920.
DE LA ROSE.
75
Et dist, cum faulse vielle et serve,
Qui me cuida par ses doctrines
Faire leschier miel sor espines,
Quant volt* que fusse amis clamés**,
Sens estre par amors aînés,
Si cum cil* puis me raconta,
Qui tout retenu le conte a :
Car s'il fust tiex* qu'il la créust,
Certainement traï l'éust;
Mes por riens nule qu'el déist,
Tel traïson ne me féist.
Ce me flançoit* et juroit,
Autrement ne m'asséuroit.
* Voulut. ** Appelé.
* Ainsi que celui-là.
*Tel.
* Prometoit.
La rie i lie.
« Biau très-douz fiz, bêle char* tendre, * Chair.
Des geux d'Amors vous voil* aprendre, * Je mus i-eu.r.
Que vous n'i soies décéus.
Quant vous les aurés recéus,
Selon mon art vous conformés,
Car nus", s'il n'est bien enfermés, * Vul.
N'es* puet passer sans beste vendre. *iVe les.
Or pensés d'oïr et d'entendre,
Et de mètre tout à mémoire,
Car g'en sai trestoute l'estoire.
Comment la Vieille sans tençon*,
Lit à Bel-Acueil sa leçon,
Laquelle enseigne bien les famés
Qui sont dignes de tous diffames *.
Biau fiz, qui vuet joïr d'amer,
Des dons maus, qui tant sunt amer.
Les comandemens d'Amors sache;
Mes gart* qu'Amors à li n'el sache*'
Et ci trestous les vous déisse,
Dispute.
' Hontes, opprobres.
Garde subj.). ** Tire.
76 LE ROMAN (v. 13957.)
Se certainement ne véisse
Que vous en avés par nature
De chascun, à comble mesure,
Quanque* vous en (levés avoir. *Tout ne que.
De cens que vous dcvés savoir
Dix eu i a, qui bien les nombre ;
Mes moult est fox* cil qui s'encombre *Fou.
Des deus qui sunt au darrenier,
Qui ne valent un l'aus denier.
Bien vous en abandon les huit;
Mes qui les autres deus ensuit,
Il pert son estuide et s'afole* : * Perd l'esprit.
L'en n'es* doit pas lire en escole. * L'on ne les.
Trop malement les amans charge,
Qui vuet qu'amans ait le cuer large,
Et qu'en un seul leu le doit mètre :
C'est faus texte, c'est fauce letre.
Ci ment Amors le fiz Vénus,
De ce ne le doit croire nus*. * Nul.
Qui l'en croit, chier le comparra*, "Panera.
Si cum* en la fin i parra**. *Ainsiqtie. ** Paraîtra.
« Biau fiz, jà larges ne soies;
En plusors leus le cuer aies,
En un sol leu jà n'el metés,
Ne n'el donnés, ne n'el prestes,
Mes vendés-le bien chièrement,
Et tous jors par enchièrement* ; * En enchérissant.
Et gardés que nus qui l'achat*, ^L'achète.
N'i puisse faire bon achat.
Por riens qu'il doint* jà point n'en ait, * Donne subj.).
Miex s'arde*, ou se pende, ou se naît. * Se brûle.
Sor toutes riens gardés ces poins :
A doner aies clos les poins,
Et à prendre les mains overtes.
I?c rcr est grant folie certes,
13992.)
DE LA HO SE.
77
Se n'est un poi por gens atraire *,
Quant l'en en cuide son preu* faire;
Ou por le don tel chose ateudre
Qu'en ne le péust pas miex vendre.
Tel doner bien vous abandone.
Bon est doner, où cil qui done,
Son don monteplie* et gaaigne;
Qui certains est de sa gaaigne*,
Ne se puet du don repentir :
Tel don puis-ge bien consentir.
« Après de l'arc et des cinq fleiches,
Qui tant surit plains de bones teiches*,
Et tant lièrent soutivement*.
Traire* en savés si sagement,
Conques Amors, li bons archiers,
Des fleiches que tret li ars chiers*,
Ne tret miex, biau liz, que vous faites,
Qui maintes fois les avés traites.
Mes n'avés pas tous jors séu
Quel part en sunt li cop chéu* ;
Car quant l'en tret à la volée,
Tex puet recevoir la colée*,
Dont l'archier ne se done garde.
Mes qui vostre manière esgarde,
Si bien savés et traire et tendre,
Que ne vous en puis riens aprendre.
S'en repuet estre tiex navrés*,
Dont grant preu % se Dieu plest, aurés.
Si n'estuet jà que ge m'atour*
De vous aprendre de l'atour
Des robes ne des garnemens*
Dont vous ferés vos paremens*
Por sembler as gens miex valoir;
N'il ne vous en puet jà chaloir*,
Quant par cuer la chançon savés
* Attirer,
* Profit.
* Multiplie.
* Son gain.
^Qualités.
* Frappent subtilement.
"Tirer.
Tire l'arc cher.
Tombes.
* Coup.
* Et tel en peut dire blessé.
* Profit.
* /;/ il ne faut pas que je
me dispose.
* Habits.
* Parures.
' IX i Hue vous en peut pas
importer.
1.
78
LE ROMAN
(y. 14027.)
Que tant oï chanter m'avés,
Si cuin* joer nous alion, _ * Ainsi que.
De l'ymage Pymalion.
Là prenés garde à vous parer,
S'en saurés plus que buefd'arcr* : * De labourage.
De vous aprendre ces mestiers
Ne vous est mie moult mestiers \ * Besoin.
« Et se ce ne vous puet soffire,
Aucune chose m'orrés* dire * M'attirez.
Çà avant, s'el * volés entendre, *Si le.
Où bien porrés essample prendre;
Mes itaut* vous puis-ge bien dire, "Tant.
Se vous volés ami eslire,
Bien lo* que vostre amor soit mise "Conseille.
Ou biau valet* qui tant vous prise, * Jeune homme.
Mes n'i soit pas trop fermement.
Ames des autres sagement,
Et ge vous en querrai assés,
Dont grans avoirs iert* amassés. "Sera.
Bon fait acointier* homes riches , * Fréquenter.
S'il n'ont les cuers avers et chiches,
S'il est qui bien plumer les sache.
Bel-Acueil quanqu'il vuet en sache*, *Toutcequ'ilveuten
Por qu'il doint* à chascun entendre * Donne (subj.).
Qu'il ne vodroit autre ami prendre
Por mil mars de fin or molu ;
Et jurt* que s'il éust volu * Et qu'il jure.
Sofrrir que par autre fust prise
La Bose qui bien ert* requise, * Était.
D'or fust chargiés et de joiaus ;
Mais taut est ses fins cuers loiaus,
Que jà nus* la main n'i tendra, "Que jamais nul.
Fors cil seus * qui lors la tendra. *Si ce n'est celui-là
S'il sunl mil, à chascun doit dire :
« La Bose avés tous seus* , biau sire; * Tout seul.
tire.
seul.
DE LA ROSE.
79
James autre n'i aura part,
Faille-moi Diex se ge la part*. »
Ce lor jurt* et sa foi lor baille;
S'el se parjure, ne li chaille* :
Diex se rit de tel serement,
Et le pardone liément*.
Jupiter et li Diex rioient
Quant li amant se parjuroient ;
Et maintes fois se parjurèrent
Li Diex qui par amors amèreut.
Quant Jupiter asséuroit
Junon sa famé, il li juroit
Le palu* d'enfer hautement,
Et se parjuroit fausement (1).
Ce devroit moult asséurer
Les fins amans de parjurer
Saintes et sains, moustiers et temples,
Quant li Diex lor douent exemples.
Mais moult est fox, se Diex m'amant*,
Oui por jurer croit nul amant;
Car il ont trop les cuers muables*.
Jones gens ne sunt pas estables,
]\ou sunt li viel soventes fois,
Ains mentent seremens et l'ois.
Et sachiés une chose voire* :
Cil qui sires est de la foire,
Doit par tout prendre son tolin* ;
Et qui ne puet à un molin ,
* Dieu me manque si je ta
partage.
"Qu'il leur jure cela.
*Ne lui importe.
y Joyeusement ■
'Marais.
* M' amende
meilleur.
Changeants.
* /'raies.
* Droit.
me rend
(l) Ncc timide promitte : traliunt prornissa puellas;
Pollicilis testes quoslibet adde Deos.
Jupiter ex alto perjuria ridet amantum;
Et jubet folios irrita ferre Notos.
Per Styga Junoni falsum jurare solebat
Jupiter.
(Ovid , Artis amatoriœ lib. I, v. 631.)
80 LE ROMAN (v. mow.)
Allt à l'autre trestOUt le COrS*. * Aille à Vautre tout en
„,. . . courant.
Moult a sons povre secors,
Et fait en grant péril sa druge*, "Fuite, retraite.
Qui n'a c'un pertuis à refuge.
Tout ainsinc est-il de la famé,
Qui de tous les marchiés est dame
Que chascuns fait por li avoir.
Prendre doit partout de l'avoir* : * Du bien, de l'argent.
Car moult auroit foie pensée,
Quant bien se seroit porpensée*, "Aurait bien réfléchi.
S'el ne voloit ami que un ;
Car, par saint Liefart de Meun !
Qui s'amor en un sol leu livre,
JN'a pas son cuer franc ne délivre*, "Libre.
AinsM'a malement aservi. *Mais.
Bien a tel famé déservi* "Mérité.
Qu'ele ait assés anui et paine,
Qui d'un sol home amer se paine.
S'el faut à celi de confort*, * Si elle manque avec celui^
, lu de consolation.
El n a nulli* qui la confort; 'Nul.
Et ce suut cil qui plus i Paillent,
Qui lor cuer en un sol leu baillent.
Tuit en la fin toutes les fuient,
Quant las en sunt et s'en enuient ;
N'en puet famé à bon cbief* venir. *A bonne jin.
Comment la Roj ne de Cartage
Ditlo, par le vilain oultrage
Qu'Eneasson amy luy fi>t,
l>e son espéc tost s'o cist ;
Et comment Philis se pendit,
Pour son ami qu'elle attendit.
Onc ne pot* Eneas tenir "Jamais ne put.
Didon, roïne de Cartage,
Qui tant li ot fait d'avantage,
Que povre l'avoit recéu
(t. ui i9.) DELAROSE. 81
Et revestu et repéu
Las et fuitis du biau pais
De Troie, dont il fu nais*. * \<itif.
Ses compaignons moult honorot,
Car en li trop grant amor ot ;
Fist-li ses nez * toutes refaire *Nefs.
Por li servir et por li plaire;
Dona-li, por s'amor avoir,
Sa cité, son cors, son avoir;
Et cil si l'en asséura ,
Qu'il li promist et li jura
Que siens iert tous jors* et seroit, * Q"'<1 serait toujours à
Ne jamès ne la laisseroit.
Mes celé gaires n'en joï,
Car li traïstres s'enfoï
Sens congié, par mer, à navie*, *En navire.
Dont la bêle perdi la vie;
Qu'el s'en ocist ains lendemain* * Avant le lendemain.
De l'espée, o* sa propre main, 'Avec
Qu'il li ot donée en sa chambre.
Dido, qui son ami remembre,
Et voit que s'amor est perdue,
L'espée prent, et toute nue
La drece contremont la pointe*, *La pointe en haut.
Souz ses deus mameles l'apointe*, * La fixe.
Sor le glaive se lest* chéoir (1). * Laisse.
Moult fu grant pitié à véoir.
Qui tel fait faire li véist,
Dur fust qui pitié n'en préist,
Quant si véist Didon la bêle
Sor la pointe de l'alemele* ; * La lame.
(I) Prœbuit .Eneas el causam mortis, et ensem :
Ipsa sua Dido concidit usa manu.
(OviD., Fastorum lib. 111, v. 549.)
82 LE ROMAN (v. m:,o.)
Par mi le cors* la se ficha, . * Par le milieu du corps.
Tel duel ot dont cil la tricha.
« Philis ausinc* tant atendi "Aussi.
Demophon, qu'ele se pendi (1)
Por le terme qu'il trespassa ,
Dont serement et foi cassa.
« Que fist Paris de OEnoné (2)
Qui cuer et cors li ot doné,
Et cil s'amor lui redona?
Tantost retolu* le don a, *Bepri.s.
Si l'en ot-il en l'arbre escriptes
A son costel* letres petites *Arec son couteau.
Dessus la rive, en leu de chartre", * Au lieu de charte.
(1) Demophon, ou Démophoon, étoil iils de Thésée et de Phèdre. Comme
il revenoitde la guerre de Troie, il fut poussé par la tempête sur les cotes
de Thrace , où régnoit Phylis. Cette princesse, qui avoit le cœur tendre,
devint amoureuse de Demophon : elle lui proposa de l'épouser; il y con-
sentit , et quelque temps après il la pria de le laisser retourner à Alhènes
pour mettre ordre à ses affaires. Son voyage fut long; et son amante, au
désespoir d'une si longue ahsence, s'imagina qu'il lui avoit manqué de foi ;
elle se pendit, et fut changée en un arbre que l'on appela Phylis ou
amandier sans feuilles.
Demophon élant revenu après ce tragique accident , il embrassa ce
tronc infortuné, qui, sensible aux caresses de ce prince, parut tout à coup
couvert de feuilles, [métamorphose» d'Ovide.) On peut lire les regrets de
Phylis et son impatience sur le retour de son mari, dans la seconde épître
des Héroïdes d'Ovide. (L. D. D.)
(2) Paris, surnommé Alexandre, iils de Priam et d'Hécube. Sa mère
songea, pendant sa grossesse, qu'elle mettoit au monde un flambeau qui
devoit embraser la ville de Troie. Ce songe l'ayant effrayée, elle eut re-
cours à l'oracle, qui répondit que l'enfant dont elle étoit enceinte seroit
un jour la cause de la ruine de sa patrie. Priam, voulant prévenir ce mal-
heur, donna ses ordres pour que l'on fit périr cet enfanl aussitôt qu'il
auroit vu la lumière; la tendresse maternelle s'opposa à l'exécution d'un
ordre si cruel. Elle confia l'éducation de son iils à des bergers. Lorsqu'il
fui grand, il s'enflamma pour la nymphe OEnone, lille du fleuve Xantus;
il l'abandonna dans la suite pour la femme de Ménélas. Ce que l'auteur
du Roman de la Rose raconte des amours de Paris et d'OEnone, est
tiré de la cinquième épître des Héroïdes d'Ovide. fL- D. D.)
IHG3.)
DE LA H USE.
83
Qui ne valurent une tartre.
Ces letres en I'escorce estoient
D'un poplier, et représentaient
Que Xantus s'en retorneroit (1)
Si tost cum il la lesseroit.
Or r'aut* Xantus à la fonteine ,
Qu'il* la lessa puis por Heleine.
« Que refist Jason de Médée
Qui si vilement rem lobée*,
Que li faus sa foi li menti
Puis qu'el Tôt de mort garenti,
Quant des toriaus, qui feu getoient
Par lor geules, et qui venoient
Jason ardoir* et despecier,
Sens feu sentir et sens blecier,
Par ses charmes le délivra ,
Et le serpent si enivra,
Conques ne se pot esveillier,
Tant le fist forment* someillier?
Des chevaliers de terre nés,
Bataillereus et forsenés*,
Qui Jason voloient occierre*,
Quant il eutr'eus geta la pierre,
Fist-ele tant qu'il s'entrepristrent,
Et qu'il méismes s'entr'occistrent,
Et li fist avoir la toison
Par son art et par sa poison*.
Puis fist Eson rajoveuir*,
Por miex Jason à soi tenir ;
Ne riens de li plus ne voloit,
Fors qu'il l'amast cum il soloit*,
Et ses mérites regardast,
* Maintenant r'aille.
*Car il.
* Fut à son tour dupée.
'Brûler.
Fortement .
* Insensés.
* Tuer.
* Potion, breuvage.
* Rajeunir.
*S< ce n'est qu'il l'aimât
comme il était habitué.
(i) Nom d'une petite rivière fort célèbre dans les anciens poètes, parce
qu'elle couloit dans la Troade, et près la ville de Troie. Elle a sa source
au mont Ida. (Méon.)
Lr, ROMAN
(v. 14195.)
Por ce que miex sa loi gardast.
Puis la lessa, li maus trichierres*,
Li faus, li desloiaus, li lierres*,
Dont ses enfans, quant el le sot,
Por ce que de .lason les ot,
Estrangla de duel* et de rage,
Dont el ne fist mie que sage,
Quant el lessa pitié de mère,
Et fist pis que marastre amère.
Mil essamples dire en sauroie,
Mais trop grant conte à faire auroie.
Briément, tuit les lobeut* et trichent,
Tuit sunt ribaut, partout se fichent :
Si les doit-1'en ausinc trichier,
Non pas sou cuer en un fichier.
Foie est famé qui si* l'a mis,
Ains* doit avoir plusors amis,
Et faire, s'el puet, que tant plaise,
Que tous les mete à grant mésaise.
S'el n'a grâces, si les aquière*,
Et soit tous jors vers eus plus fière
Qui plus, por s'amor déservir*,
Se pcneront de li servir;
Et de ceus acoillir s'esforce
Qui de s'amor ne feront force.
Saiche de geus et de chançons,
Et fuie noises et tençons*.
S'el n'est bêle, si se cointait*,
La plus lede ator plus cointe* ait;
Et s'ele véoit déchéoir,
(Dont grant duel * seroit à véoir,)
Les biaus crins de sa teste blonde,
Ou s'il convient* que l'en les tonde
Par aucune grant maladie,
Dont biauté est tost euledie ,
Le mauvais trompeur.
Le larron.
* De douleur.
* Dupent.
'Ainsi.
Mais.
'Qu'elle les acquière.
Pour mériter sou amour.
* Bruits et disputes.
*Pare.
* Êléijiint.
* Douleur.
* S'il faut.
(v. 14230.]
DE LA ROSE.
85
Ou s'il avieut que par courrous
Les ait aucuns ribaus desrous*, * Arraches.
Si que de ceus ne puisse ovrer
Por grosses treces recovrer,
Face tant que l'en li aporte
Cheveus de quelque famé morte ,
Ou de soie blonde borriaus*,
Et boute* tout en ses forriaus.
Sus ses oreilles port tex* cornes,
Que cers ne bues ne unicornes*,
S'il se dévoient esfronter*,
TNe puist ses cornes sormonter.
Et s'el ont mestier* d'estres taintes,
Taingne-les en jus d'erbes maintes,
Car moult ont forces et mécines*
Fruit, fust*, i'eulle, escorce et racines.
« Et s'el reperdoit sa color (!),
Dont moult auroit au cuer dolor,
Face qu'ele ait oingtures* moistes
En ses chambres, dedens ses boistes ,
Tous jors por soi farder repostes* :
Mes bien gart que nus* de ses ostes
N'es* puist ne sentir ne véoir :
Trop li en porroit meschéoir*.
S'ele a biau col et gorge blanche ,
Gart que cil* qui sa robe trenche**,
Si très-bien la li escolete*,
Que sa char père* blanche et nete
Demi-pié darriers et devant :
Si en sera plus décevant.
Et 6'ele a trop grosses espaules,
Por plaire as dances et as hautes*, * Bals
* Bourre.
* Mette.
* Telles.
* Que cerf ni bœuf »i li-
corne
* Affronter, mettre front
contre front.
* Besoin .
* Médecines.
*Bois.
* Onguents.
* Cachées.
*\ul.
* Ne les.
* Arriver malheur.
* Qu'elle garde que celui.
*■ Taille, coupe.
' Décollette.
* Paraisse.
(I) Sanguine quœ vero non rubet, arle rubet.
(Ovid., Ariis amaloriœ Ub. III, t. 2uoj
8
86 LE ROMAN (v. 1,202.)
De délié drap robe port*, * Qu'elle porte.
Si perra de mains lait déport *. * Et die para Uni de moi m
... . , , laide tournure.
Et s el n a mains bêles et netes
Ou de sirons ou de bubetes*, * Boutons.
Gart que lessier ne les i vueille ;
Face-les oster à l'agueille,
Ou ses mains en ses gans repoingne* : *Cache.
Si ni perra bube* ne roingne. * Bubon.
Et s'ele a trop lordes mameles,
Preingne cuevrechief ou toeles
Dont sus le pis* se face estraindre , * Poitrine
Et tout entor ses costés ceindre,
Puis atacbier, coudre ou noer ;
Lors si se puet aler joer.
« Et comme bone baisselete*, *Bachelette.
Tiengne la chambre Vénus* nete; *De Vénus.
S'ele est preus et bien enseiguie,
Ne lest* entor nule iraignie * Laisse (suhj.)-
Qu'el narde ou rée,errache ou housse*, * Qu'elle ne brûle on rase.
. arrache ou Ole.
Si cm il n 1 puisse cuillir mousse.
S'ele a lais piez, tous jors se chauce,
A grosse jambe aittenvre* chauce (1). * Délicate, déliée.
Briément, s'el set sor li nul vice,
Covrir le doit, se moult n'est nice*. * Niaise, sotte.
S'el set qu'ele ait mauvese alaine ,
Ne li doit estre grief ne paine
De garder que jà ne jeune
]Ne qu'el ne parole jeune* ; * Ni qu'elle parle à jeun.
Et gart*, s'el puet, si bien sa bouche, * Garde.
Que près du nez as gens ne touche.
Et s'il li prent de rire envie,
(l) Pes malus in niveà semper cseletur alula ;
Arkla nec \inclis crura résolve suis.
(Ovid., Artis amatoriœ lib. III, v. 271.) "
(v. 14293.
DE LA ROSE.
87
Si bel et si sagement rie,
Qu'ele descrieve deus fossetes
D'ambedeus pars de ses levretes*.
Ne par ris n'enfle trop ses joes,
Ne ne restraingne pas ses moes*;
Jà ses lèvres par ris ne s'uevrent,
Mes repoignent* les dens et cuevrent.
Famé doit rire à bouebe close,
Car ce n'est mie bêle chose
Quant el rit à geule estendue •
Trop semble estre large et fendue.
Et s'el n'a dens bien ordenées (1),
Mes lèdes et sans ordre nées,
S'el les monstroit par sa risée ,
Mains en porroit estre prisée.
Au plorer r'afiert-il* manière;
Mes chascune est assés manière *
De bien plorer en quelque place :
Car, jà soit ce qu'en* ne lor face
Ne grief ne honte ne molestes*,
Tous jors ont-eles lermes prestes.
Toutes plorent et plorer seulent*
En tel guise cum eles veulent;
Mes bom ne se doit jà movoir
S'il véoit tex lermes plovoir
Ausinc espès cum onques plut ,
C'onc* à l'aine tex plor ne plut,
Ne tex diaus ne tex marrimens* ,
Que ce ne fust concbiemens * :
Plor de famé n'est fors agait*.
Mes gart que par voiz ne par uevre ,
* De deux côtés de ses pe-
tites lèvres.
* I\'i ne serre pas trop ses
I erres.
* Cachent.
* Il faut encore.
* Habile, exercée.
* Car quoiqu'on .
*Ni ennuis.
* Ont Vhabitude.
* Car jamais.
* Ni tel deuil ni tel ch<t-
grin.
* Déception.
Piège.
(I) Si niger, aut ingens, aut non erit ordine natus
Dens tibi, ridendo maxima damna feres.
(OviD., Artis amatoricc lib. III, v. 279.)
88
LE ROMAN
T. 14324s
Riens de son penser ne descuevre.
Si r'aflert * bien qn'el soit à table
De contenance convenable :
Lors n'est dolors qifele n'agait;
Mes ains qu'el s'i voise* seoir,
Face-soi par l'ostel véoir,
Et à chascun entendre doingne*
Qu'ele fait moult bien la besoingne.
Aille et viengne avant et arrière,
Et s'asiée la derrenière,
Et se face un petit atendre,
Ains* qu'el puisse à seoir entendre (1).
Et quant ele iert* à table assise,
Face, s'el puet, à tous servise.
Devant les autres doit taillier,
Et du pain entor soi baillier;
Et doit, por grâce déservir*,
Devant le compaignon servir
Qui doit mengier en s'escuele.
Devant li niete cuisse ou êle,
Ou buef ou porc devant li taille,
Selonc ce qu'il auront vitaille* ,
Soit de poisson ou soit de char*.
Y;iit jà cuer de servir escbar*,
S'il est qui soflrir le li voille;
Et bien se gart qu'ele ne moille
Ses dois es broez* jusqu'as jointes,
Ne qu'el n'ait pas ses lèvres ointes
De sopes, d'aulx ne de char* grasse,
Ne que trop de morsiaus n'entasse,
Ne trop gros n'es* mete en sa bouche.
* Et il faut encore.
* Aille.
* Donne (subj.).
"Avant.
* Sera.
* Mériter,
* Nourriture.
* Viande.
* 'Avare.
* Bans les sauces.
'Chair, viande.
*Ne les.
(i) Scraveni; positaque decens incede lucerna.
Grala mora est Veneri : maxima lena mora est.
(Ovid., sJrtis amatoriœ, lib. III, v. 751.
(v. mu.) DE LA ROSE. 89
Du bout des dois le morse! touche
Qu'el devra moillier en la sauce ,
Soit vert, ou cameline ou jauce*, * Jaune.
Et sagement port sa bouchée,
Que SUS son piz* gOLlte n'en cllée** * Poitrine. **Tombe.
De sope, de savor, de poivre.
Et si gentement redoit* boivre, * Doit encore.
Que sor soi n'en espande goûte ;
Car por enfrume* ou por trop gloute * Mal élevée.
L'en porroit bien aucuns tenir,
Qui celi* verroit avenir. *A celle-là.
Et gart que ià henap* ne touche * Et garde que jamais
° J J l coupe (l).
Tant cum ele ait morsel en bouche ;
Si doit si bien sa bouche terdre*, * Essuyer.
Qu'el ni lest mile gresse aerdre *, * Laisse nulle graisse res-
v ° ter attachée.
Au mains en la lèvre desseure :
Car quant gresse en celé demeure,
Ou vin en perent les mailletes*, * Dans le vin paraissent
. les petites taches.
Qui ne sunt ne bêles ne netes.
Et boive petit à petit,
Combien qu'ele ait grant a petit.
Ne boive pas à une alaine
Ne henap plain ne cope plaine,
Ains* boive petit et sovent, * Mais.
Qu'el n'aut* les autres esmovant * N'aille.
A dire que trop en engorge,
Ne que trop boive à gloute* gorge ; * Gloutonne.
Mes deliéement le coule.
Le bort du henap trop n'engoule*, "N'enfonce dans sa gorge.
Si comme font maintes norrices,
Qui sunt si gloutes et si nices* * Simples.
(I) Il y avait des hanaps de toutes matières, d'or, d'argent, de madré,
c'est-à-dire de bois, quelquefois ornés d'or et de pierres précieuses. Voyez
le Roman A' Amis et Amile, dans les Nouvelles françoises en prose du
treizième siècle , pag. 39.
90
LE ROMAN
Qu'el versent vin en gorge cruese*,
Tout ainsinc cum en une buese*,
Et tant à graus gors* en entonent,
Qu'el s'en confundent et estonent.
Et bien se gart que ne s'enyvre,
Car en home ne en famé yvre
>"e puet avoir chose seerée*;
Car puis que famé est enyvrée,
Il n'a point en li de desfense ,
Ains jangle tout quanqu'ele* pense,
Et est à tous abandonée,
Quant à tel mesehief* s'est donée.
Et se gart* de dormir à table,
Trop en seroit mains agréable.
Trop de lèdes choses avienent
A ceus qui tex dormirs maintienent (1).
Ce o'est pas sens de someillier
Es* leus establis à veillier;
Maint en ont esté decéu,
Et maintes fois en sunt chéu
Devant ou derriers ou de coste,
Brisent ou bras ou teste ou coste.
Gart que tex dormirs ne la tiengne* ;
De Palinurus li soviengne ,
Qui governoit la nef Enée.
Veillant l'avoit bien governée ;
Mes quant dormirs Tôt envai,
Du govcrnail en mer chaï*,
Et des compaignons noia près,
Qui moult le plorèrent après.
* Creuse.
* Botte.
* Flots.
* Secrète.
" Vais bavarde tout ce
qu'elle.
* Malheur.
'Carde (subj.'.
* Dans les.
* Qu'elle prenne garde que
tel somrncil ne la tien in .
' Tomba.
(I) Turpe jacens millier, mullo madefacta Lyseo ,
Dignaque concubitus quoslibet illa pati.
Nec soumis tutum posila succumbere mensà;
Per somnos lieri multa pudeoda soient.
(Ovid., Artis anwtoriœ lib. III, v.
765.)
(v. niif,) DE LA ROSE. !)1
« Si doit la dame prendre garde
Que trop à joer ne se tarde ;
Car el porroit bien tant atendre
Que nus* n'i vodroit la main tendre. *Nul.
Querre* doit d'amors le déduit, * Chercher.
Tant cum Jonesce la déduit*; * L'amuse.
Car quant Viellesce famé assaut*, * Assainit.
D'amors pert la joie et l'assaut.
Le fruit d'amors, se famé est sage,
Coille en la flor de sou aage ;
Car tant pert de sou tens, la lasse* ! * La malheureuse.
Cum sens joïr d'amors en passe.
Et s'el ne croit ce mien conseil,
Que por commun profit conseil,
Sache que s'en repentira
Quant Viellesce la flatira*. * Courbera.
Mes bien sai qu'eles m'en creront,
Au mains ceus qui sages seront,
Et se tendront as rigles nostres*, * A nos règles.
Et diront maintes paternostres
Por m'ame*, quant ge serai morte, *Pour mon âme.
Qui les enseigue ore* et conforte : * Maintenant.
Car bien sai que ceste parole
Sera léue en mainte escole.
« Biaus très-dous fdz, se vous vives ,
(Car bien voi que vous escrivés
Ou* livre du cuer volentiers * Dans le.
Tous mes enseignemeus entiers;
Et quant de moi départirés*, * Partirez.
Se Diex plest, encor en lires,
Et eu serés mestre cum gié*,) "Moi.
Ge VOUS doing de lire COngié*, * Donne de lire permis.
Maugré trestous les chanceliers,
Et par chambres et par celiers,
En prés, en jardins, en gaudines*, * Bosquets.
92 LE ROMAN (v. r445i.)
Sous paveillons et sous cortines ,
Et d'enformer les escoliers
Par garderobes, par soliers*, * Terrasses.
Par despenses et par estables, *
Se n'avés leus plus délitables*, * Délectables.
Mes que ma leçon soit léue ,
Quant vous Taures bien retenue.
Et gart* que trop ue soit enclose, * Et qu'elle prenne garde.
Car quant plus à l'ostel repose,
Mains est de toutes gens véue,
Et sa biauté mains congnéue,
Mains convoitie et mains requise.
Sovent voise* à la mestre église, * Aille.
Et l'ace visitacions
A noces, à processions,
A geus, à testes, à karoles*, * Danses.
Car eu tex leus tient ses escoles
Et cbantc à ses disciples messe
Li diex d'Amors et la déesse.
Mes bien se soit ainçois* mirée ' "Auparavant.
Savoir s'ele iert bien atiréc * ; ' si r//r était bien ajustée,
accommodée.
Et quant a point se sentira,
Et par les rues s'en ira,
Si soit de bêles aléures*, * Allures.
Non pas trop moles ne trop dures,
Trop eslevécs ne trop corbes,
Mes bien plésans en toutes torbes*. "Fouies.
Les espaules, les costés mueve
Si noblement, que l'en ne trueve
Nule de plus biau movement;
Et marcbe jolietement
De ses biaus solerès petis*, "Pc/Us souliers.
Que faire aura l'ait si letis*, * Élégants.
Qui joindront as pies si à point
Que de fronce* n'i aura point. * Pli.
('
DE LA ROSE.
93
Et se sa robe li traîne,
Ou près du pavement s'encline ,
Si la liéve encoste* ou devant,
Si cum* por prendre un poi de vent,
Ou por ce que faire le sueille*,
Ausinc cum secorcier* se vueille,
Por avoir le pas plus délivre*.
Lors gart* que si le pié délivre,
Que chascun qui passe la voie,
La bêle forme du pié voie.
« Et s'el est tex que mantel port * ,
Si le doit porter de tel port,
Que trop la véue n'encombre
Du biau cors à qui il fait ombre;
Et por ce que le cors miex père*,
Et li tissu dont el se père*,
Qui n'iert* trop larges ne trop gresles,
D'argent doré à menus pesles* ,
Et l'aumosnière toutevoie*,
Qu'il est bien drois que l'en la voie,
A deus mains doit le mantel prendre,
Les bras eslargir et estendre,
Soit par bêle voie ou par boe,
Et li soviengne de la roe
Que li paons fait de sa queue :
Face ausinc du mantel la seue*,
Si que la penne* ou vaire ou grise,
Ou tel cum el l'i aura mise,
Et tout le cors en apert* monstre
A ceus qu'el voit muser encontre.
« Et s'el n'est bêle de visage,
Plus lor doit torner comme sage
Ses bêles treces, blondes, chières ,
Et tout le haterel* derrières,
Quant bel et bien trecié le sent.
De côté.
* Ainsi que.
* Ait l'usage.
* Se retrousser .
* Déejarjc.
' Hors qu'elle prenne gui-
de.
"Et si elle est telle qu'elle
porte manteau.
Mieux paraisse.
*Pare.
* N'était.
* Perles.
* Toutefois.
' La sienne.
' Bordure.
En évidence.
Nuque.
94 LE ROMAN (t. uni.)
C'est une chose moult plaisant* * Agréable.
Que biautés de cheveléure.
Tous j ors doit famé mètre cure
Qu'el puist la louve resembler,
Quant el vuet les berbis embler* ; * Prendre.
Car qu'el ne puist* du tout faillir, "Car pour qu'elle ne
^ ' puisse.
Por une en vet mil assaillir (1),
Qu'el ne set laquele el prendra,
Devant que prinse la tendra.
Ainsinc doit famé partout tendre
Ses raiz* por tous les homes prendre : * Rets, filets.
Car por ce qu'el ne puet savoir
Des quiex el puist* la grâce avoir, "Desquels elle puisse.
Au mains por un à soi sachier*, * Tirer.
A tous doit son croc atachier :
Lors ne tardera à venir
Qu'el n'en doie* aucun pris tenir * Boire.
Des fox entre tant de milliers,
Qui li frotera ses illiers*, "Oreilles.
Voire* plusors par aventure. * > raiment.
Cet art aide moult à nature.
« Et s'ele plusors en acroclie
Qui mètre la veillent en broche,
Gart, comment que la chose queure *, * Q"clle Prenne 9arde f
1 quelque manière que la
Qu'ele ne mete à deus une heure : ehose coure.
Car por décéu se tendroient ,
Quant plusor ensemble vendroient*; */ 'tendraient.
Si la porroient bien lessier :
Ce la porroil moult abaissier.
Car au mains li eschaperoit
Ce que chascuns aporteroit,
(I) Ad militas lapa tendit ovcs, pra-detur ut unam ;
Et Jovis in nmltas devolat aies aves.
semper tibi pendeal hamus.
(Ovid., Artis amatoria lib. 111, y. 419 425.)
(v. 14552.
DE LA ROSE.
95
Et ne lor doit jà riens lessier
Dont il se puissent engressier ;
Mais mètre à si grant povreté ,
Qu'il muirent las et endeté ;
Et celé en soit riche manans *,
Car perdus est li remanans*.
D'amer povre home ne li chaille*,
Qu'il n'est riens que povres lions* vaille ;
Se c'iert* 0 vides ou Omers,
Ne vaudroit-il pas deus deniers (1).
Ne ne li chaille d'amer hoste ;
Car, ainsinc cum il met et oste
Son cors en divers herbergages *,
Ainsinc li est li cuers volages.
Hoste amer ne li lo-ge* pas;
Mes toutevois en son trespas *
Se deniers ou joiaus li offre,
Prengne tout et mete en son coffre,
Et face lors cil son plesir,
Ou tout en haste ou à lesir.
Et bien gart qu'el n'aint* ne ne prise
Nul home de trop grant cointise*,
Ne qui de sa biauté se vante (2) ;
Car c'est orgoil qui si le tente.
Si s'est en l'ire Dieu* boutés
Homs qui se plest*, jà n'en doutés;
Car ainsinc le dit ïholomée,
Par qui fu moult science amée :
Tex n'a pooir* de bien amer,
* Propriétaire.
* Reste.
* Ne lui importe.
* Homme.
*Si c'était.
* Logements.
* Conscillé-je.
* Passage.
* N'aime.
* Coquetterie.
La colère de Dieu.
'Homme qui se comptait
en lui-même.
* Tel n'a pouvoir.
(1) Ipse, licet Musis vernas comitatus, Homère;
Si nihil attuleris, ibis, Homère, foras.
(OviD., Artis amatoriœ lib. II, v. 279.)
(2) Sed vitale viros cullum formamque professos;
Quique suas ponunt in statione comas.
{Ibid., lib. III, v. 433.)
96
LE ROMAN
[y. I458I.J
Tant a mauves cuer et amer ;
Et ce qu'il aura dit à l'uue,
Autant dira-il à chascune,
Et pluseurs eu revêt lober*,
Por eus despoillier et rober*.
Mainte complainte en ai véue
De pucele ainsiuc décéue.
« Et s'il vient aucuns prometières*,
Soitloiaus homs ou hoquelières*,
Qui la vueille d'amor prier,
Et par promesse à soi lier,
Et celé ausinc li repromete*;
Mais bien se gart qu'el ne se mete
Por nule rieus en sa manoie*,
S'el ne tient ainçois* la mouoie.
Et s'il mande riens par escrit,
Gart se cil faiutement escrit,
Ou s'il a boue entencion
De fin cuer sans décepciou.
Après li rescrive en poi d'ore*,
Mes ne soit pas l'ait sans demore*.
Demore les amans atise,
Mes que trop longe* ne soit prise;
Et quant ele orra* la requeste
De l'amant, gart que ne se heste
De s'amor du tout otroier;
JNe ne li doit du tout noier*,
Aius* le doit tenir en balance,
Qu'il ait paor et espérance.
« Et quant cil plus la requerra ,
Et oele ne li offerra
S'amor, qui si forment l'enlace,
Gart soi la dame que tant face
Par son engin* et par sa force
Que l'espérance adès* eu force ,
' En va encore attraper.
' Dérober.
' Prometteur,
'Fripon.
* Que celle-là lui promette
aussi à son tour.
* Autorité.
* .1 uparavawt.
* En peu de temps.
* Retard.
Longue.
* Oui m.
* Refuser.
* Mais.
* Habileté, ruse.
* Toujours.
iv.
DE LA ROSE.
97
Et petit à petit s'en aille
La paor, tant qu'ele défaille*,
Et qu'il facent pez et concorde.
Celé qui puis à li s'acorde,
Et qui tant set de guiles* faintes ,
Dieu doit jurer, et sainz et saintes,
C'onc ne se volt mes otroier*
A nul, tant la séust proier;
Et die : « Sire, c'est la some,
Foi que doi saint Père de Rome,
Par lin amor à vous me don*,
Car ce n'est pas por vostre don :
N'est lions * nés por qui ce féisse
Por nul don, tant grant le véisse.
Maint vaillant home ai refusé,
Car moult ont maint à moi musé :
Si croi que m'avés enchantée ;
Maie leçou m'avés chantée. »
Lors le doit estroit acoler
Et baisier, por miex afoler*.
Mes s'el vuet mon conseil avoir,
Ne tende à riens fors * qu'à l'avoir.
Foie est qui son ami ne plume
Jusqu'à la derrenière plume :
Car qui miex plumer le saura ,
C'iert* celé qui mieldre** l'aura,
Et qui plus iert chière tenue,
Quant plus chier se sera vendue;
Car ce que l'en a pour noiaut*,
Tant le va- l'en plus viltoiant*.
L'en n'el prise pas une escorce;
Se l'en le pert, l'en n'i fait force,
Au mains si grant ne si notée,
Cum s'en l'avoit chier achatée.
« Mais au plumer r'affiert* manière
'Manque.
* Ruses.
* Que jamais elle ne se
voulut })lus octroyer.
* Je vie donne.
' Homme.
Rendre fou .
* Si ce n'est.
'Ce sera. ** Meilleur.
* Néant, rien .
* Tenant pour vil, dédai-
gnant.
* Il faut encore.
98
LE ROMAN
V. 14657.
Ses valez et sa chamberière,
Et sa seror et sa norrice,
Et sa mère, se moult n'est nice*,
Por qu'il consentent la besoingne,
Facent tant tuit que cil lor doingne*
Sorcot* ou cote, ou gaus ou modes**,
Et ravissent cum uns escodes*
Quanqu'il* en porront agraper,
Si que cil ne puist escbaper
De lor mains en nule manière,
Tant qu'il ait fait sa darrenière ;
Si cum cil qui geue as* noiaus,
Tant lor doint deniers et joiaus.
Moult est plus tost proie achevée,
Quant par plusors mains est levée.
Autre fois li redient • « Sire,
Puisqu'il le vous convient à dire*,
Vez* qu'à ma dame robe faut**;
Comment soffrés-vous cest défaut?
S'el vosist* faire, par saint Gile!
Por tel a-il en ceste vile,
Comme roïne fust venue
•Et chevauchast à grant sambue*.
Dame, porquoi tant atendés,
Que vous ne la li demandés?
Trop par estes* vers li honteuse,
Quant si vous lesse soffreteuse. »
Et celé, combien qu'il li plaisent,
Lor doit commander qu'il se taisent ;
Que tant espoir* en a levé,
Qu'el l'a trop malement grevé.
Et s'ele voit qu'il s'aparçoive
Qu'il li doint* plus que il ne doive,
Et que forment grevé cuidc estre
Des grans dons dont il la suet* pestre,
* Simple.
* Que celui-là leur donne.
*Surtout. ** Mitaines.
* Oiseau de proie.
*Tout ce qu'ils.
* Ainsi que. relui qui joue
aux.
'Puisqu'il faut vous le
dire.
* I oyez. ** Manque,
Si elle voulait.
* Étalage.
* f mis Mes trop.
* Peut -et re.
* Donne.
* A coutume.
0
DE LA ROSE.
99
Et sentira que de douer
Ne li ose mes sermoner,
Lors li doit prier qu'il li preste,
Et li jurt* qu'ele est toute preste
De le li rendre à jor nomé
Tel cum il li aura doné ;
Mes bien est par moi desfendu
Que jamès riens n'en soit rendu.
« Se ses autres amis revient ,
Dont ele a plusors, se Dé vient*,
(Mais en nul d'eus son cuer n'a mis,
Tout les clame-ele* ses amis,)
Si se complaingne*, comme sage,
Que sa meillor robe est en gage,
Et queurt* chascun jor à usure,
Dont ele est en si grant ardure,
Et tant est ses cuers à mésèse,
Qu'el ne fera riens qui li plèse
Se cil ne li réant* ses gages;
Et li valés*, se moult n'est sages,
Por quoi pécune li soit sorse*,
Metra tantost main à la borse,
Uu fera quelque chevissance*
Dont li gage auront délivrance ,
Qui n'ont mestier d'estre réans*,
Ains sunt, espoir, trestuit léans*
Por le bacbeler* enserré
En aucun cofre bien ferré :
Qu'il ne li chaut, espoir, s'il cherche i
Dedens sa huche ou à sa perche,
Por estre de li miex créue.,
Tant qu'ele ait la pécune eue.
Li tiers réserve d'autel lobe*;
Ou ceinture d'argent, ou robe,
Ou guimple lo* qu'el li demande,
B'.eu
* Et qu'elle lui jure.
*S'il plait à Dieu.
* Bien qu'elle les appelle.
* Et qu'elle se plaigne.
* Court.
* Racheté.
* Jeune homme.
* Arrivée.
'Expédient.
* Qui n'ont besoin d'être
rachetés.
" Là -dedans.
* Jeune homme.
* Car il ne lui importe,
peut-être, s'il cherche.
* De pareille fable.
'Je conseille.
*
100
LE ROMAN ,
Et puis deniers qu'ele despende*;
Et s'il ne li a que porter,
Et jurt* , por li reconforter,
Et fiance * de pié , de main ,
Qu'il l'aportera lendemain ,
Face-li les oreilles sordes;
Ne croie riens, que ce sunt bordes* :
Trop sunt tuit apers* mentéors.
Plus m'ont menti li flatéors
Et fois et seremens jadis,
Qu'il n'a de sainz en paradis.
Au mains puisqu'il n'a que poier*,
Face au vin son gage envoier
Por deus deniers, por trois, por quatre,
Ou voise* hors aillors esbatre.
« Si doit famé , s'el n'est musarde,
Faire semblant d'estre coarde,
De trembler, d'estre paoreuse,
D'estre destrainle* et angoisseuse,
Quant son ami doit recevoir,
Et li face entendre de voir* ,
Qu'en trop grant péril le reçoit,
Quant son mari por li déçoit,
Ou ses gardes ou ses parens ;
Et que se la chose ert parens*
Qu'ele vuet faire en repostai lie*,
Morte seroit sans mile faille*.
Et jurt* qu'il ne puet demorer,
S'il la devroit vive acorer*;
Puis demeurt* à sa volenté,
Quant el l'aura bien enchanté.
Si li redoit bien sovenir,
Quant ses amis devra venir,
S'el voit que nus ne l'aparçoive,
Par la fenestre le reçoive ,
Tout puist-ele miex* par la porte ;
Et jurt qu'ele est destruite et morte,
* Dépense.
* Qu'il jure.
* Assure.
* Bourdes.
* Clairs
Payer.
* Aille.
* Dans l'embarras.
* I rai.
* Apparente.
* Cachette.
* Faute.
* Qu'il jure.
* Dût-il lui arracher le
cœur vivante.
" Demeure (sultj.)-
'Bien qu'elle pût mieux.
\*-
14764.) DE LA ROSE. 101
Et que de li seroit néans,
Se l'en savoit qu'il fust léans* : * Là-dedans.
!Ve! garroient* armes esmolues, *Ne le garantiraient.
Heaumes, haubers, pex* ne macues, * Pieux.
Ne husches ne clotes* ne chambres, * Enfoncements.
Qu'il ne fust dépeciés par membres.
Puis doit la dame souspirer,
Et soi par semblant aïrer*, * irriter.
Et l'assaille et li core sore* ; * Et lui courir sus.
Et die que si grant demore* * Retard.
N'a-il pas faite sans raison,
Et qu'il tenoit en sa maison
Autre famé, quel qu'ele soit ,
Dont li solas* miex li plesoit, * Plaisir.
Et qu'ore* est-ele bien traie, * Et que maintenant.
Quant il l'a por autre enbaïe* ; * Haïe.
Et doit estre lasse clamée*, * Malheureuse appelée.
Quant ele aime sens estre amée.
Et quant orra * ceste parole , * Ouïra.
Cil qui la pensée aura foie,
Si cuidera tout erraument* * Croira tout de suite.
Que celé l'aint* trop loiaument, * L'aime (subj.).
Et que plus soit de li jalouse
C'onc ne lu de Vénus, s'espouse,
Vulcanus, quant il l'ot trovée
Avecques Mars prise provée.
Es laz* qu'il ot d'arain forgiés, * Lacs, filets.
Lestenoitandeustousdeuxenforsgiés*, * Liens.
Ou geu d'amors joinz et liés,
Tant les ot le fol espiés.
Comment Vulcanus cspia
Sa femme, et moult fort la lia
D'un laz * avec Mars, ce me semb'e, . "Lac, lien.
Quant couchiés les trouva ensemble.
Sitost cum Vulcanus ce sot*, *.s»/.
Que pris provés andeus* les ot * Tous deux.
102
LE ROMAN
(V. 14796.)
Es laz* qu'entor le lit posa, *Dans Us lacs.
(Moult fu fox quant faire l'osa :
Car cil a moult poi de savoir,
Qui seus cuide* sa famé avoir.)
Les Dieux i fist venir en heste,
Qui moult ristrent* et firent teste,
Quant en ce point les aparçurent.
De la biauté Vénus s'esmurent
Tuit li plusor des dame-diex*,
Qui moult faisoit plaintes et diex*
Comme honteuse et corrocie,
Dont ainsinc iert prise et lacie*,
C'onc n'ot honte à ceste pareille *.
Si n'iert-ce* pas trop grant merveille ,
Se Vénus o* Mars se metoit;
Car Vulcanus si lais estoit,
Et si charbonés de sa forge,
Par mains et par vis* et par gorge,
Que por riens Vénus ne l'amast,
Combien que mari le clamast*.
Non par Dieu pas, se ce fut ores"
Absalon o ses treces sorcs*,
Ou Paris, filz le roi de Troie,
Ne l'en portast-el jà manoie* :
Que bien savoit la débonairc,
Que toutes lames sevent faire:
« D'autre part, el suut franches *nées ; * labres.
Loi les a condicionées ,
Qui les oste de lor franchises
Où Nature les avoit mises :
Car Nature n'est pas si sote
Qu'ele féist nestre Marote
Tant solement por Robichon (1),
(l) Voyez sur les personnages populaires de Robin et Murion, notre
Théâtre français au moyen âge, pag. 26-48.
Qui seul croit.
Rirent.
* Seigneurs dieux.
* Deuil.
* De ce qu'ainsi elle était
prise et enlacée.
' Car jamais il n'y eut
honte à celle-là pareille
* Et n'était-ce.
* / isage.
* L'appelât,
* Maintenant.
* Ulondes.
* Foreur.
(T. 14829.
DE LA ROSE.
103
Se l'entendement i fichon,
ÎSe Robichon por Mariete
JVe por Agnès ne por Perrete ;
Ains * nous a fait, biau filz, n'en doutes,
Toutes por tous et tous por toutes,
Chascune por ehascuu commune,
Et ehascuu commun por chascune,
Si que quant eus sunt athées *,
Par loi prises et mariées,
Por oster dissolucions
Et contens* et occisions,
Et por aidier les norretures*
Dont il ont ensemble les cures*,
Si s'esforcent eu toutes guises
De retorner à lor franchises
Les dames et les damoiseles ,
Quiex quel soieut, lèdes ou bêles.
Franchise à lor pooir maintienenl,
Dont trop de maus vendront et vienent,
Et viudrent à plusors jadis.
Bien en nomberroie jà dis,
Voire cent; mes ge les trespasse*,
Car g'en seroie toute lasse,
Et vous d'oïr tous encombrés,
Ains que g'es * eusse nombres ■
Car quant chascuns jadis véoit
La famé qui miex li séoit,
Maintenant ravir la vosist* ,
Se plus fors ne la li tosist*,
Et la léssast, s'il li pléust,
Quant son voloir fait en éust;
Si que jadis s'entretuoient,
Et les norretures* lessoient,
Ains* que l'en féist mariages
Par le conseil des homes sages.
'Mais.
Fiancées.
* Contestations.
* Éducations.
* Soins.
* Passe.
'Avant que je les.
* L'aurait voulu.
"Enlevât.
* Educations.
* Avant.
■104
LE ROMAN
(v. I48G4.)
Et qui vodroit Orace croire ,
Bone parole en dit et voire * ;
Car moult bien sot lire et diter.
Si la vous voil ci * réciter :
Car sage famé n'a pas honte,
Quant bone autorité raconte.
Jadis au temps Hélène furent
Batailles, que les c... esmurent,
Dont cil à grant dolor périrent
Qui por eus les batailles firent;
Mes les mors n'en sunt pas séues,
Quant en escrit ne sunt léues (1) :
Car ce ne fu pas la première,
Non sera-ce la darrenière ,
Par qui guerres vendront et vindrent
Entre ceus qui tendront et tindrent
Lor cuers mis en amor de lame,
Dont maint ont perdu cors et ame,
Et perdront, se li siècles dure.
Mes prenés bien garde à .Nature :
Car, por plus elèrement véoir
Cum ele a merveilleus pooir*,
Mainz essamples vous en puis mètre,
Qui bien font à véoir en letre.
* Véritable.
* Et je la vous veux ici.
* Pouvoir.
Cynousesl donné par droicture
Exemple du povoir Nature.
Li oisillon du vert boscage,
Quant il est pris et mis en cage,
II) Vixere fortes anle àgamnenona
Multi : sed omnes illacrimabiles
Urgentur; ignotique longa
Kocle, carent qui a vate sncro.
[Qninti Horutii Flaccci Odurum lib. IV, carra. IX, v. 25)
(v. 14890.) DE LA ROSE. 105
TNorris moult ententivement
Léans * délicieusement, * Là-dedans.
Et chante, tant cum sera vis*, * Fit, en rie.
De cuer gai, ce vous est avis,
Si désire-il les bois rames,
Qu'il a naturelment amés,
Et vodroit sor les arbres estre,
.là si bien n'el saura-1'en pestre ;
Tous jours i pense, et s'estudie
A recovrer sa franche vie.
Sa viande à ses piez démarche*, *il ftmle aux pieds sa
■ „ , . ,. , , nourriture.
Por 1 ardor qui son cuer h charche,
Et vet par sa cage traçant*, * Marchant.
A grant angoisse porchaçant
Comment fenestre ou pertuis truisse*, * Trouve (subj.).
Par quoi voler au bois s'en puisse.
Ausinc sachiés que toutes famés,
Soient damoiseles ou dames,
De quelconque condicion,
Ont naturele entencion
Qu'el cercheroient volentiers
Par quex chemins, par quex sentiers,
A franchise* venir porroieut, * Liberté.
Car tous jors avoir la vorroient-
Ausinc vous dis-ge que li bon* * Que l'homme.
Qui s'en entre en religion,
Et vient après qu'il s'en repent,
Par poi que de duel* ne sepent, *Peu s'en faut que ac
-r. . -, , chagrin.
Et se complaint et se démente* - Lamente.
Si que tout en soi se tormente,
Tant li sourt* grant désir d'ovrer * rient.
Comment i! porra recovrer
La franchise qu'il a perdue ;
Car la volenté ne se mue* *Ne se charge.
Por nul habit qu'il puisse prendre,
106
LE ROMAN
En quelque leu qu'il s'aille rendre.
C'est li fox* poisson qui s'en passe
Parmi la gorge de la nasse,
Qui, quant il s'en vuet retorner,
Maugré sien l'estuet* séjorner
A tous jors en prison léans*,
Car du retorner est néans.
Li autres qui dehors demorent ,
Quant il le voient si, acorent
Et cuident que cil s'esbanoie*
A grant déduit et à grant joie,
Quant là le voient tornoier,
Et par semblant esbanoier.
Et por ice méismement
Qu'il voient bien apertement*
Qu'il a léans assés viande*
Tele eum chascun d'eus demande,
Moult volentiers i enterroient*.
Si vont entor, et tant tornoient,
Tant i hurtent, tant i aguetent,
Que truevent le trou et s'i getcnt ;
Mes quant il sunt léans* venu,
Pris à tous jors et retenu,
Puis ne se puéent-il tenir
Que hors ne voi lient revenir,
Là les convient à grant duel* vivre
Tant que la mort les en délivre.
« Tout autel * vie va quéraut
Li joues bons, quant il se rent;
Car jà si grans solers* n'aura,
Ne jà tant faire ne saura
Grant chaperon ne large aumuce*,
Que Nature ou cuer ne se muce*.
Lors est-il mors et mal-baillis*
Quant frans estas li est faillis,
* Le sot.
Malgré lui il lui faut.
* Là-dedans,
* Se divertit.
Clairement.
'Nourriture.
[ Entreraient.
* Là dedans.
* Il lui faut en grande
douleur.
* Pareille.
"Souliers.
* Ornement Uu tête.
*Caehe.
* Maltraité.
\\. 14960.
DE LA ROSE.
101
S'il ne fait de neccessité
Vertu, par grant humilité;
Mes Nature ne puet mentir,
Qui franchise li fait sentir :
Car Oraces néis* raconte, *Même.
Qui bien set que * tel chose monte , * A quoi.
Qui vodroit une forche prendre
Por soi de Nature desfendre,
Et la boteroit hors de soi,
Revendroit-ele, bien le soi (1).
Tous jors Nature retorra*,
Jà por habit ne demorra.
Que vaut ce ? Toute créature
Vuet retoruer à sa nature.
Jà n'el lerra* par violence
De force ne de convenance*.
Ce doit moult Vénus escuser,
Quant voloit de franchise user,
Et toutes dames qui se geuent*,
Combien que mariage veuent ;
Car ce lor fait Nature faire ,
Qui les veut à franchise traire*.
Trop est fort chose que Nature,
Qu'el passe néis norreture *. * Même éducation.
« Qui prendroit, biau filz, un chaton
'Retournera.
* Laissera.
* Bon accord.
* Jouent.
Itrcr,
(I)
Naturam expellas furca, tamen usque recurret.
(Horat.,^6. I, epist. X, v. 24.)
Ce que La Fontaine a dit depuis dans la fable de la Chatte métamor-
phosée en femme :
Coups de fourches ni d'étjivierea
Ne lui font changer de manières.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
11 reviendra parles fenêtres.
i.L. D. D.)
108
LE ROMAN
Qui onques rate ne raton
Véu n'auroit, puis fust noris,
Seus jà véoir ras ne soris,
Lonc tens par ententive cure
De délicieuse pasture ,
Et puis véist soris venir,
N'est riens qui le péust tenir,
Se l'en le lessoit eschaper,
Qu'il ne l'alast tantost haper.
Trestous ses mez en lesseroit,
Jà si fameilleux* ne seroit;
N'est riens qui pez entr'eus i'éist,
Por poine que l'en i méist.
Qui norrir un polain sauroit
Qui jument véue n'auroit,
Jusqu'à tens qu'il fust grans destriers
Por soffrir seles et estriers,
Et puis véist jument venir,
Vous l'orriés* tantost hennir;
Et verriés contre li corre *,
S'il n"iert* qui l'en péust rescorre**,
Non pas morel* contre morele
Solement, mes contre fauvele*,
Contre grise, contre liarde*,
Se frain ou bride n'el retarde,
Ou qu'il puisse sus eus saillir ';
Toutes les vodroit assaillir.
Et qui morele ne tendroit,
Tout le cours* à morel vendroit,
Voire à fauvel ou à liart,
Si cum sa volenté H art*.
Li premiers qu'ele troveroit,
C'est cis* qui ses maris seroit,
Qu'el n'en r'a nules espiées,
Fors que les truisse* desliées.
* Affamé.
* l 'ou* l'outriez,
* Courre, courir.
* S'il n'était,
empêcher.
* i> bir.
* Fauve.
* Isabelle.
'Sauter.
'Secourir,
Au jnis de course-
Brûle.
'Celui.
* Sinon qu'il les trouve.
(v. i5o>o.) DE LA ROSE. 109
Et ce que ge di de morele,
Et de fauvel et de fauvele,
Et de liart et de morel,
Di-ge de vache et de torel,
Et de berbis et de mouton :
Car de ceus mie ne douton
Qu'il ne voillent lor famés toutes.
Ne jà de ce, biau filz, ne doutes,
Que toutes ausiuc tous n'es* voillent, *JVe les.
Toutes volentiers les acoillent.
Aiusinc est-il, biau filz, par m'ame!
De tout home et de toute famé,
Quant à naturel apétit,
Dont loi les retrait* un petit. "Retire.
Un petit! mes trop, ce me semble;
Car quant loi les a mis ensemble,
Et Vliet, SOit valés* OU pucele, * Jeune homme.
Que cil ne puist* avoir que celé, *Que celui-là ne puisse.
Au mains tant cum ele soit vive,
Ne celé autre tant cum cil vive ,
Mes tOUtevois * SUUt-il tenté * Toutefois.
D'user de franche volenté :
Car bien sai que* tel chose monte, * A quoi.
Si s'en gardent aucuns por honte,
Li autre por paor de paiue;
Mais Nature ainsinc les demaine* * Gouverne.
Cum les bestes que ci déismes.
Ge le sai bien par moi-méismes;
Car ge me sui tous jors pénée
D'estre de tous homes amée ;
Et se ge ne doutasse* honte , * Redoutasse.
Qui refreine* mains cuers et donte, *iïent en bride.
Quant par ces rues m'en aloie,
Car tous jors aler i voloie
D'aornemens envelopée
ROJU> DE r.A KOSE. — T. II. 10
no
LE ROMAN
(Por noiant* fust uue popée),
Ces valés*, qui tant me plesoient
Quant ces dous regars me fesoient ,
Douz Diex ! quel pitié m'en preuoit.
Quant cis* regars à moi venoit!
Tous ou plusors les recéusse,
Si lor pléiist et ge péusse.
Tous les vosisse tire à tire*,
Se ge poisse* à tous soffire ;
Et me sembloit que s'il péussent ,
Yolentiers tuit me recéussent.
Je n'en met hors prélaz ne moines,
Chevaliers, borjois ne chanoines,
Ne clerc ne lai, ne fol ne sage,
Por* qu'il fust de poissant aage,
Et de religions saillissent*,
S'il ne cuidassent qu'il faillissent,
Quaut requise d'amors m'eussent;
Mes se bien mon penser séussent
Et nos condicions trestoutes,
Il n'en fussent pas en tex* doutes;
Et croi que se plusor osassent,
Lor mariages en brisassent ,
Et de foi ne lor sovenist,
Se nus à privé* me tenist.
Nus n'i gardast condicion,
Foi ne veu ne religion ,
Se ne fust aucuns forsenés*
Qui fust d'amors enchifrenés,
Et loialment s'amie amast.
Cil, espoir, quite me clamast",
Et pensast à la soe* avoir,
Dont il ne préist nul avoir.
Mes moult est poi de tex* amans,
Si m'aïst Diex et sains Amans,
: Néant, rien .
'Jeunes rjenx.
'Ce.
"Je les voudrais Ictus l'un
après l'autre.
*Sijc pouvais.
Pourvu.
* El <le maisonsreligieuses
sortissent.
Tels
Eu particulier.
'Insensé.
* Celui-là peut-être me
tiendrait quitte.
" Sienne.
* l'eu de tels .
(v. 15090.) DE LA ROSE. ill
Comme ge croi certainement,
S'il parlast à moi longement ,
Que qu'il déist, mençonge ou voir*, * Vérité.
Trestout le féisse esmovoir,
Quex qu'il fust, séculer ou d'ordre,
Fust ceint de cuir roge ou de corde ,
Quelque chaperon qu'il portast,
O* moi, ce croi, se déportast** , *Avec. ** Se divertirait.
S'il cuidast que ge le vosisse*, * Voulusse.
Ou que, sans plus, ge le soffrisse.
Ainsinc Nature nous justise*, * Punit.
Qui nos cuers à délit* atise, * Plaisir.
Par quoi Vénus de Mars amer
A maius déservi* à blasmer. * Moins mérité.
« Ainsinc cum en tel point estoient
Mars et Vénus, qui s'entr'amoient,
Des dieux i ot mains qui vosissent* * Moins qui voulussent.
Que li autre diex se risissent
En tel point cum il font de Mars.
Miex vosist puis deux mile mars
Avoir perdu dans* Vulcanus, *Sire.
Que cest euvre séust jà nus* ; * \ul.
Car li dui* qui tel honte en orent, * Les deux.
Quant il virent que tuit le sorent,
Firent dès lors à huis* overt "Porte.
Ce qu'il faisoient eu covert.
N'onques puis du fet n'orent honte,
Que li diex tindrent d'eus lor conte ,
Et tant publièrent la fable,
Qu'el fu par tout le ciel notable.
S'en fu Vulcanus plus iriés*, "Et en .fut J'ulcain plus
Quant fu plus li fais empiriés;
N'onques puis n'i pot conseil mètre,
Ainsinc cum tesmoigne la letre.
Miex li venist estre soffers,
112 LE ROMAN (v. 15125.)
Qu'avoir au lit les laz* offers , * Lacs, liens.
Et que jà ne s'en esméust;
Mes faiusist* que riens n'en séust. ^Feignit.
S'il vosist avoir bêle chière* *S'U roulait avoir bonne
mine.
De Vénus, que tant avoit chière.
« Si se devroit cis* prendre garde * Celui-là.
Qui sa faîne ou s'amie garde,
Et par son fol aguet tant euvre
Que provée la prent sor l'euvre :
Car sache que pis en fera,
Quant prise provée sera ;
JNe cil qui du mal félon art*, * Brûle.
Que si l'a prise par son art*, * Artifice.
James n'en aura, puis* la prise, * Depuis.
Ne biau semblant ne bon servise.
Trop est fors maus que jalousie,
Qui les amans art* et soussie; * Brûle, consume.
Mais ceste a jalousie faiute,
Qui faintement fait tel complainte *, * Telle plainte.
Et amuse ainsinc le musart.
Quant plus l'amuse, et cil plus art.
« Et s'il ne s'en daigne escondire*, * Fâcher.
Ains die*, por li mètre en ire, * Mais dise.
Qu'il a voirement* autre amie, * Véritablement.
Gart* que ne s'en corroce mie. * Qu'elle prenne garde.
Jà soit ce que* semblant en face, "Quoique.
Se cil autre amie porebace* , * Acquiert.
Jà ne li soit à un bouton * * Q'r'l/i: »f *e ,-s'"";'v '"-v
plus que d un bouton.
De la ribaudie au glouton;
Mes face tant que cil recroie*, 'Croie à s<oi tour.
Por ce que d'amer ne recroie* , * Cesse.
Qu'el voille autre ami porchacier*, * Acquérir.
Et qu'el n'el fait fors* por chacier *Si ce n'es/.
Celi dont el vuet estre estrange :
Car bien est drois que s'en estrange*, "Éloigne.
(v. I5fG0.)
DE LA ROSE.
113
Et die : « Trop m'aves mesfait,
Vengier m'estuet* de ce mesfait;
Puisque vous m'avés faite coupe*,
Ge vous ferai d'autel* pain soupe. »
Lors sera cil en pire point
Conques ne fu, s'il l'aime point,
Ne ne s'en saura déporter * ;
Car nus n'a pooir* de porter
Grant amor ardamment ou pis*,
S'il n'a paor d'estre acoupis*.
Lors resaille* la chamberière ,
Et face paoreuse chière,
Et die : « Lasse ! mortes somes.
Mes sires*, ou ne sai quex homes,
Est entrés dedens nostre court. »
Là convient* que la dame court
Et entrelest* toute besoingue;
Mes le valet ainçois repoiugne*
En four, en estable ou en huche ,
Jusqu'à tant que l'en le rehuche*.
Quant ele iert* ariers là venue,
Cil qui désire sa venue,
Vodroit lors estre aillors, espoir* ,
De paor et de désespoir.
« Lors se c'est uns autres amis
Cui* la dame aura terme mis ,
Dont el n'ara pas esté sage
Qu'el n'en port du tout le musage*
Combien que de l'autre li membre *
Mener le puet en quelque chambre
Face lors tout quanqu'il vorra*
Cil qui demorer ne porra,
Dont moult aura pesance et ire* ;
Car la dame li porra dire :
« Du demorer est-ce néans ,
"Me faut.
k Faille.
'De tel.
* Divertir.
*Nal n'a pouvoir.
* Dans la poitrine.
* Cocu.
* Saute à sou tour.
* Mon maître.
* Il faut.
* Laisse.
* Mais le jeune homme au-
paravant cache.
* Rappelle.
* Sera.
*Peut-(tre.
* A qui.
* Le retard.
* Souvient.
* Ce qu'il voudra.
* Souci et chagrin.
10
114
LE ROMAN
« Puisque mes sires* est céans,
« Et quatre miens cousins germains.
« Si m'aïst* Diex et sains Germains,
« Quant autre fois venir porrés,
« Ge ferai quanque vous vorrés* ;
« Mais soffrir vous convient à tant*.
« Ge m'en revois *, car l'en m'atent. »
Mes ainçois* le doit hors bouter,
Qu'el n'en puist huimès riens douter*.
Lors doit la dame retorner,
Qu'ele ne face séjorner
Trop longement l'autre à mésèse ,
Por ce que trop ne li desplèse,
Et que trop ne se desconfort * ;
Si li redoint* novel confort.
Si convient* que de prison saille**,
Et que couchier avec li s'aille
Entre ses bras dedans sa couche ;
Mes gart* que sens paor n'i couche.
Face-li entendant et die
Qu'ele est trop foie et trop hardie,
Quant son mari por li déçoit,
Et el-méismes se déçoit,
Et jurt* que par l'ame son père
L'amor de li trop chier compère*,
Quant se met en tel aventure ,
Jà soit ce qu'el * soit plus séure
Que ceus qui vont à lor talant*
Par chans et par vignes balant* ;
Car délis* en séurté pris
Mains est plesant, mains a de pris.
Et quant aler devront ensemble ,
Gart que jà cil à li n'assemble*,
Combien qu'il la tieugne à séjor*;
Por qu'ele voie cler le jor,
* Mon mari.
* M'aide.
*Tout ce que vous vou-
drez.
' II mus faut alors.
* Je m'en retourne.
* Auparavant.
* Désormais rien craindre.
* Xe se désole.
* Redonne.
* Et il faut. **Sorte.
Prenne ijardc.
i Et qu'elle jure.
'Paye.
'Quoiqu'elle.
"Gré, désir.
' Dansant .
"Plaisir.
" Qu'elle prenne garde
que celui-ci ne se joigne
a elle. * En repos'.
(v. 15230.
DE LA ROSE.
n:>
Qu'el n'entrecloe ains* les fenestres,
Que si soit umbragiés li estres*,
Que s'ele a ne vice ne tache
Sor sa char*, que jà cil n'el sache.
Gart que nule ordure n'i voie,
Qu'il se metroit tautost à voie * ,
Et s'enfuiroit keue levée :
S'en seroit honteuse et grevée.
« Et quant se seront mis en l'uevre,
Chascuns d'eus si sagement uevre*
Et si à point que il conviengue
Que li délis ensemble viengne
De l'une et de l'autre partie,
Ains* que l'uevre soit départie** (1);
Et si se doivent entr'atendre
Por ensemble à lor bone* tendre.
L'un ne doit pas l'autre laissier,
De nagier ne doivent cessier
Jusqu'il prengnent ensemble port :
Lors auront enterin déport * .
« Et s'el n'i a point de délit,
Faindre doit que trop s'i délit*,
Et faingne et face tous les signes
Qu'el set qui sunt au délit dignes,
Si qu'il cuit* que celé en gré prengne
Ce qu'el ne prise une chasteugne (2).
« Et s'il, por eus asséurer,
* Qu'elle n' entreferme au-
paravant.
T La chambre.
'Chair.
En chemin.
* Travaille.
* Avant. ** Laissée.
* Borne, Lut.
* Plaisir complet.
* Délecte.
'Tellement qu'il croie.
W
(2)
Ad metam properate simul : tune plena voluptas,
Quum pariter victi femina virque jacent.
(OviD., Artis amatoriœ lib. II, v. 727.)
Tu quoque, cui Veneris sensum natura negavit,
Dulcia mendaci gaudia linge sono.
Infelix, cui torpet hebes locus ille, puella es,
Quo pariter debent femina virque frai !
Tantum, quum linges, ne sis manifesta caveto.
(/&«?., lib. III, V. 797.)
116
LE ROMAN
Puet vers la dame procurer
Qu'ele viengne à son propre ostel *,
Si r'ait la dame propos tel
Le jor qu'el devra Terre prendre*,
Qu'el se face un petit atendre,
Si que cil* en ait grant désir
Ains* que la tiengue à son plésir.
Gieus d'amors est, quant plus demore*,
Plus agréable qu'à droite* hore :
S'en sunt cil mains entalenté *,
Qui les ont à lor volenté.
Et quant iert à l'ostel * venue,
Où taut sera chière tenue,
Lors li jurt* et li face entendre
Qu'au jalons se fait tant atendre ,
Qu'ele en frémist et tremble toute,
Et que trop durement se doute*
D'estre lédengiée* et batue,
Quant ele iert* ariers revenue;
Mes comment qu'ele se démente*,
Combien que die voir*, ou mente,
Prengne-en paor* séurement,
Séurté paoreusement,
Et facent eu lor priveté*
ïrestoute lor joli voté*.
« Et s'el n'a pas loisir d'aler
A son ostel à li parler,
Ne recevoir ou sien* ne l'ose,
Tant la tient li jalous enclose,
Lors le doit, s'el puet , enivrer,
Se miex* ne n'en set délivrer.
Et se de vin n'el puet faire yvre,
D'erbes puet avoir une livre,
Ou plus ou mains, dont sens dangier
Li puet faire boivre ou mangier :
* Logis.
* Se mettre en route.
* De façon à ce que celui
là.
"Avant.
* Tarde.
* Légitime.
* Et en sunt ceux-là moins
désireux.
* Sera au logis.
* Alors qu'elle lui jure.
* Fortement redoute.
* Vilipendée.
* Sera .
* Lamente
* Dise vrai.
* Qu'elle en prenne peur.
* En leur particulier.
* Plaisir.
'Dans le sien.
* Si mieux.
(v. 15292.) DE LA ROSE. \\1
Lors dormira cil si formant * , * Fortement.
Qu'il li lerra* l'aire en dormant * Laissera.
Trestout quanque celé vorra *, * Tout ce que celle-là voit-
Car destorner ne l'en porra.
De sa mesnie*, s'elel'a, * Maison.
Envoit ci* l'un, et l'autre 15, * Qu'elle envoie ici.
Ou par légiers dons les déçoive,
Et son ami par eus reçoive.
Ou les repuet* tous abevrer, *Peut encore.
Se du sccré les vuet sevrer;
Ou, s'il li plest, au jalous die :
« Sire, ne sai quel maladie,
Ou fièvre ou goûte ou apostume,
Tout le cors m'embrase et alume ;
Si m'estuet* que j'aille as estuves. * Et n faut.
Tout aions-nous* céans deus cuves, ''Bien que nous ayons.
N'i vaudroit riens baing sens estuves :
Por ce convient* que ge m'estuves. » *Pour cela il faut.
Quant li vilains aura songié,
Li donra-il, espoir*, congié, * Peut-être.
Combien qu'il face lède cbière*; *Mine.
Mes qu'ele maint* sa chamberière , * Pourvu qu'elle mène.
Ou aucune soe* voisine, * Sienne.
Qui saura toute sa couvine*, * Affaire.
Et son ami, espoir, r'aura,
Et celé ausinc tout resaura.
Lors s'en ira cbés l'estuvier*, * L'étuvîste.
Mes jà ne cuve ne cuvier
Par aventure n'i querra * ; * Cherchera.
Mes o* son ami se gerra**, * Avec. ** Couchera.
Se n'est, por ce que bon lor semble,
Que baignier se doivent ensemble :
Car il la puet ilec* atendre , * Là.
S'il set que celé part doit tendre.
« Nus * ne puet mètre en famé garde, * Nul.
118 LE ROMAN (v. 15327.)
S'ele-méisme ne se garde :
Se c'iert* Argus qui la gardast, *Si c'était.
Qui de ses cent iex l'esgardast*, * La regardât.
Dont l'une des moitié veilloit,
Et l'autre moitié sommeilloit,
Quant Jupiter li fist trenchier
Le chief*, por Yo revenchier * La tête.
Qu'il avoit en vache muée ,
De forme humaine desnuée*, * Privée.
(Mercurius le li trencha
Quant de Juno la revencha,)
N'i vaudroit sa garde mes riens :
Fox est qui garde tel mesriens*. " Merrain.
« Mais gart que jà ne soit si sote,
Por riens que clers ne lais* li note, * Laïque.
Que jà riens d'enchantement croie,
Ne sorcerie ne charroie*, * Charme.
Ne Balenus ne sa science,
Ne magique ne uigromance *, * Nécromancie.
Que par ce puist* home esmovoir * Puisse.
A ce qu'il l'aint par estovoir* , * L'aime par force.
Ne que por li mile autre liée" : 'finisse.
Onques ne pot tenir Médée
Jason por nul enchantement ;
JN'onc Circé ne tint ensement* * Pareillement.
Ulixes qu'il ne s'enfoïst,
Por nul sort que faire poïst*. * Quelque conjuration que
c- vc * »< 1 * faire pût.
« Si gart famé* qu a nul amant, * Que femme garde.
Tant l'aille son ami clamant*, * Appelant.
Ne doingne* don qui gaires vaille : * \e donne.
Bien doiut orillier ou toaille*, "Serviette.
Ou cuevrechief ou aumosuière,
Mrs qu'el ne soit mie trop chière ,
Aguillier ou laz* ou ceinture, * Lacs, lacets.
Dont poi* vaille la ferréure, * Peu.
(v.
DE LA ROSE.
119
'Toile, mouchoir.
'Du mon ri,'.
Ou un biau petit coutelet,
Ou de fil un biau linsselet*,
Si cum font nonains par coustume (1) ;
Mais fox est qui les acoustume.
Miex vient famés du siècle* amer :
L'en ne s'en fait pas tant blasmer,
Si vont miex à Ior volentés:
Lor maris et Ior parentés
Sevent bien de paroles pestre ;
Et jà soit (ce que ne puist estre)
Que l'un et l'autre trop ne coust,
Trop sunt nonains de graindre* coust.
Mes hons* qui bien sage seroit,
Tous dons de famés douteroit* :
Car dons de famé, à dire voir*,
JNe sunt fors laz * à décevoir ;
Et contre sa nature pèche
Famé qui de largesce a teche*.
Lessier devons largesce as homes :
Car quant nous, famés, larges somes,
C'est grant meschéance * et grans vices. * Malheur.
Déables nous ont fait si nices*! * Simples.
Mes ne m'en chaut*; il n'en est guières * Mais il ne. m'importe.
Qui de don soient coustumières.
De tiex* dons cum j'ai dit devant , * De tels.
Mes que ce soit en décevant,
* Plus grand.
* Homme.
* Craindrait.
* r-
t rai.
*Lact, filets.
* Qualité.
(I) D'un aulrecôté, Robert de Blois défend aux dames d'accepter des
cadeaux, si ce n'est de parents :
S'aucuns païen/, vous veut doner
Joiel, n'el devés refuser,
Belc corroie ou biau coûte!,
Auinosniere, afiehe * ou anel, "Broche.
Mes qu'il n'i ait entencion
Entre vous «leus se de bien non, etc.
Le Chastiement des dames, v. 233. [Fabliaux et Contes,
édit. de Méon,tom. II, p. ioi.J
120 LE ROMAN (v. losss.)
Eiau filz, poés-vous bien user
Por les musars miex amuser ;
Et gardés quanque l'eu* vous done; *Tout ce que l'on.
Et vous soviengne de la boue* . * Borne, but.
Où trestoute jonesce tent,
Se chascun pooit vivre tant :
C'est de viellesce qui ne cesse,
Qui chascun jor de nous s'apresss*, * S'approche.
Si que quant là serés venus,
Ne soies pas por fol tenus;
Mes soies d'avoir si garni,
Que point ne SOiés escharni* : * Tourné en ridicule.
Car aquerre, s'il n'i a garde,
Ne vaut pas un grain de mostarde.
Ha, lasse*! ainsinc n'ai-ge pas fait : 'Malheureuse.
Or* sui povre par mon fol fait. * Maintenant.
« Les grans dons que cil me donoient
Qui tuit à moi s'abandonoient,
Au miex amé abandonoie.
L'eu me donoit , et ge donoie ,
Si que n'en ai riens retenu.
Doner m'a mis au pain menu ;
Ne me sovenoit de viellesce,
Qui or m'a mis en tel destresce.
De povreté ne me tenoit ;
Le tens ainsinc cum il venoit
Lessoie aler, sans prendre cure* * Soin.
De despens faire par mesure.
Se ge fuisse sage, par m'ame!
Trop eusse esté riche dame :
Car de trop grans gens fui acointe , * Je fus liée avec de trop
,. . . r/randes gens.
Quant g 1ère ja * mignote et comte** ! * J'étais déjà. ""Élégante.
Et bien en tenoie aucuns pris;
Mes quant j'avoie des uns pris,
Foi que doi Dieu et saint Tibaut,
(v. 15423.)
DE LA ROSE.
■121
Trestout donoie à un ribaut
Qui trop de honte me faisoit,
Mes c'iert cis* qui plus me plaisoit.
Les autres tous amis clamoie*,
Mes li tant solement amoie;
Mes sachiés qu'il ne me prisoit
Un pois, et bien me le disoit.
Mauves iert*, onques ne vis pire,
One ne me cessa de despire* ;
Putain commune me clamoit
Li ribaus, qui point ne m'amoit.
Famé a trop povre jugement,
Et ge fui famé droitement*.
« One n'amai home qui m'amast,
Mes se cis ribaus m'entamast
L'espaule, ou ma teste éust quasse*,
Sachiés que ge l'en merciasse.
Il ne me séust jà tant batre ,
Que sor moi n'el féisse embatre* ;
Qu'il savoit trop bien sa pez faire,
Jà tant ne m'éust fait contraire*.
Ne jà tant m'éust mal menée
Ne batue ne traînée,
Ne mon vis* blecié ne nerci,
Qu'ainçois * ne me criast merci
Que de la place se meust,
Jà tant dit honte ne m'éust,
Que de pex* ne m'amonestast,
Et que lors ne me rafaitast* :
Si r'avions et pez et concorde.
Ainsinc m'avoit prise à sa corde ,
Car trop estoit fiers rafaitierres
Li faus, li traïstres, li lierres*.
Sens celi ne poïsse* vivre,
Celi vosisse* tous jors sivre;
C'était celui.
* Appelais.
* Était.
* Mépriser.
* El je fus femme sûîv-
ment.
* Cassée.
Met Ire.
'Contrariété.
* Visage.
* Qu'auparavant.
* Pieux, bâtons,
* Caressât.
* Larron.
*Sans celui-là ne pourrais.
* Celui-là je voudrais.
11
122
LE ROMAN
15459.)
S'il foïst, bien l'alasse querre* * chercher.
Jusqu'à Londres en Engleterre.
Tant me plut et tant m'abéli*,
Qu'à honte me mist, et je !i :
Car il menoit les graus aviaus *
Des dons qu'il ot de moi tant biaus.
Ne n'en metoit nus en espernes * ,
Tout jooit as dez en tavernes;
N'onques n'aprist autre mestier,
K'il ne l'en iert lors nul mestier*,
Car tant li livroie à despendre*,
Et ge l'avoie bien où prendre :
Tous li mondes iert mes rentiers,
Et il despendoit volentiers ,
Et tous jors iert eu ribaudie,
Trestout frioit de lécherie*.
Tant par avoit la bouche tendre,
C'onc ne volt* à nul bien entendre;
N'onc vivre ne l'i abélit*
Fors en oiseuse et en délit*.
En la lin l'en vi mal-bailli*,
Quant li dons me furent failli :
Povres devint et pain quérant,
Et ge n'oi vaillant un seran*,
N'onques n'oi seignor espousé*.
Lors m'en vins, si cum dit vous é,
Par ces buissons gratant mes temples.
« Cis miens estaz vous soit essamples,
Biau douz filz, et le retenez.
Si sagement vous démenez,
Que miex vous soit de ma mestrie* ; * Science.
Car quant votre Rose iert flestrie,
Et les chanes* VOUS assaudront, ''Cheveux blancs.
Certainement li don failliront*. » * Manqueront.
Me convint.
* Prodigalités.
' Epargnes.
* Ni il ne lut en était alors
nul besoin.
' Dépenser.
"Etait ardent de débau-
che.
* Que jamais il ne voulut.
"■Plut,
"Si ce n'eut en oisiveté et
eu plaisir.
"En mauvaise situation.
' Peigne de fer.
Piijamaisje n'eus épou-
154 y 3.)
DE LA ROSE.
123
V Acteur.
Ainsiuc la Vielle a sermoné.
Bel-Acueil, qui mot n'a soné,
Très-volentiers tout escouta.
De la Vielle mains se douta
Qu'il n'avoit onques fait devant,
Et bien se vet aparcevant
Que, se ne fust por Jalousie
Et ses portiers , où tant se fie,
Au mains les trois qui li demorent,
Qui tous jors par le chastel corent
Tuit forsené * por le desfendre,
Légier fust le chastel à prendre * ;
Mes jà n'iert pris si cum il cuide *,
Tant i metent cil grant estuide.
De Maie-Bouche qui mors iere*,
Ne faisoit nus d'eus lède chière*,
Qu'il n'iere point léans* amés;
Tous jors les avoit disfamés
Vers Jalousie, et tous trais,
Si qu'il ert si forment* haïs,
Qu'il ne fust pas d'un ail raiens*
De nus qui demorast laiens *,
Se n'iert, espoir*, de Jalousie.
Celé amoit trop sa janglerie*.
Volentiers li prestoit l'oreille,
Si r'iert-ele triste à merveille
Quant li lerres chalemeloit*.
Qui nule riens ne li céloit
Dont il li poïst so venir,
Por quoi maus en déust venir.
Mes de ce trop grant tort avoit
Qu'il disoit plus qu'il ne savoit,
Et tous jors par ses flateries
* Insensés.
" Il fût aisé de prendre Je
château.
" Vais jamais ne sera pris
comme il croit.
* Était.
*Mne.
* Là-dedaïu.
* Fortement.
* Racheté.
Là-dedans.
* Si ce n'était peut- cire.
* Caquet.
: Larron publiait.
124
LE ROMAN
(V. 15526.)
Ajoustoit as choses oies;
Tous jors acroissoit les uoveles,
Quant el n'ierent* boues ne bêles,
Et les boues apetissoit.
Ainsinc Jalousie atisoit,
Comme cil qui toute sa vie
Usoit en jangle* et en envie.
N'onques messe chauter n'en firent,
Tant fureut liez* quant mort le virent.
Riens n'ont perdu, si cum* lor semble;
Car, quant mis se seront ensemble,
Garder cuident si la porprise* ,
Qu'el n'aura garde d'estre prise,
S'il i venoit cinq cens mil homes.
N'étaient.
* Caquet.
* Joyeux.
* Ainsi que.
* L'enclos.
Les (rois Portiers.
« Certes, font-il, poi* poissant somes,
Se sens ce larron ne savons
Garder tout quanque* nous avons.
Ce faus traître, ce truant,
Aut s'ame ou* feu d'enfer puant
Qui la puist ardoir* et destruire!
Onques ne lîst céans fors* nuire. »
*Peu.
* Ce que.
* Aille son âme au .
* Qui la puisse brûler.
* Si ce n'est.
V Jeteur
Ce vont li trois portier disant ;
Mes, que qu'il aillent devisant,
Forment* en sunt afébloié**.
Quant la Vielle ottant fabloié*,
Bel-Acueil reprent la parole;
A tart comence et poi parole*,
Et dist comme bien enseigniés.
'Fortement. * *. 7/ faiblis.
* Parle, conté.
* Peu parle.
15554.)
DE LA ROSE.
125
Bel-Acueïl.
« Madame, quant vous m'enseigniés
Vostre art si débonairement,
Je vous eu merci bonemeut ;
Mes quant parlé m'avés d'amer,
Des dous maus où tant a d'amer,
Ce m'est trop estrange matire*.
Riens n'en sai fors* par oïr dire,
Ne jamès n'eu quier* plus savoir.
Quant vous me reparlés d'avoir
Qui soit par moi grans amassés ,
Ce que j'ai me soffist assés;
D'avoir bêle manière et gente,
Là voil-ge bien mètre m'entente*.
De magique, l'art au déable,
Je n'en croi riens, soit voir* ou fable;
Mes du valet* que vous me dites,
Où tant a bontés et mérites,
Que toutes grâces li acorent*,
S'il a grâces, si li demorent*.
Ge ne bé * pas que soient moies**,
Ains les li quit; mes toutevoies*
N'el hé-ge* pas certainement;
Ne ne l'aim pas si finement,
Tout aie-ge pris son chapel ,
Que por ce mon ami l'apel,
Se n'est de parole commune ,
Si cum chascuns dist à chascune :
Bien puissiés-vous venir, amie!
Amis, et Diex vous bénéie!
Ne que ge l'aime ne honor,
Se n'est par bien et par honor.
Mes puisqu'il le m'a présenté,
Et recéu son présenté,
* Matière.
* Si ce n'est.
* Feux.
Mon attention.
'Frai.
''Jeune homme.
* Accourent à lui.
* Qu'elles lui demeurent.
* Dcsirc. * * Mien nés.
* Au contraire je les lui
abandonne ; mais toute-
fois.
* Je ne haïs.
11.
126
LE ROMAN
15537.)
Ce me doit bien plaire et seoir.
S'il puet, si me viengne véoir,
S'il a de moi véoir talent* :
Il ne me trovera jà lent
Que n'el reçoive voleutiers,
Mes que ce soit endementiers*
Que Jalousie iert* hors de vile,
Qui forment* le het et avile;
Si dout-ge, comment qu'il aviengne,
S'il vient céans, qu'el n'i sorviengne :
Car puis qu'ele a fait emmaler*
Tout son bernois por hors aler,
Et de remaindre ai-ge congié*,
Quant sor son chemin a songié,
Sovent à mi-voie retorne,
Et tous nous tempeste et bestorne*;
Et s'el i vient par aventure,
Tant est vers moi crueuse* et dure,
S'ele le puet céans trover,
N'eu puist-ele jà plus prover.
Se sa cruauté remembrés*,
Ge serai tous vis* desmcmbrés. »
*Désir, envie.
* Pendant.
*Sera.
* Fortement.
''Emballer.
"Et de rester ai-je per-
mission .
Bouleverse.
'Cruelle.
* Rappelé:.
*F'if.
V Acteur.
Et la Vielle moult l'asséure.
La f teille.
« Sor moi, dist-ele, soit la cure*, • *Le soin.
De l'i trover est-ce néans,
Et fust Jalousie céans :
Car ge sai tant de repostaille*, * Cachette.
Que plustost en un tas de paille,
Si m'aïst Diex* et sains Rémi, *Si Dieu m'aide.
DE LA ROSE.
127
Troveroit un oef de frémi*, * Fourmi.
Que celi*, quant repost* l'auroie, "Celui-là.
Si bien repondre* le sauroie. » * Cacher.
Bel-Acueil.
« Dont voil-ge bien, dist-il, qu'il viengne,
Mes que sagement se contiengne,
Si qu'il se gart de tous outrages. » * Excès.
La fieille.
« Par la char Dieu*, tu dis que sages, * Chair de Dieu.
Cum preus et cum bien apensés *, *Héfiéchi.
Filz, qui tant vaus et qui tans ses. »
** Caché.
V Acteur.
Lor parole à tant faillirent*,
D'ilec adonc se départirent* ;
Bel-Acueil en sa chambre va,
Et la Vielle ausiuc se leva
Por besoingner par la mèson.
Quant vint leus et tens et sèson
Que la Vielle peut sol choisir*
Bel-Acueil, si que par loisir
Péust-1'en bien à li parler,
Les degrés prent à dévaler*,
Tant que de la tor est issue* ;
IN'onques ne cessa puis l'issue*
Jusqu'à mon hostel de troter.
Por moi la besoingne noter,
Vint-s'en à moi lasse et tagans*
* A lors finirent.
* Delà alors ils partirent.
* Apercevoir.
* Descendre.
* Sortie.
* Depuis l'issue.
'Abattue.
La Pie il le.
«. Viens-ge, dist-ele, à point as gans*, * Aux gens.
128 LE ROMAN (v. issu.)
Se ge vous di bones noveles
Toutes fresches, toutes noveles? »
V Amant.
a Asgans! dame, ainsvous di sens lobe*, * Mensonge.
Que vous aurés mantel et robe ,
Et chaperon à penne* grise, * Bordure.
Et botes à vostre devise*, *Gré.
Se me dites chose qui vaille. »
Lors me dist la Vielle que j'aille
Sus au chastel, où l'en m'ateut :
Ne s'en volt* pas partir à tant**, * Voulut. ** Alors.
Ains* m'aprist d'entrer la manière. » *Mais.
Comment la Vieille la manière
D'entrer au fort par l'huys * derrière * Furie.
Enseigna l'Amant à bas ton,
Par ses promesses, sans nul don ;
Et l'iustiuisit si sagement,
Qu'il y entra secrètement.
« Vous enterrés par l'uis * derrière, * r,vi* entrerez par la
1 porte.
Dist-ele, et g'el vous vois* ovrir * Jais.
Por miex la besoingne covrir.
Cis passages est moult covers,
Sachiés cis uis* ne fu overs * Sachez que cette porte.
Plus a de deux mois et demi. »
V Amant.
« Dame, Os-ge, par saint Rémi !
Coust* l'aune dix livres ou vint, * Coûte (subj.).
(Car moult bien d'amis me souvint
Qui me dist que bien proméisse ,
Néis se rendre ne poïsse*,) * Mémesirendrene pusse.
Bon drap aurés, ou pers* ou vert, * Bien.
Si ge puis trover l'uis * ouvert. » * La porte.
(v. lôGcr.
DE LA ROSE.
129
La Vielle à tant * de moi se part.
Ge m'en revois* de l'autre part
A l'uis derrière où dit m'avoit,
Priant Dieu qu'à bon port m'avoit*.
A l'uis m'en vins sens dire mot.
Que la Vielle desfermé* m'ot,
Et le tint encor entreclos.
Quant me fui mis ens*, si le clos.
Si fui mes plus séurement,
Et ge de ce méismement
Que ge soi* Maie-Bouche mort;
Onques si liez* ne fui de mort.
Uec* vi la porte cassée.
Ge ne Toi pas plus tost passée,
Qu'Amor trovai dedens la porte ,
Et son ost* qui confort m'aporte.
Diex! quel avantage me firent
Li vassal qui la desconfirent!
De Dieu et de saint Bénéoist
Puissent-il estre bénéoist* !
Ce fu Faus-Semblaut li traïstres,
Le filz Barat, li faus menistres
Dame* Ypocrisie sa mère,
Qui tant est as vertus amère,
Et dame Astenance-Contrainte ,
Qui de Faus-Semblant est enceinte ,
Preste d'enfanter Antecrist,
Si cum ge truis ou* livre escrit.
Cil la desconfirent sans faille*;
Si pri por eus, vaille que vaille.
Seignor, qui velt* traïstres estre,
Face de Faus-Semblant son mestre,
Et Contrainte- A stenance prengue,
Double soit, et sangle* se faingue.
Quant celé porte que j'ai dite,
Alors.
Revois.
* Me conduise.
.* Oliver/.
* Quand je me fus mis de-
dans.
*Sus.
* Joyeux.
* Là.
Armée.
Bénis
* De doute.
le.
Ainsi que je trouve dans
' Faute.
"l'eut.
* Simple.
130
LE ROMAN
V. 15700.
Vi ainsinc prise et desconlite,
L'ost trovai aùiié léans*,
Prest d'assaillir, mes iex véans*.
Se j'oi joie, nul n'el demant* :
Lors pensai moult parfondément
Comment j'auroie Douz-Regart.
Estes-le-vous*, que Diex le gart!
Qu'Amors par confort le m'envoie;
Trop grant pièce* perdu l'avoie.
Quant g'el vi, tant m'en esjoï,
Qu'a poi* ne m'en esvanoï :
Moult refu liez * de ma venue
Douz-Regars, quant il Tôt véue ;
Tantost à Bel-Acueil me monstre,
Qui saut sus * et me vient encontre,
Comme cortois et bien apris,
Si cum* sa mère l'ot apris.
* Réuni là-dedans.
* A ma vue.
"Demande (subj.).
* Le voilà.
* Temps.
* Que peu s'en faut que.
* Joyeux .
* S'élance.
Ainsi que.
Comment l'Amant en la cham rette
De la tour, qui estoit secrette,
Trouva par Semblant Bel-Acueil
Tout prest d'acomplir tout son vueil*.
Enclins le salu de venue,
Et il ausinc me resalue,
Et de son chapel me mercie.
« Sire, lîs-ge, ne vous poist* mie,
Ne m'en devés pas mercier ;
Mes ge vous doi regracier*
Cent mile fois, quant me leistes
Tant d'onor que vous le préistes.
Et sachiés que s'il vous plaisoit,
Ge n'ai riens qui vostre ne soit
Por faire tout vostre voloir,
Qui qu'en déust rire ou doloir*.
Tout me voil* à vous aservir
* f'ouloir.
"Pèse, chagrine.
'Rendre grâces à son leur.
* Se plaindre.
* Feux.
DE LA ROSE.
131
Por vous honorer et servir,
S'ous* me volés riens comander, *Si nous.
Ou sens commandemens mander;
Ou s'autrement le puis savoir,
G'i métrai le cors et l'avoir,
Voire* certes l'ame en balance (1) , * Vraiment.
Sens nul remors de conscience.
Et que plus certains en soies,
Ge vous pri que vous l'essaies ;
Et se g'en fail *, jà n'aie joie *Et si j'y manque.
De cors, ne de chose que j'oie. »
Bel-Acueil.
« Vostre merci, dist-il, biau sire.
Ge vous revoil* bien ausinc dire
Que se j'ai chose qui vous plèse,
Bien voil que vous en aies èse.
Prenés-en néis sens congié*,
Par bien et par honor cum gié*. »
*Je vous veux de mon coté.
* Même sans permission.
* Moi.
L'Amant.
« Sire, lis-ge, vostre merci,
Cent mile t'ois vous en merci,
(I) En jeu. — Cette expression, sur laquelle Méon et Roquefort gardent le
silence, comme si elle avait encore chez nous exactement le même sens,
n'est point assez claire pour s'expliquer d'elle-même. On la retrouve dans
la Branche des royaux lignaf/es,\. 5341 :
Dehors Murcl, pics de Garonne,
Est, selonc ce que l'air résonne,
Li criz granz et la tençon * fort, * La lutte.
Là où le conte de Montfort
S'est mis en si dure balance
Qu'o * douze cens homes de France... * Qu'avec.
Est assemblez a deus cens mile, etc.
Chroniques nationales françaises, édit. Verdiére, tom. VII, p. 224.)
132
LE ROMAN
(v. I57Î9.)
Quant ainsinc puis vos choses prendre,
Dont n'i quier-ge* jà plus atendre, * feux-je.
Quant ci avés la chose preste,
Dont mes cuers fera gregnor* feste * Plus grande.
Que de trestout l'or d'Alixandre (I). »
Lors m'avançai por les mains tendre
A la Rose que tant désir,
Por acomplir tout mon désir ;
Si cuidai* bien à nos paroles, * Et je crus.
Qui tant ierent* douces et moles, * Étaient.
Et à nos plèsans acointances,
Plaines de bêles contenances,
Que trop fust fait légièrement*; * Facilement.
Aies il m'a vint tout autrement.
Comment l'Amant se voulut joindre
Au rosier pour la Rose atteindre ;
Mais Dangier qui bien l'espia,
Lourdement et naults'escria.
Moult remaint de ce que fo\ pense*
Trop i trovai cruel desfense ;
Car si cum* celé part tendi,
Dangier le pas* me desfendi,
Li vilains, que maus leus* estranglel
Il s'estoit repost* en un angle
Par derriers, et nous aguetoit,
Et mot à mot toutes metoit
* Il s'en manque beaucoup
de ce que fou pense. (Pro-
verbe.)
* Ainsi que.
* Passage.
* Loup.
* Caché.
(I) D'Alexandrie. — Nos trouvères mentionnent aussi l'or de bien
d'autres pays, principalement celui d'Arabie et (ÏArcage, c'est-à-dire
sans doute d'Acbaïe :
Et sains Andrius dira ausi
Que il convierti toute Alkaie, etc.
(Chronique rimée de Philippe Mouskès, tom. Ier, pag 157, v. 3883.
Voyez nos Recherches sur les étoffes de soie, etc., tom. Ier, pag. 271,
not. I ; tom. Il, pag. 29 ; pag. loi, not. 7; pag. 307, not. 4; et pag. 467.
(v. I57G2.)
DE LA ROSE.
Nos paroles en son escrit.
Lors n'atent plus qu'il ne m'escrit*
Me cric.
133
Dangier parle à F Amant.
« Fuies, vassal, fuies, fuies,
Fuies de ci, trop m'ennuies.
Déables vous ont ramené,
Li maléoit*, li forsené, * Maudit.
Qui à ce biau servise partent*, * Participent.
Ettout prengnentaius* qu'il s'en partent. * A vaut.
Jà n'i viengue-il sainte ne saint.
Vassal, vassal, se Diex me saint* , * Sauve.
A poi* que ge ne vous affronte . » * Peu s'en faut.
L'Amant.
Lors saut Paor, lors acort Honte,
Quant oïrent le païsant,
Fuies, fuies, fuies disant.
N'encor pas à tant* ne s'eu tut . 'Alors.
Mes le déable i amentut*, * Rappela.
Et sainz et saintes en osta.
Hé Diex , cum si félon oste a * ! * Hôte il y a.
Si s'en corrocent et forsenent*, * Deviennent fous.
ïuit trois par un acort me prenent ,
Si me boutent arrier mes mains.
Jà n'en aurés, font-il, mes mains,
« Ne plus que vous eu avès :
Paiement entendre savés
Ce que Bel-Acueil vous offri,
Quant parler à li vous soffri.
Ses biens vous offri liément* , 'Joyeusement.
Mes que ce fust honestement :
D'onesteté cure n'éustes ,
12
13!
LE ROMAN
(T. I570f.)
Mes l'offre simple recéustes,
Non pas ou * sens qu'en la doit prendre :
Car sans dire est-il à entendre,
Quant prodoms* offre son servise,
Que ce n'est fors * en bone guise ,
Qu'ainsinc l'entent li prometierres*.
Mes or nous dites, dans trichierres*,
Quant ces paroles apréistes ,
Ou droit sens pourquoi n'es* préistes ?
Prendre-les si vilainement
Vous vint de rude entendement.
Ou vous avés apris d'usage
A contrefaire le fol sage.
11 ne vous offri pas la Rose,
Car ce n'est mie houeste chose,
Ne que requerre li doiés*,
Ne que sens requerre l'aies ;
Et quant vos choses li offristes,
Celé offre, comment l'entendistes?
Fu-ce por li venir lober*,
Ou por li sa robe rober*?
Bien le traïssiés et boules* ,
Qui servir ainsinc le voulés
Por estre privés anemis.
Jà n'ert-il riens en livre mis
Qui tant puist nuire ne grever;
Se de duel déviés crever,
Si n'el devons-nous pas cuidier* :
Ce porpris vous convient* vuidier.
Maufez* vous i font revenir;
Car bien vous déust sovenir
Qu'autrefois en fustes chaciés :
Or tost aillors vous porcbaciés \
Sacbiés celé ne fu pas sage
Qui quist * à tel musart passage ;
* Dans le.
* Homme de bien.
* Sinon .
* Prometteur.
*Sire tricheur.
* Ne tes.
Deviez.
* Duper.
* Dérober.
* Attrapez.
* Croire.
* Cet enclos il vous faut.
* Démont.
* Pourvoyez.
* Chercha.
(V. 15820.
DE LA ROSE.
135
Mes ne sot pas vostre pensée,
Ne la traïsou porpensée* :
Car jà quis ne le vous éust,
Se tel desloiauté séust.
Moult refu * certes décéus
Bel-Acueil li desporvéus,
Quant vous reçut en sa porprise*.
11 vous cuidoit * faire servise,
Et vous tendes à son damage.
Par foi! tant en a chien qui nage,
Quant est arrivés, s'il aboie.
Or querés* aillors vostre proie,
Et hors de ce porpris* aies.
Nos degrés tantost avalés*
Débonairement et de gré,
Ou jà n'i conterés degré;
Car tiex* porroit tost ci venir,
S'il vous puet baillier* et tenir,
Qui les vous fera mesconter*,
S'il vous i devoit afronter.
« Sire fo\*, sire outrecuidiés,
De toutes loiautés vuidiés,
Bel-Acueil que vous a forfait?
Por quel péchié, por quel forfait
L'avés sitost pris à haïr,
Qui le volés ainsinc trahir,
Et maintenant li offriés
Trestout quanque * vous aviés ?
Est-ce por ce qu'il vous reçut,
Et nous et li por vous déçut,
Et vous offri li damoisiaus *
Tantost ses chiens et ses oisiaus ?
Sache-il, folement se mena,
Et de tant cum il fait en a,
Et por ore*, et por autrefois,
Me dit ce.
* Fut ù son tour.
* Enclos, enceinte.
* Croyait.
* Maintenant cherchez
* Enclos.
* Descendez.
*Tel.
* Prendre.
* Compter mal.
*Sot.
* Tout ce que.
* Le jeune gentilhomme.
Maintenant.
130 LE ROMAN (v. issgi.)
• Si nous gart Diex et sainte Fois,
Jà sera mis en tel prison,
C'onc en si fort n'entra pris lion* : * Prisonnier.
En tex* aniaus sera rivés, *Teis.
Que jamès jor que vous vives
Ne le verres aler par voie,
Quant ainsincnous trouble et desvoie * ; * Égare.
Mar* l'éllSSiés-VOUS tant véll, *Il est malheureux que.
Par li somes tuit décéu. »
V Acteur.
Lors le prenent et taut le bâtent,
Que fuiant en la tor rembatent*, * Le poussent.
Où l'ont, après tant de lèdures*, * Mauvais traitements.
A trois paires de serréures,
Sans plus mètre n'en fers n'en clos ,
Sous trois paires de clez enclos.
A celé fois plus n'el grevèrent,
Mes c'iert* por ce qu'il se hastèrent; ' C'était.
Si li promissent de pis faire,
Quant se seront mis au repaire *. * Retour.
Comment Honte, Paonr et Dangier,
Prindrent l'Amant à tédengier*, * Maltraiter.
Et le bâtirent rudement,
Leur criant merci humblement.
Ne se sunt pas à tant* tenu, * Alors.
Sor moi sunt tuit trois revenu,
Qui dehors ière* demorés, * Étais.
Tristes, dolens, mas, emplourés ;
Si me r'assai lient et tormentent :
Or doint* Diex qu'encor s'en repentent * Bonne (subj.).
Du grant outrage qu'il me font.
Près que mes cuers de duel ne font ;
(v. 15888.)
DE LA ROSE.
137
Car ge me voloie bien rendre,
Mes vif ne me voloient prendre.
D'avoir lor pez moult m'entremis,
Et vosissc* bien estre mis
Avec Bel-Acueil en prison.
« Dangier, fis-ge, biau gentiz bon*,
Franc de cuer et vaillans de cors,
Piteus plus que ge ne recors* ,
Et vous, Honte et Paor les beies,
Sages, franches, nobles puceles,
En faiz, en diz* bien ordenées,
Et du lignage Raison* nées,
Soffrés que vostres sers deviengne,
Par tel convent* que prison tiengne
Avecques Bel-Acueil laiens*,
Sens estre nul jor mes raiens* ;
Et loiaument vous vuel * prometre ,
Se me volés en prison mètre ,
Que ge vous ferai tel servise
Qui vous plèra bien à devise *.
Par foi, se g'estoie ore lierres*,
Outraïstres ou ravissierres*,
Ou d'aucun murdre achoisonés*,
Ne vosisse* estre emprisonés :
Por quoi la prison requéisse?
Ne cuit-ge pas que g'i fausisse*.
Voire par Dieu et sens requerre
Me metroit-l'en en quelque serre,
Par quoi l'en me péust baillier* ;
S'en me devoit tout détaillier,
Ne me leroit-l'en* eschaper,
Se l'en me pooit entraper*.
La prison por Dieu vous demaut *
Avec li pardurablement * ;
Et se tex* puis estre trovés,
* f'nitlusse.
* Gentilhomme
* Compatissant plus que
je ne dis.
* En paroles.
* Et de la race de Raison .
* Convention.
* Là -dedans.
* Racheté.
* Je vous veux.
* Souhait.
* Maintenant larron.
* Ravisseur.
* Meurtre accusé.
* fou lusse.
"Je ne crois pas que j'y
manquasse.
* Tenir, posséder.
* Ne me laisserait-on.
* Faire tomber en unpiége.
* Je vous demande.
* D'une manière durable.
*Tel.
12.
138
LE ROMAN
(t. Ib92i.
Ou soit sans prueve, ou pris provés,
Que de bien servir i défaille*,
Hors de prison à tous jors aille.
Si n'est-il pas lions qui ne faut*.
Mais s'il i a par moi défaut,
Faites-moi trosser mes peniaus*
Et saillir hors de vos aniaus ;
Et se ge jamès vos corrous,
Punis* vuel estre du corrous;
Vous-méismes eu soies juge,
Mais que nus, fors* vous, ne me juge.
Haut et bas sor vous m'en metroi,
Mes que vous n'i soies que troi,
Et soit avec vous Bel-Acueil ;
Car celi por le quart* acueil.
Le fait li porrés recorder * ;
Et se ne poés acorder,
Au mains soffrés qu'il vous acort,
Et vous tenés à son acort :
Car por batre ne por tuer,
J\e m'en verres jà remuer? »
* J'y manque.
* Homme qui ne manque.
* Charger mes haillons.
* Je veux.
Nul, excepté.
* Quatrième'.
* Rappeler.
' Déguerpir, déménager,
Dan g 1er.
Tantost Daugier se rescria :
« Hé Diex ! quel requeste ci a ?
Metre-vous en prison o li*,
Qui tant avés le cuer joli*,
Et il le r'a tant débonaire,
Ne seroit autre chose faire,
Fors* que par amoretes fines
Mètre renart o les geliues*.
Or tost aillors vous porchaciés*,
Bien savons que vous ne traciés*
Fors* nous faire honte et laidure.
* Avec lui.
*Gai.
* si ce n'est.
* Avec les poules.
* Pourvoyez,
* Cherchez.
*Si ce n'est.
DE LA ROSE.
139
M'avons de tel servise cure;
Si r'estes* bien de sens vuidiés,
Quant juge faire le cuidiés*.
Juge! par le biau Roi célestre!
Comment puet jamès juges estre,
Ne prendre sor soi nule juise *
Persone jà jugiée et prise?
Bel-Acueil est pris et jugiés,
Et tel digneté li jugiés
Qu'il poïst* estre arbitre et juges!
Ains* sera venu li déluges ,
Qu'il isse mes* de nostre tour,
Et sera destruis au retour ;
Car il l'a moult bien déservi *,
Por ce, sens plus, qu'il s'aservi
De tant qu'il vous offri ses choses.
Par li pert-1'en toutes les roses :
Chascuns musars les vuet coillir,
Quant il se voit bel * acoillir ;
Mes qui bien le tendroit en cage,
Psus* n'i feroit jamès damage,
>~e n'emporteroit bons vivans
Pas tant cum emporte li vens,
S'il n'est tex* que tant mespréist
Que vilene force i feist ;
Et si porroit bien tant mespreudre,
Qu'il s'en feroit banir ou pendre. »
"Et vous êtes bien de voir i
côté.
* Croyez.
* Jugement.
* Qu'il pourrait.
* A uparavanl.
*~ Sorte plus.
* Mérité.
' Bien .
'Nul.
*Tel.
L'Amant.
« Certes, dis-ge, moult se mesfait*
Qui deslruit home sens mesfait,
Et qui sens raison l'emprisone ;
Et quant vous si vaillant persone
Corn Bel-Acueil, et si honeste,
* Se comporte mal.
440
LE ROMAN
(v. 15988.)
Qui fait à tout le monde feste,
Por ce qu'il me fist bêle chière*,
Et qu'il ot m'acointance * chière,
Sens autre ochoison* pris tenés,
Malement* vers li mesprenés;
Car par raison estre déust
Hors de prison, s'il vous pléust.
Si vous pri donques qu'il en isse*,
Et de la besoingue chevisse*.
Trop avés vers li jà mespris*;
Gardés qu'il ne soit jamès pris. »
* Bonne mine.
* Ma fréquentation .
* Occasion.
Méchamment.
* Sorte.
* f'iennc à bout.
* Déjà mal âgé.
Dangier, Paour et Honte.
« Par foi, fout-il, Cl's fox nOUS tmfe*, *Ce sot nous attrape.
Bien nous vet or* pestre de trufe, *fa maintenant.
Quant si le vuet desprisoner,
Et nous traïr par sermoncr.
Il requiert ce qui ne puet estre :
Jamès par uis* ne par fenestre * Porte.
Ne metra hors néis le chief*. » * Même la tête.
L'Amant.
Lors m'assaillent tuit de rechief ;
Chascun à hors bouter me tent* :
Il ne me grevast mie tant,
Qui me vosist* cruccfîer.
Ge, qui lors commence à crier
Merci, non pas à trop haut cri,
A ma vois basse à l'assaut cri*
Vers cil qui secorre me durent
Tant que les guetes* m'aparçurent,
Qui l'ost durent eschargaitier*.
Quant m'oïrent si mal traitier,
*Tend à me mettre dehors.
foui ùt.
*Jc crie.
'Sentinelles.
* Qui l'année durent veil-
ler.
v. igoi7. ;
DE LA ROSE.
141
Comment tous les barons de I'ost *
Si vindrent secourir tantost
L'Amant, que les portiers battoyent
Si fort, qu'irés * ils l'cstrangloycnt.
« Or sus, or sus, fout-il, barons!
Se tantost armé n'aparons *
Por secorre ce fin amant,
Perdus est, se Diex ne l'amant*.
Li portiers l'estranglent ou lient,
Bâtent, fustent* ou crucefient.
Devant eus brait à vois série* ;
A si bas cri merci lor crie ,
Qu'envis puet-1'en* oïr le brait :
Car si bassement crie et brait,
Qu'avis vous ert*, si vous l'oés,
Ou que de braire est enroés,
Ou que la gorge li estrai lignent* ,
Si qu'il l'estranglent ou estaingnent.
Jà li ont si la vois enclose,
Que haut crier ne puet ou n'ose.
Ne savons qu'il béent* à faire,
Mes il li fout trop de contraire*.
Mors est, se tantost n'a secors.
Fois s'en est trestout le cors*
Bel-Acueil , qui le confortoit :
Or, convient* qu'autre coufort oit,
Tant qu'il puist* celi recovrer;
Dès or fstuet* d'armes ovrer. »
* De l'armée.
* En colère.
* N'apparaissons.
* N'y pourvoit.
* Maltraitent à coups de
bâtons.
* Douce.
* Que malgré soi peut-on
entendre te cri.
* Sera.
atteignent, serrent.
* Cherchent.
* Contrariété.
* A pleine course.
*Or, il faut.
* Celui-là.
* Désormais il faut.
L'Amant.
Et cil sans faille mort* m'eussent,
Se cil de l'ost* venu n'i fussent.
Li baron as armes saillirent*,
Quant oïrent, sorent et virent
* Et ceux-là sans faute.
* L'armée.
* Sortirent.
142
LE ROMAN
Que j'oi perdu joie et SOlaz*. * Consolation.
Ce qui estoie pris ou laz* "Dans lesjiiets.
Où Amors les amaus enlace,
Sens moi remuer de la place
Regardai le tornoiement* * Tournoi.
Qui commença trop asprement :
Car si tost cum li portiers sorent
Que si grant ost* encontre eus orent, "Armée.
Ensemble trestuit trois s'alient,
Et s'entrejurent et affient* * Assurent.
Qu'à lor pooir s'entr'aideront,
Ne jà ne s'eutrelesseront
.Tor de lor vie à nu le fin.
Et ge qui d'esgarder ne fin* "Finis.
Lor semblant et lor contenance,
Fui * moult dolent de Taliance; * Je fus.
Et cil de Tost, quant il revirent
Que cil * tel aliauce firent , * Ceux-là .
Si s'assemblent et s'entrejoigneut,
N'ont mes talent* qu'il s'eutr'esloignent. "Envie.
Ains* jurent que tant i feront "Mais.
Que mors eu la place gerront*, "Seront étendus
Ou desconfis seront et pris,
Ou de l'estor auront le pris :
Tant sunt erragiés* de combatre * Enragés.
Por l'orguel des portiers abatre.
Dès or* venrons à la bataille, "Désormais.
S'orrés* comment chascuns bataille. "Et vous ouïrez
Gomment l'Acteur mue * propos * Change.
Pour son honneur et son bon loz * * Réputation.
Garder, en priant qu'il soil quictes
Des paroles qu'il a cy dictes.
Or entendes, loial amant,
Que li diex d' Amors vous amant*
"Faste du bien.
(v. 160-5.) DE LA ROSE. \ï'A
Et doint * de vos amors joïr ! * Bonne.
En ce bois ci porrés oïr
Les chiens glatir*, se m'entendes, 'Japper.
Au conuin* prendre où vous tendes, * Lapin.
-Et le furet, qui, sens faillir,
Le doit faire es résiaus* saillir. ''Dans les filets.
Notés ce que ci vois * disant : *Ce qu'ici je vais.
D'amors aurés art suffisant;
Et se vous i trovés riens troble,
G'esclaircirai ce qui vous troble;
Quant le songe m'orrés espondre*, " M'ouirez expliquer.
Bien saurés lors d'amors respondre,
S'i est qui en sache oposer
Quant le texte m'orrés gloser ;
Et saurés lors par cest escrit
Quanque* j'aurai devant escrit, "Ce que.
Et quanque ge bée à* escrire. * je veux.
Mes ains* que plus m'en oies dire, * Avant.
Aillors voil un petit* entendre "Je veux un peu.
Por moi de maie * gent desfendre ; * Mauvaise.
Non pas pour vous faire muser,
Mes por moi contre eus excuser.
Cy dit par bonne entenrion
L'Acteur son excusacion.
Si vos pri*, seignor amoreus , * Et je vous prie.
Par les gieus d'amors savoreus,
Que se vous i trovés paroles
Semblans trop baudes* ou trop foies, * Gaillardes.
Por quoi saillent* li mesdisant, 'Sautent.
Qui de nous aillent mesdisant,
Des choses à dire ou des dites,
Que cortoisement les desdites ;
Et quant vous les aurés des diz* * Paroles.
iU LE ROMAN (v. ieiue.)
Repris, retardés ou desdiz,
Se mi diz* sont de tel manière *Si mes paroles.
Qu'il soit drois que pardon en quière*, *J'en cherche.
Pri-vous que le me pardonés,
Et de par moi lor responés
Que ce requéroit la matire
Qui vers tex* paroles me tire * Telles.
Par les propriétés de soi,
Et por ce tex paroles oi :
Car chose est droihnïère* et juste , * Légitime.
Selonc l'autorité Saluste,
Qui nous dit par sentence voire*, * fraie.
Tout ne soit-il * semblable gloire 'Quoique ce ne soit pas.
De celi qui la chose fait,
Et de l'escrivain qui le fait
Vuet mètre proprement en livre,
Por miex la vérité descrivre,
Si n'est-ce pas chose légière,
Ains* est de moult fort grant manière, * Mais.
Mètre bien les lais en escrit :
Car quiconques la chose escrit,
Se du voir ne vous vuet embler *, * sj f/" vmi nc vo"s veut
enlever.
Li dis doit le fait resembler;
Car les vois as choses voisines
Doivent estre à lor faiz cousines.
Si me convient ainsinc parler,
Se par le droit m'en voil* aler. * Je m'en veux.
Comment l'Acteur moult humblement
S'excuse aux dames du nommant.
Si vous pri toutes, vaillans famés,
Soies damoiseles ou dames ,
Amoreuses ou sens amis,
Que se moz i trovés jà mis
(v. iG.37.) DE LA ROSE. iYo
Qui semblent mordans ou chenins*, * Cyniques.
Encontre les meurs fémenins,
Que ne m'en voilliés pas blasmer,
Ne m'escriture disfamer,
Oui tout est por enseignement.
One n'i dis riens certainement,
>"e volenté n'ai pas de dire,
]Ne par yvresce ne par ire*, * Chagrin, colère.
Par haine ne par envie,
Contre famé qui soit en vie.
Car nus ne doit famé despire *\ 'Mépriser.
S'il n'a cuer des mauves le pire ;
Mes por ce en escrit li méismes,
Que nous et vous de nous-méismes
Poissons congnoissance avoir,
Car il fait bon de tout savoir.
D'autre part, dames honorables ,
S'il vous semble que ge di fables,
Por mentéor ne m'en tenés;
Mes as actors* vous en prenés, * Aux auteurs.
Qui en lor livres ont escrites
Les paroles que g'en ai dites,
Et ceus avec que* g'en dirai, * Le ,«< ls.
Quejà de riens n'en mentirai,
Se li prodome n'en mentirent,
Qui les anciens livres firent.
Et tuit à ma raison s'acordent,
Quant les meurs fémenins recordent * ; * Rapportent.
>"e ne furent ne fol ne yvres ,
Quant il les mistrent* en lor livres. "Mirent.
Cil les meurs fémenins savoient,
Car tous espro\ es les avoient,
Et tie\ es* famés les trovèrent, *Et tels dans les.
Que par divers tens esprovèrent;
Par quoi miex m'en devés quiter*. * Acquitter.
ROMAN DE LA I'.OSE. — T. II. 13
146 LE ROMAN (v. 1017-2.)
Ge n'i fais riens tors* réciter, *Si ce n'est.
Se par mon gieu, qui poi* vouscouste, *Pen.
Quelque parole n'i ajouste,
Si cum* font entr'eus li poëte, * Ainsi que.
Quant chascuns la matire traite
Dont il li plest à entremette :
Car, si cum tesmoigne la letre ,
Profit et délectacion (1)
C'est toute lor entencion.
Et se gens encontre moi grouceut*, * Grondent.
Et se troblent et se corroucent,
Qui sentent que ge les remorde
Par ce chapitre où ge recorde* * Je rapporte.
Les paroles de Eaus-Semblant,
Et por ce s'aillent assemblant,
Que blasmer ou pugnir me voillent,
Por ce que de mon dit se doillent* ; * Plaignent.
Ge fais bien protestacion
Conques ne fu m'entencion
De parler contre home vivant
Sainte religion sivant,
Ne qui sa vie use en bone euvre,
De quelque robe qu'il se cueuvre.
Ains prins mon arc, et l'entesoie*, * Bandais.
Quiexque péchierres que ge soie ,
Si fis ma sajete* voler * Flèche.
Généraumeut por afoler*. * Blesser.
l'or afoler ! mes por congnoistre,
Fussent séculer ou de cloistre,
Les desloiaus gens, les maldites,
Que Jhésus apele ypocrites;
Dont maint, por sembler plus honeste,
(1) Omne tulit punclum, qui miscuit utile clulci.
(Hokat., de Art. poet., v. 343.)
(v. 16204.)
DE LA ROSE.
147
Lessent à mangier char de beste
Tous tens en non de pénitence ;
Et font ainsinc lor astenence.,
Si cum nous en karesme fomes*.
Mes tous vis menguent les homes
0* les dens de détraccion
Par venimeuse entencion.
One d'autre saing ne fis bersaut*,
Là vois, et voir que mon fer aut**,
Si trais* sor eus à la volée.
Et se, por avoir la colée *,
Avient que desous la sajete*
Aucuns lions de son gré se mete,
Qui por orgoil si se déçoive,
Que dessus soi le cop reçoive,
Puis se plaint que ge l'ai navré * ,
Corpe* n'en ai, ne jà n'auré;
TSéis* s'il en devoit périr :
Car ge ne puis nuli férir*
Qui du cop se voille garder,
S'il set son estât regarder.
T^éis* cil qui navré se sent
Par le fer que ge H présent,
G art* que plus ne soit ypocrites,
Si sera de la plaie quites.
Et neporquant*, qui que s'en plaingue,
Combien que prodome* se faingne,
One riens n'en dis, mien esciant,
Combien qu'il m'aut* contrariant,
Qui ne soit en escrit trové
Et par expériment* prové ,
Ou par raison au mains provable ,
A qui que soit désagréable ;
Et s'il i a nule parole
Que sainte Eglise tiengne à foie,
* Étions.
* Avec
* Signal ne Jis but.
Là vais et veux. **Â ille.
*Et je tire.
*Coup.
* Floche.
Blessé.
" Faute.
kMéme.
i Nul frapper.
Même.
* Prenne garde.
* Néanmoins.
* Homme de bien.
* M'aille.
•* Expérience.
!
LE ROMAN
* Répare.
* Réparation.
* Sans faute.
Prest sui qu'à son voloir l'amende*,
Se gc puis soffire à l'amende* .
Cy reprent son propos sans faille*
L'Acteur, et vient à la bataille
Où dame Franchise combat
Contre Dangicr, qui fort la bat.
Franchise vint premièrement
Contre Dangier moult humblement,
Qui trop ert* iiers et courageus,
Par semblant tel* et outrageus.
En son poing tint une maçue,
Fièrement la paumoie, et rue*
Entor soi cops si périlleus,
Qu'escus, s'il n'est trop merveilleus,
Ne puet tenir qu'il n'el porfende,
Et que cis* vaincu ne se rende ,
Qui contre li se met en place,
S'il est bien atains de la mace;
Ou qu'il n'el confonde ou escacbe*,
S'il n'est tex * que trop d'armes sache.
Il la prist ou bois de Relus,
Li lez vilain que ge refus ;
Sa targe fu d'estoutoier*,
Bordée de gens viltoier*.
Franchise refu bien armée;
Moult seroitenvis* entamée,
Por* qu'el se séust bien covrir.
Franchise, por la porte ovrir,
Contre Dangier avant se lance;
En sa main tint une fort lance ,
Qu'elc aporta bêle et polie
De la l'orest de Chuerie.
Il n'en croist mile tele en Bière (().
(I) C'est la foret de Fontainebleau ; la traduction manuscrite du Roman
de la Rose explique ce mot par celui de France. (L. D. D. )
"Etait.
* Cruel.
* Manie, et lance.
* Celui-ci.
' Ecrase.
'Tel.
* Agir en sot.
* Vilipender.
* Malgré elle.
* Pourvu.
(v. lèses.) DE LA ROSE. 149
Li fers fu de douce prière ;
Si r'ot* par graut dévocion * Et il eut encore.
De toute suplicacion
Escu, c'onques ne fu de mains
Bordé; de jointures de mains,
De promesses, de convenances*, * Conventions.
Par seremens et par fiances * , * Assurances.
Colorés trop mignotement.
Vous déissiés certainement
Que Largesce le li bailla ,
Et qu'el le paint et entailla % * Sculpta.
Tant sembloit bien estre de s'uevre*; *Son ouvrage.
Et Francbise, qui bien s'en cuevre,
Brandist la banste* de sa lance, * Dois.
Et contre le vilain la lance,
Qui n'avoit pas cuer de coart,
Ains sembloit estre Benoart (2)
Au Tinel qui fust revescus.
Tout fu porfendus ses escus ;
Mes tant ert fors à desmesure* , * Était d'une force déme-
surée.
Qu il ne cremoit* nule armeure, * Craignait.
Si que du cop si se covri,
(2) Renoars, ou Renoart, étoit lils d'Aimery de Beaulande, comte de Nar-
bonne, et frère de Guillaume au Court-Nez, prince d'Orange. 11 lit de
grandes actions rapportées dans l'histoire de son père. Il fut surnommé au
Tinel, parce qu'il savoit bien manier un bâton que l'on appeloit tinel,
ferré par les deux bouts.
Les Poitevins, se moquant de Jean-Sans-Terre qui rangeait son armée
en bataille, disaient, s'il faut en croire Guillaume Guiart :
Bien est cest roi agaillardi.
Oiez. connue il fait le hardi,
Et comme il ocit et afole * * Blesse.
Ceus de Fiance par sa parole.
Il pert * que ce soit Renouart, etc. * Il parait.
Branche des royaux lignages, x. Giil, ann. 1214. (Chro.
niques nationales françaises , édit. de Verdière ,
tom. VII, pag. 565,206)
13
150
LE ROMAN
(V.
Qu'onques sa panse n'en ovri.
Li fers de la lance brisa ,
Par quoi le cop mains en prisa.
Si r'iert* moult d'armes engorsés**
Li vilains fel et aorsés* ;
La lance prent, si la dépièce
A sa maçue pièce à pièce,
Puis esma* un cop grant et fier.
* Et il était. ** Embar-
rassé.
* Dur et méchant.
* lisa, ajusta.
Dangier à Franchise.
« Qui me tient que ge ne te fier*,
Dist-il, orde garce ribaude?
Comment as-tu esté si baude*
Qu'un prodome osas assaillir? »
* Frappe.
* Hardie.
L'Amant.
Sus son escu fiert sans faillir,
La preus, la bêle, la cortoise ;
Bien l'a fait saillir une toise
D'angoisse, et à genous l'abat,
Moult la lédengè*, moult la bat ;
Et croi qu'à ce cop morte fust,
S'ele éust fait escu de fust*.
* L'injurie
* Bois.
Dangier à Franchise.
« Autresfois vous ai-ge créue,
Dame orde*, garce recréue**,
Dist-il, n'onc bien ne m'en ebaï
Vostre losenge * m'a traï.
Par vous soffri-ge le baisier,
Por le ribaudel aaisier* :
Bien me trova fol débonaire,
Déables le me firent faire.
*Sale. ** Éreintée.
* Arriva.
* Flatterie.
* Réjouir.
fV. TC3IG.)
DE LA ROSE.
151
Par la char* Dieu, mal i venistes ,
Quant uostre chaste! assaillistes !
Ci vous estuet* perdre la vie. »
* Chair de.
*Faut.
L'Acteur.
Et la bêle merci H crie ,
Por Dieu, que pas ue l'acravant* ,
Quant el ne puet mes en avant ;
Et li vilains croie la hure*,
Et se forsene*, et sor sains** jure
Qu'il l'occira sens nul respit.
Moult en ot Pitié grant despit,
Oui, por sa compaignerescorre*,
Au vilain se hastoit de corre*.
Pitié, qui à tout bien s'acorde ,
Tenoit une miséricorde
En leu d'espée, en trestous termes,
Décorant* de plors et de lerraes.
Ceste , se li actor* ne ment,
Perceroit pierre d'aïment,
Por* qu'ele fustbien de li pointe**;
Car ele a trop aguë pointe.
Ses escus ert d'alégement,
Tous bordés de gémissement ,
Plains de sospirs et de complaintes*.
Pitié, qui ploroit lermes maintes,
Point* le vilain de toutes pars,
Qui se desfent comme liépars.
Mes quant ele ot bien arousé
De lermes Tort vilain housé*,
Si le convint amoloier * ;
Vis* li fu qu'il déust noier
En un flueve tous estordis.
Onques mes par faiz ne par dis
'Ecrase.
Branle la tête.
* Entre en fureur. ** Re-
liques.
Secourir,
k Courir.
* Dégoûtant.
"Si l'auteur.
* Pourvu. ** Piquée.
'Plaintes.
'Pique.
* Le sale vilain botté.
*Il lui fallut s'amollir.
* Avis.
152 LE ROMAN (v. ims.)
Ne fu si durement hurlés;
Du tout défaillait sa durtés,
Fièbles et vains tremble et chancelé,
Foïr s'en volt, Honte l'apele.
Honte.
« Dangier, Dangier, vilains provés,
Se recréans* estes trovés, *Las, cessant d'agir.
Que Bel-Acueil puist eschaper,
Vous nous ferés tous atraper ;
Qu'il baillera tantost la Piose,
Que nous tenons céans enclose ;
Et tant vous di-ge bien sens faille*, * Faute.
S'il as gloutons la Rose baille,
Sachiés qu'ele en porra tost estre
Blesmie ou pâle, ou mole ou flestre*. * Flétrie.
Et si me repuis bien vanter,
Tex vens* porroit céans venter, *Tel.
Se l'entrée trovoit overte,
Dont aurions damage et perte;
Ou que trop la graine esmovroit,
Ou qu'autre graine i aplovroit
Dont la Rose seroit cbargiée.
Diex doint* que tel graine n'i chiée! * Donne (subj.).
Trop nous en porroit meschéoir* : * Mal arriver.
Car, ains* qu'ele en poïst cbéoir, * Avant.
Tost en porroit, sans resortir,
La Rose du tout amortir;
Ou se d'amortir escbapoit,
Et li vens tex cops* i frapoit *Teh.
Que les graines s'entremellassent,
Que de lor fez la flor grevassent ,
Que des foilles, en son descendre,
Féist aucune où que soit fendre,
(v. io38o.) DE LA ROSE. 153
Et par la fente de la foille
(Laquel chose jà Diex ne voille !)
Parust desous li vers boutons,
L'en diroit partout que gloutons
L'auroient tenue en saisine.
Nous en aurions la haïne
Jalousie* qui le sauroit, * De jalousie.
Qui du savoir tel duel* ouroit ^Chagrin.
Qu'à mort en serions livré.
Maufez* vous ont si enivré. » *Démons.
U Acteur.
Dangier crie : « Secors! secors! »
A tant ès-vous Honte le cors* * AlonvoilàqueBonUau
pas de course.
Ment a Pitié, si la menace,
Qui trop redoute sa menace.
Honte.
« Trop avés, dist-ele, vescu.
Ge vous froisserai cest escu,
Vous en gerrés encui* par terre : * r'ous en -serez anjour-
a nui couche par terre.
Mal empreistes* ceste guerre. » 'Entreprîtes.
V Jeteur.
Honte porte une grant espée
Clère, bien faite et bien trempée,
Qu'ele forgea douteusement* * Avec crainte.
De soussi, d'aparçoi veinent.
Fort targe avoit, qui fu nomée
Doute de maie* Renomée : * Crainte de mauvaise.
De tel fust* l'avoit-ele faite ; * Dois.
Mainte langue ot* au bort portraite. * il y eut.
154
LE ROMAN
lv-
Pitié fiert si que trop la ruse*,
Près que ne la rendi confuse.
A tant * i est venus Déliz "*,
Biaus bachelers* frans et esliz**.
Cil fist à Honte une envaïe*;
Espée avoit de plèsant* vie,
Escu d'aise (dont point n'avoie)
Bordé de solas* et de joie.
Honte fiert; mes ele se targe*
Si resnablement * de sa targe ,
C'ouques li cops* ne li greva;
Et Honte requerre* le va,
Si fiert* Délit par tel angoisse,
Que sor le chief* l'escu li froisse,
Et l'abat jus* tout estendu.
Jusqu'as dens l'éust porfendu ,
Quant Diex amène un bacbeler
Que l'en apele Bien-Celer.
Bien-Celer fu moult bous guerriers,
Sages et veziés* et fiers;
En sa main une coie * espée ,
Ainsinc cum* de langue copée.
Si la brandist sens faire noise*,
Qu'en ne l'oïst pas d'une toise,
Qu'el ne rent son ne resbondie *,
Jà si fort ne sera brandie .
Ses escus ert de leu repost*,
Onques geline* en tel ne post**,
Bordé de séures alées ,
Et de revenues celées.
Hauce l'espée, et puis fiert* Honte
Tel cop, qu'a poi* qu'il ne l'afronte;
Honte en fu trestoute estourdie.
*Elle frappe tellement
Pitié que trop elle la fait
reculer.
* Alors. ** Plaisir.
"Jeune homme. ** D'é-
lite.
* Attaque, invasion. ■
* Agréable.
* Plaisir.
^Garantit.
* Raisonnablement.
* Le coup.
* Attaquer.
*Et il frappe.
*Sur la tête.
*A bas.
* Rusé.
* Tranquille.
* Ainsi que.
* Bruit.
* Ni retentissement.
* Cache.
* Poule. ** Pondit.
* Frappe.
* Que ]>tu s'en faut.
(v. 10439.)
DE LA ROSE.
155
Bien-Celer,
« Honte, dist-il , jà Jalousie
La dolereuse, la chetive,
Ne le saura jor qu'ele vive ;
Bien vous en asséureroie ,
Et de ma main fianceroie*;
S'en feroie cent seremens :
N'est-ce grans asséuremens?
Puis que Maie-Bouche est tués,
Prise estes : ne vous remués. »
'Certifierais.
Comment Bien-Celer si surmonte,
En soy combatant, daine Honte ;
Bt puis Paour et Hardement
Se combatent moult fièrement.
Honte ne set à ce que dire.
Paor saut toute plaine d'ire*,
Qui trop soloit* estre coarde.
Honte sa cousine regarde ;
Et quant si la vit entreprise,
S'a la main à l'espée mise
Qui trop ert trenchant malement.
Souspeçon d'em bojfissemen t *
Ot non*, car de ce l'avoit faite;
Et quant el l'ot du Cuerre traite* ,
Plus fu clere que nul béril*.
Escu de dote ot* de péril,
Bordé de travail et de paine;
Et Paor, qui forment se paine
De Bien-Celer tout détrenchier*
Por sa cousine revenchier,
Le va sor son escu férir *
Tel cop, qu'il ne le pot garir* ;
Trestous estourdis chancela.
De mauvaise humeur.
Avait coutume.
* D'orgueil .
'Elle eut nom.
'Elle l'eut du fouricau-
tirée.
* Pierre précieuse.
* De crainte eut.
*. l'ailler en pièces.
* Frapper.
*Garanlir.
156 LE ROMAN (y. ig4G7.)
Adonc Hardement apela.
Cil saut* : car s'ele recovrast * Celui-là s'élance.
L'autre cop, malement* ovrast. * Méchamment, mal.
Mors fust Bien-Celer sans retor,
S'el li donast un autre tor.
Hardemens fu preus et hardis .
Eu apert* par l'aiz et par dis ; * Ouvertement.
Espée ot bone et bien forbie
De l'acier de forsénerie * ; * Fureur.
Ses escus ert* moult renomés, * Était.
Despit de mort estoit només;
Bordés fu d'abandouement
A tous périz*. Trop folement * Périls.
Vient à Paor; si li aesme* * Vise.
Por li férir , grant cop et pesme*. * Très-mauvais.
Le cop lest* corre, et el se cuevre, * Laisse.
Car el savoit assés de Puevre
Oui afiert à ceste escremie*. * <?'"' convient <) cette es.
^ crime.
Bien s'est de ce cop escremie,
Puis le fiert * un cop si pesant, * Frappe.
Qu'el l'abat à terre gisant,
Conques escus n'el garanti.
Quant Hardemens jus* se senti, * A bas.
Jointes maius li requiert et prie
Por Dieu que ne l'occie mie;
Et Paor dit que si* fera. * Qu'ainsi.
Ci escr/e Seurtez Honte.
Dist Séurtés : « Ce que sera ?
Par Dieu ! Paor, ici morrés,
Faites au pis que vous porrés.
Vous soliés* avoir les fièvres * Aviez coutume.
Cent teus* plus coardes que lièvres : "Fois.
(v. 16497.) DE LA ROSE. 157
Or estes désacoardie* (1). * Maintenant vous n'êtes
plus lâche.
Déables vous font si hardie
Que vous prenés à Hardement,
Qui trop aime tornoiement*, * Tournoi.
Et tant en set, s'il i pensot,
Conques nul plus de li* n'en sot; * Plu» que lui.
IN'onc mes puis que terre marchastes,
Fors* en ce cas ne tornoiastes.. * si ce n'est.
N'en savés faire aillors les tors ;
Aillors en tous autres estors * * Combats.
Vous fuies, ou vous vous rendes,
Vous qui ici vous desfendés.
Avec Cacus vous enfoïstes (2),
Quant Hercules venir véistes
Le cors*, à son col sa maçue ■ * En courant.
Vous fustes lors toute esperdue,
Et li méistes es piez eles*, * K><"> mites des ailes aux
_,.,,. , . pieds.
Qu il n avoit onques eu teles,
Por ce que Cacus ot emblés* * Volés.
Ses bues, et les ot assemblés
En son recept* qui moult fu Ions, * Repaire.
Par les queues à reculons,
Que la trace ne fust trovée.
Là fu vostre force esprovée ;
La monstrates-vous bien sens faille* * Faute.
Que riens ne valés en bataille;
Et puisque hanté ne Pavés,
(i) Le mot coard, ancien dans noire langue (Voy. le Roman de Rou,
tom. Il, pag. 152, 1G7, IC8; la Chronique des ducs de Normandie, de Be-
noit, lom. III, pag. 203, 208, et pag. 442, v. 28183, etc.), vient indubitable-
ment de l'aspect que présente la queue de certains animaux quand ils ont
peur.
(2) Cacus, iils de Vulcain, et selon d'autres, d'Évandre. C'éloit un mé-
cbanl garnement qui, ayant dérobé les bœufs d'Hercule, fut décelé par sa
sœur, et tué ensuite par ce béros sur le Monl-Aventin. (L. D. D.)
14
158
LE ROMAN
(v. IG521.)
Petit ou noiant* en savés.
Si vous estuet * uon pas desfendre,
Mes foïr, ou vos armes rendre ;
Ou chier vous estuet comparer*
Qu'à li vous osés comparer.
L'Acteur.
' Néant, rien.
kFaut.
* Ou cher il vous faut,
payer.
Séurtés ot l'espée dure
De Fuite de trestoute cure*;
Escu de pez, bon sens doutance,
Trestout bordé de concordance.
Paor fiert*, occire la cuide**.
En soi covrir met son estuide
Paor, et l'escu giète encontre,
Qui sainement le cop encontre ;
Si ne li greva de noiant*.
Le cop chiet jus en glaeoiant* ,
Et Paor tel cop li redone
Sor l'escu, que toute l'estonc.
Moult s'en faut poi que ne l'afolc*;
S'espée et ses escus li vole
Des poins, taut i a fort hurté.
* De tout soin.
'Frappe. ** Croit.
* Il ne lui fit aucun nui/.
* Le coup tombe en glis-
sant.
Blesse.
Comment Paour et Seureté
Ont par bataille fort heurté;
Et les autres pareillement
S'entretaeurtent subtilement.
Savés que fist lors Séurté,
Por douer as autres exemples?
Paor saisi parmi les temples,
Et Paor li, si s'entretienent,
Et tuit li autre s'entrevienent.
Li uns se lie à l'autre et copie*,
One en estor* ne vi tel copie.
Si renforça li chapléis*,
'Accouple.
k Combat.
* Bataille-
0
DE LÀ ROSE.
159
Là rot* si fort trepignéis, *Il y eut.
Conques en nul tornoiemeiit * *Toumoi.
N'ot de cops itel* paiement. * Tel.
Tornent de çà, tornent de là,
Chascuns sa mesnie* apela. * Maison.
Tuit i acorent pesle-mesle,
One plus espès ne noif * ne gresle * Neige.
Ne vi voler, que li cop volent ;
Tuit se dérompent et afolent*.
Onques ne furent tex* niellées
De tant de gens ainsinc mellées.
Mes ne vous eu mentirai jà,
L'ost* qui le chastel asséja,
En avoit adès le pior*.
Li diex d'Amors ot grant paor
Que sa gent n'i fust toute occise.
Sa mère mande par Franchise
Et par Douz-Regart, qu'ele viengne ,
Que nul essoingne * ne la tiengne ;
Et prist trives endementiers*,
Entor huit jors, ou dix entiers,
Ou plus ou mains, jà récité
Ne vous en iert certaineté.
Voire à tous jors fussent-els prises,
S'a tous jors les éust requises,
Comment qu'il fust d'eles casser,
Qui que les déust trespasser*.
Mais se son meillor i séust,
Jà trives prises n'i éust ;
Et se li portier ne cuidassent *
Que li autre ne les cassassent,
Puis que fussent abaudonées,
Jà ne fussent espoir* douées
De bon cuer, ains* s'en corroçassent ,
Quelque semblant qu'il en monstrassent
Font du mal.
Telles.
L'armée.
: Toujours le pire.
Excuse.
Bans l'intervalle.
l'ioler.
'Ne crussent.
* Peut-être.
*Mais.
160 LE ROMAN (v. ibssîJ
Ne jà trive n'i éust prise,
Se Vénus s'en fust entremise;
Mes sens faille il le convint* faire. * Sans fouie il le fallut.
Un poi s'estuet arrière traire* , * ( " i»1" '<{ lui faut se ti-
. . rer en arrière.
Ou por trive ou por quelque mite,
Trestoutes les fois que l'en luite
A tel qu'en ne puet sormonter,
Tant qu'en le puisse miex donter.
Comment les messagiers de l'ost* * L'armée.
D'Amours, chascun de cuer dévost,
Vindrent à Vénus, pour secours
Avoir en l'ost au dieu d'Amours.
De l'ost se partent li message ,
Qui tant ont erré comme sage,
Qu'il sunt à Citéron * venu : \Cylhère.
Là sunt à grant honor tenu.
Citéron est une montaigne
Dedeus un bois en une plaigne,
Si haute, que nule arbaleste,
Tant soit fort ne de traire* preste, ''Tirer.
N'i trairoit ne bojon ne vire*. * Espèces de trait.
Vénus, qui les dames espire*, * Anime.
Fist là son principal manoir.
Priucipaument volt* là manoir; * l'outut.
Mes se tout l'estre descrivoie,
Espoir* trop vous ennoieroie , * Peut-être.
Et si me porroie lasser :
Pour ce m'en voil* briefment passer. *Je m'en veux.
Vénus s'iert ou bois dévalée* "Était au bois descendue.
Por chacier en une valée (1) :
(I) Je n'ai trouvé les quatre vers suivants que dans un manuscrit qui
porte la date de 1330 :
Marsestoit jà viex devenus,
Et estoit frailes et chenus ;
l'or ce de soi l'ot estrangié *, *Éloignè.
Ou'il estoit moult albibloié *. * affaibli.
DE LA ROSE.
161
Li biaus Adonis ert o li*,
Ses douz amis au cuer joli * ;
Un petitet ert* enfantis ,
A chacier ou bois ententis*.
Enfès iert*, jones et venans,
Mes moult iert biaus et avenans.
Midis estoit pieçà* passés,
Chascuns ert* de cbacier lassés.
Sous un poplier en l'erbe estoient
Jouste* un vivier, où s'ombroioient**
Li cbien qui las de corre furent,
Tesgans ou ru* du vivier burent ;
Lor darz, lor arz et ior cuirées*
Orent delez* eus apoiées;
Jolivement se déduisoient*,
Et les oisillons escoutoient
Par ces rainsiaus* tout environ.
Après lor gieus , en son giron
Vénus embracié le tenoit,
Et en baisant li aprenoit
De chacier ou bois la manière,
Si cum ele en iert* coustumière
* Avec die.
Gai.
* Un peu était.
* Al tenl if.
* Enfant était.
* Depuis longtemps.
* Était.
* Pris de.
à l'ombre.
'Se tenaient
* Abatlns an ruisseau.
* Carquois.
* Eurent près de.
* Gai ment s'amusaient.
* Hameaux.
Ainsi qu'elle en était.
Comment Vénus à Adonis ,
Qui estoit sur tous ses amis,
Desiendoit qu'en nulle manière
N'allast chasser à beste fière.
« Amis, quant vostre mute iert* preste,
Et vous irés quérant la beste,
Chaciés-la, puis qu'el torne en fuie*.
Se vous trovés beste qui fuie ,
Corés après hardiement;
Mes contre ceus qui fièrement
Metent à desfense lor cors ,
Ne soit jà torné vostre cors *.
'Sera .
'Fuite.
Course.
14.
162
LE ROMAN
(v. 1664a-.)
Coars soies et pereceus
Contre hardis : car contre ceus
Où cuer hardi simt ahurté*, * Écartés.
Nul hardement* n'a séurté ; * Hardiesse.
Ains fait périlleuse bataille
Hardis quant à hardi bataille.
Cerz et biches, chevriaus et chièvres,
Rengiers* et dains, connins* et lièvres ,
Ceus voil-ge bien que vous chaciés,
En tel chace vous solaciés*.
Ours, leus, lions, sanglers desfens*,
Ne chaciés pas sor mon desfeus :
Car tex bestes qui se desfendent ,
Les chiens occient et porl'endent,
Et vont les veuéors méesmes
Moult soveut faillir à lor csmes* ;
Maint en ont occis et navré* .
James de vous joie n'auré ,
Ains* m'en pèsera nullement,
Se vous le laites autrement. »
Ainsinc Vénus le chastioit* ,
En chastiant moult li prioit
Que du chasti ii sovenist
Où qu'il onques chacier venist.
Adonis, qui petit prisoit
Ce que s'amie li disoit,
Fust à menconge, t'ust à voir*, * Férité.
Tout otroioit por pez avoir,
Qu'il ne prisoit rieilS le chasti *. * L'avertissement .
Poi vaut quanque* celé a basti. * Peu vaut ce que.
Chastit-Ie tant cum el vorra*, * fondra.
S'el s'en part, jamès n'el verra.
Ne la crut pas, puis eu morut,
C'onc Vénus ne l'en secorut,
Qu'ele n'i estoit pas présente.
Cerfs. ** Lapins.
' Divertissez.
".4 défenses.
* Desseins.
* Blessé.
* Mais.
* L'avertissait.
DE LA ROSE.
1G3
Puis le plora moult la dolente*,
Qu'il cbaça puis à un sangler
Qu'il cuida* prendre et estrangler;
Mes n'el prist ne ne détrencha*,
Car li sanglers se revencha
Cum fière et orguilleuse beste.
Contre Adonis escout* la teste,
Ses dens en l'aine li flati*,
Son groing estort*, mort l'abati.
Biau seignor, que qu'il vous aviengne.
De cest exemple vous soviengne :
Vous qui ne créés* vos amies,
Sachiés vous faites grans folies ;
Bien les déussiés toutes croire,
Car lor dit sunt voir* cum istoire.
S'el jurent, toutes somes vostres,
Créés-les comme paternostres;
Jà d'eus croire ne recréés*,
Se Baison vient, point n'en créés ;
S'el vous aportoit crucefiz ,
N'el créés point ne que ge fiz.
Se cist* s'amie éust créue,
Moult éust sa vie acréue.
L'un se jeue à l'autre et déduit,
Quant lor plest ; après lor déduit ,
A Citéron sunt retomé.
Cil qui n'ierent* pas séjorné,
Ainçois* que Vénus se despuille,
Li content de fil en aguille
Trestout quanque* lor appartint.
« Par foi, ce dist Vénus , mal tint
Jalousie chastel ne case *
Contre mon fiz. Se tout n'embrase
Les portiers et tout lor ator,
Ou les clez rendront de la tor.
* Malheureuse.
* Crut.
* Tailla en pièces.
* Secoua.
* Enfonça.
* Dégagea.
* Croyez.
Leurs paroles sont vraies.
* Cessez.
Si celui-là.
* Ceux qui n'étaient.
* Avant.
*Tout ce qui.
* Maison.
164
LE ROMAN
Ge ne doi prisier un landon*
Moi, ne mon arc ne mon brandon. »
* Billot que l'on attache
au cou des chiens pour les
empêcher de chasser.
Comment huit jeunes colombeaux
En un char, qui fut riche et beaux,
Mainent Vénus en l'ost * d'Amours,
Pour lui faire hastif secours.
Lors fist sa mesnie* apeler;
Son char comande à ateler,
Qu'el ne volt* pas marchier les boes.
Biaus fu li chars à quatre roes,
D'or et de pelles estelés* ;
En leu de chevaus, atelés
Ot es* limons huit colombiaus
Pris en son colombier, moult biaus.
Toute lor chose ont aprestée.
Adonc * est en son char montée
Vénus , qui Chastéé guerroie.
Tsus des colons ne se desroie*,
Lor csles bâtent, si s'en partent,
L'air devant eus rompent et partent*,
Yienent en l'ost. Vénus venue ,
Tost est de son char descendue.
Contre li saillent* à grant feste
Son Glz premiers, qui par sa heste*
Avoit jà les trives cassées,
Aiuçois* que fussent trespassées ;
Conques n'i garda convenance*
De serement ne de fiance.
C'est l'assaut devant le chastel,
Si grant que pioçà * n'y eut tel ;
Mais Amours ne sa compagnie
A cestc foys ne l'eurent mie :
Car cculx de dedans résistance
Lu y firent par leur grant puissance.
"Armée.
* Maison, suite.
* Car elle ne voulut'
* De perles constelle.
* Il y eut dans les.
* Alors.
* Nulle des colombes ne se-
dérange,
* Divisent, partagent.
* Accourent.
* Hâte.
* Avant.
* Convention.
"Longtemps.
Forment* à guerroier entendent.
'Fortement.
DE LA ROSK
165
Cist assaillent, cil se desfendent ;
Cil drecent au cliastel perrières,
Grans cailloux de pesans perrières
Por les murs rompre lor envoient;
Et li portier les murs hordoient*
De fors cloies refuséices*,
Tissues de verges pléices*,
Qu'il orent par grans estoties*
En la haie Dangier* coillies;
Et cist sajetes* barbelées,
De grans promesses empenées,
Que de servises, que de dons,
Por tost avoir lor guerredons* :
Car il n'i entra onques fust*
Qui tout de promesses ne fust,
D'un fer ferrées fermement
De fiance et de serement.
Traient* sor eus, et cil se targent**,
Qui de desfendre ne s'atargent* :
Car targes ont et fors et fières,
Ne trop pesans ne trop légières,
D'autel fust cum erent* les claies
Que Dangier cuilloit en ses baies,
Si que traire * riens n'i valoit.
Si cum la chose ainsinc aloit,
A mors vers sa mère se trait,
Tout son estât li a retrait*,
Si li prie que le secore.
"Garnissent comme
lion ni s.
* Très-serrées.
* Flexibles.
* Folies.
* De Danger.
* Flèches.
Récompenses.
Bois.
de
'Tirent.
' Tardent .
* De tel
étaient.
* Tirer.
* Rapporté.
Couvrent
bois comme
Ténus.
« Maie mort, dit-ele, m'acore*, * M'accoure
Qui tantOSt me puist acorer\ * Crever le eœur
Se ge jamès lais* demorer * baisse.
Chastéé en famé vivant :
466
Tant aut Jalousie estrivant* !
Trop sovent en grant peine en somes
Biau filz, jurés ausinc des homes,
Qu'il saudront* tuit par vos sentiers.
LE ROMAN (v. 16769.)
* Aille Jalousie disputant .
'Sortiront.
Le dieu d'Amours.
« Certes, ma dame, volentiers.
N'eu ierent nésuus respité* ;
James au mains par vérité
Ne seront prodome clamé * ,
S'il n'aiment ou s'il n'ont amé.
Grant dolor est que tex* gens vivent
Qui les déduiz d'Amors eschivent*,
Por* qu'il les puissent maintenir;
A mal chief* puissent-il venir!
Tant les hé , que se g'es* poisse
Confondre, tous les confondisse.
D'aus me plains et tous jors plaindrai,
Ne du plaindre ne me faindrai,
Cum cil qui nuire lor vorrai*
En tous les cas que ge porrai,
Tant que g'en soie si venchiés,
Que lor orguex soit estanchiés* ,
Ou qu'il seront tuit condamné.
IMal fuissent-il onc d'Adam né,
Qui si pensent de moi grever !
Es cors lor puist li cuers* crever,
Quant mes déduis vuelent abatre !
Certes, qui me vodroit bien batre,
Voire afronter à quatre pis*,
Ne me pourroit-il faire pis.
Et si ne sui-ge pas mortiex*,
Mes corrous en reçoif or tiex *,
Que se mortiex estre péusse,
* JS'en seront aucuns re-
tardés.
* Gens de bien appelés.
* Telles.
* Esquivent, évitent.
* Pour peu.
Mauvaise fin.
* Je les.
* Tondrai.
'Arrêté, abat tu.
* Dans le corps leur puisse
le cœur.
* Pieux, bâtons.
" Mortel.
*Tel.
(V. I680F.)
DE LA ROSE.
167
De duel* que j'ai, la mort eusse.
Car se mi gieu * vont défaillant,
J'ai perdu quanque* j'ai vaillant,
Fors* mon cors et mes vestéures,
Mon chapel et mes arméures.
Au mains s'il n'en ont la puissance,
Déussent-il avoir pesance*
Et lor cuer à dolor plessier*,
S'il les lor convenist* lessier.
Où puet-1'en querre meillor vie
Que d'estre entre les bras s'amie* ? »
De chagrin.
* Car si mes jeux.
* Ce que.
* Excepté.
* Chagrin.
* Soumettre.
* S'il les leur fallût.
* De son amie.
L Jeteur.
Lors font en l'ost * le serement, * L'armée.
Et por tenir-le fermement,
Ont en leu de reliques tretes* * Apport;.
Lor cuiries* et lor sajetes, * Carquois.
Lor ars, lor dars et lor brandons,
Et dient :
Tous les barons de l'ost* à une vois. * L'armée.
« Nous n'i demandons
INleillors reliques à ce faire,
Ne qui tant nous péussent plaire.
Se nous cestes parjurions,
James créu ne serions.
L! Acteur.
Sor autre chose ne le jurent;
Et li baron sor ce les crurent
Autant cum sus la Trinité,
Por ce qu'il jurent vérité.
168
LE ROMAN
IC827.)
Comment Nature la subtille
Forge toujours ou filz ou fille,
Affiu que l'humaine lignye
Par son deffaut ne faille mye.
Et quant ce serement fait orent,
Si que tuit entendre le porent,
Nature, qui pensoit des choses
Qui sunt desouz le ciel encloses,
Dedens sa forge entrée estoit,
Où toute s'entente* metoit
A forgier singulières pièces
Por continuer les espièces :
Car les pièces tant les fet vivre,
Que Mors ne les puet aconsivre*,
.la tant ne saura corre après;
Car Nature tant li va près,
Que quant la Mors o* sa maçue
Des pièces singulières lue
Ceus qu'el trueve à soi redevables,
(Qu'il i en a de corrumpables *
Qui ne doutent * la Mort néant,
Et toutevois vont déchéanl,
Et s'usent en tens et portassent ,
Dont autres choses se norrissent) ;
Quant toutes les cuide estreper*,
N'es* puet ensemble conceper** •
Que* quant l'une par-deçà hape,
L'autre par delà li eschape.
Car quant ele a tué le père,
llemaint-il* li/. ou fille ou mère,
Qui s'enfuient devant la Mort,
Quant il voient celi ja mort.
Puis reconvient iceus morir*,
.là si bien ne sauront corir-,
N'i vaut médecines ne veus.
* Son attention.
Atteindre.
* Avec.
* Corruptibles.
* Redoutent.
* Extirper
* \e les. ** ( oncevoir,
*Car.
Reste-t-il.
* Puis il faut ry»V< leur
toitr ceux-là meurent.
(t. 16858.) DE LA ROSE. 1G9
Donc saillent nièces et neveus
Qui fuient, por eus déporter*, * S'amuser.
Tant cum piez les puéent* porter ; * Peuvent.
Dont l'un s'enfuit à la karole*, * Danse.
L'autre au moustier*, l'autre à l'escole, * A l'église.
Li autre à lor marchéandises,
Li autre os ars qu'il ont aprises,
Li autre à lor autres déliz * * Plaisirs.
De vins, de viandes, de Hz.
Li autre, por plus tost foïr,
Que Mors ne les face enfoïr,
S'en montent sor lor grans destriers
À tout lor sororés* estriers. *Avec leurs dorés.
L'autre met en un fust * sa vie, *Bois.
Et s'enfuit par mer à navie*, * Sur un navire.
Et maine au regart des* estoiles "En regardant les.
Ses nefz, ses avirons, ses voiles.
L'autre, qui par veu s'umilie,
Prent un mantel d'ypoerisie ,
Dont en fuiant son penser cuevre,
Tant qu'il apert* dehors par uevre. * Apparaît .
Ainsinc fuient tuit cil qui vivent ,
Qui volentiers la Mort eschivent.
Mors, qui de noir le vis* a taint, * Visage.
Cort après tant que les ataint,
Si qu'il i a trop fière chace.
Cil s'enfuient, et Mors les chace
Dix ans ou vingt, trente ou quarante (I),
(i) L'auteur en cet endroit parle du peu de temps que nous avons à
vivre : c'est une pensée tirée du Prophéte-Pioi qui, au psaume 89, s'ex-
plique en ces termes : Dies annorum noslrorum in ipsis septvaginla an-
nls, si autem in poienlatibus octoginta anni et amplius, eorumlabor et
dolor; ce que David atlribuoit a la colère de Dieu, les philosophes ont cru
que le nombre de soixante et dix étoit le terme ordinaire de la vie.
Cum vero decas qui et ipse est perjectissimus numerus perfecto nu-
là
170
LE ROMAN
V. IGS8G.
Cinquante, soixante, septante,
Voire* octante, nonante, cent.
Lors quanque* tient va dépeçant;
Et s'il puéent * outre passer,
Cort-ele après sens soi lasser,
Tant que les tient en ses liens,
Maugré tous les phisiciens*.
Et les phisiciens méismes
One nul eschapper n'en véismes,
Par Hipocras (I) ne Galien (2),
Tant lussent bon phisicien.
Rasis (3), Constantin (4), Avicenue (5)
I ont lessiée la couenne ;
Et cels qui ne puent tant corre,
N'es respuet riens de mort rescorre *.
* Même.
* Ce que.
* Peuvent.
: Médecins.
* Ne les peut rien de la
mort secourir.
mero, id esl'EittàSt jungitur, ut aut decies septem, aut septies déni com-
putentur anni, hœe a Physicis creditur meta vivendi, quod si quis ex-
cesserit ab omni officia vacuus soli exercitio sapi entité vacat, et omnem
nsum sut in suadendo habet aliorum vacation e reverendus. Macrobius in
Somniuui Scipionis, lïb. i, cap. vi, où il est traité tort au long du nombre
sept ou septénaire. (L. D. D.)
(i) HipPOCiUTE, médecin célèbre, vivoit 400 ans avant J.-C. Il y a ap-
parence que ce médecin croyoit que le commerce des vieilles femmes
abrégeoit les jours des jeunes gens, puisqu'un de ses malades lui dit un
jour : F'etulam non cognovi, cur morior ? Comme si, en évitant cet
écueil, il eût du parvenir à l'immortalité. (L. D. D.)
(2) GALIEN, médecin célèbre, qui vécut sous les empereurs Trujan et
Adrien ; il mourut âgé de 70 ans. On dit qu'il composa deux cents vo-
lumes. (L. D. D.)
(3) Razis, médecin arabe, connu sous le nom d'Almansor ou (TAbu-
behre-al-Razi. Il vivoit dans le dixième siècle, et, selon d'autres, dans le
neuvième; il vécut cent vingt ans, dont il en employa quatre-vingts à
l'étude de la médecine. (L. D- D.)
(4) Constantin, médecin grec; c'est le premier qui ait parlé de la petite
vérole. (L. D. D.)
(5) AviCENNrc, philosophe et médecin arabe du onzième siècle, célèbre
par plusieurs ouvrages de médecine. On a prétendu que le sultan Cabous
l'avoil employé dans le ministère en qualité de vizir. (L. D. D.)
(v. i69oi.) DE LA ROSE. 171
Ainsinc Mors, qui jà n'iert* saoule, * Jamais ne sera.
Glotement les pièces eugoule*; * Avale.
Tant les sieut* par mer et parterre, *Suit.
Qu'en la fin toutes les enserre.
Mes n'es puet ensemble tenir
Si qu'el ne puet à chief* venir *A bout.
Des espèces du tout destruire,
Tant sevent bien les pièces fuire :
Car s'il n'en demoroit fors * une, * Seulement.
Si vivroit la forme commune ;
Et par le Fenis bien le semble,
Qu'il n'en puet estre deus ensemble.
Tous jors est-il un seul Fenis,
Et vit ainçois* qu'il soit fenis, * Avant.
Par cinq cens ans ; au darrenier,
Si fait un feu grant et plenier
D'espices, et s'i boute et s'art*, *Se brûle.
Ainsinc fait de son cors essart*. * Cendre.
Mes por ce que sa forme garde,
De sa poudre, combien qu'il s'arde,
Un autre Fenis en revient ,
Ou cil-méismes*, se Dé vient, *Celui-là même.
Que Nature ainsinc résuscite,
Qui tant à l'espèce profite
Qu'ele perdroit du tout son estre,
S'el ne faisoit cestui renestre ;
Si que se Mort Fenis dévore,
Fenis toutevois vis* demore. * Vivant.
S'el en avoit mil dévorés,
Si seroit Fenis demorés.
C'est Fenis la commune forme
Que Nature es* pièces réforme, * Dans les.
Qui du tout perdue seroit,
Qui l'autre vivre ne lerroit*. * Laisserait.
Ceste manière néis* ont * Même.
172
LE ROMAN
(v. TG93G.)
Trestoutes les choses qui sont
Desouz le cercle de la lune,
Que s'il en puet demorer une,
S'espèce* tant en li vivra,
Que jà Mors ne la consivra*.
Mes Nature douce et piteuse*,
Quant el voit que Mors l'envieuse
Entre li et corrupcion
Vuelent mètre à destruction
Quanqu'el trueve* détiens sa forg",
Tousjors martelé, tousjors forge,
Tous jors ses pièces renovele
Par généracion novele.
Quaût autre conseil n'i puet mètre ,
Si taille* emprainte de tel Ietre,
Qu'el lor done formes veroies *
En coinz de diverses monoies ,
Dont Ars faisoit ses exemplaires,
Qi:i ne fait pas choses si voires*.
Mes par moult ententive cure*,
A genouz est devant Nature ,
Si prie* et requiert et demande ,
Comme mendians et truande,
Povre de science et de force,
Qui d'ensivre-la* moult s'esforce,
Que Nature li voille aprendre
Comment ele puisse comprendre,
Par son engin en ses figures,
Proprement toutes créatures.
Si garde comment Nature euvre,
Car moult vodroit faire autel* euvre,
Et la contrefait comme singes;
Mes tant est son sens nus et linges* ,
Qu'il ne puet faire choses vives,
Jà si ne sembleront naïves * :
*Son espèce.
* Atteindra.
* Miséricordieuse.
*Tout ce qu'elle trouve.
* Elle taille.
* fraies.
* Véritables.
* Soi n attentif.
* Et prie.
* De la suivre.
* Pareille.
* Simple.
* Naturelles.
(v. 1697 T.
DE LA ROSE.
173
Car Ars, combien qu'ele se paine
Par grant estuide et par grant paine,
De faire choses quiex* qu'el soient,
Quiexque figures qu'eles aient,
Paingne, taingne, forge ou entaille*
Chevaliers armés en bataille,
Sor biaus destriers trestons couvers
D'armes yndes*, jaunes ou vers,
Ou d'autres colors piolés*,
Se plus piolés les volés ;
Biaus oisillons en vers boissons,
De toutes iaues les poissons,
Et toutes les bestes sauvages
Qui pasturent par ces boscages;
Toutes herbes, toutes floretes,
Que valetons* et puceletes
Vont en printens es bois coillir,
Que florir voient et foillir;
Oisiaus privés, bestes domesches* ,
Baceleries*, dances, tresches**
De bêles dames bien parées ,
Bien portrètes, bien figurées ,
Soit en métal, en fust*, en cire,
Soit en quelconque autre matire,
Soit en tables ou en parois ,
Tenans biaus bachelers as dois,
Bien figurés et bien portrais ;
Jà por figure ne por trais
Ne les fera par eus aler,
Vivre, movoir, sentir, parler.
Ou d'alquemie* tant aprengne,
Que tous métauz en color taingne,
Qu'el se porroit ainçois* tuer,
Que les espèces remuer*,
Se tant ne fait qu'el les ramaine
'Quelles.
* Sculpte.
* Bleues.
* Tachetés.
* Jeunes gens, petits gar-
çons.
'Domestiques.
Jeux d'enfants.
* Rondes.
'En bois.
* D'alchimie.
* Plutôt.
* Muer de nouveau.
15.
174
LE ROMAN
(v-
A lor nature premeraine*.
Euvre tant cum ele vivra,
Jà Nature n'aconsivra*;
Et se tant se voloit pener *
Qu'el les i séust ramener,
Si li faudroit, espoir*, science
De venir à celé atrempance*,
Quant el feroit son élixir,
Dont la forme devroit issir *,
Qui devise entr'eus lor sustances
Par espéciaus* différences,
Si cum il pert au défeuir*,
Qui bien en set à chief venir*.
Neporquant*, c'est chose notable ,
Alquemie est ars véritable.
Qui sagement en ovreroit,
Grans merveilles i troveroit ;
Car comment qu'il aut* des espièces,
Au mains les singulières pièces
Qu'en sensibles euvres sunt mises,
Sunt muables en tant de guises,
Qu'el puéent lor compleccions,
Par diverses digestions,
Si changier entr'eus, que cis* changes
Ees met souz espèces estrangcs,
Et leur toit* l'espèce première.
Ne voit-1'en comment de fogière
Eont cil et cendre et voirre* nestre,
Qui de voirrerie sunt mestre,
Par dépuration légière ?
Si n'est pas li voirres fogière,
Ne fogière ne r'est* pas voirre.
Et quant espar* vient en tonuoirre,
Si repuet-ren* soveut véoir
Des vapeurs les pierres chéoir,
* Première.
* N'atteindra.
* Donner de la peine.
* Peut-être.
* Degré.
* Sortir.
*Sj)éciales.
* Il parait à la fin.
* Venir à bout.
Néanmoins.
'Aille.
*Ce.
* Enlevé.
* ferre.
* N'est de son cote.
* Éclair.
* On peut.
(V. ITOil/
DE LA ROSE.
175
Qui ne montèrent mie pierres :
Ce puet savoir li cognoissierres*
De la cause qui tel matire
A ceste estrange espèce tire.
Ci sunt espèces treschangiées*,
Ou les pièces d'aus estrangiées*
Et en sustauce et eu flgure ;
Ceus par Art, ceste par Nature.
Ainsinc porroit des métaus faire
Qui bien en sauroit à chief traire* ,
Et tolir* as ors lor ordure,
Et metre-les en forme pure
Par lor complexions voisines,
L'une vers l'autre assés enclines ;
Qu'il sunt trestuit d'une matire,
Comment que Nature les tire :
Car tuit par diverses manières ,
Dedens les terrestres minières,
De soufre et de vif-argent nessent,
Si cum li livre le confessent.
Qui se sauroit doue soutillier*
As esperiz aparillier,
Si que force d'entrer eussent,
Et que voler ne s'en péussent
Quant il dedens les cors entrassent,
Mes que bien purgiés les trovassent,
Et fust li sofres sans ardure,
Por blanche ou por rouge tainture^
Son voloir des métaus auroit
Qui ainsinc faire le sauroit ;
Car d'argent vif fin or font nestre
Cil qui d'alquemie sunt mestre,
Et pois et color li ajoustent
Par choses qui gaires ne coustent.
Et d'or fin pierres précieuses
* Le connaisseur.
* Changées de tout en tout.
* Éloignées.
Tarir à bout.
'Enlever.
' Ingénier, industrie)-.
176
LE ROMAN
(V-
Font-il clères et aviveuses*;
Et les autres métaus desnuent*
De lor formes, si qu'il les muent*
Eu fin argent, par médecines
Blanches et trespercans * et fines.
Mes ce ne feroient cil mie
Qui euvrent de sophisterie ;
Travaillent tant cum il vivront,
.Ta Nature n'aconsivront*.
Nature, qui tant est soutive*,
Combien qu'ele fust ententive*
A ses euvres, que tant amoit,
Lasse, dolente* se clamoit,
Et si parfondément ploroit,
Qu'il n'est cuers qui point d'amor ait
Ne de pitié, qui l'esgardast,
Qui de plorer se retardast *:
Car tel dolor au cuer sentoit
D'un fait, dont el se repentoit,
Que ses euvres voloit lessier,
Et du tout son penser cessier,
Mes que tant solement séust
Que congié de son mestre éust :
Si l'en voloit aler requerre*,
Tant li destraint* li cuers et serre.
Bien la vous vosisse* descrire;
Mes mi sens* u'i porroit soflîre.
Mi sens! qu'ai-ge dit? c'est du mains,
Non feroit voir nus sens humains,
Ne par vois vive ne par notes ;
Et Fust Datons ou Aristotes,
Aigus, lùiclides, Tholomées,
Qui tant oreut de renommées
D'avoir esté bon escrivain,
Lor engin* seroient si vain,
* l'iies.
* Dépouillent.
* Changent.
* Pénétrantes.
* N'atteindront.
* Subtile.
* Attentive.
* Malheureuse.
' Le regardât.
* Lui présenter requête.
* Tourmente.
* f'oulusse.
* Mou sens.
* Artifices.
(v. mu.) DE LA ROSE. 177
S'il osoicnt la chose emprendre*, * Entreprendre.
Qu'il ne la porroient entendre,
Ne Pymalions entaillier*. * Sculpter.
En vain se porroit travaillier* * Efforcer.
Parrasius, voire Apellés,
Que ge moult bon paintre appelles,
Biautés de li jamès descrivre
Ne porroit, tant éust à vivre :
Ne Miro ne Policletus,
James ne sauroient cest us*. * Usage.
Comment le bon paintre Zeuxis
Fut de contrefaire pensis
La très-grant beaulté de Nature,
Et à la paindre mist grant cure *. * Suin.
Zeuxis néis * par son biau paindre * Même.
Ne porroit à tel forme ataindre,
Qui, por faire l'ymage au temple,
De cinq puceles prist exemple,
Les plus bêles que l'en pot querre* * Chercher.
Et trover en toute la terre,
Qui devant li se sont tenues
Tout en estant* trestoutes nues, * Debout.
Pour soi prendre garde à chascune,
S'il trovast nul défaut en l'une,
Ou fust sor cors, ou fust sor membre,
Si cum Tules* le nous remembre"* *Cicéron. ** Rappelle.
Ou * livre de sa Rétorique, * Dans le.
Qui moult est science autentique.
Mes ci ne péust-il riens faire
Zeuxis, tant séust bien portraire,
Ne colorer sa portraiture,
Tant est de grant biauté Nature.
Zeuxis, non pas, trestuit li mestre
Que Nature fist onques nestre :
178
LE ROMAN
17.4.)
Car or soit que bien entendissent
Sa biauté toute, et tuit vosissent*
A tel portraiture muser,
Ains porroient lor mains user,
Que si très-grant biauté portraire.
Nus, fors* Diex, ne le porroit faire.
Et por ce que, se ge poisse ,
Volentiers au mains l'entendisse,
Voire* escrite la vous eusse,
Se ge poisse ou ge séusse ;
Ge-méismes i ai musé,
Tant que tout mon sens i usé
Comme fox et outrecuidiés,
Cent tans* plus que vous ne cuidiés**
Car trop fis grant présumpcion
Quant onques mis m'entencion
A si très-haute euvre achever,
Qu'ains me poïst * le cuer crever,
Tant trovai noble et de grant pris
La grant biauté que ge tant pris*,
Que par penser la compréisse
Por nul travail que g'i méisse ,
Ne que solement en osasse
Un mot tinter, tant i pensasse.
Si sui du penser recréus* ,
Por ce m'en sui à tant téus ;
Que quant ge plus i ai pensé,
Tant ert* bêle que plus n'en se :
Car Diex, li biaus outre mesure,
Quant il biauté mist en Nature,
Il en i fist une fontaine
Tous jors corant et tous jors plaine,
De qui toute biauté desrive ;
Mes nus n'en set ne fons ne rive :
Por ce n'est drois que conte face
* Voulussent.
1 Si ce n 'est .
Vraiment.
* Fois. * Croyez.
* Que plus tôt me pût.
* Prise.
*Las.
"Alors.
* Était.
(v. i7i7o.) DE LA ROSE. 179
Ne de son cors ne de sa face,
Qui tant est avenant et bêle ,
Cum flor de lis en mai novele.
Rose sus rain, ne noif * sor branche , * Branche, ni neige.
N'est si vermeille ne si blanche ;
Si devroie-ge comparer* * Payer.
Quant ge l'os à riens comparer,
Puisque sa biauté ne son pris
Ne puet estre d'orne compris.
Quant ele oï ce serement,
Moult li fu grant alègement
Du grant duel qu'ele démenoit.
Por décéue se tenoit,
Et disoit :
Nature.
« Lasse ! qu'ai-ge fait ?
iNe me repenti mes de fait
Qui m'avenist dès lors en çà
Que cis biaus mondes comença,
Fors d'une chose solement
Où j'ai mespris trop malement*, *Trop mal agi
Dont ge me tiens trop à musarde ;
Et quant ma nmsardie esgarde*, *jc regarde.
Rien est drois que ge m'en repente.
Lasse, foie ! lasse, dolente * ! * Malheureuse.
Lasse ! lasse cent mile fois !
Où sera mes trovée fois?
Ai-ge bien ma poine emploiée?
Sui-ge bien du sens desvoiée *, * 'Égaré,-.
Qui tous jors ai cuidé * servir *Cru.
Mes amis por gré déservir*, * Mériter grâce.
Et trestout mon travail ai mis
En essaucier * mes anemis? * Exhausser, élever.
180 LE ROMAN (v. 17208.
Ma débonaireté m'afole *. » * Me nuit.
L'Acteur.
Lors a mis son prestre à parole ,
Oui célébroit en sa chapele ;
Mes ce n'ert * pas messe novele, * N'était
Car tous jors ot fait ce servise
Dès qu'il fu prestres de l'église.
Hautement, en leu d'autre messe,
Devant Nature la déesse,
Li prestres, qui bien s'acordoit,
En audience recordoit* * Rappelait.
Les figures représentables
De toutes cboses corrumpables
Qu'il ot escrites en son livre,
Si cum* Nature les li livre. * Ainsi que
Comment Nalure !a déesse
A son prestre se confesse,
Qui moult doulcemcnt luy enhorte * * L'exhorte.
Que de plus plourer'se déporte *. * Cesse.
« Génius, dist-ele, biau prestre
Qui des leus estes diex et mestre,
Et selonc lor propriétés
Toutes en euvre les metés,
Et bien achevés la besoin gne
Si cum à chascun li besoingne*, "Ainsi qu'il est besoin à
chacun.
D'une folie que j'ai faite,
Dont ge ne me sui pas retraite ,
Mes repentance moult tn'apresse,
A vous m'en vuel* faire confesse. » * Je m'en veux.
Génius.
« Ma dame, du monde rouie,
Cui * toute riens mondaine encline, * A qui.
(v.
DE LA ROSE.
181
S'il est riens qui vous griefve, eu tant
Que vous en ailliés repentant,
Ou que néis* vous plaise à dire,
De quelconques soit la matire,
Soit d'esjoïr ou de doloir %
Bien m'en poés vostre voloir
Confesser trestout par lesir,
Et ge tout à vostre plésir,
Fet Genius, mètre i vorrai *
Tout le conseil que ge porrai,
Et cèlerai bien vostre affaire ,
Si c'est chose qui face à taire ;
Et se mestier avés d'assoldre *,
Ce ne vous doi-ge mie toldre* ,
Mais lessiés ester* vostre plor.
* 'Même.
* Se plaindre.
Voudrai.
* Besoin are: d'absoudre.
* Enlever.
* Cesse:.
Nature.
Certes, fet-ele, se ge plor,
Biaus Genius, n'est pas merveille.
Genius.
Dame, toutevois vous conseille
Que vous voilliés ce plor lessier,
Se bien vous volés coufessier,
Et bien entendre à la matire
Que vous m'avés empris* à dire;
Car grans est, ce croi, li outrages,
Que bien sai que nobles corages
Ne s'esmuet pas de poi * de chose,
S'est moult fox* qui trobler vous ose.
Mes sens faille* il est voir** que faine
Légièrement d'ire* s'enflame.
Virgiles méismes tesmoiugne,
Qui moult congnut de lor besoingne*,
BOMA1N DE LA IiOSE. — T. I 1.
Entrepris.
* De peu.
*Sot.
* Faute. ** frai.
* Facilement de colère.
* De leurs affaires.
16
182
LE ROMAN
Que jà famé n'iert* tant estable,
Qifel ne soit diverse et muable,
Et si r'est trop ireuse* beste.
Salemons dist qu'onc ne fu teste
Sor teste de serpent crueuse*.
Ne rieris de famé plus ireuse*;
N'onc riens, ce dist, n'ot taut malice.
Briefment, en famé a taut de vice,
Que nus ne puet ses meurs pervers
Conter par rimes ne par vers ;
Et ce dist Titus-Livius,
Qui bien congnut quex sunt li us*
Des famés, et quex les manières :
Que vers lor meurs nules prières
Ne valent tant comme blandices*,
Tant sunt décevables et nices*,
Et de ûéchissable nature.
Si redist aillors l'Escriture
Que de tout le fémenin vice
Li fondemens est avarice.
Et quiconques dit à sa famé
Ses secrez, il en fait sa dame.
Nus homs* qui soit de mère nés,
S'il n'est yvres ou lbrsonés* ,
Ne doit à faîne révéler
Nule riens* qui l'ace à celer,
Se d'autrui ne le vuet oïr.
Miex vaudroit du pais foïr,
Que dire à lame chose à taire,
Tant soit loial ne débonaire ;
Ne jà nul fait secré ne face,
S'il voit famé venir en place :
Car s'il i a péril de cors ,
El le dira, bien le recors*,
Combien quelongement atcnde;
* Que jamais femme ne
sera.
* Et elle est encore trop
colère.
* Cruel.
* Colère que femme.
* Quels sont les us.
* Caresses.
Simples.
* Nul homme.
■ * Privé de bon sens.
* Chose.
* Déclare.
fv.
DE LA ROSE.
183
Et se nus* riens ne l'en demande, *Si nul.
Le dira-ele vraiement,
Sens estrange amonestement :
Por nule riens ne s'en teroit,
A son avis morte seroit,
Se ne li sailloit* de la bouche,
S'il i a péril ou reprouche.
Et cil qui dit le li aura,
S'il est tex* , puis qu'el le saura ,
Qu'il Tose après férir* ne batre,
Une fois, non pas trois ne quatre,
.là sitost ne la touchera,
Cum ele li reprouchera,
Mais ce sera tout en apert\
Qui se fie en famé, il se pert ;
Et li las* qui en li se fie,
Savés-vous qu'il fait? il se lie
Les mains, et se cope la geule :
Car s'il une fois toute seule
Ose jamès vers li grocier*,
Ne chastoier* ne corrocier,
11 met en tel péril sa vie,
S'il a du fait mort déservie*,
Que par le col le fera pendre,
Se li juge le puéent* prendre , * Peuvent.
Ou murdrir * par amis privés , * Mettre à mort.
Tant est à mal * port arrivés. * Mauvais.
Sortait.
*Tcl.
* Frapper.
* Ouvertement.
* Le malheureux.
* Gronder.
* Faire des représenta-
tions.
*Méritée.
Cy dit, à mon intention,
La meilleure introduction
Que l'en peut aux hommes apprendre,
Pour eulx bien garder et def fendre
Que nulles femmes leurs maistresses
Ne soyent, quant sont jangleresses*.
Mes li fox*, quant au soir se couche,
Et gist lez * sa famé en sa couche,
* Bavardes.
* Le sot.
* Près de.
18-4
LE ROMAN
I732S.)
Où reposer ne puet ou n'ose,
Qu'il a fait espoir* quelque chose,
Ou vuet par aventure faire
Quelque murdre ou quelque contraire'
Dont il craint la mort recevoir,
Se l'en le puet aparcevoir,
Et se torue, plaint et sospire ,
Et sa famé vers soi le tire ,
Qui bien voit qu'il est à mésèse *,
Si l'aplaingne* et acole et bèse,
Et le couche entre ses mameles.
Peut-être.
Malheur.
Mal à l'aise.
* Caresse.
La Femme qui parle à son Mary.
Sire, dist-ele, quex* noveles?
Qui vous fait ainsinc sospirer
Et tressaillir et revirer*?
Nous somes or privéement*
Ici nous qui tant solement,
Les persones de tout le monde,
Vous li premiers, ge la seconde,
Qui mic\ nous devons entr'amer
De cuer loial fin sens amer;
Et de ma main, bien m'en remembre,
Ai fermé Fuis de nostre chambre;
Et les parois, dont miex les proise*,
Sunt espesses demie-toise,
Et si haut resunt li chevron,
Que tuit séurs estre devon ;
Et si somes loing des fenestres,
Dont moult est plus séurs li estres*
Quant à vos secrez descovrir :
Si ne les a pooir* d'ovrir,
Sens despecier, nus bons* vivans
Ne plus que puet faire li vens.
"Quelles.
* Retourner.
* Maintenant en particu-
lier.
' Prise.
Le lieu.
'Pouvoir.
: Nul homme.
V. 17360.
DE LA ROSE.
i85
Briefment cis leus* n'a point d'oïe,
Vostre vois ne puet estre oie
Fors que* de moi tant solcment :
Por ce vous pvi piteusement *
Par amor, que tant vous liés
En moi, que vous le me diés*.
Le Mary.
Dame, dist-il, se Diex me voie,
Por mile riens ne le diroie,
Car ce n'est mie chose à dire.
* Ce lieu
* Si ce n'est.
* Miséricordieusernenl.
* Disiez.
La Femme.
Avoi*, dist-ele, biau douzsire! *Hélas;
M'avés-vous donc soupeooneuse*, *En suspicion.
Qui sui vostre loial espeuse?
Quant par mariage assemblasme?,
Jhésus-Crist, que pas ne trovasmes
De sa grâce aver ne eschar*,
Nous fist deus estre en une char* ;
Et quant nous n'avons char fors* une, * Sinon
Par le droit de la loi commune ,
N'il ne puet en une char estre
Fors que uns cuers à la senestre*,
Tuit un sunt donques li cuer nostre.
Le mien avés, et ge le vostre :
Riens ne puet donc ou vostre avoir*,
Que li miens ne doie savoir.
Por ce vous pri que le me dites,
Par guerredon* et par mérites ; * Récompense.
Car jamès joie on cuer * n'aurai * Dans le cœur,
Jusqu'à tant que ge le saurai ;
Et se dire n'el me volés,
Ge vois bien que vous me bolés * ; * Trompez.
Avare ni chiche.
Chair.
'Gauche.
Dans le votre y avoir.
l'i
180
LE ROMAN
17390.)
Si sai de quel cuer vous m'amés,
Qui douce amie me clamés*,
Douce seur et douce compaingne.
A cui parés-vous tel chastaingne (1)?
Certes se n'el me gehissiés* ,
Bien pert* que vous me traïssiés ;
Car tant me sui en vous fiée,
Puis que m'éustes affiée*,
Que dit vous ai toutes les choses
Que j'oi dedens mon cuer encloses.
Si laissai por vous père et mère,
Oncles, neveus, serors et frère ,
Et tous amis et tous parens,
Si eu m il est or* aparens.
Certes, moult ai fait mauves change ,
Quant si vers moi vous truis estrange *,
Que ge plus aim que riens* qui vive;
Et tout ne me vaut une cive*,
Qui c.uidiés* que tant mespréisse
Vers vous, que vos secrés déisse :
C'est chose qui ne porroit estre ;
Par Jhésu-Crist le roi célestre,
Qui vous doit miev de moi* garder?
Plaise-vous au mains regarder,
Se de loiauté riens savés,
La foi que de mon cors avés :
Ne vous soflist pas bien cis* gages?
En volés-vous meillors hostages?
Donc sui-ge des autres la pire,
Se vos secrez ne m'oses dire.
Ge voi toutes ces autres faines,
* M'appelez.
* Si vous ne me l'avouiez.
* Il parait bien.
* Fiancée.
* /insi qu'il est mainte-
liant .
k Tmurc étranger.
"Chose.
"Ciboule.
'Quand vous croyez.
* Que moi
Ce.
(l) Voyez, sur cette expression que nous avons déjà trouvée (t. I, p. 282,
v. !>259) , nos Études de philologie comparée sur l'argot, etc., p. 104, col. 2
(et non p. 404), art. Chastaignes [Peler).
(V. I712I.)
DE LA ROSE.
187
Qui sunt de lor hostiez* si dames, * Hôtels, logis.
Que lor maris en eus se fient
Tant que tous lor secrez lor dient.
Tuit à lor famés se conseillent,
Quant en lor liz ensemble veillent,
Et privéement se confessent,
Si que riens à dire ne lessent ,
Et plus sovent, c'est chose voire*,
Qu'il ne font néis au provoire* :
Par eus-méismes bien le sai ,
Car maintes fois oï les ai ;
Qu'el m'ont trestuit recongnéu *
Quanqu'el * ont oï et véu ,
Et tout néis quanqu'eles cuident*.
Ainsinc se purgent et se vuident.
Si ne sui-ge pas lor pareille :
Nule vers moi ne s'apareille,
Car ge ne sui pas jangleresse*,
Vilotiere ne tenceresse* ;
Ains sui de mon cors prodefame* ,
Comment qu'il aut* vers Dieu del'ame.
.Ta n'oïstes-vous onques dire
Que j'aie fait nul avoutire* ,
Se li fol qui le vous contèrent,
Par mauvestié n'el controvèrent*.
Ne m'avés-vous bien esprovée ?
Où m'avés-vous fause trovée*
Après, biau sire, regardés
Comment vostre foi me gardés.
Certes, malement mespréistes*, *Mui agites.
Quant anel ou doi* me méistes, * Au doigt.
Et vostre foi me fiançastes :
Ne sai comment faire l'osastes.
S'en moi ne vous osés fier,
Qui vous fist à moi marier ?
* fraie.
*Mtme au prêtre.
Car elles m'ont reconnu.
' Tout ce qu'elles.
' Même ce qu'elles croient.
* Cancannière.
* Insolente ni querelleuse.
* Femme de bien.
* Aille.
* Adultère.
* Inventèrent.
188
LE ROMAN
(v. 17456.)
Por ce pri que la vostre fois
Me soit sauve au mains ceste fois ,
Et loiaument vous asséure
Et promet et fiance* et jure
Par le benéuré* saint Pierre,
Que ce sera chose souz pierre.
Certes moult seroie ore* foie,
Se de ma bouche issoit* parole
Dont éussiés honte et damage :
Honte feroie à mon linage,
Conques nul jor ne disfamoi,
Et tout premièrement a moi.
L'en seult* dire, et voirs est sens faille ,
Que trop est fox* qui son nez taille,
Sa face à tous jors déshonore :
Dites-moi, se Diex vous secore,
Ce dont vos cuers* se desconforte,
Ou se ce non, vous m'avés morte*.
M'engage.
* Bienheureux.
* Maintenant.
* Sortait.
* A coutume de dire, etc' 'est
vrai mus faute.
* Sot.
* foire cœur.
* Mise à mort.
Gênius.
Lors li débaille et pis et chief *,
Et puis le baise derechief ,
Et plore sor li lermes maintes,
Entre les baiseries faintes.
* Découvre et poitrine et
lite.
Comment le fol mary couart
Se met dedans son col la hart,
Quant son secret dit à sa faine,
Dont pert son corps, et elle s'ame.
Adonc li meschéans* li conte
Son grant damage et sa grant honte,
Et par sa parole se pent ;
Et quant dit l'a, si s'en repent ;
Mes parole une fois volée *
Ne puet plus estre rapelée.
* Alors le malheureux.
* Envolée.
(V. I7ig
DE LA ROSE.
18!>
Lors li prie qu'ele se taise ,
Cum cil * qui plus est à mésaise * Comme celui.
Conques avant esté n'avoit,
Quant sa famé riens n'en sa voit.
Et celé li redist sens faille * *Sans faute.
Qu'el s'en taira, vaille que vaille.
Mes li chetis, que cuide-il faire?
Il ne puet pas sa langue taire,
Or tent à l'autrui* retenir.
A quel chief en cuide-il* venir?
Or se voit la dame au deseure*,
Et set que de quelconques heure
L'osera mes cil* corrocier,
Ne contre li de riens grocier* ;
Mu* le fera tenir et coi ,
Qu'ele * a bien matire de quoi.
Convenant, espoir, li tendra*,
Tant que corrous entr'eus vendra,
Encor s'ele tant atent;
Mes envis* atendra jà tant,
Que moult ne li soit grant grévance*
Tant aura le cuer en balance.
Et qui les homes ameroit ,
Cel sermon lor préescheroit,
Qui bien fait en tous leus à dire,
Por ce que chascuns bons s'i mire*,
Por eus de grant péril retraire*.
Si porroit-il, espoir*, desplaire
As famés qui tant ont de jangles* ;
Mes vérités ne quiert nus* angles.
Eiaus seignors, gardés-vous des famés,
Se vos cors amés et vos âmes ;
Au mains que jà si mal n'ovrés
Que vos secrez lor descovrés,
Que dedens VOS CUei'S estuiés*. * Cachez, retenez.
* Celle (l'autrui.
* A quelle fin en croit-il.
* Au-dessus, maîtresse.
k Celui-là.
* Gronder.
*Muct.
*Car elle.
* Promesse peut-être elTt
lui lieu '/ ni.
A peine.
Peine.
* Pour que chaque homme
s'if mire.
* Retirer.
* Peut-ilre.
* Caquet .
* Ne cherche nuls.
190 LE ROMAN (v. 17519.)
Fuies, fuies, fuies, fuies,
Fuies, enfans, fuies tel beste,
G'el vous consel et amoneste
Sens décepcion et sens guile*, * Tromperie.
Et notés ces vers de Virgile,
Mes qu'en vos cuers si les fichiés,
Qu'il n'en puissent estre sachiés* : *Otés.
Enfans qui coilliés les floretes,
Et les frèses fresches et netes,
Ci gist li frois serpens en l'erbe (1 ) ;
Fuies, enfans, car il enherbe
Et empoisone et envenime
Tout home qui de li s'aprime*. * S'approche
Enfans qui les flors aies querre* ; * Chercher.
Et les frèses naissans sus terre,
Li mau* serpent refroidissant * Le Mauvais.
Qui se vet ici tapissant,
La malicieuse coluevre
Qui son venin repont* etcuevre, *Cache.
Et le muce* souz l'erbe tendre, * Cache.
Jusqu'à tant* que le puisse espendre * Jusqu'à ce que.
Por vous décevoir et grever,
Pensés, enfans, de l'eschcver*. * Éviter.
Ne vous i lessiés pas haper,
Se de mort volés eschaper :
Car tant est venimeuse beste
Par cors et par queue et par teste ,
Que se de li vous aprochiés,
Tost vous troverés enlechiés ;
Qu'el mort et point* en traïson * Pique.
Quanqu'el* ataint, sens garison; 'Tout ce qu'elle.
(I) Qui legitis flores et humi nascentia fraga,
Frigidus, o pueri, fugite hinc, latet anguis in lierba.
(.Vîrcil., Bucolica, eclog. III, v. 92.)
(v. 17550.) DE LA ROSE. 101
Car de cesti* venin l'ardure "De ce.
Nus triades* n'eu a la cure (1) •. * Nulle tkériaque.
Riens n'i vaut herbe ne racine,
Sol foïr * en est medicine. * La fuite sente.
Si ne di-ge pas toutevoie
(N'onc ne fu l'entencion moie*) * Mienne.
Que les famés chières n'aies,
Ne que si foïr les doiés*, "Deviez.
Que bien avec eus ne gisiés* ; "Couchiez.
Ains commant* que moult les prisiés, *-le commande au con-
* .. ' traire.
Et par raison les essaucies.
Bien les vestes, bien les chaudes,
Et tOUS jors à Ce laborés*, "Travaillez.
Que les serves et honorés
Por continuer vostre espièce,
Si* que la mort ne la despièce; "Tellement.
Mes jà tant ne vous i fiés,
Que chose à taire lor diés*. "Disiez. '
Bien sofiïés que voisent* et viengnent, * Qu'aillent.
La mesnie* et l'ostel maintiengnent, * Maison.
S'el sevent* à ce mètre cure; "Si elles savent.
Ou s'il avient par aventure
Que sachent achater et vendre.
A ce puéent-el* bien entendre; "Peuvent-elles.
Ou s'el sevent aucun mestier,
Facent-le, s'el en ont mestier*, "Besoin.
Et sachent les choses apertes* "Ouvertes.
Qui n'ont mestier d'estre covertes.
(I) Aige* douce torne à amer, 'Eau.
Et si ai-ge oï conter
C'on trait* triade de serpent , * Qu'on tire.
Qui molt agrant mestier* sovent "Qui est Oc très-grandt
A cels qui sont envenimé. utilité.
La Bible Guiot de Provins, v. 2508. (Fabliaux et contes,
édit. de MéOD, t. II, p. 387, 388.)
192
LE ROMAN
Mes se tant vous habandonés
Que trop de pooir lor doués ,
A tart* vous en repentiras, * Tardivement.
Quant lor malice sentirés.
L'Escriture néis* nous crie * Même.
Que se la famé a seignorie*, * Autorité.
Ele est à sou mari contraire,
Quant el li voit riens dire ou faire.
Prenés-vous garde toutevoie* * Toutefois.
Que l'ostel n'aille à maie* voie; * Mauvaise.
Car l'eu pert bien en meillor garde .
Qui sages est, sa chose garde.
Et vous qui avés vos amies,
Portés-lor bones compaignies :
Bien affiert* qu'el sachent cbascuues * il convient bien.
Assés des besoingnes communes.
Mes se preus estes et sénés*, * Sensé.
Quant entre vos bras les tenés
Et les acolés et baisiés,
Taisiés, taisiés, taisiés, taisiés.
Pensés de vos langues tenir,
Car riens n'en puct à chief* venir * A bout.
Quant des secrez sunt parçonières*, *0nt part.
Tant sunt orguilleuses et hères,
Et tant ont les langues cuisans
Et venimeuses et nuisans.
Mes quant les fox* sunt là venu, * Les sots.
Qu'il sunt entre lor bras tenu,
Et (pic les acolent et baisent,
Entre les gieus qui tant lor plaisent,
Lors n'i puet riens avoir celé,
Là sunt li secré révélé ;
Là se descuevrent li mari ,
Dont puis sunt dolent* et marri. * Chauvins.
Tuit encusent* ci lor pensé, "Tous accusent.
17013.)
DE LA ROSE.
193
Fors li sage bien apensé*.
Dalida la malicieuse,
Par flaterie venimeuse,
A Sanson, qui tant ert* vaillans,
Tant preus, tant fors, tant bataillans,
Si cum el le tenoit forment*
Soef* en son giron dormant,
Copa ses cheveux o ses forces*,
Dont il perdi toutes ses forces
Quant de ses crins le dépela* ,
Et tous secrez li révéla ,
Que li fox* contés li avoit,
Qui riens celer ne li savoit.
Mes n'en vuel* plus d'exemples dire,
Bien vous puet uns por tous soffire.
Salemons néis* eu parole.
Dont ge vous dirai la parole
Tantost, por ce que ge vous ain* :
De celé qui te dort ou sain*
Garde les portes de ta bouche,
Por foïr péril et reprouche (1).
Cest sermon devroit préeschier
Quicunques auroit home chier,
Que tuit de famés se gardassent,
Si que jamès ne s'i fiassent.
Si n'ai-ge pas por vous ce dit,
Car vous avés sens contredit
Tous jors esté loiale et ferme.
L'Escriture néis* afferme,
Tant vous a doué Diex sens fin,
Que vous estes sages sens fin.
* Bien avise.
Etait.
* Fortement, fort.
* Doucement.
''Avec ses ciseaux.
"Le dépouilla de ses chè-
re u.c.
* Le sot.
* Mais je n'en veux.
* M nne.
* Aime.
* Au sein .
Même.
(l) Qui cuMo lit os suum, et linguam suam, custodit al) angustiis ani-
mam suam. 'Proverb., cap. XXI, vers. 23.)
17
194 LE ROMAN. (v. 17644.)
V Acteur.
Genius ainsinc la conforte*, * Console.
Et de quanqu'il puet li enhorte
Quel laist du tout son duel ester* ; * Et tant qu'il peut l'ex-
^ . norte quelle laisse tout a
Car nus ne puet riens conquester fait sa douleur.
„ t , j. . . • .v * Nul ne peut rien gagner.
En duel, ce dist, ne en tnstece : i j j
C'est une chose qui moult blèce,
Et qui, ce dist, riens ne profite
Quant il ot sa volenté dite,
Sens plus faire longe prière.
Il s'asiet en une chaière* * Chaire, clause.
Dejouste* son autel assise; * Près de.
Et Nature tautost s'est mise
A genous devant le provoire*. * Prêtre.
Mes, sens faille*, c'est chose voire** * Sans faute. k*Fraie.
Qu'el ne puet son duel* oblier, * Deuil, chagrin .
N'il ne l'en vuet jà plus prier,
Qu'il* i perdroit sa poine toute; *Car n.
Ains* se taist, et la dame escoute, * Mais.
Qui dit par grantdévocion,
En [dorant, sa confession,
Que ge ci vous aporte escrite
Mot à mot, si comme el* l'a dite. * Ainsi qu'elle.
Entendez icy par grant cure * "Avec grand soin.
La confession de Nature.
Cil Diex, qui de bonté habonde,
Quant il si bien fist ce biau monde
Dont il portoit en sa pensée
La bêle l'orme porpensée* * Arrêtée.
Tous jors en pardurableté* ^Éternité.
Ains* qu'ele éust dehors esté : * Avant.
Car là prist-il son exemplaire,
Et quanque * li lu nécessaire ; * Tout ce qui.
(v. 17674.] DE LA ROSE. 195
Car s'il aillors le vosist* querre, * Foulât.
Il n'i trovast ne ciel ne terre,
ÎSe riens dont aidier se péust,
Que nule riens* dehors éust. * Chose.
Car de noient iist tout saillir* * Néant, rien. ** Sortir.
Cil à qui riens ne puet faillir;
N'onc riens ne le mut à ce faire,
Fors* sa voleuté débonaire, *Si ce n'est.
Large, eortoise, sens envie,
Qui fontaine est de toute vie.
Et le fist au commencement
D'une mace tant solement
Qui toute ert* en confusion, * Était.
Sens ordre et sens distinccion.
Puis la devisa par parties
Qui puis ne furent départies", * Séparées.
Et tout par nombres asomma* , * Compta.
Et set combien en la somme a;
Et par raisonables mesures
Termina toutes les figures,
Et les fist en rondece estendre
Por miex movoir, por plus comprendre,
Selonc ce que movables furent,
Et comprenables estre durent ;
Et les mist eu leus convenables,
Selonc ce qu'il les vit metables.
Les légières en haut volèrent,
Les pesans OU centre avalèrent*, * Descendirent au centre.
Et les moienes ou mileu.
Ainsinc sunt ordené li leu
Par droit compas, par droite espace.
Cis Diex* méismes, par sa grâce, *Ce Dieu.
Quant il i ot, par ses devises*, * Foiontés.
Ses autres créatures mises,
Tant m'enora*, tant me tint chière, "M'honora.
190
LE ROMAN
(v. 17709.)
Qu'il m'establi sa chamberière ;
Servir m'i laisse et laissera
Tant cum sa volenté sera.
Nul autre droit ge n'i réclame,
Ains le merci quaut il tant m'ame*,
Que si très-povre damoisele
A si graut maison et si bêle.
Il, si grant sire, tant me prise,
Qu'il m'a por chamberière prise.
Por chamberière! certes vaire*,
Por conestable et por vicaire,
Dont ge ne fusse mie digne,
Fors* par sa volenté bénigne.
Si gart*, tant m'a Diex honorée,
La bêle chaène dorée
Qui les quatre élémens enlace
ïrestous enclins devant ma face;
Et me bailla toutes les choses
Qui sunt en la chaène encloses,
Et commanda que g'es* gardasse,
Et les formes continuasse;
Et volt* que toutes m'obéissent,
Et que mes vieilles* eusivissent,
Si que jamès n'es* obliassent,
Aius les tenissent et gardassent
A tous jors pardurablement*.
Si font-il voir* communément :
Toutes i metent bien lor cure* ,
Fors* une sole créature.
Du ciel ne me doi-ge pas plaindre,
Qui tous jors torne seus soi faindre*,
Et porte en son cercle poli
Toutes les estoiles o li*,
Estiucelans et vertueuses*
Sor toutes pierres précieuses.
* Mais je le remercie de ce
qu'il tant m'aime.
Voire, vraiment.
* Sii ' n'est.
* Et je garde .
"Je les.
* l'ont at.
* Règle».
* Ne les.
* Eternellement.
* I r aiment.
* leur soin ■
* Excepté.
' Sans s'arn
* Avec lui.
* Douces de vei Ins.
(v. 17744.) DE LA ROSE. 107
Va-s'en le monde déduiant*, * Réjouissant.
Commençant son cours d'orient,
Et par occident s'achemine ,
Ne de torner arrier ne fine *, * Ne finit.
Toutes les roes ravissant
Qui vont contre Ii gravissant
Por son movement retarder;
Mes ne l'eu puéent* si garder * Peuvent.
Que jà por eus corre* si lans, * Courir.
Qu'il n'ait en trente-six mil ans (I),
Por venir au point droitement
Où Diex le fist premièrement,
Un cercle acompli tout entier
Selonc la grandeur du sentier
Du zodiaque à la grant roe,
Qui sor li d'une forme roe*. * Tourne.
C'est Ii ciex* qui cort si à point, * Le ciel.
Que d'error en son cors * n'a point. * (Ours.
Aplanos por ce l'apelèrent
Cil qui point d'error n'i troverent •
Car aplanos vaut en gregois* * Grec.
Chose sens error en françois.
Si n'est-il pas véu par home
Cis autres ciex* que ge ci nome; *Cet autre ciel.
Mes raison ainsinc le li prueve,
Qui les démonstroisons* i trueve. * Démonstrations.
.Ne ne me plaing des set planètes,
(I) Mncrobe, qui avoil mieux examiné le cours des astres que Jean de
Meun, dit, dans son Commentaire sur le Songe de Scipion, que les pla-
nètes et toutes les étoiles retournent au bout de quinze mille ans au point
d'où elles éloient parties, et que cette révolution doit véritablement être
appelée année. Cicéron a tixé le cours des astres au jour de la mort de
Romulus, l'an 32 de Rome, et il prétend que quinze mille ans après ils
retourneront d'où ils sont partis. — Macrobius, in Somnium Scipionis,
lib. 11, cap. XI. (L. D. D.)
17.
198
LE ROMAN
1777F.)
Clères et reluisans et nètes
Par tout le cors* de soi chascune.
Si semble-il as gens que la lune
Ne soit pas bien nète ne pure ,
Por ce qu'el pert* par leus oscure;
Mes c'est par sa nature double,
Qu'el pert par leus espesse et trouble.
D'une part luit, d'autre part cesse,
Por ce qu'ele est clère et espesse;
Si li fait sa luor périr,
Si qu'el ne puet pas reférir*
La clère part de sa sustance,
Les rais que li solaus* i lance,
Aius s'en passent parmi tout outre.
Mes Pespesse luor demoustre*
Qu'el puet bien as rais contrester*
Por sa lumière conquester*.
Et por faire entendre la cbose,
Bien en puet-1'eu, en leu de glose,
A briez* moz un exemple mètre,
Por miex faire escl'aircir la letre.
Si cum li voirres tresparens*,
Où li rais* s'en passent par ens**,
Qui par dedens ne par derrière
N'a riens espès qui les relière*,
ISTe puet les figures monstrer,
Quant riens n'i puéent encontrer
Li rais des yeux qui les retiengne,
Par quoi Ja forme as yeux reviengne,
Mes plonc* ou quelque cbose espesse
Qui les rais trespasser ne lesse,
Qui d'autre part mètre vorroit,
Tantost la forme retorroit*,
Ou s'aucuns cors polis i ère*,
Qui poïst reférir * lumière,
Le cours.
* Parait.
* Réfléchir.
* Les rayons que le soleil.
* Démontre.
* Aux rayons s'opposer.
* Conquérir.
* Brefs.
* Ainsi que le verre trans-
parent.
* Rayons. *' Dedans.
' Réfléchisse,
* Plomb.
* Retourner ait.
* Y était.
* Qui pût réfléchir.
(v. 17806.
DE LA ROSE.
199
Et fust espés d'autre ou de soi,
Retorroit-ele, bien le soi* :
Ainsine la iune en sa part clère,
Dont est resemblable à l'espère*,
Ne puet pas les rais* retenir,
Par quoi luor li puist venir,
Ains passent outre; mes l'espesse*
Qui passer outre ne les lesse,
Ains les refiert forment* arrière,
Fait à la lune avoir lumière :
Por ce pert* par leus lumineuse,
Et par leus semble ténébreuse.
Et la part de la lune oscure
ÎSTous représente la figure
D'une trop merveilleuse beste :
C'est d'un serpent qui tient sa teste
Vers occident adès* encline.
Vers orient sa queue afine*;
Sor son dos porte un arbre estant*,
Ses rains* vers orient estaut;
Mes en estendant les bestorne*.
Sor ce bestornéis séjorne
Uns lions* sor ses bras apuiés,
Qui vers occident a ruiés*
Ses piez et ses cuisses andeus*,
Si com il pert* au semblant d'eus.
Moult font ces planètes bone euvre.
Chascune d'eles si bien euvre,
Que toutes set point ne séjornent*;
Par lor douze maisons s'en tornent,
Et par tous les degrez s'en corent,
Et tant eu m doivent i demorent.
Et por bien la besoingne faire,
Tornans par movement contraire,
Sor le ciel ebascun jor acquièrent
"Retournerait-elle, bien
le sais.
* La sphère.
* Rayons.
* L'épaisseur.
* du contraire les réflé-
chit fortement.
Parait.
* Toujours.
* Termine.
* Debout.
* Hameaux.
* Détourne.
* Un homme,
*Jcté.
*Tous deux.
* Parait.
'S'arrêtent-
200
LE ROMAN
I784I.)
Les portions qui lor afièrent *
A lor cercles entériner*,
Puis recommencent sens fiuer,
En retardant du ciel le cors*,
Por faire as élémens secors :
Car s'il pooit corre à délivre*,
Riens ne porroit desouz li vivre..
- Li biaus solaus * qui le jor cause,
Qui est de toute clarté cause,
Se tient ou mileu comme rois,
Trestous reflamboians de rois*.
Ou mileu d'aus a sa maison,
Ne ce n'est mie sens raison ;
Car Diex li biaus, li fors, li sages,
Volt que fust ilec ses estages* :
Car s'il plus bassement corust,
N'est riens qui de chaut ne morust;
Et s'il corust plus bautement,
Froit méist tout à dampnement*.
Là départ* sa clarté commune
As estoiles et à la lune,
Et les fait aparoir* si bêles,
Que la nuit en fait ses cbandcles,
Au soir, quant ele met sa table,
Por cstre mains espoentable*
Devant Acbéron son mari,
Qui moult en a le cuer mari ;
Qu'il vosist miex* sens luminaire
Estre avec la nuit toute naire,
Si cum* jadis ensemble furent,
Quant de premier* s'cntrecongnurcnt,
Que la nuit, en lor drucries*,
Conçut les trois Forseneries*
Qui sont en enfer justicières,
Gardes félonesses et fières.
* Conviennent.
* Compléter.
è
* Le cours.
* Pou va if courir Huit-
ment.
* Soleil.
Rayons.
* Voulut que fut là son
arrêt.
* Dommagi .
* Distribue.
* Apparaître.
* Epouvantable.
* Car il voudrait mieux.
* Ainsi qui-.
* Premièrement.
' A mours.
* Furies.
(v. I7876.J DE LA ROSE. 201
Mes toutevois la nuit se pense,
Quant el se mire en sa despense,
En son célier, ou en sa cave,,
Qui trop seroit hideuse et hâve,
Et face auroit trop ténébreuse,
S'el n'avoit la clarté joieuse
Des cors* du ciel reflamboians * Des cours.
Parmi l'air oscurci raians*, * Rayonnant.
Qui tornoient en lor espères*, * Sphères.
Si cum Testabli Diex li Pères.
Là font entr'eus lor armonies (1),
(l) Platon et les autres philosophes ont cru que les astres dans leur ré-
volution, faisoient un bruit pareil à celui de noire musique, et que le
son étant un effet de la répercussion de l'air, par la règle qui veut que de
la collision violente de deux corps il en résulte an son, il est plus ou
moins agréable, selon l'ordre qui est observé dans la percussion de l'air;
et comme rien ne se fait tumulluairement dans le ciel, on infère de là
que les astres en faisant leur cours forment une espèce de concert, parce
que le mouvement violent produit nécrssairement un son. Ce qui nous
empêche de l'entendre, c'est que le son est trop fort. En effet, si les peu-
ples qui habitent le long du Nil n'entendent pas le bruit que fait ce fleuve
en roulant ses eaux, il ne faut point être surpris si le bruit que cause la
révolution de la sphère est au-dessus de la portée de notre ouïe.
Platon a prétendu que la musique des astres étoit diatonique, parce
que, dit-il, il y a trois genres de musique : l'enharmonique , le chroma-
tique et le diatonique. Le chant du premier procède par quarts de tons;
les Grecs s'en servoient anciennement, surtout dans le récitatif. Mais la
difficulté qu'il y avoit à Irouver ces quarts de tons en a fait perdre l'u-
sage, d'autant plus que cette musique ne pouvoit avoir lieu dans l'harmo-
nie. La musique chromatique est une modulation qui procède par le mé-
lange des semi-tons, tant majeurs que mineurs, marqués accidentelle-
ment par des dièzes ou par des bémols; on la pratique dans la musique
moderne, soit dans la mélodie, soit dans l'harmonie.
La musique diatonique est celle qui procède par des tons pleins, justes
et naturels, dont les moindres intervalles sont des semi-tons majeurs,
comme il est facile de L'observer dans l'intonation de l'étendue de l'oclave,
en commençant par la note ut.
La délinition de Platon est plus succincte; car il se contenloit de dire
que le genre enharmonique n'est pas en usage, à cause de son extrême
202
LE ROMAN
(v. 17887.)
Qui sunt causes des mélodies
Et des diversités de tons,
Que par acordance metons
Eu toutes manières de chant.
N'est riens qui par celés ne chant,
Et muent* par lor influences
Les accidens et les sustances
Des choses qui sunt souz la lune.
Par lor diversité commune
S'espoissent* li cler élément,
Cler font les espès ensement* ;
Et froit et chaut, et sec et moiste,
Tout ainsinc cum en une boiste
Font-il à chascun cors* venir,
Por lor pez ensemble tenir;
Tout soient-il contrariant,
Les vont-il ensemble liant :
Si font pez de quatre anemis,
Quant si les ont ensemble mis ,
Par atrempance* covenable,
A complexion raisonable,
Por former en la meillor forme
Toutes les choses que ge forme.
Et s'il avient que soient pires ,
C'est du desfaut de lor matires.
Mes qui bien garder i saura,
Jà si boue pez n'i aura
Que la chalor l'umor ne suce,
Et sens cessier gaste et menjuce*
De jor en jor, tant que venue
Soit la mors qui lor est déue
Par mon droit establissement*,
* Changent.
* S'épaississent.
* Pareillement.
* Cours.
'Tempérance.
Mange.
* Juste règlement.
difficulté, que le chromatique a été regardé comme infâme à cause de sa
mollesse : d'où il conclut que la musique des astres est diatonique.
(L. D. D.)
(v. I79IÏ).)
DE LA ROSE.
203
Se mors ne lor vieut autrement,
Qui soit par autres cas hastée,
Ains* que l'umor soit dégastée**.
Car, jà soit ce que nus* ne puisse
Par médiciue que l'en truisse*,
Ne par riens que l'en sache ongier*,
La vie du cors alongier,
Se sai-ge bien que de légier*
Là se puet chascuns abrégier.
Car maint acorcent* bien lor vie
Ains* que l'umor soit défaillie,
Par eus faire noier ou pendre,
Ou par quelque péril empreudre*,
Dont ains qu'il s'en puissent foïr,
Se font ardoir* ou enfoïr,
Ou par quelque meschief destruire,
Par lor faiz folement conduire,
Ou par lor privés anemis
Qui mains en ont sens coupe* mis
Par glaive à mort ou par venins,
Tant ont les cuers faus et chenins* ;
Ou par chéoir en maladies
Par maus* governemens de vies,
Par trop dormir, par trop veillier,
Trop reposer, trop traveillier,
Trop engressier et trop séchier,
Car en tout ce puet-1'en péchier;
Par trop longement géuner,
Par trop de deliz aimer*,
Par trop de mésaises avoir,
Trop esjoïr et trop doloir* ;
Par trop boivre, par trop mangier,
Par trop lor qualité changier,
Si cum il pert méismement*
Quant il se fout soudainement
* Avant. ** Gâtée.
* Car quoique nul.
" Trouve (subj.)
* Oindre.
* Facilement.
* Raccourcissent .
Avant.
* Entreprendre.
* Brûler.
Faute
'De chien.
'Mauvais.
* Rassembler.
y Se plaindre, souffrir.
'Ainsi qu'il parait de
même.
204 LE KO M AN (v, 17954.)
Trop chaut avoir, trop froit sentir,
Dont à tart sunt au repentir ;
Ou par lor coustumes muer *, * Changer.
Qui moult de gens refait tuer,
Quant sodainemeut les remuent*. *Quittmt.
Maint s'en griévent et maint s'en tuent ;
Car les mutacions sodaines
Sont trop à Nature grevaines* , * Nuisibles.
Si qu'il me font en vain pener* * Prendre peine.
D'eus à naturel mort mener.
Et jà soit ce que* moult mesfacent, * Quoique.
Quant contre moi tel mort porchaceut*, * Cherchent.
Si me poise-il moult toutevoies *, * H mi- pesé beaucouptou-
^ . tejois.
Quant il demorent entre voies, »
Comme chetis et recréant*, * Cessant d'agir.
Vaincuz par mort si meschéant*, * Méchante.
Dont bien se péussent garder,
S'il se vosisseut* retarder * Voulussent.
Des outrages* et des folies * Excès.
Qui lor font acorcir lor vies
Ains* qu'il aient atainte et prise * Avant.
La boue* que ge lor ai mise. * Borne.
Comment Nature se plaint cy
Des deuils qu'il/, firent contre luy.
Lmpedocles mal se garda,
Qui tant es* livres regarda , * Dans les.
Et tant ama philosophie ,
Plains, espoir *, de mélancolie , * Peut-être.
Conques la mort ne redouta,
Mes tout vif el* feu se bouta , * Dans le.
Et joinz piez en Ethna sailli *, * Sauta.
Por monstrer que bien sunt failli * *Sans courage.
Cil qui la mort vuelent douter*, * Redouter.
(V-
DE LA ROSE.
205
Porce s'i volt* de gré bouter.
N'en préist or ne miel ne sucre (1),
Ains eslut ilec* son sépucre
Entre les sulphureus boillons.
Origenes, qui les c.......
Se copa, moult poi * me prisa,
Quant à ses mains les encisa.
Por servir eu dévocion
Les dames de religion,
Si que nus* souspecon n'éust
Que gésir o* eles péust.
Si dit-l'en que les destinées
Lor orent tex mors* destinées,
Qui tel éur lor ont méu *
Dès lors qu'il furent concéu ,
Et qu'il pristrent lor nacions*
En teles constellacions,
Que par droite* nécessité ,
Sens autre possibilité,
C'est sens pooir de l'escbever*,
Combien qu'il lor doie* grever,
Lor convient* tel mort recevoir;
Mes ge sai bien trestoul de voir*,
Combien que li ciel i travaillent,
Qui les meurs naturiex* lor baillent
Qui les enclinent à ce l'aire,
Qui les font à celé fin traire*
Par la matière obéissant,
Qui lor cuer va si fléchissant.
Si puéent-il* bien par doctrine,
Par norreture * nete et fine,
* Pour cela il .s';/ voulut.
* Mais choisit là.
* Très-peu.
* En sorte que nul.
* Coucher avec.
* Telles mœurs*
* Qui leur ont mu telle
fortuite.
* Naissances.
* Régulière, véritable.
* Éviter.
* Doive.
* Il lui faut.
*Toui à fait vraiment.
* Naturelles
* Tirer.
Et ils peuvent.
* Education.
(i) Voyez sur le commerce et la consommation du sucre en Occident
pendant le moyen âge, Y Histoire de la guerre de Navarre, par Guillaume
Anelier, p. 426-430, not. au v. 142, et p. 783. Voyez encore les Bonbons
au moyen âge, dans V A therueum français , n° du 5 janvier 1856, p. 13 et 14.
18
206 LE ROMAN (y. iso.c.)
Par sivre boncs compaiguies
De sens et de vertuz garnies,
Ou par aucunes médicines,
Por* qu'el soient bones et fines, * Pourvu.
Et par bonté d'entendement
Procurer qu'il soit autrement,
Por qu'il aient, comme sénés*, * Sensé.
Lor mors naturez* refrénés; * Leursmœjurs naturelles.
Car quant de sa propre nature
Contre bien et contre droiture
Se vuet borne ou lame atorner*, * Tourner.
Raison l'en puet bien destorner,
Por* qu'il la croie solement : * Pourvu.
Lors ira la chose autrement;
Car autrement puet-il bien estre,
Que que lacent li cors* célestre *Cours.
Qui moult ont grant pooir, sens faille*, "Sans faute.
Por que Raison encontre n'aille.
Mes n'ont pooir contre Raison,
Car bien set chascuns sages hon * * Homme.
Qu'il ne sunt pas de raison mestre,
N'il ne la firent mie nestre.
Mes de soldre* la question, * Résoudre.
Comment prédestinacion
De la divine prescience,
Pleine de toute porvéance,
Puet estre o* volenté délivre**, *Arec. ** Libre.
Fort est as gens laiz* à descrivre; * Laïques.
Et qui vodroit la ebose emprendre*, ^Entreprendre.
Trop lor seroit fort à entendre,
Qui lor auroit néis* solues "Même.
Les raisons encontre méues*. * Mues, soulevées.
Mais il est voirs*, que qu'il lor semble, * frai.
Que s'entre-soflVent bien ensemble ;
Autrement cil qui bien feroient
DE LA ROSE.
201
Jà loier* avoir n'en devroient,
Ne cil* qui de péchier se pairie
James n'eu devroit avoir pairie,
Se tele estoit la vérité
Que tout fust par nécessité :
Car cil qui bien faire vorroit*,
Autrement faire ne porroit ;
Ne cil* qui le mal vorroit** faire,
Ne s'en porroit mie retraire* :
Vosist* ou non, il le feroit,
Puisque destiué li seroit.
Et si porroit bien aucuns dire,
Por desputer de la matire*,
Que Diex n'est mie décéus
Des faiz qu'il a devant séus :
Dont avendront-il sans doutance
Si cum* il sunt en sa science;
Mes il set quant il avendront,
Comment et quel cbief* il tendront :
Car s'autrement estre péust
Que Diex avant ne le séust,
Il ne seroit pas tous-poissans,
Ne tous bons ne tous congnoissans,
N'il ne seroit pas soverains ,
Li biaus, li douz, li premerains;
N'il ne sauroit nés que nous fomes*,
Ains cuideroit* avec les homes
Qui sunt en douteuse créance,
Sens certaineté de science.
Mes tel error en Dieu retraire*,
Ce seroit déablie* à faire :
Nus hons * ne la devroit oïr
Qui de Raison vosist* joïr.
Dont convient-il par vive force,
Quant voloir d'orne à riens s'esforce,
Louange.
* Celui.
* fondrait.
* M relui.
* Empêcher,
* foulât.
Matière.
* Ainsi que.
Fin .
Voudrait.
Fûmes.
* Mais croirait.
* Rapporter.
Diablerie.
* ,\ ul homme.
* Voulût.
208
LE ROMAN
(v. 18086.)
De quanqu'il fait qu'ainsinc* le face,
Pense, die, voille ou porchace* :
Dont est-ce chose destinée
Qui ne puet estre destornée,
Dont se doit-il, ce semble, ensivre
Que riens n'ait volenté délivre*.
Et se les destinées tienent
Toutes les choses qui avienent,
Si cum cis* argumeus le prueve,
Par l'aparence qu'il i trueve,
Cil qui bien euvre, ou malement,
Quant il ne puet faire autrement,
Quel gré l'en doit dont Diex savoir,
Ne quel poine en doit-il avoir?
S'il avoit juré le contraire,
N'en puet-il autre chose faire.
Dont ne feroit pas Diex justice
De bien rendre et de pugnir vice,
Car comment faire le porroit?
Qui bien regarder i vorroit*,
Il ne seroit vertus ne vices,
Ne sacrelier en calices
Ne Dieu prier riens ne vaudroit,
Quant vices et vertus faudroit*;
Ou se Diex justice faisoit,
Cum vices et vertus ne soit,
11 ne seroit pas droituriers*,
Ains clameroit* les usuriers,
Les larrons et les murtriers quites,
Et les bons et les ypocrites,
Tous peseroit à pois oni*.
Ainsinc seroie.nt bien boni
Cil qui d'amer Dieu se travaillent,
S'il à s'amor en la lin faillcnt;
Et faillir les i convendroit*,
* De tout ce qu'il fait
qu'ainsi.
'S'efforce.
* Libre.
'Ainsi que cet.
' rendrait.
* Manquerait.
* Juste.
* Maisi/t , tarerait, procla-
merait.
A poids égal.
* Il leur y faillirait.
DE LA ROSE.
209
Puisque la chose à ce vendroit
Que nus ne porroit recovrer *
La grâce Dieu por bien ovrer.
Mes il est droituriers* sans doute,
Car bontés reluit en li toute;
Autrement seroit en desfaut
Cil en cui nule riens ne faut*.
Dont rent-il, soit gaaing ou perte,
A chascun selonc sa déserte*;
Dont sunt toutes euvres méries*,
Et les destinées péries,
Au mains si cum gens laiz* entendent,
Qui toutes choses lor présentent,
Bones, maies*, fauces et vaires,
Par avénemens nécessaires ;
Et franc voloir est en estant* ,
Que tex* gens vont si mal traitant.
Mes qui revoldroit oposer*,
Por destinées aloser*,
Et casser franche volenté,
(Car maint en ont esté tenté) ;
Et diroit de chose possible,
Combien qu'el puisse estre faillible,
Au mains quant ele est avenue,
S'aucuns l'avoit devant véue,
Et déist, tel chose sera,
]\"e riens ne l'en destornera,
N'auroit-il pas dit vérité :
Dont seroit-ce nécessité.
Car il s'ensieut, se chose est vaire*,
Donques est- ele nécessaire
Par la convertibilité
De voir* et de nécessité :
Dont convient-il qu'el soit à force,
Quant nécessité s'en esforce.
* Que nul ne pourrait ob-
tenir.
' Juste.
* Celui en quirien ne man-
que.
* Son mérite.
* Récompensées.
* Laïques.
* Mauvaises.
* Debout.
* Telles.
* f'oudrait de son côté.
* Louer, vanter.
f'critable.
'De venir.
18.
210 LE ROMAN (t. i&m.)
Qui sor ce respondre vorroit*, * Poudrait.
Eschaper comment en porroit ?
Certes il diroit chose voire*, "fraie.
Mes non pas por ce nécessaire :
Car comment qu'il l'ait aius* véue, * Auparavant.
La chose n'est pas avenue
Par nécessaire avènement,
Mes par possihle solement.
Car s'il est qui bien i regart ,
C'est nécessité en regart*, * En perspective
Et non pas nécessité simple :
Si que ce ne vaut une guimple.
Et se chose à venir est vaire ,
Donc est-ce chose nécessaire;
Car tele vérité possible
Ne puet pas estre convertible
Avec simple nécessité,
Si comnie simple vérité :
Si ne puet tel raison passer
Por franche volenté casser.
D'autre part, qui garde i preudroit,
James as gens ne convendroit* * // ne faudrait.
De mile chose conseil querre*, * Chercher.
Ne faire besoingnes en terre :
Car porquoi s'en conseilleroient,
Ne besoingnes porquoi feroient,
Se tout iert* avant destiné * Si tout était.
Et par force déterminé?
Por conseil, por euvres de mains,
Jà n'en seroit ne plus ne mains,
Ne miex ne pis n'en porroit estre,
Fust chose née ou ebose à nestre,
Fust chose faite ou chose à faire,
Fust chose à dire ou chose à taire.
Nus d'aprendre mestier* n'auroit, * Nul d'apprendre besoin.
(v. i8i9f.) DE LÀ ROSE. 211
Sens estuide des ars sauroit
Quanqu'il* saura, s'il estudie, *Tout ce qu'il.
Par grant travail toute sa vie.
Mes ce n'est pas à otroier :
Dont doit-1'en plainement noier * * Nier.
Que les euvres d'umanité
Aviengnent par nécessité ;
Ains font bien ou mal franchement
Par lor voloir tant solement;
N'il n'est riens fors eus, au voir* dire, * frai.
Qui tel voloir lor face eslire,
Que prendre ou laissier les poissent,
Se de raison user vosissent*. * Jouhmsent
Mes or* seroit fort à respondre "Maintenant.
Por tous les argumens confondre
Que l'en puet encontre amener.
Maint se voldrent à ce pener*, ''Voulurent s'en donner
_ ,. _ /</ peine.
Et distreut, par sentence une,
Que la prescience devine
Ne met point de nécessité
Sor les euvres d'umanité :
Car bien se vont aparcevant,
Por ce que Diex les sot devant*, * Les sut auparavant.
ISTe s'ensieut-il pas qu'il aviengnent
Par force, ne que tex fins tiengnent;
Mes por ce qu'eles avendront,
Et tex chief* ou tex fin tendront, * Et tettc tète.
Por ce les set ains Diex *, ce dient. " P°w rc,i> les sait aupa-
-, , . ravant Dieu.
Mes cist mauvesement deslient » Ceux-là.
Le neu de ceste question :
Car qui voit lor entencion
Et se vuet à raison tenir,
Li fait qui sunt à avenir,
Se cist douent voire* sentence, *Siceux~là donnent vraie.
Causent en Dieu la prescience,
212
LE ROMAN
;'v. 18220.
Et la font estre nécessoire.
Mes moult est grant folie à croire
Que Diex si faiblement entende
Que son sens d'autrui fait despende;
Et cil qui tel sentence sivent,
Contre Dieu malemeut estriveut*, * Luttent.
Quant vuelent par si fabloier* * En partant ainsi.
Sa prescience afébloier.
Ne raison ne puet pas entendre
Que l'en puisse à Dieu riens aprendre :
-Nil ne porroit certainement
Estre sages parfaitement,
S'il est en tel défaut trovés,
Que cis* cas fust sor li provés.
Dont ne vaut riens ceste response,
Qui la Dieu prescience esconse*,
Et repont sa grant porvéance*
Soz les ténèbres d'ignorance,
Qu'el n'a pooir, tant est certaine,
D'aprendre riens par euvre humaine ;
Et s'el le pooit sens doutance *,
Ce li vendroit de non-poissauce,
Qui r'est dolor à recenser*,
Et péchiés néis* du penser.
Li autre autrement en sentirent,
Et selonc lor sens respondirent,
Et s'acordèrent bien sens faille*
Que des choses, comment qu'il aille,
Qui vont par volenté délivre*,
Si comme éleccion les livre,
Set Diex quanqu'il* en avendra, * Tout ce qu'il.
Et quel fin chascune tendra,
Par une adicion légière :
C'est assavoir en tel manière
Cum eles sunt à avenir;
*Ce.
* Qui la prescience de
Dieu cache.
' lit dérobe à la vue sa
grande prévoyance.
' San* doute.
* Ce qui est douloureux à
i xamim r.
• \i< iltc.
Sans faute.
Libre.
(v. !82ci.) DE LA ROSE. 213
Et vuelent par ce sostenir
Qu'il u'i a pas nécessité ,
Ains* vont par possibilité , * Mais.
Si qu'il set quel fin eus feront,
Et s'eus seront ou non seront.
Tout se set-il bien de cbascune,
Que de deus voies tendra l'une :
Geste ira par négacion,
Geste par affirmation,
Non pas si termilléenient* ■* D'une façon si détermi-
née.
Que n'aviengne espoir* autrement : * Peut-être.
Car bien puet autrement venir,
Se Franc Yoloir* s'i vuet tenir. * Libre Arbitre.
Mais comment osa nus* ce dire? * Nul.
Gomment osa tant Dieu despire*, * Mépriser, dédaigner.
Qu'il li dona tel prescience,
Qu'il n'eu sel riens fors en doutance *, *Si ce n'est en doute.
Quant il n'en puet aparcevoir
Déterminablement le voir*? * La vérité.
Car quant d'un fait la fin saura,
Jà si séue ne l'aura,
Quant autrement puet avenir,
S'il li voit autre fin tenir,
Que celé qu'il aura séue,
Sa prescience iert* décéue, *Sera.
Comme mal certaine , et semblable
A opinion décevable,
Si comme avant monstre l'avoie.
Li autre alèrent autre voie,
Et maint encor à ce se tiengnent,
Qui dient des faiz qui avienguent
Çà-jus* par possibilité, * ici-bas.
Qu'il vont tuit par nécessité
Quant à Dieu, non pas autrement :
Car il set termiuéement* * D'une façon déterminée.
214
LE ROMAN
(y. ïS-296.
De tous jors, et sens mile faille* ,
Comment que de Franc Voloir aille,
Les choses ains* que faites soient,
Quelcunque fin que eles oient*,
Et par science nécessoire ;
Sens faille il dient chose voire*,
De tant que tuit à ce s'acordent,
Et por vérité le recordent* ,
Qu'il a nécessaire science,
Et de tous jors, sens ignorance,
Set-il comment iront li fait.
Mes contraignance* pas n'i fait,
ISe quant à soi ne quant as homes :
Car savoir des choses les somes ,
Et les particularités
De toutes possibilités ,
Ce li vient de la grant puissance
De la bonté de sa science,
Vers qui riens ne se puet répondre*.
Et qui voldroit à ce respondre
Qu'il mete es fais * nécessité,
Il ne diroit pas vérité;
Car por ce qu'il les set devant,
Ne sont-il pas, de ce me vaut*,
Ne por ce qu'il sunt puis, jà voir*
Ne li feront devant* savoir.
Mes por ce qu'il est tous-poissans,
Tout bien et tout mal congnoissans,
Por ce set-il du tout le voir*,
Si que riens n'el pnet décevoir.
Riens ne puet estre qu'il ne voie;
Et por tenir la droite voie,
Qui bien voldroit la chose emprendre'
Qui n'est pas légière à entendre,
TTu gros exemple en porroit mètre
Faute.
* Avant.
* Aient.
* fraie.
* Racontent .
'Contrainte.
Cacher .
'Dans les faits.
* Je me vante.
* Jamais vérité.
* Auparavant.
Frai-
* Entreprendre.
fv. IS33I.
DE LA ROSE.
21o
* r .a > laiz * qui n'entendent letre :
Cai ' gens vuelent grosses choses ,
Sens grant sostiveté* de gloses.
S'uns lions * par franc voloir faisoit
Une chose, quelle qu'el soit,
Ou du faire se retardast,
Por ce que se l'en l'esgardast*,
Il en auroit honte et vergoingne,
Tel porroit estre la besoingne ;
Et uns autres riens n'en séust
Devant que cil* faite l'éust,
Ou qu'il l'éust lessiée à faire,
S'il se volt * miex du fait retraire** :
Cil qui la chose après sauroit,
Jà por ce mise n'i auroit
Nécessité ne contraingnauce * ;
Et s'il en éust la science
Ausinc bien eue devant,
Mes que plus ne l'alast grevant,
Ains le séust* tant solement,
Ce n'est pas empéeschement
Que cil n'ait fait, ou ne féist
Ce qui li pléust ou séist,
Ou que du faire ne cessast,
Se sa volenté li lessast,
Qu'il a si franche et si délivre*,
Qu'il puet le fait foïr ou sivre.
Ausinc Diex, et plus noblement
Et tout déterminablement ,
Set les choses à avenir,
Et quel cbief* el ont à tenir,
Comment que la chose puist estre
Par la volenté de son mestre
Qui tient en sa subjeccion
Le pooir* de l'éleccion,
* Laïques.
* Telles.
* Subtilité.
* Si un homme.
* Le regardât.
'Avant que celui-ci.
'raillait. ** Retirer.
Contrainte.
* Mais le s\U.
* Libre.
* Bout, extrémité.
* Le pouvoir
216
LE ROMAN
1836G.
Et s'incline à l'une partie
Par son sens ou par sa folie
Et set les choses trespassées ,
Ains* qu'eles fussent compassées; * Avant.
Et de ceus qui les faiz cessèrent
Set-il, s'a faire les laissèrent
Por honte, ou por autre achoisou *, * Occasion.
Soit raisonnable ou sens raison,
Si cum* lor volenté les maine : * Ainsi que.
Car ge sui trestoute certaine
Qu'il SUIlt de gens à grailt plenté* * En grand nombre.
Qui de mal faire sunt tenté,
Toutevois à faire le laissent.
Dont aucuns en i a qui cessent
Por vivre vertueusement,
Et por l'amor Dieu solement,
Qu'il sunt de mors bien acesmé* ; * De mœurs bien orn
Mes cil sunt moult à cler semé.
L'autre qui de péchier s'apense,
S'il ni cuidoit trover desi'ense,
Toutevois son corage doute
Por paor de poine ou de honte.
Tout ce voit Diex apertement* * Ouvertement.
Devant ses iex présentement ,
Et toutes les condicions
Dis faiz et des entendons.
Riens ne se puet de li garder,
.la tant ne saura retarder;
Car jà chose n'iert* si lointaingue , *Ne sera.
Que Diex devant soi ne la tiengne
Ausinc cum s'ele fust présente.
Demeurt* dix ans, ou vingt ou trente, * Qu'elle demeure.
Voire cinq cens, voire cent mile,
Soit en foire, à champ ou à vile ,
Soit honCSte OU désavetiant*, * Désagréable.
(v. i840i.) DE LA ROSE. 217
Si la voit Diex dès maintenant
Ainsinc cum s'el fust avenue;
Et de tous jors l'a-il véue
Par démonstrance véritable
En son miroer pardurable*, * Étemel.
Que nus, fors li*, ne set polir, *Que nul, sinon lui.
Sens riens à Franc Voloir tolir *. *Sans rie» enlever au li-
bre arbitre.
Cis miroers , c'est li-méismes
De qui commencement préismes.
En ce biau miroer poli,
Qu'il tient et tint tous jors o li*, * Avec lui.
Où tout voit quanqu'il * avendra, *Ce qu'il.
Et tous jors présent le tendra,
V.oit-il où les âmes iront
Qui loiaument le serviront,
Et de ceus ausinc qui n'ont cure
De loiauté ne de droiture,
Et lor promet en ses idées,
Des euvres qu'il auront ovrées,
Sauvement* ou dampnacion : * Salut.
C'est la prédestination,
C'est la prescience divine,
Qui tout set et riens ne devine,
Qui seult* as gens sa grâce estendre, * Qui a coutume.
Quant il les voit à bien entendre ;
Ne n'a pas por ce sozplanté
Pooir de franebe volenté.
Tuit homme euvre par franc voloir,
Soit por joïr ou por doloir*, * Souffrir.
C'est sa présente vision :
Car qui la diffinicion
De pardurableté* deslie, * D'éternité.
Ce est possession de vie
Qui par fin ne puet estre prise *
Trestoute ensemble sens devise*. 'Partage.
KOMVN DE i.\ KOSK. — T. II. 10
218 LE ROMAN (v. use.
Mes de ce monde l'ordenance,
Que Diex, par sa grant porveance* , * Providence.
Volt* establir et ordener, * Voulut.
Ce convient-il à fin mener,
Quant as causes universeles
Celés seront par force teles
Cum eus doivent en tous tens estre;
Tous jors feront li cors* célestre * Les cours.
Selonc lor révolutions,
Toutes lor transmutations,
Et useront de lor puissances
Par nécessaires influances
Sor les particulières choses
Qui sunt es* élemens encloses, * Dans les.
Quant sor eus lor rais* recevront * Leurs rayons.
Si cum* recevoir les devront : * Ainsi que.
Car tous jors choses engendrables
Engendreront choses semblables ,
Ou feront lor commixions
Por uaturex * complétons, * Naturelles.
Selonc ce qu'el auront chascunes
Entr'eus propriétés communes ;
Et qui devra morir, morra,
Et vivra tant comme il porra.
Et par lor naturel désir
Voldront li cuer des uns gésir* * Être couchés.
En oiseuses et en délices,
Cist* eu vertus, et cist en vices. * Ceux-là.
Mes par aventure li faiz
Ne seront pas tous jors si faiz
Comme li cors* du ciel entendent, * Les coups.
Se les choses d'eus se desfendent ,
Qui tous jors lor obeiroient,
Se destornées n'en estaient;
Ou par cas ou par volenté,
(t. I847Ï.)
DE LA ROSE.
219
Tous jors seront-il tuit tenté
De ce faire où li cuers encline,
Qui de traire* à tel fin ne fine
Si cum à* chose destinée :
Ainsinc otroi-ge destinée ,
Que ce soit* disposicion
Sous la prédestination
Ajoustée as choses movables,
Selonc ce qu'el sunt enclinahles.
Ainsinc puet estre homs* fortunés
Por estre , dès lors qu'il fu nés ,
Preus et hardis en ses affaires,
Sages, larges et débonaires ,
D'amis garnis et de richèces,
Et renomés de grans proèces,
Ou par fortune avoir perverse.
Mes bien se gart où il converse*;
Car tost porroit estre empeschiés,
Ou par vices ou par péchiés,
S'il sent qu'il soit avers et chiches,
Car tex lions* ne puet estre riches.
Contre ses mors * par raison viengne,
Et suffisance à soi retiengne ;
Prengne bon cuer, done et despende*
Deniers et robes et viande *,
Mes que de ce son non ne charge,
Que l'en n'el tiengue por fol large.
Si n'aura garde d'avarice
Qui d'entasser les gens atice *,
Et les fait vivre en tel martire,
Qu'il n'est riens qui lor puist soffire ;
Et si les avugle et compresse,
Que nul bien faire ne lor lesse,
Et lor fait toutes vertus perdre,
Quant à li se vuelent aerdre *.
* Tirer.
* Ainsi qu'à.
* iin si accordé-je que des-
tinée soit.
* Homme.
' Prenne garde où il s'a-
donne.
'Tel homme.
'Mœurs.
* Dépense.
Nourriture.
' Excite.
Attacher.
220 LE ROMAN (t. issoe.)
Ainsinc puet bons, se moult n'est nices*, *Simjiic.
Garder soi de tous autres vices,
Ou soi de vertus destorner,
S'il se vuet à mal atorner :
Car Frans-Voloirs est si poissans,
S'il est de soi bieu congnoissans,
Qu'il se puet tous jors garentir,
S'il puet dedens son cuer sentir
Que Péchiés vueille estre ses mestres,
Comment qu'il aut* des cors** célestres. * Aille. ** Cours.
Car qui devant savoir porroit
Quex faiz le ciel faire vorroit*, * fondrait.
Bien les porroit empéescher ;
Car s'il voloit si l'air séchier
Que toutes gens de chaut morussent ,
Et les gens avant le séussent,
Il forgeroient maisons nueves
En moistes leus ou presses flueves,
Ou grans cavernes crueseroient,
Et souz terre se muceroient *, * Cacheraient.
Si que du chaut n'auroient garde.
Ou s'il r'avient, combien qu'il tarde,
Que par aiguë* aviengne déluges, *Eau.
Cil qui sauroient les refuges,
Lesseroient tantost les plaingnes,
Et s'enfuiroient es* montaingnes; 'Dans les.
Ou feroient si lors navies*, * J'aisseaux, jiottea.
Qu'il i sauveroient lor vies
De la grant inundacion,
Cu m fist jadis Deucalion
Et Pirra, qui s'en eschapèrent
Par la nacele où il entrèrent,
Qu'il ne fussent des floz hapé.
Et quant il furent eschapé,
Qu'il v indrent au port de sain ,
(v. i854i.) DE LA ROSE. 22Ï
Et virent plaines de palu* * Marais.
Parmi le monde les valées,
Quant les mers s'en furent alées,
Et qu'el mont n'ot* seignor ne dame, *Et qu'au monde il n'y
Fors * Deucalion et sa famé, * si ce n'est.
Si s'en alèrent à confesse
Au temple Thémis la déesse,
Qui jugeoit sor les destinées
De toutes choses destinées.
Comment, par le conseil Thémis,
Deucalion tous ses amis,
Luy et Pyrra, la bonne dame,
Fit revenir en corps et ame.
A genoillons ilec se mistrent* * A genou)- là se mirent.
Et conseil à Thémis requistrent
Comment il porroient ovrer
Por lor lignage recovrer.
Thémis, quant oï la requeste,
Qui moult estoit bone et honeste,
Lor conseilla qu'il s'en alassent,
Et qu'il après lor dos gitassent
Tantost les os de lor grant-mère.
Tant iert* ceste response amère "Était.
A Pirra, qu'el la refusoit,
Et contre le sort s'escusoit
Qu'el ne devoit pas dépecier
Les os sa mère, ne hlecier,
Jusqu'à tant que Deucalion
Li en dist l'exposicion.
« N'estuet.*, dist-il, autre sens querre, * il ne faut.
Nostre grant-mère, c'est la terre;
Les pierres, se nomer les os *, * je les ose.
Certainement ce sunt les os :
Après nous les convient* giter * il les faut.
19.
222
LE ROMAN
1857 I.)
Por nos lignages susciter. »
Si cum dit Tôt*, ainsinc le firent,
Et maintenant homes saillirent
Des pierres que Deucalion
Gitoit par boue entencion ;
Et des pierres Pirra, les famés
Saillirent* en cors et en âmes,
Tout ainsinc cum dame Thémis
Lor avoit en l'oreille mis,
Conques n'i quistrent* autre père.
James ne sera qu'il n'en père*
La durté en tout le lignaige.
Ainsinc ovrèrent comme saige
Cil qui garantirent lor vie
Du grant déluge par navie*.
Ainsinc cil eschaper porroient
Qui tel déluge avant sauroient.
Ou se Herbout* devoit saillir**,
Qui si féist les blés faillir,
Que gens de fain morir déussent,
Por ce que point de blé n'eussent,
Tant en porroient retenir,
Ains* que ce péust avenir,
Deus ans devant*, ou trois ou quatre , * Auparavant.
Que bien porroit la fain abatre
Tous li pueples gros et menus,
Quant li Herbout seroit veuus,
Si cum fist Joseph en Egipte,
Par son sens et par sa mérite ;
Et faire si grant garnison*,
Qu'il en porroient garisou
Sens fain et sens mésèse avoir :
Ou s'il pooieut ains* savoir
Qu'il déust faire outre mesure
En yver estrange froidure,
* Ainsi qu'il l'eut dit.
* Surgirent.
'Cherchèrent.
* Paraisse.
Par navigation.
'Famine. ** Sortir.
Avant.
* Provision.
* Auparavant.
(v. 18606.)
DE LA ROSE.
223
Il metroient avant lor cures
En eus garnir de vestéures,
Et de bûches à charretées
Por faire feu en cheminées,
Et joncheroient lor maisons,
Quant vendroit la froide saisons,
De bêle paille nete et blanche,
Qu'il porroieut prendre en lor grandie,
Et clorroient huis et fenestres,
Si en seroit plus chaus li estres,
Ou feroient estuves chaudes,
En quoi lor baleries baudes*
Tuit nuz porroieut démener,
Quant l'air verroient forsener*,
Et geter pierres et te m pestes
Qui tuassent as champs les bestes,
Et grans flueves prendre et glacier.
Jà tant n'es sauroit menacier
Ne de tempestes ne de glaces,
Qu'il ne risissent des menaces,
Et karoleroient léaus f
Des périz* quites et réans'* :
Bien porroieut l'air escharnir*,
Si se porroient-il garnir.
Mes se Diex n'i faisoit miracle
Par vision ou par oracle,
Il n'est lions, de ce ne dout mie,
S'il ne set par astronomie
Les estranges coudicions ,
Les diverses posicions
Des cors* du ciel, et qu'il regart
Sor quel climat il ont regart,
Qui ce puisse devant* savoir
Par science ne par avoir.
Et quant li cors a tel poissance,
* Danses joyeuses.
'Entrer en fureur.
" Danseraient là-dedans.
* Périls. ** Rachetés.
* Se rire de Vair.
Des cours.
'Auparavant.
224-
LE ROMAN
(v. I864I.)
Qu'il fait des ciex la destrempance*,
Et lor destorbe* ainsinc lor euvre,
Quant eucoutre eus ainsinc se queuvre,
Et plus poissant, bien le recors*,
Est force d'ame que de cors :
Car celé meut le cors et porte;
S'el ne fust, il fust cbose morte.
Miex donc et plus légièrement,
Par us * de bon entendement ,
Porroit eschiver Franc- Voloir,
Quanque* le puet faire doloir**;
N'a garde que de riens se duelle,
Por quoi consentir ne s'i vuelle;
Et sache par cuer celé clause,
Qu'il est de sa mésaise cause.
Foraine* tribulacion
N'en puet fors* estre occasion,
IS'il n'a des destinées" garde.
Se sa nativité regarde,
Et congnoist sa condicion ,
Que vaut tel prédicacion ?
Il est sor toutes destinées,
Jà si ne seront destinées.
Des destinées plus parlasse,
Fortune et cas déterminasse,
Et bien vosisse tout espondre*,
Plus oposer et plus respondre,
Et mains exemples en déisse;
Mes trop longement i méisse
Ains* que g'éusse tout fine.
Bien est aillors déterminé :
Qui n'el set, à clerc le demande,
Qui li lise si qu'il l'entende.
N'encor, se taire m'en déusse,
Jà* certes parlé n'en eusse,
'Desordre, trouble, per-
turbation.
* Trouble.
* Déclare.
* Usage.
* Tout ce qui. ** Se plain-
dre.
* Se plaigne.
' Étrangère, extérieure.
* Si ce n'est.
* fondrais tout exposer.
* Avant.
Nullement»
(v. IS676.) DE LA ROSE. 225
Mes il afiert* à ma matire, * Convient.
Car mes anemis porroit dire,
Quant ainsiuc m'orroit* de li plaindre, *M'ouirait.
Por ses desloiautés estaindre,
Et por son créator blasmer,
Que g'el vuelle à tort diffamer :
Qu'il méismes sovent seult* dire * A coutume.
Qu'il n'a pas franc voloir d'eslire* , * De choisir.
Car Diex, par sa prévision,
Si le tient en subjeccion,
Qui tout par destinée maine ,
Et l'uevre et la pensée humaine,
Si que s'il vuet à vertu traire*, * Tenir.
Ce li fait Diex à force faire ;
Et s'il de mal faire s'esforce,
Ce li refait Diex faire à force,
Qui miex le tient que par le doit,
Si qu'il fait quanque* faire doit, *Tout ce que.
De tout péehié, de toute aumosne,
De bel parler et de ramposne*, * Raillerie
De loz* et de détraccion, * Louange.
De larrecin, d'occision,
Et de pez et de mariages,
Soit par raison, soit par outrages.
Ainsiuc, dist-il, convenoit estre.
Ceste fîst Diex por cestui nestre,
Ne cis* ne pooit autre avoir * Celui- lu.
Par nul sens ne par nul avoir;
Destinée li estoit ceste.
Et puis se la chose est mal faite,
Que cis soit fox, ou celé foie,
Quant aucuns encontre parole,
Et maudit ceus qui consentirent
Au mariage et qui le firent,
Il respont lors li mal sénés* : * Le peu sensé.
226
LE ROMAN
« A Diex, fet-il, vous en prenés,
Qui vuet que la chose ainsiDc aille ;
Tout ce fist-il faire sens faille*. »
Lors conferme par sèrement
Qu'il ne puet aler autrement.
Non, non, ceste response est fause,
Ne sert pas la gent de tel sause
Li vrais Diex qui ne puet mentir,
Qu'il les face à mal consentir.
D'eus vient li fox apensemens*
Dont naist li maus* consentemens
Qui les esmuet* as euvres faire
Dont il se déussent retraire*;
Car bien retraire s'en péussent,
Mes* que, sens plus, se congnéussent.
Lor créator lors réclamassent,
Qui les amast, se il l'amassent :
Car cis seus* aime sagement
Qui se congnoist entièrement.
Sens faille* toutes bestes mues,
D'entendement vuides et nues,
Se recongnoissent par nature :
Car, s'il eussent parléure*,
Et raison por eus s'entr'entendre,
Qu'il s'entrepéussent aprendre,
Mal fust as homes avenu.
James li biau destrier crenu*
Ne se lesseroient donter,
Ne chevaliers sor eus monter,
James buef sa teste cornue
Ne metroit à jou de charrue ;
Asnes, muiez, charnel por homme
James ne porteroient somme*;
Oliphans sor sa haute eschine,
Qui de son nez trompe et buisine",
* Sans faute.
* La folle pensée.
* Mauvais.
* Pousse.
'Retirer.
* Pourvu.
* Celui-là seul.
* Sans faute.
* La faculté de parler.
* A la belle crinière.
* Charge.
'Joue de la trompette.
DE LA ROSE.
227
Et s'en paist au soir et au main*,
Si cum uns lions* fait de sa main ;
Jà chien ne chat n'el serviroient ,
Car sens home bien cheviroient* :
Ours, leu*, lyon, liépart et sangler
Tuit vodroient home estrangler ;
Li ratnéis* l'estrangleroient,
Quant au bersuel* le troveroieut;
James oisel por mal* apel
JNe metroit en péril sa pel *,
Ains porroit home moult grever
En dormant por les iex crever.
Et s'il voloit à ce respondre
Qu'il les cuideroit* tous confondre,
Por ce qu'il set faire arméures,
Heaumes, haubers, espées dures ,
Et set faire ars et arbalestes;
Ausinc feroient autres bestes.
Ne r'ont-il singes et marmotes,
Qui lor feroient bones cotes
De cuir, de fer, voire porpoins?
Il ne demorroit jà por poins;
Car ceulx ovreroient des mains,
Si n'en vaudroient mie mains ;
Et porroient estre escrivain.
Il ne seroient jà si vain
Que trestuit ne s'asostillassent*
Comment as armes contestassent*,
Et quiexques engins referoient
Dont moult as homes gréveroient.
Neis puces et orillies*,
S'eles s'ierent* entortillies
En dormant dedens lor oreilles,
Les gréveroient à merveilles;
Paous néis*, sirons et lentes,
"Matin.
* Ainsi qu'un homme.
* fie h (Iraient à bout.
* Loups.
* Même.
* Berceau.
* Mauvais.
* Peau.
* Croirait.
* Quetousties'industrias-
sent.
* Combattissent.
* Perce-oreilles.
Si elles s'étaient.
Poux même.
228
LE ROMAN
(v. 1878t.)
Tant lor livrent sovent ententes,
Qu'il lor font lor euvres lessier,
Et eus fléchir et abessier,
Ganchir*, torner, saillir, triper**,
Et dégrater* et défriper,
Et despoiller et deschaucier,
Tant les puéent-il enchaucier*.
Mousches uéis*, à lor mengier,
Lor mainent sovent grant dangier*,
Et les assaillent es visaiges,
Ne lor chaut* s'il sunt rois ou paiges.
Formis et petites vermines
Lor feroient trop d'ataïnes*,
S'il r'avoient d'eus congnoùssance ;
Mes voirs* est que ceste ignorance
Lor vient de lor propre nature.
Mes raisonnable créature,
Soit mortes bons*, soit divins anges,
Qui luit doivent à Dieu loanges,
S'el se mescougnoist comme nices*,
Ce défaut li vient de ses vices
Qui le sens li troble et enivre ;
Car il puet bien Raison eusivre*,
Et puet de franc voloir user :
N'est riens qui l'en puist excuser.
Et por ce tant dit vous en ai.
Et tex* raisons i amenai,
Que lor jangle vueil estanchier*,
N'est riens qui les puist revanchier.
i\lès por m'entencion porsivre,
Dont ge voldroie estre délivre*
Por ma dolor que g'i recors* ,
Qui me troble l'anie et le cors,
N'en vueil or* plus dire à ce tor** ;
Vers les deux arrier m'en retor*,
* Tourner de côté.
** Sauter, piétiner.
* Poursuivre.
*Méme.
* Ennui.
* Importe.
* Tribulations.
Vrai.
* Homme mortel.
* Simple.
* Suivre.
* Telles.
* Caquet je veux arrêter.
* Libre
* Raconte.
* Maintenant. '"Cette
fois.
"Je m'en retourne.
(v. issus.) DE LA ROSE. 229
Qui bien font quanque * faire doivent * Tout ce.
As créatures qui reçoivent
Les célestiaus influauces
Selonc !or diverses sustances.
Les vens font-il contrarier,
L'air enflamber, braire et crier,
Et esclaircir en maintes pars
Par tonnoirres et par espars*, "Éclairs.
Qui taborent, timbrent et trompent * , * Qui jouent du tambour,
du tinibie et de la trom-
Tant que les nues se desrompent pette.
Par les vapors qu'il font lever.
Si lor fait les ventres crever
La chalor et li movemens,
Par orribles tornoiemens,
Et tempester et giter foudres,
Et par terre eslever les poudres ,
Voire tors et cloebiers abatre,
Et maint viel arbre tant débatre
Que de terre eu sunt arracbié ;
Jà si fort n'ierent* atachié, * Ne seront.
Que jà racines riens lor vaillent,
Que tuit envers à terre n'aillent,
Ou que des brandies n'aient routes * * Rompues.
Au mains une partie ou toutes.
Si dist-1'eu que ce font déables
A* lor croz et à lor chaables**, 'Avec. ** Câbles.
A lor ongles, à lor havez*; "Crochets.
Mes tex diz* ne vaut deus navez, * Telle parole.
Qu'il* en sunt à tort mescréu : * Car ils.
Car nule riens n'i a eu,
Fors les tempestes et li vent,
Qui si les vont aconsivant*. * Atteignant.
Ce sunt les choses qui lor nuisent.
Cist versent blez, et vignes cuisent,
VA flors et t'ruiz d'arbres abatent,
20
230
LE ROMAN
(V. 1S85I.)
Tant les tempestent et débatent,
Qu'il ne puéent es rains* durer,
Tant qu'il se puissent méurer*.
Voire plorer à grosses lermes
Piefont-il l'air en divers termes ;
S'en ont si grant pitié les nues,
Que s'en despoillent toutes nues,
Ne ne prisent lors un festu
Le noir mante! qu'el ont vestu :
Car à tel duel faire s'atirent*,
Que tout par pièces le descirent;
Si li aident à plorer,
Cum s'en les deust acorer*;
Et plorent si parfondément,
Si tort et si espessement,
Qu'el font les flueves desriver*,
Et contre les champs estriver*,
Et contre les forez voisines
Par lor outrageuses crétines*,
Dont il convient* sovent périr
Les Liez et le tens enchérir,
Dont li pcvres qui les laborent,
L'espérance perdue plorent.
Et quant h Queve se desrivent,
Li poisson qui lor Queve si vent,
Si cum* il est drois et raisons,
Car ce sunt lor propres maisons,
S'en vont, comme seiguor et maistre,
Par champs, par prez, par vignes paistre,
Et s'esconcent * contre les chesnes,
Delez* les pins, delez les fresnes,
Et tolent * as bestes sauvaiges
Lor manoirs et lor héritaiges;
Et vont ainsinc par tout nagant,
Dont tuit vis* s'en vont erragant**
* Dans les rameaux.
* Mûrir.
S'arrangent,
* Comme si on dût leur
arracher le cœur.
* Déborder.
* I. aller.
* Crues.
li ii si if ne.
* Cachent.
* Près de.
* Enlèvent.
"Tout rifs. **EnrageanÛ
(v. 18886.)
DE LA ROSE.
231
Bacus, Cérès, Pan, Cibelé,
Quant si s'en vont atropelé*
Li poisson à lor noéures*,
Par lor délitables* pastures ;
Et li satirel et les fées
Sunt moult dolent en lor pensées,
Quant il perdent par tex crétines*
Lor délicieuses gaudines*.
Les nimphes plorent lor fontaines,
Quant des flueves les trovent plaines
Et sorabondans et covertes,
Comme dolentes de lor pertes ;
Et li folet et les dryades
R'ont les cuers de duel* si malades,
Qu'il se tienent trestuit por pris,
Quant si voient lor bois porpris*,
Et se plaingnent des dieux des flueves
Qui lor font vilenies nueves ,
Tout sens desserte* et sens forfait,
C'onc riens ne lor aient forfait.
Et des prochaines basses viles,
Qu'il tienent chetives et viles,
Resunt* li poisson ostelier.
IN'i remaint grandie* ne celier,
Ne leu si vaillant ne si chier,
Que partout ne s'aillent fichier;
As temples vont et as églises,
Et tolent* à Dieu ses servises,
Et chacent des chambres oscures
Les dieux privés et lor figures.
Et quant revient au chief de pièce*
Que li biaus tens le lait despièce,
Quant as cieux desplaist et anuie
Tens de tempeste et tens de pluie,
L'air ostent de trestoute s'ire * ,
* Attroupés.
Avec leurs nageoires.
* Délectables.
* Crues.
* Bosquets.
Douleur.
* Occupés.
* Sans l'avoir mérite.
Sont à leur tour.
* Il n'y reste grange.
Enlèvent.
*A la fin.
* Sa colère.
232 LE ROMAN (t. isost.)
Et le font resbaudir* et rire; * Rejouir.
Et quant les nues raparçoivent
Que l'air si resbaudi reçoivent,
Adonc se resjoïssent-eles,
Et por estre avenans et bêles,
Font robes après lor dolors,
De moult desguisées* ColorS, * Diverses.
Et metent lor toisons séchier
Au biau soleil plèsant et chier,
Et les vont par l'air ebarpissant* * Cardant.
Au tens cler et resplendissant;
Puis filent, et quant ont filé,
Si font voler de lor filé
Grans aguillies de fil blancbes,
Ausinc cum por coudre lor manebes.
Et quant il lor reprent corage
D'aler loing en pèlerinage,
Si font ateler lor cbevaus,
Montent et passent nions et vaus,
Et s'en fuient comme des vans* : * 'Comme des vanneaux.
Car Eolus, li diex des vans,
(Ainsinc est cis diex apelés)
Quant il les a bien atelés,
Car il n'ont autre ebarretier
Qui sacbe lor cbevaus traitier,
Lor met es* piez si boues eles, * Dans les.
Que nus* oisiaus n'ot onques teles. *Nul.
Lors prent li airs son mantel iude*, * Bleu.
Qu'il vest trop volentiers en Inde,
Si s'en afuble, et si s'apreste
De soi cointir* et faire leste, * De se parer.
Et d'ateudre eu biau point les nues,
Tant qu'eles soient revenues,
Qui por le monde solacier * , * Réjouir.
Ausinc cum por aler chacier,
(v. 18956.)
DE LA ROSE.
233
Un arc en lor poing prendre seulent*,
Ou deux ou trois, quant eles veulent,
Qui sunt apelés ars célestre *,
Dont nus ne set*, s'il n'est bon mestre
Por tenir des regars escole*,
Comment li solaus les piole*,
Quantes* eolors il ont, ne queles,
Ne porquoi tant ne porquoi teles,
Ne la cause de lor figure.
Il li convendroit prendre cure*
D'estre desciples Aristote,
Qui trop miex mist Nature en note,
Que nus lions* puis le tens Caym.
Alhacen (1) li niés* Hucaym,
Qui ne refu ne fox* ne gars,
Cis* fist le livre des Regars.
De ce doit cil science avoir,
Qui vuet de l'arc-eu-ciel savoir ;
Car de ce doit estre jugierres*
Clers naturex et cognoissierres *,
Et sache de géométrie,
Dont nécessaire est la mestrie*
Au livre des Regars prover;
Lors porra les causes trover
Et les forces des miréoirs,
Qui tant ont merveilleus pooirs,
Que toutes choses très-petites,
Letres gresles, très-loing escrites,
Et poudres de sablon menues,
* Ont l'habitude.
* Ares-en-ciel.
* Nul ne sait.
* Ecole d'optique.
* Le soleil les Mgarrt
* Combien de.
* Il lui faudrait prendre
soin.
* Que nul homme.
* Neveu .
* Qui ne fut de son coté ni
sot.
w Celui-là.
* Juge.
* Clerc naturel eteonnais-
seur.
* La science.
(i) Savant arabe, a écrit sur les crépuscules, et fait un traité d'opti-
que. Il vécut vers le onzième siècle. Il est appelé par quelques-uns Alha-
zon, Allacen. Il y a encore un autre Alacenus ou Alhazenus, Anglais
dont on a deux traités, l'un de Perspectiva , et l'autre de Ascensu Nu-
bium ;tt y a beaucoup d'apparence que c'est de l'arabe que Jean de
Meun lait ici mention. (L. D. D.)
20.
234
LE ROMAN
[V. 18985.)
Si grans, si grosses sunt véues,
Et si près mises as mirens*,
Que chascuns les puet choisir ens* ;
Que l'en les puet lire et conter
De si loing que, qui raconter
Le voldroit, et l'auroit véu,
Ce ne porroit estre créu
D'orne qui véu ne l'auroit,
Ou qui les causes n'en sauroit :
Si ne seroit-ce pas créance,
Puisqu'il en auroit la science.
Mars et Vénus, qui jà pris furent
Ensemble ou lit où il se jurent*,
S'il, ains* que sor le lit montassent,
En tex miréor se mirassent ,
Mes* que les miréors tenissent
Si que le lit dedens véissent,
Jà ne fussent pris ne liés
Es laz soutis* et déliés
Que Vulcanus mis i avoit,
De quoi nus* d'eus riens ne savoit :
Car s'il les éust fait d'ovraingne
Plus soutile* que fil d'araigue,
S'éussent-il les laz véus,
Si l'ust Vulcanus décéus,
Car il n'i fussent pas entré;
Car chascuns laz plus d'un granttré*
Lor parust estre gros et Ions,
Si que Vulcanus li félons*,
■Ardans de jalousie et d'ire*,
.Ta ne provast lor avoltire* ,
Ne jà li diex* riens n'en séussent,
Se cil tex* miréors eussent :
Car de la place s'en foïssent ,
Quant les laz tendus i véissent,
* A ceux qui s'y mirent.
* J'oir dedans.
* Couchèrent.
"Avant.
* Pourvu.
* Dans les lacs subtils.
* Nul.
* Subtile.
* Poutre.
* Le furieux.
* Chagrin.
* Adultère.
* Les dieux.
* Si ceux-là tels.
(v. 19020.
DE LA ROSE.
235
F.t corusseut aillors gésir*
Où miex celassent lor désir;
Ou féissent quelque clievance*
Por eschever lor meschéance*,
Sens estre honiz ne grevés.
Di-ge voir, foi que me devés,
De ce que vous avés oï?
Genius.
Certes, dist li prestres, oï.
Ces miréor, c'est chose voire*,
Lor fussent lors moult nécessoire :
Car aillors assembler péussent,
Quant le péril i congnéussent;
Ou à Tespée qui bien taille,
Espoir* Mars, li diex de bataille,
Se fust si du jalons vendues,
Que ses laz éust détrenchiés :
Lors li péust a bon éur*
Rafaitier* sa lame aséur
Ou lit*, sens autre place querre,
Ou près du lit, néis* à terre.
Et se par aucune aventure
Qui moult fust félonesse* et dure,
Dans* Yulcanus i sorvenist ,
Lors néis que Mars la tenist,
Vénus, qui moult est sage dame,
(Car trop a de barat* en famé)
Se, quant Tuis* li oïst ovrir,
Péust à tens ses rains covrir,
Bien éust escusacions *
Par quiexque cavillacions*,
Et coutrovast autre ochoison*
Por quoi Mars vint en sa maison;
Et jurast quanque l'en vosist*.
* Se coucher.
* Invention.
* Éviter leur mat heur.
* Vraie.
* Peut-être.
* Dans un moment favo-
rable.
* Caresser.
* Au lit.
* Mime.
* Cruelle.
*Sire.
* Tromperie.
* La porte.
* Excuses.
* Quefque chicane.
'Et trouvât autre occa-
sion.
* Tout ce que l'on voulût.
236 LE ROMAN (▼. 19053.)
Si que ses prueves li tosist*, * Enlevât.
Et li féist à force croire
Conques la chose ne fu voire*. * fraie.
Tout Téust-il néis véue*, "Quand bien même il
l attrait vue.
Déist-ele que la véue
Li fust oscurcie et troblée ,
Tant éust la langue doblée
En diverses plicacions* "Plis.
A trover escusacions.
Car riens ne jure ne ne ment
De* famé plus hardiemeut; *Que.
Si que Mars s'en alast tous quites.
Nature.
Certes, sire prestres, bien dites
Comme preus et cortois et sages.
Trop ont famés en lor corages * * Cœurs.
Et soutilités* et malices : * subtilités.
Qui ce ne set, fox est et nices*, * Sot est et simple.
N'onc de ce ne les excuson.
Plus hardiemeut que nus hon* * Nul homme.
Certainement jurent et mentent,
Méismement quant cl se sentent
De quexque forfait encolpées;
Jà si ne seront atrapées
En cest cas espéciaument* : * Spécialement.
Dont bien puis dire loiaument,
Qui cuer de famé aparcevroit,
James fier ne s'i devroit;
Non feroit-il certainement,
Qu'il l'en mescherroil* autrement. " ''',';• '' ll" '» '"riverait
** malheur.
V Acteur.
Ainsinc s'acordent, ce me semble,
Nature et Genius ensemble.
(V. lOOSi.)
DE LA ROSE.
237
Si dist Salemons toutevois,
Puisque par la vérité vois ,
Que benéurés lions* seroit
Qui bone famé troveroit.
* Heureux homme.
Nature.
Encor ont miréor, dist-ele ,
Plainte autre force grande et bêle :
Car choses grans et grosses mises
Très-près, semblent de loing asises,
Fust néis* la plus grant montaigne
Qui soit entre France et Sardaingne,
Qu'el i puéent* estre véues
Si petites et si menues,
Qu'envis* les porroit-1'en choisir,
Tant i gardast-l'en" à loisir.
Autre mirail* par vérités
Monstrent les propres quantités
Des choses que l'en i regarde,
S'il est qui bien i prengne garde.
Autre miréor sunt qui ardent* (1)
Les choses, quant eus les regardent,
Qui les set à droit compasser*
Por les rais* ensemble amasser,
Quant li solaus* reflamboians
Est sus les miréors roians*
Autre font diverses images •
Aparoir* en divers estages**,
Droites, belongues* et enverses,
Par composicions diverses ;
Et d'une en font-il plusors nestre
* Fût-ce même.
* Car elles y peuvent.
* Qu'à peine.
* Tant y regardât-on.
* Miroirs.
* Brûlent.
* Disposer.
* Rayons.
* Le soleil.
* Rayonnant.
"Apparaître.
fions.
* Oblongues.
' Posi-
(i) Voyez sur les miroirs ardents et les miroirs physiques, les Comptes
de l'argenterie des rois de France, publ. parM. Pouet d'Arcq, p. 391,
col. i.
238
LE ROMAN
(v. I91I3.)
Cil qui des miréor sunt mestre;
El fout quatre iex en une teste,
S'il ont à ce la forme preste.
Si font fantosmes aparens
A ceus qui regardent par ens*;
Font-les néis* dehors paroir**
Tous vis, soit par aiguë* ou par air;
Et les puet-1'en véoir joer
Entre l'ueil et le miroer,
Par les diversités des angles.
Soit li moiens compoz ou sangles*,
D'une matire ou de diverse,
En quoi la forme se reverse,
Qui tant se va montepliant*,
Par le moien obédiant*
Qui vient as iex aparissans,
Selon les rais* ressortissans,
Qu'il si diversement reçoit,
Que les regardéors déçoit.
Aristotes néis* tesmoigne,
Qui bien sot de ceste besoigne
(Car toute, science avoit cbière).
Uns bons, ce dist, malades iere *,
Si li avoit la maladie
Sa véue moult afoiblie,
Et li airs iert oscurs et trobles,
Et dit que par ces raisons dobles
Vit-il en l'air de place en place,
Aler par devant soi sa face.
Briément, mirail*. s'il n'ont ostacles,
Font aparoir trop de miracles.
Si font bien diverses distances,
Sens miréors, grans décevances*,
Sembler choses entr'eus lointaines
Estre conjointes et prochaines;
* Dedans.
Mime. ** Paraître.
* Tout vifs, soit par eau.
* Composé ou simple.
* Multipliant.
* Obéissant,
* Rayons.
"Même.
'Etait.
'Miroirs.
'Déceptions.
(v. I9I48.) DE LA ROSE. 239
Et sembler d'une chose deus,
Selonc la diversité d'eus,
Ou six de trois, ou huit de quatre,
Qui se vuet au véoir esbatre ,
Ou plus ou mains en puet véoir ;
Si puet-il ses iex asseoir,
Ou plusors choses sembler une,
Qui bien les ordeneetaiine*. * Assemble.
Néis* d'un si très-petit home, * Même.
Que chascuns à nain le renome,
Font-il paroir as iex véans * * Paraître aux yeux
-.,.,., ,. voyants.
Qu il soit plus grans que dix geans ,
Et pert* par sus les bois passer, ''Parait.
Sens branche plaier ne quasser,
Si que tuit de paor en tremblent ;
Et li géant nain i ressemblent
Par les iex qui si les desvoient* * Egarent.
Quant si diversement les voient.
Et quant ainsinc sunt decéu
Cil qui tex* choses ont véu, * Telles.
Par miréors ou par distances ,
Qui lor ont fait tex démonstrances,
Si vont puis au pueple et se vantent,
Et ne dient pas voir, ains* mentent, * frai, mais.
Qu'il ont les déables véus,
Tant sunt es* regars decéus. "Dans les.
Si fout bien oel enferme* et troble * Yeux malades.
De sengle* chose sembler doble, * Simple.
P^t paroir ou ciel* doble lune, "Paraître au ciel.
Et deux chandeles sembler une.
N'il n'est nus* qui si bien regart**, "Nul. ** Regarde.
Qui sovent ne faille en regart ,
Dont maintes choses jugié ont
D'estre moult autre que ne sont.
Mes ne voil or pas mètre cure * 'JffîdSitiînettnJiï?
240 LE ROMAN (t. isiss.)
En ci déclamer la figure
Des miréors , ne ne dirai
Comment sunt réfléchi li rai*, * Bayons.
Ne lor angles ne voil descrivre :
Tout est aillors escrit eu* livre; * Au, dans le.
Ne porquoi des choses mirées
Sunt les images remirées* * Réfléchies.
As iex de ceus qui là se mirent,
Quant vers les miréors se virent*; * Se tournent.
Ne les leus de lor aparences,
Ne les causes des décevances*; * Déceptions.
Ne ne revoil* dire, hiau prestre, *Mje ne veux encore.
Où tex ydoles ont lor estre ,
Ou des miréors, ou defores*; 'Dehors.
Ne ne recenserai pas ores* * Maintenant.
Autres visions merveilleuses,
Soient plèsans ou dolereuses,
Que l'en voit avenir sodaines;
Savoir mon* s'eles sunt foraines**, 'En vérité. ^Extérieu-
res.
Ou, sens plus, eu la fantasie,
Ce ne déclairerai-ge mie ;
N'il ne le convient ore* pas, * Maintenant .
Ainçois* les lais et les trespas** ' Vais. ** Passe.
Avec les choses devant dites
Qui jà n'ierent* par moi descrites : * \e seront.
Car trop i a longe matire,
El si seroit grief* chose à dire, * Pénible.
Et moult seroit fort à entendre,
S'il ert* qui le séust aprendre *SHl était.
As gens lais* espéciaumeut. "Laïques.
Qui lor diroit généraument*, * Généralement.
Si ne porroient-il pas croire
Que la chose fust ainsinc voire*, * Ainsi vraie.
Des miréors méismemeut,
Qui tant ouvrent diversement,
(v. 19218.)
DE LA ROSE.
241
Se par estrumens rfel véoient,
Se clerc livrer les lor voloient,
Qui séussent par démonstrance *
Ceste merveilleuse science.
Ne des visions les manières,
Tant sunt merveilleuses et fières,
Ne porroient-il otroier,
Qui les lor voldroit desploier,
Ne quex* sunt les décepcions
Qui vienent par tex* visions,
Soit eu veillant, soit en dormant,
Dont maint s'esbahissent forment* •
Por ce les vueil ci trespasser*,
Ne si ne vueil or pas lasser
Moi de parler, ne vous d'oïr :
Bon l'ait prolixité foïr.
Si sunt famés moult auuieuses,
El de parler contrarieuses :
Si vous pri * qu'il ne vous desplaise ,
Por ce que du tout ne m'en taise,
Se bien par la vérité vois * ;
Tant en vuel dire toutevois,
Que maint en sunt si décéu,
Que de lor liz se sunt méu,
Et se cbaucent tiéis * et vestent ,
Et de tout lor barnois s'aprestent,
Si eu m li sen commun someillent,
Et tuit li particulier veillent.
Prenent bordons, prenent escharpes ,
Ou piz* ou faucilles ou sarpes,
Et vont cheminant longes voies,
Et ne seveut où toutevoies ;
Et montent néis es cbevaus*,
Et passent aiosinc mous et vaus,
Par sècbe-s voies ou par fanges,
* Démonstration.
*Ni quelles.
* Telles.
* Fortement .
Passer.
* Je vous prie donc.
fais.
Même.
* Pics.
: Même à cheval.
21
219
LE ROMAN
(V. 19253.
Tant qu'il vienent en leus estranges*.
Et quant li sen commun s'esveillent ,
Moult s'esbahissent et merveillent.
Quant puis à leur droit sens revienent,
Et quant avec les gens se tienent,
Si tesmoignent, non pas por Tables,
Que là les ont porté déables,
Qui de lor ostiex.* les ostèrent,
Et il-méismes s'i portèrent.
Si r'est bien sovent avenu,
Quant aucuns sunt pris et tenu
Par aucune grant maladie,
Si cum il pert* en lïénisie,
Quant il n'ont gardes sofisans,
Ou sunt seus en ostiex* gisans,
Qu'il saillent sus* et puis cheminent,
Et de tant cheminer ne flnent,
Qu'il truevent aucuns leus sauvages,
Ou prez ou vignes ou boscages,
Et se lessent ilec chéoir*.
Là les puet-1'en après véoir,
Se l'en i vient, combien qu'il tarde,
Por ce qu'il n'orent point de garde,
Fors gent espoir* foie et mauvèse,
Tous mors de froit et de mésèse ;
Ou quant sunt néis * eu santé,
Voit-l'en de tex à grant planté*,
Qui mainte fois, sens ordeuance,
Par naturel acoustumance*,
De trop penser sunt curieus,
Quant trop sunt meleucolieus,
Ou paoreus outre mesure ,
Qui mainte diverse figure
Se font paroir* en cus-méismes,
Autrement que nous ne déismes
1 En lieux étrangers.
* Logis.
* Ainsi qu'il parait.
* Seul* en logis.
* Qu'ils se lèvent.
* Là tomber.
* Si ce n'est monde peut-
être.
Même.
* Tels
dance
en grande abon-
* Coutume.
* Paraître.
(v. T92S8.
DE LA ROSE.
243
Quant de miréors parlions,
Dont si briefment nous passions,
Et de tout ce lor semble lores
Qu'il soit ainsiuc por voir defores*.
Cil qui par grant dévocion
En trop grant contemplacion,
Font aparoir en lor pensées
Les choses qu'il ont porpensées*,
Et les cuident tout proprement
Véoir defors apertement*,
Et ce n'est fors trufle * et mençonge,
Ainsinc cum de l'orne qui songe,
Qui voit, ce cuide*, en sa présence
Les esperituex * sustance,
Si cum* fist Scipion jadis,
Qui vit enfer et paradis,
Et ciel et air, et mer et terre,
Et tout quauque * l'en i puet querre.
Il voit estoiles aparair,
Et voit oisiaus voler par air,
Et voit poissons par mer noer*,
Et voit bestes par bois joer,
Et faire tours et biaus et gens;
Et voit diversetés de gens,
Les uns en chambre solacier*,
Les autres voit par bois chacier,
Par montaignes et par rivières,
Par prez, par vignes, par jachières ;
Et songe plaiz * et jugemens,
Et guerres et tornoiemens*,
Et baleries et karoles*,
Et ot vieles et citoles *,
Et flere espices odoreuses,
Et goûte choses savoreuses,
Et gist entre les bras s'amie*,
* Dehors.
* Pensées.
* Ouvertement
* Attrape.
* A ce qu'il croit.
* Spirituelles.
* Ainsi que.
Ce que.
JSager,
' Se divertir
* Procès.
* Tournois.
Danses ci ro)ides.
notons et mandores.
De son amie.
244
LE ROMAN
Et toutevois n'i est-il mie ;
Ou voit Jalousie venant,
Un pestel * à son col tenant,
Qui provés ensemble les trueve
Par Maie-Bouche, qui contrueve*
Les choses ains* que faites soient,
Dont tuit amant par jor s'esfroient.
Car cil qui fins amans se clament*,
Quant d'amors ardemment s'entr'ament,
Dont moult ont travaus et anuis,
Quant se sunt de nuit endormis
En lor lit, où moult ont pensé,
(Car les propriétés en se)
Si songent les choses amées,
Que tant ont par jor réclamées,
Ou songent de lor aversaires
Qui lor font anuis et contraires*.
Ou s'il sunt en mortex haines,
Corrous songent et ataïnes*,
Et contens o* lor anemis
Qui les ont en haine mis
Es choses à guerre ensivables*,
Par contraires ou par semblables.
Ou s'il resunt mis en prison
Par aucune grant mesprison*,
Songent-il de lor délivrance,
S'il en sunt en boue espérance;
Ou songent ou gibet ou corde,
Que li cuers par jor lor recorde * ,
Ou quiexques choses desplèsans,
Qui ne sunt mie hors, mes eus* :
Si recuident-il por voir lores*
Que ces choses soient del'ores*,
Et font de tout ou duel ou feste,
Et tout portent dedeus lor teste,
* Pilon.
* Invente.
* Avant.
Proclament.
* Contrariétés.
* Colères.
* Disputes avec.
* Dans les choses mur-
chant à ta suite de guerre.
Faute.
* Itaji/ielle.
* Dedans
* Et ils croient, de nou-
veau pou r nui alors.
* Dehors.
(v. 19358) DE LA ROSE. 2-45
Qui les cinc sens ainsinc déçoit
Par les fantosmes qu'il reçoit,
Dont maintes gens par lor folie
Cuident estre par nuit estries* * Fantômes.
Errans aveeques dame Habonde (1),
Et dient que par tout le monde
Li tiers enfant de nacion * * Lcs troisièmes enfants de
naissance.
Sunt de ceste coudicion,
Qui vont trois fois en la semaine
Si cum * destinée les maine ; * Ainsi que.
Et par tous ces ostex.* se boutent, "Logis.
]\Te clés ne barres ne redoutent,
Ains s'en entrent par les fendaces,
Par chatières et par crevaces.
(I) Habonde, s. /. il faut lire Abunde. C'est le nom d'une fée en qui le
peuple avoit eu autrefois beaucoup de conliance; ce nom lui avoit été
donné à cause de l'abondance qu'elle procuroit aux maisons où elle se
reliroit. Un passage tiré des œuvres de Guillaume d'Auvergne, évéque
de Paris, mettra mieux le lecteur au fait de toutes ces prétendues fées.
IS'ominationes dœmonum ex malignitatis operibus eorundem sumptœ
sunt ; sicut Lares, ab eo quod laribus prœessent; et Pénales, eo quod
horreis vel penitioribus domorum partibus; Fauni vero, a faluilate;
Satijri, a saltatiouibus ; Joculatores, a jocis; Incubi, a concubitu muite-
rum, et Succubi, eo quod sub specie mulieris viris se supponunt ; .\ijm-
phœ vero, fontium deœ ; Striges seu Lamiœ, a stridore et lauiatione,
quia parvulos laniant, et lacessere putabanlur,el ad/tuc putantur a ve-
tulis insanissimis : sic et Dœmon, qui prétexta mulieris, cum aliis de
nocle domos et cellaria dicitur frequentare, et vocant eam Satiam, a sa-
tietate ; et dominam Abundiam, pro abundantia quam eam prœslare
dicunt domibus quas Jrequentaverit : hitjusmodi etiam dœmones, quas
Dominos vocant vetulœ, pênes quas error iste remansit, et a quibus solis
creditur et somniatur. Dicunt fias Dominas edere et bibere de escis et
potibus quos in domibus inveniunl, nec tamen consumptionem aut immi-
nutionem easfacere escarum et poluum, maxime si vasa escarum sint
discooperta, et vasa poculorum non obstructa eis in nocte relinquantur.
Si vero operla vel clausa inveniunt, seu obstructa, inde nec comedunt
nec bibunt, propter quod injaustas et infortunatas relinquunt, nec satie-
tatem nec abundantiam eis prœslanles. (Voyez Guillaume d'Auvergne.
Paris, 1674, tom. I, pag. 1036, col. 2.) (L. D. D)
21
246
LE ROMAN
(v. I937I.
Et se partent* des cors les âmes,
Et vont avec les bones dames
Par leus forains* et par maisons,
Et le prueveut par tiex* raisons
Que les diversités véues
Ne sunt pas en lor liz venues ,
Ains sunt lor âmes qui laborent*,
Et par le mondeainsinc s'en corent;
Et tant cum il sunt en tel oirre*,
Si cum il font as gens acroire,
Qui lor cors bestorné* auroit,
.lamés l'ame entrer n'i sauroit.
Aies trop a ci folie orrible,
Et cbose qui n'est pas possible ;
Car cors humains est chose morte
Sitost cum l'ame en soi ne porte :
Donques est-ce chose certaine
Que cil qui trois fois la semaine
Geste manière d'oirre sivent,
Trois fois omirent, trois fois revivent
En une semaine méismes;
Et s'il est si cum nous déismes *,
Dont résuscitent moult souvent
Li desciple de tel convent*.
Mais c'est bien terminée chose,
Et bien l'os* réciter sens glose,
Que nus qui doie * à mort corir,
N'a que d'une mort à morir ;
Ne jà ne résuscitera
Tant que ses jugemens sera,
Se n'est* miracle espécial,
De par le Dieu célestial,
Si cum de saint Ladre * lison,
Car ce pas ne contredison.
Et quant l'eu dit d'autre partie
* Séparent.
* Extérieurs.
* Telles.
Travaillent.
* Course.
* Tourné de travers.
Ainsi que nous dunes.
* Couvent.
* Je l'ose.
* Que nul qui doive.
*Si n'était.
* Ainsi que de S. Lazare.
(v. 19405.) DE LA ROSE. 247
Que quant l'ame s'est départie* * Séparée
Du cors ainsinc désaorné * , * Privé de ce qui l'ornait.
S'el trueve le COrS bestorné*, * Tourné de travers.
El ne set en li revenir :
Qui puet tel fable sostenir?
Qu'il est voirs*, et bien le recors**, "frai. ** Déclare.
Ame désévrée* de cors, * Séparée.
Plus est aperte* et sage et cointe**, * Ouverte. ** Jolie.
Que quant ele est au cors conjointe ,
Dontel sieut* la complexion *Suit.
Qui li troble s'entencion
Dont est miex lors par li séue
L'entrée que ne fu l'issue :
Par quoi plus tost la troveroit,
Jà si bestorné* ne seroit. * Tourné de travers.
L'autre part, que li tiers du monde
Aille ainsinc avec dame Habonde,
Si cum* foies vielles le pruevent * Ainsi que.
Par les visions qu'eles truevent,
Dont convient-il sens nule faille* *Sans nulle faute.
Que trestous li mondes i aille,
Qu'il n'est nus, soit voirs * ou menconge, * Car H n'esl »"'» soit vé-
*■ ' » ° ' nié.
Qui mainte vision ne songe,
Non pas trois fois en la semaine,
Mes quinze fois en la quinzaine,
Ou plus ou mains par aventure,
Si cum la fantasie dure.
Ne ne revoir dire des songes, * Et je ne veux pas de
nouveau.
S il sunt voirs, ou s'n sunt menconges,
Se l'en les doit du tout eslire,
Ou s'il sunt du tout à despire* : * Mépriser.
Porquoi li uns sunt plus orribles,
Plus bel li autre et plus paisible,
Selonc lor apparicions
En diverses complexions ,
248
LE ROMAN
V. 19440.
Et seloDC lor divers corages *,
Des mors* divers et des aages;
Ou se Diex par tex * visions
Envoie révélacions,
Ou li malignes esperiz,
Por mètre les gens en périz,
De tout ce ne m entremet™.
Mes à mon propos me retrai*.
Si vous di donques que les nues,
Quant lasses sunt etrecréues*
De traire* par l'air de lor flesches,
Et plus de moistes que de seiches,
Car de pluies et de rousées
Les ont trestoutes arrousées,
Se chalor aucune n'en seiche,
Por traire quelque chose seiche,
Si destendent lor ars* ensemble,
Quant ont trait tant cum bon lor semble
Mes trop ont estranges manières
Cil ars dont traient ces archières,
Car toutes lor colors s'en fuient,
Quant en destendant les estuient*;
Ne jamès puis de cels méismes
Ne retrairont que nous véismes;
Mes s'el vuelent autre fois traire,
Noviaus ars lor convient* refaire,
Que li solaus puist pioler* ;
N'es convient* autrement doler.
Encore ovre plus l'iniïuance
Des ciex, qui tant ont grant puissance
Par mer et par terre et par air ;
Les comètes font- il parair*,
Qui ne sunt pas es ciex* posées,
Ains sunt parmi l'air embrasées ,
Et poi* durent puis que sunt faites,
frolontés, pensées.
* Mœurs.
* Telles.
* Je reviens.
Lasses.
Tirer.
*• Leurs arcs.
* Il leur faut.
* Que le soleil puisse &»■
garrer.
" Il ne les faut.
* Paraître.
* Dans les deux.
*Pen.
DE LA ROSE.
249
Dout maintes fables surit retraites*. ''Racontées.
Les mors as princes en devinent
Cil qui de deviner ne finent* ; * Ne finissent pas.
Mes les comètes plus n'aguetent,
Ne plus espessement ne gietent
Lor influauces ne lor rois* * Rayons.
Sor povres homes que sor rois,
Ne sor rois que sor povres homes ;
Aincois* euvrent, certains en somes, * Au contraire.
Ou monde sor les régions ,
Selonc les disposicions
Des climaz, des homes, des bestes
Qui suut as influances prestes
Des planètes et des estoiles,
Qui greignor pooir * ont sor eles :
Si portent les senefiances*
Des célestiaus influances ,
Et les complexions esmuevent,
Si cum obéissans les truevent*.
Si ne di-ge pas ne n'aliène *
Que rois doient* estre dit riche
Plus que les persones menues,
Qui vont nuz piez parmi les rues :
Car soffisance fait richèce,
Et convoitise fait povrèce*.
Soit rois, ou n'ait vaillant deux miches,
Qui plus convoite mains est riches ;
Et qui voldroit croire escritures ,
Li roi resemblent les paintures,
Dont tel exemple nous apreste
Cil qui nous escrit l'Almageste,
Se bien i savoit prendre garde
Cil qui les paintures regarde,
Qui plèsent cui ne s'en apresse*, "A qui ne s'en approche.
Mes de près la plèsance cesse.
* Plus grand pouvoir.
* Significations.
Les trou r<- ut.
* Ni n'affirme.
* Doivent .
' Pauvreté.
230 LE ROMAN (y. mu>.)
De Ioing semblent trop déliteuses*, * Délicieuses.
De près ne sunt point docereuses.
Ainsinc va des amis poissans :
Douz est à lor mescongnoissans* *A ceux qui ne les con-
. unissent pas.
Lor servise et lor acointance
Par le défaut d'expérience;
Mes qui bien les esproveroit,
Tant d'amertume i troveroit,
Qu'il s'i craindroit moult à bouter,
Tant fait lor grâce à redouter.
Ainsinc nous asséure Oraces
De lor amor et de lor grâces,
INe li prince ne sunt pas dignes
Que li cors du ciel dotenent* signes 'Que les cours du ciel
° ° donnent.
De lor mort plus que d un autre home;
Car lor cors ne vault une pome
Oultre le cors d'un charruier* *Plus que le corps d'un
• laboureur.
Ou d un clerc ou d un escuier :
Car g'es fais tous semblables estre,
Si cum il apert à lor nestre*. * Ainsi qu'il parait àleur
naissance.
Par moi nessent semblable et nu,
Fort et fiéble, gros et menu :
Tous les met en équalité
Quant à Testât d'umauité.
Fortune i met le remanant*, * Reste.
Qui ne sel estre per manant,
Qui ses biens à son plaisir done,
JNe ne prent garde à quel personc,
Et tout retolt* et retoldra * Rcprcnt.
Toutes les fois qu'ele voldra.
(T.
DE LA ROSE.
251
Comment Nature proprement
Devise bien certainement
La vérité, dont gentillesse
Vient et en enseigne l'adresse.
Et se nus* contredire m'ose
Qui de gentillèce s'alose*,
Et die que li gentil home ,
Si cum* li pueples les renome,
Sunt de meillor condition ,
Par noblèce de nacion *,
Que cil qui les terres cultivent
Ou qui de lor labor* se vivent ,
Ge respons que nus n'est gentis * ,
S'il n'est as vertus ententis*,
]Ne n'est vilains, fors* par ses vices
Dont il pert outrageus et nices *.
ISoblèce vient de bon corage (I);
Car gentillèce de lignage
.N'est pas gentillèce qui vaille,
Por quoi boDté de cuer i faille* :
Por quoi doit estre en li parans*
La proèce de ses parens
Qui la gentillèce conquistrent
Par les travaus que grans i mistrent.
Et quant du siècle * trespassèrent,
Toutes lor vertus emportèrent,
Et lessièrent as hoirs* l'avoir;
Et si nul.
* De noblesse se vante.
* Ainsi que.
Naissance.
* Travail.
* De qualité.
* Attentif.
* Si ce n'est.
* Parait de 'réglé el 'simple.
* Manque.
* Paraissant en lui.
* Mirent.
* Du monde.
* Héritiers.
(i) Nobilitas sola est, aninium quœ inoribus ornât.
Un autre trouvère a exprimé ainsi la même pensée :
Nus * n*est vilains, se de cuer non '
Vilains est qui fet vilonie,
Jà tant n'iert de haute lingnie *.
"Nul. "'Si ce n'est de
cœur.
' Quelque haute que soit
sa lignée.
Des Chevaliers, des Clercs et des Piluins, v. 4i. {Fabliaux
et contes, édit. de Méon, t. 111, p. 29.)
loi LE ROMAN (v. .9503.)
Que plus ne porent d'aus* avoir. *Carpiusnepurentd'evx.
L'avoir ont, plus riens n'i a lor,
Ne gentillèce ne valor,
Se tant ne font que gentil soient
Par sens ou par vertu qu'il aient.
Si r'ont clerc* plus grant avantage * Les clC)CS ont (>e '<''"'
. coté.
D'estre gentiz, cortois et sage,
(Et la raison vous en diroi)
Que n'ont li princes ne li roi
Qui ne sevent de letréure (1)*; * Littérature.
(I) On a inféré de ce vers que les anciens nobles ne savoient point écrire:
c'est une erreur que notre savant ami M. Léopokl Delisle a victorieuse-
ment réfutée dans une notice lue le Ier mai 1855, à la séance annuelle
de la Société de l'Histoire de France, et publiée depuis dans le Journal
général de l'Instruction publique et des Cultes, sous ce litre : De Clns-
ruction littéraire au moyen âge, à propos d'un autographe du sin- de
Joinville. Les exemples qu'il rapporte suffisaient sûrement à son luit ;
mais on en peut citer d'autres qui sont fournis par nos anciennes chan-
sons de geste. C.arin le Lolierain savait lire et écrire :
Car en s'enfance fi à escole mis
Tant que il sot et roman et latin.
[La Mort de Garin le Lokerain,p. 105, v.2211.)
Berthe aux grands Pieds
En son lit on séant pris! à dire,
Car bien es toit letrée et bien sa voit escrire.
Li Romans de Berte aus grans Pics, coupl. XIV ; édit.
de M. Paulin Paris, p. 24.)
Dans un autre roman, un enfant de qualité arrivé à l'âge de quinze ans,
Premiers apiist à letres tant qu'il en sot assez.
(Li Romans de Parise ta Duchesse, edit. de M. de Mar-
tonne, p. 86.)
L'auteur du roman û'Ysle et de Galeron [Ms. de la Bibliothèque impé-
riale n" G087, fol. 3()0 recto, col. 3, v.7) représente un empereur lisant
• Porsoi déporter en un brief ( pour s'amuser, dans une lettre), et le
rimeur auquel on doit li Roumanzde Claris et de Lu ris ;\ls. de la même
bibliothèque n° 7534-5, fol. si verso, col. l, v. 23j parle de lettre écrite
avec du sang et lue par son héros. « Belle Doette, as feneslres séant, » li-
sait en un livre (le Homanrrro Jrançois, p. 46), et dans le Laide Milun,
(v. 19573.) DE LA ROSE. 253
Car li clers voit en escriture
Avec les sciences provées,
Raisonables et démonstrées,
Tous maus dont l'en se doit retraire* , * Retirer, abstenir.
Et tous les biens que l'en puet faire.
Les choses voit du monde escrites,
Si cum el* suut faites et dites. * Ainsi qu'elles.
Il voit es* ancienes vies * Dans tes.
De tous vilains les vilenies,
Et tous les faiz des cortois hommes,
Et des cortoisies les sommes.
Briefmeut, il voit escrit eu* livre * Au, dans le.
Quanque* l'en doit foïr ou sivre ; *Ce que.
Par quoi tuit clerc, desciple et mestre,
Sunt gentiz ou le doivent estre;
Et sachent cil qui ne le sont ,
C'est por lor cuers que mauves ont :
Qu'il* en ont trop plus d'avantages *Car ils.
Que cil qui cort as cers ramages*. * Aux cerfs sauvages.
Si valent pis que nule gent
Clerc qui le cuer n'ont noble et gent,
Quant les biens congnéus eschivent*, * Évitent.
Et les vices véus ensivent* ; * Suivent.
Et plus pugnis devroient estre
Devant l'emperéor célestre
Clerc qui s'abandonent as vices,
Marie de France parle d'une femme qui correspond par lettres avec son
amant, lequel sait écrire comme elle. Dans le Lai du Chèvrefeuille, Tris-
tan écrit son nom sur un bâton pour Tseult, qui n'éprouve pas la moin-
dre difficulté à lelire. [Poésies de Marie de France, l. I, p. 894.) La sui-
vante de la dame de Fayel savait écrire, s'il faut en croire le Roumans
dou Chastelain de Couci (édit. de Crapelet, p. 95, v. 2838, et p. 103,
v. 3105.) Enlin Froissart trouve Cléomadès entre les mains d'une jeune
personne, qui lisait ce poëme. [Bibliothèque françoise de l'abbé Goujet,
t. IX, p. 126.) On pourrait multiplier à l'infini les exemples d'une pareille
instruction.
ROMAN DE LA ROSK. — T. II. 11
254
LE ROMAN
(v. 19599.;
Que les gens laiz, simples et nices*,
Qui n'ont pas les vertus escrites,
Que cil tienentvilz et despites*.
Et se princes seveut de letre,
Ne s'en puéent-il* entremetre
De tant lire et de tant aprendre,
Qu'il* ont trop aillors à entendre.
Par quoi, por gentillèce avoir,
Ont li clerc , ce poés savoir,
Plus bel avantage et greignor*
Que n'ont li terrien seiguor*.
Et por gentillèce conquerre,
Qui moult est honorable en terre,
Tuit cil* qui la vuelent avoir,
Ceste rieule* doivent savoir.
Quiconques tent à gentillèce,
D'orguel se gart* et de parèce;
Aille as armes ou à l'estuide ,
Et de vilenie se vuide ;
Humble cuer ait, cortois et gent ,
En trestous leus, vers toute gent,
Fors*, sens plus, vers ses anemis,
Quant acort n'i puet estre mis.
Dames honeurt* et damoiseles,
Mes ne se lie trop en eles,
Qu'il l'en porroit bien meschéoir*,
Maint en a-l'en véu doloir*.
Tex bons* doit avoir los*f et pris,
Sens estre blasmé ne repris;
Et de gentillèce le non
Doit recevoir, li autre non.
Chevaliers as armes hardis,
Preus eu faiz et cortois en dis,
Si cum lu mi sires* Gauvains,
Qui ne tu pas pareils* as vains,
* Si miJes.
* Mi prisées.
* Ne s'en peuvent-ils.
* Car ils.
* Plus grand.
"Les propriétaires /on-
* Tous ceux.
* Règle.
' Se garde (subj.).
* Excepte.
* Honore.
* l/(i/ arriver.
* Se plaindre.
* Tel homme. ** Mérite
* Ainsi que fut messire.
'Pareil.
(v. I963i.)
DE LA ROSE.
Et li bons quens* d'Artois Robers (1),
Qui dès lors qu'il issi du bers*,
Hanta tous les jors de sa vie
Largèce, honor, chevalerie ;
N'onc ne li plot* oiseus séjors,
Ains devint lions* devant ses jors.
Tex* chevaliers preus et vaillans,
Larges, cortois et bataillans ,
Doit partout estre bien venus,
Loés, amés et chier tenus.
Moult redoit -Feu clerc honorer
Qui bien vuet as ars laborer*,
Et pense des vertus ensivre *
Qu'il voit escrites en son livre ;
Et si fist-1'en certes jadis :
Bien en nomeroie jà dis ,
Voire tant que, se ge les nombre ,
Anuis sera d'oïr le nombre.
.ladis li vaillant gentil homme,
Si cum la letre le renomme,
Empereor, duc, conte et roi,
Dont jà ci plus ne conteroi ,
Les philosophes honorèrent ;
As poètes néis* douèrent (2)
Comte.
* Sortit du berceau.
Ni ne lui plut jamais.
: Homme.
Tel.
* Travailler.
* Suivre.
Même.
(i) Robert H, comte d'Artois, surnommé le Bon et le Noble, fut fait
chevalier par le roi S. Louis ; il mourut à la bataille de Courlray, percé
de trente coups de pique, l'an 1302. (L. D. D.)
(2) Il y a longtemps que les poètes ont acquis le droit de regretter ces
marques utiles de la considération où ils étoient autrefois parmi les
grands. Aux termes d'Ovide, on croiroit que le soin de récompenser les
poètes étoit l'objet principal du ministère :
Cura ducuin fuerunl olim regumque poetœ;
Praemiaque antiqui magna tulere chori.
Sanctaque majestas, et crat venerabile nonien
Vatibus : et largaî saepe dabantur opes.
{Art. am. lib. III, v. 405.) IL. D. D.)
256 LE ROMAN (v. iwbs.j
Viles, jardins, leus délitables* * Délectable.
Et maintes choses honorables.
Naples fu donnée à Virgile (I),
Qui plus est délitable vile
Que n'est Paris ne Lavardins (2).
En Calabre il r'ot* biaus jardins * il eut de son côté.
Aunius (3), qui doué li furent
Des anciens qui le congnurent.
Mes porquoi plus en nomnieroie ?
Par plusors le vous proveroie,
Qui furent nés de bas lignages,
Et plus orent nobles corages* * Cœurs.
Que maint fil de rois ne de contes,
Dont jà ci ne vous iert* fait contes, *Sera.
([) Alexandre, abbé du monastère de Saint-Salvador in Telese dans le
royaume de Naples, qui reprit l'histoire de Sicile de Geoffroi Malaterra,
depuis II 27 jusqu'à 1 135, s'adrssse en linissant son ouvrage à Roger, roi
de Sicile, et le prie de le récompenser de son travail, en honorant de sa
protection royale le monastère dont il était abbé : « Si Virgile, luj dit-il,
le plus grand des poêles, eut pour prix de deux vers qu'il avait faits en
l'honneur d'Octave Auguste, la seigneurie de Naples et de la Calabre, à
combien plus forte raison, » etc. (Muratori, Reruni ltalicarum Scrip-
tores, t. V, p. 044, B, C.)
{■>) Nom d'un ancien château qui a donné le nom aux seigneurs de La-
vardin. Il est situé près de Vendôme, sur le bord du Loir, vis-à-vis
Montoire. Ce mot est mis ici pour la rime, comme beaucoup d'autres,
dans ce roman. (Mêon.)
(3) Annius pour Ennius. Voici l'extrait de la vie de ce Poète, par Jé-
rôme Columna. Pnecipuos vero amicos liabuit vicinum suum Galbam,
cum quo et deambulare, et fréquenter ense consueverat ; et M. Fulvium
nobiliorem, a cujus fllio jam patrio instiluto studio lUterarnm dedito,
ut in Ijrulo ait Cicero , fuit civitale donatus, cinn triumvir coioniam
deduxisset. Sed in oratlone pro Archia videtur ianquam de Romana
Republiàa bene meritum in civium numerum adsciri meruisse
Ad cujus (Eunii) senectutem cum etiam ingens paupertalis malum
accessisset, ex animi fortitudine utriusque incommoda sustinebat, vt
iis pcne oblectari videretur.
Ceci est bien opposé a ce que dit l'auteur du roman. (MÉON.)
(V. 19672.]
DE LA ROSE.
257
Et por gentil* furent tenu.
Or* est li tens à ce venu
Que li bon qui toute lor vie
Travaillent en philosophie,
Et s'en vont en estrange terre*
Por sens et por valor conquerre,
Et sueffrent les graus povretés
Cum mendians et endetés,
Et vont espoir* deschaus et nu ,
Ne sunt amé ne chier tenu.
Princes n'es * prisent une pome ,
Et si sunt-il plus gentil home
(Si me gart Diex* d'avoir les fièvres)
Que cil qui vont chacier as lièvres,
Et que cil qui sunt coustumiers
De maindre es palais principiers*.
Et cil qui d'autrui gentillèce,
Sens sa valor et sens proèce,
En vuet porter los* et renon,
Est-il gentil? ge dis que non.
Ains doit estre vilains clamés*,
Et vilz tenus, et mains amés
Que s'il estoit filz d'un truant.
Ge n'en irai jà nul chuant*.
Et fust néis* filz Alixandre,
Qui tant osa d'armes emprendre*,
Et tant continua de guerres,
Qu'il fu sires de toutes terres,
Et puis que cil li obéirent
Qui contre li se combatirent ,
Et que cil se furent rendu,
Qui ne s'ierent* pas défendu,
Dist-il, tant fu d'orguel destrois*,
Que cis mondes iert* si estrois
Qu'il s'i pooit envis* torner,
"Nobles.
* Maintenant.
* Terre étrangère.
* Peut-être.
* Ne les.
*Que Dieu me garde.
* De demeure dans les pa-
lais princiers.
* Me rite.
* Proclamé, déclaré.
* Flattant.
* Même.
* Entreprendre.
* S'étaient.
* Tourmenté.
* Que ce monde était.
" Qu'il s'y pouvait àpeine.
22.
238
LE ROMAN
19707.)
N'il n'i voloit plus séjorner,
Ains pensoit d'autre inonde querre*,
Por commencier novele guerre;
Et s'en aloit enfer brisier
Por soi faire par tout prisier :
Dont trestuit de paor tremblèrent
Li diex d'enfer, car il cuidèrent*,
Quant ge le lor dis, que ce fust
Cil qui par le bordon de fust*,
Por les aines par péchié mortes,
Devoit d'enfer brisier les portes ,
Et lor grant orguel escacbier*
Por ses amis d'enfer sacbier*.
Mes posons, ce qui ne puet estre,
Que g'en face aucun gentil* nestre.
Et que des antres ne me chaille*,
Qu'il vont apelant vilenaille;
Quel bien a-il en gentillèce?
Certes, qui son engin* adrèce
A bien la vérité comprendre,
Il n'i puet autre, chose entendre
Qui boue soit eu gentillèce,
Fors* qu'il semble que la proèce
De lor parens doivent ensivre*;
Sous itels fais doivent-il vivre
Qui gentis hons* vuet resembler,
S'il ne vuet gentillèce embler*,
Et sans déserte los* avoir :
Car ge fais à tous asavoir
Que gentillèce as gens ne done
Nule autre cbose qui soit bone, '
Fors que ses fais tant solement ;
Et sachent bien certainement
Que nus ne doit avoir loenge
Par vertu de persone estreuge* ;
Chercher.
Ils crurent.
* ficiton de bois.
Ecraser.
* Tirer.
* Noble.
* Importe.
* Esprit.
*Si ce n'est.
* Suivre.
* Gentilhomme.
* Voler.
* Sans l'avoir méritée,
gloire.
* Personne étrangère.
19742.)
DE LA ROSE.
239
Si ne r'est pas drois* que l'en blasme
Nule persone d'autrui blasme.
Cil soit loés qui le désert* ;
Mes cil qui de nul bien ne sert ,
En qui l'en trueve mauvesties,
Vilenies et engresties * ,
Et vanteries et bobans*,
Ou s'il est doubles et lobans*,
D'orguel farcis et de ramposnes*,
Sens charité et sens aumosnes,
Ou négligens et pareceus ,
Car l'en en trueve trop de ceus,
Tout soit-il nés de tex* parens
Où toute vertus fu parens * ;
Il n'est pas drois, bien dire l'os*,
Qu'il ait de ses parens le los* ;
Aius doit estre plus vil tenus
Que s'il iert* de chetis venus.
Et sachent tait homme entendable*
Qu'il n'est mie chose semhlable
D'aquerre sens et gentillèce,
Et renomée par proèce,
Et d'aquerre grans tonemens*,
Grans deniers, grans aornemens,
Quant à faire ses volentés :
Car cil qui est entalentés*
De travailler-soi * por aquerre
Deniers, aornemens ou terre,
Bien ait néis* d'or amassés
Cent mile mars, ou plus assés,
Tout puet lessier à ses amis.
Mes cil qui son travail a mis
Es* autres choses desus dites,
Tant qu'il les a par ses mérites,
Amors n'es puet à ce plessier*
* Et d'mt autre côté il n'est
pas juste.
* Mérite.
* Malices, méchancetés.
* Fanfaronnades.
* Trompeur.
* Railleries.
*Tels.
* Apparente.
* Je l'ose.
* Mérite, renommée.
* Était.
* Intelligents.
* Propriétés foncières.
* Désireux.
* De se donner de la pei n e .
* Même.
* Dans les.
* Ne les peut a cela plier..
260
LE ROMAN
V. 19777.
Qu'il lor en puist jà riens lessier.
Puet-il lessier science ? îsTon,
Ne gentil lèce ne renou ;
Mes il lor en puel bien aprendre,
S'il i vuelent exemple prendre.
Autre chose cis* n'en puet faire,
Ne cil n'en puéent riens plus traire*;
Si u'i refont-il pas graut force,
Qu'il* n'en donroient une escorce :
Mains en i a, fors que* d'avoir
Les possessions et l'avoir.
Si dient* qu'il suut gentil homme,
Por ce que l'en les i renomme,
Et que lor bons parais le furent,
Qui furent tex cum* estre durent;
Et qu'il ont et chiens et oisiaus
Por sembler gentiz damoisiaus ,
Et qu'il vont chaçant par rivières ,
Par bois, par champs et par bruières,
Et qu'il se vont oiseus esbatre.
Mes il sunt mauvais, vilain nastre*,
Et d'autrui noblèce se vantent;
Il ne dient pas voir*, ains mentent,
Et le non de gentillèce emblent*,
Quant lor bons parais ne resemblent :
Car quant g'es fais semblables nestre,
Il vuelent donques gentil estre
D'autre noblèce que de celé
Que ge lordoing*, qui moult est bêle,
Qui a nom Naturel Franchise,
Que j'ai sor tous égaument mise,
Avec raison que Diex lor done,
Qui les fait, tant est sage et bone,
Semblables à Dieu et as anges,
S: mort n'es en féist estranges*,
Celui-là.
* Tirer.
* Car ils.
*Si ce n'est.
* Et ils disent.
' Tels que.
De nature.
* Ils ne disent pas vrai
* l'oient.
'Bonne.
Xe les en fit étrangers
(v. I93H.) DE LA ROSE. 261
Qui par sa mortel différence
Fait des hommes la désevrance* * Séparation.
Et quierent nueves gentillèces,
S'il ODt en eus tant de proèces :
Car s'il par eus ne les aquièrent ,
James par autrui gentil n'ierent*. *Ne seront.
Ge n'en met hors ne rois ne contes.
D'autre part, il est plus grans hontes
D'un fil de roi, s'il estoit nices*, * Simple.
Et plains d'outrages et de vices,
Que s'il iert* filz d'un charretier, * Était.
D'un porchier ou d'un çavetier.
Certes plus seroit honorable
A Gauvain le bien combatable
Qu'il fust d'un coart engendrés,
Qui sist ou feu tous encendrés,
Qu'il ne seroit, s'il iert coars,
Et fust ses pères Renouars (1).
Mes, sens faille*, ce n'est pas fable, * Faute.
La mort d'un prince est plus notable
Que n'est la mort d'un païsant,
Quant l'en le trueve mort gisant,
Et plus loing en vont les paroles ;
Et por ce cuident les gens foies,
Quant il ont véu les comètes,
Qu'el soient por les princes fêtes.
Mes s'il n'iert* jamès rois ne princes * N'était.
Par roiaumes ne par provinces,
Et fussent tait parel* en terre, * Tous pareils.
Fussent en pez, fussent eu guerre ,
Si feroient li cors* célestre * Les cours.
En lor tens les comètes nestre,
Quant es regars se recorroient
(l) Voyez p. 149, la note sur le vers 16284.
262
LE ROMAN
(\. 19844.)
Où tiex* euvres l'aire devroient,
Por qu'il éust en l'air matire
Qui lor péust à ce soffire.
Dragons volans et estenceles
Font-il par l'air sembler esteles*
Qui des cieux en chéant* descendent,
Si cum* les foies gens enteudent.
Mes raison ne puet pas véoir
Que riens puisse des cieux chéoir,
Car en eus n'a riens corruinpable*,
Tant est ferme, fors et estable;
JN 'il ne reçoivent pas empraiutes,
Por que soient dehors empaintes*,
Ne riens ne les porroit casser,
Fs'il n'i lerroient* riens passer,
Tant l'ust sotive* ne perçable,
S'el n'ert espoir espéritable* :
Lor rais* sens faille bien i passent,
Mes n'es* empirent ne ne cassent.
Les chauz estes, les frois ivers,
Font-il par lor regars divers;
Et font les noifs* et l'ont les gresles
Une hore grosse, et autre gresles,
Et moult d'autres impressions,
Selonc lor oposicious,
Et selonc ce qu'il s'entr'esloingnent ,
Ou s'apressent ou se consignent,
Dont maint homme sovent s'esmoient,
Quant es cieux les esclipses voient,
Et cuident estre mal-baillis*
Des regars qui lor sunt faillis
Des planètes devant véues ,
Dont sitost perdent les véues.
Mes se les causes en séussent,
•là de riens ne s'en csméussent:
'Telles.
* Étoiles.
* Tombant.
* Ainsi que.
* Corruptible.
* Rejet ces, rej)oussées.
* Laisseraient.
* Subtile.
* Si ce n'était peut-être
spirituel.
" Rations.
* Ne 1rs.
" Neiges.
* iïfaltrailés.
(v. 1987a.) DE LA ROSE. 203
Et par behordéis* de vaus * Lui te.
Les undes de mer eslevans,
Font les flos as nues baisier,
Puis refont la mer apaisier,
Qu'el n'est tiex* qu'ele ose grondir, * Telle.
Ne ses floz faire rebondir,
Fors celi qui par estovoir* * Nécessité.
Li fait la lune adès* movoir, * Toujours.
Et la fait aler et venir;
N'est riens qui le puist retenir.
Et qui voldroit plus bas enquerre
Des miracles que font en terre
Li cors* du ciel et des esteles, * Les cours.
Tant i en troveroit de bêles,
Que jamès n'auroit tout escrit
Qui tout vodroit mètre en escrit.
Ainsinc li ciex* vers moi s'aquitent, * Les deux.
Qui par lor bontés tant profitent ,
Que bien me puis aparcevoir
Qu'il font bien trestuit lor devoir.
Ne ne me plaing des élémens ;
Bien gardent mes commendemeus,
Bien font entr'aus lor mistions*, * Conjonctions.
Tornans en révolucions;
Car quanque* la lune a souz soi * Tout ce que.
Est corrumpable, bien le soi*; * Le sais.
Pueus ne s'i puet si bien norrir
Que tout ne conviengne* porrir. * Ne faille.
Tuit ont de lor complexion
Par naturele entencion,
Pviiile* qui ne faut** ne ne ment; * Règle. ** Manque.
Tout vet à son commandement.
Ceste ruile est si généraus ,
Qu'el ne puet défaillir vers aus*. * / ers eus.
Si ne me plaing mie des plantes,
461
LE ROMAN
I99I4.
Qui d'obéir ne surit pas lentes.
Bien suut à mes lois ententives,
Et font, tant cum eles sunt vives,
Lor racines et lor foilletes,
Trunz et raims*, et fruiz et floretes;
Chascune chascun en aporte
Quanqu'el puet* tant qu'ele soit morte,
Cum herbes, arbres et buissons.
Ne des oisiaus ne des poissons,
Qui moult sunt bel a regarder,
Bien sevent mes rigles* garder,
Et sunt si très-bon escolier
Qu'il traient* tuit à mou colier.
Tuit faonent à lor usages,
Et font honor à lor lignages,
Ne les lessent pas déchéoir,
Dont c'est grans solas* à véoir.
Ne ne me plaing des autres bestes
Cui* ge fais enclines les testes,
Et regarder toutes vers terre.
Ceus ne me murent onques guerre;
Toutes à ma cordele tirent,
Et font si cum* lor pères firent.
Li masles vet o* sa femele,
Ci a couple avenant et bêle ;
Tuit engendrent et vont ensemble
Toutes les fois que bon lor semble ;
Ne jà nul marebié n'en feront,
Quant ensemble s'acorderont.
Ains plest à l'un por l'autre à faire,
Par cortoisie débonaire ;
Et trestuit apaié * se tienent
Des biens qui de par moi lor vienent.
Si* l'ont mes bêles verminetes,
Formis, papillons et moschetes.
Rameaux.
'Tout ce qu'elle peut.
* Règles.
* Tirent.
* Plaisir.
'A qui.
* Ainsi que.
* Avec.
* Satisfaits.
* Ainsi .
(v. 19940.
DE LA ROSE.
265
Vers , qui de porreture nessent,
De mes commans* garder ne cessent;
Et mes serpens et mes coluevres ,
Tout s'estudient à mes uevres.
Mes seus lions*, cui ge fais avoie
Trestous les biens que ge sa\;oie ;
Seus hons, cui ge fais et devis*
Haut vers le ciel porter le vis*;
Seus hons, que ge forme et fais naistre
En la propre forme son * maistre ;
Seus hons, por qui paine et labor",
C'est la fin de tout mon labor;
N'il n'a pas, se ge ne li done ,
Quant à la corporel persone,
Ne de par cors ne de par membre,
Qui li vaille une pome d'ambre,
Ne quant à l'ame vraiement,
Fors* une chose solement :
Il tient de moi, qui sui sa dame,
Trois forces, que de cors*, que d'ame;
Car bien puis dire sens mentir,
G'el fais ester*, vivre et sentir.
Moult a li chetis d'avantages,
Si vosist* estre preus et sages;
De toutes les vertus habonde
Que Diex a mises en ce monde.
Compains* est à toutes les choses
Qui sunt en tout le monde encloses,
Et de lor bonté parçonières* :
Il a son estre avec les pierres ,
Et vit avec les herbes drues,
Et sent avec les bestes mues*;
Encor puet-il trop plus, en tant
Qu'il avec les anges entant.
Que vous puis-ge plus recenser?
* Commandements.
* L'homme seul.
*I)is.
* Puisage.
* De son.
* Travaille.
* Si ce n'est.
* Tant de corps.
* Se tenir.
* S'il voulait.
* Compagnon.
* Participantes.
* Muettes.
23
26G LE ROMAN (▼. 19984.
II a quanque* l'en puet penser. *Ce que.
C'est uns petis mondes noviaus,
Cis me fait pis que uns loviaus*. "Louveteau.
Sens l'aille* de l'entendement, * Faute.
Congnois-ge bien que voirement* * Vraiment.
Celi ne li douai -ge mie :
Là ne s'estent pas ma baillie*. * Autorité.
Ne sui pas sage*, ne poissant * Savant.
De faire riens* si conguoissant. * Chose.
Ouques riens ne fis pardurable*, * Éternel.
Quanque ge fais est corrumpablc*. * Corruptible.
Platons méismes le lesmoingue,
Quant il parle de ma besoingne,
Et des dieux qui de mort n'ont garde :
Lor créator, ce dist, les garde
Et soustient pardurablement
Par son voloir tant solement;
Et se cis* voloirs n'es tenist,
Trestous inorir les couvenist*.
Mi fait, ce dist, sunt tuit soluble,
Tant ai pooir povre et obnuble*
Au regart * de la grant puissance
Du Dieu qui voit en sa présence
La triple temporalité
Souz uu moment d'éteruité.
C'est li rois, c'est li emperères
Qui dit as dieux qu'il est lor pères.
Ce sevent cil* qui Platon lisent, * Ce savent ceux.
Car les paroles tex i gisent* ; * Telles s'y trouvent.
Au mains en est-ce la sentence ,
Sclonc le langaige de France :
Diex des dieux dont ge sui l'aisierres*, * Faiseur.
Vostre père, vostre crierres*, "Créateur.
Et vous estes mes créatures,
Et mes euvres et mes faitures*, * De ma façon.
*Ce.
*Il leur fait àl.
*Obscur.
* -lu prix, en
comparai
SU II.
(v. 20019.) DE LA ROSE. 267
Par nature estes corrumpables * , * Corruptibles.
Par ma volenté pardurables*; "Éternel.
Car jà n'iert* riens fait par Nature, *Ne sera.
Combien qu'ele i mete grant cure* , *Soin.
Qui ne faille en quelque saison;
Mes quanque*, par bone raison , *Tout ce que.
' Volt* Diex conjoindre et atremper**, * Voulut. ** Accorder.
Fors et bons et sages sens per*, *Sons pareil.
Jà ne voldra, ne n'a volu
Que Ce Soit jamès dissolu*. 'Bissons.
Jà n'i vendra* COrrupcion. * Jamais n'y viendra.
i Dont ge fais tel conclusion :
i Puisque vous commençastes estre
i Par la volenté nostre maistre
Dont fait estes et engendré,
! Par quoi ge vous tiens et tendre,
i N'estes pas de mortalité
Ne de corrupeion quité* 'Quittes.
Du tout, que ge ne vous véisse
Morir, se ge ne vous tenisse.
Par nature morir porrés,
Mes par mon vueil* jà ne morrés : 'Vouloir.
Car mon voloir a seiguorie
Sor les liens de vostre vie,
Qui les composicions tienent,
Dont pardurabletés* vous vienent. 'Éternités.
C'est la sentence de la letre
Que Platons volt* en livre mètre, 'Voulut.
Qui miex de Dieu parler osa ;
Plus le prisa, plus l'alosa*, * Exalta.
Conques ne flst nus terriens* *.\»/ (être) terrestre.
Des philosophes anciens.
Si n'en pot-il pas assés dire,
Car il ne péust pas soffire
A bien parfaitement entendre
268
LE ROMAN
(v. 2005 i.)
Ce qifouques riens ne pot comprendre,
Fors* li ventres d'une pucele.
Mes seus faille il est voirs* que celé
A cui li ventres en tendi,
Plus que Platons en entendi :
Car el sot * dès qu'el le portoit,
Dont au porter se confortoit,
Qu'il ert l'espère* merveillables
Qui ne puet estre terminables,
Qui par tous leus son centre lance,
Ne l'en n'a la circonférance;
Qu'il est li merveilleus triangles
Dont l'unité fait les trois angles,
Ne li trois tout entièrement
Ne font que l'un tant solement.
C'est li cercles trianguliers,
Et li triangles circuliers
Qui en la Virge s'ostela* :
N'en sot pas Platons jusques-là;
Ne vit pas la trine unité
En ceste simple trinité,
Ne la Déité soveraiue
Afublée de pel* humaine.
C'est Diex qui créator se nomme.
Cil fist l'entendement de Tomme,
Et en faisant le li doua ;
Et cil si li glierredona*
Comme mauves, au dire voir*,
Qu'il cuida * puis Dieu décevoir,
Mes il-méismes se déçut,
Dont mes Sires* la mort reçut,
Quant il sens moi prist char* humaine
Por le chetis oster de paine.
Sens moi! car ge ne se comment,
Fors qu'il puet tout par son comment*,
* Sinon.
'Mais sans faute il
vrai.
'Elle sut.
* Qu'il était la sphère.
'Se logea.
'Peau.
* Récompensa.
* A dire vrai.
* Car il crut.
* Notre Seigneur.
"Chair.
Commandement.
(v. 20089.) DE LA ROSE. 269
Ains fui trop forment* esbahie, **«* je fus trop fork-
1 ment.
Quant il de la virge Marie
Fu por le chetif en char * nés, * Chair.
Et puis pendus tous encharnés* : *En chair.
Car par moi ne puet-ce pas estre
Que riens puisse de virge nestre;
Si fu jadis par maint prophète
Ceste incarnacion retraite * , * Rapportée.
Et par juis et par paiens,
Que miex nos cuers en apaiens*, * Apaisions.
Et plus nous esforçons à croire
Que la prophècie soit voire.
Car es* bucoliques Virgile * Dans les.
Lisons ceste vois de Sébile,
Du Saint-Esperit enseignie :
Jà nous ert novele lignie
Du haut ciel çà-jus* envoiée, * ici-bas.
Por avoier* gent desvoiée, * Mettre dans la roule.
Dont li siècle de fer faudront*, * Manqueront.
Et cil d'or OU monde Saudront* (1). * Dans le monde sortiront.
Albumasar néis* tesmoigne (2), * Même.
Comment qu'il séust la besoigue,
Que dedens le virginal signe
INestroit une pucele digne,
Qui sera, ce dist, virge et mère,
Et qui alètera son père,
Et ses maris lez* li sera * Près d'elle.
(I) Jam nova progenies coelo demittitur alto.
Tu modo nascenti puero, quo fenea primum
Desinet> ac toto surget gens aurea mundo, etc.
CVircil., Bucol., eclog. IV, v. 7.)
(I) Albumasar ou Aboasar, arabe renommé par sa science, vivoit dans
le neuvième siècle ou dans le dixième; son livre de la Révolution des an-
nées l'a fait regarder comme un des grands astrologues de son temps.
(L. D. D.)
23.
270
LE ROMAN
Qui jà point ne la touchera.
Ceste sentence puet savoir
Qui vuet Albumasar avoir ■
Qu'el gist. ou livre * toute preste,
Dont chascuD an font une feste
Gent crestienes en septembre,
Qui tel nativité remembre*.
Mais tout quanque* j'ai dit dessus,
Ce set nostre sires Jhésus;
Ai-ge por homme laboré*,
Por le chetif ce laboré.
Il est la fin de toute m'euvre,
Cis seus contre mes rigles euvre*;
Ne se tient de riens apoiés
Li desloiaus, li renoiés* ;
N'est riens qui li puisse sofire :
Que vaut que porroit-l'en plus dire?
Les honors que ge li ai laites
Ne porroient estre retraites*;
Et il me refait tant de hontes,
Que ce n'est mesure ne contes.
Bia'u douz prestre, biau chapelains,
Est-il donques drois que ge Tains*,
Ne que plus li port révérence,
Quant il est de tel porveance*?
Si m'aïst Diex li rrucefis*,
Moult me repens dont* homme fis.
Mes por la mort que cil soffri
Cui * Judas le baisier ofl'ri ,
Et que Longis féri* de lance,
Ge li conterai sa chéance*
Devant Dieu qui le me bailla,
Quant à s'image le tailla,
Puisqu'il me fait tant de contraire*.
Famé sui, si ne me puis taire,
' Car elle est dans le livre.
'' Rappelle.
' Ce que.
* Travaille.
* Celui-là seul millièmes
règles travaille.
* Le renétjat.
* Rapportées.
* Aime.
* Prévoyance.
* Que Dieu le crucifié
m'aide.
" De ce que
* A qui.
* Frappa .
''Chute.
'Contrariété.
(v. 20I5I.)
DE LA ROSE.
21 {
Ains voil dès jà* tout révéler;
Car famé ne pu et riens celer ,
N'onques ne fu miex lèdengiés*.
Mar* s'est de moi tant estrangiés**-,
Si* vice i seront récité,
Et dirai de tout vérité.
Orguilleus est, murdricrs et lerres*,
Fel*, convoiteus, avers, trichierres,
Désespérés, glous*, mesdisans,
Et haïneus et despisans*,
Mescréans, envieus, mentierres*,
Parjurs, faussaires, fox, vantierres,
Etinconstans et foloiables*,
Idolastres, desagréables,
Traïstres et fa us ypocrites,
Et pareceus et sodomites.
Briefment tant est chetis et nices*,
Qu'il est sers * à trestous les vices,
Et trestous en soi les herberge.
Vez de quiex fers li las s'enferge* :
Va-il bien porchaçant* sa mort,
Quant à tex mauvestiés s'amort*?
Et puisque toutes choses doivent
Retorner là dont eus reçoivent
Le commencement de lor estre,
Quant bons* vendra devant son mestre.
Que tous jors, tant cum il péust,
Servir et honorer déust,
Et soi de mauvestié garder,
Comment l'osera regarder ?
Et cil qui juges en sera,
De quel oil le regardera ,
Quant vers li s'est si mal provés,
Qu'il iert* en tel défaut trovés, '
Li las* qui a le cuer tant lent,
* Mais je veux déjà'.
* Vilipendé.
* A tort. ** Eloigné.
*Ses.
* Voleur.
* Cruel.
* Glouton.
* Me prisant.
* Menteur.
* Dispose à la sottise.
* Simple.
*Serf, soumis.
* Fouez flans quels fers le
malheureux s'emprison-
ne.
* Cherchant
* S'attache.
* Homme.
* Était.
* Le malheureux.
272
LE ROMAN
(v. 20I8G.)
Qu'il n'a de bien faire talent*?
Ains font au pis grant et menor
Qu'il pueent*, sauve lor enor**,
Et l'ont ainsinc juré, ce semble,
Par unacort trestuit ensemble :
Si n'i est-ele pas sovent
A chascun sauve par couvent*;
Ains en reçoivent maint grant paine,
Ou mort, ou grant boute mondaine.
Mes li las*! que puet-il peuser,
S'il vuet ses pécbiés recenser,
Quant il vendra devant le juge
Qui toutes cboses poise* et juge,
Et tout à droit sens Faire tort,
JNTe riens n'i gueuchist ne estort*?
Quel guerredou* puet-il atendre
Fors la hart à li mener pendre
Au dolereus gibet d'enfer,
Où sera pris et mis en fer,
Rivés en aniaus pardurables*,
Devant le prince des déables?
Ou sera bouillis en chaudières,
Ou rostis devant et derrières,
Ou sus cbarljons ou sur gréilles,
Ou tornoiés à grans chevilles
Comme Yxion a trenchans roes
Que maufé* tornent à lor poes**;
Ou morra de soif es palus * ,
Et de fain avec Tentalus
Qui tous jors en l'iaue se baingne;
Mes combien que soif le destraingne*
Jà n'aprochera de sa bouche
L'iaue qui au menton li touche.
Quant plus la sieut* et plus s'abesse,
Et fain si fort le recompresse*,
* Désir.
* Qu'ils peuvent.
ncur.
* Convention.
Le malheureux.
* Pèse.
* Détourne ni fausse.
* Récompense.
* Éternels.
' Hon.
* Diables.
jult/es.
' Murais.
Tourmenté.
Avec leurs
* Suit.
* Le presse à son tour.
DE LA ROSE.
273
Qu'il n'en puet estre asoagiés*,
Aius muert* de fain tous erragiés;
N'il ne repuet la pome prendre
Qu'il voit tous jors à sou uez pendre :
Car quant plus à* son becl'enchauce**,
Et la pome plus se rehauce;
Ou rolera la mole" à terre
De la roche, et puis Tira querre*,
Et derechief la rolera,
Ne jamès lors ne cessera ,
Si cum tu fez, las* Sisifus,
Qui por ce faire mis i fus ;
Ou le tonnel sens fons ira
Emplir, ne jà ne l'emplira,
Si cum font les Bélidienes*
Por lor folies ancienes.
Si resavés*, biau Genius,
Comment li juisier* Ticius
S'esforcent ostoir* de mangier,
Ne riens n'es en puet estrangier*.
Moult r'a léens* d'autres granz paines,
Et félonesses* et vilaines,
Où sera mis espoir li lions*
Por soffrir tribulacions
A grant dolor, à grant hacbie*,
Tant que g'en soie bien venchie*.
Par foi, li juges i evant dis,
Qui tout juge en fais et en dis,
S'il fust tant solement piteus*,
Bons fust, espoir, et déliteus*
Li prestéis* as usuriers ;
Mes il est tous jors droituriers* ,
Par quoi trop fait à redouter :
Mal se fait en péchié bouter.
Sens faille* de tous les péchiés
* Soulagé.
* Mais meurt.
*Avec. ** Poursuit.
* Meule.
* Chercher.
* Malheureux.
* Danaïdes.
* Et vous savez encore.
* Foie, entrailles.
* Autours.
* ISe les en peut éloigner.
* Là dedans.
* Cruelles.
* Peut-être l'Homme.
* Souffrance.
* Vengée.
* 'Compatissant.
* Délicieux.
*Prêt.
* Équitable.
' Sans faute.
274
LE ROMAN
Dont li chetis est entechiés*,
A Dieu les lais, bien s'en chevisse*;
Quant li plaira , si l'en punisse.
Mes de cens dont Amors se plaint,
Car g'en ai bien oï le plaint*,
Ge-méismes, tant cum ge puis,
M'en plaiug et m'en doi plaindre, puis
Qu'il me renoient le tréu*
Que trestuit homme m'ont déu,
Et tous jors doivent et devront.
Tant cum mes ostiz* recevront.
* Le malheureux es! en-
taché,
'acquitte.
La plainte.
* Tribut.
Outils.
('.y est comme dame Nature
Envoyé à Amours par grant cure *,
Genius pour le saluer,
Et pour maints courages muer *.
Génius li bien emparlés*,
En l'ost * au dieu d' Amors aies ,
Qui moult de moi servir se paine,
Et tant m'aime, g'en sui certaine,
Que par son franc cuer débonaire
Plus se vuet vers mes euvres traire*
Que ne fait fer vers aimant.
Dites- li que salus li niant*
Et à. dame Vénus m'amie,
Puis à toute la baronie,
Fors solement à Faus-Semblant,
Por qu'il s'aut*jamès assemblant
Avec les félons orguilleus,
Les ypocrites péril leus ,
Desquex l'Escriture recète*
Que ce suut li pseudo-prophète.
Si r'ai-ge moult soupeçoneuse*
Astenance d'estre orguilleuse,
Et d'estre à Faus-Semblant semblable,
*Soin.
* Changer maints carac-
tères.
* Disert.
* Armée.
Tirer,
Mande, envoie.
S'aille.
' Récite.
* VA je soupçonne encore
fort.
Y. 20286.
DE LA ROSE.
275
Toutsemble-ele* humble et charitable.
Faus-Semblant, se plus est trovés
Avec tiex* traïstres provés,
.Ta ne soit eu ma saluance*,
Ne li ne s'amie Asteuauce,
Trop sunt tex gens à redouter.
Bien les déust Amors bouter
Hors de son ost*, s'il li pléust,
Se certainement ne séust
Qu'il li lussent si nécessaire
Qu'il ue péust seus eus riens faire;
Mes s'il sunt advocaz por eus
En la cause as fins amoreus ,
Dont lor mal soient alégié,
Cest barat* lor pardone-gié.
Aies, amis, au dieu d'Amors
Porter mes plains et mes clamors* ,
Non pas por ce qu'il droit m'eu face ,
Mes qu'il se conforte et solace*
Quant il orra ceste novele
Qui moult li devra estre bêle,
Et à nos anemis grevaine*
Et laist* ester, ne li soit paine,
Le souci que mener l'en voi.
Dites li que là vous envoi
Por tous ceus escomenier
Qui nous vuelent contrarier,
Et por assodre* les vaillans
Qui de bon cuer sunt travaillons
as rieules* droitement ensivre **
Qui sunt escrites en mon livre,
Et forment* à ce s'estudient
Que lor lignage monteplient*,
Et qui pensent de bieu amer,
Car g'es doi* tous amis clamer '*
* Bi'-n qu'elle semble.
* Tels.
* Qu'il ne soi l pas de ceux
que je salue.
* Armée.
* Tromperie.
* Mes plaintes et mes ré-
clamations.
* Réjouisse.
* Dure.
* Laisse (subj.
"Absoudre.
* Règles. Suivre.
* Fortement .
* Multiplient.
* Je lesdus. ** Appeler.
276
LE ROMAN
(v. 20321.)
Por lor âmes mètre en délices,
Mes* qu'il se gardent bien des vices * Pourvu.
Que j'ai ci-devant racontés,
Et qu'il facent toutes boutés.
Pardon qui lor soit soffisans
Lor donés, non pas de dix ans :
N'el priseroient un denier ;
Mes à tous jors pardon plenier
De trestout quanque * fait aurout , * Ce que.
Quant bien confessé se seront.
Et quant en l'ost serés venus
Où vous serés moult cbier tenus,
Puis que salués les m'aurois
Si cum* saluer les saurois, * Ainsi que.
Publiés-lor en audience
Cest pardon et cesle sentence
Que ge voil* que ci soit escrite. * Que je veux.
V Acteur.
Lors escrit cil, et celé dite*,
Puis la seelle, et la li baille,
Et li prie que tost s'en aille ;
Mes qu'ele soit aiuçois assoste*
De ce que son penser li oste.
Sitost cum ot esté confesse
Dame Nature la déesse,
Si cum la loi vuet et li us*,
Li vaillans prestres Genius
Tantost l'assot*, et si li donc
Pénitence avenant et bouc
Selonc la grandor du mesfait
Qu'il pensoit qu'ele éust forfait
Enjoint-li qu'ele demorast
Dedcns sa forge et Iaborast*,
*( elui-ci, et celle-là dicte.
* Absoute.
* L'usage.
* Lui donna l'absolution.
Travaillât.
(v. 2035:3.) DE LA ROSE. 277
Si cura ains* laborer soloit ** * Ainsi qu'auparavant.
_. , 1 1 • * " ivait coutume.
Quant de néant ne se doloit*, "Plaignait.
Et son servise adès* féist * Toujours.
Tant qu'autre conseil i méist
Li Rois qui tout puet adrecier*, * Corriger.
Et tout faire et tout dépecier.
Nature.
Sire, dist-ele, volentiers.
Genius.
Et ge m'en voi endementiers* , * Pendant ce temps-là.
Dist Genius, plus que le cors*, * Le pus de course.
Por faire as fins amans secors,
Mes que désafublés me soie
De ceste chasuble de soie,
De cest aube et de cest rochet.
Vecteur.
Lors va tout pendre à un crochet,
Et vest sa robe séculière
Qui mains encombreuse li ère*, * Était.
Si cum il alast karoler*, "Danser.
Et prent èles por tost voler.
Comment damoiselle Nature
Se mist pour forgier à grant cure * "Soin.
Eu sa forge présentement ;
Car c'estoit son entendement.
Lors remaint Nature en sa forge,
Prent ses martiaus, et fiert* et forge * Frappe.
Trestout ausinc comme devant*; * Aupararant.
Et Genius plus tost que vent
24
278
LE ROMAN
^V. 20375.
Ses èles bat, et plus n'atent,
En l'ost* s'en est venus atant**.
Mes Faus-Seinblant n'i trova pas ,
Partis s'en iert* plus que le pas
Dès-lors que la Vielle fu prise,
Qui m'ovri Puis de la porprise*,
Et tant m'ot fait avant aler,
Qu'à Bel-Acueil me loit* parler.
Il n'i volt* onques plus atendre,
Ains s'enfoï sens congié prendre.
Mes sens faille*, c'est chose atainte,
11 trueve Astenance-Contrainte,
Qui de tout son pooir s'apreste
De corre après à si grant heste*,
Quant el voit le prestre venir,
QuVnvis* la péust-1'en tenir :
Car o* prestre ne se méist,
Por quoi nus* autres la véist,
Qui li donast quatre besans,
Se Faus-Semblans n'i fust présens.
Genius, sens plus de demore*,
Eu icele méismes hore,
Si cum il dut, tous les salue;
Et l'achoison* de sa venue,
Sens riens mètre en obli, lor conte.
Ge ne vous quier* jà faire conte
De la grant joie qu'il li firent,
Quant ces noveles entendirent ;
Ains voil* ma parole abrégier
Por vos oreilles alégier* :
Car maintes fois cis* qui préesche,
Quant briefment ne se despéesche,
En fait les auditeurs aler.
Par trop prolixement parler,
Tantost li diex d'Amors al'uble
* L'armée. ** Alors.
* Était.
* La porte du clos.
* Fut permis.
* Voulut.
* Faute.
*ffâte.
* Qu'à peine.
* Avec.
* Nul.
* Retard.
* L'occasion.
*Feux.
* Mais veux.
* Soulager.
* Celui.
v. 204io.) DE LA ROSE. 279
A Genius une chasuble;
Anel li baille, et croce et mitre ,
Plus clère que cristal ne vitre;
Ne quierent* autre parement, * renient.
Tant ont grant entalentement* * Désir.
D'oïr celé sentence lire.
Vénus, qui ne cessoit de rire,
Ne ne se pooit tenir coie,
Tant par estoit jolive* et gaie ; * Folâtre.
Por plus enforcier Tanatesme,
Quant il aura fine son tesme ,
Li met ou poing un ardant cierge
Qui ne fu pas de cire vierge.
Genius, sens plus terme mètre,
S'est lors, por miex lire la letre,
Selonc les faiz devant contés,
Sor un grant eschafaut montés;
Et li baron sistreut par terre,
N'i voldrent* autres sièges querre**; * -A ".'/ voulurent. ** Cher-
" . cher.
Et cil sa ebartre lor desploie,
Et sa main entor soi tornoie,
Et fait signe, et dist que se taisent;
Et cil cui* les paroles plaisent, *Et ceux-là à qui.
S'entreguiguent et s'entreboutent,
Atant* se taisent et escoutent; * Alors.
Et par tex* paroles commence *Teiies.
La diffinitive sentence.
Comment presche par tres-grant cure * * Soin.
Les conmiandemens de Nature
Le vaillant prestre Genius,
En l'ost * d'Amours, présent Vénus; 'Eu l'armée.
Et leur fait à chascun entendre
Tout ce que Nature veult tendre.
De l'autorité de Nature
Qui de tout le monde a la cure,
280
LE ROMAN
(v. 20439.
Comme vicaire et conestable
Al'emperéor pardurable*,
Qui siet eu la tor soveraine
De la noble cité mondaine
Dont il fist Nature menistre,
Qui tous les biens i amenistre
Par l'influence des esteles*,
Car tout est ordené par eles
Selonc les droiz empériaus
Dont Nature est officiaus ,
Qui toutes cboses a fait nestre,
Puis que cis mondes vint en estre*,
Et lor doua terme ensement*
De grandor et d'acroisement ;
N'onques ne fist riens por néant
Souz le ciel qui va tornoiant
Entor la terre sens demore*,
Si haut dessouz comme desore*;
Ne ne cesse ne nuit ne jor,
Mes tous jors torue sens séjor* :
Soient tuit escommenié
Li desloial, li renié*,
Et condampné sens nul rcspit,
Qui les euvres ont en despit,
Soit de grant gent, soit de menue,
Par qui Nature est sostenue ;
Et cis* qui de toute sa force
De Nature garder s'esforce ,
Et qui do bien amer se paine
Sens nule pensée vilaine,
Aies que loiaument i travaille,
Floris* en paradis s'en aille,
Mes qu'il se face bien confès :
G'en prens sor moi trestout le fès
De tel pooir cum ge puis prendre,
Eternel.
Étoiles.
* Depuis que ce monde
minuit.
"Pareillement.
* Cesse .
* Dessus.
* Repos.
* Les renégats.
* Et celui.
lieux, chenu.
(t. 20474.)
DE LA ROSE.
281
Jà pardon n'eu portera mendre*.
Mal lor ait Nature doné
As faus dont j'ai ci sermoné,
Grefes, tables, martiaus, enclumes,
Selouc les lois et les coustumes,
Et sos* à pointes bien aguës
A l'usage de ses charrues,
Et jachières, non pas perreuses,
Mes plerrtéives* et herbeuses,
Qui d'arer et de cerl'oïr*
Ont rcestier*, qui en vuet joïr,
Quant il n'en vuelent laborer*
Por li servir et honorer;
Ains vuelent Nature destruire,
Quant ses enclumes vuelent fuire,
Et ses tables et ses jachières,
Qu'el fist précieuses et chières
Por ses choses continuer,
Que Mort ne les poïst* tuer.
Bien déussent avoir grant honte
Cil * desloial dont ge vous conte ,
Quant il ne daignent la main mètre
Es* tables por escrire letre,
Ne por faire emprainte qui père* -,
Moult sunt d'entencion amère,
Qu'el devendront toutes mossues
S'el sunt en oidive* tenues,
i Quant sens cop de martel férir*
: Lessent les enclumes périr.
( Or s'i puet la ruïlle embatre *,
Sens oir marteler ne batre:
Les jachières, qui n'i reflche
Le soc, redemorront en friche.
Vis* les puisse-1'en enfoïr,
Quant les ostilz osent foïr *
Moindre.
"Socs.
* Plantureuses.
* Qui d'être labourées et
travaillées avec la ser-
fouette.
"Besoin.
'Travailler.
Puissent.
"■Ces.
Dans les.
* Paraisse.
* Oisiveté.
* Frapper.
* Enfoncer.
* Vifs.
* Fuir.
24.
282
LE ROMAN
(v. 20510.]
Que Diex de sa main entailla* ,
Quant à ma dame les bailla,
Qui por ce les li volt* baillier,
Qu'ei séust autiex * entaillier,
Por doner estres pardurables*
As créatures corrumpables*.
Moult euvrent mal, et bien le semble ;
Car se trestuit li bomme ensemble
Soixante ans foïr les voloient,
James hommes n'engenderroient.
Et se ce plaist à Dieu sens faille *,
Dont vuet-il que le monde faille*,
Ou les terres demorront nues
A pueplier as bestes mues*,
S'il noviaus hommes ne faisoit,
Se refaire les li plaisoit,
Ou cens féist résusciter
Por la terre arriers habiter;
Et se cil virge se tenoient
Soixante ans, derechief faudroient ,
Si que, se ce li devroit plaire,
Tous jors les auroit h refaire.
Et s'il ert* qui dire volsist**
Que Diex le voloir en tolsist*
A l'un par grâce, à l'autre non,
Por ce qu'il a si bon renon,
rs'onques ne cessa de bien faire,
Dont li redevroit-il bien plaire,
Que chascuns autretel* féist,
Si qu'autel* grâce en li méist :
Si r'aurai ma conclusion
Que tout aille à perdicion.
Ge ne sai pas à ce respondre,
Se Foi n'i vuet créance cspondre * ;
Car Diex en lor commencement
Forma, sciil/i/a.
*I~oulut.
* Pareils.
* Éternels.
* Corruptibles.
* Sans faute
* Manque.
* Muettes.
* El s'il était. **f'oulût.
* Enlevât, dérobât.
'La pareille.
' Pareille.
Exposer.
DE LA ROSE.
283
Les ame tous onienient*,
Et done raisonables âmes
Ausinc as hommes cum as famés.
Si croi qu'il voldroit de chacune ,
Non pas tant seulement de l'une,
Que le meillor chemin tenist*
Par quoi plus tost à li venist.
S'il vuet donques que virge vive
Aucuns, por ce que miex le sive,
Des autres porquoi n'el vorra*?
Quele raison l'en destorra*?
Donc semble-il qu'il ne li chausist*,
Se généracion fausist*.
Qui voldra respondre, respoingne,
Ge ne sai plus de la besoingne :
Viengnent devin qui en devinent,
Qui de ce deviner ne finent*.
Mes cil qui des grefes n'escrivent,
Par qui li mortex* tous jors vivent,
Es* bêles tables précieuses
Que Nature, por estre oiseuses,
Ne lor avoit pas aprestées,
Ains lor avoit por ce prestées
Que tuit i fussent escrivans ,
Cum tuit et toutes en vivans ;
Cil qui les deus martiaus reçoivent,
Et n'en forgent si cum* il doivent
Droitement* sus la droite enclume;
Cil que lor péchiés si enfume
Par lor orgoil qui les desroie*,
Qu'il despisent* la droite voie
Du champ bel et plentéureus,
Et vont comme maléureus
Arer* en la terre déserte ,
Où lor semence va à perte,
Egalement.
*Tint.
Ne le voudra.
* Détournera.
* Importât .
* Manquât .
* Ne finissent.
* l.t s mortels.
* Dans les.
* Ainsi que.
Légitimement.
k Égare.
'Méprisent.
Labourer,
284
LE ROMAN
(v. 20580.)
Ne jà n'i tendront droite rue,
Ains vont bestornant* la charrue,
Et conféraient lor euvres maies*
Par excepcious anormales ,
Quant Orphéus vuelent ensivre*
Qui ne sot arer* ne escrivre ,
Neforgier en la droite forge :
Pendus soit-il parmi la gorge !
Quant tex rieules* controva,
Vers Nature mal se prova.
Cil qui tel mestresse despisent*, .
Quant à rebors ses letres lisent,
Et qui por le droit sens entendre,
Par le bon chief n'es* vuelent prendre,
Ains pervertissent* l'escriture
Quant il vieneut à la lecture,
Ont tout l'escommeniement*
Qui tous les met à dampnement*,
Puis que là se vuelent aerdre*;
Ains qu'il muirent*, puissent-il perdre
Et l'aumosnière et les estales*
Dont il ont signes d'estre mâles!
Perte lor viengne des pendans
A quoi l'aumosnière est pendans!
Les martiaus dedens atachiés
Puisseut-il avoir errachiés!
Li grefe lor soient tolu ,
Quant escrivre n'en ont volu
Dedens les précieuses tables
Qui lor estoient convenables !
Et des charrues et des sos*,
S'il n'en arent* à droit, les os
Puissent-il avoir depeciés,
Sens jamès estre redreciés !
Tuit cil qui ceus voldront ensivre*,
' Tournant mal.
'Mauvaises.
Suivre.
'Labourer.
* Telles règles.
* Méprisent.
* Bout ne les.
* Tournent de travers.
* Excom m uuication .
' Damnation.
* Attacher.
* Avant qu'ils meurent.
" Parties qui font les éta-
lons.
*Socs.
* Labourent.
* Suivre.
(t. 20614.) DE LA ROSE. 285
A grant honte puissent-il vivre !
Li lor péchiés ors* et orribles *Suie.
Lor soit dolereus et pénibles ,
Qui par tous leus fuster* les face, * Fustiger.
Si que l'en les voie en la face !
Por Dieu, seignor, vous qui vives,
Gardés que tex gens n'ensivés* ; * Telles gens ne suivie:.
Soies es euvres natlireUS* * Dans les œuvres natu-
re lie s.
Plus vistes que uns escureus,
Et plus légiers et plus movans
Que ne puet estre oisel ne vans.
Ne perdes pas cest bon pardon ;
Trestous vos péchiés vous pardon*, *Je vous pardonne.
Por tant* que bien i travailliés. * Pourvu.
Remués- vous, tripes, saillies*, * Damez, sautez.
Ne vous lessiés pas refroidir
Ne trop vos membres enroidir;
M étés tous vos ostiz en euvre :
Assés s'eschaufe qui bien euvre.
Ce fort exconimuniement
Met Genius sur toute gent
Qui ne se veullent remuer
Pour l'espèce continuer.
Ares, por Dieu, barons, ares*, 'Mari.-., labourez.
Et vos lignages réparés :
Se ne pensés forment d'arer,
N'est riens qui les puist réparer.
Secorciés-vous* bien par devant *Sècouez-voù.t.
Aussinc cum por cuillir le veut;
Ou, s'il vous plaist, tout nu soies,
Mes trop froit ne trop chaut n'aies :
Levés à deus mains toutes nues
Les mancherons de vos charrues ;
Forment as bras* les sostenés, * Avec les bras.
28C
LE ROMAN
(v. 20644.)
Et du soc bouter vous pénés
Roidement en la droite voie,
Por miex afonder en la roie*.
Et les chevaus devant alans,
Por Dieu ne les lessiés jà lans;
Asprement les esperonés ,
Et les plus grans cops lor donés
Que vous onques doner porrés ,
Quant plus parfont arer vorrés*.
Et les bues as testes cornues
Acoplés as jous des cbarrues,
Réveilliés-les as* aguillons,
A nos bienfaiz vous acuillons;
Se bien les piqués et sovent,
Miex en arerés par convent*.
Et quant are aurés assés,
Tant que d'arer serés lassés,
Que la besoiugne à ce vendra
Que reposer vous con vendra*,
(Car chose sens reposement
]\Te puet pas durer longement,)
Ne ne porrés recommencier
Tantost por l'uevre ravancier,
Du voloir ne soies pas las.
Cadmus, au dit* dame Palas,
De terre ara plus d'un arpent,
Et sema les dens d'un serpent
Dont chevalier armé saillirent*,
Qui tant entr'eus se combatirent,
Que tuit eu la place morurent,
Fors ciuc qui si * compaignon furent,
Et li voldrent* secors douer,
Quant il dut les murs maçoner
De Thèbes, dont il fu fondierres*.
Cist assistrento li* les pierres,
* Enfoncer dans la raie.
'' Labourer voudrez.
* Avec les.
* De concert.
* II vous faudra.
* Au dire de.
* Sortirent.
Ses.
* Et lui voulurent.
* Fondateur.
* ( eu.r-là assirent avec lui.
(v. 20079.)
DE LA ROSE.
287
Et li pneplèrent sa cité,
Qui est de grant antiquité.
Moult fist Cadmus bone semence,
Qui le sien pueple ainsinc avance ;
Se vous ausiuc bien commenciés,
Vos lignaiges moult avanciés.
Si r'avés-vous deus avantaiges*
Moult grans à sauver vos lignaiges ;
Se le tiers* estre ne volés,
Moult avés les sens afolés*.
Si n'avés c'un sol nuisement*,
Desl'endés-vous proeusement* :
D'une part iestes assailli,
Trois champions sunt moult failli,
Et bien ont déservi* à batre,
S'il ne puéent le quart* abatre.
Trois serors sunt, se n'el savés , .
Dont les deus à secors avés :
La tierce* solement vous griève,
Qui toutes les vies abriève*.
Sachiés que moult vous réconforte
Eloto, qui la quenoille porte,
Et Lachesis qui les filz tire;
Mes Atropos ront et descire
Quanque* ces deus puéent filer.
Atropos vous bée à guiler*.
Ceste qui parfont ne lorra,
Tous vos lignages enforra*,
Et vait espiaut vous-méismes :
One pire beste ne véismes,
N'avés nul anemi greignor*.
Seignor, merci, merci, seignor;
Souviengne-vous de vos bous pères
Et de vos ancienes mères;
Selonc lor faiz les vos ligniés*,
* -4insi vous avez de votre
côte.
* Si le troisième.
* Blessés.
" Qu'une seule chose nui-
sible.
* En preux.
* Mérité.
* Peuvent le quatrième.
* La troisième.
Abrèije.
* Ce que.
* Aspire à vous tromper,
* Enfouira .
Plus grand.
* Conforme:.
288
LE ROMAN
Gardés que vous ne forligniés.
Qu'ont-il fait, prenés-vous-i garde?
S'il est qui lor proèce esgarde,
Il se sunt si bien desfend u,
Qu'il vous ont cest estre rendu ;
Se ne fust lor chevalerie,
Vous ne fussiés pas or* en vie.
Moult orent de vous grant pitié
Par amors et par amitié.
Pensés des autres qui vendront*,
Qui vos lignages maintendront ;
Ne vous lessiés pas desconiire :
Grefes avés, pensés d'eserire ;
M'aies pas les bras emmoflés*.
Martelés, forgiés et soflés,
Aidiés Cloto et Lachesis,
Si (pie, se des filz cope sis
Atropos qui tant est vilaine,
Il euressaille* une douzaine.
Pensés de vous monteplier :
Si porrés ainsi ne concilier*
La félonesse *, la revesche
Atropos, qui tout empéesche.
Geste lasse, ceste chetive,
Qui contre les vies estrive*,
Et des mors a le cuer si baut*,
Norrist Cerbérus le ribaut
Qui tant désire lor morie*,
Qu'il en frit tout de lécherie*,
Et de fain erragié * morust ,
Se la garce n'el secorust.
Car s'el ne fust, il ne péust
James trover qui le péust*.
Ceste de li pestre ne cesse;
Et por ce que soef * le presse,
* Maintenant.
tiendront.
Gaules.
Resorte.
* Attraper.
* La cruelle.
* Lutte.
* Joyeux.
* Perte, dommage,
* Convoitise.
Enragé.
kLe repût.
Doucement.
(v. 207Î9.J
DE LA ROSE.
289
Cis mastins li pent as mameles
Qu'el a tribles, non pas jumelés.
Ses trois groins en son sain li muce*,
Et la groignoie et tire et suce.
N'onc ne fu, ne jà n'iert* sevrés,
Si ne quiert-il* estre abevrés
D'autre let, ne ne li demande
Estre péus d'autre viande*,
Fors solement de cors et d'ames ;
Et el li giete hommes et famés
A monciaus en sa trible geule.
Ceste-là li pest toute seule,
Et tous jors emplir la li cuide* ;
Mes el la trueve tous jors vuide,
Combien que de l'emplir se paine.
De son relief* sunt en grant paine
Les trois ribaudes felonesses,
Des félonies vengeresses ,
Alecto et Tbesiphoné,
Car de chascuue le non é.
La tierce r'a* non Megera,
Qui tous, s'el puet, vous mengera.
Ces trois en enfer vous atendent;
Ceus lient, bâtent, fustent*, pendent,
Hurtent, hercent*, escorchent, foulent,
Soient, ardent, greillent et boulent*,
Devant les trois prévoz léans*
En plain consistoire séans,
Ceus qui firent les félonies
Quant il orent es* cors les vies.
Cil par lor tribulacions
Escorcent* les confessions
De tous les maus qu'il onques firent
Dès icele ore* qu'il nasquirent.
Devant eus tous li pueples tremble.
ROMAN DE LA UOSF.. — T. II.
Caclic.
Ne sera .
Veut-il.
Nourriture.
* Croit, pense.
' De le rassasier
" La troisième a de son
côté.
Fustigent.
* Torturent .
* Brûlent, grillent et
bouillent.
* Là-dedans.
'Dans les.
Découvrent.
'Heure.
9.5
2«J0
LE ROMAN
Si sui-ge trop coars, ce semble,
Se ces prévoz nomer ci n'os* : *Je n'ose.
C'est Radamantus et Minos,
Et le tiers* Eacus, lor frère. * Troisième.
Jupiter à ces trois lu père.
Cil trois, si cum l'en les renomme,
Furent au siècle* si prodomme, *Dans le monde.
Et justice si bien maintindrent,
Que juges d'enfer en devindrent.
Tel guerredon* lorenrendi * Récompense .
Pluto, qui tant les atendi,
Que les âmes des cors partirent*, * Séparèrent.
Où tel office déservirent*. * Méritèrent.
Por Dieu, seiguor, que * là u'ailliés, * Pow que.
Contre les vices batailliés,
Que Nature, nostre maistresse,
Me vint bui conter à ma messe.
Tous les me dist, onc puis ne sis.
Vous eu troverés vingt et sis
Plus nuisans que vous ne cuidiés*; * Pensiez.
lit se vous estes bien vuidiés
De l'ordure de tous ces vices,
Vous n'enterrés jamais es* lices * Dans les.
Des trois garces devant nommées
Qui tant ont maies* renommées, * Mauvaises.
Ne ne craindrés les jugemeiis
Des prévos plains de dampnemens*. * Damnations.
Ces vices conter vous voldroie,
Mes d'outrage m'entremetroie* ; *Je sortirais des bon
Assés briefment les vous expose
Li jolis Romans de la Rose :
S'il vous plaist, là les regardés,
Por ce que d'ans miex * vous gardés. * D'eux mieux.
Pensés de mener bone vie ,
Aut* ebascuns embracier s'amie, * Aille.
(y. 20819.) DE LA ROSE. 291
Et son ami chascune embrace ,
Et baise et festoie et solace*; * Réjouisse.
Et loiaument vous entr'amés,
Jà n'eu devés estre blasmés;
Et quant assés aurés joé ,
Si CUm ge VOUS ai ci loé*, * Conseillé.
Pensés de vous bien con fessier
Por bien faire et por mal lessier,
Et réclamés le Roi célestre
Que Nature réclame à mestre.
Cil en la fin vous secorra,
Quant Atropos vous enforra* : * Enfouira.
Cil est salus de cors et d'ame,
C'est li biaus miroers ma dame ;
Jà ma dame riens ne séust,
Si ce bel miroer n'éust.
Cil la governe, cil la rieule*, * Règle.
Ma dame n'a point d'autre rieule ;
Quanqu'ele set*, il li aprist *Tout ce qu'elle sait.
Quant à la ebamberière la prist.
Or voil*, seignor, que ce sermon * Maintenant je veux.
Mot à mot, si cum* vous sermon, "Ainsi que je.
Et ma dame ainsinc le vous mande,
Que ebascuns si bien i entende ,
(Car l'en n'a pas tous jors son livre,
Si r'est* uns grans anuis d'escrivre,) * Et c'est.
Que tout par cuer les retengniés,
Si qu'en quel leu que vous vengniés,
Par bors*, par chastiaus, par cités * Bourys.
Et par viles, les récités,
Et par iver et par esté ,
A ceus qui ci n'ont pas esté.
Bon fait retenir la parole,
Quant ele vient de bone escole,
Et meillor la fait raconter;
292
LE ROMAN
Moult en puet-1'en en pris* monter.
Ma parole est moult vertueuse*,
Ele est cent tans* plus précieuse
Que saphirs, rubis ue balai.
Biaus seignor, ma dame en sa lai*
A bien mestier * de presehéors
Por chastier* les péchéors
Qui de ses rigles se desvoient*,
Que tenir et garder devroient.
Et se vous ainsinc préeschiés,
Jà ue serés empéeschiés,
Selonc mou dit et mon acort,
Mes* que le fait au dit s'acort,
D'entrer ou parc du champ joli
Où ses brebis conduit o li*,
Saillant* devant par les hcrbis ,
Le fiz de la Virge berbis,
O toute* sa blanche toison,
Eu prez où, non pas à foison,
Mes à compaignie escherie*,
Par l'estroite sente série*
Qui toute est florie et herbue,
Tant est poi marchie et batue,
S'en vont les berbietes* blanches,
Bestes débonaires et franches,
Qui l'erbete broutent et paissent
Et les floretes qui là naissent.
Mes sachiés qu'il ont là pasture
De si vertueuse nature*,
Que les délitables* floretes
Qui là naissent fresches et netes,
Que euillent ou printens puceles,
Tant sunt fresches, tant suut noveles,
Cum esteles* reflamboians
Par les herbetes verdoians
(V. 2085';.
* Valeur.
'A beaucoup de vertus.
* Fois.
*Loi.
* Besoin.
* Enseigner.
* S'éloignent.
* Pourvu.
* Avec lui.
* Sautant.
* Avec.
* En petit nombre.
* Sentier agréable.
* Petites brebis.
De nature si bien douce
* Délectables.
* Etoiles.
DE LA ROSE.
293
Au matinet à la roiisée,
Tant ont toute jor ajornée*
De ior propres biautés naïves,
Fines coiors, fresches et vives,
N'i sunt pas au soir enviellies,
Ains i pnéeut* estre cueilies
Itex* le soir comme le main**,
Qui au cuellir vuet mètre main ;
N'el ne sunt point, sachiés de certes,
Ne trop closes ne trop overtes,
Ains flamboient par les herbages
El meillor point de lor aages :
Car li solans léens* luisans,
Qui ne lor est mie nuisans,
Ne ne degaste * les rousées
Dont el sunt toutes arousées,
Les tient adés* en biautés fines,
Tant lor adoucist les racines.
Si vous di que les berbietes*
Ne des herbes ne des fioretes
James tant brouter ne porront,
Cum tous jors brouter. les voiront*,
Que tous jors n'es* voient renaistre,
Tant les sachent brouter ne paistre.
Plus vous di, n'el tenés à fables,
Qu'el ne sunt mie corrumpables*,
Combien que les brebis les broutent ,
Cui* les pastures rien ne coustent;
Car lor piaus ne sunt pas vendues
Au dar renier, ne despendues *
Lor toisons por faire dras langes*,
Ne covertoirs à gens estranges*.
Jà ne seront d'ans estrangies*,
Ne lor chars* en la fin mangies,
Ne corrompues ne maumises*,
*Jour levé.
* Mais y peuvent.
* Telles. ** Matin.
* Certainement.
* Le soleil là-dedans.
Ni ne 'j<îte.
* Toujours.
* Petites brebis.
* Voudront.
* Ne les.
* Corruptibles.
*A qui.
* Dépensées, employées.
* 75e laine.
* Étrangers.
* Eloignées.
* Chairs.
* Maltraitées.
25.
291 LE ROMAN (t. 20021.)
Ne de maladies sorprises -,
Mes sens faille *, quoi que ge die , * Sans faute.
Du bon pastor ne di-ge mie
Qui devant soi paistre les maine,
Qu'il ne soit vestus de lor laine.
Si n'es* despoillc-il ne ne plume, * il ne les.
Ne lor toit* le pois d'une plume ; * Ni ne leur enlève.
Mes il li plest et bon li semble
Que sa robe la lor resemble.
Plus dirai, mes* ne vous anuit, "Pourvu que.
Conques n'i virent nestre nuit.
Si n'ont-il qu'un jor solement;
Mes il n'a point d'avespremeut*, * Chute du jour.
Ne matin n'i puet commencier,
Tant se sache l'aube avancier :
Car li soirs au matin s'asemble,
Et li matins le soir resemble.
Autel * vous di de chascune bore ; * De mime.
Tous jors en un moment demore
Cis jors qui ne puet anuitier*, * Sechantj&r en nuit.
Tant sache à li la nuit luitier.
N'il n'a pas temporel mesure
Cis jors tant biaus, qui tous jors dure
Et de clarté présente rit.
Il n'a futur ne prétérit :
Car qui bien la vérité sent,
ïuit li trois tens i sunt présent,
Liquex * présent le jor compassé; * Lequel.
Mes ce n'est pas présent qui passe
En partie por détenir*, "Finir.
Ne dont soit partie à venir.
N'onc prétérit présent n'i fu ,
Et si vous redi que li fu-
Turs n'i aura jamès présence,
Tant est d'estoble permanence ;
Y. 20959.)
DE LA R03E.
295
Car H solaus* resplendissons
Qui tous jors lor est parissans,
Fait le jor en un point estable,
Tel cum en printens pardurable*.
Si bel ne vit, ne si pur nus*,
Néis* quant régnoit Saturnus
Qui tenoit les dorés aages,
Cui* Jupiter fist tant d'outrages
Son filz, et tant le tormenta,
Que les c li sousplenta*.
Mes certes, qui le voir* en conte,
Moult fait à prodomme* grant honte
Et grant damage, qui l'escoille,
Car qui des c le despoille,
Jà soit ce néis que* ge taise
Sa grant honte et sa grant mésaise,
Au mains de ce ne dout-ge mie,
Li tolt-il* l'amor de s'amie,
Jà si bien n'iert* à li liés;
Ou s'il iert espoir* mariés,
Puis que si mal va ses affaires,
Pert-il, jà tant n'iert débonaires,
L'amor de sa loial moillier* (1).
Grans péchiés est d'omme escoillier,
Ensorquetout* cil qui l'escoille
' Le soleil.
* Eternel.
*Nul.
* Même.
*A qui.
*Enleva.
* Le vrai.
* Brave homme.
: Quoique même.
* Lui ravit-il.
* Quelque bien qu'il soit.
* Était peut-être.
* Sa Jemme légitime.
* Surtout.
(1) Telle est la morale d'un fabliau (du Pescheor de Pont-seur-Saine)
publié dans le recueil de Méon, t. III, p. 471-478. Le trouvère termine
ainsi :
Je di en la fin de mon conte
Que s'une famé avoit un conle
Le plus bel et le plus adroit
Et le plus alosé* qui soit, "Fameux.
Et fust chevaliers de sa main
Meillor c'onques ne fu Gavain,
Por tant que il fust escoillié,
Tost le voudroit avoir cbangfé
Au pior* de tout son ostel, etc. * Contre le pire.
296 LE ROMAN (v. 209S4.
Ne Ii toit* pas sens plus la c (I), * Enlève.
Ne s'amie que tant a chière ,
Dont jamès n'aura bêle chière*; * Figure, mine.
Ne sa moillier, car c'est du mains;
Mes hardement et muers* humains * Hardiesse et mœurs.
Qui doivent estre es* vaillans hommes : *Dan$ les.
Car escoilliés, certain en sommes,
SlUlt COarS, pervers et chenillS*, * De la nature des chiens.
Por ce qu'il ont muers fémenins.
Nus escoilliés certainement
N'a point en soi de hardement,
Se n'est espoir* en aucun vice, *Si ce n'est peut-être.
Por faire aucune grant malice •
Car à l'aire grans déablies * 'Diablerie*.
Sunt toutes famés trop hardies.
Escoillié en ce les resemblent,
Por ce que lor muers s'entresemhlent;
Ensorquetout* li escoillières, 'Surtout.
Tout ne soit-il murtriers ne lierres* . * Larron.
(I) Je n'ai trouvé ces vers que dans un manuscrit portant la date
de 1330:
Si m'aïst* Dicx et saint Yvurtre, 'Que m'aide.
Je le prise poi mains de * tnurlre : * Peu moins que.
Carcis n'ocisi qu'une persone
D'un cop mortel, qui plus n'en donc :
Mrs li fel * qui les c trenche, * Le cruel.
L'engendremenl d'enfans estenche*, * Arrête.
jidiii les anus sunt si perdues
Que ne puéent* estre rendues * Peuvent.
Ne par miracle ne par pêne.
Ceste perte est par trop \ilene,
li est si vilainne l'injure,
Que tant cum li escoilliés dure,
Tousjors mes procurra haine
\u massecrier et ataïne *, * Rancune.
Ne ne puel de cuer pardoner,
Vins désire gerredoner* : * Bécompenser, revaloir.
Si l'estuet * en péchié inorir, * Et il luijaut.
Et en enfer l'ame corir.
(MÉOH.)
(v. 21003.) DE LA ROSE. 297
Ne n'ait fait nul mortel péchié,
Au mains a-il de tant péchié ,
Qu'il a fait grant tort à Nature
De li tolir s'cngendréure*. * De '»' ravir sa faculté
d'engendrer.
Nus escuser ne 1 en sauroit,
Jà si bien pensé n'i auroit,
Au mains ge*; car se g'i pensoie, *Au moins moi.
Et la vérité recensoie ,
Ains* porroie ma langue user, * Auparavant.
Que l'escoilleor escuser
De tel péchié, de tel forfait,
Tant a vers Nature forfait.
Mes quelcunques péchiés ce soit,
Jupiter force n'i faisoit,
Mes* que, sens plus, a ce venist * sinon.
Que le règne* en sa main tenist. * Royaume.
Et quant il fu rois devenus,
Et sires du monde tenus,
Si bailla ses commandemens,
Ses lois, ses establissemens ;
Et fist tantost tout à délivre*, *Tout de suite.
Por les gens enseiguier à vivre ,
Son ban crier en audience,
Dont ge vous dirai la sentence.
Comment Jupiter fist preschier
Que chascun ce qu'a voit plus chier
Prenist, et en fist à son gré
Du tout e' à sa voulenté.
Jupiter, qui le monde règle,
Commande et establit pour règle,
Que chascuns pense d'estre aaise ;
Et s'il set chose qui li plaise,
Qu'il la face, s'il la puet faire,
Por solas* à son cuer atraire**. *joie. ** Attirer,
298
LE ROMAN
21033.
Onc autrement ne sermona ,
Communément abandona
Que chascuns endroit soi* féist
Quanque délitable* véist .
Car déliz, si cum* il disoit,
Est la meillor chose qui soit,
Et li soverains biens en vie,
Dont chascuns doit avoir envie;
Et por ce que tuit l'ensivissent*,
Et qu'il à ses euvres préissent
Exemple de vivre, f.iisoit
A son cors quanqu'il* li plaisoit
Dans* Jupiter li renvoisiés**,
Par qui délis iert tant proisiés*.
Et si cum* dist en Géorgiques
Cil qui nous escrit Bucoliques,
(Car es livres grégois* trova
Comment Jupiter se prova)
Avant que Jupiter veuist*,
N'ert bons* qui charue teuist**;
Nus n'avoit onques champ are*,
Ne cerfoï* ne réparé.
N'onques n'avoit assise bonne*.
La simple gent paisible et bonne
Communaument eutr'eus quéroient
Les biens qui de lor gré venoient.
Cil commanda partir* la terre,
Dont nus* sa part ne savoit querrc,
Et la devisa par arpens.
Cil mist le venin es* serpens ;
Cil aprist les leus* à ravir,
Tant fist malice en haut gravir;
Cil les fresnes miéleus* trencha,
Les ruissiaus vivens estancha ;
Cil fist par tout le feu estaindre.
* Quant à lui.
* Ce que délectable.
* Plaisir, ainsi que.
* Le suivissent.
* Ce qu'il.
* Seigneur. ** Réjoui.
* Etait tant prisé.
* Et ainsi que.
* Dans les Unes grecs.
* fini.
* N'était homme. **7V»/.
* Labouré.
' Remué avec la serfouet-
te.
" Home.
* Partager.
'Nul.
* Bans les.
* Loups.
* Qui portaient du miel.
(t. 2I0G8.)
DE LA ROSE.
299
(Tautsemilla * porgensdestraindre** !)
Et le lor fist quérir es pierres,
Tant fu soutis* et baretierres**.
Cist fist diverses ars noveles,
Cil mist noos et numbre es esteles* ;
Cil gluz et laz et rois* fist tendre
Por les sauvages bestes prendre,
Et lor huia* les chiens premiers,
Dont nus n'iert avant* coustumiers.
Cil donta les oisiaus de proie
Par malice qui gens asproie* ;
Assaut mist, haine et batailles
Entre esperviers, perdris et cailles,
Et fist tornoiement es * nues
D'ostoirs*, de faucons et de grues,
Et les fist au loirre* venir ;
Et por lor grâce retenir,
Qu'il retornassent à sa main,
Les put-il au soir et au main*.
Ainsinc tant fist li damoisiaus,
Est boas sers* as félons oisiaus,
Et s'est en lor servage mis
Por ce qu'il iereut* auemis,
Comme ravisséors orribles
As autres oisillons paisibles,
Qu'il ne puet par l'air aconsivre*;
îse sens lor char* ne voloit vivre,
Ains en voloit estre mangierres ,
Tant ert délicieus léchierres*,
Tant ot les volatiles chières.
Cil mist les furez es* tenières,
Et fist les eonnins* assaillir
Por eus faire es roisiaus saillir*.
Cil fist, tant par ot son cors chier * ,
Eschauder, rostir, escorchier,
* Se remua. ** Tourmen-
ter.
* Subtil. ** Trompeur.
Aux étoiles.
"Celui-là glus et lacs et
rets.
* Siffla.
*Nûln'étaii auparuvant.
* Tourmente.
* Dans les.
* D'autours .
* Leurre.
"Matin.
* Que l'homme est serf.
* Étaient.
* Atteindre.
* Chair.
* Gourmand.
* Dans les.
* Lapins.
* Dans les réseaux sauter.
"Tant il eut son corps
cher.
300
LE ROMAN
Les poissons de mer et de flueves,
Et fist les sauces toutes nueves
D'espices de diverses guises,
Où il a maintes herbes mises
Ainsinc sunt arz avant venues ;
Car toutes choses sunt veincues
Par travail, par povreté dure,
Par quoi les gens sunt en grant cure* :
Car li mal* les engins esmuevent,
Par les engoisses qu'il i truevent.
Ainsinc le dist Ovides, qui
Ot assés, tant cum il vesqui,
De bien, de mal, d'onor, de honte,
Si cum il-méismes raconte.
Briefment, Jupiter u'entendi,
Quant à terre tenir tendi,
Fors muer* Testât de l'empire
De bien en mal, de mal en pire.
Moult ot en li mal* justicier :
Il fist printens apeticier*,
Et mist Tan en quatre parties.
Si cum el sunt ores parties*,
Esté, printens, autumpne, yvers,
Ce sunt li quatre tens divers
Que tous printens tenir soloit* ;
Mes Jupiter plus n'el voloit,
Qui, quant au règne s'adreea*,
Les aages d'or dépeça,
Et fist les aages d'argent,
Qui puis furent d'arain; car gent
Ne finèrent puis d'empiricr,
Tant se voldreut mal atirier*.
Or* sunt d'arain en fer changié,
Tant ont lor estât estrangié*,
Dont moult sunt liez* li die\ des sales
Soin, souri.
'Les maux.
" Si ce n'est changer.
* Mauvais.
* Rapetisser.
" Maintenant partagées
"Avait coutume.
* Parvint à la royauté.
"Se voulurent mal corn-
porter.
* Maintenant.
* Éloigné.
* Joyeux.
(v. 21 138.)
DE LA ROSE.
301
Tous jors ténébreuses et sales,
Qui sor les hommes ont envie,
Tant cum il les voient en vie.
Cist r'ont en lor rais* atachies,
Dont jamès n'ierent* relachies,
Les noires berbis dolereuses,
Lasses, cbetives. morineuses*,
Qui ne voldreut aler la sente*
Que li biaus aignelés présente,
Par quoi toutes fussent franchies ,
Et lor noires toisons blanchies,
Quant le graut chemin ample tindrent,
Par quoi là herbergier se viudrent
A compaignie si planière,
Qu'el tenoit toute la charrière*.
Mes jà beste qui léens* aille,
JVi portera toison qui vaille,
Ne dont l'en puist néis* drap faire,
Se n'est aucune orrible haire
Qui plus est aguë et poignans*,
Quant ele est as costes joignans,
Que ne seroit uns pelicons
De piaus de velus hériçons.
Mes qui voldroit charpir* la laine,
Tant est mole et soef* et plaine,
Por qu'il -en éust tel foison
De faire dras de la toison
Qui seroit prinse es* blanches bestes,
Bien s'en vestiroient as festes
Emperéor ou roi, voire ange,
S'il se vestoieut de dras lange*.
Por quoi, bien le poés savoir,
Qui tex* robes porroit avoir,
Moult seroit vestus noblement ;
Et por ice méismement*
* Ceux-là ont à leur tour
eu leurs rets.
1 ' f\'e seront.
* Malades.
* Le sentier.
La route.
* Là dedans.
* On puisse même.
* Piquante.
* Carder.
* Douce.
* Prise dans les.
* De laine.
* Telles.
* Et pour cela de même.
2C
302
LE ROiMAN
(v. 21 173.)
Les devroit-1'en tenir plus chières,
Car de tex * bestes n'i a guières ;
Ne li pastors qui n'est pas nices*,
Que le bestail garde et les lices
En ce biau parc, c'est chose voire*,
Ne lerroit* entrer beste noire
Por riens qu'en li séust prier,
Tant li plaist les blanches trier,
Qui bien congnoissent lor bergier :
Por ce vont o li * herbergier,
Et bien sunt par li congnéues ,
Par quoi miex en sunt recéues.
Si vous di que li plus piteus*,
Li plus biaus, li plus déliteus*
De toutes les bestes vaillans ,
C'est li blans aignelés saillans*,
Qui les berbis ou parc amaine
Par son travail et par sa paine :
Car bien set, se nule en desvoie *,
Que li leus* solemcnt la voie ,
Qui nule autre chose ne trace*
Ne mes qu'ele isse* de la trace
A l'aignel qui mener les pense,
Qu'il l'emportera sens desfense,
Et la mengera toute vive ;
Ne l'en puet garder riens qui vive.
Seignor, cis aiguiaus vous atent.
Mes de li nous tairons atant*,
Fors* que nous prions Dieu le Père
Qu'il, par la requeste sa mère,
Li doint* si les berbis conduire,
Que li leus ne lor puisse nuire ;
Et que par péchié ne faillies
Que joer en ce parc n'aillics,
Qui tant est biaus et délitables*,
* Telles.
'"Simple.
* fraie.
* Laisserait.
''Avec lai.
* Compatissait!
* Délicieux.
* Sautant.
'Sort de la voie.
* Le loup.
* Cherche.
* Si ce n'est qu'elle sorte.
" Maintenant.
' Si ce n 'est .
Lui donne..
Dcleclabl-e.
(v. 21208.)
DE LA ROSE.
303
D'erbes, de Hors tant bien flerables*, * Odorant.
De violetes et de roses
Et de trestoutes bones choses.
Car qui du biau jardin quarré,
Clos au petit guichet barré
Où cil amant vit la karole*,
Où Déduit o* sa gent karole,
A cel biau parc que ge devise*,
Tant par est biaus à grant devise*,
Faire voldroit comparaison ,
Il feroit trop grant mesprison*.
S'il ne la fait tele ou semblable
Cum il feroit de voir* à fable :
Car qui dedens ce parc seroit,
Aséur jurer oseroit,
Ou méist, sens plus, Pueil léans*,
Que li jardins seroit néans
Au regart* de ceste closture
Qui n'est pas faite en quarréure,
Ains est si ronde et si soutille*,
Conques ne fu béril ne bille*
De forme si bien arrondie.
Que volés-vous que ge vous die?
Parlons des choses qu'il vit lores
Et par dedens et par defores,
Et par briés moz* nous en passons,
Por ce que trop ne vous lassons :
Il vit dix laides ymagetes
Hors du jardin, ce dit, portraites.
Mes qui defors ce parc querroit* ,
Tous figurés i troveroit
Enfer, et trestous les déables
Moult laiz et moult espoentables,
Et tous défauz et tous outrages*, * Excès.
Qui font en enfer lor estages*, * Séjours.
* Ronde, danse.
* Avec.
* Décris.
* Souhait.
* Faute.
* Vérité.
* Là dedans.
* Au prix.
* Subtile.
* Bâton.
* Brefs mots.
'Chercherait.
304
LE ROMAN
V. 21243.
Et Cerbérus qui tout enserre.
Si* troveroit toute la terre
O* ses richeces ancienes
Et toutes choses terrieues;
Et verroit proprement la mer,
Et tous poissons qui ont amer,
Et trestoutes choses marines ,
laues douces, troubles et liues,
Et les choses grans et menues,
En iaues douces contenues;
Et l'air et tous les oisillons,
Et moschetes* et papillons,
Et tout quaoque* par l'air résone;
Et le l'eu qui tout avirone,
Les muances les teuemens*
De tous" les autres élémens.
Si verroit toutes les esteles*,
Clères et reluisans et bêles,
Soient errans, soient lîchies*,
En lor espères estachies*.
Qui là seroit, toutes ces choses
Verroit de ce biau parc encloses,
Ausinc apertement* portraites
Cum proprement aperçut* faites.
Or* au jardin nous en alons.
Et des choses dedens parlons.
11 vit, ce dit, sor l'erbe fresche
Déduit qui demenoit sa tresche*,
Et ses gens o li karolans*
Sor les floretes bien olans*;
Et vit, ce dit li damoisiaus,
Herbes, arbres, bestes, oisiaus,
Et ruisselez et fonteueles
Bruire et frémir par les graveles",
Et la fontaine sous le pin.
*Et il.
* Avec.
' Petites mouches.
' Ce qui.
* Changements, les po
sessions.
* Étoiles.
* Fixes.
* Sphères liées.
* Ouvertement.
* Aparaissent.
* Maintenant.
* Ronde, danse.
* Avec lui dansants.
'Sentant.
* Graviers.
(v. 21-278.)
DE LA ROSE.
305
Et se vante que puis* Pépin
Ne fut tex" pins; et la fontaine
R'estoit* de trop grant biauté plaine.
Por Dieu, seignor, prenés-i garde,
Qui bien la vérité regarde
Des choses ici contenues,
Ce sunt trufles et fanfelues*.
Ci n'a chose qui soit estable,
Quanqu'il i vit est corrumpable *.
Il vit karoles qui faillirent,
Et faudront tuit cil qui les firent;
Ausinc. feront toutes les choses
Qu'il vit par tout léans* encloses :
Car la norrice Cerbérus,
A cui ne puet riens embler nus*
Humains, que tout ne face user,
Quant el velt* de sa force user,
Et sens lasser tous jors en use
Atropos, qui riens ne refuse,
Par derrier tous les espiot,
Fors les Dieux , se nus* en i ot :
Car sens faille choses devines
Ne sunt mie à la mort enclines.
Mais or* parlons des bêles choses
Qui sunt en ce biau parc encloses.
Ge vous en di génétaument,
Car taire m'en voil erraumeut*,
Et qui voldroit à droit* aler,
N'en sai-ge proprement parler ;
Car nus cuers* ne porroit penser,
Ne bouche d'omme recenser
Les grans biautés, les grans values
Des choses léans contenues ;
Ne les biaus geus, ne les grans joies
Et pardurables et veroies*
* Depuis.
* Tel. .
* Était de son rôle.
* Balivernes et fanfrelu-
ches.
* ( e qu'il // vil est corrup-
tible.
Lu dedans.
* Enlever nul.
* Veut.
*Si nul.
* Maintenant .
* Tout de suite.
* Régulièrement .
* y ni cœur.
* Eternelles et véritables.
20.
306
LE ROMAN
Que li karoleor* demainent, "Danseurs.
Qui dedens la porprise mainent*. * L'enclos restent.
Trestoutes choses délitables*, * Délectables.
Et veroies el pardurahles* "Éternelles.
Ont cil qui léens* se déduisent, * Là dedans.
Et bien est drois; car tous bien puisent
A méismes une fontaine
Qui tant est précieuse et saine,
Et bêle et clere, et nete et pure,
Qui toute arrouse la closture,
De Clli missel* les bestes boivent * De qui le ruisseau.
Qui là vuelent entrer et doivent,
Quant des noires sunt désevrées * : "séparées.
Que puis qu'el en sunt abevréts,
.lamés soit' avoir ne porront,
Et tant vivront comme eus vorront* "fondront.
Sens estre malades ne mortes.
De bone bore entrèrent es* portes, "Dans les.
De bone bore l'aignelet virent,
Que par l'estroit sentier sivirent
En la garde au sage bergier.
Qui les volt o li* herbergier; * Voulut avec lui.
Ne jamès nus bons* ne morroit, * Nul homme.
Qui boivre une fois en porroit.
Ce n'est pas celé desouz l'arbre,
Qu'il vit en la pierre de marbre;
L'en li devroit faire la moe,
Quant il celé fontaine loe.
C'est la fontaine périlleuse,
Taut arrière et tant venimeuse;
Qu'el tua le bel Narcisus,
Quant il se miroit iqui sus*. * Ici dessus.
Il-méismes n'a pas vergoigne
De recougnoistre, ains le tcsmoigne ,
Et sa cruelté pas ne cèle,
(y. 2I3JS.)
DE LA ROSE.
307
Quant périlleus miroir l'apèle,
Et dit que quant il s'i mira,
Maintes fois puis eu sospira,
Tant s'i trova grief* et pesant.
Vez* quel douçor en l'iaue sent!
Diex! cum bone fontaine et sade%
Où li sain devienent malade,
Et cum il s'i fait bon virer
Por soi dedens l'iaue mirer!
Ele sourt, ce dit, à grans ondes
Par deus doiz* crueses et parfondes;
Mes el n'a mie, bien le soi*,
Ses doiz ne ses iaues de soi.
N'est mile cbose qu'ele tiengne,
Que trestout d'aillors ne li viengne;
Puis si redit que c'est sens fin,
Qu'ele est plus clère qu'argent fin.
Vez de que\ trufes* il vous plaide;
Ains est voir* si troble et si laide,
Que chascuns qui sa teste i boule
Por soi mirer, il n'i voit goûte.
Tuits'i forsèneut et s'angoissent*,
Por ce que point ne s'i conguoissent.
Au fons, ce dist, a* cristaux doubles,
Que li solaus* , qui n'est pas troubles,
Fait luire quant ses rais* i giete,
Si cler que cis qui les aguiete*
Voit tous jors la moitié des cboses
Qui sunt en cel jardin encloses;
Et puet le remanant* véoir,
S'il se vuet d'autre part seoir :
Tant sunt clers, tant sunt vertueus*.
Certes ains sunt troble et nueus*.
Por quoi ne font-il démonstrance.
Quant li solaus ses rais i lance,
* Désagréable.
* t'oyez.
* Agréable.
* Canaux.
* Le sais.
* Balivernes.
* Mais est vraiment.
* Tous y perdent le sens et
se désolent.
* Il y a.
* Le soleil.
* Rayons.
* Celui qui les observe.
* Reste.
"Boucs de tant de vertu.
* Nuageux.
308 LE ROMAN (v. 21383.)
De toutes les choses ensemble ?
Par foi, qu'il ne puéent*, ce semble, *Car ils ne peuvent.
Por l'oscurté qui les obnuble* ; * Cache.
Qu'il* sunt si troble et si obnuble, * Car ils.
Qu'il ne puéent par eus soffire
A celi qui léans* se mire, * Là-dedans.
Quant lor clarté d'aillors aquièrent.
Se li rai du soleil n'i lièrent*, * Frappent.
Si qu'il les puissent encontrer,
Il n'ont pooir de riens monstrer;
Mes celé que ge vous devise,
C'est fontaine bêle à devise*. * A souhait.
Or levés un poi les oreilles,
Si m'en orrés dire merveilles.
Celé fontaine que j'ai dite,
Qui tant est bêle et tant profite
Por garir, tant est savorée ,
Trestoute beste enlangorée*, *En langueur.
Pvent tous jors par trois doiz sotives* "Par trois canaux minces.
Iaues douces, clères et vives.
Si sunt* si près à près cbascune, * Et elles sont.
Que toutes s'asemblent à une,
Si que quant toutes les verres,
Et une et trois en troverés,
Se volés au conter esbatre,
Ne jà n'en i troverés quatre,
Mes tous jors trois et tous jors une :
C'est lor propriété commune.
JN'onc tel fontaine ne véismes,
Carelesourt* de soi-méismes. * Coule.
Ce ne font mie autres fontaines
Qui sordent par estraûges vaines.
Ceste tout par soi se conduit,
N'a mestier* d'estrange conduit, "Besoin.
VA se tient en soi toute vive,
(v. 2I4I8.) DE LA ROSE. 309
Plus ferme que roche naïve*. ''Native, naturelle.
N'a mestier* de pierre de marbre, * Besoin.
Ne d'avoir coverture d'arbre ;
Car d'une sorce vient si haute
L'eve, qu'el ne puet faire faute,
Qu'arbre ne puet si haut ataindre,
Que sa hautece ne soit graindre*, * Plus grande.
Fors que sens faille* en un pendant, * sinon que sans foute.
Si cnm el * s'en vient descendant. * Ainsi qu'elle.
Là trueve une olivete basse,
Souz qui toute l'iaue s'en passe;
Et quant l'olivete petite
Sent la fontaine que j'ai dite,
Qui li atrempe ses racines
Par ses iaues douces et fines ,
Si en prent tel norrissement,
Qu'ele en reçoit acroissement,
Et de foille et de fruit s'encharge :
Si* devient si haute et si large, * Et elle.
Conques li pins qu'il vous conta,
Si haut de terre ne monta,
Ne ses rains* si bien n'estendi , * Rameaux.
Ne si bel umbre ne rendi.
Ceste olive tout en estant*, *Cet olivier debout.
Ses rains sor la fontaine estant.
Ainsinc la fontaine s'enumbre*, *S'omb?-age.
Et par le roisant* du bel umbre * Attrait.
Les besteletes là se mucent* * Cachent.
Oui les douces rousées sucent,
Que li dous ruissiaus fait espendre
Par les flors et par l'orbe tendre.
Si pendent à l'olive escrites
En un rolet letres petites
Qui dient à ceus qui les lisent,
Qui souz l'olive en l'ombre gisent :
310
LE ROMAN
21453.)
Ci cort la fontaine de vie
Par desonz l'olive foillie*,
Qui porte le fruit de salu.
Quiex* fu li pins qui l'a valu?
Si vous di qu'en celé fontaine,
(Ce croiront foies gens à paine,
Et le tendront plusors à fables)
Luit uns charboucles* merveillables
Sor toutes merveilleuses pierres,
Trestous réons et à trois quicrres*,
Et siet èmmi* si hautement,
Que l'en le voit apertement*
Par tout le parc reflamboier;
Ne ses rais ne puet desvoier*
Ne vensne pluie ne nublece*,
Tant est biaus et de grant noblece.
Et sachiés que chascune quierre,
(Tex est la vertu de la pierre,)
Vaut autant cum les autres deus :
ïex* sunt entr'eus les forces d'eus.
Ne les deus ne valent que celé,
Combien que chascune soit bêle;
Ne nus* ne les puet deviser**,
Tant les sache bien aviser,
Ne si joindre par avisées,
Qu'il ne les truisse* devisées.
Mes nus solaus* ne l'enlumine,
Qu'il est d'une color si fine,
Si clers et si resplendissans ,
Que li solaus esclarcissans
En l'autre iaue les cristaus doubles,
Lès li* seroit oscurs et troubles.
Briément, que vous en conteroie ?
Autres solaus léans ne roie*
Que cil charboucles flamboians;
* Fettilhe.
' Quel.
* Une escarbouclc.
* Angles.
* Au milieu.
* Ouvertement.
* \ / ses rayons ne peut
égarer.
* Mltaye.
* Telles.
'Si nul. ** Décrire.
* Trouve (subj.).
* Nul soleil.
Près de lui.
* Rayonne.
(v. 21488.
DE LA ROSE.
311
C'est li solaus qu'il ont léans,
Qui plus de resplendor habonde
Que nus solaus qui soit ou monde.
Cis la nuit en essil envoie,
Cis fait le jor que dit avoie
Qui dure pardurablement* * Éternellement.
Sens fin et sens commencement,
Et se tient en un point de gré,
Sens passer signe ne degré,
Ne minuit ne quelque partie
Par quoi puisse estre ore* partie. "Maintenant.
Si r'a* si merveilleus pooir, * Et il a encore.
Que cil qui là le vont véoir,
Si tost cum celé part se virent,
Et lor face en l'iaue remirent,
Tous jors de quelque part qu'il soient,
Toutes les cboses du parc voient,
Et les congnoissent proprement ,
Et cus-méismes ensement* ;
Et puis * que là se sunt véu ,
Tamès ne seront décéu
De nule chose qui puist* estre,
Tant i devienent sage mestre.
Autres merveilles vous dirai :
Que de cesti soleil li rai
Ne troublent pas, ne ne retardent
Les ieux de ceus qui les regardent,
Ne ne les font essaboïr*,
Mes enforcier et resjoïr,
Et ravigorer lor véue
Por la bêle clarté véue
Plaine d'atrempée* chalor,
Qui par merveilleuse valor
Tout le parc d'odor replenist* * Remplit.
Par la grant docoi- qui en ist*. 'Sort.
* Pareillement.
* Dejmis.
* Puisse.
Eblouir.
' De tempérée.
312
LE ROMAN
(v. 21523.)
Raisonnables.
' Lequel est de plus qran
de.
Et por ce que trop ne vous tiengne,
D'un briefmotvoil* qu'il voussoviengne, *Je veux.
Que qui la forme et la matire
Du parc verroit, bien porroit dire
Conques en si bel paradis
Ne lu formés Adans jadis.
Por Dieu, seignor, donc que vous semble
Du parc et du jardin ensemble?
Donés-en resnables* sentences
Et d'accidens et de sustances :
Dites par vostre loiauté
Liquex est de grignor* biauté,
Et regardés des deux fontaines
Laquele rent iaues plus saines,
Plus vertueuses et plus pures,
Et des dois* jugiés les natures,
Jugiés des pierres précieuses
Lesqueles suntplus vertueuses;
Et puis du pin et de l'olive*
Qui cuevre la fontaine vive.
Je m'en tieng à vos jugemens,
Se vous, selonc les erremens
Que léus vous ai eà-arrière,
Donés sentence droiturière* : * Équitable.
Car bien vous di sens flaterie,
Haut et bas ne m'i met-ge mie ;
Car se tort i voliés faire,
Dire faus, ou vérité taire,
Tantost, jà vous n'el quier* celer, *./<? ne le vous veux.
Aillors en vodroie apeler.
Et por nous plus tost acorder,
Ge vous voil briel'ment recorder*, * Rappeler, raconter.
Selonc ce que vous ai conté,
Lor grant vertu, lor grant bonté :
Celé les viz* de mort enivre; *Fivani$.
* Canaux.
L'olivier.
(v. 21553.) DE LA ROSE. 313
Mes ceste fct de mort revivre.
Seignor, sachiés certainement,
Se vous vous menés sagement
Et fêtes ce que vous devrés,
De ceste fontaine bevrés*. * Boirez.
Et por tout mon enseignement
Retenir plus Iégièrement,
(Car leçon à briez moz* léue * En peu de mois.
Plus est de légier retenue)
Ge vous voil ci briément* retraire * Brièvement.
Trestotit quanque* vous devés faire. *Tout ce que.
Pensés de Nature honorer,
Servés-la par bien laborer*. * Travailler.
Mes comment que la chose aviengne,
De raison vueil* qu'il vous soviengne; * Je veux.
Et se de l'autrui riens avés,
Pvendez-le, se vous le savés;
Et se vous rendre ne poés * * Pouvez.
Les biens despendus* ou joés, * Dépensés.
Aies en bone volenté,
Quant des biens aurés à plenté*. * En abondance.
D'occision nus* ne s'aprouche, * De tuerie nul.
PvTetes aies et mains et bouche;
Soies loial, SOl'és piteuS* : * Compatissant.
Lors irés ou champ déliteus* * Délicieux.
Par trace l'aiguelet sivant
lui pardurableté* vivant, * Éternité.
Boivre de la bêle fontaine
Qui tant est doce et elère et saine,
Que jamès mort ne recevrés ,
Si tost cum de l'iaue bevrés;
Aias irés par joliveté* *6alté.
Chantant en pardurableté
Motez, conduis * et chançonetes , * Espèce de poésie.
Par l'erbe vert sor les floretes,
314
LE ROMAN
(y. 21593.
Souz l'olivete karolant*.
Que vous voi-ge ci flajolant?
Drois est que mon frestel estuie*,
Car biaus chanter sovent ennuie;
Trop vous porroie huimès* tenir,
Ci vous voir mon sermon fenir :
Or i perra* que vous ferés,
Quant en haut encroé* serés
Por préeschier sus la bretesche*.
* Dansant.
Mojt flajolet (je) serre.
*. tujourd'hui, mainte-
nant.
* feux.
* Maintenant il paraîtra.
* Pendu.
* Créneau.
V Acteur,
Genius ainsinc lor préesche.
Et les resbaudist et solace* ;
Lors gete le cierge en la pince,
Dont la flame toute enfumée
Par tout le monde est alumée.
N'est dame qui s'en puist desfendre ,
Tant la sot bien Vénus espandre ;
Et la cuilli si haut li vens,
Que toutes les famés vivans,
Lor cors, lor cuers et lor pensées
Ont de celé odor encensées.
Amors de la chartre léue
A si la novele espandue,
Que jamès n'iert bons * de vaillance
Qui ne s'acort à la sentence.
Quant Genius ot tout léu,
Li baron de joie esméu,
Car onc mes, si cum il disoient,
Si bon sermon oï n'avaient ,
IVonc puis qu'il furent concéu
Si grant pardon n'orent eu,
jN'onques n'oïrent ensement*
Si droit escommeniement*,
* Réjouit et récrée.
* Se sera homme.
* Pareillement .
* Si juste exeommuni
tton.
(v. 2IG25.)
DE LA ROSE.
315
Por ce que le pardon ne perdent,
Tuit à la sentence s'aerdent*,
Et respondent tost et vias*,
Amen, amen, fias*, fias.
Si cum la chose ert* en ce point,
N'i ot puis de demore* point ;
Chascuns qui le sermon amot*,
Le note en son cuer mot à mot :
Car moult loi* sembla saluable*
Por le bon pardon charitable,
Et moult l'ont volentiers oï.
Et Genius s'esvanoï,
Conques ne sorent qu'il devint.
Dont crient en l'ost plus de vint :
« Or* à l'assaut sens plus atendre
Qui bien set la sentence entendre!
Moult sunt nostre anemi grevé. »
Lors se sunt tuit en piez levé,
Près de continuer la guerre
Por tout prendre et mètre par terre.
* S'attachent.
* Tout de suite.
* Pou rfiat {qu 'il soit fait) .
* Était.
* Retard.
* Aimait.
* Salutaire.
* Maintenant.
Vénus se recoursa* devant "Retroussa.
Ainsi que por cuillir le vent,
Et ala plus tost que !e pas
Au chastel, mais n'i entra pas.
Vénus, qui d'assaillir est preste ,
Premièrement lor amoneste
Qu'il se rendent; et cit que firent?
Honte et Paor li respondirent :
Honte et Paor à f'énus.
Certes, Vénus, ce est néans,
.Ta ne métrés les pies céans ;
Non voir*, s'il n'i avoit que moi, Trament.
Dist Honte, point ne m'en esmoi *. * Emeus.
31 G LE ROMAN (v. 21053.)
L? Acteur.
Quant la déesse entendi Honte :
J émis.
Vile orde* garce, à vous que monte**, "Sale. ** Quel avantage
. . , . avez-vous.
Dist-ele, de moi contrester * ? » Combattre.
Vous verres jà tout tempester,
Se li chastiaus ne m'est rendus;
Par vous n'iert-il jà* desfendus. * Ne sera-l-il j as.
Encontre nous le desfendrés !
Par la char* Dieu ! vous le rendrés, * Par la chair de.
Ou ge vous ardrai* toutes vives, * Brûlerai.
Cum ordes ribaudes chetives.
Tout le porpris voil * embraser, * Clos je veux.
Tors et torneles arroser;
Ge vous eschaufferai les nacbes*; * Fesses.
J'ardrai piliers, murs et estaches*; * Etançons.
Vostre fossé seront empli,
Je ferai toutes mètre en pli
Vos barbacanes là drecies,
Jà si haut n'es* aurés drecies *Ne les.
Que n'es face par terre estendre;
A Bel- Acucil lerrai* tout prendre, * Laisserai.
Boutons et roses à bandon,
Une hore en vente, autre bore en don ;
Ne vous ne serés jà si (1ère
Que tous li mondes ne s'i iière*. *N'y donne.
Tuit iront à procession,
Sens faire point d'excepeion,
Par les rosiers et par les roses,
Quant j'aurai les lices descloses.
Et por Jalousie bouler*, * Tromper.
Ferai-ge par tout défouler
Et les préiaus et les herbages,
V. 2IG8i.
DE LA ROSE.
317
Tant eslargirai les passages.
Tuit i coilleront sens délai
Boutons et roses, clerc et lai :
Religieus et séculer,
N'est nus* qui s'en puist reculer;
Tuit i feront Ior pénitence ,
Mes ce n'iert* pas sens différence.
Li un vendront répostement*,
Li autre trop apertement*;
Mes li répostement venu*
Seront à prodome* tenu;
Li autre en seront disfamé,
Ribaut et bordelier clamé* ;
Tout n'i aient-il pas tel coupe*
Cum ont aucun que nus n'encoupe*.
Si r'est voirs* qu'aucun mauves home,
(Que Diex et sains Pères de Rome
Confonde et eus et lor affaire!)
Leront* les roses por pis faire,
Et lor donra * chapel d'ortie
Déables qui si les ortie* :
Car Genius de par Mature,
Por lor vilté*, por lor ordure,
Les a tous en sentence mis
Avec nos autres anemis.
Honte, se ge ne vous engin*,
Poi pris* mon art et mon engin,
Qu'aillors jà ne m'en clamerai*.
Certes, Honte, je n'amerai
Ne vous ne Raison, vostre mère,
Qui tant est as amans amère.
Qui vostre mère et vous croiroit,
James par amors n'ameroit.
* \ul.
* Xe sera.
* En cachette.
* Ouvertement.
* Mais a ux qui seront ve-
nus en cachette.
" Peur gens de Lien.
* Appelés.
* Faute.
* N'inculpe.
"Et d'un autre côté il est
vrai.
* Laisseront.
* Donnera.
* Excite.
* Bassesse.
* Trompe.
* Peu je prise.
' Cor ailleurs je ne m'en
plaindrai pas.
27.
318
LE ROMAN.
(Y. 2I7IG.)
L'Acteur.
Vénus à plus dire n'entent,
Que bien li sofisoit atant*.
Lors s'est Vénus haut secorcie*,
Bien sembla famé corroeie,
L'arc tent, et le boujon encoche* ;
Et quant el Pot bien mise en coche,
Jusqu'à l'oreille l'arc entoise*,
Qui n'iert* pas plus Ions d'une toise;
Puis avise cum boue archière,
Par une petite te archière
Qu'ele vit en la tor reposte*
Par devant, non pas par encoste*,
Que Nature ot par grant maistrise
Entre deus pilerés* assise.
Cil dui pilers d'ivire* estoient,
Moult gent, et d'argent sostenoient
Une ymagete en leu de chasse ,
Qui n'iert* trop haute ne trop basse,
Trop grosse, trop gresle non pas,
Mes toute taillie à compas,
De bras, d'espaules et de mains ,
Qu'il n'i failloit ne plus ne mains.
Moult ierent gent li autre membre,
Et plus olans* que pomme d'embre.
Dedens avoit* un saintuaire
Covert d'un précieus suaire,
Li plus gentil et li plus noble
Qui fust jusqu'en Constantinoble;
Tel ymage n'ot nus en tor *.
Plus avienent miracle entor
Qu'ains* n'aviut entor Médusa;
Mes ceste trop meillor us* a.
Vers Médusa riens ne duroit,
* Alors.
* Troussée.
* Place la flèche dans la
coche.
* Bande.
* Qui n'était.
* Cachée.
* Côte.
' Petits pilliers.
' Ces deux piliers d'ivoire.
"Qui n'était.
* Odorants.
* Il y avait.
* N'eut nul en tour,
' Qu'auparavant.
* Usage.
(v.
DE LA ROSE.
319
Car en roche transfiguroit,
(Tant faisoit félonesses euvres)
Par ses félons crins de coleuvres,
Trestous cens qui la regardoient.
Par nul engin* ne s'en gardoient,
Fors* Perséus, li filz Jovis,
Qui par l'escu la vit ou vis*,
Que sa suer Pallas li livra.
Par cel escu se délivra,
Par l'escu le chief li toli*,
Si l'emporta tous jors o li*.
Moult le tint chier, moult s'i fiot,
En maint estour mestier* li ot;
Ses fors anemis en muoit*,
Les autres à glaive tuoit.
Mes ne la vit que par l'escu,
Car il n'éust jà puis vescu.
Ses escus li ert* miroers,
Car tiex ert ou chief li poers*,
S'il la regardast face à face,
Roche devenist en la place.
Mes l'yniage dont ci vous conte,
Les vertus Médusa sormonte,
Qu'el* ne sert pas de gens tuer,
Ne d'eus faire en roche muer* :
Ceste de roche les remue*,
En lor forme les continue,
Voire* en meillor c'onques ne furent,
Ne c'onques mes avoir ne purent.
Celé nuist, et ceste profite,
Celé ocist, ceste résuscite ;
Celé les eslevés moult griéve ,
Et ceste les grevés reliéve :
Car qui de ceste s'aprochast,
Et tout véist et tout tochast,
* Invention.
* Excepté.
* Au visage.
* Enleva.
* Avec lui.
* Enmaint combat besoin .
* Changeait.
* Son c'en lui était.
* Tel était à la télé le pou-
voir.
* Car elle.
* Changer.
* Les ôte.
* Même.
320 LE ROMAN (v. 21731.)
S'il fllSt ailîS en roche nillé*, * Auparavant en roche
/-> 1 1 • ■ . changé.
Ou de son droit sens remue , * Bon sens ôté.
.Ta puis roche ne le tenist,
En son droit sens s'en revenist :
Si* fust-il à tous jors garis * Ainsi.
De tous maus et de tous péris.
Si m'aïst Diex*, se ge poisse, *Dieu m'aide.
Volentiers plus près la véisse ;
Voire*, par Dieu, partout tochassc, * Vraiment.
Se de si près en a prochasse;
Mes ele est digue et vertueuse,
Tant est de biauté précieuse.
Et se nus*, usant de raison, *Et si nul.
Voloit l'aire comparaison
D'ymage à autre bien portraite,
Autel* en puet faire de ceste * Pareille.
A l'yniage Pymalion ,
Comme de souris à lion.
Cy c mence la fiction
De l'ymage Pygmalion.
Pymalions, uns entaillières*, * Sculpteur.
Portraians en fust* et en pierres, *En bois.
En métaus, en os et en cires,
Et eu toutes autres matires
Qu'en puel en tex* euvres trover, * relies.
Por son grant engin* esprover, * Esprit.
(Car onc de li bons ne l'ot mieudre*,) * car jamais nue ïuikom-
me ne l'eut meilleur.
Ausinc cum por grans los aqieudre*, 'Grande gloire acquérir.
Se volt* à portraire déduire**. *Sevoulut. ** Amuser.
Si fist* une ymage d'ivuire; * 1:1 il fit.
Si fist et portret l'ymagete
Si bien compassée et si nete,
Et mist au faire tel entente*, * Attention.
Qu'el fu si plésante* et si gente, * Agréable.
(v. -2I8IG.)
DE LA ROSE.
321
Qu'el sembloit estre aotresi* vive
Cum la plus bêle riens* qui vive,
tronques Hélaine ne Lavine (!)
» furent de color si fine,
Ne de si bêle façon nées,
Tant fussent bien enfaçonnées,
Ne de biauté n'orent la disme*.
Tout s'esbabit en soi-méisme
Pymalions, quant la regarde ;
Es-vos* qu'il ne se done garde
Ou' \mors en ses résiaus l'enlace
Si fort qu'il ne set que il face.
A soi-raéismes se complaint.
Mes ne puet estancbicr son plaint*.
« Las! que fai-ge, dist-il, dovs-gié?
Maint vmage ai fait et forgié,
Dont nus n'assomeroit* le pris,
N'onc d'eus amer ne fui sorpri? :
Or sui par ceste mal-baillis*,
Par li m'est tous li sens faillis*.
Las! dont me vient ceste pensée,
Comment fu celé amor pensée?
J'aime une ymage sorde et mue*
Qui ne se crosle* ne remue,
Ne jà de moi merci n'aura :
Tel amor comment me navra*?
Il n'est nus* qui parler en oie,
Qui trop esbabir ne s'en doie.
Or sui-ge li plus fox du sicle*.
Que pui-ge faire en cest article ?
Par foi, s'une roïne amasse*,
Merci toutevois espérasse,
Por ce que c'est chose possible ;
A ussi.
* Chose.
* La dixième partie.
* T'oici.
* Arrêter sa plainte.
*Ne compterait.
* Maltraité.
* Perdu.
* Muette.
* S'ébranle.
* Blessa .
* Nul.
'Fou du monde.
* Si j'aimais une reine.
(i) Lavinie, femme d'Énê>.
322
LE ROMAN
V. 21851.
j\lès cest amor est si horrible.
Qu'el ne vient mie de Nature.
Trop mauvaisement m'i nature.
Nature en moi mauves fil a;
Quant me fist, forment s'avila * :
Si ne l'en doi-ge pas blasmer,
Se ge voil* folement amer,
Ne m'en doi prendre s'a moi non*.
Puis que Pymalion oi non*,
Et poi* sor mes deus pies aler,
N'oï de tel amor parler.
Si n'aim-ge pas trop folement :
Car, se fescriture ne ment,
Maint ont plus folement amé.
N'ama jadis ou bois ramé*,
A la fontaine clère et pure,
Narcisus sa propre figure,
Quant ciiida* sa soif estanchier?
N'onques ne s'en pot revanchier;
Puis en fu mors, ce dist fistoire
Qui encor est de grant mémoire.
Dont sui-ge mains fox toute vois* :
Car, quant je voil* , à ceste vois**,
Et la prens et acole et baise,
S'en puis miex * sofl'rir ma mésaise;
Mes cil ne pooit avoir celé
Qu'il véoit en la l'ontenele.
D'autre part, en maintes contrées
Ont maint maintes dames amées ,
Et les servirent quanqu'il* porent,
N'onques un sol baisier n'en orent,
Si s'en sunt-il forment pené :
Dont m'a miex Amors assené*.
Non a : car à quelque doutance
Ont-il toutevois espérance
* S' avilit.
* Si je veux.
* Sinon à moi.
* Depuis que Pygmalion
j'eus nom.
* El pus.
*Ait bois touffu.
'Crut.
* Fou toutefois.
* Feux. ** fais.
* Et j'en puis mieux.
* Tant qu'ils.
'Partagé.
(v. 21886.)
DE LA ROSE.
323
Et du baisier et d'autre chose ;
Mes l'espérance m'est forclose*,
Quant au délit* que cil entendent
Qui les déduiz d'Amors atendent :
Car quant ge me voil aaisier*
Et d'acoler et de baisier,
Ge truis* m'amie autresi** froide
Cum en un pez*, et ausi roide,
Que quant ge, por baisier, i touche,
Toute me refroidist la bouche.
Ha ! trop ai parlé rudement ;
Merci, douce amie, en déniant*,
Et pri que l'amende en pregniés :
Car de tant cum vous me daingniés
Doucement regarder et rire,
Ce me doit bien, ce croi, soffire.
Car dous regarz et riz piteus *
Sunt as amans moult déliteus*. »
* Fermée.
* Plaisir.
* Je me veux soulager,
* Trouve. ** Aussi.
* Pieu, hdton.
* (J')eu demande.
Compatissant .
* Délicieux.
Comment Pygmalion demande
Pardon, en présentant l'amande
A son village, des paroles
Qu'il dit d'elle, qui sont trop foies.
Pymalions lors s'agenoille,
Qui de lermes sa face moille,
Son gage tent, si li amende* ;
Mais el n'a cure de s'amende,
Car el n'entent riens, ne ne sent,
Ne de li ne de son présent,
Si que cil crient* perdre sa paine,
Qui de tel chose amer se paine.
N'il n'en reset* son cuer avoir,
Qu'Amors li toit* sens et savoir;
Si que trestout s'en desconfortc.
Ne set s'ele est ou vive ou morte.
* Lui fait amende hono-
rable.
* De sorte qve celui-là
craint de.
N'en sait.
Car amour lui ravit.
324 LE ROMAN (v. 2191c)
Soefà* ses maillS la détaste**, * Doucement arec.
n "lûte.
Et croit ausiuc cum se lust paste ,
Que ce soit sa char* qui li fuie; * Chair.
Mes c'est sa main qu'il i apuie.
Ainsiuc Pymalions estrive*, * Lutte, dispute.
En son estrif n*a pez ne trive;
En un estât pas ne demore,
Or* aime, or het, or rit, or plore, "Tantôt.
Or est liés*, or est à mésaise, * Joyeux:
Or se tormente, or se rapaise.
Puis li revesten maintes guises
Robes faites par grans maistrises,
De biaus dras de soie ou de laine,
D'escarlate ou de tiretaine,
De vert, de pers* ou de brunete, * De drap vert, bleu.
De color fresebe, fine et nele,
OÙ moult a riches pennes* mises, * Bordures de pelleteries.
Erminécs, vaires (1) ou grises;
Puis les li OSte, puis reSSOie * * Essaie après.
(1) Vair et vaire. C'éloit une fourrure blanche et bleue, dont les rois
usoient en France; les présidents en mettoient sur leurs manteaux, et
les conseillers sur leurs robes : ce qui a eu lieu jusqu'au quinzième siècle.
Cette fourrure étoil faite de la peau d'une espèce d'écureuil que l'on appe-
loit aussi vair, et en latin sciurus. Cette peau étoit blanche par dessous
et colombine par dessus. On la diversilioit en grands et en petits car-
reaux, qu'on appelait grand vair, vl petit ou menu vair. Ou lui avoit donné
le nom de penne ou panne, parce que ces fourrures étoient composées de
plusieurs pièces ou peaux cousues ensemble, comme les pans d'un habit.
Quelques auteurs ont prétendu que le vair n'étoit que la seconde four-
rure, ou peau et penne, dont on doubloil les habits des grands seigneurs.
On l'appelle vair, à variis coloribus. L'hermine étoit la première des
fourrures.
V air, en terme de blason, est une fourrure faite de plusieurs petites
pièces d'argent et d'azur, à peu près comme une cloche de melon ou
comme un U. Cependant les armes de la maison de Bauff remont sont
vairées d'or et de gueule.
Le vair est ordinairement de quatre tires ou rangées, et \emenic vair
est de six. (L. U. D.)
(v. 21934.)
DE LA ROSE.
325
Cum li siet bien robe de soie,
Cendaus, molequins Arrabis,
Indes*, vermaus, aunes et bis,
Samis, diaprés, camelos (1).
Por néant fust uns angelos*,
Tant est de contenance simple.
Autre fois li met une gimple,
Et par dessus un cuevrechief ,
Qui cuevre la gimple et le chief* ;
Ains ne cuevre par le visage,
Qu'il * ne vuet pas tenir l'usage
Des Sarrasin, qui d'estamines
Cuevreut les vis* as Sarrasines,
Quant eus trespassent* par la voie,
Que nus* trespassans ne les voie,
Tant sunt plain de jalouse rage.
Autre fois li reprent corage*
D'oster tout, et de mètre guindés*
Jaunes, vermeilles, vers et indes,
Et trecéors* gentiz et gresles,
De soie et d'or à menus pesles*;
Et dessus la crespine atache
Une moult précieuse atache,
Et par dessus la crespinete
Une corone d'or grelete,
Où moult ot* précieuses pierres ,
Et biaus chastons à quatre quierres'
Et à quatre demi-compas,
Sens ce que ge ne vous cont pas
L'autre perrerie menue
Qui siet entor espesse et drue.
Et met à ses deus oreilletes
' f'ermeils.
* Petit ange.
"Tête.
* Car il.
* Visages.
* Passent.
* Afin (pie nul.
* Envie.
* Atours de femme de qua-
lité.
* Ornements de tête.
* Perles.
Il y eut.
'Angles.
(I) Voyez, sur tous ces noms d'étoffes, nos Recherches sur le com-
merce, la fabrication et l'usage des étoffes de soie, etc., tom. IF, à la table
des matières.
ROMAN DE LA ROSE. — T. II. 23
326
LE ROMAN
(v. 21966.
Deus verges d'or pendans greletes;
Et por tenir la chevecaille*,
Deus fermaus* d'or au col li baille.
Enmi le pis* un en remet,
Et de li ceindre s'entremet ;
Mes c'est d'un si très-riche ceint*,
Conques pucele tel ne ceint.
Et pent au ceint une aumosnièrc,
Qui moult ert* précieuse et chière;
Et cinc pierres i met petites,
Du rivage de mer eslites*,
Dont puceles as martiaus geuent%
Quant bêles et rondes les treuent*.
Et pai' grant entente li chauce
En chascun pié soler et chauce
Entailliés * jolivetement
A deus doie du pavement.
N'ert pas de hosiaus* estrenée,
Car el n'ert pas de Paris née;
Trop par fust rude chaucemente*
A pucele de tel jovente*.
D'une aguille bien afllée
D'or fui, de fil d'or enfilée,
Ele a, por miex estre vestues,
Ses deus manches estroit cosues.
Puis li baille fiors noveletes,
Dont ces jolies puceletes
Font eu printens lor chapelez*,
Et pelotes et oiselez,
Et diverses choses noveles ,
Délitables* as damoiseles.
Et chapclés de Hors li fait;
Mes n'en véistes nul si fait,
Car il i met s'entente* toute.
Aurelez d'o es dois* li boute,
* Coiffe, voile.
* Af/rajfes.
Aumilieu de la poitrine.
* Ceinture.
* Était.
* Choisies.
* Jouent.
* Trouvent.
* Découpes.
* Bottines.
* Chaussure.
* Jeunesse.
' Chapeaux.
* Agréables
Son attention.
kAux doigts.
v.
Î200I.)
DE LA ROSE.
327
Et dit cum fins loiaus espous :
« Bêle douce, ci vous espous*,
Et deviens vostres, et vous moie*.
Ymenéus et Juno m'oie-,
Qu'il voillent à nos noces estre.
Ge n'i quier* plus ne clerc ne prestre,
Ne de prélaz mitres ne croces;
Car cil sunt li vrai diex des noces. «
Lors chante à haute voix série *,
Tuit plain de grant renvoiserie*,
En leu de messe chanconetes
Des jolis secrés d'amoretes;
Et fait ses instrumens soner,
Qu'en* n'i oïst pas Dieu toner;
Qu'il* en a de trop de manières,
Et plus en a les mains manières*
Conques n'ot Amphions de Thèbes.
Harpes et gigues et rubebes,
Si r'a guiternes et léus*
Por soi déporter esléus*;
Et refait soner ses orloges
Par ses sales et par ses loges,
A roes trop sotivement*
De pardurable* movement.
Orgues i r'a bien maniables,
A une sole main portables,
Où il-méismes soufie et touche,
Et chante avec à plaine bouche
Motés, ou treble ou tenéure.
Puis met en cimbales sa cure *,
Puis prent fretiaus et si fretele ,
Puis chalemiaus et chalemele ,
Et tabor et fléute et tymbre;
Si tabore et fléute et tymbre;
Citole prent, trompe et chievrete,
Ici je vous épouse.
y Mienne.
* Je n'y veux.
'Douce.
Gaité.
* Que l'on.
" Car il.
* Habiles.
* Il a encore guitares et
luths.
* Elus, choisis.
* Subtilement.
* De perpétuel.
* Son soin.
328
LE ROMAN
Si citole, trompe* et chievrete;
Psaltérion prent et vièle,
Et puis psalterione et vièle;
Puis prent sa muse, et se travaille
As estives de Cornoaille (1);
Et espringue* et sautele et baie**,
Et fiert* du pié parmi la sale;
Et la prent par la main, et dance;
Mes moult a au cuer grant pesance*
Çui'el ne vuet * chanter ne respondre,
Ne por prier ne por semondre*.
Puis la r'ernbrace, et si* la couche
Entre ses bras dedens sa couche,
Et puis la baise et si l'acole ;
Mes ce n'est pas de bone escole ,
Quant deus persones s'entrebaisent,
Et li baisiers as deus ne plaisent.
Aiusinc s'ocist, ainsinc s'afole*,
Sorprins de sa pensée foie,
Pymalions li décéus,
Por sa sorde ymage esméus ;
Quanqu'il puet la père* et aorne,
Car tous à li servir s'atorne*.
N'el n'apert* pas, quant ele est nue,
Mains bêle que s'ele ert vestue.
Lors avint qu'en celé contrée
Ot* une feste célébrée,
Où moult avenoit de merveilles.
Là vint tous li pueples as veilles
D'un temple que Vénus i ot.
(v. 2203G.)
* Sonne de la trompe.
* Saute. ** Danse.
* Frappe.
* Chagrin, souci.
* De ce qu'elle ne veut.
* Sommer.
*Et il.
* Se fait mal.
*Tant qu'il peut illa pare.
* S'arrange.
* Ni elle n'apparaît.
* Il y eut.
\\) Voyez sur les instruments de musique nommés dans le Romande
la Rose , Remaries on some ancient musical Distrumcnts menlionned
in thatold French Ponn, by the Révérend John Bowle {Archœologia, etc.,
tom. VII, pag. 214-221); et de l'État de la poésie française dans les dou-
zième et treizième siècles, etc., par B. de Roquefort, pag. 104-131.
V. 2206G.
DE LA ROSE.
329
Li valés*, qui moult s'i fiot,
Por soi de s'amor conseillier,
Vint à celé feste veillier.
Lors se plaint as dieux et démente*
De l'amor qui si le tormente;
Car maintes fois les ot servis.
Li valés, qui moult iert soutis*,
Qui moult iert bons ovriers et sages*,
Fait lor avoit mains bons ymages,
Et avoit trestout son aé*
Vescu en droite chastée*.
Pygmalion.
Riau dieu, dist-il, qui tout poés*,
S'il vous plaist, ma requeste oés;
Et tu , qui dame es de ce temple,
Saiute Vénus, de grâce m'emple*,
Qu'ausinc es-tu moult corrocie,
Quant Chasteé est essaucie *,
S'en ai grant peiue déservie*
De ce que ge l'ai tant servie.
Or m'en repens sens plus d'aloignes*,
Et pri que tu le me pardoignes :
Si m'otroie par ta pitié,
Par ta douçor, par t'amitié,
Par convent que m'enfuie eschif*,
Se Chasteé dès or n'escbif*,
Que la bêle qui mon cuer emble
Qui si bien yvuire resemble,
Deviengne ma loiale amie,
Et de famé ait cors, amc et vie;
Et se de ce faire te hast es,
Se je sui jamès trovés chastes,
J'otroi* que ge soie pendus,
Ou à grans haches porfendus,
Jeune homme.
'Lamente.
Etait subtil.
* Savant.
* Fie.
* Fcritablc chasteté.
Pouvez.
* Remplis-moi .
* Honorée.
* Méritée.
* Retards, délais.
* Exilé, banni.
* Esquive, échappe.
* Ravit.
* Je consens.
28.
330
LE ROMAN
(t. 22099.)
Ou que dedens sa goule trible
Tout vif me transgloutisse et trible*,
Ou me lie en corde ou en fer,
Cerbérus, li portiers d'enfer.
L'Amant.
Vénus, qui la requeste oï
Du valet*, forment s'esjoï,
Por ce que Chasteé lessoit,
Et de li servir s'apressoit*,
Cum lions* de bone repentance,
Prest de faire sa pénitance
Tous nus entre les bras s'amie,
S'il la puet jà bailler* en vie.
Por joïr et por taire cbief*
Au valet de son grant mescbief *,
A l'ymage cnvoia lors a me :
Si devint si très-bele dame,
Conques mes* en uule contrée
N'avoit l'en si bêle encontrée.
N'est plus au temple séjornés,
A son ymage est retornés
Pymalions à moult grant beste ,
Puis* qu'il ot faite sa requeste;
Car plus ne se pooit* tarder
De li tenir et regarder.
A li s'en cort les sans menus*,
Tant qu'il est jusques-là venus.
Du miracle riens ne savoit,
Mes es* dieux grant fiance a voit;
Et quant de plus près la regarde,
Plus art* son cuer, et frit et larde.
Lors voit qu'ele ert* vive et charnue,
Si li débaille* la char nue,
Et voit ses biaus crins blondoians,
' Broie.
* Jeune homme.
* Se préparait à la servir,
* Comme homme.
* Posséder.
*Fin.
* Malheur.
* Que jamais.
* Depuis.
* Pouvait.
* t clic il accourt a pas
précipités.
* Dans les.
* Brûle.
* Était.
* Et il lui découvre.
(v. 22132.)
DE LA ROSE.
331
Comme undes ensemble ondoians ;
Et sent les os et sent les vaines,
Qui de sanc ierent* toutes plaines,
Et le pouz débatre et movoir :
Pse set se c'est menoonge ou voir* ;
Arrier se trait*, ne set que faire,
Ne s'ose mes près de li traire.
Qu'il a paor* d'estre enchantés.
Pygmalion.
Qu'est-ce? dit- il, sui-ge tentés?
Vei!lé-ge pas? Nennil; ains songe*,
Mes onc ne vi si apert* songe.
Songe! par foi non fais, ains veille.
Dont vient donques celé merveille?
Est-ce fantosme ou anemis*
Qui s'est en mon ymage mis?
* Étaient.
* T'&rité.
*Tire.
Car il a peur.
Au contraire je somje.
* Clair.
* Dcnwn.
L'Amant.
Lors li respondi la pucele ,
Qui tant iert* avenant et bêle,
Et tant avoit blonde la cosme *
*Était.
* Chevelure.
L'Ymage à Pygmalion.
Ce n'est anemis ne fantosme,
Dous amis, ains soi vostre amie
Preste de vostre compaignie
Recevoir, et m'amor vous offre,
S'il vous plaist recevoir tel offre.
V Amant.
Cil ot* que la chose est acertes.
Et voit les miracles apertes* ;
'Celui-là entend.
* Clairs.
332
LE ROMAN
(v. 22157.)
Si se trait* près, et s'asséure; *n se tire.
Por ce que c'est chose séure,
A li s'otroie volentiers,
Cum cil qui ert* siens tous entiers. * Comme celui gui était.
A ces paroles s'entr'alient,
De lor amors s'entremercient,
N'est joie qu'il ne s'entrelacent ;
Par grant amor lors s'entr'embracent,
Cum deus colombiaus s'entrebaisent ;
Moult s'entr'aiment, moult s'entreplaisent.
As dieux ambdui * grâces rendirent,
Qui tel cortoisie lor firent,
Kspéciaument * à Vénus
Qui lor ot aidié miex que nus*.
Or est Pymalions aaise,
Or n'est-il riens qui li desplaise,
Car riens qu'il voille ne refuse;
S'il oppose, el se rent concluse*;
S'ele commande, il obéist :
Por riens ne la contredéist
D'acomplir-li tout son désir.
Or puet o s'amie gésir*,
Qu'el n'en fait ne daugicr* ne plainte.
Tant ont joé, qu'ele est euçainte
De Paphus, dont dit renomée
Que l'isle en fu Paphos nomée,
Dont li rois Cyniras nasqui.
Prodons fu*, fors en un cas, qui
Tous bons éurs éust eus,
S'il n'éust esté décéus
Par Mirra, sa fille, la blonde,
Que la vielle (que Diex confoude!)
Qui de péchié don tance* n'a,
Par nuit en son lit li mena.
La roïne ert* à une feste, * Était.
Tous deux.
* Spécialement.
* Mieux que nul.
'Elle s'arrête.
* Maintenant il peut avec
son amie coucher.
" Difficulté.
'Homme de bien il fut.
"Crainte.
DE LA ROSE.
333
La pucele se sist en heste
Lez le roi% sens que mot séust
Qu'o * sa fille gésir déust.
Ci ot* trop estrange semille**,
Le roi let gésir* o sa fille.
Quant les ot ensemble aimés*,
Li biaus Adouis en fu nés ;
Puis fu-ele en arbre muée* ,
Car ses pères l'éust tuée,
Quant il aparçut le tripot*.
Mais onques avenir n'i pot*,
Quant ot fait aporter le cierge;
Car celé, qui n'ere mes* vierge,
Eschapa par isnele* fuite,
Qu'il * l'éust autrement destruite.
Mais c'est trop loiug de ma matire :
Por ce est bien drois qu'arriers m'en
Bien orrés que ce signifie,
Ains* que cel euvre soit fenie.
Ne vous voil or ci* plus tenir,
A mon propos m'estuet* venir,
Qu'autre champ me convient arer*.
Qui voldroit donques comparer
De ces deus ymages ensemble
Les biautés, si cum* il me semble,
Tel similitude i puet prendre,
Qu'autant cum la soris est meudre*
Que li lions, et mains cremue*
De cors, de force et de value,
Autaut, sachiés en loiauté ,
Ot celé ymage mains biauté
Que n'a celé que tant ci pris*.
Bien avisa dame Cypris
Celé ymage que ge devise*,
Entre deus pilerez* assise,
* A côté du roi.
* Qu'aVec.
* Ici il y eut. **ISiche,
tour.
* Laisse coucher.
* Réunis.
* Changée.
L'intrigue.
* N'y put.
* Qui n'était plus.
* Rapide.
*Car il.
tire.
* Ai'ant.
* Je ne vous veux main
tenant ici.
'Il me faut.
* Faut labourer.
Ainsi que.
'Moindre.
* Crainte.
'Prise.
* Décris.
* Petits jnliers.
334
LE ROMAN
(v. 22227.)
Ens* en la tor droit ou mileu.
Onques encores ne vi leu
Que si volentiers regardasse ,
Yoire à genoillons l'aorasse*:
Et le saintuaire et l'archière
Jà ne lessasse por l'archière,
]\Te por l'arc ne por le brandon,
Que ge n'i entrasse à bandon*.
Mon pooir au mains en féisse,
A quelque chief* que g'en venisse,
Se trovasse qui le m'offrist,
Ou, sens plus, qui le me soffrist.
Si m'i sui-ge par Dieu voés
As reliques que vous oés*,
Ou, se Dieu plaist, g'es requerrai,
Sitost eu m tens et leu verrai,
D'escherpe et de bordon garnis.
Que Diex me gart d'estre escharnis'
Et destorbés* par nule chose ,
Que ne joïsse de la Rose !
Vénus n'i va plus atendant;
Le brandon plain de feu ardant
Tout empené lesse voler
Por ceus du chastel afolcr*;
Mes sachiés qu'ains* nule ne nus,
Tant le trait sotilment*Vénus,
Ne l'omit pooir de choisir*,
Tant i gardassent * par loisir.
* Dedans.
* Vraiment à genoux l'a-
dorasse.
* Complètement .
*Fin.
* Entendez.
* Bafoue.
* Empêché.
* Blesser.
* Qu'auparavant.
* Le tire subtilement Ve-
rnis.
* Découvrir.
* Prissent garde.
Comment ceulx du chastel yssirent*
Hors, aussiiost comme il/, sentirent
La chaleur du brandon Vénus,
Dont aucuns joustèrent tous nudz.
' Sortirent.
Quant li brandons s'en fu volés,
Es-vos* ceus dedens afolés**,
* Voici. ** Blessés.
(▼■
DE LA ROSE.
335
Li feus porprent tout le porpris*;
Bien se durent tenir por pris.
N'est nus qui le feu rescossist*,
Et bien rescorre le vossist*.
Tuit s'escrient : « Trahi ! trahi !
Tuit somes mort! ahi, ahi!
Foïr nous estuet* du pais. »
Chascuns giete ses clefz laïs*.
Dangiers, li orriblcs maufés*,
Quant il se senti eschaules,
S'enfui plus tost que cers* en lande.
N'i a nul d'aus* qui l'autre atende;
Chascuus les pans à la ceinture
Met au foïr toute sa cure*.
Fuit-s'en Paor, Honte s'eslesse*,
Tout embrasé le chastel lesse,
N'onc puis ne volt* riens mètre à pris,
Que Raison li éust apris.
Estes-vous* venir Cortoisie
La preus, la bêle, la proisie*,
Quant el vit la desconfiture,
Por son filz geter de l'ardure;
Avec li Pitié et Franchise
Saillirent dedens la porprise*,
N'onc por l'ardure ne lessièrent,
Jusqu'à Bel-Acueil ne cessièrent*.
Cortoisie prent la parole,
Premier* à Bel-Acueil parole,
Car de bien dire n'ert* pas lente :
Embrase tout le clos.
* Combattit.
* Secourir le voulût.
*Faut.
* De côté.
* Démon.
"Cerf.
* D'eux.
* Son soin.
* S'élance.
*Ne voulut.
*Foici.
* Prisée
*Clos.
Ne cessèrent {de courir).
* En premier.
" y 'était.
Courtoisie à Bel-Acueil.
Biau filz, moult ai esté dolente*,
Moult ai au cuer tristece eue
Dont tant avés prison tenue.
* Affligée.
336
LE ROMAN
(v. 22289.
Mal* feus et maie flambe Tarde**,
Qui vous avoit mis eu tel garde !
Or estes, Dieu merci, délivres,
Car là fors, o* ses Normans yvres,
En ces fossés est mors gisans
Maie-Bouche li mesdisans;
Véoir ne puet ne escouter.
Jalousie n'estuet douter * ;
L'en ne doit pas por Jalousie
Lessier à mener bone vie,
N'a solacier* méismement
O* son ami privéement,
Quant à ce vient qu'el n'a pooir*
De la chose oïr ne véoir ;
Nil n'est qui dire la li puisse,
N'cl n'a pooir que ci vous truisse*.
Et li autre desconseillié
Foi s'en sunt tuit essillié*.
Li félon, li outrecuidié*
Trestout ont le porpris* vuidié.
Biau très-douz filz, por Dieu merci,
Ne vous lessiés pas brusler ci.
Nous vous prions par amitié,
Et ge* et Franchise et Pitié,
Que vous à ce loial amant
Otroiés ce qu'il vous déniant,
Qui por vous a lonc-tens mal trait* ;
N'onques ne vous fist un faus trait
Li frans qui onques ne guila*.
Recevés-le et quanqu'il* a ,
Voire l'ame néis * vous offre :
Por Dieu, ne refusés tel offre,
Biau douz fdz, ains le recevés,
Par la foi que vous me devés,
Et par amors qui s'en esforce,
Mauvais.
* Brûle [subj.
'Dehors, avec.
'Ne faut craindre.
* S'ébattre.
Avec.
Pouvoir.
* Trouve (subj.).
* Il uin es.
* Insolents.
* L'enclos.
* El moi.
* Souffert.
* Trompa.
* Ce qu'il.
* M Unie.
(T. 2232 1.)
DE LA ROSE.
337
Qui moult i a mise grant force.
Biau filz, Amors vainc toutes choses,
Toutes sunt souz sa clef encloses.
Yirgiles néis* le conferme
Par sentence esprovée et ferme :
Quant Bucoliques cercherés,
Amors vainc tout, i troverés (I),
Et nous la devons recevoir.
Certes il dist bien de ce voir* ;
En un soi vers tout ce nous conte,
]N"e péust conter meillor conte.
Biau Glz, secorez cel amant,
Que Diex ambedeus vous amant* !
Otroiés-li la Bose en don.
Même.
Frai.
* Tous deux vous comble
défaveurs.'
Bel-Acueil.
Dame, ge la li abandon,
Fet Bel-Acueil, moult volentiers,
Coillir la puet endementiers*
Que nous ne somes ci que dui*,
Pieça* que recevoir le dui** :
Car bien voi qu'il aime sens guile*.
* Pendant.
* Deux.
'Il y a longtemps.
" Dus.
* Tromperie.
L'Amant.
Ge qui l'en rens mercis cent mile ,
Tantost comme bons pèlerins,
Hastis, fervens et enterius* * Entier.
De cuer, comme fins amoreus,
Après cest otroi* savoreus, *Permission.
Vers l'archière acueil* mon voiage * Je commence.
Por fornir mon pèlerinage;
(l) Omnia vincit amor, et nos cedamus amori.
(Vircil., eclog. IX, v. C9.)
29
338
LE ROMAN
(v. 22351.)
Et port o* moi par grant csfort
Escherpe et bordon grant et fort,
Tel qu'il n'a mestier * de ferrer
Por jornoier* ne por errer.
L'escherpe est de bone feture*,
D'une pel souple sens eousture;
Mes sachiés qu'ele n'ert* pas vuide :
Deus martelez par grant estuide
Que mis i ot, si cum* moi semble,
Diligemment trestout ensemble
Nature, qui la me bailla,
Dès lors que premiers la tailla,
Sotilment* forgiés li avoit,
Cum celé qui forgier savoit
Miex c'onques Dédalus ne sot*.
Si croi * que por ce fait les ot,
Qu'el pensoit que g'en ferreroie
Mes palefrois quant g'erreroie.
Si ferai-ge certainement,
Se g'en puis avoir L'aisement* ;
Car, Dieu merci, bien forgier sai.
Si vous di bien que plus cbier ai
Mes deus martelez et m'escberpe
Que ma citole* ne ma herpe.
Moult me fist grant honor Nature
Quant m'arma de tel arméure,
Et m'en enseigna si l'usage,
Qu'el m'en fist bon ovrier et sage*.
Ele-méismes le bordon
M'avoit apareillié* por don,
Et volt* au dolcr la main mètre ,
Ains que ge fusse mis à letre*.
Mes du ferrer ne li chalut* ,
IVonques por ce mains* n'en valut;
Et puis* que ge l'oi** recéu
* Avec.
* Besoin.
*J~oyarjer.
* Façon.
* N'était.
* Ainsi que.
* Subtilement.
*Ne sut.
* Et je crois.
* L'aise, la commodité.
* Espèce d'instrument de
musique.
* Savant.
* Préparé.
* J'oulnt.
* A l'école.
Ne se soucia.
* Moins.
* Depuis. **L'eus.
(v. 2238G.)
DE LA ROSE.
339
Près de moi l'ai tous jors eu,
Si que n'el perdi onques puis *,
Ne n'el perdrai jà* se ge puis :
Car n'en voldroie estre délivres
Por cinc cens fois cent mile livres.
Biau don me fist, por ce le gart* ;
Et moult sui liés * quant le regart,
Et la merci* de son présent
Liés et jolis*, quant ge le sent.
Maintes fois m'a puis conforté
En mainz leus où ge l'ai porté ;
Bien me sert, et savés de quoi?
Quant sui en aucun leu requoi*,
Et ge chemine, ge le boute
Es* fosses où g'e ne voi goûte,
Ausinc cum* por les guez tenter;
Si que ge me puis bien venter
Que n'i ai garde de naier,
Tant sai bien les gués essaier,
Et fier par rives et par fons.
Mes g'en retruis* de si parfons,
Et qui tant ont larges les rives,
Qu'il me greveroit mains deus lives*
Sor la marine esbanoier*,
Et le rivage costoier;
Et mains m'i porroie lasser,
Que si périlleus gué passer.
Car trop grans les ai essaies,
Et si n'i sui-ge pas naiés :
Car si tost cum ge les tentoie
Et d'entrer ens* m'entremetoie,
Et tex* les avoie esprovés,
Que jamès fons n'i fust trovés
Par perche ne par aviron,
Je m'en aloie à l'environ,
* Depuis.
* Jamais.
* Je le garde.
* Joyeux.
* Et je la remercie.
* Joyeux.
* Retiré.
* Dans les.
* Ainsi que.
* Retrouve.
* Lieues.
* Sur le bord de la mer se
divertir.
'Dedans.
r Tels.
340
LE ROMAN
(v. 22421.)
Et près des rives nie tenoie,
Tant que hors eu la fin venoie;
Mes jamais issir* n'en péusse ,
Se les arméures n'eusse
Que Nature m'avoit donées.
Mes or lessons ces voies lées*
A ceus qui là vont volentiers;
Et nous les déduisans* sentiers,
Non pas les chemins as charretes,
Mes les jolives seuteletes*,
Jolif et renvoisié* tenons,
Qui les jolivetés* menons.
Si r'est* plus de gaaing rentiers,
Viez* chemins que noviaus sentiers,
Et plus i trueve-l'en* d'avoir
Dont l'en puet grant profit avoir.
Juvénaus méismes a fiche*
Que qui se met o* vielle riche ,
S'il vuet à grant estât venir,
Ne puet plus brief chemin tenir;
S'el prent son service de gré,
Tautost le boute en haut degré (1).
Ovides méismes aferme
Par sentence esprovée et ferme,
Que qui se vuet à vielle prendre,
Moult en puet grant loier* atendre (2).
* Sortir.
* Larges.
* Agréables.
* Petits sentiers.
*Gai et joyeux.
* Galles.
* Et. il est de son côté.
* J'icux.
*Troiive-t-on.
* Affirme.
* Avec.
* Salaire, récompense.
[l] Quum te submoveant, qui testamenta merentur
Noctibus, in cœlum quos evetait oplima summi
Nunc via processus, vetulte vesica beatre?
Unciolam Proculeius habet, sed (îillo deuncem,
Partes quisque suas, ad mensuram inguinis hères.
(D. Juven.vl., sat. I, v. 37.)
(2) On chercherait vainement dans la collection des œuvres d'Ovide le
passage auquel Jean de Meung fait ici allusion; il appartient au livre II
d'un poème faussement attribué au chantre des Métamorphoses et publié
sous le litre de f'eltita, parGoldast, dans un volume intitulé : Ovidii
(T. 22450.)
DE LA ROSE.
341
Tantost est grant richece aquise
Por mener tel marchéandise;
Mes bien se gart* qui vielle prie,
Qu'il ne face rien ne ne die
Qui jà puist aguet* resembler,
Quant il li vuet s'amor embler*,
Ou loiaument néis* aquerre,
Quant amors en ses laz* l'enserre
Car les dures vielles chenues,
Qui de jonesce sunt venues
Où jadis ont esté datées
Et surprises et baratées*,
Quant plus ont esté décéues,
Plus tost se sunt aparcéues
Des bareteresses faveles*,
Que ne font les tendres puceles
Qui des aguez pas ne se doutent,
Quant les fléutéors* escoutent;
Aîds croient que barat et guile*
Soit ausinc voir* eu m Evangile :
Car onc n'en furent eschaudées.
Mes les dures vielles ridées,
Malicieuses et recuites,
Sunt en l'art de barat si duites*,
Dont eus ont toute la science
Par tens et par expérience,
Que quant li flajoléors* vienent,
* Se garde.
* Guet à pens.
* Ravir.
* Mime.
* Lacs.
'Trompées.
Trompeuses paroles.
' Flûteurs, cajoleurs.
* Fraude et tromperie.
'Frai.
'De tromperie si habiles.
* Cajoleurs.
Nasonis Pelignensis erotica et amatoria Opuscula, etc. Francofurti, ty-
pis Wolffgangi Richteri... Anno M D CX, in-s°. Voyez liv. II, chap. XXXI-
XLI, pag. 153- 16 i. Le lecteur curieux de savoir à qui l'on peut attribuer
cette composition, dont il existe un manuscrit du douzième siècle à la
Bibliothèque de l'École de médecine de Montpellier (fonds Couiner, E.
5C), trouvera tous les renseignements désirables dans la notice littéraire
sur Ovide, tom. VIII, pag. 380-382, des œuvres complètes de ce poète pu-
bliées dans la collection Lemaire.
29.
342
LE ROMAN
(v. 22485.
Qui par Tavelés* les détienent,
Et as oreilles lor taborent*.
Quant de lor grâce avoir laborent*,
Et soplientet s'umilieut,
Joignent lor mains et merci crient,
Et s'enclinent et s'agenoillent,
Et plorent si que tuit se moillent,
Et devant eus se crucelient
Por ce que plus en eus se fient,
Et lor prometent par faintise
Cuer et cors, avoir et servise ,
Et lor fiancent* et lor jurent
Les sains qui sunt, seront et furent,
Et les vont ainsinc décevant
Par parole où il n'a que vent :
Ainsiuc cum fait li oiselierres
Qui tent à l'oisel comme lierres*,
Et Papele par dous sonés* ,
Muciés* entre les buissonés,
Por li faire à son brai* venir,
Tant que pris le puisse tenir.
Li fox* oisiaus de li s'aprisme**,
Qui ne set respoudre au sophisme
Qui l'a mis en décepcion
Par figure de diccion;
Si cum fait li cailliers* la caille,
Por ce que dedens la rois saille*;
Et la caille le son escoute,
Si s'en apresse* et puis se boule
Sous la rois que cil * a tendue
Sor l'erbe en printens fresche et drue ;
Se n'est aucune caille vielle,
Qui venir au caillier ne veille,
Tant est eschaudée et batue
Qu'ele a bien autre rois véue
* Flatteries, cajoleries.
* Battent le tambour.
* Travaillent.
'Et s'engagent envers
eux.
* Larron .
Accords.
* Caché.
*Glu.
* Le sot. ** S'approche.
* Le chasseur de cailles.
* Le filet saute.
* Approche.
* Celui-là.
(T. 22520.)
DE LA ROSE.
343
Dont el s'ert espoir* eschapée,
Quant oie i dut estre hapée
Par entre les herbes petites.
Ainsinc les vielles devant dites,
Qui jadis ont esté requises,
Et des requeréors* sorprises
Par les paroles qu'eles oient,
Et les contenances que voient,
De loing lor aguez* aparçoivent,
Par quoi plus envis* les reçoivent;
Ou s'il le font néis acertes*
Por avoir d'amor les désertes*,
Comme cil qui sunt pris es las*
Dont tant sunt plèsant li solas*
Et li travail tant délitable*,
Que riens ne lor est si gréable*
Cum est ceste espérance griève
Qui tant lor plest et tant lor griève,
Sunt-eles en grant sospeçon
D'estre prises à l'ameçon,
Et oreillent* et estuidient
Se cil voir* ou fable lor dient,
Et vont paroles sospesant,
Tant redotent barat* présant,
Por ceus qu'el ont jadis passés,
Dont il lor membre* encore assés.
Tous jors cuide* chascune vielle
Que chascun décevoir la vuelle.
Et s'il vous plest à ce fléchir,
Vos cuers por plus tost enrichir,
Ou vous qui délit* i savés,
Se regart au délit avés,
Bien poés ce chemin trader*
Por vous déduire et solacier*.
Et vous qui les jones volés,
'Elle s'était peut-être.
* Soupirants.
* Pièges.
* Malgré eux.
* Même certainement .
* Récompenses.
* Dans les lacs.
* Plaisirs.
Agréables.
* A gré.
Dressent V or cille.
* frai.
* Tromperie.
* Souvient .
* Croit .
Plaisir.
* Suivre.
* Amuser et divertir.
3-i-i
LE ROMAN
22555.)
Que par moi ne soies bolés*,
Quéque mes mestres me commant,
(Si sunt moult bel tuit si commaut*,)
Bien vous redi por chose voire*,
(Croie-m'en qui m'en voldra croire,)
Qu'il fait bon de tout essaier
Por soi miex es * biens esgaier,
Ausiuc cum fait li bons lécbierres*
Qui des morsiaus est congnoissierres*
Et de plusors viandes* taste,
En pot, en rost, eu soust*, en paste,
En friture et en galentine,
Quant entrer puet en la cuisine ;
Et set loer et set blasmer
Liquex* sunt dons, liquex amer,
Car de plusors en a goustés.
A usine sachiés, et n'en doutés,
Que qui mal essaie n'aura,
Jà du bien gaires ne saura;
Et qui ne set d'onor que monte*,
Jà ne saura congnoistre boute;
N'onc nus ne sot* quel chose est aise,
S'il n'ot avant apris mésaise ;
Ne n'est pas digne d'aise avoir,
Qui ne vuet mésaise savoir;
Et qui bien ne la set soffrir,
JNus* ne li devroit aise offrir.
Ainsinc va des contraires choses.
Les unes sunt des autres gloses,
Et qui l'une en vuet défenir,
De l'autre li doit sovenir;
Ou jà par nule entencion
N'i metra diflinicion :
Car qui des deus n'a congnoissance,
Jà n'i congnoistra différence,
* Trompés.
* Ses commandements.
* Vraie.
* Dans les.
* Gourmand.
¥ Connaisseur.
*Mels.
* Graisse.
* Lesquels.
* De l'honneur ce qu'il
vaut.
* Nul ne sut.
"Nul.
V. 22590.
DE LA ROSE.
3io
Sens quoi ne puet venir en place
Diffinicion que l'en face.
Tout mon hernois tel que le port*,
Se porter le puis à bon port ,
Voldrai as reliques touchier,
Se je l'en puis tant aprouchier.
Lors ai tant fait et tant erré
A tout* mon bordon desferré ,
Qu'entre les deus biaus pilerés*,
Cum viguereus et légères,
M'agenoillai sens demorer*,
Car moult oi* grant fain d'aorer**
Le biau saintuaire honorable
De cuer dévot et pitéable* :
Car tout iert* jà tumbé à terre,
Qu'au eu ne puet riens tenir guerre,
Que tout par terre mis n'éust,
Sens c: que de riens m'i néust*.
Trais ensus un poi la cortine*
Qui les reliques encortine :
De l'ymage lors m'apressai*
Que du saintuaire près sai ;
Moult le baisai dévotement ,
Et pour estuier * sainement ,
Voil* mon bordon mètre en l'archière
Où l'escherpe pendoit derrière.
Bien le cuidai lancier debout;
Mes il resort, et ge rebout*,
Mes riens n'i vaut, tous jors recule.
Entrer n'i pot por chose nule;
Car un palis* dedeus trovoi,
Que ge bien sens, et pas n'el voi,
Dont Parchière iert dedeus hordée*,
Dès lors qu'el fu primes * fondée,
Auques* près de la bordéure :
* Je le porte.
* Avec.
* Petits piliers.
* Sans retard.
* J'eus. "* Adorer, prier.
* Pieux.
* Était.
* y ni si t.
* Tirai en haut un peu le
rideau.
M'approchai.
* Serrer, mettre en étui.
* Je veux.
' Repousse.
* Une palissade.
* Garnie.
* Dans le principe.
* Un peu.
346
LE ROMAN
•)
S'en iert* plus fort et plus séure.
Forment m'i convint* assaillir,
Sovent hurter, sovent faillir.
Se behorder* m'i véissiés,
Por quoi bien garde i préissiés,
D'Ercules vous péust membrer*,
Quant il volt* Cacus desmembrer.
Trois l'ois a la porte assailli,
Trois fois hurta, trois fois failli,
Trois fois s'assist en la valée
Tout las, por avoir s'alenée*,
Tant ot soffert paine et travail.
Et ge, qui ci tant me travail,
Que trestout en tressu * d'angoisse,
Quant cest palis tantost ne froisse,
Sui bien, ce cuit*, autant lassés
Cum Hercules, et plus assés.
Tant ai hurté, que toutevoie
M'aparçui d'une estroite voie
Par où bien cuit* outre passer;
Mes convint* le palis casser.
Par la sentele* que j'ai dite,
Qui tant iert" estroite et petite,
Par où le passage quis* ai,
Le palis au bordon * brisai :
S'ai moi * dedens l'archière mis ;
Mes ge n'i entrai pas demis.
Pesoit-moi* que plus n'i entroie,
Mes outre pooir ne pooie*;
Mes por mile riens ne lessasse
Que le bordon tout n'i passasse.
Outre le passai sens demore*;
Mes l'escherpe defors demore
O les martelez rebillans*,
Qui defors erent* pendillans.
* El elle en était.
* Fortement il m' y fallut.
* Combattre.
* Fous rappeler.
* Voulut.
* Sa respiration.
*Qite tout j'en sue.
* Je crois cela.
* Je pense.
"Il fallut.
* Sentier.
* Était.
* Cherché.
* Arec le bourdon.
* El je me suis.
* Cela me fâchait.
* Mais je ne pouvais au-
delà de mes Joncs.
* Retard.
* Avec les petits marteaux
frappeurs.
* Qui dehors étaient.
(v. 22G60.)
DE LA ROSE.
347
Et si m'en mis en grant destroit*,
Tant trovai le passage estroit ;
Car largement ne fu-ce pas
Que ge trespassasse le pas* ;
Et se bien l'estre du passé,
Nus n'i avoit onques passé •
Car g'i passai tout li premiers,
N'encor nièrent* pas coustumiers
Li liex* de recevoir passage.
Ne sai s'il fist puis * avantage
Autant as autres cum à moi;
Mes bien vous di que tant l'amoi,
Que ge ne le poi onques croire,
Néis* se ce fust chose voire** ;
Car nus de légier* chose amée
Ne mescroit * , tant soit diffamée ,
]NTe si ne le croi pas encores ;
Mes au mains sai-ge bien que lores
N'iert-il ne froés* ne batus,
Et por ce m'i sui embatus*,
Que d'autre entrée n'i a point
Por le bouton cuillir à point.
Si saurés cum ge m'i contins,
Tant qu'à mon gré le bouton tins.
Le fait orrés* et la manière,
Por ce que se mestier vous ière*,
Quant la douce saison vendra,
Seignor valés, qu'il convendra*
Que vous ailliés cuillir les roses,
Ou les ouvertes ou les closes,
Que si sagement i ailliés,
Que vous au cuillir ne faillies.
Faites si cum vous m'orrés* faire,
Se miex n'en savés à chief traire* :
Car se vous plus largetement,
Tourment.
Passage.
* N'étaient.
* Les lieux.
* Depuis.
*M6me. ** Fraie.
*Nul légèrement.
* Ne se refuse à croire.
* Frayé.
' Enfoncé.
* Ou irez.
Si besoin vous était.
"Jeunes yens, qu'il fau-
dra.
* (insigne vous m'en ten-
dre:.
' tenir à bout.
348
LE ROMAN
(V. 22695.)
Ou miex ou plus sotivement*
Poés le passage passer,
Sens vous destraindre* ne lasser,
Si le passés à vostre guise.
Quant vous aurés la voie aprise,
Tant aurés au mains d'avantaige,
Que ge vous aprens mon usaige
Sens riens prendre de vostre avoir :
Si m'en devés bon gré savoir.
Quant g'iere ilec* si empressiés,
Tant fui du rosier apressiés*,
Qu'à mon voloir poi* la main tendre
As rainsiaus* por le bouton prendre.
Bel-Acueil por Dieu me prioit
Que nul outrage fait n'i oit *;
Et ge li mis moult en convent*,
Por ce qu'il m'en prioit sovent ,
Que jà nule riens* n'i feroie
Fors sa volenté et la moie*.
* Subtilement.
* Tourmente)-.
J'étais là.
Approché.
*Pus.
* Rameaux.
*N'y eût.
* Je lui promis fortement.
* Chose.
* .Vienne.
La conclusion du Rointiumt
Est que vous voyez cy l'Amant
Qui prent la Rose à son plaisir,
- En qui estoit tout son diîsir.
Par les rains* saisi le rosier,
Qui plus est frans que nul osier;
Et quant à deus mains m'i poi * joindre,
Trestout soavet sens moi poindre*,
Le bouton pris à eslochier*,
Qu'envis* l'eusse sens boclner.
Toutes en Os par estovoir*
Les branches croler* et movoir,
Sens jà nul des rains* dépecier,
Car n'i voloie riens blécier;
Et si m'en convint-il à force*
* Rameaux, branches.
* .V'y pus.
* Tout doucement sans me
piquer.
* Secouer.
* Arec peine.
* Force.
* Remuer.
* Rameaux, branches.
* Et il m'en fallut par
force.
(v. 2-2725.)
DE LA ROSE.
349
Entamer un poi* de l'escorce,
Qu'autrement * avoir ne savoie
Ce dont si grant désir avoie.
En la parfin* tant vous en di,
Un poi* de graine i espandi,
Quant j'oi le bouton eslochié*:
Ce fu quant dedens Toi * tochié
Por les foilletes reverchier* ;
Car ge voloie tout cerchier
Jusques au fons du boutonet,
Si cum moi * semble que bon est.
Et fis lors si* meller les graines,
Que se desmellassent à paines,
Si que tout le boutonet tendre
En fis eslargir et estendre.
Vez ci tout quanque g'i forfis*;
Mes de tant fui-ge bien lors fis* :
Qui des amans les roses garde,
Moult en fait ores* bone garde.
Ains que d'ilec me remuasse*,
(A mon voil* encor demorasse)
Par grant joliveté* coilli
La flor du biau rosier t'oilli* :
Ainsinc oi* la Rose vermeille,
Atant* fu jor, etge m'esveille (1).
Et puis que ge fui * esveillié
Du songe qui m'a traveillié*,
Et moult i ai eu à faire
Ains* que ge péusse à chief traire'
De ce que j'avoie entrepris;
Mes toutevois si ai-ge pris
* Un peu.
* Car autrement.
*A la fin.
* Un peu .
* Ébranlé-
* L'eus.
* Examiner.
Ainsi qu'il me.
' Et je fis alors tellement.
* Voici tout le mal que j'y
?Sj ■
* Assure.
* Maintenant.
* Avant que de là m'cloi-
gnasse.
* Volonté.
* Gaité.
* Feuille.
* Ainsi j'eus.
* Alors.
* Et depuis que je fus.
* Fatigué.
* Avant. ** Venir à bout.
(i) Le Roman de la Rose se terminant ici dans la presque totalité des
manuscrits, on serait tenté de croire que les vingt-quatre vers suivants
ne sont pas du même auteur. (MÉON.)
30
350
LE ROMAN
(V. 2275G.)
Le bouton que tant désiroie,
Combien que traveillié* m'i soie,
Et tout le solas* de ma vie,
Maugré Dangier et Jalousie,
Et maugré Raison ensement*
Qui tant me lédengea forment*;
Mes Amors m'avoit bieu promis,
Et ausinc me le dist amis,
Se ge servoie loiaument,
Que j'auroie prochainement
Ma volenté toute acomplie.
Folz est qui en Dieu ne se fie;
Et quiconques blasme les songes,
Et dist que ce suut des mençonges,
De cestui* ne le di-ge mie,
Car ge tesmoingne et certefie
Que tout quauque* j'ai récité
Est fine et pure vérité.
Explicit* li Rommans la Rose,
Où l'art d'Amours est toute enclose.
Nature rit, si com moi semble,
Quant hic et hec joinguent ensemble :
Conques nul mal* gré ne m'en sot
Li dous, qui nul mal n'i pensot;
Ains me consent et sueffre à faire
Quanqu'il set* qui me doie** plaire.
Si m'apelle-il déconvenant*,
Que li fais grant désavenaut*,
Et sui trop outrageus, ce dit ;
Si n'i met-il nul contredit,
Que ne prengne, débaille* et coille
Rosiers et Rose, (lors et foille.
Quant en si haut degré me vi,
Que j'oi* si noblement chevi**,
Que mes procès n'ert mes dotable,
* Employé.
* Plaisir.
* Pareillement.
'Injuria fortement.
* De celui-là.
* Ce que.
* Finit.
* Mauvais.
* Tout ce qu'il sait.
** Doive.
* Désagréable, fâcheux.
* Honte.
* Découvre.
'J'eus. Achevé.
DE LÀ ROSE.
351
Fors ce* que fins et agréable
Fusse vers tous mes bienfaitors,
Si cum doit faire bons détors*
(Car moult estoie à eus tenus ,
Quant par eus iere* devenus
Si riches, que por voir atiche*,
Richece n'estoit pas si riche),
Au dieu d'Amors et à Vénus
Qui m'orent aidié miex que nus*,
Puis à tous les barons de l'ost*,
(Dont ge pri Dieu que jà n'es ost*
Des secors as fins amoreus)
Entre les baisiers savoreus,
Rendi grâces dix fois ou vint;
Mes de Raison ne me sovint,
Qui tant en moi gasta* de paine,
Maugré Richece la vilaine,
Qui onques de pitié n'usa,
Quant l'entrée me refusa
Du senteret* qu'ele gardoit.
De cesti pas* ne se gardoit
Par où ge sui céans venus
Répostement* les saus menus,
Maugré mes mortex anemis
Qui tant m'orent arrière mis,
Espéciaument* Jalousie
O tout* son chapel de soussie (1).
Si ce n'est.
* Débiteur.
J'étais.
* Pour vrai j'affirme.
* Mieux que nul.
* L'armée.
* .\c les ôte.
Prit.
k Petit sentier.
' De ce passa/je.
En cachette.
* Spécialement.
"Avec.
(I) Allusion à l'habitude qu'avaient nos ancêtres de se couronner de
fleurs, surtout de roses, dans toutes les occasions de joie et d'allégresse.
« Tl n'y avoit point de cérémonie, dit Le Grand d'Aussy, point de noces,
point de festin, où l'on ne portât un chapel ou chapeau de roses; ainsi
s'appelèrent les couronnes. Le Roman de Perceforest, décrivant une fête,
a soin de remarquer que « avoit chascun et chascune ung chapeau de
roses sur son chief. » Lorsque le connétable servait à table le roi, il avoit
à la main une verge blanche, et sur la tète une de ces couronnes. Les
352
LE ROMAN DE LA ROSE.
religieuses, quand elles faisaient profession, les iilles, quand elles se ma-
rioient, en porloienl une. Plusieurs des anciens coutumiers de nos pro-
vinces règlent même que lorsqu'un père mariera sa fille, il pourra ne lui
donner que le chapeau de roses, c'est-à-dire, la restreindre pour toute dot
à la seule couronne de mariage. • (Histoire de la vie privée des François,
tom. II, p. 245, 24G. Voyez encore B. de Roquefort, de l'État de la poésie
françoise dans les douzième et treizième siècles, p. 94.)
FIN DU TOM F. SF.COND.
.a Bibliothèque
yersïté diOttawa
Echéance
The Lîbrary
University of Ottawa
Date Due
m 08
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±39003 007037509b
CE PQ 1527
•Al 18 64 V2
C02 ROMAN DE
ACC£ 1386853
LA LE ROMAN J