Skip to main content

Full text of "Les asiles d'aliénés de la province de Québec et leurs détracteurs"

See other formats


885 


DE  LA 


PROVINCE  DE  QUÉBEC 


LEURS  DÉTRACTEURS  [ 

. 


■'I 


/ / 


X)B  L-A. 


♦PROYINCE  DE  QUÉBEC 

ET 


LEUHS  détracteïïus 


cr.  O.  T^OHIIB 

q,tjÉbeo 

1885 


IÏXJXjL: 

Imprimé  a La  Vallée  d’Ottaoua.” 


1885 


NOS  ASILES  d’aliénés 


Nos  excellents  asiles  d’aliénés  de  Beauport  et  de  la 
Longue  Pointe  sont,  depuis  quelques  mois,  le  but 
d’attaques  aussi  injustes  que  violentes  : il  n’y  a guère  à 
s’étonner  de  cela,  car  presque  partout  les  institutions 
publiques  sont  périodiquement  l’objet  de  ces  sortes  de 
critiques,  le  plus  souvent  dictées  par  la  malveillance. 
Aux  causes  communes  qui  soumettent  les  établissements 
de  ce  genre  à ces  tracasseries,  allant  parfois  jusqu’à  la 
persécution,  s’ajoute,  dans  la  Province  de  Québec, 
un  animus  particulier  produit  par  les  antipathies  de  race 
et  par  le  fanatisme  d’une  certaine  catégorie  de  sectaires. 

Pour  montrer  que  nos  asiles  ne  sont  pas  les  seuls  qui 
soient  exposés  aux  traits  de  la  calomnie,  je  me  contenterai 
de  reproduire  quelques  passages  des  écrits  d’aliénistes 
américains  sur  ce“  s'ujelf  après.  qupî,>^qfiii  ;de  :fair@’'  y-pir  de 
quelles  odieuses’ ma cbiinatiàilfi  peWpiit  être ^Victimos  les 
administrations  des  établissements  de  la  Province  de 
Québec  en  particulier,  je  citerai  un  cas  qui  s’est  produit, 
à l’époque  où  j’étais  un  des  inspecteurs  des  institutions 
publiques  de  l’ancienne  province  du  Haut  et  du  Bas 
Canada  réunis. 

M.  le  Dr  Gale,  surintendant  du  Central  Kentucky 
Lunatic  Asylum^  sorti  victorieux  d’une  lutte  de  cette 
espèce,  au  cours  de  laquelle  on  l’avait  accusé  de  cruauté 
et  d’impéritie,  disait,  dans  son  rapport  annuel  de  1882  : — 
))  The  troubles  here  are  but  a repitition  of  those  had  by 
))  almost  every  institution  in  this  country  and  Europe. 
))  Such  asylums  as  hâve  had*  none  are  exceedingly 
» fortunate,  and  are  the  exceptions  to  the  rule.  » 

M.  le  Dr  Everts,  traitant  la  même  question  devant 
l’association  des  Surintendants  des  asiles  des  Etats-Unis 
(voir  le  numéro  d’octobre  1881,  de  1’  American  Journal  of 
Insanity)^  dit,  entre  autres  choses  : — « To  accuse  managing 
))  boards  of  dishonesty,  and  medical  superintendents  and 
» subordinates  of  incompetency,  or  criminal  neglect  of 
» duty  and  abuse  of  authority,  towards  helpless  prisoners 


4 


))  is  a common  feature  of  public  scandai Boni 

» agitators  and  professional  reformers,  who  live  and 
» move  upon  the  borderland  of  insanity,  who  are  ever 
» intent  upon  turning  this  world  upside  down,  andhaving 
» things  doue  some  other  way  no  matter  what  the 
» présent  way  be — hâve  appropriated  ail  such  suspicion, 

» imputation,  accusation  and  scandai  as  valuable  con- 
))  tribution  to  their  magazine  of  munitions,  to  be  used  in 
» a general  crusade  against  whatever  appears  to  be  esta- 
» blished.  Professed  neurologists  and  flippant  neuro- 
» spasts  of  the  medical  profession,  arrogating  to  thernselves 
» ail  knowledge  of  psychology  and  psychiatry,  hâve  by 
))  sneers,  innuendo  and  direct  assaults  upon  the  character 
» and  qualification  of  medical  ofiicers  serving  in  American 
))  hospitals  for  the  insane,  doue  what  they  could  do  toward 
» the  disparagement  of  hospital  réputation.  Hungry  po- 
))  liticians  of  a low  order  hâve  in  notable  instances,  uns- 
))  crupulously  manufactured  andpromulgated  accusations 
» and  reports  as  testimony  against  incumbents  of  hospital 
» places,  calculated  to  disquiet  and  abuse  the  public  miud 
» respecting  the  management  of  those  great  charities. 
« Foreign  hpspit4ls.and  theiç.me>thod&*have  been  extolled 
« and'conirlast^  as:iji^  eveçÿ  respect  srip^rior  to  our  own.» 

Mr’le'Êr'  Wôrkîhân',  (Jui' a longtemps  occupé  la  situa- 
tion de  surintendant  de  Tasile  de  Toronto,  dans  un  article 
sur  le  sujet  (numéro  de  Juillet  1881  de  V American  Jou/rnal 
of  Insanity)  disait  : — ‘‘  The  pernicious  accusations  here 
“ complained  of,  rarely,  if  ever,  hâve  their  origin  among 
“ the  uneducated  portion  of  the  population.  They  are 
“ trumped  up  by  persons  professmg  more  intelligence 
‘‘  than  moral  honesty,  and  they  are  cherished  into  pesti- 
“ lant  vigor  by  those  who  hâve  had  but  too  much 
‘‘  éducation.” 

Dans  un  de  ses  rapports,  M.  le  Dr  Rogers  de  l’asile 
de  l’Etat  d’Indiana,  dit  : — Institutions  hâve  been  assailed 
in  this  manner  often  before,  and  the  results  always 
“ hâve  been,  and  always  will  l3e,  direful,  as  far  at  least 
‘‘  as  regards  the  general  etîect  on  those  most  interested — 
the  immédiate  friends  of  the  insane.” 

Je  vais  maintenant  citer  le  cas  de  la  Prison  de  Ré- 
forme de  rile-aux-Noix  (1861),  pour  donner  une  idée  de  ce 
que  peuvent  faire  les  préjugés  nationaux  et  religieux, 
de  ce  que  produit  souvent  ici  la  haine  qui  en  découle, 


6 


quand  il  s’agit  de  l’administration  des  établissements 
publics  de  la  Province  de  Québec. 

La  Prison  de  Réforme  du  Bas-Canada,  localisée  d’abord 
à rile-aux-Noix,  fut  établie  en  Octobre  1858.  Le  premier 
Préfet  de  cette  institution,  un  anglais  protestant,  ne 
rencontra  point  d’opposition  dans  la  prise  de  possession 
de  ses  fonctions,  bien  qu’il  ne  fut  pas  un  ami  de  la 
majorité  de  notre  section  de  la  province,  bien  qu’il 
n’appartint  pas  au  Bas-Canada:  il  eut  au  contraire,  ses 
coudées  franches  et  ruina  si  parfaitement  cet  établissement 
qu’à  la  suite  d’une  enquête  juridique,  qui  fut  suscitée  par 
des  faits  patents  et  non  par  des  criailleries,  il  fut  démis 
de  ses  fonctions,  en  mai  1860.  M.  le  docteur  Nelson  fut 
nommé  Préfet  par  intérim,  et  à la  fin  de  l’année  1860. 
M.  F.  X.  Prieur  fut  appelé  à prendre  la  direction  de 
rinstitution.  Dés  qu’on  apprit  la  nouvelle  de  cette 
nomination,  avant  même  l’entrée  en  fonction  du  nouveau 
préfet,  on  se  mit  à l’attaquer  publiquement  et  à ourdir 
contre  lui  des  trames,  au  sein  de  la  prison  même  et  au 
dehors.  La  première  semaine  du  séjour  de  M.  Prieur  à 
rile-aux-Noix  n’était  point  terminée  qu’une  révolte  éclata 
parmi  les  prisonniers  proteofqnts  ptule  Jamgu,e.pngiaise, 
révolte  que  le  nciiyeaié'préfei  maiti;isà  àü  périd'de  sâ  vie. 
Un  mois  plus  tard,  un  second  soulévèmeiii  eiît  lieù^’à  la 
suite  duquel  M.  Prieur  fit  puuir  sévèrement  quatre  des 
principaux  conspirateurs,  parmi  les  condamnés,  et  démit 
un  des  employés  de  l’institution,  le  maître  d’hôtel,  pour 
participation  dans  ces  complots.  Ces  deux  révoltes,  suivies 
de  ces  punitions  et  de  cette  démission  méritées,  qui  toutes 
inévitablement  s’étaient  exercées  sur  des  protestants  et  des 
individus  de  langue  anglaise,  furent  le  signal  d’un  tollé  des 
général  contre  M.  Prieur,  de  la  part  d’une  notable  partie 
delapresse’anglaise  du  pays. 

Dans  ces  circonstances,  nous  avons  toujours  eu  le 
malheur  de  compter  des  nôtres  parmi  les  insiilteurs  et  les 
persécuteurs:  cette  fois,  ce  fut  le  juge  Mondelet  qui  joua 
ce  rôle  odieux.  Aux  assises  criminelles  de  Mars  1861,  cé 
zélateur  des  mauvaises  causes,  dans  une  adresse  faite  aux 
Grands  Jurés,  fit  une  charge  à fond  contre  radministration 
de  M.  Prieur,  et  pour  conclusion  de  ses  remarques,  dit  de 
la  Réforme  de  l’Ile-aux-Noix  : — “ On  ne  devrait  pas  laisser 
“ un  seul  instant  subsister  un  état  de  choses  semblable  à 
celui  qui  s’y  voit.”  Tl  faut  noter  que  ce  magistrat  n’avait 


6 


rien  vu  autre  chose  que  les  mensonges  et  les  calomnies 
de  certains  journaux  et  de  leurs  correspondants. 

On  accusait  M.  Prieur  d’incapacité,  de  tyrannie, 
d’injustice  et  surtout  d’une  partialité  révoltante 
exercée  contre  les  protestants,  contre  les  officiers  et  les 
détenus  d’origine  britannique,  à l’avantage  des  catholiques 
et  des  Canadiens-français.  Le  principal  fabricateur  de 
ces  calomnies  écrivait  dans  le  Commercial  Advertisei\  de 
Montréal,  et,  avec  cette  hypocrisie  pharisaïque  qui 
caractérise  le  genre,  il  signait  ‘‘Justice.” 

Le  Bureau  des  Inspecteurs  des  établissements  publics, 
alors  composé  de  cinq  membres,  dont  trois  étaient  pro- 
testants et  un  seul  Canadien-français,  fut  chargé  de  faire 
une  enquête.  On  donna  avis  aux  gens  du  Commercial 
Advertiser^  en  invitant  les  accusateurs  à formuler  leurs 
plaintes  et  à produire  leurs  témoins  ; sommation  à laquelle 
on  ne  fit  aucune  réponse.  L’enquête  eut  lieu  et  ne  fut 
close  qu’après  avoir  mis  le  tout  au  clair  : la  décision  du 
Bureau  des  Inspecteurs  fut  rendue  à l’unanimité  de  tous 
ses  membres,  parmi  lesquels  il  ne  s’éleva  ni  le  moindre 
doute,  ni  la  moindre  hésitation.  Voici  les  trois  principaux 
paragraphes -du;  rapport,  r dont  iéS  m'btivés  défient  toute 

critiqVie-J  V'?  "i"  i 

‘ Le  Büféàu  est'encore  d’avis  que  cet  esprit  de  malaise 
“ et  de  révolte,  né  des  causes  assignées  ci-dessus,  a été 
“ fomenté  et  excité  par  certains  officiers  de  l’institution 
“ qui  s’étaient  pris  d’inimitié  contre  M.  Prieur,  person- 
“ nellement,  avant  son  arrivée  à l’Ile-aux-Noix,  à cause  de 
“ sa  nationalité  et  de  sa  religion.  Ces  officiers,  ainsi  pré- 
“ venus  contre  le  préfet,  ont  essayé  par  leurs  discours  et 
“ leur  conduite,  à exciter  contre  le  préfet,  les  préjugés 
“ nationaux  et  religieux  d’une  partie  des  prisonniers.  La 
“ preuve  démontre  qu’ils  ont  eu  un  trop  malheureux 
“ succès  et  que  beaucoup  des  prisonniers,  d’origine  bri- 
“ tannique  et  de  croyance  protestante,  ne  voyaient  le 
“ préfet  qu’avec  un  œil  de  haine  et  de  mépris,  parceqii’il 
“ était  Canadien-français  et  Catholique. 

“ Le  Bureau  est  encore  d’opinion 

“ que  la  sévérité  opportune  du  préfet  était  absolument 
“ nécessaire  et  qu’elle  a eu  un  effet  admirable  sur  la  dis- 
“ cqdine  de  l’institution,  laquelle  est  aujourd’hui  dans  un 
“ meilleur  état  et  dans  des  conditions  supérieures  à 
“ celles  qu’on  a pu  observer,  à aucune  époque  de  son 
existence. 


» 


“ Le  Bureau,  pour  terminer,  déclare,  à Tunanimité 
“ de  ses  membres,  qu’il  n’y  a aucune  espèce  de  vérité 
dans  les  accusations  de  sévérité,  outrée  et  d’injustice 
“ proférées  contre  le  préfet  actuel  de  la  prison  de  réforme 
“ du  Bas-Canada  : que,  bien  au  contraire,  M.  Prieur  s’est 
“ acquitté  de  ses  devoirs,  dans  des  circonstances  singu- 
“ lièrement  difficiles,  avec  conscience,  diligence,  impartia- 
“ lité  et  humanité,  et  qu’il  est,  par  son  intelligence,  sa 
“ bonté  et  ^a  fermeté  admirablement  propre  à remplir 
“ les  fonctions  laborieuses  et  importantes  qui  lui  sont 
“ confiées.” 

J’ai  tenu  à raconter  cette  histoire,  parcequ’elle  est 
caractéristique  de  la  manière  dont  sont  souvent  traitées 
les  administrations  qui  ont  à leur  tête  des  Canadiens- 
Français,  à la  moindre  machination  qu’ilplait  àquelqu’in 
triguant  d’ourdir  : cela  s’est  vu  cent  fois  et  cela  se  voit 
encore  aujourd’hui. 

On  peut  diviser  en  quatre  chapitres  les  élucubrations 
qu’on  a récemment  publiées  contre  nos  asiles  d’aliénés  de 
la  Province  de  Québec  : 1 o.  Le  chapitre  des  diatribes,  2o 
Le  chapitre  de  la  dîscipline  intérieure,  3o  Le  chapitre  du 
mode  de  maintiennes  asiles,  4o  Le  chapnr.e  (Jenrhiterne- 
ment  des  aliénés.  t . 


LES  DIATRIBES 


A l’automne  de  1884,  plusieurs  journaux  commen- 
cèrent la  guerre  ouverte  contre  nos  asiles  d’aliénés,  par 
la  publication  d’une  espèce  de  factum,  portant  pour  titre 
ou  plutôt  pour  affiche,  en  gros  caractères,  les  exclamations 
suivantes: — “ The  insane  asylums — An  English  Medical 
“ Expert’s  visit  to  Longue-Pointe  and  Beauport — A 
“ terrible  indietment— The  System  pursued  a Relie  of  the 
“ Middle  Ages — ^The  contract  System  denounced.  ” 

L’auteur  de  ce  document  est  un  médecin  anglais  qui, 
hôte  passager  du  pays,  à titre  de  membre  de  l’Association 
du  progrès  des  sciences,  a oublié  le  soin  de  sa  propre 
dignité  jusqu’à  se  faire  l’instrument  d’une  clique  et 
jusqu’à  se  prêter  au  rôle  de  vulgaire  insulteur  de  gazette. 
Ce  médecin  est  un  des  rédacteurs  du  Journal  of  Mental 
Science^  il  est  l’auteur  de  plusieurs  ouvrages  et  notamment 


8 


d’un  livre  intitulé  “ Chapters  in  the  History  of  the  insane 
in  the  British  Isles^''  18H2.  M.  le  Dr.  Daniel  Hack  Tuke 
n’est  pas  le  premier  venu  et  ses  écrits  ne  sont  pas, 
d’ordinaire,  sans  valeur  : il  est  connu  en  Angleterre  et 
son  nom  est  inscrit  dans  les  catalogues  ; mais  le  fait 
qu’il  ne  se  trouve  pas  mentionné  dans  un  livre  qui  passe 
pour  contenir  la  biographie  abrégée  des  célébrités 
britanniques — “ Men  of  the  time”,  bien  que  n’étant 
nullement  une  preuve  d'insignifiance  irait,  cependant,  à 
faire  croire  que  ce  monsieur  n’est  pas  à tel  point  fameux 
que  d’olMr  une  exception  au  proverbe — Nul  n’est  prophète 
en  son  pays — . Quoiqu’il  en  soit,  il  est  évident  qu’il  a 
voulu  se  donner,  en  Canada,  les  allures  d’un  Prophet 
abroad.  Attendu  que  ceux,  dont  M.  le  docteur  Tuke  a 
voulu^caresser  les  haines, l’ont  représenté  comme  un  oracle, 
ils  ne  devront,  ni  lui,  ni  eux,  s’étonner  que  ceux  qu’il  a 
froissés  cherchent  à coiiiiaitre  à qui  ils  ont  affaire. 

M.  le  Dr  Tuke  est  un  homme  ordinaire;  son  talent 
est  celui  du  compilateur  ; il  lui  arrive  parfois  de  dire,  de 
lui-meme,  de  bonnes  choses;  mais,  en  général,  du  moment 
qu’il  lâche  la  reinqrque,  il  navigue  à l’aventure  et  se 
nehrfé^'atix  lieux  ébhimdUs  et 'aux  platitudes.  Comme 
aliéniste,^ il  .a.  pris  luie  crnière  et  il  la  suit.  Il  réussit 
quelquefois  dans  l’analyse,  mais  yiand  il  essaye  de  la 
syntèse,  oh!  alors  il  devient  tout  à fait  amusant.  C’est 
ainsi  que,  dans  ses  Chapters^  la  pièce  de  résistance  de  ses 
œuvres,  voulant,  à la  page  457,  donner  un  brillant  exposé 
des  conséquences  des  principes  qu’il  adopte,  il  dit  : 

“ The  treatment  of  the  insane  ought  to  be  such  that  we 
“ should  beable  to  regard  the  asylums  of  the  land  as  one 
“ Temple  of  Health,  in  which  the  priests  of  Esculapius, 
“ rivaiiing  the  EgyptiansandGreeks  of  old,  are  constantly 
ministering,  and  are  sacriûsing  their  time  and  talents 
on  the  altar  of  Psyché.” 

Il  ne  manque  à tout  cela  que  la  description  des  habits 
sacerdotaux  des  sacrificateurs  de  Psyché  ; car  il  est 
évident  que  la  cravate  blanche  en  étoulfoir,  l’habit  noir  à 
queue  d’aronde,  le  pantalon  collant  et  les  escarpins  de 
cuir  verni  breveté  ne  constitueraient  pas  un  costume  d’un 
goût  assez  classique,  pour  un  sacerdoce  imité  des  cultes 
d’Isis  et  d’Aphrodite,  s’exerçant  en  présence  d’élégantes 
congrégations  de  fous  émancipés  par  la  non-restraint. 


9 


Je  parlerai  plus  loin  de  la  théorie  de  la  non-res traint^ 
dépouillée  de  toutes  fleurs  de  rhétorique  et  débarrassée 
des  réminiscences  mythologiques  ; mais  je  ne  puis 
m’empêcher  de  faire  remarquer  ici,  que  la  doctrine  de  la 
non-restraint  a ses  dangers,  meme  en  matière  d’écritures. 
Bref  M.  le  docteur  Tuke  fait  partie  du  commun  des 
mortels  ; ses  meilleurs  écrits  accusent  plus  de  travail  que 
de  génie  et  il  a certainement  plus  de  creux  que  de 
profondeur. 

La  gazette,  dans  laquelle  je  lis  le  prétendu  rapport  de 
M. le  Dr  Tuke,  est  du  mois  d’Octobre  dernier;  je  vois,  par 
cet  écrit,  que  les  courtes  visites  qu’il  a faites,  une  à 
l’asile  de  Beauport,  l’autre  à l’asile  de  la  Longue-Pointe, 
datent  du  mois  d’Août,  je  ne  connais  pas  l’époque  des 
visites  qu’il  parait  avoir  faites  à quelques-uns  des  asiles 
d’Ontario.  La  conclusion  tirée  par  M.  le  Dr  Tuke,  de  cet 
examen  évidemment  incomplet  et  insuffisant,  c’est  que 
les  asiles  de  la  Province  de  Québec  sont  des — relies  of 
Barbarism — et  que  les  asiles  de  la  Province  d’Ontario  sont 
des — excellent  institutions — . 

Gomme  j’ai  à m’inscrire  en  faux  contre  ce  jugement, 
il  convient  de  dire  que  j’ai  été,  pendant  plusieurs  années, 
inspecteur  des  asiles  de  Beauport,  de  Toronto,  de  Kingston 
(Rockwood)et  d’Orillia;  que  plus  récemment,  j’ai,  en 
diverses  occasions,  visité  en  détail  les  asiles  de  Beauport 
et  de  Kingston,  et  que  j’ai  visité  ceux  de  Toronto,  de 
Saint-Jean,  d’Halifax  et  de  la  Longue-Pointe.  J’ai  pris 
connaissance  des  rapports  des  médecins,  des  administra- 
teurs et  des  inspecteurs  de  tous  nos  asiles  canadiens  : j’ai 
donc  pu  et  dû  acquérir  une  connaissance  assez  intime  de 
l’état  des  choses  et  je  le  déclare,  avec  sincérité  et  confiance, 
les  asiles  de  Beauport  et  de  la  Longue-Pointe,  à tout 
prendre  et  en  somme,  ne  le  cèdent  à aucun  des  autres  ; 
tous  sont  des  établissements  qui  font  honneur  au  Canada  ; 
aucun  d’eux  n’est  parfait;  on  peut  trouver  bien  ou 
mal  certaines  dispositions,  certaines  manières  d’être 
selon  les  idées  qu’on  entretient,  qui  dans  une  de  ces 
institutions,  qui  dans  fautre.  Le  contraste  en  bloc  que 
veut  établir  M.  le  Dr  Tuke  et  le  langage  dont  il  se  sert, 
ne  constituent  pas-le  rapport  d’une  enquête  ; ce  n’est  pas 
même  fappréciation  d’un  homme  raisonnable  et  qui  se 
respecte,  c’est  une  diatribe  et  une  sotte  méchanceté. 


2 


10 


Nos  deux  asiles  de  la  Province  de  Québec  je  le 
répè  te,  peuvent  subir  l’examen  et  la  comparaison.  Gomme 
sites,  Beauport  est  sans  rival  et  Saint-Jean-de-Dieu  a peu 
d’égaux;  les  édifices,  d’aspect  et  d’ampleur,  comptent 
parmi  ceux  des  institutions  de  première  classe  ; les  terrains 
et  les  parterres  de  Beauport  sont  superbes  et  ceux  de  la 
Longue-Pointe,  plus  récemment  travaillés,  sont  déjà  très 
beaux;  les  divisions  intérieures,  le  chauffage,  l’éclai- 
rage, la  ventilation  sont  dans  des  conditions  ou  d’excellence 
ou  de  bonne  moyenne  ; la  nourriture  est  saine  et  abondante; 
l’habillement  et  la  literie  des  aliénés,  dont  la  grande 
majorité,  comme  ailleurs,  appartient  à la  classe  pauvre, 
sont  très  convenables,  avec  les  différences  qui  partout 
distinguent  les  catégories  des  fous  propres  et  tranquilles, 
des  fous  malpropres  et  gâteux  et  des  fous  temporairement 
violents  et  destructeurs;  les  soins  domestiques  et  la 
discipline  sont  doux  et  marqués  au  coin  de  la  charité  et 
du  respect  pour  la  souffrance  et  le  malheur,  sans  tomber 
dans  les  lubies  et  les  faux  dehors  des  rêves  et  des  utopies  ; 
le  traitement  moral  et  physique  y est  ce  qu’il  est  partout 
ailleurs  en  somme.  Ces  deux  asilps  ont  des  médecins 
ordinaires  et  des  médecins  visiteurs  ; ils  sont  régulière- 
ment inspectés  par  des  fonctionnaires  nommés  par  le 
gouvernement  ; on  s’efforce  d’améliorer,  avec  le  temps  et 
selon  les  moyens  fournis: — quelquefois  aussi,  on  opère  des 
changements,  pour  obéir  aux  fantaisies  qui  ont  cours,  et 
ces  changements  ne  sont  pas  toujours  des  améliorations, 
cela  s’applique  à Ontario  comme  à Québec.  On  ne 
sacrifie  point  à Psyché,  ni  à aucune  autre  divinité 
fantastique  dans  ces  asiles,  on  se  contente  d’être  chrétiens, 
c’est  pourquoi  on  se  préoccupe  de  l’âme  des  malheureux 
comme  de  leurs  corps;  des  prêtres  et  des  ministres  y 
prennent  soin  de  ceux  qui  leur  appartiennent,  chacun  à 
sa  manière  et  selon  sa  croyance.  La  tranquillité  compa- 
rative des  aliénés  de  ces  deux  asiles  est  remarquable  : on  y 
a eu,  comme  ailleurs,  des  accidents  à enregistrer,  mais  ils 
y sont  rares  ; la  santé  des  aliénés  y est  relativement  bonne, 
et  les  cas  de  guérisons  aussi  nombreux  que  dans  Ontario. 
En  tenant  compte  du  fait  que,  dans  ces  deux  institutions, 
on  admet  indistinctement,  avec  raison  selon  moi,  les 
cas  d’idiotisme,  d’imbécillité,  de  démence  comme  les  cas 
de  folie  aigue,  les  incurables  comme  les  cas  réputés 
curables,  la  statistique  y accuse  un  état  de  choses  très 


11 


favorable.  En  disant  cela,  je  tiens  cependant,  comme 
homme  du  métier,  à faire  mes  réserves  ; car  je  sais  tout 
ce  qu’ont  de  fallacieux,  partout,  ces  données  statistiques, 
dans  lesquelles  on  ne  peut  pas  tenir  compte  des  mille  et 
une  circonstances  qu’il  importerait  essentiellement  de 
connaître,  pour  asseoir  une  opinion  raisonnée  : en  cela 
M.  le  Dr  Tuke  paraît  être  de  l’avis  de  tout  le  monde,  car 
dans  une  note,  au  bas  de  la  page  91  de  ses  Chapters^  parlant 
de  St  Luke  d’Angleterre  il  dit  : 

Statistics  of  recovery  are  given  for  different  periods, 
“ but  the  fallacies  attending  such  comparisons  are  so 
“ great  that  I bave  not  cited  the  figures.  ” 

Tout  ce  qui  précède  satisfait  M.  le  Dr  Tuke  dans 
Ontario,  mais  lui  parait  insuffisant  dans  Québec  : la  raison 
de  ces  deux  poids  et  de  ces  deux  mesures  est  évidente. 

Je  viens  de  parler  du  système  qui  consiste  à recevoir 
toutes  les  classes  d’aliénés  dans  des  établissements 
communs  à toutes.  C’est  une  question  controversée, 
comme  bien  d’autres,  sur  laquelle  chacun  peut  avoir  ses 
opinions  : après  des  années  d’étude  et  de  réflexion,  j’en 
arrive,  sur  le  sujet,  à la  même  conclusion  que  j’exprimais 
quand  j’étais  Inspecteur,  dans  mon  rapport  particulier  de 
1862  ; je  cite  la  version  anglaise  : 

I do  not  deny  that  some  advantages,  as  well  as 
“ inconveniences,  might  resuit  from  a classification  of  the 
asylums  of  the  country,  provided  always  that  poor 
“ should  be  suitably  lodged  and  clothed,  and  treated  in 
“ other  respects  like  the  rich. 

“ The  only  System  praticable  in  Canada,  in  my  opinion 
“ is  that  which  makes  a lunatic  asylum  both  a hospital 
“ for  the  cure  of  such  as  are  curable,  and  a retreat  for  the 
“ incurable, — in  which  the  unfortunates  of  ail  classes, 
“ poor  as  well  as  rich,  may  find  a suitable  refuge,  in  which 
‘‘  luxury  and  pomps  may  hâve  no  place,  but  in  which 
“ if  need  be,  a compartment  may  be  devoted  to  the  acco- 
‘‘  modation  of  the  insane  members  of  wealthy  families 
“ who  ought,  in  each  case,  to  be  required  to  pay  a fee 
“ sufficient  to  cover  ail  expenses  on  a liberal  scale.  ” 

Nos  asiles  canadiens  se  rangent  tous  entre  les  deux 
classes  d’asiles  étrangers,  dont  l’une  se  distingue  par  un 
luxe  d’ameublement  et  d’entretien  dont  les  avantages  sont 
discutables,  et  l’autre  se  compose  des  asiles  pauvres  et  trop 
réduits,  d’un  genre  voisin  du  genre  alms  houses  et  lüork 


12 


houses.  La  question  du  luxe  dans  rameublement,  de  la 
délicatesse  dans  la  nourriture  et  dans  l’habillement,  d’un 
surplus  dans  le  service,  est  purement  et  simplement  une 
question  d’argent.  Que  les  familles  riches  fassent  ce  qui 
leur  semble  raisonnable  pour  leurs  aliénés  ou  qu’elles 
exagèrent  les  dépenses,  sans  profit  pour  le  malade,  sou- 
vent à son  détriment,  c’est  leur  affaire  ; mais  de  la  part  de 
l’Etat  ce  serait  un  acte  de  mauvaise  administration  que 
d’augmenter  inutilement  les  dépenses,  pour  le  puéril 
motif  de  faire  de  l’ostentation  et  du  pharisaïsme,  ou  pour 
le  plaisir  ridicule  de  caresser  les  fantaisies  d’utopistes  et 
de  rêveurs. 

J’ai  vu,  dans  un  asile  étranger,  un  aliéné  très  riche 
dont  la  famille  prodiguait  pour  son  chef  tout  ce  que  le  luxe 
peut  imaginer  de  séduisant.  Ce  malheureux  avait  des 
appartements  dont  les  murs  étaient  couverts  de  tableaux, 
une  table  et  un  service  particuliers  lui 'étaient  affectés  : il 
contemplait  tout  cela  avec  un  oeil  d’imbécile  satisfaction, 
avec  une  contenance  d’idiote  vanité  et  de  calme  complai- 
sant, qui  faisaient  mal  à voir.  Mon  impression  fut  que 
toute  cette  exhibition  avait  eu  la  plus  déplorable  influence 
sur  la  maladie,  devenue  alors  évidemment  incurable,  et  je 
crus  comprendre  que  c’était  aussi  l’avis  des  autorités  de 
l’institution:  on  avait,  à force  de  satisfactions,  produit 
chez  le  malade  une  tranquillité  dégénérée  en  torpeur  ; 
tant  les  apparences  trompent  en  pareille  matière. 

Je  ne  suivrai  pas  le  diffamateur  de  nos  deux  grandes 
institutions,  à travers  le  long  réquisitoire  que, évidemment, 
il  a préparé  à l’instigation  d’ennemis  de  ces  deux  asiles  et 
d’adversaires  passionés  des  administrations  qui  les 
dirigent,  il  suffira  d’un  assez  rapide  examen  de  quelques 
parties  de  cette  production,  pour  en  démontrer  la  non 
valeur  et  la  futilité,  pour  faire  ressortir  l’animus  qui  a 
présidé  à sa  confection. 

M.  le  Dr  Tuke  commence  par  l’asile  de  Saint-Jean- 
de-Dieu,  à la  Longue-Pointe.  Il  constate  que  cet  asile  a 
des  édifices  imposants,  ‘‘a  prominent  object  from  the 
“ St  Lawrence  in  approaching  Montreal^'^  il  a trouvé  les 
sœurs  de  la  Providence  polies  et  il  remercie  le  médecin 
visiteur  de  sa  complaisance  : il  déclare  que  la  pharmacie, 
qu’il  nomme  apothecaire  (sic),  est^un  modèle  de  propreté:  il  a 
trouvé  tout  assez  bien  dans  les  parties  de  l’établissement 
affectées  au  service  général,  au  logement  des  aliénés  de 


13 


la  classe  des  malades- privés  et  de  la  classe  pauvre  des 
fous  propres  et  tranquilles  ; mais  ce  recul  n’est  fait  que 
pour  mieux  sauter,  et  la  détraction  ne  tarde  pas  à 
prendre  la  place  des  éloges  mérités,  pour  se  répandre 
même  sur  des  sujets  étrangers  à la  question  du  mérite 
intrinsèque  des  asiles,  qui  a servi  de  prétexte  à ce  factum. 
M.  le  Dr  Tuke  critique  jusqu’à  un  livre,  dont  les  Sœurs  de 
la  Providence  se  servent  dans  l’exécution  de  leurs  devoirs 
de  gardes-malades,  on  lit  ce  qui  suit;  dans  le  second 
paragraphe  de  son  mémoire  : 

“ The  nuns  hâve  themselves  puhlished  a pharma- 
“ ceutical  and  medical  work,  a large  volume,  entitled 
“ Traité  élémentaire  de  Matière  Médicale  et  Guide  Pratique^ 
a copy  of  which  the  worthy  Motlier  superior  was  good 
enough  to  présent  to  me.  1 was  somewhat  desappoin- 
ted  to  find,  on  examining  its  pages  that  only  one  was 
“ devoted  to  mental  alienation,  of  which  nine  lines 
“ sufBce  for  the  treatment  of  the  disorder.  Among  the 
“ moral  remedies,  I regret  to  see  that  “punitions”  are 
“ enumerated  ; their  nature  is  not  specifled.” 

M.  le  Dr  Tuke  s’est  imaginé  bien  à tort  ou,  ce  qui 
serait  plus  mal,  a voulu  gratuitement  insinuer  que  ce 
livre  des  Sœurs  de  la  Providence  a été  composé  et  publié 
pour  le  service  spécial  des  aliénés,  afin  d’avoir  l’occasion 
de  s’étonner  de  n’y  rencontrer  qu’une  page  dédiée  à la 
folie  : or  le  fait  est  que  ce  volume  a été  publié  plusieurs 
années  avant  qu’il  fut  question  de  l’asile  de  Saint-Jean- 
de-Dieu;  le  livre  a été  imprimé  en  1870,  tandis  que  les 
commencements  de  l’asile  ne  datent  que  de  1876.  Cet 
ouvrage,  fort  utile,  est  une  pharmacopée,  accompagnée  de 
notions  élémentaires  sur  les  diverses  maladies;  chaque 
affection  n’y  occupe,  naturellement,  que  peu  d’espace, 
mais  chaque  chose  est  à sa  place  et  va  droit  au  but 
proposé,  qui  est  clairement  et  modestement  défini  dans 
l’Introduction  où  se  lisent  les  lignes  suivantes  : — “Ce  que 
“ nous  nous  proposons  par  la  publication  de  ce  livre, 
“ c’est  de  mettre  la  Sœur  de  Charité  en  état  de  remplir, 
“ d’une  manière  plus  parfaite,  le  but  qu’elle  s’est  proposé 
“ en  se  consacrant  à Dieu,  ” et  plus  loin  : — “ de  se  mettre 
“ au  fait  de  ce  qui  lui  est  nécessaire  de  savoir,  pour 
“ seconder  avec  intelligence  les  efforts  des  médecins,  ou 
“ en  leur  absence  donner  elle-même,  dans  les  cas  urgents, 
“ les  premiers  soins  aux  malades,  ” 


14 


Certes,  les  nobles  et  saintes  femmes  qui  portent  en 
elles  la  consécration  opérée  par  le  dévouement,  poussé 
jusqu’à  l’immolation  de  tout  le  moi  humain,  les  femmes 
instruites  qui  ont  tracé  ces  belles  lignes,  les  femmes 
modestes  qui  se  donnent,  devant  Dieu  et  devant  les 
hommes,  pour  rôle,  d’etre  servantes  des  malades  sous  la 
direction  des  médecins,  peuvent  regarder  de  haut  leurs 
détracteurs  et  pardonner  facilement  d’ineptes  sarcasmes, 
impuissants  à les*  atteindre.  Le  Guide  Pratique  ne  contient 
qu’une  page  spécialement  consacrée  à l’aliénation  mentale, 
c’est  autant  que  beaucoup  de  manuels  et  de  dictionnaires 
abrégés  célèbres;  et  si  quelqu’un  était  réduit  à ne  pouvoir 
consulter,  sur  cette  affection,  que  le  livre  des  Sœurs  de  la 
Providence  ou  les  Chapters  de  M,  le  Dr  Daniel  Hack 
Tuke,  M.  D.  F.  R.  G.  P.,  il  ferait  bien  de  choisir,  de 
préférence,  le  livre  des  Sœurs.  M.  le  Dr  Tuke  pourrait 
dire,  sans  doute,  que  son  ouvrage  n’est  pas  un  traité  sur 
l’aliénation  mentale,  mais  une  histoire  des  asiles  d’aliénés 
d’Angleterre;  ce  à quoi  on  peut  lui  répondre  que  le 
volume  des  Sœurs  de  la  Providence  est  une  [jharmacopée- 
guide,  et  non  pas  un  ouvrage  sur  la  folie. 

Le  livre  des  Sœurs,  à la  page  947,  dont  il  est  ici 
question,  dit  à propos  du  traitement  de  la  folie  : — Le 
traitement  moral  consiste  à appliquer  l’art  de  l’éducation 
à la  folie  par  le  moyen  de  l’obéissance,  du  travail,  de  la 
“ ponctualité,  des  distractions,  des  punitions  et  des  ré- 
compenses,  de  la  confiance,  du  changement  de  lieu,  de 
l’affermissement  du  principe  moral  et  religieux,  en 
“ prenant  en  considération  le  caractère  individuel  du 
“ malade  et  l’espèce  de  folie.” 

Il  serait  difficile  de  dire  plus  et  de  dire  mieux  en  si 
peu  de  mots,  sur  le  traitement  moral  de  l’aliénation 
mentale.  La  rage  de  critiquer  les  religieuses  et  les 
besoins  d’une  mauvaise  thèse  ont  aveuglé  M.  le  Dr  Tuke, 
jusqu’à  le  pousser  à se  mettre,  à propos  de  ce  passage, 
dans  le  cas  d’être  convaincu  ou  d’ignorance  ou  d’insigne 
mauvaise  foi.  En  effet,  quand  il  dit  : — “ Among  the 
“ moral  remedies,  I regret  to  see  that  “punitions”  are 
“ enumerated” — M.  le  Dr  Tuke  fait  exhibition  d’une 
ignorance  déplorable,  si  son  regret  est  sincère  ; si  ce 
regret  n’est  pas  sincère,  alors  il  fait  exhibition  d’une 
odieuse  mauvaise  foi  ; car  les  punitions  comme  les 
récompenses  font  bien  certainement  partie  du  traitement 


15 


de  la  folie  et  de  la  discipline  des  aliénés;  je  ne  crois  pas 
qu’un  seul  aliéniste,  de  qnelqne  valeur,  voulut  nier  cette 
vérité,  qui  est  élémentaire,  découlant,  comme  de  source, 
de  la  nature  des  choses.  La  récompense  a pour  notion 
antithétique  obligée,  nécessaire,  la  punition.  L’idée  de 
mérite  comporte  la  possibilité  du  démérite,  il  en  est  de 
meme  de  l’idée  de  bonne  ou  de  mauvaise  conduite,  soit 
qu’il  s’agisse  de  l’être  moralement  responsable  gouverné 
par  la  loi,  soit  qu’il  s’agisse  de  l’être  seulement  sensitif 
gouverné  par  l’instinct.  Il  est  de  vérité  primordiale 
qu’une  différence  d’être  vis-à-vis  du  monde  extérieur, 
dans  le  gouvernement  des  hommes  et  même  des  bêtes, 
comporte  une  différence  de  traitement,  qu’on  appelle 
selon  le  cas  louange,  encouragement,  récompense  ou 
contrainte,  répulsion,  châtiment  ; il  faut  prévenir  les 
mauvais  résultats  d’actes  dommageables  aux  personnes 
ou  aux  choses,  il  faut  conjurer  le  retour  de  ces  actes, 
quand  on  n’a  pu  les  empêcher  complètement  de  se 
produire,  et  il  faut  en  châtier  les  auteurs  pour  leur 
éducation  et  pour  l’exemple  : les  aliénés  n’échappent  point 
à cette  loi  qui  s’applique  à tous  les  êtres  sensibles. 

Il  suffit  d’un  raisonnement  de  ce  genre,  à quiconque 
adopte  pour  méthode  l’étude  des  choses  selon  leur 
nature  ; mais  comme  il  y a des  gens  pour  qui  l’autorité 
des  noms  l’emporte  sur  la  philosophie — qui  fait  plus  ou 
moins  défaut — ^je  vais  citer  les  remarques  de  deux 
aliénistes  de  renom  sur  le  sujet.  M.  le  Dr  Gale,  du 
Kentucky,  dans  son  intéressant  rapport  de  1882,  a un 
chapitre  intitulé  : — “ Restraint  and  Punishments  ” au 
troisième  paragraphe  duquel  on  lit  : — Punishments  are 
“ sometimes  as  essentially  necessary  as  remédiai  agents 
“ for  the  purpose  of  control  in  individual  cases,  and  for  the 
“ maintenance  of  discipline.  ” 

Le  Dr  T.  S.  Bell,  dans  la  revue  qu’il  a fait  des 
procédés  de  l’enquête  sur  la  cond  lite  des  officiers  de 
l’Anchorage  asylum,  cite  à propos  des  questions  d’inter- 
nement et  des  châtiments  des  aliénés,  le  cas  de  l’aliéné 
Théodore  Glay,  le  fils  ainé  du  célèbre  Henry  Glay  : le  Dr 
Bell  parlant,  dans  un  sens  approbatif,  du  traitement  de  ce 
malade  d'illustre  lignée,  dit  ; — I may  say  here,  that 
“ while  Théodore  Glay  was  generally  quiet  and  harmless, 
“ he  would  hâve  occasional  outbreaks,  for  which  he  was 
“ punished  when  the  institution  v\^as  under  the  manage- 


16 


“ ment  of  some  of  the  most  devoted  friends  that  his 
father  ever  possessed.  ” 

En  un  mot,  la  logique  et  l’expérience  des  maîtres  so  nt 
d’accord,  pour  proclamer  les  punitions  nécessaires  en 
certains  cas,  et  les  Sœurs  de  la  Providence  ont  scientifi- 
quement raison  contre  M.  le  Dr  Tuke,  sur  cette  question. 
Ce  dernier,  croyant  sans  doute  avoir  bon  marché,  de 
modestes  Sœurs  de  Charité,  n’a  pas  mis  fin  à ses  quolibets 
avec  sa  malencontreuse  critique  d’un  excellent  livre,  il 
dit  encore  : — Tvs^o  skeletons  in  the  apothecaire  (sic)  were 
shown  to  us  by  Ste  Thérèse,  as  being  much  valued 
“ subjects  of  anatomical  study  for  the  nuns,  who 
“ would,  it  is  not  unlikely,  consider  their  knowledge  of 
“ the  medical  art  sufficient  for  the  needs  of  the  patients.” 

Sœur  Thérèse  et  ses  compagnes  ont  parfaitement 
raison  de  considérer  le  squelette  comme  un  objet  de 
grande  valeur  dans  l’étude  de  l’anatomie,  et  M.  le  Dr  Tuke 
a complètement  tort  de  faire  des  insinuations  que  rien  ne 
justifie,  pour  le  plaisir  de  satisfaire  de  misérables  préjugé  s, 
avec  l’intention  évidente  de  capter  une  popularité  de 
mauvais  aloi. 

Voici  la  conclusion  que  M.  le  Dr  Tuke  donne  à la 
première  partie  de  son  réquisitoire  : 

— That  such  establishment  should  be  conductedby 
“ nuns  must  seem  remarkable  to  those  who  are  unac- 
quainted  with  the  large  part  taken  by  Sisters  of  Gharity 
“ in  the  management  of  hospitals  in  countries  where  the 
“ influence  of  the  Roman  Gatholic  Ghurch  extends. 

Theoretically,  it  would  seemto  be  an  admirable  System, 
“ and  to  afford,  in  this  way  a wide  field  for  the  employ- 
ment  of  women  in  occupations  congenial  to  their 
“ nature,  and  calculated  to  confer  great  advantages  upon 
“ the  sicK,  whether  in  mind  or  body.  That  women  hâve 
“ an  important  rôle  in  this  field  will  not  be  denied  ; but 
“ expérience  proves  only  too  surely  that  to  entrust  those 
of  a religions  order  with  administrative  power  is  a 
“ practical  mistake,  and  leads  to  abuses  which  ultimately 
necessitate  the  intervention  of  the  civil  power.  ” 

Voici  le  chat  à moitié  sorti  du  sac,  tout  en  se  croyant 
encore  caché.  Si  M.  le  Dr  Tuke  était  venu  nous  dire  : — 
Je  déteste  l’Eglise  Gatholique,  je  suis  hostile  à tout  ce 
qui  s’y  rattache,  je  ne  puis  souffrir  les  religieuses,  quelque 
bien  qu’elles  fassent, on  pourrait  au  moins  lui  reconnaitre 


17 


de  la  sincérité,  à défaut  de  justice  ; mais  de  venir  essayer 
de  faire  mentir  l’expérience,  de  nous  donner  des  avis 
ridicules  sur  des  choses  que  nous  connaissons  cént  fois 
mieux  que  lui,  c’est  un  peu  trop  fort. 

Nous  avons  en  Canada,  dans  toutes  les  provinces, 
mais  surtout  dans  la  province  de  Québec,  l’expérience 
séculaire  de  l’admirable  aptitude  qu’ont  les  ordres  religieux 
pour  administrer  les  établissements  publics,  de  quelque 
genre  qu’ils  soient,  et  notamment  les  institutions  de 
bienfaisance  et  de  charité  ; c’est  un  fait  reconnu  de  tous 
ceux  qui  possèdent  leur  âme  en  paix  et  leur  intelligence 
en  santé.  Il  en  est  de  meme  dans  tous  les  pays  ; c’est 
ainsi  qu’en  France  en  ce  moment,  les  médecins  les  plus 
eminents,  meme  des  médecins  incrédules  et  hostiles  aux 
idées  religieuses^  s’opposent  de  toutes  leurs  forces,  à la 
laïcisation  des  hôpitaux  et  des  hospices  entreprise  par  un 
gouvernement  inepte  et  persécuteur.  Récemment  on  a vu 
en  France  les  médecins  d’un  écrivain  libre-penseur, 
à propos  d’une  affection  de  difficile  guérison,  exiger  de  lui 
de  s’aller  mettre  en  pension  dans  une  institution  religieuse 
pour  la  seule  raison  que,  nulle  part  ailleurs,  ces  médecins 
ne  trouvaient  des  garanties  égaies,  pour  le  succès  de  leur 
traitement. 

Un  des  asiles  d’aliénés  les  plus  célèbres  des  Etats-Unis, 
le  Mount  Hope  Retreat  de  Baltimore,  est  possédé  et, 
naturellement,  administré  exclusivement  par  des  reli- 
gieuses, les  Sœurs  de  Saint- Joseph.  La  population 
aliénée  de  cet  asile  est  d’au  moins  cinq  cents  ; sur  ce 
chiffre,  il  y a environ  deux  cents  malades  privés,  dont 
plusieurs  appartiennent  à la  classe  des  familles  les  plus 
marquantes,  tant  protestantes  que  catholiques.  Bien 
qu’il  y ait  d’autres  asiles,  la  ville  et  le  comté  de  Baltimere 
pensionnent  chez  les  Sœurs  plus  de  deux  cents  aliénés 
maintenus  par  les  municipalités  ; les  autres  malades, 
pris  dans  les  familles  pauvres  ou  soustraits  aux  “ Alms 
Houses,  ” sont  soutenus,  en  tout  ou  en  partie,  par  les 
sœurs,  à même  les  profits  réalisés  sur  les  malades  privés 
et  sur  les  malades  dont  la  pension  est  payée  par  le  trésor 
public.  C’est  en  face  de  pareils  faits,  qui  sont  de  tous 
les  temps  et  de  toutes  les  contrées,  que  M.  le  Dr  Tuke 
ose  affirmer  que  l’expérience  vient  contredire  le  raisonne- 
ment, qu’il  admet  à priori^  être  favorable  aux 
administrations  des  communautés  de  femmes. 

3 


18 


Après  avoir  constaté  la  belle  apparence  de  l’intérieur 
de  l’asile  de|  Saint-Jean-de-Dieu  au  premier  étage  il 
ajoute  : — “ It  is  as  we  ascend  the  building  that  the 
character  of  the  accomodation  changes  for  the  worst, 
the  higher  the  ward,  the  more  unmanageable  is  the 
patient  supposed  to  be,  the  galleries  and  rooms  become 
more  and  more  crowded  and  the  look  bare  and  coih- 
fortless.  The  patients  were  for  the  most  part  sitting 
“ listlessly  on  forms  by  the  wall  of  the  corridor, 
while  others  were  pacing  the  open  gallery,  which 
must  afford  an  acceptable  escape  from  the  duU 
monotony  of  the  corridor.  The  outlook  is  upon 
“ similar  galleries  in  the  quadrangle  at  the  back  of  the 
“ building,  and  to  a visitor,  the  sight  of  four  tiers  of 
“ palissaded  verandahs,  with  a number  of  patients 
“ walking  up  and  down  the  enclosed  space,  lias  astrange 
“ effect.  These  outside  galleries  are,  indeed,  the  airing 
“ courts  of  the  asylum.  There  are  no  others.  If  the 
patients  are  allowed  to  descend,  and  to  go  out  on  the 
estate,  they  do  so  in  regular  order  for  a stated  time, 
in  charge  of  their  attendants,  like  a procession  of 
“ charity  school  children.  Those  who  work  on  the 
“ farms  must  be  the  happiest  in  the  establishment.” 

J’ai  tenu  à faire  cette  longue  citation,  comme 
spécimen  de  l’espèce  de  critique  deM.  le  DrTuKe,  sur  les 
asiles  de  la  Province  de  Québec.  La  naïveté  le  dispute 
ici  au  mauvais  vouloir  ; il  faut  que  Venglish  expert  ait 
énormément  compté  sur  la  bonne  volonté  de  son  public, 
pour  parler  avec  un  pareil  abandon  de  toutes  précautions 
oratoires  ou  autres. 

Le  perspicace  M.  le  Di*  Tuke  a découvert,  à la 
Longue-Pointe,  qu’à  mesure  que  l’on  passe,  de  la  classe 
des  fous  propres,  tranquilles  et  amenablesàun  traitement 
curatif,  aux  classes  des  fous  incurables,  malpropres, 
turbulents,  gâcheux,  furieux  et  dangereux  les  choses 
deviennent  de  moins  en  moins  aimables  ; il  a découvert 
cela  dans  les  asiles  de  la  province  de  Québec,  mais  il 
semble  n’avoir  point  vu  qu’il  en  est  précisément  de  meme, 
dans  les  asiles  d’Ontario  et  partout  ailleurs.  S’il  eut 
seulement  interrogé  ses  souvenirs,  ouvert  les  yeux, 
réfléchi  un  instant,  ou  bien  consulté  les  rapports  des 
asiles,  cette  vérité  de  M.  de  la  Pallisse  eut  brillé  pour  lui, 
et  il  se  fut  épargné  cette  naïveté  tout  à fait  incroyable. 


Dans  les  comptes-rendus  d’Ontario  par  exemple,  il  eut  yu 
que  l’Inspecteur  dans  son  rapport  de  1881,  panant  de 
l’asile  de  Toronto  dit  : — ''The  females  where  ail  well  and 
“ neatly  clad,  except  in  the  Refractory  Ward  where 
such  a State  of  things  cannot  he  carried  ont.”  M.  le  Dr 
Tuke  aurait  dû  comprendre  et,  comprenant,  aurait  dû 
avoir  l’honnêteté  d’admettre  que  ce  qui  ne  peut  pas  se 
faire  dans  les  excellent  institutions  ” d’Ontario,  est 
également  impossible  dans  ce  qu’il  nomme  éléganqment, 
en  un  certain  endroit  de  sa  diatribe,  ‘‘Hhe  humanmenagerie'^ 
de  la  Province  de  Québec  . 

M.  le  Dr  Tuke  a trouvé  les  aliénés  ou  bien  debout  et 
marchant,  ou  bien  assis,  c’était  pendant  le  jour  ; s’il  les 
eut  vu  de  nuit,  ils  auraient  été  couchés  ; il  eut  pu  encore 
les  voir  à genoux  dans  la  chapelle  aux  temps  des  prières, 
ou  dansant  au  son  de  la  musique  pendant  certaines 
récréations  ; et  je  ne  vois  vraiment  pas  quelles  autres 
postures  M.  le  Dr  Tuke  aurait  voulu  leur  voir  prendre, 
pour  s’en  déclarer  satisfait  : lui-même  doit  être  debout  ou 
en  marche,  quand  il  n’est  pas  assis  ou  couché  ; j’ignore 
s’il  s’agenouille  et  s’il  danse.  Véritablement,  on  a peine 
à croire  qu’un  homme,  si  plein  de  prétentions,  puisse  se 
laisser  choir  à publier  des  critiques,  aussi  naïves  et  aussi 
sottes  que  celles  qu’il  a signées  de  son  nom  dans  les 
gazettes;  pour  sa  propre  réputation,  il  aurait  mieux  fait 
de  signer  ‘‘^Justice  ” comme  le  correspondant  du  ^^Com- 
mercial Advertiser  ” de  1861. 

M.  le  Dr  Tuke  a trouvé  étrange  les  balcons  grillés  de 
l’asile  de  la  Longue  Pointe. — The  sight  of  four  tiers  of 
palissaded  yerandahs  with  a number  of  patients 
‘‘  walking  up  and  down  theenclosed  space,  has  a strange 
“ effect,”  dit-il.  Sa  surprise,  à la  vue  d’un  spectacle  aussi 
nouveau  et  aussi  ridicule  pour  lui,  aurait  été  probable- 
ment bien  tempérée,  si  la  manière  dont  il  a inspecté  les 
asiles  canadiens  ne  l’eut  point  aveuglé,  au  point  de  ne 
pas  remarquer  qu’une  disposition  précisément  semblable 
existe  à l’asile  de  Toronto.  Pour  le  bénéfice  et  l’instruc- 
tion de  M.  le  Dr  Daniel  Hack  Tuke,  et  pour  l’édification 
de  ceux  qui  le  prennent  pour  un  prophète  ou  un  oracle,  je 
me  permettrai  de  citer  l’opinion  de  M.  le  Dr  Clark, 
surintendant  médical  de  l’asile  de  Toronto  sur  ces 
palissaded  verandahs  ; ” cette  opinion  se  trouve  exprimée 
dans  le  rapport  de  l’année  1878  (Sessional  Papers  of  Ontario 


1879,  No  8,  page  557)  : — The  verandahs,  dit  le  Dr  Clark, 

“ will  need  to  he  removed.  The  joisting  has 
become  rotten  and  in  many  of  them,  as  a conséquence 
“ the  floor  hâve  snnk.  In  the  main  building  they  are 
“ becoming  dangerous  to  use.  It  is  needless  to  expatiate 
“ on  their  snperiority  over  airing  pens  into  which  patients 
“ are  promiscuously  turned  in  fine  weather  to  broil  in  the 
“ sun  and  roll  aroiind  on  the  earth.  In  rain  and 
sunshine,  in  winter  and  summer  the  verandahs  are 
used  more  or  less.  The  drawback  to  them  is  that  on 
account  of  their  élévation,  noisy  patients  air  their 
“éloquence  to  freely  to  the  disc'omfort  of  the  sane 
“ neighbours.  We  hâve  a pre-emption  right,  however, 
“ and  if  the  public  will  locate  in  our  vicinity,  they  must 
“ be  content  to  hear  the  vigorous  language  of  our 
“ inmates.  The  verandahs  cannot  be  dispensed  with 
“ under  any  considération.” 

Ce  paragraphe,  rapproché  de  la  tirade  de  M.  le  Dr 
Tuke,  suggère  tout  un  monde  d’idées.  On  constate  que 
le  bois  est  susceptible  de  pourrir  dans  Ontario,  comme 
dans  Québec  ; que  les  constructions  subissent  les  ravages 
du  temps,  quelles  que  soient  la  religion  ou  la  nationalité 
de  ceux  qui  en  ont  soin  ; que  le  surintendant  de  Toronto 
n’est  point  enchanté  des  parterres  fournis  à ses  malades, 
parterres  qu’il  compare  à des  fourrières  où  les  aliénés 
rôtissent  au  soleil  et  se  roulent  sur  la  terre  : que  les 
fous  d’Ontario  font  parfois  assez  de  bruit  pour  incom- 
moder le  voisinage  : que  ces  inconvénients,  dont  on  se 
plaint  dans  la  première  des  excellent  institutions,  ne 
paraissent  pas  exister  dans  la  seconde  des  Relies  of 
Barbarism;  enfin  que  lespallissaded  verandahs,  que  M le  Dr 
Tuke  trouve  si  étranges  dans  la  Province  de  Québec,  sont 
regardées  comme  indispensables  par  une  des  autorités 
d’Ontario.  Prévention  voilà  de  tes  coups. 

M.  le  Dr  Tuke  semble  regretter  qu’il  n’y  ait  pas 
d’autres  airing  courts  que  les  verandahs^  à la  Longue- 
Pointe, — “ There  are  no  others  ” dit-il,  ce  qui  n’est  pas 
vrai  du  reste.  Plus  loin,  en  parlant  de  Beauport,  il 
semble  ne  pas  approuver  l’existence  d'airing  courts^  bien 
que  ces  airing  courts  soient,  comme  il  l’admet,  gazonnées 
et  ombragées,  “ grassy  airing  courts^  ” — fortuîiately  shaded 
“ from  the  blazing  sun'"  ; ce  qui  ne  l’empêche  pas  d’ajouter 
que  le  spectacle  des  femmes  couchées  ou  assises  à l’ombre 


sur  l’herbe — did  not  eommend  itself  as  one  altogether 
désirable.  ” M.  le  Dr  Tuke  était  véritablement  encapu- 
chonné, dans  la  mauvaise  acceptation  du  mot,  quand  il  a 
fabriqué  son  réquisitoire  contre  nos  asiles  de  la  province 
de  Québec. 

Une  autre  découverte  non  moins  extraordinaire  que 
les  précédentes,  faite  par  M.  le  Dr  Tuke  et  racontée  dans 
le  paragraphe  plus  haut  cité,  c’est  que,  lorsque  les 
malades,  qui  habitent  les  étages  supérieurs  de  l’asile  de 
Saint-Jean-de-Dieu,  vont  se  promener  dans  les  préaux, 
qu’il  dit,  dans  ’e  m.eme  paragraphe,  ne  pas  exister,  i’s 
sont  obligés  de  descendre;  mais  ce  n’est  pas  tout  de  les 
faire  descendre,  on  'es  fait  descendre  dans  un  ordre 
régulier — in  regular  order.^  ’ ce  n’est  pas  tout  encore,  ils 
descendent  sous  la  survei  lance  de  leurs  gardiens — “ in 
charge  of  their  attendants.^  ce  n'est  pas  encore  tout,  i ‘s 
marchent  comme  des  écoliers, — like  a procession  of 
charity  school  children.''  Tout  cela  pourrait  faire 
l’admiration,  ou  du  moins  mériter  les  éloges  d’un  honnête 
visiteur,  homme  de  bon  sens  ; ce  bel  ordre,  cette  atten- 
tion des  gardiens,  ce  spectacle  qui  ressemble  non  pas  à 
une  cohue  de  fous,  mais  à une  procession  d’enfants 
d’école.  Oh  ! n’attendez  pas  cela  de  M.  le  Dr  Tuke  ; au 
contraire,  cet  état  de  choses,  qu’il  essaie  de  ridiculiser, 
lui  arrache  des  soupirs  de  compassion  ; levant  saintement 
vers  l’empyrée  les  yeux  humides  d’un  prêtre  d Esculape, 
sacrificateur  de  Psyché,  il  s’écrie,  immédiatement  : — 
Those  who  work  on  the  farms  must  be  the  happiest  in 
“ the  establishment.”  Quel  brave  homme,  quel  philan- 
trope  et  quel  savant  expert  que  ce  bon  Monsieur  le  Dr 
Tuke  ! 

M.  le  Dr  Tuke  ne  néglige  jamais  l’occasion  de  tourner 
au  mauvais  plaisant  : il  a inventé  le  mot  de  farming  ont 
of  human  beings'f  pour  désigner  la  méthode  de  mettre  les 
aliénés  en  pension  dans  des  asiles  particuliers,  et  cela  lui 
suggère  une  plaisanterie  assaisonnée  d’un  sel  tout  à fait 
attique,  à l’adresse  de  femmes  distinguées  qui  sont  nos 
sœurs,  nos  filles,  nos  parentes  ou  nos  amies,  de  religieuses 
dignes  du  respect  de  tous  les  gens  bien  élevés,  de  femmes 
qui,  à tout  cas,  ont  notre  confiance  et  notre  admiration, 
à nous  catholiques  qui  formons  près  de  la  moitié 
de  la  population  de  toute  la  Confédération  canadienne, 
et  qui-  sommes  sept  contre  un,  dans  la  Province  de 
Québec, 


22 


Their  farming  capacities,  dit  M.  le  Dr  Tuke  de» 
“ Religieuües,  are,  I hâve  no  doubt,  very  creditahle  to 
“ them.  It  is  not  this  form  of  farming  to  which  I hâve 
“ any  objection  or  criticism  to  olfer.  In  the  vegetable 
“ kingdom  I would  allow  them  undisputable  sway.  Itis 
“ the  farming  ont  of  human  beings  hy  the  province  to 
“ these  or  any  other  proprietors  against  which  I venture 
“ te  protest.  ” 

En  attendant  que  j’aborde  sérieusement  la  question 
des  diverses  méthodes  adoptées,  de  par  le  monde,  pour  le 
maintien  des  aliénés,  il  me  sera  bien  permis  de  remarquer 
que  M.  le  Dr  Tuke,  se  devait  à lui-même  et  devait  à la 
population  et  au  gouvernement  du  pays,  de  produire  les 
titres  et  les  autorisations  qu’il  a pour  nous  signifier  des 
protêts.  On  a déjà  vu  que  l’instruction,  ou  du  moins  la 
clairvoyance  de  ce  monsieur  parait  laisser  à désirer,  il 
est  facile  de  voir  que  son  éducation  domestique  est  à 
refaire. 

Tous  les  asiles  d’aliénés,  dans  les  autres  provinces 
de  la  Confédération,  sont  administrés  par  des  protestants 
et  par  des  personnes  d’origine  britannique  qui,  à de  très 
rares  exceptions,  ne  parlent  que  l’anglais  : les  catholiques, 
notable  portion  de  chaque  province  et  les  français  aussi 
notable  portion  de  toutes  les  provinces,  à l’exception  de 
la  Colombie,  se  soumettent  à cet  état  de  choses  et 
n’essaient  point  à dénigrer  ces  institutions  ; loin  de  là,  ils 
leur  rendent  pleine  et  entière  justice,  alors  même  que 
tout  n’y  est  pas  selon  leur  goût.  Nos  asiles  de  la  province 
de  Québec  ne  sont  point  aussi  exclusivement  organisés  ; 
tous  les  administrateurs  et  presque  tous  les  employés 
parlent  i’angiais;  on  y a des  médecins  de  langue  anglaise, 
et  à Beauport,  où  tous  !es  aliénés  protestants  doivent 
être  envoyés,  à moins  que  les  familles  on  les  amis  des 
malades  n’expriment  e désir  de  les  voir  interner  à Saint- 
Jean-de-Dieu,  il  y a un  médecin  visiteur  protestant  et  un 
aumônier  protestant  en  titre.  L’immense  majorité  de  la 
population  de  la  province  de  Québec  a confiance  dans  les 
deux  administrations  de  nos  asiles  ; nous  savons  que  ces 
deux  institutions  sont  excel  entes  ; edes  nous  coûtent 
moins  cher  que  es  étab  issemeiits  de  même  ordre  et  de 
même  classe  ne  coûtent  ail  eurs  : i n’est  donc  pas  étonnant 
qu’on  ait  maintenu  le  système  qui  nous  donne  tous  ces 
avantages.  Le  public  y tient  et  il  doit  insister,  pour  la 


23 


justice  et  pour  l’honneur  de  son  droit,  à ce  que  ces  asiles 
continuent  à être  administrés  comme  ils  le  sont  aujour- 
d’hui. 

Ce  qui  précède  était  écrit,  quand  les  journaux  sont 
venus  donner  le  compte-rendu  d’une  visite  faite  à l’ashe  de 
la  Longue-Pointe,  le  4 Mars  1885,  par  !e  Grand  Jury  du 
distrct  de  Montréal.  J’emprunte  à un  journal  anglais,  le 
Star  du  5 Mars,  les  deux  passages  les  plus  saillants  du 
rapport  de  cette  visite. 

“ The  jurors  appear  to  hâve  paid  particular  attention 
“ to  the  condition  of  Longue-Pointe  asylum,  in  view  of 
“ the  critcism  on  the  management  of  the  institution 
which  hâve  been  made  during  the  past  few  months. 
Gontrary  to  the  usual  practice  the  jurors  were  permitted 
to  see  every  part  of  the  institution  from  cellar  to  attic 
“ including  the  furious  wards.  The  party  were  alto- 
“ gether  unexpected,  but  immediately  after  entering  they 
“ were  escorted  through  the  building  by  sister  Thérèse, 
“ the  Superioress. 

Dinner  was  being  served  at  the 

time  of  the  visit  and  the  meal  is  described  as  having 
“ been  sumptuous.  The  jurors  expressed  themselves  as 
“ perfectly  satisfied  as  regards  the  clealiness  of  the 
establishment  and  the  care  exercised  in  its  management 
“ and  the  foreman  was  authorized  to  sign  a document 
“ to  that  effect.  ” 

Mais  si  la  majorité  de  la  province  de  Québec  tient  à 
ses  droits,  à ses  institutions,  à ses  sympathies,  à ses 
confiances,  elle  n’a  jamais  été  ni  exclusive,  ni  tyrannique, 
ni  insultante,  et  je  suis  certain  d’exprimer  l’opinion  des 
catholiques  de  cette  province,  en  disant  qu’ils  verraient, 
avec  un  véritable  plaisir,  la  minorité  protestante  posséder 
son  asile  à elle.  Nos  frères  séparés  tiennent  aux 
circonstances  d’être  comparativement  plus  riches  que 
nous  ; ils  disposent  des  capitaux  et  de  l’influence  de  la 
mère-patrie,  les  grosses  entreprises  publiques  sont  pour 
eux  d’ordinaire  ; il  doit  leur  être  plus  facile  qu’à  nous  de 
constituer  un  asile  pour  leurs  aliénés,  et  d’y  mettre  du 
luie  si  cela  leur  plait.  Ils  n’auront  point  de  peine  à 
obtenir  de  notre  gouvernement  provincial,  pour  chaque 
aliéné  pauvre  de  leur  croyance,  la  même  pension  qu’on 
accorde,  pour  le  maintien  de  ces  malheureux,  aux  asiles 
de  Beauport  et  de  St-Jean  de-Dieu.  Nos  compatriotés 


24 


protestants,  dans  leur  établissement,  conduiront  les  choses 
à leur  façon,  ils  pourront  prendre  de  leur  côté,  à leur 
bénéfice  exclusif,  l’inspecteur  qui  est  sensé  aujourd’hui 
les  représenter:  alors,  nous  osons  du  moins  l’espérer, 
nous  aurons  la  paix. 

M.  le  Dr  Tuke  parle  de  Beauport  comme  il  a fait  de 
la  Longue  Pointe,  il  n’a  point  ici  de  religieuses  à insulter, 
mais  il  a des  propriétaires  canadiens-français  catholiques 
en  lieu  et  place,  pour  lui,  c’est  à peu  près  la  même  chose. 
Les  préférences,  les  antipathies  et  les  lubies  de  M.  le  Dr 
Tuke  sont  données  comme  des  vérités  absolues,  des 
lois  que  tout  le  monde,  en  Canada,  doit  accepter  sans 
discussion.  Il  n’y  aurait  point  deux  manières  d’envisager 
les  choses  ; hors  de  la  non-restraint  et  de  l’administration 
de  son  amour,  il  n’y  a pas  de  bonheur,  pas  de  salut,  pas 
de  guérison  pour  les  aliénés.  Et,  cependant,  à la  suite  de 
tous  les  changements  que  M.  le  Dr  Tuke  constate  avoir 
été  opérés  en  Angleterre,  pendant  quarante  ans,  il  en 
vient  dans  ses  Chapters^  page  490,  à avouer  : — But,  after 
“ ail,  the  question  faces  us,  are  there  or  are  there  not 
more  insane  persons  cured  in  1881  than  in  1841  ? ” Le 
savant  docteur  n’ose  point  résoudre  ce  chatouilleux 
problème  ; mais,  dans  ce  pathos  qui  lui  est  particulier,  à 
la  page  492,  il  mentionne — “ the  somewhat  unfavorat)le 
“ conclusion  as  the  permanent  recovery  which  Dr 
‘‘  Thurnam,  in  a work  which  will  always  be  a Pharos  to 
“ guide  those  who  sait  on  waters  where  so  many  are 
shipwrecked,  arrived  at,  after  laborious  examination 
“ of  the  after  history,  of  cases  discharged  recovered  from 
the  York  Retreat.  ” 

Imaginons  la  portée  d’un  pareil  résultat  dans  la 
York  Retreat,  fondée  et  d’abord  administrée  par  M. 
William  Tuke,  décrite  par  M.  Samuel  Tuke  et  visitée, 
pendant  je  ne  sais  combien  de  temps,  par  M.  le  Dr  Daniel 
Hack  Tuke  ! 

Je  viens  de  dire  que  l’asile  de  Beauport  a reçu,  de  la 
part  de  M.  le  Dr  Tuke,  le  même  injuste  traitement  que 
l’asile  de  Saint-Jean-de-Dieu.  Je  me  contenterai  de 
remarquer  que  Beauport  est  déjà  une  ancienne  institution, 
qui  a subi  l’épreuve  du  temps  et  qui  a passé  par  toutes 
les  phases  d’un  développement  et  d’améliorations  pro- 
gressives qui  ont  été,  d’années  en  années,  l’objet  des  éloges 
des  Commissaires  et  des  Inspecteurs  du  gouvernement 


25 


et  d’experts  tant  canadiens  qu^étrangers.  Il  serait  fasti- 
dieux d^accumnler  ici  les  reproductions  de  ces  témoignages 
la  chose,  du  reste,  me  semble  inutile,  après  avoir 
démontré  que  les  attaques  auxquelles  je  réponds,  en  ce 
moment,  ne  constituent  pas  une  critique,  mais  une 
vulgaire  diffamation  ; je  me  contenterai  de  citer  un 
paragraphe  du  rapport  des  Inspecteurs  de  l’année  1862, 
en  faisant  remarquer  que  l’asile  de  Beauport  était  alors 
loin,  bien  loin,  de  ce  qu’il  est  aujourd’hui,  qu’il  était  très 
encombré  et  qu’il  n’y  avait  pas  de  médecin  attaché  à 
l’institution,  autre  que  les  propriétaires,  qui  étaient  eux- 
mêmes  des  médecins. — The  inspectors,  who  admire  the 
“ asylum  at  Beauport  as  occupying  the  juste  milieu^ 
“ hetween  the  penury  of  municipal  asylums,  and  the 
“ luxury  of  certain  asylums,  in  the  neighbouring 
“ republie  for  instance,  cannot  but  regret  the  want  in 
“ this  institution  of  a résident  physician,  who  should 
“ attend  solely  to  the  patients,  and  bave  the  constant 
“ dispensing  of  the  remedies  of  a moral,  disciplinary  and 
“ medical  character  which  condiice  so  much  to  restore 
‘‘  the  lost  faculty  of  reason.  With  this  exception,  the 
‘‘  Inspectors  hâve  to  congratulate  the  Gountry  upon 
“ having  an  asylum  in  the  Province  so  well  conducted, 
“ and,  taking  it  ail  in  ail,  so  ver  y inexpensive  as  that  of 
“ Beauport.” 

Il  faut  remarquer  que  les  deux  seuls  défauts  impor- 
tants que  les  inspecteurs  constataient,  à cette  -époque, 
à Beauport  n’existent  plus  pour  nos  deux  asiles  d’aujour- 
d’hui. L’encombrement  n’y  est  point  excessif  comme  alors, 
et  chacun  des  deux  asiles  a un  médecin  interne  et,  en  sus, 
un  ou  plusieurs  médecins  visiteurs. 

Il  n’y  a pas  d’institution  au  monde  qui  soit  à l’abri 
des  attaques  de  l’ignorance  ou  de  la  malveillance.  Les 
asiles  d’aliénés  sont,  de  leur  nature,  particulièrement 
exposés  à de  pareilles  attaques  : un  accident,  une  mésa- 
venture, comme  il  s’en  produit  de  temps  en  temps  en 
dépit  de  toutes  les  précautions,  les  histoires  d’aliénés 
souvent  plus  futés  que  leurs  interlocuteurs,  les  vengeances 
d’employés  démis  ou  de  solliciteurs  éconduits,  la  jalousie 
et  la  haine,  qui  se  fourrent  partout,  peuvent  faire  naître 
des  soupçons,  des  méfiances,  des  calomnies,  dont  la 
crédulité  devient  victime  et  que  le  charlatanisme  ou  la 
perversité  exploitent. 

4 


Malgré  le  soin  qu’on  mette  à choisir  les  gardiens, 
au  sein  du  corps  de  gardiens  le  plus  respectable  et  le 
plus  capable,  il  arrive  qu’un  employé  manque  de  vigilance 
ou  trompe  la  confiance  de  ses  supérieurs.  Je  lis  le  récit 
d’un  évènement  de  ce  genre,  dans  le  rapport  de  l’Inspecteur 
des  asiles  d’Ontario,  pour  1881  (sessmial  papers^  1882,  No 
8 page  31  (. — “ The  night  préviens  to  my  visit  an  irregu- 
“ larity  of  a very  serions  nature  occured  in  the  asylum 
(London).  One  of  the  attendants.  \vho  had  been 
“ engaged  as  nightwatch  only  for  a snort  time,  entered 
“ the  upper  Refractory  Female  Ward  during  the  absence 
“ from  that  corridor  of  the  female  watch,  and  made  his 
“ way  to  the  roomof  one  of  the  female  patients,  where  he 
was  subsequently  discovered  by  the  female  watch  &c.&c.” 

Imaginons  pour  un  instant  qu’un  pareil  accident  se 
fut  produit  à la  Longue-Pointe  ou  à Beauport,  la  veille 

de  la  visite  de  M.  le  Dr  Tukel On  peut  affirmer, 

sans  crainte  de  se  tromper,  que  le  savant  docteur  eut 
déclaré  ne  pas  pouvoir  trouver,  dans  la  langue  anglaise, 
d’expressions  capables  de  rendre  l’indignation  et  l’horreur 
qu’une  irrégularité,  aussi  déplorable,  aurait  produit  en 
lui,  et  qu’il  se  fut  empressé  d’attribuer  ce  crime  au 
système  adopté  dans  la  province  de  Québec,surtout  au  choix 
qu’on  y fait  des  gardiens.  On  est  d’autant  plus  justifiable 
de  présumer  cela  que  M.  le  Dr  Tuke,  à tort  et  à travers, 
à la  simple  vue  passagère  de  quelques  gardiens  de 
Beauport,  ôse  dire  de  ces  respectables  gens  qu’il  ne 
connaît  pas,  et  de  l’aumônier  qu’il  ne  connaît  pas  plus  : — 
With  a higher  class,  it  might  no  longer  be  an  irony  to 
“ speak  as  the  chaplain  does  in  one  of  the  reports  of  the 
“ good  and  virtuous  keepers  who  are  selected  with 
“ great  discernment.  ” 

L’aumônier  de  Beauport  connaît  ces  braves  gens, 
avec  lesquels  il  est  en  rapports  constants,  et,  sans  se  porter 
garant  pour  chacun  d’eux,  il  leur  rend  justice.  M.  le  Dr 
Tuke  ne  les  connaît  nullement  et  il  les  injurie  de  ses 
insinuations.  Personne  ne  peut  sonder  les  reins  et  les 
cœurs  ; mais  on  juge  des  hommes  par  leurs  actes,  dans 
ce  cas-ci,  c’est  bien  certainement  M.  le  Dr  Tuke  seul  qui 
joue  un  vilain  rôle.  Dans  la  province  de  Québec  comme 
dans  Ontario  on  fait  le  meilleur  choix  possible  des 
gardiens  d’aliénés  ; quand  il  arrive  qu’on  s'est 
trompé,  la  découverte  de  l’erreur  est  immédiatement 
suivie  de  démission. 


27 


Encore  une  citation  et  quelques  commentaires  et  j’en 
aurai  fini  avec  le  chapitre  des  diatribes  et  des  imperti- 
nences de  M.  le  Dr  Tnke  : — “ Should  the  contract  system 
he  aholished,  dit-il,  should  capable  medical  men  be  placed 
at  the  head  of  the  institutions  of  the  Quehec  Province, 
“ and  should  inspection  be  made  by  competent  men,  be 
“ suffi  ciently  frequent  and  searching,  the  asylums  for 
“ the  insane  in  this  province  will  become  institutions  of 
“ which  Ganadians  may  be  justly  proud,  instead  of 
“ institutions  of  which  they  are,  with  good  reason,  now 
“ ashamed.  ” 

Voici  un  homme,  qui  n’a  fait  que  passer  en  Canada, 
qui  pendant  son  court  séjour  n’a  eu  des  rapports  et  n’a 
subi  d’influences  que  d’une  espèce,  qui  ne  connait  nos 
institutions  que  pour  y avoir  jeté  un  regard,  faussé 
d’avance  par  des  préjugés,  le  parti  pris  et  les  calomnies 
de  certains  agitateurs,  et  qui  vient  s’arroger  la  mission 
d’éclairer  les  gouvernants  et  les  gouvernés,  de  distribuer 
aux  uns  des  éloges  dont  il  ne  saurait  mesurer  la  portée, 
aux  autres  des  injures  dites  dans  un  langage  indigne  d’un 
homme  instruit  et  d’un  homme  bien  élevé,  des  injures 
pour  la  plupart,  d’une  telle  ineptie,  qu’elles  ne  peuvent 
tromper,  que  ceux  qui  veulent  bien  se  laisser  tromper,  et 
cet  homme  s’est  imaginé  qu’on  va  le  subir  sans  le  mesurer  ! 
Il  ne  connait  ni  les  médecins  ni  les  inspecteurs  de  nos 
asiles  et  il  les  décrète,  en  bloc,  d’incompétence  et  d’incurie; 
il  décoche  contre  les  ordres  religieux  qu’il  ne  connait  pas, 
contre  les  serviteurs  de  nos  asiles  qu’il  ne  peut  pas 
connaître,  de  plats  quolibets  et  de  perfides  insinuations  ; 
et  il  a cru  ne  devoir  recevoir  que  les  compliments  de 
ceux  qui  l’ont  ainsi  poussé  de  l’avant. 

On  pourrait  demander  à M.  le  Dr  Tuke,  comment  et 
par  qui  il  s’est  cru  autorisé  à dire  que  les  Canadiens  ont 
honte  de  leurs  asiles — “ of  which  they  are  now  ashamed.” 
Quels  sont  les  hommes  qui  se  sont  portés  garant  devant 
lui  de  cette  opinion  des  Canadiens  ? Que  des  individus, 
plusieurs  probablement,  quelque  clique  aient  circonvenu 
M.  le  Dr  Tuke  et  l’aient  engagé  à commettre  l’énorme 
bévue  qu’il  a commise,  à faire  la  vilaine  besogne  qu’il  a 
exécutée,  cela  ne  fait  pas  doute,  les  mots  que  je  viens  de 
citer  en  sont  l’inconsciente  autant  que  naïve  confession. 
Quels  sont  ces  gens  qui  ont  lancé  Venglish  expert  à l’as^ 
saut  de  nos  asiles  ? 


28 


11  y a près  de  quarante  ans  que  l’asile  de  Beauport 
existe  ; pendant  ce  laps  de  temps,  près  de  trente  commis- 
missaires  et  inspecteurs  ont  été  chargés  de  surveiller  cet 
asile.  Les  Commissions  et  les  Bureaux  qui  se  sont  succédés 
ont  compté  hon  nombre  d’hommes  distingués  de  diverses 
croyances  et  nationalités,  médecins,  hommes  de  loi, 
hommes  d’affaires,  fonctionnaires  ; tous  n’ont  eu  que  des 
éloges  à faire  de  l’administration  et  de  la  tenue  de  cet 
établissement  : on  y a signalé  parfois,  comme  partout 
ailleurs,  des  défauts  passagers  ; mais  en  somme  on  n’a 
jamais  eu  qu’à  se  féliciter  de  l’état  de  cette  maison,  au 
point  de  vue  de  l’intérêt  des  aliénés,  des  familles  et  de  la 
société.  Il  en  a été  de  même  de  l’asile  de  Saint-Jean-de- 
Dieu  depuis  qu’il  existe.  Ne  serait-ce  pas  une  chose  mons- 
trueuse que  de  mettre  de  côté  tant  et  de  si  honorables 
témoignages,  pour  donner  gain  de  cause  à l’intrigue  ? 

M.  le  Dr  Tuke  est  un  contributeur  à la  littérature 
psychologique,  mais  il  n’est  point  une  autorité,  tant  s’en 
faut.  C’est  un  homme  pour  qui  les  mots  dominent  ; avec 
de  tels  émissaires,  il  suffit  d’ordinaire  de  remplacer  cer- 
tains mots  ronflants  par  les  termes  propres,  pour  enlever 
à leurs  écrits  la  signification  qu’ils  ont  voulu  leur  donner. 
C’est  ainsi  qu’en  remplaçant,  dans  le  factum  de  M.  le  Dr 
Tuke,les  expressions  injurieures  ou  captieuses  par  d’autres, 
on  peut  détruire  à peu  près  toute  la  malice  de  ses  attaques. 
Alix  mots  farming  of  human  beings^  human  menagerie, 
chamher  of  horrors^  relies  of  barbarism^  il  n’y  aurait  qu’à 
substituer  les  mots  pensioning  of  the  insane^  inmates  of 
asylums^refractory  ward^  mechanical protection^powY  trans- 
former le  venin  en  une  écume  inoffensive.  Comme 
M.  le  Dr  Tuke  n’a  pas  seul  le  privilège  d’argumenter  par 
des  gros  mots,  on  s’est  servi  de  la  tactique  dont  il 
use,  pour  attaquer  les  théories  dont  il  est  l’aveugle  parti- 
san ; les  mots  non-restraint^  covered  beds^  attendants  minis- 
tration^  ont  été  travestis  en  brokenribs^  shut  box  fistieuffs  etc. 
On  a aussi  richement  payé  les  avocats  de  la  non-restraint, 
pour  les  descriptions  qu’ils  se  sont  permises  d’asiles  qui 
leur  déplaisent,  pareequ’ils  ne  sont  pas  conduits  d’après 
les  principes  que  non-seulement  ils  avocassent  mais  qu’ils 
voudraient  imposer  aux  autres.  L’asile  de  Han\vell,  en 
Angleterre  a été  le  berceau  principal  de  la  7ion-i^estraint^ 
ê’est  là  que  le  système  a triomphé  chez  les  Anglais,  d’après 
M.  le  Dr  Tuke;  on  lit  dans  ses  page  206  : — ^‘Would 


29 


not  the  experiment  been  carried  ont  on  a much  larger 
scale  at  Haiiwell  by  Dr  Gonolly,  witli  far  greater 
success,  a reaction  woiüd  bave  ensued,  of  infinité 
“ injury  to  the  cause  of  the  insane.” 

Toute  médaille  a son. revers  et  je  trouve  le  revers  de 
la  médaille  de  l’asile  d’Hanwell  à la  page  59  du  Rap- 
port du  Dr  Yale  pour  l'année  1882;  publié  en  1883  : — 

“ I hâve  twice,  at  least,  visited  Hanwell,  the  scene  of  Go- 
“ noily’s  operations— on  the  last  occasion, spending  several 

days  there Nowithstanding  ali  the  operations  and 

traditions  of  Gonolly,  although  its  affairs  hâve  been 
“ administered  since  his  day  by  a sériés  of  disciples  pro- 
“ fessing  his  views,  Hanwell  is  one  of  the  worst  asylums 
“ I hâve  seen  in  any  part  of  the  world,  whether  as  regards 
its  structural  arrangements  or  its  government.” 

M.  le  Dr  Tuke  ne  pouvait  pas  demeurer  sans  retorque, 
et  le  meilleur  moyen  d’en  avoir  raison  c'est  de  le  peser 
comme  autorité,  d’analyser  un  peu  son  talent,  de  dégager 
les  points  saillants  de  son  mémoire,  afin  d en  faire  res- 
sortir le  fond,  la  forme  et  fanimus.  Plusieurs  de  nos 
journaux  ont  déjà  réfuté  une  partie  de  ses  commentaires, 
exposé  ses  calomnies  ; j'ai  cru  avoir  le  droit  de  me  joindre 
à ces  défenseurs  de  nos  institutions,  d’autant  plus  que  les 
circonstances  ont  voulii  que  je  me  sois  livré  à l'étude 
spécial  des  questions  qui  font  la  matière  du  débat. 

DISCIPLINE  DES  ASILES 
(La  non-restraint) 

La  non-restraint^  comme  doctrine  absolue,  estime  idée 
essentiellement  anglaise  et  n'est  admise  qu'en  Angleterre. 
Gette  théorie,  est  passée  dans  la  mère-patrie,  à l’état  de 
manie,  dont  la  tyrannie  doit  être  subie  par  tous  ceux 
donff  esprit  n’a  point  assez  de  vigueur,  pour  se  soustraire 
à de  pareils  entraînements  ; d’après  cela  et  ce  qu’on  sait 
de  M.  le  Dr  Tuke,  ce  monsieur  est  de  ceux  qui  doivent 
invitablement  pousser  la  notion  jusqu’à  ses  dernières 
extravagances.  Aussi  suffit-il,  pour  obtenir  les  éloges  de  cet 
t aliéniste,  d’afficher  la  cocarde  de  la  non-restraint^  d’avoir 
l’air  d’adopter  cette  idée,  ne  fut-ce  que  sur  le  papier  et 
dans  les  rapports. 


30 


Le  Medical  Time  and  Gazette^  de  Londres,  numéro  de 
septembre  1868,  tout  en  cédant  an  courant,  plaisantait  fine- 
ment sur  cette  lubie,  sur  l’intolérance  qu’elle  produit  et  sur 
le  verbiage  auquel  elle  a donné  lieu  : — “ Witbout  doubt, 
dit  ce  journal,  non-restraint  is  the  Keystone  of  the 
“ fabric  constituted  by  our  British  System  of  treating 
“ tbe  insane,  the  shibboleth  by  which  amanis  tested,  and 
“ bis  views  pronounced  sound  or  unsound — the  alpha 
‘‘  and  the  oméga  of  the  doctrines  taughtby  writersof  the 
“ English  school.  To  such  a length  is  this  carried,  that  a 
“ servant  who  looks  after  an  insane  individual  must  no 
longer  be  called  a keeper  ; he  is  an  attendant,  and  it  is 
“ almost  a crime  to  call  him  by  the  former  name  in  a 
“ modem  asylum.  In  this  dread  of  words,  there  would 
“ be  something  very  ridiculous  were  there  not  something 
“ a!so  that  is  of  moment  as  concerning  the  welfare  of  the 
“ infortunates  detained  in  these  institutions.  We  are 
“ thoroughly  convinced  of  the  soundness  of  the  iion- 
“ restraint  doctrines,  if  they  are  not  carried  too  far, 
which  we  are  heterodox  anough  to  think  possible  ; but 
“ there  is  something  absnrd  in  allowing  an  outrageons 
“ lunatic  to  smash  ail  the  Windows  in  a ward  rather 
“ than  interfère  wth  his  persona!  liberty,  and  there  are 
“ other  cases  which,  if  not  equally  telling,  are  at  least 
‘‘  equally  important  from  a medical  point  of  view.  ” 

Comme  personne  n’a  jamais  songé  à prescrire  la  ca- 
misole, les  manchons,  la  ceinture  et  autres  moyens 
mécaniques  de  contrainte  pour  les  aliénés  tranquilles  et 
inoffensifs,  et  comme  il  est  absurde  de  ne  pas  faire  usage 
de  ces  moyens  pour  les  fous  furieux,  dangereux  ou  autre- 
ment réfractaires,  il  résulte  que  la  non-restraint  est  ou  un 
non-sens  ou  une  aberration.  Ce  système,  en  tant  que 
système,  est  repoussé  en  France,  repoussé  en  Allemagne, 
repoussé  aux  Etats-Unis,  partout,  en  un  mot,  excepté  en 
Angleterre,  où,  meme  là,  il  n’est  pas  du  goût  de  tout  le 
monde.  Les  écrits  de  Hill  et  de  Conolly,  inventeurs  du 
système,  sont  pour  M.  le  Dr  Tuke  la  loi  et  les  prophètes. 
Voici  ce  qu’en  disait  un  aliéniste  écossais,  le  Dr  Lawder 
Lindsay,  dans  le  Edingboiirh  Medical  Journal  au  cours  d’un 
article  publié  en  Avril  et  Juin  1878  : — “ This  intolérant 
and  intolérable  dogma — opposed  as  it  is  to  ail  common 
“ sense,  common  feeling  and  common  expérience — I 
“ hâve  designated  Gonollyism,  because  it  was  undoubtly 


31 


“ by  means  of  Conolly’s  publications  that  the  dogma 
became  popular,  and  miscbievous  in  proportion  to  its 
“ popularity.” 

Je  trouve  dans  le  Dictionnaire  de  Jaccoud,  à l’article 
Camisole,  un  excellent  r sumé  de  la  question  des  moyens 
de  contrainte  à employer  dans  le  traitement  des  aliénés, 
voici  : — La  camisole,  la  ceinture  à manchons  ne  sont 
“ que  des  instruments  ; ce  qu’il  importe  surtout  de  recher- 
“ cher  ce  sont  les  règles  qui  doivent  présider  à leur 
“ emploi.  Pinel,  le  premier,  a tracé  en  maître  les  règles 
“ d’application  dés  moyens  coercitifs,  et  depuis  on  n’a  fait 
que  développer  les  principes  par  lui  posés.  Il  faut^  dit- 
‘‘  il,  accorder  aux  aliénés  toute  l'étendite  de  mouvernent  qui 
“ peut  se  concilier  avec  leur  sûreté  et  celle  des  autres,  leur 
laisser  la  liberté  de  courir^  de  s'agiter  dans  un  endroit  clos^ 
en  se  bornant  à la  simple  répression  du  gilet  de  force.  Aux 
yeux  de  l’illustre  maître,  la  camisole,  prescrite  etmain- 
tenue  d’une  manière  temporaire,  répond  à une  indica- 
“ tion  thérapeuthique  en  maîtrisant  les  emportements  du 
“ malade,  lui  laissant  en  même  temps  l’exercice  néces- 
“ saire  à la  santé.  Esquirol,  G-eorget,  Ferrus  n’adoptèrent 
pas  d’autres  préceptes,  insistant,  dans  leurs  écrits,  dans 
leur  pratique  sur  la  réserve,  qu’il  convient  d’apporter 
dans  l’usage  des  moyens  de  répression  et,  en  même 
“ temps,  sur  leur  incontestable  utilité. 

Casimir  Pinel  dit  avec  raison  que  la  non-restraint 
‘‘  n’existe  pas  plus  en  Angleterre  qu’en  France,  que  les 
“ moyens  de  contrainte  seuls  sont  différents  et  qu’il  ne 
“ s’agit  plus  dès  lors  que  de  les  comparer  sous  le  rapport 
“ de  leurs  avantages  et  de  leurs  inconvénients.  Sous 
“ quelque  forme  qu'on  1 adopte,  la  contrainte  est  de  toute 
nécessité  dans  bien  des  cas  ; il  faudrait,  pour  la 
supprimer,  abolir  du  même  coup  les  conceptions  déli- 
“ rantes,  les  hallucinations  qui  engendrent  les  déplorables 
“ manifestations  que  nous  avons  tous  les  jours  sous  les 
yeux.  Comment  avoir  autrement  raison  des  penchants 
“ onaniques,  des  tendances  à la  destruction?  Com- 
“ ment  s'opposer  à ces  besoins  immondes  qui  portent 
les  malades  à manger  leurs  excréments,  à boire  de 

“l’urine? L usage  temporaire  de  la  camisole  est 

“alors  le  seul  remède. Les  moyens  coercitifs 

“ ont  l’avantage  de,  ne  priver  les  malades  ni  de  la  prome- 
“ nade,  ni  de  l’air  ; et.^  avec  des  appareils  bien  disposés, 


32 


“ on  procure  le  calme  pendant  le  jour,  le  repos  pendant 

“ la  nuit,  résultat  qu’on  ne  saurait  atteindre  autrement 

à notre  sens  l’abolition  complète  des  entraves  est  un 
reve  inutile.’ 

L’Association  des  surintendants  des  asiles  d’aliénés 
des  Etats-Unis,  a,  au  mois  d’Octobre  1844,  adopté  la  réso- 
lution suivante  : — ‘ Resolved.  that  it  is  the  unanimous 
sènse  of  this  convention  that  tlie  at4empt  to  abandon 
entirely  tlie  use  of  ail  means  of  personai  restraint  is  not 
“ sanctioned  by  the  true  interests  of  the  insane.” 

Le  Dr  Walker,  président  de  l’Association  des  surin- 
tendants des  asiles  d’aliénés  des  Etats-Unis,  en  1 877, 
s’exprime  comme  suit,  sur  le  meme  sujet  : — My 
“ opinions  in  regard  to  the  use  of  meclianical  res- 
“ traint  bas  undergone  no  change  during  tlie  discussion, 
or  silice  the  visit  of  our  distinguished  brother  from 
across  the  water,  but,  on  the  contrary,  having  made 
“ more  faithful  and  continued  efforts  during  the  past 
“ year  than  ever  before  to  diminish  the  amount  of  me- 
“ chanical  restraint  and  do  without  it  altogether,  I am 
“ forced  to  say  that  I stand  here  to  day  with  my  opinions 
entirely  unchanged.  I beleive  it  is  (la  contrainte 
mécanique  ) not  only  a humane  thing,  but  absolutely 
“ essentia'  for  the  best  good  and  comfort  of  our  patients. 
“ I beneve  this,  that  the  practice  of  the  best  American 
institutions  on  that  point  to  day  will  hereafter  be  the 
“ practice  of  Ghristendom.  ” 

A la  meme  séance  d’Octobre  1877,  de  l’Association 
que  je  viens  de  mentionner,  à la  suite  du  Président,  M.  le 
Dr  Walker,  un  grand  nombre  des  aliénistes  les  plus  dis- 
tingués de  l’Amérique  s’exprimèrent  dans  le  meme  sens. 
Au  milieu  de  tous  ces  témoignages  fournis  contre  ie  sys- 
tème de  la  noii-rcstraint  et  en  faveur  de  la  contrainte  mé- 
canique sagement  employée,  je  choisis  celui  de  M.  le  Dr 
Clark,  précisément  parce  qu’il  vient  d’Ontario. — “ If  l had 
“ my  choice,  dit  le  surintendant  de  l’asile  de  Toronto,  in 
“ respect  to  the  mode  of  restraint,  I would  prefer  a cami- 
“ sol,  a muff,  or  a pair  of  mittsput  upon  me,  than  tohave 
a superviser  and  attendants  holding  me.  There  is  a 
“ spirit  of  résistance  among  onrselves  to  human  force, 
and  this  résistance  is  évident  also  among  the  insane  that 


33 


will  not  be  exercised  against  inanimate  objects 

“ I might  tell  you  further,  gentlemen,  I hâve  rea- 

‘‘  son  to  believe  that  in  many  of  these  asylums,  which 
show  reports  of  non-restraint  (I  hâve  it  from  some  of 
“ the  officers  of  siich),  that  restraint  is  winked  at  when 
“ indulged  in  by  snbordinates,  and  yet,  they  publish  re- 
ports  of  the  snccess  of  non-restraint.  Whether  you  put 
on  the  camisole,  or  put  a patient  under  the  power  of 
“ drugs,  it  does  not  matter  ; both  are  restraints,  and  I 
“ prefer  the  mechanical  restraint  as  more  conducive  to 

recovery I prefer  to  be  free,  open,  and  candid, 

“ in  these  matters.  rather  than  to  désiré  to  ride  on  a 
“ popular  name,  and  the  same  time,  behind  the  door, 
allow  restraint  to  be  used.” 

Une  hère  leçon  celle-là,  honneur  à celui  qui  a eu  le 
courage  et  l’honneteté  de  la  faire.  MM.  les  Dr  Gray 
d’Utica  et  Gale  de  Kentucky  ont  écrit,  contre  la  non-res- 
tramt^  des  rapports  bien  connus  des  aliénistes.  Cette  op- 
position à une  doctrine  insoutenable  est  le  résultat  de 
l’expérience  universelle  et,  de  p’us,  est,  en  tout  état  de 
cause,  fondée  en  raison.  Si  je  voulais  faire  ici,  par  repré- 
sailles, une  peinture  des  accidents  multipliés  et  des  actes 
de  brutalité  produits  en  Angleterre  par  la  pratique  de  la 
non-restraint^  rien  ne  serait  plus  facile  ; mais  je  me  con- 
tenterai de  quelques  citations.  Un  aliéniste  américain, 
M.  le  Dr  Browers,  dit,  entre  autres  choses,  dans  le  numéro 
de  Juin  1881  de  V American  Jommal  of  Insanity  : — “ I hâve 
“ now,  in  my  mind’s  eye,  the  picture  of  a scene  I wit- 
nessed  in  an  English  asylum.  A restless  and  violent  pa- 
“ tient  seated  on  a bench  with  a strong  attendant  on 
“ either  side,  holding  him  down  by  main  force.  I shall 
ne  ver  forget  the  contortions,  the  squirming,  and  the 
struggles  of  the  man  to  free  himself  from  their  grasp. 
“ There  is  nothing  so  irritating  to  some  restless  and  exci- 
“ table  patients  as  to  be  held  by  manual  force  ; but  En- 
“ glishmenare  unwilling  to  admit  that  thisis  a species  of 
“ restraint,  nor  will  they  admit  that  the  padded  room, 
without  a particle  of  furniture,  and  with  small  Windows 
‘‘  near  the  ceilings,  which  let  in  only  a dim  ligbt,  is  a 
restraining  machine.” 

Le  Dr  Gale  dans  son  rapport  de  1882,  page  21,  dit  : — 
“ About  1840,  one  John  Conolly  came  forward  with  a 
“ theory,  which  ünally  merged  inte  a hobby  with  him 
5 


34 


and  few  of  his  followers  that  of  non-restraint The 

“ name  is  clearly  a misnomer,  and  is  calcula ted  to  mis- 
“ lead  and  deceive  the  public;  for  there  is  not  anasylum 
‘‘  now  in  existence  that  does  not  use  restraint  in  some 
“ form,  either  strong  cloathing,  manutention,  strong 

“ rooms,  isolations  therein  &.  Holding  a persoii 

by  one’s  hands  is  no  less  a method  of  restraint  than 
“ holding  him  by  a muff  or  a camisole,  and  the  question 
which  of  them  we  shall  adopt  should  be  decided,  not 
by  the  force  of  names,  but  by  a careful  investigation  of 
“ their  eJffects,  both  upon  the  patient  and  the  attendants 

‘‘ fEiiglànd  boasts  of*  being  (as  regards  the  treat- 

“ ment  of  its  insane)  the  country  of  non-restraint  ; but  it 
will  repudiate,  I do  not  doubt,  the  addition  that  it  is 
“ equally  entitled  to  the  désignation  of  the  country  of 
fractured  ribs.” 

Dans  le  même  rapport,  sous  le  titre  de  ‘‘  Rib  Fractures 
“ and  other  Gasualties  from  Non-restraint  ” — le  Dr  Gale 
présente  une  formidable  liste  de  morts  et  de  blessures 
causées  par  les  luttes  entre  gardiens  et  aliénés,  dans  les 
asiles  anglais  ; liste  dans  laquelle  il  n’y  a pas  moins  de 
huit  cas  de  malades  dont  la  mort  a été  causée,  d’après 
constatation  juridique,  par  la  fracture  d’une  ou  de  plu- 
sieurs côtes  suivie  d’inflammation  de  la  plèvre  ou  des 
poumons  ; une  mort  a été  aussi  causée  par  rupture  de  la 
vessie,  constatée  par  l’enquête,  bien  que  classée  péritonite 
dans  les  registres  de  l’asile  ; sans  compter  un  nombre 
considérable  d’autres  accidents  de  diverses  natures,  résul- 
tats directs  de  l’application  du  système  de  la  non-restraint. 
Il  est  prouvé  que  les  gardiens,  de  guerre  lasse,  ont  sou- 
vent recours  à l’expédient  de  se  mettre  à genoux  ou  de 
s’asseoir,  sur  le  corps  du  malheureux  qu’ils  ont  mission 
de  contenir,  dans  l’obligation  qui  leur  est  faite  de  ne 
jamais  avoir  recours  aux  moyens  mécaniques,  cent  fois 
plus  humains  et  moins  révoltants. 

Loin  de  moi  l’idée  d’invoquer  tous  les  accidents  qui 
peuvent  arriver  dans  les  asiles  de  la  non-restraint.^  comme 
arguments  contre  cette  théorie  : tous  les  asiles  ont,  de  fois 
à autre,  à enregistrer  des  accidents,  même  des  homicides 
et  des  suicides  ; mais  les  accidents  dont  on  parle  ici  sont 
des  accidents  causés  par  l’application  directe  de  la  non- 
restraint.^  des  accidents  que  les  moyens  mécaniques  de 
contrainte  auraient  prévenus.  La  non-restraint  ne  diminue 


35 


en  rien  la  possibilité  des  accidents  fortuits  d’autres 
genres,  au  contraire,  elle  en  multiplie  les  dangers.  Ce 
n’est  pas  le  fait  matériel  toutefois  dont  on  doit  arguer, 
mais  la  manière  dont  il  s’est  produit.  Dans  la  discipline 
d’un  asile  il  y a des  risques  qu’il  faut  courir  et  des  risques 
qu’on  ne  doit  pas  assumer.  Ainsi  de  ce  qu’un  aliéné 
aurait  commis  un  homicide  avec  une  fourche  dans  les 
champs,  on  aurait  tort  d’en  conclure  qu’on  doit  interdire 
absolument  aux  aliénés  l’usage  des  instruments  capables 
de  devenir  dangereux  et  les  travaux  de  la  ferme  ; mais  si 
des  blessures  et  des  morts  sont  produites  par  des  moyens 
disciplinaires  qu’on  peut  remplacer,  par  d’autres  moyens 
qui  ne  donnent  point  cause  à ces  accidents,  le  bon  sens  dit 
qu’il  faut  employer  ces  derniers  moyens.  Le  vulgaire  et 
les  personnes  étrangères  à la  science  sont  sujets  à tirer 
des  conclusions  erronées,  de  ce  qu’ils  observent  dans  les 
asiles,  et  la  malveillance  exploite  souvent  cette  disposition 
d’un  certain  pub’ic;  mais  le  médecin  aliéniste  doit 
rechercher  les  causes  et  observer  les  circonstances,  avant 
d’adopter  ou  d’interdire,  avant  de  louer  ou  de  condamner 
des  pratiques  qui  peuvent  être  recommandables  en  dépit 
des  accidents,  ou  dangereuses  alors  même  qu’on  n’a  pas 
eu,  sur  place,  d’accidents  à enregistrer. 

Je  vais  citer  un  exemple  de  la  versatilité  de  ce  qu’on 
appelle  l’opinion  publique,  qu’on  invoque  à bon  et  à 
mauvais  escient,  exemple  qui  démontre  aussi  combien 
sont  importantes  et  combien  difficiles  ces  mille  questions, 
que  soulèvent  l’administration  des  institutions  dont  il 
s’agit  et  le  traitement  des  aliénés.  On  avait  autrefois 
établi,  dans  Ontario,  une  succursale,  pour  y loger  un  peu 
plus  de  soixante  aliénés  de  la  classe  la  plus  paisible. 
L’édifice,  construit  pour  un  autre  objet,  qu’on  avait 
affecté  à cette  destination  était  chauffé  par  des  poêles  et 
des  feux  de  cheminées  : on  sait  que  l’une  des  dispositions 
dont  ûn  se  vante  en  Angleterre  et  qui  fait  partie  du 
système  qu’on  y préconise,  comprend  l’usage  de  feux  de 
cheminées  sans  grillages  protecteurs,  les  fameux  open 
fires,  qui,  avec  les  opm  doors^  forment  partie  des — “ bene- 
“ fits  arising  from  the  removal  of  restrictions.  ” On  crut 
donc  devoir  laisser  subsister  quelques-uns  de  ces  open 
fires^  vu  le  caractère  paisible  et  rangé  des  malades  qu’on 
devait  loger  dans  cet  asile.  Les  choses  allèrent  au  mieux 
d’abord,  et  le.  public  visiteur  adinirait  l’usage  de  ces  feux 


36 


de  grilles  si  cliers  aux  anglais — it  looks  so  cliearful — 
disait-on  ; lorsqu’un  jour,  sans  que  rien  put  faire  présager 
le  moindre  inconvénient,  une  des  malades  les  plus 
paisibles,  fille  d’un  homme  politique  très  en  vue,  alla 
se  précipiter  dans  le  feu  de  l’une  des  cheminées  et  s’y 
brûla  de  telle  sorte  qu’elle  en  mourut  en  peu  de  temps  : 
c’était  évidemment  de  sa  part  un  acte  auquel  elle  fut 
poussée  par  une  hallucination  soudaine,  causée  par  la 
contemplation  meme  de  ce  feu  si  gai.  La  nouvelle  de 
cet  accident  fut  le  signal  d’une  véritable  guerre  menée 
contre  les  médecins  et  les  employés  de  l’asile,  et  la 
prétendue  opinion  publique^  se  prit  à trouver  horribles 
dans  un  asile  ces  que,  quelques  jours  auparavant, 

on  déclarait  si  réjouissants.  Les  administrateurs  de 
l’institution  furent  exonérés,  comme  de  juste,  de  tout 
blâme,  par  les  inspecteurs  et  par  les  autorités,  qui,  heu- 
reusement, résistèrent  à la  persécution  que  certaines  gens 
voulaient  leur  faire  subir  ; mais  il  reste  la  question  de 
savoir  s’il  est  mieux  d’avoir  des  feux  de  cheminées  ou  de 
n’en  pas  avoir  dans  les  asiles  et,  quand  on  se  décide  à en 
avoir,  s’il  est  préférable  de  n’y  mettre  aucune  précaution, 
ou  mieux  de  les  entourer  d’un  grillage,  jjrotecteur  ? Les 
partisans  de  la  non-restraint  ne  veulent  pas  de  grillages  ; 
ils  tiennent  absolument  à l’idée  de  faire  prendre  leurs 
asiles  de  fous,  pour  des  maisons  de  gens  bien  sages  et 
bien  gentils  au  fond,  quoique  parfois  enclins  à montrer 
un  peu  d’excentricité,  ou  de  mauvaise  humeur.  Ceux 
qui  ne  croient  pas  devoir  essayer  de  cacher  le  véritable 
caractère  des  asiles  d’aliénés  préfèrent  ou  n’avoir  point  de 
feux  de  cheminés,  ou  leur  mettre  des  grillages  protecteurs, 
et  je  me  sens  heureux  et  en  tranquillité  de  conscience 
d’être  du  nombre  de  ces  derniers.  Toutes  ces  questions 
doivent  être  laissées  aux  médecins  chargés  du  traite- 
ment des  aliénés,  et  aux  administrateurs  des  asiles. 
Mais,  dira-t-on  peut-être,  les  médecins  diffèrent  et  il  y en 
a qui  ne  sont  pas  eux-mêmes  tout  à fait  exempts  d’idées 
extravagantes:  ce  serait  le  cas  alors  de  se  demander 
— Quid  custodem  custodiat  f — Sérieux  embarras,  que  nous 
n’avons  pas  encore  ressenti  en  Canada,  que  je  sache, 
et  que,  je  l’espère,  M.  le  Dr  Tuke  ne  réussira  pas  à nous 
léguer. 

Je  trouve,  dans  un  Rapport  des  Commissaires  du 
“ Central  Kentucky  Asylum^'"  du  3 octobre  1882,  sur  ce  sujet 


3T 


des  questions  médicales  et  sur  les  systèmes  de  contrainte, 
les  sages  remarques  que  voici  : — “ In  regard  to  the  kind 
“ or  mode  of  restraint  or  punishment  to  be  used  with 
“ such  unfortunates,  we  do  not  profess  to  be  compe- 
“ tent  judges,  and  must  content  ourselves  with  leaving 
“ tliis  vexed  question  to  the  discussion  of  medical  men. 
But  our  expérience  convinces  us  that  both  restraint  and 
punishments  are  as  proxjer  here  as  in  schools  of  small 
children  or  in  familles.” 

En  résumé,  la  contrainte  est  une  nécessité  dans  le 
gouvernement  des  aliénés  réfractaires  ou  dangereux  et 
c’est  un  devoir  d’y  avoir  recours,  X)Our  ceux  qui  ont  la 
charge  de  ces  infortunés,  devoir  envers  les  aliénés  eux- 
mêmes,  devoir  envers  les  gardiens,  devoir  au  point  de 
vue  du  traitement  de  l’aliénation  mentale,  et  devoir  d’é- 
conomie publique  et  domestique.  Il  faut  se  rendre  maître 
des  mouvements  de  l’aliéné  qui  emploie  sa  liberté  d’ac- 
tion à se  nuire  à lui-meme,  à nuire  à ses  compagnons  d’in- 
fortune, à nuire  à ses  gardiens,  à nuire  à la  propriété 
publique  ou  ^jrivée  : il  faut,  autant  que  possible,  prévenir 
les  malheurs  et  les  accidents.  Les  seuls  moyens  de  ce 
faire  sont  la  force  physique  des  gardiens  employée  mo- 
mentanément, les  moyens  mécaniques,  la  cellule,  l’usage 
des  narcotiques  et  des  anesthésiques.  Tous  les  moyens 
qui  ne  sont  pas  immoraux  ou  brutaux  sont  légitimes,  à la 
condition  d’en  user  avec  discernement  de  n’en  point 
abuser,  et  de  les  rendre  aussi  doux  et  aussi  inoffensifs 
que  cela  se  peut.  Quant  au  choix,  cela  dépend  de  la  cause 
de  la  nature,  de  la  durée  des  paroxysmes,  du  caractère  de 
Ja  folie,  des  dispositions  individuelles  du  malade,  de  son 
état  habituel  ou  actuel,  de  la  dépense  à encourir  et  de 
beaucoup  d’autres  circonstances,  dont  on  ne  peut  juger 
que  par  l’étude  de  tous  et  de  chacun  des  cas  qui  se  pré- 
sentent. Quant  à dire  combien  de  malades  par  cent 
devront  être  soumis  à la  contrainte  mécanique  ou  aux 
autres  expédients  disciplinaires,  cela  ne  se  peut  pas  ; tout 
bonnement  parceque  cela  dépend  de  la  catégorie  d’aliénés 
à laquelle  on  a affaire,  de  la  constitution  et  du  tempéra- 
ment des  personnes,  des  circonstances  des  temps  et  des 
lieux  et  des  moyens  à sa  disposition.  Gela  varie  constam- 
ment pour  les  mêmes  lieux,  pour  la  même  année  et  pour 
le  même  asile.  Il  arrive,  sans  qu’on  puisse  souvent  s’en 
rendre  comjDte,  des  périodes  de  calme  presque  général  et 


38 


des  périodes  d’exacerbation  chez  les  ma’ades.  Je  ne  crois 
pas  qu’il  y ait  un  a’iéniste  ou  un  garde-malade  de  quel- 
qu’expérience  qui  n’ait  observé,  parfois,  des  espèces  d'épi- 
démies de  violence,  pendant  lesquelles  un  nombre 
comparativement  considérable  d’aliénés  doit,  de  nécessité, 
être  soumis  à un  moyen  quelconque  de  contrainte. 

Toutes  ces  questions,  elles  sont  en  grand  nombre, 
qui  se  rapportent  aux  méthodes  de  constituer  les  asiles,  de 
les  construire,  de  les  diviser,  de  les  éclairer,  de  les 
réchauffer,  de  les  ventiler,  de  les  assainir,  de  les  maintenir; 
toutes  les  questions  qui  ont  trait  à la  matière,  â la  confec- 
tion, â la  forme  des  objets  d’habillement,  de  literie,  de  con- 
trainte ; toutes  les  questions  qui  regardent  l’alimentation 
le  traitement  des  aliénés,  sont  des  questions  complexes,  sur 
lesquelles  les  maîtres  diffèrent  p’us  ou  moins  d’opinion, 
souvent  en  principe,  plus  souvent  dans  les  détails,  et  sur 
lesquelles  nul  individu  et  nu  Me  association  d’individus  n’a 
le  droit  de  décider  avec  autorité  et  sans  appel.  Les  systèmes 
n’y  sont  pour  rien,  et  les  méthodes  pour  assez  peu  d’ordi- 
naire ; tout  dépend  de  l’administration,  c'est-à-dire,  des 
aptitudes  et  du  tact  de  ceux  qui  ont  la  garde  et  le  soin  des 
malades  et  de  la  direction  générale  des  asi  es. 


39 


MODE  D’ENTRETIEN  DES  ALIÉNÉS 
Les  pensions 

Il  n’y  a que  deux  méthodes  de  pourvoir  à l’entretieu 
des  aliénés  à la  charge  du  trésor  public  dans  les  asiles  ; 
la  méthode  des  asiles  appartenant  à l’Etat  ou  aux  munici- 
palités, administrés  par  des  employés  publics,  et  celle  des 
asiles  appartenant  à des  particuliers  ou  à des  corporations, 
où  les  malades  sont  mis  en  pension.  C’est  cette  dernière 
méthode  que  M.  le  Dr  Tuke  désigne  par  le  nom  peu  déli- 
cat de  farming  of  human  beings^  quand  il  parle  des  asiles 
de  la  Province  de  Québec,  mais  que,  dans  ses  ouvrages,  il 
indique  par  le  terme  boarding  of  lunatics  ou  par  quel- 
qu’autre  expression  convenable,  quand  il  parle  d’établisse- 
ments situés  partout  ailleurs. 

En  dehors  des  asiles,  il  n’y  a de  manière  de  pourvoir 
au  soin  des  aliénés  pauvres,  remis  à la  tutelle  publique, 
que  la  mise  en  pension  chez  des  particuliers  ; cette  der- 
nière manière,  qu’en  Angleterre  on  nomme  Boarding  out^ 
a donné  lien  à la  création  des  villages  à aliénés,  dont  le 
célèbre  village  de  Gheel  en  Belgique  est  le  type  le  plus 
parfait,  et  dont  le  village  de  Kennoway  en  Ecosse  est 
aussi  un  exemple. 

Pour  les  aliénés,  restant  à la  charge  de  leurs  familles, 
il  faut  ou  bien  les  garder  chez  soi,  ou  les  mettre  en  pension 
chez  des  particuliers  ou  dans  les  asiles  soit  privés,  soit 
de  l’Etat.  Il  est  admis  généralement  que,  meme  avec  des 
moyens  illimités,  les  parents  riches  doivent  de  choix 
mettre  leurs  aliénés  en  pension  dans  les  asiles,  au  triple 
point  de  vue  de  l'intérêt  du  malade,  de  l’intérêt  des  fa- 
milles et  de  l’intérêt  de  la  société.  Les  aliénés  de  la  classe 
aisée,  en  dehors  de  la  famille,  sont  donc  forcément  tou- 
jours des  pensionnaires,  quels  que  soient  les  propriétaires 
et  les  administrateurs  des  établissements  qui  les  reçoivent. 
Il  est  difficile  de  comprendre  pourquoi  un  système  qui 
convient  aux  aliénés  des  familles  riches,  serait  un  système 
absolument  abominable  pour  les  aliénés  des  classes  néces- 
siteuses. Condamner  absolument  l’une  des  deux  méthodes, 
qui  de  soi  n’ont,  ni  l’une  ni  l’autre,  rien  de  condamnable, 
c’est  faire  acte  dé  système  et  de  parti  pris  ; chacun  peut 


40 


\ 


avoir  ses  préférences  ; mais  personne  n’a  le  droit  d’impo* 
sor  ses  oignions.  • 

Un  asile  n’est  pas  bon,  parce  qu’il  appartient  au  public, 
un  asile  n'est  pas  mauvais  parce  qu’il  appartient  à des 
particuliers.  On  a parfaitement  le  droit  de  préférer  tel  ou 
tel  système  pour  les  malades  soutenus  parle  trésor  public, 
meme  le  système  des  villages  à aliénés  que  plusieurs  pré- 
conisent ; mais  c’est  se  moquer  de  l’intelligence  du  public 
que  d’essayer  de  donner  le  change,  et  d’avoir  l’air  de 
croire  qu’en  employant  des  mots  ignobles,  pour  désigner 
des  choses  respectacles,  on  aura  gagné  son  point. 

L’asile  des  amours  de  M.le  Dr  Tuke,  la  York  Retreat, 
qui  redonnait  pour  fondateur  un  aïeul  de  ce  dernier,  feu 
M.  William  Tuke,  asile  qui  a subi  rinfluence  successive 
de  M.  Henry  Tuke,  grand  père  de  l’auteur  des  Chapters^ 
de  son  père  M.  Samuel  Tuke  ; asile  qui  a eu  pour  méde- 
cin visiteur  M.  Daniel  Hack  Tuke  lui-méme,  a été  une 
fondation  privée,  a été  administré  par  ses  propriétaires  et 
fut  établi  pour  l’usage  d’une  secte  religieuse,  celle  des 
Quakers.  Le  séjour  dans  cette  retraite,  n’appartenant 
point  à l’Etat,  était,  paraît-il,  tout  à fait  enchanteur  pour 
les  aliénés.  M.  le  Dr  Tuke  nous  raconte,  à la  page  120  de 
ses  Chapters^  qu’un  ma  heureux  fou,  sorti  d un  autre  asile 
qui,  selon  toutes  les  apparences,  devait  être  un  asile  de 
l’Etat,  et  sorti  dans  un  état  pitoyable  causé  par  les  mau- 
vais traitements,  après  avoir  joui  quelque  temps  des 
douceurs  de  la  York  Retreat,  se  vit  passer,  de  l’état  d’im- 
potence, à la  condition  de  pouvoir  marcher  tout  seul — 
“ able  to  walk  without  assistance.”  Ceci  pourrait,  à la 
rigueur,  n’être  qu’un  incident  fort  ordinaire,  mais  la  poé- 
sie s’y  est  introduite  et  !e  narrateur  ajoute  : — “ When, 
“ one  of  his  friends  visited  him  and  asked  him  what  he 
called  the  place,  he  replied.  with  great  eariiestness, 
“ Eden,  Eden,  Eden  ! ” 

Sans  avoir  la  prétention  de  faire  d’un  asile  de  fous  un 
paradis  sur  la  terre,  pourquoi  des  Sœurs  de  Charité  et  des 
particuliers  de  croyance  catholique,  ne  pourraient-ils  pas 
être  admis  à tenir  une  pension  pour  les  aliénés,  aux  mêmes 
titres  qu’un  comité  de  la  Society  of  friends  1 J’ai  parlé 
plus  haut  d’un  asile  établi  et  administré  dans  ces  der- 
nières conditions,  le  Mount  Hope,  où  les  particuliers  et  les 
corps  de  l’Etat  pensionnent  des  malades  riches  et  pauvres, 
à la  satisfaction  de  tout  le  monde  ; absolument  d'après  le 


41 


système  adopté  pour  les  asiles  de  la  Province  de  Québec. 
•On  compte  de  ces  asiles  dans  tous  les  pays  civiusés. 

Ainsi  donc  des  asiles  peuvent  être  exécrables  bien 
que  directement  administrés  par  l’Etat,  M.  le  Dr  Tuke 
en  donne  de  nombreux  exemples  ; d’autre  part  des  asiles 
privés,  des  pensionnats  peuvent  être,  bien  qu’administrés 
par  des  particuliers,  d’admirables  institutions,  M.  le  Dr 
Tuke  en  fournit  aussi  des  exemples  dans  ses  ouvrages. 
Donc  M.  le  Dr  Tuke  a tort  de  dire,  dans  son  réquisitoire 
contre  la  Province  de  Qu  ^bec  : — “ It  is  a radical  defect — 
a fundamentai  mistake — for  the  province  to  contracf 
with  private  parties  or  Sisters  of  Gharity  for  the  main- 
tenance  of  lunatics.” 

La  province  y a trouvé  son  avantage,  au  contraire, 
et  les  a iénés  n’en  ont  nuilement  souffert.  Nos  asiles  sont 
soumis  aux  lois  qui  gouvernent  la  matière,  ils  sont  soumis 
aux  visites  et  aux  enquêtes  des  inspecteurs  nommés  par 
l’Etat  : à part  des  soins  diriges  par  des  médecins  ordi- 
naires qu’ils  paient,  ils  ont  encore  l’obligation  d'être 
contrô  és  par  des  médecins  visiteurs  aux  ordres  de  ’Etat. 
Que  les  p us  ample  garanties  peut-on  exiger  contre 
les  dangers  de  l’humaine  faiblesse  ? Il  faudrait  que  l’Etat 
put  se  procurer  des  agents  et  des  administrateurs  tout 
a fait  infaillibles,  impeccab  es  et  possesseurs  de  la  faculté 
d ubiquité,  pour  pouvoir  réclamer  l’avantage  assuré  d’une 
direction  supérieure,  parfaitement  exempte  de  tout  mé- 
compte, de  toute  erreur  et  capable  d’un  exercice  de  sur- 
veillance et  de  prévisions  de  tous  les  endroits  et  de  tous 
moments. 

Un  dîner  n’est  pas  nécessairement  bon  pour  être 
donné  à la  carte,  ni  essentiellement  mauvais  pour  être 
pris  à table  d’hôte,  il  en  est  ainsi  des  asiles.  Ce  n’est  pas 
la  personne  du  cuisinier  qu’on  doit  examiner,  mais  ce 
sont  les  mets  préparés  qu’on  doit  goûter,  pour  se  faire 
une  idée  juste  de  la  cuisine  ; de  même  ce  n’est  pas  le  titre 
d’un  administrateur  d’un  hôpital  ou  d’un  hospice  d’aliéné 
qui  donne  la  mesure  de  l’excellence  de  l’établissement, 
mais  les  résultats  que  constate  une  étude  suffisante  et 
poursuivie  sans  parti  pris.  Les  rapports  favorables  des 
nombreux  médecins,  commissaires  et  inspecteurs  qui, 
depuis  des  années,  ont  surveillé  ou  contrôlé  nos  asiles 
ont,  bien  certainement,  une  autre  portée  et  une  autre 
valeur  que  les  diatribes  de  quelques  agitateurs  et  Vipse 
6 


42 


• 

dixü  de  deux  étrangers,  qui  entreprennent  de  juger  de 
deux  grandes  institutions,  à la  suite  d’une  visite,  faite  à 
la  course  et  seulement,  la  chose  est  évidente,  dans  h*  but 
de  donner  la  couleur  d’un  examen  à des  attaques  concer- 
tées d’avance. 

Ce  serait  véritablement  un  spectacle  humiliant  et 
bien  capable  de  faire  rire  de  nous,  que  de  voir  la  province 
de  Québec  changer  un  système  qui  a,  jusqu’ici,  donné 
pleine  et  entière  satisfaction,  qui  a fait  surgir  deux  asiles 
ne  le  cédant  en  rien  aux  asiles  des  autres  provinces,  de 
voir  nos  gouvernants  encourir  les  immenses  mises  de 
fonds  et  le  surcroit  annuel  de  dépenses  que  nécessiterait 
l’inauguration  d’un  nouveau  système,  simplement  parce- 
qu’il  a plu,  à quelques  intrigants  fanatiques,  d’attaquer 
des  institutions  ayant  la  confiance  de  l’immense  majorité 
de  la  population,  parcequ’il  a plu  à un  homme,  inféodé  à 
certaines  idées  et  de  passage  parmi  nous,  d’entreprendre 
de  nous  imposer  ses  doctrines,  en  usant  d’un  langage 
indigne  de  la  bonne  compagnie. 

D’ailleurs,  le  mode  de  traitement  de  la  folie,  en  tant 
qu’application  des  diverses  méthodes  palliatives  ou  cura- 
tives, ne  dépend  pas  de  la  manière  d’héberger  les  aliénés. 
On  peut  adopter  telle  ou  telle  méthode,  indépendamment 
de  la  tenure  des  propriétés  de  l’asile.  C’est  se  moquer 
du  public  que  d’essayer  à lui  faire  croire  qu’on  ne  peut 
pas  soigner  un  fou,  dans  un  asile  pension,  aussi  bien  que 
dans  un  établissement  administré  par  un  fonctionnaire. 

Je  ne  ferai  pas  l’injure  à nos  gouvernants  de  croire 
qu’ils  se  laisseront  influencer,  en  quoi  que  ce  soit,  par 
ces  criailleries  ; mais  je  suis  certain,  je  le  répète, 
que  la  population  catholique  verrait  avec  plaisir, 
nos  compatriotes  protestants  avoir  un  asile  à eux,  subven- 
tionné comme  les  autres,  au  meme  montant  proportionnel 
par  tete.  Là,  ceux  qui  n’aiment  pas  les  religieuses  et  les 
Canadiens-Français,  ceux  qui  croient  aux  dogmes  de  la 
non~restrciint^  des  open  fires  et  des  open  doors  pourront  s’en 
donner  à cœur  joie.  Nous  ne  leur  ferons  pas  la  guerre 
et  nous  ne  les  insulterons  pas.  M.  le  Dr  Tuke  pourra  leur 
prodiguer  ses  plus  superbes  éloges,  proclamer  ces 
nouveaux  établissements  des  “Æ'den,  Eden^  Eden!'^  Il 
pourra  venir  y sacrifier  à Psyché  : nous  n’en  serons  point 
jaloux.  Bien  plus,  s’ils  réussissaient  à imaginer  ou  à 
introduire  quelques  moyens  de  traitement  vraiment 


4B 


avantageux,  je  suis  convaincu  que  nos  religieuses  et  nos 
autres  administrateurs  s’empresseraient  de  les  adopter. 

M.  le  Dr  Tuke  semble  faire  bon  marché  de  la  question 
financière  ; ceux  qui  l’inspirent,  en  effet,  n’ont  guère  de 
tendresse  pour  le  trésor  de  la  province  qu’ils  habitent. 
Il  voudrait  qu’on  double  le  nombre  des  gardiens  des 
aliénés,  il  voudrait  qu’on  augmente  leurs  gages,  pour  le 
plaisir  de  substituer  la  contrainte  manuelle  à la  contrainte 
mécanique.  Tout  cela  ne  peut  avoir  lieu  sans  augmenter 
l’allocation,  puisque  nos  asiles  sont  déjà  ceux  qui  coûtent 
les  moins  chers,  de  beaucoup,  de  tous  les  asiles  de  leur 
classe.  Augmenter  la  dépense  pour  la  plus  grande  gloire 
de  la  non-restraint^  c’est  payer  beaucoup  trop  pour  une 
fantaisie  que  l’universalité  des  maîtres  de  la  science,  en 
dehors  de  l’Angleterre,  déclare  pernicieuse.  M.  le  Dr 
Tuke  est  si  peu  soucieux  de  ce  qu’il  proclame  dans  son 
réquisitoire,  si  décidé  à exagérer,  meme  les  embarras 
qu’il  veut  nous  faire,  qu’il  exige  de  nous  plus  qu’on 
exige  en  Angleterre  avec  l’application  du  système,  très 
coûteux,  qu’il  voudrait  nous  imposer. — “I  consider,  dit-il 
dans  son  réquisitoire,  that  the  number  of  attendants  in 
such  an  asylum  should  not  be  less  than  1 in  7,  instead 
“ of  1 in  15.  ” Dans  ses  Chapters^  à la  page  278,  il  adopte 
une  toute  autre  vue  de  la  question  financière,  et  du 
nombre  proportionnel  de  gardiens  que  requiert  le  système 
de  la  non-restraint ; voici  ce  qu’il  dit,  s’élevant  contre  le 
coût  extravagant  de  Tasile  des  “criminels  aliénés”  de 
Broadmoor  : — “ Financial  considérations  must  be  a very 
“ important  practical  point  in  the  existence  of  Broad- 
“ moor.  The  State  pays  for  it  ; an  annual  grant  from  the 
“ House  of  Gommons  must  be  asked  for,  and  the  Go- 
“ vernment  must  be  prepared  to  show  that  the  amount 
“ is  not  unreasonable.  Now  the  weekly  cost  ofthe  inmates 

“ is  eighteen  shillings  each That  of  the  inmates 

“ of  our  county  asylums  averages  about  half  a guinea. 
“ It  may  therefore  not  unreasonably  be  asked.  Why  is 
“ this  ? What  hâve  the  criminal  lunatics  done  to  deserve 
“ so  much  more  money  being  lavished  upon  them  ? 
“ The  chief  reason  is,  that  a greater 
“ attendants  must  be  provided  for  this  class,  and  that  is 
“ costly.  At  Broadmoor  the  proportion  of  attendants  to 
“ patients  is  one  in  five  ; in  asylums  generally,  much 
“ less  liberal,  say  one  in  eleven  ; besides  which,  they 
“ are  paid  better  ( as  they  ought  to  be  ) at  Broadmoor.  ” 


44 


Croirait-on  que  c’est  le  même  homme  qui  a écrit  ces 
deux  paragraphes  ? Dans  l’eusemble  des  asiles.  d’Angle- 
terre que  M.  le  Dr  Tuke  exalte,  avec  un  système  qui 
oblige  les  gardiens  à lutter  à force  de  poignet  avec  les 
fous  dans  leurs  paroxysmes,  il  constate  approbativement 
que  la  proportion  est  de  1 dans  1 1 ; et  pour  nos  asiles, 
dont  le  système  n’exige  pas  ces  luttes  corps  à corps  et 
prolongées,  il  considère  que  la  proportion  ne  devrait  pas 
être  moindre  que  1 dans  7.  Ceci  est  une  nouvelle  preuve 
de  la  bonne  foi  qui  a présidé  à la  confection  de  la  diatribe 
que  M.  le  Dr  Tuke  a publiée,  en  Canada,  sur  nos  asiles  de 
la  province  de  Québec,  pour  satisfaire  ses  lubies,  ses 
préjugés,  ses  antipathies  et  pour  servir  les  manœuvres  de 
ceux  qui  l’ont  racolé  pour  l’occasion. 

Le  système  suivi  dans  la  Province  de  Québec  en 
vaut  un  autre,  tout  au  moins  ; nos  asiles  sont  aussi  bons 
que  beaucoup  d'autres  qui  coûtent  plus  cher;  !a  guerre 
qu’on  leur  fait  est  une  guerre  soufflée  parles  préjugés; 
car  les  administrateurs  de  nos  asiles  ont  la  confiance  de 
l’immense  majorité  de  notre  population  : il  n’y  a donc 
aucune  raison  de  le  changer,  et  le  gouvernement  qui 
viendrait  briser  cette  organisation,  pour  faire  droit  à des 
clameurs,  qui  sont  des  insultes  à la  masse  de  notre 
population,  commettrait  une  insigne  faiblesse  et  un  acte  de 
mauvaise  administration,  pardessus  le  marché.  Il  n’en 
sera  pas  ainsi,  bien  sûr  ; M.  le  Dr  Tuke  et  ses  souffleurs 
en  seront  pour  l’odieux  de  leurs  machinations  et- de  leurs 
vilaines  et  sottes  écritures. 

On  parle  de  contrats  î Croit-on  qu’en  prenant 
l’administration  directe  des  asiles  le  gouvernement 
échapperait  aux  contrats  ? Mais  ce  serait,  au  contraire, 
entrer  dans  le  domaine  des  contrats  de  tous  genres.  Ceux 
qui  ont  eu  l’expérience  de  cette  espèce  d’administration 
comprennent  les  embarras  des  fonctionnaires  et  des 
gouvernants,  soumis  à contracter  avec  des  fournisseurs 
de  tous  les  produits.  Aux  difficultés  des  détails  s’ajoutent 
les  tracasseries  et  les  intrigues  de  la  politique  : le  tout 
constituant  une  source  continuelle  de  mécomptes,  de 
déboires  et  de  pertes  pour  l’Etat. 


INTERNEMENT  DES  ALIÉNÉS 
(Affaire  Lynam) 

En  même  temps  que  certains  écrivains  faisaient  leur 
partie  contre  nos  asiles,  on  brassait,  contre  l’asile  de  la 
Longue  Pointe,  une  accusation  de  détention  illicite  d’une 
personne  qu’on  prétendait  être  en  pleine  jouissance  de  ses 
facultés  intellectuelles;  c était  de  rigueur  et  point  du 
tout  nouveau.  Le  moindre  raisonnement  aurait  fait 
de  suite  découvrir  que  les  Sœurs,  propriétaires  et  admi- 
nistratrices de  l’asile,  n’avaient  rien  à voir  dans  une 
question  d’internement  d’aliéné  : ce  ne  sont  point  les 
Sœurs  qui  décrètent  l’internement  et  ce  ne  sont  point  les 
Sœurs  qui  ordonnent  le  renvoi  de  leurs,  pensionnaires  ; 
elles  doivent  recevoir  les  personnes  que  les  autorités 
désignées  par  la  loi  leur  envoient  et  doivent  les  garder 
jusqu’à  ce  qu’un  ordre,  aussi  réglé  par  Moi,  leur  permette 
de  les  mettre  en  liberté.  Il  en  est  de  meme  pour  tous  les 
asiles  ; le  système  d’entretien,  la  qualité  des  administra- 
teurs n’y  sont  pour  rien.  Voici  ce  que  le  simple  bon  sens 
aurait  du  faire  comprendre  à tous  ; ce  qui  n’a  pas 
empêché  qu’on  ait  attaqué  les  Sœurs,  tout  le  temps  que 
cette  affaire  a été  devant  le  public  et  tout  le  temps  qu’ede 
a été  devant  le  tribunal  qui,  finalement,  en  a été  saisi. 
Mon  travail  ne  serait  pas  complet  si  je  ne  racontais  pas 
cette  étonnante  histoire  de  Rose  Ghurch,  femme  de 
Peter  Lynarii. 

Je  m’empresse  de  dire  que  M.  le  Dr  Tuke  n’a  rien  eu  à 
faire,  que  je  sache,  avec  le  cas  de  Rose  Ghurch  et  que, 
par  conséqent,rien  de  ce  qui  va  suivre  ne  doit  s’appliquer  à 
ce  monsieur. 

Au  mois  de  mars  1882  le  nommé  Peter  Lynam,  maçon, 
de  Montréal,  prit  avis  d’un  homme  de  loi  afin  de  savoir  ce 
qu’il  avait  à faire,  pour  se  mettre  à l’abri,  lui  et  sa 
famille,  des  dangers  que  sa  femme  Rose  Ghurch  leur 
faisait  courir  à tous,  et  pour  prévenir  la  ruine  dont  son 
modeste  ménage  était  menacé.  La  femme  Lynam  ne 
vaquait  plus  à ses  devoirs  de  mère  de  famille,  elle  se 
laissait  aller,  tantôt  à une  indolence  absolue,  en  refusant 
même  parfois  de  préparer  les  repas  de  son  mari  et  de  ses 


% 


4:6 

enfants,  tantôt  elle  était  sujette  à des  accès  de  fureur, 
pendant  lesquels  elle  menaçait  son  mari  de  le  tuer, 
à coups  de  hache,  et  ses  enfants  d aller  les  noyer  à la 
rivière. 

L’avocat  consulté  par  Lynam  se  rendit  chez  ce 
dernier  accompagné  de  M.  le  Dr  Howard,  médecin 
aliéniste,  pour  constater  l’état  mental  de  Rose  Ghurch. 
Ils  trouvèrent  Rose  Ghurch  en  proie  à un  accès  de  rage 
insensée  : elle  avait  les  cheveux  épars,  ses  habits  étaient 
en  désordre,  les  aliments  d’un  repas  étaient  répandus 
sur  le  lit,  et  les  enfants,  tremblant  d’épouvante,  étaient 
blottis  dans  un  coin. 

On  prit  immédiatement  les  mesures  nécessaires  ; Rose 
Ghurch  fut  arrêtée  et,  à la  suite  d’une  expertise  médicale, 
internée  à l’asile,  de  la  Longue  Pointe,  comme  affectée  de  fo- 
lie dangereuse,  diagnostic  que  sa  conduite  à l’asile  ne  fit 
que  confirmer.  Gette  femme  qui,  d’ordinaire,  avait  l’air 
de  jouir  de  sa  raison,  passait  souvent  de  l’état  le  plus  calme 
à des  accès  de  fureur  maniaque;  son  regarde!  ses  allures 
étaient  tels  que  ses  deux  petites  filles  en  avaient  une 
terreur  irrésistible,  que  l’amour  qu’elles  ont  pour  leur 
mère  et  les  caresses  que  celle-ci  leur  prodiguait  quelque- 
fois ne  réussissaient  point  à faire  disparaître.  Ge  cas  est 
un  cas  ordinaire  ; dans  le  fait  de  l’internement  il  n’y  a 
absolument  rien  d’étrange:  il  en  aurait  été  ainsi  dans  tous 
les  pays  civilisés.  Les  administrateurs  des  asiles  ne  jouent 
en  tout  cela,  qu’un  rô  e absolument  passif.  Les  choses  se 
seraient  ainsi  passées  si, au  lieu  des  Sœurs  de  la  Providence, 
on  eut  eu,  à l’asile  de  la  Longue  Pointe  un.  comité  d’une 
société  biblique  ; il  eu  eut  été  de  même  si  l’asile  eut  été 
propriété  de  l’état,  administrée  par  un  fonctionnaire  quel- 
conque, mf'decin  ou  non-médecin. 

Mais  voici  que  des  gens  s’imaginent  de  dire  que  Rose 
Ghurch  n’est  pas  folle  et  qu’on  la  retient  injustement  à 
l’asile.  On  s’arme  de  l’opinion  de  deux  médecins,  amici 
curiæ^  qui  déclarent  que  cette  malheureuse  est  saine 
d’esprit,  puis  on  répand  le  bruit  que  cette  femme,  sur  ses 
dires  à elle-même,  est  maltraitée  dans  l’asile  ; mauvais 
traitements  qui  se  réduisent  à l’avoir  classée  parmi  les  fous 
dangéreux,  d’après  les  motifs  qui  ont  déterminé  son 
internement  et  l’avis  des  médecins.  On  demande  aux 
Sœurs  la  mise  en  liberté  de  Rose  Ghurch  : la  supérieure 
répond  quelle  croit  cette  femme  aliénée  ; mais  que,  folle 


47 


ou  non,  on  ne  peut  la  mettre  en  liberté  que  sur  Tordre 
d’une  autorit"  compétente.  C'était  aussi  simple  que 
raisonnable,  c’était  évident  ; mais  la  raison  et  l’évidence 
ne  tiennent  pas  contre  les  pr<qug  s et  le  fanatisme  et  on 
continua  à tenir  les  sœurs  responsables  de  la  détention  de 
Rose  Gburcli  et  à répandre  force  mensonges  sur  la 
manière  dont  elle  était  traitée. 

Il  y avait  différence  d’opinion,  entre  les  médecins 
aliénistes  d’un  côté  et  les  m-‘decins  consultés  par  les 
agitateurs  de  l’autre.  Les  premiers  ont  la  prétention, 
légitime  et  fondée  en  raison,  d’en  savoir  pour  le  moins 
tout  autant  que  leurs  contradicteurs  : au  mieux  aller  pour 
ces  derniers,  ce  ne  pourrait  être  qu’un  cas  de  divergence 
d’opinion  entre  docteurs  d’une  autorité  égale  : ceci  s’est  vu 
de  tous  temps  : 

Le  médecin  Tant-pis  allait  voir  un  malade 

^Q,ue  visitait  aussi  son  confrère  Tant-mieux. 

Enfin,  on  finit  par  s’adresser  à la  justice  ; ce  qu’on 
aurait  dû  faire  de  suite,  sans  tapage  et  sans  calomnies,  si 
on  avait  été  sincère  et  exempt  d’arrières  pensées  dans 
l’affaire  de  Rose  Churcb.  Nature  lement,  le  juge  ne 
comprenant  rien  aux  affections  mentales  dut  avoir  recours 
à une  nouvelle  expertise.  Les  gens  qui  menaient  la  cam- 
pagne co.xt.e  les  Sœurs,  sur  le  dos  de  Rose  Lynam, 
voulaient  avoir  trois  experts,  avecTintention  bien  arrêtée 
d’obtenir  que  deux  au  moins  de  ces  experts  fussent  des 
gens  sur  lesquels  ils  pussent  compter  ; mais  le  juge 
résista,  cette  fois,  et  ne  nomma  qu’un  expert. 

L expert,  un  aliéniste  dans  Temploi  du  gouverne- 
ment, constata  chez  Rose  Ghurch  un  calme  affecté, 
des  mouvements  impulsifs  pour  le  moins  étranges, 
une  perversion  de  sentiments  à Tégard  de  son  mari  et  de 
ses  enfants  ; avec  une  absence  apparente  d’idées  délirantes 
et  d’hallucinations.  Gefte  femme  lui  témoigna  qu’elle 
avait  pour  son  mari  une  telle  haine  que  l’idée  de  se 
venger  était  passée  chez  elle  à l’état  d’idée  fixe.  Elle 
aimerait  bien  à voir  son  mari  mort,  mais  elle  aimerait 
autant  mourir  avant  lui,  pour  revenir  exercer  contre  lui, 
après  sa  mort  à elle,  une  vengence  plus  complète  : elle 
n’entretient  aucun  doute  sur  ce  rôle  de  revenant-tortureur 
qu’elle  pourrait,  dans  le  cas,  exercer  contre  son  mari.  Inter- 
rogée pour  savoir  si  elle  n’aimerait  pas  mieux  occuper  une 


48 


autre  division  de  Tasile  que  celle  des  fous  dangereux, 
elle  dit  que  non  : les  turbulences  et  les  accès  des  aliénés 
de  cette  classe,  dit-elle,  la  distraient  et  l’amusent.  L’expert 
étudia  riiistoire  de  la  malade,  et  déc  ara  qu’on  avait  eu 
raison  de  la  retenir  à 1 asile.  Bref,  l’expert  conclut  par 
déclarer  Rose  Ghurch  atteinte  de  folie  aliéctive,  encore 
dite  raisonnante,  et  termina  son  rapport  par  ces  mots  : — 
“ Je  crois  donc  qu’il  ne  serait  pas  prudent  de  forcer  son 
mari  à la  recevoir,  mais  je  ne  vois  aucun  inconvé- 
nient  à ce  qu’on  la  remette  aux  soins  de  toute  autre 
personne  qui  voudrait  s’en  cliarger.” 

Au  sujet  de  pareils  cas,  je  suis  heureux  de  pouvoir 
citer  l’opinion  de  quelqu’un,  dont  le  témoignage  ne 
saurait  être  suspect  aux  zélés  protecteurs  de  Rose 
Ghurch  : — M.  eDr  D.  H.  Tuke,  pages  282  et  283  de  ses 
c/iap/ers,”  dit  : — The  number  of  instances  in  which 
■■  iife  is  sacrificed,  and  thestill  larger  number  of  instances 
in  which  threats  of  injury  or  damage  short  of 
homicide,  destroy  family  happiness,  througli  Ih  ) 
lunacy  of  one  of  its  members,  renders  it  highiy 
“ désirable  that  greater  facilities  should  exist  for  placing 
“ such  persons  under  restraint  (we  do  not  refer  now  to 
“ imbéciles)  before  a dreadful  act  is  committed,  to  say 
nothing  of . terminating  the  frightful  do  ^^estic  unhap- 
“ piness.  In  most  of  these  cases  there  A j^nt  slight 
apparent  intellectual  disorder,  although  careful 
‘‘  investigation  would  frequently  discover  a concealed 
delusion,  and  the  greatest  difficulty  exists  in  obtaining 
a certificate  of  lunacy  from  two  medical  men.  They 
“ shrink  from  the  responsability.  Nothing  is  done. 

Prolonged  misery  or  terrible  catastrophe  is  the  resuit. 
“ To  avoid  this,  there  might  be  a power  vested  in  the 
Gommissioners  in  Lunacy  to  appoint,  on  application, 
‘‘  two  medical  men,  familiar  with  insanity,  to  examine  a 
person  under  such  circumstances.  Their  certificate 
that  he  or  she  ought  to  be  place  under  care  should  be 
“ a sufficient  warrant  for  admission  into  an  asylum,  and 
“ they  should  not  be  liable  to  any  legal  conséquences.” 

Rose  Ghurch  tombe  précisément  dans  la  catégorie 
jies  cas  ^ auxquels  il  est  fait  allusion  dans  ce  passage, 
comme' étant  de  ceux  qu’il  importe  d’interner  dans  les 
asiles.  Cependant,  le  juge  du  débat  en  décida  autrement: 
il  convoqua  un  conseil  de  famille,  pour  nommer  la 


49 


personne  à laquelle  on  devait  confier  la  garde  de  Rose 
Cliurch.  Le  conseil  fut  composé  du  mari,  Peter  Lynam, 
de  deux  cousins  de  la  malade  et  de  quatre  autres  per- 
sonnes : cinq  sur  sept,  le  mari,  les  deux  cousins  et  deux 
autres  décidèrent  qu  il  fallait  nommer  pour  surveillante 
et  gardienne'* de  Rose  Ghurcli,  sœur  Thérèse  de  Jf»sus,. 
supérieure  de  l’asile  de  la  Longue-Pointe  ; mais  Alfred 
Perry,  un  de  ceux  qui  avait  monté  toute  cette  aüaire, 
avec  un  seul  des  membres  du  conseil  de  famille,  recom- 
mandèrent pour  gardien  de  Rose  Ghurch,  M.  Alfred 
Perry  !....  Le  juge  ordonna  que  Rose  Ghurch  fut  remise 
aux  mains  de  M.  Alfred  Perry,  qui  en  est  devenu  le 
soutien,  le  gardien  et  le  réxjoiidant. 

Si  ce  n’était  des  principes  en' jeu  dans  cette  cause  et 
des  dangers  qu’il  y aurait  à considérer  comme  juridique 
cette  décision,  on  serait  tenté  de  se  réjouir  de  voir  nos 
bonnes  sœurs  débarrassées  de  Rose  Ghurch  et  de  voir 
M.  Alfred  Perry  en  être  chargé  ; mais,  dans  l’intérôi  de 
la  famille  et  de  la  société,  ce  n’est  pas  ainsi  que  l’on  doit 
considérer  les  choses.  Un  journal  français  faisait,  à 
l’occasion  de  cette  terminaison  de  l’affaire  Rose  Ghurch, 

les  excellentes  remarques  que  voici  : — “ Il  n’en  est  pas^ 

“ moins  posé  en  princix^e,  par  ce  jugement,  qu’une  femme 
légalement  ^sous  puissance  de  mari,  peut  en  l’absence 
de  l’ahCiL.  on  du  mari,  en  l’absence  de  séparation  de 
corps  et  meme  en  l’absence  d’une  preuve  pouvant 
justifier  une  telle  séparation,  être  soustraite  à l’autorité 
“ de  son  mari  et  placée  sous  l’autorité,  être  mise  en  la 
possession  d’un  autre  homme  qui  n’est  ni  son  père,  ni 
son  frère,  ni  même  un  parent.  Gertes  1 voilà  un 
précédent  qui  paraitra  plus  qu’étrange.  Espérons  qu’il  ne 
fera  pas  loi.” 

Il  semblerait  qu’à  la  suite  d’une  victoire  aussi 
signalée,  les  agitateurs  auraient  dû  se  trouver  satisfaits,, 
du  moins  jusqu’à  nouvel  ordre.  Qu’on  se  détrompe,  les 
gens  enrégimentés  pour  cette  croisade  continuèrent  la 
guerre  contre  nos  asiles  ; il  y eut  même  une  requête  ou 
députation,  je  ne  sais  quoi,  d’envoyée  au  gouvernement 
de  Québec,  pour  demander  la  démolition  de  notre 
système  d administration  de  ces  institutions.  On  ne  lâcha 
pas  même  Rose  Ghurch  : un  reporter  alla  lu^  rendre 
visite  chez  M.  Alfred  Perry.  Get  expert  d’un  .ouveau 
genre,  rendant  compte  à la  troisième  personne,  da^ns  son 

n 


50 


journal,  de  son  examen,  disait  entre  autres  choses  : 
— “ He  expected  to  find  lier  an  excitable  and  irritable 
person,  whose  nerves  had  been  shattered  by  long  confi- 
“ nement  and  whose  dispositions  had  been  soured  b^^ 
“ injustice  and  ill  usage.  But  he  was  agreably  surprisedto 
find  her  as  calm  in  her  inanner  and  as  moderate  in  her 
expressions,  even  when  those  who  had  injured  her 
“ most  were  the  subject  of  conversation,  as  any  lady  of 

the  land Wlien  asked  why  she  had  been  placed 

“ in  the  furious  ward,  she  said  that  she  would  not  tell. 
“ She  was  not  conscious  of  having  done  anything  or  said 
“ anything  to  either  the  nu  ns  or  the  attendants  to 
deserve  such  treatment.  When  she  enteredthe  asyliim 
she  was,  she  said,  kept  for  four  nights  in  the  First 
“ Ward.  On  the  fifth  night  sln.'  was  slapped,  had  hait* 
torn  ont  of  her  head,  was  tied  to  a chair  andwasfinaly 
put  in  a dirty  bed.  On  beiiig  ask  if  punishment  of  that 
“ kind  was  often  inflicted  at  Longue-Pointe,  she  replied 
‘‘  that  patients  were  beaten  frequently  by  the  iiuns,  by 
the  servants  and  by  the  man  in  attendance.  ” 

Suit  une  dissertation  de  RoseChurch,  ou  du  reporter^ 
on  ne  sait  trop  lequel  des  deux,  sur  les  conditions  hygié 
niques  de  l’asile  de  la  Longue  Pointe  et  sur  le  traitement 
des  aliénés,  dissertation  qui  se  termine  ainsi  : — “ Mi-s 
Lynam  describes  the  whole  management  of  Longue 
Pointe  Asylum  as  unmitigatedly  had.  The  patients  are 
“ badly  lodged,  bàdly  fed  and  badly  treated.  The  fre- 
quency  of  punishment  and  the  irresponsibility  of  those 
who  inflict  it  must  strike  every  reflecting  person  as 
most  pernicious  and  tending  to  aggravate  the  diseases 
of  the  mind  and  nerves,  with  which  the  unfortunate 
are  afhicted.” 

L’auteur  de  cet  écrit,  qu’il  est  inutile  de  réfuter, 
attendu  que  de  pareilles  billevesées  portent  en  elles-memes 
leur  réfutation,  finit  par  conclure  que  non-seulement  Rose 
Ghurch  est  complètement  saine  d’esprit  aujourd’hui  ; 
mais  qu’elle  l’a  toujours  été  ; il  ne  cache  pas  sa  lumière 
'Cet  expert  là,  comme  on  voit  : — “ Her  enemies  hâve  tried 
“ their  best,  but  they  hâve  been  unable  to  prove  her 
“ insane  in  a Court  of  Justice,  and  any  one  who  see  how 
“ she  conducts  herself  now  and  hears  her  talk  will  he 
surprised  that  even  the  suspicion  of  liinacy  ev('r 
attached  to  her.” 


51 


Que  ne  peut-on  pas  attendre  d’écrivains  capables  de 
pareilles  audaces  ? Un  chercheur  de  nouvelles,  avisé  par 
une  pauvre  mono  maniaque,  décide  de  l’état  mental  de  cette 
dernière,  pour  le  présent  et  pour  le  passé  ! Quels  sont  ces 
“ enmies”  de  Rose  Church  ? L’avocat  consulté,  les 
médecins  experts,  les  Sœurs  de  la  Providence,,  sans 
doute,  pour  qui  Rose  Church,  en  dehors  des  devoirs 
de  profession  et  de  charité  qu’ils  ont  eu  à exercer  envers 
elle,  est  absolument  la  première  venue,  dont  ils  ignoraient 
meme  probablement  l’existence  avant  d’avoir  été  mis  en 
contact  avec  elle,  par  des  circonstances  tout-à-fait  en 
dehors  de  leurs  désirs  et  de  leur  volonté  ! Ces  ennemis, 
fantômes  de  rhallucination,  n’ont  pu  prouver  la  folie  de 
Rose  -Church  ! Pourquoi  alors,  s’est-on  légalement  em- 
paré de  sa  personne  ? Pourquoi  les  experts  l’ont-ils,  à 
diverses  reprises,  déclarée  aliénée,  folle  dangereuse  ? 
Pourquoi  le  juge,  si  bien  disposé  en  faveur  des  amis  de 
Rose  Church,  a-t-il  cru  devoir  lui  donner  un  gardien, 
garant  de  sa  conduite  ? Tout  cela  crève  les  yeux  de  qui 
veut  voir. 

Les  écrits  d’une  certaine  presse  contre  nos  institu- 
tions de  la  Province  de  Québec,  sont  tous  du  meme 
acabit  : on  se  croit  tout  permis  sous  l’égide  des  préjugés, 
du  fanatisme  et  de  la  partisanerie.  L’usage  que  certaines 
gens  font  en  ce  moment  de  la  malheureuse  Rose  Church 
n’a  pas  lieu  d’étonner  trop,  il  y a,  entre  leur  maladie  et  la 
sienne,  beaucoup  plus  de  rapports  qu’il  n’en  apparait  à 
première  vue.  La  monomanie,  la  folie  raisonnante  qui  a 
sa  cause  et  son  objet  dans  la  haine  de  tout  ce  qui  se 
rattache,  de  près  ou  de  loin,  aux  principes  du  catholicisme 
et  à la  nationalité  française,  affecte  les  allures  qui 
caractérisent  l’entité  morbide  qui  lui  sert  de  type. 
Toujours  présente  à l’état  latent,  elle  se  manifeste,  à des 
intervalles  plus  ou  moins  rapprochées,  par  des  exacerba- 
tions qui  vont  quelquefois  jusqu’à  la  fureur  chez  quelques 
uns.  Un  pareil  désordre  est,  pour  la  société  canadienne, 
ce  qu’est  la  folie  affective  pour  la  famille,  a frightfuï 
domestic  unhappiness^  selon  l’expression  de  M.  le  Dr  Tuke. 
En  verrons-nous  jamais  la  fin?  Atout  cas,  ça  prendra 
du  temps  ; car  le  mal  est  invétéré.