885
DE LA
PROVINCE DE QUÉBEC
LEURS DÉTRACTEURS [
.
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X)B L-A.
♦PROYINCE DE QUÉBEC
ET
LEUHS détracteïïus
cr. O. T^OHIIB
q,tjÉbeo
1885
IÏXJXjL:
Imprimé a La Vallée d’Ottaoua.”
1885
NOS ASILES d’aliénés
Nos excellents asiles d’aliénés de Beauport et de la
Longue Pointe sont, depuis quelques mois, le but
d’attaques aussi injustes que violentes : il n’y a guère à
s’étonner de cela, car presque partout les institutions
publiques sont périodiquement l’objet de ces sortes de
critiques, le plus souvent dictées par la malveillance.
Aux causes communes qui soumettent les établissements
de ce genre à ces tracasseries, allant parfois jusqu’à la
persécution, s’ajoute, dans la Province de Québec,
un animus particulier produit par les antipathies de race
et par le fanatisme d’une certaine catégorie de sectaires.
Pour montrer que nos asiles ne sont pas les seuls qui
soient exposés aux traits de la calomnie, je me contenterai
de reproduire quelques passages des écrits d’aliénistes
américains sur ce“ s'ujelf après. qupî,>^qfiii ;de :fair@’' y-pir de
quelles odieuses’ ma cbiinatiàilfi peWpiit être ^Victimos les
administrations des établissements de la Province de
Québec en particulier, je citerai un cas qui s’est produit,
à l’époque où j’étais un des inspecteurs des institutions
publiques de l’ancienne province du Haut et du Bas
Canada réunis.
M. le Dr Gale, surintendant du Central Kentucky
Lunatic Asylum^ sorti victorieux d’une lutte de cette
espèce, au cours de laquelle on l’avait accusé de cruauté
et d’impéritie, disait, dans son rapport annuel de 1882 : —
)) The troubles here are but a repitition of those had by
)) almost every institution in this country and Europe.
)) Such asylums as hâve had* none are exceedingly
» fortunate, and are the exceptions to the rule. »
M. le Dr Everts, traitant la même question devant
l’association des Surintendants des asiles des Etats-Unis
(voir le numéro d’octobre 1881, de 1’ American Journal of
Insanity)^ dit, entre autres choses : — « To accuse managing
)) boards of dishonesty, and medical superintendents and
» subordinates of incompetency, or criminal neglect of
» duty and abuse of authority, towards helpless prisoners
4
)) is a common feature of public scandai Boni
» agitators and professional reformers, who live and
» move upon the borderland of insanity, who are ever
» intent upon turning this world upside down, andhaving
» things doue some other way no matter what the
» présent way be — hâve appropriated ail such suspicion,
» imputation, accusation and scandai as valuable con-
)) tribution to their magazine of munitions, to be used in
» a general crusade against whatever appears to be esta-
» blished. Professed neurologists and flippant neuro-
» spasts of the medical profession, arrogating to thernselves
» ail knowledge of psychology and psychiatry, hâve by
)) sneers, innuendo and direct assaults upon the character
» and qualification of medical ofiicers serving in American
)) hospitals for the insane, doue what they could do toward
» the disparagement of hospital réputation. Hungry po-
)) liticians of a low order hâve in notable instances, uns-
)) crupulously manufactured andpromulgated accusations
» and reports as testimony against incumbents of hospital
» places, calculated to disquiet and abuse the public miud
» respecting the management of those great charities.
« Foreign hpspit4ls.and theiç.me>thod&*have been extolled
« and'conirlast^ as:iji^ eveçÿ respect srip^rior to our own.»
Mr’le'Êr' Wôrkîhân', (Jui' a longtemps occupé la situa-
tion de surintendant de Tasile de Toronto, dans un article
sur le sujet (numéro de Juillet 1881 de V American Jou/rnal
of Insanity) disait : — ‘‘ The pernicious accusations here
“ complained of, rarely, if ever, hâve their origin among
“ the uneducated portion of the population. They are
“ trumped up by persons professmg more intelligence
‘‘ than moral honesty, and they are cherished into pesti-
“ lant vigor by those who hâve had but too much
‘‘ éducation.”
Dans un de ses rapports, M. le Dr Rogers de l’asile
de l’Etat d’Indiana, dit : — Institutions hâve been assailed
in this manner often before, and the results always
“ hâve been, and always will l3e, direful, as far at least
‘‘ as regards the general etîect on those most interested —
the immédiate friends of the insane.”
Je vais maintenant citer le cas de la Prison de Ré-
forme de rile-aux-Noix (1861), pour donner une idée de ce
que peuvent faire les préjugés nationaux et religieux,
de ce que produit souvent ici la haine qui en découle,
6
quand il s’agit de l’administration des établissements
publics de la Province de Québec.
La Prison de Réforme du Bas-Canada, localisée d’abord
à rile-aux-Noix, fut établie en Octobre 1858. Le premier
Préfet de cette institution, un anglais protestant, ne
rencontra point d’opposition dans la prise de possession
de ses fonctions, bien qu’il ne fut pas un ami de la
majorité de notre section de la province, bien qu’il
n’appartint pas au Bas-Canada: il eut au contraire, ses
coudées franches et ruina si parfaitement cet établissement
qu’à la suite d’une enquête juridique, qui fut suscitée par
des faits patents et non par des criailleries, il fut démis
de ses fonctions, en mai 1860. M. le docteur Nelson fut
nommé Préfet par intérim, et à la fin de l’année 1860.
M. F. X. Prieur fut appelé à prendre la direction de
rinstitution. Dés qu’on apprit la nouvelle de cette
nomination, avant même l’entrée en fonction du nouveau
préfet, on se mit à l’attaquer publiquement et à ourdir
contre lui des trames, au sein de la prison même et au
dehors. La première semaine du séjour de M. Prieur à
rile-aux-Noix n’était point terminée qu’une révolte éclata
parmi les prisonniers proteofqnts ptule Jamgu,e.pngiaise,
révolte que le nciiyeaié'préfei maiti;isà àü périd'de sâ vie.
Un mois plus tard, un second soulévèmeiii eiît lieù^’à la
suite duquel M. Prieur fit puuir sévèrement quatre des
principaux conspirateurs, parmi les condamnés, et démit
un des employés de l’institution, le maître d’hôtel, pour
participation dans ces complots. Ces deux révoltes, suivies
de ces punitions et de cette démission méritées, qui toutes
inévitablement s’étaient exercées sur des protestants et des
individus de langue anglaise, furent le signal d’un tollé des
général contre M. Prieur, de la part d’une notable partie
delapresse’anglaise du pays.
Dans ces circonstances, nous avons toujours eu le
malheur de compter des nôtres parmi les insiilteurs et les
persécuteurs: cette fois, ce fut le juge Mondelet qui joua
ce rôle odieux. Aux assises criminelles de Mars 1861, cé
zélateur des mauvaises causes, dans une adresse faite aux
Grands Jurés, fit une charge à fond contre radministration
de M. Prieur, et pour conclusion de ses remarques, dit de
la Réforme de l’Ile-aux-Noix : — “ On ne devrait pas laisser
“ un seul instant subsister un état de choses semblable à
celui qui s’y voit.” Tl faut noter que ce magistrat n’avait
6
rien vu autre chose que les mensonges et les calomnies
de certains journaux et de leurs correspondants.
On accusait M. Prieur d’incapacité, de tyrannie,
d’injustice et surtout d’une partialité révoltante
exercée contre les protestants, contre les officiers et les
détenus d’origine britannique, à l’avantage des catholiques
et des Canadiens-français. Le principal fabricateur de
ces calomnies écrivait dans le Commercial Advertisei\ de
Montréal, et, avec cette hypocrisie pharisaïque qui
caractérise le genre, il signait ‘‘Justice.”
Le Bureau des Inspecteurs des établissements publics,
alors composé de cinq membres, dont trois étaient pro-
testants et un seul Canadien-français, fut chargé de faire
une enquête. On donna avis aux gens du Commercial
Advertiser^ en invitant les accusateurs à formuler leurs
plaintes et à produire leurs témoins ; sommation à laquelle
on ne fit aucune réponse. L’enquête eut lieu et ne fut
close qu’après avoir mis le tout au clair : la décision du
Bureau des Inspecteurs fut rendue à l’unanimité de tous
ses membres, parmi lesquels il ne s’éleva ni le moindre
doute, ni la moindre hésitation. Voici les trois principaux
paragraphes -du; rapport, r dont iéS m'btivés défient toute
critiqVie-J V'? "i" i
‘ Le Büféàu est'encore d’avis que cet esprit de malaise
“ et de révolte, né des causes assignées ci-dessus, a été
“ fomenté et excité par certains officiers de l’institution
“ qui s’étaient pris d’inimitié contre M. Prieur, person-
“ nellement, avant son arrivée à l’Ile-aux-Noix, à cause de
“ sa nationalité et de sa religion. Ces officiers, ainsi pré-
“ venus contre le préfet, ont essayé par leurs discours et
“ leur conduite, à exciter contre le préfet, les préjugés
“ nationaux et religieux d’une partie des prisonniers. La
“ preuve démontre qu’ils ont eu un trop malheureux
“ succès et que beaucoup des prisonniers, d’origine bri-
“ tannique et de croyance protestante, ne voyaient le
“ préfet qu’avec un œil de haine et de mépris, parceqii’il
“ était Canadien-français et Catholique.
“ Le Bureau est encore d’opinion
“ que la sévérité opportune du préfet était absolument
“ nécessaire et qu’elle a eu un effet admirable sur la dis-
“ cqdine de l’institution, laquelle est aujourd’hui dans un
“ meilleur état et dans des conditions supérieures à
“ celles qu’on a pu observer, à aucune époque de son
existence.
»
“ Le Bureau, pour terminer, déclare, à Tunanimité
“ de ses membres, qu’il n’y a aucune espèce de vérité
dans les accusations de sévérité, outrée et d’injustice
“ proférées contre le préfet actuel de la prison de réforme
“ du Bas-Canada : que, bien au contraire, M. Prieur s’est
“ acquitté de ses devoirs, dans des circonstances singu-
“ lièrement difficiles, avec conscience, diligence, impartia-
“ lité et humanité, et qu’il est, par son intelligence, sa
“ bonté et ^a fermeté admirablement propre à remplir
“ les fonctions laborieuses et importantes qui lui sont
“ confiées.”
J’ai tenu à raconter cette histoire, parcequ’elle est
caractéristique de la manière dont sont souvent traitées
les administrations qui ont à leur tête des Canadiens-
Français, à la moindre machination qu’ilplait àquelqu’in
triguant d’ourdir : cela s’est vu cent fois et cela se voit
encore aujourd’hui.
On peut diviser en quatre chapitres les élucubrations
qu’on a récemment publiées contre nos asiles d’aliénés de
la Province de Québec : 1 o. Le chapitre des diatribes, 2o
Le chapitre de la dîscipline intérieure, 3o Le chapitre du
mode de maintiennes asiles, 4o Le chapnr.e (Jenrhiterne-
ment des aliénés. t .
LES DIATRIBES
A l’automne de 1884, plusieurs journaux commen-
cèrent la guerre ouverte contre nos asiles d’aliénés, par
la publication d’une espèce de factum, portant pour titre
ou plutôt pour affiche, en gros caractères, les exclamations
suivantes: — “ The insane asylums — An English Medical
“ Expert’s visit to Longue-Pointe and Beauport — A
“ terrible indietment— The System pursued a Relie of the
“ Middle Ages — ^The contract System denounced. ”
L’auteur de ce document est un médecin anglais qui,
hôte passager du pays, à titre de membre de l’Association
du progrès des sciences, a oublié le soin de sa propre
dignité jusqu’à se faire l’instrument d’une clique et
jusqu’à se prêter au rôle de vulgaire insulteur de gazette.
Ce médecin est un des rédacteurs du Journal of Mental
Science^ il est l’auteur de plusieurs ouvrages et notamment
8
d’un livre intitulé “ Chapters in the History of the insane
in the British Isles^'' 18H2. M. le Dr. Daniel Hack Tuke
n’est pas le premier venu et ses écrits ne sont pas,
d’ordinaire, sans valeur : il est connu en Angleterre et
son nom est inscrit dans les catalogues ; mais le fait
qu’il ne se trouve pas mentionné dans un livre qui passe
pour contenir la biographie abrégée des célébrités
britanniques — “ Men of the time”, bien que n’étant
nullement une preuve d'insignifiance irait, cependant, à
faire croire que ce monsieur n’est pas à tel point fameux
que d’olMr une exception au proverbe — Nul n’est prophète
en son pays — . Quoiqu’il en soit, il est évident qu’il a
voulu se donner, en Canada, les allures d’un Prophet
abroad. Attendu que ceux, dont M. le docteur Tuke a
voulu^caresser les haines, l’ont représenté comme un oracle,
ils ne devront, ni lui, ni eux, s’étonner que ceux qu’il a
froissés cherchent à coiiiiaitre à qui ils ont affaire.
M. le Dr Tuke est un homme ordinaire; son talent
est celui du compilateur ; il lui arrive parfois de dire, de
lui-meme, de bonnes choses; mais, en général, du moment
qu’il lâche la reinqrque, il navigue à l’aventure et se
nehrfé^'atix lieux ébhimdUs et 'aux platitudes. Comme
aliéniste,^ il .a. pris luie crnière et il la suit. Il réussit
quelquefois dans l’analyse, mais yiand il essaye de la
syntèse, oh! alors il devient tout à fait amusant. C’est
ainsi que, dans ses Chapters^ la pièce de résistance de ses
œuvres, voulant, à la page 457, donner un brillant exposé
des conséquences des principes qu’il adopte, il dit :
“ The treatment of the insane ought to be such that we
“ should beable to regard the asylums of the land as one
“ Temple of Health, in which the priests of Esculapius,
“ rivaiiing the EgyptiansandGreeks of old, are constantly
ministering, and are sacriûsing their time and talents
on the altar of Psyché.”
Il ne manque à tout cela que la description des habits
sacerdotaux des sacrificateurs de Psyché ; car il est
évident que la cravate blanche en étoulfoir, l’habit noir à
queue d’aronde, le pantalon collant et les escarpins de
cuir verni breveté ne constitueraient pas un costume d’un
goût assez classique, pour un sacerdoce imité des cultes
d’Isis et d’Aphrodite, s’exerçant en présence d’élégantes
congrégations de fous émancipés par la non-restraint.
9
Je parlerai plus loin de la théorie de la non-res traint^
dépouillée de toutes fleurs de rhétorique et débarrassée
des réminiscences mythologiques ; mais je ne puis
m’empêcher de faire remarquer ici, que la doctrine de la
non-restraint a ses dangers, meme en matière d’écritures.
Bref M. le docteur Tuke fait partie du commun des
mortels ; ses meilleurs écrits accusent plus de travail que
de génie et il a certainement plus de creux que de
profondeur.
La gazette, dans laquelle je lis le prétendu rapport de
M. le Dr Tuke, est du mois d’Octobre dernier; je vois, par
cet écrit, que les courtes visites qu’il a faites, une à
l’asile de Beauport, l’autre à l’asile de la Longue-Pointe,
datent du mois d’Août, je ne connais pas l’époque des
visites qu’il parait avoir faites à quelques-uns des asiles
d’Ontario. La conclusion tirée par M. le Dr Tuke, de cet
examen évidemment incomplet et insuffisant, c’est que
les asiles de la Province de Québec sont des — relies of
Barbarism — et que les asiles de la Province d’Ontario sont
des — excellent institutions — .
Gomme j’ai à m’inscrire en faux contre ce jugement,
il convient de dire que j’ai été, pendant plusieurs années,
inspecteur des asiles de Beauport, de Toronto, de Kingston
(Rockwood)et d’Orillia; que plus récemment, j’ai, en
diverses occasions, visité en détail les asiles de Beauport
et de Kingston, et que j’ai visité ceux de Toronto, de
Saint-Jean, d’Halifax et de la Longue-Pointe. J’ai pris
connaissance des rapports des médecins, des administra-
teurs et des inspecteurs de tous nos asiles canadiens : j’ai
donc pu et dû acquérir une connaissance assez intime de
l’état des choses et je le déclare, avec sincérité et confiance,
les asiles de Beauport et de la Longue-Pointe, à tout
prendre et en somme, ne le cèdent à aucun des autres ;
tous sont des établissements qui font honneur au Canada ;
aucun d’eux n’est parfait; on peut trouver bien ou
mal certaines dispositions, certaines manières d’être
selon les idées qu’on entretient, qui dans une de ces
institutions, qui dans fautre. Le contraste en bloc que
veut établir M. le Dr Tuke et le langage dont il se sert,
ne constituent pas-le rapport d’une enquête ; ce n’est pas
même fappréciation d’un homme raisonnable et qui se
respecte, c’est une diatribe et une sotte méchanceté.
2
10
Nos deux asiles de la Province de Québec je le
répè te, peuvent subir l’examen et la comparaison. Gomme
sites, Beauport est sans rival et Saint-Jean-de-Dieu a peu
d’égaux; les édifices, d’aspect et d’ampleur, comptent
parmi ceux des institutions de première classe ; les terrains
et les parterres de Beauport sont superbes et ceux de la
Longue-Pointe, plus récemment travaillés, sont déjà très
beaux; les divisions intérieures, le chauffage, l’éclai-
rage, la ventilation sont dans des conditions ou d’excellence
ou de bonne moyenne ; la nourriture est saine et abondante;
l’habillement et la literie des aliénés, dont la grande
majorité, comme ailleurs, appartient à la classe pauvre,
sont très convenables, avec les différences qui partout
distinguent les catégories des fous propres et tranquilles,
des fous malpropres et gâteux et des fous temporairement
violents et destructeurs; les soins domestiques et la
discipline sont doux et marqués au coin de la charité et
du respect pour la souffrance et le malheur, sans tomber
dans les lubies et les faux dehors des rêves et des utopies ;
le traitement moral et physique y est ce qu’il est partout
ailleurs en somme. Ces deux asilps ont des médecins
ordinaires et des médecins visiteurs ; ils sont régulière-
ment inspectés par des fonctionnaires nommés par le
gouvernement ; on s’efforce d’améliorer, avec le temps et
selon les moyens fournis: — quelquefois aussi, on opère des
changements, pour obéir aux fantaisies qui ont cours, et
ces changements ne sont pas toujours des améliorations,
cela s’applique à Ontario comme à Québec. On ne
sacrifie point à Psyché, ni à aucune autre divinité
fantastique dans ces asiles, on se contente d’être chrétiens,
c’est pourquoi on se préoccupe de l’âme des malheureux
comme de leurs corps; des prêtres et des ministres y
prennent soin de ceux qui leur appartiennent, chacun à
sa manière et selon sa croyance. La tranquillité compa-
rative des aliénés de ces deux asiles est remarquable : on y
a eu, comme ailleurs, des accidents à enregistrer, mais ils
y sont rares ; la santé des aliénés y est relativement bonne,
et les cas de guérisons aussi nombreux que dans Ontario.
En tenant compte du fait que, dans ces deux institutions,
on admet indistinctement, avec raison selon moi, les
cas d’idiotisme, d’imbécillité, de démence comme les cas
de folie aigue, les incurables comme les cas réputés
curables, la statistique y accuse un état de choses très
11
favorable. En disant cela, je tiens cependant, comme
homme du métier, à faire mes réserves ; car je sais tout
ce qu’ont de fallacieux, partout, ces données statistiques,
dans lesquelles on ne peut pas tenir compte des mille et
une circonstances qu’il importerait essentiellement de
connaître, pour asseoir une opinion raisonnée : en cela
M. le Dr Tuke paraît être de l’avis de tout le monde, car
dans une note, au bas de la page 91 de ses Chapters^ parlant
de St Luke d’Angleterre il dit :
Statistics of recovery are given for different periods,
“ but the fallacies attending such comparisons are so
“ great that I bave not cited the figures. ”
Tout ce qui précède satisfait M. le Dr Tuke dans
Ontario, mais lui parait insuffisant dans Québec : la raison
de ces deux poids et de ces deux mesures est évidente.
Je viens de parler du système qui consiste à recevoir
toutes les classes d’aliénés dans des établissements
communs à toutes. C’est une question controversée,
comme bien d’autres, sur laquelle chacun peut avoir ses
opinions : après des années d’étude et de réflexion, j’en
arrive, sur le sujet, à la même conclusion que j’exprimais
quand j’étais Inspecteur, dans mon rapport particulier de
1862 ; je cite la version anglaise :
I do not deny that some advantages, as well as
“ inconveniences, might resuit from a classification of the
asylums of the country, provided always that poor
“ should be suitably lodged and clothed, and treated in
“ other respects like the rich.
“ The only System praticable in Canada, in my opinion
“ is that which makes a lunatic asylum both a hospital
“ for the cure of such as are curable, and a retreat for the
“ incurable, — in which the unfortunates of ail classes,
“ poor as well as rich, may find a suitable refuge, in which
‘‘ luxury and pomps may hâve no place, but in which
“ if need be, a compartment may be devoted to the acco-
‘‘ modation of the insane members of wealthy families
“ who ought, in each case, to be required to pay a fee
“ sufficient to cover ail expenses on a liberal scale. ”
Nos asiles canadiens se rangent tous entre les deux
classes d’asiles étrangers, dont l’une se distingue par un
luxe d’ameublement et d’entretien dont les avantages sont
discutables, et l’autre se compose des asiles pauvres et trop
réduits, d’un genre voisin du genre alms houses et lüork
12
houses. La question du luxe dans rameublement, de la
délicatesse dans la nourriture et dans l’habillement, d’un
surplus dans le service, est purement et simplement une
question d’argent. Que les familles riches fassent ce qui
leur semble raisonnable pour leurs aliénés ou qu’elles
exagèrent les dépenses, sans profit pour le malade, sou-
vent à son détriment, c’est leur affaire ; mais de la part de
l’Etat ce serait un acte de mauvaise administration que
d’augmenter inutilement les dépenses, pour le puéril
motif de faire de l’ostentation et du pharisaïsme, ou pour
le plaisir ridicule de caresser les fantaisies d’utopistes et
de rêveurs.
J’ai vu, dans un asile étranger, un aliéné très riche
dont la famille prodiguait pour son chef tout ce que le luxe
peut imaginer de séduisant. Ce malheureux avait des
appartements dont les murs étaient couverts de tableaux,
une table et un service particuliers lui 'étaient affectés : il
contemplait tout cela avec un oeil d’imbécile satisfaction,
avec une contenance d’idiote vanité et de calme complai-
sant, qui faisaient mal à voir. Mon impression fut que
toute cette exhibition avait eu la plus déplorable influence
sur la maladie, devenue alors évidemment incurable, et je
crus comprendre que c’était aussi l’avis des autorités de
l’institution: on avait, à force de satisfactions, produit
chez le malade une tranquillité dégénérée en torpeur ;
tant les apparences trompent en pareille matière.
Je ne suivrai pas le diffamateur de nos deux grandes
institutions, à travers le long réquisitoire que, évidemment,
il a préparé à l’instigation d’ennemis de ces deux asiles et
d’adversaires passionés des administrations qui les
dirigent, il suffira d’un assez rapide examen de quelques
parties de cette production, pour en démontrer la non
valeur et la futilité, pour faire ressortir l’animus qui a
présidé à sa confection.
M. le Dr Tuke commence par l’asile de Saint-Jean-
de-Dieu, à la Longue-Pointe. Il constate que cet asile a
des édifices imposants, ‘‘a prominent object from the
“ St Lawrence in approaching Montreal^'^ il a trouvé les
sœurs de la Providence polies et il remercie le médecin
visiteur de sa complaisance : il déclare que la pharmacie,
qu’il nomme apothecaire (sic), est^un modèle de propreté: il a
trouvé tout assez bien dans les parties de l’établissement
affectées au service général, au logement des aliénés de
13
la classe des malades- privés et de la classe pauvre des
fous propres et tranquilles ; mais ce recul n’est fait que
pour mieux sauter, et la détraction ne tarde pas à
prendre la place des éloges mérités, pour se répandre
même sur des sujets étrangers à la question du mérite
intrinsèque des asiles, qui a servi de prétexte à ce factum.
M. le Dr Tuke critique jusqu’à un livre, dont les Sœurs de
la Providence se servent dans l’exécution de leurs devoirs
de gardes-malades, on lit ce qui suit; dans le second
paragraphe de son mémoire :
“ The nuns hâve themselves puhlished a pharma-
“ ceutical and medical work, a large volume, entitled
“ Traité élémentaire de Matière Médicale et Guide Pratique^
a copy of which the worthy Motlier superior was good
enough to présent to me. 1 was somewhat desappoin-
ted to find, on examining its pages that only one was
“ devoted to mental alienation, of which nine lines
“ sufBce for the treatment of the disorder. Among the
“ moral remedies, I regret to see that “punitions” are
“ enumerated ; their nature is not specifled.”
M. le Dr Tuke s’est imaginé bien à tort ou, ce qui
serait plus mal, a voulu gratuitement insinuer que ce
livre des Sœurs de la Providence a été composé et publié
pour le service spécial des aliénés, afin d’avoir l’occasion
de s’étonner de n’y rencontrer qu’une page dédiée à la
folie : or le fait est que ce volume a été publié plusieurs
années avant qu’il fut question de l’asile de Saint-Jean-
de-Dieu; le livre a été imprimé en 1870, tandis que les
commencements de l’asile ne datent que de 1876. Cet
ouvrage, fort utile, est une pharmacopée, accompagnée de
notions élémentaires sur les diverses maladies; chaque
affection n’y occupe, naturellement, que peu d’espace,
mais chaque chose est à sa place et va droit au but
proposé, qui est clairement et modestement défini dans
l’Introduction où se lisent les lignes suivantes : — “Ce que
“ nous nous proposons par la publication de ce livre,
“ c’est de mettre la Sœur de Charité en état de remplir,
“ d’une manière plus parfaite, le but qu’elle s’est proposé
“ en se consacrant à Dieu, ” et plus loin : — “ de se mettre
“ au fait de ce qui lui est nécessaire de savoir, pour
“ seconder avec intelligence les efforts des médecins, ou
“ en leur absence donner elle-même, dans les cas urgents,
“ les premiers soins aux malades, ”
14
Certes, les nobles et saintes femmes qui portent en
elles la consécration opérée par le dévouement, poussé
jusqu’à l’immolation de tout le moi humain, les femmes
instruites qui ont tracé ces belles lignes, les femmes
modestes qui se donnent, devant Dieu et devant les
hommes, pour rôle, d’etre servantes des malades sous la
direction des médecins, peuvent regarder de haut leurs
détracteurs et pardonner facilement d’ineptes sarcasmes,
impuissants à les* atteindre. Le Guide Pratique ne contient
qu’une page spécialement consacrée à l’aliénation mentale,
c’est autant que beaucoup de manuels et de dictionnaires
abrégés célèbres; et si quelqu’un était réduit à ne pouvoir
consulter, sur cette affection, que le livre des Sœurs de la
Providence ou les Chapters de M, le Dr Daniel Hack
Tuke, M. D. F. R. G. P., il ferait bien de choisir, de
préférence, le livre des Sœurs. M. le Dr Tuke pourrait
dire, sans doute, que son ouvrage n’est pas un traité sur
l’aliénation mentale, mais une histoire des asiles d’aliénés
d’Angleterre; ce à quoi on peut lui répondre que le
volume des Sœurs de la Providence est une [jharmacopée-
guide, et non pas un ouvrage sur la folie.
Le livre des Sœurs, à la page 947, dont il est ici
question, dit à propos du traitement de la folie : — Le
traitement moral consiste à appliquer l’art de l’éducation
à la folie par le moyen de l’obéissance, du travail, de la
“ ponctualité, des distractions, des punitions et des ré-
compenses, de la confiance, du changement de lieu, de
l’affermissement du principe moral et religieux, en
“ prenant en considération le caractère individuel du
“ malade et l’espèce de folie.”
Il serait difficile de dire plus et de dire mieux en si
peu de mots, sur le traitement moral de l’aliénation
mentale. La rage de critiquer les religieuses et les
besoins d’une mauvaise thèse ont aveuglé M. le Dr Tuke,
jusqu’à le pousser à se mettre, à propos de ce passage,
dans le cas d’être convaincu ou d’ignorance ou d’insigne
mauvaise foi. En effet, quand il dit : — “ Among the
“ moral remedies, I regret to see that “punitions” are
“ enumerated” — M. le Dr Tuke fait exhibition d’une
ignorance déplorable, si son regret est sincère ; si ce
regret n’est pas sincère, alors il fait exhibition d’une
odieuse mauvaise foi ; car les punitions comme les
récompenses font bien certainement partie du traitement
15
de la folie et de la discipline des aliénés; je ne crois pas
qu’un seul aliéniste, de qnelqne valeur, voulut nier cette
vérité, qui est élémentaire, découlant, comme de source,
de la nature des choses. La récompense a pour notion
antithétique obligée, nécessaire, la punition. L’idée de
mérite comporte la possibilité du démérite, il en est de
meme de l’idée de bonne ou de mauvaise conduite, soit
qu’il s’agisse de l’être moralement responsable gouverné
par la loi, soit qu’il s’agisse de l’être seulement sensitif
gouverné par l’instinct. Il est de vérité primordiale
qu’une différence d’être vis-à-vis du monde extérieur,
dans le gouvernement des hommes et même des bêtes,
comporte une différence de traitement, qu’on appelle
selon le cas louange, encouragement, récompense ou
contrainte, répulsion, châtiment ; il faut prévenir les
mauvais résultats d’actes dommageables aux personnes
ou aux choses, il faut conjurer le retour de ces actes,
quand on n’a pu les empêcher complètement de se
produire, et il faut en châtier les auteurs pour leur
éducation et pour l’exemple : les aliénés n’échappent point
à cette loi qui s’applique à tous les êtres sensibles.
Il suffit d’un raisonnement de ce genre, à quiconque
adopte pour méthode l’étude des choses selon leur
nature ; mais comme il y a des gens pour qui l’autorité
des noms l’emporte sur la philosophie — qui fait plus ou
moins défaut — ^je vais citer les remarques de deux
aliénistes de renom sur le sujet. M. le Dr Gale, du
Kentucky, dans son intéressant rapport de 1882, a un
chapitre intitulé : — “ Restraint and Punishments ” au
troisième paragraphe duquel on lit : — Punishments are
“ sometimes as essentially necessary as remédiai agents
“ for the purpose of control in individual cases, and for the
“ maintenance of discipline. ”
Le Dr T. S. Bell, dans la revue qu’il a fait des
procédés de l’enquête sur la cond lite des officiers de
l’Anchorage asylum, cite à propos des questions d’inter-
nement et des châtiments des aliénés, le cas de l’aliéné
Théodore Glay, le fils ainé du célèbre Henry Glay : le Dr
Bell parlant, dans un sens approbatif, du traitement de ce
malade d'illustre lignée, dit ; — I may say here, that
“ while Théodore Glay was generally quiet and harmless,
“ he would hâve occasional outbreaks, for which he was
“ punished when the institution v\^as under the manage-
16
“ ment of some of the most devoted friends that his
father ever possessed. ”
En un mot, la logique et l’expérience des maîtres so nt
d’accord, pour proclamer les punitions nécessaires en
certains cas, et les Sœurs de la Providence ont scientifi-
quement raison contre M. le Dr Tuke, sur cette question.
Ce dernier, croyant sans doute avoir bon marché, de
modestes Sœurs de Charité, n’a pas mis fin à ses quolibets
avec sa malencontreuse critique d’un excellent livre, il
dit encore : — Tvs^o skeletons in the apothecaire (sic) were
shown to us by Ste Thérèse, as being much valued
“ subjects of anatomical study for the nuns, who
“ would, it is not unlikely, consider their knowledge of
“ the medical art sufficient for the needs of the patients.”
Sœur Thérèse et ses compagnes ont parfaitement
raison de considérer le squelette comme un objet de
grande valeur dans l’étude de l’anatomie, et M. le Dr Tuke
a complètement tort de faire des insinuations que rien ne
justifie, pour le plaisir de satisfaire de misérables préjugé s,
avec l’intention évidente de capter une popularité de
mauvais aloi.
Voici la conclusion que M. le Dr Tuke donne à la
première partie de son réquisitoire :
— That such establishment should be conductedby
“ nuns must seem remarkable to those who are unac-
quainted with the large part taken by Sisters of Gharity
“ in the management of hospitals in countries where the
“ influence of the Roman Gatholic Ghurch extends.
Theoretically, it would seemto be an admirable System,
“ and to afford, in this way a wide field for the employ-
ment of women in occupations congenial to their
“ nature, and calculated to confer great advantages upon
“ the sicK, whether in mind or body. That women hâve
“ an important rôle in this field will not be denied ; but
“ expérience proves only too surely that to entrust those
of a religions order with administrative power is a
“ practical mistake, and leads to abuses which ultimately
necessitate the intervention of the civil power. ”
Voici le chat à moitié sorti du sac, tout en se croyant
encore caché. Si M. le Dr Tuke était venu nous dire : —
Je déteste l’Eglise Gatholique, je suis hostile à tout ce
qui s’y rattache, je ne puis souffrir les religieuses, quelque
bien qu’elles fassent, on pourrait au moins lui reconnaitre
17
de la sincérité, à défaut de justice ; mais de venir essayer
de faire mentir l’expérience, de nous donner des avis
ridicules sur des choses que nous connaissons cént fois
mieux que lui, c’est un peu trop fort.
Nous avons en Canada, dans toutes les provinces,
mais surtout dans la province de Québec, l’expérience
séculaire de l’admirable aptitude qu’ont les ordres religieux
pour administrer les établissements publics, de quelque
genre qu’ils soient, et notamment les institutions de
bienfaisance et de charité ; c’est un fait reconnu de tous
ceux qui possèdent leur âme en paix et leur intelligence
en santé. Il en est de meme dans tous les pays ; c’est
ainsi qu’en France en ce moment, les médecins les plus
eminents, meme des médecins incrédules et hostiles aux
idées religieuses^ s’opposent de toutes leurs forces, à la
laïcisation des hôpitaux et des hospices entreprise par un
gouvernement inepte et persécuteur. Récemment on a vu
en France les médecins d’un écrivain libre-penseur,
à propos d’une affection de difficile guérison, exiger de lui
de s’aller mettre en pension dans une institution religieuse
pour la seule raison que, nulle part ailleurs, ces médecins
ne trouvaient des garanties égaies, pour le succès de leur
traitement.
Un des asiles d’aliénés les plus célèbres des Etats-Unis,
le Mount Hope Retreat de Baltimore, est possédé et,
naturellement, administré exclusivement par des reli-
gieuses, les Sœurs de Saint- Joseph. La population
aliénée de cet asile est d’au moins cinq cents ; sur ce
chiffre, il y a environ deux cents malades privés, dont
plusieurs appartiennent à la classe des familles les plus
marquantes, tant protestantes que catholiques. Bien
qu’il y ait d’autres asiles, la ville et le comté de Baltimere
pensionnent chez les Sœurs plus de deux cents aliénés
maintenus par les municipalités ; les autres malades,
pris dans les familles pauvres ou soustraits aux “ Alms
Houses, ” sont soutenus, en tout ou en partie, par les
sœurs, à même les profits réalisés sur les malades privés
et sur les malades dont la pension est payée par le trésor
public. C’est en face de pareils faits, qui sont de tous
les temps et de toutes les contrées, que M. le Dr Tuke
ose affirmer que l’expérience vient contredire le raisonne-
ment, qu’il admet à priori^ être favorable aux
administrations des communautés de femmes.
3
18
Après avoir constaté la belle apparence de l’intérieur
de l’asile de| Saint-Jean-de-Dieu au premier étage il
ajoute : — “ It is as we ascend the building that the
character of the accomodation changes for the worst,
the higher the ward, the more unmanageable is the
patient supposed to be, the galleries and rooms become
more and more crowded and the look bare and coih-
fortless. The patients were for the most part sitting
“ listlessly on forms by the wall of the corridor,
while others were pacing the open gallery, which
must afford an acceptable escape from the duU
monotony of the corridor. The outlook is upon
“ similar galleries in the quadrangle at the back of the
“ building, and to a visitor, the sight of four tiers of
“ palissaded verandahs, with a number of patients
“ walking up and down the enclosed space, lias astrange
“ effect. These outside galleries are, indeed, the airing
“ courts of the asylum. There are no others. If the
patients are allowed to descend, and to go out on the
estate, they do so in regular order for a stated time,
in charge of their attendants, like a procession of
“ charity school children. Those who work on the
“ farms must be the happiest in the establishment.”
J’ai tenu à faire cette longue citation, comme
spécimen de l’espèce de critique deM. le DrTuKe, sur les
asiles de la Province de Québec. La naïveté le dispute
ici au mauvais vouloir ; il faut que Venglish expert ait
énormément compté sur la bonne volonté de son public,
pour parler avec un pareil abandon de toutes précautions
oratoires ou autres.
Le perspicace M. le Di* Tuke a découvert, à la
Longue-Pointe, qu’à mesure que l’on passe, de la classe
des fous propres, tranquilles et amenablesàun traitement
curatif, aux classes des fous incurables, malpropres,
turbulents, gâcheux, furieux et dangereux les choses
deviennent de moins en moins aimables ; il a découvert
cela dans les asiles de la province de Québec, mais il
semble n’avoir point vu qu’il en est précisément de meme,
dans les asiles d’Ontario et partout ailleurs. S’il eut
seulement interrogé ses souvenirs, ouvert les yeux,
réfléchi un instant, ou bien consulté les rapports des
asiles, cette vérité de M. de la Pallisse eut brillé pour lui,
et il se fut épargné cette naïveté tout à fait incroyable.
Dans les comptes-rendus d’Ontario par exemple, il eut yu
que l’Inspecteur dans son rapport de 1881, panant de
l’asile de Toronto dit : — ''The females where ail well and
“ neatly clad, except in the Refractory Ward where
such a State of things cannot he carried ont.” M. le Dr
Tuke aurait dû comprendre et, comprenant, aurait dû
avoir l’honnêteté d’admettre que ce qui ne peut pas se
faire dans les excellent institutions ” d’Ontario, est
également impossible dans ce qu’il nomme éléganqment,
en un certain endroit de sa diatribe, ‘‘Hhe humanmenagerie'^
de la Province de Québec .
M. le Dr Tuke a trouvé les aliénés ou bien debout et
marchant, ou bien assis, c’était pendant le jour ; s’il les
eut vu de nuit, ils auraient été couchés ; il eut pu encore
les voir à genoux dans la chapelle aux temps des prières,
ou dansant au son de la musique pendant certaines
récréations ; et je ne vois vraiment pas quelles autres
postures M. le Dr Tuke aurait voulu leur voir prendre,
pour s’en déclarer satisfait : lui-même doit être debout ou
en marche, quand il n’est pas assis ou couché ; j’ignore
s’il s’agenouille et s’il danse. Véritablement, on a peine
à croire qu’un homme, si plein de prétentions, puisse se
laisser choir à publier des critiques, aussi naïves et aussi
sottes que celles qu’il a signées de son nom dans les
gazettes; pour sa propre réputation, il aurait mieux fait
de signer ‘‘^Justice ” comme le correspondant du ^^Com-
mercial Advertiser ” de 1861.
M. le Dr Tuke a trouvé étrange les balcons grillés de
l’asile de la Longue Pointe. — The sight of four tiers of
palissaded yerandahs with a number of patients
‘‘ walking up and down theenclosed space, has a strange
“ effect,” dit-il. Sa surprise, à la vue d’un spectacle aussi
nouveau et aussi ridicule pour lui, aurait été probable-
ment bien tempérée, si la manière dont il a inspecté les
asiles canadiens ne l’eut point aveuglé, au point de ne
pas remarquer qu’une disposition précisément semblable
existe à l’asile de Toronto. Pour le bénéfice et l’instruc-
tion de M. le Dr Daniel Hack Tuke, et pour l’édification
de ceux qui le prennent pour un prophète ou un oracle, je
me permettrai de citer l’opinion de M. le Dr Clark,
surintendant médical de l’asile de Toronto sur ces
palissaded verandahs ; ” cette opinion se trouve exprimée
dans le rapport de l’année 1878 (Sessional Papers of Ontario
1879, No 8, page 557) : — The verandahs, dit le Dr Clark,
“ will need to he removed. The joisting has
become rotten and in many of them, as a conséquence
“ the floor hâve snnk. In the main building they are
“ becoming dangerous to use. It is needless to expatiate
“ on their snperiority over airing pens into which patients
“ are promiscuously turned in fine weather to broil in the
“ sun and roll aroiind on the earth. In rain and
sunshine, in winter and summer the verandahs are
used more or less. The drawback to them is that on
account of their élévation, noisy patients air their
“éloquence to freely to the disc'omfort of the sane
“ neighbours. We hâve a pre-emption right, however,
“ and if the public will locate in our vicinity, they must
“ be content to hear the vigorous language of our
“ inmates. The verandahs cannot be dispensed with
“ under any considération.”
Ce paragraphe, rapproché de la tirade de M. le Dr
Tuke, suggère tout un monde d’idées. On constate que
le bois est susceptible de pourrir dans Ontario, comme
dans Québec ; que les constructions subissent les ravages
du temps, quelles que soient la religion ou la nationalité
de ceux qui en ont soin ; que le surintendant de Toronto
n’est point enchanté des parterres fournis à ses malades,
parterres qu’il compare à des fourrières où les aliénés
rôtissent au soleil et se roulent sur la terre : que les
fous d’Ontario font parfois assez de bruit pour incom-
moder le voisinage : que ces inconvénients, dont on se
plaint dans la première des excellent institutions, ne
paraissent pas exister dans la seconde des Relies of
Barbarism; enfin que lespallissaded verandahs, que M le Dr
Tuke trouve si étranges dans la Province de Québec, sont
regardées comme indispensables par une des autorités
d’Ontario. Prévention voilà de tes coups.
M. le Dr Tuke semble regretter qu’il n’y ait pas
d’autres airing courts que les verandahs^ à la Longue-
Pointe, — “ There are no others ” dit-il, ce qui n’est pas
vrai du reste. Plus loin, en parlant de Beauport, il
semble ne pas approuver l’existence d'airing courts^ bien
que ces airing courts soient, comme il l’admet, gazonnées
et ombragées, “ grassy airing courts^ ” — fortuîiately shaded
“ from the blazing sun'" ; ce qui ne l’empêche pas d’ajouter
que le spectacle des femmes couchées ou assises à l’ombre
sur l’herbe — did not eommend itself as one altogether
désirable. ” M. le Dr Tuke était véritablement encapu-
chonné, dans la mauvaise acceptation du mot, quand il a
fabriqué son réquisitoire contre nos asiles de la province
de Québec.
Une autre découverte non moins extraordinaire que
les précédentes, faite par M. le Dr Tuke et racontée dans
le paragraphe plus haut cité, c’est que, lorsque les
malades, qui habitent les étages supérieurs de l’asile de
Saint-Jean-de-Dieu, vont se promener dans les préaux,
qu’il dit, dans ’e m.eme paragraphe, ne pas exister, i’s
sont obligés de descendre; mais ce n’est pas tout de les
faire descendre, on 'es fait descendre dans un ordre
régulier — in regular order.^ ’ ce n’est pas tout encore, ils
descendent sous la survei lance de leurs gardiens — “ in
charge of their attendants.^ ce n'est pas encore tout, i ‘s
marchent comme des écoliers, — like a procession of
charity school children.'' Tout cela pourrait faire
l’admiration, ou du moins mériter les éloges d’un honnête
visiteur, homme de bon sens ; ce bel ordre, cette atten-
tion des gardiens, ce spectacle qui ressemble non pas à
une cohue de fous, mais à une procession d’enfants
d’école. Oh ! n’attendez pas cela de M. le Dr Tuke ; au
contraire, cet état de choses, qu’il essaie de ridiculiser,
lui arrache des soupirs de compassion ; levant saintement
vers l’empyrée les yeux humides d’un prêtre d Esculape,
sacrificateur de Psyché, il s’écrie, immédiatement : —
Those who work on the farms must be the happiest in
“ the establishment.” Quel brave homme, quel philan-
trope et quel savant expert que ce bon Monsieur le Dr
Tuke !
M. le Dr Tuke ne néglige jamais l’occasion de tourner
au mauvais plaisant : il a inventé le mot de farming ont
of human beings'f pour désigner la méthode de mettre les
aliénés en pension dans des asiles particuliers, et cela lui
suggère une plaisanterie assaisonnée d’un sel tout à fait
attique, à l’adresse de femmes distinguées qui sont nos
sœurs, nos filles, nos parentes ou nos amies, de religieuses
dignes du respect de tous les gens bien élevés, de femmes
qui, à tout cas, ont notre confiance et notre admiration,
à nous catholiques qui formons près de la moitié
de la population de toute la Confédération canadienne,
et qui- sommes sept contre un, dans la Province de
Québec,
22
Their farming capacities, dit M. le Dr Tuke de»
“ Religieuües, are, I hâve no doubt, very creditahle to
“ them. It is not this form of farming to which I hâve
“ any objection or criticism to olfer. In the vegetable
“ kingdom I would allow them undisputable sway. Itis
“ the farming ont of human beings hy the province to
“ these or any other proprietors against which I venture
“ te protest. ”
En attendant que j’aborde sérieusement la question
des diverses méthodes adoptées, de par le monde, pour le
maintien des aliénés, il me sera bien permis de remarquer
que M. le Dr Tuke, se devait à lui-même et devait à la
population et au gouvernement du pays, de produire les
titres et les autorisations qu’il a pour nous signifier des
protêts. On a déjà vu que l’instruction, ou du moins la
clairvoyance de ce monsieur parait laisser à désirer, il
est facile de voir que son éducation domestique est à
refaire.
Tous les asiles d’aliénés, dans les autres provinces
de la Confédération, sont administrés par des protestants
et par des personnes d’origine britannique qui, à de très
rares exceptions, ne parlent que l’anglais : les catholiques,
notable portion de chaque province et les français aussi
notable portion de toutes les provinces, à l’exception de
la Colombie, se soumettent à cet état de choses et
n’essaient point à dénigrer ces institutions ; loin de là, ils
leur rendent pleine et entière justice, alors même que
tout n’y est pas selon leur goût. Nos asiles de la province
de Québec ne sont point aussi exclusivement organisés ;
tous les administrateurs et presque tous les employés
parlent i’angiais; on y a des médecins de langue anglaise,
et à Beauport, où tous !es aliénés protestants doivent
être envoyés, à moins que les familles on les amis des
malades n’expriment e désir de les voir interner à Saint-
Jean-de-Dieu, il y a un médecin visiteur protestant et un
aumônier protestant en titre. L’immense majorité de la
population de la province de Québec a confiance dans les
deux administrations de nos asiles ; nous savons que ces
deux institutions sont excel entes ; edes nous coûtent
moins cher que es étab issemeiits de même ordre et de
même classe ne coûtent ail eurs : i n’est donc pas étonnant
qu’on ait maintenu le système qui nous donne tous ces
avantages. Le public y tient et il doit insister, pour la
23
justice et pour l’honneur de son droit, à ce que ces asiles
continuent à être administrés comme ils le sont aujour-
d’hui.
Ce qui précède était écrit, quand les journaux sont
venus donner le compte-rendu d’une visite faite à l’ashe de
la Longue-Pointe, le 4 Mars 1885, par !e Grand Jury du
distrct de Montréal. J’emprunte à un journal anglais, le
Star du 5 Mars, les deux passages les plus saillants du
rapport de cette visite.
“ The jurors appear to hâve paid particular attention
“ to the condition of Longue-Pointe asylum, in view of
“ the critcism on the management of the institution
which hâve been made during the past few months.
Gontrary to the usual practice the jurors were permitted
to see every part of the institution from cellar to attic
“ including the furious wards. The party were alto-
“ gether unexpected, but immediately after entering they
“ were escorted through the building by sister Thérèse,
“ the Superioress.
Dinner was being served at the
time of the visit and the meal is described as having
“ been sumptuous. The jurors expressed themselves as
“ perfectly satisfied as regards the clealiness of the
establishment and the care exercised in its management
“ and the foreman was authorized to sign a document
“ to that effect. ”
Mais si la majorité de la province de Québec tient à
ses droits, à ses institutions, à ses sympathies, à ses
confiances, elle n’a jamais été ni exclusive, ni tyrannique,
ni insultante, et je suis certain d’exprimer l’opinion des
catholiques de cette province, en disant qu’ils verraient,
avec un véritable plaisir, la minorité protestante posséder
son asile à elle. Nos frères séparés tiennent aux
circonstances d’être comparativement plus riches que
nous ; ils disposent des capitaux et de l’influence de la
mère-patrie, les grosses entreprises publiques sont pour
eux d’ordinaire ; il doit leur être plus facile qu’à nous de
constituer un asile pour leurs aliénés, et d’y mettre du
luie si cela leur plait. Ils n’auront point de peine à
obtenir de notre gouvernement provincial, pour chaque
aliéné pauvre de leur croyance, la même pension qu’on
accorde, pour le maintien de ces malheureux, aux asiles
de Beauport et de St-Jean de-Dieu. Nos compatriotés
24
protestants, dans leur établissement, conduiront les choses
à leur façon, ils pourront prendre de leur côté, à leur
bénéfice exclusif, l’inspecteur qui est sensé aujourd’hui
les représenter: alors, nous osons du moins l’espérer,
nous aurons la paix.
M. le Dr Tuke parle de Beauport comme il a fait de
la Longue Pointe, il n’a point ici de religieuses à insulter,
mais il a des propriétaires canadiens-français catholiques
en lieu et place, pour lui, c’est à peu près la même chose.
Les préférences, les antipathies et les lubies de M. le Dr
Tuke sont données comme des vérités absolues, des
lois que tout le monde, en Canada, doit accepter sans
discussion. Il n’y aurait point deux manières d’envisager
les choses ; hors de la non-restraint et de l’administration
de son amour, il n’y a pas de bonheur, pas de salut, pas
de guérison pour les aliénés. Et, cependant, à la suite de
tous les changements que M. le Dr Tuke constate avoir
été opérés en Angleterre, pendant quarante ans, il en
vient dans ses Chapters^ page 490, à avouer : — But, after
“ ail, the question faces us, are there or are there not
more insane persons cured in 1881 than in 1841 ? ” Le
savant docteur n’ose point résoudre ce chatouilleux
problème ; mais, dans ce pathos qui lui est particulier, à
la page 492, il mentionne — “ the somewhat unfavorat)le
“ conclusion as the permanent recovery which Dr
‘‘ Thurnam, in a work which will always be a Pharos to
“ guide those who sait on waters where so many are
shipwrecked, arrived at, after laborious examination
“ of the after history, of cases discharged recovered from
the York Retreat. ”
Imaginons la portée d’un pareil résultat dans la
York Retreat, fondée et d’abord administrée par M.
William Tuke, décrite par M. Samuel Tuke et visitée,
pendant je ne sais combien de temps, par M. le Dr Daniel
Hack Tuke !
Je viens de dire que l’asile de Beauport a reçu, de la
part de M. le Dr Tuke, le même injuste traitement que
l’asile de Saint-Jean-de-Dieu. Je me contenterai de
remarquer que Beauport est déjà une ancienne institution,
qui a subi l’épreuve du temps et qui a passé par toutes
les phases d’un développement et d’améliorations pro-
gressives qui ont été, d’années en années, l’objet des éloges
des Commissaires et des Inspecteurs du gouvernement
25
et d’experts tant canadiens qu^étrangers. Il serait fasti-
dieux d^accumnler ici les reproductions de ces témoignages
la chose, du reste, me semble inutile, après avoir
démontré que les attaques auxquelles je réponds, en ce
moment, ne constituent pas une critique, mais une
vulgaire diffamation ; je me contenterai de citer un
paragraphe du rapport des Inspecteurs de l’année 1862,
en faisant remarquer que l’asile de Beauport était alors
loin, bien loin, de ce qu’il est aujourd’hui, qu’il était très
encombré et qu’il n’y avait pas de médecin attaché à
l’institution, autre que les propriétaires, qui étaient eux-
mêmes des médecins. — The inspectors, who admire the
“ asylum at Beauport as occupying the juste milieu^
“ hetween the penury of municipal asylums, and the
“ luxury of certain asylums, in the neighbouring
“ republie for instance, cannot but regret the want in
“ this institution of a résident physician, who should
“ attend solely to the patients, and bave the constant
“ dispensing of the remedies of a moral, disciplinary and
“ medical character which condiice so much to restore
‘‘ the lost faculty of reason. With this exception, the
‘‘ Inspectors hâve to congratulate the Gountry upon
“ having an asylum in the Province so well conducted,
“ and, taking it ail in ail, so ver y inexpensive as that of
“ Beauport.”
Il faut remarquer que les deux seuls défauts impor-
tants que les inspecteurs constataient, à cette -époque,
à Beauport n’existent plus pour nos deux asiles d’aujour-
d’hui. L’encombrement n’y est point excessif comme alors,
et chacun des deux asiles a un médecin interne et, en sus,
un ou plusieurs médecins visiteurs.
Il n’y a pas d’institution au monde qui soit à l’abri
des attaques de l’ignorance ou de la malveillance. Les
asiles d’aliénés sont, de leur nature, particulièrement
exposés à de pareilles attaques : un accident, une mésa-
venture, comme il s’en produit de temps en temps en
dépit de toutes les précautions, les histoires d’aliénés
souvent plus futés que leurs interlocuteurs, les vengeances
d’employés démis ou de solliciteurs éconduits, la jalousie
et la haine, qui se fourrent partout, peuvent faire naître
des soupçons, des méfiances, des calomnies, dont la
crédulité devient victime et que le charlatanisme ou la
perversité exploitent.
4
Malgré le soin qu’on mette à choisir les gardiens,
au sein du corps de gardiens le plus respectable et le
plus capable, il arrive qu’un employé manque de vigilance
ou trompe la confiance de ses supérieurs. Je lis le récit
d’un évènement de ce genre, dans le rapport de l’Inspecteur
des asiles d’Ontario, pour 1881 (sessmial papers^ 1882, No
8 page 31 (. — “ The night préviens to my visit an irregu-
“ larity of a very serions nature occured in the asylum
(London). One of the attendants. \vho had been
“ engaged as nightwatch only for a snort time, entered
“ the upper Refractory Female Ward during the absence
“ from that corridor of the female watch, and made his
“ way to the roomof one of the female patients, where he
was subsequently discovered by the female watch &c.&c.”
Imaginons pour un instant qu’un pareil accident se
fut produit à la Longue-Pointe ou à Beauport, la veille
de la visite de M. le Dr Tukel On peut affirmer,
sans crainte de se tromper, que le savant docteur eut
déclaré ne pas pouvoir trouver, dans la langue anglaise,
d’expressions capables de rendre l’indignation et l’horreur
qu’une irrégularité, aussi déplorable, aurait produit en
lui, et qu’il se fut empressé d’attribuer ce crime au
système adopté dans la province de Québec,surtout au choix
qu’on y fait des gardiens. On est d’autant plus justifiable
de présumer cela que M. le Dr Tuke, à tort et à travers,
à la simple vue passagère de quelques gardiens de
Beauport, ôse dire de ces respectables gens qu’il ne
connaît pas, et de l’aumônier qu’il ne connaît pas plus : —
With a higher class, it might no longer be an irony to
“ speak as the chaplain does in one of the reports of the
“ good and virtuous keepers who are selected with
“ great discernment. ”
L’aumônier de Beauport connaît ces braves gens,
avec lesquels il est en rapports constants, et, sans se porter
garant pour chacun d’eux, il leur rend justice. M. le Dr
Tuke ne les connaît nullement et il les injurie de ses
insinuations. Personne ne peut sonder les reins et les
cœurs ; mais on juge des hommes par leurs actes, dans
ce cas-ci, c’est bien certainement M. le Dr Tuke seul qui
joue un vilain rôle. Dans la province de Québec comme
dans Ontario on fait le meilleur choix possible des
gardiens d’aliénés ; quand il arrive qu’on s'est
trompé, la découverte de l’erreur est immédiatement
suivie de démission.
27
Encore une citation et quelques commentaires et j’en
aurai fini avec le chapitre des diatribes et des imperti-
nences de M. le Dr Tnke : — “ Should the contract system
he aholished, dit-il, should capable medical men be placed
at the head of the institutions of the Quehec Province,
“ and should inspection be made by competent men, be
“ suffi ciently frequent and searching, the asylums for
“ the insane in this province will become institutions of
“ which Ganadians may be justly proud, instead of
“ institutions of which they are, with good reason, now
“ ashamed. ”
Voici un homme, qui n’a fait que passer en Canada,
qui pendant son court séjour n’a eu des rapports et n’a
subi d’influences que d’une espèce, qui ne connait nos
institutions que pour y avoir jeté un regard, faussé
d’avance par des préjugés, le parti pris et les calomnies
de certains agitateurs, et qui vient s’arroger la mission
d’éclairer les gouvernants et les gouvernés, de distribuer
aux uns des éloges dont il ne saurait mesurer la portée,
aux autres des injures dites dans un langage indigne d’un
homme instruit et d’un homme bien élevé, des injures
pour la plupart, d’une telle ineptie, qu’elles ne peuvent
tromper, que ceux qui veulent bien se laisser tromper, et
cet homme s’est imaginé qu’on va le subir sans le mesurer !
Il ne connait ni les médecins ni les inspecteurs de nos
asiles et il les décrète, en bloc, d’incompétence et d’incurie;
il décoche contre les ordres religieux qu’il ne connait pas,
contre les serviteurs de nos asiles qu’il ne peut pas
connaître, de plats quolibets et de perfides insinuations ;
et il a cru ne devoir recevoir que les compliments de
ceux qui l’ont ainsi poussé de l’avant.
On pourrait demander à M. le Dr Tuke, comment et
par qui il s’est cru autorisé à dire que les Canadiens ont
honte de leurs asiles — “ of which they are now ashamed.”
Quels sont les hommes qui se sont portés garant devant
lui de cette opinion des Canadiens ? Que des individus,
plusieurs probablement, quelque clique aient circonvenu
M. le Dr Tuke et l’aient engagé à commettre l’énorme
bévue qu’il a commise, à faire la vilaine besogne qu’il a
exécutée, cela ne fait pas doute, les mots que je viens de
citer en sont l’inconsciente autant que naïve confession.
Quels sont ces gens qui ont lancé Venglish expert à l’as^
saut de nos asiles ?
28
11 y a près de quarante ans que l’asile de Beauport
existe ; pendant ce laps de temps, près de trente commis-
missaires et inspecteurs ont été chargés de surveiller cet
asile. Les Commissions et les Bureaux qui se sont succédés
ont compté hon nombre d’hommes distingués de diverses
croyances et nationalités, médecins, hommes de loi,
hommes d’affaires, fonctionnaires ; tous n’ont eu que des
éloges à faire de l’administration et de la tenue de cet
établissement : on y a signalé parfois, comme partout
ailleurs, des défauts passagers ; mais en somme on n’a
jamais eu qu’à se féliciter de l’état de cette maison, au
point de vue de l’intérêt des aliénés, des familles et de la
société. Il en a été de même de l’asile de Saint-Jean-de-
Dieu depuis qu’il existe. Ne serait-ce pas une chose mons-
trueuse que de mettre de côté tant et de si honorables
témoignages, pour donner gain de cause à l’intrigue ?
M. le Dr Tuke est un contributeur à la littérature
psychologique, mais il n’est point une autorité, tant s’en
faut. C’est un homme pour qui les mots dominent ; avec
de tels émissaires, il suffit d’ordinaire de remplacer cer-
tains mots ronflants par les termes propres, pour enlever
à leurs écrits la signification qu’ils ont voulu leur donner.
C’est ainsi qu’en remplaçant, dans le factum de M. le Dr
Tuke,les expressions injurieures ou captieuses par d’autres,
on peut détruire à peu près toute la malice de ses attaques.
Alix mots farming of human beings^ human menagerie,
chamher of horrors^ relies of barbarism^ il n’y aurait qu’à
substituer les mots pensioning of the insane^ inmates of
asylums^refractory ward^ mechanical protection^powY trans-
former le venin en une écume inoffensive. Comme
M. le Dr Tuke n’a pas seul le privilège d’argumenter par
des gros mots, on s’est servi de la tactique dont il
use, pour attaquer les théories dont il est l’aveugle parti-
san ; les mots non-restraint^ covered beds^ attendants minis-
tration^ ont été travestis en brokenribs^ shut box fistieuffs etc.
On a aussi richement payé les avocats de la non-restraint,
pour les descriptions qu’ils se sont permises d’asiles qui
leur déplaisent, pareequ’ils ne sont pas conduits d’après
les principes que non-seulement ils avocassent mais qu’ils
voudraient imposer aux autres. L’asile de Han\vell, en
Angleterre a été le berceau principal de la 7ion-i^estraint^
ê’est là que le système a triomphé chez les Anglais, d’après
M. le Dr Tuke; on lit dans ses page 206 : — ^‘Would
29
not the experiment been carried ont on a much larger
scale at Haiiwell by Dr Gonolly, witli far greater
success, a reaction woiüd bave ensued, of infinité
“ injury to the cause of the insane.”
Toute médaille a son. revers et je trouve le revers de
la médaille de l’asile d’Hanwell à la page 59 du Rap-
port du Dr Yale pour l'année 1882; publié en 1883 : —
“ I hâve twice, at least, visited Hanwell, the scene of Go-
“ noily’s operations— on the last occasion, spending several
days there Nowithstanding ali the operations and
traditions of Gonolly, although its affairs hâve been
“ administered since his day by a sériés of disciples pro-
“ fessing his views, Hanwell is one of the worst asylums
“ I hâve seen in any part of the world, whether as regards
its structural arrangements or its government.”
M. le Dr Tuke ne pouvait pas demeurer sans retorque,
et le meilleur moyen d’en avoir raison c'est de le peser
comme autorité, d’analyser un peu son talent, de dégager
les points saillants de son mémoire, afin d en faire res-
sortir le fond, la forme et fanimus. Plusieurs de nos
journaux ont déjà réfuté une partie de ses commentaires,
exposé ses calomnies ; j'ai cru avoir le droit de me joindre
à ces défenseurs de nos institutions, d’autant plus que les
circonstances ont voulii que je me sois livré à l'étude
spécial des questions qui font la matière du débat.
DISCIPLINE DES ASILES
(La non-restraint)
La non-restraint^ comme doctrine absolue, estime idée
essentiellement anglaise et n'est admise qu'en Angleterre.
Gette théorie, est passée dans la mère-patrie, à l’état de
manie, dont la tyrannie doit être subie par tous ceux
donff esprit n’a point assez de vigueur, pour se soustraire
à de pareils entraînements ; d’après cela et ce qu’on sait
de M. le Dr Tuke, ce monsieur est de ceux qui doivent
invitablement pousser la notion jusqu’à ses dernières
extravagances. Aussi suffit-il, pour obtenir les éloges de cet
t aliéniste, d’afficher la cocarde de la non-restraint^ d’avoir
l’air d’adopter cette idée, ne fut-ce que sur le papier et
dans les rapports.
30
Le Medical Time and Gazette^ de Londres, numéro de
septembre 1868, tout en cédant an courant, plaisantait fine-
ment sur cette lubie, sur l’intolérance qu’elle produit et sur
le verbiage auquel elle a donné lieu : — “ Witbout doubt,
dit ce journal, non-restraint is the Keystone of the
“ fabric constituted by our British System of treating
“ tbe insane, the shibboleth by which amanis tested, and
“ bis views pronounced sound or unsound — the alpha
‘‘ and the oméga of the doctrines taughtby writersof the
“ English school. To such a length is this carried, that a
“ servant who looks after an insane individual must no
longer be called a keeper ; he is an attendant, and it is
“ almost a crime to call him by the former name in a
“ modem asylum. In this dread of words, there would
“ be something very ridiculous were there not something
“ a!so that is of moment as concerning the welfare of the
“ infortunates detained in these institutions. We are
“ thoroughly convinced of the soundness of the iion-
“ restraint doctrines, if they are not carried too far,
which we are heterodox anough to think possible ; but
“ there is something absnrd in allowing an outrageons
“ lunatic to smash ail the Windows in a ward rather
“ than interfère wth his persona! liberty, and there are
“ other cases which, if not equally telling, are at least
‘‘ equally important from a medical point of view. ”
Comme personne n’a jamais songé à prescrire la ca-
misole, les manchons, la ceinture et autres moyens
mécaniques de contrainte pour les aliénés tranquilles et
inoffensifs, et comme il est absurde de ne pas faire usage
de ces moyens pour les fous furieux, dangereux ou autre-
ment réfractaires, il résulte que la non-restraint est ou un
non-sens ou une aberration. Ce système, en tant que
système, est repoussé en France, repoussé en Allemagne,
repoussé aux Etats-Unis, partout, en un mot, excepté en
Angleterre, où, meme là, il n’est pas du goût de tout le
monde. Les écrits de Hill et de Conolly, inventeurs du
système, sont pour M. le Dr Tuke la loi et les prophètes.
Voici ce qu’en disait un aliéniste écossais, le Dr Lawder
Lindsay, dans le Edingboiirh Medical Journal au cours d’un
article publié en Avril et Juin 1878 : — “ This intolérant
and intolérable dogma — opposed as it is to ail common
“ sense, common feeling and common expérience — I
“ hâve designated Gonollyism, because it was undoubtly
31
“ by means of Conolly’s publications that the dogma
became popular, and miscbievous in proportion to its
“ popularity.”
Je trouve dans le Dictionnaire de Jaccoud, à l’article
Camisole, un excellent r sumé de la question des moyens
de contrainte à employer dans le traitement des aliénés,
voici : — La camisole, la ceinture à manchons ne sont
“ que des instruments ; ce qu’il importe surtout de recher-
“ cher ce sont les règles qui doivent présider à leur
“ emploi. Pinel, le premier, a tracé en maître les règles
“ d’application dés moyens coercitifs, et depuis on n’a fait
que développer les principes par lui posés. Il faut^ dit-
‘‘ il, accorder aux aliénés toute l'étendite de mouvernent qui
“ peut se concilier avec leur sûreté et celle des autres, leur
laisser la liberté de courir^ de s'agiter dans un endroit clos^
en se bornant à la simple répression du gilet de force. Aux
yeux de l’illustre maître, la camisole, prescrite etmain-
tenue d’une manière temporaire, répond à une indica-
“ tion thérapeuthique en maîtrisant les emportements du
“ malade, lui laissant en même temps l’exercice néces-
“ saire à la santé. Esquirol, G-eorget, Ferrus n’adoptèrent
pas d’autres préceptes, insistant, dans leurs écrits, dans
leur pratique sur la réserve, qu’il convient d’apporter
dans l’usage des moyens de répression et, en même
“ temps, sur leur incontestable utilité.
Casimir Pinel dit avec raison que la non-restraint
‘‘ n’existe pas plus en Angleterre qu’en France, que les
“ moyens de contrainte seuls sont différents et qu’il ne
“ s’agit plus dès lors que de les comparer sous le rapport
“ de leurs avantages et de leurs inconvénients. Sous
“ quelque forme qu'on 1 adopte, la contrainte est de toute
nécessité dans bien des cas ; il faudrait, pour la
supprimer, abolir du même coup les conceptions déli-
“ rantes, les hallucinations qui engendrent les déplorables
“ manifestations que nous avons tous les jours sous les
yeux. Comment avoir autrement raison des penchants
“ onaniques, des tendances à la destruction? Com-
“ ment s'opposer à ces besoins immondes qui portent
les malades à manger leurs excréments, à boire de
“l’urine? L usage temporaire de la camisole est
“alors le seul remède. Les moyens coercitifs
“ ont l’avantage de, ne priver les malades ni de la prome-
“ nade, ni de l’air ; et.^ avec des appareils bien disposés,
32
“ on procure le calme pendant le jour, le repos pendant
“ la nuit, résultat qu’on ne saurait atteindre autrement
à notre sens l’abolition complète des entraves est un
reve inutile.’
L’Association des surintendants des asiles d’aliénés
des Etats-Unis, a, au mois d’Octobre 1844, adopté la réso-
lution suivante : — ‘ Resolved. that it is the unanimous
sènse of this convention that tlie at4empt to abandon
entirely tlie use of ail means of personai restraint is not
“ sanctioned by the true interests of the insane.”
Le Dr Walker, président de l’Association des surin-
tendants des asiles d’aliénés des Etats-Unis, en 1 877,
s’exprime comme suit, sur le meme sujet : — My
“ opinions in regard to the use of meclianical res-
“ traint bas undergone no change during tlie discussion,
or silice the visit of our distinguished brother from
across the water, but, on the contrary, having made
“ more faithful and continued efforts during the past
“ year than ever before to diminish the amount of me-
“ chanical restraint and do without it altogether, I am
“ forced to say that I stand here to day with my opinions
entirely unchanged. I beleive it is (la contrainte
mécanique ) not only a humane thing, but absolutely
“ essentia' for the best good and comfort of our patients.
“ I beneve this, that the practice of the best American
institutions on that point to day will hereafter be the
“ practice of Ghristendom. ”
A la meme séance d’Octobre 1877, de l’Association
que je viens de mentionner, à la suite du Président, M. le
Dr Walker, un grand nombre des aliénistes les plus dis-
tingués de l’Amérique s’exprimèrent dans le meme sens.
Au milieu de tous ces témoignages fournis contre ie sys-
tème de la noii-rcstraint et en faveur de la contrainte mé-
canique sagement employée, je choisis celui de M. le Dr
Clark, précisément parce qu’il vient d’Ontario. — “ If l had
“ my choice, dit le surintendant de l’asile de Toronto, in
“ respect to the mode of restraint, I would prefer a cami-
“ sol, a muff, or a pair of mittsput upon me, than tohave
a superviser and attendants holding me. There is a
“ spirit of résistance among onrselves to human force,
and this résistance is évident also among the insane that
33
will not be exercised against inanimate objects
“ I might tell you further, gentlemen, I hâve rea-
‘‘ son to believe that in many of these asylums, which
show reports of non-restraint (I hâve it from some of
“ the officers of siich), that restraint is winked at when
“ indulged in by snbordinates, and yet, they publish re-
ports of the snccess of non-restraint. Whether you put
on the camisole, or put a patient under the power of
“ drugs, it does not matter ; both are restraints, and I
“ prefer the mechanical restraint as more conducive to
recovery I prefer to be free, open, and candid,
“ in these matters. rather than to désiré to ride on a
“ popular name, and the same time, behind the door,
allow restraint to be used.”
Une hère leçon celle-là, honneur à celui qui a eu le
courage et l’honneteté de la faire. MM. les Dr Gray
d’Utica et Gale de Kentucky ont écrit, contre la non-res-
tramt^ des rapports bien connus des aliénistes. Cette op-
position à une doctrine insoutenable est le résultat de
l’expérience universelle et, de p’us, est, en tout état de
cause, fondée en raison. Si je voulais faire ici, par repré-
sailles, une peinture des accidents multipliés et des actes
de brutalité produits en Angleterre par la pratique de la
non-restraint^ rien ne serait plus facile ; mais je me con-
tenterai de quelques citations. Un aliéniste américain,
M. le Dr Browers, dit, entre autres choses, dans le numéro
de Juin 1881 de V American Jommal of Insanity : — “ I hâve
“ now, in my mind’s eye, the picture of a scene I wit-
nessed in an English asylum. A restless and violent pa-
“ tient seated on a bench with a strong attendant on
“ either side, holding him down by main force. I shall
ne ver forget the contortions, the squirming, and the
struggles of the man to free himself from their grasp.
“ There is nothing so irritating to some restless and exci-
“ table patients as to be held by manual force ; but En-
“ glishmenare unwilling to admit that thisis a species of
“ restraint, nor will they admit that the padded room,
without a particle of furniture, and with small Windows
‘‘ near the ceilings, which let in only a dim ligbt, is a
restraining machine.”
Le Dr Gale dans son rapport de 1882, page 21, dit : —
“ About 1840, one John Conolly came forward with a
“ theory, which ünally merged inte a hobby with him
5
34
and few of his followers that of non-restraint The
“ name is clearly a misnomer, and is calcula ted to mis-
“ lead and deceive the public; for there is not anasylum
‘‘ now in existence that does not use restraint in some
“ form, either strong cloathing, manutention, strong
“ rooms, isolations therein &. Holding a persoii
by one’s hands is no less a method of restraint than
“ holding him by a muff or a camisole, and the question
which of them we shall adopt should be decided, not
by the force of names, but by a careful investigation of
“ their eJffects, both upon the patient and the attendants
‘‘ fEiiglànd boasts of* being (as regards the treat-
“ ment of its insane) the country of non-restraint ; but it
will repudiate, I do not doubt, the addition that it is
“ equally entitled to the désignation of the country of
fractured ribs.”
Dans le même rapport, sous le titre de ‘‘ Rib Fractures
“ and other Gasualties from Non-restraint ” — le Dr Gale
présente une formidable liste de morts et de blessures
causées par les luttes entre gardiens et aliénés, dans les
asiles anglais ; liste dans laquelle il n’y a pas moins de
huit cas de malades dont la mort a été causée, d’après
constatation juridique, par la fracture d’une ou de plu-
sieurs côtes suivie d’inflammation de la plèvre ou des
poumons ; une mort a été aussi causée par rupture de la
vessie, constatée par l’enquête, bien que classée péritonite
dans les registres de l’asile ; sans compter un nombre
considérable d’autres accidents de diverses natures, résul-
tats directs de l’application du système de la non-restraint.
Il est prouvé que les gardiens, de guerre lasse, ont sou-
vent recours à l’expédient de se mettre à genoux ou de
s’asseoir, sur le corps du malheureux qu’ils ont mission
de contenir, dans l’obligation qui leur est faite de ne
jamais avoir recours aux moyens mécaniques, cent fois
plus humains et moins révoltants.
Loin de moi l’idée d’invoquer tous les accidents qui
peuvent arriver dans les asiles de la non-restraint.^ comme
arguments contre cette théorie : tous les asiles ont, de fois
à autre, à enregistrer des accidents, même des homicides
et des suicides ; mais les accidents dont on parle ici sont
des accidents causés par l’application directe de la non-
restraint.^ des accidents que les moyens mécaniques de
contrainte auraient prévenus. La non-restraint ne diminue
35
en rien la possibilité des accidents fortuits d’autres
genres, au contraire, elle en multiplie les dangers. Ce
n’est pas le fait matériel toutefois dont on doit arguer,
mais la manière dont il s’est produit. Dans la discipline
d’un asile il y a des risques qu’il faut courir et des risques
qu’on ne doit pas assumer. Ainsi de ce qu’un aliéné
aurait commis un homicide avec une fourche dans les
champs, on aurait tort d’en conclure qu’on doit interdire
absolument aux aliénés l’usage des instruments capables
de devenir dangereux et les travaux de la ferme ; mais si
des blessures et des morts sont produites par des moyens
disciplinaires qu’on peut remplacer, par d’autres moyens
qui ne donnent point cause à ces accidents, le bon sens dit
qu’il faut employer ces derniers moyens. Le vulgaire et
les personnes étrangères à la science sont sujets à tirer
des conclusions erronées, de ce qu’ils observent dans les
asiles, et la malveillance exploite souvent cette disposition
d’un certain pub’ic; mais le médecin aliéniste doit
rechercher les causes et observer les circonstances, avant
d’adopter ou d’interdire, avant de louer ou de condamner
des pratiques qui peuvent être recommandables en dépit
des accidents, ou dangereuses alors même qu’on n’a pas
eu, sur place, d’accidents à enregistrer.
Je vais citer un exemple de la versatilité de ce qu’on
appelle l’opinion publique, qu’on invoque à bon et à
mauvais escient, exemple qui démontre aussi combien
sont importantes et combien difficiles ces mille questions,
que soulèvent l’administration des institutions dont il
s’agit et le traitement des aliénés. On avait autrefois
établi, dans Ontario, une succursale, pour y loger un peu
plus de soixante aliénés de la classe la plus paisible.
L’édifice, construit pour un autre objet, qu’on avait
affecté à cette destination était chauffé par des poêles et
des feux de cheminées : on sait que l’une des dispositions
dont ûn se vante en Angleterre et qui fait partie du
système qu’on y préconise, comprend l’usage de feux de
cheminées sans grillages protecteurs, les fameux open
fires, qui, avec les opm doors^ forment partie des — “ bene-
“ fits arising from the removal of restrictions. ” On crut
donc devoir laisser subsister quelques-uns de ces open
fires^ vu le caractère paisible et rangé des malades qu’on
devait loger dans cet asile. Les choses allèrent au mieux
d’abord, et le. public visiteur adinirait l’usage de ces feux
36
de grilles si cliers aux anglais — it looks so cliearful —
disait-on ; lorsqu’un jour, sans que rien put faire présager
le moindre inconvénient, une des malades les plus
paisibles, fille d’un homme politique très en vue, alla
se précipiter dans le feu de l’une des cheminées et s’y
brûla de telle sorte qu’elle en mourut en peu de temps :
c’était évidemment de sa part un acte auquel elle fut
poussée par une hallucination soudaine, causée par la
contemplation meme de ce feu si gai. La nouvelle de
cet accident fut le signal d’une véritable guerre menée
contre les médecins et les employés de l’asile, et la
prétendue opinion publique^ se prit à trouver horribles
dans un asile ces que, quelques jours auparavant,
on déclarait si réjouissants. Les administrateurs de
l’institution furent exonérés, comme de juste, de tout
blâme, par les inspecteurs et par les autorités, qui, heu-
reusement, résistèrent à la persécution que certaines gens
voulaient leur faire subir ; mais il reste la question de
savoir s’il est mieux d’avoir des feux de cheminées ou de
n’en pas avoir dans les asiles et, quand on se décide à en
avoir, s’il est préférable de n’y mettre aucune précaution,
ou mieux de les entourer d’un grillage, jjrotecteur ? Les
partisans de la non-restraint ne veulent pas de grillages ;
ils tiennent absolument à l’idée de faire prendre leurs
asiles de fous, pour des maisons de gens bien sages et
bien gentils au fond, quoique parfois enclins à montrer
un peu d’excentricité, ou de mauvaise humeur. Ceux
qui ne croient pas devoir essayer de cacher le véritable
caractère des asiles d’aliénés préfèrent ou n’avoir point de
feux de cheminés, ou leur mettre des grillages protecteurs,
et je me sens heureux et en tranquillité de conscience
d’être du nombre de ces derniers. Toutes ces questions
doivent être laissées aux médecins chargés du traite-
ment des aliénés, et aux administrateurs des asiles.
Mais, dira-t-on peut-être, les médecins diffèrent et il y en
a qui ne sont pas eux-mêmes tout à fait exempts d’idées
extravagantes: ce serait le cas alors de se demander
— Quid custodem custodiat f — Sérieux embarras, que nous
n’avons pas encore ressenti en Canada, que je sache,
et que, je l’espère, M. le Dr Tuke ne réussira pas à nous
léguer.
Je trouve, dans un Rapport des Commissaires du
“ Central Kentucky Asylum^'" du 3 octobre 1882, sur ce sujet
3T
des questions médicales et sur les systèmes de contrainte,
les sages remarques que voici : — “ In regard to the kind
“ or mode of restraint or punishment to be used with
“ such unfortunates, we do not profess to be compe-
“ tent judges, and must content ourselves with leaving
“ tliis vexed question to the discussion of medical men.
But our expérience convinces us that both restraint and
punishments are as proxjer here as in schools of small
children or in familles.”
En résumé, la contrainte est une nécessité dans le
gouvernement des aliénés réfractaires ou dangereux et
c’est un devoir d’y avoir recours, X)Our ceux qui ont la
charge de ces infortunés, devoir envers les aliénés eux-
mêmes, devoir envers les gardiens, devoir au point de
vue du traitement de l’aliénation mentale, et devoir d’é-
conomie publique et domestique. Il faut se rendre maître
des mouvements de l’aliéné qui emploie sa liberté d’ac-
tion à se nuire à lui-meme, à nuire à ses compagnons d’in-
fortune, à nuire à ses gardiens, à nuire à la propriété
publique ou ^jrivée : il faut, autant que possible, prévenir
les malheurs et les accidents. Les seuls moyens de ce
faire sont la force physique des gardiens employée mo-
mentanément, les moyens mécaniques, la cellule, l’usage
des narcotiques et des anesthésiques. Tous les moyens
qui ne sont pas immoraux ou brutaux sont légitimes, à la
condition d’en user avec discernement de n’en point
abuser, et de les rendre aussi doux et aussi inoffensifs
que cela se peut. Quant au choix, cela dépend de la cause
de la nature, de la durée des paroxysmes, du caractère de
Ja folie, des dispositions individuelles du malade, de son
état habituel ou actuel, de la dépense à encourir et de
beaucoup d’autres circonstances, dont on ne peut juger
que par l’étude de tous et de chacun des cas qui se pré-
sentent. Quant à dire combien de malades par cent
devront être soumis à la contrainte mécanique ou aux
autres expédients disciplinaires, cela ne se peut pas ; tout
bonnement parceque cela dépend de la catégorie d’aliénés
à laquelle on a affaire, de la constitution et du tempéra-
ment des personnes, des circonstances des temps et des
lieux et des moyens à sa disposition. Gela varie constam-
ment pour les mêmes lieux, pour la même année et pour
le même asile. Il arrive, sans qu’on puisse souvent s’en
rendre comjDte, des périodes de calme presque général et
38
des périodes d’exacerbation chez les ma’ades. Je ne crois
pas qu’il y ait un a’iéniste ou un garde-malade de quel-
qu’expérience qui n’ait observé, parfois, des espèces d'épi-
démies de violence, pendant lesquelles un nombre
comparativement considérable d’aliénés doit, de nécessité,
être soumis à un moyen quelconque de contrainte.
Toutes ces questions, elles sont en grand nombre,
qui se rapportent aux méthodes de constituer les asiles, de
les construire, de les diviser, de les éclairer, de les
réchauffer, de les ventiler, de les assainir, de les maintenir;
toutes les questions qui ont trait à la matière, â la confec-
tion, â la forme des objets d’habillement, de literie, de con-
trainte ; toutes les questions qui regardent l’alimentation
le traitement des aliénés, sont des questions complexes, sur
lesquelles les maîtres diffèrent p’us ou moins d’opinion,
souvent en principe, plus souvent dans les détails, et sur
lesquelles nul individu et nu Me association d’individus n’a
le droit de décider avec autorité et sans appel. Les systèmes
n’y sont pour rien, et les méthodes pour assez peu d’ordi-
naire ; tout dépend de l’administration, c'est-à-dire, des
aptitudes et du tact de ceux qui ont la garde et le soin des
malades et de la direction générale des asi es.
39
MODE D’ENTRETIEN DES ALIÉNÉS
Les pensions
Il n’y a que deux méthodes de pourvoir à l’entretieu
des aliénés à la charge du trésor public dans les asiles ;
la méthode des asiles appartenant à l’Etat ou aux munici-
palités, administrés par des employés publics, et celle des
asiles appartenant à des particuliers ou à des corporations,
où les malades sont mis en pension. C’est cette dernière
méthode que M. le Dr Tuke désigne par le nom peu déli-
cat de farming of human beings^ quand il parle des asiles
de la Province de Québec, mais que, dans ses ouvrages, il
indique par le terme boarding of lunatics ou par quel-
qu’autre expression convenable, quand il parle d’établisse-
ments situés partout ailleurs.
En dehors des asiles, il n’y a de manière de pourvoir
au soin des aliénés pauvres, remis à la tutelle publique,
que la mise en pension chez des particuliers ; cette der-
nière manière, qu’en Angleterre on nomme Boarding out^
a donné lien à la création des villages à aliénés, dont le
célèbre village de Gheel en Belgique est le type le plus
parfait, et dont le village de Kennoway en Ecosse est
aussi un exemple.
Pour les aliénés, restant à la charge de leurs familles,
il faut ou bien les garder chez soi, ou les mettre en pension
chez des particuliers ou dans les asiles soit privés, soit
de l’Etat. Il est admis généralement que, meme avec des
moyens illimités, les parents riches doivent de choix
mettre leurs aliénés en pension dans les asiles, au triple
point de vue de l'intérêt du malade, de l’intérêt des fa-
milles et de l’intérêt de la société. Les aliénés de la classe
aisée, en dehors de la famille, sont donc forcément tou-
jours des pensionnaires, quels que soient les propriétaires
et les administrateurs des établissements qui les reçoivent.
Il est difficile de comprendre pourquoi un système qui
convient aux aliénés des familles riches, serait un système
absolument abominable pour les aliénés des classes néces-
siteuses. Condamner absolument l’une des deux méthodes,
qui de soi n’ont, ni l’une ni l’autre, rien de condamnable,
c’est faire acte dé système et de parti pris ; chacun peut
40
\
avoir ses préférences ; mais personne n’a le droit d’impo*
sor ses oignions. •
Un asile n’est pas bon, parce qu’il appartient au public,
un asile n'est pas mauvais parce qu’il appartient à des
particuliers. On a parfaitement le droit de préférer tel ou
tel système pour les malades soutenus parle trésor public,
meme le système des villages à aliénés que plusieurs pré-
conisent ; mais c’est se moquer de l’intelligence du public
que d’essayer de donner le change, et d’avoir l’air de
croire qu’en employant des mots ignobles, pour désigner
des choses respectacles, on aura gagné son point.
L’asile des amours de M.le Dr Tuke, la York Retreat,
qui redonnait pour fondateur un aïeul de ce dernier, feu
M. William Tuke, asile qui a subi rinfluence successive
de M. Henry Tuke, grand père de l’auteur des Chapters^
de son père M. Samuel Tuke ; asile qui a eu pour méde-
cin visiteur M. Daniel Hack Tuke lui-méme, a été une
fondation privée, a été administré par ses propriétaires et
fut établi pour l’usage d’une secte religieuse, celle des
Quakers. Le séjour dans cette retraite, n’appartenant
point à l’Etat, était, paraît-il, tout à fait enchanteur pour
les aliénés. M. le Dr Tuke nous raconte, à la page 120 de
ses Chapters^ qu’un ma heureux fou, sorti d un autre asile
qui, selon toutes les apparences, devait être un asile de
l’Etat, et sorti dans un état pitoyable causé par les mau-
vais traitements, après avoir joui quelque temps des
douceurs de la York Retreat, se vit passer, de l’état d’im-
potence, à la condition de pouvoir marcher tout seul —
“ able to walk without assistance.” Ceci pourrait, à la
rigueur, n’être qu’un incident fort ordinaire, mais la poé-
sie s’y est introduite et !e narrateur ajoute : — “ When,
“ one of his friends visited him and asked him what he
called the place, he replied. with great eariiestness,
“ Eden, Eden, Eden ! ”
Sans avoir la prétention de faire d’un asile de fous un
paradis sur la terre, pourquoi des Sœurs de Charité et des
particuliers de croyance catholique, ne pourraient-ils pas
être admis à tenir une pension pour les aliénés, aux mêmes
titres qu’un comité de la Society of friends 1 J’ai parlé
plus haut d’un asile établi et administré dans ces der-
nières conditions, le Mount Hope, où les particuliers et les
corps de l’Etat pensionnent des malades riches et pauvres,
à la satisfaction de tout le monde ; absolument d'après le
41
système adopté pour les asiles de la Province de Québec.
•On compte de ces asiles dans tous les pays civiusés.
Ainsi donc des asiles peuvent être exécrables bien
que directement administrés par l’Etat, M. le Dr Tuke
en donne de nombreux exemples ; d’autre part des asiles
privés, des pensionnats peuvent être, bien qu’administrés
par des particuliers, d’admirables institutions, M. le Dr
Tuke en fournit aussi des exemples dans ses ouvrages.
Donc M. le Dr Tuke a tort de dire, dans son réquisitoire
contre la Province de Qu ^bec : — “ It is a radical defect —
a fundamentai mistake — for the province to contracf
with private parties or Sisters of Gharity for the main-
tenance of lunatics.”
La province y a trouvé son avantage, au contraire,
et les a iénés n’en ont nuilement souffert. Nos asiles sont
soumis aux lois qui gouvernent la matière, ils sont soumis
aux visites et aux enquêtes des inspecteurs nommés par
l’Etat : à part des soins diriges par des médecins ordi-
naires qu’ils paient, ils ont encore l’obligation d'être
contrô és par des médecins visiteurs aux ordres de ’Etat.
Que les p us ample garanties peut-on exiger contre
les dangers de l’humaine faiblesse ? Il faudrait que l’Etat
put se procurer des agents et des administrateurs tout
a fait infaillibles, impeccab es et possesseurs de la faculté
d ubiquité, pour pouvoir réclamer l’avantage assuré d’une
direction supérieure, parfaitement exempte de tout mé-
compte, de toute erreur et capable d’un exercice de sur-
veillance et de prévisions de tous les endroits et de tous
moments.
Un dîner n’est pas nécessairement bon pour être
donné à la carte, ni essentiellement mauvais pour être
pris à table d’hôte, il en est ainsi des asiles. Ce n’est pas
la personne du cuisinier qu’on doit examiner, mais ce
sont les mets préparés qu’on doit goûter, pour se faire
une idée juste de la cuisine ; de même ce n’est pas le titre
d’un administrateur d’un hôpital ou d’un hospice d’aliéné
qui donne la mesure de l’excellence de l’établissement,
mais les résultats que constate une étude suffisante et
poursuivie sans parti pris. Les rapports favorables des
nombreux médecins, commissaires et inspecteurs qui,
depuis des années, ont surveillé ou contrôlé nos asiles
ont, bien certainement, une autre portée et une autre
valeur que les diatribes de quelques agitateurs et Vipse
6
42
•
dixü de deux étrangers, qui entreprennent de juger de
deux grandes institutions, à la suite d’une visite, faite à
la course et seulement, la chose est évidente, dans h* but
de donner la couleur d’un examen à des attaques concer-
tées d’avance.
Ce serait véritablement un spectacle humiliant et
bien capable de faire rire de nous, que de voir la province
de Québec changer un système qui a, jusqu’ici, donné
pleine et entière satisfaction, qui a fait surgir deux asiles
ne le cédant en rien aux asiles des autres provinces, de
voir nos gouvernants encourir les immenses mises de
fonds et le surcroit annuel de dépenses que nécessiterait
l’inauguration d’un nouveau système, simplement parce-
qu’il a plu, à quelques intrigants fanatiques, d’attaquer
des institutions ayant la confiance de l’immense majorité
de la population, parcequ’il a plu à un homme, inféodé à
certaines idées et de passage parmi nous, d’entreprendre
de nous imposer ses doctrines, en usant d’un langage
indigne de la bonne compagnie.
D’ailleurs, le mode de traitement de la folie, en tant
qu’application des diverses méthodes palliatives ou cura-
tives, ne dépend pas de la manière d’héberger les aliénés.
On peut adopter telle ou telle méthode, indépendamment
de la tenure des propriétés de l’asile. C’est se moquer
du public que d’essayer à lui faire croire qu’on ne peut
pas soigner un fou, dans un asile pension, aussi bien que
dans un établissement administré par un fonctionnaire.
Je ne ferai pas l’injure à nos gouvernants de croire
qu’ils se laisseront influencer, en quoi que ce soit, par
ces criailleries ; mais je suis certain, je le répète,
que la population catholique verrait avec plaisir,
nos compatriotes protestants avoir un asile à eux, subven-
tionné comme les autres, au meme montant proportionnel
par tete. Là, ceux qui n’aiment pas les religieuses et les
Canadiens-Français, ceux qui croient aux dogmes de la
non~restrciint^ des open fires et des open doors pourront s’en
donner à cœur joie. Nous ne leur ferons pas la guerre
et nous ne les insulterons pas. M. le Dr Tuke pourra leur
prodiguer ses plus superbes éloges, proclamer ces
nouveaux établissements des “Æ'den, Eden^ Eden!'^ Il
pourra venir y sacrifier à Psyché : nous n’en serons point
jaloux. Bien plus, s’ils réussissaient à imaginer ou à
introduire quelques moyens de traitement vraiment
4B
avantageux, je suis convaincu que nos religieuses et nos
autres administrateurs s’empresseraient de les adopter.
M. le Dr Tuke semble faire bon marché de la question
financière ; ceux qui l’inspirent, en effet, n’ont guère de
tendresse pour le trésor de la province qu’ils habitent.
Il voudrait qu’on double le nombre des gardiens des
aliénés, il voudrait qu’on augmente leurs gages, pour le
plaisir de substituer la contrainte manuelle à la contrainte
mécanique. Tout cela ne peut avoir lieu sans augmenter
l’allocation, puisque nos asiles sont déjà ceux qui coûtent
les moins chers, de beaucoup, de tous les asiles de leur
classe. Augmenter la dépense pour la plus grande gloire
de la non-restraint^ c’est payer beaucoup trop pour une
fantaisie que l’universalité des maîtres de la science, en
dehors de l’Angleterre, déclare pernicieuse. M. le Dr
Tuke est si peu soucieux de ce qu’il proclame dans son
réquisitoire, si décidé à exagérer, meme les embarras
qu’il veut nous faire, qu’il exige de nous plus qu’on
exige en Angleterre avec l’application du système, très
coûteux, qu’il voudrait nous imposer. — “I consider, dit-il
dans son réquisitoire, that the number of attendants in
such an asylum should not be less than 1 in 7, instead
“ of 1 in 15. ” Dans ses Chapters^ à la page 278, il adopte
une toute autre vue de la question financière, et du
nombre proportionnel de gardiens que requiert le système
de la non-restraint ; voici ce qu’il dit, s’élevant contre le
coût extravagant de Tasile des “criminels aliénés” de
Broadmoor : — “ Financial considérations must be a very
“ important practical point in the existence of Broad-
“ moor. The State pays for it ; an annual grant from the
“ House of Gommons must be asked for, and the Go-
“ vernment must be prepared to show that the amount
“ is not unreasonable. Now the weekly cost ofthe inmates
“ is eighteen shillings each That of the inmates
“ of our county asylums averages about half a guinea.
“ It may therefore not unreasonably be asked. Why is
“ this ? What hâve the criminal lunatics done to deserve
“ so much more money being lavished upon them ?
“ The chief reason is, that a greater
“ attendants must be provided for this class, and that is
“ costly. At Broadmoor the proportion of attendants to
“ patients is one in five ; in asylums generally, much
“ less liberal, say one in eleven ; besides which, they
“ are paid better ( as they ought to be ) at Broadmoor. ”
44
Croirait-on que c’est le même homme qui a écrit ces
deux paragraphes ? Dans l’eusemble des asiles. d’Angle-
terre que M. le Dr Tuke exalte, avec un système qui
oblige les gardiens à lutter à force de poignet avec les
fous dans leurs paroxysmes, il constate approbativement
que la proportion est de 1 dans 1 1 ; et pour nos asiles,
dont le système n’exige pas ces luttes corps à corps et
prolongées, il considère que la proportion ne devrait pas
être moindre que 1 dans 7. Ceci est une nouvelle preuve
de la bonne foi qui a présidé à la confection de la diatribe
que M. le Dr Tuke a publiée, en Canada, sur nos asiles de
la province de Québec, pour satisfaire ses lubies, ses
préjugés, ses antipathies et pour servir les manœuvres de
ceux qui l’ont racolé pour l’occasion.
Le système suivi dans la Province de Québec en
vaut un autre, tout au moins ; nos asiles sont aussi bons
que beaucoup d'autres qui coûtent plus cher; !a guerre
qu’on leur fait est une guerre soufflée parles préjugés;
car les administrateurs de nos asiles ont la confiance de
l’immense majorité de notre population : il n’y a donc
aucune raison de le changer, et le gouvernement qui
viendrait briser cette organisation, pour faire droit à des
clameurs, qui sont des insultes à la masse de notre
population, commettrait une insigne faiblesse et un acte de
mauvaise administration, pardessus le marché. Il n’en
sera pas ainsi, bien sûr ; M. le Dr Tuke et ses souffleurs
en seront pour l’odieux de leurs machinations et- de leurs
vilaines et sottes écritures.
On parle de contrats î Croit-on qu’en prenant
l’administration directe des asiles le gouvernement
échapperait aux contrats ? Mais ce serait, au contraire,
entrer dans le domaine des contrats de tous genres. Ceux
qui ont eu l’expérience de cette espèce d’administration
comprennent les embarras des fonctionnaires et des
gouvernants, soumis à contracter avec des fournisseurs
de tous les produits. Aux difficultés des détails s’ajoutent
les tracasseries et les intrigues de la politique : le tout
constituant une source continuelle de mécomptes, de
déboires et de pertes pour l’Etat.
INTERNEMENT DES ALIÉNÉS
(Affaire Lynam)
En même temps que certains écrivains faisaient leur
partie contre nos asiles, on brassait, contre l’asile de la
Longue Pointe, une accusation de détention illicite d’une
personne qu’on prétendait être en pleine jouissance de ses
facultés intellectuelles; c était de rigueur et point du
tout nouveau. Le moindre raisonnement aurait fait
de suite découvrir que les Sœurs, propriétaires et admi-
nistratrices de l’asile, n’avaient rien à voir dans une
question d’internement d’aliéné : ce ne sont point les
Sœurs qui décrètent l’internement et ce ne sont point les
Sœurs qui ordonnent le renvoi de leurs, pensionnaires ;
elles doivent recevoir les personnes que les autorités
désignées par la loi leur envoient et doivent les garder
jusqu’à ce qu’un ordre, aussi réglé par Moi, leur permette
de les mettre en liberté. Il en est de meme pour tous les
asiles ; le système d’entretien, la qualité des administra-
teurs n’y sont pour rien. Voici ce que le simple bon sens
aurait du faire comprendre à tous ; ce qui n’a pas
empêché qu’on ait attaqué les Sœurs, tout le temps que
cette affaire a été devant le public et tout le temps qu’ede
a été devant le tribunal qui, finalement, en a été saisi.
Mon travail ne serait pas complet si je ne racontais pas
cette étonnante histoire de Rose Ghurch, femme de
Peter Lynarii.
Je m’empresse de dire que M. le Dr Tuke n’a rien eu à
faire, que je sache, avec le cas de Rose Ghurch et que,
par conséqent,rien de ce qui va suivre ne doit s’appliquer à
ce monsieur.
Au mois de mars 1882 le nommé Peter Lynam, maçon,
de Montréal, prit avis d’un homme de loi afin de savoir ce
qu’il avait à faire, pour se mettre à l’abri, lui et sa
famille, des dangers que sa femme Rose Ghurch leur
faisait courir à tous, et pour prévenir la ruine dont son
modeste ménage était menacé. La femme Lynam ne
vaquait plus à ses devoirs de mère de famille, elle se
laissait aller, tantôt à une indolence absolue, en refusant
même parfois de préparer les repas de son mari et de ses
%
4:6
enfants, tantôt elle était sujette à des accès de fureur,
pendant lesquels elle menaçait son mari de le tuer,
à coups de hache, et ses enfants d aller les noyer à la
rivière.
L’avocat consulté par Lynam se rendit chez ce
dernier accompagné de M. le Dr Howard, médecin
aliéniste, pour constater l’état mental de Rose Ghurch.
Ils trouvèrent Rose Ghurch en proie à un accès de rage
insensée : elle avait les cheveux épars, ses habits étaient
en désordre, les aliments d’un repas étaient répandus
sur le lit, et les enfants, tremblant d’épouvante, étaient
blottis dans un coin.
On prit immédiatement les mesures nécessaires ; Rose
Ghurch fut arrêtée et, à la suite d’une expertise médicale,
internée à l’asile, de la Longue Pointe, comme affectée de fo-
lie dangereuse, diagnostic que sa conduite à l’asile ne fit
que confirmer. Gette femme qui, d’ordinaire, avait l’air
de jouir de sa raison, passait souvent de l’état le plus calme
à des accès de fureur maniaque; son regarde! ses allures
étaient tels que ses deux petites filles en avaient une
terreur irrésistible, que l’amour qu’elles ont pour leur
mère et les caresses que celle-ci leur prodiguait quelque-
fois ne réussissaient point à faire disparaître. Ge cas est
un cas ordinaire ; dans le fait de l’internement il n’y a
absolument rien d’étrange: il en aurait été ainsi dans tous
les pays civilisés. Les administrateurs des asiles ne jouent
en tout cela, qu’un rô e absolument passif. Les choses se
seraient ainsi passées si, au lieu des Sœurs de la Providence,
on eut eu, à l’asile de la Longue Pointe un. comité d’une
société biblique ; il eu eut été de même si l’asile eut été
propriété de l’état, administrée par un fonctionnaire quel-
conque, mf'decin ou non-médecin.
Mais voici que des gens s’imaginent de dire que Rose
Ghurch n’est pas folle et qu’on la retient injustement à
l’asile. On s’arme de l’opinion de deux médecins, amici
curiæ^ qui déclarent que cette malheureuse est saine
d’esprit, puis on répand le bruit que cette femme, sur ses
dires à elle-même, est maltraitée dans l’asile ; mauvais
traitements qui se réduisent à l’avoir classée parmi les fous
dangéreux, d’après les motifs qui ont déterminé son
internement et l’avis des médecins. On demande aux
Sœurs la mise en liberté de Rose Ghurch : la supérieure
répond quelle croit cette femme aliénée ; mais que, folle
47
ou non, on ne peut la mettre en liberté que sur Tordre
d’une autorit" compétente. C'était aussi simple que
raisonnable, c’était évident ; mais la raison et l’évidence
ne tiennent pas contre les pr<qug s et le fanatisme et on
continua à tenir les sœurs responsables de la détention de
Rose Gburcli et à répandre force mensonges sur la
manière dont elle était traitée.
Il y avait différence d’opinion, entre les médecins
aliénistes d’un côté et les m-‘decins consultés par les
agitateurs de l’autre. Les premiers ont la prétention,
légitime et fondée en raison, d’en savoir pour le moins
tout autant que leurs contradicteurs : au mieux aller pour
ces derniers, ce ne pourrait être qu’un cas de divergence
d’opinion entre docteurs d’une autorité égale : ceci s’est vu
de tous temps :
Le médecin Tant-pis allait voir un malade
^Q,ue visitait aussi son confrère Tant-mieux.
Enfin, on finit par s’adresser à la justice ; ce qu’on
aurait dû faire de suite, sans tapage et sans calomnies, si
on avait été sincère et exempt d’arrières pensées dans
l’affaire de Rose Churcb. Nature lement, le juge ne
comprenant rien aux affections mentales dut avoir recours
à une nouvelle expertise. Les gens qui menaient la cam-
pagne co.xt.e les Sœurs, sur le dos de Rose Lynam,
voulaient avoir trois experts, avecTintention bien arrêtée
d’obtenir que deux au moins de ces experts fussent des
gens sur lesquels ils pussent compter ; mais le juge
résista, cette fois, et ne nomma qu’un expert.
L expert, un aliéniste dans Temploi du gouverne-
ment, constata chez Rose Ghurch un calme affecté,
des mouvements impulsifs pour le moins étranges,
une perversion de sentiments à Tégard de son mari et de
ses enfants ; avec une absence apparente d’idées délirantes
et d’hallucinations. Gefte femme lui témoigna qu’elle
avait pour son mari une telle haine que l’idée de se
venger était passée chez elle à l’état d’idée fixe. Elle
aimerait bien à voir son mari mort, mais elle aimerait
autant mourir avant lui, pour revenir exercer contre lui,
après sa mort à elle, une vengence plus complète : elle
n’entretient aucun doute sur ce rôle de revenant-tortureur
qu’elle pourrait, dans le cas, exercer contre son mari. Inter-
rogée pour savoir si elle n’aimerait pas mieux occuper une
48
autre division de Tasile que celle des fous dangereux,
elle dit que non : les turbulences et les accès des aliénés
de cette classe, dit-elle, la distraient et l’amusent. L’expert
étudia riiistoire de la malade, et déc ara qu’on avait eu
raison de la retenir à 1 asile. Bref, l’expert conclut par
déclarer Rose Ghurch atteinte de folie aliéctive, encore
dite raisonnante, et termina son rapport par ces mots : —
“ Je crois donc qu’il ne serait pas prudent de forcer son
mari à la recevoir, mais je ne vois aucun inconvé-
nient à ce qu’on la remette aux soins de toute autre
personne qui voudrait s’en cliarger.”
Au sujet de pareils cas, je suis heureux de pouvoir
citer l’opinion de quelqu’un, dont le témoignage ne
saurait être suspect aux zélés protecteurs de Rose
Ghurch : — M. eDr D. H. Tuke, pages 282 et 283 de ses
c/iap/ers,” dit : — The number of instances in which
■■ iife is sacrificed, and thestill larger number of instances
in which threats of injury or damage short of
homicide, destroy family happiness, througli Ih )
lunacy of one of its members, renders it highiy
“ désirable that greater facilities should exist for placing
“ such persons under restraint (we do not refer now to
“ imbéciles) before a dreadful act is committed, to say
nothing of . terminating the frightful do ^^estic unhap-
“ piness. In most of these cases there A j^nt slight
apparent intellectual disorder, although careful
‘‘ investigation would frequently discover a concealed
delusion, and the greatest difficulty exists in obtaining
a certificate of lunacy from two medical men. They
“ shrink from the responsability. Nothing is done.
Prolonged misery or terrible catastrophe is the resuit.
“ To avoid this, there might be a power vested in the
Gommissioners in Lunacy to appoint, on application,
‘‘ two medical men, familiar with insanity, to examine a
person under such circumstances. Their certificate
that he or she ought to be place under care should be
“ a sufficient warrant for admission into an asylum, and
“ they should not be liable to any legal conséquences.”
Rose Ghurch tombe précisément dans la catégorie
jies cas ^ auxquels il est fait allusion dans ce passage,
comme' étant de ceux qu’il importe d’interner dans les
asiles. Cependant, le juge du débat en décida autrement:
il convoqua un conseil de famille, pour nommer la
49
personne à laquelle on devait confier la garde de Rose
Cliurch. Le conseil fut composé du mari, Peter Lynam,
de deux cousins de la malade et de quatre autres per-
sonnes : cinq sur sept, le mari, les deux cousins et deux
autres décidèrent qu il fallait nommer pour surveillante
et gardienne'* de Rose Ghurcli, sœur Thérèse de Jf»sus,.
supérieure de l’asile de la Longue-Pointe ; mais Alfred
Perry, un de ceux qui avait monté toute cette aüaire,
avec un seul des membres du conseil de famille, recom-
mandèrent pour gardien de Rose Ghurch, M. Alfred
Perry !.... Le juge ordonna que Rose Ghurch fut remise
aux mains de M. Alfred Perry, qui en est devenu le
soutien, le gardien et le réxjoiidant.
Si ce n’était des principes en' jeu dans cette cause et
des dangers qu’il y aurait à considérer comme juridique
cette décision, on serait tenté de se réjouir de voir nos
bonnes sœurs débarrassées de Rose Ghurch et de voir
M. Alfred Perry en être chargé ; mais, dans l’intérôi de
la famille et de la société, ce n’est pas ainsi que l’on doit
considérer les choses. Un journal français faisait, à
l’occasion de cette terminaison de l’affaire Rose Ghurch,
les excellentes remarques que voici : — “ Il n’en est pas^
“ moins posé en princix^e, par ce jugement, qu’une femme
légalement ^sous puissance de mari, peut en l’absence
de l’ahCiL. on du mari, en l’absence de séparation de
corps et meme en l’absence d’une preuve pouvant
justifier une telle séparation, être soustraite à l’autorité
“ de son mari et placée sous l’autorité, être mise en la
possession d’un autre homme qui n’est ni son père, ni
son frère, ni même un parent. Gertes 1 voilà un
précédent qui paraitra plus qu’étrange. Espérons qu’il ne
fera pas loi.”
Il semblerait qu’à la suite d’une victoire aussi
signalée, les agitateurs auraient dû se trouver satisfaits,,
du moins jusqu’à nouvel ordre. Qu’on se détrompe, les
gens enrégimentés pour cette croisade continuèrent la
guerre contre nos asiles ; il y eut même une requête ou
députation, je ne sais quoi, d’envoyée au gouvernement
de Québec, pour demander la démolition de notre
système d administration de ces institutions. On ne lâcha
pas même Rose Ghurch : un reporter alla lu^ rendre
visite chez M. Alfred Perry. Get expert d’un .ouveau
genre, rendant compte à la troisième personne, da^ns son
n
50
journal, de son examen, disait entre autres choses :
— “ He expected to find lier an excitable and irritable
person, whose nerves had been shattered by long confi-
“ nement and whose dispositions had been soured b^^
“ injustice and ill usage. But he was agreably surprisedto
find her as calm in her inanner and as moderate in her
expressions, even when those who had injured her
“ most were the subject of conversation, as any lady of
the land Wlien asked why she had been placed
“ in the furious ward, she said that she would not tell.
“ She was not conscious of having done anything or said
“ anything to either the nu ns or the attendants to
deserve such treatment. When she enteredthe asyliim
she was, she said, kept for four nights in the First
“ Ward. On the fifth night sln.' was slapped, had hait*
torn ont of her head, was tied to a chair andwasfinaly
put in a dirty bed. On beiiig ask if punishment of that
“ kind was often inflicted at Longue-Pointe, she replied
‘‘ that patients were beaten frequently by the iiuns, by
the servants and by the man in attendance. ”
Suit une dissertation de RoseChurch, ou du reporter^
on ne sait trop lequel des deux, sur les conditions hygié
niques de l’asile de la Longue Pointe et sur le traitement
des aliénés, dissertation qui se termine ainsi : — “ Mi-s
Lynam describes the whole management of Longue
Pointe Asylum as unmitigatedly had. The patients are
“ badly lodged, bàdly fed and badly treated. The fre-
quency of punishment and the irresponsibility of those
who inflict it must strike every reflecting person as
most pernicious and tending to aggravate the diseases
of the mind and nerves, with which the unfortunate
are afhicted.”
L’auteur de cet écrit, qu’il est inutile de réfuter,
attendu que de pareilles billevesées portent en elles-memes
leur réfutation, finit par conclure que non-seulement Rose
Ghurch est complètement saine d’esprit aujourd’hui ;
mais qu’elle l’a toujours été ; il ne cache pas sa lumière
'Cet expert là, comme on voit : — “ Her enemies hâve tried
“ their best, but they hâve been unable to prove her
“ insane in a Court of Justice, and any one who see how
“ she conducts herself now and hears her talk will he
surprised that even the suspicion of liinacy ev('r
attached to her.”
51
Que ne peut-on pas attendre d’écrivains capables de
pareilles audaces ? Un chercheur de nouvelles, avisé par
une pauvre mono maniaque, décide de l’état mental de cette
dernière, pour le présent et pour le passé ! Quels sont ces
“ enmies” de Rose Church ? L’avocat consulté, les
médecins experts, les Sœurs de la Providence,, sans
doute, pour qui Rose Church, en dehors des devoirs
de profession et de charité qu’ils ont eu à exercer envers
elle, est absolument la première venue, dont ils ignoraient
meme probablement l’existence avant d’avoir été mis en
contact avec elle, par des circonstances tout-à-fait en
dehors de leurs désirs et de leur volonté ! Ces ennemis,
fantômes de rhallucination, n’ont pu prouver la folie de
Rose -Church ! Pourquoi alors, s’est-on légalement em-
paré de sa personne ? Pourquoi les experts l’ont-ils, à
diverses reprises, déclarée aliénée, folle dangereuse ?
Pourquoi le juge, si bien disposé en faveur des amis de
Rose Church, a-t-il cru devoir lui donner un gardien,
garant de sa conduite ? Tout cela crève les yeux de qui
veut voir.
Les écrits d’une certaine presse contre nos institu-
tions de la Province de Québec, sont tous du meme
acabit : on se croit tout permis sous l’égide des préjugés,
du fanatisme et de la partisanerie. L’usage que certaines
gens font en ce moment de la malheureuse Rose Church
n’a pas lieu d’étonner trop, il y a, entre leur maladie et la
sienne, beaucoup plus de rapports qu’il n’en apparait à
première vue. La monomanie, la folie raisonnante qui a
sa cause et son objet dans la haine de tout ce qui se
rattache, de près ou de loin, aux principes du catholicisme
et à la nationalité française, affecte les allures qui
caractérisent l’entité morbide qui lui sert de type.
Toujours présente à l’état latent, elle se manifeste, à des
intervalles plus ou moins rapprochées, par des exacerba-
tions qui vont quelquefois jusqu’à la fureur chez quelques
uns. Un pareil désordre est, pour la société canadienne,
ce qu’est la folie affective pour la famille, a frightfuï
domestic unhappiness^ selon l’expression de M. le Dr Tuke.
En verrons-nous jamais la fin? Atout cas, ça prendra
du temps ; car le mal est invétéré.