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Full text of "Les années romantiques, 1819-1842; correspondence. Publiée par Julien Tiersot"

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lesannesromantOOberl 


LES 


ANNÉES    ROMANTIQUES 


1819-1842 


OEUVRES  DE  BERLIOZ 


Format  in-18 


A   TRAVERS   CHANTS 1  Vol. 

CORRESPONDANCE    INÉDITE    1  — 

LES  GROTESQUES  DE  LA  MUSIQUE 1  — 

LETTRES  INTIMES 1  — 

MÉMOIRES 2  — 

LA   MLSIQIE   ET   LES  MUSICIENS 1  — 

LES  SOIRÉES  DE   LORCHESTRE 1  — 


JULIEN   TIERSOT 


Hector  Berlioz  et  la  Société  de  son  temps,  ouvrage  couronné  par 
l'Académie  française,  1  vol.  in-12  (1903),  Hachette  et  C'V 


Droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés  pour  tous  les  pays 
y  compris  la  Suède,  la  Norvège  et  la  Hollande. 


imprimerie  ciuix.   rue  kergèke,  :>0,  paris.  —  6560-*-<M-   —  Œicre  Lorilleui). 


M  h  ii  A  I  I.  1.  "  N       F  \  I  T       A       ROM]         E  s 
PAR 

DANTAN      \IM 


HECTOR    BERLIOZ 


LES 


VNNÉES  ROMANTIQUES 

1819-1842 


CORRESPONDANCE 


PUBLIEE    PAR 


JULIEN  TIERSOT 


iE3 


PARIS 
CALMANN-LÉVY,   ÉDITEURS 

3,    RUE    AUBER,   3 


~J 


3 


leotf 


PREFACE 


Peu  d'artistes  ont  mis  dans  leur  œuvre  autant  d'eux- 
mêmes  que  Berlioz.  Ses  sentiments,  ses  passions,  ses 
pensées  intimes  furent  presque  seuls  les  sources  de 
son  inspiration.  La  Symphonie  fantastique,  Harold, 
Lelio,  Tristia  sont  là  pour  le  dire  :  leurs  pages  fes  plus 
émouvantes  sont  des  confidences,  des  confessions  en 
musique.  Et  si,  ailleurs,  le  musicien  ne  prétend  qu'être 
l'interprète  de  Shakespeare,  de  Gœthe,  de  Virgile,  c'est 
encore  lui  qui  parle  et  chante  sous  le  couvert  de  Ro- 
méo, de  Faust,  de  Didon:  s'étant  reconnu  dans  les 
créalions  des  poètes  qui  émurent  sa  jeunesse,  vibrant 
à  leur  unisson,  il  leur  a  tout  naturellement  prêté  ses 
propres  accents. 

Par  ce  naturel  besoin  d'expansion,  loin  d'imiter  les  au- 


II  PREFACE. 

teurs  qui  abritent  plus  ou  moins  leur  personne  derrière] 
leur  œuvre,  il  a  voulu  se  faire  connaître  à  tous  de  la 
façon  la  plus  explicite.  Il  a  publié  ses  Mémoires,  où  il  nous  \ 
apparaît  peint  par  lui-même.  Tels  Rembrandt,  Durer,  j 
Delacroix  ont  conservé  pour  la  postérité  leurs  propres ; 
traits  en  les  fixant  sur  la  toile.  «  Vous  m'y  trouverez  tel  ' 
que  je  fus,  tel  que  je  suis  »,  écrivait-il  un  jour  à  l'amie 
qui  inspira  les  chapitres  les  plus  intimes  de  son  livre  ; 
«  tout  est  vrai  et  d'une  sincérité  parfaite  :  vous  verrez 
bien  que  je  n'ai  pas  cherché  à  produire  de  l'effet  ».  Rien 
de  plus  exact  que  ce  jugement  :  aussi  les  Mémoires  de 
Rerlioz,  l'étude  la  •  plus  fouillée,  l'évocation   la   plus 
réelle  d'une  existence  d'artiste,  demeurent  pour  l'his- 
toire un  document  de  premier  ordre. 

Mais  cela  même  ne  suffit  point  à  satisfaire  l'irrésis- 
tible désir  qu'il  avait  d'ouvrir  son  cœur.  A  côté  des 
Mémoires,  où  il  se  résume,  il  improvise,  au  jour  le  jour, 
des  pages  où  frémit  sa  vie  même,  sa  vie  tout  entière, 
et  dont  la  lecture  laisse  une  impression  immédiate  et 
fraîche  de  «  chose  vue  ».  On  se  rappelle,  en  les  parcou- 
rant, ces  vers  d'un  de  ses  poètes  préférés  : 

...  J!-étaia  là,  toile  chose  m'avint  ; 
Viius  y  croirez  être  vous-même. 

Ces  feuillets  rapides,  qu'il  dispersa  dans  toutes  les 
directions  depuis  sa  tendre  jeunesse  jusqu'à  sa  mort. 


PREFACE.  III 

sans  se  douter  que  leur  réunion  pût  former  un  tel 
monument,  c'est  toute  sa  correspondance. 

Ce  fut  un  terrible  écriveur  que  Berlioz!  Pourtant,  par 
métier  il  fut  «  écrivain  »,  et  comme  tel,  astreint  à  de 
durs  labeurs.  Mais,  quand  il  avait  achevé  sa  besogne  et 
posé  la  plume  du  critique,  il  aimait  encore  à  causer 
de  loin,  librement,  avec  ceux  qu'il  aimait.  Dès  lors, 
plus  de  lassitude  :  il  redevenait  lui-même  ;  il  pouvait 
s'exprimer  sans  contrainte,  il  en  profitait  avec  joie  1  Aussi 
est-ce  dans  ses  lettres  surtout  qu'il  faut  chercher  sa  pen- 
sée vraie.  Il  y  parle  à  cœur  ouvert,  il  s'abandonne,  il  se 
livre.  Les  Mémoires  ne  donnent  pas   de  lui  une  idée 
aussi  complète  :  ce  raccourci  de  son  existence,  malgré 
sa  parfaite  sincérité,  ne  va  pas  sans  quelque  part  d'ap- 
prêt :   on  y  sent,  par  endroits,  la  «  littérature  ».   Les 
lettres,  en  leur  tenue  plus  négligée,  ont  peut-être  de 
moins  brillants  dehors  ;    mais  que  de  compensations 
elles  nous  offrent  !    Quelle  abondance  de   sensations 
directes  et  personnelles  !  Et  quelle  variété  de  tons  !  Car 
elles  s'adressent  aux  correspondants  les  plus  divers;  on 
y  voit  l'homme  sous  tous  les  aspects  possibles,  dans 
le  secret  de   son   foyer  comme  dans    le  inonde  dis- 
parate où  il  lui  faut  s'agiter,  parlant  à  chacun  le  langage 
qui  convient,  mais  restant  lui-même,  et  mêlant  au  récit 
de  ses  actes  la  confidence  perpétuelle  de  ses  sentiments 
et  de  ses  pensées. 

b 


IV  PREFACE. 

Qui  aura  lu  soigneusement  ces  lettres  connaîtra  Ber- 
lioz encore  mieux  peut-être  que  le  connurent  jamais 
ses  plus  intimes  amis. 

On  a  déjà  recueilli  et  publié  maintes  lettres  de  Ber- 
lioz. Mais  il  en  est  un  bien  plus  grand  nombre  qui  sont 
restées  jusqu'à  présent  inédites.  C'est  d'abord  près  de 
trois  cents  lettres  intimes  qu'il  écrivit  aux  représentants 
des  générations  successives  de  sa  famille,  —  tour  à 
tour  son  père,  sa  mère,  son  grand-père,  puis  ses  sœurs, 
enfin  ses  nièces  l  —  lettres  réparties  sur  un  espace  de 
près  de  cinquante  ans  (de  1821  à  1868),  et  dont  l'en- 
semble constituerait  à  lui  seul  une  autobiographie  au 
jour  le  jour  aussi  complète  qu'animée.  D'autres  sont 
adressées  à  des  amis  en  art.  écrivains,  poètes,  parfois 
les  premiers  de  l'époque,  ou  à  des  confrères  —  qui  ne  I 
sont  pas  toujours  des  amis,  —  et  aux  indifférents  avec 
lesquels  les  obligations  de  la  société  l'ont  mis  en  contact. 

C'est  donc,  en  joignant  aux  lettres  inédites  quelques 
pièces  dispersées  et  comme  perdues  dans  diverses 
publications,  un  ensemble  de  plus  de  cinq  cents  lettres 
inconnues  de  la  généralité  du  public  que  nous  avons 
la  bonne  fortune  de  pouvoir  lui  présenter.  L'abondance 

1.  Les  lettres  de  Berlioz  à  son  iils  forment  une  autre  collection 
dont  les  pièces  les  plus  intéressantes,  publiées  dans  la  Correspon- 
dance inédite,  sont  déjà  connues. 


PREFACE.  V 

on  est  telle  qu'il  eût  été  impossible  de  les  lui  offrir 
toutes  à  la  fois  :  nous  avons  dû  nous  résoudre  à  en 
former  plusieurs  volumes,  les  partageant  par  séries 
chronologiques  correspondant  aux  principales  étapes  de 
la  carrière  de  Berlioz. 

Le  livre  par  lequel  est  inaugurée  celte  publication 
comprend  les  lettres  des  «  années  romantiques  »,  —  de  ce 
temps  où  l'artiste  est  jeune,  où  son  exubérance  est  le 
plus  ardente,  où,  non  content  d'exprimer  par  son  art 
l'idéal  de  l'époque,  il  en  incarne  l'esprit  en  sa  per- 
sonne, apparaissant  lui-même  comme  le  type  réel  de 
l'homme  romantique.  Cette  division  correspond  à  une 
tranche  de  vie  parfaitement  déterminée,  qui,  commen- 
tant avec  ses  débuts,  se  trouve  nettement  limitée,  à 
l'autre  extrémité,  d'une  part  par  des  événements  par- 
ticuliers qui  eurent  une  grande  influence  sur  la  suite 
de  suri  existence  intime,  d'autre  part,  et  de  façon  plus 
apparente,  par  son  premier  départ  pour  l'Allemagne, 
commencement  d'un  apostolat  d'art  qui  l'occupera  pen- 
dant toute  la  période  suivante. 

Dire  que  l'assemblage  de  ces  lettres  renouvellera  de 
tond  en  comble  sa  biographie  serait  sans  doute  excessif. 
La  plupart  des  faits  importants  qu'elles  contiennent 
sont  déjà  connus.  .Mais  elles  nous  découvrent  bien 
des  particularités  nouvelles.  11  n'en  est  vraiment  pas 
une  qui  soit  négligeable  :  les  moindres  ont  leur  valeur, 


VI  PREFACE. 

contenant  soit  un  détail  de  vie,  soit  un  mot,  un  trait  où 
l'on  reconnaît  son  esprit,  qui  est  inépuisable.  Quant 
aux  plus  importantes,  celles  qui  nous  montrent  l'homme 
aux  prises  avec  les  difficultés  de  l'existence,  point  n'est 
besoin  d'insister  par  avance  pour  en  faire  comprendre 
le  puissant  intérêt. 

L'ensemble  est  d'autant  plus  précieux  qu'on  n'y  peut 
surprendre  aucune  solution  de  continuité.  Berlioz 
nous  avait  donné  une  première  autobiographie  :  en  voici 
une  seconde,  qui  n'en  est  pas  seulement  le  complé- 
ment, mais  se  révèle  comme  une  œuvre  intégrale.  Ces 
Lettres  ne  contredisent  pas  les  Mémoires  (si  ce  n'est  sur 
quelques  détails  insignifiants).  Elles  les  contrôlent, 
les  précisent  et  y  ajoutent.  Enfin  leur  récit  est  plus  vivant 
encore.  Aussi  faudrait-il  bien  se  garder  de  ne  voir 
dans  cette  correspondance  qu'un  recueil  de  documents  : 
c'est  un  livre  complet,  dont  toutes  les  parties  se  suivent 
et  s'enchaîaent,  qu'il  faut  lire  comme  on  lit  un  roman 
par  lettres,  —  Werther,  ou  la  Nouvelle  Héloïse,  —  et 
les  éléments  dont  il  se  compose  ne  sont  pas  des  fic- 
tions, mais  la  vérité  même,  l'émanation  réelle  du  plus 
grand  maître  qui  ait  honoré  l'art  musical  en  France 
au  xixe  siècle. 

Berlioz  est  là  tout  entier  qui  revit  devant  nous. 

Veut-on  lui  entendre  formuler  sa  doctrine  ?  On  lui  a 
parfois  reproché  do  ne  l'avoir  pas  fait  publiquement  en 


PREFACE.  VII 

rédigeant  une  profession  de  foi  qu'il  aurait  fallu  pro- 
bablement afficher  sur  les  murs.  Il  est  bien  vrai  qu'on 
ne  trouvera  pas  plus  ce  morceau  oratoire  dans  ses 
lettres  que  dans  ses  livres  ;  mais  les  éléments  en  sont 
épars  à  chaque  page:  ils  pourraient  être  facilement 
détachés  et  réunis  pour  constituer  l'exposé  des  prin- 
cipes qui  se  dégagent  de  son  œuvre  même,  et  auxquels 
il  a  obéi  avec  une  constance  rare,  depuis  ses  premiers 
pas  dans  la  carrière  jusqu'à  l'arrêt  final. 

Mais  c'est  encore  bien  plus  son  caractère  que  son  esthé- 
tique que  ses  lettres  vont  nous  révéler. 

Nous  y  observerons  d'abord,  avec  des  particularités 
nouvelles,  sa  tendance  au  grossissement  qui,  en  art,  lui 
fait  concevoir  le  gigantesque,  et,  dans  la  vie,  le  porte 
souvent  à  exagérer  les  choses.  Nous  savions  déjà  que 
ses  divers  états  passionnés  furent,  en  général,  assez 
disproportionnés  avec  leurs  objets  :  la  connaissance 
plus  approfondie  de  son  existence  intime  nous  apportera 
des  précisions  nouvelles.  Il  ne  savait  pas  toujours  con- 
server la  mesure  qu'imposent  à  chacun  les  nécessités 
sociales  :  il  supportait  sans  patience  les  petites  mi- 
sères de  tous  les  jours,  et  il  exhalait  ses  indignations 
en  des  termes  dont  l'outrance  nous  fait  sourire.  Il  dit 
'<  turpitudes  »,  «  infamies  »,  là  où  nous  aurions  vu  seu- 
lement l'occasion  d'un  regret  passager  ou  d'un  simple 
blâme.    Quelqu'un   qui  lui  a  fait  un  reproche  injuste 


VIII  PREFACE. 

est  qualifié  «  crapaud  gonflé  de  sottise  » ,  et  une  «  gre- 
dinerie  »  est  une  de  ces  indélicatesses  ordinaires 
auxquelles  l'usage  de  la  vie  commune  nous  oblige  tous 
à  nous  résigner  !  Il  y  a  en  lui  une  vibration  qui  ne 
peut  être  contenue,  une  exaltation  maladive,  provo- 
quant un  tremblement  de  tout  l'être,  et  dont  la  réper- 
cussion sur  le  style  est  parfois  singulière.  «  Je  suis 
dans  un  de  ces  moments  d'orage  auxquels  je  suis  sujet. 
Une  multitude  d'idées  se  pressent  dans  ma  tète,  se 
choquent,  s'embrouillent,  me  font  bouillonner  le  sang, 
m'agitent,  en  un  mot,  d'une  manière  extraordinaire.  » 
I!  parle  ainsi  dans  une  de  ses  premières  lettres  de  jeu- 
nesse :  nous  en  retrouverons  du  même  ton  jusqu'à  la 
veille  de  sa  mort. 

C'est  une  vraie  sensitive. 

Ses  enthousiasmes,  ses  amours  ne  sont  pas  moins 
violents  que  ses  haines. 

Cependant,  il  faut  le  déclarer  bien  haut,  une  prédis- 
position si  dangereuse  ne  l 'égara  pas.  Si  elle  put  avoir 
parfois  des  effets  regrettables,  ce  fut  plutôt  sur  sa  des- 
tinée d'homme  que  sur  son  œuvre  d'art.  En  matière 
sentimentale  —  et  l'on  sait  si  elle  eut  de  l'impor- 
tance dans  la  vie  de  Berlioz  —  il  fut  trop  souvent 
victime  de  l'illusion  :  comme  producteur,  au  contraire, 
cet  état  d'esprit  fut  sa  force  et  la  cause  de  sa  gran- 
deur. Sa  critique  même  n'en  ressentit  pas  de  mauvais 


P  R  E  F  A  C E .  I  \ 

effets  en  sa  direction  générale.  Ses  jugements,  pour 
n'être  pas  toujours  mesurés,  n'en  procèdent  pas 
moins  d'un  esprit  juste,  d'une  raison  droite  et  saine, 

•  parfaitement  conforme  à  son  tempérament  génial.  S'ils 
l  sont  souvent  en  contradiction  avec  l'esprit  de  son 
I  époque,  ils  ont  été  confirmés  hautement  par  les  géné- 
.  rations  qui  suivirent.  Oui  certes,  il  s'est  exprimé  sur  un 

ton  virulent  au  sujet  de  Rossini  et  de  son  école;  il  avait 
j  quelques  bonnes  raisons  pour  cela  :  c'étaient  ses  enne- 
;  mis,  ennemis  d'origine  aussi  bien  que  de  fait  ;  mais 

a-t-il  donc  fallu  attendre  de  si  longues  années  pour 

•  qu'ils  fussent  dépossédés  de  leur  royauté  tyrannique? 
Si  d'ailleurs,  à  vingt  ans,  nous  le  voyons  délirer  d'ad- 
miration devant  des  œuvres  de  second  ordre  —  tel 
opéra  de  Kreutzer,  ou  les  o  histoires  saintes  »  de  son 
maître  Lesueur,  —  cela  n'a  rien  pour  nous  choquer  : 
ces  œuvres,  imparfaites  quant  à  la  réalisation,  étaient 
d'une  tendance  louable,  et  il  y  trouvait  contenue  une 
part  de  son  idéal.  Mais  quand  Beethoven,  Weber. 
Gluck,  et  Shakespeare,  et  Gœthe  lui  furent  révélés,  il 
lui  sembla  voir  la  lumière  jaillir  devant  ses  yeux  :  il 
put  alors  crier  haut  son  enthousiasme,  qui,  cette  fois, 
n'avait  plus  rien  d'exagéré. 

Avec  ce  besoin  d'admirer,  il  est  assez  naturel  que 

Berlioz  se  soit  admiré  lui-même.  Je  n'y  vois,  pour  ma 

;    part,  aucun  inconvénient.  L'orgueil,  chez  les  hommes 


X  PREFACE. 

de  génie,  c'est  le  juste  sentiment  de  la  réalité.  C'est  une 
preuve  de  leur  bon  sens.  Cette  preuve,  il  est  vrai  que  Ber- 
lioz l'a  donnée  abondamment!  Nous  la  trouvons  surtout 
dans  les  lettres  à  sa  famille,  où  il  se  montre  «  en  toute 
sa  candeur  » .  Nous  ne  ferons  pas  le  compte  de  celles  qui 
commencent  par  ces  mots  :  «  J'ai  obtenu  hier  un  succès 
extraordinaire  »,  ou  qui  répètent  avec  satisfaction  les 
compliments  reçus,  parlent  des  coups  de  chapeau  adressés 
par  des  inconnus,  etc.  Au  surplus,  n'était-il  pas  naturel 
qu'il  fût  empressé  à  transmettre  aux  siens  les  bonnes 
nouvelles,  fût-ce  en  les  exagérant  un  peu?  Et  nous 
devons  parfois  à  ces  communications  de  voir  tracés 
de  petits  tableaux  de  mœurs  singulièrement  évo- 
cateurs  de  la  physionomie  et  de  la  vie  de  l'artiste,  en 
un  temps  où  cette  vie  était  si  caractéristique. 

Lisez  par  exemple  la  lettre  où  il  raconte  l'exécution 
de  sa  première  œuvre,  une  messe  à  grand  orchestre 
chantée  à  Saint-Roch  en  1825  :  il  évoque  ses  émotions, 
son  agitation  fiévreuse  qui  pensa  faire  perdre  la  tête  au 
chef  d'orchestre  ;  il  dit  le  défilé  à  la  sacristie  des  audi- 
teurs ébahis,  le  discours  en  trois  points  du  curé,  l'étreinte 
paternelle  du  bon  Lesueur  qui,  du  premier  jour,  l'a 
deviné  homme  de  génie... 

Autre  scène,  cinq  ans  plus  tard,  après  la  distribution 
des  prix  de  l'Académie  des  Beaux-Arts  :  sa  cantate  a  été 
mal  exécutée,    il   s'en    désole  comme  d'un   malheur 


PREFACE.  XI 

public  !  Il  semble,  en  le  lisant,  qu'on  voie  le  jeune 
artiste  lauréat  s'agiter  dans  la  cour  immuable  de  l'Insti- 
tut, arrachant  des  touffes  de  ses  abondants  cheveux, 
maudissant  le  malheureux  cor  dont  la  distraction  a 
causé  tout  le  mal  :  ses  amis  s'empressent  autour  de  lui, 
le  plaignent  en  toute  la  sincérité  de  leur  âme,  tandis  que 
les  filles  du  professeur  s'en  vont  criant  que  c'est  un 
coup  monté  par  la  classe  rivale.  Cependant,  la  généra- 
lité des  assistants  hoche  la  tête  en  se  demandant  ce  que 
cela  veut  dire;  l'un,  bon  provincial,  ami  de  la  famille, 
cherche  des  paroles  pour  le  consoler  :  «  Mais  non  1  C'a 
été  très  bien  !  Tout  a  été  senti  et  apprécié  !  »  Mais 
son  chagrin  en  redouble  :  «  Comment  pourrait-on 
sentir  et  apprécier  ce  qu'on  n'a  pas  entendu  ?. . .  » 

Il  est  aussi  sincère  dans  ses  accès  de  désespoir  naïf  que 
dans  les  témoignages  qu'il  donne  de  son  contentement 
de  lui-même  ;  qu'il  s'agisse  de  défaites  ou  de  victoires, 
il  ne  cèle  rien.  Ces  batailles  pour  la  cause  de  l'art  ne 
sont-elles  pas  les  seules  choses  qui  ont  de  l'impor- 
tance à  ses  yeux  ?  George  Sand  le  jugeait  fort  bien 
quand,  dans  un  paragraphe  tout  sympathique,  elle 
disait  de  lui  :  «  Peut-être  bien  a-t-il  la  scélératesse  de 
penser  en  secret  que  tous  les  peuples  de  l'univers  ne 
valent  pas  une  gamme  chromatique  placée  à  propos, 
comme  moi  j'ai  l'insolence  de  préférer  une  jacinthe 
blanche  à  la  couronne  de  France.  Mais  on  peut  avoir 

b. 


XII  PREFACE. 

ces  folies  dans  le  cerveau  et  ne  pas  être  l'ennemi  du 
genre  humain.  »  Celte  exclusive  préoccupation  d'art,  ce 
souci  d'y  tout  rapporter,  sont  la  conséquence  de  la  haute 
idée  qu'il  se  faisait  de  sa  mission,  et  c'est  bien  à  tort 
qu'on  l'en  voudrait  blâmer.  La  confiance  en  soi  est  une 
condition  nécessaire  pour  vaincre.  Le  lendemain  de 
son  premier  concert  (il  n'avait  guère  plus  de  vingt -quatre 
ans,  et  c'était  la  première  fois  qu'un  musicien  français 
tentait  pareil  effort),  il  écrivait  à  son  père  :  «  Plusieurs 
personnes  redoutaient  pour  moi  le  souvenir  des  sympho- 
nies de  Beethoven  qu'on  avait  entendues  dans  le  même 
local  quinze  jours  auparavant.  »  Mais  lui  n'avait  pas  de 
ces  craintes  :  ne  venait-il  pas  de  déclarer,  le  même 
jour,  qu'il  reprenait  la  musique  au  point  où  Beethoven 
l'avait  laissée?  Prétention  risible  de  la  part  de  tout 
autre  :  chez  Berlioz,  admirable  perspicacité. 

Pourtant  il  put  avoir  bien  des  sujets  d'impatience 
lorsqu'il  comprit  que  ce  but,  qui  lui  apparaissait  clai- 
rement dès  l'abord,  restait  inaperçu  de  la  plupart  de 
ceux  qui  marchaient  à  ses  côtés.  Là-dessus  encore  il  fut 
averti  dès  le  premier  jour.  La  même  lettre  qui  rend 
compte  de  ce  concert  de  début  contient  cette  phrase  : 
«  J'ai  reconnu  qu'on  ne  peut  pas  plier  tout  d'un  coup 
un  auditoire  musical  à  des  formes  nouvelles.  »  Voilà 
une  constatation  qu'il  eut  d'assez  fréquentes  occasions 
de  répéter  par  la  suite  I 


PRÉFACE.  XIII 

Nous  allons  donc  le  voir  à  l'œuvre,  et  suivre  jour  par 
jour  les  étapes  de  son  incessant  labeur.  Je  ne  sais  qui 
a  dit  que  la  mémoire  de  Berlioz  ne  gagnait  pas  à  la 
publication  posthume  de  ses  lettres,  —  ou  plutôt  je  le 
sais  trop.  Il  n'y  a  qu'une  réponse  à  faire  à  cela:  qu'on 
lise  ce  livre  ;  on  dira  ensuite  si  l'existence  qu'il  évoque 
ne  fut  pas  un  constant  effort  de  travail  et  de  probité, 
l'honneur  de  l'homme  et  de  l'artiste  qui  l'a  vécue. 
Qu'on  étudie  surtout  les  chapitres  qui  correspondent  à 
la  période  de  son  plus  grand  effort  créateur,  pendant  les 
années  qui  suivirent  les  crises  passionnelles  dont  fut 
agitée  sa  jeunesse.  Il  est  seul,  n'ayant  auprès  de  lui  que 
la  compagne  conquise  au  prix  de  tant  de  sacrifices.  Il 
lui  faut  remplir  une  double  tâche,  vraiment  contra- 
dictoire :  créer  une  œuvre  destinée  à  l'avenir,  et  assurer 
l'existence  des  siens  dans  le  présent.  Quel  superbe 
exemple  de  courage  et  de  foi  il  donne  pendant  ces  années 
d'inépuisable  activité!  Mozart  écrivait,  deux  mois 
avant  sa  mort,  aussi  dans  une  lettre  intime,  cette  simple 
parole  :  «  Il  faut  être  appliqué  au  travail,  et  cela  je  le 
suis  volontiers.  »  Ces  mots,  qui  résument  une  telle 
vie,  Berlioz  aurait  pu  les  prononcer  de  même.  Son 
effort  porte  sur  tout.  Il  lui  faut  parer  aux  nécessités 
de  la  vie  quotidienne  en  même  temps  que  produire 
les  œuvres  que  lui  impose  son  génie:  son  supplice  est 
que   la  première   tâche  l'empêche  incessamment    de 


XIV  .  PREFACE. 

remplir  la  seconde.  «  Il  faut  en  prendre  son  parti  :  notre 
art  n'est  pas  productif  dans  le  sens  commercial  du 
mot.  »  Telle  est  la  constatation  qu'il  se  trouve  amené 
à  faire  à  la  fin  de  ces  premières  années  de  sa  carrière, 
lui  qui  y  était  entré,  sans  tant  réfléchir  à  cela,  avec 
l'illusion  que  tout  travail  doit  avoir  sa  récompense.  Pour 
lui,  au  contraire,  le  travail  est  la  ruine.  Et  malgré 
tout  il  persévère.  Nous  assistons  au  spectacle  de  ses 
luttes,  nous  entendons  les  éclats  de  ses  colères,  et, 
même,  parfois  de  ses  joies  :  car  dans  cette  période  il 
eut  au  moins  quelques  satisfactions,  qui  lui  furent 
inexorablement  refusées  par  la  suite.  Il  est  encore 
soutenu  par  l'espérance  ;  le  combat  quotidien  sied  à  son 
tempérament  batailleur.  «  Bah!  j'aime  cette  vie-là,  » 
écrira-t-il  un  jour 'i  Liszt;  et,  dans  le  même  instant,  il 
commence  Roméo  et  Juliette.  Ce  sont  les  plus  belles 
années  de  sa  vie  qu'il  nous  raconte  ici. 

Nous  le  verrons  aussi  dans  l'intimité,  et  ce  ne  sera  pas 
le  moindre  charme  de  son  récit  épistolaire.  Les  hommes 
de  ce  temps  savaient  mettre  un  agrément  tout  particulier 
à  leurs  confidences  familiales  :  pour  eux  «  l'art  d'être 
grand-père  »  n'était  point  un  art  inférieur.  Les  lettres 
de  Berlioz  vont  nous  montrer  d'abord  le  fils  «  au  sein 
de  sa  famille  »,  comme  on  chantait  en  son  enfance. 
Elles  évoqueront  ce  monde  lointain  de  bonnes  gens  de 
la  province,  aux  occupations  tranquilles  et  peu  variées, 


PREFACE.  XV 

d'une  droiture  impeccable,  nullement  fermés  à  certaines 
notions  élevées,  mais  pleins  de  préjugés  et  trop  facile- 
ment buttés  à  des  idées  fausses.  Nous  connaîtrons  par 
le  menu  leurs  dissentiments,  assez  généralement  causés 
par  un  mélange  approximativement  égal  d'erreurs  naïves 
et  d'une  raison  peut-être  trop  rigoureuse.  Que  les  parents 
d'Hector  Berlioz  l'aient,  à  son  début,  mis  en  garde 
contre  les  dangers  d'une  carrière  qui,  pour  tous,  était 
l'inconnu,  rien  de  plus  légitime  ;  mais  quelle  singulière 
concession  que  celle  qui  limitait  une  adhésion  momen- 
tanée à  cette  condition  qu'au  bout  d'une  année,  l'enfant, 
à  peine  au  début  de  ses  études,  se  serait  affirmé  grand 
compositeur  !  De  même  on  peut  sourire  en  constatant 
l'empressement  satisfait  avec  lequel  fut  accueilli  le  projet 
de  son  mariage  avec  une  personne  r^u  digne  de  lui, 
alors  que  son  union  avec  une  autre,  dont  la  vie  fut 
d'une  parfaite  honorabilité,  devint  un  objet  de  scandale, 
causa  des  querelles,  des  brouilles  à  n'en  plus  finir  :  c'est 
que  miss  Smithson  était  une  actrice,  et  cela  ne  se  par- 
donne pas  en  province  !  D'ailleurs  leurs  intentions  et 
leurs  actes  sont  au-dessus  de  tout  reproche  :  la  mémoire 
de  la  famille  Berlioz  n'a  rien  à  redouter,  bien  au  con- 
traire, à  sortir  de  son  obscurité  à  la  faveur  de  la  gloire 
posthume  de  celui  qui  fut  son  enfant.  Il  est  du  plus 
grand  intérêt  de  les  voir  revivre  tous,  père,  mère,  sœurs, 
petit  frère,  chacun  avec  son  caractère  distinct,  ayant 


XVI  PREFACE. 

cependant  une  prédisposition  commune,  qui  est  celle 
de  l'époque  :  la  mélancolie,  l'inquiétude,  l'ennui  de 
l'existence  monotone.  Quant  à  lui,  il  est  parfait  dans  ses 
rapports  avec  eux  :  fils  respectueux,  frère  tendre.  Ses 
lettres  à  sa  sœur  Adèle,  sa  préférée,  sont  pénétrées 
d'une  affection  vraiment  émouvante.  Et  quelle  n'est 
pas  sa  joie  quand  il  peut  répondre  à  une  parole  de 
confiance  venant  de  ceux  qui  avaient  douté  d'abord,  ou 
leur  donner,  eux  premiers,  la  bonne  nouvelle  d'un 
succès  !  Les  lettres  mêmes  qu'il  fut  obligé  d'écrire  lors 
des  discussions  qu'il  lui  fallut  soutenir  à  l'époque  de  son 
mariage  sont  d'un  ton  irréprochable.  Dans  les  plus 
graves  difficultés,  nous  le  verrons  toujours  soucieux  de 
ne  rien  laisser  échapper  qui  puisse  choquer  ceux  qui 
l'aiment;  au  milieu  de  ce  monde  dévot,  c'est  lui  qui 
sait  pardonner  le  plus  chrétiennement  à  ceux  qui  l'ont 
offensé. 

Et  le  voici  encore  dans  le  secret  du  foyer  conjugal. 
Le  seul  regret  que  nous  ayons  à  ressentir  ici  sera  que  les 
tableaux  qui  se  dérouleront  dans  cette  correspondance 
de  sa  jeunesse  ne  doivent  pas  se  reproduire  par  la  suite, 
car  ils  sont  charmants.  Il  n'est  que  trop  vrai  qu'en 
voulant  épouser  l'interprète  de  Shakespeare,  Berlioz 
fut  victime  d'une  illusion  dont  il  porta  douloureusement 
la  peine.  Quand,  après  six  ans  de  refus,  Henriette  Smith- 
son   consentit  à  s'unir  à  lui,  elle  était,  à  proprement 


PREFACE.  XVII 

parler,  une  femme  finie:  malade  et  ruinée,  plus  âgée  que 
lui,  sa  carrière  d'artiste  brisée.  Berlioz  la  voulut  pour- 
tant, et  son  illusion  put  se  prolonger  encore  quelques 
années  (presque  jusqu'à  la  fin  de  la  période  que 
comprend  ce  livre i.  Retenons  donc  au  passage  ce 
moment  unique.  Le>  confidences  du  jeune  marié, 
puis  du  jeune  père,  à  sa  sœur  Adèle  —  la  seule  de  la 
famille  qui  lui  ait  toujours  été  fidèle  —  sont  d'une  ra- 
vissante expansion.  Nous  voyons  le  couple  artiste  pendant 
la  "  lune  de  miel  ».  puis  après  la  naissance  du  fils,  retiré 
$ans  la  solitude  de  Montmartre,  vivant  heureux  et  caché. 
l'épouse  entièrement  éloignée  du  monde  après  des  années 
d'une  vie  si  brillante,  lui  toujours  à  son  labeur,  et 
retrouvant  chaque  soir  le  calme  bienfaisant  dans  cette 
atmosphère  de  bonheur.  Bonheur  trop  fugitif!...  Quel- 
ques-unes des  pages  écrites  pour  raconter  à  une  sœur 
aimée  cette  vie  familiale  sont,  sans  que  l'auteur  l'ait 
cherché,  de  l'art  le  plus  achevé.  Des  détails  vulgaires, 
mêlés  aux  préoccupations  les  plus  hautes,  achèvent  de 
donner  au  récit  toute  son  impression  de  vérité.  Nous 
lirons  par  exemple,  dans  la  même  lettre  où  Berlioz,  dans 
le  premier  feu  de  la  composition  du  Requiem,  exhale 
son  enthousiasme  inspiré,  des  remerciements  émus  pour 
un  pantalon  que  tante  Adèle  a  brodé  à  l'intention  de 
son  neveu,  âgé  de  trois  ans.  La  réconciliation  des  parents 
avec  l'enfant  prodigue  est  scellée,  sinon  par  le  sacrifice 


XVITI  PREFACE. 

d'un  veau  gras,  du  moins  par  un  envoi  de  confitures  ; 
et  quand  Hector  a  adressé  à  son  père  un  bulletin  de 
victoire  pour  la  première  audition  de  Roméo  et  Juliette, 
le  brave  homme,  dans  sa  joie,  transmet  la  lettre  à  sa 
fille  en  y  joignant. . .  une  pelote  de  beurre.  Nous  n'aurions 
eu  garde  de  taire  ces  détails,  bien  dignes  de  l'épithète 
de  «  savoureux  »  :  ce  sont  les  accessoires  de  la  vie  d'un 
maître. 

Les  questions  d'argent  tiennent  une  grande  place 
dans  cette  correspondance.  On  comprendra  la  cause  de 
cette  préoccupation  chez  un  homme  pour  qui  l'argent 
était  chose  secondaire,  —  un  moyen,  non  un  but,  — 
lorsqu'on  se  sera  rendu  exactement  compte  de  sa  situa- 
tion personnelle  comme  nous  pourrons  le  faire  en  lisant 
ses  lettres  les  plus  intimes.  Nous  verrons  que,  depuis 
l'âge  de  vingt  ans  jusqu'à  une  époque  déjà  avancée  de 
sa  carrière  (bien  postérieure  à  celle  à  laquelle  s'arrête 
ce  volume),  il  ne  cessa  pas  d'être  dans  la  situation  la 
plus  précaire.  Or,  si  beau  que  soit  le  rêve,  la  vie  a  des 
réalités  avec  lesquelles  il  faut  s'accommoder,  sous  peine 
que  tout  se  dissipe  à  la  fois.  Berlioz  le  comprit.  Nous 
allons  donc  assister  à  sa  double  lutte  parallèle  pour  le 
pain  quotidien,  et  pour  l'art.  Il  me  paraît  difficile  que 
l'on  puisse  assister  à  ce  spectacle  sans  être  rempli  de  pitié. 
Je  pense  aussi  qu'une  profonde  estime  devra  s'y  joindre. 
C'est  dans  les  lettres  à  la  famille  qu'on  trouvera  la  plus 


PREFACE.  XIX 

grande  abondance  de  renseignements  sur  ce  sujet  :  cela 
se  conçoit  ;  les  affaires  d'argent  sont  celles  qui  inté- 
ressent avant  tout  les  gens  de  province,  dont  la  première 
parole,  lorsqu'il  est  question  de  quelqu'un,  est  pour 
demander:  «  Qu'est-ce  qu'il  gagne?  »  L'enfant  de 
la  Côte-Saint-André,  du  fond  de  son  grand  Paris,  vou- 
drait bien  n'avoir  que  de  bonnes  nouvelles  à  donner  ; 
il  s'y  étale  avec  complaisance  quand  par  hasard  l'occa- 
sion s'en  présente.  Mais  qu'elle  est  rare  !  Il  suppute 
le  bénéfice  de  ses  concerts,  le  prix  de  ses  articles,  ses 
droits  d'auteur,  si  dérisoires  ;  il  se  désespère  de  n'avoir 
pas  les  quelques  avances  qu'il  lui  faudrait  pour  tra- 
vailler librement  à  la  composition.  Parfois  il  nous  fait 
sourire  en  donnant  à  ce  regret  une  formule  positive, 
parlant  de  ses  œuvres  futures  comme  d'un  placement 
avantageux  qui  doit  lui  faire  réaliser  des  bénéfices 
considérables.  Comme  c'est  pour  cela  qu'il  travaille! ... 
En  attendant,  il  faut  qu'il  paie  ses  meubles  (ceux  qui 
les  ont  vus  ont  dit  qu'ils  n'étaient  pas  beaux),  et  le 
produit  de  quelques  maudits  feuilletons  sur  des  plati- 
tudes y  servira  mieux  que  la  Symphonie  fantastique. 

Cette  difficulté  de  se  procurer  de  l'argent  lui  en  fait 
connaître  le  prix.  Aussi  est-il  très  scrupuleux  en  ces 
matières.  S'il  est  redevable  d'un  service  à  quelque  ami 
pitoyable  à  sa  peine,  il  en  manifeste  une  gratitude  qui 
montre  l'importance  qu'il  lui  reconnaît.  Legouvé  a  dit 


XX  PREFACE. 

fort  à  propos,  rappelant  deux  incidents  racontés  dans  les 
Mémoires  :  «  Il  nous  a  donné  en  remerciements  cent 
pour  cent  de  notre  argent,  comme  s'il  ne  nous  l'avait 
pas  remboursé.  »  On  trouvera  de  nouveaux  témoignages 
de  cette  même  préoccupation  dans  les  lettres.  Il  a 
compté  le  don  de  Paganini  comme  un  des  événements 
les  plus  considérables  de  sa  vie,  —  avec  raison  d'ailleurs, 
car  ce  don,  si  grandement  à  l'honneur  de  celui  qui  l'a 
fait,  ne  doit  pas  être  considéré  comme  une  aubaine 
quelconque  :  ce  fut,  à  proprement  parler,  le  salut  de 
Berlioz,  salut  pour  l'avenir,  pour  les  siens  et  pour  l'art. 
Comme  il  le  comprit  vite  !  Dans  la  même  lettre  où 
il  en  donne  la  nouvelle,  il  s'écrie  :  «  A  présent  je  pourrai 
faire  mon  voyage  d* Allemagne!  »  Admirable  préoccu- 
pation !  Ce  n'est  pas  au  repos  ni  à  l'abondance  qu'il 
songe  :  dès  la  première  minute,  il  voit  avec  joie  qu'il  a 
le  moyen  de  continuer  sa  mission,  qu'il  pourra  faire 
honneur  à  son  art.  En  attendant,  il  jouit  du  bonheur 
de  travailler  en  paix  :  il  n'attend  pas  un  mois  pour  se 
mettre  à  L'œuvre  el  entreprendre  la  composition  de  si 
plus  vaste  symphonie 

A  côté  du  Berlioz  intime,  les  lettres  vont  nous  mon- 
trer l'homme  public,  en  relations  avec  toutes  les  som- 
mités de  son  temps.  Il  est  l'ami  des  écrivains,  des  poêles. 
des  artistes,  —  et  même  de  quelques  musiciens.  Les  jours 
de  ses  concerts,  la  salle  du  Conservatoire  est  remplie 


PREFACE.  XXI 

par  l'élite  intellectuelle  de  Paris.  «  C'était  un  cerveau 
que  votre  salle  »,  lui  dira  Balzac  après  la  première 
audition  de  Romeo  et  Juliette.  Lui-même  est  mêlé  à 
toutes  les  luttes  de  l'époque  romantique.  Après  avoir 
été  le  spectateur  le  plus  violemment  ému  des  représenta- 
tions shakespeariennes  de  1827,  il  se  joint  aux  Jeunes- 
Frances  de  1830  pour  soutenir  Hugo  à  la  première 
d'Hernani.  Il  a  dit  son  impression  vraie  sur  cette  œuvre, 
—  impression  assez  inattendue,  en  vérité  :  il  admire  le 
poète  d'avoir  détruit  le  vieux  moule,  mais  ne  s'intéresse 
pas  du  tout  à  ses  innovations  rythmiques,  constatant 
seulement,  —  lui  qui  devait  scandaliser  les  musiciens 
classiques  par  des  hardiesses  analogues,  —  que  sa  ma- 
nière de  briser  le  vers  a  pour  unique  effet  de  le  faire 
ressembler  à  de  la  prose,  ce  qui  lui  est  «  entièrement 
indifférent  »,car  «  il  déteste  les  vers  au  théâtre  ».  Pour 
un  néophyte,  voilà  une  opinion  qui  sent  son  philistin  ! 
Par  contre,  il  trace  le  brouillon  d'une  lettre  folle 
d'enthousiasme,  qu'il  projette  d'adresser  au  poète 
après  l'apparition  de  Notre-Dame  de  Paris,  —  qui 
est  en  prose.  Il  ne  fréquente  d'ailleurs  pas  très  volontiers 
chez  Hugo,  qui  lui  manifeste  pourtant  sa  sympathie, 
mais  qui  «  trône  »  trop.  Ses  vrais  amis  parmi  les  poètes, 
ce  sont  les  dissidents  du  romantisme,  ceux  que,  dans 
une  lettre  de  183o,  il  qualifie  de  représentants  de  «  la 
jeune  littérature    contre-révolutionnaire  ».    Alfred    de 


XXII  PREFACE. 

Vigny  et  ses  familiers.  Il  se  sent  plus  libre  avec  eux  ;  il 
les  invite,  avec  Chopin  et  Liszt,  à  des  parties  de  cam- 
pagne dans  sa  maison  de  Montmartre,  où,  dans  le 
grand  jardin,  ils  jouent  aux  barres  comme  des  écoliers. 
Il  aime  à  donner  ces  détails  familiers.  N'écrit-il  pas  un 
jour  à  Eugène  Delacroix,  pour  s'excuser  d'avoir  manqué 
un  rendez-vous,  qu'il  a  été  empêché  par  une  partie  de 
pêche  à  la  ligne?... 

Dans  ses  lettres  d'Italie,  il  note  ses  impressions  pitto- 
resques ou  sentimentales,  révélant  le  vif  sentiment 
de  la  nature  qu'il  traduira  musicalement,  par  la  suite, 
en  plusieurs  de  ses  partitions. 

Et  enfin  il  se  mêle  parfois  aux  foules,  lui  dont  nous 
avons  lu  tant  de  déclarations  d'art  aristocratiques.  Mais 
il  a  ressenti  le  frisson  de  la  fièvre  de  1830  :  il  est  des- 
cendu dans  la  rue,  pour  faire  le  coup  de  feu,  avec  les 
frères.  Les  deux  lettres  par  lesquelles  il  raconte  à  sa 
famille  les  détails  de  sa  participation  aux  journées  de 
Juillet  sont,  à  tous  égards,  des  documents  intéressants 
pour  l'histoire.  On  y  lit  ces  phrases  :  «  Cette  idée,  que 
tant  de  braves  gens  ont  payé  de  leur  sang  la  conquête 
de  nos  libertés  pendant  que  je  suis  du  nombre  de  ceux 
qui  n'ont  servi  à  rien,  ne  me  laisse  pas  un  instant  de 
repos.  »  —  «  L'ordre  admirable  a  régné  dans  cette  révo- 
lution magique  de  trois  jours...  C'est  un  peuple 
sublime  1  »  Et,  faisant  en  pensée  un    retour  vers   la 


PREFACE.  XXIII 

petite  patrie  :  «  Je  pense  que  le  beau  drapeau  flotte 
aujourd'hui  sur  le  clocher  de  la  Côte  comme  dans  toute 
la  France  !  »  Il  ne  sut  plus  retrouver  par  la  suite  cette 
ferveur  pour  les  luttes  de  la  liberté.  Mais,  nous  l'avons 
dit,  cette  partie  de  sa  correspondance  n'est  qu'une  tran- 
che de  vie  :  c'est  celle  où  Berlioz  se  montre  avec  le  plus 
d'ardeur,  le  plus  d'enthousiasme,  le  plus  de  foi. 

Emile  Zola  écrivait  un  jour,  dans  un  chapitre  qu'il 
consacra  au  maître  musicien  : 

«  Il  avait  beau  dire  blanc,  on  lui  faisait  dire  noir. 
C'est  là  un  phénomème  stupéfiant  qui  se  produit  tou- 
jours... » 

Le  grand  romancier  avait  des  raisons  pour  s'y  connaî- 
tre. Son  mot  est  d'une  application  parfaitement  juste  : 
il  nous  revient  à  l'esprit  au  moment  où  nous  présen- 
tons au  public  cette  nouvelle  collection  de  lettres  par 
lesquelles  la  personnalité  de  l'auteur  de  la  Damnation 
de  Faust  se  montre  en  pleine  lumière,  et  sans  que 
rien  en  reste  caché.  Nous  avons  confiance  qu'elle  ne 
perdra  rien  pour  paraître  à  cette  clarté,  et  que  ceux 
qui  voudront  bien  regarder  simplement  les  choses  telles 
qu'elles  sont  n'y  trouveront  aucun  motif  de  blâme. 
Pourtant,  nous  sommes  résignés  par  avance  à  voir  tirer 
de  cette  lecture  de  tout  autres  conclusions.  Accepter  de 
prendre  les  choses  telles  qu'elles  sont,  cela  se  pourrait-il 


XXIV  PREFACE. 

souffrir?  IS'e  faudra-t-il  pas  chercher  des  sous-entendus, 
des  intentions  secrètes,  isoler  des  phrases,  torturer  les 
textes,  fausser  les  mots,  —  ou  tout  simplement  dire 
noir  là  où  il  y  a  blanc  ?  Ce  sont  là  les  risques  communs 
à  tous  les  hommes  de  lutte,  et  il  parait  que  pour  Berlioz, 
même  après  cent  ans  passés,  l'ère  de  la  lutte  n'est  pas 
encore  close. 

Sans  aucun  doute,  Berlioz  a  eu  sa  part  de  défauts. 
—  comme  tous  les  autres  mortels.  Il  avait  des  impa- 
tiences de  caractère.  Ayant  du  génie,  il  le  savait.  S'il 
avait  des  raisons  de  se  plaindre,  il  se  plaignait. 
Il  n'était  pas  toujours  d'une  bienveillance  extrême 
pour  ses  confrères,  —  si  bienveillants,  eux  !  Le* 
circonstances  et  les  difficultés  de  la  vie  l'ont  parfois 
entraîné  à  des  erreurs  qu'il  a  déplorées  lui-même,  et  dont 
la  chimère  qui  le  hantait  fut  la  principale  coupable.  Il 
est  vrai  que  cette  même  chimère  fut  celle  qui  lui  dicta 
ses  chefs-d'œuvre,  et  cela  nous  paraît  être  une  cir- 
consUaoe  très  atténuante  à  quelques  fautes...  Enfin,  et 
c'est  là,  au  fond,  son  principal  travers,  il  ne  resseniMait 
pas  à  tout  le  monde. 

Oui,  on  l'a  déjà  dit  :  Berliuz  ne  fut  pas  un  saint.  Mais,  ' 
au  fait,  est-il  donc  si  nécessaire  qu'un  homme  de  génie 
soit  un  saint  ?  Il  nous  semble  qu'il  vaut  autant  qu'il  eoit 
un  homme.  Et  j'en  sais  qui  passent  pour  des  saints,  et 
qui.  dani  la  réalité,  furent    toul  simplement  de  tir 


PREFACE.  XXV 

grands  hommes.  Ils  ne  valent  peut-être  pas  moins  pour 
cela.  Sans  doute  on  pourra  toujours  qualifier  de  a  saintes 
colères  »  les  invectives  que  Beethoven  avait  accoutumé 
d'adresser  contre  ses  meilleurs  amis,  ses  frères,  ses 
belles-sœurs,  et  qui  n'étaient  au  fond  que  de  basses 
injures.  Cependant,  le  geste  de  Bach  lançant  sa  perruque 
à  la  tête  des  gens  qui  faisaient  des  notes  fausses  paraît 
décidément  manquer  de  sainteté  ;  et  Gluck,  en  détruisant 
furieusement  la  musique  commencée  d'un  Roland  (peut- 
être  un  chef-d'œuvrej  lorsqu'il  apprit  que  le  même 
poème  avait  été  confié  à  Piccini,  ou  bieu  en  annonçant 
Armide  en  ces  termes  :  «  Cela  sera  superbe  »,  ne  donnait 
certainement  pas  un  bon  exemple  d'humilité.  Pourtant 
Gluck.,  Bach  et  Beethoven  me  paraissent  assez  bien 
tels  qu'ils  sont.  J'oserai  même  avouer  que  je  les  aime 
mieux  ainsi  que  s'ils  étaient  doués  de  perfections 
trop  uniformes.  Ce  dernier  reproche,  il  est  bien  vrai 
que  Berlioz  ne  se  l'est  pas  plus  qu'eux  attiré  ;  mais  pas 
davantage  il  ne  mérite  sérieusement  le  blâme.  C'est  un 
f  aitd'une  observation  consolante  que,  parmi  les  hommes 
de  génie,  il  se  trouve  très  peu  de  coquins...  Il  faut 
croire  qu'ils  n'ont  pas  le  temps,  tout  oeccupés  qu'ils  sont 
à  poursuivre  leur  rêve  !...  Les  griefs  qu'on  trouve  à  leur 
imputer  se  réduisent  ordinairement  à  ce  qu'ils  man- 
quent de  certaines  qualités  banales,  et  diffèrent  de  la 
généralité  par  un  grossissement,  qui  leur  est  propre. 


XXVI  PRÉFACE. 

des  facultés  et  des  passions  humaines.  Mais  comme  ce 
grossissement  est  la  conséquence,  peut  être  la  cause  de 
leur  génie,  il  faut  leur  pardonner  !  Mieux  encore  :  il  est 
bon  de  faire  du  phénomène  qu'il  constitue  un  objet 
d'observations  et  d'étude.  La  connaissance  intime  d'une 
personnalité  comme  celle  de  Berlioz  apportera  pour 
cela  une  contribution  importante,  et  nous  pensons  que 
le  lecteur  impartial,  après  avoir  lu  ses  lettres,  y  trou- 
vera le  sujet  de  maintes  remarques  fécondes,  en  même 
temps  qu'il  pourra  redire,  à  l'exemple  de  cet  Hamlet 
dont  la  pensée  mélancolique  a  causé  à  notre  auteur 
tant  d'émotion  et  de  trouble  : 

«    C'était  un  homme  auquel,   tout  bien  considéré, 
nous  ne  retrouverons  pas  de  pareil.  » 

JULIEN     TIERSOT. 


BIBLIOGRAPHIE 


11  a  été  publié  déjà  quelques  recueils  de  lettres  de  Berlioz. 
Les  principaux  sont  les  suivants  : 

Correspondance  inédite  de  Hector  berlioz  (1819-1868), 
avec  une  notice  biographique  par  Daniel  Bernard,  Paris, 
Calmann-Lévy,  1879.  (Les  éditions  postérieures  ont  paru 
avec  un  fac-similé  et  un  appendice.) 

Lettres  intimes,  avec  une  préface  par  charles  gounod, 
Paris,  Calmann-Lévy,  1882. 

Il  a  paru  aussi  quelques  séries  de  lettres  dans  des  livres 
tels  que  : 

Les  Révolutionnaires  de  la  musique,  par  octave  fouqoe. 
Paris,  Calmann-Lévy,  1882  (particulièrement  dans  le  cha- 
pitre :  Berlioz  en  Russie). 

Briefe  lieruorragender  Zeitgenossen  an  Franz  Liszt  (Lettres 
de  contemporains  illustres  à  Franz  Liszt),  publiées  par  la 
m  ara.  Leipzig,  Breitkopf  et  Hartel,  1895  (2  volumes,  conte- 
nant 61  lettres  de  Berlioz). 

Briefe  von  Hector  Berlioz  an  die  Fûrstin  Carolyne  Sayn- 
Wittgenstein.  (Lettres  d'Hector  Berlioz  à  la  Princese  Carolyne 
Sayn-Wittgenstein),  publiées  par  la  m  ara.  Leipzig  Breit- 
kopf et  Hartel,  1903. 


XXVIII  BIBLIOGRAPHIE. 

karlovicz,  Souvenirs  inédits  de  Chopin.  Paris,  Revue 
musicale,  1903. 

D'autres  collections  encore  ont  paru  dans  des  périodiques. 
Les  deux  suivantes  ont  été  tirées  à  part  : 

Lettres  d'amour  à  madame  Estelle  F***  (1864-1868),  publiées 
dans  la  Revue  bleue.  1903. 

Lettres  inédites  d'Hector  Berlioz  à  Thomas  Gounet,  publiées 
par  l.  michol'd  et  annotées  par  g.  allix.  (Bulletin  de 
l'Académie  delphinale,  Grenoble,  1903.) 

Beaucoup  d'autres  publiées,  soit  isolément,  soit  par  séries, 
sont  éparses  dans  divers  journaux  spéciaux  tels  que  la 
Revue  et  Gazette  musicale,  le  Ménestrel,  le  Guide  musical,  le 
Monde  musical,  Musica,  la  Musique  des  familles,  la  Revue 
musicale,  ou  des  journaux  quotidiens  comme  le  Figaro, 
le  Temps,  le  Gaulois,  —  les  Annales  dauphinoises,  —  et 
encore  diverses  revues  musicales  allemandes,  italiennes,  etc. 

Enfin  nous  avons  eu  communication  d'un  grand  nombre 
de  lettres  inédites  provenant  de  diverses  sources.  Les  plus 
nombreuses,  en  même  temps  que  les  plus  précieuses,  sont, 
nous  l'avons  dit  déjà,  celles  que  Berlioz  écrivit  à  sa  famille 
depuis  1821,  époque  de  son  départ  de  la  Côte-Saint- André 
pour  Paris,  jusqu'à  la  dernière  maladie  qui  l'emporta: 
Le  texte  de  ces  lettres  nous  a  été  communiqué  obligeam- 
ment par  les  membres  de  la  famille  de  Berlioz,  en  powes-j 
sion  de  ce  dépôt  intime  et  précieux  :  nous  sommes  rede- 
vables  du  plus  grand  nombre  à  madame  Chapot.  fille 
aînée  de  madame  Adèle  Suât,  la  sœur  cadette  d'Hector  Ber- 
lioz, et  de  quelques  autres  à  madame  Beboul,  petite-fille  de 
madame  N'anci  Pal,  sa  sœur  ainée.  Nous  adressons  nos 
vifs  et  respectueux  remerciements  à  ces  personnes  qui, 
pieuses  gardiennes  de  la  mémoire  de  leur  illustre  parent, 
ont  bien  compris  que  cette  mémoire  ne  pouvait  que  gagner 
à  ce  que  sa  vie,  comme  son  œuvre,  fût  intimement  connue. 

D'autres  lettres  nous  ont  été  communiquées  par  d<  -  '  "i- 


BIBLIOGRAPHIE.  XXIX 

respondants  de  Berlioz,  ou  par  divers  collectionneurs,  au 
nombre  desquels  nous  citerons  :  madame  Pauline  Viardot  (en 
possession  d'une  très  intéressante  série  de  lettres  écrites 
à  elle  lors  des  représentations  d'Orphée  et  d'Alccste  et  de  la 
composition  des  Troyens,  série  qui  trouvera  sa  place  dans  la 
suite  de  cette  correspondance);  mesdames  Henriette  Fuchs, 
Talayrach  d'Eckardt,  Michel  Brenet;  M.  Paladilhe  (qui  nous 
a  fait  part  des  lettres  de  Berlioz  à  Ernest  Legouvé)  ;  MM.  Ca- 
mille Saint-Saëns,  Bourgault-Ducoudray,  Ad.  Boschot,  J.  de 
Brayer,  Gaston  Calmann-Lévy,  L.  Ceillier,  Jean  Celle  (à  la 
Cote  Saint-André),  Chaper  (d'Eybens,  près  Grenoble),  Ed. 
Colonne,  Dieterlen  (gendre  du  défunt  collectionneur  Alfred 
Bovet),  P.  Du  Boys  (fils  d'un  ami  de  jeunesse  et  collaborateur 
de  Berlioz),  A.  Geloso,  Gaston  Hirsch,  Vincent  d'Indy, 
Ad.  Jullien,  Xavier  Lesueur  (arrière-petit-fils  du  maître  de 
Berlioz),  Loviot  (gendre  de  l'architecte  Duc,  prix  de  Home  la 
même  année  que  Berlioz),  Maignien  (bibliothécaire  de  la 
ville  de  Grenoble),  Ch.  Malherbe,  Emile  Ollivier,  Schirmer, 
Spolberch  de  Lovenjoul,  Maurice  Tourneux,  Gustave  Simon, 
la  Société  des  Concerts  du  Conservatoire,  etc. 

Nous  en  avons  également  trouvé  dans  les  collections  d'au- 
tographes de  la  Bibliothèque  du  Conservatoire,  la  Biblio- 
thèque nationale,  celle  de  Grenoble,  la  Public  Library 
de  New- York  (les  lettres  de  cette  dernière  collection  nous 
ont  été  obligeamment  communiquées  par  le  bibliothécaire, 
M.  J.  S.  Billings),  celle  de  Boston,  etc. 

Enfin  nous  avons  dépouillé  un  grand  nombre  de  cata- 
logues d'autographes,  notamment  ceux  de  la  maison  Cha- 
ravay,  où  nous  avons  trouvé,  sinon  toujours  des  textes, 
du  moins  de  nombreuses  et  parfois  très  utiles  indications. 

Bien  que  notre  désir  eût  été  de  donner  le  recueil  complet 
des  lettres  de  Berlioz,  il  n'a  pas  paru  nécessaire  de  réim- 
primer celles  qui  figurent  dans  les  deux  volumes  antérieu- 
rement publiés  par  la  librairie  Calmann-Lévy,  et  qui  sont 
entre  les  mains  de  tous  les  lecteurs  qu'intéresse  la  person- 
nalité de  Berlioz.  Nous  avonsvoulu  pourtant  que  chacune  fût 


XXX  BIBLIOGRAPHIE. 

mentionnée  à  sa  date  et  résumée,  afin  que  le  récit  qui 
ressort  de  l'ensemble  fût  aussi  circonstancié  que  possible. 

Quant  aux  lettres  éparses  en  d'autres  publications  moins 
accessibles  au  public,  elles  devaient  tout  naturellement 
prendre  leur  place  ici  au  même  titre  que  celles  qui  sont 
inédites. 

Il  en  est  de  même  pour  les  indications  contenues  dans 
les  catalogues  d'autographes. 

Ces  lettres  sont  présentées  dans  leur  ordre  naturel,  qui 
est  l'ordre  chronologique. 

Beaucoup,  dans  l'original,  ne  sont  pas  datées;  mais,  la 
plupart  du  temps,  l'énoncé  des  faits  qu'elles  contiennent, 
'  ou  diverses  autres  particularités,  ont  permis  de  leur  assi- 
gner une  époque  au  moins  approximative. 

Ces  observations  nous  ont  conduit  en  outre  à  reconnaître 
l'inexactitude  de  plusieurs  dates  arbitrairement  inscrites 
sur  des  lettres  antérieurement  imprimées  :  nous  avons  pro- 
lité  de  l'occasion  que  nous  donnaient  les  résumés  de  ces 
lettres  pour  faire  toutes  les  rectifications  utiles. 

Afin  que  le  lecteur  puisse  suivre  sans  peine  le  fil  de  ce 
récit  épistolaire,  les  particularités  biographiques  qui  y  se- 
raient omises  seront  rappelées  en  leur  lieu  par  de  brèves 
notes  intercalées  entre  les  lettres. 

Enfin  l'on  a  poussé  le  souci  de  l'ordre  et  de  la  clarté  au 
point  de  partager  cette  nouvelle  autobiographie  en  chapitres 
correspondant  aux  principales  divisions  de  la  vie  du  héros. 

Avant  de  céder  définitivement  la  parole  à  Hector  Berlioz, 
nous  la  donnerons  à  son  père,  à  qui  nous  devons  un  docu- 
ment digne  d'être  conservé  sur  les  origines,  l'histoire  et  la 
personnalité  des  différents  membres  de  la  famille.  Ce  sont  des 
notes  prises  par  lui  sur  un  Livre  de  raison,  où  il  écrivait  au 
jour  le  jour  les  dépenses,  recettes,  etc.  de  sa  maison,  pêle- 
mêle  avec  d'autres  indications.  Les  suivantes  sont  faites 
pour  nous  intéresser. 


LIVRE  DE  RAISON 

DE    LOUIS-JOSEPH     BERLIOZ,     DOCTEUR-MÉDECIN 
RÉSIDANT   A   LA    CÔTE  -  SAINT-ANDRÉ . 

Commencé  le  /er  janvier  1815. 


La  famille  berlioz1  est  établie  à  la  Côte  ou  dans  les 
environs  depuis  plus  de  quatre  cents  ans  :  il  était  fait 
mention  dans  les  archives  du  chapitre  de  Saint-Maurice 
de  Vienne  d'un  capitaine  de  ce  nom  qui  commandait 
les  troupes  dudit  chapitre  dans  le  xive  siècle.  Le  mau- 
vais état  des  registres  de  l'état  civil  de  la  ville  de  la 
Côte  ne  m'a  pas  permis  de  faire  des  recherches  à  ce 
sujet. 

Claude  berlioz,  marchand  tanneur  à  la  Côte, 
marié  à  Françoise  Mugnier,  fille  de  Jean   Mugnier  et 

1.  Nous  imprimons  en  capitales  les  noms  qui  appartiennent  à  la 
lignée  directe  d'Hector  Berlioz,  et  en  italiques  les  paragraphes  in- 
cidents qui  interrompent  une  génération  pour  indiquer  la  descen- 
dance de  membres  des  lignées  collatérales. 


XXXII  LIVRE    DE    RAISON. 

d'Antoinette  Heurard,  mort  en  1667,  veut  par  son  tes- 
tament, reçu  Nugnoz  notaire  le  5  septembre  1662,  être 
enterré  dans  le  tombeau  de  ses  ancêtres. 

Il  était  riche  pour  ce  temps-là,  puisqu'il  lègue  à  sa 
fille  Jeanne  550  livres  en  sus  de  sa  constitution  dotale. 
Ses  enfants  étaient  : 

Jeanne  Berlioz,  mariée  à  Ennemond  Costany  : 

Antoinette  Berlioz,  mariée  à  Jean  Yial  ; 

Constance  Berlioz,  capucin  ; 

guy  berlioz,  marié  le  11  juin  1655  à  Philippaz 
Brochier,  qui  eut  1800  livres  de  dot.  Il  est  mort  en  1687. 

De  ce  mariage  est  né  François  berlioz,  marié  le 
20  février  1086  à  Marie-Marthe  Massy-Brun.  Il  est  mort 
en  1735.  Leurs  enfants  étaient  : 

1°  Marie  Berlioz,  mariée  à  Jean  Révillon,  son  cousin 
issu  de  germain  du  côté  maternel,  avec  1500  livres  de 
dot. 

2°  Matholin  Berlioz,  dont  le  fils  est  mort  célibataire, 
et  ses  biens  ont  passé  dans  les  familles  Tillion  et  Rajat, 
chez  lesquelles  ses  sœurs  étaient  mariées. 

•'!•  Madeleine  Berlioz,  mariée  à  Philippe  Trouillon  à 

Beaurepaire  ;  elle  a  laissé  deux  fils  morts  célibataires. 

4°  Maximin  Berlioz,) 

î   augustins. 
o°  Théodore  Berlioz,  ) 

6°  Claude  Berlioz,  marié  le  28  juillet  1727  à  Isabeau 
Berger  Lavillardière. 

Onze  enfants  lui  ont  survécu,  dont  neuf  prêtres  ou  re- 
ligieuses. Claude  Berlioz,  cure  de  Vinay,  mourut  en  1809 


LIVRE    DE    RAISON 


XXXIII 


et  institua  mon  père  héritier,  ce  qui  mit  de   mauvaise 
humeur  le  suivant  : 

Joseph  Berlioz,  notaire,  marié  en  1794  à  Marguerite 
Forgeret;  ils  étaient  tous  deux,  déjà  <îf/és,  ils  n'ont  pas  eu 
d'enfants.  Il  est  mort  le  17  novembre  18/2.  étouffé  dans 
la  boue  du  marais  de  Faramans.  où  il  était  tombé  pen- 
dant la  nuit.  Il  a  institué  pour  héritiers  deux  de  ses 
frères  et  quatre  sœurs  qui  lui  ont  survécu.  Magdeleine- 
Geneviève.  sa  dernière  survivante,  m'a  fait  donation  de 
tous  ses  biens,  le  24  avril  182  ï,  par  acte  reçu  M"  Pierre 
ès-liens  Pion,  notaire  à  Boisseux, 


i°      JOSEPH      BERLIOZ, 

marchand  tanneur,  né  le 
19  mars  1700,  décédé  le 
11  avril  1779,  à  la  Côte. 

Catherine  Vallet,  née... 
décédée  le  7  avril  1779,  à 
la  Côte. 


Antoine  Robert,  méde- 
cin, né  le  5  août  1720. 
Décédé  le  7  septembre 
1763  à  la  Côte. 

Sophie  Rrochier,  née  à 
Grenoble,  décédée  à  la  Côte 
le  2o  janvier  1810.  âgée  de 
quatre-vingt-un  ans.  Le  feu 
prit  à  ses  vêtements  lors- 
qu'elle tournait  le  dos  à  la 
cheminée  pour  se  mettre 
à  table.  J'accourus  aux 
cris  de  la  domestique,  et 
j'éteignis  le  feu  en  l'enve- 
loppant d'une  couverture. 
.Mais  les  secours  ne  pou- 
vaient être  assez  prompts 


XXXIV 


LIVRE    DE    RAISON 


De  ce  mariage 
est    né    louis-joseph- 
berlioz,  le  28  décembre 
1747  à  la  Côte,  mort  à  Gre- 
noble le  17  août  1815. 


puisqu'il  fallait  sortir  de 
chez  moi,  traverser  la  rue, 
et  encore  attendre  à  sa 
porte.  Les  brûlures  étaient 
trop  multipliées;  elle  mou- 
rut au  bout  de  vingt-quatre 
heures  à  la  Côte. 

De  ce  mariage 
est  née  Espérance  Robert, 
le  16  août  1754,  morte  en 
couches  le  7  juin  1791  à  la 
Côte. 


Mariés  le  16  février  1773. 

De  ce  mariage  sont  nés  : 

1°  louis-joseph-berlioz,  le  9  juin  1776,  reçu 
docteur  médecin  à  Paris,  le  26  frimaire  an  XI,  marié 
le  6  février  1802  à  Marie-Antoinette- Joséphine  Marmion, 
née  le  14  octobre  1784  à  Grenoble,  fille  de  M.  Nicolas 
Marmion,  avocat,  et  de  dame  Yictoire-Thérèse-Blanche 
Elisabeth  Desroches-Delisle. 

De  ce  mariage  sont  nés  à  la  Côte  : 

louis-hector,  le  11  décembre  1803,  marié  avec 
Henriette  Smithson  en  juillet  1833. 

Anne-Marguerite,  le  17  février  1806,  mariée  en  1832. 

Louise-Julie-Virginie,  le  29  novembre  1807,  morte  le 
lii  avril  1815. 


LIVRE   DE    RAISON.  XXXV 

Adèle-Eugénie,  le  9  mai  1814. 

Louis -Jules,    né    le    15   décembre    1816,    mort    le 

)  mai  1819,  vraisemblablement  d'un  épanchement 
dans  le  quatrième  ventricule  du  cerveau,  après  vingt 
et  une  heures  de  maladie,  et  jouissant  la  veille  de  la 
plus  florissante  santé. 

Prosper,  né  le  25  juin  1820,  à  onze  heures  du  soir. 

2°  Louis-Benjamin  Berlioz,  le  19  novembre  1778, 
mort  le  10  mai  1806  en  trois  jours,  d'une  pleurésie 
accompagnée  de  fièvre  adynamique,  et  dont  la  perte  m'a 
laissé  des  regrets  que  j'emporterai  au  tombeau. 

3°  Auguste-Aventin  Berlioz,  médecin  à  Grenoble,  le 
4  février  1780,  mort  le  19  septembre  1843,  marié  à 
Félicie  Jourdan-Duchadoz  (née  en  1794),  en  avril  1811. 
De  ce  mariage  sont  nés  à  Grenoble  : 

Pauline  Berlioz-,  le  26  juillet  1813. 
Louis-Noël-Benjamin  Berlioz,  le  25  décembre  181  'i. 
François-Victor  Berlioz-,  le  21  octobre  1816. 
Auguste-Vineent-François-Berliojs,  le  19  juillet  18/0. 
Auguste-Félicien,  le  17  avril  1824,  mort  le 26  août  182/. 

4°  Victor-Abraham  Berlioz,  sous-préfet  à  Valence,  le 
16  mars  1784,  marié  le  2  octobre  1811  à  Laure  Anglès- 
d'Auriac,  née  à  Sainte-Lucie  en  1792. 
De  ce  mariage  sont  nés  à  Valence  : 

Odile  Berlioz,  le  19  avril  1813. 

Jules- Jean  Berlioz-,  le  9  juillet  1820. 


XXXVI  LIVRE    DE    RAISON. 

Mon  aïeul  paternel  Joseph  Berlioz  a,  lui  seul,  fait  la| 
fortune  de  notre  maison,  avec  six  mille  francs  qu'il 
avait  de  légitime.  Sa  sagacité  et  sa  bonne  conduite,  et 
il  faut  dire  aussi  son  bonheur,  lui  facilitèrent  successi- 
vement l'acquisition  de  plusieurs  pièces  de  terre,  de 
vignes,  de  la  maison  que  nous  habitons  aujourd'hui,  et 
qu'il  a  fait  presque  rebâtir  en  entier,  des  moulins,  du 
pré  neuf,  du  grand  jardin,  de  la  grange  attenante,  des 
possessions  de  Saint-Étienne,  et  du  domaine  des  Granges 
près  de  Grenoble. 

Il  avait  eu  une  très  nombreuse  famille,  dont  cinq 
enfants  seulement  lui  ont  survécu  :  son  fils  aîné,  qui 
entra  dans  l'ordre  des  Chartreux  à  l'âge  de  dix-sept  ans; 
Andrée-Anne,  religieuse  ursuline  ;  Catherine  Berlioz,  qui 
ne  s'est  point  mariée;  une  troisième  fille,  mariée  à 
son  cousin  Vallet,  dit  Vernatel  ;  et  Louis-Joseph,  mon 
père,  le  dix-neuvième  et  le  dernier  de  tous. 

Louis-Joseph  Berlioz,  mon  père,  de  onze  enfants  en 
a  conservé  trois.  Il  a  très  sagement  administré  ses  biens 
et  les  a  encore  augmentés  par  l'acquisition  des  maisons 
de  Grenoble  et  du  domaine  de  Murianetlo. 

La  maison  que  nous  habitons  a  été  achetée  par  mon 
grand-père  Joseph  Berlioz,  qui  l'a  rebâtie  presque  en 
entier.  Mon  père  Louis-Joseph  Berlioz  a  fait  la  plus 
grande  partie  des  réparations  intérieures,  telles  que  les 
plafonds,  le  salon  de  compagnie  en  entier,  et  de  plus 
le9  deux  chambres  qui  sont  au-dessus  de  la  cuisine. 


LIVRE    DE    RAISON.  XXXVII 

Pour  ce  qui  me  concerne,  j'ai  fait  construire  le  bâti- 
ment situé  au  levant,  et  qui  forme  écurie,  grenier  à 
foin  et  bûcher.  La  fougère  de  la  grande  chambre.  Je  me 
propose,  lorsque  mes  moyens  me  le  permettront,  dé- 
faire reconstruire  la  galerie  en  fer,  et  sur  voûte  en  tuf, 
et  de  faire  élever  les  toits  de  manière  que  tous  les  trois 
aient  la  même  pente.  La  clôture  en  pisé  du  grand  jar- 
din est  encore  mon  ouvrage,  ainsi  que  la  chambre  que 
le  jardinier  occupe  dans  la  grange. 

Le  grand  jardin  était  de  forme  irrégulière,  je  l'ai 
aligné  et  agrandi  aux  dépens  du  pré  et  d'un  ravin  très 
profond,  qui  existait  au  midi,  à  la  place  du  pavé  qui 
conduit  les  eaux.  J'ai  fait  planter  tous  les  arbres  du  pré, 
excepté  deux  poiriers. 

Mon  père  était  d'une  taille  moyenne,  bien  propor- 
tionné et  musculeux  :  il  avait  une  belle  figure  et  de 
l'expression  dans  la  physionomie. 

Ses  mœurs  ont  toujours  été  très  réglées;  il  était  d'une 
sobriété  poussée  à  l'excès.  Religieux  jusqu'au  scrupule, 
il  n'avait  jamais  examiné  les  motifs  de  la  croyance,  et 
se  serait  cru  coupable  de  vouloir  le  faire.  Les  décisions 
de  l'Église  étaient  sans  appel  pour  lui.  11  avait  peu 
d'instruction,  mais  un  bon  sens  plus  que  commun  le 
dirigea  bien  dans  toutes  les  circonstances  de  la  vie.  11  se 
tint  constamment  éloigné  des  fonctions  publiques.  Il 
était  économe,  il  a  augmenté  par  sa  sage  administration 
et  des  acquisitions  heureuses  sa  fortune  ;  mais  il  n'était 


XXXYIII  LIVRE   DE   RAISON. 

point  avare,  et  il  n'a  rien  négligé  pour  notre  éducation 
à  tous.  Sa  conversation  était  enjouée,  mais  il  supportait 
peu  la  contradiction.  Il  avait  été  sévère  avec  ses  enfants 
jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  acquis  l'âge  de  vingt  ans  ;  en- 
suite il  ne  s'est  plus  montré  que  leur  ami  et  le  père  le 
plus  tendre.  Il  partagea  sa  fortune  en  quatre  parties,  nous 
en  donna  à  chacun  une  en  nous  mariant,  et  se  réserva 
l'autre.   Il   disposa  de  cette  dernière  en  ma  faveur. 

Sous  le  règne  de  Louis  XVI,  il  avait  acheté  une  charge 
d'audileur  à  la  Chambre  des  comptes,  et  depuis  la  Révo- 
lution il  n'a  exercé  aucune  fonction  publique.  Sous  le 
régime  de  la  Terreur,  il  fut  inscrit  sur  la  liste  des  notoi- 
rement suspects,  et  tous  ses  biens  séquestrés. 

J'étais  âgé  de  dix-sept  ans  lorsque  la  République  fut 
proclamée.  Les  malheurs  de  mon  père  modérèrent  mon 
effervescence  républicaine  ;  mais  lorsque  les  circons- 
tances furent  moins  orageuses,  les  beaux  mots  de 
liberté  et  d'égalité  que  j'entendais  sans  cesse  retentir  à 
mes  oreilles,  les  triomphes  de  nos  armées,  et  les  souve- 
nirs d'Athènes  et  de  Rome  me  firent  déraisonner  comme 
beaucoup  d'autres,  et  maintes  fois  j'ai  mis  la  patience 
de  mon  père  à  une  rude  épreuve. 

Mon  père  me  destinait  à  la  profession  d'avocat,  mais 
jamais  je  n'ai  pu  surmonter  la  répugnance  que  me  cau- 
saient les  gloses  et  les  commentaires  sur  les  lois,  l'impor- 
tance que  l'on  accorde  à  la  forme  sur  le  fond,  les  innom- 
brables détours  de  la  chicane,  et  la  rapacité  de  cette 
troupe  de  gens  de  lois  qui  entourent  le  palais  de  ïhémis. 


LIVRE    DE   RAISON.  XXXIX 

Pendant  trois  ans,  j'essayai  successivement  les  mathé- 
matiques et  l'étude  des  lois,  je  m'adonnai  au  dessin  et 
à  la  musique  4,  je  cultivai  la  littérature,  et  j'entrepris 
d'apprendre  sans  maître  les  langues  anglaise  et 
italienne. 

J'embrassai  à  vingt  ans  1  étude  de  la  médecine  avec  un 
penchant  bien  déterminé;  j'ai  suivi  les  cours  de  bota- 
nique du  docteur  Villars,  et  de  chimie  du  docteur 
Trousset.  Mais  j'apprenais  l'art  de  guérir  sans  le  secours 
d'aucunes  leçons  orales,  ni  d'aucune  démonstration;  j'ai 
disséqué  et  étudié  seul  à  Grenoble,  et  je  n'ai  passé,  en 
deux  fois,  que  trois  mois  à  Paris,  où  j'ai  été  reçu  méde- 
cin avant  la  loi  du  19  ventôse  an  XI2. 

Après  avoir  été  témoin  de  tant  d'événements,  je  puis 
sans  présomption  me  croire  capable  de  donner  quelques 
salutaires  avis  à  mes  enfants,  et  leur  indiquer  la  ma- 

1.  Prenons  bonne  note  de  cette  vocation  musicale  manifestée  par 
le  père  d'Hector  Berlioz. 

2.  Louis  Berlioz  fut  reçu  médecin  à  Paris,  le  26  frimaire  an  XI 
(voir  ci-dessus),  c'est-à-dire  en  décembre  1802.  Il  était  marié  depuis 
!e  mois  de  février  précédent,  et  c'est  un  an  après  que  vint  au 
monde  son  premier-né,  Hector.  —  La  loi  du  19  ventôse  est  celle 
qui  fixa  les  dispositions  relatives  à  l'exercice  de  la  médecine,  et 
.établit  la   distinction  entre  les  grades   de  docteur  et  d'officier  de 

lisante.  Louis  Berlioz  n'était  donc  pourvu  d'aucun  de  ces  titres  :  il 
était  simplement  «  médecin  »,  —  appellation  qui  avait  suffi  à  Bi- 
chat ,  comme  à  tous  les  autres  contemporains,  pour  exercer 
leur  art.  C'est  à  tort  que,  dans  l'acte  de  naissance  d'Hector,  le 
père  fut  qualifié  «  officier  de  santé  »  par  le  scribe  de  l'état  civil. 
Et  quand  le  titre  de  docteur  fut  devenu  d'usage  courant,  Louis 
Berlioz  se  l'attribua  tout  naturellement,  comme  correspondant  à  sa 
qualité  professionnelle. 

d 


XL  LIVRE   DE   RAISON. 

nière  dont  ils  doivent  se  conduire  s'ils  ont  le  malheur 
d'être  témoins  d'une  nouvelle  révolution. 

Je  leur  recommande  de  se  garantir  de  l'enthou- 
siasme1. Le  sang-froid  de  la  raison  est  une  des  qua- 
lités les  plus  précieuses  dans  toutes  les  circonstances  de 
la  vie,  mais  il  l'est  encore  bien  plus  durant  les  crises 
politiques.  Qu'ils  se  donnent  bien  garde  de  devenir 
haineux  ou  persécuteurs,  s'il  survient  des  querelles 
religieuses.  Il  n'appartient  qu'à  Dieu  seul  de  punir  les 
délits  de  la  pensée  et  de  l'opinion.  Si  nous  croyons  nos 
frères  dans  l'erreur,  plaignons-les  comme  des  hommes 
malheureux,  et  portons-leur  secours  s'ils  en  ont  besoin. 
Pendant  les  discussions  politiques,  on  doit  se  méfier 
des  novateurs.  Ne  disputez  jamais  :  une  discussion  trop 
vive  n'éclaircit  rien  ;  elle  produit  ou  augmente l'animo- 
sité.  Discutez  de  sang-froid  avec  ceux  qui  sont  suscep- 
tibles de  le  faire,  et,  sur  les  objets  qui  partagent  l'opinion, 
gardez  un  imperturbable  silence  avec  les  autres. 

En  tous  les  temps  de  la  vie,  ne  recherchez  jamais  1rs 
emplois  :  il  n'est  pas  d'homme  plus  heureux  que  celui 
qui  peut  vivre  dans  l'indépendance:  ni  l'argent,  ni  les 
honneurs  ne  dédommagent  de  la  perte  de  la  liberté* 
Cependant  acceptez-les  avec  dévouement,  lorsque  vous 
croirez  les  pouvoir  remplir  d'une  manière  utile  pour  la 
patrie. 

1.  Vnilà  un  conseil  qui  û'a  guère  été  suivi. 


ACTE  DE  NAISSANCE 

DE 

HECTOR    BERLIOZ 


NAISSANCE  DE  BERLIOZ  LOUIS  -  H  ECTO  R .  —  AN  XII 
DE   LA   RÉPUBLIQUE. 

«  extrait  des  registres  des  actes  de  l'État  civil  de  la  com- 
mune de  la  Côte-Saint- André  pour  l'année  mil  huit  cent 
trois,  etc. 

Mairie  de  la  Côte-Saint-André. 

Arrondissement  communal  de  Vienne. 

Du  lundy  vingtième  jour  du  mois  de  Frimaire  à  onze 
heures  du  matin.  L'an  XII  de  la  République  Française. 

Acte  de  naissance  de  Louis-Hector  Berlioz  né  hier 
dimanche  dix-neuf  de  ce  mois  à  cinq  heures  du  soir,  fils 
légitime  du  citoyen  Louis-Joseph  Berlioz,  officier  de  santé, 
domicilié  à  la  Côte- Saint-André,  et  de  Marie-Antoinette- 
Joséphinc  Marmion,  mariés. 

Premier  témoin  :  le  citoyen  Auguste  Buisson,  âgé  de 
trente-trois  ans,  propriétaire,  domicilié  à  la  Côte-Saint- 
André.  Second  témoin  le  citoyen  Jean-François  Recourdon, 
âgé  de  quarante  ans,  receveur  des  contributions,  domicilié 


XLII  ACTE   DE   NAISSANCE. 

au  même  lieu.  Sur  la  réquisition  à  moi  faite  par  le  citoyen 
Louis-Joseph  Berlioz  père  de  l'enfant.  Et  ont  signé. 

Signé  :  l.  berlioz,  buisson,  recourdon. 

Constaté  suivant  la  loi  par  moi  Joseph-Louis-Marie  de 
Buffevent,  maire  de  la  Côte-Saint-André  faisant  les  fonc- 
tions d'officier  public  de  l'État  civil. 

Signé  :  buffevent. 


LES 

ANNÉES    ROMANTIQUES 


CHAPITRE  PREMIER 

ANNÉES  D:ENFANCE  ET  ANNÉES  D'ÉTUDES 

(1819-1830; 


AUX    EDITEURS    JANET    ET    COTELLE 

La  Côte,  le  25  mars  1819. 

Messieurs, 
Ayant  le  projet  de  faire  graver  plusieurs  ouvrages  de 
nusique,  je  me  suis  adressé  à  vous  espérant  que  vous 
jourriez  remplir  mon  but.  Je  voudrais  que  vous  en 
«rissiez  l'édition  à  votre  compte  moyennant  un  certain 
lombre  d'exemplaires  que  vous  m'enverriez  ;  répondez 
Toi  au  plus  tôt,  je  vous  prie,  si  vous  voulez  le  faire. 
Jors  je  vous  enverrai  un  pot-pourri  concertant  pour 

1 


2  LÈS    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

flutte  *,  cor.  deux  violons,  alto  et  basse  - .  Suivant  le 
temps  que  vous  employerez  à  graver  cet  œuvre  je  puis 
vous  envoyer  des  romances  avec  accompagnement  de 
piano  et  divers  autres,  le  tout  aux  mêmes  conditions. 
J'ai  l'honneur  de  vous  saluer, 

HECTOR    BERLIOZ. 

Mon  adresse  est  à  la  Côte-Saint-André,  département 
de  l'Isère. 

A  Messieurs  Janet  et  Cotelle,  éditeurs  et  marchands  de 
musique,  rue  Saint-Honoré.  n°  125.  près  celle  des  Poulies, 
à  Paris. 


Communiqué  par  M.  Ch.  Malherbe 


Berlioz  était  âgé  de  quinze  ans  el  trois  mois  quand  i 
écrivit  cette  lettre,  la  première  de  lui  qu'on  ait  conservée. 
La  seconde,  écrite  douze  jours  après,  a  le  même  objet  : 


. 


a  ignace  pleyel.    la  Côte-Saint  -André,   6  avril  181 
{Corresp.  inéd.,  63;    original  exposé  dans  les  salons  de  la 
maison  Pleyel).  Propositions  analogues  à  celles  de  la  lettre 
précédente  (il  n'est  pas  fait  mention  des  romances). 

Les  destinataires  de  ces  deux  lettres  furent  d"accord  pour 
répondre  par  un  refus. 

L'existence  d'uns  lettre  antérieure  nous  a  étésignalée  à  la 
QAte-Saint-André  :  Berlioz  lavait  écrite  à  un  de  ses  camarade! 

1.  Nous    avoua  conservé   seulement   dans  cette    première  lett 
l'orthographe  surannée  dont  Berlioz  a  longtemps  fait  us 

2.  Il  est  fait  mention  de  ce  «  pol  pourri  à  six  parties  sur  des 
thèmes  italiens  »  dans  le  chapitre  IV  des  tfétyoires 


: 


LES    ANNÉES   ROMANTIQUES.  3 

d'enfance  auquel  il  demandait  de  venir  avec  sa  clarinette 
prendre  part  à  une  exécution  musicale  dans  une  procession. 
O  détail  nous  a  été  donné  par  le  fils  de  celui  même  auquel 
jfette  lettre  était  adressée,  M.  H.  Favre,  qui  l'a  détruite 
autrefois,  ne  se  doutant  pas  de  l'intérêt  que  ce  document 
pourrait  avoir  un  jour. 

A  la  fin  d'octobre  1821,  Hector  Berlioz  quitta  pour  la 
première  fois  sa  province.  Son  passe-port  pour  aller  à  Paris 
comme  «  étudiant  médecin  »  est  daté  de  la  Cote-Saint- 
André,  26  octobre  1821  (collection  de  M.  Maignien,  bibliothé- 

icaire  de  la  ville  de  Grenoble). 

Les  premières  lettres  qui  nous  aient  été  conservées  comme 
postérieures  à  son  arrivée  dans  la  capitale  sont  adn  ss 

i  sa  sœur  Nanci  (Anne-Marguerite,  d'après  la  généalogie 
dressée  par  le  père),  de  deux  ans  et  quelques  mois  plus 
jeune  que  lui.  Encore  écrites  dans  un  style  presque  enfantin. 

|  elles  révèlent  comme  déjà  définitivement  formées  maintes 

«particularités  du  caractère  de  Berlioz:  son  humeur  sombre, 
si  vive  tendresse  pour  les  siens,  sa  répugnance  pour  tes 
études  médicales,  et,  par-dessus  tout,  son  amour  irrésistible 

i  pour  la  musique,  qui  apparaît  déjà  comme  son  unique  et 
exclusive  préoccupation. 


Il 


A    SA   SOEUR   NANCI 

Paris,  ce  13  décembre  1821. 

J'ai  bien  attendu,  ma  chère  sœur,  de  répondre  à  ta 
charmante  lettre,  mais  tu  sais  que  j'ai  été  obligé  d'écrire 


4  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

à  papa  la  semaine  dernière,  et,  celle-ci,  j'ai  écrit 
à  mes  oncles  Félix  et  Auguste  et  au  grand-papa1;  en 
outre,  visites  sur  visites  tous  les  dimanches. 

Tu  commences  ta  lettre  par  me  prêter  sur  ton  carac- 
tère une  opinion  que  je  n'ai  certainement  pas;  non, ma 
chère  Nanti,  je  ne  t'ai  jamais  crue  froide  ni  indifférente 
pour  moi;  quoique  tu  sois  peu  démonstrative,  je  ne  t'ai 
pas  jugée  telle,  et  quand  cela  serait,  ta  lettre  aurait  suffi 
pour  me  désabuser.  Tu  me  demandes  quels  sont  mes 
plaisirs  et  mes  peines;  pour  celles-ci,  je  te  répondrai 
avec  La  Fontaine  :  «  L'absence  est  le  plus  grand  des 
maux  »  ;  mais  il  s'en  joint  encore  d'autres,  causés,  tan- 
tôt par  une  étude  dégoûtante,  tantôt  par  le  décourage- 
ment que  j'éprouve  souvent,  lorsque  après  un  travail 
opiniâtre  je  réfléchis  que  je  ne  sais  rien,  que  j'ai  tout  à 
apprendre,  que  peut-être  papa  ne  sera  pas  content  de 
moi,  que  peut-être...  que  sais-je,  moi?  je  ne  finirais  pas 
si  je  voulais  te  peindre  toutes  les  idées  tristes  qui  m'ac- 
cablent. 

Mes  plaisirs  même,  qui  sont  en  petit  nombre,  se  rédui- 
sent toujours  à  faire  frémir  ou  pleurer.  Les  seuls  que 
j'aie  encore  connus  jusqu'ici,  c'est  le  cours  d'histoire  de 
M.  Lacretelle2  et  le  grand  Opéra.  A  cause  du  nom  de 

1.  Auguste  Berlioz,  médecin  ù  Grenoble,  frère  du  père  d'Hector; 
Félix Marmion,  officier,  frère  de  la  mère  d'Hector;  Nicolas  Mar- 
mion,  père  de  ces  derniers  (Cf.  Mémoires,  chap.  III).  —  Les  lettres 
signalées  ci-dessus  n'ont  pas  été  retrou\ées. 

2.  L'historien  Charles  de  Lacretelle,  professeur  à  la  Faculté  des 
Lettres. 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  5 

cours,  tu  ne  te  fais  peut-être  pas  d'idée  qu'il  y  ait  du 
plaisir  là  ;  cependant  tu  te  trompes  ;  cet  homme  parle 
comme  un  Dieu.  Le  premier  jour  où  je  l'entendis,  il 
nous  fit  à  tous  une  impression  je  puis  dire  cruelle  en 
racontant  l'assassinat  de  Henri  IV  ;  puis,  après  avoir 
peint  sous  des  couleurs  aussi  vives  les  désordres  et  les 
troubles  qui  affligent  le  commencement  du  règne  de 
Louis  XÏÏI,  quel  plaisir  ne  me  fit-il  pas  éprouver  quand 
il  vint  offrir  le  contraste  de  la  tranquillité  de  Sulli  dans 
sa  retraite,  déplorant  en  secret  les  malheurs  de  sa  pa- 
trie. Il  me  sembla  le  voir  lui-même,  tellement  il  avait  de 
dignité  en  racontant  que  ce  digne  ami  de  Henri  IV, 
appelé  à  la  cour  de  Louis  XIII  et  s'y  étant  présenté  avec 
un  habit  fait  à  l'ancienne  mode,  excita  les  ris  et  les 
sarcasmes  des  courtisans  du  jeune  Roi  ;  lors  Sulli  s'ap- 
procha du  trône,  et,  jetant  un  regard  de  mépris  sur  ces 
misérables  qui  se  moquaient  de  lui  :  «  Sire,  dit-il, 
quand  le  roi  votre  père  (d'honorable  mémoire)  me  fai- 
sait l'honneur  de  m'appeler  à  sa  cour,  il  avait  soin, 
avant  de  m'introduire,  de  faire  retirer  les  bouffons  et  les 
baladins.  »  Voilà  sur  quel  ton  se  fait  toujours  ce  cours  ; 
je  t'assure  que  c'est  un  grand  plaisir  que  d'y  assister, 
mais  je  ne  le  puis  presque  jamais. 

Pour  l'Opéra,  à  présent,  c'est  autre  chose;  je  ne  crois 
pas  qu'il  me  soit  possible  de  t'en  donner  la  moindre 
idée.  A  moins  de  m'évanouir,  je  ne  pouvais  pas  éprou- 
ver une  impression  plus  grande  quand  j'ai  vu  jouer 
Iphigénie  en  Tauride,  le  chef-d'œuvre  de  Gluck.  Figure- 


G  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

toi  d'abord  un  orchestre  de  quatre-vingts  musiciens  qui 
exécutent  avec  un  tel  ensemble  qu'on  dirait  que  c'est 
un  seul  instrument.  L'opéra  commence  :  on  voit  au 
loin  une  plaine  immense  (oh  !  l'illusion  est  parfaite)  et 
plus  loinencor  on  aperçoit  la  mer  ;  un  orage  est  annoncé 
par  l'orchestre,  on  voit  des  nuages  noirs  descendre  len- 
tement et  couvrir  toute  la  plaine;  le  théâtre  n'est  éclairé 
que  par  la  lueur  tremblante  des  éclairs,  qui  fendent 
les  nuages,  mais  avec  une  vérité  et  une  perfection  qu'il 
faut  voir  pour  croire.  C'est  un  moment  de  silence,  au- 
cun acteur  ne  parait;  l'orchestre  murmure  sourdement, 
il  semble  qu'on  entend  souffler  le  vent  (comme  tu  as 
certainement  remarqué  l'hiver,  quand  on  est  seul,  qu'on 
entend  souffler  la  bise),  eh  bien,  c'est  ça  parfaitement; 
insensiblement  le  trouble  croît,  l'orage  éclate,  et  on  voit 
arriver  Oreste  et  Pylade  enchaînés  et  amenés  par  les 
barbares  de  la  Tauride.  qui  chantent  cet  horrible  chœur: 
«  Il  faut  du  sang  pour  venger  nos  crimes.  »  On  n'y 
tient  plus;  je  défie  l'être  le  plus  insensible  de  n'être  pas 
profondément  ému  en  voyant  ces  deux  malheureux  se 
disputant  la  mort  comme  le  plus  grand  bien,  et  lorsque 
enfin  c'est  par  Oreste  qu'elle  est  rejetée,  eh  bien,  c'est 
sa  sœur,  c'est  Iphigénie,  la  prêtresse  de  Diane  qui  doit 
égorger  son  frère.  C'est  épouvantable,  vois-tu;  je  ne 
pourrai  jamais  te  décrire,  seulement  de  manière  à  ap- 
procher un  peu  de  la  vérité,  le  sentiment  d'horreui 
qu'on  éprouve  quand  Oreste  accablé  tombe  en  disant  : 
«  Le  calme  rentre  dans  mon  cœur.  »  Il  est  assoupi,  et 


LES    A.NNÉRS    ROMANTIQUES.  7 

on  voit  l'ombre  de  sa  mère  qu'il  a  égorgée  rôdant  autour 
de  lui  avec  divers  spectres  qui  tiennent  dans  leurs  mains 
deux  torches  infernales  qu'ils  agitent  autour  de  lui.  Et 
l'orchestre!  tout  cela  était  dans  l'orchestre.  Si  tu  enten- 
dais comme  toutes  les  situations  sont  peintes  par  lui, 
surtout  quand  Oreste  parait  calme  :  eh  bien,  les  violons 
font  une  tenue  qui  annonce  la  tranquillité,  très  piano; 
mais  au-dessous  on  entend  murmurer  les  basses  comme 
le  remords  qui,  malgré  son  apparent  calme,  se  fait  en- 
core entendre  au  fond  du  cœur  du  parricide. 

Mais  je  m'oublie;  adieu,  ma  chère  so.-ur,  pardonne- 
moi  ces  digressions  et  crois  toujours  que  ton  frère 
t'aime  de  tout  son  cœur. 

HECTOR    BERLIOZ. 

Embrasse  bien  pour  moi  tout  le  monde. 

Communiqué  par  madame  Reboul. 

De  la  lettre  suivante,  il  ne  subsiste  que  le  premier  leuillet, 
qui,  criblé  de  piqûres  d'aiguilles,  taillé  aux  ciseaux  sur  les 
bords,  a  visiblement  servi  de  patron  à  un  ouvrage  de 
femme,  destination  à  la  faveur  de  laquelle  nous  pouvons 
être  assures  d'en  avoir  dû  la  conservation. 

III 

A    SA    S0EIR    NANCI 

Paris,  ce  20  février  1822. 

Comment  passes-tu  ton  carnaval,  ma  chère  sœur? 
Comme  un  carême  je  gage  ;  le  passage  de  l'un  dans 


8  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

l'autre  ne  sera  pas  bien  brusque,  n'est-ce  pas...  ?  Je  t'en 
puis  bien  dire  autant;  j'ai  pourtant  reçu  ces  derniers 
jours  quatre  invitations  de  bal  de  la  part  de  M.  Teisseyre1, 
tant  pour  aller  chez  lui  que  chez  des  personnes  de  sa 
connaissance.  Nous2  avons  refusé  les  deux  premières, 
mais  lui  étant  allé  faire  une  visite  et  ayant  avoué  que 
nous  savions  danser,  il  nous  engagea  pour  le  vendredi  et 
le  dimanche  gras  de  manière  à  ne  pas  pouvoir  refuser. 
Nous  y  allâmes  donc.  Tu  crois  peut-être  que  les  bals  de 
Paris  sont  bien  différents  des  nôtres,  et  tu  te  trompes  : 
toute  la  différence  consiste  en  ce  qu'on  est  beaucoup  plus 
nombreux, qu'on  danse  à  soixante  au  lieu  de  danser  à  seize 
comme  chez  nous,  que  malgré  la  grandeur  des  salons  on  est 
tellementjonchéqueles  danseurs  sontobligésde  se  tenir 
derrière  les  danseuses  faute  de  place  ;  et  de  faire  con- 
tinuellement attention  où  on  met  les  pieds  pour  ne 
marcher  sur  personne.  Le  costume  est  uniformément 
blanc  pour  les  dames  et  noir  pour  les  hommes. 
L'orchestre!  Tu  croiras  peut-être  qu'il  est  superbe?  Eh 
bien,  il  n'est  pas  même  comparable  aux  nôtres  ;  figure-toi 
deux  violons  et  un  flageolet;  s'il  n'y  a  pas  de  quoi 
faire  pitié,  deux  violons  et  un  flageolet!  Oh!  je  n'en 
revenais   pas.  Encore  ces  trois    malheureux   jouèrent 

1.  I U' Grenoble.  La  mère  de  Camille  Pal,  futur  mari  de  Nanti 
Berlioz,  était  une  demoiselle  Teisseyre. 

2.  Nous,  c'est,  outre  Berlioz,  son  cousin  Alphonse  Robert,  avec 
qui  il  était  venu  de  la  Côte-Saint-André  à  Paris  pour  étudier  la 
médecine  (voy.  Mémoires,  chap.  iv,  v).  Ce  parent  est  souvent  men- 
tionné par  son  prénom  dans  les  lettres. 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  9 

presque  toute  la  soirée  des  contredanses  tirées  des 
ballets  que  j'ai  entendus  à  l'Opéra;  tu  peux  penser  quel 
joli  parallèle.  Enfin  nous  n'y  tînmes  plus,  nous  partîmes 
à  une  heure  en  cherchant  le  moyen  d'éviter  la  soirée 
de  dimanche.  L'occasion  se  présenta  bientôt.  Nous 
allâmes  voir  mon  oncle1  qui  nous  dit  qu'il  fallait  que 
nous  dînassions  ensemble  le  lendemain  ;  en  consé- 
quence nous  écrivîmes  à  M.  Tisseyre,  comme  si  mon 
oncle  ne  faisait  que  passer,  qu'il  désirait  passer  la  soirée 
avec  nous,  ce  qui  nous  dégagea  très  bien. 

Nous  fîmes  un  dîner  charmant  avec  le  cousin  Ray- 
mond2 et  mon  oncle  ;  après  nous  allâmes  à  Feydeau 
entendre  Martin3  ;  on  jouait  ce  soir-là  Azemia  et  les 
Voitures  versées  ;  ah  1  comme  je  me  dédommageais  ! 
J'absorbais  la  musique.  Je  pensais  à  toi,  ma  sœur,  quel 
plaisir  tu  aurais  à  entendre  cela.  L'Opéra  te  ferait  peut- 
lêtre  moins  de  plaisir,  c'est  trop  savant  pour  toi,  au  lieu 
que  cette  musique  touchante,  enchanteresse,  de  Dalayrac, 
la  gaieté  de  celle  de  Boïeldieu,  les  inconcevables  tours 
[de  force  des  actrices,  la  perfection  de  Martin  et  de  Pon- 
Ichard...  Oh  !  tiens,  je  me  serais  jeté  au  cou  de  Dalayrac 
si  je  m'étais  trouvé  à  côté  de  sa  statue,  quand  j'ai 
entendu  cet  air  auquel  on  ne  peut  point  donner  d'épi- 
thète  :  «  Ton  amour,  ô  fille  chérie.  »  C'est  à  peu  près  la 
[même  sensation  que  celle  que  j'ai  éprouvée  à  l'Opéra 

1.  L'oncle  Félix  Marmion. 

2.  Raymond  de  Roger,  parent  de  Berlioz  du  côté  maternel. 
'    3.  Célèbre  chanteur  de  l'Opéra-Comique. 

1. 


10  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

en  entendant  dans  Slratonice  celui  de  «  Versez  tous 
vos  chagrins  dans  le  sein  paternel  ».  Mais  je  n'entre- 
prends pas  de  te  décrire  encore  cette  musique... 
Communiqué  par  madame  Chapot.  La  fin  manque. 

Nous  groupons  ici  trois  lettres,  non  datées,  que  Berlioz 
écrivit,  dans  les  années  qui  suivirent,  à  sa  sœur  cadette, 
Adèle,  de  plus  de  dix  ans  plus  jeune  que  lui,  et  pour 
laquelle  il  éprouva  toute  sa  vie  la  plus  vive  tendresse.  Elle 
était  encore  une  petite  fille  au  moment  où  son  frère  lui 
écrivait  dans  les  termes  qu'on  va  lire: 


IV 


A    SA   SOEUR   ADELE 

Ma  chère  Adèle, 
Je  ne  t'écris  qu'une  toute  petite  lettre  pour  te  remer- 
cier des  tiennes.  J'apprends  avec  bien  du  plaisir  que 
mon  oncle  est  venu  rompre  un  peu  l'uniformité  de  votre 
existence  à  la  Côte  ;  mais  je  suis  peiné  de  te  voir  triste 
comme  tu  le  parais  dans  tes  lettres.  Je  pense  que  l'espèce 
d'isolement  que  tu  te  crées  à  toi-même  est  la  cause  de 
ton  ennui.  Je  voudrais  bien  connaître  quelque  moyen 
de  distraction  pour  te  l'offrir.  Ne  cherche  pas  tou- 
jours à  comparer  ta  manière  de  vivre  avec  celle  de 
Nanci  ;  songe  que  la  différence  d'âge  en  établit  néces- 
sairement une  dans  tous  les  rapports  que  vous  avez 
l'une  et  l'autre  avec  la  société* 


l  j:  s  a  x  n  Ë  i;  s  r  o  if  À  N  i  i  Q  dès  .  11 

Je  n'ai  reçu  ta  dernière  lettre  qu'hier.  Elle  a  plus 
d'un  mois  de  date,  je  n'y  conçois  rien.  Il  faut  que  la 
caisse  d'Alphonse1  soit  demeurée  bien  longtemps  en 
route,  ou  qu'il  ait  négligé  de  me  faire  savoir  qu'elle 
était  arrivée. 

Si  tu  vois  Charles  Bert,  dis-lui  que  je  n'ai  pas  oublié 
que  je  dois  lui  écrire  et  que  je  le  ferai  dans  peu.  Je  dois 
également  une  lettre  à  Edouard2. 

Adieu,  ma  chère  sœur,  je  t'embrasse  et  t'aime. 

Ton  affectionné  frère. 

U.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

Quelque  temps  après  son  arrivée  à  Paris,  Berlioz  avait 
déserte  l'École  de  médecine  pour  le  Conservatoire,  et  avait 
été  admis  parmi  les  élèves  particuliers  de  Lesueur.  qui  eut 
toujours  pour  lui  les  plus  grandes  bontés.  On  verra  par  les 
deux  lettres  ci-après  qu'il  avait  été  vite  accueilli  dans  linti- 
mité  de  la  famille  de  son  maître. 


A     LA    MÊME 

Ma  pauvre  Adèle,  ta  lettre  a  bien  failli  être  per- 
due ;  tu  l'avais  si  bien  cachée  dans  un  livre  que  j'ai 
demeuré  persuadé   pendant  trois    jours    qu'elle  était 

1.  Alphonse  Robert  (v.  note  2,  p.  8). 

2.  Edouard  Rocher.  Les  familles  Rocher  et  Bert.  de  la  Cote- 
Saint-Ândré,  étaient  en  r^kuions  intimes  avec  la  famille  Berlioz  : 
on  trouvera  fréquemment  dans  le?  lettiv<  dliëctor  les  nums  de 
leurs  divers  membres. 


12  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

égarée.  C'est  en  cherchant  de  nouveau  que  j'ai  fini  par 
la  découvrir.  J'ai  fait  ta  commission  à  mademoiselle 
Clémentine  Lesueur  ;  elle  te  remercie  et  me  charge 
de  te  dire  mille  choses  de  sa  part. 

J'ai  été  obligé  d'aller  au  bal  il  y  a  trois  semaines  ; 
j'étais  l'un  des  chevaliers  de  ces  dames1.  Tu  peux  penser 
combien  je  me  suis  ennuyé.  Aussi,  en  arrivant, 
M.  Schlôsser 2  et  moi  avons  dansé  la  première  contre- 
danse avec  les  demoiselles  Lesueur,  puis  ayant  été  de- 
mander la  demoiselle  de  la  maison,  elle  nous  a  répondu 
qu'elle  était  engagée  pour  quatorze  ;  nous  nous  sommes 
donc  retirés  du  monde,  et  je  n'ai  été  que  spectateur  toute 
la  soirée  ;  il  y  avait  dix  fois  plus  de  danseurs  qu'il  n'en 
fallait. 

Alphonse  se  porte  bien.  J'ai  eu  la  visite  hier  de 
M.  Du  Boys  de  Grenoble  qui  m'a  apporté  une  lettre  de 
Casimir  Faure3.  Nous  dînons  ensemble  demain  chez 
M.  ïeisseyre. 

1.  Madame  Adeline  Losueur,  née  de  Courchamps,  mesdemoi- 
selles Clémence,  Eugénie  et  Clémentine  Lesueur,  femme  et  filles 
de  Jean-François  Lesueur,  auteur  des  Bardes,  et  maître  d'Hector 
Berlioz. 

2. Louis  Schlôsser (1800-1886),  Coneertnieister,  puis  KapelluieiMiT 
à  Darmstadt,  avait  été  élève  du  Conservatoire  de  Paris  (classes  Le- 
sueur et  Kreutzer),  et,  comme  tel,  camarade  de  Berlioz.  Son  nom 
est  mentionné  dans  les  Mémoires  (Premier  voyage  en  Allemagne}. 
Son  fils,  .M.  Adolphe  Schlôsser,  ancien  professeur  de  piano  à  la 
Royal  Academy  of  Music  de  Londres,  prépare  à  son  tour  des  .Mu- 
moires  qui  contiendront  plusieurs  lettres  inédites  de  Berlioz. 

:(.  Albert  Du  Boys  et  Casimir  Faure,  compatriotes  d'Hector 
Berlioz  <t  sr<  camarades  de  jeunesse,  le  premier  plus  tard,  ihmims- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  13 

Dis  à  Nanci  que  j'avais  l'intention  de  lui  écrire  au- 
jourd'hui, mais  je  ne  puis  pas  rassembler  deux  idées  ; 
j'ai  peine  à  écrire  lisiblement. 

Adieu,  une  autre  fois  je  t'écrirai  plus  longuement. 

Ton  ami, 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


VI 


A    LA     MEME 

Tu  as  donc  été  malade,  ma  pauvre  Adèle  ?  Je  suis 
bien  aise  d'apprendre  que  ton  malaise  n'ait  pas  duré 
assez  longtemps  pour  t'empêcher  de  bien  f amuser.  Il  pa- 
raît que  la  Côte  s'est  un  peu  dégourdie  cet  hiver  ;  tant 
mieux.  On  commence  donc  à  te  trouver  assez  grande 
personne  pour  t'admettre  volontiers  dans  les  brillantes 
réunions6!  Allons,  tout  n'est  pas  perdu,  puisque  chez 
nous 

L'on  rit,  l'on  jase  et  l'on  raisonne 
Et  l'on  s'amuse  un  moment  '. 

Je  n'ai  pas  encore  eu  le  plaisir  de  voir  M-  Bert  qui 
m'a  apporté  ta  lettre.  Quand  il  est  venu,  je  n'y  étais 

trat  à  Grenoble,  le  second  avocat  à  Vienne.  —  Albert  Du  Boys  a 
éerit  pour  Berlioz,  vers  ce  temps-là,  plusieurs  pièces  de  vers  qu'il 
mit  en  musique,  notamment  la   ballade  du  Pécheur,  traduite  de 
Goethe,  replacée  dans  le  mélologue  du  Retour  à  la  vie  ou  Le/io. 
1.  Citation  tronquée  dune  chanson  intercalée  dans  les  VisUandines. 


14  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

pas.  J'ai  chargé  mon  portier  de  le  prier.de  laisser  sua 
adresse  s'il  revenait,  mais  il  ne  s'est  pas  représenté. 

Tu  me  demandes  si  je  suis  allé  au  bal  cet  hiver  avec 
les  daines  Lesueur.  J'y  suis  allé  une  fois,  mais  elles  ont 
eu  la  bonté  de  me  dispenser  des  autres  réunions  où 
elles  auraient  pu  me  conduire,  elles  savent  combien  je 
m'y  ennuie. 

Je  ne  vais  presque  jamais  dans  ce  qu'on  appelle  le 
monde.  Le  vendredi  soir,  je  vais  assez  ordinairement 
dans  une  maison  où  l'on  fait  de  la  musique  ;  je  m'y 
plais  assez  parce  qu'on  y  boit  du  bon  thé,  et  que  j'ai 
une  passion  pour  cette  boisson  ;  cela  m'aide  à  avaler  la 
musique  qu'on  y  fait. 

Finalement,  je  m'amuse  beaucoup. 

Voilà  plus  d'une  demi-heure  que  je  me  creuse  la  tête 
pour  le  dire  quelque  chose  d'intéressant.  Je  ne  puis 
rien  trouver.  Embrasse  Prusper1  pour  moi.  Qu'a-t-il 
fait  de  son  terrible  sabre?  A-t-il  toujours  d'aussi  belles 
dispositions  pour  faire  des  grimaces? 

Sois  sans  inquiétude  sur  les  moyens  de  te  faire  par- 
venir mes  lettres  quand  je  serai  dans  /es  pays  étran- 
gers2, je  t'assure  qu'on  peut  s'écrire  partout;  il  n'y  a 
qu'un  pays  où  les  lettres  ne  parviennent  pas,  c'est  celui 
d'où  personne  ne  revient. 


I .  Frère  cadet  de  Berlioz,  né  en  1820. 

-'.  Cette  phrase  doit  foire  supposer  que  la  lettre  fut  écrite  après 
que  Berlioz  eût  manifesté  l'intention  de  prendre  part  au  concours 
de  Rome,  où  il  se  présenta  pour  la  première  fois  en  1826. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  15 

Tu  me  dis  que  tu  arrives  de  Pointières1.  Y  a-t-on  en- 
core dansé?  Xanci  doit  se  plaire  dans  ce  castel  de  nou- 
velle structure2,  la  vue  est  ravissante,  il  y  a  un  peu  de 
Walter  Scott  dedans,  et  la  société  de  mademoiselle 
Louise3  est  bien,  je  crois,  la  seule  qu'elle  puisse  avoir  à 
quatre  lieues  à  la  ronde.  Pour  toi  je  ne  vois  pas  celle 
que  tu  peux  avoir,  ni  dedans  ni  dehors. 

Enfin...  Adieu. 

H.     BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot, 

Berlioz  raconte  dans  ses  Mémoires  (chap.  V)  qu'après  avoir 
assisté  à  plusieurs  représentations  à  l'Opéra  il  résolut  de  se 
faire  musicien.  «  J'osai  même,  sans  plus  tarder,  écrire 
à  mon  père  pour  lui  faire  connaître  tout  ce  que  ma  ^cation 
avait  d'impérieux  et  d'irrésistible,  en  le  conjurant  de  ne 
pas  la  contrarier  inutilement.  Il  répondit  par  des  raison- 
nements affectueux..,  Mais  loin  de  me  rallier  à  sa  manière 
de  voir,  je  m'obstinai  dans  la  mienne,  et  dès  ce  moment 
une  correspondance  régulière  s'établit  entre  nous,  de  plus 
en  plus  sévère  et  menaçante  du  côté  de  mon  père,  toujours 
plus  passionnée  du  mien  et  animée  enfin  d'un  emporte- 
ment qui    allait  jusques  à  la  fureur.  » 

Il  ne  nous  est  resté  de  toute  cette  correspondance  que  la 
lettre  suivante  : 


1.  Domaine  de  la  famille  Wvroo,  sur  le  haut  du  coteau  qui 
domine  la  Côte-Saint-André  ;  on  y  jouit  de  la  vue  des  Alpes. 

2.  Citation  par  à  peu  près  du  premier  vers  d'une  romance  sur 
l'air  de  laquelle  se  chantait  la  complainte  (ÏHéloïse  et  Abailard.  On 
sait  que  Berlioz  eut  toujours  du  goût  pour  la  romance... 

3.  Mademoiselle  Louise  Veyron,  plus  tard  madame  Boutaud. 


16  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

VII 

A    SON    PÈRE 

Paris,  ce  31  août  1824. 

Mon  cher  papa, 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  combien  votre  lettre 
m'a  surpris  et  navré,  vous  n'en  doutez  certainement 
pas  et  j'ose  espérer  que  votre  cœur  désavoue  les  cruelles 
phrases  qu'elle  contenait.  Je  ne  comprends  pas  encor 
comment  celle  que  j'avais  laissée  à  Alphonse  a  pu  vous 
émouvoir  à  ce  point;  elle  ne  contenait  rien  que  je  ne 
croie  vous  avoir  dit  ou  fait  entendre  cent  fois,  et  je  ne 
pense  pas  qu'il  me  soit  échappé,  en  parlant  de  mes  pa- 
rents, aucune  expression  contraire  aux  sentiments  d'un 
fils  tendre  et  respectueux. 

Je  suis  entraîné  volontairement  vers  une  carrière  ma- 
gnifique (on  ne  peut  donner  d'autre  épithète  à  celle  des 
arts)  et  non  pas  vers  ma  perle;  car  je  crois  que  je  réus- 
sirai, oui,  je  le  crois:  il  ne  s'agit  plus  de  considérations 
de  modestie  ;  pour  vous  prouver  que  je  ne  donne  rien 
au  hasard,  je  pense,  je  suis  convaincu  que  je  me  distin- 
guerai en  musique,  tout  me  l'indique  extérieurement; 
et  dans  moi-même  la  voix  de  la  nature  est  plus  forte  que 
les  plus  rigoureux  arrêts  de  la  raison.  J'ai  toutes  les 
chances  imaginables  pour  moi,  si  vous  voulez  me  secon- 
der; je  commence  jeune;  je  n'aurais  pas  besoin  de  don- 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  17 

ner  de  leçons  comme  tant  d'autres  pour  m'assurer  une 
existence;  j'ai  quelques  connaissances  et  possède  des 
éléments  de  quelques  autres,  de  manière  à  pouvoir  un 
jour  les  approfondir,  et  certes  j'ai  éprouvé  des  passions 
assez  fortes  pour  ne  pas  me  méprendre  sur  leurs  accents 
toutes  les  fois  qu'il  s'agira  de  les  peindre  ou  de  les  faire 
parler. 

Si  j'étais  condamné  sans  rémission  à  mourir  de  faim 
dans  le  cas  de  non-réussite  (je  n'en  persisterais  pas 
moins  à  la  vérité),  vos  raisons  du  moins  et  votre  inquié- 
tude seraient  plus  fondées  ;  mais  il  n'en  est  rien,  et,  en 
fixant  au  plus  bas,  je  suis  bien  convaincu  que  je  pour- 
rai avoir  un  jour  deux  mille  francs  de  rente;  mais  ne 
mettons  que  quinze  cents  francs,  jevivraistoutde  même 
avec  cette  somme;  n'en  mettons  que  douze  cents,  je  m'en 
contenterais,  même  quand  la  musique  ne  devrait  rien 
me  rapporter.  Enfin  je  veux  me  faire  un  nom,  je  veux  lais- 
ser sur  la  terre  quelques  traces  de  mon  existence  ;  et 
telle  est  la  force  de  ce  sentiment,  qui  en  lui-même  n'a 
rien  que  de  noble,  que  j'aimerais  mieux  être  Gluck  ou 
Méhul  mort  que  ce  que  je  suis  dans  la  fleur  de  l'âge. 
Telle  était  l'ambition  du  célèbre  Marcello  ;  il  avait  à 
vaincre  des  préjugés  bien  plus  forts  que  ceux  qu'on  a 
généralement  contre  les  artistes,  puisqu'il  était  fils  du 
doge  de  Venise  et  que  son  père  aurait  mieux  aimé  le 
voir  au  fond  de  la  mer  que  dans  une  carrière  qui  le 
couvrait  lui  et  sa  famille  de  ce  qu'il  croyait  être  un 
pareil  déshonneur;  eh  bien,  qui  se  douterait  à  présent 


18  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

qu'il  y  a  eu  un  doge  de  Venise  nommé  Marcello  si  son 
iils  n'en  avait  immortalisé  le  nom  par  des  chants  sa- 
crés, sublimes,  qui  s'exécutent  encore  dans  toutes  les 
principales  églises  d'Italie  et  d'Allemagne?... 

Vous  m'avez  souvent  objecté  l'énorme  différence  qu'il 
y  a  entre  mes  connaissances  accessoires  et  celles  de 
M.  Lesueur.  Il  connaît  les  langues  anciennes  et  les  ma- 
thématiques ;  mais,  comme  il  me  le  disait  encore  hier, 
ce  sont  des  connaissances  générales  qu'il  a  acquises 
comme  tout  le  inonde  dans  les  collèges  et  qu'il  a  appro- 
fondies longtemps  après  ses  classes,  quand  il  a  aperçu  le 
rapport  qu'il  y  a  entre  certaines  sciences  et  la  musique. 
Il  a  commencé  par  devenir  un  grand  musicien  avant 
d'être  un  musicien  savant;  et,  s'il  n'est  pas  entré  dans 
mon  premier  plan  d'études  d'apprendre  le  grec  ou 
l'hébreu  et  les  mathématiques,  il  n'y  a  pas  le  moindre 
doute  que  cela  n'augmentera  ni  ne  diminuera  le  nombre 
des  chances  que  je  cours  en  me  livrant  à  la  musique. 

Telle  est  ma  manière  de  penser,  tel  je  suis,  et  rien  au 
monde  ne  pourra  me  changer;  vous  pourriez  me  reti- 
rer tout  secours  ou  me  forcer  de  quitter  Taris,  mais  je 
ne  le  crois  pas,  vous  ne  voudriez  pas  ainsi  me  faire 
perdre  les  plus  belles  années  de  ma  vie  et  briser  l'ai- 
guille aimantée,  ne  pouvant  l'empêcher  d'obéir  à  l'attrac- 
tion des  pôles. 

Adieu,  mon  cher  papa,  relisez  ma  lettre,  et  ne  l'attri- 
buez pas  à  quelque  mouvement  exalté,  jamais  peut-être 
je  il'al  été  plus  calme. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  19 

Je  vous  embrasse  tendrement  ainsi  que  maman  et 
mes  sœurs. 
Votre  respectueux  et  tendre  fils, 

11.    BEBLIOZ. 

P.-S.  — Charles  se  porte  bien. 

Communiqué  par  madame  Reboul. 

On  a  imprimé  les  deux  lettres  ci-après  mentionnées, 
en  leur  donnant  par  hypothèse  la  date  de  1825.  manifeste- 
ment erronée,  car,  écrites  l'une  et  l'autre  de  la  Cole-Saint- 
Audré,  elles  appartiennent  à  la  période  des  discussions 
auxquelles  fait  allusion  la  lettre  précédente,  qui  est  de  182ï. 

A  HUMBERT  FERRAND,  Lett.  iîlt.  1  ; 

a  lesueur,  Membre  de  l'Institut,  surintendant  de  la 
Chapelle  du  Roi.  (Corresp.  inéd.  Appendice,  358,  d'après  un 
brouillon  appartenant  à  madame  Chapot). 

La  lettre  à  Lesueur,  après  avoir  rendu  compte  du  désac- 
cord auquel  la  vocation  de  Berlioz  avait  donné  naissance 
entre  lui  et  ses  parents,  fait  mention  de  deux  œuvres  aux- 
quelles il  travaillait  alors  :  l'oratorio  le  Passage  de  la  Mer 
Rouge  et  une  Messe,  dont  il  dit  que  le  Credo  et  le  Kyrie  sont 
déjà  écrits. 

Cette  messe,  la  première  œuvre  de  Berlioz  qui  ait  eu  les 
honneurs  d'une  audition  puhlique  (voir  à  ce  sujet  Mémoires, 
VII,  VIII,)  fut  exécutée  pour  la  première  fois  à  l'église  Saint- 
Boch,  le  10  juillet  1825.  Les  lettres  ci-après  nous  donnent 
un  compte  rendu  circonstancié  et  très  vivant  de  cette 
mémorable  cérémonie  musicale. 


20  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 


VIII 

A    SA    MÈRE 

Paris,  ce  14  juillet  1825. 

Ma  chère  maman, 

Vous  avez  sans  doute  appris  par  Edouard  que  je  venais 
d'obtenir  un  succès  assez  brillant  par  l'exécution  de  ma 
messe.  Si  j'ai  tardé  jusqu'à  présent  de  vous  en  faire 
hommage,  ce  n'est  pas  que  j'aie  eu  le  moindre  doute  sur 
le  plaisir  que  cette  nouvelle  vous  ferait;  malgré  le  désir 
que  vous  auriez,  ainsi  que  papa,  de  me  voir  tourner  mes 
études  d'un  autre  côté,  votre  tendresse  pour  moi  est 
trop  grande  pour  que  ce  qui  m'a  causé  tant  de  joie 
puisse  vous  faire  de  la  peine.  Apprenez  donc,  ma  chère 
maman,  que  la  seule  cause  de  ce  retard  est  le  désir  que 
j'avais  de  voir  mon  succès  sanctionné  par  les  journaux; 
il  y  en  a  une  sixaine  qui  me  donnent  des  encourage- 
ments et  des  éloges;  malheureusement,  pas  un  n'est 
rei;u  à  la  Côte  :  ce  sont  J'Aristarque,  le  Drapeau  blanc, 
le  Moniteur,  le  Corsaire  et  le  Journal  de  Paris.  A  me- 
sure qu'ils  paraissent,  je  les  achète,  je  veux  arriver  près 
de  vous  armé  de  mes  pièces  justificatives. 

J'ai  eu  la  plus  belle  exécution  qu'on  puisse  voir; 
j'avais  cent  cinquante  musiciens.  Les  protections  de 
mon  maître,  du  directeur  de  l'Opéra,  du  chef  d'orchestre. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  21 

et  surtout  le  zèle  qu'ils  y  ont  mis,  m'ont  fait  surmonter 
les  obstacles  les  plus  grands. 

Dès  la  fin  de  l'exécution,  les  compliments,  les  ques- 
tions, les  invitations  de  toute  espèce  me  sont  tombés 
dessus  comme  la  grêle;  je  ne  savais  à  qui  répondre. 
.Mais  tout  cet  engouement  des  amateurs  était  loin  de  me 
satisfaire  ;  c'était  le  suffrage  des  artistes,  celui  seulement 
des  connaisseurs  que  j'ambitionnais.  J'ai  eu  le  bonheur 
de  l'obtenir.  Quel  plaisir  d'entendre  tous  les  musiciens 
blasés  sur  les  effets  de  leur  art  venir  me  dire  que  je  les 
avais  fait  frissonner,  que  j'avais  le  diable  au  corps,  que 
mes  crescendo  leur  avait  fait  perdre  haleine,  que  j'irais 
loin,  qu'il  fallait  me  modérer,  etc.,  etc. .etc.  Après  avoir 
essuyé  une  harangue  d'un  quart  d'heure  de  la  part  du 
curé  de  Saint-Roch,  qui  voulait  me  prouver  que 
J.-J.  Rousseau  avait  perverti  le  goût  en  musique  comme 
en  littérature  et  que  j'étais  appelé  à  ramener  le  public 
dans  la  bonne  voie,  je  me  suis  sauvé  chez  mon  maître 
qui  m'avait  fait  dire  qu'il  m'attendait.  En  entrant, 
M.  Lesueur  m'a  embrassé;  je  ne  savais  plus  où  j'en 
étais;  il  m'a  témoigné  sa  joie,  sa  satisfaction,  je  dirai 
même  son  enchantement,  de  manière  à  me  bouleverser 
tout  à  fait.  Puis  il  m'a  raconté  que,  s'élant  caché  dans 
un  coin  de  l'église  pour  n'être  pas  reconnu,  il  avait  vu 
et  entendu  l'effet  prodigieux  de  ma  musique  sur  le  pu- 
blic. Madame  Lesueur  et  ses  filles,  qui  étaient  pla- 
cées dans  une  autre  partie  de  Saint-Roch,  me  rappor- 
taient ce  qu'elles  avaient   également  vu   et  entendu, 


22  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

les  compliments  qu'on  leur  avait  adressés  sur  mon 
compte,  le  dépit  des  élèves  de  Berton,  qui  étaient  sin- 
gulièrement vexés  de  tout  cela. 

Enfin  voilà  le  premier  pas  fait  heureusement;  mais 
je  n'en  ai  pas  moins  vu  combien  j'ai  besoin  de  travailler; 
des  défauts  nombreux,  qui  avaient  échappé  à  la  multi- 
tude entraînée  par  la  fougue  des  idées,  m'ont  été  signa- 
lés ,  je  les  ai  reconnus  et  je  m'efforcerai  de  les  éviter 
une  autre  fois. 

Adieu,  ma  chère  maman,  dans  quelques  jours  je  vous 
écrirai  de  nouveau;  je  n'ai  pas  le  temps  aujourd'hui  de 
vous  donner  plus  de  détails,  je  suis  à  peine  deuxheures 
de  la  journée  chez  moi. 

Votre  affectionné  fils, 

II.     BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Reboul. 


IX 


A  ALBERT    DU    BOYS 

Paris,  20  juillet  1825. 

Vous  êtes  bien  aimable  garçon,  mon  cher  Albert,  de 
in'avoir  écrit.  J'aurais  été  capable,  je  l'avoue,  d'attendre 
mon  voyage  à  Grenoble  pour  vous  donner  sur  mon 
début  les  détails  que  vous  me  demandes. 

Ma  messe  a  été  exécutée. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  23 

Parfaitement  (il  faut  que  ce  soit  vrai  pour  que  l'au- 
teur le  dise). 

Par  cent  cinquante  musiciens  —  de  l'Opéra  et  du 
Théâtre-Italien. 

Valentino 1  conduisait. 

Prévost  chantait. 

Et  je  suis  fâché  de  vous  dire  que  malgré  la  peine  que 
vous,  M.  Briffault  et  M.  de  Montesquiou  vous  êtes  don- 
née, je  ne  dois  absolument  rien  à  M.  Sosthène2,  que  deux 
audiences  particulières,  dans  lesquelles  il  m'a  accablé 
de  sa  haute  Bêtise.  C'est  bien  le  plus  grand  cheval  que 
la  maison  du  roi  ait  jamais  eu  à  son  service.  Croiriez- 
vous  qu'il  me  permettait  d'avoir  les  musiciens  de 
l'Opéra...  pourvu  que  je  les  paye  ?  Le  brave  homme  !  Il 
me  permettait  de  dépenser  mille  francs,  si  je  les  avais  ; 
et  il  donnait  aux  artistes  liberté  pleine  et  entière  de  les 
recevoir. 

Je  crois  que  ma  messe  a  produit  un  effet  d'enfer; 
surtout  les  morceaux  de  force,  tel  s  que  le  Kyrie,  le  Cru- 
ciftxus,  ïlterum  venlurusAa  Domine  Salvum,  le  Sanctus. 
Quand  j'ai  entendu  le  crescendo  de  la  lin  du  Kyrie,  ma 
poitrine  s'enflait  comme  l'orchestre,  les  battements  de 
mon  cœur  suivaient  les  coups  de  baguette  du  timba- 


1.  Chef  d'orchestre  à  l'Opéra,  plus  tard  directeur  déconcerta 
syniphoniques  qui  portèrent  son  nom. 

2.  Vicomte  Sosthène  de  la  Rochefoucauld,  surintendant  des 
Beaux-Arts.  Nous  retrouverons  le  nom  de  ce  personnage  officiel 
dans  plusieurs  des  lettres  qui  vont  suivre. 


24  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

lier.  Je  ne  sais  ce  que  je  disais,  mais  à  la  fin  du  mor- 
ceau, Valentino  m'a  dit  :  «  Mon  ami,  tâchez  de  vous 
tenir  tranquille,  si  vous  ne  voulez  pas  me  faire  perdre 
la  tête.  »  Dans  Ylterum  venturus,  après  avoir  annoncé 
par  toutes  les  trompettes  et  trombones  du  monde  l'arri- 
vée du  Juge  suprême,  le  chœur  des  humains  séchant 
d'épouvante  s'est  déployé  ;  ô  Dieu  !  je  nageais  sur  cette 
mer  agitée,  je  humais  ces  flots  de  vibrations  sinistres; 
je  n'ai  voulu  charger  personne  du  soin  de  mitrailler 
mes  auditeurs,  et  après  avoir  annoncé  aux  méchants, 
par  une  dernière  bordée  de  cuivres,  que  le  moment  des 
pleurs  et  des  grincements  de  dents  était  venu,  j'ai  appli- 
qué un  si  rude  coup  de  tam-tam  que  toute  l'église  en  a 
tremblé.  Ce  n'est  pas  ma  faute  si  les  dames  surtout 
ne  se  sont  pas  crues  à  la  fin  du  monde. 

Le  peuple  des  amateurs  s'est  prononcé  pour  le  Gloria 
in  excelsis,  morceau  brillant  et  en  style  léger  ;  c'était 
immanquable. 

Rien  de  plus  curieux  que  le  moment  qui  a  suivi 
l'exécution  de  l'ouvrage.  En  deux  minutes  j'ai  été  envi- 
ronné, pressé,  accablé  par  les  artistes,  exécutants  et 
auditeurs  dont  l'église  était  garnie.  L'un  me  prenait  la 
main,  l'autre  me  tirait  par  mon  habit  :  «  Vous  avez  le 
diable  au  corps. —  Monsieur,  il  faut  vous  modérer,  vous 
vous  tueriez.  —  J'en  ai  encore  la  chair  de  poule.  — 
Jeune  homme  vous  irez  loin,  vous  avez  des  idées.  — 
Voilà  bien  des  enfoncés,  de  cette  affaire  ;  j'en  vois  d'ici 
qui  ne  rient  pas.  » 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  25 

Peu  à  peu,  les  amateurs  ont  franchi  les  barrières, 
sont  venus  dans  l'orchestre  et  demandaient  aux  musi- 
ciens de  leur  montrer  l'auteur.  L'un  des  plus  empressés 
courait,  renversant  chaises  et  pupitres  ;  il  est  enfin  par- 
venu jusqu'à  moi  :  «  Monsieur,  où  est  le  maître  de 
chapelle?  je  vous  prie.  — Qui?  lui  dis-je,  M.  Lesueur? 

—  Non.  —  Celui  qui  menait  l'orchestre,  M.  Valentino? 

—  IS'on,  non,  l'auteur  de  la  musique.  —  C'est  moi, 
monsieur.  —  Ah...  ah...  ah...  ah...  ah...  ah...  »  Et 
je  l'ai  laissé  à  la  première  lettre  de  son  alphabet. 
Les  compliments  me  pleuvaient  comme  la  grêle.  Ici, 
on  me  demandait  si  mon  meilleur  morceau  n'était 
pas  le  Sanctus  ou  tel  autre  qu'on  préférait.  Là,  on 
m'assurait  que  je  n'aimais  pas  la  musique  absurde,  que 
toutes  mes  idées  peignaient  la  situation,  que  toutes  mes 
notes  portaient  coup.  Au  milieu  de  tout  cela,  les  demoi- 
selles Lesueur  avec  leur  mère  viennent  me  dire  que 
mon  maître  m'attend  chez  lui.  J'allais  y  courir,  quand  un 
envoyé  du  curé  me  force  d'entrer  à  la  sacristie,  et  d'y 
entendre  un  discours  d'un  quart  d'heure.  Le  Pasteur 
voulait  me  dire  que  mes  idées  ne  venaient  pas  de  la  tête, 
mais  du  cœur.  «  Ex  pectore,  monsieur,  ex  pectore, 
comme  l'a  dit  le  grand  saint  Augustin.  »  Enfin,  je 
m'échappe,  je  vais  chez  mon  maître,  je  sonne,  made- 
moiselle Lesueur  m'ouvre  :  «  Papa,  le  voilà  1  —  Venez 
que  je  vous  embrasse  ;  morbleu,  vous  ne  serez  ni  mé- 
decin, ni  apothicaire,  mais  un  grand  compositeur  ;  vous 
avez  du  génie,  je  vous  le  dis  parce  que  c'est  vrai  ;  il  y 

2 


26  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

a  trop  de  notes  dans  votre  messe,  vous  vous  êtes  laissé 
emporter,  mais,  à  travers  toute  cette  pétulance  d'idées, 
pas  une  intention  n'est  manquée,  tous  vos  tableaux 
sont  vrais  ;  c'est  d'un  effet  inconcevable.  Et  je  veux  que 
vous  sachiez  que  cet  effet  a  été  senti  de  la  multitude, 
car  je  m'étais  placé  exprès  tout  seul  dans  un  coin  pour 
observer  le  public,  et  je  vous  réponds  que  si  ce  n'eût 
pas  été  dans  l'église,  vous  auriez  reçu  trois  ou  quatre 
fameuses  salves  d'applaudissements.  » 

Mon  cher  Albert,  j'en  reste  là,  je  ne  puis  tout  vous 
écrire  :  je  vous  raconterai  le  plus  intéressant.  C'est  ce 
qui  est  arrivé  dernièrement  à  Lesueur,  à  mon  sujet,  au 
Conservatoire.  Sa  conversation  avec  Chérubini  et  Ber- 
ton.  Les  félicitations  que  je  reçus  le  lendemain  de 
l'exécution  de  nia  messe  à  la  noce  de  la  fille  de  ma- 
dame Branchu  à  laquelle  j'étais  invité  et  où  je  trouvai 
à  qui  parler. 

Je  n'ai  pu  avoir  l'adresse  de  M.  Brillault  :  je  suis  entré 
dans  dix  maisons  de  la  rue  du  Bac  et,  ne  le  trouvant 
pas,  j'ai  pris  le  parti  de  lui  écrire  sans  numéro  ;  je  crains 
que  la  lettre  ne  lui  soit  pas  parvenue.  Ayez  la  bonté  de 
le  lui  faire  savoir.  Je  comptais  sur  M.  de  Montesquiou 
pour  le  déterrer:  niais  je  ne  sais  comment  je  m'y  suis 
pris,  sa  propre  invitation  m'a  passé  de  la  tète,  et  je  n'y 
ai  songé  que  quand  tout  a  été  li ni-  Voilà  qui  est  diabo- 
lique, mais  j'étais  .si  tourmenté,  si  préoccupé  dans  ce 
moment-là,  que  en  vérité  ce  n'est  pas  taule.  Au  reste, 
c'est  moi  qui  porterai  la  peine  de  paon  étourderie. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  27 

Ferrand1  perdait  la  tête,  il  me  prodiguait  les  épithètes 
les  plus  extravagantes,  et,  jetant  feu  et  flammes,  il  a 
fait  un  grand  et  bel  article  pour  la  Gazette  de  France 
[ddiit  il  connaît  un  rédacteur),  qu'on  lui  a  promis  d'in- 
sérer et  qui  n'a  pas  paru  ;  il  comptait  également  sur 
deux  de  ses  amis,  l'un  du  Diable  boiteux  et  l'autre  du 
Globe,  il  ne  les  a  pas  rencontrés  et  je  n'ai  rien  eu.  M.  de 
Carné2  n'était  pas  à  Paris  à  cette  époque,  j'en  ai  été  bien 
fâché  de  toutes  les  manières. 

Les  journaux  qui  parlent  de  moi  sont  : 


Le  Moniteur  du  11. 
Le  Journal  de  Paris  du  11, 
L'Aristanj'e  du  11. 
Le  Corsaire  du  13. 


Le  Drapeau  blanc  du  13. 
Les  Débats  du  14. 
La  Quotidienne  du  15. 


Nous  étions  montés  en  cabriolet,  Ferrand  et  moi, 
pour  faire  nos  invitations;  malgré  cela,  l'Etoile,  le 
Diable  boiteux,  la  Pandore  et  quelques  autres  qui  nous 
avaient  promis  d'assister  à  ma  messe  et  d'en  rendre 
compte  n'en  ont  rien  fait. 

Mille  choses  de  ma  part  à  Casimir;  si  je  ne  lui  écris 
pas,  c'est  que  ma  lettre  ne  serait  qu'une  copie  de  celle 
que  je  vous  envoie,  et  que  je  crains  qu'il  ne  soit  plus  à 


1.  Humbert  Ferrand,  l'ami  de  jeunesse  et  le  confident  de  toute 
la  vie  de  Berlioz,  à  qui  sont  adressées  les  lettres  dont  la  collection 
forme  le  volume  intitulé  Lettres  intimes. 

2.  Sur  les  rapports  de  Berlioz  avec  de  Carné  et  Cazalés,  et  leur 
collaboration  à  la  Revue  européenne,  voir  ses  Mémoires,  chap.  XXI. 


28  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Grenoble;  montrez-lui  mon  barbouillage  s'il  y  est 
encore  et  ce  sera  tout  comme. 

Adieu,  mon  cher  Albert,  ne  perdez  pas  vos  peines  à 
me  justifier  auprès  des  gens  qui  me  trouvent  cou- 
pable. Les  uns  sont  des  glaces  flottantes,  laissez-les 
obéir  à  la  force  d'inertie;  les  autres  sont  des  fanatiques, 
avec  lesquels  on  ne  peut  pas  raisonner,  et  vous  ne 
pourriez  jamais  rompre  la  croûte  de  préjugés  qui  les 
couvre. 

Je  vous  embrasse  et  compte  avoir  le  plaisir  de  vous 
voir  sous  peu. 

Votre  ami. 

H.     BERLIOZ. 

P.-S.  —  On  vient  de  me  demander  ma  messe  pour 
dimanche  31  juillet.  On  se  charge  de  la  faire  exécuter. 
Je  l'entendrai  encore  ;  mais  moins  en  grand  que  la 
première  fois  ;  nous  ne  serons,  je  crois,  qu'une  soixan- 
taine :  nombre  suffisant  pour  le  local  l. 

Communiqué  par  M.  P.  Du  Boys  (précédemment  reproduit 
dans  l'Appendice  de  Ad.  Jullien,  H.  Berlios). 

Berlioz  avait  obtenu  de  son  père  la  permission  de  revenir 
à  Paris  et  de  se  livrer  à  l'étude  de  la  composition  musicale, 
mais  pour  quelque  temps  seulement,  et  à  la  condition  que, 
le  délai  passé,  si  l'épreuve  n'était  pas  favorable,  il  renonce- 
rait définitivement  à  suivre  sa  vocation.  La  lettre  ci-après 
fait  allusion  à  ces  difficultés. 


1.  Cette  seconde  exécution  n'eut  pas  lieu.  La  messe  de  Berlioz  ne 
fut  exécutée  de  nouveau  qu'en  1827. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  29 


A 


A    SA    SOEUR   NANCI 

Paris,  12  décembre  1825. 

Ma  chère  Nanci, 

Ta  lettre  est  venue  bien  mal  à  propos.  Ne  t'effarouche 
pas  de  ce  terme-là  et  écoute. 

Je  suis  aujourd'hui  dans  un  de  ces  moments  d'orage 
auxquels  je  suis  sujet.  Une  multitude  d'idées  se  pressent 
dans  ma  tête,  se  choquent,  s'embrouillent,  me  font 
bouillonner  le  sang,  m'agitent  en  un  mot  d'une  manière 
extraordinaire.  Je  ne  suis  pas  capable  de  te  décrire  cet 
état,  mais  je  puis  t'en  indiquer  les  causes. 

Je  ne  connais  cette  espèce  de  maladie  que  depuis  que 
je  m'occupe  sérieusement  de  musique  (c'est-à-dire 
depuis  que  je  suis  capable  de  réfléchir  et  depuis  que 
j'attache  une  grande  importance  à  certaines  idées). 

Elle  m'est  ordinairement  occasionnée  par  une  pensée 
prompte,  qui  m'apparaît  comme  un  éclair,  m'arrache  à 
mon  état  ordinaire,  me  fait  rougir  subitement  et  me 
livre  à  tous  les  transports  d'une  sensibilité  et  d'une  ima- 
gination exaltée.  Par  exemple  :  je  suis  pénétré  d'une 
profonde  admiration  pour  quelque  conception  humaine 
inpistinctement,  je  brûle  de  la  faire  partager,  je  cours, 


30  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

je  vole. . .  je  rencontre  un  être  froid  qui  ne  me  comprend 
pas,  ou  qui  est  d'une  opinion  opposée  à  la  mienne.  — 
Une  vérité  méconnue.  —  Une  absurdité  triomphante  ; 
l'impossibilité  de  la  détruire  ;  le  spectacle  d'un  bonheur 
ou  d'une  gloire  non  méritée,  et  surtout  le  spectacle  d'un 
triomphe  justement  obtenu  :  oui,  rien  ne  m'émeut  plus 
profondément  et  plus  impétueusement  que  la  vue  d'un 
éclatant  hommage  rendu  au  génie  ou  même  au  talent  ;  je 
fais  soudain  un  retour  sur  moi-même,  je  sens  que  j'en 
mériterai  un  pareil  quelque  jour,  que  même,  actuel- 
lement, je  suis  capable  de  produire  du  grand,  du  pas- 
sionné, de  l'énergique,  du  vrai,  du  beau  enfin l.  Je  suis 
persuadé  que  si  j'étais  connu,  mon  existence  serait 
entièrement  différente  ;  mais  la  raison  me  dit  que  le 
temps  seul  peut  produire  cet  heureux  effet,  et  que  l'être 
dont  j'envie  le  sort  a  passé  par  les  mêmes  épreuves  que 
moi  et  a  ressenti  les  mêmes  impressions  ;  alors  je  me 

1.  «  Je  Genlise*  un  peu,  comme  tu  vois.  Mais  voilà  pourquoi  j'ai 
si  bonne  opinion  de  moi.  Je  suis  en  garde  autant  que  personne 
contre  les  séductions  de  l'amour-propre,  et  quand  je  veux  connaître 
si  une  de  mes  productions  est  bonne,  après  l'avoir  achevée,  je  la 
laisse  reposer,  je  me  donne  le  temps  de  bien  me  remettre  de  l'effer- 
vescence que  la  composition  apporte  toujours  dans  mes  organes  et, 
quand  je  suis  bien  calme,  je  lis  mon  ouvrage  comme  s'il  n'était 
pas  de  moi  ;  alors,  s'il  excite  mon  admiration,  je  demeure  con- 
vaincu qu'il  mérite  celle  de  tous  les  gens  qui  ont  la  sensibilité  et 
les  connaissances  nécessaires  pour  l'entendre.  » 

*.  Les  romans  d'éducation  de  madame  de  Geolis,  d'une  vertu  verbeuse  et 
ostentatoire,  jouissaient  d'une  grande  faveur  dans  les  familles  bourgeoises 
au  commencement  du  xix«  siècle.  Ce  devaient  être  les  lectures  favorites  de 
la  COte-Saint-André.  Encore  une  influence  à  signaler  sur  la  formation  de 
l'esprit  de  Berlioz.  George  Sand  l'a  constatée  sur  elle-même. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  31 

trouve  dans  le  même  état  pénible  et  presque  insuppor- 
table où  serait  celui  d'un  entre  plusieurs  esclaves  qui, 
témoin  de  la  délivrance  successive  de  tous  ses  camarades, 
saurait  que  la  sienne  est  prochaine,  mais  n'en  connaîtrait 
pas  encore  l'époque. 

Voilà  les  principales  causes  de  ces  crises  fréquentes, 
et  dont  la  violence  est  toujours  plus  grande,  quand  je 
suis  éloigné  des  lieux  où  se  trouvent  les  sujets  de  mon 
émotion  ;  parce  que  l'impossibilité  de  vérifier  les  faits 
amène  nécessairement  des  illusions  ou  exagère  les 
vérités. 

Ce  langage  te  surprend  peut-être,  ma  chère  sœur, 
mais  tu  ne  me  connais  pas;  ma  poitrine  est  le  foyer 
de  passions  inconnues  à  plusieurs  et  incompréhensibles 
pour  tous  les  individus  qui  ne  les  ont  pas  ressenties. 

Je  t'ai  dit  que  ta  lettre  était  venue  mal  à  propos  ;  et, 
en  effet,  ce  que  tu  m'apprends  n'est  pas  propre  à  me 
calmer.  D'abord  la  mort  de  M.  Rocher  et  le  conseil  que 
tu  me  donnes  de  ne  pas  oublier  d'écrire  à  Edouard.  As- 
tu  pu  penser,  ma  chère  sœur,  que  je  négligerais  de 
m'acquitter  d'un  devoir  que  la  liaison  la  plus  légère 
imposerait?  Ou  bien  t'es-tu  persuadée  avec  quelques 
personnes  que  mon  amitié  pour  Edouard  étant  devenue 
moins  démonstrative  que  dans  le  temps  où  j'en  ressen- 
tais pour  la  première  fois  le  charme,  elle  avait  réellement 
diminué?  Dans  l'un  et  l'autre  cas  tu  te  trompes  actuel- 
lement. 

Pour  ce  qui  est  de  l'article  des  dettes,  je  vois  bien 


32  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

que  l'incertitude  sur  certaines  choses  est  un  supplice 
pour  papa;  c'est  un  point  de  ressemblance  que  nous 
avons.  Je  vais  lever  le  doute.  Je  dois  trois  cents  francs  à 
un  jeune  homme  de  Paris,  que  je  puis  appeler  de  mes 
amis.  Voici  pourquoi  et  comment  j'ai  fait  cet  emprunt. 
Le  temps  fixé  par  mon  père  pour  abandonner  l'étude 
de  la  musique  approchait  ;  un  succès  seul  pouvait  me 
sauver  ;  je  le  croyais  assuré  si  ma  Messe  était  bien  exé- 
cutée. La  fête  pour  laquelle  je  la  préparais  était  prochaine  ; 
tout  était  copié,  j  étais  à  peu  près  sûr  de  tout  mon 
monde,  quand  j'appris  que,  par  une  fatalité  incon- 
cevable, le  Roi  serait  à  Saint-Cloud  précisément  le  jour 
de  mon  exécution,  ce  qui  m'enlevait  tous  les  artistes  de 
la  Chapelle  Royale  que  je  connaissais  et  sur  lesquels, 
par  cette  raison,  je  pouvais  compter.  Chérubini  qui,  à 
cette  époque,  était  de  service,  n'aurait  pas  été  homme  à 
accorder  une  seule  exemption  en  ma  faveur.  Le  curé  de 
Saint-Roch  ne  voulait  pas  remettre  la  fête.  Je  ne  devais 
pas  m'aventurer  à  inviter  gratuitement  des  artistes  que 
je  ne  connaissais  pas,  ils  m'auraient  manqué  de  parole 
comme  la  première  fois,  et,  en  échouant  une  seconde 
fois,  j'étais  perdu  sans  ressource  sous  tous  les  rapports. 
J'étais  désespéré  dans  toute  la  force  du  terme,  quand 
un  de  mes  amis,  témoin  de  ma  cruelle  situation,  me 
dit:  «  Tenez,  je  puis  disposer  de  trois  cents  francs, 
acceptez-les  ;  avec  cette  somme  vous  payerez  les  plus 
indispensables  dans  les  chœurs  et  dans  l'orchestre,  et 
nous  nous   remuerons  si  bien,   nous  tirerons   si  bon 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  33 

oarti  de  la  protection  de  MM.  Valentino  et  Lesueur,  que 
.out  le  reste  viendra.  Vous  ne  parlerez  pas  de  cet  argent 
p  vos  parents,  et  vous  me  le  rendrez  quand  vous 
pourrez,  je  n'en  ai  pas  besoin  ».  La  possibilité  de  lui 
rendre  la  somme  moi-même  et  l'urgence  du  cas  m'en- 
iraînèrent1.  On  ne  se  figure  pas  ce  que  c'est  que  d'avoir 
e  pied  à  l'étrier  et  de  se  voir  inopinément  arrêté  par  une 
circonstance  malheureuse  !  Je  parie  qu'il  n'est  pas  un 
eune  homme  qui  à  ma  place  n'en  eût  fait  autant.  J'avais 
bien  l'intention  de  ne  jamais  parler  de  cela  et  il  n'aurait 
oas  été  question  des  quatre-vingts  francs  qu'Alphonse 
n'avait  prêtés  pour  le  louage  des  instruments  et  que 
japa  a  eu  la  bonté  de  me  donner  pour  les  lui  rendre 
ù  Alphonse  avait  pu  attendre  que  le  fruit  de  mon 
,ravail  et  mes  épargnes  eussent  suffi,  mais  comme  il  ne 
e  pouvait  pas,  j'ai  dû  agir  autrement.  J'ose  espérer  que 
oapa  ne  regardera  pas  comme  faute  une  action  qui 
l'était  que  la  conséquence  naturelle  de  la  situation 
)ù  j'étais  et  dans  laquelle  je  ne  dois  plus  me  retrouver. 

Adieu,  ma  chère  sœur,  je  t'embrasse. 

Ton  frère  et  ton  ami, 

H.    BERLIOZ. 

Communique    par    madame    Chapot  ( précédemment  reproduit 
lan>  le  Monde  musical,  décembre  1903,  n°  du  Centenaire). 

Nous  restons  maintenant  près  de  deux  années  sans  trouver 
[me  seule  lettre  de  Berlioz,  —  si  ce  n'est  la  lettre  follement 

1.  Ci'.  Mémoires,  VII    VIII.  Il  est  question   dans  ce  livre  d'une 
•omme  de  1200  francs.  L'ami  qui  les  prêta  se  nommait  A.  de  Pons. 


34  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

enthousiaste  qu'il  adressa  à  Kreutzer  après  une  représentation 
de  son  opéra  La  Mort  d'Abel,  lettre  qui,  non  datée,  fut 
peut-être  écrite  une  des  années  précédentes1. 

a  Rodolphe  kreutzer  (Corresp.  inéd.,  64)  «  0  génie  ! 
Je[succombe  !  je  meurs  !  les  larmes  m'étouffent  !  La  Mort 
d'Abel \  dieux!...  etc.  » 

Ces  deux  années  d'études  musicales,  d'efforts  et  de  luttes 
de  toute  nature,  furent  traversées  par  l'événement  que 
Berlioz  a  appelé  le  plus  grand  drame  de  sa  vie.  Le  11  sep- 
tembre 1S27,  il  assista  à  la  représentation  ftHamlet  au  cours 
de  laquelle  il  s'éprit  passionnément  de  miss  Smithson,  inter- 
prète du  rôle  d'Ophélie.  Il  est  fait  mention  pour  la  première 
fois,  à  mots  couverts,  de  cet  état  de  son  âme  dans  la  lettre 
suivante  : 

a  humbert  ferrand,  [Paris]  29  novembre  [1827]  (Let. 
int.A)  :  «  Je  suis  depuis  trois  mois  en  proie  à  un  chagrin  dont 
rien  ne  me  peut  distraire,  et  le  dégoût  de  la  vie  est  poussé 
chez  moi  aussi  loin  que  possible...  Je  ne  puis  ici  vous  donner 
la  clef  de  l'énigme;  ce  serait  trop  long,  et,  d'ailleurs,  je  crois 
que  je  ne  saurais  former  des  lettres  en  vous  parlant  de  ce 
sujet.  »  Il  ajoute  qu'une  seconde  audition  de  sa  Messe  a 
été  donnée  à  Saint-Eustache  pour  la  Sainte-Cécile,  et  qu'il 
doit,  pour  complaire  à  sa  famille,  persévérer  à  se  présenter 
au  concours  de  Rome  (auquel  il  avait  précédemment  échoué). 


1.  Contrairement  à  l'assertion  du  rédacteur  de  la  Correspondance 
inédite,  l'opéra  de  Kreutzer,  représenté  en  1810  sous  le  titre  d'Abel, 
fut  repris  le  17  mars  1823,  sous  le  nom  de  La  Mort  d'Abel,  et  resta 
au  répertoire  de  l'Opéra  jusqu'en  1826.  (Juant  au  titre  que  Berlioz 
se  donne  en  signant  :  Elève  de  Lesueur,  il  n'implique  aucune- 
ment que  la  lettre  n'ait  pu  être  écrite  avant  1826,  car  s'il  est 
vrai  qu'il  ne  fut  inscrit  officiellement  comme  élève  du  Conserva- 
toire qu'au  mois  d'août  de  cette  anntt  là,  il  était  élève  particulier 
de  Lesueur  depuis  1823. 


LES  ANNÉES  ROMANTIQUES.         35 


XI 


A  S A  MERE 

Taris,  11  janvier  1828. 

Ma  chère  maman, 
Je  n'aurais  pas  dû  attendre  si  longtemps  pour  vous 
écrire,  mais  jamais  je  ne  fus  si  occupé,  et  chez  moi  et 
dehors.  Nanti,  dans  sa  dernière  lettre,  m'apprend  que 
vous  êtes  loin  d'être  entièrement  rétablie  et  que  vous 
êtes  obligée  de  suivre  encore  un  régime  qui  doit  être 
pour  vous  bien  fatigant,  surtout  dans  ce  moment-ci. 
Je  conçois  combien  il  doit  être  pénible  pour  vous 
d'assister  aux  joyeuses  réunions  qui  ont  lieu  assez  fré- 
quemment à  ce  qu'il  paraît,  et  de  ne  pouvoir  pas  y 
prendre  part  ;  le  plaisir  de  ma  sœur  doit  en  être  de 
beaucoup  diminué.  J'ai  fait  plusieurs  visites,  ce  mois-ci, 
à  M.  de  Prudhoinmc  ;  lorsque  je  le  vis  peu  de  jours 
après  la  mort  de  sa  femme,  à  la  perte  de  laquelle  il  a 
été  on  ne  peut  plus  sensible,  il  me  chargea  d'inviter 
Alphonse  à  dîner  avec  moi  chez  lui.  Nous  y  allâmes 
ensemble  le  jeudi  suivant  et  il  me  parut  que  son  chagrin 
commençait  à  s'adoucir.  C'est  un  excellent  homme,  qui 
me  témoigne  beaucoup  d'amitié.  J'essuie  toujours  de  sa 
part  des  reproches  sur  la  rareté  de  mes  visites;  mmi 


36  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

excuse  est  fort  bonne,  il  demeure  dans  un  quartier  si 
éloigné  qu'il  faut  près  d'une  heure  de  marche  pour  y 
arriver,  et  je  n'ai  jamais  la  moindre  occasion  de  diriger 
mes  pas  de  ce  côté  ;  je  vois  souvent  son  fils  qui  demeure 
dans  une  rue  où  je  passe  presque  tous  les  jours.  Pour 
mademoiselle  Louise,  elle  est  si  fort  passée  que  je  crois 
que  vous  ne  la  reconnaîtriez  plus. 

Un  malheur  plus  affreux  vient  d'accabler  la  famille 
de  mon  pauvre  maître.  M.  Lesueur  vient  de  perdre  sa 
fille  aînée  âgée  de  vingt  ans,  un  ange  de  grâce  et  de 
beauté.  Elle  était  sur  le  point  de  se  marier;  depuis 
quelques  semaines  elle  était  souffrante,  mais  sans  garder 
le  lit.  Ses  parents  n'éprouvaient  pas  la  moindre  inquié- 
tude, ne  se  doutant  pas  qu'elle  fût  attaquée  d'une 
maladie  de  poitrine;  les  médecins,  qui  ne  s'y  trom- 
paient pas,  les  ont  abusés  jusqu'au  dernier  moment. 
Huit  jours  avant  sa  mort,  assistant  au  déjeuner  de  la 
famille,  elle  me  faisait  des  questions  sur  les  tragédies 
anglaises  qu'elle  n'avait  pas  encore  vues  ;  je  la  voyais 
frémir  au  récit  de  l'horrible  scène  du  cimetière  dans 
Hamlet  ;  je  ne  croyais  pas  alors  que,  nouveau  Laërte, 
j'accompagnerais  si  tôt  Ophélie  à  sa  dernière  demeure. 

Elle  ressemblait  un  peu  à  Nanti,  et  cette  circonstance, 
jointe  à  l'habitude  de  la  voir  et  à  l'intérêt  qu'elle  inspi- 
rait naturellement,  me  l'a  fait  pleurer  amèrement.  Toute 
la  chapelle  du  roi  a  assisté  à  son  convoi.  C'était 
M.  Plantade,  assisté  des  principaux  élèves  de  M.  Lesueur, 
qui  était  chargé  de  la  direction  de  la  cérémonie.  Nous 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  37 

l'avons  déposée  au  cimetière  du  Père-Lachaise,  entre 
Delille,  Grétry  et  Bernardin  de  Saint-Pierre. 

Et  rose  elle  a  vécu  ce  que  vivent  les  roses, 
L'espace  d'un  matin. 

Le  père  montre  beaucoup  de  fermeté,  mais  je  crois 
qu'une  seconde  perte  comme  celle-là  le  tuerait. 

Je  vois  souvent  M.  Teisseyre  ;  nous  sommes  presque 
voisins.  Quand  on  est  accoutumé  à  sa  conversation,  on 
le  trouve  fort  aimable  ;  malgré  cela  il  cherche  depuis 
longtemps  à  se  marier  et  n'y  réussit  pas. 

Je  vous  remercie,  ma  chère  maman,  des  mouchoirs 
que  vous  m'avez  envoyés  par  Charles  ;  mais  c'est  ce 
dont  j'ai  le  moins  besoin.  Ce  qui  me  manque  essentiel- 
lement, ce  sont  des  bas  ;  je  n'en  ai  pas  une  paire  intacte, 
et  le  nombre  de  celles  qui  sont  encore  portables  dimi- 
nue de  jour  en  jour.  Je  vous  prie  de  m'en  envoyer 
quand  vous  pourrez. 

Le  grand-papa  se  décide-t-il  à  venir  à  la  Côte?...  Je 
charge  mes  sœurs  de  lui  faire  mille  amitiés  pour  moi. 

Adieu,  ma  chère  maman,  je  vous  embrasse  tendre- 
ment. 

Votre  affectionné  fils, 

H.    BERLIOZ. 

Je  n'envoie  pas  encore  les  livres  de  papa, /es  Fiancés1 

1.  De  Manzoni.  L'édition  française  de  cette  œuvre  parut  en  effet 
en  1828  (traduction  de  Rey-Dusseuil,  5  vol.  in-12^. 

3 


38  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

ne  paraîtront  que  dans  huit  jours.  Je  suis  allé  che 
l'éditeur  ce  matin. 

Communiqué  par  madame  Reboul. 

De  plus  en  plus  absorbé  par  sa  passion  pour  miss  Smithson 
Berlioz  veut  montrer  ce  dont  lui  aussi  est  capable,  et  il  tent 
«  ce  que  nul  compositeur  en  France  n'avait  encore  tenté 
(Mémoires,  XVIII).  Il  entreprend  de  donner  au  Conservatoire  ui 
concert  composé  exclusivement  de  ses  œuvres.  Les  lettre 
qui  vont  suivre,  adressées  au  Surintendant  des  Beaux-Arts 
nous  font  connaître  ses  démarches  et  les  difficultés  qu'il  eu 
à  surmonter  pour  parvenir  à  ce  but. 


XII 

AU  VICOMTE  SOSTHÈNE  DE  LA  ROCHEFOUCAULD 

Paris,  27  avril  18-28. 

Monsieur  le  vicomte, 

Veuillez  avoir  la  bonté  de  m'accorder  un  instan 
d'entretien  particulier  dans  le  courant  de  celte  semaine 
s'il  vous  est  possible  ;  je  serai  extrêmement  reconnais 
sant  de  celte  faveur. 

J'ai  l'honneur  d'èlrc,  monsieur  le  vicomte,  avec  h\ 
plus  profond  respect,  votre  1res  humble  et  très  obéis- 
sant serviteur. 

IIECTOR    BERLIOZ, 
Élève  de  l'École  royale  de  musique  (composition). 

Archives  nationales. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  39 

Cette  lettre  et  les  trois  suivantes,  de  même  origine,  ont 
été  publiées  par  M.  H.  de  Curzon,  dans  le  Guide  musical  des 
6  et  13  juillet  1902. 


XIÏI 

A  U     M  Ê  M  E 

Paris,  ce  3  mai  1828. 

Monsieur  le  vicomte. 
D'après  la  réponse  obligeante  que  vous  avez  bien 
voulu  faire  à  M.  Chenavaz,  député  de  l'Isère,  jeudi  der- 
nier, j'ai  lieu  d'espérer  qu'il  vous  sera  possible  de  m'ac- 
corder  la  salle  des  Menus-Plaisirs  pour  y  donner  mon 
concert.  Mais  n'étant  pas  assuré  qu'elle  fût  libre  pour  le 
dimanche  18  mai,  vous  n'avez  pu  lui  donner  de  réponse 
définitive.  Vous  trouverez  peut-être  importune  la  nou- 
velle démarche  que  je  fais  auprès  de  vous  pour  cela  ; 
mais,  monsieur  le  vicomte,  j'y  suis  forcé  par  ma  situa- 
tion, et  je  vous  prie  de  m'excuser  si  je  n'attends  pas 
votre  décision  avec  plus  de  patience.  Un  concert  de  la 
nature  de  celui  que  je  veux  donner  exige  des  démarches 
•  et  des  précautions  infinies:  il  faut  que  je  prenne  jour 
avec  mes  chanteurs  et  avec  les  chœurs  pour  les  répéti- 
tions partielles;  je  ne  puis  obtenir  des  instrumentistes 
iune  promesse  positive  qu'en  leur  indiquant  le  jour  et 
l'heure  de   la  répétition  générale.  Comme  je  n'ai  pas 


40  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

encore  votre  consentement  pour  la  salle,  je  ne  puis  rien 
faire,  rien  arrêter,  et  je  crains  que  le  temps  ne  me  manque 
pour  vaincre  les  difficultés  innombrables  qui  se  trouvent 
sur  ma  route.  Ce  concert,  étant  destiné  uniquement  à 
me  faire  connaître,  est  pour  moi  de  la  dernière  impor- 
tance; il  y  va  de  mon  existence  musicale  tout  entière. 
Si  j'obtiens  de  vous  la  salle  de  l'École  royale,  j'y  trou- 
verai de  grands  avantages  sous  tous  les  rapports  ;  si,  au 
contraire,  vous  ne  pouvez  me  l'accorder,  il  est  urgent 
que  je  prenne  des  mesures  pour  m'en  assurer  une  autre. 

J'ose  donc  vous  prier,  monsieur  le  vicomte,  de  me 
faire  connaître  le  plus  tôt  que  vous  pourrez  votre  déter- 
mination à  cet  égard. 

Le  dernier  concert  de  l'École  royale  est  invariable- 
ment fixé  au  dimanche  11  mai.  Celui  de  la  Société  des 
Enfants  d'Apollon  a  toujours  lieu  le  jour  de  l'Ascen- 
sion, 15  mai.  Conséquemment,  à  moins  de  quelque 
demande  antérieure  à  la  mienne,  la  salle  doit  être  libre 
le  18.  Si  toutefois  ellcne  l'était  pas  et  qu'il  vous  fût 
possible  de  me  l'accorder  pour  le  25  ou  26  mai,  fêtes 
de  la  Pentecôte,  j'attendrais  jusque-là. 

Veuillez,  monsieur  le  vicomte,  prendre  en  considé- 
ration la  position  difficile  où  je  suis  et  me  continuer  la 
bienveillante  protection  que  j'ai  toujours  trouvée  en 
vous  toutes  les  fois  que  j'y  ai  eu  recours.  La  carrière 
des  compositeurs  devient  de  jour  en  jour  plus  épineuse 
et  si  une  main  puissante  ne  vient  à  mon  secours,  mal- 
gré mon  inébranlable  constance,  je  crains  bien  de  me 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  il 

bonsumer  en  stériles  efforts  et  de  ne  jamais  atteindre  le 
ibut  où  je  tends  avec  tant  d'ardeur. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur  le  vicomte,  avec  le 
[plus  profond  respect,  votre  dévoué  serviteur. 

HECTOR    BERLIOZ. 
Archives  nationales. 

Le  même  dossier  contient  ensuite  la  minute  d'une  lettre  du 
Surintendant  des  Beaux-Arts  à  Cherubini  (6  mai),  la  réponse 
de  celui-ci.  entièrement  défavorable  à  la  demande  de  Ber- 
lioz (7  mai),  une  nouvelle  lettre  du  Surintendant  infor- 
mant Cherubini  qu'il  passe  outre  à  son  opposition  (13  mai), 
puis  une  troisième  lettre  de  Berlioz.  Notons,  avant  de  repro- 
duire le  texte  de  celle-ci,  que  cet  échange  de  correspon- 
dances officielles  atteste  de  la  façon  la  plus  péremptoire 
l'exactitude  du  chapitre  XVIII  des  Mémoires,  compris  sous 
ce  titre  sommaire  :  Opposition  comique  de  Cherubini.  —  Sa 
défaite. 


XIV 

A  U      M  È  M  i: 

Taris,  ce  lundi  12  mai  .  1828  . 

Monsieur  le  vicomte, 
M.  Cherubini  m'a  appris  ce  matin  qu'il  avait  eu  l'hon- 
neur de  vous  écrire  pour  vous  dissuader  de  m'accorder 
la  salle  de  l'École  royale  de  musique  pour  mon  concert. 
Je  viens  me  justifier  à  vos  yeux  du  mensonge  dont  vous 
devez  me  croire  coupable.  En  effet,  vous  ayant  demandé 


12  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.. 

la  salle  en  affirmant  que  M.  Cherubini  m'avait  engagé 
à  faire  auprès  de  vous  cette  démarche,  il  doit  vous 
paraître  extraordinaire  que  lui-même  s'oppose  aujour- 
d'hui à  ce  que  vous  m'accordiez  cette  faveur.  Cependant, 
rien  n'est  plus  vrai,  et  je  puis  vous  assurer  que  s'il  ne 
m'avait  pas  dit  positivement  :  «  Il  faut  demander  à 
M.  le  vicomte  de  La  Rochefoucauld  »,  je  ne  vous  aurais 
pas  importuné  de  mes  lettres  comme  je  le  fais. 

Les  raisons  qu'il  m'a  données  ce  matin  sont  bien 
faibles  :  «  Je  crains,  m'a-t-il  dit,  que  vous  ne  fassiez 
pas  vos  frais,  à  cause  de  la  saison  avancée;  vous  n'aurez 
personne.  —  Monsieur,  lui  ai-je  répondu,  je  veux  en 
courir  les  risques.  —  Mais,  après  nos  concerts,  vous  ne 
pouvez  pas  vous  présenter  sans  un  orchestre  formidable! 
—  Je  suis  sûr  de  mon  fait,  j'en  aurai  un  au  moins  aussi 
beau  que  le  vôtre.  —  Au  reste,  ces  concerts  dérangent 
les  classes  et  font  perdre  leur  temps  aux  élèves.  — 
Monsieur,  nous  ne  répéterons  avec  l'orchestre  qu'une 
fois,  et  le  concert  aura  lieu  un  dimanche,  jour  de  repos 
à  l'École.  —  D'ailleurs,  a-t-il  ajouté,  je  veux  faire 
démolir  l'amphithéâtre  qui  existe  maintenant  sur  la 
scène;  il  faut  qu'on  enlève  les  pupitres.  —  Il  me  semble, 
monsieur,  qu'il  ne  vous  en  coulerait  pas  beaucoup  de 
laisser  encore  subsister  cet  amphithéâtre  pendant 
quelques  jours,  afin  que  je  puisse  en  profiter.  —  Enfin, 
si  monsieur  de  La  Rochefoucauld  vous  accorde  la  salle, 
je  ne  m'y  opposerai  pas;  mais  je  lui  ai  adressé  mes 
observations.  « 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  43 

Je  l'ai  quitté  là-dessus  péniblement  affecté  et  forcé  de 
«connaître  que,  bien  loin  de  trouver  un  protecteur 
dans  le  directeur  de  l'École  royale  de  musique,  moi, 
loublement  élève  de  cel  établissement,  puisque  je  fais 
:  partie  des  classes  de  MM.  Lesueur  et  Ileicha,  ne  ren- 
contrais en  M.  Cherubini  qu'un  homme  disposé  à 
mtraver  mes  pas  et  apporter  des  obstacles  à  l'accom- 
plissement de  mon  dessein. 

Si  ma  lettre  arrive  trop  lard  et  que  votre  détermi- 
nation soit  déjà  prise,  ce  sera  la  seconde  fois  que  vos 
bienveillantes  intentions  pour  moi  auront  été  paralysées 
par  la  volonté  d'un  agent  subalterne. 

Il  vous  souvient  peut-être  encore  de  la  lettre  que  vous 
daignâtes  écrire  à  M.  Kreutzer,  il  y  a  trois  ans,  pour 
il'engager  à  examiner  une  partition  que  je  désirais  faire 
entendre  au  Concert  spirituel.  Malgré  votre  recomman- 
dation, avant  d'avoir  lu  mon  ouvrage,  il  me  refusa  en 
disant  que  l'Opéra  n'était  pas  fait  pour  les  jeunes  gens 
et  qu'on  n'avait  pas  le  temps  d'apprendre  dés  ouvrages 
nouveaux.  Il  résista  aux  instances  qui  lui  furent  faites 
par  MM.  Lesueur,  Gardel,  Prévost,  Yalentino,  Du 
Boys,  etc.,  etc. 

Aujourd'hui,  après  avoir  employé  inutilement  tous 
les  moyens  de  me  faire  connaître  en  musique  drama- 
tique, je  veux  essayer  de  donner  un  concert.  J'ai  déjà 
vaincu  les  principaux  obstacles;  tout  est  prêt,  les  chan- 
teurs, les  chœurs  et  l'orchestre.  Mais  le  seul  local  favo- 
rable pour  moi  est  celui  que  je  demande.  Faudra-t-il 


44  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

que,  par  la  mauvaise  volonté  de  M.  Cherubini,  j'aie 
perdu  mon  temps  et  mon  repos  pendant  un  mois  et 
demi  et  quatre  cents  francs  de  copie,  pour  ne  recueillir 
que  dégoûts  et  découragements?... 

Il  ne  m'est  plus  possible  d'être  prêt  pour  dimanche 
18  mai.  D'ailleurs,  les  courses  du  Champ  de  Mars,  qui 
auront  lieu  ce  jour-là,  me  feraient  un  tort  immense  ; 
en  conséquence,  je  désirerais  obtenir  la  salle  pour  le 
25  mai,  dimanche  suivant.  Je  vous  en  conjure,  mon- 
sieur le  vicomte,  ne  me  la  refusez  pas,  et  veuillez  me 
faire  savoir  votre  décision  le  plus  tôt  possible.  Vous  me 
tirerez  d'une  position  vraiment  cruelle. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur  le  vicomte,  avec  le 
plus  profond  respect,  votre  très  humble  et  très  obéis- 
sant serviteur. 

HECTOR   RERLIOZ. 

Archives  nationales.  , 


XV 

AU    MÊME 

Mercredi,  14  mai  1828. 

Monsieur  le  vicomte. 
J'ai  l'honneur  de  vous  remercier  de  la  bonté  que 
vous  avez  de  m'accorder  la  salle  de  l'École  royale  de 
musique  pour  mon  concert.  M.  Cherubini  ne  m'ayant 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  45 

fait  connaître  votre  décision  qu'aujourd'hui  mercredi 

à  onze  heures,  je  lui  ai  fait  envisager  l'impossibilité  où  je 

!  serais  de  faire  tous   mes   préparatifs  pour  dimanche 

18  mai;  en  conséquence,  il  m'engage  à  vous  adresser 

'•  une  seconde  demande  tendant  à  obtenir  la  même  faveur 

■  pour  le  lundi  de  la  Pentecôte  26,  jour  de  repos  à  l'École. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur  le  vicomte,  avec  le 

;  plus  profond  respect, 

Votre  dévoué  serviteur, 

HECTOR    BERLIOZ. 
Archives  nationales. 

Le  dossier  est  complété  par  les  minutes  de  deux  lettres  du 
Surintendant  des  Beaux-Arts,  l'une  à  Cherubini,  l'autre  à 
Berlioz,  fixant  le  concert  au  26  mai. 

L'avant-veille  du  concert,  Berlioz  écrivit  au  Surintendant 
des  Beaux-Arts  la  lettre  personnelle  suivante  : 


XVI 

A U     MÊME 

Puris,  ce  24  mai  1828. 

Monsieur  le  vicomte, 
A  tant  de  bontés  oserai-je  vous  prier  de  joindre  encor 
celle  de  me  faire  l'honneur  de  venir  m'entendre  ? 

D'après  la  dernière  répétition  qui  a  eu  lieu  aujour- 
d'hui, j'espère  que  je  serai  bien  exécuté  ;  mais  à  quoi  me 

3. 


i6  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

servirait  même  un  grand  succès,  si  je  ne  l'obtiens  pas 
sous  vos  yeux  ?. . . 

C'est  votre  suffrage  que  je  désire  le  plus  vivement 
obtenir  ;  c'est  de  vous  seul  que  dépend  le  sort  des  ar- 
tistes en  général,  mais  plus  particulièrement  des  com- 
positeurs. 

Je  vous  prie  donc  instamment,  monsieur  le  vicomte, 
d'assister  à  mon  concert.  Sans  vous  je  n'aurais  jamais 
pu  vaincre  les  difficultés  qui  m'ont  été  suscitées  de 
toutes  parts.  Il  me  serait  difficile  de  vous  peindre  ma 
reconnaissance;  puissé-je  prouver  un  jour  que  je 
n'étais  pas  indigne  de  la  protection  dont  vous  m'avez 
honoré  ;  c'est  le  vœu  le  plus  ardent  de  mon  cœur. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur  le  vicomte,  avec  le 
plus  profond  respect 

Votre  dévoué  serviteur, 

HECTOH    BERLIOZ. 

P.- S.  —  Nous  commencerons  lundi  26  à  deux  heures 
et  demie. 

Bibliothèque  du  Conservatoire  (Autographes). 

Quelques  jours  avant  ce  concert,  Berlioz  lit  insérer 
dans  la  Revue  musicale  (Fétis),  le  Corsaire,  le  Figaro  et 
la  Pandore  une  lettre  développant  cette  idée  : 

Une  rumeur  de  blâme  s'élève  contre  moi  ;  on  m'accuse 
de  témérité,  on  me  prête  les  intentions  les  plus  ridicules. 
A  tout  cela  je  répondrai  que  je  veux  tout  simplement  me 
faire  connaître...  [Cortetp.  inéd.,  65.) 


L  ES    ANNÉES    R  0  .M  \  N  I"  I  Q  DÈS.  47 

La  lettre  suivante,  écrite  trois  jours  après  le  concert, 
en  expose  les  résultats. 


XVI 

A    SON    PÈRE 

Paris,  29  mai  1828. 

Mon  cher  papa, 

Le  retard  que  j'ai  mis  à  vous  rendre  compte  du  ré- 
sultat de  mon  concert  vous  a  peut-être  inquiété;  je  m'em- 
presse de  vous  annoncer  que  j'ai  obtenu  le  plus  grand 
succès.  Si  je  ne  l'ai  pas  fait  plus  tôt,  c'est  que  j'atten- 
dais que  les  journaux  en  fissent  mention:  comme 
il  n'y  en  a  encore  que  deux  qui  ont  émis  leur  opinion 
sur  moi  et  que  pour  l'ordinaire  les  autres  ne  s'occu- 
pent des  concerts  que  huit  jours  plus  tard,  j'attendrai  à 
la  semaine  prochaine  pour  vous  les  envoyer. 

Je  n'avais  presque  aucune  crainte  du  public  d'après 
le  prodigieux  bonheur  que  j'avais  eu  aux  deux  répéti- 
tions générales  ;  les  artistes  avaient  paru  si  étonnés, 
ils  m'avaient  si  fort  applaudi,  que.  lors  même  que  mon 
concert  n'eût  pas  eu  lieu,  les  répétitions  auraient  suffi 
pour  me  faire  une  réputation  dans  le  monde  musical. 
J'avais  le  plus  bel  orchestre  qu'on  puisse  peut-être 
trouver  en  Europe;  malheureusement  les  chœurs  étaient 


48  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

de  beaucoup  inférieurs,  et  la  partie  vocale  de  mon  con- 
cert était  écrasée  par  l'instrumentale,  et  par  la  qualité  et 
par  la  quantité.  Quoi  qu'il  en  soit,  j'ai  réussi  autant  qu'il 
est  possible  et  plus  même  que  je  n'avais  espéré.  Plu- 
sieurs personnes  redoutaient  pour  moi  le  souvenir  des 
symphonies  de  Beethoven,  qu'on  avait  entendues  dans 
le  même  local  quinze  jours  auparavant.  Néanmoins  ma 
première  ouverture  !  a  été  applaudie  à  plusieurs  reprises 
et  le  chœur  final  de  la  première  partie  du  concert  "  a 
produit  un  tel  effet  que  les  artistes  même  n'ont  pu  se 
contenir.  Malgré  l'usage  qui  ne  permet  de  donner  au- 
cune marque  d'approbation  ou  d'improbation  devant  le 
public,  l'orchestre,  le  chœur,  les  chanteurs  se  sont  levés 
en  masse  et  les  bravos  qui  partaient  du  théâtre  ont 
couvert  ceux  de  la  salle.  Il  est  difficile  de  se  faire  une 
idée  de  ce  que  j'éprouvais  dans  ce  moment-là. 

Mon  ouverture  des  Fraiics-Juges  était  moins  à  la  por- 
tée du  public  qui  l'entendait  pour  la  première  fois, 
aussi  n'a-t-elle  obtenu  qu'une  salve  tandis  que  les 
autres  morceaux  en  ont  eu  jusqu'à  trois.  Quand  nous 
l'avons  répétée  le  premier  jour,  elle  a  excité  par  ses 
formes  étranges  et  ses  allures  gigantesques  une  sorte  de 
stupeur  dans  l'orchestre  ;  au  milieu  de  l'introduction,  un 
de  mes  violons,  frappé  d'étonnement  s'arrête  et 
s'écrie:  «  Ah!  ah!  L'arc  en  ciel  joue  du  violon,  les 
vents  jouent  de  l'orgue,  le  temps  bat  la  mesure!  »  Cette 

1.  L'Ouverture  de  Waverley. 

2.  !..  Resurrexii  de  la  Messe  solennelle. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  49 

citation  d'une  ancienne  tragédie  a  donné  le  signal,  et 
sans  connaître  seulemement  Y  Allegro  de  l'ouverture 
une  grêle  d'applaudissements  a  salué  l'introduction. 
Voilà  la  'raison  de  cet  enthousiasme  :  je  me  suis  avisé, 
pour  peindre  la  terrible  puissance  des  Francs-Juges  et 
leur  sombre  fanatisme,  de  faire  exécuter  un  chant  d'une 
expression  grandement  féroce,  par  tous  les  instruments 
de  cuivre  réunis  en  octaves.  Ordinairement  les  compo- 
siteurs n'emploient  ces  instruments  que  pour  renforcer 
l'expression  des  masses  ;  mais  en  donnant  aux  trombones 
une  mélodie  caractérisée  exécutée  par  eux  seuls,  le  reste 
de  l'orchestre  frémissant  au-dessous,  il  en  résulte  l'effet 
monstrueux  et  nouveau  qui  a  si  fort  étonné  les  artistes. 
Le  public  n'a  pas  pu  se  rendre  raison  aussi  vite  de  la 
singularité  de  l'impression  qu'il  éprouvait.  Et  j'ai  re- 
connu là  comme  dans  plusieurs  autres  morceaux  qu'on 
ne  peut  pas  plier  tout  d'un  coup  un  auditoire  musical  à 
des  formes  nouvelles  ;  à  l'exécution  d'un  chœur  qui  se 
termine  d'une  manière  inusitée,  les  applaudissements 
ne  sont  partis  qu'un  instant  après  la  fin,  quand  on  a  vu 
que  c'était  décidément  fini.  J'évite  en  général  comme 
la  peste  ces  lieux  communs  que  les  compositeurs  (ex- 
cepté \Veber  et  Beethoven)  mettent  à  la  fin  de  leurs 
morceaux  ;  c'est  une  espèce  de  charlatanisme  qui  veut 
dire  :  «  Préparez-vous  à  applaudir,  ça  va  être  fini  ;  »  et 
rien  à  mes  yeux  n'est  plus  pitoyable  que  ces  phrases 
banales  et  de  convention  qui  font  que  toutes  les  musi- 
ques se  ressemblent. 


50  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Mon  auditoire  renfermait  tout  ce  que  le  monde  musi- 
cal cite  de  plus  brillant  :  j'ai  été  singulièrement  flatté 
de  me  voir  applaudir  par  Herold,  Auber,  Lesueur,  Reicha, 
Nourrit,  Derivis,  madame  Catalani  (qui  passait  à  Paris 
cette  semaine),  des  membres  de  l'Institut,  les  directeurs  de 
l'Odéon  et  de  l'Opéra,  etc.,  etc.  Malheureusement  je  n  'a 
pas  eu  le  temps  de  m'occuper  des  annonces  comme  il 
aurait  fallu  le  faire,  et  puis  la  saison  des  parties  de 
campagne  étant  déjà  venue  ma  salle  n'était  qu'aux  deux 
tiers  pleine,  et  je  n'ai  pas  pu  couvrir  les  frais  en  entier. 
Charles  m'a  prêté  deux  cents  francs  qui  me  manquaient 
malgré  le  billet  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer 
dernièrement.  Le  travail  immense  de  monter  un  pareil 
concert  m'avait  empêché,  pendant  tout  ce  mois-ci,  de 
donner  mes  leçons,  ce  qui  a  fait  évidemment  une  lacune 
dans  mes  revenus  que  je  vais  tâcher  de  réparer  par  le 
plus  d'économie  possible. 

Adieu,  mon  cher  papa,  je  vous  écrirai  encore  dans 
quatre  ou  cinq  jours  en  vous  envoyant  les  journaux  qui 
n'ont  encore  rien  dit  de  moi. 

r.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapol. 

a  huhbert  f  err  a  n  d,  6  juin  1828  (Let.  iiit.,  10).  Compte 
rendu    du    même    concert.    L'incident   de    l'apostrophe  : 

Ah  !  ah!  l'arc  en  ciel  joue  du  violon,  etc.,  est  répété  en  des 
termes  presques  identiques. 

au  même,  28  juin  1828,  {Let.  uit..  loi.  Nouveaux  détails 
sur  le  concert  du  26  mai.  Suivent  deux  suppléments  conte- 


LÈS    ANNÉES    ROMANTIQUES.  51 

nant  des  confidences  sur  les  progrès  de  la  passion  de  l'écri- 
vain pour  miss  Smithson.  Le  dernier  recommande  de  ne 
rien  dire  aux  amis  du  Dauphiné,  de  crainte  que  le  père 
n'en  soit  informé. 

au  même  ,  lo  juillet  1828,  Let.  int.,  43  (datée  par  erreur 
1829).  Remerciements  pour  l'envoi  de  deux  actes  du  poème 
des  Francs-Juges.  «Depuis  mon  concert,  mon  père  a  pris 
une  nouvelle  boutade  et  ne  veut  plus  m'envoyer  ma  pen- 
sion... Il  n'a  pas  même  voulu  fournir  à  la  dépense  de  mon 
séjour  à  l'Institut;  c'est  M.  Lesueur  qui  y  a  pourvu.  » 

Berlioz  obtint  cette  année  le  second  prix  de  Rome.  Un 
mois  après  cette  dernière  lettre,  il  tenta  une  démarche  que 
nous  fait  connaître  la  lettre  suivante: 


XVIII 

AU    COMTE    DE    MARTIGNAC 

Paris,  ce  20  août  1828. 

Monseigneur, 

Je  suis  âgé  de  vingt-quatre  ans,  j'appartiens  à  une 
famille  honorable,  mais  nombreuse,  de  la  Côte-Saint- 
André  (Isèrej. 

Je  viens,  après  de  grands  travaux  déjà  encouragés  par 
les  plus  honorables  suffrages,  d'obtenir  le  second  grand 
prix  au  concours  de  composition  musicale  de  l'Institut. 

Cependant,  mon  père,  épuisé  par  des  sacrifices  con- 
sidérables, ne  peut  plus  me  soutenir  à  Paris  :  je  suis  au 


52  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

moment  d'être  arrêté  dans  ma  carrière  et  de  perdre 
toutes  mes  espérances. 

Plusieurs  élèves  de  l'École  des  Beaux-Arts  auxquels 
l'Institut  a  décerné,  comme  à  moi,  des  seconds  grands 
prix,  ont  obtenu  du  gouvernement  la  faveur  d'être 
envoyés  à  Rome,  soit  comme  récompense,  soit  comme 
moyen  d'achever  leurs  études. 

Je  sollicite  de  la  bienveillance  éclairée  de  Votre 
Excellence,  non  pas  une  faveur  aussi  grande,  mais  du 
moins  un  encouragement  annuel  qui  me  mette  dans  le 
cas  de  perfectionner  mes  études  à  Paris,  et  d'aspirer  au 
premier  grand  prix  pour  un  prochain  concours. 

J'ose  croire,  monseigneur,  que  je  pourrai  quelque 
jour  justifier  votre  appui. 

Je  suis  donc,  avec  un  profond  respect,  de  Votre 
Excellence,  le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

HECTOR  BERLIOZ, 

Élève  de  M.  le  chevalier  Lesueur  (École  Royale  de  musique). 

A  Son  Excellence,  Monseigneur  le  Ministre, 
Secrétaire  d'État  à  l'Intérieur. 

Sur  cette  lettre  est  écrite  une  apostille  de  Lesueur. 
aussi  remarquable  par  ce  qu'elle  révèle  de  dévouement  et 
de  bonté  de  cœur  chez  celui  qui  la  traça  que  par  ce  qu'elle 
contient  de  véritablement  prophétique  : 

J'ai  l'honneur  d'attester  à  Son  Excellence  que  la  péti- 
tion de  M.  Berlioz  est  fondée  sur  les  plus  brillantes 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  53 

espérances  qu'il  donne  par  son  talent  tout  de  génie, 
qui  n'a  besoin  que  d'être  développé  pour  acquérir  toute 
sa  force.  Ce  jeune  homme,  très  instruit  dans  toutes  les 
autres  sciences,  deviendra,  j'en  réponds,  un  grand 
compositeur  qui  fera  honneur  à  la  France;  et  j'ose 
prédire  qu'avant  dix  ans,  il  peut  devenir  même  un 
véritable  chef  d'école.  Mais  il  lui  faut  de  l'appui,  pour 
se  procurer  les  moyens  d'achever  ses  études  musicales, 
qui  ont  encore  besoin  d'un  an  ou  dix-huit  mois. 
M.  Berlioz  est  né  pour  la  musique  ;  la  nature  semble 
l'avoir  choisi  entre  beaucoup  d'autres  pour  devenir  un 
compositeur  d'un  talent  éminent  et  qui  sera  peintre 
dans  son  art;  mais  il  serait  perdu  pour  son  talent,  s'il 
n'obtient  la  protection  d'un  ministre  si  éclairé,  protec- 
teur des  beaux-arts  et  des  lettres.  Si  M.  Berlioz  est  assez 
heureux  pour  mériter  la  bienveillance  et  l'appui  de 
notre  Mécène  français,  il  justifiera  cette  noble  protec- 
tion et  se  fera  gloire  de  répéter  toute  sa  vie  :  «  C'est 
monsieur  le  comte  de  Martignac  qui  m'a  ouvert  la 
carrière.  » 

LESUEUR. 

Membre  de  l'Institut,  surintendant  de  la 
musique  de  la  chapelle  du  Roi,  che- 
valier des  ordres  royaux  de  Saint- 
Michel  et  de  la  Légion  d'honneur,  pro- 
fesseur de  composition  à  l'École  royale 
de  Musique. 

Communiqué  par  M.  Albert  Geloso  (reproduit  dans   le  Monde 
musicalàe  décembre  1903,  numéro  du  centenaire.) 

Le  ministre  répondit  à.  cette  requête  par  un  refus. 


54  LES    ANM-FS    ROMANTIQUES. 

a  humbert   ferrand,  29  août  1828  (Let  int.  22j.  »  Je 
pars  demain  pour  la  Côte...  » 

au  même,  Grenoble,  16  septembre  1828  (id.,  23).   «  J'ai 
fait  avant-hier,  en  voiture,  la  ballade  du  Roi  de  Thulé...  » 


XIX 

A    SA    SUEUR    NANCI 

Paris,  1er  novembre  1828. 
Ma  chère  sœur, 
Je  commence  par  donner  les  explications  que  maman 
me  demande  pour  les  commissions  de  madame  Char- 
meil 1  : 

Il  y  a  pour  elle  une  chaîne  en  fer  ...  Fr.  8  » 
Deux  croix  (pour  adapter  successivement  au 

même  collier  à  volonté) 4  » 

Une  paire  de  boucles  d'oreilles 6  » 

total.    .    .  Fr.     18     » 


.M.  Faure2  m'avait  remis  vingt  francs;  j'ai  envoyé  de 
la  musique  pour  trois  francs  et  quelques  sous  ;  madame 
Charmeil  m'avait  dit  avoir  une  prédilection  pour  les 
deux  airs  de  Marie:  j'y  ai  joint  la  charmante  barcarolle 
de  la  Muette. 

I.  Femme  d'un  magistrat  de  Grenoble,  amie  des  Berlioz. 
i.  Père  de  Casimir  et  Amédée  Faure; 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES  ;  55 

Mon  oncle  Victor '  a  dû  recevoir  sa  lampe  le  lende- 
main ou  le  même  jour  que  papa  a  reçu  la  sienne  ;  elles 
sont  parties  ensemble.  Il  m'avait  remis  soixante  francs  : 

La  lampe  bleu  Lapis  coûte Fr.     47     » 

Plus  un  globe  en  sus 3     » 

Emballage 4     s 

total.    .    .  Fr.     54    » 

J'ai  envoyé  pour  le  reste  de  la  somme  des  romances 

et  de  la  musique  de  guitare  que  mon  oncle  m'avait 
demandée  pour  Odile2. 

Commissions  pour  la  maison  : 

Une  chaîne  en  fer  pour  toi Fr.  8     » 

Deux  croix 4     s 

Une  paire  de  boucles  d'oreilles  pour  Adèle  .  6     » 

Lampe  bronze 4o 

En  plus  un  globe 3     » 

Emballage 4    » 

Dans  la  caisse  de  la  lampe  il  y  avait  : 

En  livres  pour.    .    .    .    „ 57  7.*j 

Plus  un  pot  de  savon  et  un  rasoir     ....  '■> 
J'ai  expédié  par  la  poste  : 

Les  Mille  et  une  y  ails Fr.  18 

.-1  reporter ion  7o 

1  Victor  Berlioz,  frère  cadet  du  docteur  Louis  Berlioz. 

2  Odile  Berlioz,  tille  du  précédent,  plus  tard  madame  Caffarel, 
puis  madame  Ainédée  Burdet,  morte  en  1899. 


56  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Repoii.    .    .    .   Fr.  150  75 

Mémoire  sur  la  Corse 2     » 

Un  volume  de  Loréal 2  50 

Un  volume  de  Destult  de  Tracy    .       ...  2  50 

Frais  de  la  poste 7  20 

total.    .    .  Fr.  164  95 


A  présent  laissons  les  chiffres. 

Ta  lettre  m'a  fait  un  bien  grand  plaisir,  ma  chère 
Nanti,  et  je  le  dirai  en  confidence  qu'Adèle  m'en  a 
adressé  une  par  Alphonse,  qui  était  également  char- 
mante. Je  l'avoue  que  j'ai  été  fort  étonné  du  style  et 
des  pensées  et  j'étais  loin  de  croire  qu'elle  écrivît  aussi 
bien.  Vraiment  elle  mériterait  qu'on  la  traite  un  peu 
moins  en  enfant,  surtout  toi.  Elle  m'avait  recommandé 
de  ne  pas  dire  qu'elle  m'avait  écrit,  mais  je  crois  que 
c'est  un  enfantillage  de  sa  part;  je  ne  vois  pas  pourquoi 
elle  ferait  un  mystère  de  notre  correspondance.  —  Mon 
oncle  est  donc  enfin  arrivé;  j'ai  vu  ici  dernièrement  un 
monsieur  de  Meylan,  ou  des  environs,  qui  est  venu 
me  voir  et  avec  qui  j'ai  beaucoup  causé  de  mon  oncle 
et  du  grand-père.  C'est  M.  Mollard,  le  fils  de  cette 
certaine  dame  Chausson  que  nous  avons  vue  à  Meylan. 
Il  m'a  invité  fort  poliment  à  aller  chez  lui,  en  m'enga- 
geait à  me  servir  de  sa  famille  et  de  ses  nombreuses 
connaissances  à  Paris  s'il  se  présentait  une  occasion  où 
je  puisse  en  avoir  besoin. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  57 

Dernièrement,  après  la  réouverture  du  théâtre  de 
l'Odéon,  les  musiciens,  pour  remercier  M.  Bloc,  leur 
chef  d'orchestre1,  de  la  manière  énergique  dont  il  avait 
défendu  leurs  intérêts  pendant  la  débâcle  administra- 
tive, lui  ont  offert  un  grand  banquet,  auquel  ils  m'ont 
également  invité.  Après  les  toasts  de  circonstance, 
M.  Bloc  s'est  levé  et  a  porté  celui-ci  :  «  Messieurs,  je 
bois  aux  succès  d'un  artiste  qui  ne  fait  pas  partie  de 
l'administration  de  l'Odéon,  mais  que  nous  serions  fiers 
de  posséder,  c'est  M.  Berlioz.  »  La  motion  a  été  reçue 
avec  applaudissements,  cris  et  embrassades,  au  point 
que  j'en  étais  tout  bouleversé.  Je  m'attendais  si  peu,  ou 
plutôt  j'étais  si  loin  de  m'attendre  à  recevoir  un  pareil 
témoignage  d'estime  et  d'intérêt  que  j'en  ai  été  excessi- 
vement ému.  Immédiatement  après  j'ai  porté  le  toast 
à  la  mémoire  de  Weber  et  de  Beethoven;  tu  peux  penser 
comme  il  a  été  reçu  ;  et  pour  couronner  l'œuvre  on  a 
choisi  ce  moment-là  pour  apporter  à  M.  Bloc  la  collec- 
tion complète  des  œuvres  de  Beethoven  dont  Torchestre 
lui  faisait  présent  ;  c'étaient  des  applaudissements  à 
n'en  plus  finir. 

A  propos  de  ce  pauvre  immortel,  je  t'ai  envoyé  une 
petite  composition  de  Weber  qui  est  bien  la  chose  du 
monde  la  plus  ravissante  de  grâce  et  de  fraîcheur.  Je 
ne  sais  si  tu  parviendras  à  apprendre  la  Walze  au 


1.  Bloc  avait  dirigé  l'exécution  du  premier  concert  de  Berlioz  au 
Conservatoire. 


58  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

chalet,  car  elle  est  forl  dilïicile  ;  il  n'y  a  qu'un  moyen, 
c'est  d'apprendre  par  cœur  mesure  par  mesure  et  surtout 
de  ne  pas  t'étonner  des  étrangetés  qu'elle  contient  ;  les 
sol  t  dans  le  ton  de  ré  et  les  ut  ±t  dans  le  ton  de  sol  ne 
sont  là  que  pour  donner  à  la  mélodie  une  couleur 
locale  ;  car  tu  sauras  que  les  instruments  dont  se  servent 
les  bergers  suisses  ont  la  quatrième  note  du  ton  trop 
élevée,  ce  que  \Yeber  a  rendu  par  un  j  et  à  quoi  on 
s'accoutume  au  bout  d'un  instant.  Le  mouvement  est 
très  vif  et  l'expression  celle  d'une  gaieté  franche  et  naïve. 
Figure-toi  une  montagne  suisse,  un  soleil  couchant,  un 
bal  champêtre,  l'odeur  du  thym  et  du  serpolet,  une 
belle  soirée  calme.  0  Weber,  "Weber  !...  mourir  à 
trente-cinq  ans,  seul,  à  Londres,  éloigne  de  sa  femme 
et  de  ses  deux  enfants,  lui  qui  ne  demandait  pas  mieux 
que  de  vivre  ! 

Je  suis  lié  avec  un  jeune  Allemand  qui  avait  beau- 
coup connu  AVeber  ;  dernièrement  nous  passâmes  cinq 
heures  de  suite  devant  un  piano  à  faire  entendre  à 
M.  Lesueur  des  morceaux  du  Freîsçhiitz,  d'Obéron  et 
d'Euryanthe,  qu'il  ne  connaissait  pas  le  moins  du 
monde  ;  nous  exécutions  tout  cela  de  mémoire,  Schlos- 
ser  accompagnait  en  chaulant  les  morceaux  allemands 
ri  je  chantais  ceuï  dont  la  traduction  française  existe  ; 
M.  Lesueur  était  aux  anges  ;  ces  formes  nouvelles  lui 
faisaienl  éprouver  des  sensations  inconnues. 

Notre  liaison  avec  ce  jeune  homme  est  assez  originale. 
Je  me  trouvais  chez  M.  Lesueur  le  jour  où  il  s'y  pré- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  59 

senta  pour  la  première  fois,  avec  une  lettre  de  recom- 
mandation :  cette  lettre  était  de  son  frère  aîné  qui,  en 
passant  à  Paris,  il  y  a  cinq  ans,  avait  pris  quelques 
leçons  de  composition  de  M.  Lesueur,  et  que  j'avais 
connu  aussi  à  cette  époque1.  Nous  trouvant  ensemble 
quelques  jours  après,  la  conversation  tomba  sur  les 
compositeurs  modernes;  je  le  voyais  tergiverser  pour 
donner  son  avis  sur  Rossini,  dont  il  me  croyait,  sans 
aucun  motif,  partisan  passionné.  Moi,  par  la  raison 
même  qu'il  ne  s'énonçait  pas  franchement,  je  pensais 
qu'il  n'osait  pas  m'avouer  qu'il  était  rossiniste,  et  pen- 
dant une  demi-heure  nous  employions  toutes  les  formes 
détournées  pour  voiler  une  opinion  que  nous  pensions 
mutuellement  qu'il  eût  été  malhonnête  d'émettre  dans 
sa  crudité.  Enfin  je  lui  dis  :  «  Que  pensez-vous  du 
Comte  Ory?  — Ma  foi!  ce  n'est  pas...  — Fameux, 
n'est-ce  pas?  —  Au  contraire  c'est  détestable.  —  Vous 
n'êtes  donc  pas  rossiniste  ? —  Moi,  Dieu  m'en  garde! 
Comment  voulez-vous  qu'un  admirateur  de  "Weber,  de 
Beethoven  et  de  Spontini  soit  rossiniste?  c'est  ce  qui 
m'étonne  en  vous,  permettez-moi  de  le  dire.  —  Ah 
bien!  lui  dis-je,  si  Rossini  n'avait  d'autre  partisan  que 
moi...  où  avez-vous  donc  pris  cela?...  »  Là-dessus, 
rires  inextinguibles  de  nos  précautions  oratoires.  Puis 
la  conversation  s'est  animée,  il  sait  l'anglais,  admire 
Shakespeare,  a  vu  Gœthe  en  passant  à  Weimar,  déteste 

1.  Voir  ci-dessus,  lettre  V  et  note. 


60  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

les  absurdités  de  l'École  italienne,  abhorre  les  lieux 
communs  en  musique  et  en  littérature,  en  voilà  dix 
fois  plus  qu'il  n'en  faut  pour  rapprocher  nos  caractères. 
Par-dessus  le  marché,  il  est  rempli  d'esprit  et  d'instruc- 
tion, il  a  fait  des  études  brillantes  dans  plus  d'un  genre 
et  parle  français  comme  nous.  Rien  ne  m'impatiente 
comme  de  voir  des  étrangers  parler  si  bien  notre  langue, 
quand  nous  ne  savons  pas  dire  un  mot  dans  la  leur.  Je 
regrette  amèrement  de  ne  pouvoir  pas  apprendre  plus 
vite  l'anglais  ;  c'est  si  peu  de  suivre  trois  fois  par 
semaine  un  cours  public  où  on  apprend  en  une  heure 
ce  qu'on  pourrait  savoir  en  quinze  minutes  dans  un 
cours  particulier;  mais  je  ne  puis,  faute  de  numéraire, 
avoir  un  maître  à  moi. 

Schlosscr  m'a  raconté  des  particularités  de  Goethe  qui 
sont  charmantes  ;  ce  vieillard  a  encore  autant  de  feu 
qu'on  en  a  à  trente  ans  !  Il  reçoit  les  étrangers  avec  une 
cordialité  et  une  simplicité  qui  doivent  enchanter  dans 
un  homme  comme  lui  ;  il  a  ordinairement  une  gaieté 
douce  qui  ressemble  à  la  mélancolie.  Il  survit  à  ses 
deux  illustres  amis.  Schiller  et  Beethoven,  avec  plus 
de  courage  qu'on  ne  pourrait  le  penser. 

On  a  profané  son  Faust  pour  en  faire  un  indigne 
mélodrame  à  la  porte  Saint-Martin,  qui,  fût-il  bon,  ne 
pouvait  pas  être  compris  d'un  public  comme  celui  de 
ce  théâtre,  quoique  les  autres  publics  soient  tous  à  peu 
près  de  sa  force  en  gros  bon  sens,  en  sensibilité  et  en 
imagination.  Rossini  et  les  chevaux  de  Franconi,  voilà 


LES    ANNÉES   ROMANTIQUES.  61 

ce  qu'il  leur  faut  :  des  contredanses  brillantes,  des  tours 
de  paillasses,  rien  ne  réussit  mieux. 

Adieu,  ma  chère  sœur,  je  te  quitte  pour  aller  dîner 
chez  M.  Lesueur  où  il  y  a  une  grande  réunion  aujour- 
d'hui. Embrasse  Prosper  et  Adèle  pour  moi  et  dis  à 
celle-ci  que  je  lui  répondrai  en  même  temps  que  j'écri- 
rai à  maman. 

Ton  frère  et  ami, 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Reboul. 

a  hlmbert  ferra nd,  Paris,  11  novembre  1828  (Lct. 
mt.  25).  Confidences  sur  miss  Smithson;  travaux  en  cours. 

au  même,  fin  de  1828  (id.,  27).  Travaux  de  musique  et 
de  critique. 

au  même,  2  février  1829.  id.,  28).  La  partition  de  Faust 
est  terminée...  la  gravure  n'est  pas  encore  finie.  —  Miss 
Smithson  lui  a  donné  quelque  espoir.  «  L'amour  d'Ophélie 
a  centuplé  mes  moyens...  J'ai  dans  la  tête  une  symphonie 
descriptive  de  Faust  qui  fermente;  quand  je  lui  donnerai  la 
liberté,  je  veux  qu'elle  épouvante  le  monde  musical.  »  Il  a 
écrit  à  sa  sœur  une  «  immense  épitre  »  dans  laquelle  il 
s'est  expliqué  sur  ses  projets  de  mariage  ;  elle  a  répondu  que 
«  ses  parents  s'attendaient  tellement  à  cela  qu'ils  n'en  ont 
pas  été  surpris  ». 

La  lettre  à  laquelle  font  allusion  ces  derniers  mots  n*a  pas 
été  conservée.  —  La  symphonie  descriptive  de  Faust  s'est 
muée,  un  an  plus  tard,  en  la  Symphonie  fantastique,  dont  la 
«  Nuit  du  sabbat  »  est  manifestement  inspirée  par  le  poème 
de  Gœthe.  Quant  au  Faust  dont  il  est  fait  mention  au  début 
de  cette  lettre  et  dans  celle  du  16  décembre  précédent,  il 

4 


62  LE>    ANNÉES    ROMANTIQUE'-. 

s'agit  ici  des  Huit  scènes  de  Faust,  Op.  1,  dont  tous  les  élé- 
ments, remaniés,  ont  été  repris  dix-huit  ans  plus  tard  pour 
la  Damnation  de  Faust.  Berlioz  s'efforça  de  retrancher  celte 
partition  de  son  œuvre  en  détruisant  tous  les  exemplaires 
qu'il  put  retrouver,  et  en  attribuant  définitivement  le 
'numéro  d'Op.  1  à  son  ouverture  de  Waverley.  Il  sera  ques- 
tion de  ces  Huit  scènes  de  Faust  dans  les  prochaines  lettres. 
Tout  cela  se  passait  au  moment  où  l'amour  désespéré  de 
Berlioz  pour  miss  Smithson  avait  atteint  au  paroxysme  du 
délire.  Une  précédente  lettre  à  Humbert  Ferrand  (du  2  fé- 
vrier) contenait  l'expression  d'espérances  momentanées;  la 
suivante,  écrite  à  un  autre  ami  de  sa  jeunesse,  le  montre  à 
l'heure  la  plus  décisive  et  la  plus  pathétique  de  cet  épisode 
passionnel. 


XX 


A    ALBERT    DU    D  0  Y  S 

Paris,  ce  lundi  soir  2  mars  (1829), 

Mon  cher  Albert. 
J'y  suis  encore...  Je  vous  remercie  du  fond  du  cœur 
de  votre  lettre  affectueuse  Tout  est  fini...  En  vous  quit- 
tant, j'écrivis  en  anglais  à  Ophélia,  je  la  suppliais  de 
nouveau  de  me  répondre  un  seul  mot.  Les  domestiques 
n'ont  jamais  voulu  lui  remettre  ma  lettre.  Elle  leur  avait 
expressément  défendu  de  rien  recevoir  de  moi.  Enfin  la 
représentation  a  eu  lieu  ;  exaspéré  de  douleur  j'ai  été 
entendre  mon  ouverture,  qui.  mieux  exécuter  que  je  ne 


LES    ANNÉES    ROM  \  N'TIQUF.S  .  63 

l'espérais,  a  produit  un  effet  médiocre  sur  le  peu  de 
spectateurs  qui  paraissaient  dans  la  salle  déserte l.  J'ai 
senti  qu'il  était  absolument  au-dessus  de  mes  forces  de 
voir  Juliette  et  de  renouveler  des  sensations  si  extraordi- 
nairement  déchirantes,  que  je  n'avais  pas  éprouvées 
depuis  deux  ans.  Je  me  suis  enfui  aussitôt  après  la  der- 
nière note;  je  n'ai  pas  même  entendu  le  son  de  sa  voix. 
Pendant  la  représentation,  je  suis  allé  chez  elle  parler  à 
M.  Tartes,  le  maître  de  la  maison,  qui,  par  une  circons- 
tance fortuite,  connaissait  ma  malheureuse  histoire  dès 
le  commencement.  Cet  homme  respectable,  sachant 
l'état  dans  lequel  je  me  trouvais,  m'avait  fait  inviter  à 
le  venir  voir  pour  tâcher  de  me  remettre  un  peu.  Il  m'a 
promis  ce  soir-là  de  me  faire  obtenir  une  réponse  en 
anglais.  Il  l'avait  déjà  sollicitée  vainement.  Il  m'a  appris 
ce  que  je  soupçonnais  déjà  «  que  toutes  les  espérances 
dont  on  m'avait  leurré  étaient  fausses.  Qu'elle  avait 
refusé  avec  une  sorte  de  brusquerie  inexplicable  un  parti 
extrêmement  brillant  qui  s'était  offert  l'année  dernière. 
Qu'elle  lui  avait  dit,  en  parlant  de  moi,  que  c'était  abso- 
lument impossible,  et  qu'elle  ne  croyait  pas  qu'il  fût 
de  son  devoir  de  me  répondre  ». 

Néanmoins,  il  l'a  sollicitée  de  nouveau  hier  de  m'ac- 
corder  quelques  lignes.  Et  voilà  ce  qu'elle  a  répondu  : 

1.  Berlioz  ayant  appris  que  miss  Smitlison  devait  jouer  des  scènes 
de  Roméo  et  Juliette  dans  une  représentation  au  bénéfice  d'un  ar- 
tiste, avait  résolu  de  figurer  lui-même  dans  le  programme,  et  obtenu 
qu'on  inscrivit  une  de  ses  ouvertures.  Sur  ce  détail,  comme  sur 
plusieurs  autres  contenus  dans  cette  lettre,  cf.  Mémoires,  XXIV. 


64  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Monsieur,  je  vous  en  prie,  ne  parlons  pas  de  cela. 
—  Mademoiselle,  je  vous  demande  pardon,  mais  je  vous 
en  parle  de  manière  que  vous  puissiez  m'entendre.  — 
Mon  Dieu,  je  vous  l'ai  déjà  dit.  quand  M.  Berlioz  fît  faire 
des  démarches  auprès  de  moi,  il  y  a  deux  ans,  je  lui  fis 
répondre  que  je  ne  pouvais  absolument  partager  ses 
sentiments,  je  ne  conçois  pas  sa  persévérance.  —  Mais 
c'est  donc  tout  à  fait  impossible?  —  Oh!  monsieur,  il 
n'y  a  rien  de  plus  impossible.  »  Elle  a  dit  ces  mots  avec 
un  accent  et  une  expression  (m'a  dit  M.  Tartes)  qui  en 
disaient  infiniment  plus  que  ses  paroles.  On  voyait 
qu'elle  ne  voulait  pas  découvrir  un  secret,  qui  la  mettait 
dans  le  cas  de  ne  pouvoir  absolument  contracter  aucun 
engagement  lors  même  qu'elle  en  aurait  le  plus  ardent 
désir. 

Il  croit,  lui  qui  la  voit  tous  les  jours  et  qui  a  recueilli 
quelques  mots  échappés,  qu'elle  a  une  parole  donnée 
qui  la  lie  irrévocablement  avec  quelqu'un  à  Londres,  et 
que  peut-être  même  elle  est  mariée  secrètement...  Mais 
il  n'en  a  aucune  certitude.  Toutes  les  circonstances, 
néanmoins,  prouvent  qu'elle  n'est  pas  libre...  de  quelque 
manière  que  ce  soit...  et  qu'elle  veut  éviter  jusqu'à 
l'ombre  d'un  soupçon  d'infidélité.  Cette  idée  me  la  rend 
encore  plus  chère,  je  l'admire  en  gémissant...  Quelle 
destinée!...  Deux  ans  de  souffrance  l'ont  commencée... 
Combien  m'en  reste-t-il  pour  la  finir  ? 

Elle  part  demain... 

Je  n'ai  point  de  larmes,  je  ne  souffre  presque  pas... 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  65 

l'excès  de  la  douleur  m'a  rendu  insensible.  Peut-être 
je  m'accoutumerai  à  la  vie.  Cependant...  Il  me  semble 
que  je  suis  au  centre  d'un  cercle  dont  la  circonférence 
va  toujours  en  grandissant;  le  monde  physique  et  intel- 
lectuel me  paraît  placé  sur  cette  circonférence  qui 
s'éloigne  sans  cesse,  et  je  demeure  seul  avec  la  mémoire, 
dans  un  isolement  toujours  plus  grand.  Le  matin,  quand 
je  sors  du  néant  où  le  sommeil  me  plonge,  mon  esprit, 
qui  s'était  accoutumé  si  facilement  aux  idées  de  bonheur, 
se  réveille  souriant;  cette  rapide  illusion  fait  bientôt 
place  à  l'idée  atroce  de  la  réalité  qui  vient  de  nouveau 
m'accabler  de  tout  son  poids  et  glacer  d'un  frisson  mortel 
tout  mon  être. 

J'ai  beaucoup  de  peine  à  réunir  mes  idées.  Si  ce  n'était 
pas  pour  vous  rassurer,  je  ne  vous  écrirais  pas.  Cela  me 
fatigue  extrêmement.  Je  suis  obligé  de  reprendre  ma 
lettre  à  plusieurs  fois  pour  aller  jusqu'au  bout. 

Je  suis  allée  hier  au  concert  de  l'École,  la  symphonie 
en  la  de  Beethoven  a  fait  son  explosion.  Je  redoutais 
beaucoup  la  fameuse  méditation.  Le  public  qui  ne  l'avait 
jamais  entendue  l'a  redemandée.  Quel  supplice  ! ...  Oh  !  la 
seconde  fois,  si  les  larmes  ne  fussent  venues,  je  serais 
devenu  fou. 

Cette  inconcevable  production  du  génie  le  plus  sombre 
et  le  plus  méditatif  est  placée  justement  entre  tout  ce 
que  la  joie  offre  de  plus  enivrant,  de  plus  naïf  et  de 
plus  tendre.  Il  n'y  a  que  deux  idées  :  celle-ci  «  Je  pense, 
donc  je  souffre  »,  et  l'autre  :  «  Je  me  souviens,  je  souffre 

4. 


66  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

davantage  ».  Oh  !  malheureux  Beethoven,  il  avait  donc 
aussi  dans  le  cœur  un  monde  idéal  de  bonheur  où  il  ne 
lui  a  pas  été  donné  d'entrer. 

A  présent,  que  faire  !...  Pour  qui  penser...  pour  qui 
écrire?  Que  me  font  les  succès,  que  me  fait  la  vie?... 
Je  lis  Moore,  ses  mélodies  me  tirent  de  temps  en  temps 
quelques  larmes1.  C'est  son  compatriote;  l'Irlande,  tou- 
jours l'Irlande!  J'ai  sous  les  yeux  dans  ce  moment: 
«  Le  cœur  qui  respire  avec  le  plus  d'ivresse  le  par- 
fum des  roses,  est  toujours  le  premier  que  déchirent  les 
épines  !  »  Le  poète  a  vécu  trop  aussi. 

Hier,  en  passant  dans  ma  rue,  j'ai  vu  une  grande 

affiche  déchirée  où  il  y  avait  : 

Aujourd'hui  mercredi 
Rom 

And  Jul 
Tragédie  de  Shak 
précédée  de  Wavert  verture1 

par  M.  Hec  lioz 

Le  rôle  de  Juliette  sera  thson 

pour  la  dernière 

son  départ 
Le  spectacle  sera  termine 
La  Fiancée 
Quel  jeu  du  hasard  ! 

Je  ne  puis  plus  aller,  toutes  les  articulations  me  font 
mal. 

1.  Berlioz  mit  en  musique,  en  cette  même  année  L8t9,  plusieurs 
poésies  de  Thomas  .Moore  traduites  en  français  (voir  ei-après  : 
Mélodie»  Irlandak 

2.  Ouverture  de  Waverley,  postérieurement  publiée  comme  Op.  I. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  67 

Elle  vient  d'éteindre  la  lumière i,  elle  dormira  tout  à 
l'heure.  L'idée  de  son  retour  vers  quelque  être  chéri  la 
berce  doucement. 

Sa  mère  est  encore  occupée  dans  son  appartement. 
J'entends  le  bruit  des  masques  sous  mes  fenêtres;  les 
cabriolets  ébranlent  en  même  temps  mes  fenêtres  et  les 
siennes.  Demain  elles  ne  seront  plus  les  siennes. 

Je  sortirai  de  bonne  heure  :  elle  part  à  midi.  Hiller2 
m'attend  à  dix  heures,  il  me  jouera  un  adagio  de 
Beethoven,  mes  yeux  ne  demeureront  pas  secs  comme  ce 
soir,  c'est  tout  ce  que  j'espère. 

Adieu...  quel  silence  !... 

Soyez  sans  inquiétude,  le  coup  est  porté,  je  suis 
abattu,  mais  je  garde  la  vie. 

Que  Casimir  me  pardonne  de  ne  pas  lui  écrire  ;  je  le 
ferai  plus  tard...  en  vous  envoyant  vos  livres. 

Communiqué  par  M.  P.  Du  Boys. 

Le  chapitre  cité  des  Mémoires  fait  connaître  le  dénouement 
momentané  de  cette  situation  douloureuse  :  «  Après  être  de- 
meuré étendu  sur  mon  lit  brisé,  mourant,  jusqu'à  trois 
heures  de  l'après-midi,  je  me  levai  et  m'approchai  machi- 
nalement de  la  fenêtre.  Une  de  ces  cruautés  gratuites  et 


1.  Berlioz  était  voisin  de  miss  Smithson.  «  Un  hasard  (auquel 
elle  n'a  jamais  cru)  m'avait  fait  venir  me  loger  rue  Richelieu,  u°96, 
presque  en  face  de  l'appartement  qu'elle  occupait  au  coin  de  la  rue 
Neuve-Saint-Marc.  »  A/ém.,XXIV. 

2.  Ferdinand  Hiller,  pianiste  et  compositeur  allemand,  né  en 
1811,  passa  plusieurs  années  de  sa  jeunesse  à  Paris  (de  1828  à 
1835). 


68  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

lâches  du  sort  voulut  qu'à  ce  moment  même  je  visse  miss 
Smithson  monter  en  voiture  devant  sa  porte  et  partir  pour 
Amsterdam...  Il  est  bien  difficile  de  décrire  une  souffrance 
pareille  à  celle  que  je  ressentis...  » 


XXI 


AU  VICOMTE  SOSTHEN'E  DE  LA  ROCHEFOUCAULD 

Paris,  ce  3  mars  1829. 

Monsieur  le  vicomte, 

Je  publie  en  ce  moment  la  partition  de  huit  scènes  du 
Faust  de  Gœthe  dont  j'ai  composé  la  musique;  c'est  le 
premier  ouvrage  que  je  livre  à  l'impression  ;  veuillez, 
monsieur  le  vicomte,  me  faire  l'honneur  d'en  accepter 
la  dédicace. 

Je  vous  dois  beaucoup  et  je  serai  bien  heureux  si  vous 
daignez  recevoir  cet  hommage  de  mon  faible  talent 
comme  un  témoignage  de  ma  vive  reconnaissance. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur  le  vicomte,  avec  le 
plus  profond  respect,  votre  dévoué  serviteur, 

HECTOR  BERLIOZ. 

Bibliothèque  du  Conservatoire  Autographes). 

Rapprochez  une  lettre  de  Berlioz  au  même  vicomte  de  la 
Rochefoucauld,  demandant  à  composer  la  musique  d'un 
ballet  de  Faust:  «  J'ai  mis  en  musique  la  plus  grande 
partie  des  poésies  de  Gœthe  ;  j'ai  la  tête  pleine  de  Faust,  et 
si   la   nature  m'a  doué  de  quelque  imagination,  il  m'est 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  69 

impossible  de  rencontrer  un  sujet  sur  lequel  cette  imagina- 
tion puisse  s'exercer  avec  plus  d'avantages.  »  Notice  de  la 
Corrcsp.  inéd.,    19-20  ;  mention  dans  plusieurs  catalogues. 


XXII 

A    SA    SUEUR    N'ANCI 

Paris,  ce  29  mars  1829. 

Je  rentre  à  huit  heures  et  demie;  j'ai  l'intention  de 
me  coucher  tout  de  suite,  ma  soirée  étant  libre,  pour 
échapper  par  le  sommeil  à  ce  fléau  obstiné  du  dégoût 
et  de  l'ennui  ;  je  trouve  trois  lettres,  de  mes  deux  sœurs 
et  de  Charles  Bert.  J'avoue  que  j'ai  trouvé  qu'il  valait 
mieux  ne  pas  dormir.  Celle  de  Charles  m'a  fait  rire 
avec  plaisir,  celle  d'Adèle  m'a  fait  plaisir  sans  rire,  et 
la  tienne  m'a  fait  pleurer  sans  plaisir.  Au  lieu  de  me 
coucher,  je  veux  te  répondre,  te  parler,  non  pas  de  ce 
qui  ne  regarde  que  moi,  mais  de  ce  qui  me  touche 
parce  qu'il  te  concerne.  Je  crois  qu'il  en  est  de  l'amitié 
comme  du  véritable  amour,  l'absence  la  grandit  ;  chaque 
fois  que  je  reçois  une  lettre  de  toi,  il  me  semble  que  tu 
m'es  devenue  plus  chère.  Que  je  voudrais  te  voir  heu- 
reuse! —  A  mesure  que  je  crois  découvrir  quelques 
ressemblances  sympathiques  entre  nos  deux  caractères, 
je  sens  redoubler  mes  inquiétudes  pour  ton  avenir.  Il 
n'est  pas  douteux  que  plus  l'intelligence  et  la  sensibilité 


70  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

se  développeront  en  toi.  et  plus  les  chances  de  peines 
augmenteront.  Tu  n'as  pas  comme  moi  la  ressource  des 
distractions  fortes,  tu  n'en  as  pas  à  la  vérité  un  besoin 
aussi  pressant,  aussi  impérieux  ;  mais  je  crois  pourtant 
que  le  séjour  de  Paris,  cette  atmosphère  de  sensations 
neuves,  serait  d'un  grand  prix.  Peut-être  plus  tard... 
C'est  vraiment  une  existence  dont  tu  n'as  pas  d'idée. 
Seulement  cette  délicieuse  liberté  dont  je  jouis  ne  te 
serait  pas  dévolue.  Quelquefois  seul  deux  ou  trois  heures 
quand  il  fait  ce  beau  soleil  qui  me  supplicie,  je  me 
trouve  sans  occupations  pressantes  sur  le  boulevard  ou 
au  milieu  du  jardin  des  Tuileries...  De  quel  côté  vais-je 
avancer?  Au  sud.  que  trouverais-je  de  ce  côté  ?..  Rien... 
Et  à  l'est,  et  à  l'ouest?  —  Rien.  Et  au  nord?...  c'est  au 
nord  que  se  trouve  la  patrie  des  brouillards,  des  glaces. 
des  vents  et  des  tempêtes...  —  Rien... 

Je  m'aperçois  que  la  boîte  de  Pandore  commence  à 
s'ouvrir  à  mon  insu;  allons,  qu'elle  se  referme  !...  Je 
veux  dire  seulement  qu'il  est  fort  agréable  de  pouvoir 
se  dire  :  j'irai  où  je  voudrai,  ou  bien  je  n'irai  pas,  je  ne 
ferai  rien. 

Je  t'avoue,  ma  chère  sœur,  que  je  suis  intérieurement 
affecté  du  silence  qu'on  a  gardé  avec  moi  jusqu'à  présent 
sur  tout  ce  qui  concerne  ton  établissement.  J'ai  su  par 
des  voix  étrangères  qu'il  en  avait  été  question  plusieurs 
lois  ;  je  conviens  qu'il  était  inutile  de  m'en  parler. 
mais  on  n'aurait  peut-être  pas  dû  me  montrer  une 
pareille  réserve;  on   m'a  traité   là-dessus   tout  à  fait 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  71 

comme  un  étranger.  Cependant  ne  parlons  pas  de  tout 
cela,  le  langage  du  reproche  est  d'une  mesquinerie 
pitoyable. 

Eh  bien  ,  je  n'ai  plus  d'idées... 

Ah!  tu  me  parles  du  beau,  du  grand,  du  sublime... 
en  voilà  une  foule...  toutes  sombres.  Mais  le  sublime 
n'est  pas  sublime  pour  tout  le  monde.  Ce  qui  trans- 
porte certains  individus  est  inintelligible  pour  d'autres, 
quelquefois  même  ridicule.  Et  puis  les  préjugés  d'édu- 
cation, et  puis  les  diverses  organisations.  A  mesure  que 
les  Génies  s'élèvent  dans  leur  vol,  ils  se  mettent  plus 
loin  de  la  portée  des  êtres  qui  prétendent  qu'ils  sont 
faits  pour  eux.  Cela  se  voit  surtout  en  musique  et  en 
littérature  dramatique.  L'autre  jour  j'ai  entendu  l'un 
des  derniers  quatuors  de  Beethoven.  M.  Baillot  le  faisait 
entendre  dans  l'une  de  ses  soirées.  J'y  ai  couru  pour 
voir  l'effet  que  cette  incroyable  production  produirait 
sur  l'assemblée.  Il  y  avait  près  de  trois  cents  personnes, 
nous  nous  sommes  trouvés  six  à  demi  morts  à  la  vérité 
de  l'émotion  que  nous  éprouvions,  mais  les  seuls  qui 
ne  trouvassions  pas  cette  composition  absurde,  incom- 
préhensible, barbare...  Il  est  monté  si  haut  que  la 
respiration  commence  à  manquer...  Il  était  sourd  quand 
il  écrivit  ce  quatuor  :  et  pour  lui  comme  pour  Homère, 
«  l'univers  s'enferma  dans  son  âme  profonde  l  ».  C'est 

1.  Ces  paroles  sont  d'environ  quarante  années  antérieures  à 
celles  que  prononça  Wagner,  inspiré  par  le  même  sujet,  sur  la 
«  bienheureuse  surdité  »  de  Beethoven. 


72  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

de  la  musique  pour  lui  ou  pour  ceux  qui  ont  suivi  la 
progression  incalculable  de  son  génie.  Il  y  en  a  un 
autre  qui  vole  à  peu  près  dans  la  même  région,  c'est 
Weber.  Spontini  le  suit  de  près  ;  mais  il  a  le  malheur 
d'être  né  en  Italie,  quoiqu'il  ait  complètement  abjuré  le 
style  trivial.  Je  crois  que  les  premières  impressions  ont 
conservé  quelque  influence  sur  la  direction  de  ses  idées  ; 
ensuite  il  n'a  écrit  que  dans  le  genre  dramatique  ;  oh  ! 
la  Vestale!...  Et  toi-même,  tu  ne  comprends  pas  Shakes- 
peare, Moore  ne  te  transporte  pas.  C'est  peut-être  mieux. 
Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  tu  t'efforces  de  te  dire  : 
«  Je  suis  heureuse  !  »  et  tu  ne  l'es  pas.  Tandis  que  moi, 
je  me  dis  sans  effort  :  «  Je  suis  malheureux  !  »  et  je  le 
suis.  Ris  donc,  c'est  drôle.  Va,  ce  n'est  qu'une  plaisan- 
terie. 

As-tu  lu  Le  Dernier  jour  d'un  condamné?  C'est  là 
qu'il  y  a  des  pleurs  et  des  grincements  de  dents.  Et 
Jean  Paul,  voilà  un  penseur!  il  n'est  pas  froidement 
pédant  comme  tant  d'autres  que  je  connais  et  que  je 
déteste. 

Tu  me  parles  de  mon  oncle  :  je  l'ai  vu  ici  la  semaine 
dernière;  il  m'a  quitté  avant-hier.  Je  pourrais  t'en 
parler  bien  longuement. 

Adieu  ;  quel  nuage  d'idées  confuses,  n'est-ce  pas  ? 
Cependant  elles  tiennent  toutes  par  quelque  point  à 
une  seule,  c'est  mon  amitié  pour  toi. 

H  .    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Reboul. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  73 

a  humbert  ferrand,  9  avril  1829.  (Let.  int.,  34). 
Malgré  ses  espérances,  miss  Smithson  l'a  abandonné. 
«  Je  vous  envoie  Faust,  dédié  à  M.  de  la  Rochefoucauld;  ce 
n'était  pas  pour  lui.  »  Composition  des  Francs-Juges. 
Désespoir  d'amour. 


XXIII 

A    GOETHE 

[Paris],  10  avril  1829. 

Monseigneur , 

Depuis  quelques  années,  Faust  étant  devenu  ma  lec- 
ture habituelle,  à  force  de  méditer  cet  étonnant  ouvrage 
(  quoique  je  ne  puisse  le  voir  qu'à  travers  les  brouillards 
de  la  traduction)  il  a  fini  par  opérer  sur  mon  esprit  une 
espèce  de  charme  ;  des  idées  musicales  se  sont  grou- 
pées dans  ma  tête  autour  de  vos  idées  poétiques,  et,  bien 
que  fermement  résolu  de  ne  jamais  unir  mes  faibles  ac- 
cords à  vos  accents  sublimes,  peu  à  peu  la  séduction  a 
été  si  forte,  le  charme  si  violent,  que  la  musique  de 
plusieurs  scènes  s'est  trouvée  faite  presque  à  mon 
insu. 

Je  viens  de  publier  ma  partition,  et,  quelque  indigne 
qu'elle  soit  de  vous  être  présentée,  je  prends  aujourd'hui 
la  liberté  de  vous  en  faire  hommage.  Je  suis  bien  con- 
vaincu que  vous  avez  reçu  déjà  un  très  grand  nombre 

5 


~,\  Lis    ANM-.I>    ROMANTIQUES. 

de  compositions  en  tout  genre  inspirées  par  le  prodi- 
gieux poème  :  j'ai  donc  lieu  de  craindre  qu'en  arrivant 
après  tant  d'autres,  je  ne  fasse  que  vous  importuner. 
Mais  dans  l'atmosphère  de  gloire  où  vous  vivez,  si  des 
suffrages  obscurs  ne  peuvent  vous  toucher,  du  moins 
j'espère  que  vous  pardonnerez  à  un  jeune  compositeur 
qui,  le  cœur  gonflé  et  l'imagination  enflammée  par 
votre  génie,  n'a  pu  retenir  un  cri  d'admiration. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monseigneur,  avec  le  plus  pro- 
fond respect,  votre  très  humble  et  très  obéissant  servi- 
teur, 

HECTOR   BERLIOZ. 
Gœthe  Jahrbuch,  1891  (vol.  XII.  pp.  99-100;. 

Goethe,  après  avoir  reçu  avec  sympathie  la  partition  du 
jeune  musicien  français,  voulut  avoir  l'avis  d'un  profession- 
nel ;  il  le  demanda  à  Zelter,  le  professeur  de  contrepoint 
de  Mendelssohn.  Ce  maître  répondit  en  qualifiant  la  mu- 
sique de  Berlioz  «  d'expectorations  bruyantes,  de  croasse- 
ments, de  vomissements,  d'excroissance  et  de  résidus  d'avor- 
temeat  résultant  d'un  hideux  inceste  ».  (Voir  un  article 
de  .M.  A.  liuiilarel  dan-  le  Ménestrel  du  ±)  février  1903.)  Ainsi 
renseigné  sur  la  valeur  de  l'eeuvre  qui  était  le  germe  de  la 
Damnation  de  Faust  et  en  contenait  plusieurs  parties  déjà 
formées,  Gu'the  laissa  sans  réponse  l'envoi  déférent  de 
Berlioz. 

a  iiumbert  i  errand,  3  juin  1829  (Let.  int.,  36). 
a  Faust  a  le  plus  grand  succès  parmi  les  artistes.  »  —  «  Le 
poème  îles  Francs-Juges  vient  d'être  refusé  par  le  jury  de 
l'Opéra.  »  Désespoir  de  l'abandon  de  miss  Smitbson. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  75 

au  même.  15  juin  1820  [ld.t  41).  Sur  Faust.  «  J'attends 
tous  les  jours  la  réponse  do  Goethe.  »  Affaissement  ner- 
veux. 


XXIV 

A     IIL'MBERT    FER  RAM' 

Paris,  ce  29  juin  1329. 

Mon  cher  ami, 

Le  concours  de  L'Institut  commence  après  demain1! 
l'imprimeur  m'a  promis  les  titres  pour  ce  soir,  je  vous, 
les  enverrai  avec  un  exemplaire  de  Faust.  Je  ne  puis 
vous  en  envoyer  deux,  parce  que  je  ne  les  ai  pas;  je  ne 
ferai  faire  un  autre  tirage  que  plus  tard.  Je  suis  étonné, 
d'après  ma  dernière  lettre,  de  n'avoir  pas  encore  reçu 
votre  réponse  :  peut-être  n'est-elle  que  retardée;  j'en  suis 
vexé  à  cause  de  ces  absurdes  formalités  de  l'Institut  que 
vous  connaissez. 

Marescot  est  revenu;  il  m'a  demandé  l'argent  des 
exemplaires  que  j'ai  fait  remettre  à  deux  francs,  malgré 
son  intention  de  hausser;  ainsi  il  s'agit  de  savoir  com- 
bien d'exemplaires,  sur  le  nombre  que  je  vous  ai  envoyé, 
smit  destinés  gratis  à  l'auteur  et  combien  sont  payants; 

1.  Au  sujet  de  la  participation  de  Berlioz  au  concours  do  1829, 
par  lequel  il  mit  en  musique  la  cantate  de  Cbiopdtre,  voy.  Mé- 
moires, XXV,  et  les  lettre?  d->  -1    t  11  août  ci-après. 


7 G  L F. S    A X N  ÉES    R 0 M  ANTIQUES. 

je  crois  qu'il  n'y  en  a  que  quinze  payants;  vous 
me  direz  cela  dans  votre  prochaine  lettre1.  Je  compte 
sur  le  prix  de  l'Institut  pour  vous  rendre  ce  que  je  vous 
dois;  les  exemplaires  de  Faust  que  Schlésinger*  a  Tendus 
couvrent  déjà  une  partie  des  frais,  mais  il  ne  m'a  pas 
encore  payé  :  ce  n'est  que  plus  tard,  m'a-t-il  dit,  à  cause 
des  crédits  qu'il  est  obligé  de  faire. 

Voilà  une  lettre  qui  prend  une  tournure  furieusement 
plate;  je  suis  aujourd'hui  d'une  stupidité  sans  égale.  Je 
vous  écris  du  café  Richelieu,  sur  une  table  près  du  bou- 
levard ;  Jawurek  3  vient  de  paraître  sur  son  balcon,  ce 
qui  me  fait  penser  que  ce  pauvre  Gounet l  n'est  pas  trop 
bien  non  plus.  11  y  a  demain  un  examen  au  Conserva- 
toire; je  vais  leur  montrer  le  concert  des  Sylphes;  je 
suis  curieux  de  savoir  ce  qu'ils  vont  me  dire, 

Du  Boys  est  ici  ;  je  crois  que  nous  verrons  aussi  bientôt 
Auguste5,  qui  est  àBlois. 

Adieu. 

Collection  de  M.  Gaston  Calmann-Lëvy. 

1.  Il  s'agit,  d;i ns  ci1  paragraphe,  de  la  publication  d'un  Stabat 
<l'un  .M.  Duparl  (musicien  de  province),  déjà  mentionné  dans  la 
lettre Xie  Berlioz  à  H.  Ferrand  du  18  février  1829.  —  Marescut 
était  un  copiste  et  graveur  de  musique,  grand  dérangeur  de  chefs- 
d'œuvre,  auquel  Berlioz  a  consacré  quelques  pages  humoristiques 
dans  ses  Soirées  de  l'orchestre   p.  62  , 

±  Éditeur  de  musique  à  Paris. 

'■'<-  Mademoiselle  Jawurek,  actrice  de  l'Opéra. 

'i.  Ami  de  jeunesse  de  Berlioz.  Voir  les  lettres  à  lui  adressées 
à  partir  de  mai  1830. 

5.  Auguste  Berlioz,  camarade   aon  parent)  d'Hector. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  7  7 


XXV 

A     SON     PÈRE 

Paris,  ce  2  août  1829. 

Mon  cher  papa, 

J'ai  attendu  que  tout  fût  terminé  pour  répondre  à  la 
dernière  lettre  de  maman,  que  j'ai  reçue  à  l'Institut, 
avec  le  billet  qu'elle  contenait.  Le  jugement  a  été  porté 
hier  :  il  n'y  a  'point  de  premier  prix  ni  pour  moi,  ni 
pour  d'autres.  L'Institut  ayant  déclaré  qu'il  n'y  avait  pas 
lieu  à  en  donner  un  l'a  réservé  pour  l'année  prochaine, 
où  il  pourra  en  donner  deux  si  bon  lui  semble.  M.  Le- 
sueur  étant  malade  n'a  pu  se  mêler  de  tout  cela,  et  c'est 
ce  qui  m'a  nui  terriblement.  Cependant,  Cherubini  et 
Auber  m'ont  soutenu;  MM.  Pradier  et  Ingres,  grands 
admirateurs  de  l'École  allemande,  ont  fait,  à  la  fin  de 
la  séance,  un  long  discours  où  ils  ont  exhalé  toute  leur 
indignation  en  disant  qu'il  était  inconcevable  qu'une 
telle  assemblée  prononce  aussi  légèrement  sur  moi  dont 
on  connaissait  les  antécédents  et  dont  on  ne  pouvait 
connaître  l'ouvrage  après  une  pareille  exécution. 

En  effet,  madame  Dabadie,  qui  devait  chanter  pour 
moi,  a  été  obligée  de  me  manquer  de  parole  à  cause  de 


78  LES    ANNÉES    ftOMANTIQTJÉS . 

la  répétition  générale  de  Guillaume  Tell1,  qui  était  à  la 
même  heure  que  le  concours  de  l'Institut.  Elle  ma 
envoyé  sa  sœur,  élève  du  Conservatoire,  qui  est  d'une 
inexpérience  totale,  et  qui  n'avait  eu  que  quelques 
heures  pour  se  préparer. 

Mais  la  principale  cause  de  tout  ceci  est  que,  d'après 
la  voix  publique,  le  prix  m'était  destiné.  Je  me  suis  cru 
assez  solidement  soutenu  pour  me  permettre  d'écrire 
comme  je  sens,  au  lieu  de  me  contraindre  comme  l'an- 
née dernière.  Le  sujet  était  la  Mort  dé  Cléopàtre;  il  m'a 
inspiré  beaucoup  de  choses  qui  me  paraissent  grandes 
et  neuves,  et  que  je  n'ai  pas  hésité  à  écrire;  et  c'est  là 
mon  tort.  Tous  ces  messieurs  étaient  bien  disposés  pour 
moi  :  mais  ils  n'y  ont  rien  compris,  et.  pour  les  musi- 
ciens, mon  ouvrage  a  été  une  sorte  de  satire  de  leur 
manière  qui  a  horriblement  froissé  leur  amour-propre. 

Je  viens  de  rencontrer  Boïeldieu  sur  le  boulevard.  Il 
est  tout  de  suite  venu  à  moi,  m'a  tenu  en  conversation 
pendant  une  heure  ;  voici  le  résumé  : 

«  Oh  !  mon  ami  !  qu'avez-vous  fait?  nous  comptions 
tous  vous  donner  le  prix.  Nous  pensions  que  vous  seriez 
plus  sage  que  l'année  dernière,  et  voilà  qu'au  contraire 
vous  avez  été  cent  fois  plus  loin  en  sens  inverse.  Je  ne 
puis  juger  que  ce  que  je  comprends  :  aussi,  suis-jebien 
loin  de  dire  que  votre  ouvrage  n'est  pas  bon;  j'ai  déjà 

1.  Guillaume  Tell  fut  représenté  pour  la  première  fois  le  lendemain 
de  cette  lettre,  3  août  1829.  Madame  Dabadie  y  interpréta  le  rôle 
'ii'  .Irninii. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  79 

tant  entendu  de  choses  que  je  n'ai  comprises  et  admi- 
rées qu'à  force  de  les  entendre!  Mais,  que  voulez- vous? 
je  n'ai  pas  encore  pu  comprendre  la  moitié  des  œuvres 
de  Beethoven,  et  vous  allez  plus  loin  que  Beethoven. 
Vous  avez  une  organisation  volcanique  au  niveau  de 
laquelle  nous  ne  pouvons  pas  nous  mettre.  D'ailleurs, 
je  ne  pouvais  m'empêcher  de  dire  à  ces  messieurs  hier  : 
—  Ce  jeune  homme,  avec  de  telles  idées,  une  semblable 
manière  d'écrire,  doit  nous  mépriser  du  plus  profond  de 
son  cœur,  il  ne  veut  pas  absolument  écrire  une  note 
comme  personne.  Il  faut  qu'il  ait  jusqu'à  des  rythmes 
nouveaux;  il  voudrait  inventer  des  modulations  si  c'était 
possible.  Tout  ce  que  nous  faisons  doit  lui  paraître 
commun  et  usé1/  » 

Voilà  la  clef  de  l'énigme  pour  Catel  et  Boïeldieu. 
Auber  et  Chérubin!  ont  été  néanmoins  pour  moi  par 
des  considérations  personnelles;  mais  ils  éprouvaient  la 
même  influence  de  mon  ouvrage;  Cherubini,  toutefois, 
beaucoup  moins  que  les  autres. 

Pour  les  membres  non  musiciens,  ils  n'y  ont  rien 
compris  :  c'est  comme  si  on  faisait  lire  Faust  à  Pros- 
per'-.  L'autre  second  prix  qui  concourait  avec  moi  pour 
le  premier,  n'a  rien  eu  pour  la  raison  contraire;  c'est 
qu'il  était  trop  plat;  il  a  excité  l'hilarité. 

1.  Cette  conversation  avec  Boïeldieu  est  reproduite  en  termes 
presque  identiques  dans  la  lettre  à  Huinbert  Ferrand  du  21  août 
(voir  ci-après)  ainsi  que  dans  les  Mémoires,  rédigés  vingt  ans  plus 
tard. 

2.  Son  petit  frère,  âgé  de  neuf  ans. 


80  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Je  n'ai  pas  pu  faire  la  commission  de  l'alcarazas; 
quand  je  suis  sorti  de  loge,  la  caisse  de  livres  était  déjà 
repartie.  Je  ne  puis  pas  encore  aller  vous  voir.  Je  veux 
terminer  quelques  arrangements  avec  Feydeau  qui  me 
donneront  la  latitude  de  demeurer  plus  longtemps  auprès 
de  vous.  Je  vous  écrirai  encore  dans  peu.  Il  faut,  ce  soir, 
que  j'aille  passer  la  soirée  chez  Boïeldieu.  Il  me  l'a  fait 
promettre  pour  reprendre  notre  conversation.  Il  veut, 
dit-il,  m'étudier. 

Adieu,  mon  cher  papa,  je  vous  embrasse  tendre- 
ment . 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  humrert  F errand,  21  août  1829  (Let.  int.,  44).  Récit 
du  concours  de  l'Institut  ;  propos  de  Boïeldieu,  Auber  ;  cita- 
tion musicale  de  la  cantate;  critique  de  Guillaume  Tell; 
admiration  pour  Spontini. 

au  même,  3  octobre  1829  (id.,  50).  Préparatifs  d'un 
concert. 

au  même,  30  octobre  1829  (id.,  52).  Même  sujet. 

Le  second  concert  de  Berlioz  eut  lieu  au  Conservatoire  le 
1er  novembre  1829. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  81 


XXVI 

A    SON  PÈRE 

Paris,  ce  3  novembre  1829. 

Mon  cher  papa, 

D'abord,  pour  vous  tirer  d'inquiétude,  vous  saurez 
que  j'ai  obtenu  un  succès  d'enthousiasme  des  artistes  et 
du  public,  que  j'ai  couvert  les  frais  du  concert  et  que  de 
plus  j'y  gagne  cent  cinquante  francs.  J'ai  mieux  aimé 
ne  pas  vous  parler  de  ce  concert  avant  de  l'avoir  donné. 
Je  vous  aurais  encore  trop  inquiété.  Quoiqu'il  m'ait 
donné  beaucoup  moins  de  peine  que  le  premier,  néan- 
moins, après  la  dernière  répétition,  je  ne  pouvais  plus 
me  tenir.  La  fatigue  m'accablait.  Je  ne  m'en  ressens 
presque  plus.  Cherubini  s'est  contenté,  cette  fois,  de  ne 
pas  trop  me  contrarier.  Il  m'a  refusé  d'abord,  et  accordé, 
l'instant  d'après,  tout  ce  que  je  lui  ai  demandé. 

Enfin,  le  concert  a  eu  lieu.  Mon  orchestre  de  cent 
musiciens  a  été  dirigé  par  Habeneck.  A  part  quelques 
fautes,  qui  venaient  du  défaut  de  répétitions,  mes  grands 
morceaux  ont  été  exécutés  d'une  manière  foudroyante. 
Il  n'y  a  eu  que  mon  sextuor  de  Faust  que  je  n'ai  pas  eu 
le  temps  d'apprendre  aux  exécutants  et  au  public. 

J'ai  été  mis  à  une  épreuve  effrayante  à  laquelle  je 
n'avais  pas  réfléchi.  Hiller,  ce  jeune  Allemand  dont 

5. 


82  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

je  vous  ai  parlé,  jouait  dans  mon  concert  un  concerto 
de  piano  de  Beethoven1,  qui  est  une  composition  vrai- 
ment merveilleuse.  Immédiatement  après  venait  mon 
ouverture  des  Francs-Juges.  En  voyant  l'effet  du  su- 
blime concerto,  tous  mes  amis  m'ont  cru  perdu,  écrasé, 
anéanti,  et  j'avoue  que  j'ai  éprouvé  un  moment  de  crainte 
mortelle.  Mais  aussitôt  que  l'ouverture  a  été  commencée, 
je  me  suis  aperçu  de  l'impression  qu'éprouvait  le  par- 
terre et  j'ai  été  complètement  rassuré.  L'effet  a  été  ter- 
rible, affreux,  volcanique;  les  applaudissements  ont 
duré  près  de  cinq  minutes,  avec  des  cris,  des  trépigne- 
ments. Après  que  le  calme  fut  un  peu  rétabli,  j'ai 
voulu  me  glisser  entre  les  pupitres  pour  prendre  une 
liasse  de  musique  qui  était  sur  une  banquette  du  théâtre 
(car  l'orchestre  est  sur  la  scène).  Le  public  m'a  aperçu. 
Alors,  les  cris,  les  bravos  ont  recommencé  ;  les  artistes 
s'y  sont  mis,  la  grêle  d'archets  est  tombée  sur  les  vio- 
lons, les  basses,  les  pupitres.  J'ai  failli  me  trouver  mal; 
cette  bourrasque  inattendue  m'a  bouleversé.  Je  tremblais 
comme  vous  pouvez  le  penser  ;  mais  vous  me  manquiez. 
J'étais  seul  de  la  famille  dans  un  tel  moment;  tout  le 
monde  m'embrassait,  excepté  mon  père,  ma  mère,  mes 
sœurs  I . . . 

La  séance  a  été  terminée  par  mon  chœur  du  Juge- 
ment dernier'1,  qui  a  produit  presque  autant  d'ellet  que 

1.  Le  Concerto  en  mi  bémol,  dont  la  première  audition  à  I'aris  fut 
donnée  à  ce  concert. 

2.  licsurnxit  de  la  Messe  exécutée  pour  la  première  t'ois  en  1825. 


LES    AXNÉKS    ROMÀRÎIQUËS.  83 

l'ouverture  des  Francs-Juges.  Je  n'avais  pas  assez  de 
voix;  l'orchestre  les  écrasait. 

Quand  tout  a  été  fini,  que  j'ai  cru  les  issues  libres,  je 
suis  sorti  ;  mais  les  artistes  m'attendaient  dans  la  cour 
du'  Conservatoire,  et,  en  me  voyant  passer,  les  cris  ont 
recommencé  de  plus  belle.  Hier  soir,  à  l'Opéra,  quand 
j'ai  paru  à  l'orchestre,  tous  les  musiciens  sont  venus  me 
complimenter,  me  fêter  de  mille  manières.  Enfin,  j'ai 
obtenu  un  grand  succès  qui  m'a  complètement  satisfait. 
Le  Figaro  d'aujourd'hui  a  rendu  compte  de  mon  con- 
cert ;  je  vous  l'enverrai  avec  les  autres  journaux. 

Depuis  hier,  je  suis  d'une  tristesse  mortelle;  j'ai  tou- 
jours envie  de  pleurer  ;  je  voudrais  mourir.  Je  sens  que 
le  spleen  va  me  reprendre  plus  fort  qu'auparavant.  Il 
faut,  je  crois,  que  je  dorme  beaucoup. 

Je  ne  puis  lier  mes  idées. 

Adieu,  mon  cher  papa,  j'embrasse  maman,  et  vous, 
et  mes  sœurs  et  frère. 

II.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  iiumbert  fer r and,  G  novembre  1S29  (Let.  int.,  54J. 
.Même  sujet. 


84  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


XXVII 

A     SA     MÈRE 

Paris,  20  novembre  1829. 

Je  vous  envoie,  ma  chère  maman,  les  journaux  que 
vous  me  demandez  ;  je  n'y  joins  pas  la  Gazette  de 
France  ni  les  Débats  parce  que  je  pense  que  vous  les  avez 
à  la  Côte.  Il  est  très  difficile  de  faire  venir  aux  concerts 
les  directeurs  de  ces  grands  journaux,  il  n'y  a  qu'un 
théâtre  privilégié  pour  obtenir  d'eux  de  longs  et  fré- 
quents articles,  c'est  le  Théâtre  Italien  :  comme  c'est 
celui  que  la  mode  affectionne,  les  grands  journaux  se 
croient  obligés  de  le  prôner  ;  ainsi  ils  vous  écriront 
deux  colonnes  sur  la  rentrée  d'une  cantatrice  et  ne  diront 
pas  un  mot  de  tout  ce  qui  intéresse  véritablement  l'art 
musical.  J'avais  envoyé  des  billets  àM.  Soulié,  rédacteur 
des  feuilletons  de  la  Quotidienne,\\  a  annoncé  mon  con- 
cert et  n'y  est  pas  venu  ;  j'ai  su  qu'il  avait  donné  ses 
billets  à  des  gens  inutiles.  Il  faudrait  dans  ces  circons- 
tances pouvoir  s'occuper  exclusivement  des  journaux  ; 
j'en  ai  oublié  plus  de  la  moitié.  J'étais  tellement  abîmé 
de  fatigue  que  les  deux  derniers  jours  j'avais  toutes  les 
peines  du  monde  à  me  lever  pour  aller  aux  répéti- 
tions.  Je  me    traînais  comme  je  pouvais  jusqu'aux 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  85 

Menus-Plaisirs  '  ;  mais  une  fois  que  mon  orchestre  était 
lancé,  les  forces  me  revenaient,  une  espèce  de  feu 
électrique  me  ranimait  et  je  devenais  à  peu  près  comme 
un  homme  qui  a  trop  bu  d'eau-de-vie  ;  les  applaudis- 
sements des  artistes  m'enivraient  moins  que  l'effet  de 
ma  musique.  Il  est  impossible  aussi  de  se  faire  une 
idée  d'un  pareil  orchestre  ;  le  moral  des  artistes  dispo- 
sés en  ma  faveur  donnait  à  leur  exécution  un  feu  et 
une  précision  qu'ils  n'apportent  pas  souvent  dans  leurs 
occupations  habituelles. 

Puisque  mon  succès  vous  a  fait  plaisir,  je  vous  dirai, 
ma  chère  maman,  qu'il  continue  à  faire  sensation.  Je 
suis  allé  dans  plusieurs  soirées,  chez  des  personnes 
que  je  ne  connaissais  pas  et  chez  lesquelles  j'étais  pré- 
senté ;  partout,  quand  les  assistants  venaient  à  savoir 
mon  nom,  j 'étais  accablé  de  compliments  et  de  félicita- 
tions. 

Je  suis  bien  aise  que  vous  ayez  eu  occasion  de  vous 
distraire  un  peu  à  Grenoble,  mais  je  parierais  presque 
que  vous  avez  plus  eu  de  peine  que  de  plaisir.  Papa  a 
dû  être  bien  seul  pendant  tout  ce  temps.  Vous  ne  m'a- 
vez pas  dit  si  les  vendanges  avaient  été  bonnes  ou  mau- 
vaises. La  caisse  de  livres  a  dû  vous  arriver  il  y  a  long- 
temps, elle  est  partie  d'ici  le  6  ;  le  libraire  m'a  dit  de 
demander  à  papa  ce  qu'il  veut  pour  le  prochain  envoi, 
afin  de  ne  pas  le  faire  attendre. 

1.  Le  Conservatuire  avait  repris,  sous  la  Restauration, ce  nom  de 
l'ancien  régime. 


86  LES    ANNÉFS    ROM  ANTIOU  l'.S  . 

Dans  ma  prochaine  lettre  je  vous  donnerai  les  détails 
que  vous  me  demandez  sur  mon  équipement. 
Adieu,  ma  chère  maman. 
Je  vous  embrasse. 
Votre  affectionné. 

H.    BERLI  HZ. 

Mille  choses  à  Edouard  et  à  Charles.  —  J'ai  déjeuné 
chez  M.  Rocher  dimanche  dernier. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

Au  graveur  barathier1,  20  novembre  1829  (Catalogue 
d'à  olographes,  J.  Charavay,  201).  Il  lui  annonce  qu'il  est 
invité  à  dîner  par  M.  Kalkbrenner,  et  qu'il  a  reçu  de  M.  de 
La  Rochefoucauld  une  gratification  de  cent  francs  pour  son 
dernier  concert. 

a  ii v m b e r  r  i'ehra a d, ,    4  décembre  1829  (Let.  int. ,  56J. 

au  même,  27  décembre  (id.,  o7J.  Envoi  des  Mélodies  Irlan- 
daises, op.  2,  et  du  Ballet  des  Ombres,  op.  2  *.  Spleen. 

au  même,  2  janvier  1830  (id.,  59).  Correspondances  inter- 
ceptées  ;  embarras  d'argent  ;  il  corrige  les  épreuves  de 
Guillaume  Tell  pour  deux  cents  francs. 

I.  Cel  artiste  a\ait  composé  pour  Berlioz  une  vignette,  dans  le 
goût  romantique,  qui  orne  le  titre  de  ses  Mélodies  Irlandaises, 
op.  2. 

->.  Le  Ballet  des  Ombres, composé  sur  des  vers  d'Albert  Du  Boys, 
œuvre  d'un  caractère  romantique  ultra-renforeé,  ne  tarda  pas  à 
ne  plus  satisfaire  son  auteur,  qui  détruisit  la  presque  totalité  de 
l'édition. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  87 


XXVIII 

A    SA    SOEUR    NANCI 

Paris,  le  30  janvier  1830. 

Ma  chère  Nanti, 
J'aurais  dû  répondre  plus  lot  à  ta  dernière  lettre  ; 
j'avais  mille  choses  à  te  dire  qui  me  sont  passées  de  la 
tête  et  dont  par  conséquent  je  te  ferai  grâce.  Je  mène 
une  vie  excessivement  active  tout  cet  hiver  ;  je  suis 
occupé  constamment  ;  depuis  quelques  jours  surtout,  j'ai 
à  peine  le  temps  de  respirer.  Je  viens  d'arrêter  le  projet 
de  donner  un  grand  concert  au  Théâtre  des  Nouveautés, 
dans  trois  mois  et  demi.  Le  jour  de  l'Ascension,  tous 
les  théâtres  étant  fermés,  j'aurai  une  grande  latitude 
pour  mon  entreprise  :  les  Nouveautés  viennent  de  se 
constituer  un  appareil  musical  ;  un  orchestre  excellent, 
dirigé  par  un  artiste  du  plus  grand  talent  et  qui  m'est 
tout  dévoué  S  sera  à  mes  ordres.  Il  ne  me  restera  plus 
qu'à  le  doubler  par  des  auxiliaires.  Pour  accomplir  mon 
dessein,  je  prépare  beaucoup  de  musique  nouvelle  : 
entre  autres  une  immense  composition  instrumentale 


1.   Bloc,    précédemment   chef  d'orchestre  de   l'Odéon  (voir  ci- 
dessus,  lettre  du  lor  novembre  1828,  et  Mémoires,  XXV'lj. 


88  LES    ANNÉES    ROMANTIQUKS. 

d'un  genre  nouveau1,  au  moyen  de  laquelle  je  tâcherai 
d'impressionner  fortement  mon  auditoire.  Malheureu- 
sement c'est  très  considérable,  et  je  crains  de  ne  pouvoir 
être  prêt  pour  le  23  mai,  jour  de  l'Ascension  ;  d'un  autre 
côté,  ce  travail  de  feu  me  fatigue  excessivement  ;  quoique 
depuis  longtemps  j'aie  le  squelette  de  mon  ouvrage  dans 
la  tête,  il  faut  beaucoup  de  patience  pour  en  lier  les 
parties  et  bien  ordonner  le  tout. 

Enfin  il  faut  toujours  aller;  nous  verrons  bien. 

Ah  !  ma  sœur,  tu  ne  peux  te  figurer  le  plaisir  du 
compositeur  écrivant  librement  sous  l'influence  directe 
de  sa  seule  volonté.  Quand  j'ai  tracé  la  première  accolade 
de  ma  partition,  où  sont  rangés  en  bataille  mes  instru- 
ments de  différents  grades,  quand  je  songe  à  ce  champ 
d'accords  que  les  préjugés  scolastiques  ont  conservé 
vierge  jusqu'à  présent  et  que  depuis  mon  émancipation 
je  regarde  comme  mon  domaine,  je  m'élance  avec 
une  sorte  de  fureur  pour  y  fourrager.  J'adresse  quelque- 
fois la  parole  à  mes  soldats  :  «  Toi,  grossier  personnage, 
qui  jusqu'à  présent  n'as  su  dire  que  des  sottises, 
viens  çà  que  je  t'apprenne  à  parler  ;  vous  tous,  gracieux 
follets  musicaux,  que  la  routine  avait  relégués  dans 
les  cabinets  poudreux  des  savants  théoriciens,  venez 
danser  devant  moi  et  montrez  que  vous  êtes  bons 
à  quelque  chose  de  mieux  qu'à  des  expériences  d'acous- 

1 .  La  Symphonie  fantastique,  dont  il  est  fait  pour  la  première 
fois  mention  positive  dans  cette  lettre  (cf.  ci-des9us,  lettre  à 
Humbert  Ferrand  du  2  février  1829j. 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  89 

tique  ;  et  surtout,  dis-je  à  mon  armée,  qu'on  oublie 
les  chansons  de  corps  de  garde  et  les  habitudes  de 
caserne...  » 

Mes  Mélodies  de  Moore  paraîtront  dans  trois  jours1. 
Quoiqu'il  y  en  ait  peu  pour  des  voix  féminines,  que  tu 
n'aies  point  de  piano,  et  que  quelques-unes  soient  avec 
chœur,  si  tu  en  veux  un  exemplaire,  parle,  je  te  l'en- 
verrai. 

Plusieurs  des  grands  chanteurs  de  Paris  viennent 
de  les  adopter  pour  les  chanter  dans  les  soirées  musi- 
cales. Cela  exercera  ta  patience,  et  sur  le  nombre  il  y 
en  aura  peut-être  bien  une  ou  deux  que  tu  déchiffreras 
tant  bien  que  mal. 

Les  commissions  de  papa  ont  toutes  été  faites  avec  la 
plus  scrupuleuse  exactitude  :  s'il  a  éprouvé  un  retard 
dans  l'envoi  de  son  avant-dernière  caisse,  il  n'y  a  cer- 
tainement pas  de  ma  faute  :  quand  le  libraire  me  dit  : 
«  L'expédition  a  été  faite,  c'est  en  route  ».  que  puis-je 
faire  ?  il  faut  bien  que  je  le  croie.  La  dernière  caisse  est 
partie  il  y  a  trois  jours:  j'y  avais  joint  le  volume  de 
M.  Say  que  je  n'avais  pu  avoir  avant  la  semaine 
dernière. 

Vous  avez  sans  doute  entendu  parler  du  testament 
d'Anatole  qui,  pour  frustrer  ses  neveux  de  sa  succession, 
donne  tout  son  bien  au  beau-fils  de  M.  Guernon  de 
Banville,  et  à  deux  hommes  de  loi  de  Grenoble.  Que  la 

1.  Les  Mélodies  Irlandaises,  op.  2,  dont  il  était  déjà  fait  mention 
dans  la  lettre  du  27  décembre  1829. 


90  LES  années;  romantiques. 

rancune  est  une  chose  hideuse!  Ainsi,  toutes  les  belles 
protestations  qu'il  avait  faites  avant  de  se  tuer  étaient 
des  faussetés  ! . . . 

Adieu.  Embrasse  Adèle  pour  moi,  et  dis-lui  que  je  lui 
écrirai  une  longue  lettre  dans  peu. 

Ton  affectionné  frère, 

H.    BERLIOZ 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

A  humbert  ferrand.  6  février  1830  (Let.  int.,  63). 
Sur  l'Élégie  en  prose,  n°  9  des  Mélodies  Irlandaises  (cf.  Mé- 
moires, xviii).  Désespoir  d"amour.  La  Symphonie  fantastique  : 
«  Je  l'ai  toute  dans  la  tète,  mais  je  ne  puis  rien  écrire.  » 

catalogue  d'autographes,  J.  Charavay,  179:  2o  fé- 
vrier 1830.  Reçu  de  cent  francs  à  titre  d'encouragement  (de 
la  Direction  des  Beaux-Arts?). 

a  Ferdinand  h iller,  mars  1830 l  (Corresp.  inéd.,  67). 
Amour  désespéré.  «  Qu'est-ce  que  cette  faculté  de  souffrir  qui 
me  tue?  Demandez  à  votre  ange,  à  ce  séraphin  qui  vous  a 
ouvert  la  porte  des  deux!...  »  Cet  ange  était  mademoiselle 
Camille  Moke,  qui  va  bientôt  tenir  une  place  importante 
dans  les  préoccupations  de  Berlioz. 

1.  Cette  lettre,  la  plus  désolée  de  toute  cette  correspondance 
romantique,  est,  dans  la  Corresp.  inéd.,  datée  par  à  peu  près  «  1829". 
H  est  facile  d'en  préciser  la  date  par  les  observations  suivantes. 
Elle  contient  cette  phrase:  «  Il  y  a  aujourd'hui  un  an  que  je  la  vis 
pour  la  dernière  t'ois.  »  Or,  le  9  avril  1829,  Berlioz  écrivait  à 
Ferrand  :  «  Il  y  a  trente-six  jours  qu'elle  est  partie.  »  La  séparation 
avait  donc  eu  lieu  le  5  mars  1829,  et  la  lettre  à  Hiller  peut  être 
ainsi  datée  du  5  mars  1830,  —  huit  jours  exactement  après  la  pre- 
mière  d'Hernani. 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  91 

a  iiumbert  ferrand,  16  avril  1830  (Let.  hit.,  65). 
Rupture  avec  miss  Smithson.  «  D'àfireugés  vérités  décou- 
vertes à  n'en  pouvoir  douter...  »  Programme  de  \a.Symphonie 
antastique.  «  Je  viens  d'en  écrire  la  dernière  note.  Si  je 
puis  être  prêt  le  jour  de  la  Pentecôte,  30  mai,  je  donnerai 
un  concert  aux  Nouveautés.  » 


XXIX 

A    SES    S  OE  U  R  S 

[Paris,  vers  le  18  avril  183Û.[ 

Mes  chères  sœurs, 
Edouard  vous  remettra  une  lettre  qui  devait  être 
longue  et  détaillée,  mais  qui  sera  courte  et  sèche:  c'est 
bien  mal,  mais  c'est  comme  ça.  Je  suis  dans  un  de  mes 
accès  de  haine  générale.  Hier,  j'étais  tout  autre  :  la  joie 
d'avoir  terminé  ma  symphonie  m'avait  t'ait  oublier  la 
fatigue  que  j'éprouvais  de  celle  énorme  composition. 
A  présent,  je  rentre  en  moi-même,  et  puis  il  fait  un 
temps  qui  me  fait  souffrir  comme  si  on  m'arrachait  la 
peau  depuis  la  tête  jusqu'aux  pieds:  un  temps  superbe... 
J'aurais  dû  t'écrive  en  particulier,  .\anci,  et  à  toi  aussi, 
Adèle,  mais  que  vous  dire  d'agréable  à  l'une  et  à 
l'autre?...  Adèle  conjugue  le  verbe  Hre,  Xanci  celui  de 
s'ennuyer,  et  moi  plusieurs  autres  moins  gais  et  moins 
tranquilles;  par  exemple,  je  grince  des  dents. 


92  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

A  propos  de  grincements  de  dents,  je  me  rappelle 
Firmin  dans  Hernani;  tu  m'as  demandé.  Nanti,  mon 
opinion  sur  Hernani1  ;  la  voilà!  Je  trouve  des  choses  et 
surtout  des  pensées  sublimes,  des  choses  et  des  idées 
ridicules,  peu  do  nouveauté  dans  tout  cela,  mais  quant 
aux  vers,  comme  je  les  déteste  au  théâtre,  ces  enjam- 
bements de  l'un  à  l'autre,  ces  hémistiches  rompus  qui 
.font  donner  au  diable  tous  les  classiques  me  sont  entiè- 
rement indifférents,  parce  que,  quand  on  parle,  cela 
ressemble  exactement  à  de  la  prose:  à  cet  égard  même, 
je  les  aimerais  mieux:  toutefois,  je  trouve  que,  puisque 
Hernani  a  été  écrit  on  vers,  et  que  Hugo  sait  bien  les 
faire  quand  il  veut,  il  était  plus  simple  de  faire  des  vers 
suivant  les  règles  du  goût  de  la  masse,  cela  aurait 
épargné  bien  de  la  fatigue  aux  poumons  des  merles  du 
parterre:  c'est  une  innovation  qui  ne  mène  à  rien.  Mais 
Hugo  a  détruit  l'unité  de  temps  et  l'unité  de  lieu:  à  ce 
litre  seul,  je  m'intéresserais  à  lui  comme  au  brave  qui, 
à  travers  les  balles,  va  mettre  le  feu  à  la  mine  qui  doit 
faire  sauter  un  vieux  rempart.  La  pièce  moderne  par 
excellence,  pour  moi,  c'est  Trente  ans  ou  la  Vie  d'un 
Joueur. 

J'ai  demain  rendez-vous  avec  le  directeur  de  Fey- 
deau  pour  lui  demander  une  lecture  d'un  opéra  qu'un 


1.  Keprésenté  pour  la  première  l'ois  quelques  semaines  aupara- 
vant, le  25  lévrier.  L'auteur  de  Victor  Hio/o  raconté  jxir  un  témoin 
de  sa  vie  nomme  Berlioz  parmi  les  spectateurs  de  cette  mémorable 
représentation. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  93 

auteur  me  confie  et  qui  me  convient  assez;  il  faut  vingt 
cérémonies  pour  voir  ce  grand  seigneur;  celui  de  l'Opéra 
n'est  pas  si  fier.  Oh!  que  je  voudrais  avoir  une  immense 
réputation  pour  amener  toute  cette  canaille  de  direc- 
teurs à  mes  pieds  me  demander  des  partitions  et  poul- 
ies renvoyer  à  coups  de  boites! 

Amen. 

h.  b. 

P.-S.  —  Le  libraire  de  mon  père,  qui  est  aussi  un 
homme  aimable,  n'a  pas  encore  pu  me  donner  les  vo- 
lumes dont  je  voulais  charger  Edouard. 

Communiqué  par  madame  Reboul. 


XXX 

A    SON    PÈRE 

Paris,  ce  10  mai  [1830J. 

Mon  excellent  père, 
Que  je  vous  remercie  de  votre  lettre  !  Quel  bien  elle 
m'a  fait  !  Vous  commencez  donc  à  prendre  un  peu  con- 
fiance en  moi  !  Puissé-je  la  justifier  !  C'est  la  première 
fois  que  vous  m'écrivez  sur  ce  ton,  et  mille  fois  je  vous 
en  remercie  ;  c'est  un  si  grand  bonheur  de  pouvoir  faire 
honneur  et  plaisir  à  ceux  qui  nous  sont  si  chers.  Oh  ! 
certes,  oui,  je  serais  enchanté  de  pouvoir  me  faire 


94  T. ES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

entendre  de  vous;  mais  pour  un  voyage  de  Paris,  il  faut 
quelque  chose  de  plus  positif  et  de  plus  assuré  qu'un 
concert  qui  peut  être  empêché  par  le  plus  léger  caprice 
des  hommes  du  pouvoir.  J'attends  depuis  huit  jours, 
dans  une  mortelle  impatience,  la  permission  de  M.  Man- 
gïn.  le  préfet  de  police,  pour  faire  afficher  le  concert;  je 
dois  retourner  seulement  demain  pour  savoir  si  on  m'ac- 
corde l'autorisation.  Il  faut  passer  par  les  mains  des 
chefs  et  sous-chefs  de  division,  qui  ont  l'air  de  faire  une 
affaire  d'État  de  ce  qui  n'est  qu'une  formalité.  Dans  mes 
deux  précédents  concerts,  je  m'en  étais  dispensé;  mais 
comme,  cette  fois,  c'est  le  soir  et  dans  un  théâtre,  les 
directeurs  des  .Nouveautés   ne  veulent  point  prendre 
d'engagements  décisifs  avec  moi,  avant  d'avoir  la  pièce 
officielle  de  la  police.  D'un  autre  côté,  M.  de  la  Roche- 
foucauld  pourrait,   s'il  voulait,   empêcher  ma  soirée 
d'avoir  lieu,  car,  dans  ce  pays  de  liberté,  les  musiciens 
sont  au  nombre  des  esclaves.  D'un  autre  côté,  le  succès 
de  ma  symphonie  n'est  pas  sûr;  le  public  sera  moins 
musical  dans  cette  saison  que  dans  l'hiver;  toute  la  haute 
société  qui  a  une  espèce  d'éducation  musicale  est  à  la 
campagne,  et  je  doute  que  l'originalité  de  mon  drame 
instrumental  in>pire  assez  d'intérêt  pour  faire  revenir  à 
Paris  des  gens  de  sang  aus>i  froid.  Puis,  j'ai  un  autre 
sujet   d'inquiétude,    c'est   celui    de   l'exécution  :  mon 
orchestre  va  être  obligé  de  se  frayer  une  route  à  travers 
un*    forêt  vierge.  Outre  qu'il  y  a  beaucoup  de  choses 
nouvelles  pour  eux,  la  plus  grande  difficulté  est  celle  de 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  95 

l'expression.  La  première  partie,  surtout,  est  d'une  telle 
fougue  dans  le  mouvement  et  d'une  si  grande  intensité 
de  sentiment,  qu'avant  de  pouvoir  leur  inculquer  toutes 
mes  intentions  et  qu'ils  puissent  les  rendre,  il  faudra 
une  patience  angélique  de  la  part  du  chef  d'orchestre 
et  un  nombre  très  considérable  de  répétitions.  Heureu- 
sement, ce  n'est  pas  plus  difficile  que  l'ouverture  des 
Francs-Juges  (que  je  redonne  encore),  et  elle  a  été  subli- 
mement  exécutée. 

Je  suis  déjà  vos  instructions  quant  au  régime;  je 
mange  ordinairement  peu  et  ne  bois  presque  plus  de 
thé  ». 

Je  ne  fais,  depuis  quelques  jours,  que  corriger  im- 
parties d'orchestre,  surveiller  mes  copistes,  copier  moi- 
même.  Le  soir,  je  vais  au  Théâtre  allemand,  où  le  direc- 
teur a  eu  la  politesse  de  me  donner  mes  entrées,  sans 
que  je  les  aie.  en  aucune  manière,  demandées.  Je  compte 
sur  l'incroyable  chanteur  Hailzinger 2  pour  chanter  à 
mon  concert  et  compléter  le  programme.  Je  l'ai  vu  ces 
jours-ci:  il  m'a  demandé  si  j'avais  un  rôle  important 
pour  sa  voix  dans  l'opéra  <\cs  Francs-Juges  (que  je  ne 
pourrai  jamais  mouler  à  Paris;;  et,  sur  l'assurance  que 
je  lui  en  ai  donnée,  il  m'a  engagé  beaucoup  à  venir  en 
Allemagne,  où  il  me  serait  beaucoup  plus  aisé  de  le 
faire  exécuter.  Mais  j<?  ne  puis  pas  encore  m'occuper  de 

1.  Dans  une  précédente  lettre   VJ  ,  Berlioz  avait  écrit  qu'il  avait 
«  une  passion  »  pour  le  thé.  Toujours  des  passions  malheureuses! 
v2.  Excellent  ténor  de  l'Opéra  allemand- 


06  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

le  faire  traduire  en  allemand.  Voilà  mon  plan.  Si  ces 
messieurs  de  l'Institut  me  croient  digne  d'obtenir  un  des 
deux  grands  prix,  si  je  puis  me  faire  assez  petit  pour 
passer  par  la  porte  du  royaume  des  deux,  je  resterai 
aussi  peu  de  temps  que  possible  en  Italie,  et  de  là,  je 
courrai  à  Carlsruhe,  où  est  ordinairement  Haitzinger, 
ou  bien  à  Dresde,  où  le  célèbre  compositeur  Spohr  est 
maître  de  chapelle  et  professe  des  principes  autrement 
généreux  que  ne  le  font  les  compositeurs  de  Paris.  Alors, 
il  me  sera  aisé  de  voir  ce  que  j'ai  à  faire  pour  monter 
mon  opéra.  Vous  me  parlez  d'hommes  de  lettres  en  répu- 
tation: mais  rien  n'est  plus  inutile.  Il  n'y  en  a  qu'un, 
c'est  Scribe,  qui  puisse  faire  passer  une  partition  ;  les 
directeurs  ne  font  pas  plus  de  cas  des  autres  que  s'ils 
étaient  inconnus.  J'ai  un  grand  opéra,  Atala,  qui  a  été 
reçu,  il  y  a  deux  mois,  à  l'unanimité,  sa?is  corrections, 
ni  conditions,  par  le  jury  de  l'Opéra.  Dernièrement.  Ons- 
low,  qui  venait  de  lire  la  partition  des  Francs-Juges  que 
je  lui  avais  prêtée,  courut,  dans  son  enthousiasme  de 
jeune  homme  (quoiqu'il  ait  quarante-neuf  ans),  chez 
M.  Lubbert,  directeur  de  l'Opéra,  lui  parler  de  moi.  Il 
savait  qu' Atala  était  reçu  et  m'était  destiné;  il  pressa 
beaucoup  Lubbert  de  me  faire  jouer,  l'assurant  que  rien 
n'était  ridicule  comme  les  obstacles  qu'on  me  faisait 
éprouver  et  qu'il  était  de  son  intérêt  de  les  lever.  A  tout 
cela,  Lubbert  se  contenta  de  répondre  que  beaucoup  de 
gens  lui  avaient  parlé  de  moi,  les  uns  avec  admiration, 
les  autres  lui  assurant  que  j'étais  fou,  que  je  perdais  la 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  97 

tête  ;  d'autres,  qu'il  n'y  avait  aucun  fond  à  faire  sur  moi 
(entre  autres  Cherubini,  qui  n'a  jamais  entendu  de  sa 
vie  une  note  de  moi,  si  on  excepte  les  balivernes  de 
l'Institut  défigurées  sur  un  piano)  ;  mais  que,  dans  tous 
les  cas,  il  avait  l'intention  de  m'écrire  pour  m'engager 
à  ne  pas  faire  la  musique  d'Atala,  parce  que,  malgré  sa 
réception,  il  ne  voulait  pas  monter  ce  poème,  dont  il  ne 
voulait  pas  introduire  le  genre  à  l'Opéra.  «  D'ailleurs, 
ajouta-t-il,  je  répète  encore  ce  que  j'ai  déjà  dit  tant  de 
fois  :  il  me  faut  de  l'argent;  rien  ne  fait  plus  d'argent 
que  la  musique  d'Auber,  parce  que  le  peuple  l'aime. 
Ainsi,  j'ai  assez  d'Auber  et  de  Rossini.  Beethoven  et 
weber  reviendraient  au  monde,  m'apporteraient  des 
opéras,  que  je  n'en  voudrais  pas.  » 

A  Feydeau,  c'est  le  dernier  degré  de  la  dégradation 
musicale.  Ils  ne  pourraient  m'exécuter.  Le  directeur  va 
faire  banqueroute  incessamment.  Il  faut  absolument 
laisser  un  théâtre  nouveau  jouer  de  la  musique  nouvelle; 
il  faut  que  cet  odieux  privilège  tombe,  et  il  tombera  si, 
à  la  Chambre  des  députés,  la  demande  en  est  faite.  Ben- 
jamin Constant  et  deux  autres  devaient  se  charger  de  la 
présenter,  si  la  prorogation  ne  fût  survenue.  Conçoit-on 
que  les  Allemands,  les  Italiens,  tous  les  étrangers  puis- 
sent élever  des  théâtres  à  Paris  pendant  une  partie  de 
l'année  et  que  les  Français,  seuls,  soient  obligés  de  se 
faire  écorcher  à  Feydeau,  ou  de  garder  leurs  partitions? 
Tandis  que  le  théâtre  des  Nouveautés  a  un  orchestre 
superbe  et  des  chœurs  passables,  qu'on  emploie  à  chan- 

6 


98  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES- 

1er  des  vaudevilles  ou  des  morceaux  tirés  des  partitions 
étrangères.  Mais  il  ne  faut  pas  porter  ombrage  à  ce 
Conservatoire  du  pont-neuf  et  de  la  routine;  il  faut  tout 
sacrifier  pour  faire  prospérer  la  rotule,  la  romance,  le 
duetto,  et,  malgré  la  puissance  de  ces  grands  moyens 
musicaux,  donner  des  subventions  payées  par  les  pro- 
vinciaux qui  ne  vont  pas  à  l'Opéra-Comique,  et  voir, 
tous  les  deux  ans,  un  directeur  manquer. 

Eh  !  mon  Dieu  !  laissez-les  donc  libres  tous  de  jouer 
ce  qu'ils  voudront,  opéra,  grand  ou  petit;  ne  donnez 
point  de  subventions  et  laissez-les  se  ruiner  !  Cela  coû- 
tera moins  cher  aux  contribuables,  et  les  moyens  ne 
manqueront  pas,  au  moins,  à  quelques-uns  de  s'enri- 
chir, 

Je  vous  écrirai  dans  quelques  jours  pour  vous  donner 
des  nouvelles  de  mon  affaire,  si  les  répétitions  sont  com- 
mencées . 

Adieu,  mon  cher  papa,  je  vous  embrasse  tendrement. 

Votre  affectionné  fils, 

h.  bkhi.ioz. 

J'irai  incessamment  chez  madame  Thomas1  et  M.(i<>- 
létti*. 

Communiqué  par  madame  Chapûl. 

1 .  Sœur  du  Béaateur  Louis  Rocher,  de  la  Côte-Saint-André. 

2.  Mari  d'une  demoiselle  Rocher,  de  la  Cùte-Suint-André. 


LIS    IHIfÎRS    ROMAtfTIQURS.  99 

a  HLMBERT  ferrand.  13  mai  1830  (Let .  int.,  69). 
Répons^  nux  consolations  de  l'ami  au  sujet  de  la  rupture 
avec  miss  Smithson.  Préparatifs  du  concert  où  doit  avoir 
lieu  l'audition  de  la  Symphonie  fantastique.  Projet  de  repré- 
sentation des  Francs-Juges  en  Allemagne  (cf.  lettres  ci-dessus). 
Les  Mélodies  Irlandaises. 


XXXI 

A    THOMAS    GOUNET1 

[Paris,  mai  1830.] 

Mon  cher  Gounet, 

N'auriez-vous  pas  dans  vos  papiers  le  manuscrit  ori- 
ginal des  Francs-Juges  ?  La  copie  soignée  que  vous  m'en 
aviez  donnée  ne  peut  se  retrouver  aux  Nouveautés  et  le 
directeur  du  Théâtre  Allemand  veut  le  lire  avec  l'in- 
tention de  le  faire  traduire  aussitôt  pour  le  monter  ici 
cet  été. 

Adieu. 

H.    BERLIOZ. 

Lettres  à  Gonnet. 

1.  Un  de?  meilleurs  amis  de  jeunesse  de  Berlioz.  A  écrit  pour 
lui  la  traduction  des  poésies  de  Thomas  Moore  mises  en  musique 
et  publiées  sous  le  nom  de  Mélodies  Irlandaises:  lui  a  été  tout  par- 
ticulièrement fidèle  à  l'époque  la  plus  difficile  de  sa  vie,  celle  de 
son  mariage  avec  miss  Smithson.  Trente-deux  lettres  et  billets  de 
Berlioz,  à  lui  adressés  de  1830  à  1834,  et  dont  les  autographes  ont 
été  conservés  par  son  parent  M.  L.  Michoud,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  Grenoble,  ont  été  imprimée;  par  les  soins  de  l'Académie 
Delphinaleen  1903,  avec  des  notes  de  M.  G.  Allix. 


100  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 


XXXII 

A    SON    PÈRE 

Paris,  ce  28  mai  (1830;. 
Mon  cher  papa, 

J'arrive  de  la  campagne,  où  j'étais  depuis  les  premiers 
jours  de  cette  semaine,  chez  un  riche  Espagnol  de  ma 
connaissance  à  la  fille  duquel  j'avais  donné  l'année  der- 
nière quelques  leçons  de  composition.  Le  père  et  la  mère 
ont  pour  moi  toute  sorte  de  bons  procédés,  et  ils  m'ont 
invité  tant  de  fois  à  aller  les  voir  à  la  campagne,  que, 
mon  concert  n'ayant  jtas  eu  lieu,  j'en  ai  profité.  En  ren- 
trant j'ai  trouvé  la  lettre  de  maman  ;  cet  imbécile  de 
libraire,  à  qui  j'avais  dit  de  mettre  votre  volume  à  la 
poste,  attendait  que  je  vienne  le  chercher. 

Voilà  pourquoi  mon  concert  est  renvoyé.  Le  Théâtre 
allemand  en  donna  ce  soir-là  à  la  même  heure  ;  et  le 
Conservatoire  en  donna  un  autre  pour  faire  entendre 
au  roi  de  Naplcs  les  Symphonies  de  Beethoven.  La  du- 
chesse de  Berry  a  demandé  celui  du  Conservatoire  qui 
sera  extrêmement  brillant.  Nous  n'aurions  pas  eu  grand 
monde  aux  Nouveautés,  lors  même  que  j'aurais  pu 
monter  le  mien  ;  mais  le  moyen  sans  chanteur,  puisque 
llailzingeret  mademoiselle  Schrœder1  qui  m'avaient  pro- 

1.  Wilhelniine  Schrœder-Devrient,  la  célèbre  cantatrice  alle- 
mande. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  101 

mis  sont  obligés  de  chanter  à  leur  théâtre,  et  sans 
orchestre,  puisque  celui  que  je  comptais  amener  aux 
Nouveautés  était  pris  en  partie  au  Conservatoire  et  au 
Théâtre  allemand.  Je  ne  puis  pas  faire  exécuter  ma 
Symphonie  avec  un  orchestre  aussi  maigre  que  celui  des 
Nouveautés.  Je  vous  envoie  le  Figaro  de  vendredi  qui 
avait  déjà  annoncé  le  concert  et  inséré  le  programme  de 
ma  Symphonie,  tel  qu'il  sera  distribué  dans  la  salle 
le  jour  de  l'exécution.  Cela  fait  un  bruit  incroyable, 
tout  le  monde  achète  ou  vole  le  Figaro  dans  les  cafés. 
Nous  avions  déjà  fait  deux  répétitions,  très  mauvaises, 
mais  cela  aurait  fini  par  aller  passablement  au  bout 
de  cinq  ou  six  autres  séances  *.  Je  ne  me  suis  pas  du 
tout  trompé  en  écrivant.  Tout  est  comme  je  l'avais 
pensé.  Seulement  la  Marche  du  Supplice  est  toute- 
fois plus  effrayante  que  je  ne  m'y  attendais.  Je  ne  puis 
plus  monter  de  concert  avant  le  jour  de  la  Toussaint 
au  mois  de  novembre.  D'ici  là,  Habeneck  m'a  offert 
ses  services,  nous  allons  monter  les  symphonies 
comme  on  fait  pour  un  grand  opéra,  et  l'exécution  sera 
ce  qu'elle  doit  être,  foudroyante. 

Adieu,  mon  cher  papa,  je  vous  embrasse  affectueuse- 
ment. 

Votre  affectionné  fils, 

h  .    DERLIOZ. 

Musée  Berlioz  à  laCùte-Saiut-André.  i  Reproduit  dans  Musica, 
décembre  19o3.  i 

1.  Comparez  le  récit  des  Mémoires,  XXVI. 

6. 


402  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

C'est  vers  ce  temps  que  Berlioz  fit  la  connaissance  de  la 
brillante  pianiste  Camille  Moke,  qui  devait,  sous  le  nom 
de  madame  Pleyel,  devenir,  selon  l'expression  des  Mémoires, 
«  celle  de  nos  virtuoses  la  plus  célèbre  par  son  talent  et  ses 
aventures  ».  Cette  séduisante  femme,  —  qui  n'était  autre 
que  celle  qu'il  dénommait  naguère,  en  écrivant  à  Ferdinand 
Hiller:  «Votre  ange...  ce  séraphin  qui  vous  a  ouvert  la  porte 
des  deux  »,  inspira  à  Berlioz  la  Distraction  violente  dont  il 
est  parlé  au  chapitre  XXYII  des  Mémoires,  et  qui  faillit  avoir, 
l'année  suivante,  un  dénouement  tragique,  mais  s'acheva 
fort  heureusement  en  comédie.  C'est  d'elle  qu'il  sera  ques- 
tion dans  les  lettres  qui  vont  suivre,  et  l'on  verra,  par  celle 
qu'il  écrivit  à  son  père  le  2  août,  qu'il  la  considérait  dos 
ce  moment  comme  sa  fiancée. 

C'est  aussi  à  la  même  époque  (juillet  1830)  qu'il  se  pré- 
senta pour  la  cinquième  fois  au  concours  de  Borne,  et  obtint 
le  premier  grand  prix. 

a  humbeiît  ferrand, 24  juillet  1830 (Let. int., 73).  «  Tout 
ce  que  l'amour  a  de  plus  tendre  et  de  plus  délicat,  je  l'ai. 
Ma  ravissante  sylphide,  mon  Ariel,  ma  vie...  »  Il  est  en- 
fermé à  l'Institut  et  va  instrumenter  le  dernier  air  de  sa 
scène  (Sardanapale). 


XXXIII 

A     SON    PÈRE 

Paris,  ce  2  août  (1830). 

Mon  cher  papa, 
Je  suis  sorti  de  l'Institut,  le  premier,  jeudi  dernier  à 
cinq  heures,  au  momentoùs'ache"ait  la  prise  duLouvre1. 

1.  Le  29  juillet  1830. 


LFS    ANNÉES    ROMANTIQUES.  103 

L'importance  désespérante  de  ce  concours  a  pu  seule 
me  retenir  deux  jours  dans  notre  fort  barricadé  et  muré, 
pendant  qu'on  se  massacrait  sous  no>  yeux.  La  mitraille 
et  les  boulets  nous  arrivaient  en  ligne  directe  d'une 
batterie  du  Louvre  qui  balayait  le  pont  des  Arts  et  don- 
nait dans  les  portes  de  l'Institut,  qui  en  ont  été  criblées. 
Aussitôt  que  j'ai  eu  écrit  la  dernière  note,  vous  pensez 
bien  que  la  première  chose  a  été  de  courir  où  une  in- 
quiétude mortelle  m'appelait '.  à  travers  les  dernières 
balles,  les  cris,  les  morts,  les  blessés,  etc.  J'ai  trouvé  tout 
heureusement  comme  je  l'espérais.  En  sortant  de  chez 
madame  Moke,  courir,'  s'armer  et  chercher  à  s'utiliser 
était  la  première  chose,  mais  non  pas  la  plus  aisée  à 
faire  ;  aussi  après  trois  heures  de  course  je  n'ai  pu 
attraper  qu'une  paire  de  longs  pistolets  d'arçon  sans 
munitions. 

Les  gardes  nationaux  m'envoyaient  à  l'Hôtel  de  Ville  ; 
j'y  cours,  point  de  cartouches.  Enfin,  à  force  de  deman- 
der aux  passants,  j'ai  fini  par  être  équipé  complètement. 
L'un  me  donnait  une  balle,  l'autre  de  la  poudre,  un 
autre  un  couteau  pour  couper  le  plomb.  Puis  voilà  tout, 
pas  une  amorce  de  brûlée.  Le  soir  du  vendredi,  on 
annonçait  qu'il  y  aurait  une  affaire  à  Saint-Cloud  ;  nous 
nous  sommes  portés  jusqu'à  la  barrière  de  l'Étoile  en 
foule,  mais  individuellement,  et  il  n'y  a  rien  eu  encore; 

1.  Chez  madame  Moke,  savoir  des  nouvelles  de  sa  fiancée.  —  La 
lettre  antérieure  par  laquelle  Berlioz  dut  faire  part  à  ses  parents 
de  ce  projet  de  mariage  n'a  pas  été  retrouvée. 


104  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

les  gardes  du  corps  campés  au  bois  de  Boulogne  s'é- 
taient dispersés,  et  tout  le  monde  a  rétrogradé  sur  Paris. 

Cette  idée,  que  tant  de  braves  gens  ont  payé  de  leur 
sang  la  conquête  de  nos  libertés,  pendant  que  je  suis  du 
nombre  de  ceux  qui  n'ont  servi  à  rien,  ne  me  laisse  pas 
un  instant  de  repos.  C'est  un  supplice  nouveau,  joint  à 
tant  d'autres... 

Je  suis  bien  impatient  d'avoir  de  vos  nouvelles.  Que 
se  passe-t-il  à  Grenoble?  Ici  tout  est  calme;  l'ordre  ad- 
mirable qui  a  régné  dans  cette  révolution  magique  de 
trois  jours  se  soutient  et  s'affermit;  pas  un  vol,  pas 
un  attentat  d'aucun  genre.  C'est  un  peuple  sublime1  ! 

Adieu,  mon  cher  père, 

Votre  affectionné  fils. 


H.     BERLIOZ, 


Communiqué  par  madame  Chapot. 


XXXIV 

A    SA    SOEUB   NANCI. 

Paris,  ce  'i  août  1830. 

Ma  chère  Xanci. 
Je  viens  de  recevoir  la  lettre  et  le  billet  y  inclus,  je 
le   réponds  sur-le-champ.  Je  conçois  facilement  vos 

1.  Comparez  à  cette  description  des  journées  de  Juillet,  écrite 
pour  ainsi  dire  dans  le  feu  de  faction,  le  chapitre  XXIX  des  Mé- 
moires de  Berlioz. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  108 

alarmes.  Vous  êtes  sans  doute  instruits  aujourd'hui  de 
toute  la  vérité.  Quoiqu'elle  ait  l'air  d'un  conte  des 
mille  et  une  nuits,  elle  n'en  est  pas  moins  la  vérité. 
Tout  est  si  tranquille  à  Paris  qu'on  ne  dirait  pas  que  la 
moindre  des  choses  fût  arrivée.  Les  barricades  sont 
démolies,  on  répare  les  rues,  on  fait  des  illuminations 
qui  remplacent  les  réverbères.  Il  n'y  a  que  les  pauvres 
arbres  du  boulevard  qu'on  ne  peut  pas  replanter  et  les 
morts  qu'on  ne  peut  pas  ranimer.  Si  tu  voyais,  devant 
la  croix  noire  plantée  devant  le  Louvre  et  qui  indique 
la  grande  fosse  des  gardes  nationaux,  ces  pauvres 
femmes  qui  pleurent  sur  leur  fils,  ou  mari,  ou  père, 
ou  frère,  c'est  un  spectacle  déchirant.  Mais  l'enthou- 
siasme public  est  si  grand  !  Avant-hier,  comme  on  fai- 
sait courir  le  bruit  que  le  bon  Charles  X  faisait  le 
méchant  et  qu'il  voulait  rester  à  Rambouillet  avec  le 
petit  nombre  d'hommes  qui  lui  restait,  Lafayette  avait 
ordonné  que  dix  mille  Parisiens  se  portent  sur  Ram- 
bouillet pour  le  prendre  ;  mais  la  masse  s'est  tellement 
grossie  que,  dès  la  barrière  de  l'Étoile,  on  comptait 
déjà  plus  de  trente  mille  hommes  armés,  qui  partaient, 
les  uns  à  pied,  les  autres  à  cheval,  d'autres  en  voiture; 
on  arrêtait  tous  les  cabriolets,  diligences,  omnibus  ;  on 
faisait  descendre  ceux  qui  y  étaient,  et  les  gardes  natio- 
naux y  montaient.  Le  roi  déchu  est  aujourd'hui  en  route 
pour  Cherbourg  où  il  va  s'embarquer  pour  Londres. 

Hier  soir,  à  l'Opéra,  on  a  demandé  la  Marseillaise; 
Ad.  Nourrit  est  venu  la  chanter,  son  drapeau  à  la  main, 


106  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

avec  tout  l'appareil  des  chœurs  et  de  l'orchestre  :  on 
n'a  pas  d'idée  d'un  pareil  effet.  Immédiatement  après, 
un  billet,  jeté  sur  la  scène  et  lu  au  public  a  appris  que 
l'auteur  de  cet  hymne  sublime,  Rouget  de  Lisle,  était 
dans  la  misère  et  qu'on  proposait  une  souscription  pour 
lui.  A  l'instant,  tout  le  monde  s'est  précipité  au  foyer, 
et  une  collecte  considérable  a  été  faite  pour  le  moderne 
Tyrtée  *.  Je  ne  compte  heureusement  ni  morts  ni  bles- 
sés parmi  mes  amis,  quoique  presque  tous  se  soient 
dignement  comportés.  Un  seul  a  reçu  un  coup  de  fusil 
d'un  Suisse,  tiré  de  si  près  que  le  feu  a  pris  à  la  poche 
de  son  habit.  Il  avait  à  côté  de  lui  un  petit  garçon  ser- 
rurier, âgé  de  quatorze  à  quinze  ans,  qui  n'était  armé 
que  d'un  marteau.  Il  lui  disait  snns  cesse  :  «  Mais,  mon 
général,  foutez-en  donc  un  à  bas,  que  je  lui  prenne  son 
fusil.  »  Effectivement,  Richard  (c'est  son  nom,  il  est  le 
traducteur  des  Contes  fantastiques  d'Hoffmann 2)  abat  un 
Suisse,  et  mon  petit  drôle  ne  l'a  pas  plus  tôt  vu  tomber 
qu'il  se  précipite  sur  le  cadavre,  lui  prend  son  fusil 
encore  chargé  et  le  décharge  sur  le  reste  de  la  troupe 


1.  Cet  épisode  était  déjà  connu  par  les  biographies  de  Rougel 
de  Liste;  complétons-le  en  rappelant  que  l'auteur  de  la  Marseil- 
laise, priiMimné  au  même  moment  par  Louis- Philippe,  et  se  trou- 
vant ainsi  à  l'abri  du  besoin,  abandonna  le  produit  de  la  collecte 
aux  blessés  des  trois  journées.  (.1.  Tiersot,  Rouget  de  Lisle,  p.  284.) 

2.  Ce  Richard  88l  un  des  destinataire*  de  la  letlre  collective  du 
6  mai  1831  (Corresp.  inéd.,  75)  ;  il  j  psi  mentionné  comme  traduc- 
teur de  la  Symphonie  avec  chœur  de  Beethoven  que  la  Société  dçs 
1  1 1-  avait  donnée  pour  la  première  fois  le  27  mars  précédent. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  107 

qui  fuyait.  Au  reste,  il  va  des  milliers  de  traits  tous 
plus  extraordinaires  les  uns  que  les  autres.  Aujourd'hui, 
au  lieu  de  se  désespérer  comme  tu  fais,  il  faut  au  con- 
traire espérer  pour  notre  pays  les  plus  brillantes  des- 
tinées. 

Oui,  oui,  j'aurai  le  prix,  sois  tranquille.  M.  Lesueur 
est  dans  le  ravissement  de  ma  cantate  ;  j'ai  fait  à  point 
nommé  ce  qu'il  fallait  pour  l'Institut.  Mais  ce  prixn'aura 
de  valeur  pour  moi  qu'autant  qu'il  me  fera  obtenir 
Camille,  autrement  je  n'en  profilerai  pas.  Son  père  arrive 
ici  le  25  ou  le  26  de  ce  mois  1  ;  le  prix  sera  décerné  Te 
11.  Les  agitations  extérieures  ne  font  que  redoubler 
mon  trouble  intérieur  au  lieu  de  m'en  distraire.  Si 
j'étais  né  pour  une  vie  de  souffrances  et  d'émotions 
cruelles,  je  remplis  bien  ma  destinée. 

Alphonse  se  porte  bien;  il  a  eu  tant  de  blessés  à 
panser  1...  Mon  oncle  Félix  m'a  écrit  six  lignes  pour 
savoir  de  mes  nouvelles  ;  il  ne  me  dit  rien  des  siennes. 
J'attends  dimanche  avec  le  tourment  d'un  homme 
qui  à  chaque  seconde  recevrait  une  goutte  de  plomb 
fondu  sur  le  cœur. 

Je  pense  que  le  beau  drapeau  flotte  aujourd'hui  sur 
le  clocher  de  la  Côte  connue  dans  toute  la  France.  On 
v;1  remettre  le  buste  de  .Napoléon  sur  la  colonne  Ven- 
dôme qui  a  été  trop  longtemps  orpheline.  Tous  les 
Anglais  qui  sont  à  Paris  se  confondent  en  admiration 

1.  Cette  indication  est  la  seule  par  laquelle  nou  n.  nais- 

sance que  Camille  Moke  ait  eu  un  père.;. 


108  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 

devant  le  peuple  français  ;  plusieurs  d'entre  eux,  ainsi 
que  trois  Allemands  de  ma  connaissance,  ont  combattu 
au  siège  des  Tuileries.  Adieu,  écris-moi  vite  ce  qui  s'est 
passé  à  Grenoble  et  chez  vous.  Adieu. 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Reboul. 

a  humbert  ferrand.  23  août  1830  (Let.  int.,  76).  «J'ai 
obtenu  le  grand  prix  à  l'unanimité,  ce  qui  ne  s'est  encore 
jamais  vu.  »  Projets  d'exécutions  musicales  (Sardanapale, 
la  Tempête,  la  Symphonie  fantastique,  les  Francs-Jiujcs),  et 
d'avenir  avec  Camille. 

au  même,  octobre  1830  (id.,  78).  Il  a  écrit  la  Tempête, 
inspirée  par  Camille,  son  gracieux  Ariel:  cette  œuvre  doit  être 
exécutée  à  l'Opéra1.  Retour  mélancolique  de  sa  pensée  vers 
miss  Smithson. 


XXXV 

A    SA   SOEUR    ADÈLE 

Ce  jeudi  21  octobre  (1830). 

Ma  chère  Adèle, 
M.  Amédée  ayant  retardé  son  départ  de  quelques 
jours,  je  le  charge  d'une  troisième  lettre  pour  toi. 

1.  La  fantaisie  sur  la  Tempête,  exécutée  à  l'Opéra  le  7  novembre 
1830,  a  été  replacée  l'année  suivante  par  Berlioz  dans  Le  Retour 
à  la  vie,  et  lui  a  servi  d'envoi  de  Rome. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  109 

Je  suis  bien  fatigué  de  toutes  les  courses  que  je  suis 
obligé  de  faire  depuis  quelque  temps,  pour  mes  sollici- 
tations. Rien  n'avance  au  ministère  de  l'Intérieur  pour 
les  Beaux-Arts  ;  le  ministre  a  bien  d'autres  intérêts  en 
tête  ;  il  y  a  une  si  grande  agitation  partout  qu'on  ne 
s'occupe  que  de  politique. 

Depuis  que  j'ai  écrit  à  maman  et  à  Nanti,  j'ai  vu  le 
directeur  de  l'Opéra  qui  doit  faire  exécuter  un  grand 
morceau  de  ma  composition1.  Il  m'a  averti  ce  matin 
que  ce  serait  dimanche  prochain  ;  mais  comme  c'est 
aujourd'hui  jeudi,  je  lui  ai  fait  observer  qu'on  ne  pourrait 
monter  mon  ouvrage  en  deux  jours,  cette  précipita- 
tion en  compromettrait  l'exécution  ;  alors,  comme  de 
dimanche  en  huit  il  y  a  une  grande  revue  de  la  Garde 
nationale  qui  occupera  les  Parisiens  toute  la  journée, 
le  directeur  de  l'Opéra  a  consenti,  à  cause  de  moi,  à 
remettre  la  représentation  où  je  dois  être  exécuté  au 
dimanche  suivant  7  novembre.  C'est  une  fête  pour  ma 
chère  Camille  qui  n'a  jamais  entendu  de  ma  musique  ; 
j'espère  que  ce  sera  grandement  exécuté  ;  je  t'écrirai 
pour  te  dire  comment  cela  se  sera  passé. 

Comment  se  présente  ton  hiver?...  Toujours  aussi 
monotone,  aussi  ennuyeux  que  les  autres?...  Ta  sœur 
n'est  pas  destinée  à  t'égayer...  ton  frère  non  plus  (l'aîné 
j'entends)  ;  peut-être  les  lutineries  de  Prosper  te  font 
impatienter  quelquefois  et  servent  à  te  distraire. 

1.  La  Tempête. 


110  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

Comment  va  papa  ?. . .  Les  vendanges  ne  l'ont-elles  pas 
bien  fatigué  ?  Embrasse-le  de  ma  part,  dis-lui  mille 
choses  affectueuses  pour  moi.  Il  est  le  seul  de  la  famille 
qui  ne  reçoive  pas  de  lettre  cette  fois-ci,  je  lui  écrirai 
incessamment. 

M.  Amédée  te  remettra  un  verre  de  cristal  que  je  te 
prie  de  garder  toujours  par  amitié  pour  moi;  j'aurais 
voulu  trouver  quelque  chose  de  plus  intéressant  à 
t'envoyer,  mais  j'ai  pensé  qu'un  objet  dont  tu  te  servi- 
rais deux  fois  par  jour  me  rappellerait  plus  souvent  à 
ton  souvenir,  et  c'est  pour  cela  quejel'ai  choisi. 

Adieu,  ma  chère  Adèle. 

Je  t'embrasse  tendrement. 
Ton  affectionné  frère, 


H.  BERLIOZ. 


Communiqué  par  madame  Chapot. 


XXXVI 

A    ADOLPHE    ADAM 

[Paris],  ce  lundi  soir  [25  octobre  1830]. 


Monsieur, 
Ce  sera  avec  beaucoup  de  plaisir  que  je  vous  offrirai 
un  billet  d'Institut  si  je  puis  me  le  procurer;  je  n'ose  (| 
pas  vous  l'assurer  d'avance,  tous  ceux  que  je  possède 
étant  déjà  promis,  mais  si  vous  voulez  vous  donner  la  ' 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  Hl 

peine  de  passer  à  l'Institut  à  une  heure  et  demie  ven- 
dredi, jour  de  la  dernière  répétition,  j'espère  être  assez 
heureux  pour  vous  procurer  une  place.  Si  le  désir 
d'entendre  ma  scène  vous  fait  souhaiter  d'assister  à  la 
séance,  je  ne  puis  m'empècher  de  vous  prévenir,  mon- 
sieur, que  c'est  un  ouvrage  fort  médiocre  qui  ne  repré- 
sente pas  du  tout  ma  pensée  musicale  intime  ;  il  y  a  fort 
peu  de  choses  que  j'aime  ;  cette  partition  n'est  pas  au 
niveau  de  l'état  actuel  de  la  musique,  elle  est  pleine  de 
lieux  communs , d'instrumentations  triviales,  que  j'ai  été 
forcé  d'écrire  pour  avoir  le  prix.  Si  vous  êtes  assez  bon 
pour  vous  intéresser  à  mes  compositions,  je  vous  engage 
plutôt  à  venir  à  l'Opéra  dimanche  7  novembre,  on  y 
doit  exécuter  une  ouverture  pour  choeurs,  orchestre, 
harmonica  et  deux  pianos  à  quatre  mains,  que  j'ai  com- 
posée pour  le  drame  de  la  Tempête  de  Shakespeare  ;  j'ai 
lieu  de  croire  que  ce  sera  bien  exécuté  ;  au  moins  là  je 
parlerai  ma  langue,  je  n'aurai  pas  de  bâillons. 

Croyez,  monsieur,  au  désir  sincère  que  j'ai  de  vous 
être  agréable. 

J'ai  l'honneur  de  vous  saluer. 

Votre  dévoué  serviteur, 

HECTOR  BERLIOZ. 


Hivista  musicale  ilaliana,  1903,  p.  643.  (Da  Autografi  di 
grandi  musicisti,  Giuseppe  Roberti.i — C'est  évidemment  par 
suite  d'une  mauvaise  lecture  qu'on  a  imprimé  185:2  comme 
date  de  la  poste,  cette  lettre  se  rapportant,  sans  aucun 
doute  possible   aux  événements  d  octobre-novembre  1830. 


112  LES   ANNEES    ROMANTIQUES, 


XXXVII 


A  SON  PERE 


Paris,  dimanche  31  octobre  1830. 

Mon  cher  papa, 

C'est  hier  qu'a  eu  lieu  la  distribution  des  prix  à  l'Ins- 
titut. J'ai  reçu  le  mien  dans  le  plus  complet  isolement. 
M.  Lesueur  était  malade  au  lit  et  n'a  pu  y  assister. 
Madame  Moke  a  tenu  bon  et  n'a  pas  voulu  y  paraître. 
Je  n'avais  ni  père,  ni  mère,  ni  maître,  ni  maîtresse1, 
rien...  qu'une  foule  de  curieux  attirés  par  le  bruit 
qu'avait  fait  la  dernière  répétition  de  mon  ouvrage2. 

Voilà  le  fait.  Depuis  que  le  prix  m'a  été  décerné,  j'ai 
ajouté  un  grand  morceau  de  musique  descriptive,  pour 
l'incendie  du  palais  de  Sardanapale  ;  je  ne  craignais 
plus  les  académiciens,  et  j'ai  laissé  agir  mon  imagina- 
tion. J'ai  fait  revenir  au  milieu  du  tumulte  de  cet  incen- 
die tous  les  motifs  de  la  scène,  amoncelés  les  uns  sur 

1.  Phrase  reproduite  presque  textuellement  dans  les  Mémoires, 
\\.\.  Comparez  l'ensemble  du  chapitre  à  la  lettre  écrite  sous  le 
coup  de  l'émotion  immédiate  des  événements  :  en  des  termes  lift 
férents,  la  conformité  des  deux  récits  est  parfaite. 

2.  «  La  salle  des  séances  était  pleine  d'artistes  et  d'amateurs 
curieux  d'entendre  cette  cantate  dont  l'auteur  avait  alors  déjà  une 
fière  réputation  d'extravagance.  »  Mémoires,  loc.  cit. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  113 

les  autres  :  d'un  côté  le  chant  des  Bayadères  de  la  pre- 
mière partie  changé  (en  le  modifiant  mélodiquement) 
en  cris  d'effrois  féminins,  de  l'autre,  le  morceau  de 
fierté  dans  lequel  Sardanapale  refuse  d'abdiquer  la  cou- 
ronne ;  puis  tout  cet  effroyable  amalgame  d'accents  de 
douleur,  de  cris  de  désespoir,  ce  langage  orgueilleux 
dont  la  mort  même  ne  peut  effrayer  l'audace,  ce  bruis- 
sement des  flammes,  aboutissent  à  un  écroulement  du 
palais  qui  fait  taire  toute  les  plaintes  et  éteint  les 
flammes. 

J'ai  eu  un  succès  épouvantable.  Je  ne  puis  pas 
vous  donner  d'autre  expression. 

La  dernière  répétition  a  eu  lieu  vendredi  à  l'Institut. 
Pour  la  première  fois,  depuis  qu'on  y  donne  des  prix, 
la  salle  était  pleine  comme  aux  jours  des  séances  pu- 
bliques ;  mais  pleine  d'artistes  :  c'était  là  l'aréopage 
qu'il  me  fallait.  On  a  exécuté  deux  autres  scènes  :  celle 
de  Montfort  qui  a  obtenu  le  second  grand  prix,  et  un 
morceau  italien  d'un  lauréat  arrivant  de  Rome.  Us  ont 
été  l'un  et  l'autre  chutes  (c'est  le  terme  qui  désigne  les 
sifflets  de  bon  ton).  A  la  fin  de  la  répétition  on  a  enfin 
entendu  ma  scène.  J'avais  pris  mes  mesures  avec  l'or- 
chestre pour  ne  pas  s'arrêter  et  aller  d'un  bouta  l'autre 
sans  accroc  ;  tout  a  bien  marché,  et  à  la  fin  cet  incen- 
die a  consterné  l'auditoire;  j'ai  été  écrasé  d'applaudis- 
sements, embrassé  par  je  ne  sais  combien  de  personnes, 
porté  pour  ainsi  dire  jusque  dans  la  cour  de  l'Institut. 
enfin  abîmé  de  succès.  Et  puis  le  soir,  à  l'Opéra,  quand 


114  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES". 

je  suis  arrivé,  encore  la  même  chose...  Ce  qui  m'a  pris 
au  cœur  vraiment,  c'était  l'émotion  de  ces  vieux  gro- 
gnards de  l'orchestre  que  rien  n'émeut  d'ordinaire  et  qui 
restent  à  leur  pupittfe  comme  des  machines  sans  sensa- 
tions. Quelques-uns  sont  sortis  de  leurs  habitudes  au 
point  de  venir  me  prendre  la  main  et  me  féliciter  très 
longuement.  Puis  j'entendais  les  autres  se  dire  entre 
eux  avec  ce  sang-froid  comique  qu'ils  apportent  à  tout  : 
«  Ah  sacré  nom...  j'ai  entendu  diablement  de  musique 
depuis  vingt-cinq  ans,  mais  ça  me  confond,  je  n'ai 
jamais  rien  entendu  dans  ce  genre-là.  —  C'est  que  c'est 
une  conception  étonnante  !  »  Oh  !  mon  père ,  que 
n'étiez-vous  là  ! 

Eh  bien,  hier,  à  la  distribution  des  prix  où  j'ai  obtenu 
un  grand  succès  également,  et  à  la  proclamation  des 
noms,  et  après  et  pendant  l'exécution  de  ma  scène  (car 
on  a  interrompu  l'orchestre  au  milieu  pour  applaudir), 
croiriez-vous  que  le  malheur  a  voulu  que  le  grand  effet 
de  mon  incendie  ait  été  perdu  ?  La  fin,  l'écroulement 
du  palais,  le  bouquet  de  mon  feu  d'artifice,  une  chose 
immense,  neuve,  qui  est  à  moi,  que  j'ai  trouvée,  a  été 
manquée.  Les  instruments  qui  devaient  produire  cet 
effet  comptent  des  silences  auparavant  et  partent  en- 
suite comme  la  foudre  ;  eh  bien  non,  ils  ne  sont  pas 
partis!...  une  distraction  inconcevable,  une  terreur 
panique  1...  Et  moi  qui  étais  à  l'orchestre,  qui  leur  fais 
signe  de  partir  ;  ils  croient  que  je  me  trompe,  ils  ne 
partent  pas,  puis  la  mesure  se  passe  et  il  n'est  plus 


Les  années  romantiques.  Lis 

temps l.  Oh  !  il  n'y  a  pas  de  chose  pareille  !  Une  fureur 
à  en  mourir2!  Je  n'ai  pu  me  contenir,  j'ai  jeté  ma 
partition  à  travers  l'orchestre,  j'ai  renversé  le  pupitre 
qui  m'avoisinait,  j'aurais  tout  exterminé  si  j'avais  pu. 
On  n'en  a  pas  moins  applaudi  à  trois  reprises  à  la 
fin  (car  l'orchestre  a  continué)  ;  mais  quel  effet  en  com- 
paraison de  ce  que  j'aurais  produit  !  Figurez- vous  une 
fusée  volante,  une  bombe  lumineuse  qui  monte  en  l'air 
avec  fracas,  puis  qui  n'éclate  pas.  D'ailleurs  tout  ce 
monde  qui  était  ameuté  par  les  gens  de  la  veille  qui 
disaient  de  tous  côtés  (comme  je  l'ai  su)  :  «  Attendez, 
vous  allez  entendre  quelque  chose  d'extraordinaire  ; 
c'est  incroyable  d'illusion  ;  on  croit  voir  le  saut  du 
Kremlin.  »  M.  Rocher,  qui  y  était,  faisait  en  sortant  tout  ce 
qu'il  pouvait  pour  me  consoler  ;  il  m'assure  que  tout  a 
été  senti  et  apprécié  ;  mais,  mon  Dieu,  on  ne  peut  sentir 
ni  apprécier  ce  qu'on  n'entend  pas.  Tous  les  admira- 
teurs de  la  veille  sont  venus  à  leur  tour,  non  plus 
m'embrasser,  mais  maudire  avec  moi  la  maladresse 
des  exécutants  ;  c'était  un  concert  d'imprécations 
adressé  par  le  reste  de  l'orchestre  aux  pauvres  diables 


1.  Les  Mémoires  précisent,  disant:  i  Une  partie  décor  donnait  la 
réplique  aux  timbales,  les  timbales  la  donnaient  aux  cymbales, 
celles-ci  à  la  grosse  caisse,  et  le  premier  coup  de  grosse  caisse  ame- 
nait l'explosion  finale.  Mon  damné  cor  ne  fait  pas  sa  note,  les  tim- 
bales ne  l'entendant  pas  n'ont  garde  de  partir,  par  suite,  les  cymbales 
et  la  grosse  caisse  se  taisent  aussi  ;  rien  ne  part,  rien  !!!...  » 

2.  i  Je  crois  ne  pas  avoir  éprouvé  de  plus  .horrible  colère  dans 
toute  ma  vie.  »  Mémoires. 


116  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

qui  m'ont  joué  sans  le  vouloir  cet  abominable  tour  ; 
ils  se  sont  confondus  à  me  demander  pardon  de  leur 
manque  de  sang-froid,  mais  à  quoi  bon!  C'est  fini. 
Et  Spontini  qui  était  là,  qui  était  venu  exprès  pour 
ce  morceau  :  oh  Dieu  !  une  chose  grande  et  neuve 
que  je  lui  offrais  la  première  fois  qu'il  entendait  ma 
musique!... 

Et  ce  matin  le  Journal  du  Commerce  qui  s'amuse  à 
raconter  ma  fureur  et  qui  dit  qu'il  n'a  pas  compris 
mon  ouvrage,  sans  doute  par  sa  faute...  J'aime  beau- 
coup la  réticence.  Eh  oui,  c'est  par  sa  faute.  Je 
n'écris  pas  pour  les  marchands  de  bas  de  la  rue  Saint- 
Denis. 

Madame  Lesueur  et  ces  demoiselles,  qui  avaient  été 
terrorifiées  à  la  répétition,  se  faisaient  un  triomphe  de 
ce  morceau  pour  le  lendemain  ;  à  présent  je  ne  puis  pas 
leur  ôter  de  la  tête  que  c'est  un  coup  monté  par  Berton 
pour  m'empêcher  d'écraser  autant  ses  élèves  ;  elles  ont 
une  facilité  incroyable  à  voir  des  cabales  partout  ;  c'est 
une  folie.  Les  artistes  coupables,  au  nombre  de  quatre 
seulement,  me  sont  bien  dévoués,  et  certes  ils  se  déses- 
pèrent assez  de  leur  bévue. 

Je  n'avais  pas  l'intention  de  donner  Sardanapale  à 
mon  concert,  mais  à  présent  il  le  faut,  il  attirera  du 
monde  ;  d'ailleurs  j'aurai  mon  orchestre  géant,  au  lieu 
du  petit  orchestre  de  l'Institut,  et  l'effet  de  l'incendie 
sera  bien  autre  chose. 

A  présent  je  m'occupe  de  mon  ouverture  de  la  Tem- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  117 

pète  pour  dimanche  prochain1.  Nous  commençons  les 
répétitions  après-demain  mardi  ;  ce  n'est  pas  de  la  mu- 
sique d'Institut  ;  il  faut  voir  ce  que  le  public  de  l'Opéra 
va  comprendre  à  cela.  Spontini  veut  assister  à  toutes  les 
répétitions;  il  m'a  donné  rendez-vous  pour  demain, 
nous  passerons  une  partie  de  la  journée  ensemble  ;  il 
veut  étudier  ma  partition  avec  moi.  Je  n'ai  pu  lui 
parler  hier  ;  il  croit  peut-être  que  mon  incendie  n'est 
pas  autre  chose  que  ce  qu'il  a  entendu  !... 

Oh  !  malédiction  !  je  ne  puis  en  prendre  mon 
parti. 

Je  tâcherai  de  donner  mon  concert  le  21  novembre, 
si  je  puis  avoir  la  salle.  Je  donnerai  encore  une  fois 
l'ouverture  des  Francs-Juges,  puis  quelques  mélodies 
de  Moore  en  chœur,  Sardanapale  et  la  Symphonie  fan- 
tastique. Habeneck  conduira  mon  orchestre,  il  se  met 
déjà  en  mouvement  pour  conduire  l'ouverture  de  la 
Tempête  à  l'Opéra;  toute  l'administration,  les  chœurs, 
l'orchestre,  les  répétiteurs  sont  à  mes  ordres.  Il  me  faut 
quatre  pianistes  qui  ne  sont  pas  à  l'Opéra  ;  je  les  ai  déjà  ; 
puis  cinq  instruments  de  cuivre  qui  manquent  à  l'or- 
chestre, je  les  aurai. 

Voilà  que  je  commence  à  éclater.  Soyez  tranquille, 
mon  père,  j'espère  qu'un  jour  on  pourra  me  dire  comme 
Napoléon  disait  à  Goethe  :  a  Vous  êtes  un  homme.  » 

Je  vous  embrasse  tous. 

1.  Sur  cette  audition,  voir  Mémoires,  XXVII. 


118  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES. 

A  lundi  prochain  autre  bulletin1. 

Adieu,  mon  cher  papa.  Votre  affectionné  fils. 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

11  est  vraisemblable  que  c'est  vers  cette  époque  que  le 
père  de  Berlioz  écrivit  à  Lesueur  une  lettre  dont  un  cata- 
logue d'autographes  (Charavay),  et,  d'après  lui,  M.  J.-G. 
Prod'homme  (Rivista  musicale  italiana,  1905)  reproduisent 
l'extrait  suivant  : 

«  Si  mon  fils  atteint  à  quelque  célébrité,  si  déjà  il  se 
trouve  sur  le  seuil  du  temple  de  la  gloire  et  de  la  for- 
tune, c'est  à  vos  conseils  affectueux,  c'est  à  vos  savantes 
leçons,  c'est  à  vous,  son  maître  et  son  ami  qu'il  le  doit.  » 

a  humberi  ferrand,  19  novembre  1830  [Let.  inl.,  82). 
On  commence  les  répétitions  du  concert  du  o  décembre  où 
doit  avoir  lieu  la  première  audition  de  la  Symphonie  fautas 
tique.  La  Tempête  a  été  exécutée  à  l'Opéra  (le  7  novembre). 


XXXVIII 

A    SON    PÈRE 

Lundi  6  décembre  (1830). 

Mon  cher  papa, 
Je  n'ai  le  temps  de  vous  écrire  que  six  lignes  ;  mon 
concert  a  eu  lieu  hier  avec  un  succès  extraordinaire.  La 


1.  Ce  a  bulletin  »,  qui  devait  contenir  le   récit  de  l'exécution  de 
li  Tempête,  ù  t'Opéra;  a'à  pas  été  retrouvé. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES,  H9 

Symphonie  fantastique  a  été  accueillie  avec  des  cris,  des 
trépignements  ;  le  public  a  redemandé  la  Marche  du 
Supplice  ;  mais  comme  il  était  très  tard  et  que  le  Songe 
d'une  nuit  du  Sabbat  est  un  long  morceau,  Habeneck  n'a 
pas  voulu  recommencer  ;  on  a  fait  observer  que  ce  serait 
trop,  et  on  n'a  pas  insisté. 

Camille  et  sa  mère  y  étaient,  elles  mouraient  de  peur 
de  ce  que  madame  Moke  appelait  mon  extravagant  pro- 
gramme; elles  ont  été. consternées  d'émotion.  Camille 
me  disait  hier  soir  :  «  Non,  jamais  je  n'aurais  supposé 
qu'un  orchestre  pût  faire  entendre  de  pareils  effets.  Oh  ! 
comme  je  déteste  ma  musique  de  piano  à  présent  ; 
comme  c'est  pauvre  et  mesquin  I  » 

Madame  Moke  était  dans  un  transport  incroyable. 

Pixis1,  Spontini,  Meyerbeer,  Fétis2  ont  applaudi  comme 
des  furieux,  et  Spontini  s'est  écrié  en  entendant  ma 
Marche  du  supplice  :  <r  Il  n'y  a  jamais  eu  qu'un  homme 
capable  de  faire  un  pareil  morceau,  c'est  Beethoven  ; 
c'est  prodigieux  !  » 

Pixis  m'a  embrassé,  et  plus  de  cinquante  autres.  C'é- 
tait une  fureur.  Liszt3,  le  célèbre  pianiste,  m'a  pour  ainsi 
dire  emmené  de  force  diner  chez  lui  en  m'accablant  de 
tout  ce  que  l'enthousiasme  a  de  plus  énergique.  Ce 
pauvre  M.  Lesueur  était  encore  malade,  il  n'a  pu  y  venir, 
mais  ces  dames  y  étaient  :  elles  sont  ravies. 

1.  Johann-Peter  Pixis,  pianiste  et  compositeur  allemand. 

2.  Qui  depuis... 

3.  Première  entrevue  de  Berlioz  et  de  Liszt. 


120  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

On  me  tourmente  pour  redonner  dimanche  prochain 
un  second  concert  avec  encore  l'ouverture  et  la  sym- 
phonie. Je  vais  voir  si  Chérubini  veut  me  prêter  encore 
la  salle,  si  madame  Malibran  veut  chanter,  si  Bériot 
veut  me  jouer  un  solo  de  violon,  et  je  conduirai  moi- 
même  l'orchestre:  je  crois  que  nous  ferons  de  l'argent1. 
Cette  fois  ce  ne  sera  pas  au  bénéfice  des  blessés. 

Adieu,  mon  cher  papa. 

Je  vous  embrasse  fort  et  maman  aussi. 

H.    D. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  humbert  ferrand,  7  décembre  1830  (Let.  int.,  84). 
Bulletin  sommaire  de  la  victoire  du  o. 

au  même,  12  décembre  1830  (id.).  Il  va  partir  pour  Rome. 
Son  mariage  avec  Camille  Moke  est  arrêté  pour  Pâques  1832. 
Spontini  lui  a  fait  hommage  de  sa  partition  d'Olympie.  avec 
une  dédicace  affectueuse2. 


1.  Cette  seconde  audition  n'eut  pas  lieu. 

2.  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  possède  aujourd'hui  cette 
partition.  Les  héritiers  de  Berlioz  conservent  en  outre  un  portrait 
de  Spontini,  offert  à  la  même  époque,  et  portant  une  dédicace 
.utographe  ainsi  libellée  : 

a  Saluez  pour  moi  ma  patrie  chérie,  mon  cher  Berlioz.  Parlez- 
lui  un  peu  de  son  fils  reconnaissant.  Spontini,  » 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  121 


XXXIX 

A   ROUGET   DE   LISLE 

Paris,  29  décembre  1830. 
Monsieur, 

Je  reçois  votre  lettre  à  l'instant  et  je  pars  dans  quel- 
ques heures.  Je  suis  forcé  de  faire  un  voyage  en  Italie 
pour  ne  pas  perdre  la  pension  qui  est  attachée  au  grand 
prix  de  l'Institut;  je  serai  donc  privé  jusqu'à  mon  retour 
de  l'honneur  de  vous  voir.  Je  suis  bien  peiné  de  cette 
circonstance  fâcheuse  ;  un  de  mes  rêves  d'enthousiasme 
a  toujours  été  de  connaître  personnellement  l'auteur  de 
la  Marseillaise  et  l'occasion  qu'il  veut  bien  m'en  offrir 
lui-même  serait  saisie  par  moi  avec  le  plus  vif  empres- 
sement sans  ce  fatal  voyage.  Je  ne  puis  que  maudire 
plus  amèrement  le  despotisme  de  routine  qui  m'exile  de 
France  au  moment  où  ma  présence  à  Paris  pourrait 
m'être  avantageuse  et  vous  remercier,  monsieur,  de  la 
lettre  flatteuse  dont  vous  avez  bien  voulu  m'honorer. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  votre  dévoué  servi- 
teur et  admirateur  sincère. 

HECTOR   BERLIOZ. 
Communiqué  par  M.Dieterlen  (Collection  Alfred  Bovet). 


122  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Rouget  de  Lisle  avait  écrit  à  Berlioz  (lettre  datée  de 
Choisy-le-Roi,  20  décembre  1830,  insérée  au  chapitre  xxix 
des  Mémoires),  demandant  un  rendez -vous  pour  lui  faire 
a  une  et  peut-être  deux  propositions  »,  c'est-à-dire  pour 
lui  offrir  des  poèmes  d'opéras  à  mettre  en  musique. 
(J.  Tiersot,  Rouget  de  Lisle,  son  œuvre,  sa  vie,  pp.  277  et 
suiv.). 


CHAPITRE  II 

VOYAGE    EN    ITALIE 


Berlioz  partit  de  Paris  pour  se  rendre  à  Rome,  confor- 
mément au  règlement  de  l'Institut,  à  la  fin  de  décembre 

1830  (le  29  ou  le  30,  d'après  la  lettre  précédente).  Il  s'en 
fut  d'abord  passer  quelques  semaines  dans  sa  famille,  à 
la  Côte-Saint- André,  ou  il  arriva  le  3  janvier.  Les  lettres 
qu'il  écrivit  à  ses  amis  pendant  ce  séjour  en  Dauphine 
exhalent  abondamment  le  désespoir  causé  par  sa  sépara- 
tion d'avec  Camille  Moke,  avec  laquelle  il  avait,  avant  le 
départ,  échangé  l'anneau  de  fiançailles,  et  dont  la  mère 
l'appelait  «  mon  gendre  » . 

a  humbert  ferrand,  La  Côte-Saint-André,  G  janvier 

1831  (Let.  irit.,  86).  Il  est  chez  son  père  depuis  lundi.  «  Je 
ne  puis  me  remettre  de  la  déchirante  séparation  qu'il  m'a 
fallu  subir...  0  ma  pauvre  Camille,  mon  ange  protecteur, 
mon  bon  Ariel.  ne  plus  te  voir  de  huit  ou  dix  mois!...  » 

a  Ferdinand   hii.ler.  La  Gôte-Saint-Andre,  9  janvier 


124  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

1831  (Cor.  inéd.,  69).  «  Je  suis  depuis  huit  jours  chez  mon 
père,  environné  de  soins  affectueux  et  tendres  par  mes  pa- 
rents et  mes  amis...  mais  mon  cœur  a  tant  de  peine  à  bat- 
tre, je  suis  si  oppressé...  Mes  parents  conçoivent  ma  tristesse 
et  me  la  pardonnent.  » 

a  HUMBERT  ferrand,  Grenoble.  17  janvier  1831  (Let. 
int.,  87).  Il  1  invite  à  venir  le  voir  avant  son  départ  pour 
l'Italie. 

a  Ferdinand  HiLLER,La  Côte-Saint-André,  23  janvier 
1S31  (Corresp.  inéd.,  71).  Il  a  reçu  une  lettre  double  de  ma- 
dame et  mademoiselle  Moke,  qui  a  calmé  sa  tristesse.  Mais 
pourquoi  Hiller  est-il  venu  troubler  sa  tranquillité  en  lui 
écrivant  qu'il  se  plaît  «  dans  un  désespoir  dont  personne 
ne  lui  sait  gré,  personne  moins  que  les  gens  pour  qui  il  se 
désespère?  » 

Ferdinand  Hiller.  que  Berlioz  avait  supplanté  l'année  pré- 
cédente dans  les  bonnes  grâces  de  Camille  Muke,  ne  s'était  pas 
éloigné,  et  observait,  non  sans  ironie,  la  tournure  qu'allaient 
prendre  des  événements  passionnels  auxquels  il  s'était  trouvé 
mêle  de  près.  Ses  lettres  tâchent  de  familiariser  Berlioz  avec 
la  perspective  d'une  rupture  qu'il  avait  facilement  jugée 
inévitable  et  immédiate.  Mais  lui  s'obstine  à  ne  vouloir  rien 
entendre: 

a  Ferdinand  hiller.  La  Côte-Saint-André,  31  jan- 
vier 1831  (Corresp.  inéd.,  73).  «  Je  vous  supplie  de  me  dire  ce 
que  vous  entendez  par  cette  phrase  de  votre  dernière  lettre  : 
«  Vous  voulez  faire  un  sacrifice;  il  y  a  longtemps  que  j'en 
»  crains  un  que,  malheureusement,  j'ai  bien  des  raisons  à 
s  croire  que  vous  ferez  un  jour.  »  Je  vous  en  conjure,  ne  par- 
lez jamais  à  mots  couverts,  surtout  quand  il  s'agit  d'elle. 
Cela  me  torture.  » 

a  humbert  ferrand,  Lyon,  9  février  1831.  11  est  en 
route  pour  Marseille. 


LES  ANNÉES  ROMANTIQUES.        125 


A  THOMAS  GOUNET 

Lyon,  ce  9  février  (1831). 

Mon  cher  Goimet, 

Je  comptais  vous  donner  des  nouvelles  de  Ferrand, 
mais  après  m'avoir  fait  attendre  pendant  trois  semaines, 
et  laissé  trois  lettres  sans  réponse,  suivant  son  habitude, 
il  a  fini  par  m'écrire  qu'il  ne  pouvait  pas  venir  à  la 
Côte,  en  m'engageanl  à  aller  à  Belley.  Ce  voyage  m'au- 
rait fort  intéressé  à  cause  de  lui,  mais  ses  parents  sont 
de  si  étranges  personnages,  que  je  me  suis  retenu  de  ce 
côté  et  cédant  à  la  force  qui  me  pousse  en  Italie,  je 
pars  ce  soir. 

Te  saurai  au  moins  dans  dix  jours  la  durée  de  mon 
infernal  exil.  Oh  1  mon  cher  Gounet,  je  suis  bien  mal- 
heureux ;  rien,  je  vous  assure,  ne  peut  donner  une  idée 
de  ce  que  je  souffre. 

Et  vous,  que  devenez-vous?  Ne  vous  guérissez-vous 
pas  ?  Je  pense  bien  souvent  à  vous  et  je  me  figure  que 
vous  êtes  triste  ;  écrivez-moi  quelquefois  à  Rome,  Villa 
Médici. 

Veuillez  avoir  la  bonté  de  porter  le  billet  de  vingt 
francs  ci-inclus  à  mon  imprimeur,  madame  Michel,  rue 


1-26  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Montmartre.  On  vous  donnera  l'adresse  chez  Schlesin- 
ger;  je  lui  dois  soixante-deux  francs:  dites-lui,  je  vous 
prie,  que  je  suis  en  Italie  pour  quelques  mois  et  que  je 
pense  lui  envoyer  le  reste  avant  mon  retour. 

Schlesinger  m'a  payé  sept  exemplaires  sur  huit  des 
mélodies1;  j'en  avais  placé  un  chez  une  élève,  je  vous 
en  dois  donc  quatre  à  cinq  francs  ;  ainsi  marquez  sur 
votre  compte  des  mélodies  que  je  vous  dois  vingt  francs, 
car  tout  cela  s'embrouillerait  dans  ma  tète.  Je  ne  sais 
pas  encore  ce  que  je  toucherai  à  Home  de  ma  pension. 

Adieu,  mon  cherGounet,  mille  amitiés,  je  vous  prie, 
à  Auguste. 

Votre  sincère  ami. 

h  .   P.  e  p.  1. 1  (  i  / . 

Lettres  à  Goùnet. 


II 


A    SA    SŒUR    ADELE 

Marseille,  dimanche  (12  février  1831  . 

Ma  chère  Adèle, 
Je  n'ai  pas  écrit  à  maman  de  Bclley  comme  nous  en 
étions  convenus  parce  que  je  n'y  suis  pas  allé.  J'avais 

1.  Les  Mélodies  Irlandaises,  que  les  deux  amis  et  collaborateurs 
avaient  publiées  à  frais  communs. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  127 

pourtant  un  bien  vif  désii*  oV  voir  F^rrand  ;  j'avais  même 
retenu  ma  place,  mais  l'impatience  de  partir  est  deve- 
nue si  grande,  le  tourment  de  l'absence  si  cruel,  que 
pour  l'abréger  de  quelques  jours  je  suis  parti  le  lende- 
main de  mon  arrivée  à  Lyon.  Le  bateau  à  vapeur  devant 
demeurer  plus  longtemps  en  roule  qu'à  l'ordinaire  à 
cause  de  son  séjour  de  nuit  à  Valence  et  à  Avignon,  j'ai 
préféré  prendre  les  diligences  qui  nous  ont  fait  languir 
en  route  quatre  jours. 

Je  partirai  demain  soir  si  le  capitaine  tient  parole, 
car  ils  sont  fort  sujets  à  caution.  Je  ne  vais  que  jusqu'à 
Livourne,  de  là  j'irai  à  Rome  par  terre  ou  par  mer  faci- 
lement. J'ai  fait  une  petite  course  en  mer  ce  matin,  je 
suis  fort  curieux  d'en  entreprendre  une  plus  grande; 
c'est  un  monstre  sublime  que  cette  mer,  j'étais  ravi  de 
la  voir  venir  lécher  mes  pieds  sur  le  rivage  et  les  cou- 
vrir de  son  écume  en  rugissant  comme  une  bête  furieuse. 
Ce  sera  beau  au  large. 

J'ai  trouvé  ici  beaucoup  de  connaissances  du  Conser- 
vatoire de  Paris,  on  m'a  tout  de  suite  donné  mes  entrées 
au  grand  théâtre,  sans  quoi  je  n'aurais  su  que  devenir 
le  soir;  j'ai  été  reconnu  par  quelques  musiciens  de  l'or- 
chestre de  mon  dernier  concert,  ma  musique  avait  fait 
bruit  ici;  on  m'a  fait  beaucoup  de  fêtes;  c'est  vraiment 
une  rencontre  singulière. 

Marseille  est  superbe;  sans  le  tumulte  affreux  de  mes 
pensées  je  l'aurais  admirée. 

Adieu,  ma  chère  sœur,  j'écrirai  aussitôt  après  mon 


128  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

arrivée  à  Rome  :  les  vents  peuvent  la  retarder,  ainsi  ne 
soyez  pas  inquiets. 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


III 


A    SON   PERE 

Florence,  2  mars  1831. 

Je  n'attends  pas  le  terme  de  mon  voyage,  mon  cher 
papa,  pour  vous  en  donner  des  nouvelles.  Comme  je  le 
craignais,  notre  capitaine  n'est  parti  de  Marseille 
que  deux  jours  après  celui  qu'il  avait  indiqué  ;  après 
avoir  enfin  mis  à  la  voile,  le  brick  sarde,  sur  lequel  je 
me  trouvais  avec  une  dizaine  d'Italiens  parlant  tous 
français,  a  demeuré  toute  une  journée  en  panne,  faute 
de  vent  ;  puis  nous  avons  cheminé  tout  doucement 
pendant  huit  ou  neuf  heures  et  le  calme  plat  est  revenu 
nous  assommer  :  nous  en  devions  être  vigoureusement 
dédommagés.  Quoi  qu'il  en  soit,  pour  une  traversée  de 
Marseille  à  Livourne  on  demeure  quatre  ou  cinq  jours 
avec  le  plus  médiocre  temps  et  nous  en  avons  mis  onze, 
tantôt  à  cause  du  calme,  tantôt  ci  cause  du  vent  contraire. 
Arrivés  dans  le  golfe  de  Gènes,  nous  avons  été  assaillis 
par  un  vent  furieux  venant  des  montagnes  neigeuses 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  129 

qui  bordent  la  terre,  nous  mourions  de  froid  ;  toutefois, 
le  vaisseau,  que  le  vent  prenait  par  travers,  cinglait 
assez  bien  pour  notre  impatience  ;  notre  capitaine,  bon 
homme  qui  n'est  pas  fort  dans  sa  partie,  avait  fait 
meltre  hors  toutes  les  voiles,  ce  qui  offrait  au  vent  une 
telle  prise  que  le  bâtiment  cheminait  horriblement 
penché  d'un  côté,  et  nous  inquiétait  tous  fort.  Nous 
avions  à  bord  un  jeune  capitaine  de  corsaire  vénitien, 
fort  instruit  dans  son  art,  qui,  voyant  la  tourmente 
redoubler,  ne  cessait  de  nous  dire  :  «  Cet  imbécile  va 
nous  faire  couler  à  fond,  avec  toutes  ces  voiles.  »  Toute- 
fois, nous  en  étions  quittes  pour  voir  les  lames  se  briser 
sur  le  pont,  l'inonder  et  repartir  ;  mais  la  nuit  suivante, 
la  tempête  a  redoublé,  et  comme  je  m'amusais  dans  la 
chambre  à  voir  les  contorsions  des  passagers  qui  vou- 
laient sortir  pour  vomir  et  se  ruaient  les  uns  sur  les 
autres  (je  n'ai  pas  le  mal  de  mer)  j'entendis  notre  cor- 
saire crier  aux  matelots  :  «  Corragio,  corpo  dl  dio,  e 
mente  ».  Je  compris  de  suite  que  c'était  beaucoup,  et 
j'avoue  que  le  cœur  commença  à  me  battre  d'une  hor- 
rible manière  en  voyant  la  fureur  de  ce  vent  de  travers 
donnant  dans  ces  quatorze  voiles  étendues  ;  au  bout 
d'un  instant,  les  matelots  désespérés  commencèrent  à 
murmurer  :  «  Eh!  santa  Madona,  e  tutto  perduto!  » 
Notre  vieux  capitaine  ne  bougeait  toujours  pas  et  ne  disait 
mot,  quand  l'autre  s'écrie  en  italien  :  «  Il  ne  s'agit  pas  de  la 
Madona,  sacredieu,  carguez  les  voiles  ou  nous  sombrons 
dans  une  minute  !  »  Alors  quelques  autres  passagers  qui 


130  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

étaient  avec  moi  sur  le  pont,  nous  cramponnant  comme 
nous  le  pouvions  aux  agrès  (car  il  était  impossible  de 
se  tenir  debout  tellement  le  plan  était  incliné),  s'écriè- 
rent à  la  fois  :  «  Capitaine  Jermann,  prenez  le  comman- 
dement ;  vous  voyez  bien  que  ce  vieil  imbécile  perd 
la  tête.  — Presto,  presto  al  perrocJtetto  tutti.'».  Il  était 
temps  :  tous  ces  matelots,  jeunes  et  vieux,  se  précipitent 
sur  le  grand  mât,  et,  pendant  qu'ils  montaient,  un  der- 
nier effort  du  vent  nous  donne  une  telle  secousse  que 
tous  les  meubles,  ustensiles,  malles,  etc...  qui  étaient 
dans  l'intérieur  s'écroulent  avec  un  horrible  fracas  ;  sur 
le  pont,  les  tonneaux  tombent  et  roulent  les  uns  sur  les 
autres,  l'eau  entre  par  les  écoutilles,  par  tout,  le  vais- 
seau craque  comme  une  vieille  coquille  de  noix,  el 
nous  nous  croyons  tous  au  dernier  moment.  Cepen- 
dant l'oscillation  du  vaisseau  ayant  eu  lieu  néanmoins, 
pendant  qu'il  revenait  sur  lui-même,  nos  intrépides 
matelots  sont  parvenus  à  plier  la  plus  grande  voile, 
et,  le  vent  reprenant  haleine  dans  ce  moment-là,  nous 
nous  sommes  un  peu  relevés;  enfin,  en  deux  minutes, 
douze  voiles  ont  été  carguées  et  le  vent  sifflant  dans 
les  cordages  a  cessé  de  nous  épouvanter.  Puis  après 
l'eau  intérieure,  les  pompes!...  le  feu  dans  un  ballot 
de  laine  !..  j'enfer  n'est  pas  pire  qu'un  pareil  momcnl. 
Pour,  moi  je  m'étais  précautionné  contre  une  agonie 
inutile,  et  pour  ni'cmpècher  de  nager  je  m'étais  entor- 
tillé les  bras  dans  mon  manteau  de  manière  à  aller  au 
loin!  comme  un  sac  tje  plomb.  Je  suis  bien  aise  à  pré- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  131 

Iseut  d'avoir  subi  cette  épreuve  et  vu  par  moi-même 
frque  la  mort   est  plus  laide  de  loin  que  de  près.   La 
vérité  est  que,  dans  le  commencement  de  cette  tempête 
nocturne,  j'aurais  fait  de  vains  efforts  pour  ne  pas  trem- 
bler; mais  quand  j'ai  cru  que  tout  était  fini  pour  nous, 
quand  j'ai  vu  cette  mer  furieuse  venir  nous  blanchir  de 
i  son  écume,  comme  les  boas  d'Amérique  qui  couvrent 
:  de  leur  bave  leur  victime  avant  de  la  dévorer,  je  n'ai 
plus  regardé  tout  qu'avec  une  étrange  indifférence  ;  je 
!  pensais  au  lendemain,  il  me  semblait  que  ces  vallées 
blanches,  que  je  voyais  écumer  devant  moi.  allaient  me 
bercer  et  m'endormir  sans  douleur. 

Arrivés  à  Livourne,  nous  nous  sommes  logés  six 
I  ensemble  dans  le  même  hôtel.  Le  lendemain  matin 
:  nous  avons  reçu  la  visite  de  nos  braves  matelots  qui 
I  venaient  se  féliciter  avec  nous  d'avoir  échappé  à  la  mer  et 
nous  souhaiter  bon  voyage  ;  nous  avons  voulu  leur  donner 
de  l'argent  qu'ils  ont  refusé  en  disant  «  qu'ils  ne  voulaient 
pas  nous  laisser  croire  que  leur  visite  avait  un  but 
inléressé  «.Pauvre  espèce  humaine;  faire  un  pareil 
métier!  passer  sa  vie  dans  une  prison  de  planches, 
monter  dans  la  nuit,  au  milieu  de  la  fureur  des  élé- 
ments déchaînés,  sur  des  mâts  chancelants,  s'accrocher 
à  des  vergues  au-dessus  de  l'abîme  comme  des  arai- 
gnées pendues  à  leurs  toiles,  et  le  tout  pour  manger  du 
biscuit  dur  comme  du  bois,  assaisonné  de  morue  crue 
et  d'un  peu  de  vin.  Comme  je  leur  en  parlais  (car  ils 
parlaient  tous  français):      Qfue  voulez-vous  que  qous 


132  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

fassions?..  Ça  vaut  encore  mieux  que  d'être  brigand  en 
Calabre,  ou  de  mourir  de  faim.  » 

Depuis  que  je  suis  à  terre,  je  suis,  et  je  puis  dire  : 
nous  sommes  harcelés  par  la  police  ;  on  visite  les  effets 
en  entrant  et  en  sortant  ;  il  faut  cinquante  formalités 
pour  pouvoir  séjourner  dans  une  ville.  Arrivés  ici,  mes 
compagnons  de  voyage  m'ont  quitté.  Je  suis  demeuré 
dans  la  plus  grande  indécision  ;  la  révolution  italienne 
se  répand  comme  un  torrent;  le  Nonce  du  Pape1  refu- 
sait de  viser  mon  passeport  pour  Rome  ;  j'ai  écrit  tout 
de  suite  à  l'Académie  de  France,  et  Vernet 2  m'a  fait 
répondre  qu'il  avait  pris  ses  mesures  pour  assurer  mon 
entrée,  et  m'a  envoyé  un  bon  de  i"o  francs  à  toucher  à 
Florence  pour  mon  mois  de  février.  En  attendant,  tous 
les  Français  se  sauvent  de  Rome,  et  il  faut  que  j'aille 
me  fourrer  dans  ce  guêpier,  parce  que  quarante  rado- 
teurs, grands  prêtres  de  la  routine,  ont  décidé  que  je  ne 
serais  habile  qu'en  sortant  de  ce  cloaque  musical. 

J'ai  vu  ici  un  opéra  nouveau  du  jeune  Bellini  sur 
Roméo  et  Juliette;  ignoble,  ridicule,  impuissant,  nul; 
ce  petit  sot  n'a  pas  eu  peur  que  l'ombre  de  Shakespeare 
De  vint  le  fatiguer  pendant  son  sommeil  :  il  le  mérite- 
rait bien.  Et  on  met  sur  l'affiche:  //  célèbre  Maestro 

1.  Grégoire  XVI,  dont  le  pontificat  fut  troublé  par  des  insurrec- 
tions, l'intervention  de  l'Autriche,  l'occupation  d'Àncône  par  les 
Français. 

2.  Horace  Vernet,  alors  directeur  de  l'Académie  de  France  à 
Rome.  Les  lettres  suivantes  le  désigneront  fréquemment  par  son 
prénom  :  «  M.  Horace  ». 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  133 

Bellini!  Il  faut  pourtant  rendre  justice  aux  Florentins: 
s'était  la  premier  e  représentation,  et  ils  ont  été  d'un  froid 
admirable  ;  pas  un  applaudissement.  Le  grand  duc  y 
était  ;il  paraît  très  aimé,  on  l'a  salué  de  plusieurs  accla- 
mations très  vives. 

J'ai  retrouvé  ici  un  jeune  architecte  danois  que 
j'avais  vu  à  Paris.  Un  Danois!..  C'est  une  idée  shakes- 
pearienne qui  se  réveille  ;  nous  avons  parlé  d'Elseneur 
et  du  château  de  Hamlet. . .  Oh  !  Hamlet  !  J'ai  beau  être  en 
Italie,  mon  ciel  est  sombre  et  nébuleux  ;  ma  vie  est  à 
Paris  et  je  souffre  ce  que  rien  ne  peut  exprimer  ;  il  n'y 
a  pas  un  instant,  non  pas  un  seul,  nuit  et  jour,  où  je 
puisse  mettre  la  main  sur  mon  cœur  et  dire  :  «  Je  suis 
bien  aise  que  tu  battes  encore.  »  Je  regrette  l'eau  salée. 
Je  n'ai  d'occasion  pour  Rome  que  dans  trois  jours  ;  je 
brûle  de  savoir  combien  de  temps  Vernet  compte  me 
retenir  absent.  Et  point  de  lettre  de  Camille!.,  s'il  y  en 
avait  eu  à  Rome  on  me  les  aurait  envoyées,  je  l'avais 
dit. 

Mon  adresse  est  : 

Pensionnaire  de  l'Académie  de  France,  villa  Medici, 
Ronia. 

Je  crois  qu'il  faut  affranchir  jusqu'à  la  frontière. 

Adieu,  mon  cher  papa,  donnez-moi  au  plus  tôt  de  vos 
nouvelles  ;  je  vous  embrasse  tous. 

h.  b  . 

Communùiuc  par  madame  Chapot. 


134  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 

Berlioz  acheva  son  voyage  et  arriva  à  Rome  dans  le  cou- 
rant de  mars.  Mais  il  en  repartit  bientùt,  dévoré  d'inquié- 
ude  de  ne    recevoir   aucune    nouvelle    de  sa  fiancée.  Il 
revint  à  Florence  où  il  séjourna  pendant  quelques  jours. 

a  humbert  ferrand,  Florence,  12  avril  1831  {Let. 
int.,  89).  «  Je  suis  parti  de  Rome  pour  retourner  en  France, 
abandonnant  ma  pension  tout  entière,  parce  que  je  ne 
recevais  point  de  lettres  de  Camille.  »  L'ensemble  de  cette 
lettre,  qui  est  fort  longue,  est  d*un  délire  romantique  très 
caractérisé. 

La  lettre  attendue  arriva  enfin  :  elle  n'était  pas  de 
Camille,  mais  de  sa  mère,  et  signifiait  à  Berlioz  son  congé, 
lui  annonçant  le  mariage  de  la  belle  avec  le  facteur  de 
pianos  Pleyel.  A  cette  nouvelle.  Berlioz  rêva  une  vengeance 
éclatante,  qui  devait  se  terminer  par  le  suicide.  Il  partit. 
A  Gènes,  il  se  jeta  à  la  mer.  Il  se  ressaisit  pourtant,  et, 
pendant  une  balte  dans  un  village  proebe  de  la  frontière,  il 
écrivit  en  ces  termes  au  directeur  de  l'Académie  : 


IV 


A    HORACE    VERNET 

Diano  Marina,  18  avril  1831. 

.Monsieur. 

.le  vous  écris  précipitamment...   Un   crime  hideux, 

un  abus  de  confiance  dont  j'ai  été  pris  pour  victime, 

m'a  fait  délirer  de  rage  depuis  Florence  jusqu'ici.   Je 

volais  en    Fiance    pour  tirer   la   plus  juste  et  la   plus 


IfES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  135 

terrible  lies  vengeances;  à  Gênes,  un  instant  de  ver- 
tige, la  plus  inconcevable  faiblesse  a  brisé  ma  volonté, 
je  me  suis  abandonné  au  désespoir  d'un  enfant  ;  mais 
enfin  j'en  ai  été  quitte  pour  boire  l'eau  salée,  être 
barponné  comme  un  saumon,  demeurer  un  quart 
d'heure  étendu  mort  au  soleil  et  avoir  des  vomisse- 
.ments  violents  pendant  une  heure.  Je  ne  sais  qui  m'a 
retiré  ;  on  m'a  cru  tombé  par  accident  des  remparts 
de  la  ville.  Mais  enfin  je  vis,  je  dois  vivre  pour  deux 
sœurs  dont  j'aurais  causé  la  mort  par  la  mienne,  et 
vivre  pour  mon  art. 

Quoique  je  tremble  encore  comme  l'entrepont  d'un 
vaisseau  faisant  feu  de  bâbord  et  de  tribord,  je  viens 
m'engager  sur  l'honneur  devant  vous  à  ne  pas  quitter 
l'Italie;  c'est  le  seul  moyen  de  m'empêcher  d'accomplir 
mon  projet. 

J'espère  que  vous  n'aurez  pas  encore  écrit  en  France 
et  que  je  n'aurai  pas  perdu  ma  pension. 

Adieu,  monsieur. 

La  lutte  entre  la  vie  et  la  mort  est  encore  terrible  ; 
I  mais  je  resterai  debout  ;  je  vous  l'ai  juré  sur  l'honneur. 

H.    RERLIOZ. 

Veuillez  me  répondre  à  Xice  un  mot  seulement  pour 
ni'instruire  sur  le  sort  de  ma  pension. 

Les  Contemporains  :  berlioz,  par  Eugène  de  Mirecourt. 
'  4856,  pp.  45,  46;  complété  d'ap.  Ad.  Boschot.  La  Jeunesse 
d'un  romantique,  1906,  pp.  508-509. 

A    GOUNET,    GIRARD,    HILLER.    DES M ARE ST,    RICHARD. 


436  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

sichel,  Nice,  le  6  mai  1831  (Corresp.  inéd.,  75).  «  D'abord, 
je  vous  embrasse  tous...  Je  suis  sauvé,  je  commence  à 
m'apercevoir  que  je  renais  meilleur  que  je  n'étais,  je  n'ai 
même  plus  de  rage  dans  l'âme.  »  Récit  des  événements  des 
trois  derniers  mois  :  voyage  en  mer  ;  arrivée  à  Rome  ; 
situation  politique  ;  Horace  et  Carie  Vernet  ;  Mendelssohn  ; 
retour  et  séjour  à  Florence  ;  enfin  l'équipée  qui  l'a  ramené 
à  Nice. 

a  humbert  ferrand,  Nice,  10  ou  11  mai  1831  {Let. 
int.,  98).  Récit  sommaire  des  derniers  événements:  «  Oui, 
Camille  est  mariée  avec  Pleyel...  J'apprends  par  là  à 
connaître  le  danger  auquel  je  viens  d'échapper.  »  Il  vient 
d'achever  l'ouverture  du  Roi  Lear. 

La  lettre  du  6  mai  contenait  cette  phrase  :  «  Je  reste  à 
Nice  à  cause  de  la  proximité  de  la  France  et  du  besoin 
impérieux  que  j'éprouve  de  correspondre  rapidement  avec 
ma  famille.  Mes  sœurs  m'écrivent  tous  les  deux  jours;  leur 
indignation  et  celle  de  mes  parents  est  au  comble.  »  Il  n'a 
rien  été  conservé  de  cette  correspondance  :  la  lettre  qui  va 
suivre  est  d'une  époque  où  la  crise  est  calmée. 


A    SON    PERE 

Nice,  ce  lundi  (mai  1831). 
Mon  cher  papa, 
Je  pars  jeudi  prochain  pour  Rome  ;  je  ne  vous  écris 
aujourd'hui  ce  peu  de  lignes  que  pour  vous  en  prévenir 
afin  qu'on  ne  m'adresse  plus  de  lellres  ici.  Si  toutefois 
il  en  arrivait,  on  m'a  promis  à  la  poste  de  me  les  faire 
parvenir. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  137 

Bien  loin  d'avoir  eu  la  visite  de  Ferrand,  je  lui  ai 
écrit  trois  fois  sans  obtenir  de  réponse,  ce  qui  me  paraît 
fort  extraordinaire. 

Casimir  a  dû  recevoir  aussi  dernièrement  une  lettre 
de  moi. 

Je  viens  de  commencer  un  nouveau  travail,  après 
avoir  bien  revu  et  retouché  ma  partition  du  Roi  Lear  ; 
c'est  encore  de  la  musique  instrumentale  *  ;  en  attendant 
que  mon  retour  en  France  me  permette  de  réaliser  un 
grand  projet  en  musique  dramatique,  j'augmente  mon 
répertoire  de  concert. 

Je  ne  sais  si  je  retrouverai  à  Rome  le  jeune  Mendels- 
sohn,  dont  je  vous  ai,  je  crois,  parlé  ;  je  crains  qu'il  ne 
soit  parti  pour  Naples.  Nous  avons  été  bien  vite  liés, 
c'est  un  jeune  homme  d'un  talent  prodigieux,  comme 
compositeur  et  exécutant,  lettré  et  instruit  autant  qu'on 
puisse  désirer  de  l'être,  d'un  caractère  candide,  et 
luthérien  zélé  sinon  fervent.  C'est  à  lui  que  je  dois  le 
peu  de  moments  agréables  que  j'ai  passés  à  Rome.  Nos 
opinions  étaient  bien  souvent  conformes  comme  nos 
admirations.  Nous  nous  retrouverons  bien. 

Je  suis  allé  me  baigner  clans  la  mer  il  y  a  trois  jours; 
j'en  ai  éprouvé  un  grand  bien  être  tout  le  reste  de  la 
ournée.  C'est  délicieux. 

Votre  affectionné  fils, 

II.   B. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

1 .  L'ouverture  de  Rob-fioy. 


138  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES, 


VI 


A    SA    SOEUR    ADELE 

Rome,  ce  6  juin  1831. 
Ma  chère  Adèle, 

Je  suis  arrivé  ici  il  y  a  trois  jours  et  j'y  ai  trouvé  ta 

lettre  qui  m'a  fait  d'autant  plus  de  plaisir  que  je  ne 

m'y  attendais  pas.  J*ai  fait  tout  ce  grand  voyage  de  >"ice 

à  Rome  sans  accident  et  avec  un  temps  superbe.  De 

Nice  à  Gènes  sur  une  route  pittoresque  qu'on  appelle  la 

Corniche,  taillée  par  Napoléon  dans  le  flanc  des  rochers 

à  six  cents  pieds  au-dessus  de  la  mer  qui  se  brise  à  leur 

base.  De  Gênes  à  Florence,  je  me  suis  trouvé  tout  seul 

avec  mon  jeune  conducteur  qui,  ne  sachant  pas  un  mot 

de  français  et  étant  fort  bavard,  m'a  plus  fait  apprendre 

d'italien  en  trois  jours  que  je  n'en  apprendrai  ici  dans 

trois  mois  :  j'ai  vu  à  Pise  cette  fameuse  tour  penchée  ; 

c'est  vraiment  curieux.  Ensuite  j'ai  voyagé  jusqu'ici 

avec  des  moines  qui  venaient  pour  la  Fête-Dieu.  C'était 

de  très  bonnes  gens  extrêmement  polis  ;  sur  trois,  deux 

parlaient  fort  bien  français.  Le  dernier  jour,  je  les  ai 

laissés  dans  la  voiture  et  j'ai  fait  quinze  lieues  à  pied 

en  composant  un  ouvrage  moitié  musique  moitié  poésie 

que  j'écris  dans  ce  moment1.  J'ai  parcouru  les  bords 

t.  Le  monodrame  :  te  Retour  à  lu  vie,  postérieurement  intitulé 
Lelio. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  139 

l'un  lac  délicieux  appelé  Bolsena,  au  milieu  duquel 
je  trouvent  deux  petites  îles  ;  l'une  est  habitée  et 
contient  sept  maisons,  on  dit  que  c'est  un  petit 
Éden;  je  regrettais  bien  de  ne  pouvoir  pas  aller  les 
visiter. 

En  arrivant,  je  n'ai  rien  eu  de  plus  pressé  que  d'aller 
à,  cette  procession  qu'on  m'avait  tant  vantée  tout  le 
ilong  du  chemin.  Je  m'attendais  à  quelque  chose  de 
pompeux,  mon  imagination  me  représentait  déjà  les 
Panathénées  des  Grecs  ;  et  je  n'ai  jamais  rien  vu  de  si 
isale,  de  si  mesquin,  de  si  dépourvu  de  dignité. 

Viennent  des  moines  de  toutes  les  couleurs,  puis  de 
petits  gredins  d'abbés  grotesquement  vêtus  faisant  des 
mines  aux  femmes  qui  sont  assises  dans  les  galeries, 
riant,  plaisantant  tout  haut  entre  eux  ;  puis  une  musi- 
que militaire  comme  celle  de  la  loterie  à  Paris  ou  mieux 
encore  comme  celles  que  les  charlatans  ont  coutume 
d'avoir  à  leur  suite  pour  vendre  leurs  drogues  ;  de 
pauvres  diables  de  soldats  à  l'uniforme  blanc,  aux 
parements  jadis  bleus,  mais  tellement  usés  qu'on  voit 
la  corde  partout,  portant  leurs  shakos  et  leurs  armes 
comme  des  conscrits  de  huit  jours  ;  des  suisses,  des 
cardinaux  chamarrés  d'or,  des  porte-bannières  aux  bas 
troués,  aux  mauvais  souliers  couverts  de  boue,  et  de 
jinaudits  petits  drôles  chantant  un  exécrable  contrepoint 
avec  des  voix  et  des  harmonies  fausses,  assez  semblables 
aux  cris  de  plusieurs  portes  rouillées.  Le  pape  n'y  était 
pas.  Voilà,  dans  la  capitale  du  monde  chrétien  et  le 


140  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

lieu  où  on  nous  envoie  admirer  les  chefs-d'œuvre  musi- 
caux, comme  on  entend  les  fêtes  religieuses.  Je  regrette 
ma  belle  musique  militaire  de  IVice  ;  c'était  au  moins 
quelque  chose. 

Ah  !  certes,  c'est  bien  mieux  en  France,  cette  proces- 
sion de  la  Fête-Dieu  ;  je  n'ai  jamais  pu  la  voir,  même 
à  la  Côte,  sans  une  certaine  émotion  ;  et  ici  c'était  du 
dégoût  qu'elle  m'inspirait. 

Je  n'ai  pas  reçu  la  lettre  de  Naneî  que  tu  m'annonces, 
ce  sera  sans  doute  pour  demain.  Ferrand  qui  était  en 
Suisse  vient  enfin  de  m'écrire. 

Adieu,  je  te  quitte  ;  il  est  midi,  on  sonne  pour  déjeu- 
ner; la  cloche  vient  déjà  de  parcourir  le  jardin,  la  poste 
part  à  une  heure  et  demie,  et  je  meurs  de  faim. 

Il  fait  un  temps  détestable  aujourd'hui  ;  le  siroco 
souffle  et  l'air  semble  épais  comme  de  la  fumée  ;  on  est 
tout  avili,  disent  les  Romains,  on  ne  peut  rien  faire.  Oh  ! 
ma  jolie  petite  Nice,  et  la  mer,  et  les  rochers  verdoyants, 
et  le  vent  frais  ! 

Adieu,  adieu. 

H  .   BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  141 


VII 


A    THOMAS    GOUNET 

Rome,  ce  14  juin  1831. 

Je  vous  remercie  mille  fois,  mon  cher  Gounet,  de 
votre  lettre  aimable  et  affectueuse  ;  il  y  avait  si  long- 
emps  que  j'étais  privé  de  vos  nouvelles...  tant  de  choses 
s'étaient  passées  depuis  notre  séparation...  Me  voilà  de 
nouveau  caserne,  j'ai  quitté  Nice  par  prudence  pour  ne 
pas  exposer  ma  pension,  M.  Horace  faisant  quelques 
difficultés  pour  me  la  faire  toucher  en  Sardaigne.  Votre 
lettre  est  arrivée  à  Nice  après  mon  départ,  mais  le  direc- 
teur de  la  poste  m'a  tenu  parole  et  me  l'a  fidèlement 
adressée  à  Rome.  Ainsi  il  m'est  impossible  d'expliquer 
le  silence  d'Hiller  et  de  ces  messieurs  dont  vous  m'an- 
noncez vous-même  la  réponse.  Voulez-vous,  je  vous 
prie,  passer  chez  Hiller  et  savoir  pourquoi  il  ne  me  répond 
pas.  Que  diable  y  a-t-il  donc  qui  retienne  la  plume  de 
Richard,  de  Desmarest1  ?...  C'est  incompréhensible. 

Ferrand  m'a  écrit  ces  jours-ci,  il  arrive  de  la  Suisse. 
Pixis  m'a  répondu  à  Florence  et  j'ai  reçu  sa  lettre  à 
Nice.  Si  vous  le  voyez  au  café  Feydeau  où  il  va  tous  les 
soirs,  dites-lui  mille  choses  de  ma  part. 

Je  travaille  beaucoup  ;  j'achève  dans  ce  moment  un 

1.   Violoncelle  à  l'Opéra,  ami  dévoué  de  Berlioz. 


142  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Mélologue  faisant  suite  à  l'épisode  de  la  vie  d'un  artiste  ; 
ce  sera  pour  être  exécuté  après  la  Symphonie  et  cela 
complétera  un  concert.  J'ai  fait  les  paroles  en  venant 
de  Saint-Lorenzo  à  Rome,  dans  mon  dernier  voyage  ; 
j'avais  laissé  derrière  moi  la  voilure  et,  en  cheminant, 
j'écrivais  sur  mon  portefeuille.  La  musique  est  faite 
aussi,  je  n'ai  plus  qu'à  copier.  Il  y  a  six  monologues  et 
six  morceaux  de  musique,  chant  seul,  chœurs,  orchestre 
seul,  ou  chœur  et  orchestre.  Je  regrette  bien  de  ne  pou- 
voir vous  montrer  mon  coup  d'essai  en  littérature, 
et  profiter  de  vos  conseils,  mais  ce  n'est  que  différé. 
Pour  les  vers,  je  ne  me  suis  pas  amusé  à  courir  après 
la  rime,  j'ai  fait  de  la  prose  cadencée  et  mesurée,  quel- 
quefois rimée,  c'est  tout  ce  qu'il  faut  pour  la  musique. 
C'est  Moore  qui  m'en  a  donné  l'idée.  Toutefois,  la  pré- 
sence de  la  musique  est  justifiée  dans  le  mien  et  c'est 
sous  une  forme  dramatique  que  j'ai  présenté  le  sujet. 
La  scène  commence  après  le  songe  d'une  nuit  du  Sabbat, 
au  moment  où  l'artiste  revient  à  la  vie. 

Ce  voyage  m'a  enrichi  de  trois  nouvelles  composi- 
tions :  l'ouverture  du  Roi  Lear,  celle  de  Rob-Roy  et  le 
Mélologue;  je  ne  sais  pas  au  juste  ce  que  cela  vaut,  mais 
je  sais  que  ma  course  à  Nice  m'a  coûté  mille  cinquante 
francs;  trop  heureux  que  mon  but  n'ait  pas  été  atteint, 
je  ne  regrette  pas  aujourd'hui  cet  argent. 

Vous  me  parlez  du  nouveau  roman  de  Y.  Hugo1  ;  je 

1.  Notre-Dame  de  Paris. 


L  Ë  S    A  .\  N  R  K  S    Jl  0  -M  A  N  T  I Q  U  1  >  .  143 

brûlais  de  le  lire  avant  que  vous  m'en  eussiez  parlé; 
mais  trouve-t-on  quelque  chose  à  Rome?  Passe  encore 
à  Florence  où  il  y  a  un  cabinet  littéraire.  Rome  est  la  ville 
la  plus  stupide,  la  plus  prosaïque  que  je  connaisse.  On 
n'y  vit  pas  si  on  a  une  tête  et  un  cœur;  il  n'y  faut  que 
des  sens  externes. 

Je  suis  environné,  dans  ma  maudite  caserne,  d'êtres 
vulgaires,  sans  âme  d'artiste,  dont  la  société  et  le  bour- 
donnement m'impatientent  horriblement  ;  il  y  a  deux 
ou  trois  exceptions  peu  tranchées,  mais  c'est  tout.  Ah  ! 
Dieu,  quand  reverrai-je  nos  soirées  de  tète-à-tête  avec 
notre  bain  de  thé  au  café  de  la  Bourse,  avec  un  cabinet 
sombre  et  le  spleen  ! 

Si  au  moins  je  pouvais  être  seul,  si  j'avais  la  mer  k 
adorer  (car  je  l'adore)  comme  à  ma  riante  Nice,  je  ne 
me  plaindrais  pas.  Tous  les  jeudis  il  y  a  grande  récep- 
tion chez  M.  Horace,  on  y  danse  ;  quelquefois  aussi  le 
dimanche.  Vous  jugez  comme  cela  m'amuse. 

Si  cela  ne  vous  ennuyait  pas  trop,  je  vous  prierais  de 
m 'écrire  le  plus  que  vous  pourrez,  et  de  me  parler  de 
vous,  de  tout  ce  que  vous  faites  :  vous  verrez  si  je  suis 
exact  à  répondre. 

Adieu,  il  nie  semblait  que  mon  attachement  pour 
vous  ne  pouvait  croître,  mais  je  m'étais  trompé. 

II.    lil-fil.loZ. 

Lettres  à  Goitnct. 


lii  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


VIII 

A    SES   PARENTS 

Rome,  2i  juin  1831. 

Adèle  me  dit  dans  sa  dernière  lettre  que  j'ai  trouvée 
ici  à  mon  arrivée  :  «  Nanci  t'écrira  dans  deux  jours  », 
et  cette  lettre  n'arrive  pas.  J'ai  répondu  à  Adèle  le 
6  juin,  et  depuis  ce  temps,  tous  les  jours  de  courrier 
sont  autant  de  désappointements.  Ne  m'annoncez  donc 
jamais  des  lettres  quand  vous  ne  devez  pas  les  écrire, 
c'est  un  supplice  de  voir  des  séries  d'attentes  trompées. 

Je  pense  que  tout  va  bien  à  la  maison  et  que  Nanci  a 
seulement  voulu  recevoir  la  nouvelle  de  ma  rentrée  à 
la  caserne. .0  mille  fois  maudit  pays!  Mais  j'en  sortirai 
bientôt,  dans  huit  jours  au  plus  je  décampe  et  je  vais 
réinstaller  à  Tivoli.  J'y  suis  allé  samedi  dernier,  à  pied, 
à  deux  heures  après-midi,  au  milieu  de  la  poussière 
brûlante  ;  nous  étions  deux  :  arrivés  aux  -trois  quarts  du 
chemin,  nous  n'en  pouvions  plus  et  nous  sommes 
montés  dans  une  voiture  qui  passait.  Il  y  a  six  lieues 
de  Rome  à  Tivoli.  Nous  sommes  arrivés  le  soir  à  huit 
heures  et  demie,  et  le  lendemain,  à  quatre  heures  du 
matin,  nous  avons  commencé  à  courir.  Je  n'ai  jamais 
rien  vu  de  si  délicieusement  beau.  Ces  cascades,  ces  ^ 
nuages   de  poudre  d'eau,  ces  gouffres  fumants,  cette 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  145 

[rivière  fraîche,  ces  grottes,  ces  innombrables  arcs- en- 
ciel,  les  bois  d'oliviers,  les  montagnes,  les  maisons  de 
I  campagne,  le  village,  tout  cela  est  ravissant  et  original. 
I  Le  peuple  y  est  très  beau,  mais  encore  plus  mendiant 
I  qu'à  Rome  ;  toutefois,  leur  mendicité  n'a  pas  le  carac- 
I  tère  de  bassesse  repoussante  de  celle  des  Romains. 
[  Comme  ils  mendient  tout  à  fait  à  découvert,  cela  finit 
j  par  paraître  drôle  ;  ils  nous  désignent  la  somme  qu'ils 
veulent,  en  riant,  comme  si  c'était  une  plaisanterie.  De 
jeunes  hommes,  de  jeunes  filles  de  vingt  à  trente  ans, 
occupés  à  moissonner  et  nous  voyant  passer,   nous 
criaient  :  «  Eh  messieurs,  donnez-nous  donc  un  demi 
paolo  (cinq  sous),  donnez-nous  donc  un  baiocco  (un  sou), 
qu'est-ce  que  ça  vous  fait  ?  » 

J'ai  vu  aussi  la  villa  Adriana,  et  ces  sublimes  ruines 
m'ont  rempli  de  tant  de  pensées  et  de  sensations  que  je 
crois  qu'elles  ont  voulu  me  dédommager  de  la  non 
impression  de  toutes  celles  de  Rome.  Figurez-vous  une 
maison  de  campagne  d'une  lieue  et  demie  de  tour,  dans 
laquelle  l'empereur  Adrien  avait  réalisé  de  véritables 
rêves.  En  entrant,  il  y  avait  un  théâtre  grec;  il  n'y  a 
plus  que  deux  colonnes  et  quelques  arcades  de  l'amphi- 
théâtre; le  milieu  est  un  carré  de  choux;  mais  il  faut 
rendre  justice  au  propriétaire,  c'est  le  seul  endroit  cul- 
tivé ;  tout  le  reste  est  dans  le  plus  magnifique  abandon  ; 
le  palais  impérial,  les  bains,  la  bibliothèque,  les  pavil- 
lons de  repos,  les  cours,  sont  assez  bien  conservés  pour 
des  ruines  ;  dans  les  salles  des  gardes  de  l'empereur,  les 

9 


1-iti  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

éperviers  et  les  milans  bâtissent  leurs  nids  ;  la  vallée  de 
lempé  (imitation  de  celle  de  la  Grèce)  est  aujourd'hui 
une  forêt  de  cannes  ;  je  n'ai  pu  voir  le  Tartare  ni 
les  Champs-Elysées,  ni  beaucoup  d'autres  choses  dont 
les  noms  m'échappent,  on  s'y  perd  ;  des  murs  de  six 
pas  d'épaisseur,  d'une  hauteur  prodigieuse,  recouverts 
en  stuc,  peints  à  fresques,  des  tours,  des  voûtes,  des  ] 
colonnes  partout  ;  pas  de  statues,  parce  qu'un  pape, 
je  ne  sais  lequel,  les  a  fait  enlever  pour  faire  de  la 
chaux  ;  en  entrant  dans  ce  monument,  je  me  suis  vu, 
pour  la  première  fois,  en  présence  de  la  grandeur 
romaine,  j'étais  oppressé,  consterné,  anéanti.  Encore 
si  j'eusse  été  seul  !...  mais,  patience,  ce  n'est  qu'à  une 
demi-heure  de  Tivoli,  et  quand  j'y  serai  établi,  je  me 
permettrai  d'y  passer  la  journée  quelquefois. 

J'attends  pour  partir  d'ici  d'avoir  achevé  d'écrire  la 
musique  d'un  Mclologue  en  six  parties  que  j'avais  com- 
posé en  venant  de  Florence  à  Rome.  Les  paroles  sont 
finies  depuis  longtemps,  je  n'ai  plus  qu'à  mettre  au  net 
deux  morceaux  d'orchestre.  C'est  une  composition  sans 
modèle,  d'un  genre  nouveau,  dont  l'idée  m'a  été  donnée 
par  une  petite  ébauche  de  Th.  Moore  qui  se  trouve  à  la 
fin  de  ses  mélodies.  Heureusement  que  tout  était  fini 
dans  ma  tête  et  sur  mon  portefeuille  quand  j'ai  nu-  le 
pied  dans  la  succursale  de  l'Académie,  car  je  n'y  ai  pas  j 
une  idée,  pas  une  sensation;  l'ennui  y  a  établi  sa 
d'iii.  uiv.  et  son  sceptre  de  plomb  me  paraît  cent  fois 
plus  lourd  qu'ailleurs.  J'essaie  quelquefois  de  descendre 


LES    A.HNÉES    ROMANTIQUES.  14" 

à  Rome,  mais  je  m'y  ennuie  encore  davantage.  Point 
de  spectacle,  pas  l'ombre  de  musique,  point  de  cabinet 
littéraire,  des  cafés  sales,  obscurs,  mal  servis,  sans 
journaux  ;  dans  le  pays  du  marbre  on  vous  sert  sur  de 
petits  vilains  guéridons  de  bois  comme  celui  qui  est  à  la 
cuisine  pour  porter  la  lampe.  Touty  esta  cent  cinquante 
ans  en  arrière  de  la  civilisation,  et  en  général  dans  toulc 
l'Italie.  Ce  peuple  est  si  lâche,  si  mou,  si  peu  indus- 
trieux, la  nature  lui  donne  tout,  il  ne  sait  rien  en  faire. 
Oh  !  si  ce  beau  pays  était  peuplé  d'Anglais,  quel  chan- 
gement ! 

Avant-hier  soir,  j'ai,  pour  la  première  fois,  éprouvé 
une  véritable  émotion  dans  notre  couvent.  Nous  étions 
quatre  ou  cinq  assis  au  clair  de  lune  autour  du  jet  d'eau 
qui  se  trouve  sur  le  petit  escalier  du  jardin  ;  on  tire  au 
sort  pour  aller  chercher  ma  guitare,  et  comme  l'audi- 
toire était  composé  du  petit  nombre  de  pensionnaires 
que  je  puis  souffrir,  je  ne  me  suis  pas  fait  prier  pour 
chanter.  Comme  je  commençais  un  air  dlplngénie  en 
Tauride,  M.  Carie  Vemet  arrive;  au  bout  de  deux  mi- 
nutes il  se  met  à  pleurer,  à  sangloter  tout  haut,  et,  n'y 
tenant  plus,  il  se"  sauve  dans  le  salon  de  son  fils,  en 
criant  d'une  voix  étouifée  :  «  Horace  !  Horace,  viens 
donc  !  —  Qu'est-ce  que  c'est,  qu'est-ce  que  c'est  ?  — 
Nous  pleurons  tous  !  —  Comment,  comment,  qu'est-il 
arrivé?  —  C'est  monsieur  Berlioz  qui  nous  chante 
Gluck!  Oui.  monsieur,  comme  vous  dites,  c'est  à  se 
prosterner  (me  dit-il)  ;  allez,    vous  êtes  un   caractère 


148  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES. 

mélancolique,  je  vous  comprends,  moi,  il  y  a  des  gens 
qui...  »  Il  n'achève  pas;  et  pourtant  personne  n'a  ri1. 
Le  fait  est  que  nous  étions  tous  très  émus;  j'étais  dis- 
posé, il  faisait  nuit,  rien  ne  m'inquiétait  sous  ce  por- 
tique retentissant,  je  m'abandonnais  comme  si  j'eusse 
été  seul. 

M.  Horace  dit  toujours  que  c'est  superbe  et  qu'il  est 
fou  de  la  musique,  mais  il  ne  sent  rien  ;  je  remarque 
que  tous  les  gens  qui  parlent  de  leur  grand  amour 
musical  sont  précisément  les  plus  mal  organisés.  C'est 
l'homme  le  plus  heureux  qu'on  puisse  voir  ;  il  a  encore, 
à  quarante-deux  ans,  tous  les  goûts  de  dix-huit. Derniè- 
rement, il  a  eu  les  honneurs  d'un  bal  masqué  chez  la 
princesse  de  Wolkonsky  ;  sa  fille  était  en  Napolitaine 
et  lui  en  capitaine  de  hussards  ;  ils  ont  dansé  ensemble 
la  tarentelle  et  la  mazourka  avec  un  succès  fracassant. 
Toutes  les  semaines  il  y  a  grande  soirée  chez  lui,  on  y 
danse  aussi;  j'y  vais  presque  toujours,  et,  quand  j'y 
manque,  madame  Horace  ne  me  manque  pas  :  elle  me 
demanderait  volontiers  ce  que  j'ai  fait  et  pourquoi  je  ne 
suis  pas  venu.  C'est  ce  soir  la  fête  de  notre  directeur, 
il  y  aura  grand  bal,  le  père  Carie  va  me  reprendre 
pour  parler  de  Gluck  ;  il  est  si  content  que  je  ne  sois 

1.  Comparez  à  cet  épisode  si  caractéristique  cet  extrait  de  la 
lettre  du  6  mai  précédent  (Corresp.  inéd.)  :  «  De  M.  Horace  et  de 
sa  famille  j'ai  reçu  un  très  bon  accueil  ;  mais  quand  le  vieux 
Carie  Vernet  a  su  que  j'admirais  Gluck,  il  n'a  plus  voulu  me  quit- 
ter. «  C'est  que,  voyez-vous,  me  disait-il,  M.  Despréaux  préten- 
»  dait  que  tout  cela  était  rococo,  et  que  Gluck  était  perruque.  ». 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES  149 

pas  comme  mon  prédécesseur 1  qui  trouvait  tout  cela 
rococo  !  C'est  un  homme  singulier,  qui  passe  la  moitié 
de  la  journée  à  courir  à  cheval  (car  il  ne  peint  plus)  et 
le  reste  du  temps  à  faire  des  calembours  et  à  se  tour- 
menter de  la  santé  de  son  fils,  qu'il  aime  comme  les 
vieillards  n'aiment  guère.  Enfin,  cela  tuera  la  soirée 
avec  l'aide  d'une  demi-douzaine  de  tasses  de  thé  ; 
pourvu  que  mademoiselle  Horace  ne  nous  régale  pas 
de  quelque  air  à  la  mode;  j'aimerais  autant  entendre 
les  demoiselles  Lesueur  ou  le  cri  d'une  chauve-souris 
que  de  l'entendre  chanter;  et  puis  le  celeberrimo  maestro 
Belîini,  un  petit  polisson  qui  s'est  avisé  de  faire  un 
Romeo  e  Giuliettaf  Ce  drôle  est  préféré  aujourd'hui. 
Rossini  n'a  pas  trop  le  don  de  plaire  aux  Romains,  ils  le 
trouvent  trop  grave,  il  les  endort,  c'est  trop  fort 
pour  eux.  Malheureux  singes!  Bientôt  Bellini  lui- 
même  sera  trop  triste,  il  leur  faudra  un  autre  celeber- 
rimo maestro  plus  amusant.  Les  habitants  de  la  lune  se 
doutent  de  la  musique  autant  que  ces  èlres-là. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


1.  Despréaux,  prix  de  Rome  de  1828,  mentionné  dans  la  note 
ci -dessus. 


150  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES, 


IX 


\    MADAME    LESL'EUR 

Ruine,  ce  2  juillet  1831. 
.Madame, 
Je  me  disposais  à  vous  écrire  de  nouveau  pour  avoir 
de  vos  nouvelles,  ne  recevant  pas  de  réponse  de  ma 
lettre  de  Nice x  ;  quand  elle  est  arrivée,  je  commençais 
;'i  craindre  quelque  infidélité  de  la  poste,  qui  m'aurait 
fait  passer  aux  yeux  de  M.  Lesueur  pour  plus  coupable 
que  je  ne  l'étais  réellement.  M.  Horace  va  faire  un 
voyage  d'un  mois  à  Paris,  il  sera  donc  mon  courrier  en 
allant  et  j'espère  aussi  en  revenant;  pourvu  toutefois 
qu'une  nouvelle  Révolution  de  Juillet  ne  le  retienne  en 
France.  Nous  nous  attendons  ici  tous  les  jours  à  quelque 
nouveau  bouleversement.  Le  ciel  confonde  tous  ces 
petits  ambitieux  sans  génie,  qui  troublent  l'ordre  social 
en  pure  perte  !...  Ces  héros  de  carrefours,  ces assiégeurs 
de  corps  de  garde,  ne  servent  à  mon  avis  qu'à  discré- 
diter la  cause  de  la  gloire  et  de  la  liberté  ;  c'est  dans  des 
guerres  de  pots  de  chambre  qu'ils  cueillent  leurs  lau- 
riers. Pour  moi,  l'aversion  que  j'ai  toujours  eue  pour 
la  politique  va  encore  croissant  ;  cette  grande  sèche  aux 
yeux  louches,  au  teint  pâle  et  au  cœur  dur.  me  parait 

1.  Cette  lettre  est  perdue. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  154 

de  plus  en  plus  haïssable;  mal  heureusement  on  ne  peut 
faire  un  pas  sans  la  rencontrer. 

Je  remercie  M.  Lesueur  des  espérances  qu'il  veut  bien 
fonder  sur  moi  ;  je  ferai  les  derniers  efforts  pour  en  réa- 
liser une  partie. 

Depuis  mon  retour  à  la  caserne,  je  n'ai  fait  qu'écrire, 
mais  non  pas  composer.  L'air  de  Rome  m'étouffe,  je  n'ai 
pas  une  idée.  En  revenant  de  Nice  j'avais  composé  en 
entier  un  ouvrage  d'un  genre  nouveau,  que  j'intitulerai 
Mélologue,  mélange  de  musique  et  de  discours,  dans 
lequel  j'ai  pu  exécuter  plusieurs  projets  qui  m'étaient 
chers.  Les  paroles  sont  mon  coup  d'essai,  et  quoique  j'y 
aie  mis  tout  mon  savoir-faire,  vous  pouvez  penser  que 
je  n'ai  pas  sacrifié  mon  ancienne  maîtresse,  la  musique, 
à  la  nouvelle  venue.  C'est  pour  être  exécuté  clans  un 
concert,  à  la  suite  de  ma  Symphonie  fantastique,  dont  le 
Mélologue  est  le  complément  et  la  fin.  Il  y  a  des  chœurs, 
des  airs  seuls,  des  morceaux  d'orchestre  seul,  et  même 
une  ballade  avec  accompagnement  de  piano.  Il  faudra 
un  acteur  pour  réciter  les  monologues  et  chanter  un 
morceau  ;  je  compte  pour  cela  sur  A.  Nourrit,  qui,  j'en 
suis  sûr,  me  comprendra  à  merveille.  Tout  est  fini  à  peu 
près,  et  comme  je  veux  entreprendre  immédiatement 
un  autre  grand  ouvrage  que  je  rumine,  je  vais  dès  main- 
tenant m'établir  dans  les  montagnes  de  Soubiac1  à 
dix-huit  lieues  de  Rome,  où  je  recommencerai  ma  vie 

1.  Subiaco  (Voir  lettre  du  10  juillet,  et  les  Mémoires*. 


152  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

libre  de  Nice  ;  mais,  Dieu  !  je  n'y  trouverai  pas  la  mer  ; 
cette  belle  et  vaste  mer  qui  s'étendait  sous  mes  fenêtres, 
qui  me  charmait  par  le  flou-flou  de  sa  robe  verte,  qui 
rugissait  avec  moi  dans  mes  jours  de  rage,  et  me  laissait 
dormir  sur  ses  cailloux  blancs,  en  se  contentant  de  venir 
lécher  mes  pieds,  dans  mes  journées  calmes  ou  mélan- 
coliques... N'importe,  il  faut  que  je  redevienne  seul  ;  je 
m'aperçois  que  ces  messieurs  de  l'Académie,  avec  les- 
quels du  reste  je  sympathise  très  peu,  m'observent  avec 
malignité  et  contrôlent  toutes  mes  acfions  ;  il  faut  pour 
ne  pas  leur  paraître  maniéré  (c'est  leur  mot)  se  façonner 
à  leurs  manières  de  sentir,  de  voir,  de  parler  ;  s'amuser 
de  ce  qui  les  amuse,  ne  pas  témoigner  de  l'enthousiasme 
pour  ce  qu'ils  ne  connaissent  pas  ;  en  un  mot,  il  faut 
être  tout  autre  que  je  ne  suis.  Comme  je  ne  puis  pas  me 
refaire,  j'aime  mieux  leur  laisser  le  champ  libre.  J'em- 
porte une  mauvaise  guitare,  un  fusil  à  deux  coups,  des 
albums  pour  prendre  des  notes  et  quelques  livres;  un 
bagage  aussi  modeste  ne  peut  tenter  les  brigands,  avec 
lesquels,  à  dire  le  vrai,  je  serais  charmé  de  faire 
connaissance.  Je  vous  remercie  de  n'avoir  pas  commu- 
niqué à  mademoiselle  Corinaldi  mes  observations  sur 
ses  compatriotes  ;  je  serais  bien  fâché  de  lui  faire  de  la 
peine,  et  d'ailleurs  il  peut  se  trouver  des  hommes  partout, 
même  en  Italie.  Celte  terre  est  une  mère  injuste  et  par- 
tiale, qui  a  tout  donné  à  ses  fils  aînés.  Le  Dante,  Arioste, 
Tasso,  paraîtraient  avoir  dévoré  tout  l'héritage  du 
génie,   si  une  petite  portion  échappée  n'était  échue 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 


153 


en  partage  au  gracieux  et  spirituel  auteur  des  Fiances 
(Manzoni). 

Quant  aux  peintres  modernes  italiens personne! 

Pour  les  musiciens,  excepté  Rossini,  on  compte 
MM.  Bellini,  Coccia,  Vaccai,  Pacini  ;  oh!  tous  ces  bons 
messieurs,  je  ne  leur  veux  pas  de  mal,  mais  pour- 
tant, si  le  diable  en  voulait  je  ne  les  disputerais  pas. 
Y  a-t-il  au  monde  un  musicien  italien  capable  d'écrire 
ce  ranz  de  vaches,  ouvrage  d'un  paysan  suisse  des 
environs  de  Genève? 


Sur       les  ALpes,  quel  dé  _  1 


ce! 


Au   val  _  Ion   je  me   dé  _   plais       Mal-gré  que  l'on 


5SS 


PW 


pif ,  if  frii^a 


w 


m'a_ver_tis    _     se        Des  daD-gers  du    pré.ci 


5E2 


§ 


PÊX 


»  r.ijir'  irrjir  £/ir  r j i r  - 

_  pi      _      ce.         Bra_ves  geDS,je     vous  ré  _  ponds, 


tH-f 


£=trff-f  i  f  i  r  »  ^ 


Tout   m'at  _  ti.re       sur  les  monts,  Toutm'at. 


re       sur  les     monts.1 


1.  Nous  connaissions  déjà  cette  chanson  rustique  pour  l'avoir 

9. 


454  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Voilà  de  la  couleur  !  Je  vois  les  grosses  bottes  ferrées 
du  chasseur  de  chamois,  son  long  fusil,  son  pain  noir, 
son  morceau  de  fromage,  sa  grosse  face  réjouie,  sa  voix 
de  stentor  qui  appelle  l'écho;  pour  moi  c'est  admirable  ! 
admirable  1  admirable  ! 

Dans  le  cas  où  ce  ranz  plairait  à  mesdemoiselles 
Lesueur,  voici  les  autres  couplets  (aussi  de  la  composi- 
tion du  paysan)  : 

DEUXIÈME 

Dès  que  parait  la  lumière, 

Je  vais  chasser  le  chamois  ; 

De  ma  femme  la  prière 

Ne  peut  changer  ma  carrière  ; 

Je  lui  dis  que  dans  tout  lieu 

Sur  nous  veille  le  grand  Dieu  (bis'. 

TROISIÈME 

Là  où  le  plus  intrépide 
Craint  de  diriger  ses  pas, 
Moi,  prenant  le  ciel  pour  guide, 
Nul  danger  ne  m'intimide  : 
Sans  souci,  le  cœur  content, 
Je  franchis  roc  et  torrent  (bis). 

Mademoiselle  Clémentine  priera  monsieur  Lesùëur 
d'écrire  un  accompagnement  de  piano  au  chasseur  de 


trouvée  notée,  de  la  main  de  Berlioz,  en  un  endroit  fort  inattendu  : 
sous  une  collette  du  manuscrit  autographe  de  la  Symphonie 
fantastique  !  Voir  le  chapitre  de  nos  Berliosùma  consacré  à  cette 
œuvre. 


LES    ÂJfltÉES    ROMANTIQUES.  15o 

chamois  pour  faire  un  peu  diversion  à  Masaniello  et  à 
toutes  les  musiques  pointues. 

Mais  je  m'aperçois  que  la  terre  me  manque  :  il  faut 
donc  faire  la  cadence  parfaite,  qui  me  déplaît  en  ce 
moment  plus  que  jamais,  et  vous  prier  de  recevoir  les 
salutations  affectueuses  de  votre  tout  dévoué, 

H.     BERLIOZ. 

Communiqué  par  M.  Xavier  Lesueur  (précédemment  repro- 
duit dans  la  Revue  musicale,  lo  février  1906). 

a  hl'mbert  ferran'd,  Rome  3  juillet  1831  (Let.  int. 
100).  Récit  de  voyage.  Composition  du  Retour  à  la  vie.  Pro- 
position de  collaboration  à  «  un  oratorio  colossal  pour  être 
exécuté  à  une  fête  musicale  donnée  à  Paris,  à  l'Opéra  ou 
au  Panthéon,  dans  la  cour  du  Louvre;  il  serait  intitulé  le 
Dernier  Jour  du  monde  * . 


A    SA     SOEUR     ADELE 

Tivoli,  ce  8  juillet  1831. 

Je  suis  là,  à  côté  de  la  grande  cascade;  je  t'écris  dans 
un  petit  temple  de  Vesta  dont  les  trois  quarts  sont 
conservés;  il  est  attenant  à  l'auberge;  il  y  a  une  table 
au  milieu,  à  la  place  sans  doute  où  on  entretenait  autre- 
fois le  feu  sacré.  C'est  au  bord  du  gouffre  dans  lequel 
l'eau  se  précipite.  Je  viens  de  me  faire  apporter  du  thé 


156  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

avec  ma  guitare.  Je  suis  chagrin  plus  que  je  ne  puis 
dire.  En  allant  ce  matin  à  la  villa  Adriana  dont  je  t'avais 
parlé  dernièrement,  j'ai  demandé  à  des  petits  garçons 
que  j'ai  rencontrés,  des  nouvelles  d'Antonio,  un  enfant 
de  quatorze  ans  qui  m'avait  servi  de  guide  la  première 
fois  que  je  suis  venu  ici  ;  il  m'avait  plu  extrêmement, 
et  je  m'étais  attaché  tout  à  coup  à  lui,  sans  savoir 
presque  pourquoi.  Ils  m'ont  dit  qu'il  était  bien  malade 
depuis  dix  jours.  En  revenant  de  ma  course  aux  grandes 
ruines,  on  m'a  indiqué  la  maison  du  petit  Antonio;  je 
suis  monté,  sa  mère  et  ses  petites  sœurs  étaient  dans 
une  pauvre  chambre  délabrée  entourant  son  lit  ;  il  dor- 
mait, tout  pâle,  tout  défait,  mais  pourtant  toujours  beau, 
de  cette  beauté  raphaëlique  que  je  n'ai  encore  vue  qu'en 
Italie.  Sa  mère  m'a  dit  qu'en  allant  pêcher  dans  l'Anio 
il  s'était  mouillé  la  tête  au  soleil  et  que  depuis  ce  mo- 
ment il  était  dans  l'état  où  je  le  voyais.  Je  suis  allé 
chercher  de  l'argent;  quand  je  suis  revenu,  il  était 
réveillé,  il  m'a  bien  reconnu,  mais  n'a  pas  pu  parler; 
j'ai  donné  ce  dont  je  pouvais  disposer  à  la  mère;  elle  a 
voulu  qu'Antonio  fit  un  effort  pour  remercier  lo  signore 
francese,  il  n'a  rien  pu  prononcer  d'intelligible,  je  n'ai 
compris  que  ses  beaux  yeux  ternes  qu'il  tournait  vers 
moi  ;  alors  la  pauvre  veuve  s'est  mise  à  pleurer  en  me 
disant  qu'elle  ne  savait  plus  que  faire,  qu'on  avait  essayé 
des  sangsues  à  la  tête  mais  qu'il  s'en  plaignait  toujours, 
qu'elle  était  bien  malheureuse,  pourtant  qu'elle  ne  pou- 
vait croire  que  la  madona  ne  lui  conservât  pas  son  fils  ; 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  157 

je  lui  ai  dit  qu'il  serait  encore  quelque  temps  au  lit, 
mais  que  bien  certainement  la  madona  le  sauverait.  Je 
n'y  étais  plus  du  tout,  j'étouffais;  je  me  suis  enfui;  j'ai 
grimpé  la  montagne  qui  est  derrière  Tivoli;  tout  en 
haut  il  y  a  une  mauvaise  croix  de  bois,  je  me  suis  assis 
au  pied;  je  voyais  au  loin  cette  slupide  ville  de  Rome, 
tout  autour  l'immense  plaine  et  les  détours  de  l'Anio, 
puis  des  lacs  éloignés  réfléchissant  le  soleil,  j'ai  demeuré 
là  bien  longtemps...  Il  est  venu  une  pluie  battante;  à 
moins  de  s'enfoncer  dans  les  rochers,  il  n'y  avait  pas 
moyen  de  l'éviter;  je  l'ai  donc  reçue,  en  cueillant  des 
bruyères  et  des  branches  de  myrte  sauvage  que  je  voyais 
pour  la  première  fois  ;  je  suis  revenu  avec  mes  paquets 
de  myrtes  fleuris,  je  me  suis  changé,  j'ai  voulu  penser 
un  peu  de  musique  en  m'excitant  avec  la  guitare,  mais 
je  n'ai  point  d'idées  ;  cette  pauvre  femme  avec  sa  madona 
me  revient  toujours  dans  la  tète;  j'ai  devant  les  yeux  le 
pauvre  Antonio  qui  était  si  gai  il  y  a  quelques  jours  et 
que  voilà  mourant. 

Je  t'écris  ce  soir  parce  que  demain  ma  place  est  rete- 
nue pour  Subiaco,  petit  bourg  des  montagnes,  à  dix 
lieues  plus  loin  que  Tivoli;  je  ne  sais  pas  combien  de 
temps  j'y  demeurerai,  et  de  là  il  ne  serait  pas  trop  sûr 
que  ma  lettre  te  parvînt.  J'ai  reçu  celle  de  Nanci  avant 
mon  départ  de  Rome.  D'après  ce  qu'elle  me  dit,  la  Côte 
est  toujours  plus  monotone  et  plus  nulle.  Je  pense  pour- 
tant que  vous  voyez  quelquefois  mademoiselle  Veyron. 
Elle  doit  avoir  autant  besoin  de  votre  société  que  vous 


158  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

de  la  sienne.  Maman  est  remise  à  présent  des  fatigues 
de  ses  vers  à  soie?  Il  y  a  des  mûriers  ici  qui  lui  feraient 
bien  envie  si  elle  pouvait  les  voir.  Papa  a  dû  être  bien 
content  du  dernier  succès  d'Alphonse;  je  lui  répondis 
aussitôt  après  la  réception  de  sa  lettre  pour  l'en  féliciter. 
Madame  Forgeret  '  ayant  avantagé  Victor,  monsieur  et 
madame  Robert  sont,  je  pense,  aujourd'hui  dans  la  joie. 

J'ai  fait,  l'autre  nuit,  un  étrange  rêve  :  trois  brigands 
étaient  venus  dans  la  salle  à  manger  de  la  Côte  et  vou- 
laient entraîner  mon  père  de  force;  à  mes  cris,  Claude 
Ferlet  est  accouru*,  il  en  a  assommé  un  avec  son  marteau 
et  j'ai  coupé  l'avant-bras  aux  deux  autres  avec  un  grand 
poignard  recourbé.  —  J'avais  effectivement  manié  der- 
nièrement un  poignard  arabe  de  M.  Horace,  voilà  pour- 
quoi il  m'est  revenu  dans  la  têle.  Quelle  bizarrerie!... 

Notre  directeur  est  parti  pour  la  France  parle  vaisseau 
à  vapeur  le  Sphinx  ;  il  a  embarqué  sa  voiture  et  compte 


1.  Mère  de  la  femme  de  Joseph  Berlioz  (\oy.  p.  xxxm). 

2.  Claude  Ferlet  est  le  nom  de  l'homme  qui  a  inspiré  à  Berlioz 
cette  amusante  boutade  :  «  La  Côte  Saint-André  est  la  petite  rési- 
dence d'un  adjoint,  d'un  maire,  d'un  juge  de  paix  et  d'un  maré- 
chal-ferrant.  Le  maréchal,  se  trouvant  précisément  sous  les  fenêtres 
de  la  maison  de  mon  père,  me  réveillait,  dès  ma  plus  tendre 
enfance,  régulièrement  chaque  jour  à  quatre  heures  du  matin,  par 
le  bruit  cadencé  de  son  enclume,  ce  qui  n'a  pas  peu  contribué  à 
développer  en  moi  le  sentiment  du  rythme  dont  mes  ennemis  pré- 
tendent que  je  suis  dépourvu.  »  Les  vieux  du  paya  se  souviennent 
du  «  père  Ferlet  »,  dont  la  maison,  située  vis-à-vis  de  celle  des 
Berlioz,  en  façade  sur  l'étroite  rue,  est  restée  debout,  et  l'atelier 
intact,  jusqu'à  l'époque  récente  où  le  tout  fut  mis  à  bas  pour 
élargir  la  voie  et  faire  place  au  passage  d'un  tramway. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  159 

ne  mettre  que  quinze  jours  à  ce  voyage.  Dix  jours  pour 
aller  et  venir  et  cinq  jours  de  séjour  à  Paris;  voilà  qui 
peut  s'appeler  voler. 

Je  n'ai  pas  pu  profiter  de  l'invitation  des  officiers  du 
Sphinx,  dont  je  vous  avais  parlé  dans  ma  dernière 
lettre;  mon  passe-port  m'a  empêché  de  partir  avec  ces 
messieurs  et  je  n'ai  plus  été  tenté  d'aller  à  Civita  Vec- 
chia  tout  seul. 

Adieu,  voilà  la  nuit. 

Du  temple  de  Vesta  l'enceinte  est  profanée 
Le  feu  céleste  est  mort  et  "... 


H.    BERLIOZ. 


je  n'y  vois  plus. 

Communiqué  }xir  madame  Chapot. 

XI 

A     SA     FAMILLE 


Subiaco,  le  10  juillet  1831. 

Il  pleut  enfin  !  je  vois  des  nuages  !  Ah  !  béni  soit  le 
ciel  de  Subiaco  et  maudit  soit  le  ciel  de  plomb  de  Rome 
qui  brûle  toujours  et  n'a  ni  tonnerre  ni  éclairs  I  Ce 
pays-ci  est  le  plus  pittoresque  que  j'aie  encore  vu  de 
ma  vie.  Il  n'y  a  pas  les  cascades  de  Tivoli,  mais  on  y 
voit  un  torrent  furieux  presque  aussi  grand  que  l'Anio 
et  qui  se  précipite  en  deux  ou  trois  endroits  avec  autant 

1.  Citation  de  la  Vestale, 


160  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

de  fracas  sinon  autant  de  majesté  que  la  grande  cascade 
de  Tivoli. 

Et  puis  des  montagnes  !  Ah  des  montagnes  1  J'en  ar- 
rive il  y  a  une  heure.  J'ai  gravi  ce  matin  une  masse 
élevée  que  les  peintres  paysagistes  appellent  la  Baleine, 
parce  qu'elle  ressemble  en  effet  à  une  immense  baleine 
sortant  de  la  mer  pour  respirer.  A  une  heure  après-midi 
je  suis  arrivé  à  la  pointe  de  la  pointe,  j'y  ai  bâti  avec 
des  quartiers  de  roc  une  petite  pyramide  terminée  par 
une  pierre  plate  en  forme  d'autel  druidique1.  Oh  !  comme 
j'ai  respiré,  comme  j'ai  vu,  comme  j'ai  vécu!  pas  un 
nuage.  Je  montais  des  pieds  et  des  mains  pendant  une 
demi-heure,  puis  je  me  couchais  sur  des  touffes  de  buis, 
et  un  vent  bienfaisant  me  berçait  mollement.  Avant 
d'arriver  dans  les  hauteurs  sublimes,  j'ai  trouvé  une 
petite  maison  inhabitée,  j'ai  traversé  un  jardin  rempli 
de  vignes  et  de  maïs  et,  franchissant  le  buisson  de  clô- 
ture, je  me  suis  trouvé  dans  une  charmante  prairie 
en  plate -forme  plantée  d'oliviers...  Aussitôt  j'ai  cru 
entendre  maman,  il  y  a  quinze  ans,  chantant  ce 
couplet  : 

Oue  je  voudrais  avoir  une  chaumière 
Dont  un  verger  ombrage  l'alentour, 
Pour  y  passer  la  saison  printanière 
Avec  ma  mie  et  ma  muse  et  l'amour. 


1.  11  est  fait  mention  de  cette  pyramide  au  chapitre  xxvvn  des 
Mémoires  et  dans  une  lettre  à  la  princesse  Wittgenstein,  écrite  le 
23  décembre  1863;  Berlioz  y  dit  que,  l'année  précédente,  elle  exis- 
tait encore;  des  peintres  l'avaient  baptisée  de  son  nom. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  161 

Plus  haut,  aux  lieux  où  finit  la  végétation,  j'ai  trouvé 
des  paysans  qui  moissonnaient  quelques  épis  clairsemés. 
Ils  paraissaient  inquiets  de  me  voir  gravir  tout  seul  et 
sans  but  apparent  (j'avais  laissé  mon  fusil  à  Subiaco)  : 
il  y  a  ici  une  superstition  sur  les  jettatores  (gens  qui 
jettent  un  sorti.  Je  crois  qu'ils  me  prenaient  pour  un 
jettatore;  ils  m'ont  demandé  avec  humeur  où  j'allais  et 
ce  que  je  voulais  faire  là-haut;  heureusement  il  m'est 
venu  une  bonne  idée  :  je  leur  ai  répondu  que  j'avais 
fait  un  vœu  à  la  madona  et  que  c'était  pour  l'accomplir 
que  je  montais.  Alors  ils  se  sont  remis  à  moissonner 
sans  s'inquiéter  de  moi.  En  arrivant,  j'ai  vu  à  mes  pieds 
le  couvent  de  Saint-Benoît  où  j  étais  allé  la  veille.  Ce 
couvent  m'a  rappelé  notre  vieux  curé  Durand  qui  nous 
parlait  souvent  de  saint  Benoît  se  cachant  sous  les  ronces 
pour  éviter  les  tentations  du  mauvais  esprit.  J'ai  vu  la 
caverne  où  saint  Benoît  a  combattu  le  démon.  On  a 
bùti  la  chapelle  de  manière  que  cette  caverne  se  trouve 
derrière  l'autel.  A  côté  est  un  petit  bois  de  rosiers;  il  y 
a  dans  un  coin  un  monceau  de  feuilles  de  roses  que  les 
moines  bénédictins  donnent  aux  malades  qui  ont  des 
visions;  les  feuilles  les  font  passer.  Dans  l'église,  sont 
suspendus  les  débris  de  deux  carabines,  preuves  pal- 
pables de  deux  grands  miracles  :  des  chasseurs  avaient 
trop  chargé  leur  arme,  mais  ils  invoquèrent  saint  Benoît 
pendant  qu'elle  éclatait  et  ils  n'en  furent  point  blessés. 
Ces  messieurs  Bénédictins  ne  sont  pas  comme  les  Char- 
treux, car  ils  ne  m'ont  pas  seulement  offert  un  verre 


162  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

d'eau,  malgré  le  besoin  que  j'en  avais.  Subiaco  est  un 
sale  village  dédié  à  saint  André  (second  point  de  res- 
semblance avec  la  Côte)  et  bâti  autour  d'un  pain  de 
sucre  couronné  par  un  petit  fort.  Au  bas  coule  le  tor- 
rent mugissant  qui  ferait  la  richesse  d'un  autre  peuple, 
mais  qui  ne  sert  ici  qu'à  laver  des  haillons. 

Il  n'y  a  à  manger  ni  pommes  de  terre,  ni  lait  de 
vache,  ni  figues,  ni  oranges,  mais  force  chèvres  et  noi- 
settes; c'est  tous  les  jours  le  même  régal.  Il  y  a  dans  la 
maison  où  je  suis  plusieurs  paysagistes  français,  venus 
pour  copier  la  belle  nature  de  Subiaco  ;  nous  dînons 
ensemble,  l'un  d'eux  est  un  de  mes  camarades  de  l'Aca- 
démie. L'autre  auberge  est  pleine  de  Suisses,  d'Irlandais, 
de  Français  paysagistes  ;  nous  nous  connaissons  déjà  tous. 

Hier  soir,  les  enfants  de  la  maison  dansaient  la  sal- 
ta relie  au  son  du  tambour  de  basque  joué  par  une 
petite  voisine  :  je  suis  venu  les  regarder  ;  alors  la  fille 
ainée,  qui  a  douze  ans,  prenant  l'air  caressant  :  Signore, 
oh  !  signore;  pigliate  la  chitarra  francese.  J'ai  pris  la 
chitarra  francese,  et  lo  ballo  a  recommencé  de  plus  belle. 
Ces  messieurs  les  peintres  ont  entendu  notre  ballo  et 
sont  venus  y  prendre  part  ;  toutes  les  petites  paysannes 
étaient  d'une  joie  folle  et  dansaient  avec  un  abandon 
délicieux,  pendant  que  la  voisine  agitait  son  tambour 
de  basque  et  que  je  m'écorchais  les  doigts  en  improvi- 
sant des  saltarelles  sur  la  chitarra  francese! 

Tout  le  pays  sait  déjà  qu'il  y  a  un  maestro  dcll'  Acu- 
demia  di  Francid  :  oh  commence  à  me  faire  circonve- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  163 

nir  par  Je  peintre  que  je  connais  et  qui  est  répandu 
dans  la  belle  société  de  Subiaco,  pour  me  faire  prendre 
part  aux  réunions  musicales  du  cru.  Hier,  pendant 
déjeuner,  le  maître  de  chant  est  venu  avec  un  des  élé- 
gants du  pays,  pour  me  sonder,  mais  Gibert  (c'est  le 
nom  de  mon  académicien) 1  a  tâché  de  leur  faire  entendre 
que  j'étais  un  sauvage  et  qu'il  serait  bien  difficile  de 
m  apprivoiser;  ils  n'ont  pas  osé  me  faire  de  propositions 
directes  et  j'espère  qu'ils  s'en  abstiendront.  Il  y  a  de 
belles  dames  qui  chantent  les  chœurs,  mais  je  les  ai 
vues  à  la  promenade,  ce  n'est  pas  assez  bien  pour  com- 
penser le  mal  que  me  ferait  leur  musique,  et  je  ne  leur 
servirais  à  rien. 

1"  juillet. 

Oh  !  comme  Nanti  serait  enchantée  de  ce  pays-ci,  et 
comme  Adèle  pourrait  briller  en  gravissant  les  mon- 
tagnes! (Je  me  rappelle  notre  course  au  Saint-Eynard, 
Adèle  nous  devançait  toujours  de  trente  pas.)  A  présent 
que  je  suis  en  train  de  travailler,  je  défie  l'ennui,  qui 
me  tourmente  si  fort  quelquefois.  Nous  avons  souvent 
la  pluie,  et,  quand  il  fait  trop  chaud  dans  Subiaco,  j'ai 
la  ressource  d'aller  dans  le  torrent,  aux  sinuosités  que 
le  soleil  ne  brûle  pas,  et  là,  on  dort  sur  quelque  ro- 

1.  Sur  Gibert,  grand  prix  de  18'20  pour  le  paysage  historique,  et 
demeuré  à  Rome,  voir  les  souvenirs,  postérieurs  de  quarante  ans, 
qu'a  racontés  M.  Henri  Maréchal  dans  son  livre  :  Rome  (l904ï, 
pp.  90  et  suiv. 


164  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES 

cher  creux,  étourdi  plutôt  qu'endormi  par  le  fracas  des 
eaux.  Hier  les  paysagistes  qui  travaillent  au  torrent 
m'ont  emmené  avec  eux,  j'ai  porté  ma  guitare  (elle  va 
devenir  bientôt  comme  la  fameuse  harpe  de  madame  de 
Genlis  qui  la  traînait  partout  et  en  parlait  sans  cesse) 
et  nous  avons  chanté  tant  et  plus  «  Sur  les  Alpes,  ah  ! 
quel  délice  »*,  et  la  grande  «  chasse  des  Bardes  »,et  ma 
ballade  d'Hélène,  que  je  suis  obligé  de  leur  répéter  régu- 
lièrement deux  fois  par  jour,  et  Orphée,  et  que  sais-je 
encore  ;  c'était  charmant,  mais  le  bruit  du  torrent  était 
un  peu  près  de  nous  et  empêchait  de  bien  entendre.  Ce 
bon  M.  Lesueur  ne  se  doute  guère  que  sa  musique  a  été 
admirée  à  Subiaco.  Sa  «  chasse  des  Bardes  »,  que  nous 
chantions  en  marchant  au  pas  dans  la  montagne,  trans- 
portait notre  auditoire,  et  de  petits  paysans  qui  nous  sui- 
vaient manifestaient  leur  plaisir  par  des  mouvements 
rythmés  pleins  d'expression.  J'ai  reçu  une  lettre  de  lui 
au  moment  de  mon  départ  de  Borne  ;  je  lui  avais  écrit 
de  Nice.  M.  Horace  lui  a  porté  une  seconde  lettre  où  je 
lui  donne  les  détails  qu'il  m'avait  demandés  sur  mes 
travaux. 

C'est  aujourd'hui  grande  fête  de  la  Madona  del  Car- 
mino,  on  a  illuminé  et  tiré  les  boîtes  hier  soir.  Demain, 
nous  irons  à  la  noce  d'un  jeune  brigand  nommé  Cris- 
pino,  qui  n'est  plus  à  la  montagne  depuis  trois  mois,  et 
qui  nous  a  tous  invités.  Je  lui  ai  fait  cadeau  d'un  beau 

1.  Voir  ci-dessus,  p.  151. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  465 

foulard  que  j'avais  acheté  à  Nice;  il  m'a  dit  qu'il  le 
donnerait  à  sa  ragazza,  parce  que  c'était  trop  joli  pour 
lui.  Toute  la  nuit  nous  l'entendons  sérénader  sa  ragazza 
qui  demeure  près  de  chez  nous  ;  tantôt  il  chante  avec  la 
musette,  tantôt  avec  mandoline,  guitare  et  triangle  ; 
l'air  est  une  espèce  de  grand  cri  plaintif  de  dix  mesures 
au  plus,  sur  lequel  il  improvise  les  paroles  Ml  y  a  beau- 
coup de  mœurs  sauvages  dans  ce  pays-ci.  Les  femmes 
travaillent,  portent  les  fardeaux,  pendant  que  les  maris 
se  reposent.  Quand  on  va  tuer  une  bête  à  cornes,  avant 
de  la  mener  à  la  boucherie  on  la  fait  courir  dans  les 
rues  en  l'accablant  de  pierres,  de  bâtons,  de  boue,  en 
la  faisant  tomber  dans  les  ruisseaux  et  la  tourmentant 
de  mille  manières;  absolument  comme  les  Hurons 
quand  ils  sacrifient  un  captif.  La  misère  est  extrême,  et 
la  saleté  aussi  grande  que  possible.  Il  y  a  des  femmes 
d'une  beauté  rare,  presque  toutes  blondes,  ce  qui  est 
fort  étonnant  en  Italie;  on  croit  qu'une  colonie  de 
Saxons  s'était  autrefois  établie  à  Subiaco  et  a  peuplé  le 
pays  de  têtes  blondes. 

J'espère  recevoir  incessamment  de  vos  nouvelles  ;  un 
sculpteur  est  venu  de  Rome  il  y  a  quatre  jours  et  m'a 
dit  que  je  n'avais  pas  de  lettres,  ce  qui  m'a  un  peu 
étonné. . .  mais,  j'y  suis  fait  à  présent,  et  je  sais  que 


1.  Sur  Crispino,  cf.  Mémoires,  Voyage  en  Italie.  Le  chapitre 
xxxviii  donne  la  notation  de  la  sérénade,  dont  Berlioz  a  repro- 
duit la  mélopée  dans  Benvcnuio  Cellini  (chœur  des  fondeurs  : 
«  Bienheureux  les  matelots  »). 


166  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 

bien  souvent  il  ne  dépend  que  de  vous  de  m'éviter  ces 
retards. 

H.  BERLIOZ. 

Les  Annales  dauphinoises,  août  1903.  L'original  de  cette 
lettre  a  été  communiqué  par  mademoiselle  Thimont,  de 
Vienne  (Isère). 


XII 


A     SA     SOEUR     ADELE 

Rome,  ce  7  auùt  1831. 

Ah  !  enfin...  il  y  a  quinze  jours  que  je  suis  de  retour 
de  Subiaco  et  que  j'attends  avec  une  impatience  diabo- 
lique la  réponse  à  mes  trois  dernières  lettres,  car  la 
vôtre,  chère  maman,  que  j'ai  trouvée  ici,  ne  m'annon- 
çait pas  même  la  réception  de  la  première.  Vous  êtes 
trois  ou  quatre  et  vous  ne  pouvez  pas  vous  tenir  au  cou- 
rant de  la  correspondance  de  l'exilé  tout  seul.  Je  m'en- 
nuie à  en  devenir  fou:  j'ai  quitté  les  montagnes  parce 
que  je  n'avais  plus  d'argent,  je  suis  revenu  à  Tivoli 
monté  sur  un  âne,  par  la  route  des  rochers  en  gravis- 
sml  et  en  descendant  un  sentier  au  prix  duquel  l'esca- 
lier le  plus  difficile  n'est  rien  ;  de  retour  ici,  l'ennui  m'a 
repris  comme  jamais  il  ne  s'en  était  encore  avisé:  habi- 
tué à  une  vie  morale  extrêmement  active,  je  me  trouve 
cloué  dans  un  pays  où  il  n'y  a  ni  livres,  ni  musique, 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  167 

ni  spectacles  ;  je  compose  et  ne  puis  pas  seulement  trou- 
ver un  pianiste  capable  d'accompagner  proprement  une 
romance  ;  il  est  au-dessus  de  mes  forces  d'aller  souvent 
aux  soirées  de  madame  Horace.  C'est  toujours  la  même 
chanson;  on  danse,  on  dit  des  riens,  on  regarde  les 
gravures,  on  lit  de  vieux  journaux,  on  boit  du  thé  fade, 
puis  on  va  à  la  croisée  qui  domine  Home,  on  fait  au 
clair  de  lune  quelques  vieilles  réflexions  bien  usées, 
bien  rebattues,  bien  académiques,  bien  bêtes  ;  on  parle 
du  choléra  morbus,  des  émeutes  de  Paris,  des  Polonais 
«fui  succombent,  de  la  défaite  des  Français  à  Alger,  du 
feu  d'artifice,  de  l'illumination  de  Saint-Pierre,  de  la 
danse  de  mademoiselle  Horace,  de  la  gaieté  insouciante 
de  son  père,  des  intrigues  d'un  cardinal,  des  bains  du 
Tibre,  et  je  m'en  retourne  plus  seul,  plus  ennuyé  qu'au- 
paravant, souhaitant  que  le  diable  ou  le  choléra  morbus 
les  emporte  tous,  ce  qui  ne  tardera  peut-être  pas  d'arri- 
ver, et  que  redoute  déjà  toute  la  volaille  du  pays.  Il  n'y 
a  pas  de  montagne  à  gravir  ici,  il  n'y  a  pas  de  torrent, 
pas  d'ombres  fraîches,  mais  des  rues,  des  places  brû- 
lantes comme  le  pavé  d'un  four,  un  petit  fleuve  d'eau 
jaune  et  boueuse,  des  habitants  qui  ont  toujours  l'air 
endormi,  puis  des  abbés  et  des  moines  en  haut,  eu  bas, 
à  droite,  à  gauche,  dehors,  dedans,  chez  les  pauvres, 
chez  les  riches,  à  l'église,  au  bal,  dans  les  cafés,  les 
amphithéâtres,  en  cabriolet  avec  les  dames,  à  pied  avec 
les  hommes,  aux  soirées  de  M.  Horace,  dans  son  atelier, 
dans  notre  jardin,  partout. 


168  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES, 

Puis  vous  ne  pouvez  faire  une  lieue  hors  des  murs 
sans  rencontrer  à  tout  instant  de  petites  croix  de  bois 
plantées  dans  un  tas  de  pierres  qui  marquent  la  place 
d'un  assassinat;  on  demande  au  voiturier  ce  que  c'est, 
et  il  répond  avec  le  plus  grand  sang-froid  :  «  C'est  une 
femme  qui  a  assassiné  son  amant  »,  ou  :  «  C'est  un 
Français  qui  avait  insulté  la  Madone  et  qu'on  a  tué  d'un 
coup  de  fusil  »,  ou  bien  :  «  C'est  un  Anglais  tué  par 
des  brigands  »,  etc.,  etc. 

Il  n'y  a  que  deux  choses  pour  lesquelles  ce  peuple 
romain  puisse  vraiment  se  passionner  ;  ce  qu'il  appelle 
l'amour  et  sa  madone.  On  croit  généralement  qu'il  a  un 
sentiment  vif  des  arts  (comme  si  ce  sentiment  pouvait 
exister  chez  des  êtres  dépourvus  de  tous  les  autres,  et 
pour  lesquels  la  vie  ne  consiste  que  dans  la  satisfaction 
des  sens  externes).  Je  parlais,  l'autre  jour,  à  un  modèle, 
de  Raphaël:  il  me  dit  qu'il  ne  connaissait  pas  ce  peintre 
et  qu'il  n'avait  jamais  posé  chez  lui.  Pour  la  musique!... 
Et  il  faut  vivre  ici  !...  //  n'y  a  que  Paris  pour  tout  ;  mais, 
puisque  je  ne  puis  y  être,  je  voudrais  voyager,  courir, 
voir  quelque  chose  de  vraiment  nouveau,  parcourir  le 
plus  grand  segment  possible  du  cercle  si  borné  de  la 
vie,  essayer  deux,  trois,  dix,  trente  manières  de  vivre, 
jouer  à  la  roulette  ;  peut-être  qu'une  semaine  ou  deux 
de  contentement  complet  pourraient  sortir  de  la  combi- 
naison de  toutes  ces  chances  et  on  aurait  toujours  l'amu- 
sement du  jeu,  ou  celui,  si  on  ne  gagne  pas,  de  voir 
jusqu'où  s'étend  la  mystification  dont  les  quatre-vingt- 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  169 

dix-neuf-centièmes  des  êtres  sensibles  et  intelligents 
sont  victimes.  Ce  n'est  pas  que  je  veuille  tenter  d'imiter 
Byron,  ce  serait  pitoyable;  mais  je  voudrais  voir  l'Amé- 
rique, les  îles  de  la  mer  du  sud,  la  grande  nature  à 
catastrophes,  de  jeunes  peuples,  des  villes  fraîchement 
sorties  de  terre.  Je  voudrais  essayer  de  tout,  me  faire 
planteur  aux  Antilles,  philanthrope  aux  États-Unis1,... 
au  Pérou,  quaker  à  Olaïti,  pionnier  à  la  Nouvelle-Hol- 
lande, puis,  revenir  en  Europe,  voir  si  la  vieille  décré- 
pite radote  toujours,  si  sa  lièvre  chaude  est  passée,  et  si 
elle  est  parvenue  à  savoir  ce  qu'elle  veut.  Au  moins,  si 
la  vie  m'avait  échappé  à  la  fin,  ce  ne  serait  pas  sans 
que  je  l'eusse  vigoureusement  poursuivie.  Et  il  faut 
pourrir  ici  ! 

Je  ferais  quarante  lieues  à  pied  au  soleil  pour  me 
procurer  des  livres  qui  m'aillent:  Notre-Dame  de  Paris, 
les  intimes  et  autres  ;  mais  pas  moyen  !  Nous  avons  une 
bibliothèque  à  l'Académie,  il  faut  voir...  Vous  vous 
ennuyez  aussi,  vous  autres,  je  le  veux  bien,  mais  au 
moins  vous  avez  des  livres. 

Adèle  m'apprend  le  mariage  de  Ferrand;  je  savais 
qu'il  avait  obtenu  l'assentiment  de  ses  parents,  mais  je 
n'ai  pas  eu  de  ses  nouvelles  depuis  le  24  mai  ;  je  lui 
écrivis  en  parlant  pour  Subiaco,  il  ne  m'a  pas  répondu. 

Je  pars  cette  nuit  avec  un  de  mes  camarades  qui  m'a 
proposé  de  venir  à  la  chasse  à  une  dizaine  de  lieues  de 

1 .  Une  déchirure  du  papier  a  enlevé  ici  un  mol. 

10 


170  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Rome  ;  je  vais  voir  si  cette  course  aux  champs  me  don- 
nera quelques  sensations  ;  je  l'espère;  nous  nous  fati- 
guerons, puis  à  dix  heures,  quand  le  soleil  brûlera,  nous 
irons  boire  de  l'orvieto  dans  quelque  cabaret  et  dormir 
dans  du  foin  avec  nos  chiens;  allons,  la  vie  animale  !... 

H.    B. 

Mon  père1  ne  m'écrit  jamais;  dites-moi  donc  comment 
mettre  l'adresse  pour  envoyer  une  lettre  à  Meylan,  je 
n'en  sais  plus  rien. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


XIII 

A    S  O  N    G  R  A  N  D-P  ÈRE   M  A  R  M  1 0  N 

Rome,  ce  15  septembre  1831. 
Cher  papa, 

Je  serais  bien  coupable  de  ne  vous  avoir  pas  encore 
écrit  depuis  mon  départ  de  France,  si  je  n'eusse  été 
persuadé  que  lorsque  mes  lettres  contenaient  quelque 
chose  d'intéressant  maman  s'empressait  de  vous  les 
envoyer;  j'ai  pris  l'habitude  de  n'adresser  spécialement 
mes  lettres  ni  à  l'un  ni  à  l'autre  des  membres  de  la 
famille,  mais  à  tous,  et  je  suis  bien  facile  que  l'éloigne- 

1.  Le  grand-pcrc  Marmion,  de  Mejlun  ;  voir  la  lettre  ci-apre^ 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  171 

ment  ait  été  cause  d'une  exception  pour  vous.  Je  vous 
connais  trop  bien  pour  craindre  que  vous  n'attribuiez 
à  légèreté  de  caractère  mon  silence  si  longtemps  prolongé. 

On  vous  aura  au  moins  instruit,  je  pense,  des  nou- 
velles agitations  qui  ont  accueilli  mon  arrivée  en  Italie, 
et  du  déchirement  de  cœur  que  m'a  fait  éprouver  celle 
de  qui  j'avais  si  peu  droit  d'en  attendre;  l'amour  profond 
s'est  changé  en  un  profond  mépris...  je  ne  reviendrai 
pa^  là-dessus. 

Il  me  reste  au  moins  l'amour  de  mon  art.  qui  ne  me 
quittera  jamais  ;  malheureusement  je  suis  forcé  de  vivre 
dans  un  pays  où  le  dieu  que  je  sers  est  inconnu.  Si 
jamais  Rome  fut  le  pays  de  la  musique,  on  peut  dire 
aujourd'hui  avec  vérité:  Rome  n'est  plus  dans  Rome. 
Les  autres  villes  que  j'ai  vues  jusqu'à  présent,  telles  que 
Gênes  et  Florence,  sont  dans  le  même  cas  :  je  n'y  ai 
trouvé  que  de  détestables  ouvrages  plus  détestablement 
exécutés,  et  un  public  qui  ne  se  doute  pas  même  qu'il 
existe  quelque  chose  de  mieux.  Il  faut  sortir  de  Paris 
pour  sentir  son  immense  supériorité  en  tout,  et  une  fois 
en  Italie,  il  faut  renoncer  à  la  plupart  des  jouissances 
intellectuelles  qui  font  le  charme  de  notre  capitale.  Il  y 
en  a  d'autres,  il  est  vrai,  que  j'apprendrai  pput-être  à 
apprécier  ;  on  m'avait  beaucoup  parlé  du  beau  ciel 
d'Italie,  il  est  beau  effectivement  pour  les  gens  à  qui  sa 
constante  uniformité  peut  plaire;  mais  j'avoue  que 
j'aime  le  vent,  la  pluie,  le  tonnerre,  les  orages  qui  font 
ressortir  la  beauté   calme  des  jours  de  soleil  ;  et  ces 


1*72  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

rayons  ardents  qui  ne  sont  presque  jamais  voilés  et  qui 
font  que  pendant  des  mois  entiers  tous  les  jours  se  res- 
semblent, m'ennuient  au  suprême  degré  ;  c'est  la  diffé- 
rence d'une  figure  vivante  qui  pleure,  rêve  et  sourit,  à 
une  statue  de  marbre  parfaitement  régulière,  mais  dont 
les  yeux  toujours  ouverts  n'expriment  rien.  Aussi  me 
suis-je  plu  bien  davantage  dans  les  montagnes  sauvages 
des  frontières  du  royaume  de  Naples  où  j'ai  déjà  passé 
près  d'un  mois  et  où  je  retourne  incessamment. 

Je  trouve  délicieuse  cette  vie  isolée,  ces  courses  dans 
les  rochers,  ces  bains  dans  le  torrent,  cette  société  de 
paysans  dont  quelques-uns  sont  pleins  d'une  affectueuse 
bonhomie,  séparé  entièrement  du  tracas  insipide  de 
la  ville.  Je  prends  les  mœurs  agrestes  d'autant  plus 
volontiers  que  la  contrainte  imposée  par  celles  du  monde 
civilisé  (de  Rome  s'entend)  ne  se  trouve  compensée  par 
rien.  Je  comprends  mieux  que  jamais  le  plaisir  que  vous 
trouvez  dans  votre  solitude  de  Meylan,  surtout  avec 
votre  goût  pour  l'agriculture  :  on  ne  vous  rompt  pas  la 
tête  de  Chambre  des  députés,  de  pairie,  de  budget,  de 
choléra  morbus,  de  Don  Miguel*,  du  Pape,  etc.,  ou,  si 
vous  en  entendez  parler,  ce  n'est  pas  assez  fréquemment 
pour  en  être  obsédé.  Vous  êtes  le  véritable  philosophe 
de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  et  vous  pouvez  dire 
comme  lui  :  «  Je  contemple  de  ma  solitude  les  orages 
qui  frémissent  dans  le  reste  du  monde  et  mon  repos 

1.  Prétendant  et  usurpateur  du  trône  de  Portugal. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  173 

redouble  au  bruit  lointain  de  la  tempête.  »  Je  me  pro- 
mets bien  à  mon  retour  en  France  d'aller  partager  votre 
ermitage  le  plus  longtemps  qu'il  me  sera  possible,  en 
vous  demandant  toutefois  un  peu  d'indulgence  pour 
mes  accès  de  spleen  qui  m'ôtent  presque  la  faculté  de 
parler  quand  j'en  suis  atteint. 

Avez-vous  lu  la  dernière  épitre  (A  Barthélémy)  de 
Lamartine  ?  C'est,  à  mon  avis,  tout  ce  qu'on  peut  voir 
de  suave,  de  délicat,  de  céleste,  de  ravissant.  Oh  !  c'est 
un  grand  poète  !  Quel  dommage  quil  soit  si  incomplet  ! 
Il  ne  sort  pas  des  cieux  ;  et  pourtant  un  poète  devrait 
être  un  miroir  où  tous  les  objets  gracieux,  et  horribles, 
brillants  et  sombres,  calmes  et  agités  se  réfléchissent. 
Moore  est  un  peu  comme  Lamartine:  mais  Byron,  mais 
Hugo  '(en  pvse)  mais  Shakespeare,  gœthe,  Schil- 
ler... et  parmi  les  miens,  Beethoven,  Weberl...  quels 
noms!...  Je  ne  puis  y  penser  sans  m'écrier  comme  les 
sauvages  :  OH  !.. . 

Adieu,  cher  papa,  j'espère  que  vous  voudrez  bien  ne 
pas  me  punir  de  mon  apparente  négligence  et  que  je 
recevrai  dans  peu  de  vos  nouvelles. 

Je  vous  embrasse  tendrement. 

Votre  affectionné. 

H.  BERLIOZ. 

Monsieur  Marmion.  à  Montbonnot  (pour  Meylan),près 
Grenoble  (Isère).  France. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

10. 


174  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

a  Ferdinand  hiller,  Rome,  17 septembre  1831  ( Corresp. 
inéd.,  86).  La  vie  dans  la  campagne  de  Rome.  Souvenir  de 
Mendelssohn. 


XIV 


A    SON    PERE 

San  Germano,  lundi  17,  18, 19,  20  ou  21  octobre 
(je  ne  sais  pas  bien)  [1831]. 

Je  suis  parti  de  Naples  vendredi  dernier  à  pied  avec 
deux  officiers  suédois  qui  parlent  fort  bien  le  français 
et  sont  d'une  société  fort  aimable.  Cette  manière  de  par- 
courir le  pays  est  incomparablement  plus  agréable  que 
les  moyens  ordinaires  ;  dans  ce  moment-ci  surtout;  le 
soleil  ne  brûle  plus,  le  siroco  ne  souffle  pas,  les  fruits 
sont  murs,  on  vendange  partout,  il  fait  un  petit  air  frais 
délicieux  ;  c'est  le  beau  moment  de  l'Italie.  Pendant  que 
ces  messieurs  grimpent  au  mont  Cassino,  pour  visiter  le 
fameux  couvent  dont  je  vous  ai  parlé  dans  ma  lettre  de 
Naples i ,  je  vous  écris. . .  Il  faut  bien  profiter  des  moments 
où  on  a  quelque  chose  d'intéressant  à  dire,  j'ai  assez  le 
temps  à  Kome  de  me  sentir  l'esprit  obtus,  l'imagination 
morte  ou  le  cœur  serré. 

Depuis  ma  dernière  lettre,  j'ai  visité  les  illustres  débris 

1.  Cette  lettre  n'a  pas  été  retrouvée. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  175 

de  Pompéi  ;  je  ne  veux  pas  vous  assommer  d'une  des- 
cription de  ce  squelette  de  ville,  mais,  à  coup  sûr,  c'est 
au  niveau  de  ce  qu'on  peut  d'avance  s'en  figurer. 
Mes  quatre  compagnons  de  voyage  et  le  cicérone 
gâtaient  beaucoup,  toutefois,  mon  petit  monde  antique: 
ce  n'est  pas  là  l'effet  de  Pompéi.  Je  pestais  en  moi- 
même  contre  les  circonstances  qui  m'empêchaient  d'être 
seul,  errant,  la  nuit,  à  travers  des  colonnes  et  des  ombres 
de  colonnes,  vu  de  la  lune  seulement  et  libre  de  me 
livrer  à  tous  les  caprices  de  mon  impressionnabilité  (pour 
ne  pas  toujours  dire  imagination).  Il  doit  être  beau  de 
pouvoir  rêver  ainsi  au  milieu  du  silence,  marchant  sur 
ces  grandes  dalles  polies,  dans  ces  longues  rues  reten- 
tissantes, à  travers  les  temples  et  les  palais  ;  d'aller 
s'asseoir  dans  le  grand  Théâtre  tragique,  penser  aux 
Sophocles,  aux  Euripides  ;  de  voir  en  frémissant  s'agiter 
derrière  le  nuage  du  passé,  au  milieu  de  l'immense 
amphithéâtre,  les  gladiateurs,  les  lions,  les  tigres,  et, 
plus  effrayant  encore,  ce  peuple  altéré  de  sang,  pour- 
suivant de  regards  vides  le  cœur  de  la  victime  déchirée 
par  l'ongle  ou  par  le  fer  d'un  animal  désespéré,  et 
applaudissant  à  ses  dernières  pulsations.  J'aurais  bien 
voulu  dormir  dans  un  de  ces  jolis  appartements,  pavés 
de  mosaïque,  qu'on  se  figure  peuplés  de  belles,  drapées 
à  la  grecque,  au  regard  fier,  impérieux,  qu'environnaient 
de  ravissantes  esclaves  jouant  de  la  lyre  et  chantant  la 
volupté.  Mais  tout  cela  est  impossible.  Il  y  a  des  gardiens 
partout,  qui  vous  suivent  d'un  œil  attentif;  je  n'ai  pas 


176  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

seulement  pu  voler,  pour  mon  père,  un  pauvre  petit 
débris  de  fresque  ou  de  mosaïque. 

Après  la  course  à  Pompéi  je  suis  allé  à  Castellamare 
où  j'ai  laissé  mes  quatre  compagnons.  J'ai  failli  m'era- 
barquer  pour  la  Sicile,  mais  les  raisons  d'argent  m'ont 
retenu. 

Revenu  à  pied  à  Naples,  j'ai  rencontré  mes  deux 
Suédois  qui  m'ont  proposé  de  les  accompagner  dans 
leur  voyage  pédestre  jusqu'à  Rome.  Jusqu'à  présent,  je 
n'ai  qu'à  m'applaudir  de  l'avoir  fait.  Nous  n'avons  eu 
encore  d'autre  inconvénient  que  la  fatigue  et  des  disputes 
pour  des  poires  ou  des  raisins  ou  des  figues  volés  quand 
les  maîtres  n'étaient  pas  là  pour  nous  les  vendre.  Cette 
vie  vagabonde  est  fort  amusante  ;  mes  effets  sont  à  la 
poste  qui  les  porte  à  Rome  ;  je  n'ai  que  mon  porte- 
feuille, ma  canne  et  ma  bourse,  et  ce  n'est  pas  du  poids 
de  celle-ci  que  je  puis  avoir  à  me  plaindre,  d'ailleurs  il 
diminue  graduellement  à  mesure  que  je  me  fatigue  et 
finira  par  disparaître  tout  à  fait  au  moment  d'arriver. 
Nous  nous  sommes  arrêtés  ici  un  jour,  séduits  par  la 
beauté  du  pays  ;  nous  repartirons  demain  pour  Isola  di 
Soi-a,  petit  bourg  situé  dans  les  Abbruzzes,  où  se  trouve 
une  rivière  très  curieuse  et  des  papeteries  dirigées  par 
des  Français  (un,  entre  autres,  de  Yoiron).  Comme  j'ai 
déjà  passé  par  cette  route,  je  sers  de  guide  aux  deux 
étrangers  ;  nous  comptons,  en  sortant  de  Sora,  aller  à 
travers  les  montagnes  à  Subiaco,  qu'un  de  ces  messieurs 
connaît  déjà  et  affectionne  autant  que  moi  :  puis  de  là, 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES  177 

disant  adieu  auxrochers.  torrents,  nuages,  bois,  paysannes 
bigarrées,  et  à  tous  les  charmes  de  la  vie  active,  nous 
irons  nous  endormir  à  Rome  du  triste  et  lourd  sommeil 
de  l'ennui. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


XV 


A    THOMAS    G OU NET 

Rome,  ce  28  novembre  1831 . 
Mon  dearest  Gounet, 

Béni  soyez- vous  mille  fois  !  Vous  n'oubliez  pas  les 
absents,  les  exilés,  les  orphelins  ;  votre  lettre,  que  j'ai 
trouvée  sur  le  chevetde  mon  lit,  un  soir  en  revenant  de 
la  campagne,  m'a  donné  une  délicieuse  insomnie.  Vous 
m'écrivez  de  grandes  lettres,  je  riposte  par  une  espèce 
de  poulet,  maigre  d'expressions,  pour  mes  sentiments 
pour  vous.  C'est  donc  fini,  l'empire  de  Constance  est 
passé?  Je  vous  en  félicite  de  tout  mon  cœur,  puisque 
votre  liaison  avec  la  nymphe  capricieuse  ne  servait  qu'à 
vous  tourmenter.  Vous  me  demandez  si  j'ai  trouvé 
quelque  âme  romaine  qui,  etc.,  etc.?...  Non. 

Ne  parlons  pas  de  cela.  Ce  qu'il  y  a  de  pire,  c'est  que 
je  ne  puis  vivre  sans  musique  :  je  ne  puis  m'y  accoutu- 


178  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

mer,  c'est  impossible.  Ma  haine  pour  tout  ce  qu'on  a 
l'impudence  de  décorer  de  ce  nom,  en  Italie,  est  plus 
forte  que  jamais.  Oui,  leur  musique  est  une  catin  ;  de 
loin,  sa  tournure  indique  une  dévergondée,  de  près,  sa 
conversation  plate  décèle  une  sotte  bête.  Je  ne  suis 
revenu  que  d'une  seule  de  mes  préventions  ;  c'est  celle 
contre  les  Italiens,  que  je  trouve  jusqu'à  présent  d'aussi 
bonnes  gens  que  d'autres  ;  surtout  ceux  des  montagnes 
que  j'ai  vus  davantage.  Aussi  vais-je  souvent  les  visi- 
ter: ma  malheureuse  maladie  fait  tous  les  jours,  à 
Rome,  de  nouveaux  progrès  ;  je  n'y  connais  d'autre 
remède,  quand  les  accès  sont  trop  forts,  que  la  fuite. 
Dès  que  je  me  sens  plus  tourmenté  du  spleen  qu'à  l'or- 
dinaire, je  mets  ma  veste  de  chasse,  je  prends  mon 
fusil  et  je  décampe  à  Subiaco,  quelque  temps  qu'il  fasse. 
Il  y  a  huit  jours  que  j'ai  fait  le  voyage  de  Tivoli  à 
.Subiaco  par  une  pluie  enragée  qui  a  duré  toute  la  jour- 
née. Le  mois  dernier  je  suis  revenu  de  ÎNaples  à  pied,  à 
travers  les  montagnes,  par  les  bois,  les  rochers,  les 
hauts  pâturages,  et  je  n'ai  pris  de  guide  qu'une  fois. 
Vous  ne  sauriez  croire  le  charme  d'un  pareil  voyage  : 
ses  fatigues,  ses  privations,  ses  apparences  de  danger, 
tout  cela  m'enchantait  :  j'y  ai  mis  neuf  jours  que  je  me 
rappellerai  longtemps. 

Je  ne  vous  parle  pas  de  mes  impressions  multipliées, 
au  Vésuve,  à  Naples,  à  Pompéi,  etc.;  j'aurais  trop  à  dire; 
seulement  je  trouve  toujours  que  rien  n'égale  la  mer. 
Mais  nous  causerons,  nous  causerons  de  tout  cela.  Vous 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  179 

m'apprenez  le  mariage  de  la  sœur  de  Berlioz  ;  je  lui  avais 
écrit  de  Naples,  il  ne  m'a  pas  répondu  ;  je  lui  demandais 
[  des  nouvelles  de  cet  inexplicable  Ferrand  qui  vient  aussi 
1  de  se  marier  il  y  a  trois  mois  et  qui  n'en  dit  rien  à  per- 
I  sonne.  Il  parait  que  vous  l'ignoriez,  car  vous  ne  m'en 
dites  rien  ;  je  lui  avais  écrit  à  l'époque  de  son  mariage, 
I  que  je  ne  connaissais  pas,  une  lettre  qui  motivait  plus 
[  que  toute  autre  une  réponse,  et  il  ne  me  l'a  pas  accor- 
I  dée.  J'ai  su  indirectement  qu'il  avait  épousé  sa  passion, 
J  mademoiselle  Aimée  Roland.  Personne  ne  me  répond  ; 
:  ce  qui  me  met  par  moments  dans  des  rages  inconce- 
vables. J'écrivis  à  Hiller,  rue  Sainte-Anne,  n°  \ ,  il  y 
j  a  deux  mois;  pointde  réponse;  pas  plus  que  de  Ferrand 
fcj  et  d'Auguste.  J'aurai,  je  crois,  bientôt  à  vous  apprendre 
i)  le  mariage  de  ma  sœur  aînée1  et  son  voyage  à  Paris. 
\  Voyez  quel  crève-cœur  de  ne  pas  m'y  trouver,  mais 
I  vous  irez  au  moins  la  voir;  j'arrangerai  ça.  Son  futur 
I  est  un  juge  au  tribunal  de  Grenoble.  Je  ne  sais  pas 
d  combien  de  mois  j'aurai  encore  à  dévorer  mon  cœur 
■i  dans  notre  maudite  caserne:  mais,  dans  tous  les  cas,  je 
pa  -serai  par  Paris  avant  d'aller  en  Allemagne  pour  ma 
i  troisième  année.  Adieu,  mon  cher  Gounet,  si  vous  ren- 
jj  contrez  Hiller,  accablez-le  de  malédictions  de  ma  pari  ; 
I  rappelez-moi  au  souvenir  du  patcr  familias  Auguste,  de 
I  ce  bon  Pixis   que  vous   trouverez   facilement  au  café 


1.  Nanci  Berlioz  épousa,   en  effet,  au  coiuinencement  de  1832, 
Camille  Pal,  juge  à  Grenoble. 


180  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

Feydeau,  de  Desmarest  qui  est  un  drôle,  un  pares- 
seux, un  grand  vilain,  et  croyez-moi  plus  que  jamais 
votre  tout  dévoué. 

H.    BERLIOZ. 
Lettres  à  Gounet. 

a  Ferdinand  hiller,  Rome,  8  décembre  1831  (Corresp. 
inéd.  88).  Impressions  de  voyage.  «  Faut-il  que  je  sois  ici  cla- 
quemuré, dans  ce  pays  morne  et  antimusical,  pendant  qu*à 
Paris  on  joue  la  Symphonie  avec  chœurs,  Euryanthe  et  Robert 
le  Diable?  »Prière  de  copier  dans  la  cantate  la  Mort  d'Orphée 
Yadagio  con  tremulandi  (destinée  à  devenir  la  Harpe  éolienne 
dans  le  Retour  à  la  vie). 

a  HUMBERT  ferra nd,  même  date  (Let.  int.,  105).  Court 
billet,  demande  de  nouvelles. 


XVI 

A    VICTOR    HUGO 

(Fragment.) 

Rome,  10  décembre  1831. 
(Après  la  lecture  de  Notre-Dame  de  Paris.) 

Ah  !  vous  êtes  un  génie,  un  être  puissant,  un  colosse 
à  la  fois  tendre,  impitoyable,  élégant,  monstrueux, 
rauque,  mélodieux,  volcanique,  caressant  et  méprisant. 
Cette  dernière  qualité  du  génie  est  certainement  la  plus 
rare;  ni  Shakespeare,  ni  Molière  ne  l'ont  eue.  Beethoven 
seul  parmi  les  grands  a  mesuré  juste  la  hauteur  des 
insectes  humains  qui  l'entouraient,  et  avec  lui  je  ne 
vois  que  vous  ! 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  181 

Il  lui  peint  en  termes  exaltés  l'ennui  qu'il  ressent  d'être 
exilé  à  Rome  et  l'effet  qu'a  produit  sur  lui  la  lecture  de 
Notre-Dame  de  Paris.  Il  voudrait  le  voir,  lui  demander  un 
livret  d'opéra,  mais  il  craint  qu'il  n'ait  pas  les  mêmes  goûts 
que  lui  en  musique,  car  il  croit  savoir  que  le  gros  homme 
gai  (Rossini)  va  mettre  Notre-Dame  de  Paris  en  musique. 

Il  est  bien  gai,  le  gros  homme  ;  il  est  vrai  que"\Yeber 
est  mort... 

{Catalogue  d'autographes,  J.  Charavay,  403.)  —  L'original  de 
cette  pièce  n'est  qu'un  brouillon  :  la  lettre  n'a  certainement  pas 
été  envoyée  à  son  destinataire,  car  elle  n'a  pas  été  retrouvée  dans 
les  papiers  de  Victor  Hugo,  parmi  lesquels  ont  été  conservées 
plusieurs  lettres  de  Berlioz  qu'on  lira  dans  la  suite  de  ce  recueil. 

a  Ferdinand  iiiLLER,  Rome,  1er  janvier  183-2  (Corresp. 
inéd.,  90).  Travaux  de  composition  :  Roi  Lear,  Rob-Roy, 
Mélologue,  quelques  morceaux  détachés.  Impressions  de  ses 
voyages.  Mendelssohn.  Projets  de  retour  en  France  et  de 
voyage  en  Allemagne. 

a  humbert  ferra nd,  Rome,  8  janvier  1832  (Let.  int., 
106).  Projet  de  scénario  du  Dernier  jour  du  monde. 


XVII 

A   MADAME    LESUEUR 

Rouie,  ce  11  janvier  1832. 
Madame. 

Je  vous  remercie  mille  fois,  madame,  delà  bonté  que 

vous  avez    eue    de  m'envoyer  ma  partition1   et  plus 

1.  Vraisemblablement  la  Messe  solennelle,  de  1823,  d'où  Berlioz 
tira  le  Resurrexit  (deuxième  partie  du  Credo)  pour  l'utiliser  comme 
envoi  de  Rome. 

11 


182  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

encore  de  la  lettre  qui  l'accompagnait.  Je  suis  bien  sen- 
sible à  tout  l'intérêt  que  vous  me  témoignez  et  je  prends 
aujourd'hui,  pour  la  première  fois,  la  liberté  de  vous  en 
remercier  directement.  Je  vous  prie  de  croire  que  rien 
ne  m'eût  été  plus  agréable  que  d'entretenir  activement 
notre  correspondance,  mais  j'ai  souvent  craint  de  vous 
fatiguer  par  des  lettres  dont  le  style  se  serait  trop  ressenti 
de  mon  humeur  sombre. 

J'ai  été  pendant  trois  mois  de  suite  possédé  du  spleen 
jusqu'à  en  devenir  comme  un  dogue  qui  prend  la  rage  ; 
ce  n'était  guère  le  cas  de  prendre  la  plume,  je  n'aurais 
pu  la  tremper  que  dans  le  fiel.  Depuis  le  retour  de 
M.  Horace,  qui  m'a  fidèlement  remis  votre  lettre,  j'ai 
fait  un  voyage  à  Naples.  Je  m'y  suis  déterminé,  brus- 
quement, un  jour  que  je  dormitais  dans  notre  bois  de 
lauriers,  couché  sur  un  tas  de  feuilles  mortes,  enviant  le 
sort  des  lézards  que  je  voyais  se  jouer  à  mes  pieds  au  soleil 
d'août.  Ma  détermination  a  été  bientôt  prise  ;  je  me  suis 
levé,  j'ai  secoué  mon  habit,  je  suis  monté  faire  un  petit 
porte-manteau  et  avertir  M.  Horace,  et  le  lendemain 
matin  je  suis  parti.  Oh  !  Voilà  une  ville,  Naples  !  C'est 
du  bruit,  de  l'éclat,  du  mouvement,  de  la  richesse,  de 
l'activité,  des  théâtres  ;  c'est  tout  ce  qui  nous  manque  ici 
et  plus  encore.  Il  n'y  a  pas,  il  est  vrai,  ce  fantôme  de 
grandeur  qui  assombrit  la  physionomie  de  Rome  et 
semble  couvrir  d'un  crêpe  la  désolée  campagne  qui  l'en- 
ceint  de  toutes  parts.  Il  n'y  a  pas  d'arides  monticules 
couverts  de  débris,  sur  lesquels  le  rêveur  va  s'asseoir 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  183 

pour  écouter  au  loin  le  grave  chant  des  cloches  de  Saint- 
Pierre  ;  il  n'y  a  pas  de  plaine  immense,  inculte,  sans 
arbres  ni  habitations.  Mais  il  y  a  un  Vésuve,  une  grande 
et  superbe  mer,  des  îles  ravissantes,  un  golfe  de  Baya 
rempli  de  souvenirs  Virgiliens  qui  me  vont  au  moins 
aussi  bien  que  la  poudre  tumulaire  et  la  cendre  des 
empereurs.  On  sait  que  les  caractères  les  plus  dissem- 
blables sont  ceux  qui  sympathisent  le  plus  fortement  et 
que  deux  êtres  organisés  absolument  de  la  même  ma- 
nière ne  peuvent  que  s'ennuyer  ensemble;  voilà  pour- 
quoi Home  m'assomme.  Il  y  a  tant  en  moi  de  champs 
ravagés,  de  palais  déserts,  de  ruines  déjà  froides,  que  je 
cherche  au  moins  au  dehors  le  mouvement,  la  chaleur 
et  la  vie.  Il  y  a  tant  de  matières  fulminantes  accumulées 
au  fond  de  mon  caractère  refroidi,  que  vous  pouvez 
penser  si  mes  entrailles  fraternelles  ont  dû  s'émouvoir 
aux  cris  du  Vésuve  souffrant  et  furieux.  J'y  suis  arrivé  à 
pied,  à  minuit  :  les  étoiles  scintillaient  sur  ma  tète  ;  au- 
dessous  de  moi,  la  mer,  resplendissante  des  feux  des 
pêcheurs,  semblait  une  vaste  prairie  avec  un  concilia- 
bule de  vers  luisants,  et  tout  près,  le  Vésuve  soufllant. 
râlant,  vomissait  contre  le  ciel  des  tourbillons  de  flammes 
et  de  roches  fondantes,  comme  de  brûlants  blasphèmes 
auxquels  j'applaudissais  avec  transport. 

Il  serait  trop  long  de  vous  parler  de  toutes  mes  excur- 
sions à  Pompei,  à  l'île  de  Nisida,  de  mes  promenades 
en  mer,  de  mes  diners  avec  mes  rameurs  dans  les  bois 
de  Puzolles  où,  sous  une  tente  de  paille  de  maïs,  nous 


184  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

mangions  le  macaroni  et  sablions  le  vin  du  Pausilippe 
en  discourant  du  brillant  roi  Murât,  de  l'île  d'Elbe,  de 
la  Corse  et  de  ce  qui  s'en  suit. 

Je  ne  croit  pas  qu'il  fût  fort  intéressant  pour  vous 
de  savoir  jusqu'à  quel  point  je  fus  ému  en  voyant 
un  soir  le  soleil  se  coucher  derrière  le  cap  Misène, 
pendant  que  du  sublime  paysage  illustré  par  Virgile 
semblaient  surgir,  rajeunis,  Enée,  Jubé,  Latinus,  Pallas, 
le  bon  Evandre,  la  résignée  Lavinie,  Amanda,  le  mal- 
heureux Turnus  et  tout  le  bataillon  de  héros  aux  pana- 
ches flottants  dont  le  génie  du  poète  a  peuplé  ce  rivage. 
Les  mots  ne  peuvent  rendre  l'effet  d'un  tel  magnétisme 
de  souvenirs,  de  poésie,  de  lumière,  d'air  pur,  d'horizon 
rosé,  de  créations  fantastiques...  J'étais  enivré,  je  me 
serais  cru  loin  de  la  terre  si  mes  larmes  ne  m'eussent 
rappelé  que  j'étais  encore  dans  la  triste  vallée  où  l'on  en 
répand. 

Ainsi  je  vous  dirai  donc  simplement,  qu'après  avoir 
admiré  de  toutes  mes  forces,  jusqu'à  en  perdre  la  raison, 
je  suis  reparti  pour  Rome,  ù  pied,  à  travers  les  mon- 
tagnes, couchant  la  nuit  dans  des  capitales  de  bandits  et 
marchant  le  jour  dans  des  lits  de  torrents  ou  de  vastes 
prairies  sans  chemin  frayé.  Le  septième  jour  je  suis 
arrivé  à  Subiaco,  où  j'ai  trouvé  un  camarade  de  l'Aca- 
démie qui  m'a  prèle  du  linge,  dont  j'avais  grand  besoin, 
et  après  vingt-quatre  heures  de  repos  j'ai  repris  ma 
course  vers  Tivoli  et  Rome,  où  je  suis  arrivé  sans  encom- 
bre. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  18o 

Je  ne  vous  parlerai  pas  de  mes  observations  musi- 
cales :  elles  sont  toutes  consignées  dans  un  grand  article 
qui  m'a  été  demandé  de  Paris  pour  la  Revue  européenne  ; 
je  l'achève  en  ce  moment  et  vous  pourrez  le  lire  avant 
mon  retour1. 

Je  partirai  d'ici  au  mois  de  mai  prochain,  me  dirigeant 
sur  Milan  que  je  n'ai  pas  encore  vu,  de  là  plus  tard  sur  Paris, 
où  j'irai  faire  ma  cargaison  de  musique  et  lâcher  deux 
ou  trois  bordées  vocales  et  instrumentales  avant  de 
me  lancer  sur  l'océan  musical  de  la  Germanie.  Quel 
plaisir  je  me  promets  de  revoir  mon  excellent  maître  et 
vous,  madame,  qui  avez  droit  à  tant  d'affection  de  ma 
part  !  Veuillez  assurer  à  M.  Lesueur  que  mes  efforts  ne 
se  ralentissent  pas  pour  me  rendre  de  plus  en  digne  de 
la  sienne. 

Je  demande  bien  pardon  à  mesdemoiselles  Eugénie  et 
Clémentine,  mais  le  jour  de  l'an  n'est  pas  si  éloigné  que 
l'usage  ne  puisse  m'autoriser  à  les  embrasser  toutes  les 
deux. 

Votre  tout  dévoué. 

H.    BERLIOZ. 


1.  Cet  article  a  paru,  en  deux  numéros,  dans  la  Revue  euro- 
péenne de  1832,  sous  ce  titre:  Lettre  d'un  enthousiaste  sur  l'état  de 
la  musique  en  Italie.  Les  éléments  principaux  en  ont  été  postérieu- 
rement utilisés  par  l'auteur  dans  l'Italie  pittoresque  (1835),  puis 
dans  son  Voyage  musical  en  Allemagne  et  en  Italie (1844),  enfin  dans 
ses  Mémoires. 


186  LES    ANNKKS    ROMANTIQUES. 

P. -S.  Que  fait  Turbri  '  ?  N'a-t-il  point  obtenu  d'avan- 
cement à  l'Opéra?  Je  pense  bien  souvent  à  lui  el  le 
voudrais  voir  plus  heureux.  C'est  un  excellent  garçon 
qui  aurait  plus  d'amis  s'il  ne  pensait  pas  tout  haut 
devant  des  gens  que  ses  pensées  offusquent.  Mes  amitiés 
à  Stophen2  et  à  tutti  gli  fratelli  in  musica. 

Communiqué  par  M.  Xavier  Lesueur  (précédemment  reproduit 
dans  la  Bévue  musicale,  15  février  1906). 

a  HUMBERT  ferrand,  17  février  (Let.  int.,  111).  Court 
billet.  Il  partira  le  1er  mai. 


1.  Turbri,  violoniste  et  compositeur,  auteur,  comme  Berlioz, 
d'une  Symphonie  fantastique,  était  entré  à  l'orchestre  de  l'Opéra, 
comme  alto,  en  1830;  au  moment  même  où  Berlioz  écrivait  la  lettre 
ci-dessus,  dans  laquelle  il  s'intéressait  à  son  avancement,  il  était 
congédié.  Fétis  a  apprécié  son  caractère  en  ces  termes,  qu'on  peut 
rapprocher  de' ceux  de  Berlioz:  «Esprit  bizarre,  inconstant,  sans 
ordre  dans  les  idées  comme  dans  sa  conduite,  il  ne  sut  pas  mettre 
à  profit  son  heureuse  organisation  d'artiste,  et  finit  par  tomber 
dans  la  misère  et  la  dégradation  qui  en  est  souvent  la  compagne.  » 

2.  Stephen  delà  Madelaine,  ancien  chanteur  récitant  de  la  cha- 
pelle du  Boi,  dont  Lesueur  était  directeur,  a  écrit  une  biographie 
de  ce  dernier  (1841).  Il  y  dit  avoir  vécu  dans  l'intimité  du  maître, 
et,  dans  une  note  (p.  31),  émet  les  réflexions  suivantes:  «Lesueura 
assez  vécu  pour  être  témoin  des  premiers  triomphes  de  M.  Berlioz, 
auxquels  il  applaudit  de  tout  son  cœur  et  sans  nulle  réserve.  Il  avait 
poussé  avec  énergie  ce  jeune  et  déjà  célèbre  maître  dans  la  voie 
nouvelle  qu'il  a  suivie  jusqu'à  ce  jour  avec  tant  de  courage  et  de 
bonheur  ». 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  187 


XVIII 

A     THOMAS    GOUNET 

Rome,  17  février  1832. 
Mon  cher  Gounet, 
Puisque  vous  êtes  le  seul  homme  exact,  le  seul  sur 
lequel  un  absent  puisse  compter,  entre  tous  ses  amis, 
j'ai  recours  à  vous  pour  une  petite  commission  dont  je 
suis  sûr  que  vous  me  rendrez  bon  compte.  J'ai  envoyé, 
il  y  a  plus  d'un  mois,  à  la  Revue  européenne,  un  grand 
article  sur  l'état  actuel  de  la  musique  en  Italie1,  lequel 
article  m'avait  été  demandé  peu  de  temps  auparavant 
par  de  Carné.  Je  l'ai  adressé,  comme  il  me  l'avait  indi- 
qué, au  bureau  de  la  revue,  rue  des  Saints-Pères,  numéro 
69,  ou,  en  l'absence  du  directeur,  à  M.  de  Cazalès2  que 
je  connais  personnellement  un  peu  ;  en  outre,  j'ai  écrit 
une  lettre  particulière  à  M.  Cazalès  pour  le  prier  de 
m'informer  du  sort  de  mon  article,  de  l'époque  de  son 
insertion,  etc.  Depuis  lors  je  n'en  ai  pas  reçu  de  nou- 
velles; veuillez  donc,  je  vous  prie,  un  matin,  en  vous 
rendant  à  votre  bureau,  passer  à  celui  de  la  revue,  ou 
chez  M.  Cazalès,  rue  du  Cherche-Midi,  numéro  lo,  et  de- 
mander ce  qu'est  devenu  mon   paquet.   Je  vous  prie 

1.  Voyez  lettre  du  12  janvier  ci-dessus,  et  note. 

2.  Voyez  note,  p.  27. 


188  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

aussi  de  me  répondre  aussitôt  ce  que  vous  aurez  appris. 
Ce  serait  pour  moi  une  vexation  cruelle  et  une  insup- 
portable corvée  d'être  obligé  de  recopier  ce  maudit 
article  si  la  première  copie  a  été  égarée . 

J'ai  enfin  reçu  des  nouvelles  de  Ferrand  ;  de  Germain 
aussi,  mais  d'Auguste  point;  il  a  laissé  deux  lettres  sans 
réponse,  il  se  marie,  il  est  marié,  avec  la  sœur  de  Gilar- 
din,  une  compatriote  de  Ferrand.  Hillern'apas  répondu 
non  plus  à  mes  deux  dernières  lettres,  et  si  j'en  ai  enfin 
obtenu  signe  de  vie  il  y  a  deux  mois,  c'est  à  vous  que 
je  le  dois. 

Que  faites- vous  au  milieu  de  toutes  ces  conjurations, 
conspirations,  factions,  désolation  du  sens  commun,  des 
arts  et  des  gens  paisibles?...  Quelle  part  y  prenez-vous? 
Je  voudrais  bien,  pour  votre  repos,  qu'elles  ne  vous 
intéressassent  pas  plus  que  moi. 

Si  vous  écrivez  quelque  jolie  petite  poésie  dans  votre 
genre,  voudriez-vous  bien  me  la  réserver?  me  l'envoyer? 
Je  compte,  à  mon  retour  en  France,  publier  un  autre 
recueil  dans  le  goût  des  mélodies  sur  des  paroles  de 
divers  auteurs.  J'ai  fait  dernièrement  un  petit  air  sur  la 
Captive  de  Victor  Hugo  qui  vous  plaira,  j'en  suis  sûr. 
J'arrive  des  montagnes  où  j'ai  passé  tout  le  commence- 
ment de  ce  mois,  vagabondant,  mon  fusil  sur  l'épaule, 
malgré  le  froid  piquant,  la  neige  et  la  glace,  couchant 
tantôt  dans  un  village,  tantôt  dans  un  autre,  content  de 
satisfaire  mou  désir  de  voir  et  mon  humeur  inquiète, 
libre  au  moins  des  entraves  académiques. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  189 

Je  partirai  d'ici  au  commencement  de  mai  ;  je  me 
dirigerai  sur  Grenoble  en  jouant  un  tour  à  M.  Horace 
qui  me  croira  à  Milan.  De  là  je  ferai  une  excursion  à 
Paris,  et  Je  laisse  à  pense?*  quelle  joie  de  retrouver  et 
vous,  et  la  musique,  et  nos  thés  au  café  de  la  Bourse, 
et  nos  fins  dîners  chez  Lemardeley,  et  les  récits,  et  les 
caquets  :  car  nous  pouvons  nous  en  permettre  nous,  nous 
qui  ne  sommes  pas  mariés.  Concevez-vous  rien  à  cette 
matrimoniofurie  qui  les  prend  tous?  Ma  sœur  aussi 
vient  d'épouser  un  juge  au  tribunal  de  Grenoble.  Albert 
Du  Boys,  dont  vous  vous  rappelez  la  Cantate  à  la  duchesse 
de  Berry  et  la  lettre  un  peu  drôle  qui  y  était  jointe, 
épouse  aussi  une  beauté  riche  kdu  département  de  la 
Drôme.  Auguste,  Ferrand,  Edouard  Rocher,  de  Carné, 
tous,  tous  mariés  cette  année;  prenez  garde  à  vous: 
e  Oiseaux,  gardez  bien,  gardez  bien  votre  liberté  !  » 

Adieu,  mon  très  cher  Gounet,  mille  milliers  d'amitiés. 
A  vous  pour  la  vie. 

H.    BERLIOZ. 

Lettres  à  Gounet. 


XIX 


A    ALliKRT    DU    BOYS 

Roma,  4  ou  5  mars  1832. 

Je  vous  remercie,  mon  cher  Albert,  de  votre  lettre 
et  de  la  bonne  nouvelle  qu'elle  m'a  apportée.  J'avais 

11. 


190  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

appris  indirectement  votre  mariage,  et  les  détails  qu'on 
me  donnait  sur  votre  future  me  font  concevoir  à  mer- 
veille votre  enthousiasme  pour  elle.  Allons,  soyez  heu- 
reux, je  suis  convaincu  ou  au  moins  persuadé  que  vous 
le  serez.  Je  vous  crois  né  sous  une  étoile  favorable  qui 
brille  en  ce  moment  de  tout  son  éclat.  Le  mariage  a  fait, 
depuis  que  j'ai  quitté  la  France,  une  terrible  déconfiture 
de  mes  amis.  Vous  êtes  le  septième.  Il  ne  reste  plus,  je 
crois,  que  cet  excellent  Casimir.  Il  me  donnait  dernière- 
ment des  conseils  de  la  même  nature  que  les  vôtres. 
Il  me  croit  encore  ébloui  des  illusions  de  la  première 
jeunesse  et  tâche  de  me  prémunir  contre  elles.  Il  ne 
me  comprend  pas,  ni  vous  non  plus.  Mais  en  tout  cas  je 
puis  vous  assurer  que  jamais  je  ne  fus  plus  éloigné  de 
m'enchaîner  et  qu'aucun  engagement  ne  me  paraît  plus 
que  celui  du  mariage  incompatible  avec  mon  hu- 
meur1. 

Depuis  que  j'ai  recouvré  ma  liberté  morale,  j'ai  appris 
à  l'apprécier.  Mon  isolement  même,  mon  exil  en  Italie, 
la  privation  des  jouissances  de  mon  art,  la  raréfaction 
de  mon  atmosphère  intellectuelle,  en  me  jetant  dans  la 
vie  sauvage,  m'ont  fait  sentir  tout  le  charme  de  la  liberté 
physique  absolue. 

Ne  sachant  que  devenir  ici,  obligé  d'opter  entre  lis 
salons  du  grand  monde  et  les  stériles  conversa zioni  du 

1.  Conférer  cette  déclaration  avec  l'hypothèse  aventureuse  d'un 
biographe,  d'après  lequel,  en  ce  moment,  Berlioz  aurait  manœuvré 
pour  épouser  la  fille  d'Horace  Vernet. 


L i: S   ANNÉES    ROMANTIQUES.  191 

petit,  je  m'enfuis  aux  montagnes  où  je  passe  une  bonne 
partie  de  mon  temps,  n'obéissant  qu'à  mon  caprice.  Un 
village  m'ennuie-t-il  ?  je  vais  dans  un  autre.  Tantôt 
perché  sur  les  roches  nues  de  Civitel la,  je  salue  avec 
amour  la  mer  que  j'aperçois  à  l'horizon  ;  tantôt,  mon 
fusil  à  la  main,  je  redescends  dans  les  plaines,  mener  la 
délicieuse  vie  du  chasseur  errant,  indifférent  à  tout,  sans 
inquiétude  pour  ma  nuit,  sûr  de  trouver  toujours  un 
gîte,  au  besoin  dans  les  innombrables  cavernes  dont  tous 
les  rochers  sont  percés,  désireux  d'aventures,  et  par 
conséquent  n'en  trouvant  jamais,  un  jour  brûlé  du  soleil, 
un  autre  jour  à  demi  mort  de  froid,  mouillé  jusqu'aux 
os,  je  circule  dans  toutes  les  directions,  poussé  à  l'ouest, 
à  l'est,  au  sud  ou  au  nord,  par  le  vent  capricieux  de  ma 
fantaisie.  Je  reviens  à  Rome  quand  je  n'ai  plus  d'argent. 
C'est  cette  irrésistible  raison  qui  m'y  retient  encore  de- 
puis quinze  jours.  En  arrivant,  j'ai  trouvé  votre  lettre, 
mais  je  n'ai  pas  de  nouvelles  du  paquet  que  vous 
m'annoncez,  ni  des  personnes  qui  devaient  me  le  re- 
mettre. J'ai  questionné  le  portier  sur  celles  qui  m'ont 
demandé  pendant  mon  absence,  aucun  étranger  ne  s'est 
présenté.  Si  j'ai  attendu  jusqu'à  cette  semaine  pour  vous 
répondre,  c'est  que  j'espérais  toujours  voir  arriver  le 
paquet  dont  vous  me  parlez  et  vous  rendre  compte  de 
son  contenu. 

Vous  rappelez-vous  la  ballade  du  Pécheur  de  Gœthe, 
dont  vous  m'avez  envoyé  une  traduction?  Je  m'en  suis 
emparé  pour  un  ouvrage  dont  j'écris  ici  les  paroles  et  la 


192  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

musique1.  Le  sujet  de  votre  petit  poème  cadrant  avec  le 
mien,  je  l'y  ai  placé,  en  indiquant  toutefois  que  vos 
vers  ne  sont  pas  de  moi.  Je  vous  montrerai  cette  singu- 
lière composition  à  notre  prochaine  entrevue.  J'accepte 
avec  grand  plaisir  votre  invitation  pour  La  Combe2. 
Mon  départ  de  Rome  est  fixé  au  1er  mai  prochain.  Je 
donnerai  un  croc  en  jambe  au  règlement  de  l'Académie, 
et  pendant  que  M.  Horace  me  croira  à  Milan  ou  à  Venise, 
je  serai  en  Dauphiné. 

Avant  de  quitter  la  povera  bella  Italia,  je  reverrai 
Florence  et  Pise,  et  j'irai  faire  un  pèlerinage  à  l'île 
d'Elbe  et  en  Corse,  puis  je  plongerai  sur  vous  du  haut 
des  Alpes. 

Adieu,  mon  cher  Albert,  recevez  tous  mes  vœux  pour 
votre  bonheur  et  l'assurance  de  ma  sincère  amitié. 

H.    BERLIOZ. 

P.-S.  —  Mille  choses  à  Casimir. 

Deuxième  P. -S. — Oh  Dieu!  le  soleil  donne  sur  les 
montagnes  d'Albano.  Croi riez-vous  que  je  n'ai  pas 
encore  vu  le  fameux  lac?  J'y  vais  tout  de  suite. 

Communiqué  par  M.  P.  Du  Boys. 

a  Ferdinand  niLLER,  Rome,  16  mars  1832  (Corresp. 
incd.,  94).  Projets  de  retour  et  de  voyage  en  Allemagne.  Men- 
delssohn.  La  Captive. 

1.  Le  Retour  à  la  vie. 

2.  Le  château  delà  Combe  de  Lancey  (Isère),  qu'habite  actuel- 
lement II.  P.  Du  Boys,  lils  de  l'ami  de  Berlioz. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  193 


XX 


A    SA    MERE 

Rome,  20  mars  (1832). 

Chère  maman, 

J'ai  laissé  passer  cette  semaine  sans  vous  écrire, 
attendant  toujours  la  réponse  de  Nanci,  pour  ne  pas 
avoir  à  me  plaindre  d'elle  dans  ma  lettre.  Cette  réponse 
un  peu  tardive  est  enfin  arrivée  et  m'a  inspiré  naturel- 
lement beaucoup  d'envie  de  faire  la  connaissance  de  la 
nouvelle  famille  de  ma  sœur.  Mais  laissons-la  un  peu 
pour  parler  de  vous,  elle  n'y  perd  rien  puisque  je  lui 
écris. 

Je  sympathise  bien  vivement  avec  tous  les  tracas, 
soucis  et  chagrins  de  toute  espèce  que  vous  combattez 
dans  ce  moment-ci  ;  je  ne  vois  pas  trop  comment  vous 
viendrez  à  bout  de  réduire  Prosper,  car  il  paraît  que 
toutes  ses  fredaines  lui  sont  comptées  comme  titres  de 
gloire  par  son  amour-propre. 

Vous  me  reprochez  de  ne  rien  vous  dire  de  ce  qui 
se  passe  ici  ;  d'abord  il  ne  s'y  passe  rien,  excepté  les 
crimes  ordinaires,  les  assassinats  dans  les  rues,  sur  notre 
escalier,  partout...,  mais  c'est  toutes  les  semaines  la 
même  chose,  ce  sont  les  mœurs  du  pays.  S'il  se  passait 
quelque  chose  d'intéressant  en  politique,  il  serait  fort 


194  LES    ANNÉES    ROMANTIQUE S. 

imprudent  à  moi  de  vous  en  parler,  je  m'exposerais  à  ce 
que  mes  lettres  ne  vous  parviennent  pas.  Nous  ne  savons 
presque  rien  de  ce  que  font  les  Français  à  Ancône,  ils 
y  dansent  et  s'amusent  comme  à  l'ordinaire  ou  plus 
qu'à  l'ordinaire.  Nous  ne  savons  rien  de  ce  qui  se  fait 
en  France,  le  Pape  s'étant  avisé  (un  peu  tard,  ce  me 
semble)  d'interdire  l'entrée  de  tous  nos  journaux  dans 
ses  états.  Quant  à  mon  indifférence  radicale  en  matière 
de  politique,  elle  tient  à  une  chaîne  d'idées  plus  étendue 
que  vous  ne  pensez,  aussi  nous  n'en  parlerons  plus. 
Napoléon  dit  quelque  part  qu'il  est  des  choses  qu'on  ne 
doit  jamais  écrire  et  d'autres  qu'on  ne  doit  même  jamais 
dire.  Il  a  mille  fois  raison. 

Je  pars  invariablement  le  2  mai,  j'irai  d'abord  à  Flo- 
rence et  à  Livourne  où  je  m'embarquerai  pour  l'île 
d'Elbe  et  la  Corse  ;  après  quelques  courses  de  peu  de 
durée  je  reviendrai  en  terre  ferme  et  rentrerai  en  France 
par  les  Alpes.  Je  vous  écrirai  encore  une  fois  de  Rome 
avant  mon  départ. 

Dites-moi  en  détail  ce  que  je  dois  faire  pour  les  cha- 
peaux de  paille  ;  madame  Vernet  me  donnera  des  conseils 
pour  cette  emplette1. 

Vous  me  demandez  quels  succès  obtiennent  mes 
compositions?...  mais  vous  savez  bien,  chère  maman, 
qu'il  n'y  a  point  de  musique  dans  ce  pays-ci  ;  il  n'y  a 
pas  seulement  moyen  d'y  faire  exécuter  un  quatuor.  Ils 

1.  Sur  cette  commission  de  chapeaux  de  paille  d'Italie,  voir  la 
lettre  -lu  21  mai  1832. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  198 

sont  à  deux  cents  ans  en  arrière  de  la  civilisation,  et  quand 
je  leur  parle  de  nos  richesses  musicales  de  Paris,  ils 
ouvrent  des  yeux  que  Tâtonnement  rend  presque  stu- 
pides.  Ce  sont  des  enfants  de  huit  ans.  Pour  les  succès 
de  salon,  ils  ne  m'ont  pas  manqué  cet  hiver;  une  petite 
composition  écrite  dans  ma  dernière  course  aux  monta- 
gnes est  devenue  populaire  et  aristocratique1.  On  la 
chante  partout,  depuis  l'ambassade  jusqu'aux  ateliers 
de  sculpture;  j'ai  le  malheur,  du  matin  au  soir,  de  l'en- 
tendre écorcher  dans  les  corridors,  au  jardin,  même  dans 
les  rues  de  Rome  ;  on  me  la  fait  suer. 

Je  compte  les  jours  qui  me  restent  encor  à  passer 
dans  cette  sotte  caserne.  Je  reverrai  Rome  avec  plaisir 
pour  ses  sublimes  plaines  et  ses  délicieuses  montagnes, 
mais  alors  je  serai  libre  et  aujourd'hui  je  ne  le  suis 
pas  ;  alors  une  absence  forcée  ne  me  rendra  pas  malade 
de  besoin  de  musique,  je  viendrai  au  contraire  m'y 
délasser,  comme  dans  un  beau  jardin  que  j'apprécierai 
bien  mieux. 

H.  B. 

P. -5.  —  Je  voulais  écrire  à  Nanci  mais  je  suis  trop 
mal  disposé,  je  sens  un  mauvais  accès  me  prendre  et  je 
renvoie  à  un  autre  jour. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 
1.  La  Captive,  sur  les  vers  de  Victor  Hugo  (les  Orientales). 


196  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

a  humbert  ferrand,  Rome,  26  mars  1832  (Let.  int., 
H  2).  Idées  sur  la  musique  en  prose.  Projet  de  collaboration 
(le  Dernier  jour  du  monde).  Impressions  de  voyage. 

a  Ferdinand  HiLLER,  Florence,  13  mai  1832  (M.,  97). 
«  J'ai  laissé  Rome  sans  regret.  La  famille  d'Horace  Ver- 
net  m'a  donné,  à  mon  départ,  des  marques  d'attachement 
et  d'affection...  Mademoiselle  Vernet  est  toujours  plus  jolie 
que  jamais,  et  son  père  toujours  plus  jeune  homme...  » 
—  Duprez.  —  Il  rentre  directement  en  France.  Son  aversion 
pour  Bellini. 


XXI 


A    SA   MERE 

Milan,  21  mai  [1832]. 

Chère  maman, 

J'ai  reçu  votre  dernière  lettre  l'avant-veille  de  mon 
départ  de  Rome;  si  je  n'y  ai  pas  répondu,  c'est  que  je 
comptais  le  faire  ici.  Je  crains  cependant  que  mon 
silence  ne  vous  ait  paru  inquiétant,  mon  voyage  depuis 
Rome  ayant  duré  plus  longtemps  que  je  ne  pensais. 
C'est  terriblement  loin.  Je  n'ai  demeuré  que  trois  jours 
à  Florence  où  j'ai  trouvé  beaucoup  de  gens  de  ma  con- 
naissance. 

Je  ne  suis  ici  que  depuis  hier,  et  déjà  j'ai  reçu  deux 
invitations.  Milan  est  une  vraie  grande  ville,  c'est 
presque  comme  Paris.  Me  voilà  plus  près  de  vous  de 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  197 

cent  quatre-vingts  lieues.  Je  ne  sais  combien  de  temps 
je  m'arrêterai  ici,  ainsi  ne  m'y  écrivez  pas.  J'espérais 
trouver  à  la  poste  une  lettre  d'Adèle,  pourquoi  n'y  est- 
elle  pas? 

Encor  des  bêtises  à  Grenoble  î  ils  sont  donc  stupides  *  1 

Le  temps  me  dure  pourtant  de  la  revoir,  cette  bonne 
ville  de  Grenoble  ;  je  n'ai  plus  que  les  Alpes  à  passer. 
Je  sais  que  la  fatigue  de  ce  passage  me  paraîtra  bien 
peu  de  chose  en  comparaison  de  ce  que  nous  avons 
éprouvé  en  traversant  les  Apennins,  de  Florence  à 
Bologne.  Il  faisait  très  froid,  et  un  vent  à  faire  craindre 
d'être  emportés. 

M.  Horace  a  été  très  facile  pour  arranger  mes  affaires, 
et  toute  sa  famille  m'a  comblé  à  mon  départ  de  marques 
particulières  d'attachement  ;  je  n'ai  pu  douter  d'en  être 
vivement  regretté;  je  vous  le  dis,  chère  maman,  pour 
vous  prouver  que  je  ne  suis  pas  aussi  sauvage  et  inso- 
ciable que  vous  me  le  reprochez  quelquefois. 

Je  pense  que  tout  le  monde  va,  sinon  bien,  au  moins 
comme  à  l'ordinaire,  à  la  maison.  Mon  beau-frère 
doit  être  revenu  de  Dijon.  J'ai  acheté  à  Florence  les 
chapeaux  que  vous  m'aviez  recommandé  d'apporter 
pour  mes  sœurs  ;  je  vous  avoue  qu'ils  m'ont  déjà  fait 


1.  Pendant  le  carnaval  de  1832,  une  querelle  avait  éclaté  entre 
des  soldats  de  la  garnison  et  des  masques  :  cet  incident  provoqua 
une  telle  effervescence  dans  la  population  que  le  régiment  dut 
quitter  la  ville  au  milieu  des  huées.  D'où  l'expression  :  «  Faire  une 
conduite  de  Grenoble.  » 


H»<S  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

éprouver  de  furieuses  tribulations  pour  les  douanes 4 
mais  j'y  suis  fait  à  présent  et  je  me  moque  du  reste. 

J'ai  reçu  à  Rome,  la  veille  de  mon  départ,  le  troi- 
sième numéro  de  la  Revue  européenne,  un  mois  et  demi 
après  l'impression  de  mon  article  ;  je  pense  que  vous 
la  recevez  toujours. 

Si  vous  recevez  une  lettre  de  Berlin  pour  moi,  il  fau- 
dra la  garder.  Parbleu,  c'est  bien  clair,  puisque  vous  ne 
sauriez  pas  où  me  l'adresser  ;  je  vous  dis  là  une  sottise. 

Adieu,  chère  maman, 

Je  vous  embrasse  tendrement. 

H.  BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  humbert  ferrand,  Turin,  25  mai  1832  (Let.  int., 
Ho).  «  Je  vois  les  Alpes  !  »  A  Milan,  il  a  entendu  pour  la 
première  fois  un  vigoureux  orchestre.  Donizetti,  Pacini. 
Vaccaï.  Le  public.  «  Si  jamais  j'écris  pour  ces  butors  je 
mériterai  mon  sort  ;  il  n'en  est  pas  de  plus  bas  pour  un 
artiste.  » 

1.  Un  carnet  de  notes  (sur  papier  à  musique),  conservé  par  la 
famille,  porte  des  traces  curieuses  de  ces  tribulations.  Berlioz  y 
inscrit  au  jour  le  jour,  parmi  ses  dépenses  de  voyage,  dos 
,ii  ticlcs  tels  que  :  «  Pour  les  chapeaux,  douane  de  Bologne,  trente 
baïocchi;  deux  francs  à  la  douane  de  Modène  pour  les  chapeaux; 
deux  francs  vingt-cinq  centimes  à  la  douane  de  Parme  pour  les 
chapeaux  ;  à  la  douane  milanaise,  pour  les  chapeaux,  quatre  francs  ; 
à  Milan,  deux  francs  douane,  chapeaux,  et  un  franc  et  demi  à  la 
douane  de  Saint-Martino;  douane  de  Cliapareillan,  cinquante-six 
sous.  »  Mous  relevons  encore,  dans  cette  comptabilité  :  «  A  Milan, 
deux  francs  cinquante  de  sous-pieds  en  chaîne  de  laiton;  même 
somme,  théâtre  délia  Cambiana  ;  un  col,  Turin,  trois  francs,  etc.  » 
11  n'est  pas  de  détails  négligeables  pour  les  grands  hommes  ! 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  199 


XXII 

A    THOMAS    GOUNET 

La  Côte-Saint-André.  11  juin  1832. 

Mon  carissime  Gounet, 

Donnez-moi  vite  de  vos  nouvelles,  je  vous  en  prie 
en  grâce.  Vous  pouvez  penser  si  j'ai  des  sujets  d'inquié- 
tude sur  votre  compte,  au  milieu  de  tout  cet  affreux 
galimatias1.  J'arrive  de  Rome  il  y  a  peu  de  jours,  je 
me  suis  arrêté  à  Florence,  à  Milan  et  à  Turin  ;  je  suis 
censé  en  Italie,  et  en  conséquence  je  ne  pourrai  me 
montrer  à  Paris  qu'au  mois  de  novembre  pour  y  donner 
quelque  concert,  si  le  ciel  le  permet,  et  de  là  partir  pour 
Berlin. 

Pourquoi  pendant  ces  jours  mauvais  m'avez-vous 
laissé  sans  me  donner  signe  de  vie?...  Il  n'y  a  pas 
besoin  de  m'écrire  de  longues  lettres  si  vous  n'en  avoz 
pas  le  temps;  quelques  lignes  suffiront. 

Aussitôt  après  votre  réponse,  qui,  je  l'espère,  ne  se 
fera  pas  attendre,  je  vous  enverrai  une  petite  lettre 
pour  Cazalès  dont  je  vous  expliquerai  le  contenu  et  au 
moyen  de  laquelle  je  pourrai,  je  pense,  vous  faire  tou- 
cher l'argent  que  je  vous  dois  depuis  si  longtemps.  Je 

1.  Le  choléra,  troubles  politiques,  insurrections  diverses. 


200  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

vous  traite  bien  sans  façon,  il  est  vrai,  et  je  crains  que 
vous  ne  me  disiez  comme  Lucullus  :  «  Je  ne  savais  pas 
être  si  fort  de  vos  amis...  »  Mais  non,  franchement,  je 
ne  le  crains  pas  ;  vous  savez  très  bien  que  vous  m'avez 
donné  le  droit  de  vous  regarder  comme  un  de  mes 
meilleurs  et  de  mes  plus  solides  amis. 

Comme  le  règlement  de  l'Académie  me  confine  en 
Italie  pour  le  reste  de  cette  année,  ne  parlez  pas  trop 
de  mon  arrivée  en  France,  cela  pourrait  compromettre 
M.  Horace  et  moi.  Toutefois,  je  voudrais  bien  avoir  des 
nouvelles  de  M.  Lesueur  ;  tâchez  de  m'informer  aussi  du 
sort  de  mes  autres  connaissances,  Desmarest,  Prévost, 
Casimir,  Turbri,  Girard1,  si  vous  pouvez. 

Hiller  est  à  Francfort,  j'ai  reçu  une  lettre  de  lui  à 
Florence.  Ne  vous  a-t-il  pas  embarrassé  d'un  paquet 
pour  moi  ?. . . 

Je  vais  voir  Ferrand  à  Belley,  la  semaine  prochaine  ; 
adressez  néanmoins  à  la  Côte  votre  réponse. 

Adieu,  mon  cher  ami. 

Tout  à  vous. 

H.    BERLIOZ. 

Lettres  à  Gounet. 

a  humbert  ferrand,  La  Côte,  samedi  16  juin  1832 
(Let.  int.,  118).  Annonce  de  sa  prochaine  visite. 

au  même,  La  Côte,  vendredi  22  juin  1832  (id.).  Il  s'ex- 
cuse d'être  obligé  de  différer  sa  visite. 


1.  Pirvust  (E.-P.),  camarade-  de  Berlioz  à  la  classa  do  Lesueur. 
Sur  Girard,  voy.  ci-après,  p.  "238. 


LÈS    ANNÉES    ROMANTIQUES  201 


XXIII 

A   THOMAS    GOUNET 

Grenoble,  10  juillet  1832. 
Mon  cher  Gounet, 

Je  vous  envoie  la  petite  couyonade  ou  couïonnade  '  en 
question.  C'est  mon  beau-frère,  M.  Pal,  qui  vous  la 
remettra.  J'ai  essayé  de  mettre  quelques  notes  sur  la 
jolie  poésie  que  vous  m'avez  envoyée,  mais  sans  y 
réussir;  elle  a  une  teinte  satirique  qui  m'a,  je  crois, 
gêné.  Si  je  réussis  plus  tard,  je  vous  l'enverrai.  Voulez- 
vous  avoir  la  bonté  de  m' envoyer,  par  la  même  occa- 
sion, un  exemplaire  de  vos  mélodies,  s'il  en  reste 
encore  chez  Schlesinger.  J'ai  promis  à  madame  Lacroix, 
dame  d'honneur  de  la  reine  Hortense  à  Rome,  de  les 
lui  envoyer  et  je  ne  voudrais  pas  manquer  à  ma  parole. 
J'ai  donné  à  Mendelssohn  le  dernier  exemplaire  qui 
m'était  resté. 

(J'espère  que  je  n'ai  pas  oublié  la  conjugaison  du 
verbe  envoyer.) 

Je  suis  dans  un  état  de  stupidité  complet  depuis  quel- 
ques jours  ;  ainsi  ne  m'en  veuillez  pas  de  l'insignifiance 
de  ma  lettre.  Il  fait  trop  chaud.  Je  m'ennuie  trop.  Mes 
idées  sont  trop  sombrement  violentes.  Je  suis  fort  bète. 

Je  n'ai  pas  encore  vu  Ferrand.  Desmarest  m'a  ponc- 

1.  C'est  la  romance  la  Captive  que  désigne  cet  élégant  vocable1. 


201  LES   ANNEES    ROMANTIQUES. 

tuellement  répondu.  Si  vous  le  voyez,  dites-lui  de  ne 
pas  s'impatienter  si  je  ne  réponds  pas  encore  à  ses 
questions.  J'attends  d'être  retourné  à  la  Côte.  Ici  je 
n'ai  fait  jusqu'à  présent  que  mon  métier  ordinaire  de 
vagabond  ;  de  campagne  en  campagne,  oncles  et  tantes 
et  cousines  et  amis  mariés,  d'autres  se  mariant,  noces 
et  festins,  parties  de  boules,  baignades,  sottes  réflexions, 
tambours  en  troupes  nombreuses  que  j'aime  à  suivre 
comme  les  enfants.  Voilà. 

Adieu,  mon  cher  ami.  Vous  voyez  que  ce  n'est  pas 
ma  faute  et  que  je  suis  vraiment  bête  comme  un  cons- 
pirateur. 

II.    BERLIOZ. 

P.-S.  —  Quand  vous  m'écrirez  à  la  Côte,  mettez  mes 
deux  noms  pour  que  la  lettre  ne  soit  pas  remise  à  mon 
père. 

Je  pense  que  vous  avez  les  Orientales  ;  comme  je  ne 
sais  pas  tous  les  couplets  de  la  Captive,  je  ne  les  ai  pas 
copiés. 

Je  retourne  à  la  Côte  dans  trois  jours. 

Lettres  à  Gounet. 

a  humbert  fer r and,  Grenoble,  13  juillet  1832  (Lel. 
int.,  119).  Projet  de  réunion.  Le  monde  au  milieu  duquel 
il  vit  est  «  le  plus  prosaïque,  le  plus  desséchant  ». 

a  madame  horace  vernet,  La  Côte-Saint-André, 
25  juillet  1832  (Çorresp.  inéd.,  99).  Lettre  de  courtoisie,  où 
Berlioz  révèle  qu'il  pouvait,  quand  il  le  voulait,  être  homme 
du  monde  Ion I  comme  nn  autre. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  103 

a  Ferdinand  hiller,  La  Côte,  7  août  1832  (Gorresp. 
inéd.,  103).  Persiflages  divers.  Il  copie  les  parties  du  Mélo- 
logue. 


XXIV 

A    SA    SOEUR    ADÈLE 

[La  Côte-Saint-André,  août  1832.] 

Ma  bonne,  belle,  chère  et  excellente  Adèle, 
Je  ne  sais  pas  que  t'écrire.  Il  n'y  a  rien  ici  de  nouveau 
en  bien  ou  en  mal.  Mon  père  va  comme  à  l'ordinaire,  il 
se  couche  à  huit  heures  et  demie  presque  toujours  ;  hier 
soir  seulement  madame  Pion  est  venue  nous  voir  et  a 
parlé,  parlé,  parlé  pour  quatre,  pour  cent,  pour  trente 
mille.  Madame  Chaînon  est  arrivée;  c'est  ce  qui  avait 
occasionné  ce  flux  de  paroles.  Je  n'ai  point  encore  de 
nouvelles  de  Ferrand,  qui  sera  sans  doute  retourné  en 
Suisse  pour  son  affaire.  En  conséquence  j'attends  tou- 
jours. Je  travaille  tant  que  le  pouce  commence  à  me 
faire  mal.  Je  viens  de  faire  deux  visites,  une  à  madame 
Bert  la  jeune,  et  l'autre  à  madame  Desplagnes  '  dont  le 
mari  arrive  ce  soir  de  Grenoble.  Elle  m'a  invité  à  dîner 
pour  demain.  Xous  attendons  ce  soir  M.  Joseph  Rocher. 
M.  Angles*  est  destitué,  c'est  un  secrétaire  de  la  préfec- 

1.  Mesdames  Pion,  Chanron,  Bert  et  Desplagnes,  daines  de  la  Côte- 
Saint-André. 

2.  Parent  d'Odile  Berlioz  (M"«  LuIVaivl  ,  cousine  d'Heolur. 


204  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

ture  du  Puy-de-Dôme  qui  le  remplace.  Le  pauvre  homme 
va  peut-être  se  trouver  bien  gêné,  lui  qui  aimait  tant  ses 
aises. 

Voilà  bien  des  nouvelles.  Ah  !  attends,  qui  est-ce  u-.°.nc 
encore  qui  se  marie?...  Personne,  je  me  trompais. 

Je  voudrais  te  dire  quelque  chose  d'aimable,  d'ado- 
rable, je  ne  trouve  rien  ;  rien  de  nouveau  ni  de  beau. 
Ainsi  adieu,  mille  choses  au  grand-papa,  atout  le  monde, 
à  mademoiselle  Nanci  et  à  madame  Nanci  surtout.  Re- 
mercie Camille !  pour  moi  de  sa  complaisance  pour  la 
commission  dont  je  l'avais  chargé. 

On  dit  que  Casimir  se  marie  incessamment  à  cause  de 
l'état  fâcheux  de  son  beau-père.  Si  tu  le  vois,  mille  ami- 
tiés de  ma  part.  Et  à  Odile2  donc  aussi,  dis-lui  de 
modérer  un  peu  sa  passion  pour  son  mari  ;  ces  grands 
amours-là  ne  sont  plus  de  mise,  et  deviennent  ridicules. 

Amuse-toi  ferme...  si  tu  peux.  Va  le  soir  au  jardin, 
n'oublie  pas  les  glaces  au  café  de  l'Isère,  va  même  au 
spectacle,  fais  des  folies,  des  extravagances. 

Allons,  je  t'embrasse  un  torrent  de  fois. 

Ton  ami  e  fratello, 

H.  BERLIOZ. 

Mademoiselle  Adèle  Berlioz,  chez  M.  Pal,  Grande  Rue 
Xeuvc,  n°  10.  Grenoble. 

Communiqué  par  madame  Clmpot. 

1.  Camille  Pal,  mari  de  Nanci  Berlioz  :  souvent  désigné  par  son 
prénom  dans  les  lettres. 

2.  Casimir  Faure.  Odile  Berlioz. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  205 


XXV 

A    HUMBERT    FERRAND 

Grenoble,  lundi,  le  20  août  1832. 

Mon  cher  ami, 

Je  partirai  d'ici  pour  les  Abrels  mercredi  prochain  à 
midi,  j'y  serai  à  huit  heures  du  soir;  alors,  si  vous  pou- 
vez me  venir  prendre  jeudi  matin,  tout  ira  bien;  si  non 
j'irai  à  pied  à  Belley.  Car  je  brave  la  chaleur  au  point 
d'être  venu  de  la  Côte  ici  à  pied  dernièrement,  parlant  à 
dix  heures  du  matin  '.  Vous  voyez  que  le  soleil  d'Italie 
m'a  bronzé. 

Adieu  a  riveder  lo. 

H  .    BERLIOZ. 

Collection  de  M.  GaUon  Calmann-Lévy. 


XXVI 

A    THOMAS    GOl'  N  E  T 

Belley,  25  août  1832. 
Mon  cher  Gounet, 
Mon  beau-frère  m'a  apporté  les  deux  exemplaires  de 
vos  mélodies  que  vous  m'avez  envoyés  et,  de  plus,  une 

1.  Il  y  a  cinquante-cinq  kilomètres  de  la  Côle-Saint-André  à 
Grenoble.  Il  y  en  a  une  quarantaine  des  Abrets  à  Belley. 

12 


206  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

bonne  et  charmante  lettre  sur  laquelle  je  ne  devais  guère 
compter  d'après  les  sottes  quelques  lignes  que  je  vous 
écrivis  sous  l'influence  spleenique  de  la  chaleur.  Ma  sœur 
aînée  se  trouvant  dernièrement  aux  eaux  d'Uriage  y  a 
rencontré  madame  votre  mère  et  n'a  pas  manqué  de 
l'aborder;  elles  ont  beaucoup  parlé  de  nous  deux;  je 
regrette  bien  de  ne  pas  m'y  être  trouvé  en  même  temps  ; 
mais  il  n'est  pas  bien  loin  celui  où  je  pourrai,  non  seu- 
lement parler  de  vous,  mais  parler  à  vous,  ce  qui  vaut 
encore  mieux. 

Je  vous  écris  de  chez  Ferrand,  que  je  quitterai  dans 
deux  jours  pour  retourner  à  la  Côte.  J'ai  encore  tant  à 
copier  pour  mon  prochain  concert  que  je  n'ose  pas 
perdre  trop  de  temps. 

Que  vous  dire  de  mon  séjour  en  Dauphiné  ?  Je  copie, 
je  mène  mon  petit  frère  à  la  chasse  au  filet,  je  lis  M.  de 
Balzac,  Saintine,  Michel  Raimond,  puis  je  m'ennuie  ;  je 
fais  la  partie  de  boules,  puis  je  m'ennuie;  je  voyage  dans 
les  campagnes  voisines,  puis  je  m'ennuie  encore;  je 
pense  à  mes  montagnes  d'Italie  où  je  m'ennuyais  si  libre- 
ment; puis  je  les  regrette  et  je  m'ennuie  de  plus  belle  ; 
enfin  je  mène  une  vie  charmante. 

Et  vous,  je  pense  que  vous  conjuguez  aussi  fort  bien 
le  verbe  «  nous  nous  ennuyons,  vous  nous  ennuyez  ». 

Tenez,  je  ne  sais  que  vous  dire;  je  ne  voulais  que 
vous  donner  signe  de  vie;  demain  je  vais  avec  Ferrand 
aux  eaux  d'Aix  chercher  sa  femme  que  je  ne  connais 
pas  encore. 


L  E  S    A  X  N  É  R  S    R  0  M  A  N  T  I  Q  D I".  s  .  1 0  7 

Voilà  tout  ce  que  je  puis  vous  dire  déplus  important. 
Ce  n'est  pas...  tenez,  adieu. 

Je  suis  fort  bête  aujourd'hui,  et  pourtant  il  vient  de 
pleuvoir. 

Tout  à  vous.  Votre  dévoué, 

II.    BERLIOZ. 
Lettres  à  Gounet. 

a  humbert  ferrand,  La  Côte.  10 octobre  1832  (Letint., 
121).  Invitation  à  venir  le  voir.  Aura-t-il  quelque  chose  à  lui 
montrer  de  leur«  grande  machine  dramatique?  »  Il  partira 
pour  Paris  à  la  fin  du  mois. 

au  même,  Lyon,  3  novembre  1832  {id.,  122).  Il  part  le 
soir  pour  Paris.  Préparatifs  de  concerts.  Spleen. 

M.  Maignien,  bibliothécaire  de  la  ville  de  Grenoble,  pos- 
sède un  passe-port  (sans  signalement  ni  signature)  pour 
Hector  Berlioz,  compositeur  de  musique  et  pensionnaire  de 
l'Académie  de  France,  âgé  de  vingt-huit  ans,  pour  aller  à 
Paris,  le  28  octobre  1832. 


CHAPITRE  III 

MARIAGE   DE    BERLIOZ 
ANNÉES    D'ACTIVITÉ    PRODUCTRICE. 

(Épisode  de  la  vie  d'un  artiste:  Harold  en  Italie; 
travaux  divers.) 

(1833-1 83G) 


A    THOMAS    GOUNET 

[Paris,  7  novembre  1832.] 

J'arrive  à  l'instant.  Je  loge  rue  Neuve-Saint-Marc, 
n°  1,  dans  l'ancien  logement  d'H.  Sm...  C'est  curieux1  ! 
Je  meurs  d'envie  de  vous  embrasser;  à  ce  soir  à  huit 
heures,  au  café  Feydcau. 

H.    BERLIOZ. 
Letlres  à  Gounet. 

1.  Détail  exactement  conforme  aux  indications  des  Mémoires, 
XLIV. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  209 


II 


A    SA    SOEUR   ADELE 

Paris,  jeudi  8  novembre  [1832]. 

Ma  bonne  Adèle, 
Je  t'écris  six  lignes  comme  je  m'y  étais  engagé,  pour 
t'annoncer  mon  arrivée  à  Paris  sans  encombre.  Je  suis 
si  occupé  des  préparatifs  de  mon  concert  que  je  n'ai  pas 
un  moment  à  moi.  J'espère  bien  lever  les  obstacles  de 
peu  d'importance  qui  se  rencontrent  toujours  en  pareille 
occasion  et  je  retrouve  dans  la  coopération  des  artistes 
toute  la  bienveillance  sur  laquelle  ils  m'ont  donné  le 
droit  de  compter.  Je  ne  suis  arrivé  que  hier  matin  et 
déjà  ma  machine  musicale  est  en  train.  Je  suis  venu  de 
Vienne  à  Lyon  avec  M.  Bernard  de  Grenoble.  A  Lyon 
je  me  suis  trouvé  au  spectacle  à  côté  de  madame  Fleu- 
vant,  la  sœur  de  madame  Desplagnes  dont  elle  m'a  de- 
mandé des  nouvelles.  De  Lyon  à  Paris  je  me  suis  encore 
trouvé  en  fort  bonne  société  avec  des  amis  de  mes  con- 
naissances de  Paris.  J'ai  été  reçu  ici  par  tout  mon 
monde  avec  la  plus  vive  affection.  J'ai  dîné  hier  chez 
M.  Lesueur.  Je  vais  voir  Alphonse;  c'est  un  voyage,  car 
je  loge  à  une  lieue  de  lui,  rue  Neuve-Saint-Marc. 
n°  1. 

12. 


-210  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Adieu,  ma  chère  sœur,  je  l'embrasse  ainsi  que  maman 
et  mon  père. 
Ton  ami, 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

I.    A.    H.    L'INTENDANT    GÉNÉRAL   DE    LA    LISTE    CIVILE, 

Paris,- vendredi  9  novembre  1832.  [Çorresp.  inéd.,  166).  De- 
mande de  la  salle  du  Conservatoire  pour  y  donner  un  concert 
le  dimanche  2  décembre. 

Le  concert  de  Berlioz  eut  lieu,  non  le  2,  mais  le  9  dé- 
cembre. Le  programme  comprenait  l'intégralité  de  Y  Épisode 
de  la  vie  d'un  artiste,  —  c'est-à-dire  la  Symphonie  fantas- 
tique, notablement  remaniée  depuis  sa  première  audition, 
et  le  Retour  à  la  vie,  mélologuc  pour  soli,  chœur,  orchestre 
et  monologues  déclamés,  exécuté  pour  la  première  fois. 

Miss  Smithson  assistait  à  ce  concert,  composé  des  œuvres 
qu'elle  avait  inspirées. 


III 


A    SA    SOEUR    ADELE 

(Paris],  10  décembre  [1832]. 

Chère  Adèle, 
J'ai  obtenu  hier  un   succès  extraordinaire.  Presque 
tout  a  été  bien  exécuté  et  senti.  J'ai  été  écrasé  d'applau- 
dissements, et,  ce  qui  ne  m'était  jamais  arrivé,  rede- 
mandé à  grands  cris  par  le  publie  qui  avant  de  sortir  de 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  211 

la  salle  a  voulu  me  voir  ;  j'ai  donc  été  obligé  de  paraître 
sur  l'avant-scène  au  milieu  de  la  grêle  retentissante  de 
bravos  du  public  et  de  l'orchestre.  Je  suis  presque  bien 
aise,  bonne  sœur,  que  tu  ne  te  sois  pas  trouvée  là,  tu 
en  aurais  pris  une  attaque  de  nerfs.  Je  suis  sûr  aussi 
que  cela  aurait  fait  mal  à  mon  père.  Mon  nouvel  ou- 
vrage, le  Mélologue,  dont  j'ai  fait  aussi  les  paroles,  a  été 
joué  par  notre  admirable  tragique  Bocage  qui  a  été  d'un 
sublime  irrésistible.  Je  suis  encore  fatigué  des  embras- 
sades, des  transports  de  tout  ce  monde,  et  entre  autres 
de  Paganini,  de  V.  Hugo,  d'A.  Dumas,  de  Pixis, 
d'A.  Nourrit,  de  je  ne  sais  combien  de  gens,  hommes  et 
femmes,  qui  sont  montés  au  théâtre  pour  me  voir. 

J'ai  vu  que  j'avais  fait  un  fameux  progrès  sur  mes 
propres  sensations,  car  je  n'ai  pas  été  faible  un  seul 
instant;  ah!  si,  cependant;  quand  Bocage,  encore  pâle 
d'émotion,  s'est  élancé  au  foyer  et  m'a  embrassé  avec 
fureur  à  trois  reprises,  j'ai  failli  me  compromettre  et 
laisser  échapper  des  larmes. 

J'ai  obtenu  encore  un  bien  autre  suffrage,  plus  inat- 
tendu, et  qui  est  le  sujet  de  toutes  les  conversations  ;  je 
te  dirai  cela  plus  au  long  une  autre  fois  '. 

Pour  l'argent,  je  ne  sais  pas  encore  à  combien  s'est 
montée  la  recette,  je  crois  que  j'y  gagne  quelques  cen- 
taines de  francs. 

On  me  tourmente  pour  redonner  une  seconde  repré- 

1.  L'application  de  ce  paragraphe  à   miss  Smithson  est  facile. 


212  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

sentation,  à  laquelle  certainement  je  gagnerais  beau- 
coup ;  je  vais  voir  si  la  chose  est  possible  d'ici  à  une 
quinzaine.  Il  n'y  a  encore  aujourd'hui  que  la  Quotidienne 
et  les  Débats  qui  parlent  de  moi,  je  vous  enverrai  tous 
les  articles  de  journaux  qui  paraîtront  là-dessus. 

Adieu,  embrasse  bien  pour  moi  maman  et  mon  père. 

Je  vous  enverrai  le  Méloîogue  dès  que  j'aurai  le  temps 
d'aller  à  la  grande  poste. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


IV 


A    SON   PERE 

[Paris],  14  décembre  1832. 
Cher  papa, 
Je  vous  envoie  aujourd'hui  dix  exemplaires  de  Mélo- 
îogue avec  quelques  journaux  ;  je  vous  aurais  adressé 
tous  ceux  qui  ont  parlé  de  moi,  mais  plusieurs  n'étant 
pas  timbrés,  je  n'ai  pu  les  mettre  à  la  poste  ;  je  m'en 
procurerai  d'autres  que  je  vous  enverrai  avec  ceux  qui 
n'ont  encore  rien  dit.  Fétis,  qui  a  reçu  en  plein  sur  la 
figure  le  soufflet  que  je  lui  avait  adressé  dans  le  .Mélo- 
îogue dans  la  tirade  des  arrangeurs  et  correcteurs,  s'en 
est  vengé  aujourd'hui  dans  un  article  virulent  du 
Temps  où  la  passion  perce  de  toutes  parts.  N'importe!  le 
succès  est  immense,  je  remis  tous  les  jours  une  paco- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  213 

tille  de  lettres  de  gens  inconnus  qui  me  complimentent 
avec  effusion.  M.  d'Argout  m'en  a  écrit  une  charmante 
avant-hier.  On  redemande  le  concert  de  tous  côtés  et  je 
vais  le  redonner  ;  je  suis  sûr  d'avoir  une  brillante  recette. 
Je  reçois  des  coups  de  chapeau  dans  les  rues,  au  théâtre, 
de  gens  que  je  n'ai  jamais  vus  ;  c'est  un  brait  de  cli- 
quetis de  conversations  dans  les  salons,  à  l'Opéra,  au 
foyer,  aux  coulisses,  il  n'est  question  que  de  mon  con- 
cert partout.  Bocage,  dans  mon  rôle  de  l'artiste,  a  été 
sublime  de  verve,  de  sensibilité,  d'inspiration  et  de 
malice.  Dans  la  tirade  sur  les  arrangeurs  et  celle  des 
brigands,  il  a  été  interrompu  par  des  applaudissements 
sans  fin.  A  celle:  «Oh!  que  ne  puis-je  la  trouver  cette 
Juliette,  cette  Ophélie,  que  mon  cœur  appelle  !  »  les 
mouchoirs  ont  commencé  à  se  montrer. 

L'orchestre,  composé  des  mêmes  exécuteurs,  sera 
fort  et  hardi  la  prochaine  fois  ;  ce  qui  lui  a  manqué, 
c'est  l'assurance.  Avec  une  nouvelle  répétition  soignée 
et  payée,  tous  les  détails,  toutes  les  nuances  sortiront. 

Je  vous  prie  de  donner  un  Mélologue  à  Edouard, 
un  à  Charles  Bert,  un  à  madame  Pion  qui  me  l'avait 
demandé,  et  deux  à  Laurent,  qui  en  enverra  un  à  Figuet 
à  Beaurepaire,  également  promis.  Hippolyte1  aussi,  s'il 
est  à  la  Côte. 


1.  Edouard  et  Hippolyte  Rocher.  —  A.  Figuet  du  Feuillant,  ou 
simplement  «  Dufeuillant  »,  de  Beaurepaire,  ami  commun  d'Hec- 
tor Berlioz  et  de  son  futur  beau-frère  Marc  Suât.  —  Beaurepaire, 
chef-lieu  de  canton  de  l'Isère,  proche  de  la  Cùte  Saint-André. 


214  L'ES    ANNÉKS    li  «  1  M  AXTIQl'LS. 

Adieu,  mon  cher  père,  je  vous  embrasse  tendrement 
ainsi  que  maman,  Prosper,  et  la  bonne  Adèle. 

H.    BERLIOZ. 

Je  n'avais  point  envoyé  de  billets  à  Castil-Blaze,  ainsi 
j'ai  évité  le  feuilleton  du  Constitutionnel. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


A    FRANZ    LISZT 

[Paris,]  19  décembre    1832  . 

Mon  cher  Lilz  (sic), 

Vous  m'avez  donné  une  grande  preuve  d'amitié  hier 
matin;  mais  il  eût  mieux  valu  pour  moi  que  ce  fiït  sur 
un  autre  sujet.  Depuis  que  je  vous  ai  quitté,  j'ai  eu  avec 
H:  S.  une  scène  qui,  sans  vous,  m'aurait  noyé  dans  Un 
bonheur  sans  mélange,  dans  une  ivresse  qu'aucune 
langue  ne  peut  exprimer;  cette  joie,  cette  rage  d'amour, 
ont  été  empoisonnées,  mais  je  bois  le  tout  ensemble, 
dussé-je  mourir  au  bout. 

Tout  en  elle  me  ravit  et  m'exalte;  l'aveu  franc  de  ses 
sentiments  m'a  consterne  et  rendu  presque  fou.  Je  vous 
demande,  au  nom  de  notre  amitié,  de  ne  plus  reparler 
ni  a  moi  ni  à  d'autres  de  ce  que  vous  m'avez  dit.  Nous 
n'en  sommes  pas  encore  au  mariage. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  215 

Je  ne  la  quitterai  jamais.  C'est  mon  étoile.  Elle  m'a 
compris.  Si  c'est  une  erreur,  on  doit  me  la  laisser;  elle 
embellira  les  derniers  temps  de  ma  vie,  qui,  je  l'espère, 
ne  sera  pas  longue.  On  ne  peut  résister  longtemps  à  de 
pareilles  émotions.  Éteignez,  je  vous  prie,  tout  entretien 
là-dessus  avec  Dumas,  et  Hiller  quand  il  sera  ici  ;  dites 
même  le  contraire  de  votre  pensée,  il  le  faut,  je  vous  le 
demande  à  genoux. 

Oui,  je  l'aime!  je  l'aime!  et  j'en  suis  aimé.  Elle  me 
Va  dit  hier  devant  sa  sœur;  oui,  elle  m'aime,  mais  je 
n'en  parle  qu'à  vous,  je  veux  enfouir  mon  bonheur,  s'il 
est  possible.  Ainsi,  silence!  Il  n'est  rien  aujourd'hui  qui 
puisse  nous  séparer.  Elle  a  su  l'aventure  de  mademoi- 
selle Moke,  il  a  fallu  lui  tout  raconter;  c'était  elle,  elle, 
H.  S.  qui  me  manquait;  mon  existence  est  complète, 
voilà  le  cœur  qui  devait  répondre  au  mien.  Ne  prenez 
pas  en  pitié  ce  que  je  vous  écris  ;  il  faut  respecter  l'amour 
et  l'enthousiasme  quand  ils  sont  aussi  profonds  et  aussi 
intimes  que  ceux  que  je  ressens. 

Adieu,  mon  ami,  vous  devez  comprendre  aujourd'hui 
ce  que  mon  cœur  attend  du  votre. 

HECTOR    BERLIOZ. 

P. -S.  —  Notre  concert  est  remis  au  dimanche  30  dé- 
cembre. 

Communiqué  par  M.   Emile  Ollivier  (publié  en   partie   clans 
son  roman  Marie-Magdelcine). 

Berlioz  et  Liszt  avaient  fait  connaissance  lors  de  la  pre- 
mière audition  de  la  Symphonie  fantastique  (voy.  Mémoires, 


216  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

ch.  xxxi,  confirmés  par  la  lettre  ci-dessusdu  6  décembre  1830). 
Cette  lettre  est  la  première  de  leur  longue  et  précieuse  cor- 
respondance qui  nous  soit  parvenue.  On  peut  remarquer  que 
le  tutoiement  amical,  qui  n'a  jamais  cessé  par  la  suite,  n'est 
pas  encore  en  usage  entre  eux. 

En  ce  qui  concerne  le  fond  de  cette  lettre,  disons  dès  main- 
tenant que  Liszt,  un  peu  enclin  à  colporter  certains  propos, 
tint  à  honneur  de  réparer  le  tort  que  ceux-ci  auraient  pu 
causer  à  miss  Smithson  en  acceptant  d'être  témoin  de  son 
mariage  avec  Berlioz,  lorsqu'il  fut  célébré  dix  mois  plus 
tard.  La  lettre  que  lui  écrivit  son  ami  au  lendemain  de  la 
cérémonie,  et  la  confidence  qu'elle  contient,  dut  achever  de 
dissiper  ses  dernières  inquiétudes  s'il  en  avait  encore.  (Voir 
ci-après,  lettre  du  7  octobre  1833). 

Sur  l'exubérance  de  la  passion  de  Berlioz  pendant  cette 
période  de  crise,  on  peut  comparer  à  ces  lettres  le  récit 
rapporté  par  Ernest  Legouvé  dans  ses  Soixante  ans  de  souve- 
nirs. D'après  cet  écrivain,  Eugène  Sue  et  lui-même  auraient 
été  promus  par  l'artiste  aux  emplois,  l'un  de  «  conseiller 
ordinaire  »,  l'autre  de  «  confesseur  adjoint  ».  Il  est  bien  vrai 
que  cet  amour  romantique  ne  connut  jamais  le  mystère,  non 
pas  même  la  plus  simple  discrétion  ! 


VI 


A    ALBERT    DU    BOYS 

Paris,  5  janvier  1833. 

Mon  cher  Albert, 
Je  profite  d'un  moment  de  liberté  et  d'isolement  pour 
vous  répondre  :  ces  moments-là  sont  rares  'aujourd'hui 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  217 

dans  mon  tourbillon.  Je  vous  remercie  d'abord  de  l'in- 
térêt affectueux  que  vous  prenez  à  ma  carrière  musicale. 
Oui,  sans  doute  le  succès  du  premier  concert  et  celui  du 
second  ont  été  fort  grands,  mais  un  suffrage  dont  je 
vous  parlerai  tout  à  l'heure  est  venu  s'y  joindre  et  m'a 
noyé,  submergé  de  bonheur.  J'ai  failli  devenir  fou. 
Avant  de  vous  dire  ce  que  c'est,  vous  saurez  que  votre 
charmante  traduction  a  été  chantée  et  qu'on  la  grave  en 
ce  moment-ci1.  Je  vous  en  enverrai  avec  la  Captive 
d'Hugo  et  le  Chant  du  Bonheur  lorsque  tout  cela  aura 
paru .  Seulement  je  crois  que  vos  daines  ne  pourront 
chanter  que  la  Captive,  le  reste  étant  écrit  très  haut 
pour  un  ténor,  et  d'un  genre  qui  ne  leur  plaira  pas.  Je 
vous  adresserai  aussi  un  exemplaire  du  mélologue  si 
vous  n'en  avez  déjà. 

Assez  parlé  de  la  terre,  voilà  mon  ciel. 
Quel  roman  invraisemblable  que  la  vie  ! 
Henriette  Smithson  a  été  amenée  à  mon  concert, 
ignorant  qu'il  était  donné  par  moi  ;  elle  a  entendu  l'ou- 
vrage dont  elle  est  le  sujet  et  la  cause  première,  elle 
en  a  pleuré,  elle  a  vu  mon  furieux  succès.  Cela  est  allé 
droit  à  son  cœur,  elle  m'a  fait  témoigner  après  le  con- 
cert tout  son  enthousiasme,  on  m'a  présenté  chez  elle  ; 
elle  m'a  écoulé  tout  en  larmes,  lui  racontant  comme 
Othello  les  vicissitudes  de  ma  vie  depuis  le  jour  où  je 


1.  La  ballade  du  Pêcheur,  d'après  Goethe,  chantée  dans  le  Retour 
û  la  vie. 

13 


218  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES  < 

l'aimais,  elle  m'a  demandé  grâce  pour  les  tourments 
qu'elle  m'a\ait  fait  souffrir  (sans  le  savoir,  car  elle  igno- 
rait presque  tout)  et  enfin  le  18  décembre,  en  présence  de 
sa  sœur,  j'ai  entendu  ces  mots  :  «  Eh  bien,  Berlioz...  je 
vous  aime.  »  Depuis  lors  tous  mes  efforts  se  sont  bornés 
à  éteindre  le  volcan  de  ma  tête,  j'ai  cru  perdre  la  rai- 
son. Oui,  elle  m'aime  !  elle  a  un  cœur  de  Juliette;  c'est 
bien  là  mon  Ophélie  !  Quand  je  ne  puis  la  voir,  nous 
nous  écrivons  jusqu'à  trois  lettres  par  jour,  elle  en 
anglais,  moi  en  français  '  ;  oh  !  mon  cher,  il  y  a  donc 
une  justice  au  ciel!  je  ne  le  croyais  pas.  Mon  art,  ma 
pensée,  c'est  à  vous  deux  que  je  dois  d'être  ainsi  !  Ma 
chère  symphonie  I  je  voudrais  la  meUre  sur  un  autel  et 
lui  brûler  des  parfums  !  Quel  amour,  Albert,  quelle 
idolâtrie  !  quanti  palpili  !  vous  avez  été  témoin  de  mes 
angoisses,  vous  figurez-vous  ce  que  je  dois  éprouver?... 
Ce  n'est  pas  un  amour  des  sens,  non,  c'est  le  cœur  seul 
et  la  tête  qui  sont  parfumés  de  ce  sentiment  sublime. 
Mais  elle  est  dans  un  moment  de  chagrins  et  de  peines 
cruelles  que  tous  mes  efforts  ne  peuvent  alléger;  cela 
me  désespère;  je  voudrais  au  prix  du  sang  de  mes 
veines  lui  épargner  un  instant  de  souffrances  et  je  ne  le 
puis.  Ne  croyez  pas,  Albert,  que  notre  amour,  nos  entre- 
vues soient  d'une  autre  nature  que  ce  que  l'honneur 
d'une  femme  peut  lui  permettre;  non,  vous  vous  Irom- 


1.  Sauf  un  unique  billet,  rien   n'a  été  conservé  de  cette  corres- 
pondance, qui  ne  devait  pas  manquer  d'être  grandement  intéressante 


LES    ANNÉES    ROM  ANTIQUES  .  21'.J 

periez.  Au  contraire,  elle  est  d'une  réserve  dans  nos 
lète-à-tète  qui  me  tue.  Mon  Ophélie !!!...  Je  demeure 
quelquefois  des  heures  entières  à  genoux  devant  elle, 
tenant  ses  mains  dans  les  miennes,  regardant  naître 
lentement  des  larmes  dans  ses  yeux,  jusqu'à  ce  qu'un 
baiser  descendant  sur  mon  front,  je  me  lève,  je  rugis, 
je  la  brise  dans  mes  bras,  nous  nous  promenons  à 
grands  pas  dans  le  salon,  nous  récriant  sur  l'étrange 
destinée  qui,  des  deux  bouts  de  ('Europe  nous  a  l'ait 
accourir  à  Paris  au  même  moment  pour  nous  réunir. 
Elle  doit  jouer  bientôt  dans  une  grande  représentation 
le  Roméo  de  Shakespeare,  il  est  convenu  que  j'y  assis- 
terai (pour  toutes  les  autres  représentations,  elle  a  exigé 
que  je  n'y  parusse  pas,  ma  présence  pouvant  la  trou- 
bler;. Oui,  j'y  serai,  et  après  la  tragédie  le  véritable 
lioméo,  celui  qu'a  créé  Shakespeare,  moi  enfin,  oui  moi, 
je  serai  aux  pieds  de  ma  Juliette  prêta  mourir,  prêt  à 
tivre  même  si  elle  veut... 

Oh!!!  parle  donc,  mon  orchestre... 

Adieu,  cher  bon  Albert.  Jusqu'au  moment  où  il  fau- 
dra bien  Cfùë  mes  parents  le  sachent,  gardez-moi  le 
secret  le  plus  absolu.  D'Ortigue  a  eu  l'imprudence  de  le 
dévoiler  à  demi  dans  ma  biographie  de  la  Revue  de 
Paris1;  avez-vous  lu  cela?...  à  présent,  froidl 

1.  Premier  article  biographique  écrit  sur  Berlioz,  reproduit 
dans  le  Balcon  de  l'Opéra,  livre  de  Joseph  d'Ortigue  qui  parut 
dans  la  même  année  1833.  Berlioz  a  contribué  à  la  rédaction  par 
des  notes  dont  l'original,  écrit  de  sa  main,  appartient  à  la  Biblio  ■ 
tlièque  du  Conservatoire. 


220  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Je  réponds  à  vos  questions  pour  votre  ouvrage  ;  il  ne 
faut  pas  songer  à  imprimer  à  Paris  sans  être  présent, 
cela  est  sûr,  vous  manqueriez  votre  succès. 

Adieu,  mon  cher  ami,  tout  à  vous,  vous  ne  m'en  vou- 
drez pas  de  vous  avoir  désigné  dans  le  mélologue  sous 
le  nom  d'Horatio,  ami  d'Hamlet1. 

H.    BERLIOZ. 

P.  -S.  —  Écrivez-moi  tout  de  suite  et  dites- moi  un 
peu  comment  on  jase  de  tout  cela  à  Grenoble.  La  Revue 
de  Paris  aura  produit  son  effet. 

Un  amour  de  cinq  ans  concentré,  qui  a  résisté  atout, 
même  à  une  passion  épisodique 2  !  Le  fer  était  rompu 
dans  la  plaie. 

Mon  Dieu  1  qui  est-ce  qui  pourra  jamais  exprimer?... 
rien,  pas  même  la  musique. 

Communiqué  par  M.  P.  Du  Boys. 


1.  «  Je  ne  me  trompe  pas  :  c'est  la  ballade  du  Pêcheur  de  Goelhe 
qu'Horatio  traduisit  et  dont  je  fis  la  musique  pour  lui  plaire  il  y 
a  quatre  ou  cinq  ans.  Nous  étions  heureux  alors.  Son  sort  n'a  pas 
changé;  et  le  mien...  »  (Le  Retour  à  la  vie). 

2.  «  Passion  épisodique»  :  autre  expression  de  ce  que  Berlioz 
qualifie  ailleurs:  «distraction  violente  »,  voire  «épisode  bouflbn  ». 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  221 


VII 

A   MONSIEUR  LE    MINISTRE   DU    COMMERCE 
ET    DES    TRAVAUX    PUBLICS 

[Paris,]  19  janvier  [1833]. 

Monsieur  le  Ministre, 

Les  encouragements  donnés  aux  Beaux-Arts  par  un 
gouvernement  éclairé  et  protecteur  n'ont  guère  été 
appliqués  jusqu'ici  qu'à  la  littérature  et  aux  arts  du 
dessin  ;  la  musique  n'y  a  jamais  eu  qu'une  faible 
part.  Il  semble  cependant  qu'elle  tienne  assez  de 
place  dans  les  habitudes  des  peuples  civilisés  pour  être 
admise  plus  largement  au  partage  du  bienfait. 

Ce  qui  arrête  le  plus  souvent  l'artiste  dans  son  essor 
et  le  fait  reculer  devant  le  pénible  travail  d'une  grande 
composition,  c'est  la  difficulté  des  moyens  d'exécution. 
Rien  que  les  frais  de  papier  et  de  copie  pour  un 
ouvrage  de  quelque  étendue  s'élèvent  à  des  sommes 
considérables. 

J'ai  tenté,  monsieur  le  Ministre,  et  avec  de  fort  minces 
ressources,  une  entreprise  qui  pouvait  justement  passer 
pour  téméraire.  J'ai  composé  une  œuvre  musicale 
remplissant  exclusivement  la  durée  ordinaire  d'un  con- 
cert, trois  heures  ;  et  par  mes  soins  elle  a  été  exécutée. 
Le  succès  a  dépassé  mes  espérances  sous  le  rapport  de 


1*2-2  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

l'art  :  j'ai  recueilli  des  témoignages  précieux.  C'est 
ce  qui  m'enhardit,  monsieur  le  Ministre,  à  réclamer  de 
votre  bienveillance  une  indemnité  pour  les  dépenses 
premières  qui  m'ont  amené  à  pouvoir  produire  ma 
composition.  Ces  dépenses  ne  s'élèvent  pas  à  moins 
de  cinq  cents  francs.  Je  regarderais  le  remboursement 
de  cette  somme  comme  un  encouragement  suffi- 
sant pour  me  livrer  de  nouveau  au  travail  avec 
ardeur.  Elève  de  l'école  française,  j'ai  le  devoir  et  le 
désir  de  justifier  de  mon  mieux  cette  honorable  qualité. 
J'ai  l'honneur  d'être  respectueusement,  monsieur  le 
Ministre,  votre  très  humble  serviteur. 

HECTOR     REF.  LIOZ. 

Communiqué  par  M.  Albert  Geloso. 

Une  note  inscrite  au  crayon  en  marge  de  cette  pétition 
indique  la  matière  de  la  réponse,  dont  la  minute  (égale- 
ment conservée  par  M.  Geloso)  donne  la  teneur  complète. 
Elle  est  datée  du  3  février.  Nous  en   détachons  ces  mots: 

«  Je  n'ai  à  ma  disposition  aucun  fonds  sur  lequel  je 
puisse  imputer  une  dépense  de  cette  nature,  et  je  vous  en 
témoigne  mes  regrets. 

»  Je  saisis  cette  occasion  pour  vous  rappeler  qu'ayant  rem- 
porté le  grand  prix  de  composition  musicale  en  1832  et  étant 
à  ce  titre  pensionnaire  du  Moi,  vous  devez,  aux  termes  des 
règlements  qui  régissent  l'Académie,  être  en  Allemagne 
depuis  le  Ier  janvier  de  L'année  courante,  et  je  vous  engage 
à  vous  y  rendre  sans  délai.   » 

Il  y  a  une  erreur  assez  grave  dans  ce  document  officiel. 
Ce  n'est  pas  en  183-2.  mais  en  1830,  que  Berlioz  remporta 
lo  grand  prix  île  composition    musicale.  Quant  au  voyage 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  223 

en  Allemagne  auquel  l'obligeait  le  règlement,  nous  verrons 
par  les  lettres  qui  vont  suivre  que,  jusqu'au  commence- 
ment de  septembre  il  n'avait  pas  renoncé  à  la  perspective 
de  l'effectuer.  Pourtant  il  ne  l'accomplit  pas.  Les  Mémoires 
(klv)  disent  à  ce  sujet:»  Le  ministre  de  l'Intérieur  m'avait 
dispensé  du  voyage  en  Allemagne,  o  Nous  ne  connaissons 
aucun  document  relatif  à  cette  dispense. 

Notons  que,  d'après  cette  dernière  lettre  et  sa  réponse, 
le  bureau  «1rs  Beaux-Arts  était  alors  rattaché  au  Ministère 
du  Commerce  et  do  Travaux  publics,  troisième  bureau, 
tandis  qu'en  1828  et  1830  (voir  ci-dessus)  il  dépendait  de 
l'Intérieur;  c'est  d'ailleurs  à  ce  dernier  Ministère  que  les 
Mémoires  attribuent  la  dispense  du  voyage  en  Allemagne  en 
cette  même  année  1833. 

a  d'ortigue,  Paris  19  janvier  1833  (Corresp.  inéd.,  lUT). 
«  Je  vous  parle  de  chants  tandis  que  Rome  brûle...  Jamais 
plus  intense  douleur  n'a  rongé  un  cœur  d'homme  !  Je  suis 
au  septième  cercle  de  l'enfer.  —  A  propos,  je  vais  faire  un 
opéra  italien  fort  gai,  sur  la  comédie  de  Shakespeare. 
Beaucoup  de  brait  pour  rien.  —  Oh!  oh!  Damnation!  je 
broierais  un  fer  rouge  entre  mes  dents!...  » 


VIII 

A    B  \    SOBUK   ADÈL1 

23  janvier  1833. 

Chère  Adèle, 

Tu  as  dû  voir  que  nos  dernières  lettres  s'étaient  croi- 
sées; je  te  remercie  de  ta  tendre  inquiétude,  mais  je 
n'étais  pas  malade. 

Je  suis  excessivement  préoccupé  de  mille  manières. 


22  i  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

J'ai  demeuré  quinze  jours  sans  rien  faire,  et  à  présent 
mon  activité  me  reprend.  Je  suis  obligé  de  surveiller 
les  graveurs,  les  imprimeurs,  les  éditeurs;  Schlesinger 
grave  trois  morceaux  de  mon  mélologue;  j'enverrai  tout 
cela  à  Nanci  avec  la  ballade  de  la  Captive,  quand  tout 
aura  paru. 

Mon  début  dramatique  est  à  peu  près  fixé.  Il  faut  que 
toute  ma  carrière  soit  bizarre.  Je  débuterai  par  le  Théâtre 
Italien.  Je  suis  fort  bien  vu  à  cette  administration,  et 
comme  on  n'y  joue  que  des  ouvrages  déjà  connus  en 
Italie,  je  suis  seul  à  écrire  du  nouveau  pour  elle. 

Je  viens  de  ce  pas  de  porter  au  théâtre  le  plan  du 
libretto,  dont  j'ai  moi-même  choisi  et  arrangé  le  sujet  '. 
Ces  messieurs  vont  le  lire,  et,  s'il  leur  convient,  ils  me 
mettront  immédiatement  en  rapport  avec  un  poète 
italien  qui  l'écrira  sous  mes  yeux.  Il  n'y  a  point  de  droits 
d'auteur  à  ce  théâtre  ;  mais  ils  me  donneront  une  repré- 
sentation à  bénéfice  dont  le  produit  moyen  est  de  cinq 
mille  francs,  et  qui  peut  s'élever  à  huit  mille. 

Je  contracterai  un  engagement  écrit,  sans  quoi,  rien. 
Ce  serait  pour  le  mois  d'octobre  prochain,  dans  neuf  mois. 

Si  tout  cela  se  conclut,  comme  je  l'espère,  je  vous  en 
informerai2. 


1.  Beaucoup  de  bruit  pour  rien  (voir  lettre  du  19  janvier,  à 
d'Ortigue). 

•1.  Cela  ne  se  conclut  pas.  11  fallut  près  de  trente  années  pour 
que  Berlioz  réalisât  son  projet  de  mettre  en  musique  (avec  un 
livret  français  cette  fois)  la  conu'die  de  Shakespeare:  on  sait  qu'il 
lui  emprunta  le  sujet  de  Béatrice  et  Bênédkt,  sa  dernière  œuvre. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  225 

Comment  va-t-on  à  la  maison?...  Il  y  a  terriblement 
longtemps  que  IS'anci  ne  m'a  écrit. 

Mon  oncle  est  arrivé  en  garnison  ici  depuis  trois  jours. 
Son  régiment  a  seulement  fait  son  entrée  ce  matin.  Je 
les  ai  vus  passer  sur  le  boulevard,  ils  sont  superbes. 

Adieu,  ma  bonne,  mon  excellente  so:-ur,  aime-moi 
toujours  comme  je  t'aime. 

II.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

A  d'ortigde,  5  février  1833  (Corresp.  inéd.,  108).  «Je  n'ai 
rien  que  du  bonheur  à  vous  annoncer.  Le  soleil  luit  en  ce 
moment-ci  du  plus  vif  éclat...  Henriette  et  moi  avions  été 
mutuellement  calomniés  vis-à-vis  de  l'autre  d'une  manière 
infâme.  Tout  est  éclairci.  Son  amour  se  montre  fort.  Il  y  a 
une  opposition  formidable.  J'ai  écrit  à  mon  père.  Le  dénoù- 
inent  approche...  » 

Il  n'a  rien  été  conservé  des  lettres  que  Berlioz  écrivit  à 
ses  parents  pendant  cette  période  difficile.  On  verra  par  la 
suite  de  cette  correspondance  que  la  rupture  à  laquelle 
donna  lieu  avec  eux  son  mariage  avec  miss  Smithson  ne  fut 
que  momentanée,  et  qu'après  la  naissance  de  l'enfant  les 
relations  de  famille  redevinrent  aussi  affectueuses  que  par 
le  passé.  C'est  avec  la  sœur  aînée,  Nanci,  que  le  refroidisse- 
ment fut  le  plus  durable.  En  revanche,  même  au  moment 
des  plus  graves  difficultés,  Adèle  resta  toujours  fidèle  à 
L'affection  de  son  frère,  ainsi  qu'en  vont  témoigner,  et  par- 
fois de  la  façon  la  plus  touchante,  plusieurs  des  lettres  ci- 
après. 


13. 


226  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 


IX 


A    THOMAS    GOUNET 

[Paris]  Jeudi  matin  [7  février  1833]. 

.Mon  cher  Gounet, 

Pourriez-vous  me  faire  le  plaisir  de  venir  me  prendre 
ce  soir  chez  Desmarest  après  votre  dîner  sur  les  six 
heures  ? 

J'aurai  beaucoup  à  causer  avec  vous.  Vous  vous  êtes, 
nous  nous  sommes  étrangement  trompés  sur  le  compte 
d'H.  S...,  mon  bon  et  cher  ami,  je  suis  immensément 
heureux;  jusqu'à  nouvel  ordre.  Les  persécutions  com- 
mencent du  côté  de  ma  famille  et  ne  cessent  pas  de  la 
part  de  la,  sienne.  Mais  elle  me  promet  du  courage  et  de 
l'énergie;  pour  moi,  je  suis  sur  de  n'en  pas  manquer,  et 
nous  vaincrons  les  difficultés;  bientôt,  j'espère. 

Adieu,  mon  cher  et  bon  ami.  J'ai  fait  preuve  d'un 
courage  infernal  après  vous  avoir  quitté  l'autre  jour  ; 
cet  effort  m'a  été  largement  payé. 

Mais  je  vous  dirai  fout.  Adieu. 

ii .  îii-.ni.i"/ 
Lettres  à  (iounet. 

\  iiumbert  kerrand,  2  mars  1833  (Let.  int.,  124).  «  Je 
suis  entièrement  absorbé  par  les  inquiétudes  et  les  chagrins 
dévorants  de  ma  position.  Mon  père  a  refusé  son  consen- 
temenl  el  m'oblige  à  taire  des  sommations. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  Î21 

»  Henriette,  dans  tout  cela  montre  une  dignité  et  un 
caractère  irréprochables  ;  sa  famille  et  ses  amis  la  persé- 
cutent plus  encore  que  les  miens  pour  la  détacher  de  moi. 
Quand  j'ai  mi  à  quel  point  cela  était  porté  et  les  scènes 
journalières  dont  j'étais  la  cause,  j'ai  \oulu  me  dévouer  :  je 
lui  ai  fait  dire  que  je  me  sentais  capable  de  renoncer  à  elle 
(ce  qui  n'était  pas  vrai,  car  j'en  serais  mort),  plutôt  que  de 
la  brouiller  avec  ses  parents.  Bien  loin  d'accepter  ma  pro- 
position, elle  n'en  a  éprou\é  qu'un  chagrin  cruel,  et  un 
redoublement  de  tendresse  pour  moi  en  a  été  le  résultat. 
Depuis  lors,  sa  sœur  nous  laisse  tranquilles,  et  quand  je 
viens,  elle  s'en  va. 

»  Ces  tëte-à-téte  sont  quelquefois  bien  pénibles;  comme 
vous  pensez  bien,  je  suis  obligé  de  me  consumer  en  efforts 
pour  me  contenir.  Un  rien  l'effarouche,  elle  a  peur  de  mon 
exaspération;  mes  caresses,  si  réservées  qu'elles  soient,  lui 
paraissent  trop  ardentes;  elle  me  brûle  le  cœur  :  moi,  je 
l'épouvante;  nous  nous  tourmentons  mutuellement.  Mais 
mes  propres  inquiétudes,  mes  craintes  de  ne  pas  l'obtenir 
me  rendent  le  plus  malheureux  des  hommes.  Il  ne  man- 
quait plus  que  son  malheur  à  elle  pour  compléter  le  mien  ! 

»  Ses  affaires  ont  très  mal  tourné;  elle  allait  avoir  une 
représentation  à  son  bénéfice,  qui  pouvait  les  remonter  un 
peu  ;  je  lui  avais  arrangé  un  concert  assez  beau  dans  un 
entr'ai  ;te;  tout  allait  assez  bien,  quand,  hier,  a  quatre  heures, 
en  revenant  du  Ministère  du  Commerce  en  cabriolet,  elle  a 
voulu  descendre  sans  que  sa  femme  de  chambre  lui  donnât 
la  main  ;  sa  robe  s'est  accrochée,  son  pied  a  tourné  dans  le 
marchepied,  et  elle  s'est  cassé  la  jambe  au-dessus  de  la 
cheville.  Elle  a  souffert  horriblement  cette  nuit;  ce  matin 
encore,  quand  Dubois  fils  a  revu  l'appareil,  elle  n'a  pu 
retenir  ses  cris;  je  les  entends  encore.  Je  suis  désolé.  Vous 
dire  mon  chagrin  est  impossible.  La  voir  souffrante  et  si 
malheureuse  el  ue  pouvoir  rien  pour  elle  est  affreux! 

»  Quelle  destinée  sera  donc  la  nôtre?...  Le  sort  nous  a 
évidemment  faits   pour  être  unis,  je  ne  la  quitterai  pas 


228  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES. 

vivant.  Plus  son  malheur  deviendra  grand,  plus  je  m'y 
attacherai.  Si  elle  perdait,  avec  son  talent  et  sa  fortune,  sa 
beauté,  je  sens  que  je  l'aimerais  également.  C'est  un  senti- 
ment inexplicable;  quand  elle  serait  abandonnée  du  ciel  et 
de  la  terre,  je  lui  resterais  encore,  aussi  aimant,  aussi 
prosterné  d'amour  qu'aux  jours  de  sa  gloire  et  de  son 
éclat.  » 


X 


A     MESSIEURS    LES    MEMBRES    DU     COMITE 
LE    LA    SOCIÉTÉ    DES     CONCERTS 

[Paris,]  13  mars  [1833] . 
Messieurs, 

J'ai  apporté  d'Italie  quelques  compositions  instrumen- 
tales qui  n'ont  point  encore  été  exécutées.  L'une  d'elles 
(l'ouverture  de  Rob  Roy)  pourrait-elle  avoir  l'honneur 
de  figurer  dans  le  programme  d'un  de  vos  brillants 
concerts?...  Les  parties  n'étant  pas  encore  copiées,  je 
vous  prie,  messieurs,  dans  le  cas  où  votre  réponse  serait 
favorable,  de  me  la  faire  parvenir  le  plus  lot  possible. 

J'ai  l'honneur  d'être,  messieurs,  votre  dévoué  servi- 
teur, 

HECTOR    BERLIOZ. 
Rue  Neuve  Saint-Man.',  n"  1. 

En  marge  :  Répondu  15  mars. 
Archives  île  la  Sociét*'  îles  Concerts. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  229 

L'ouverture  de  Rob  Roy  fut  exécutée  par  la  Société  des 
Concerts,  le  14  avril  1833.  Elle  ne  fut  pas  accueillie  favora- 
blement, et  Berlioz,  dont  l'impressionabilité  coutumière  était 
encore  accrue  par  la  crise  passionnelle  qu'il  traversait,  en 
détruisit  le  matériel  à  l'issue  d'un  concert.  Mais  l'exemplaire 
autographe  que,  d'autre  part,  il  avait  adressé  à  l'Académie 
des  Beaux- Arts,  comme  envoi  de  Borne,  a  été  retrouvé  à  la 
Bibliothèque  du  Conservatoire. 


XI 


A    M.    CIIARAVEL,    JUGE    DE    PAIX    A    LA    TOUR     DU     PIN 

Paris,  29  mars  [1833]. 
Monsieur, 
Quoique  je  n'aie  pas  l'honneur  d'être  connu  de  vous, 
Duchadoz1,  noire  ami  commun,  m'engage  à  vous  de- 
mander un  service  qui  est  d'un  très  grand  prix  à  mes 
yeux.  Seriez-vous  assez  bon  pour  accepter  ma  procu- 
ration et  présenter  avec  M.  Simian,  notaire  à  la  Côte- 
Saint-André,  deux  actes  respectueux  à  mes  parents.  Le 
mariage  que  je  veux  contracter  ne  leur  convenant  pas, 
je  me  suis  vu  forcé  d'employer  ce  moyen.  La  première 
sommation  a  été  faite  à  la  fin  de  février  dernier  ;  mais 
des  considérations  de  famille  empêchant  mon  ancien 
ami  M.  Edouard  Rocher  de  continuer,  je  vous  prie  ins- 

1.  Fils  d'un  médecin  de  Grenoble,  fut  attaché  à  la  personne  de 
Pie  VI  pendant  une  partie  de  son  séjour  en  France,  le  docteur 
Auguste  Berlioz,  oncle  d'Hector,  aurait  épousé  une  demoiselle 
Duchadoz  (voy.  p.  xxxv). 


230  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

tamment,  monsieur,  de  vouloir  bien  le  remplacer.  C'est 
un  service  que  je  ne  pourrai  jamais  assez  reconnaître  : 
Duchadoz  et  moi  nous  pensons  que  les  raisons  qui 
arrêtent  M.  Rocher  n'existant  pas  pour  vous,  il  vous 
sera  facile  de  me  tirer  d'embarras. 

Veuillez,  monsieur,  recevoir  d'avance  tous  mes  re- 
merciements, et  mes  excuses  pour  mon  indiscrétion. 

Votre  dévoué  serviteur, 

HECTOR    BERLIOZ. 
Communiqué  par  M.  Maignien. 


XII 


A    SA    SCIEUR   ADELE 

Paris,  30  mai  [1833]. 
Ma  chère  Adèle, 

Es-tu  fâchée  de  mon  silence?.. Oh  1  ne  le  sois  pas,  je 
t'en  prie.  Si  tu  savais  comme  je  suis  continuellement 
absorbé  par  l'étrangeté  et  le  romanesque  de  ma  posi- 
tion, par  les  inquiétudes  que  me  donnent  celle  de  ma 
pauvre  chère  malade,  tu  me  pardonnerais.  Il  y  a  aujour- 
d'hui trois  mois  qu'Henriette  s'est  cassé  la  jambe  et  elle 
ne  marche  encore  qu'à  peine  avec  des  béquilles.  Elle 
s'exerce  quelques  heures  dans  le  jour  à  traverser  sa 
chambre  et  à  rester  levée;  tout  le  reste  du  temps, elle  le 
passe  tristement  dans  son  lit  à  écouter,  quand  je  n'y  luil 


LE8    ANNÉES    ROMANTIQUES.  231 

pas.  l'infernal  concert  de  la  conversation  de  sa  sœur,  qui, 
avec  une  persévérance  vraiment  diabolique,  s'obstine  à 
la  tourmenter  à  cause  de  moi.  Il  n'y  a  sorte  d'absurdes 
calomnies  qu'elle  n'invente  pour  essayer  de  détacher 
Henriette  de  moi.  Heureusement  tout  cela  est  sans  effet: 
mais  te  figures-tu  quelle  dose  de  patience  il  faut  que  j'aie 
pour  ne  pas  exterminer  cette  damnée  petite  bossue  qui 
poursuit  son  intérêt  d'égoïsme  envers  et  contre  tous  et 
vient  me  dire  en  face  que  si  elle  était  assez  forte  elle  me 
jetterait  par  la  fenêtre.'...  La  plupart  du  temps  nous  en 
rions,  mais  il  y  a  des  jours  où  la  patience  est  sur  le 
point  de  Qu'échapper,  et  sans  un  regard  de  ma  bonne, 
belle  et  adorée  Henriette,  je  sens  que  la  maudite  naine 
passerait  un  mauvais  moment  ;  mais  je  sais  que  dans 
beaucoup  d'occasions  «  patience  et  longueur  de  temps 
font  plus  que  force  ni  que  rage  »  et  je  ine  contiens.  Je 
t'écrirai  quelque  jour,  bonne  sœur,  une  longue  lettre  où 
je  te  donnerai  tous  les  détails  possibles  sur  mademoi- 
selle Smithson,  sur  son  caractère  vraiment  incroyable 
et  sur  les  ravissantes  découvertes  que  j'y  fais  tous  les 
jours.  Aujourd'hui  tout  cela  serait  anticipé  et  tu  es  en- 
core sous  l'influence  d'une   multitude  de  préventions 
horriblement  injustes  qui  t'empêcheraient  de  me  croire. 
Je  pense  que  la  troisième  et  dernière  sommation  aura 
été  faite  quand  lu  recevra  sma  lettre  :  fais-le-moi  savoir, 
je  t'en  prie,  sur-le-champ.  J'ai  vu  hier  mon  oncle  qui 
m'a  dit  ne  rien  savoir  sur  l'accouchement  de  Nanti; 
informe-moi  de  son  état  et  de  celui  de  tout  le  monde  à 


232  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

la  maison,  quoique  je  sois  pour  eux  un  paria.  Adieu, 
chère  sœur,  excellente  Adèle,  je  te  remercie  de  ton 
inaltérable  affection  ;  je  n'ai  pas  besoin  de  te  répéter 
l'assurance  de  la  mienne. 
Ton  frère, 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

A  humbert  ferrand,  12  juin  1833.  (Let.  inl.,  127.)  «Je 
suis  absorbé...  ma  vie  ondule.  Un  jour,  bien,  calme,  poéti- 
sant, rêvant;  un  autre  jour,  maux  de  nerfs,  ennuyé,  chien 
galeux,  hargneux,  méchant  comme  mille  diables,  vomissant 
la  vie  et  prêt  à  y  mettre  fin  pour  rien,  si  je  n'avais  pas  un 
délirant  bonheur  en  perspective  toujours  plus  prochaine, 
une  bizarre  destinée  à  accomplir,  des  amis  sûrs,  la  musique, 
et  puis  la  curiosité.  .Ma  vie  est  un  roman  qui  m'intéresse 
beaucoup. 

»...  L'opinion  que  vous  pouvez  vous  être  formée  d'Hen- 
riette est  aussi  fausse  que  possible.  C'est  tout  un  autre 
roman  que  sa  vie,  et  sa  manière  de  voir,  de  sentir  et  de 
penser  n'en  est  pas  la  partie  la  moins  intéressante.  Sa  con- 
duite, dans  la  position  où  elle  a  été  placée  dès  l'enfance,  est 
tout  à  fait  incrovable...  » 


XIII 

A    MISS    SMITH  S  ON 

(Date  indéterminée.) 

Si  vous  ne  voulez  pas  ma  mort,  au  nom  de  la  pitié, 
(je  n'ose  dire  de  l'amour),  faites-moi  savoir  quand  je 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  233 

pourrai  vous  voir.  Je  vous  demande  grâce,  pardon,  à 
genoux,  avec  sanglots  !  !  ! 

Oh!  malheureux  que  je  suis,  je  n'ai  pas  cru  mériter 
tout  ce  que  je  souffre,  mais  je  bénis  les  coups  qui 
viennent  de  votre  main. 

J'attends  votre  réponse  comme  l'arrêt  de  mon  juge. 

H.    HERLIOZ. 

A  Mademoiselle  Henriette  Smithson.  rue  de  Rivoli, 
hôtel  du  Congrès. 

Collection  de  M.  Gaston  Calmann-Lévy. 

a  Ferdinand  hiller,  Paris,  18  juillet  1833  (Corresp. 
inéd.,  109).  «  Vous  devinez  sans  doute,  au  long  et  absurde 
silence  que  j'ai  gardé  avec  vous,  que  l'état  de  liberté  dans 
lequel  vous  m'avez  laissé  à  votre  départ  n'a  pas  été  long. 
Deux  jours  après  que  vous  aviez  quitté  Paris,  Henriette  me  fit 
prier  instamment  de  venir  la  voir.  Je  fus  froid  et  calme 
comme  un  marbre.  Elle  m'écrivit  deux  heures  après  ;  j'y 
retournai,  et  après  mille  protestations  et  explications  qui, 
sans  la  justifier  complètement,  la  disculpaient  au  moins  sur 
le  point  principal,  j'ai  fini  par  lui  pardonner,  et  depuis  lors 
je  ne  l'ai  pas  quittée  un  seul  jour... 

»  Je  vais  partir  dans  deux  jours  pour  Grenoble:  il  faut 
que  je  voie  si  décidément  j'ai  aussi  perdu  mon  père,  et  si  je 
suis  pour  toute  ma  famille  un  paria. 

»  Ma  pauvre  Henriette  commence  à  marcher  :  nous  sommes 
allés  déjà  plusieurs  fois  ensemble  nous  promener  aux  Tui- 
leries. Je  suis  les  progrès  de  sa  guérison  avec  l'anxiété  d'une 
mère  qui  voit  les  premiers  pas  de  son  enfant.  Mais  quelle 
affreuse  position  est  la  nôtre  !  Mon  père  ne  veut  rien  me 
donner,  espérant  par  là  empêcher  mon  mariage.  Elle  n'a 
rien,  je  ne  puis  rien  ou  fort  peu  pour  elle;  hier  soir,  nous 
avons  passé  deux  heures  noyés  de  larmes  tous  les  deux. 


•234  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

»  Sous  quelque  prétexte  que  ce  soit,  je  ne  puis  lui  l'aire 
accepter  l'argent  dont  je  puis  disposer.  Heureusement,  j'ai 
obtenu  de  la  Caisse  d'encouragement  des  Beaux-Arts  une 
gratification  de  mille  francs  pour  elle,  que  je  lui  remettrai 
ces  jours-ci.  C'est  l'attente  de  cette  somme,  que  je  veux  lui 
remettre  moi-même,  qui  retarde  mon  voyage.  Aussitôt  après, 
je  pars  pour  obtenir,  soit  de  mon  père,  soit  de  mon  beau- 
frère,  ou  de  mes  amis,  ou  même  des  usuriers  qui  connais- 
sent la  fortune  de  mon  père,  quelques  mille  francs  qui 
puissent  me  mettre  dans  le  cas  de  la  tirer,  ainsi  que  moi, 
de  l'atroce  situation  où  nous  nous  trouvons. 

»  Comme  je  ne  sais  pas  trop  comment  tout  cela  finira,  je 
vous  prie  de  conserver  cette  lettre,  afin  que,  si  quelque 
malheur  définitif  m'arrive,  vous  puissiez  réclamer  toute  ma 
musique  manuscrite  que  je  vous  lègue  et  confie.  » 

A  humbert  ferrand,  1er  août  1833  (Lel.  int.,  129).  «Je 
suis  toujours  dans  la  même  vie  déchirée  et  bouleversée;  je 
verrai  peut-être  Henriette  ce  soir  pour  la  dernière  fois;  elle 
est  si  malheureuse  que  le  cœur  m'en  saigne,  et  son  carac- 
tère irrésolu  et  timide  l'empêche  de  savoir  prendre  la 
moindre  détermination...  Toute  cette  histoire  est  triste  et 
baignée  de  larmes;  mais  j'espère  qu'il  n'y  aura  que  des 
larmes...  » 

ai;  mkme,  30  août  1833  (id.,  131).  «Je  ne  sais  ce 
que  je  vous  avais  écrit  de  ma  séparation  d'avec  cette 
pauvre  Henriette,  mais  elle  n'a  pas  encore  eu  lieu,  elle 
ne  l'a  pas  voulu.  Depuis  lors,  les  scènes  sont  deveuuea  plus 
violentes;  il  y  a  eu  un  commencement  de  mariage,  un  acte 
civil  que  son  exécrable  sieur  a  déchiré  :  il  3  ;i  eu  (\(^  déses- 
poirs de  sa  part;  il  y  a  eu  un  reproche  de  ne  pas  l'aimer  : 
là-dessus,  je  lui  ai  répondu  de  guerre  lasse  en  in'empoison- 
nant  à  ses  yux.  Cris  affreux  d'Henriette  l..,  desespoir 
sublime  !...  lires  atroces  de  ma  pari  !...  désir  île  revivre  en 
Voyant  968  terribles  protestations  d'amour!...  éinétique  j,., 
ipéracnaiiii  '..„    vomissements   de   «lciiv    heures  !...    il    n'esl 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  '235 

resté  que  deux  grains  d'opium;  j'ai  été  malade  trois  jours 
et  j'ai  survécu.  Henriette,  désespérée,  a  voulu  réparer  tout 
(0  mal  qu'elle  venait  de  me  faire,  m'a  demandé  quelles  ac- 
tions je  voulais  lui  dicter,  quelle  marche  elle  devait  suivre 
|iuur  fixer  enfin  notre  sort  ;  je  le  lui  ai  indiqué.  Elle  a  bien 
commencé,  et,  à  présent,  depuis  trois  jours,  elle  hésite 
encore,  ébranlée  par  les  instigations  de  sa  sœur  et  par  la 
crainte  que  lui  cause  notre  misérable  situation  de  fortune. 
»  Elle  n'a  rien  et  je  l'aime,  et  elle  n'ose  me  confier  son  sort... 
Elle  veut  attendre  quelques  mois...  des  mois  !  Damnation  ! 
je  ne  veux  plus  attendre,  j'ai  trop  souffert.  .Te  lui  ai  écrit  hi<  r 
que,  si  elle  ne  voulait  pas  que  j'aille  la  chercher  demain 
samedi  pour  la  conduire  à  la  mairie,  je  partais  jeudi  pro- 
chain pour  Berlin.  Elle  ne  croit  pas  à  ma  résolution  et  m'a 
fait  dire  qu'elle  me  répondrait  aujourd'hui.  Ce  seront  en- 
core des  phrases,  des  prières  d'aller  la  voir,  qu'elle  est  ma- 
lade, etc.  Mais  je  tiendrai  bon,  et  elle  verra  que.  si  j'ai  été 
faible  et  mourant  à  ses  pieds  si  longtemps,  je  puis  encore  me 
lever,  la  fuir,  et  vivre  pour  ceux  qui  m'aiment  et  me  com- 
prennent. J'ai  tout  fait  pour  elle,  je  ne  puis  rien  de  plus.  Je 
lui  sacrifie  tout,  et  elle  n'ose  rien  risquer  pour  moi.  C'est 
trop  de  faihlesse  et  de  raison.  Je  partirai  donc. 

»  Pour  m'aider  à  supporter  cette  horrible  séparation,  un 
hasard  inouï  me  jette  entre  les  bras  une  pauvre  jeune  fille 
«le  dix-huit  ans,  charmante  et  exaltée,  qui  s'est  enfuie,  il 
y  a  quatre  jours,  de  chez  un  misérable  qui  l'avait  achetée 
cnfanl  el  la  tenait  enfermée  depuis  quatre  ans  comme  une 
esclave;  elle  meurt  de  peur  de  retomber  entre  les  mains  de 
ee  monstre  el  déclare  qu'elle  se  jettera  à  l'eau  plutôt  que  de 
redevenir  sa  propriété.  On  m'a  parlé  de  cela  avant-hier;  elle 
veut  absolument  quitter  la  France;  une  idée  m'est  venue  de 
l'emmener;  on  lui  a  parlé  de  moi,  elle  a  voulu  me  voir,  je 
l'ai  vue.  je  l'ai  un  peu  rassurée  et  consolée  :  je  lui  ai  pro- 
posé de  m'accompagner  à  Berlin  el  de  la  placer  quelque  pari 
dans  les  chœurs,  par  l'entremise  de  Sponlini;  elle  y  con- 
sent. Elle  est  belle,  seule  au  momie,  désespérée  el  confiante, 


236  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

je  la  protégerai,  je  ferai  tous  mes  efforts  pour  m'y  attacher. 
Si  elle  m'aime,  je  tordrai  mon  cœur  pour  en  exprimer  un 
reste  d'amour.  Enfin  je  me  figurerai  que  je  l'aime.  Je  viens 
de  la  voir,  elle  est  fort  bien  élevée,  touche  assez  bien  du 
piano,  chante  un  peu,  cause  bien  et  sait  mettre  de  la  dignité 
dans  son  étrange  position.  Quel  absurde  roman! 

»  Mon  passe-port  est  prêt,  j'ai  encore  quelques  affaires  à 
terminer  et  je  pars.  Il  faut  en  finir.  Je  laisse  cette  pauvre 
Henriette  bien  malheureuse,  sa  position  est  épouvantable  ; 
mais  je  n'ai  rien  à  me  reprocher  et  je  ne  puis  rien  de  plus 
pour  elle.  Je  donnerais  encore  à  l'instant  ma  vie  pour  un 
mois  passé  près  d'elle,  aimé  comme  je  dois  l'être.  Elle  pleu- 
rera, se  désespérera  ;  il  sera  trop  tard.  Elle  subira  la  consé- 
quence de  son  malheureux  caractère,  faible  et  incapable 
d'un  grand  sentiment  et  d'une  forte  résolution...  puis  elle 
se  consolera  et  me  trouvera  des  torts.  C'est  toujours  ainsi. 
Pour  moi,  il  faut  que  j'aille  en  avant,  sans  écouter  les  cris 
de  ma  conscience,  qui  me  dit  toujours  que  je  suis  trop  mal- 
heureux et  que  la  vie  est  une  atrocité.  Je  serai  sourd.  Je 
vous  promets  bien,  cher  ami,  de  ne  pas  faire  mentir  votre 
oracle.  » 

au  même,  3  septembre  1833  (id.,  135).  «  Henriette  est 
venue,  je  reste.  Nous  sommes  annoncés.  Dans  quinze  jours, 
tout  sera  fini,  si  les  lois  humaines  veulent  bien  le  per- 
mettre. Je  ne  crains  que  leurs  lenteurs.  Enfin!!!  Oh!  il 
le  fallait,  voyez-vous. 

»  Nous  avons,  à  plusieurs,  fait  un  petit  sort  à  la  pauvre 
fugitive.  Jules  Janin  s'en  est  chargé  spécialement  pour  la 
faire  partir.  » 

Le  mariage  d'Hector  Berlioz  et  d'Henriette  Smithson  fut 
célébré  le  3  octobre  1833,  ainsi  qu'en  témoigne  l'acte  dont 
suit  la  copie,  et  dont  l'original  est  conservé  à  l'Ambassade 
d'Angleterre.  On  remarquera  la  signature  de  Liszt  parmi 
celles  des  témoins. 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  237 

Marriages  solennized  in  Oie  House  of  Her  Britannic 
Majesty's  Embassy  at  Paris, 

in  Oie  year  4833. 

M'  Louis  Hector  Berlioz,  of  the  Town  of  Cote  Svint- 
André,  in  the  Départent1  of  Isère,  France,  Bachelor 

and  Harriett  Constance  Smitlison,  of  the  Parish  of 
Ennis,  in  the  County  of  Clave,  Ireland,  Spinster 

were  married  in  this  House  this  third  day  of  October, 
in  the  year  one  thousand  eight  hundred  and  thirty  threc. 

by  me,  M.  H.  Luscombe,  Chaplain. 

This  marriage  ivas  solemnized  between  us  :  H.  Ber- 
lioz, H.  C.  Siiirnsos. 

In  the  présence  of  :  Berlha  Stritcb,  Bobert  Cooper, 
Jacques  Heisry  (?),  F.  Li>zr. 

A'°  369. 


XIV 

A     SA     SOEUR    ADÈLE 

Vincennes,  lundi  7  octobre  1833. 

Ma  chère  bonne  petite  sœur, 
J'ai  demeuré  bien  longtemps  sans  t'écrire  et  tu  as  dû 
me  trouver  aussi  ingrat  qu'oublieux,  mais  c'est  qu'après 
tant  d'incertitudes  je  ne  voulais  prendre  la  plume  que 


238  LE.S    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

pour  t' annoncer  que  j'étais  enfin  marié.  Oui,  ma  bonne 
Adèle,  c'est  fini.  Jeudi  dernier  la  cérémonie  a  eu  lieu 
suivant  les  usages  français  et  anglais.  Henriette  avait 
peur  de  mon  émotion,  et  m'avait  bien  recommandé  de 
me  contenir  le  plus  possible  devant  tant  de  témoins,  et 
j'ai  si  bien  suivi  ses  leçons  que  j'ai  été  d'un  calme 
superbe  et  que  c'est  elle  au  contraire  qui  a  pleuré.  Je 
suis  avec  elle  à  Vincennes  dans  une  jolie  petite  maison 
de  campagne,  loin  de  tous  les  curieux  importuns.  Le 
jour  de  notre  mariage,  sa  sœur  nous  ayant  laissés  seuls, 
nous  avons  t'ait  notre  repas  de  noces  de  la  plus  comique 
manière  du  monde;  sans  domestiques  pour  nous  servir, 
nous  avions  t'ait  apporter  notre  dîner  du  restaurant  de 
Viucennes;  le  dessert,  nous  l'avions  cueilli  au  jardin;  il 
faisait  un  temps  délicieux,  riant,  doux,  frais,  superbe. 
Enfin,  c'était  d'un  bonheur  insolent. Detempsen  tempsje 
vais  à  Paris,  voir  ce  qu'on  y  fait  et  suivre  le  fil  de  mes 
occupations  habituelles.  Il  me  faut  aujourd'hui  redoubler 
d'activité  et  de  travail.  Quand  je  songe  que  j'ai  mal  em- 
ployé une  heure  que  j'aurais  pu  consacrer  au  bonheur 
de  ma  chère  adorée,  je  me  le  reproche  toute  la  journée. 
C'est  une  créature  bien  délicieusement  pure  et  bonne 
que  ma  femme;  il  n'est  presque  pas  croyable  de  ren- 
contrer chez  une  actrice  de  son  âge  tout  ce  que  j'y  ai 
trouvé.  Ainsi,  arrière  les  calomnies,  qu'elles  retombent 
sur  leurs  infâmes  auteurs,  elle  peut  les  braver:  je  suis 
bût  d'elle.  Oh  !  que  j'ai  eu  raison  d'écouler  la  voix  de 
monoœur;  lui  qui  trompe  si  souvent  ne  m'a  dit  oèt&efoid 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  239 

que  la  vérité.  Je  vais  monter  un  petit  concert  qui  ne 
coûtera  rien  et  dont  le  produit  sera  par  conséquent  tout 
bénéfice  ;  dans  un  mois  ou  deux,  j'irai  peut-être  à 
Lyon  en  donner  un  énorme.  Henriette  m'y  accompa- 
gnera, et  cet  hiver  nous  irons  l'un  et  l'autre  en  Prusse 
où  ma  pension  m'Oblige  d'aller  et  où  on  vient  de  pro- 
poser à  ma  femme  un  engagement  assez  avantageux 
pour  y  jouer  la  tragédie  anglaise.  Je  ne  compte  plus 
sur  l'aide  de  nos  parents,  quoique  je  nie  trouve  dans 
le  moment  le  plus  ditlicile,  mais  mon  père  m'a  écrit 
une  lettre  si  atroce  sans  que  je  l'eusse  provoqué  que 
réellement  il  y  aurait  folie  de  chercher  à  vaincre  ses 
préventions.  Il  reconnaîtra  peut-être  plus  tard  combien 
elles  sont  injustes.  Pour  loi,  qui  es  bonne  comme  un 
ange,  je  ne  doute  pas  que  tu  prennes  la  part  la  plus 
vive  à  mon  bonheur  et  à  mes  inquiétudes. 

Adieu,  chère  bonne  sœur,  adieu. 

Je  t'écrirai  une  autre  ibis,  et  Henriette  y  joindra 
quelques  lignes  de  sa  main. 

Ecris-moi  toujours  à  la  même  adresse  à  Paris. 

Ton  affectionné  frère, 

H.  BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


240  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


XV 


A    FRANZ    LISZT 

Vincennes,  lundi  matin,  7  octobre  1833. 

Mon  ami, 

Veux-tu  te  trouver  ce  soir  chez  Hugo,  à  sept  heures? 
Tu  sais  qu'il  doit  lire  son  nouvel  ouvrage1,  j'y  serai. 

Eh  bien,  avais-je  raison  de  croire  la  voix  secrète  de 
mon  cœur?  Mon  expérience  a  réussi;  oui,  à  telles  ensei- 
gnes que  j'en  suis  tout  brisé  d'efforts. 

Mais  à  ce  soir. 

Adieu. 

H.    BERLIOZ. 

Vierge,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  vierge. 

Communiqué  par  M.  Emile  Ollivier. 

a  humbert  ferra nd,  Vincennes,  11  octobre  1833 
(Let.  int.,  136).  «  Je  suis  marié  !  enfin!  »  Détails  analogues 
à  ceux  des  lettres  précédentes. 

a  d'ortigue,  Paris,  lo  octobre  1833  (Corresp.  inéd.  ,lii). 
t  J'iu  été  si  préoccupé  de  mon  bonheur,  de  mes  inquiétudes, 
de  mes  projets  pour  elle,  si  accablé  par  la  révolution  im- 
mense que  tout  cela  fait  dans  ma  vie,  qu'en  vérité  je  ne 
songeais  pas  au  monde,  et  tu  me  pardonneras  île  l'avoir 
oublié,  ainsi  que  tous  mes  autres  amis,  s  Préparatifs  d'une 
représentation  avec  concert  à  l'Odéon  pour  le  12  novembre  ; 
Henriette  jouera  le  quatrième  acte  d'Hamlet. 

1.  Probablement  Marie  Tudor,  qui  parut  en  novembre  1833. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  2  il 


XVI 

A    THOMAS    G  0  U NET 

Paris,  24  octobre  [1833]. 

Cher  Gounet, 
Voilà  l'ouvrage  en  question. 

Lisez,  voyez,  et  écrivez  de  ces  jolis  vers  que  vous 
faites  si  bien. 
Adieu  à  vous  sur  votre  terre,  je  retourne  à  mon  ciel. 

il  .    B. 
Lettres  à  Gounet. 

a  humbert  ferrand,  Paris,  2o  octobre  1833  (Let.  int., 
138).  Tableau  de  son  bonheur  conjugal.  «  C'est  Ophélie  elle- 
même  ;  non  pas  Juliette,  elle  n'en  a  pas  la  fougue  passion- 
née; elle  est  tendre,  douce  et  timide...  C'est  une  sensitive... 
.Mais  elle  n'a  aucune  éducation  musicale,  et,  le  croiriez- 
\ous?  elle  se  plaît  à  entendre  certains  ponts-neufs  d'Auber. 
Elle  trouve  cela  pas  beau,  mais  gentil.  » 


XVII 

A   THOMAS    GOUNET 

> 

[Commencement  de  novembre  1833.] 

Mon  cher  Gounet, 
Seriez- vous  assez  bon    pour  m'envoyer  le   plus  tôt 
possible  la  chanson  de  \Yeber  (Lutzow);  il  faut  que  je 

14 


242  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

fasse  copier  les  parties  '  ?  —  Si  vous  veniez  ce  soir  me 
l'apporter  vous-même,  ce  serait  parfait. 

Lettres  à  Gounet. 


XMII 

AU    MÊME 

[1"  novembre  1833.] 

Mon  cher  Gounet, 

Travaillez-vous  ?  et  à  quoi?  est-ce  notre  acte?  sont-ce 
les  Brigands  ?  je  voudrais  bien  avoir  le  Cri  de  guerre* 
avant  l'autre  ;  si  vous  pouviez  le  finir,  je  m'y  mettrais. 
Nous  allons  ce  soir  aux  Italiens  et  demain  à  l'Opéra. 
mais  je  pense  que  notre  soirée  sera  libre  samedi  ;  ainsi, 
si  vous  pouvez  disposer  de  la  vôtre,  nous  serions  heu- 
reux de  vous  voir, 

Adieu,  adieu. 

Lettres  à  Gounet. 


1.  Pour  le  concert  du  2i  novembre.  (Voir  lettres  ci-après.) 

2.  Le  Cri  de  guerre  du  Brisguw,  intermède  en  un  acte,  formé  de 
fragments  empruntés  aux  Francs-Juges.  La  Bibliotbèque  nationale 
possède  des  fragments  manuscrits  de  cette  œuvre  restée  inachevée 
et  inédite. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  -24.'i 


XIX 

AU   MÊME 

Paris,  18  novembre  [1833]. 

Mon  cher  Gounet. 

J'ai  encore  recours  à  vous  pour  les  lettres  du  roi  et 
de  la  famille  royale  l.  Je  ne  sais  si  celles  que  vous  m'a- 
viez faites  pour  mon  concert  pourraient  encore  servir. 
Envoyez-les-moi,  voulez-vous?  car  je  suis  incapable  de 
tourner  convenablement  ces  épîtres  sur  la  Cassette 
royale. 

Vous  ne  venez  plus  nous  voir.  Je  pense  que  vous 
avez  reçu  des  billets  de  notre  représentation  :  j'ai  donné 
votre  adresse  au  théâtre  avant-hier  pour  qu'on  vous  les 
envoie. 

Adieu.  Tout  à  vous. 

H.    BERLIOZ. 

Henriette  vous  souhaite  le  bonjour. 
Lettres  à  Gounet. 


1.  Pour  «olliciter  l'honneur  de  leur  présence  à  la  représentation 
du  24  novembre.  Gounet,  fonctionnaire  au  Ministère  de  l'Instruc- 
tion publique,  connaissait  mieux  que  Berlioz  le  secret  du  style 
dans  lequel  ces  sortes  de  requêtes  doivent  être  rédigées. 


244  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


XX 


A    L   EDITEUR   RENDUEL 

Vers  le  20  novembre  1833.] 

M.  Berlioz  présente  ses  compliments  à  M.  Renduel  et 
le  prie  de  vouloir  bien  disposer  des  deux  places  ci-joinles 
pour  son  concert  de  dimanche  prochain. 

L'original  de  cette  invitation  à  la  représentation  donnée 
par  Berlioz  et  sa  femme  le  24  novembre  1833  est  reproduit 
en  fac-similé  dans  le  livre  de  M.  Adolphe  Jullien  :  Le 
Romantisme  et  l'éditeur  Renduel,  p.  249. 


XXI 


A     SA     S  nK  ri;     ADELE 

[Paris,]  le  28  novembre  1833. 
Chère  Adèle. 
Je  devais  t'écrire  tous  ces  jours-ci  pour  t'apprendre 
que  nous  sommes  enfin  débarrassés  de  notre  représenta- 
tion à  bénéfice.  J'ai  cru  que  j'en  mourrais  de  fatigue 
et  d'ennui.  Mais  la  nécessité  était  là  pour  me  pousser 
jusqu'au  bout.  Henriette,  malgré  sa  peur  et  la  faiblesse 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  2 45 

de  sa  jambe  droite,  a  reparu  dans  Ophélia  et  y  a  été, 
comme  de  raison,  déchirante,  sublime  et  couverte  d'ap- 
plaudissements. Mais  le  spectacle  était  trop  long,  nous 
avions  mal  calculé  la  durée  de  chaque  pièce  et  celle  des 
entr'actes,  de  sorte  que  mon  concert  n'a  pu  commencer 
qu'à  minuit  moins  un  quart.  Les  musiciens  étaient 
mécontents  et  mal  disposés,  plusieurs  même  manquaient. 
Aussi,  à  part  une  ouverture  et  un  autre  morceau,  ce 
qu'on  a  exécuté  a  été  exécrable  ;  enfin,  à  minuit  et 
demi,  l'orchestre  s'est  peu  à  peu  sauvé  devant  le  public! 
Le  parterre  s'est  levé  demandant  la  Symphonie  fantas- 
tique, et  j'ai  été  obligé  de  parler  au  publie  en  lui  mon- 
trant mes  pupitres  dégarnis  et  l'impossibilité  où  j'étais 
de  lui  faire  entendre  un  pareil  ouvrage  avec  ce  qui  me 
restait  de  musiciens;  alors  on  a  eu  pitié  du  général 
abandonné  de  ses  soldats,  et  on  a  crié  :  «  Au  Conserva- 
toire !  une  autre  fois  l.  » 

La  recette  s'est  élevée  à  cinq  mille  francs  qui  nous 
tireront  d'embarras  momentanément  ;  les  frais  étaient  de 
deux  mille  cinq  cents.  Eh  bien,  un  autre  effort  amènera 
un  autre  résultat  ;  je  ne  demande  que  du  temps  et  de  la 
tranquillité.  J'aurais  bien  besoin  de  te  voir,  ma  chère 
sœur  ;  écris-moi  au  moins  ;  je  crois  que  je  vais  devenir 
fou  d'amour  pour  ma  pauvre  chérie  sublime.  Oh  !  que 
je  voudrais  que  tu  puisses  la  connaître  ! 

Nanci  ne  m'a  pas  fait  l'honneur  de  me  répondre.  Je 

1.  Cf.  Mémoires,  XLV. 

14. 


*2i6  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

n'aurais  jamais  cru  cela  de  sa  part.  Adieu  :  loi  au  moins 
tu  m'es  restée  fidèle,  et  je  t'en  remercie. 

Adieu,  adieu,  chère  sœur. 

Henriette,  sans  le  connaître,  t'aime  aussi  de  tout  son 
cœur. 

H .     BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


XXI I 

A     THOMAS     G 0 U  N E  T 

[28  novembre  1833.  | 

Eh  bien,  mon  cher,  avez-vous  eu  le  temps  de  faire 
quelques  vers  pour  notre  acte  ?  Il  faut  le  plus  tôt  possi- 
ble en  finir.  Je  suis  libre  de  toute  autre  occupation  et  le 
vent  esl  bon  à  l'Opéra.  Au  nom  de  Dieu,  profitons-en. 
J'ai  copié  et  mis  en  ordre  tout  ce  qu'il  y  a  de  fait  dans 
le  poème  ;  je  n'attends  plus  que  votre  soudure  entre  les 
deux  pièces  de  rapport  de  la  fin.  Vous  en  avez  le  plan 
en  prose. 

Adieu,  écrivez-moi  pour  me  rassurer,  car  je  brûle 
d'impatience. 

lettres  à  Gounet. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  2ï7 


XXIII 

\r    M  ÈME 

[Décembre  1833.] 
Mon  cher  Gounet, 
J'espère  que  vous  viendrez  dimanche  prochain  en- 
tendre mon  ouverture  du  Bol  Lear  qui  est  une  chose1... 
cette  chose  a  obtenu  un  succès  violent  à  la  répétition  de 
ce  matin  et  j'espère  qu'il  en  sera  de  même  au  grand 
jour. 

Adieu,  vous  êtes  rare  comme  la  bonne  musique. 

H.    BBBLI055. 

Lettre?,  à  Go  un  et. 


XXIV 

A     SA     SOEUR     ADÈLE 

Jeudi,  26  décembre  1833. 
Chère  Adèle, 
Merci  mille  fois,  bonne  sœur,  véritable  amie,  de  ton 
affectueuse  lettre;  je  l'attendais  il  va  longtemps.  Depuis 

1.  L'ouverture  du  Roi  Lear,  composée  à  Mce  en  1831,  fut  exé- 
cutée pour  la  première  fois  au  concert  que  donna  Berlioz  au 
Conservatoire  le  22  décembre  1833,  et  qu'il  a,  dans  les  Mémoires 
(XLV),  appelé  son  a  concert  de  réhabilitation  ». 


248  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

que  je  l'ai  reçue,  j'ai  pris  une  furieuse  revanche  du 
gâchis  du  Théâtre  Italien.  Dimanche  dernier  j'ai  donné 
un  concert  au  Conservatoire  avec  un  succès  plus  grand 
que  je  n'en  ai  obtenu  de  ma  vie.  Tout  a  été  exécuté 
avec  une  perfection  rare,  une  chaleur,  un  enthousiasme 
qu'on  ne  voit  presque  jamais  parmi  les  artistes  d'or- 
chestre. L'effet  a  été  foudroyant  ;  le  public  a  fait 
recommencer  la  Marche  du  supplice  malgré  la  longueur 
énorme  du  morceau.  C'est  la  première  fois  que  j'ai  les 
honneurs  du  bis.  La  recette  a  été  assez  belle,  je  n'ai  pas 
à  me  plaindre,  sous  aucun  rapport.  Henriette  était  dans 
un  transport  de  joie  dont  toi  seule  au  monde  peux  avoir 
une  idée.  Elle  était  si  ravie  en  sortant  au  milieu  des 
félicitations  qui  lui  venaient  des  Alfred  de  Vigny  S  Hugo, 
E.  Deschamps,  Legouvé,  Eugène  Sue  (car  il  faut  que 
tu  saches  que  tous  les  poètes  de  Paris  y  assistaient).  Oh! 
ma  pauvre  Adèle,  pourquoi  n'y  étais-tu  pas?  Mon  oncle 
y  a  assisté  ;  je  ne  l'ai  vu  qu'un  instant  au  commence- 
ment. Nous  ne  sommes  pas  très  empressés  de  nous 
rencontrer.  Il  n'est  pas  venu  me  voir  une  fois  depuis 
mon  mariage  ;  je  le  rencontre  dans  le  monde  où  je  vais 
de  temps  en  temps  seul,  par  nécessité  d'entretenir  mes 
relations  ;  Henriette  ne  sort  guère,  elle  aime  mieux  lire 
au  coin  du  feu.  Nous  avons  quelquefois  nos  amis  le 
soir;  M.  Joseph  Hocher  a  lait  partie  de  notre  petite 
réunion  de  la  semaine  dernière;  Alphonse  vient  souvent, 

1.  Berlioz  orthographie  habituellement  :  Devigny. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  249 

ainsi  que  les  poètes  Emile  et  Anlony  Deschamps,  A.  de 
Vigny,  Legouvé,  Brizeux,  Liszt,  Chopin,  elc.  Nous 
dînons  chez  Alphonse  '  demain.  Henriette  qui  a  un  tact 
incroyable  pour  juger  les  nouveaux  visages  s'est  laissée 
prendre  à  ses  bonnes  qualités  et  l'a  pris  en  affection  dès 
la  première  conversation  qu'ils  ont  eue  ensemble. 

Tu  l'as  bien  fait  pleurer,  ma  pauvre  Ophélie,  par  le 
petit  passage  de  ta  lettre  où  tu  la'charges  d'une'commis- 
sion  pour  moi  ;  je  ne  puis  te  dire  combien  elle  y  a  été 
sensible.  Aussi  a-t-elle  voulu  t'écrire  une  petite  lettre 
anglaise  dont  je  t'envoie  en  même  temps  la  traduction. 
Je  pense  que  tu  recevras  bientôt  par  une  occasion  de 
Firmin  Rocher  son  portrait  gravé;  il  est  très  ressemblant. 
Nous  n'allons  pas  en  Prusse,  l'entreprise  sur  laquelle  nous 
comptions  n'a  pas  réussi,  et  nous  restons  à  Paris  où  je  vois 
que  ma  carrière  se  dessine  de  jour  en  jour.  Henriette 
est  trop  souffrante  depuis  quelque  temps  pour  que  nous 
songions  à  autre  chose  qu'à  la  rétablir.  Sa  jambe  est 
parfaitement  guérie,  mais  à  présent  ce  sont  les  dents 
qui  la  font  souffrir  horriblement  ;  je  viens  pourtant  de 
la  décider  à  s'en  faire  arracher  une;  j'espère  qu'elle 
sera  débarrassée  ce  soir  et  qu'elle  pourra  dormir.  Mais 
elle  se  désespère  à  cause  de  moi  ;  elle  prétend  que  c'est 
affreux  d'avoir  toujours  auprès  de  soi  une  femme  qui  se 
plaint,  et  que  depuis  dix  mois,  au  moins,  je  n'entends 


1.  Alphonse  Robert,  plus  fidèle  à  la  médecine  que  son  cousin 
Hector,  était  devenu  un  praticien  distingué. 


2"i0  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

sortir  de  sa  bouche  que  des  plaintes.  Tu  penses  ce  que 
je  puis  répondre  à  cela. 

Mais  toi  que  deviens-tuf  pauvre  sœur!  que  de- 
viennent nos  parents?  Comment  est  mon  père  dont  tu 
ne  me  dis  rien?...  Je  pense  que  les  santés  sont  bonnes 
puisque  tu  ne  m'annonces  rien  de  mauvais. 

On  vient  de  me  prêter  le  Messager  des  Chambres,  de 
mercredi  dernier,  ainsi  que  le  Vert-Vert  et  le  Cabinet  de 
Lecture,  où  on  m'a  lait  dois  bons  articles  sur  mon  con- 
cert. Les  autres  journaux  n'ont  encore  rien  dit. 

Tu  sais  peut-être  que  je  fais  le  feuilleton  musical  du 
Rénovateur,  journal  légitimiste.  J'ai  envie  de  te  le  faire 
envoyer.  Il  y  a  quelquefois  des  feuilletons  littéraires  de 
M.  Saint-Félix  qui  sont  intéressants.  Comme  je  me 
moque  des  opinions  politiques,  tu  penses  que  la  cou- 
leur du  journal  ne  me  fait  absolument  rien.  Je  ne 
touche  jamais  à  ce  qui  est  en  dehors  de  mon  domaine. 

Adieu,  bonne  sœur.  Je  t'embrasse  tendrement. 

Ton  affectionné  frère, 

H.   liKH  Un/ 

A  cette  lettre  ('lait  joint  un  billot  écrit  on  anglais  par 
Henriette,  e(  auquel  Berlioz  a.  do  sa  main,  ajouté  celle  tra- 
duction i'l  ce  |ti)sl-soii]ituin  : 

Mademoiselle  ou  ma  chère  demoiselle  (en  anglais, 
chère  Madame). 

Vos  témoignages  d'affection  envers  voire  frère  sont  la 
preuve  d'un  excellent  cœur,  et  nous  y  sommes  l'un  et  l'autre 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  2bl 

profondément  sensibles.  Le  plus  grand  plaisir  que 
pourraient  nous  procurer  les  succès  que  nous  espérons 
obtenir  dans  notre  carrière  difficile  serait  de  pouvoir  vous 
prouver  combien  est  sincère  le  sentiment  de  reconnaissance 
que  votre  bonté  nous  inspire.  Mon  cœur  repond  au  vôtre, 
c'est  tout  ce  que  je  puis  dire  aujourd'hui.  Notre  conduite 
et  nos  motifs  sont  entièrement  désintéressés  et  je  suis  sûre 
que  votre  amitié  et  ma  gratitude  sont  également  vraies. 
Les  véritables  amis  sont  si  rares  dans  ce  monde  qu'à  mon 
avis  vous  ne  pouvez  rien  m'offrir  de  plus  précieux  que 
votre  amitié,  et  je  l'accepte  avec  l'espérance  que  je  vivrai 
assez  pour  vous  payer  de  retour  de  toutes  les  manières. 
Votre  très  sincère 

h  .  h.  s . 

P.-S.  —  Je  n'ai  pu  traduire  littéralement  partout.  C'est 
impossible  :  mais  c'est  exactement  le  sens. 

Communique  par  madame  Chapot. 


XXV 

A     T  H  0  M  AS    GOU.NET 

[1er  janvier  1834.] 

Cher  Gounet. 
Merci  mille  fois  et  de  vos  vers  et  de  vos  bonbons  et 
de  votre  lettre  et  de  tout.  Vous  êtes  la  bonté  personni- 


252  LES    ANNEES   ROMANTIQUES. 

fiée.  Ne  vous  donnez  pas  la  peine  de  copier  le  poème1, 
car  c'est  déjà  fait  à  peu  près.  Il  faudrait  à  présent  nous 
voir  pour  nous  entendre  sur  plusieurs  petites  choses. 
Pourrez-vous  trouver  un  moment  de  liberté?  Le  soir 
vous  savez  que  je  ne  sors  guère.  Prévenez-moi  cepen- 
dant dans  la  journée  quand  je  devrai  m'y  trouver. 

Henriette  vous  souhaite  le  bonjour  avec  mille  ami- 
tiés. Elle  prétend  que  M.  Gounet  il  a  un  bon  cœur. 

Je  penche  assez  pour  son  opinion. 

Lettres  à  Gounet. 


XXVI 

AU    MÊME 

3  janvier  [1834]. 
Mon  cher  Gounet, 
Je  suis  allé  vous  voir  et  vous  harceler,  pardonnez- 
moi  mon  importunilé.  Je  suis  sûr  que  vous  me  donnez 
au  diable  ;  mais  vous  savez  aussi  bien  que  moi  combien 
il  est  important  de  saisir  le  moment  et  l'occasion  quand 
ils  se  présentent.  Voilà  pourquoi  je  vous  talonne  ainsi 
pour  obtenir  de  vous  mes  vers.  Il  y  a  bien  des  gens  qui 
peuvent  être  en  sécurité  contre  une  pareille  importunité 
de  ma  part;  ils  ont  un   talisman  dont  l'effet  est  sûr. 

1.  Le  Cri  de  guerre  du  firisgawf 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  253 

Mais  vous,  c'est  le  talisman  contraire  que  vous  possé- 
dez; je  ne  vous  flatte  pas  en  jurant  que  je  n'ai  jamais 
mis  en  musique  des  vers  plus  allants  que  les  vôtres.  Il  est 
naturel  que  j'en  sois  friand,  comme  les  mouches  sont 
friandes  du  miel. 

Adieu,  j?cspère  en  voire  bonté  pour  prendre  sur  votre 
loisir,  déjà  si  restreint,  le  temps  nécessaire  à  l'achève- 
ment de  notre  opuscule. 

H.    BERLIOZ. 

Lettres  à  Gounet. 


XXVII 

A     MESSIEURS     LES    MEMBRES    DU     COMITÉ 
DE     LA    SOCIÉTÉ    DES    CONCERTS 

[Février  1834.] 

Messieurs, 
Je  désirerais  obtenir  l'iionneur  d'être  entendu  dans  une 
de  vos  magnifiques  séances  musicales.  Si  ma  Fantaisie 
dramatique  sur  la  Tempête  (de  Shakespeare),  pour  chœurs 
et  orchestre,  qui  a  été  entendue  déjà  trois  fois  en  public, 
et  que  vous  connaissez  peut-être,  pouvait  figurer  sans 
trop  de  désavantage  dans  un  de  vos  prochains  concerts, 
veuillez,  messieurs,  accueillir  ma  demande,  et  croire  à 
ma  reconnaissance. 


u254  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  la  plus  parfaite  considéra- 
lion,  messieurs,  votre  très  humble  serviteur, 

HE  CT  O  R    B  B  HL1 0  Z  t 

En  marge  :  Non.  —  Répondu  5  février  1834. 
Archives  de  la  Société  des  Concerts. 

a  émile  deschamps,  vers  le  5  mars  1834  (Ad.  Jullien, 
Berlioz,  p.  88,  note).  Il  le  prie  de  le  venir  voir  aussitôt 
après  la  répétition  (de  Don  Juan),  car  il  est  lui-même  trop 
esclave  pour  assister  à  la  prova  prima,  mais  il  aurait  beau- 
coup à  causer  avec  le  poète  de  Mozart,  car  il  faut  faire  mous- 
ser le  chef-d'œuvre  de  manière  à  donner  des  vertiges  aux 
amants  de  la  grosse  caisse1. 

A      HUMBEKT    FERRASD,    19    Uiai'S    1834    (Let.     Mit.,     141). 

b  Avant-hier,  j'ai  écrit  pendant  treize  heures  sans  quitter 
la  plume.  Je  suis  à  terminer  la  Symphonie  avec  alto  prin- 
cipal que  m'a  demandée  Paganini 2.  »  Critique  delareprésen- 
tation  de  Don  Juan  à  l'Opéra.  «  La  Symphonie  (fantastique), 
m  rangée  par  Liszt,  n"a  pas  encore  paru.  Je  vous  l'enverrai 
avec  le  Paysan  breton  dès  qu'elle  sera  imprimée.  » 


1.  Don  Juan  de  Mozart  fut  représenté  à  l'Opéra  le  10  murs  1834, 
avec  une  traduction  française  d'Emile  Deschamps  et  Henri  Blase. 
Berlioz  n'était  pas  encore  attaché  à  la  rédaction  des  Débats  à  l'é- 
poque où  eut  lieu  cette  représentation,  mais  il  prolita  de  la  pre- 
mière occasion  qui  se  présenta,  dix-huit  mois  plus  tard,  pour  dé- 
velopper dans  ce  journal  les  idées  exposées  dans  la  lettre  ci-dessus, 
—  non  sans  y  mêler  quelques  critiques  concernant  l'interprétation 
{Journal  des  Débals  du  15  novembre  1835,  article  reproduit  dans 
Les  Musiciens  et  la  Musique,  p.  3). 

2.  Première  mention  tVIFurold  en  Italie. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES,  255 


XX  VIII 

A    T  H  U  M  A  S    G  0  l  Pi  1 :  1 

[Mars?  1834]  Mercredi  malin. 

Mon  cher  Gounel, 

J'ai  oublié,  hier,  de  vous  écrire  le  résultai  de  nia 
visite  à  Pape1.  Le  voici.  Il  a  un  piano  neuf  vertical  fort 
beau,  du  prix  de  mille  neuf  cents  francs,  ce  qui  veut  dire 
pour  moi  mille  quatre  cent  cinquante  à  peu  près  :  j'ai 
dit  que  c'était  trop  cher,  suivant  vus  instructions  ;  en 
conséquence,  il  en  prépare  un  autre  qui  doit  être  achevé 
dans  trois  jours,  dont  le  prix  net  n'excédera  pas  mille 
cent  francs.  Mais  il  faut  dire  aussi  que  c'est  un  ins- 
trument qui  a  déjà  servi  six  mois.  Il  sera  absolument 
comme  neuf,  mais  il  est  bon  que  l'acheteur  en  soit  in- 
formé. Voyez  ce  que  vous  déciderez  ;  quand  la  personne 
qui  achète  voudra  voir  l'instrument,  si  je  ne  (mis  pas 
l'accompagner,  Pape  est  prévenu  ;  cela  sullit.  Venez  ce 
soir  si  vous  êtes  libre. 

Tout  à  vous. 

Lettres  à  Gounet. 
1   Facteur  de  pianos  à  Paris. 


2b6  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


XXIX 

AU    MÊME 

Mon  cher  Gounet, 
Je  n'ai  plus  de  vos  nouvelles  ;  vous  ne  m'avez  pas  ré- 
pondu et  je  ne  sais  que  dire  à  Pape  pour  le  piano  en 
question.  Venez  donc  nous  voir,  si  vous  en  avez  le  temps, 
demain  dimanche. 

Tout  à  vous. 

Samedi  soir. 

P.- S.    —   Pardonnez-moi    de    ne  vous   avoir   pas 

encore  rendu  le  Paysan  breton ,  on  vient  de  me  prêter 

l'album,  et  si  vous  venez  demain,  je  le  copierai  devant 

vous. 

Lettres  à  Gounet. 


XXX 

a  i  i  h  \:  m  E 

Montmartre,  10  avril  1834. 
Mon  cher  Gounet, 
Je  venais  d'apprendre  par  Desmarest  votre  malheureux 
événement,  quand  j'ai  reçu  votre  lettre.  Vous  ne  pouvez 
douter  de  toute  la  part  que  nous  y  avons  prise  Henriette 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  257 

et  moi.  Nous  aurions  bien  voulu  vous  voir  pour  vous  le 
dire.  Si  je  n'avais  craint  de  vous  faire  une  offre  de 
Gascon,  je  vous  aurais  prié,  dans  le  cas  où  vous  seriez 
embarrassé,  de  partager  le  peu  que  je  possède  ;  si  cela 
pouvait  vous  être  de  quelque  utilité,  j'espère  assez  de 
votre  amitié  pour  croire  que  vous  ne  vous  gêneriez  pas. 
Venez  nous  voir  dimanche  si  vous  pouvez,  nous  cau- 
serons un  peu  de  tout  ce  qui  vous  touche,  et  nous  vous 
montrerons  les  beautés  de  notre  maison  de  campagne, 
qui  ne  sont  réellement  pas  à  dédaigner.  Je  vous  remercie 
de  votre  Ballanche;  cela  me  parait  bien  mystico-amphi- 
gourique  ;  c'est  trop  au-dessus  de  moi.  A  propos  d'homme 
mystique,  j'ai  déjeuné  dernièrement  chez  d'Ortigue  avec 
l'abbé  de  Lamennais  ;  le  génie  le  sèche,  le  ronge,  le  brûle  ! 
Quel  diable  d'homme!  il  m'a  fait  vibrer  d'admiration. 

Adieu,  mon  cher  et  bon  ami,  réjouissez-vous  si  de 
malencontres  se  succèdent  si  rapidement,  la  joie  et  le 
bonheur  vont  venir  à  leur  tour. 


H.    BERLIOZ, 


Lettres  à  Goiinet. 


XXXI 


A    GIRARD 


Montmartre,  H  avril  1834. 
Mon  cher  Girard,  si  vous  pouvez  adroitement  emman- 
cher notre  affaire  à  votre  théâtre,  je  crois  que  cela  peut 


258  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

avoir  un  grand  résultat  pour  le  théâtre  et  pour  moi.  Vous 
savez  que  la  direction  avait  fait  faire  une  démarche 
auprès  de  nous  pour  engager  ma  femme.  Nous  refusâmes 
alors,  mais  Henriette,  à  qui  je  viens  de  parler  de  notre 
projet,  serait  enchantée  de  jouer  le  principal  rôle  dans 
la  pièce  géante  (dont  elle  connaît  le  plan).  Ce  serait  une 
grande  chance  de  succès  de  plus,  et  vous  pouvez  même 
le  laisser  pressentir  à  l'administration.  Je  crois  que  ce 
serait  un  coup  de  parti  musical  et  dramatique  sil'admi- 
nisl  ration  avait  l'esprit  d'entrer  franchement  et  largement 
dans  mes  vues. 

Voyez  ce  que  vous  avez  à  faire,  je  m'en  rapporte  en- 
tièrement à  votre  amitié  éclairée  là-dessus. 

Tout  à  vous  de  cœur  et  d'âme. 

Il  .    BBRLI02. 

Ménestrel  du  7  décembre  1884.  (Vente  Charavay.) 

Girard,  qui  fui  par  la  suite  chef  d'orchestre  de  l'Opéra, 
(Mait,  dans  sa  jeunesse,  un  des  bons  camarades  de  Berlioz. 
Ils  entreprirent  de  donner  en  société  des  concerts  à 
la  fin  de  la  présente  année  IX3i.  Girard  dirigea  ainsi  la 
première  audition  il' Harotd  en  Italie,  ce  qu'il  fit,  au  dire  de 
Berlioz,  avec  maladresse;  ils  rompirent  leur  association, 
et  Berlioz  prit  dès  lors  le  parti  de  diriger  lui-même  ses 
c cils.  —  La  lettre  ci-dessus  traite  d'un  projet  de  repré- 
sentation à  un  certain  Théâtre  Nautique  donl  Girard  élail 
chef  d'orchestre,  projet  qui  ne  lui  pas  réalisé.  Madame 
Berlioz-Smithson  fut  cependant  engagée  à  ce  théâtre  où. 
en  novembre  1834,  elle  joua  un  rôle  mimé  dans  une  pièce 
intitulée  In  Dernière  heure  d'un  condamné  (voir  à  ce  sujet  un 
article  de   la  Gazette  musicale,  du  7  décembre,  non  signe. 


l  r. s  a  \ n e e s  n  o  m  \  x  r  [Q u  r. s .  âS9 

mais  visiblement  écrit  par  Berlioz  lui-même).  Au  reste, 
le  seul  but  qu'elle  eût  pu  viser  en  acceptant  un  tel  enga- 
gement ne  fui  pas  atteint  :  le  directeur  du  théâtre  fît  ban- 
queroute, et  le  ménage  Berlioz  fut  encore  privé  d'une 
ressource  qui  lui  était  légitimement  due  et  lui  eût  été 
nécessaire  (voir  ci-après,  lettre  du  6  mai  1835). 

Au  sujet  des  efforts  d'Henriette  pour  continuer  l'exercice 
de  son  art,  comparez  une  indication  (inexacte  quant  à  la 
date,  15  décembre  1834)  d'un  catalogue  d'autographes  (Cha- 
ravay)  :  «  Elle  remercie  .M.  Bloqué  de  lui  avoir  trouvé  un 
- emenl  dans  la  troupe  de  Kemble  dont  le  manager  est 
.M.  Lawson.  .Malheureusement  sa  jambe  brisée  la  retient 
encore  au  lit.  Elle  a  obtenu  des  arrangements  de  la  part 
de  se» créanciers,  mais  elle  désirerait  que  M.  Lawson  lui  fit 
des  avances,  o 


XXXII 

A    THOMAS    G  0 l  '  N E I 

".Montmartre,  vers  le  15  avril  1*34. 

M<mi  cher  Gounet, 
D'après  ma    lettre    de  la     semaine   dernière,    mais 
comptions  presque  sur  vous  dimanche  :  pourquoi  ne 

vous  avons-nous  pas  encore  vu  ?  Venez  admirer  notre 

ermitage  :  nous  sommes  impatients  d'avoir  de  vos  nou- 
velles. 

II.    IÎKIU.IOZ. 

lettres  à  Gounet. 


2G0  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES 


XXXIII 
A   FRANZ    LISZT 

"Montmartre,  commencement  de  mai  1834.] 

Je  ne  sais,  mon  cher  Liszl,  si  tu  as  décidé  ces  mes- 
sieurs à  t'accompagner  et  si  vous  avez  ensemble  arrêté 
le  jour  ;  il  fait  un  temps  d'Italie,  de  Rome,  de  Naples, 
cette  belle  plaine  est  si  belle  aujourd'hui  que  je  me 
crois  à  Tivoli  avec  sa  verdure  si  jeune,  si  pure,  si 
fraîche.  Venez  donc  nous  voir  avant  que  le  vent  n'ait 
poudré  cette  belle  chevelure  verte. 

Je  ne  puis  te  dire  à  quel  point  ce  spectacle  printanier 
me  remue  et  m'attriste  ;  j'ai  éprouvé  hier,  en  outre, 
plusieurs  froissements  dans  mes  affections  d'art  qui  me 
rendent  malheureux  jusqu'aux  larmes  et  que  toute  ma 
raison  (car  j'en  ai  beaucoup  plus  que  tu  ne  crois  peut- 
être)  et  tous  les  raisonnements  de  ma  pauvre  Henriette 
ne  peuvent  me  faire  oublier  ou  surmonter.  Je  voudrais 
te  voir.  De  Vigny  viendra-t-il  ?  Il  a  quelque  chose  de 
doux  et  d'affectueux  dans  l'esprit  qui  me  charme  tou- 
jours, mais  qui  me  serait  presque  nécessaire  aujour- 
d'hui... Pourquoi  n'êtes-vous  pas  là  tous  les  deux?... 
Demain  ma  disposition  sera  peut-être  modifiée... 
Sommes-nous  donc  réellement  les  jouets  de  chaque 
impression  de  l'air?...  Shakespeare  a-t-il  raison?... 
Moore  a-t-il  raison  aussi  quand  il  dit  :  «  L'éclat  des 


LKS    ANNÉES    ROMANTIQUES 


261 


ailes  de  la  gloire  est  faux  et  passager  comme  les  teintes 
pâlissantes  du  soir.  Le  flambeau  du  génie,  celui  de 
l'intelligence,  ne  font  que  nous  montrer  les  dangers  de 
la  route.  Il  n'est  rien  de  vrai,  il  n'est  rien  de  brillant 
que  le  ciel l.  » 

Et  je  ne  crois  pas  au  ciel  !...  C'est  affreux.  Mon  ciel, 
c'est  le  monde  poétique,  et  il  y  a  une  chenille  sur  cha- 
cune de  ses  fleurs...  Tiens,  viens  me  voir,  amène-moi 
de  Vigny  :  tu  me  manques,  vous  me  manquez...  Pour- 
quoi ne  puis-je  me  corriger  d'admirer  avec  une  passion 
si  tenace  certaines  productions  fragiles,  après  tout, 
comme  nous-mêmes,  comme  tout  ce  qui  existe? 


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etc. 


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1.  Ces  paroles  ont  servi  de  teïte  à  une  composition  vocale  de 
Berlioz  :  Méditation  religieuse,  écrite  à  Rome  en  1831,  et  devenue 
plus  tard  le  numéro  1  de  Tristia. 

2.  La  citation  musicale  est  empruntée  à  un  épisode  orchestral 

15. 


26 2  LKS    ANNÉES    ROMANTIQUES, 

Voilà  M.  Lamennais  qui  fait  encore  un  livre  sublime 
eu  faveur  d'une  idée  qui  me  paraît  absurde...  Est- il  de 
bonne  foi?...  L'égalité!...  Est-ce  qu'il  y  a  une  égalité? 
Shakespeare  est-il  né  l'égal  de  M.  Scribe?  Beethoven, 
celui  de  Rossini  ?... 


II.     liERLIOZ. 


Communiqué  par  M.  Emile  Ollicier. 


XX  XIV 


A    CHOPIN 


[Montmartre,  commencement  de  mai  1834.] 

Mon  cher  Chopinetto, 

.Nous  projetons  de  faire  une  excursion  hors  la  ville, 
à  Montmartre,  rue  Saint-Denis,  numéro  10 A  ;  j'ai  l'espoir 
que  Hiller,  Liszt  ft  de  Vigny  seront  accompagnés  de 
Chopin. 

Énorme  bêtise.  Tant  pis  ! 

H  .    Iî  . 

Karlovicz,  Souvenirs  inédits  de  Chopin. 


de  la  Vestale,  où  s'exprime  l'angoisse  passionnée  de  la  vierge 
attendant  la  venue  de  celui  qu'elle  aime:  Berlioz  la  fait  de  mé- 
moire, avec  quelques  inexactitudes.  Sans  doute,  ces  froissements 
dans  srs  affection*  d'art,  qu'il  vient  de  confiera  Liszt,  il  les  avait 
subis  au  sujet  du  chef-d'œuvre  de  Spontini,  pour  lequel  on  con- 
naît son  admiration. 
1.  Berlioz  désignait  ainsi  plaisamment  sa  propre  demeure. 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  263 


XXXV 

A   SA   SOEUR   ajw-i.i: 

Paris,  12  mai  [1834]. 

Chère  Adèle 

Madame  Sabine  part  demain  ;  je  ne  veux  pas  la 
laisser  partir  sans  lui  donner  un  mot,  un  simple  bon- 
jour pour  toi.  .le  t'écris  de  chez  Alphonse  où  j'ai  dîné 
avec  la  famille  Rocher.  Je  vais  vile  retourner  à  Mont- 
martre, ma  pauvre  Henriette  est  si  souffrante  qu'elle  est 
restée  seule  et  je  ne  veux  pas  la  tourmenter  pour  sortir. 
Aujourd'hui  elle  va  mieux,  Dieu  veuille  que  cela  dure. 
Le  hasard  a  amené  dans  la  maison  que  nous  habitons 
une  dame  anglaise  qui  a  plusieurs  jeunes  enfants  et 
qui  lui  est  d'une  grande  utilité. 

PÎ0U8  avons  eu  lundi  dernier  une  espèce  de  petite  partie 
de  campagne.  Mes  amis  sont  venus  passer  une  demi- 
journée  chez  moi.  C'étaient  des  célébrités  musicales  et 
poétiques,  MM.  Alfred  de  Vigny,  Antony  Deschamps, 
Liszt,  Hiller  et  Chopin.  Nous  avons  causé,  discuté  art, 
poésie,  pensée,  musique,  drame,  enfin  ce  qui  constitue 
la  vie  en  présence  de  cette  belle  nature,  de  ce  soleil 
d'Italie  que  nous  avons  depuis  quelques  jours.  Pauvre 
sœur,  comme  Henriette  te  désire  souvent l  quand  nous 
trouverons-nous  ensemble?..  Mon  père  va  bien,  à  ce 


2G4  LKS   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

que  m'ont  dit  les  dames  Rocher  ;  en  est-il  de  même  de 
tout  le  monde? 

On  m'assure  que  tu  as  maigri,  pourquoi?  qu'as-tu?.. 
tu  es  si  seule,  si  triste  ! 

Nous  nous  retrouverons  bien,  va  !  tôt  ou  tard...  C'est 
impossible  autrement. 

Adieu,  ces  pensées  m'attristent. 

Adieu,  je  t'embrasse  de  toute  mon  affection  et  de 
toute  celle  que  le  porte  aussi  ma  bonne  et  excellente 
Henriette. 

11.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  humbert  ferrand,  15  ou  16  mai  1834  (Let.  illt..  1  Y-\  . 
«  Je  suis  tué  de  travail  et  d'ennui,  obligé  de  gribouiller  à 
tant  la  colonne  pour  ces  gredins  de  journaux.  Mes  affaires 
ù  L'Opéra  sont  entre  les  mains  de  la  famille  Berlin.  Il  s'agit 
de  me  donner  YHamlet  de  Sbakespeare  supérieurement 
arrangé  en  opéra...  En  attendant,  j'ai  fait  choix  pour  un 
opéra-comique  en  deux  actes  de  Benvenuto  Cellini1...  j'ai 
achevé  les  trois  premières  parties  de  ma  nouvelle  sym- 
phonie avec  alto  principal.  »  Berlioz  offre  la  dédicace  de 
cette  œuvre  à  son  correspondant  et  ami  Humbert  Ferrand. 

a  d'ortigue,  31  mai  1834  (Corresp.  inéd.,  142).  Je  ne 
quitte  pas  la  plume,  soit  pour  ces  gredins  de  journaux,  suit 
pour  finir  ma  symphonie,  qui  sera  née  et  baptisée  avant 
peu. 

La  partition  autographe  d'Harold  en  Italie  (appartenant 
à  M.  Alexis  Rostand)  porte  la  date  de  ■  Montmartre, 
22  juin  1834  ». 

1.  Première  mention  de  cet  ouvrage,  qui,  on  le  voit,  avait  été 
conçu  comme  opéra-comique. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  v26-*i 


XXXVI 

A    SA    SOEUR    ADÈLE 

Paris,  31  juillet  1834. 

Chère  sœur, 

J'aurais  dû  l'écrire  depuis  longtemps,  mais  mon  excuse 
est  dans  le  nombre  accablant  de  mes  occupations  qui 
me  rendent  esclave  le  jour  et  une  partie  de  la  nuit. 
J'espérais  aussi  de  jour  en  jour  avoir  à  t'apprendre  la 
délivrance  d'Henriette.  Il  n'en  est  rien  encore,  quoique 
le  terme  ne  puisse  être  éloigné  de  plus  de  huit  ou  dix 
jours.  Elle  souffre  toujours  beaucoup.  Alphonse  nous  a 
trouvé  une  nourrice  que  nous  serons  obligés  de  garder 
à  la  maison  malgré  l'embarras  et  la  dépense  qu'elle 
occasionnera.  Henriette  ne  veut  pas  entendre  parler  de 
mettre  son  enfant  en  nourrice  dehors  ;  quelques  mots 
d'Alphonse  à  ce  sujet  ont  été  fort  mal  reçus.  Pour 
nourrir  elle-même  c'est  impraticable,  à  cause  de  l'impos- 
sibilité où  elle  serait  de  jouer.  Et  l'engagement  au 
Théâtre  Nautique  est  là,  au  mois  d'octobre  il  sera  obli- 
gatoire. 

Je  suis  toujours  la  plume  à  la  main,  soit  pour  achever 
les  compositions  que  je  destine  à  mes  concerts  de  cet 
hiver,  et  pour  travailler  aux  plans  d'opéras  que  m'ap- 
portent les  auteurs,  ou  pour  écrire  des  articles,  nouvelles, 
contes  et  autres  balivernes  pour  les  journaux. 


266  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Firmin  Rocher  est  venu  hier  soir  nous  surprendre 
à  Montmartre  pastoralement  assis,  Henriette  et  moi,  dans 
le  jardin,  non  pas  sous  un  hêtre,  mais  sous  un  prunier. 
Je  ne  puis  le  laisser  partir  sans  un  mot  pour  ma  bonne 
Adèle  que  je  charge  de  dire  à  nos  parents  tout  ce 
qu'elle  doit  bien  penser  que  je  ressens  pour  eux. 
malgré  les  doutes  qu'ils  émettent  quelquefois  à  ce  sujet. 

Je  t'écrirai  pour  le  donner  des  nouvelles  de  la  mère 
et  de  l'enfant. 

Adieu,  je  suis  en  course  et  je  n'ai  que  le  lemps  de 
l'embrasser. 

II.    BERLIOZ, 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

Le  fils  de  Berlioz  naquit  le  vendredi  15  août  1834,  à  onze 
heures  du  matin:  il  fut  déclaré  sur  l'heure  par  le  père, 
et  inscrit  sur  les  registres  de  l'état  civil  de  la  commune 
de  Montmartre  sous  le  prénom  de  Louis1  (voir son  extrait  de 
naissance  dans  la  Revue  musicale  du  15  août  1903). 

La  lettre  par  laquelle  Hector  Berlioz  fit  part  de  cet  événe- 
ment à  son  père  n'a  pas  été  conservée.  Mais  on  lit  ces  mots 
dans  la  lettre  du  31  août  dont  le  résumé  va  suivre  : 

o  Mon  père  m'a  écrit  dernièrement  en  réponse  à  une 
Ici  Ire  où  je  lui  apprenais  la  délivrance  d'Henriette  et  la 
naissance  (le  innn  (ils.  Sa  réponse  a  été  aussi  bonne  que  je 
l'espérais  et  ne  s'est  pas  l'ait  attendre.  » 

a  humdert  ferrand,  Montmartre,  31  août  1834  (Let. 
int.,  148).  Naissance  de  Louis  Berlioz.  «  Les  couches  d'Hen- 
riette ont  été  extrêmement  pénibles  :  j'ai  mème'éprouvé  quel- 
ques instants  d'une  inquiétude  mortelle.  Tout  cependant  s'est 

1.  Louis  était  le  prénom  (lu  père  de  Berlioz. 


LES    INNÉES    ROMANTIQUES.  267 

heureusement  terminé  après  quarante  heures  d'horribles 
souffrances...  Il  y  a  deux  mois  que  ma  symphonie  avec 
alto  principal,  intitulée  Harold,  est  terminée...  »  Le  poème  de 
Benvenuto  Cellini,  écrit  par  Léon  de  YA'ailly  et  Auguste 
Hnrhier  (sur  les  indications  de  Berlioz)  a  été  refusé  par  le 
directeur  de  l'Opéra-Comique.  Relations  a\ec  Alfred  de 
Vigny.  Victor  Hugo.  Alexandre  Dumas,  Auguste  Barbier, 
Anlony  Deschamps,  etc. 


XXXVII 

A     SA    SOEIR    ADÈLE 

Montmartre,  23  septembre  [18u'i  . 

Oui,  ma  chère  Adèle,  je  suis  furieusement  occupé  et 
depuis  plusieurs  semaines  j'ai  cherché  un  moment 
opportun  pour  t'écrire,  sans  pouvoir  le  trouver.  Enfui 
aujourd'hui,  n'ayant  ni  partition  à  instrumenter,  ni 
vérification  du  travail  de  mon  copiste  à  faire,  ni  ren- 
dez-vous avec  le  directeur  de  l'Opéra,  ni  travail  avec 
mes  poètes  faiseurs  de  pièces,  ni  épreuves  à  corriger,  ni 
articles  de  journaux  à  bâcler,  je  profite  de  ce  loisir  pour 
le  répondre. 

D'abord,  sois  tranquille,  notre  garçon  est  baptisé.  Il  ne 
s'appelle  pas  Hercule,  Jean-Baptiste,  César.  Alexandre, 
Magloire,  mais  Louis  tout  simplement.  11  n'est  pas  criard 
du  tout  le  jour,  mais  bien  la  nuit,  ce  dont  se  plaignent 
un  peu  sa  mère  et  sa  nourrice.  Pour  moi,  je  suis  tran- 
quillement dans  ma  chambre   où  je   dors   sans  rien 


268  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

• 

entendre  et  me  repose  comme  un  sauvage  après  l'accou- 
chement de  sa  femme.  Il  est  charmant,  très  fort,  des  yeux 
bleus  superbes,  une  petite  fossette  imperceptible  au  men- 
ton 1,  des  cheveux  d'un  blond  un  peu  ardent  comme  je 
les  avais  dans  mon  enfance,  un  petit  cartilage  pointu  aux 
oreilles  comme  ceux  que  j'ai,  et  le  bas  du  visage  un  peu 
court''.  Voilà  tous  ses  points  de  ressemblance  avec  son 
père;  malheureusement  il  n'a  absolument  rien  de  sa 
mère.  Henriette  en  est  plus  folle  qu'une  folle.  Elle  est 
bien  rétablie  à  présent;  quand  je  vais  à  Paris  elle  vient 
avec  son  fils  et  la  nourrice  m'at tendre  au  milieu  de  la 
descente  de  Montmartre,  sous  une  allée  d'arbres  où  bien 
souvent,  il  y  a  sept  ans,  je  venais  contempler  Paris  en 
levant  à  elle.  Si  on  nous  eût  dit,  à  l'un  et  à  l'autre, 
qu'en  1834,  nous  viendrions  nous  asseoir  en  famille  sur 
ces  rochers  ! . . . 

Hier,  comme  elle  m'y  attendait,  plusieurs  dames  an- 
glaises sont  venues  à  passer  ;  la  nourrice  était  à  quelques 
pas  avec  le  petit.  Ces  dames  se  sont  approchées  pour 
voir  l'enfant  qu'elles  ont  trouvé  superbe3.  A  toutes  leurs 
questions,  faites  en  mauvais  français,  Marie  ouvrait  de 


1.  Par  ordre  de  sa  mère  je  mets  ici  une  note  pour  ajouter  qu'il 
a  un  très  beau  front,  ce  qui  est  vrai.  (Note  de  Berlioz  en  marge  de, 
la  lettre.) 

2.  Deuxième  note  par  ordre  de  la  mère  :  //  est  fait  au  tour,  ses 
membres  sont  admirables.  [Id.J 

3.  Troisième  note  par  ordre  d'Henriette  :  Beaucoup  d'autres  dames 
françaises  et  des  femmes  de  Montmartre  se  sont  également  arrêtées 
pour  admirer  Louis.  (Id.j 


LKS    ANNÉES    ROMANTIQUES.  "269 

grands  yeux  sans  comprendre  un  mot;  Henriette  écou- 
lait avec  ravissement  toutes  leurs  exclamations  et  leurs 
a  parte,  mais  ne  pouvant  y  tenir  elle  a  répondu  en  an- 
glais, moitié  riant  moitié  pleurant,  qu'il  n'avait  que 
cinq  semaines,  qu'il  était  Français,  né  à  Montmartre  et 
qu'ELLE  était  sa  mère.  Elle  éclate  de  fierté  en  me 
racontant  ça.  C'est  l'événement  du  jour.  Henriette  te 
remercie  mille  fois  de  l'intérêt  avec  lequel  tu  parles 
d'elle  et  de  Louis  dans  ta  dernière  lettre.  Si  nous 
n'étions  pas  m  loin,  elle  te  prierait  même  de  faire  un 
bonnet  pour  lui,  afin  d'avoir  quelque  chose  de  toi.  Nous 
n'avons  pas  l'ail  un  baptême  brillant,  comme  tu  peux 
le  penser,  quille  à  prendre  une  revanche  cet  hiver  : 
parbleu  !  tu  connais  son  parrain,  c'est  Gounet. 

Voilà  toutes  tes  questions  passées  en  revue.  Dans  huit 
jours  nous  serons  à  Paris,  rue  de  Londres,  numéro  34. 
Nous  avons  pris  un  appartement  non  garni,  ce  qui,  au 
boni  de  l'année,  devient  beaucoup  plus  économique: 
mais  c'est  rude  au  premier  moment:  il  faut  acheter 
des  meubles,  du  vin.  du  bois,  mille  autres  bêtises  aux- 
quelles on  ne  songe  pas  dans  les  maisons  meublées1. 

1.  Ces  meubles,  dont  le  paiement  préoccupait  encore  Berlioz 
plusieurs  mois  après  (voir  lettre  du  10  janvier  1835),  ont  été 
décrits  de  la  manière  suivante  par  un  témoin  encore  vivant, 
M.  Léon  Gastinel,  qui  lui  fit  visite  à  son  arrivée  à  Paris,  en  1840  : 
«  Berlioz  habitait  rue  de  Londres  et  avait  installé  son  cabinet  de 
travail  dans  une  mansarde  sous  les  toits.  Une  chaise,  une  table  où 
se  trouvait  la  guitare  qui  lui  servit  à  composer  ses  premières 
O'uvres,  voilà  tout  l'ameublement  du  grenier  où  vivait  le  génie 
dont  la  mort  a  marqué  l'heure  de  l'apothéose.  —  Jeune  homme, 


270  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Pour  loi.  lu  l'ennuies  toujours,  pauvre  sœur;  je  le 
conçois.  La  Côte  doit  être  un  triste  pays.  Mon  père  est 
sans  doute  noyé  dans  ses  vendanges,  au  moment  où  lu 
me  lis.  et  maman  se  tourmente  do  ses  fatigues.  Ce 
matin  do  bonne  heure  nous  avons  fait  avec  Henriette 
une  grande  promenade  dans  la  plaine  Saint-Denis  el 
nous  parlions  de  ce  jeune  Prosper  qui  ne  craint  pas  le 
grand  air.  en  voyant  los  vols  d'alouettes  qui  se  levaient 
autour  do  nous.  Dis-lui  un  pou  (pie,  si  son  filet  lui  laisse 
un  instant  de  loisir,  il  me  fasse  l'honneur  de  m'écrire 
le  résultat  de  ses  chasses  de  cette  année,  je  m'y  inté- 
resse toujours  beaucoup. 

Adieu,  ma  bonne  Adèle,  mille  amitiés. 

Ton  affectionné  frère, 

II.     BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

XXXVIII 

A    MONSIEUR     L'INTENDANT    GÉNÉRAL 
DE    LA    LISTE    CIVILE 

Paris,  le 9  octobre  1834. 

Monsieur  l'Intendant  général, 
Je  me  propose  de  donner  trois  concerts  dans  le  cou- 
rant de  novembre  prochain;  la  salle  des  Menus-Plaisirs, 

<lii -il,  vous  venez  à  Paris  pour  faire  da  la  musique,  Hl>  bien,  vous 
pouvez  vous  préparer  à  souffrir.  >>  {Mwiciem  contemporaine,  I.kun 
(Iastinkl,  par  Félix  Hois«>n,  189:î-  ' 


I.r.s    ANNÉES    ROMANTIQUES.  271 

que  vous  avea  bien  voulu  déjà  m'accorder  plusieurs 
foi-,  étant  la  seule  convenable  à  Paris  pour  de  sembla- 
bles -éances  musicales,  soyez  assez  bon  pour  m'autoriser 
;'i  y  donner  les  miennes.  Ces  concerts,  comme  ceux  que 
je  montai  l'année  dernière,  auraient  lieu  le  dimanche  à 
deux  heures  de  l'après-midi. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur  l'Intendant  général. 
votre  très  humble  Berviteur, 

HECTOR    HEISLIOZ. 
rue  de  Londres,  34. 

En  marge  :  E.  a.  1147.  —  Salle    des    concerts.  — 
Accordé,  G.  Delavigne. 

Communiqué  par  M.  Dieterlin. 


X  X  X  I  X 

\    CHRÉTIEN    URHAN 

"Paris,  vers  octobre  1834.] 

Bonjour!  mon  cher  Urhan.  Je  vous  apporterai  dans 
quelque  temps  les  partitions  de  Harold  pour  que  vous 
puissiez  combiner  votre  personnage  avec  l'ensemble. 

Tnlll  à  vous. 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  M.  Ad.  Boschot. 


21-2  LES   ANNEES    ROMANTIQUES. 

Urhan,  alto,  puis  violon  solo  à  l'Opéra,  interpréta  le  pre- 
mier la  partie  principale  de  la  symphonie  Harold  en  Italie. 
dont  la  première  audition  eut  lieu  au  Conservatoire  le 
23  novembre  1834.  Artiste  de  talent,  il  fut  un  des  types  du 
romantisme  musical,  dont  il  représentait  l'esprit  mystique. 
Il  passe  pour  n'avoir  jamais  levé  les  yeux  de  l'orchestre 
vers  la  scène  de  l'Opéra,  surtout  quand  le  corps  de  ballet 
L'occupait.  11  jouait  la  partie  d'alto  dans  les  quatuors  de 
Beethoven;  voici  comment  Berlioz  interprétait  son  attitude 
pendant  qu'il  exécutait  ces  chefs-d'œuvre  :  «  Urhan  adorait 
en  silence,  et  baissait  les  yeux  comme  devant  le  soleil;  il 
paraissait  dire  :  «  Dieu  a  voulu  qu'il  y  eût  un  homme  aussi 
»  grand  que  Beethoven,  et  qu'il  nous  fût  permis  de  le  con- 
»  templer;  Dieu  l'a  voulu!  !  !  »  (Mémoires,  Premier  Voyage  en 
Allemagne,  dixième  lettre.)  C'est  à  lui  que  Berlioz  a  dédié 
son  Ballet  des  Ombres,  op.  2,  dont  il  détruisit  ensuite  l'édition. 


XL 


A      BLOC 

Paris,  ce  28  novembre  1834. 

Mon  cher  Bloc, 
Rien  n'est  plus  rare  que  les  chanteurs  seulement 
passables;  je  ne  puis  en  trouver  pour  mes  concerts.  J'ai 
été  obligé  déjà  deux  fois  de  De  pas  faire  exécuter  un 
trio  sur  lequel  je  compte  beaucoup  par  l'impossibilité 
de  trouver  une  basse  un  peu  propre.  Les  directeurs  de 
théâtre  refusent  de  prêter  leurs  acteurs;  M.  Véron  a  fait 
un  miracle  dernièrement  en  me  prêtant  mademoiselle 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  273 

Falcon  '.  Je  ne  connais  qu'un  jeune  homme  nommé 
Puig,  excellent  musicien  et  ténor  fort  remarquable2,  qui 
eût  pu  faire  votre  affaire,  mais  il  est  pensionnaire  au 
Conservatoire  et  ne  peut  quitter  sa  position  pour  aller  à 
Genève. 

Je  vous  remercie  de  votre  lettre  et  des  bons  souvenirs 
qu'elle  contient.  Vous  me  demandez  quelques  détails 
sur  ce  que  je  fais,  mais  en  vérité  je  suis  dans  un  tel 
tourbillon  d'affaires  de  toute  espèce  que  je  remettrai  à 
une  autre  fois  les  détails.  Seulement  je  viens  de  donner 
deux  concerts,  j'en  donne  un  troisième  dans  huit  jours, 
où  je  fais  entendre  une  seconde  fois  la  nouvelle  sym- 
phonie (Rarold)  avec  alto  principal,  puis  je  quitte  la 
salle  du  Conservatoire  pour  la  salle  Ventadour  où  nous 
allons,  Girard  et  moi,  monter  une  fêle  musicale. 

Ce  sera  la  première  qu'on  aura  donnée  à  Paris.  Mes 
actions  commencent  à  monter.  Adieu,  tout  à  vous. 

Mais  ne  cherchez  pas  de  chanteur  à  Paris,  il  n'y  en  a 
pas. 

H.  BERLIOZ, 

Boulanger,  à  la  vérité,  vaut  mieux  que  Domange, 
mais  il  gagne  beaucoup  plus  à  Paris  que  ce  que  vous 


1.  Le  docteur  Véron,  directeur  de  l'Opéra  de  1831  à  1N3Ô.  — 
Mademoiselle  Falcon  a  chanté  la  Captive  et  le  Jeune  pâtre  breton 
au  concert  de  Berlioz  du  23  novembre  1834. 

2.  Puig,  ainsi  que  Boulanger  (cité  dans  la  suite  de  cette  lettre), 
ont  chanté  plusieurs  fois  dans  les  concerts  donnés  par  Berlioz  à 
cette  époque. 


274  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

lui  offrez  et  ne  consentirait  pas  à  s'en  éloigner  lui  et  sa 
femme.  Si  je  découvre  quelque  chose  je  vous  avertirai 
aussitôt. 

Bibliothèi/ue  du  Conservatoire  Autographes,. 

Le  destinataire  de  cette  lettre  est  ce  même  Bloc  qui, 
chef  d'orchestre  de  l'Odéon  en  18:28,  a  dirigé  l'orchestre  au 
premier  concert  de  Berlioz,  et,  deux  ans  plus  tard,  devenu 
chef  d'orchestre  aux  Nouveautés,  tenta  d'organiser  la  pre- 
mière audition   de  la  Symphonie   fantastique. 

a  humbert  ferrand,  30  novembre  1834  <L(t.  int., 
154).  «  Harold  a  reçu  l'accueil  que  j'espérais,  malgré  une 
exécution  encore  chancelante,  o  La  Symphonie  fantastique  a 
paru  (transcrite  par  Liszt).  Mademoiselle  Falcon  a  chanté 

le  Paysan   breton. 


XL! 


A    JOSEPH    D    ORTIGUE 

Pin  1834.] 

.Mon  cher  d'Ortîgue, 
Tues  un  excellent  garçon,  je  te  remercie  mille  fois 
de  Ion  dernier  article  de  la  Quotidienne.  J'ai   envoyé 
hier  des  billets  et  une  annonce  à  M.  de  Brian  ;  elle  n'a 
pas  encore  passé;  surveille  un  peu  ça. 

Adieu,  à  dimanche. 

il.    BERLIOZ* 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  275 

J'ai  été  obligé  de  donner  ce  quatrième  concert  pour 
faire  un  peu  d'argent.  Tout  l'orchestre  vient  pour  rien. 
Ne  reviens  plus  dans  tes  articles  sur  ma  position  d'ar- 
gent; il  est  inutile  d'insister  davantage  là-dessus. 

Musée  Calvet.  à  Avignon.  Publié  par  M.  J.-G.  Prud'homme  dans 
la  Rivista  musicale  ilaliuiiu,  1904. 


XLII 

A    SA    SOEUIt    ADÈLE 

Paris,  ce  10  janvier  1835. 

Ma  bonne  petite  Adèle, 
Nous  avons  reçu  avant-hier  ton  charmant  bonnet 
pour  Louis,  il  est  admirable,  superflu,  transcendant, 
Henriette  en  a  été  ravie  à  un  point  que  je  ne  saurais 
dire:  lu  l'as  rendue  heureuse  comme  les  reines  ne  le 
sont  plus,  et  elle  t'en  remercie  autant  que  moi.  Je  ne 
t'avais  pas  écrit  depuis  longtemps  c'est  vrai:  niais  lu 
sais  combien  j'ai  eu  de  choses  à  taire.  Quatre  concerts 
en  un  mois  et  demi,  et  plusieurs  ouvrages  nouveaux  à 
faire  entendre,  ce  qui  double  la  difficulté  ;  puis  des  ar- 
ticles sans  fin  à  écrire  pour  mon  misérable  Rénovateur 
et  pour  la  Gazette  musicale.  Sans  cela  je  ne  sais  trop  de 
quoi  nous  aurions  vécu   pendant  que  je  moulais  mes 


276  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

concerts,  ce  damné  théâtre  Ventadour1  ayant  mal  tourné; 
je  n'ai  pu  arracher  un  sou  des  appointements  de  ma 
femme.  De  sorte  que  voilà  près  de  deux  mille  francs 
de  perdus  sur  lesquels  nous  devions  compter.  Il  est  vrai 
que  j'ai  gagné  à  peu  près  autant,  malgré  l'énormité  des 
frais,  avec  mes  concerts;  mais  pour  acheter  mes  mau- 
dits meubles  j'avais  été  obligé  de  dépenser  beaucoup 
d'avance  et  tu  penses  que  l'argent  n'a  pas  fait  un  long 
séjour  à  la  maison.  Mais  je  ne  sais  pourquoi  je  te  parle 
de  cela. 

Notre  petit  garçon  est  toujours  délicieux,  tu  n'as  pas 
idée  de  la  beauté  de  cet  enfant;  il  ne  crie  jamais  et 
rit  aux  éclats  dès  qu'on  veut  bien  jouer  avec  lui;  Hen- 
riette en  est  toujours  plus  fière.  Madame  Rocher  est 
venue  un  moment  nous  voir;  j'étais  au  lit  fort  enrhumé, 
et  ma  femme  qui  n'était  pas  habillée  et  point  du  tout 
disposée  à  subir  un  examen  est  restée  sans  se  montrer; 
depuis  lors  j'ai  fait  trois  visites  chez  madame  Rocher. 
j'y  ai  laissé  ma  carte  chaque  fois  puisque  Hippolyte  et 
elle  étaient  sortis;  je  ne  les  ai  plus  revus. 

Nous  sommes  allés  en  famille,  dernièrement,  faire 
une  visite  à  Alphonse,  ou  pour  mieux  dire  à  sa  femme 
qui  vient  d'accoucher  d'une  petite  fille;  ces  dames  se 
sont  fait  sur  leurs  enfants  beaucoup  de  compliments 
mutuels;  il  n'y  a  que  moi  qui  ai  fait  la  bêtise  de  m  e- 

1.  Madame  Berlioz  avait. joue  l'année  précédente  un  rôle  impor- 
tant dans  une  pantomime  représentée  à  ce  théâtre  :  La  dernière 
heure  d'un  condamne.  Voir  ci-après,  lettre  du  6  mai  1835. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  277 

crier  en  voyant  la  petite  Robert  «  Oh  !  comme  elle  est 
chétive!  »  ce  qui  pouvait  être  assez  mal  pris,  d'autant 
plus  que  c'est  vrai.  Cependant  il  n'en  a  rien  été.  Mais 
si  Alphonse  avait  dit  cela  de  Louis,  Henriette  ne  lui 
pardonnerai!  jamais. 

Tu  as  mal  calculé  la  grosseur  de  la  tête  de  ce  gamin, 
ton  bonnet1  lui  va  bien,  mais  fut-il  un  peu  plus  large 
cela  ne  gâterait  rien.  Henriette  comptait  hier  combien 
de  temps  il  avait  fallu  pour  broder  tout  ça  ;  à  coup  sur 
il  y  a  beaucoup  d'ouvrage. 

Notre  père  va  toujours  de  même  ?  Tu  ne  m'en  dis  que 
quelques  mots;  et  maman,  tu  ne  m'en  dis  rien.  Prosper 
devient  savant,  et  Nanci  continue  à  jouer  son  rôle  de 
noble  dame  ;  fais  bien  mes  compliments  à  Leurs  Altesses 
royales  quand  tu  les  verras,  et  dis-leur  que  j'apprécie 
comme  je  le  dois  les  sentiments  dont  ils  veulent  bien 
m'honorer. 

Pour  toi  je  t'aime  comme  lu  sais,  plus  que  tu  ne 
sais,  mais  comme  tu  le  mérites. 

Adieu,  ton  frère  et  ami, 

H  .    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  humbert  ferrand,  10  janvier  1835  {Let.  int.,  156). 
Envoi  de  musique.  «  La  symphonie  (Harold)  a  eu  une  re- 
crudescence de  succès  à  sa  troisième  exécution.  » 

1.  «  Une  observation  importante.  Ce  n'est  pas  le  bonnet  c'est  le 
boudreau  qui  n'est  pas  assez  large  :  ainsi  te  voilà  justifiée.  Je  ne 
connais  rien  à  tout  cela  »  (Note  de  Berlioz,  en  marge  de  la  lettre). 


278  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


XLIII 

\     ALFRED     DE     VIGNY 

[Paris,  vers  le  10  février  183J.] 

Mille  remerciements  pour  voire  offre  gracieuse;  ma 
femme  a  hésité  un  instant  à  en  profiter;  mais  tout 
bien  considéré,  la  tristesse  que  lui  cause  l'obscurité  où 
son  talent  se  trouve  condamné  momentanément  par  les 
circonstances  est  trop  poignante  pour  qu'une  solennité 
dramatique  coin ii îe  celle  où  vous  voulez  bien  l'inviter 
ne  soit  une  épreuve  cruelle  qu'il  vaut  mieux  éviter. 
J'irai  donc  seul  applaudir  Chatterton  avec  la  chaleur 
d'affection  et  d'enthousiasme  que  je  ressens  pour  le 
poète  et  la  cause  qu'il  plaide  si  bien.  En  conséquence 
je  lui  renvoie  la  loge  en  le  priant  de  l'échanger  contre 
une  -talle. 

Mille  amitiés  bien  vives  et  bien  sincères. 

11.     BERLIOZ. 

Monsieur  Alfred  de  Vigny,  3,  rue  des  Ècuries-d'Ârtois. 

Communiqué  par  M.  Çhaper. 

Cette  lettre  fut  écrite  peu  avant  la  représentation  de  Chat- 
terton, qui  fut  donnée  au  Théâtre-Français,  le  12  février  183o. 
A  quelques  jours  de  là,  Alfred  de  Vigny  écrivait  à  Brizeux( 


LKS    ANNÉES    ROMANTIQUES.  279 

alors  absen!  :  "  Où  étie?-V0U8,  ami?  quand  Auguste  Bar* 
bîor.  Berlioz,  Antony,  et  tous  mes  bons  et  fidèles  amis  me 
serraient  sur  leur  poitrine  on  pleurant...  » 

a  humbekt  FERRAN d,  15  avril  1835  (Let.  int.,  170, 
daté  par  erreur  1830).  a  Je  suis  obligé  de  travailler  horri- 
blement à  tous  ers  journaux  qui  me  pavent  ma  prose.  Je 
fais  à  prisent  les  feuilletons  de  musique  dans  les  Débats. 
C'esl  une  affaire  importante  pour  moi,..  Je  vais  faire  cel  été 
une  troisième  symphonie  sur  un  plan  vaste  el  nouveau  ' ... 
—  Meyerbeer  va  arriver  pour  commencer  les  répétitions  de 
son  grand  ouvrage,  la  Saint-Barthélémy,  .le  suis  tort  curieux 
de  connaître  cette  nouvelle  partition.  » 


XLIV 

A     SA     S  OE  D  1!     A  D  K  L E 

Paris,  17  avril  1835. 

Tu  as  bien  raison,  chère  sœur,  de  t' étonner  de  mon 
long  silence,  mais  ce  serait  à  tort  que  tu  y  trouverais 
l'occasion  d'un  reproche.  Tu  ne  sais  pas  jusqu'à  quel 
point  je  suis  esclave  d'impérieuses  occupations;  vingt 
fois  j'ai  cru  pouvoir  disposer  d'une  heure  pour  t'écrire, 
et  vingt  fois  je  nie  suis  trompé.  L'obligation  de  gagner 
le  plus  d'argent  possible  pour  acheter  les  mille  choses 
qui  nous  manquent  et  nous   manqueront  longtemps 

1.  Cette  symphonie  n'a  pas  été  écrite:  la  troisième  symphonie 
de  Berlioz,  Roméo  et  Juliette,  date  de  cinq  années  plus  tard. 


280  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

encore  dans  notre  petit  ménage,  et  même  tout  simple- 
ment pour  vivre,  me  force  de  tirer  de  ma  plume  tout  le 
parti  possible.  Si  j'avais  pu  donner  depuis  trois  mois 
quelques  concerts  nous  serions  à  l'aise,  mais  n'y  a-t-il 
pas  en  tout  et  partout  des  monopoles?  La  seule  salle  de 
Paris  dans  laquelle  je  puisse  faire  exécuter  ma  musique 
est  celle  du  Conservatoire:  or,  par  un  privilège  de  la 
liste  civile,  elle  est  accordée  exclusivement  depuis  le 
1er  janvier  de  chaque  année  jusqu'au  1er  mai  à  la  Société 
des  Concerts.  C'est  la  meilleure  époque  de  l'année  qui 
m'est  interdite.  Je  vais,  au  3  mai  prochain,  donner  une 
dernière  séance  musicale1,  puis  je  me  tairai  jusqu'à 
l'hiver  prochain.  Pendant  cet  intervalle  j'ai  plusieurs 
ouvrages  à  écrire  sur  lesquels  je  compte  pour  mon  nou- 
veau répertoire.  Quant  aux  journaux  où  je  travaille,  ce 
sont  :  le  Rénovateur,  où  je  fais  quatre  articles  par  mois, 
fort  peu  payés,  la  Gazelle  musicale,  où  j'écris  quand 
je  le  puis,  qui  me  paye  encore  plus  mal,  puis  enfin  le 
Journal  des  Débats,  qui  m'a  donné  a  faire,  depuis  peu, 
les  articles  concerts,  que  je  signe  H...  et  qu'on  me  paye 
cent  francs  chacun,  quelle  qu'en  soit  1  étendue.  J'ai  t'ait 
en  outre  une  troisième  livraison  pour  l'Italie  pittoresque, 
et  ce  mois-ci  j'ai  composé  une  scène  d'opéra2  pour  mes 
concerts  à  venir.  Le  soir,  très  souvent  il  faut  que  je 
sorte,  pour  assister,  dans  les  différents  théâtres  qui 
sont  de  mon  ressort,  aux  turpitudes  qui  s'y  commet- 

1.  On  y  exécuta  flans  son  entier  YÉpisode  de  la  rie  d'un  artiste. 

2.  Benvenuto  Cellini. 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES,  281 

tent  et  pouvoir  ainsi  en  rendre  compte  le  lende- 
main. 

Tu  vois  que  je  n'ai  presque  pas  le  temps  de  respirer. 
Cet  état  de  travail  continuel  n'est  pas  ce  qu'il  y  a  de 
plus  fâcheux,  il  empêche  de  sentir  les  mille  pointes 
dont  la  réflexion  sur  bien  des  choses  me  torturait;  mais 
Henriette  se  désespère  de  me  voir  travailler  tout  seul 
et  de  ne  pouvoir  rien  faire,  habituée  qu'elle  a  été  toute 
sa  vie  à  être  au  contraire  le  soutien  de  tous  les  siens. 
Quelquefois  le  chagrin  la  prend  à  la  rendre  folle:  les 
consolations  que  je  puis  lui  donner  ne  sont  pas  trop 
bonnes:  il  n'y  a  rien  à  dire  contre  les  faits.  Je  l'ai 
menée  chez  Hugo  dernièrement  pour  obtenir  du  poète 
un  rôle  approprié  à  son  talent  et  dans  lequel  son  impos- 
sibilité de  bien  parler  le  français  fut  justifiée;  Hugo  ne 
demande  pas  mieux  que  de  chercher,  mais  on  a  déjà, 
par  d'informes  essais,  usé  et  gâté  toutes  les  situations 
dramatiques  qui  se  présentent  là-dessus.  Pourtant  nous 
ne  désespérons  pas  encore.  Hugo  doit  venir  ces  jours-ci 
nous  dire  s'il  a  pu  vaincre  ou  tourner  la  difficulté.  II 
m'a  offert  un  opéra  le  mois  dernier.  Scribe  de  son  côté 
en  a  fait  autant,  niais  ces  offres  sont  inutiles  à  cause  de 
l'opposition  des  directeurs  de  l'Opéra  et  de  l'Opéra- 
Comique.  Il  me  faut  encore  écrire  pendant  quelques 
années  hors  du  théâtre  avant  de  mettre  le  pied  sur  la 
nuque  de  ces  stupides  industriels. 

En  attendant,  c'est  une  vie  bien  pénible  et  bien  cruelle 
que  la  mienne  sous  le  rapport  de  l'art.  Être  obligé  de 

1G. 


•28-2  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

voir  les  plus  belles  années  de  ma  vie  perdues  pour  la 
musique  dramatique  par  la  seule  raison  que  trois  gre- 
dins  ont  en  même  temps  le  malheur  d'être  des  imbé- 
ciles !  Yéron.  par  exemple,  que  Meyer-Beer  a  été  obligé 
de  contraindre  par  tous  les  moyens  légaux  à  jouer 
Robert  le  Diable  el  à  faire  ainsi  malgré  lui  sa  fortune. 
n"a  depuis  lors  monté  que  d'absurdes  platitudes,  que 
la  Juive  vient  de  couronner.  Il  en  est  de  même  ailleurs. 
Il  faut  de  la  patience.  Tout  viendra  à  point. 

Mais  parlons  d'autre  chose.  Louis  est  toujours  plus 
beau.  Il  commence  à  êlre  un  peu  méchant,  mais  vrai- 
ment très  peu;  ses  dents  ne  le  tourmentent  pas  encore. 
Il  est  le  phénix  du  quartier  et  de  la  plaine  de  Mousseaux 
où  Marie  le  promène  chaque  jour  au  milieu  de  beaucoup 
d'autres  enfants.  Il  les  écrase  tous.  Madame  L.  Y.  est 
venue  avec  sa  petite  dernièrement  ;  Henriette  rayonnait 
en  voyant  la  différence  qu'il  y  avait  entre  son  fils  et  la 
riche  mais  laide  petite  fille.  Mademoiselle  Robert1  a  reçu 
notre  visite  lundi  dernier  :  elle  commence  à  se  déve- 
lopper un  peu.  Nous  avons  trouvé  chez  Alphonse 
M.  Robert  le  père  nouvellement  arrivé.  11  m'a  remis  ta 
lettre  en  me  donnant  d'assez  bonnes  nouvelles  de  toute 
la  famille  ;  il  m'a  appris  la  mort  de  Julie,  qui  aura  dû 
être  pour  ma  mère  et  pour  toi  surtout  un  triste  événe- 
ment. Je  te  remercie  de  tes  détails  sur  la  santé  de  notre 
père:  peut-être  enfin  se  raffermira-t-elle  pour  ne  plus 

1 .  Agée  de  trois  mois  environ  ivuir  lettre  du  10  janvier  1835K 


u:s   ANNÉES    ROMAUTIQUES.  283 

varier  d'une  si  triste  et  si  inquiétante  façon.  Maman  ne 
va  pas  mal  sans  rlouto  puisque  tu  m'annonces  le  retour 
de  Grenoble.  Dis  bien  des  choses  affectueuses  à  notre 
grand-père  quand  tu  lui  écriras.  Je  rencontre  de  temps 
en  temps  mon  oncle  Félix  soit  au  théâtre,  soit  au  concert: 
je  l'ai  vu  un  instant  la  semaine  passée  au  concert  de 
Li>zt.  je  n'ai  pu  lui  dire  que  deux  mots,  de  sorte  que  je 
ne  sais  ni  où  il  loge  ni  ce  qu'il  est  venu  faire  à  Paris. 
D'ailleurs  je  ne  suis  pas,  je  te  l'avoue,  très  empressé  de 
le  rencontrer,  pour  des  raisons  qu'il  ne  m'est  pas  pos- 
sible d'oublier. 

Tu  me  dis  qui-  lu  as  parlé  beaucoup  de  nous  avec 
mon  grand-père  et  d'autres  encore:  qu'on  ne  m'oublie 
pas,  etc..  etc.  Je  ne  sais  qui  tu  as  voulu  désigner  par 
ces  mots,  mais  je  sais  bien  qu'il  vaudrait  mieux  pour 
l'honneur  de  certaines  gens  de  m'avoir  oublié  complè- 
tement et  de  n'avoir  ainsi  à  défendre  que  leur  mé- 
moire... 

Tu  as  beaucoup  d'illusions,  ma  pauvre  chère  sœur. 
Dieu  veuille  que  tu  ne  te  trouves  jamais  dans  le  cas  de 
les  voir  se  dissiper.  Pour  moi,  je  crois  ce  que  je  vois. 
Je  te  crois  bonne  parce  que  tu  me  le  prouves:  je  crois 
d'autres  égoïstes,  sots,  ridicules  et  absurdes  parce  qu'ils 
me  le  prouvent  aussi.  Je  juge  dans  ce  cas  en  compa- 
rant la  conduite  que  je  tiendrais  à  coup  sûr  si  j'étais  à 
la  place  des  autres  et  qu'ils  fussent  à  la  mienne,  avec 
celle  que  je  leur  vois  tenir  à  mon  égard. 

Louis  t'envoie  une  boucle  de  ses  petits  cheveux  que 


284  LKS    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

sa  mère  te  défend  expressément  de  trouver  ardents  ;  je 
t'avertis  qu'il  ne  faut  pas  se  lier  à  l'apparence.  Il  com- 
mence à  dire,  à  ce  que  prétend  Henriette,  maman,  papa  ; 
j'ai  ordre  de  te  dire  que  le  troisième  nom  qu'il  appren- 
dra sera  le  tien. 

Adieu,  ma  chère  Adèle  :  embrasse  bien  pour  moi 
maman  et  mon  père  ;  dis  à  Prosper  qu'il  est  un  polis- 
son de  ne  pas  m'écrire  un  mot  à  présent  qu'il  est  un 
jeune  homme,  et  crois  à  la  sincère  et  vive  affection  de 
ton  frère. 

H.    BERLIOZ. 

P. -S.  —  J'écrirai  à  mon  père  après  mon  concert. 

(De  l'écriture  d'Henriette):  Les  cils  de  Louis  com- 
mencent à  noircir  !  !  ! 


H.  P. 


H.   B. 


(De  celle  d'Hector)  :  Certifié  vrai  !  !  ! 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

XL  Y 

A   SON  PÈRE 


Paris,  6  mai  1835. 
Mon  cher  papa. 

Je   viens   enfin  d'être  débarrassé    de   mon   dernier 

concert1  et  je  profite  du  premier  moment  de  liberté  pour 

1.  Celai  du  3  mai  (Voir  lettre  du  17  avril). 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  285 

vous  écrire.  Adèle,  dans  sa  dernière  lettre,  me  donnait 
d'assez  bonnes  nouvelles  de  votre  santé,  mais  sans  y 
ajouter  beaucoup  de  détails  sur  la  vie  que  vous  menez 
habituellement  à  la  Côte.  Je  crains  bien  qu'elle  ne  soit 
toujours  triste  et  monotone.  Il  paraît  cependant  que  le 
temps  s'écoule  plus  facilement  pour  vous  aux  champs 
que  dans  la  solitude  de  votre  cabinet.  Je  serais  bien 
heureux  que  ce  goût  d'agriculture  vînt  à  se  développer, 
j'en  espérerais  au  physique  les  résultats  que  nous  ad- 
mirons dans  la  constitution  de  mon  grand-père,  joints 
à  des  habitudes  mentales  moins  sombres  que  celles  où 
votre  esprit  est  enclin. 

Qu'il  y  a  longtemps  que  je  vous  ai  vu,  mon  père,  et 
comme  souvent  il  me  parait  étrange  que  nous  soyons 
ainsi  séparés  !...  L'arrivée  de  M.  Robert  à  Paris  m'a 
fait  sentir  encore  bien  plus  vivement  la  peine  de  notre 
éloignement.  Vous  serait-il  donc  impossible  de  suivre 
quelque  jour  son  exemple?...  Il  paraît  que  les  voyages 
de  Grenoble  suffisent  aujourd'hui  pour  vous  effrayer;  je 
crois  que  maman  y  est  allée  seule  ou  tout  au  moins 
sans  vous.  Pourquoi  cela?...  Le  mouvement  serait,  j'en 
suis  convaincu,  ce  qu'il  y  aurait  de  mieux  pour  votre 
rétablissement  complet.  Maman  est  de  mon  avis,  je  le 
parierais.  Que  fait-elle?  Comment  se  trouve-t-elle  ? 
Eles-vous  un  peu  content  de  Prosper  ?  Son  humeur 
vagabonde  est,  je  crois,  bien  passée  aujourd'hui.  Ses 
facultés  se  développent-elles?  Je  n'ai  jamais  cru  qu'il 
fût  d'une  organisation  ordinaire;  il  me  semblerait   bien 


i86  LÈS    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

bizarre  de  m'être  trompé  dans  mon  diagnostic  en  sa 
laveur.  Pour  mon  garçon,  il  esl  toujours  charmant, 
bien  portant,  de  bonne  humeur,  el  sa  première  dent 
vient  de  percer.  Sa  mère  esl  dans  les  transports  dejoie 
que  lui  cause  ce  grand  événement.  Nous  allons  dans 
peu  remonter  à  Montmartre  dans  un  local  délicieux  et 
fort  peu  dispendieux.  Le  jardin  est  immense,  la  vue  sur 
la  plaine  Saint-Denis  magnifique,  et  loi 1 1  y  est  moins 
cher  que  dans  Paris  à  cause  des  droits  d'entrée  dont 
nous  sommes  exempts.  Mon  dernier  concert  a  été  assez 
satisfaisant  sous  le  rapport  financier  ;  la  recette  s'est 
arrêtée  à  deux  mille  cinq  cent  quarante  francs,  mais 
j'eusse  fait  bien  certainement  quatre  mille  francs  sans 
les  courses  du  Champ  de  Mars  et  les  Grandes  Eaux  de 
Versailles  que  favorisait  un  temps  admirable  et  où 
beaucoup  de  monde  s!est  précipité.  Car  l'amour  de  la 
musique  chez  les  Parisiens  ne  va  pas  jusqu'à  la  préfé- 
rer aux  chevaux  et  aux  autres  spectacles  des  yeux.  Ils 
traitenl  les  Espagnols  de  barbares,  mais  si  quelque 
entrepreneur  s'avisait  d'annoncer  des  combats  de  tau- 
reaux, à  coup  sûr  toute  la  société  fashionable  se  ferait 
enfoncer  des  cé>tes  pour  y  assister. 

L'exécution  musicale  a  élé  au  contraire  détestable; 
nous  n'avions  pu  faire  qu'une  seule  répétition,  et,  bien 
qu'elle  ait  duré  trois  heures  el  demie,  elle  était  com- 
plètement  insuffisante.  Je  ne  m'exposerai  plus  ainsi  une 
autre  fois.  Le  roi  avait  fait  retenir  sa  loge;  la  reine  qui 
devait  y  venir  s'est  décidée,  une  heure  avant  le  concert. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  287 

à  partir  pour  Versailles.  Trois  gouttes  de  pluie  me 
l'eussent  amenée.  Ses  clames  d'honneur  seules  y  sont 
venues.  Je  vais  travailler  beaucoup  cet  été  au  nouvel 
ouvrage  que  je  rumine,  mais  il  est  d'une  telle  étendue 
qu'il  y  a  lieu  de  craindre  qu'il  ne  soit  pas  prêt  pour 
mes  concerts  de  l'hiver  prochain  *.  Henriette  su  déses- 
père de  rester  dans  l'inaction  ;  la  banqueroute  du 
théâtre  Venladour  est  venue  lui  enlever  un  argent 
qu'elle  avait  bien  gagné  en  jouant  un  rôle  au-dessous 
de  son  talent.  J'ai  plaidé,  j'ai  gagné,  et  j'ai  payé  les 
frais.  Ce  directeur  est  un  drôle.  Il  est  en  prison  à  l'heure 
qu'il  est,  ce  qui  ne  nous  avance  guère. 

Mais  il  faudrait  un  volume  pour  vous  donner  sur  ma 
position  tous  les  détails  que  je  voudrais  vous  faire  con- 
naître. Elle  s'améliorera  tous  les  ans,  je  l'espère.  Ma 
femme  est  toujours  plus  excellente  et  je  l'aime  plus  que 
je  ne  puis  dire.  Probablement  il  me  sera  possible  de 
quitter  Paris  dans  dix-huit  mois;  nous  ferons  alors  un 
grand  voyage  en  Angleterre  et  en  Allemagne,  et  elle 
pourra  reprendre  l'exercice  de  son  art. 

Pour  la  troisième  lois,  la  semaine  dernière,  j'ai  reçu 
de  Vienne  la  demande  d'une  copie  de  mes  symphonies 
à.  quelque  prix  que  ce  fût.  J'ai  répondu  que,  comptant 
visiter  moi-même  l'Autriche  dans  peu  il  me  paraissait 
plus  prudent  d'attendre  jusqu'à  cette  époque  pour  faire 


1.  La  Fêle  funèbre  dont  il  a  été  question  dans  une  précédante 
lettre. 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

monter  mes  ouvrages  devant  moi.  Je  suis  convaincu 
qu'en  mon  absence  ce  serait  un  infâme  gâchis.  —  Avant- 
hier,  un  amateur  qui  revenait  de  mon  concert  m'a  fait 
cadeau  des  œuvres  complètes  de  Shakespeare  en  un 
volume  en  anglais.  Ce  livre  vaut  une  centaine  de  francs. 

Plus  de  papier  !  Je  causais  avec  vous  sans  y  songer. 

Adieu,  mon  cher  père,  j'attends  de  vos  nouvel  les  avant 
quinze  jours.  J'embrasse  maman  et  vous  et  Adèle  et 
Prosper  de  toute  mon  âme. 


H.    u, 


Communiqué  par  madame  Chapot. 


LXVI 


A     SA     SOEUR    ADELE 


Montmartre,  2  août  1835. 

Chère  sœur, 
J'ai  bien  reçu  ta  première  lettre,  mais  la  vérité  est 
sans  aucune  exagération  que  le  temps  m'a  manqué  pour 
y  répondre.  Tu  sais  que  j'ai  eu  un  violent  mal  dégorge, 
mais  tu  ne  sais  pas  qu'il  a  duré  plus  de  quinze  jouis. 
Bien  qu'il  ne  me  fut  pas  toujours  impossible  de  travailler 
dans  mon  lit,  cette  indisposition  m'a  cependant  fait 
perdre  beaucoup  de  temps.  Pour  moi,  le  temps  aujour- 
d'hui. cY-t  de  l'argent;  el  l'argeni  que  je  gagne  c'est 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  289 

notre  vie  à  toute  la  famille;  tellement  que  faute  d'avoir 
assez  d'avances  pour  attendre  quelque  mois  je  suis  dans 
l'impossibilité  absolue  de  travailler  à  une  vaste  compo- 
sition musicale  que  j'ai  commencée  et  dont  j'attends 
beaucoup  l.  Il  faut  que  j'écrive  pour  mes  journaux,  et 
toujours,  sous  peine  de  n'avoir  pas  un  sou  le  lendemain 
du  jour  où  je  n'aurai  rien  fait  pour  eux.  Vous  ne  savez 
pas,  vous  autres,  ce  que  c'est  que  d'être  talonné  par  le 
besoin  au  point  de  ne  lui  échapper  qu'à  force  de  travail, 
de  patience  et  de  courage.  Je  gagne  de  l'argent,  c'est 
vrai,  mais  il  nous  en  faut  beaucoup  ;  la  nourrice  est  très 
dispendieuse,  j'ai  perdu  beaucoup  par  la  banqueroute 
d'un  théâtre  ;  quand  je  me  suis  marié,  Henriette  ni  moi 
ne  possédions  rien,  et  nous  manquons  encore  de  beau- 
coup de  choses.  Ma  pension  est  finie,  je  n'ai  donc  plus 
que  ma  plume.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  vraiment  atroce 
dans  cette  situation,  c'est  que  mes  journaux  ne  me  rap- 
portent pas  le  quart  ni  le  sixième  de  ce  que  je  gagnerais 
avec  mes  concerts  si  je  pouvais  composer  ;  et,  comme 
je  te  l'ai  dit,  je  ne  puis  pas  composer  parce  que  mon 
ouvrage  est  long  et  qu'il  ne  rendrait  rien  avant  six  mois. 
Il  faut  donc  que  j'attende  pour  l'achever  qu'il  m'ait  été 
possible  de  mettre  assez  de  côté  pour  vivre  quelques 
mois  sans  rien  faire.  Henriette  se  désole  de  me  voir 


1.  Fête  funèbre  à  la  mémoire  dts  h,  mines  illustres  d  lu  France 
(voir  lettre  à  Uumbert  Ferrand,  résumée  ci-après)  Cette  œuvre  ne 
fut  pas  achevée,  mais  on  en  retrouve  des  traces  dans  le  Cinq  Mai, 
la  Symphonie  funèbre  et  triomphale,  même  dans  le  Requiem. 

17 


290  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

ainsi  esclave,  d'autant  plus  qu'elle  ne  peut  rien  faire 
elle-même  ;  nous  avons  été  un  instant  sur  le  point  de 
partir  pour  l'Amérique  du  Nord,  mais  des  incertitudes 
sur  le  sort  qui  pourrait  lui  être  offert  et  la  trop  grande 
jeunesse  de  Louis  nous  ont  retenus.  Vraiment  c'est  elle 
qui  a  besoin  de  courage,  car,  après  tout,  je  m'occupe, 
moi,  je  produis,  j'agis,  je  m'étourdis  ;  mais  elle  !  tour- 
mentée toute  la  journée  par  les  domestiques  qui  nous 
volent,  inquiète  à  en  devenir  folle  à  la  moindre  indispo- 
sition de  l'enfant,  environnée  d'un  monde  pour  lequel 
elle  n'a  pas  été  faite  et  qui  ne  parle  pas  même  sa 
langue,  inactive  quand  elle  se  sent  un  immense  talent 
qui  pourrait  nous  enrichir  tous  si  les  circonstances 
étaient  différentes,  il  faut  convenir  que  ses  accès  de 
désespoir  sont  bien  motivés.  Il  n'y  aura,  dans  quelques 
aimées,  plus,  ou  à  peu  près  plus  de  théâtre  en  France 
(excepté  les  théâtres  de  boulevard)  ;  il  n'y  en  a  plus  en 
Angleterre,  tous  les  acteurs  de  quelque  mérite  dans  la 
haute  poésie  dramatique  s'enfuient  en  Amérique.  La 
politique,  le  méthodisme  et  la  vieillesse  de  notre  civi- 
lisation ont  tué  cet  art-là.  La  musique  au  contraire 
envahit  tout  ;  mais  c'est  une  fureur  d'enfant  qui  s'attaque 
à  ce  qui  brille  sans  en  concevoir  l'usage.  On  monte  des 
espèces  de  concerts  partout,  mais  la  contredanse  y 
domine,  la  grosse  caisse  et  le  flageolet  en  font  tous  les 
frais.  Dans  six  ou  sept  ans  néanmoins,  il  est  probable 
que  les  Français  commenceront  à  comprendre  la  vraie 
musique.  Pour  moi  j'ai  mon  public  qui  grossit  tous  les 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  291 

jours,  mais  qui  devient  tous  les  jours  plus  avide.  «  Tra- 
vaillez-vous? A  quand  une  nouvelle  symphonie  ?  Quand 
donc  un  concert?  »  Telles  sont  les  questions  dont  on 
m'accable  quand  je  sors  à  Paris.  Et  je  ne  puis  pas  com- 
poser... 

Je  te  remercie  de  tes  deux  lettres;  tu  es  bien  la 
meilleure  des  sœurs  et  tu  as  de  l'affection  fraternelle 
pour  deux  ;  nous  parlons  bien  souvent  de  loi  avec  Hen- 
riette qui  t'aime  bien  sincèrement.  A  propos,  ne  parle 
donc  jamais  dans  tes  lettres  d'irritations  qui  pourront  se 
calmer,  de  préventions  que  le  temps  effacera,  etc.  Tu  penses 
bien  que  ces  expressions  la  blessent  et  l'affligent  horri- 
blement, et  quand  je  ne  parviens  pas  à  lui  cacher  d'une 
manière  ou  d'autre  ces  passages  de  les  lettres,  c'en  est 
assez  pour  la  faire  pleurer  pendant  deux  jours.  Pour 
moi  je  n'aime  pas  à  entendre  non  plus  ce  langage;  ces 
irritations  qui  se  calment  redoublent  ou  triplent  les 
miennes  et  me  rendraient  peut-être  injuste  sous  plus  d'un 
rapport.  Je  ne  suis  pas  un  ange,  et  je  n'ai  pas  besoin 
qu'on  me  rappelle  certaines  choses  ;  ensuite  tu  sais  que 
j'aimerais  mieux  recevoir  cent  soufflets,  autant  de  coups 
de  pied  et  de  crachats  à  la  figure  que  de  m'enlendre 
dire  ce  qui  nie  parait  des  absurdités.  Je  me  suis  marié 
parce  que  j'aimais  ma  femme,  je  savais  qu'elle  n'avait 
rien  et  que  je  n'avais  rien  ;  je  ne  trouverais  pas  mauvais 
que  chacun  suive  mon  exemple  en  pareil  cas  ;  les  idées  du 
monde,  j'en  connais  la  valeur,  et  je  ?i  entends  pas  qu'on 
vienne  me  faire  un  crime  d'avoir  fait  usage  de  la  liberté 


292  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

que  tout  homme  doit  avoir,  à  défaut  d'autres.  Je  méprise 
l'opinion  parce  que  je  sais  mieux  que  jamais  sur  quoi 
elle  est  fondée  ;  et  je  déteste  de  toutes  les  forces  de  ma 
haine  tout  ce  qui  tendrait  à  me  soumettre  aux  caprices 
absurdes  de  celte  ou  de  ces  opinions.  Ainsi  ne  me  parle 
donc  jamais  de  tout  cela,  au  nom  de  Dieu.  Laisse  en 
repos  à  mon  sujet  les  gens  qui  me  blâment  et  ne  me 
parle  pas  d'eux.  J'aime  encore  mieux  travailler  comme 
je  fais,  et  plus  encore  s'il  le  faut,  que  de  flatter  le 
moins  du  monde  la  plate  sottise  de  leur  égoïsme. 

Mon  père  m'écrivait  il  y  a  quelque  temps  une  bonne 
et  excellente  lettre  dont  je  devrais  bien  le  remercier.  Je 
lui  écrirai  le  premier  jour  où  je  pourrai  trouver  deux 
heures  disponibles.  Dis-lui,  en  attendant,  mille  choses 
affectueuses  de  ma  part  ;  ne  m'oublie  pas  auprès  de  ma 
mère,  dis  à  Prosper  que  j'attends  sa  lettre  avec  impa- 
tience et  que  je  le  félicite  de  ses  progrès. 

Tu  me  demandes  des  détails  sur  ma  position 
avec  l'Opéra  (je  ne  parle  pas  de  l'Opéra-Comique,  c'est 
un  théâtre  d'épiciers),  la  voici:  je  n'y  entrerai  pas  tant 
que  M.  Yéron  y  sera  ;  or  il  s'en  va,  il  cède  la  direction 
à  son  associé  M.  Duponchcl.  le  dessinateur  des  costumes, 
lequel  s'imagine  qu'il  aime  ma  musique  quoiqu'il  la 
comprenne  absolument  comme  M.  Véron  ;  Duponchel, 
il  y  a  six  mois,  s'est  engagé  sur  l'honneur  entre  les 
mains  de  Meyer-Beer  et  de  M.  Berlin,  en  ma  présence 
et  devant  Barbier,  que  si,  comme  il  était  probable,  il 
devenait  directeur  de  l'Opéra,  son  premier  acte  en  y 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  293 

entrant  serait  de  s'occuper  de  me  faire  écrire  un  ouvrage. 
Des  intrigues  ministérielles  s'opposent  momentanément 
à  sa  nomination  ;  l'événement  qui  met  tout  Paris  en 
émoi,  à  juste  raison1,  y  apporte  de  nouveaux  retards; 
et  nous  attendons.  Cependant  je  sais  si  bien  ce  que  c'est 
que  ces  animaux  de  directeurs,  que  je  donnerais  pour 
cent  écus  la  parole  de  Duponchel.  Je  n'oublierai  jamais 
que  Meyer-Beer  n'a  pu  faire  monter  Robert  le  Diable, 
auquel  le  théâtre  doit  toute  sa  prospérité  depuis  quatre 
ans,  qu'en  payant  soixante  mille  francs  de  son  argent  à 
l'administration  de  l'Opéra  qui  ne  voulait  pas  faire  les 
frais.  Pour  obtenir  la  sympathie  de  ces  gredins,  il  faut 
absolument  être  un  homme  aussi  médiocre  qu'eux. 
Voilà  ce  que  je  puis  te  dire  de  plus  positif  à  ce  sujet. 

Henriette  te  remercie  pour  ton  bon  souvenir  et  surtout 
pour  ce  que  tu  dis  de  Louis.  Il  est  charmant.  Ses  dents 
le  tourmentent  encore,  il  en  a  cinq,  il  marche  presque 
seul  ;   nous  le  sèvrerons  dans  peu. 

Adieu,  ma  bonne  sœur,  le  modèle  des  sœurs,  je  t'em- 
brasse tendrement. 

Ton  affectionné  frère, 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

ahumbert  fer  r  and,  août  ou  septembre  (et  non  avril 
ou  mai)  1833  (Let.  int.,  149).  «  J'ai  commencé  un  immense 
ouvrage  intitulé:   Fête  funèbre  à   la  mémoire  des   hommes 

1.  L'attentat  de  Fieschi. 


294  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

illustres  de  la  France;  j'ai  déjà  fait  deux  morceaux,  il  y  en 
aura  sept.  Véron  n'est  plus  à  l'Opéra.  Duponchel  s'est  engagé 
avec  moi  pour  un  opéra  en  deux  actes1.  Mon  père  m'a 
écrit,  ma  sœur  Adèle  également,  des  lettres  pleines  d'affec- 
tion. »  Musard,  Mozart,  Ballanche. 

destinataire  inconnu  (Catal.  d'autogr.  J.  Charavay, 
345).  Il  mande  qu'il  veut  faire  entendre  à  MM.  Bertin  et 
Duponchel  des    fragments  de  son  opéra  Benvenuto  Cellini. 


XLVI1 

A    PANOFKA 

[Montmartre],  samedi  soir  [10  octobre  1835]. 

Mon  cher  Panofka, 

Nous  comptons  sur  vous  pour  demain  dimanche. 
L'heure  du  dîner  est  cinq  heures.  Le  dîner  sera  tout 
à  fait  sans  façon  ;  les  convives  seront  :  vous,  M.  Gounet 
un  de  mes  anciens  amis,  ma  femme  et  moi.  Voilà  tout. 
N'oubliez  pas. 

Adieu .  Votre  tout  dévoué, 

HECTOR    BERLIOZ. 

Communiqué  par  M.  le  vicomte  de  Spoelberch  de  Lovenjoiil. 

Panofka,  violoniste  allemand,  vint  à  Paris  en  1834  ;  il  se 
fit  entendre  pour  la  première  fois  au  Conservatoire  dans 
un  concert  donné  par  Berlioz  (Fktis). 

1.  Benvenuto  Cellini,  primitivement  destiné  à  l'Opéra-Comique 
(Voir  lettres  des  15  mai  ot  31  août  1834). 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  295 

XLVIII 

A    SA    MÈRE 

Pnris,  11  octobre  1835. 

Chère  maman, 
Voilà  bien  longtemps  que  je  veux  vous  écrire,  mais 
je  ne  voulais  vous  donner  que  de  bonnes  nouvelles, 
c'est  pourquoi  j'ai  tant  attendu,  \otre  petit  Louis  est 
enfin  hors  de  danger;  nous  avons  eu  bien  peur  de  le 
perdre;  depuis  plus  dun  mois,  Henriette  ni  moi  n'a- 
vons passé  une  nuit  tranquille;  mais  le  voilà  sur  pied 
et  nous  respirons.  Il  court  avec  sa  bonne  dans  le  jar- 
din; ses  progrès  sont  fort  lents.  Malgré  toute  l'intelli- 
gence qui  éclate  sur  sa  petite  figure,  il  ne  dit  pas  encore 
un  mot  bien  net.  J'étais  vraiment  dans  l'impossibilité 
de  vous  écrire  quand  M.  Rocher  est  parti.  Comment 
nous  y  avons  tenu,  c'est  ce  que  je  ne  comprends  pas  ; 
ma  femme  a  été  plusieurs  jours  malade  assez  grave- 
ment; pour  moi,  j'ai  eu  mon  mal  de  gorge,  qui  ne  me 
manque  jamais  tous  les  ans  et  que  la  fréquence  de  mes 
excursions  nocturnes  dans  la  maison,  souvent  sans 
chaussure  et  demi  nu,  m'a  ramené  cette  fois  un  peu 
plus  intense.  Mais  puisque  c'est  fini,  n'y  pensons  plus. 
Tout  va-t-il  bien  à  la  maison?  Votre  santé  se  raffermit- 
elle?  Mon  père  est-il  bien  fatigué  de  ses  vendanges.  Je 


296  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

n'ai  pas  signe  d'aucun  de  vous,  n'ayant  vu  personne 
de  votre  connaissance  depuis  fort  longtemps.  Je  profite 
d'un  moment  de  liberté  qui  me  reste,  avant  de  remon- 
ter à  Montmartre,  pour  vous  adresser  ces  quelques 
lignes;  c'est  chose  rare,  je  vous  assure,  mes  journaux 
me  prenant  tout  mon  temps.  Nous  sommes  dans  une 
maison  peu  éloignée  de  Paris,  mais  dont  les  abords  sont 
assez  pénibles;  il  faut  pour  y  arriver  gravir  puis  redes- 
cendre la  montagne.  La  vue  de  la  plaine  Saint-Denis 
avec  son  tombeau  des  rois  de  France  à  l'horizon,  les  co- 
teaux de  Saint-Germain,  Montmorency,  etc.,  est  vrai- 
ment magnifique.  Et  quand  Adèle  me  disait  dans  une 
de  ses  lettres  qu'elle  voudrait  pour  moi  le  bon  air,  elle 
me  souhaitait  ce  dont  je  suis  loin  de  manquer.  Notre 
jardin  est  fort  grand;  le  salon  de  notre  appartement 
était  jadis  un  pavillon  bâti  par  Henri  IV  pour  la  char- 
mante, Gabrielle,  c'est  une  antiquité  intéressante  que 
nous  avons  un  peu  restaurée  à  la  moderne.  Malgré  la 
fatigue  extrême  que  me  causent  mes  allées  et  venues  à 
Paris,  nous  garderons  ce  logement  pour  cet  hiver.  Outre 
le  site  et  le  bon  marché,  il  offre  un  autre  avantage  en 
nous  affranchissant  de  la  servitude  des  visites;  les  oisifs 
y  regardent  à  deux  fois  avant  de  venir  me  relancer  et 
me  faire  perdre  mon  temps. 

Par-ci  par-là  mes  amis  viennent  passer  une  demi- 
journée  à  la  maison  ;  dernièrement  pour  l'anniversaire 
de  la  naissance  de  Louis,  nous  avons  eu  une  réunion 
brillante.  L'élite  de  la  jeune  littérature  contre  révolu- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  297 

tionnaire,  c'est-à-dire  celle  qui  a  secoué  le  joug  de 
Victor  Hugo,  s'y  trouvait.  Nous  avons  joué  aux  barres 
dans  le  jardin  comme  de  vrais  écoliers. 

A  propos  de  poètes,  je  dois  enfin  vous  apprendre  que 
je  viens  d'être  reçu  à  l'Opéra.  Le  nouveau  directeur  étant 
dans  de  tout  autres  dispositions  que  son  prédécesseur,  je 
lui  ai  présenté  un  opéra  en  deux  actes  qui  a  été  fait 
sous  mes  yeux  par  MM.  Alfred  de  Vigny,  Auguste  Bar- 
bier et  Léon  de  Wailly1.  Il  l'a  reçu  avec  le  plus  vif 
empressement.  En  conséquence,  je  vais  me  mettre  dans 
peu  à  écrire  la  partition.  J'ai  de  grands  détails  à  vous 
donner  sur  cette  grande  affaire  qui  est  pour  moi  de  la 
plus  haute  importance,  je  les  réserve  pour  ma  prochaine 
lettre.  Je  répondrai  bientôt  à  Adèle  et  à  Prosper. 

Adieu,  chère  maman,  je  vous  embrasse  tendrement. 

Votre  affectionné  fils, 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Reboul. 


XLIX 

A    DUPONCHEL,    DIRECTEUR    DE    L'OPÉRA 

Paris,  3  novembre  1835. 

Monsieur, 
Je   me    propose    de   donner    au   Conservatoire,    le 
dimanche  22  novembre,  un  concert  dans  lequel  made- 

1.  Benvenuto  Cellini. 

M. 


298  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

moiselle  Falcon  voudrait  bien  se  charger  de  l'exécution 

de  deux  morceaux  :  votre   autorisation  est  nécessaire 

t 
pour  que  je  puisse  profiter  de  son  obligeance,  serez-vous 

assez  bon  pour  la  lui  accorder?  Vous  obligerez  beaucoup 

Votre  tout  dévoué, 

H.     BERLIOZ. 

Collection  du  baron  Trëmont  (Bibliothèque  Nationale). 

Mademoiselle  Falcon  chanta  en  effet  la  Captive  et  le  Jeune 
Pâtre  breton  au  concert  de  Berlioz  du  22  novembre  183o  ; 
on  y  entendit  également  le  Cinq  Mai  (sur  les  vers  de 
Béranger)  exécuté  par  vingt  basses  à  l'unisson,  et  la  sym- 
phonie d'Harold  (voir  lettre  du  24  décembre  ci-après). 


A    VICTOR    HUGO 

[Paris,]  9  décembre  1835. 

J'ai  reçu  vos  merveilleuses  poésies1.  Vous  êtes  mille 
fois  bon  d'avoir  pensé  à  moi  et  de  me  dire,  bien  plus, 
que  je  dois  vous  compter  parmi  mes  plus  vrais  amis. 
Voilà  de  ces  mots  qui  électrisent  et  qui  donnent  au 
soldat  fatigué  la  force  de  reprendre  son  arme  et  de  se 
ruer  comme  un  lion  dans  la  mêlée.  Merci  !  Si  j'étais  un 
grand    poète    comme    vous,    peut-être    trouverais-je 

1.  Les  Chants  du  Crépuscule,  dont  la  préface  est  datée  du  25  oc- 
tobre 1835. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  299 

quelques  mots  pour  exprimer  ce  que  m'a  fait  éprouver 
la  lecture  de  votre  nouvelle  œuvre,  mais  dans  mon 
impuissance,  je  ne  saurais  que  m'écrier  comme  les 
sauvages  au  lever  du  soleil  :  «  Oh  II!  t 

II.    BERLIOZ. 

P. -S.  —  Aurez-vous  encore  un  moment  de  liberté 
dimanche  prochain  pour  venir  m'entendre  ■  ? 

Communiqué  par  M.  Gustave  Simon. 

a  humbert  ferrand,  16  décembre  1835  (Let.  int.,  166). 
Harold  a  obtenu  un  succès  double  de  celui  de  l'année  der- 
nière. Benvenuto  est  reçu  à  TOpéra.  La  transcription  de  la 
Symphonie  fantastique  par  Liszt  a  grand  succès  en  Allema- 
gne ;  les  journaux  de  Leipzig  et  de  Berlin  en  ont  rendu 
compte2. 


LI 


A    SA    SOEUR    ADELE 

Montmartre,  24  décembre  1835. 

Ma  chère  Adèle, 
D'abord  il  faut  te  remercier  et  pour  Henriette  et  pour 
moi  de  la  charmante  robe  que  tu  as  envoyée  à  Louis  ; 

1.  Le  concert  du  13  décembre  1835,  auquel  Berlioz  invite 
ainsi  Victor  Hugo,  est  le  premier  dont  il  ait  dirigé  lui-même  l'exé- 
cution [voy. Mémoires  XLVVLe  programme  comprenait,  notamment, 
la  Sympltonie  fantastique,  la  Marche  des  Pèlerins  d' Harold,  l'ouver- 
ture du  Roi  Lear,  Le  5  mai,  etc. 

2.  L'article  de  Schumann  dans  la  Gazette  musicale  de  Leipzig 
est  du  nombre  de  ceux  auxquels  fait  allusion  Berlioz. 


300  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

la  mère  en  a  été  enchantée  plus  que  tu  ne  peux  le 
croire  ;  ces  attentions  affectueuses  lui  sont  extrêmement 
sensibles  ;  ton  bon  cœur  l'avait  bien  deviné.  La  robe  va 
fort  bien  et  M.  Louis  s'y  pavane  avec  une  vanité  fort 
prononcée.  Je  ne  t'ai  pas  écrit  depuis  bien  longtemps, 
tu  devines  que  mes  concerts  m'en  ont  empêché.  Ils  ont 
été  fort  brillants,  mais  je  n'ai  pu  en  donner  que  deux 
faute  de  nouveautés  pour  le  troisième.  Je  n'ai  rien  pu 
composer  de  toute  l'année,  excepté  le  chant  sur  la 
mort  de  Napoléon.  Cette  nécessité  de  sacrifier  non  seule- 
ment mon  art,  mais  aussi  un  bénéfice  certain,  par 
l'impossibilité  d'attendre  et  d'avoir  de  quoi  vivre  pen- 
dant le  temps  de  la  composition,  est  une  des  plus  abomi- 
nables mystifications  qu'un  homme  puisse  supporter. 
Ce  que  mes  deux  concerts  m'ont  rapporté  équivaut 
à  peine  à  ce  que  j'aurais  gagné  avec  mes  journaux  pen- 
dant ces  deux  mois  ;  d'abord  parce  que  tout  ce  que  j'y  ai 
fait  entendre  est  aujourd'hui  trop  connu,  ensuite  parce 
que  j'ai  donné  \e  premier  en  société  avec  le  chef  d'or- 
chestre Girard,  et  que  le  bénéfice  a  dû,  en  conséquence 
être  partagé.  Pour  le  second  concert,  je  l'ai  conduit 
moi-même,  et  désormais  je  n'aurai  plus  besoin  d'avoir 
recours  à  personne  pour  diriger  l'exécution  de  ma 
musique.  Je  voulais  t'envoyer  ces  jours-ci  la  collec- 
tion complète  de  livraisons  ornées  de  planches  de  V Italie 
pittoresque,  où  tu  sais  j'ai  écrit  quelques  pages,  mais  les 
dernières  feuilles  n'ayant  pas  encore  paru  je  n'ai  pas 
hésité  à  attendre  la  fin  de  l'ouvrage  pour  le  l'adresser. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  301 

Cela  fera  un  assez  beau  volume,  dont  plusieurs  parties 
t'intéresseront  et  te  donneront  envie  de  voir  l'Italie. 

Je  n'ai  pas  encore  pu  commencer  mon  opéra;  les 
petits  journaux,  à  notre  grand  regret,  en  ont  annoncé  le 
sujet.  Quelque  indiscrétion  le  leur  aura  fait  connaître  ; 
Dieu  veuille  que  les  vaudevillistes  ne  s'en  emparent  pas 
avant  notre  représentation  ! 

Que  fais-tu  cet  hiver,  ma  pauvre  sœur?  comme  tu 
dois  t'ennuyer  !  Mon  père  est  toujours  triste,  maman  de 
son  côté  s'inquiète  beaucoup  de  nous  tous.  Tu  dois  na- 
turellement te  ressentir  de  la  disposition  d'esprit  de  nos 
parents.  Et  puis  le  charmant  pays  que  tu  habites,  la 
tournure  poétique  de  l'esprit  de  sa  population,  ne  doi- 
vent pas  peu  contribuer  à  te  faire  paraître  la  mauvaise 
saison  interminable.  Ma  mère  a  bien  raison  de  me  re- 
procher de  n'avoir  point  encore  écrit  à  mon  grand-père, 
je  me  le  suis  dit  souvent  ;  il  y  a  d'autres  lettres  encore 
que  je  voudrais  écrire,  mais  en  vérité  je  n'ai  pas  le 
temps,  et  si  on  savait  combien  est  rigoureuse  pour  moi 
l'acception  de  cette  phrase  banale,  on  m'excuserait 
peut-être  un  peu. 

Remercie  maman  pour  l'offre  qu'elle  m'a  faite  d'un 
tonneau  de  vin.  Nous  ne  sommes  pas  sûrs  de  demeurer 
encore  longtemps  à  Montmartre,  et,  en  tout  cas,  l'embar- 
ras de  le  mettre  en  bouteilles,  de  le  garder  des  voleurs 
dont  nous  n'avons  pas  peu  à  nous  plaindre  sous  tous  les 
rapports,  le  déboursé  de  l'achat  des  bouteilles  et  du  port, 
tout  cela  réduit  à  peu  près  à  rien  l'avantage  et  1  econo- 


302  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

mie  qui  résulteraient  de  cet  envoi.  Pour  les  confitures, 
au  contraire,  elles  seront  les  bienvenues  ;  Louis  les  aime 
énormément.  Cet  enfant  grandit  et  se  fortifie  rapide- 
ment; il  ne  parle  pas  du  tout  encore.  Henriette  cepen- 
dant prétend  qu'il  dit  très  distinctement  «  Tante  »  en 
montrant  sa  robe,  et  je  suis  chargé  de  te  le  dire. 

Adieu  ;  j'ai  à  courir  demain  tout  le  jour,  j'ai  un  mal 
de  tête  fou,  causé  par  l'odeur  du  charbon  de  terre  que 
nous  brûlons,  et  enjolivé  de  tout  ce  que  la  fatigue  de 
ma  journée  peut  y  ajouter.  Il  faut  donc  te  quitter  sans 
t'avoir  vraiment  dit  la  centième  partie  de  ce  que  j'aurais 
à  te  dire. 

Ton  affectionné  frère. 

H. BERLIOZ. 

P.-S.  —  Je  dois  une  réponse  à  Prosper  ;  sa  lettre 
m'a  fait  bien  plaisir,  seulement  une  autre  fois  je  le  prie 
de  ne  pas  prendre  un  ton  si  grand  garçon  et  de  ne  pas 
régler  son  papier;  c'est  écolier  en  diable. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  HUMBERT  ferrand,  23  janvier  1836  (Le*,  int.,  169). 
«  Thiers  vient  de  me  faire  perdre  la  place  de  directeur  du 
Gymnase  musical  (12.000  fr.)  en  refusant  d'y  laisser  chanter 
des  oratorios,  ce  qui  aurait  fait  tort  à  l'Opéra-Comique.  » 
Le  Cinq  Mai  est  écrit  sur  les  «  mauvais  vers  de  Béranger, 
parce  que  le  sentiment  de  cette  quasi-poésie  m'avait  paru 
musical  ». 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  303 

lu 

A     FRANZ     LISZT   ' 

[Paris,]  25  janvier  1836. 

Je  reçois  ta  lettre  et  j'y  réponds  à  l'instant.  J'avais 
déjà  vu  M.  Bartholoni,  et  avant  de  l'avoir  vu,  sur  un 
prospectus  imprimé  qu'il  m'avait  envoyé,  j'avais  écrit 
un  article  sur  ton  Conservatoire.  Ce  demi -feuilleton  était 
nécessairement  fort  incomplet,  mais  il  servira  de  pré- 
texte à  un  second  article  plus  digne  de  son  objet  et  pour 
lequel  je  profiterai  des  instructions  que  tu  me  donneras. 
Je  verrai  ces  jours-ci  M.  Lévy. 

Tu  me  surprends  dans  un  de  ces  moments  de  profond 
abattement  qui  succèdent  toujours  à  ces  rages  concentrées 
qui  rongent  intérieurement  le  cœur  sans  pouvoir  faire 
explosion...  tu  les  connais  malheureusement  aussi  bien 
que  moi.  Le  sujet  de  ce  tremblement  de  cœur  sans  éruption , 
le  voici  :  on  m'avait  nommé  directeur  général  du  Gymnase 
musical  avec  des  appointements  de  six  mille  francs,  plus 
deux  concerts  sans  frais  à  mon  bénéfice  et  des  droits 
d'auteur  pour  chacune  de  mes  compositions  ;  Thiers  me 
fait  perdre  cette  place  en  refusant  obstinément  de  per- 


1.  Cette  lettre  à  Liszt,  comme  la   suivante  (du  28  avril)  est 
adressée  à  Monsieur  Liszt,  à  Genève. 


304  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

mettre  le  chant  au  Gymnase.  En  conséquence,  cet  éta- 
blissement, auquel  j'allais  adjoindre  une  école  de  chœurs 
dans  le  genre  de  celle  de  Choron,  est  aujourd'hui  ruiné 
et  fermé.  On  y  donne  des  bals... 

De  plus,  la  Commission  de  l'Opéra  a  demandé  à  ce 
même  M.  Thiers  d'autoriser  Duponchel  à  contracter 
avec  moi  pour  mon  opéra.  (Le  poème  est  de  de  Vigny, 
Barbier  et  Léon  de  Wailly.)  M.  Thiers  s'y  refuse,  en  di- 
sant que,  M.  Duponchel  n'étant  pas  assuré  d'être  direc- 
teur de  l'Opéra  à  l'époque  où  ma  partition  pourrait  être 
représentée,  il  ne  doit  pas  grever  la  succession  du  direc- 
teur futur  d'un  ouvrage  qui  pourrait  ne  pas  lui  conve- 
nir. —  A  présent  je  propose  à  Duponchel  de  faire  un 
contrat  conditionnel  ;  il  hésite,  en  mettant  en  avant 
l'incertitude  où  il  est  que  cet  engagement  convienne  à 
Rossini  et  à  Aguado  son  banquier.  Cet  homme  s'est  jeté 
à  corps  perdu  dans  les  bras  de  Rossini  depuis  quelque 
temps,  et  tu  penses  quelles  conséquences  cela  peut 
amener.  Les  bras  de  Rossini?...  A  présent,  Meyerbeer 
et  Bertin  m'engagent  à  écrire  néanmoins  mon  opéra, 
persuadés  qu'au  moment  de  le  monter  on  trouvera  un 
biais  pour  y  parvenir  ;  c'est  ce  que  je  vais  faire. 

Tu  me  parles  de  mon  morceau  de  Napoléon  ;  je  crois 
aussi  que  c'est  bien  :  c'est  grand  et  triste  ;  malheureu- 
sement j'ai  été  obligé  de  le  faire  chanter  par  vingt 
basses,  faute  d'en  avoir  une  bonne,  et  tu  connais  l'ex- 
pression des  choristes. 

Richault  m'avait  demandé,  il  y  a  un  mois,  d'arranger 


LES    ANNÉES   ROMANTIQUES.  305 

à  quatre  mains  l'ouverture  des  Francs-Juges.  J'ai  fait 
cette  besogne  avec  les  conseils  de  Chopin  ;  on  la  grave 
en  ce  moment,  ainsi  que  la  grande  partition.  Je  t'enver- 
rai le  tout.  Harold  a  eu  celte  année  un  énorme  succès, 
grâce  à  la  magnifique  exécution  que  j'en  ai  obtenue 
pour  la  première  fois.  Je  conduis  moi-même  mes  con- 
certs à  présent;  l'exécution  s'en  ressent;  les  mouve- 
ments avaient  toujours  été  pris  imparfaitement.  Je  ne 
sais  comment  t'envoyer  les  deux  partitions  que  tu  me 
demandes,  j'aurais  une  peur  ridicule  de  les  voir  s'égarer 
en  route.  Si  tu  pouvais  sans  un  terrible  dérangement 
venir  nous  embrasser  et  nous  réjouir  le  cœur  par  ta 
présence,  ne  fût-ce  que  pour  trois  semaines  et  fallût-il 
te  cacher  dans  la  lanterne  du  Panthéon,  je  t'avoue  que 
j'en  serais  bien  heureux.  Tu  es  dans  la  meilleure  posi- 
tion possible  pour  écrire  de  grandes  choses,  profites-en. 
Va  en  Suisse  et  en  Italie  à  pied.  Ce  n'est  qu'ainsi  qu'on 
voit  et  qu'on  comprend  ces  belles  natures.  Tu  ne  me  dis 
rien  de  ton  intérieur  à  Genève,  de  mille  choses  qui  te 
touchent  de  près.  Crois-tu  qu'il  existe  entre  nous  une 
ligne  de  démarcation  où  finissent  l'amitié  et  les  confi- 
dences? je  ne  le  croyais  pas1.  N'importe,  je  n'en  suis  pas 
moins  tout  à  toi. 

II.     BERLIOZ. 


1.  Allusion  à  l'intimité  de  Liszt  avec  la  comtesse  d'Agoult  (voir 
ci-après,  pp.  342  et  suiv.). 


306  LES    ANNÉES    ROM  ANTIQ  L'ES  . 

Dis  mille  choses  de  ma  part  à  Bloc,  et  assure-le  que 
je  ne  négligerai  rien  de  ce  qui  l'intéresse. 

Communiqué  par  M.  Emile  Ollivier  ("antérieurement   reproduit 
dans  le  Gaulois,  2  janvier  1896K 


lui 

A    SA     SOEUR    ADÈLE 

Paris,  25  janvier  1836, 

Chère   Adèle, 

Je  ne  t'écris  que  deux  mots  faute  de  temps. 

La  malle  est  arrivée  fort  tard  hier  soir  ;  tout  était  en 
bon  état.  Henriette  était  ravie  de  tant  d'attentions  de 
notre  excellente  mère1:  dis-lui  tout  ce  que  tu 
pourras  trouver  de  plus  affectueux  pour  la  remercier  de 
notre  part. 

Louis  est  un  peu  malade  aujourd'hui  :  sa  mère  s'in- 
quiète déjà,  et  je  suis  obligé  de  sortir  et  de  la  laisser 
seule  s'attrister  de  plus  en  plus.  J'espère  pourtant  que 
cette  indisposition  ne  sera  rien.  Les  joujoux  de  Prosper 


1.  La  grand'mère  envoyait  des  jouets  à  son  petit-fils  :  la  réconci- 
liation était  complète.  Et  nous  verrons  par  les  lettres  suivantes  que 
la  sœur  aînée,  à  son  tour,  consentira  à  un  rapprochement,  et  que 
le  père,  pris  de  pitié  pour  la  condition  pénible  si  courageusement 
supportée  par  son  fils,  et  n'écoutant  plus  que  son  cœur,  lui  viendra 
enfin  en  aide. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  307 

ont  fait  un  peu  diversion  ;  quand  il  sera  mieux,  ils  feront 
merveille. 

Je  tenais  à  rassurer  ma  mère  sur  l'arrivée  de  son  envoi. 
A  un  autre  jour  les  détails  ;  il  faut  que  je  coure  au  fau- 
bourg Saint-Germain,  aune  lieue  et  demie  de  chez  nous. 

Adieu,  tout  à  toi. 

H.     BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


LIV 


A    SA    SOEUR    NANCI 

21  février  1836. 
Ma  chère  sœur, 
Ne  sois  pas  surprise  de  recevoir  si  tard  ma  réponse. 
Tu  sais  que  je  travaille  comme  un  forçat  à  mille  choses 
différentes  à  la  fois  et  c'est  à  peine  si  je  trouve  cinq  mi- 
nutes pour  te  dire  que  ta  lettre  m'a  fait  beaucoup  de 
plaisir.  Ne  pensons  plus  à  nos  vieilles  discussions,  je  te 
tends  la  main,  donne-moi  la  tienne  et  soyons  amis 
comme  auparavant.  Le  défaut  de  nos  jugements  vient 
souvent  de  ce  qu'il  s'exerce  sur  des  sujets  qu'on  connaît 
peu  ou  mal  ou  pas  du  tout,  parce  qu'ils  sont  hors  de 
notre  portée.  Penses-y.  As-tu  fini  tes  déménagements, 
tes  achats  de  mobilier,  tes  noces  et  festins?  Ta  belle- 


308  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

sœur  nouvelle  permettra- t-elle  à  Henri1  de  fumer?  C'est 
un  point  important  et  que  peut-être  tu  as  oublié  de 
débattre  dans  les  négociations  du  mariage.  Ta  petite 
Matb.il de  est,  dit-on,  charmante  et  son  père  commence 
à  s'en  apercevoir.  Qu'en  dit  notre  grand-père?  Le  vois- 
tu  souvent?  Tâche  donc  qu'il  me  pardonne  mon  silence 
à  son  égard.  Si  tu  savais  comme  mes  heures  sont  comp- 
tées! Cela  me  tourmente  bien  souvent,  je  voudrais  lui 
écrire  des  volumes.  Maman  m'a  donné  dernièrement 
des  détails  sur  vos  joies  de  la  ville,  vos  concerts,  vos 
dames  qui  chantent  l'italien,  etc..  Ta  voix  s'est-elle  un 
peu  accrue?  Dis-moi  tout  cela  quand  tu  m'écriras. 

Pour  moi,  voilà  en  quatre  mots  ma  vie  :  je  suis  très 
heureux  d'avoir  la  meilleure  et  la  plus  aimée  femme  du 
monde,  mais  je  souffre  beaucoup  de  toutes  les  privations 
que  je  lui  vois  souffrir  sans  se  plaindre  de  son  isolement 
et  surtout  de  la  perte  de  son  immense  talent  (son  inaction 
forcée  la  tue).  Il  n'y  a  plus  de  haut  drame  en  Angleterre, 
l'art  y  est  mourant.  Ici  le  théâtre  anglais  est  mort  et  toutes 
les  tentatives  seraient  inutiles  pour  le  ressusciter.  Elle  a 
dans  son  fils  une  consolation  toujours  présente,  mais 
elle  ne  prend  pas  assez  son  parti  sur  les  travaux  que  je 
suis  forcé  de  faire  à  la  maison  et  dehors  et  qui  m'obli- 
gent à  la  laisser  seule.  Les  domestiques  la  tourmen- 
tent, elle  ne  va  pas  à  Paris  une  fois  tous  les  trois  mois  ; 


1.  Henri  Pal,  frère  du  mari  de  Nanci,  plus  tard  président  du 
tribunal  civil  de  Vienne. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  309 

mais  nous  irons  ensemble  après-demain  pour  la  pre- 
mière fois  depuis  le  milieu  de  décembre.  Il  s'agit  de  la 
première  représentation  de  la  Saint-Barthélémy  '  à 
l'Opéra  et  Meyer-Beer  ne  veut  pas  qu'elle  y  manque. 
D'ailleurs  ça  la  distraira  un  peu.  Moi  je  vais  ce  soir  à  la 
répétition  de  cette  encyclopédie  musicale  dont  le  succès 
se  rattache  à  tant  d'intérêts  d'art  et  de  fortune.  Adieu, 
Henriette  m'appelle  pour  dîner,  Louis  crie  devant  la 
table,  il  faut  que  je  te  quitte,  il  me  reste  à  peine  le 
temps  de  m'habiller  et  de  descendre  à  Paris.  Mille 
choses  à  Camille  et  à  son  frère. 

Adieu,  adieu. 

Ton  affectionné  frère, 


H.     BERLIOZ. 


Communiqué  par  madame  Reboul. 


LV 


A    FRANZ    LISZT    . 


Paris,  28  avril  ^1836^. 
Mon  cher  ami. 
Je  profite  d'un  instant  fort  court  de  liberté,  que  me 
laissent  les  mille  et  une  torturantes  occupations  dont  je 


1.  Les  Huguenots. 

2.  A  Genève. 


310  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

suis  esclave,  pour  t'expliquer  pourquoi  mes  partitions 
ne  t'arrivent  pas  encore.  Je  viens  de  recevoir  d'Alle- 
magne une  ouverture  des  Francs- Juges  arrangée  à 
quatre  mains  de  telle  sorte  que  j'ai  eu  peine  à  recon- 
naître mon  ouvrage.  On  l'a  taillée,  rognée,  etc.,  de  la 
façon  perfectionnée  de  Castil-Blaze.  J'exècre  ces  inso- 
lentes libertés,  et  cette  nouvelle  preuve  du  danger 
qu'il  y  a  pour  moi  à  laisser  circuler  mes  ouvrages  m'a 
fait  prendre  décidément  le  parti  de  ne  rien  laisser 
graver  jusqu'à  ce  que  j'aie  fait  le  voyage  d'Allemagne. 
On  me  menace  même  d'un  autre  arrangement  à  quatre 
mains  de  ma  première  symphonie  d'après  ta  partition 
de  piano;  Dieu  sait  le  ravage  que  tous  ces  conscrits 
maraudeurs  vont  faire  là  dedans.  Je  ne  veux  pas  leur 
donner  une  nouvelle  proie. 

Adieu,  je  t'écrirai  plus  longuement  dans  quelque 
temps. 

Mille  choses  à  Bloc  de  ma  part. 

Ton  ami, 

H.    BERLIOZ. 

V.-S.  —  Il  y  a  plus  de  deux  mois  que  mon  article 
sur  le  Conservatoire  de  Genève  attend  aux  bureaux  des 
Débats1.  J'en  ai  trois  autres  qui  sont  dans  le  même  cas, 
je  ne  sais  pas  quand  ils  seront  imprimés. 


1.  Cet  article,   dont  il  était  déjà  question   dans  une  lettre  du 
25  janvier  précédent,  n'a  passé  dans  le  Journal  dm  Débals  que  le 

-20  août  1836. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  311 

Schlesinger  a  reçu  de  toi  dernièrement  une  lettre 
relative  à  un  article  sur  tes  compositions  ;  il  n'était  pas 
d'avis  d'imprimer  cette  analyse  dans  la  Gazette  musicale. 
et  après  l'avoir  lue,  sur  la  demande  qu'il  m'adressait  si 
cette  critique  te  serait  avantageuse  ou  nuisible,  j'ai  dû 
lui  dire  ce  que  je  pensais  de  l'esprit  général  de  l'article. 
Il  n'est  pas  tel  que  je  l'eusse  désiré  pour  toi,  et,  quant 
à  l'impression  qu'il  aurait  faite  sur  le  public  de  Paris, 
il  est  hors  de  doute  qu'elle  était  de  nature  à  ce  que  tes 
amis  doivent  chercher  à  t'en  préserver.  Comme  tu  dési- 
rais formellement  l'insertion  de  l'article,  peut-être 
Schlesinger  aurait-il  dû  ne  pas  la  refuser  ;  mais  il  m'a 
demandé  ma  pensée  au  sujet  de  l'avantage  qui  pourrait 
en  résulter  pour  toi  et  je  ne  pouvais  manquer  de  fran- 
chise en  pareille  occasion;  je  crois  avoir  bien  fait1. 

Adieu,  adieu  ;  pourquoi  diable  es-tu  loin  de  Paris?... 

Communique  par  M.  Emile  Ollivier, 

a  hofkmeister,  éditeur  de  musique  à  Leipzig, 
8  mai  1836  [Corresp.  inéd.,  113,  d'après  la  Gazette  musicale). 
Protestation  contre  une  édition  infidèle  de  l'ouverture  des 
Francs-Juges. 


1.  L;i  Gazelle  musicale  de  1830  n'a  rien  publié  qui  réponde  à 
tes  indications.  En  revanche,  son  numéro  du  12  juin  contient  un 
article  sur  Liszt,  dû  à  la  plume  de  Berlioz  lui-même. 


312  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


LVI 


A    SA    SOEUR    ADELE 

Montmartre,  vendredi  1er  juillet  1836. 

Il  faut  bien,  chère  Adèle,  trouver  un  moment  pour 
t'écrire,  ne  fût-ce  que  dix  lignes,  pour  te  charger  de 
remercier  mon  excellent  père.  J'ai  peur  qu'il  ne  se  soit 
gêné  pour  m'envoyer  cet  argent  auquel  j'étais  loin  de 
m'attendre,  et  cette  idée  m'attriste  plus  que  je  ne  saurais 
dire...  Embrasse-le  ainsi  que  maman  de  ma  part. 

Je  suis  bien  aise  que  de  petites  excursions  chez  ton 
ancienne  amie  puissent  de  temps  en  temps  te  fournir 
d'agréables  distractions  ;  je  me  figure  qu'en  effet  tu  as 
dû  t'amuser  beaucoup  chez  madame  Boutaud1,  beaucoup 
plus  même  qu'à  Grenoble. 

A  propos  de  Grenoble,  j'ai  vu  ces  jours-ci  madame 
Aprin2;  nous  comptions  l'engager  à  déjeuner  dimanche 
prochain,  d'après  ce  qu'elle  m'avait  dit  de  son  projet  de 
voyage  à  Montmartre  ;  mais  son  départ  anticipé  nous 
privera  du  plaisir  de  l'y  recevoir.  Elle  part  aujourd'hui. 


1.  Précédemment  mademoiselle  Louise  Veyron,  amie  des  sœurs 
de  Berlioz;  elle  était  devenue,  par  son  mariage,  belle-sœur  de  leur 
oncle  le  colonel  Marmion. 

2.  Amie  de  la  famille  Berlioz. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  313 

Je  me  suis  informé  des  écoles  préparatoires  pourPros- 
per  ;  il  y  en  a  deux  :  celle  de  M.  Mayer,  et  une  autre  moins 
célèbre,  située  fort  loin  (au  Marais).  J'ai  vu  M.  Mayer, 
et  j'envoie  son  prospectus  à  mon  père  ;  il  m'a  demandé 
si  Prosper  savait  quelque  chose  en  mathématiques...  je 
n'ai  pas  pu  lui  dire  que  je  le  crusse  très  savant.  Il  a 
ajouté  qu'on  ne  recevait  pas  chez  lui  de  commençants 
et  que  les  élèves  devaient,  avant  d'y  entrer,  savoir  au 
moins  l'arithmétique  et  un  peu  de  géométrie. 

Louis  a  été  bien  malade  dernièrement.  Le  voilà  encore 
une  fois  sur  pied,  mais  il  a  le  diable  au  corps  ;  je  n'ai 
jamais  vu  de  caractère  d'enfant  comparable  au  sien 
pour  la  violence  et  la  bizarrerie.  Il  est  charmant,  et 
grandit  rapidement. 

Il  commence  à  parler  une  langue  que  je  crois  être  le 
Polonais  :  du  moins  cela  y  ressemble  ;  dans  peu  il  y 
aura  des  mots  français . 

Henriette  a  voulu  t'écrire  hier,  mais  son  style  traduit 
de  l'anglais  et  ses  fautes  d'orthographe  l'ont  découragée 
pour  cette  fois  ;  son  billet  a  donc  été  déchiré,  et  ce  sera 
pour  ma  prochaine  lettre,  dans  laquelle  elle  se  propose 
d'insérer  quelques  lignes. 

Tu  sais  qu'elle  a  perdu  sa  sœur,  et  c'est  un  sujet  con- 
tinuel de  chagrin  qui  ne  s'adoucit  que  fort  lentement. 
On  s'attache  d'autant  plus  aux  êtres  qu'on  aime  qu'on 
a  fait  pour  eux  plus  de  sacrifices,  et  Henriette  en  a  fait 
pour  sa  sœur  toute  sa  vie. 

Je  suis  dans  le  grand  tourbillon  de  la  composition  de 

18 


314  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

mon  opéra;  j'en  ai  à  peu  près  fait  la  moitié.  C'est  énor- 
mément long  à  écrire;  mais  j'avoue  qu'en  comparaison 
de  la  difficulté  que  présentent  les  compositions  sym- 
phoniques,  ce  n'est  qu'un  jeu. 

Les  répétitions  de  mademoiselle  Bertin  •  ont  été  un 
peu  suspendues  ce  mois-ci,  à  cause  du  départ  de  Nourrit 
et  de  mademoiselle  Falcon,  mais  ils  arrivent  demain  l'un 
et  l'autre  et  nous  allons  recommencer.  Il  y  en  a  encore 
pour  deux  mois  et  demi  au  moins.  Cela  prend  une  tour- 
nure, et  je  crois  à  un  résultat  assez  satisfaisant  pour 
l'amour-propre  de  la  famille  Bertin.  Il  y  a  des  chœurs 
charmants,  qu'on  me  fait  l'honneur  de  m'attribuer  à 
l'Opéra,  quoi  que  je  puisse  dire.  Je  n'y  suis  effective- 
ment pour  rien.  Les  rôles  ne  sont  pas  malheureusement 
aussi  bien,  il  s'en  faut  de  beaucoup,  et  les  acteurs  font 
de  cruelles  grimaces  ;  mais  tout  s'arrangera  avec  de  la 
persévérance. 

Adieu,  ma  bonne  sœur;  je  le  laisse  pour  aller  travailler 
à  Paris,  malgré  l'effroyable  chaleur  qui  m'attend  au 
passage. 

Notre  jardin  est  magnifique  ;  on  ne  se  lasse  pas  du 
coup  d'œil  de  cette  plaine  Saint-Denis.  Dernièrement 
nous  sommes  allés  à  pied  en  famille  à  Saint-Ouen,  et 
Louis  était  transporté  de  joie  à  la  vue  de  la  pièce  d'eau. 


I.  11  s'agit  à'Estneralda,  opéra  dont  Victor  Huga  avait  écrit  la 
poème  pour  mademoiselle  Louise  Berlin.  Berlioz  avait  été  chargé 
île  diriger  les  répétitions  de  celle  o'uvre  à  l'opérai 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  31o 

Il  n'y  a  rien  de  si  beau  en  Dauphiné,  à  moins  de  voir 
la  vallée  des  hauteurs  de  la  frontière  de  Savoie. 
Adieu  encore. 


H.    BERLIOZ, 


Communiqué  par  madame  Chapot. 


LVII 


A    SA    MERE 


27  juillet  |1836]. 

Chère  maman. 
Encore  une  petite  lettre,  écrite  à  la  course  comme 
toujours.  Je  réponds  d'abord  à  ce  que  me  demande 
Prosper  de  la  part  de  mon  père  :  //  n'est  pas  néces- 
saire d'être  pourvu  d'aucun  diplôme  de  bachelier  pour 
être  reçu  à  l'École  polytechnique  ;  on  ne  prépare  pas 
spécialement  pour  les  examens  du  baccalauréat  chez 
M.  Mayer  ;  cependant  il  y  a  des  maîtres  qui  pourraient 
remplir  ce  but.  Je  me  suis  informé  de  tout  cela  dans 
l'institution  de  M.  Mayer.  Il  était  sorti  quand  j'y  suis 
venu,  mais  un  professeur  de  ses  classes  et  un  élève  qui 
se  destine  à  l'École  polytechnique  m'ont  donné  les  dé- 
tails que  je  vous  transmets,  en  m'assurant  positivement 
qu'il  n'était  pas  exigé  des  élèves  qu'ils  fussent  bache- 
liers pour  se  présenter  à  l'École  polytechnique. 


316  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Je  remercie  Prosper  de  sa  lettre  et  de  toutes  les  choses 
aimables  qu'elle  contient  pour  son  petit  neveu  ;  je  serais 
vraiment  enchanté  de  le  revoir,  s'il  est  assez  formé  pour 
le  risquer  dans  un  voyage  comme  celui  de  Paris.  Vous 
pouvez  en  juger  mieux  que  moi  qui  ne  sais  absolument 
rien  de  ses  progrès  depuis  que  je  l'ai  quitté.  Peut-être 
aussi,  d'un  autre  côté,  un  tel  changement  dans  sa  vie  et 
ses  études  ne  peut-il  qu'accélérer  le  développement  de 
son  intelligence  et  le  former  rapidement  sous  tous  les 
rapports.  Si  malheureusement  cette  confraternité  d'éco- 
liers, tous  plus  ou  moins  niaisement  polissons,  n'était 
inévitable  pour  lui,  je  ne  douterais  pas  des  prompts 
résultats  de  l'expérience. 

Vos  vers  à  soie  doivent  être  terminés  à  présent  ;  d'a- 
près ce  que  j'ai  vu  ces  jours-ci  dans  les  journaux  et  ce 
que  vous  m'avez  dit  dans  votre  dernière  lettre,  je  pense, 
chère  maman,  que  vous  êtes  bien  dédommagée  de  vos 
peines.  Mon  père  est-il  aussi  satisfait  de  son  adminis- 
tration rurale?  j'en  doute  un  peu,  à  cause  des  bizarre- 
ries inconcevables  de  la  saison  ;  hier,  pour  travailler 
dans  ma  petite  chambre  du  jardin,  j'ai  été  obligé  défaire 
du  feu.  Aujourd'hui  la  plaine  est  couverte  de  brouillards, 
c'est  une  journée  du  mois  d'octobre.  Paris  est  fort  triste. 

La  revue  de  la  garde  nationale  est  contremandée,  et 
les  commentaires  que  cette  décision  fait  naître  jettent 
du  sombre  dans  toutes  les  conversations.  La  mort  de  ce 
pauvre  Armand  Carrel  qu'on  a  enterré  hier  n'est  pas 
propre  à  diminuer  l'espèce  de  tristesse  pleine  d'inquié- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  317 

tude  qu'on  remarque  partout.  Les  regrets  que  cette  mort 
excite  ne  sont  point  des  phrases  de  journaux  ;  rien  n'est 
plus  réel.  M.  E.  de  Girardin  est  aussi  de  son  côté  en 
assez  mauvais  état,  mais  il  l'a  bien  mérité. 

Nous  nous  y  intéressons  jusqu'à  un  certain  point. 
Henriette  et  moi,  à  cause  de  sa  femme  (la  ci-devant 
Delphine  Gayj  que  nous  avons  eu  l'occasion  de  voir  cet 
hiver  et  qui  a  été  pleine  de  prévenances  et  d'amabilité 
pour  Henriette. 

Il  parait  qu'Adèle  promène  ses  loisirs  chez  toutes  ses 
amies.  N'était  la  solitude  où  son  absence  vous  laisse,  je 
dirais  que  c'est  très  bien.  Ces  petits  voyages  lui  font 
voir  le  monde,  elle  ne  peut  qu'y  gagner.  Je  lui  écrirai 
longuement  dans  peu. 

Amédée  Faure^st  venu  nous  voir,  c'est-à-dire  me  voir 
(car  c'était  de  bien  bonne  heure  et  Henriette  n'était  pas 
levée)  il  y  a  huit  jours  ;  il  m'annonce  son  départ  pour 
le  quinze  du  mois  prochain  ;  il  a  l'air  fort  content  de  sa 
prochaine  paternité. 

Adieu,  chère  maman  ;  je  vous  embrasse  bien  tendre- 
ment. 

Une  maudite  répétition  m'appelle  à  l'Opéra  et  va  me 
faire  perdre  les  trois  quarts  de  ma  journée.  Henriette 
vous  remercie  de  tout  ce  que  votre  dernière  lettre  con- 
tenait de  bon  et  d'affectueux  pour  elle  ;  elle  en  est  plus 


1.  Frère  de  Casimir  Faure,  et  comme  lui  ami  de  Berlioz,  proprié- 
taire ;"i  Bressieux, localité  proche  de  laCôte-Saint-Andiv. 

18. 


318  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

que  digne.  C'est  la  plus  excellente  femme  qu'il  soit 
possible  de  rêver.  Louis  se  porte  bien,  et  grandit  en 
méchanceté,  à  part  son  affection  pour  moi  qui  ne  se 
dément  pas. 

Communiqué  pa,r  madame  Chapot. 


LVIII 

A    THÉOPHILE    DE    FERRIÈRES 

Montmartre,  15  août  1836. 

Mon  cher  confrère  en  critique  musicale. 
Je  viens  de  donner  votre  nouvelle  adresse  au  bureau 
de  la  Gazette,  et  le  journal  va  vous  y  être  envoyé,  Je 
suis  effectivement  chargé  de  remplacer  Schlesinger 
pendant  qu'il  prend  les  eaux  je  ne  sais  où,  et  j'ai  déjà 
lu  votre  article  qui  m'a  beaucoup  intéressé.  Ne  vous 
inquiétez  pas  des  épreuves,  que  je  corrigerai.  Notre- 
Dame  de  Paris  me  prend  en  effet  beaucoup  de  temps, 
mais  je  crois  pourtaut  que  nous  touchons  au  commen- 
cement de  la  fin.  Il  y  a  vraiment  dans  cette  partition 
des  choses  bien  remarquables,  et  les  gens  impartiaux 
seront  fort  surpris.  Pour  la  mienne,  j'y  travaille  de 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  319 

toutes  mes  forces,  et  j'espère  avoir  fini  dans  quelques 
mois.   C'est  un  rude  travail  qu'un  grand  opéra.   Que 
faites-vous  à  Montrichard  ainsi  séparé  du  monde  et 
quand  reviendrez- vous  ? 
Mille  compliments  et  amitiés. 

H.    BERLIOZ. 

L'Amateur  d'autographes,  janvier  1878. 

a  humbert  febrand,  2  octobre  1836  (Lit.  Vit.,  163, 
daté  par  erreur  1835)...  «  Mes  cent  fois  maudites  répétitions 
de  Notre-Dame  de  Paris...  Je  touche  à  la  fin  de  ma  parti- 
tion. J'ai  l'assurance  écrite  du  directeur  de  l'Opéra  d'être 
représenté.  » 


LIX 


\    L   INGENIEUR    BUSSET. 

[Paris,]  le  9  octobre  1836. 

Monsieur, 
Je  me  disposais  à  faire  les  démarches  que  vous  m'a- 
viez indiquées  dans  votre  dernière  lettre,  quand  un 
mot  de  M.  Quinzard  (chez  M.  Lemoine)  m'a  arrêté  de 
votre  part.  Je  pense  comme  vous  qu'il  y  a  moyen  de 
donner  à  votre  réplique  un  éclat  beaucoup  plus  grand 
que  celui  qu'elle  aurait  pu  avoir  dans  la  Gazette  ainsi- 


320  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

cale;   ainsi,    bon  courage!    Faites-en  tirer  beaucoup 
d'exemplaires,  les  lecteurs  ne  manqueront  pas. 
Je  vous  salue,  de  cœur,  votre  tout  dévoué, 

H.    BERLIOZ, 

(non  homme  de  lettres) 
comme  vous  voulez  bien  l'appeler. 

Bibliothèque  publique  de  New-York,  Collection  Ford. 

Le  destinataire  de  cette  lettre,  ingénieur  à  Dijon,  avait 
publié  un  livre  sur  l'harmonie  qui  donna  lieu  à  une  polé- 
mique à  laquelle  pri  part  Fétis  et  où  l'autorité  de  Berlioz 
fut  invoquée  plusieurs  fois  (voir  Revue  et  Gazette  musicale 
des  12  juin,  31  juillet,  28  août  et  6  novembre  1836). 


LX 


A    SA    SOEUR   ADELE 

[Paris,]  22  décembre  1836. 

C'est  vrai,  chère  Adèle,  nos  lettres  se  croisent,  mais 
le  pis  est  que  je  ne  puis  les  faire  se  croiser  souvent.  Tu 
n'as  pas  idée  de  l'esclavage  où  me  tiennent  mes 
cinquante  mille  affaires.  Je  n'y  reviendrai  pas,  t'en 
avant  déjà  parlé  bien  souvent.  Pour  répondre  à  tes 
questions  le  plus  directement  possible  j'entre  en  matière 
tout  de  suite. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  321 

Je  viens  de  donner  deux  concerts 1  ;  comme  succès 
d'art  je  n'en  ai  jamais  eu  de  pareil,  à  cause  de 
l'immense  supériorité  de  l'exécution  que  j'ai  obtenue 
en  conduisant  moi-même  l'orchestre.  Comme  succès 
d'argent,  les  frais  de  chacun  des  deux  concerts  étant  de 
dix-huit  cents  francs  et  la  recette  du  dernier  ayant  été 
partagée  entre  Liszt  et  moi,  il  me  reste  de  bénéfice  net 
seize  cents  francs,  et  de  plus  cent  soixante  francs 
qu'on  me  doit  pour  des  billets  placés  dans  Paris,  et 
soixante-quatre  francs  la  loge  du  ministre  de  l'Intérieur, 
qui  est  venu  à  mon  premier  concert  mais  qui,  j'en  suis 
sûr,  ne  payera  jamais.  Supposons  ce  cas  fort  probable, 
j'aurai  donc  gagné  en  quinze  jours  dix-sept  cent  soixante 
francs,  dont  j'avais  un  furieux  besoin  pour  payer  les 
billets  que  j'ai  faits  à  mon  marchand  de  meubles  et  à 
d'autres,  et  dont  l'échéance  est  proche. 

Figure-toi  que  j'ai  eu  un  instant  de  terreur  panique 
en  songeant  que  je  n'avais  rien  de  nouveau  à  offrir  au 
public  et  que  je  pouvais  ne  pas  faire  les  frais.  Heureu- 
sement Henriette  a  eu  plus  de  confiance  que  moi  et  m'a 
poussé  à  persister.  J'ai  donc  affiché  mes  deux  grandes 
symphonies  qui  n'avaient  jamais  été  données  ensemble 
en  entier,  et  la  foule  est  venue.  Malheureusement  encore, 
comme  presque  toujours,  j'ai  été  assassiné  de  demandes 
de  billets  par  les  quarante  ou  cinquante  journaux  petits 
et  grands  qui  déraisonnent  dans  Paris,  et  j'ai  été  obligé, 

1.   Les  4  et  18  décembre  1<<36. 


322  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES. 

pour  ne  pas  m'attirer  une  avalanche  d'injures  dont  ces 
messieurs  ne  se  font  pas  faute  pour  se  venger  quand  on 
les  refuse,  de  leur  donner  tout  ce  qu'ils  me  deman- 
daient. De  là  un  tort  considérable  pour  la  recette.  Je  ne 
fais  pas  grand  cas  d'ordinaire  de  ces  ignobles  petites 
vengeances,  mais  les  directeurs  de  théâtre  tremblent 
devant  la  moindre  ligne  imprimée,  et  ma  position  avec 
Duponchel,  qui  n'est  pas  des  plus  hardis  à  cet  égard, 
m'a  fait  baisser  la  tête  et  payer  l'impôt.  Aussi  la  presse 
m'a-t-elle  fort  bien  traité,  c'est  un  concert  d'éloges 
sur  tous  les  tons.  Le  Courrier  lui-même,  le  chef  de  mon 
opposition,  a  été  fort  doux  cette  année.  Je  suis  fâché 
que  vous  n'ayez  vu  ni  le  Journal  du  Commerce,  ni  le 
Monde,  ni  la  Loi,  ni  l'Entracte,  ni  le  Contemporain,  ni 
la  Presse,  ni  le  Carrousel.  Je  n'ai  pas  pensé  à  les 
rassembler  pour  te  les  envoyer.  J'ai  même  reçu  des  vers 
d'un  poète  inconnu,  qui  paraît  avoir  une  passion  très 
prononcée  pour  ma  musique.  Assez  là-dessus. 

Esmeralda  est  tombée,  tu  le  sais,  abattue  par  une 
opposition  systématique  où  la  politique  avait  une  grande 
part;  à  la  dernière  représentation,  qui  n'a  pu  être 
achevée,  le  parterre  criait  :  «  A  bas  les  Bertin  !  à  bas  le 
Journal  des  Débats!  »  Il  n'y  a  que  l'air  des  cloches  de 
Quasimodo  qui  ait  réellement  trouvé  grâce  devant  cette 
méchante  cabale;  aussi  ne  veut-elle  pas  absolument  en 
laisser  l'honneur  à  mademoiselle  Bertin  et  s'obstine-t-on, 
malgré  toutes  mes  dénégations,  à  me  l'attribuer.  Ce 
morceau  est  vraiment  une  invention  musicale  des  plus 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  323 

remarquables,  il  eut  les  honneurs  du  bis  aux  première, 
deuxième  et  troisième  représentations,  et,  à  la  première, 
Alexandre  Dumas,  qui  n'aime  pas  les  Bertin,  se  mit  à 
crier  de  toute  la  force  de  ses  poumons  mulâtres  :  «  C'est 
de  Berlioz,  c'est  de  Berlioz  !  »  Voilà  la  justice  !...  Si  j'ai 
contribué  à  l'effet  de  cet  air,  c'est  pour  bien  peu  de 
chose;  il  est  réellement  bien  de  mademoiselle  Bertin. 
mais  (entre  nous)  il  Unissait  mal,  c'est-à-dire  il  finissait 
de  manière  à  empêcher  l'effet  des  belles  choses  qu'il 
contient;  ma  collaboration  s'est  bornée  à  indiquer  à 
l'auteur  une  péroraison  plus  digne  de  l'exorde  ;  c'est 
tout,  et  je  ne  l'ai  jamais  avoué  à  personne. 

Quant  à  mon  opéra  voilà  où  j'en  suis  :  j'ai  fini.  Il  me 
reste  seulement  à  écrire  la  scène  du  dénouement  et  à 
instrumenter  une  grande  partie  de  la  partition.  D'après 
mon  engagement  avec  Duponchel,  je  ne  dois  passer  que 
le  quatrième,  mais  il  s'est  réservé  avec  les  autres  auteurs 
la  faculté  de  me  faire  jouer  avant  eux  s'il  y  trouvait 
avantage.  Or,  on  monte  en  ce  moment  Slradclla  de 
MM.  Emile  Deschamps  et  Niedermeyer;  cet  ouvrage 
sera  en  scène  dans  deux  mois  et  peut-être  plus  tôt.  Le 
directeur  voudrait  monter  le  mien  immédiatement  après, 
mais  Halévy.  qui,  aux  termes  de  nos  traités,  devrait 
passer  avant  moi,  si  l'opéra  en  cinq  actes  qu'il  vient  de 
commencer l  se  trouve  prêt  quand  Stradella  sera  monté. 


1.  Qitido  et  Qinevra.  Cet  opéra  ne  fut  pas  représenté  avant  le 
U  mars  1838. 


324  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Halévy  se  consume  en  efforts  pour  ne  pas  rester  en 
arrière  et  écrit  sa  partition  au  grand  galop  pour  arriver 
à  temps.  C'est  donc  une  lutte  à  la  course,  où  l'un  des 
lutteurs  touche  le  but  et  doit  regarder  sans  courir  si  son 
antagoniste  arrivera  au  même  point  que  lui  dans  un 
temps  donné.  En  tout  cas,  je  suis  prêt  à  entrer  en  répé- 
titions, et  il  y  a  longtemps  que  toute  ma  musique  serait 
complètement  achevée  si,  comme  mon  héros  Cellini, 
j'avais  eu  du  métal  pour  fondre  ma  statue. 

Je  te  dirai  dans  un  mois  ou  deux  où  en  seront  les 
choses  et  si  je  passe  ou  non  avant  Halévy. 

Voilà  pour  les  affaires  extérieures.  Venons-en  au 
ministère  de  l'intérieur. 

Nous  avons  eu,  Henriette  et  moi,  de  cruels  moments 
à  passer  à  cause  de  Louis.  Une  misérable  bonne,  l'ayant 
emporté  sans  notre  permission  dans  Paris,  s'est  arrangée 
de  manière  à  amener  un  affreux  accident.  Elle  lui  a 
fait  pincer  le  doigt  dans  la  porte  d'un  café,  où  Dieu  sait 
ce  qu'elle  allait  faire;  le  pauvre  enfant  a  eu  l'ongle 
arraché  et  le  médecin  a  été  obligé,  pour  simplifier  la 
plaie,  de  couper  le  lambeau  de  chair  restant.  Par 
bonheur  la  phalange  n'a  pas  été  atteinte,  et  l'ongle  a 
déjà  repoussé  ;  mais  comme  il  a  souffert  !  J'ai  cru  que 
sa  mère  en  deviendrait  folle.  Chaque  pansement  était 
une  nouvelle  scène.  Enfin  tout  va  bien  à  l'heure  qu'il 
est,  et  la  nouvelle  domestique  à  qui  nous  nous  sommes 
confiés  paraît  plus  sûre  sous  tous  les  rapports.  Il  faut 
ajouter  à  ce  malheur  celui  de  sa  mère  qui  est  encore 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  Mo 

souiïïanle  d'une  contusion   qu'elle  s'est  faite  au   côté 
gauche,  contre  l'angle  d'un  meuble.  Louis  est  devenu 
aussi  caressant  pour  Henriette  qu'il  l'était  auparavant 
pour  moi;  une  infernale  créature  qui   nous  servait  à 
Montmartre  avait  appris  à  cet  enfant  à  repousser  et  à 
gronder  sa  mère  dès  qu'il  l'apercevait.  Cette  misérable 
fille  détestait  ma  femme  à  cause  de  la  surveillance 
qu'elle  était  constamment  obligée  d'exercer  à  son  égard, 
et  elle  avait  imaginé  cet  horrible  moyen  de  vengeance. 
Depuis  que  nous  en  sommes  débarrassés.  Louis  a  repris 
sa  mère  en  affection.  Ce  qu'il  montre  pour  moi  à  pré- 
sent est  plutôt  de  la  passion  que  tout  autre  sentiment. 
Il  m'appelle  dans  ses  rêves,  il  ne  veut  ni  manger  ni 
rester  en  repos  quand  je  suis  dehors,  et  quand  je  rentre 
ce  sont  des  cris  de  joie,  des  gambades  interminables:  il 
me  baise  la  main  de  la  façon  la  plus  tendre  et  la  plus 
élégante  tout  à  la  fois  ;  à  dîner  il  faut  qu'il  soit  sur  mes 
genoux,  il  me  donne  tout  ce  qu'il  a,  il  vient  me  cher- 
cher dans  mon  cabinet  pour  me  mettre  à  table,  et  le  soir 
il  me  raconte  dans  sa  langue  et  en  pantomime  très 
expressive  tout  ce  qu'il  a  vu  dans  la  rue  pendant  la 
journée   (il  ne  quitte  pas  les  carreaux  de  la  fenêtre). 
Hier  c'était  une  troupe  de  musiciens  ambulants,  il  me 
contrefaisait   la  clarinette,   le  tambour  de  basque  et 
l'orgue   de  Barbarie,  de  la  façon  la  plus  originale,  en 
chantant  et  gesticulant  à  nous  faire  mourir  de  rire. 

Henriette  a  joué   superbement  l'autre   jour  à   une 
représentation  extraordinaire  des  Variétés.   Tu  as   vu 

19 


326  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

sans  doute  le  feuilleton  de  ce  bon  Janin  là-dessus. 
C'est  A.  Dumas  qui  avait  donné  à  Frederick,  le  béné- 
ficiaire, une  lettre  de  recommandation  à  laquelle  il 
était  presque  impossible  de  refuser  ce  service.  Voilà 
toutes  les  nouvelles  qui  nous  concernent.  J'ai  du  reste 
un  encombrement  de  demandes  pour  les  journaux,  et 
si  je  n'avais  rien  autre  à  faire  je  gagnerais  beaucoup 
d'argent  par  ce  moyen.  J'ai  à  ma  disposition  les  Débats, 
la  Gazette  musicale,  l'Encyclopédie  catholique,  la  Biogra- 
phie des  Hommes  illustres  de  l'Italie,  et,  si  je  voulais,  le 
Siècle,  et  tant  d'autres. 

J'ai  rencontré  il  y  a  trois  semaines  ce  pauvre  Amédée 
Faure  dans  la  désolation  ;  l'état  de  sa  femme  était  des 
plus  alarmants  :  il  m'avait  promis  de  m'écrire  un  mot 
pour  me  donner  de  ses  nouvelles,  il  ne  l'a  pas  encore 
fait.  J'irai  chez  lui  demain  au  plus  tard. 

Mon  oncle  m'a  écrit  dernièrement  avant  son  départ 
pour  Huningue  ;  il  m'envoyait  un  jeune  homme  de  son 
régiment.  C'est  un  billet  de  concert  que  celui-là  m'a 
coûté;  je  voudrais  bien  être  quitte  de  tous  les  autres 
solliciteurs  ou  visiteurs  à  aussi  bon  marché. 

A.  Figuet  du  Feuillant,  de  IVaurepaire,  estici,  et  nous 
nous  courons  après  depuis  longtemps  sans  pouvoir  nous 
rencontrer.  Je  l'attends  aujourd'hui  à  trois  heures. 

Tu  me  dis  que  inaman  n'est  pas  bien,  et  que  mon 
père  ne  vit  plus  que  de  lait.  Kxplique-toi  un  peu  plus 
en  détail  là-dessus,  j'aime  mieux  savoir  tout  que  d'être 
inquiété  de  la  sorte.  Embrasse-les  bien  l'un  et  l'autre 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  327 

pour  moi,  je  t'en  prie.  Que  je  voudrais  qu'ils  puissent 
voir  Louis!  Pour  Prosper,  ne  l'en  tourmente  pas:  il 
n'est  pas  développé  encore,  tant  s'en  faut,  et  je  parie 
qu'il  aura  une  intelligence  plus  grande  que  vous  ne 
supposez  tous.  D'ailleurs  ne  fût— il  qu'un  habile  indus- 
triel, un  fabricant  de  sucre  de  betteraves  comme  il  disait 
lui-même  il  y  a  quatre  ans,  il  n'en  serait  pas  plus 
malheureux  pour  cela,  s'il  n'a  pas  d'autre  ambi- 
tion. 

Louis  contrefait  toute  la  journée  les  marchands  de 
parapluies,  d'où  nous  avons  conclu,  sa  mère  et  moi, 
qu'il  avait  de  grandes  dispositions  pour  la  carrière 
de...  marchand  de  parapluies. 

Adieu,  chère  sœur.  Je  t'embrasse  tendrement.  Hen- 
riette et  Louis  en  font  autant. 

Ton  affectionné  frère, 

Il  .    BEA  LI07.. 
Communiqué  par  madame  Chapot, 


CHAPITRE  IV 

ANNÉES    D'ACTIVITÉ    PRODUCTRICE 

(Suite.) 

(1837-1842) 

Le  Requiem  —  Benvenuto  Cellini.  —  Roméo  et  Juliette. 
Symphonie  funèbre  et  triomphale. 

a  kobert  schumann,  19 février  1837 (Corresp. inéd.,  116). 

Celte  pièce  est  plutôt  un  article  de  journal,  dédié  à  Schu- 
mann,  qu'une  lettre  proprement  dite.  Après  avoir  remercié 
le  jeune  maître  des  soins  qu'il  prend  à  faire  connaître  son 
œuvre  en  Allemagne,  Berlioz  lui  fait  part  de  son  intention 
de  se  rendre  lui-même  dans  ce  pays  afin  d'éviter  les  erreurs 
d'exécution  qui  se  produisent  toujours  en  dehors  de  la  pré- 
sence du  compositeur. 


A    SA    SoK  I   l!    N  V  MM 

Paris,  ce  27  février  1S37. 
Chère  sœur. 
'C'est  à  grand'peine  que  je  puis  trouver  cinq  minutes 
ftour  l'écrire  quelques  lignes  ;  au  milieu  del'instrumen- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  32",l 

tation  de  mon  opéra,  de  mes  maudits  articles  et  des 
courses  qu'ils  me  forcent  à  faire,  tu  peux  penser  si  j'ai 
des  loisirs.  Il  faut  pourtant  que  je  réponde,  à  toi  d'abord, 
à  mon  père  ensuite,  puis  à  Adèle,  sans  compter  dix  ou 
douze  lettres  qui  depuis  six  mois  me  font  sans  doute 
accu?er  d'impolitesse  ou  de  négligence  tout  au  moins 
par  plusieurs  de  mes  amis.  Le  couvert  d'argent  que  tu 
as  envoyé  à  Louis  l'a  ravi  comme  tu  l'imagines  ;  son 
parrain  (Gounet)  lui  a  justement  donné  le  jour  de  l'an 
une  timbale,  et  le  voilà  riche.  C'est  un  enfant  étourdis- 
sant... de  grâce  et  de  gentillesse.  On  dit  merveilles  de 
ta  fille;  Prosper  encore  dernièrement  m'en  parlait, 
avec  son  ton  de  jeune  homme  qui  s'émancipe,  de 
la  façon  la  plus  /Ltlleuse.  Mon  oncle  aussi  m'assure 
qu'il  n'y  a  rien  d'exagéré.  Nous  le  voyons  souvent  :  il 
me  charge  de  te  dire  que,  dans  le  cas  où  tu  te  déciderais 
avec  Camille  à  faire  le  voyage  de  Paris,  il  a  un  loge- 
ment à  vous  offrir.  Dans  le  fait,  il  est  fort  à  l'aise  dans 
son  charmant  appartement  au  bord  de  la  Seine,  en  face 
des  Tuileries.  Cette  raison  peut  faire  pencher  la  balance 
pour  le  voyage. 

Il  paraît  que  vous  avez  été  rudement  influences  l,  toi 
et  les  tiens  ;  pour  Henriette  et  moi,  la  grippe  a  été  assez 

1.  C'est  la  deuxième  fois,  à  notre  connaissance,  que  l'on  voit 
paraître  dans  les  écrits  de  Berlioz  le  nom  d'une  maladie  réputée 
plus  moderne.  Le  chapitre  XLII  des  Mémoire»  Voyage  en  Italie) 
parle  en  effet  de  Yinfluenza  qui  sévissait  à  Rome  :  «  Une  sorte 
à'influenza  plus  ou  moins  contagieuse  désole  la  ville  ;  on  meurt 
très  bien,  par  centaines,  par  milliers.  » 


3 3 0  LESA N  X K E S    K < ) M  A  N T I Q CES. 

discrète,  elle  s'esl  bornée  à  nous  faire  enrager  pendant 
huit  ou  dix  jours.  J'étais  obligé  de  travailler  dans  mon 
lit.  ce  qui  est  fort  incommode.  J.  Janin  m'a  depuis  peu 
cédé  de  fort  bonne  grâce  le  feuilleton  des  théâtres 
lyriques  dans  les  Débals  (le  Théâtre-Italien  et  les  ballets 
seulement  ne  sont  pas  de  mon  domaine),  de  sorte  que 
je  tiens  sous  ma  férule  l'Opéra  et  l'Opéra-Comique  ; 
mais  c'est  une  position  bien  difficile  à  conserver  sans 
de  vilaines  concessions.  Ainsi,  dans  quelques  jours,  je 
vais  avoir  à  dire  passablement  de  bêtises  indulgentes  pour 
une  énorme  niaiserie  musicale  appelée  Stradella,  dont 
j'ai  vu  la  répétition  hier  soir,  à  l'Opéra.  Mille  raisons 
m'y  obligent,  indépendamment  de  l'inconvenance  qu'il 
y  aurait  dans  ma  position  à  éreinter  un  jeune  composi- 
teur *  qui  s'est  trouvé  longtemps  dans  la  position  où  je 
me  trouve  vis-à-vis  du  théâtre.  Mais  je  te  préviens  de  ne 
rien  croire  de  ce  que  je  dirai  de  la  musique,  car,  depuis 
quinze  ans  que  j'en  entends,  je  n'ai  encore  rien  rencon- 
tré d'aussi  tranquillement  plat.  Cela  fait  terriblement 
ressortir  l'œuvre  de  cette  pauvre  mademoiselle  Bertin, 
cent  fois  plus  virile,  et  forte,  et  neuve,  que  cette  musique 
suisse  qui  n'est  ni  allemande,  ni  italienne,  ni  française, 
mais  touche  un  peu  à  toutes  ces  écoles  comme  le  pays 
de  son  auteur  touche  aux  trois  autres.  Par  habitude,  je 
retombe  dans  le  feuilleton  en  l'écrivant,  pardonne-moi, 
car  j'aimerais  infiniment  à    m'en   corriger   et.   Dieu 

I.  Niedermeyer. 


LKS    ANNÉES    ROMANTIQUES-  331 

aidant,  nous  y  parviendrons  bien  tôt   ou  tard.  Adieu, 
adieu,  mille  choses  à  ton  mari  ffue  j'aime  beaucoup, 
beaucoup  plus  qu'il  ne  croit  peut-être,  et  embrasse  pour 
moi  ta  petite  Mathilde. 
Ton  ami  et  frère, 

Il  .    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Reboul. 


II 

a  s  0  .\"  P  È  i!  r: 

Paris,  8  mars  1837. 

Cher  papa, 
J'ai  reru  hier  soir  la  lettre  de  N;inci,  avec  le  billet  que 
vous  avez  eu  la  bouté  de  m'envoyer  ;  bien  que  cet 
argent  me  soit  très  utile,  à  présent  qu'il  s'agit  de 
m'équiper  pour  la  garde  nationale,  j'aurais  pu.  à  la 
rigueur,  m'en  passer,  et  je  crains  que  vous  ne  vous 
soyez  imposé  quelque  privation  pour  m'aider  encore. 
La  lettre  de  Nanci  contenait  de  bien  tristes  nouvelles 
sur  notre  grand-père  et  sur  tout  ce  que  sou  état  a  de 
désolant  pour  ma  mère  et  mes  sueurs.  Je  viens  de  cher- 
cher mon  oncle  pour  lui  en  parler,  je  n'ai  pas  pu  le 
rencontrer.  Amédée  Faure  m'écrivait  dernièrement  que 
votre  commission  était  faite  depuis  quelque  temps,  mais 
pas  tout  à  fait  comme  vous  l'auriez  voulu;  le  fabricant 
de  lampes  ne  fait  pas  d'échanges,  il  a  seulement  fait 
réparer  celle  que  vous  lui  aviez  fait  remettre  par  Aîné- 


332  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

dée  et  l'autre  que  vous  lui  avez  envoyée  depuis  ;  l'une 
et  l'autre  à  présent  vous  ont  été  renvoyées. 

Je  travaille  toujours  beaucoup,  de  toutes  manières  : 
ma  position  au  Journal  des  Débats  s'agrandit  et  se  con- 
solide :  je  suis  assiégé  par  une  foule  d'autres  journaux 
qui  me  demandent  ma  collaboration.  Je  crois  que  j'ac- 
cepterai celle  de  la  Chronique  de  Paris*  et  de  l'Encyclo- 
pédie du  XIXe  siècle,  à  causede  la  puissance  que  ces 
feuilles  me  donneront  pour  aider  encore  à  l'influence  si 
énergique  des  Débats.  Cependant,  tout  cela  me  prend 
un  temps  énorme,  et  si  je  composais  une  bonne  sym- 
phonie, elle  me  rapporterait,  positivement  parlant,  dix 
fois  plus  que  tous  mes  articles  d'un  an  réunis.  Mais  il 
faut  arriver  à  l'Opéra,  et  c'est  là  ma  machine  de  guerre 
pour  battre  la  porte  de  cet  immense  théâtre.  Stradella 
est  une  œuvre  morte  sans  rémission  ;  c'est  du  dernier 
médiocre,  ou  plutôt  c'est  exécrablement  plat,  quoi  que 
j'en  aie  dit  dans  mes  articles  des  Débats  et  de  la  Gazette 
musicale  dimanche  dernier.  A  présent  je  n'ai  plus  que 
deux  ouvrages  à  voir  monter  avant  le  mien.  Halévy  et 
Auber,  qui  n'ont  pas  fait  la  moitié  de  leur  partition,  ne 
veulent  pas  se  désister  de  leur  droit  et  laisser  jouer  la 
mienne,  qui  est  finie.  A  leur  aise.  —  En  attendant,  je 
sors  de  chez  le  ministre  de  l'Intérieur a,  qui  veut  me 

1.  Berlioz  donna  en  effet  quelques  articles  à  la  Chronique  de 
Paris  dans  les  années  1837-1838. 

*■>.  Comte  de  Gasparin.  Cet  homme  politique,  protecteur  de 
Berlioz,  était  originaire  d'une  ville  toute  voisine  <lu  Dauphiné 
(Orange)  :  il  avait  été  en  outre  préfet  de  l'Isère. 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES.  333 

charger  de  faire  une  grande  composition  pour  l'anni- 
versaire de  la  mort  du  maréchal  Mortier,  etc.,  aux  Inva- 
lides1. J'allais  le  voir  pour  autre  chose;  il  m'a  appris 
cette  nouvelle  à  {'improviste ;  j'ai  demandé  une  certaine 
latitude  pour  mes  moyens  d'exécution,  qu'il  parait  dis- 
posé à  m'accorder.  En  tout  cas,  l'affaire  se  terminera 
incessamment,  et  il  le  faut  pour  que  j'aie  le  temps 
d'écrire  mon  ouvrage  d'ici  au  2<S  juillet.  Seulement  j'ai 
peur  de  la  fièvre  que  l'idée  du  sujet  et  des  cinq  ou  six 
cents  exécutants  que  j'aurai  à  mes  ordres  va  me  donner. 
Quel  Dies  irœ  !  !  ! 

Voilà,  cher  papa,  toutes  mes  nouvelles.  Vous  savez 
déjà  que  la  loi  de  disjonction  a  été  rejetée  hier  par  la 
Chambre,  le  Gouvernement  en  est  dans  la  stupeur. 

Henriette  et  Louis  se  portent  bien  ;  mon  oncle  vient 
nous  voir  de  temps  en  temps;  je  lui  donne  des  billets 
d'Opéra  tant  que  je  puis,  c'est  toujours  ça  ;  du  reste,  je 
ne  sais  rien  de  ses  affaires. 

Adieu,  cher  papa,  écrivez-moi,  quand  vous  pourrez, 
un  peu  plus  longuement.  Il  y  a  bien  longtemps  que 
nous  n'avons  eu  ensemble  une  véritable  causerie. 

Votre  affectionné  fils, 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Iîeboul. 


1.  Première  mention  du  Requiem.  On  sait  que  le  maréchal  Mortier 
était  tombé  aux  côtés  de  Louis-Philippe,  le  28  juillet  1835,  frappé 
mortellement  par  la  «  machine  infernale  »  de  Fieschi,  pendant  la 
revue  que  passait  le  roi  pour  commémorer  les  Journées  de  Juillet. 

19. 


33 1  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 


III 


A   SA    5TKF.  E 

Paris,  mars  1837. 

Chère  maman. 

Quand  la  lettre  d'Adèle  m'est  arrivée,  je  savais  déjà 
le  malheur  qui  vient  de  nous  frapper  *  ;  mon  pauvre 
oncle  était  venu  la  veille  me  l'apprendre.  Je  ne  crois 
pas  qu'il  ait  l'intention  de  faire  le  voyage  de  Grenoble  ; 
malgré  tout  le  besoin  qu'il  sent  aussi  bien  que  moi  d'être 
auprès  de  vous  pour  pleurer  ensemble  celui  que  nous 
avons  perdu,  notre  position  actuelle  ne  nous  permet 
guère  à  l'un  ni  à  l'autre  de  quitter  Paris.  Il  compte 
beaucoup  sur  l'activité  et  la  bonne  amitié  de  Camille, 
à  qui  il  a  sans  doute,  à  l'heure  qu'il  est.  envoyé  sa 
procuration. 

Adèle  a  dû  vous  être  d'un  grand  secours  dans  ce 
triste  moment,  et  vous  en  aviez  besoin,  chère  maman, 
seule  et  désolée  comme  vous  étiez:  il  lui  fallait  des 
forces,  elle  en  a  trouvé.  Adèle  est  une  bonne  et  digne 
entant  dont  L'affection  et  la  tendresse  ne  seront  cer- 
tainement pas  sans  adoucir  autant  que  possible  la  pro- 
fonde douleur  que  vous  éprouvez. 

1.  Le  grand-père  Marmion,  de  Meylan,  venait  de  mourir. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  333 

Comme  j'ai  peine  à  croire  que  votre  présence  à  Me  y]  an 
soit  indispensable,  je  suppose  que  vous  êtes  retournée 
auprès  de  mon  père  qui.  lui  aussi,  devait  avoir  besoin 
de  vous  voir.  Il  paraît  cependant  que  sa  santé  se  sou- 
tient passablement;  je  lui  ai  écrit,  il  y  a  trois  jours, 
pour  le  remercier  de  ses  nouvelles  bontés. 

Nanci  m'écrit,  an  contraire  qu'elle  est  souffrante:  il 
semble  vraiment  que    tout  ait  conspiré  à  nous  isoler 
les  uns  des  autre-  et  â  vu-  laisser,  Adèle  et  vous,  sans 
appui,  dans  le  moment  où  il  vous  eut  été  le  plus  m 
sa  ire  ! 

Adieu,  chère  maman;  je  ne  puis,  en  vous  embras- 
sant, que  vous  prier  de  soigner  votre  santé  et  celle  de 
mon  père  et  de  songer  un  peu  à  nous  tous  qui  restons 
pour  vous  chérir, 

Votre  affectionné  fils. 

H  .    BERLI OZ . 

Communii/ué  par  madame  Chapot. 


IV 


a  i  h  r  b  u  i:  1  \  i 

24  mars  1837. 
Monsieur. 
Je  suis  vivement  touché  de  la  noble  abnégation  qui 
vous  porte  à  refuser  votre  admirable  Requiem  pour  la 


336  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

cérémonie  des  Invalides  ;  veuillez  être  convaincu  de 
toute  ma  reconnaissance.  Cependant,  comme  la  déter- 
mination de  M.  le  ministre  de  l'Intérieur  est  irrévo- 
cable, je  viens  vous  prier  instamment  de  ne  plus  penser 
à  moi  et  de  ne  pas  priver  le  gouvernement  et  vos  admi- 
rateurs d'un  chef-d'œuvre  qui  donnerait  tant  d'éclat  à  la 
solennité. 

Je  suis  avec  un  profond  respect,  monsieur,  votre 
dévoué  serviteur, 

H.    BERLIOZ,, 

Reproduit  en  fac-siinilé  en  tête  de  la  deuxième  édition  de  la 
Correspondance  inédite. 

Cette  lettre,  déjà  connue,  n'a  jamais  été  insérée  dans  les 
recueils  à  sa  date,  ce  qui  n'a  pas  peu  contribué  à  en  faire 
tirer  des  conclusions  toutes  différentes  de  celles  qu'elle  com- 
porte. On  en  trouvera  l'explication  dans  la  lettre  du  17  avril. 
Outre  que  ce  serait  un  peu  trop  reculer  les  bornes  de  la 
crédulité  que  de  prendre  au  sérieux  cette  lutte  de  généro- 
sité entre  les  deux  compositeurs  rivaux  s'offrant  de  se  sacrifier 
l'un  à  l'autre,  il  faut  considérer  que,  par  sa  date,  la  lettre  >\r 
Berlioz  n'apporte  aucun  démenti,  comme  on  l'a  prétendu, 
aux  assertions  des  Mémoires.  Ce  livre,  en  effet,  parle  d'une 
démarche  qui  aurait  été  faite  par  Halévy,  de  la  part  de  Cbc- 
rubini.  ou  lonl  au  moins  en  sa  faveur,  à  la  veille  du  jour 
où  le  Requiem  de  Berlioz  devait  être  exécuté.  Or.  cette  exécu- 
lion  eut  lieu  le  "i  décembre,  et  la  Lettre  esl  du  "2i  mars.  Cel 
écarl  de  ilales  esl  une  preuve  surabondante  qu'il  n'y  a 
aucun  rapport  entre  la  lettre  et  le  récit  des  Mémoires,  ci 
ipie  c'est  à  tort  qu'on  s'en  est  servi  pour  les  démentir. 

A  humbert  FERRAND,  Il  avril  1837  (Lct.  int.,  178). 
Détails  sur  Esmcralda.  La  composition  de  Benvenulo  Cellmi 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  337 

est  terminée.  «  En  attendant,  je  fais  en  ce  moment  un 
Requiem...  C'est  le  ministre  de  l'Intérieur  qui  me  Ta 
demandé.  Je  finis  aujourd'hui  la  Prose  des  morts.  C'est  une 
poésie  d'un  sublime  gigantesque.  J'en  ai  été  enivré  d'abord  : 
puis  j'ai  pris  le  dessus,  j'ai  dominé  mon  sujet,  et  je  crois  ù 
présent  que  ma  partition  sera  passablement  grande.  » 


A    SA    SOEUR    ADELE 

[Paris,]  17  avril  [1837]. 

Je  n'ai  que  le  temps  de  te  remercier,  chère  sœur,  de 
ta  charmante  attention  pour  Louis  :  madame  Boufaud 
et  son  mari  sont  venus,  il  y  a  deux  jours,  nous  sur- 
prendre agréablement.  Henriette  a  été  enchantée  du 
petit  pantalon  que  tu  as  brodé.  Le  pauvre  enfant 
est  depuis  plusieurs  jours  assez  enrhumé  :  j'espère 
cependant  que  ce  ne  sera  rien,  mais  sa  mère  et  moi  ne 
sommes  pas,  de  temps  en  temps,  sans  inquiétudes. 
Madame  Boulaud  m'a  donné  de  vous  tous  d'assez 
bonnes  nouvelles  :  je  la  verrai  ce  soir,  et  nous  cause- 
rons de  toi  plus  à  l'aise  que  je  n'ai  pu  le  faire  la  pre- 
mière fois. 

Je  réponds  tout  de  suite  à  la  question  que  tu  me  fais 
au  sujet  de  mon  oncle  :  Il  ne  m'a  jamais  emprunté  un 
sou.  Ainsi  soyez  bien  rassurés  là-dessus.  Je  le  verrai  ce 
soir  aussi.  Il  est  fort  bien  en  cour:  il  a  dîné  chez  le 


.338  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

roi  il  y  a  quelque  temps  et  la  reine  a  été  pleine  de  pré- 
venances pour  lui. 

Tes  détails  sur  ta  seconde  visite  à  Meylan  m'ont  tris- 
tement ému.  Avant  d'avoir  reçu  ta  lettre,  je  m'étais 
bien  souvent  figuré  les  mêmes  impressions  pour  mon 
propre  compte,  quand  je  reverrai  cette  campagne  pitto- 
resque où  notre  pauvre  grand-père  était  si  heureux  de 
nos  premières  joies.  Ces  souvenirs-là  ne  s'effaceront 
jamais.  Remercie  pour  moi  cet  excellent  Camille  pour 
les  soins  et  l'activité  qu'il  met  à  débrouiller  toutes  ces 
affaires...  Mon  affection  et  mon  estime  pour  lui  s'en 
augmentent  beaucoup.  Nanci  est  donc  toujours  souf- 
frante?... 

J'ai  reçu,  la  semaine  passée,  la  visite  d'une  dame 
Boissat1,  tante  deCasimirFaure;  elle  m'avait  été  annoncée 
par  une  lettre  d'Amédée;  je  ne  me  trouvais  pas  à  la 
maison,  et  il  s'agissait  d'un  petit  service  à  lui  rendre 
pour  les  concerts  du  Conservatoire,  qui  était  malheu- 
reusement tout  à  fait  hors  de  ma  portée.  Je  lui  ai  écrit, 
faute  de  temps  pour  l'aller  voir. 

Je  ne  puis  faire  aucune  visite;  mon  Requiem  m'occupe 
exclusivement  du  matin  au  soir  et  me  permet  à  peine 
le  travail  obligé  des  feuilletons.  Celle  affaire,  après 
quelques  traverses  suscitées  par  Cherubini,  qui  voulait 
faire  exécuter  aux  Invalides  un  nouveau  Requiem  qu'il 
vient  de  composer,  s'est  terminée  cependanl  d'une  ma- 

1 .  De  Vienne. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  330 

nière  honorable  pour  lui  (Cherubini)  et  pour  M.  Gas- 
parin,  qui  m'avait  offert  de  faire  cet  ouvrage. 

Le  ministre  m'a  demandé  si  je  voulais  accepter  quatre 
mille  francs;  je  n'ai  pas  cru  devoir  liarder  à  cette  occa- 
sion, bien  que  ce  soit  payé  d'une  façon  assez  mesquine, 
parce  que  les  frais  d'exécution  seront  énormes  ;  j'ai  exigé 
cinq  cents  musiciens  et  j'en  aurai  quatre  cent  trente. 

Enfin  l'arrêté  ministériel  estsignédepuistroissemaines, 
cl  je  le  tiens  dans  mon  secrétaire  ;  il  n'y  a  plus  de  dan- 
ger de  ce  côté-là1.  Dans  deux  mois  j'aurai  fini,  je  l'es- 
père. J'ai  eu  de  la  peine  à  dominer  mon  sujel  ;  dans 
les  premiers  jours,  celle  poésie  de  la  Prose  des  morts 
m'avait  enivré  et  exalté  à  tel  point  que  rien  de  lucide 
ne  se  présentail  à  mon  esprit,  ma  tête  bouillait,  j'avais 
des  vertiges.  Aujourd'hui  l'éruption  est  réglée,  la  lave 
a  creusé  son  lit,  el,  Dieu  aidant,  tout  ira  bien.  C'est  une 
grande  affaire  !  Je  vais  encore  sans  doute  m'attirer  le 
reproche  d'innovation,  parce  que  j'ai  voulu  ramener 
celle  partie  de  l'art  à  une  vérité  dont  Mozart  el  Cheru- 
bini m'ont  paru  s'éloigner  bieo  souvent.  Puis  il  y  a  des 
combinaisons  formidables  qu'on  n'a  heureusement  pas 
encore  tentées  e1  dont  j'ai  eu,  je  pense,  le  premier  l'idée. 

Adieu,  adieu. 

Ton  affectionné  frère. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

1.  Cet  arrêté  avait  été  signé  fort  à  temps,  car,  à  l'heure  même 
où  Berlioz  écrivail  celte  Lettre,  le  comte  de  Gasparin,  entraîné  dans 
la  chute  du  ministère  Guizot,  venait  de  quitter  le  pouvoir, 


340  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


VI 


A    FRANZ     LISZT   ' 

Paris,  22  mai  1837. 
Cher  ami, 
J'ai  deux  ou  trois  choses  à  te  demander  : 
1°  Fais-moi  le  plaisir  d'analyser,  pour  la  Gazette  mu- 
sicale, les  œuvres  de  Schumann  que  je  t'ai  envoyées  ; 
ce  sera  d'un  très  grand  intérêt  sous  tous  les  rapports, 
car  tu  es  le  seul,  ce  me  semble,  qui  puisse  le  faire  d'une 
manière  complète.  Schlesinger  est  arrivé  depuis  huit 
jours,  la  Gazette  ne  me  regarde  plus,  mais  je  voudrais 
bien  ne  pas  manquer  de  parole  à  Schumann,  à  qui 
j'avais  fait  espérer   une  critique  de  ta   façon   sur   ses 
œuvres  *  ; 

2°  Si  tu  en  as  le  temps,  arrange  donc  l'ouverture  du 
Roi  Lear;  je  n'ai  pas  de  raisons  comme  pour  les  sym- 
phonies de  retarder  la  publication  de  ce  morceau;  au 
contraire  je  serais  bien  aise  qu'il  parût 3  : 

1.  Cette  lettre  à  Liszt  et  la  suivants  (du  20  juillet)  sont  adressées 
;'i  Monsieur  Liszt,  chez  madame  Dudcranl,  <t  Lu  l'Iuilre  (Indre). 

2.  Nous  verrons  Berlioz  insister  deux  fois  encore  (lettres  «lu 
15  juin  et  du  20  juillet)  pour  obtenir  de  Liszt  renvoi  de  eetartiele, 
qui  parut  enfin  dans  la  Gazelle  musicale  Le  \i  novembre  1837. 

S.  Nous  n'avons  pas  connaissance  que  la  transcription  de  l'ou- 
verture du  Roi  Lear  par  Liszt  ait  été  publiée.  tVoir.  ci-après,  lettre 
du  8  février  1838:  «  Richault...  ne  >'< -n  soucie  pas.  ») 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  341 

3°  Dis-moi  si,  décidément,  tu  viendras  à  Paris  au 
mois  de  juillet,  car  ta  dernière  lettre  semblait  indiquer 
le  contraire.  Mon  Requiem  est  fini,  je  me  débals  avec  la 
matière.  Ce  sont  les  copistes,  les  lithographes,  les  char- 
pentiers qui  se  me  disputent,  sans  compter  Cave1. 

Tu  feras  bien  d'envoyer  le  plus  tôt  possible  ton  tra- 
vail sur  Esmeralda  à  mademoiselle  Bertin;  elle  venait 
justement,  quand  j'ai  reçu  ta  lettre,  de  me  prier  de 
t'écrire  à  ce  sujet. 

Je  viens  de  lire  Mauprat;  fais-en  mon  compliment  à 
l'auteur.  C'est  d'un  extrême  intérêt;  et  puis  quelle  vita- 
lité endiablée  de  style!  !  !  Si  jamais  madame  Sand  fait 
un  drame,  on  ne  s'y  endormira  pas,  j'en  réponds. 
A  propos,  dis-moi  quelque  chose  de  l'idée  dont  nous 
avions  parlé;  qu'en  pense-t-elle  réellement?  A  ce  sujet, 
je  dois  avouer  que  la  semaine  dernière  Henriette  a  joué 
le  cinquième  acte  de  Jane  Shoi'e  chez  M.  de  Castellane, 
et  que  vraiment  c'était  beau,  très  beau!  Je  ne  crois  pas 
que  l'alliance  de  la  vérité  et  de  la  poésie  dramatique  ait 
encore  été  aussi  intime  chez  une  actrice3. 


1.  Chef  iln  bureau  des  Beaux-Arts,  que  Berlioz  accusait  de  lui 
être  hostile. 

2.  Après  avoir  lu  ce  paragraphe,  si  l'on  se  souvient  de  la 
démarche  antérieurement  faite  par  Berlioz  et  sa  femme  auprès  de 
Victor  Hugo  pour  le  prier  d'écrire  un  drame  dont  un  rôle  pourrait 
être  confié  à  Henriette  (voir  ci-dessus,  lettre  du  17  avril  183a),  on 
a  supposer  que,  n'ayant  pas  réussi  à  persuader  le  poète,  ils  recom- 
mencèrent la  tentative  auprès  de  George  Sand,  et  que  tel  est  le 
sens  et  la  raison  principale  de  cette  lettre  adressée  à  Liszt,  et  de 
la  suivante  à  madame  d'AgOult,  l'un  et  l'autre,  à  ce  moment,  hôtes 


3  42  LKS   ANNÉES   romantiques. 

Adieu;  mes  hommages  à  madame  d'Agoult1  ot  à  ma- 
dame Sand.  A  toi  ma  vive  et  solide  affection. 

H.     BERLIOZ. 

Communiqué  pur  il.  Emile  Ollivier. 


VII 


A    MADAME    D  AGODLT 

Paris,  15  juin  1837. 
Madame, 
Nous  sommes  bien  reconnaissants,  ma  femme  et  moi, 
de  l'intérêt  que  vous  voulez  bien  prendre  au  projet  qui 
nous  préoccupe  2  ;  sans  manquer  de  confiance  dans  la 
bonté  et  le  sentiment  artiste  de  madame  Sand,  il  ne 
fallait  rien  moins,  je  l'avoue,  que  l'appui  d'un  intermé- 
diaire tel  que  vous  pour  me  décider  à  lui  faire  une 
demande  pareille.  Puisque  notre  idée  ne  lui  paraît  pas 
inadmissible,  et  que  déjà  même  au  milieu  de  ses  tra- 
vaux elle  a  pu  trouver  quelques  instants  pour  y  songer. 
je  vais  l'en  remercier  et  en  causer  avec  elle  directement. 

de  Nohant.  On  voit  en  tout  cas,  par  les  derniers  mots  que,  même  à 
cette  époque,  Henriette  Smithson  n'avait  p;is  encore  renoncé  défini- 
tivement au  théâtre. 

1.  La  comtesse  d'Agoult,  connue  en  littérature  sous  le  peeudo- 
nj  me  de  Daniel  Stern,  l'une  des  compagnes  de  Liszt,  mère  de 
madame  Cosima  Wagner  el  de  madame  Emile  ollivier. 

■2.  Voir  la  lettre  précédente. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  3i3 

Le  voyage  d'Italie  vous  sourit  beaucoup,  madame,  et 
pourtant  ce  sera,  je  crois,  votre  première  visite  à  ce 
beau  pays;  si  vous  en  étiez  à  la  seconde,  voire  joie  de 
le  retrouver  dépasserait  de  beaucoup  l'empressement 
que  vous  montrez  de  le  connaître.  Dieu  vous  garde  seu- 
lement des  cierroni,  des  douaniers,  des  Autrichiens, 
des  touristes,  des  conversations  romaines,  des  traduc- 
tions de  Scribe  et  des  opéras  de  Vaccaï. 

Je  ne  saurais  en  vouloir  à  Liszt  de  ne  pas  venir  à 
Paris  au  mois  de  juillet,  comme  il  me  l'avait  fait  espé- 
rer; les  séductions  qui  l'entraînent  au  delà  des  Alpes 
sont  trop  fortes  et  je  suis  heureux  de  son  bonheur. 
Quand  vous  serez  à  Naples,  quand  Liszt  sentira  le 
besoin  d'une  de  ces  grandes  émotions,  à  la  poursuite 
desquelles  nous  nous  sommes  tant  fatigués  l'un  et 
l'autre,  et  que  l'art  italien  ne  donnera  jamais,  qu'il 
gravisse  un  soir  le  Pausilippe,  que  du  sommet  de  cette 
colline  chère  à  Virgile,  il  écoute  les  arpèges  infinis  de 
la  mer,  pendant  que  le  soleil,  ce  fastueux  soleil  si  diffé- 
rent du  nôtre,  descendra  lentement  derrière  le  cap 
Misène,  colorant  de  ses  derniers  rayons  les  pâles  oliviers 
deNisida...  voilà  un  concert  digne  de  vous  et  de  lui. 
et  le  seul  que  je  vous  recommande. 

Nous  avez  bien  raison,  madame,  de  regarder  la  vie 
de  Paris  comme  une  lutte  désespérée;  mais  quelques 
heures  de  calme  passées  à  Caprée  ou  à  Ainalli  vous 
auront  bientôt  fait  oublier  et  la  Grand-Ville  et  les  pau- 
vres galériens  que  vous  y  laissez. 


34 1  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Ils  n'en  forment  pas  moins  des  souhaits  bien  sincères 
pour  votre  voyage. 

J'ai  l'honneur  d'être,  madame,  votre  dévoué  servi- 
teur, 

II .    BERLIOZ. 

P.-S.  —  Je  prie  Liszt  de  ne  pas  oublier  mon  manus- 
crit du  Roi  Lear  en  m'envoyant  le  sien.  J'attends  son 
article  sur  Schumann  avec  impatience. 

Communiqué  par  M.  Emile  Ollivier. 

La  partition  autographe  du  Requiem  (appartenant  à  la 
Bibliothèque  du  Conservatoire)  est  datée  de  Paris,  29  juin 
1837. 

L'œuvre  terminée,  les  parties  copiées  et  les  répétitions 
commencées,  il  vint  un  ordre  de  surseoir  à  l'exécution.  Les 
lettres  suivantes  se  rapportent  à  ce  contre-temps. 


VIII 

A    BOTTÉE    DE   TO ULMO N ' 

18  juillet  1837. 

Mon  cher  Bottée, 
Vous  êtes  mille  fois  bon  d'avoir  pensé  à  m'écrire.  Il 
est  de  fait  que  la  vague  était  cette  fois  haute  et  longue 

1 .  Bibliothécaire  du  Conservatoire  ;  a  écrit  dans  la  Gazette  musi- 
cale un  long  et  élogieux  compte  rendu  du  Requiem  de  Berlioz, 
après  sa  première  audition. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  3io 

et  que,  malgré  mou  habitude  à  en  laisser  passer  sur  ma 
tèle  sans  craindre  de  me  noyer.  j*ai  cru  un  instant  que 
la  respiration  allait  me  manquer.  Mais  c'est  fini,...  prêt 
à  recommencer.  L'ouvrage  existe,  c'est  toujours  ça.  Nous 
trouverons  bien  l'occasion  de  le  faire  entendre  plus 
tard.  Les  répétitions  partielles  des  voix  marchaient  si 
bien  !  En  vérité  il  faut  que  l'enfer  s'en  mêle. 

Mille  tonnerres  !! 

Mais,  je  vous  l'ai  dit,  je  les  délit.'  a  lu  patience. 

Mille  amitiés  bien  sincères. 


11.    BKHI.IOZ 


Communiqué  par  M.  Ch.  Malherbe. 


IX 


A    bJETSCH 


Paris,  juillet,  18  3 

Mon  cher  Dietsch, 
Vous  savez  sans  doute  déjà  que  toute  mon  allaire  est 
renversée  jusqu'à  nouvel  ordre  par  une  décision  minis- 
térielle qui  annule  la  cérémonie  funèbre  des  Invalides. 
Je  vous  en  préviens  encore  dans  le  cas  où  vous  n'en 
Feriez  pas  instruit,  pour  vous  éviter  la  peine  de  venir 
du  Conservatoire  avec  vos  gamins  demain  malin. 


346  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Vous  imaginez  dans  quelle  situation  d'esprit  cet  infer- 
nal contre-temps  à  dû  me  mettre.  J'en  suis  malade 
dans  toute  la  force  du  terme. 

Adieu,  je  vous  reverrai  ces  jours-ci  ;  tout  à  vous, 

H  .    BERLIOZ. 
Bibliothèque  publique  de  New-York,  Collection  Urcrd. 

Dietsch,  plus  tard,  chef  d'orchestre  à  l'Opéra  el  auteur  de 
la  musique  du  Vaisseau  fantôme  (d'après  le  poème  de  Wa- 
gner),fut  d'abord  maître  de  chapelle  à  Saint-Eustache,  puis 
à  la  Madeleine. 

a  isrizeux,  -27  juillet  1827  (Citai,  d'au togr.J.  Charavay, 
395).  Il  l'informe  que  le  ministre,  pour  ration  politique, 
vient  d'interdire  l'exécution  de  son  Requiem.  «  On  m*a  inter- 
rompu au  milieu  de  mes  répétitions.  C'est  infâme.  » 


A    FRANZ    LISZT 

[Par  s, ,  26  juillet  1837. 

Mon  cher  ami, 

J'ai  fait  ta  commission  auprès  de  M.  Bertin.  Armand 
fera  remettre  les  cinq  cents  francs  chez  ta  mère. 

Remercie  mille  fois  pour  Henriette  et  pour  moi 
madame  Sand  de  sa  gracieuse  promesse,  en  attendant 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  347 

que  nous  puissions  lui  en  parler  directement.  Viendra- 
t-elle  bientôt  à  Paris  ?... 

Tu  sais  peut -être  déjà  le  nouveau  coup  de  massue 
que  je  viens  de  recevoir!  Heureusement  j'ai  la  tète  dure, 
et  il  faudrait  un  fameux  tomahawk  pour  me  la  casser. 
Le  Conseil  des  ministres,  après  trois  jours  d'indécision, 
a  décidément  supprimé  la  fête  funèbre  des  Invalides. 
Qu'il  ne  soit  plus  question  des  héros  de  Juillet  !  Malheur 
aux  vaincus!  et  malheur  aux  vainqueurs  !  En  consé- 
quence, après  trois  répétitions  partielles  des  voix,  j'ai 
appris  par  hasard  (car  on  me  laissait  faire  i  que  la  céré- 
monie n'aurait  pas  lieu  et  que  mon  Requiem,  par  consé- 
quent, ne  serait  pas  exécuté.  Dis-moi  s'il  n'y  a  pas  là  de 
quoi  souiller  comme  un  cachalot  !  Tout  marchait  à 
souhait,  j'étais  sur  de  mon  affaire,  l'ensemble  des  quatre 
cent  vingt  musiciens  était  disposé  et  accordé  comme  un 
de  tes  excellents  pianos  d'Érard,  rien  ne  pouvait  man- 
quer, et  je  crois  qu'on  allait  entendre  bien  des  choses 
pour  la  première  fois. 

La  politique  est  venue  y  mettre  bon  ordre.  J'en  suis 
encore  un  peu  malade.  Voilà  à  quoi  s'expose  l'art  en 
acceptant  l'aide  d'un  pouvoir  aussi  mal  assis  que  le 
nôtre.  Mais,  faute  d'autre,  il  faut  bien  admettre  cet 
appui,  tout  incertain  qu'il  soit.  Oh  les  gouvernements 
représentatifs,  et  à  bon  marché  encore,  stupide  farce  ! 

Mais  ne  parlons  pas  de  ça,  nous  nous  entendrions, 
je  crois,  assez  peu.  Heureusement  nos  sympathies  sont 
les  mêmes  pour  tout  le  reste. 


348  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES. 

Adieu  !  adieu  !  Mille  amitiés.  Mes  hommages  à  ces 
dames. 

H.  BERLIOZ. 

J'attends  la  musique  et  ton  article  sur  Schumann. 

Communiqué  par  M.  Emile  OUtvier  (reproduit dans  le  Gaulois 
du  2  janvier  1896-. 


XI 


A    SON    PERE 

■20  juillet  1837. 

Cher  père, 

J'ai  tardé  jusqu'ici  à  vous  faire  part  de  la  nouvelle 
gredinerie  ministérielle  que  je  viens  d'essuyer,  parce 
que  j'espérais  toujours  avoir  à  vous  apprendre  quelque 
chose  de  propre  à  en  adoucir  l'effet.  Mais  rien  ne  se 
termine,  et  je  ne  veux  pas  vous  laisser  plus  longtemps 
dans  l'inquiétude. 

Voilà  le  fait  :  deux  cent  mille  francs  ont  été  votés 
par  les  Chambres  pour  les  fêtes  do  Juillet,  la  cérémonie 
funèbre  en  avait  sa  part,  j'en  suis  sur:  M.  Gasparin  m'a 
montré  lo  procès-verbal  de  la  séance  de  la  Chambre  des 
députés. 

J'avais,  comme  vous  savez,  un  arrêté  bien  en  règle, 


LES   ANNÉES   ROMANTIQUES  «  349 

c'est-à-dire  un  contrat  passé  entre  le  gouvernement  et 
moi,  pour  la  composition  de  ce  Requiem  ;  il  en  assurait 
l'exécution  au  28  juillet.  Malgré  cela,  la  cérémonie  des 
Invalides  ayant  été  supprimée  cette  année  par  raison  po- 
litique, on  s'est  dispensé  d'exécuter  mon  ouvrage,  bien 
cpie  toutes  les  églises  de  Paris  tendues  de  noir  aient 
célébré  des  messes  de  morts  pour  les  victimes  de  Juillet. 
Je  demande  en  quoi  la  suppression  de  la  cérémonie  des 
Invalides  et  l'exécution  de  mon  ouvrage  étaient  incon- 
ciliables, la  fête  funèbre  n'étant  pas  supprimée?  En  au- 
cune façon.  Je  ne  demandais  pas  de  catafalque  de  vingt 
mille  francs,  de  tentures  au  dedans  et  au  dehors  ;  loin 
de  là,  j'avais  manifesté  dès  l'origine  le  désir  qu'il  n'y 
eût  lien  de  tout  cela,  l'effet  musical  étant  à  peu  près 
impossible  avec  cet  appareil. 

Les  raisons  véritables  ne  sont  autres  qu'une  sale  lési- 
nerie  et  l'impudeur  avec  laquelle  on  se  joue  aujour- 
d'hui des  engagements  contractés.  On  économisera  de 
la  sorte  une  quinzaine  de  mille  francs,  et  Dieu  sait  où 
ils  passeront. 

M.  de  Montalivet  m'a  fait  demander  comment  il  pour- 
rait me  dédommager  de  cocon  Ire-temps  dont  la  raison 
politique  est  seule  cause,  proteste-t-il  :  j'ai  répondu  que 
dans  une  affaire  de  celle  nature  il  n'y  avait  pas  de  dé- 
dommagement possible  autre  que  l'exécution  de  mon 
ouvrage. 

Le  Journal  des  Débats  s'est  fâché,  Armand  Berlin  a 
écrit  à  Montalivet  une  lettre  foudroyante  que  j'ai  vue  et 

20 


350  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

remise  moi-même.  Rien  n'y  a  fait,  toujours  mêmes 
protestations;  c'est  une  décision  du  Conseil  des  mi- 
nistres, etc.,  et  autres  farces  de  même  valeur. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  :  il  s'agit  de  me  payer  les  frais 
faits:  M.  Montalivet  veut  bien  ne  pas  se  refuser  à  les 
reconnaître.  Il  y  a  d'abord  quatre  mille  francs  pour 
moi,  puis  trois  mille  huit  cents  francs  de  copie,  et  de 
plus  les  frais  de  trois  répétitions  partielles  des  chœurs. 
Car  je  me  préparais,  tout  marchait  à  souhait,  je  n'eusse 
jamais  été  exécuté  de  la  sorte,  et  c'était  merveille  de 
voir  comme  ces  masses  vocales  s'animaient.  Malheureu- 
sement je  n'ai  pu  aller  jusqu'à  une  répétition  générale 
de  sorte  que  je  n'ai  pas  même  pu  faire  connaître  aux 
artistes  cette  immense  partition  qui  excite  si  fort  leur 
curiosité.  J'appelle  une  telle  conduite  du  gouvernement 
tout  bonnement  un  vol.  On  me  vole  mon  présent  et  mon 
avenir,  car  cette  exécution  avait  pour  moi  de  grandes 
conséquences.  Un  ministre  n'eût  pas  osé,  sous  l'Empire, 
se  comporter  de  la  sorte,  et,  l'eùt-il  fait,  je  crois  que 
.Napoléon  l'eût  tancé  d'importance;  car  enfin,  je  le  ré- 
pète, c'est  un  vol  manifeste. 

On  vient  me  chercher,  on  me  demande  si  je  veux 
écrire  cet  ouvrage,  je  fais  mes  conditions  (musicales), 
on  les  accepte  ;  on  me  propose  quatre  mille  francs,  je 
ne  les  refuse  pas:  on  me  promet  par  écrit  l'exécution 
au  28  juillet  ;  je  finis  ma  musique,  tout  est  prêt,  et  mi 
refuse  d'aller  plue  loin.  Le  gouvernement  se  dispense 
de  tenir  la  clause  importante  de  l'engagement  contracté 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES,  3ol 

avec  moi;  c'est  donc  un  abus  de  confiance,  un  abus  de 
pouvoir,  une  saleté,  un  tour  de  gobelet,  un  vol. 

A  présent,  me  voilà  avec  le  plus  grand  ouvrage  mu- 
sical qu'on  ait  jamais  écrit,  je  pense,  comme  Robinson 
avec  son  canot  :  impossible  de  le  lancer.  Il  faut  une 
vaste  église  et  quatre  cents  musiciens... 

Rien  n'est  encore  terminé  quant  au  paiement  des 
sommes  dues,  et  je  parie  que  je  vais  encore  perdre  un 
temps  précieux  en  courses  pour  leur  arracher  cet  argent. 

Il  est  question  de  me  nommer  inspecteur  général  de 
l'enseignement  musical  dans  les  écoles  primaires.  Le 
ministre  de  l'Instruction  publique,  M.  Salvandy,  na- 
guère mon  collaborateur  aux  Débats  (bien  que  je  ne  le 
connaisse  pas),  est  disposé  à  créer  cette  place  pour  moi. 
Je  n'y  compte  pas  plus  que  sur  le  reste.  A  présent  on 
n'est  sûr  que  de  ce  qu'on  lient. 

N'importe!  Le  Requiem  existe,  et  je  vous  jure,  mon 
père,  que  c'est  quelque  chose  qui  marquera  dans  l'art  : 
je  viendrai  bien  à  bout,  tôtou  lard,  de  le  faire  entendre. 

Henriette  et  Louis  se  portent  bien:  nous  avons  eu 
dernièrement  un  moment  de  vives  inquiétudes  pour  le 
pauvre  enfant  que  menaçait  une  congestion  cérébrale; 
combattue  à  temps,  elle  s'est  dissipée  et  il  est  aujour- 
d'hui parfaitement  remis. 

Henriette  a  été  surprise,  il  y  a  quelques  semaines,  par 
une  visite  bien  inattendue.  C'était  un  chevalier  d'hon- 
neur de  la  princesse  Hélène  qui  venait  de  sa  part  la 
complimenter.  La  duchesse  d'Orléans  lui  taisait  témoi- 


352  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

gner  ses  regrets  de  n'avoir  pas  pu,  aux  fêles  de  Ver- 
sailles, trouver  l'occasion  d'admirer  son  talent,  et  lui 
envoyait  en  même  temps  un  présent  de  cinq  cents 
francs.  Il  y  a  quelque  chose  de  gauche  et  de  bon  en 
même  temps  dans  celle  démarche,  que  nous  sommes 
encore  à  comprendre. 

Le  voyage  de  mes  sœurs  est  donc  ajourné  indéfini- 
ment? Je  prie  maman  de  m'écrire  à  ce  sujet;  je  ne  vois 
pas  bien  comment  Camille  n'a  pu  obtenir  de  congé. 

Et  vous,  cher  papa,  la  vie  des  champs  vous  plaît-elle 
toujours  autant  ?  Il  y  a  bien  longtemps,  bien  longtemps 
que  vous  ne  m'avez  écrit,  et  je  serais  bien  heureux 
d'une  lettre  de  vous. 

P. -S.  — Bonjour,  Adèle. 

Prosper,  as-tu  fait  une  bonne  chasse?... 

Communique  par  madame  Cliapot. 

L'irritation  ressentie  par  Berlioz  se  traduisit  encore  par 
lu  composition  de  la  nouvelle  :  Un  premier  opéra,  qu'il 
donna  d'abord  dans  la  Gazette  musicale  el  reproduisit  dans 
Les  Soirées  de  l'orchestre.  En  voici  le  sujet  :  un  altiste  ita- 
lien, Alfonso  délia  Viola,  a  reçu  d'un  grand  seigneur  la 
commande  d'un  opéra.  .Mais  au  moment  où  cette  œuvre 
va  être  jouer,  le  seigneur  décide  que  la  représentation 
n'aura  pas  lieu  :  il  a  changé  d'idée!  La  nouvelle,  dans 
les  développements  de  laquelle  on  reconnaît  tous  les  épisodes 
de  l'histoire  du  fietjuinn.  s'au  liève  par  un  récit  imaginaire 
de  la  vengeance  du  musicien. 

I.a  prise  de  Constantine  1 1 1  octobre  1837)  et  la  mort  du 
général    Damrémonl     furent    l'occasion    d'une    cérémonie 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  353 

funèbre  dans  laquelle,  après  les  démarches  dont  témoignent 
les  lettres  suivantes,  le  Requiem  de  Berlioz  pul  être  enfin 
exécuté. 


XII 

A  U    M I N I S TR  E    D  E    L  A    GUERRE1 

Paris,  30  octobre  1837. 

Monsieur  le  ministre, 

Une  messe  de  Requiem  me  fut  demandée  par  M.  Gas- 
parin  au  mois  de  mars  dernier  pour  les  fêtes  funèbres 
de  Juillet;  ma  composition  ne  fut  pas  exécutée  cepen- 
dant, à  cause  de  la  suppression  de  la  cérémonie  des 
Invalides.  M.  le  comte  de  Monlalivet  veut  bien  s'inté- 
resser à  l'exécution  de  mon  ouvrage.  Une  circonstance 
se  prépare  à  l'occasion  de  la  mort  du  général  Damré- 
mont,  où  il  pourrait  se  plaeer  tout  naturellement. 
Veuillez,  monsieur  le  baron,  le  choisir  pour  celle  solen- 
nité et,  dans  le  cas  où  ma  demande  sérail  accueillie, 
me  faire  prévenir  assez  tôt  pour  que  je  puisse  me  mettre 
en  mesure.  C'est  un  ouvrage  nouveau,  conçu  sur  un 
plan  très  vaste  ;  il  exige,  en  conséquence,  plusieurs 
répétitions. 

Les  frais  de  copie  et  de  composition  oui  été  faits  déjà 
par  le  ministre  de  l'Intérieur. 

1.  Général  Bernard. 

-20. 


354  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Je  suis,  avec  respect,  monsieur  le  ministre,  votre  très 
humble  serviteur. 

H.    BERLIOZ. 

Bibliothèque  de  Grenoble.  Autographes,  n°  532. 


XIII 

A    ALEXANDRE    DUMAS 

Lnndi  [23  octobre  1837J. 

Mon  cher  Dumas, 

Ruolz1  doit  vous  voir  demain,  mardi,  au  sujet  d'une 
affaire  musicale  que  vous  pourriez  faire  réussir  et  qui 
m'intéresse  vivement.  Seriez-vous  assez  bon  pour  me 
donner  encore  un  coup  d'épaule  ?  Il  s'agit  de  faire  exé- 
cuter mon  malencontreux  Requiem  dans  une  cérémonie 
que  motiverait  la  prise  de  Constantine.  Si  le  duc  d'Or- 
léans voulait,  ce  serait  très  aisé.  J'irai  vous  voir  pour 
en  causer  plus  au  long. 

Tout  à  vous, 

II.    KERI.IOZ. 

Monsieur,  Mons.  Alex.  Dumas. 
21    ou   22,   rue  de   Rivoli,    l'uris. 

Communii/if  par  M.  Maurice  Tourneux. 

1.  Henri  de  Ruolz,  Buteur  d'un  opéra,  /</  Vendetta,  représenté  à 
Paria  en  1S39. 


LES    INNÉES    ROMANTIQUES.  3oo 

Le  billet  que  voici  fait  une  aimable  diversion  aux  préoc- 
cupations causées  par  le  Requiem. 


XIV 

\     SA     SOEUB     ADÈLE 

No\embre  1837 
Chère  Adèle, 

Louis,  pour  te  remercier  du  joli  petit  palapon  (panta- 
lon) que  tu  lui  as  brodé, t'envoie  une  corbeille  à  ouvrage 
que  mon  oncle  te  remettra;  je  souhaite  qu'elle  te  plaise. 
Henriette  m'a  bien  recommandé  de  la  choisir  simple  et 
de  bon  goût,  je  crains  de  n'avoir  pas  tout  à  fait  trouvé 
ce  qu'il  faut  pour  justifier  ces  deux  épithètes  ;  mais  tu 
m'excuseras,  je  n'y  connais  rien. 

Adieu.  —  Ton  frère, 

11.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  <  hapol. 

Le  Requiem  de  Berlioz  fut  exécuté  aux  Invalides  le  5  dé- 
cembre 1837. 


XV 


\    SA    MER E 

Paris,  17  décembre  [1837  . 
Voilà  où  j'en  suis,  obère  maman  :  quant  au  mural, 
on  ne  m'a  pas  encore  paye,  mais  l'ordonnance  du 
payement  est  faite,  elle  sera  signée  demain,  ei  je  sais 


356  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

que  M.  de  Montalivet  s'est  cru  obligé  d'ajouter  aux 
quatre  mille  francs  promis  par  l'arrêté  de  M.  Gas- 
parin  une  gratification  de  quinze  cents  francs.  A  pré- 
sent il  s'agit  de  m'acheter  mon  ouvrage,  qui  de- 
viendrait propriété  nationale  :  les  chefs  de  bureau  du 
ministère  m'ont  confié  cela  ce  matin  :  je  ne  sais  à  cet 
égard  rien  de  positif,  j'ignore  également  combien  on 
compte  m'offrir  de  ma  partition  et  si  Ton  entend  la 
garder  en  manuscrit  ou  la  faire  graver  aux  frais  du  gou- 
vernement; quoi  qu'il  en  soit,  tout  va  assez  bien.  Je 
vous  ai  envoyé  une  vingtaine  de  journaux  en  deux  fois  ; 
je  pense  qu'ils  vous  sont  tous  parvenus.  La  presse 
anglaise  a  été  aussi  très  bonne,  de  sorte  que  nous  pou- 
vons nous  flatter  de  faire  un  tapage  d'enfer  dans  les 
quatre  parties  du  monde.  Tout  cela  arrange  fort  bien 
mes  affaires  à  l'Opéra,  et  je  suis  à  peu  près  sur  à.  pré- 
sent, quand  cet  interminable  opéra  d'Halévy  qu'on 
répète  depuis  huit  mois  sera  monté,  d'être  mis  à  l'étude. 

La  seule  chance  contraire  est  peu  probable  :  il  fau- 
drait qu'Auber  (qui  a  un  engagement  antérieur  au 
mien)  fît  un  opéra  en  cinq  actes  en  quatre  mois. 

Votre  triple  lettre  m'a  fait  bien  plaisir,  chère  maman, 
remerciez  bien  pour  moi  Nanci  el  Camille  de  leur  bon 
souvenir;  j'écrirai  à  Nanci  prochainement.  Adèle  est 
toujours  la  même  charmante  enfant  que  je  connaissais. 
et  je  l'embrasse  <t  tout  rompre  comme  elle  m'applaudit. 
Je  suis  fâché  que  personne  ne  m'ait  dit  un  mot  de 
Prosper;   il  ost,    je    pense,   devenu   raisonnablement 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  357 

grand  et  grandement  raisonnable.  S'il  veut  me  faire 
plaisir,  il  m'écrira  une  longue  lettre  sans  régler  son 
papier  et  sans  endimancher  sos  phrases. 

Mon  père  avait  été  fort  contrarié  des  incidents  qui 
ont  retardé  l'exécution  de  mon  Requiem,  il  est  sans 
doute  content  aujourd'hui:  nous  n'avons  rien  perdu 
pour  attendre.  Cherubini  a  été  un  peu  étrangement 
surpris  de  voir  le  bibliothécaire  de  son  Conservatoire 
énoncer  clans  la  Gazette  musicale  des  opinions  aussi 
audacieuses  à  mon  sujet1:  toutefois  il  paraît  que  la  lettre 
du  ministre  de  la  guerre  •  lui  a  dr'plu  davantage.  Los 
académiciens  de  la  section  de  musique,  en  général,  ne 
sont  pas  gais. 

Vous  savez  qu'Alphonse  est  depuis  assez  longtemps 
malade  d'un  rhumatisme  aigu  qui  l'a  cloué  assez 
rudement  dans  son  lit  ;  je  l'ai  vu  il  y  a  quatre  jours,  il 
craint  d'en  avoir  pour  longtemps  encore. 

Henriette  est  un  pou  malade  aussi  d'un  rhume  vio- 
lent ;  il  n'y  a  que  Louis  do  vraiment  bien  portant,  car 
j'ai  un  léger  mal  de  gorge. 

Adieu,  chère  mère,  mille  bonjours  à  tous  mes  amis 
de  la  Côte  :  je  charge  Adèle  d'embrasser  mou  père  et 
vous,  et  même  Prosper,  dont  on  no  me  dit  rien. 

H.    BERLIOZ, 
Communiqué  par  madame  Cluijwt. 

1.  Bottée  de  Toulmon  :  voir  ci-dessus,  lettre  du  18  juillet. 

2.  La  lettre  de  félicitations  que  le  général  Bernard  écrivit  à  Ber- 
lioz avait  été  reproduite  parla  Gazette  musical'  10  décembre  Ki"  . 


358  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

a  iiumbert  ferrand,  17  décembre  1837  (Let.  int., 
178).  «  Le  Requiem  a  été  bien  bien  exécuté:  l'effet  en  a  été 
terrible  sur  la  grande  majorité  des  auditeurs  :  la  minorité, 
qui  n'a  rien  senti  ni  compris,  ne  sait  trop  que  dire...  Le 
tour  de  l'Opéra  arrivera  peut-être  bientôt:  ce  succès  a  joli- 
ment arrangé  mes  affaires.  » 

a  Maurice  schlesinger.  Paris.  7  janvier  1838 (Corresp. 
inéd.  1±2,  lettre  parue  dans  la  Gazette  musicale).  Il  lui 
demande  de  le  dispenser  de  rédiger  quelques  articles  afin 
de  pouvoir  travailler  librement  à  l'achèvement  de  son 
opéra  (Bcni-enuto  Cellini). 


XVI 


A     S  A     M ERE 

Paris,  18  janvier  1838. 

Chère  maman, 
Je  reçois  à  l'instant  la  lettre  d'Adèle  qui  m'annonce 
la  continuation  de  votre  maladie  :  j'avais  pensé  d'après 
sa  première  lettre  que  vous  n'éprouviez  qu'un  de  ces 
malaises  passagers  auxquels  malheureusement  vous 
êtes  fort  sujette  depuis  quelques  années,  mais  il 
paraît  que  c'est  plus  sérieux  et  qu'il  s'agit  même  d'un 
rhumatisme  dans  le  genre  de  celui  qui  vient  d'éprouver 
Alphonse  si  rudement.  Il  ne  semble  pas  cependant 
que   le  vôtre  soit  d'une  aussi  grande  intensité;  mais 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  359 

vous  souffrez  beaucoup,  malgré  cela,  je  n'en  doute  pas, 
et  mon  père  n'est  pas  trop  bien  non  plus,  et  Nanci  est 
absente,  et  je  suis  ici.  Tout  vous  attriste.  Je  vous  aurais 
écrit  plus  tôt  si  je  n'eusse  voulu  attendre  de  bonnes 
nouvelles  pour  vous  les  communiquer;  loin  de  là,  j'en  ai 
une  bien  pénible  à  vous  annoncer,  celle  de  la  mort  de 
Ferdinand  de  Roger,  fils  de  notre  cousin  Raymond.  Ce 
malheureux  jeune  homme  que  je  voyais  souvent,  surtout 
pendant  que  mon  oncle  était  ici ,  a  succombé  à  vingt-cinq 
ans  à  une  petite  vérole  contluenle.  après  huit  jours  de 
souffrances  atroces.  Je  frémis  de  pensera  l'étal  de  son  père 
eu  apprenant  ce  triste  malheur;  je  l'ai  connu  ici  il  y  a 
quelques  années  et  je  sais  que  sa  tendresse  pour  son  fils 
était  excessive.  Je  viens  d'écrire  à  mon  oncle  pour 
l'informer  de  ce  cruel  avènement. 

La  semaine  est  mauvaise,  je  n'entends  parler  que  de 
catastrophes  dont  je  ne  vous  entretiendrai  pas  parce 
qu'elles  ne  vous  louchent  pas,  fort  heureusement. 
En  revenant  de  conduire  le  jeune  de  Roger  au  cimetière. 
j'apprends  la  mort  d'un  de  mes  amis  qui  habitait  Franc- 
fort; puis  l'horrible  incendie  du  Théâtre-Italien,  des 
familles  riches  hier,  aujourd'hui  sans  un  sou.  le  direc- 
teur qui  se  brise  le  crâne  en  tombant  sur  le  pavé  pour 
échapper  aux  flammes,  et  pour  compléter  tout  cela,  mes 
tracasseries  interminables  avec  le  ministre  de  l'Intérieur. 
Je  sais  que  mon  père  et  vous,  chère  maman,  attendiez 
impatiemment  de  savoir  si  j'avais  été  payé.  Eh  bien,  je 
n'ai   rien   reçu  encore.    Le  ministre  de  la  Guerre  (un 


360  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

brave  et  digue  homme)  m'a  remis  les  dix  mille  francs 
destinées  à  payer  l'exécution  de  mon  ouvrage,  de  sorte 
qu'à  cette  heure  tout  le  monde  est  payé,  excepté  moi. 
parce  que  j'ai  le  malheur  d'avoir  affaire  au  ministre  de 
l'Intérieur. 

Hier  je  suis  allé  clans  ses  bureaux  faire  une  scène  comme 
on  n'en  a,  je  crois,  jamais  vu  en  pareil  lieu  ;  j'ai  fait  dire 
à  M.  de  Montalivet  par  son  chef  de  division  que  je  serais 
honteux  d'agir  avec  mon  bottier  comme  il  se  comporte 
avec  moi.  et  que  si  je  n'étais  pas  payé  dans  le  plus  bref 
délai  je  raconterais  tous  les  infâmes  tripotages  qui  se  sont 
faits  à  mon  sujet  au  ministère,  de  manière  à  donner  aux 
journaux  de  l'opposition  ample  matière  à  scandale.  Il 
parait  qu'on  a  voulu,  avant  l'exécution  du  Requiem. 
annuler  l'arrêté  de  M.  Gasparin  et  qu'on  a  disposé  de 
mes  quatre  mille  francs,  ou,  pour  parler  français,  qu'on 
les  a  volés.  Les  quinze  cents  francs  de  gratification  ont 
disparu  de  la  mémoire  des  chefs  de  bureau  des  Beaux-Arts, 
ils  disent  à  présent  que  c'était  une  erreur.  Jamais  on  n'a  vu 
plus  complet  ramas  de  gredinset  de  voleurs.  Mais  je  serai 
payé,  il  n'y  a  pas  à  s'en  inquiéter,  ce  n'est  qu'un  relard, 
ils  oui  trop  peur  de  la  presse.  On  m'a  parlé  de  la  croix 
d'honneur  pour  l'époque  de  la  fête  du  roi,  au  mois 
de  mai.  .Nous  verrons  si  ce  sera  encore  une  mystifica 
lion.  Au  reste,  c'est  le  moindre  de  mes  soucis. 

Toutes  ces  courses  me  fonl  perdre  beaucoup  de  temps  : 
je  suis  pourtant  allé  voir  Alphonse  de  votre  part,  et  il 
était  en  pleine  convalescence  :  j'espère  qu'Adèle  in'an- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  361 

noncera  dans  peu  que  vous  allez  beaucoup  mieux  aussi. 
La  lettre  de  Prosper  m'a  fait  un  véritable  plaisir,  elle 
témoigne  des  progrès  immenses  qu'il  a  faits  depuis  deux 
ans  et  je  m'en  réjouis  avec  vous. 

Nous  allons  tous  les  trois  assez  bien.  Louis  grandit  et 
se  forme  ;  c'est  lui  qui  est  venu  m'apporter  la  lettre  de 
la  tante  Adèle,  la  sœur  de  toi,  tu  sais.  >*ous  pensons  à  lui 
trouver  dans  quelques  mois  une  école  pour  commencer 
à  le  dépayser,  car,  entre  nous,  il  est  parfaitement  gâté, 
et  ne  fait  à  peu  près  que  ce  qu'il  veut.  Henriette  le  gâte 
pourtant  moins  que  moi  qui  n'ai  guère  le  temps  d'être 
sévère.  Adieu,  chère  maman,  je  suis  bien  et  solidement 
enchaîné  ici,  sans  quoi  vous  pouvez  croire  que  je  serais 
parti  pour  vous  voir  ne  fût-ce  que  quatre  ou  cinq  jours  ; 
j'en  ai  grand  besoin,  et  je  suis  sûr  que  ma  visite  vous 
ferait  du  bien  aussi.  Mais  nous  aurons  bien  plus  tard  un 
peu  de  liberté,  et  alors...  en  attendant,  soignez-vous, 
chère  mère,  et  ne  négligez  rien  pour  chasser  les  tristes 
pensées  auxquelles  vous  vous  laissez  aller  trop  facile- 
ment. 

Je  vous  embrasse  tendrement. 

H.     BERLIOZ. 

P. -S. — >'e  faites  pas  attention  à  la  malpropreté  de  ma 
lettre,  je  ne  puis  écrire  sans  raturer  horriblement,  vous 
n'avez  pas  d'idée  de  ce  que  sont  les  manuscrits  de  mes 
articles  :  c'est  effrayant. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

21 


362  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Voici  enfin  deux  documents  qui  nous  font  apercevoir  le 
dénouement  des  difficultés  dont  il  est  question  dans  les  pré- 
cédentes lettres,  et  dont  la  réalité  nous  était  déjà  connue 
par  les  Mémoires. 

1°  Catalogue  d'autograplies  (5.  Charavay,  201):  Berlioz... 

Paris,  lo  décembre  1837.  —  Reçu  de  mille  francs  à 
valoir  sur  les  frais  de  répétitions  de  son  Requiem  exécuté 
aux  funérailles  du  général  Damrémont. 

2°  Avis  dordonnance  (comptabilité  générale  du  Mi- 
nistère de  l'Intérieur,  23  janvier  1837;  : 

A  M.  Berlioz,  compositeur/  /  .    .    .  4.000  francs. 

Pour  le  prix  d'acquisition  de  la  partition  de  la  messe 
que  vous  avez  composée  à  l'occasion  de  la  cérémonie 
funèbre  qui  a  eu  lieu  aux  Invalides  en  l'honneur  du 
général  Damrémont  et  des  autres  Français  tués  au  siège 
de  Conslantine. 

Au  bas,  signature  de  Berlioz,  précédée  des  mots: 
Acquitté,  le  1er  février  1838. 

Bibliothèque  du  Conservatoire  !  Autographes). 


LKS    ANNÉES    ROMANTIQUES.  363 

XVII 

A    IKANZ    LISZT1 

Paris,  8  février  1838. 

Ta  lettre  m'a  fait  un  bien  grand  plaisir,  mon  cher  et 
bon  ami;  d'autant  plus  grand  que  je  ne  l'espérais  pres- 
que pas.  On  accuse  les  habitants  de  Paris  d'oublier  le 
reste  du  monde,  mais  il  me  semble  que  le  reste  du 
monde  a  des  velléités  de  rendre  à  Paris  son  indifférence 
et  son  oubli.  Je  me  rappelle  le  temps  où  je  parcourais 
comme  toi  l'Italie  ;  rien  ne  me  paraissait  plus  fatigant 
alors  que  de  prendre  ma  plume  et  de  porter  ma  pensée 
sur  cette  grande,  boueuse  et  dédaigneuse  ville,  si  diffé- 
rente de  la  paisible  capitale  des  Etals  romains,  où  je 
n'aimais  qu'à  dormir,  et  de  mes  villages  favoris  des 
Abbruzes  et  de  la  Sabine,  où  j'ai  tant  chassé,  péché, 
dansé,  chanté  et  joué  de  la  guitare  Je  conçois  donc  à 
merveille  que  tu  m'aies  délaissé  si  longtemps,  et  qu'il 
ait  fallu  le  canon  des  Invalides  pour  le  rappeler  mon 
souvenir.  Je  n'ai  jamais  vu  Como  ni  ses  lacs,  mais  je 
m'en  fais  une  idée  ravissante,  et  tu  dois  t'y  trouver 
heureux.  J'ai  su  par  d'autres  que  par  toi  la  grande  sen- 

1.  Adressé  à  .Milan,  chez  l'éditeur  Ricordi. 


36 i  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

sation  que  lu  as  produite  à  Milan;  j'en  ai  dil  quelques 
mots  dans  les  Débats  et  ailleurs;  j'aurais  bien  voulu 
avoir  quelques  détails,  faute  desquels  je  n'ai  pas  osé 
m*aventurer.  Notre  ami  Heine  a  parlé  de  nous  deux  dans 
la  Gazette  musicale,  avec  autant  d'esprit  que  d'irrévé- 
rence, mais  sans  méchanceté  aucune  toutefois  ;  il  a,  en 
revanche,  tressé  pour  Chopin  une  couronne  splendide 
qu'il  mérite  au  reste  depuis  longtemps1. 

C'eût  été,  je  t'assure,  un  grand  bonheur  pour  moi  de 
l'avoir  là  quand  on  a  exécuté  le  Requiem.  Je  crois  que 
cette  grande  machine  musicale  t'aurait  semblé  fonc- 
tionner assez  bien  ;  il  y  a  eu  réellement  des  pleurs  cl 
des  grincements  de  dents;  les  pleurs  étaient  pour  l'ou- 
vrage, les  grincements  étaient  contre.  Habeneck  s'est 
tout  à  fait  rallié  (comme  on  dit  en  politique  de  certains 
légitimistes).  Cherubini  m'exècre  et  m'appelle  son  cher 
ami.  On  grave  la  partition,  lu  l'auras  dans  trois  mois  si 
la  graveuse  me  tient  parole.  A  propos  de  cette  publica- 
tion, si  tu  me  trouves  des  souscripteurs  à  Milan,  chez 
Kicordi  ou  ailleurs,  tu  me  feras  grand  plaisir;  le  prix 
de  la  souscription  est  de  trente  francs.  J'ai  eu  toutes  les 


1.  Henri  Heine  a  publié  dans  la  Gazette  musicale  des  21  janvier 
et-'»  février  1838,  sous  le  titre  de  Lettres  confidentielles  (traduction 
d'une  série  de  lettres  adressées  à  Auguste  Lewald,  directeur  de  la 
Revue  dramatique  de  Stuttgard)  deux  articles  sur  le  mouvement 
musical  à  Paris.  La  partie  consacrée  à  Berlioz,  toute  sympa- 
thique en  sa  forme  humoristique,  a  été  reproduite  ou  résumée  dans 
plusieurs  biographies  du  compositeur  (voir  notamment  J.  Tiersot, 
Hector  Berlioz  et  lu  Société  de  son  temps,  p.  76). 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  365 

peines  du  monde  à  me  faire  payer  de  Montalivet;  si  je 
ne  m'étais  mis  enfin  dans  une  de  mes  colères  bleues,  et 
sans  une  scène  des  plus  violentes  que  j'ai  faite  au  Mi- 
nistère, je  courrais  encore  après  mon  argent. 

J'ai  parlé  à  Richault  de  la  gravure  de  mes  deux  ouver- 
tures que  tu  as  réduites  pour  le  piano1,  il  ne  s'en  soucie 
pas;  pour  la  symphonie,  si  Hofmeister  veut  m'en  don- 
ner un  prix  raisonnable,  je  ne  demande  pas  mieux  que 
de  la  lui  laisser  publier,  ainsi  que  les  deux  autres  ma- 
nuscrits que  tu  m'as  envoyés;  fais  la  négociation  loi- 
même,  je  te  confie  mes  intérêts  absolument.  J'ai  essayé 
d'écrire  un  morceau  de  chant  sur  des  paroles  que  m'a 
faites  Brizeux,  je  comptais  prier  madame  d'A...  don 
accepter  la  dédicace,  mais  je  n'ai  rien  pu  trouver  encore 
qui  me  parût  digne  de  lui  être  offert;  mon  Pégase  est 
rétif  pour  c^s  petites  compositions.  Il  y  a  longtemps 
(tailleurs  que  je  cherche  à  écrire  quelque  chose  sur 
YErigone  de  Ballanche1  (admirable  poète!).  C'est  là  ce 
que  je  voudrais  présentera  madame  d'A...  ;  si  j'en  viens 
à  bout,  ou  si  je  trouve  le  temps  d'y  travailler,  tu  auras 
de  mes  nouvelles. 

L'Opéra  m'a  demandé  ma  partition  de  Cellini,  elle  est 
à  la  copie.  Auber  cependant  a  le  droit  de  passer  avant 

1 .  Celles  des  Francs-Juges  et  du  Roi  Leur. 

2.  La  Bibliothèque  du  Conservatoire  possède,  dans  sa  collec- 
tion d'autographes  de  Berlioz,  un  fragment  inachevé  d'Erigone. 
—  Madame  d'Ag'mlt  a  reçu  plus  tard  de  Berlioz  la  dédicace  de 
la  poétique  romance  :  La  Mort  d'Ophélie,  dont  les  paroles  sont 
d"Ernest  Legouvé. 


366  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

moi,  mais  comme  il  n'aura  pas  fini  à  beaucoup  près, 
quand  Cosme  de  Médicis  sera  joué,  on  Y  obligera  de  me 
céder  le  pas.  En  attendant  je  viens  de  faire  mon  ouver- 
ture et  je  l'instrumente  à  loisir. 

Hiller  voyage  donc  avec  son  ami  Rossini.  au  dire  des 
journaux?  Qu'il  prenne  garde  de  ne  pas  être  le  Bertrand 
de  ce  Robert  Macaire. 

Adieu.  Mille  amitiés. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  M.  Emile  Ollivier. 

La  lettre  du  18  janvier  1838,  dans  laquelle  Berlioz  mani- 
festait à  sa  mère  les  inquiétudes  qu'il  éprouvait  pour  sa  santé 
est,  à  notre  connaissance,  la  dernière  qu'il  lui  ait  écrite  : 
madame  Berlioz  mourut  un  mois  plus  tard,  le  18  février  1838. 
Sa  mort  coïncidait  avec  les  fiançailles  d'Adèle,  qui  épousa 
quelques  mois  plus  tard  Marc  Suât,  notaire  à  Saint-Cha- 
mond,  puis  à  Vienne.  Ce  mariage  ne  fit  que  resserrer  les 
liens  qui  unirent  toujours  le  frère  et  la  sœur,  et  les  mem- 
bres de  la  nouvelle  famille  connurent  à  leur  tour  les  bien- 
faisants effets  de  cette  affection. 


XVIII 

A     M  A  l:  C    S  L'  A  T 

7  mars  1838. 
Mon  cher  Suât, 
Votre  lettre  m'a  fait  un  bien  grand  plaisir,  et  si  je  n'y 
ai  pas  répondu  plus  tôt.  c'est  qu'en  vérité  depuis  quelques 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  367 

jours  je  perds  le  sommeil  et  le  senlimenL  des  réalités, 
tant  l'ouvrage  auquel  je  travaille  m'absorbe.  Ce 
soir,  je  profite  d'un  moment  de  repos  pour  vous 
dire  combien  je  suis  enchanté  de  la  vive  affection  que 
vous  éprouvez  pour  ma  sœur.  C'est  une  excellente 
enfant,  qui  vous  rendra  très  heureux,  j'en  suis  sûr.  Quant 
à  vous,  je  connais  la  bonté  de  votre  caractère,  et  l'ave- 
nir de  ma  sœur  me  paraît  assuré. 

IXous  avons  parlé  de  vous  bien  souvent  avec  Dufeuil- 
lant,  à  son  dernier  voyage  à  Paris  ;  c'est  un  ami  sincère 
que  vous  avez  là. 

Je  ne  sais  si  je  me  trompe,  mais  il  me  semble  com- 
prendre par  une  phrase  de  votre  lettre  que  vous  pensez 
à  faire  avec  Adèle  le  voyage  de  Paris...  le  pourrez- vous  en 
effet?...  Ce  serait  un  grand  bonheur  pour  moi,  qui  suis 
enchaîné  ici  de  manière  à  ne  pouvoir  m'absenter  seu- 
lement pour  une  semaine.  Mon  oncle  Marmion  est  plus 
heureux,  il  assistera  à  votre  mariage,  il  m'a  promis  de 
m'écrire  à  ce  sujet.  Vous  seriez  bien  aimable  de  m'a- 
dresser  aussi  quelques  lignes  à  votre  arrivée  à  la  Côte. 
Il  n'y  a  que  mon  pauvre  père  qui  m'inquiète,  il  va 
demeurer  seul  jusqu'à  ce  qu'un  beau  jour  je  puisse 
aller  le  surprendre  et  l'embrasser  après  une  si  longue 
séparation. 

Mille  amitiés. 

Votre  tout  dévoué, 

H.  BERLIOZ. 

P. -S.  —  Le  premier  jour  où  j'aurai  le  temps  d'aller 


3<i8  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

chez  Danlan1,  je  vous  ferai  expédier  les  deux  bustes  que 
vous  me  faites  le  plaisir  de  me  demander. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

Les  deux  futurs  beaux-frères,  qu"unit  toujours  une  vive 
affection,  se  connaissaient  longtemps  avant  cette  alliance  ; 
étudiants  à  Paris,  ils  s'étaient  déjà  trouvés  attirés  l'un  vers 
l'autre  par  un  commun  amour  de  la  musique.  Suât  donna 
à  Berlioz  la  satisfaction  de  comprendre  et  d'apprécier  son 
effort  d'artiste  :  nous  verrons  celui-ci  écrire  à  Adèle,  en 
4856  :  «  J'ai  toujours  beaucoup  souffert  en  silence  de  vous 
voir  tous  (ton  mari  excepté)  ne  considérer  que  le  résul- 
tat final  de  mes  efforts  et  de  mes  rêves...  » 


XIX 

A     SON     PÈRE 

ParK  19  mars  1838. 
Mon  cher  père, 
Votre  lettre,  celle  d'Adèle  et  celle  de  Camille  m'ont 
affligé  presque  en  même  temps  d'une  façon  tout  à  fait 
inattendue.  Adèle  me  parle  de  certaines  dispositions 
faites  en  sa  faveur  par  notre  excellente  mère,  d'un  air 
à  me  faire  croire  qu'elle  redoute  l'effet  de  ce  léger 
avantage  sur  l'esprit  de  ses  frères  et  sœurs...   Vous 

1.  Danlan  aîné,  camarade  <le  Berlioz  à  L'Académie  de  Franco  à 
Rome,  a  exécuté  son  portrait  en  médaillon  (reproduit  on  tôle  i\<- 
ci'  livre).  Dantan  jeune  a  fait  sa  charge  :  Ber.  lit.  haut  roy.  Ail  . 
Jullien,  Hector  Berlioz,  p.  101'. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  360 

ajoutez  des  détails  sur  vos  intentions  personnelles  à 
notre  égard  qui  indiquent  le  découragement  profond 
avec  lequel  vous  envisagez  votre  avenir.  Au  nom  de 
tout  ce  qui  nous  est  cher,  ne  parlez  plus  ainsi,  rien 
n'est  plus  inutile.  D'après  les  lettres  de  mes  sœurs, 
vous  auriez  supporté  notre  malheur  avec  votre  courage 
ordinaire,  se  sont-elles  trompées?... 

Nous  parlerons  plus  tard,  beaucoup  plus  tard,  de  ces 
questions  d'intérêt  que  vous  me  proposez  avec  un  si 
triste  sang-froid:  et  en  tout  cas,  pour  ce  qui  me  regarde, 
ce  que  vous  ferez  sera  toujours  bien.  Je  remercie  made- 
moiselle Clapier !  d'être  venue  avec  ma  sœur  passer 
quelque  temps  auprès  de  vous;  c'est,  à  coup  sûr,  la 
société  qui  peut,  en  d'aussi  cruelles  circonstances,  vous 
être  la  plus  consolante  et  la  plus  douce;  j'espérais  bien 
qu'elle  ne  vous  ferait  pas  faute.  Que  fait  Prosper?  On  ne 
m'en  parle  jamais.  Et  Nanti,  comment  se  trouve-t-elle? 

Vous  n'avez  aucun  projet  de  voyages,  je  le  crains  ;  et 
pourtant  rien  au  monde  ne  vous  serait  meilleur  sous 
tous  les  rapports. 

Pour  moi,  mon  esclavage  continue,  ou,  pour  mieux 
dire,  il  devient  plus  dur  de  jour  en  jour.  J'ai  l'espé- 
rance fondée,  mais  sans  aucune  certitude  d'être  nommé 
directeur  du  Théâtre  Italien 2.  Les  hommes  d'affaires  qui 

1.  Mademoiselle  Nancy  Clapier,  amie  intime  de  la  famille  Berlioz. 

8.  La  Gazette  musicale  du  10  juin  1838  annonça  cette  nomina- 
tion comme  faite.  On  verra  par  la  lettre  du  28  juin  ce  qui  en 
advint. 

21. 


370  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

m'ont  choisi  et  m'ont  fait  demander  le  privilège  en 
mon  nom,  m'assurent  des  appointements  fixes  de  six 
mille  francs  et  un  cinquième  dans  les  bénéfices  de 
l'exploitation  du  théâtre.  D'un  autre  côté,  on  m'a  engagé 
à  me  mettre  sur  les  rangs  pour  une  place  de  professeur 
d'harmonie  vacante  en  ce  moment  au  Conservatoire; 
celle-là  n'est  que  de  deux  mille  francs.  Je  n'y  compte 
pas  du  tout  ;  Cherubini  poussera  toujours  de  préférence 
ses  créatures  1  ;  d'ailleurs,  depuis  le  succès  de  mon  der- 
nier ouvrage,  sa  haine,  obligée  d'emprunter  les  formes 
d'une  obséquieuse  amitié,  n'en  est  que  plus  intense. 

Enfin  on  monte  mon  opéra2  ;  les  intrigues  se  croisent 
autour  de  moi  depuis  mes  deux  premières  répétitions, 
au  point  de  me  donner  des  vertiges  ;  il  faut  les  suivre 
cependant,  avoir  l'œil  sur  tout  et  ne  s'effrayer  de  rien. 

Je  vous  parlerai  plus  au  long  de  tout  ceci  dans  une 
prochaine  lettre,  quand  ma  situation  sera  plus  nette- 
ment dessinée. 

Adieu,  cher  père,  ne  vous  inquiétez  pas  de  mon  ave- 
nir et  songez  davantage  à  vous-même.  De  tous  les 
témoignages  d'affection  que  vous  puissiez  donner  à  vos 
enfants,  le  soin  de  votre  santé  et  de  votre  repos  est 
celui  dont  ils  ont  le  plus  besoin. 

Votre  affectionné  fils, 

H.  BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

1.  Cf.  Mémoires,  XLVII. 

2.  Benvenuto  Cellini.  Cette  lettre  est  la  première  qui  fasse  men- 
tion de  la  mise  en  répétitions  de  cet  ouvrage. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  371 


XX 


A    SA     SOEUR    ADÈLE 

[Paris,]  20  mai  1838. 

Chère  Adèle. 

Je  n'ai  que  trois  minutes  pour  te  donner  des  nou- 
velles de  mes  affaires.  Tout  commence  à  marcher,  mon 
opéra  sera  su  par  les  acteurs,  et  les  chœurs  dans  un  mois; 
le  succès  se  montre  à  l'horizon  :  du  moins,  l'effet  mu- 
sical des  points  culminants  de  l'ouvrage  paraît  cer- 
tain. Déjà  les  exécutants  commencent  à  s'échauffer,  on 
applaudit  aux  répétitions  ;  enfin  je  suis  content,  tout  en 
observant  de  l'œil  les  bêtes  venimeuses  qui  m'entourent. 
Duponchel  fait  de  son  mieux,  les  acteurs  sont  bien 
disposés;  quand  Duprez  sera  revenu  de  son  congé, 
c'est-à-dire  au  mois  de  juillet,  nous  commencerons  les 
répétitions  d'orchestre.  Ce  sera  prêt  pour  le  commence- 
ment du  mois  d'août. 

Henriette  va  bien,  Louis  aussi  ;  sois  tranquille,  tout 
marche  bien.  On  me  parle  toujours  de  la  croix,  j'ai  su 
que  j'étais  sur  la  liste  présentée  par  M.  de  Montalivet. 

La  direction  du  Théâtre-Italien  n'est  pas  encore  nom- 
mée. Il  y  a  cinq  jours,  Félix  Real  triomphait,  il  allait 
faire   nommer  son   cousin   Robert  ;    aujourd'hui,   ses 


37^  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

actions  baissent.  Nous  lui  avons  donné  une  passade 
(comme  on  dit  en  terme  de  natation),  voyons  s'il  revien- 
dra sur  l'eau. 

Adieu,  chère  sœur,  embrasse  Nanci  et  Mathilde  pour 
moi,  et  écris-moi  le  plus  souvent  possible.  Mon  père 
va  bien,  n'est-ce  pas?...  Mais  il  doit  se  trouver  bien 
abandonné  seul  dans  ses  champs. 


H.  BERLIOZ, 


Communiqué  par  madame  Chapot. 


XXI 


A    LA    MEME 


[Paris,]  "28  juin  18:18. 

Chère  sœur, 
Si  je  ne  t'ai  pas  écrit  pour  l'affaire  du  Théâtre-Italien, 
c'est  qu'elle  n'était  pas  sûre.  La  suite  l'a  bien  prouvé  ; 
la  Chambre  a  rejeté  le  projet  de  loi  présenté  par  le 
ministre.  Tout  cela  m'a  donné  un  tel  tracas  et  des  ennuis 
de  telle  nature  que  je  suis  bien  déterminé  à  ne  pas 
poursuivre  l'année  prochaine  ce  lièvre-là.  Je  ne  suis 
pas  né  pour  m'occuper  d'affaires  d'argent,  et  la  question 
de  la  reconstruction  de  la  salle  qu'on  s'obstine  à  impo- 
ser au  futur  directeur  en  est  une  des  plus  graves  et  des 
plus  compliquées.  Montalivet  est  très  contrarié,  et  beau- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  373 

coup  plus  que  moi,  de  cet  échec  de  son  projet  de  loi, 
échec  dont  il  est  seul  fa  cause;  il  manifeste  les  meilleures 
intentions  de  me  dédommager;  nous  allons  voir  à  quoi 
cela  aboutira. 

En  attendant,  je  ne  sais'où  donner  de  la  tête  avec  mes 
répétitions  qui  m'occupent  du  matin  au  soir. 

Duprez  n'est  pas  encore  de  retour,  je  suis  obligé  de 
répéter  son  rôle.  Je  l'attends  dans  six  jours.  Mon  opéra 
sera  joué  dans  la  première  quinzaine  d'août,  tout  se  pré- 
sente mieux  que  je  n'avais  osé  l'espérer.  Mais  ces  répé- 
titions me  tuent,  et  nous  n'avons  pas  encore  abordé 
l'orchestre. 

On  vient  d'exécuter  le  Requiem  à  Lille,  avec  cinq 
cents  musiciens,  et  Habeneck  m'écrit  que  le  succès  a  été 
immense  et  l'exécution  parfaite;  il  faut  que  cela  soit 
plus  que  vrai  pour  que  ce  vieux  loup  se  soit  laissé 
prendre  d'enthousiasme  au  point  de  me  l'écrire.  Je  l'at- 
tends en  même  temps  que  Duprez  pour  commencer  mes 
répétitions  d'orchestre. 

Dis  à  Camille  de  ne  pas  manquer  de  faire  ce  qu'il  a 
la  bonté  de  me  promettre  pour  le  milieu  de  juillet,  car 
je  ne  fais  presque  rien  pour  les  journaux;  on  m'accable 
de  lettres,  de  diplômes,  de  compliments,  d'Allemagne, 
on  me  croit  ici  même  parfaitement  heureux  sous  le  rap- 
port de  la  fortune  !  Quelle  belle  chose  que  le  gouverne- 
ment représentatif,  pour  l'art  et  pour  les  artistes  !  Si 
j'étais  Russe,  j'aurais  cinquante  mille  livres  de  rente. 

H  .    BERLIOZ. 


37 i  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Mille  amitiés  à  Xanci  et  à  sa  jolie  petite  Mathilde. 
Louis  grandit  mais  ne  sait  pas  lire.  Mon  père  est  tou- 
jours seul  ?  Henriette  va  très  bien. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


XXII 

A    LA    MÊME 

[Paris,]  12  juillet  1838. 

Chère  Adèle, 
Je  ne  t'écris  que  pour  l'annoncer  la  réception  de  ta 
lettre  et  du  billet  qu'elle  contenait.  Je  passe  ma  vie  à 
l'Opéra.  Nous  faisons  à  présent  deux  répétitions  par 
jour;  j'y  vais  de  ce  pas.  Dans  quelques  jours  les  répéti- 
tions d'orchestre  commenceront:  le  dénouement  ap- 
proche. Mais  j'ai  un  acteur  malade,  ce  qui  m'inquiète 
beaucoup.  Du  reste,  tout  marche  à  souhait.  Duprez-Cel- 
lini  est  superbe,  on  ne  peut  se  faire  une  idée  de  l'éner- 
gie et  de  la  beauté  de  son  chant.  La  censure  nous  a  ôté 
le  Pape,  il  a  fallu  mettre  à  la  place  un  Cardinal  ministre. 
C'eût  été  curieux  pourtant  de  voir  Clément  VII  aux 
prises  avec  ce  bandit-homme  de  génie  de  Cellini.  Les 
autres  acteurs  mettent  beaucoup  de  zèle,  à  quelques 
exceptions  près,  dans  l'accomplissement  de  leur  tâche. 
Les  chœurs  vont  à  merveille! 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  37o 

Tu  sais  (je  t'en  ai  déjà  parlé)  mon  succès  à  Lille  au 
Festival.  J'ai  été  exécuté  par  six  cents  musiciens  devant 
cinq  mille  auditeurs.  Tu  as  lu  les  journaux  du  déparle- 
ment du  Nord,  ils  ont  été  copiés  par  ceux  de  Paris.  J'ai 
vu  beaucoup  de  personnes  qui  assistaient  à  cette  fête 
musicale:  au  moment  de  la  péroraison  de  mon  Lacry- 
mosa  il  y  a  eu  des  larmes  et  même,  à  ce  que  disent 
plusieurs  lettres,  deux  ou  trois  bons  évanouissements  ! 
Certes,  je  sais  beaucoup  de  gré  à  ces  dames  de  s'être  si 
bien  trouvées  mal  en  mon  honneur. 

Habeneck,  le  chef  d'orchestre  de  l'Opéra,  était  à  Lille 
et  conduisait  tout  ça;  il  m'a  donné  des  détails  qui  m'ont 
fait  bien  regretter  de  n'y  être  pas  allé.  Il  m'avait  écrit 
;i près  le  premier  concert  (mon  morceau  a  été  redemandé 
pour  le  second),  et  à  son  retour  à  Paris  Cherubini,  dont 
on  avait  exécuté  un  Credo,  lui  a  fait  des  reproches  assez 
aigres,  relativement  à  la  lettre  que  j'avais  reçue  de  lui. 

Nous  avons  encore  un  feu  à  soutenir  avant  la  repré- 
sentation de  Cellini,  celui  des  répétitions  d'orchestre, 
après  quoi  viendra  la  fusillade  des  journaux  et  celle  des 
ennemis  intimes  cachés  dans  les  coins  du  parterre.  Mais 
je  suis  armé  de  pied  en  cap  contre  eux. 

Adieu,  chère  sœur.  Nous  allons  tous  bien.  Embrasse 
Nanci  et  Mathilde  pour  moi.  Mon  père  va  bien,  Dieu 
merci  ?...  Dis  à  Camille  qu'il  est  un  bon  beau-hère  et 
que  je  l'aime  sincèrement. 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


37G  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 


XXIII 

A    ERNEST    LEGOUVÉ 

Paris,  31  juillet  1838. 

Mon  cher  Legouvé, 

Je  ne  sais  comment  vous  dire  tout  ce  que  votre  noble 
amitié  et  votre  exquise  délicatesse  m'inspirent  de  sen- 
timents d'affection  et  de  reconnaissance;  heureusement 
vous  avez,  par-dessus  toutes  vos  autres  belles  qualités, 
l'imagination  poétique  qui  devine  et  la  chaleur  de  cœur 
qui  sympathise,  et  je  m'en  rapporte  à  elles  pour  vous 
traduire  ma  pensée... 

Schœlcher  m'avait  trouvé  au  lit  l'autre  jour,  j'ai  été 
réellement  malade  les  deux  jours  suivants,  ne  me  levant 
qu'aux  heures  de  mes  répétitions.  Xous  commençons  à 
débrouiller  l'orchestre,  malgré  les  criailleries  de  tous 
les  vieux  qui  déclarent  n'avoir  jamais  eu  rien  de  pareil 
à  exécuter.  Les  millions  de  notes  fausses,  de  mouve- 
ments mal  donnés  et  surtout  de  rythmes  pris  à  contre- 
sens, m'ont  si  cruellement  torturé  et  agacé  les  nerfs,  que 
ce  supplice  est  l'unique  cause  du  malaise  dont  je  ne 
suis  pas  encore  tout  à  fait  remis.  Patience!...  Xous  arri- 
verons à  la  première  représentation  vers  le  21  ou  le  25 
du  mois  d'août.  Dupiez  sera  superbe,  les  chœurs  vont 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  377 

très  bien,  madame  Dorus-Gras  n'est  pas  mal  du  tout,  et 
il  y  a  une  certaine  entrée  du  Cardinal  ministre  qui  vous 
plaira. 

Et  l'ouverture,  à  propos,  je  parie  que  vous  en  serez 
content. 

J'ai  l'air  de  vendre  la  peau  de  l'ours,  mais  si  ma  par- 
tition se  grave,  vous  me  ferez  le  plaisir  d'en  accepter  la 
dédicace,  n'est-ce  pas?...  Car  enfin  c'est  vous  qui  avez 
donné  le  métal  pour  fondre  Persée,  et  le  pauvre  Benve- 
nuto  vous  doit  son  œuvre  telle  quolle. 

Adieu.  Mes  hommages  respectueux  à  madame  Le- 
gouvé.  Mille  amitiés  à  Schœlcher.  Je  vous  écrirai  pour 
la  dernière  répétition. 

Communiqué  par  M.  Paladilhe. 

Cette  lettre  fait  allusion  à  l'acte  de  bonne  et  généreuse 
amitié  qu'accomplit  Legouvé  en  avançant  à  Berlioz  la  somme 
d'argent,  —  le  métal,  suivant  son  expression,  tirée  de  la 
dernière  scène  de  Benvenuto  Cellini,  —  qui  lui  était  néces- 
saire pour  achever  la  composition  de  cette  œuvre.  Voir  les 
Mémoires,  et  comparer  le  passage  des  Soixante  ans  de  souve- 
nirs de  Legouvé  cité  dans  la  préface  de  ce  recueil. 

Comme  suite  à  l'offre  dont  il  est  question  dans  cette  lettre, 
Berlioz  a  communiqué  à  Legouvé  le  projet  de  dédicace  ci- 
après,  écrit  de  sa  main  sur  du  papier  à  musique,  entravers 
des  portées. 

Mon  cher  Legouvé, 
Vous  connaissez  la  vie  de  l'homme  étrange  et  admi- 
rable dont  mon  opéra  porte  le  nom. 


378  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

Vous  savez  que  la  veille  du  jour  où  devait  être  fondu 
son  immortel  Persée,  il  parcourut  Florence,  implorant 
de  ceux  qu'il  croyait  ses  amis  la  somme  nécessaire  à 
l'achèvement  de  son  plus  bel  ouvrage.  Le  métal  lui 
manquait,  il  était  pauvre  alors  et  ne  pouvait  l'acheter. 
Tous  furent  sourds  à  la  noble  prière  de  l'artiste. 

Au  moment  décisif,  son  œuvre  allait  être  anéantie, 
quand,  inspiré  par  un  désespoir  sublime,  il  saisit  les 
vases  d'or,  les  statuettes,  les  armures  ciselées,  travaux 
sans-  prix  de  ses  savantes  mains,  et  les  jetant  dans  la 
fournaise,  la  lave  ardente  put  étancher  enfin  la  soif  du 
moule  qui  l'attendait  béant  :  et  Persée  apparut.  Comme 
il  ne  devait  rien  qu'à  lui-même,  Cellini  triomphant 
n'inscrivit  auprès  du  corps  de  la  Méduse  terrassée  que 
ces  mots  énergiques  : 

Si  quis  te  lœserit,  ego  tuus  ultor  ero.'H 

Vous  voyez  que  le  peu  de  valeur  de  mon  ouvrage 
n'est  pas  la  seule  différence  à  signaler  entre  l'aventure 
du  statuaire  florentin  et  celle  du  compositeur  français. 
Car  vous  avez  deviné  que  le  métal  me  manquerait  aussi 
pour  achever  ma  musique  :  et  sans  attendre  le  jour  où, 
n'ayant  point  de  vases  d'or  à  jeter  à  la  fonte,  j'eusse 

rit'  i  tbligé  de i  ne  jeter  ailleurs,  vous  êtes  venu  me  pi-ier 

d'accepter  une  offre  généreuse  qui  seule  pouvait  me 
permettre  de  terminer  ma  lâche  à  loisir. 

C'est  donc  votre  nom.  cher  et  digne  ami,  qui  doit  se 
trouver  eu  tête  de  cette  partition.  Los  vrais  artistes  coin- 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  379 

prendront  tout  ce  qu'il  y  a  d'inexprimable  dans  le  sen- 
timent qui  m'a  porté  à  l'y  inscrire. 

Je  n'ai  pu  graver  sur  mon  ouvrage,  comme  Benve- 
nuto  sur  le  sien  :  Si  quelqu'un  t'outrage,  je  te  vengerai  ! 

Cet  engagement  m'eût  donné  trop  à  faire,  et  Cellini 
lui-même  ne  suffirait  pas  à  le  remplir. 

H.    BERLIOZ 

Communiqué  par  M.  Pakidilhe. 

La  partition  de  Benvenuto  Cellini  n'ayant  paru  que  beau- 
coup plus  tard  —  en  Allemagne. —  la  partition  d'orchestre 
même  n'ayant  été  gravée  qu'après  la  mort  de  Berlioz,  la 
rédaction  ci-dessus  ne  fut  pas  utilisée.  Berlioz  n'en 
dédia  pas  moins  à  Legouvé  l'ouverture,  seul  morceau  de 
l'opéra  qui  ait  paru  de  son  temps  en  grande  partition.  Plus 
tard,  il  lui  fit  encore  hommage  de  son  livre  :  A  travers  chants. 

Catalogue  d'autographes,  J.  Charavay.  230.  15  septembre 
(1838).  Demande  de  renseignements  pour  l'envoi  de  la  par- 
tition de  son  Requiem  au  duc  d'Orléans  >  Cf. .  ci-après,  lettre 
du  30  novembre  à  son  pèrej. 

La  première  représentation  de  Benvenuto  Cellini  eut  lieu 
à  l'Opéra,  le  10  septembre  1838. 


XXIV 

A    SON    PÈRE 

Paris,  20  septembre  1838. 
Cher  père. 
Il  y  a  dix  jours  que  j'aurais  dit  vous  écrire  ;    mais  \p 
moyen  dans  une  tourmente  comme  celle  d'où  je  sors? 


380  LRS    ANNÉES    ROMANTIFUES. 

Vous  avez  vu  les  journaux,  du  moins  les  mauvais,  car 
c'est  toujours  sur  ceux-là  que  l'on  tombe  en  pareil  cas. 
Les  bons  sont  la  Quotidienne,  le  Messager,  le  Journal  de 
Paris,  la  France  musicale,  la  Gazette  musicale,  l'Artiste, 
la  Presse.  Le  fait  est  que  la  seconde  et  la  troisième  re- 
présentation ont  marché  à  merveille  grâce  à  la  suppres- 
sion des  scènes  qui  avaient  le  plus  indisposé  le  public. 
Si  je  me  trouve  arrêté  cette  semaine,  c'est  l'amour- 
propre  géant  de  Duprez  qui  en  est  cause.  Le  succès  ne 
s'est  pas  trouvé  concentré  sur  lui,  et  les  deux  canta- 
trices au  contraire  ont  eu  les  honneurs  du  chant  et  de 
l'action.  En  conséquence  il  n'a  plus  voulu  jouer  ce  rôle. 
et  c'est  A.  Dupont1  qui  va  le  remplacer  ;  mais  comme  il 
ne  s'y  attendait  pas  plus  que  moi,  il  est  obligé  d'ap- 
prendre toute  cette  musique,  et  nous  de  patienter  jusqu'à 
ce  qu'il  la  sache.  Ce  sera  huit  ou  dix  jours  d'inter- 
ruption. Après  quoi,  par  la  combinaison  du  répertoire, 
je  serai  représenté  plus  souvent  que  je  n'aurais  pu  l'être 
si  Duprez  avait  gardé  son  rôle1. 

Vous  dire  toutes  les  menées,  intrigues,  cabales,  dis- 
putes, batailles,  injures  auxquelles  mon  ouvrage  a  donné 
lieu  est  impossible.  C'est  un  miracle  d'en  être  resté  le 
maître;  la  fureur  de  certains  journaux  contre  ce  qu'ils 
appellent  mon  système  peut  vous  donner  une  idée  très 
affaiblie  de  l'acharnement  de  la  lutte.  On  en  est  à  faire 

1.  Alexis  Dupont,  second  ténor  ;"i  L'Opéra,  a  fréquemment  prêté 
son  concours  à  Berlioz  (dès  1821). 

2.  Que  d'illusions  le  pauvre  grand  homme  se  fit  toute  sa  vie  ! 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  381 

des  brochures  pour  et  contre  *.  C'est  une  mêlée  dans 
laquelle  mes  défenseurs  disent  presque  autant  de  folies 
que  mes  détracteurs.  Il  faut  laisser  faire  ;  tout  ce  trouble 
disparaîtra  avec  le  temps.  Les  Français  ont  la  rage  de  dis- 
puter sur  la  musique  sans  en  avoir  les  premières  notions 
ni  le  sentiment.  Cela  fut  au  siècle  dernier,  cela  est,  et 
cela  sera.  L'important  est  qu'on  m'entende  souvent, 
très  souvent,  je  compte  sur  ma  partition  pour  me  tirer 
d'affaire  plus  que  sur  tout  ce  qu'on  dirait  en  sa  faveur. 
Les  deux  représentations  qui  ont  suivi  la  première  me 
font  voir  que  j'ai  droit  de  l'espérer. 

Il  a  fallu  tant  de  remaniements  occasionnés  par  les 
changements  apportés  dans  la  pièce  que  j'en  suis  tout 
hébété  de  fatigue.  Cependant  le  mauvais  moment  est 
passé.  J'espère  que  ni  vous  ni  mes  sœurs  ne  vous  tour- 
menterez de  cet  orage  plus  qu'il  n'y  a  lieu.  Vous  aviez 
dû  le  prévoir  comme  je  le  prévoyais.  C'était  inévitable. 
Il  ne  s'agissait  que  de  rester  maîtres  du  terrain,  et  nous 
y  sommes  parvenus  plus  aisément  que  je  n'espérais,  eu 
égard  aux  ennemis  enragés  que  mes  feuilletons,  la  pro- 
tection que  m'accordent  les  Débats,  ma  tendance  musi- 
cale et  les  jalousies  de  métier  m'ont  suscités  depuis  de 
longues  années.  Et  ils  s'étaient  tous  donné  rendez-vous 
à  l'Opéra  ce  jour-là. 


1.  On  fit  même  un  livre  de  35'J  pages:  De  l'école  musicale  ita- 
lienne et  de  l'Académie  royale  de  musique,  à  l'occasion  de  l'opéra 
de  M.  H.  Berlioz,  par  joseph  d'orticle.  1830.  Voir,  plus  loin 
la  lettre  du  30  novembre  1838. 


382  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

Adieu,  cher  père,  je  vous  embrasse  tendrement;  j'at- 
tends de  vos  nouvelles. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  humbert  ferrand,  même  date  (Let.  int.,  181).  Détails 
analogues  à  ceux  de  la  lettre  précédente.  Berlioz  y  avoue  en 
outre  le  mauvais  effet  produit  par  le  livret.  «  Nous  avons 
eu  tort  de  croire  qu'un  livret  d'opéra  roulant  sur  un  in- 
térêt d'art,  sur  une  passion  artiste,  pourrait  plaire  à  un 
public  parisien.  » 

Au  sujet  des  intrigues  sous  lesquelles  succomba  l'œuvre  de 
Berlioz  et  de  la  défection  de  Duprez,  voir  une  lettre  de 
L.  Jonnart  à  Desmarets  (violoncelliste  à  l'Opéra,  et  ami 
dévoué  de  Berlioz)  dans  la  Revue  musicale  du  15  août  1903. 
—  Comparez  les  aveux  ingénus,  ou  pour  mieux  dire  incons- 
cients, de  Duprez  lui-même  dans  ses  Souvenirs  d'un  chan- 
teur, 153. 

a  humbert  ferrand,  septembre  1838  (Let.  int.,  183). 
Envoi  d'une  place  pour  une  représentation  de  Benvenuto 
Cellini. 


XXV 

A    8  A    SOEUR    ADÈLE 

[Paris,]  8  octobre  1838. 
Chère  sœur, 
Nos  lettres  se  sont  croisées  ;  je  ne  t'écris  que  trois 
lignes  pour  te  dire  où  j'en  suis  de  ma  grande  affaire. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  383 

A.  Dupont  qui  remplace  ce  gredin  de  Duprez  ne  sait 
pas  encore  son  rôle.  Il  lui  reste  les  deux  tiers  du  second 
acte  à  apprendre.  La  polémique  ne  se  ralentit  pas.  On 
a  été  sur  le  point  d'en  venir  aux  coups  de  pistolet  la 
semaine  dernière,  à  ce  que  j'ai  appris  par  un  feuilleton 
de  la  Revue  du  XIXe  siècle.  En  attendant  on  grave  ma 
musique l. 

Mon  Requiem  qui  vient  de  paraître  et  dont  le  prix  est 
assez  élevé  se  vend  bien. 

Dès  que  Benvenuto  sera  remis  en  scène  je  t'écrirai. 

D'ici  là  probablement  j'aurai  vu  Prosper.  Nous  l'atten- 
dons le  18  ou  le  20  au  plus  tard.  Il  viendra  débarquer 
chez  moi.  Henriette  se  fait  une  fête  de  l'avoir  pour  che- 
valier et  de  lui  montrer  Paris.  Louis  demande  tous  les 
jours  s'il  est  arrivé  et  s'il  ira  à  la  chasse  avec  lui.  Le 
pauvre  enfant  est  un  peu  souffrant  d'une  espèce  de 
grippe  depuis  quelques  jours. 

J'ai  vu  un  des  Strauss  qui  m'a  parlé  de  loi. 

Comment  va  mon  père?...  et  Nanti?...  et  son  excel- 
lent mari?...  et  Henri  le  nouveau  marié?  Tu  m'as 
parlé  d'un  jeune  musicien  qui  m'est  recommandé  par 
Pauline  :  je  ne  l'ai  pas  vu,  personne  n'est  venu. 

Mille  amitiés  k  Casimir  Faure  si  tu  as  occasion  de  les 
lui  transmettre.  Je  lui  dois  une  réponse.  C'est  très  mal 
de  ma  part. . . 


1.    On  n'a  gravé,  à  ce  moment,  que  les  morceaux  séparé»  de 
Benvenuto  Cellini. 


38  i  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

Et  les  vendanges?...  Prosper  me  racontera  tout  ça. 
Adieu,  adieu. 

II.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


XXVI 


A    SON    PERE 


[Pari?,  30  novembre  1838.] 

Cher  père, 

J'apprends  que  vous  avez  été  malade  d'un  rhume  long 
et  violent;  il  est  je  pense  tout  à  fait  dissipé  aujourd'hui. 
Voilà  malheureusement  la  saison  où  la  plus  chère  de 
vos  distractions  vous  est  interdite  :  le  froid,  l'humidité, 
sont  vos  ennemis  naturels.  Que  ne  puis-je,  ne  fût  ce  que 
pour  huit  jours,  aller  partager  avec  Adèle  les  soins 
qu'elle  vous  donne  !  Car  vous  êtes  tous  les  deux  seuls  je 
crois?  iXanci  est  partie.  Mais  le  moyen  !  il  n'y  a  pas  plus 
de  liberté  pour  moi  de  quitter  Paris  un  instant,  qu'il  n'y 
en  a,  à  ce  qu'il  paraît,  pour  vous  de  passer  les  Alpes  et 
d'aller  retrouver  en  Toscane  le  soleil  et  la  campagne 
verdoyante  que  vous  aimez  tant. 

Je  suis  d'ailleurs  au  lit  depuis  trois  semaines  ;  un  rhume 
qui  menaçait  de  devenir  autre  chose  m'y  retient  encore, 
pour  peu  de  temps  j'espère.  J'avais  annoncé  un  concert 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  385 

que  je  devais  diriger,  il  a  eu  lieu  sans  moi  hier;  et,  à  en 
croire  les  félicitations  des  amis  qui  ont  rempli  ma 
chambre  hier  jusqu'à  une  heure  assez  avancée,  le  succès 
a  été  d'une  violence  extrême.  On  devait  reprendre  mon 
opéra  mercredi  dernier,  il  était  affiché,  quand  une  indis- 
position d'un  des  chanteurs  est  venue  ajourner  encore 
cette  reprise...  Elle  aura  lieu,  dit-on,  mercredi  prochain, 
après-demain.  Je  ne  sais  si  je  pourrai  y  assister.  Mes 
sœurs  ont  écrit  à  Prosper  pour  lui  demander  des  détails 
sur  l'affaire  ou  plutôt  l'intrigue  multiple  qui  se  rattache 
à  la  représentation  de  mon  ouvrage.  Le  pauvre  garçon 
est  fort  loin  de  pouvoir  vous  les  donner,  moi-même  par 
lettre  j'en  serais  incapable.  Mais  d'Ortigue  publie  en  ce 
moment  un  volume  où  tout  est  exposé  fort  clairement1. 
Quand  je  dis  tout,  c'est  presque  tout  que  je  devrais  dire, 
il  y  a  encore  bien  des  détails  que  je  l'ai  prié  de  taire, 
puisque  je  n'ai  pas  rompu  avec  l'administration  de 
l'Opéra.  Je  vous  enverrai  ce  livre  dès  qu'il  paraîtra. 
Ce  monde-là  est  un  monde  d'intrigues  aussi  com- 
pliquées qu'aucunes  de  celles  qui  se  puissent  tramer  à 
la  cour. 

A  propos  de  la  cour,  je  suis  allé  présenter  un  exem- 
plaire de  mon  Requiem  au  duc  d'Orléans  qui  avait 
depuis  longtemps  souscrit  pour  cet  ouvrage.  Le  prince 
a  été  fort  aimable  et  accueillant.  On  m'écrit  des  Tuile- 
ries pour  m'engager  à  demander  une  audience  au  duc 

1.  Voir  ci-dessus,  lettre  du  20  septembre. 

12 


386  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

de  Nemours;  il  paraît  qu'on  a  envie  de  me  voir.  Quand 
je  serai  tout  à  fait  guéri,  je  me  présenterai. 

Prosper  travaille  beaucoup,  le  directeur  de  son  insti- 
tution m'a  dit  plusieurs  fois  qu'il  était  très  content  de  lui. 
Vous  savez  que  nous  avons  toujours  été  fort  bien 
ensemble,  mon  frère  et  moi,  je  puis  vous  assurer  que 
j'ai  toute  sa  confiance  et  que  le  meilleur  moyen  de 
l'obtenir  c'est  de  montrer  qu'on  en  a  en  lui.  Il  se  plaint 
d'être  entouré  exclusivement  de  petits  garçons  ;  je  ne 
sais  si  c'est  à  dessein  que  vous  l'avez  placé  dans  cette 
institution.  Il  aurait  besoin  de  couvertures.  Il  meurt  de 
froid  dans  son  lit.  Il  voudrait  aussi  pouvoir,  comme 
quelques  autres,  travailler  dans  une  chambre  à  part.  Je 
le  trouve  plus  avancé  que  je  ne  m'y  attendais.  Sa  tète 
est  assez  bien  meublée.  Il  me  semble  que  mes  sœurs 
l'ont  jugé  bien  sévèrement.  C'est  un  esprit  lent,  mais 
qui  se  développera  tôt  ou  tard  d'une  manière  fort 
remarquable.  Il  est  transporté  de  joie  quand  je  puis 
le  faire  sortir  et  pour  moi  j'en  ai  beaucoup  aussi  à  le 
voir. 

Adieu,  cher  et  excellent  père,  faites-moi  donner  de  vos 
nouvelles  le  plus  tôt  possible.  J'écrirai  je  pense  bientôt  à 
Adèle  pour  lui  apprendre  comment  se  sera  passée  ma 
nouvelle  bataille  à  l'Opéra. 

Henriette  et  Louis  ont  été  malades  aussi,  mais  ils  vont 
mieux  fort  heureusement. 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  pur  mcukUM  Chapot. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  3S7 


XXVII 

AU   MÊME 

"Paris,"  18  décembre  1838. 
Cher  père. 

Mon  dernier  concert  a  obtenu  avant-hier  un  tel  succès 
que  je  ne  sais  comment  vous  le  décrire.  Mais  voilà  un 
fait. 

Après  le  concert.  Paganini,  ce  noble  et  grand  artiste, 
est  monté  au  théâtre  et  m'a  dit  que  pour  cette  fois  il 
était  tellement  ému  et  étonné  qu'il  avait  envie  de  s'a- 
genouiller devant  moi  ;  comme  je  me  récriais  sur  cette 
expression  outrée,  il  m'a  entraîné  vers  le  milieu  de  la 
scène,  et  là,  en  présence  des  quelques  musiciens  de  mon 
orchestre  qui  n'étaient  pas  encore  sortis,  malgré  mes 
efforts,  il  s'est  mis  à  genoux  devant  moi  déclarant  que 
j'étais  allé  plus  loin  que  Beethoven. 

Ce  n'est  pas  tout.  A  présent,  il  y  a  cinq  minutes, 
voilà  son  fils,  le  petit  Achille,  charmant  enfant  de  douze 
ans,  qui  vient  me  trouver  et  me  remet  de  la  part  de  -"ii 
père  la  lettre  suivante  avec  un  présent  de  vingt  mille 
francs  : 

Mio  coro  amico, 
Beethoven  estinto,  non  c'erache  Berlioz  cite potesse\farlo 
7ivivere  ;  ed  io,  che  ho  gustato  le  vostre  divine  compo- 


388  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

sizioni,  digne  di  un  genio  quai  siete,  credo  mio  doverë  di 
pregarvi  a  voler  accettare  in  segno  del  mio  omaggio  venti- 
mila  franchi,  i  quali  vi  saranno  rimessi  dal  signor  baron 
de  Rothschild. 
Credete  mi  sempre 

il  vostro  affettuoso  amico, 

M  coin   PAG  AN  INI. 

Cher  père,  je  ne  perds  pas  un  intant  pour  vous 
apprendre  cette  bonne  nouvelle. 


H.   BERLIOZ. 


Communiqué  par  madame  Chapot. 


XXVIII 


A    PAG  AN  INI 


18  décembre  1838. 

0  digne  et  grand  artiste, 

Comment  vous  exprimer  ma  reconnaissance  !  !  !  Je  ne 
suis  pas  riche,  mais,  croyez-moi,  le  suffrage  d'un 
homme  de  génie  tel  que  vous  me  touche  mille  fois 
plus  que  la  générosité  royale  de  votre  présent. 

Les  paroles  me  manquent,  je  courrai  vous  embrasser 


LFS   ANNÉES    ROMANTIQUES.  389 

dès  que  je  pourrai  quitter  mon  lit,  où  je  suis  encore 
retenu  aujourd'hui. 

H.    BERLIOZ. 

Cette  lettre,  reproduite  en  fac-similé  dans  la  Gazette  musicale, 
n'avait  pas  encore  été  insérée  à  sa  date  dans  les  recueils  de  lettres 
de  Berlioz. 


XXIX 

A    SA    SOEUR    ADÈLE 

[Paris,]  20  décembre  1838. 

Chère  sœur, 
J'ai  reçu  ta  lettre  avec  ce  qu'elle  contenait.  Shakespeare 
dit  que  les  malheurs  ne  marchent  que  par  paires,  il  en 
est  de  môme  des  événements  heureux.  Après  ma  lettre 
à  mon  père,  vous  avez  dû  voir  des  douzaines  de  journaux 
parlant  de  la  noble  action  de  Paganini;  à  présent,  voilà 
qu'on  m'apprend  que  je  suis  nommé  sous-bibliothécaire 
du  Conservatoire1.  Le  bibliothécaire  est  un  de  mes 
meilleurs  amis2  qui  remplit  sa  place  sans  appointements; 
j'aurai  moi.au  contraire,  deux  mille  francs  par  an,  sans 


1.  Berlioz  fut  en  effet  nommé  Conservateur  de  la  Bibliothèque 
du  Conservatoire  pour  prendre  date  au  1er  janvier  1839  (Archiva  du 
Conservatoire). 

2.  Bottée  de  Toulmon. 

22. 


390  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

aucune  obligation  à  remplir  ni  travail  à  faire.  C'est  une 
sinécure  qu'on  me  donne;  les  appointements  pourront 
être  élevés  jusqu'à  trois  mille  francs  l'année  prochaine1. 
Je  n'ai  pas  encore  reçu  ma  nomination  officielle,  mais 
on  m'assure  que  c'est  positif. 

A  présent  je  reviens  à  Paganini.  On  ne  parle  que  de 
ça  dans  tout  Paris  ;   il   était  aussi  célèbre,   le  pauvre 
homme,  pour  son  avarice  que  pour  son  talent  phéno- 
ménal. Aussi  tout  le  monde  de  me  dire  :  «  C'est  prodi- 
gieux! C'est  le  triomphe  le  plus  inouï  que  l'art  ait! 
jamais  obtenu,  c'est  presque  incroyable!  »  —  Beaucoup 
de  gens  ne  veulent  pas  encore  le  croire.   C'est  que* 
beaucoup  de  gens  ne  peuvent  comprendre  un  artiste  tel 
que  lui.  Paganini  professe  un  mépris  incommensurable 
pour  les  nécessités  matérielles  et  toutes  les  platitudes 
de  la  vie,  et  il  regrette  en   conséquence  la  moindre  i 
dépense  qui  leur  est  consacrée  ;  mais  en  fait  d'art  son 
âme  est  plus  noble  et  plus  grande  qu'aucune  autre.  Il 
vient  hier  d'en  donner  la  preuve. 

J'avais  été  obligé  de  garder  encore  mon  lit  depuis 
mardi  dernier,  en  conséquence  je  n'avais  pu  le  voir  : 
lui  de  son  côté  n'osait  sortir  à  cause  du  temps  glacial 
et  du  brouillard  qui  régnent.  J'ai  quitté  ma  chambn 

1.  Toujours  des  illusions!  Les  appointements  que  reçut  Berlio 
ne  furent  pas  de  deux  mille  francs,  mais  de  quinze  cents,  e 
il  n'obtint  jamais  d'augmentation,  soit  comme  conservateur  adjoint 
soit  comme  bibliothécaire,  sinon  par  la  mesure  générale  qu; 
doubla  les  appointements  —  si  dérisoires!  —  de  tout  le  personne 
du  Conservatoire,  —  trois  ans  avant  sa  mort. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  391 

aujourd'hui  seulement,  et  tu  penses  que  ma  première 
visite  a  été  pour  lui.  Je  l'ai  trouvé  seul  dans  une  grande 
salle  des  Néo-Thermes  où  il  demeure.  Tu  sais  qu'il  a 
depuis  un  an  complètement  perdu  la  voix,  et  que  sans 
l'intermédiaire  de  son  fils  nn  a  beaucoup  de  peine  à 
l'entendre.  Quand  il  m'a  aperçu,  les  larmes  lui  sont 
venues  aux  yeux  (je  t'avoue  que  les  miennes  n'étaient 
pas  loin  de  mes  paupières)  :  il  a  pleuré, ce  féroce  man- 
geur d'hommes,  cet  assassin  de  femmes,  ce  forçat  libéré, 
comme  on  l'a  dit  tant  de  fois,  il  a  pleuré  à  chaudes 
larmes  en  m'embrassant  :  «  .\e  me  parlez  plus  de  tout 
ça,  m'a-t-il  dit.  je  n'ai  aucun  mérite  ;  c'est  la  plus  pro- 
fonde joie,  la  satisfaction  la  plus  complète  que  j'aie 
éprouvée  de  ma  vie  ;  vous  m'avez  donné  des  émotions 
que  je  ne  soupçonnais  pas,  vous  avez  tait  avancer  le  grand 
art  de  Beethoven.  »  —  Puis,  s'essuyant  les  yeux  et 
frappant  sur  une  table  avec  un  singulier  éclat  de  rire,  il 
s'est  mis  à  parler  avec  volubilité,  mais  comme  je  ne 
l'entendais  plus,  il  est  allé  chercher  son  fils  pour  servir 
d'interprète;  alors,  le  petit  Achille  m'aidant,  j'ai  com- 
pris qu'il  disait  :  «  Oh  je  suis  heureux  !  je  suis  au 
comble  de  la  joie  en  songeant  que  toute  cette  vermine 
qui  écrivait  et  parlait  contre  vous  ne  sera  plus  si  hardie  1 
Car  on  ne  pourrra  pas  dire  que  je  ne  m'y  connais  pas, 
moi,  et  je  suis  cité  pour  n'être  pas  facile  à  séduire.  »  Mais 
je  ne  puis  te  rapporter  tous  les  détails  de  cette  entrevue. 
Tous  mes  amis  sont  dans  un  enthousiasme  inexprima- 
ble. Janin  m'a  écrit  ce  matin  une  lettre  qui  paraîtra 


30-2  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

dimanche  dans  la  Gazette  musicale  avec  celle  de 
Paganini.  Schlesinger  a  obtenu  de  ce  dernier  la  mienne, 
qu'il  fait  autographier  avec  les  deux  autres,  bien  que  ce 
ne  fût  pas  mon  avis  ;  enfin  vous  verrez  ça.  Je  vous 
enverrai  ce  que  je  pourrai  trouver  de  journaux  sur 
mes  deux  concerts.  Mais  c'est  un  travail  que  de  fouiller 
dans  tout  ça;  moi  qui  ne  sors  pas,  il  faudra  que  je 
cherche  dans  les  numéros  de  quinze  jours  au  moins. 
Oh  !  quel  tapage  en  Allemagne  et  en  Angleterre  !  Un 
pareil  hommage  me  venir  d'un  Italien  !  C'est  foudroyant  I 
Il  est  vrai  que  cet  Italien-là  ne  fait  pas  de  musique 
italienne,  il  a  en  oublié  le  style  depuis  longtemps.  Je 
pense  que  mon  père  sera  satisfait.  Si  je  pouvais  donner 
un  troisième  concert. j'aurais  un  monde  fou.  Mais  il  n'y 
a  plus  de  salle  disponible.  Nous  allons  voir  ce  qu'ils 
vont  faire  à  l'Opéra  pour Benvenuto.  Dupont  est  rétabli, 
il  joue  ce  soir. 

A  présent  je  pourrai  faire  mon  voyage  d'Allemagne. 
Le  hasard  a  amené  à  Paris  cet  hiver  une  foule  d'artistes 
allemands  qui  sont  pour  ma  musique  d'un  fanatisme 
fort  encourageant. 

Mon  oncle  est  ici.  Il  est  trop  en  dehors  du  monde 
artiste  pour  comprendre  tout  à  fait  ce  qui  se  passe  en 
moi  et  autour  de  moi.  Liszt,  qui  est  à  Florence,  va 
bondir  de  joie  ;  et  Rossini,  qui  promène  son  ironie  à 
Milan,  va  se  mordre  les  lèvres  jusqu'au  sang,  Paganini 
étant  à  peu  près  le  seul  homme  dont  il  prise  le  suffrage 
et  dont  il  redoute  la  critique. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  303 

Prosper  a  été  un  peu  malade,  il  va  beaucoup  mieux  ; 
Henriette  et  Louis  ne  vont  pas  mal.  La  maison  ne 
désemplit  pas  de  visiteurs  et  les  lettres  de  félicitations 
pleuvent. 

Adieu,  chère  Adèle,  te  voilà  contente  pour  quelques 
jours,  j'espère  ! 

H  .    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

La  reprise  de  Benvenuto  Cellini  eut  lieu  à  L'Opéra  le 
11  janvier  1839. 


XXX 

A    JULES    JANIN 

[Paris,  12  janvier  1839.  j 

Mon  cher  Janin, 
Je  n'avais  pas  reçu  votre  lettre  quand  je  vous  ai  écrit  ce 
matin.  Puisque  vous  n'étiez  pas  à  l'Opéra,  voilà  ce  qui 
s'est  passé.  L'opposition  s'est  bornée  à  chuter  le  sextuor 
du  second  acte,  qui  est  réellement  trop  long  (et  que  je  vais 
raccourcir  autant  que  me  le  permettront  les  paroles), 
tout  le  reste  a  été  chaudement  applaudi,  surtout  les 
trois  airs  de  madame  Gras,  de  Massol  et  surtout  de 
madame  Stoltz.  Le  grand  final,  qui  n'a  jamais  été  si 
bien  exécuté,  a  été  également  fort  chaudement  accueilli. 


394  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

La  scène  de  la  foule  sur  la  place  Colonne  a  produit  un 
grand  effet.  Dupont  a  dit  avec  un  charme  et  un  senti- 
ment vrai  toutes  les  parties  douces  de  son  rôle.  L'air  «  Sur 
les  monts  les  plus  sauvages  »  a  paru  à  tout  le  monde 
mieux  rendu  par  lui  que  par  Duprez.  L'orchestre  a 
massacré  l'ouverture  qu'il  n'avait  pas  répétée,  mais  il 
ne  faut  pas  le  dire.  Les  chœurs  ont  mis  dans  leur  exé- 
cution plus  de  chaleur  et  d'ensemble  qu*à  l'ordinaire. 
En  somme,  nous  voilà  relevés,  si  Duponchel  ne  nous 
laisse  une  seconde  fois  retomber  à  terre  en  éloignant 
trop  les  autres  représentations. 

Les  acteurs  ont  quelquefois  manqué  de  mémoire.  La 
salle  était  fort  belle,  et  Duponchel  est  content. 

Adieu,  je  vous  embrasse  pour  toute  votre  verve  affec- 
tueuse, vous  êtes  un  excellent  ami,  je  ne  l'oublierai 
jamais.  Horace  aura  menti  : 

Tempora  si  fuerint  nubila.  non  solus  eris. 

H.    BERLIOZ. 

La  Musique   des  familles,  11   août  1888   (Collection   Dentu. 
Ed.  hippeau). 

Un  bille!  au  même  .1.  .Tanin,  postérieur  de  quelques 
jours  au  précédant,  contient  ces  mots  : 

Je  suis  bien  triste  aujourd'hui,  je  viens  de  perdre  mon 
frère,  un  pauvre  garçon  de  dix-neuf  ans,  que  j'aimais. 

(D'après  .T.  G.  Prod'honnne,  Hector  Berlin:,  p.  iOo). 

Prosper  Berlioz  mourut  en  effet  à  Paris,  le  15  janvier 
1839,  dans  la  pension  où  il   faisait   ses  études.  Il  exista 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  395 

ici,  parmi  les  lettres  conservées  par  la  famille,  une  lacune 
de  près  de  quatre  mois  (jusqu'au  9  avril  1839)  :  nous 
n'avons  donc  aucun  renseignement  immédiat  sur  cet  évé- 
nement ;  mais  nous  ne  saurions  douter  que  Berlioz,  malgré 
tant  d'obligations  impérieuses,  ait  rempli  tous  les  devoirs 
que  lui  imposait  sa  situation  de  frère  aîné,  avec  le  dévoue- 
ment affectueux  dont  il  ne  s'est  jamais  départi  à  l'égard  des 
siens.  En  tout  cas,  l'ensemble  de  ses  lettres  ne  peut  laisser 
aucun  doute  sur  la  cordialité  des  sentiments  qu'il  éprouvait 
pour  ce  jeune  frère,  et  qui  ont  inspiré  à  un  biographe  des 
réflexions  aussi  inopportunes  que  peu  justifiées. 


XXXI 

A    FRANZ    LISZT 

[Paris,]  22  janvier  1839. 

Cher  ami, 
J'allais  t  écrire  pour  te  remercier  précisément  de  l'ar- 
ticle dont  tu  me  parles1.  Il  a  paru  dans  la  Gazette  mu- 
sicale, deux  jours  après  la  reprise  de  mon  opéra,  et  je 
t'avoue  qu'il  m'a  touché  plus  que  je  ne  saurais  le  dire  ;  l'a 
propos  de  son  insertion  est,  en  outre,  un  hasard  heu- 
reux qui  ne  te  fâchera  pas.  Oh!  tu  m'as  fait  bien  plaisir. 
Je  n'ai  rien  changé  à  la  rédaction,  n'ayant  appris  l'exis- 
tence de  ton  article  qu'en  le  lisant  dans  le  numéro  du 

1.  Le  Persée  de  lienvenuto  Cellini,  extrait  des  lettres  d'un  bachelier 
ès-musique,  très  bel  article  de  Liszt,  daté  de  Florence,  30  novembre 
[1838],  et  inséré  clans  la  Revue  et  Gazelle  musicale,  du  13  janvier 
1839. 


306  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

journal  où  l'on  rendait  compte  de  ma  représentation. 
Merci  !  tu  es  un  bon,  un  excellent  ami. 

La  reprise  de  Benvenuto  a  été  très  heureuse,  tu  sais 
déjà  cela  par  les  journaux  ;  tu  as  dû  le  voir  par  le  feuil- 
leton de  Janin  où  il  racontait  la  soirée  chez  le  Grand - 
Duc  et  la  charmante  délicatesse  avec  laquelle  la  Grande- 
Duchesse  a  imaginé  de  te  faire  un  présent  dans  la  per 
sonne  d'un  de  tes  compatriotes.  J'ai  été  agréablement 
surpris  de  la  nouvelle  coïncidence  qui  nous  a  fait  nous 
rencontrer  encore  dans  le  feuilleton  des  Débats.  A  pré- 
sent, Benvenuto  sera  joué  aussi  souvent  que  le  permet- 
tront les  arrangements  des  ballets.  Je  dépends  en  consé- 
quence des  caprices  de  Fanny  Essler  ;  elle  est  enchantée 
de  danser  devant  moi  (terme  de  coulisses),  mais  comme 
le  nombre  des  ballets  dont  l'étendue  permet  de  les 
donner  avec  mon  ouvrage  est  très  petit  et  que  d'ailleurs 
elle  n'a  pas  de  succès  dans  la  Fille  du  Danube,  ni  dans 
la  Sylphide,  la  fréquence  de  nos  représentations  dépend 
aujourd'hui  de  la  durée  de  la  Gitana  qu'on  monte  en  ce 
moment  pour  elle.  Nous  allons  voir.  Ma  quatrième  repré- 
sentation, retardée,  comme  tu  sais,  par  l'abandon  subit 
du  rôle  par  Duprez,  a  été  fort  belle;  salle  comble  et 
grands  applaudissements  (un  seul  morceau  excepté, 
dont  la  longueur  paraissait  démesurée  eu  égard  à  la 
faiblesse  du  jeu  de  Dupont,  qui  n'animait  pas  assez  une 
scène  déjà  ennuyeuse  et  longue  par  elle-même).  Je  t'en- 
verrai le  petit  nombre  de  morceaux  gravés  ;  il  n'y  en  a 
que  neuf ,  et  pas  un  chœur;  j'attends  d'avoir  fini  de 


LES   ANNEES    ROMANTIQUES.  397 

corriger  les  épreuves  de  la  grande  partition  de  l'ouver- 
ture pour  que  tu  puisses  avoir  le  tout  ensemble.  J'ai 
cédé  à  Schlesinger  la  propriété  de  mon  Requiem;  tu 
penses  bien  que  je  ne  t'ai  jamais  compté  parmi  mes 
souscripteurs  sérieux  (terme  de  boutique),  et  je  te  prie 
d'accepter  l'exemplaire  que  tu  recevras  avec  le  reste. 

Quel  monde  que  notre  monde  à  l'Opéra!  Quelles 
intrigues  1  Toutes  ces  rivalités  1  toutes  ces  haines  !  tous 
ces  amours!  C'est  vraiment  plus  curieux  de  jour  en  jour. 

On  ne  me  dit  rien  de  Paganini  !  C'est  beau  pourtant  ! 
Tu  aurais  fait  ça,  toi  !.. .  Réellement,  mon  dernier  con- 
cert a  été  magnifique,  je  n'ai  jamais  été  exécuté  ni  com- 
pris comme  ce  jour-là. 

Je  rumine  en  ce  moment  une  nouvelle  symphonie  '  ; 
je  voudrais  bien  aller  la  finir  près  de  toi,  à  Sorrente  ou 
à  Amalfi  (va  à  Amalfi),  mais  impossible  :  je  suis  sur  la 
brèche,  il  faut  y  rester.  Je  n'ai  jamais  mené  une  vie 
aussi  agitée  ;  la  lutte  musicale  à  laquelle  je  viens  de 
donner  lieu  est  d'une  animation  et  même  d'une  violence 
rares.  J'ai  reçu  bien  des  lettres  en  prose  et  en  vers  de 
mes  partisans,  mais  aussi  des  invectives  anonymes  de 
mes  adversaires:  l'un,  entre  autres,  poussait  la  stupidité 
jusqu'à  m'engager  à  me  brûler  la  cervelle...  N'est-ce 
pas  joli?...  Quand  Paganini  m'a  écrit  sa  fameuse  lettre 
et  quand  on  a  su  son  exaltation  en  entendant  pour 
la  première  fois  Harold  au  Conservatoire,  il  y  a  eu  des 

1.  Première  mention  de  Roméo  et  Juliette. 

23 


398  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

grincements  de  dents  d'une  part  et  des  applaudissements 
furieux  de  l'autre.  Je  suis  sûr  que  si  j'avais  habité 
l'Italie  et  que  le  théâtre  de  la  guerre  eût  été  Rome,  par 
exemple,  certaines  gens  se  seraient  donné  le  plaisir  de 
me  faire  assassiner,  à  moins  toutefois  que  je  ne  les  eusse 
prévenus.  Bah!  j'aime  cette  vie-là  ;  j'aime  à  nager  en 
mer,  tout  comme  toi.  Et  à  force  de  nous  rouler  dans  les 
vagues,  nous  finirons  par  les  dompter  et  par  ne  plus 
leur  permettre  de  nous  passer  sur  la  tète. 

Te  voilà  donc  à  Rome  !  M.  Ingres  va  te  faire  un  fier 
accueil,  surtout  si  tu  veux  lui  jouer  notre  adagio  en  ut 
dièze  mineur,  de  Beethoven,  et  la  sonate  en  la  bémol 
de  Weber.  J'admire  beaucoup  le  fanatisme  des  admira- 
tions musicales  de  ce  grand  peintre,  et  tu  lui  pardon- 
neras de  bon  cœur  de  me  détester  en  songeant  qu'il 
adore  Gluck  et  Beethoven. 

Ah  1  tu  vas  à  Rome  !  Tu  vas  faire  connaissance  avec 
le  siroco!  Tu  me  diras  des  nouvelles  de  ce  vent  d' Afrique 
qui  fait  tant  souffrir  les  organisations  nerveuses.  Je  le 
recommande  une  chose  sans  laquelle  tu  ne  connaîtrai 
que  fort  incomplètement  le  sens  poétique  de  ce  grand 
nom  de  la  Ville  Éternelle  :  prends  un  fusil  (c'est  un 
prétexte)  et  va  chasser  pendant  deux  ou  trois  jours  dans 
la  plaine,  du  côte  du  lac  de  Gabia  ;  il  y  a  là  des  ruines, 
des  oasis,  des  monticules  qui  te  diront  bien  des  choses. 
Ensuite,  garde-toi  autant  que  possible  des  conversations 
romaines,  tu  De  trouverais  pas  à  parler  à  de*  visagesl 
il  u'\  a  pas  d'épicier  pire  que  l'épicier  romain. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  399 

Que  je  suis  content  de  bavarder  avec  toi,  ce  soir  !  Je 
t'aime  beaucoup,  Liszt.  Quand  nous  reviendras-tu? 
Aurons-nous  encore  des  heures  de  causeries  enfumées, 
avec  tes  longues  pipes  et  ton  tabac  turc?...  J'ai  eu  une 
bronchite  très  violente,  qui  m'a  fait  un  instant  penser 
à  l'ode  de  Gluck  :  «  Caron  t'appelle  » ,  et  dont  je  ne 
suis  pas  encore  guéri  entièrement. 

Pourquoi  donc  suis-jegai?  Nos  amis  sont  pour  la 
plupart  assez  tristes  ;  Legouvé  a  une  cruelle  gastrite  ; 
Schœlcher  vient  de  perdre  sa  mère;  Heine  n'est  pas 
heureux;  Chopin  est  souffrant  aux  îles  Baléares;  Dumas 
traîne  un  boulet  dont  le  poids  augmente  de  jour  en 
jour  ;  madame  Sand  a  un  enfant  malade,  Hugo  seul 
reste  tranquille  et  fort. 

Ah  !  bon  !  me  voilà  vexé.  On  devait  me  jouer  demain 
et  voilà  que  Dupont  est  malade  ;  on  joue  la  Fille  mal 
gardée  et  le  bal  de  Gustave,  quatre  cents  francs  de 
recette  I  «  Tant  pis  !  »  comme  dit  mon  gamin  d' Ascanio  ; 
je  ne  prendrai  pas  pour  cela  le  mode  mineur. 

Rappelle-moi  au  souvenir  de  madame  d'A...  Je  la 
remercie  sincèrement  de  l'intérêt  qu'elle  veut  bien 
prendre  aux  péripéties  de  mon  drame  ;  c'est  par  affection 
pour  toi,  mais  je  n'en  suis  pas  moins  reconnaissant. 

Adieu,  adieu,  je  t'embrasse  de  toute  mon  âme  et  te 
souhaite  le  vent  du  nord,  puisque  tu  es  à  Rome. 

Ton  ami, 

U.    BERLIOZ. 

Communiqué  pur  M.  Emile  Ollivier,  (antérieurement  reproduit 
dans  le  Gaulois,  2  janvier  1896). 


400  LES    ANNEES    ROMANTIQUES 


XXXII 


A  LECOUR 


Mercredi,  20  février  (1839). 

Mon  cher  Lecour, 

Donnez-moi  des  nouvelles  de  Paganini  ;  je  lui  ai 
écrit  il  y  a  un  mois  et  je  n'ai  point  de  réponse.  Remer- 
ciez aussi  de  ma  part  l'auteur  de  l'article  du  Sud  sur 
cet  aimable  Mainzer;  vous  devez  le  connaître.  Morel 
est  toujours  un  excellent  ami,  je  le  vois  souvent  et  nous 
parlons  toujours  beaucoup  de  vous. 

Je  fais  une  grandissime  symphonie.  On  donne 
Benvenuto  ce  soir;  l'ouverture  en  partition  et  parties 
séparées  paraîtra  dans  peu. 

Mille  millions  d'amitiés. 

Est-ce  vous  qui  avez  fait  l'article  sur  les  concerts  de 
Marseille  qui  a  paru  dans  la  Gazette  musicale"!... 

Vous  me  direz  tout  ça  dans  peu,  n'est-ce  pas  ? 

Tout  à  vous, 

H.   BERLIOZ. 


Bibliothèque  du  Conservatoire  'Autographes' 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  401 

Lecour,  avocat  à  Marseille,  fut  un  des  plus  fidèles  amis  de 
Berlioz.  De  même  Auguste  Morel,  plus  tard  directeur  du 
Conservatoire  de  Marseille.  —  Joseph  Mainzer,  musicien  et 
écrivain  allemand,  a  consacré  à  Berlioz  un  écrit  très  défavo- 
rable. —  Paganini  avait  quitté  Paris  pour  le  midi  en  jan- 
vier 1839,  un  mois  après  le  concert  qui  donna  lieu  à  son 
acte  généreux,  destiné  ù  des  conséquences  si  fécondes  pour 
la  suite  de  la  carrière  de  Berlioz.  Ils  ne  se  revirent  jamais. 


XXXIII 

A    SA    SOEUR    ADÈLE1 

[Paris,]  9  avril  1839. 

Chère  bonne  sœur. 

J'ai  reçu  et  ta  lettre  et  ton  charmant  cadeau.  Tu  as 
précisément  deviné  ce  qui  pouvait  nous  faire  le  plus  de 
plaisir,  car  nous  n'avions  pas  de  thé  complet,  et  derniè- 
rement, quand  Ferrand  et  son  frère  sont  venus  à  Paris, 
nous  avons  été  obligés  d'emprunter  lasses  et  cuillers 
pour  donner  du  thé  à  notre  petite  réunion. 

Te  voilà  donc  mariée  !  Suât,  d'après  la  lettre  qu'il  m'a 
écrite,  était  fou  de  toi  (c'est-à-dire  est  fou  de  loi)  et  tu 
paraissais  l'aimer  pas  mal  aussi.  Je  ne  sais  rien  de  la 
cérémonie,  etc.,  personne  ne  m'a  écrit  depuis  ta  lettre. 
Je  pense  que  tout  s'est  passé  comme  lu  l'entendais.  Ta 

1.  Cette  lettre  est  la  première  qui  soit  adressée  «  à  madame 
Adèle  Suât  »,  et  non  «  à  mademoiselle  Adèle  Berlioz  ». 


402  LES   ANNEES    ROMANTIQUES. 

proposition  d'envoyer  Louis  à  mon  père  a  été  acceptée 
dans  le  premier  moment  de  fierté  de  sa  mère,  glorieuse 
d'envoyer  à  mon  pauvre  père  un  si  joli  garçon;  puis  les 
larmes  sont  venues  à  l'idée  extravagante  de  s'en  séparer, 
puis  enfin  comme  c'est  encore  éloigné  et  qu'il  sera  plus 
grand  alors,  elle  s'y  décide  à  peu  près.  Mais  c'est  toi 
qui  viendras  le  chercher.  C'est  l'enfant  le  plus  charmant 
et  le  plus  horriblement  mal  élevé  que  je  connaisse. 
Il  menace  tout  le  monde  avec  son  sabre, et  il  dit  toutes 
sortes  d'injures  quand  on  le  contrarie;  il  jure  comme... 
son  père  ;  il  a  percé  mon  lit  avant-hier  d'un  coup  de 
baïonnette;  il  avait  pris  mon  attirail  de  la  garde  natio- 
nale. Et  avec  tout  ça  il  est  charmant.  Il  est  enchanté  à 
l'idée  d'aller  cueillir  des  fraises  et  des  pêches  avec  son 
grand-père,  mais  je  ne  sais  trop  comment  il  prendrait 
l'absence  de  ses  parents  dont  il  ne  peut  même  se  séparer 
une  soirée  sans  des  larmes.  Enfin  tu  verras  ça  quand  tu 
viendras  à  Paris. 

Je  suis  malade,  je  ne  puis  décidément  plus  supporter 
le  froid  et  il  gèle  depuis  trois  jours. 

Je  ne  puis  pas  rester  en  repos  à  travailler  chez  moi  ; 
toujours  sortir,  toujours  des  premières  représentations, 
des  concerts,  des  répétitions. 

Adieu,  chère  sœur,  mille  amitiés  à  ton  mari.  Je  vous 
embrasse  tous  les  deux. 

H.   BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


LES    ANNÉES    Iî  OM  A  NTIQUES  .  |03 


XXXIV 

A   LA  MÊME 

[Paris,]  17  mai  1839. 

A  la  bonne  heure  I  il  n'y  a  que  toi  dans  la  famille, 
pour  te  décider  enfin  à  ce  gigantesque  voyage  !  !  !  Bonne 
sœur,  je  te  remercie.  Henriette  est  transportée  de  joie, 
et  Louis  court  dans  toute  la  maison  en  criant  comme 
un  fou  qu'il  va  voir  sa  tante  Adèle  ! 

J'écrivais  il  y  a  huit  jours  à  mon  père  pour  lui  de- 
mander de  venir1.  Peut-être  se  décidera-t-il  plus  tard  ! 
Il  faut  venir  vous  loger  dans  la  rue  du  Mont-Blanc 2,  il 
y  a  là  des  hôtels  garnis  et  nous  serons  voisins.  Je  ne 
sais  qui  t'a  pu  dire  que  nous  étions  à  l'autre  extrémité 
de  Paris;  mais  Paris  c'est  la  Chaussée-d'Antin,  c'est  le 
boulevard  des  Italiens,  et  nous  sommes  près  de  tout  ça. 
Le  beau  temps  reparaît  aujourd'hui,  il  est  venu  avec  ta 
lettre.  Je  sais  bien  bon  gré  à  Suât  de  n'avoir  pas  lan- 
terné comme  tout  le  monde  pour  t'amener  à  Paris  ;  dis-le- 
lui  bien  de  ma  part. 

Allons,  dépèchez-vous  de  partir  ! 

Je  vous  embrasse  tous  les  deux. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

1.  Lettre  non  retrouvée. 

2.  Aujourd'hui  rue  de  la  Chaussée-d'Antin.   Berlioz  demeurait 
alors  rue  de  Londres. 


404  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 


XXXV 

A    CHOPIN 

[Paris,  avril  ou  mai  1839.] 

Mon  cher  Chopin, 

Les  uns  me  disent  que  vous  allez  bien,  les  autres  que 
vous  souffrez  davantage,  d'autres  enfin  qu'ils  n'ont 
point  de  vos  nouvelles  ;  pour  en  finir,  soyez  assez  bon 
pour  m'écrire  quatre  lignes  et  me  dire  comment  vous 
vous  trouvez  et  quand  vous  nous  revenez . 

Mille  amitiés. 

H.    BERLIOZ. 

P.-S.  —  Rappelez-moi,  je  vous  prie,  au  souvenir  de 
madame  Sand  et  mettez  à  ses  pieds  mes  plus  violentes 
admirations.  Nous  venons  d'éprouver  un  rude  opéra... 
d'Auber  *. 

Monsieur,  monsieur  Chopin,  à  Marseille. 

Karlovicz,  Souvenirs  inédits  de  Chopin. 

a  liszt,  Paris,  6  août  1839  (Corrcsp.  inéd.,  123).  Chroni- 
que sous  forme  de  lettre  ouverte,  parue  dans  la  Gazette  musi- 

1.  Le  Lac  des  Fées,  représenté  le  1"  avril  1S.Î9. 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  405 

cale  dudit  jour.  Au  nombre  des  nouvelles  données,  mention- 
nons celle-ci  :  «  La  cause  de  Spontini  a  été  défendue  dans 
une  brochure  par  un  de  nos  amis,  Emile  Dieschampsj.  » 

a  humbert  ferrand,  22  août  1839.  «  J'ai  fini  ma 
grande  symphonie  avec  chœurs.  —  Spontini  a  écrit  à  Emile 
Deschamps  avant-hier  une  lettre  incommensurablement 
ridicule...  »  Benvenuto.  — La  Vendetta  de  Rivolz. 


XXXVI 

A     ANTONY     DESCHAMPS 

[Vers  1839.] 
Mon  cher  Antony, 

Je  trouve  ces  vers  magnifiques,  pleins  de  feu,  d'élan 
et  d'enthousiasme  bien  senti.  Spontini  en  sera  très  flatté, 
je  n'en  doute  pas.  Allez  les  lui  porter. 

Mille  amitiés. 

H.    BERLIOZ. 
Bibliothèque  du  Conservatoire  (Autographes}. 

Rapprocher  cette  lettre  des  extraits  des  deux  précédentes 
sur  Spontini.  Emile  et  Antony  Deschamps  furent  collabo- 
rateurs de  Rerlioz,  le  premier  pour  Roméo  et  Juliette  qui 
s'achevait  juste  à  ce  moment,  le  second  pour  le  chœur  final 
la  Symphonie  funèbre  et  triomphale. 

a  Georges  kastner,  9  septembre  1839  (Guide  musical 
du  14  décembre  1890).  «  J'étais  dans  Yultimo  fuoco  de  mon 

23. 


406  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

ultimo  pezzo;  je  ne  pensais  à  rien  autre.  De  plus  nous  avons 
eu  une  de  nos  voisines  dans  la  maison  qui  est  devenue  folle, 
qui  a  fait  une  peur  atroce  à  ma  femme,  qui  nous  a  forcé 
d'aller  chercher  un  refuge  hors  de  chez  nous  pendant  deux 
jours;  tout  cela  m'a  fait  perdre  le  souvenir  de  la  réponse 
que  je  vous  devais...  J'ai  fini  tout  à  fait  la  symphonie;  fini, 
très  fini,  ce  qui  s'appelle  fini.  Plus  une  note  à  écrire.  Amen, 
amen,  amenissimen  !  !  !  » 

a  l'éditeur  catelin,  1er  octobre  1839  (Catal.  d'au- 
togr.  J.  Charavay,  219).  Il  le  somme  de  publier  de  suite 
sa  partition  (Benvenuto  Cellini?)1. 


XXXVII 

A    ELWART 

[Paris,  8  novembre  1839.] 

Mon  cher  Elwart, 
Je  ne  pourrai  pas  me  trouver  jeudi  à  notre  dîner. 
Tout  à  toi. 

H.    BERLIOZ. 
Commtiniqué  par  M.  Chaper. 

La  dernière  page  de  la  partition  autographe  de  Roméo  et 
Juliette  porte  cette  note  de  la  main  de  Berlioz  : 

Cette  symphonie,  commencée  le  24  janvier  1839,  a  été 

1.  Cette  lettre,  mise  en  vente  à  Paris  le  16  juin  1884,  a  été  ra- 
chetée par  l'éditeur  Brandus,  successeur  de  Schlesinger,  lequel 
avait  publié  les  morceaux  séparés  de  Benvenuto  Cellini.  (Voir 
Ménestrel,  1884,  236.) 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  'P(Ï7 

terminée  le  8  septembre  de  la  même  année  et  exécutée  pour 
la  première  fois  au  Conservatoire,  sous  la  direction  de 
Fauteur,  le  24  novembre  suivant. 


XXXVIII 

A    SON   PÈRE 

[Paris,]  26  novembre  1839. 

Cher  père, 

Je  ne  vous  écris  que  six  lignes  pour  vous  annoncer 
un  grand  succès!  Roméo  et  Juliette  ont  été  accueillis 
avec  des  acclamations  dont  mon  oncle  Auguste  pourra 
vous  rendre  bon  compte,  car  il  était  au  concert  avec 
mes  cousins.  J'ai  failli  succomber  à  la  fatigue  des  répé- 
titions, mais  le  succès  m'a  remonté.  Et,  n'était  un  bain 
que  j'ai  pris  mal  à  propos  ce  matin  et  qui  m'a  enrhumé, 
je  n'aurais  plus  ni  toux  ni  autre  incommodité.  Quel 
malheur  que  vous  ne  puissiez  jamais  vous  trouver  à 
Paris  dans  des  occasions  semblables  !  Ce  premier  concert, 
outre  son  importance  immense  musicalement  parlant 
(la  forme  d'art  qui  en  faisait  le  sujet  étant  encore 
inconnue),  devait  m'éclairer  sur  l'intérêt  réel  qu'une 
nouvelle  composition  de  moi  pouvait,  à  cette  heure, 
exciter  chez  le  vrai  public. 

L'affluence  a  été  telle  qu'on  a  refusé  au  bureau  pour 


4ÛS  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

plus  de  quinze  cents  francs  de  location.  Malgré  l'énorme 
quantité  de  billets  que  les  exigences  incroyables  de  la   j 
presse  m'ont  arrachée,  le  résultat  de  la  recette  a  été  de 
quatre  mille  cinq  cent  cinquante-neuf  francs. 

La  salle  ne  peut  contenir,  avec  les  prix  ordinaires,  que 
cinq  mille  francs.  La  reine  m'avait  fait  prévenir  à  midi 
qu'elle  viendrait,  on  a  tout  disposé  pour  la  recevoir,  et 
je  ne  sais  ce  qui  l'a  retenue  aux  Tuileries.  Les  deux 
jeunes  princes,  le  duc  d'Aumale  et  le  duc  de  Montpen- 
sier,  ont  seuls  paru  dans  la  loge  royale.  Je  suppose  que 
l'arrivée  du  duc  d'Orléans  qu'on  attendait  dans  la 
journée  aura  été  cause  de  ce  contretemps. 

J'ai  reçu  force  lettres  de  compliments  aujourd'hui. 
A  part  la  presse  sans-culotte,  je  crois,  à  en  juger  par  ce 
qu'on  dit,  que  les  journaux  me  seront  très  favorables. 

C'est  probablement  le  succès  le  plus  grand  que  j'aie 
encore  obtenu. 

Je  vous  embrasse  avec  l'espérance  que  cette  nouvelle 
vous  donnera  quelques  heures  de  bonheur. 

Balzac  me  disait  ce  matin  :  «  C'était  un  cei*veau  que 
votre  salle  de  concert.  »  On  y  remarquait  en  effet  toutes 
les  notabilités  intelligentes  de  Paris.  Bien  des  ennemis 
venus  là  avec  de  sinistres  intentions  ont  été  obligés,  par 
contenance,  de  faire  semblant  d'être  enchantés.  Ils  se 
dédommageront  dans  les  petits  journaux  par  des  farces 
anonymes. 

La  seconde  exécution  sera  pi  us  satisfaisante  encore,  je 
l'espère;  elle  aura  lieu  dimanche  prochain. 


LES   ANNÉES    ROMANTIQUES.  409 

Cependant,  la  première  est  un  tour  de  force  que  mon 
système  de  répétitions  partielles  pouvait  seul  produire; 
les  artistes  eux-mêmes  s'étonnent  de  ce  qu'ils  ont  fait. 

Adieu,  cher  père,  embrassez  mes  sœurs  pour  moi,  je 
vous  quitte  pour  m'occuper  de  quelques  petits  change- 
ments que  je  veux  faire  dans  ma  partition. 

H.    BERLIOZ. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

Sur  le  verso  de  cette  lettre,  du  côté  de  l'adresse,  on  lit 
les  lignes  suivantes,  de  la  main  du  docteur  Berlioz  : 

«  Je  m'empresse  de  te  communiquer  la  lettre  d'Hector, 
c'est  un  nouveau  certificat  de  vie  de  ma  part.  Fais-moi 
le  plaisir  de  me  donner  son  adresse,  car  il  faut  bien  que 
je  lui  témoigne  combien  ce  nouveau  succès  me  rend 
heureux.  Adieu,  chère  fille,  tu  trouveras  cette  lettre 
jointe  à  un  singulier  envoi,  une  pelotte  de  beurre,  » 

a  jules  janin,  Paris, 28  novembre  1S39 (Catal.  d'autogr. 
J.  Charavay,  373).  En  réponse  à  un  article  sur  Roméo  et 
Juliette  où  était  rappelé  le  don  de  Paganini  :  «  Je  ne  suis 
plus  ou  pas  encore  à  L'âge  où  l'on  pleure  volontiers  d"atten- 
drissement,  mais  votre  apostrophe  à  Paganini  m'a  fait 
fondre  en  larmes.  » 


ilO  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 


XXXIX 

A    LASSAILLY 

[Paris,  28  novembre  1839.  | 

Mon  cher  Lassailly, 

Pourriez-vous  trouver  un  moyen  de  m'annoncer  dans 
le  Capitule  ou  le  Journal  général  où  je  ne  connais  per- 
sonne ?  Vous  m'obligeriez  beaucoup. 

Votre  tout  dévoué, 

H.    BERLIOZ. 

A  dimanche  prochain. 
Communiqué  par  M.  Chaper. 

XL 

A    SON    PÈRE 

Dimanche  soir,  1"  décembre  1839. 

Cher  père, 

Il  faut  absolument,  malgré  ma  fatigue,  ma  complète 
extermination,  que  je  vous  dise  ces  quelques  mots  :  la 
seconde  représentation  de  Roméo  et  Juliette  a  eu  un 


tLES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  411 

ccès  prodigieux,  écrasant!  on  m'a  abîmé  d'applaudis- 
ments,  de  cris,  de  larmes,  de  tout. 
A  la  fin  du  concert,  au  moment  de  la  réconciliation 
■s  Capulets  et  des  Montaigus,  tout  l'orchestre  et  les 
ï.  chœurs  se  sont  levés  avec  des  hourras  à  ébranler  la 
(  salle,  pendant  que  le  public,  dans  le  parterre,  dans  les 
I  loges,  applaudissait  à  tout  casser  ;  j'ai  eu  peur  un  mo- 
ment de  perdre  mon  sang-froid,  chose  que  je  redoute 
par-dessus  tout,  mais  j'ai  tenu  bon  ! 
Adieu  pour  ce  soir. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


XLI 


A    EDOUARD    MONNAIS,    DIRECTEUR    DE    L   OPERA 

Lundi,  matin  [-2  décembre  1839]. 

Monsieur  le  directeur, 

Veuillez  être  assez  bon  pour  autoriser  madame  Wide- 
man,  MM.  Alizard  et  Dupont,  à  chanter  encore  dimanche 
prochain  les  solos  de  ma  symphonie.  Je  sais  qu'on  doit 
jouer  à  l'Opéra  ce  jour-là,  mais  ce  que  ces  trois  artistes 
ont  à  faire  entendre  dans  mon  concert  n'est  pas  de 
nature  à  pouvoir  les  fatiguer  ;  ils  s'engagent  d'ailleurs, 


412  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

tous  les  trois,  à  ne  compromettre  en  rien  les  intérêts  de 
la  représentation  du  soir.  Vous  m'obligerez  en  m'accor- 
dant  cette  première  faveur. 
Votre  tout  dévoué, 

H.    BERLIOZ. 

P. -S.  —  J'espère  que  voilà  une  lettre  administrative  ! 
Mais  je  prie  mon  ancien  confrère,  M.  E.  Monnais,  de 
me  recommander  chaudement  à  M.  le  directeur  de 
l'Opéra. 

Monsieur  E.  Monnais,  à  l'Opéra. 

Communiqué  par  M.  Chaper. 

Edouard  Monnais,  collaborateur  de  Berlioz  à  la  Gazette 
musicale,  avait  été  adjoint  à  Duponchel  pour  la  direction  de 
l'Opéra,  le  lo  novembre  1839. 


XLII 


A   THEOPHILE     GAUTIER 

Mercredi  matin  [12  décembre  1839]. 

Vous  avez  été  admirablement  bon;  je  vous  remercie! 

II.  BERLIOZ. 

Communiqué  par  M.  le  vicomte  de  Spoelberch  de  Lovenjoul. 

Théophile  Gautier  avait  rendu  compte  de  Roméo  et  Julùlle 
dans   son   feuilleton  de   la  Presse  (11  décembre).  L'article 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  413 

contenait  de  magnifiques  éloges  à  l'adresse  de  Berlioz  : 
«  Il  a  donné  une  âme  à  chaque  instrument  de  l'orchestre, 
une  expression  à  chaque  note  ;  il  a  voulu  que  chaque  phrase 
eût  un  sens  précis  ;  cette  idée,  pressentie  par  quelques 
maîtres,  essayée  par  Beethowen,  a  été  bien  développée  par 
M.  Berlioz,  etc.  » 


XLIII 

A   SA   SOEUR   ADÈLE 

Vendredi  soir,  20  décembre  1839. 

Chère  Adèle, 

Ta  lettre  m'a  fait  bien  plaisir,  je  t'en  remercie.  Nanci 
m'écrit  aujourd'hui  que  tu  vas  toujours  bien  l  à  la  bonne 
heure.  Henriette  vient  d'être  un  peu  malade;  j'ai  eu 
peur,  un  instant,  d'une  pleurésie,  comme  l'année  der- 
nière, mais  tout  s'est  dissipé  heureusement  sans  recourir 
aux  remèdes  violents. 

Mes  trois  concerts  sont  terminés,  le  succès  est  allé 
croissant  jusqu'au  dernier.  L'exécution  aété  foudroyante. 
On  n'a  jamais  osé  donner  trois  fois  de  suite  une  seule  et 
même  symphonie  ;  je  l'ai  fait,  et  cette  expérience  a  fait 
sortir  de  la  poche  du  public  la  somme  de  treize  mille 
deux  cents  francs  ;  il  y  a  eu,  tout  compris,  douze  mille 
cent  francs  de  frais,  tu  vois  ce  qui  me  reste...  c'est 
misérable,  n'est-ce  pas  ?  mais  ce  résultat,  eu  égard  ù  la 


414  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

ladrerie  de  notre  public  musical,  à  l'exiguïté  de  la  salle, 
et  aux  exigences  des  journaux  pour  les  billets,  est 
magnifique. 

Henriette  est  un  peu  fîère,  tu  le  penses,  d'avoir  pré- 
dit tout  ça. 

Adieu,  je  n'ai  que  le  temps  de  t'écrire  ces  deux  ou 
trois  lignes.  Mille  amitiés  à  Suât. 

II.    BERLIOZ. 

P.-S.  —  J'enverrai  à  Xanci,  la  semaine  prochaine, 
un  gros  paquet  de  journaux  ;  pour  les  feuilles  hostiles, 
vous  les  avez  toutes  lues  sans  aucun  doute,  ce  sont  les 
premières  qui  vous  seront  tombées  sous  les  yeux,  comme 
de  raison. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 

A  h'dmbert  ferrand,  Paris  (et  non  Londres),  31  janvier 
1840  (Let.  int.,  187).  a  Vos  félicitations  me  manquaient... 
me  voilà  content,  le  succès  est  complet.  »  Résultat  financier  : 
«  N'est-ce  pas  triste  d'avouer  qu'un  résultat  si  beau  est 
misérable  quand  j'y  veux  chercher  des  moyens  d'existence? 
Décidément  l'art  sérieux  ne  peut  pas  nourrir  son  homme. 
—  Paganini  est  à  Nice  ;  il  m'a  écrit  il  y  a  peu  de  jours  ;  il 
est  enchanté  de  son  ouvrage.  Il  est  bien  à  lui,  celui-là,  il  lui 
doit  l'existence.  » 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  415 

XLIV 

A     SA     SOEUR     ADÈLE 

[ParisJ,  13  février  1840. 

Ah  çà  !  mais  il  est  donc  convenu  entre  vous  de  ne 
lus  m'écrire?  Je  ne  sais  rien  de  vous  tous  et  je  vou- 
drais tant  être  au  courant  de  vos  façons  de  vivre.  Com- 
ment vas-tu,  toi,  petite  sœur?  Quand  me  donnes-tu  un 
neveu  ou  une  nièce?  Que  fait  ton  mari?  Que  t'écrit 
iNanci?  Que  te  dit-on  de  mon  père?  Réponds  à  tout  ça. 

Pour  nous  ici,  voilà:  Louis  vient  d'avoir  la  rougeole, 
et  Henriette  a  été  gratifiée  d'une  inflammation  des 
amygdales  qui  l'a  tourmentée  assez  longtemps.  On  est 
guéri  à  cette  heure.  xAIoi  j'ai  de  temps  en  temps  d'affreux 
maux  de  nerfs  qui  me  font  trembler  comme  un  fiévreux, 
puis  ces  vents  orageux  du  mois  dernier  m'avaient  donné 
un  spleen  actroce;  j'aurais  massacré  le  Père  éternel  et 
son  auguste  Fils.  Maintenant,  je  suis  un  peu  remonté 
grâce  à  un  splendide  concert  que  j'ai  dirigé  pour  le 
compte  du  directeur  de  la  Gazette  musicale  et  dans  le- 
quel ma  symphonie  cYHarold  et  l'ouverture  de  Beneve- 
nuto  ont  obtenu  un  succès  vigoureux.  Fétis  y  était,  il  a 
failli  avoir  un  coup  de  sang...  de  rage. 

Je  suis  enchanté  en  outre  de  voir  des  conversions 
s'opérer  de  jour  en  jour  plus  fréquentes.  Enfin  tout 
marche  assez  bien,  il  ne  manque  que  des  lettres  de  Saint- 


416  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

Chamond1,  ou  de  la  Côte,  ou  de  Grenoble.  Un  des  ca- 
marades de  mon  oncle  m'a  donné  de  ses  nouvelles 
l'autre  jour. 

Adieu.  Ton  affectionné  frère. 

Mille  amitiés  à  Suât. 

H.  BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


XLV 

A    SON    BEAU-FRÈRE    SUAT 

[Paris,  vers  mar3  1840.] 

Voilà,  mon  cher  Suât,  la  signature  demandée.  J'au- 
rais dû  vous  l'envoyer  un  jour  plus  tôt,  mais  j'ai  étéj 
pris  au  lit  ce  matin  par  des  visiteurs,  puis  obligé  del 
courir  les  ministères  toute  la  journée,  de  sorte  que  cet 
soir  seulement  j'ai  pu  trouver  une  minute  pour  vous 
répondre. 

Vos  bonnes  nouvelles  d'Adèle  nous  ont  fait  un  bien 
grand  plaisir.  Henriette  a  eu  la  grippe.  Je  ne  vais  pas ; 
mal.  Louis  est  très  bien. 

Nous  allons  avoir  une  catastrophe  à  l'Opéra  ;  ce  théà-  )  I 
tre,  comme  tous  les  autres,  est  aux  trois  quarts  ruine  par 
l'imbécillité  de  sa  direction  ;  il  compte  sur  les  Martyrs 

1.  Ht'sidenco  de  sou  beau-frère  Suai  et  de  sa  sœur  Adèle. 


-LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  417 

de  Bonizetti1  comme  il  comptait  sur  la  voix  de  made- 
moiselle Falcon  ;  on  dit  cette  partition  d'une  platitude 
immense,  et  j'ai  peu  de  peine  à  le  croire;  le  poème 
d'ailleurs  est  assommant  et  religieux.  Nous  allons  laisser 
couler  ça  à  terre  tout  doucement.  Il  faut  espérer  que  le 
règne  du  crétinisme  musical  ne  sera  pas  éternel.  Après 
cette  chute,  l'Opéra  ne  saura  où  donner  de  la  tète,  Meyer- 
beer  ne  voulant  pas  laisser  jouer  son  nouvel  ouvrage2. 
Adieu,  mille  amitiés  à  vous  et  à  Adèle. 

H.   BERLIOZ. 

Bien  des  choses  de  ma  part  à  Dufeuillant  quand  vous 
lui  écrirez. 

Communiqué  par  madame  Clwpot. 


XLVI 

A     VICTOR     HUGO 

[Paris,]  5  mai  1840  3. 

Si  sentir  est  vivre,  j'ai  vécu  beaucoup  aujourd'hui... 
J'ai  lu  vos  vers  ce  matin  ;  à  midi  (c'était  hier  le  i  mai) 

1.  Cet  ouvrage  fut  représenté  à  l'Opéra  le  10  avril  1840. 

2.  Le  Prophète,  qui  ne  fut  pas  représenté  avant  1849. 

3.  La  préface  des  Rayons  et  les  Ombres  porte  la  date  du 
4  mai  1840.  Ce  recueil  se  termine  par  le  Retour  de  l'Empereur: 
c'est  de  ce  poème,  sans  doute,  qu'il  est  question  ici.  —  Est-il 
besoin  de  rappeler  que  le  5  mai  est  l'anniversaire  de  la  mort 
de  Napoléon? 


418  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

j'ai  suivi  le  peuple  au  pied  de  la  colonne,  ce  poème! 
immortel  de  l'autre  empereur... 

J'ai  marché  longtemps,  comme  Ruy  Blas,  dans  mon 
rêve  étoile...  puis  j'ai  revu  le  bronze  et  j'ai  relu  vos 
vers...  Maintenant  je  m'incline  en  pleurant,  et  j'adore... 

H.    BERLIOZ. 

Monsieur  Victor  Hugo,  Place  Royale,  Paris. 
Communiqué  par  M.  Gustave  Simon. 


XLVII 


A    CHOPIN 


[Paria,  Juillet  ISiO.] 

Je  viens  de  voir  Vidal;  j'aurais  voulu  vous  parler. 
Severini1  est  prévenu,  allez  le  plus  tôt  possible  vous 
arranger  avec  lui. 

U.    BERLIOZ. 


1.  Directeur  du  Théâtre-Italien. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  41'J 

(Le  billet  suivant  était  joint  à  cette  lettre  : 

Dimanche,  26  juillet,  à  onze  heures  et  demie, 

Salle  des  concerts  de  la  rue  Neuve-Vwiennè. 

Répétition  générale  de  la  Symphonie  militaire 

Composée  par  M.  H.  Berlioz  . 

Pour  la  fête  funèbre  du  28  juillet. 

H.     BERLIOZ. 

Bon  pour  deux  personnes. 
Marche  funèbre,  Hymne  d'adieu,  Apothéose. 

Karlovicz,  Souvent,  s  inédits  de  Chopin. 

La  Symphonie  funèbre  et  triompliale  fut  exécutée  publique- 
ment le  28  juillet  1840,  dixième  anniversaire  de  la  Révolu- 
tion de  Juillet,  pour  l'inauguration  de  la  colonne  érigée  à 
cette  occasion  sur  la  place  de  la  Bastille. 

Le  1er  no\embre  1840,  Berlioz  dirigea  un  festival  à 
l'Opéra,  dont  les  Mémoires  ont  conté  les  incidents  divers. 
La  lettre  ci-après  donne  uu  autre  récit  des  mêmes  faits. 


XLYII1 

A     SA     SOEUR    ADÈLE 

Lundi,  2  novembre  (,18-iOy. 
Chère  sœur, 
Je   ne  t'ai  pas  répondu  parce  que  je  préparais  une 
grande  bataille  que  nous  avons  gagnée  hier  soir.  Vous 


420  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES. 

ne  lisez  donc  rien  à  la  Côte  ?  Je  viens  de  monter  un  fes- 
tival à  TOpéra;  quatre  cent  cinquante  musiciens  eti 
choristes  ont  exécuté  sous  ma  direction  des  fragments 
de  mon  Requiem,  de  mes  symphonies,  un  acte  à'Iphi- 
génie  en  Tauride,  une  partie  de  YAthaiie  de  Hœndel  et 
un  madrigal  du  vieux  maître  italien  Palestrina.  Il  y  a 
eu,  quinze  jours  à  l'avance,  cabales  pour  empêcher  les 
musiciens  de  l'Opéra  de  se  réunir  à  moi,  injures  dans 
les  petits  journaux,  menaces,  etc.,  etc.  La  répétition 
d'avant-hier  ayant  été  horriblement  fatigante  et  confuse, 
j'étais  donc  dans  une  anxiété  que  tu  peux  concevoir. 
Mais  quand  je  suis  entré  hier  soir  sur  cette  immense 
scène  de  l'Opéra  rendue  plus  immense  encore  par  un 
plancher  incliné  qui  descendait  jusqu'au  public,  quand 
j'ai  vu  mon  armée  attentive,  la  salle  pleine  inondée  de  lu- 
mière, quand  j'ai  entendu  le  frémissement  de  l'auditoire 
au  premier  chœur  des  prêtresses  de  Diane  (pendant 
l'orage),  les  applaudissements  qui  ont  accueilli  le  chœur 
des  Scythes,  j'ai  senti  que  l'affaire  s'engageait  bien.  Aussi 
j'ai  commencé  mon  Dies  irœ  avec  confiance  malgré  les 
deux  ou  trois  gredins  que  je  savais  être  au  parterre. 
L'effet  de  cette  masse  harmonique  a  été  foudroyant,  la 
salle  tremblait  sous  l'effort  des  voix  et  des  tonnerres  et  des 
trompettes  ;  cette  peinture  du  jugement  dernier  les  a 
écrasés,  et  trois  fois  au  milieu  du  morceau  les  applau- 
dissements et  les  cris  du  public  ont  couvert  les  sons  de 
mon  peuple  chantant.  A  la  fin  de  ce  morceau,  un  cher 
ennemi  a  eu  la  stupidité  de  pousser  un  coup  de  sifflet, 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  421 

que  j'aurais  payé  mille  francs  s'il  s'était  agi  de  l'acheter  ; 

I.  à  l'instant  la  salle  entière  s'est  levée  avec  des  cris  de 
fureur,  mes  exécutants  ont  joint  leurs  applaudissements 
§  à  ceux  du  parterre  et  des  loges.  Les  femmes  applaudis- 
I  saient  avec  leurs  cahiers  de  musique,  les  violons  et  les 
:  basses  avec    leurs  archets,   les  timbaliers  avec  leurs 
|   baguettes,  c'était,  on  peut  le  dire,  un  succès  furieux. 
La  leçon  a  été  bonne  ;  le  gredin  en  question  une  fois 
||  jeté  à  la  porte,  le  Lacnjmosa,  la  Fête  chez  Capulet,  et  la 
f  Symphonie  militaire  tout  entière  ont  été  accueillis  avec 
I  un  enthousiasme  qu'il  est  bien  rare  d'obtenir  à  l'Opéra. 
|  surtout  d'un  public  qui  a  payé  plus  cher  qu'à  l'ordi- 
i  naire.  L'Apothéose  a  été  interrompue  cinq  fois  par  les 
ji  applaudissements,  et  au  dernier  retour  du  thème  triom- 
phal tout  le  parterre  s'est  levé  debout  en  gesticulant, 
criant;  c'était  superbe.  Je  suis  exténué,  mais  moins  qu'a- 
vant-hier. 
Henriette  pleure  de  bonheur. 

C'est  pour  moi  un  événement  dont  les  suites  sont  in- 
calculables. 
Adieu,  embrasse  bien  mon  père. 

H.    B. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 

a  buloz,  22  novembre  1840  (Corresp.  inéd.,  132).  Pro- 
testation contre  un  article  de  la  Revue  des  Deux  Mondes  lui 
reprochant  d'avoir,  au  festival  de  l'Opéra,  fait  à  Gluck  «  l'au- 
mône de  quelques  ophicléides  et  écrasé  Palestrina  sous  la 
pompe  des  voix  et  des  instruments  ». 

24 


i-2:2  LES   ANNÉES    ROMANTIQUES 


XLIX 

A    SA    SOEUR   ADÈLE. 

[Fin  décembre  1840,  ou  commencement  de  1841.] 

Chère  petite  sœur, 

Appelle-moi  ingrat,  paresseux,  vilain,  drôle,  gredin, 
pour  ne  t'avoir  pas  encore  répondu  1  Tu  feras  bien  ! 
Pourtant  j'ai  fait  tant  d'affaires  musicales  que  je  ne 
mérite  guère  que  la  moitié  de  tes  éloges.  Sois  tranquille, 
tout  ça  ne  fait  rien,  je  t'aime,  chère  petite  sœur,  je 
t'aime  autant  que  lu  puisses  désirer  d'être  aimée  de  ton 
frère. 

Je  viens  de  donner  mon  dernier  concert.  Grand,  furi- 
bond enthousiasme  !  Si  tu  faisais  collection  d'auto- 
graphes, je  t'enverrais  une  lettre  de  Balzac  à  ce  sujet. 

Tu  sais  qu'on  m'a  demandé  une  marche  triomphale 
pour  l'empereur,  quinze  jours  avant  la  cérémonie  1  et 
que  j'ai  refusé  sous  prétexte  qu'il  ne  s'agissait  pas  là 
d'un  couplet  de  mariage  qu'on  peut  improviser  un  soir 
en  se  couchant.  Au  fond  je  voulais  me  donner  le  plai- 
sir de  voir  Auber,  Halévy  et  Adam  se  casser  les  reins 
sur  mon  apothéose  de  Juillet;  cl,  j'ai  réussi  à  tel  point 
que  j'en  ai  eu  le  cœur  saignant.  Il  n'est  pas  possible  de 

1.  Le  retour  dis  cendres  vlô  décembre  1840  . 


LES    ANNEES    ROMANTIQUE^.  4'23 

voir  une  chute  plus  absolue  et  plus  honteuse  que  celle 
de  ces  trois  pauvres  diables  devant  la  salle  de  l'Opéra 
remplie  jusqu'aux  combles  de  billets  donnés  le  jour  de 
la  répétition.  Tous  les  musiciens  me  faisaient  compli- 
ment en  sortant.  Et  un  musicien  à  moi  inconnu,  me 
prenant  la  main  sur  le  grand  escalier  de  l'Opéra  : 
;«  Monsieur  Berlioz,  voilà  une  journée  qui  vous  met 
sur  la  colonne  Vendôme  !  » 

Le  Requiem  de  Mozart  a  fait  un  assez  triste  effet,  bien 
ique  ce  soit  un  chef-d'œuvre  ;  il  n'est  pas  taillé  dans  les 
jproportions  qu'exigeait  une  pareille  cérémonie. 

Oh  !  notre  sublime  empereur,  quelle  pitoyable  ré- 
ception on  lui  a  faite  !  Mes  larmes  se  gelaient  sur  mes 
[paupières  plus  encore  de  honte  que  de  froid.  Je  n'ai  eu 
quelques  heures  de  demi-contentement  que  celles  que 
n'ai  passées  avec  les  canonniers  des  Invalides  qui  ne 
tiraient  guère  pourtant  que  comme  pour  le  baptême  du 
Comte  de  Paris  ou  de  tout  autre  embryon  princier.  Ohl 
j'aurais  voulu,  au  lieu  de  ces  cinq  petites  pièces  enrhu- 
mées, avoir  cinq  cents  dogues  hurlant  et  jetant  la 
flamme  autour  du  monument,  au  moment  de  l'entrée 
du  cortège.  Mais  rien  !  tout  raté  1  tout  manqué  !  tout 
avorté  !  même  les  effets  d'artillerie  I 

Je  suis,  à  cette  heure,  occupé  d'adjoindre  Scribe  à 
Soulié  pour  terminer  mon  opéra1,  J'ai  lu  le  plan  de  la 
pièce  à  Henriette  qui  en  est  enthousiasmée. 

1.  La  Nonne  sanglante,  que  Berlioz  n'acheva  poinl. 


424  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

Adieu,  petite  sœur,  embrasse  ta  jolie  petite  pour  nous 
et  fais  de  ma  part  mille  amitiés  à  ton  mari.  Quand  re- 
viendrez-vous  à  Paris  ? 

On  m'a  proposé  la  semaine  dernière  un  engagement 
de  deux  mois  pour  aller  donner  des  concerts  à  Londres, 
mais  j'ai  refusé  de  signer  et  fait  d'autres  conditions 
qu'on  n'acceptera  probablement  pas. 

II.    BERLIOZ. 

Louis  embrasse  sa  tante  Adèle  et  son  oncle  Suât  ;  il 
commence  à  lire,  il  chante  du  matin  au  soir  comme  le 
savetier  de  La  Fontaine,  et  c'est  aussi  merveille  de  le  voir. 

Communiqué  par  madame  Chapot. 


X    EUGENE    DELACROIX 


[Été  1841.] 

Mon  cher  Delacroix, 

On  m'affirme  que  vous  m'en  voulez  de  m'avoir  vai- 
nement attendu  pendant  trois  jours.  Vous  m'excuserez 
peut-être  en  mettant  mon  absence  sur  le  compte  d'un 
travail  pressé  :  l'achèvement  de  cette  fameuse  symphonie 
sauvage,  dont  Meyerbeer  s'est,  paraît-il,  tant  diverti 
avant  de  la  connaître.   Cette  excuse  m'échappe.  Que 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  425 

Meyerbeer  se  rassure  !  Je  vous  ai  sacrifié,  non  pas  à  une 
harmonie  quelconque,  mais  tout  simplement  à  une 
pèche  à  la  ligne  dont  Scribe  a  eu  l'idée. 

Ne  sachant  plus  où  s'isoler,  il  a  eu  cette  invention  de 
m'entraîner  sur  les  bords  de  la  Bièvre,  pour  y  réfléchir 
à  son  aise,  sous  prétexte  de  dépeupler  les  rivages  chers 
à  Hugo.  Tandis  qu'il  s'efforçait  de  chercher  un  dénoue- 
ment, je  m'efforçais  de  ramener  une  ablette.  Mon  cher 
peintre,  je  suis  rentré  bredouille.  Le  poisson  se  fait  rare. 
On  l'a  prévenu  contre  les  hommes  et  aussi,  paraît-il, 
contre  les  musiciens. 

J'ai  même  des  jaloux  au  royaume  des  ondes  ! 

Me  voilà  sans  défense  devant  vous.  Mais  ce  qui  est 
différé  n'est  pas  perdu.  Je  suis  à  jamais  dégoûté  d'un 
plaisirnouveau  que  je  juge  impossible.  Tant  il  est  vrai 
que, sauf  la  musique,  toutes  les  tentatives  m'échappe- 
ront. Quand  je  dis,  sauf  la  musique,  je  me  vante  ! 
Excusez-moi  encore,  et  à  bientôt  ! 

H.    BERLIOZ. 
Ménestrel  du  10  août  1884. 

Cette  lettre,  non  datée,  est  évidemment  de  l'été  de  1841, 
car  il  y  est  question  du  projet  de  collaboration  avec  Scribe, 
pour  la  Nonne  sanglante,  dont  la  première  mention  est 
faite  dans  la  précédente  lettre,  et  dont  il  sera  de  nouveau 
question  dans  la  lettre  du  3  octobre  1841,  spécifiant  que 
le  dénouement  est  enfin  trouvé. 

Si,  comme  on  peut  le  supposer,  le  rendez-vous  que  Berlioz 
s'excuse  d'avoir  manqué  avait  été  motivé  par  un  projet  de  por- 

24. 


426  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

trait  de  Berlioz  par  Eugène  Delacroix,  on  ne  peut  que  déplorer 
les  raisons  qui  l'ont  empêché  d*aboutir.  nous  privant  ainsi 
d'un  chef-d'œuvre,  sans  compensation.  C'eût  été  un  spec- 
tacle suggestif  que  de  voir  cette  œuvre,  réunissant  les  noms 
des  deux  grands  artistes  romantiques,  exposée  au  Louvre 
en  face  du  Cherubini  d'Ingres. 


LI 


A    SPONTIN1 

Paris,  27  août  1841. 
Cher  maître, 

Votre  œuvre  est  noble  et  belle!  et  c'est  peut-être  au- 
jourd'hui, pour  les  artistes  capables  -d'en  apprécier  les 
magnificences,  un  devoir  de  vous  le  répéter.  Quels  que 
puissent  être  à  cette  heure  vos  chagrins,  la  conscience 
de  votre  génie  et  de  l'inappréciable  valeur  de  ses  créa- 
tions vous  les  fera  aisément  oublier. 

Vous  avez  excité  des  haines  violentes,  et,  à  cause 
d'elles,  quelques-uns  de  vos  admirateurs  semblent 
craindre  d'avouer  leur  admiration.  Ceux-là  sont  des 
lâches  ;  j'aime  mieux  vos  ennemis  1 

On  a  donné  hier  Cariez  à  l'Opéra.  Tout  brisé  encore) 
par  le  terrible  effet  de  la  scène  de  la  révolte,  je  viens 
vous  crier  :  Gloire!  gloire!  gloire  et  respect  à  l'homme, 
dont  la  pensée  puissante,  échauffée  par  son  cœur,  a  créé 
cette  scène  immortelle  ! 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  427 

Jamais,  dans  aucune  production  musicale,  l'indigna- 
tion sut-elle  emprunter  à  la  nature  de  pareils  accents  ? 
jamais  enthousiasme  guerrier  fut-il  plus  brûlant  et  plus 
poétique  ?  A-t-on  quelque  part  montré  sous  un  pareil 
jour,  peint  avec  de  telles  couleurs,  l'audace  et  la  volonté, 
ces  fières  filles  du  génie?  —  Non,  et  personne  ne  le 
croit.  —  C'est  vrai,  c'est  fort,  c'est  beau,  c'est  neuf,  c'est 
sublime  !  Si  la  musique  n'était  pas  abandonnée  à  la 
charité  publique,  on  aurait  en  Europe  un  théâtre,  un 
Panthéon  lyrique,  exclusivement  consacré  à  la  repré- 
sentation des  chefs-d'œuvre  monumentaux,  où  ils 
seraient  exécutés  à  longs  intervalles,  avec  un  soin  et 
une  pompe  dignes  d'eux  par  des  artistes  et  écoutés  aux 
fêtes  solennelles  de  l'art  par  des  auditeurs  sensibles  et 
intelligents. 

Mais  partout  à  peu  près,  la  musique,  déshéritée  des 
prérogatives  de  sa  noble  origine,  n'est  qu'une  enfant 
trouvée  qu'on  semble  vouloir  contraindre  à  devenir  une 
fille  perdue. 

Adieu,  cher  maître.  Il  y  a  la  religion  du  beau  ;  je  suis 
de  celle-là.  Et  si  c'est  un  devoir  d'admirer  les  grandes 
choses  et  d'honorer  les  grands  hommes,  je  sens,  en  vous 
serrant  la  main,  que  c'est  de  plus  un  bonheur. 

Votre  tout  dévoué, 

HECTOR   BERLIOZ. 

Communiqué  par  M.  Dieterlen  (Collection  Alfred  Bovet). 

L'autographe  de  cette  lettre  est  une  superbe  pièce,  écrite 
sur  le  plus  beau  papier,  calligraphiée  avec   un   soin  qui 


428  LES   ANNÉES   ROMANTIQUES. 

montre  l'importance  que  Berlioz  voulait  donner  à  son  homj 
mage.  Le  texte  en  a  déjà  été  imprimé,  par  lui-même,  dan] 
un  article  sur  Spontini  reproduit  dans  les  Soirées  de  ïor\ 
chestre. 

a  humbert  ferrand,  3  octobre  1841  (Let.  int.,  191)1 
Il  écrit  la  musique  de  la  Nonne  sanglante,  opéra  tiré  du  Moirn] 
de  Lewis,  terminé  «  par  un  terrible  dénouement  emprunt^ 
à  un  ouvrage  de  M.  de  Keratry  ».  Déboires  de  Spontini:  c'esij 
pour  l'en  consoler  qu'il  lui  a  écrit  la  lettre  ci-dessus  :  «  Il 
ne  faut  pas,  en  pareil  cas,  négliger  la  moindre  protestation 
capable  de  rendre  un  peu  de  calme  au  cœur  ulcéré  de 
l'bomme  de  génie,  quels  que  soient  les  défauts  de  son 
esprit.  »  On  l'a  chargé  de  composer  des  récitatifs  pour  le 
Freischûtz. 

Le  Freischiitz,  avec  les  récitatifs  de  Berlioz,  fut  représenté 
pour  la  première  fois  à  l'Opéra  le  7  juin  1841. 


LU 


A   SA   SOEUR  ADELE 

[Paris],  6  octobre  [1841]. 

Chère  bonne  petite  sœur, 
J'apprends  par  Nanti  que  tu  vas  voir  notre  père,  et  je 
t'écris,  en  conséquence,  à  la  Côte.  Vous  allez  donc  y  être 
à  peu  près  tous  réunis,  bien  que  le  voyage  de  mon 
oncle  Marmion  me  paraisse  tant  soit  peu  problématique. 
Ta  fille  grandit,  tu  en  es  plus  folle  que  jamais,  c'est 
dans  l'ordre!  et  ton  mari,  comment  l'aime-t-il,  à  ton 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  429 

gré,  cette  enfant? Raisonnablement?  trop? ou  pas  assez? 
Tu  me  répondras  là-dessus.  Nous  avons  ici,  et  nous 
voyons  quelquefois  un  des  amis  de  ton  mari  et  de  ton 
frère,  Dufeuillant,  qui  nous  parle  beaucoup  de  toi;  je  ne 
sais  laquelle  des  deux  il  admire  le  plus,  ou  de  toi,  ou 
d'Henriette.  Il  nous  disait  avant-hier  que  Suât  lui  avait 
fait  entrevoir  la  possibilité  d'un  établissement  définitif  à 
Paris  pour  lui  et  toi,  dans  quelques  années.  Ce  serait 
charmant  de  nous  trouver  ainsi  réunis,  chère  sœur;  mais 
je  n'y  crois  pas.  Mon  père  a  de  temps  en  temps  des 
velléités  de  voyage,  qui  me  font  espérer  de  le  recevoir; 
autant  de  rêves....  Je  ne  sais  si  une  autre  raison  que  celle 
de  sa  présence  pourrait  me  déterminer  à  donner  cet 
hiver  des  concerts;  je  suis  et  serai  encore  longtemps 
absorbé  par  la  composition  de  mon  grand  diable  d'opéra. 
Scribe  vient  de  m'arriver,  exténué  de  travail  et  maigre 
comme  un  phtisique.  Il  me  fait  attendre  le  second  acte  ; 
il  m'a  demandé  quinze  jours  de  repos  après  le  rude 
labeur  qu'il  vient  d'accomplir  pour  le  Théâtre-Français; 
je  lui  en  ai  accordé  huit  seulement,  qu'il  est  allé  passer 
à  Chartres,  après  quoi  il  va  reprendre  la  plume  et  ne  la 
plus  quitter  jusqu'à  l'achèvement  de  mon  opéra. 

Malheureusement  l'exécution  vocale  à  notre  grand 
théâtre  lyrique  ne  s'améliore  point,  au  contraire  ;  et  je 
ne  sais  trop  quel  parti  je  prendrai  quand  j'aurai  fini. 

Le  Freischiitz  se  joue  de  temps  en  temps  tant  bien  que 
mal,  et  me  rapporte  deux  cent  trente  francs  par  repré- 
sentation, 


430  LES    ANNEES    ROMANTIQUES. 

Louis  travaille  le  piano;  sa  mère  trouve  qu'il  fait  des||  ■ 
progrès. 

Je  ne  suis  pas  dans  mes  jours  tristes  aujourd'hui;  et 
si  j'avais  le  temps,  je  t'écrirais  une  lettre,  d'autant  plus  | 
longue  que  j'ai  une  plume  neuve  et  de  l'encre  claire, 
ce  qui  ne  m'arrive  pas  souvent.  Mais  il  faut  que  je  dé- 
campe, ma  montre  me  le  dit. 

Henriette  te  conserve  sa  vive  affection  et  me  charge 
de  mille  tendresses  pour  toi  et  les  tiens. 

J'écrirai  ces  jours-ci  probablement  à  notre  père.  En 
attendant  embrasse-le  pour  moi. 

Mes  amitiés  à  ton  mari. 

Adieu. 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chupol. 


LUI 

A    LÉON    PILLET,    DIRECTEUR    DE    L'OPÉRA 

26  octobre  1841. 

Mon  cher  monsieur  Pillet, 

Les  affaires  d'intérêt  sont  pour  moi  un  sujet  de 
conversation  tellement  difficile  et  pénible  que  je  n'ai 
pas  pu  me  décider  hier  soir  à  vous  avouer  combien  la 
suspension  de  paiement  de  mes  droits  d'auleur  pour  le 


LES    ANNEES    ROMANTIQUES.  43.1 

Breischûtz  me  dérange  de  toutes  façons.  Cet  embarras 
va  devenir  pour  moi  plus  grave  encore  à  cause  du 
nouveau  retard  que  votre  appel  contre  M.  Pacini1  peut 
et  doit  amener.  Veuillez  donc  donner  l'ordre  au  caissier 
de  me  compter  ce  qui  m'est  dû  pour  le  mois  dernier, 
vous  m'obligerez  beaucoup. 
Votre  tout  dévoué, 

H.    UEHLIOZ. 

Monsieur  L.  Pillct,  directeur  de  l'Opéra,  rue  Grange- 
Batelière. 

Communique  par  M.  th.  Malherbe. 


LIV 


A    SON   BÉÀU-FftÊRË    SUAT 

Paris,  10  août  1842. 

Mon  cher  Suai, 

Je  vous  remercie  des  bonnes  nouvelles  que  vous  me 
donnez  d'Adèle,  j'espère  qu'elle  est  déjà  à  cette  heure  à 
peu  près  rétablie.  Mais  ne  cherchez  donc  pas  des  pré- 
textes pour  vous  consoler  d'avoir  deux  tilles...  les 
jolies  filles  ne  sont  parbleu  pas  si  communes,  et  toutes 

li  E.  Paciai,  traducteur  du  Freischuls. 


432  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES. 

celles  qui  se  présentent  sont  les  bienvenues  !  !  !  !  Loui 
est  déjà  de  cet  avis. 

Vous  me  demandez  ce  que  je  fais,  mon  cher  Suât;  ei 
vérité  je  travaille  beaucoup.  Je  mets  en  ordre  et  j 
parachève  en  ce  moment  un  grand  traité  d'instrumen 
tation,  qui,  je  l'espère,  me  sera  passablement  payé 
c'est  un  ouvrage  qui  manque  dans  l'enseignement  e 
qu'on  m'a  engagé  de  toutes  parts  à  entreprendre.  Me 
articles  dans  la  Gazette  musicale  sur  ce  sujet  n'e 
étaient  que  la  superficie,  la  fleur,  et  maintenant  il  fai 
reprendre  tout  cela  en  sous-œuvre  et  s'occuper  de 
moindres  détails  techniques. 

Scribe  ne  me  donne  toujours  pas  les  deux  dernier 
actes  de  mon  opéra;  voilà  cependant  son  mariag 
accompli  et  la  lune  de  miel  passée  ;  je  ne  sais  ce  qu'il 
en  tête. 

Je  publierai  bientôt  successivement  toutes  mes  sym 
phonies,  il  faut  bien  en  venir  là  toujours.  La  premier 
qui  paraîtra  est  la  dernière  venue,  c'est  la  grand 
symphonie  funèbre  composée  pour  la  translation  de 
victimes  de  Juillet  et  celle  dont  ce  pauvre  duc  d'Orléan 
venait  d'accepter  la  dédicace,  quand  il  est  mort 
cruellement1.  Je  ne  puis  vous  dire  tout  le  chagrin  qu 
cet  affreux  événement  m'a  donné...  au  reste  je  ne  soi 
pas  des  enterrements  et  des  catastrophes  ;  il  n'y  a  pa 
si  longtemps  que  j'ai  assisté  au  convoi  de  la  famill 

1.  13  juillet  1842; 


L E S    A N -N  K E  S    P.  0 H  A  X T I Q DES.  433 

p'Urville1,  si  épouvantableinent  détruite  dans  l'incendie 
du  chemin  de  fer  de  Versailles... 

Nous  allons  tous  bien  ici;  Henriette  vous  dil  mille 
choses  amicales  et  embrasse  Adèle  de  toute  son  âme. 

Nous  voyons  souvent  Dufeuillant.  qui  est  bien  le 
plus  excellent  ami  imaginable,  pour  ses  amis,  et  nous 
en  sommes. 

Voilà  peut-être  vos  projets  de  voyage  à  Paris  dans 
l'eau. 

Adieu,  mon  cher  Suât  ;  croyez  à  l'amitié  sincère  de 
votre  tout  dévoué, 

U.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  madame  Chapot. 


LETTRES  DE  DATES  INCERTAINES 


A     VICTOR     HUGO 

Je  suis  avec  ma  femme  dans  la  loge  numéro  81.  aux 
premières,  et  nous  serions  bien  heureux  l'un  et  l'autre 

1.  On  sait  comment  Dumont  d'Urville  péril  avec  sa  femme  ci 

son  til:-,  dans  la  catastrophe  du  S  mai  [>\l. 

23 


434  LES    ANNÉES   ROMANTIQUES. 

de  pouvoir  vous  faire  notre  compliment  ce  soir  si  youâ 
venez  au  théâtre. 
Mille  amitiés. 

II.     BERLIOZ. 
Communiqué  pur  SI.  Gustave  Simon. 


II 


A    DAMAN     AINE 

Mon  cher  Dantan, 

Voulez-vous  venir  à  mon  concert  et  pouvez-vous 
disposer  d'une  de  ces  deux  places  en  faveur  de  votre 
frère?  Vous  me  ferez  plaisir. 

Tout  à  vous. 

H.    BERLIOZ. 

Bibliothèque  du  Conservatoire  (Autographes). 


III 


A    ERNEST   LEG0UVE 

Paris,  dimanche  matin. 

Mon  cher  Legouvé, 
Quand  vous  viendrai  à  Paris,  avertissez-moi,  je  vous 
prie.   J'ai  à   vous  fane  entendre  œ  que  j'ai   écrit  la 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  435 

semaine  dernière  sur  vos  vers  charmants  de  la  Mort 
d'Ophélie  (que  j'avais  perdus  et  que  j'ai  retrouvés). 

Si  cette  musique  vous  plaît,  j'instrumenterai  l'accom- 
pagnement de  piano  pour  un  joli  petit  orchestre  et  je 
pourrai  faire  exécuter  le  tout  à  un  de  mes  concerts. 

Mille  amitiés  sincères, 

H.    BERLIOZ. 
Communiqué  par  M.  Puladilhe. 

La  Mort  d'Ophélie  n'a  paru  en  partition  qu'en  1854,  dans 
Tristia,  où  elle  porte  la  date  du  4  juillet  1848;  mais  cette 
date,  qui  est  celle  du  dernier  développement  de  l'œuvre,  esl 
certainement  postérieure  à  la  composition  première  (voir  à 
ce  sujet  nos  Berlioziana.  Ménestrel,  novembre  1905). 


IV 


AU    MEME 

Voilà,  mon  cher  Legouvé,  trois  articles  sur  Gluck, 
commencés  par  celui  intitulé  : 

Du  Système  de  Gluck  eu  musique  dramatique. 

Il  prépare  les  autres. 

.Mille  amitiés. 

Je  suis  tout  remué  par  cette  musique  qui  dormait 
dans  ma  mémoire  et  que  vous  avez  réveillée. 

H.    BERLIOZ. 


436  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

P.-S.  —  Je  prie  madame  Legouvé  de  pardonner  à  la 
rudesse  de  certaines  expressions  en  lisant  ma  nouvelle 
sur  Cellini.  Je  n'étais  pas  de  bonne  humeur  en  écrivant 
cela. 

Communiqué  par  M.  Paladilhe. 

La  nouvelle  sur  Cellini  (Un  premier  opéra)  date  de  1837 
(voir  ci-dessus,  lettre  du  29  juillet  1837,  et  note  à  la  suite). 
Quant  aux  articles  sur  Gluck,  Berlioz  en  a  écrit  un  grand 
nombre  dans  les  revues  littéraires  et  musicales,  au  début  de 
sa  carrière.  Tous  les  articles  mentionnés  dans  cette  l-ltie 
ont  été  réunis  dans  le  Voyage  musical,  premier  livre  de 
Berlioz  (2  vol.).  paru  en  1844.  L'omission  de  ce  titre  dans 
la  lettre  ci-dessus  semble  indiquer  qu'il  s'agit  d'un  envoi 
des  articles  à  une  époque  antérieure  et  sous  leur  forme 
originale. 


Y 


A    CHOPIN 

Mon  cber  Chopin, 

Excusez-moi  auprès  de  Liszt  et  de  ces  messieurs  ;  je 
ne  pourrai  pas  me  trouver  ce  soir  à  votre  dîner;  j'ai 
trop  à  travailler. 

Je  vous  voirai,  je  pense,  après-demain,  ainsi  que 
Liszt,  dans  la  matinée. 

Tout  à  vous. 

H.    BERLIOZ. 

Karlovicz,  Souvenirs  inédits  de  Chopin. 


LES    ANNÉES    ROMANTIQUES.  437 

VI 

A    M.     MANTOU1 

14  février. 
Mon  cher  monsieur  Mantou, 
Je  suis  cette  fois  tout  à  fait  à  votre  merci,  et  je  me 
recommande  à  votre  justice.  J'ai  cru  pouvoir  reproduire 
à  peu  près  le  même  programme  et  je  me  suis  trompé, 
on  ne  loue  presque  rien,  mais  comme  je  ne  veux  pas 
absolument  laisser  ma  salle  vide,  j'ai  dû  donner  les  trois 
quarts  des  billets,  je  vous  donne  ma  parole  d'honneur 
que  c'est  la  vérité.  Prenez  donc  cette  nécessité  en  consi- 
dération, je  vous  prie,  je  compte  sur  votre  équité. 
Tout  à  vous, 

H.    BERLIOZ. 

Bibliothèque  du   Conservatoire  (Autographes). 


VII 

A    DE    BÉRIOT 

(Fragment). 

Il  faut  en  prendre  son  parti  ;  à  moins  de  quelques 
circonstances  produites  par  le  hasard,  à  moins  de  cer- 

1.  Fermier  du  droit  des  pauvres.  Berlioz  a  maintes  fois  pro- 
testé avec  véhémence  contre  cet  impôt  prélevé  sur  l'exercice  d'un 
art  qui,  pour  lui  seul,  exige  déjà  tant  de  sacrifices. 


438  LES    ANNÉES    ROMANTIQUES. 

taines  associations  avec  les  arts  inférieurs  et  qui  le 
rabaissent  toujours  plus  ou  moins,  notre  art  n'est  pas 
productif  dans  le  sens  commercial  du  mot  ;  il  s'adresse 
trop  exclusivement  aux  exceptions  des  sociétés  intelli- 
gentes, il  exige  trop  de  préparatifs,  trop  de  moyens 
pour  se  manifester  au  dehors.  Il  doit  donc  y  avoir 
nécessairement  une  sorte  d'ostracisme  honorable  pour 
les  esprits  qui  le  cultivent  sans  préoccupation  aucune 
des  intérêts  qui  lui  sont  étrangers...  On  trouve  dans 
les  archives  d'un  des  théâtres  de  Londres  une  lettre 
adressée  à  la  reine  Elisabeth  par  une  troupe  d'acleurs, 
et  signée  de  vingt  noms  obscurs,  parmi  lesquels  se 
trouve  celui  de  William  Shakespeare,  avec  cette  dési- 
gnation collective:  yottr  poor  players.  Shakespeare  était 
l'un  de  ces  pauvres  acteurs...  Encore  l'art  dramatique 
était-il,  au  temps  de  Shakespeare,  plus  appréciable  par 
la  masse  que  ne  l'est  de  nos  jours  l'art  musical  chez  les 
nations  qui  ont  le  plus  de  prétention  à  en  posséder  le 
sentiment.  La  musique  est  essentiellement  aristocra- 
tique; c'est  une  fille  de  race  que  les  princes  seuls 
peuvent  doter  aujourd'hui,  et  qui  doit  savoir  vivre 
pauvre  et  vierge  plutôt  que  de  se  mésallier. 


Revue  et  Gazette  musicale  du  26  juin  1870. 


FIN 


INDEX  DES  NOMS  CITES 


LETTRES    ADRESSEES   A  : 


adam  (Adolphe),  p.  UO. 
agoult  (Comtesse  d'  .  p. 


343. 


BARATHIER,  p.    86. 

bériot  (A." de),  p.  437. 

it  e r  l  i o  z  (T)T Louis-Joseph ,  père 
d'Hector),  pp.  16,  47,  77,  81, 
93,  100,  102,  112,  118,  128, 
136,  144,  159,  174,  212,  284, 
331,  348,  368,  379,  384,  387, 
407,  410. 

berlioz  (Madame  Marie-Aotoi- 
nette-Jo*épliine,néeMarmion, 
mère  d'Hector  ,  pp.  20,  35, 
84,  144,  19:;,  196,  295,  315, 
334,  35:.,  358. 

berlioz  (Anne-Marguerite,plus 
tard  madame  Pal,  habituel- 
lement désignée  sous  le  pré- 
nom de  Nanti, sœur  d'Hector), 
pp.  3,  7,  -29,  54,  69,  87,  91, 
104.  Pour  la  suite,  wy.  pal 
Madame'. 


berlioz  (Adèle-Eugénie,  plus 
tard  madame  Suât,  sœur 
d'Hector),  pp.  10,  11,  13,  91, 
108,  126,  138,  155,  166,  203, 
2u9,  210,  223,  230,  237,  244, 
247,  263,  265,  267,  275.  279, 
288,  299,  306,  :i!2,  320,  337. 
355,  371,  372,  374,  382,  389. 
Pour  la  suite,  voy.  suât 
(Madame). 

bloc,  P.  272. 

BOTTÉE  DE  TOULMON,    p.  344. 

brizeux  (A.),  p.  346. 
buloz,  p.  421. 

BUS  SET.  p.  319. 


CATELIN,  p.  406. 
CHARAVEL,  p.  229. 
CHERUBINI,  p.  335. 

chopin  (Fr.),  pp.  262,  404,418, 

436. 


4-iO 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


dantan  aîné,  p.  434. 
Delacroix  (Eugène),  p.  424. 
deschamps  (Antonyj,  p.  405. 
deschamps  (jtmile),  p. 254. 

DESMARETS,  p.  135. 
DIET  SCH,  p.  345. 

du  boys  (Albert',  pp.   22,   f>2, 

189,  216. 
dumas  Alexandre',  p.  354. 

DUPONCHEL,  p.  297. 


ELWART,  p.  406. 


ferra nd  (Humbertï,  pp.  19, 
34,50,  51,  54,  61,  73.  74.  7:.. 
80,  83,  86,  90,  91,  99,  102, 
108,  118,  120,  123,124,  134, 
136,  155,-  180,  181,  186,  1%. 
198.200,  202,  205,  207,  226, 
232,  234,  236,  240,  241,  254, 
264,  266,  274,  277.  279.  293, 
299,  302,  319,  336,  358,  382, 
405,  414,  428. 

fsrrièrks  i  Théophile  de  . 
p.  318. 


gautier  (Théophile),  p.  412. 

GIRARD     N.   ,    pp.     135,   -'■">". 
G  ŒTHE  (W.)>  p.  73. 

gounet  (Thomas),  pp.  99,  125, 
135,  L41,  177.  IS7,  199,  201, 
205,  208,  226,  241,  242,  243, 
246,  247,  251,  152,  255,  256, 


H 

hiller  Ferdinand  ),  pp.  90, 
123,  124,  135.  174,  180,  189 
192,  196,  203,  233. 

HOFFMEISTER,  p.  311. 

hugo  (Victor),  pp.  180,  299 
417,  433. 


INTENDANT   GENERAL   DE     LA 

liste  civile,  pp.  210,270. 


JANET     ET    COTELLE,  p.  1. 

janin  (Jules),  pp.  393,  409. 


kastner  (Georges),  p.  405. 

KREUTZER  (Rodolphe  ,  p.  3'(. 


LASSAI  II.  Y.  p.  't  10. 
LECOUR,  p.  400. 

r.EGOUYÉ    (Ernest  ,    pp.    376, 

434,  435. 
i.esueur  (Jean*François  .p.  19. 
lesueur    Madame  AdeÙnel 

pp.  150,  181. 
i.i  szt   '  Franz  .    pp.   214,  -2 '•«>, 

260,  303,  309,  340,  346,  361 

395,  '.ni. 

M 

m  \  n  rou,  p.  137. 
HARyion    x  nd-pfl 

d'Hector  Berlioz  .  p.  170. 


INDEX   DES    NOMS    CITÉS 


441 


martignac  (comte  de),  p.  51. 

MINISTRE  DU  COMMERCE  ET 
DES  TRAVAUX  PUBLICS, 
p.  221. 

MINISTRE  DE  LA  GUERRE, 
p.  353. 

MONnais  (Edouard),  p.  411. 


ortigue  (Joseph  d'),  pp.  223, 
225,  240,  264,  274. 


PAGA*NINI,  p.  388. 

pal  (Madame),  née  Nanci  Ber- 
lioz. Voy.  d'abord  ce  nom, 
puis  :  pp.  307,  328. 

panofka,  p.  294. 

pillet  (Léon),  p.  430. 

pleyel  (Ignace),  p.  2. 

R 

RENDUEL,  p.  244. 
RICHARD,  p.  135. 
ROCHEFOUCAULD         (vk'Omle 

Sostliène  de  la),  pp.  38,  39, 
41,  44,  45,  68. 
ROUGETDELISLE,  p.  121. 


s 


schlesinger   (Maurice), 

p.  358. 
schumann  (Robert),  p.  328. 
sich  el  (Docteur),  p.  135. 
smithson  (Miss  Harriett,  plus 

tard  madame  Berlioz),  p.  232. 

SOCIÉTÉ  DES         CONCERTS 

(Comité  de  la),  pp.  228,  253. 
spontini  (Gasparo),  p.  426. 
suât     (Marc,     beau-frère    de 

Berlioz),  pp.  366,  416,  431. 
suât    (Madame),    née     Adèle 

Berlioz.  Voy.  d'abord  ce  nom, 

puis:  pp.  401,  403,  413,  415, 

419,  422,  428. 

U 

urhan  (Chrétien),  p.  271. 

V 

vernet  (Horace),  p.  134. 
vernet  (Madame  Horace), 

p.  202. 
vigny  (Alfred  de),  p.  278. 


NOMS   DE   PERSONNES   CITÉS   DANS  LES   LETTRES  : 


adam  (Adolphe),  p.  422. 
agoult  (Comtesse  d'),  pp.  305, 

342,  365,  399. 
aguado,  p.  304. 

ALIZARD,  p.  411. 

andré  (Saint-),  p.  161. 


ANGLES,  p.  203. 
ANTONIO,  pp.  156,  157. 

aprin  (Madame),  p.  312. 
argout  (d1),  p.  213. 

ARIOSTE,  p.   152. 

auber,  pp.  50,  54  (La  Muette), 
77,  79,  80,  97,  155  (Masa- 
niello),  241,  332,  356,  365, 
404,  422. 

aumale  (duc  d'),  p.  408. 

25. 


442 


INDEX   DES    NOMS    CITES 


BAILLOï,  p.  71. 

BALLANCHE,  pp.  257,294,  365. 
balzac  (Honoré  de),  pp.  206. 

408,  422, 
rarbier  (Auguste),  pp.   267, 

292,  297,  304. 

BARTHOLOM.   p.  303. 
BEETHOVEN    (L.    Van),    pp.   48. 

49,  57,  59,  60,  64,  65,  67,  71. 

79,  82,  97,  100,  106,  119,  173, 

180   (Symphonie  avec  chœurs  , 

262,387,391,398. 
bellim(V.),pp.  132.  133,  149, 

153,  196. 
benoît  Saint-,  p.  161. 

BÉ  RANGER,  ]t.  302. 

bériot  Ch.  de),  p.  120. 

berlioz  (Dr  Louis- Joseph, 
père  d'Hector).  Son  Livre  de 
raison,  pp.  xxxi  et  suiv.,  4, 
32,51,  109,124,  15S,  211,226, 
229,  231.  233,  234,  239,  250, 
26'*,  266,  267,  270,  277,  283  à 
286,  292,  294,  205,  301,  312, 
315,  316,  326,  327,  329,  335, 
357,  359,  367,  372,  374,  376. 
383,  389,  401  à  403,  415,  421, 
428,  429,  430. 

berlioz  (Madame,  née  Marie- 
An  toi  nette -Joséphine  Mar- 
mion,  mère  d'Hector),  pp. 
xxxiv,  19,  61,  100,  L09,  120, 
124,  126,  158,  166,  814,  221, 
231,  250,  266,  27o.  277,  282  à 
285,  188,  892,  301,  306,  308, 
312,  326,  :i27,  331,  366,368. 

berlioz  (Nanti,  sœur  d'Hec- 
tor, plus  tard  madame  Pal  • 
pp.  xxxiv,  10,13,15,19,35,36, 
61,  69,  109,  135,  L36,  140,  144, 
L57,  163,  179.  Pour  la  mite, 
voy.  l'A i.  (Madame  , 


berlioz  (Adèle,  sœur  d'Hec- 
tor, plus  tard  madame  Suât), 
pp.  xxxiv,  19, 55, 56, 61 ,  69. 90, 
135,  136,  144,  163,  196,  214, 
2S5,  288,  294,  296,  297.  317, 
329,  331,  334,  335,  352,  356, 
358,  360,  361,  366  à  369,  381, 
384  à  386.  Pour  la  suite,  voy. 
sr at  (Madame). 

berlioz  (Prosper,  frère  d'Hec- 
tor), pp.  xxxiv,  li,  61,  70, 
luO,  103.  214,  271,  277,  284 
-i2,  297,  302,  306, 
313,  315,  316,  327,  329,  352. 
357,  361,  369,  383,  385  à  387v 
393  à  395. 

berlioz  (Henriette,  épouse 
d'Hector),  précédemment  Miss 
Smithson  :  voy.  d'abord  ce 
nom,  puis  :  pp.  23*  à  246, 
248  à  250,  256  à  260,  263  à 
270,  275  à  278,  281  à  284,  2*6 
à  201,  293  à  296,  299,  300,  302, 
306,  308,  309,  313,  314,  317, 
318,  321,  324  à  327,  320.  333, 
337,  341,  346,  351,  36 
361,  371,  374,  383,  386,  393, 
',o2.  403,  U3  à  'il 5,  121,  423, 
',2'.,  129,  430,  433. 

berlioz  (Louis,  lîls  d'Hector  . 
pp.  266  à  269,  275  à  27*.  2s2 
à  284,  286,  290,  20:!.  295,299 
m,  -"2,  306,  3os,  309 
313,  314,  318,  324,  325,  327, 
337,  351,  355,  357, 
361,  371,  374,  3S5\  384,  38ÉJ 
393,402,  M)3,  115,416,430,439 

1:1.  it  1  ioz  (Auguste, oncle  d'Hec- 
tor), pp.  xxxv,  '1.  104. 

berlioz  (Victor,  oncle  d'Hec- 

.  pp.  \\\v.  55. 
berlioz  (Odile,  cousine  d'Hec- 

tor  .  pp.  \vw.  :>:.,  204. 
berlioz  (Auguste),  pp.  76,  no, 

188,  189. 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


143 


Bernard  (Général),  pp.  357, 
359,  360. 

BERNARD,  p.  208. 
BERNARDIN        DE         SAINT- 

pierre_,  pp.  37,  177. 
berry  (Duchesse  de),  p.  100. 
bert  (Père),  p.  13. 
bert  (Charles),  pp.  11,  10,  37, 

50,  60,  86,  213. 
bert  (Madame),  p.  203. 
bertin  (La  famille!,  pp.  864, 

286,  31'.,  322. 
berti.n   Armand',  pp. 346,  349. 
bertin  (L.-L,  l'aîné',  pp.  20_\ 

;o'i,  346. 
bertin  (Mademoiselle  Ionise  . 

pp.  314,  m&IN.-D.  deP'iris  , 

319  (id.),  322,  323,  330,  336 

(Esmeralda),  341. 
BERTON(H.-M.  ,  pp.  22,  26,  lit,. 
bloc,  pp.  57,87,  27'»,  306,  310. 
BLOQUÉ,  p.  259. 
BOCAGE,  pp.  211,  213. 
BOiELDiEuF.-A.),pp.  9,78,80. 
boissat  (Madame),  p.  338. 

BOTTÉE  DE  TOULMON,  pp.  357, 

389. 

bouchardy,  p.  92  (Trente  ans 
ou  la  vie  d'un  joueur). 

BOULANGER,  p.  273. 

boutaud  (Madame;,  née  Louise 
Yeyron.  Voy.  d'abord  <:<■ 
nom,  puis  pp.  312, 331  M.  . 

brancih:  (Madame),  p.  26, 

brian  (dej,  p.  274. 

briffault,  pp.  23,  26. 

BRiZEUX,  pp.  249,  278,  365. 

Byron,  pp.  169,  173. 


CARN 
CARR 
CAST 


É  (de),  pp.  27,  i»/, 

EL  (Armand),  p.  316. 

llane  (de),  p.  341, 


187,  189. 

316. 

341. 


CASTIL-BLAZE,    pp.    814,310. 

catalani  (Madame),  p.  50. 

CATEL,  p.  79. 

cave,  pp.  341,  360  (chef  de  di- 
vision), 
c  a  z  a  l  è  s,  pp.  27  (note),  187, 1 99. 
chanron  (Madame),  p.  203,. 
CHARLES  X.   pp.  32,  105. 
ciiARMEiL  (Madamr,.  p.  54. 

CHATEAUBRIAND    (II.    de),    p. 

W(Atala). 
CHAUSSON  (Madame),  p.  56. 
CHENAVAZ,    p.  39. 

cheul'iiim,  pp.  26,  38,  'ilà  15, 
77,  79,  81,  97.  180,  338,  339, 
357,  36'»,  370,  375. 

chopin  (F.),  pp.  849,  263,  305, 
364,  399. 

CHORON,    p.  304. 

clapier    (Mademoiselle  . 

p.  369. 
clément  VII  (le Pape), p. 374. 

coccia,  p.  153. 

constant  (Benjamin),  p.  '.'T. 

corinaldi    (  Mademoiselle  ) , 

p.  152. 
crispino.   pp.  164.  165. 


dabadib  (Madame),  pp.  77,78. 

DALAYRAC,   p.  9. 

dam  rémont  (Général),  pp.  353, 

362. 
DANTAN  ,    p.  368. 
DANTE,    p.    !",-. 
DE  LILLE  ,    p.  37. 
DÉRI  VIS,    p.  50. 

deschamps  (Antonv),  pp.  i 

263,  267,  280,  405. 
deschamps   (Emile\  pp.  848, 

849,  323,  ', i »r, . 
dbsharets,    pp.    141,    180, 

2no,  2ol.  826,  256. 


444 


INDEX    DES    NOMS    CITES. 


desplagnes    (Madame),    pp. 

203,  209. 
despréaux,   pp.  148,  149. 

DEMANGE,  p.  273. 

donizetti,  pp.  198,  417. 
dorus-gras     i  Madame),    pp. 

377,  393. 
dubois  fils  (Dr),  p.  227. 
du  boys  lAlbert',  pp.  11.   12, 

43,  76,  189. 

DUCHADOZ,      pp.     XXXV,      229, 

230. 

DUFEUILLANT    (A.    Figuet    dll 

Feuillant  ,  pp.  213.  326,  367, 

417,  429,  433. 
dlmas   (Alexandre),    pp.    211. 

215,  267,  323,  326,  399. 
dumont-d'urville,   p.  433. 
duponchel,  pp.  285,  286,  292 

à  294,  298,  304,  322,323,  371. 

394. 
dupont    A.  .pp.  380,  383,392, 

39'.,  396,399,  411. 
duprez,    pp.    196,   371,   37:'.. 

374,  376,  380  à  383,  394,  390. 

DURAND,   p.   161. 


Elisabeth  (la  Reine),  p.  438. 
essler  (Fanny),  p.  396. 

EURIPIDE,  p.   17.".. 


f  ai.c  on    (Mademoiselle),    pp. 

273,  875,  298,  314,  417. 
fauke  Amédée),  pp.  317,  32»  . 

(et  Madame),  331,  332,  338. 
faure    (Casimir,  pp.    11,   12, 

27,67,  137,198,  192,  200,  204, 

338,  383. 

i  \  r  i;i.    M.  |,   p.  .">'(. 


FAVRE  (H.),  p.  3. 

ferlet  (Claude),  p.  158. 
ferrand  (Humbertt,  pp.   27/_ 

125,  126,   137,   140,  167,  179; 

188,  190,  200,  201,  203,  206/' 

212,  401. 
fétis  (F.),  pp.  119,  213,  415. 
fieschi,  pp.  294,  334. 

FIGUET  OU  FIGUET  D  l'  PB U  I  L- 
LANT,    10)/.     DUFEUII.  LAN  T. 

firmin,  p.  92. 

fleurant  Madame  .  p.  209J 

forgeret  (Madame),  p.  158.' 

FREDERICK- LE  MAITRE,  p.32a 

G 

GARDEL,  p.   43. 

gasparin  (de),  pp.  332,   339j 

348,  353,  356,  360. 
genlis  (Madame  de),  pp.  30, 

164. 

GIBERT,  p.    163. 
GIRARD  lN.).  pp.  200,  2! 

300. 

GIRARD  IN,  p.  188. 

girardin  (Emile  de),  p.  317. 
girard in  (Madame Emile  de), 

précédemment  Delphine  Gay~,' 

p.  317. 
gluck   Cli.-\V.  ,  pp.  5,  17,  1 48, 

164     Urphre;,  398,   399,    VU 

(Iphigénie  en   Tauride  ,    i-'l, 

435. 

GOETHE    (W.)>  pp.   59,     60,    117, 

171. 

GOLETTI,    p.  98. 

inet  Th.  .  pp.  76,269,291 

329. 

GRÉTRY     A. -M.   .   p.    37. 

Grégoire  XVI,  [  le   Pape  i . 
pp.  132,139,  17.',  194. 

GUERNOfl     DE     r,  \  N  VILLE,    - 

P.  89. 


INDEX    DES    NOMS    CITÉS 


44o 


H 

HABENECK  (F.-A.),  PP-  81,  100, 

117,  119,  364,  373,  375. 

HAENDEL  (F.),  p.  420. 
HAITZINGER,  pp.  95,    96,  100. 

halévt  'Fromental  ,  pp.  282 
(la  Juive),  323,  324',  332,  356. 

heixe    Henri  .  p.  364,  399. 

HENRI  IV,  p.  296. 

H  É R  o  l  d    F.  .  pp.  50,  54  'Marie  . 

hiller  'Ferdinand',  pp.  67, 
81,  102,  124,  141.  179,  '188, 
200,  215,  262,  263,  366. 

HOFFMANN,  p.  106. 
HOFMEISTER,  p.  356. 
HOMÈRE  ,  p.  71. 

hortense  (la  Reine),  p.  201. 

HUGO  (Victor),  p.  72 (Le  Dernier 
jour  d'un  condamné),  142, 
169  f Notre- Darne-de-Paris  , 
173,  188,  211,  217,  240,  248, 
267,  281,  297,  399,  425. 


ingres,  pp.  77,  398. 


janin   f  Jules),   pp.   236,   326, 

330,  391,  396. 
ja  wi/rek  Mademoiselle  ,  p.7H 
je  r  mann   Capitaine),  p.  130. 


kalkbrenner,  p .  86. 

KEMBLE  .   p.  259. 

keratry   (de  ,  p.  428. 
KREUTZER  (R.),  pp.  34,  43. 


LACRETELLE  (Ch.  de),  p.  4. 

lacroix  Madame  ,  p.  201. 

LA  FAYETTE,  p.  105. 

LA  FONTAINE,   pp.    '(,  422. 

LAMARTINE    Alpb.  de),  p.  173. 

lamennais     Abbé   de), 

pp.  257,  262. 
lawson,  p.  254. 
legouvé  (Ernest),  p.  248,249, 

399. 
legouvé  (Madame',  pp.  377, 

435. 

LEMOINE,  p.  319. 

lesueur  Jean-François,  maî- 
tre d'Hector  Berlioz  i,  pp.  18, 
21,  25,  26,  33,  36,  37,  43,  50 
à  53,  58,  61,  77,  107,  112, 
117,  119,  150,  151,  154,  164, 
185,  200,  209. 

lesueur  (Madame  Âdeline, 
femme  du  précédent  ,  pp.  12, 
14,  21,  25,  116,  119. 

LBSOEOB  Mademoiselle  Clé- 
mence, fille  aînée  des  précé- 
dents >,  pp.  12,  14,  21,  25,  36, 
37. 

lesueur  (Mademoiselle  Eugé- 
nie, sœur  de  la  précédente  . 
pp.  12,  14,  21,  25,  116,  119, 
149,  154. 

lesueur  'Mademoiselle  Clé- 
mentine, sœur  des  précé- 
dentes), pp.  12,  14,  21,  85, 
116,  119,  149,  154,  185. 

I.  É  Y  Y  ,  p.  303. 

LEWIS,  p.  42*. 

liszt     Franz  ,    pp.    119.    215. 

24'».  854,  262,  263, 

299,  321,  343,  344,  392,   436. 

LOUIS- PHI  LIPPE,      pp.       106, 

243,  286,  338,  360. 
lubbert,  pp.  96,  109. 


446 


INDEX   DES    NOMS    CITÉS 


M 

madelaine  (Stephen  de  la), 
p.  185. 

M.VINZER,  p.  400. 

malibran  (Madame',  p.  120. 

MANGIN,  p.  94. 

manzoni,  pp.  37,  153. 

MARCELLO,  pp.  17,  18. 

marescot,  pp.  75,  76. 

marie  -  amélie  \la  Reineï, 
pp.  286,  338,  408. 

m arm ion  (Nicolas,  grand-père 
d'Hector  Berlioz),  pp.  xxxiv, 
4,170, 804,  384,  301,308,381, 
334,  338. 

marmion  (Félix,  oncle  d'Hec- 
tor Berlioz),  pp.  4,  72,  107, 
225,  231,  248,  283,  326,  329, 
337,  338,  355,  359,  367.  302, 

416,  428. 

MARTIN,  p.  9. 

massol,  p.  393. 

MAYER,  pp.  313,  315. 

MÉHUL  (E.  N.),  pp.  10  (Stnito- 

nice),  17. 

M  EN  DE  LSSOHN  -  HARTHOLDY 

(Félix),   pp.    136,    137,    174, 
181,  192,  201. 

MEYER-BEER,  VOIJ.    MEYSRBEER. 

meyerreer  (Giacomo),  pp. 
119,  ISO  (Robert  le  Diable  , 
879,  2S2,  291,  293,  304,  309, 

417,  414,  42"). 

mk.he l  (Madame),  p.  12">. 

miguel  (Don),  p.  171. 

more  (Mademoiselle  Camille, 
plus  tard  madame  PleyeK 
pp.  90,  102.  Kt3,  LOT,  103, 
109,  119,  120.  [93,  184,  138, 
134, 136, 171, 815, 230  (passion 
épisodique). 


moke  (Madame  mère),  pp.  103, 

112,  119,  123,  134. 
more  (père),  p.  107. 

MOLIÈRE,  p.  180. 
MOLLARD,  p.  56. 

MONNAIS  (Ed.),  p.  412. 
montalivet  (de),  pp.  349, 

350,  353,  356,  360,  371,  372. 
montesquiou  (de),  pp.  23, 

26. 
montpensier  (Duc de),  p. 408, 
moore  i Thomas),  pp.  66,  72, 

89,  141,  146,  173,  200. 

M  ONT  FORT,  p.  113. 

morel  (Auguste),  p.  400. 
mortier   Maréchal),  p.  333. 
mozart,    pp.   254,    294,   339, 
423. 

MURAT,  p.    184. 
MUSARD,  p.  294. 


N 

napoléon,  pp.  107,117,  138, 
184  (la  Corse),  192  (id.),  194, 
300,  304, 350, 41 8  (la  colonne), 
422,  423. 

nemours  (Duc  de"),  p.  386. 

NIEDERMEYER,      pp.    323,  330, 

332  (Slradella'. 
nourrit   (Ad.),    pp.   50,  105, 
151,  211,  314. 


on  slow,  p.  96. 

orléans  (Duc  d'),   pp.    354, 

379,  385,  408,  432. 
orléans   (Duchesse    d'),   pp. 

351,  352. 
ortigue  (Joseph  d'),  pp.  219, 

257,  381,  385. 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


447 


pacini  (E.),  p.  431. 

pacin'i  (Giovanni),  pp.  153. 
198. 

pag an ini  (N.},pp.2H,S54,387, 
à  393,  397,  400,  401,409,414. 

paganini  Achille,  pp.  387. 
391. 

pat.  Camille,  beau  -  frère  de 
Berlioz  ,  pp.  179,  197,  201, 
204,  205,  234.  308,  309,  329, 
331,  334,  338,  352,  356,  368, 
373,  375,  383. 

pal  Madame),  née  Nanci  Ber- 
lioz. Yoy.  d'abord  ce  nom, 
puis:  pp.  189,  193,  195,  204. 
206,  224,  225,  231,  24:..  277. 
283,  291,  331.  337,  338,  352, 
356,  359,  369,  372.  374,  375. 
381  à  383,  386,  409.  413, 
415,  428. 

pal  LMathilde,  fille  des  précé- 
dents, plus  tard  madame 
Jules  Masclet),  pp.  308,  329, 
331,  372,  374,  375. 
pal  'Henri,  frère  de  Camille  , 
pp.  308,  309.  383. 

PALESTRINA,   pp.    420.   421. 

pape,  pp.  255,  256. 
paris   Corn  le  de  ,  p.  423. 
pion  Madame  .  pp.  203,  213. 
PIXI8,  pp.  119.  141,   170.  211. 

PLANTA  DE  .    |>.   36. 

pleyel  (Camille),  p.  136.  Pour 
madame  Pleyel,  voy.  moke 
Camille). 

ponchard,  p.  9. 

pqhs   A.  de  .  pp.  32,  33. 

PI1ADIER.    p.    77. 
PRÉVOST     ?  .    p.   43. 
PRÉVOST  (E.    P.    ,    p.   200. 
PRUDHOMME    de  .   p.  35. 

puig,  p.  273. 


Q 

QVIN'Z  ARD,   p.  319. 

R 

RAIMON'M    Michel  ,  p.  206. 
RAPHAËL,    p.    1'  v 
REAL     F.   .   pp.  371,  372. 
REICHA    A.  .   pp.  43,   50. 
RICHARD,  pp.    106,   110. 

richault,  pp.  304.  365. 

richter  Jean-Paul),  p.  72. 

ricordi,  pp.  363.  36'». 

robert  Alphonse,  cousin 
d'Hector  Berlioz,  pp.  xxxin, 
xxxiv  .  s,  H,  i:;.  ic,  33, 
35,  56,  107.  I5n  809,  -  - 
263,  265,  276  et  277  madame 
Robert  et  leur  fille  ,  882  id  . 
357,  358,  360. 

robert  l'è-rc  du  précédent  . 
pp.  158  et  Madame  ,288, 

ROBERT     ?  .   p.  372. 

Rochefoucauld   (Vicomte 
Sosthène  de  la  .   pp.  23 
94. 

rocher    ?  ,  pp.  31,  295. 

rocher  Amédée  .  pp.  86,  108, 
110,115. 

rocher  Edouard  .  pp.  11.  20, 
31,86,91,93,189,213,229 

rocher    liimin  ,  pp. 249, 266. 

rocher  (Hippolyte,  et  ma- 
dame ,  pp.  263,  264,  276. 

rocher   Joseph  .  pp.  Ji*:;.  2  iv 

ROGER    Ferdinand  de  .  p. 

roger  Raymond  de,  père  du 
précédent,  cousin  d'Hector 
Berlioz  ,  pp.  9. 

nnLAND  de  ravei.  Made- 
moiselle Aimée,  plus  tard 
madame  Humbert  Perrand  . 
i.  179. 


448 


INDEX    DES    NOMS    CITES. 


rossini  (G.),  pp-  59,  60,  78 
(Guillaume  Tell),  80, 86  (G.  T.), 
97,  149,  153,  181,  262,  304, 
366,  392. 

ROUGET  DE  LISLE,  pp.  105, 
106. 

rousseau  (Jean- Jacques),  p.  21. 
ruolz,  pp.  354,  405. 


S 


sabine  (Madame),  p.  263. 
saint-félix,  p.  250. 

SAINTINE,  p.  206. 
SALVANDY,   p.  351. 

sand  (George),  pp.  341,  342, 
346,  347,  399,  404. 

SCHILLER,  pp.  60,  173. 
SCHLESINGER,       pp.     76,     124, 

201,   224,  311,  318,  340,  392, 
397. 
schlosser     (Louis),    pp.    12, 
58  à  60. 

SCHOELCHER      (V.),      pp.      376, 

377,  399. 

schumann  (Robert),  pp.  299, 
340,  344,  348. 

schroeder-devrient  (Ma- 
dame), p.  100. 

scribe,  pp.  96,  262,  281,  343, 
'.-23,  425,  429,  432. 

SEVERINI,  p.  418. 
SHAKESPEARE     (W.),     pp.     34 

(Hamlet),  36  (id.),  59,  72, 132, 
133.  173,  180,  260,  262,  288, 
389,  438. 

SIM  I  an,  p.  229. 

smithson  Miss  Harriett,  plus 
tard  madame  Hector  Berlioz  i, 
pp,  34,  38,  51,  61,  62,  63,  64, 
66,  67.  68,  74,  '.'I.  99,  108, 
208,  210,  211,  212,  213,  217  à 
220,  223.  Pour  la  suite,  voy. 
berlioz  (Henriette). 


smithson  (?),  sœur  de  la  pré- 
cédente, pp.  226,  230,  231, 
234,  235,  313. 

SOPHOCLE,  p.  175. 

soulié  (F.),  pp.  84,  423. 

spokr,  p.  96. 

spontini  (Gasparo),  pp.  59, 
72,  80,  116,  117, 119,  120,  159, 
(la  Vestale)  235,  261,  405,428. 

stoltz  (Madamei,  p.  393. 

STRAUSS  (?),  p.  383. 

suât  (Marc,  beau-frère  de  Ber- 
lioz), pp,  366,  368,  401  à  403, 
414  à  416,  424,  428  à  430. 

suât  (Madame),  née  Adèle 
Berlioz.  Voy.  d'abord  ce 
nom,  puis  :  409,  416,  429,  431, 
432. 

suât  (Mademoiselle  Joséphine, 
plus  tard  madame  Auguste 
Chapot),  pp.  424,  428,  429, 
431. 

suât  Mademoiselle  Nancy, 
plus  tard  madame  Gilbert  de 
Colonjon),  p.  431. 

sue  (Eugène),  p.  248. 


tasso  (Torquato),  p.  152. 
tartes,  pp.  63,  64. 
teisseyre,  pp.  8,  9,   12,37. 
t  hier  s  (Ad.),  pp.  302  à  304. 
thomas  (Madame),  p.  98. 
i  i  un  ri,  p.  186,  200. 


VACCAI,  pp.  153,  198,  343. 

VALENTINO,     pp.     23,     21.    25, 

33,  43. 
vernet  (Carie),  pp.  136,  1 17, 
a  I  19. 


INDEX    DES    NOMS    CITES. 


449 


verne T  (Horace),  pp.  132  à 
134,  136,  141,  143,  147  à  150, 
158,  164*,  167.  182,  189,  192. 
196,  197,  200. 

ver.net  .Madame  Horace  .  pp. 
149.  167,  194,  196,  197. 

ver  net  Mademoiselle  .  pp. 
149,  167,  190,  196. 

véron,  pp.  272.  282,  285,  292. 
2'.  14. 

vetroh  .Mademoiselle  Louise, 
pins  tard  madame  Boutaud), 
pp.  15,  35,  157.  Pour  la  suite, 
voy.  boui  v  t-  r>    madame  . 

vi  haï.,  p.  U8. 


vigny  Alfred  de  .  pp.  248, 
249,  260,  261,  262,  263,  267. 
279.  2'  >:.  304. 

VIRGILE,  pp.  ISi.  343. 

W 

waii.ly    (Léon    de*,  pp.  267, 

297,  304. 
webetî    (G. -M.),    pp.    49,    57, 

58,  59,  72.  97.   173.  180    Eu- 

ryanthe  ,  181,  241,  398. 
wiDKM  v  n     Madame  .   p.    (13. 
WOLKONSKI  ("princesse  de  .   p. 

148. 


OUVRAGES    DE    BERLIOZ    CITES    PANS    SES    LETTRES 


Ballet  des  Ombres,  p.  86. 

Beaucoup  de  bruit  pour  rien. 
projet,  pp.  223,  224. 

Benvenuto  Cellini,  pp.  264,  267, 
280,  294,  297,  299,  301,  314, 
319,  323,  324,  32m,  336,  358, 
365,  366,  37ii.  371.  373  à  383, 
385à  387,  393à  396,  399,  400, 
405,  106,  415. 

Brigands    les  ,  projet,  p.  2 'il. 


Captive  'la  .  pp.  188,    192,    195, 

201,  2i i2,  217,  22'i,  29s. 

Chronique  de  Paris  (Collabora- 
tion à  la  ,  p.  332. 

Cinq  Mai  (le),  pp.  298.  299,  300, 
302,  304. 

Cléopâtre   Cantate  .  pp.  75,  71-. 

Ml. 

Cri  de  (pierre  du  Brisgau  le  . 
projet,  pp.  242,246,  2'i7,  252. 
253. 


Débats  Collaboration  au  Jour- 
nal des  ,  pp.  279,  280,  310, 
326,  330.  331,  364,  381. 

Dernier  jour  du  monde  le),  pro- 
jet, pp.  155.  181,  196,  2"7. 

Du  système  de  Gluck  en  musique 

dramatique,  p.   135. 


Épisode  de  la  vie  d'un  artiste, 

Symphonie  fantastique  et  mé- 

lologue  :  Le  Retour  à  la  rie', 

pp.  2H9.  280. 

Erigone,     intermède     antique, 

inachevé  .  p.  365. 


Faust   S<  ènesde),  pp 
Thulé  ,61,68,73,74,75  "     3 

h'rte  funèbre  a  la  mémoire  des 
hommes  illustres  de  la  France, 
projet,  pp.  28  ,  28  I,  293, 29i. 


,11 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


Francs-Juges  (les),  opéra  ina- 
chevé, et  Ouverture,  pp.  48,  50, 
51,  73,  74,  82,  83,  94,  95,  96, 
99, 108, 11 7, 305,  310,311,365. 

Fraischiitz  (Récitatifs  du),  pp. 
428  à  430. 


Gazette  musicale  (Collaboration 
à  la),  pp.  258,  275,  280,  311, 
318,  3-26,  332,  340,  404,  415, 
432. 

H 

Hamlet  (Projet  d'opéra),  p.  264. 

Harold  en  Italie,  pp.  254,  264, 
267,  272  à  274,  277,  298,  299, 
305,  397,  115. 


Italie  pittoresque  (Collaboration 
à  1'),  pp.  185,  280,  300. 


Jeune  pâtre  breton  (le),  pp.  254, 
256,  275,  298. 


Lelio,  voy.  Retour  à  la  vie  (le). 
Lettre  d'un  enthousiaste  sur  l'état 

de    la    musique     en    Italie , 

pp.  IN.",,  IS7.  198. 

M 

Méditation  religieuse  {de  Tristia), 

p.  260. 
Mélodies  irlandaises,  pp.  66,  m'1. 

89,90,99,111,116,164  (Hélène). 


I 
Mèlologuc  :  vov.  Retour  à  la  vie. 

(le). 
Messe  des  Morts  :  voy.  Requiem,  i 
Messe  solennelle,  pp.  19,  22,  31, 

34,  181  (voy.  Resurrexit). 
Mort    d'Ophclie   (la),    pp.    365,  ] 

435. 
Mort  d'Orphée    (la),   cantate,] 

p.  180. 

N 

Nonne  sanglante  (la),  opéra  ina- 
cbevé,  pp.  423.  425,  428,  429. 


Passage  de  lu  mer  Rouge  (le), 

oratorio  (perdu),  p.  19. 
Paysan  breton   (le),  vo\ .  Jeune 

paire  breton  (le). 
Pêcheur  (Ballade  du),  pp.   191. 

217,  220. 
Pot  pourri  concertant,  sextuor 

(perdu),  pp.  1,  2. 


Rénovateur  (Collaboration  an  , 
pp.  250.  275,  2S0. 

Requiem,  pp.  '■>'■>'■'<,  336  à  339, 
341,  344  à  360,  362,  364,  373, 
375,  379,  383,  385,  397,  420, 
421. 

Resurrexil  (de  la  Messe  solen- 
nelle), pp.  48,  88,  L81. 

Retour  à  la  vie  (le)  (Mélologue, 
postérieurement  intitulé  !■•- 
lio),  pp.  lus.  138,  L42,  146, 
151,  I.'.:.,  iso,  181,  192,  803, 
210  à  213,  217  (le  l'haut  du 
bonheur),  280, 

11,  vue  européenne  (Collaboration 
a  la  .  pp.   185,  187,  19S. 

lioh  Roy  (Ouverture  de),  pp. 137, 
181,  888. 


INDEX    DES    NOMS    CITES 


451 


iRoi  Lear  (Ouverture  du),  pp. 
137,  181,  247,  299,  340,  344, 
365. 

[Romances  de  la  Côte  Saint-An- 
dré, p.  2. 

LRo»)e'o  et  Juliette,  pp.  397,  405 
à  ',14,  420,421. 


Sardanapale  (Cantate),  pp.  102, 
107,  108,  111  à  117. 

Symphonie  fantastique,  pp.  61, 
88,  90,  91,  94,  99,  101,  108, 
117  à  119,  142,  loi,  154, 
210,  245,  248,  254,  274,  299, 
310. 


Symphonie   funèbre    et    triom- 
phale [ou  militaire),  pp.   il9 

à  422,  432. 


Tempête  (la),  pp.  108,  L09,  111. 

116,  117,  118,253. 
Traité  d'instrumentation,^.  432. 

U 

Un  premier  opéra,  nouvelle,  pp. 
352,  436. 

W 

Waverley    Ouverture  il''  .    pi'. 
48,  62,  66. 


TABLE 


PREFACE • I 

BIBLIOGRAPHIE XXVII 

LIVRE    DE    RAISON    DE    LOUIS-JOSEPH    BERLIOZ    .     .     .  XXXI 

ACTE    DE    NAISSANCE    D'HECTOR    BERLIOZ X 1. 1 

LES    ANNÉES    ROMANTIQUES 

CHAP.   I.  —  ANNÉES  D'ENFANCE  ET  ANNÉES  D'ÉTUDES 

(1819-1830) 1 

—  II.    —    VOYAGE    EN   ITALIE    (1831-1832, 123 

—  III.    —   MARIAGE    DE    BERLIOZ",    ANNÉES    D' ACTI- 

VITÉ productrice   (1833-1836).   .  208 

—  IV.    —    ANNÉES  D'ACTIVITÉ   PRODUCTRICE,  SUITE 

(1837-1842) 328 

L  E  T  T  II  E  S   D  E   D  A  T  E  S   1 N  C  E  R  T  A  I N  E  S 433 

INDKX    DES    NOMS    CITÉS 439 


IMPRIMERIE  LIIA1X,   RLE  BEUGERE,  20,  PARIS.  —  lioGO-4-04.   —  CEacre  Lcriliem). 


fiINDiNG  bto  * .  Ftb  i  6  197B 


3erlioz,   Hector 
410  Les  années  rouan tique s 

190/, 
lAuaic 


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