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Full text of "Le Roman de la Rose"

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U  d'/of  OTTAWA 
39003007037509 


4ê 


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in  2010  with  funding  from 

Univers ity  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/leromandelaros02guil 


LE 

ROMAN  DE  LA  ROSE 


TOME  II 


TYrOCRAPIIIE   DE    II.   FIRMIN   DIDOT.    —    MESN1L  (  EURE). 


LE  ROMAN 

DE  LA  ROSE 


GUILLAUME  DE  LORRIS 


JEAN  DE  MEUNG 


NOUVELLE    EDITION    REVUE    ET    CORRIGEE 


FRANCISQUE-MICHEL 

CORRESPONDANT   DE    L'INSTITUT   DE   FRANCE 
(ACADEMIE   DES   INSCRIPTIONS   ET   BKLLES-LETTRES),  etc.,  etc. 


Instituut 

i.  talen 

GRONINGEN 


PARIS 

LIBRAIRIE  DE  FIRMIN  DIDOT  FRÈRES,  FILS  ET  C'e 

IMPRIMEURS   DE    L'iNSTITUT,    RUE  JACOB,    50 

1864 


Univers/*^ 
B.'BJJ^THFrfl 


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LE   ROMAN 

DE  LA  ROSE. 


Comment  le  dieu  d'Amours  retient 
Faulx-Semblant,  qui  ses  noms  *  devien',      *  Son  homme. 
Dont  ses  gens  sont  joyeulx  et  baulx  *,       *  Gais. 
Quant  il  le  fait  roy  des  ribaulx. 

«  Faus-Semblans,  par  tel  convenant  *      *  Convention. 

Seras  à  moi  tout  maintenant, 

Que  tous  nos  amis  aideras, 

Et  que  jà  nul  n'en  grèveras; 

Aius*  penseras  d'eus  eslever,  *  Au  contraire. 

Et  de  nos  anemis  grever. 

Tiens  soit  li  pooirs  et  li  baus* ,  "Le  pouvoir  et  le  couver- 

„,  ,.-,.,  nemcnt. 

Tu  seras  mes  rois  des  nbaus  (1), 

Ainsinc  le  vuet  nostres  chapitres. 

Sans  faille*  tu  es  maus**  traïstres  *Sansfaute.  ** Mauvais. 

Et  lerres*  trop  desmesurés,  "Larron. 

Cent  mil  fois  t'i  es  parjurés  : 

Mes  toutevois  en  audiance, 

(I)  Voyez  sur  les  ribauds,  les  ribaudes  et  le  roi  des  ribauds,  les  disserta- 
tions d'Etienne  Pasquier,  de  Sauvai  et  de  Gouye  de  Longuemarre,  réim- 
primées à  la  suite  l'une  de  l'autre  dans  la  Collection  des  meilleures  dis- 
sertations, notices  et  traités  particuliers  relatifs  à  l'histoire  de  France,  etc., 
par  C.  Leber,  tom.  VIII,  pag.  IS7-235. 

ROMAN    DE   J.A   ROSE.    —    T.    I£.  1 


2  LE   ROMAN  (v. 

Por  nos  gens  oster  de  doutance*,  *  Doute. 

Comant-ge  que  tu  lor  enseignes, 

Au  mains  par  généraus  enseignes, 

En  quel  leu  il  te  troveroient, 

*Se  du  trover  mestier*  avoient,  *  Besoin. 

Et  comment  l'en  te  congnoistra , 

Car  grant  sens  en  toi  congnoistre  a. 

Di-nous  en  quel  leu  tu  converses*.  »      *  Habites. 

Faulx-Semblant. 

«  Sire,  j'ai  mansions*  diverses  *  Demeures. 

Que  jà  ne  vous  quier  *  réciter,  *  Feux. 

S'il  vous  plest  à  m'en  respiter*  ;  *  Dispenser. 

Car,  se  le  voir  *  vous  en  raconte,  *  Le  vrai. 

Avoir  i  puis  domage  et  honte; 

Se  mi*  compaignon  le  savoient,  "Si  mes. 

Sachiés  de  voir*,  il  m'en  haroieut,  *  Véritablement. 

Et  m'en  procurroient  anui, 

S'onques  lor  cruauté  couui*  :  *Je  connus. 

Car  il  vuelent  en  totis  leus  taire 

Vérité  qui  lor  est  contraire. 

.là  ne  la  querroient*  oïr,  *  Voudraient. 

Trop  en  porroient  mal  joïr, 

Se  ge  disoie  d'eus  parole 

Qui  ne  lor  fust  plésante  et  mole  : 

Car  la  parole  qui  les  point*,  *  Pique. 

Ne  lor  abelist*  onques  point,  *  finit. 

Se  c'estoit  néis*  l'évangile  *Mém». 

Qui  les  repréist  de  lor  guile*,  *  Fourberie. 

Car  trop  sunt  cruel  malemeut*.  *  Mauvai&ement. 

Si  sai-ge*  bien  certainement,  *Ètje  sais. 

Se  ge  vous  en  di  nule  chose, 

Jà  si  bien  n'iert*  vostre  cort  close  *Ne  sera. 

Qu'il  n'el  sachent,  combien  qu'il  tarde. 


fi 


DE  LA  ROSE. 


Des  prodes  homes*  n'ai-ge  garcte,  *  Des  hommes  de  bien. 

Car  jà  sur  eus  riens  n'en  prendront 

Prodome,  quant  il  m'entendront; 

Mes  cil  qui  sor  soi  le  prendra, 

Por  soupeconeus  se  rendra 

Qu'il  ne  voille  mener  la  vie 

De  Barat  et  d'Ypocrisie, 

Qui  m'engendrèrent  et  norrirent*.  » 

Amours. 

«  Moult  bone  engendréure*  firent, 
Dist  Amours,  et  moult  profitable, 
Qu'il  *  engendrèrent  le  déable. 
Mes  toutevois,  comment  qu'il  aille, 
Convient-il,  dist  Amors,  sans  faille*, 
Que  ci  tes  mansions*  nous  somes 
Tantost  oians  trestous  nos  homes, 
Et  que  ta  vie  nous  espoingnes*. 
N'est  pas  bon  que  plus  la  respoingnes*. 
Tout  convient  que  tu  nous  descuevres 
Comment  tu  sers  et  de  quelz  euvres, 
Puisque  céans  t'ies  embatus  *  ; 
Et  se  por  voir  dire  ies*  batus, 
Si  n'en  ies-tu  pas  coustumiers, 
Ta  ne  seras  pas  li  premiers.  « 

Faulx-Semblant . 

«  Sire,  quant  vous  vient  à  plaisir, 

Se  g'en  dévoie  mort  gésir* ,  *  Être  couda 

Ge  ferai  vostre  volenté  ; 

Car  du  faire  grant  talent*  é.  »  *  Désir. 

L'Acteur. 

FausSemblans  qui  plus  n'i  aient, 

Commence  son  sermon  atant*,  *  Alors. 


*  Élevèrent . 


*  Génération. 

*  Car  ils. 

*  Sans  faute. 

*  Demeures. 

*  Exposes . 

*  Caches. 


*  Pvisqu'ici  dedans  lu  t'es 
engagé. 

*  El  si  pour  dira  vrai  tu  es. 


4  LE  ROMAN 

Et  dist  à  tous  eu  audience. 


Faulx-  Semblant. 

«  Barons,  entendes  ma  sentence. 
Qui  Faus  Semblant  vodra  conguoistre, 
Si  le  quière  au  siècle*  ou  en  cloistre; 
Nul  leu,  fors  en  ces  deus,  ne  mains*  : 
Mes  en  l'un  plus,  en  l'autre  mains. 
Briefment,  ge  me  vois  osteler* 
Là  où  ge  me  puis  miex  celer  : 
C'est  la  celée  *  plus  séure 
Sous  la  plus  simple  vesléure. 
Religieus  sont  moult  couvers, 
Li  séculer  sunt  plus  ouvers. 
Si  ne  voil-ge  mie  *  blasmer 
Religion,  ne  diffamer, 
En  quelque  abit  que  ge  la  truisse*  : 
Jà  religieus,  que  ge  puisse*, 
Humble  et  loial  ne  blasmerai, 
Neporquantjà*  ne  ramerai. 

«  J'entens  des  faus  religieus, 
Des  félons,  des  malicieus, 
Qui  l'abit  en  vuelent  vestir, 
Et  ne  vuelent  lor  cuers  mestir*. 
Religieus  sunt  trop  piteus*, 
Jà  n'en  verres  un  despiteus*  : 
Il  n'ont  cure  d'orguel  ensivre*, 
Tuit  se  vuelent  humblement  vivre  : 
Avec  tex*  gens  jà  ne  maindrai**, 
Et  se  g'i  mains,  ge  me  faindrai. 
Lor  habit  porrai-ge  bien  prendre, 
Mes  ainçois  me  lerroie*  pendre 
Que  ja  de  mon  propos  ississe*, 
Quelque  chière*  que  g'i  féisse. 


*  Qu'il  le  cherche  dans  le 

monde. 

'Je  ne  demeure. 


*  Fais 

*  Cachette. 

*  El  je  iv  veux  pas. 

*  Trouve . 

*  Jamais  religieux,  tant 
que  je  pourrai. 

*  Néanmoins  jamais. 


*  Dompter. 

"Pieux. 

*  Hautain,  dédaigneux. 

*  Suivre. 

*  Telles.    *  *  Demeurerai . 


'  Plutôt  je  me  laisserais. 

fc  Sortisse. 

"Mine. 


(y.  11803.)  DE  LA  ROSE.  5 

Ge  mains*  avec  les  orguilleus,  "Reste. 

Les  veziés,  les  artilleUS*,  "Les  ruses,  les  fourbes. 

Qui  mondaines  honors  convoitent, 

Et  les  grans  besoignes  exploitent, 

Et  vont  traçant*  les  grans  pitances,         "Suivant. 

Et  porchacent  les  acointances*  *  Liaisons. 

Des  poissans  homes,  et  les  sivent, 

Et  se  font  povre,  et  si  se  vivent 

Des  bous  morciaus  délicieus, 

Et  boivent  les  vins  précieus  ; 

Et  la  povreté  vout  presebant, 

Et  les  grans  richesces  pesebant 

As  saynes  et  as  trainaus*:  *  Engins  de  pèche. 

Par  mon  cbief!  il  en  istra*  maus.  "Parmatéte.'ilensortira. 

~Se  sunt  religieus  ne  monde*  ;  *  Purs. 

Il  font  un  argument  au  monde, 

Où  conclusion  a  honteuse  : 

Cist*  a  robe  religieuse,  "Celui-là. 

Donques  est-il  religieus. 

Cist  argument  est  trop  fieus*,  *  Faible. 

Il  ne  vaut  pas  un  coutel  troine*,  *  De  bois  blanc. 

La  robe  ne  fait  pas  le  moine  (1). 

IS'eporquant  nus  *  n'i  set  respondre,         "Néanmoins  nul. 

ïaut  face  haut  sa  teste  tondre, 

Voire  rere*  au  rasoer  de  lanches  ,  *  Raser. 

Qui  Barat  trenche  en  treze  trenches. 

Nul  ne  set  si  bien  distinter*,  "Distinguer. 

Qu'il  en  ose  un  seul  mot  tinter  ; 

(I)  Ce  proverbe  existait  aussi  en  latin  à  une  épojue  plus  ancienne.  Le 
classicpje  el  célèbre  Alexandre  Neckham,  qui  mourut  abbé  de  Cirencester 
en  1217,  l'emploie  dans  cette  définition  de  la  manière  d'être  d'un  moine  au 
xiii6  siècle  : 

Non  tonsura  facit  monachum,  nrc  horrida  vestis, 

Sed  vii  tus  animi,  perpetuusque  rigor  : 
Mens  liumilis,  mundi  contemplus,  vita  pudica, 

Sanclauue  sobrietas,  b;ec  faciunl  monachum. 


0  LE  ROMAN  (v.  usai.) 

Tuit  lessent  vérité  confondre, 

Por  ce  me  vois  là  plus  repondre*.  *je  me  vais  là  plus  cacher. 

Mes  en  quelque  leu  que  ge  viengne, 

Ne  comment  que  ge  me  contiengne, 

Nule  riens  fors  Barat  n'i  chas  ; 

Ne  plus  que  dam  Tibers  (1)  li  chas 

Ne  tent  qu'à  soris  et  à  ras , 

N'entens-ge  à  riens  fors  qu'à  Baras. 

Ne  jà  certes  por  mon  habit 

Ne  saurés  o  quex  *  gens  j'abit.  *  Avec  quels. 

Non  ferés-vous,  voir  as  *  paroles,  *Même  aux. 

Jà  tant  n'ierent*  simples  ne  moles.         *Taut  ne  seront. 

Les  ovres  regarder  devés, 

Se  vous  n'avés  les  iex  crevés; 

Car  s'il  font  tel  que  il  ne  dient, 

Certainement  il  vous  concilient*  ,  *  Trompent,  bafouait. 

Quelconques  robes  que  il  aient, 

De  quelconques  estas  qu'il  soient, 

Soit  clers  ou  laiz  *,  soit  bons  on  famé,      *  Laïques, 

Sires,  Serjans,  bajasse*  ou  dame.  »         * Seigneur, serviteur,  ser- 
vante. 

L\  Icteur. 

T  ant  qu'ainsinc  Faus-Semblant  sermone, 
Amors  de  rechief  l'araisone, 
Et  dist,  en  rompant  sa  parole, 
Ausinc  cum  s'el  fust  fauce  ou  foie  : 

Le  dieu  d'Amours. 

«  Qu'est-ce,  diable?  es  tu  esfrontés? 

Quex  gens  nous  as-tu  ci  contés  ? 

Puet-1'en  trover  religion 

En  séculière  mansion*?  »  *  Demeure. 

(I)  Personnage  du  Roman  du  Renard. 


(v.  H359.)  DE  LA  ROSE.  7 

Faux-Semblant. 

«  Oïl,  sire,  il  ne  s'ensuit  mie 

Que  cil  mainent  mauvèse  vie, 

TNe  que  por  ce  lor  âmes  perdent , 

Qui  as  dras  du  siècle  s'nherdent*  :  *Qmaux  habits  mondains 

s'attachent 

Car  ce  seroi  trop  grans  dolors. 

Bien  puet  en  robes  de  colors 

Sainte  religion  florir  : 

Maint  saint  a  l'en  véu  morir, 

Et  maintes  saintes  glorieuses, 

Dévotes  et  religieuses, 

Qui  dras  "  communs  tous  jors  vestirent,  *  Habits. 

JVonquesporce  mains  n'ensaintirent*,      *Ne  devinrent  saints. 

Et  ge  vous  en  nomasse  maintes; 

Mes  presque  trestoutes  les  saintes 

Qui  par  églises  sunt  priées, 

Virges  chastes,  et  mariées 

Qui  mainz  biaus  enfans  enfantèrent, 

Les  robes  du  siècle  portèrent, 

Et  en  cels*  méismes  morurent,  *  Et  en  ceux-là. 

Qui  saintes  sunt,  seront  et  furent. 

Néis*  les  onze  mile  vierges,  *  Môme. 

Qui  devant  Diex  tieuent  lor  cierges, 

Dont  l'en  fait  feste  par  églises, 

Furent  es  dras  du  siècle  prises 

Quant  elz  reçurent  lor  martires  ; 

IN'encor  n'en  sont-el  mie  pires. 

Bons  cuers  fait  la  peusée  bone, 

La  roben'i  toit*,  ne  ne  done;  *  Enlève,  prend. 

Et  la  bone  pensée  l'uevre, 

Qui  la  religion  descuevre. 

Ilec*  gist  la  religion  *Là. 

Selonc  la  droite  entencion. 

«  Qui  de  la  toison  dan*  Belin,  *Sire. 


8 


LE   ROMAN 


(v.    II892.) 


En  leu  de  mantel  sebeliu*, 
Sire  Ysangrin  (1;  al'ubleroit, 
Li  leus  qui  mouton  sembleroit, 
S'il  o*  les  brebis  demorast, 
Cuidiés-vous  qu'il  n'es*  dévorast? 
Jà  de  lor  sanc  mains  ne  bevroit, 
ÎMès  plus  tost  les  en  décevroit. 
Jà  n'eu  seroit  mains  fami Iléus*, 
]\"e  mains  mais*  ne  mains  périlleus; 
Car,  puisque  ne  le  congnoistroient, 
S'il  voloit  fuire,  eus  le  sivroient. 
S'il  a  gaires  de  tex  loviaus* 
Entre  ces  apostres  noviaus, 
Eglise,  tu  es  mal-baillie*, 
Se  ta  cité  est  assaillie 
Par  les  chevaliers  de  ta  table. 
Ta  seignorie  est  moult  endable*, 
Se  cil  s'esforcent  de  la  prendre 
Cui  tu  1  as  bailiie*  à  desl'endre. 
Qui  la  puet  vers  eus  garentir? 
Prise  sera  sans  cop  sentir 
De  mangonel,  ne  de  perrière*, 
Sans  desploier  au  veut  banière  ; 
Et  se  d'eus  ne  la  vues  rescorre*, 
Ainçois*  les  lessc  par  tout  corre, 
Lesses?  mes  se  tu  lor  comandes, 
Dont  n'i  a  fors  que  tu  te  rendes, 
Ou  lor  tributaires  deviengnes 
Par  pez  faisant,  et  d'eus  la  tiengnes, 
Se  meschief  ne  t'en  vient  greiguor*, 
Qu'il  en  soient  du  tout  seignor. 
Bien  te  sevent  ore  escbarnir*, 
Par  jor  corcnt  les  murs  garnir, 


*  Au  lieu  de  martre  zibe- 
line. 


A  vec . 

*  Croyez-vous  qu'il  ne  les. 


'Famélique. 

' i\i  moins  inclurais. 


*  Beaucoup  de  tels  louve- 
teaux. 


*  Maltraitée. 

*  Faible. 

*  A  qui  tu  l'as  donnée. 


*  Vangonneau  ,  pienier, 
machines  de  guêtre. 

*  Secourir. 

*  Auparavant. 


"  Il  n'y  a  plus  qu'à  te  ren- 
dre. 


*  Plus  grand. 

*  Railler. 


(I)  Delin,  Ysangrin,  personnages  du  Roman  du  Renard'. 


(v.  ii925.)  DE   LA   ROSE.  9 

Par  nuit  n'es*  cessent  de  miner  ;  *  Ne  les. 

Pense  d'aillors  enraciner 

Les  entes  (1)  où  tu  vues  fruit  prendre  : 

Là  ne  te  dois-tu  pas  atendre. 

3Iès  atant*  pez,  ci  m'en  retour**,  * Maintenant.** Retourne. 

N'en  vueil  plus  ci  dire  à  ce  tour, 

Se  ge  m'en  puis  atant  passer, 

Car  trop  vous  porroie  lasser. 

Mais  Lien  vous  vueil  convenancier*     *  Promettre 

De  tous  vos  amis  avancier, 

Por  quoi*  ma  compaignie  voillent;  *  Pour  que. 

Si  sunt-il  mort,  s'il  ne  m'acoillent, 

Et  m'amie  ausinc  serviront, 

Ou  jà  par  Dieu  n'en  cheviront*  :  *  tiendront  ù  bout. 

Sans  faille*  traïstre  sui-gié,  *  Sans  faute. 

Et  por  larron  m'a  Diex  jugié. 

Parjura  sui  ;  mes  ce  que  j'afin*,  *  Termine. 

Set-I'en  envis*  devant  la  lin,  *  Maigre  soi. 

Car  plusor  par  moi  mort  reçurent, 

Qui  onc  mon  barat*  n'aperçurent,  *  Tromperie. 

Et  reçoivent  et  recevront, 

Que  jamès  ne  l'aparcevront. 

Qui  l'aparcevra,  s'il  est  sage, 

Garts'en,ou  c'iert*  son  grant  domage.    *  Qu'il  s'en  gante,  ou  ce 

sera. 
Mes  tant  est  fort  la  décevance*,  *  Déception. 

Que  trop  est  grief  l'aparcevance*  :  *  Pénible  la  perception. 

(l)  Je  n'expliquerai  pascemot,donl  l'Académie  a  donné  le  sens;  je  ferai 
seulement  remarquer  qu'il  ligure  dans  une  locution  ligurée  : 

Dist  saint  Pieres  :  «Moult  m'est  «  ente 
Que  vous  de  mon  geu  me  blasmastes.  o 

De  saint  Pierre  et  du  Jouglcor,  v.  230.  (Fabliaux  et  coules,  édition  de 
(Méon,  t.  III,  p.  291.) 

Ele  est  forment  en  grant  tormente, 
Fet-ele  :  «  Corne  gis  ù  ente...  » 

Le  Fabel  cCAlonl.y.  251.  [Ibid.,  pag.  334.) 


10  LE    ROMAN  (t.  iiosi.) 

Car  Prothéus,  qui  se  soloit*  *  Avait  l'habitude. 

Muer*  eu  tout  quauqiul**  voloit,  * Changer      **  Ce  qu'il. 

Ne  SOt  onc  tant  barat  ne  guile*  *  Tromperie  ni  fraude. 

Cum  ge  fais  ;  car  onques  en  vile 
N'entrai  où  fusse  congnéus, 
Tant  i  fusse  ois  ne  véus. 


Comment  le  traistre  Faulx-Semblant 

Si  va  les  cueursdes  gens  emblant  *,  *  f'olanl. 

Pour  ses  vestemens  noirs  et  gris, 

Et  pour  son  viz  *  pasle  amaisgris.  *  Visage. 

Trop  sai  bien  mes  babiz  changier, 

Prendre  l'un,  et  l'autre  estrangier*.         *  Écarter. 

Or*  sui  chevaliers,  or  sui  moines,  *  Maintenant. 

Or  sui  prélas,  or  sui  chanoioes, 

Or  sui  clers,  autre  ore*  sui  prestres,      *  D'autres  fois. 

Or  sui  desciples,  or  sui  mestres, 

Or  cbastelains,  or  forestiers  : 

Briément*,  ge  sui  de  tous  mestiers.        *Bref. 

Or  resui  princes,  or  sui  pages  , 

Or  sai  parler  trestous  langages  ; 

Autre  ore  sui  viex  et  chenus, 

Or  resui  joncs  devenus. 

Or  sui  Robers,  or  sui  Robins  , 

Or  cordeliers,  or  jacobins. 

Si  pren  por  sivre  ma  compaigne 

Qui  me  solace*  et  acompaigne,  *  Recrée. 

(C'est  dame  Astenancc-Contrainte,) 

Autre  desguiséure *  mainte,  'Déguisement. 

Si  cum  il  li  vient  à  plesir 

Por  acomplir  le  sien  désir. 

Autre  ore  vest*  robe  de  lame;  *  Je  revêts. 

Or  sui  damoisele,  or  sui  dame, 

Autre  ore  sui  religieuse, 

Or  sui  rendue*,  or  sui  prieuse,  *  Nonne. 


(v.  U98T.)  DE  LA  ROSE.  ,  Il 

Or  sui  nonain*,  or  sui  abesse,  "Nonne. 

Or  sui  novice,  or  sui  professe; 

Et  vois  *  par  toutes  régions  "Et  je  vais. 

Cerchant  toutes  religions. 

Mes  de  religion,  sans  faille*,  "Sans  faute. 

G'en  pren  le  grain  et  laiz*  la  paille  ;  *  Je  laisse. 

Por  gens  avugler  i  abit%  *fy  habite. 

Ge  n'en  quier*,  sans  plus,  que  Tabit.  "Feux. 

Que  vous  diroie?  en  itel  guise 

Cum  il  me  plaist  ge  me  desguise; 

Moult  sunt  en  moi  mué*  li  vers,  "Changés. 

Moult  SUnt  li  faiz  aux  diz  divers  (1  j  *.        *  Différents  des  paroles. 

Si  fais  chéoir  dedans  mes  pièges 

Le  monde  par  mes  privilèges  ; 

Ge  puis  confesser  et  assoldre*,  *  Absoudre. 

(Ce  ne  me  puet  nus  prélas  toldre*,)         "Enlever,  ravir. 

Toutes  gens  où  que  ge  les  truisse*  ;         "Trouve. 

Ne  sai  prélat  nul  qui  ce  puisse, 

Fors  l'apostole*  solement  *  Le  pape. 

Qui  fist  cest  establissement 

Tout  en  la  laveur  de  nostre  ordre. 

N'i  a  prélat  nul  qui  remordre 

Ne  grocier*  contre  mes  gens  ose,  'Gronder. 

Ge  lor  ai  bien  la  bouche  close; 

Mes  mes  trais  ont  aparcétis , 

(I)  Dans  un  des   manuscrits  que  j'ai  collalionnés  ,  les  vers   suivants 
jusqu'au  12204  manquent  ;  on  y  lit  cette  note  ainsi  ligurée  : 

o  Ce  qui  s'ensuit  trespasseroiz  à  lire 
■  Devant  genz  de  religion  et 
o  Mesmement  devant  ordres 
a  Mendions,  car  il  sunt  sotif, 
o  Artilieux  :  si  vous  porroient 
o  'l'ost  grever  ou  nuire, 
a  Et  de\ant  genz  du  sicle,  que  l'en  les 
«  l'orroit  inestre  en  erreur, 
o  Et  trespasseroiz  jusques  à  ce  chapistre 
«  Où  il  commence  ainsi  : 
Faus-Semblant,  dit  Amors,  di-moi.    12205.  (Méon.) 


12 


LE   ROMAN 


(t.    12004. 


Si  n'en  sui  mes  si  recéus 
Envers  eus  si  cum  ge  soloie* , 
Por  ce  que  trop  fort  les  boloie*. 
Mes  ne  me  chaut*  comment  qu'il  aille, 
J'ai  des  deniers,  j'ai  de  l'aumaille  *  ; 
Tant  ai  fait,  tant  ai  sermoné, 
Tant  ai  pris,  tant  m'a-l'en*  doné 
Tout  le  monde  par  sa  folie, 
Que  ge  maine  vie  jolie* 
Par  la  simplesce  des  prélas 
Qui  trop  fort  redotent  mes  las*. 
Nus  d'eus  à  moi  ne  s'acompere*, 
Ne  ne  prent  qu'il  ne  le  compère  *  : 
Ainsinc  faiz-ge  tout  à  ma  guise 
Par  mon  semblant,  par  ma  faiutise. 
Mes,  por  ce  que  confès  doit  estre 
Chascun  an  chascuns  à  son  prestre, 
Une  fois,  ce  dist  l'Escripture, 
Ains  qu'on  li  face  sa  droiture*  : 
(Car  ainsinc  le  vuet  l'Apostoile*), 
L'estatut  chascuns  de  nous  çoile* 
Qui  vint  çà,  si  les  enortons*; 
Mes  moult  bien  nous  en  déportons*, 
Car  nous  avons  un  priviliége 
Qui  de  plusors  faiz  nous  aliége. 
Mes  cestui  mie  ne  taisons. 
Car  assés  plus  grant  le  faisons 
Que  l'Apostole  ne  l'a  fait, 
Dont  li  bons,  se  péchiés  a  fait, 
S'il  li  plaist,  il  porra  lors  dire  : 
En  confession  vous  di,  sire, 
Que  cil  à  qui  ge  fui  confès*, 
M'a  alégié  de  tout  mou  fés-, 
Absolu  m'a  de  mes  péchiés, 
Dont  ge  me  sentoie  entéchiés*; 


*  J'avais  l'habitude. 
* Trompais. 

*Ne  m'importe. 

*  Troupeaux. 

*  M'en  a. 

*  Gaie,  joyeuse. 

*  Lacs,  lacets. 

*  Se  compare. 
*Paye. 


*  Ce  qui  lui  est  dû. 

*  L'apôtre. 

*  Cèle. 

*  Et  nous  les  exhortons. 

*  Détachons. 


*  A  qui  je  me  confessai. 


'Entaché. 


(v.    12039.) 


DE   LA   ROSE. 


13 


Ne  ge  n'ai  pas  enteneion 

De  faire  autre  confession, 

Ne  n'en  vueil  ci  plus  réciter  : 

Si  m'en  poés  atant  quiter*, 

Et  vous  en  tenez  à  paies*, 

Quelque  gré  que  vous  en  aies  ; 

Car  se  vous  l'aviés  juré, 

Ge  n'en  dout*  prélat  ne  curé 

Qui  de  confesser  me  contraingne 

Autrement  que  ge  ne  m'en  plaingne, 

Car  je  m'en  ai  bien  à  qui  plaindre. 

Vous  ne  m'en  poés*  pas  contraindre, 

Ne  faire  force  ne  troubler, 

Por  ma  confession  doubler, 

Ne  si  n'ai*  pas  affeccion 

D'avoir  double  absplucion. 

Assés  en  ai  de  la  première, 

Si  vous  quit  ceste  darrenière; 

Desliés  sui,n'el  quier*  nier, 

Ne  me  poés  plus  deslier  : 

Car  cil  qui  le  pooir  *  i  a, 

De  tous  liens  me  deslia. 

Et  se  vous  m'en  osés  contraindre, 

Si  que  ge  m'en  aille  complaindre, 

Jà  voir*  juges  emperiaus, 

Rois,  prévos  ne  offlciaus, 

Por  moi  n'en  rendra  jugement  ; 

Ge  m'en  plaindrai  tant  solement 

A  mon  bon  confesseur  novel ,    ■ 

Qui  n'a  pas  non  frère  Love! , 

Mes  frère  Leus,  qui  tout  deveure, 

Combien  que  devant  la  gent  eure*  : 

Que  cil*,  jurer  l'ose  et  plevir**, 

Me  saura  bien  de  vous  cbevir*. 

Car  si  vous  saura  atraper, 


*  Et  vins  pouvez  en  con- 
séquence m'acquitter. 

*  Satisfait. 


'Crains,  redoute. 


Pouvez. 


*Nije  n'ai. 


'  IVe  le  veux. 


'  Pouvoir 


*  Jamais  vraiment. 


*Prie. 

*Car  celui-là.**  Garantir. 

*  f'enir  à  bout. 


14 


LE  ROMAN 


Que  ne  li  porrés  eschaper 
Sans  honte  et  sans  diffamement , 
S'il  n'a  du  vostre  largement. 
Qu'il  n'est  si  fox  ne  si  entules*, 
Qu'il  n'ait  bien  de  Rome  des  bules, 
S'il  li  plest,  à  vous  tous  semondre*, 
Por  vous  travailler  et  confondre 
Assés  plus  loing  de  deus  jornées. 
Ses  letres  sunt  à  ce  tornées, 
Qu'eles  valent  miex  qu'autentiques 
Communes,  qui  sunt  si  escliques*, 
Qui  ne  valent  qu'à  huit  persones. 
Tex*  letres  ne  sunt  mie  bones; 
ÎMès  les  soes*  à  tous  s'estendent 
Et  à  tous  leus,  qui  droit  desfeudent; 
IMès  de  vos  drois  n'a-il  que  faire, 
Tant  est  poissans,  de  grant  affaire. 
Ainsinc  de  vous  esploitera, 
Jà  por  prière  n'el  lera*, 
Ne  por  défaute  de  deniers, 
Qu'assés  en  a  en  ses  greniers  : 
Car  Chevance  est  ses  séneschaus, 
Qui  d'aquerre  est  ardens  et  chaus; 
Et  Porchas,  ses  frères  germains, 
Qui  n'est  pas  de  porchacier*  vains, 
Mes  curieus  trop  plus  d'assés, 
Por  quoi  il  a  tant  amassés, 
Par  ce  est-il  si  haut  monté, 
Que  tous  autres  a  sormonté.    • 
Et  si  m'aïst*  Diex  et  sains  Jaque?, 
Se  vous  ne  me  volés  à  Pasques 
Douer  le  cors  nostre  Seigneur, 
Sans  vous  faire  presse  greigneur*, 
Ge  vous  lairrai*  sans  plus  atendre, 
Et  Tirai  tantost  de  li  prendre  ; 


*  Fou,  étourdi. 


Convoquer. 


*  Minces. 

*  Telles. 

*  Les  siennes. 


''  Laissent. 


*  Cogner. 


:  Et  m'aide 


'Plus  grande. 
*  Laisserai. 


(v.  12109.)  DE  LA  ROSE.  15 

Car  hors  soi  de  vostre  dangier*,  ■  *  Pouvoir. 

Si  me  vueil  de  vous  estrangier*.  *E*Je  veur  de  vous  WiV- 

°  carter. 

Ainsinc  se  [met  cil  *  confessier  *  Celui-là. 

Qui  vuet  son  provoire*  Iessier  ;  *  Prêtre. 

Et  se  li  prestres  le  refuse , 

Ge  sui  prest  que  ge  l'en  encuse, 

Et  de  li  pugnir  en  tel  guise, 

Que  perdre  li  ferai  s'église*.  *Son  église. 

Et  qui  de  tel  confession 

Entent  la  consécucion, 

James  prestres  n'aura  puissance 

De  congnoistre  la  conscience 

De  celi  dont  il  a  la  cure*  :  *  Le  soin. 

C'est  contre  la  sainte  Escripture, 

Quicomande  au  pastour  honeste 

Coguoistre  la  vois  de  sa  beste; 

Mes  povres  famés,  povres  homes, 

Qui  de  deniers  n'ont  pas  grans  somes , 

Vueil -ge  bien  as  prélas  Iessier, 

Et  as  curés  por  confessier, 

Car  cil  noient*  ne  me  douroient.  *  Néant,  rien. 

Le  dieu  d'Amours. 

Porquoi? 

Faux-Semblant. 

Par  foi!  qui  ne  porroient, 
Comme  chétives  geus  et  lasses  *  ;  *  Malheureuses. 

Si  que  g'en  ai  les  berbis  grasses, 
Et  li  pastour  auront  les  maigres., 
Combien  que  ce  mot  lor  soit  aigres. 
Et  se  prélat  oseut  groucier*,  *  Gronder. 

Car  bien  se  doivent  correcier 
Quant  il  perdent  lor  grasses  bestes, 
Tiex  cop*  lor  donrai  sor  les  testes,        *7W  coup. 


16 


LE  ROMAN 


I3I40.) 


Que  lever  i  ferai  tex*  boces,.  *  Telles. 

Qu'il  en  perdront  mitres  et  croces. 
Ainsiuc  les  ai  tous  corrigiés, 
Tant  sui  fort  privilégiés. 

L'Acteur. 

Ci  se  volt*  taire  Faus-Semblant;  * Voulut. 

Mes  Amors  ne  fait  pas  semblant 
Qu'il  soit  ennoiés  de  l'oïr, 
Ains  li  dist,  por  eus  esjoïr  : 

Le  dieu  cV Amours. 

Di-nous  plus  espéciaument, 

Comment  tu  sers  desloiaument, 

Ne  n'aies  pas  du  dire  bonté  : 

Car,  si  cum*  tes  babis  nous  conte,         *  Ainsi  que. 

Tu  semblés  estre  uns  sains  lier  mi  tes. 

Faux-Semblant . 
C'est  voirs*,  mes  ge  sui  ypocrites.  *  C'est  vrai. 

Le  dieu  d'Amours. 
Tu  vas  préescbant  astenance*.  *  Abstinence. 

Faux-Semblant. 

Voire  voir,  mes  g'emple  *  ma  pance 
De  bons  morciaus  et  de  bons  vins, 
Tiex  comme  il  affiert  à  devins*. 

Le  dieu  d'Amours. 
Tu  vas  préescbant  povreté 

Faulx-Semblant. 

Voir,  mes  riche  Sui  à  planté*  *  Avec  abondance. 

Mes,  combien  que  povre  me  faingne, 


*:■:•.  ;  ni :,  en  vi  ntir  mais 
j'emplis. 

*  Tels  comme  il  appartient 
a  iin  ologiens. 


(v.     I2TGI.J 


DE  LA   ROSE. 


17 


Nul  povre  ge  ne  contredaingne. 
J'ameroie  miex  l'acointance, 
Cent  mile  tans*,  du  roi  de  France,  *  Fois. 

Que  d'un  povre,  par  nostre  Dame! 
Tout  éust-il  ausinc*  bone  ame.  *Auss 

/  Quant  ge  voi  tous  nus  ces  truans 
Tremliler  sor  ces  femiers  puans, 
De  froit,  de  fain  crier  et  braire, 
JNe  m'entremet  de  lor  affaire. 
S'il  sunt  à  l'ostel-Diex  porté, 
Jà  n'ierent  par  moi  conforté*, 
Que  d'une  aumosne  toute  seul  3 
Ne  me  paistroieut-il  la  geule, 
Qu'il*  n'ont  pas  vaillant  une  sècbe  : 
Que  donra  qui  son  coutiau  lèche? 
De  folie  m'entremetroie, 
Se  en  lit  à  chien  saiug  querroie*; 
Mes  d'un  riche  usurier  malade 
La  visitance  est  bone  et  sade*  : 
Celi  vois-ge  *  réconforter, 
Car  g'en  cuit  *  deniers  aporter  ; 
Et  se  la  maie  mort  l'enosse*, 
Bien  le  convoi*  jusqu'à  la  fosse. 
Et  s'aucuns  vient  qui  me  repraingne 
Porquoi  du  povre  me  rel'raiugue*, 
Savés-vous  comment  g'en  eschape? 
Ge  fais  entendant  par  ma  chape 
Que  li  riches  est  entéchiés 
Plus  que  li  povres  de  péchiés, 
S'a  greignor  mestier*  de  conseil, 
Por  ce  i  vois,  por  ce  le  conseil. 
Neporquant  autresinc*  grant  perte 
Reçoit  Pâme  en  trop  grant  poverte*, 
Cum  el  fait  en  trop  grant  richesce  ; 
L'une  et  l'autre  igaument*  la  blesce  :      *  Également. 


*  Ils  ne  seront  pas  par  moi 
réconfortés. 


*  Car  ils. 


*  Graisse  je  cherchais 

*  Sa  coureuse. 

*  Celui-là  vais-je. 
('mis. 

*  La  mauvaisemortletue. 

*  L'accompagne. 


*  Dispense. 


*  Il  a  plus  grand  besoin. 

*  Pour  cela  j'y  vais. 

*  Néanmoins  aussi. 

*  Pauvreté. 


18  LE    ROMAN  (v.  1219c.) 

Car  ce  sunt  deus  extrémités 

Que  richesce  et  mendicités. 

Li  moiens*  a  non  So/fisance  :  *  Le  juste  milieu. 

Là  gist  des  vertus  l'abondance, 

Car  Salemons  tout  au  délivre  *  *Tout  nu  long. 

Nous  a  escrit  en  un  sien  livre  \ 

Des  Paraboles,  c'est  le  titre, 

Tout  droit  ou  trentiesme  chapitre  : 

«  Garde-moi,  Diex,  par  ta  puissance, 

De  richesce  et  de  mendiance*.  *  Mendicité. 

Car  riches  lions,  quant  il  s'adresce 

A  trop  penser  à  sa  richesce, 

Tant  met  son  cuer  en  sa  folie, 

Que  son  Creator  en  oblie. 

Cil  que  mendicité  guerroie, 

De  péclhé  comment  le  guerroie? 

Envis*  avient  qu'il  ne  soit  lierres**         *  Rarement.    ** Larron. 

Et  parjurs,ouDiexestmentierres*  (I).  »  *. Menteur. 

Se  Salemons  dist  de  par  lui 

La  letre  que  ci  vous  parlui*  ;  *  Rapportai. 

Si  puis  bien  jurer  sans  délai 

Qu'il  n'est  escrit  en  nule  lai, 

(Au  mains  n'est-il  pas  en  la  nostre) 

Que  Jhésu-Cris,  ne  si  apostre, 

Tant  cinii  il  alèrent  par  terre, 

Fussent  onques  véus  pain  querre  *  :         *  Chercher. 

Car  mendier  pas  ne  voloient. 

Ainsinc  préeschier  le  soloieut*  *  Avaient  l'habitude. 

Jadis  par  Paris  la  cite 

Li  mestre  de  divinité*  :  *Thêologie. 

(ii  Vanitalem,  et  verba  mendacia  longe  fac  a  me.  —  Mendicitatcm  et 
divilias  ne  dederis  milii;  Iribue  lanlum  victui  meo  necessaria,  ne  forte 
salialus  illiciac  ad  negandum,  et  dicam  :  Quis  est  Dominus?  aut  egestate 

compulsus  lurer,  et  perjurem  nonien  Dei  mci.  [Liber  Proverbiorum , 
vers.  8,  cap.  30.) 


V.     12220. 


DE  LA  ROSE. 


19 


Si  péussent-il  demander 

De  plain  pooir,  sans  truander*  ;  *  Mendier. 

Car,  de  par  Dieu,  pastor  estoient, 

Et  des  âmes  la  cure*  avoient  :  *Le  soin. 

Néis*  après  la  mort  lor  mestre,  *  Même. 

Recommencièrent-il  à  estre 

Tantcst  laboréors*  de  mains  ;  *  Travailleurs. 

De  lor  labor,  ne  plus  ne  mains, 

Recevoient  lor  sostenance*,  *  ils  se  sustentaient. 

Et  vivoient  en  paeience  ; 

Et  se  remnnant*  en  avoient ,  *  Reste. 

As  autres  povres  le  donoient  ; 

N'en  fondoient  paies  ne  sales, 

Ains  gisoient  en  maisons  sales  (1). 

Puissans  lions  doit,  bien  le  recors* ,    *  Rappelle. 
As  propres  mains,  au  propre  cors, 
En  laborant*  querre  son  vivre,  * Travaillant. 

S'il  n'a  dont  il  se  puisse  vivre , 
Combien  qu'il  soit  religieus, 
Ne  de  servir  Dieu  curieus  ; 
Ainsinc  faire  le  li  convient, 

Fors  es*  cas  dont  il  me  sovient,  *  Si  ce  n'est  dans  les. 

Que  bien  raconter  vous  saurai, 
Quant  tens  de  raconter  aurai. 
Et  encor  devroit-il  tout  vendre, 


(I)  Dans  quelques  manuscrits  on  lit  de  plus  les  vers  suivants  : 


Les  dis  saint  Augustin  cerehiez, 
Entre  ses  escris  reverchiez  * 
Les  livres  des  ouvres  des  moines  : 
Là  Mirez  que  nules  essoines  * 
Ne  doit  querre  *  li  honis  parfeiz, 
Ne  par  parole  ne  par  l'eu, 
Combien  qu'il  soit  religieus 
Et  de  servir  Dieu  curieus  ; 
Qu'il  ne  doie,  bien  le  recors  *, 
As  propres  mains  et  propre  cors 
En  laborant*  quérir  son  vivre, 
S'il  n'a  propre  dont  puisse  vivre. 


Feuilletez. 


Excuses. 
Chercher. 


*  Je  le  rappelle. 

*  En  travaillant. 


20 


LE   ROMAN 


V.    I225I. 


Et  du  labor  sa  vie  prendre, 

S'il  est  bien  parlais  en  bonté  : 

Ce  m'a  PEscripture  conté. 

Car  qui  oiseus  hante  autrui  table, 

Lobierres*  est,  et  sert  de  fable.  *Conteur  de  sornettes. 

N'il  n'est  pas,  ce  sachiés,  raison 

D'escuser  soi  par  oraison  : 

Car  il  convient  en  toute  guise 

Entrelessier  le  Diex  servise 

Por  ses  autres  nécessités. 

Mangier  estuet*,  c'est  vérités,  '  *  il  faut. 

Et  dormir  et  faire  autre  chose, 

Nostre  oroison  lors  se  repose  : 

Ausinc  se  convient-il  retraire*  *  Retirer. 

D'oroison  por  son  labor  faire  ; 

Car  l'Escripture  s'i  acorde, 

Qui  la  vérité  en  recorde*.  *  Rapporte. 

Et  si  desfent  Justiuiens, 
Qui  (ist  nos  livres  anciens  (1), 
Que  nus  bons*,  en  mile  manière,  *  Nul  homme. 

Poissans  de  cors,  son  pain  ne  cpiière*,     *Ne  cherche. 


Por  qu'il  le  truisse*  à  graingnier; 
L'en  le  devroit  miex  mehaingnier* 
Ou  en  faire  aperte*  justice, 
Que  soustenir  en  tel  malice. 
Ne  font  pas  ce  que  faire  doivent 
Cil  qui  tex  *  aumosnes  reçoivent , 
S'il  n'en  ont  espoir*  priviliége 
Qui  de  la  poine  les  aliége; 
Mais  ne  cuit*  pas  qu'il  soit  eus 
Se  li  princes  n'est  décéus, 


*  Pourpeu  qu'il  le  trouve. 
Supplicier. 

*  Ouverte,  publique. 


'  Crus  qui  telles. 
'  Peut-être 


*  Crois. 


(i)  Ce  passage  a  fait  soupçonner  que  l'auteur  éloit  homme  de  loi- 
Voyez,  sur  la  législation  romaine  du  moyen  âge,  et  sur  la  connaissance  du 
code  de  Juslinien  à  celle  époque,  notre  commentaire  sur  VHistoire  de  la 
(/uerre  de  Navarre,  de  Guillaume  Anelier,  pag.  390,  391. 


12282.) 


DE  LA   ROSE. 


21 


Ne  si  ne  recuit*  pas  savoir 
Qu'il  le  puissent  par  droit  avoir. 
Si  ne  fais-ge  pas  terminance* 
Du  prince  ne  de  sa  puissance , 
Me  par  mon  dit*  ne  voil  comprendre 
S'el  se  puet  en  tel  cas  estendre , 
De  ce  ne  me  doi  entremette. 
Mes  ge  croi  que,  selonc  la  letre, 
Les  aumosnes  qui  sont  déues 
As  lasses*  gens  povres  et  nues, 
Fiebles  et  viez  et  mehaiugniés*, 
Par  qui  pains  n'iert  mes*  gaaingniés 
Por  ce  qu'il  n'en  ont  la  puissance , 
Qui  les  mangue  en  lor  grevance  *, 
Il  mangue  son  dampnement*, 
Se  Cil*  qui  (ist  Adam  ne  ment. 
Et  sachiés,  là  où  Diex  comande 
Que  li  prodons  quanqu'il*  a  vende, 
Et  doint*  as  povres  et  le  sise, 
Por  ce  ne  vuet-il  pas  qu'il  vive 
De  li  servir  en  mendience*  : 
Ce  ne  l'u  onqucs  sa  seutence  ; 
Ains*  entent  que  de  ses  mains  ouvre, 
Et  qu'il  le  sive  par  bone  euvre. 
Car  sains  Pous*  comanda  ovrer 
As  apostres  por  recovrer 
Lor  nécessités  et  lor  vies , 
Et  lor  desfeudoit  truandies  *, 
Et  disoit  :  «  De  vos  mains  ovrés , 
Jà  sor  autrui  ne  recorés.  » 
Ne  voloit  que  riens  demandassent 
A  quelques  gens  qu'il  préeschassent, 
Ne  que  l'évangile  vendissent; 
Ains*  doutoit  que  s'il  requéissent, 
Qu'il  ne  tossissent  en  requerre*  ; 


*  Ni  je  ne  crois  encore. 


*  Et  je  ne  pose  pas  des  bor- 
nes. 


*  Ma  parole. 


*  Malheureuses. 

*  Vieilles  et  infirmes. 

*  Ne  sera  pins. 

*  A  leur  détriment. 

*  Sa  damnation. 

*  Celui,  Dieu. 


*  Que    l'honnête   homme 
ce  qu'il, 

*  Lionne  (sulij .) . 


'Mendicité. 


Mais. 


"Saint  Paul. 


*  Gueuseries. 


Mais. 
*  l 'niassent    en     deman- 
dant. 


22  LE   ROMAN  (v.  10317.) 

Qu'il  sunt*  maint  donéor  eu  terre  *  Car  d  y  a. 

Qui  por  ce  douent,  au  voir*  dire,  *  frai. 

Qu'il  Ont  honte  de  l'eSCOlldire*,  *  Refuser,  ('conduire. 

Ou  li  requérans  lor  ennuie, 

Si  li*  douent  por  qu'il  s'enfuie.  *  Et  ils  lui. 

Et  savés  que  ce  lor  prou f fi  te  ? 

Le  don  perdent  et  la  mérite.  » 

Quant  les  bones  gens  qui  ooient 

Le  sermon  saint  Pol,  li  prioient 

Por  Dieu  qu'il  vosist*  du  lor  prendre,     *  Voulût- 

N'i  vosist-il  jà  la  main  tendre; 

Mes  du  labor*  des  mains  prenoit  *  Travail. 

Ce  dont  sa  vie  sostenoit. 

Amours. 

Di-moi  donques  comment  puet  vivre 

Fors  homs  de  cors  qui  Dieu  vuet  sivre, 

Puis  qu'il  a  tout  le  sien  vendu, 

Et  as  povres  Dieu  despeudu* ,  *  Dépense. 

Et  vuet  tant  solement  orer  *  *  Prier. 

Sans  jamès  de  mains  laborer  * .  *  Travailler. 

Le  puet-il  faire? 

Faulx-Semblant. 
Oïl. 

Amours. 

Comment? 

Faulx-Semblant. 
S'il  entroit,  selon  le  commant  (I) 

(I)  Tout  ce  qui  est  dit  par  Faulx-Semblant  de  l'obligation  dans  laquelle 
sont  les  moines  de  vaquer  a  des  œuvres  manuelles,  est  tiré  d'un  traité 
de  saint  Augustin,  intitulé  de  Opère  monachorum,  ad  Jureliam,  episco- 
pum  Carlhaginïensem.  Ce  fut  à  l'instigation  de  cet  évéque  que  saint  Au- 
gustin entreprit  cet  ouvrage.  11  y  avoit  de  son  lumps  plusieurs  monas- 


(v. 


DE   LA   ROSE. 


23 


Saint  Augustin,  eu  abbaie 
Qui  fust  de  propre  bien  garnie, 
Si  cum  sunt  ore  cil*  blanc  moine, 
Cil  noir,  cil  réguler  chanoine, 
Cil  de  TOspital,  cil  du  Temple, 
Car  bien  puis  faire  d'eus  exemple, 
Et  i  préist  sa  soustenance* , 
Car  là  n'a  point  de  mendiance*  : 
Neporquant*  maint  moine  laborent**, 
Et  puis  au  Dieu  service*  acorent  ; 
Et  por  ce  qu'il  fu  grant  discorde 
En  un  tens  dont  ge  me  recorde*, 
Sur  Testât  de  mendicité, 
Briefment  vous  iert  ci*  recité 
Comment  puet  bons  mendians  estre 
Qui  n'a  dont  il  se  puisse  pestre. 
Les  cas  en  orrés  tire-à-tire*, 
Si  qu'il  n'i  aura  que  redire, 
Maugré  les  felonesses  jangles*  ; 
Car  vérités  ne  quiert  nus  angles  * , 
Si  porrai-ge  bien  comparer* 
Quant  onc  osai  tel  champ  arer*. 

U Acteur. 

Paulx-Semlilant  dit  cy  vérité. 
De  tous  cas  de  mendicité. 


'Ces. 


*  Et  s'y  sustentât. 

*  Mendicité. 

*  Néanmoins.    *kTravail. 
lent. 

'  Au  sci  vice  de  Dieu. 


'  Rappelle. 


Sera  ici. 


*  llout  il  bout. 


*  Méchants  propos. 

*Ke  cherche  nuls  coins, 
détours. 

*  Payer. 

*  Labourer. 


Vez-ci  les  cas  espéciaus  : 

tères  à  Cartilage;  el  parmi  ces  différents  moines,  les  uns  Iravailloient , 
suivant  le  précepte  de  l'Apôtre;  les  autres,  appuyés  sur  le  conseil  évangé- 
licjue,,  qui  dit  :  Regardes  les  oiseaux  et  les  lis  des  champs,  à  qui  la  Pro- 
vidence/ail trouver  des  ressources  journalières,  se  croyoient  en  droit  de 
vivre  des  dilations  des  lidéles,  sans  se  donner  la  moindre  j:eine.  Cet  excès 
de  fainéantise  avoit  révolté  les  laïcs;  ce  fui  donc  pour  terminer  ces  dis- 
putes et  pour  iixer  le»  oMigalions  des  n.oines,  que  saint  Augustin  com- 
posa son,  traité,  qui  se  trouve  au  tome  III  de  ses  Œuvres,  édit.  de  Paris, 
lGôl ,  et  au  tome  VI  de  l'édit.  Ces  PP.  Bénédictins.  tL.  D.  P.) 


24 


LE  ROMAN 


Se  li  bons*  est  si  bestiaus 

Qu'il  n'ait  de  nul  mestier  science, 

Ne  n'en  désire  l'ignorance, 

A  mendiance  se  puet  traire* 

Tant  qu'il  sache  aucun  mestier  faire 

Dont  il  puisse  sans  truandie* 

Loiaument  gaaiugnier  sa  vie  ; 

Ou  s'il  laborer*  ne  péust 

Por  maladie  qu'il  éust, 

Ou  por  viellesce  ou  por  enfance, 

Torner  se  puet  en  meudiance*; 

Ou  s'il  a  trop,  par  aventure, 

D'acoustumée  norreture 

Vescu  délicieusement, 

Les  bones  gens  communément 

En  doivent  lors  avoir  pitié, 

Et  souffrir-le  par  amitié 

Mendier  et  son  pain  quérir, 

ISon  pas  lessier  de  tain  morir  ; 

Ou  s'il  a  d'ovrer  la  science, 

Et  le  voloir  et  la  puissance, 

Prest  de  laborer*  bonement, 

Mes  ne  trueve  pas  prestement 

Qui  laborer  faire  li  voille 

Por  riens  que  faire  puisse  ou  soille*, 

Bien  puet  lors  en  mendicité 

Porchacier*  sa  nécessité; 

Ou  s'il  à  son  labor  gaaiugne  , 

Mes  il  ne  puet  de  sa  gaaingne* 

Suffisamment  vivre  sor  terre, 

Bien  se  puet  lors  mètre  à  pain  qucrre*, 

Et  d'huis  en  buis  partout  tracier* 

Por  le  remenant  porchacier*; 

Ou  s'il  vuct  por  la  loi  desfendre 

Quelque  chevalerie  empreudre*, 


*  Si  l'homme. 

*  Tirer,  mettre. 

*  Gueuserie. 
* Travailler. 


*  II  jicut  se  mettre  à  men- 
dier. 


^Travailler. 

'Ail  habitude. 

*  Gagner. 

*  Son  gain. 

*  Chercher. 

*  Suivre. 
*Gagner  le  reste. 

*  Entreprendre. 


(v.  i23<js.)  DELAROSE.  25 

Soit  d'armes,  ou  de  lectréure*,  *  Littérature. 

Ou  d'autre  convenable  cure*,  *  Occupation. 

Se  povreté  le  va  grevant , 

Bien  puet,  si  cum  *  j'ai  dit  devant,         *  Ainsi  que. 

Mendier  tant  qu'il  puisse  ovrer 

Por  ses  estovoirs*  recovrer,  *  Besoins. 

Mes*  qu'il  ovre  de  mains  itiex**,  *  Pourvu.     **  Telles. 

Non  pas  de  mains  esperitiex*,  *  Spirituelles. 

Mes  de  mains  du  cors  proprement, 

Sans  metre-i  double  entendement. 

En  tous  ces  cas  et  en  semblables, 

Se  plus  en  trovés  raisouables 

Sor  ceus  que  ci  présens  vous  livre, 

Qui  de  mendiance  vuet  vivre, 

Faire  le  puet,  non  autrement, 

Se  cil  de  Saint-Amor  ne  ment, 

Qui  disputer  soloit*  et  lire,  *  Avait  coutume. 

Et  préeschier  ceste  ma  tire 

A  Paris,  avec  les  devins*  :  * Théologiens. 

Jà  ne  m'aïst*  ne  pains  ne  vins,  *Que jamais  ne  m'aide. 

S'il  n'avoit  en  sa  vérité 

L'acort  de  l'Université 

Et  du  pueple  communément, 

Qui  ooient  sou  presebement. 

Nus  prodons  *  de  ce  refuser  *  Homme  de  bien. 

Vers  Dieu  ne  se  puet  escuser. 

Qui  grocier*  eu  vodra,  si  grouce,  *  Gronder. 

Qui  correcier,  si  s'en  corrouce, 

Car  ge  ne  m'en  teroie  mie, 

Se  perdre  en  dévoie  la  vie, 

Ou  estre  mis,  contre  droiture  * ,  *  Justice. 

CommesainsPous,enchartre*oscure,     "  Comme  saint  Paul  en 

prison. 

Ou  estre  bannis  du  roiaume 

A  tort,  cum  fu  mestre  Guillaume  (1) 

(I;  Guillaume  de  Saint- Amour,  chanoine  de  Beauvais,  prêcha  contre 


2G 


LE   ROMAN 


V.    12432. 


De  Saint-Amor,  qu'Ypocrisie 
Fist  essilier,  par  grant  envie. 
Ma  mère  en  essil  le  chaca. 
Le  vaillant  home  tant  braça 
Por  vérité  qu'il  soustenoit, 
Vers  ma  mère  trop  mesprenoit*, 
Por  ce  qu'il  fist  un  novel  livre 
Où  sa  vie  fist  toute  escrivre. 
Et  voloit  que  je  renoiasse 
Mendicité  et  laborasse* , 
Se  ge  n'avoie  de  quoi  vivre; 
P.icn  me  voloit  tenir  por  ivre  , 
Car  laborer  ne  me  puet  plaire, 
De  laborer  n'ai-ge  que  faire  : 
Trop  a  grant  paine  en  laborer; 
.T'aim  miex  devant  les  gens  orer*, 
Et  affubler  ma  reuardie* 
Du  mantel  de  papelardie  *. 

Le  dieu  d'amours. 

Qu'est-ce,  diable!  quiex  sunt  ti  dit*? 
Qu'est-ce  que  tu  ;is  ici  dit? 


Agissait  trop  mal. 


*  travaillasse. 


*  Prier. 

*  Duplicité . 
Hypocrisie. 


*  Quelles  sont  tes  paroles 


l'hypocrisie  des  ecclésiastiques,  et  principalement  des  moines.  (Du  Haillan, 

llist.  de  France.) 

Floruit  Guillelmus  de  Sancto-Amore,  doctor  sorbonicus,  qui  scripsit 
contra  ordinem  mendicantium.  (Genehrardus  in  Chronographia .) 

«  Ce  docteur,  qui  vivoit  en  I2GO,  composa  un  traité  sous  le  titre  des 
■<  Périls  des  derniers  temps,  pour  la  défense  de  l'Écriture  et  de  l'Église, 
«  contre  les  périls  qui  menaçoient  l'Église  universelle,  de  la  part  des  hy- 
i  pocrites  et  faux  prédicateurs,  se  fourrant  es  maisons,  oiseux,  curieux, 
«  vagabonds.  »  Cet  ouvrage  est  divité  en  quatre  livres;  il  a  pour  but  de 
rendre  à  l'Université  de  Paris  la  tranquillité  qui  avoil  été  troublée  en  (213, 
par  la  doctrine  des  religieux  mendiants.  Saint  Bonaventure  et  saint  Tho- 
mas d'Aquin  y  répondirent.  Le  pape  Alexandre  IV  condamna  le  livre  de 
Saint-Amour,  de  Periculis  novissimorum  lemporum,  où  il  déclame  contre 
la  pauvreté  fictive  des  mendiants;  et  ceux-ci  remuèrent  tant  de  ressorts 
qu'ils  le  tirent  bannir  du  royaume.  (L.  D.  D.) 


(v.    12452.) 


DE   LA   ROSE. 


27 


Faux-Semblant. 

Quoi? 

Amours. 

Grans  desloiautés  apertes*.  *  Claires. 

^Dont  ne  criens-tu  pas  Dieu? 

Faux-Semblant. 

J\"on,  certes, 
Qu'envis*  puet  à  grant  chose  ataindre     *  Car  difficilement. 
En  ce  siècle,  qui  Dieu  vuet  craindre  : 
Car  li  bon  qui  le  mal  eschivent*,  *  Évitent. 

Et  loiaument  du  lor  se  vivent, 
Et  qui  sclonc  Dieu  se  maintienent, 
Envis  de  pain  à  autre  vienent. 
ïex*  gens  boivent  trop  de  mésaise  :       *  Telles. 
Ps'est  vie  qui  tant  me  desplaise. 
Mes  esgardés  cum  de  deniers 
Ont  usurier  en  lor  greniers, 
Faussonnier*  et  terminéour**, 
Baillif,  prévoz,  bediaus,  maiour*. 
Tuit  vivent  presque  de  rapine, 
Li  menus  pueples  les  encline  * , 
Et  cil  comme  leus  les  déveurent. 
Trestuit  sor  les  povres  gens  queurent, 
IV'est  nus  qui  despoillier  n'es  vueille , 
Tuit  s'afublent  de  lor  despueille , 
Trestuit  de  lor  sustances  hument, 
Sans  eschauder  tous  viz  *  les  plument.     *  Vifs. 
Li  plus  fors  le  plus  liéble  robe*;  "Dérobe. 

Mes  ge  qui  vest  ma  simple  robe; 
Lobans*  lobés  et  lobéors,  *  Dupant. 

Robe*  robes  et  robéors.  *  Je  dt  robe. 

Par  ma  lobe  entasse  et  amasse 


*  Commis  des  gabelles,  et 
non     fa  ux-  m  onn  a  ;/c  urs, 
comme  le  veut  Méon. 
"  arpenteurs,  et  non  ban- 
queroutiers. 

*  Maires. 

* Salue. 


28 


LE  ROMAN 


Grans  trésors  en  tas  et  en  masse , 

Qui  De  puet  por  riens  afunder  *  ; 

Car,  se  g'en  lais  palais  funder, 

Et  acomplis  tous  mes  déliz* 

De  compaignies  en  déliz, 

De  tables  plaines  d'entremez 

(Car  ne  voil  autre  vie  mes), 

Recroist  mes  argens  et  mes  ors  : 

Car,  ains  que  soit  vuis*  mes  trésors, 

Deniers  me  vienent  a  resours*  : 

Ne  fais-ge  bien  tuinber  mes  hours*  ? 

En  aquerre  est  toute  m'entente*, 

Miex  vaut  mes  porchas*  que  ma  rente.  *  Gain. 

S'en  me  devoit  tuer  ou  batre, 

Si  me  voilge  par  tout  embatre*.  *  M'ingérer, 


*  Tarir,  s'épuiser. 


Goûts. 


*  Car  avant  que  soit  vide. 

*  En  abondance. 

*  Manœuvres 

*  Ma  pensée. 


Amours. 

Tu  semblés  sains  bons*. 


*  Saint  homme. 


F  aulx- Semblant. 

Certes  voire*. 
Ordener  me  fis  à  provoire*, 
Sui  le  curé  de  tout  le  monde 
Si  cum  il  dure  à  la  réoude. 
Par  tout  vois  les  âmes  curer  *, 
Nus  ne  puet  mes  sans  moi  durer, 
Et  préeschier  et  conseillier, 
Sansjamèsde  mains  travcillier; 
De  Tapostole*  en  ai  la  bule. 
Qui  ne  me  tient  pas  por  entule*. 
Si  ne  querroie*  jà  cessier 
Ou  d'empereors  confessier, 
Ou  rois,  ou  dux,  ou  bers*,  ou  contes  ; 
TMès  de  povres  gens  est-ce  hontes. 


1  Vraiment. 
k  Comme  prêtre. 


*  Je  vais  prendre  soin  des 
âmes: 


*  Du  pape. 

*  Étourdi. 

* I-ijî  ne  voudrais 

*  Barons. 


(v.  I25H.)  DE  LA   ROSE.  29 

Je  n'aime  pas  tel  confession, 
Se  n'est  par  autre  occasion; 
Ge  n'ai  cure  de  povre  gent, 
Lor  estât  n'est  ne  bel  ne  gent. 

Ces  empereris*,  ces  duchesses,  *  Impératrices. 

Ces  roïnes  et  ces  contesses, 
,  Ces  hautes  dames  palasines, 
Ces  abéesses,  ces  béguines  (1), 
Ces  baillives,  ces  chevalières, 
Ces  borgoises  comtes*  et  fières,  *  Coquettes. 

Ces  nonains  et  ces  damoiseles, 
Por*  que  soient  riches  ou  bêles,  *  Pourvu. 

Soient  nues  ou  bien  parées, 
.Ta  ne  s'en  iront  esgarées  ; 
Et  por  le  sauveraient*  des  âmes  *Saiut. 

J'enquiers  des  seignors  et  des  dames 
Et  de  trestoutes  lor  mesnies*,  *  Maisons. 

Les  propriétés*  et  les  vies,  *Ce  qui  leur  est  propre. 

Et  lor  fais  croire  et  mez  es*  testes         *Dans  les. 

Que  lor  prestres  curez  sunt  bestes 

Envers  moi  et  mes  compaignons, 

Dont  j'ai  moult  de  mauves  gaignon  *,     *  Chiens. 

A  qui  ge  suel*,  sans  riens  celer,  *J'ai  l'habitude. 

Les  secrés  des  gens  révéler  ; 

Et  eus  ausinc  tout  me  révèlent, 

Que*  riens  du  monde  ne  me  cèlent.        *Car. 

Et  por  les  félons  aparçoiv/e 

Qui  ne  cessent  des  gens  déçoivre, 

(l)Ce  nom  se  donnoit  aux  lilles  d'une  ancienne  congrégation  séculière 
établie  en  plusieurs  lieux  de  Flandres,  de  Picardie  et  de  Lorraine.  Il  y  a 
des  auteurs,  au  nombre  desquels  est  le  P.  Thomassin,  qui  ont  regardé 
les  béguines  comme  des  espèces  de  chanoinesses  ou  de  bénélicières.  Jean 
de  Meun  paroit  les  prendre  ici  dans  cette  acception. 

Du  Cange  le  fait  dériver  de  Begi/a,  tille  de  Pépin  de  Landau,  sœur  de 
sainte  Gfertru.de,  qui  institua  des  religieuses  nommées  béguines.    (Mêon. 

3. 


30 


LE  ROMAN 


12539.) 


Paroles  vous  dirai  jà  ci 

Que  nous  lisons  de  saint  Maci*, 

C'est  assavoir  l'évangelistre, 

Au  vingt  et  troisième  chapistre  (1)  : 

Sor  la  chaière  Moysi* 

(Caria  glose  l'espont*  ainsi, 

C'est  le  Testament  ancien), 

Sistrent*  Scribe  et  Pharisien, 

(Ce  sunt  les  lauces  gens  maudites 

Que  la  letre  apele  ypocrites). 

Faites  ce  qu'il  sermoneront, 

Ne  faites  pas  ce  qu'il  feront. 

De  bien  dire  n'icrent  jà*  lent, 

Mes  de  faire  n'ont -il  talent*. 

Il  lient  as  gens  décevables 

Criés*  faiz  qui  ne  sunt  pas  portables, 

Et  sor  lor  espaules  lor  posent  ; 

Mais  o*  lor  doi  movoir  n'es  osent. 


*  Saint  Matthieu. 


k  Sur  la  chaire  de  Moïse. 
*  L'expose. 

S'assirent. 


*  Ne  seront  pas. 
■  *  Désir. 

*  Lourds. 
"Avec. 


.Imuurs. 


Porquoi  non- 


Faulx- Semblant. 

Par  foi,  qu'il  ne  vuelent, 
Car  les  espaules  sovent  suelent* 
As  portéors  des  faiz  doloir*  : 
Por  ce  fuient-il  tel  voloir. 
S'il  font  euvres  qui  boues  soient, 
C'est  por  ce  que  les  gens  les  voient. 
Lor  philatères*  eslargissent, 
Et  lor  fimbries*  agrandissent, 


Ont  coutume, 
*  Faire  mal. 


*  Reliquaires  portatifs. 

*  Franges. 


(i)  Super  catliedram  Moysi  sederunt  Sciïhae  et  Pharisœi.  Omnia  ergo 
quxeumque  dixerint  vobis,  servate,  et  facile;  secundum  opéra  vero 

eorum  nolile  facere  :  dicunt  enim,  et  non  faciunt.  {Vers,  2  et  3.; 


12566.) 


DE   LA   ROSE. 


31 


Et  des  sièges  aiment  as  tables 
Les  plus  haus,  les  plus  honorables, 
Et  les  premiers  es*  sinagogues, 
Cum  fier  et  orguilleus  et  rogues , 
Et  ament  que  l'eu  les  salue 
Quant  il  trespassent  par  la  rue, 
Et  vuelent  estre  apelé  mestre, 
Ce  qu'il  ne  devroient  pas  estre  : 
Car  l'évangile  vet*  encontre, 
Qui  lordesloiauté  démonstre. 

Une  autre  coustume  r'avons 
Sor  eeus  que  contre  nous  savons  : 
Trop  les  volons  forment  haïr, 
Et  tuit  par  acort  envaïr. 
Ce  que  l'un  het,  li  autres  héent*, 
Trestuit  à  confundre  le  béent*, 
Se  nous  véons  qu'il  puist  conquerre 
Par  quelque  engin*  honor  en  terre, 
Provendes*  ou  possessions, 
A  savoir  nous  estudions 
Par  quele  eschiele  il  puet  monter; 
Et  por  li  miex  prendre  et  douter, 
Par  traïsons  le  diffamons 
Vers  ceus,  puis  que  nous  ne  l'amons. 
De  s'eschiele  les  eschilons  * 
Ainsinc  copons,  et  l'essillons 
De  ses  amis,  qu'il  n'en  saura 
Jà  mot,  que  perdus  les  aura. 
Car  s'en  apert*  les  grevions, 
Espoir*  blasmés  en  serions. 
Et  si  faudrions  à  nostre  esme*; 
Car  se  nostre  entencion  pesme* 
Savoit  cil*,  il  s'en  desfendroit, 
Si  que  l'en  nous  en  reprendroit. 

Grant  bien  se  l'uns  de  nous  a  fait. 


'Dans  les. 


Ta. 


*  Haïssent, 

*  Aspirent . 

*  Artifice. 

*  Prébendes. 


"  De  son  échelle  les  êche- 
lons. 


*  Ouvertement. 

*  Peut-être. 

*  Et    nous    manquerions 
notre  but. 

*  Très-mauvaise. 


*Celui-là. 


32  LE  ROMAN  (t. 

Par  nous  tous  le  tenons  à  fait; 

Voire*,  par  Dieu,  s'il  le  faiguoit,  *  Vraiment. 

Ou  sans  plus  vanter  s'en  daignoit 

D'avoir  avanciés  aucuns  homes, 

Tuit  du  fait  parçoniers*  nous  somes,      *  Participants. 

Et  disons,  bien  savoir  devés, 

Que  tex*  est  par  nous  eslevés.  *Tel. 

Et  por  avoir  des  gens  loenges , 

Des  riches  homes,  par  losenges*,  *  Flatteries. 

Empêtrons  que  letres  nous  doignent 

Qui  la  bonté  de  nous  tesmoignent, 

Si  que  l'en  croie  par  le  munde 

Que  vertu  toute  en  nous  habunde. 

Et  tous  jors  povres  nous  faignons; 

Mes  comment  que  nous  nous  plaignons, 

ISTous  somes ,  ce  vous  fais  savoir, 

Cil  qui  tout  out  sans  riens  avoir. 

Ge  m'entremet  de  corretages, 

Ge  faiz  pais,  ge  joing  mariages, 

Sor  moi  preng  execucions, 

Et  vois*  en  procuracions;  "Fais. 

Messagiers  sui,  et  fais  euquestes 

Qui  ne  me  sunt  pas  moult  honestes; 

Les  autrui  besoignes  traitier, 

Ce  m'est  un  trop  plesant*  mestier;         "Agréable. 

Et  se  vous  avés  riens  à  faire 

Vers  cens  entor  qui  ge  repaire* ,  *  Retourne. 

Dites-le  moi,  c'est  chose  faite  : 

Si  tost  eu  m  la  m'aurés  retraite*,  "Rapportée. 

Por  quoi  vous  m'aies  bien  servi, 

Mon  servise  avés  déservi*.  «.      *  Mérite. 

Mes  qui  chastier  me  vodroit , 

Tantost  ma  grâce  se  todroit*  :  "S'enlèverait. 

Je  n'aim  pas  home  ne  ne  pris*  *  Prise 

Par  qui  ge  sui  de  riens  repris. 


(v.    12036.) 


DE    LA   ROSE. 


33 


Les  autres  voil-ge  tous  reprendre, 

Mes  ne  voil  lor  reprise  entendre  : 

Car  ge  qui  les  autres  chasti*, 

rs'ai  mestier  d'estrange  chasti*. 

Si  n'ai  mes  cure  d'ermitages  • 

T'ai  laissié  désers  et  bocages, 

Et  quil*  à  saint  Jehan-Baptiste 

Du  désert  et  manoir  et  giste. 

Trop  par  estoie  loin  gités. 

Es  bors*,  es  cbastiaus,  es  cités, 

Fais  mes  sales  et  mes  paies, 

Où  l'en  puet  corre  à  plains  eslès*  ; 

Et  di  que  ge  sui  hors  du  monde, 

Mes  ge  m'i  plonge  et  m'i  al'onde* , 

Kt  m'i  aése  et  baigne  et  noe* 

Miex  que  nus  poissons  de  sa  noe*. 

Ge  sui  des  valez  Antecrist , 

Des  larrons  dont  il  est  escrit 

Qu'il  ont  habiz  de  saintéé*, 

Et  vivent  en  tel  faîntéé*. 

Dehors  semblons  aigniaus  pitables  ' 

Dedens  somes  leus  ravissables, 

Si  avirons-nous*  mer  et  terre  ; 

A  tout  le  monde  avons  pris  guerre, 

Et  voulons  du  tout  ordener 

Quel  vie  l'en  i  doit  mener. 

S'il  i  a  chastel  ne  cité 

~,  ,  t      ■     .--.-«,  *  Hérétiques,  sodomltes. 

Ou  bogre  *  soient  récite    ,  *«  /,  , 

Néis  s'il  ierent  de  Melan  * ,  ^*"«  s''7s étaient  de  m 

;i)  Après  avoir  parlé,  sous  l'année  1179,  d'hérétiques  qui  Iroublaient 
lors  la  France,  el  de  leurs  doctrines,  Guillaume  Guiart  ajoute  : 

Dont  touz  jors  a  en  Lnmbardie 
Qui  ce  croient  ouvertement,  etc. 

[Branche des  royaux  lignages,  v.  ltS">  ;  clans  les  Chroniques 
nationales  françaises,  éd.  de  Yerdière,  t.  Vil,  p.  37.) 


* Reprends. 

*  Je  n'ai  besoin  de  remon- 
trance d'étranger. 


*  Et  j'abandonne. 

*  Dons  les  bourgs. 

*  Course,  élan. 

* Enfonce. 

*  Nage. 

*  'Nageoire. 


*  Sainteté. 

*  Dissimulation. 

*  Pleins  de  pitié. 

*  Et  nous  environnons. 


31  LE   ROMAN  (y.  raeos.) 

Car  ausinc  les  en  blasme-1'en  ; 

Ou  se  nus*  home  oultre  mesure  *ûu  si  nul. 

Vent  à  terme  ou  preste  à  usure, 

Tant  iert*  d'aquerre  curieus,  *Sera. 

Ou  s'il  iert  trop  luxurieus, 

Ou  lerres*  ou  simoniaus,  *  Larron. 

Soit  prévost  ou  officiaus, 

Ou  prélas  de  jolive*  vie,  *Gaie. 

Ou  prostrés  qui  tiengue  s'amie, 

Ou  vielles  putains  hostelières, 

Ou  maqueriaus  ou  bordelières, 

Ou  repris  de  quelconque  vice 

Dont  l'en  devroit  faire  justice  : 

Par  trestous  les  sainz  que  Peu  proie*,     *  Prie. 

S'il  ne  se  desfent  de  lamproie, 

De  luz*,  de  saumon  ou  d'anguile,  *Dc  brochet. 

S'en  le  puet  trover  eu  la  vile, 

Ou  de  tartes  ou  de  flaons, 

Ou  de  fromages  en  glaons*,  "Osiers. 

Qu'ausinc  est-ce  moult  bel  joel , 

Ou  la  poire  de  cailloel*,  *  Espèce  de  poire. 

Ou  d'oisons  gras  ou  de  chapons 

Dont  par  les  geules  nous  frapons; 

Ou  s'il  ne  lait  venir  en  haste 

Chevriaus,  connis*  lardés  en  paste,  *  Lapins. 

Ou  de  porc  au  mains  une  longe , 

11  aura  de  corde  une  longe 

A  quoi  l'en  le  menra  brusler, 

Si  que  l'en  l'orra  bien  nier  *  *  De  unie  qu'on  l'entendra 

1  bien  hurler. 

D'une  grant  liue  tout  entor. 

Ou  sera  pris  et  mis  en  tor, 

Dans  une  noie  de  noire  édition  de  la  Chronique  d'Anelier  consacrée  à 
signaler  l'antipathie  que  les  Italiens  inspiraient  autrefois  aux  Français, 
nous  avons  cité  les  vers  de  Jean  de  Meung;  mais  nous  craignons  de  les 
avoir  mal  compris.  Voyez  pag.  481-480. 


(v.     I2G05.' 


DE   LA  ROSE. 


35 


Por  estre  à  tous  jors  enmurés, 
S'il  ne  nous  a  bien  procurés, 
Ou  sera  pu  gui  du  mesfait, 
Plus  espoir*  qu'il  n'aura  mesfait. 

Mais  cil  se  tant  d'engin*  a  voit 
Qu'une  grant  tor  faire  savoit, 
Ne  li  chausist*  jà  de  quel  pierre, 
Fust  sans  compas  ou  sans  esquierre, 
Z^séis*  de  motes  ou  de  fust**, 
Ou  d'autres  riens  quéque  ce  fust, 
Mes  qu'il  éust  léans*  assés 
De  biens  teraporex  amassés, 
Et  drecast  sus  une  pcrrière 
Qui  lancast  devant  et  derrière, 
Et  des  deus  costés  ensement* 
Encontre  nous  espessement, 
Tex*  cailloz  cum  m'oés  nomer, 
Por  soi  faire  bien  renomer, 
Et  gitast  à  grans  mangonniaus* 
Vins  en  bariz  ou  en  tonniaus, 
Ou  grans  sas*  de  centaine  livre, 
Tost  se  porroit  véoir  délivre; 
Et  s'il  ne  trueve  tex*  pitances  , 
Estudit  en  équipolances*, 
Et  lest  ester  leus  et  fallaces*, 
S'il  n'en  cuide  aquerre  nos  grâces; 
Ou  tel  tesmoing  li  porterons, 
Que  tout  vif  ardoir*  le  ferons, 
Ou  li  donrons  tel  pénitence 
Qui  vaudra  pis  que  la  pitance. 

.là  ne  les  conguoistrés  as  robes 
Les  faus  traïstres  plains  de  lobes*  : 
Lor  faiz  vous  estuet*  regarder, 
Se  vous  volés  d'eus  bien  garder; 
Et  se  ne  fust  la  bone  garde 


Peut-être. 

*  Il  use,  habileté. 

*  Importât, 
*Méme.     **Bois. 

Là-dedans. 

*  Pareillement. 
*Tels. 


*  E-pèccs  de  machines  de 
guerre. 

Sacs. 


*  Telles. 

*  Qu'il  étudie  en  équipol- 
lences. 

"Et  laisse  de  côté  lieux 
(communs]  et  fourbe  ries. 


*  Brûler, 


Sornettes. 
'Faut. 


36  LE   ROMAN  (t.  12730.) 

De  l'Université  qui  garde 

La  clef  de  la  crestienté , 

Tout  éust  esté  tormenté, 

Quant  par  mauvèse  entencion, 

En  l'an  de  l'Incarnation 

Mil  et  deus  cens  cinc  et  cinquante  , 

(N'est  lions  vivans  qui  m'en  démeute,) 

Fu  baillés,  c'est  bien  chose  voire*,  *  fraie. 

Por  prendre  commun  exemploire, 

Uns  livres  de  par  le  déable  : 

C'est  l'Evangile  pardurable  (1), 

Que  li  Sainz-Esperiz  meuistre*,  *  Administre. 

Si  cum  il  aparoit  au  tistre  ; 

Ainsiuc  est-il  entitulé, 

Bien  est  digue  d'estre  bruslé. 

A  Paris  n'ot  home  ne  faîne 

Ou  parvis,  devant  Nostre-Dame  (1), 

Qui  lors  avoir  ne  le  péust 

A  transcrire,  s'il  li  pléust  : 

(i)  Évangile  pardurable  ;  voici  ce  qu'en  dit  Henri  Estienne,  au  chap.  30 
de  l'Apologie  d'Hérodote  : 

«  Lts  jacobins  et  les  cordeliers,  sur  les  Mémoires  de  l'abbé  Joachim  et 
sur  les  visions  d'un  canne  nommé  Cyrille,  tirent  un  livre  intitulé  l'É- 
vangile  éternel  ou  du  Suint-Esprit,  dont  le  but  étoit  de  prouver  que 
l'état  de  grâce  ne  procédoit  pas  de  la  loi  de  l'Évangile,  mais  de  la  loi  de 
l'Esprit.  C'est  avec  de  telles  armes  que  ces  religieux  mendiants  voulurent 
combattre  l'hérésie  des  Vaudois  ou  pauvres  de  Lyon,  don!  fut  auteur  un 
Jean  de  Vauldois ,  qui  \ivoit  en  1170.  Alexandre  IV,  comme  le  raconte 
Platine,  lit  briller  l'Évangile  pardurable.  Guillaume  de  Saint-Amour, 
au  nom  de  l'Université  de  Paris,  s'éleva  beaucoup  contre  cet  ouvrage,  que 
ses  auteurs  disoient  être  autant  au-dessus  de  l'Évangile  de  J.-C.  que  le 
soleil  est  supérieur  à  la  lune  par  sa  clarté.  »  (L.  D.  D.) 

(2)  Il  y  avoit  auprès  Lie  Notre-Dame  une  école  qu'Abailard  appeloit 
Schola  Parisiaca.  Les  écoliers  en  étoient  devenus  si  nombreux,  que  les 
cbanoines  de  Notre-Dame  s'en  trouvèrent  incommodés,  et  en  1257  ces 
écoles,  qui  éloient  au  septentrion,  furent  transférées  au  midi,  entre  le 
palais  épiscopal  et  l'Hôlel-DTeu.  MÉON.J 


[y- 


DE  LA  ROSE. 


37 


Là  trovast  par  grant  mesprison* 
Mainte  tele  comparaison. 
Autant  cum  par  sa  grant  valor, 
Soit  de  clarté,  soit  de  chalor, 
Sormonte  li  solaus*  la  lune, 
Qui  trop  est  plus  troble  et  plus  brune, 
Et  li  nciaus  des  nois  la  coque, 
(Ne  cuidiés  pas  que  ge  vous  moque, 
Sor  m'ame,  le  vous  di  sans  guile*,  ) 
Tant  sormonte  ceste  Evangile 
Ceus  que  li  quatre  évangélistres 
Jhésu-Crist  firent  à  lor  tistres. 
De  tex  comparoisons  grant  masse 
I  trovast-1'en,  que  ge  trespasse. 

L'Université,  qui  lors  ière* 
Endormie,  leva  la  chière*; 
Du  bruit  du  livre  s'esveilla, 
N'onc  puis  gaires  ne  someilla; 
Ains  s'arma  por  aler  encontre , 
Quant  el  vit  cel  horrible  monstre 
Toute  preste  de  bataillier, 
Et  du  livre  as  juges  baillier. 
Mes  cil  qui  là  le  livre  mistrent, 
Saillirent  sus*  et  le  repristrent, 
Et  se  hastèrent  d'el  repondre*, 
Car  il  ne  savoient  respondre 
Par  espondre,  ne  par  gloser  * 
A  ce  qu'en  voloit  oposer 
Contre  les  paroles  maldites 
Qui  en  ce  livre  sunt  escriptes. 
Or  ne  sai  qu'il  en  avendra, 
Ne  quel  cbief  cis  livres  tendra  ; 
Mes  encor  lor  convient  atendre 
Tant  qu'il  le  puissent  miex  desfendre. 

Ainsiuc  Autecrist  atendrons, 

ROMAN    DE  LA  ROSE.    —   T.    II. 


'Faute. 


Le  soleil. 


*  Tromperie. 


*  Etait. 

*  Figure. 


*  S'élancèrent. 

*  De  le  cacher. 


*  Par  exposition  ou   par 
glose. 


38  LE  ROMAN  (v.  i27si.) 

Tuit  ensemble  à  li  nous  rendrons  : 

Cil  qui  ne  s'i  vodront  aerdre*,  *  Attacher. 

La  vie  lor  con vendra  perdre. 

Les  gens  encontre  eus  esmovrons 

Par  les  baraz*  que  nous  covrons,  *  Tromperies. 

Et  les  ferons  deSglavier*,  .        *  Périr  par  le  glaire. 

Ou  par  autre  mort  dévier*,  *  Mourir. 

Puisqu'il  ne  nous  vodront  ensivre*,         *  Suivre. 

Qu'il  est  ainsinc  escript  ou*  livre  *Car  n est  ainsi  écrit  au. 

Oui  ce  raconte  et  segnefie  : 

Tant  cum  Pierres  ait  seignorie, 

Ne  puet  Jehans  monstrer  sa  force. 

Or  vous  ai  dit  du  sens  l'escorce 

Qui  fait  l'entencion  repondre*  :  *  Cacher. 

Or  vous  en  voil*  la  moele  espondre**.     "Feux.     "Eœposer, 

Par  Pierre  voil  le  Pape  entendre, 
Et  les  clercs  séculiers  comprendre 
Qui  la  loi  Jhésu-Crist  tendront, 
Et  garderont  et  desfendront 
Contre  trestous  empeschéors  ; 
Et  par  Jehan  les  preschéors, 
Qui  diront  qu'il  n'est  loi  tenable 
Fors  l'Evangile  pardurable, 
Que  li  Sains-Esperiz  envoie 
Por  mètre  gens  en  bone  voie. 
Par  la  force  Jehan  entent 
La  grâce  dont  se  va  vantant 
Qui  vuet  peschéors  convertir 
Por  eus  faire  à  Dieu  revertir*.  *  Reton 

Moult  i  a  d'autres  déablies 
Commandées  et  establies 
En  ce  livre  que  ge  vous  nome, 
Qui  sunt  contre  la  loi  de  Rome, 
Et  se  tienent  à  Antecrist , 
Si  cum  gc  truis  ou*  livre  escrit.  ''Ainsi  quejt  trouve  au. 


(y.     I28I9.) 


DE  LA  ROSE. 


39 


Lors  commanderont  à  occierre 
Tous  ceus  de  la  partie  Pierre; 
Mes  jà  n'auront  pooir  d'abatre  , 
Ne  por  occirre,  ne  por  batre 
La  loi  Pierre,  ce  vous  plevis*, 
Qu'il  n'en  demore  assés  de  vis* 
Qui  tous  jors  si  la  maintendront, 
Que  tuit  en  la  fin  i  vendront, 
Et  sera  la  loi  confondue 
Qui  par  Jehan  est  entendue. 
Mes  or  ne  vous  en  voil*  plus  aire, 
Que  trop  i  a  longue  matire  *  ; 
Mes  se  cis  livres  iïist  passés, 
En  greignor*  estât  fusse  assés; 
S'ai-ge  jà  de  moult  grans  amis, 
Qui  en  grant  estât  m'ont  jà  mis. 

De  tout  le  monde  est  emperères 
Baras,  mes  sires  et  mes  pères; 
Ma  mère  en  est  empereris*. 
Maugré  qu'en  ait  Sains-Esperis, 
Rostre  poissans  lignages  règne  : 
Nous  régnons  ore  en  chascun  règne' 
Et  bien  est  drois  que  nous  régnons, 
Que  trestout  le  monde  fesnoiis* , 
Et  savons  si  les  gens  déçoivre, 
Que  nus  ne  s'en  set  aparçoivre  ; 
Ou  qui  le  set  aparcevoir, 
.N'en  ose-il  descovrir  le  voir*. 
Mes  cil  en  l'ire  Dieu  se  boute  *, 
Quant  plusde*  Dieu  mes  frères  doute*' 
N'est  pas  en  foi  bons  champions 
Qui  crient  tex*  simulacions, 
Ne  qui  vuet  poine  refuser 
Qui  puist  venir  d'eus  encuser. 
Tex  lions*  ne  vuet  entendre  à  voir**. 


*  Garantis. 

*  l'irants. 


"Mais  maintenant  je  ni 
vous  en  veux. 

*  Ma  tic  iv. 


*Plus  grand. 


*  Impératrice. 

*  Royaume. 

*  Charmons,  ensorcelons. 

*Frai. 

*  Mais  celui-ci  en  la  colère 
de  Dieu  se  met. 

*  Que.     "  Craint,  redou- 
te. 

*Telles. 


*  Tel  humme. 
rite. 


**A  la  vé- 


40 


LE  ROMAN 


(v.    12854. 


Sans  faute. 
*  M'emporte. 


*  Personne. 

*  Quelles. 

*  De  ■prier. 

*  Ouvertement . 

*  Dernier. 

*  Plus  grande  folie. 

*  Exalter. 

*  Élégantes. 


**  Paraissent . 


ÏSe  Dieu  devant  ses  iex  avoir; 
Si  l'en  pugnira  Diex  sans  l'aille*. 
Mes  ne  m'en  chaut*  comment  qu'ilaille, 
Puisque  l'amor  avons  des  homes; 
Por  si  bones  gens  tenus  somes, 
Que  de  reprendre  avons  le  pris, 
Sans  estre  de  nulli*  repris. 
Quex  *  gens  doit-1'en  donc  honorer, 
Fors  nous  qui  ne  cessons  d'orer* 
Devant  les  gens  apertement*, 
Tout  soit-il  darriers*  autrement? 

Est-il  greignor  forsenerie* 
Que  d'essaucier*  chevalerie, 
Et  d'amer  gens  nobles  et  cointes  * 
Qui  robes  ont  gentes  et  jointes? 
S'il  sunt  tex*  gens  cum  il  aperçut  **, 
Si  net  cum  netement  se  perent*, 
Que  lor  diz  s'acort  à  lor  lais*, 
iVest-ce  grans  duels  et  grans  sorfais*, 
S'il  ne  vuelent  estre  ypocrite? 
Tes  gens  puist*  estre  là  maudite! 
.Ta  certes  tiex  gens  n'amerons, 
Mes  béguins  à  grans  chaperons  (l), 
As  chières*  pasles  et  alises**, 
Qui  ont  ces  larges  robes  grises 
Toutes  fretelées*  de  crotes, 
Hosiaus  froncis*  et  larges  botes 
Qui  resemblent  borce  à  caillier*  : 
A  ceus  doivent  princes  baillier 
A  governer  eus  et  lor  terre, 
Ou  soit  par  pais,  ou  soit  par  guerre. 
A  ceus  se  doit  princes  tenir 

(I)  Les  béguins  estoient  une  espèce  de  moines  qui  estoient  mariés;  ils 
furent  condamnés  au  concile  de  Cologne  en  1260,  et  au  concile  généra 
de  Vienne  l'an  131 1.  On  les  apptloit  aussi  béguards.  (L.  D.  D.) 


*  Telles. 

*  Parent. 

*  Que  leur  parole  s' accorde 
avec  leurs  actions. 

"  Excès. 


*Tel  monde  puisse. 


*  Mines.     **  Maigres. 

*  Brodées. 

*  Chausses  froncées. 

*  Chasseur  de  cailles. 


DE  LA  ROSE. 


41 


Qui  vuet  à  grant  honor  venir; 

Et  s'il  sunt  autres  qu'il  ne  semblent, 

Qu'ainsinc  la  grâce  du  inonde  emblent  ' 

Là  me  voil  embatre*  et  fichier, 

Por  décevoir  et  por  trichier. 

Si  ne  voil-ge*  pas  por  ce  dire 

Que  l'en  doie  humble  habit  despire*, 

Por  quoi  dessous  orgoil  n'abit  : 

Nus  ne  doit  haïr  por  l'abit 

Le  povre  qui  s'en  est  vestus  ; 

Mes  Diex  n'el  prise  deus  festus, 

S'il  dist  qu'il  a  lessié  le  monde, 

Et  de  gloire  mondaine  habonde, 

Et  de  délices  vuet  user. 

Qui  puet  tel  béguin  escuser, 

Tel  papelart*,  quant  il  se  rent, 

Puis  va  mondains  déliz*  quérant, 

Et  dist  que  tous  les  a  lessiés, 

S'il  en  vuet  puis  estre  engressiés? 

C'est  li  mastins  qui  gloutement* 

Retorue  à  son  vomissement. 

Mes  à  vous  n'osé-ge  mentir  ; 

Car  se  ge  péusse  sentir 

Que  vous  ne  l'aparcéussiés, 

La  menchoigne*  ou  poing  éussiés, 

Certainement  ge  vous  boulasse  *  : 

Jà  por  péchié  ne  le  lessasse  ; 

Si  vous  poré-ge  bien  faillir, 

S'ous*  m'en  déviés  mal-baillir**. 


*  fuient. 

*  Enfoncer. 

*  Et  je  ne  veux. 

*  Mépriser. 


*  Hypocrite. 

*  Délices  mondaines. 


*  Gloutonnement. 


'Mensonge. 
*  Trompasse . 


*  Si  vous. 


Maltraiter. 


L'Acteur. 

Li  diex  sorrist  de  la  merveille, 
Chascuns  s'en  rist  et  s'en  merveille, 
Et  dient  •  «  Ci  a  biau  sergent*, 
Où  bien  se  doivent  fier  gent.  » 


'Serviteur. 


V2 


LE  ROMAN 


V.     12019. 


Le  dieu  d 'Amours. 

Faulx-Semblant,  dist  Amors,  di-moi, 

Puisque  de  moi  tant  t'aprimoi  *,  *  T'approches . 

Qu'en  ma  cort  si  grant  pooir  as, 

Que  rois  des  ribaus  i  seras , 

Me  tendras-tu  ma  convenance  *  ?  *  Promesse. 


Faulx-Semblant. 

Oïl,  g'el  vous  jure  et  fiance*  ; 
N'onc  n'orent  sergent  plus  leal 
Yostre  père  ne  vostre  eal*. 

Amours. 

Comment!  c'est  contre  ta  nature. 
Faulx-Semblant. 

Mctés-vous-en  à  l'aventure; 
Car  se  pièges*  en  requerés, 
.Ta  plus  aséur  n'en  serés, 
>"on  voir,  se  g'en  balloie*  ostages, 
Ou  letres,  ou  tesmoings,  ou  gages. 
Car,  à  tesmoing  vous  eu  apel, 
L'on  ne  puet  oster  de  sa  pel  * 
Le  leu*,  tant  qu'il  soit  escorcliiés, 
Jà  tant  n'iert*  batus  ne  torchiés. 
Cuidiés-vous  que  ne  tricbe  et  lobe*, 
Por  ce  se  ge  vest  simple  robe  , 
Sous  qui  j'ai  maint  grant  mal  ovré? 
Jà  par  Dieu  mon  cuer  n'en  movré; 
Et  se  j'ai  simple  cbière  et  coie*, 
Que  de  mal  faire  me  recroie*? 
M'amie  Contrainte-Astenance 
A  mesticr  de  ma  porvéance  *  : 
Piecà*  fust  morte  et  mal-baillie** , 


*  Certifie. 

*  I.     I. 


Cautions. 


'  Donnais. 


*  Prou. 

*  Loup. 
*Tant  fût-il. 

*  Plaisante. 


*  Figure  et  tranquille. 

*  Cesse. 


I  besoin  que  je  la  pourvoie. 
*  Depuis  longtemps. 
**  Maltraitée. 


(v.    12945.) 


DE  LA  ROSE. 


43 


S'el  ue  m'éost  en  sa  baillie*; 
Lessiés-nous  li  et  moi  chevir*. 

Amonrs. 
Or  soit;  gc  t'en  croi  sons  plevir*. 

L  Acteur. 

Et  li  lierres  eus*  en  la  place, 

Qui  de  traïson  ot  *  la  face 

Blanche  dehors,  dcdens  nercie, 

Si  s'agenouille  et  l'en  mercie. 

Doue  n'i  a  fors  de  l'atornér*  : 

«  Or  à  l'assaut  sans  séjorner*,  » 

Ce  dist  Amors  apertement. 

Dont  s'arment  tuit  communément 

De  tex*  armes  cum  armer  durent. 

Armé  sunt;  et  quant  armé  furent, 

Si  saillent  sus  tuit  abrivé*. 

Au  fort  chastel  sunt  arrivé, 

Dont  jà  ne  béent*  à  partir 

Tant  que  tuit  i  soient  martir, 

Ou  qu'il  soit  prisains*  qu'il  s'en  partent. 

Lor  batailles*  en  quatre  partent**  : 

Si  s'en  vont  as  quatre  parties 

Si  cum  lor  gens  oreut  parties*, 

Por  assaillir  les  quatre  portes 

Dont  les  gardes  n'ièrent*  pas  mortes, 

Ne  malades  ne  pareceuses, 

Ains  èrent*  fors  et  viguereuses. 


*  Puissance. 

*  l'unir  a  bout. 


*  Garantir. 


'El  le  larron  dedans. 
'Eut. 


*  Préparer. 

*  Retarder. 

* 'Clair*  ment. 


*De  telles. 


*  Ils  s'élancent  tous  em- 
pressés. 

*  Cherchent,  veulent. 


*  Avant. 

*  Bataillons, 

g  en  t. 

Partagés. 
*N'étaient. 

*  Mais  étaient. 


'Parla- 


Comment  Fauta-Semblant  cy  sermone 
De  ses  habit/.,  et  puis  s'en  tome, 
Luy  et  Abstinence-Contrainte, 
Vers  Ma!c-Bouchc,  tout  par  feinte. 

Or  vous  dirai  la  contenance 

De  Faulx- Semblant  et  d' Astenance , 


u 


LE  ROMAN 


(v.    12972.) 


Qui  contre  Maie-Bouche  vindrent. 

Entr'eus  deus  un  parlement  tindrent 

Comment  contenir  se  devroient, 

Et  se  congnoistre  se  feroient, 

Ou  s'il  iroient  desguisié. 

Si  ont  par  acort  devisié* 

Qu'il  s'en  iront  en  tapinage* 

Ausinc  cum  en  pèlerinage, 

Cum  boue  gent  piteuse*  et  sainte. 

Tantost  Astenance-Contrainte 

Vest  une  robe  cameline*, 

Et  s'atorne  comme  béguine, 

Et  ot  d'un  large  cuevrecbief 

Et  d'un  blanc  drap  covert  le  chief *  : 

Son  psaltier  mie  n'oblia. 

Unes  patenostres  i  a 

A  un  blanc  laz*  de  fil  pendues, 

Qui  ne  li  lurent  pas  vendues  : 

Douées  les  li  ot  uns  frères 

Qu'ele  disoit  qu'il  ert  ses  pères*, 

Et  le  visitoit  moult  sovent 

Plus  que  nul  autre  du  coveut; 

Et  il  sovent  la  visitoit, 

Maint  biau  sermon  li  récitoit. 

Jà  por  Faulx-Semblant  ne  lessost 

Que  sovent  ne  la  confessast  ; 

Et  par  si  grant  dévocion 

Faisoient  lor  confession , 

Que  deus  testes  avoit  ensemble 

En  un  cbaperon,  ce  me  semble. 

De  bêle  taille  la  devis*. 
Mes  un  poi  fu  pâle  de  vis*  ; 
El  resembloit,  la  pute*  lisse, 
Le  cheval  de  l'Apocalipse, 
Qui  sénefie  la  gent  maie* 


*  Arrête,  résolu, 

*  Tapinois. 

*  Miséricordieuse . 

*  De  laine  grossière. 

*  La  tête. 

*  Lac,  lacet. 

*  Était  son  parc. 


*  Décris. 

*  Visage. 

*  Puante. 

*  Mauvaise. 


(y.  13007.)  DELAROSE.  45 

D'ypocrisie  tainte  et  pâle  : 
Car  ce  cheval  sor  soi  ne  porte 
Nule  color,  lors  pale  et  morte. 

D'itel  COlor  eillaugorée*  *  Annonçant  la  langueur. 

lert*  Astenance  colorée;  *  Était. 

De  son  estât  se  repentoit, 

Si  cum  ses  vis*  représentoit.  *Son  visage. 

De  larrecin  ot  un  bordon 

Qu'el  reçut  de  Barat  por  don, 

De  triste  pensée  roussi  : 

Escharpe  ot  plaine  de  soussi. 

Quant  el  fu  preste,  si  s'en  torne 

Faulx-Semblans,  qui  bien  se  ratorne  , 

Et  aussi  cum  por  essoier, 

Vestuz  les  dras  frère  Sohier. 

Lachière*otmoultsimpleetpiteuse**:   "Mine.    ** Empreinte  de 

Ne  regardeure  orgiulleuse 

N'ot-il  pas,  mes  douce  et  peisible. 

A  son  col  portoit  une  bible. 

Après  s'en  va  sans  escuier, 

Mes  por  ses  membres  apuier 

Ot,  ausinc  cum  par  impotence, 

De  traïson  une  potence  ; 

Et  list  en  sa  manche  glacier*  *  Glisser. 

Un  bien  trenchant  rasoer  d'acier, 

Qu'il  fist  forgier  à  une  forge 

Que  l'en  apele  Cope-Gorge. 

Tant  va  chascun  et  tant  s'aprouche, 

Qu'il  sunt  venu  à  Maie-Bouche 

Qui  à  sa  porte  se  séoit. 

Trestous  les  trespassans  véoit, 

Les  pèlerins  choisist*  qui  vienent,  *Vit. 

Qui  moult  humblement  se  contienent. 


46 


LE  ROMAN 


(y.  lao-io. 


Com  Faulx-Semblant  et  Abstinence 
Pour  l'Amant  s'en  vont  sans  doubtance 
Saluer  e  faulx  Maie-Bouche, 
Qui  des  bons  souvent  dit  reprouche. 


Encline  l'ont  moult  humblement; 

Astenanee  premièrement 
Le  salue,  et  de  li  va  près. 
Faulx-Semblans  le  salue  après  , 
Et  cil  eus;  mes  onc  ne  se  mut, 
Qu'il  n'es  douta  ne  ne  eremut*  : 
Car  quant  véus  les  ot  ou  vis*, 
Bien  les  conut.  Ce  li  fu  vis* 
Qu'il  conoissoit  bien  Astenanee, 
Mes  n'i  sot  riens  de  contraignance. 
Ne  savoit  pas  que  fust  contrainte 
Sa  larronesse  vie  fainte  ; 
Ains  cuidoit  qu'el  venist  de  gré  *. 
Mes  el  venoit  d'autre  degré; 
Et  s'ele  de  gré  commença, 
Failli-li  grés  dès  lors  en  çà. 
Semblant  r'avoit-il  moult  véu, 
Mais  faus  ne  Pot  pas  conéu. 
Faus  iert-il*,  mes  de  fausseté 
>"e  l'éust-il  jamais  reté*  : 
Car  li  Semblans  si  fort  ovroit, 
Que  la  fausseté  li  covroit; 
Mes  s'avaut  le  conéussiés, 
Qu'en  ses  dras  véu  réussies, 
Bien  jurissiés  le  B.oi  célestre 
Que  cil  qui  devant  soloit  estre* 
De  la  dance  li  biaus  Robins, 
Or  est  devenus  jacobins. 
Mes  sans  faille*,  c'en  est  la  some, 
Li  jacobin  sunt  tuit  prodome*  : 
Mauvèsement  l'ordre  tendroient, 


*  Car  il  ne  I  '.s  redouta  ni 
né  les  craignit. 

*  lu  visage. 

*  Avis. 


*  Mais  croyait  qu'elle  vint 
de  son  bon  gre. 


*  Était-il. 

*  Accusé. 


*  Avait  coutume  d'être. 


1 Sans  faute. 

Gens  de  bien. 


(y.  ami.)  DE  LA  ROSE.  47 

Se  tel  mer.esterel  estaient; 

Si*  sunt  cordelier  et  barré,  *  Ainsi. 

Tout  soient-il  gros  etquarré  , 

Et  sachent  tuit  li  autre  frère, 

N'i  a  cel  qui  prodons  n'apère*.  'Homme  de  bien  ne  jxi- 

Mes  jà  ne  verres  d'aparence 

Conduire  bonne  conséquence 

En  nul  argument  que  l'en  face, 

Se  défaut  existence  esface  : 

Tous  jors  i  troverés  sofime 

Qui  la  conséquence  envenime, 

Se  vous  avés  sotilité*  *  Subtilité. 

D'entendre  la  duplicité. 

Quant  li  pèlerin  venu  furent 
A  Maie-Bouche  où  venir  durent, 
Tout  lor  bernois  moult  près  d'eus  mistrent; 
Delez  Maie-Bouche  s'assistrent, 
Qui  lor  a  dit  :  «  Or  ça  venés, 
De  vos  novcles  m'aprenés, 
Et  me  dites  quel  achoison*  *  Occasion . 

Vous  amaine  en  ceste  maison.  » 

Abstinence-Contrainte . 

«  Sire,  dist  Contrainte-Asteneuce, 

Por  faire  nostre  pénitence 

De  fin  cuer  net  et  enterin*  *  Entier. 

Somes  ci  venu  pèlerin. 

Presque  tous  jors  à  pié  alons, 

Moult  avons  poudrais  les  talons; 

Si  somes  andui*  envoie  "Et  nous  sommes   tous 

deux. 

Parmi  cest  pueple  desvoie*  'Égaré. 

Doner  essample  et  préeschier 

Por  les  péchéors  péeschier; 

Autre  pescbaille  *  ne  volons.  *  Pèche. 

Et  por  Dieu,  si  cum  nous  solons  *,  *  Sommes  dans  l'usage. 


48 


LE  ROMAN 


L'ostel*  vous  volons  demander; 
Et  por  vostre  vie  amander, 
Mes*  qu'il  ne  vous  déust  desplaire, 
Nous  vous  vodrions  ci  retraire* 
Un  bon  sermon  à  brief  parole.  » 

L'Acteur. 

Adonc*  Maie-Bouche  parole**  : 

Maie-Bouche. 

L'ostel,  dist-il,  tel  cum  véés, 
Prenés,  jà  ne  vous  iert  nées*, 
Et  dites  quanqu'il*  vous  plaira  ; 
G'escouterai  que  ce  sera. 

Abstinence-Contrainte. 
Grant  merci,  sire. 

V Acteur. 

Adonc  comence 
Premièrement  dame  Astenence. 


* Le  logement. 

*  Pourvu. 

*  Rapporter. 


Alors.      **  Parle. 


*  Une  vous. sera  pas  dénie. 
'"Tout  ce  qu'il. 


Comment  Abstinence  reprouche 
Les  paroles  a  Male-Bouclie. 

Sire,  la  vertu  premeraine, 

La  plus  grant,  la  plus  soveraine, 

Que  nus  lions  mortiex*  puisse  avoir 

Par  science,  par  avoir, 

C'est  de  sa  langue  refréner  *  : 

A  ce  se  doit  cbascun  pener*, 

Qu'adès  vieut-il  miex  qu'en  *  se  taise 

Que  dire  parole  mauvaise  ; 

Et  cil*  qui  vclentiers  l'escoutc, 


*  Xul  homme  mortel. 

*  Retenir. 

*  Prendre  peine. 

*  Car      toujours    vaut-il 
mieux  qu'on. 

*  Celui. 


DE  LA  ROSE. 


-49 


N'est  pas  prodoms*,  ne  Dieu  ne  doute**. 

Sire,  sor  tous  autres  péchiés 

De  cestui  estes  entéchiés. 

Une  trufle  pieçà*  déistes, 

Dont  trop  malement  mespréistes  *, 

D'un  varlet*,  qui  ci  repairoit**. 

Vous  déistes  qu'il  ne  queroit* 

Fors  que  BelAcuel  décevoir; 

Ne  déistes  pas  de  ce  voir*, 

Ains  en  mentistes,  se  Dé  vient, 

IS'il  ne  va  mes  ci,  ce  ne  vient, 

N'espoir*  jamès  ne  l!i  verres. 

Bel-Acuel  en  r'est  enserrés*, 

Qui  avec  vous  ci  se  jooit 

Des  plus  biaus  gens  que  il  pooit, 

Le  plus  des  jors  de  la  semaine, 

Sans  nule  pensée  vilaine. 

Or  ne  s'ose  mes  solacier*, 

Le  varlet  avés  fait  chacier, 

Qui  se  venoit  ici  déduire*. 

Qui  vous  esmut  à  li  tant  nuire, 

Fors  que  vostre  maie*  pensée 

Qui  mainte  mençonge  a  pensée? 

Ce  mut  vostre  foie  loquence* 

Qui  bret  et  crie  et  noise  et  tence* 

Et  les  blasmes  as  gens  esliève, 

Et  les  désonore  et  les  griève 

Por  chose  qui  n'a  point  de  prueve, 

Fors  d'aparence  ou  de  contrueve*. 

Dire  vous  os  tout  en  apert* 


*  Homme  de  bien.    **  Re- 
doute. 


*  Un      mensonge     depuis 
longtemps. 

*  Michamment. 

*  Jeune  homme.  ** Tenait. 

*  Foulait. 

*  Vérité. 


*Ni  peut-être. 

*  En  est  de  son  côté  enfer- 


*  Recréer. 

*  Amuser. 

*  Mauvaise. 


*  Bavardage. 

*  Et  fait  du  bruit  et  dis- 
pute [l). 


*  Invention. 

*  Clairement. 


(1)  ISoiser  était  encore  en  usage  en  1627,  date  d'une  pièce  où  on  ie  re- 
trouve; mais  il  commençait  à  vieillir.  Voyez  les  Lettres  nouvelles  conte- 
nant  le  privilège  d'avoir  deux  femmes,  etc.,  dans  les  Variétés  historiques 
et  littéraires,  revues  et  annotées  par  M.  Edouard  Fournier,  tom.  III, 
pag.  I4G. 

5 


50 


LE  ROMAN 


I3I5G.) 


Qu'il  n'est  pas  voir  quanqu'il  apert*. 

Si  r'est  péchiés  de  controver* 

Chose  qui  fait*  à  réprover; 

Vous-méismes  bien  le  savés, 

Por  quoi  plus  grant  tort  en  avés; 

Et  neporquant*  il  n'i  fait  force, 

Il  n'i  donroit  pas  une  escorce 

De  chesne,  comment  qu'il  en  soit. 

Sachiés  que  nul  mal  n'i  pensoit; 

Car  il  i  alast  et  venist, 

Nule  essoigne*  ne  le  tenist. 

Or  n'i  vient  mes,  n'il  n'en  a  cure . 

Se  n'est  par  aucune  aventure , 

En  trespassant,  mains  que  li  autre  ; 

Et  vousgaitiés  laucc  sus  (autre* 

A  ceste  porte  sans  sejor*  : 

Là  muse  musart  toute  jor. 

Par  nuit  et  par  jor  i  veilliés, 

Par  droit  néant  vous  traveilliés*. 

Jalousie,  qui  s'en  atent 

A  vous,  ne  vous  vaudra  jà  tant; 

Si  r'est  de  Bel-Acueil  damages, 

Qui  sans  riens  acroire*  est  en  gages, 

Sans  forfait  en  prisou  demore  : 

Là  languis!  li  chetis,  et  plore. 

Se  vous  n'aviés  plus  mesfait 

Ou  monde  que  cestui  forfait, 

Vous  déust-1'en,  ne  vous  poist*  mie, 

Bouter*  hors  de  ceste  baillie*, 

Mètre  en  charlre*,  ou  lier  en  fer. 

Vous  eu  irés  ou  puis  d'enfer, 

Se  vous  ne  vous  en  repentes. 


*  frai  tout  ce  qui  parait . 

Inventer. 
*Qni  est. 


'Néanmoins. 


Excuse. 


*  Lu  arrêt. 
* Retard. 


Ne  vous  fatiguez. 


*  Devoir, 


*  Pèse  (sul)j .) 

*  fausser.  **  Domination, 
l'risnu . 


Maie- Bouche. 
Certes,  dist-il,  vous  i  mentes; 


(v.     I3I39.) 


DE  LA  ROSE. 


51 


Mal  soiés-vous  ores  venu. 

Vous  ai-ge  por  ce  retenu, 

Por  moi  dire  honte  et  lédure*? 

Par  vostre  grant  malaventure 

Me  tenissiés-vous  por  bergier; 

Or  aies  aillors  herbergier, 

Qui  m'apelés  ci  mentéor  : 

Vous  estes  dui  enchanléor 

Que  m'estes  ci  venu  blasmer. 

Et,  por  voir  dire,  mésamer*. 

Alés-vous  ore  ce  quérant? 

A  tous  les  déables  me  rent, 

Et  vous,  biau  Diex,  me  confondes, 

S'ains*  que  cis  chastiaus  fust  fondés, 

Ne  passèrent  jor  plus  de  dis 

Qu'en  le  me  dist,  et  g'el  redis , 

Et  que  cil  la  Rose  bèsa, 

Ne  sai  se  plus  s'en  aésa*. 

Porquoi  me  féist-1'en  acroire 

La  chose,  s'ele  ne  fust  voire*? 

Par  Dieu,  ge  dis  et  redirai, 

Et  croi  que  jà  n'en  mentirai, 

Et  cornerai  à  mes  buisines*, 

Et  as  voisins  et  as  voisines, 

Comment  par  ci  vint  et  par  là. 

V  Acteur. 
Adonques  Faulx-Semblans  parla. 


*  Injure. 


*  El,  à  vrai  dire,  détester. 

*  Si  avant. 

*  En  prit  ses  aises. 

*  rentable. 

*  Avec  mes  trompettes. 


Comment  Maie-Bouche  escouta 
Faux-Semblant,  t|ui  tost  le  mata. 

Sire,  tout  n'est  pas  évangile 
Quanque*  l'en  dit  aval  la  vile  : 
Or  n'aies  mie  oreilles  sordes, 


*  Tout  ce  que. 


52 


LE  ROMAN 


(v.    I32I8.) 


Vous  savés  bien  certainement 

Que  nus  n'aime  entérinement*, 

Por  tant  qu'il  le  puisse  savoir, 

Et  ge  vous  pruef*  que  ce  sunt  bordes, 

Tant  ait  en  li  poi*  de  savoir, 

Home  qui  mesdie  de  lui. 

Et  si  r'est  voirs,  s'onques  le  lui*. 

Tuit  amant  volentiers  visitent 

Les  leus  où  lor  amor  habitent; 

Gis*  vous  honore,  cis  vous  aime, 

Cis  son  très-chier  ami  vous  claime*; 

Cis  partout  là  où  vous  encontre, 

Bêle  chière  et  lie*  vous  monstre, 

Et  de  vous  saluer  ne  cesse. 

Si  ne  vous  fait  pas  ci  grant  presse, 

IN'estes  pas  trop  par  lui  lassés  ; 

Li  autre  i  vienent  plus  assés. 

Sachiés,  se  ses  ciiers  l'en  pressast, 

A  la  Rose  il  s'en  apressast  " , 

Et  ci  sovent  le  véissiés, 

Voire*  prové  le  préissiés, 

Qu'il  ne  s'en  péust  pas  garder, 

S'en  le  déust*  tout  vif  larder  : 

Il  ne  fust  or  mie  en  ce  point. 

Donc  sachiés  qu'il  n'i  bée*  point; 

Non  fait  Bel-Acueil  vraiement, 

Tant  en  ait-il  mal*  paiement. 

Par  Dieu,  s'andui  bien  le  vosissent*, 

Maugré  vous  la  Rose  coillisseut. 

Quant  du  valet*  mesdit  avés 

Qui  vous  aime,  bien  le  savés, 

Sachiés,  s'il  i  éust  béance*, 

.là  n'en  soies  en  mescréance, 

James  nul  jor  ne  vous  amast, 

Ne  ses  amis  ne  vous  clamast*; 


* Complètement. 

*  Prouve. 
*Peu. 

*  Lus. 


*  Celui-là. 

*  Appelle. 

*  Mine  et  joyeuse. 


*  Ils' approchât  de  lu  Rose. 

*  l'raiment. 

*  Le  dût-on. 
* Aspire. 

*  Mauvais. 

'  Si  tous  deux  bien  le  mu. 
latent . 

*  Jeune  homme. 

*  Désir,  intention . 

*  Appelât. 


(v.  13253.)  DE  LA  ROSE.  53 

Et  vosist*  penser  et  veillier  *froulùt. 

Au  chastel  prendre  et  essillier*,  *  Ruiner. 

S'il  fust  voirs*,  car  il  le  séust,  *  Frai. 

Qui  que  soit  dit  le  li  éust. 

De  soi  le  pooit-il  savoir, 

Puis  qu'accès  n'i  poïst*  avoir  *N'y  put. 

Si  cum*  avant  a  voit  eu  ?  *  Ainsi  que. 

Tantost  l'éust  aparcéu. 

Or  le  fait-il  tout  autrement, 

Donc  avés-vous  outréement*  *  De  reste. 

La  mort  d'enfer  bien  déservie* ,  *  Méritée. 

Qui  tel  gent  avés  asservie. 

V  Jeteur. 

Faulx-Semblans  ainsinc  le  li  prueve. 

Cil  ne  set  respondre  à  la  prueve , 

Et  voit  toutevois  aparance  ; 

Près  qu'il  n'en  chiet*  en  repentance,       *  Choit,  tombe. 

Et  lor  dit  : 

Maie-Bouche. 

«  Par  Dieu,  bien  puet  estre. 
Semblant,  ge  vous  tiens  à  bon  mestre, 
Et  Astenance  moult  à  sage  : 
Bien  semblés  estre  d'un  corage*.  *  Avoir  le  même  esprit. 

Que  meloés-VOUS*  que  je  face?  *  Conseillez-vous  ■ 

Faulx-Semblant . 

Confès  serés  en  ceste  place, 

Et  ce  péchié,  sans  plus,  dires, 

De  cestui  vous  repentirés; 

Car  ge  sui  d'ordre*,  et  si  sui  prestre,      *  Dans  les  ordres. 

De  confessier  le  plus  haut  mestre 

Qui  soit,  tant  cum  li  mondes  dure  ; 


LE  ROMAN 


I32SI. 


J'ai  de  tout  le  monde  la  cure*. 

Ce  n'ot  onques  prestres  curés , 

Tant  fust  à  s'église  jurés  ; 

Et  si  ai,  par  la  haute  Dame, 

Cent  tans*  plus  pitié  de  vostre  ame, 

Que  vos  prestres  parochiaus*, 

Ta  tant  n'iert  vostre  espéciaus*. 

Si  r'ai-ge*  un  moult  grant  avantage, 

Prélat  ne  sunt  mie  si  sage 

Ne  si  letré  de  trop  com  gié*. 

.l'ai  de  divinité*  congié, 

Voire  par  Dieu  pieçà*  l'eu, 

Por  confessier  m'ont  esléu 

Li  meillor  qu'en  puisse  savoir 

Par  mon  sens  et  par  mon  savoir. 

Se  vous  volés  ci  confessier, 

Et  ce  péchié  sans  plus  lessier, 

Sans  faire-eu  jamès  mencion, 

Vous  aurés  m'asolucion.  » 


*  Le  soin. 


'Fois. 


*  De  paroisse. 

*  Jamais  tant  ne  sera- 1- il 
votre  spécial. 

*  Et  foi  de  mon  coté. 


*  Comme  moi. 

*  Théologie. 

*  Il  ij  a  longtemps. 


Comment  la  langue  fut  coupée, 
D'un  usiner,  non  pas  d'une  espée, 
Par  Faulx-Semblant  à  Maie-Bouche, 
Dont  il  client  mort  comme  une  souche. 


L'. Jeteur 


Maie-Bouche  tantost  s'abesse, 

Si  s'agenoille  et  se  confesse, 

Car  verais  repentans  jà  iert*;  *il  était  déjà. 

Et  cil  par  la  gorge  l'aiert*,  *  Le  saisit. 

A  deus  poius  l'estraint*,  si  l'estrangle,  #* Le  serra. 

Si  li  a  tolue  la  jangle*;  *  Le  caquet. 

La  langue  à*  son  rasoer  li  oste.  *  Avec. 

Ainsinc  chevirent*  de  lor  oste,  *  Ainsi  vinrent  à  bout. 

Ne  l'ont  autrement  enossé*,  *Tiré. 


(V.    13309. 


DE  LA  ROSE. 


Puis  le  tumbent*  en  un  fossé  ; 
Sans  desfcnse  la  porte  quassent, 
Quassée  l'ont,  outre  s'en  passent. 
Si  troverent  léans*  dormans 
Trestous  les  sodoiers  *  normans, 
Tant  orent  béu  à  Guersai  * 
Du  vin  que  ge  pas  ne  versai  ; 
Eus-méismes  Forent  versé 
Tant  que  luit  furent  enversé. 
Ivres  et  dormans  les  estranglent, 
.là  ne  seront  mes  tex  qu'il  janglent*. 


'  Le  font  tomber, 


*  Là  dedans. 

*  Soldats. 

*  Jersey. 


"  Ils  ne  seront  jamais  tels 
qu'ils  bavardent. 


Comment  Faulx -Semblant,  qui  conforte 
Maint  amant,  passa  tost  la  porte 
Du  chastel,  avecques  s'amie, 
Aussi  Largesse  et  Courtoisie. 


Fz-vous*  Cortoisie  et  Largece 
La  porte  passent  sans  parece  ; 
Si  sunt  là  tuit  quatre  assemblé, 
Repostement  et  en  emblé*. 
La  vielle  qui  ne  s'en  gardoit, 
Qui  Bel-Acuel  pieçà  *  gardoit, 
Ont  tuit  quatre  ensemble  véue  : 
De  la  tor  estoit  descendue, 
Si  s'esbatoit  parmi  le  baile*  ; 
D'un  ebaperon  en  leu  de  vaile*, 
Sor  sa  guimple  ot  covert  sa  teste. 
Contre  li  corurent  en  beste*, 
Si  la  vous  assallent  tuit  quatre. 
Kl  ne  se  volt*  pas  faire  batre, 
Quant  les  vit  tous  quatre  assemblés. 

La  Fiet lie. 

Par  foi,  dist-ele,  vous  semblés 
Bone  gent,  vaillant  et  cortoise  : 


/  'oici . 


*  En  secret  et  en  cachette. 


*  Depuis  longtemps. 


Enceinte. 

*  foi  le. 

*Hdte. 

*  Voulut. 


56  LE  ROMAN  (v.  13337 

Or  me  dites,  sans  faire  noise*,  *  Bruit, 

Si  ne  me  tiens-ge  pas  por  prise, 

Que  querés  en  ceste  porprise  *.  "Endos. 

Les  quatre  respondent  : 

Por  prise,  douce  mère  tendre! 

Nous  ne  venons  pas  por  vous  prendre  , 

Mes  solement  por  vous  véoir; 

Et  S'il  VOUS  puet  plaire   et  Seoir*  ,  *  Et  paraître  séant. 

Nos  cors  offrir  tout  plenement 

A  vostre  douz  comandement , 

Et  quanque*  nous  avons  vaillant,  *Tout  ce  que. 

Sans  estre  à  nul  jor  desfallant*  :  *  Manquant. 

Et  s'il  vous  plesoit,  douce  mère, 

Qui  ne  fustes  onques  amère, 

Requerre  vous  qu'il  vous  pléust, 

Sans  ce  que  nul  mal  i  éust, 

Que  plus  laiens*  ne  lauguissist  *  Là  dedans. 

Bel-Acuel,  ainçois  s'en  issist*  *  Mais  en  sortit. 

O*  nous  un  pelitet  joer,  *  Avec. 

Sans  ses  pies  gaires  emboer  ; 

Ou  voilliés  au  mains  qu'il  parole*  *  Qu'il  parle. 

A  Ce  valet*  Une  parole  ,  *  Jeune  homme. 

Et  que  li  Uns  l'autre  Confort*  ,  *  Réconforte,  console. 

Ce  lor  sera  moult  grant  confort, 

Ne  gaires  ne  vous  coustera; 

Et  cil  vostre  homs  lige  sera, 

Neis*  vostre  serf,  dont  vous  porrés         *  Même. 

Eaire  tout  quanque  vous  vorrés*,  *Ce  que  vous  voudrez. 

Ou  vendre  ou  pendre  ou  méhaignier*.      *  Estropier. 

Bon  fait  un  ami  gaaignier, 

Et  vez  ci  de  ses  joelés*  ;  *  Joyaux. 

Cest  fermail*  et  ces  anelés  *Agraffe. 

Vous  doue,  voire  un  garnement*  *  Costume. 

Vous  donra-il  prochainement. 


(v.  13370.)  DELAHOSE.  57 

Moult  a  franc  cuer,  cortois  et  large, 

Et  si  ne  vous  fait  pas  grant  charge; 

De  li  estes  forment  amée , 

Et  si  n'en  serez  jà  blasmée, 

Qu'il  est  moult  sages  et  celés*.  *  Discret. 

Si  prions  que  vous  le  celés 

Ou  qu'il  i  aut*  sans  vilenie,  *  Aille. 

Si  li  aurés  rendu  la  vie. 

Et  maintenant  ce  chapelet*  * Chapeau. 

De  par  li  de  flors  novelet, 

S'il  vous  plest,  Bel-Acuel  portés, 

Et  de  par  li  le  confortés, 

Et  l'estrenés  d'un  biau  salu  : 

Ce  li  aura  cent  mars  valu. 

La  Vieille  respond. 

Se  Diex  m'aïst*,  s'estre  péust  *  Si  Dieu  m'aide. 

Que  Jalousie  n'el  séust, 

Et  que  jà  blasme  n'en  oïsse, 

Dist  la  vielle,  bien  le  féisse  ; 

Mes  trop  est  maternent  janglerres*  *  Méchamment  bavard. 

Maie-Bouche  li  fléutieres*.  "Flûieur. 

Jalousie  l'a  fait  sa  gaite*,  *  Sentinelle. 

C'est  cil  qui  trestous  nous  agaite; 

Cil  bret  et  crie  sans  desfense 

Quanqu'il  *  set,  voire  quanqu'il  pense,    *Tout  ce  qu'il. 

Et  contrueve  néis  matire*,  '  EtinventemémemaHère. 

Quant  il  ne  set  de  qui  mesdire. 

S'il  eu  devoit  estre  pendus , 

N'en  seroit-il  jà  desfendus. 

S'il  le  disoit  à  Jalousie, 

Li  lerres*,  il  m'auroit  honnie.  *Le  larron. 

Les  quatre  respondent. 
De  ce,  font-il,  n'estuet*  douter,  *.v  faut. 


58  LE  ROMAN  (▼.  13401.) 

James  n'en  puet  riens  escouter, 

Ne  véoir  en  nnle  manière  ; 

Mors  gist  là  hors  en  leu  de  bière 

En  ces  fossés  gole  baée*.  *  Béante. 

Sachiés,  se  n'est  chose  faée*,  *Fée. 

James  d'eus  deus  ne  janglera*,  *  Causera. 

Car  il  ne  résuscitera, 

Se  déables  n'i  font  miracles 

Ou  par  venins  ou  par  triades*  ;  *Thériaques. 

James  ne  les  puet  encuser.  ^ 

La  ïicille  respond  : 

«  Donc  ne  quiers-ge  jà  *  refuser,  *  Feux-je  pas. 

Dist  la  vielle,  vostre  requeste, 

Mes  dites-li  que  il  se  heste*.  *H<\ie. 

Ge  li  troveré  bien  passage, 

.Mes  n'i  parost  mie  à  outrage*,  *  v"h  ?»'«  »'.'/  Parle  p08 

'  avec  excès. 

Ne  n'i  demeurt  pas  longuement, 

Et  viengne  trop  celéement  (t), 

Quant  ge  le  li  ferai  savoir; 

Et  gart  sor  cors  et  sor  avoir 

Que  nus  bons*  ne  s'en  aparçoive,  *Nvl  homme. 

Ne  riens  n'i  face  qu'il  ne  doive, 

Bien  die  sa  volenté  toute.  » 

Les  quatre. 

«  Dame,  ainsi  fera-il,  sans  doute,  » 
Font  cil. 

I?  Acteur. 

Et  chascuns  l'en  mercie  : 
Ainsinc  ont  ceste  euvre  bastie; 
Mes  comment  que  la  chose  soit, 

(i)  Si  non  caslé,  liât  caulè. 


V.    13428. 


DE  LA  ROSE. 


59 


Faulx-Semblans,  qui  aillors  pensoit, 
Dist  à  voiz  basse  à  soi-méisme  : 

Faulx-Semblant. 

Se  cil  por  qui  nous  empréismes 
Ceste  euvre,  de  riens  me  créust, 
Puisque  d'amer  ne  recréusl*, 
S'ous*  ne  vous  i  acordissiés, 
Jà  guères  n'i  gaainguissiés 
Au  loing  aler,  mien  escient, 
Qu'il  i  eutrast  en  espiant, 
S'il  en  éust  et  tens  et  leu. 
L'en  ne  voit  pas  tous  jors  le  leu*, 
Ains  prent  bien  ou  tart*  la  berbis, 
Tout  la  gart-1'en  par  les  herbis*. 
Une  bore  alissiés*  au  mostier, 
Vous  i  demorastes  moult  ier; 
Jalousie  qui  si  le  guile*, 
R'alast  espoir  *  hors  de  la  vile  ; 
Où  que  soit  convient-il  qu'il  aille. 
Il  venist  lors  en  repostaille*, 
Ou  par  nuit  devers  les  cortiz*, 
Seus*,  sans  chandele  et  sans  tortiz**; 
Se  n'iert*  d'amis  qui  le  guetast, 
Espoir  si  l'en  amonestast; 
Par  confort  *  tost  le  conduisist, 
Mes*  que  la  lune  ne  luisist  : 
Car  la  lune,  par  son  cler  luire, 
Seult*  as  amans  mainte  fois  nuire. 
Ou  il  entrast  par  les  fenestres, 
Qu'il*  set  bien  de  l'ostel  les  estres  ; 
Par  une  corde  s'avalast*  : 
Ainsinc  i  venist  et  alast. 
Bel-Acuel,  espoir,  descendist 
Es*  cortiz  où  cil  l'atcndist, 


'Cessât. 
*  Si  vous. 


*Loup. 


*  Mais  il  prend  bien  tar- 
divement. 

*  Herbages. 

*  Iriez. 


*  Trompe. 

*  Peut-être. 

*  Cachette . 

*  Basses-cours. 
*Seul.     ** Torches. 

*  S'il  n'était. 

*  Consolation. 

Pourvu. 

*  Coutume. 

*Car  il. 

*  Descendit. 


*  Dans  te:-;. 


60 


LE  ROMAN 


Ou  s'enfoïst  hors  du  porpris" 
Où  tenu  Pavés  maint  jor  pris, 
Et  venist  au  valet*  parler, 
S'il  à  li  ne  poïst  *  aler  ; 
Ou  quant  endormis  vous  séust, 
Se  tens  et  leu  avoir  péust, 
Les  huis*  eutr'overs  li  lessast. 
Ainsinc  du  bouton  s'apressast* 
Li  fins*  amans  qui  tant  i  pense , 
Et  le  coillist  lors  sans  desl'ence , 
S'il  poïst  par  nule  manire 
Les  autres  portiers  desconfire. 


*  Enceinte. 

*  Jeune  homme. 

*  Pouvait  (subj.). 


*  Portes. 

*  S'approchât. 

*  L'accompli. 


L'Amant. 

Et  ge  qui  guères  loing  n'estoie, 
Me  pensai  qu'ainsinc  le  l'eroie. 
Se  la  vielle  me  met  conduire, 
Ce  ne  me  doit  grever  ne  nuire; 
Et  s'el  ne  vuet,  g'i  enterrai 
Par  là  où  miex  mon  point  verrai, 
Si  cum  Faulx-Semblans  l'ot  pensé 
Du  tout  m'en  tieng  à  son  pensé. 


V  Acteur. 

La  vielle  illec*  plus  ne  séjoroe,  *  Là. 

Le  trot  à  Bel-Acael  retorne, 

Qui  la  tor  outre  son  gré  garde, 

Car  bien  se  soffrist  de  tel  garde. 

Tant  va,  qu'ele  vient  à  l'entrée 

De  la  tor,  où  tost  est  entrée. 

Les  degrés  monte  liément*,  *  Joyeusement. 

Au  plus  qu'el  pot  hastivement, 

Si  li  trembloient  tuit  li  membre  ; 

Bel-Acuel  quiert  de  chambre  en  chambre, 


I349I.) 


DE  LA  ROSE. 


Gl 


Qui  s'iert  as  karniaus  *  apuiés 
De  la  prison,  tous  ennuies; 
Pensif  le  trueve  et  triste  et  morne, 
De  li  réconforter  s'atorne*. 

t. a  Vieille. 

«  Bîaus  filz,  dist-ele,  moult  m'esmoi 
Quant  vous  truis  en  si  grant  esmoi  : 
Dites-moi  quiex  sunt  cil  pensé*, 
Car  se  conseillier  vous  en  se  , 
Jà  ne  m'en  verres  nul  jor  faindre.  » 

L'Acteur. 

Bel-Acuel  ne  s'ose  complaindre, 
Ne  dire-li  quoi  ne  comment, 
Qu'il  ne  set  s'el  dit  voir*  ou  ment. 
Trestout  son  penser  li  nia, 
Que  point  de  séurté  n'i  a  ; 
De  riens  en  li  ne  se  iioit, 
Néis*  ses  cuers  la  desfioit, 
Qu'il  ot  paoreus  et  tremblant, 
Mes  n'en  osoit  monstrer  semblant, 
Tant  l'avoit  tous  jors  redotée, 
La  pute  vielle  radotée. 
Garder  se  volt  de  mesprison*, 
Qu'il  a  paor  de  traïson  ; 
Ne  li  desclot*  pas  sa  mésaise, 
En  soi-méismes  se  rapaise, 
Par  semblant  li  fait  lie  cbière*. 

Del-Acueil. 

«  Certes,  fait-il,  ma  dame  cbière, 
Combien  que  mis  sus  le  m'aies , 
Ge  ne  sui  de  riens  esmaiés*, 


'  Qui  s'était  aux  créneaux. 


'S'apprête. 


Quelles  sont  ces  pensées. 


*  Vrai. 

*  Même. 

*  Faute. 

*  Découvre. 

*  Joyeuse  mine. 


*  En  émoi. 


02 


LE  ROMAN 


V.    I3Ô19. 


Fors,  sans  plus,  de  vostre  demore*-,  *  Retard. 

Sans  vous  envis*  céans  demore,  *  Malgré  moi. 
Car  en  vous  trop  grant  amor  é. 
Où  avés-vous  tant  demore?  » 

La  J  teille. 

«  Où?  par  mon  chief*  !  tost  le  saurés ,  *Ma  tête. 

Et  du  savoir*  grant  joie  aurés,  *£n  le  sachant. 


Comment  la  Vieille  à  Bel-Acueil, 
Pour  le  consoler  en  son  dueil, 
Luy  dist  de  l'amant  tout  le  l'ait, 
Et  le  grant  dueil  que  pour  luy  fait. 

Se  proz  estes,  vaillans  et  sages, 
Car  en  leu  d'estranges  messages*, 
Li  plus  cortois  valés*  du  monde, 
Oui  de  toutes  grâces  habonde, 
Qui  plus  de  mil  fois  vous  salue, 
(Car  g'el  vi  ore  en  celé  rue, 
Si  cum  il  trespassoit*  la  voie,) 
Par  moi  ce  cliapel  vous  envoie  ; 
Volentiers,  ce  dist ,  vous  verroit, 
James  plus  vivre  ne  querroil*, 
N'avoir  un  seul  jor  de  santé, 
Se  n'iert*  par  vostre  volcnté, 
Se  le  gart  Diex  et  sainte  Fois, 
Mes  qu'une  toute  seule  fois 
Parler  à  vous,  se  dist,  péust 
A  loisir,  mes*  qu'il  vous  pléust. 
For  vous,  sans  plus,  aime-il  sa  vie, 
Tous  nus  vodroit  estre  à  Pavie, 
Par  tel  couvent*  qu'il  séust  l'aire 
Chose  qui  bien  vous  péust  plaire; 
Ne  li  chaudroit  *  qu'il  devenist, 
Mes  que  près  de  li  vous  tenist.  » 


*  Messagers. 

*  Jeune  homme. 


*  Ainsi  qu'il  passait. 

*  fondrait . 

*  Si  ce  n'était. 

*  Pourvu. 

*  Condition. 

*  Importerait. 


(v.  13547.)  DELAROSE.  63 

L'Acteur. 

Eel-Acuel  enquiert  toutevoie 

Qui  cil  est  qui  ce  li  envoie, 

Ains*  qu'il  reçoive  le  présent,  *  Avant. 

Por  ce  que  doutable  le  sent, 

Qu'il  *  péust  de  tel  leu  venir  *Car  il. 

Qu'il  n'el  vosist*  pas  retenir.  *  Qu'il  ne  le  voulut. 

Et  la  vielle,  sans  autre  conte  , 

Toute  la  vérité  li  conte- 

La  f'ieille. 

«  C'est  li  valés*  que  VOUS  savés,  *  Jeune  homme. 

Dont  tant  oï  parler  avés , 

Por  qui  pieçà  *  tant  vous  greva ,  *  il  y  a  longtemps. 

Quant  le  blasme  vous  aleva 

Feu  Maie-Bouche  de  jadis  : 

.Ta  n'aille  s'ame  en  paradis! 

Maint  prodome*  a  desconforté,  *  Homme  de  bien. 

Or  l'en  ont  déables  porté, 

Qu'il*  est  mors,  eschapés  li  somes,         *  Car  il. 

Ne  pris  mes  sa  jangle*  deus  pomes:       *Jc  "e  prise  plus  son  ca- 

A  tous  jors  en  somes  délivre; 

Et  s'il  pooit  ores*  revivre,  '  El  s'il  pouvait  mainte- 

L  liant. 

Ne  vous  porroit-il  pas  grever, 

Tant  vous  séust  blasme  eslever  : 

Car  ge  sai  plus  qu'il  ne  iist  onques. 

Or  me  créés*,  et  prenés  donques  *  Maintenant  croyez-moi. 

Cest  chapel,  et  si  le  portés; 

De  tant  au  mains  le  confortés*  *  Réconfortez. 

Qu'il  vous  aime,  n'en  doutés  mie  , 

De  bone  amor  sans  vilenie  ; 

Et  s'il  à  autre  ebose  tent, 

Ne  m'en  desciot-il*  mie  tant,  *  Révèle-t-il. 

Aies  bien  vous  i  poés  fier. 


64  LE  ROMAN  (v.  13578.) 

Vous  li  resaurez  bieu  nier, 

S'il  requiert  chose  qu'il  ne  doive. 

S'il  fait  folie,  si  la  boive  ; 

Si  n'est- il  pas  fox,  mes  est  sages, 

C'onc  par  li  ne  lu  fais  outrages*,  *  Excès. 

Dont  ge  le  pris  mie\  et  si  Pains*,  */«  le  prise  mieux  et  je 

"         l  Vanne. 

N'il  ne  sera  jà  si  vilains 

Qu'il  de  chose  vous  requéist 

Qui  à  requierre  ne  féist. 

Loiaus  est  sor  tous  ceus  qui  vivent  ; 

Cil  qui  sa  compaignie  sivent, 

L'en  ont  tous  jors  porté  tesmoing; 

Et  ge-méismes  le  tesmoing. 

Moult  est  de  meurs  bien  ordenés, 

One  ne  fut  bonis  de  mère  nés 

Qui  de  li  nul  mal  entendist, 

Fors  tant  cum  Maie-Bouche  en  dist. 

S'a-l'en  jà*  tout  mis  en  oubli  ;  *  Et  Von  Va  déjà. 

Ge-méismes  par  poi  *  l'obli,  *  Peu  s'en  faut. 

Ne  me  sovient  plus  des  paroles, 

Fors  qu'els  furent  fauees  et  l'oies, 

Et  li  lerres  les  controva*,  *  Larron  les  invita. 

Qui  onques  bien  ne  se  prova. 

Certes  bien  sai  que  mort  l'éust 

Li  valés*,  Se  riens  eu  séllSt,  *  Jeune  homme. 

Qu'il*  est  preùs  et  hardis  sans  faille**  :    "Car  il.     **  Sans  faute. 

En  cest  pais  n'a  qui  le  vaille, 

Tant  a  le  cuer  plain  de  noblece; 

Il  sormonteroit  de  largece 

Le  roi  Artus,  voire  Alixandre, 

S'il  éust  autant  à  despendre  *  *  Dépenser. 

D'or  et  d'argent  corne  cil  orent*,  *  Ceux-là  eurent. 

Onques  cil  tant  douer  ne  sorent, 

Que  cil  cent  tans  *  plus  ne  donast;  *  Cent  fois. 

Par  dons  tout  le  monde  estonast, 


DE  LA  ROSE. 


Go 


Se  d'avoir  éllSt  tel  planté*,  *  Abondance. 

Tant  a  bon  cuer  en  soi  planté  ; 

JN'el  puet  nus*  de  largece  aprendre.  *Ne  le  peut  nul. 

Or  vous  lo*  ce  cliapel  à  prendre,  *  Conseille. 

Les  flors  en  oient*  miex  que  basme.  »  *  Sentent. 

V  Acteur. 

«  Par  foi,  g'en  craindroie  avoir  blasme,  , 

Dist  Bel-Acuel  qui  tout  frémist, 

Et  tremble  et  tressaut*  et  gémist,  *  Tressaillit. 

Rougist,  palist,  pert  contenance  (1); 

Et  la  vielle  es*  poins  le  li  lance,  *Dans  les. 

Et  li  vuet  faire  à  force  prendre, 

Car  cil  n'i  osoit  la  main  tendre, 

Ains  dist  por  soi  miex  escuser, 

Que  miex  li  vient  à  refuser. 

Si  le  vosist-il  jà*  tenir,  *  Et  le  voudrait  déjà. 

Que  qu'il  en  déust  avenir.  » 


Bel-Acueil. 

«  Moult  est  biaus,  fait-il,  li  cbapiaus, 
Mes  miex  me  vendroit  mes  drapiaus 
Avoir  tous  ars*  et  mis  en  cendre, 
Que  de  par  li  l'osasse  prendre; 
Mes  or  soit  posé  que  g'el  praingne, 
A  Jalousie  la  grifaingne* 
Que  porrions-nous  ore  dire? 
Bien  sai  qu'ele  esrageroit  d'ire, 
Et  sor  mon  cbief  le  descirra  * 
Pièce  à  pièce,  et  puis  m'occirra , 
S'el  set  qu'il  soit  de  là  venus. 


*  Brûlé. 


*  Méchante,  hargneuse. 


*  Et  sur  ma  tète  le  déchi- 
rera. 


(1)  M.  de  la  Monnoye  a  imilé  ces  deux  vers  dans  son  Noël  qui  com- 
mence : 

Ein  jour  lai  hau  Dei  le  fi. 

6. 


66  LE  ROMAN  (v.  imm.) 

Or  serai  pris,  et  pis  tenus 

Qu'onques  en  ma  vie  ne  t'ai*;  * Je  ne  fus. 

Oa  S3  ge  li  esehappe  et  fui, 

Quel  part  m'en  porrai-ge  fou'  ? 

Tout  vif  me  verres  enfoïr, 

Se  ge  sui  pris  après  la  fuite; 

Si  croi-ge  que  j'auroie  suite, 

Si  seroie  pris  eu  fuiant , 

Tout  li  mondes  m'iroit  huiant. 

N'el  prendrai  pas. 

La  J  ieille. 

Si  ferés,  certes  : 
Jà  n'en  aurés  blasme  ne  pertes. 

Lel-Acueil. 
Et  s'ele  m'enquiert  dont  ce  vint? 

La  Vieille. 
Responses  aurés  plus  de  vint. 

Bel-.lcueil. 

Toutevois  s'el  le  me  demande, 

Que  puis-ge  dire  à  sa  demande? 

Se  g'cn  sui  blasmés  ne  repris, 

Où  diré-ge  que  ge  le  pris? 

Car  il  le  me  convient  respondre, 

Ou  aucune  menconge  espondre  *.  *  Exposer. 

S'el  le  savoit,  ce  vous  plevis*,  * Garantis. 

Miex  vodroie  cstre  mors  que  vis. 

La  J'ieille. 

Que  vous  dires  ?  se  n'el  savés, 
Se  meillor  response  n'avès, 


(v.  i36«4.)  DE  LA  ROSE.  67 

Dites  que  gc-  le  vous  donné  : 
Bien  savés  que  tel  renon  é, 
Que  n'aurés  blasme  ne  vergoigne 
De  riens  prendre  que  ge  vous  doigne. 

Comment,  tout  par  l'enliortemcnt  *  *  Exhortation. 

De  la  Vieille,  joyeusement 

Bel-Acueil  receut  le  chappel, 

Pour  erres  *  de  vendre  sa  pel.  *  Arrhes. 

V  Acteur. 

Bel-Acuel,  sans  dire  autre  chose, 

Le  chape!  prent,  et  si  le  pose 

Sor  ses  crins*  blons,  et  s'asséure  ;  *  Cheveux. 

Et  la  vielle  li  rit,  et  jure 

S'ame,  son  cors,  ses  os,  sa  pel*,  *  Peau. 

C'onc  ne  li  sist  si  bien  cbapel. 

Bel-Acuel  sovent  se  remire*,  *  Regarde. 

Dedens  son  miréor  se  mire 

Savoir  s'il  est  si  bien  séans. 

Quant  la  vielle  voit  que  léans*  *  Là-dedans. 

N'avoit  fors  eus  deus  solement, 

Lez  li  *  s'assiet  tout  bêlement,  *  Prés  de  lui. 

Si  li  comence  à  préeschier. 

La  rie i lie. 

Ha,  Bel-Acuel  !  tant  vous  ai  obier, 

Tant  estes  biaus  et  tant  valés  ! 

Mon  tens  jolis*  est  tous  aies ,  *  Gui. 

Et  li  vostres  est  à  venir. 

Poi*  me  porrai  mes**  soustenir  *  Peu.     **  Plus. 

Fors  à*  baston  ou  à  potence;  *  Sinon  avec. 

Vous  estes  encor  en  enfance , 

Si  ne  savés  que  vous  ferés. 

Mes  bien  sai  que  vous  passerés 


G8 


LE  ROMAN 


lT.     13690. 


Quanque  ce  soit,  ou  tempre*,  ou  tart, 
Parmi  la  flambe  qui  tout  art*, 
Et  vous  baingnerés  en  l'estuve 
Où  Vénus  les  clames  estuve. 
Bien  sai,  le  brandon  sentirés, 
Si  vous  lo  que  vous  atirés* 
Ains  que  là  vous  aliés  baignier, 
Si  cum  vous  m'orrés*  enseignier. 
Car  périlleusement  s'i  baigne 
Jones  bonis  qui  n'a  qui  l'enseigne; 
Mes  se  mon  conseil  ensivés*, 
A  bon  port  estes  arrivés. 

Saichiés,  se  ge  fusse  ausinc  sage, 
Quant  g'estoie  de  votre  aage, 
Des  geus  d'Amors,  cum  ge  sui  ores*, 
Car  de  trop  grant  biauté  fui  lores; 
Mes  or  m'estuet*  plaindre  et  gémir, 
Quant  mon  vis  esfacié  remir*, 
Et  voi  que  froncir  le  convient, 
Quant  de  ma  biauté  me  sovieut 
Qui  ces  valez  faisoit  triper*. 
Tant  les  faisoic  desfriper*, 
Que  ce  n'iert  se  merveille  non*. 
Trop  ière*  lors  de  grant  renon; 
Partout  coroit  la  renomée 
De  ma  grant  biauté  renomée. 
Tele  aie*  avoit  en  ma  mèson, 
Conques  tele  ne  vit  mes  non*. 
Moult  iert*  par  nuit  mes  huis**  hurtés, 
Trop  lor  faisoic  de  durtés 
Quant  lor  failloie  de  couvent*  ; 
Et  ce  m'avenoit  trop  soveut, 
Car  j'avoie  autre  compaignie. 
.  Faite  eu  estoit  mainte  folie, 
Dout  j'avoie  courrous  assés; 


*Tùt. 
*  Brûle. 


'Et  je  vous  conseille  de 
vous  arranger. 
'  Avant. 

"  .tinsi  que  vous  m'enten- 
drez. 


Suivez. 


Maintenant. 


*  Il  nie  faut. 

*  Regarde. 


*  Qui  ces  jeunes  gens  fai- 
sait sauter. 

"  Sécher. 

*  S'était  sinon  merveille. 

*  J'étais  trop. 


*  Afjluence. 

*  On  ne  vit  plus. 

*  Était.      **Ma  porte. 

'Manquais  de  parole. 


(y.     13725.) 


DE  LA  ROSE. 


C9 


Sovcnt  en  iert*  mes  huis  cassés, 
Et  faites  maintes  tex  *  meslées, 
Qu'aincois*  qu'els  fussent  desmeslées, 
Membres  i  perdoient  et  vies, 
Par  haines  et  par  envies, 
Tant  i  avenoit  de  contens*. 
Se  mestre  Argus  li  bien  contens 
I  vosist*  bien  mètre  ses  cures , 
Et  venist  o*  ses  dix  figures, 
Par  quoi  tout  certifie  et  nombre, 
Si  ne  péust-il  pas  le  nombre 
Des  grans  contens  certefier, 
Tant  séust  bien  monteplier*. 
Lors  ert  mes  cors  fors  et  délivres* , 
G'éusse  or  plus  vaillant  mil  livres 
De  blans  estellins*  que  ge  n'ai  ; 
Mes  trop  nicement'  me  menai. 
Bêle  ère*  et  joue  et  nice**  et  foie, 
IVonc  ne  fu  d'Amors  à  escole 
Où  l'en  léust  la  téorique  ; 
Mes  ge  sai  tout  par  la  pratique  (1), 
Expériment  m'en  ont  fait  sage  (2), 
Que  j'ai  hanté  tout  mon  aage. 
Or  en  sai  jusqu'à  la  bataille, 
Si  n'est*  pas  drois  que  ge  vous  faille 
Des  biens  aprendre  que  ge  sai , 
Puis  que  tant  esprové  les  ai. 
Bien  fait  qui  joues  gens  conseille. 
Sans  faille*  ce  n'est  pas  merveille 
S'ous*  n'en  savés  quartier  ne  aune, 
Car  vous  avés  trop  le  bec  jaune*. 
Mes  tant  a  que  ge  ne  fine, 


*  Était. 

*  Telles. 

*  Qu'avant. 


*  Disputes. 

*  y  roulât. 

*  Avec. 


*  Multiplier. ■ 

"  llurs   était   mon   corps 
fort  et  leste. 

*  Stcrliurjs. 

*  Sottement . 

*  Étais.      **  Simple. 


'  El  il  n'est. 


*Sans  faute. 

*  Si  VOUS. 

*  fous  êtes  trop  simple. 


(0  Ususetars  docuit  quod  sapit  omnis  liomo. 
(2)  Experto  crede  magislro. 


70 


LE  ROMAN 


13757. 


Que  la  science  eu  la  fin  é, 
Dont  puis  bien  en  chaière  lire. 
Ne  fait  à  foïr  n'a  despire* 
Tout  ce  qui  est  en  grant  aage  ; 
Là  trueve-1'en*  sens  et  usage. 
Ce  a-l'en  esprové  de  maint , 
Qu'au  mains  en  la  fin  lor  remaint* 
Usage  et  sens  por  le  chaté*, 
Combien  qu'il  l'aient  aehaté. 
Et  puis  que  j'ai  sens  et  usage, 
Que  ge  n'ai  pas  sans  grant  domage, 
Maint  vaillant  homme  ai  décéu, 
Quant  en  mes  laz*  les  ting  chéu; 
Mes  ains  fui*  par  mains  decéue, 
Que  ge  m'en  fusse  aparcéue. 
Ce  fu  trop  tart,  lasse  dolente*! 
G'iere  jà  bors  de  ma  jovente*; 
Mes  buis,  qui  jà  sovent  evroit, 
(Car  par  nuit  et  par  jor  ovroit  *,) 
Se  tient  adés  près  du  lintier*  : 
Nus  n'i  vint  bai,  nus  n'i  vint  hier, 
Pensoie-ge,  lasse  ebétive! 
En  tristor  estuet  *  que  ge  vive  : 
De  duel*  me  deust  li  cuers  partir**. 
Lors  m'en  voil  du  pais  partir, 
Quant  vi  mou  huis  en  tel  repos  ; 
Et  ge-méismes  me  repos, 
Car  ne  poi*  la  bonté  endurer. 
Comment  néussc-ge  durer, 
Quant  cil  jolis  valez*  venoient, 
Qui  jà  si  cbière  me  tenoient , 
Qu'il  ne  s'en  pooient  lasser, 
Et  g'es  vcoie  trespasser, 
Qui  me  regardoient  de  coste, 
Et  jadis  furent  mi  cbier  hoste  ? 


*  Mépriser. 

*  Là  trouve-t-on. 

*  Leur  reste. 
*Bien. 


*  Lacs. 

*  Mais  avant  je  fus. 

*  Hélas,  malheureuse! 

"J'étais  déjà  hors  de  ma 
jeunesse. 

*  Travaillait. 

*  Se  trouve  toujours  près 
du  linteau  {fermée). 


*  En  tristesse  il  faut. 
'De  douleur.   "Partager. 


*  Car  je  ne  pus. 

*  Ces  gais  jeunes  gens. 


*  Paro 

lei 

*i 

Aises. 

*  Plui 

nr 

6. 

*  Qui 
lées. 

s't 

tu 

ieni 

'  si  lut  CHVO- 

(v.  13792.)  DE  LA  ROSE.  71 

Lez*  moi  s'en  aloient  saillant**,  *  Pris  de.     ** Sautant. 

Sans  moi  prisier  un  œf  vaillant. 

Neis*  cil  qui  jadis  plus  m'amoient,  *  Même. 

Vielle  ridée  me  clamoient*,  *  M'appelaient. 

Et  pis  disoit  chascuns  assés, 

Ains  qu'il  s'en  fust  outre  passés. 

D'autre  part,  mes  enfés*  gentis,  *Mon  enfa  it. 

Nus,  se  trop  n'iert  bien  ententis*  ,  *nm,  si  trop  n'était  bien 

i~  i     ,  ■■     ,         ■  attentif. 

Ou  grans  duel  essaie  n  auroit, 

Ne  penseroitne  ne  sauroit 

Quel  dolor  au  cuer  me  tenoit, 

Quant  en  pensant  me  sovenoit 

Des  biaus  diz  *,  des  dons  aésiers  **, 

Des  douz  déduiz*,  des  douz  besiers, 

Et  des  très-douces  acolées 

Qui  s'en  ierent  si  tost  volées*. 

Volées!  voire,  et  sans  retor; 

IMiex  me  venisten  une  tor 

Estre  à  tous  jors  emprisonnée, 

Que  d'avoir  esté  si  tost  née. 

Diex!  en  quel  soussi  me  metoient 

Li  biaus  dons  qui  failli*  m'estoient!        *  En  défaut. 

Et  ce  qui  reines*  lor  estoit,  *Resté. 

En  quel  tonnent  me  remetoit  ! 

Lasse!  porquoi  si  tostnasqui? 

A  qui  m'en  puis-ge  plaindre;  à  qui, 

Fors  à  vous,  fiz  que  j'ai  taut  chier? 

Ne  m'en  puis  autrement  venchier 

Que  par  aprendre  ma  doctrine. 

Por  ce,  biau  fiz,  vous  endoctrine; 

Et  quant  endoctrinés  serés, 

Des  ribaudiaus*  me  vengerés  :  *  Des  petits  drôles. 

Car,  se  Diex  plest,  quant  là  vendra, 

De  cest  sermon  vous  souvendra; 

Car  sachiés  que  du  retenir, 


12  LE  ROMAN  (v.  13827.) 

Si  qu'il  vous  en  puist*  sovenir,  *  De  façon  qu'il  vous  en 

1  r  puisse. 

Avés-vous  moult  grant  avantage, 

Par  la  raison  de  vostre  aage. 

Car  Platous  dist,  c'est  chose  voire*,        *  fraie. 

Que  plus  tenable  est  la  mémoire 

De  ce  qu'en  aprent  en  enfance, 

De  quiconques  soit  la  science. 

Certes,  chier  liz,  tendre  jovente*,        *  Jeunesse. 
Se  ma  jonesce  fust  présente 

Si  cum  est  la  vostre  orendroit*,  'Maintenant. 

>"e  porroit  estre  escrite  en  droit 
La  venjance  que  g'en  préisse. 
Par  tous  les  leus  où  ge  venisse 
Ge  féisse  tant  de  merveilles, 
Conques  n'oïstes  les  pareilles, 
Desribaus  qui  si  poi*  me  prisent,  *Peu. 

Et  me  lédengcnt  et  despisent*,  *  fitipendent    et   dêdai- 

1  quant. 

Et  si  Filment  lez*  moi  s'en  passent  ;       -Près  de. 

Et  il  et  autre  comparassent*  *  Payeraient . 

Eor  grant  orgoil  et  lor  despit , 

Sans  prendre-en  pitié  ne  respit  : 

Car,  au  sens  que  Diex  m'a  doné , 

Si  cum  ge  vous  ai  sermoné, 

Savés  en  quel  point  g'es*  méisse?  *  Je  les. 

Tant  les  plumasse  et  tant  préisse 

Du  lor  de  tort  et  de  travers, 

Que  mengier  les  féisse  as  vers, 

Et  gésir*  tous  nuz  es**  fumiers;  *  Coucher.     **Sur  les. 

Méismement  cens  les  premiers 

Qui  de  plus  loial  cueur  m'amassent, 

Et  plus  volentiers  se  pénassent 

De  moi  servir  et  honorer. 

Ne  lor  lessasse  demorer 

Vaillant  uu  ail,  se  ge  péusse, 

Que  toufen  ma  borce  n'eusse  ; 


(y.  13862.)  DE   LA  ROSE.  73 

A  povreté  tous  les  méisse, 

Et  tous  emprès*  moi  les  feisse  *  Après. 

Par  vive  rage  tripeter  *.  *  Trépigner. 

Mes  rieus  n'i  vaut  le  regreter  : 

Qui  est  aie,  ne  puet  venir. 

James  n'en  porrai  nul  tenir  ; 

Car  tant  ai  ridée  la  face , 

Qu'il  n'ont  garde  de  ma  menace. 

Pieçà*  que  bien  le  me  disoient  *  Il  y  a  longtemps. 

Li  ribant,  qui  me  despisoieut*;  *  Méprisaient. 

Si  me  pris  à  plorer  dès  lores. 

Par  Dieu  !  si  me  plest-il  eucores. 

Quant  ge  m'i  sui  bien  porpeasée*,  *J';/  ai  bien  pensé. 

Moult  me  délite*  en  ma  pensée,  *  Délecte. 

Et  me  resbaudissent*  li  membre,  *  Deviennent  joyeux. 

Quaut  de  mon  bon  tens  me  remembre, 

Et  de  la  jolivete*  vie  *Gale. 

Dont  mes  cuers  a  si  grant  envie. 

Tout  me  rajovenist*  li  cors,  *  Rajeunit. 

Quant  g'i  pense  et  quant  g'el  recors*  ;      *  Rappelle. 

Tous  les  biens  du  monde  me  fait, 

Quant  me  sovient  de  tout  le  fait, 

Qu'au  mains  ai-ge  ma  joie  eue, 

Combien  qu'il  m'aient  décéue. 

Jone  dame  n'est  pas  oiseuse, 

Quant  el  maine  vie  joietfse, 

Méismement  celé  qui  pense 

D'aquerre  à  faire  sa  despense. 

«  Lors  m'en  vins  en  ceste  contrée, 
Où  j'ai  vostre  dame  encontrée, 
Qui  ci  m'a  mise  eu  son  servise 
Por  vous  garder  en  sa  porprise*.  *  Enceinte. 

Diex,  qui  sires  est  et  tout  garde, 
Doint*  que  g'en  face  bone  garde!  "Donne  (snbj.). 

Si  feré-ge  *  certainement  *  El  je  ferai 

ROMAN   DE   L,\   ROSE.    —    T.    11.  7 


74 


LE  ROMAN 


Par  vostre  biau  contenement*. 
Mes  la  garde  fust  périlleuse 
Por  la  grant  biauté  merveilleuse 
Que  Nature  a  dedens  vous  mise, 
S'el  ne  vous  éust  taut  aprise 
Proesce,  sens,  valor  et  grâce  ; 
Et  por  ce  que  tens  et  espace 
Nous  est  or  venu  si  à  point, 
Que  de  destorbier*  n'i  a  point 
De  dire  quanque*  nous  volons 
Un  poi  miex  que  nous  ne  solons  * , 
Tout  vous  doie-ge  conseilliez 
Ne  vous  devés  pas  merveillier 
Se  ma  parole  un  poi  recop*  : 
Ge  vous  di  bien  avant  le  cop , 
Ne  vous  voil  mie  en  amor  mètre; 
Mes  s'ous  *  en  volés  entremetre, 
Ge  vous  monsterrai*  volentiers 
Et  les  chemins  et  les  sentiers 
Par  où  ge  déusse  estre  alée, 
Ains*  que  ma  biauté  fust  alée.  » 


*  Contenance. 


*  Embarras. 

*  Tout  ce  que. 

*  Un  peu  mieux  que  nous 
n'avons  coutume. 


*  Recoupe,  retranche. 


*  Si  vous. 

*  Montrerai. 


*  Ara nt. 


H  Acteur. 


Lors  se  taist  la  Vielle,  et  sospire 
Por  oïr  que  cis*  vodroit  dire; 
Mes  n'i  va  gaires  atendant  : 
Car,  quant  le  voit  bien  entendant 
A  escouter  et  à  soi  taire, 
A  son  propos  se  prent  à  traire*, 
Et  se  pense  :  «  Sens  contredit , 
Tout  otroie  qui  mot  ne  dit*. 
Quant  tout  li  plest  à  escouter, 
Tout  puis  dire  sans  riens  douter*. 
Lors  a  recomencié  sa  verve*, 


*  Celui-ci. 


* Tirer. 


*  Qui  ne  dit  mot  consent. 

*  Redouter,  craindre. 

*  Caprice,  fantaisie. 


V.    13920. 


DE  LA  ROSE. 


75 


Et  dist,  cum  faulse  vielle  et  serve, 
Qui  me  cuida  par  ses  doctrines 
Faire  leschier  miel  sor  espines, 
Quant  volt*  que  fusse  amis  clamés**, 
Sens  estre  par  amors  aînés, 
Si  cum  cil*  puis  me  raconta, 
Qui  tout  retenu  le  conte  a  : 
Car  s'il  fust  tiex*  qu'il  la  créust, 
Certainement  traï  l'éust; 
Mes  por  riens  nule  qu'el  déist, 
Tel  traïson  ne  me  féist. 
Ce  me  flançoit*  et  juroit, 
Autrement  ne  m'asséuroit. 


*  Voulut.      **  Appelé. 

*  Ainsi  que  celui-là. 
*Tel. 

*  Prometoit. 


La  rie i lie. 

«  Biau  très-douz  fiz,  bêle  char*  tendre,    *  Chair. 

Des  geux  d'Amors  vous  voil*  aprendre,  *  Je  mus  i-eu.r. 

Que  vous  n'i  soies  décéus. 

Quant  vous  les  aurés  recéus, 

Selon  mon  art  vous  conformés, 

Car  nus",  s'il  n'est  bien  enfermés,  *  Vul. 

N'es*  puet  passer  sans  beste  vendre.       *iVe  les. 

Or  pensés  d'oïr  et  d'entendre, 

Et  de  mètre  tout  à  mémoire, 

Car  g'en  sai  trestoute  l'estoire. 


Comment  la  Vieille  sans  tençon*, 
Lit  à  Bel-Acueil  sa  leçon, 
Laquelle  enseigne  bien  les  famés 
Qui  sont  dignes  de  tous  diffames  *. 

Biau  fiz,  qui  vuet  joïr  d'amer, 
Des  dons  maus,  qui  tant  sunt  amer. 
Les  comandemens  d'Amors  sache; 
Mes  gart*  qu'Amors  à  li  n'el  sache*' 
Et  ci  trestous  les  vous  déisse, 


Dispute. 
'  Hontes,  opprobres. 

Garde  subj.).    **  Tire. 


76  LE  ROMAN  (v.  13957.) 

Se  certainement  ne  véisse 

Que  vous  en  avés  par  nature 

De  chascun,  à  comble  mesure, 

Quanque*  vous  en  (levés  avoir.  *Tout  ne  que. 

De  cens  que  vous  dcvés  savoir 

Dix  eu  i  a,  qui  bien  les  nombre  ; 

Mes  moult  est  fox*  cil  qui  s'encombre    *Fou. 

Des  deus  qui  sunt  au  darrenier, 

Qui  ne  valent  un  l'aus  denier. 

Bien  vous  en  abandon  les  huit; 

Mes  qui  les  autres  deus  ensuit, 

Il  pert  son  estuide  et  s'afole*  :  *  Perd  l'esprit. 

L'en  n'es*  doit  pas  lire  en  escole.  *  L'on  ne  les. 

Trop  malement  les  amans  charge, 

Qui  vuet  qu'amans  ait  le  cuer  large, 

Et  qu'en  un  seul  leu  le  doit  mètre  : 

C'est  faus  texte,  c'est  fauce  letre. 

Ci  ment  Amors  le  fiz  Vénus, 

De  ce  ne  le  doit  croire  nus*.  *  Nul. 

Qui  l'en  croit,  chier  le  comparra*,  "Panera. 

Si  cum*  en  la  fin  i  parra**.  *Ainsiqtie.  ** Paraîtra. 

«  Biau  fiz,  jà  larges  ne  soies; 
En  plusors  leus  le  cuer  aies, 
En  un  sol  leu  jà  n'el  metés, 
Ne  n'el  donnés,  ne  n'el  prestes, 
Mes  vendés-le  bien  chièrement, 

Et  tous  jors  par  enchièrement*  ;  *  En  enchérissant. 

Et  gardés  que  nus  qui  l'achat*,  ^L'achète. 

N'i  puisse  faire  bon  achat. 

Por  riens  qu'il  doint*  jà  point  n'en  ait,     *  Donne  subj.). 
Miex  s'arde*,  ou  se  pende,  ou  se  naît.    *  Se  brûle. 
Sor  toutes  riens  gardés  ces  poins  : 
A  doner  aies  clos  les  poins, 
Et  à  prendre  les  mains  overtes. 

I?c  rcr  est  grant  folie  certes, 


13992.) 


DE   LA   HO  SE. 


77 


Se  n'est  un  poi  por  gens  atraire  *, 
Quant  l'en  en  cuide  son  preu*  faire; 
Ou  por  le  don  tel  chose  ateudre 
Qu'en  ne  le  péust  pas  miex  vendre. 
Tel  doner  bien  vous  abandone. 
Bon  est  doner,  où  cil  qui  done, 
Son  don  monteplie*  et  gaaigne; 
Qui  certains  est  de  sa  gaaigne*, 
Ne  se  puet  du  don  repentir  : 
Tel  don  puis-ge  bien  consentir. 

«  Après  de  l'arc  et  des  cinq  fleiches, 
Qui  tant  surit  plains  de  bones  teiches*, 
Et  tant  lièrent  soutivement*. 
Traire*  en  savés  si  sagement, 
Conques  Amors,  li  bons  archiers, 
Des  fleiches  que  tret  li  ars  chiers*, 
Ne  tret  miex,  biau  liz,  que  vous  faites, 
Qui  maintes  fois  les  avés  traites. 
Mes  n'avés  pas  tous  jors  séu 
Quel  part  en  sunt  li  cop  chéu*  ; 
Car  quant  l'en  tret  à  la  volée, 
Tex  puet  recevoir  la  colée*, 
Dont  l'archier  ne  se  done  garde. 
Mes  qui  vostre  manière  esgarde, 
Si  bien  savés  et  traire  et  tendre, 
Que  ne  vous  en  puis  riens  aprendre. 
S'en  repuet  estre  tiex  navrés*, 
Dont  grant  preu  %  se  Dieu  plest,  aurés. 
Si  n'estuet  jà  que  ge  m'atour* 
De  vous  aprendre  de  l'atour 
Des  robes  ne  des  garnemens* 
Dont  vous  ferés  vos  paremens* 
Por  sembler  as  gens  miex  valoir; 
N'il  ne  vous  en  puet  jà  chaloir*, 
Quant  par  cuer  la  chançon  savés 


*  Attirer, 

*  Profit. 


* Multiplie. 

*  Son  gain. 


^Qualités. 

*  Frappent  subtilement. 
"Tirer. 

Tire  l'arc  cher. 


Tombes. 


*  Coup. 


*  Et  tel  en  peut  dire  blessé. 

*  Profit. 

*  /;/  il  ne  faut  pas  que  je 
me  dispose. 

*  Habits. 

*  Parures. 


'  IX  i  Hue  vous  en  peut  pas 
importer. 

1. 


78 


LE   ROMAN 


(y.    14027.) 


Que  tant  oï  chanter  m'avés, 

Si  cuin*  joer  nous  alion,  _    *  Ainsi  que. 

De  l'ymage  Pymalion. 

Là  prenés  garde  à  vous  parer, 

S'en  saurés  plus  que  buefd'arcr*  :  *  De  labourage. 

De  vous  aprendre  ces  mestiers 

Ne  vous  est  mie  moult  mestiers  \  *  Besoin. 

«  Et  se  ce  ne  vous  puet  soffire, 
Aucune  chose  m'orrés*  dire  *  M'attirez. 

Çà  avant,  s'el  *  volés  entendre,  *Si  le. 

Où  bien  porrés  essample  prendre; 
Mes  itaut*  vous  puis-ge  bien  dire,  "Tant. 

Se  vous  volés  ami  eslire, 

Bien  lo*  que  vostre  amor  soit  mise  "Conseille. 

Ou  biau  valet*  qui  tant  vous  prise,  *  Jeune  homme. 

Mes  n'i  soit  pas  trop  fermement. 
Ames  des  autres  sagement, 
Et  ge  vous  en  querrai  assés, 
Dont  grans  avoirs  iert*  amassés.  "Sera. 

Bon  fait  acointier*  homes  riches  ,  *  Fréquenter. 

S'il  n'ont  les  cuers  avers  et  chiches, 
S'il  est  qui  bien  plumer  les  sache. 

Bel-Acueil  quanqu'il  vuet  en  sache*,        *Toutcequ'ilveuten 
Por  qu'il  doint*  à  chascun  entendre         *  Donne  (subj.). 
Qu'il  ne  vodroit  autre  ami  prendre 
Por  mil  mars  de  fin  or  molu  ; 

Et  jurt*  que  s'il  éust  volu  *  Et  qu'il  jure. 

Sofrrir  que  par  autre  fust  prise 
La  Bose  qui  bien  ert*  requise,  *  Était. 

D'or  fust  chargiés  et  de  joiaus  ; 
Mais  taut  est  ses  fins  cuers  loiaus, 
Que  jà  nus*  la  main  n'i  tendra,  "Que jamais  nul. 

Fors  cil  seus  *  qui  lors  la  tendra.  *Si  ce  n'est  celui-là 

S'il  sunl  mil,  à  chascun  doit  dire  : 
«  La  Bose  avés  tous  seus* ,  biau  sire;      *  Tout  seul. 


tire. 


seul. 


DE  LA  ROSE. 


79 


James  autre  n'i  aura  part, 
Faille-moi  Diex  se  ge  la  part*.  » 
Ce  lor  jurt*  et  sa  foi  lor  baille; 
S'el  se  parjure,  ne  li  chaille*  : 
Diex  se  rit  de  tel  serement, 
Et  le  pardone  liément*. 
Jupiter  et  li  Diex  rioient 
Quant  li  amant  se  parjuroient  ; 
Et  maintes  fois  se  parjurèrent 
Li  Diex  qui  par  amors  amèreut. 
Quant  Jupiter  asséuroit 
Junon  sa  famé,  il  li  juroit 
Le  palu*  d'enfer  hautement, 
Et  se  parjuroit  fausement  (1). 
Ce  devroit  moult  asséurer 
Les  fins  amans  de  parjurer 
Saintes  et  sains,  moustiers  et  temples, 
Quant  li  Diex  lor  douent  exemples. 
Mais  moult  est  fox,  se  Diex  m'amant*, 
Oui  por  jurer  croit  nul  amant; 
Car  il  ont  trop  les  cuers  muables*. 
Jones  gens  ne  sunt  pas  estables, 
]\ou  sunt  li  viel  soventes  fois, 
Ains  mentent  seremens  et  l'ois. 
Et  sachiés  une  chose  voire*  : 
Cil  qui  sires  est  de  la  foire, 
Doit  par  tout  prendre  son  tolin*  ; 
Et  qui  ne  puet  à  un  molin , 


*  Dieu  me  manque  si  je  ta 
partage. 

"Qu'il  leur  jure  cela. 

*Ne  lui  importe. 


y  Joyeusement  ■ 


'Marais. 


*  M' amende 
meilleur. 

Changeants. 


*  /'raies. 


*  Droit. 


me     rend 


(l)        Ncc  timide  promitte  :  traliunt  prornissa  puellas; 

Pollicilis  testes  quoslibet  adde  Deos. 
Jupiter  ex  alto  perjuria  ridet  amantum; 

Et  jubet  folios  irrita  ferre  Notos. 
Per  Styga  Junoni  falsum  jurare  solebat 

Jupiter. 

(Ovid  ,  Artis  amatoriœ  lib.  I,  v.  631.) 


80  LE  ROMAN  (v.  mow.) 

Allt  à  l'autre  trestOUt  le  COrS*.  *  Aille   à   Vautre  tout  en 

„,.      .  .  courant. 

Moult  a  sons  povre  secors, 

Et  fait  en  grant  péril  sa  druge*,  "Fuite,  retraite. 

Qui  n'a  c'un  pertuis  à  refuge. 

Tout  ainsinc  est-il  de  la  famé, 

Qui  de  tous  les  marchiés  est  dame 

Que  chascuns  fait  por  li  avoir. 

Prendre  doit  partout  de  l'avoir*  :  *  Du  bien,  de  l'argent. 

Car  moult  auroit  foie  pensée, 

Quant  bien  se  seroit  porpensée*,  "Aurait  bien  réfléchi. 

S'el  ne  voloit  ami  que  un  ; 

Car,  par  saint  Liefart  de  Meun  ! 

Qui  s'amor  en  un  sol  leu  livre, 

JN'a  pas  son  cuer  franc  ne  délivre*,  "Libre. 

AinsM'a  malement  aservi.  *Mais. 

Bien  a  tel  famé  déservi*  "Mérité. 

Qu'ele  ait  assés  anui  et  paine, 

Qui  d'un  sol  home  amer  se  paine. 

S'el  faut  à  celi  de  confort*,  *  Si  elle  manque  avec  celui^ 

,  lu  de  consolation. 

El  n  a  nulli*  qui  la  confort;  'Nul. 

Et  ce  suut  cil  qui  plus  i  Paillent, 

Qui  lor  cuer  en  un  sol  leu  baillent. 

Tuit  en  la  fin  toutes  les  fuient, 

Quant  las  en  sunt  et  s'en  enuient  ; 

N'en  puet  famé  à  bon  cbief*  venir.  *A  bonne jin. 

Comment  la  Roj  ne  de  Cartage 
Ditlo,  par  le  vilain  oultrage 
Qu'Eneasson  amy  luy  fi>t, 
l>e  son  espéc  tost  s'o  cist  ; 
Et  comment  Philis  se  pendit, 
Pour  son  ami  qu'elle  attendit. 

Onc  ne  pot*  Eneas  tenir  "Jamais  ne  put. 

Didon,  roïne  de  Cartage, 
Qui  tant  li  ot  fait  d'avantage, 
Que  povre  l'avoit  recéu 


(t.  ui i9.)  DELAROSE.  81 

Et  revestu  et  repéu 

Las  et  fuitis  du  biau  pais 

De  Troie,  dont  il  fu  nais*.  *  \<itif. 

Ses  compaignons  moult  honorot, 

Car  en  li  trop  grant  amor  ot  ; 

Fist-li  ses  nez  *  toutes  refaire  *Nefs. 

Por  li  servir  et  por  li  plaire; 

Dona-li,  por  s'amor  avoir, 

Sa  cité,  son  cors,  son  avoir; 

Et  cil  si  l'en  asséura , 

Qu'il  li  promist  et  li  jura 

Que  siens  iert  tous  jors*  et  seroit,  *  Q"'<1  serait  toujours  à 

Ne  jamès  ne  la  laisseroit. 

Mes  celé  gaires  n'en  joï, 

Car  li  traïstres  s'enfoï 

Sens  congié,  par  mer,  à  navie*,  *En  navire. 

Dont  la  bêle  perdi  la  vie; 

Qu'el  s'en  ocist  ains  lendemain*  *  Avant  le  lendemain. 

De  l'espée,  o*  sa  propre  main,  'Avec 

Qu'il  li  ot  donée  en  sa  chambre. 

Dido,  qui  son  ami  remembre, 

Et  voit  que  s'amor  est  perdue, 

L'espée  prent,  et  toute  nue 

La  drece  contremont  la  pointe*,  *La  pointe  en  haut. 

Souz  ses  deus  mameles  l'apointe*,  *  La  fixe. 

Sor  le  glaive  se  lest*  chéoir  (1).  *  Laisse. 

Moult  fu  grant  pitié  à  véoir. 

Qui  tel  fait  faire  li  véist, 

Dur  fust  qui  pitié  n'en  préist, 

Quant  si  véist  Didon  la  bêle 

Sor  la  pointe  de  l'alemele*  ;  *  La  lame. 


(I)         Prœbuit  .Eneas  el  causam  mortis,  et  ensem  : 
Ipsa  sua  Dido  concidit  usa  manu. 

(OviD.,  Fastorum  lib.  111,  v.  549.) 


82  LE   ROMAN  (v.   m:,o.) 

Par  mi  le  cors*  la  se  ficha,  .  *  Par  le  milieu  du  corps. 

Tel  duel  ot  dont  cil  la  tricha. 

«  Philis  ausinc*  tant  atendi  "Aussi. 

Demophon,  qu'ele  se  pendi  (1) 
Por  le  terme  qu'il  trespassa , 
Dont  serement  et  foi  cassa. 

«  Que  fist  Paris  de  OEnoné  (2) 
Qui  cuer  et  cors  li  ot  doné, 
Et  cil  s'amor  lui  redona? 
Tantost  retolu*  le  don  a,  *Bepri.s. 

Si  l'en  ot-il  en  l'arbre  escriptes 

A  son  costel*  letres  petites  *Arec  son  couteau. 

Dessus  la  rive,  en  leu  de  chartre",  *  Au  lieu  de  charte. 

(1)  Demophon, ou  Démophoon,  étoil  iils  de  Thésée  et  de  Phèdre.  Comme 
il  revenoitde  la  guerre  de  Troie,  il  fut  poussé  par  la  tempête  sur  les  cotes 
de  Thrace ,  où  régnoit  Phylis.  Cette  princesse,  qui  avoit  le  cœur  tendre, 
devint  amoureuse  de  Demophon  :  elle  lui  proposa  de  l'épouser;  il  y  con- 
sentit ,  et  quelque  temps  après  il  la  pria  de  le  laisser  retourner  à  Alhènes 
pour  mettre  ordre  à  ses  affaires.  Son  voyage  fut  long;  et  son  amante, au 
désespoir  d'une  si  longue  ahsence,  s'imagina  qu'il  lui  avoit  manqué  de  foi  ; 
elle  se  pendit,  et  fut  changée  en  un  arbre  que  l'on  appela  Phylis  ou 
amandier  sans  feuilles. 

Demophon  élant  revenu  après  ce  tragique  accident ,  il  embrassa  ce 
tronc  infortuné,  qui,  sensible  aux  caresses  de  ce  prince,  parut  tout  à  coup 
couvert  de  feuilles,  [métamorphose»  d'Ovide.)  On  peut  lire  les  regrets  de 
Phylis  et  son  impatience  sur  le  retour  de  son  mari,  dans  la  seconde  épître 
des  Héroïdes  d'Ovide.  (L.  D.  D.) 

(2)  Paris,  surnommé  Alexandre,  iils  de  Priam  et  d'Hécube.  Sa  mère 
songea,  pendant  sa  grossesse,  qu'elle  mettoit  au  monde  un  flambeau  qui 
devoit  embraser  la  ville  de  Troie.  Ce  songe  l'ayant  effrayée,  elle  eut  re- 
cours à  l'oracle,  qui  répondit  que  l'enfant  dont  elle  étoit  enceinte  seroit 
un  jour  la  cause  de  la  ruine  de  sa  patrie.  Priam,  voulant  prévenir  ce  mal- 
heur, donna  ses  ordres  pour  que  l'on  fit  périr  cet  enfanl  aussitôt  qu'il 
auroit  vu  la  lumière;  la  tendresse  maternelle  s'opposa  à  l'exécution  d'un 
ordre  si  cruel.  Elle  confia  l'éducation  de  son  iils  à  des  bergers.  Lorsqu'il 
fui  grand,  il  s'enflamma  pour  la  nymphe  OEnone,  lille  du  fleuve  Xantus; 
il  l'abandonna  dans  la  suite  pour  la  femme  de  Ménélas.  Ce  que  l'auteur 
du  Roman  de  la  Rose  raconte  des  amours  de  Paris  et  d'OEnone,  est 
tiré  de  la  cinquième  épître  des  Héroïdes  d'Ovide.  fL-  D.  D.) 


IHG3.) 


DE   LA   H  USE. 


83 


Qui  ne  valurent  une  tartre. 
Ces  letres  en  I'escorce  estoient 
D'un  poplier,  et  représentaient 
Que  Xantus  s'en  retorneroit  (1) 
Si  tost  cum  il  la  lesseroit. 
Or  r'aut*  Xantus  à  la  fonteine , 
Qu'il*  la  lessa  puis  por  Heleine. 
«  Que  refist  Jason  de  Médée 
Qui  si  vilement  rem  lobée*, 
Que  li  faus  sa  foi  li  menti 
Puis  qu'el  Tôt  de  mort  garenti, 
Quant  des  toriaus,  qui  feu  getoient 
Par  lor  geules,  et  qui  venoient 
Jason  ardoir*  et  despecier, 
Sens  feu  sentir  et  sens  blecier, 
Par  ses  charmes  le  délivra , 
Et  le  serpent  si  enivra, 
Conques  ne  se  pot  esveillier, 
Tant  le  fist  forment*  someillier? 
Des  chevaliers  de  terre  nés, 
Bataillereus  et  forsenés*, 
Qui  Jason  voloient  occierre*, 
Quant  il  eutr'eus  geta  la  pierre, 
Fist-ele  tant  qu'il  s'entrepristrent, 
Et  qu'il  méismes  s'entr'occistrent, 
Et  li  fist  avoir  la  toison 
Par  son  art  et  par  sa  poison*. 
Puis  fist  Eson  rajoveuir*, 
Por  miex  Jason  à  soi  tenir  ; 
Ne  riens  de  li  plus  ne  voloit, 
Fors  qu'il  l'amast  cum  il  soloit*, 
Et  ses  mérites  regardast, 


*  Maintenant  r'aille. 
*Car  il. 

*  Fut  à  son  tour  dupée. 


'Brûler. 


Fortement . 

*  Insensés. 

*  Tuer. 


*  Potion,  breuvage. 

*  Rajeunir. 


*S<  ce  n'est  qu'il  l'aimât 
comme  il  était  habitué. 


(i)  Nom  d'une  petite  rivière  fort  célèbre  dans  les  anciens  poètes,  parce 
qu'elle  couloit  dans  la  Troade,  et  près  la  ville  de  Troie.  Elle  a  sa  source 
au  mont  Ida.  (Méon.) 


Lr,   ROMAN 


(v.    14195.) 


Por  ce  que  miex  sa  loi  gardast. 
Puis  la  lessa,  li  maus  trichierres*, 
Li  faus,  li  desloiaus,  li  lierres*, 
Dont  ses  enfans,  quant  el  le  sot, 
Por  ce  que  de  .lason  les  ot, 
Estrangla  de  duel*  et  de  rage, 
Dont  el  ne  fist  mie  que  sage, 
Quant  el  lessa  pitié  de  mère, 
Et  fist  pis  que  marastre  amère. 
Mil  essamples  dire  en  sauroie, 
Mais  trop  grant  conte  à  faire  auroie. 
Briément,  tuit  les  lobeut*  et  trichent, 
Tuit  sunt  ribaut,  partout  se  fichent  : 
Si  les  doit-1'en  ausinc  trichier, 
Non  pas  sou  cuer  en  un  fichier. 
Foie  est  famé  qui  si*  l'a  mis, 
Ains*  doit  avoir  plusors  amis, 
Et  faire,  s'el  puet,  que  tant  plaise, 
Que  tous  les  mete  à  grant  mésaise. 
S'el  n'a  grâces,  si  les  aquière*, 
Et  soit  tous  jors  vers  eus  plus  fière 
Qui  plus,  por  s'amor  déservir*, 
Se  pcneront  de  li  servir; 
Et  de  ceus  acoillir  s'esforce 
Qui  de  s'amor  ne  feront  force. 
Saiche  de  geus  et  de  chançons, 
Et  fuie  noises  et  tençons*. 
S'el  n'est  bêle,  si  se  cointait*, 
La  plus  lede  ator  plus  cointe*  ait; 
Et  s'ele  véoit  déchéoir, 
(Dont  grant  duel  *  seroit  à  véoir,) 
Les  biaus  crins  de  sa  teste  blonde, 
Ou  s'il  convient*  que  l'en  les  tonde 
Par  aucune  grant  maladie, 
Dont  biauté  est  tost  euledie , 


Le  mauvais  trompeur. 

Le  larron. 


*  De  douleur. 


*  Dupent. 


'Ainsi. 
Mais. 


'Qu'elle  les  acquière. 


Pour  mériter  sou  amour. 


*  Bruits  et  disputes. 
*Pare. 

*  Êléijiint. 

*  Douleur. 

*  S'il  faut. 


(v.    14230.] 


DE   LA    ROSE. 


85 


Ou  s'il  avieut  que  par  courrous 

Les  ait  aucuns  ribaus  desrous*,  *  Arraches. 

Si  que  de  ceus  ne  puisse  ovrer 

Por  grosses  treces  recovrer, 

Face  tant  que  l'en  li  aporte 

Cheveus  de  quelque  famé  morte  , 

Ou  de  soie  blonde  borriaus*, 

Et  boute*  tout  en  ses  forriaus. 

Sus  ses  oreilles  port  tex*  cornes, 

Que  cers  ne  bues  ne  unicornes*, 

S'il  se  dévoient  esfronter*, 

TNe  puist  ses  cornes  sormonter. 

Et  s'el  ont  mestier*  d'estres  taintes, 

Taingne-les  en  jus  d'erbes  maintes, 

Car  moult  ont  forces  et  mécines* 

Fruit,  fust*,  i'eulle,  escorce  et  racines. 

«  Et  s'el  reperdoit  sa  color  (!), 
Dont  moult  auroit  au  cuer  dolor, 
Face  qu'ele  ait  oingtures*  moistes 
En  ses  chambres,  dedens  ses  boistes , 
Tous  jors  por  soi  farder  repostes*  : 
Mes  bien  gart  que  nus*  de  ses  ostes 
N'es*  puist  ne  sentir  ne  véoir  : 
Trop  li  en  porroit  meschéoir*. 
S'ele  a  biau  col  et  gorge  blanche , 
Gart  que  cil*  qui  sa  robe  trenche**, 
Si  très-bien  la  li  escolete*, 
Que  sa  char  père*  blanche  et  nete 
Demi-pié  darriers  et  devant  : 
Si  en  sera  plus  décevant. 
Et  6'ele  a  trop  grosses  espaules, 
Por  plaire  as  dances  et  as  hautes*,  *  Bals 


*  Bourre. 

*  Mette. 

*  Telles. 

*  Que  cerf  ni  bœuf  »i  li- 
corne 

*  Affronter,  mettre  front 
contre  front. 

*  Besoin . 

*  Médecines. 
*Bois. 


* Onguents. 

*  Cachées. 

*\ul. 

*  Ne  les. 

*  Arriver  malheur. 


*  Qu'elle  garde  que  celui. 
*■  Taille,  coupe. 
'  Décollette. 

*  Paraisse. 


(I)        Sanguine  quœ  vero  non  rubet,  arle  rubet. 

(Ovid.,  Ariis  amaloriœ  Ub.  III,  t.  2uoj 

8 


86  LE  ROMAN  (v.   1,202.) 

De  délié  drap  robe  port*,  *  Qu'elle  porte. 

Si  perra  de  mains  lait  déport  *.  *  Et  die  para  Uni  de  moi  m 

...  .       ,     ,  laide  tournure. 

Et  s  el  n  a  mains  bêles  et  netes 

Ou  de  sirons  ou  de  bubetes*,  *  Boutons. 

Gart  que  lessier  ne  les  i  vueille  ; 

Face-les  oster  à  l'agueille, 

Ou  ses  mains  en  ses  gans  repoingne*  :     *Cache. 

Si  ni  perra  bube*  ne  roingne.  *  Bubon. 

Et  s'ele  a  trop  lordes  mameles, 

Preingne  cuevrechief  ou  toeles 

Dont  sus  le  pis*  se  face  estraindre ,         *  Poitrine 

Et  tout  entor  ses  costés  ceindre, 

Puis  atacbier,  coudre  ou  noer  ; 

Lors  si  se  puet  aler  joer. 

«  Et  comme  bone  baisselete*,  *Bachelette. 

Tiengne  la  chambre  Vénus*  nete;  *De  Vénus. 

S'ele  est  preus  et  bien  enseiguie, 
Ne  lest*  entor  nule  iraignie  *  Laisse  (suhj.)- 

Qu'el  narde  ou  rée,errache  ou  housse*,     *  Qu'elle  ne  brûle  on  rase. 

.  arrache  ou  Ole. 

Si  cm  il  n  1  puisse  cuillir  mousse. 

S'ele  a  lais  piez,  tous  jors  se  chauce, 

A  grosse  jambe  aittenvre*  chauce  (1).    *  Délicate,  déliée. 

Briément,  s'el  set  sor  li  nul  vice, 

Covrir  le  doit,  se  moult  n'est  nice*.        *  Niaise,  sotte. 

S'el  set  qu'ele  ait  mauvese  alaine , 

Ne  li  doit  estre  grief  ne  paine 

De  garder  que  jà  ne  jeune 

]Ne  qu'el  ne  parole  jeune*  ;  *  Ni  qu'elle  parle  à  jeun. 

Et  gart*,  s'el  puet,  si  bien  sa  bouche,      *  Garde. 

Que  près  du  nez  as  gens  ne  touche. 

Et  s'il  li  prent  de  rire  envie, 


(l)        Pes  malus  in  niveà  semper  cseletur  alula  ; 
Arkla  nec  \inclis  crura  résolve  suis. 

(Ovid.,  Artis  amatoriœ  lib.  III,  v.  271.)  " 


(v.    14293. 


DE    LA  ROSE. 


87 


Si  bel  et  si  sagement  rie, 
Qu'ele  descrieve  deus  fossetes 
D'ambedeus  pars  de  ses  levretes*. 
Ne  par  ris  n'enfle  trop  ses  joes, 
Ne  ne  restraingne  pas  ses  moes*; 
Jà  ses  lèvres  par  ris  ne  s'uevrent, 
Mes  repoignent*  les  dens  et  cuevrent. 
Famé  doit  rire  à  bouebe  close, 
Car  ce  n'est  mie  bêle  chose 
Quant  el  rit  à  geule  estendue  • 
Trop  semble  estre  large  et  fendue. 
Et  s'el  n'a  dens  bien  ordenées  (1), 
Mes  lèdes  et  sans  ordre  nées, 
S'el  les  monstroit  par  sa  risée , 
Mains  en  porroit  estre  prisée. 
Au  plorer  r'afiert-il*  manière; 
Mes  chascune  est  assés  manière  * 
De  bien  plorer  en  quelque  place  : 
Car,  jà  soit  ce  qu'en*  ne  lor  face 
Ne  grief  ne  honte  ne  molestes*, 
Tous  jors  ont-eles  lermes  prestes. 
Toutes  plorent  et  plorer  seulent* 
En  tel  guise  cum  eles  veulent; 
Mes  bom  ne  se  doit  jà  movoir 
S'il  véoit  tex  lermes  plovoir 
Ausinc  espès  cum  onques  plut , 
C'onc*  à  l'aine  tex  plor  ne  plut, 
Ne  tex  diaus  ne  tex  marrimens* , 
Que  ce  ne  fust  concbiemens  *  : 
Plor  de  famé  n'est  fors  agait*. 
Mes  gart  que  par  voiz  ne  par  uevre , 


*  De  deux  côtés  de  ses  pe- 
tites lèvres. 

*  I\'i  ne  serre  pas  trop  ses 

I  erres. 


*  Cachent. 


*  Il  faut  encore. 

*  Habile,  exercée. 

*  Car  quoiqu'on . 
*Ni  ennuis. 

*  Ont  Vhabitude. 


*  Car  jamais. 

*  Ni  tel  deuil  ni  tel  ch<t- 
grin. 

*  Déception. 

Piège. 


(I)         Si  niger,  aut  ingens,  aut  non  erit  ordine  natus 
Dens  tibi,  ridendo  maxima  damna  feres. 

(OviD.,  Artis  amatoricc  lib.  III,  v.  279.) 


88 


LE  ROMAN 


T.     14324s 


Riens  de  son  penser  ne  descuevre. 
Si  r'aflert  *  bien  qn'el  soit  à  table 
De  contenance  convenable  : 
Lors  n'est  dolors  qifele  n'agait; 
Mes  ains  qu'el  s'i  voise*  seoir, 
Face-soi  par  l'ostel  véoir, 
Et  à  chascun  entendre  doingne* 
Qu'ele  fait  moult  bien  la  besoingne. 
Aille  et  viengne  avant  et  arrière, 
Et  s'asiée  la  derrenière, 
Et  se  face  un  petit  atendre, 
Ains*  qu'el  puisse  à  seoir  entendre  (1). 
Et  quant  ele  iert*  à  table  assise, 
Face,  s'el  puet,  à  tous  servise. 
Devant  les  autres  doit  taillier, 
Et  du  pain  entor  soi  baillier; 
Et  doit,  por  grâce  déservir*, 
Devant  le  compaignon  servir 
Qui  doit  mengier  en  s'escuele. 
Devant  li  niete  cuisse  ou  êle, 
Ou  buef  ou  porc  devant  li  taille, 
Selonc  ce  qu'il  auront  vitaille* , 
Soit  de  poisson  ou  soit  de  char*. 
Y;iit  jà  cuer  de  servir  escbar*, 
S'il  est  qui  soflrir  le  li  voille; 
Et  bien  se  gart  qu'ele  ne  moille 
Ses  dois  es  broez*  jusqu'as  jointes, 
Ne  qu'el  n'ait  pas  ses  lèvres  ointes 
De  sopes,  d'aulx  ne  de  char*  grasse, 
Ne  que  trop  de  morsiaus  n'entasse, 
Ne  trop  gros  n'es*  mete  en  sa  bouche. 


*  Et  il  faut  encore. 


*  Aille. 


*  Donne  (subj.). 


"Avant. 
*  Sera. 


*  Mériter, 


*  Nourriture. 

*  Viande. 
* 'Avare. 


*  Bans  les  sauces. 


'Chair,  viande. 


*Ne  les. 


(i)       Scraveni;  positaque  decens  incede  lucerna. 

Grala  mora  est  Veneri  :  maxima  lena  mora  est. 

(Ovid.,  sJrtis  amatoriœ,  lib.  III,  v.  751. 


(v.   mu.)  DE  LA   ROSE.  89 

Du  bout  des  dois  le  morse!  touche 

Qu'el  devra  moillier  en  la  sauce , 

Soit  vert,  ou  cameline  ou  jauce*,  *  Jaune. 

Et  sagement  port  sa  bouchée, 

Que  SUS  son  piz*  gOLlte  n'en  cllée**  *  Poitrine.      **Tombe. 

De  sope,  de  savor,  de  poivre. 

Et  si  gentement  redoit*  boivre,  *  Doit  encore. 

Que  sor  soi  n'en  espande  goûte  ; 

Car  por  enfrume*  ou  por  trop  gloute       *  Mal  élevée. 

L'en  porroit  bien  aucuns  tenir, 

Qui  celi*  verroit  avenir.  *A  celle-là. 

Et  gart  que  ià  henap*  ne  touche  * Et  garde   que  jamais 

°         J      J  l  coupe  (l). 

Tant  cum  ele  ait  morsel  en  bouche  ; 

Si  doit  si  bien  sa  bouche  terdre*,  *  Essuyer. 

Qu'el  ni  lest  mile  gresse  aerdre  *,  *  Laisse  nulle  graisse  res- 

v  °  ter  attachée. 

Au  mains  en  la  lèvre  desseure  : 

Car  quant  gresse  en  celé  demeure, 

Ou  vin  en  perent  les  mailletes*,  *  Dans  le  vin  paraissent 

.  les  petites  taches. 

Qui  ne  sunt  ne  bêles  ne  netes. 

Et  boive  petit  à  petit, 

Combien  qu'ele  ait  grant  a  petit. 

Ne  boive  pas  à  une  alaine 

Ne  henap  plain  ne  cope  plaine, 

Ains*  boive  petit  et  sovent,  *  Mais. 

Qu'el  n'aut*  les  autres  esmovant  *  N'aille. 

A  dire  que  trop  en  engorge, 

Ne  que  trop  boive  à  gloute*  gorge  ;         *  Gloutonne. 

Mes  deliéement  le  coule. 

Le  bort  du  henap  trop  n'engoule*,  "N'enfonce  dans  sa  gorge. 

Si  comme  font  maintes  norrices, 

Qui  sunt  si  gloutes  et  si  nices*  *  Simples. 

(I)  Il  y  avait  des  hanaps  de  toutes  matières,  d'or,  d'argent,  de  madré, 
c'est-à-dire  de  bois,  quelquefois  ornés  d'or  et  de  pierres  précieuses.  Voyez 
le  Roman  A' Amis  et  Amile,  dans  les  Nouvelles  françoises  en  prose  du 
treizième  siècle ,  pag.  39. 


90 


LE   ROMAN 


Qu'el  versent  vin  en  gorge  cruese*, 

Tout  ainsinc  cum  en  une  buese*, 

Et  tant  à  graus  gors*  en  entonent, 

Qu'el  s'en  confundent  et  estonent. 

Et  bien  se  gart  que  ne  s'enyvre, 

Car  en  home  ne  en  famé  yvre 

>"e  puet  avoir  chose  seerée*; 

Car  puis  que  famé  est  enyvrée, 

Il  n'a  point  en  li  de  desfense , 

Ains  jangle  tout  quanqu'ele*  pense, 

Et  est  à  tous  abandonée, 

Quant  à  tel  mesehief*  s'est  donée. 

Et  se  gart*  de  dormir  à  table, 

Trop  en  seroit  mains  agréable. 

Trop  de  lèdes  choses  avienent 

A  ceus  qui  tex  dormirs  maintienent  (1). 

Ce  o'est  pas  sens  de  someillier 

Es*  leus  establis  à  veillier; 

Maint  en  ont  esté  decéu, 

Et  maintes  fois  en  sunt  chéu 

Devant  ou  derriers  ou  de  coste, 

Brisent  ou  bras  ou  teste  ou  coste. 

Gart  que  tex  dormirs  ne  la  tiengne*  ; 

De  Palinurus  li  soviengne , 

Qui  governoit  la  nef  Enée. 

Veillant  l'avoit  bien  governée  ; 

Mes  quant  dormirs  Tôt  envai, 

Du  govcrnail  en  mer  chaï*, 

Et  des  compaignons  noia  près, 

Qui  moult  le  plorèrent  après. 


*  Creuse. 

*  Botte. 

*  Flots. 


*  Secrète. 


"  Vais    bavarde    tout    ce 
qu'elle. 

*  Malheur. 
'Carde  (subj.'. 


*  Dans  les. 


*  Qu'elle  prenne  garde  que 

tel  somrncil  ne  la  tien  in  . 


'  Tomba. 


(I)        Turpe  jacens  millier,  mullo  madefacta  Lyseo , 
Dignaque  concubitus  quoslibet  illa  pati. 
Nec  soumis  tutum  posila  succumbere  mensà; 
Per  somnos  lieri  multa  pudeoda  soient. 

(Ovid.,  Artis  anwtoriœ  lib.  III,  v. 


765.) 


(v.  niif,)  DE  LA   ROSE.  !)1 

«  Si  doit  la  dame  prendre  garde 
Que  trop  à  joer  ne  se  tarde  ; 
Car  el  porroit  bien  tant  atendre 
Que  nus*  n'i  vodroit  la  main  tendre.       *Nul. 
Querre*  doit  d'amors  le  déduit,  *  Chercher. 

Tant  cum  Jonesce  la  déduit*;  *  L'amuse. 

Car  quant  Viellesce  famé  assaut*,  *  Assainit. 

D'amors  pert  la  joie  et  l'assaut. 
Le  fruit  d'amors,  se  famé  est  sage, 
Coille  en  la  flor  de  sou  aage  ; 

Car  tant  pert  de  sou  tens,  la  lasse*  !        *  La  malheureuse. 
Cum  sens  joïr  d'amors  en  passe. 
Et  s'el  ne  croit  ce  mien  conseil, 
Que  por  commun  profit  conseil, 
Sache  que  s'en  repentira 

Quant  Viellesce  la  flatira*.  *  Courbera. 

Mes  bien  sai  qu'eles  m'en  creront, 
Au  mains  ceus  qui  sages  seront, 
Et  se  tendront  as  rigles  nostres*,  *  A  nos  règles. 

Et  diront  maintes  paternostres 

Por  m'ame*,  quant  ge  serai  morte,         *Pour  mon  âme. 
Qui  les  enseigue  ore*  et  conforte  :  *  Maintenant. 

Car  bien  sai  que  ceste  parole 
Sera  léue  en  mainte  escole. 

«  Biaus  très-dous  fdz,  se  vous  vives  , 
(Car  bien  voi  que  vous  escrivés 
Ou*  livre  du  cuer  volentiers  *  Dans  le. 

Tous  mes  enseignemeus  entiers; 
Et  quant  de  moi  départirés*,  *  Partirez. 

Se  Diex  plest,  encor  en  lires, 
Et  eu  serés  mestre  cum  gié*,)  "Moi. 

Ge  VOUS  doing  de  lire  COngié*,  *  Donne  de  lire  permis. 

Maugré  trestous  les  chanceliers, 

Et  par  chambres  et  par  celiers, 

En  prés,  en  jardins,  en  gaudines*,  *  Bosquets. 


92  LE  ROMAN  (v.  r445i.) 

Sous  paveillons  et  sous  cortines , 

Et  d'enformer  les  escoliers 

Par  garderobes,  par  soliers*,  *  Terrasses. 

Par  despenses  et  par  estables,   * 

Se  n'avés  leus  plus  délitables*,  *  Délectables. 

Mes  que  ma  leçon  soit  léue , 

Quant  vous  Taures  bien  retenue. 

Et  gart*  que  trop  ue  soit  enclose,  * Et  qu'elle prenne  garde. 

Car  quant  plus  à  l'ostel  repose, 

Mains  est  de  toutes  gens  véue, 

Et  sa  biauté  mains  congnéue, 

Mains  convoitie  et  mains  requise. 

Sovent  voise*  à  la  mestre  église,  *  Aille. 

Et  l'ace  visitacions 

A  noces,  à  processions, 

A  geus,  à  testes,  à  karoles*,  *  Danses. 

Car  eu  tex  leus  tient  ses  escoles 

Et  cbantc  à  ses  disciples  messe 

Li  diex  d'Amors  et  la  déesse. 

Mes  bien  se  soit  ainçois*  mirée  '  "Auparavant. 

Savoir  s'ele  iert  bien  atiréc  *  ;  ' si r//r  était  bien  ajustée, 

accommodée. 

Et  quant  a  point  se  sentira, 

Et  par  les  rues  s'en  ira, 

Si  soit  de  bêles  aléures*,  *  Allures. 

Non  pas  trop  moles  ne  trop  dures, 

Trop  eslevécs  ne  trop  corbes, 

Mes  bien  plésans  en  toutes  torbes*.         "Fouies. 

Les  espaules,  les  costés  mueve 

Si  noblement,  que  l'en  ne  trueve 

Nule  de  plus  biau  movement; 

Et  marcbe  jolietement 

De  ses  biaus  solerès  petis*,  "Pc/Us  souliers. 

Que  faire  aura  l'ait  si  letis*,  *  Élégants. 

Qui  joindront  as  pies  si  à  point 

Que  de  fronce*  n'i  aura  point.  *  Pli. 


(' 


DE  LA  ROSE. 


93 


Et  se  sa  robe  li  traîne, 
Ou  près  du  pavement  s'encline , 
Si  la  liéve  encoste*  ou  devant, 
Si  cum*  por  prendre  un  poi  de  vent, 
Ou  por  ce  que  faire  le  sueille*, 
Ausinc  cum  secorcier*  se  vueille, 
Por  avoir  le  pas  plus  délivre*. 
Lors  gart*  que  si  le  pié  délivre, 
Que  chascun  qui  passe  la  voie, 
La  bêle  forme  du  pié  voie. 

«  Et  s'el  est  tex  que  mantel  port  * , 
Si  le  doit  porter  de  tel  port, 
Que  trop  la  véue  n'encombre 
Du  biau  cors  à  qui  il  fait  ombre; 
Et  por  ce  que  le  cors  miex  père*, 
Et  li  tissu  dont  el  se  père*, 
Qui  n'iert*  trop  larges  ne  trop  gresles, 
D'argent  doré  à  menus  pesles* , 
Et  l'aumosnière  toutevoie*, 
Qu'il  est  bien  drois  que  l'en  la  voie, 
A  deus  mains  doit  le  mantel  prendre, 
Les  bras  eslargir  et  estendre, 
Soit  par  bêle  voie  ou  par  boe, 
Et  li  soviengne  de  la  roe 
Que  li  paons  fait  de  sa  queue  : 
Face  ausinc  du  mantel  la  seue*, 
Si  que  la  penne*  ou  vaire  ou  grise, 
Ou  tel  cum  el  l'i  aura  mise, 
Et  tout  le  cors  en  apert*  monstre 
A  ceus  qu'el  voit  muser  encontre. 

«  Et  s'el  n'est  bêle  de  visage, 
Plus  lor  doit  torner  comme  sage 
Ses  bêles  treces,  blondes,  chières  , 
Et  tout  le  haterel*  derrières, 
Quant  bel  et  bien  trecié  le  sent. 


De  côté. 

*  Ainsi  que. 

*  Ait  l'usage. 

*  Se  retrousser . 

*  Déejarjc. 

'  Hors  qu'elle  prenne  gui- 
de. 


"Et  si  elle  est  telle  qu'elle 
porte  manteau. 


Mieux  paraisse. 
*Pare. 

*  N'était. 

*  Perles. 

*  Toutefois. 


'  La  sienne. 
'  Bordure. 


En  évidence. 


Nuque. 


94  LE  ROMAN  (t.  uni.) 

C'est  une  chose  moult  plaisant*  *  Agréable. 

Que  biautés  de  cheveléure. 

Tous  j  ors  doit  famé  mètre  cure 

Qu'el  puist  la  louve  resembler, 

Quant  el  vuet  les  berbis  embler*  ;  *  Prendre. 

Car  qu'el  ne  puist*  du  tout  faillir,  "Car   pour   qu'elle  ne 

^  '  puisse. 

Por  une  en  vet  mil  assaillir  (1), 

Qu'el  ne  set  laquele  el  prendra, 

Devant  que  prinse  la  tendra. 

Ainsinc  doit  famé  partout  tendre 

Ses  raiz*  por  tous  les  homes  prendre  :        *  Rets,  filets. 

Car  por  ce  qu'el  ne  puet  savoir 

Des  quiex  el  puist*  la  grâce  avoir,  "Desquels  elle  puisse. 

Au  mains  por  un  à  soi  sachier*,  *  Tirer. 

A  tous  doit  son  croc  atachier  : 

Lors  ne  tardera  à  venir 

Qu'el  n'en  doie*  aucun  pris  tenir  *  Boire. 

Des  fox  entre  tant  de  milliers, 

Qui  li  frotera  ses  illiers*,  "Oreilles. 

Voire*  plusors  par  aventure.  *  >  raiment. 

Cet  art  aide  moult  à  nature. 

«  Et  s'ele  plusors  en  acroclie 

Qui  mètre  la  veillent  en  broche, 

Gart,  comment  que  la  chose  queure  *,    *  Q"clle  Prenne  9arde  f 
1  quelque  manière  que  la 

Qu'ele  ne  mete  à  deus  une  heure  :  ehose  coure. 

Car  por  décéu  se  tendroient , 

Quant  plusor  ensemble  vendroient*;      */  'tendraient. 

Si  la  porroient  bien  lessier  : 

Ce  la  porroil  moult  abaissier. 

Car  au  mains  li  eschaperoit 

Ce  que  chascuns  aporteroit, 

(I)         Ad  militas  lapa  tendit  ovcs,  pra-detur  ut  unam  ; 
Et  Jovis  in  nmltas  devolat  aies  aves. 

semper  tibi  pendeal  hamus. 

(Ovid.,  Artis  amatoria  lib.  111,  y.  419  425.) 


(v.    14552. 


DE  LA    ROSE. 


95 


Et  ne  lor  doit  jà  riens  lessier 
Dont  il  se  puissent  engressier  ; 
Mais  mètre  à  si  grant  povreté , 
Qu'il  muirent  las  et  endeté  ; 
Et  celé  en  soit  riche  manans  *, 
Car  perdus  est  li  remanans*. 
D'amer  povre  home  ne  li  chaille*, 
Qu'il  n'est  riens  que  povres  lions*  vaille  ; 
Se  c'iert*  0 vides  ou  Omers, 
Ne  vaudroit-il  pas  deus  deniers  (1). 
Ne  ne  li  chaille  d'amer  hoste  ; 
Car,  ainsinc  cum  il  met  et  oste 
Son  cors  en  divers  herbergages  *, 
Ainsinc  li  est  li  cuers  volages. 
Hoste  amer  ne  li  lo-ge*  pas; 
Mes  toutevois  en  son  trespas  * 
Se  deniers  ou  joiaus  li  offre, 
Prengne  tout  et  mete  en  son  coffre, 
Et  face  lors  cil  son  plesir, 
Ou  tout  en  haste  ou  à  lesir. 
Et  bien  gart  qu'el  n'aint*  ne  ne  prise 
Nul  home  de  trop  grant  cointise*, 
Ne  qui  de  sa  biauté  se  vante  (2)  ; 
Car  c'est  orgoil  qui  si  le  tente. 
Si  s'est  en  l'ire  Dieu*  boutés 
Homs  qui  se  plest*,  jà  n'en  doutés; 
Car  ainsinc  le  dit  ïholomée, 
Par  qui  fu  moult  science  amée  : 
Tex  n'a  pooir*  de  bien  amer, 


*  Propriétaire. 

*  Reste. 

*  Ne  lui  importe. 

*  Homme. 
*Si  c'était. 


*  Logements. 

* Conscillé-je. 

*  Passage. 


*  N'aime. 

*  Coquetterie. 


La  colère  de  Dieu. 

'Homme  qui  se  comptait 
en  lui-même. 


*  Tel  n'a  pouvoir. 


(1)  Ipse,  licet  Musis  vernas  comitatus,  Homère; 

Si  nihil  attuleris,  ibis,  Homère,  foras. 

(OviD.,  Artis  amatoriœ  lib.  II,  v.  279.) 

(2)  Sed  vitale  viros  cullum  formamque  professos; 

Quique  suas  ponunt  in  statione  comas. 

{Ibid.,  lib.  III,  v.  433.) 


96 


LE   ROMAN 


[y.    I458I.J 


Tant  a  mauves  cuer  et  amer  ; 
Et  ce  qu'il  aura  dit  à  l'uue, 
Autant  dira-il  à  chascune, 
Et  pluseurs  eu  revêt  lober*, 
Por  eus  despoillier  et  rober*. 
Mainte  complainte  en  ai  véue 
De  pucele  ainsiuc  décéue. 

«  Et  s'il  vient  aucuns  prometières*, 
Soitloiaus  homs  ou  hoquelières*, 
Qui  la  vueille  d'amor  prier, 
Et  par  promesse  à  soi  lier, 
Et  celé  ausinc  li  repromete*; 
Mais  bien  se  gart  qu'el  ne  se  mete 
Por  nule  rieus  en  sa  manoie*, 
S'el  ne  tient  ainçois*  la  mouoie. 
Et  s'il  mande  riens  par  escrit, 
Gart  se  cil  faiutement  escrit, 
Ou  s'il  a  boue  entencion 
De  fin  cuer  sans  décepciou. 
Après  li  rescrive  en  poi  d'ore*, 
Mes  ne  soit  pas  l'ait  sans  demore*. 
Demore  les  amans  atise, 
Mes  que  trop  longe*  ne  soit  prise; 
Et  quant  ele  orra*  la  requeste 
De  l'amant,  gart  que  ne  se  heste 
De  s'amor  du  tout  otroier; 
JNe  ne  li  doit  du  tout  noier*, 
Aius*  le  doit  tenir  en  balance, 
Qu'il  ait  paor  et  espérance. 

«  Et  quant  cil  plus  la  requerra  , 
Et  oele  ne  li  offerra 
S'amor,  qui  si  forment  l'enlace, 
Gart  soi  la  dame  que  tant  face 
Par  son  engin*  et  par  sa  force 
Que  l'espérance  adès*  eu  force  , 


'  En  va  encore  attraper. 
'  Dérober. 


'  Prometteur, 
'Fripon. 


*  Que  celle-là  lui  promette 
aussi  à  son  tour. 


*  Autorité. 

*  .1  uparavawt. 


*  En  peu  de  temps. 

*  Retard. 

Longue. 

*  Oui  m. 


*  Refuser. 

*  Mais. 


*  Habileté,  ruse. 

*  Toujours. 


iv. 


DE  LA   ROSE. 


97 


Et  petit  à  petit  s'en  aille 
La  paor,  tant  qu'ele  défaille*, 
Et  qu'il  facent  pez  et  concorde. 
Celé  qui  puis  à  li  s'acorde, 
Et  qui  tant  set  de  guiles*  faintes  , 
Dieu  doit  jurer,  et  sainz  et  saintes, 
C'onc  ne  se  volt  mes  otroier* 
A  nul,  tant  la  séust  proier; 
Et  die  :  «  Sire,  c'est  la  some, 
Foi  que  doi  saint  Père  de  Rome, 
Par  lin  amor  à  vous  me  don*, 
Car  ce  n'est  pas  por  vostre  don  : 
N'est  lions  *  nés  por  qui  ce  féisse 
Por  nul  don,  tant  grant  le  véisse. 
Maint  vaillant  home  ai  refusé, 
Car  moult  ont  maint  à  moi  musé  : 
Si  croi  que  m'avés  enchantée  ; 
Maie  leçou  m'avés  chantée.  » 
Lors  le  doit  estroit  acoler 
Et  baisier,  por  miex  afoler*. 
Mes  s'el  vuet  mon  conseil  avoir, 
Ne  tende  à  riens  fors  *  qu'à  l'avoir. 
Foie  est  qui  son  ami  ne  plume 
Jusqu'à  la  derrenière  plume  : 
Car  qui  miex  plumer  le  saura , 
C'iert*  celé  qui  mieldre**  l'aura, 
Et  qui  plus  iert  chière  tenue, 
Quant  plus  chier  se  sera  vendue; 
Car  ce  que  l'en  a  pour  noiaut*, 
Tant  le  va- l'en  plus  viltoiant*. 
L'en  n'el  prise  pas  une  escorce; 
Se  l'en  le  pert,  l'en  n'i  fait  force, 
Au  mains  si  grant  ne  si  notée, 
Cum  s'en  l'avoit  chier  achatée. 
«  Mais  au  plumer  r'affiert*  manière 


'Manque. 


*  Ruses. 


*  Que  jamais  elle   ne  se 
voulut  })lus  octroyer. 


*  Je  vie  donne. 


'  Homme. 


Rendre  fou . 


*  Si  ce  n'est. 


'Ce  sera.      ** Meilleur. 


*  Néant,  rien . 

*  Tenant  pour  vil,  dédai- 
gnant. 


*  Il  faut  encore. 


98 


LE  ROMAN 


V.     14657. 


Ses  valez  et  sa  chamberière, 
Et  sa  seror  et  sa  norrice, 
Et  sa  mère,  se  moult  n'est  nice*, 
Por  qu'il  consentent  la  besoingne, 
Facent  tant  tuit  que  cil  lor  doingne* 
Sorcot*  ou  cote,  ou  gaus  ou  modes**, 
Et  ravissent  cum  uns  escodes* 
Quanqu'il*  en  porront  agraper, 
Si  que  cil  ne  puist  escbaper 
De  lor  mains  en  nule  manière, 
Tant  qu'il  ait  fait  sa  darrenière  ; 
Si  cum  cil  qui  geue  as*  noiaus, 
Tant  lor  doint  deniers  et  joiaus. 
Moult  est  plus  tost  proie  achevée, 
Quant  par  plusors  mains  est  levée. 
Autre  fois  li  redient  •  «  Sire, 
Puisqu'il  le  vous  convient  à  dire*, 
Vez*  qu'à  ma  dame  robe  faut**; 
Comment  soffrés-vous  cest  défaut? 
S'el  vosist*  faire,  par  saint  Gile! 
Por  tel  a-il  en  ceste  vile, 
Comme  roïne  fust  venue 
•Et  chevauchast  à  grant  sambue*. 
Dame,  porquoi  tant  atendés, 
Que  vous  ne  la  li  demandés? 
Trop  par  estes*  vers  li  honteuse, 
Quant  si  vous  lesse  soffreteuse.  » 
Et  celé,  combien  qu'il  li  plaisent, 
Lor  doit  commander  qu'il  se  taisent  ; 
Que  tant  espoir*  en  a  levé, 
Qu'el  l'a  trop  malement  grevé. 
Et  s'ele  voit  qu'il  s'aparçoive 
Qu'il  li  doint*  plus  que  il  ne  doive, 
Et  que  forment  grevé  cuidc  estre 
Des  grans  dons  dont  il  la  suet*  pestre, 


* Simple. 

*  Que  celui-là  leur  donne. 
*Surtout.      **  Mitaines. 

*  Oiseau  de  proie. 
*Tout  ce  qu'ils. 


*  Ainsi  que.  relui  qui  joue 
aux. 


'Puisqu'il   faut  vous  le 

dire. 

*  I  oyez.    **  Manque, 


Si  elle  voulait. 

*  Étalage. 

*  f  mis  Mes  trop. 

*  Peut  -et  re. 

*  Donne. 

*  A  coutume. 


0 


DE   LA   ROSE. 


99 


Et  sentira  que  de  douer 
Ne  li  ose  mes  sermoner, 
Lors  li  doit  prier  qu'il  li  preste, 
Et  li  jurt*  qu'ele  est  toute  preste 
De  le  li  rendre  à  jor  nomé 
Tel  cum  il  li  aura  doné  ; 
Mes  bien  est  par  moi  desfendu 
Que  jamès  riens  n'en  soit  rendu. 
«  Se  ses  autres  amis  revient , 
Dont  ele  a  plusors,  se  Dé  vient*, 
(Mais  en  nul  d'eus  son  cuer  n'a  mis, 
Tout  les  clame-ele*  ses  amis,) 
Si  se  complaingne*,  comme  sage, 
Que  sa  meillor  robe  est  en  gage, 
Et  queurt*  chascun  jor  à  usure, 
Dont  ele  est  en  si  grant  ardure, 
Et  tant  est  ses  cuers  à  mésèse, 
Qu'el  ne  fera  riens  qui  li  plèse 
Se  cil  ne  li  réant*  ses  gages; 
Et  li  valés*,  se  moult  n'est  sages, 
Por  quoi  pécune  li  soit  sorse*, 
Metra  tantost  main  à  la  borse, 
Uu  fera  quelque  chevissance* 
Dont  li  gage  auront  délivrance , 
Qui  n'ont  mestier  d'estre  réans*, 
Ains  sunt,  espoir,  trestuit  léans* 
Por  le  bacbeler*  enserré 
En  aucun  cofre  bien  ferré  : 
Qu'il  ne  li  chaut,  espoir,  s'il  cherche i 
Dedens  sa  huche  ou  à  sa  perche, 
Por  estre  de  li  miex  créue., 
Tant  qu'ele  ait  la  pécune  eue. 
Li  tiers  réserve  d'autel  lobe*; 
Ou  ceinture  d'argent,  ou  robe, 
Ou  guimple  lo*  qu'el  li  demande, 

B'.eu 


*  Et  qu'elle  lui  jure. 


*S'il  plait  à  Dieu. 

*  Bien  qu'elle  les  appelle. 

*  Et  qu'elle  se  plaigne. 

*  Court. 


*  Racheté. 

*  Jeune  homme. 

*  Arrivée. 

'Expédient. 


*  Qui  n'ont  besoin  d'être 
rachetés. 

"  Là -dedans. 

*  Jeune  homme. 


*  Car  il  ne  lui   importe, 
peut-être,  s'il  cherche. 


*  De  pareille  fable. 
'Je  conseille. 


* 


100 


LE    ROMAN , 


Et  puis  deniers  qu'ele  despende*; 

Et  s'il  ne  li  a  que  porter, 

Et  jurt* ,  por  li  reconforter, 

Et  fiance  *  de  pié ,  de  main , 

Qu'il  l'aportera  lendemain , 

Face-li  les  oreilles  sordes; 

Ne  croie  riens,  que  ce  sunt  bordes*  : 

Trop  sunt  tuit  apers*  mentéors. 

Plus  m'ont  menti  li  flatéors 

Et  fois  et  seremens  jadis, 

Qu'il  n'a  de  sainz  en  paradis. 

Au  mains  puisqu'il  n'a  que  poier*, 

Face  au  vin  son  gage  envoier 

Por  deus  deniers,  por  trois,  por  quatre, 

Ou  voise*  hors  aillors  esbatre. 

«  Si  doit  famé ,  s'el  n'est  musarde, 
Faire  semblant  d'estre  coarde, 
De  trembler,  d'estre  paoreuse, 
D'estre  destrainle*  et  angoisseuse, 
Quant  son  ami  doit  recevoir, 
Et  li  face  entendre  de  voir* , 
Qu'en  trop  grant  péril  le  reçoit, 
Quant  son  mari  por  li  déçoit, 
Ou  ses  gardes  ou  ses  parens  ; 
Et  que  se  la  chose  ert  parens* 
Qu'ele  vuet  faire  en  repostai  lie*, 
Morte  seroit  sans  mile  faille*. 
Et  jurt*  qu'il  ne  puet  demorer, 
S'il  la  devroit  vive  acorer*; 
Puis  demeurt*  à  sa  volenté, 
Quant  el  l'aura  bien  enchanté. 

Si  li  redoit  bien  sovenir, 
Quant  ses  amis  devra  venir, 
S'el  voit  que  nus  ne  l'aparçoive, 
Par  la  fenestre  le  reçoive , 
Tout  puist-ele  miex*  par  la  porte  ; 
Et  jurt  qu'ele  est  destruite  et  morte, 


*  Dépense. 

*  Qu'il  jure. 

*  Assure. 


*  Bourdes. 

*  Clairs 


Payer. 


*  Aille. 


*  Dans  l'embarras. 


*  I  rai. 


*  Apparente. 

*  Cachette. 

*  Faute. 

*  Qu'il  jure. 

*  Dût-il   lui   arracher  le 
cœur  vivante. 

"  Demeure  (sultj.)- 


'Bien  qu'elle  pût  mieux. 


\*- 


14764.)  DE  LA  ROSE.  101 


Et  que  de  li  seroit  néans, 

Se  l'en  savoit  qu'il  fust  léans*  :  *  Là-dedans. 

!Ve!  garroient*  armes  esmolues,  *Ne  le  garantiraient. 

Heaumes,  haubers,  pex*  ne  macues,  *  Pieux. 

Ne  husches  ne  clotes*  ne  chambres,  *  Enfoncements. 

Qu'il  ne  fust  dépeciés  par  membres. 

Puis  doit  la  dame  souspirer, 

Et  soi  par  semblant  aïrer*,  *  irriter. 

Et  l'assaille  et  li  core  sore*  ;  *  Et  lui  courir  sus. 

Et  die  que  si  grant  demore*  *  Retard. 

N'a-il  pas  faite  sans  raison, 

Et  qu'il  tenoit  en  sa  maison 

Autre  famé,  quel  qu'ele  soit , 

Dont  li  solas*  miex  li  plesoit,  *  Plaisir. 

Et  qu'ore*  est-ele  bien  traie,  *  Et  que  maintenant. 

Quant  il  l'a  por  autre  enbaïe*  ;  *  Haïe. 

Et  doit  estre  lasse  clamée*,  *  Malheureuse  appelée. 

Quant  ele  aime  sens  estre  amée. 

Et  quant  orra  *  ceste  parole ,  *  Ouïra. 

Cil  qui  la  pensée  aura  foie, 

Si  cuidera  tout  erraument*  *  Croira  tout  de  suite. 

Que  celé  l'aint*  trop  loiaument,  *  L'aime  (subj.). 

Et  que  plus  soit  de  li  jalouse 

C'onc  ne  lu  de  Vénus,  s'espouse, 

Vulcanus,  quant  il  l'ot  trovée 

Avecques  Mars  prise  provée. 

Es  laz*  qu'il  ot  d'arain  forgiés,  *  Lacs,  filets. 

Lestenoitandeustousdeuxenforsgiés*,   *  Liens. 

Ou  geu  d'amors  joinz  et  liés, 

Tant  les  ot  le  fol  espiés. 

Comment  Vulcanus  cspia 

Sa  femme,  et  moult  fort  la  lia 

D'un  laz  *  avec  Mars,  ce  me  semb'e,  .    "Lac,  lien. 

Quant  couchiés  les  trouva  ensemble. 

Sitost  cum  Vulcanus  ce  sot*,  *.s»/. 

Que  pris  provés  andeus*  les  ot  *  Tous  deux. 


102 


LE  ROMAN 


(V.     14796.) 


Es  laz*  qu'entor  le  lit  posa,  *Dans  Us  lacs. 

(Moult  fu  fox  quant  faire  l'osa  : 

Car  cil  a  moult  poi  de  savoir, 

Qui  seus  cuide*  sa  famé  avoir.) 

Les  Dieux  i  fist  venir  en  heste, 

Qui  moult  ristrent*  et  firent  teste, 

Quant  en  ce  point  les  aparçurent. 

De  la  biauté  Vénus  s'esmurent 

Tuit  li  plusor  des  dame-diex*, 

Qui  moult  faisoit  plaintes  et  diex* 

Comme  honteuse  et  corrocie, 

Dont  ainsinc  iert  prise  et  lacie*, 

C'onc  n'ot  honte  à  ceste  pareille  *. 

Si  n'iert-ce*  pas  trop  grant  merveille  , 

Se  Vénus  o*  Mars  se  metoit; 

Car  Vulcanus  si  lais  estoit, 

Et  si  charbonés  de  sa  forge, 

Par  mains  et  par  vis*  et  par  gorge, 

Que  por  riens  Vénus  ne  l'amast, 

Combien  que  mari  le  clamast*. 

Non  par  Dieu  pas,  se  ce  fut  ores" 

Absalon  o  ses  treces  sorcs*, 

Ou  Paris,  filz  le  roi  de  Troie, 

Ne  l'en  portast-el  jà  manoie*  : 

Que  bien  savoit  la  débonairc, 

Que  toutes  lames  sevent  faire: 

«  D'autre  part,  el  suut  franches  *nées  ;   *  labres. 

Loi  les  a  condicionées , 

Qui  les  oste  de  lor  franchises 

Où  Nature  les  avoit  mises  :     

Car  Nature  n'est  pas  si  sote 

Qu'ele  féist  nestre  Marote 

Tant  solement  por  Robichon  (1), 

(l)  Voyez  sur  les  personnages  populaires  de  Robin  et  Murion,  notre 
Théâtre  français  au  moyen  âge,  pag.  26-48. 


Qui  seul  croit. 


Rirent. 


*  Seigneurs  dieux. 

*  Deuil. 


*  De  ce  qu'ainsi  elle  était 
prise  et  enlacée. 
'  Car  jamais  il   n'y  eut 
honte  à  celle-là  pareille 
*  Et  n'était-ce. 


*  /  isage. 

*  L'appelât, 

*  Maintenant. 

*  Ulondes. 

*  Foreur. 


(T.    14829. 


DE  LA  ROSE. 


103 


Se  l'entendement  i  fichon, 

ÎSe  Robichon  por  Mariete 

JVe  por  Agnès  ne  por  Perrete  ; 

Ains  *  nous  a  fait,  biau  filz,  n'en  doutes, 

Toutes  por  tous  et  tous  por  toutes, 

Chascune  por  ehascuu  commune, 

Et  ehascuu  commun  por  chascune, 

Si  que  quant  eus  sunt  athées  *, 

Par  loi  prises  et  mariées, 

Por  oster  dissolucions 

Et  contens*  et  occisions, 

Et  por  aidier  les  norretures* 

Dont  il  ont  ensemble  les  cures*, 

Si  s'esforcent  eu  toutes  guises 

De  retorner  à  lor  franchises 

Les  dames  et  les  damoiseles , 

Quiex  quel  soieut,  lèdes  ou  bêles. 

Franchise  à  lor  pooir  maintienenl, 

Dont  trop  de  maus  vendront  et  vienent, 

Et  viudrent  à  plusors  jadis. 

Bien  en  nomberroie  jà  dis, 

Voire  cent;  mes  ge  les  trespasse*, 

Car  g'en  seroie  toute  lasse, 

Et  vous  d'oïr  tous  encombrés, 

Ains  que  g'es  *  eusse  nombres  ■ 

Car  quant  chascuns  jadis  véoit 

La  famé  qui  miex  li  séoit, 

Maintenant  ravir  la  vosist* , 

Se  plus  fors  ne  la  li  tosist*, 

Et  la  léssast,  s'il  li  pléust, 

Quant  son  voloir  fait  en  éust; 

Si  que  jadis  s'entretuoient, 

Et  les  norretures*  lessoient, 

Ains*  que  l'en  féist  mariages 

Par  le  conseil  des  homes  sages. 


'Mais. 


Fiancées. 


*  Contestations. 

*  Éducations. 

*  Soins. 


*  Passe. 


'Avant  que  je  les. 


*  L'aurait  voulu. 

"Enlevât. 


*  Educations. 

*  Avant. 


■104 


LE  ROMAN 


(v.     I48G4.) 


Et  qui  vodroit  Orace  croire , 
Bone  parole  en  dit  et  voire  *  ; 
Car  moult  bien  sot  lire  et  diter. 
Si  la  vous  voil  ci  *  réciter  : 
Car  sage  famé  n'a  pas  honte, 
Quant  bone  autorité  raconte. 
Jadis  au  temps  Hélène  furent 
Batailles,  que  les  c...  esmurent, 
Dont  cil  à  grant  dolor  périrent 
Qui  por  eus  les  batailles  firent; 
Mes  les  mors  n'en  sunt  pas  séues, 
Quant  en  escrit  ne  sunt  léues  (1)  : 
Car  ce  ne  fu  pas  la  première, 
Non  sera-ce  la  darrenière , 
Par  qui  guerres  vendront  et  vindrent 
Entre  ceus  qui  tendront  et  tindrent 
Lor  cuers  mis  en  amor  de  lame, 
Dont  maint  ont  perdu  cors  et  ame, 
Et  perdront,  se  li  siècles  dure. 
Mes  prenés  bien  garde  à  .Nature  : 
Car,  por  plus  elèrement  véoir 
Cum  ele  a  merveilleus  pooir*, 
Mainz  essamples  vous  en  puis  mètre, 
Qui  bien  font  à  véoir  en  letre. 


*  Véritable. 


*  Et  je  la  vous  veux  ici. 


*  Pouvoir. 


Cynousesl  donné  par  droicture 
Exemple  du  povoir  Nature. 


Li  oisillon  du  vert  boscage, 
Quant  il  est  pris  et  mis  en  cage, 


II)        Vixere  fortes  anle  àgamnenona 
Multi  :  sed  omnes  illacrimabiles 
Urgentur;  ignotique  longa 
Kocle,  carent  qui  a  vate  sncro. 
[Qninti  Horutii  Flaccci  Odurum  lib.  IV,  carra.  IX,  v.  25) 


(v.  14890.)  DE  LA  ROSE.  105 

TNorris  moult  ententivement 

Léans  *  délicieusement,  *  Là-dedans. 

Et  chante,  tant  cum  sera  vis*,  *  Fit,  en  rie. 

De  cuer  gai,  ce  vous  est  avis, 

Si  désire-il  les  bois  rames, 

Qu'il  a  naturelment  amés, 

Et  vodroit  sor  les  arbres  estre, 

.là  si  bien  n'el  saura-1'en  pestre  ; 

Tous  jours  i  pense,  et  s'estudie 

A  recovrer  sa  franche  vie. 

Sa  viande  à  ses  piez  démarche*,  *il  ftmle  aux  pieds  sa 

■        „      ,  .  ,.    ,        ,  nourriture. 

Por  1  ardor  qui  son  cuer  h  charche, 

Et  vet  par  sa  cage  traçant*,  *  Marchant. 

A  grant  angoisse  porchaçant 

Comment  fenestre  ou  pertuis  truisse*,    *  Trouve  (subj.). 

Par  quoi  voler  au  bois  s'en  puisse. 

Ausinc  sachiés  que  toutes  famés, 

Soient  damoiseles  ou  dames, 

De  quelconque  condicion, 

Ont  naturele  entencion 

Qu'el  cercheroient  volentiers 

Par  quex  chemins,  par  quex  sentiers, 

A  franchise*  venir  porroieut,  *  Liberté. 

Car  tous  jors  avoir  la  vorroient- 

Ausinc  vous  dis-ge  que  li  bon*  *  Que  l'homme. 

Qui  s'en  entre  en  religion, 

Et  vient  après  qu'il  s'en  repent, 

Par  poi  que  de  duel*  ne  sepent,  *Peu  s'en  faut  que  ac 

-r.  .  -, ,  chagrin. 

Et  se  complaint  et  se  démente*  -  Lamente. 

Si  que  tout  en  soi  se  tormente, 

Tant  li  sourt*  grant  désir  d'ovrer  *  rient. 

Comment  i!  porra  recovrer 

La  franchise  qu'il  a  perdue  ; 

Car  la  volenté  ne  se  mue*  *Ne  se  charge. 

Por  nul  habit  qu'il  puisse  prendre, 


106 


LE  ROMAN 


En  quelque  leu  qu'il  s'aille  rendre. 
C'est  li  fox*  poisson  qui  s'en  passe 
Parmi  la  gorge  de  la  nasse, 
Qui,  quant  il  s'en  vuet  retorner, 
Maugré  sien  l'estuet*  séjorner 
A  tous  jors  en  prison  léans*, 
Car  du  retorner  est  néans. 
Li  autres  qui  dehors  demorent , 
Quant  il  le  voient  si,  acorent 
Et  cuident  que  cil  s'esbanoie* 
A  grant  déduit  et  à  grant  joie, 
Quant  là  le  voient  tornoier, 
Et  par  semblant  esbanoier. 
Et  por  ice  méismement 
Qu'il  voient  bien  apertement* 
Qu'il  a  léans  assés  viande* 
Tele  eum  chascun  d'eus  demande, 
Moult  volentiers  i  enterroient*. 
Si  vont  entor,  et  tant  tornoient, 
Tant  i  hurtent,  tant  i  aguetent, 
Que  truevent  le  trou  et  s'i  getcnt  ; 
Mes  quant  il  sunt  léans*  venu, 
Pris  à  tous  jors  et  retenu, 
Puis  ne  se  puéent-il  tenir 
Que  hors  ne  voi lient  revenir, 
Là  les  convient  à  grant  duel*  vivre 
Tant  que  la  mort  les  en  délivre. 
«  Tout  autel  *  vie  va  quéraut 
Li  joues  bons,  quant  il  se  rent; 
Car  jà  si  grans  solers*  n'aura, 
Ne  jà  tant  faire  ne  saura 
Grant  chaperon  ne  large  aumuce*, 
Que  Nature  ou  cuer  ne  se  muce*. 
Lors  est-il  mors  et  mal-baillis* 
Quant  frans  estas  li  est  faillis, 


*  Le  sot. 


Malgré  lui  il  lui  faut. 
*  Là-dedans, 


*  Se  divertit. 


Clairement. 
'Nourriture. 


[  Entreraient. 


*  Là  dedans. 


* Il  lui  faut  en  grande 
douleur. 

*  Pareille. 


"Souliers. 

*  Ornement  Uu  tête. 

*Caehe. 

*  Maltraité. 


\\.    14960. 


DE  LA  ROSE. 


101 


S'il  ne  fait  de  neccessité 
Vertu,  par  grant  humilité; 
Mes  Nature  ne  puet  mentir, 
Qui  franchise  li  fait  sentir  : 
Car  Oraces  néis*  raconte,  *Même. 

Qui  bien  set  que  *  tel  chose  monte ,         *  A  quoi. 
Qui  vodroit  une  forche  prendre 
Por  soi  de  Nature  desfendre, 
Et  la  boteroit  hors  de  soi, 
Revendroit-ele,  bien  le  soi  (1). 
Tous  jors  Nature  retorra*, 
Jà  por  habit  ne  demorra. 
Que  vaut  ce  ?  Toute  créature 
Vuet  retoruer  à  sa  nature. 
Jà  n'el  lerra*  par  violence 
De  force  ne  de  convenance*. 
Ce  doit  moult  Vénus  escuser, 
Quant  voloit  de  franchise  user, 
Et  toutes  dames  qui  se  geuent*, 
Combien  que  mariage  veuent  ; 
Car  ce  lor  fait  Nature  faire , 
Qui  les  veut  à  franchise  traire*. 
Trop  est  fort  chose  que  Nature, 

Qu'el  passe  néis  norreture  *.  *  Même  éducation. 

«  Qui  prendroit,  biau  filz,  un  chaton 


'Retournera. 


*  Laissera. 

*  Bon  accord. 


*  Jouent. 


Itrcr, 


(I) 


Naturam  expellas  furca,  tamen  usque  recurret. 

(Horat.,^6.  I,  epist.  X,  v.  24.) 


Ce  que  La  Fontaine  a  dit  depuis  dans  la  fable  de  la  Chatte  métamor- 
phosée en  femme  : 


Coups  de  fourches  ni  d'étjivierea 
Ne  lui  font  changer  de  manières. 
Qu'on  lui  ferme  la  porte  au  nez, 
11  reviendra  parles  fenêtres. 


i.L.  D.  D.) 


108 


LE  ROMAN 


Qui  onques  rate  ne  raton 
Véu  n'auroit,  puis  fust  noris, 
Seus  jà  véoir  ras  ne  soris, 
Lonc  tens  par  ententive  cure 
De  délicieuse  pasture , 
Et  puis  véist  soris  venir, 
N'est  riens  qui  le  péust  tenir, 
Se  l'en  le  lessoit  eschaper, 
Qu'il  ne  l'alast  tantost  haper. 
Trestous  ses  mez  en  lesseroit, 
Jà  si  fameilleux*  ne  seroit; 
N'est  riens  qui  pez  entr'eus  i'éist, 
Por  poine  que  l'en  i  méist. 

Qui  norrir  un  polain  sauroit 
Qui  jument  véue  n'auroit, 
Jusqu'à  tens  qu'il  fust  grans  destriers 
Por  soffrir  seles  et  estriers, 
Et  puis  véist  jument  venir, 
Vous  l'orriés*  tantost  hennir; 
Et  verriés  contre  li  corre  *, 
S'il  n"iert*  qui  l'en  péust  rescorre**, 
Non  pas  morel*  contre  morele 
Solement,  mes  contre  fauvele*, 
Contre  grise,  contre  liarde*, 
Se  frain  ou  bride  n'el  retarde, 
Ou  qu'il  puisse  sus  eus  saillir  '; 
Toutes  les  vodroit  assaillir. 
Et  qui  morele  ne  tendroit, 
Tout  le  cours*  à  morel  vendroit, 
Voire  à  fauvel  ou  à  liart, 
Si  cum  sa  volenté  H  art*. 
Li  premiers  qu'ele  troveroit, 
C'est  cis*  qui  ses  maris  seroit, 
Qu'el  n'en  r'a  nules  espiées, 
Fors  que  les  truisse*  desliées. 


*  Affamé. 


*  l 'ou*  l'outriez, 
* Courre,  courir. 


*  S'il  n'était, 
empêcher. 

*  i>  bir. 

*  Fauve. 

*  Isabelle. 


'Sauter. 


'Secourir, 


Au  jnis  de  course- 


Brûle. 


'Celui. 


*  Sinon  qu'il  les  trouve. 


(v.  i5o>o.)  DE  LA  ROSE.  109 

Et  ce  que  ge  di  de  morele, 

Et  de  fauvel  et  de  fauvele, 

Et  de  liart  et  de  morel, 

Di-ge  de  vache  et  de  torel, 

Et  de  berbis  et  de  mouton  : 

Car  de  ceus  mie  ne  douton 

Qu'il  ne  voillent  lor  famés  toutes. 

Ne  jà  de  ce,  biau  filz,  ne  doutes, 

Que  toutes  ausiuc  tous  n'es*  voillent,      *JVe  les. 

Toutes  volentiers  les  acoillent. 

Aiusinc  est-il,  biau  filz,  par  m'ame! 

De  tout  home  et  de  toute  famé, 

Quant  à  naturel  apétit, 

Dont  loi  les  retrait*  un  petit.  "Retire. 

Un  petit!  mes  trop,  ce  me  semble; 

Car  quant  loi  les  a  mis  ensemble, 

Et  Vliet,  SOit  valés*  OU  pucele,  *  Jeune  homme. 

Que  cil  ne  puist*  avoir  que  celé,  *Que  celui-là  ne  puisse. 

Au  mains  tant  cum  ele  soit  vive, 
Ne  celé  autre  tant  cum  cil  vive , 

Mes  tOUtevois  *  SUUt-il  tenté  *  Toutefois. 

D'user  de  franche  volenté  : 

Car  bien  sai  que*  tel  chose  monte,  *  A  quoi. 

Si  s'en  gardent  aucuns  por  honte, 

Li  autre  por  paor  de  paiue; 

Mais  Nature  ainsinc  les  demaine*  *  Gouverne. 

Cum  les  bestes  que  ci  déismes. 

Ge  le  sai  bien  par  moi-méismes; 

Car  ge  me  sui  tous  jors  pénée 

D'estre  de  tous  homes  amée  ; 

Et  se  ge  ne  doutasse*  honte ,  *  Redoutasse. 

Qui  refreine*  mains  cuers  et  donte,        *iïent  en  bride. 

Quant  par  ces  rues  m'en  aloie, 

Car  tous  jors  aler  i  voloie 

D'aornemens  envelopée 

ROJU>    DE    r.A    KOSE.    —    T.     II.  10 


no 


LE  ROMAN 


(Por  noiant*  fust  uue  popée), 

Ces  valés*,  qui  tant  me  plesoient 

Quant  ces  dous  regars  me  fesoient , 

Douz  Diex  !  quel  pitié  m'en  preuoit. 

Quant  cis*  regars  à  moi  venoit! 

Tous  ou  plusors  les  recéusse, 

Si  lor  pléiist  et  ge  péusse. 

Tous  les  vosisse  tire  à  tire*, 

Se  ge  poisse*  à  tous  soffire  ; 

Et  me  sembloit  que  s'il  péussent , 

Yolentiers  tuit  me  recéussent. 

Je  n'en  met  hors  prélaz  ne  moines, 

Chevaliers,  borjois  ne  chanoines, 

Ne  clerc  ne  lai,  ne  fol  ne  sage, 

Por*  qu'il  fust  de  poissant  aage, 

Et  de  religions  saillissent*, 

S'il  ne  cuidassent  qu'il  faillissent, 

Quaut  requise  d'amors  m'eussent; 

Mes  se  bien  mon  penser  séussent 

Et  nos  condicions  trestoutes, 

Il  n'en  fussent  pas  en  tex*  doutes; 

Et  croi  que  se  plusor  osassent, 

Lor  mariages  en  brisassent , 

Et  de  foi  ne  lor  sovenist, 

Se  nus  à  privé*  me  tenist. 

Nus  n'i  gardast  condicion, 

Foi  ne  veu  ne  religion , 

Se  ne  fust  aucuns  forsenés* 

Qui  fust  d'amors  enchifrenés, 

Et  loialment  s'amie  amast. 

Cil,  espoir,  quite  me  clamast", 

Et  pensast  à  la  soe*  avoir, 

Dont  il  ne  préist  nul  avoir. 

Mes  moult  est  poi  de  tex*  amans, 

Si  m'aïst  Diex  et  sains  Amans, 


:  Néant,  rien . 
'Jeunes  rjenx. 


'Ce. 


"Je  les  voudrais  Ictus  l'un 
après  l'autre. 
*Sijc  pouvais. 


Pourvu. 

*  El  <le  maisonsreligieuses 

sortissent. 


Tels 


Eu  particulier. 


'Insensé. 


*  Celui-là    peut-être   me 
tiendrait  quitte. 

"  Sienne. 


*  l'eu  de  tels . 


(v.  15090.)  DE  LA  ROSE.  ill 

Comme  ge  croi  certainement, 

S'il  parlast  à  moi  longement , 

Que  qu'il  déist,  mençonge  ou  voir*,        *  Vérité. 

Trestout  le  féisse  esmovoir, 

Quex  qu'il  fust,  séculer  ou  d'ordre, 

Fust  ceint  de  cuir  roge  ou  de  corde , 

Quelque  chaperon  qu'il  portast, 

O*  moi,  ce  croi,  se  déportast** ,  *Avec.  ** Se  divertirait. 

S'il  cuidast  que  ge  le  vosisse*,  *  Voulusse. 

Ou  que,  sans  plus,  ge  le  soffrisse. 

Ainsinc  Nature  nous  justise*,  *  Punit. 

Qui  nos  cuers  à  délit*  atise,  *  Plaisir. 

Par  quoi  Vénus  de  Mars  amer 

A  maius  déservi*  à  blasmer.  *  Moins  mérité. 

«  Ainsinc  cum  en  tel  point  estoient 

Mars  et  Vénus,  qui  s'entr'amoient, 

Des  dieux  i  ot  mains  qui  vosissent*         *  Moins  qui  voulussent. 

Que  li  autre  diex  se  risissent 

En  tel  point  cum  il  font  de  Mars. 

Miex  vosist  puis  deux  mile  mars 

Avoir  perdu  dans*  Vulcanus,  *Sire. 

Que  cest  euvre  séust  jà  nus*  ;  *  \ul. 

Car  li  dui*  qui  tel  honte  en  orent,  *  Les  deux. 

Quant  il  virent  que  tuit  le  sorent, 

Firent  dès  lors  à  huis*  overt  "Porte. 

Ce  qu'il  faisoient  eu  covert. 

N'onques  puis  du  fet  n'orent  honte, 

Que  li  diex  tindrent  d'eus  lor  conte  , 

Et  tant  publièrent  la  fable, 

Qu'el  fu  par  tout  le  ciel  notable. 

S'en  fu  Vulcanus  plus  iriés*,  "Et  en  .fut  J'ulcain  plus 

Quant  fu  plus  li  fais  empiriés; 

N'onques  puis  n'i  pot  conseil  mètre, 

Ainsinc  cum  tesmoigne  la  letre. 

Miex  li  venist  estre  soffers, 


112  LE  ROMAN  (v.  15125.) 

Qu'avoir  au  lit  les  laz*  offers ,  *  Lacs,  liens. 

Et  que  jà  ne  s'en  esméust; 

Mes  faiusist*  que  riens  n'en  séust.  ^Feignit. 

S'il  vosist  avoir  bêle  chière*  *S'U  roulait  avoir  bonne 

mine. 

De  Vénus,  que  tant  avoit  chière. 

«  Si  se  devroit  cis*  prendre  garde        *  Celui-là. 
Qui  sa  faîne  ou  s'amie  garde, 
Et  par  son  fol  aguet  tant  euvre 
Que  provée  la  prent  sor  l'euvre  : 
Car  sache  que  pis  en  fera, 
Quant  prise  provée  sera  ; 
JNe  cil  qui  du  mal  félon  art*,  *  Brûle. 

Que  si  l'a  prise  par  son  art*,  *  Artifice. 

James  n'en  aura,  puis*  la  prise,  *  Depuis. 

Ne  biau  semblant  ne  bon  servise. 
Trop  est  fors  maus  que  jalousie, 
Qui  les  amans  art*  et  soussie;  *  Brûle,  consume. 

Mais  ceste  a  jalousie  faiute, 

Qui  faintement  fait  tel  complainte  *,        *  Telle  plainte. 
Et  amuse  ainsinc  le  musart. 
Quant  plus  l'amuse,  et  cil  plus  art. 

«  Et  s'il  ne  s'en  daigne  escondire*,      *  Fâcher. 
Ains  die*,  por  li  mètre  en  ire,  *  Mais  dise. 

Qu'il  a  voirement*  autre  amie,  *  Véritablement. 

Gart*  que  ne  s'en  corroce  mie.  *  Qu'elle  prenne  garde. 

Jà  soit  ce  que*  semblant  en  face,  "Quoique. 

Se  cil  autre  amie  porebace* ,  *  Acquiert. 

Jà  ne  li  soit  à  un  bouton  *  *  Q'r'l/i:  »f  *e  ,-s'"";'v  '"-v 

plus  que  d  un  bouton. 

De  la  ribaudie  au  glouton; 

Mes  face  tant  que  cil  recroie*,  'Croie  à  s<oi  tour. 

Por  ce  que  d'amer  ne  recroie* ,  *  Cesse. 

Qu'el  voille  autre  ami  porchacier*,  *  Acquérir. 

Et  qu'el  n'el  fait  fors*  por  chacier  *Si  ce  n'es/. 

Celi  dont  el  vuet  estre  estrange  : 

Car  bien  est  drois  que  s'en  estrange*,      "Éloigne. 


(v.     I5fG0.) 


DE  LA  ROSE. 


113 


Et  die  :  «  Trop  m'aves  mesfait, 
Vengier  m'estuet*  de  ce  mesfait; 
Puisque  vous  m'avés  faite  coupe*, 
Ge  vous  ferai  d'autel*  pain  soupe.  » 
Lors  sera  cil  en  pire  point 
Conques  ne  fu,  s'il  l'aime  point, 
Ne  ne  s'en  saura  déporter  *  ; 
Car  nus  n'a  pooir*  de  porter 
Grant  amor  ardamment  ou  pis*, 
S'il  n'a  paor  d'estre  acoupis*. 
Lors  resaille*  la  chamberière , 
Et  face  paoreuse  chière, 
Et  die  :  «  Lasse  !  mortes  somes. 
Mes  sires*,  ou  ne  sai  quex  homes, 
Est  entrés  dedens  nostre  court.  » 
Là  convient*  que  la  dame  court 
Et  entrelest*  toute  besoingue; 
Mes  le  valet  ainçois  repoiugne* 
En  four,  en  estable  ou  en  huche , 
Jusqu'à  tant  que  l'en  le  rehuche*. 
Quant  ele  iert*  ariers  là  venue, 
Cil  qui  désire  sa  venue, 
Vodroit  lors  estre  aillors,  espoir* , 
De  paor  et  de  désespoir. 

«  Lors  se  c'est  uns  autres  amis 
Cui*  la  dame  aura  terme  mis , 
Dont  el  n'ara  pas  esté  sage 
Qu'el  n'en  port  du  tout  le  musage* 
Combien  que  de  l'autre  li  membre  * 
Mener  le  puet  en  quelque  chambre 
Face  lors  tout  quanqu'il  vorra* 
Cil  qui  demorer  ne  porra, 
Dont  moult  aura  pesance  et  ire*  ; 
Car  la  dame  li  porra  dire  : 
«  Du  demorer  est-ce  néans  , 


"Me  faut. 

k  Faille. 
'De  tel. 


*  Divertir. 

*Nal  n'a  pouvoir. 

*  Dans  la  poitrine. 
* Cocu. 

*  Saute  à  sou  tour. 


*  Mon  maître. 

*  Il  faut. 

*  Laisse. 

*  Mais  le  jeune  homme  au- 
paravant cache. 

*  Rappelle. 

*  Sera. 

*Peut-(tre. 

*  A  qui. 

*  Le  retard. 

*  Souvient. 

*  Ce  qu'il  voudra. 

*  Souci  et  chagrin. 

10 


114 


LE  ROMAN 


«  Puisque  mes  sires*  est  céans, 

«  Et  quatre  miens  cousins  germains. 

«  Si  m'aïst*  Diex  et  sains  Germains, 

«  Quant  autre  fois  venir  porrés, 

«  Ge  ferai  quanque  vous  vorrés*  ; 

«  Mais  soffrir  vous  convient  à  tant*. 

«  Ge  m'en  revois  *,  car  l'en  m'atent.  » 

Mes  ainçois*  le  doit  hors  bouter, 

Qu'el  n'en  puist  huimès  riens  douter*. 

Lors  doit  la  dame  retorner, 

Qu'ele  ne  face  séjorner 

Trop  longement  l'autre  à  mésèse  , 

Por  ce  que  trop  ne  li  desplèse, 

Et  que  trop  ne  se  desconfort  *  ; 

Si  li  redoint*  novel  confort. 

Si  convient*  que  de  prison  saille**, 

Et  que  couchier  avec  li  s'aille 

Entre  ses  bras  dedans  sa  couche  ; 

Mes  gart*  que  sens  paor  n'i  couche. 

Face-li  entendant  et  die 

Qu'ele  est  trop  foie  et  trop  hardie, 

Quant  son  mari  por  li  déçoit, 

Et  el-méismes  se  déçoit, 

Et  jurt*  que  par  l'ame  son  père 

L'amor  de  li  trop  chier  compère*, 

Quant  se  met  en  tel  aventure , 

Jà  soit  ce  qu'el  *  soit  plus  séure 

Que  ceus  qui  vont  à  lor  talant* 

Par  chans  et  par  vignes  balant*  ; 

Car  délis*  en  séurté  pris 

Mains  est  plesant,  mains  a  de  pris. 

Et  quant  aler  devront  ensemble , 

Gart  que  jà  cil  à  li  n'assemble*, 

Combien  qu'il  la  tieugne  à  séjor*; 

Por  qu'ele  voie  cler  le  jor, 


*  Mon  mari. 

*  M'aide. 

*Tout  ce    que  vous  vou- 
drez. 
'  II  mus  faut  alors. 

*  Je  m'en  retourne. 

*  Auparavant. 

*  Désormais  rien  craindre. 


*  Xe  se  désole. 

*  Redonne. 

*  Et  il  faut.      **Sorte. 


Prenne  ijardc. 


i  Et  qu'elle  jure. 
'Paye. 

'Quoiqu'elle. 
"Gré,  désir. 
'  Dansant . 
"Plaisir. 


"  Qu'elle  prenne  garde 
que  celui-ci  ne  se  joigne 
a  elle.     *  En  repos'. 


(v.    15230. 


DE  LA  ROSE. 


n:> 


Qu'el  n'entrecloe  ains*  les  fenestres, 
Que  si  soit  umbragiés  li  estres*, 
Que  s'ele  a  ne  vice  ne  tache 
Sor  sa  char*,  que  jà  cil  n'el  sache. 
Gart  que  nule  ordure  n'i  voie, 
Qu'il  se  metroit  tautost  à  voie  * , 
Et  s'enfuiroit  keue  levée  : 
S'en  seroit  honteuse  et  grevée. 

«  Et  quant  se  seront  mis  en  l'uevre, 
Chascuns  d'eus  si  sagement  uevre* 
Et  si  à  point  que  il  conviengue 
Que  li  délis  ensemble  viengne 
De  l'une  et  de  l'autre  partie, 
Ains*  que  l'uevre  soit  départie**  (1); 
Et  si  se  doivent  entr'atendre 
Por  ensemble  à  lor  bone*  tendre. 
L'un  ne  doit  pas  l'autre  laissier, 
De  nagier  ne  doivent  cessier 
Jusqu'il  prengnent  ensemble  port  : 
Lors  auront  enterin  déport  * . 

«  Et  s'el  n'i  a  point  de  délit, 
Faindre  doit  que  trop  s'i  délit*, 
Et  faingne  et  face  tous  les  signes 
Qu'el  set  qui  sunt  au  délit  dignes, 
Si  qu'il  cuit*  que  celé  en  gré  prengne 
Ce  qu'el  ne  prise  une  chasteugne  (2). 

«  Et  s'il,  por  eus  asséurer, 


*  Qu'elle  n' entreferme  au- 
paravant. 

T  La  chambre. 


'Chair. 


En  chemin. 


*  Travaille. 


*  Avant.     ** Laissée. 


*  Borne,   Lut. 


*  Plaisir  complet. 


*  Délecte. 


'Tellement  qu'il  croie. 


W 


(2) 


Ad  metam  properate  simul  :  tune  plena  voluptas, 
Quum  pariter  victi  femina  virque  jacent. 

(OviD.,  Artis  amatoriœ  lib.  II,  v.  727.) 
Tu  quoque,  cui  Veneris  sensum  natura  negavit, 

Dulcia  mendaci  gaudia  linge  sono. 
Infelix,  cui  torpet  hebes  locus  ille,  puella  es, 

Quo  pariter  debent  femina  virque  frai  ! 
Tantum,  quum  linges,  ne  sis  manifesta  caveto. 

(/&«?.,  lib.  III,  V.  797.) 


116 


LE  ROMAN 


Puet  vers  la  dame  procurer 
Qu'ele  viengne  à  son  propre  ostel  *, 
Si  r'ait  la  dame  propos  tel 
Le  jor  qu'el  devra  Terre  prendre*, 
Qu'el  se  face  un  petit  atendre, 
Si  que  cil*  en  ait  grant  désir 
Ains*  que  la  tiengue  à  son  plésir. 
Gieus  d'amors  est,  quant  plus  demore*, 
Plus  agréable  qu'à  droite*  hore  : 
S'en  sunt  cil  mains  entalenté  *, 
Qui  les  ont  à  lor  volenté. 
Et  quant  iert  à  l'ostel  *  venue, 
Où  taut  sera  chière  tenue, 
Lors  li  jurt*  et  li  face  entendre 
Qu'au  jalons  se  fait  tant  atendre , 
Qu'ele  en  frémist  et  tremble  toute, 
Et  que  trop  durement  se  doute* 
D'estre  lédengiée*  et  batue, 
Quant  ele  iert*  ariers  revenue; 
Mes  comment  qu'ele  se  démente*, 
Combien  que  die  voir*,  ou  mente, 
Prengne-en  paor*  séurement, 
Séurté  paoreusement, 
Et  facent  eu  lor  priveté* 
ïrestoute  lor  joli  voté*. 

«  Et  s'el  n'a  pas  loisir  d'aler 
A  son  ostel  à  li  parler, 
Ne  recevoir  ou  sien*  ne  l'ose, 
Tant  la  tient  li  jalous  enclose, 
Lors  le  doit,  s'el  puet ,  enivrer, 
Se  miex*  ne  n'en  set  délivrer. 
Et  se  de  vin  n'el  puet  faire  yvre, 
D'erbes  puet  avoir  une  livre, 
Ou  plus  ou  mains,  dont  sens  dangier 
Li  puet  faire  boivre  ou  mangier  : 


*  Logis. 

*  Se  mettre  en  route. 

*  De  façon  à  ce  que  celui 
là. 

"Avant. 

*  Tarde. 

*  Légitime. 

*  Et  en  sunt  ceux-là  moins 
désireux. 

*  Sera  au  logis. 

*  Alors  qu'elle  lui  jure. 


*  Fortement  redoute. 
* Vilipendée. 

*  Sera . 

*  Lamente 

*  Dise  vrai. 

*  Qu'elle  en  prenne  peur. 

*  En  leur  particulier. 

*  Plaisir. 


'Dans  le  sien. 


*  Si  mieux. 


(v.  15292.)  DE  LA  ROSE.  \\1 

Lors  dormira  cil  si  formant  * ,  *  Fortement. 

Qu'il  li  lerra*  l'aire  en  dormant  *  Laissera. 

Trestout  quanque  celé  vorra  *,  *  Tout  ce  que  celle-là  voit- 

Car  destorner  ne  l'en  porra. 

De  sa  mesnie*,  s'elel'a,  *  Maison. 

Envoit  ci*  l'un,  et  l'autre  15,  *  Qu'elle  envoie  ici. 

Ou  par  légiers  dons  les  déçoive, 

Et  son  ami  par  eus  reçoive. 

Ou  les  repuet*  tous  abevrer,  *Peut  encore. 

Se  du  sccré  les  vuet  sevrer; 

Ou,  s'il  li  plest,  au  jalous  die  : 

«  Sire,  ne  sai  quel  maladie, 

Ou  fièvre  ou  goûte  ou  apostume, 

Tout  le  cors  m'embrase  et  alume  ; 

Si  m'estuet*  que  j'aille  as  estuves.  *  Et  n  faut. 

Tout  aions-nous*  céans  deus  cuves,         ''Bien  que  nous  ayons. 

N'i  vaudroit  riens  baing  sens  estuves  : 

Por  ce  convient*  que  ge  m'estuves.  »      *Pour  cela  il  faut. 

Quant  li  vilains  aura  songié, 

Li  donra-il,  espoir*,  congié,  *  Peut-être. 

Combien  qu'il  face  lède  cbière*;  *Mine. 

Mes  qu'ele  maint*  sa  chamberière ,         *  Pourvu  qu'elle  mène. 

Ou  aucune  soe*  voisine,  *  Sienne. 

Qui  saura  toute  sa  couvine*,  *  Affaire. 

Et  son  ami,  espoir,  r'aura, 

Et  celé  ausinc  tout  resaura. 

Lors  s'en  ira  cbés  l'estuvier*,  * L'étuvîste. 

Mes  jà  ne  cuve  ne  cuvier 

Par  aventure  n'i  querra  *  ;  *  Cherchera. 

Mes  o*  son  ami  se  gerra**,  *  Avec.     ** Couchera. 

Se  n'est,  por  ce  que  bon  lor  semble, 

Que  baignier  se  doivent  ensemble  : 

Car  il  la  puet  ilec*  atendre ,  *  Là. 

S'il  set  que  celé  part  doit  tendre. 

«  Nus  *  ne  puet  mètre  en  famé  garde,   *  Nul. 


118  LE  ROMAN  (v.  15327.) 

S'ele-méisme  ne  se  garde  : 

Se  c'iert*  Argus  qui  la  gardast,  *Si  c'était. 

Qui  de  ses  cent  iex  l'esgardast*,  *  La  regardât. 

Dont  l'une  des  moitié  veilloit, 

Et  l'autre  moitié  sommeilloit, 

Quant  Jupiter  li  fist  trenchier 

Le  chief*,  por  Yo  revenchier  *  La  tête. 

Qu'il  avoit  en  vache  muée , 

De  forme  humaine  desnuée*,  *  Privée. 

(Mercurius  le  li  trencha 

Quant  de  Juno  la  revencha,) 

N'i  vaudroit  sa  garde  mes  riens  : 

Fox  est  qui  garde  tel  mesriens*.  "  Merrain. 

«  Mais  gart  que  jà  ne  soit  si  sote, 
Por  riens  que  clers  ne  lais*  li  note,         *  Laïque. 
Que  jà  riens  d'enchantement  croie, 
Ne  sorcerie  ne  charroie*,  *  Charme. 

Ne  Balenus  ne  sa  science, 

Ne  magique  ne  uigromance  *,  *  Nécromancie. 

Que  par  ce  puist*  home  esmovoir  *  Puisse. 

A  ce  qu'il  l'aint  par  estovoir* ,  *  L'aime  par  force. 

Ne  que  por  li  mile  autre  liée"  :  'finisse. 

Onques  ne  pot  tenir  Médée 
Jason  por  nul  enchantement  ; 

JN'onc  Circé  ne  tint  ensement*  *  Pareillement. 

Ulixes  qu'il  ne  s'enfoïst, 

Por  nul  sort  que  faire  poïst*.  *  Quelque  conjuration  que 

c-        vc        *       »<        1  *  faire  pût. 

«  Si  gart  famé*  qu  a  nul  amant,  *  Que  femme  garde. 

Tant  l'aille  son  ami  clamant*,  *  Appelant. 

Ne  doingne*  don  qui  gaires  vaille  :  *  \e  donne. 

Bien  doiut  orillier  ou  toaille*,  "Serviette. 

Ou  cuevrechief  ou  aumosuière, 

Mrs  qu'el  ne  soit  mie  trop  chière , 

Aguillier  ou  laz*  ou  ceinture,  *  Lacs,  lacets. 

Dont  poi*  vaille  la  ferréure,  *  Peu. 


(v. 


DE   LA   ROSE. 


119 


'Toile,  mouchoir. 


'Du  mon  ri,'. 


Ou  un  biau  petit  coutelet, 

Ou  de  fil  un  biau  linsselet*, 

Si  cum  font  nonains  par  coustume  (1)  ; 

Mais  fox  est  qui  les  acoustume. 

Miex  vient  famés  du  siècle*  amer  : 

L'en  ne  s'en  fait  pas  tant  blasmer, 

Si  vont  miex  à  Ior  volentés: 

Lor  maris  et  Ior  parentés 

Sevent  bien  de  paroles  pestre  ; 

Et  jà  soit  (ce  que  ne  puist  estre) 

Que  l'un  et  l'autre  trop  ne  coust, 

Trop  sunt  nonains  de  graindre*  coust. 

Mes  hons*  qui  bien  sage  seroit, 

Tous  dons  de  famés  douteroit*  : 

Car  dons  de  famé,  à  dire  voir*, 

JNe  sunt  fors  laz  *  à  décevoir  ; 

Et  contre  sa  nature  pèche 

Famé  qui  de  largesce  a  teche*. 

Lessier  devons  largesce  as  homes  : 

Car  quant  nous,  famés,  larges  somes, 

C'est  grant  meschéance  *  et  grans  vices.   *  Malheur. 

Déables  nous  ont  fait  si  nices*!  * Simples. 

Mes  ne  m'en  chaut*;  il  n'en  est  guières  *  Mais  il  ne. m'importe. 

Qui  de  don  soient  coustumières. 

De  tiex*  dons  cum  j'ai  dit  devant ,  *  De  tels. 

Mes  que  ce  soit  en  décevant, 


*  Plus  grand. 

*  Homme. 

*  Craindrait. 

*  r- 

t  rai. 
*Lact,  filets. 

*  Qualité. 


(I)  D'un  aulrecôté,  Robert  de  Blois  défend  aux  dames  d'accepter  des 
cadeaux,  si  ce  n'est  de  parents  : 

S'aucuns  païen/,  vous  veut  doner 

Joiel,  n'el  devés  refuser, 

Belc  corroie  ou  biau  coûte!, 

Auinosniere,  afiehe  *  ou  anel,  "Broche. 

Mes  qu'il  n'i  ait  entencion 

Entre  vous  «leus  se  de  bien  non,  etc. 

Le  Chastiement  des  dames,  v.  233.  [Fabliaux  et  Contes, 
édit.  de  Méon,tom.  II,  p.  ioi.J 


120  LE   ROMAN  (v.   losss.) 

Eiau  filz,  poés-vous  bien  user 

Por  les  musars  miex  amuser  ; 

Et  gardés  quanque  l'eu*  vous  done;        *Tout  ce  que  l'on. 

Et  vous  soviengne  de  la  boue*    .  *  Borne,  but. 

Où  trestoute  jonesce  tent, 

Se  chascun  pooit  vivre  tant  : 

C'est  de  viellesce  qui  ne  cesse, 

Qui  chascun  jor  de  nous  s'apresss*,         *  S'approche. 

Si  que  quant  là  serés  venus, 

Ne  soies  pas  por  fol  tenus; 

Mes  soies  d'avoir  si  garni, 

Que  point  ne  SOiés  escharni*  :  *  Tourné  en  ridicule. 

Car  aquerre,  s'il  n'i  a  garde, 

Ne  vaut  pas  un  grain  de  mostarde. 

Ha,  lasse*!  ainsinc  n'ai-ge  pas  fait  :        'Malheureuse. 

Or*  sui  povre  par  mon  fol  fait.  *  Maintenant. 

«  Les  grans  dons  que  cil  me  donoient 

Qui  tuit  à  moi  s'abandonoient, 

Au  miex  amé  abandonoie. 

L'eu  me  donoit ,  et  ge  donoie , 

Si  que  n'en  ai  riens  retenu. 

Doner  m'a  mis  au  pain  menu  ; 

Ne  me  sovenoit  de  viellesce, 

Qui  or  m'a  mis  en  tel  destresce. 

De  povreté  ne  me  tenoit  ; 

Le  tens  ainsinc  cum  il  venoit 

Lessoie  aler,  sans  prendre  cure*  *  Soin. 

De  despens  faire  par  mesure. 

Se  ge  fuisse  sage,  par  m'ame! 

Trop  eusse  esté  riche  dame  : 

Car  de  trop  grans  gens  fui  acointe ,         *  Je  fus  liée  avec  de  trop 

,.        . .  r/randes  gens. 

Quant  g  1ère  ja  *  mignote  et  comte**  !     *  J'étais  déjà.  ""Élégante. 

Et  bien  en  tenoie  aucuns  pris; 

Mes  quant  j'avoie  des  uns  pris, 

Foi  que  doi  Dieu  et  saint  Tibaut, 


(v.    15423.) 


DE   LA   ROSE. 


■121 


Trestout  donoie  à  un  ribaut 
Qui  trop  de  honte  me  faisoit, 
Mes  c'iert  cis*  qui  plus  me  plaisoit. 
Les  autres  tous  amis  clamoie*, 
Mes  li  tant  solement  amoie; 
Mes  sachiés  qu'il  ne  me  prisoit 
Un  pois,  et  bien  me  le  disoit. 
Mauves  iert*,  onques  ne  vis  pire, 
One  ne  me  cessa  de  despire*  ; 
Putain  commune  me  clamoit 
Li  ribaus,  qui  point  ne  m'amoit. 
Famé  a  trop  povre  jugement, 
Et  ge  fui  famé  droitement*. 

«  One  n'amai  home  qui  m'amast, 
Mes  se  cis  ribaus  m'entamast 
L'espaule,  ou  ma  teste  éust  quasse*, 
Sachiés  que  ge  l'en  merciasse. 
Il  ne  me  séust  jà  tant  batre , 
Que  sor  moi  n'el  féisse  embatre*  ; 
Qu'il  savoit  trop  bien  sa  pez  faire, 
Jà  tant  ne  m'éust  fait  contraire*. 
Ne  jà  tant  m'éust  mal  menée 
Ne  batue  ne  traînée, 
Ne  mon  vis*  blecié  ne  nerci, 
Qu'ainçois  *  ne  me  criast  merci 
Que  de  la  place  se  meust, 
Jà  tant  dit  honte  ne  m'éust, 
Que  de  pex*  ne  m'amonestast, 
Et  que  lors  ne  me  rafaitast*  : 
Si  r'avions  et  pez  et  concorde. 
Ainsinc  m'avoit  prise  à  sa  corde , 
Car  trop  estoit  fiers  rafaitierres 
Li  faus,  li  traïstres,  li  lierres*. 
Sens  celi  ne  poïsse*  vivre, 
Celi  vosisse*  tous  jors  sivre; 


C'était  celui. 
*  Appelais. 


*  Était. 

*  Mépriser. 


*  El  je  fus  femme  sûîv- 
ment. 


*  Cassée. 


Met  Ire. 


'Contrariété. 


*  Visage. 

*  Qu'auparavant. 


*  Pieux,  bâtons, 

*  Caressât. 


*  Larron. 

*Sans  celui-là  ne  pourrais. 

*  Celui-là  je  voudrais. 

11 


122 


LE   ROMAN 


15459.) 


S'il  foïst,  bien  l'alasse  querre*  *  chercher. 

Jusqu'à  Londres  en  Engleterre. 

Tant  me  plut  et  tant  m'abéli*, 

Qu'à  honte  me  mist,  et  je  !i  : 

Car  il  menoit  les  graus  aviaus  * 

Des  dons  qu'il  ot  de  moi  tant  biaus. 

Ne  n'en  metoit  nus  en  espernes  * , 

Tout  jooit  as  dez  en  tavernes; 

N'onques  n'aprist  autre  mestier, 

K'il  ne  l'en  iert  lors  nul  mestier*, 

Car  tant  li  livroie  à  despendre*, 

Et  ge  l'avoie  bien  où  prendre  : 

Tous  li  mondes  iert  mes  rentiers, 

Et  il  despendoit  volentiers , 

Et  tous  jors  iert  eu  ribaudie, 

Trestout  frioit  de  lécherie*. 

Tant  par  avoit  la  bouche  tendre, 

C'onc  ne  volt*  à  nul  bien  entendre; 

N'onc  vivre  ne  l'i  abélit* 

Fors  en  oiseuse  et  en  délit*. 

En  la  lin  l'en  vi  mal-bailli*, 

Quant  li  dons  me  furent  failli  : 

Povres  devint  et  pain  quérant, 

Et  ge  n'oi  vaillant  un  seran*, 

N'onques  n'oi  seignor  espousé*. 

Lors  m'en  vins,  si  cum  dit  vous  é, 

Par  ces  buissons  gratant  mes  temples. 

«  Cis  miens  estaz  vous  soit  essamples, 
Biau  douz  filz,  et  le  retenez. 
Si  sagement  vous  démenez, 
Que  miex  vous  soit  de  ma  mestrie*  ;       * Science. 
Car  quant  votre  Rose  iert  flestrie, 

Et  les  chanes*  VOUS  assaudront,  ''Cheveux  blancs. 

Certainement  li  don  failliront*.  »  *  Manqueront. 


Me  convint. 


*  Prodigalités. 


'  Epargnes. 


*  Ni  il  ne  lut  en  était  alors 
nul  besoin. 
'  Dépenser. 


"Etait  ardent  de  débau- 
che. 

*  Que  jamais  il  ne  voulut. 
"■Plut, 

"Si  ce  n'eut  en  oisiveté  et 

eu  plaisir. 

"En  mauvaise  situation. 


'  Peigne  de  fer. 
Piijamaisje  n'eus  épou- 


154 y 3.) 


DE  LA    ROSE. 


123 


V  Acteur. 


Ainsiuc  la  Vielle  a  sermoné. 
Bel-Acueil,  qui  mot  n'a  soné, 
Très-volentiers  tout  escouta. 
De  la  Vielle  mains  se  douta 
Qu'il  n'avoit  onques  fait  devant, 
Et  bien  se  vet  aparcevant 
Que,  se  ne  fust  por  Jalousie 
Et  ses  portiers ,  où  tant  se  fie, 
Au  mains  les  trois  qui  li  demorent, 
Qui  tous  jors  par  le  chastel  corent 
Tuit  forsené  *  por  le  desfendre, 
Légier  fust  le  chastel  à  prendre  *  ; 
Mes  jà  n'iert  pris  si  cum  il  cuide  *, 
Tant  i  metent  cil  grant  estuide. 
De  Maie-Bouche  qui  mors  iere*, 
Ne  faisoit  nus  d'eus  lède  chière*, 
Qu'il  n'iere  point  léans*  amés; 
Tous  jors  les  avoit  disfamés 
Vers  Jalousie,  et  tous  trais, 
Si  qu'il  ert  si  forment*  haïs, 
Qu'il  ne  fust  pas  d'un  ail  raiens* 
De  nus  qui  demorast  laiens  *, 
Se  n'iert,  espoir*,  de  Jalousie. 
Celé  amoit  trop  sa  janglerie*. 
Volentiers  li  prestoit  l'oreille, 
Si  r'iert-ele  triste  à  merveille 
Quant  li  lerres  chalemeloit*. 
Qui  nule  riens  ne  li  céloit 
Dont  il  li  poïst  so venir, 
Por  quoi  maus  en  déust  venir. 
Mes  de  ce  trop  grant  tort  avoit 
Qu'il  disoit  plus  qu'il  ne  savoit, 
Et  tous  jors  par  ses  flateries 


*  Insensés. 

"  Il  fût  aisé  de  prendre  Je 
château. 

"  Vais  jamais  ne  sera  pris 
comme  il  croit. 


*  Était. 
*Mne. 

*  Là-dedaïu. 


*  Fortement. 

*  Racheté. 
Là-dedans. 

*  Si  ce  n'était  peut- cire. 

*  Caquet. 


:  Larron  publiait. 


124 


LE  ROMAN 


(V.    15526.) 


Ajoustoit  as  choses  oies; 
Tous  jors  acroissoit  les  uoveles, 
Quant  el  n'ierent*  boues  ne  bêles, 
Et  les  boues  apetissoit. 
Ainsinc  Jalousie  atisoit, 
Comme  cil  qui  toute  sa  vie 
Usoit  en  jangle*  et  en  envie. 
N'onques  messe  chauter  n'en  firent, 
Tant  fureut  liez*  quant  mort  le  virent. 
Riens  n'ont  perdu,  si  cum*  lor  semble; 
Car,  quant  mis  se  seront  ensemble, 
Garder  cuident  si  la  porprise* , 
Qu'el  n'aura  garde  d'estre  prise, 
S'il  i  venoit  cinq  cens  mil  homes. 


N'étaient. 


*  Caquet. 

*  Joyeux. 

*  Ainsi  que. 

*  L'enclos. 


Les  (rois  Portiers. 


«  Certes,  font-il,  poi*  poissant  somes, 
Se  sens  ce  larron  ne  savons 
Garder  tout  quanque*  nous  avons. 
Ce  faus  traître,  ce  truant, 
Aut  s'ame  ou*  feu  d'enfer  puant 
Qui  la  puist  ardoir*  et  destruire! 
Onques  ne  lîst  céans  fors*  nuire.  » 


*Peu. 

*  Ce  que. 

*  Aille  son  âme  au . 

*  Qui  la  puisse  brûler. 

*  Si  ce  n'est. 


V  Jeteur 


Ce  vont  li  trois  portier  disant  ; 
Mes,  que  qu'il  aillent  devisant, 
Forment*  en  sunt  afébloié**. 
Quant  la  Vielle  ottant  fabloié*, 
Bel-Acueil  reprent  la  parole; 
A  tart  comence  et  poi  parole*, 
Et  dist  comme  bien  enseigniés. 


'Fortement.    * *. 7/ faiblis. 

*  Parle,  conté. 

*  Peu  parle. 


15554.) 


DE  LA   ROSE. 


125 


Bel-Acueïl. 


«  Madame,  quant  vous  m'enseigniés 
Vostre  art  si  débonairement, 
Je  vous  eu  merci  bonemeut  ; 
Mes  quant  parlé  m'avés  d'amer, 
Des  dous  maus  où  tant  a  d'amer, 
Ce  m'est  trop  estrange  matire*. 
Riens  n'en  sai  fors*  par  oïr  dire, 
Ne  jamès  n'eu  quier*  plus  savoir. 
Quant  vous  me  reparlés  d'avoir 
Qui  soit  par  moi  grans  amassés , 
Ce  que  j'ai  me  soffist  assés; 
D'avoir  bêle  manière  et  gente, 
Là  voil-ge  bien  mètre  m'entente*. 
De  magique,  l'art  au  déable, 
Je  n'en  croi  riens,  soit  voir*  ou  fable; 
Mes  du  valet*  que  vous  me  dites, 
Où  tant  a  bontés  et  mérites, 
Que  toutes  grâces  li  acorent*, 
S'il  a  grâces,  si  li  demorent*. 
Ge  ne  bé  *  pas  que  soient  moies**, 
Ains  les  li  quit;  mes  toutevoies* 
N'el  hé-ge*  pas  certainement; 
Ne  ne  l'aim  pas  si  finement, 
Tout  aie-ge  pris  son  chapel , 
Que  por  ce  mon  ami  l'apel, 
Se  n'est  de  parole  commune , 
Si  cum  chascuns  dist  à  chascune  : 
Bien  puissiés-vous  venir,  amie! 
Amis,  et  Diex  vous  bénéie! 
Ne  que  ge  l'aime  ne  honor, 
Se  n'est  par  bien  et  par  honor. 
Mes  puisqu'il  le  m'a  présenté, 
Et  recéu  son  présenté, 


*  Matière. 

*  Si  ce  n'est. 

*  Feux. 


Mon  attention. 


'Frai. 
''Jeune  homme. 


*  Accourent  à  lui. 

*  Qu'elles  lui  demeurent. 

*  Dcsirc.     *  *  Mien  nés. 

*  Au  contraire  je  les  lui 
abandonne  ;  mais  toute- 
fois. 

*  Je  ne  haïs. 


11. 


126 


LE  ROMAN 


15537.) 


Ce  me  doit  bien  plaire  et  seoir. 

S'il  puet,  si  me  viengne  véoir, 

S'il  a  de  moi  véoir  talent*  : 

Il  ne  me  trovera  jà  lent 

Que  n'el  reçoive  voleutiers, 

Mes  que  ce  soit  endementiers* 

Que  Jalousie  iert*  hors  de  vile, 

Qui  forment*  le  het  et  avile; 

Si  dout-ge,  comment  qu'il  aviengne, 

S'il  vient  céans,  qu'el  n'i  sorviengne  : 

Car  puis  qu'ele  a  fait  emmaler* 

Tout  son  bernois  por  hors  aler, 

Et  de  remaindre  ai-ge  congié*, 

Quant  sor  son  chemin  a  songié, 

Sovent  à  mi-voie  retorne, 

Et  tous  nous  tempeste  et  bestorne*; 

Et  s'el  i  vient  par  aventure, 

Tant  est  vers  moi  crueuse*  et  dure, 

S'ele  le  puet  céans  trover, 

N'eu  puist-ele  jà  plus  prover. 

Se  sa  cruauté  remembrés*, 

Ge  serai  tous  vis*  desmcmbrés.  » 


*Désir,  envie. 


*  Pendant. 
*Sera. 

*  Fortement. 


''Emballer. 


"Et  de  rester  ai-je  per- 
mission . 


Bouleverse. 


'Cruelle. 


*  Rappelé:. 
*F'if. 


V  Acteur. 

Et  la  Vielle  moult  l'asséure. 

La  f  teille. 


«  Sor  moi,  dist-ele,  soit  la  cure*,         •   *Le  soin. 

De  l'i  trover  est-ce  néans, 

Et  fust  Jalousie  céans  : 

Car  ge  sai  tant  de  repostaille*,  *  Cachette. 

Que  plustost  en  un  tas  de  paille, 

Si  m'aïst  Diex*  et  sains  Rémi,  *Si  Dieu  m'aide. 


DE   LA   ROSE. 


127 


Troveroit  un  oef  de  frémi*,  *  Fourmi. 

Que  celi*,  quant  repost*  l'auroie,  "Celui-là. 

Si  bien  repondre*  le  sauroie.  »  *  Cacher. 

Bel-Acueil. 

«  Dont  voil-ge  bien,  dist-il,  qu'il  viengne, 

Mes  que  sagement  se  contiengne, 

Si  qu'il  se  gart  de  tous  outrages.  »  *  Excès. 

La  fieille. 

«  Par  la  char  Dieu*,  tu  dis  que  sages,    * Chair  de  Dieu. 
Cum  preus  et  cum  bien  apensés  *,  *Héfiéchi. 

Filz,  qui  tant  vaus  et  qui  tans  ses.  » 


** Caché. 


V  Acteur. 

Lor  parole  à  tant  faillirent*, 
D'ilec  adonc  se  départirent*  ; 
Bel-Acueil  en  sa  chambre  va, 
Et  la  Vielle  ausiuc  se  leva 
Por  besoingner  par  la  mèson. 
Quant  vint  leus  et  tens  et  sèson 
Que  la  Vielle  peut  sol  choisir* 
Bel-Acueil,  si  que  par  loisir 
Péust-1'en  bien  à  li  parler, 
Les  degrés  prent  à  dévaler*, 
Tant  que  de  la  tor  est  issue* ; 
IN'onques  ne  cessa  puis  l'issue* 
Jusqu'à  mon  hostel  de  troter. 
Por  moi  la  besoingne  noter, 
Vint-s'en  à  moi  lasse  et  tagans* 


*  A  lors  finirent. 

*  Delà  alors  ils  partirent. 


*  Apercevoir. 


*  Descendre. 
* Sortie. 

*  Depuis  l'issue. 


'Abattue. 


La  Pie  il  le. 
«.  Viens-ge,  dist-ele,  à  point  as  gans*,     *  Aux  gens. 


128  LE   ROMAN  (v.  issu.) 

Se  ge  vous  di  bones  noveles 
Toutes  fresches,  toutes  noveles?  » 

V  Amant. 

a  Asgans!  dame,  ainsvous  di  sens  lobe*,    *  Mensonge. 

Que  vous  aurés  mantel  et  robe , 

Et  chaperon  à  penne*  grise,  *  Bordure. 

Et  botes  à  vostre  devise*,  *Gré. 

Se  me  dites  chose  qui  vaille.  » 

Lors  me  dist  la  Vielle  que  j'aille 

Sus  au  chastel,  où  l'en  m'ateut  : 

Ne  s'en  volt*  pas  partir  à  tant**,  *  Voulut.     **  Alors. 

Ains*  m'aprist  d'entrer  la  manière.  »       *Mais. 

Comment  la  Vieille  la  manière 

D'entrer  au  fort  par  l'huys  *  derrière       *  Furie. 

Enseigna  l'Amant  à  bas  ton, 

Par  ses  promesses,  sans  nul  don  ; 

Et  l'iustiuisit  si  sagement, 

Qu'il  y  entra  secrètement. 

«  Vous  enterrés  par  l'uis  *  derrière,         * r,vi*  entrerez  par  la 

1  porte. 

Dist-ele,  et  g'el  vous  vois*  ovrir  *  Jais. 

Por  miex  la  besoingne  covrir. 

Cis  passages  est  moult  covers, 

Sachiés  cis  uis*  ne  fu  overs  *  Sachez  que  cette  porte. 

Plus  a  de  deux  mois  et  demi.  » 

V  Amant. 

«  Dame,  Os-ge,  par  saint  Rémi  ! 

Coust*  l'aune  dix  livres  ou  vint,  *  Coûte  (subj.). 

(Car  moult  bien  d'amis  me  souvint 

Qui  me  dist  que  bien  proméisse , 

Néis  se  rendre  ne  poïsse*,)  * Mémesirendrene pusse. 

Bon  drap  aurés,  ou  pers*  ou  vert,  *  Bien. 

Si  ge  puis  trover  l'uis  *  ouvert.  »  *  La  porte. 


(v.    lôGcr. 


DE  LA   ROSE. 


129 


La  Vielle  à  tant  *  de  moi  se  part. 
Ge  m'en  revois*  de  l'autre  part 
A  l'uis  derrière  où  dit  m'avoit, 
Priant  Dieu  qu'à  bon  port  m'avoit*. 
A  l'uis  m'en  vins  sens  dire  mot. 
Que  la  Vielle  desfermé*  m'ot, 
Et  le  tint  encor  entreclos. 
Quant  me  fui  mis  ens*,  si  le  clos. 
Si  fui  mes  plus  séurement, 
Et  ge  de  ce  méismement 
Que  ge  soi*  Maie-Bouche  mort; 
Onques  si  liez*  ne  fui  de  mort. 
Uec*  vi  la  porte  cassée. 
Ge  ne  Toi  pas  plus  tost  passée, 
Qu'Amor  trovai  dedens  la  porte , 
Et  son  ost*  qui  confort  m'aporte. 
Diex!  quel  avantage  me  firent 
Li  vassal  qui  la  desconfirent! 
De  Dieu  et  de  saint  Bénéoist 
Puissent-il  estre  bénéoist*  ! 
Ce  fu  Faus-Semblaut  li  traïstres, 
Le  filz  Barat,  li  faus  menistres 
Dame*  Ypocrisie  sa  mère, 
Qui  tant  est  as  vertus  amère, 
Et  dame  Astenance-Contrainte , 
Qui  de  Faus-Semblant  est  enceinte , 
Preste  d'enfanter  Antecrist, 
Si  cum  ge  truis  ou*  livre  escrit. 
Cil  la  desconfirent  sans  faille*; 
Si  pri  por  eus,  vaille  que  vaille. 

Seignor,  qui  velt*  traïstres  estre, 
Face  de  Faus-Semblant  son  mestre, 
Et  Contrainte- A stenance  prengue, 
Double  soit,  et  sangle*  se  faingue. 
Quant  celé  porte  que  j'ai  dite, 


Alors. 
Revois. 

*  Me  conduise. 

.*  Oliver/. 


*  Quand  je  me  fus  mis  de- 
dans. 


*Sus. 

*  Joyeux. 

*  Là. 


Armée. 


Bénis 


*  De  doute. 


le. 


Ainsi  que  je  trouve  dans 


'  Faute. 


"l'eut. 


*  Simple. 


130 


LE   ROMAN 


V.     15700. 


Vi  ainsinc  prise  et  desconlite, 
L'ost  trovai  aùiié  léans*, 
Prest  d'assaillir,  mes  iex  véans*. 
Se  j'oi  joie,  nul  n'el  demant*  : 
Lors  pensai  moult  parfondément 
Comment  j'auroie  Douz-Regart. 
Estes-le-vous*,  que  Diex  le  gart! 
Qu'Amors  par  confort  le  m'envoie; 
Trop  grant  pièce*  perdu  l'avoie. 
Quant  g'el  vi,  tant  m'en  esjoï, 
Qu'a  poi*  ne  m'en  esvanoï  : 
Moult  refu  liez  *  de  ma  venue 
Douz-Regars,  quant  il  Tôt  véue  ; 
Tantost  à  Bel-Acueil  me  monstre, 
Qui  saut  sus  *  et  me  vient  encontre, 
Comme  cortois  et  bien  apris, 
Si  cum*  sa  mère  l'ot  apris. 


*  Réuni  là-dedans. 

*  A  ma  vue. 
"Demande  (subj.). 


*  Le  voilà. 

*  Temps. 

*  Que  peu  s'en  faut  que. 

*  Joyeux . 


*  S'élance. 


Ainsi  que. 


Comment  l'Amant  en  la  cham  rette 
De  la  tour,  qui  estoit  secrette, 
Trouva  par  Semblant  Bel-Acueil 
Tout  prest  d'acomplir  tout  son  vueil*. 

Enclins  le  salu  de  venue, 
Et  il  ausinc  me  resalue, 
Et  de  son  chapel  me  mercie. 
«  Sire,  lîs-ge,  ne  vous  poist*  mie, 
Ne  m'en  devés  pas  mercier  ; 
Mes  ge  vous  doi  regracier* 
Cent  mile  fois,  quant  me  leistes 
Tant  d'onor  que  vous  le  préistes. 
Et  sachiés  que  s'il  vous  plaisoit, 
Ge  n'ai  riens  qui  vostre  ne  soit 
Por  faire  tout  vostre  voloir, 
Qui  qu'en  déust  rire  ou  doloir*. 
Tout  me  voil*  à  vous  aservir 


*  f'ouloir. 

"Pèse,  chagrine. 
'Rendre  grâces  à  son  leur. 


*  Se  plaindre. 

*  Feux. 


DE  LA  ROSE. 


131 


Por  vous  honorer  et  servir, 

S'ous*  me  volés  riens  comander,  *Si  nous. 

Ou  sens  commandemens  mander; 

Ou  s'autrement  le  puis  savoir, 

G'i  métrai  le  cors  et  l'avoir, 

Voire*  certes  l'ame  en  balance  (1) ,  *  Vraiment. 

Sens  nul  remors  de  conscience. 

Et  que  plus  certains  en  soies, 

Ge  vous  pri  que  vous  l'essaies  ; 

Et  se  g'en  fail  *,  jà  n'aie  joie  *Et  si  j'y  manque. 

De  cors,  ne  de  chose  que  j'oie.  » 

Bel-Acueil. 


«  Vostre  merci,  dist-il,  biau  sire. 
Ge  vous  revoil*  bien  ausinc  dire 
Que  se  j'ai  chose  qui  vous  plèse, 
Bien  voil  que  vous  en  aies  èse. 
Prenés-en  néis  sens  congié*, 
Par  bien  et  par  honor  cum  gié*.  » 


*Je  vous  veux  de  mon  coté. 


*  Même  sans  permission. 

*  Moi. 


L'Amant. 

«  Sire,  lis-ge,  vostre  merci, 
Cent  mile  t'ois  vous  en  merci, 


(I)  En  jeu.  —  Cette  expression,  sur  laquelle  Méon  et  Roquefort  gardent  le 
silence,  comme  si  elle  avait  encore  chez  nous  exactement  le  même  sens, 
n'est  point  assez  claire  pour  s'expliquer  d'elle-même.  On  la  retrouve  dans 
la  Branche  des  royaux  lignaf/es,\.  5341  : 

Dehors  Murcl,  pics  de  Garonne, 

Est,  selonc  ce  que  l'air  résonne, 

Li  criz  granz  et  la  tençon  *  fort,  *  La  lutte. 

Là  où  le  conte  de  Montfort 

S'est  mis  en  si  dure  balance 

Qu'o  *  douze  cens  homes  de  France...       *  Qu'avec. 

Est  assemblez  a  deus  cens  mile,  etc. 

Chroniques  nationales  françaises,  édit.  Verdiére,  tom.  VII,  p.  224.) 


132 


LE  ROMAN 


(v.     I57Î9.) 


Quant  ainsinc  puis  vos  choses  prendre, 

Dont  n'i  quier-ge*  jà  plus  atendre,         *  feux-je. 

Quant  ci  avés  la  chose  preste, 

Dont  mes  cuers  fera  gregnor*  feste        *  Plus  grande. 

Que  de  trestout  l'or  d'Alixandre  (I).  » 

Lors  m'avançai  por  les  mains  tendre 

A  la  Rose  que  tant  désir, 

Por  acomplir  tout  mon  désir  ; 

Si  cuidai*  bien  à  nos  paroles,  *  Et  je  crus. 

Qui  tant  ierent*  douces  et  moles,  *  Étaient. 

Et  à  nos  plèsans  acointances, 

Plaines  de  bêles  contenances, 

Que  trop  fust  fait  légièrement*;  *  Facilement. 

Aies  il  m'a  vint  tout  autrement. 


Comment  l'Amant  se  voulut  joindre 
Au  rosier  pour  la  Rose  atteindre  ; 
Mais  Dangier  qui  bien  l'espia, 
Lourdement  et  naults'escria. 

Moult  remaint  de  ce  que  fo\  pense* 
Trop  i  trovai  cruel  desfense  ; 
Car  si  cum*  celé  part  tendi, 
Dangier  le  pas*  me  desfendi, 
Li  vilains,  que  maus  leus*  estranglel 
Il  s'estoit  repost*  en  un  angle 
Par  derriers,  et  nous  aguetoit, 
Et  mot  à  mot  toutes  metoit 


*  Il  s'en  manque  beaucoup 
de  ce  que  fou  pense.  (Pro- 
verbe.) 

*  Ainsi  que. 

*  Passage. 

*  Loup. 

*  Caché. 


(I)  D'Alexandrie.  —  Nos  trouvères  mentionnent  aussi  l'or  de  bien 
d'autres  pays,  principalement  celui  d'Arabie  et  (ÏArcage,  c'est-à-dire 
sans  doute  d'Acbaïe  : 

Et  sains  Andrius  dira  ausi 
Que  il  convierti  toute  Alkaie,  etc. 
(Chronique  rimée  de  Philippe  Mouskès,  tom.  Ier,  pag   157,  v.  3883. 

Voyez  nos  Recherches  sur  les  étoffes  de  soie,  etc.,  tom.  Ier,  pag.  271, 
not.  I  ;  tom.  Il,  pag.  29  ;  pag.  loi,  not.  7;  pag.  307,  not.  4;  et  pag.  467. 


(v.    I57G2.) 


DE   LA   ROSE. 


Nos  paroles  en  son  escrit. 

Lors  n'atent  plus  qu'il  ne  m'escrit* 


Me  cric. 


133 


Dangier  parle  à  F  Amant. 

«  Fuies,  vassal,  fuies,  fuies, 

Fuies  de  ci,  trop  m'ennuies. 

Déables  vous  ont  ramené, 

Li  maléoit*,  li  forsené,  *  Maudit. 

Qui  à  ce  biau  servise  partent*,  *  Participent. 

Ettout  prengnentaius*  qu'il  s'en  partent.   *  A  vaut. 

Jà  n'i  viengue-il  sainte  ne  saint. 

Vassal,  vassal,  se  Diex  me  saint* ,  *  Sauve. 

A  poi*  que  ge  ne  vous  affronte .  »  *  Peu  s'en  faut. 

L'Amant. 


Lors  saut  Paor,  lors  acort  Honte, 

Quant  oïrent  le  païsant, 

Fuies,  fuies,  fuies  disant. 

N'encor  pas  à  tant*  ne  s'eu  tut .  'Alors. 

Mes  le  déable  i  amentut*,  *  Rappela. 

Et  sainz  et  saintes  en  osta. 

Hé  Diex ,  cum  si  félon  oste  a  *  !  *  Hôte  il  y  a. 

Si  s'en  corrocent  et  forsenent*,  *  Deviennent  fous. 

ïuit  trois  par  un  acort  me  prenent , 

Si  me  boutent  arrier  mes  mains. 

Jà  n'en  aurés,  font-il,  mes  mains, 

«  Ne  plus  que  vous  eu  avès  : 

Paiement  entendre  savés 

Ce  que  Bel-Acueil  vous  offri, 

Quant  parler  à  li  vous  soffri. 

Ses  biens  vous  offri  liément* ,  'Joyeusement. 

Mes  que  ce  fust  honestement  : 

D'onesteté  cure  n'éustes , 

12 


13! 


LE  ROMAN 


(T.     I570f.) 


Mes  l'offre  simple  recéustes, 

Non  pas  ou  *  sens  qu'en  la  doit  prendre  : 

Car  sans  dire  est-il  à  entendre, 

Quant  prodoms*  offre  son  servise, 

Que  ce  n'est  fors  *  en  bone  guise , 

Qu'ainsinc  l'entent  li  prometierres*. 

Mes  or  nous  dites,  dans  trichierres*, 

Quant  ces  paroles  apréistes , 

Ou  droit  sens  pourquoi  n'es*  préistes  ? 

Prendre-les  si  vilainement 

Vous  vint  de  rude  entendement. 

Ou  vous  avés  apris  d'usage 

A  contrefaire  le  fol  sage. 

11  ne  vous  offri  pas  la  Rose, 

Car  ce  n'est  mie  houeste  chose, 

Ne  que  requerre  li  doiés*, 

Ne  que  sens  requerre  l'aies  ; 

Et  quant  vos  choses  li  offristes, 

Celé  offre,  comment  l'entendistes? 

Fu-ce  por  li  venir  lober*, 

Ou  por  li  sa  robe  rober*? 

Bien  le  traïssiés  et  boules* , 

Qui  servir  ainsinc  le  voulés 

Por  estre  privés  anemis. 

Jà  n'ert-il  riens  en  livre  mis 

Qui  tant  puist  nuire  ne  grever; 

Se  de  duel  déviés  crever, 

Si  n'el  devons-nous  pas  cuidier*  : 

Ce  porpris  vous  convient*  vuidier. 

Maufez*  vous  i  font  revenir; 

Car  bien  vous  déust  sovenir 

Qu'autrefois  en  fustes  chaciés  : 

Or  tost  aillors  vous  porcbaciés  \ 

Sacbiés  celé  ne  fu  pas  sage 

Qui  quist  *  à  tel  musart  passage  ; 


*  Dans  le. 

*  Homme  de  bien. 

*  Sinon . 

*  Prometteur. 
*Sire  tricheur. 

*  Ne  tes. 


Deviez. 


*  Duper. 

*  Dérober. 

*  Attrapez. 


*  Croire. 

*  Cet  enclos  il  vous  faut. 

*  Démont. 


*  Pourvoyez. 

*  Chercha. 


(V.    15820. 


DE  LA  ROSE. 


135 


Mes  ne  sot  pas  vostre  pensée, 
Ne  la  traïsou  porpensée*  : 
Car  jà  quis  ne  le  vous  éust, 
Se  tel  desloiauté  séust. 
Moult  refu  *  certes  décéus 
Bel-Acueil  li  desporvéus, 
Quant  vous  reçut  en  sa  porprise*. 
11  vous  cuidoit  *  faire  servise, 
Et  vous  tendes  à  son  damage. 
Par  foi!  tant  en  a  chien  qui  nage, 
Quant  est  arrivés,  s'il  aboie. 
Or  querés*  aillors  vostre  proie, 
Et  hors  de  ce  porpris*  aies. 
Nos  degrés  tantost  avalés* 
Débonairement  et  de  gré, 
Ou  jà  n'i  conterés  degré; 
Car  tiex*  porroit  tost  ci  venir, 
S'il  vous  puet  baillier*  et  tenir, 
Qui  les  vous  fera  mesconter*, 
S'il  vous  i  devoit  afronter. 

«  Sire  fo\*,  sire  outrecuidiés, 
De  toutes  loiautés  vuidiés, 
Bel-Acueil  que  vous  a  forfait? 
Por  quel  péchié,  por  quel  forfait 
L'avés  sitost  pris  à  haïr, 
Qui  le  volés  ainsinc  trahir, 
Et  maintenant  li  offriés 
Trestout  quanque  *  vous  aviés  ? 
Est-ce  por  ce  qu'il  vous  reçut, 
Et  nous  et  li  por  vous  déçut, 
Et  vous  offri  li  damoisiaus  * 
Tantost  ses  chiens  et  ses  oisiaus  ? 
Sache-il,  folement  se  mena, 
Et  de  tant  cum  il  fait  en  a, 
Et  por  ore*,  et  por  autrefois, 


Me  dit  ce. 

*  Fut  ù  son  tour. 

*  Enclos,  enceinte. 

*  Croyait. 


*  Maintenant  cherchez 

*  Enclos. 

*  Descendez. 


*Tel. 

*  Prendre. 

*  Compter  mal. 

*Sot. 


*  Tout  ce  que. 


*  Le  jeune  gentilhomme. 


Maintenant. 


130  LE  ROMAN  (v.  issgi.) 

•  Si  nous  gart  Diex  et  sainte  Fois, 
Jà  sera  mis  en  tel  prison, 

C'onc  en  si  fort  n'entra  pris  lion*  :  *  Prisonnier. 

En  tex*  aniaus  sera  rivés,  *Teis. 

Que  jamès  jor  que  vous  vives 
Ne  le  verres  aler  par  voie, 
Quant  ainsincnous  trouble  et  desvoie  *  ;     *  Égare. 

Mar*  l'éllSSiés-VOUS  tant  véll,  *Il  est  malheureux  que. 

Par  li  somes  tuit  décéu.  » 
V  Acteur. 

Lors  le  prenent  et  taut  le  bâtent, 

Que  fuiant  en  la  tor  rembatent*,  *  Le  poussent. 

Où  l'ont,  après  tant  de  lèdures*,  *  Mauvais  traitements. 

A  trois  paires  de  serréures, 

Sans  plus  mètre  n'en  fers  n'en  clos , 

Sous  trois  paires  de  clez  enclos. 

A  celé  fois  plus  n'el  grevèrent, 

Mes  c'iert*  por  ce  qu'il  se  hastèrent;       '  C'était. 

Si  li  promissent  de  pis  faire, 

Quant  se  seront  mis  au  repaire  *.  *  Retour. 


Comment  Honte,  Paonr  et  Dangier, 

Prindrent  l'Amant  à  tédengier*,  *  Maltraiter. 

Et  le  bâtirent  rudement, 

Leur  criant  merci  humblement. 


Ne  se  sunt  pas  à  tant*  tenu,  *  Alors. 

Sor  moi  sunt  tuit  trois  revenu, 

Qui  dehors  ière*  demorés,  *  Étais. 

Tristes,  dolens,  mas,  emplourés  ; 

Si  me  r'assai lient  et  tormentent  : 

Or  doint*  Diex  qu'encor  s'en  repentent   *  Bonne  (subj.). 

Du  grant  outrage  qu'il  me  font. 

Près  que  mes  cuers  de  duel  ne  font  ; 


(v.    15888.) 


DE   LA   ROSE. 


137 


Car  ge  me  voloie  bien  rendre, 
Mes  vif  ne  me  voloient  prendre. 
D'avoir  lor  pez  moult  m'entremis, 
Et  vosissc*  bien  estre  mis 
Avec  Bel-Acueil  en  prison. 
«  Dangier,  fis-ge,  biau  gentiz  bon*, 
Franc  de  cuer  et  vaillans  de  cors, 
Piteus  plus  que  ge  ne  recors* , 
Et  vous,  Honte  et  Paor  les  beies, 
Sages,  franches,  nobles  puceles, 
En  faiz,  en  diz*  bien  ordenées, 
Et  du  lignage  Raison*  nées, 
Soffrés  que  vostres  sers  deviengne, 
Par  tel  convent*  que  prison  tiengne 
Avecques  Bel-Acueil  laiens*, 
Sens  estre  nul  jor  mes  raiens*  ; 
Et  loiaument  vous  vuel  *  prometre , 
Se  me  volés  en  prison  mètre , 
Que  ge  vous  ferai  tel  servise 
Qui  vous  plèra  bien  à  devise  *. 
Par  foi,  se  g'estoie  ore  lierres*, 
Outraïstres  ou  ravissierres*, 
Ou  d'aucun  murdre  achoisonés*, 
Ne  vosisse*  estre  emprisonés  : 
Por  quoi  la  prison  requéisse? 
Ne  cuit-ge  pas  que  g'i  fausisse*. 
Voire  par  Dieu  et  sens  requerre 
Me  metroit-l'en  en  quelque  serre, 
Par  quoi  l'en  me  péust  baillier*  ; 
S'en  me  devoit  tout  détaillier, 
Ne  me  leroit-l'en*  eschaper, 
Se  l'en  me  pooit  entraper*. 
La  prison  por  Dieu  vous  demaut  * 
Avec  li  pardurablement  *  ; 
Et  se  tex*  puis  estre  trovés, 


*  f'nitlusse. 

*  Gentilhomme 


*  Compatissant  plus  que 
je  ne  dis. 


*  En  paroles. 

*  Et  de  la  race  de  Raison . 

*  Convention. 

*  Là -dedans. 

*  Racheté. 

*  Je  vous  veux. 


*  Souhait. 

*  Maintenant  larron. 

*  Ravisseur. 

*  Meurtre  accusé. 

*  fou  lusse. 


"Je  ne  crois  pas  que  j'y 
manquasse. 


*  Tenir,  posséder. 

*  Ne  me  laisserait-on. 

*  Faire  tomber  en  unpiége. 

*  Je  vous  demande. 

*  D'une  manière  durable. 
*Tel. 

12. 


138 


LE  ROMAN 


(t.     Ib92i. 


Ou  soit  sans  prueve,  ou  pris  provés, 

Que  de  bien  servir  i  défaille*, 

Hors  de  prison  à  tous  jors  aille. 

Si  n'est-il  pas  lions  qui  ne  faut*. 

Mais  s'il  i  a  par  moi  défaut, 

Faites-moi  trosser  mes  peniaus* 

Et  saillir  hors  de  vos  aniaus  ; 

Et  se  ge  jamès  vos  corrous, 

Punis*  vuel  estre  du  corrous; 

Vous-méismes  eu  soies  juge, 

Mais  que  nus,  fors*  vous,  ne  me  juge. 

Haut  et  bas  sor  vous  m'en  metroi, 

Mes  que  vous  n'i  soies  que  troi, 

Et  soit  avec  vous  Bel-Acueil  ; 

Car  celi  por  le  quart*  acueil. 

Le  fait  li  porrés  recorder  *  ; 

Et  se  ne  poés  acorder, 

Au  mains  soffrés  qu'il  vous  acort, 

Et  vous  tenés  à  son  acort  : 

Car  por  batre  ne  por  tuer, 

J\e  m'en  verres  jà  remuer?  » 


*  J'y  manque. 

*  Homme  qui  ne  manque. 

*  Charger  mes  haillons. 

*  Je  veux. 
Nul,  excepté. 


*  Quatrième'. 

*  Rappeler. 


'  Déguerpir,  déménager, 


Dan  g  1er. 

Tantost  Daugier  se  rescria  : 
«  Hé  Diex  !  quel  requeste  ci  a  ? 
Metre-vous  en  prison  o  li*, 
Qui  tant  avés  le  cuer  joli*, 
Et  il  le  r'a  tant  débonaire, 
Ne  seroit  autre  chose  faire, 
Fors*  que  par  amoretes  fines 
Mètre  renart  o  les  geliues*. 
Or  tost  aillors  vous  porchaciés*, 
Bien  savons  que  vous  ne  traciés* 
Fors*  nous  faire  honte  et  laidure. 


*  Avec  lui. 
*Gai. 


*  si  ce  n'est. 

*  Avec  les  poules. 

*  Pourvoyez, 

*  Cherchez. 
*Si  ce  n'est. 


DE  LA  ROSE. 


139 


M'avons  de  tel  servise  cure; 
Si  r'estes*  bien  de  sens  vuidiés, 
Quant  juge  faire  le  cuidiés*. 
Juge!  par  le  biau  Roi  célestre! 
Comment  puet  jamès  juges  estre, 
Ne  prendre  sor  soi  nule  juise  * 
Persone  jà  jugiée  et  prise? 
Bel-Acueil  est  pris  et  jugiés, 
Et  tel  digneté  li  jugiés 
Qu'il  poïst*  estre  arbitre  et  juges! 
Ains*  sera  venu  li  déluges  , 
Qu'il  isse  mes*  de  nostre  tour, 
Et  sera  destruis  au  retour  ; 
Car  il  l'a  moult  bien  déservi  *, 
Por  ce,  sens  plus,  qu'il  s'aservi 
De  tant  qu'il  vous  offri  ses  choses. 
Par  li  pert-1'en  toutes  les  roses  : 
Chascuns  musars  les  vuet  coillir, 
Quant  il  se  voit  bel  *  acoillir  ; 
Mes  qui  bien  le  tendroit  en  cage, 
Psus*  n'i  feroit  jamès  damage, 
>~e  n'emporteroit  bons  vivans 
Pas  tant  cum  emporte  li  vens, 
S'il  n'est  tex*  que  tant  mespréist 
Que  vilene  force  i  feist  ; 
Et  si  porroit  bien  tant  mespreudre, 
Qu'il  s'en  feroit  banir  ou  pendre.  » 


"Et  vous  êtes  bien  de  voir  i 

côté. 

*  Croyez. 


*  Jugement. 


* Qu'il  pourrait. 

*  A  uparavanl. 
*~  Sorte  plus. 

*  Mérité. 


'  Bien . 


'Nul. 


*Tel. 


L'Amant. 


«  Certes,  dis-ge,  moult  se  mesfait* 
Qui  deslruit  home  sens  mesfait, 
Et  qui  sens  raison  l'emprisone  ; 
Et  quant  vous  si  vaillant  persone 
Corn  Bel-Acueil,  et  si  honeste, 


*  Se  comporte  mal. 


440 


LE  ROMAN 


(v.    15988.) 


Qui  fait  à  tout  le  monde  feste, 
Por  ce  qu'il  me  fist  bêle  chière*, 
Et  qu'il  ot  m'acointance  *  chière, 
Sens  autre  ochoison*  pris  tenés, 
Malement*  vers  li  mesprenés; 
Car  par  raison  estre  déust 
Hors  de  prison,  s'il  vous  pléust. 
Si  vous  pri  donques  qu'il  en  isse*, 
Et  de  la  besoingue  chevisse*. 
Trop  avés  vers  li  jà  mespris*; 
Gardés  qu'il  ne  soit  jamès  pris.  » 


*  Bonne  mine. 

*  Ma  fréquentation . 

*  Occasion. 
Méchamment. 


*  Sorte. 

*  f'iennc  à  bout. 

*  Déjà  mal  âgé. 


Dangier,  Paour  et  Honte. 

«  Par  foi,  fout-il,  Cl's  fox  nOUS  tmfe*,        *Ce  sot  nous  attrape. 

Bien  nous  vet  or*  pestre  de  trufe,  *fa  maintenant. 

Quant  si  le  vuet  desprisoner, 

Et  nous  traïr  par  sermoncr. 

Il  requiert  ce  qui  ne  puet  estre  : 

Jamès  par  uis*  ne  par  fenestre  *  Porte. 

Ne  metra  hors  néis  le  chief*.  »  *  Même  la  tête. 

L'Amant. 


Lors  m'assaillent  tuit  de  rechief  ; 
Chascun  à  hors  bouter  me  tent*  : 
Il  ne  me  grevast  mie  tant, 
Qui  me  vosist*  cruccfîer. 
Ge,  qui  lors  commence  à  crier 
Merci,  non  pas  à  trop  haut  cri, 
A  ma  vois  basse  à  l'assaut  cri* 
Vers  cil  qui  secorre  me  durent 
Tant  que  les  guetes*  m'aparçurent, 
Qui  l'ost  durent  eschargaitier*. 
Quant  m'oïrent  si  mal  traitier, 


*Tend  à  me  mettre  dehors. 


foui  ùt. 


*Jc  crie. 


'Sentinelles. 


*  Qui  l'année  durent  veil- 
ler. 


v.  igoi7. ; 


DE  LA  ROSE. 


141 


Comment  tous  les  barons  de  I'ost  * 
Si  vindrent  secourir  tantost 
L'Amant,  que  les  portiers  battoyent 
Si  fort,  qu'irés  *  ils  l'cstrangloycnt. 

«  Or  sus,  or  sus,  fout-il,  barons! 
Se  tantost  armé  n'aparons  * 
Por  secorre  ce  fin  amant, 
Perdus  est,  se  Diex  ne  l'amant*. 
Li  portiers  l'estranglent  ou  lient, 
Bâtent,  fustent*  ou  crucefient. 
Devant  eus  brait  à  vois  série*  ; 
A  si  bas  cri  merci  lor  crie , 
Qu'envis  puet-1'en*  oïr  le  brait  : 
Car  si  bassement  crie  et  brait, 
Qu'avis  vous  ert*,  si  vous  l'oés, 
Ou  que  de  braire  est  enroés, 
Ou  que  la  gorge  li  estrai lignent*  , 
Si  qu'il  l'estranglent  ou  estaingnent. 
Jà  li  ont  si  la  vois  enclose, 
Que  haut  crier  ne  puet  ou  n'ose. 
Ne  savons  qu'il  béent*  à  faire, 
Mes  il  li  fout  trop  de  contraire*. 
Mors  est,  se  tantost  n'a  secors. 
Fois  s'en  est  trestout  le  cors* 
Bel-Acueil ,  qui  le  confortoit  : 
Or,  convient*  qu'autre  coufort  oit, 
Tant  qu'il  puist*  celi  recovrer; 
Dès  or  fstuet*  d'armes  ovrer.  » 


*  De  l'armée. 

*  En  colère. 

*  N'apparaissons. 

*  N'y  pourvoit. 


*  Maltraitent  à  coups  de 
bâtons. 

*  Douce. 


*  Que  malgré  soi  peut-on 
entendre  te  cri. 


*  Sera. 
atteignent,  serrent. 


*  Cherchent. 

*  Contrariété. 

*  A  pleine  course. 

*Or,  il  faut. 

*  Celui-là. 

*  Désormais  il  faut. 


L'Amant. 

Et  cil  sans  faille  mort*  m'eussent, 
Se  cil  de  l'ost*  venu  n'i  fussent. 
Li  baron  as  armes  saillirent*, 
Quant  oïrent,  sorent  et  virent 


*  Et  ceux-là  sans  faute. 

*  L'armée. 

*  Sortirent. 


142 


LE  ROMAN 


Que  j'oi  perdu  joie  et  SOlaz*.  *  Consolation. 

Ce  qui  estoie  pris  ou  laz*  "Dans  lesjiiets. 

Où  Amors  les  amaus  enlace, 

Sens  moi  remuer  de  la  place 

Regardai  le  tornoiement*  *  Tournoi. 

Qui  commença  trop  asprement  : 

Car  si  tost  cum  li  portiers  sorent 

Que  si  grant  ost*  encontre  eus  orent,      "Armée. 

Ensemble  trestuit  trois  s'alient, 

Et  s'entrejurent  et  affient*  *  Assurent. 

Qu'à  lor  pooir  s'entr'aideront, 

Ne  jà  ne  s'eutrelesseront 

.Tor  de  lor  vie  à  nu  le  fin. 

Et  ge  qui  d'esgarder  ne  fin*  "Finis. 

Lor  semblant  et  lor  contenance, 

Fui  *  moult  dolent  de  Taliance;  *  Je  fus. 

Et  cil  de  Tost,  quant  il  revirent 

Que  cil  *  tel  aliauce  firent ,  *  Ceux-là . 

Si  s'assemblent  et  s'entrejoigneut, 

N'ont  mes  talent*  qu'il  s'eutr'esloignent.    "Envie. 

Ains*  jurent  que  tant  i  feront  "Mais. 

Que  mors  eu  la  place  gerront*,  "Seront  étendus 

Ou  desconfis  seront  et  pris, 

Ou  de  l'estor  auront  le  pris  : 

Tant  sunt  erragiés*  de  combatre  *  Enragés. 

Por  l'orguel  des  portiers  abatre. 

Dès  or*  venrons  à  la  bataille,  "Désormais. 

S'orrés*  comment  chascuns  bataille.       "Et  vous  ouïrez 


Gomment  l'Acteur  mue  *  propos  *  Change. 

Pour  son  honneur  et  son  bon  loz  *  *  Réputation. 

Garder,  en  priant  qu'il  soil  quictes 
Des  paroles  qu'il  a  cy  dictes. 


Or  entendes,  loial  amant, 

Que  li  diex  d' Amors  vous  amant* 


"Faste  du  bien. 


(v.   160-5.)  DE   LA   ROSE.  \ï'A 

Et  doint  *  de  vos  amors  joïr  !  *  Bonne. 

En  ce  bois  ci  porrés  oïr 

Les  chiens  glatir*,  se  m'entendes,  'Japper. 

Au  conuin*  prendre  où  vous  tendes,       *  Lapin. 
-Et  le  furet,  qui,  sens  faillir, 

Le  doit  faire  es  résiaus*  saillir.  ''Dans  les  filets. 

Notés  ce  que  ci  vois  *  disant  :  *Ce  qu'ici  je  vais. 

D'amors  aurés  art  suffisant; 
Et  se  vous  i  trovés  riens  troble, 
G'esclaircirai  ce  qui  vous  troble; 

Quant  le  songe  m'orrés  espondre*,  "  M'ouirez  expliquer. 

Bien  saurés  lors  d'amors  respondre, 
S'i  est  qui  en  sache  oposer 
Quant  le  texte  m'orrés  gloser  ; 
Et  saurés  lors  par  cest  escrit 
Quanque*  j'aurai  devant  escrit,  "Ce  que. 

Et  quanque  ge  bée  à*  escrire.  *  je  veux. 

Mes  ains*  que  plus  m'en  oies  dire,         *  Avant. 
Aillors  voil  un  petit*  entendre  "Je  veux  un  peu. 

Por  moi  de  maie  *  gent  desfendre  ;  *  Mauvaise. 

Non  pas  pour  vous  faire  muser, 
Mes  por  moi  contre  eus  excuser. 


Cy  dit  par  bonne  entenrion 
L'Acteur  son  excusacion. 


Si  vos  pri*,  seignor  amoreus ,  *  Et  je  vous  prie. 

Par  les  gieus  d'amors  savoreus, 

Que  se  vous  i  trovés  paroles 

Semblans  trop  baudes*  ou  trop  foies,      *  Gaillardes. 

Por  quoi  saillent*  li  mesdisant,  'Sautent. 

Qui  de  nous  aillent  mesdisant, 

Des  choses  à  dire  ou  des  dites, 

Que  cortoisement  les  desdites  ; 

Et  quant  vous  les  aurés  des  diz*  *  Paroles. 


iU  LE  ROMAN  (v.  ieiue.) 

Repris,  retardés  ou  desdiz, 

Se  mi  diz*  sont  de  tel  manière  *Si  mes  paroles. 

Qu'il  soit  drois  que  pardon  en  quière*,  *J'en  cherche. 

Pri-vous  que  le  me  pardonés, 

Et  de  par  moi  lor  responés 

Que  ce  requéroit  la  matire 

Qui  vers  tex*  paroles  me  tire  *  Telles. 

Par  les  propriétés  de  soi, 

Et  por  ce  tex  paroles  oi  : 

Car  chose  est  droihnïère*  et  juste ,  *  Légitime. 

Selonc  l'autorité  Saluste, 

Qui  nous  dit  par  sentence  voire*,  *  fraie. 

Tout  ne  soit-il  *  semblable  gloire  'Quoique  ce  ne  soit  pas. 

De  celi  qui  la  chose  fait, 

Et  de  l'escrivain  qui  le  fait 

Vuet  mètre  proprement  en  livre, 

Por  miex  la  vérité  descrivre, 

Si  n'est-ce  pas  chose  légière, 

Ains*  est  de  moult  fort  grant  manière,  *  Mais. 

Mètre  bien  les  lais  en  escrit  : 

Car  quiconques  la  chose  escrit, 

Se  du  voir  ne  vous  vuet  embler  *,  * sj  f/"  vmi  nc  vo"s  veut 

enlever. 

Li  dis  doit  le  fait  resembler; 

Car  les  vois  as  choses  voisines 

Doivent  estre  à  lor  faiz  cousines. 

Si  me  convient  ainsinc  parler, 

Se  par  le  droit  m'en  voil*  aler.  *  Je  m'en  veux. 


Comment  l'Acteur  moult  humblement 
S'excuse  aux  dames  du  nommant. 


Si  vous  pri  toutes,  vaillans  famés, 
Soies  damoiseles  ou  dames , 
Amoreuses  ou  sens  amis, 
Que  se  moz  i  trovés  jà  mis 


(v.  iG.37.)  DE  LA  ROSE.  iYo 

Qui  semblent  mordans  ou  chenins*,       *  Cyniques. 
Encontre  les  meurs  fémenins, 
Que  ne  m'en  voilliés  pas  blasmer, 
Ne  m'escriture  disfamer, 
Oui  tout  est  por  enseignement. 
One  n'i  dis  riens  certainement, 
>"e  volenté  n'ai  pas  de  dire, 

]Ne  par  yvresce  ne  par  ire*,  *  Chagrin,  colère. 

Par  haine  ne  par  envie, 
Contre  famé  qui  soit  en  vie. 
Car  nus  ne  doit  famé  despire  *\  'Mépriser. 

S'il  n'a  cuer  des  mauves  le  pire  ; 
Mes  por  ce  en  escrit  li  méismes, 
Que  nous  et  vous  de  nous-méismes 
Poissons  congnoissance  avoir, 
Car  il  fait  bon  de  tout  savoir. 
D'autre  part,  dames  honorables , 

S'il  vous  semble  que  ge  di  fables, 

Por  mentéor  ne  m'en  tenés; 

Mes  as  actors*  vous  en  prenés,  *  Aux  auteurs. 

Qui  en  lor  livres  ont  escrites 

Les  paroles  que  g'en  ai  dites, 

Et  ceus  avec  que*  g'en  dirai,  *  Le  ,«<  ls. 

Quejà  de  riens  n'en  mentirai, 

Se  li  prodome  n'en  mentirent, 

Qui  les  anciens  livres  firent. 

Et  tuit  à  ma  raison  s'acordent, 

Quant  les  meurs  fémenins  recordent  *  ;    *  Rapportent. 

>"e  ne  furent  ne  fol  ne  yvres , 

Quant  il  les  mistrent*  en  lor  livres.         "Mirent. 

Cil  les  meurs  fémenins  savoient, 

Car  tous  espro\  es  les  avoient, 

Et  tie\  es*  famés  les  trovèrent,  *Et  tels  dans  les. 

Que  par  divers  tens  esprovèrent; 

Par  quoi  miex  m'en  devés  quiter*.  *  Acquitter. 

ROMAN    DE   LA    I'.OSE.    —    T.    II.  13 


146  LE  ROMAN  (v.   1017-2.) 

Ge  n'i  fais  riens  tors*  réciter,  *Si  ce  n'est. 

Se  par  mon  gieu,  qui  poi*  vouscouste,    *Pen. 

Quelque  parole  n'i  ajouste, 

Si  cum*  font  entr'eus  li  poëte,  *  Ainsi  que. 

Quant  chascuns  la  matire  traite 

Dont  il  li  plest  à  entremette  : 

Car,  si  cum  tesmoigne  la  letre , 

Profit  et  délectacion  (1) 

C'est  toute  lor  entencion. 

Et  se  gens  encontre  moi  grouceut*,     *  Grondent. 
Et  se  troblent  et  se  corroucent, 
Qui  sentent  que  ge  les  remorde 
Par  ce  chapitre  où  ge  recorde*  *  Je  rapporte. 

Les  paroles  de  Eaus-Semblant, 
Et  por  ce  s'aillent  assemblant, 
Que  blasmer  ou  pugnir  me  voillent, 
Por  ce  que  de  mon  dit  se  doillent*  ;         *  Plaignent. 
Ge  fais  bien  protestacion 
Conques  ne  fu  m'entencion 
De  parler  contre  home  vivant 
Sainte  religion  sivant, 
Ne  qui  sa  vie  use  en  bone  euvre, 
De  quelque  robe  qu'il  se  cueuvre. 

Ains  prins  mon  arc,  et  l'entesoie*,       *  Bandais. 
Quiexque  péchierres  que  ge  soie , 
Si  fis  ma  sajete*  voler  *  Flèche. 

Généraumeut  por  afoler*.  *  Blesser. 

l'or  afoler  !  mes  por  congnoistre, 
Fussent  séculer  ou  de  cloistre, 
Les  desloiaus  gens,  les  maldites, 
Que  Jhésus  apele  ypocrites; 
Dont  maint,  por  sembler  plus  honeste, 


(1)  Omne  tulit  punclum,  qui  miscuit  utile  clulci. 

(Hokat.,  de  Art.  poet.,  v.  343.) 


(v.    16204.) 


DE  LA  ROSE. 


147 


Lessent  à  mangier  char  de  beste 

Tous  tens  en  non  de  pénitence  ; 

Et  font  ainsinc  lor  astenence., 

Si  cum  nous  en  karesme  fomes*. 

Mes  tous  vis  menguent  les  homes 

0*  les  dens  de  détraccion 

Par  venimeuse  entencion. 

One  d'autre  saing  ne  fis  bersaut*, 

Là  vois,  et  voir  que  mon  fer  aut**, 

Si  trais*  sor  eus  à  la  volée. 

Et  se,  por  avoir  la  colée  *, 

Avient  que  desous  la  sajete* 

Aucuns  lions  de  son  gré  se  mete, 

Qui  por  orgoil  si  se  déçoive, 

Que  dessus  soi  le  cop  reçoive, 

Puis  se  plaint  que  ge  l'ai  navré  * , 

Corpe*  n'en  ai,  ne  jà  n'auré; 

TSéis*  s'il  en  devoit  périr  : 

Car  ge  ne  puis  nuli  férir* 

Qui  du  cop  se  voille  garder, 

S'il  set  son  estât  regarder. 

T^éis*  cil  qui  navré  se  sent 

Par  le  fer  que  ge  H  présent, 

G  art*  que  plus  ne  soit  ypocrites, 

Si  sera  de  la  plaie  quites. 

Et  neporquant*,  qui  que  s'en  plaingue, 

Combien  que  prodome*  se  faingne, 

One  riens  n'en  dis,  mien  esciant, 

Combien  qu'il  m'aut*  contrariant, 

Qui  ne  soit  en  escrit  trové 

Et  par  expériment*  prové , 

Ou  par  raison  au  mains  provable  , 

A  qui  que  soit  désagréable  ; 

Et  s'il  i  a  nule  parole 

Que  sainte  Eglise  tiengne  à  foie, 


*  Étions. 

*  Avec 

*  Signal  ne  Jis  but. 

Là  vais  et  veux.  **Â  ille. 
*Et  je  tire. 
*Coup. 

*  Floche. 


Blessé. 
"  Faute. 
kMéme. 
i Nul  frapper. 


Même. 

*  Prenne  garde. 

*  Néanmoins. 

*  Homme  de  bien. 

*  M'aille. 

•*  Expérience. 


! 


LE  ROMAN 


*  Répare. 

* Réparation. 

*  Sans  faute. 


Prest  sui  qu'à  son  voloir  l'amende*, 
Se  gc  puis  soffire  à  l'amende* . 

Cy  reprent  son  propos  sans  faille* 
L'Acteur,  et  vient  à  la  bataille 
Où  dame  Franchise  combat 
Contre  Dangicr,  qui  fort  la  bat. 

Franchise  vint  premièrement 
Contre  Dangier  moult  humblement, 
Qui  trop  ert*  iiers  et  courageus, 
Par  semblant  tel*  et  outrageus. 
En  son  poing  tint  une  maçue, 
Fièrement  la  paumoie,  et  rue* 
Entor  soi  cops  si  périlleus, 
Qu'escus,  s'il  n'est  trop  merveilleus, 
Ne  puet  tenir  qu'il  n'el  porfende, 
Et  que  cis*  vaincu  ne  se  rende , 
Qui  contre  li  se  met  en  place, 
S'il  est  bien  atains  de  la  mace; 
Ou  qu'il  n'el  confonde  ou  escacbe*, 
S'il  n'est  tex  *  que  trop  d'armes  sache. 
Il  la  prist  ou  bois  de  Relus, 
Li  lez  vilain  que  ge  refus  ; 
Sa  targe  fu  d'estoutoier*, 
Bordée  de  gens  viltoier*. 
Franchise  refu  bien  armée; 
Moult  seroitenvis*  entamée, 
Por*  qu'el  se  séust  bien  covrir. 
Franchise,  por  la  porte  ovrir, 
Contre  Dangier  avant  se  lance; 
En  sa  main  tint  une  fort  lance , 
Qu'elc  aporta  bêle  et  polie 
De  la  l'orest  de  Chuerie. 
Il  n'en  croist  mile  tele  en  Bière  ((). 

(I)  C'est  la  foret  de  Fontainebleau  ;  la  traduction  manuscrite  du  Roman 
de  la  Rose  explique  ce  mot  par  celui  de  France.  (L.  D.  D.  ) 


"Etait. 

*  Cruel. 

*  Manie,  et  lance. 


*  Celui-ci. 


'  Ecrase. 
'Tel. 


*  Agir  en  sot. 

*  Vilipender. 

*  Malgré  elle. 

*  Pourvu. 


(v.  lèses.)  DE  LA  ROSE.  149 

Li  fers  fu  de  douce  prière  ; 

Si  r'ot*  par  graut  dévocion  *  Et  il  eut  encore. 

De  toute  suplicacion 

Escu,  c'onques  ne  fu  de  mains 

Bordé;  de  jointures  de  mains, 

De  promesses,  de  convenances*,  *  Conventions. 

Par  seremens  et  par  fiances  * ,  *  Assurances. 

Colorés  trop  mignotement. 

Vous  déissiés  certainement 

Que  Largesce  le  li  bailla , 

Et  qu'el  le  paint  et  entailla  %  *  Sculpta. 

Tant  sembloit  bien  estre  de  s'uevre*;       *Son  ouvrage. 

Et  Francbise,  qui  bien  s'en  cuevre, 

Brandist  la  banste*  de  sa  lance,  *  Dois. 

Et  contre  le  vilain  la  lance, 

Qui  n'avoit  pas  cuer  de  coart, 

Ains  sembloit  estre  Benoart  (2) 

Au  Tinel  qui  fust  revescus. 

Tout  fu  porfendus  ses  escus  ; 

Mes  tant  ert  fors  à  desmesure*  ,  *  Était  d'une  force  déme- 

surée. 
Qu  il  ne  cremoit*  nule  armeure,  *  Craignait. 

Si  que  du  cop  si  se  covri, 

(2)  Renoars,  ou  Renoart,  étoit  lils  d'Aimery  de  Beaulande,  comte  de  Nar- 
bonne,  et  frère  de  Guillaume  au  Court-Nez,  prince  d'Orange.  11  lit  de 
grandes  actions  rapportées  dans  l'histoire  de  son  père.  Il  fut  surnommé  au 
Tinel,  parce  qu'il  savoit  bien  manier  un  bâton  que  l'on  appeloit  tinel, 
ferré  par  les  deux  bouts. 

Les  Poitevins,  se  moquant  de  Jean-Sans-Terre  qui  rangeait  son  armée 
en  bataille,  disaient,  s'il  faut  en  croire  Guillaume  Guiart  : 

Bien  est  cest  roi  agaillardi. 

Oiez.  connue  il  fait  le  hardi, 

Et  comme  il  ocit  et  afole  *  *  Blesse. 

Ceus  de  Fiance  par  sa  parole. 

Il  pert  *  que  ce  soit  Renouart,  etc.  *  Il  parait. 

Branche  des  royaux  lignages,  x.  Giil,  ann.  1214.  (Chro. 
niques  nationales  françaises ,  édit.  de  Verdière , 
tom.  VII,  pag.  565,206) 

13 


150 


LE  ROMAN 


(V. 


Qu'onques  sa  panse  n'en  ovri. 
Li  fers  de  la  lance  brisa , 
Par  quoi  le  cop  mains  en  prisa. 
Si  r'iert*  moult  d'armes  engorsés** 
Li  vilains  fel  et  aorsés*  ; 
La  lance  prent,  si  la  dépièce 
A  sa  maçue  pièce  à  pièce, 
Puis  esma*  un  cop  grant  et  fier. 


*  Et  il  était.    ** Embar- 
rassé. 

*  Dur  et  méchant. 


*  lisa,  ajusta. 


Dangier  à  Franchise. 

«  Qui  me  tient  que  ge  ne  te  fier*, 
Dist-il,  orde  garce  ribaude? 
Comment  as-tu  esté  si  baude* 
Qu'un  prodome  osas  assaillir?  » 


*  Frappe. 
* Hardie. 


L'Amant. 

Sus  son  escu  fiert  sans  faillir, 
La  preus,  la  bêle,  la  cortoise  ; 
Bien  l'a  fait  saillir  une  toise 
D'angoisse,  et  à  genous  l'abat, 
Moult  la  lédengè*,  moult  la  bat  ; 
Et  croi  qu'à  ce  cop  morte  fust, 
S'ele  éust  fait  escu  de  fust*. 


*  L'injurie 

*  Bois. 


Dangier  à  Franchise. 

«  Autresfois  vous  ai-ge  créue, 
Dame  orde*,  garce  recréue**, 
Dist-il,  n'onc  bien  ne  m'en  ebaï 
Vostre  losenge  *  m'a  traï. 
Par  vous  soffri-ge  le  baisier, 
Por  le  ribaudel  aaisier*  : 
Bien  me  trova  fol  débonaire, 
Déables  le  me  firent  faire. 


*Sale.       ** Éreintée. 

*  Arriva. 

*  Flatterie. 

*  Réjouir. 


fV.    TC3IG.) 


DE  LA  ROSE. 


151 


Par  la  char*  Dieu,  mal  i  venistes , 
Quant  uostre  chaste!  assaillistes  ! 
Ci  vous  estuet*  perdre  la  vie.  » 


*  Chair  de. 


*Faut. 


L'Acteur. 


Et  la  bêle  merci  H  crie , 
Por  Dieu,  que  pas  ue  l'acravant* , 
Quant  el  ne  puet  mes  en  avant  ; 
Et  li  vilains  croie  la  hure*, 
Et  se  forsene*,  et  sor  sains**  jure 
Qu'il  l'occira  sens  nul  respit. 
Moult  en  ot  Pitié  grant  despit, 
Oui,  por  sa  compaignerescorre*, 
Au  vilain  se  hastoit  de  corre*. 

Pitié,  qui  à  tout  bien  s'acorde  , 
Tenoit  une  miséricorde 
En  leu  d'espée,  en  trestous  termes, 
Décorant*  de  plors  et  de  lerraes. 
Ceste  ,  se  li  actor*  ne  ment, 
Perceroit  pierre  d'aïment, 
Por*  qu'ele  fustbien  de  li  pointe**; 
Car  ele  a  trop  aguë  pointe. 
Ses  escus  ert  d'alégement, 
Tous  bordés  de  gémissement , 
Plains  de  sospirs  et  de  complaintes*. 
Pitié,  qui  ploroit  lermes  maintes, 
Point*  le  vilain  de  toutes  pars, 
Qui  se  desfent  comme  liépars. 
Mes  quant  ele  ot  bien  arousé 
De  lermes  Tort  vilain  housé*, 
Si  le  convint  amoloier  *  ; 
Vis*  li  fu  qu'il  déust  noier 
En  un  flueve  tous  estordis. 
Onques  mes  par  faiz  ne  par  dis 


'Ecrase. 


Branle  la  tête. 

* Entre  en  fureur.    **  Re- 
liques. 


Secourir, 
k  Courir. 


*  Dégoûtant. 

"Si  l'auteur. 

*  Pourvu.     ** Piquée. 


'Plaintes. 


'Pique. 


*  Le  sale  vilain  botté. 
*Il  lui  fallut  s'amollir. 

*  Avis. 


152  LE   ROMAN  (v.  ims.) 

Ne  fu  si  durement  hurlés; 
Du  tout  défaillait  sa  durtés, 

Fièbles  et  vains  tremble  et  chancelé, 
Foïr  s'en  volt,  Honte  l'apele. 

Honte. 

«  Dangier,  Dangier,  vilains  provés, 

Se  recréans*  estes  trovés,  *Las,  cessant  d'agir. 

Que  Bel-Acueil  puist  eschaper, 

Vous  nous  ferés  tous  atraper  ; 

Qu'il  baillera  tantost  la  Piose, 

Que  nous  tenons  céans  enclose  ; 

Et  tant  vous  di-ge  bien  sens  faille*,         *  Faute. 

S'il  as  gloutons  la  Rose  baille, 

Sachiés  qu'ele  en  porra  tost  estre 

Blesmie  ou  pâle,  ou  mole  ou  flestre*.      *  Flétrie. 

Et  si  me  repuis  bien  vanter, 

Tex  vens*  porroit  céans  venter,  *Tel. 

Se  l'entrée  trovoit  overte, 

Dont  aurions  damage  et  perte; 

Ou  que  trop  la  graine  esmovroit, 

Ou  qu'autre  graine  i  aplovroit 

Dont  la  Rose  seroit  cbargiée. 

Diex  doint*  que  tel  graine  n'i  chiée!        *  Donne  (subj.). 

Trop  nous  en  porroit  meschéoir*  :  *  Mal  arriver. 

Car,  ains*  qu'ele  en  poïst  cbéoir,  *  Avant. 

Tost  en  porroit,  sans  resortir, 

La  Rose  du  tout  amortir; 

Ou  se  d'amortir  escbapoit, 

Et  li  vens  tex  cops*  i  frapoit  *Teh. 

Que  les  graines  s'entremellassent, 

Que  de  lor  fez  la  flor  grevassent , 

Que  des  foilles,  en  son  descendre, 

Féist  aucune  où  que  soit  fendre, 


(v.  io38o.)  DE   LA  ROSE.  153 

Et  par  la  fente  de  la  foille 

(Laquel  chose  jà  Diex  ne  voille  !) 

Parust  desous  li  vers  boutons, 

L'en  diroit  partout  que  gloutons 

L'auroient  tenue  en  saisine. 

Nous  en  aurions  la  haïne 

Jalousie*  qui  le  sauroit,  *  De  jalousie. 

Qui  du  savoir  tel  duel*  ouroit  ^Chagrin. 

Qu'à  mort  en  serions  livré. 

Maufez*  vous  ont  si  enivré.  »  *Démons. 

U  Acteur. 

Dangier  crie  :  «  Secors!  secors!  » 

A  tant  ès-vous  Honte  le  cors*  *  AlonvoilàqueBonUau 

pas  de  course. 

Ment  a  Pitié,  si  la  menace, 
Qui  trop  redoute  sa  menace. 

Honte. 

«  Trop  avés,  dist-ele,  vescu. 

Ge  vous  froisserai  cest  escu, 

Vous  en  gerrés  encui*  par  terre  :  *  r'ous  en -serez  anjour- 

a  nui  couche  par  terre. 
Mal  empreistes*  ceste  guerre.  »  'Entreprîtes. 

V Jeteur. 

Honte  porte  une  grant  espée 

Clère,  bien  faite  et  bien  trempée, 

Qu'ele  forgea  douteusement*  *  Avec  crainte. 

De  soussi,  d'aparçoi veinent. 

Fort  targe  avoit,  qui  fu  nomée 

Doute  de  maie*  Renomée  :  *  Crainte  de  mauvaise. 

De  tel  fust*  l'avoit-ele  faite  ;  *  Dois. 

Mainte  langue  ot*  au  bort  portraite.       *  il  y  eut. 


154 


LE  ROMAN 


lv- 


Pitié  fiert  si  que  trop  la  ruse*, 
Près  que  ne  la  rendi  confuse. 
A  tant  *  i  est  venus  Déliz  "*, 
Biaus  bachelers*  frans  et  esliz**. 
Cil  fist  à  Honte  une  envaïe*; 
Espée  avoit  de  plèsant*  vie, 
Escu  d'aise  (dont  point  n'avoie) 
Bordé  de  solas*  et  de  joie. 
Honte  fiert;  mes  ele  se  targe* 
Si  resnablement  *  de  sa  targe , 
C'ouques  li  cops*  ne  li  greva; 
Et  Honte  requerre*  le  va, 
Si  fiert*  Délit  par  tel  angoisse, 
Que  sor  le  chief*  l'escu  li  froisse, 
Et  l'abat  jus*  tout  estendu. 
Jusqu'as  dens  l'éust  porfendu , 
Quant  Diex  amène  un  bacbeler 
Que  l'en  apele  Bien-Celer. 

Bien-Celer  fu  moult  bous  guerriers, 
Sages  et  veziés*  et  fiers; 
En  sa  main  une  coie  *  espée , 
Ainsinc  cum*  de  langue  copée. 
Si  la  brandist  sens  faire  noise*, 
Qu'en  ne  l'oïst  pas  d'une  toise, 
Qu'el  ne  rent  son  ne  resbondie  *, 
Jà  si  fort  ne  sera  brandie . 
Ses  escus  ert  de  leu  repost*, 
Onques  geline*  en  tel  ne  post**, 
Bordé  de  séures  alées , 
Et  de  revenues  celées. 
Hauce  l'espée,  et  puis  fiert*  Honte 
Tel  cop,  qu'a  poi*  qu'il  ne  l'afronte; 
Honte  en  fu  trestoute  estourdie. 


*Elle  frappe  tellement 
Pitié  que  trop  elle  la  fait 
reculer. 

*  Alors.     **  Plaisir. 
"Jeune   homme.    ** D'é- 
lite. 

*  Attaque,  invasion.  ■ 

*  Agréable. 


*  Plaisir. 
^Garantit. 

*  Raisonnablement. 

*  Le  coup. 

*  Attaquer. 
*Et  il  frappe. 
*Sur  la  tête. 
*A  bas. 


*  Rusé. 

*  Tranquille. 

*  Ainsi  que. 

*  Bruit. 

*  Ni  retentissement. 

*  Cache. 

*  Poule.      **  Pondit. 


*  Frappe. 

*  Que  ]>tu  s'en  faut. 


(v.     10439.) 


DE   LA    ROSE. 


155 


Bien-Celer, 


«  Honte,  dist-il ,  jà  Jalousie 
La  dolereuse,  la  chetive, 
Ne  le  saura  jor  qu'ele  vive  ; 
Bien  vous  en  asséureroie , 
Et  de  ma  main  fianceroie*; 
S'en  feroie  cent  seremens  : 
N'est-ce  grans  asséuremens? 
Puis  que  Maie-Bouche  est  tués, 
Prise  estes  :  ne  vous  remués.  » 


'Certifierais. 


Comment  Bien-Celer  si  surmonte, 
En  soy  combatant,  daine  Honte  ; 
Bt  puis  Paour  et  Hardement 
Se  combatent  moult  fièrement. 


Honte  ne  set  à  ce  que  dire. 
Paor  saut  toute  plaine  d'ire*, 
Qui  trop  soloit*  estre  coarde. 
Honte  sa  cousine  regarde  ; 
Et  quant  si  la  vit  entreprise, 
S'a  la  main  à  l'espée  mise 
Qui  trop  ert  trenchant  malement. 
Souspeçon  d'em bojfissemen  t  * 
Ot  non*,  car  de  ce  l'avoit  faite; 
Et  quant  el  l'ot  du  Cuerre  traite* , 
Plus  fu  clere  que  nul  béril*. 
Escu  de  dote  ot*  de  péril, 
Bordé  de  travail  et  de  paine; 
Et  Paor,  qui  forment  se  paine 
De  Bien-Celer  tout  détrenchier* 
Por  sa  cousine  revenchier, 
Le  va  sor  son  escu  férir  * 
Tel  cop,  qu'il  ne  le  pot  garir*  ; 
Trestous  estourdis  chancela. 


De  mauvaise  humeur. 
Avait  coutume. 


*  D'orgueil  . 
'Elle  eut  nom. 

'Elle  l'eut  du  fouricau- 
tirée. 

*  Pierre  précieuse. 

*  De  crainte  eut. 


*. l'ailler  en  pièces. 

*  Frapper. 
*Garanlir. 


156  LE   ROMAN  (y.  ig4G7.) 

Adonc  Hardement  apela. 

Cil  saut*  :  car  s'ele  recovrast  *  Celui-là  s'élance. 

L'autre  cop,  malement*  ovrast.  *  Méchamment,  mal. 

Mors  fust  Bien-Celer  sans  retor, 

S'el  li  donast  un  autre  tor. 

Hardemens  fu  preus  et  hardis . 
Eu  apert*  par  l'aiz  et  par  dis  ;  *  Ouvertement. 

Espée  ot  bone  et  bien  forbie 
De  l'acier  de  forsénerie  *  ;  *  Fureur. 

Ses  escus  ert*  moult  renomés,  *  Était. 

Despit  de  mort  estoit  només; 
Bordés  fu  d'abandouement 
A  tous  périz*.  Trop  folement  *  Périls. 

Vient  à  Paor;  si  li  aesme*  *  Vise. 

Por  li  férir ,  grant  cop  et  pesme*.  *  Très-mauvais. 

Le  cop  lest*  corre,  et  el  se  cuevre,         *  Laisse. 
Car  el  savoit  assés  de  Puevre 
Oui  afiert  à  ceste  escremie*.  *  <?'"'  convient  <)  cette  es. 

^  crime. 

Bien  s'est  de  ce  cop  escremie, 

Puis  le  fiert  *  un  cop  si  pesant,  *  Frappe. 

Qu'el  l'abat  à  terre  gisant, 

Conques  escus  n'el  garanti. 

Quant  Hardemens  jus*  se  senti,  *  A  bas. 

Jointes  maius  li  requiert  et  prie 

Por  Dieu  que  ne  l'occie  mie; 

Et  Paor  dit  que  si*  fera.  *  Qu'ainsi. 

Ci  escr/e  Seurtez  Honte. 

Dist  Séurtés  :  «  Ce  que  sera  ? 

Par  Dieu  !  Paor,  ici  morrés, 

Faites  au  pis  que  vous  porrés. 

Vous  soliés*  avoir  les  fièvres  *  Aviez  coutume. 

Cent  teus*  plus  coardes  que  lièvres  :        "Fois. 


(v.  16497.)  DE   LA   ROSE.  157 

Or  estes  désacoardie*  (1).  *  Maintenant  vous  n'êtes 

plus  lâche. 
Déables  vous  font  si  hardie 

Que  vous  prenés  à  Hardement, 

Qui  trop  aime  tornoiement*,  *  Tournoi. 

Et  tant  en  set,  s'il  i  pensot, 

Conques  nul  plus  de  li*  n'en  sot;  * Plu»  que  lui. 

IN'onc  mes  puis  que  terre  marchastes, 

Fors*  en  ce  cas  ne  tornoiastes..  *  si  ce  n'est. 

N'en  savés  faire  aillors  les  tors  ; 

Aillors  en  tous  autres  estors  *  *  Combats. 

Vous  fuies,  ou  vous  vous  rendes, 

Vous  qui  ici  vous  desfendés. 

Avec  Cacus  vous  enfoïstes  (2), 

Quant  Hercules  venir  véistes 

Le  cors*,  à  son  col  sa  maçue  ■  *  En  courant. 

Vous  fustes  lors  toute  esperdue, 

Et  li  méistes  es  piez  eles*,  * K><">  mites  des  ailes  aux 

_,.,,.  ,        .  pieds. 

Qu  il  n  avoit  onques  eu  teles, 

Por  ce  que  Cacus  ot  emblés*  *  Volés. 

Ses  bues,  et  les  ot  assemblés 

En  son  recept*  qui  moult  fu  Ions,  *  Repaire. 

Par  les  queues  à  reculons, 

Que  la  trace  ne  fust  trovée. 

Là  fu  vostre  force  esprovée  ; 

La  monstrates-vous  bien  sens  faille*        *  Faute. 

Que  riens  ne  valés  en  bataille; 

Et  puisque  hanté  ne  Pavés, 

(i)  Le  mot  coard,  ancien  dans  noire  langue  (Voy.  le  Roman  de  Rou, 
tom.  Il,  pag.  152,  1G7,  IC8;  la  Chronique  des  ducs  de  Normandie,  de  Be- 
noit, lom.  III,  pag.  203,  208,  et  pag.  442,  v.  28183,  etc.),  vient  indubitable- 
ment de  l'aspect  que  présente  la  queue  de  certains  animaux  quand  ils  ont 
peur. 

(2)  Cacus,  iils  de  Vulcain,  et  selon  d'autres,  d'Évandre.  C'éloit  un  mé- 
cbanl  garnement  qui,  ayant  dérobé  les  bœufs  d'Hercule,  fut  décelé  par  sa 
sœur,  et  tué  ensuite  par  ce  béros  sur  le  Monl-Aventin.      (L.  D.  D.) 

14 


158 


LE    ROMAN 


(v.     IG521.) 


Petit  ou  noiant*  en  savés. 
Si  vous  estuet  *  uon  pas  desfendre, 
Mes  foïr,  ou  vos  armes  rendre  ; 
Ou  chier  vous  estuet  comparer* 
Qu'à  li  vous  osés  comparer. 

L'Acteur. 


'  Néant,  rien. 
kFaut. 


*  Ou   cher  il   vous  faut, 
payer. 


Séurtés  ot  l'espée  dure 

De  Fuite  de  trestoute  cure*; 

Escu  de  pez,  bon  sens  doutance, 

Trestout  bordé  de  concordance. 

Paor  fiert*,  occire  la  cuide**. 

En  soi  covrir  met  son  estuide 

Paor,  et  l'escu  giète  encontre, 

Qui  sainement  le  cop  encontre  ; 

Si  ne  li  greva  de  noiant*. 

Le  cop  chiet  jus  en  glaeoiant* , 

Et  Paor  tel  cop  li  redone 

Sor  l'escu,  que  toute  l'estonc. 

Moult  s'en  faut  poi  que  ne  l'afolc*; 

S'espée  et  ses  escus  li  vole 

Des  poins,  taut  i  a  fort  hurté. 


*  De  tout  soin. 


'Frappe.      **  Croit. 


*  Il  ne  lui  fit  aucun  nui/. 

*  Le  coup  tombe  en  glis- 
sant. 


Blesse. 


Comment  Paour  et  Seureté 
Ont  par  bataille  fort  heurté; 
Et  les  autres  pareillement 
S'entretaeurtent  subtilement. 

Savés  que  fist  lors  Séurté, 
Por  douer  as  autres  exemples? 
Paor  saisi  parmi  les  temples, 
Et  Paor  li,  si  s'entretienent, 
Et  tuit  li  autre  s'entrevienent. 
Li  uns  se  lie  à  l'autre  et  copie*, 
One  en  estor*  ne  vi  tel  copie. 
Si  renforça  li  chapléis*, 


'Accouple. 
k  Combat. 
*  Bataille- 


0 


DE  LÀ  ROSE. 


159 


Là  rot*  si  fort  trepignéis,  *Il  y  eut. 

Conques  en  nul  tornoiemeiit  *  *Toumoi. 

N'ot  de  cops  itel*  paiement.  *  Tel. 

Tornent  de  çà,  tornent  de  là, 

Chascuns  sa  mesnie*  apela.  *  Maison. 

Tuit  i  acorent  pesle-mesle, 

One  plus  espès  ne  noif  *  ne  gresle  *  Neige. 

Ne  vi  voler,  que  li  cop  volent  ; 

Tuit  se  dérompent  et  afolent*. 

Onques  ne  furent  tex*  niellées 

De  tant  de  gens  ainsinc  mellées. 

Mes  ne  vous  eu  mentirai  jà, 

L'ost*  qui  le  chastel  asséja, 

En  avoit  adès  le  pior*. 

Li  diex  d'Amors  ot  grant  paor 

Que  sa  gent  n'i  fust  toute  occise. 

Sa  mère  mande  par  Franchise 

Et  par  Douz-Regart,  qu'ele  viengne , 

Que  nul  essoingne  *  ne  la  tiengne  ; 

Et  prist  trives  endementiers*, 

Entor  huit  jors,  ou  dix  entiers, 

Ou  plus  ou  mains,  jà  récité 

Ne  vous  en  iert  certaineté. 

Voire  à  tous  jors  fussent-els  prises, 

S'a  tous  jors  les  éust  requises, 

Comment  qu'il  fust  d'eles  casser, 

Qui  que  les  déust  trespasser*. 

Mais  se  son  meillor  i  séust, 

Jà  trives  prises  n'i  éust  ; 

Et  se  li  portier  ne  cuidassent  * 

Que  li  autre  ne  les  cassassent, 

Puis  que  fussent  abaudonées, 

Jà  ne  fussent  espoir*  douées 

De  bon  cuer,  ains*  s'en  corroçassent , 

Quelque  semblant  qu'il  en  monstrassent 


Font  du  mal. 
Telles. 


L'armée. 

:  Toujours  le  pire. 


Excuse. 

Bans  l'intervalle. 


l'ioler. 


'Ne  crussent. 


*  Peut-être. 
*Mais. 


160  LE    ROMAN  (v.  ibssîJ 

Ne  jà  trive  n'i  éust  prise, 

Se  Vénus  s'en  fust  entremise; 

Mes  sens  faille  il  le  convint*  faire.  *  Sans  fouie  il  le  fallut. 

Un  poi  s'estuet  arrière  traire* ,  * (  "  i»1"  '<{  lui  faut  se  ti- 

.  .  rer  en  arrière. 

Ou  por  trive  ou  por  quelque  mite, 
Trestoutes  les  fois  que  l'en  luite 
A  tel  qu'en  ne  puet  sormonter, 
Tant  qu'en  le  puisse  miex  donter. 

Comment  les  messagiers  de  l'ost*  *  L'armée. 

D'Amours,  chascun  de  cuer  dévost, 
Vindrent  à  Vénus,  pour  secours 
Avoir  en  l'ost  au  dieu  d'Amours. 

De  l'ost  se  partent  li  message , 

Qui  tant  ont  erré  comme  sage, 

Qu'il  sunt  à  Citéron  *  venu  :  \Cylhère. 

Là  sunt  à  grant  honor  tenu. 

Citéron  est  une  montaigne 

Dedeus  un  bois  en  une  plaigne, 

Si  haute,  que  nule  arbaleste, 

Tant  soit  fort  ne  de  traire*  preste,  ''Tirer. 

N'i  trairoit  ne  bojon  ne  vire*.  * Espèces  de  trait. 

Vénus,  qui  les  dames  espire*,  *  Anime. 

Fist  là  son  principal  manoir. 

Priucipaument  volt*  là  manoir;  * l'outut. 

Mes  se  tout  l'estre  descrivoie, 

Espoir*  trop  vous  ennoieroie ,  *  Peut-être. 

Et  si  me  porroie  lasser  : 

Pour  ce  m'en  voil*  briefment  passer.      *Je  m'en  veux. 

Vénus  s'iert  ou  bois  dévalée*  "Était  au  bois  descendue. 

Por  chacier  en  une  valée  (1)  : 

(I)  Je  n'ai  trouvé  les  quatre  vers  suivants  que  dans  un  manuscrit  qui 
porte  la  date  de  1330  : 

Marsestoit  jà  viex  devenus, 

Et  estoit  frailes  et  chenus  ; 

l'or  ce  de  soi  l'ot  estrangié  *,  *Éloignè. 

Ou'il  estoit  moult  albibloié  *.  *  affaibli. 


DE  LA  ROSE. 


161 


Li  biaus  Adonis  ert  o  li*, 
Ses  douz  amis  au  cuer  joli  *  ; 
Un  petitet  ert*  enfantis , 
A  chacier  ou  bois  ententis*. 
Enfès  iert*,  jones  et  venans, 
Mes  moult  iert  biaus  et  avenans. 
Midis  estoit  pieçà*  passés, 
Chascuns  ert*  de  cbacier  lassés. 
Sous  un  poplier  en  l'erbe  estoient 
Jouste*  un  vivier,  où  s'ombroioient** 
Li  cbien  qui  las  de  corre  furent, 
Tesgans  ou  ru*  du  vivier  burent  ; 
Lor  darz,  lor  arz  et  ior  cuirées* 
Orent  delez*  eus  apoiées; 
Jolivement  se  déduisoient*, 
Et  les  oisillons  escoutoient 
Par  ces  rainsiaus*  tout  environ. 
Après  lor  gieus ,  en  son  giron 
Vénus  embracié  le  tenoit, 
Et  en  baisant  li  aprenoit 
De  chacier  ou  bois  la  manière, 
Si  cum  ele  en  iert*  coustumière 


*  Avec  die. 
Gai. 

*  Un  peu  était. 

*  Al  tenl  if. 

*  Enfant  était. 

*  Depuis  longtemps. 

*  Était. 


*  Pris  de. 
à  l'ombre. 


'Se  tenaient 


* Abatlns  an  ruisseau. 

*  Carquois. 

*  Eurent  près  de. 

* Gai ment  s'amusaient. 

*  Hameaux. 


Ainsi  qu'elle  en  était. 


Comment  Vénus  à  Adonis  , 
Qui  estoit  sur  tous  ses  amis, 
Desiendoit  qu'en  nulle  manière 
N'allast  chasser  à  beste  fière. 


«  Amis, quant  vostre  mute  iert*  preste, 
Et  vous  irés  quérant  la  beste, 
Chaciés-la,  puis  qu'el  torne  en  fuie*. 
Se  vous  trovés  beste  qui  fuie , 
Corés  après  hardiement; 
Mes  contre  ceus  qui  fièrement 
Metent  à  desfense  lor  cors , 
Ne  soit  jà  torné  vostre  cors  *. 


'Sera  . 


'Fuite. 


Course. 


14. 


162 


LE  ROMAN 


(v.    1664a-.) 


Coars  soies  et  pereceus 

Contre  hardis  :  car  contre  ceus 

Où  cuer  hardi  simt  ahurté*,  *  Écartés. 

Nul  hardement*  n'a  séurté  ;  *  Hardiesse. 

Ains  fait  périlleuse  bataille 

Hardis  quant  à  hardi  bataille. 

Cerz  et  biches,  chevriaus  et  chièvres, 

Rengiers*  et  dains,  connins*  et  lièvres , 

Ceus  voil-ge  bien  que  vous  chaciés, 

En  tel  chace  vous  solaciés*. 

Ours,  leus,  lions,  sanglers  desfens*, 

Ne  chaciés  pas  sor  mon  desfeus  : 

Car  tex  bestes  qui  se  desfendent , 

Les  chiens  occient  et  porl'endent, 

Et  vont  les  veuéors  méesmes 

Moult  soveut  faillir  à  lor  csmes*  ; 

Maint  en  ont  occis  et  navré*  . 

James  de  vous  joie  n'auré , 

Ains*  m'en  pèsera  nullement, 

Se  vous  le  laites  autrement.  » 

Ainsinc  Vénus  le  chastioit* , 

En  chastiant  moult  li  prioit 

Que  du  chasti  ii  sovenist 

Où  qu'il  onques  chacier  venist. 

Adonis,  qui  petit  prisoit 

Ce  que  s'amie  li  disoit, 

Fust  à  menconge,  t'ust  à  voir*,  * Férité. 

Tout  otroioit  por  pez  avoir, 

Qu'il  ne  prisoit  rieilS  le  chasti  *.  *  L'avertissement . 

Poi  vaut  quanque*  celé  a  basti.  *  Peu  vaut  ce  que. 

Chastit-Ie  tant  cum  el  vorra*,  *  fondra. 

S'el  s'en  part,  jamès  n'el  verra. 
Ne  la  crut  pas,  puis  eu  morut, 
C'onc  Vénus  ne  l'en  secorut, 
Qu'ele  n'i  estoit  pas  présente. 


Cerfs.      **  Lapins. 

'  Divertissez. 
".4  défenses. 


*  Desseins. 

*  Blessé. 

*  Mais. 

*  L'avertissait. 


DE  LA  ROSE. 


1G3 


Puis  le  plora  moult  la  dolente*, 
Qu'il  cbaça  puis  à  un  sangler 
Qu'il  cuida*  prendre  et  estrangler; 
Mes  n'el  prist  ne  ne  détrencha*, 
Car  li  sanglers  se  revencha 
Cum  fière  et  orguilleuse  beste. 
Contre  Adonis  escout*  la  teste, 
Ses  dens  en  l'aine  li  flati*, 
Son  groing  estort*,  mort  l'abati. 

Biau  seignor,  que  qu'il  vous  aviengne. 
De  cest  exemple  vous  soviengne  : 
Vous  qui  ne  créés*  vos  amies, 
Sachiés  vous  faites  grans  folies  ; 
Bien  les  déussiés  toutes  croire, 
Car  lor  dit  sunt  voir*  cum  istoire. 
S'el  jurent,  toutes  somes  vostres, 
Créés-les  comme  paternostres; 
Jà  d'eus  croire  ne  recréés*, 
Se  Baison  vient,  point  n'en  créés  ; 
S'el  vous  aportoit  crucefiz , 
N'el  créés  point  ne  que  ge  fiz. 
Se  cist*  s'amie  éust  créue, 
Moult  éust  sa  vie  acréue. 

L'un  se  jeue  à  l'autre  et  déduit, 
Quant  lor  plest  ;  après  lor  déduit , 
A  Citéron  sunt  retomé. 
Cil  qui  n'ierent*  pas  séjorné, 
Ainçois*  que  Vénus  se  despuille, 
Li  content  de  fil  en  aguille 
Trestout  quanque*  lor  appartint. 
«  Par  foi,  ce  dist  Vénus ,  mal  tint 
Jalousie  chastel  ne  case  * 
Contre  mon  fiz.  Se  tout  n'embrase 
Les  portiers  et  tout  lor  ator, 
Ou  les  clez  rendront  de  la  tor. 


*  Malheureuse. 

*  Crut. 

*  Tailla  en  pièces. 


*  Secoua. 

*  Enfonça. 

*  Dégagea. 


*  Croyez. 


Leurs  paroles  sont  vraies. 


*  Cessez. 


Si  celui-là. 


*  Ceux  qui  n'étaient. 

*  Avant. 

*Tout  ce  qui. 

*  Maison. 


164 


LE  ROMAN 


Ge  ne  doi  prisier  un  landon* 

Moi,  ne  mon  arc  ne  mon  brandon.  » 


*  Billot  que  l'on  attache 
au  cou  des  chiens  pour  les 
empêcher  de  chasser. 


Comment  huit  jeunes  colombeaux 
En  un  char,  qui  fut  riche  et  beaux, 
Mainent  Vénus  en  l'ost  *  d'Amours, 
Pour  lui  faire  hastif  secours. 

Lors  fist  sa  mesnie*  apeler; 
Son  char  comande  à  ateler, 
Qu'el  ne  volt*  pas  marchier  les  boes. 
Biaus  fu  li  chars  à  quatre  roes, 
D'or  et  de  pelles  estelés*  ; 
En  leu  de  chevaus,  atelés 
Ot  es*  limons  huit  colombiaus 
Pris  en  son  colombier,  moult  biaus. 
Toute  lor  chose  ont  aprestée. 
Adonc  *  est  en  son  char  montée 
Vénus  ,  qui  Chastéé  guerroie. 
Tsus  des  colons  ne  se  desroie*, 
Lor  csles  bâtent,  si  s'en  partent, 
L'air  devant  eus  rompent  et  partent*, 
Yienent  en  l'ost.  Vénus  venue , 
Tost  est  de  son  char  descendue. 
Contre  li  saillent*  à  grant  feste 
Son  Glz  premiers,  qui  par  sa  heste* 
Avoit  jà  les  trives  cassées, 
Aiuçois*  que  fussent  trespassées  ; 
Conques  n'i  garda  convenance* 
De  serement  ne  de  fiance. 

C'est  l'assaut  devant  le  chastel, 
Si  grant  que  pioçà  *  n'y  eut  tel  ; 
Mais  Amours  ne  sa  compagnie 
A  cestc  foys  ne  l'eurent  mie  : 
Car  cculx  de  dedans  résistance 
Lu  y  firent  par  leur  grant  puissance. 


"Armée. 

*  Maison,  suite. 

*  Car  elle  ne  voulut' 

*  De  perles  constelle. 

*  Il  y  eut  dans  les. 

*  Alors. 


*  Nulle  des  colombes  ne  se- 
dérange, 

*  Divisent,  partagent. 


*  Accourent. 

*  Hâte. 

*  Avant. 

* Convention. 


"Longtemps. 


Forment*  à  guerroier  entendent. 


'Fortement. 


DE  LA   ROSK 


165 


Cist  assaillent,  cil  se  desfendent  ; 
Cil  drecent  au  cliastel  perrières, 
Grans  cailloux  de  pesans  perrières 
Por  les  murs  rompre  lor  envoient; 
Et  li  portier  les  murs  hordoient* 
De  fors  cloies  refuséices*, 
Tissues  de  verges  pléices*, 
Qu'il  orent  par  grans  estoties* 
En  la  haie  Dangier*  coillies; 
Et  cist  sajetes*  barbelées, 
De  grans  promesses  empenées, 
Que  de  servises,  que  de  dons, 
Por  tost  avoir  lor  guerredons*  : 
Car  il  n'i  entra  onques  fust* 
Qui  tout  de  promesses  ne  fust, 
D'un  fer  ferrées  fermement 
De  fiance  et  de  serement. 
Traient*  sor  eus,  et  cil  se  targent**, 
Qui  de  desfendre  ne  s'atargent*  : 
Car  targes  ont  et  fors  et  fières, 
Ne  trop  pesans  ne  trop  légières, 
D'autel  fust  cum  erent*  les  claies 
Que  Dangier  cuilloit  en  ses  baies, 
Si  que  traire  *  riens  n'i  valoit. 

Si  cum  la  chose  ainsinc  aloit, 
A  mors  vers  sa  mère  se  trait, 
Tout  son  estât  li  a  retrait*, 
Si  li  prie  que  le  secore. 


"Garnissent    comme 
lion  ni  s. 

*  Très-serrées. 

*  Flexibles. 

*  Folies. 

*  De  Danger. 

*  Flèches. 


Récompenses. 

Bois. 


de 


'Tirent. 
'  Tardent . 


*  De     tel 

étaient. 

*  Tirer. 


*  Rapporté. 


Couvrent 


bois     comme 


Ténus. 


«  Maie  mort,  dit-ele,  m'acore*,  *  M'accoure 

Qui  tantOSt  me  puist  acorer\  *  Crever  le  eœur 

Se  ge  jamès  lais*  demorer  *  baisse. 
Chastéé  en  famé  vivant  : 


466 


Tant  aut  Jalousie  estrivant*  ! 
Trop  sovent  en  grant  peine  en  somes 
Biau  filz,  jurés  ausinc  des  homes, 
Qu'il  saudront*  tuit  par  vos  sentiers. 


LE    ROMAN  (v.  16769.) 

*  Aille  Jalousie  disputant . 


'Sortiront. 


Le  dieu  d'Amours. 

«  Certes,  ma  dame,  volentiers. 
N'eu  ierent  nésuus  respité*  ; 
James  au  mains  par  vérité 
Ne  seront  prodome  clamé  * , 
S'il  n'aiment  ou  s'il  n'ont  amé. 
Grant  dolor  est  que  tex*  gens  vivent 
Qui  les  déduiz  d'Amors  eschivent*, 
Por*  qu'il  les  puissent  maintenir; 
A  mal  chief*  puissent-il  venir! 
Tant  les  hé ,  que  se  g'es*  poisse 
Confondre,  tous  les  confondisse. 
D'aus  me  plains  et  tous  jors  plaindrai, 
Ne  du  plaindre  ne  me  faindrai, 
Cum  cil  qui  nuire  lor  vorrai* 
En  tous  les  cas  que  ge  porrai, 
Tant  que  g'en  soie  si  venchiés, 
Que  lor  orguex  soit  estanchiés*  , 
Ou  qu'il  seront  tuit  condamné. 
IMal  fuissent-il  onc  d'Adam  né, 
Qui  si  pensent  de  moi  grever  ! 
Es  cors  lor  puist  li  cuers*  crever, 
Quant  mes  déduis  vuelent  abatre  ! 
Certes,  qui  me  vodroit  bien  batre, 
Voire  afronter  à  quatre  pis*, 
Ne  me  pourroit-il  faire  pis. 
Et  si  ne  sui-ge  pas  mortiex*, 
Mes  corrous  en  reçoif  or  tiex  *, 
Que  se  mortiex  estre  péusse, 


*  JS'en  seront  aucuns  re- 
tardés. 


*  Gens  de  bien  appelés. 

*  Telles. 

*  Esquivent,  évitent. 

*  Pour  peu. 
Mauvaise  fin. 

*  Je  les. 


*  Tondrai. 


'Arrêté,  abat  tu. 


*  Dans  le  corps  leur  puisse 
le  cœur. 


*  Pieux,  bâtons. 

"  Mortel. 
*Tel. 


(V.     I680F.) 


DE   LA   ROSE. 


167 


De  duel*  que  j'ai,  la  mort  eusse. 
Car  se  mi  gieu  *  vont  défaillant, 
J'ai  perdu  quanque*  j'ai  vaillant, 
Fors*  mon  cors  et  mes  vestéures, 
Mon  chapel  et  mes  arméures. 
Au  mains  s'il  n'en  ont  la  puissance, 
Déussent-il  avoir  pesance* 
Et  lor  cuer  à  dolor  plessier*, 
S'il  les  lor  convenist*  lessier. 
Où  puet-1'en  querre  meillor  vie 
Que  d'estre  entre  les  bras  s'amie*  ?  » 


De  chagrin. 

*  Car  si  mes  jeux. 

*  Ce  que. 

*  Excepté. 


* Chagrin. 

*  Soumettre. 

*  S'il  les  leur  fallût. 

*  De  son  amie. 


L Jeteur. 

Lors  font  en  l'ost  *  le  serement,  *  L'armée. 

Et  por  tenir-le  fermement, 

Ont  en  leu  de  reliques  tretes*  *  Apport;. 

Lor  cuiries*  et  lor  sajetes,  *  Carquois. 

Lor  ars,  lor  dars  et  lor  brandons, 

Et  dient  : 


Tous  les  barons  de  l'ost*  à  une  vois.       *  L'armée. 

«  Nous  n'i  demandons 
INleillors  reliques  à  ce  faire, 
Ne  qui  tant  nous  péussent  plaire. 
Se  nous  cestes  parjurions, 
James  créu  ne  serions. 

L!  Acteur. 

Sor  autre  chose  ne  le  jurent; 
Et  li  baron  sor  ce  les  crurent 
Autant  cum  sus  la  Trinité, 
Por  ce  qu'il  jurent  vérité. 


168 


LE  ROMAN 


IC827.) 


Comment  Nature  la  subtille 

Forge  toujours  ou  filz  ou  fille, 
Affiu  que  l'humaine  lignye 
Par  son  deffaut  ne  faille  mye. 


Et  quant  ce  serement  fait  orent, 
Si  que  tuit  entendre  le  porent, 
Nature,  qui  pensoit  des  choses 
Qui  sunt  desouz  le  ciel  encloses, 
Dedens  sa  forge  entrée  estoit, 
Où  toute  s'entente*  metoit 
A  forgier  singulières  pièces 
Por  continuer  les  espièces  : 
Car  les  pièces  tant  les  fet  vivre, 
Que  Mors  ne  les  puet  aconsivre*, 
.la  tant  ne  saura  corre  après; 
Car  Nature  tant  li  va  près, 
Que  quant  la  Mors  o*  sa  maçue 
Des  pièces  singulières  lue 
Ceus  qu'el  trueve  à  soi  redevables, 
(Qu'il  i  en  a  de  corrumpables  * 
Qui  ne  doutent  *  la  Mort  néant, 
Et  toutevois  vont  déchéanl, 
Et  s'usent  en  tens  et  portassent , 
Dont  autres  choses  se  norrissent)  ; 
Quant  toutes  les  cuide  estreper*, 
N'es*  puet  ensemble  conceper**  • 
Que*  quant  l'une  par-deçà  hape, 
L'autre  par  delà  li  eschape. 
Car  quant  ele  a  tué  le  père, 
llemaint-il*  li/.  ou  fille  ou  mère, 
Qui  s'enfuient  devant  la  Mort, 
Quant  il  voient  celi  ja  mort. 
Puis  reconvient  iceus  morir*, 
.là  si  bien  ne  sauront  corir-, 
N'i  vaut  médecines  ne  veus. 


*  Son  attention. 


Atteindre. 


*  Avec. 


*  Corruptibles. 

*  Redoutent. 


*  Extirper 

*  \e  les.      **  (  oncevoir, 
*Car. 


Reste-t-il. 


*  Puis  il  faut  ry»V<  leur 
toitr  ceux-là  meurent. 


(t.   16858.)  DE  LA  ROSE.  1G9 

Donc  saillent  nièces  et  neveus 

Qui  fuient,  por  eus  déporter*,  *  S'amuser. 

Tant  cum  piez  les  puéent*  porter  ;  *  Peuvent. 

Dont  l'un  s'enfuit  à  la  karole*,  *  Danse. 

L'autre  au  moustier*,  l'autre  à  l'escole,    *  A  l'église. 

Li  autre  à  lor  marchéandises, 

Li  autre  os  ars  qu'il  ont  aprises, 

Li  autre  à  lor  autres  déliz  *  *  Plaisirs. 

De  vins,  de  viandes,  de  Hz. 

Li  autre,  por  plus  tost  foïr, 

Que  Mors  ne  les  face  enfoïr, 

S'en  montent  sor  lor  grans  destriers 

À  tout  lor  sororés*  estriers.  *Avec  leurs  dorés. 

L'autre  met  en  un  fust  *  sa  vie,  *Bois. 

Et  s'enfuit  par  mer  à  navie*,  *  Sur  un  navire. 

Et  maine  au  regart  des*  estoiles  "En  regardant  les. 

Ses  nefz,  ses  avirons,  ses  voiles. 

L'autre,  qui  par  veu  s'umilie, 

Prent  un  mantel  d'ypoerisie , 

Dont  en  fuiant  son  penser  cuevre, 

Tant  qu'il  apert*  dehors  par  uevre.         * Apparaît . 

Ainsinc  fuient  tuit  cil  qui  vivent , 

Qui  volentiers  la  Mort  eschivent. 

Mors,  qui  de  noir  le  vis*  a  taint,  *  Visage. 

Cort  après  tant  que  les  ataint, 
Si  qu'il  i  a  trop  fière  chace. 
Cil  s'enfuient,  et  Mors  les  chace 
Dix  ans  ou  vingt,  trente  ou  quarante  (I), 

(i)  L'auteur  en  cet  endroit  parle  du  peu  de  temps  que  nous  avons  à 
vivre  :  c'est  une  pensée  tirée  du  Prophéte-Pioi  qui,  au  psaume  89,  s'ex- 
plique en  ces  termes  :  Dies  annorum  noslrorum  in  ipsis  septvaginla  an- 
nls,  si  autem  in  poienlatibus  octoginta  anni  et  amplius,  eorumlabor  et 
dolor;  ce  que  David  atlribuoit  a  la  colère  de  Dieu,  les  philosophes  ont  cru 
que  le  nombre  de  soixante  et  dix  étoit  le  terme  ordinaire  de  la  vie. 

Cum  vero  decas  qui  et  ipse  est perjectissimus  numerus  perfecto  nu- 
là 


170 


LE   ROMAN 


V.     IGS8G. 


Cinquante,  soixante,  septante, 

Voire*  octante,  nonante,  cent. 

Lors  quanque*  tient  va  dépeçant; 

Et  s'il  puéent  *  outre  passer, 

Cort-ele  après  sens  soi  lasser, 

Tant  que  les  tient  en  ses  liens, 

Maugré  tous  les  phisiciens*. 

Et  les  phisiciens  méismes 

One  nul  eschapper  n'en  véismes, 

Par  Hipocras  (I)  ne  Galien  (2), 

Tant  lussent  bon  phisicien. 

Rasis  (3),  Constantin  (4),  Avicenue  (5) 

I  ont  lessiée  la  couenne  ; 

Et  cels  qui  ne  puent  tant  corre, 

N'es  respuet  riens  de  mort  rescorre  *. 


*  Même. 

*  Ce  que. 

*  Peuvent. 


:  Médecins. 


*  Ne   les  peut  rien  de  la 
mort  secourir. 


mero,  id esl'EittàSt  jungitur,  ut  aut  decies  septem,  aut  septies  déni  com- 
putentur  anni,  hœe  a  Physicis  creditur  meta  vivendi,  quod  si  quis  ex- 
cesserit  ab  omni  officia  vacuus  soli  exercitio  sapi entité  vacat,  et  omnem 
nsum  sut  in  suadendo  habet  aliorum  vacation e  reverendus.  Macrobius  in 
Somniuui  Scipionis,  lïb.  i,  cap.  vi,  où  il  est  traité  tort  au  long  du  nombre 
sept  ou  septénaire.  (L.  D.  D.) 

(i)  HipPOCiUTE,  médecin  célèbre,  vivoit  400  ans  avant  J.-C.  Il  y  a  ap- 
parence que  ce  médecin  croyoit  que  le  commerce  des  vieilles  femmes 
abrégeoit  les  jours  des  jeunes  gens,  puisqu'un  de  ses  malades  lui  dit  un 
jour  :  F'etulam  non  cognovi,  cur  morior  ?  Comme  si,  en  évitant  cet 
écueil,  il  eût  du  parvenir  à  l'immortalité.  (L.  D.  D.) 

(2)  GALIEN,  médecin  célèbre,  qui  vécut  sous  les  empereurs  Trujan  et 
Adrien  ;  il  mourut  âgé  de  70  ans.  On  dit  qu'il  composa  deux  cents  vo- 
lumes. (L.  D.  D.) 

(3)  Razis,  médecin  arabe,  connu  sous  le  nom  d'Almansor  ou  (TAbu- 
behre-al-Razi.  Il  vivoit  dans  le  dixième  siècle,  et,  selon  d'autres,  dans  le 
neuvième;  il  vécut  cent  vingt  ans,  dont  il  en  employa  quatre-vingts  à 
l'étude  de  la  médecine.  (L.  D-  D.) 

(4)  Constantin,  médecin  grec; c'est  le  premier  qui  ait  parlé  de  la  petite 
vérole.  (L.  D.  D.) 

(5)  AviCENNrc,  philosophe  et  médecin  arabe  du  onzième  siècle,  célèbre 
par  plusieurs  ouvrages  de  médecine.  On  a  prétendu  que  le  sultan  Cabous 
l'avoil  employé  dans  le  ministère  en  qualité  de  vizir.  (L.  D.  D.) 


(v.  i69oi.)  DE  LA   ROSE.  171 

Ainsinc  Mors,  qui  jà  n'iert*  saoule,         *  Jamais  ne  sera. 

Glotement  les  pièces  eugoule*;  *  Avale. 

Tant  les  sieut*  par  mer  et  parterre,       *Suit. 

Qu'en  la  fin  toutes  les  enserre. 

Mes  n'es  puet  ensemble  tenir 

Si  qu'el  ne  puet  à  chief*  venir  *A  bout. 

Des  espèces  du  tout  destruire, 

Tant  sevent  bien  les  pièces  fuire  : 

Car  s'il  n'en  demoroit  fors  *  une,  *  Seulement. 

Si  vivroit  la  forme  commune  ; 

Et  par  le  Fenis  bien  le  semble, 

Qu'il  n'en  puet  estre  deus  ensemble. 

Tous  jors  est-il  un  seul  Fenis, 
Et  vit  ainçois*  qu'il  soit  fenis,  *  Avant. 

Par  cinq  cens  ans  ;  au  darrenier, 
Si  fait  un  feu  grant  et  plenier 
D'espices,  et  s'i  boute  et  s'art*,  *Se  brûle. 

Ainsinc  fait  de  son  cors  essart*.  *  Cendre. 

Mes  por  ce  que  sa  forme  garde, 
De  sa  poudre,  combien  qu'il  s'arde, 
Un  autre  Fenis  en  revient , 

Ou  cil-méismes*,  se  Dé  vient,  *Celui-là  même. 

Que  Nature  ainsinc  résuscite, 
Qui  tant  à  l'espèce  profite 
Qu'ele  perdroit  du  tout  son  estre, 
S'el  ne  faisoit  cestui  renestre  ; 
Si  que  se  Mort  Fenis  dévore, 
Fenis  toutevois  vis*  demore.  *  Vivant. 

S'el  en  avoit  mil  dévorés, 
Si  seroit  Fenis  demorés. 
C'est  Fenis  la  commune  forme 
Que  Nature  es*  pièces  réforme,  *  Dans  les. 

Qui  du  tout  perdue  seroit, 

Qui  l'autre  vivre  ne  lerroit*.  *  Laisserait. 

Ceste  manière  néis*  ont  *  Même. 


172 


LE   ROMAN 


(v.     TG93G.) 


Trestoutes  les  choses  qui  sont 
Desouz  le  cercle  de  la  lune, 
Que  s'il  en  puet  demorer  une, 
S'espèce*  tant  en  li  vivra, 
Que  jà  Mors  ne  la  consivra*. 
Mes  Nature  douce  et  piteuse*, 
Quant  el  voit  que  Mors  l'envieuse 
Entre  li  et  corrupcion 
Vuelent  mètre  à  destruction 
Quanqu'el  trueve*  détiens  sa  forg", 
Tousjors  martelé,  tousjors  forge, 
Tous  jors  ses  pièces  renovele 
Par  généracion  novele. 
Quaût  autre  conseil  n'i  puet  mètre  , 
Si  taille*  emprainte  de  tel  Ietre, 
Qu'el  lor  done  formes  veroies  * 
En  coinz  de  diverses  monoies , 
Dont  Ars  faisoit  ses  exemplaires, 
Qi:i  ne  fait  pas  choses  si  voires*. 
Mes  par  moult  ententive  cure*, 
A  genouz  est  devant  Nature , 
Si  prie*  et  requiert  et  demande , 
Comme  mendians  et  truande, 
Povre  de  science  et  de  force, 
Qui  d'ensivre-la*  moult  s'esforce, 
Que  Nature  li  voille  aprendre 
Comment  ele  puisse  comprendre, 
Par  son  engin  en  ses  figures, 
Proprement  toutes  créatures. 
Si  garde  comment  Nature  euvre, 
Car  moult  vodroit  faire  autel*  euvre, 
Et  la  contrefait  comme  singes; 
Mes  tant  est  son  sens  nus  et  linges* , 
Qu'il  ne  puet  faire  choses  vives, 
Jà  si  ne  sembleront  naïves  *  : 


*Son  espèce. 

*  Atteindra. 

*  Miséricordieuse. 


*Tout  ce  qu'elle  trouve. 


*  Elle  taille. 

*  fraies. 


*  Véritables. 

*  Soi  n  attentif. 


*  Et  prie. 


*  De  la  suivre. 


*  Pareille. 

*  Simple. 

*  Naturelles. 


(v.     1697  T. 


DE  LA   ROSE. 


173 


Car  Ars,  combien  qu'ele  se  paine 
Par  grant  estuide  et  par  grant  paine, 
De  faire  choses  quiex*  qu'el  soient, 
Quiexque  figures  qu'eles  aient, 
Paingne,  taingne,  forge  ou  entaille* 
Chevaliers  armés  en  bataille, 
Sor  biaus  destriers  trestons  couvers 
D'armes  yndes*,  jaunes  ou  vers, 
Ou  d'autres  colors  piolés*, 
Se  plus  piolés  les  volés  ; 
Biaus  oisillons  en  vers  boissons, 
De  toutes  iaues  les  poissons, 
Et  toutes  les  bestes  sauvages 
Qui  pasturent  par  ces  boscages; 
Toutes  herbes,  toutes  floretes, 
Que  valetons*  et  puceletes 
Vont  en  printens  es  bois  coillir, 
Que  florir  voient  et  foillir; 
Oisiaus  privés,  bestes  domesches* , 
Baceleries*,  dances,  tresches** 
De  bêles  dames  bien  parées , 
Bien  portrètes,  bien  figurées , 
Soit  en  métal,  en  fust*,  en  cire, 
Soit  en  quelconque  autre  matire, 
Soit  en  tables  ou  en  parois , 
Tenans  biaus  bachelers  as  dois, 
Bien  figurés  et  bien  portrais  ; 
Jà  por  figure  ne  por  trais 
Ne  les  fera  par  eus  aler, 
Vivre,  movoir,  sentir,  parler. 

Ou  d'alquemie*  tant  aprengne, 
Que  tous  métauz  en  color  taingne, 
Qu'el  se  porroit  ainçois*  tuer, 
Que  les  espèces  remuer*, 
Se  tant  ne  fait  qu'el  les  ramaine 


'Quelles. 


*  Sculpte. 


*  Bleues. 

*  Tachetés. 


*  Jeunes  gens,  petits  gar- 
çons. 


'Domestiques. 


Jeux  d'enfants. 
*  Rondes. 


'En  bois. 


*  D'alchimie. 

*  Plutôt. 

*  Muer  de  nouveau. 

15. 


174 


LE   ROMAN 


(v- 


A  lor  nature  premeraine*. 

Euvre  tant  cum  ele  vivra, 

Jà  Nature  n'aconsivra*; 

Et  se  tant  se  voloit  pener  * 

Qu'el  les  i  séust  ramener, 

Si  li  faudroit,  espoir*,  science 

De  venir  à  celé  atrempance*, 

Quant  el  feroit  son  élixir, 

Dont  la  forme  devroit  issir  *, 

Qui  devise  entr'eus  lor  sustances 

Par  espéciaus*  différences, 

Si  cum  il  pert  au  défeuir*, 

Qui  bien  en  set  à  chief  venir*. 

Neporquant*,  c'est  chose  notable , 

Alquemie  est  ars  véritable. 

Qui  sagement  en  ovreroit, 

Grans  merveilles  i  troveroit  ; 

Car  comment  qu'il  aut*  des  espièces, 

Au  mains  les  singulières  pièces 

Qu'en  sensibles  euvres  sunt  mises, 

Sunt  muables  en  tant  de  guises, 

Qu'el  puéent  lor  compleccions, 

Par  diverses  digestions, 

Si  changier  entr'eus,  que  cis*  changes 

Ees  met  souz  espèces  estrangcs, 

Et  leur  toit*  l'espèce  première. 

Ne  voit-1'en  comment  de  fogière 

Eont  cil  et  cendre  et  voirre*  nestre, 

Qui  de  voirrerie  sunt  mestre, 

Par  dépuration  légière  ? 

Si  n'est  pas  li  voirres  fogière, 

Ne  fogière  ne  r'est*  pas  voirre. 

Et  quant  espar*  vient  en  tonuoirre, 

Si  repuet-ren*  soveut  véoir 

Des  vapeurs  les  pierres  chéoir, 


*  Première. 

*  N'atteindra. 

*  Donner  de  la  peine. 

*  Peut-être. 

*  Degré. 

*  Sortir. 

*Sj)éciales. 

*  Il  parait  à  la  fin. 

*  Venir  à  bout. 
Néanmoins. 


'Aille. 


*Ce. 

*  Enlevé. 

*  ferre. 


*  N'est  de  son  cote. 

*  Éclair. 

*  On  peut. 


(V.     ITOil/ 


DE   LA   ROSE. 


175 


Qui  ne  montèrent  mie  pierres  : 
Ce  puet  savoir  li  cognoissierres* 
De  la  cause  qui  tel  matire 
A  ceste  estrange  espèce  tire. 
Ci  sunt  espèces  treschangiées*, 
Ou  les  pièces  d'aus  estrangiées* 
Et  en  sustauce  et  eu  flgure  ; 
Ceus  par  Art,  ceste  par  Nature. 

Ainsinc  porroit  des  métaus  faire 
Qui  bien  en  sauroit  à  chief  traire* , 
Et  tolir*  as  ors  lor  ordure, 
Et  metre-les  en  forme  pure 
Par  lor  complexions  voisines, 
L'une  vers  l'autre  assés  enclines  ; 
Qu'il  sunt  trestuit  d'une  matire, 
Comment  que  Nature  les  tire  : 
Car  tuit  par  diverses  manières , 
Dedens  les  terrestres  minières, 
De  soufre  et  de  vif-argent  nessent, 
Si  cum  li  livre  le  confessent. 
Qui  se  sauroit  doue  soutillier* 
As  esperiz  aparillier, 
Si  que  force  d'entrer  eussent, 
Et  que  voler  ne  s'en  péussent 
Quant  il  dedens  les  cors  entrassent, 
Mes  que  bien  purgiés  les  trovassent, 
Et  fust  li  sofres  sans  ardure, 
Por  blanche  ou  por  rouge  tainture^ 
Son  voloir  des  métaus  auroit 
Qui  ainsinc  faire  le  sauroit  ; 
Car  d'argent  vif  fin  or  font  nestre 
Cil  qui  d'alquemie  sunt  mestre, 
Et  pois  et  color  li  ajoustent 
Par  choses  qui  gaires  ne  coustent. 
Et  d'or  fin  pierres  précieuses 


*  Le  connaisseur. 


*  Changées  de  tout  en  tout. 

*  Éloignées. 


Tarir  à  bout. 
'Enlever. 


'  Ingénier,  industrie)-. 


176 


LE   ROMAN 


(V- 


Font-il  clères  et  aviveuses*; 
Et  les  autres  métaus  desnuent* 
De  lor  formes,  si  qu'il  les  muent* 
Eu  fin  argent,  par  médecines 
Blanches  et  trespercans  *  et  fines. 
Mes  ce  ne  feroient  cil  mie 
Qui  euvrent  de  sophisterie  ; 
Travaillent  tant  cum  il  vivront, 
.Ta  Nature  n'aconsivront*. 

Nature,  qui  tant  est  soutive*, 
Combien  qu'ele  fust  ententive* 
A  ses  euvres,  que  tant  amoit, 
Lasse,  dolente*  se  clamoit, 
Et  si  parfondément  ploroit, 
Qu'il  n'est  cuers  qui  point  d'amor  ait 
Ne  de  pitié,  qui  l'esgardast, 
Qui  de  plorer  se  retardast  *: 
Car  tel  dolor  au  cuer  sentoit 
D'un  fait,  dont  el  se  repentoit, 
Que  ses  euvres  voloit  lessier, 
Et  du  tout  son  penser  cessier, 
Mes  que  tant  solement  séust 
Que  congié  de  son  mestre  éust  : 
Si  l'en  voloit  aler  requerre*, 
Tant  li  destraint*  li  cuers  et  serre. 
Bien  la  vous  vosisse*  descrire; 
Mes  mi  sens*  u'i  porroit  soflîre. 
Mi  sens!  qu'ai-ge  dit?  c'est  du  mains, 
Non  feroit  voir  nus  sens  humains, 
Ne  par  vois  vive  ne  par  notes  ; 
Et  Fust  Datons  ou  Aristotes, 
Aigus,  lùiclides,  Tholomées, 
Qui  tant  oreut  de  renommées 
D'avoir  esté  bon  escrivain, 
Lor  engin*  seroient  si  vain, 


*  l'iies. 

*  Dépouillent. 
* Changent. 

*  Pénétrantes. 


*  N'atteindront. 

*  Subtile. 

*  Attentive. 

*  Malheureuse. 


'  Le  regardât. 


*  Lui  présenter  requête. 
* Tourmente. 

*  f'oulusse. 

*  Mou  sens. 


*  Artifices. 


(v.   mu.)  DE  LA   ROSE.  177 

S'il  osoicnt  la  chose  emprendre*,  *  Entreprendre. 

Qu'il  ne  la  porroient  entendre, 

Ne  Pymalions  entaillier*.  *  Sculpter. 

En  vain  se  porroit  travaillier*  *  Efforcer. 

Parrasius,  voire  Apellés, 

Que  ge  moult  bon  paintre  appelles, 

Biautés  de  li  jamès  descrivre 

Ne  porroit,  tant  éust  à  vivre  : 

Ne  Miro  ne  Policletus, 

James  ne  sauroient  cest  us*.  *  Usage. 

Comment  le  bon  paintre  Zeuxis 

Fut  de  contrefaire  pensis 

La  très-grant  beaulté  de  Nature, 

Et  à  la  paindre  mist  grant  cure  *.  *  Suin. 

Zeuxis  néis  *  par  son  biau  paindre  *  Même. 

Ne  porroit  à  tel  forme  ataindre, 

Qui,  por  faire  l'ymage  au  temple, 

De  cinq  puceles  prist  exemple, 

Les  plus  bêles  que  l'en  pot  querre*  *  Chercher. 

Et  trover  en  toute  la  terre, 

Qui  devant  li  se  sont  tenues 

Tout  en  estant*  trestoutes  nues,  *  Debout. 

Pour  soi  prendre  garde  à  chascune, 

S'il  trovast  nul  défaut  en  l'une, 

Ou  fust  sor  cors,  ou  fust  sor  membre, 

Si  cum  Tules*  le  nous  remembre"*        *Cicéron.     ** Rappelle. 

Ou  *  livre  de  sa  Rétorique,  *  Dans  le. 

Qui  moult  est  science  autentique. 

Mes  ci  ne  péust-il  riens  faire 

Zeuxis,  tant  séust  bien  portraire, 

Ne  colorer  sa  portraiture, 

Tant  est  de  grant  biauté  Nature. 

Zeuxis,  non  pas,  trestuit  li  mestre 

Que  Nature  fist  onques  nestre  : 


178 


LE  ROMAN 


17.4.) 


Car  or  soit  que  bien  entendissent 
Sa  biauté  toute,  et  tuit  vosissent* 
A  tel  portraiture  muser, 
Ains  porroient  lor  mains  user, 
Que  si  très-grant  biauté  portraire. 
Nus,  fors*  Diex,  ne  le  porroit  faire. 
Et  por  ce  que,  se  ge  poisse , 
Volentiers  au  mains  l'entendisse, 
Voire*  escrite  la  vous  eusse, 
Se  ge  poisse  ou  ge  séusse  ; 
Ge-méismes  i  ai  musé, 
Tant  que  tout  mon  sens  i  usé 
Comme  fox  et  outrecuidiés, 
Cent  tans*  plus  que  vous  ne  cuidiés** 
Car  trop  fis  grant  présumpcion 
Quant  onques  mis  m'entencion 
A  si  très-haute  euvre  achever, 
Qu'ains  me  poïst  *  le  cuer  crever, 
Tant  trovai  noble  et  de  grant  pris 
La  grant  biauté  que  ge  tant  pris*, 
Que  par  penser  la  compréisse 
Por  nul  travail  que  g'i  méisse , 
Ne  que  solement  en  osasse 
Un  mot  tinter,  tant  i  pensasse. 
Si  sui  du  penser  recréus* , 
Por  ce  m'en  sui  à  tant  téus  ; 
Que  quant  ge  plus  i  ai  pensé, 
Tant  ert*  bêle  que  plus  n'en  se  : 
Car  Diex,  li  biaus  outre  mesure, 
Quant  il  biauté  mist  en  Nature, 
Il  en  i  fist  une  fontaine 
Tous  jors  corant  et  tous jors  plaine, 
De  qui  toute  biauté  desrive  ; 
Mes  nus  n'en  set  ne  fons  ne  rive  : 
Por  ce  n'est  drois  que  conte  face 


*  Voulussent. 


1  Si  ce  n  'est . 


Vraiment. 


* Fois.     *  Croyez. 

*  Que  plus  tôt  me  pût. 

*  Prise. 


*Las. 
"Alors. 

*  Était. 


(v.  i7i7o.)  DE  LA   ROSE.  179 

Ne  de  son  cors  ne  de  sa  face, 

Qui  tant  est  avenant  et  bêle , 

Cum  flor  de  lis  en  mai  novele. 

Rose  sus  rain,  ne  noif  *  sor  branche ,      *  Branche,  ni  neige. 

N'est  si  vermeille  ne  si  blanche  ; 

Si  devroie-ge  comparer*  * Payer. 

Quant  ge  l'os  à  riens  comparer, 

Puisque  sa  biauté  ne  son  pris 

Ne  puet  estre  d'orne  compris. 

Quant  ele  oï  ce  serement, 
Moult  li  fu  grant  alègement 
Du  grant  duel  qu'ele  démenoit. 
Por  décéue  se  tenoit, 
Et  disoit  : 

Nature. 

«  Lasse  !  qu'ai-ge  fait  ? 
iNe  me  repenti  mes  de  fait 
Qui  m'avenist  dès  lors  en  çà 
Que  cis  biaus  mondes  comença, 
Fors  d'une  chose  solement 

Où  j'ai  mespris  trop  malement*,  *Trop  mal  agi 

Dont  ge  me  tiens  trop  à  musarde  ; 
Et  quant  ma  nmsardie  esgarde*,  *jc  regarde. 

Rien  est  drois  que  ge  m'en  repente. 
Lasse,  foie  !  lasse,  dolente  *  !  *  Malheureuse. 

Lasse  !  lasse  cent  mile  fois  ! 
Où  sera  mes  trovée  fois? 
Ai-ge  bien  ma  poine  emploiée? 
Sui-ge  bien  du  sens  desvoiée  *,  * 'Égaré,-. 

Qui  tous  jors  ai  cuidé  *  servir  *Cru. 

Mes  amis  por  gré  déservir*,  *  Mériter  grâce. 

Et  trestout  mon  travail  ai  mis 
En  essaucier  *  mes  anemis?  *  Exhausser,  élever. 


180  LE  ROMAN  (v.  17208. 

Ma  débonaireté  m'afole  *.  »  *  Me  nuit. 

L'Acteur. 

Lors  a  mis  son  prestre  à  parole , 
Oui  célébroit  en  sa  chapele  ; 
Mes  ce  n'ert  *  pas  messe  novele,  *  N'était 

Car  tous  jors  ot  fait  ce  servise 
Dès  qu'il  fu  prestres  de  l'église. 
Hautement,  en  leu  d'autre  messe, 
Devant  Nature  la  déesse, 
Li  prestres,  qui  bien  s'acordoit, 
En  audience  recordoit*  *  Rappelait. 

Les  figures  représentables 
De  toutes  cboses  corrumpables 
Qu'il  ot  escrites  en  son  livre, 
Si  cum*  Nature  les  li  livre.  *  Ainsi  que 


Comment  Nalure  !a  déesse 

A  son  prestre  se  confesse, 

Qui  moult  doulcemcnt  luy  enhorte  *         *  L'exhorte. 

Que  de  plus  plourer'se  déporte  *.  *  Cesse. 

«  Génius,  dist-ele,  biau  prestre 

Qui  des  leus  estes  diex  et  mestre, 

Et  selonc  lor  propriétés 

Toutes  en  euvre  les  metés, 

Et  bien  achevés  la  besoin gne 

Si  cum  à  chascun  li  besoingne*,  "Ainsi  qu'il  est  besoin  à 

chacun. 
D'une  folie  que  j'ai  faite, 

Dont  ge  ne  me  sui  pas  retraite , 

Mes  repentance  moult  tn'apresse, 

A  vous  m'en  vuel*  faire  confesse.  »         *  Je  m'en  veux. 

Génius. 

«  Ma  dame,  du  monde  rouie, 

Cui  *  toute  riens  mondaine  encline,         *  A  qui. 


(v. 


DE  LA  ROSE. 


181 


S'il  est  riens  qui  vous  griefve,  eu  tant 

Que  vous  en  ailliés  repentant, 

Ou  que  néis*  vous  plaise  à  dire, 

De  quelconques  soit  la  matire, 

Soit  d'esjoïr  ou  de  doloir  % 

Bien  m'en  poés  vostre  voloir 

Confesser  trestout  par  lesir, 

Et  ge  tout  à  vostre  plésir, 

Fet  Genius,  mètre  i  vorrai  * 

Tout  le  conseil  que  ge  porrai, 

Et  cèlerai  bien  vostre  affaire , 

Si  c'est  chose  qui  face  à  taire  ; 

Et  se  mestier  avés  d'assoldre  *, 

Ce  ne  vous  doi-ge  mie  toldre* , 

Mais  lessiés  ester*  vostre  plor. 


* 'Même. 


*  Se  plaindre. 


Voudrai. 


*  Besoin  are:  d'absoudre. 

*  Enlever. 

*  Cesse:. 


Nature. 

Certes,  fet-ele,  se  ge  plor, 

Biaus  Genius,  n'est  pas  merveille. 


Genius. 

Dame,  toutevois  vous  conseille 
Que  vous  voilliés  ce  plor  lessier, 
Se  bien  vous  volés  coufessier, 
Et  bien  entendre  à  la  matire 
Que  vous  m'avés  empris*  à  dire; 
Car  grans  est,  ce  croi,  li  outrages, 
Que  bien  sai  que  nobles  corages 
Ne  s'esmuet  pas  de  poi  *  de  chose, 
S'est  moult  fox*  qui  trobler  vous  ose. 
Mes  sens  faille*  il  est  voir**  que  faine 
Légièrement  d'ire*  s'enflame. 
Virgiles  méismes  tesmoiugne, 
Qui  moult  congnut  de  lor  besoingne*, 

BOMA1N    DE   LA    IiOSE.    —    T.  I  1. 


Entrepris. 


*  De  peu. 
*Sot. 

*  Faute.      **  frai. 

*  Facilement  de  colère. 

*  De  leurs  affaires. 

16 


182 


LE  ROMAN 


Que  jà  famé  n'iert*  tant  estable, 
Qifel  ne  soit  diverse  et  muable, 
Et  si  r'est  trop  ireuse*  beste. 
Salemons  dist  qu'onc  ne  fu  teste 
Sor  teste  de  serpent  crueuse*. 
Ne  rieris  de  famé  plus  ireuse*; 
N'onc  riens,  ce  dist,  n'ot  taut  malice. 
Briefment,  en  famé  a  taut  de  vice, 
Que  nus  ne  puet  ses  meurs  pervers 
Conter  par  rimes  ne  par  vers  ; 
Et  ce  dist  Titus-Livius, 
Qui  bien  congnut  quex  sunt  li  us* 
Des  famés,  et  quex  les  manières  : 
Que  vers  lor  meurs  nules  prières 
Ne  valent  tant  comme  blandices*, 
Tant  sunt  décevables  et  nices*, 
Et  de  ûéchissable  nature. 
Si  redist  aillors  l'Escriture 
Que  de  tout  le  fémenin  vice 
Li  fondemens  est  avarice. 

Et  quiconques  dit  à  sa  famé 
Ses  secrez,  il  en  fait  sa  dame. 
Nus  homs*  qui  soit  de  mère  nés, 
S'il  n'est  yvres  ou  lbrsonés* , 
Ne  doit  à  faîne  révéler 
Nule  riens*  qui  l'ace  à  celer, 
Se  d'autrui  ne  le  vuet  oïr. 
Miex  vaudroit  du  pais  foïr, 
Que  dire  à  lame  chose  à  taire, 
Tant  soit  loial  ne  débonaire  ; 
Ne  jà  nul  fait  secré  ne  face, 
S'il  voit  famé  venir  en  place  : 
Car  s'il  i  a  péril  de  cors , 
El  le  dira,  bien  le  recors*, 
Combien  quelongement  atcnde; 


*  Que  jamais  femme    ne 
sera. 


*  Et  elle  est   encore  trop 
colère. 


*  Cruel. 

*  Colère  que  femme. 


*  Quels  sont  les  us. 


*  Caresses. 
Simples. 


*  Nul  homme. 
■  *  Privé  de  bon  sens. 

* Chose. 


*  Déclare. 


fv. 


DE   LA  ROSE. 


183 


Et  se  nus*  riens  ne  l'en  demande,  *Si  nul. 

Le  dira-ele  vraiement, 

Sens  estrange  amonestement  : 

Por  nule  riens  ne  s'en  teroit, 

A  son  avis  morte  seroit, 

Se  ne  li  sailloit*  de  la  bouche, 

S'il  i  a  péril  ou  reprouche. 

Et  cil  qui  dit  le  li  aura, 

S'il  est  tex* ,  puis  qu'el  le  saura , 

Qu'il  Tose  après  férir*  ne  batre, 

Une  fois,  non  pas  trois  ne  quatre, 

.là  sitost  ne  la  touchera, 

Cum  ele  li  reprouchera, 

Mais  ce  sera  tout  en  apert\ 

Qui  se  fie  en  famé,  il  se  pert  ; 

Et  li  las*  qui  en  li  se  fie, 

Savés-vous  qu'il  fait?  il  se  lie 

Les  mains,  et  se  cope  la  geule  : 

Car  s'il  une  fois  toute  seule 

Ose  jamès  vers  li  grocier*, 

Ne  chastoier*  ne  corrocier, 

11  met  en  tel  péril  sa  vie, 

S'il  a  du  fait  mort  déservie*, 

Que  par  le  col  le  fera  pendre, 

Se  li  juge  le  puéent*  prendre ,  *  Peuvent. 

Ou  murdrir  *  par  amis  privés ,  *  Mettre  à  mort. 

Tant  est  à  mal  *  port  arrivés.  *  Mauvais. 


Sortait. 


*Tcl. 

*  Frapper. 


*  Ouvertement. 

*  Le  malheureux. 

*  Gronder. 

*  Faire    des    représenta- 
tions. 

*Méritée. 


Cy  dit,  à  mon  intention, 

La  meilleure  introduction 

Que  l'en  peut  aux  hommes  apprendre, 

Pour  eulx  bien  garder  et  def fendre 

Que  nulles  femmes  leurs  maistresses 

Ne  soyent,  quant  sont  jangleresses*. 

Mes  li  fox*,  quant  au  soir  se  couche, 
Et  gist  lez  *  sa  famé  en  sa  couche, 


*  Bavardes. 

* Le  sot. 

*  Près  de. 


18-4 


LE  ROMAN 


I732S.) 


Où  reposer  ne  puet  ou  n'ose, 

Qu'il  a  fait  espoir*  quelque  chose, 

Ou  vuet  par  aventure  faire 

Quelque  murdre  ou  quelque  contraire' 

Dont  il  craint  la  mort  recevoir, 

Se  l'en  le  puet  aparcevoir, 

Et  se  torue,  plaint  et  sospire , 

Et  sa  famé  vers  soi  le  tire , 

Qui  bien  voit  qu'il  est  à  mésèse  *, 

Si  l'aplaingne*  et  acole  et  bèse, 

Et  le  couche  entre  ses  mameles. 


Peut-être. 


Malheur. 


Mal  à  l'aise. 

*  Caresse. 


La  Femme  qui  parle  à  son  Mary. 

Sire,  dist-ele,  quex*  noveles? 

Qui  vous  fait  ainsinc  sospirer 

Et  tressaillir  et  revirer*? 

Nous  somes  or  privéement* 

Ici  nous  qui  tant  solement, 

Les  persones  de  tout  le  monde, 

Vous  li  premiers,  ge  la  seconde, 

Qui  mic\  nous  devons  entr'amer 

De  cuer  loial  fin  sens  amer; 

Et  de  ma  main,  bien  m'en  remembre, 

Ai  fermé  Fuis  de  nostre  chambre; 

Et  les  parois,  dont  miex  les  proise*, 

Sunt  espesses  demie-toise, 

Et  si  haut  resunt  li  chevron, 

Que  tuit  séurs  estre  devon  ; 

Et  si  somes  loing  des  fenestres, 

Dont  moult  est  plus  séurs  li  estres* 

Quant  à  vos  secrez  descovrir  : 

Si  ne  les  a  pooir*  d'ovrir, 

Sens  despecier,  nus  bons*  vivans 

Ne  plus  que  puet  faire  li  vens. 


"Quelles. 


*  Retourner. 

*  Maintenant  en  particu- 
lier. 


'  Prise. 


Le  lieu. 


'Pouvoir. 
:  Nul  homme. 


V.    17360. 


DE  LA  ROSE. 


i85 


Briefment  cis  leus*  n'a  point  d'oïe, 
Vostre  vois  ne  puet  estre  oie 
Fors  que*  de  moi  tant  solcment  : 
Por  ce  vous  pvi  piteusement  * 
Par  amor,  que  tant  vous  liés 
En  moi,  que  vous  le  me  diés*. 

Le  Mary. 

Dame,  dist-il,  se  Diex  me  voie, 
Por  mile  riens  ne  le  diroie, 
Car  ce  n'est  mie  chose  à  dire. 


*  Ce  lieu 

*  Si  ce  n'est. 

*  Miséricordieusernenl. 

*  Disiez. 


La  Femme. 

Avoi*,  dist-ele,  biau  douzsire!  *Hélas; 

M'avés-vous  donc  soupeooneuse*,  *En  suspicion. 

Qui  sui  vostre  loial  espeuse? 

Quant  par  mariage  assemblasme?, 

Jhésus-Crist,  que  pas  ne  trovasmes 

De  sa  grâce  aver  ne  eschar*, 

Nous  fist  deus  estre  en  une  char*  ; 

Et  quant  nous  n'avons  char  fors*  une,    *  Sinon 

Par  le  droit  de  la  loi  commune , 

N'il  ne  puet  en  une  char  estre 

Fors  que  uns  cuers  à  la  senestre*, 

Tuit  un  sunt  donques  li  cuer  nostre. 

Le  mien  avés,  et  ge  le  vostre  : 

Riens  ne  puet  donc  ou  vostre  avoir*, 

Que  li  miens  ne  doie  savoir. 

Por  ce  vous  pri  que  le  me  dites, 

Par  guerredon*  et  par  mérites  ;  * Récompense. 

Car  jamès  joie  on  cuer  *  n'aurai  *  Dans  le  cœur, 

Jusqu'à  tant  que  ge  le  saurai  ; 

Et  se  dire  n'el  me  volés, 

Ge  vois  bien  que  vous  me  bolés  *  ;  *  Trompez. 


Avare  ni  chiche. 
Chair. 


'Gauche. 


Dans  le  votre  y  avoir. 


l'i 


180 


LE   ROMAN 


17390.) 


Si  sai  de  quel  cuer  vous  m'amés, 
Qui  douce  amie  me  clamés*, 
Douce  seur  et  douce  compaingne. 
A  cui  parés-vous  tel  chastaingne  (1)? 
Certes  se  n'el  me  gehissiés* , 
Bien  pert*  que  vous  me  traïssiés  ; 
Car  tant  me  sui  en  vous  fiée, 
Puis  que  m'éustes  affiée*, 
Que  dit  vous  ai  toutes  les  choses 
Que  j'oi  dedens  mon  cuer  encloses. 
Si  laissai  por  vous  père  et  mère, 
Oncles,  neveus,  serors  et  frère , 
Et  tous  amis  et  tous  parens, 
Si  eu  m  il  est  or*  aparens. 
Certes,  moult  ai  fait  mauves  change , 
Quant  si  vers  moi  vous  truis  estrange  *, 
Que  ge  plus  aim  que  riens*  qui  vive; 
Et  tout  ne  me  vaut  une  cive*, 
Qui  c.uidiés*  que  tant  mespréisse 
Vers  vous,  que  vos  secrés  déisse  : 
C'est  chose  qui  ne  porroit  estre  ; 
Par  Jhésu-Crist  le  roi  célestre, 
Qui  vous  doit  miev  de  moi*  garder? 
Plaise-vous  au  mains  regarder, 
Se  de  loiauté  riens  savés, 
La  foi  que  de  mon  cors  avés  : 
Ne  vous  soflist  pas  bien  cis*  gages? 
En  volés-vous  meillors  hostages? 
Donc  sui-ge  des  autres  la  pire, 
Se  vos  secrez  ne  m'oses  dire. 
Ge  voi  toutes  ces  autres  faines, 


*  M'appelez. 

*  Si  vous  ne  me  l'avouiez. 

*  Il  parait  bien. 

*  Fiancée. 


*  /insi  qu'il  est  mainte- 
liant . 


k  Tmurc  étranger. 

"Chose. 

"Ciboule. 

'Quand  vous  croyez. 


*  Que  moi 


Ce. 


(l)  Voyez,  sur  cette  expression  que  nous  avons  déjà  trouvée  (t.  I,  p.  282, 
v.  !>259) ,  nos  Études  de  philologie  comparée  sur  l'argot,  etc.,  p.  104,  col. 2 
(et  non  p.  404),  art.  Chastaignes  [Peler). 


(V.    I712I.) 


DE  LA  ROSE. 


187 


Qui  sunt  de  lor  hostiez*  si  dames,  *  Hôtels,  logis. 

Que  lor  maris  en  eus  se  fient 

Tant  que  tous  lor  secrez  lor  dient. 

Tuit  à  lor  famés  se  conseillent, 

Quant  en  lor  liz  ensemble  veillent, 

Et  privéement  se  confessent, 

Si  que  riens  à  dire  ne  lessent , 

Et  plus  sovent,  c'est  chose  voire*, 

Qu'il  ne  font  néis  au  provoire*  : 

Par  eus-méismes  bien  le  sai , 

Car  maintes  fois  oï  les  ai  ; 

Qu'el  m'ont  trestuit  recongnéu  * 

Quanqu'el  *  ont  oï  et  véu , 

Et  tout  néis  quanqu'eles  cuident*. 

Ainsinc  se  purgent  et  se  vuident. 

Si  ne  sui-ge  pas  lor  pareille  : 

Nule  vers  moi  ne  s'apareille, 

Car  ge  ne  sui  pas  jangleresse*, 

Vilotiere  ne  tenceresse*  ; 

Ains  sui  de  mon  cors  prodefame* , 

Comment  qu'il  aut*  vers  Dieu  del'ame. 

.Ta  n'oïstes-vous  onques  dire 

Que  j'aie  fait  nul  avoutire* , 

Se  li  fol  qui  le  vous  contèrent, 

Par  mauvestié  n'el  controvèrent*. 

Ne  m'avés-vous  bien  esprovée  ? 

Où  m'avés-vous  fause  trovée* 

Après,  biau  sire,  regardés 
Comment  vostre  foi  me  gardés. 
Certes,  malement  mespréistes*,  *Mui  agites. 

Quant  anel  ou  doi*  me  méistes,  *  Au  doigt. 

Et  vostre  foi  me  fiançastes  : 
Ne  sai  comment  faire  l'osastes. 
S'en  moi  ne  vous  osés  fier, 
Qui  vous  fist  à  moi  marier  ? 


*  fraie. 

*Mtme  au  prêtre. 


Car  elles  m'ont  reconnu. 
'  Tout  ce  qu'elles. 
'  Même  ce  qu'elles  croient. 


*  Cancannière. 

*  Insolente  ni  querelleuse. 

*  Femme  de  bien. 
* Aille. 

*  Adultère. 

*  Inventèrent. 


188 


LE  ROMAN 


(v.    17456.) 


Por  ce  pri  que  la  vostre  fois 

Me  soit  sauve  au  mains  ceste  fois , 

Et  loiaument  vous  asséure 

Et  promet  et  fiance*  et  jure 

Par  le  benéuré*  saint  Pierre, 

Que  ce  sera  chose  souz  pierre. 

Certes  moult  seroie  ore*  foie, 

Se  de  ma  bouche  issoit*  parole 

Dont  éussiés  honte  et  damage  : 

Honte  feroie  à  mon  linage, 

Conques  nul  jor  ne  disfamoi, 

Et  tout  premièrement  a  moi. 

L'en  seult*  dire,  et  voirs  est  sens  faille , 

Que  trop  est  fox*  qui  son  nez  taille, 

Sa  face  à  tous  jors  déshonore  : 

Dites-moi,  se  Diex  vous  secore, 

Ce  dont  vos  cuers*  se  desconforte, 

Ou  se  ce  non,  vous  m'avés  morte*. 


M'engage. 

*  Bienheureux. 

*  Maintenant. 

*  Sortait. 


*  A  coutume  de  dire, etc' 'est 
vrai  mus  faute. 

*  Sot. 


*  foire  cœur. 

*  Mise  à  mort. 


Gênius. 


Lors  li  débaille  et  pis  et  chief  *, 
Et  puis  le  baise  derechief , 
Et  plore  sor  li  lermes  maintes, 
Entre  les  baiseries  faintes. 


*  Découvre  et  poitrine  et 
lite. 


Comment  le  fol  mary  couart 
Se  met  dedans  son  col  la  hart, 
Quant  son  secret  dit  à  sa  faine, 
Dont  pert  son  corps,  et  elle  s'ame. 

Adonc  li  meschéans*  li  conte 

Son  grant  damage  et  sa  grant  honte, 

Et  par  sa  parole  se  pent  ; 

Et  quant  dit  l'a,  si  s'en  repent  ; 

Mes  parole  une  fois  volée  * 

Ne  puet  plus  estre  rapelée. 


*  Alors  le  malheureux. 


*  Envolée. 


(V.    I7ig 


DE  LA   ROSE. 


18!> 


Lors  li  prie  qu'ele  se  taise , 

Cum  cil  *  qui  plus  est  à  mésaise  *  Comme  celui. 

Conques  avant  esté  n'avoit, 

Quant  sa  famé  riens  n'en  sa  voit. 

Et  celé  li  redist  sens  faille  *  *Sans  faute. 

Qu'el  s'en  taira,  vaille  que  vaille. 

Mes  li  chetis,  que  cuide-il  faire? 

Il  ne  puet  pas  sa  langue  taire, 

Or  tent  à  l'autrui*  retenir. 

A  quel  chief  en  cuide-il*  venir? 

Or  se  voit  la  dame  au  deseure*, 

Et  set  que  de  quelconques  heure 

L'osera  mes  cil*  corrocier, 

Ne  contre  li  de  riens  grocier*  ; 

Mu*  le  fera  tenir  et  coi , 

Qu'ele  *  a  bien  matire  de  quoi. 

Convenant,  espoir,  li  tendra*, 

Tant  que  corrous  entr'eus  vendra, 

Encor  s'ele  tant  atent; 

Mes  envis*  atendra  jà  tant, 

Que  moult  ne  li  soit  grant  grévance* 

Tant  aura  le  cuer  en  balance. 

Et  qui  les  homes  ameroit , 

Cel  sermon  lor  préescheroit, 

Qui  bien  fait  en  tous  leus  à  dire, 

Por  ce  que  chascuns  bons  s'i  mire*, 

Por  eus  de  grant  péril  retraire*. 

Si  porroit-il,  espoir*,  desplaire 

As  famés  qui  tant  ont  de  jangles*  ; 

Mes  vérités  ne  quiert  nus*  angles. 

Eiaus  seignors,  gardés-vous  des  famés, 
Se  vos  cors  amés  et  vos  âmes  ; 
Au  mains  que  jà  si  mal  n'ovrés 
Que  vos  secrez  lor  descovrés, 

Que  dedens  VOS  CUei'S  estuiés*.  *  Cachez,  retenez. 


*  Celle  (l'autrui. 

*  A  quelle  fin  en  croit-il. 

*  Au-dessus,  maîtresse. 

k  Celui-là. 

*  Gronder. 

*Muct. 
*Car  elle. 

*  Promesse  peut-être  elTt 

lui  lieu '/ ni. 


A  peine. 
Peine. 


*  Pour  que  chaque  homme 
s'if  mire. 

*  Retirer. 

*  Peut-ilre. 
* Caquet . 

*  Ne  cherche  nuls. 


190  LE  ROMAN  (v.  17519.) 

Fuies,  fuies,  fuies,  fuies, 

Fuies,  enfans,  fuies  tel  beste, 

G'el  vous  consel  et  amoneste 

Sens  décepcion  et  sens  guile*,  *  Tromperie. 

Et  notés  ces  vers  de  Virgile, 

Mes  qu'en  vos  cuers  si  les  fichiés, 

Qu'il  n'en  puissent  estre  sachiés*  :  *Otés. 

Enfans  qui  coilliés  les  floretes, 

Et  les  frèses  fresches  et  netes, 

Ci  gist  li  frois  serpens  en  l'erbe  (1  )  ; 

Fuies,  enfans,  car  il  enherbe 

Et  empoisone  et  envenime 

Tout  home  qui  de  li  s'aprime*.  *  S'approche 

Enfans  qui  les  flors  aies  querre*  ;  *  Chercher. 

Et  les  frèses  naissans  sus  terre, 

Li  mau*  serpent  refroidissant  *  Le  Mauvais. 

Qui  se  vet  ici  tapissant, 

La  malicieuse  coluevre 

Qui  son  venin  repont*  etcuevre,  *Cache. 

Et  le  muce*  souz  l'erbe  tendre,  *  Cache. 

Jusqu'à  tant*  que  le  puisse  espendre       *  Jusqu'à  ce  que. 

Por  vous  décevoir  et  grever, 

Pensés,  enfans,  de  l'eschcver*.  *  Éviter. 

Ne  vous  i  lessiés  pas  haper, 

Se  de  mort  volés  eschaper  : 

Car  tant  est  venimeuse  beste 

Par  cors  et  par  queue  et  par  teste , 

Que  se  de  li  vous  aprochiés, 

Tost  vous  troverés  enlechiés  ; 

Qu'el  mort  et  point*  en  traïson  *  Pique. 

Quanqu'el*  ataint,  sens  garison;  'Tout  ce  qu'elle. 

(I)         Qui  legitis  flores  et  humi  nascentia  fraga, 

Frigidus,  o  pueri,  fugite  hinc,  latet  anguis  in  lierba. 

(.Vîrcil.,  Bucolica,  eclog.  III,  v.  92.) 


(v.  17550.)  DE   LA   ROSE.  101 

Car  de  cesti*  venin  l'ardure  "De  ce. 

Nus  triades*  n'eu  a  la  cure  (1)  •.  *  Nulle  tkériaque. 

Riens  n'i  vaut  herbe  ne  racine, 

Sol  foïr  *  en  est  medicine.  *  La  fuite  sente. 

Si  ne  di-ge  pas  toutevoie 

(N'onc  ne  fu  l'entencion  moie*)  *  Mienne. 
Que  les  famés  chières  n'aies, 

Ne  que  si  foïr  les  doiés*,  "Deviez. 

Que  bien  avec  eus  ne  gisiés*  ;  "Couchiez. 
Ains  commant*  que  moult  les  prisiés,     *-le  commande  au  con- 

*  ..  '  traire. 

Et  par  raison  les  essaucies. 
Bien  les  vestes,  bien  les  chaudes, 

Et  tOUS  jors  à  Ce  laborés*,  "Travaillez. 

Que  les  serves  et  honorés 

Por  continuer  vostre  espièce, 

Si*  que  la  mort  ne  la  despièce;  "Tellement. 

Mes  jà  tant  ne  vous  i  fiés, 

Que  chose  à  taire  lor  diés*.  "Disiez.    ' 

Bien  sofiïés  que  voisent*  et  viengnent,  *  Qu'aillent. 

La  mesnie*  et  l'ostel  maintiengnent,        *  Maison. 

S'el  sevent*  à  ce  mètre  cure;  "Si  elles  savent. 

Ou  s'il  avient  par  aventure 

Que  sachent  achater  et  vendre. 

A  ce  puéent-el*  bien  entendre;  "Peuvent-elles. 

Ou  s'el  sevent  aucun  mestier, 

Facent-le,  s'el  en  ont  mestier*,  "Besoin. 

Et  sachent  les  choses  apertes*  "Ouvertes. 

Qui  n'ont  mestier  d'estre  covertes. 

(I)         Aige*  douce  torne  à  amer,  'Eau. 
Et  si  ai-ge  oï  conter 

C'on  trait*  triade  de  serpent ,  *  Qu'on  tire. 

Qui  molt  agrant  mestier*  sovent  "Qui  est  Oc   très-grandt 

A  cels  qui  sont  envenimé.  utilité. 

La  Bible  Guiot  de  Provins,  v.  2508.  (Fabliaux  et  contes, 
édit.  de  MéOD,  t.  II,  p.  387,  388.) 


192 


LE   ROMAN 


Mes  se  tant  vous  habandonés 

Que  trop  de  pooir  lor  doués , 

A  tart*  vous  en  repentiras,  *  Tardivement. 

Quant  lor  malice  sentirés. 

L'Escriture  néis*  nous  crie  *  Même. 

Que  se  la  famé  a  seignorie*,  *  Autorité. 

Ele  est  à  sou  mari  contraire, 

Quant  el  li  voit  riens  dire  ou  faire. 

Prenés-vous  garde  toutevoie*  *  Toutefois. 

Que  l'ostel  n'aille  à  maie*  voie;  *  Mauvaise. 

Car  l'eu  pert  bien  en  meillor  garde  . 
Qui  sages  est,  sa  chose  garde. 
Et  vous  qui  avés  vos  amies, 
Portés-lor  bones  compaignies  : 

Bien  affiert*  qu'el  sachent  cbascuues       *  il  convient  bien. 
Assés  des  besoingnes  communes. 
Mes  se  preus  estes  et  sénés*,  *  Sensé. 

Quant  entre  vos  bras  les  tenés 
Et  les  acolés  et  baisiés, 
Taisiés,  taisiés,  taisiés,  taisiés. 
Pensés  de  vos  langues  tenir, 
Car  riens  n'en  puct  à  chief*  venir  *  A  bout. 

Quant  des  secrez  sunt  parçonières*,       *0nt  part. 
Tant  sunt  orguilleuses  et  hères, 
Et  tant  ont  les  langues  cuisans 
Et  venimeuses  et  nuisans. 
Mes  quant  les  fox*  sunt  là  venu,  *  Les  sots. 

Qu'il  sunt  entre  lor  bras  tenu, 
Et  (pic  les  acolent  et  baisent, 
Entre  les  gieus  qui  tant  lor  plaisent, 
Lors  n'i  puet  riens  avoir  celé, 
Là  sunt  li  secré  révélé  ; 
Là  se  descuevrent  li  mari , 
Dont  puis  sunt  dolent*  et  marri.  *  Chauvins. 

Tuit  encusent*  ci  lor  pensé,  "Tous  accusent. 


17013.) 


DE  LA   ROSE. 


193 


Fors  li  sage  bien  apensé*. 

Dalida  la  malicieuse, 
Par  flaterie  venimeuse, 
A  Sanson,  qui  tant  ert*  vaillans, 
Tant  preus,  tant  fors,  tant  bataillans, 
Si  cum  el  le  tenoit  forment* 
Soef*  en  son  giron  dormant, 
Copa  ses  cheveux  o  ses  forces*, 
Dont  il  perdi  toutes  ses  forces 
Quant  de  ses  crins  le  dépela* , 
Et  tous  secrez  li  révéla , 
Que  li  fox*  contés  li  avoit, 
Qui  riens  celer  ne  li  savoit. 
Mes  n'en  vuel*  plus  d'exemples  dire, 
Bien  vous  puet  uns  por  tous  soffire. 
Salemons  néis*  eu  parole. 
Dont  ge  vous  dirai  la  parole 
Tantost,  por  ce  que  ge  vous  ain*  : 
De  celé  qui  te  dort  ou  sain* 
Garde  les  portes  de  ta  bouche, 
Por  foïr  péril  et  reprouche  (1). 
Cest  sermon  devroit  préeschier 
Quicunques  auroit  home  chier, 
Que  tuit  de  famés  se  gardassent, 
Si  que  jamès  ne  s'i  fiassent. 
Si  n'ai-ge  pas  por  vous  ce  dit, 
Car  vous  avés  sens  contredit 
Tous  jors  esté  loiale  et  ferme. 
L'Escriture  néis*  afferme, 
Tant  vous  a  doué  Diex  sens  fin, 
Que  vous  estes  sages  sens  fin. 


*  Bien  avise. 


Etait. 


*  Fortement,  fort. 

*  Doucement. 
''Avec  ses  ciseaux. 


"Le  dépouilla  de  ses  chè- 
re u.c. 


*  Le  sot. 

*  Mais  je  n'en  veux. 

*  M nne. 

*  Aime. 

*  Au  sein . 


Même. 


(l)  Qui  cuMo  lit  os  suum,  et  linguam  suam,  custodit  al)  angustiis  ani- 
mam  suam.  'Proverb.,  cap.  XXI,  vers.  23.) 

17 


194  LE  ROMAN.  (v.   17644.) 

V  Acteur. 

Genius  ainsinc  la  conforte*,  *  Console. 

Et  de  quanqu'il  puet  li  enhorte 

Quel  laist  du  tout  son  duel  ester*  ;         *  Et  tant  qu'il  peut  l'ex- 

^  .  norte  quelle  laisse  tout  a 

Car  nus  ne  puet  riens  conquester  fait  sa  douleur. 

„      t     ,  j.  .  .  •  .v  *  Nul  ne  peut  rien  gagner. 

En  duel,  ce  dist,  ne  en  tnstece  :  i  j  j 

C'est  une  chose  qui  moult  blèce, 

Et  qui,  ce  dist,  riens  ne  profite 

Quant  il  ot  sa  volenté  dite, 

Sens  plus  faire  longe  prière. 

Il  s'asiet  en  une  chaière*  *  Chaire,  clause. 

Dejouste*  son  autel  assise;  *  Près  de. 

Et  Nature  tautost  s'est  mise 

A  genous  devant  le  provoire*.  *  Prêtre. 

Mes,  sens  faille*,  c'est  chose  voire**       *  Sans  faute.     k*Fraie. 

Qu'el  ne  puet  son  duel*  oblier,  *  Deuil,  chagrin . 

N'il  ne  l'en  vuet  jà  plus  prier, 

Qu'il*  i  perdroit  sa  poine  toute;  *Car  n. 

Ains*  se  taist,  et  la  dame  escoute,         *  Mais. 

Qui  dit  par  grantdévocion, 

En  [dorant,  sa  confession, 

Que  ge  ci  vous  aporte  escrite 

Mot  à  mot,  si  comme  el*  l'a  dite.  *  Ainsi  qu'elle. 

Entendez  icy  par  grant  cure  *  "Avec  grand  soin. 

La  confession  de  Nature. 

Cil  Diex,  qui  de  bonté  habonde, 

Quant  il  si  bien  fist  ce  biau  monde 

Dont  il  portoit  en  sa  pensée 

La  bêle  l'orme  porpensée*  *  Arrêtée. 

Tous  jors  en  pardurableté*  ^Éternité. 

Ains*  qu'ele  éust  dehors  esté  :  *  Avant. 

Car  là  prist-il  son  exemplaire, 

Et  quanque  *  li  lu  nécessaire  ;  *  Tout  ce  qui. 


(v.  17674.]  DE  LA  ROSE.  195 

Car  s'il  aillors  le  vosist*  querre,  *  Foulât. 

Il  n'i  trovast  ne  ciel  ne  terre, 

ÎSe  riens  dont  aidier  se  péust, 

Que  nule  riens*  dehors  éust.  *  Chose. 

Car  de  noient  iist  tout  saillir*  *  Néant,  rien.    **  Sortir. 

Cil  à  qui  riens  ne  puet  faillir; 

N'onc  riens  ne  le  mut  à  ce  faire, 

Fors*  sa  voleuté  débonaire,  *Si  ce  n'est. 

Large,  eortoise,  sens  envie, 

Qui  fontaine  est  de  toute  vie. 

Et  le  fist  au  commencement 

D'une  mace  tant  solement 

Qui  toute  ert*  en  confusion,  *  Était. 

Sens  ordre  et  sens  distinccion. 

Puis  la  devisa  par  parties 

Qui  puis  ne  furent  départies",  *  Séparées. 

Et  tout  par  nombres  asomma* ,  *  Compta. 

Et  set  combien  en  la  somme  a; 

Et  par  raisonables  mesures 

Termina  toutes  les  figures, 

Et  les  fist  en  rondece  estendre 

Por  miex  movoir,  por  plus  comprendre, 

Selonc  ce  que  movables  furent, 

Et  comprenables  estre  durent  ; 

Et  les  mist  eu  leus  convenables, 

Selonc  ce  qu'il  les  vit  metables. 

Les  légières  en  haut  volèrent, 

Les  pesans  OU  centre  avalèrent*,  *  Descendirent  au  centre. 

Et  les  moienes  ou  mileu. 

Ainsinc  sunt  ordené  li  leu 

Par  droit  compas,  par  droite  espace. 

Cis  Diex*  méismes,  par  sa  grâce,  *Ce  Dieu. 

Quant  il  i  ot,  par  ses  devises*,  *  Foiontés. 

Ses  autres  créatures  mises, 

Tant  m'enora*,  tant  me  tint  chière,        "M'honora. 


190 


LE  ROMAN 


(v.     17709.) 


Qu'il  m'establi  sa  chamberière  ; 
Servir  m'i  laisse  et  laissera 
Tant  cum  sa  volenté  sera. 
Nul  autre  droit  ge  n'i  réclame, 
Ains  le  merci  quaut  il  tant  m'ame*, 
Que  si  très-povre  damoisele 
A  si  graut  maison  et  si  bêle. 
Il,  si  grant  sire,  tant  me  prise, 
Qu'il  m'a  por  chamberière  prise. 
Por  chamberière!  certes  vaire*, 
Por  conestable  et  por  vicaire, 
Dont  ge  ne  fusse  mie  digne, 
Fors*  par  sa  volenté  bénigne. 

Si  gart*,  tant  m'a  Diex  honorée, 
La  bêle  chaène  dorée 
Qui  les  quatre  élémens  enlace 
ïrestous  enclins  devant  ma  face; 
Et  me  bailla  toutes  les  choses 
Qui  sunt  en  la  chaène  encloses, 
Et  commanda  que  g'es*  gardasse, 
Et  les  formes  continuasse; 
Et  volt*  que  toutes  m'obéissent, 
Et  que  mes  vieilles*  eusivissent, 
Si  que  jamès  n'es*  obliassent, 
Aius  les  tenissent  et  gardassent 
A  tous jors  pardurablement*. 
Si  font-il  voir*  communément  : 
Toutes  i  metent  bien  lor  cure* , 
Fors*  une  sole  créature. 

Du  ciel  ne  me  doi-ge  pas  plaindre, 
Qui  tous  jors  torne  seus  soi  faindre*, 
Et  porte  en  son  cercle  poli 
Toutes  les  estoiles  o  li*, 
Estiucelans  et  vertueuses* 
Sor  toutes  pierres  précieuses. 


*  Mais  je  le  remercie  de  ce 
qu'il  tant  m'aime. 


Voire,  vraiment. 


*  Sii  '  n'est. 

*  Et  je  garde . 


"Je  les. 

*  l'ont at. 

*  Règle». 

*  Ne  les. 

*  Eternellement. 

*  I  r aiment. 

*  leur  soin  ■ 

*  Excepté. 

'  Sans  s'arn 

*  Avec  lui. 

*  Douces  de  vei  Ins. 


(v.  17744.)  DE  LA  ROSE.  107 

Va-s'en  le  monde  déduiant*,  *  Réjouissant. 

Commençant  son  cours  d'orient, 

Et  par  occident  s'achemine , 

Ne  de  torner  arrier  ne  fine  *,  * Ne  finit. 

Toutes  les  roes  ravissant 

Qui  vont  contre  Ii  gravissant 

Por  son  movement  retarder; 

Mes  ne  l'eu  puéent*  si  garder  *  Peuvent. 

Que  jà  por  eus  corre*  si  lans,  *  Courir. 

Qu'il  n'ait  en  trente-six  mil  ans  (I), 

Por  venir  au  point  droitement 

Où  Diex  le  fist  premièrement, 

Un  cercle  acompli  tout  entier 

Selonc  la  grandeur  du  sentier 

Du  zodiaque  à  la  grant  roe, 

Qui  sor  li  d'une  forme  roe*.  * Tourne. 

C'est  Ii  ciex*  qui  cort  si  à  point,  *  Le  ciel. 

Que  d'error  en  son  cors  *  n'a  point.         *  (Ours. 

Aplanos  por  ce  l'apelèrent 

Cil  qui  point  d'error  n'i  troverent  • 

Car  aplanos  vaut  en  gregois*  *  Grec. 

Chose  sens  error  en  françois. 

Si  n'est-il  pas  véu  par  home 

Cis  autres  ciex*  que  ge  ci  nome;  *Cet  autre  ciel. 

Mes  raison  ainsinc  le  li  prueve, 

Qui  les  démonstroisons*  i  trueve.  *  Démonstrations. 

.Ne  ne  me  plaing  des  set  planètes, 

(I)  Mncrobe,  qui  avoil  mieux  examiné  le  cours  des  astres  que  Jean  de 
Meun,  dit,  dans  son  Commentaire  sur  le  Songe  de  Scipion,  que  les  pla- 
nètes et  toutes  les  étoiles  retournent  au  bout  de  quinze  mille  ans  au  point 
d'où  elles  éloient  parties,  et  que  cette  révolution  doit  véritablement  être 
appelée  année.  Cicéron  a  tixé  le  cours  des  astres  au  jour  de  la  mort  de 
Romulus,  l'an  32  de  Rome,  et  il  prétend  que  quinze  mille  ans  après  ils 
retourneront  d'où  ils  sont  partis.  —  Macrobius,  in  Somnium  Scipionis, 
lib.  11,  cap.  XI.  (L.  D.  D.) 

17. 


198 


LE  ROMAN 


1777F.) 


Clères  et  reluisans  et  nètes 
Par  tout  le  cors*  de  soi  chascune. 
Si  semble-il  as  gens  que  la  lune 
Ne  soit  pas  bien  nète  ne  pure , 
Por  ce  qu'el  pert*  par  leus  oscure; 
Mes  c'est  par  sa  nature  double, 
Qu'el  pert  par  leus  espesse  et  trouble. 
D'une  part  luit,  d'autre  part  cesse, 
Por  ce  qu'ele  est  clère  et  espesse; 
Si  li  fait  sa  luor  périr, 
Si  qu'el  ne  puet  pas  reférir* 
La  clère  part  de  sa  sustance, 
Les  rais  que  li  solaus*  i  lance, 
Aius  s'en  passent  parmi  tout  outre. 
Mes  Pespesse  luor  demoustre* 
Qu'el  puet  bien  as  rais  contrester* 
Por  sa  lumière  conquester*. 
Et  por  faire  entendre  la  cbose, 
Bien  en  puet-1'eu,  en  leu  de  glose, 
A  briez*  moz  un  exemple  mètre, 
Por  miex  faire  escl'aircir  la  letre. 
Si  cum  li  voirres  tresparens*, 
Où  li  rais*  s'en  passent  par  ens**, 
Qui  par  dedens  ne  par  derrière 
N'a  riens  espès  qui  les  relière*, 
ISTe  puet  les  figures  monstrer, 
Quant  riens  n'i  puéent  encontrer 
Li  rais  des  yeux  qui  les  retiengne, 
Par  quoi  Ja  forme  as  yeux  reviengne, 
Mes  plonc*  ou  quelque  cbose  espesse 
Qui  les  rais  trespasser  ne  lesse, 
Qui  d'autre  part  mètre  vorroit, 
Tantost  la  forme  retorroit*, 
Ou  s'aucuns  cors  polis  i  ère*, 
Qui  poïst  reférir  *  lumière, 


Le  cours. 


*  Parait. 


*  Réfléchir. 

*  Les  rayons  que  le  soleil. 

*  Démontre. 

*  Aux  rayons  s'opposer. 

*  Conquérir. 

*  Brefs. 


*  Ainsi  que  le  verre  trans- 
parent. 

*  Rayons.    *' Dedans. 


'  Réfléchisse, 


*  Plomb. 


*  Retourner ait. 

*  Y  était. 

*  Qui  pût  réfléchir. 


(v.    17806. 


DE  LA   ROSE. 


199 


Et  fust  espés  d'autre  ou  de  soi, 
Retorroit-ele,  bien  le  soi*  : 
Ainsine  la  iune  en  sa  part  clère, 
Dont  est  resemblable  à  l'espère*, 
Ne  puet  pas  les  rais*  retenir, 
Par  quoi  luor  li  puist  venir, 
Ains  passent  outre;  mes  l'espesse* 
Qui  passer  outre  ne  les  lesse, 
Ains  les  refiert  forment*  arrière, 
Fait  à  la  lune  avoir  lumière  : 
Por  ce  pert*  par  leus  lumineuse, 
Et  par  leus  semble  ténébreuse. 

Et  la  part  de  la  lune  oscure 
ÎSTous  représente  la  figure 
D'une  trop  merveilleuse  beste  : 
C'est  d'un  serpent  qui  tient  sa  teste 
Vers  occident  adès*  encline. 
Vers  orient  sa  queue  afine*; 
Sor  son  dos  porte  un  arbre  estant*, 
Ses  rains*  vers  orient  estaut; 
Mes  en  estendant  les  bestorne*. 
Sor  ce  bestornéis  séjorne 
Uns  lions*  sor  ses  bras  apuiés, 
Qui  vers  occident  a  ruiés* 
Ses  piez  et  ses  cuisses  andeus*, 
Si  com  il  pert*  au  semblant  d'eus. 

Moult  font  ces  planètes  bone  euvre. 
Chascune  d'eles  si  bien  euvre, 
Que  toutes  set  point  ne  séjornent*; 
Par  lor  douze  maisons  s'en  tornent, 
Et  par  tous  les  degrez  s'en  corent, 
Et  tant  eu  m  doivent  i  demorent. 
Et  por  bien  la  besoingne  faire, 
Tornans  par  movement  contraire, 
Sor  le  ciel  ebascun  jor  acquièrent 


"Retournerait-elle,    bien 
le  sais. 

*  La  sphère. 

*  Rayons. 

*  L'épaisseur. 


*  du   contraire  les  réflé- 
chit fortement. 


Parait. 


*  Toujours. 

*  Termine. 

*  Debout. 

*  Hameaux. 

*  Détourne. 

*  Un  homme, 

*Jcté. 

*Tous  deux. 

*  Parait. 


'S'arrêtent- 


200 


LE   ROMAN 


I784I.) 


Les  portions  qui  lor  afièrent  * 
A  lor  cercles  entériner*, 
Puis  recommencent  sens  fiuer, 
En  retardant  du  ciel  le  cors*, 
Por  faire  as  élémens  secors  : 
Car  s'il  pooit  corre  à  délivre*, 
Riens  ne  porroit  desouz  li  vivre.. 
-  Li  biaus  solaus  *  qui  le  jor  cause, 
Qui  est  de  toute  clarté  cause, 
Se  tient  ou  mileu  comme  rois, 
Trestous  reflamboians  de  rois*. 
Ou  mileu  d'aus  a  sa  maison, 
Ne  ce  n'est  mie  sens  raison  ; 
Car  Diex  li  biaus,  li  fors,  li  sages, 
Volt  que  fust  ilec  ses  estages*  : 
Car  s'il  plus  bassement  corust, 
N'est  riens  qui  de  chaut  ne  morust; 
Et  s'il  corust  plus  bautement, 
Froit  méist  tout  à  dampnement*. 
Là  départ*  sa  clarté  commune 
As  estoiles  et  à  la  lune, 
Et  les  fait  aparoir*  si  bêles, 
Que  la  nuit  en  fait  ses  cbandcles, 
Au  soir,  quant  ele  met  sa  table, 
Por  cstre  mains  espoentable* 
Devant  Acbéron  son  mari, 
Qui  moult  en  a  le  cuer  mari  ; 
Qu'il  vosist  miex*  sens  luminaire 
Estre  avec  la  nuit  toute  naire, 
Si  cum*  jadis  ensemble  furent, 
Quant  de  premier*  s'cntrecongnurcnt, 
Que  la  nuit,  en  lor  drucries*, 
Conçut  les  trois  Forseneries* 
Qui  sont  en  enfer  justicières, 
Gardes  félonesses  et  fières. 


*  Conviennent. 
* Compléter. 

è 

*  Le  cours. 


*  Pou  va  if     courir    Huit- 
ment. 

*  Soleil. 


Rayons. 


*  Voulut  que  fut   là   son 
arrêt. 


*  Dommagi . 

*  Distribue. 

*  Apparaître. 

*  Epouvantable. 

*  Car  il  voudrait  mieux. 

*  Ainsi  qui-. 

*  Premièrement. 
'  A  mours. 

*  Furies. 


(v.  I7876.J  DE  LA  ROSE.  201 

Mes  toutevois  la  nuit  se  pense, 

Quant  el  se  mire  en  sa  despense, 

En  son  célier,  ou  en  sa  cave,, 

Qui  trop  seroit  hideuse  et  hâve, 

Et  face  auroit  trop  ténébreuse, 

S'el  n'avoit  la  clarté  joieuse 

Des  cors*  du  ciel  reflamboians  *  Des  cours. 

Parmi  l'air  oscurci  raians*,  *  Rayonnant. 

Qui  tornoient  en  lor  espères*,  * Sphères. 

Si  cum  Testabli  Diex  li  Pères. 

Là  font  entr'eus  lor  armonies  (1), 

(l)  Platon  et  les  autres  philosophes  ont  cru  que  les  astres  dans  leur  ré- 
volution, faisoient  un  bruit  pareil  à  celui  de  noire  musique,  et  que  le 
son  étant  un  effet  de  la  répercussion  de  l'air,  par  la  règle  qui  veut  que  de 
la  collision  violente  de  deux  corps  il  en  résulte  an  son,  il  est  plus  ou 
moins  agréable,  selon  l'ordre  qui  est  observé  dans  la  percussion  de  l'air; 
et  comme  rien  ne  se  fait  tumulluairement  dans  le  ciel,  on  infère  de  là 
que  les  astres  en  faisant  leur  cours  forment  une  espèce  de  concert,  parce 
que  le  mouvement  violent  produit  nécrssairement  un  son.  Ce  qui  nous 
empêche  de  l'entendre,  c'est  que  le  son  est  trop  fort.  En  effet,  si  les  peu- 
ples qui  habitent  le  long  du  Nil  n'entendent  pas  le  bruit  que  fait  ce  fleuve 
en  roulant  ses  eaux,  il  ne  faut  point  être  surpris  si  le  bruit  que  cause  la 
révolution  de  la  sphère  est  au-dessus  de  la  portée  de  notre  ouïe. 

Platon  a  prétendu  que  la  musique  des  astres  étoit  diatonique,  parce 
que,  dit-il,  il  y  a  trois  genres  de  musique  :  l'enharmonique  ,  le  chroma- 
tique et  le  diatonique.  Le  chant  du  premier  procède  par  quarts  de  tons; 
les  Grecs  s'en  servoient  anciennement,  surtout  dans  le  récitatif.  Mais  la 
difficulté  qu'il  y  avoit  à  Irouver  ces  quarts  de  tons  en  a  fait  perdre  l'u- 
sage, d'autant  plus  que  cette  musique  ne  pouvoit  avoir  lieu  dans  l'harmo- 
nie. La  musique  chromatique  est  une  modulation  qui  procède  par  le  mé- 
lange des  semi-tons,  tant  majeurs  que  mineurs,  marqués  accidentelle- 
ment par  des  dièzes  ou  par  des  bémols;  on  la  pratique  dans  la  musique 
moderne,  soit  dans  la  mélodie,  soit  dans  l'harmonie. 

La  musique  diatonique  est  celle  qui  procède  par  des  tons  pleins,  justes 
et  naturels,  dont  les  moindres  intervalles  sont  des  semi-tons  majeurs, 
comme  il  est  facile  de  L'observer  dans  l'intonation  de  l'étendue  de  l'oclave, 
en  commençant  par  la  note  ut. 

La  délinition  de  Platon  est  plus  succincte;  car  il  se  contenloit  de  dire 
que  le  genre  enharmonique  n'est  pas  en  usage,  à  cause  de  son  extrême 


202 


LE   ROMAN 


(v.     17887.) 


Qui  sunt  causes  des  mélodies 
Et  des  diversités  de  tons, 
Que  par  acordance  metons 
Eu  toutes  manières  de  chant. 
N'est  riens  qui  par  celés  ne  chant, 
Et  muent*  par  lor  influences 
Les  accidens  et  les  sustances 
Des  choses  qui  sunt  souz  la  lune. 
Par  lor  diversité  commune 
S'espoissent*  li  cler  élément, 
Cler  font  les  espès  ensement*  ; 
Et  froit  et  chaut,  et  sec  et  moiste, 
Tout  ainsinc  cum  en  une  boiste 
Font-il  à  chascun  cors*  venir, 
Por  lor  pez  ensemble  tenir; 
Tout  soient-il  contrariant, 
Les  vont-il  ensemble  liant  : 
Si  font  pez  de  quatre  anemis, 
Quant  si  les  ont  ensemble  mis  , 
Par  atrempance*  covenable, 
A  complexion  raisonable, 
Por  former  en  la  meillor  forme 
Toutes  les  choses  que  ge  forme. 
Et  s'il  avient  que  soient  pires , 
C'est  du  desfaut  de  lor  matires. 
Mes  qui  bien  garder  i  saura, 
Jà  si  boue  pez  n'i  aura 
Que  la  chalor  l'umor  ne  suce, 
Et  sens  cessier  gaste  et  menjuce* 
De  jor  en  jor,  tant  que  venue 
Soit  la  mors  qui  lor  est  déue 
Par  mon  droit  establissement*, 


*  Changent. 


*  S'épaississent. 

*  Pareillement. 


*  Cours. 


'Tempérance. 


Mange. 


*  Juste  règlement. 


difficulté,  que  le  chromatique  a  été  regardé  comme  infâme  à  cause  de  sa 
mollesse  :  d'où  il  conclut  que  la  musique  des  astres  est  diatonique. 

(L.  D.  D.) 


(v.    I79IÏ).) 


DE   LA    ROSE. 


203 


Se  mors  ne  lor  vieut  autrement, 

Qui  soit  par  autres  cas  hastée, 

Ains*  que  l'umor  soit  dégastée**. 

Car,  jà  soit  ce  que  nus*  ne  puisse 

Par  médiciue  que  l'en  truisse*, 

Ne  par  riens  que  l'en  sache  ongier*, 

La  vie  du  cors  alongier, 

Se  sai-ge  bien  que  de  légier* 

Là  se  puet  chascuns  abrégier. 

Car  maint  acorcent*  bien  lor  vie 

Ains*  que  l'umor  soit  défaillie, 

Par  eus  faire  noier  ou  pendre, 

Ou  par  quelque  péril  empreudre*, 

Dont  ains  qu'il  s'en  puissent  foïr, 

Se  font  ardoir*  ou  enfoïr, 

Ou  par  quelque  meschief  destruire, 

Par  lor  faiz  folement  conduire, 

Ou  par  lor  privés  anemis 

Qui  mains  en  ont  sens  coupe*  mis 

Par  glaive  à  mort  ou  par  venins, 

Tant  ont  les  cuers  faus  et  chenins*  ; 

Ou  par  chéoir  en  maladies 

Par  maus*  governemens  de  vies, 

Par  trop  dormir,  par  trop  veillier, 

Trop  reposer,  trop  traveillier, 

Trop  engressier  et  trop  séchier, 

Car  en  tout  ce  puet-1'en  péchier; 

Par  trop  longement  géuner, 

Par  trop  de  deliz  aimer*, 

Par  trop  de  mésaises  avoir, 

Trop  esjoïr  et  trop  doloir*  ; 

Par  trop  boivre,  par  trop  mangier, 

Par  trop  lor  qualité  changier, 

Si  cum  il  pert  méismement* 

Quant  il  se  fout  soudainement 


*  Avant.      **  Gâtée. 

*  Car  quoique  nul. 

"  Trouve  (subj.) 

*  Oindre. 

*  Facilement. 

*  Raccourcissent . 
Avant. 

*  Entreprendre. 

*  Brûler. 


Faute 


'De  chien. 


'Mauvais. 


*  Rassembler. 


y Se  plaindre,  souffrir. 


'Ainsi    qu'il   parait    de 
même. 


204  LE  KO  M  AN  (v,  17954.) 

Trop  chaut  avoir,  trop  froit  sentir, 

Dont  à  tart  sunt  au  repentir  ; 

Ou  par  lor  coustumes  muer  *,  *  Changer. 

Qui  moult  de  gens  refait  tuer, 

Quant  sodainemeut  les  remuent*.  *Quittmt. 

Maint  s'en  griévent  et  maint  s'en  tuent  ; 

Car  les  mutacions  sodaines 

Sont  trop  à  Nature  grevaines* ,  *  Nuisibles. 

Si  qu'il  me  font  en  vain  pener*  *  Prendre  peine. 

D'eus  à  naturel  mort  mener. 

Et  jà  soit  ce  que*  moult  mesfacent,        * Quoique. 

Quant  contre  moi  tel  mort  porchaceut*,    *  Cherchent. 

Si  me  poise-il  moult  toutevoies  *,  *  H  mi-  pesé  beaucouptou- 

^  .  tejois. 

Quant  il  demorent  entre  voies,  » 

Comme  chetis  et  recréant*,  *  Cessant  d'agir. 

Vaincuz  par  mort  si  meschéant*,  *  Méchante. 

Dont  bien  se  péussent  garder, 

S'il  se  vosisseut*  retarder  *  Voulussent. 

Des  outrages*  et  des  folies  *  Excès. 

Qui  lor  font  acorcir  lor  vies 

Ains*  qu'il  aient  atainte  et  prise  *  Avant. 

La  boue*  que  ge  lor  ai  mise.  *  Borne. 


Comment  Nature  se  plaint  cy 
Des  deuils  qu'il/,  firent  contre  luy. 


Lmpedocles  mal  se  garda, 

Qui  tant  es*  livres  regarda ,  *  Dans  les. 

Et  tant  ama  philosophie  , 

Plains,  espoir  *,  de  mélancolie ,  *  Peut-être. 

Conques  la  mort  ne  redouta, 

Mes  tout  vif  el*  feu  se  bouta ,  *  Dans  le. 

Et  joinz  piez  en  Ethna  sailli  *,  *  Sauta. 

Por  monstrer  que  bien  sunt  failli  *  *Sans  courage. 

Cil  qui  la  mort  vuelent  douter*,  *  Redouter. 


(V- 


DE  LA   ROSE. 


205 


Porce  s'i  volt*  de  gré  bouter. 
N'en  préist  or  ne  miel  ne  sucre  (1), 
Ains  eslut  ilec*  son  sépucre 
Entre  les  sulphureus  boillons. 
Origenes,  qui  les  c....... 

Se  copa,  moult  poi  *  me  prisa, 

Quant  à  ses  mains  les  encisa. 

Por  servir  eu  dévocion 

Les  dames  de  religion, 

Si  que  nus*  souspecon  n'éust 

Que  gésir  o*  eles  péust. 

Si  dit-l'en  que  les  destinées 

Lor  orent  tex  mors*  destinées, 

Qui  tel  éur  lor  ont  méu  * 

Dès  lors  qu'il  furent  concéu , 

Et  qu'il  pristrent  lor  nacions* 

En  teles  constellacions, 

Que  par  droite*  nécessité , 

Sens  autre  possibilité, 

C'est  sens  pooir  de  l'escbever*, 

Combien  qu'il  lor  doie*  grever, 

Lor  convient*  tel  mort  recevoir; 

Mes  ge  sai  bien  trestoul  de  voir*, 

Combien  que  li  ciel  i  travaillent, 

Qui  les  meurs  naturiex*  lor  baillent 

Qui  les  enclinent  à  ce  l'aire, 

Qui  les  font  à  celé  fin  traire* 

Par  la  matière  obéissant, 

Qui  lor  cuer  va  si  fléchissant. 

Si  puéent-il*  bien  par  doctrine, 

Par  norreture  *  nete  et  fine, 


*  Pour  cela  il  .s';/  voulut. 

*  Mais  choisit  là. 

*  Très-peu. 


*  En  sorte  que  nul. 

*  Coucher  avec. 

*  Telles  mœurs* 

*  Qui   leur   ont   mu  telle 
fortuite. 

*  Naissances. 

*  Régulière,  véritable. 

*  Éviter. 

*  Doive. 

*  Il  lui  faut. 

*Toui  à  fait  vraiment. 

*  Naturelles 

*  Tirer. 


Et  ils  peuvent. 
*  Education. 


(i)  Voyez  sur  le  commerce  et  la  consommation  du  sucre  en  Occident 
pendant  le  moyen  âge,  Y  Histoire  de  la  guerre  de  Navarre,  par  Guillaume 
Anelier,  p.  426-430,  not.  au  v.  142,  et  p.  783.  Voyez  encore  les  Bonbons 
au  moyen  âge,  dans  V A therueum français ,  n°  du  5 janvier  1856,  p.  13  et  14. 

18 


206  LE    ROMAN  (y.   iso.c.) 

Par  sivre  boncs  compaiguies 

De  sens  et  de  vertuz  garnies, 

Ou  par  aucunes  médicines, 

Por*  qu'el  soient  bones  et  fines,  *  Pourvu. 

Et  par  bonté  d'entendement 

Procurer  qu'il  soit  autrement, 

Por  qu'il  aient,  comme  sénés*,  *  Sensé. 

Lor  mors  naturez*  refrénés;  * Leursmœjurs naturelles. 

Car  quant  de  sa  propre  nature 

Contre  bien  et  contre  droiture 

Se  vuet  borne  ou  lame  atorner*,  *  Tourner. 

Raison  l'en  puet  bien  destorner, 

Por*  qu'il  la  croie  solement  :  *  Pourvu. 

Lors  ira  la  chose  autrement; 

Car  autrement  puet-il  bien  estre, 

Que  que  lacent  li  cors*  célestre  *Cours. 

Qui  moult  ont  grant  pooir,  sens  faille*,  "Sans  faute. 

Por  que  Raison  encontre  n'aille. 

Mes  n'ont  pooir  contre  Raison, 

Car  bien  set  chascuns  sages  hon  *  *  Homme. 

Qu'il  ne  sunt  pas  de  raison  mestre, 

N'il  ne  la  firent  mie  nestre. 

Mes  de  soldre*  la  question,  *  Résoudre. 

Comment  prédestinacion 
De  la  divine  prescience, 
Pleine  de  toute  porvéance, 

Puet  estre  o*  volenté  délivre**,  *Arec.     **  Libre. 

Fort  est  as  gens  laiz*  à  descrivre;  *  Laïques. 

Et  qui  vodroit  la  ebose  emprendre*,       ^Entreprendre. 
Trop  lor  seroit  fort  à  entendre, 
Qui  lor  auroit  néis*  solues  "Même. 

Les  raisons  encontre  méues*.  *  Mues,  soulevées. 

Mais  il  est  voirs*,  que  qu'il  lor  semble,  *  frai. 
Que  s'entre-soflVent  bien  ensemble  ; 
Autrement  cil  qui  bien  feroient 


DE  LA   ROSE. 


201 


Jà  loier*  avoir  n'en  devroient, 
Ne  cil*  qui  de  péchier  se  pairie 
James  n'eu  devroit  avoir  pairie, 
Se  tele  estoit  la  vérité 
Que  tout  fust  par  nécessité  : 
Car  cil  qui  bien  faire  vorroit*, 
Autrement  faire  ne  porroit  ; 
Ne  cil*  qui  le  mal  vorroit**  faire, 
Ne  s'en  porroit  mie  retraire*  : 
Vosist*  ou  non,  il  le  feroit, 
Puisque  destiué  li  seroit. 

Et  si  porroit  bien  aucuns  dire, 
Por  desputer  de  la  matire*, 
Que  Diex  n'est  mie  décéus 
Des  faiz  qu'il  a  devant  séus  : 
Dont  avendront-il  sans  doutance 
Si  cum*  il  sunt  en  sa  science; 
Mes  il  set  quant  il  avendront, 
Comment  et  quel  cbief*  il  tendront  : 
Car  s'autrement  estre  péust 
Que  Diex  avant  ne  le  séust, 
Il  ne  seroit  pas  tous-poissans, 
Ne  tous  bons  ne  tous  congnoissans, 
N'il  ne  seroit  pas  soverains , 
Li  biaus,  li  douz,  li  premerains; 
N'il  ne  sauroit  nés  que  nous  fomes*, 
Ains  cuideroit*  avec  les  homes 
Qui  sunt  en  douteuse  créance, 
Sens  certaineté  de  science. 
Mes  tel  error  en  Dieu  retraire*, 
Ce  seroit  déablie*  à  faire  : 
Nus  hons  *  ne  la  devroit  oïr 
Qui  de  Raison  vosist*  joïr. 
Dont  convient-il  par  vive  force, 
Quant  voloir  d'orne  à  riens  s'esforce, 


Louange. 
*  Celui. 


*  fondrait. 

*  M  relui. 

*  Empêcher, 

*  foulât. 


Matière. 


*  Ainsi  que. 


Fin . 


Voudrait. 


Fûmes. 
*  Mais  croirait. 


*  Rapporter. 

Diablerie. 

*  ,\  ul  homme. 

*  Voulût. 


208 


LE  ROMAN 


(v.    18086.) 


De  quanqu'il  fait  qu'ainsinc*  le  face, 
Pense,  die,  voille  ou  porchace*  : 
Dont  est-ce  chose  destinée 
Qui  ne  puet  estre  destornée, 
Dont  se  doit-il,  ce  semble,  ensivre 
Que  riens  n'ait  volenté  délivre*. 

Et  se  les  destinées  tienent 
Toutes  les  choses  qui  avienent, 
Si  cum  cis*  argumeus  le  prueve, 
Par  l'aparence  qu'il  i  trueve, 
Cil  qui  bien  euvre,  ou  malement, 
Quant  il  ne  puet  faire  autrement, 
Quel  gré  l'en  doit  dont  Diex  savoir, 
Ne  quel  poine  en  doit-il  avoir? 
S'il  avoit  juré  le  contraire, 
N'en  puet-il  autre  chose  faire. 
Dont  ne  feroit  pas  Diex  justice 
De  bien  rendre  et  de  pugnir  vice, 
Car  comment  faire  le  porroit? 
Qui  bien  regarder  i  vorroit*, 
Il  ne  seroit  vertus  ne  vices, 
Ne  sacrelier  en  calices 
Ne  Dieu  prier  riens  ne  vaudroit, 
Quant  vices  et  vertus  faudroit*; 
Ou  se  Diex  justice  faisoit, 
Cum  vices  et  vertus  ne  soit, 
11  ne  seroit  pas  droituriers*, 
Ains  clameroit*  les  usuriers, 
Les  larrons  et  les  murtriers  quites, 
Et  les  bons  et  les  ypocrites, 
Tous  peseroit  à  pois  oni*. 
Ainsinc  seroie.nt  bien  boni 
Cil  qui  d'amer  Dieu  se  travaillent, 
S'il  à  s'amor  en  la  lin  faillcnt; 
Et  faillir  les  i  convendroit*, 


*  De    tout    ce   qu'il  fait 

qu'ainsi. 
'S'efforce. 


*  Libre. 


'Ainsi  que  cet. 


'  rendrait. 


*  Manquerait. 


*  Juste. 

*  Maisi/t ,  tarerait,  procla- 
merait. 


A  poids  égal. 


*  Il  leur  y  faillirait. 


DE  LA  ROSE. 


209 


Puisque  la  chose  à  ce  vendroit 
Que  nus  ne  porroit  recovrer  * 
La  grâce  Dieu  por  bien  ovrer. 

Mes  il  est  droituriers*  sans  doute, 
Car  bontés  reluit  en  li  toute; 
Autrement  seroit  en  desfaut 
Cil  en  cui  nule  riens  ne  faut*. 
Dont  rent-il,  soit  gaaing  ou  perte, 
A  chascun  selonc  sa  déserte*; 
Dont  sunt  toutes  euvres  méries*, 
Et  les  destinées  péries, 
Au  mains  si  cum  gens  laiz*  entendent, 
Qui  toutes  choses  lor  présentent, 
Bones,  maies*,  fauces  et  vaires, 
Par  avénemens  nécessaires  ; 
Et  franc  voloir  est  en  estant*  , 
Que  tex*  gens  vont  si  mal  traitant. 

Mes  qui  revoldroit  oposer*, 
Por  destinées  aloser*, 
Et  casser  franche  volenté, 
(Car  maint  en  ont  esté  tenté)  ; 
Et  diroit  de  chose  possible, 
Combien  qu'el  puisse  estre  faillible, 
Au  mains  quant  ele  est  avenue, 
S'aucuns  l'avoit  devant  véue, 
Et  déist,  tel  chose  sera, 
]\"e  riens  ne  l'en  destornera, 
N'auroit-il  pas  dit  vérité  : 
Dont  seroit-ce  nécessité. 
Car  il  s'ensieut,  se  chose  est  vaire*, 
Donques  est- ele  nécessaire 
Par  la  convertibilité 
De  voir*  et  de  nécessité  : 
Dont  convient-il  qu'el  soit  à  force, 
Quant  nécessité  s'en  esforce. 


*  Que  nul  ne  pourrait  ob- 
tenir. 


'  Juste. 


*  Celui  en  quirien  ne  man- 
que. 

*  Son  mérite. 

*  Récompensées. 

*  Laïques. 

*  Mauvaises. 

*  Debout. 

*  Telles. 

*  f'oudrait  de  son  côté. 

*  Louer,  vanter. 


f'critable. 


'De  venir. 


18. 


210  LE  ROMAN  (t.  i&m.) 

Qui  sor  ce  respondre  vorroit*,  * Poudrait. 

Eschaper  comment  en  porroit  ? 

Certes  il  diroit  chose  voire*,  "fraie. 

Mes  non  pas  por  ce  nécessaire  : 

Car  comment  qu'il  l'ait  aius*  véue,         *  Auparavant. 

La  chose  n'est  pas  avenue 

Par  nécessaire  avènement, 

Mes  par  possihle  solement. 

Car  s'il  est  qui  bien  i  regart , 

C'est  nécessité  en  regart*,  *  En  perspective 

Et  non  pas  nécessité  simple  : 

Si  que  ce  ne  vaut  une  guimple. 

Et  se  chose  à  venir  est  vaire , 

Donc  est-ce  chose  nécessaire; 

Car  tele  vérité  possible 

Ne  puet  pas  estre  convertible 

Avec  simple  nécessité, 

Si  comnie  simple  vérité  : 

Si  ne  puet  tel  raison  passer 

Por  franche  volenté  casser. 

D'autre  part,  qui  garde  i  preudroit, 
James  as  gens  ne  convendroit*  *  //  ne  faudrait. 

De  mile  chose  conseil  querre*,  * Chercher. 

Ne  faire  besoingnes  en  terre  : 
Car  porquoi  s'en  conseilleroient, 
Ne  besoingnes  porquoi  feroient, 
Se  tout  iert*  avant  destiné  *  Si  tout  était. 

Et  par  force  déterminé? 
Por  conseil,  por  euvres  de  mains, 
Jà  n'en  seroit  ne  plus  ne  mains, 
Ne  miex  ne  pis  n'en  porroit  estre, 
Fust  chose  née  ou  ebose  à  nestre, 
Fust  chose  faite  ou  chose  à  faire, 
Fust  chose  à  dire  ou  chose  à  taire. 
Nus  d'aprendre  mestier*  n'auroit,  *  Nul  d'apprendre  besoin. 


(v.   i8i9f.)  DE  LÀ   ROSE.  211 

Sens  estuide  des  ars  sauroit 

Quanqu'il*  saura,  s'il  estudie,  *Tout  ce  qu'il. 

Par  grant  travail  toute  sa  vie. 

Mes  ce  n'est  pas  à  otroier  : 

Dont  doit-1'en  plainement  noier  *  *  Nier. 

Que  les  euvres  d'umanité 

Aviengnent  par  nécessité  ; 

Ains  font  bien  ou  mal  franchement 

Par  lor  voloir  tant  solement; 

N'il  n'est  riens  fors  eus,  au  voir*  dire,     *  frai. 

Qui  tel  voloir  lor  face  eslire, 

Que  prendre  ou  laissier  les  poissent, 

Se  de  raison  user  vosissent*.  * Jouhmsent 

Mes  or*  seroit  fort  à  respondre  "Maintenant. 

Por  tous  les  argumens  confondre 

Que  l'en  puet  encontre  amener. 

Maint  se  voldrent  à  ce  pener*,  ''Voulurent  s'en  donner 

_    ,.  _  /</  peine. 

Et  distreut,  par  sentence  une, 

Que  la  prescience  devine 

Ne  met  point  de  nécessité 

Sor  les  euvres  d'umanité  : 

Car  bien  se  vont  aparcevant, 

Por  ce  que  Diex  les  sot  devant*,  *  Les  sut  auparavant. 

ISTe  s'ensieut-il  pas  qu'il  aviengnent 

Par  force,  ne  que  tex  fins  tiengnent; 

Mes  por  ce  qu'eles  avendront, 

Et  tex  chief*  ou  tex  fin  tendront,  *  Et  tettc  tète. 

Por  ce  les  set  ains  Diex  *,  ce  dient.  "  P°w  rc,i>  les  sait  aupa- 

-,  ,  .  ravant  Dieu. 

Mes  cist  mauvesement  deslient  »  Ceux-là. 

Le  neu  de  ceste  question  : 

Car  qui  voit  lor  entencion 

Et  se  vuet  à  raison  tenir, 

Li  fait  qui  sunt  à  avenir, 

Se  cist  douent  voire*  sentence,  *Siceux~là  donnent  vraie. 

Causent  en  Dieu  la  prescience, 


212 


LE   ROMAN 


;'v.     18220. 


Et  la  font  estre  nécessoire. 

Mes  moult  est  grant  folie  à  croire 

Que  Diex  si  faiblement  entende 

Que  son  sens  d'autrui  fait  despende; 

Et  cil  qui  tel  sentence  sivent, 

Contre  Dieu  malemeut  estriveut*,  *  Luttent. 

Quant  vuelent  par  si  fabloier*  *  En  partant  ainsi. 

Sa  prescience  afébloier. 

Ne  raison  ne  puet  pas  entendre 

Que  l'en  puisse  à  Dieu  riens  aprendre  : 

-Nil  ne  porroit  certainement 

Estre  sages  parfaitement, 

S'il  est  en  tel  défaut  trovés, 

Que  cis*  cas  fust  sor  li  provés. 

Dont  ne  vaut  riens  ceste  response, 

Qui  la  Dieu  prescience  esconse*, 

Et  repont  sa  grant  porvéance* 

Soz  les  ténèbres  d'ignorance, 

Qu'el  n'a  pooir,  tant  est  certaine, 

D'aprendre  riens  par  euvre  humaine  ; 

Et  s'el  le  pooit  sens  doutance  *, 

Ce  li  vendroit  de  non-poissauce, 

Qui  r'est  dolor  à  recenser*, 

Et  péchiés  néis*  du  penser. 

Li  autre  autrement  en  sentirent, 
Et  selonc  lor  sens  respondirent, 
Et  s'acordèrent  bien  sens  faille* 
Que  des  choses,  comment  qu'il  aille, 
Qui  vont  par  volenté  délivre*, 
Si  comme  éleccion  les  livre, 

Set  Diex  quanqu'il*  en  avendra,  *  Tout  ce  qu'il. 

Et  quel  fin  chascune  tendra, 
Par  une  adicion  légière  : 
C'est  assavoir  en  tel  manière 
Cum  eles  sunt  à  avenir; 


*Ce. 


*  Qui    la    prescience    de 
Dieu  cache. 

'  lit  dérobe  à  la  vue  sa 
grande  prévoyance. 


'  San*  doute. 


*  Ce  qui  est  douloureux  à 
i  xamim  r. 

•  \i<  iltc. 


Sans  faute. 


Libre. 


(v.  !82ci.)  DE  LA  ROSE.  213 

Et  vuelent  par  ce  sostenir 

Qu'il  u'i  a  pas  nécessité  , 

Ains*  vont  par  possibilité  ,  *  Mais. 

Si  qu'il  set  quel  fin  eus  feront, 

Et  s'eus  seront  ou  non  seront. 

Tout  se  set-il  bien  de  cbascune, 

Que  de  deus  voies  tendra  l'une  : 

Geste  ira  par  négacion, 

Geste  par  affirmation, 

Non  pas  si  termilléenient*  ■*  D'une  façon  si  détermi- 

née. 

Que  n'aviengne  espoir*  autrement  :        *  Peut-être. 

Car  bien  puet  autrement  venir, 

Se  Franc  Yoloir*  s'i  vuet  tenir.  *  Libre  Arbitre. 

Mais  comment  osa  nus*  ce  dire?         *  Nul. 
Gomment  osa  tant  Dieu  despire*,  *  Mépriser,  dédaigner. 

Qu'il  li  dona  tel  prescience, 

Qu'il  n'eu  sel  riens  fors  en  doutance  *,     *Si  ce  n'est  en  doute. 
Quant  il  n'en  puet  aparcevoir 
Déterminablement  le  voir*?  *  La  vérité. 

Car  quant  d'un  fait  la  fin  saura, 
Jà  si  séue  ne  l'aura, 
Quant  autrement  puet  avenir, 
S'il  li  voit  autre  fin  tenir, 
Que  celé  qu'il  aura  séue, 
Sa  prescience  iert*  décéue,  *Sera. 

Comme  mal  certaine ,  et  semblable 
A  opinion  décevable, 
Si  comme  avant  monstre  l'avoie. 
Li  autre  alèrent  autre  voie, 
Et  maint  encor  à  ce  se  tiengnent, 
Qui  dient  des  faiz  qui  avienguent 
Çà-jus*  par  possibilité,  *  ici-bas. 

Qu'il  vont  tuit  par  nécessité 
Quant  à  Dieu,  non  pas  autrement  : 
Car  il  set  termiuéement*  *  D'une  façon  déterminée. 


214 


LE  ROMAN 


(y.     ïS-296. 


De  tous  jors,  et  sens  mile  faille* , 

Comment  que  de  Franc  Voloir  aille, 

Les  choses  ains*  que  faites  soient, 

Quelcunque  fin  que  eles  oient*, 

Et  par  science  nécessoire  ; 

Sens  faille  il  dient  chose  voire*, 

De  tant  que  tuit  à  ce  s'acordent, 

Et  por  vérité  le  recordent* , 

Qu'il  a  nécessaire  science, 

Et  de  tous  jors,  sens  ignorance, 

Set-il  comment  iront  li  fait. 

Mes  contraignance*  pas  n'i  fait, 

ISe  quant  à  soi  ne  quant  as  homes  : 

Car  savoir  des  choses  les  somes  , 

Et  les  particularités 

De  toutes  possibilités , 

Ce  li  vient  de  la  grant  puissance 

De  la  bonté  de  sa  science, 

Vers  qui  riens  ne  se  puet  répondre*. 

Et  qui  voldroit  à  ce  respondre 

Qu'il  mete  es  fais  *  nécessité, 

Il  ne  diroit  pas  vérité; 

Car  por  ce  qu'il  les  set  devant, 

Ne  sont-il  pas,  de  ce  me  vaut*, 

Ne  por  ce  qu'il  sunt  puis,  jà  voir* 

Ne  li  feront  devant*  savoir. 

Mes  por  ce  qu'il  est  tous-poissans, 

Tout  bien  et  tout  mal  congnoissans, 

Por  ce  set-il  du  tout  le  voir*, 

Si  que  riens  n'el  pnet  décevoir. 

Riens  ne  puet  estre  qu'il  ne  voie; 

Et  por  tenir  la  droite  voie, 

Qui  bien  voldroit  la  chose  emprendre' 

Qui  n'est  pas  légière  à  entendre, 

TTu  gros  exemple  en  porroit  mètre 


Faute. 

*  Avant. 

*  Aient. 

*  fraie. 

*  Racontent . 


'Contrainte. 


Cacher . 


'Dans  les  faits. 


*  Je  me  vante. 

*  Jamais  vérité. 

*  Auparavant. 


Frai- 


*  Entreprendre. 


fv.    IS33I. 


DE  LA  ROSE. 


21o 


*  r  .a  >    laiz  *  qui  n'entendent  letre  : 
Cai        '  gens  vuelent  grosses  choses , 
Sens  grant  sostiveté*  de  gloses. 

S'uns  lions  *  par  franc  voloir  faisoit 
Une  chose,  quelle  qu'el  soit, 
Ou  du  faire  se  retardast, 
Por  ce  que  se  l'en  l'esgardast*, 
Il  en  auroit  honte  et  vergoingne, 
Tel  porroit  estre  la  besoingne  ; 
Et  uns  autres  riens  n'en  séust 
Devant  que  cil*  faite  l'éust, 
Ou  qu'il  l'éust  lessiée  à  faire, 
S'il  se  volt  *  miex  du  fait  retraire**  : 
Cil  qui  la  chose  après  sauroit, 
Jà  por  ce  mise  n'i  auroit 
Nécessité  ne  contraingnauce  *  ; 
Et  s'il  en  éust  la  science 
Ausinc  bien  eue  devant, 
Mes  que  plus  ne  l'alast  grevant, 
Ains  le  séust*  tant  solement, 
Ce  n'est  pas  empéeschement 
Que  cil  n'ait  fait,  ou  ne  féist 
Ce  qui  li  pléust  ou  séist, 
Ou  que  du  faire  ne  cessast, 
Se  sa  volenté  li  lessast, 
Qu'il  a  si  franche  et  si  délivre*, 
Qu'il  puet  le  fait  foïr  ou  sivre. 

Ausinc  Diex,  et  plus  noblement 
Et  tout  déterminablement , 
Set  les  choses  à  avenir, 
Et  quel  cbief*  el  ont  à  tenir, 
Comment  que  la  chose  puist  estre 
Par  la  volenté  de  son  mestre 
Qui  tient  en  sa  subjeccion 
Le  pooir*  de  l'éleccion, 


*  Laïques. 

*  Telles. 

*  Subtilité. 

*  Si  un  homme. 


*  Le  regardât. 


'Avant  que  celui-ci. 


'raillait.      **  Retirer. 


Contrainte. 


*  Mais  le  s\U. 


*  Libre. 


*  Bout,  extrémité. 


*  Le  pouvoir 


216 


LE  ROMAN 


1836G. 


Et  s'incline  à  l'une  partie 

Par  son  sens  ou  par  sa  folie 

Et  set  les  choses  trespassées , 

Ains*  qu'eles  fussent  compassées;  *  Avant. 

Et  de  ceus  qui  les  faiz  cessèrent 

Set-il,  s'a  faire  les  laissèrent 

Por  honte,  ou  por  autre  achoisou  *,         *  Occasion. 

Soit  raisonnable  ou  sens  raison, 

Si  cum*  lor  volenté  les  maine  :  *  Ainsi  que. 

Car  ge  sui  trestoute  certaine 

Qu'il  SUIlt  de  gens  à  grailt  plenté*  *  En  grand  nombre. 

Qui  de  mal  faire  sunt  tenté, 

Toutevois  à  faire  le  laissent. 

Dont  aucuns  en  i  a  qui  cessent 

Por  vivre  vertueusement, 

Et  por  l'amor  Dieu  solement, 

Qu'il  sunt  de  mors  bien  acesmé*  ;  *  De  mœurs  bien  orn 

Mes  cil  sunt  moult  à  cler  semé. 

L'autre  qui  de  péchier  s'apense, 

S'il  ni  cuidoit  trover  desi'ense, 

Toutevois  son  corage  doute 

Por  paor  de  poine  ou  de  honte. 

Tout  ce  voit  Diex  apertement*  *  Ouvertement. 

Devant  ses  iex  présentement , 

Et  toutes  les  condicions 

Dis  faiz  et  des  entendons. 

Riens  ne  se  puet  de  li  garder, 

.la  tant  ne  saura  retarder; 

Car  jà  chose  n'iert*  si  lointaingue ,  *Ne  sera. 

Que  Diex  devant  soi  ne  la  tiengne 

Ausinc  cum  s'ele  fust  présente. 

Demeurt*  dix  ans,  ou  vingt  ou  trente,    *  Qu'elle  demeure. 

Voire  cinq  cens,  voire  cent  mile, 

Soit  en  foire,  à  champ  ou  à  vile  , 

Soit  honCSte  OU  désavetiant*,  *  Désagréable. 


(v.  i840i.)  DE  LA   ROSE.  217 

Si  la  voit  Diex  dès  maintenant 

Ainsinc  cum  s'el  fust  avenue; 

Et  de  tous  jors  l'a-il  véue 

Par  démonstrance  véritable 

En  son  miroer  pardurable*,  *  Étemel. 

Que  nus,  fors  li*,  ne  set  polir,  *Que  nul,  sinon  lui. 

Sens  riens  à  Franc  Voloir  tolir  *.  *Sans  rie»  enlever  au  li- 

bre arbitre. 
Cis  miroers ,  c'est  li-méismes 

De  qui  commencement  préismes. 

En  ce  biau  miroer  poli, 

Qu'il  tient  et  tint  tous  jors  o  li*,  *  Avec  lui. 

Où  tout  voit  quanqu'il  *  avendra,  *Ce  qu'il. 

Et  tous  jors  présent  le  tendra, 

V.oit-il  où  les  âmes  iront 

Qui  loiaument  le  serviront, 

Et  de  ceus  ausinc  qui  n'ont  cure 

De  loiauté  ne  de  droiture, 

Et  lor  promet  en  ses  idées, 

Des  euvres  qu'il  auront  ovrées, 

Sauvement*  ou  dampnacion  :  *  Salut. 

C'est  la  prédestination, 

C'est  la  prescience  divine, 

Qui  tout  set  et  riens  ne  devine, 

Qui  seult*  as  gens  sa  grâce  estendre,      *  Qui  a  coutume. 

Quant  il  les  voit  à  bien  entendre  ; 

Ne  n'a  pas  por  ce  sozplanté 

Pooir  de  franebe  volenté. 

Tuit  homme  euvre  par  franc  voloir, 

Soit  por  joïr  ou  por  doloir*,  *  Souffrir. 

C'est  sa  présente  vision  : 

Car  qui  la  diffinicion 

De  pardurableté*  deslie,  *  D'éternité. 

Ce  est  possession  de  vie 

Qui  par  fin  ne  puet  estre  prise    * 

Trestoute  ensemble  sens  devise*.  'Partage. 

KOMVN    DE    i.\   KOSK.    —    T.    II.  10 


218  LE   ROMAN  (v.  use. 

Mes  de  ce  monde  l'ordenance, 
Que  Diex,  par  sa  grant  porveance* ,        *  Providence. 
Volt*  establir  et  ordener,  *  Voulut. 

Ce  convient-il  à  fin  mener, 
Quant  as  causes  universeles 
Celés  seront  par  force  teles 
Cum  eus  doivent  en  tous  tens  estre; 
Tous  jors  feront  li  cors*  célestre  *  Les  cours. 

Selonc  lor  révolutions, 
Toutes  lor  transmutations, 
Et  useront  de  lor  puissances 
Par  nécessaires  influances 
Sor  les  particulières  choses 
Qui  sunt  es*  élemens  encloses,  *  Dans  les. 

Quant  sor  eus  lor  rais*  recevront  *  Leurs  rayons. 

Si  cum*  recevoir  les  devront  :  *  Ainsi  que. 

Car  tous  jors  choses  engendrables 
Engendreront  choses  semblables , 
Ou  feront  lor  commixions 

Por  uaturex  *  complétons,  *  Naturelles. 

Selonc  ce  qu'el  auront  chascunes 
Entr'eus  propriétés  communes  ; 
Et  qui  devra  morir,  morra, 
Et  vivra  tant  comme  il  porra. 
Et  par  lor  naturel  désir 

Voldront  li  cuer  des  uns  gésir*  *  Être  couchés. 

En  oiseuses  et  en  délices, 
Cist*  eu  vertus,  et  cist  en  vices.  *  Ceux-là. 

Mes  par  aventure  li  faiz 
Ne  seront  pas  tous  jors  si  faiz 
Comme  li  cors*  du  ciel  entendent,  *  Les  coups. 

Se  les  choses  d'eus  se  desfendent , 
Qui  tous  jors  lor  obeiroient, 
Se  destornées  n'en  estaient; 
Ou  par  cas  ou  par  volenté, 


(t.    I847Ï.) 


DE  LA  ROSE. 


219 


Tous  jors  seront-il  tuit  tenté 
De  ce  faire  où  li  cuers  encline, 
Qui  de  traire*  à  tel  fin  ne  fine 
Si  cum  à*  chose  destinée  : 
Ainsinc  otroi-ge  destinée , 
Que  ce  soit*  disposicion 
Sous  la  prédestination 
Ajoustée  as  choses  movables, 
Selonc  ce  qu'el  sunt  enclinahles. 

Ainsinc  puet  estre  homs*  fortunés 
Por  estre ,  dès  lors  qu'il  fu  nés , 
Preus  et  hardis  en  ses  affaires, 
Sages,  larges  et  débonaires , 
D'amis  garnis  et  de  richèces, 
Et  renomés  de  grans  proèces, 
Ou  par  fortune  avoir  perverse. 
Mes  bien  se  gart  où  il  converse*; 
Car  tost  porroit  estre  empeschiés, 
Ou  par  vices  ou  par  péchiés, 
S'il  sent  qu'il  soit  avers  et  chiches, 
Car  tex  lions*  ne  puet  estre  riches. 
Contre  ses  mors  *  par  raison  viengne, 
Et  suffisance  à  soi  retiengne  ; 
Prengne  bon  cuer,  done  et  despende* 
Deniers  et  robes  et  viande  *, 
Mes  que  de  ce  son  non  ne  charge, 
Que  l'en  n'el  tiengue  por  fol  large. 
Si  n'aura  garde  d'avarice 
Qui  d'entasser  les  gens  atice  *, 
Et  les  fait  vivre  en  tel  martire, 
Qu'il  n'est  riens  qui  lor  puist  soffire  ; 
Et  si  les  avugle  et  compresse, 
Que  nul  bien  faire  ne  lor  lesse, 
Et  lor  fait  toutes  vertus  perdre, 
Quant  à  li  se  vuelent  aerdre  *. 


*  Tirer. 

*  Ainsi  qu'à. 


*  iin  si  accordé-je  que  des- 
tinée soit. 


*  Homme. 


'  Prenne  garde  où  il  s'a- 
donne. 


'Tel  homme. 
'Mœurs. 


*  Dépense. 
Nourriture. 


'  Excite. 


Attacher. 


220  LE   ROMAN  (t.  issoe.) 

Ainsinc  puet  bons,  se  moult  n'est  nices*,    *Simjiic. 

Garder  soi  de  tous  autres  vices, 

Ou  soi  de  vertus  destorner, 

S'il  se  vuet  à  mal  atorner  : 

Car  Frans-Voloirs  est  si  poissans, 

S'il  est  de  soi  bieu  congnoissans, 

Qu'il  se  puet  tous  jors  garentir, 

S'il  puet  dedens  son  cuer  sentir 

Que  Péchiés  vueille  estre  ses  mestres, 

Comment  qu'il  aut*  des  cors**  célestres.    *  Aille.     **  Cours. 

Car  qui  devant  savoir  porroit 

Quex  faiz  le  ciel  faire  vorroit*,  *  fondrait. 

Bien  les  porroit  empéescher  ; 

Car  s'il  voloit  si  l'air  séchier 

Que  toutes  gens  de  chaut  morussent , 

Et  les  gens  avant  le  séussent, 

Il  forgeroient  maisons  nueves 

En  moistes  leus  ou  presses  flueves, 

Ou  grans  cavernes  crueseroient, 

Et  souz  terre  se  muceroient  *,  *  Cacheraient. 

Si  que  du  chaut  n'auroient  garde. 

Ou  s'il  r'avient,  combien  qu'il  tarde, 

Que  par  aiguë*  aviengne  déluges,  *Eau. 

Cil  qui  sauroient  les  refuges, 

Lesseroient  tantost  les  plaingnes, 

Et  s'enfuiroient  es*  montaingnes;  'Dans  les. 

Ou  feroient  si  lors  navies*,  *  J'aisseaux,  jiottea. 

Qu'il  i  sauveroient  lor  vies 

De  la  grant  inundacion, 

Cu m  fist  jadis  Deucalion 

Et  Pirra,  qui  s'en  eschapèrent 

Par  la  nacele  où  il  entrèrent, 

Qu'il  ne  fussent  des  floz  hapé. 

Et  quant  il  furent  eschapé, 

Qu'il  v  indrent  au  port  de  sain , 


(v.  i854i.)  DE  LA  ROSE.  22Ï 

Et  virent  plaines  de  palu*  *  Marais. 

Parmi  le  monde  les  valées, 

Quant  les  mers  s'en  furent  alées, 

Et  qu'el  mont  n'ot*  seignor  ne  dame,    *Et  qu'au  monde  il  n'y 

Fors  *  Deucalion  et  sa  famé,  *  si  ce  n'est. 

Si  s'en  alèrent  à  confesse 

Au  temple  Thémis  la  déesse, 

Qui  jugeoit  sor  les  destinées 

De  toutes  choses  destinées. 


Comment,  par  le  conseil  Thémis, 
Deucalion  tous  ses  amis, 
Luy  et  Pyrra,  la  bonne  dame, 
Fit  revenir  en  corps  et  ame. 

A  genoillons  ilec  se  mistrent*  *  A  genou)-  là  se  mirent. 

Et  conseil  à  Thémis  requistrent 

Comment  il  porroient  ovrer 

Por  lor  lignage  recovrer. 

Thémis,  quant  oï  la  requeste, 

Qui  moult  estoit  bone  et  honeste, 

Lor  conseilla  qu'il  s'en  alassent, 

Et  qu'il  après  lor  dos  gitassent 

Tantost  les  os  de  lor  grant-mère. 

Tant  iert*  ceste  response  amère  "Était. 

A  Pirra,  qu'el  la  refusoit, 

Et  contre  le  sort  s'escusoit 

Qu'el  ne  devoit  pas  dépecier 

Les  os  sa  mère,  ne  hlecier, 

Jusqu'à  tant  que  Deucalion 

Li  en  dist  l'exposicion. 

«  N'estuet.*,  dist-il,  autre  sens  querre,      *  il  ne  faut. 

Nostre  grant-mère,  c'est  la  terre; 

Les  pierres,  se  nomer  les  os  *,  *  je  les  ose. 

Certainement  ce  sunt  les  os  : 

Après  nous  les  convient*  giter  *  il  les  faut. 

19. 


222 


LE  ROMAN 


1857 I.) 


Por  nos  lignages  susciter.  » 
Si  cum  dit  Tôt*,  ainsinc  le  firent, 
Et  maintenant  homes  saillirent 
Des  pierres  que  Deucalion 
Gitoit  par  boue  entencion  ; 
Et  des  pierres  Pirra,  les  famés 
Saillirent*  en  cors  et  en  âmes, 
Tout  ainsinc  cum  dame  Thémis 
Lor  avoit  en  l'oreille  mis, 
Conques  n'i  quistrent*  autre  père. 
James  ne  sera  qu'il  n'en  père* 
La  durté  en  tout  le  lignaige. 
Ainsinc  ovrèrent  comme  saige 
Cil  qui  garantirent  lor  vie 
Du  grant  déluge  par  navie*. 
Ainsinc  cil  eschaper  porroient 
Qui  tel  déluge  avant  sauroient. 

Ou  se  Herbout*  devoit  saillir**, 
Qui  si  féist  les  blés  faillir, 
Que  gens  de  fain  morir  déussent, 
Por  ce  que  point  de  blé  n'eussent, 
Tant  en  porroient  retenir, 
Ains*  que  ce  péust  avenir, 
Deus  ans  devant*,  ou  trois  ou  quatre ,  *  Auparavant. 
Que  bien  porroit  la  fain  abatre 
Tous  li  pueples  gros  et  menus, 
Quant  li  Herbout  seroit  veuus, 
Si  cum  fist  Joseph  en  Egipte, 
Par  son  sens  et  par  sa  mérite  ; 
Et  faire  si  grant  garnison*, 
Qu'il  en  porroient  garisou 
Sens  fain  et  sens  mésèse  avoir  : 
Ou  s'il  pooieut  ains*  savoir 
Qu'il  déust  faire  outre  mesure 
En  yver  estrange  froidure, 


*  Ainsi  qu'il  l'eut  dit. 


*  Surgirent. 


'Cherchèrent. 

*  Paraisse. 


Par  navigation. 


'Famine.      **  Sortir. 


Avant. 


*  Provision. 


*  Auparavant. 


(v.    18606.) 


DE  LA  ROSE. 


223 


Il  metroient  avant  lor  cures 
En  eus  garnir  de  vestéures, 
Et  de  bûches  à  charretées 
Por  faire  feu  en  cheminées, 
Et  joncheroient  lor  maisons, 
Quant  vendroit  la  froide  saisons, 
De  bêle  paille  nete  et  blanche, 
Qu'il  porroieut  prendre  en  lor  grandie, 
Et  clorroient  huis  et  fenestres, 
Si  en  seroit  plus  chaus  li  estres, 
Ou  feroient  estuves  chaudes, 
En  quoi  lor  baleries  baudes* 
Tuit  nuz  porroieut  démener, 
Quant  l'air  verroient  forsener*, 
Et  geter  pierres  et  te  m  pestes 
Qui  tuassent  as  champs  les  bestes, 
Et  grans  flueves  prendre  et  glacier. 
Jà  tant  n'es  sauroit  menacier 
Ne  de  tempestes  ne  de  glaces, 
Qu'il  ne  risissent  des  menaces, 
Et  karoleroient  léaus f 
Des  périz*  quites  et  réans'*  : 
Bien  porroieut  l'air  escharnir*, 
Si  se  porroient-il  garnir. 
Mes  se  Diex  n'i  faisoit  miracle 
Par  vision  ou  par  oracle, 
Il  n'est  lions,  de  ce  ne  dout  mie, 
S'il  ne  set  par  astronomie 
Les  estranges  coudicions , 
Les  diverses  posicions 
Des  cors*  du  ciel,  et  qu'il  regart 
Sor  quel  climat  il  ont  regart, 
Qui  ce  puisse  devant*  savoir 
Par  science  ne  par  avoir. 
Et  quant  li  cors  a  tel  poissance, 


*  Danses  joyeuses. 


'Entrer  en  fureur. 


"  Danseraient  là-dedans. 

*  Périls.      **  Rachetés. 

*  Se  rire  de  Vair. 


Des  cours. 


'Auparavant. 


224- 


LE  ROMAN 


(v.     I864I.) 


Qu'il  fait  des  ciex  la  destrempance*, 

Et  lor  destorbe*  ainsinc  lor  euvre, 

Quant  eucoutre  eus  ainsinc  se  queuvre, 

Et  plus  poissant,  bien  le  recors*, 

Est  force  d'ame  que  de  cors  : 

Car  celé  meut  le  cors  et  porte; 

S'el  ne  fust,  il  fust  cbose  morte. 

Miex  donc  et  plus  légièrement, 

Par  us  *  de  bon  entendement , 

Porroit  eschiver  Franc- Voloir, 

Quanque*  le  puet  faire  doloir**; 

N'a  garde  que  de  riens  se  duelle, 

Por  quoi  consentir  ne  s'i  vuelle; 

Et  sache  par  cuer  celé  clause, 

Qu'il  est  de  sa  mésaise  cause. 

Foraine*  tribulacion 

N'en  puet  fors*  estre  occasion, 

IS'il  n'a  des  destinées"  garde. 

Se  sa  nativité  regarde, 

Et  congnoist  sa  condicion , 

Que  vaut  tel  prédicacion  ? 

Il  est  sor  toutes  destinées, 

Jà  si  ne  seront  destinées. 

Des  destinées  plus  parlasse, 
Fortune  et  cas  déterminasse, 
Et  bien  vosisse  tout  espondre*, 
Plus  oposer  et  plus  respondre, 
Et  mains  exemples  en  déisse; 
Mes  trop  longement  i  méisse 
Ains*  que  g'éusse  tout  fine. 
Bien  est  aillors  déterminé  : 
Qui  n'el  set,  à  clerc  le  demande, 
Qui  li  lise  si  qu'il  l'entende. 
N'encor,  se  taire  m'en  déusse, 
Jà*  certes  parlé  n'en  eusse, 


'Desordre,  trouble,  per- 
turbation. 
*  Trouble. 


*  Déclare. 


*  Usage. 


*  Tout  ce  qui.  **  Se  plain- 
dre. 

*  Se  plaigne. 


'  Étrangère,  extérieure. 
*  Si  ce  n'est. 


*  fondrais  tout  exposer. 


*  Avant. 


Nullement» 


(v.  IS676.)  DE   LA  ROSE.  225 

Mes  il  afiert*  à  ma  matire,  *  Convient. 

Car  mes  anemis  porroit  dire, 

Quant  ainsiuc  m'orroit*  de  li  plaindre,     *M'ouirait. 

Por  ses  desloiautés  estaindre, 

Et  por  son  créator  blasmer, 

Que  g'el  vuelle  à  tort  diffamer  : 

Qu'il  méismes  sovent  seult*  dire  *  A  coutume. 

Qu'il  n'a  pas  franc  voloir  d'eslire* ,         *  De  choisir. 

Car  Diex,  par  sa  prévision, 

Si  le  tient  en  subjeccion, 

Qui  tout  par  destinée  maine  , 

Et  l'uevre  et  la  pensée  humaine, 

Si  que  s'il  vuet  à  vertu  traire*,  *  Tenir. 

Ce  li  fait  Diex  à  force  faire  ; 

Et  s'il  de  mal  faire  s'esforce, 

Ce  li  refait  Diex  faire  à  force, 

Qui  miex  le  tient  que  par  le  doit, 

Si  qu'il  fait  quanque*  faire  doit,  *Tout  ce  que. 

De  tout  péehié,  de  toute  aumosne, 

De  bel  parler  et  de  ramposne*,  *  Raillerie 

De  loz*  et  de  détraccion,  *  Louange. 

De  larrecin,  d'occision, 

Et  de  pez  et  de  mariages, 

Soit  par  raison,  soit  par  outrages. 

Ainsiuc,  dist-il,  convenoit  estre. 

Ceste  fîst  Diex  por  cestui  nestre, 

Ne  cis*  ne  pooit  autre  avoir  *  Celui- lu. 

Par  nul  sens  ne  par  nul  avoir; 

Destinée  li  estoit  ceste. 

Et  puis  se  la  chose  est  mal  faite, 
Que  cis  soit  fox,  ou  celé  foie, 
Quant  aucuns  encontre  parole, 
Et  maudit  ceus  qui  consentirent 
Au  mariage  et  qui  le  firent, 
Il  respont  lors  li  mal  sénés*  :  *  Le  peu  sensé. 


226 


LE  ROMAN 


«  A  Diex,  fet-il,  vous  en  prenés, 
Qui  vuet  que  la  chose  ainsiDc  aille  ; 
Tout  ce  fist-il  faire  sens  faille*.  » 
Lors  conferme  par  sèrement 
Qu'il  ne  puet  aler  autrement. 
Non,  non,  ceste  response  est  fause, 
Ne  sert  pas  la  gent  de  tel  sause 
Li  vrais  Diex  qui  ne  puet  mentir, 
Qu'il  les  face  à  mal  consentir. 
D'eus  vient  li  fox  apensemens* 
Dont  naist  li  maus*  consentemens 
Qui  les  esmuet*  as  euvres  faire 
Dont  il  se  déussent  retraire*; 
Car  bien  retraire  s'en  péussent, 
Mes*  que,  sens  plus,  se  congnéussent. 
Lor  créator  lors  réclamassent, 
Qui  les  amast,  se  il  l'amassent  : 
Car  cis  seus*  aime  sagement 
Qui  se  congnoist  entièrement. 
Sens  faille*  toutes  bestes  mues, 
D'entendement  vuides  et  nues, 
Se  recongnoissent  par  nature  : 
Car,  s'il  eussent  parléure*, 
Et  raison  por  eus  s'entr'entendre, 
Qu'il  s'entrepéussent  aprendre, 
Mal  fust  as  homes  avenu. 
James  li  biau  destrier  crenu* 
Ne  se  lesseroient  donter, 
Ne  chevaliers  sor  eus  monter, 
James  buef  sa  teste  cornue 
Ne  metroit  à  jou  de  charrue  ; 
Asnes,  muiez,  charnel  por  homme 
James  ne  porteroient  somme*; 
Oliphans  sor  sa  haute  eschine, 
Qui  de  son  nez  trompe  et  buisine", 


*  Sans  faute. 


*  La  folle  pensée. 

*  Mauvais. 

*  Pousse. 
'Retirer. 

*  Pourvu. 


* Celui-là  seul. 

*  Sans  faute. 

*  La  faculté  de  parler. 

*  A  la  belle  crinière. 


*  Charge. 

'Joue  de  la  trompette. 


DE  LA    ROSE. 


227 


Et  s'en  paist  au  soir  et  au  main*, 
Si  cum  uns  lions*  fait  de  sa  main  ; 
Jà  chien  ne  chat  n'el  serviroient , 
Car  sens  home  bien  cheviroient*  : 
Ours,  leu*,  lyon,  liépart  et  sangler 
Tuit  vodroient  home  estrangler  ; 
Li  ratnéis*  l'estrangleroient, 
Quant  au  bersuel*  le  troveroieut; 
James  oisel  por  mal*  apel 
JNe  metroit  en  péril  sa  pel  *, 
Ains  porroit  home  moult  grever 
En  dormant  por  les  iex  crever. 
Et  s'il  voloit  à  ce  respondre 
Qu'il  les  cuideroit*  tous  confondre, 
Por  ce  qu'il  set  faire  arméures, 
Heaumes,  haubers,  espées  dures , 
Et  set  faire  ars  et  arbalestes; 
Ausinc  feroient  autres  bestes. 
Ne  r'ont-il  singes  et  marmotes, 
Qui  lor  feroient  bones  cotes 
De  cuir,  de  fer,  voire  porpoins? 
Il  ne  demorroit  jà  por  poins; 
Car  ceulx  ovreroient  des  mains, 
Si  n'en  vaudroient  mie  mains  ; 
Et  porroient  estre  escrivain. 
Il  ne  seroient  jà  si  vain 
Que  trestuit  ne  s'asostillassent* 
Comment  as  armes  contestassent*, 
Et  quiexques  engins  referoient 
Dont  moult  as  homes  gréveroient. 
Neis  puces  et  orillies*, 
S'eles  s'ierent*  entortillies 
En  dormant  dedens  lor  oreilles, 
Les  gréveroient  à  merveilles; 
Paous  néis*,  sirons  et  lentes, 


"Matin. 

*  Ainsi  qu'un  homme. 

*  fie  h  (Iraient  à  bout. 

*  Loups. 

*  Même. 

*  Berceau. 

*  Mauvais. 

*  Peau. 


*  Croirait. 


*  Quetousties'industrias- 
sent. 

*  Combattissent. 


*  Perce-oreilles. 
Si  elles  s'étaient. 


Poux  même. 


228 


LE  ROMAN 


(v.    1878t.) 


Tant  lor  livrent  sovent  ententes, 
Qu'il  lor  font  lor  euvres  lessier, 
Et  eus  fléchir  et  abessier, 
Ganchir*,  torner,  saillir,  triper**, 
Et  dégrater*  et  défriper, 
Et  despoiller  et  deschaucier, 
Tant  les  puéent-il  enchaucier*. 
Mousches  uéis*,  à  lor  mengier, 
Lor  mainent  sovent  grant  dangier*, 
Et  les  assaillent  es  visaiges, 
Ne  lor  chaut*  s'il  sunt  rois  ou  paiges. 
Formis  et  petites  vermines 
Lor  feroient  trop  d'ataïnes*, 
S'il  r'avoient  d'eus  congnoùssance  ; 
Mes  voirs*  est  que  ceste  ignorance 
Lor  vient  de  lor  propre  nature. 
Mes  raisonnable  créature, 
Soit  mortes  bons*,  soit  divins  anges, 
Qui  luit  doivent  à  Dieu  loanges, 
S'el  se  mescougnoist  comme  nices*, 
Ce  défaut  li  vient  de  ses  vices 
Qui  le  sens  li  troble  et  enivre  ; 
Car  il  puet  bien  Raison  eusivre*, 
Et  puet  de  franc  voloir  user  : 
N'est  riens  qui  l'en  puist  excuser. 
Et  por  ce  tant  dit  vous  en  ai. 
Et  tex*  raisons  i  amenai, 
Que  lor  jangle  vueil  estanchier*, 
N'est  riens  qui  les  puist  revanchier. 

i\lès  por  m'entencion  porsivre, 
Dont  ge  voldroie  estre  délivre* 
Por  ma  dolor  que  g'i  recors* , 
Qui  me  troble  l'anie  et  le  cors, 
N'en  vueil  or*  plus  dire  à  ce  tor**  ; 
Vers  les  deux  arrier  m'en  retor*, 


*  Tourner  de  côté. 
**  Sauter,  piétiner. 


*  Poursuivre. 
*Méme. 

*  Ennui. 

*  Importe. 

*  Tribulations. 
Vrai. 

*  Homme  mortel. 

*  Simple. 

*  Suivre. 


*  Telles. 

*  Caquet  je  veux  arrêter. 


*  Libre 

*  Raconte. 


*  Maintenant.    '"Cette 
fois. 

"Je  m'en  retourne. 


(v.  issus.)  DE  LA  ROSE.  229 

Qui  bien  font  quanque  *  faire  doivent      *  Tout  ce. 

As  créatures  qui  reçoivent 

Les  célestiaus  influauces 

Selonc  !or  diverses  sustances. 

Les  vens  font-il  contrarier, 

L'air  enflamber,  braire  et  crier, 

Et  esclaircir  en  maintes  pars 

Par  tonnoirres  et  par  espars*,  "Éclairs. 

Qui  taborent,  timbrent  et  trompent  * ,     *  Qui  jouent  du  tambour, 

du  tinibie  et  de  la  trom- 
Tant  que  les  nues  se  desrompent  pette. 

Par  les  vapors  qu'il  font  lever. 

Si  lor  fait  les  ventres  crever 

La  chalor  et  li  movemens, 

Par  orribles  tornoiemens, 

Et  tempester  et  giter  foudres, 

Et  par  terre  eslever  les  poudres , 

Voire  tors  et  cloebiers  abatre, 

Et  maint  viel  arbre  tant  débatre 

Que  de  terre  eu  sunt  arracbié  ; 

Jà  si  fort  n'ierent*  atachié,  *  Ne  seront. 

Que  jà  racines  riens  lor  vaillent, 

Que  tuit  envers  à  terre  n'aillent, 

Ou  que  des  brandies  n'aient  routes  *       *  Rompues. 

Au  mains  une  partie  ou  toutes. 

Si  dist-1'eu  que  ce  font  déables 

A*  lor  croz  et  à  lor  chaables**,  'Avec.     ** Câbles. 

A  lor  ongles,  à  lor  havez*;  "Crochets. 

Mes  tex  diz*  ne  vaut  deus  navez,  *  Telle  parole. 

Qu'il*  en  sunt  à  tort  mescréu  :  *  Car  ils. 

Car  nule  riens  n'i  a  eu, 

Fors  les  tempestes  et  li  vent, 

Qui  si  les  vont  aconsivant*.  *  Atteignant. 

Ce  sunt  les  choses  qui  lor  nuisent. 

Cist  versent  blez,  et  vignes  cuisent, 

VA  flors  et  t'ruiz  d'arbres  abatent, 

20 


230 


LE   ROMAN 


(V.     1S85I.) 


Tant  les  tempestent  et  débatent, 

Qu'il  ne  puéent  es  rains*  durer, 

Tant  qu'il  se  puissent  méurer*. 

Voire  plorer  à  grosses  lermes 

Piefont-il  l'air  en  divers  termes  ; 

S'en  ont  si  grant  pitié  les  nues, 

Que  s'en  despoillent  toutes  nues, 

Ne  ne  prisent  lors  un  festu 

Le  noir  mante!  qu'el  ont  vestu  : 

Car  à  tel  duel  faire  s'atirent*, 

Que  tout  par  pièces  le  descirent; 

Si  li  aident  à  plorer, 

Cum  s'en  les  deust  acorer*; 

Et  plorent  si  parfondément, 

Si  tort  et  si  espessement, 

Qu'el  font  les  flueves  desriver*, 

Et  contre  les  champs  estriver*, 

Et  contre  les  forez  voisines 

Par  lor  outrageuses  crétines*, 

Dont  il  convient*  sovent  périr 

Les  Liez  et  le  tens  enchérir, 

Dont  li  pcvres  qui  les  laborent, 

L'espérance  perdue  plorent. 

Et  quant  h  Queve  se  desrivent, 

Li  poisson  qui  lor  Queve  si  vent, 

Si  cum*  il  est  drois  et  raisons, 

Car  ce  sunt  lor  propres  maisons, 

S'en  vont,  comme  seiguor  et  maistre, 

Par  champs,  par  prez,  par  vignes  paistre, 

Et  s'esconcent  *  contre  les  chesnes, 

Delez*  les  pins,  delez  les  fresnes, 

Et  tolent  *  as  bestes  sauvaiges 

Lor  manoirs  et  lor  héritaiges; 

Et  vont  ainsinc  par  tout  nagant, 

Dont  tuit  vis*  s'en  vont  erragant** 


*  Dans  les  rameaux. 

*  Mûrir. 


S'arrangent, 


*  Comme  si  on   dût  leur 
arracher  le  cœur. 


*  Déborder. 

*  I. aller. 


*  Crues. 


li  ii  si  if  ne. 


*  Cachent. 

*  Près  de. 

*  Enlèvent. 


"Tout  rifs.  **EnrageanÛ 


(v.    18886.) 


DE  LA  ROSE. 


231 


Bacus,  Cérès,  Pan,  Cibelé, 

Quant  si  s'en  vont  atropelé* 

Li  poisson  à  lor  noéures*, 

Par  lor  délitables*  pastures  ; 

Et  li  satirel  et  les  fées 

Sunt  moult  dolent  en  lor  pensées, 

Quant  il  perdent  par  tex  crétines* 

Lor  délicieuses  gaudines*. 

Les  nimphes  plorent  lor  fontaines, 

Quant  des  flueves  les  trovent  plaines 

Et  sorabondans  et  covertes, 

Comme  dolentes  de  lor  pertes  ; 

Et  li  folet  et  les  dryades 

R'ont  les  cuers  de  duel*  si  malades, 

Qu'il  se  tienent  trestuit  por  pris, 

Quant  si  voient  lor  bois  porpris*, 

Et  se  plaingnent  des  dieux  des  flueves 

Qui  lor  font  vilenies  nueves , 

Tout  sens  desserte*  et  sens  forfait, 

C'onc  riens  ne  lor  aient  forfait. 

Et  des  prochaines  basses  viles, 

Qu'il  tienent  chetives  et  viles, 

Resunt*  li  poisson  ostelier. 

IN'i  remaint  grandie*  ne  celier, 

Ne  leu  si  vaillant  ne  si  chier, 

Que  partout  ne  s'aillent  fichier; 

As  temples  vont  et  as  églises, 

Et  tolent*  à  Dieu  ses  servises, 

Et  chacent  des  chambres  oscures 

Les  dieux  privés  et  lor  figures. 

Et  quant  revient  au  chief  de  pièce* 
Que  li  biaus  tens  le  lait  despièce, 
Quant  as  cieux  desplaist  et  anuie 
Tens  de  tempeste  et  tens  de  pluie, 
L'air  ostent  de  trestoute  s'ire  * , 


*  Attroupés. 

Avec  leurs  nageoires. 

*  Délectables. 


*  Crues. 

*  Bosquets. 


Douleur. 


* Occupés. 


*  Sans  l'avoir  mérite. 


Sont  à  leur  tour. 
*  Il  n'y  reste  grange. 


Enlèvent. 


*A  la  fin. 


*  Sa  colère. 


232  LE  ROMAN  (t.   isost.) 

Et  le  font  resbaudir*  et  rire;  * Rejouir. 

Et  quant  les  nues  raparçoivent 

Que  l'air  si  resbaudi  reçoivent, 

Adonc  se  resjoïssent-eles, 

Et  por  estre  avenans  et  bêles, 

Font  robes  après  lor  dolors, 

De  moult  desguisées*  ColorS,  *  Diverses. 

Et  metent  lor  toisons  séchier 

Au  biau  soleil  plèsant  et  chier, 

Et  les  vont  par  l'air  ebarpissant*  * Cardant. 

Au  tens  cler  et  resplendissant; 

Puis  filent,  et  quant  ont  filé, 

Si  font  voler  de  lor  filé 

Grans  aguillies  de  fil  blancbes, 

Ausinc  cum  por  coudre  lor  manebes. 

Et  quant  il  lor  reprent  corage 

D'aler  loing  en  pèlerinage, 

Si  font  ateler  lor  cbevaus, 

Montent  et  passent  nions  et  vaus, 

Et  s'en  fuient  comme  des  vans*  :  * 'Comme  des  vanneaux. 

Car  Eolus,  li  diex  des  vans, 

(Ainsinc  est  cis  diex  apelés) 

Quant  il  les  a  bien  atelés, 

Car  il  n'ont  autre  ebarretier 

Qui  sacbe  lor  cbevaus  traitier, 

Lor  met  es*  piez  si  boues  eles,  *  Dans  les. 

Que  nus*  oisiaus  n'ot  onques  teles.         *Nul. 

Lors  prent  li  airs  son  mantel  iude*,        *  Bleu. 

Qu'il  vest  trop  volentiers  en  Inde, 

Si  s'en  afuble,  et  si  s'apreste 

De  soi  cointir*  et  faire  leste,  *  De  se  parer. 

Et  d'ateudre  eu  biau  point  les  nues, 

Tant  qu'eles  soient  revenues, 

Qui  por  le  monde  solacier  * ,  *  Réjouir. 

Ausinc  cum  por  aler  chacier, 


(v.    18956.) 


DE   LA    ROSE. 


233 


Un  arc  en  lor  poing  prendre  seulent*, 

Ou  deux  ou  trois,  quant  eles  veulent, 

Qui  sunt  apelés  ars  célestre  *, 

Dont  nus  ne  set*,  s'il  n'est  bon  mestre 

Por  tenir  des  regars  escole*, 

Comment  li  solaus  les  piole*, 

Quantes*  eolors  il  ont,  ne  queles, 

Ne  porquoi  tant  ne  porquoi  teles, 

Ne  la  cause  de  lor  figure. 

Il  li  convendroit  prendre  cure* 

D'estre  desciples  Aristote, 

Qui  trop  miex  mist  Nature  en  note, 

Que  nus  lions*  puis  le  tens  Caym. 

Alhacen  (1)  li  niés*  Hucaym, 

Qui  ne  refu  ne  fox*  ne  gars, 

Cis*  fist  le  livre  des  Regars. 

De  ce  doit  cil  science  avoir, 

Qui  vuet  de  l'arc-eu-ciel  savoir  ; 

Car  de  ce  doit  estre  jugierres* 

Clers  naturex  et  cognoissierres  *, 

Et  sache  de  géométrie, 

Dont  nécessaire  est  la  mestrie* 

Au  livre  des  Regars  prover; 

Lors  porra  les  causes  trover 

Et  les  forces  des  miréoirs, 

Qui  tant  ont  merveilleus  pooirs, 

Que  toutes  choses  très-petites, 

Letres  gresles,  très-loing  escrites, 

Et  poudres  de  sablon  menues, 


*  Ont  l'habitude. 

* Ares-en-ciel. 

*  Nul  ne  sait. 

*  Ecole  d'optique. 

*  Le  soleil  les  Mgarrt 

*  Combien  de. 


*  Il  lui  faudrait  prendre 
soin. 


*  Que  nul  homme. 

*  Neveu . 

*  Qui  ne  fut  de  son  coté  ni 
sot. 

w  Celui-là. 


*  Juge. 

*  Clerc  naturel  eteonnais- 
seur. 

*  La  science. 


(i)  Savant  arabe,  a  écrit  sur  les  crépuscules,  et  fait  un  traité  d'opti- 
que. Il  vécut  vers  le  onzième  siècle.  Il  est  appelé  par  quelques-uns  Alha- 
zon,  Allacen.  Il  y  a  encore  un  autre  Alacenus  ou  Alhazenus,  Anglais 
dont  on  a  deux  traités,  l'un  de  Perspectiva ,  et  l'autre  de  Ascensu  Nu- 
bium ;tt  y  a  beaucoup  d'apparence  que  c'est  de  l'arabe  que  Jean  de 
Meun  lait  ici  mention.  (L.  D.  D.) 

20. 


234 


LE   ROMAN 


[V.     18985.) 


Si  grans,  si  grosses  sunt  véues, 

Et  si  près  mises  as  mirens*, 

Que  chascuns  les  puet  choisir  ens*  ; 

Que  l'en  les  puet  lire  et  conter 

De  si  loing  que,  qui  raconter 

Le  voldroit,  et  l'auroit  véu, 

Ce  ne  porroit  estre  créu 

D'orne  qui  véu  ne  l'auroit, 

Ou  qui  les  causes  n'en  sauroit  : 

Si  ne  seroit-ce  pas  créance, 

Puisqu'il  en  auroit  la  science. 

Mars  et  Vénus,  qui  jà  pris  furent 

Ensemble  ou  lit  où  il  se  jurent*, 

S'il,  ains*  que  sor  le  lit  montassent, 

En  tex  miréor  se  mirassent , 

Mes*  que  les  miréors  tenissent 

Si  que  le  lit  dedens  véissent, 

Jà  ne  fussent  pris  ne  liés 

Es  laz  soutis*  et  déliés 

Que  Vulcanus  mis  i  avoit, 

De  quoi  nus*  d'eus  riens  ne  savoit  : 

Car  s'il  les  éust  fait  d'ovraingne 

Plus  soutile*  que  fil  d'araigue, 

S'éussent-il  les  laz  véus, 

Si  l'ust  Vulcanus  décéus, 

Car  il  n'i  fussent  pas  entré; 

Car  chascuns  laz  plus  d'un  granttré* 

Lor  parust  estre  gros  et  Ions, 

Si  que  Vulcanus  li  félons*, 

■Ardans  de  jalousie  et  d'ire*, 

.Ta  ne  provast  lor  avoltire*  , 

Ne  jà  li  diex*  riens  n'en  séussent, 

Se  cil  tex*  miréors  eussent  : 

Car  de  la  place  s'en  foïssent , 

Quant  les  laz  tendus  i  véissent, 


*  A  ceux  qui  s'y  mirent. 

*  J'oir  dedans. 


*  Couchèrent. 
"Avant. 

*  Pourvu. 


*  Dans  les  lacs  subtils. 


*  Nul. 


*  Subtile. 


*  Poutre. 

*  Le  furieux. 

*  Chagrin. 

*  Adultère. 

*  Les  dieux. 

*  Si  ceux-là  tels. 


(v.    19020. 


DE  LA  ROSE. 


235 


F.t  corusseut  aillors  gésir* 
Où  miex  celassent  lor  désir; 
Ou  féissent  quelque  clievance* 
Por  eschever  lor  meschéance*, 
Sens  estre  honiz  ne  grevés. 
Di-ge  voir,  foi  que  me  devés, 
De  ce  que  vous  avés  oï? 

Genius. 

Certes,  dist  li  prestres,  oï. 
Ces  miréor,  c'est  chose  voire*, 
Lor  fussent  lors  moult  nécessoire  : 
Car  aillors  assembler  péussent, 
Quant  le  péril  i  congnéussent; 
Ou  à  Tespée  qui  bien  taille, 
Espoir*  Mars,  li  diex  de  bataille, 
Se  fust  si  du  jalons  vendues, 
Que  ses  laz  éust  détrenchiés  : 
Lors  li  péust  a  bon  éur* 
Rafaitier*  sa  lame  aséur 
Ou  lit*,  sens  autre  place  querre, 
Ou  près  du  lit,  néis*  à  terre. 
Et  se  par  aucune  aventure 
Qui  moult  fust  félonesse*  et  dure, 
Dans*  Yulcanus  i  sorvenist , 
Lors  néis  que  Mars  la  tenist, 
Vénus,  qui  moult  est  sage  dame, 
(Car  trop  a  de  barat*  en  famé) 
Se,  quant  Tuis*  li  oïst  ovrir, 
Péust  à  tens  ses  rains  covrir, 
Bien  éust  escusacions  * 
Par  quiexque  cavillacions*, 
Et  coutrovast  autre  ochoison* 
Por  quoi  Mars  vint  en  sa  maison; 
Et  jurast  quanque  l'en  vosist*. 


*  Se  coucher. 

*  Invention. 

*  Éviter  leur  mat  heur. 


*  Vraie. 


*  Peut-être. 


*  Dans  un  moment  favo- 
rable. 

*  Caresser. 

*  Au  lit. 

*  Mime. 


*  Cruelle. 
*Sire. 


*  Tromperie. 

*  La  porte. 

*  Excuses. 

*  Quefque  chicane. 

'Et  trouvât  autre   occa- 
sion. 

*  Tout  ce  que  l'on  voulût. 


236  LE  ROMAN  (▼.  19053.) 

Si  que  ses  prueves  li  tosist*,  *  Enlevât. 

Et  li  féist  à  force  croire 

Conques  la  chose  ne  fu  voire*.  *  fraie. 

Tout  Téust-il  néis  véue*,  "Quand    bien    même    il 

l  attrait  vue. 

Déist-ele  que  la  véue 

Li  fust  oscurcie  et  troblée , 

Tant  éust  la  langue  doblée 

En  diverses  plicacions*  "Plis. 

A  trover  escusacions. 

Car  riens  ne  jure  ne  ne  ment 

De*  famé  plus  hardiemeut;  *Que. 

Si  que  Mars  s'en  alast  tous  quites. 

Nature. 

Certes,  sire  prestres,  bien  dites 

Comme  preus  et  cortois  et  sages. 

Trop  ont  famés  en  lor  corages  *  *  Cœurs. 

Et  soutilités*  et  malices  :  *  subtilités. 

Qui  ce  ne  set,  fox  est  et  nices*,  *  Sot  est  et  simple. 

N'onc  de  ce  ne  les  excuson. 

Plus  hardiemeut  que  nus  hon*  *  Nul  homme. 

Certainement  jurent  et  mentent, 

Méismement  quant  cl  se  sentent 

De  quexque  forfait  encolpées; 

Jà  si  ne  seront  atrapées 

En  cest  cas  espéciaument*  :  *  Spécialement. 

Dont  bien  puis  dire  loiaument, 

Qui  cuer  de  famé  aparcevroit, 

James  fier  ne  s'i  devroit; 

Non  feroit-il  certainement, 

Qu'il  l'en  mescherroil*  autrement.  "  ''',';•  ''  ll"  '»  '"riverait 

**  malheur. 

V Acteur. 

Ainsinc  s'acordent,  ce  me  semble, 
Nature  et  Genius  ensemble. 


(V.    lOOSi.) 


DE  LA  ROSE. 


237 


Si  dist  Salemons  toutevois, 
Puisque  par  la  vérité  vois , 
Que  benéurés  lions*  seroit 
Qui  bone  famé  troveroit. 


*  Heureux  homme. 


Nature. 

Encor  ont  miréor,  dist-ele , 
Plainte  autre  force  grande  et  bêle  : 
Car  choses  grans  et  grosses  mises 
Très-près,  semblent  de  loing  asises, 
Fust  néis*  la  plus  grant  montaigne 
Qui  soit  entre  France  et  Sardaingne, 
Qu'el  i  puéent*  estre  véues 
Si  petites  et  si  menues, 
Qu'envis*  les  porroit-1'en  choisir, 
Tant  i  gardast-l'en"  à  loisir. 

Autre  mirail*  par  vérités 
Monstrent  les  propres  quantités 
Des  choses  que  l'en  i  regarde, 
S'il  est  qui  bien  i  prengne  garde. 

Autre  miréor  sunt  qui  ardent*  (1) 
Les  choses,  quant  eus  les  regardent, 
Qui  les  set  à  droit  compasser* 
Por  les  rais*  ensemble  amasser, 
Quant  li  solaus*  reflamboians 
Est  sus  les  miréors  roians* 
Autre  font  diverses  images     • 
Aparoir*  en  divers  estages**, 
Droites,  belongues*  et  enverses, 
Par  composicions  diverses  ; 
Et  d'une  en  font-il  plusors  nestre 


*  Fût-ce  même. 

*  Car  elles  y  peuvent. 

*  Qu'à  peine. 

*  Tant  y  regardât-on. 

*  Miroirs. 


*  Brûlent. 

*  Disposer. 

*  Rayons. 

*  Le  soleil. 

*  Rayonnant. 


"Apparaître. 

fions. 

*  Oblongues. 


'  Posi- 


(i)  Voyez  sur  les  miroirs  ardents  et  les  miroirs  physiques,  les  Comptes 
de  l'argenterie  des  rois  de  France,  publ.  parM.  Pouet  d'Arcq,  p.  391, 
col.  i. 


238 


LE  ROMAN 


(v.    I91I3.) 


Cil  qui  des  miréor  sunt  mestre; 

El  fout  quatre  iex  en  une  teste, 

S'il  ont  à  ce  la  forme  preste. 

Si  font  fantosmes  aparens 

A  ceus  qui  regardent  par  ens*; 

Font-les  néis*  dehors  paroir** 

Tous  vis,  soit  par  aiguë*  ou  par  air; 

Et  les  puet-1'en  véoir  joer 

Entre  l'ueil  et  le  miroer, 

Par  les  diversités  des  angles. 

Soit  li  moiens  compoz  ou  sangles*, 

D'une  matire  ou  de  diverse, 

En  quoi  la  forme  se  reverse, 

Qui  tant  se  va  montepliant*, 

Par  le  moien  obédiant* 

Qui  vient  as  iex  aparissans, 

Selon  les  rais*  ressortissans, 

Qu'il  si  diversement  reçoit, 

Que  les  regardéors  déçoit. 

Aristotes  néis*  tesmoigne, 
Qui  bien  sot  de  ceste  besoigne 
(Car  toute,  science  avoit  cbière). 
Uns  bons,  ce  dist,  malades  iere  *, 
Si  li  avoit  la  maladie 
Sa  véue  moult  afoiblie, 
Et  li  airs  iert  oscurs  et  trobles, 
Et  dit  que  par  ces  raisons  dobles 
Vit-il  en  l'air  de  place  en  place, 
Aler  par  devant  soi  sa  face. 
Briément,  mirail*.  s'il  n'ont  ostacles, 
Font  aparoir  trop  de  miracles. 
Si  font  bien  diverses  distances, 
Sens  miréors,  grans  décevances*, 
Sembler  choses  entr'eus  lointaines 
Estre  conjointes  et  prochaines; 


*  Dedans. 

Mime.     **  Paraître. 

*  Tout  vifs,  soit  par  eau. 


*  Composé  ou  simple. 


*  Multipliant. 

*  Obéissant, 

*  Rayons. 


"Même. 


'Etait. 


'Miroirs. 


'Déceptions. 


(v.  I9I48.)  DE  LA  ROSE.  239 

Et  sembler  d'une  chose  deus, 

Selonc  la  diversité  d'eus, 

Ou  six  de  trois,  ou  huit  de  quatre, 

Qui  se  vuet  au  véoir  esbatre , 

Ou  plus  ou  mains  en  puet  véoir  ; 

Si  puet-il  ses  iex  asseoir, 

Ou  plusors  choses  sembler  une, 

Qui  bien  les  ordeneetaiine*.  *  Assemble. 

Néis*  d'un  si  très-petit  home,  *  Même. 

Que  chascuns  à  nain  le  renome, 

Font-il  paroir  as  iex  véans  *  *  Paraître     aux     yeux 

-.,.,.,  ,.  voyants. 

Qu  il  soit  plus  grans  que  dix  geans , 

Et  pert*  par  sus  les  bois  passer,  ''Parait. 

Sens  branche  plaier  ne  quasser, 

Si  que  tuit  de  paor  en  tremblent  ; 

Et  li  géant  nain  i  ressemblent 

Par  les  iex  qui  si  les  desvoient*  *  Egarent. 

Quant  si  diversement  les  voient. 

Et  quant  ainsinc  sunt  decéu 
Cil  qui  tex*  choses  ont  véu,  *  Telles. 

Par  miréors  ou  par  distances , 
Qui  lor  ont  fait  tex  démonstrances, 
Si  vont  puis  au  pueple  et  se  vantent, 
Et  ne  dient  pas  voir,  ains*  mentent,       *  frai,  mais. 
Qu'il  ont  les  déables  véus, 

Tant  sunt  es*  regars  decéus.  "Dans  les. 

Si  fout  bien  oel  enferme*  et  troble  *  Yeux  malades. 

De  sengle*  chose  sembler  doble,  *  Simple. 

P^t  paroir  ou  ciel*  doble  lune,  "Paraître  au  ciel. 

Et  deux  chandeles  sembler  une. 

N'il  n'est  nus*  qui  si  bien  regart**,         "Nul.     **  Regarde. 
Qui  sovent  ne  faille  en  regart , 
Dont  maintes  choses  jugié  ont 
D'estre  moult  autre  que  ne  sont. 

Mes  ne  voil  or  pas  mètre  cure  *  'JffîdSitiînettnJiï? 


240  LE  ROMAN  (t.   isiss.) 

En  ci  déclamer  la  figure 

Des  miréors ,  ne  ne  dirai 

Comment  sunt  réfléchi  li  rai*,  *  Bayons. 

Ne  lor  angles  ne  voil  descrivre  : 

Tout  est  aillors  escrit  eu*  livre;  *  Au,  dans  le. 

Ne  porquoi  des  choses  mirées 

Sunt  les  images  remirées*  *  Réfléchies. 

As  iex  de  ceus  qui  là  se  mirent, 

Quant  vers  les  miréors  se  virent*;  *  Se  tournent. 

Ne  les  leus  de  lor  aparences, 

Ne  les  causes  des  décevances*;  *  Déceptions. 

Ne  ne  revoil*  dire,  hiau  prestre,  *Mje  ne  veux  encore. 

Où  tex  ydoles  ont  lor  estre , 

Ou  des  miréors,  ou  defores*;  'Dehors. 

Ne  ne  recenserai  pas  ores*  *  Maintenant. 

Autres  visions  merveilleuses, 

Soient  plèsans  ou  dolereuses, 

Que  l'en  voit  avenir  sodaines; 

Savoir  mon*  s'eles  sunt  foraines**,         'En  vérité.    ^Extérieu- 
res. 
Ou,  sens  plus,  eu  la  fantasie, 

Ce  ne  déclairerai-ge  mie  ; 

N'il  ne  le  convient  ore*  pas,  *  Maintenant . 

Ainçois*  les  lais  et  les  trespas**  '  Vais.     ** Passe. 

Avec  les  choses  devant  dites 

Qui  jà  n'ierent*  par  moi  descrites  :  *  \e  seront. 

Car  trop  i  a  longe  matire, 

El  si  seroit  grief*  chose  à  dire,  *  Pénible. 

Et  moult  seroit  fort  à  entendre, 

S'il  ert*  qui  le  séust  aprendre  *SHl  était. 

As  gens  lais*  espéciaumeut.  "Laïques. 

Qui  lor  diroit  généraument*,  * Généralement. 

Si  ne  porroient-il  pas  croire 

Que  la  chose  fust  ainsinc  voire*,  *  Ainsi  vraie. 

Des  miréors  méismemeut, 

Qui  tant  ouvrent  diversement, 


(v.    19218.) 


DE   LA   ROSE. 


241 


Se  par  estrumens  rfel  véoient, 
Se  clerc  livrer  les  lor  voloient, 
Qui  séussent  par  démonstrance  * 
Ceste  merveilleuse  science. 
Ne  des  visions  les  manières, 
Tant  sunt  merveilleuses  et  fières, 
Ne  porroient-il  otroier, 
Qui  les  lor  voldroit  desploier, 
Ne  quex*  sunt  les  décepcions 
Qui  vienent  par  tex*  visions, 
Soit  eu  veillant,  soit  en  dormant, 
Dont  maint  s'esbahissent  forment*  • 
Por  ce  les  vueil  ci  trespasser*, 
Ne  si  ne  vueil  or  pas  lasser 
Moi  de  parler,  ne  vous  d'oïr  : 
Bon  l'ait  prolixité  foïr. 

Si  sunt  famés  moult  auuieuses, 
El  de  parler  contrarieuses  : 
Si  vous  pri  *  qu'il  ne  vous  desplaise , 
Por  ce  que  du  tout  ne  m'en  taise, 
Se  bien  par  la  vérité  vois  *  ; 
Tant  en  vuel  dire  toutevois, 
Que  maint  en  sunt  si  décéu, 
Que  de  lor  liz  se  sunt  méu, 
Et  se  cbaucent  tiéis  *  et  vestent , 
Et  de  tout  lor  barnois  s'aprestent, 
Si  eu  m  li  sen  commun  someillent, 
Et  tuit  li  particulier  veillent. 
Prenent  bordons,  prenent  escharpes  , 
Ou  piz*  ou  faucilles  ou  sarpes, 
Et  vont  cheminant  longes  voies, 
Et  ne  seveut  où  toutevoies  ; 
Et  montent  néis  es  cbevaus*, 
Et  passent  aiosinc  mous  et  vaus, 
Par  sècbe-s  voies  ou  par  fanges, 


*  Démonstration. 


*Ni  quelles. 

*  Telles. 

*  Fortement . 
Passer. 


*  Je  vous  prie  donc. 


fais. 


Même. 


*  Pics. 


:  Même  à  cheval. 


21 


219 


LE   ROMAN 


(V.    19253. 


Tant  qu'il  vienent  en  leus  estranges*. 
Et  quant  li  sen  commun  s'esveillent , 
Moult  s'esbahissent  et  merveillent. 
Quant  puis  à  leur  droit  sens  revienent, 
Et  quant  avec  les  gens  se  tienent, 
Si  tesmoignent,  non  pas  por  Tables, 
Que  là  les  ont  porté  déables, 
Qui  de  lor  ostiex.*  les  ostèrent, 
Et  il-méismes  s'i  portèrent. 

Si  r'est  bien  sovent  avenu, 
Quant  aucuns  sunt  pris  et  tenu 
Par  aucune  grant  maladie, 
Si  cum  il  pert*  en  lïénisie, 
Quant  il  n'ont  gardes  sofisans, 
Ou  sunt  seus  en  ostiex*  gisans, 
Qu'il  saillent  sus*  et  puis  cheminent, 
Et  de  tant  cheminer  ne  flnent, 
Qu'il  truevent  aucuns  leus  sauvages, 
Ou  prez  ou  vignes  ou  boscages, 
Et  se  lessent  ilec  chéoir*. 
Là  les  puet-1'en  après  véoir, 
Se  l'en  i  vient,  combien  qu'il  tarde, 
Por  ce  qu'il  n'orent  point  de  garde, 
Fors  gent  espoir*  foie  et  mauvèse, 
Tous  mors  de  froit  et  de  mésèse  ; 
Ou  quant  sunt  néis  *  eu  santé, 
Voit-l'en  de  tex  à  grant  planté*, 
Qui  mainte  fois,  sens  ordeuance, 
Par  naturel  acoustumance*, 
De  trop  penser  sunt  curieus, 
Quant  trop  sunt  meleucolieus, 
Ou  paoreus  outre  mesure , 
Qui  mainte  diverse  figure 
Se  font  paroir*  en  cus-méismes, 
Autrement  que  nous  ne  déismes 


1  En  lieux  étrangers. 


*  Logis. 


*  Ainsi  qu'il  parait. 

*  Seul*  en  logis. 

*  Qu'ils  se  lèvent. 


*  Là  tomber. 


*  Si  ce  n'est  monde  peut- 
être. 


Même. 


*  Tels 
dance 


en    grande  abon- 


*  Coutume. 


*  Paraître. 


(v.     T92S8. 


DE   LA   ROSE. 


243 


Quant  de  miréors  parlions, 

Dont  si  briefment  nous  passions, 

Et  de  tout  ce  lor  semble  lores 

Qu'il  soit  ainsiuc  por  voir  defores*. 

Cil  qui  par  grant  dévocion 

En  trop  grant  contemplacion, 

Font  aparoir  en  lor  pensées 

Les  choses  qu'il  ont  porpensées*, 

Et  les  cuident  tout  proprement 

Véoir  defors  apertement*, 

Et  ce  n'est  fors  trufle  *  et  mençonge, 

Ainsinc  cum  de  l'orne  qui  songe, 

Qui  voit,  ce  cuide*,  en  sa  présence 

Les  esperituex  *  sustance, 

Si  cum*  fist  Scipion  jadis, 

Qui  vit  enfer  et  paradis, 

Et  ciel  et  air,  et  mer  et  terre, 

Et  tout  quauque  *  l'en  i  puet  querre. 

Il  voit  estoiles  aparair, 

Et  voit  oisiaus  voler  par  air, 

Et  voit  poissons  par  mer  noer*, 

Et  voit  bestes  par  bois  joer, 

Et  faire  tours  et  biaus  et  gens; 

Et  voit  diversetés  de  gens, 

Les  uns  en  chambre  solacier*, 

Les  autres  voit  par  bois  chacier, 

Par  montaignes  et  par  rivières, 

Par  prez,  par  vignes,  par  jachières  ; 

Et  songe  plaiz  *  et  jugemens, 

Et  guerres  et  tornoiemens*, 

Et  baleries  et  karoles*, 

Et  ot  vieles  et  citoles  *, 

Et  flere  espices  odoreuses, 

Et  goûte  choses  savoreuses, 

Et  gist  entre  les  bras  s'amie*, 


*  Dehors. 


*  Pensées. 

* Ouvertement 

*  Attrape. 

*  A  ce  qu'il  croit. 

*  Spirituelles. 

*  Ainsi  que. 


Ce  que. 


JSager, 


'  Se  divertir 


*  Procès. 

*  Tournois. 
Danses  ci  ro)ides. 
notons  et  mandores. 


De  son  amie. 


244 


LE    ROMAN 


Et  toutevois  n'i  est-il  mie  ; 

Ou  voit  Jalousie  venant, 

Un  pestel  *  à  son  col  tenant, 

Qui  provés  ensemble  les  trueve 

Par  Maie-Bouche,  qui  contrueve* 

Les  choses  ains*  que  faites  soient, 

Dont  tuit  amant  par  jor  s'esfroient. 

Car  cil  qui  fins  amans  se  clament*, 

Quant  d'amors  ardemment  s'entr'ament, 

Dont  moult  ont  travaus  et  anuis, 

Quant  se  sunt  de  nuit  endormis 

En  lor  lit,  où  moult  ont  pensé, 

(Car  les  propriétés  en  se) 

Si  songent  les  choses  amées, 

Que  tant  ont  par  jor  réclamées, 

Ou  songent  de  lor  aversaires 

Qui  lor  font  anuis  et  contraires*. 

Ou  s'il  sunt  en  mortex  haines, 

Corrous  songent  et  ataïnes*, 

Et  contens  o*  lor  anemis 

Qui  les  ont  en  haine  mis 

Es  choses  à  guerre  ensivables*, 

Par  contraires  ou  par  semblables. 

Ou  s'il  resunt  mis  en  prison 

Par  aucune  grant  mesprison*, 

Songent-il  de  lor  délivrance, 

S'il  en  sunt  en  boue  espérance; 

Ou  songent  ou  gibet  ou  corde, 

Que  li  cuers  par  jor  lor  recorde  * , 

Ou  quiexques  choses  desplèsans, 

Qui  ne  sunt  mie  hors,  mes  eus*  : 

Si  recuident-il  por  voir  lores* 

Que  ces  choses  soient  del'ores*, 

Et  font  de  tout  ou  duel  ou  feste, 

Et  tout  portent  dedeus  lor  teste, 


*  Pilon. 

*  Invente. 

*  Avant. 

Proclament. 


*  Contrariétés. 

*  Colères. 

*  Disputes  avec. 


*  Dans    les    choses    mur- 
chant  à  ta  suite  de  guerre. 


Faute. 


*  Itaji/ielle. 

*  Dedans 

*  Et   ils  croient,  de   nou- 
veau pou  r  nui  alors. 

*  Dehors. 


(v.  19358)  DE  LA   ROSE.  2-45 

Qui  les  cinc  sens  ainsinc  déçoit 

Par  les  fantosmes  qu'il  reçoit, 

Dont  maintes  gens  par  lor  folie 

Cuident  estre  par  nuit  estries*  *  Fantômes. 

Errans  aveeques  dame  Habonde  (1), 

Et  dient  que  par  tout  le  monde 

Li  tiers  enfant  de  nacion  *  * Lcs  troisièmes  enfants  de 

naissance. 

Sunt  de  ceste  coudicion, 

Qui  vont  trois  fois  en  la  semaine 

Si  cum  *  destinée  les  maine  ;  *  Ainsi  que. 

Et  par  tous  ces  ostex.*  se  boutent,  "Logis. 

]\Te  clés  ne  barres  ne  redoutent, 

Ains  s'en  entrent  par  les  fendaces, 

Par  chatières  et  par  crevaces. 

(I)  Habonde,  s.  /.  il  faut  lire  Abunde.  C'est  le  nom  d'une  fée  en  qui  le 
peuple  avoit  eu  autrefois  beaucoup  de  conliance;  ce  nom  lui  avoit  été 
donné  à  cause  de  l'abondance  qu'elle  procuroit  aux  maisons  où  elle  se 
reliroit.  Un  passage  tiré  des  œuvres  de  Guillaume  d'Auvergne,  évéque 
de  Paris,  mettra  mieux  le  lecteur  au  fait  de  toutes  ces  prétendues  fées. 

IS'ominationes  dœmonum  ex  malignitatis  operibus  eorundem  sumptœ 
sunt  ;  sicut  Lares,  ab  eo  quod  laribus  prœessent;  et  Pénales,  eo  quod 
horreis  vel  penitioribus  domorum  partibus;  Fauni  vero,  a  faluilate; 
Satijri,  a  saltatiouibus  ;  Joculatores,  a  jocis;  Incubi,  a  concubitu  muite- 
rum,  et  Succubi,  eo  quod  sub  specie  mulieris  viris  se  supponunt  ;  .\ijm- 
phœ  vero,  fontium  deœ  ;  Striges  seu  Lamiœ,  a  stridore  et  lauiatione, 
quia  parvulos  laniant,  et  lacessere  putabanlur,el  ad/tuc  putantur  a  ve- 
tulis  insanissimis  :  sic  et  Dœmon,  qui  prétexta  mulieris,  cum  aliis  de 
nocle  domos  et  cellaria  dicitur  frequentare,  et  vocant  eam  Satiam,  a  sa- 
tietate  ;  et  dominam  Abundiam,  pro  abundantia  quam  eam  prœslare 
dicunt  domibus  quas  Jrequentaverit  :  hitjusmodi  etiam  dœmones,  quas 
Dominos  vocant  vetulœ,  pênes  quas  error  iste  remansit,  et  a  quibus  solis 
creditur  et  somniatur.  Dicunt  fias  Dominas  edere  et  bibere  de  escis  et 
potibus  quos  in  domibus  inveniunl,  nec  tamen  consumptionem  aut  immi- 
nutionem  easfacere  escarum  et  poluum,  maxime  si  vasa  escarum  sint 
discooperta,  et  vasa  poculorum  non  obstructa  eis  in  nocte  relinquantur. 
Si  vero  operla  vel  clausa  inveniunt,  seu  obstructa,  inde  nec  comedunt 
nec  bibunt,  propter  quod  injaustas  et  infortunatas  relinquunt,  nec  satie- 
tatem  nec  abundantiam  eis  prœslanles.  (Voyez  Guillaume  d'Auvergne. 
Paris,  1674,  tom.  I,  pag.  1036,  col.  2.)  (L.  D.  D) 

21 


246 


LE  ROMAN 


(v.    I937I. 


Et  se  partent*  des  cors  les  âmes, 
Et  vont  avec  les  bones  dames 
Par  leus  forains*  et  par  maisons, 
Et  le  prueveut  par  tiex*  raisons 
Que  les  diversités  véues 
Ne  sunt  pas  en  lor  liz  venues , 
Ains  sunt  lor  âmes  qui  laborent*, 
Et  par  le  mondeainsinc  s'en  corent; 
Et  tant  cum  il  sunt  en  tel  oirre*, 
Si  cum  il  font  as  gens  acroire, 
Qui  lor  cors  bestorné*  auroit, 
.lamés  l'ame  entrer  n'i  sauroit. 
Aies  trop  a  ci  folie  orrible, 
Et  cbose  qui  n'est  pas  possible  ; 
Car  cors  humains  est  chose  morte 
Sitost  cum  l'ame  en  soi  ne  porte  : 
Donques  est-ce  chose  certaine 
Que  cil  qui  trois  fois  la  semaine 
Geste  manière  d'oirre  sivent, 
Trois  fois  omirent,  trois  fois  revivent 
En  une  semaine  méismes; 
Et  s'il  est  si  cum  nous  déismes  *, 
Dont  résuscitent  moult  souvent 
Li  desciple  de  tel  convent*. 

Mais  c'est  bien  terminée  chose, 
Et  bien  l'os*  réciter  sens  glose, 
Que  nus  qui  doie  *  à  mort  corir, 
N'a  que  d'une  mort  à  morir  ; 
Ne  jà  ne  résuscitera 
Tant  que  ses  jugemens sera, 
Se  n'est*  miracle  espécial, 
De  par  le  Dieu  célestial, 
Si  cum  de  saint  Ladre  *  lison, 
Car  ce  pas  ne  contredison. 
Et  quant  l'eu  dit  d'autre  partie 


*  Séparent. 

*  Extérieurs. 

*  Telles. 


Travaillent. 


*  Course. 


*  Tourné  de  travers. 


Ainsi  que  nous  dunes. 

*  Couvent. 

*  Je  l'ose. 

*  Que  nul  qui  doive. 

*Si  n'était. 

*  Ainsi  que  de  S.  Lazare. 


(v.  19405.)  DE  LA  ROSE.  247 

Que  quant  l'ame  s'est  départie*  * Séparée 

Du  cors  ainsinc  désaorné  * ,  *  Privé  de  ce  qui  l'ornait. 

S'el  trueve  le  COrS  bestorné*,  *  Tourné  de  travers. 

El  ne  set  en  li  revenir  : 

Qui  puet  tel  fable  sostenir? 

Qu'il  est  voirs*,  et  bien  le  recors**,         "frai.     **  Déclare. 

Ame  désévrée*  de  cors,  *  Séparée. 

Plus  est  aperte*  et  sage  et  cointe**,         *  Ouverte.     **  Jolie. 

Que  quant  ele  est  au  cors  conjointe , 

Dontel  sieut*  la  complexion  *Suit. 

Qui  li  troble  s'entencion 

Dont  est  miex  lors  par  li  séue 

L'entrée  que  ne  fu  l'issue  : 

Par  quoi  plus  tost  la  troveroit, 

Jà  si  bestorné*  ne  seroit.  *  Tourné  de  travers. 

L'autre  part,  que  li  tiers  du  monde 
Aille  ainsinc  avec  dame  Habonde, 
Si  cum*  foies  vielles  le  pruevent  *  Ainsi  que. 

Par  les  visions  qu'eles  truevent, 

Dont  convient-il  sens  nule  faille*  *Sans  nulle  faute. 

Que  trestous  li  mondes  i  aille, 
Qu'il  n'est  nus,  soit  voirs  *  ou  menconge,    * Car  H  n'esl  »"'»  soit  vé- 

*■  '  »      °   '      nié. 

Qui  mainte  vision  ne  songe, 

Non  pas  trois  fois  en  la  semaine, 

Mes  quinze  fois  en  la  quinzaine, 

Ou  plus  ou  mains  par  aventure, 

Si  cum  la  fantasie  dure. 

Ne  ne  revoir  dire  des  songes,  *  Et  je  ne  veux  pas  de 

nouveau. 

S  il  sunt  voirs,  ou  s'n  sunt  menconges, 

Se  l'en  les  doit  du  tout  eslire, 

Ou  s'il  sunt  du  tout  à  despire*  :  *  Mépriser. 

Porquoi  li  uns  sunt  plus  orribles, 

Plus  bel  li  autre  et  plus  paisible, 

Selonc  lor  apparicions 

En  diverses  complexions , 


248 


LE  ROMAN 


V.     19440. 


Et  seloDC  lor  divers  corages  *, 
Des  mors*  divers  et  des  aages; 
Ou  se  Diex  par  tex  *  visions 
Envoie  révélacions, 
Ou  li  malignes  esperiz, 
Por  mètre  les  gens  en  périz, 
De  tout  ce  ne  m  entremet™. 
Mes  à  mon  propos  me  retrai*. 

Si  vous  di  donques  que  les  nues, 
Quant  lasses  sunt  etrecréues* 
De  traire*  par  l'air  de  lor  flesches, 
Et  plus  de  moistes  que  de  seiches, 
Car  de  pluies  et  de  rousées 
Les  ont  trestoutes  arrousées, 
Se  chalor  aucune  n'en  seiche, 
Por  traire  quelque  chose  seiche, 
Si  destendent  lor  ars*  ensemble, 
Quant  ont  trait  tant  cum  bon  lor  semble 
Mes  trop  ont  estranges  manières 
Cil  ars  dont  traient  ces  archières, 
Car  toutes  lor  colors  s'en  fuient, 
Quant  en  destendant  les  estuient*; 
Ne  jamès  puis  de  cels  méismes 
Ne  retrairont  que  nous  véismes; 
Mes  s'el  vuelent  autre  fois  traire, 
Noviaus  ars  lor  convient*  refaire, 
Que  li  solaus  puist  pioler*  ; 
N'es  convient*  autrement  doler. 

Encore  ovre  plus  l'iniïuance 
Des  ciex,  qui  tant  ont  grant  puissance 
Par  mer  et  par  terre  et  par  air  ; 
Les  comètes  font- il  parair*, 
Qui  ne  sunt  pas  es  ciex*  posées, 
Ains  sunt  parmi  l'air  embrasées  , 
Et  poi*  durent  puis  que  sunt  faites, 


frolontés,  pensées. 

*  Mœurs. 

*  Telles. 


*  Je  reviens. 


Lasses. 
Tirer. 


*•  Leurs  arcs. 


*  Il  leur  faut. 

*  Que  le  soleil  puisse  &»■ 
garrer. 

"  Il  ne  les  faut. 


*  Paraître. 

*  Dans  les  deux. 

*Pen. 


DE  LA  ROSE. 


249 


Dout  maintes  fables  surit  retraites*.         ''Racontées. 

Les  mors  as  princes  en  devinent 

Cil  qui  de  deviner  ne  finent*  ;  *  Ne  finissent  pas. 

Mes  les  comètes  plus  n'aguetent, 

Ne  plus  espessement  ne  gietent 

Lor  influauces  ne  lor  rois*  *  Rayons. 

Sor  povres  homes  que  sor  rois, 

Ne  sor  rois  que  sor  povres  homes  ; 

Aincois*  euvrent,  certains  en  somes,      *  Au  contraire. 

Ou  monde  sor  les  régions , 

Selonc  les  disposicions 

Des  climaz,  des  homes,  des  bestes 

Qui  suut  as  influances  prestes 

Des  planètes  et  des  estoiles, 

Qui  greignor  pooir  *  ont  sor  eles  : 

Si  portent  les  senefiances* 

Des  célestiaus  influances , 

Et  les  complexions  esmuevent, 

Si  cum  obéissans  les  truevent*. 

Si  ne  di-ge  pas  ne  n'aliène  * 
Que  rois  doient*  estre  dit  riche 
Plus  que  les  persones  menues, 
Qui  vont  nuz  piez  parmi  les  rues  : 
Car  soffisance  fait  richèce, 
Et  convoitise  fait  povrèce*. 
Soit  rois,  ou  n'ait  vaillant  deux  miches, 
Qui  plus  convoite  mains  est  riches  ; 
Et  qui  voldroit  croire  escritures , 
Li  roi  resemblent  les  paintures, 
Dont  tel  exemple  nous  apreste 
Cil  qui  nous  escrit  l'Almageste, 
Se  bien  i  savoit  prendre  garde 
Cil  qui  les  paintures  regarde, 

Qui  plèsent  cui  ne  s'en  apresse*,  "A  qui  ne  s'en  approche. 

Mes  de  près  la  plèsance  cesse. 


*  Plus  grand  pouvoir. 

*  Significations. 


Les  trou r<- ut. 

*  Ni  n'affirme. 

*  Doivent . 


'  Pauvreté. 


230  LE  ROMAN  (y.  mu>.) 

De  Ioing  semblent  trop  déliteuses*,         *  Délicieuses. 

De  près  ne  sunt  point  docereuses. 

Ainsinc  va  des  amis  poissans  : 

Douz  est  à  lor  mescongnoissans*  *A  ceux  qui  ne  les  con- 

.  unissent  pas. 

Lor  servise  et  lor  acointance 

Par  le  défaut  d'expérience; 

Mes  qui  bien  les  esproveroit, 

Tant  d'amertume  i  troveroit, 

Qu'il  s'i  craindroit  moult  à  bouter, 

Tant  fait  lor  grâce  à  redouter. 

Ainsinc  nous  asséure  Oraces 

De  lor  amor  et  de  lor  grâces, 

INe  li  prince  ne  sunt  pas  dignes 

Que  li  cors  du  ciel  dotenent*  signes         'Que  les  cours  du  ciel 

°  °  donnent. 

De  lor  mort  plus  que  d  un  autre  home; 

Car  lor  cors  ne  vault  une  pome 

Oultre  le  cors  d'un  charruier*  *Plus  que  le  corps  d'un 

•  laboureur. 

Ou  d  un  clerc  ou  d  un  escuier  : 

Car  g'es  fais  tous  semblables  estre, 

Si  cum  il  apert  à  lor  nestre*.  *  Ainsi  qu'il  parait  àleur 

naissance. 

Par  moi  nessent  semblable  et  nu, 

Fort  et  fiéble,  gros  et  menu  : 

Tous  les  met  en  équalité 

Quant  à  Testât  d'umauité. 

Fortune  i  met  le  remanant*,  *  Reste. 

Qui  ne  sel  estre  per manant, 

Qui  ses  biens  à  son  plaisir  done, 

JNe  ne  prent  garde  à  quel  personc, 

Et  tout  retolt*  et  retoldra  *  Rcprcnt. 

Toutes  les  fois  qu'ele  voldra. 


(T. 


DE  LA  ROSE. 


251 


Comment  Nature  proprement 
Devise  bien  certainement 
La  vérité,  dont  gentillesse 
Vient  et  en  enseigne  l'adresse. 


Et  se  nus*  contredire  m'ose 

Qui  de  gentillèce  s'alose*, 

Et  die  que  li  gentil  home , 

Si  cum*  li  pueples  les  renome, 

Sunt  de  meillor  condition  , 

Par  noblèce  de  nacion  *, 

Que  cil  qui  les  terres  cultivent 

Ou  qui  de  lor  labor*  se  vivent , 

Ge  respons  que  nus  n'est  gentis  * , 

S'il  n'est  as  vertus  ententis*, 

]Ne  n'est  vilains,  fors*  par  ses  vices 

Dont  il  pert  outrageus  et  nices  *. 

ISoblèce  vient  de  bon  corage  (I); 

Car  gentillèce  de  lignage 

.N'est  pas  gentillèce  qui  vaille, 

Por  quoi  boDté  de  cuer  i  faille*  : 

Por  quoi  doit  estre  en  li  parans* 

La  proèce  de  ses  parens 

Qui  la  gentillèce  conquistrent 

Par  les  travaus  que  grans  i  mistrent. 

Et  quant  du  siècle  *  trespassèrent, 

Toutes  lor  vertus  emportèrent, 

Et  lessièrent  as  hoirs*  l'avoir; 


Et  si  nul. 

*  De  noblesse  se  vante. 

*  Ainsi  que. 
Naissance. 

*  Travail. 

*  De  qualité. 

*  Attentif. 

* Si  ce  n'est. 

*  Parait  de 'réglé  el 'simple. 


*  Manque. 

*  Paraissant  en  lui. 


*  Mirent. 

*  Du  monde. 

*  Héritiers. 


(i)  Nobilitas  sola  est,  aninium  quœ  inoribus  ornât. 
Un  autre  trouvère  a  exprimé  ainsi  la  même  pensée  : 


Nus  *  n*est  vilains,  se  de  cuer  non  ' 

Vilains  est  qui  fet  vilonie, 

Jà  tant  n'iert  de  haute  lingnie  *. 


"Nul.     "'Si  ce  n'est  de 

cœur. 

'  Quelque  haute  que  soit 

sa  lignée. 


Des  Chevaliers,  des  Clercs  et  des  Piluins,  v.  4i.  {Fabliaux 
et  contes,  édit.  de  Méon,  t.  111,  p.  29.) 


loi  LE  ROMAN  (v.  .9503.) 

Que  plus  ne  porent  d'aus*  avoir.  *Carpiusnepurentd'evx. 

L'avoir  ont,  plus  riens  n'i  a  lor, 

Ne  gentillèce  ne  valor, 

Se  tant  ne  font  que  gentil  soient 

Par  sens  ou  par  vertu  qu'il  aient. 

Si  r'ont  clerc*  plus  grant  avantage       * Les  clC)CS  ont  (>e  '<''"' 
.  coté. 

D'estre  gentiz,  cortois  et  sage, 

(Et  la  raison  vous  en  diroi) 

Que  n'ont  li  princes  ne  li  roi 

Qui  ne  sevent  de  letréure  (1)*;  *  Littérature. 

(I)  On  a  inféré  de  ce  vers  que  les  anciens  nobles  ne  savoient  point  écrire: 
c'est  une  erreur  que  notre  savant  ami  M.  Léopokl  Delisle  a  victorieuse- 
ment réfutée  dans  une  notice  lue  le  Ier  mai  1855,  à  la  séance  annuelle 
de  la  Société  de  l'Histoire  de  France,  et  publiée  depuis  dans  le  Journal 
général  de  l'Instruction  publique  et  des  Cultes,  sous  ce  litre  :  De  Clns- 
ruction  littéraire  au  moyen  âge,  à  propos  d'un  autographe  du  sin-  de 
Joinville.  Les  exemples  qu'il  rapporte  suffisaient  sûrement  à  son  luit  ; 
mais  on  en  peut  citer  d'autres  qui  sont  fournis  par  nos  anciennes  chan- 
sons de  geste.   C.arin  le  Lolierain  savait  lire  et  écrire  : 

Car  en  s'enfance  fi  à  escole  mis 
Tant  que  il  sot  et  roman  et  latin. 

[La  Mort  de  Garin  le  Lokerain,p.  105,  v.2211.) 

Berthe  aux  grands  Pieds 

En  son  lit  on  séant  pris!  à  dire, 

Car  bien  es  toit  letrée  et  bien  sa  voit  escrire. 

Li  Romans  de  Berte  aus  grans  Pics,  coupl.  XIV  ;  édit. 
de  M.  Paulin  Paris,  p.  24.) 

Dans  un  autre  roman,  un  enfant  de  qualité  arrivé  à  l'âge  de  quinze  ans, 
Premiers  apiist  à  letres  tant  qu'il  en  sot  assez. 

(Li  Romans  de  Parise  ta  Duchesse,  edit.  de  M.  de  Mar- 
tonne,  p.  86.) 
L'auteur  du  roman  û'Ysle  et  de  Galeron  [Ms.  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale n"  G087,  fol.  3()0  recto,  col.  3,  v.7)  représente  un  empereur  lisant 
•  Porsoi  déporter  en  un  brief  (  pour  s'amuser,  dans  une  lettre),  et  le 
rimeur  auquel  on  doit  li  Roumanzde  Claris  et  de  Lu  ris  ;\ls.  de  la  même 
bibliothèque  n°  7534-5,  fol.  si  verso,  col.  l,  v.  23j  parle  de  lettre  écrite 
avec  du  sang  et  lue  par  son  héros.  «  Belle  Doette,  as  feneslres  séant,  »  li- 
sait en  un  livre  (le  Homanrrro  Jrançois,  p.  46),  et  dans  le  Laide  Milun, 


(v.  19573.)  DE  LA   ROSE.  253 

Car  li  clers  voit  en  escriture 

Avec  les  sciences  provées, 

Raisonables  et  démonstrées, 

Tous  maus  dont  l'en  se  doit  retraire* ,    *  Retirer,  abstenir. 

Et  tous  les  biens  que  l'en  puet  faire. 

Les  choses  voit  du  monde  escrites, 

Si  cum  el*  suut  faites  et  dites.  *  Ainsi  qu'elles. 

Il  voit  es*  ancienes  vies  *  Dans  tes. 

De  tous  vilains  les  vilenies, 

Et  tous  les  faiz  des  cortois  hommes, 

Et  des  cortoisies  les  sommes. 

Briefmeut,  il  voit  escrit  eu*  livre  *  Au,  dans  le. 

Quanque*  l'en  doit  foïr  ou  sivre  ;  *Ce  que. 

Par  quoi  tuit  clerc,  desciple  et  mestre, 

Sunt  gentiz  ou  le  doivent  estre; 

Et  sachent  cil  qui  ne  le  sont , 

C'est  por  lor  cuers  que  mauves  ont  : 

Qu'il*  en  ont  trop  plus  d'avantages         *Car  ils. 

Que  cil  qui  cort  as  cers  ramages*.  *  Aux  cerfs  sauvages. 

Si  valent  pis  que  nule  gent 

Clerc  qui  le  cuer  n'ont  noble  et  gent, 

Quant  les  biens  congnéus  eschivent*,      *  Évitent. 

Et  les  vices  véus  ensivent*  ;  *  Suivent. 

Et  plus  pugnis  devroient  estre 

Devant  l'emperéor  célestre 

Clerc  qui  s'abandonent  as  vices, 

Marie  de  France  parle  d'une  femme  qui  correspond  par  lettres  avec  son 
amant,  lequel  sait  écrire  comme  elle.  Dans  le  Lai  du  Chèvrefeuille,  Tris- 
tan écrit  son  nom  sur  un  bâton  pour  Tseult,  qui  n'éprouve  pas  la  moin- 
dre difficulté  à  lelire.  [Poésies  de  Marie  de  France,  l.  I,  p.  894.)  La  sui- 
vante de  la  dame  de  Fayel  savait  écrire,  s'il  faut  en  croire  le  Roumans 
dou  Chastelain  de  Couci  (édit.  de  Crapelet,  p.  95,  v.  2838,  et  p.  103, 
v.  3105.)  Enlin  Froissart  trouve  Cléomadès  entre  les  mains  d'une  jeune 
personne,  qui  lisait  ce  poëme.  [Bibliothèque  françoise  de  l'abbé  Goujet, 
t.  IX,  p.  126.)  On  pourrait  multiplier  à  l'infini  les  exemples  d'une  pareille 
instruction. 

ROMAN    DE    LA    ROSK.    —     T.    II.  11 


254 


LE   ROMAN 


(v.    19599.; 


Que  les  gens  laiz,  simples  et  nices*, 
Qui  n'ont  pas  les  vertus  escrites, 
Que  cil  tienentvilz  et  despites*. 
Et  se  princes  seveut  de  letre, 
Ne  s'en  puéent-il*  entremetre 
De  tant  lire  et  de  tant  aprendre, 
Qu'il*  ont  trop  aillors  à  entendre. 
Par  quoi,  por  gentillèce  avoir, 
Ont  li  clerc ,  ce  poés  savoir, 
Plus  bel  avantage  et  greignor* 
Que  n'ont  li  terrien  seiguor*. 
Et  por  gentillèce  conquerre, 
Qui  moult  est  honorable  en  terre, 
Tuit  cil*  qui  la  vuelent  avoir, 
Ceste  rieule*  doivent  savoir. 

Quiconques  tent  à  gentillèce, 
D'orguel  se  gart*  et  de  parèce; 
Aille  as  armes  ou  à  l'estuide , 
Et  de  vilenie  se  vuide  ; 
Humble  cuer  ait,  cortois  et  gent , 
En  trestous  leus,  vers  toute  gent, 
Fors*,  sens  plus,  vers  ses  anemis, 
Quant  acort  n'i  puet  estre  mis. 
Dames  honeurt*  et  damoiseles, 
Mes  ne  se  lie  trop  en  eles, 
Qu'il  l'en  porroit  bien  meschéoir*, 
Maint  en  a-l'en  véu  doloir*. 
Tex  bons*  doit  avoir  los*f  et  pris, 
Sens  estre  blasmé  ne  repris; 
Et  de  gentillèce  le  non 
Doit  recevoir,  li  autre  non. 
Chevaliers  as  armes  hardis, 
Preus  eu  faiz  et  cortois  en  dis, 
Si  cum  lu  mi  sires*  Gauvains, 
Qui  ne  tu  pas  pareils*  as  vains, 


*  Si  miJes. 

*  Mi  prisées. 

* Ne  s'en  peuvent-ils. 

*  Car  ils. 


*  Plus  grand. 

"Les    propriétaires   /on- 


*  Tous  ceux. 

*  Règle. 

'  Se  garde  (subj.). 


*  Excepte. 

*  Honore. 

*  l/(i/  arriver. 

*  Se  plaindre. 

*  Tel  homme.    **  Mérite 


*  Ainsi  que  fut  messire. 
'Pareil. 


(v.    I963i.) 


DE   LA    ROSE. 


Et  li  bons  quens*  d'Artois  Robers  (1), 

Qui  dès  lors  qu'il  issi  du  bers*, 

Hanta  tous  les  jors  de  sa  vie 

Largèce,  honor,  chevalerie  ; 

N'onc  ne  li  plot*  oiseus  séjors, 

Ains  devint  lions*  devant  ses  jors. 

Tex*  chevaliers  preus  et  vaillans, 

Larges,  cortois  et  bataillans  , 

Doit  partout  estre  bien  venus, 

Loés,  amés  et  chier  tenus. 

Moult  redoit -Feu  clerc  honorer 

Qui  bien  vuet  as  ars  laborer*, 

Et  pense  des  vertus  ensivre  * 

Qu'il  voit  escrites  en  son  livre  ; 

Et  si  fist-1'en  certes  jadis  : 

Bien  en  nomeroie  jà  dis  , 

Voire  tant  que,  se  ge  les  nombre , 

Anuis  sera  d'oïr  le  nombre. 

.ladis  li  vaillant  gentil  homme, 

Si  cum  la  letre  le  renomme, 

Empereor,  duc,  conte  et  roi, 

Dont  jà  ci  plus  ne  conteroi , 

Les  philosophes  honorèrent  ; 

As  poètes  néis*  douèrent  (2) 


Comte. 
*  Sortit  du  berceau. 


Ni  ne  lui  plut  jamais. 
:  Homme. 
Tel. 


*  Travailler. 

*  Suivre. 


Même. 


(i)  Robert  H,  comte  d'Artois,  surnommé  le  Bon  et  le  Noble,  fut  fait 
chevalier  par  le  roi  S.  Louis  ;  il  mourut  à  la  bataille  de  Courlray,  percé 
de  trente  coups  de  pique,  l'an  1302.  (L.  D.  D.) 

(2)  Il  y  a  longtemps  que  les  poètes  ont  acquis  le  droit  de  regretter  ces 
marques  utiles  de  la  considération  où  ils  étoient  autrefois  parmi  les 
grands.  Aux  termes  d'Ovide,  on  croiroit  que  le  soin  de  récompenser  les 
poètes  étoit  l'objet  principal  du  ministère  : 

Cura  ducuin  fuerunl  olim  regumque  poetœ; 

Praemiaque  antiqui  magna  tulere  chori. 
Sanctaque  majestas,  et  crat  venerabile  nonien 

Vatibus  :  et  largaî  saepe  dabantur  opes. 

{Art.  am.  lib.  III,  v.  405.)  IL.  D.  D.) 


256  LE   ROMAN  (v.  iwbs.j 

Viles,  jardins,  leus  délitables*  *  Délectable. 

Et  maintes  choses  honorables. 

Naples  fu  donnée  à  Virgile  (I), 

Qui  plus  est  délitable  vile 

Que  n'est  Paris  ne  Lavardins  (2). 

En  Calabre  il  r'ot*  biaus  jardins  *  il  eut  de  son  côté. 

Aunius  (3),  qui  doué  li  furent 

Des  anciens  qui  le  congnurent. 

Mes  porquoi  plus  en  nomnieroie  ? 

Par  plusors  le  vous  proveroie, 

Qui  furent  nés  de  bas  lignages, 

Et  plus  orent  nobles  corages*  *  Cœurs. 

Que  maint  fil  de  rois  ne  de  contes, 

Dont  jà  ci  ne  vous  iert*  fait  contes,         *Sera. 


([)  Alexandre,  abbé  du  monastère  de  Saint-Salvador  in  Telese  dans  le 
royaume  de  Naples,  qui  reprit  l'histoire  de  Sicile  de  Geoffroi  Malaterra, 
depuis  II 27  jusqu'à  1 135,  s'adrssse  en  linissant  son  ouvrage  à  Roger,  roi 
de  Sicile,  et  le  prie  de  le  récompenser  de  son  travail,  en  honorant  de  sa 
protection  royale  le  monastère  dont  il  était  abbé  :  «  Si  Virgile,  luj  dit-il, 
le  plus  grand  des  poêles,  eut  pour  prix  de  deux  vers  qu'il  avait  faits  en 
l'honneur  d'Octave  Auguste,  la  seigneurie  de  Naples  et  de  la  Calabre,  à 
combien  plus  forte  raison,  »  etc.  (Muratori,  Reruni  ltalicarum  Scrip- 
tores,  t.  V,  p.  044,  B,  C.) 

{■>)  Nom  d'un  ancien  château  qui  a  donné  le  nom  aux  seigneurs  de  La- 
vardin.  Il  est  situé  près  de  Vendôme,  sur  le  bord  du  Loir,  vis-à-vis 
Montoire.  Ce  mot  est  mis  ici  pour  la  rime,  comme  beaucoup  d'autres, 
dans  ce  roman.  (Mêon.) 

(3)  Annius  pour  Ennius.  Voici  l'extrait  de  la  vie  de  ce  Poète,  par  Jé- 
rôme Columna.  Pnecipuos  vero  amicos  liabuit  vicinum  suum  Galbam, 
cum  quo  et  deambulare,  et  fréquenter  ense  consueverat ;  et  M.  Fulvium 
nobiliorem,  a  cujus  fllio  jam  patrio  instiluto  studio  lUterarnm  dedito, 
ut  in  Ijrulo  ait  Cicero ,  fuit  civitale  donatus,  cinn  triumvir  coioniam 
deduxisset.  Sed  in  oratlone  pro  Archia  videtur  ianquam  de   Romana 

Republiàa  bene  meritum  in  civium  numerum  adsciri  meruisse 

Ad  cujus  (Eunii)  senectutem  cum  etiam  ingens  paupertalis  malum 
accessisset,  ex  animi  fortitudine  utriusque  incommoda  sustinebat,  vt 
iis  pcne  oblectari  videretur. 
Ceci  est  bien  opposé  a  ce  que  dit  l'auteur  du  roman.  (MÉON.) 


(V.    19672.] 


DE  LA   ROSE. 


257 


Et  por  gentil*  furent  tenu. 
Or*  est  li  tens  à  ce  venu 
Que  li  bon  qui  toute  lor  vie 
Travaillent  en  philosophie, 
Et  s'en  vont  en  estrange  terre* 
Por  sens  et  por  valor  conquerre, 
Et  sueffrent  les  graus  povretés 
Cum  mendians  et  endetés, 
Et  vont  espoir*  deschaus  et  nu  , 
Ne  sunt  amé  ne  chier  tenu. 
Princes  n'es  *  prisent  une  pome , 
Et  si  sunt-il  plus  gentil  home 
(Si  me  gart  Diex*  d'avoir  les  fièvres) 
Que  cil  qui  vont  chacier  as  lièvres, 
Et  que  cil  qui  sunt  coustumiers 
De  maindre  es  palais  principiers*. 

Et  cil  qui  d'autrui  gentillèce, 
Sens  sa  valor  et  sens  proèce, 
En  vuet  porter  los*  et  renon, 
Est-il  gentil?  ge  dis  que  non. 
Ains  doit  estre  vilains  clamés*, 
Et  vilz  tenus,  et  mains  amés 
Que  s'il  estoit  filz  d'un  truant. 
Ge  n'en  irai  jà  nul  chuant*. 
Et  fust  néis*  filz  Alixandre, 
Qui  tant  osa  d'armes  emprendre*, 
Et  tant  continua  de  guerres, 
Qu'il  fu  sires  de  toutes  terres, 
Et  puis  que  cil  li  obéirent 
Qui  contre  li  se  combatirent , 
Et  que  cil  se  furent  rendu, 
Qui  ne  s'ierent*  pas  défendu, 
Dist-il,  tant  fu  d'orguel  destrois*, 
Que  cis  mondes  iert*  si  estrois 
Qu'il  s'i  pooit  envis*  torner, 


"Nobles. 

*  Maintenant. 


*  Terre  étrangère. 

*  Peut-être. 

*  Ne  les. 

*Que  Dieu  me  garde. 


*  De  demeure  dans  les  pa- 
lais princiers. 


*  Me  rite. 

*  Proclamé,  déclaré. 


*  Flattant. 

*  Même. 

*  Entreprendre. 


*  S'étaient. 

*  Tourmenté. 

*  Que  ce  monde  était. 

" Qu'il  s'y  pouvait  àpeine. 
22. 


238 


LE  ROMAN 


19707.) 


N'il  n'i  voloit  plus  séjorner, 
Ains  pensoit  d'autre  inonde  querre*, 
Por  commencier  novele  guerre; 
Et  s'en  aloit  enfer  brisier 
Por  soi  faire  par  tout  prisier  : 
Dont  trestuit  de  paor  tremblèrent 
Li  diex  d'enfer,  car  il  cuidèrent*, 
Quant  ge  le  lor  dis,  que  ce  fust 
Cil  qui  par  le  bordon  de  fust*, 
Por  les  aines  par  péchié  mortes, 
Devoit  d'enfer  brisier  les  portes  , 
Et  lor  grant  orguel  escacbier* 
Por  ses  amis  d'enfer  sacbier*. 

Mes  posons,  ce  qui  ne  puet  estre, 
Que  g'en  face  aucun  gentil*  nestre. 
Et  que  des  antres  ne  me  chaille*, 
Qu'il  vont  apelant  vilenaille; 
Quel  bien  a-il  en  gentillèce? 
Certes,  qui  son  engin*  adrèce 
A  bien  la  vérité  comprendre, 
Il  n'i  puet  autre,  chose  entendre 
Qui  boue  soit  eu  gentillèce, 
Fors*  qu'il  semble  que  la  proèce 
De  lor  parens  doivent  ensivre*; 
Sous  itels  fais  doivent-il  vivre 
Qui  gentis  hons*  vuet  resembler, 
S'il  ne  vuet  gentillèce  embler*, 
Et  sans  déserte  los*  avoir  : 
Car  ge  fais  à  tous  asavoir 
Que  gentillèce  as  gens  ne  done 
Nule  autre  cbose  qui  soit  bone,  ' 
Fors  que  ses  fais  tant  solement  ; 
Et  sachent  bien  certainement 
Que  nus  ne  doit  avoir  loenge 
Par  vertu  de  persone  estreuge*  ; 


Chercher. 


Ils  crurent. 


*  ficiton  de  bois. 


Ecraser. 

*  Tirer. 

*  Noble. 

*  Importe. 


*  Esprit. 


*Si  ce  n'est. 

*  Suivre. 

*  Gentilhomme. 
* Voler. 

*  Sans    l'avoir    méritée, 
gloire. 


*  Personne  étrangère. 


19742.) 


DE   LA  ROSE. 


239 


Si  ne  r'est  pas  drois*  que  l'en  blasme 

Nule  persone  d'autrui  blasme. 

Cil  soit  loés  qui  le  désert*  ; 

Mes  cil  qui  de  nul  bien  ne  sert , 

En  qui  l'en  trueve  mauvesties, 

Vilenies  et  engresties  * , 

Et  vanteries  et  bobans*, 

Ou  s'il  est  doubles  et  lobans*, 

D'orguel  farcis  et  de  ramposnes*, 

Sens  charité  et  sens  aumosnes, 

Ou  négligens  et  pareceus , 

Car  l'en  en  trueve  trop  de  ceus, 

Tout  soit-il  nés  de  tex*  parens 

Où  toute  vertus  fu  parens  *  ; 

Il  n'est  pas  drois,  bien  dire  l'os*, 

Qu'il  ait  de  ses  parens  le  los*  ; 

Aius  doit  estre  plus  vil  tenus 

Que  s'il  iert*  de  chetis  venus. 

Et  sachent  tait  homme  entendable* 
Qu'il  n'est  mie  chose  semhlable 
D'aquerre  sens  et  gentillèce, 
Et  renomée  par  proèce, 
Et  d'aquerre  grans  tonemens*, 
Grans  deniers,  grans  aornemens, 
Quant  à  faire  ses  volentés  : 
Car  cil  qui  est  entalentés* 
De  travailler-soi  *  por  aquerre 
Deniers,  aornemens  ou  terre, 
Bien  ait  néis*  d'or  amassés 
Cent  mile  mars,  ou  plus  assés, 
Tout  puet  lessier  à  ses  amis. 
Mes  cil  qui  son  travail  a  mis 
Es*  autres  choses  desus  dites, 
Tant  qu'il  les  a  par  ses  mérites, 
Amors  n'es  puet  à  ce  plessier* 


*  Et  d'mt  autre  côté  il  n'est 
pas  juste. 

*  Mérite. 


*  Malices,  méchancetés. 

*  Fanfaronnades. 

*  Trompeur. 

*  Railleries. 


*Tels. 

*  Apparente. 

*  Je  l'ose. 

*  Mérite,  renommée. 

*  Était. 

*  Intelligents. 


*  Propriétés  foncières. 


*  Désireux. 

*  De  se  donner  de  la  pei  n  e . 

*  Même. 


*  Dans  les. 

*  Ne  les  peut  a  cela  plier.. 


260 


LE  ROMAN 


V.    19777. 


Qu'il  lor  en  puist  jà  riens  lessier. 
Puet-il  lessier  science  ?  îsTon, 
Ne  gentil lèce  ne  renou  ; 
Mes  il  lor  en  puel  bien  aprendre, 
S'il  i  vuelent  exemple  prendre. 
Autre  chose  cis*  n'en  puet  faire, 
Ne  cil  n'en  puéent  riens  plus  traire*; 
Si  u'i  refont-il  pas  graut  force, 
Qu'il*  n'en  donroient  une  escorce  : 
Mains  en  i  a,  fors  que*  d'avoir 
Les  possessions  et  l'avoir. 
Si  dient*  qu'il  suut  gentil  homme, 
Por  ce  que  l'en  les  i  renomme, 
Et  que  lor  bons  parais  le  furent, 
Qui  furent  tex  cum*  estre  durent; 
Et  qu'il  ont  et  chiens  et  oisiaus 
Por  sembler  gentiz  damoisiaus , 
Et  qu'il  vont  chaçant  par  rivières , 
Par  bois,  par  champs  et  par  bruières, 
Et  qu'il  se  vont  oiseus  esbatre. 
Mes  il  sunt  mauvais,  vilain  nastre*, 
Et  d'autrui  noblèce  se  vantent; 
Il  ne  dient  pas  voir*,  ains  mentent, 
Et  le  non  de  gentillèce  emblent*, 
Quant  lor  bons  parais  ne  resemblent  : 
Car  quant  g'es  fais  semblables  nestre, 
Il  vuelent  donques  gentil  estre 
D'autre  noblèce  que  de  celé 
Que  ge  lordoing*,  qui  moult  est  bêle, 
Qui  a  nom  Naturel  Franchise, 
Que  j'ai  sor  tous  égaument  mise, 
Avec  raison  que  Diex  lor  done, 
Qui  les  fait,  tant  est  sage  et  bone, 
Semblables  à  Dieu  et  as  anges, 
S:  mort  n'es  en  féist  estranges*, 


Celui-là. 

*  Tirer. 

*  Car  ils. 
*Si  ce  n'est. 

*  Et  ils  disent. 


'  Tels  que. 


De  nature. 

*  Ils  ne  disent  pas  vrai 

*  l'oient. 


'Bonne. 


Xe  les  en  fit  étrangers 


(v.  I93H.)  DE  LA  ROSE.  261 

Qui  par  sa  mortel  différence 

Fait  des  hommes  la  désevrance*  *  Séparation. 

Et  quierent  nueves  gentillèces, 

S'il  ODt  en  eus  tant  de  proèces  : 

Car  s'il  par  eus  ne  les  aquièrent , 

James  par  autrui  gentil  n'ierent*.  *Ne  seront. 

Ge  n'en  met  hors  ne  rois  ne  contes. 

D'autre  part,  il  est  plus  grans  hontes 

D'un  fil  de  roi,  s'il  estoit  nices*,  *  Simple. 

Et  plains  d'outrages  et  de  vices, 

Que  s'il  iert*  filz  d'un  charretier,  *  Était. 

D'un  porchier  ou  d'un  çavetier. 

Certes  plus  seroit  honorable 

A  Gauvain  le  bien  combatable 

Qu'il  fust  d'un  coart  engendrés, 

Qui  sist  ou  feu  tous  encendrés, 

Qu'il  ne  seroit,  s'il  iert  coars, 

Et  fust  ses  pères  Renouars  (1). 

Mes,  sens  faille*,  ce  n'est  pas  fable,    *  Faute. 
La  mort  d'un  prince  est  plus  notable 
Que  n'est  la  mort  d'un  païsant, 
Quant  l'en  le  trueve  mort  gisant, 
Et  plus  loing  en  vont  les  paroles  ; 
Et  por  ce  cuident  les  gens  foies, 
Quant  il  ont  véu  les  comètes, 
Qu'el  soient  por  les  princes  fêtes. 
Mes  s'il  n'iert*  jamès  rois  ne  princes       * N'était. 
Par  roiaumes  ne  par  provinces, 
Et  fussent  tait  parel*  en  terre,  *  Tous  pareils. 

Fussent  en  pez,  fussent  eu  guerre , 
Si  feroient  li  cors*  célestre  *  Les  cours. 

En  lor  tens  les  comètes  nestre, 
Quant  es  regars  se  recorroient 

(l)  Voyez  p.  149,  la  note  sur  le  vers  16284. 


262 


LE   ROMAN 


(\.     19844.) 


Où  tiex*  euvres  l'aire  devroient, 

Por  qu'il  éust  en  l'air  matire 

Qui  lor  péust  à  ce  soffire. 

Dragons  volans  et  estenceles 

Font-il  par  l'air  sembler  esteles* 

Qui  des  cieux  en  chéant*  descendent, 

Si  cum*  les  foies  gens  enteudent. 

Mes  raison  ne  puet  pas  véoir 

Que  riens  puisse  des  cieux  chéoir, 

Car  en  eus  n'a  riens  corruinpable*, 

Tant  est  ferme,  fors  et  estable; 

JN 'il  ne  reçoivent  pas  empraiutes, 

Por  que  soient  dehors  empaintes*, 

Ne  riens  ne  les  porroit  casser, 

Fs'il  n'i  lerroient*  riens  passer, 

Tant  l'ust  sotive*  ne  perçable, 

S'el  n'ert  espoir  espéritable*  : 

Lor  rais*  sens  faille  bien  i  passent, 

Mes  n'es*  empirent  ne  ne  cassent. 

Les  chauz  estes,  les  frois  ivers, 

Font-il  par  lor  regars  divers; 

Et  font  les  noifs*  et  l'ont  les  gresles 

Une  hore  grosse,  et  autre  gresles, 

Et  moult  d'autres  impressions, 

Selonc  lor  oposicious, 

Et  selonc  ce  qu'il  s'entr'esloingnent , 

Ou  s'apressent  ou  se  consignent, 

Dont  maint  homme  sovent  s'esmoient, 

Quant  es  cieux  les  esclipses  voient, 

Et  cuident  estre  mal-baillis* 

Des  regars  qui  lor  sunt  faillis 

Des  planètes  devant  véues , 

Dont  sitost  perdent  les  véues. 

Mes  se  les  causes  en  séussent, 

•là  de  riens  ne  s'en  csméussent: 


'Telles. 


*  Étoiles. 

*  Tombant. 

*  Ainsi  que. 


*  Corruptible. 


*  Rejet  ces,  rej)oussées. 

*  Laisseraient. 

*  Subtile. 

*  Si    ce  n'était   peut-être 
spirituel. 

"  Rations. 

*  Ne  1rs. 


"  Neiges. 


*  iïfaltrailés. 


(v.  1987a.)  DE  LA  ROSE.  203 

Et  par  behordéis*  de  vaus  *  Lui  te. 

Les  undes  de  mer  eslevans, 

Font  les  flos  as  nues  baisier, 

Puis  refont  la  mer  apaisier, 

Qu'el  n'est  tiex*  qu'ele  ose  grondir,         *  Telle. 

Ne  ses  floz  faire  rebondir, 

Fors  celi  qui  par  estovoir*  *  Nécessité. 

Li  fait  la  lune  adès*  movoir,  *  Toujours. 

Et  la  fait  aler  et  venir; 

N'est  riens  qui  le  puist  retenir. 

Et  qui  voldroit  plus  bas  enquerre 

Des  miracles  que  font  en  terre 

Li  cors*  du  ciel  et  des  esteles,  *  Les  cours. 

Tant  i  en  troveroit  de  bêles, 

Que  jamès  n'auroit  tout  escrit 

Qui  tout  vodroit  mètre  en  escrit. 

Ainsinc  li  ciex*  vers  moi  s'aquitent,       *  Les  deux. 

Qui  par  lor  bontés  tant  profitent , 

Que  bien  me  puis  aparcevoir 

Qu'il  font  bien  trestuit  lor  devoir. 

Ne  ne  me  plaing  des  élémens  ; 
Bien  gardent  mes  commendemeus, 
Bien  font  entr'aus  lor  mistions*,  *  Conjonctions. 

Tornans  en  révolucions; 

Car  quanque*  la  lune  a  souz  soi  *  Tout  ce  que. 

Est  corrumpable,  bien  le  soi*;  *  Le  sais. 

Pueus  ne  s'i  puet  si  bien  norrir 
Que  tout  ne  conviengne*  porrir.  *  Ne  faille. 

Tuit  ont  de  lor  complexion 
Par  naturele  entencion, 

Pviiile*  qui  ne  faut**  ne  ne  ment;  *  Règle.     **  Manque. 

Tout  vet  à  son  commandement. 
Ceste  ruile  est  si  généraus , 
Qu'el  ne  puet  défaillir  vers  aus*.  *  /  ers  eus. 

Si  ne  me  plaing  mie  des  plantes, 


461 


LE    ROMAN 


I99I4. 


Qui  d'obéir  ne  surit  pas  lentes. 

Bien  suut  à  mes  lois  ententives, 

Et  font,  tant  cum  eles  sunt  vives, 

Lor  racines  et  lor  foilletes, 

Trunz  et  raims*,  et  fruiz  et  floretes; 

Chascune  chascun  en  aporte 

Quanqu'el  puet*  tant  qu'ele  soit  morte, 

Cum  herbes,  arbres  et  buissons. 

Ne  des  oisiaus  ne  des  poissons, 

Qui  moult  sunt  bel  a  regarder, 

Bien  sevent  mes  rigles*  garder, 

Et  sunt  si  très-bon  escolier 

Qu'il  traient*  tuit  à  mou  colier. 

Tuit  faonent  à  lor  usages, 

Et  font  honor  à  lor  lignages, 

Ne  les  lessent  pas  déchéoir, 

Dont  c'est  grans  solas*  à  véoir. 

Ne  ne  me  plaing  des  autres  bestes 

Cui*  ge  fais  enclines  les  testes, 

Et  regarder  toutes  vers  terre. 

Ceus  ne  me  murent  onques  guerre; 

Toutes  à  ma  cordele  tirent, 

Et  font  si  cum*  lor  pères  firent. 

Li  masles  vet  o*  sa  femele, 

Ci  a  couple  avenant  et  bêle  ; 

Tuit  engendrent  et  vont  ensemble 

Toutes  les  fois  que  bon  lor  semble  ; 

Ne  jà  nul  marebié  n'en  feront, 

Quant  ensemble  s'acorderont. 

Ains  plest  à  l'un  por  l'autre  à  faire, 

Par  cortoisie  débonaire  ; 

Et  trestuit  apaié  *  se  tienent 

Des  biens  qui  de  par  moi  lor  vienent. 

Si*  l'ont  mes  bêles  verminetes, 

Formis,  papillons  et  moschetes. 


Rameaux. 


'Tout  ce  qu'elle  peut. 


*  Règles. 


*  Tirent. 


*  Plaisir. 


'A  qui. 


*  Ainsi  que. 
* Avec. 


*  Satisfaits. 


*  Ainsi . 


(v.     19940. 


DE  LA  ROSE. 


265 


Vers  ,  qui  de  porreture  nessent, 
De  mes  commans*  garder  ne  cessent; 
Et  mes  serpens  et  mes  coluevres , 
Tout  s'estudient  à  mes  uevres. 

Mes  seus  lions*,  cui  ge  fais  avoie 
Trestous  les  biens  que  ge  sa\;oie  ; 
Seus  hons,  cui  ge  fais  et  devis* 
Haut  vers  le  ciel  porter  le  vis*; 
Seus  hons,  que  ge  forme  et  fais  naistre 
En  la  propre  forme  son  *  maistre  ; 
Seus  hons,  por  qui  paine  et  labor", 
C'est  la  fin  de  tout  mon  labor; 
N'il  n'a  pas,  se  ge  ne  li  done , 
Quant  à  la  corporel  persone, 
Ne  de  par  cors  ne  de  par  membre, 
Qui  li  vaille  une  pome  d'ambre, 
Ne  quant  à  l'ame  vraiement, 
Fors*  une  chose  solement  : 
Il  tient  de  moi,  qui  sui  sa  dame, 
Trois  forces,  que  de  cors*,  que  d'ame; 
Car  bien  puis  dire  sens  mentir, 
G'el  fais  ester*,  vivre  et  sentir. 
Moult  a  li  chetis  d'avantages, 
Si  vosist*  estre  preus  et  sages; 
De  toutes  les  vertus  habonde 
Que  Diex  a  mises  en  ce  monde. 
Compains*  est  à  toutes  les  choses 
Qui  sunt  en  tout  le  monde  encloses, 
Et  de  lor  bonté  parçonières*  : 
Il  a  son  estre  avec  les  pierres , 
Et  vit  avec  les  herbes  drues, 
Et  sent  avec  les  bestes  mues*; 
Encor  puet-il  trop  plus,  en  tant 
Qu'il  avec  les  anges  entant. 
Que  vous  puis-ge  plus  recenser? 


*  Commandements. 


*  L'homme  seul. 

*I)is. 

*  Puisage. 

*  De  son. 

* Travaille. 


*  Si  ce  n'est. 

*  Tant  de  corps. 

*  Se  tenir. 

*  S'il  voulait. 

*  Compagnon. 

*  Participantes. 

*  Muettes. 

23 


26G  LE  ROMAN  (▼.  19984. 

II  a  quanque*  l'en  puet  penser.  *Ce  que. 

C'est  uns  petis  mondes  noviaus, 

Cis  me  fait  pis  que  uns  loviaus*.  "Louveteau. 

Sens  l'aille*  de  l'entendement,  *  Faute. 

Congnois-ge  bien  que  voirement*  *  Vraiment. 

Celi  ne  li  douai -ge  mie  : 

Là  ne  s'estent  pas  ma  baillie*.  *  Autorité. 

Ne  sui  pas  sage*,  ne  poissant  *  Savant. 

De  faire  riens*  si  conguoissant.  *  Chose. 

Ouques  riens  ne  fis  pardurable*,  *  Éternel. 

Quanque  ge  fais  est  corrumpablc*.  *  Corruptible. 

Platons  méismes  le  lesmoingue, 

Quant  il  parle  de  ma  besoingne, 

Et  des  dieux  qui  de  mort  n'ont  garde  : 

Lor  créator,  ce  dist,  les  garde 

Et  soustient  pardurablement 

Par  son  voloir  tant  solement; 

Et  se  cis*  voloirs  n'es  tenist, 

Trestous  inorir  les  couvenist*. 

Mi  fait,  ce  dist,  sunt  tuit  soluble, 

Tant  ai  pooir  povre  et  obnuble* 

Au  regart  *  de  la  grant  puissance 

Du  Dieu  qui  voit  en  sa  présence 

La  triple  temporalité 

Souz  uu  moment  d'éteruité. 

C'est  li  rois,  c'est  li  emperères 

Qui  dit  as  dieux  qu'il  est  lor  pères. 

Ce  sevent  cil*  qui  Platon  lisent,  *  Ce  savent  ceux. 

Car  les  paroles  tex  i  gisent*  ;  *  Telles  s'y  trouvent. 

Au  mains  en  est-ce  la  sentence , 

Sclonc  le  langaige  de  France  : 

Diex  des  dieux  dont  ge  sui  l'aisierres*,     *  Faiseur. 

Vostre  père,  vostre  crierres*,  "Créateur. 

Et  vous  estes  mes  créatures, 

Et  mes  euvres  et  mes  faitures*,  *  De  ma  façon. 


*Ce. 

*Il  leur  fait àl. 

*Obscur. 

*  -lu  prix,  en 

comparai 

SU  II. 

(v.  20019.)  DE  LA  ROSE.  267 

Par  nature  estes  corrumpables  * ,  *  Corruptibles. 

Par  ma  volenté  pardurables*;  "Éternel. 

Car  jà  n'iert*  riens  fait  par  Nature,  *Ne  sera. 

Combien  qu'ele  i  mete  grant  cure*  ,  *Soin. 
Qui  ne  faille  en  quelque  saison; 

Mes  quanque*,  par  bone  raison ,  *Tout  ce  que. 

'  Volt*  Diex  conjoindre  et  atremper**,  *  Voulut.     **  Accorder. 

Fors  et  bons  et  sages  sens  per*,  *Sons  pareil. 
Jà  ne  voldra,  ne  n'a  volu 

Que  Ce  Soit  jamès  dissolu*.  'Bissons. 

Jà  n'i  vendra*  COrrupcion.  *  Jamais  n'y  viendra. 

i  Dont  ge  fais  tel  conclusion  : 

i  Puisque  vous  commençastes  estre 

i  Par  la  volenté  nostre  maistre 

Dont  fait  estes  et  engendré, 
!  Par  quoi  ge  vous  tiens  et  tendre, 
i  N'estes  pas  de  mortalité 

Ne  de  corrupeion  quité*  'Quittes. 

Du  tout,  que  ge  ne  vous  véisse 

Morir,  se  ge  ne  vous  tenisse. 

Par  nature  morir  porrés, 

Mes  par  mon  vueil*  jà  ne  morrés  :  'Vouloir. 

Car  mon  voloir  a  seiguorie 

Sor  les  liens  de  vostre  vie, 

Qui  les  composicions  tienent, 

Dont  pardurabletés*  vous  vienent.  'Éternités. 

C'est  la  sentence  de  la  letre 

Que  Platons  volt*  en  livre  mètre,  'Voulut. 

Qui  miex  de  Dieu  parler  osa  ; 

Plus  le  prisa,  plus  l'alosa*,  *  Exalta. 

Conques  ne  flst  nus  terriens*  *.\»/  (être)  terrestre. 

Des  philosophes  anciens. 

Si  n'en  pot-il  pas  assés  dire, 

Car  il  ne  péust  pas  soffire 

A  bien  parfaitement  entendre 


268 


LE  ROMAN 


(v.    2005 i.) 


Ce  qifouques  riens  ne  pot  comprendre, 

Fors*  li  ventres  d'une  pucele. 

Mes  seus  faille  il  est  voirs*  que  celé 

A  cui  li  ventres  en  tendi, 

Plus  que  Platons  en  entendi  : 

Car  el  sot  *  dès  qu'el  le  portoit, 

Dont  au  porter  se  confortoit, 

Qu'il  ert  l'espère*  merveillables 

Qui  ne  puet  estre  terminables, 

Qui  par  tous  leus  son  centre  lance, 

Ne  l'en  n'a  la  circonférance; 

Qu'il  est  li  merveilleus  triangles 

Dont  l'unité  fait  les  trois  angles, 

Ne  li  trois  tout  entièrement 

Ne  font  que  l'un  tant  solement. 

C'est  li  cercles  trianguliers, 

Et  li  triangles  circuliers 

Qui  en  la  Virge  s'ostela*  : 

N'en  sot  pas  Platons  jusques-là; 

Ne  vit  pas  la  trine  unité 

En  ceste  simple  trinité, 

Ne  la  Déité  soveraiue 

Afublée  de  pel*  humaine. 

C'est  Diex  qui  créator  se  nomme. 

Cil  fist  l'entendement  de  Tomme, 

Et  en  faisant  le  li  doua  ; 

Et  cil  si  li  glierredona* 

Comme  mauves,  au  dire  voir*, 

Qu'il  cuida  *  puis  Dieu  décevoir, 

Mes  il-méismes  se  déçut, 

Dont  mes  Sires*  la  mort  reçut, 

Quant  il  sens  moi  prist  char*  humaine 

Por  le  chetis  oster  de  paine. 

Sens  moi!  car  ge  ne  se  comment, 

Fors  qu'il  puet  tout  par  son  comment*, 


*  Sinon. 

'Mais  sans  faute   il 
vrai. 


'Elle  sut. 


*  Qu'il  était  la  sphère. 


'Se  logea. 


'Peau. 


*  Récompensa. 

*  A  dire  vrai. 

*  Car  il  crut. 

*  Notre  Seigneur. 
"Chair. 


Commandement. 


(v.  20089.)  DE  LA  ROSE.  269 

Ains  fui  trop  forment*  esbahie,  **«*  je  fus  trop  fork- 

1  ment. 

Quant  il  de  la  virge  Marie 

Fu  por  le  chetif  en  char  *  nés,  *  Chair. 

Et  puis  pendus  tous  encharnés*  :  *En  chair. 

Car  par  moi  ne  puet-ce  pas  estre 

Que  riens  puisse  de  virge  nestre; 

Si  fu  jadis  par  maint  prophète 

Ceste  incarnacion  retraite  * ,  *  Rapportée. 

Et  par  juis  et  par  paiens, 

Que  miex  nos  cuers  en  apaiens*,  *  Apaisions. 

Et  plus  nous  esforçons  à  croire 

Que  la  prophècie  soit  voire. 

Car  es*  bucoliques  Virgile  *  Dans  les. 

Lisons  ceste  vois  de  Sébile, 

Du  Saint-Esperit  enseignie  : 

Jà  nous  ert  novele  lignie 

Du  haut  ciel  çà-jus*  envoiée,  *  ici-bas. 

Por  avoier*  gent  desvoiée,  *  Mettre  dans  la  roule. 

Dont  li  siècle  de  fer  faudront*,  *  Manqueront. 

Et  cil  d'or  OU  monde  Saudront*  (1).  *  Dans  le  monde  sortiront. 

Albumasar  néis*  tesmoigne  (2),  * Même. 

Comment  qu'il  séust  la  besoigue, 

Que  dedens  le  virginal  signe 

INestroit  une  pucele  digne, 

Qui  sera,  ce  dist,  virge  et  mère, 

Et  qui  alètera  son  père, 

Et  ses  maris  lez*  li  sera  *  Près  d'elle. 


(I)      Jam  nova  progenies  coelo  demittitur  alto. 

Tu  modo  nascenti  puero,  quo  fenea  primum 
Desinet>  ac  toto  surget  gens  aurea  mundo,  etc. 

CVircil.,  Bucol.,  eclog.  IV,  v.  7.) 
(I)  Albumasar  ou  Aboasar,  arabe  renommé  par  sa  science,  vivoit  dans 
le  neuvième  siècle  ou  dans  le  dixième;  son  livre  de  la  Révolution  des  an- 
nées l'a  fait  regarder  comme  un  des  grands  astrologues  de  son  temps. 

(L.  D.  D.) 
23. 


270 


LE  ROMAN 


Qui  jà  point  ne  la  touchera. 
Ceste  sentence  puet  savoir 
Qui  vuet  Albumasar  avoir  ■ 
Qu'el  gist.  ou  livre  *  toute  preste, 
Dont  chascuD  an  font  une  feste 
Gent  crestienes  en  septembre, 
Qui  tel  nativité  remembre*. 

Mais  tout  quanque*  j'ai  dit  dessus, 
Ce  set  nostre  sires  Jhésus; 
Ai-ge  por  homme  laboré*, 
Por  le  chetif  ce  laboré. 
Il  est  la  fin  de  toute  m'euvre, 
Cis  seus  contre  mes  rigles  euvre*; 
Ne  se  tient  de  riens  apoiés 
Li  desloiaus,  li  renoiés*  ; 
N'est  riens  qui  li  puisse  sofire  : 
Que  vaut  que  porroit-l'en  plus  dire? 
Les  honors  que  ge  li  ai  laites 
Ne  porroient  estre  retraites*; 
Et  il  me  refait  tant  de  hontes, 
Que  ce  n'est  mesure  ne  contes. 
Bia'u  douz  prestre,  biau  chapelains, 
Est-il  donques  drois  que  ge  Tains*, 
Ne  que  plus  li  port  révérence, 
Quant  il  est  de  tel  porveance*? 
Si  m'aïst  Diex  li  rrucefis*, 
Moult  me  repens  dont*  homme  fis. 
Mes  por  la  mort  que  cil  soffri 
Cui  *  Judas  le  baisier  ofl'ri , 
Et  que  Longis  féri*  de  lance, 
Ge  li  conterai  sa  chéance* 
Devant  Dieu  qui  le  me  bailla, 
Quant  à  s'image  le  tailla, 
Puisqu'il  me  fait  tant  de  contraire*. 
Famé  sui,  si  ne  me  puis  taire, 


'  Car  elle  est  dans  le  livre. 


''  Rappelle. 
'  Ce  que. 


*  Travaille. 


*  Celui-là  seul  millièmes 
règles  travaille. 


*  Le  renétjat. 


*  Rapportées. 


*  Aime. 


*  Prévoyance. 

*  Que     Dieu    le    crucifié 
m'aide. 

"  De  ce  que 


*  A  qui. 

*  Frappa . 
''Chute. 


'Contrariété. 


(v.    20I5I.) 


DE   LA    ROSE. 


21  { 


Ains  voil  dès  jà*  tout  révéler; 
Car  famé  ne  pu  et  riens  celer  , 
N'onques  ne  fu  miex  lèdengiés*. 
Mar*  s'est  de  moi  tant  estrangiés**-, 
Si*  vice  i  seront  récité, 
Et  dirai  de  tout  vérité. 

Orguilleus  est,  murdricrs  et  lerres*, 
Fel*,  convoiteus,  avers,  trichierres, 
Désespérés,  glous*,  mesdisans, 
Et  haïneus  et  despisans*, 
Mescréans,  envieus,  mentierres*, 
Parjurs,  faussaires,  fox,  vantierres, 
Etinconstans  et  foloiables*, 
Idolastres,  desagréables, 
Traïstres  et  fa  us  ypocrites, 
Et  pareceus  et  sodomites. 
Briefment  tant  est  chetis  et  nices*, 
Qu'il  est  sers  *  à  trestous  les  vices, 
Et  trestous  en  soi  les  herberge. 
Vez  de  quiex  fers  li  las  s'enferge*  : 
Va-il  bien  porchaçant*  sa  mort, 
Quant  à  tex  mauvestiés  s'amort*? 
Et  puisque  toutes  choses  doivent 
Retorner  là  dont  eus  reçoivent 
Le  commencement  de  lor  estre, 
Quant  bons*  vendra  devant  son  mestre. 
Que  tous  jors,  tant  cum  il  péust, 
Servir  et  honorer  déust, 
Et  soi  de  mauvestié  garder, 
Comment  l'osera  regarder  ? 
Et  cil  qui  juges  en  sera, 
De  quel  oil  le  regardera  , 
Quant  vers  li  s'est  si  mal  provés, 
Qu'il  iert*  en  tel  défaut  trovés,    ' 
Li  las*  qui  a  le  cuer  tant  lent, 


*  Mais  je  veux  déjà'. 

*  Vilipendé. 

*  A  tort.      **  Eloigné. 
*Ses. 

*  Voleur. 

*  Cruel. 

*  Glouton. 

*  Me  prisant. 

*  Menteur. 

*  Dispose  à  la  sottise. 


*  Simple. 
*Serf,  soumis. 


*  Fouez  flans  quels  fers  le 
malheureux  s'emprison- 
ne. 

*  Cherchant 

*  S'attache. 


*  Homme. 


*  Était. 

*  Le  malheureux. 


272 


LE  ROMAN 


(v.     20I8G.) 


Qu'il  n'a  de  bien  faire  talent*? 
Ains  font  au  pis  grant  et  menor 
Qu'il  pueent*,  sauve  lor  enor**, 
Et  l'ont  ainsinc  juré,  ce  semble, 
Par  unacort  trestuit  ensemble  : 
Si  n'i  est-ele  pas  sovent 
A  chascun  sauve  par  couvent*; 
Ains  en  reçoivent  maint  grant  paine, 
Ou  mort,  ou  grant  boute  mondaine. 
Mes  li  las*!  que  puet-il  peuser, 
S'il  vuet  ses  pécbiés  recenser, 
Quant  il  vendra  devant  le  juge 
Qui  toutes  cboses  poise*  et  juge, 
Et  tout  à  droit  sens  Faire  tort, 
JNTe  riens  n'i  gueuchist  ne  estort*? 
Quel  guerredou*  puet-il  atendre 
Fors  la  hart  à  li  mener  pendre 
Au  dolereus  gibet  d'enfer, 
Où  sera  pris  et  mis  en  fer, 
Rivés  en  aniaus  pardurables*, 
Devant  le  prince  des  déables? 
Ou  sera  bouillis  en  chaudières, 
Ou  rostis  devant  et  derrières, 
Ou  sus  cbarljons  ou  sur  gréilles, 
Ou  tornoiés  à  grans  chevilles 
Comme  Yxion  a  trenchans  roes 
Que  maufé*  tornent  à  lor  poes**; 
Ou  morra  de  soif  es  palus  * , 
Et  de  fain  avec  Tentalus 
Qui  tous  jors  en  l'iaue  se  baingne; 
Mes  combien  que  soif  le  destraingne* 
Jà  n'aprochera  de  sa  bouche 
L'iaue  qui  au  menton  li  touche. 
Quant  plus  la  sieut*  et  plus  s'abesse, 
Et  fain  si  fort  le  recompresse*, 


*  Désir. 


*  Qu'ils  peuvent. 

ncur. 


* Convention. 


Le  malheureux. 


*  Pèse. 

*  Détourne  ni  fausse. 

*  Récompense. 


*  Éternels. 


'  Hon. 


*  Diables. 

jult/es. 

'  Murais. 


Tourmenté. 


Avec  leurs 


*  Suit. 

*  Le  presse  à  son  tour. 


DE   LA   ROSE. 


273 


Qu'il  n'en  puet  estre  asoagiés*, 
Aius  muert*  de  fain  tous  erragiés; 
N'il  ne  repuet  la  pome  prendre 
Qu'il  voit  tous  jors  à  sou  uez  pendre  : 
Car  quant  plus  à*  son  becl'enchauce**, 
Et  la  pome  plus  se  rehauce; 
Ou  rolera  la  mole"  à  terre 
De  la  roche,  et  puis  Tira  querre*, 
Et  derechief  la  rolera, 
Ne  jamès  lors  ne  cessera , 
Si  cum  tu  fez,  las*  Sisifus, 
Qui  por  ce  faire  mis  i  fus  ; 
Ou  le  tonnel  sens  fons  ira 
Emplir,  ne  jà  ne  l'emplira, 
Si  cum  font  les  Bélidienes* 
Por  lor  folies  ancienes. 
Si  resavés*,  biau  Genius, 
Comment  li  juisier*  Ticius 
S'esforcent  ostoir*  de  mangier, 
Ne  riens  n'es  en  puet  estrangier*. 
Moult  r'a  léens*  d'autres  granz  paines, 
Et  félonesses*  et  vilaines, 
Où  sera  mis  espoir  li  lions* 
Por  soffrir  tribulacions 
A  grant  dolor,  à  grant  hacbie*, 
Tant  que  g'en  soie  bien  venchie*. 
Par  foi,  li  juges  i  evant  dis, 
Qui  tout  juge  en  fais  et  en  dis, 
S'il  fust  tant  solement  piteus*, 
Bons  fust,  espoir,  et  déliteus* 
Li  prestéis*  as  usuriers  ; 
Mes  il  est  tous  jors  droituriers* , 
Par  quoi  trop  fait  à  redouter  : 
Mal  se  fait  en  péchié  bouter. 
Sens  faille*  de  tous  les  péchiés 


*  Soulagé. 

*  Mais  meurt. 


*Avec.      **  Poursuit. 

*  Meule. 

*  Chercher. 

*  Malheureux. 

*  Danaïdes. 

*  Et  vous  savez  encore. 

*  Foie,  entrailles. 

*  Autours. 

*  ISe  les  en  peut  éloigner. 

*  Là  dedans. 

*  Cruelles. 

*  Peut-être  l'Homme. 


*  Souffrance. 

*  Vengée. 


* 'Compatissant. 

*  Délicieux. 
*Prêt. 

*  Équitable. 


' Sans  faute. 


274 


LE  ROMAN 


Dont  li  chetis  est  entechiés*, 
A  Dieu  les  lais,  bien  s'en  chevisse*; 
Quant  li  plaira ,  si  l'en  punisse. 
Mes  de  cens  dont  Amors  se  plaint, 
Car  g'en  ai  bien  oï  le  plaint*, 
Ge-méismes,  tant  cum  ge  puis, 
M'en  plaiug  et  m'en  doi  plaindre,  puis 
Qu'il  me  renoient  le  tréu* 
Que  trestuit  homme  m'ont  déu, 
Et  tous  jors  doivent  et  devront. 
Tant  cum  mes  ostiz*  recevront. 


*  Le  malheureux  es!  en- 
taché, 
'acquitte. 


La  plainte. 


*  Tribut. 


Outils. 


('.y  est  comme  dame  Nature 
Envoyé  à  Amours  par  grant  cure  *, 
Genius  pour  le  saluer, 
Et  pour  maints  courages  muer  *. 

Génius  li  bien  emparlés*, 

En  l'ost  *  au  dieu  d' Amors  aies  , 

Qui  moult  de  moi  servir  se  paine, 

Et  tant  m'aime,  g'en  sui  certaine, 

Que  par  son  franc  cuer  débonaire 

Plus  se  vuet  vers  mes  euvres  traire* 

Que  ne  fait  fer  vers  aimant. 

Dites- li  que  salus  li  niant* 

Et  à. dame  Vénus  m'amie, 

Puis  à  toute  la  baronie, 

Fors  solement  à  Faus-Semblant, 

Por  qu'il  s'aut*jamès  assemblant 

Avec  les  félons  orguilleus, 

Les  ypocrites  péril leus  , 

Desquex  l'Escriture  recète* 

Que  ce  suut  li  pseudo-prophète. 

Si  r'ai-ge  moult  soupeçoneuse* 

Astenance  d'estre  orguilleuse, 

Et  d'estre  à  Faus-Semblant  semblable, 


*Soin. 

*  Changer  maints  carac- 
tères. 

*  Disert. 

*  Armée. 


Tirer, 


Mande,  envoie. 


S'aille. 


'  Récite. 


*  VA  je  soupçonne  encore 
fort. 


Y.     20286. 


DE  LA  ROSE. 


275 


Toutsemble-ele*  humble  et  charitable. 

Faus-Semblant,  se  plus  est  trovés 

Avec  tiex*  traïstres  provés, 

.Ta  ne  soit  eu  ma  saluance*, 

Ne  li  ne  s'amie  Asteuauce, 

Trop  sunt  tex  gens  à  redouter. 

Bien  les  déust  Amors  bouter 

Hors  de  son  ost*,  s'il  li  pléust, 

Se  certainement  ne  séust 

Qu'il  li  lussent  si  nécessaire 

Qu'il  ue  péust  seus  eus  riens  faire; 

Mes  s'il  sunt  advocaz  por  eus 

En  la  cause  as  fins  amoreus , 

Dont  lor  mal  soient  alégié, 

Cest  barat*  lor  pardone-gié. 

Aies,  amis,  au  dieu  d'Amors 

Porter  mes  plains  et  mes  clamors*  , 

Non  pas  por  ce  qu'il  droit  m'eu  face , 

Mes  qu'il  se  conforte  et  solace* 

Quant  il  orra  ceste  novele 

Qui  moult  li  devra  estre  bêle, 

Et  à  nos  anemis  grevaine* 

Et  laist*  ester,  ne  li  soit  paine, 

Le  souci  que  mener  l'en  voi. 

Dites  li  que  là  vous  envoi 

Por  tous  ceus  escomenier 

Qui  nous  vuelent  contrarier, 

Et  por  assodre*  les  vaillans 

Qui  de  bon  cuer  sunt  travaillons 

as  rieules*  droitement  ensivre  ** 

Qui  sunt  escrites  en  mon  livre, 

Et  forment*  à  ce  s'estudient 

Que  lor  lignage  monteplient*, 

Et  qui  pensent  de  bieu  amer, 

Car  g'es  doi*  tous  amis  clamer  '* 


*  Bi'-n  qu'elle  semble. 

*  Tels. 

*  Qu'il  ne  soi l  pas  de  ceux 
que  je  salue. 


*  Armée. 


*  Tromperie. 


*  Mes  plaintes  et  mes  ré- 
clamations. 


*  Réjouisse. 


*  Dure. 

*  Laisse  (subj. 


"Absoudre. 

*  Règles.         Suivre. 

*  Fortement . 

*  Multiplient. 

*  Je  lesdus.     **  Appeler. 


276 


LE    ROMAN 


(v.     20321.) 


Por  lor  âmes  mètre  en  délices, 

Mes*  qu'il  se  gardent  bien  des  vices         *  Pourvu. 

Que  j'ai  ci-devant  racontés, 

Et  qu'il  facent  toutes  boutés. 

Pardon  qui  lor  soit  soffisans 

Lor  donés,  non  pas  de  dix  ans  : 

N'el  priseroient  un  denier  ; 

Mes  à  tous  jors  pardon  plenier 

De  trestout  quanque  *  fait  aurout ,  *  Ce  que. 

Quant  bien  confessé  se  seront. 

Et  quant  en  l'ost  serés  venus 

Où  vous  serés  moult  cbier  tenus, 

Puis  que  salués  les  m'aurois 

Si  cum*  saluer  les  saurois,  *  Ainsi  que. 

Publiés-lor  en  audience 

Cest  pardon  et  cesle  sentence 

Que  ge  voil*  que  ci  soit  escrite.  *  Que  je  veux. 

V  Acteur. 


Lors  escrit  cil,  et  celé  dite*, 
Puis  la  seelle,  et  la  li  baille, 
Et  li  prie  que  tost  s'en  aille  ; 
Mes  qu'ele  soit  aiuçois  assoste* 
De  ce  que  son  penser  li  oste. 
Sitost  cum  ot  esté  confesse 
Dame  Nature  la  déesse, 
Si  cum  la  loi  vuet  et  li  us*, 
Li  vaillans  prestres  Genius 
Tantost  l'assot*,  et  si  li  donc 
Pénitence  avenant  et  bouc 
Selonc  la  grandor  du  mesfait 
Qu'il  pensoit  qu'ele  éust  forfait 
Enjoint-li  qu'ele  demorast 
Dedcns  sa  forge  et  Iaborast*, 


*(  elui-ci,  et  celle-là  dicte. 

*  Absoute. 

*  L'usage. 

*  Lui  donna  l'absolution. 


Travaillât. 


(v.  2035:3.)  DE   LA    ROSE.  277 

Si  cura  ains*  laborer  soloit  **  *  Ainsi  qu'auparavant. 

_.  ,  1  1   •  *  "  ivait  coutume. 

Quant  de  néant  ne  se  doloit*,  "Plaignait. 

Et  son  servise  adès*  féist  *  Toujours. 

Tant  qu'autre  conseil  i  méist 

Li  Rois  qui  tout  puet  adrecier*,  *  Corriger. 

Et  tout  faire  et  tout  dépecier. 

Nature. 

Sire,  dist-ele,  volentiers. 

Genius. 

Et  ge  m'en  voi  endementiers* ,  *  Pendant  ce  temps-là. 

Dist  Genius,  plus  que  le  cors*,  *  Le  pus  de  course. 

Por  faire  as  fins  amans  secors, 
Mes  que  désafublés  me  soie 
De  ceste  chasuble  de  soie, 
De  cest  aube  et  de  cest  rochet. 

Vecteur. 

Lors  va  tout  pendre  à  un  crochet, 

Et  vest  sa  robe  séculière 

Qui  mains  encombreuse  li  ère*,  *  Était. 

Si  cum  il  alast  karoler*,  "Danser. 

Et  prent  èles  por  tost  voler. 


Comment  damoiselle  Nature 

Se  mist  pour  forgier  à  grant  cure  *  "Soin. 

Eu  sa  forge  présentement  ; 

Car  c'estoit  son  entendement. 


Lors  remaint  Nature  en  sa  forge, 
Prent  ses  martiaus,  et  fiert*  et  forge        *  Frappe. 
Trestout  ausinc  comme  devant*;  *  Aupararant. 

Et  Genius  plus  tost  que  vent 

24 


278 


LE  ROMAN 


^V.    20375. 


Ses  èles  bat,  et  plus  n'atent, 
En  l'ost*  s'en  est  venus  atant**. 
Mes  Faus-Seinblant  n'i  trova  pas , 
Partis  s'en  iert*  plus  que  le  pas 
Dès-lors  que  la  Vielle  fu  prise, 
Qui  m'ovri  Puis  de  la  porprise*, 
Et  tant  m'ot  fait  avant  aler, 
Qu'à  Bel-Acueil  me  loit*  parler. 
Il  n'i  volt*  onques  plus  atendre, 
Ains  s'enfoï  sens  congié  prendre. 
Mes  sens  faille*,  c'est  chose  atainte, 
11  trueve  Astenance-Contrainte, 
Qui  de  tout  son  pooir  s'apreste 
De  corre  après  à  si  grant  heste*, 
Quant  el  voit  le  prestre  venir, 
QuVnvis*  la  péust-1'en  tenir  : 
Car  o*  prestre  ne  se  méist, 
Por  quoi  nus*  autres  la  véist, 
Qui  li  donast  quatre  besans, 
Se  Faus-Semblans  n'i  fust  présens. 

Genius,  sens  plus  de  demore*, 
Eu  icele  méismes  hore, 
Si  cum  il  dut,  tous  les  salue; 
Et  l'achoison*  de  sa  venue, 
Sens  riens  mètre  en  obli,  lor  conte. 
Ge  ne  vous  quier*  jà  faire  conte 
De  la  grant  joie  qu'il  li  firent, 
Quant  ces  noveles  entendirent  ; 
Ains  voil*  ma  parole  abrégier 
Por  vos  oreilles  alégier*  : 
Car  maintes  fois  cis*  qui  préesche, 
Quant  briefment  ne  se  despéesche, 
En  fait  les  auditeurs  aler. 
Par  trop  prolixement  parler, 

Tantost  li  diex  d'Amors  al'uble 


*  L'armée.      ** Alors. 

*  Était. 

*  La  porte  du  clos. 

*  Fut  permis. 

*  Voulut. 

*  Faute. 


*ffâte. 

*  Qu'à  peine. 

*  Avec. 

*  Nul. 


*  Retard. 


*  L'occasion. 


*Feux. 


*  Mais  veux. 

*  Soulager. 

*  Celui. 


v.  204io.)  DE  LA  ROSE.  279 

A  Genius  une  chasuble; 

Anel  li  baille,  et  croce  et  mitre , 

Plus  clère  que  cristal  ne  vitre; 

Ne  quierent*  autre  parement,  *  renient. 

Tant  ont  grant  entalentement*  *  Désir. 

D'oïr  celé  sentence  lire. 

Vénus,  qui  ne  cessoit  de  rire, 

Ne  ne  se  pooit  tenir  coie, 

Tant  par  estoit  jolive*  et  gaie  ;  *  Folâtre. 

Por  plus  enforcier  Tanatesme, 

Quant  il  aura  fine  son  tesme , 

Li  met  ou  poing  un  ardant  cierge 

Qui  ne  fu  pas  de  cire  vierge. 

Genius,  sens  plus  terme  mètre, 

S'est  lors,  por  miex  lire  la  letre, 

Selonc  les  faiz  devant  contés, 

Sor  un  grant  eschafaut  montés; 

Et  li  baron  sistreut  par  terre, 

N'i  voldrent*  autres  sièges  querre**;       *  -A ".'/  voulurent.  **  Cher- 

"      .  cher. 

Et  cil  sa  ebartre  lor  desploie, 

Et  sa  main  entor  soi  tornoie, 

Et  fait  signe,  et  dist  que  se  taisent; 

Et  cil  cui*  les  paroles  plaisent,  *Et  ceux-là  à  qui. 

S'entreguiguent  et  s'entreboutent, 

Atant*  se  taisent  et  escoutent;  *  Alors. 

Et  par  tex*  paroles  commence  *Teiies. 

La  diffinitive  sentence. 

Comment  presche  par  tres-grant  cure  *    *  Soin. 

Les  conmiandemens  de  Nature 

Le  vaillant  prestre  Genius, 

En  l'ost  *  d'Amours,  présent  Vénus;  'Eu  l'armée. 

Et  leur  fait  à  chascun  entendre 

Tout  ce  que  Nature  veult  tendre. 

De  l'autorité  de  Nature 
Qui  de  tout  le  monde  a  la  cure, 


280 


LE  ROMAN 


(v.    20439. 


Comme  vicaire  et  conestable 
Al'emperéor  pardurable*, 
Qui  siet  eu  la  tor  soveraine 
De  la  noble  cité  mondaine 
Dont  il  fist  Nature  menistre, 
Qui  tous  les  biens  i  amenistre 
Par  l'influence  des  esteles*, 
Car  tout  est  ordené  par  eles 
Selonc  les  droiz  empériaus 
Dont  Nature  est  officiaus , 
Qui  toutes  cboses  a  fait  nestre, 
Puis  que  cis  mondes  vint  en  estre*, 
Et  lor  doua  terme  ensement* 
De  grandor  et  d'acroisement  ; 
N'onques  ne  fist  riens  por  néant 
Souz  le  ciel  qui  va  tornoiant 
Entor  la  terre  sens  demore*, 
Si  haut  dessouz  comme  desore*; 
Ne  ne  cesse  ne  nuit  ne  jor, 
Mes  tous  jors  torue  sens  séjor*  : 
Soient  tuit  escommenié 
Li  desloial,  li  renié*, 
Et  condampné  sens  nul  rcspit, 
Qui  les  euvres  ont  en  despit, 
Soit  de  grant  gent,  soit  de  menue, 
Par  qui  Nature  est  sostenue  ; 
Et  cis*  qui  de  toute  sa  force 
De  Nature  garder  s'esforce , 
Et  qui  do  bien  amer  se  paine 
Sens  nule  pensée  vilaine, 
Aies  que  loiaument  i  travaille, 
Floris*  en  paradis  s'en  aille, 
Mes  qu'il  se  face  bien  confès  : 
G'en  prens  sor  moi  trestout  le  fès 
De  tel  pooir  cum  ge  puis  prendre, 


Eternel. 


Étoiles. 


*  Depuis  que    ce    monde 

minuit. 

"Pareillement. 


*  Cesse . 

*  Dessus. 


*  Repos. 

*  Les  renégats. 

*  Et  celui. 


lieux,  chenu. 


(t.    20474.) 


DE  LA  ROSE. 


281 


Jà  pardon  n'eu  portera  mendre*. 

Mal  lor  ait  Nature  doné 
As  faus  dont  j'ai  ci  sermoné, 
Grefes,  tables,  martiaus,  enclumes, 
Selouc  les  lois  et  les  coustumes, 
Et  sos*  à  pointes  bien  aguës 
A  l'usage  de  ses  charrues, 
Et jachières,  non  pas  perreuses, 
Mes  plerrtéives*  et  herbeuses, 
Qui  d'arer  et  de  cerl'oïr* 
Ont  rcestier*,  qui  en  vuet  joïr, 
Quant  il  n'en  vuelent  laborer* 
Por  li  servir  et  honorer; 
Ains  vuelent  Nature  destruire, 
Quant  ses  enclumes  vuelent  fuire, 
Et  ses  tables  et  ses  jachières, 
Qu'el  fist  précieuses  et  chières 
Por  ses  choses  continuer, 
Que  Mort  ne  les  poïst*  tuer. 
Bien  déussent  avoir  grant  honte 
Cil  *  desloial  dont  ge  vous  conte , 
Quant  il  ne  daignent  la  main  mètre 
Es*  tables  por  escrire  letre, 
Ne  por  faire  emprainte  qui  père*  -, 
Moult  sunt  d'entencion  amère, 
Qu'el  devendront  toutes  mossues 
S'el  sunt  en  oidive*  tenues, 
i    Quant  sens  cop  de  martel  férir* 
:    Lessent  les  enclumes  périr. 
(    Or  s'i  puet  la  ruïlle  embatre  *, 
Sens  oir  marteler  ne  batre: 
Les  jachières,  qui  n'i  reflche 
Le  soc,  redemorront  en  friche. 
Vis*  les  puisse-1'en  enfoïr, 
Quant  les  ostilz  osent  foïr  * 


Moindre. 


"Socs. 


*  Plantureuses. 

*  Qui  d'être  labourées  et 
travaillées  avec  la  ser- 
fouette. 

"Besoin. 
'Travailler. 


Puissent. 

"■Ces. 

Dans  les. 
*  Paraisse. 


*  Oisiveté. 

*  Frapper. 

*  Enfoncer. 


*  Vifs. 

*  Fuir. 


24. 


282 


LE  ROMAN 


(v.     20510.] 


Que  Diex  de  sa  main  entailla*  , 
Quant  à  ma  dame  les  bailla, 
Qui  por  ce  les  li  volt*  baillier, 
Qu'ei  séust  autiex  *  entaillier, 
Por  doner  estres  pardurables* 
As  créatures  corrumpables*. 
Moult  euvrent  mal,  et  bien  le  semble  ; 
Car  se  trestuit  li  bomme  ensemble 
Soixante  ans  foïr  les  voloient, 
James  hommes  n'engenderroient. 
Et  se  ce  plaist  à  Dieu  sens  faille  *, 
Dont  vuet-il  que  le  monde  faille*, 
Ou  les  terres  demorront  nues 
A  pueplier  as  bestes  mues*, 
S'il  noviaus  hommes  ne  faisoit, 
Se  refaire  les  li  plaisoit, 
Ou  cens  féist  résusciter 
Por  la  terre  arriers  habiter; 
Et  se  cil  virge  se  tenoient 
Soixante  ans,  derechief  faudroient , 
Si  que,  se  ce  li  devroit  plaire, 
Tous  jors  les  auroit  h  refaire. 
Et  s'il  ert*  qui  dire  volsist** 
Que  Diex  le  voloir  en  tolsist* 
A  l'un  par  grâce,  à  l'autre  non, 
Por  ce  qu'il  a  si  bon  renon, 
rs'onques  ne  cessa  de  bien  faire, 
Dont  li  redevroit-il  bien  plaire, 
Que  chascuns  autretel*  féist, 
Si  qu'autel*  grâce  en  li  méist  : 
Si  r'aurai  ma  conclusion 
Que  tout  aille  à  perdicion. 

Ge  ne  sai  pas  à  ce  respondre, 
Se  Foi  n'i  vuet  créance  cspondre  *  ; 
Car  Diex  en  lor  commencement 


Forma,  sciil/i/a. 

*I~oulut. 

*  Pareils. 

*  Éternels. 

*  Corruptibles. 


*  Sans  faute 

*  Manque. 

*  Muettes. 


*  El  s'il  était.     **f'oulût. 

*  Enlevât,  dérobât. 


'La  pareille. 
'  Pareille. 


Exposer. 


DE  LA  ROSE. 


283 


Les  ame  tous  onienient*, 
Et  done  raisonables  âmes 
Ausinc  as  hommes  cum  as  famés. 
Si  croi  qu'il  voldroit  de  chacune  , 
Non  pas  tant  seulement  de  l'une, 
Que  le  meillor  chemin  tenist* 
Par  quoi  plus  tost  à  li  venist. 
S'il  vuet  donques  que  virge  vive 
Aucuns,  por  ce  que  miex  le  sive, 
Des  autres  porquoi  n'el  vorra*? 
Quele  raison  l'en  destorra*? 
Donc  semble-il  qu'il  ne  li  chausist*, 
Se  généracion  fausist*. 
Qui  voldra  respondre,  respoingne, 
Ge  ne  sai  plus  de  la  besoingne  : 
Viengnent  devin  qui  en  devinent, 
Qui  de  ce  deviner  ne  finent*. 

Mes  cil  qui  des  grefes  n'escrivent, 
Par  qui  li  mortex*  tous  jors  vivent, 
Es*  bêles  tables  précieuses 
Que  Nature,  por  estre  oiseuses, 
Ne  lor  avoit  pas  aprestées, 
Ains  lor  avoit  por  ce  prestées 
Que  tuit  i  fussent  escrivans , 
Cum  tuit  et  toutes  en  vivans  ; 
Cil  qui  les  deus  martiaus  reçoivent, 
Et  n'en  forgent  si  cum*  il  doivent 
Droitement*  sus  la  droite  enclume; 
Cil  que  lor  péchiés  si  enfume 
Par  lor  orgoil  qui  les  desroie*, 
Qu'il  despisent*  la  droite  voie 
Du  champ  bel  et  plentéureus, 
Et  vont  comme  maléureus 
Arer*  en  la  terre  déserte , 
Où  lor  semence  va  à  perte, 


Egalement. 


*Tint. 


Ne  le  voudra. 

*  Détournera. 
* Importât . 

*  Manquât . 


*  Ne  finissent. 

*  l.t  s  mortels. 

*  Dans  les. 


*  Ainsi  que. 
Légitimement. 

k  Égare. 
'Méprisent. 


Labourer, 


284 


LE  ROMAN 


(v.    20580.) 


Ne  jà  n'i  tendront  droite  rue, 

Ains  vont  bestornant*  la  charrue, 

Et  conféraient  lor  euvres  maies* 

Par  excepcious  anormales , 

Quant  Orphéus  vuelent  ensivre* 

Qui  ne  sot  arer*  ne  escrivre  , 

Neforgier  en  la  droite  forge  : 

Pendus  soit-il  parmi  la  gorge  ! 

Quant  tex  rieules*  controva, 

Vers  Nature  mal  se  prova. 

Cil  qui  tel  mestresse  despisent*,     . 

Quant  à  rebors  ses  letres  lisent, 

Et  qui  por  le  droit  sens  entendre, 

Par  le  bon  chief  n'es*  vuelent  prendre, 

Ains  pervertissent*  l'escriture 

Quant  il  vieneut  à  la  lecture, 

Ont  tout  l'escommeniement* 

Qui  tous  les  met  à  dampnement*, 

Puis  que  là  se  vuelent  aerdre*; 

Ains  qu'il  muirent*,  puissent-il  perdre 

Et  l'aumosnière  et  les  estales* 

Dont  il  ont  signes  d'estre  mâles! 

Perte  lor  viengne  des  pendans 

A  quoi  l'aumosnière  est  pendans! 

Les  martiaus  dedens  atachiés 

Puisseut-il  avoir  errachiés! 

Li  grefe  lor  soient  tolu , 

Quant  escrivre  n'en  ont  volu 

Dedens  les  précieuses  tables 

Qui  lor  estoient  convenables  ! 

Et  des  charrues  et  des  sos*, 

S'il  n'en  arent*  à  droit,  les  os 

Puissent-il  avoir  depeciés, 

Sens  jamès  estre  redreciés  ! 

Tuit  cil  qui  ceus  voldront  ensivre*, 


'  Tournant  mal. 

'Mauvaises. 


Suivre. 
'Labourer. 


*  Telles  règles. 

*  Méprisent. 


*  Bout  ne  les. 

*  Tournent  de  travers. 

*  Excom  m  uuication . 
'  Damnation. 

*  Attacher. 

*  Avant  qu'ils  meurent. 

"  Parties  qui  font  les  éta- 
lons. 


*Socs. 

*  Labourent. 


*  Suivre. 


(t.  20614.)  DE  LA  ROSE.  285 

A  grant  honte  puissent-il  vivre  ! 

Li  lor  péchiés  ors*  et  orribles  *Suie. 

Lor  soit  dolereus  et  pénibles , 

Qui  par  tous  leus  fuster*  les  face,  *  Fustiger. 

Si  que  l'en  les  voie  en  la  face  ! 

Por  Dieu,  seignor,  vous  qui  vives, 
Gardés  que  tex  gens  n'ensivés*  ;  *  Telles  gens  ne  suivie:. 

Soies  es  euvres  natlireUS*  *  Dans  les  œuvres  natu- 

re lie  s. 

Plus  vistes  que  uns  escureus, 

Et  plus  légiers  et  plus  movans 

Que  ne  puet  estre  oisel  ne  vans. 

Ne  perdes  pas  cest  bon  pardon  ; 

Trestous  vos  péchiés  vous  pardon*,         *Je  vous  pardonne. 

Por  tant*  que  bien  i  travailliés.  *  Pourvu. 

Remués- vous,  tripes,  saillies*,  *  Damez,  sautez. 

Ne  vous  lessiés  pas  refroidir 

Ne  trop  vos  membres  enroidir; 

M  étés  tous  vos  ostiz  en  euvre  : 

Assés  s'eschaufe  qui  bien  euvre. 

Ce  fort  exconimuniement 
Met  Genius  sur  toute  gent 
Qui  ne  se  veullent  remuer 
Pour  l'espèce  continuer. 

Ares,  por  Dieu,  barons,  ares*,  'Mari.-.,  labourez. 

Et  vos  lignages  réparés  : 

Se  ne  pensés  forment  d'arer, 

N'est  riens  qui  les  puist  réparer. 

Secorciés-vous*  bien  par  devant  *Sècouez-voù.t. 

Aussinc  cum  por  cuillir  le  veut; 

Ou,  s'il  vous  plaist,  tout  nu  soies, 

Mes  trop  froit  ne  trop  chaut  n'aies  : 

Levés  à  deus  mains  toutes  nues 

Les  mancherons  de  vos  charrues  ; 

Forment  as  bras*  les  sostenés,  *  Avec  les  bras. 


28C 


LE   ROMAN 


(v.    20644.) 


Et  du  soc  bouter  vous  pénés 
Roidement  en  la  droite  voie, 
Por  miex  afonder  en  la  roie*. 
Et  les  chevaus  devant  alans, 
Por  Dieu  ne  les  lessiés  jà  lans; 
Asprement  les  esperonés , 
Et  les  plus  grans  cops  lor  donés 
Que  vous  onques  doner  porrés , 
Quant  plus  parfont  arer  vorrés*. 
Et  les  bues  as  testes  cornues 
Acoplés  as  jous  des  cbarrues, 
Réveilliés-les  as*  aguillons, 
A  nos  bienfaiz  vous  acuillons; 
Se  bien  les  piqués  et  sovent, 
Miex  en  arerés  par  convent*. 

Et  quant  are  aurés  assés, 
Tant  que  d'arer  serés  lassés, 
Que  la  besoiugne  à  ce  vendra 
Que  reposer  vous  con vendra*, 
(Car  chose  sens  reposement 
]\Te  puet  pas  durer  longement,) 
Ne  ne  porrés  recommencier 
Tantost  por  l'uevre  ravancier, 
Du  voloir  ne  soies  pas  las. 
Cadmus,  au  dit*  dame  Palas, 
De  terre  ara  plus  d'un  arpent, 
Et  sema  les  dens  d'un  serpent 
Dont  chevalier  armé  saillirent*, 
Qui  tant  entr'eus  se  combatirent, 
Que  tuit  eu  la  place  morurent, 
Fors  ciuc  qui  si  *  compaignon  furent, 
Et  li  voldrent*  secors  douer, 
Quant  il  dut  les  murs  maçoner 
De  Thèbes,  dont  il  fu  fondierres*. 
Cist  assistrento  li*  les  pierres, 


*  Enfoncer  dans  la  raie. 


''  Labourer  voudrez. 


* Avec  les. 


*  De  concert. 


*  II  vous  faudra. 


*  Au  dire  de. 


*  Sortirent. 


Ses. 

*  Et  lui  voulurent. 

*  Fondateur. 

*  (  eu.r-là  assirent  avec  lui. 


(v.    20079.) 


DE   LA  ROSE. 


287 


Et  li  pneplèrent  sa  cité, 
Qui  est  de  grant  antiquité. 
Moult  fist  Cadmus  bone  semence, 
Qui  le  sien  pueple  ainsinc  avance  ; 
Se  vous  ausiuc  bien  commenciés, 
Vos  lignaiges  moult  avanciés. 
Si  r'avés-vous  deus  avantaiges* 
Moult  grans  à  sauver  vos  lignaiges  ; 
Se  le  tiers*  estre  ne  volés, 
Moult  avés  les  sens  afolés*. 
Si  n'avés  c'un  sol  nuisement*, 
Desl'endés-vous  proeusement*  : 
D'une  part  iestes  assailli, 
Trois  champions  sunt  moult  failli, 
Et  bien  ont  déservi*  à  batre, 
S'il  ne  puéent  le  quart*  abatre. 
Trois  serors  sunt,  se  n'el  savés ,  . 
Dont  les  deus  à  secors  avés  : 
La  tierce*  solement  vous  griève, 
Qui  toutes  les  vies  abriève*. 
Sachiés  que  moult  vous  réconforte 
Eloto,  qui  la  quenoille  porte, 
Et  Lachesis  qui  les  filz  tire; 
Mes  Atropos  ront  et  descire 
Quanque*  ces  deus  puéent  filer. 
Atropos  vous  bée  à  guiler*. 
Ceste  qui  parfont  ne  lorra, 
Tous  vos  lignages  enforra*, 
Et  vait  espiaut  vous-méismes  : 
One  pire  beste  ne  véismes, 
N'avés  nul  anemi  greignor*. 
Seignor,  merci,  merci,  seignor; 
Souviengne-vous  de  vos  bous  pères 
Et  de  vos  ancienes  mères; 
Selonc  lor  faiz  les  vos  ligniés*, 


*  -4insi  vous  avez  de  votre 
côte. 

*  Si  le  troisième. 

*  Blessés. 

"  Qu'une  seule  chose  nui- 
sible. 

*  En  preux. 


*  Mérité. 

*  Peuvent  le  quatrième. 


*  La  troisième. 
Abrèije. 


*  Ce  que. 

*  Aspire  à  vous  tromper, 


*  Enfouira . 


Plus  grand. 


* Conforme:. 


288 


LE  ROMAN 


Gardés  que  vous  ne  forligniés. 
Qu'ont-il  fait,  prenés-vous-i  garde? 
S'il  est  qui  lor  proèce  esgarde, 
Il  se  sunt  si  bien  desfend u, 
Qu'il  vous  ont  cest  estre  rendu  ; 
Se  ne  fust  lor  chevalerie, 
Vous  ne  fussiés  pas  or*  en  vie. 
Moult  orent  de  vous  grant  pitié 
Par  amors  et  par  amitié. 
Pensés  des  autres  qui  vendront*, 
Qui  vos  lignages  maintendront  ; 
Ne  vous  lessiés  pas  desconiire  : 
Grefes  avés,  pensés  d'eserire  ; 
M'aies  pas  les  bras  emmoflés*. 
Martelés,  forgiés  et  soflés, 
Aidiés  Cloto  et  Lachesis, 
Si  (pie,  se  des  filz  cope  sis 
Atropos  qui  tant  est  vilaine, 
Il  euressaille*  une  douzaine. 
Pensés  de  vous  monteplier  : 
Si  porrés  ainsi  ne  concilier* 
La  félonesse  *,  la  revesche 
Atropos,  qui  tout  empéesche. 

Geste  lasse,  ceste  chetive, 
Qui  contre  les  vies  estrive*, 
Et  des  mors  a  le  cuer  si  baut*, 
Norrist  Cerbérus  le  ribaut 
Qui  tant  désire  lor  morie*, 
Qu'il  en  frit  tout  de  lécherie*, 
Et  de  fain  erragié  *  morust , 
Se  la  garce  n'el  secorust. 
Car  s'el  ne  fust,  il  ne  péust 
James  trover  qui  le  péust*. 
Ceste  de  li  pestre  ne  cesse; 
Et  por  ce  que  soef  *  le  presse, 


*  Maintenant. 


tiendront. 


Gaules. 


Resorte. 

*  Attraper. 

*  La  cruelle. 


*  Lutte. 

*  Joyeux. 

*  Perte,  dommage, 

*  Convoitise. 
Enragé. 


kLe  repût. 


Doucement. 


(v.    207Î9.J 


DE   LA   ROSE. 


289 


Cis  mastins  li  pent  as  mameles 

Qu'el  a  tribles,  non  pas  jumelés. 

Ses  trois  groins  en  son  sain  li  muce*, 

Et  la  groignoie  et  tire  et  suce. 

N'onc  ne  fu,  ne  jà  n'iert*  sevrés, 

Si  ne  quiert-il*  estre  abevrés 

D'autre  let,  ne  ne  li  demande 

Estre  péus  d'autre  viande*, 

Fors  solement  de  cors  et  d'ames  ; 

Et  el  li  giete  hommes  et  famés 

A  monciaus  en  sa  trible  geule. 

Ceste-là  li  pest  toute  seule, 

Et  tous  jors  emplir  la  li  cuide*  ; 

Mes  el  la  trueve  tous  jors  vuide, 

Combien  que  de  l'emplir  se  paine. 

De  son  relief*  sunt  en  grant  paine 

Les  trois  ribaudes  felonesses, 

Des  félonies  vengeresses , 

Alecto  et  Tbesiphoné, 

Car  de  chascuue  le  non  é. 

La  tierce  r'a*  non  Megera, 

Qui  tous,  s'el  puet,  vous  mengera. 

Ces  trois  en  enfer  vous  atendent; 

Ceus  lient,  bâtent,  fustent*,  pendent, 

Hurtent,  hercent*,  escorchent,  foulent, 

Soient,  ardent,  greillent  et  boulent*, 

Devant  les  trois  prévoz  léans* 

En  plain  consistoire  séans, 

Ceus  qui  firent  les  félonies 

Quant  il  orent  es*  cors  les  vies. 

Cil  par  lor  tribulacions 

Escorcent*  les  confessions 

De  tous  les  maus  qu'il  onques  firent 

Dès  icele  ore*  qu'il  nasquirent. 

Devant  eus  tous  li  pueples  tremble. 

ROMAN    DE  LA    UOSF..    —   T.    II. 


Caclic. 


Ne  sera . 
Veut-il. 


Nourriture. 


*  Croit,  pense. 


'  De  le  rassasier 


"  La   troisième  a  de  son 
côté. 


Fustigent. 

*  Torturent . 

*  Brûlent,     grillent     et 
bouillent. 

*  Là-dedans. 


'Dans  les. 


Découvrent. 


'Heure. 


9.5 


2«J0 


LE   ROMAN 


Si  sui-ge  trop  coars,  ce  semble, 

Se  ces  prévoz  nomer  ci  n'os*  :  *Je  n'ose. 

C'est  Radamantus  et  Minos, 

Et  le  tiers*  Eacus,  lor  frère.  *  Troisième. 

Jupiter  à  ces  trois  lu  père. 

Cil  trois,  si  cum  l'en  les  renomme, 

Furent  au  siècle*  si  prodomme,  *Dans  le  monde. 

Et  justice  si  bien  maintindrent, 

Que  juges  d'enfer  en  devindrent. 

Tel  guerredon*  lorenrendi  *  Récompense . 

Pluto,  qui  tant  les  atendi, 

Que  les  âmes  des  cors  partirent*,  *  Séparèrent. 

Où  tel  office  déservirent*.  *  Méritèrent. 

Por  Dieu,  seiguor,  que  *  là  u'ailliés,    *  Pow  que. 
Contre  les  vices  batailliés, 
Que  Nature,  nostre  maistresse, 
Me  vint  bui  conter  à  ma  messe. 
Tous  les  me  dist,  onc  puis  ne  sis. 
Vous  eu  troverés  vingt  et  sis 
Plus  nuisans  que  vous  ne  cuidiés*;         *  Pensiez. 
lit  se  vous  estes  bien  vuidiés 
De  l'ordure  de  tous  ces  vices, 
Vous  n'enterrés  jamais  es*  lices  *  Dans  les. 

Des  trois  garces  devant  nommées 
Qui  tant  ont  maies*  renommées,  *  Mauvaises. 

Ne  ne  craindrés  les  jugemeiis 
Des  prévos  plains  de  dampnemens*.        *  Damnations. 
Ces  vices  conter  vous  voldroie, 

Mes  d'outrage  m'entremetroie*  ;  *Je  sortirais  des  bon 

Assés  briefment  les  vous  expose 
Li  jolis  Romans  de  la  Rose  : 
S'il  vous  plaist,  là  les  regardés, 
Por  ce  que  d'ans  miex  *  vous  gardés.      * D'eux  mieux. 

Pensés  de  mener  bone  vie , 
Aut*  ebascuns  embracier  s'amie,  *  Aille. 


(y.  20819.)  DE  LA  ROSE.  291 

Et  son  ami  chascune  embrace , 

Et  baise  et  festoie  et  solace*;  *  Réjouisse. 

Et  loiaument  vous  entr'amés, 

Jà  n'eu  devés  estre  blasmés; 

Et  quant  assés  aurés  joé , 

Si  CUm  ge  VOUS  ai  ci  loé*,  *  Conseillé. 

Pensés  de  vous  bien  con fessier 

Por  bien  faire  et  por  mal  lessier, 

Et  réclamés  le  Roi  célestre 

Que  Nature  réclame  à  mestre. 

Cil  en  la  fin  vous  secorra, 

Quant  Atropos  vous  enforra*  :  *  Enfouira. 

Cil  est  salus  de  cors  et  d'ame, 

C'est  li  biaus  miroers  ma  dame  ; 

Jà  ma  dame  riens  ne  séust, 

Si  ce  bel  miroer  n'éust. 

Cil  la  governe,  cil  la  rieule*,  *  Règle. 

Ma  dame  n'a  point  d'autre  rieule  ; 

Quanqu'ele  set*,  il  li  aprist  *Tout  ce  qu'elle  sait. 

Quant  à  la  ebamberière  la  prist. 

Or  voil*,  seignor,  que  ce  sermon  *  Maintenant  je  veux. 

Mot  à  mot,  si  cum*  vous  sermon,  "Ainsi  que  je. 

Et  ma  dame  ainsinc  le  vous  mande, 

Que  ebascuns  si  bien  i  entende , 

(Car  l'en  n'a  pas  tous  jors  son  livre, 

Si  r'est*  uns  grans  anuis  d'escrivre,)       *  Et  c'est. 

Que  tout  par  cuer  les  retengniés, 

Si  qu'en  quel  leu  que  vous  vengniés, 

Par  bors*,  par  chastiaus,  par  cités  * Bourys. 

Et  par  viles,  les  récités, 

Et  par  iver  et  par  esté  , 

A  ceus  qui  ci  n'ont  pas  esté. 

Bon  fait  retenir  la  parole, 

Quant  ele  vient  de  bone  escole, 

Et  meillor  la  fait  raconter; 


292 


LE   ROMAN 


Moult  en  puet-1'en  en  pris*  monter. 
Ma  parole  est  moult  vertueuse*, 
Ele  est  cent  tans*  plus  précieuse 
Que  saphirs,  rubis  ue  balai. 
Biaus  seignor,  ma  dame  en  sa  lai* 
A  bien  mestier  *  de  presehéors 
Por  chastier*  les  péchéors 
Qui  de  ses  rigles  se  desvoient*, 
Que  tenir  et  garder  devroient. 
Et  se  vous  ainsinc  préeschiés, 
Jà  ue  serés  empéeschiés, 
Selonc  mou  dit  et  mon  acort, 
Mes*  que  le  fait  au  dit  s'acort, 
D'entrer  ou  parc  du  champ  joli 
Où  ses  brebis  conduit  o  li*, 
Saillant*  devant  par  les  hcrbis , 
Le  fiz  de  la  Virge  berbis, 
O  toute*  sa  blanche  toison, 
Eu  prez  où,  non  pas  à  foison, 
Mes  à  compaignie  escherie*, 
Par  l'estroite  sente  série* 
Qui  toute  est  florie  et  herbue, 
Tant  est  poi  marchie  et  batue, 
S'en  vont  les  berbietes*  blanches, 
Bestes  débonaires  et  franches, 
Qui  l'erbete  broutent  et  paissent 
Et  les  floretes  qui  là  naissent. 
Mes  sachiés  qu'il  ont  là  pasture 
De  si  vertueuse  nature*, 
Que  les  délitables*  floretes 
Qui  là  naissent  fresches  et  netes, 
Que  euillent  ou  printens  puceles, 
Tant  sunt  fresches,  tant  suut  noveles, 
Cum  esteles*  reflamboians 
Par  les  herbetes  verdoians 


(V.    2085';. 

*  Valeur. 

'A  beaucoup  de  vertus. 

*  Fois. 

*Loi. 

*  Besoin. 

*  Enseigner. 
* S'éloignent. 


*  Pourvu. 

*  Avec  lui. 

*  Sautant. 

*  Avec. 

*  En  petit  nombre. 
* Sentier  agréable. 


*  Petites  brebis. 


De  nature  si  bien  douce 
*  Délectables. 


*  Etoiles. 


DE  LA  ROSE. 


293 


Au  matinet  à  la  roiisée, 
Tant  ont  toute  jor  ajornée* 
De  ior  propres  biautés  naïves, 
Fines  coiors,  fresches  et  vives, 
N'i  sunt  pas  au  soir  enviellies, 
Ains  i  pnéeut*  estre  cueilies 
Itex*  le  soir  comme  le  main**, 
Qui  au  cuellir  vuet  mètre  main  ; 
N'el  ne  sunt  point,  sachiés  de  certes, 
Ne  trop  closes  ne  trop  overtes, 
Ains  flamboient  par  les  herbages 
El  meillor  point  de  lor  aages  : 
Car  li  solans  léens*  luisans, 
Qui  ne  lor  est  mie  nuisans, 
Ne  ne  degaste  *  les  rousées 
Dont  el  sunt  toutes  arousées, 
Les  tient  adés*  en  biautés  fines, 
Tant  lor  adoucist  les  racines. 

Si  vous  di  que  les  berbietes* 
Ne  des  herbes  ne  des  fioretes 
James  tant  brouter  ne  porront, 
Cum  tous  jors  brouter. les  voiront*, 
Que  tous  jors  n'es*  voient  renaistre, 
Tant  les  sachent  brouter  ne  paistre. 
Plus  vous  di,  n'el  tenés  à  fables, 
Qu'el  ne  sunt  mie  corrumpables*, 
Combien  que  les  brebis  les  broutent , 
Cui*  les  pastures  rien  ne  coustent; 
Car  lor  piaus  ne  sunt  pas  vendues 
Au  dar renier,  ne  despendues  * 
Lor  toisons  por  faire  dras  langes*, 
Ne  covertoirs  à  gens  estranges*. 
Jà  ne  seront  d'ans  estrangies*, 
Ne  lor  chars*  en  la  fin  mangies, 
Ne  corrompues  ne  maumises*, 


*Jour  levé. 


*  Mais  y  peuvent. 

*  Telles.      **  Matin. 

*  Certainement. 


*  Le  soleil  là-dedans. 
Ni  ne  'j<îte. 

*  Toujours. 

*  Petites  brebis. 

*  Voudront. 

*  Ne  les. 

*  Corruptibles. 
*A  qui. 

*  Dépensées,  employées. 

*  75e  laine. 

*  Étrangers. 

*  Eloignées. 

*  Chairs. 

*  Maltraitées. 

25. 


291  LE  ROMAN  (t.  20021.) 

Ne  de  maladies  sorprises  -, 

Mes  sens  faille  *,  quoi  que  ge  die ,  *  Sans  faute. 

Du  bon  pastor  ne  di-ge  mie 

Qui  devant  soi  paistre  les  maine, 

Qu'il  ne  soit  vestus  de  lor  laine. 

Si  n'es*  despoillc-il  ne  ne  plume,  *  il  ne  les. 

Ne  lor  toit*  le  pois  d'une  plume  ;  *  Ni  ne  leur  enlève. 

Mes  il  li  plest  et  bon  li  semble 
Que  sa  robe  la  lor  resemble. 

Plus  dirai,  mes*  ne  vous  anuit,  "Pourvu  que. 

Conques  n'i  virent  nestre  nuit. 
Si  n'ont-il  qu'un  jor  solement; 

Mes  il  n'a  point  d'avespremeut*,  *  Chute  du  jour. 

Ne  matin  n'i  puet  commencier, 
Tant  se  sache  l'aube  avancier  : 
Car  li  soirs  au  matin  s'asemble, 
Et  li  matins  le  soir  resemble. 
Autel  *  vous  di  de  chascune  bore  ;  *  De  mime. 

Tous  jors  en  un  moment  demore 

Cis  jors  qui  ne  puet  anuitier*,  *  Sechantj&r  en  nuit. 

Tant  sache  à  li  la  nuit  luitier. 
N'il  n'a  pas  temporel  mesure 
Cis  jors  tant  biaus,  qui  tous  jors  dure 
Et  de  clarté  présente  rit. 
Il  n'a  futur  ne  prétérit  : 
Car  qui  bien  la  vérité  sent, 
ïuit  li  trois  tens  i  sunt  présent, 
Liquex  *  présent  le  jor  compassé;  *  Lequel. 

Mes  ce  n'est  pas  présent  qui  passe 
En  partie  por  détenir*,  "Finir. 

Ne  dont  soit  partie  à  venir. 
N'onc  prétérit  présent  n'i  fu , 
Et  si  vous  redi  que  li  fu- 
Turs  n'i  aura  jamès  présence, 
Tant  est  d'estoble  permanence  ; 


Y.    20959.) 


DE  LA  R03E. 


295 


Car  H  solaus*  resplendissons 

Qui  tous  jors  lor  est  parissans, 
Fait  le  jor  en  un  point  estable, 
Tel  cum  en  printens  pardurable*. 
Si  bel  ne  vit,  ne  si  pur  nus*, 
Néis*  quant  régnoit  Saturnus 
Qui  tenoit  les  dorés  aages, 
Cui*  Jupiter  fist  tant  d'outrages 
Son  filz,  et  tant  le  tormenta, 

Que  les  c li  sousplenta*. 

Mes  certes,  qui  le  voir*  en  conte, 
Moult  fait  à  prodomme*  grant  honte 
Et  grant  damage,  qui  l'escoille, 

Car  qui  des  c le  despoille, 

Jà  soit  ce  néis  que*  ge  taise 

Sa  grant  honte  et  sa  grant  mésaise, 

Au  mains  de  ce  ne  dout-ge  mie, 

Li  tolt-il*  l'amor  de  s'amie, 

Jà  si  bien  n'iert*  à  li  liés; 

Ou  s'il  iert  espoir*  mariés, 

Puis  que  si  mal  va  ses  affaires, 

Pert-il,  jà  tant  n'iert  débonaires, 

L'amor  de  sa  loial  moillier*  (1). 

Grans  péchiés  est  d'omme  escoillier, 

Ensorquetout*  cil  qui  l'escoille 


'  Le  soleil. 


*  Eternel. 
*Nul. 

*  Même. 

*A  qui. 

*Enleva. 

*  Le  vrai. 

*  Brave  homme. 


:  Quoique  même. 


*  Lui  ravit-il. 

*  Quelque  bien  qu'il  soit. 

*  Était  peut-être. 


*  Sa  Jemme  légitime. 


*  Surtout. 


(1)  Telle  est  la  morale  d'un  fabliau  (du  Pescheor  de  Pont-seur-Saine) 
publié  dans  le  recueil  de  Méon,  t.  III,  p.  471-478.  Le  trouvère  termine 
ainsi  : 

Je  di  en  la  fin  de  mon  conte 

Que  s'une  famé  avoit  un  conle 

Le  plus  bel  et  le  plus  adroit 

Et  le  plus  alosé*  qui  soit,  "Fameux. 

Et  fust  chevaliers  de  sa  main 

Meillor  c'onques  ne  fu  Gavain, 

Por  tant  que  il  fust  escoillié, 

Tost  le  voudroit  avoir  cbangfé 

Au  pior*  de  tout  son  ostel,  etc.  *  Contre  le  pire. 


296  LE   ROMAN  (v.  209S4. 

Ne  Ii  toit*  pas  sens  plus  la  c (I),  *  Enlève. 

Ne  s'amie  que  tant  a  chière , 

Dont  jamès  n'aura  bêle  chière*;  *  Figure,  mine. 

Ne  sa  moillier,  car  c'est  du  mains; 

Mes  hardement  et  muers*  humains  *  Hardiesse  et  mœurs. 

Qui  doivent  estre  es*  vaillans  hommes  :  *Dan$  les. 

Car  escoilliés,  certain  en  sommes, 

SlUlt  COarS,  pervers  et  chenillS*,  *  De  la  nature  des  chiens. 

Por  ce  qu'il  ont  muers  fémenins. 

Nus  escoilliés  certainement 

N'a  point  en  soi  de  hardement, 

Se  n'est  espoir*  en  aucun  vice,  *Si  ce  n'est  peut-être. 

Por  faire  aucune  grant  malice  • 

Car  à  l'aire  grans  déablies  *  'Diablerie*. 

Sunt  toutes  famés  trop  hardies. 

Escoillié  en  ce  les  resemblent, 

Por  ce  que  lor  muers  s'entresemhlent; 

Ensorquetout*  li  escoillières,  'Surtout. 

Tout  ne  soit-il  murtriers  ne  lierres* .       *  Larron. 


(I)  Je  n'ai  trouvé  ces  vers  que  dans  un  manuscrit  portant  la  date 
de  1330: 

Si  m'aïst*  Dicx  et  saint  Yvurtre,  'Que  m'aide. 

Je  le  prise  poi  mains  de  *  tnurlre  :  *  Peu  moins  que. 

Carcis  n'ocisi  qu'une  persone 
D'un  cop  mortel,  qui  plus  n'en  donc  : 

Mrs  li  fel  *  qui  les  c trenche,  *  Le  cruel. 

L'engendremenl  d'enfans  estenche*,        *  Arrête. 

jidiii  les  anus  sunt  si  perdues 

Que  ne  puéent*  estre  rendues  *  Peuvent. 

Ne  par  miracle  ne  par  pêne. 

Ceste  perte  est  par  trop  \ilene, 

li  est  si  vilainne  l'injure, 

Que  tant  cum  li  escoilliés  dure, 

Tousjors  mes  procurra  haine 

\u  massecrier  et  ataïne  *,  *  Rancune. 

Ne  ne  puel  de  cuer  pardoner, 

Vins  désire  gerredoner*  :  *  Bécompenser,  revaloir. 

Si  l'estuet  *  en  péchié  inorir,  *  Et  il  luijaut. 

Et  en  enfer  l'ame  corir. 

(MÉOH.) 


(v.  21003.)  DE  LA    ROSE.  297 

Ne  n'ait  fait  nul  mortel  péchié, 

Au  mains  a-il  de  tant  péchié  , 

Qu'il  a  fait  grant  tort  à  Nature 

De  li  tolir  s'cngendréure*.  * De  '»'  ravir  sa  faculté 

d'engendrer. 
Nus  escuser  ne  1  en  sauroit, 

Jà  si  bien  pensé  n'i  auroit, 

Au  mains  ge*;  car  se  g'i  pensoie,  *Au  moins  moi. 

Et  la  vérité  recensoie , 

Ains*  porroie  ma  langue  user,  *  Auparavant. 

Que  l'escoilleor  escuser 

De  tel  péchié,  de  tel  forfait, 

Tant  a  vers  Nature  forfait. 

Mes  quelcunques  péchiés  ce  soit, 

Jupiter  force  n'i  faisoit, 

Mes*  que,  sens  plus,  a  ce  venist  *  sinon. 

Que  le  règne*  en  sa  main  tenist.  *  Royaume. 

Et  quant  il  fu  rois  devenus, 

Et  sires  du  monde  tenus, 

Si  bailla  ses  commandemens, 

Ses  lois,  ses  establissemens  ; 

Et  fist  tantost  tout  à  délivre*,  *Tout  de  suite. 

Por  les  gens  enseiguier  à  vivre , 

Son  ban  crier  en  audience, 

Dont  ge  vous  dirai  la  sentence. 


Comment  Jupiter  fist  preschier 
Que  chascun  ce  qu'a  voit  plus  chier 
Prenist,  et  en  fist  à  son  gré 
Du  tout  e'  à  sa  voulenté. 


Jupiter,  qui  le  monde  règle, 

Commande  et  establit  pour  règle, 

Que  chascuns  pense  d'estre  aaise  ; 

Et  s'il  set  chose  qui  li  plaise, 

Qu'il  la  face,  s'il  la  puet  faire, 

Por  solas*  à  son  cuer  atraire**.  *joie.     **  Attirer, 


298 


LE  ROMAN 


21033. 


Onc  autrement  ne  sermona , 
Communément  abandona 
Que  chascuns  endroit  soi*  féist 
Quanque  délitable*  véist  . 
Car  déliz,  si  cum*  il  disoit, 
Est  la  meillor  chose  qui  soit, 
Et  li  soverains  biens  en  vie, 
Dont  chascuns  doit  avoir  envie; 
Et  por  ce  que  tuit  l'ensivissent*, 
Et  qu'il  à  ses  euvres  préissent 
Exemple  de  vivre,  f.iisoit 
A  son  cors  quanqu'il*  li  plaisoit 
Dans*  Jupiter  li  renvoisiés**, 
Par  qui  délis  iert  tant  proisiés*. 
Et  si  cum*  dist  en  Géorgiques 
Cil  qui  nous  escrit  Bucoliques, 
(Car  es  livres  grégois*  trova 
Comment  Jupiter  se  prova) 
Avant  que  Jupiter  veuist*, 
N'ert  bons*  qui  charue  teuist**; 
Nus  n'avoit  onques  champ  are*, 
Ne  cerfoï*  ne  réparé. 
N'onques  n'avoit  assise  bonne*. 
La  simple  gent  paisible  et  bonne 
Communaument  eutr'eus  quéroient 
Les  biens  qui  de  lor  gré  venoient. 
Cil  commanda  partir*  la  terre, 
Dont  nus*  sa  part  ne  savoit  querrc, 
Et  la  devisa  par  arpens. 
Cil  mist  le  venin  es*  serpens  ; 
Cil  aprist  les  leus*  à  ravir, 
Tant  fist  malice  en  haut  gravir; 
Cil  les  fresnes  miéleus*  trencha, 
Les  ruissiaus  vivens  estancha  ; 
Cil  fist  par  tout  le  feu  estaindre. 


*  Quant  à  lui. 

*  Ce  que  délectable. 

*  Plaisir,  ainsi  que. 


*  Le  suivissent. 


*  Ce  qu'il. 

*  Seigneur.     **  Réjoui. 

*  Etait  tant  prisé. 

*  Et  ainsi  que. 

*  Dans  les  Unes  grecs. 

*  fini. 

*  N'était  homme.  **7V»/. 

*  Labouré. 

'  Remué  avec  la  serfouet- 
te. 

"  Home. 


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'Nul. 

*  Bans  les. 

*  Loups. 

*  Qui  portaient  du  miel. 


(t.    2I0G8.) 


DE  LA   ROSE. 


299 


(Tautsemilla  *  porgensdestraindre**  !) 
Et  le  lor  fist  quérir  es  pierres, 
Tant  fu  soutis*  et  baretierres**. 
Cist  fist  diverses  ars  noveles, 
Cil  mist  noos  et  numbre  es  esteles*  ; 
Cil  gluz  et  laz  et  rois*  fist  tendre 
Por  les  sauvages  bestes  prendre, 
Et  lor  huia*  les  chiens  premiers, 
Dont  nus  n'iert  avant*  coustumiers. 
Cil  donta  les  oisiaus  de  proie 
Par  malice  qui  gens  asproie*  ; 
Assaut  mist,  haine  et  batailles 
Entre  esperviers,  perdris  et  cailles, 
Et  fist  tornoiement  es  *  nues 
D'ostoirs*,  de  faucons  et  de  grues, 
Et  les  fist  au  loirre*  venir  ; 
Et  por  lor  grâce  retenir, 
Qu'il  retornassent  à  sa  main, 
Les  put-il  au  soir  et  au  main*. 
Ainsinc  tant  fist  li  damoisiaus, 
Est  boas  sers*  as  félons  oisiaus, 
Et  s'est  en  lor  servage  mis 
Por  ce  qu'il  iereut*  auemis, 
Comme  ravisséors  orribles 
As  autres  oisillons  paisibles, 
Qu'il  ne  puet  par  l'air  aconsivre*; 
îse  sens  lor  char*  ne  voloit  vivre, 
Ains  en  voloit  estre  mangierres , 
Tant  ert  délicieus  léchierres*, 
Tant  ot  les  volatiles  chières. 
Cil  mist  les  furez  es*  tenières, 
Et  fist  les  eonnins*  assaillir 
Por  eus  faire  es  roisiaus  saillir*. 
Cil  fist,  tant  par  ot  son  cors  chier  * , 
Eschauder,  rostir,  escorchier, 


*  Se  remua.     **  Tourmen- 
ter. 

*  Subtil.       **  Trompeur. 


Aux  étoiles. 

"Celui-là  glus   et  lacs  et 
rets. 


*  Siffla. 

*Nûln'étaii  auparuvant. 

*  Tourmente. 


*  Dans  les. 

*  D'autours . 

*  Leurre. 


"Matin. 

*  Que  l'homme  est  serf. 

*  Étaient. 


*  Atteindre. 

*  Chair. 

*  Gourmand. 

*  Dans  les. 

*  Lapins. 

*  Dans  les  réseaux  sauter. 

"Tant  il   eut   son    corps 
cher. 


300 


LE  ROMAN 


Les  poissons  de  mer  et  de  flueves, 
Et  fist  les  sauces  toutes  nueves 
D'espices  de  diverses  guises, 
Où  il  a  maintes  herbes  mises 

Ainsinc  sunt  arz  avant  venues  ; 
Car  toutes  choses  sunt  veincues 
Par  travail,  par  povreté  dure, 
Par  quoi  les  gens  sunt  en  grant  cure*  : 
Car  li  mal*  les  engins  esmuevent, 
Par  les  engoisses  qu'il  i  truevent. 
Ainsinc  le  dist  Ovides,  qui 
Ot  assés,  tant  cum  il  vesqui, 
De  bien,  de  mal,  d'onor,  de  honte, 
Si  cum  il-méismes  raconte. 
Briefment,  Jupiter  u'entendi, 
Quant  à  terre  tenir  tendi, 
Fors  muer*  Testât  de  l'empire 
De  bien  en  mal,  de  mal  en  pire. 
Moult  ot  en  li  mal*  justicier  : 
Il  fist  printens  apeticier*, 
Et  mist  Tan  en  quatre  parties. 
Si  cum  el  sunt  ores  parties*, 
Esté,  printens,  autumpne,  yvers, 
Ce  sunt  li  quatre  tens  divers 
Que  tous  printens  tenir  soloit* ; 
Mes  Jupiter  plus  n'el  voloit, 
Qui,  quant  au  règne  s'adreea*, 
Les  aages  d'or  dépeça, 
Et  fist  les  aages  d'argent, 
Qui  puis  furent  d'arain;  car  gent 
Ne  finèrent  puis  d'empiricr, 
Tant  se  voldreut  mal  atirier*. 
Or*  sunt  d'arain  en  fer  changié, 
Tant  ont  lor  estât  estrangié*, 
Dont  moult  sunt  liez*  li  die\  des  sales 


Soin,  souri. 
'Les  maux. 


"  Si  ce  n'est  changer. 

*  Mauvais. 

*  Rapetisser. 

"  Maintenant  partagées 


"Avait  coutume. 


*  Parvint  à  la  royauté. 


"Se  voulurent  mal  corn- 
porter. 

*  Maintenant. 

*  Éloigné. 

*  Joyeux. 


(v.    21 138.) 


DE  LA  ROSE. 


301 


Tous  jors  ténébreuses  et  sales, 
Qui  sor  les  hommes  ont  envie, 
Tant  cum  il  les  voient  en  vie. 
Cist  r'ont  en  lor  rais*  atachies, 
Dont  jamès  n'ierent*  relachies, 
Les  noires  berbis  dolereuses, 
Lasses,  cbetives.  morineuses*, 
Qui  ne  voldreut  aler  la  sente* 
Que  li  biaus  aignelés  présente, 
Par  quoi  toutes  fussent  franchies , 
Et  lor  noires  toisons  blanchies, 
Quant  le  graut  chemin  ample  tindrent, 
Par  quoi  là  herbergier  se  viudrent 
A  compaignie  si  planière, 
Qu'el  tenoit  toute  la  charrière*. 
Mes  jà  beste  qui  léens*  aille, 
JVi  portera  toison  qui  vaille, 
Ne  dont  l'en  puist  néis*  drap  faire, 
Se  n'est  aucune  orrible  haire 
Qui  plus  est  aguë  et  poignans*, 
Quant  ele  est  as  costes  joignans, 
Que  ne  seroit  uns  pelicons 
De  piaus  de  velus  hériçons. 
Mes  qui  voldroit  charpir*  la  laine, 
Tant  est  mole  et  soef*  et  plaine, 
Por  qu'il -en  éust  tel  foison 
De  faire  dras  de  la  toison 
Qui  seroit  prinse  es*  blanches  bestes, 
Bien  s'en  vestiroient  as  festes 
Emperéor  ou  roi,  voire  ange, 
S'il  se  vestoieut  de  dras  lange*. 
Por  quoi,  bien  le  poés  savoir, 
Qui  tex*  robes  porroit  avoir, 
Moult  seroit  vestus  noblement  ; 
Et  por  ice  méismement* 


*  Ceux-là  ont  à  leur  tour 
eu   leurs  rets. 
1 '  f\'e  seront. 


*  Malades. 

*  Le  sentier. 


La  route. 

*  Là  dedans. 

*  On  puisse  même. 

*  Piquante. 


*  Carder. 

*  Douce. 


*  Prise  dans  les. 


*  De  laine. 

*  Telles. 

*  Et  pour  cela  de  même. 

2C 


302 


LE  ROiMAN 


(v.    21 173.) 


Les  devroit-1'en  tenir  plus  chières, 
Car  de  tex  *  bestes  n'i  a  guières  ; 
Ne  li  pastors  qui  n'est  pas  nices*, 
Que  le  bestail  garde  et  les  lices 
En  ce  biau  parc,  c'est  chose  voire*, 
Ne  lerroit*  entrer  beste  noire 
Por  riens  qu'en  li  séust  prier, 
Tant  li  plaist  les  blanches  trier, 
Qui  bien  congnoissent  lor  bergier  : 
Por  ce  vont  o  li  *  herbergier, 
Et  bien  sunt  par  li  congnéues , 
Par  quoi  miex  en  sunt  recéues. 

Si  vous  di  que  li  plus  piteus*, 
Li  plus  biaus,  li  plus  déliteus* 
De  toutes  les  bestes  vaillans , 
C'est  li  blans  aignelés  saillans*, 
Qui  les  berbis  ou  parc  amaine 
Par  son  travail  et  par  sa  paine  : 
Car  bien  set,  se  nule  en  desvoie  *, 
Que  li  leus*  solemcnt  la  voie , 
Qui  nule  autre  chose  ne  trace* 
Ne  mes  qu'ele  isse*  de  la  trace 
A  l'aignel  qui  mener  les  pense, 
Qu'il  l'emportera  sens  desfense, 
Et  la  mengera  toute  vive  ; 
Ne  l'en  puet  garder  riens  qui  vive. 
Seignor,  cis  aiguiaus  vous  atent. 
Mes  de  li  nous  tairons  atant*, 
Fors*  que  nous  prions  Dieu  le  Père 
Qu'il,  par  la  requeste  sa  mère, 
Li  doint*  si  les  berbis  conduire, 
Que  li  leus  ne  lor  puisse  nuire  ; 
Et  que  par  péchié  ne  faillies 
Que  joer  en  ce  parc  n'aillics, 
Qui  tant  est  biaus  et  délitables*, 


*  Telles. 
'"Simple. 

*  fraie. 

*  Laisserait. 


''Avec  lai. 


*  Compatissait! 

*  Délicieux. 

*  Sautant. 


'Sort  de  la  voie. 

*  Le  loup. 

*  Cherche. 

*  Si  ce  n'est  qu'elle  sorte. 


"  Maintenant. 
'  Si  ce  n  'est . 


Lui  donne.. 


Dcleclabl-e. 


(v.    21208.) 


DE  LA  ROSE. 


303 


D'erbes,  de  Hors  tant  bien  flerables*,      *  Odorant. 

De  violetes  et  de  roses 

Et  de  trestoutes  bones  choses. 

Car  qui  du  biau  jardin  quarré, 

Clos  au  petit  guichet  barré 

Où  cil  amant  vit  la  karole*, 

Où  Déduit  o*  sa  gent  karole, 

A  cel  biau  parc  que  ge  devise*, 

Tant  par  est  biaus  à  grant  devise*, 

Faire  voldroit  comparaison , 

Il  feroit  trop  grant  mesprison*. 

S'il  ne  la  fait  tele  ou  semblable 

Cum  il  feroit  de  voir*  à  fable  : 

Car  qui  dedens  ce  parc  seroit, 

Aséur  jurer  oseroit, 

Ou  méist,  sens  plus,  Pueil  léans*, 

Que  li  jardins  seroit  néans 

Au  regart*  de  ceste  closture 

Qui  n'est  pas  faite  en  quarréure, 

Ains  est  si  ronde  et  si  soutille*, 

Conques  ne  fu  béril  ne  bille* 

De  forme  si  bien  arrondie. 

Que  volés-vous  que  ge  vous  die? 

Parlons  des  choses  qu'il  vit  lores 

Et  par  dedens  et  par  defores, 

Et  par  briés  moz*  nous  en  passons, 

Por  ce  que  trop  ne  vous  lassons  : 

Il  vit  dix  laides  ymagetes 

Hors  du  jardin,  ce  dit,  portraites. 

Mes  qui  defors  ce  parc  querroit*  , 
Tous  figurés  i  troveroit 
Enfer,  et  trestous  les  déables 
Moult  laiz  et  moult  espoentables, 
Et  tous  défauz  et  tous  outrages*,  *  Excès. 

Qui  font  en  enfer  lor  estages*,  *  Séjours. 


*  Ronde,  danse. 

*  Avec. 

*  Décris. 

*  Souhait. 

*  Faute. 

*  Vérité. 

*  Là  dedans. 

*  Au  prix. 

*  Subtile. 

*  Bâton. 


*  Brefs  mots. 


'Chercherait. 


304 


LE   ROMAN 


V.    21243. 


Et  Cerbérus  qui  tout  enserre. 
Si*  troveroit  toute  la  terre 
O*  ses  richeces  ancienes 
Et  toutes  choses  terrieues; 
Et  verroit  proprement  la  mer, 
Et  tous  poissons  qui  ont  amer, 
Et  trestoutes  choses  marines , 
laues  douces,  troubles  et  liues, 
Et  les  choses  grans  et  menues, 
En  iaues  douces  contenues; 
Et  l'air  et  tous  les  oisillons, 
Et  moschetes*  et  papillons, 
Et  tout  quaoque*  par  l'air  résone; 
Et  le  l'eu  qui  tout  avirone, 
Les  muances  les  teuemens* 
De  tous"  les  autres  élémens. 
Si  verroit  toutes  les  esteles*, 
Clères  et  reluisans  et  bêles, 
Soient  errans,  soient  lîchies*, 
En  lor  espères  estachies*. 
Qui  là  seroit,  toutes  ces  choses 
Verroit  de  ce  biau  parc  encloses, 
Ausinc  apertement*  portraites 
Cum  proprement  aperçut*  faites. 

Or*  au  jardin  nous  en  alons. 
Et  des  choses  dedens  parlons. 
11  vit,  ce  dit,  sor  l'erbe  fresche 
Déduit  qui  demenoit  sa  tresche*, 
Et  ses  gens  o  li  karolans* 
Sor  les  floretes  bien  olans*; 
Et  vit,  ce  dit  li  damoisiaus, 
Herbes,  arbres,  bestes,  oisiaus, 
Et  ruisselez  et  fonteueles 
Bruire  et  frémir  par  les  graveles", 
Et  la  fontaine  sous  le  pin. 


*Et  il. 

*  Avec. 


'  Petites  mouches. 
'  Ce  qui. 


*  Changements,  les  po 
sessions. 


*  Étoiles. 

*  Fixes. 

*  Sphères  liées. 


*  Ouvertement. 

*  Aparaissent. 

*  Maintenant. 


*  Ronde,  danse. 

*  Avec  lui  dansants. 

'Sentant. 


*  Graviers. 


(v.     21-278.) 


DE   LA   ROSE. 


305 


Et  se  vante  que  puis*  Pépin 
Ne  fut  tex"  pins;  et  la  fontaine 
R'estoit*  de  trop  grant  biauté  plaine. 
Por  Dieu,  seignor,  prenés-i  garde, 
Qui  bien  la  vérité  regarde 
Des  choses  ici  contenues, 
Ce  sunt  trufles  et  fanfelues*. 
Ci  n'a  chose  qui  soit  estable, 
Quanqu'il  i  vit  est  corrumpable  *. 
Il  vit  karoles  qui  faillirent, 
Et  faudront  tuit  cil  qui  les  firent; 
Ausinc.  feront  toutes  les  choses 
Qu'il  vit  par  tout  léans*  encloses  : 
Car  la  norrice  Cerbérus, 
A  cui  ne  puet  riens  embler  nus* 
Humains,  que  tout  ne  face  user, 
Quant  el  velt*  de  sa  force  user, 
Et  sens  lasser  tous  jors  en  use 
Atropos,  qui  riens  ne  refuse, 
Par  derrier  tous  les  espiot, 
Fors  les  Dieux ,  se  nus*  en  i  ot  : 
Car  sens  faille  choses  devines 
Ne  sunt  mie  à  la  mort  enclines. 

Mais  or*  parlons  des  bêles  choses 
Qui  sunt  en  ce  biau  parc  encloses. 
Ge  vous  en  di  génétaument, 
Car  taire  m'en  voil  erraumeut*, 
Et  qui  voldroit  à  droit*  aler, 
N'en  sai-ge  proprement  parler  ; 
Car  nus  cuers*  ne  porroit  penser, 
Ne  bouche  d'omme  recenser 
Les  grans  biautés,  les  grans  values 
Des  choses  léans  contenues  ; 
Ne  les  biaus  geus,  ne  les  grans  joies 
Et  pardurables  et  veroies* 


*  Depuis. 

*  Tel.      . 

*  Était  de  son  rôle. 


*  Balivernes  et  fanfrelu- 
ches. 


*  (  e  qu'il  //  vil  est  corrup- 
tible. 


Lu  dedans. 

*  Enlever  nul. 

*  Veut. 

*Si  nul. 

*  Maintenant . 


*  Tout  de  suite. 

*  Régulièrement . 

*  y  ni  cœur. 


*  Eternelles  et  véritables. 
20. 


306 


LE  ROMAN 


Que  li  karoleor*  demainent,  "Danseurs. 

Qui  dedens  la  porprise  mainent*.  *  L'enclos  restent. 

Trestoutes  choses  délitables*,  *  Délectables. 

Et  veroies  el  pardurahles*  "Éternelles. 

Ont  cil  qui  léens*  se  déduisent,  *  Là  dedans. 

Et  bien  est  drois;  car  tous  bien  puisent 

A  méismes  une  fontaine 

Qui  tant  est  précieuse  et  saine, 

Et  bêle  et  clere,  et  nete  et  pure, 

Qui  toute  arrouse  la  closture, 

De  Clli  missel*  les  bestes  boivent  *  De  qui  le  ruisseau. 

Qui  là  vuelent  entrer  et  doivent, 

Quant  des  noires  sunt  désevrées  *  :  "séparées. 

Que  puis  qu'el  en  sunt  abevréts, 

.lamés  soit'  avoir  ne  porront, 

Et  tant  vivront  comme  eus  vorront*       "fondront. 

Sens  estre  malades  ne  mortes. 

De  bone  bore  entrèrent  es*  portes,  "Dans  les. 

De  bone  bore  l'aignelet  virent, 

Que  par  l'estroit  sentier  sivirent 

En  la  garde  au  sage  bergier. 

Qui  les  volt  o  li*  herbergier;  *  Voulut  avec  lui. 

Ne  jamès  nus  bons*  ne  morroit,  * Nul  homme. 

Qui  boivre  une  fois  en  porroit. 

Ce  n'est  pas  celé  desouz  l'arbre, 

Qu'il  vit  en  la  pierre  de  marbre; 

L'en  li  devroit  faire  la  moe, 

Quant  il  celé  fontaine  loe. 

C'est  la  fontaine  périlleuse, 

Taut  arrière  et  tant  venimeuse; 

Qu'el  tua  le  bel  Narcisus, 

Quant  il  se  miroit  iqui  sus*.  *  Ici  dessus. 

Il-méismes  n'a  pas  vergoigne 

De  recougnoistre,  ains  le  tcsmoigne , 

Et  sa  cruelté  pas  ne  cèle, 


(y.    2I3JS.) 


DE  LA  ROSE. 


307 


Quant  périlleus  miroir  l'apèle, 
Et  dit  que  quant  il  s'i  mira, 
Maintes  fois  puis  eu  sospira, 
Tant  s'i  trova  grief*  et  pesant. 
Vez*  quel  douçor  en  l'iaue  sent! 
Diex!  cum  bone  fontaine  et  sade% 
Où  li  sain  devienent  malade, 
Et  cum  il  s'i  fait  bon  virer 
Por  soi  dedens  l'iaue  mirer! 
Ele  sourt,  ce  dit,  à  grans  ondes 
Par  deus  doiz*  crueses  et  parfondes; 
Mes  el  n'a  mie,  bien  le  soi*, 
Ses  doiz  ne  ses  iaues  de  soi. 
N'est  mile  cbose  qu'ele  tiengne, 
Que  trestout  d'aillors  ne  li  viengne; 
Puis  si  redit  que  c'est  sens  fin, 
Qu'ele  est  plus  clère  qu'argent  fin. 
Vez  de  que\  trufes*  il  vous  plaide; 
Ains  est  voir*  si  troble  et  si  laide, 
Que  chascuns  qui  sa  teste  i  boule 
Por  soi  mirer,  il  n'i  voit  goûte. 
Tuits'i  forsèneut  et  s'angoissent*, 
Por  ce  que  point  ne  s'i  conguoissent. 
Au  fons,  ce  dist,  a*  cristaux  doubles, 
Que  li  solaus* ,  qui  n'est  pas  troubles, 
Fait  luire  quant  ses  rais*  i  giete, 
Si  cler  que  cis  qui  les  aguiete* 
Voit  tous  jors  la  moitié  des  cboses 
Qui  sunt  en  cel  jardin  encloses; 
Et  puet  le  remanant*  véoir, 
S'il  se  vuet  d'autre  part  seoir  : 
Tant  sunt  clers,  tant  sunt  vertueus*. 
Certes  ains  sunt  troble  et  nueus*. 
Por  quoi  ne  font-il  démonstrance. 
Quant  li  solaus  ses  rais  i  lance, 


*  Désagréable. 

*  t'oyez. 

*  Agréable. 


*  Canaux. 

*  Le  sais. 


*  Balivernes. 

*  Mais  est  vraiment. 


*  Tous  y  perdent  le  sens  et 
se  désolent. 


*  Il  y  a. 

*  Le  soleil. 

*  Rayons. 

*  Celui  qui  les  observe. 


*  Reste. 

"Boucs de  tant  de  vertu. 

*  Nuageux. 


308  LE   ROMAN  (v.  21383.) 

De  toutes  les  choses  ensemble  ? 

Par  foi,  qu'il  ne  puéent*,  ce  semble,        *Car  ils  ne  peuvent. 
Por  l'oscurté  qui  les  obnuble*  ;  *  Cache. 

Qu'il*  sunt  si  troble  et  si  obnuble,  *  Car  ils. 

Qu'il  ne  puéent  par  eus  soffire 
A  celi  qui  léans*  se  mire,  *  Là-dedans. 

Quant  lor  clarté  d'aillors  aquièrent. 
Se  li  rai  du  soleil  n'i  lièrent*,  *  Frappent. 

Si  qu'il  les  puissent  encontrer, 
Il  n'ont  pooir  de  riens  monstrer; 
Mes  celé  que  ge  vous  devise, 
C'est  fontaine  bêle  à  devise*.  *  A  souhait. 

Or  levés  un  poi  les  oreilles, 
Si  m'en  orrés  dire  merveilles. 
Celé  fontaine  que  j'ai  dite, 
Qui  tant  est  bêle  et  tant  profite 
Por  garir,  tant  est  savorée , 

Trestoute  beste  enlangorée*,  *En  langueur. 

Pvent  tous  jors  par  trois  doiz  sotives*       "Par  trois  canaux  minces. 
Iaues  douces,  clères  et  vives. 

Si  sunt*  si  près  à  près  cbascune,  *  Et  elles  sont. 

Que  toutes  s'asemblent  à  une, 
Si  que  quant  toutes  les  verres, 
Et  une  et  trois  en  troverés, 
Se  volés  au  conter  esbatre, 
Ne  jà  n'en  i  troverés  quatre, 
Mes  tous  jors  trois  et  tous  jors  une  : 
C'est  lor  propriété  commune. 
JN'onc  tel  fontaine  ne  véismes, 
Carelesourt*  de  soi-méismes.  *  Coule. 

Ce  ne  font  mie  autres  fontaines 
Qui  sordent  par  estraûges  vaines. 
Ceste  tout  par  soi  se  conduit, 
N'a  mestier*  d'estrange  conduit,  "Besoin. 

VA  se  tient  en  soi  toute  vive, 


(v.  2I4I8.)  DE  LA  ROSE.  309 

Plus  ferme  que  roche  naïve*.  ''Native,  naturelle. 

N'a  mestier*  de  pierre  de  marbre,  *  Besoin. 

Ne  d'avoir  coverture  d'arbre  ; 

Car  d'une  sorce  vient  si  haute 

L'eve,  qu'el  ne  puet  faire  faute, 

Qu'arbre  ne  puet  si  haut  ataindre, 

Que  sa  hautece  ne  soit  graindre*,  *  Plus  grande. 

Fors  que  sens  faille*  en  un  pendant,       *  sinon  que  sans  foute. 

Si  cnm  el  *  s'en  vient  descendant.  *  Ainsi  qu'elle. 

Là  trueve  une  olivete  basse, 

Souz  qui  toute  l'iaue  s'en  passe; 

Et  quant  l'olivete  petite 

Sent  la  fontaine  que  j'ai  dite, 

Qui  li  atrempe  ses  racines 

Par  ses  iaues  douces  et  fines  , 

Si  en  prent  tel  norrissement, 

Qu'ele  en  reçoit  acroissement, 

Et  de  foille  et  de  fruit  s'encharge  : 

Si*  devient  si  haute  et  si  large,  *  Et  elle. 

Conques  li  pins  qu'il  vous  conta, 

Si  haut  de  terre  ne  monta, 

Ne  ses  rains*  si  bien  n'estendi ,  *  Rameaux. 

Ne  si  bel  umbre  ne  rendi. 

Ceste  olive  tout  en  estant*,  *Cet  olivier  debout. 

Ses  rains  sor  la  fontaine  estant. 

Ainsinc  la  fontaine  s'enumbre*,  *S'omb?-age. 

Et  par  le  roisant*  du  bel  umbre  *  Attrait. 

Les  besteletes  là  se  mucent*  * Cachent. 

Oui  les  douces  rousées  sucent, 

Que  li  dous  ruissiaus  fait  espendre 

Par  les  flors  et  par  l'orbe  tendre. 

Si  pendent  à  l'olive  escrites 

En  un  rolet  letres  petites 

Qui  dient  à  ceus  qui  les  lisent, 

Qui  souz  l'olive  en  l'ombre  gisent  : 


310 


LE  ROMAN 


21453.) 


Ci  cort  la  fontaine  de  vie 
Par  desonz  l'olive  foillie*, 
Qui  porte  le  fruit  de  salu. 
Quiex*  fu  li  pins  qui  l'a  valu? 

Si  vous  di  qu'en  celé  fontaine, 
(Ce  croiront  foies  gens  à  paine, 
Et  le  tendront  plusors  à  fables) 
Luit  uns  charboucles*  merveillables 
Sor  toutes  merveilleuses  pierres, 
Trestous  réons  et  à  trois  quicrres*, 
Et  siet  èmmi*  si  hautement, 
Que  l'en  le  voit  apertement* 
Par  tout  le  parc  reflamboier; 
Ne  ses  rais  ne  puet  desvoier* 
Ne  vensne  pluie  ne  nublece*, 
Tant  est  biaus  et  de  grant  noblece. 
Et  sachiés  que  chascune  quierre, 
(Tex  est  la  vertu  de  la  pierre,) 
Vaut  autant  cum  les  autres  deus  : 
ïex*  sunt  entr'eus  les  forces  d'eus. 
Ne  les  deus  ne  valent  que  celé, 
Combien  que  chascune  soit  bêle; 
Ne  nus*  ne  les  puet  deviser**, 
Tant  les  sache  bien  aviser, 
Ne  si  joindre  par  avisées, 
Qu'il  ne  les  truisse*  devisées. 
Mes  nus  solaus*  ne  l'enlumine, 
Qu'il  est  d'une  color  si  fine, 
Si  clers  et  si  resplendissans , 
Que  li  solaus  esclarcissans 
En  l'autre  iaue  les  cristaus  doubles, 
Lès  li*  seroit  oscurs  et  troubles. 

Briément,  que  vous  en  conteroie  ? 
Autres  solaus  léans  ne  roie* 
Que  cil  charboucles  flamboians; 


*  Fettilhe. 


'  Quel. 


*  Une  escarbouclc. 

*  Angles. 

*  Au  milieu. 

*  Ouvertement. 


*  \  /  ses  rayons  ne  peut 
égarer. 

*  Mltaye. 


*  Telles. 


'Si  nul.      **  Décrire. 


*  Trouve  (subj.). 
* Nul  soleil. 


Près  de  lui. 


*  Rayonne. 


(v.    21488. 


DE   LA   ROSE. 


311 


C'est  li  solaus  qu'il  ont  léans, 

Qui  plus  de  resplendor  habonde 

Que  nus  solaus  qui  soit  ou  monde. 

Cis  la  nuit  en  essil  envoie, 

Cis  fait  le  jor  que  dit  avoie 

Qui  dure  pardurablement*  *  Éternellement. 

Sens  fin  et  sens  commencement, 

Et  se  tient  en  un  point  de  gré, 

Sens  passer  signe  ne  degré, 

Ne  minuit  ne  quelque  partie 

Par  quoi  puisse  estre  ore*  partie.  "Maintenant. 

Si  r'a*  si  merveilleus  pooir,  *  Et  il  a  encore. 

Que  cil  qui  là  le  vont  véoir, 

Si  tost  cum  celé  part  se  virent, 

Et  lor  face  en  l'iaue  remirent, 

Tous  jors  de  quelque  part  qu'il  soient, 

Toutes  les  cboses  du  parc  voient, 

Et  les  congnoissent  proprement , 

Et  cus-méismes  ensement*  ; 

Et  puis  *  que  là  se  sunt  véu  , 

Tamès  ne  seront  décéu 

De  nule  chose  qui  puist*  estre, 

Tant  i  devienent  sage  mestre. 

Autres  merveilles  vous  dirai  : 
Que  de  cesti  soleil  li  rai 
Ne  troublent  pas,  ne  ne  retardent 
Les  ieux  de  ceus  qui  les  regardent, 
Ne  ne  les  font  essaboïr*, 
Mes  enforcier  et  resjoïr, 
Et  ravigorer  lor  véue 
Por  la  bêle  clarté  véue 
Plaine  d'atrempée*  chalor, 
Qui  par  merveilleuse  valor 
Tout  le  parc  d'odor  replenist*  *  Remplit. 

Par  la  grant  docoi-  qui  en  ist*.  'Sort. 


*  Pareillement. 

*  Dejmis. 

*  Puisse. 


Eblouir. 


' De  tempérée. 


312 


LE   ROMAN 


(v.    21523.) 


Raisonnables. 


'  Lequel  est  de  plus  qran 
de. 


Et  por  ce  que  trop  ne  vous  tiengne, 

D'un briefmotvoil* qu'il  voussoviengne,  *Je  veux. 

Que  qui  la  forme  et  la  matire 

Du  parc  verroit,  bien  porroit  dire 

Conques  en  si  bel  paradis 

Ne  lu  formés  Adans  jadis. 

Por  Dieu,  seignor,  donc  que  vous  semble 
Du  parc  et  du  jardin  ensemble? 
Donés-en  resnables*  sentences 
Et  d'accidens  et  de  sustances  : 
Dites  par  vostre  loiauté 
Liquex  est  de  grignor*  biauté, 
Et  regardés  des  deux  fontaines 
Laquele  rent  iaues  plus  saines, 
Plus  vertueuses  et  plus  pures, 
Et  des  dois*  jugiés  les  natures, 
Jugiés  des  pierres  précieuses 
Lesqueles  suntplus  vertueuses; 
Et  puis  du  pin  et  de  l'olive* 
Qui  cuevre  la  fontaine  vive. 
Je  m'en  tieng  à  vos  jugemens, 
Se  vous,  selonc  les  erremens 
Que  léus  vous  ai  eà-arrière, 
Donés  sentence  droiturière*  :  *  Équitable. 

Car  bien  vous  di  sens  flaterie, 
Haut  et  bas  ne  m'i  met-ge  mie  ; 
Car  se  tort  i  voliés  faire, 
Dire  faus,  ou  vérité  taire, 

Tantost,  jà  vous  n'el  quier*  celer,  *./<?  ne  le  vous  veux. 

Aillors  en  vodroie  apeler. 
Et  por  nous  plus  tost  acorder, 

Ge  vous  voil  briel'ment  recorder*,  *  Rappeler,  raconter. 

Selonc  ce  que  vous  ai  conté, 
Lor  grant  vertu,  lor  grant  bonté  : 
Celé  les  viz*  de  mort  enivre;  *Fivani$. 


*  Canaux. 


L'olivier. 


(v.  21553.)  DE  LA  ROSE.  313 

Mes  ceste  fct  de  mort  revivre. 

Seignor,  sachiés  certainement, 
Se  vous  vous  menés  sagement 
Et  fêtes  ce  que  vous  devrés, 
De  ceste  fontaine  bevrés*.  *  Boirez. 

Et  por  tout  mon  enseignement 
Retenir  plus  Iégièrement, 

(Car  leçon  à  briez  moz*  léue  *  En  peu  de  mois. 

Plus  est  de  légier  retenue) 

Ge  vous  voil  ci  briément*  retraire  * Brièvement. 

Trestotit  quanque*  vous  devés  faire.       *Tout  ce  que. 

Pensés  de  Nature  honorer, 
Servés-la  par  bien  laborer*.  *  Travailler. 

Mes  comment  que  la  chose  aviengne, 
De  raison  vueil*  qu'il  vous  soviengne;     *  Je  veux. 
Et  se  de  l'autrui  riens  avés, 
Pvendez-le,  se  vous  le  savés; 
Et  se  vous  rendre  ne  poés  *  *  Pouvez. 

Les  biens  despendus*  ou  joés,  *  Dépensés. 

Aies  en  bone  volenté, 

Quant  des  biens  aurés  à  plenté*.  *  En  abondance. 

D'occision  nus*  ne  s'aprouche,  *  De  tuerie  nul. 

PvTetes  aies  et  mains  et  bouche; 

Soies  loial,  SOl'és  piteuS*  :  *  Compatissant. 

Lors  irés  ou  champ  déliteus*  *  Délicieux. 

Par  trace  l'aiguelet  sivant 

lui  pardurableté*  vivant,  *  Éternité. 

Boivre  de  la  bêle  fontaine 

Qui  tant  est  doce  et  elère  et  saine, 

Que  jamès  mort  ne  recevrés , 

Si  tost  cum  de  l'iaue  bevrés; 

Aias  irés  par  joliveté*  *6alté. 

Chantant  en  pardurableté 

Motez,  conduis  *  et  chançonetes ,  *  Espèce  de  poésie. 

Par  l'erbe  vert  sor  les  floretes, 


314 


LE  ROMAN 


(y.    21593. 


Souz  l'olivete  karolant*. 
Que  vous  voi-ge  ci  flajolant? 
Drois  est  que  mon  frestel  estuie*, 
Car  biaus  chanter  sovent  ennuie; 
Trop  vous  porroie  huimès*  tenir, 
Ci  vous  voir  mon  sermon  fenir  : 
Or  i  perra*  que  vous  ferés, 
Quant  en  haut  encroé*  serés 
Por  préeschier  sus  la  bretesche*. 


*  Dansant. 

Mojt  flajolet  (je)  serre. 

*.  tujourd'hui,     mainte- 
nant. 

*  feux. 

*  Maintenant  il  paraîtra. 

*  Pendu. 

*  Créneau. 


V  Acteur, 


Genius  ainsinc  lor  préesche. 
Et  les  resbaudist  et  solace*  ; 
Lors  gete  le  cierge  en  la  pince, 
Dont  la  flame  toute  enfumée 
Par  tout  le  monde  est  alumée. 
N'est  dame  qui  s'en  puist  desfendre , 
Tant  la  sot  bien  Vénus  espandre  ; 
Et  la  cuilli  si  haut  li  vens, 
Que  toutes  les  famés  vivans, 
Lor  cors,  lor  cuers  et  lor  pensées 
Ont  de  celé  odor  encensées. 
Amors  de  la  chartre  léue 
A  si  la  novele  espandue, 
Que  jamès  n'iert  bons  *  de  vaillance 
Qui  ne  s'acort  à  la  sentence. 
Quant  Genius  ot  tout  léu, 
Li  baron  de  joie  esméu, 
Car  onc  mes,  si  cum  il  disoient, 
Si  bon  sermon  oï  n'avaient , 
IVonc  puis  qu'il  furent  concéu 
Si  grant  pardon  n'orent  eu, 
jN'onques  n'oïrent  ensement* 
Si  droit  escommeniement*, 


*  Réjouit  et  récrée. 


*  Se  sera  homme. 


*  Pareillement . 

*  Si  juste  exeommuni 
tton. 


(v.    2IG25.) 


DE  LA  ROSE. 


315 


Por  ce  que  le  pardon  ne  perdent, 
Tuit  à  la  sentence  s'aerdent*, 
Et  respondent  tost  et  vias*, 
Amen,  amen,  fias*,  fias. 
Si  cum  la  chose  ert*  en  ce  point, 
N'i  ot  puis  de  demore*  point  ; 
Chascuns  qui  le  sermon  amot*, 
Le  note  en  son  cuer  mot  à  mot  : 
Car  moult  loi*  sembla  saluable* 
Por  le  bon  pardon  charitable, 
Et  moult  l'ont  volentiers  oï. 
Et  Genius  s'esvanoï, 
Conques  ne  sorent  qu'il  devint. 
Dont  crient  en  l'ost  plus  de  vint  : 
«  Or*  à  l'assaut  sens  plus  atendre 
Qui  bien  set  la  sentence  entendre! 
Moult  sunt  nostre  anemi  grevé.  » 
Lors  se  sunt  tuit  en  piez  levé, 
Près  de  continuer  la  guerre 
Por  tout  prendre  et  mètre  par  terre. 


*  S'attachent. 

*  Tout  de  suite. 

*  Pou  rfiat  {qu  'il  soit  fait) . 

*  Était. 

*  Retard. 

*  Aimait. 

*  Salutaire. 


*  Maintenant. 


Vénus  se  recoursa*  devant  "Retroussa. 

Ainsi  que  por  cuillir  le  vent, 
Et  ala  plus  tost  que  !e  pas 
Au  chastel,  mais  n'i  entra  pas. 

Vénus,  qui  d'assaillir  est  preste , 
Premièrement  lor  amoneste 
Qu'il  se  rendent;  et  cit  que  firent? 
Honte  et  Paor  li  respondirent  : 

Honte  et  Paor  à  f'énus. 

Certes,  Vénus,  ce  est  néans, 

.Ta  ne  métrés  les  pies  céans  ; 

Non  voir*,  s'il  n'i  avoit  que  moi,  Trament. 

Dist  Honte,  point  ne  m'en  esmoi  *.         *  Emeus. 


31 G  LE    ROMAN  (v.  21053.) 

L? Acteur. 
Quant  la  déesse  entendi  Honte  : 

J  émis. 

Vile  orde*  garce,  à  vous  que  monte**,    "Sale.    **  Quel  avantage 

.       .      ,  .  avez-vous. 

Dist-ele,  de  moi  contrester  *  ?  »  Combattre. 

Vous  verres  jà  tout  tempester, 

Se  li  chastiaus  ne  m'est  rendus; 

Par  vous  n'iert-il  jà*  desfendus.  *  Ne  sera-l-il  j  as. 

Encontre  nous  le  desfendrés  ! 

Par  la  char*  Dieu  !  vous  le  rendrés,  *  Par  la  chair  de. 

Ou  ge  vous  ardrai*  toutes  vives,  *  Brûlerai. 

Cum  ordes  ribaudes  chetives. 

Tout  le  porpris  voil  *  embraser,  *  Clos  je  veux. 

Tors  et  torneles  arroser; 

Ge  vous  eschaufferai  les  nacbes*;  *  Fesses. 

J'ardrai  piliers,  murs  et  estaches*;  *  Etançons. 

Vostre  fossé  seront  empli, 

Je  ferai  toutes  mètre  en  pli 

Vos  barbacanes  là  drecies, 

Jà  si  haut  n'es*  aurés  drecies  *Ne  les. 

Que  n'es  face  par  terre  estendre; 

A  Bel- Acucil  lerrai*  tout  prendre,  *  Laisserai. 

Boutons  et  roses  à  bandon, 

Une  hore  en  vente,  autre  bore  en  don  ; 

Ne  vous  ne  serés  jà  si  (1ère 

Que  tous  li  mondes  ne  s'i  iière*.  *N'y  donne. 

Tuit  iront  à  procession, 

Sens  faire  point  d'excepeion, 

Par  les  rosiers  et  par  les  roses, 

Quant  j'aurai  les  lices  descloses. 

Et  por  Jalousie  bouler*,  *  Tromper. 

Ferai-ge  par  tout  défouler 

Et  les  préiaus  et  les  herbages, 


V.    2IG8i. 


DE  LA   ROSE. 


317 


Tant  eslargirai  les  passages. 

Tuit  i  coilleront  sens  délai 

Boutons  et  roses,  clerc  et  lai  : 

Religieus  et  séculer, 

N'est  nus*  qui  s'en  puist  reculer; 

Tuit  i  feront  Ior  pénitence , 

Mes  ce  n'iert*  pas  sens  différence. 

Li  un  vendront  répostement*, 

Li  autre  trop  apertement*; 

Mes  li  répostement  venu* 

Seront  à  prodome*  tenu; 

Li  autre  en  seront  disfamé, 

Ribaut  et  bordelier  clamé*  ; 

Tout  n'i  aient-il  pas  tel  coupe* 

Cum  ont  aucun  que  nus  n'encoupe*. 

Si  r'est  voirs*  qu'aucun  mauves  home, 

(Que  Diex  et  sains  Pères  de  Rome 

Confonde  et  eus  et  lor  affaire!) 

Leront*  les  roses  por  pis  faire, 

Et  lor  donra  *  chapel  d'ortie 

Déables  qui  si  les  ortie*  : 

Car  Genius  de  par  Mature, 

Por  lor  vilté*,  por  lor  ordure, 

Les  a  tous  en  sentence  mis 

Avec  nos  autres  anemis. 

Honte,  se  ge  ne  vous  engin*, 

Poi  pris*  mon  art  et  mon  engin, 

Qu'aillors  jà  ne  m'en  clamerai*. 

Certes,  Honte,  je  n'amerai 

Ne  vous  ne  Raison,  vostre  mère, 

Qui  tant  est  as  amans  amère. 

Qui  vostre  mère  et  vous  croiroit, 

James  par  amors  n'ameroit. 


*  \ul. 

*  Xe  sera. 

*  En  cachette. 

*  Ouvertement. 

*  Mais  a  ux  qui  seront  ve- 
nus en  cachette. 

"  Peur  gens  de  Lien. 

*  Appelés. 

*  Faute. 

* N'inculpe. 

"Et  d'un  autre  côté  il  est 
vrai. 


*  Laisseront. 

*  Donnera. 

*  Excite. 

*  Bassesse. 


*  Trompe. 

*  Peu  je  prise. 

'  Cor  ailleurs  je  ne  m'en 
plaindrai  pas. 


27. 


318 


LE  ROMAN. 


(Y.    2I7IG.) 


L'Acteur. 


Vénus  à  plus  dire  n'entent, 
Que  bien  li  sofisoit  atant*. 
Lors  s'est  Vénus  haut  secorcie*, 
Bien  sembla  famé  corroeie, 
L'arc  tent,  et  le  boujon  encoche*  ; 
Et  quant  el  Pot  bien  mise  en  coche, 
Jusqu'à  l'oreille  l'arc  entoise*, 
Qui  n'iert*  pas  plus  Ions  d'une  toise; 
Puis  avise  cum  boue  archière, 
Par  une  petite  te  archière 
Qu'ele  vit  en  la  tor  reposte* 
Par  devant,  non  pas  par  encoste*, 
Que  Nature  ot  par  grant  maistrise 
Entre  deus  pilerés*  assise. 
Cil  dui  pilers  d'ivire*  estoient, 
Moult  gent,  et  d'argent  sostenoient 
Une  ymagete  en  leu  de  chasse , 
Qui  n'iert*  trop  haute  ne  trop  basse, 
Trop  grosse,  trop  gresle  non  pas, 
Mes  toute  taillie  à  compas, 
De  bras,  d'espaules  et  de  mains , 
Qu'il  n'i  failloit  ne  plus  ne  mains. 
Moult  ierent  gent  li  autre  membre, 
Et  plus  olans*  que  pomme  d'embre. 
Dedens  avoit*  un  saintuaire 
Covert  d'un  précieus  suaire, 
Li  plus  gentil  et  li  plus  noble 
Qui  fust  jusqu'en  Constantinoble; 
Tel  ymage  n'ot  nus  en  tor  *. 
Plus  avienent  miracle  entor 
Qu'ains*  n'aviut  entor  Médusa; 
Mes  ceste  trop  meillor  us*  a. 
Vers  Médusa  riens  ne  duroit, 


* Alors. 

*  Troussée. 


*  Place  la  flèche  dans  la 
coche. 


*  Bande. 

*  Qui  n'était. 


*  Cachée. 

*  Côte. 


'  Petits  pilliers. 

'  Ces  deux  piliers  d'ivoire. 


"Qui  n'était. 


*  Odorants. 

*  Il  y  avait. 


*  N'eut  nul  en  tour, 

' Qu'auparavant. 

*  Usage. 


(v. 


DE  LA   ROSE. 


319 


Car  en  roche  transfiguroit, 

(Tant  faisoit  félonesses  euvres) 

Par  ses  félons  crins  de  coleuvres, 

Trestous  cens  qui  la  regardoient. 

Par  nul  engin*  ne  s'en  gardoient, 

Fors*  Perséus,  li  filz  Jovis, 

Qui  par  l'escu  la  vit  ou  vis*, 

Que  sa  suer  Pallas  li  livra. 

Par  cel  escu  se  délivra, 

Par  l'escu  le  chief  li  toli*, 

Si  l'emporta  tous  jors  o  li*. 

Moult  le  tint  chier,  moult  s'i  fiot, 

En  maint  estour  mestier*  li  ot; 

Ses  fors  anemis  en  muoit*, 

Les  autres  à  glaive  tuoit. 

Mes  ne  la  vit  que  par  l'escu, 

Car  il  n'éust  jà  puis  vescu. 

Ses  escus  li  ert*  miroers, 

Car  tiex  ert  ou  chief  li  poers*, 

S'il  la  regardast  face  à  face, 

Roche  devenist  en  la  place. 

Mes  l'yniage  dont  ci  vous  conte, 

Les  vertus  Médusa  sormonte, 

Qu'el*  ne  sert  pas  de  gens  tuer, 

Ne  d'eus  faire  en  roche  muer*  : 

Ceste  de  roche  les  remue*, 

En  lor  forme  les  continue, 

Voire*  en  meillor  c'onques  ne  furent, 

Ne  c'onques  mes  avoir  ne  purent. 

Celé  nuist,  et  ceste  profite, 

Celé  ocist,  ceste  résuscite  ; 

Celé  les  eslevés  moult  griéve , 

Et  ceste  les  grevés  reliéve  : 

Car  qui  de  ceste  s'aprochast, 

Et  tout  véist  et  tout  tochast, 


*  Invention. 

*  Excepté. 

*  Au  visage. 


*  Enleva. 

*  Avec  lui. 


* Enmaint  combat  besoin . 
* Changeait. 


*  Son  c'en  lui  était. 

*  Tel  était  à  la  télé  le  pou- 
voir. 


*  Car  elle. 

*  Changer. 

*  Les  ôte. 

*  Même. 


320  LE   ROMAN  (v.  21731.) 

S'il  fllSt  ailîS  en  roche  nillé*,  *  Auparavant    en     roche 

/->      1  1     •  ■ .  changé. 

Ou  de  son  droit  sens  remue   ,  *  Bon  sens  ôté. 

.Ta  puis  roche  ne  le  tenist, 

En  son  droit  sens  s'en  revenist  : 

Si*  fust-il  à  tous  jors  garis  *  Ainsi. 

De  tous  maus  et  de  tous  péris. 

Si  m'aïst  Diex*,  se  ge  poisse,  *Dieu  m'aide. 

Volentiers  plus  près  la  véisse  ; 

Voire*,  par  Dieu,  partout  tochassc,         *  Vraiment. 

Se  de  si  près  en  a  prochasse; 

Mes  ele  est  digue  et  vertueuse, 

Tant  est  de  biauté  précieuse. 

Et  se  nus*,  usant  de  raison,  *Et  si  nul. 

Voloit  l'aire  comparaison 

D'ymage  à  autre  bien  portraite, 

Autel*  en  puet  faire  de  ceste  *  Pareille. 

A  l'yniage  Pymalion , 

Comme  de  souris  à  lion. 

Cy  c mence  la  fiction 

De  l'ymage  Pygmalion. 

Pymalions,  uns  entaillières*,  *  Sculpteur. 

Portraians  en  fust*  et  en  pierres,  *En  bois. 

En  métaus,  en  os  et  en  cires, 

Et  eu  toutes  autres  matires 

Qu'en  puel  en  tex*  euvres  trover,  *  relies. 

Por  son  grant  engin*  esprover,  *  Esprit. 

(Car  onc  de  li  bons  ne  l'ot  mieudre*,)     *  car  jamais  nue  ïuikom- 

me  ne  l'eut  meilleur. 
Ausinc  cum  por  grans  los  aqieudre*,       'Grande  gloire  acquérir. 

Se  volt*  à  portraire  déduire**.  *Sevoulut.     ** Amuser. 

Si  fist*  une  ymage  d'ivuire;  *  1:1  il  fit. 

Si  fist  et  portret  l'ymagete 

Si  bien  compassée  et  si  nete, 

Et  mist  au  faire  tel  entente*,  * Attention. 

Qu'el  fu  si  plésante*  et  si  gente,  *  Agréable. 


(v.    -2I8IG.) 


DE    LA   ROSE. 


321 


Qu'el  sembloit  estre  aotresi*  vive 
Cum  la  plus  bêle  riens*  qui  vive, 
tronques  Hélaine  ne  Lavine  (!) 
»  furent  de  color  si  fine, 
Ne  de  si  bêle  façon  nées, 
Tant  fussent  bien  enfaçonnées, 
Ne  de  biauté  n'orent  la  disme*. 
Tout  s'esbabit  en  soi-méisme 
Pymalions,  quant  la  regarde  ; 
Es-vos*  qu'il  ne  se  done  garde 
Ou'  \mors  en  ses  résiaus  l'enlace 
Si  fort  qu'il  ne  set  que  il  face. 
A  soi-raéismes  se  complaint. 
Mes  ne  puet  estancbicr  son  plaint*. 
«  Las!  que  fai-ge,  dist-il,  dovs-gié? 
Maint  vmage  ai  fait  et  forgié, 
Dont  nus  n'assomeroit*  le  pris, 
N'onc  d'eus  amer  ne  fui  sorpri?  : 
Or  sui  par  ceste  mal-baillis*, 
Par  li  m'est  tous  li  sens  faillis*. 
Las!  dont  me  vient  ceste  pensée, 
Comment  fu  celé  amor  pensée? 
J'aime  une  ymage  sorde  et  mue* 
Qui  ne  se  crosle*  ne  remue, 
Ne  jà  de  moi  merci  n'aura  : 
Tel  amor  comment  me  navra*? 
Il  n'est  nus*  qui  parler  en  oie, 
Qui  trop  esbabir  ne  s'en  doie. 
Or  sui-ge  li  plus  fox  du  sicle*. 
Que  pui-ge  faire  en  cest  article  ? 
Par  foi,  s'une  roïne  amasse*, 
Merci  toutevois  espérasse, 
Por  ce  que  c'est  chose  possible  ; 


A  ussi. 

*  Chose. 


*  La  dixième  partie. 

*  T'oici. 

*  Arrêter  sa  plainte. 

*Ne  compterait. 

*  Maltraité. 

*  Perdu. 

*  Muette. 

*  S'ébranle. 

*  Blessa . 

*  Nul. 

'Fou  du  monde. 

*  Si  j'aimais  une  reine. 


(i)  Lavinie,  femme  d'Énê>. 


322 


LE  ROMAN 


V.    21851. 


j\lès  cest  amor  est  si  horrible. 
Qu'el  ne  vient  mie  de  Nature. 
Trop  mauvaisement  m'i  nature. 
Nature  en  moi  mauves  fil  a; 
Quant  me  fist,  forment  s'avila  *  : 
Si  ne  l'en  doi-ge  pas  blasmer, 
Se  ge  voil*  folement  amer, 
Ne  m'en  doi  prendre  s'a  moi  non*. 
Puis  que  Pymalion  oi  non*, 
Et  poi*  sor  mes  deus  pies  aler, 
N'oï  de  tel  amor  parler. 
Si  n'aim-ge  pas  trop  folement  : 
Car,  se  fescriture  ne  ment, 
Maint  ont  plus  folement  amé. 
N'ama  jadis  ou  bois  ramé*, 
A  la  fontaine  clère  et  pure, 
Narcisus  sa  propre  figure, 
Quant  ciiida*  sa  soif  estanchier? 
N'onques  ne  s'en  pot  revanchier; 
Puis  en  fu  mors,  ce  dist  fistoire 
Qui  encor  est  de  grant  mémoire. 
Dont  sui-ge  mains  fox  toute  vois*  : 
Car,  quant  je  voil* ,  à  ceste  vois**, 
Et  la  prens  et  acole  et  baise, 
S'en  puis  miex  *  sofl'rir  ma  mésaise; 
Mes  cil  ne  pooit  avoir  celé 
Qu'il  véoit  en  la  l'ontenele. 
D'autre  part,  en  maintes  contrées 
Ont  maint  maintes  dames  amées , 
Et  les  servirent  quanqu'il*  porent, 
N'onques  un  sol  baisier  n'en  orent, 
Si  s'en  sunt-il  forment  pené  : 
Dont  m'a  miex  Amors  assené*. 
Non  a  :  car  à  quelque  doutance 
Ont-il  toutevois  espérance 


*  S' avilit. 

* Si  je  veux. 

*  Sinon  à  moi. 

*  Depuis  que  Pygmalion 
j'eus  nom. 

*  El  pus. 


*Ait  bois  touffu. 


'Crut. 


*  Fou  toutefois. 

*  Feux.      **  fais. 

*  Et  j'en  puis  mieux. 


*  Tant  qu'ils. 


'Partagé. 


(v.    21886.) 


DE  LA   ROSE. 


323 


Et  du  baisier  et  d'autre  chose  ; 
Mes  l'espérance  m'est  forclose*, 
Quant  au  délit*  que  cil  entendent 
Qui  les  déduiz  d'Amors  atendent  : 
Car  quant  ge  me  voil  aaisier* 
Et  d'acoler  et  de  baisier, 
Ge  truis*  m'amie  autresi**  froide 
Cum  en  un  pez*,  et  ausi  roide, 
Que  quant  ge,  por  baisier,  i  touche, 
Toute  me  refroidist  la  bouche. 
Ha  !  trop  ai  parlé  rudement  ; 
Merci,  douce  amie,  en  déniant*, 
Et  pri  que  l'amende  en  pregniés  : 
Car  de  tant  cum  vous  me  daingniés 
Doucement  regarder  et  rire, 
Ce  me  doit  bien,  ce  croi,  soffire. 
Car  dous  regarz  et  riz  piteus  * 
Sunt  as  amans  moult  déliteus*.  » 


*  Fermée. 

*  Plaisir. 

*  Je  me  veux  soulager, 

*  Trouve.     **  Aussi. 

*  Pieu,  hdton. 


*  (J')eu  demande. 


Compatissant . 
*  Délicieux. 


Comment  Pygmalion  demande 
Pardon,  en  présentant  l'amande 
A  son  village,  des  paroles 
Qu'il  dit  d'elle,  qui  sont  trop  foies. 


Pymalions  lors  s'agenoille, 
Qui  de  lermes  sa  face  moille, 
Son  gage  tent,  si  li  amende*  ; 
Mais  el  n'a  cure  de  s'amende, 
Car  el  n'entent  riens,  ne  ne  sent, 
Ne  de  li  ne  de  son  présent, 
Si  que  cil  crient*  perdre  sa  paine, 
Qui  de  tel  chose  amer  se  paine. 
N'il  n'en  reset*  son  cuer  avoir, 
Qu'Amors  li  toit*  sens  et  savoir; 
Si  que  trestout  s'en  desconfortc. 
Ne  set  s'ele  est  ou  vive  ou  morte. 


*  Lui  fait  amende  hono- 
rable. 


*  De   sorte    qve    celui-là 
craint  de. 


N'en  sait. 

Car  amour  lui  ravit. 


324  LE   ROMAN  (v.  2191c) 

Soefà*  ses  maillS  la  détaste**,  *  Doucement  arec. 

n  "lûte. 

Et  croit  ausiuc  cum  se  lust  paste , 

Que  ce  soit  sa  char*  qui  li  fuie;  *  Chair. 

Mes  c'est  sa  main  qu'il  i  apuie. 

Ainsiuc  Pymalions  estrive*,  *  Lutte,  dispute. 

En  son  estrif  n*a  pez  ne  trive; 
En  un  estât  pas  ne  demore, 
Or*  aime,  or  het,  or  rit,  or  plore,  "Tantôt. 

Or  est  liés*,  or  est  à  mésaise,  *  Joyeux: 

Or  se  tormente,  or  se  rapaise. 
Puis  li  revesten  maintes  guises 
Robes  faites  par  grans  maistrises, 
De  biaus  dras  de  soie  ou  de  laine, 
D'escarlate  ou  de  tiretaine, 

De  vert,  de  pers*  ou  de  brunete,  *  De  drap  vert,  bleu. 

De  color  fresebe,  fine  et  nele, 

OÙ  moult  a  riches  pennes*  mises,  *  Bordures  de  pelleteries. 

Erminécs,  vaires  (1)  ou  grises; 

Puis  les  li  OSte,  puis  reSSOie  *  *  Essaie  après. 

(1)  Vair  et  vaire.  C'éloit  une  fourrure  blanche  et  bleue,  dont  les  rois 
usoient  en  France;  les  présidents  en  mettoient  sur  leurs  manteaux,  et 
les  conseillers  sur  leurs  robes  :  ce  qui  a  eu  lieu  jusqu'au  quinzième  siècle. 
Cette  fourrure  étoil  faite  de  la  peau  d'une  espèce  d'écureuil  que  l'on  appe- 
loit  aussi  vair,  et  en  latin  sciurus.  Cette  peau  étoit  blanche  par  dessous 
et  colombine  par  dessus.  On  la  diversilioit  en  grands  et  en  petits  car- 
reaux, qu'on  appelait  grand  vair,  vl  petit  ou  menu  vair.  Ou  lui  avoit  donné 
le  nom  de  penne  ou  panne,  parce  que  ces  fourrures  étoient  composées  de 
plusieurs  pièces  ou  peaux  cousues  ensemble,  comme  les  pans  d'un  habit. 

Quelques  auteurs  ont  prétendu  que  le  vair  n'étoit  que  la  seconde  four- 
rure, ou  peau  et  penne,  dont  on  doubloil  les  habits  des  grands  seigneurs. 
On  l'appelle  vair,  à  variis  coloribus.  L'hermine  étoit  la  première  des 
fourrures. 

V air,  en  terme  de  blason,  est  une  fourrure  faite  de  plusieurs  petites 
pièces  d'argent  et  d'azur,  à  peu  près  comme  une  cloche  de  melon  ou 
comme  un  U.  Cependant  les  armes  de  la  maison  de  Bauff remont  sont 
vairées  d'or  et  de  gueule. 

Le  vair  est  ordinairement  de  quatre  tires  ou  rangées,  et  \emenic  vair 
est  de  six.  (L.  U.  D.) 


(v.    21934.) 


DE  LA  ROSE. 


325 


Cum  li  siet  bien  robe  de  soie, 
Cendaus,  molequins  Arrabis, 
Indes*,  vermaus,  aunes  et  bis, 
Samis,  diaprés,  camelos  (1). 
Por  néant  fust  uns  angelos*, 
Tant  est  de  contenance  simple. 
Autre  fois  li  met  une  gimple, 
Et  par  dessus  un  cuevrechief , 
Qui  cuevre  la  gimple  et  le  chief*  ; 
Ains  ne  cuevre  par  le  visage, 
Qu'il  *  ne  vuet  pas  tenir  l'usage 
Des  Sarrasin,  qui  d'estamines 
Cuevreut  les  vis*  as  Sarrasines, 
Quant  eus  trespassent*  par  la  voie, 
Que  nus*  trespassans  ne  les  voie, 
Tant  sunt  plain  de  jalouse  rage. 
Autre  fois  li  reprent  corage* 
D'oster  tout,  et  de  mètre  guindés* 
Jaunes,  vermeilles,  vers  et  indes, 
Et  trecéors*  gentiz  et  gresles, 
De  soie  et  d'or  à  menus  pesles*; 
Et  dessus  la  crespine  atache 
Une  moult  précieuse  atache, 
Et  par  dessus  la  crespinete 
Une  corone  d'or  grelete, 
Où  moult  ot*  précieuses  pierres , 
Et  biaus  chastons  à  quatre  quierres' 
Et  à  quatre  demi-compas, 
Sens  ce  que  ge  ne  vous  cont  pas 
L'autre  perrerie  menue 
Qui  siet  entor  espesse  et  drue. 
Et  met  à  ses  deus  oreilletes 


'  f'ermeils. 


*  Petit  ange. 


"Tête. 

*  Car  il. 

*  Visages. 

*  Passent. 

*  Afin  (pie  nul. 

*  Envie. 

*  Atours  de  femme  de  qua- 
lité. 

*  Ornements  de  tête. 

*  Perles. 


Il  y  eut. 
'Angles. 


(I)  Voyez,  sur  tous  ces  noms  d'étoffes,  nos  Recherches  sur  le  com- 
merce, la  fabrication  et  l'usage  des  étoffes  de  soie,  etc.,  tom.  IF,  à  la  table 
des  matières. 

ROMAN   DE   LA   ROSE.    —    T.    II.  23 


326 


LE  ROMAN 


(v.    21966. 


Deus  verges  d'or  pendans  greletes; 

Et  por  tenir  la  chevecaille*, 

Deus  fermaus*  d'or  au  col  li  baille. 

Enmi  le  pis*  un  en  remet, 

Et  de  li  ceindre  s'entremet  ; 

Mes  c'est  d'un  si  très-riche  ceint*, 

Conques  pucele  tel  ne  ceint. 

Et  pent  au  ceint  une  aumosnièrc, 

Qui  moult  ert*  précieuse  et  chière; 

Et  cinc  pierres  i  met  petites, 

Du  rivage  de  mer  eslites*, 

Dont  puceles  as  martiaus  geuent% 

Quant  bêles  et  rondes  les  treuent*. 

Et  pai'  grant  entente  li  chauce 

En  chascun  pié  soler  et  chauce 

Entailliés  *  jolivetement 

A  deus  doie  du  pavement. 

N'ert  pas  de  hosiaus*  estrenée, 

Car  el  n'ert  pas  de  Paris  née; 

Trop  par  fust  rude  chaucemente* 

A  pucele  de  tel  jovente*. 

D'une  aguille  bien  afllée 

D'or  fui,  de  fil  d'or  enfilée, 

Ele  a,  por  miex  estre  vestues, 

Ses  deus  manches  estroit  cosues. 

Puis  li  baille  fiors  noveletes, 

Dont  ces  jolies  puceletes 

Font  eu  printens  lor  chapelez*, 

Et  pelotes  et  oiselez, 

Et  diverses  choses  noveles , 

Délitables*  as  damoiseles. 

Et  chapclés  de  Hors  li  fait; 

Mes  n'en  véistes  nul  si  fait, 

Car  il  i  met  s'entente*  toute. 

Aurelez  d'o  es  dois*  li  boute, 


* Coiffe,  voile. 

*  Af/rajfes. 
Aumilieu  de  la  poitrine. 

*  Ceinture. 


*  Était. 

*  Choisies. 

*  Jouent. 

*  Trouvent. 


*  Découpes. 

*  Bottines. 

*  Chaussure. 

*  Jeunesse. 


' Chapeaux. 


*  Agréables 


Son  attention. 
kAux  doigts. 


v. 


Î200I.) 


DE  LA   ROSE. 


327 


Et  dit  cum  fins  loiaus  espous  : 
«  Bêle  douce,  ci  vous  espous*, 
Et  deviens  vostres,  et  vous  moie*. 
Ymenéus  et  Juno  m'oie-, 
Qu'il  voillent  à  nos  noces  estre. 
Ge  n'i  quier*  plus  ne  clerc  ne  prestre, 
Ne  de  prélaz  mitres  ne  croces; 
Car  cil  sunt  li  vrai  diex  des  noces.  « 

Lors  chante  à  haute  voix  série  *, 
Tuit  plain  de  grant  renvoiserie*, 
En  leu  de  messe  chanconetes 
Des  jolis  secrés  d'amoretes; 
Et  fait  ses  instrumens  soner, 
Qu'en*  n'i  oïst  pas  Dieu  toner; 
Qu'il*  en  a  de  trop  de  manières, 
Et  plus  en  a  les  mains  manières* 
Conques  n'ot  Amphions  de  Thèbes. 
Harpes  et  gigues  et  rubebes, 
Si  r'a  guiternes  et  léus* 
Por  soi  déporter  esléus*; 
Et  refait  soner  ses  orloges 
Par  ses  sales  et  par  ses  loges, 
A  roes  trop  sotivement* 
De  pardurable*  movement. 
Orgues  i  r'a  bien  maniables, 
A  une  sole  main  portables, 
Où  il-méismes  soufie  et  touche, 
Et  chante  avec  à  plaine  bouche 
Motés,  ou  treble  ou  tenéure. 
Puis  met  en  cimbales  sa  cure  *, 
Puis  prent  fretiaus  et  si  fretele , 
Puis  chalemiaus  et  chalemele , 
Et  tabor  et  fléute  et  tymbre; 
Si  tabore  et  fléute  et  tymbre; 
Citole  prent,  trompe  et  chievrete, 


Ici  je  vous  épouse. 
y  Mienne. 


*  Je  n'y  veux. 


'Douce. 
Gaité. 


*  Que  l'on. 
"  Car  il. 

*  Habiles. 


*  Il  a  encore  guitares  et 
luths. 

*  Elus,  choisis. 


*  Subtilement. 

*  De  perpétuel. 


*  Son  soin. 


328 


LE  ROMAN 


Si  citole,  trompe*  et  chievrete; 
Psaltérion  prent  et  vièle, 
Et  puis  psalterione  et  vièle; 
Puis  prent  sa  muse,  et  se  travaille 
As  estives  de  Cornoaille  (1); 
Et  espringue*  et  sautele  et  baie**, 
Et  fiert*  du  pié  parmi  la  sale; 
Et  la  prent  par  la  main,  et  dance; 
Mes  moult  a  au  cuer  grant  pesance* 
Çui'el  ne  vuet  *  chanter  ne  respondre, 
Ne  por  prier  ne  por  semondre*. 
Puis  la  r'ernbrace,  et  si*  la  couche 
Entre  ses  bras  dedens  sa  couche, 
Et  puis  la  baise  et  si  l'acole  ; 
Mes  ce  n'est  pas  de  bone  escole , 
Quant  deus  persones  s'entrebaisent, 
Et  li  baisiers  as  deus  ne  plaisent. 
Aiusinc  s'ocist,  ainsinc  s'afole*, 
Sorprins  de  sa  pensée  foie, 
Pymalions  li  décéus, 
Por  sa  sorde  ymage  esméus  ; 
Quanqu'il  puet  la  père*  et  aorne, 
Car  tous  à  li  servir  s'atorne*. 
N'el  n'apert*  pas,  quant  ele  est  nue, 
Mains  bêle  que  s'ele  ert  vestue. 
Lors  avint  qu'en  celé  contrée 
Ot*  une  feste  célébrée, 
Où  moult  avenoit  de  merveilles. 
Là  vint  tous  li  pueples  as  veilles 
D'un  temple  que  Vénus  i  ot. 


(v.    2203G.) 
*  Sonne  de  la  trompe. 


*  Saute.      **  Danse. 

*  Frappe. 

*  Chagrin,  souci. 

*  De  ce  qu'elle  ne  veut. 

*  Sommer. 
*Et  il. 


*  Se  fait  mal. 


*Tant qu'il  peut  illa  pare. 

*  S'arrange. 

*  Ni  elle  n'apparaît. 


*  Il  y  eut. 


\\)  Voyez  sur  les  instruments  de  musique  nommés  dans  le  Romande 
la  Rose ,  Remaries  on  some  ancient  musical  Distrumcnts  menlionned 
in  thatold  French  Ponn,  by  the  Révérend  John  Bowle  {Archœologia,  etc., 
tom.  VII,  pag.  214-221);  et  de  l'État  de  la  poésie  française  dans  les  dou- 
zième et  treizième  siècles,  etc.,  par  B.  de  Roquefort,  pag.  104-131. 


V.    2206G. 


DE  LA  ROSE. 


329 


Li  valés*,  qui  moult  s'i  fiot, 

Por  soi  de  s'amor  conseillier, 

Vint  à  celé  feste  veillier. 

Lors  se  plaint  as  dieux  et  démente* 

De  l'amor  qui  si  le  tormente; 

Car  maintes  fois  les  ot  servis. 

Li  valés,  qui  moult  iert  soutis*, 

Qui  moult  iert  bons  ovriers  et  sages*, 

Fait  lor  avoit  mains  bons  ymages, 

Et  avoit  trestout  son  aé* 

Vescu  en  droite  chastée*. 

Pygmalion. 

Riau  dieu,  dist-il,  qui  tout  poés*, 

S'il  vous  plaist,  ma  requeste  oés; 

Et  tu  ,  qui  dame  es  de  ce  temple, 

Saiute  Vénus,  de  grâce  m'emple*, 

Qu'ausinc  es-tu  moult  corrocie, 

Quant  Chasteé  est  essaucie  *, 

S'en  ai  grant  peiue  déservie* 

De  ce  que  ge  l'ai  tant  servie. 

Or  m'en  repens  sens  plus  d'aloignes*, 

Et  pri  que  tu  le  me  pardoignes  : 

Si  m'otroie  par  ta  pitié, 

Par  ta  douçor,  par  t'amitié, 

Par  convent  que  m'enfuie  eschif*, 

Se  Chasteé  dès  or  n'escbif*, 

Que  la  bêle  qui  mon  cuer  emble 

Qui  si  bien  yvuire  resemble, 

Deviengne  ma  loiale  amie, 

Et  de  famé  ait  cors,  amc  et  vie; 

Et  se  de  ce  faire  te  hast  es, 

Se  je  sui  jamès  trovés  chastes, 

J'otroi*  que  ge  soie  pendus, 

Ou  à  grans  haches  porfendus, 


Jeune  homme. 


'Lamente. 


Etait  subtil. 

*  Savant. 

*  Fie. 

*  Fcritablc  chasteté. 


Pouvez. 


*  Remplis-moi . 

*  Honorée. 

*  Méritée. 

*  Retards,  délais. 


*  Exilé,  banni. 

*  Esquive,  échappe. 

*  Ravit. 


*  Je  consens. 


28. 


330 


LE   ROMAN 


(t.    22099.) 


Ou  que  dedens  sa  goule  trible 
Tout  vif  me  transgloutisse  et  trible*, 
Ou  me  lie  en  corde  ou  en  fer, 
Cerbérus,  li  portiers  d'enfer. 

L'Amant. 

Vénus,  qui  la  requeste  oï 
Du  valet*,  forment  s'esjoï, 
Por  ce  que  Chasteé  lessoit, 
Et  de  li  servir  s'apressoit*, 
Cum  lions*  de  bone  repentance, 
Prest  de  faire  sa  pénitance 
Tous  nus  entre  les  bras  s'amie, 
S'il  la  puet  jà  bailler*  en  vie. 
Por  joïr  et  por  taire  cbief* 
Au  valet  de  son  grant  mescbief  *, 
A  l'ymage  cnvoia  lors  a  me  : 
Si  devint  si  très-bele  dame, 
Conques  mes*  en  uule  contrée 
N'avoit  l'en  si  bêle  encontrée. 
N'est  plus  au  temple  séjornés, 
A  son  ymage  est  retornés 
Pymalions  à  moult  grant  beste , 
Puis*  qu'il  ot  faite  sa  requeste; 
Car  plus  ne  se  pooit*  tarder 
De  li  tenir  et  regarder. 
A  li  s'en  cort  les  sans  menus*, 
Tant  qu'il  est  jusques-là  venus. 
Du  miracle  riens  ne  savoit, 
Mes  es*  dieux  grant  fiance  a  voit; 
Et  quant  de  plus  près  la  regarde, 
Plus  art*  son  cuer,  et  frit  et  larde. 
Lors  voit  qu'ele  ert*  vive  et  charnue, 
Si  li  débaille*  la  char  nue, 
Et  voit  ses  biaus  crins  blondoians, 


'  Broie. 


*  Jeune  homme. 

*  Se  préparait  à  la  servir, 

*  Comme  homme. 


*  Posséder. 
*Fin. 

*  Malheur. 


*  Que  jamais. 


*  Depuis. 

*  Pouvait. 


*  t  clic  il  accourt  a  pas 
précipités. 


*  Dans  les. 

*  Brûle. 

*  Était. 

*  Et  il  lui  découvre. 


(v.    22132.) 


DE  LA  ROSE. 


331 


Comme  undes  ensemble  ondoians  ; 
Et  sent  les  os  et  sent  les  vaines, 
Qui  de  sanc  ierent*  toutes  plaines, 
Et  le  pouz  débatre  et  movoir  : 
Pse  set  se  c'est  menoonge  ou  voir*  ; 
Arrier  se  trait*,  ne  set  que  faire, 
Ne  s'ose  mes  près  de  li  traire. 
Qu'il  a  paor*  d'estre  enchantés. 

Pygmalion. 

Qu'est-ce?  dit- il,  sui-ge  tentés? 
Vei!lé-ge  pas?  Nennil;  ains  songe*, 
Mes  onc  ne  vi  si  apert*  songe. 
Songe!  par  foi  non  fais,  ains  veille. 
Dont  vient  donques  celé  merveille? 
Est-ce  fantosme  ou  anemis* 
Qui  s'est  en  mon  ymage  mis? 


*  Étaient. 

*  T'&rité. 
*Tire. 

Car  il  a  peur. 


Au  contraire  je  somje. 
* Clair. 


*  Dcnwn. 


L'Amant. 

Lors  li  respondi  la  pucele  , 
Qui  tant  iert*  avenant  et  bêle, 
Et  tant  avoit  blonde  la  cosme  * 


*Était. 

*  Chevelure. 


L'Ymage  à  Pygmalion. 

Ce  n'est  anemis  ne  fantosme, 
Dous  amis,  ains  soi  vostre  amie 
Preste  de  vostre  compaignie 
Recevoir,  et  m'amor  vous  offre, 
S'il  vous  plaist  recevoir  tel  offre. 


V Amant. 

Cil  ot*  que  la  chose  est  acertes. 
Et  voit  les  miracles  apertes*  ; 


'Celui-là  entend. 
*  Clairs. 


332 


LE   ROMAN 


(v.    22157.) 


Si  se  trait*  près,  et  s'asséure;  *n  se  tire. 

Por  ce  que  c'est  chose  séure, 

A  li  s'otroie  volentiers, 

Cum  cil  qui  ert*  siens  tous  entiers.  *  Comme  celui  gui  était. 

A  ces  paroles  s'entr'alient, 

De  lor  amors  s'entremercient, 

N'est  joie  qu'il  ne  s'entrelacent  ; 

Par  grant  amor  lors  s'entr'embracent, 

Cum  deus  colombiaus  s'entrebaisent  ; 

Moult  s'entr'aiment,  moult  s'entreplaisent. 

As  dieux  ambdui  *  grâces  rendirent, 

Qui  tel  cortoisie  lor  firent, 

Kspéciaument  *  à  Vénus 

Qui  lor  ot  aidié  miex  que  nus*. 

Or  est  Pymalions  aaise, 
Or  n'est-il  riens  qui  li  desplaise, 
Car  riens  qu'il  voille  ne  refuse; 
S'il  oppose,  el  se  rent  concluse*; 
S'ele  commande,  il  obéist  : 
Por  riens  ne  la  contredéist 
D'acomplir-li  tout  son  désir. 
Or  puet  o  s'amie  gésir*, 
Qu'el  n'en  fait  ne  daugicr*  ne  plainte. 
Tant  ont  joé,  qu'ele  est  euçainte 
De  Paphus,  dont  dit  renomée 
Que  l'isle  en  fu  Paphos  nomée, 
Dont  li  rois  Cyniras  nasqui. 
Prodons  fu*,  fors  en  un  cas,  qui 
Tous  bons  éurs  éust  eus, 
S'il  n'éust  esté  décéus 
Par  Mirra,  sa  fille,  la  blonde, 
Que  la  vielle  (que  Diex  confoude!) 
Qui  de  péchié  don  tance*  n'a, 
Par  nuit  en  son  lit  li  mena. 
La  roïne  ert*  à  une  feste,  *  Était. 


Tous  deux. 

*  Spécialement. 

*  Mieux  que  nul. 


'Elle  s'arrête. 


*  Maintenant  il  peut  avec 
son  amie  coucher. 
"  Difficulté. 


'Homme  de  bien  il  fut. 


"Crainte. 


DE   LA    ROSE. 


333 


La  pucele  se  sist  en  heste 

Lez  le  roi%  sens  que  mot  séust 

Qu'o  *  sa  fille  gésir  déust. 

Ci  ot*  trop  estrange  semille**, 

Le  roi  let  gésir*  o  sa  fille. 

Quant  les  ot  ensemble  aimés*, 

Li  biaus  Adouis  en  fu  nés  ; 

Puis  fu-ele  en  arbre  muée* , 

Car  ses  pères  l'éust  tuée, 

Quant  il  aparçut  le  tripot*. 

Mais  onques  avenir  n'i  pot*, 

Quant  ot  fait  aporter  le  cierge; 

Car  celé,  qui  n'ere  mes*  vierge, 

Eschapa  par  isnele*  fuite, 

Qu'il  *  l'éust  autrement  destruite. 

Mais  c'est  trop  loiug  de  ma  matire  : 

Por  ce  est  bien  drois  qu'arriers  m'en 

Bien  orrés  que  ce  signifie, 

Ains*  que  cel  euvre  soit  fenie. 

Ne  vous  voil  or  ci*  plus  tenir, 
A  mon  propos  m'estuet*  venir, 
Qu'autre  champ  me  convient  arer*. 
Qui  voldroit  donques  comparer 
De  ces  deus  ymages  ensemble 
Les  biautés,  si  cum*  il  me  semble, 
Tel  similitude  i  puet  prendre, 
Qu'autant  cum  la  soris  est  meudre* 
Que  li  lions,  et  mains  cremue* 
De  cors,  de  force  et  de  value, 
Autaut,  sachiés  en  loiauté  , 
Ot  celé  ymage  mains  biauté 
Que  n'a  celé  que  tant  ci  pris*. 
Bien  avisa  dame  Cypris 
Celé  ymage  que  ge  devise*, 
Entre  deus  pilerez*  assise, 


*  A  côté  du  roi. 
* Qu'aVec. 

*  Ici  il  y  eut.     **ISiche, 
tour. 

*  Laisse  coucher. 

*  Réunis. 

*  Changée. 

L'intrigue. 

*  N'y  put. 

*  Qui  n'était  plus. 
* Rapide. 

*Car  il. 


tire. 


*  Ai'ant. 

*  Je  ne  vous  veux  main 
tenant  ici. 

'Il  me  faut. 

*  Faut  labourer. 


Ainsi  que. 


'Moindre. 
*  Crainte. 


'Prise. 


*  Décris. 

*  Petits  jnliers. 


334 


LE  ROMAN 


(v.    22227.) 


Ens*  en  la  tor  droit  ou  mileu. 
Onques  encores  ne  vi  leu 
Que  si  volentiers  regardasse , 
Yoire  à  genoillons  l'aorasse*: 
Et  le  saintuaire  et  l'archière 
Jà  ne  lessasse  por  l'archière, 
]\Te  por  l'arc  ne  por  le  brandon, 
Que  ge  n'i  entrasse  à  bandon*. 
Mon  pooir  au  mains  en  féisse, 
A  quelque  chief*  que  g'en  venisse, 
Se  trovasse  qui  le  m'offrist, 
Ou,  sens  plus,  qui  le  me  soffrist. 
Si  m'i  sui-ge  par  Dieu  voés 
As  reliques  que  vous  oés*, 
Ou,  se  Dieu  plaist,  g'es  requerrai, 
Sitost  eu  m  tens  et  leu  verrai, 
D'escherpe  et  de  bordon  garnis. 
Que  Diex  me  gart  d'estre  escharnis' 
Et  destorbés*  par  nule  chose , 
Que  ne  joïsse  de  la  Rose  ! 

Vénus  n'i  va  plus  atendant; 
Le  brandon  plain  de  feu  ardant 
Tout  empené  lesse  voler 
Por  ceus  du  chastel  afolcr*; 
Mes  sachiés  qu'ains*  nule  ne  nus, 
Tant  le  trait  sotilment*Vénus, 
Ne  l'omit  pooir  de  choisir*, 
Tant  i  gardassent  *  par  loisir. 


*  Dedans. 


*  Vraiment  à  genoux  l'a- 
dorasse. 


*  Complètement . 
*Fin. 

*  Entendez. 


*  Bafoue. 

*  Empêché. 


*  Blesser. 

*  Qu'auparavant. 

*  Le  tire  subtilement  Ve- 
rnis. 

*  Découvrir. 

*  Prissent  garde. 


Comment  ceulx  du  chastel  yssirent* 
Hors,  aussiiost  comme  il/,  sentirent 
La  chaleur  du  brandon  Vénus, 
Dont  aucuns  joustèrent  tous  nudz. 


'  Sortirent. 


Quant  li  brandons  s'en  fu  volés, 
Es-vos*  ceus  dedens  afolés**, 


* Voici.     **  Blessés. 


(▼■ 


DE  LA  ROSE. 


335 


Li  feus  porprent  tout  le  porpris*; 
Bien  se  durent  tenir  por  pris. 
N'est  nus  qui  le  feu  rescossist*, 
Et  bien  rescorre  le  vossist*. 
Tuit  s'escrient  :  «  Trahi  !  trahi  ! 
Tuit  somes  mort!  ahi,  ahi! 
Foïr  nous  estuet*  du  pais.  » 
Chascuns  giete  ses  clefz  laïs*. 
Dangiers,  li  orriblcs  maufés*, 
Quant  il  se  senti  eschaules, 
S'enfui  plus  tost  que  cers*  en  lande. 
N'i  a  nul  d'aus*  qui  l'autre  atende; 
Chascuus  les  pans  à  la  ceinture 
Met  au  foïr  toute  sa  cure*. 
Fuit-s'en  Paor,  Honte  s'eslesse*, 
Tout  embrasé  le  chastel  lesse, 
N'onc  puis  ne  volt*  riens  mètre  à  pris, 
Que  Raison  li  éust  apris. 
Estes-vous*  venir  Cortoisie 
La  preus,  la  bêle,  la  proisie*, 
Quant  el  vit  la  desconfiture, 
Por  son  filz  geter  de  l'ardure; 
Avec  li  Pitié  et  Franchise 
Saillirent  dedens  la  porprise*, 
N'onc  por  l'ardure  ne  lessièrent, 
Jusqu'à  Bel-Acueil  ne  cessièrent*. 

Cortoisie  prent  la  parole, 
Premier*  à  Bel-Acueil  parole, 
Car  de  bien  dire  n'ert*  pas  lente  : 


Embrase  tout  le  clos. 

*  Combattit. 

*  Secourir  le  voulût. 


*Faut. 

*  De  côté. 

*  Démon. 

"Cerf. 

*  D'eux. 

*  Son  soin. 
* S'élance. 

*Ne  voulut. 

*Foici. 

*  Prisée 


*Clos. 
Ne  cessèrent  {de  courir). 

*  En  premier. 

"  y 'était. 


Courtoisie  à  Bel-Acueil. 


Biau  filz,  moult  ai  esté  dolente*, 
Moult  ai  au  cuer  tristece  eue 
Dont  tant  avés  prison  tenue. 


*  Affligée. 


336 


LE  ROMAN 


(v.    22289. 


Mal*  feus  et  maie  flambe  Tarde**, 
Qui  vous  avoit  mis  eu  tel  garde  ! 
Or  estes,  Dieu  merci,  délivres, 
Car  là  fors,  o*  ses  Normans  yvres, 
En  ces  fossés  est  mors  gisans 
Maie-Bouche  li  mesdisans; 
Véoir  ne  puet  ne  escouter. 
Jalousie  n'estuet  douter  *  ; 
L'en  ne  doit  pas  por  Jalousie 
Lessier  à  mener  bone  vie, 
N'a  solacier*  méismement 
O*  son  ami  privéement, 
Quant  à  ce  vient  qu'el  n'a  pooir* 
De  la  chose  oïr  ne  véoir  ; 
Nil  n'est  qui  dire  la  li  puisse, 
N'cl  n'a  pooir  que  ci  vous  truisse*. 
Et  li  autre  desconseillié 
Foi  s'en  sunt  tuit  essillié*. 
Li  félon,  li  outrecuidié* 
Trestout  ont  le  porpris*  vuidié. 

Biau  très-douz  filz,  por  Dieu  merci, 
Ne  vous  lessiés  pas  brusler  ci. 
Nous  vous  prions  par  amitié, 
Et  ge*  et  Franchise  et  Pitié, 
Que  vous  à  ce  loial  amant 
Otroiés  ce  qu'il  vous  déniant, 
Qui  por  vous  a  lonc-tens  mal  trait*  ; 
N'onques  ne  vous  fist  un  faus  trait 
Li  frans  qui  onques  ne  guila*. 
Recevés-le  et  quanqu'il*  a  , 
Voire  l'ame  néis  *  vous  offre  : 
Por  Dieu,  ne  refusés  tel  offre, 
Biau  douz  fdz,  ains  le  recevés, 
Par  la  foi  que  vous  me  devés, 
Et  par  amors  qui  s'en  esforce, 


Mauvais. 
*  Brûle  [subj. 


'Dehors,  avec. 


'Ne  faut  craindre. 


*  S'ébattre. 
Avec. 
Pouvoir. 


*  Trouve  (subj.). 

*  Il uin es. 

*  Insolents. 

*  L'enclos. 


*  El  moi. 


*  Souffert. 

*  Trompa. 

*  Ce  qu'il. 

*  M Unie. 


(T.    2232 1.) 


DE  LA   ROSE. 


337 


Qui  moult  i  a  mise  grant  force. 
Biau  filz,  Amors  vainc  toutes  choses, 
Toutes  sunt  souz  sa  clef  encloses. 
Yirgiles  néis*  le  conferme 
Par  sentence  esprovée  et  ferme  : 
Quant  Bucoliques  cercherés, 
Amors  vainc  tout,  i  troverés  (I), 
Et  nous  la  devons  recevoir. 
Certes  il  dist  bien  de  ce  voir*  ; 
En  un  soi  vers  tout  ce  nous  conte, 
]N"e  péust  conter  meillor  conte. 
Biau  Glz,  secorez  cel  amant, 
Que  Diex  ambedeus  vous  amant*  ! 
Otroiés-li  la  Bose  en  don. 


Même. 


Frai. 


*  Tous  deux  vous  comble 
défaveurs.' 


Bel-Acueil. 

Dame,  ge  la  li  abandon, 
Fet  Bel-Acueil,  moult  volentiers, 
Coillir  la  puet  endementiers* 
Que  nous  ne  somes  ci  que  dui*, 
Pieça*  que  recevoir  le  dui**  : 
Car  bien  voi  qu'il  aime  sens  guile*. 


*  Pendant. 

*  Deux. 

'Il  y  a  longtemps. 
"  Dus. 

*  Tromperie. 


L'Amant. 

Ge  qui  l'en  rens  mercis  cent  mile , 

Tantost  comme  bons  pèlerins, 

Hastis,  fervens  et  enterius*  *  Entier. 

De  cuer,  comme  fins  amoreus, 

Après  cest  otroi*  savoreus,  *Permission. 

Vers  l'archière  acueil*  mon  voiage  *  Je  commence. 

Por  fornir  mon  pèlerinage; 


(l)  Omnia  vincit  amor,  et  nos  cedamus  amori. 

(Vircil.,  eclog.  IX,  v.  C9.) 
29 


338 


LE  ROMAN 


(v.    22351.) 


Et  port  o*  moi  par  grant  csfort 
Escherpe  et  bordon  grant  et  fort, 
Tel  qu'il  n'a  mestier  *  de  ferrer 
Por  jornoier*  ne  por  errer. 
L'escherpe  est  de  bone  feture*, 
D'une  pel  souple  sens  eousture; 
Mes  sachiés  qu'ele  n'ert*  pas  vuide  : 
Deus  martelez  par  grant  estuide 
Que  mis  i  ot,  si  cum*  moi  semble, 
Diligemment  trestout  ensemble 
Nature,  qui  la  me  bailla, 
Dès  lors  que  premiers  la  tailla, 
Sotilment*  forgiés  li  avoit, 
Cum  celé  qui  forgier  savoit 
Miex  c'onques  Dédalus  ne  sot*. 
Si  croi  *  que  por  ce  fait  les  ot, 
Qu'el  pensoit  que  g'en  ferreroie 
Mes  palefrois  quant  g'erreroie. 
Si  ferai-ge  certainement, 
Se  g'en  puis  avoir  L'aisement*  ; 
Car,  Dieu  merci,  bien  forgier  sai. 
Si  vous  di  bien  que  plus  cbier  ai 
Mes  deus  martelez  et  m'escberpe 
Que  ma  citole*  ne  ma  herpe. 
Moult  me  fist  grant  honor  Nature 
Quant  m'arma  de  tel  arméure, 
Et  m'en  enseigna  si  l'usage, 
Qu'el  m'en  fist  bon  ovrier  et  sage*. 
Ele-méismes  le  bordon 
M'avoit  apareillié*  por  don, 
Et  volt*  au  dolcr  la  main  mètre , 
Ains  que  ge  fusse  mis  à  letre*. 
Mes  du  ferrer  ne  li  chalut* , 
IVonques  por  ce  mains*  n'en  valut; 
Et  puis*  que  ge  l'oi**  recéu 


*  Avec. 

*  Besoin. 
*J~oyarjer. 

*  Façon. 

*  N'était. 

*  Ainsi  que. 


*  Subtilement. 

*Ne  sut. 

*  Et  je  crois. 


*  L'aise,  la  commodité. 


*  Espèce  d'instrument   de 
musique. 


*  Savant. 

*  Préparé. 

*  J'oulnt. 

*  A  l'école. 
Ne  se  soucia. 

*  Moins. 

*  Depuis.     **L'eus. 


(v.    2238G.) 


DE  LA  ROSE. 


339 


Près  de  moi  l'ai  tous  jors  eu, 
Si  que  n'el  perdi  onques  puis  *, 
Ne  n'el  perdrai  jà*  se  ge  puis  : 
Car  n'en  voldroie  estre  délivres 
Por  cinc  cens  fois  cent  mile  livres. 
Biau  don  me  fist,  por  ce  le  gart*  ; 
Et  moult  sui  liés  *  quant  le  regart, 
Et  la  merci*  de  son  présent 
Liés  et  jolis*,  quant  ge  le  sent. 
Maintes  fois  m'a  puis  conforté 
En  mainz  leus  où  ge  l'ai  porté  ; 
Bien  me  sert,  et  savés  de  quoi? 
Quant  sui  en  aucun  leu  requoi*, 
Et  ge  chemine,  ge  le  boute 
Es*  fosses  où  g'e  ne  voi  goûte, 
Ausinc  cum*  por  les  guez  tenter; 
Si  que  ge  me  puis  bien  venter 
Que  n'i  ai  garde  de  naier, 
Tant  sai  bien  les  gués  essaier, 
Et  fier  par  rives  et  par  fons. 
Mes  g'en  retruis*  de  si  parfons, 
Et  qui  tant  ont  larges  les  rives, 
Qu'il  me  greveroit  mains  deus  lives* 
Sor  la  marine  esbanoier*, 
Et  le  rivage  costoier; 
Et  mains  m'i  porroie  lasser, 
Que  si  périlleus  gué  passer. 
Car  trop  grans  les  ai  essaies, 
Et  si  n'i  sui-ge  pas  naiés  : 
Car  si  tost  cum  ge  les  tentoie 
Et  d'entrer  ens*  m'entremetoie, 
Et  tex*  les  avoie  esprovés, 
Que  jamès  fons  n'i  fust  trovés 
Par  perche  ne  par  aviron, 
Je  m'en  aloie  à  l'environ, 


*  Depuis. 

*  Jamais. 


*  Je  le  garde. 

*  Joyeux. 

*  Et  je  la  remercie. 

*  Joyeux. 


*  Retiré. 

*  Dans  les. 

*  Ainsi  que. 


*  Retrouve. 

*  Lieues. 

*  Sur  le  bord  de  la  mer  se 
divertir. 


'Dedans. 
r  Tels. 


340 


LE  ROMAN 


(v.    22421.) 


Et  près  des  rives  nie  tenoie, 
Tant  que  hors  eu  la  fin  venoie; 
Mes  jamais  issir*  n'en  péusse , 
Se  les  arméures  n'eusse 
Que  Nature  m'avoit  donées. 
Mes  or  lessons  ces  voies  lées* 
A  ceus  qui  là  vont  volentiers; 
Et  nous  les  déduisans*  sentiers, 
Non  pas  les  chemins  as  charretes, 
Mes  les  jolives  seuteletes*, 
Jolif  et  renvoisié*  tenons, 
Qui  les  jolivetés*  menons. 
Si  r'est*  plus  de  gaaing  rentiers, 
Viez*  chemins  que  noviaus  sentiers, 
Et  plus  i  trueve-l'en*  d'avoir 
Dont  l'en  puet  grant  profit  avoir. 
Juvénaus  méismes  a  fiche* 
Que  qui  se  met  o*  vielle  riche  , 
S'il  vuet  à  grant  estât  venir, 
Ne  puet  plus  brief  chemin  tenir; 
S'el  prent  son  service  de  gré, 
Tautost  le  boute  en  haut  degré  (1). 

Ovides  méismes  aferme 
Par  sentence  esprovée  et  ferme, 
Que  qui  se  vuet  à  vielle  prendre, 
Moult  en  puet  grant  loier*  atendre  (2). 


*  Sortir. 

*  Larges. 

*  Agréables. 

*  Petits  sentiers. 
*Gai  et  joyeux. 

*  Galles. 

*  Et.  il  est  de  son  côté. 

*  J'icux. 
*Troiive-t-on. 

*  Affirme. 

*  Avec. 


*  Salaire,  récompense. 


[l]       Quum  te  submoveant,  qui  testamenta  merentur 
Noctibus,  in  cœlum  quos  evetait  oplima  summi 
Nunc  via  processus,  vetulte  vesica  beatre? 
Unciolam  Proculeius  habet,  sed  (îillo  deuncem, 
Partes  quisque  suas,  ad  mensuram  inguinis  hères. 

(D.  Juven.vl.,  sat.  I,  v.  37.) 

(2)  On  chercherait  vainement  dans  la  collection  des  œuvres  d'Ovide  le 

passage  auquel  Jean  de  Meung  fait  ici  allusion;  il  appartient  au  livre  II 

d'un  poème  faussement  attribué  au  chantre  des  Métamorphoses  et  publié 

sous  le  litre  de  f'eltita,  parGoldast,  dans  un  volume  intitulé  :  Ovidii 


(T.    22450.) 


DE  LA  ROSE. 


341 


Tantost  est  grant  richece  aquise 
Por  mener  tel  marchéandise; 
Mes  bien  se  gart*  qui  vielle  prie, 
Qu'il  ne  face  rien  ne  ne  die 
Qui  jà  puist  aguet*  resembler, 
Quant  il  li  vuet  s'amor  embler*, 
Ou  loiaument  néis*  aquerre, 
Quant  amors  en  ses  laz*  l'enserre 
Car  les  dures  vielles  chenues, 
Qui  de  jonesce  sunt  venues 
Où  jadis  ont  esté  datées 
Et  surprises  et  baratées*, 
Quant  plus  ont  esté  décéues, 
Plus  tost  se  sunt  aparcéues 
Des  bareteresses  faveles*, 
Que  ne  font  les  tendres  puceles 
Qui  des  aguez  pas  ne  se  doutent, 
Quant  les  fléutéors*  escoutent; 
Aîds  croient  que  barat  et  guile* 
Soit  ausinc  voir*  eu  m  Evangile  : 
Car  onc  n'en  furent  eschaudées. 
Mes  les  dures  vielles  ridées, 
Malicieuses  et  recuites, 
Sunt  en  l'art  de  barat  si  duites*, 
Dont  eus  ont  toute  la  science 
Par  tens  et  par  expérience, 
Que  quant  li  flajoléors*  vienent, 


*  Se  garde. 

*  Guet  à  pens. 

*  Ravir. 

*  Mime. 

*  Lacs. 


'Trompées. 


Trompeuses  paroles. 


'  Flûteurs,  cajoleurs. 
*  Fraude  et  tromperie. 
'Frai. 


'De  tromperie  si  habiles. 


*  Cajoleurs. 


Nasonis  Pelignensis  erotica  et  amatoria  Opuscula,  etc.  Francofurti,  ty- 
pis  Wolffgangi  Richteri...  Anno  M  D  CX,  in-s°.  Voyez  liv.  II,  chap.  XXXI- 
XLI,  pag.  153- 16 i.  Le  lecteur  curieux  de  savoir  à  qui  l'on  peut  attribuer 
cette  composition,  dont  il  existe  un  manuscrit  du  douzième  siècle  à  la 
Bibliothèque  de  l'École  de  médecine  de  Montpellier  (fonds  Couiner,  E. 
5C),  trouvera  tous  les  renseignements  désirables  dans  la  notice  littéraire 
sur  Ovide,  tom.  VIII,  pag.  380-382,  des  œuvres  complètes  de  ce  poète  pu- 
bliées dans  la  collection  Lemaire. 

29. 


342 


LE   ROMAN 


(v.    22485. 


Qui  par  Tavelés*  les  détienent, 

Et  as  oreilles  lor  taborent*. 

Quant  de  lor  grâce  avoir  laborent*, 

Et  soplientet  s'umilieut, 

Joignent  lor  mains  et  merci  crient, 

Et  s'enclinent  et  s'agenoillent, 

Et  plorent  si  que  tuit  se  moillent, 

Et  devant  eus  se  crucelient 

Por  ce  que  plus  en  eus  se  fient, 

Et  lor  prometent  par  faintise 

Cuer  et  cors,  avoir  et  servise , 

Et  lor  fiancent*  et  lor  jurent 

Les  sains  qui  sunt,  seront  et  furent, 

Et  les  vont  ainsinc  décevant 

Par  parole  où  il  n'a  que  vent  : 

Ainsiuc  cum  fait  li  oiselierres 

Qui  tent  à  l'oisel  comme  lierres*, 

Et  Papele  par  dous  sonés* , 

Muciés*  entre  les  buissonés, 

Por  li  faire  à  son  brai*  venir, 

Tant  que  pris  le  puisse  tenir. 

Li  fox*  oisiaus  de  li  s'aprisme**, 

Qui  ne  set  respoudre  au  sophisme 

Qui  l'a  mis  en  décepcion 

Par  figure  de  diccion; 

Si  cum  fait  li  cailliers*  la  caille, 

Por  ce  que  dedens  la  rois  saille*; 

Et  la  caille  le  son  escoute, 

Si  s'en  apresse*  et  puis  se  boule 

Sous  la  rois  que  cil  *  a  tendue 

Sor  l'erbe    en  printens  fresche  et  drue  ; 

Se  n'est  aucune  caille  vielle, 

Qui  venir  au  caillier  ne  veille, 

Tant  est  eschaudée  et  batue 

Qu'ele  a  bien  autre  rois  véue 


*  Flatteries,  cajoleries. 

*  Battent  le  tambour. 

*  Travaillent. 


'Et     s'engagent    envers 

eux. 


*  Larron . 
Accords. 

*  Caché. 
*Glu. 

*  Le  sot.    ** S'approche. 


* Le  chasseur  de  cailles. 

*  Le  filet  saute. 

*  Approche. 

*  Celui-là. 


(T.    22520.) 


DE   LA  ROSE. 


343 


Dont  el  s'ert  espoir*  eschapée, 
Quant  oie  i  dut  estre  hapée 
Par  entre  les  herbes  petites. 
Ainsinc  les  vielles  devant  dites, 
Qui  jadis  ont  esté  requises, 
Et  des  requeréors*  sorprises 
Par  les  paroles  qu'eles  oient, 
Et  les  contenances  que  voient, 
De  loing  lor  aguez*  aparçoivent, 
Par  quoi  plus  envis*  les  reçoivent; 
Ou  s'il  le  font  néis  acertes* 
Por  avoir  d'amor  les  désertes*, 
Comme  cil  qui  sunt  pris  es  las* 
Dont  tant  sunt  plèsant  li  solas* 
Et  li  travail  tant  délitable*, 
Que  riens  ne  lor  est  si  gréable* 
Cum  est  ceste  espérance  griève 
Qui  tant  lor  plest  et  tant  lor  griève, 
Sunt-eles  en  grant  sospeçon 
D'estre  prises  à  l'ameçon, 
Et  oreillent*  et  estuidient 
Se  cil  voir*  ou  fable  lor  dient, 
Et  vont  paroles  sospesant, 
Tant  redotent  barat*  présant, 
Por  ceus  qu'el  ont  jadis  passés, 
Dont  il  lor  membre*  encore  assés. 
Tous  jors  cuide*  chascune  vielle 
Que  chascun  décevoir  la  vuelle. 
Et  s'il  vous  plest  à  ce  fléchir, 
Vos  cuers  por  plus  tost  enrichir, 
Ou  vous  qui  délit*  i  savés, 
Se  regart  au  délit  avés, 
Bien  poés  ce  chemin  trader* 
Por  vous  déduire  et  solacier*. 
Et  vous  qui  les  jones  volés, 


'Elle  s'était  peut-être. 


*  Soupirants. 


*  Pièges. 

*  Malgré  eux. 

*  Même  certainement . 

*  Récompenses. 

*  Dans  les  lacs. 

*  Plaisirs. 
Agréables. 

*  A  gré. 


Dressent  V  or  cille. 

*  frai. 

*  Tromperie. 

*  Souvient . 

*  Croit . 


Plaisir. 

*  Suivre. 

*  Amuser  et  divertir. 


3-i-i 


LE  ROMAN 


22555.) 


Que  par  moi  ne  soies  bolés*, 
Quéque  mes  mestres  me  commant, 
(Si  sunt  moult  bel  tuit  si  commaut*,) 
Bien  vous  redi  por  chose  voire*, 
(Croie-m'en  qui  m'en  voldra  croire,) 
Qu'il  fait  bon  de  tout  essaier 
Por  soi  miex  es  *  biens  esgaier, 
Ausiuc  cum  fait  li  bons  lécbierres* 
Qui  des  morsiaus  est  congnoissierres* 
Et  de  plusors  viandes*  taste, 
En  pot,  en  rost,  eu  soust*,  en  paste, 
En  friture  et  en  galentine, 
Quant  entrer  puet  en  la  cuisine  ; 
Et  set  loer  et  set  blasmer 
Liquex*  sunt  dons,  liquex  amer, 
Car  de  plusors  en  a  goustés. 
A  usine  sachiés,  et  n'en  doutés, 
Que  qui  mal  essaie  n'aura, 
Jà  du  bien  gaires  ne  saura; 
Et  qui  ne  set  d'onor  que  monte*, 
Jà  ne  saura  congnoistre  boute; 
N'onc  nus  ne  sot*  quel  chose  est  aise, 
S'il  n'ot  avant  apris  mésaise  ; 
Ne  n'est  pas  digne  d'aise  avoir, 
Qui  ne  vuet  mésaise  savoir; 
Et  qui  bien  ne  la  set  soffrir, 
JNus*  ne  li  devroit  aise  offrir. 

Ainsinc  va  des  contraires  choses. 
Les  unes  sunt  des  autres  gloses, 
Et  qui  l'une  en  vuet  défenir, 
De  l'autre  li  doit  sovenir; 
Ou  jà  par  nule  entencion 
N'i  metra  diflinicion  : 
Car  qui  des  deus  n'a  congnoissance, 
Jà  n'i  congnoistra  différence, 


*  Trompés. 

*  Ses  commandements. 

*  Vraie. 


*  Dans  les. 

*  Gourmand. 

¥  Connaisseur. 
*Mels. 

*  Graisse. 


*  Lesquels. 


*  De  l'honneur  ce   qu'il 
vaut. 


*  Nul  ne  sut. 


"Nul. 


V.    22590. 


DE  LA  ROSE. 


3io 


Sens  quoi  ne  puet  venir  en  place 

Diffinicion  que  l'en  face. 

Tout  mon  hernois  tel  que  le  port*, 

Se  porter  le  puis  à  bon  port , 

Voldrai  as  reliques  touchier, 

Se  je  l'en  puis  tant  aprouchier. 

Lors  ai  tant  fait  et  tant  erré 

A  tout*  mon  bordon  desferré , 

Qu'entre  les  deus  biaus  pilerés*, 

Cum  viguereus  et  légères, 

M'agenoillai  sens  demorer*, 

Car  moult  oi*  grant  fain  d'aorer** 

Le  biau  saintuaire  honorable 

De  cuer  dévot  et  pitéable*  : 

Car  tout  iert*  jà  tumbé  à  terre, 

Qu'au  eu  ne  puet  riens  tenir  guerre, 

Que  tout  par  terre  mis  n'éust, 

Sens  c:  que  de  riens  m'i  néust*. 

Trais  ensus  un  poi  la  cortine* 

Qui  les  reliques  encortine  : 

De  l'ymage  lors  m'apressai* 

Que  du  saintuaire  près  sai  ; 

Moult  le  baisai  dévotement , 

Et  pour  estuier  *  sainement , 

Voil*  mon  bordon  mètre  en  l'archière 

Où  l'escherpe  pendoit  derrière. 

Bien  le  cuidai  lancier  debout; 

Mes  il  resort,  et  ge  rebout*, 

Mes  riens  n'i  vaut,  tous  jors  recule. 

Entrer  n'i  pot  por  chose  nule; 

Car  un  palis*  dedeus  trovoi, 

Que  ge  bien  sens,  et  pas  n'el  voi, 

Dont  Parchière  iert  dedeus  hordée*, 

Dès  lors  qu'el  fu  primes  *  fondée, 

Auques*  près  de  la  bordéure  : 


*  Je  le  porte. 


*  Avec. 

*  Petits  piliers. 

*  Sans  retard. 

*  J'eus.   "*  Adorer,  prier. 

* Pieux. 

*  Était. 


*  y  ni  si  t. 

*  Tirai  en  haut  un  peu  le 
rideau. 


M'approchai. 


*  Serrer,  mettre  en  étui. 

*  Je  veux. 


'  Repousse. 


*  Une  palissade. 

*  Garnie. 

*  Dans  le  principe. 

*  Un  peu. 


346 


LE  ROMAN 


•) 


S'en  iert*  plus  fort  et  plus  séure. 
Forment  m'i  convint*  assaillir, 
Sovent  hurter,  sovent  faillir. 
Se  behorder*  m'i  véissiés, 
Por  quoi  bien  garde  i  préissiés, 
D'Ercules  vous  péust  membrer*, 
Quant  il  volt*  Cacus  desmembrer. 
Trois  l'ois  a  la  porte  assailli, 
Trois  fois  hurta,  trois  fois  failli, 
Trois  fois  s'assist  en  la  valée 
Tout  las,  por  avoir  s'alenée*, 
Tant  ot  soffert  paine  et  travail. 
Et  ge,  qui  ci  tant  me  travail, 
Que  trestout  en  tressu  *  d'angoisse, 
Quant  cest  palis  tantost  ne  froisse, 
Sui  bien,  ce  cuit*,  autant  lassés 
Cum  Hercules,  et  plus  assés. 
Tant  ai  hurté,  que  toutevoie 
M'aparçui  d'une  estroite  voie 
Par  où  bien  cuit*  outre  passer; 
Mes  convint*  le  palis  casser. 

Par  la  sentele*  que  j'ai  dite, 
Qui  tant  iert"  estroite  et  petite, 
Par  où  le  passage  quis*  ai, 
Le  palis  au  bordon  *  brisai  : 
S'ai  moi  *  dedens  l'archière  mis  ; 
Mes  ge  n'i  entrai  pas  demis. 
Pesoit-moi*  que  plus  n'i  entroie, 
Mes  outre  pooir  ne  pooie*; 
Mes  por  mile  riens  ne  lessasse 
Que  le  bordon  tout  n'i  passasse. 
Outre  le  passai  sens  demore*; 
Mes  l'escherpe  defors  demore 
O  les  martelez  rebillans*, 
Qui  defors  erent*  pendillans. 


*  El  elle  en  était. 

*  Fortement  il  m' y  fallut. 

*  Combattre. 

*  Fous  rappeler. 

*  Voulut. 


*  Sa  respiration. 

*Qite  tout  j'en  sue. 

*  Je  crois  cela. 


*  Je  pense. 
"Il  fallut. 

*  Sentier. 

*  Était. 

*  Cherché. 

*  Arec  le  bourdon. 

*  El  je  me  suis. 

*  Cela  me  fâchait. 

*  Mais  je  ne  pouvais  au- 
delà  de  mes  Joncs. 

*  Retard. 


*  Avec  les  petits  marteaux 
frappeurs. 

*  Qui  dehors  étaient. 


(v.    22G60.) 


DE  LA   ROSE. 


347 


Et  si  m'en  mis  en  grant  destroit*, 
Tant  trovai  le  passage  estroit  ; 
Car  largement  ne  fu-ce  pas 
Que  ge  trespassasse  le  pas*  ; 
Et  se  bien  l'estre  du  passé, 
Nus  n'i  avoit  onques  passé  • 
Car  g'i  passai  tout  li  premiers, 
N'encor  nièrent*  pas  coustumiers 
Li  liex*  de  recevoir  passage. 
Ne  sai  s'il  fist  puis  *  avantage 
Autant  as  autres  cum  à  moi; 
Mes  bien  vous  di  que  tant  l'amoi, 
Que  ge  ne  le  poi  onques  croire, 
Néis*  se  ce  fust  chose  voire**  ; 
Car  nus  de  légier*  chose  amée 
Ne  mescroit  * ,  tant  soit  diffamée , 
]NTe  si  ne  le  croi  pas  encores  ; 
Mes  au  mains  sai-ge  bien  que  lores 
N'iert-il  ne  froés*  ne  batus, 
Et  por  ce  m'i  sui  embatus*, 
Que  d'autre  entrée  n'i  a  point 
Por  le  bouton  cuillir  à  point. 
Si  saurés  cum  ge  m'i  contins, 
Tant  qu'à  mon  gré  le  bouton  tins. 
Le  fait  orrés*  et  la  manière, 
Por  ce  que  se  mestier  vous  ière*, 
Quant  la  douce  saison  vendra, 
Seignor  valés,  qu'il  convendra* 
Que  vous  ailliés  cuillir  les  roses, 
Ou  les  ouvertes  ou  les  closes, 
Que  si  sagement  i  ailliés, 
Que  vous  au  cuillir  ne  faillies. 
Faites  si  cum  vous  m'orrés*  faire, 
Se  miex  n'en  savés  à  chief  traire*  : 
Car  se  vous  plus  largetement, 


Tourment. 


Passage. 


*  N'étaient. 

*  Les  lieux. 

*  Depuis. 


*M6me.      **  Fraie. 
*Nul  légèrement. 

*  Ne  se  refuse  à  croire. 


*  Frayé. 
'  Enfoncé. 


*  Ou  irez. 
Si  besoin  vous  était. 


"Jeunes  yens,  qu'il  fau- 
dra. 


*   (insigne  vous  m'en  ten- 
dre:. 
' tenir  à  bout. 


348 


LE  ROMAN 


(V.    22695.) 


Ou  miex  ou  plus  sotivement* 
Poés  le  passage  passer, 
Sens  vous  destraindre*  ne  lasser, 
Si  le  passés  à  vostre  guise. 
Quant  vous  aurés  la  voie  aprise, 
Tant  aurés  au  mains  d'avantaige, 
Que  ge  vous  aprens  mon  usaige 
Sens  riens  prendre  de  vostre  avoir  : 
Si  m'en  devés  bon  gré  savoir. 

Quant  g'iere  ilec*  si  empressiés, 
Tant  fui  du  rosier  apressiés*, 
Qu'à  mon  voloir  poi*  la  main  tendre 
As  rainsiaus*  por  le  bouton  prendre. 
Bel-Acueil  por  Dieu  me  prioit 
Que  nul  outrage  fait  n'i  oit  *; 
Et  ge  li  mis  moult  en  convent*, 
Por  ce  qu'il  m'en  prioit  sovent , 
Que  jà  nule  riens*  n'i  feroie 
Fors  sa  volenté  et  la  moie*. 


* Subtilement. 


*  Tourmente)-. 


J'étais  là. 
Approché. 
*Pus. 

*  Rameaux. 

*N'y  eût. 

*  Je  lui  promis  fortement. 

*  Chose. 

*  .Vienne. 


La  conclusion  du  Rointiumt 
Est  que  vous  voyez  cy  l'Amant 
Qui  prent  la  Rose  à  son  plaisir, 
-    En  qui  estoit  tout  son  diîsir. 


Par  les  rains*  saisi  le  rosier, 
Qui  plus  est  frans  que  nul  osier; 
Et  quant  à  deus  mains  m'i  poi  *  joindre, 
Trestout  soavet  sens  moi  poindre*, 
Le  bouton  pris  à  eslochier*, 
Qu'envis*  l'eusse  sens  boclner. 
Toutes  en  Os  par  estovoir* 
Les  branches  croler*  et  movoir, 
Sens  jà  nul  des  rains*  dépecier, 
Car  n'i  voloie  riens  blécier; 
Et  si  m'en  convint-il  à  force* 


*  Rameaux,  branches. 

*  .V'y  pus. 

*  Tout  doucement  sans  me 
piquer. 

*  Secouer. 

*  Arec  peine. 

*  Force. 

*  Remuer. 

*  Rameaux,  branches. 


*  Et  il  m'en   fallut   par 
force. 


(v.    2-2725.) 


DE  LA   ROSE. 


349 


Entamer  un  poi*  de  l'escorce, 
Qu'autrement  *  avoir  ne  savoie 
Ce  dont  si  grant  désir  avoie. 
En  la  parfin*  tant  vous  en  di, 
Un  poi*  de  graine  i  espandi, 
Quant  j'oi  le  bouton  eslochié*: 
Ce  fu  quant  dedens  Toi  *  tochié 
Por  les  foilletes  reverchier*  ; 
Car  ge  voloie  tout  cerchier 
Jusques  au  fons  du  boutonet, 
Si  cum  moi  *  semble  que  bon  est. 
Et  fis  lors  si*  meller  les  graines, 
Que  se  desmellassent  à  paines, 
Si  que  tout  le  boutonet  tendre 
En  fis  eslargir  et  estendre. 
Vez  ci  tout  quanque  g'i  forfis*; 
Mes  de  tant  fui-ge  bien  lors  fis*  : 
Qui  des  amans  les  roses  garde, 
Moult  en  fait  ores*  bone  garde. 
Ains  que  d'ilec  me  remuasse*, 
(A  mon  voil*  encor  demorasse) 
Par  grant  joliveté*  coilli 
La  flor  du  biau  rosier  t'oilli*  : 
Ainsinc  oi*  la  Rose  vermeille, 
Atant*  fu  jor,  etge  m'esveille  (1). 

Et  puis  que  ge  fui  *  esveillié 
Du  songe  qui  m'a  traveillié*, 
Et  moult  i  ai  eu  à  faire 
Ains*  que  ge  péusse  à  chief  traire' 
De  ce  que  j'avoie  entrepris; 
Mes  toutevois  si  ai-ge  pris 


*  Un  peu. 

*  Car  autrement. 

*A  la  fin. 

*  Un  peu . 

*  Ébranlé- 

*  L'eus. 

*  Examiner. 


Ainsi  qu'il  me. 
'  Et  je  fis  alors  tellement. 


*  Voici  tout  le  mal  que  j'y 

?Sj         ■ 

*  Assure. 


*  Maintenant. 

* Avant  que  de  là  m'cloi- 
gnasse. 

*  Volonté. 

*  Gaité. 

*  Feuille. 

*  Ainsi  j'eus. 

*  Alors. 

*  Et  depuis  que  je  fus. 

*  Fatigué. 

*  Avant.    ** Venir à  bout. 


(i)  Le  Roman  de  la  Rose  se  terminant  ici  dans  la  presque  totalité  des 
manuscrits,  on  serait  tenté  de  croire  que  les  vingt-quatre  vers  suivants 
ne  sont  pas  du  même  auteur.  (MÉON.) 

30 


350 


LE  ROMAN 


(V.    2275G.) 


Le  bouton  que  tant  désiroie, 
Combien  que  traveillié*  m'i  soie, 
Et  tout  le  solas*  de  ma  vie, 
Maugré  Dangier  et  Jalousie, 
Et  maugré  Raison  ensement* 
Qui  tant  me  lédengea  forment*; 
Mes  Amors  m'avoit  bieu  promis, 
Et  ausinc  me  le  dist  amis, 
Se  ge  servoie  loiaument, 
Que  j'auroie  prochainement 
Ma  volenté  toute  acomplie. 
Folz  est  qui  en  Dieu  ne  se  fie; 
Et  quiconques  blasme  les  songes, 
Et  dist  que  ce  suut  des  mençonges, 
De  cestui*  ne  le  di-ge  mie, 
Car  ge  tesmoingne  et  certefie 
Que  tout  quauque*  j'ai  récité 
Est  fine  et  pure  vérité. 
Explicit*  li  Rommans  la  Rose, 
Où  l'art  d'Amours  est  toute  enclose. 
Nature  rit,  si  com  moi  semble, 
Quant  hic  et  hec  joinguent  ensemble  : 
Conques  nul  mal*  gré  ne  m'en  sot 
Li  dous,  qui  nul  mal  n'i  pensot; 
Ains  me  consent  et  sueffre  à  faire 
Quanqu'il  set*  qui  me  doie**  plaire. 
Si  m'apelle-il  déconvenant*, 
Que  li  fais  grant  désavenaut*, 
Et  sui  trop  outrageus,  ce  dit  ; 
Si  n'i  met-il  nul  contredit, 
Que  ne  prengne,  débaille*  et  coille 
Rosiers  et  Rose,  (lors  et  foille. 
Quant  en  si  haut  degré  me  vi, 
Que  j'oi*  si  noblement  chevi**, 
Que  mes  procès  n'ert  mes  dotable, 


*  Employé. 

*  Plaisir. 

*  Pareillement. 
'Injuria  fortement. 


*  De  celui-là. 

*  Ce  que. 

*  Finit. 

*  Mauvais. 


*  Tout  ce  qu'il  sait. 
**  Doive. 

*  Désagréable,  fâcheux. 

*  Honte. 


* Découvre. 


'J'eus.  Achevé. 


DE  LÀ  ROSE. 


351 


Fors  ce*  que  fins  et  agréable 
Fusse  vers  tous  mes  bienfaitors, 
Si  cum  doit  faire  bons  détors* 
(Car  moult  estoie  à  eus  tenus , 
Quant  par  eus  iere*  devenus 
Si  riches,  que  por  voir  atiche*, 
Richece  n'estoit  pas  si  riche), 
Au  dieu  d'Amors  et  à  Vénus 
Qui  m'orent  aidié  miex  que  nus*, 
Puis  à  tous  les  barons  de  l'ost*, 
(Dont  ge  pri  Dieu  que  jà  n'es  ost* 
Des  secors  as  fins  amoreus) 
Entre  les  baisiers  savoreus, 
Rendi  grâces  dix  fois  ou  vint; 
Mes  de  Raison  ne  me  sovint, 
Qui  tant  en  moi  gasta*  de  paine, 
Maugré  Richece  la  vilaine, 
Qui  onques  de  pitié  n'usa, 
Quant  l'entrée  me  refusa 
Du  senteret*  qu'ele  gardoit. 
De  cesti  pas*  ne  se  gardoit 
Par  où  ge  sui  céans  venus 
Répostement*  les  saus  menus, 
Maugré  mes  mortex  anemis 
Qui  tant  m'orent  arrière  mis, 
Espéciaument*  Jalousie 
O  tout*  son  chapel  de  soussie  (1). 


Si  ce  n'est. 

*  Débiteur. 

J'étais. 

*  Pour  vrai  j'affirme. 


*  Mieux  que  nul. 

*  L'armée. 

*  .\c  les  ôte. 


Prit. 


k Petit  sentier. 
'  De  ce  passa/je. 

En  cachette. 


* Spécialement. 
"Avec. 


(I)  Allusion  à  l'habitude  qu'avaient  nos  ancêtres  de  se  couronner  de 
fleurs,  surtout  de  roses,  dans  toutes  les  occasions  de  joie  et  d'allégresse. 
«  Tl  n'y  avoit  point  de  cérémonie,  dit  Le  Grand  d'Aussy,  point  de  noces, 
point  de  festin,  où  l'on  ne  portât  un  chapel  ou  chapeau  de  roses;  ainsi 
s'appelèrent  les  couronnes.  Le  Roman  de  Perceforest,  décrivant  une  fête, 
a  soin  de  remarquer  que  «  avoit  chascun  et  chascune  ung  chapeau  de 
roses  sur  son  chief.  »  Lorsque  le  connétable  servait  à  table  le  roi,  il  avoit 
à  la  main  une  verge  blanche,  et  sur  la  tète  une  de  ces  couronnes.  Les 


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LE  ROMAN  DE  LA  ROSE. 


religieuses,  quand  elles  faisaient  profession,  les  iilles,  quand  elles  se  ma- 
rioient,  en  porloienl  une.  Plusieurs  des  anciens  coutumiers  de  nos  pro- 
vinces règlent  même  que  lorsqu'un  père  mariera  sa  fille,  il  pourra  ne  lui 
donner  que  le  chapeau  de  roses,  c'est-à-dire,  la  restreindre  pour  toute  dot 
à  la  seule  couronne  de  mariage.  •  (Histoire  de  la  vie  privée  des  François, 
tom.  II,  p.  245,  24G.  Voyez  encore  B.  de  Roquefort,  de  l'État  de  la  poésie 
françoise  dans  les  douzième  et  treizième  siècles,  p.  94.) 


FIN    DU    TOM  F.    SF.COND. 


.a  Bibliothèque 
yersïté  diOttawa 
Echéance 


The  Lîbrary 
University  of  Ottawa 
Date  Due 


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