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Full text of "Les caractères: ou, Les moeurs de ce siècle. Précédés du Discours sur ..."

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LES 



CARACTÈRES 

LES MŒURS DE GË SIÈGLË 






' 



A LA MÊME LIBRAIRIE. 



La Bruyère : Œuvras, nouvelle éditioa revue sur les plus anciennes 
impressions et les autographes et augmentée de morceaux iné- 
dits, de variantes et de notices, de notes, d*un lexique des mots 
et locutions ren^arquables, d'un portrait, d'un fac-similé, etc., par 
M. G. Sbrvois. 3 vol. in-8*> et un album. Brochés. ... 22 fr. 50 c. 

Édition faisant partie de la collection des Grandi écriwiins de la 
France^ pabliée sous la direction de M. Ad. Régnier, membre de 
l'Institut, et qui a obtenu de l'Académie française, en 1877, le grand 
prix Archon-Desjpérous s. 



Typographie Lahnre, rue de Fleuras, 9, à Paris. 



LES 

CARACTÈRES 






TypograpL 



NOTICE. 



Jean de la Bruyère est né à Paris, an mois d'août 1645 : 
M. A. Jal en a récemment décoayertla preuve authentique, 
restituant ainsi à Paris un honneur que l'on avait long- 
temps attribué à Dourdan ou à quelque village voisin, et 
donnant à la naissance de l'auteur des Ckiractères la date 
certaine que l'on avait cherchée vainement jusqu'à ces 
dernières années'. Son père, Louis de la Bruyère, contrô- 
leur des rentes de la ville, et sa mère, Elisabeth Hamonin, 
appartenaient l'un et Tautre à une famille bourgeoise de 
Paris. Il étudia le droit et se fit recevoir avocat au Parle- 
ment ; mais à vingt-huit ans, il abandonnait le barreau, et 
achetait un office de trésorier des finances dans la généra- 
lité de Caen*. Les trésoriers étaient assez nombreux à cette 
époque pour qu'il fût permis à quelques-uns d'entre eux de 
ne pas résider dans leur généralité. Aussi la Bruyère, son 
serment prêté, revint-il à Paris, et grâce aux honoraires 
qui étaient attachés à la charge qu'il avait achetée, il put 



1. Sainuit vn extrait des registres de là paroisse de Saint-Christophe en 
la Cité, qui, sur les indications de M. Jal, a été publié en iStf i par M. B. 
ChIfU la Bruyère a étébapiisé le 17 août 1845. Le jour du baptême, d'oi^ 
^naire, suiTaîi de trèsfirèH celui de la iiaisnance. 

2. Les généralités éuient les circODscriptions financières de l'ancienne 
France. Il y a«ait dans chaqae généralité un bureau de finance. Les tréso- 
riers qui le composaient prenaient le titre de conseillers du roi, trésoriers 
de France, généraux des finances. 



U NOTICE , 

■ 

j yiyre, en toute iDdépendance, de cette vie studieuse et 
tracquille dont il goûtait si vivement les charmes*. 

Il fit bientôt cependant Tabandon d'une liberté si pré- 
cieuse. Sur la présentation de Bossuet, le grand Condé le 
chargea d'enseigner Thistoire à son petit- fils, le duc de 
Bourbon, et il yint s'installer auprès de son élève. Nous pou- 
vons le dire sans injustice ni témérité : l'élève était peu 
digne du maître. Du moins était-il intelligent, et Saint- 
Simon, qui a fait de lui, oooime d& son père, un portrait peu 
flatté, nous apprend qu'il conserva toute sa vie t les restes de 
Fezcellente éducation i qu'il devait en partie à la Bruyère. 

Averti du mérite de la Bruyère par Bossuet, Condé put 
entrevoir les solides qualités et les délicatesses rares de son 
esprit ; mais il mourut avant que le mettre d'histoire de 
son petii-flls n^eflt livré le secret de ses méditations soli- 
taires. A Tersailles et à Chantilly, la modestie de son rôle, 
la dignité de son caractère, et une certaine gaucherie un 
peu farouche maintenaient la Bruyère à Fécart. SU se mê-> 
l&it à la foulé, c^était pour b'j perdre, et pour y étudier à. 
Vigâse les personnages dont il devait peindre si admirable- 
ment les vices et les ridicules. Il avait pris plaisir à écrire les 
impressions qui! recevait dès hommes et des choses, no^ 
tant une à une lès. réfiexions que faisaient nattre en lui la 
lecture qu'il venait d'achever , la conversation qu'il avait 
entendue la veille, ITmpertîàence dont il était la victime 
ou le témoin, et tout ce qui, de près ou de loin, attirait ^oub 
attention. Du fbnd de son cabinet, il adressait aux courti- 
sans qu'il voyait s'agiter à Tersailles, et tout aussi bien aux 
bonrçeoia de F^s, dont il avait également appris à con- 
naître les mœurs et le caractère, les sévères leçons de morale 
et dlionnéteté qufl puisait dans la plus sage des pbiloso* 
phies.Ildistribuabientôt ses réfiexions sous un certain nom- 
ïa^à^ ^tamy las plaça oiAdesitemaB*, ooaoDa «w «orte é^ap* 
j^eiidice^ k lA saitô des CorocMrea de TfiéopbrasiSt qu'il avait 

t. yo|iq» le chAfiitpe du MériU 9$nowuL p* SS- {U (ùui •» Ftameê^.,)^ te 



traduit» du gree^ ai l«s lut à cpie^nes ank. ILi lux lèessTi* 
rent les éloges, paraît-il, aree une pmdcntèTéMrte. Heu** 
reusemeat cette froîdeu" na deciHuragea paa la Brayère ; 
il résolut de faire imivrimer soo manuscrit Au milieii d« 
siècle dernier, le savant Maupertuie racontait k Berliu de 
quelle ÙQon la Bruyère Ferait sea dsfw^ea an iâiraîra qui 
leaédlu, et ranecdote oiérite d'être conaervée. 

c M. de la Bruyère, diaait-ilf veaait preflc|iie îetanwHenmf 
s'asseoir chez ua libraire nommé Michallet, où il feuillétail 
les nouveautés, et s'amusait areo us eafanl btengestil, fille 
du libraire^ qu'il avait {^ris en an&iié. Uo jour û tire bu 
manuscrit de sa pacbe, et di^ h Michalkl ; c Toules^vou» 
imprimer ceci? (C'était les (kiinctéru.)J9 ne aaia si Youa f 
trouvères votre compte ; mais «& cas de suecè», le produit 
sera pour ma petite aamct* » ^^ lîlyeaîre eiktpaprit Tédilkm. 
A peine TeùV-il mise eu Tente qu^^le lut enlsvéef et qu'il 
fut obligé de réimprim«r {duaieuM fdis ee htre, qui lui 
valut deux ott troia cent raifle fraaos. Telle lut la.d^ ia»* 
prévue de sa filie^ qui fit^dans la saite, la mariage le ph» 
avantageux*. » ^ 

Imprimé à la fin de ia87^ ans Aôm d'aatear et seat e» 
titre : ks (kuractàrêê de Théophraêtej: ir&dvits At gftc^ mec l» 
Cara^Urea ou ks maurs 4$ ee eièckt la lirre fut mes es Tentv 
dans le ceur» de Tanaée 1688. La prenièr» éâitfam, qv wm 
couteoait guère que le tiers de Fouvrage que nous poasd^ 
doits» fut, ea eSet, isfûdement épuisée; une seoondeeiuM 
troittème la suivirent de près* Le auecès enhardît la Bruyèrrf 
^ 8«as janiais ab«idoBiMr le travail dlnceasante réviaseo 
auquel Û soumit sas Caitaetèree et dont neuf éditto&s por^» 
te&t les marques, il écriiât da aauvelles réftaxioaa ék sbtm 
tout de nouveaux portrait». 

La duc de Bourbôft^s^étalt BMrié en 1685^ et avait eaasé 
de prendre de» leçons d'hialeirSé La Bruyère oqMndaat 
n'avait poûm quitté la masses de Goadi s réducalâoB dv 

1. Fonney, secrétaire perpétuel de rAcadémie de Wlin,a rapporté cetta 
■aecdoie, qM WftaU' dé MatipéniiiÉV ààm VtaS àê ttUt «iieoért aeirié^ 
miqaes. 



IV NOTICE-. 

jeune duc de Bourbon tenninée, il était détenu Tun des 
gentilshommes de M. le Duc, qui était le père de son ancien 
élève, et qui devait, après la mort du grand Condé, s'ap- 
peler M. le Prince. Il put donc étudier jusqu'à son dernier 
jour le spectacle curieux qu'offrait la cour à tout observa- 
teur désiotéressé, et de plus en plus assuré contre les atta- 
ques de ceux qui eussent voulu entreprendre sur sa liberté, 
il osa plus souvent peindre les gens au milieu desquels il 
vivait. 

Dans la quatrième édition (1689), le livre des Caractères 
avait presque doublé ; chacune des quatre éditions qui la 
suivirent (1690-1694), reçut également de nouvelles augmen- 
tations. La huitième édition offrait un intérêt particulier. Elle 
contenait l'excellent discours que la Bruyère avait pro« 
nonce à l'Académie française le jour de sa réception, et la 
préface très-acerbe qu'il avait cru devoir y joindre. 

Sa candidature à l'Académie avait rencontré d'ardents ad- 
versaires, et comment s'en étonner? « Voilà de quoi vous 
attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis, » lui 
avait-on dit, alors qu'il préparait la publication des (7a- 
ractères. Et le livre, en effet, avait aussitôt soulevé de 
violentes inimitiés, dont le nombre s'était accru chaque 
jour. Beaucoup de gens ne voulaient y voir, et pour cause, 
qu'un libelle injurieux. Tous ceux dont la malignité pu- 
blique, à tort ou à raison, mettait les noms au-dessous 
des portraits tracés par la Bruyère, tous ceux qui s'étaient 
sentis secrètement blessés des traits qu'il avait lancés 
comme au hasard, tous ceux enfin qui avaient quelque 
chose à craindre d'un écrivain moraliste et satirique à la 
fois, s'indignaient à la pensée qu'il pût devenir académi- 
cien. Xes ennemis que la Bruyère avait au sein de l'Aca- 
démie obtinrent, une première fois, qu'elle donnilt raison 
aux ennemis du dehors. L'auteur des Caractères s'étant pré- 
senté en 1691 pour succéder à Benserade, la majorité des 
académiciens lui préféra un auteur de frivoles badinages, 
Etienne Pavillon, poëte aimable et fort à la mode, honnête 
homme d'ailleurs, qui avait eu la modestie de ne pas se met- 



m 



fïOTICE. V 

tie SOT les rangs. Une seconde tentative, faite en 1693, fat 
plus heureuse, et grâce à Tappui chaleureux de Racine, de 
Boileau, de Regnier^Desmarets, grâce aussi peut-être» s'il 
faut tout dire, à Fintervention du secrétaire d'État Pôntchar- 
train*, la Bruyère fut élu presque à l'unanimité. L'Acadé- 
mie le reçut en même temps que Fabbë Bignûn, le 15 juin 
1693, dans une séance que présida Charpentier. 

Cette séance eut un long retentissement. L'Académie était 
alors divisée en deux camps : les partisans de la littérature 
ancienne, et les partisans de la littérature moderne. La 
Bruyère, qui s'était prononcé à Tavance en faveur deTanti- 
quité classique, fit, dans son discours, l'éloge des premiers 
et ne loua parmi les seconds qu'un seul de ses confrères. 
Charpentier, qui allait prendre la parole après lui et qu'il 
ne pouvait se dispenser de nommer. Il proclama devant les 
victimes de Boileau que les vers du satirique étaient f faits 
de génie i et que sa critique était f judicieuse et inno- 
cente ; 1 ce qui était plus grave, il mit en doute, devant 
le frère et le neveu de Corneille*, que la postérité ratifiât le 
jugement qu'avaient porté du grand tragique ses contem- 
porains immédiats, se rangeant presque ouvertement parmi 
ceux qui n'admet1;aient pas que Corneille fût égal à Racine« 

Fontenelle ne dissimula point l'irritation que lui avait 
causée ce discours, et tenta, mais vainement, d'obtenir qu'il 
ne fût pas imprimé dans le recueil des harangues académi- 
ues. S'associant àla colère de Fontenelle, le Mercure galant 
îublia, au sujet de la réception de la Bruyère, une diatribe 
dont la violence contrastait singulièrement avec les articles 
de banale admiration qu'il prodiguait d'ordinaire à tout 
venant. Ce n'était pas seulement, du reste , le soin de la 
gloire de Corneille qui animait Fontenelle et le Mercvre 



1. Ia Bruyère » déclaré dans son l/t«cof»rt qu'il est entré à rAcadéorie 
•ani avoir fkitancnne ivolIiciutioD, et il faut l'en croire sur parole ; mais 
ses aniÏH, du moins, aviient pris à cœur sa nomination. Pontchartrain, 
qui était Tua d'eux, écrivit aux académiciens sur lesquels il avaii 
oaelqne influence pour leur dira quel prix il attachait an succès de l'auteur 
«M Carattèret. 

9. Thomaa CoradUe et Fontenelle. 



YI AOTKSI. 

ooûtra la Brayère : l'on arait à sa Tanger d'a?oir éU paiat 
aotts le nom de Cydia»*; Tautre d'avoir été placé mtnédiik' 
têmmî au-éessau» de rien*. 

Plusieurs mois après cette séanee, la Bruyère yépeodit 
aax attaques de ses a iversaires par ia préface qu'il publia 
en tête de son discours. G«tie pr^^ùice est la demiére addi- 
tion quUl ait faite à son livre. Quelques jours avant que ne 
parût la neuvième édition des OiraMrti^ qui n'était, sauf 
quelques retouches sans importance, que la simple répéti- 
tion de la huitième* le 11 juin 1606, il mottrat snbitement 
à Versailles d'une attaque d'apoplexie, laissant inacherés 
des dialogues sur le quiétisme*. 

D'après les témoignages qu'il a recneillie, l'abbé d'Oliret 
nous représente la Bruyère c comme an homme qui ne son- 
geait qu'à Yivre tranquille aveo des amis et des livres, fai- 
sant un bon choix des uns et des autres; ne cherebant ni ne 
fuyant le plaisir; toujours disposé à une joie modeste et in- 
génieux à la faire nattre, f^oU dans ses manières et sage dans 
ses discours; craignant toute sorte d ambition, même celle 
de montrer de l'esprit. » Le portrait est assurément exact. 
Saint-Simon, qui avait vu souvent la Bruyère, et qui l'appelle 
« un homme illubtre par son esprit, par son style et par la 
eonnaissanoe des hommes, » avait reconnu en lui c un fort 
honnête homme, de très-bonne compagaie, simple, sans rien 
de pédant et fort désintéressé. > 

Mais c'est dans son livre qu'il faut surtout chercher ^^ 
étudier la Bruyère. Il s'y montre par excellence Vhonnéw^ 
homme tel que nous le déânissons aujourd'hui, et non pas 
seulement l'honnête homme td qu'on le définissait de son 
temps et que le comprenait Saint-Simon, c'est-à-dire 
l'homme instruit et bien-élevé. A travers ces pages où il se 
peint lui-même en nous livrant sa pensée sur toutes choseS| 

|. Vovn \9 chapitre de In Socié^ et d$ Ja eonvêrsaii^n, p. SI. 

S. V«»yi'S le cliHpiire deê OHcrayes d» l'etorHf p X9. 

%. Aprèti la ninri •'« (n biuvèiu, ii •* éié pue ie «miub son nwm (iet DJ/1I4- 
guessur le quirtisme; muis leur au lieiiiit-it»> a paru fori «u^pfcie. L'édiiMHr, 
qui eiaii Kll<eh Dukiiii, avouait qu'il éu*l l'MUlettr iMl^sua ^SUMUfi <|Àftio- 
guet; peut-être «vùi-ii cumpvaé l'ouvrage euuer« 



I 



tiottCK. vu 

û eu Bit une qai nras Introduit auprès é» Yvâ tlans von eabi- 
net de tmtBil : c faomtnfi important et ebargé d'affaires, qai 
à Yotre tour avez besoin de mes offices, venez d ms la solitude 
de mon cabinet : le philtnopb«est accessible etc., * > Il faut 
lire tout le passage et le rapprocher du commentais pîécieuz 
qu'en a ftiit l'un des plus malveillants détracteurs de la 
Bruyère : t Rien n'est si beau que ce caractère, a dit le 
chartreux Bonaventure d^Argoiine sons le pseudonyme de 
Vigneul-Marville; mais aussi faut-il avouer que, sans sup- 
poser d'antichambre ni de cabinet, on avait une grande com- 
modité pour s'introduire soi-même auprès de M. de la Bru- 
yère avant quHl eût un appartement à i^hôtel de.... (Condé).- 
U n'y avait qu'une porte à ouvrir et qu'une chambre proche 
du ciel, séparée en deux par une légère tapisserie. Le vent, 
toujours bon serviteur des philosophes, courant au-devant 
de ceux qui arrivaient, et retournant avec le mouvement de 
la porte, levait adroitement la tapisserie et laissait voir le 
philosophe, le visage riant et bien content d'avoir occasion 
de distiller dans l'esprit et le cœur des survenants Télixir 
de ses méditations. » Dora Bonaventnre n'est-il pas un biei^ 
maladroit ennemi? U veut faire de la Bruyère un philosophe 
ridicule, et voilà dix lignes qui, à défaut d^autre témoignage, 
eussent suffi à recommander à notre sympathie Phomme 
qu'il sVst proposé d^amoindrir. 

Rendre les hommes meilleurs en leur présentant Timage 
de leurs défauts, et en mettant à découvert les sentiments 
secrets d'où proviennent leur malice et leuts faiblesses, 
tel est le but que s'est proposé la Bruyère. Ce n'est pas en 
écrivant un traité méthodique sur la morale, tel, par exem- 
ple, que la Cour sainte du P. Caussin, qu'il voulut tenter de 
corr ger ses lecteurs. Laissant aux docteurs les dissertations 
dogmatiques, et s'afTranchissant des transitions qui eussent 
alourdi ei gêné sa marche, il fait passer sous nos yeux une 
suite de réflexious détachées où ehacnn de nous peut toar à 
tour puiser une leçon, et une série de portndis parmi le»- 

1. Vojrei la chapitre d$$ Bimê 4$ forftmt,!». 96. 



Vm NOTICE. 

qaels nous pourrions parfois trouTer le nôtre, si nous ne 
préférions y chercher celui d'un roisin ou d'un ami. 

Boileau reprochait à la Bruyère de s'ôtre épargné les 
difficultés des transitions; mais quel ouvrage régulièrement 
méihodiq[ue sur la morale eût pu valoir les Caractères et 
obtenir le môme succès ? Comment d'ailleurs concevoir cet 
admirable livre sous une autre forme que celle qu'il a reçue? 
A ce reproche, que bien d'autres répétaient, la Bruyère 
opposait c le plan et Téconomie du livre, » s'efforçant de 
démontrer que les réflexions qui composent chacun des 
chapitres se présentent c dans une certaine suite insensi* 
ble, > et qne le chapitre final est préparé partons les autres *. 

On sait avec quelle énergie la Bruyère a protesté contre 
une accusation plus grave. Ses ennemis, comme nous l'a- 
vons indiqué, lui reprochaient d'avoir malicieusement in- 
séré dans ses Caractères les portraits satiriques et calom- 
nieux de divers personnages, et l'on se passait de main en 
main des listes sur lesquelles étaient inscrits les noms de 
ceux que l'on prétendait avoir reconnus. La Bruyère dés^ 
avoua hautement toutes les clefs, et assurément il en avait 
le droit. Beaucoup de personnes y étaient nommées qu'il 
n'avait jamais vues, beaucoup d'autres qu'il avait vues et 
qu'il n'avait pas voulu peindre. S'il lui était arrivé de faire, 
de propos dé ibéré, le caractère de tel personnage que les 
circonstances avaient placé devant ses yeux, n'était-il pas, 
au surplus, libre de garder son secret, et fallait-il qu'i^ 
attachât au portrait le nom du modèle? Ses caractères étaien^ 
faits d'après nature, il l'avait dit le premier ; mais» sans 
nier qu'il eût jamais peint c celui-ci ou celle-là », il asçurait 
qu'il avait le plus souvent emprunté de côté et d'autre les 
traits dont chaque caractère était formé et qu'il s'était ap- 
pliqué sincèrement à dépayser le lecteur c par ihille tours 
et mille faux fuyants *. > . 

I . Voyez la préface des Caraçth'ti et la préfaee da Diêcour9 à VAcadimiê 
françnise, — La Bruyère, toatefois, atait reconnu, dans la Discourt tur 
Théophroitê, que son. IWre éiait écrit « san» beaucoup de méthode. » 
(Voyez ci-après, p. xxzi). 

9. Quoi qu'eo ait dit la Bruyère daoi la préftioe de son Discown à 



NOTICE. IX 

n n'est pas d'oavrage dont l'étude soit plus profitable que 
celle des Caractères» c Voulez-vous faire un .inventaire des 
richesses de notre langue, a dit un très-bon juge, en voulez- 
vous connaître tous les tours, tous les mouvements, 
toutes les figures, toutes les ressources, il n'est pas népes- 
saire de recourir à cent volumes, lisez, relisez la Bruyère. » 
Et, en effet, quelle variété infinie dans l'expression de sa 
pensée I Avec quel art se présente chacune de ses réflexions! 
Cet art ne se dissimule pas toujours assez, et la Bruyère a 
c plus d'imagination que de goût : » ce sont là les seules 
réserves qu'ait pu faire la critique la plus délicate. La 
Bruyère n'en est pas moins Tun des écrivains les plus ori- 
ginaux de notre littérature *. Sa manière n'est plus tout 
à fait celle des grands écrivains du dix-septième siècle , et 
l'on a pu dire qu'il touche, par certains côtés, au dix-hui- 
tième. Mais s'il est vrai que, par une teinte d'affectation 
et par la nouveauté des tours , il appartienne à ce qui est 
encore l'avenir, que de liens le rattachent au passé, je veux 
dire à la langue de la première partie du dix-septième siè- 
cle! Alors que la plupart de ses contemporains avaient 
c secoué le joug du latinisme. » il reste, Tun des derniers, 
fidèle à quantité de tournures et de locutions qui n'auront 
plus cours au dix-huitième siècle et qui parfois étonnent 
déjà les puristes de son temps. ^ 

Nous reproduirons, à la suite de cette rapide notice, 
quelques extraits des appréciations littéraires auxquelles 
ont donné lieu les Caractères, Sans cesse lu et relu, le livre 
de la Bruyère est Fun de ceux auxquels la critique revient 
le plus souvent. 

Il est aussi l'un de ceux que, de notre temps, l'on a édi- 

TAcaàémi»^ il n'a pas toujoars « Dommé nettement, » et par loirs noms 
en toutes leures, les personnes qu'il Toulait désigner panicnlièrement. 
Il entendait bien, par exemple, que chacun reconnût Chapelain, Corneille, 
Bos8uet,ie Mercure galantf les partisans, sous les initiales G. P., G. N., L*. 
de Meaux, le M. G., les P. T. S. 

1. Aussi est-il l'un de ceux que M. Littré a cités le plus souTent dans 
son excellent Dictionruur$ de ta langue française. En même temps que ce 
dictionnaire, non» aTons utilement consulié le Ltxiqtu de la langue de Mo^ 
liàre, par F. Génin, et surtout le Lexique de la langue de ComeUlef par 
M. F. Godefroy. 



X WOTICË. 

tés arec le pltn de soin. MM. Walckenaer, Bestailleuf , et 
Hémardinquer, dont nous avons mis à profit les travaux, 
doivent être placés au premier rang de ceux qui ont rendu 
plus facile la tâche de quiconque publie de nouveau les 
Caractêrei. Mais, si nombreux qu*aient été les commen- 
tateurs de la Bruyère, tous les passages de son livre ne sont 
pas encore éclairds. Tel nom, jadis célèbre, telle mention 
d'événements peu connus, telle allusion à des usages oubliés, 
présentent de véritables énigmes à Tesprit des lecteurs mo- 
dernes. Nous avons tenté, pour notre part, de faire dispa- 
rattre toute obseurité. 

Quant au texte même, nous l*aTons collationné sur les 
éditions qui ont paru pendant la yie de Vautour, et cette 
révision n'a pas été inutile, même après les excellente édi- 
tions de MM. Walckenaer et Destallleur. 

Parmi les services qu'a rendus M. Walckenaer, il en est un 
que nous devons particulièrement rappeler. Les chapitres 
des Caractères se composent de morceaux détachés, qui for- 
ment souvent plusieurs alinéas : la Bruyère avait séparé 
chacun de ces morceaux par une marque distiactive, qu'il 
eût été nécessaire de maintenir, et que cependant la négli- 
gence des éditeurs du dix-huitième siècle a laissé disparaî- 
tre. M. Walckenaer a pris le soin de rétablir dans le texte 
des Caractères les divisions primitives, et il n*est plus per- 
mis de les omettre. Le signe que Ton trouvera en tète de 
chaque réflexion a donc pour objet de la séparer de celle 
qui la précède et de la maintenir dans le cadre que lui a 
tracé Fauteur. 



c^ 



JUGEMENTS LITTERAIRES 



SUR U BRUYERE. 



lia Bruyè^ est entré pkis afant que Tliéo|yhraste dans le 
coeur jde Thomme ; il y est même entré plus délicatement et par 
des expressiODs plus fines. Ce ne sont pas des portraits de fantaisie 
quMl nous a donnés : il a travaillé d'après nature, et il n'y a pas 
une description sur laquelle il n'ait eu quelqu'un en vue. Pour 
moi, qui ai le malheur d'une longue expérience du monde, j'ai 
trouvé à tous les portraits (ju'il ma faits des ressemblances peut- 
être aussi justes que ses propres originaux. Au reste, monsieur, 
je suis de votre avis sur la destinée de cet ouvrage, que, dés 
qu'il paraîtra, il plaira fort aux gens qui ont de l'esprit, mais qu'à 
la longue il plair<a encore davantage. Gomme il y a un beau sens 
enveloppé sous 49S tours Dus, la révision en fera sentir toute la 

déUcatesi90r 

BtJSST-RABDTCt (lettre dtt 10 mars 1688). 



Il fi'y 4 pvMqiie point de tour daus rèloquence qu'où ue trouve 
dans la Bruyère i «t si on y désire quelque chose, ce ne sont pas 
certaine.uient les expressions, qui sont d'une force infinie, et tou- 
jours les plus propres et les plus précises qu'on puisse employer. 
Peu de gens l'ont compté parmi les orateurs, parce qu'il n'y a pas 
une suite sensible dans ses Caractères. Nous faisons trop peu d'at- 
tention à la perfection de aea fragments, qui eontiennent souvent 
pins de matière que de longs disooura, plus de proportion «t plus 
d'art 

On remarque dans tout son ouvrage un esprit juste, élevé, nep- 
ftai, pathétique, égedement capable de réflexion et ée sentiment. 



XII JUGEMENTS LITTÉRAIRES 

et doué avec avantage de cette invention qui distingue la main des 
maîtres ,et qui caractérise le génie. 

Personne n'a peint les détails avec plus de feu, plus de force, 
plus d'imagination dans l'expression qu*on n'en voit dans ses Ccl- 
ractères. Il est vrai qu'on n'y trouve pas aussi souvent que dans 
les écrits de Bossuet et de Pascal de ces traits qui caractérisent 
non-seulement une passion ou les vices d'un particulier, mais le 
genre humain. Ses portraits les plus élevés ne sont jamais aussi 
grands que ceux de Fénelon et de Bossuet: ce qui vient en 
grande partie des gehres qu'ils ont traités. La Bruyère a cru, ce 
me semible, qu'on ne pouvait peindre les hommes assez petits; et 
il s'est bien plus attaché à retever leurs ridicules que leur force. 

Vàuvenargues. 



La Bruyère est meilleur moraliste et surtout bien plus grand 
écrivain que la Rochefoucauld ; il y a peu de livres en aucune 
langue où l'on trouve une aussi grande quantité de pensées justes, 
solides, et un choix d'expressions aussi heureux et aussi varié. 
La satire est chez lui bien mieux entendue que dans la Roche- 
foucauld : presque toujours elle est particularisée, et remplit le 
titre du livre. Ce sont des caractères; mais ils sont peints supé- 
rieurement. Ses portraits sont faits de manière que vous les voyez 
agir, parler, se mouvoir, tant son style a de vivacité et de mouve- 
ment. Dans l'espace de peu de lignes, il met ses personnages en 
scène de vingt manières différentes; et, en une page, il épuise 
tous les ridicules d'un sot, ou tous les vices d'un méchant, ou 
toute l'histoire d'une passion, ou tous les traits d'une ressemblance 
morale. Nul prosateur n'a imaginé plus d'expressions nouvelles, 
n'a créé plus de tournures fortes ou piquantes. Sa concision est 
pittoresque et sa rapidité lumineuse. Quoiqu'il aille vite, vous le 
suivez sans peine; il a un art particulier* pour laisser souvent dans 
sa pensée une espèce de réticence qui ne produit pas l'embarras 
de comprendre, mais le plaisir de deviner ; en sorte qu'il fait, en 
écrivant, ce qu'un ancien prescrivait pour la conversation, il vous 
laisse encore plus content de votre esprit que du sien. 

La Habpi. 



Le livre des Caraetères fit beaucoup de bruit dès sa naissance. 
On attribua cet éclat aux traits satiriques qu'on y remarqua, ou 
qu'on crut y voir. On ne peut pas douter que cette circonstance n*y 
contribuât en effet Peut-être que les hommes en général n'ont ni 
le goût assez exercé, ni l'esprit assez éclairé pour sentir tout le 



SUR LA BRITTERE. Xm 

mérite d*im ouvrage de génie dés le moment où il paraît, et qu'ils 
ont besoin d*ôtre avertis de ses beautés par quelque passion parti- 
culière, qui fixe plus fortement leur attention sur elles. Mais, si la 
malignité hâta le succès du livre de la Bruyère, le temps y a mis le 
sceau : on l'a réimprimé cent fois; on Ta traduit dans toutes les 
langues; et, ce qui distingue les ouvrages originaux, il a produit 
une foule de copistes ; car c'est précisément ce qui est inimitable 
que les esprits médiocres s'efTorcent d'imiter. 

Sans doute la Bruyère, en peignant les mœurs de son temps, a 
pris ses modèles dans le monde où il vivait; mais il peignit les 
hommes, non en peintre de portrait , qui copie servilement les ob- 
jets et les formes qu'il a sous les yeux, mais en peintre d'histoire, 
qui choisit et rassemble divers modèles, qui n'en imite que les 
traits de caractère et d'elTet, et qui sait y ajouter ceux que lui 
fournit son imagination, pour en former cet ensemble de vérité 
idéale et de vérité de nature qui constitue la perfection des beaux-arts. 

C'est là le talent du poète comique : aussi a-t-on comparé la 
Bruyère à Molière, et ce parallèle ofire des rapports frappants; mais 
il y a si loin de l'art d'observer des ridicules et de peindre des ca- 
ractères isolés, à celui de les animer et de les faire mouvoir sur la 
scène que nous ne nous arrêtons pas à ce genre de rapprochement, 
plus propre à faire briller le bel esprit qu'à éclairer le goût. D'ail- 
leurs, à qui convient-il détenir ainsi la balance entre des hommes 
de g^e? On peut bien comparer le degré de plaisir, la nature des 
impressions qu'on reçoit de leurs ouvrages; mais qui peut fixer 
exactement la mesure d'esprit et de talent qui est entrée dans la 
composition de ces mêmes ouvrages?... 

En lisant avec attention les Caractèreg de la Bruyère, il me 
semble qu'on est moins frappé des pensées que du style; les tour- 
nures et les expressions paraissent avoir quelque chose de plus 
brillant, de plus fin, de plus inattendu que le fond des choses 
mêmes; et c'est moins l'homme de génie que le grand écrivain qu'on 
admire. 

Mais le mérite de ce grand écrivain, quand il ne supposerait pas 
le génie, appose une réunion des dons de l'esprit, aussi rare que 
le génie.... Ce n'est qu'après avoir relu, étudié, médité ses Carac- 
tère$^ que j'ai été frappé de l'art prodigieux et des beautés sans 
nombre qui semblent mettre cet ouvrage au rang de ce qu'il y a de 
plus parfidt dans notre langue. Sans doute la Bruyère n'a ni les 
élans et les traits sublimes de Bossuet, ni le nombre, l'abondance 
et l'harmonie de Fénelon, ni la grâce brillante et abandonnée de 
Voltaire, ni la sensibilité profonde de Rousseau : mais aucun d'eux 
ne m'a paru réunir au même degré la variété, la finesse et l'origi- 
nalité des formes et des tours qui étonnent dans la Bruyère. Il n'y 
a peut-être pas une beauté de style propre à notre idiome, dont 
on se trouve des exemples et des modèles dans cet écrivain. 



XIY JUGEMENTS UTT^R AIRES. 

Il serMt di^ilo de défiair avec préoiBMn W earaelèr» dhtmtif 
d» so» ea^ : il aei&Ue réusir tous Iw g«nrafl d*(»f[>ril. Tour à to«f 
noble et famlUer, éloquent et rammir^ fin et profoiuit tmer et ^f 
il change^ tvee uoe extrôme oiobiUlé do ton, de personnage et 
mêioe de sentiment, et parlant cependant dee méflaes objets. 

Et ne croyez pas que coe mouveoMnls si divers soient Texpioeicm 
nft^nreUe d'une âme trèe-senstye, qpi, f» livrant à rknpressija 
qu'elle reçoit des objets dont elle est frap^» s'irrite contre lui 
vice> tfméigae d'un riéieule, s'entheusiasake pour les mepvrs et la 
Tortu. La Bruyère meotre partout les sentiaaents d'un hewiAte 
homiAe; maie 11 n'est ni apôtre ni misanthrope. U se paasionnot il 
est vrai; maie c'est comme le poite dramatique qui a de» eanctènan 
opposés à mettre en aotion. Racine n'eet ni NéMHi, ni Bnrrhue; 
zaais il se pénètr» fortement des idées et des sentiments qui appar- 
tiennent au eametère et à la sitoatteit de ses pcmonnages, et il 
tranre dans son imagfaiation eialfeée par les sentiment» et le» idée» 
dent il est plein, tous les traits dont il a bcsoia peur les peindbre. 

Ne cherehoB» dime dan» le style de bt BrayèK ni Feipressioit d» 
son caractère ni Tépanehement rafoloBtnre de son àma; mai» oIh 
serfOBs tes formes diverses qn'il prend -haliâernent po» noua inlé* 
reseer on nous plaire. 

ftoe grande partie de ie» peméns né poafftieiit se pvtoater qne 
comme te» tésuitat» d'une obserrsiiaB tranquille et réftéefaie; mais^ 
quelque ?èrité, quelque ftnesiey qvetque profondeur même q»*il f 
eût daa» tes pensées, cette forme froide et monotone auraié liient& 
ralenti etftitigué l'attentiDOy si' eUs eftt été ti^ eominaetteaniil^ 
prolongée. 

Le pbiiesopbe n^cilt pa» seolemeBt peur m falr» lirey il wut 
perMader ce qu'il éeria; ^ ^ cowrtdtev de l'esprit^ ainsi que Té» 
mottott de IHime^ est teujeuie preporli«nQé» an 4^é d'attentimi 
qa^>n dosne aint papoles. Quel éerivaifl a mkmx connu l'art de 
fiier Fatteofien par la T^acité on la ^ngolarité de» tour»^ etdal»^ 
réveiller sans cesse par une inépuisable yariété?... 



tmmmrn 



II» livra de la Bruyère est du petit nomiure da ceux qui ne caa* 
aeront jamaior d'être ê Tordre du jour. C'est un Uvre fsii d'apré» 
nature, w> de» plue pensés qui existent et des plus fortement 
écrit». « Comme il y a un beau sens enveloppé soys des tour» Ans, 
une seoonde lecture en fait mieux sentir toute la délicatesse. » à 
n'est point propre U'ailleurs à être la de suite, étant trop plein et 
trop denae de matière, c'est-à-dire d'esprit, pour cela; mais, à 
quelqua page qu'on l'ouvre, on est sûr d'y trouver le fond et la 
forme, la réflexion et l'agrément, quelque remarque just» relevéa 






ir 



SUR LA BRUYERE. XV 

d'imprévU;, de ce que Bussy-Rabutin appelait le tour et qne nous 
appelons Vart,.,, 

A prendre l'ouvTagç dans safbrme déftnhîvB, teî qu'il étaft déjà 
à partir de la cinquième édition, c'est, je t'ai dit, un des livres les 
plus substantiels, les plus consommés que l^^tI ait, et qu^n* peut 
toujours reftre smw jamais I épuiser, un de ceux qui honorent le 
plus le génie de la nation qui les a produits. 11 n'en est pas de plus 
propre à faire respecter Tesprit français à Tétranger (ce qui n'est 
pas également vrai de tous nos chefs-d'œuvre domestiques), et en 
même temps iï y a profit pour chacun do ravoir, soir et matin, aur 
sa table. Peu à la fois et souvent:, su irez la prescription^ et tous 
TOUS en trouverez bien pour le réghne de l'esprit.... 

La Bruyère aime la variété et même il TalDscte un peu. Soit 
dans la distribution, soit dans It détail, fart chez lui est grand, 
très-grand, il n'est pas suprême, car il se voit et il se sent; il ne 
remplit pas cet éloge que le poète donne aux jardins enchantés 
d'Annide : 



B qntl ehel Mla el ev» MeieaM Al^opfe, 
l/ane eli» tetta ft» mlbi û «Gopfe. 

« Et ce qui ajoute à la beauté et au prix dés ouvrages, Tart qui 
a présidé à tout ne se découvre nulle part. » 

Tout est soigné dans là Bruyère : il a de grands morceaux à 
effet; ce sont les plus connus, les pUis réputés classiques, tels que 
celui-ci : « Ht Us troubles ^ Zénobie^ qui agitent i)otre em^ 
pire, etc. » Ce ne sont pas ceux qu'on préfère quand on l'a beau* 
coup lUf mais ils sont d'une construction, d'Une suspension par- 
faite et d'un liaborieux achevé. 

Eh fait de toiles de moyenne dimension, on n^ avec lui que 
rembarras du choix. On sait les beaux portraits du Riche et du 
Pauvre f auxquels il n'y a qu'à admirer : c'est mieux encore que 
du Théophraste. La Bruyère excelle et se complaît à ces portraits 
d'un détail accompli, qui vont deux par deux, mis en regard et 
contrastés ou même concertés : Démophon et Busilidê, le nou=^ 
velliste Tara pis et le nouvelliste Tant mteux; Gna^um et Citron, 
le gourmand vorace qui engloutit tout, et le gourmet qui a fait de 
la digestion son étude. N'oubliez pas, entre tant d'autres, l'in- 
comparable personnage du ministre plénipotentiaire. Quand j'ap- 
pelle cela des portraits, il y a toutefois à dire qulls ne sont jamais 
fondus d'un jet ni rassemblés dans l'éclair d'Une physionomie ; la 
vie y manque : ils se composent, on le sent trop, d'une quantité de 
remarques successives; ils représentent une somme d'additions 
patientes et ingénieuses. Aussi la Bruyère ne les a-t-il pas inti- 
tulés parfraif^, mais caractères. 

Lorsqu'on s'est une fois familiarisé avec lui et avec sa manière , 
on l'aime bien mieux, ce me semble , hors de ces morceaux de 



I 

•I 



XYI JUGEMENTS LmÉRAIRES 

montre et d'apprôt, dans les esquisses plus particulières d'origi- 
naux, surtout dans les remarques soudaines, dans les traits yifs et 
courts , dans les observations pénétrantes qu'il a logés partout et 
qui sortent de tous les coins de son œuvre. 

Sàinte-Bbovb. 



L'aptitude de la Bruyère se révéla et se fortifia par Tétude 
qu'il fit de Théophraste, et par l'excellente ' traduction qu'il en 
donna. En publiant à la suite dé cette traduction ce qu'il y ajou- 
tait de son fonds, et d'après des modèles pris dans sa nation, il 
faisait voir, par la comparaison, que notre littérature était mûre 
pour ce genre d'écrits. C'est à lui, en effet, qu'il faut faire hon- 
neur d'avoir su le premier présenter la morale sous la forme d'un 
genre ou d'un art. La Bruyère est le moraliste littérateur. 

Ses deux devanciers n'avaient pensé qu'à se rendre compte à 
eux-mêmes, celui-ci, de ses souvenirs et de la morale qu'on en 
pouvait tirer ; celui-là, de ses motifs d'abdiquer et de se réfugier 
dans la foi. La Bruyère, moins sublime en effet que Pascal et 
moins profond que la Rochefoucauld, songe plus à s'approprier au 
public, et s'accoutume à ne regarder les choses que jusqu'où la 
vue des autres peut le suivre. Philosophe plus libre que la Roche- 
foucauld et Pascal, il n'est pas enchaîné à son passé comme le pre- 
mier, ni, comine le second, tiraillé entre le doute et la foi. S'il 
plonge moins avant ou s'il voit de moins haut, il touche k plus de 
points et voit plus juste. Au lieu de vouloir enfoncer dans les 
cœurs la vérité toute nue, à la manière de la Rochefoucauld, comme 
un trait acéré, la Bruyère nous le présente comme un fruit de 
notre propre sagesse; et par* là nous dispose d'autant plus à nous 
l'appliquer. Au lieu de nous accabler comme Pascal, et de nous 
désarmer au moment du combat, il excite notre activité, et nous 
fortifie par cet art de montrer à la fois et à qui nous avons affaire, 
et qu'il y a presque toujours pire que nous. U varie pour ne pas 
fatiguer, et il peint plus qu'il ne raisonne, sachant bien qu'il sera 
plus longtemps maître de l'imagination de son lecteur que de sa 
raison. Il n'annonce rien d'avance, aimant mieux, pour nous en- 
seigner avec fruit, surprendre nos consciences pendant qu'elles 
sont occupées des autres, et les faire revenir ainsi tout à coup sur 
elles-mêmes, que de les attaquer dogmatiquement, au risque de 
les trouver en défense derrière des précautions auxquelles se bri- 
sent la vérité impérieuse de la Rochefoucauld et la vérité impi- 
toyable de Pascal.... On résiste aux Pensées et aux Maximes, 
comme à l'autorité d'une raison individuelle, aigrie par des cir- 
constances personnelles à l'auteur; mais on reçoit volontiers les 
leçons de la Bruyère, parce que sa raison est libre de ressentiments 



SUR I.A BRUYÈRE. XVII 

et de souffrances^ et, qu'ainsi qu'il le dit si délicatement, il ne fait 
que rendre au public ce que le public lui a prêté. 

D. Njsa&d (Hittoire. de la littérature française). 



La Bruyère est pour les mœurs de son siècle un témoin incom* 
mode. On ne peut nier sa clairvoyance, et on ne saurait douter 
de sa véracité. Il a yu ce qu'il peint sans ménagement, mais aussi 
sans animosité. Il n'a d'autre passion que Tamour du vrai et du 
juste; le mensonge le blesse et l'iniquité l'offense; la seule ven- 
geance qu'il en tire est de les représenter au vif; et comme le 
fond de la nature humaine ne change pas, que les mêmes travers 
et les mêmes vices subsistent toujours sous des formes et des cos- 
tumes divers, selon les temps, son livre a été pour les Ages sui- 
vants une peinture anticipée. La malignité des contemporains cher- 
chait et multipliait les modèles de ses portraits, et nous pouvons 
encore les rapporter à des visages qu'il n'a point vus. Les géné- 
rations se succèdent et continuent de trouver parmi les vivants des 
figures déjà peintes dans cette galerie dont les originaux se renou- 
vellent sans cesse. Ainsi, quoique la Bruyère n'ait eu que le dessein 
de peindre les mœurs et les caractères de son temps, comme il a 
YU au delà de la surface et des traits mobiles du dehors, il est plus 
qu'un témoin du passé, et son œuvre ne vieillit point Elle vit, en 
outre, par le style qui donne à tant de réflexions fines et profondes 
un tour original, à tant de physionomies distinctes un relief du- 
rable et des couleurs qui n'ont point p&li. Cependant, il faut re- 
connaître qu'avec tous ces mérites de peintre et d'écrivain, la 
Bruyère n'a pas l'aisance, le naturel, en un mot, la grande ma- 
nière des maîtres qui lui ont frayé la voie. Il sait les admirer et il 
ne veut pas les imiter; on sent même la peine qu'il se donne 
pour ne pas leur ressembler, cherchant curieusement l'originalité 
par la structure de la phrase et le choix des mots qu'il appelle 
invention. De plus, il met partout de l'esprit et veut à chaque in- 
stant produire un effet; enfin, il n'a pas cet art suprême qui efiace 
les traces de l'art. 

Géruzsz {Histoire de la littérature française). 



Sans système philosophique arrêté, sans prétention à la profon- 
deur, la Bruyère est un auteur charmant qu'on ne se lasse pas de 
relire. Quel riche tableau que son livre des Caractères l Que de 
finesse dans le dessin! que de couleurs brillantes et délicatement 
nuancées 1 comme tout ce monde comique qu'il a créé s'agite dans 
un pêle-mêle amusant l Point de transition, point de plan régulier. 



XVin JUGEMEOTS LITTÉRAIRES 

Sôs penonnages sont une foule affairée qui court, qui sé feinae 
toute chamarrée de prétentions, d'originalités, de ridicules : vous 
croiriet èirt dana la gnnde galerie de Vemilles, et voir défiler 
devant vous, ducs, marquis, financiers, bourgeois-gentilshommes, 
p(dants, prélats de cour. Tantôt vous entendez un piquant dialo- 
gue qui a tout le sel d'une petite comédie, avec un mot plein de 
lens pour dénoûment^ tantôt, entre deux travers habilement saisis, 
l'auteur glisse une réOexion morale dont la ''érité fait le principal 
mérite} Ici O^est une maxime concise, à la manier^ de la Roche- 
foucauld, mais sans ses préjugés mlsanthroplqaes; 1& une Image 
familière ennoblie & force d'esprit et de nouveauté; plus loin, une 
construction maligne qui arme d'un trait inattendu la fin de la 
phrase la plus inolTensive. La Bruvère, aUi Ique grand observateufi 
n'est pas précisément uù philosopne; il ne creuse pas dans la ré- 
gion souterraine des principes; il se tient à la Surface où végètent 
les passions et les vices. En folt de pensées, il croit que tnut est dit 
et qu'on vient trop tafd élepuis plus de sept mille ans qu*il y à 
des hommes. Aussi, en-il plutôt uo artiste qu'un penseur. Il a pria 
aux honnêtes gens de son temps leurs croyances toutes faites, & 
Théopbraste, qu'il a traduit, sa manière et sa forme ; mais il â 
mis sous tout cela son esprit, et c*eât aaset pour aasurer l'immor- 
talité de ton livré. 

h DsnooKOT iiBistfrirê i$ la littérature /Vatifaiii), • 



La Bruyère mérite sa gloire t penseur jtrdlcleux, observateur aa* 
gace, écrivain d'une habileté et d*une souplesse merveilleuses, il 
est peintre autant qu'écrivain, plutôt peintre de niAurs qu'il n'est 
proprement moraliste.... Il a tous les genres d'esprit; 11 a tous les 

rnres de style. Il joint la viffueur à l'éclat, l'énergie à la finesse, 
est grave, il est véhément; il a l'art de dire légèi-ement des choses 
sérieuses et de dire des choses plaisantes avec Un sérieux qui en 
double l'eflbt; 11 a l'ironie, le sarcasme, le trait détourné qui ef*> 
fleure, le coup de massue qui écrase; il a des alliances de mots et 
d'idées qui surprennent; il fait rire et il fait penser; comme tous 
ceui qui Offit longtemps observé la nature humaine, il a parfois 
l'accent d'ime mélancolie profonde; mais cela. passe comme un 
nuage, et il se remet de plus belle à se moquer de nos travers. 
Tantôt il va droit à son but; tantôt il y arrive par des détours in- 
génieux. Il nous laisse pendant toute une longue page en suspens, 
guis 11 Jette à la fols un mot qui fait éclair et illumine sa pensée. 
l a de vrais coups de théâtre. 

Avec tous ces mérites et d'autres encore, la Bruyère n'est pas 
exempt de défauts. Et d'abord c'en est un peut«ètre que eette ia^ 
croyable diversité de totta : l'effoit s'y fiiit sentir; d^dllenn un 



SUR LÀ BRUYÈRE. 

teur n'aime pas qu'on le secoue à tout propos de peur que son 
attention ne s'endorme. Ce style si curieusement travaillé a aussi 
rinconvénient de se détacher de la pensée, qui se trouve reléguée 
sur le second plan. Enfin Tauteur des Caractères est quelquefois 
maniéré, et c'est le seul classique de la meilleure époque auquel on 
puisse faire ce reproche. Contemporain, admirateur de Bossuet et 
de Fenelon, il touche par un coin à Voiture. Mais sMl tombe dans 
la recherche, si le goût n'avoue pas toutes ses expressions, c'est 
qu'a force de courir après la variété et la nouveauté, on s'égare : il 
est certain qu'il avait le goût exquis. Dans plusieurs endroits de 
son ouvrage, mais principalement dans son discours de réception à 
rAcadémie française, il a montré les qualités d'un critique de pre- 
mier ordre. En caractérisant les grands écrivains de son siècle, il a 
parlé d'avance le langage de la postérité. Il connaissait aussi, il 
appréciait mieux qu'on ne le faisait généralement sous Louis XIV 
, nos écrivains antérieurs. Il aimait leur vieux style, il en regrettait 
les beautés et il en a sauvé plus d'une. On voit qu'il ne s'est mis à 
écrire qu'après avoir étudié la langue française à fond et dans ses 
véritables sources. Et maintenant encore, voulez-vous faire un m- 
ventaire des richesses de notre langue,* en voulez-vous connaître 
tous les tours, tous les mouvements, toutes les figures, toutes les 
ressources, il n'est pas nécessaire de recourir à cent volumes, lisez, 
relisez la Bruyère. 

VALLERTRAnoT. (Chefs-^OBWofe des classiques 
français du dix-septième siècle^ avec des no- 
tices par MM. A. de Courson et Yallery Radot) 



FIN DE LA NOTICE. 



i 



DISCOURS 

SUR THÉOPHRASTE'. 



Jm n'eatime pu que rhomme soit capable de fonner duu ion 
esprit an projet plus vain et plus cbimérique que de prétendre, en 
Acrivant de quelque art ou de quelque science que ce soit, ictiap- 
per à toute sorte de critique et enlerei les suffrages de tous s«i lec- 

Car, sans m'éteudre sur la différence des esprits des hommes, 
■usd prodigieuse en eux que celle de leurs TÎsagea, qui fait 
goûter aui uns les oboses de apâculalion et aui autres celles ds 
fratiqoe ; qui fait que quelques-uns cbercbenl dans les livres à 
txercer leur imagination, quelques autres à Tormer leur jugement; 
qu'entre ceux qui lisent, caui-ci aiment à Sire forcés par k dé- 
monslration , et ceui-là veulent entendre délicatement, ou former 
des raisonnements el des coujectures; je me renferme seulement 
dans cette science qui décrit les moeurs, qui examine les hommes, 
et qui développe leurs caractères ; et j'ose dire que sur les ouvra- 
ges qui traitent de choses qui les touchent de si près, et où il ne 
s'agit que d'eux-mêmes, ils sont encore extrêmement difficiles à 
contenter. 

Quelques savants ne goûtent que les apopbtbegmes des anciens et 
les exemples tirés des Romains, des Grecs, des Perses, des Égïp- 
tiens ; l'histoire du monde présent leur est insipide ; ils ne sont 
point touchés des hommes qui les environnent et avec qui ils vi- 
vent, et ne font nulle attention ï leurs mceurs. Les femmes, au con- 
traire, les gens de la cour, et tous ceux qui n'ont que beaucoup 
d'esprit sans érudition, indiflérents pour toutes les choses qui les 
ont précédés, sont avides de celles qui se passent k leurs jeux, et 
qui sont comme sous leur main ; ils les examinent, ils les discÂr- 



1. Cette édliloi uscomtent pas Is tredaciinn qn'afittelaBraTèredei Ca- 
ractèTH de Thfophrisie ; mais romme le Diitouri qu'il ■ mit en lète de 
u uvdtiiUiDii Hr>aii k la fois d'iiiti uduction wii Caractinê da Th«(iptar*sM 
M k us prapn» COrocUrM, aoni sions ilfl le reproduira. 



XXn DISCOURS SUR THÉOPHRASTE. 

nent ; ils ne perdent pas de vue les personnes qui les entonrent: si 
charmés des descriptions et des peintures que Ton fait de leurs 
contemporains, de leurs concitoyens, de ceux enfin qui leur res- 
semblent et à qui ils ne croient pas ressembler, que jusque dans la 
chaire Ton se croit obligé souvent de suspendre l'Évangile pour les 
prendre par leur £ûble , et les ramener à leurs devoirs par des 
choses qui soient de leur goût et de leur portée*. 

La cour ou ne connaît pas la ville, ou, par le mépris qu'elle a 
pour elle, néglige a*en relever leridlçulf et n'est point frappée des 
images quMl peut fournir ; et si au contraire Ton peint la cour, 
comme c'est toujours avec les ménagements qui lui sont dus, la 
ville ne tire pas de cette ébauche de quoi remplir sa curiosité et 
se faire une juste idée d'un pays où il faut même avoir vécu pour 
le connaître. 

D'autre part, il est naturel aux hommes de Bé peint convenir de 
lA beauté ou de la délicatesse d*un trait de morale qui les peint, 
qui les désigne, et où ils se reconnaissent eux-mêmes : ils se tirent 
d'embarras en le condamnant ; et tels n'approuvent la satire que 
lorsque, commençant à l&cher prise et à s'éloigner de leurs per* 
sonnes, elle va mordre quelque autre. , 

Enfin, quelle apparence de pouvoir remplir tous les gofits si dlf^ 
férents des hommes par un seul ouvrage de morale? Les uns cher* 
chent des définitions, des divisions, des tables, et de la méthode) 
ils veulent qu'on leur explique ce que c'est que la vertu en génê* 
rsd, et cette vertu en particulier ; quelle différence se trouve entre 
la valeur, la fbrce et la magnanimité; lesvioes extrêmes par le d^ 
fiiut ou par l'excès entre lesquels chaque vertu se tMuve placée, et 
duquel ae ces deux extrêmes elle emprunte davantage* i toute autre 
doctrine ne leur platt pas. Les autres, contents que IVm réduise les 
mœurs aux passions, et que l'on explique celles*oi par le mouve^ 
ment du sang, par celui des fibres et des artères*, quittent un au^ 
teur de tout le reste. 

Il s*en trouve d'un troisième ordre qui , persuadés que toute 
doctrine des mœurs doit tendre à les réfbrmer, à discerner les 
bonnes d'avec les mauvaises, et à démêler dans les hommes ce 
qu'il y a de vain, de faible et de ridicule, d^avec ce quMb peuvent 
avoir de bon, de sain et de louable, se plaisent infiniment dans la 
lecture des livres (^i, supposant les principes phvsiques et mo- 
raux rebattus par les anciens et les modernes, se jettent d'abord 
dans leur application aux mœurs du temps, corrigent les hommes 
les uns par les autres, par ces images ae 6hoses qui leur sont 

|. YoyeSfdans les CofoclIrM, la quatrième ré(W>0 <1« «iMIPitre l>ê la 

S. Telle est la méthode qu'a sQirie Aristote, 

S. Allusion à divers ouvrages de Tépoque, |Mrml lesquels «A MAt placer 
le l^ité d»t patêionê de rAme de Descartes. 



MSCOUM SUR TB^OPHUna. 

a JMUHèiM «( dool néumûit il» u •'•Tinàant f 
iiutmctiOD. 

Tel wt la tnit4 dit Ctratiènt de* nmet qua nous > lùuA 
TbéophrasiB. Il II puiiA dïoi lei ÉthiqutM «l dia'< 1*9 grandît Mo~ 
nUes d'AridoU, doni il fui le ditcipte. la eicclisnts» déiiiilUoiu 
qu« ron lil (u commencgmant da cbuiut chapitrt soai éulilisi sur 
les idceg et sur Im principes àt ca giuul pbilMortie, tt 11 fond du 
eanotèrai qui j aoiit dâoriti eil pria de U mâm* wuk4. 11 «st 
Trai qu'il m le« rind propres pv l'éUndiu qu'il leur doena, «t pu 
la iBtire inaénieua* qu'il in lira C9iUr« lu vio«s d«9 Gncs et «u» 
tmii de» àihénians. 

Ce livre ne pHit guère pauer que pogr 1* oamiDincemeQt d'os 
plus long Duvraxe que Théophniite avait entreprii. Le projet de C« 
pbiloioplie, oomme tous le remarquerez ilaji* u prêtée, était da 
traiter da toutes le* vertus ei de iQus l«e vieei. Û çomma il M- 
nire lui-mtma dus oat endroit qu'il oonmeiMe uoat grand desHin 
à l'ftga de i(uatre- vingt- dii>uti(f ans, il J a apparenci qu'una 
prompte mort l'empAcha de le ooDduire fc la perfection, i'avoua 
que l'opinion commune a toujoura éti qu'il avaii pouaaé m vie aU' 
deli de cent au, et eaint iérûme, dana une lettia qu'il était 4 NÎ* 
potien, asaura qu'il eil mort à ceai wpl ani vwonipils i de to'ta 
que je ne douta point qu'il a'} ail tu une aai:ieDne erreur, uu dani 
let chiffrai graca qui OM aervi de Mgle k Uiogèna Laérta', qui Ha 
la bit vivra que qtutre-viogt-quiliu annâM, ou daju les pnmiata 
mauuacrits qui ont éli faits de <lat hiilorlen, s'il e>t vnl d'aillaun 
que lea quatre^vingt-dii-nauT anl que cet auteur m dam» daoa 
cette préface se lisentégalement dans quatre manusoriladell bibllo- 
tbèqua Palatioa, où * l'on a ausu trouvé les cinq dernier* ebapibea 
daa Carmelàrei de Tbioptiraite qui manquaient tua >uiûiao&>t im- 
praaaiona, et ob l'on a vudeui titrea, l'un: Dm {odJ fn'oa a peur 
1er vteinw, et l'autra : Du gain aenlide, qui lo^ alûla et dénuia 
de leurs ciupitraa*. 

Ainsi cei ouvrage a'eat p*ut-4tre mima qu'an simple tragmairi, 
mais cependant uu resta précieui de l'sllti'iuitéi al un monument 
delavivaetié d* l'écrit et du jugemsailaniie ei Mlide da oe pbi- 
laaopbe daos un Age li avanai. Kn aSet, il a lou^aur* été lu comme 
na ebef-d'ienvre dans ion genre : Il ne se voit nen ttii la godt atti- 
que sa (au* mieux remarquer, et où l'âégance grecque éUaie da- 
vantage: 00 l'a appelé un livra d'or. Las savants, biaant attantioa 
h la (bvarsité des raoeura qui y soot ttsitie* et & k manière nalva 



^ au dii-huinèma 



XXIY DISCOURS SUR THEOPHRASTE. 

dont tous les caractères y sont exprimés, et la comparant d'alUeort 
avec celle du poète Uénandre , disciple de Théophraste^ et qui servit 
ensuite de modèle à Térence, qu'on a dans nos jours si heureuse- 
ment imité) ne peuvent s'empêcher de reconnattre dans ce petit ou- 
vrage la première source de tout le comique; je dis de celui qui est 
épuré des pointes, des obscénités, des équivoques, qui est pris 
dans la nature, qui fait rire les sages et les vertueux. 

Mais peut-être que pour relever le mérite de ce traité des Carac- 
tères et en inspirer la lecture, il ne sera pas inutile de dire quelque 
chose de celui de leur auteur. Il était d'Erèse, ville de Leshos, fils 
d'un foulon ; il eut pour premier maître dans son pays un certain 
Leucippe*, qui était de la même ville que lui ; de là il passa à l'école 
de Platon, et s'arrêta ensuite à celle d'Aristote, où il se distingua 
entre tous ses disciples. Ce nouveau maître, charmé de la facilité 
de son esprit et de la douceur de son élocution, lui changea son 
nom, qui était Tyrtame, en celui d'Euphraste, qui signifie celui 
qui parle bien ; et ce nom ne répondant point assez à la haute es- 
time qu'il avait de la beauté de son génie et de ses expressions, il 
l'appela Théophraste, c'est-à-dire un homme dont le langage est 
divin. Et il semble que Gicéron ait entré dans les sentiments de ce 
philosophe, lorsque, dans le livre qu'il intitule Brutus ou des Om- 
teurs illustres j il parle ainsi : « Qui est plus fécond et plus abon- 
dant que Platon, plus solide et plus ferme qu'Aristote, plus agréa- 
ble et plus doux que Théophraste? » Et dans quelques-unes de ses 
épttres à Atticus, on voit que^ parlant du même Théophraste, il 
l'appelle son ami, que la lecture de ses livres lui était ÛLmilière, et 
qu'il en faisait ses délices. 

Aristote disait de lui et de Gallisthène, un autre de ses disciples, 
ce que Platon avait dit la première fois d' Aristote même et de 
Xénocrate, que Gallisthène était lent à concevoir et avait l'esprit 
tardif, et que Théophraste au contraire l'avait si vif, si perçant, si 
pénétrant, qu'il comprenait d'abord d'une chose tout ce qui en 
pouvait être connu; que l'un avait besoin d*éperon pour êljfe excité, 
et qu'il fallait à l'autre un frein pour le retenir. 

Il estimait en celui-ci sur toutes choses un caractère de douceur 
qui régnait également dans ses mœurs et dans son style. L'on ra- 
conte que les disciples d'Aristote, voyant leur maître avancé en 
&ge et d'une santé fort affaiblie, le prièrent de leur nommer son 
successeur ; que, comme il avait deux hommes dans son école sur 
qui seuls ce choix pouvait tomber, Ménédème' le Rhodien, et 
Théophraste d'Érèse, par un esprit de ménagement pour celui qu'il 
voulait exclure, il se déclara de cette manière : il feignit, peu de 

» 

1. Un antre que Leacippe, philosophe célèbre, et disciple de Zenon. {Noté 
dé la Bruyère.) 

2. Il y en a deux autres de même nom, l'on philosophe cynique, l'antre 
disciple de Platon. (Note de la Bruyère.) 



DlSCOtntS SUR THÉOPHRASTE. 

temps ^risque aw disciples lui eurent bit cette pi 
présence, que le TÎn dont il lùsaitun usage ordinaiio .iuo>ui,uui- 
silile ; il se fit apporter des Tins de Rhodes et de Lesbos ; il goûta 
de tous les deux , dît qu'ils ne démentaient point leur terroir, et 
que chacun dans son genre était excellent; que le premier avait da 
la force, mais que celui de Lesbos avait plus de douceur et qu'il lui 
donnait la préférence. Quoi qu'il en soit de ce fait, qu'on lit dans 
Aulu-Celle, il est certain que lorsque Aristote, accnsé par Eurym^ 
don, prêtre de CérËs, d'avoir mal parlé des dieux, craignant le 
desUn de Soccate, voulut sortir d'Athènes et se retirer à Ghalds, 
villa d'Eubée, il abandonna son école au Lesbien, lui confia ses 
écrits à condition de les tenir secrets; etc'eat par Tbéophraste que 
sont venus jusgues à nous les ouvrages de ce grand homme. 

Son nom devint si célèbre par toute la GrËce que, successeur d'A" 
ristote, ii put compter bientôt dans l'école qu'il lui avait laissée 
jusques à deux mille disciples. Il excita l'envie de Sophocle', 31s 
d'Amphiclide, et qui pour lors était préteur: celui-ci, en eCTet son 
ennemi, mais sous p^teite d'une exacte police et d'empêcher les 
assemblées, fit une loi qui défendait, sur peiue de la vie, à aucun 
philosophe d'enseigner dans les écoles. Ils obéirent; mais l'année 
suivante, Pbilou ayant succédé à Sophocle, qui était sorti de charge, 
le peuple d'Âlhénes abrogea cette loi odieuse que ce dernier avait 
faite, le condamna à une amende de cinq talents, rétablît Théo- 
phraste et le reste des philosophes. 

Plus heureux qu'Arislote , qui avait été contraint de céder & Ba- 
nrmédon, il fut sur le point de voir un certain Agnonlde puni 
comme impie par les Athéniens , seulement à cause qu'il avait osé 
l'accuser d'impiété : tant était grande l'affection que ce peuple avait 
pour lui et qu'il méritait par sa vertu. 

En eOet, on lui rend ce témoignage qu'il avait une singulière 
prudence, qu'il était zélé pour le bien public, laborieux, officieux, 
affable, bienfaisant. Ainsi, au rapport de Plutarque, lorsque 
Érése fut accablée de tyrans qui avaient usurpé la domination de 
leur pays, il se joignit à Pbydias', son compatriote, contribua 
avec lui de ses biens pour armer les bannis, qui rentrèrent dans 
leur ville, en chassèrent les traîtres, et rendirent à toute 111e de 
Lesbos sa liberté. 

Tant de rares qualités ne lui acquirent pas eeulement la bien- 
veillance du peuple, mais encore l'estime et la familiarité des rois. 
n fut ami de Gassandre, qui avait succédé à Aridée, frère d'A- 
leiandre le Grand, au royaume de Macédoine; et Ptolémée, fils 
de Laguset premier roi d'£gypte, entretint toujours un commerce 
étroit avec ce pliilosophe, 11 mourut enSn accablé d'années et i« 



XZVI DISCOURS SUR HÉGMRAtTI. 



teti^es, et il œssA tout à la feti dt tntniUftr «t d« vl«ff« Tiroto 
k Grèoê le pleura, et tout le peuple athénien asaista à we fùné- 
leillei. 

L'on raconte de lui que, dant ton ettrdme vieilleite, ne ponveai 
plus marcher à pied, il se faisait porter en litifere par la tlllp, eu 
il était vu du peuple, à qai il était si oher. L'on dit auifti que ses 
disciples, qui eituiuraient son lit lonqu'il mourut, lui ayant de* 
mandé s*il n'avait rien I leur recommander, il leur tint ce die- 
eouri : < La vie nous séduit, elle nous promet de grands plaisirs 
dans la posseRsion de la gloire; mais! peine coiTimenoe-t«on à 
vivre qu'il flautmourir.il n*y a souvent rien de plusstérilèqueramouf 
de la réputation. Cependant, mes disciplee, oontentes-vons : si voue 
négliges Teetime des hommes, vous vous épargnes à vous-mêmes 
de grands travaut ; s'ils ne rebutent point votre courage, il peut 
arriver que la gloire sera votre récompense. Souvenez-vous Seule^ 
ment quMl y a dans la vie beaucoup de choses inutiles, et qu'il y 
en a peu qui mènent à uue fin solide. Ce n'est point à mol à déli« 
bérer sur le parti que ]e dois prendre, il n'est plus temps : pour 
tous, qui aves à mé survivre, vous ne sauriés peser trop mûre- 
ment ce que vous devec ikire, » Et ee furent là ses dernières pa-» 
loles. 

Cioéron, dans le troisième livre des lWe«lane«, dit que rhé<H 
phraste mourant se plaignit de' la nature, de ce qu'elle avait 
accordé aux cerfs et aux corneilles une vie si longue et qui leur est 
si inutile, lorsqu'elle n'avait donné aux hommes qu^une vie très- 
oourte, bien qu'il leur importe si fort de vivre longtemps ; que 
si l'ftge des hommes edt pu s^étendre à un plus grand nombre d'an- 
nées , il serait arrivé que leur vie aumlt été cultivée par une doc- 
trine universelle, et qu'il n'y aurait eu dans le monde ni art ni 
science qui n*eût atteint sa perfection. Bt saint Jérôme, dans l'en- 
droit déjà oité, assure que Théophraste, à Page de cent sept ans, 
frappé de la maladie dont il mourut, regretta de sortir de la vi« 
dans un temps où il ne faisait que commencer à être sage. 

11 avait coutume de dire qu'il ne Ikut pas aimer ses amis pour 
les éprouver, mais les éprouver pour les aimer; qtie les amis doi-» 
vent être communs entre les frères, comme tout est commun entre 
les amis ; que l'on devait plutôt se fier à un cheval sans frein mi'à 
celui qui parle sans jugement; que la phis forte dépense que l*on 
puisse ftiire est celle du temps. H dit un jour à un nomme qui se 
taisait à table dans un festin : « SI tu es un habile homme, ta as 
tort de ne pas parler; mais s*il n*est pas ainsi, tu en sais beaucoup.» 
Voilà quelques-unes de ses maximes. 

Mais si nous parlons de ses ouvrages, ils sont infinis, et nous 
n'apprenons pas que nul ancien ait plus écrit que Théopliraste. 
Diogéne Laërce fait l'énumération de plus de deux cents traitée dif- 
férents, et sur toutes sortes de sujets qu'il a composés. La plus 




DISCOURS sun th£opqrast9. x^nx 

ff«HAd^ pwrtie f*€)it p^rduQ par 1q w^l^eur fiQ$ tomps, et Ts^utr^ ^ 
réduit à Tioft traités, oui aoat recueillie dai^s k volume de 8e« 
<suvr«9. L'qii y yoit ueui livres de l'histoire des pUotQs, i^i^ Uvtqs 
^ leurs C2^tt9es. U « 4cnt des vents, du feu, des pierres, du mi^l» 
éti sigoti (ia iNia» temps, des sigoes de la pluie, des signes de û 
tempête, des odeurs, 4e U sueur, du vertige, de la lassitude, du 
lelftchement des uerfs, de la d^faillanœ, des ppiesous qui vivent 
hors de Veaui des animaux qui changent de co%leiir, dei animaw( 
qui naissent subitement, des animaux sujets à renviei cies caractè-* 
res des mœurs* voil^ qe qui nous reste de ses ^arits, entre lesquels 
ee dernier seul} dont en donne la traduction^ peut répondre non- 
seulement de la beauté de ceux que l'on vient de déduire, mais en- 
core du mérite d'un nombre infini d'autres qui ne sont point venus 
jusqu'l nous. 

Que si quelquos-uos se refroidissaient pour oet ouvrage moral 
par les cboees qu'ils y voient t qui sont du temps auquel il a été 
^rit et qui ne sont point selon leurs mœurs, que peuvent^ils faire 
de plus utile et de plus agréable pour eux que de se défaire de cette 
prévention pour leurs coutumes et leurs manières* qui, sans autre 
discussion, non-seulement les leur fait trouver les meilleures de 
toutes, mais leur fuit presque décider que tout ee qui n'y est pas eon* 
forme est méprisable, et qui les prive, daus la lecture des livres 
des aaeie&e, du plaisir et de rinstruetion qu'ils en doivent at^ 
te&dret 

I^ous) qui sommes si modernes ,' serons aneieos da^s quelques 
tièeles. Alors l'histoire du ndtre fera goâter à la postérité la véna* 
lité des charges, e'est>»2i^re le pouvoir de protéger rinnoeenoe, de 
punir le erime, et de faire justice à tout le monde, acheté h deniers 
comptants comme une métairie ; la splendeur, des partisans, gens 
fi méprisés ches les Hébreux et ches lesGreey Vonentendraparler 
d'une eapitale d'un grand royaume où il n'y avait ni places publi- 
ques, ni bains, ni fontaines, ni amphithéâtres, ni galeries, nipor^ 
tiques, ni promienoirs, qui était pourtant une ville merveilleuse. 
Von dire que tout le cours de la vie s'y passait presque | sortir de 
«a maison pour aller se renfermer dans celle d'un autre; que d'hon- 
nêtes femmes, qui n'étaient ni marchandes ni hôtelières, avaient 
leurs maisons ouvertes à ceux qui payaient pour y en^r *; que Ton 
avait à choisir des dés, des cartes et de tous les jeux ; que Vou 
mangeait dans oea maiscms, et qu'elles étaient commodes à tout 
commerce* 

L'on saura que le peuple ne paraissait dans la ville que pour 
y passer aveo précipitation : nul entretien, ituUe familiarité /que 

t. laéis les jonears laisssient sur les tables de Jee, qoelqiie riehe que let 
leer hete, «ae partie du gain poar payer les earles. La araser* fait aliuaion 
à est essge. 



XXYin DISCOURS SUR THÉOPHRASTE. 

tout y était fitrouche et comme alarmé par le bruit des chars qu'il 
fallait éviter, et qui s'abandonnaient au milieu des rues, comme 
on fait dans une lice pour remporter le prix de la course.] L'on ap- 
prendra sans étonnement qu'en pleine paix, et dans une tranquil- 
lité publique, des citoyens entraient dans les temples, allaient voir 
des femmes ou visitaient leurs amis avec des armes offensives, et qu'il 
n'y avait presque personne qui n'eût à son côté de quoi pouvoir d'un 
seul coup en tuer un autre. Ou si ceux qui viendront après nous, 
rebutés par des mœurs si étranges et si différentes des leurs, se dé- 
goûtent par là de nos mémoires, de nos poésies, de notre comique 
et de nos satires, pouvons-nous ne pas les plaindre par avance de 
se priver eux-mêmes, par cette fausse délicatesse, de la lecture de 
si beaux ouvrages , si travaillés, si réguliers, et de la connais- 
sance du plus beau règne dont jamais l'histoire ait été embellie? 
^ Ayons donc pour les livres des anciens cette même indulgence 
que nous espérons nous-mêmes de la postérité, persuadés que les 
hommes n'ont point d'usages ni de coutumes qui soient de tous les 
siècles ; qu'elles changent avec les temps ; que nous sommes trop 
éloignés de celles qui ont passé, et trop proches de celles qui ré- 
gnent encore, pour être dans la distance qu'il faut pour faire des 
unes et des autres un juste discernement. Alors, ni ce que nous ap- 
pelons la politesse de nos mœurs, ni la bienséance de nos coutu- 
mes, ni notre faste, ni notre magnificence, ne nous préviendront 
pas davantage contre la vie simple des Athéniens que contre celle 
des premiers hommes , grands par eux-mêmes, et indépendamment 
de mille choses extérieures qui ont été depuis inventées pour sup- 
pléer peut-être à cette véritable grandeur qui n'est plus. 

La nature se montrait en eux dans toute sa pureté et sa dignité, 
et n'était point encore souillée par la vanité, par le luxe, et par la 
sotte ambition. Un homme n'était honoré sur la terre qu'à cause de 
sa force ou de sa vertu; il n'était point riche par dm charges 
ou des pensions, mais par son champ, par ses troupeaux, par sei 
enfants et ses serviteurs ; sa nourriture était saine et naturelle, 
les fruits de la terre, le lait de ses animaux et de ses brebis; ses vê- 
tements simples et uniformes, leurs laines, leurs toisons ; ses plai- 
sirs innocents, une grande récolte, le mariage de ses enfants, l'u- 
nion avec ses voisins, la paix dans sa famille. Rien n'est plus opposé 
à nos mœurs que toutes ces choses ; mais l'éloignement des temps 
nous les fait goûter, ainsi que la distance des lieux nous fait rece- 
voir tout ce que les diverses relations ou les livres de voyages nous 
apprennent des pays lointains et des nations étrangères. 

Ils racontent une religion, une police, une manière de se nour- 
rit, de s'habiller, de bâtir et de faire la guerre, qu'on ne savait 
point, des mœurs que l'on ignorait. Celles qui approchent des nô- 
tres nous touchent, celles qui s'en éloignent nous étonnent; mais 
toutes nous amusent. Moins rebutés par la barbarie des manières et 



DISCOURS SUR THÉOPHRASTE. XXIX 

des containes de peuples si éloignés qulnstruits et mdine réjouis 
par leur nouveauté, il nous suffit que ceux dont il s'agit soient 
Siamois, Chinois, nègres ou Abyssins. 

Or ceux dont Théophraste nous peint les mœurs dans ses CaraC" 
tères étaient Athéniens, et nous sonmies Français ; et si nous joi< 
gnons à la diversité des lieux et du climat le long intervalle des 
temps, et que nous considérions que ce livre a pu être écrit la 
dernière année de la cxv* olympiade, trois cent quatorze ans avant 
l'ôre chrétienne, et qu'ainsi il y a deux mille ans accomplis que vi- 
vait ce peuple d'Athènes dont il fait la peinture, nous admirerons 
de iiousy reconnaître nous-mêmes, nos amis, nos ennemis, ceux 
avec qui nous vivons, et que cette ressemblance avec des hommes 
séparés par tant de siècles soit si entière. En effet, les hommes 
n'ont point changé selon le cœur et selon les passions ; ils sont en- 
core tels qu'ils étaient alors et qu'ils sont marqués dans Théo- 
phraste: vains, dissimulés, flatteurs, intéressés, effrontés, impor- 
tons, défiants, médisants, querelleux, superstitieux. 

Il est vrai, Athènes était libre; c'était le centre d'ime répu- 
blique ; ses citoyens étaient égaux ; ils ne rougissaient point l'un 
de l'autre ; ils marchaient presque seuls et à pied dans une ville 
propre, paisible et spacieuse, entraient dans les boutiques et 
dans les marchés, achetaient eux-mêmes les choses nécessaires; 
l'émulation d'une cour ne les faisait point sortir d'une vie com- 
mune; ils réservaient leurs esclaves pour les bains, pour les repas^ 
pour le service intérieur des maisons, pour les voyages; ils pas- 
saient une partie de leur vie dans les places, dans les temples, aux 
amphithéâtres, sur un port, sous des portiques, et au milieu d'une 
ville dont ils étaient également les maîtres. Là, le peuple s'assem- 
blait pour délibérer des affaires publiques ; ici , il s'entretenait 
avec les étrangers ; ailleurs, les philosophes tantôt enseignaient 
leur doctrine, tantôt conféraient avec leurs disciples : ces lieux 
étaient tout à la fois la scène des plaisirs et des affaires. U y avait 
dans ces mœurs quelque chose de simple et de populaire, et qui 
ressemble peu aux nôtres, je l'avoue ; mais cependant quels hom- 
mes, en général, que les Athéniens, et quelle ville qu'Athènes ! 
queues lois! quelle police I quelle valeur! quelle discipline! quelle 
perfection dans toutes les sciences et d'ans tous les arts! mais 
quelle politesse dans le commerce ordinaire et dans le langage I 
Théophraste, le même Théophraste dont Ton vient de dire de si 
grandes choses, ce parleur agréable, cet homme qui s'exprimait 
divinement, fut reconnu étranger et appelé de ce nom par une 
simple femme de qui il achetait des herbes au marché, et qui re- 
connut, par je ne sais quoi d'attique qui lui manquait et que les 
Romains ont depuis appelé urbanité, qu'il n'était pas Athénien : 
et Cicéron rapporte que ce grand personnage lemeura étonné de 
voir qu'ayant vieilli dans Athènes, possédant ai paiûdtement le 



XXX Dîscoims sxm TfîÉOraRASTB. 

langage attique et en ayant acf|uid Paccent par imé UMIMe ûê 
tant d'années, il ne 8*était pu donner ee que le aitnple peuple avait 
naturellement et sans nuU < peine Que si l*on ne laiMa pas de lire 
quelquefois, dans ce traité des Caractères ^ de certainea Oidâurs 
qu'on ne peut excuser et qui nous paraissent ridicules, Il fkut Sê 
souvenir qu'elles ont paru tedes à Tbêophraste. qu*il lea a régar* 
dées C9mme des vices, dont il a fait une peinttlre ttalte ^til fit 
k)nte aux Athéniens et qui servit 4 lea corriger. 

SnÀn, dans Tesprit de contenter c^ut qui reçoivent flrôidémeiit 
tout ce qui appartient aui étrangers et aut anciens, et ()tii tt'eaU*- 
ment que ieurs mœurs, on les ajoute à cet ouvrage. Vont à cttt 
pouvoir ae dispenser de suivre le pro]et de 6e philosophe, Mit 
parce qu'il est touioura pçmicieui de poursuivre 16 travail d*aûtrtti, 
surtout si c'est d'un ancien ou d*un auteur d'une grande réputa* 
^on ; soit encore parce que cette unique figure qu'on appelle dea^ 
cription ou énumération, employée avec tant de sucô6s dana 666 
yingt-huit chapitres des Catactèretf pourrait en avoif un beaueem^ 
moindre, si elle était traitée par UA génie fort infàrieUr à celui de 
Tbêophraste. 

Au contraire, se ressouvenant que, parmi l6 grand nômltfe dea 
traités de ce philosophe rapportés par Diogbfle laêrce,il s*en trouirè 
on sous le titre de Proverbeê*, c'est-à-dire de pièces détachéea, 
comme des réflexions ou des remarques ; que le premier et le plua 

Srand livre de morale qui ait été fait porte c6 même nom dansiea 
ivines Écritures, on s'est trouvé excité par de ai grandâ ioQOdèlés & 
suivre selon ses forceâ une aemblable manière d*6crir6 dea fiiiBUM; 
et l'on n'a point été détourné de son entreprise par deux ouvrages 
de morale qui sont dans les mains de tout le monda *, 6t d'où, faut9 
d'attention ou par un esprit dé critique , quelques-uns pourralatlt 
penser que ces remarques sont Imitées. 

L'un, par l'enga^^ement de son auteur*, fait Servir ta métaph^«> 
que a la religion, fait connaître l'ame, ses passions, ses vices, traité 
les grands et Us sérieux motifs pour conduire a la vertu, et veut 
rendre l'homme chrétien. L'autre, qui est la production d'un es- 
prit instruit par le commerce du monde* et dont la déllcatessa 
était égale k la pénétration, observant que l'amour-propre est dana 
l'homme la cause de tous ses faibles, l'attaque sans relâche, quel^ 
que part où il le trouve; et eette unique pensée, commô multipliée 
en mille manières diflTérenteSi a toujours, par le choit dea mots et 
par la variété (la l'expression, la grice de la nouveauté. 

1. L^n entefld oèlté insalère eoupéè dotol saUi»<M • éerit sei preverbeti 
et nonemsni les oheseii qui soM dltiqes et bere 4e (eote eemparaisoa. 

aVli s'agit des jPeniIft éè H^fHA et des BHieiM» déiai6ebéftm«aaM« 
s. Pascal. 

4. La Rocbefoacauki. 



DISCOURS SUR TH^OPHRAStB. XXXI 

rra M Mit aoe^na de «m wmé dâni l'ôtivtag» 4|iii éfll joint à 
la tAdttCtIoû dès CPirùeiêretf 11 est tout âll9èr«iit des deux autres 
quQ je viani de toucher : moins sublime mu6 le premier et moins 
délicat que le second, il ne tend qu*à rendre Thomme raisonnable» 
mais par des voies simples et oommunes, et en Tetaminant Indif- 
fdrammant, sans beauoodp de méthode et selon que les divers ohi^ 
pitres y conduisent, par les Ages, les setes et las conditions, et par 
bs viees, les faibles et le ridicule qui y sont atuahte. 

Vmu s*est plus appliqué aux vioes de l'esprit^ aux replis du oanr 
Màtoutritttêrieur derhomme que n'a fait Théopbraste; éirottpeut 
dire que, eomme ses CàtaHèret, parmiUa elioses extérieures quils 
lent remarquer dans Innomme, par ses actions, ses paroles et ses 
démarohes apprennent uuel est son fond» et font remonter jusques 
à la source de son déré^ement ; tout au contraire, les nouveaux 
Caraetères, déployant d'abord Ifts penMes, les sentiments et les 
ttouvemenis des )u)mmes, découvrent le principe de leur malice et 
de leurs Iklblésses, font que Ton prévoit aisément tout ee qu'ils 
sont Capables de dire ou de faire, et qu'on ne s'étonne plus de 
mille actions vicieuses ou frivoles dont leur via est toute remplie* 

XL f^ut avouer que sur les titres de ces deux ouvrages < rembar*^ 
tas s'est trouvé presque égnl. Pour ceux qui partagent le dernier. 
S'ils ne plaisent point assex, l'on permet d'en suppléer d^auttes : 
msis à l'égard des titres dés Catactè^eif de Théopiimste, la même 
liberté n'est pas accordée, parce qu'on n'est point mattre du bien 
d'autrui. H a fallu suivre l'esprit de l'auteur, et les traduire selon le 
sens le plus proche de la diction grecque, et en même temps selon la 
plus exacte conformité avec leurs chapitres , ce qui n'est pas une 
chose facile, parce que souvent la signification d'un terme grec, 
traduit en français mot pour mot, n'est plus la même dans notre 
langue : par exemple, ironie est chez nous une raillerie dans la 
conversation, ou une figure de rhétorique, et, chez Théophraste, 
c'est quelque chose entre la fourberie et la dissimulation, qui n'est 
pourtant ni l'un ni l'autre mais précisément ce qui est décrit dans 
le premier chapitre. 

Et d'ailleurs les Grecs ont quelquefois deux ou trois termes assez 
difi'é'^nts pour exprimer des choses qui le sont aussi, et que nous 
ne saurions guère rendre que par un seul mot: cette pauvreté em- 
barrajïse En eflet, l'on remarque dans cet ouvrage grec trois espè-^ 
ces d'avarice, deux sortes d'importuns, des flatteurs de deux ma- 
nières, et auUmt de grands parleurs; de sorte que les caractères 
de ces personnes semblent rentrer les uns dans les autres, au dés- 
avantage du titre. Ils ne sont pas aussi toiyours suivis et parfaite- 

1. C'e«t4-dire sur les titre* des chapitres qui eomposenl les deux ooTre- 
ges, les Caractèru de Théophraste d'une part, et les Caracièrêê o« lê$ 
ffimun d9 €$ êiècUf d'autre part. 



XXXII DISCOURS SUR THEOPHRASTE. 

ment confonnes, parce que Théophraste, emporté quelquefois par 
le dessein qu'il a de ÛLire des portraits, se trouve déterminé à ces 
changements par le caractère et les mœurs du personnage qu'il 
peint ou dont il fait la satire. 

Les définitions qui sont au commencement de chaque chapitre 
ont eu leurs difficultés. Elles sont courtes et concises dans Théo- 
phraste, selon la force du grec et le style d'Aristote, qui lui en a 
fourni les premières idées : on les a étendues dans la traduction 
pour les rendre intelligibles. Il se lit aussi dans ce traité des phra- 
ses qui ne sont pas achevées et qui forment un sens imparfait, au- 
quel il a été facile de suppléer le véritable; il s'y trouve de diffé- 
rentes leçons, quelques endroits tout à fait interrompus, et qui 
pouvaient recevoir diverses explications ; et pour ne point s'égarer 
dans ces doutes, on a suivi les meilleurs interprètes. 

Enfin, comme cet ouvrage n'est qu'une simple instruction sur les 
mœurs des honmies et qu'il vise moins à les rendre savants qu'à 
les rendre sages, l'on s'est trouvé exempt de le charger de longues 
et curieuses observations, ou de doctes commentaires qui rendis- 
sent un compte exact de l'antiquité. L'on s'est contenté de mettre 
de petites notes à côté de certains endroits que l'on a cru les mé- 
riter, afin que nuls de ceux qui ont de la justesse, de layivacité, et 
à qui il ne manque que d'avoir lu beaucoup, ne se reprochent 
pas môme ce petit défamt, n^ puissent être arrêtés dans la lecture 
des Caractères et douter un moment du sens de Théophraste. 



C|u> 



LES CARACTÈRES 



OU LES 



MŒUBS DE CE ^ÈCLE 



PRÉFACE. 



AdittOtaefè toluimai, non mwéwt *. prodMM, 
«on ltt4eM I ooBsulero Moribtw homluam^ Doi 



Jd rtiidg ftl) public ce qu'il m'a prêté: ]'ai emprunté dd lui la 
iûa1ièr^|cet ouvrage : il est juste aue, rayant achevé avec toute 
l'atten^npour la vérité dont je suis capable, et qu^il mérite de 
moi y je lui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisir* ce 
portrait que J'ai MX de lui d'après nature ; et s'il se connaît quel- 
ques-uns des défauts que je touche , s'en corriger. C'est l'unique 
6n que Ton doit se proposer en écrivant, et le succès aussi que 
l'on doit moins' se promettre. Mais comme les hommes ne se dé« 
goûtent point du vice> il ne fl|ut pas aussi ^ se lasser de leur re~ 
progher* : ïk seraient peut-être pires » s'ils venaient i manquer de 
SMUMuie ou de critiques ; c'est ee qui &it que l'on prêche et que 



t. Cette é^mphe est tirée d*UDe lettre d'Érasme, !*a& des écrivains les 
plus estimés da seitième siècle. —La préface des Ctiractères, dans les 
premières éditions, est très-courte; elle se réduit aux deui^ premières 
et aei trois dernières phrases de l'introduction qu'on va lire. Remaniée 
et augmentée dans la 4*, dans la %• et dans la S* édition , cette préface 
a reçu dans la s* sa fbrme définitive. Il est reerettable que dans la 9* édi- 
tion l'auteur ne Tait pas réTisée; il eût pu faire disparaître les négli- 
gences qu'elle renferme. Il taut rapprocher de cette préface, pour la com- 
pléter, une partie de la préface des Caractères de Théopbraste et quelques 
passages de la préfiice OQ discours que la Bruyère a prononcé & l'Acadânit 
française. 

t. A loiâir, dirions-nous aujourd'hui. 

t. Moins, pour le moins, est un latinisme dont Pascal, Corneille, Bossuet 
et la plupart des écrlTains contemporains, offrent de pombreua exemples. 

4. Aujourd'hui l'on écrirait non plus, 

5. be leur f aire^ des reproches. H^proçhrr était parfois un tsrbe neutre 
«ti dU-ieptièmQ ilHlQ* 



XXXVI PRÉFACE. 

l'on écrit. L'orateur et Técrivain ne sauraient vaincre la joie qu'ils 
ont d'être applaudis: mais ils devraient rougir d'eux-mêmes s'ils 
n'avaient cherché par leurs discours ou par leurs écrits que des élo- 
ges; outre que l'approbation la plus sûre et la moins équivoque est 
le changement de mœurs et la réformation de ceux qui les lisent 
ou qui les écoutent. On ne doit parler, on ne doit écrire que pour 
l'instruction : et s'il arrive que l'on plaise , il ne faut pas néan- 
moins s'en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les 
vérités qui doivent instruire. Quand donc il s'est glissé dans un 
livre quelques pensées ou quelques réflexions qui n'ont ni le feu , 
ni le tour, ni la vivacité des autres, bien qu'elles semblent y être 
admises pour la vari té, pour délasser l'esprit, pour le rendre plus 
présent et plus attentif à ce qui va suivre, à moins que d'ailleurs 
elles ne soient sensibles \ familières, instructives, accommodées 
au simple peuple , qu'il n'est pas permis de négliger, le lecteur 
peut les condamner, et l'auteur les doit proscrire : voilà la règle. 
11 y en a une autre ', et que j'ai intérêt que l'on^ veuille suivre, 
qui est de ne pas perdre mon titre de vue, et de penser toujours, 
et dans toute la lecture de cet ouvrage, que ce sont les caractères 
ou les mœurs de ce siècle que je décris ' : car, bien que je les 
tire souvent de la cour de France et des hommes de im nation, 
on ne peut pas néanmoins les restreindre à une seule flv ni les 
renfermer en un seul pays, sans que mon livre ne peroe beau- 
coup de son étendue et de son utilité, ne s'écarte du plan que je 



1. A moins qu'elles ne soient présentées sons nne forme qui les rende 
saisissanies. 

3. Ce qne Tanieur donne ici comme nne seconde règle OBt simplement une 
recommandation qall adresse an lecteur. 

S. Que ce eont les caractères ou lei mœurs de ce siècle que je décris : la 

{>bra8e se tenni naît ainsi dans la 4* édition, oti elle parut pour la première 
bis, et dans les trois éditions suivantes. La Bruyère, qui aans ces éditions 
avait fait imprimer de ce siècle en italique, pensait avoir suffisamment in- 
diqué qu'il s'était proposé de peindre les mœurs des hommes de son temps 
en.génêral, et non pas simplement tes mœurs de la cour de France on les 
mœurs des Français. Mais Charpentier, qui le reçut en 1693 à l'Académie 




d'an air plus philosophique : il n'a envi8a«;é quel'universfl ; vous êtes plus 
descendu dans le particulier. Vous avez fait vos portraits d'après nature; lui 
n'a fait les siens que sur une idée fcénérate. Vos portraits ressemblent à de 
certaines personnes, et souventon les devine; lesoiensne ressemblent qu'à 
rhonime. Cela est cause que ses portraits ressenihleront toujours; mais il 
est à craindre que les vôtres ne perdent quelque chose de ce vif et de ce bril- 
lant qu'on y remarque, quand on ne |>()urra plus les comparer avec ceux sur 
qui vous les avez tirés. » Une telle insistance dut blesser la Bruyère ; par 
convenance, il s'abstint de le montrer dans la préface qu'il mit en tète de 
son discours ; mais il revint sur la phrase qui fait l'objet de cette note, et 
la développa de manière à ce €|ue personne aésormais ne pût se méprendre 
sur sa pensée. Inutile précaution, car les critiques ont souvent reproduit la 
comparaison qu'avait faite Charpentier. 



PRÉFACE. XXXVII 

me sais fait d*y peindre les hommes en général, comme des rai- 
sons qui entrent dans Tordre des chapitres et dans une certaine 
suite insens.ble des réflexions qui les composent ^ Après cette pré< 
caution si nécessaire, et dont on pénètre assez les conséquences, 
je crois pouvoir protester contre tout chagrin^ toute plainte, toute 
maligne interprétation, toute fausse application et toute censure, 
contre les froids plaisants et les lecteurs mal intentionnés'. Il faut 
savoir lire, et ensuite se taire, ou pouvoir rapporter ce qu'on a 
lu, et ni plus ni moins que ce qu'on a lu ; et si on le peut quel- 
quefois, ce n'est pas assez, il faut encore le vouloir faire : sans 
ces conditions, qu'un auteur exact et scrupuleux est en droit d'exi- 
ger de certains esprits pour l'unique récompense de son travail, 
le doute qu'il doive continuer d'écrire, s'il préfère du moins sa 
propre satisfaction à l'utilité de plusieurs et au zèle de la vérité. 
J'avoue d'ailleurs que j'ai balancé dès Tannée 1690, et avant 
la cinquième édition , entre l'impatience de donner à mon livre 
plus de rondeur et une meilleure forme par de nouveaux carac- 
tères*, et la crainte de faire dire à quelques-uns : « Ne finiront-ils 
point ^ ces Caractères, et ne verrons-nous jamais autre chose de 
cet écrivain?» Des gens sages me disaient, d'une part : « La matière 
est solide, utile, agréable, inépuisable ; vivez longtemps et trai- 
tez-la sans interruption pendant que vous vivrez : que pourriez- 
▼DUS faire de mieux ? il n'y a point d'année que les folies des 
hommes ne puissent vous fournir un volume.» D'autres, avec beau- 
coup de raison, me faisaient redouter les caprices de la multitude 
et la légèreté du public, de qui j'ai néanmoins de si grands sujets 
d'être content, et ne manquaient pas de me suggérer que, per- 
sonne presque depuis trente années ne lisant plus que pour lire^, 
il fallait am hommes, pour les amuser, de nouveaux chapitres et 
un nouveau titre ; que cette indolence avait rempli les boutiques 
et peuplé le monde, depuis tout ce temps, de livres froids et en- 
nuyeux, d*un mauvais style et de nulle ressource, sans règles et 
sans la moindre justesse, contraires aux mœurs et aux bienséances, 
écrits avec précipitation et lus de môme, seulement par leur nou- 

1. C'est-à-dire ne B*écarte du plan que je me suis fait.... ainsi que des 
nàsons qui ont déterminé l'ordredes chapitres, et même Tordre des réflexions 
dans chacon des chapitres. 

3. C'est dès la !■* édition des Caractères que la Bruyère prend ses pré- 
cautions. Maid celte déclaration n'arrêta point les maligi es interprétations, 
et dans la préface de son discours à l'Académie, il crut devoir protester avec 
plusd'énei^e contre les ciels que Ton faisait courir. M»lière aussi avait dû 
se défendre contre ceux qui l'accusaient de « toucher aux pert^onnes. m par- 
lant ao nom de l'auteur, l'un des personnages de l'Impromptu de Ver- 
iaillss déclare que « si quelque chose était capable de dégoûter Molière de 
faire des comédies, c'était les ressemblances qu'on y voulait toujours trou- 
ver. » La Bruyère exprime le même sentiment dans la phraae suivante, qui 
est Tnne des additions de la 5* édition. 

S. En ajoutant de nouveaux caractères* 

%• Et non pour s'instruire et se réformer. 



XXXVra PRÉFACE. 

yeauté *; et que, si je ne savais qu^augmenter un livra raisonnablay 
le mieux que Je pouvais faire était de me reposer. Je pris alors 
quelque chose de ces deux avis si opposés, et je gardai un tempé- 
rament qui les rapprochait : je ne feignis point d'ajouter ' quel- 
ques nouvelles remarques à celles qui avaient déjà grossi du dou- 
ble la première édition de mon ouvrage; mais, afin que le publio 
ne fût point obligé de parcourir ce qui était ancien pour passeir à 
ce qu'il y avait de nouveau, et qu'il trouvât sous ses yeux ce qu'il 
avait seulement envie de lire, je pris soin de lui désigner cette se- 
conde augmentation par une marque particulière (())) 'je crue aussi 
qu'il ne serait pas inutile de lui distinguer la première augmcQtft* 
âon par une autre marque plus simple (f ) qui servit à lui montre? !• 




messe sincère de ne plus rien hasarder en ce genre. Que si quel* 
qu'un m*accuse d'avoir manqué & ma parole » en insérant dans lef 
trois éditions qui ont suivi un assey grand nombre de nouvellai 
remarques, il verra du moins qu'en les confondant avec les aa« 
ciennes par la suppression entière de ces différences qui sa voient 
par apostille*, j'ai moins pensé à lui faire lire rien de nouveau 
qu'à laisser peut-être un ouvrage de mœurs plus complet, plus fini 
et plus régulier, à 1^ postérité. Ce ne sont point, au reste, des 
maïimes que j'aie youln écrire': elles sont pomma daa lois dana la 

1. Pottf lètir nonteauté. G*es^ ainsi qoe dans eette pbraae de Molièra. 
pmr tignifla AadtMi dé : • Tai eut condamner cette comédie par les mêmes 
choses que j'ai tu d aatrea estimer la plna. ■ ( Oriiiquê 4e fEoM iê$ fMuntê.) 

2. ie n'hésitai pas à sjoater. 
S. L'augmentation da nombre. 

4. Dans tontes les éditions qui ont psm pendant la vie de la firnyère, le 
^gne t9P0fi>rapbi<|Qa que noas avons placé entre parenthèses et qui sa 
nomme ptM de moMchêt a fiauré en tète do ohacnno des réfleiions qui oom- 
posent le livre des Caractères, servant ainsi à les distingaer les unes 
des autres t eomme ces réfleiions forment psrfbls plusieurs alinéas, i] 
était néoessaire d'établir entre elles une difision. et ce fut ce signe qui 
les sépara. Lorsque fut imprimée la S* édition, le libraire sans doute ton* 
lut stimuler la curiosité du public, et une marqae particulière Ait afféo* 
tée aux réflexions nouvelles qu'avait a|outéea rautenr dans la 4« édition 
et à celles qu'il insérait dans la s* : op mit entre pareottaèses le immI de 
mouché qui accompagnait les premières, et entre doubles parenthèses la 

G'ed de moiAche qui accompagnait les secondes. Le lecteur en fut averti dans 
préface, et, cet avis a été reproduit dans toutes les éditions posté* 
rienres, bien que ces marques parucnlières n'aient été inmiméea que dane 
la S* édition. 

5. rénelon a employé le mot emacHtude au pleriel en loi donaant le 
même sens : « Me voas usez point en détails et an étt&e$itud$ê superflues, m 
(Lettre du 3) juillet 1714,) Et ailleurs encore i « Les petia détails et les 
fausses exacf <(iwl#«. » 

6. C'était en mi^rge que se trouvaient les marques qae neas avons inter* 
caléeedabsletdïte. 

7. Le verbe est an subjonctif dans teatei les édîtiens qu'a données la 
Bruyère. 



PRÉFACE. 

morale, et j'avoue que je n'ai ni assez d'autorité, ni assez de gé- 
nie pour faire le législateur ; je sais même que j'aurais péché 
contre Tusage des maximes, qui yeut qu'à la manière des oracles 
elles soient courtes et concises '. Quelques-uoes de ces remarques 
le sont, quelques autres sont plus étendues : on pense les choses 
d'une manière différente, et on les explique par un tour aussi 
tout difléient, par une sentence, par un raisonnement, par une 
métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une 
simple comparaison, par un fait tout entier', par un seul trait, 
par une description, par une peinture : de là procède la longueur 
ou la brièveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maxi- 
mes veulent être crus : je consens, au contraire, que l'on dise de 
moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué , pourvu que Ton 
remarque mieux. 

1. Gomme celles de la Rochefoucauld. 

2. Par an récit, par une anecdote, comme l'histoire d'fmfre à la fin da 
chapitre dei FemtMê, 



^ 



LES CARACTÈRES 

OU LES 

MŒURS DE CE SIÈCLE. 



CHAPITRE PREMIER. 

DES OUVRAGES DE L'ESPRIT- 

Tout est dit, et Ton vient trop tard depuis plus de sept 
mille ans qu'il j a des hommes S et qui pensent*. Sur ce 
qui concerne les mœurs *, le plus beau et le meilleur est 
enlevé; Ton ne fait que glaner après les anciens et les ha- 
biles d'entre les modernes. 

^ Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, 
sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos senti- 
ments ; c'est une trop grande entreprise. 



1. Sept mille atw.... Ainsi, la Brayère n'accepte pas la date qae, sept ans 
auparavant. Bossaet avait assignée à la création du monde (4i004 avant J. C.) 
«lansson Discours sur l'histoire universelle. Cette date, proposée en 1650 
par ilrlandais Usher^ se rapprochait de fort près de celle qui, imprimée 
dans la Chronologie française du P. LabbO;; était sans doute enseignée dans 
les collèges des Jésuites (4053 av. J.C.). Rejetant Tune et l'autre, la Bruvère 
s'en tient aux dates de Suidas, d'Onuphre PauTioo ou des Tables Alphon' 
êineê (6000 ou plus avant J. G.). 

2. Et qui pensent,... On a rapproché de ce tour l'expression x«l xtOxa des 
Grecs, et les tournures équivalentes qu'emploient les auteurs latins lors- 
qu'ils veulent insister sur une pensée; on peut encore en rapprocher ce 
fragment d'une phrase de la Bruyère lui-môme : « des princes de l'église, 
et qui se disent les successeurs des apôtrts. » (Chap. xiv. De quelques 
usages.) 

S. Or c'est un livre sur les mœurs qu'écrit la Bruyère. Ce début a pour 
le moins la simplicité modeste qu'exige Boileau, et la Bruyère, bien plutôt 
que Virgile, est par excellence l'auteur qui 

• •«•Pour donner beaucoup na nous promet que peu. 



a CHAPITRE I. 

^ C'est un métier que de faire un livre, comme de faire 
une pendule ; il faut plus que de l'esprit pour être auteur. 
Va magistrat allait par son mérite à la première dignité, il 
était homme délié et pratique dans les ailaires : il a fait 
imprimer un ouvrage moral, qui est rare par le ridicule *. 

^ Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage 
parfait, que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on 
s'est déjà acquis. 

^ Un ouvrage satirique au qui contient des faits*, qui 
est donné en feuilles sous le manteau aux conditions d'être 
rendu de même, s'il est médiocre, passe pour merveilleux ; 
Pimpression est Técueil. 

% Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale l'avertis- 
sement au lecteur, l'épître dédicatoire, la préface, xa table, 
les approbations *, il reste à peine assea de pages pour mé- 
riter le nom de livre. 

^ Il y a de certaines choses dont la médiocrité est insup- 
portable : la poésie ^, lamusique, lapeinture, le discours public. 

1. ce tnagifeirtt est, dit-on , POD<»t d« la Rivière) âpnëeiller «nitat. H 
ayait publie en I677| bous le pseudonf me de Baruo de Prelle, un ouvraae 
moral, c'e8t-S-dii>e un livré sUr les înobubs. oui àvàil pour litre .- Considê' 
raiiotit tur Ui avanlagêM de la ^itilltin aanê la «i« chritimne^ pelitt^ 
que, civile, économique et soluaire. On prét^ud que s'il n'eûi pae lai^ im^- 
primer ce petii volume « qui est rare, » en eQ'ei, « par le l'idicuie, » l^oncéC 
eût été domme chancelier ou pour le moins premier prétiident. 

2. La Bruyère avaii imprimé dsns lai** édition i ou quiadeefai^, ejt; 
pression obscUrë que la variante à peu éclaircie. Il à voulu distinguer des 
vraies satires, telles que les sAiireii de Boileau, les paniublets qui 6e codip(:^ 
sent d'anecdotes, tels que ï histoire amoureuse aee Gaulée de Bussy-Ka- 
butin ; mais c'est de satires et de libelles d'un ordre inférieur qu'il s'agit 
ici, et non des satires de Boileau ni de l'ouvrage de Bussy. — Donné «» 
feuilUê tous le manteau^ communiqué en manuscrit dant^ le plus ^rana 
secret. — boileau avait dit de sou côte dans i'Art poitiqùet IV, vers %k s 

Tel éerit récité se soutient à roreille, 

Qui, dans rimpressioc au grand jour se ibdtlIhUit, 

Me soutient pte ëes yeux le regard pénétrant. 

3. lies approbations des censeurs. 

4. Montaigne s'est montré du même avis (£fMis, U, 13) 1 1 On panltfkire 
le sot partout aiUeiirs, mais non en la poésiei 

« Itediocribtts eésé poetis 
• Iffôô tli, non iiominesj non conçessere cOlnmnÀ. . 

(Horace, Àri poélique, vers Sn.) 

€ Pletfsf ftDieii iué tme Selitenfcé se troutasi tfil frdmdèSbotitiqttesd«to8l 
BOB httprlmëttrS, pOurefldéffeiidfË rentrée h tant dé ver&tftcCrtCRirSI**-^0)«V 
auss^ Boileau, Art poétique^ IV, vers uS et suivants i 

Vais dans l'art dangefèui dé rimer etd'êcrlr«^ 
Il n'est point de degrés da médiocre au pire^M* 



DES OUVRAGM m L'ESPRIT, 8 

Quel sbpplioe qus ttelai d'entendre déclamer pompeuse- 
ment uu froid discours, ou prononcer de médiocres vers 
sTBc toute. l'emphaae d'un mauvais poëtel 

^ Certains poëtËs sont sujets^ dans le dramatique, à de 
longues Bdites de rers pompeux qui semblent forts, élevés 
el remplis db grands sentiments; Le peuple écoute avide- 
ment, les jeni élevés et la bouche ouverte, crçit qiie cela 
loi platt, et, à mesure <)n'il ; comprend moins, l'admira da- 
Tantage ' ; il n'a pas le temps de respirer, il a à peipe celui 
de «e récrier et d'applandit. J'ai cru autrefois^ et dans ma 
pretaûère jennesse, que oes endroits étaient clairs et intelli- 
gibles pour les acteurs, pDur le parterre et l'amphithéâtre, 
qae leurâ auteurs s'entendaient euz-mSmes, et qu'avec toute 
l'attention qua je donnais à leur récit, j'avais tort de n'f rien 
entendre; je suis détrompé*. 

^ L'on n'a guère n jusqiles à présent un ebef-d'o^yr^ 
d'esprit (jui soit l'ouVrage de plusieurs :, Homère à fait 
l'Iliade , Tirgile l'ËdËidei Titê-Lwe ses Décades, et l'Orateur 
rsmain ses Otaisons *. 

et.LncM ^nun| et «dmirent Egsiiarelle; • Ablqoe n'Aie éwiié'.—L'bà- 
bile bomine que l'itl — On), CBeliaibiM qUèJS u'} eaUndtftoaué. • . 

i. Htitemircé iwItiLdfeCSrâeilleqU'U est IciqnuijDot Bolleau seplii- 
gniit da l'Obiea^U de uiialques-ang desea Te», et ,U Bruière Eaii3 doiue 
putagciil le Beiitimeiii 3e Bollesu. • m. Deeftéibi, dtl Uieioa Ri^il, dis- 
buguaii ordinaireoieni deui soricB de estimsiiBS ; le galimaliùt tiinpli et 1» 
§atimaii<u doubh. [I appelBllgsUinaiiss simple celui ob l'suieur CDlendàit 
ce qu'il lODliii dire, duib oii lei auireii ii'«niaDdaie;i;t.nea j ^t gslimuiu 

diïii pour ciemple da giUmaiiM d^iuble ce» qualre tara da JUt ifiUrïiiftf 

ùt gnnd Corneilla (scie I, Bctoe ii)i 

Faol-ilmoorir, nWdùite? Ètj ■] firoclie dn lenile: 
Votre Itldslre iDCOhttshce Bil-eHe encore si terme 
Qae \t3 tfstês d'UK ftn qUe J'smis cm «1 ton 
Paiseeiit dana quatre Jours se promellre tdl Boni ■ 



jour ,,rié Lope de Veg» de lii 
voi'e espagnol lut el relut . 

S. Etcicéron tn niKoars, Suiiruilles clerH,,i&ar[iTiieej|i«iul parler da 
d<cUoTin^r« ans prépinii de^Ais loDRlemps l'Acadeute frangaiie et dont 
1» première édiliOD détail paraître en iCJa.UndictiDBoairc ueittAimun nu- 
^rag» d'april, li oa laisse à cette aipTeulonbtTaJfur^ quia! le Wfi 



ujOTatit 



\ 



4 CHAPITRE I. 

rj ^ Il y a dans Fart un point de perfection, comme de bonté 
ou de maturité dans la nature ; celui qui le sent et qui Taime 
a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà 
ou au delà , a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un 
mauvais goût, et Ton dispute des goûts avec fondement. 

^ Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les 
hommes ; ou, pour mieux dire, il y a peu d'hommes dont 
l'esprit soit accompagné d'un goût sûr et d'une critique ju- 
dicieuse. 

^ La vie des héros a enrichi l'histoire, et l'histoire a em- 
belli les actions des héros ; ainsi je ne sais qui sont plus 
redevables, ou ceux qui ont écrit l'histoire à ceux qui leur 
en ont fourni une si noble matière, ou ces grands hommes 
à leurs historiens*. 

^ Amas d'épithètes, mauvaises louanges : ce sont les 
faits qui louent*, et la manière de les raconter. 

^ Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien définir et à 
bien peindre. Moïse*, Hobiére, Platon, Virgile, Horace, ne 
sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expres- 
sions et par leurs images : il faut exprimer le vrai pour 
écrire naturellement, fortement, délicatement. 

^ On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architec* 
ture; on a entièrement abandonné l'ordre gothique, que la 
barbarie avait introduit pour les palais et pour les tem- 



▼oalu Juger à l'avance le Dictionnaire de l'Académie. Hais ne vani-il pas 
mieux y chercher une allasion aax œuvres au'avait produiies, soub ses yeux, 
la collaboration d'écrivains de génie ou oie talent? Corneille, Molière et 
Quinault avaient fait en 1671 la tragi-comédie de Psyché ; les mêmes avaient 
composé Vldyllê êur la paix et VEglomu de Venailles en 1685 ; Racine et 
Boileau, qu'unissuit déjà pour un travailcommun leur titre d'historiographes 
du roi, avaient tenté, en 1680, de composer ensemble les paroles d'un opéra. 
Et au-dessous de ceux que nous avons nommés, que d'auteurs tragiques oo 
comiques s'aasodant dans une collaboration secrète ou avuuée! Leurs ou- 
vrages, si nous en citions les titres, juï^tifieraient parfaitement la remarque 
de la Bruyère. Cette remarque au suq)lu8 pourrait être datée d'aujourd'hui} 
il n'est pas encore de < hef-d'œuvre qui soitrouvrage de plusieurs. 
1. Horace, OdM, IV, 9 : 

Vixere fortes ante Agamemnona 
Multi; aedomnea illacrymabiles 
Urgentur ignotique longa 
Nocte, carent quia vate sacrO. 

S. « ....Le sage a raison de dire que « leurs seules actions les peuvent 
« louer : » toute autre louange languit auprès des grands noms.» (Bossuet, 
Oraison fwf^brê du prince de Cùnaé.) 

S. Quand même on ne le considère que comme un homme qui a écrit. 

iNote de la Bruyère,) 



1 



DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 5 

pies*; on a rappelé le dorique, Tionique et le corinthien; ce 
qu'on ne voyait plus que dans les ruines de Tancienne Rome et 
de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos porti- 
ques et dans nos péristyles. De môme on ne saurait en écri- 
vant rencontrer le parfait et, s'il se peut» surpasser les an- 
ciens que par leur imitation. 

Combien de siècles se sont écoulés avant que les hommes, 
dans les sciences et dans les arts, aient pu revenir au goût 
des anciens et reprendre enfin le simple et le naturel I 

On se nourrit des anciens et des habiles modernes; on les 
presse, on en tire le plus que Ton peut, on en renfle ses 
ouvrages : et quand enfin l'on ost auteur et que Ton croit 
marcher tout seul, on s'élève contre eux, on les maltraite, 
semblable à ces enfants drus* et forts d'un bon lait qu'ils 
ont sucé, qui battent leur nourrice *« 

Un auteur moderne prouve ordinairement que les anciens 
nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par 
exemple : il tire la raison de son goût particulier et l'exem- 
ple de ses ouvrages. 

11 avoue que les anciens, quelque inégaux et peu corrects 
qu'ils soient, ont de beaux traits ; il les cite ; et ils sont si 
beaux qu'ils font lire sa critique. 

Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre 
les modernes ; mais ils sont suspects, et semblent juger en 
leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le 
goût de Tantiquité; on les récuse ^ 

1. Pour tous les contemporains de la Bruyère, comme pour lai, les mo- 
numents du moyen âge, qa ils fussent romans oagotbiques, étaient des mo- 
naments de barbarie. Le mot barbarie, du reste, pourrait à la rigueur se 
prendre ici dans son sens originaire. Attribuée primitivement aux Gotbs, 
puisqu'oR lai avait malencontreusement donné leur nom, plus tard attribuée 
aux Arabes, Tarcbitecture du moyen &ge a longtemps été considérée conuna 
une architecture d'origine étrangère. 

2. Dru se dit des petits oiseaux qui soot assez forts pour s'envoler du 
nid. 

S. Allusion à Charles Perrault, disent les clefs. C'est en même temps 
une tûlusion à Fontenelle et à bien d'autres. La querelle que l'on a nom- 
mée la querelle des anciens et modernes agitait et divisait le monde litté- 
raire. La Bruyère prend hautement parti pour les défenseurs des anciens. 

k. Tons les annotateurs se sunt acconiés à voir dans cette phrase une 
lonange à l'adresse de Bacine et de Boileau. Pour la Bruyère, les Aa- 
bilesj ce sont les meilleurs écrivains. « Habile a presque changé de signi- 
fication, écrit le P. Bouhours en 1671. On ne le dit plus guère pour docte et 
savant, et on entend par un homme habile un homme adroit et qui a de la 
conduite. » La Bruyère s'en tient au premier sens, lorsqu'il emploie le mot 
habile substantivement. 



6 CHAPITIIIÎ . 

^ L'on devrait aimer à lirç ses ouvrages à cenz qui en 
frayent assez pour les corriger et les estimer *. 

Ne vouloir être ni conseillé ni corrigé sur son ouvrage 
est un pédantisme*. 

Il faut qu^un auteur reçoive avec une égale modestie* 
les élogçs Qt la critique que Ton fait de ses ouvrages. 
,^ '^^lËnt^e toutes les différentes expressions qui peuvent 
^ rendre une seufe de nos pensées*, il n'y en a qu'une qui 
soit la bonne : on ne Is^ rencontre' pas toujours en parlant 
ou eja écrivant ; il est vrai néanmoins qu'elle existe, que 
tout ce qui ne l'est point" est faible, et' ne satisfait point 
un ho.mme d'esprit qui veut se faire entendre ^ 

Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent 
que l'expression qu41 chercbait depuis longtemps sans la 
connaître et qu'il a enfin trouvée est celk qui était la plus 
simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter 
d'abord et sans effort. 

Ceux qui écrivent par humeur ' sont sujets à retoucher 
à leurs ouvrages; comme elle n'est pas toujours fixe et 
qu'elle varie en eux selon les occasions, ils se refroidissent 
bientôt pour les expressions et les termes qu'Os ont le plus 
aimés, 

Î. E*iimer, »q sens latiiK jv^ger, appi^icir. 
.' Bofléaa, Âri poétique^ l, yers 103 :' 

Aimes qu'on tous conseitte, et non pas qu'on tous loue. 

S. Ifodé^tttf, au sens latin, modération. 

4. Qui peuvent rendre une ^ nos pensées,, et celle-là seule que nous 
Tç.i4on 8 rendre. 
^ 5^ Touiçè qain'eçtpas cette expressioQ qu,e nous cherchons^ 

è. « y y â, di^ I^. Sainte- fe'euve, nombre dé pent«ées droites, justes, pro» 




Ce que l'on conçoit bien s*éaonce clairement, etc., . 

11 nous dit dans cet admirable cljiapi^ des Ouvrage» de re.n)rt7, qui est son 
Xirtjf'oé tiqué à lui et sa Hhétorique : « Entre toutes les difv.Tentes exprea- 
« fiiohti, etc.... « On sent, reprend Mi. Sainte-Beuve après avoir cité lareflexfon 
de la llriiyère, combiCD la sagacité si vraie, si judicieuse encore, du second 
critique enchérit pourtant sni^ la raison saine du premier. » 
'7. yoyez plus loin (page 31) un passage ob la Bruyère indique d'une 
manière plus explicite ce qu'U appelle écrire par humeur. Les auteurs qui 
écrivent par humeur^ ce sont ceint qui tirent d'eùx-nièmetf, de leur cœnr et 
de leur esprit, tout ce qu'ils écrivent, ce sont, avant tout, les moralistes, 
Ta Rochefoucauld, la Bruyère , par exemple. Montaigne est aussi l'un des 
écrivains auxquels cette expression s'applique le mieux. 



^/ 



DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 7 

^ La même justesse d'esprit qui notis lait écrire de 
bonnes, choses nous fait appréhender (^*elles ne le soietit 
pas assez, pour mériter d'être lues *. 

Ua esprit médiocre croit écrire divinement j un bon esprit 
croit écrire raisonnablement. 

^ L'on m'a engagée, dît Ariaie, h lire mes ouvrages à 
Z(hk : je l'ai fait. Ils l'ont saisi d'abord, et, avant qu'il ait 
pç. le loisir de Içs trouver mauvais, il les a loués modeste- 
ment en nia présence^ et il ne les a pas loués depuis devant 
personne. Je l'excuse, e\ je n'en demande pas davantage à 
un auteur; je le plains même d'avoir écouté de belles choses 
<ju*ii n'a point faites. 

Ceux qui^ par leur condition, se trouvent exempts de la 
jalousie d'auteur, ont ou des passions ou des besoins qui 
les distraient et les rendent froids sur les conceptions d'au- 
truî; personne, presque, parla disposition de son esprit, 
de son coeur et de sa fortune, n'est en état de se Kvrer au 
plaisir que donne la perfection d'un ouvrage. 

Tf Le plaisir de la critique nous Ôte celui d'être vivement 
touchés de très-belles choses*. . 

^ Bien des gens vont jusques à sentir le mérite d'un ma- 
nuscrit qu'on lec^r lit, qui ne peuvent se déclarer en sa fa- 
veur, jusques à ce qu'Us aient yu le cours qu'il aura dans 
le mon^e par l'impression, ou quel sera son sort parmi les 
habiles z lia ne hasardent point leurs suffrages, et ils veu- 
lent être portés par la foule et entraînés par la multitude. 
Ils disent alors quHls ont les premiers approuvé cet ouvrage, 
et que le public est de leur avis. 

Ces gêna laissent échapper les plus belles ocoasions de 
no:us convaincre qu'ils pnt de la capacité et des lumières, 
qu'ils savent juger, trouver bon ce qui est bon, et meilleur 
ce qui est meilleur. Un bel ouvrage tombe entre leurs 
mains, c'est un premier ouvrage, l'auteur ne a'e^ pas en- 
core fait un grand nom, il n'a rien qui prévienne en sa fa- 
veur ; il ne s'agit point de faire aa cour ou de flatter les 

i. « C'«it mthftttr^ dit UoiH^^ia»(Basai$, UU 1^ <VAe V^ pnideace tous 
detfend de vous salisfùre et fler de veas^et vous renvoyé lousjours mal con- 
teDt et craintif, là oti l'opiniastretë et la témérité remplissent leurs hôtes 
d'esjuiiiBsance et d'asseiirance. » 

2. « Lassoris-uous aller da bonoe foi aax choses qui nous prennent par 
les entrailles, et ne cherchons point de raisponement pour noas empôcner 
d'avoir du plaisir. » (Molière, critique â& VÈcoh âeê femme».) 



8 CHAPITRE I. 

grands en applaudissant à ses écrits* On ne tous demande 
pas, Zélotes, de vous récrier : c Cest un chef -d^ œuvre de 
V esprit; V humanité ne va pas plus loin; c'est jtAsqu'où la 
parole humaine peut s* élever; on ne jugera à l^avenir du goût 
de quelqu'un qu'à proportion qu'il en aura pour cette pièee^ ; > 
phrases oatrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou 
l'abbaye *, nuisibles à cela même qui est louable et qu'on 
veut louer. Que ne disiez- vous seulement : « Voilà un bon 
livre ? » Vous le dites, il est vrai, avec toute la France, 
avec les étrangers comnae avec vos compatriotes, quand il 
est imprimé par toute l'Europe et qull est traduit en plu- 
sieurs langues ; il n'est plus temps*. 

^ Quelques-uns de ceux qui ont lu un ouvrage en rap- 
portent certains traits dont ils n'ont pas compris le sens, 
et qu'ils altèrent encore par tout ce qu'ils y mettent du leur; 
et ces traits ainsi corrompus et défigurés, qui ne sont autre 
chose que leurs propres pensées et leurs expressions, ils 
les exposent à la censure, soutiennent qu'ils sont mauvais, 
et tout le monde convient qu'ils sont mauvais ; mais l'en- 
droit de l'ouvrage que ces critiques croient citer, et qu'en 
effet ils ne citent point, n'en est pas pire ^. 

1. « La mesure de Tapprobaiion qn'on donne à cette pièce, écrit Mme de 
Sérigné en parlant de la représentation à'Esiher, c'est celle du goût et de 
l'attention. » La réflexion de la Bruyère a été punliée deux ans après la re- 
présentation d*£«</i«r; mais connaissait-il la lettre de Mme deSevigné? et 
■il la connaissait, est-ce de cette phrase qa'il entendait faire la critiqne ? Oi 
en peut douter. 

2. C'estrà-dire telles que les doivent faire ceux qui sollicitent une abbaye 
ou une pension. 

8. Cet alinéa parut en i09i, trois ans après la publication de la première 
édition des Caractère». Faisant un retour sur la fortune de son livre, l'au- 
teur s'était éTidenunent rappelé les premières hésitations de quelques lec- 
teurs, qui avaient attendu le succès de l'ouvrage pour le louer ; mais il ne 
s'est pas proposé de leur faire publiquement et directement la leçon. Aussi 
termine-i-il par deux traits qui, détournant l'application que le lecteur se- 
rait tenté de (aire, rendent la réflexion plus générale et plus piquante à la Ibis : 
en 1091, les Caractères n'avaient pas encore été traduits, et le texte n'en 
arait pas encore éié imprimé à l'étranger. 

4. Quintilien TaTait déjà dit : « Modeste tamen et circumspecto Judicio 
de tantis viris pronuntiaodum est, ne, quod plerisqueaccidit, damnent que 
non intellignnt. »(D«m«(t(u<ton«oralorta; X, i.)Raciue avait, en i67S, 
proposé ce passage de Quintilien aux méditations de Charles Perrault, qui, 
faute de les comprendre, avaitcritiqué divers passages d'Ëuripide ; laBruyèrii 
fait à son tour le commentaire de la même pensé». Plus tard Boileau la tra- 
duira dans une épigramme, à l'adresse encore de PerranU i 

D'oh vient que Cicéron, Platon, Virjgile, Homère, 
Et tous ces grands auteurs que l'univers révère, 
Traduits dans vos écrits nous paraissent si sots? 
Perrault, c'est qu'en prêtant à ces espriu sublime» 



^^ 



DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 9 

% « Que dites-you8 du liTPe d'flerwwdora? — Qu'il est 
mauvais , répond Anthime. — Qu'il est mauvais ? — Qu'il 
est tel, continue-t-il, que ce n'est pas un livre, ou qui 
mérite du moins que le monde en parle. — Mais Tavez- 
vous lu ? — Non, 1 dit Anthime. — Que n'ajoute-t-il que Fui- 
vie et Mêlante Tout condamné sans Tavoir lu, et qu'il est ami 
de Fulvie et de Mélanie ' ? 

^ Arsène j du plus haut de son esprit*, contemple les 
honunes; et, dans l'éloignement d'où il les voit, il est comme 
effrayé de leur petitesse : loué, exalté, et porté jusqu'aux 
cieux par de certaines gens qui se sont promis de s'admirer 
réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu'il a, pos- 
séder tout celui qu'on peut avoir, et qu'il n'aura jamais; 
occupé et rempli de ses sublimes idées, il se donne à peine 
le loisir de prononcer quelques oracles ; élevé par son ca- 
ractère au-dessus des jugements humains, il abandonne aux 

Voe ftçont de parler, tob btBsesfee, tm rimes, 
Voas les faites tons des Perraalt. 

Si cette épigramme n'a été composée, comme le pensait M. Berriat Saint- 
Prix, qn'après la pablication do tome III da Parallèle des ancUnê tt du 
modernes (1693), la réflexion do la Brayèrelui est antérieure de trois ou 
qaatreans. 

1. Sons one forme noaTelle, c'est Tane des scènes de la Critiqué dé VÈ' 
oolê dêê femmes : « lk marquis. Qaoi! ehevalier, est-ce qae tu prétends 
soutenir cette pièce? — dorante. Oui, je prétends la soutenir. — le har- 
QDis : Parbleu y je la garantis détestable. — dorante. La caution n'est pas 
bourgeoise. Mais, marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est- 
elle ce que tu dis? — LE MARQUIS. Pourquoi est-elle détestable?— dorants. 
Oui. — LE MARQUIS. BUs est détestable parce qu'elle est détestable. — do- 
AANTX. Après cela, il n'y a plus rien à dire; voilà son procès fait. Mais en- 
core, instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont. — le marquis. Que 
sais-je, moi? je ne me suis pas seulement donné la peine de Técooter. Mais 
eofln je sais bien que je n*ai jamais rien tu de si méchant. Dieu me sauTe! 
et Dorilss, contre qui j'étais, a été de mon avis. — dorante. L'autorité est 
belle, et te loilà bien appuyé. » 

2. On peut rapprocher du caractère d'Arsine le portrait de Daais dans 
la dnqmème scène du deuxième acte dji Misanthrope : 

Bt les deux bras croisés, du liaut de son esprit 
Il regarde en pitié tout ce que chacun dit.... 

et celui des personnages « qui s'en font extrêmement accroire » dans le 
quatrième chapitre des Entretiens d?Àriste et SEughns du P. Bouhours. — 
C'est^ dit-on, le portrait du comte de Tréville, l'un des geniilsboflunes les 
pli«s instruits de la cour, au'a touIu tracer la Bruyère. Buurdaloue, assure- 
*-on. s'était déj[èi propose, en I67i, de peindre Tréville dans son Sermtm 
sur la sévériié evangeliaue. Lorsqu'il avait montré « ces dévots superbes qui 
se sont évanouis dans leur pensée.... ces esprits superbes qui se regar- 
daient, et se faisaient un secret plaisir d'être regardés comme les justes, 
comme les forfaits, comme les irréprihsnsibles,.., qai de là prétendaient 
•voir le droit de mépriser tout le genre humain..*, m chacun des auditeurs 
Avait nommé Tréville. 



c 



10 CHAPimE I. 

âmes oèmmn&es le mérite d'une vie eiiiTie el uniforme, et 
ii n'est responsable ée ses mconstanoes qn'à ee oercle d^amis 
qni les Idolâtrent; eux seuls savent juger, savent penser» 
çayent écrire, doivent écrire ; il n'y a point d'autre ouvrage 
d'esprh si bien reçu dans le monde et si universellement 
goûté des bonnétes gens *, je ne dis pas qnll veuille ap- 
|)70uver, mais (^u'il daigne lire : incapable d'être corrigé 
par cette peinture, qu*il ne lira point. 

Y Théocrwê sali des eboses assez inutiles; il a des senti- 
ments toujours singuliers ; il est moins profond que métbo- 
di^e; il b'exeree que sa mémoire; il est abstrait*, dédai- 
gneux, et il semble toujours rire en lui-môme de ceux qu'il 
croit ne le valoir pas. Le basard fait que je lui lis mon ou- 
vrage, il l'écoute. Est-ii lu, il me parle du sien. — Et du 
vôtre, n^e diret-vous, qu*en pense-t-ilt — Je vous l'ai déjà 
dit, il me parle du sien. 

^ Il n'y a point d'ouvrage si accompli qui ne fondtt tout 
entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en 
croire toi^s ^es censeurs qui ôtent cbaci^n Tendroit qui leur 
platt }e xaoius. 

^ GVst une expérienoe fftite que, s'H se trouve dix pei^ 
9WM» qui offacoAt d'mt livre une expression ou un senti- 
ment, Ton en fournit aisément un pareil nombre qui les ré- 
dame. CevH;-çî s'écrient : « Pourquoi ^uppriçier cette pen- 
sée f elle est neuve, elle est beUe, et le tour en est admi- 
rable ; 1 %t c^ia-l^ s^gnoent, au contraire, ou qu'Us auraient 
B^igû^é cette pensée, ou quUls lui auraient donné un' autre 
tour. < S y a ûu terme,, di&ent l,es uns, dans votrei ouvrage, 
qiii est rencontré \ et qui peint la cbose au nature). > — 
c n y a un mot, disent les autre?, qui est hasar({é, et qui 
dViilleurs ne signifie f9s asses ee que vous vouler. peut-âtre 
faire entendre. » Et c^est du même trait et du même mot 
que tous ces gens 9'expUquent ainsi, et tous sont connais- 



I. I.*nne dçs exprsBBioDS qwt nont le ph» fr^qveHHMDtesipkiTéeB as dix- 
septi^e siècle. Les honDètM rend, dras la Iang]a6 da temps, ce sont iea 
gens i)ien életés et eortoat les Bommes d'an esprit eu ItîTa. 
* 3. ^bitrait^ rêvear. « AbstraH, distrait^ itignifieaiioû commaoe, défaut 
raiteotion, avec cette différence que ce sont nos propre» idées, noa médi- 
tations qui nous rendent abstraits, tandis que nous sommes distraits par 
les objets extérieurs, qui nous attirent et polis détooraent. • (Guizot Syîio- 
nym€s framçais.) 

3. Heureusement rencontré. 



DES OUVRAGES DE L'eSPHTT- U 

Mtirs et passent pour tels *. Quel s^utre parti ppur nn au- 
teur, que" d-09er pour lors être ^e l*ayîs dç ceux qui Pap- 
prouvent? 

•f Un auteur sérieux n*est ps^s obligé de remplir son es- 
prit de Routes les extravs^gances, ^çi toutes les saletés, de 
tous les mauvais mots que Ton peut dire, et de toutes les 
ineptes applicatioDs que Ton peut faire au sujet de quelques 
endroits dé sou ouvrage, et encore moins de les supprimer. 
Il est convaincu que, ouelque scrupuleuse exact^xiide que 
l'on ait dans sa, manière d'écrire, la raillerie froide des mau- 
vais plaisants est ui^ mal inévitable^ et que les meilleures 
choses ne lei^r servçnt souvent qu'à leur faire rencontrer 
une sottiçe •. • 

y Si certains esprits vife et décisifs épient crus, ce se- 
raif encore trop que les termes pour exprimer les senti- 
ments ; il faudrait leur parler par signes, ou sans pa;rleT se 
faire entendre. Quelque spin qu'on apporte à isitre serré et 
concis, ç.t quelque réputation qu'on ait d'être ^el, ils vous 
trouvent dilfus. Il faut leur laîsse^ç tout à suppléer, et n*é- 
crire que pour eux seùfi : ils cojjçoivént une période par le 
mot qui la commence, et par une période tout un cl^ap^tre : 
leur avez- vous li^ un seul endroit de Toiiyrage. c*est assez, 
ils sont dans le fait et entendent l'ouvrage. "Drn tissu d'é- 
nigmes leur serait une lecture divertissaiite ; et c'est uue 
perte pour eux que ce style estropié qui les enlève soit 
rare ', et que peu d'écrivains s'en accommodent. Les compa- 

I. « J*al oui condamner cçtte, coçdédie ^ certaines gen^ ^it ^«liè^e dans 
la Critique de l'Ecole des femmes (scène iv)» par les'mômei^ choses ^ue j'ai 
TU d*àtitfes estimer Is plus, m — « /...OU en serait-on,' si l^)n voulait écouter 
toat le monde? écrit Boileau di^ns Tune de ses lettres. Quid dem? Qu,iA 
nondem? Renuit tuquodjubet altetm Tout te monde juge, et personne ne 
sait jnger. i> 

S. En protestant cositre lea incfrtcs apsHoatioiia auqaettes donnent lien 
parfois tes écrits les plus innocents, oa a eat pas uniquement sa cause per- 
sonnelle que défend la Bruyère. A l'époque ob il écrirait cette réflexion, 
en 4$a9, les clefs quM désavoua si Tiveoieot plu^ tard n'ava^n^ pas eocore 
circulé. Comme Tayait fait, Molière dans. la Critique de l^Ecole aJBa femme» 
Cscène yO et dans les femmes &ava,ntes (acte (il, scène \i), \i ^read surtojit 
à partie les sots, les méchants plaisants qi^ cl^ei^c^ient et; yoyaifi^t partijMit 
qfi grossières et licencieuses équiyoq^ués. 

3. Ç'est-â-dire : e^ il est regreil^ble pour çu^^ queleçen.re de style qui 
les charme soit rare. — « N'avez-vous pas pris garde, oii le P. Boubours 
dans un livre que la Bruyère avait ccrtalhemenilu, aue Tobscuritç dec pen- 
sées vient encore de ce qu'elles sont estropiée^^ si j ose m'exprimer die la 
Sonet je veux dire que le sens- n'en est pas complet, et qu'elles ont quel' 
que chose de monstrueux, comme ces stattie^ imparfaitet ou. toutes muti- 
léea...* etc. » ^Manière de penser^ i687.) 



-b^ 



V 



IS CHAPITRE I. 

raisons tirées d'un fleure dont le ooqts, quoique rapide, est 
égal et uniforme, ou d*un embrasement qui, poussé par les 
vents, s^épand au loin dans une forôt où il consume les 
chênes et les pins, ne leur fournissent aucune idée de Télo- 
quence. Montrez- leur un feu grégeois* qui les surprenne 
ou un éclair qui les éblouisse, ils tous quittent du bon et 
du beau*. 

^ Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage et un 
ouvrage parfait ou régulier 1 Je ne sais s'ils*en est encore 
trouvé de ce dernier genre. Il est peut-être moins difficile 
aux rares génies de rencontrer le grand et le sublime, que 
d'éviter toute sorte de fautes. Le Cid n'a eu qu'une voix 
pour lui à sa naissance," qui a été celle de l'admiration; il 
s'est vu plus fort que l'autorité et la politique *, qui ont 
tenté vainement de le détruire ; il a réuni en sa faveur des 
esprits toujours partagés d'opinions et de sentiments, les 
grands et le peuple ; ils s'accordent tous à le savoir de mé- 
moire, et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent. 
Le Cid enfin est l'un des plus beaux poèmes que l'on puisse 
faire; et l'une des meilleures critiques qui ait été faite sur 
aucun sujet est celle du Cid*. 

^ Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle vous 
inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez 
pas une autre règle pour juger de l'ouvrage : il est bon et 
fait de main d'ouvrier*. 



1. Une foBée, an fea d'artifice. ScarroD a ploaiearo fois employé cette 
expression avec le même sens dans ses comédies. 

3. Quitter quelqu'un de quelque chose, Ten tenir quitte, est une ex^ 
pression dont il se rencontre de nombreux exemples dans les comédies dn 
temps. I 

8. Boileau, satire ix, Ters 231 : 

En Tain contre le Cid un ministre se ligue : 
Tout Paris pour Ghimène a les yeux de aedrigoe. 
L'Académie en corps a beau le censurer, 
. Le public révolté s^obstine à l'admirer. 

%. Vvne du mêilltwre» critique* qui ait été faite : dans tontes les 
éditions qui ont passé sous les yeux de la Bruyère, le verbe est resté an 
singulier. La règle rigoureuse de la grammaire exigerait le pluriel, mais 
te sin^lier n'a pu choquer les contemporains de noire auteur ; Quelques 
écrivains en approuvaient formellement l'usage en pareil cas. — « Zee ««n- 
timents de P Académie eur la tragédie du Cid^ dit M. Gelruzez dans son 
édition de Boileau, ont été trop vantés, et la nhraae de la^ruyère vaut mieux 
comme antithèse que comme jugement. » 

5. Au dix-septième siècle , comme aujourd'hui, l'on disait plus souvent 
&it de main de mattre. — « Tout ce qui est véritablement sublime a cela de 
propre, quand on l'écoute, qu'il élève l'&me et lui fait concevoir use plut 



DES OUVRAGES DE L'eSPRIT. 13 

• 

^ {7ap2^5, qui s'érige en juge du beau style et qui croit 
écrire comme Bouhours et Rabutin, résiste à la voix du 
peuple, et dit tout seul que Damis n'est pas un bon auteur. 
Bamis cède à la multitude., et dit ingénument avec le public 
que Gapys est froid écrivain ^ 

% Le devoir du nouvelliste est de dire : c II y a un tel 
livre qui court, et qui est imprimé cbez Cramoisy*, en tel 
caractère; il est bien relié*, et en beau papier; il se vend 
tant. > Il doit savoir jusques à renseigne du libraire^qui le 
•débite : sa folie est d*en vouloir faire la critique \ 

Le sublime du nouvelliste est le raisonnement creux sur 
la politique. 

Le nouvelliste se coucbe le soir tranquillement sur une 
nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il est obligé d'aban* 
donner le matin à son réveil. 

^ Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, 
et n use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule. 

haute opinion d*eUe-même. » (Longin, Du Sublime^ cbap. t, traduction de 
Boilean.) 

1. Selon tontes les clefs, Capys est Boursaalt et Damis Boileau; mais au 
moment où la Bruyère publiait cette réflexion (16S9), Bourhault et Boileaa 
étaient réconciliés depuis deux ans. — Le P. Bonheurs, jésuite, élégant et in- 
génieux écrivain, né en 1628, mort en 1702. C'est dans l'édition de i690 
qne la Bruyère plaça pour la première fois son nom à côté de celui de Bussy, 
qui figurait seul dans l'édition précédente. Le P. Bouhours venait de publier 
les Pentéeê ingénieufti des anciens et des modernes y où il avait plusieurs 
fois cité lee Caractèrea. >- Roger de Rabutin, comte de Buss^ (i6i8-i693), 
le spirituel cousin de Mme de Séviçné, écrivait des lettres qui couraient le 
monde. 11 avait fait faire des copies de sa correspondance et de ses mé- 
moires, et communiquait volontiers ses manuscrits à ses amis. 

S. Nom d'une famille célèbre dans l'histoire de la librairie. Le seul de 
ses membres auquel appartint une imprimerie se nommait André Cramoisy. 
Une de ses tantes, veuve de ëébastieo Mabre Cramoisy, dirigeait aussi une 
imprimerie, mais c'éuit Timprimerie du roi. 

3. Les livres, môme dans leur nouveauté, ne s'achetaient presque jamais 
qne reliés. 

k. La Bruyère, a>t-on dit, veut parler des journaux, encore dans leur en- 
fonce. Assurément, les droits de ia critique étaient alors très- limités et très- 
contestés. Aussi lorsque l'abbé Gallois prit, en 1666, la direction du jour- 
nal des saeantSf crut-il devoir rassurer les auteurs qu'avaient alarmés les 
critiques auxquelles s'était laissé entraîner la direction précédente: il promit 
de ne pas « entreprendre sur la liberté publique, » reconnaissant humble- 
ment que « c'était exercer une sorte de tyrannie dans l'empire des lettres 
que de s'attribuer le droit de juger les ouvrages de tout le monde. » Il expri- 
mait ainsi le sentiment général, et toutes les fois que le Journal des savants 
s'écarta, au dix-septième siècle, de cette profession de foi, il s'attira de 
méchantes querelles. Mais ce n'est ni du Journal des savants ni même da 
Mercure galant qu^il s'agit ici. Les nouvellistes, ce sont les fabricants et les 
colporteurs de nouvelles, les discoureurs des salons et des lieux publics. 
Pour diverses causes, la Bruyère les aimait peu, et c'est contre eux qu'il a 
lancé cette boutade. 



14 CHÀpmts it 

S'il donne quelque tour à eea penaéea , c'est moins par ona 
Tonité d'auteor que pour mettra une vérité , qu'il à trou- 
vée, dons tout le jouf nécessaire pour faire l'impression 
qui doit servir i. son dessein. Quelques lecteurs croient 
néanmoins le payer avec usure s'ils disent magUtralement 
qu'ils ont iu son livre, et qu'il ; a de l'esprit : mais il leui' 
renvoie toiis leurs éloges, qu'il n'a pas cbèrcliés par soa 
travail et par sas veilles. IL porte plus baiit ses projets 
«t agit pour uns fin plus relevée : il demâiidè des hom- 
mes un plus grand et un plus rare biiccès que tés louaii- 
gea, et mâma que les récompenses, <]>ù ^^^ '^^ l^s rElldrâ 
meilleurs '. 

^ Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point, lés 
esprits médiocres croient Tentendre pattàitémêiil. Les 
grands esprits ne l'entendent quelqtieïois pas tolit entier: 
ils trouvent obscur ca qui est obscur, comme ils troiivéiit 
clair fle qui est clair. Les beaux esprits veulehi trouver 
obscur ce qui ne l'est point, et ne pas eateitdré ce qui est 
fort intelligible. 

% Un auteur cborcte vainement S 3é faite âdffiitHt pSf 
son tllivrage. Les sots admirent qnel^ntifais, mais ce sont 
des sois. Les persoimes d'esprit oUt âti etll * Ué âemti&cël 
ie toUtefi les vérités et de tous les sentiments) rien ne leur 
est nouveau ; ils admirent peu, ils approiii^ênt. 

^ Je ne sais ^ l'citi pdnrra jamais mettre dans des lettres 
plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément et pItU de ^t^lè 
que l'on eu Voit dàtis telles de Balzac et d» TettuRB * 



i. Èst-ll ii«t:«iBa)re à» ftitv rtmatqnct hiM,IVnl«fir patu Ict de Itii 
miiUB! C'esl en lea qu'il t, inséié cet HiAii iHittlii Caraciirts. 

ï. Molière ■ faii de pe—--— '- ■■"—" ■■-- ■ i— —i——n — ^— iiq_ 
i> laaait je n'ki tu deux pe >im 

Juan, J, 11.}— ' b«Dx ven la- 

tait imajinain, Û, tIJ. C iel 

gmnniuineDg du dix-seplii tna 

Oivderiies. vaugchii tuDtei da 

Uilherbs. ad 18 motjMnon 11^ 

samtnml.dii-iljjè genre m iiw 



DES OUVBAMS DE L'ESPRIT.' 10 

«Des sont yides ds sentiments qui n'ont régné que depuis 
leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance» Ge 
sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles 
trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui 
souvent en nous fie sont 1 effet que d'un long travail et 
d'une pénible recherche ; elles sont heureuses dans le choix 
des termes» qu'elles placent si juste que, toutdondus qu'ils 
sont) ils ont le ch&rme de la nouveauté, et semblent être 
&itsseuleiiientpour Pusage où elles les mettent; il n'appar*- 
tient qu'à elles de faire lire dans ua seul mot tout un sen* 
timenl^ et de rendre délicatetnent une pensée qui est déli'* 
cate; ^Ues ont un enéhaînement de discours ihimitable^ 
qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens'» 
Si les femmes étaient toujours correctes, j'ol^èrais dire (^he 
les lettres de quelques»uiies d'entre elles seraient peut-être 
ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit. 
" ; j. ^11 n'a manqué à Térbnce que d'être moins froid : quâle 
pureté) quelle exactitude, quelle pdlitessCi quelle éléganoei 
quels caractères I U n'a manqué à Molièrb que d'évité le 
jargoB et le barbarisme « et d'éorire purement* i quel flâu, 



. % 



(ls^S-1648)^tU n^eilleure part ée n célébrité à m eorresponduic»' U 

était poète, et Boileau tenait ses poésies en graiide estime. Il le nommeà c6té 
de Malherbe (eplire ix), et même à côté d'Horace (satire ix). 

1. La Bruyère avait sans tiOttlë Ib qiiei^iièii-iltieft dés lettrée de if me tie \. * 
SéYfgné. Bussy lui avait pent-étre commdtiiqué là copié de ëellés qui lui 

avaient été adressées. 

2. Les Déeligencea .et les incorrectiODSiie sont pas rares dans les œuvres 
de Molière, bien qu'elles soient mi^ns fré<iuente8 que ne Tont imaginé la 
plupart de ses annotateurs. « Bn pensant bien j dit Féoelon, il parle souvent 
mal ; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Xérence 
dit en quatre mot«, avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit 
qu'avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias.» Vau- 
venargues, qui, comme t^énelbu, aimé ih:eUi la prose de Hollère tthe ses 
vers, s'est eccore montré plus rigonrenx : « U y a en lai, dit>il, tiint de né- 
gligences et d'expre8^ions imprqpre^ q[U'il y a peu de poCies^ bi j'ose le 41re, 
moins corrects et moins purs que lui. » Plusieurs écrivains ont protesté 
contre la sévérité de ces jpgementS) dans lesquels il n est pas tenu compte 
de la rapidité avec laquelle Molière a dû composer ses pièces. Ils ont surtout 
proteste contre l'excès de sévérité de la Bruyère. Mais est-il certain qu'on 
rait bien compris? La Bruyère tetli-it dite qfcie ftollèré ult si mal étudié la 
langue qu'il n'ait pu évitée lé Jargon et le bàrbarldiiié^ J'endoutét et je 
propose l'interprétation qui niit. La Brdyère a blftmé l'atltettr du Miaon- 
thropêf comme on le verra plus I :>in, d'avQir introduit des paysans sur^ia 
aoène : le jargon et les barbarûmea dont il se plaint, ne se trouveraient -ils 
pas dans le janf^e de Jacqueline; de Lucas^ de divers perapnnagefi dû Fhtin 
de Pierrêf de M, de Poureeaugnac^ etc., dans ce langage que Molière a fidè- 
lement transporté des cbamps au théâtre 7 Hors des farce», la Bruyère ne veut 
pu âe paysanneriea i on peut en conclure sans témeritéi ce me semble^ qu'U 



X 



16 CHAPITRE I. 

quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle 
imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridi- 
cule I Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux 
comiques! 

^ J*ai lu Malherbe et Théophile ^ Ils ont tous deux 
connu la nature, avec cette différence que le premier, d'un 
style plein et uniforme*, montre tout à la fois ce qu'elle a 
de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple : 
il en fait la peinture ou l'histoire. L'autre, sans choix, sans 
exactitude, d'une plume libre et inégale, tantôt charge ses 
descriptions, s'appesantit sur les détails; il fait une anato- 
mie ; tantôt il feint *, il exagère, il passe le vrai dans la 
nature : il en fait le roman. 

^ Ronsard * et Balzac ont eu, chacun dans leur genre, 
assez de bon et de mauvais pour former après eux de très- 
grands hommes en vers et en prose. 

^ Marot * , par son tour et par son «tyle, semble avoir 
écrit depuis Ronsard : il n'y a guère , entre ce premier et 
nous, que la différence de quelques mots. 

^ Ronsard et les auteurs ses contemporains ont plus nui 
au style qu'ils ne lui ont servi : ils Font retardé dans le 

lai répognait d'entendre, an théâtre de Molière, les paytaos parler comm* 
à la campagne. 

I. Tous les jours à la cour un sot de çiualité 
Peut juger do travers avec impunité, 
A Malherbe, à Racan, prérérer Théùphile,.., 

Est-ce en souvenir de ce vers de Boileau (satire ix) que la Bruyère a 
voulu comparer Malherbe (1555-1628), le réformateur de la poésie, et Théo- 
phile Viaad (1590-1626), poète que son mauvais goût a ridiculisé > Le rap- 
prochement qu'il a fait de ces deux noms a fort étonné les critiques. — 
Théophile est l'auteur de ces vers cités par Boileau dans sa préface : 



Ah ! voici le poignard qui du sang de son mattre 
S'est souillé lâchement. 11 en rougit le trï 



traître! 



A cèté de ces vers, tirés de la tragédie de Pyrams et Thiabéf l'on en pour- 
rait citer d'autres qui ne sont pas plus heureux. Ainsi Pyrame, s'approchant 
de la muraille qui le sépare de Thîsbé et dans laquelle une fente est prati- 
quée, s'écrie : 

Voyez comme ce marbre est fendu de pitié. 
Et qu'à no*jre douleur le sein de ces murailles 
Pour receler nos feux s'entr'onvre les entrailles ! 

9. D'un style plein et toujours égal. 

3. Fingit, il invente. 

4. Uonsard (1524-1586), qui voulut être le réformateur de la langue et de 
la poésie, a semblé le plus admirable des poètes à ses contemporains. 

5. Clément Maroi (i 495-154%) a excellé dans Im poésie familière, dans les 
épitres, les épigrammes et les élégies. 



DES OUYEAGES Dfi L'ESPRTT. 17 

chemin de la perfection; ils Tont exposé à la manquer pour 
toujours et à n'y plus revenir*. 11 est étonnant que les ou- 
vrages de Marot^ si naturels et si faciles, n'aient su faire 
de Ronsard, d'ailleurs plein de verve et d'enthousiasme, un 
plus grand poëte que Ronsard et que Marot ; et, au con- 
traire, que Belleau, Jodelle et du Bartas' aient été sitôt 
suivis d'un Racan^ et d'un Malherbe, et que notre langue, 
à peine corrompue , se soit vue réparée *. 
, } \ % Marot et Rabelais * sont inexcusables d'avoir semé 

1. C'est, à pen de chose près, le iagement de Boileau. (Art panique, I, 
vers 113.) Ronsard, dit-il. 

Réglant toat, brouilla tout, fit un art à sa mode, 
Et toutefois longtemps eut un heureux destin. 
Mais sa muse, en français pariant grec et latin. 
Vit dans Tàge suivant, par un retour grotesque. 
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.... 
Enfin Malberbe vint, et le premier en France.... 

« Ronsard, dit M. Geruzez, a été trop loué et trop dénigré. S*il a échoué 

complètement dans l'épopée et Tode pindarique, il faut reconnaître aussi 

^ qu'il a rencontré, par interralles, la vraie noblesse de langace poétique dans 

f quelques passages du Bocag9 royal, des Bymnet et des Ditcour* sur Uê 

I misère» dt» Utnfê. M. Sainte-Beuve, qui, de nos jours, a revisé ce grand 

procès, a tout au moins prouvé, pièces en main, que, dans le sonnet et dam 

les pièces anacréontiques, Ronsard garde un rang élevé. Malherbe, qui a si 

heureusement prufite des efforts de Ronsard, aurait dû blâmer moins 

rudement les écarts de ce poëte, martyr de la cause dont il reste le 

héros. M 

2. Rémi Belleau (i528-t577), l'un des poôtes de la Pléiade^ a traduit les 
odes d'Anacréon, les Phénomènes d'Aratus, VEcclisiastey etc. U est l'auteur 
d'une jolie pièce, ilortj, qui est souvent citée. — Jodelle (1532-1573), poëte 
dramatique, auteur de tragédies imitées des tragédies grecques. — Du Bar- 
tas (1544-1590), poète sans goût qui exagéra encore le ftute pédantesque 
de Ronsard, est F 
la Semaine, ou Ut 

{mblia ces considérations w . 

e nom de Saint-Ckslais a occupé la place oh l'on voit celui de du Bartas, et 
ce n'est qu'en 1696, fort peu de temps avant sa mort, que la Bruyère 
remplaça Saint-Gelais par du Bartas. On lui avait sans doute fait remar- 

2ner que MelUn de SaintrGelais (1491-1558) était de l'école de Mai^pt et non 
e celle de Ronsard. 

3. Honorât de Baeil , marquis de Racan (1589-1670), élève et ami de 
Kdherbe, sur la vie duquel il a laissé des mémoires. U a oompos64es Ber- 
gtries, des Odes sacrées, etc. 

4. La Bruyère dit en prose ce que Boileau dit en vera : 

Par ce sage écrivain la langue réparée 
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée. 

6. François Rabelais, né à Chinon en 1483, tour à tour cordelier, béné-^ 
dictin. médecin, bibliothécaire, secrétaire d'ambassadeur et curé, m'ourai à 
Meodôn en 1553. C'est à dessein qu'il fit de son livre une énigme, dissimu- 
lant ses hardiesses sous des bouffonneries extravagantes. Le jttf^émeot de 
- ht Bruyère est sOavent cité et mérite de l'être. 

9 




18 CHAPITRE I. 

Tordure * d^qs leurs écrits : tous deux aYaient assçz de gé' 
ijie et de naturel pour {pouvoir, s'en passer, môme à l'égard 
dp cenx, qui cherphent moins à, apLmirer qu'à rire dans un 
auteur, ^ab^is surtout est incompréhensible; son livre 
^sjtune é.nigme, quoi, qu'on yeuillq dire, in.explicable ; c'est 
ijne chimère, ç*est le vidage d'ui^e belle femme avec des 
pieds et une queue de serpent • ou de quelque autre bête 
plus ditforiûe ; c'est un monstrueux assemblage d'une mo- 
rale fine et ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est 
mauvais, il passe bien loin au delà du pire, c'est le charme 
de. la canaille ; où il est bQ)QL| il v^t ju^ques à.rexquis et à 
l'excellent, il peut être le mets des plus délicats* 

^ Deux écrivains, dans laur& ouvrages, ont blâmé Mon- 
taigne*, que je ne crois pas., aussi. bien qu^eux*, exempt 
de toute sorte dâblânae. 11 paraît que tousdeu&ne Tout 
estimé en nulle manière, t'unt ne pe^i^s/iit. pas aaçez pour 
goûter un auteur qui pense beaucoup; l'autre pense trop 
$utitilemLènt pou;, s^s^ccommoder de, pensées, qui; sont, uf^tur 
relies** 

U « ....I^. cœ.Qr de rbomn^j» est creiu. etplçm d'or^i^a, » a dit PjtfCf^ 
dans BesPènsees, Hplièré a employéle même mot au pilunel ; 

Chaque instant de ma vie est chargé de souillares; 
Elle n'est qui* fin amas de crimes et d'ordures. 

{Tartufif apte I{I, scène ^^ ' 
2,^ B9race^ Art poétique f tejps 8 : 

.... uttturpiter. in atrum 
Desinatin piscemjnulier formosa. super ne« 

3. Nicolas Montaigne (ou Montagne^ comme écrit la Bruyère), lié 
en 153J, mort en 1592, l'immorte) auteur dès Essais^ La Bruyère l'avait 
beaucoup In. * .. .- . . 

4é. Que je ne crois pas non plus.... Au dix-septième siècle, aussi se re» 
contre à cnaqûe ihstantdans les phrases négatives. Pascal , Descartes, Mo- 
tièrâ, Corneille^ en offrent quantité d'exemples. Les grammairiens modernes 
exigent que l'on fasse usage, en pareil cas, de non plus. 

5. L'écrïrain qui «< pense' trup subtilement, » d*aprèa tous les commen- 
tateurs^ est le philosophe cartésien Malebrancne ( 1638-1715), qui « a blâmé» 
Blbntaignê dans la RèckercHs de la véHtê, Celui qui « ne pense pas assez » 
est pou^ les \ins Nicole (lfi2S-16d5), Pècrivain de Port-Royal, pour lèsautrès 
Balzac. Comme l'a fait remarquer M. Sainte-Beuve, la partie des Essais itti 
Nicole a parlé de Montaigne n''a point paru assez tôt pour que la Bruyère 
ait pu la lire. Aussi, à moins que la Bruyère n'ait e^ vue quelque passage 
de la Logique de Port-Royal, à laquelle avait collaboré PUcole. n'est-ce pas 
à Nicole qu'il fait allusion. Balzac a consacré deux Entretiens a Montaigne, 
el, bien que Von puisse se demander si la critique (ju'ii en a faite autorisait 
la JB|>ruyère à dire qu'il ne restimait.w en nulle maulôre, » son nom est sans 
doute cfilui auquel il faut s'arrêter. Il était mort depuis irente ans environ 
lorsque la Bruyère écrivait; l'imparfait (m pensMt pas) se- comprend 
donc mieux, appliqué à lui; que s'il a'agissait de Nicole, qui fivalt encora 
quand p^rut ce passage. 



» -, 



DES OUVRAGES- BB L'ESPRIT. . 1-9 

^ Un style- grove, sétieux^ scrupuleux, var fbit loin. Ou 
lit Amyot • et GoEPFETEAU* : lequel ]it-on de leurs cpntBmpo- 
rains?' Balzïwg, pour \e» termes^ et pour- Pexpressiun, est 
moins vieu» que Voiture ; mais si- oe dernier, pour le tour, 
pour Tesprit et pour le^ naturel, n'est pas moderne et ne 
ressemble en* rien à nos éori^ains*, c'est qu'il' leur a-été plus 
facile dele négliger que de limiter, et que le petit nombre 
de ceux^ qui courant aprèsi'lui ne peut l'atteindre; 

^ Le a***Gr**** est immédiatement' au-dessous de rien*. 
Il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressemblent. 11 y a au- 
teunt d'invention à s^ennc^ir par un- sot livre qxxHl 7 a' de 
sottise à l'acbeter; c'est ignorer le goût àjL peu|ile, que de 
ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises. 

Tf L'on voit bien que l' Opéra est Fébauohe d^un grand 
spectacle ; il en djonne l'idée *. 

Je ne sais pas comment VOpéra', aveoune musique si par- 
faite et ime dépense taute royale,., a pu réussir, à m'en- 
nuyer. 

Il y a des endroits dl^a POp^a- qui. làis^nt en désirer 
d'autres; il échappe quelquefois de souhaiter la. fin de tout 

1. Jacqaes Amyot (i513-.159$), qui, d*a]l>iordy»let au collège de Navarre, 
devîDt précepteur des eja.faDis d.e Henri I(, g^aiid aumôuier de France et 
évèqoe d'Auxerre^ à iraduit Plalirqueet lee roiuajojB grecs d'J)éliodoreetde 
Longue. 

2. Nicolas Coëfifeteau (15,74-1683), évêque deMarseilIe, savant théologien 
et célèbre prédicateur, auteur d'un grand nombre d'ouvrages. Vajijgelas avait 
une vive admiration pour le style de Coefl'eleau.^ et prehaii très-souvent dans 
■on Histoire romaine les exemples qu'il citait. Mais la réputation de Coéffe- 
leaa faiblit dès latin du dix- septième siècjle, comme, le prouvent, les raille- 
ries de Sainl'Ëvremond. Mme de Maintenon veut que laducbessede Bour- 
gogne appxenoe l'iiistoire de r«mpird roDain dans VHiaêoin romains de 
Coêffeteau, mais la seule raison qu'elle en donn^^ est.qu.e les. chapitres y 
sont courts, et que la jeune princesse n aime pas ce qjgiji est long^ 

s. l\sHi9^t da'^Uercwe g/i/aii^ Le, Jl^rcî*r^ journal ou pluiôf revue qui 
depuis 1672 paraissait tous les. mois, était rédigé paf Donnéau de Visé, qui 
eut parfois pour coUaboraieurs Thomas Corneille et FonteneUe;^ Dans deux 
éditions, la 6« et la ?•, la Bruyère fit ou laïsea ioiprimey les véritables ini- 
tiales du Mercure galanty M. G.; mais dans les autres on lit ; H, Q., c'est-à- 
dire Hermès galant-, la DU'uyère iraduisail.aiosi H^rcurt, en grec. Le 
Mercure, qui donnait les nouvelles de la. cour, de l'arniée et de, la littéra- 
ture, qui apprenait le mariag,e et lé décès des personnages importants, et 
qui contenait dies sonnets, des élégies et des annonces industrielles, avait 
pris parti pour CorneiUe contre Racine, et pourles moderoeft^^ontre lês^n- 
ciens 

4. La 9* édition seuie contient; au-dessous- de rtt» ; dans 'tontes les 
précédentes, on lit : au-dessous, du rHn. Le rien s'employait aasea^seaTeat 
poar exprimer le néant. 

5. Cette criti<|«e et les snivantes sont dirigées- contre l'académie de 
DMMiqiie, qui avait été adnûnistvéepef LuU»|MqQ*À sa^mort (168<^ etqui 



SO CHAPITRE I. 

le spectacle : c'est faute de thé&tre S d aetioii et de choses 
qai intéressent. 

VOpéra^ jusques à ce jour, n'est pas un poëme, ce lïont 
des vers ; ni un spectacle, depuis que les machines ont dis- 
paru par le bon ménage à'^Amphion et de sa race*: c'est 
un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instru- 
ments. C'est prendre le change et cultiver un mauvais goût 
que de dire , comme Ton fait, que la machine n'est qu'un 
amusement d'enfants et qui ne convient qu'aux marion- 

le fut après lui par son gendre. BoiIeaa,RaciDe, la Fontaine, Saint-Evremond 
n'aimaient pas non dIob l'opéra; mais leurs critiques s'adressaient surtout 
an genre, qu'ils condamnaient. La Fontaino écrierait en 1677, pour n« citer 
que lui : 

Quand j'entends le sifflet. je ne trouve Jamais 
he changement si prompt que je me le promets. 
Souvent au plus beau char le contre-poids résiste; 
Un dieu pend à la corde, et crie au machiniste; 
Un reste de forêt demeure dans la mer, 
Ou la moitié du ciel au milieu de l'enfer. 

— Quand le théâtre seul ne réussirait guère, / 
La Comédie an moins, me diras-tu, doit plaire. 
Les ballets, les concerts, se peut-il rien de mieux 
Pour contenter l'esprit et réveiller les yeux? 

— Ces beautés, néanmoins, toutes trois séparées. 
Si tu veux l'avouer, seraient mieux savourées. 
De genres si divers le magnifique appas, 

Aux règles de chaque art ne s'accommode pas. 

Il ne faut point, suivant les préceptes d'Horace, 

Qu'on grand nombre d'acteurs le théâtre embarrasse ; 

Qu'en sa machine un dieu vienne tout ajuster; 

Le bon comédien ne doit jamais chanter; 

Le ballet fut toujour» une action muette; 

La voix veut le téorbe, et non pas la trompette, 

Et la viole, propre aux plus tendres amours, 

N'a jamais jusqu'ici pu se joindre aux tambours. 

Mais la foule ne partageait point sur l'opéra le sentiment de la Fontaine : 

Que l'on n'y trouve point de machines nouvelles. 

Que les vers soientmauvais, que les voixsuient cruelles; 

De Baptiste (LvUlt) épuisé les compositions 

N9 sont, si vous voulez, que répétitions; 

Le Français, pour lui seul, contraignant sa nature, 

ITaque pour l'opéra de passion qui dure. 

Les jours de l'opéra, de l'un à l'autre bout, 

Saint-Honoré. rempli de carrosses partout. 

Voit, malgré la misère à tous états commune. 

Que l'opéra tout seul fait leur bonne fortune. 

i. Dans cette phrase comme dans l'un des vers de la Fontame que nous 
venons de citer, le théâtre signifie les décorations, les machines. 

2. LuUiet sa famille. Le marquis de Sourdéac, qui dirigeait une aca- 
démie de musique avec l'abbé de Perrio, etqui perfectionna singolièremeni 
\Hfft du machiniste, avait fait sur son théâtre de très-belles décorations. Il flfe 
mina» Metiàlit ia raine i profiti Ltllli obtint un privilège) fonda une noati»lltt 
acldémit, el Ht une pirx nmins ghmâè âut tfanehioM et âttt dëedratloas. 



DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 21 

nettes ; eUe augmente et embellit la fiction, soutient dans 
les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du 
tkéâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point 
de Yols, ni de chars, ni de changements, aux Bérénices et 
à Pénélope * ; il en faut aux opéras ; et le propre de ce speo- 
tade est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un 
égal enchantement. 

^ Ils ont fait le théâtre*, ces empressés, les machines, 
les ballets, les vers, la musique, tout le spectacle, jusqu'à la 
saUe où s'est donné le spectacle, j'entends le toit et les qua- 
tre murs dès leurs fondements. Qui doute que la chasse sur 
Teau*, Penchantement de la Table ^, la merveille du laby- 
rinthe", ne soient encore de leur invention? J'en juge pat 
le mouvement qu'ils se donnent, et par l'air content dont ils 
s'applaudissent sur tout le succès. Si je me trompe, et qu'ils 
n'aient contribué en rien à cette fête si superbe, si galante, 
si longtemps soutenue, et où un seul a suffi pour le projet 
et pour la dépense, j'admire deux choses : la tranquillité et 
le flegme de celui qui a tout remué, comme l'embarras et 
l'action de ceux qui n'ont rien fait. 

1. La Bérénice de Corneille et celle de Racine, représentées en 1670. ~ La 
Pénélope de Tabbé Geneat, représentée en 1684. 

3. An mois d'août 1688, M. le Prince, fils dn grand Condé et père de 
l'élère de la Brajère, avait offert au daaphin, dans sa terre de GhantillT, 
nne fête qui avait duré huit Jours et coûte plus de cent mille écns. « M. le 
Prince était l'homme dn monde qui avait le pins de talent noar imaginer 
tout ce qui pouvait rendre la fête galante et magnifique, » dit la Fare en se» 
mémoires. « Personne, écrit Saint-Simon de son côté^n'a )amaisporté si loin 
l'invention, Texécution, Tinduslrie, les agréments m les magnincences des 
fêtes dont il savait surprendre et enchanter. » Tel était aussi Tavis de la 
Bruyère, qni crut devoir mettre à profit la publication de la 4* édition de ses 
Caractèrea (1689), pour y glisser, an milieu de ses considérations sur le 
théâtre, nne fiatterie à l'adresse de M. le Prince. On ne sait au juste quels 
sont les « empressés» qu'il raille. 

3. La chasse sur Tean se fit le sixième jour de la fête (38 août). Après 
nne chasse où l'on avait tué 50 on 60 cerfs, biches ou sangliers, on jeta aans 
rétang de Comelle, au son des hautbois et des trompettes, les bêtes vivantes 
qne l'on avait prises. Les dames, placées sur des bateaux couverts de feuil- 
lage, arrêtaient les cerfs au moyen de nœuds coulants et les faisaient at- 
tacher h la barque. Lorsque, les rames levées, on avait ga^né la terre à la 
remorqne des cerfs, elles coupaient la corde et leur rendaient la liberté. 

4. I^e dimanche 22 août, premier jour de la fête, le dauphin qni avait 
été re«u à l'extrémité de la forêt par M. le Duc, avait été amené par lui au 
carrefour de la Tabi«, où les attendait M. le Prince. Au milieu de ce car» 
refoar s'élevait sur nne estrade un édifice de verdure, au milieu duquel une 
magnifique corbeille d'argent contenait la collation. Après le repas et le 
concert, on vit passer le cerf dans l'une des allées, et la chasse com- 
mença. 

S- Collation très-ingéniense. donnée dans le labyrinthe de Chantilly. 
(Note de la Bruyère). La collation dan» le labyrinthe eut lien le 39 août. 



22 CHAPITRE 4. 

^ 'L6S comiftisseiifs, oa ceax qui se 4iroMnt<telB|'8e ôob^ 
nent voix délibërative et déoisive sarles spectacles, tie ean- 
ton&ent aussi, et se divisent en des partis contraires, dozit 
chactm, potiiBsé par tin tout anlire intérêt qne par celui da 
public on de réqufté, admire un certain poëme ou une cer- 
taine tti unique, et siffle toute autre, ite nuisent également, 
par celte chaleur à défendre leurs préventions, et à la fac- 
tion opposée, et 4 ^eiir pvopre cabate ; ils découragent par 
mille contradidfams les poëtes et les musiciens, Tî^tardeat le 
progrès Ûes sciences et des arts, en 'leur ôtant le fruit quils 
pottrriBdent tiiier de 'réoGRiiation et de la liberté qu'annôeat 
plusieurs exceUenes Baîtl*e6'de faire, chacundaifs leur genre 
et selon leur génie, de trôs-^jeaux x)uvrages. 
J- ^ Q9'où vient que Ton n^it si iibrement «u tizéâti^ «t *que 
^ Toin >a iionte d'y ipleimr ? Est-il >moins dans la nature 4m 8>ai- 
tendrir sut le'prtajrable * que d'éclater sur le^ridicale^ Est-ce 
rahémiion des traits qui noos Tetient? Elle est. plusii^eande 
dans un ris Immodéré que dans la plus amère ^ov>eur; et 
ron-éétoome son visage ^ponr rire, comme pour fdeiEror, em 
la présence des grands et de tous ceux que l'en respecte. 
Est-ce une peine que l'on sent à laisser voir que l'on est 
tendre, et à teiarquet quelque faîWesse, surtotft^iïn sujet 
faux, 'et dont il semble que Ton «oit !hi dupe? Mais, sans d- 
ter les personnes graves ou les esprite forts qui trotiveirtdu 
faible dans un ris excessif comme dans les pleurs, et qui se 
les fléfendefnt également, qm^attend-on d'une ^cène tragi- 
que? Qu'elle fasse'dre? fit 4'ailleurs, «la vérité n'y règne*- 
t-elle pas aussi vivement par -ses imstgés 'que ftans le comi- 
que ?L''àme ne va-t-elle pas jusqu'au vrai dans d'un et l'autre 
genre avant que de s^ouvoit? est-effle "même si aisée à 
contenter? ne Im faut-il pas -encore le vraisemblable? Gomme 
donc ce n'eiâft Joint "une cfhose î)izatl*e d'enteridre s'élevet fte 
torut MÊL aiapkitkéàtre «n ris «niversel «ur quelqve endroit 
d*une cfomédie, et que cela suppose au contraire qu^ isSl plai- 
sant «t trèsHSLaïvemeBit ^écuté, aussi rextrôme Vèotosiee 
que cfhacun isre fait %. crontimindre ses larmes, et le tnauvalis 
ris dont on veut les couvrir, prouvent clairement que l'eSet 
naturel du grand tragique serait de pleuret tous fraïictee- 

1. Le pitoyable, ce qui est digne de pitié. Ce mot aurait deux sigoiftoR- 
tioDS : tftiiiôi il «Mit ie sent q«^ pra«eM6 ici , tHM6t H a^ah ta vaAeur =de 
compoiùMfil. 



DES OUVRAGtef DE L'ESPRIT. 23 

ment et de concert à la vue l'un de l'autre , et sans autre 
embarras que à'essuyeT ses larmes : outre qu'après être 
convenu de s*y âbandonnel", on ^prouVeraît encore qu'il y à 
souvent 'moins lieu de crïiinflre Se ^ileurer au théâtre que 
de s*y morfondre. 

^ Le poërïie tragique Vous sèrt*e le cœur 'dès sot com- 
mendement, vous laisse à peitie dans tout ison "progrès* la 
liberté de respirer et le temps 'fte vous l'eiïiéttre; où, 's'a 
vous donne quelque telâcbe, c'e^t pour vous replonger dsitils 
de nouveaux abîmes et dans de 'fiô^ùvelles alarmes; 11 Vdùs 
conduit à la 'terreur par la^itié/ôû, ¥écipToquement , Il fe 
pitié parle terrible; Vous ûîène par les larmes, pà'rles skft- 
glots, par rincértitude, 'ptir Vesperancô , pàrlk cràitftë, par 
les surprises et par rboirréur, jusîjù'à là catastrophe. Ce 
n*est doiic pas un tissu de jolis sentiments, fte ûéclarations 
tendres, d'entretiens galàïïts, dé portraits "àg'r'éàïyles , de 
mots doucereux *j ou quelquefois kssez plaisants pdtrr faire 
rire, suivi à la vérité d'une àerïïïèi*e %cène où les "mtitîns 
p'éntendent aucune raison*, et où, "pour la^eYii^éânce. îl y 
a ecffn ûu sang répandu, et ^'el^ùe 'taâïheui'exix à'^ui il ^èh 
coûte la Vie. 

Tf Ce n'est point assez cfùe les 'inôeùrs dû TÎhéâtre * né 
soient point mauvaises; ïl faù't 'endôVe quVUés soient dé- 
centes et instructives. Il peut y àVo'ir un Vîifîcùïè si lias 'et 
si grossier, ou mênïè Si faàe et si IndiÔé'rent, qu'il û'ést ûi 
permis au poëte d'y ïàîre attention, nî possiliie aux specta- 
teurs de s'en divertir. Le paysan ou ï'^ivrôgne fournit quelques 
scènes à un farceur; il "ti^entre qu'à peiùe dans le v^ai co- 
mique : comment pourrait-il faire le fond ou l%c*tiôn 'prin- 
cipale de la comédie? 'Ces caractères, àit-ôn, "èôitft dâturels. 
Ainsi, par cette règle, on occupera feëïitôt tonit l'afùphi- 
théâtre d'un laquais qui siffle, d'un malade dans sa garde- 

1. DtBstoiit son développélneiit. 

2. ^igriez donc, j'y consens, ïès "hërôs amoureux, 
uais ne m'en formez pa's des bcfrgerô do'ucVreûd?, 

dit Boilem en s'adressant aux suteors dramsfcicfires. (Art poétipte, III, yers 
97.) Dans l'ancien langage le mot doucereUa: n'était pas emfrlo^ô en mauvaise 
part; Boileau, l'iro des premien, lui donna le sens avec lequel il est arrivé, 
josqu'à nous. 

3. Sédition, dénotment vulgaire des tragédies. <iVo^e delà Bruyère.)-^ 
Tel est, par exemple, le dénoûmentdepla^ietfrs tragëdre^ de Quivault? la 
mort de Cynu, Agrippa, Astrctte^ Pausanias, 

%. hm rnoBors ées persoûnages que les aiAecon iiidtt<»iit eu scènik 



2^ CHAPITRE I. 

robe*, d'un homme ivre qui dort ou qui vomit : y a-t-il 
rien de plus naturel? C'est le propre d'un efféminé de se le- 
ver tard, de passer une partie du jour à sa toilette, de se 
voir au miroir, de se parfumer, de se mettre des mouches, 
de recevoir des billets et d'y faire réponse : mettez ce rôle 
sur la scène : plus longtemps vous le ferez durer, un acte, 
deux actes , plus il sera naturel et conforme à son original; 
mais plus aussi il sera froid et insipide*. 

^ Il semble que le roman et la comédie pourraient être 
aussi utiles qu'ils sont nuisibles. L'on y voit de si grands 
exemples de constance , de vertu , de tendresse et de désin- 
téressement, de si beaux et de si parfaits caractères, que, 
quand une jeune personne jette de là sa vue sur tout ce 
qui l'entoure, ne trouvant que des sujets indignes et fort 
au-dessous de ce qu'elle vient d'admirer, je m'étonne qu'elle 
soit capable pour eux de la moindre faiblesse. 

^ Corneille ne peut être égalé dans les endroits où il 
excelle : il a pour lors un caractère original et inimitable ; 
mais il est inégal. Ses premières comédies sont sèches, lan- 
guissantes , et ne laissaient pas espérer qu'il dût ensuite al- 
ler si loin; comme ses dernières font qu'on s'étonne qu'il 
ait pu tomber de si haut. Dans quelques-unes de ses meil- 
leures pièces, ily a des fautes inexcusables contre lesmœurs', 
un style de déclamateur qui arrête l'action et la fait languir, 
des négligences dans les vers et dans l'expression qu'on ne 
peut comprendre en un si grand homme. Ce qu'il y a eu en 
lui de plus éminent, c'est l'esprit, qu'il avait sublime, au- 
quel il a été redevable de certains vers, les plus heureux 
qu'on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de son théâtre, 
qu'il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens, 

1. MoHère a souvent mis en scène des paysans (voyez, pa^ 15^ la note s), 
et Sganarelle, le Médecin malgré lut, est, si Ton veut, un ivrogne : encore 
Molière ne montre-t-il qae irès-discrèiement l'ivrognerie de Sganarelle, et 
n'a-t-il jamais fait d'un vrai paysan le personnage principal d'une comédie; 
Sganarelle, qui a su le rudiment, n'est pas un vrai campagnard. Mais voici 
Argan, U Malade imaginaire^ qui tombe, et cette fois sans la moindre ré> 
serve, sous le coup de la critique de la Bruyère. Ainsi, d'un trait indirecte- 
ment lancé, la Bruyère adresneà Molière le reproche, rigoureux à l'excès, 
que déjà lui avait adressé Boileau dans VArt poétique (III, vers 393-400). 

2. Ce rôle est celui que l'acteur Baron avait mis sur la scène dans sa 
comédie V Homme à bonnes fortunée^ pièce en laquelle il avait pris plaisir 
à se peindre lui-même, et qui fût représentée en i686. 

S. non pas contre la morale, mais contre les mœurs et les habitudes qui 
appartiennent à telle époque, à telle nation , etc. « Comédies désigne ici 
les pièces tragiques de Corneille aussi bien que fliss pièces comiques. 



DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 25 

et enfin de ses dénoûments , car il ne s est pas toujours 
assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité; il a 
aimé au contraire à charger la scène d'événements dont il 
est presque toujours sorti avec succès : admirable surtout 
par l'extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour 
le dessein entre un si grand nombre de poëmes qu'il a com- 
posés. Il semble qu'il y ait plus de ressemblance dans ceux 
de Raghœ, et qu'Us tendent un peu plus à une même chose; 
mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit 
pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes, 
régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit 
pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes, 
élégante, nombreuse, harmonieuse : exact imitateur des an- 
ciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la sim- 
plicité de Taction; à qui le grand et le merveilleux n'ont 
pas même manqué, ainsi qu'à Corneille, ni le touchant ni le 
pathétique. Quelle plus grande tendresse que celle qui est 
répandue dans tout le Cid^ dans Polyeucte et dans les Ho- 
races ? Quelle grandeur ne se remarque point en Mithridate, 
en Porus et en Burrhus? Ces passions encore favorites des 
anciens , que les tragiques aimaient à exciter sur les théâ- 
tres, et qu'on nomme la terreur et la pitié, ont été connues 
de ces deux poètes. Oreste, dans VAndromaque de Racine, 
et Phèdre du même auteur, comme VŒdipe * et les Horaces 
de Corneille, en sont la preuve. Si cependant il est permis 
de faire entre eux quelque comparaison et les marquer l'un 
et Fautre par ce qu'ils ont eu de plus propre et par ce qui 
éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages , peut-être 
qu'on pourrait parler ainsi : Corneille nous assujettit à ses 
caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres; 
celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci 
les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le premier.de ce 
que l'on admire, et de ce que l'on doit même imiter; il y a 
plus dans le second de ce que l'on reconnaît dans les autres, 

1. « C^est une chose étrange, dit Voltaire, que le difScile et concis la 
Bruyère, dans son parallèle de Corneille et de Racine, ait dit ha Boraces et 
GBdipe.... Voilà comme l'or et le plomb sont confondus souvent. » 0Edip9 
avait obtenu un grand succès auprès des contemporains, et Saint-Ëvremond 
déclarait que cette pièce devait compter parmi les chefs-d'œuvre de l'art. 
11 n'est donc pas étonnant qu'en 1687 la Bruyère ait mis Œdipe sur la 
même ligne (\u.*Horace; du moins est-il l'un des premier^ qui aient réaffi 
contre reothonsiasme qu'avait tout d'abord «tcite cette tragédie. Voy. la 
nota suivante. 



26 CHiypiTKB I. 

OU de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un élève, étonne, 
maîtrise, instruit; l'autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce 
qu'il y a de plus beau , de plus noble et de plus impérieux 
dans la raison, est manié par le premier; et par l'autre, ce 
qu'il y a de .plus flatteur et de plus délicat dans la passion. 
Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des précités ; 
et dans celui-ci du goût et des sentimaits. L'<»i est plus 
occupé aux pièces de Corneille; Ton est pins ébranlé et plus 
attendri à celles de Racine. Corneille «st plus moral, Racine 
plus naturel. Il semble que Voa imite SopHOQi2E<^ ei «pie 
l'autre doit plus à Eumpide *. 

\ Le peuple appelle éloquenoe la facilité qiïe quelques-- 
uns 7) nt de parler seuls et longtemps, jointe à l'emportement 
du geste , à l'éclat de la voix , et à la force des poumons. 
Les pédants ne Tadmettent aussi que dans le distjouts ora- 
toire, et ne la distinguent pas de l'entassement tles figures, 
de Tusage des grands mats, et de la rondeur des périodes. 

Il semble que la logique est Part de convaincre -de quelque 
vérité ; et l'éloquence un don de Fâmeile^eluous rend maî- 
tres du cœur et de l'esprit des autres, qui fait que nous leur 
inspirons ou que nous leur persuadons tout ce q^ui nous plaît*. 

L'éloquence peut ^e trouver dans les entretiens e^ dans 
tout genre d'écrire. Elle est rarement où on la cherche^ et 
elle est quelquefois où on ne la cherche point. . 

L'éloquence est au sublime ce que le tout est à sa partie. 

Qu'est-ce que le sublime? Il ne paraît pas qu'on l'ait dé- 
fini. Est-ce une figure? Naît-il des figures, ou du moins de 
quelques figures? Tout genre d'écrire reçoit-il le sublime-^ 
ou s'il n'y a que les grands sujets qui en soient capables*? 

]. C'est en 1687 que la Bruyère a écrit ce parallèle entre Corneille et 
Rticine. Plus tard, & mesure qunl se lie davantage avec Hacine et ses amis, 
son admiration pour Corneille faiblit. En 1690, il fait^ à l'adresse de cer- 
tains poêles dramatiques, une prolession de foi qui peut déplaire aux amis 
de Corneille (voyez p. 3), et il a la hardiesse, en 1693, de dîrè 'toute sa peii- 
sée au sem même de l'Académie, xlanis son discours de réception. Gonn/ment, 
en effet, ne pas comprendre qu'il parlait en ton propre nom, lorsque, ve* 
nant à dire que quelques admirateurs de Racine ne soufiraient pus que 
Corneille lui fût égale, il osait ïcjot^ter : « Ils en appeflent à Tairfre rïècle; 
ils attendefi't la lin de quelques vieillards, qui, touchés tiidïtfèi'ëriinrent ne 
tout ce qui tapi^lle leurs prétaières années, n'aiment fiëiit-écre dans 
(Mdipe que le souvenir de leur jeunesse. *> 

3. « Nihîl pi'teiitobiliUR «f^etur quam posse dicendo ténere lioinihnm 
cœtus, mêmes aPioèi^e «biuotutès impellere, tinde autein vèlit deducere. » 
(Cicéron, d« Or Aiorip, i.) 

S. Non pu qui soient capiAUs ^ tecwoirU wibUfi(t ittOM qui sofetft 



> 



DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 27 

Paut-il briller autre chose dans Téglague qu'un beau natu- 
rel, et dans les lettres familières comme dans les conversa- 
tions Qu'une graade délicatesse? ou plutôt le naturel et le dé- 
licat -ne bont-ils .pas le sublime des ouvrages dont ils font la 
perfection? Qu'est-ce que le sublimet Où entre le sublime? 

Les synonymes sont plusieurs dictions' ou -plusieurs 
phrases diUe rentes qui signifient une même chose. L'anti- 
thèse est une opposition de deux yéritës qui se donnent du 
jour Tune à l'autre *. La métaphore ou la comparaison -em- 
prunte d'une chose étrangère une image sensible et natu- 
relle d^une vérité. L'hyperbole exprime au delà de -la vérité 
pour ramener Tesprit à la mieux connaître. Le sublime -ne 
peint -que la vérité, -mais en un sujet noble; il la peint teot 
entière, dans sa cause et daœ son effet; il est rexpressicm 
ou l'image k plus digne de cette vérité. Les esprits mé- 
diocres ne trouvent ^oint Tunique expression, et usent de 
synonymes. Les Jeunes gens sont <éblouis de l'éclat de l'aa- 
tithôse^ «t s'en servent. Les esprits justes, et qui aiment -à 
aire des images qui soient précises, donnent naturellement 
dans la oamparaison et la méti^hore*. Les esprits vifs, 
pleins de feu, et qu'iine vaste imagination -emporte hors 
des règles et de la justesse^ ne peuvent s'assouvk de Thy- 
perbole. Pour le sublime, il n'y ^ même entre les grands 
génies, que les plus élevés qui en soient capables. 

^ Tout écrivain, pour écrire uettement-, doit se mettre à 
la place de ses leoteura, examiner son profère ouvrage coanne 
quelque chose qui lui est nouveau, qu'41 lit<pour la premièi^ 
fois, où^il n^4ittlleii>art, et que l'auteur wdxmi soumis à 

capables dû tUblime, Ceftt ainsi t(ne Pascsil a dit faans Itt diïlètoe lettré 
lies Provincialet : a'Ouelqnes «uroles ambigoës d'une de aes lettres, t^m, 
étant capahles d'un bon sens, doWeDt êtie prises en bonne part; m et que 
la Bruyère lui-même écrit un peu plus lofti : « Pocrr lë soblime, i'i n'y à, 
■ième entre tes grands génies, que les -plus étevés qui en soient capables» » 

1. Diction 661 ici synonyme de mot; un peUiplas loin (page 26), diction 
sera synonyme de style» 

2. Qui s'éclairent l'une l'autre. « Ceux qui font des antithèses en forçant 
des mots, a dit Pascal dans teuPenséet sur /'eVoçttencf, ce sont comme ceux 
qui font de fausses fenêtres pour l'a symétrie, m 

3. Donfient da^iss,.,» La Bruyère emploie cette expression -fflns y attacher 
la pensée de blâme on d'hH)nie qti'«ft y joint le phife eoovënt, mdiûe -au 
dix-septième siècle. 

4. bans les cas où Boos employons ImrsrreAifement et lotrrd^ment les 
locations dans lequei ou laquelle,, en qui, auquel ou à laqueUit^ 9ur lequel 
ou laquelle f chez lequel ou laquelle, etc., les éciivains du dix-sepUème siè- 
cle, et les meilleurs, mettent Simplement oit; les exemples aiboiidenu 



X 



28 CHAPITRE I. 

sa critique , et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu 
seulement à cause que l'on s'entend soi-même, mais parce 
qu'on est en effet intelligible. 

^L'on n'écrit que pour être entendu; mais il faut du 
moins, en écrivant, faire entendre de belles choses. L'on 
doit avoir une diction pure , et user de termes qui soient 
propres , il est vrai; mais IL faut que ces termes si propres 
expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renfer- 
ment un très-beau sens. C'est faire de la pureté et de la clarté 
du discours un mauvais usage que de les faire servir à une 
matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité, 
sans nouveauté. Que sert aux lecteurs de comprendre aisé- 
ment et sans peine des choses frivoles et puériles, quelque- 
fois fades et communes, et d'être moins incertains de la 
pensée d'un aufeur qu'ennuyés de son ouvrage? 

Si l'on jette quelque profondeur* dans certains écrits, si 
l'on affecte une finesse de tour, et quelquefois une trop 
grande délicatesse , ce n'est que par la bonne opinion qu'on 
a de ses lecteurs*: 

^ L'on a cette incommodité à essuyer dans la lecture des 
livres faits par des gens de parti et de cabale, que l'on n'y 
voit pas toujours la vérité. Les faits y sont déguisés , les 
raisons réciproques n'y sont point rapportées dans toute 
leur force, ni avec une entière exactitude; et, ce qui use la 
plus longue patience, il faut lire un grand nombre de termes 
durs et injurieux que se disent des hommes graves, qui, 
d'un point de doctrine ou d'un fait contesté, se font une 
querelle personnelle. Ces ouvrages ont cela de particulier 
qu'ils ne méritent ni le cours prodigieux qu'ils ont pendant 
un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent lorsque, 
le feu et la division venant à s'éteindre, ils deviennent des 
almanacbs de l'autre année. 

^ La gloire ou le mérite de certains hommes est de 
bien écrire; et de quelques autres, c'est de n'écrire point*. 

1. On a relevé un certain nombre de mauvaises métaphores dans la 
bruyère : celle-ci est de celles que l'on a jastement critiG[uées. 

2. Cette pensée, insérée dans la quatrième édition , répond éTidemment 
à ane critique des Caractères^ qui était parvenue jusqu'à rauteur. 

3. Voilà une tirade d'Alceste résumée d'un trait : 

Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livr^ 
Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre. 
Crof es-moi, résistez à vos tentations. 



f\ 



DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. S9 

^ L'on écrit régulièrement depuis vingt années; Ton est 
esclave de la construction ; Ton a enrichi la langue de nou- 
veaux mots, secoué le joug du latinisme, et réduit le style à 
la phrase purement française; l'on a presque retrouvé le 
nombre que Malherbe et Balzac avaient les premiers ren- 
contré, et que tant d'auteurs depuis eux ont laissé perdre; 
Ton a mis enfin dans le discours tout Tordre et toute la 
netteté dont il est capable : cela conduit insensiblement à y 
mettre de l'esprit '. 

^ Il y a des artisans ou des habiles dont Pesprit est aussi 
vaste que l'art et la science qu'ils professent; ils lui ren- 
dent avec avantage, par le géoie et par l'invention, ce qu'ils 



JDérubes au public ces oocnpatioDs, 
Rt n'allés poiut quitter, de quoi que l'on tous tomme. 
Le nom que dans la cour tuus avez d'honnête homme. 
Pour prendre de la main d'un avide imprimeur 
Celui de ridicule et mépriaabie auteur. 

(Ja Mùanthrope, I, ii.) 

f . Cette réflexion a été diversement interprétée. « Cet éloge, dit M. Génin, 
ne s'applique exactement qu'au style d'un seul écrivain : c'est la Bruyère. 
Il n'en est pas un trait qui convienne aux quatre grands modèles, Pascal, 
Molière, la Fontaine et Bossuet. l\ semble plutôt que ce soit une attaque Toi- 
lée contre leur manière. » Non , la Bruyère n'a pas voulu les attaquer, et 
j'ajouterai que, s'il a cherché à peindre son propre style, il s'y est assurément 
fort mal pris. Moins que personne, en effet, il n'a réussi à seconer le joug du 
latinisme, et moins qUe personne il ne s'est rendu l'esclave delà construc- 
tion. Qui ne voit que les locutions latines et les inversions abondent dans 
son livre ? Qui ne sent qu'à la correcte régularité de la lan^e de sou temps 
il préfère secrètement l'irrégularité plus capricieuse de l'ancienne littérature? 
Est-ce à dire toutefois que cette réflexion soit purement ironique? Un savant 
et judicieux critique, M. Hémardinquer , l'a pensé : ce passage lui « semble, 
dit-il, une allusion aux écrivains comme Perrault et Lamotie^ qui sont 
corrects sans originalité, mais non pas sans esprit. » A ces deux interpréta- 
tions contradictoires nous opposerons celle de M. Sainte-Beuve : la Bruyère, 
dit-il dans ses Portrait» littérairet^ « nous a tracé une courte histoire de la 

S rose française en oes termes : L'on écrit régulièrement, etc. » Telle doit 
tre en effet la juste appréciation de cet alinéa : il contient l'histoire de la 
prose française à cette époque. Dans ce résumé de l'histoire de la langue au 
dix-septième siècle, la Bruyère loue-t-il sans réserve chacune des modifica- 
tions qu'il constate? Que l'on ait « enrichi la lanmiede nouveaux mots,» que 
Von ait « presque retrouvé le nombre que Malherbe et Balzac avaient les 
premiers rencontré, » assurément il s'en félicite. Mais tout ea applaudissant 
à certains i>rogrès de la langue, ne signale-t-il pas avec une sorte de regret 
plus ou moins dissimulé certaines exigences un peu tyranniques des dise!- 
i>]es de Vaugelas ? Cette expression : « esclave de la construction » pennct- 
trait peut-être de le conjecturer. Dans sa Lettre «ur les occupations de l'Aca- 
démie française, Féoelon a yivement critiqué la trop grande soumission des 
écrivains à « la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la gram- 
maire. » m L'excès choquant de Ronsard, écrit- il; nous a un peu jetés dans 
l'extiémité opposée : on a appauvri , desséché et gêné notre langue. » 11 
aJoQiB, non sans quelque injtfsttce, que lea lois trop rigooreuiia.de la gram- 
maire «iclueht « tobie fiiri'^té el soAvehl fbuté m&gniflfittè eadenee. h 



30 CHAPrmB K 

tiennent d'elle et de- ses principes; ils sortent^ dè^ Part ponr 
l'ennoblir, s'écartent des règles si elles ne- les conduisent 
pas an grand et an snblime; ils marchent seuls et sans 
compagnie; mais ils- vont fort haut et pénètrent fort loin^ 
toujours SÛT» et confirmés par le succès des avantages 
que l'on tire quelquefois de rirrëgularité. Les esprits 
justes, doux, modérés, non-seulement ne les atteignent 
pas, ne les admirent pas, mais ils ne las comprennent poin^ 
et voudraient encore moins les imiter. Ils demeurent tran- 
quilles dans l'étendue de leur sphère , vont jusque* à un 
certain point qui fait les bornes de leur capacité et de 
leurs lumières; ils ne vont pas plus loin» parce qu'ils ne 
voient rien au delà. Ils ne peuvent au plus qu'être les 
.premiers d'une seconde classe, et e;i;peller dans, le mé- 
diocre. 

1[ Il y a des esprits,, si je l!osO dire, inférieurs et subal- 
ternes, qui ne semblent faits* que pour être le recueil, le 
registre, ou le magasin de toutes les productions des autres 
génies. Il§ sont plajgiaires, traducteurs, compilateurs : ils 
ne pensent point, ils. disent ce que les.auteurs ont pensé; 
et comme Iç choii^ des pensées est invention, ils Pont mau- 
vais, peu juste^ et qui<les détermine plutôt à rapportar. beau* 
coup de choses que d'excellentes choses ; ils n'ont rien 
d'original et qui. soit à eux; ils ne savent que ce qu'ils ont 
appris, et ils n'aRpriEinnent que ce qpe tout, le monde veut 
bien ignorer, une science vaine, aride, dénuée d'agré- 
ment et. d!utilité , qpi nQ tombe point dans la conversa* 
tion, qui est hors de commerce, semblable à une- rnoor 
naie qjii n'a point de cours. On est tout à. la fois étonné 
de leur lecture et ennuyé de leur entreitien ou de leurs 
ouvrages. Ce sont ce\ix que les grands et le vulgaire cour 
fondent- avec les. savants^ et. que les> sages r^nvûie&t<aA pér 
dantlsifte. 

^ La critique souvent n'est pas< une. science; c'est un mé* 
tier, où il faut pluç de santé, que d'esprit,, plus de travail 
que de capacité, plus d'habitude que de génie. Si elle vient 
d'un homme qui ait moins de discernement que de lecture 
et qu'elle s'exerce sur de certains chapitres, elle corrompt 
et les lecteurs et l'écrivain, 

^ Je conseille à un auteur né copiste, et qui a l'extrême 
modestie de travailler d'après quelqu'un, de ne se choisir 



l 



DES OUVRAGfiS DB L'ESPRÎT. 31 

pour exemplaires ' que ces sortes d-'ouyr^ge&oà il entre de 
Tesprit, de Fimagination, ou même de l'érudition : s'il n'at- 
teint pas ses originaux, du moins il en approche, et il se 
fait lire. Il doit au contraire éviter comme un écueil de 
vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le cœur 
£ftit parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui 
tirent,, pour ainsi dire, de leurs entrailles, tout ce qu'ils ex- 
priment sur le papier; dangereux modèles et^tout propres à 
faire tomber d^ns le froid, dans ie bas et dans le ridicule, 
ceux qui s'ingèrent de les suivre. Bn effet'y je riims d'un 
homme«qui .voudrait sôrieus(»nent parler- mon ton de voix *, 
ou me ressembler de visage. 
-4- ^ Un homme né chrétien et Français- se trouve- contraint 
dans la satire' : les-granids sujets- lui- sont défendus; il- les 
entame quelquefois , et se détourne ensuite sur de petites 
choses, qu'il relève par la beauté de son génie et- de son 
style. 
{ T[ Il faut éviter le style vain et puéril , de peur de res- 
^sembler à Dorilas et Handbuxg** L'on peut au contraire, en 
une sorte d'écrits, hasarder de certaines expressions, user 
de termes transposés'' et qui peignent vivement^ et plaindre 

1. Esremplaires, types, modèles. Un 1^1 eçeemplaire d'équité ou de du- 
reté, a dit Corneille dans ses Discours. 

2. Molière et Pascal se sont aussi servis.de fMiridrcoin me d*un verbe actif: 
« Si un animal faisait par esprit ca qu'il fait par instiact, et s'il pariait par 
esprit ce qu'il parle par instinct. » [¥&SGa.\, Pensées.) — « Ce que je parie 
avec TOUS, qp'est-ce que c'est? » (Molière^ Épfirgeoii gentilhomme, m, 3.) 

3. L'auteur, a-t-on dit, se plaint ici de la coniraiiite qu'il a dû s'imposer, 
mais s'est-il Gonc cuntraint? Nous aimons mieux admettre, avçc ^. Uavet, 
que la Bruyère fait allusion à Boilean. 

4. Pour les contemporains, lé nom de Dorilas désignait clairement, l'his- 
tnrien Varillas, qui mourut la môme année que la Bruyère. Son Histoire 
des révolutions arrivéesen Europe était en cours de publication lorsque 
parut la première édition des Caractères. Le nom du P. Mainbourg est en- 
core plus reconnaissable sous celui de Handburg. Mainbourg, auteur d'un 
grand nombre d'ouvrages d'histoire et de théologie, était mort en 1686. 
« VHistoire des croisades est fort belle, écrit en 1675 Mme de Sévigné, 
mais le style du P. Mainbourg me déptatt fort; il sent Tauteur qui a ramasse 
te délicat des mauvaises ruelles. » 

5. User de termes transpotésj est-ce user d'inversions, comme Ta fait 
l'âuteur à la fin de la réflexion qui suit? Ce trait, jeté en passant, est-il une 
protestation contre la iéforii:e qui, par excès de régularité, bannirait toute 
inversion? « L'on e^t esclave de la construction,»^ dit la Bruyère plus haut 
(p. 31) : déclartf-t-il ici qu'il faut se soustraire parfois à cet esclavage ? 
Cette explication a été souvent proposée ; mais elle se fonde sur une fausse 
Interprétation des expressions employées par la Bruyère, User de termes 
transposés, tt qui peignent vivement^ c'est évidemment se servir de termes 
transposés quant au sens, c'est-à-dire métaphoriques; ce D'est pas inter- 
vertir l'ordre méthodique de la construction. 



\ 



\ 



3S CHAPITRE I. 

ceux qui ne sentent pas le plaisir qu'il y a à s'en serrir ou 

à les entendre. 
. ^ Celui qui n'a égard en écrivant qu'au goût de son 

/ siècle songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut tou- 
jours tendre à la perfection; et alors cette justice qui nous 
est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité 
sait nous la rendre. 

^ Il ne faut point mettre un ridicule où il n'y en a point; 
c'est se gâter le goût, c'est corrompre son jugement et celui 
des autres. Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l'y 
Toir, l'en tirer avec grâce, et d'une manière qui plaise et 
qui instruise '. 

^ ^ Horace ou Despréauz Ta dit avant vous *. — Je le crois 
sur votre parole; mais je l'ai dit comme mien. Ne puis-je 
pas penser après eux une chose vraie , et que d'autres en- 
core penseront après moi'? 

1. Horace, Satires, I, x : 

Ridicalum mcri 
Fortins ac melius magnas plemmquê secat res. , 

Boileau, satire ix, vers 267 : 

La satire en leçons, en nouveauté fertile. 
Sait seule assaisonner le plaisant et Tutile. 

2. Boileau, même satire, vers 127 : 

Mais lui qui fait ici le régent du Parnasse, 
N'est qu'un gueux revêtu des déponiUes d'Horace. 
Avant loi Juvénai avait dit en latin.... 

3. Ici même la Bruyère exprime une pensée que l'on retrouve dans Mon- 
taigne: a La vérité et la raison sont communes à un chascon, et ne sont non 
plus à qui les a dictes premièrement, qu'à qui les dit après : ce n'est non 
plus selon Platon que selon moy, puisque lui et moy Tentendons et voyons 
de mesroe. » {BtsaiSy 1, 2&.) 



<4> 



DU BIÉRirS PERSONNEL. 38 



CHAPITRE n. 
DU MÉRITB PERSOIWEL». 

-^ Qui peut, avec les plus rares talents et le plus excellent 
mérite*, n^être pas convaincu de son inutilité, quand il con- 
sidère qu'il laisse en mourant un monde qui ne se sent pas 
de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer t 

\ De bien des gens il n'y a que le nom quivale* quelque 
chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que 
rien; de loin, ils imposent. 

\ Tout persuadé que je suis* que ceux que l'on choisit 
pour de différents emplois , chacun selon son génie et sa 
profession , font bien*, je me hasarde de dire qu'il se peut 
faire qu'il y ait au monde plusieurs personnes, connues ou 
inconnues, que Ton n'emploie pas, qui feraient très-bien; 
et je suis induit à ce sentiment par le merveilleux succès 

1. « La Bruyère n*aYail pu ea les débats faciles; il lui arait fallu bien de 
la peine et du temps, etaassi une occasion uniaue poaroercer. L'homme de 
mérite et aussi rbomme de lettres en lai avaient secrètement sonlFert. Le 
ressentiment qa^l en a gardé se laisse voir en maint endroit de son livre, 
et s'y marque même parfois avec une sorte d'amertume. Ayant passé pres- 
que eu un seul Jour de l'obscurité entière au plein éclat et à la vogue, il 




« s'avise de lui-même du mérite d'un autre. » On ne se rend au mérite nou^ 
▼eau qu'd Pextrémité. Mais l'élévation chez lui l'emporte, en fin de compte, 
sur la rancune ; Thonnète homme triomphe de Tauteor. Le chapitre du 
Mérite pertonnelj qui est le second de son livre, et qui pourrait avoir pour 
épigraphe ce mot de Montesquieu : « Le mérite console de tout; » est plein 
de fierté, de noblesse, de fermeté. On sent que Tauteur possède son sujet, 
et qu'il en est maître, sans en être plein. » Saintb-Beuvb. 

2. Excellent équivaut aujourd'hni à un superlatif; il n'en étah pas de 
même jadis, et ee root admettait des degrés de comparaison : « Les plus ex- 
cellentes choses, » dit Molière; « les plus excellents auteurs de nos jours, • 
écrit Fénelon. 

3. De parti pris, la Bruyère écrivait toi^ours vale au lieu de vaille. C'é- 
tait une laute aux ^eux mêmes des contemporains. VcUê ne se trouve guère^ 
au dix-septième siècle, que dans les lettres des gens d'une instruction 
médiocre. Cette ancienne forme s'est conservée dans le présent du subjonctif 
de préfMloir. 

4. La Bruyère a hésité entre tout persuadé que je toi» et tout persuadé 
^ueje êuiê, 11 avait d'abord mis le subjonctif ; il a préféré plus tard nndicatif. 

fi. Faire bien , faire son devoir. La Bruyère emploiera encore plus loin 
cette expression toute latine, qui n'est d'aiUeun point rare et que l'on 
trouve dans Montaigne et dans Bossuet. 



N C3UPITRK n. 

d« certaines gens que le hasard seul a placés, et de qui 
jusques alors on n'avait pas attendu de fort grandes choses. 

Combien d*hommes admirables , et qui avaient de très- 
beaux génies y sont morts sans (}ii^ôn en ait parlé I Combien 
vivent encore dont Qn &a parle point, et dent on ne parlera 
jamais I 

^ Quelle borrible peine it un homme qui est sans prôators 
«tsans cabale, qui n'est engagé dans aueun eorps, maie 
qui est leui, et qui n'a que beaucoup de mérite pour tettte 
lecommandatiout de se faire jour à travers l'obscurité où 
il se trouvât et de venir au niveau d'un fat qui est en crédit : 
^^ . if Personne presque ne s'avise de lui<méme du mérite 
d^ln autre. 

Les hommes sont trop occupés d'eux-mêmes pour avoir 
le loisir de pénétrer ou de discerner les autres i de là vient 
qu'avec nn grand mérite et une plus grande modestie l'eu 
peut être longtemps ignoré. 
^ ^ Le génie et les grands talents manquent souvent i 
quelquefois aussi les seules occasions : tels peuvent ébe 
loués de ce qu'ils ont fait, et tels de ce qu'ils auraient fait. 
X ^11 est moins rare de trouver de l'esprit que des gens 
^td 8« m^m du ietii^, ou qui fasseiit taloliT tteltii déii auteae 
et le mettent à quelque usage» 

1 n )- â plus d*diitil8 qti0 d'oiiVfléïs, ôt de C6â dewlerâ 
plus de mauvais que d'excellenis t que pensei-vôus de celui 
^tilvemséiefatectitirabotïfct qui ^rehdsasciepouri*abotel'f 

^ Il n^y a poini au monde un si pénible métier que celui 
de de faife uil gtâhd nom ] U tie s'&ehèVâ qtie ]*dn à à peine 
ébauché son ouvrage» 
w ^ Qtid .faire à^Egésipptj tfoA détnânde tlh einplolt lA 
mettra-t-on dans les finances, ou dans les troupes? Cela êsi 
indifféfeùt, et il faut que ce soit rintéîét setl qui en décide, 
car il est aussi capable de manier de l'argent, ou de dresser 
des comptes, que de poftët les àrmeâ! il est pràptQ à tout, 
disent ses amis, ce qui signifie toujours qu'il n'a pas nlus 
de talent potir tihe chose que pour une autre, ou , en dW- 
tres termes, qu'il n'est propre à rieui Ainsi, la plupart dès 
hommes, occupés d*eux seuls dans leur jeunesse, corrompus 
par la paresse ou par le plaisir, croient faussement, dans 
tin âge pltis âvanèô, qu'il leur suffit d'être inutiles dU dans 
rindigence, afin que la république soit engagée à les placer 



DU MâllTB PIKSONNEL. 35 

mi à les sacdnrir « $ #t ils phiflUftt mr^meAt de MUè leçon * 
■I importante : que les hommes dSTfaient employer léS pre* 
mières aimées de leur tie à deiretiit tels pat ItnH études et 
par leur travail que la république elle-même eût besoih de 
leur industrie et de leurs lumières, qu'ils fussent comme 
une pièce néeessaire à tout son édiâde^ et qu'elle se trouvât 
portée par ses propres avantages à fàif e leur fortune ou à 
^embellir* 

Noue deyons travailler à nous rëndfe très^dignes dé 
quelque emploi : le reste ne ndus f égarde point , e'est l'àf* 
faire des autres. 

Y 8e (aire valoir païf des oMosêl qdi ne dépèiideiit point 
des autres, mais de soi seul, ou renoncer à se faire Yàloi^ ! 
matime inestimable et d'une ressource infinie dans la pra- 
tique^ Utile aua faibleè, aux vertueut , à deui qui ont de 
Tesprit, qu'elle rend maîtres de leur fortune ou de leur re- 
pos; pernicieuse pour les grands ; qui diminuerait leur oour^ 
ou plutôt le nombre de leurs esclaves ; qui féi'ait tomber 
leur morgue avec une partie de leur autorité, et les rédui- 
rait presque à leurs entremets et à leurs équipages*: qui 
les priverait du plaisir qu'ils sentent à se faire prier, presser, 
solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne 
pas donner; qUi les traverserait dans lé goût qu'ils ont quel- 
quefois à mettre les sots en vile, et à anéantir le mérite 
quand il leur arrive de le discerner; qui bannirait des cours 
les brigues , les eabales, lès mauvais offices, la bassesse, la 
flatterie, la fourberie; qui ferait d'une cour orageuse, pleine 
de mouvements et d'intrigues , comme une pièce comique, 
on même tragique, dont les sages ne Seraient que les spe(y 
tateurs; qui remettrait de la dignité dans les différentes 
conditions des hommes, de la sérénité sur leur visage; qui 
étendrait leur liberté; qui réveillerait en eux, avec les ta- 
lents naturels, l'habitude du travail et de l'exercice ; qui les 
exciterait à l'émulation, au désir de la gloire, k l'amour de 
la vertu; qui, au lieu de courtisans vils, inquiets, inutiles, 
souvent onéreux à la république, en ferait ou de sages éco- 
nomes, ou d'excellents pères de famille^ ou des juges iu- 

1. Mieux vaudrait pour 9«««*«. -^ La république, ato mis lailDi la chose 
publique, l'État. 

2. De cette maxima« 

3. Aux plaisirs de la table et an luxe de Imra di(iipsss** 



-^ 



36 CHAPITRE n. 

tègres, en de bons officiers ' , ou de grands capitaines, ou des 
orateurs, ou des philosophes; et qui ne leur attirerait à tous 
nul autre inconvénient que celui peut-être de laisser à leurs 
héritiers moins de trésors que de bons exemples. 

^ Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande 
étendue d'esprit pour se passer des charges et des emplois, 
et consentir ainsi à demeurer chez soi et à ne rien faire. 
Personne presque n'a assez de mérite pour jouer ce rôle 
avec dignité , ni assez de fonds pour remplir le yide du 
temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne 
manque cependant à Toisiveté du sage qu'un meilleur nom, 
et que méditer, parler, lire et être tranquille s'appelât tra- 
vailler. 

^ Un homme de mérite^ et qui est en place, n'est jamais 
incommode par sa vanité ; il s'étourdit moins du poste qu'il 
occupe qu'il n'est humilié par un plus grand qu'il ne rem- 
plit pas et dont il se croit digne : plus capable d'inquiétude 
que de fierté ou de mépris pour les autres, il ne pèse qu'à 
soi-même*. 

^ Il coûte à un homme de mérite de faire assidûment sa 
cour, mais par une raison bien opposée à celle que l'on 
pourrait croire : il n'est point tel sans une grande modestie 
qui r éloigne de penser qu'il fasse le moindre plaisir aux 
princes s'il se trouve sur leur passage, se poste devant leurs 
yeux, et leur montre son visage; il est plus proche de se 
persuader qu'il les importune , et il a besoin de toutes les 
raisons tirées de l'usage et de son devoir pour se résoudre 
à se montrer. Celui au contraire qui a bonne opinion de 
soi, et que le vulgaire appelle un glorieux, a du goût à 
se faire voir, et il fait sa cour avec d'autant plus de con- 
fiance qu'il est incapable de s'imaginer que les grands dont 
il est vu pensent autrement de sa personne qu'il fait lui- 
même *. 

^ Un honnête homme se paye par ses mains de l'applica- 
tion qu'il a à son devoir, par le plaisir qu'il sent à le faire, 

1. De bons officiers de finance, par exempte. 

7, Les écrirains da dix» septième siècle emploient le pronom sei, et non 
pas loR pronoms lui, elle, tux, elles, dans les cas où l'on mettrait m en la- 
tin , c'est-k-dire dans les cas où le pronom se rapporte au sujet da rerbe ; 
c'est là une règle générale à laquelle obéit la-Bruyère. 

8. Autrement est presque toujours, même au dix-septième siècle «suivi 
de ne explétif : autrement qu'il ne fait. 



DU MÉRITE PERSONNEL. 37 

et se désintéresse sur les éloges, Festime et la reconnais- 
sance, qui lui manquent quelquefois. 

^ Si j'osais faire une comparaison entre deux conditions 
tout à fait inégales *, je dirais qu'un homme de cœur pense 
à remplir ses devoirs à peu près comme le couvreur songe 
à couvrir : ui l'un ni l'autre ne cherchent à exposer leur 
yie, ni ne sont détournés par le péril; la mort pour eux est 
un inconvénient dans le métier, et jamais un obstacle. Le 
premier aussi n*est guère plus vain d'avoir paru à la tran- 
chée, emporté un ouvrage* ou forcé un retranchement, 
que celui-ci d'avoir monté sur de bailts combles ou sur la 
pointe d'un clocher. Ils ne sont tous deux appliqués qu'à 
bien faire, pendant que le fanfaron travaille à ce que Ton 
dise de lui qu'il a bien fait. 

^ La modestie est au mérite ce que les ombres sfont aux 
figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief. 

Un extérieur simple est l'habit des hommes vulgaires ; il 
est taillé pour eux et sur leur mesure ; mais c'est une parure 
pour ceux qui ont rempli leur vie de grandes actions : je 
les compare à une beauté négligée, mais plus piquante. 

Certains hommes, contents d'eux-mêmes, de quelque ac- 
tion ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas mal réussi, et 
ayant ouï dire que la modestie sied bien aux grands hommes, 
osent être modestes, contrefont les simples et les naturels; 
semblables à ces gens d'une taille médiocre qui se baissent 
aux portes, de peur de se heurter. 

^ Votre fils est bègue : ne le faites pas monter s«r la tri- 
bune. Votre fille est née pour le monde : ne renfermez pas 
parmi les vestales '. Xantus^ votre affranchi, est faible et 
timide : ne différez pas, retirez-le des légions et de la mi- 
lice.— Je veux l'avancer, dites-vous. — Comblez-le de biens, 
surchargez-le de terres, de titres et de possessions; servez- 
vous du temps ; nous vivons dans un siècle où elles lui fe- 
ront plus d'honneur que la vertu. — Il m'en coûterait trop, 
ajoutez-vous. — Parlez-vous sérieusement, Crassus? Songez- 
vous que c'est une goutte d'eau que vous puisez du Tibre 

1. Entre celle de l'homme de guerre et celle du courreur. 

2. Ouvrage , terme de fortification, travail avancé qui ■ pont* objet de 
couvrir un Bastion, une courtine, etc. 

3. On reprochait au premier 'président de Harlagr d'avoir fait un aTt>ca( 

Sénéral de son fils qui était bègue, et d'avoir mis au couvent um fille qui 
Uiit « née pour le monde. » 



38 CHAPITRE H 

pour enrichir Xantus ' que tous aimez, et pour prévenir les 
honteuses suites d'un engagement où il n^st pas propre? 

^ Il ne faut regarder dans ses amis que la seule veiHu qui 
nous attache à eux, sans aucun examen de leur bonne ou 
de leur mauvaise fortune ; et, quand on se sent capable de 
les suivre dans leur disgrâce, il faut les cuiller hardiment 
et avec confiauce jusque dans leur plus grande prospérité. 

^ S'il est ordinaire d*être vivement touché des choses 
rares, pourquoi le sommes-nous si peu de la vertu? 

^ S^l est heureux d'avoir de la naissance , il ne Test pas 
moins d'être tel qu'on ne s'informe plus si vous en avez. 

% il apparaît de temps en temps sur la surface de la terre 
des hommes rares, exquis, qui brillent par leur vertu, et 
dont les qualités éminentes jettent un éclat prodigieux. 
Semblables à ces étoiles extraordinaires dont on ignore les 
causes, et dont on sait encore moins ce qu'elles deviennent 
après avoir disparu, ils n'ont ni aïeuls' ni deseendants; ils 
composent seuls toute leur race. 

^ Le bon esprit nous découvre notre devoir, notre enga.- 
gement à le faire*, et s'il y a du péril, avec péril : il In- 
spire le courage, ou il y supplée. 

^ Quand on excelle dans son art, et qu'on lui donne toute 
la perfection dont il est capable , l'on en sort en quelque 
manière, et l'on s'égale à ce qu'il y a de plus noble et d^ 
plus relevé. V** est un peintre*, G** un musicien", et 

1. Les contemporains ont voula reconnaître dans Xantus\e fils atné de 
liOuTuU, Courtenvaux. Son père lai avait d**nné la sorrivanoe de sa iJbange 
de sBcr^lHïre d'^t^i; niftis il &vftit été o)>li^ de la lui retirer en USS. 
CouitenYdUx fit la campagne de 1688 en qualité de vulontaire, acheta eB 
1688 le ré^ime't de la r^^ine, et prit part aui campagnes des années sui 
Yantes. « }1 était uq fort petit homme et avait une voix ridicale, t dit Saiatp 
^inaop. Une chanson du temps fait dire à Louvoie : 

Pour Gourtenvaux, j'en suis en peine| 
il est sot et de mauvais air : 
Nous n'en ferons qu'yn duc et pair. 

Cet alinéa parnt en l^f^i» dan^ la «iii^me éditio», — Eng^fiiiBenl o4» Wl^ 
quel, Voy. pa^e 27, la note 4. 

2. Les grammairiens ont décidé que les aleui seraient les aneètres, et 
que TexpriBsion d aïeuls ne s'appliquerait c[u'au grand-p^eet à la grand'- 
mère. Cette disviiiction n'était pas encore établie au temps de la Bruyère. 

8. L'obligation ob nous sommes de le faire. 

4. Vigooii, fila aîné de Glande Vignon, et iteinire m<lns célèbre que son 
père, lequel était mon en 1670. 11 était membre de TAcadémie de |>eu)ture. 

5. Colasst*, élève de i ulli, et l'un des maîtres de la musique du roi. Il 
venait de t»\re }oneT Achille et Polyxènej lorsque pat ut la première éditloQ 
des Caractères, Les paroles de cet opéra étaient de Campistron. 



DU MI^IO^ PfinSONITEL. 99 

î>Tîteur dç fyram* est to poëte; ipais Miih^arp* fil 
l^iONÀRD, {iUm ' est Luixii et CoiiiîEi^^Lf; es,\ Cov^mfmih^f 

^ Un bompae libf^, e\ qui p'a point 4^ femme, ^*'\l |i 
quelque esprit, pei^t s^ëleYer aii^dessui 4§ ^ fortune, 99 
mêler dans le monde , et aller de pair avec ]és plus hox^- 
pétes gens^. Cela e^t fpoips facile h oplui qui est f pgagé : 
U seipble qu9 le ipar|age ipf t tout le monde dans 909 9F*- 
dre», 

^ Après }e mérite personnel, |1 faut Taypufri Pe «ont les 
i^piiu^D^es dignités et les grands titres im\ le« hommes 
• tirent plus de distinction ^t plus d^éclat; et qui ne sait être 
un ËR^siq;* doit penser k être évoque. Qii^lquesruns, pquf 
étendre leur renommée , entassent sur leurs personnes des 
pairies f ^^s colliers d'ordre, des primaties, la pourpre, et 
ils auraient besoiu 4'uoe tif^re; m^s <iuel beçoiu a Jnro- 
phime^ d'être cardinal? 
^ % L'or éclate, dites -tous, sur )es babits d^ rMlémwn. ^ 
Il éclate de même che| les marchauds. — 1} est babillé d## 
plus belles étofifes. -^ Le spnt^Ues moins tqutes déployées' 

|. Uaotew de PytaiM est Prftdon , ^êtd trafique; Oellé de mb trigé» 
ëies qui eut le plus de succès a pour lUre : Phèan 4| i^'PPo'yM ; il ^ il 
jouer en même temps que la Phèdre de Racine ( 1677). 

s. Pieire Migqard, peintre de grand mérite, éui mouroi en IISI. C^t à 
fort que plnsieura éditeurs <>f)i pônivé ici ^on ifèvpj I9ico|^ |9|gnar4! q^i eat 
mort en 1668. Il s'ugii de Miguard U Romatn^ dont les portraits surtout fl* 
tent la célébrité. 

S. B4piis),e L)}iii (iass<ist7), auriDtep4snt f|f i| a»sfiq!i« 4a roi et ^ein^ 

positeur cél^bre. 
t. c'est-à-dire avec le plue frand monde. 
fi. Dans sa olisse, flâna aa cooditipo. 

6. Érasme (1^67-1536), l'un des écrivaina les plus célèbres et ran dea 
hommes les plus savants et les plus sages de ^on temps. 

7. Ub ppi( si fsctleineiit «t m hiep l'h^biiude de ipypiuer Bossuet en lisant 
cette pbrase que, dans les éditions qui furent laites après la mort de la 
Bruyère, fi^M^^ns, prénom de l'cvèque de Me^ux , Fut mla à U place de IVo- 
phifne ; |l. VValckenaer ^\ le premier qui sit rétabli daQ« le texte le nom qu*f- 
Taitéurit Tauieur. il n*est pas certain tout^'fois que la Bruyère ait pensé à Bos- 
euet* Lea premièrea ciels inscrivent ici le nom de le Gamas, évèqua da 
Grenoble, qui , tiprès une Jeupesfe peu ëdiU^pie, éti^it (jçvouu l« plus pieu^ 
et le plus vertueux des évèques, et qui avait été nommé cardinal en 1686. 
Si c'est de loi quM estquesiinn, le sens de la phrase devient tout différent. 
S'agit-il de Bossuet, la Bruyère rend r)iQq)ni:^ge le plpn delicai m piérita 

Ser»)sne) de l^vÂque de Meaux, qm, ponime on le sait, né fut amals C^r- 
inal. S*agit-il de 1^ Qamua, pop^ avons là uq Ôch » qes ressenti rnents 
Îru'av^it conserves (.ôui# x|V de Is nomination de le Camus au cardinalat 
je roi avait demandé le cl^apeiiu pour l'an Uevèque de Paris^ t\ n'avait ps 
ro))tenir. U nommaiion fort peu prévue de l*apsière je Camus étonna dune 
verauitlea et irrita la roi. «Quel hesuin le Camus a^ait-il d'è ra cardinal?» 
— Des di'ux interprétations quelle est la rpeilleure? Le lecteur pnuKsira. L^ 
première a pour elle une iradiiipq depuis longt^'mps 9c<}ept4e «ans coni^ts> 
|. $()iit-elles mo^us bell^ loraqa'^Uea Août.... 



40 CHAPITRB n. 

dans les boutiques et à la pièce? — Mais la broderie et les 
ornements y ajoutent encore la magnificence.— Je loue donc 
le travail de FouTrier. — Si on loi demande qaeUe heure il 
est, il tire une montre qui est un chef-d'œuvre; la garde de 
son épée est un onyx ' ; il a au doigt un gros diamant qu'D 
fait briller aux jeux, et qui est parfait; il ne lui manque 
aucune de ces cnrieuses bagatelles que l'on porte sur soi 
autant pour la vanité que pour Pusage, et il ne se plaint* 
non plus toute sorte de parure qu'un jeune homme qui a 
épousé une riche vieille. — Tous m'inspirez enfin de la cu- 
riosité; il faut voir du moins des choses si prédeuses : en- 
voyez-moi cet habit et ces bijoux de Philémon, je vous 
quitte, de la personne. 

Tu te trompes, Philémon, si avec ce carrosse brillant, ce 
grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bêtes 
qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage : 
l'on écarte tout cet attirail, qui t'est étranger, pour péné- 
trer jusques à toi, qui n'es qu'un fàt. 

Ce n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celui qui, 
avec un grand cortège, un habit riche et un magnifique 
équipage, s'en croit plus de naissance et plus d'esprit : il lit 
cela dans la contenance et dans les yeux de ceux qui lui parlent. 

^ Un homme à la cour» et souvent à la ville , qui a un 
long manteau de soie ou de drap de Hollande, une ceinture 
large et placée haut sur Testomac , le soulier de maroquin, 
la calotte de môme, d'un beau grain, un collet ^ien fait et 
bien empesé, les cheveux arrangés et le teint vermeil, qui 
avec cela se souvient de quelques distinctions métaphy- 
siques, explique ce que c'est que la lumière de gloire', et 
sait précisément comment l'on voit Dieu^ cela s'appelle un 
docteur. Une personne humble , qui est ensevelie dans le 
cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu ou 
écrit pendant toute sa vie, est un homme docte \ 

1. Agate. (Note de la Bruyèn.) 

3. Piag loin (chap. De la ville), la Bruyère emploiera le mot plaindn 

^ dans le aens de regretter. Ici plaindre a plus particulièrement le sens d'^ 

^ pargner, comme dans cette phrase de Lesage : « J'ordonnai qu'on le saignftt 

y" sans miséricorde et qu'on ne lai plaignit point Tean. » {Gil Blae^ II, m.) 

^ ,. ^ S. « Les ibéologiens appellent lumière de gloire un secours que Dieu 

K ^' „, ,•!■ donne aux âmes des Bienneureux pour les fortifier, afin qu'elles puissent 

X. ; «^ voir Dieu face à face, comme dit saint Paul, ou intuitivement, comme on 

parie dans l'École, et soutenir sa présence immédiate. » {Vict. de Trévotug.} 

c^/ 4. Le docteur est peut-être l'abbé Charles Boileau, fameux prédicateur. 



DU MÉRITE PERSONNEL. 41 

^ Chez nous, le soldat est brave, et l'homme de robe est 
sayant; nous n'allon^ pas plus loin. Chez les Romains, 
rhomme de robe était brave, et le soldat était savant : un 
Romain était tout ensemble et le soldat et Thomme de robe. 

^ U semble que le héros est d'un seul métier ^ qui est 
celui de la guerre, et que le grand homme est de tous les 
métiers, ou de la robe, ou de Tépée, ou du cabinet, ou de 
la cour : Tun et Fautre mis ensemble ne pèsent pas un 
homme de bien. 

^ Dans la guerre, la distinction entre le héros et le grand 
homme est délicate : toutes les. vertus militaires font l'un 
et l'autre ; il semble néanmoins que le premier soit jeune, 
entreprenant, d'une haute valeur, ferme dans les périls, in- 
trépide; que l'autre excelle par un grand sens, par une 
vaste prévoyance , par une haute capacité , et par une lon- 
gue expérience. Feut^tre qu' Alexandre n'était qu'un héros, 
et que César était un grand homme. 

^ ^tnile* était né ce que les plus grands honmies ne de- 
viennent qu'à force de règles, de méditation et d'exercice. 
Il n'a eu dans ses premières années qu'à remplir des talents 
qui étaient naturels, et qu'à se livrer à son génie. 11 a fait, 
il a agi, avant que de savoir, ou plutôt il a su ce qu'il n'a- 
vait jamais appris*. Dirai-je que les jeux de son enfance 
ont été plusieurs victoires? Une vie accompagnée d'un ex- 
trême bonheur joint à une longue expérience serait illustre 
par les seules actions qu'il avait achevées dès sa jeunesse ^. 

L'homme do6t^ est, à coup tùr, le P. Mabillon (1632-1707), satant bénédio 
tin, qui tenait d'être nommé membre honoraire de rAcadémie des inscrip- 
Uons. 

1. Molière a de même employé plasieors fois rindicatif présent en pa- 
reil cas. Ainsi^dans Don Juan : « U semble qu'il est en fie et qu'il s^en 
TB parler.... Vous tournes les choses d'une manière qu'il semble que tons 
avûM raison. » 

2. Le grand Condé. Cet éloge a pam dans la septième édition des Co- 
raetèreêj c'est-à-dire en 1692, quatre années environ après la mort de 
Condé. On y retrouve l'imitation de plusieurs traits de l'Oraison funèbre 
que Bossuet prononça en 1687. 

3. Voiture avait delà dit dans une lettre qu'il avait adressée au grand 
Condé : « Vous avez fait voir que l'expérience n'est nécessaire qu'aux nom- 
mes ordinaires, que la vertu des héros vient par d'autres chemins, qu'elle 
ne monte pas par degrés, et que les ouvrages du ciel sont en leur perfection 
dès le commencement. » Condé avait viogt-deux ans lorsqu'il gagna la 
bataille de Rocroy (1643), bientôt suivie de la victoire de Fnoonrg (1644), 
de celle de Nordlingen (1645) et de celle de Lens (i648). 

4. « C'en serait asses pour illustrer une autre vie que la sienne: mais 
pour lui c'est le premier pas de sa course. » (Bossuet, Oraison fwMors du 
prtnce d$ Condi,) 



4t OHA^ITRI n. 

Toutes 1m acoationa de yaiiiGre qui M aoirt ëtpaîi nffertes, 
il les a «mbrastéag; et oellea qui Q'étaieat pas, aa terta et 
aon étoile les ont fait naître : admirable même et par les 
ehoses qu'il a faites, et par celles qu'il aurait pu faire. On 
l'a regardé eomme un homme ineapable de oéder à l'en- 
nemi, de plier sous le nombre ou sous les obstacles; eomme 
une ftme du premier ordre, pleine de resseurces et de lu- 
ttiôres, et qui voyait eneore où personne ne voyait plus{ 
comme celui qui, à la tête des légions, était pour elles un 
présage de la yictoire, et qui valait seul plusieurs légions; 
qui était grand dans la prospérité, plus grand quand la for* 
tune lui a été contraire : la levée d'un siège S une retraite, 
Tont plus ennobli* que ses triomphes; Ton ne met qu'après* 
les bataillea gagfnées et les villes prises ; qui était rempli de 
gloire et de modestie ) on lui a entendu dire *. /é fityois^ avec 
la même grftoe qu'il disait : Nous les baitimes; un homme 
dévoué à TËtat, à sa famille, au chef de sa ftuniUe*; 
sincère peur Dieu et pour les hommes, autant admirateur 
du mérite que s'il lui eût été moins propre et moins fami- 
lier; un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n% 
manqué que les moindres vertus". 

i. Allusion an stége de lérlda (tSkI), que Coudé Alt obHf{é delevêf. 
m .... Tout p%rt|iwtt lùr ioui U oonduiie da doo d'Engbitn ; et, aani foa» 
loir ici Bchever te jour à tous marquer seulement se» autres exploits, Toup 
saves, oarnii tant de places fortes attaquées, qu'il n'yeo eut qu'une seuls 
qui pot éohapper lei iiisiBS{ eneore ralevf-t-alla la gloire du prinea. 
L'Europe, qui admirait la divine ardeur dont il était animé dans les com- 
bats, s'étonna qu'il en fût le maître, et, dès Tà^e de virigt-si;^ 4ns. aus^ 
capable de ménager se;* troupes que de les pousiiter d-ips les hasards, et de 
oëder k U fortunf que la faire servir à ses desseins, (bosquet, Oràiton 
funèbre du vrime de Condé.) 

2. Les èaiilnns du dix-septième siècle donnent annobHt qui se nroqon- 
çalt comme $n>iObli et qui en avait la valeur. Les écrivaina dq dix-seb- 
tième siècle ne connaissaient pas la oistmciion qu*ont récemment établie les 
grammHirieris entre ennoblir e\ anoblir. Ce dernier terpif ne s'emploie 
Imourd'hul que dan^ le sens d«> conféret lu nobteêse, 

t. L'on ne met qu'en seconde ligne.... 

4. Dévoue ft sa tamillH Jusqu'à braver, bien peu do temps ptant sa tAot%, 
la contagion de Is petite vérole auprès de sa belie-nlle, la duchesse de 
llourbon ; au chef de sa fkmlile, c'est-â«dir<> au roi, JusqU'b marier son pa- 
Ut-flls à une des filles légitimées de Louis XIV. La Bruyère n'était p»s obligé, 
comme l'avati été Bossuet, de rappeler le rôie de Goridé ()en(iantla Fronae. 

9. BossuHtnon plus n'a pu taire ce qnll y avait paifois d'emporté dans le 
caractère du bénis : a )^e dirHi-je? mai^ puur<)Uoi ut aindreque la gloire d'os 
ai grand homme puisse être diminuée pur cet aveu? Ce n'eët plus ces promp- 
tes saillies qu'il i^avait si vite et si agréablement réparer, mais enfin qu'on 
fui voyait quelquefois dans les occasions ordinaires ; vous diriez qu'il 7 aen 
lui un autre homme à qui aa grande ftme abandonne de moindres ouvrages 
où elle ne daigna se mêler. » 



DU IIÉRITI KR80NNEL. 48 

^ Les enfants des dieux*, pour ainsi dire, ne tirent des 
FAg]es* de la nature 0t en sont comme Texception : ils n'at- 
tendent presque rien du temps et des apnées* Le mérite 
ehez eux devance Page. Ils naissent instruits, e^ ils sont 
plus tôt des hommes parfaits que le oommuD dos hommes 
ne sort de Fenfanee. 

^ Les vues courtes, je yeux dire les esprits bornas et res- 
serrés dans leur petite sphère, ne peuvent comprendre oett^ 
universalité de talents que Ton remarque quelquefois dans 
un même sujet i où ils voient Tagrëable, ils en excluent te 
solide ; où ils croient découvrir les grâces du Qo? ps , Tagi- 
lité, la souplesse, la dextérité, ils ne veulont plus j admettre 
les dons de Tâme, la profondeur, la réflexion» la sagesse : 
Us 6tent ie l'histoire de Socrats qu'il ait dansé< 

^ Il n'y a guère d'homme si accompli et si nécessaire 
aux siens qu'il n'ait de quoi se faire moins ffgrcttpr, 

% Un homme d'esprit et d'i)n caractère simple et droit 
peut tomber dans quelque piège; il ne pçnse pas que per- 
sonne veuille lui en dresser, et le choisir pour être s^ dupe : 
cette confiance le rend moins préoautionné, et les iiiauvais 
plaisants Tentament par cet endroit, Il n'y a qu'à perdre 
peur ceux qui pn viendraient à une seconde charge ; U n'e^t 
trompé qu'une fois. 

J'éviterai avec soin d'offenser personne, si je suis équi- 
table; mais sur toutes choses* un homme d'çspritt si j'aime 
le moins du monde mes intérêts* 




Shrttse qui commence le poriiaii d'Éuâle, mais celle fuis les fi'setpelii-fils 
a ^rand Condé prenneni leur part de cette louange quelque peu esceisive. 
— Dane la Itttie que ooiji atoQ» oiUe ulus baut. Voiture écrit en«-ore: 
f Yoqâ vérifiez bien ce qui a étéditauiiefois que la tertu vient aux <:ésar8 
avant U temp»^ car, voudqui êtes un yral César, en esprit ai eu idence, vn 
Céaar en ûiWgitfc^, en tiHiiaoce, en courage. César, fier omnies cmus, etc. » 
La Bruyère^ qui avait lu les lettres de Voilure, ei surtout celles qui s'adres- 
saient a Condé, s'est peut-être rappelé cette f>hrafae; mais que ne a'esl-il 
rappelé aussi celle de Mascarille, dans les Précieuses ridicîHes : « Les gens 
de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris. » Plus tard, ralibe de 
Chuisy répétera dans ses Diémoirei^ l'byperbole de la Bruyère, mais il la 
léuéiers en souriant : « Le prince de Conli eut le cornDiàndement de l'ar- 
mée de Caialtigne, quoiqu'il n'eûi jamais servi. Ledsnfanta des ruia, comme 
ceux desaicux, naibscni instruii)« dé tout. » 
8. Se oieiteot en dehors des règles. 
I. Maie surtouL Corneille, Cinna^ Y, in : 

El, sur lotde eiU>««, 
observe exactement la loi que je Vimpose. 



44 CHAPITRE n. 

T n n'y a rien de si délié *, de si simple et de si imper- 
ceptible, où il n'entre des manières qui nous décèlent. Un 
sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne s'assied, ni ne se lève, ni ne 
se tait, ni n'est sur ses jambes, comme un homme d'esprit. 

^ Je connais Mopse d'une visite qu'il m'a rendue sans me 
connaître. Il prie des gens qu'il ne connaît point de le me- 
ner chez d'autres dont il n'est pas connu; il écrit à des 
femmes qu'il connaît de vue ; il s'insinue dans un cercle de 
personnes respectables, et qui ne savent quel .il est, et là, 
sans attendre qu'on l'interroge, ni sans sentir qu'il inter- 
rompt, il parle, et souvent, et ridiculement. Il entre une 
autre fois dans une assemblée, se place où il se trouve, 
sans nulle attention aux autres ni à soi-môme; on Tôte 
d'une place destinée à un ministre, il s'assied à ceile du 
duc et pair; il est là précisément celui dont ]a multitude 
rit, et qui seul est grave et ne rit point. Chassez un chien 
du fauteuil du roi, il grimpe à la chaire du prédicateur ; il 
regarde le monde indifféremment, sans embarras, sans pu- 
deur; il n'a pas, non plus que le sot, de quoi rougir. 

^ Celse est d'un rang médiocre, mais des grands le souf- 
frent; il n'est pas savant, il a relation avec des savants; il 
a peu de mérite, mais il connaît des gens qui en ont beau- 
coup; il n'est pas habile, mais il a une langue qui peut 
servir de truchement » et des pieds qui peuvent le porter 
d*un lieu à un a^tre. C'est un homme né pour les allées et 
venues, pour écouter des propositions et ]es rapporter, pour 
en faire d'office, pour aller plus loin que sa commission, et 
en être désavoué *, pour réconcilier des gens qui se que- 
rellent à leur première entrevue, pour réussir dans une 
affaire et en manquer mille, pour se donner toute la gloire 
de la réussite, et pour détourner sur les autres la haine 
d*un mauvais succès. Il sait les bruits communs, les histo- 
riettes de la ville ; il ne fait rien, il dit ou il écoute ce que 
les autres font; il est nouvelliste ; il sait même le secret des 




OUI reproc 

l identité du mot nouveau et du mot de l'ancien français. 

2. Celse estf dit-on, le baron de Breieuil, qui alla en 1682 à Mantone atec 
le titre d'envoyé extraordinaire du roi, et y fil, pairatt-il, des avances qui 
furent désavouées. « On le soufi&ait, dit Saint-Simon, et l'on s'en mo- 
quait. » 



DU VÊBItK FERSOmOEL. 45 

fusilles; fit entre dans de plus hauts mystères; il tous dit 
pourquoi celui-ci est exilé, et pourquoi on rappelle cet 
autre ; il connaît le fond et les causes de la brouillerie des 
deux frères ^ et de la rupture des deux ministres *. N'a-t-il 
pas prédit aux premiers les tristes suites de leur mésintel- 
ligence? ITa-t-il pas dit de ceux-ci que leur union ne serait 
pas longue? N'était-il pas présent à de certaines paroles qui 
furent dites? ITentra^t-il pas dans une espèce de négocia- 
tion? Le Youlut"On croire? fut-il écouté? A qui parlez-yous 
de ces choses? Qui a eu plus de part que Celse à toutes ces 
intrigues de cour? St si cela n'était ainsi, s'il ne Tayait du 
moins ou rêvé ou imaginé, songerait-il à yous le faire 
croire? auraitdl l'air important et mystérieux d'un homme 
revenu d'une ambassade? 

^ Menippe* est l'oiseau paré de divers plumages qui ne 
sont pas à lui. Il ne parle pas, il ne sent pas ; il répète des 
sentiments et des discours, se sert même si naturellement 
de l'esprit des autres qu'il y est le premier trompé, et qu'il 
croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu'il 
n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est 
un homme qui est de mise un quart d'heure de suite, qui 
le moment d'après baisse, dégénère, perd le peu de lustre 
qu'un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde. Lui 
seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de 
l'héroïque, et, incapable de savoir jusqu'où Ton peut avoir 
de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a est tout ce 
que les hommes en sauraient avoir : aussi a-t-il l'air et le 
maintien de celui qui n'a rien à désirer sur ce chapitre, et 



1. Allntlte à une brooillerie qai sorrint entre Claude le Pelletier, con- 
trMear général des finances de 1683 à 1689, et Tan de ses frères. 

2. La France detait-elle faroriser les tentatites da roi Jacques II, et 
Paider à remonter sur le trftne d'Àngleierre? Louyois et Seignelay ne s^on- 
tendaient pas sur ce point. Le second toulait que Louis XIV fit partir des 
troupes pour l'Irlande, et le premier conseillait de ne point faire la guerre. 
Seignelay l'emporta , mais Louvoie n'envoya qu'un petit corps d'armée, et 




mon, bas aussi à l'excès pour peu qu'il en eût besoin. 11 avait cet esprit 
de cour et du monde que le grand usage donne , avec ce jargon qu'on y ap- 
prend, qui n'a qne le tuf, maïs qui éblouit les sots. C'était un homme fait 
exprès pour présider à on bal, poar être le Juge d'un carrousel, et, s'il 
avait eu de la voix, pour chanter à l'Opéra les rôles de rois et de héros; 
fort propre encore a donner les modes et à rien du tout au deiii. Il ne b% 
connaissait ni en gens ni en choses, et parlait et agissait sur parole. • 



M CHâPITRE n« 

qui ne pofte tSTie à pcrtoilDai II te patk lovvint à bqh 
mémfl, et il ne s'en cache pas, eéui qm passent le yoient, 
et qttUl semble teajours prendre un parti * ou dédder 
({U'uHe telle chose est saiis réplique. Si tous le ftaluez quel* 
quefoiSf c'est le jeter dans rembarrai de saToir s'il doit 
vendre le salut» ou ilon; et, pendant qu'il délibère, Vous êtes 
déjà hors de portée. 8à tanité Ta fait honnête homme, Ta 
mis au-dessus de lui-même» l'a fait derenir 6e qu'il n'était 
pui L'eh juge, en le Toyalit, ^u'ii n'est ooeupé que de aA 
personnel qu'il ssit que tout lui sied bien, et que stt parure 
est Assortie! qu'il eroit que tous les jé\ix sont ouverts stir 
Ini^ et que les honimes se relayent pour le contOmplen 

^ Oelui qui, logé ohes soi dans un pahdft, avec deUx àp^ 
partements pour les deux saisons, Vient eoaeher au Louvre 
dans un entre«sol, n'eiruse pas ainsi par modestie *» Cet 
autre qui* pdur oonserver Une taille fine, s'ibstient du via 
et ne iidt qu'un seul repas* n'est ni sobfe ni tempérant; et 
d*nn troisième qui, importu&ë d'un ami pauvre, lui doUntf 
enfin quelque ssoours, l'on dit qu'il a<^ète son repos^ et 
nullement qu'il est libéral. Le mbtif seul fait le Uiérite dea 
actions des hommes, et.le désiatérossenlent j inet la perfeo^ 
tioUi 

^La fausse grtndeuf est fàrouebe et inacoessible : comme 
elle ient son ûublët elle se cache, ou du moins ne se montre 
pas de front, et ne se fait voir qu'autAUt qu'il fAut pour imi- 
poser et ne paraître point ce qu'elle est, je veux dire une 
vraie petitesse. La véritable grandeur est libre* douoe, U^ 
niilière, populaire; elle se laisse touoher et manier, elle ne 
perd rien à être vue de près ; plus on la connaît, plus on 
l'admire ; elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et re- 

1. VoMtti qtiMl M Mrle & lal-liidttiÊ et tfttMl aeftibld.;.. -^ 11 tff a MiiH 
là Ab faille dMttitil*e65ibn^ qtini âu'efi flierttuèâ80<lu(!ndtié«éditéttM. PeUiââoif 
a dit d'dbe mtHiiëre drtaldgo«4 ohHè son HUIôitB dé LôUii XIV î à G0ti8ld4« 
raflt toutefois l'état des cTiodèd, et ^ti'il gérait peat-èird difflcilé sa roi de 
cofiserver. « Vo^m eilôore Molière datis les Fmmeê «evatlIM, IV| ti t 

J*en suis persuadé 
Et f«i4 de Totre appai je serai secondé. 

BtRMinej ôÊbUphigéniêi I, <t : 

ÎoudfaiMl insulter à la oraiote publique . 
t qu$ le chef det Grecs, irritant les Destind. 

S< C'était dne fSTeur Inedtlmable gué d'atotr un tppartSCBlèDt Stt JAnm§ 
et aartodt an (Milain de versalllesi fQtHîë I rentre-soi éottuBS SSl&t-Simoai 
fût-ce souS k» ooitiblee oomme Tarchetéque de piHi. 



DU MilUTB PBKBONNEL. If 

vient sans effort dans son naturel *>; elle s'abandonne quel- 
qnefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours 
en pouvoir de les reprendre et de les faire valoir; elle rit, 
joue et badine, mais avec dignité ; on rapproche tout en- 
semble avec liberté et avee retenue. 8on caractère est noble 
et facile, inspire le respect et la confiance, et fait que les 
princes nous paraissent grandi et trèt^frands) mxA ndus 
fiûre sentir que n^oa sommet petits*. 

% Le Mge guérit de l'ambition par Tambition même; il 
tend à de si grandes ehoses qu'il ne peut te borner à oa 
qu^on appelle des trésors, des postes^ la fortbne «t la fa* 
veur : il ne voit lien dans de si faibles avantages qui soit 
ai^sex bon et asses solide peur remplir sdn eœar et pou^ ffié- 
riter ses seins et ses désirs; il a mBme besoin d'efforts pou? 
na les pas trop dédaigner^ ie seul bien capable da le tent«r 
est cette sorte de gloire qui devrait naître de la tartu toUttt 
pure et toute simple ; maie les bdmmel n4i TaCoordent guM» 
et il s'en passe. 

^ Celtti^à est bon qui fait du bidn aux autres ; s'il souffla 
pour le bien qu'il lait) il est très«bon ; s'il sduffre de edux 
à qui il a fait oe bien, il a une si grande bonté qu'elle lie 
peut être augmentée que dans 1* eas où seb iouffraneea 
viendraient à croître; et, s'il en meurt, sa vertu ne saurait 
aller jdusloini elle est béroiqte) elle oitpatlaito 

i.m Lavéritable candeur se laisse toucher et manier •iê* tdViS cM*f'bl|lf)). 
Tout excellent écnvain est excellent peintre, dit U Bruièra lai-mêiBe , 
ei II le itfoate àkm tobt le coara de soit litre. Tout tit et s^ànirhè sotts feon 
piDoeauj tout y uarle k l'imt^inatloo. » (Suferd « NoMi MiT la ITHiyér»,) 

i. « Est-ce la celui qui forçait les Tilles et qui gagnait des bataillât 7 
t'deHe ÈdMdët datis VOraison fittiebre du pttncé de Condé. Quoi ! il semblé 
oublier le haut rang qu'on lui i yu si biau déftiiidre! HéconùtAinei le 1^^ 
ros qui , toujours égal à lui-même, sans se hausser pour paraître grand* 
aans s'abaisser pour être civil et obligeant, se trouve naturellement tuât ce 
qu'il doit 6tre envers tous les homnies. » 



♦ 



48 CHAPITRE m. 



CHAPITRE m. 
DES FEMMES. 

Les hommes et les femmes conyiemient * rarement sur le 
mérite d'une femme; leurs intérêts sont trop différents. 
Les femmes ne se plaisent point les unes aux autres par les 
mêmes agpréments qu'elles plaisent aux hoamies * ; mille 
manières, qui allument dans ceux-ci les grandes passions, 
forment * entre elles l'aversion et l'antipathie. 

^ Il 7 a dans quelques femmes une grandeur artificielle 
attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux fa- 
çons de marcher, et qui ne va pas plus loin; un esprit 
éblouissant qui impose, et que l'on n'estime que parce qu'il 
n'est pas approfondi. 11 y a dans quelques autres une gran- 
deur simple, naturelle, indépendante du geste.^^ la dé- 
marche, qui a sa source dans le cœur, et qui est comme une 
suite de leur haute naissance ; un mérite paisible, mais so- 
lide, accompagné de mille vertus qu'elles ne peuvent cou- 
vrir de toute leur modestie, qui échappent, et qui se mon- 
trent à ceux qui ont des yeux. 

^ J'ai vu souhaiter d'être fille, et une belle fîUe, depuis 
treize ans jusques à vingt-deux, et, après cet âge, de de- 
venir un homme. 

^ Quelques* jeunes personnes ne connaissent point assez 
les avantages d'une heureuse nature, et combien il leur se- 
rait utile de s'y abandonner ; elles affaiblissent ces dons -du 
ciel, si rares et si fragiles, par des manières affectées et 

i. S'accordent. « Od ne convient pas de Tannée oh il vint aa monde,» dit 
de mêaae Bossuet dans son Hitloir$ univerteUey I, lo. i 

2. Cette tournure était irréprochable au dix-septiëine siècle. Que répon« 
dait k l'ablatif qw>, qvibue. Molière a dit : « de rair ov'on s'y prend.... de 
la manière ^u'il faut vivre.... Je regarde les choses au côté ^ti'on me les 
montre.... Et l'on a pu vous prendre par Tendroit seul que vous êtes pre- 
nable..., etc. » 

S. Font naître, engendrent, sens du mot latin formate. Le sort, aditCor^ 
neille {Horace, 111, n; : 

....Epuise sa force à former un malheur. 

Racine {àndromaqw^ V,v) : 

Ta haine a pris plaisir à former ma misère • 



DES FEMMES. 49 

par une mauvaise imitation ] leur son de voix et leur dé- 
marche sont empruntés; elles se composent, elles se re- 
cherchent ^, regardent dans un miroir si elles s^éloignent 
assez de leur naturel. Ce n*est pas sans peine qu'elles plai- 
sent moins. 

^ Chez les femmes, se parer et se farder n'est pas, je 
Tavoue, parler contre sa pensée; c'est plus aussi que le tra- 
vestissement et la mascarade, où l'on ne se donne point 
pour ce que l'on paraît être, mais où l'on pense seulement 
à se cacher et à se faire ignorer : c'est chercher à imposer 
aux yeux, et vouloir paraître selon l'extérieur contre la vé- 
rité ; c'est une espèce de menterie *, 

Il faut juger des femmes depuis la chaussure jusqu'à la 
coiffure exclusivement, à peu près comme on mesure le 
poisson, entre queue et tète '. 

^ Si les femmes veulent seulement être belles à leurs 
propres yeux et se plaire à elles-mêmes, elles peuvent sans 

t. Se rechercher : nous ne disons plus qu'être recherché. CTest là one 
nuance perdue. 

2. Cette psnsée, qui parut pour la première fois dans la 7* édition, est 
obscure. L'auteur l'a senti : aussi a-tpil écrit cette variante : « Se mettre du 
lougeou se farder est, le rayoue, un moindre crime que de parler contre sa 
pensée ; c'est quelque chose auHsi de moius innocent que le iraTestissement 
et la mascarade, etc. » Le début devenait plus clair, et par suite la pensée 




Comment expliquer qu'en même temps il se trouve d'autres exemplaires de 
la même 8* édition qui donnent la rédaction primitive, et que ce soit cette 
rédaction primitive que reproduise la 9* édition tout entière? Est-ce à dire 

Sue la Bruyère soit revenu sur sa correction ? qu'il ait interrompu le tirage 
e la 8* édition et qu'il ait, pour la fin du tirage et pour les éditions suivan- 
te, à tout jamais effacé la variante? Nous croirons plus volontiers que, lors- 
Su'il refit sa phrase, un certain nombre de feuilles de la 8* édition 
taient déjà tirées, et qu'il était trop tard pour que la variante fût intro- 




imprimer par méearde 

Srecédente qui n^vaient point reçu la variante. Cette variante n'aurait alora 
isparu du texte qu'à la suite d'une méprise, et il y aurait lieu de Fy rétablir. 
XÂ rédaction nouvelle toutefois laissait subsister quelque obscurité, etljpte 
phn elle restreignait fângulièrement la portée de la remarque : il nj ^udt 
plBs question «des artifices de la parure en général, mais simplement du 
ronge et du fard, c'est-à-dire du rou^e et du blanc dans la langue de cette 
époque. — Sur cette expression: imposer awc yeus^ avec te sens de 
mentir aux yeux, voyez page 56, la note 2. 

3. « La comparaison, dit Suard, ne parait pas d'un goût bien délicat. » 
Tous les lecteurs seront de cet avis. Les femmes se grandissai^t par de 
hauts talons et par des coiffures élevées. De là ce trivial rapprocher) ent. Au 
chtfritre de la Mode^ la Bruyère reviendra sur « la mode qui fait de la 
têt* àèk léfflAéi là taie d'un* édifiée à pltièieurs étagèi. à 

4 



50 CHAPITRE ra. 

doute, dans la manière de s'embellir, dans le choix d^s 
ajustements et de la parure, suivre leur goût et leur ca- 
price ; mais si c'est aux hommes qu'elles désirent de plaÎT^ 
si c'est pour eux qu^elles se fardent ou qu'elles s'enluminent, 
j'ai recueilli les voix, et je leur prononce *, de la part de 
tous les hommes ou de la plus grande partie, que le blanc 
et le rou^e les rend ailreuses et dégoûtantes ; que le roug9 
seul les yieîllit et les déguise ; qu'ils haïssent autant ^ le9 
voir * avec de la céru^e sur le visage qu'ayec de fau$sey 
dents en la bouche et des boules de cire dans les mâchoires; 
qu'ils protestent sérieusement contre tout Tai'tiûce doi^ 
elles usent pour se rendre laides; et que, bien loin d'en ré- 
pondre devant Dieu ', il semble au contraire qu'il U^r ait 
réservé ce dernier et infaillible moyen de guérir 4e9 
femme^. 

Si les femmes étaient telles naturellement qu'elles le de** 
viennent par artifice^ qu'elles perdissent en un moment 
toute la fraîcheur de leur teint, qu'elles eussent le visage 
aussi allumé et aussi plombé qu'elles se le font par le 
rouçe et par la peinture dont eUes se (ardent, elles Keraieut 
inoonsola^e». 

^ Une femme coquette ne se rend point sur la passloa 
de plaire et ftur Topinioa quVUe a de sa beauté : elle regarda 
le temps et les années comme quelque chose seulement qui 
tlde et qui eulaidit les autres Cemmas; elle oublie du moins 
que Tâge est écrit sur le visage. La même parure qui a ait- 
trefois embelli sa jeunesse défigure enân ea personnel 
éolaire ies défauts de sa vieillesse. La mignardise et l'alfe^h 
tation raccompagnent dans la douleur et dans la fièvre i 
eUe meurt parée et en rubans de couleur. 

^ 1^80 entend dire d'une autre coquette qu^elle te moqué 
de se piquer de Jeunesse, et de vouloir user d'ajustement» 
qui ne conviennent plus knne femme de quarante ans. Lîm 
les a accomplit, mat9 les années pour elle ont moins d0 
douie mois et ne la vieillissenl point. Elle le croit ainsi, et, 
pendant (ju'elle se ref^arde au miroir, qu'elle met du rouge 
sur son visage et qu'elle placu des. mouohes, elle eonvie&l 
qu'il n'est pas permis à un certain âge de faire la jcaae, ^ 

1. Je leur annonce BvU,eQnellemeBt. 

2. « Tel qui hait à s» voir...^ * dit de mèm» BoileftU.|£idli<#li;«llnrlié4 

3. Bien loin qu'ils en doivent être responsables devant Pieu. 



BIS FEMMES. 51 

^e (^ÊH0é^ &i effet, avec ses moudies et 800 fOnfT^ lal 
ridieule. 

^ Ua beau visage est le plus beau de tous |es spectaol^; 
et l'hamusde la plus douce est le son de yoix de celle qv9 
l'on aime. 

f L'agrément est arbitraire : la beauté est quelque cb^se 
de plut réel et de plus indépendant du goût et de l'opinion. 

f L'en peut être touché de certaines beautés «i parfaite^ 
et d'un mérite si éclatant, ^e Ton se borne à les voir et à 
leur parier. 

% Une belle femme qui a les (jualîtés à'rxSK bonotte 
bemme est ee qufl y a au monde d\iQ commerce plus dé* 
Mekms ' l'en trouye en elle tout le mérite des de9z seies. 

Y Le caprice est, dans les femmes, tout proc^i^ de U 
beauté, peur être son contre-poison et afin qu'elle nuise 
iBoins aux hommes, qui n*en guériraient pas sans ce remM% 

^ Une femme faibte est celle à qui l'on reproche une faut^ 
qui se la reproche à elle-même^ dont le cœur c^mb^ larai«' 
SM, qui yeut guérir, qui ne guérira poiut, ou bien tard. 

Y Une femme inconstante est celle qui n'aima plus; me 
légère, celle qui déjà en aime un autre; une Yplage, celle 
^i ne sait si elle aime et ce qu'elle aime ; una indifEérent^ 
orile qui n'aime rien. 

^ 14^ perfidie, si je l*ôse dire, est un mensonge de toutf 
h i^feenne { e'esl, dans une femme, Fart de placer un mot 
^tm uneaetioB qui donne le change, et quelqut^fQis de mettre 
en CMïTfe des serments et des promesses qui aq lui cç^teat 
pas plus à faire qu*à yioler. 

Une femme infidèle, si elle est connue pour tellç de la 
peremiBe intéressée, n'est qu'infidèle : s'il la croit fidèle^ eÛs 
eit perfide. 

On tire ce bien de la perfidie des femmes, qu'elle guérit 
da la jakmsie. 

^ A juger die c#Ue femme par sa beauté, sa jenaasa, sa 
flarté et ses dédains, U nY <^ personne qui doute que ce 09 
soit un héros qui doiye w jour la charmer. Son choii «t 
fait : e*est vm petit m^stre, qui manque d'esprit. 

^ lie rebut 4« la fiour est legu à la villa* daaa wm 

* 

1* Le arartiMn que toet le monde méprise S ?BrH|]|M ««t r«ça 1 1^* 
ris-.. 



52 CHAPITRE m. 

ruelle *, où il défait le magistrat, môme en cravate et en 
habit gris, ainsi que le bourgeois en baudrier, les écarte et 
devient maître de la place* ; il est écouté, il est aimé : on 
ne tient guère plus d*un moment contre une écharpe d*or 
et une plume blanche, contre un homme qui parte aurai* et 
voit les ministres. Il fait des jaloux et des jalouses; on Tad- 
mire, il fait envie : à quatre lieues de là^, il fait pitié. 

^ Un homme de la ville est pour une femme de province 
ce qu'est pour une femme de ville un homme de la cour. 

^ A un homme vain, indiscret, qui est grand parleur et 
mauvais plaisant, qui parle de soi avec confiance, et des 
autres avec mépris; impétueux, altier, entreprenant, sans 
mœurs ni probité, de nul jugement et d'une imagination 
très-libre, il ne lui manque plus, pour être adoré de bien 
des femmes, que de beaux traits et la taille belle. 

^ La dévotion * vient à quelques-uns , et surtout aux 
femmes , comme une passion, ou comme le faible d'un cer- 
tain âge, ou comme iule mode qu'il faut suivre. Elles comp- 
taient autrefois une semaine par les jours de jeu, de spec- 
tacle, de concert, de mascarade, ou d'un joli sermon : 
elles allaient le lundi perdre leur argent chez Ismène, 
le mardi leur temps chez CKmène, et le mercredi leur 
réputation chez Célimène; elles savaient, dès la veille, 
toute la joie qu'elles devaient avoir le jour d'après et le 
lendemain ; elles jouissaient tout à la fois du plaisir pré- 
sent et de celui qui ne leur pouvait manquer ; elles auraient 
souhaité de les pouvoir rassembler tous en un seul jour : 
c'était alors leur unique inquiétude et tout le sujet de 
leurs distractions ; et si elles se trouvaient quelquefois à 
l'Opéra, elles y regrettaient la comédie. Autre temps, autres 
mœurs : elles outrent l'austérité et la retraite; elles n'ou- 

t. La rnelle était la partie de la chambre oti les femmes receraient les 

3. U remporte sar le magistrat, lors même que le magistrat est habillé 
du costome élégaot que Ini interdisent les règlements, sar le boargeoia» 
lors même qae Te bourgeois porte Tépée. 

3. « iMmAMn. Vous êtes l'bomme du monde que j'estime le plus, et je par- 
lais encore de tous ce matin dans la chambre du roi. — M. JoDanAiH. Vous 
me faites beaucoup d'honneur, monsieur. Dans la chambre du roi!... Que 
faire? Voules-Yoosqve je refuse un homme de cette oondition-Ià, qui a parlé 
de moi ce matin dans la chambre dn roi? • (Molière, U Mourgiois gmltl- 
homme, m, i?.) 



4. Cest'^-direàVersaiUea. . ^ 

5. raûitê défoyon. (SôU de ta Bruy^t.) 



DES FEMMES. 53 

vrent pins les yeux qui lenr sont donnés ponr voir ; elles né 
mettent plus lenrs sens à aucun usage; et, chose incroyablel 
elles parlent peu : elles pensent encore, et assez bien d'elles- 
mêmes , comme assez mal des autres, n y a chez elles une 
émulation de vertu et de réforme qui tient quelque chose 
de la jalousie : elles ne haïssent pas de primer dans ca nou- 
yeau genre de vie , comme elles faisaient dans celui qu'elles 
Yiennent de quitter par politique ou par dégoût Elles se 
perdaient gaiement par la galanterie, par la bonne chère et 
par l'oisiveté ; et elles se perdent tristement par la présomp- 
tion et par l'envie. 

^ Quelques femmes ont voulu cacher leur conduite sous 
les dehors de la modestie; et tout ce que chacune a pu 
gagner par une continuelle affectation, et qui ne s'est jamais 
démentie , a été de faire dire de soi : c On Vawrait prise pour 
une vestaie. > 

^ C'est, dans lesfemmes, une violente prenve d'une repu* 
tation bien nette et bien établie, qu'elle ne soit pas même ef- 
fleurée parla familiarité dequelques-unes qui ne leurressem- 
blent point; et qu'avec toute la pente qu'on a aux malignes 
explications , on ait recours à une tout autre raison de ce 
commerce qu'à celle de la convenance des mcours '. 

^ Un comique outre sur la scène ses personnages ; un 
poète charge ses descriptions ; un peintre qui fait d'après 
nature force et exagère une passion , un contraste, des atti- 
tudes; et celui qui copie, sll ne mesure au compas les 
grandeurs et les proportions, grossit ses figures, donne à 
toutes les pièces qui entrent dans Fordonnance de son ta- 
bleau plus de volume que n'en ont celles de l'original : de 
même la pruderie est une imitation de la sagesse. 

D y a une fausse modestie qui est vanité ; une fausse 
gloire qui est légèreté ; une fausse grandeur qui est peti- 
tesse ; une fausse vertu qui est hypocrisie ; une fausse sa- 
. gesse qui est pruderie. 

Une femme prude paye de maintien et de paroles ; une 
lemme sage paye de conduite. Celle-là suit son humeur et 
5a complexion, celle-ci sa raison et son cœur. L'une est 
sérieuse et austère; l'autre est, dans les diverses ren- 
contres, précisément ce qu'il faut qu'elle soit. La première 

1. La conformité dei mœurs. 



54 CHAFimE m. 

cache des^(aibl#8*aoi]fl de plaotiblee islieit; la lecoode 
coayre un riche fonds seoe un air libre et aaterel. La {ira- 
derie contraint Teaprit, ne eaehe ni Tâge ni la laideur; 
aouTent elle les suppose; la sageeee, au eontralre, pallie les 
défauts du corps, ennoblit l'esprit # ne rend la )euaeese que 
plus piquante et la beauté que plue périlleuse. 

% Pourquoi s'en prendre aux hommes dece queleafeamee 
Qe sont pas saTaates*? Par quelles lois, par quele éditt, 
par quels reserits leur a-t^en défendu d'eutrir lei yeux et 
de lire, de retenir ee qu'elles ont lu et d'en rendre eouple 
ou dans leur conyersation , ou par leurs ouTragest Ne ee 
aont-eUes pas au eeatraire établies elles-mêmes daAs cet 
usage de ne rien saToir» ou par la ûdblesàe de teuf dom- 
niezion, ou par la paresse de leur esprit» ou par le aoin de 
leur beauté I ou par une certaine légèreté qui les etnpéche 
de suivre une longue étude , ou par le talent et le génie 
qu'elles ont seulement pour les ouTragês de la tnain, oupar 
les distractions que donnent les détails d'un domestique *, 
ou par un éloignement naturel des choses pénibles et sé« 
rieuses, ou par une curiosité toute différente de eslle qui 
contente l'esprit, ou par un tout autre goût que eelui d'exeN 
cer leur mémoire? Mais , à quelque cause que les hommes 
puissent devoir cette ignorance des femmes , ils sont heu- 
reux que les iemmeet qui les domment d'ailleurs partant 
d'endroitSi aient sur eux cet avantage de moine*. 

I. thé faibleBsés, des déf^ats. 

%, CM paragraphe est li Réponse qaé is Bra^^e edrètae à Pbil&iHitite, 
s'éprisDt daas lee Fmimh tû^nêm ée Ueliftre* lU^ ii t 

Car eofin ie me sens un êtraiMie dépit 

DQ ton que l*on nous n!t du coté de l'esprit ; 

Et je Yéiiioous vMgM», ttftttas tant qae iiotoB sottiilletfi 

pe cette iodigne classe où nous rangent tes boaunet, 

De borner nos talents à des futiliiés, 

Il feoui fersMMP ta porte sus sublimée elftriés. 

S» liM détails de llmériMr «'ad diéoise. Li Bntfèfé SftifSôlé tdttfsM 

cette expression. 

4. L'auteur termine par une épigramme. Mais c'est dans ce qui pré- 
fM et dtlis të qttt suit qu'il fanictiercber le fond de sa pensée* ta Bruyère 
Iridemment ne part»ge osa tdus les sentiments du Chrysaie dea Femmêê 
iàfxiitif» snr l'écincailon des femmes. Il les veut à ta fois sages et savantes, 
m il regrette qn^etles salent divisées en deux clasKét t les fetnmes luiilei^ él 
les femmes de ménage d'iin côté, les femmes savantes de l'autre. Geriaina 
es leurft défauts, dit- 11, s'oppusentà ce que le^ femmes soient en général 
%néé\ instruites qtw iea hitamies : il souhaUe qu'elles sVn c»nigenl L'ali- 
néa très-lahorieux qui termine et résume la dissertation de l'auteur trahit 
reflTort et l'embarras de la penaée. — La Bruyère tenait en grande estiniA 
Mme Dacier, la femme la plus savante de son ttapi^ 



DES FEKUES. 55 

On regarda une femme sayante comme on fait une belle 
arme : elle est ciselée artistement, d^une polissure admw 
rable et d^un travail fort recherché ; c'est une pièce de ca- 
binet, que Ton montre aux curieux, qui n^est pas d'usage, 
qui ne sert ni à la guerre ni à la chasse , non plus qu'un 
cheval de manège ^ quoique le mieux instruit du monda. 

Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même 
sujet, je ne m'informe plus du sexe , j'admire ; et si vous 
me dites qu'une femme sage ne songe guère à être savante, 
ou qu'une femme savante n'est guère sage , vous aves 4éjà 
oublié ce que vous venez de lire , que les femmes ne sont 
détournées des sciences que par de certains défauts : con- 
cluez donc vous-mêmes que moins elles auraient de ces dé- 
fauts, plus elles seraient sages, et qu'ainsi une femme sage 
n'en serait que plus propre à devenir savante, ou qu'une 
femme savante, n'étant telle que parce qu'elle aurait pu 
vaincre beaucoup de défauts, n'en est que plus sage. 

^ La neutralité entre des femmes qui nous sont également 
amies % quoiqu'elles aient rompu pour des intérêts où nous 
n'avons nulle part, est un point difficile : il faut choisir 
souvent entre elles , ou les perdre toutes deux. 

^ Les femmes sont extrêmes*; elles sont meilleures ou 
pires que les hommes. 

% Les femmes vont plus loin en amour que la plupart 
des hommes ; mais les hommes l'emportent sur elles en 
amitié. 

Les hommes sont cause que les femmes ne s'aime&t 
point. 

^ Il 7 a du péril à contrefaire. Liee^ déjà vieille , veut 
rendre* une jeune femme ridicule, et elle-même devient 
difforme ; elle me fait peur. Elle use, pour l'imiter, de gri- 
maces et de contorsions : la voilà aussi laide qu'il faut pour 
embellir celle dont elle se moque ^» 

^ On veut à la ville que bien des idiots et des idiotes aient 
de resprit« On veut à la cour que bien des gens manquent 
d'esprit qui en ont beaueoup ; et, entre les personnes de ce 

1 . Nous sont amits.... De môme Volière dams Don Juan (m, it) i « Quel- 
qu^âmi que tous lut soyet. » 
3. Sénèqoe L'avait d^à dit. 
$. Imiter. ^ 

^. Pour que celle 4oot elle H moque parues^ ]i>eUe Hu^rèed^elle* 



I 



56 CHAPITRE m. 

dernier genre, une belle femme ne se sauve qu'à peine avec 
d'autres femmes*. 

^ Un homme est plus fidèle au secret d'autrui qu'au sien 
propre > une femme, au contraire, garde mieux son secret 
que celui d'autrui. 

^ Il n'y a point dans le cœur d'une jeune personne un si 
violent amour auquel l'intérêt ou l'ambition n'ajoute quelque 
chose. 

^ n 7 a un temps où les filles les plus riches doivent 
prendre parti ; elles n'en laissent guère échapper les pre- 
mières occasions sans se préparer un long repentir : il 
semble que la réputation des biens diminue en elles avec 
celle de leur beauté. Tout favorise au contraire une jeune 
personne, jusques à ropinion des hommes, qui aiment à lui 
accorder tous les avantages qui peuvent la rendre plus sou- 
haitable. 

^ Combien de filles à qui une grande beauté n'a jamais 
servi qu'à leur faire espérer une grande fortune! 

^ Un homme qui serait en peine de connaître s'il change, 
s'il commence à vieillir, peut consulter les yeux d'une jeune 
femme qu'il aborde, et le ton dont elle lui parle : il appren- 
dra ce qu'il craint de savoir. Rude école! 

^ 11 coûte peu aux femmes de dire ce qu'elles ne sentent 
point : il coûte encore moins aux honmies de dire ce qu'ils 
sentent. 

^ Il arrive quelquefois qu'une femme cache à un homme 
toute la passion qu'elle sent pour lui, pendant que, de son 
côté, il feint pour elle toute celle qu'il ne sent pas. 

^ L'on suppose un homme indifférent, mais qui voudrait 
persuader à une femme une passion qu'il ne sent pas; et l'oa 
demande s'il ne lui serait pas plus aisé d'imposer* à celle 
dont il est aimé qu'à celle qui ne l'aime point. 

^ Un homme peut tromper une femme p^r un feint atta- 
chement, pourvu qu'il n'en ait pas ailleurs un véritable. 

^ Un homme éclate contre une femme qui ne l'aime plus, 
et se console : une femme fait moins de bruit quand elle est 
quittée, et demeure longtemps inconsolable. 

1. Et ane belle femme, qai a de Tesprit, échappe avec peine au danger 
d'être proclamée soite par les autres femmes. 

% Imposeff mentir. 11 n'y a gaère qu'an siècle qne l'usage s'est établi 
de dire en impoMr, quand le mot impour signifie commettre une impo8<* 
ture, et simplement mpoter, quand il signifie inspirer du respect* 



DES FEMMES. 5? 

Y Les femmes guëiissent de leur paresse par la yanitë 
ou par Tamour. 

La paresse, au contraire, dans les femmes yiyes, est le 
présage de l'amour. 

^ Il est fort sûr qu'une femme qui écrit avec emporte- 
ment est emportée; il est moins clair qu'elle soit touchée. 
Il semble qu'une passion yiye et tendre est morne et silen- 
cieuse , et que le plus pressant intérêt d'une femme qui 
n'est plus libre , celui qui l'agite davantage , est moins 
de persuader qu'elle aime que de s'assurer si elle est 
aimée. 

^ Je ne comprends pas comment un mari qui s'abandonne 
à son humeur et à sa complezion, qui ne cache aucun de 
ses défauts, et se montre au contraire par ses mauvais en- 
droits , qui est avare, qui est trop négligé dans son ajus- 
tement, brusque dans ses réponses, incivil, froid et taci- 
turne, peut espérer de défendre le cœur d'une jeune femme 
contre les entreprises de son galant, qui emploie la parure 
et la magnificence, la complaisance, les soins, l'empresse- 
ment, les dons, la flatterie. 

^ U y a telle femme qui anéantit ou qui enterre son 
mari, au point qu'il n'en est fait dans le monde aucune men- 
tion : vit-il encore? ne vit-il plus? on en doute. Il ne sert 
dans sa famille qu'à montrer Fezemple d'un silence timide 
et d'une parfaite soumission. Il ne lui est dû ni douaire ni 
conventions; mais à cela près, et qu'il n'accouche pas, il 
est la femme, et elle le mari. Ils passent les mois entiers 
dans une même maison sans le moindre danger de se ren- 
contrer; il est vrai seulement qu'ils sont voisins. Monsieur 
paye le rôtisseur et le cuisinier, et c'est toujours chez ma- 
dame qu'on a soupe. Ils n'ont souvent rien de commun, ni 
le lit, ni la table, pas même le nom : ils vivent à la romaine 
ou à la grecque; chacun a le sien; et ce n'est qu'avec le 
temps, et après qu'on est initié au jargon d'une ville, qu'on 
sait enfin que M. B.... est publiquement, depuis vingt an- 
nées, le mari de Mme L.... *. 

^ TeUe autre femme, à qui le désordre manque pour mor- 



1. On cite en exemple Nicolas de Bauqnemare, président au Parlement 
et Mme d'Ona-en-Bray on d'Osembray, sa femme, qui poriait le nom d'une 
terre de son mari. 



56 CHAPmUB m. 

tifier mm mm, j veritnt * ptf sa nobièiM el m» iltiancft, 
par la riche dot qu'elle a apportée, par les chamits de sa 
beauté^ ]^ soa nérit»^ par ce que qaelquta-uas appelletit 
vertu. 

^ Les dottiaurft muettes «t stupides* sont hi9ts d'utftg^ : 
on pleure, on féoite, ob répète, on est d tooohé àt la 
mort de son mari, qu'on n'en oabUa pat la moindre eir^ 
oonstanoe.' 

Y U 7 avait à SmfHi$ tm# trèa«bdlé fille qu'on apptiaU 
Émin^ et qui était moina connus dans t(mte la tille par sA 
beauté que par la sévérité de ses mœurs, et surtout par Fin« 
différenoe qu'elle osnservait pour tooa les hommes, qû'i^e 
voyait, disait^slle, sans aaoun péril, et sans d'autres dispo- 
sitions qus csiles où élis se trouvait pour ses amies oa 
pour ses frères. Elle ne croyait pas la moindre partie àt 
toutes les folies qu'on disait que l'amour avait fait faire dans 
tous les temps; et celles qu'elle avait vues elle-même, elle 
ne les pouvait comprendre t elle ne oonnaissait que Tami- 
tié. Une jeune et oharmante personne, à qui elle devait 
cette expérience*, la lui avait rendue si douoe qu'elle ne 
pensait qu'à la faire durer, et n'imaginait pas par quel autre 
sentiment elle pourrait jamais se ' refroidir sur celui de 
l'estime et de la «onfianoe, dont elle était ai eontente. £lle 
ne parlait que HEuphrosim î c'était le nom de cette fidèle 
amie; et tpnt Smjrrne ne parlait que d'elle et d'Ëuphrosine i 
leur amitié passait en proverbe, fimife avait deux frères 
qui étaient jeunes, d'une excellente beauté^, et dont toutes 
les femmes de la ville étaient éprises ; et il est vrai qu'elle 
les aima toujours comme une suittr aime ses frères. Il y 
eut un prêtre de Jupittr qui avait accès dans la maison de 
son père, à qui elle plut, qui osa le lui déclarer, et ne s'at- 

1. Se dédommage eo !• mortifiant par.... 

2. Stupide est d'un usage fréquent avec le lena IttiB* Go» neille, dàna 
Ctnna,V,t! 

Je demeure stvpidé ; 
Nea que Totre culèrè oo la mon m'intimide...* 

Et encore dans Œdipe, V, viii : 

Stupide» ainsi qu'elle, ainsi qu'elle afflfgéeê. 

S. L'expérience de l'amitié. 

k. Excellent f AU sens latin. La Bruyère a écrit plus haut : « le plus excel" 
leni mérite. » Méaeray d\ié^v\emeniune excellente 6eauf« dans son Histoire 
de France, et Beauaé répétera rexpre»aioD, au dii-hoitième siècle, dâos sa 
traduction de Quifite-Curce. 



9BS FUrnU. 59 

tîva que te nëf»m, U» ^killard, cpii, se conûant en sa nais- 
saoce et en ses grands biens, avait eu la même audace, eut 
aussi la marne sTenture. Elle triomphait cependant ; et c'était 
jusqo'alops au milieu de ses frères, d'un prêtre et d'un 
TÎeillafd, qu'elle se disait insensible. U sembla que le Ciel 
voul(^ l'expeser à de plus fortes épreuves, qui ne servi- 
rent néanmoins qu'à la rendre pkis vaine, et qu'à raffermit 
dans la réputation d'une fille que l'amour ne pouvait tou- 
dier. De |reis amants que ses obarmes lui acquirent su(^ 
«essiveiaenti et dont elle ne craignit pas de voir toute la 
passion» le premier, dans un transport amoureux, se per^a 
te seia à ses pieds; le second, plein de désespoir de n'être 
pas écouté, alla se faire tuer à la guerre de Crète; et le 
troisième mourut de langueur et d'insomnie. Celui qui les 
devait venger n'avait pas encore paru. Ce vieillard, qui avait 
été si malheureux dans ses amours, s'en était guéri par des 
réfleaions sur son Age et sur le caractère de la personne à 
qui il voulait plaire : il désira de continuer de la voir, et elle 
le souffrit. Il lui amena un jour son fils, qui était jeune, 
d'une physionomie agréable, et. qui avait une taille fort 
noble. Elle le vit avec Internet; et comme il se tut beaucoup 
en la présence de son père, elle trouva qu'il n'avait pas 
assez d'esprit, et désira qu'il en eût eu davantage. Il la vit 
seul, parla assez, et avec esprit ; mais comme il la regarda 
peu, et qu'il parla encore moins d'elle et de sa beauté, elle 
jhit mirpriae et somme indignée qu'un heome si bien fait et 
si spirituel ne fût pas galant. Elle s'entretint de lui avec son 
imie, qui voulut le voir. Il n^eut des jeux que pour Eu- 
phrosine; il lui dit qu'dle était belle t et Ëmire, n indiffé- 
junte, devenue jaloeee, comprit que Cténphon était per» 
inadéde ee ^ull disait, etquenonHseulementil était galant, 
mais même qu'il était tendit. Elle se trouva depuis oe temps 
moins libre avec son amie. Elle désira de les voir ensem- 
ble une seeonde fois, peur être plus éclaircie i et une se- 
conde entrevue lui tit voir eneore plus qu'elle ne craignait 
de voir, et ohangea ses soapyoos en certitude. Elle s'éloigne 
d'EuphrosinSi ne lui coonatt plus le mérite qui l'avait 
charmée^ perd le goût de sa conversation : elle ne l'aime 
plus; tt ce changement lui fait sentir que l'amour dans son 
cœuf a pîis ift place de l'amlilé. Ctésiphon et Euphrosine se 
voient tous les jours, s'aiment, songent à s'épouser, s^épou- 



60 CHAPITRE m. 

sent. La nouYelle s'en répand par tonte la Tille; et l'on 
publie que deux personnes enfin ont eu cette joie si rare 
de se marier à ce qu'ils aimaient. Ëmire l'apprend, et s'en 
désespère. Elle ressent tout son amour : elle recherche £u- 
phrosine pour le seul plaisir de revoir Gtésiphon; mais ce 
jeune mari est encore l'amant de sa femme, et troure une 
maîtresse dans une nouyelle épouse; il ne voit dans Ëmire 
que l'amie d'une personne qui Idt est chère. Cette fille in- 
fortunée perd le sonuneil ^ et ne yeut plus manger : elle 
s'affaiblit; son esprit s'égare ; elle prend son frère pour 
Gtésiphon, et elle lui parle comme à un amant. Elle se dé- 
trompe, rougit de son égarement : elle retombe bientôt 
dans de plus grands, et n'en rougit plus; elle ne les con- 
naît plus. Alors elle craint les hommes, mais trop tard; 
c'est sa folie. Elle a des intervalles où sa raison lui re- 
vient, et où elle gémit de la retrouver. La jeunesse de 
Smyme, qui Ta vue si fière et si insensible, trouve que les 
dieux l'ont trop punie ^ 



CHAPITRE IV. 

DU COEUR. 

Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre 
ceux qui sont nés médiocres. 

^ L'amitié peut subsister entre des gens de différents 
sexes, exempte même de toute grossièreté. Une femme ce- 
pendant regarde toujours un homme comme un homme; 
et réciproquement, un homme regarde une femme comme 
une femme. Cette liaison n'est ni passion ni amitié pure ; elle 
fait une classe à part. 

^ L'amour naît brusquement, sans autre réflexion, par 
tempérament ou par faiblesse : un trait de beauté nous ûxe« 
nous détermine. L'amitié, au contraire, se forme peu à peu, 
avec le temps, par la pratique, par un long commerce. 
Combien d'esprit, de bonté de cœur, d'attachement, de 

1. a II y a pea de chose dans notre langue d'aussi parfût qne l'histoii* 
d'Êmire. C'est un petit roman plein de grâce, de finesse et même d'intérêt.» 
(Saard.) 



DU COEUR. 61 

services et de complaisance dans les amis, pour faire en 
plusieurs années bien moins que ne fait quelquefois en un 
moment un beau visage ou une belle maint 

^ Le temps, qui fortifie les amitiés, affaiblit Pamour. 

^ Tant que Tamour dure, il subsiste de soi-même, et 
quelquefois par les choses qui semblent le devoir éteindre, 
par les caprices, par les rigueurs, par Téloignement, par la 
jalousie. L'amitié, au contraire, a besoin de secours; elle 
périt faute de soins, de confiance et de complaisance. 

^ Il est plus ordinaire de voir un amour extrême qu'une 
paifaite amitié '. 

^ L'amour et l'amitié s'excluent Tun l'autre. 

^ Celui qui a eu Texpérience d'un grand amour néglige 
l'amitié; et celui qui est épuisé sur l'amitié n'a encore rien 
fait pour l'amour. 

^ L'amour commence par l'amour; et l'on ne saurait v 
passer de la plus forte amitié qu'à un amour faible. 

^ Rien ne ressemble mieux à une vive amitié que ces 
liaisons que l'intérêt de notre amour nous fait cultiver. 

^ L'on n'aime bien qu'une seule fois; c'est la première : 
les amours qui suivent sont moins involontaires. 

^ L'amour qui natt subitement est le plus long à guérir. 

^ L'amour qui croit peu à peu, et par degrés, ressemble 
trop à l'amitié pour être une passion violente. 

^ Celui qui aime assez pour vouloir aimer un million de 
fois plus qu'il ne fait, ne cède en amour qu'à celui qui aime 
plus qu'il ne voudrait. 

^ Si j'accorde que, dans la violence d'une grande passion, 
on peut aimer quelqu'un plus que soi-même, à qui ferai-je 
plus de plaisir, ou à ceux qui aiment, ou à ceux qui sont 
aimés? 

^ Les hommes souvent veulent aimer, et ne sauraient y 
réussir; ils cherchent leur défaite sans pouvoir la rencon- 
trer; et, si j'ose ainsi parler, ils sont contraints de demeu- 
rer libres. 

^ Ceux qui s'aiment d'abord avec la plus violente passion 
contribuent bientôt chacun de leur part à s'aimer moins, et 
ensuite à ne s'aimer plus. Qui, d'un homme ou d'une femme, 

I. « Qndqiie tue que soit le téritable amoar, il l'est «ocori moins que 
la téritable amitié.* (lA Aocheroaca&ld.) 



6% CHAPITRE nr. 

met datantaga du sien dans eette nmtare, il n'est pas aisd 
de le décider. Les femmes accusent les hommes d^être yo- 
lages, et les hommes disent qu'elles sont légères. 

^ Quelque délicat que Fon soit en amour, on pardonne 
pins de fautes que dans l*amitié. 

^ C'est une vengeance douce à celui qui aime beaucoup 
de faire, par tout son procédé, d'une personne ingrate une 
très-ingrate. 

^ 11 est triste d'aimer sans une |p*ande fortune, et ^uî 
nous donne les moyens de combler ce que 1*qq aime, et le 
rendre si heureux qu'il n'ait plus de souhaits à faire. 

^ S'il se tronve une femme peur qui Ton ait eu uçe 
grande passion et qni ait été indifférente, quelques impor- 
tatnts serriees qu'elle nous rende dans la suite de notre yiei 
l'on court un grand risque d'être ingrat. . 

^ Une grande reconnaissance emporte avec soi beaucoup 
de goût et d'amitié pour la personne qui nous oblige S 

Y Être ayee les gens qu'on aime, cela suffit ; rérer, leur 
parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des 
choses plus indifférentes, mais auprès d'eux, tout est égal. 

^ 11 n'y a pas si loin de la haine à l'amitié qne de l'antl- 
palbie. 

^ Il s^nble qu'il est moins rare de passer de fiantiputliia 

Famour qu'à l'amitié. 

^ L'on confie son seeret dans Tàfflitié ; malt il échappe 
dans l'amour. 

L'on peut avoir la confiance de quelqn\tn sans en avoir 
le eœur. Celui qui a le eœur n'a pas besoin de révélation 
ou de eenfianee ; tout lut est ouvert. 

% L'en ne voit dans Pamitié que les déOiuts qui petjvent 
nuire à nos amis. L'on ne voit en amour de défauts dan& ce 
qu'on aime que ceux dont on souffre soi-même, 

^ Il n*y a qu^un premier dépit en amour, con^me la pre- 
mière faute dans l'amitié, dont on puisse faire un bon 
usage. 

^ Il aettMe que, a'S y a un sottpçon injuste, bizarre et 

i. Pensée obscure. Si elle n'était anDoocée, et comme à l'avaDce expliquée 
par la précédente, on serait exposé à l'en tendre de cette façon: Une grande 
reçonnaisii^nce a pour (.on^iéquence^ etc. .... Or a U vérit,a|)li^ «epa de |a 
phrase est celui-ci: Nous ne pontons ressentir une reconnûfiH^iet Ipw* 
Vite qu'à l'égard d'une personne que noug aimons beaucoup. 



DU costm. 63 

sans fonddniMil, qu'on tdt use foin appelé Jalousie, cette 
antre jalousie qui est un sentiment juste, naturel, fondé en 
raison et sur i'expërienee, mériterait un autre nom. 

Le tempéfament a beaucoup de part à la jalousie, et elle 
ne suppose pas toujours une grande passion. C'est cepen- 
dant un paradoxe qu^in violent amour sans délicatesse. 

Il arrive souvent que l'on souffre tout seul de la délioa- 
teaae. L'on souffre de ia jalousie, et Ton fait souffrir les^ 
autres. 

Celles qui ne nous ménagent sur rien, et ne nous épar- 
gnent nulles oeeasio&ê de jalousie, ne mériteraient de nous 
aucune jalousie, si Ton se réglait plus par leurs sentiments 
et leur c(mdaitê que par son cœur. 

^ Les froideurs et les relâchements dans l*amité ont 
leurs caufiss. £n amour, il n'y a guère d'autre raison de ne 
s'aimar plus que de s'être trop aimés. 

^ L'on n'est pas plus maître de toujours aimer, (ju^onTa 
été de ne pas aimer. 

^ Les amours meurent par le dégoût, et l*oid)li les en^ 
terre. 

^ Le eomme&eemeBt et le déclin de Pamour se font son-* 
tir par Vcmbarras oà Von est de se trouver seuls. 

Y Cesser à*«imer, preuve sensible que l'homme est borné, 
cA que le ccBur a ses limitej». 

C^est faîMesse que d'aimer; c'est souvent une autre Shi" 
blesse que de guérir. 

On guérit comme on se console ; on n'a pas dans le ccmt 
ds quoi toujours pleurer et toujours aimer. 

^ Il devrait y avoir dans le cœur des sources inépuisa- 
bles de douleur pour de oertaines pertes. Ce n'est guère par 
Yfirta ou par foroe d'esprit que Fou sort d'une grande af- 
fliction : l'on pleure amèrement, et l'on est sensiblement 
touché ; mais l'on est ensuite si faible, ou si léger^ (jue Ton 
se console. 

^ Si une laide se fait aimer, ce ne peut être qn'éperdtt* 
ment; car il faut que ce aolt ou paf une étrange faiblesse 
da son amant, ou par de plus secrets et de phis invinciblea 
cliarmes que cenx de la beauté. 

^ L'on est encore longtemps à se voir par habitu^Ae, et | 
se dire de bouche que Ion s*aime, après que les manièns 
diiesb qu'on AA a'aiûns plus* 



64 CHAPITRE iV. 

^ Vouloir oublier quelqu'un, c'est j penser. L'amour a 
cela de commun avec les scrupules, cpi'il s'aigrit par les 
réflexions et les retours que l'on fait pour s'en délivrer. Il 
faut, s'il se peut, ne point songer à sa passion pour l'aifai- 
blir. 

^ L'on veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne se peut 
ainsi, tout le malheur de ce qu'on aime. 

^ Regretter ce que Ton aime est un bien, en comparaison 
de vivre avec ce que l'on hait. 

^ Quelque désintéressement qu'on ait à l'égard de ceux 
qu'on aime, il faut quelquefois se contraindre pour eux, et 
avoir la générosité de recevoir *. 

Celui-là peut prendre, qui goûte un plaisir aussi délicat 
à recevoir que son ami en sent à lui donner. 

^ Donner, c'est agir, ce n'est pas souffrir de ses bien- 
faits, ni céder à l'importunité ou à la nécessité de ceux qui 
nous demandent*. 

% Si l'on a donné à ceux que Ton aimait, quelque chose 
qu'il arrive, il n'y a plus d'occasions où Ton doive songer 
à ses bienfaits. 

^ On a dit en latin qu'il coûte moins cher de haïr que 
d'aimer; ou^ si Ton veut, que l'amitié est plus à charge que 
la haine. Il est vrai qu'on est dispensé de donner à ses enne- 
mis ; mais ne coûte-t-il rien de s'en venger? Ou, s'il est doux 
et naturel de faire du mal à ce que Ton hait, Test-il moins 
de faire du bien à ce qu'on aime? Ne serait-ilpas dur et pé- 
nible de ne lui en point faire '? 

^ Il 7 a du plaisir à rencontrer les yeux de celui à qui 
l'on vient de donner. 

^ Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, et 
ainsi sur un indigne, ne change pas de nom, et s'il méritait 
plus de reconnaissance *. 

1. «Si en l'amitié de qnoy je parle, dit Montaigne, l'an pouToit donner à 
l'antre, ce seroit celny qui recevroit le bienfeict qui obligeroit gon oom- 
paiKnon.... » (Eisais^ I, 47.) 

2. C'est faire un acte volontaire et spontané; ce n'e;iit pas oavrir la 
main à regret, et ne l'ouvrir que si l'on y est contraint. 

3. De ne lui en point faire. C'est là ce qu'a écrit l'auteur dans la S" édi- 
tion, et le mot lui, appliqué à cê qu'on aime, nous étonne peu chez la 
Bruyère. Dans les éditions suivantes leur a été substitué à lui. Si c'est 
l'auiMur qui a effacé lui pour écrire l0ur, il n'a pu le faire que par distrac- 
tion. A-t-il oublié qu'il avait écrit ce ftt'oti aime et non pas ceu(D qu'on 
ûime? 

4. 0&ftB tt chapitre, là Ëni^èrb ft reproduit, tu leur dumiiit U tout 4Vi 



DU COEUR. 65 

^ La libéralité consiste moins à donner beaacoup qu'à 
donner à propos *. 

^ S'il est vrai que la pitié eu la compassion soit un re* 
tour vers nous-mêmes, qui nous met en la place des mal- 
heureux, pourquoi tirent-ils de nous si peu de soulagement 
dans leurs misères? 

Il vaut mieux s'exposer à l'ingratitude que de manquer 
aux misérables. 

^ L'expérience confirme que la mollesse ou Findulgence 
pour soi et la dureté pour les autres n'est qu'un seul et 
même vice. 

^ Un homme dur au travail et à la peine, inexorable à 
soi-même, n'est indulgent aux autres que par un excès de 
raison. 

Quelque désagrément qu'on ait à se trouver chargé d'un 
indigent. Ton goûte à peine les nouveaux avantages qui le 
tirent enfin de notre sujétion : de môme, la joie que Ton 
reçoit de l'élévation de son ami est un peu balancée par la 
petite peine qu'on a de le voir au-dessus de nous ou s'éga- 
ler à nous. Ainsi Ton s'accorde mal avec soi-même, car l'on 
veut des dépendants, et qu'il n'en coûte rien : l'on veut aussi 
le bien de ses amis, et, s'il arrive, ce n'est pas toujours par 
s'en réjouir que l'on commence. 

^ On convie, on invite, on offre sa maison, sa table, son 
bien et ses services; rien ne coûte qu'à tenir parole. 

^ C'est assez pour soi d'un fidèle ami ; c'est même beau- 
coup de l'avoir rencontré : on ne peut en avoir trop pour 
le service des autres. 

% Quand on a assez fait auprès de certaines personnes 
pour avoir dû se les acquérir, si cela ne réussit point, il y 
a encore une ressource, qui est de ne plus rien faire. 

Tf Vivre avec ses ennemis comme s'ils devaient un jour 
être DOS amis, et vivre avec nos amis comme s'ils pouvaient 
devenir nos ennemis, n'est ni selon la nature de la haine, 
ni selon les règles de l'amitié ; ce n'est point une maxime 
morale, mais politique*. 

lui est propre, bon nombre de pensées qa*a exprimées Sénèqae dans son 
traité De 6ene/ictt«. Celle-ci est Tune doF celles qu'il lui a empruntées. 

1. « Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner.» (La 
Rochefoucauld.) 

3. « Ce précepte, qui est si abominable en cette souveraine et maistresse 

5 



\ 



M CHAPITRE IV. 

^ On 116 doit pu M faire des «nnemiB de ceux qniy mieux 
connus, pourraient avoir rang entre nos amis. On doit faire 
choix d'amis si sûrs et d'une si exaete probité, que, venant 
à cesser de Tétre, ils ne veuillent pas abuser de notre con- 
fiance, ni se faire craindre oonmie ennemis. 

^ Il est doux de voir ses amis par goût et par estime; il 
est pénible de l^s cultiver par intérêt t c'est toUieitêr. 

% Il faut briguer la faveur de ceux à qui Poil veut dtt 
bien, plutôt que de ceux de qui l'on espèr« du bien ^ 

^ On ne vole point des mômes ailes pour sa fortune que 
Ton fait pour des choses frivoles et de fantaisie. Il y a un 
sentiment de liberté à suivre ses caprices, et tout au con- 
traire de servitude à courir pour son établissement : il est 
naturel de le souhaiter beaucoup et d'y travailler peu, de sd 
croire digne de le trouver sans l'avoir cherché. 

^ Celui qui sait attendre le bien qu'il souhaite, ne prend 
pas le chemin* de se désespérer s'il ne lui arrive pas; et 
celui au contraire qui désire une chose avec une grande 
impatience, y met trop du sien pour en être assez récom- 
pensé par le succès. 

^ Il y a de certaines gens qui veulent si ardemment et si 
déterminément ' une certaine chose que, de peur de lamaii- 
quer, ils n'oublient rien de ce qu'il faut faire pour la manquer. 

^ Les choses les plus souhaitées n^arrivent point, ou, si 
elles arrivent, ce n'est ni dans le temps ni dans les circon- 
stances où elles auraient fait un extrême plaisir, t 

% Il faut lire avant que d'être heureux, de peUr dé mou- 
rir sans avoir ri. 



amitié, n est salataire en l'usage des amltiei ordinaires et coutomières, à 
l'endroict desquelles il fanlt employer le mot qu'Aristotefttoit trè8<^k]itiUir t 
« mes amys * il n'y a nul amy t » (Montaigne. SMait, 1, 27.) 

1. M Cette maxime, dit la Harpe, fiùt voir que la Bruyère west pas toujours 
exempi d'o)»curi|^. On peut soup^nner qu'il a voulu dire : 11 faut eé 
donner plus de soins pour se faire pardonner le bien qu'on fait que pouf 
obtenir celui qu'on espère. Mais le dit-il f » Nous croyons, qu'il ne le dit pas, 
et noua écar(oos l'interprétation de la Harpe, qui est aussi celle de M. Hd« 
mardinquer, pour adopter celle que propose M« Oeat^illeur : a II faut bri* 
guer la faveur de ceux que l'on aime , que l'on estime assez pour leur 
vouloir du bien, plu tôt que de ceux qui pourraient en faire. Comme l'a dit 
Sénèque: Ne recevez que de ceux à qui tous voudriez donner*» 

9. Cette expression, empruntée au langage familier, est l'one de celles 
oui se présentent le plus souvent sous la prume de Mme dé Sévigné. Molière 
remploie aussi : « Nous ne prenons guère le chemin de nous rendre ss^es. <* 

3. Corneille^ Bossuet, Saint- Simon ont couramment employé cet adverbe. Il 
est & peu près hors d'usage aujourd'hui . 



I 



DU GOBUH» 67 

Y La Tie lest courte, si ^e m mérite te nom que lors^ 
qa'elle est agréable, puiscpie, «i Ton aousait ensemble toutes 
les heures que Ton passe ayec ce qui plaît, Ton ferait à 
peine d'un grand nombre d'wnées we vie de ^[uslfues 
mois^ 

^ Qu'il est difficile d'être content de quelqu'un i 
4 Ott ne pourrait se défendre de quelque joi^ à yoir pé- 
rir un méchant homme; Ton joukait alors du finiit de sa 
haine, et Ton tirerait de lui teut €• qU'ou en peut espérer, 
qui est le plaisir de sa perte. Sa âiort enfin arrive, mais 
dans une oonjoBstuiu où nos intérôtà ne nous permutteut 
pas de nous eu réjouir s il meurt trop tôt ou trop tard. 

Y II est pénible à un homme fier de fkardonuer à odui mal 
le surprend en fautes et qui se plaint de lui avee raiseu t sa 
fierté ne s'ttdouuit que lorsqu'il reprend ses atantages^ et 
qu'il met l'autre dans son tort. 

^ Gomme nous nous aâisctionnuns de plus en plus aux 
personnes à qui nom faisons du bien, de même nous haïs* 
sons Tiolemment oeux qbe nous avons beauooup ofiénsés* 

^ Il est également difficile d'étouffer dans les commen« 
céments le sentiment des injuresi, et de le eomerY^v aptes 
UD certain nombre d-années. 

^ C'est par faibleâse que Ton hait un ennemi et que l'on 
songe à s'en venger, et c'est par pareese que l'on s'apaise et 
qu'on ne se venge point *. 

f U j a bien autsat de paresse que de faiblesse & sa 
laisser gouverner. 

U ne faut pas penser à gouverner un homme tout d'un 
coup, et sans autre préparation, dans une affaire impor^ 
tante et qui serait capitale à lui ou aux liens ; il sentirait 
d'abord l'empire et l'ascendant qu'on veut prendre sur son 
esprit, et il secouerait le joug par honte ou par caprice : il 
faut tenter auprès de lui les petites choses, et de là le pro- 
grès jusqu'aux plus grandes est immanquable. Tel ne pOu<» 
vait au plus dans les commencements qu'entmpreuâre de le 



1. « La réconciliation avec nos ennemis n'est que le désir de rendre notre 
condition meilleure, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque 
mauTais éTénement. » — « Les hommes ne sont pas seulement suiets à perdre 
le souvenir des injures, ils cessent dé liait* ctul cfiA les ont outragés. L'ap- 
plication de se venger du mal léu^ pafatt une Mrvitàde à laquelle ils ont 
peine à se soumettre. » (La Rochefoucauld.) 



68 CHAPITRE nr. 

faire partir pour la campagne ou retourner à la yille, qui 
finit par lui dicter un testament où il réduit son fils à la lé- 
gitime *. 

Pour gouyemer quelqu'un longtemps et absolument, il 
faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moin» 
qu'il se peut sa dépendance. 

Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui 
au delà sont intraitables et ne se gouvernent plus : on perd 
tout à coup la route de leur cœur et de leur esprit ; ni hau- 
teur ni souplesse, ni force ni industrie, ne les peuvent 
dompter; avec cette différence que quelques-uns sont ainsi 
faits par raison et avec fondement, et quelques autres par 
tempérament et par humeur. 

Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les 
bons conseils, et qui s'égarent volontairement, par la crainte 
qu'ils ont d'ôtre gouvernés. 

D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en 
des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de 
les gouverner à leur tour en des choses graves et de consé- 
quence. 

Drance veut passer pour gouverner son maître, qui n'en 
croit rien, non plus que le public : parler sans cesse à un 
grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il con- 
vient le moins, lui parler à l'oreille ou en des termes mysté^ 
rieuz, rire jusqu'à éclater en sa présence^ lui couper la pa- 
role, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner 
ceux qui viennent faire leur cour ou attendre impatiemment 
qu'ils se retirent, se mettre proche de lui en une posture 
trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée, 
le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le 
familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un 
favori. 

Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche 
à gouverner les autres; il veut que la raison gouverne 
seule et toujours. 

Je ne haïrais pas d'être livré par la confiance à une per- 
sonne raisonnable, et d'en être gouverné en toutes choses, 



1. La légitime est la part à laquelle ont droit les enfants sar les biens de 
leurs père et mère, et dont 'les père et mère ne peuvent les priver par 
dispositions testamentairea. 



DU COEUR. 69 

et absolument, et toujours : je serais sûr de bien faire, sans 
avoir le soin de délibérer; je jouirais de la tranquillité de 
celui qui est gouverné par la raison. 

^ Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisent 
autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres; elles se 
cachent à elles-mêmes : il n'y a point de vice qui n'ait une 
fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide. 

^ On ouvre un livre de dévotion , et il touche ; on en 
ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression 
Oserai-je dire que le cœur seul concilie les choses con- 
traires et admet les incompatibles? 

^ Les hommes rougissent moins de leurs crimes que de 
leurs faiblesses et de leur vanité. Tel est ouvertement in- 
juste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour 
ou son ambition, sans autre vue que de la cacher. 

% Le cas n'arrive guère où. l'on puisse dire : J'étais am- 
bitieux; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours; mais le 
temps vient où l'on avoue que Ton a aimé. 

^ Les hommes commencent par Tamour, finissent par 
l'ambition, et ne se trouvent souvent dans une assiette plus 
tranquille que lorsqu'ils meurent. 

^ Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au- 
dessus de la raison; son grand triomphe est de l'emporter 
sur rintérôt. 

^ L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce pai 
le cœur que par l'esprit. 

^ 11 y a de certains grands sentiments, de certaines ac- 
tions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de 
notre esprit qu'à la bonté de notre naturel. 

^ Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de 
la reconnaissance. 

^ Il faut être bien dénué d'esprit, si l'amour, la malignité, 
la nécessité, n'en font pas trouver. 

^ Il y des lieux que l'on admire : il y en a d'autres qui 
touchent et où l'on aimerait à vivre. 

11 me semble que Ton dépend des lieux pour Tespriti 
l'humeur, la passion, le goût et les sentiments. 

^ Ceux qui font bien mériteraient seuls d'être enviés, s'il 
n'y avait encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire 
mieux : c'est une douce vengeance contre ceux qui nous 
donnent cette jalousie. 



70 CHAPITRE IV. 

Y QaeIqii6»*i2iiB m dëfèadeat d^aimer «t de Uàtê des vere, 
ocMnine de deux faibles qn^ïh n'oftent arguer, Tan du 0€Bûr, 
Tautre de l'esprit. 

Y il y a qaelqnefoit, dâne 1« oonfe de la fie, de ei chers 
plaîeirs et de si tendre» engagements qiié l'on nous défend, 
qu'il est naturel de désirer du moins qu'ils fussent permis : 
de si grands charmes ne penrent être surpassés que par 

li de savoir y renoncer ptr tertu» 



«MMhM^^MMti 



CIUPITRE V. 
DB LA SOCIËTS ET DK LA CGHYERSATIOM. 

Un caractère bien fade est celui de n'en ayoir anoun« 

Y C^est le rôle d'un sot d'être importun t^un homme ha- 
bile sent s'il contient ou s'il ennuie ; il sait disparaître le 
moment qui précède celui où 11 serait de trop quelque 
part 

^ L'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par 
tout pays de cette sorte d'insectes* Un bon plaisant est une 
pièce rare ; à un homme qui est né tel, il est encore fort 
délicat d'en soutenir longtemps le personnage : il n'est pas 
ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer. 

^ Il y a beaucoup d'esprits obscènes, enoore plns demé^ 
disants ou de satiriques, peu de délicats. Pour badiner avec 
grâce et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, 
il faut trop de manières % trop de politesse, et même trop de 
fécondité : c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque 
chose de rien. 

^ Si Ton faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit 
de froid^ de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires, 
l'on aurait honte de parler on d'écouter, et Ton se condam- 
nerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose 
pire dans le oommerod que les discours inutiles. Il faut donc 
s^accommoder à tous les esprits; permettre comme nn mal 
nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions 

t. ManUrea^ pris en bonne part, et en quelque sorte comme synonyme 
de l'expression lour, qu'emploie si sonyent Tautenr. 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 71 

sftf lé goUTefUMie&t présent ou sur Finlérât des priàcea^ U 
débit d68 beattz sentimeats, et qui revienneat toujoum les 
mêmesi : il fàtit laisier Àrcncê parler proverbe et MMindê 
parler de sol, do ses tapeurs, de ses migraines et de ses 
iusouiaiee. 

^ L'on voit des gens qui, dans les conversations ou dans 
le peu de eommerce que Fon a avec eux, vous dégoûtent 
par leurs ridieules expressions, par la nouveauté, et j'ose 
dife par Timpropriété des termes dont ili se servent, oomme 
par raUianee de certains mots qui ne se rencontrent en* 
semble que dans leur bouobe, et à qui ils font signifier des 
oboses que leurs premiers inventeurs n'ont jamais eu inten» 
tion de leur faire dire. Ils ne suivent, en parlant, ni la rai* 
son ni l'usage, mais leur bizarre géiiie, que Tenvie de ton*- 
jours plaisanter, et peut^re de briller, tourne insensiblement 
à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur 
idiome naturel ; ils accompagnent un langage ai eitrava- 
gant d'un geste affecté et d'une prononciation qui est con<- 
trefaite. Tous sont oontents d'eux-mêmes et de l'a^ément 
de leur esprit, et l'on ne peut pas dire qu'Us en soient en- 
tièrement dénués ; mais on les plaint de ce peu qu'ils en 
ont, et, ce qui est pire, on en soufre* 

% Que dite»«vous? Comment? Je n'y suis pas : vous plai- 
rai^il de recommencer? J'y suis encore moins< Je devine 
enfin : vous voulez, AoU, me dire qu'il fait froid ; que ne di- 
aiez-vous : Il fait froid? Vous voulez m'apprendre qu'il pleut 
ou qu'il neige; dites : Il pleut, il neige. Vous me trouvez 
bon visage et vous désirez m'en féliciter; dites : Je vous 
trouve bon visage. *-^ Mais, répondez-vous, cela est bien uni 
et bien clair; et d'ailleurs, qui ne pourrait pas en dire au- 
tant? — Qu'importe, Aois? Eat-oe un si grand mal d'ôtre 
entendu quand on parle et de parler comme tout le monde? 
Une cbose vous manque, Âcis, à vous et à vos semblables, 
les diseurs de phébus*; vous ne vous en défiez point, et je 
fais vous jeter dans Fétonnement s une obose vous manque» 
s'est l'esprit. Ce n'est pas tout : il y a en vous une chose 
de trop , qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres ; 
voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases 
embrouillées et de vos grands mots qui ne signifient rien. 

1. Phibui, langage obscur et 4^ *«c*«Jt/\.|^ 



72 CHAPITRE V. 

Vous abordez cet homme, ou vous entres^ dans cette cham- 
bre ; je TOUS tire par votre habit et vous dis à Toreille : Ne 
songez point à avoir de l'esprit, n'en ayez point ; c'est votre 
rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple et tel que 
Tout ceux en ^qui vous ne trouvez aucun esprit ; peut-être 

y alors croira-t-on que vous en avez. 

^ % Qui peut se promettre d'éviter dans la société des hommes 
la rencontre de certains esprits vains, légers, familiers, dé- 
libérés , qui sont toujours dans une compagnie ceux qui 
parlent et qu'il faut que les autres écoutent? On les entend 
de Tantichambre; on entre impunément et sans crainte de les 
interrompre : ils continuent leur récit sans la moindre atten- 
tion pour ceux qui entrent ou qui sortent, comme pour le 
rang ou le mérite des personnes qui composent le cercle ; 
ils font taire celui qui commence à conter une nouvelle, pour 
la dire de leur façon, qui est la meilleure ; ils la tiennent de 
Zatnet^ de Ruccelay ou de Conchini *, qu'ils ne connaissent 
point, à qui ils n'ont jamais parlé, et qu'ils traiteraient de 
Monseigneur s'ils leurs parlaient; ils s'approchent quel- 
quefois de l'oreille du plus qualifié de rassemblée, pour le 
gratifier d'une circonstance que personne ne sait et dont ils 
ne veulent pas que les autres soient instruits ; ils suppri- 
ment quelques noms pour déguiser l'histoire qu'ils racon- 
tent et pour détourner les applications : vous les priez, vous 
les pressez inutilement ; il y a des choses qu'ils ne diront pas, 
il y a des gens qu'ils ne sauraient nommer, leur parole y est 
engagée ; c'est le dernier secret, c'est un mystère ; outre que 
vous leur demandez l'impossible, car, sur ce que vous voulez 
apprendre d'eux, ils ignorent le fait et les personnes. 

1. Sans dire montwtr» iNote de la Bruyère,) 

Il totoie en parlant ceux du plus haut étage, 
Bt le nom de monsieur est chez lui hors cPusage. 
(Molière, le Misanthrope, H, v.) 

Ces trois noms appartiennent à la première partie du dix-septième siècle, 
et tiennent la place de ceux des fayoris du jour. — Zamet (1649-1614), fi- 
nancier italien, joua souvent un rèle fort peu honorable à la cour de 
France, où il était venu à la suite de Catherine de Hédicis. — L'ahbé Kuc- 
cellai, gentilhonune florentin, introduit à la cour par Goncini, prit part à 
toutes les intrigues de la régence de Marie de Médicis. Exilé de la cour, 
il mourut en 1627. — Concini, maréchal d'Ancre, avait été comblé d'hon- 
neurs, d'argent et de dignités. Sa fortune rapide, ses hauteurs, son esprit 
de domination lui firent un grand nombre d'ennemis. Louis XIII ayant 
donné à Vitry Tordre de l'arrêter mort ou vif, il fut tué dans la cour du 
LcDvre. le 24 avril 1617. 



DE LA SOCIÉré ET DE LÀ CONVERSATION. 73 

^ Ârrias a tout lu, a tout tu, il veut le persuader ainsi; 
c'est un homme universel, et il se donne pour tel ; il aime 
mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque 
chose. On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord : 
il prend la parole et Tôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils 
en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme 
s'il en était originaire ; il discourt des mœurs de cettei cour, 
des femmes du pays » de ses lois et de ses coutumes ; il ré* 
cite des historiettes * qui y sont arrivées ; il les trouve plai- 
santes et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se 
hasarde de le contredire et lui prouve nettement qu'il dit 
des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble 
point , prend feu au contraire contre l'interrupteur : c Je 
n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'ori- 
ginal; je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans 
cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours , que je 
connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne 
m'a caché aucune circonstance. > U reprenait le fil de sa 
narration avec plus de confiance qu'il ne Tavait commencée, 
lorsque l^un des conviés lui dit : c C'est Sethon à qui vous 
parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade *. > 

^ 11 y a un parti à prendre, dans les entretiens, entre 
une certaine paresse qu'on a de parler, ou quelquefois un 
esprit abstrait', qui, nous jetant loin du sujet de la conver- 
sation, nous fait faire ou de mauvaises demandes ou de 
sottes réponses; et une attention importune qu'on a au 
moindre mot qui échappe, pour le relever, badiner autour, 
y trouver un mystère que les autres n'y voient pas, y cher- 
cher de la finesse et de la subtilité , seulement pour avoir 
occasion d'y placer la sienne^. 

% Être infatué de soi et s'être fortement pers.uadé qu'on 
a beaucoup d'esprit, est un accident qui n'arrive guère qu'à 
celui qui n'en a point ou qui en a peu : malheur, pour lors, 
à qui est exposé à l'entretien d^in tel personnage! combien 

1. Réciter était synonyme de raconter. 

2. Pareille méâftveDtare était, dit-OD, arrivée à Robert de Chatillon, pro- 
cureur an Ghatelet. Montesquieu s'est souvenu de ce trait dans les Lettrée 
persanee (lettre 72), et Delille Va. mis en vers dans son poëme de la Couver- 
sation. La Bruyère, de son c6té, avait pu se rappeler le Crrand Parleur d# 
Thécphraste en écrivant ce caractère et le précédent. 

3. Voyez, p. 10, la note 2. 

%. Sa finesse ou sa subtilité. 



74 CHAPITRE V. 

dé JdliM i^hMlal lui fâttdf à-Vil eisttye? I cdiiMéii da eos mots 
aténturien* qui pâvaisseat finbitement, âufoil «ui tetapa, 
et que bientôt on se Mteit pin* I S'il oonte une noatelle , 
c^eit moins pouy rAppfendiie à denx qui Técontent qne pour 
avoir le méi^ite de la dire , et de la dire bien ; elle devient 
nn roman entre ses maint t il lidt penser les gens à sa ma- 
nière t leur met en la bonehe ses petites façons de parler, 
et les fait tenjonn parler longtempe; iltpmbe^isttiteenâes 
pafenflièees qai peuvent passer pour épisodes « mais qui 
font o«d»lief le gros de rbistoire, et à lui qui vous parle, et 
à vous qui le sopportea« Que serait>*oe de vous et de lui , si 
quelqu'un ne survenait beureusement pou? déranger le 
cercle et faire oublier la narration ? 

% J'entends néodectê de l'antichambre ; 11 grossit sa voix 
à mesure qu'il s'approobe. Le voilà entré s il rit, il orie, il 
dclate; on bouche sea oreilles, c'est un tonnerre. Il n*est 
pas moins redoutable par les choses qu'il dit que par le ton 
dont il parle. Il ne s'apaise et il ne revient de ce grand 
ITaoas que pour bredouiller des venités ' et des scittisés. U a 
ai peu d'égard au temps, aux personnes, aux bienséanoes, 
que chacun a son fait sans qu'il ait eu inten^on de le loi 
donner; il n'est pas eneore assis qu'il a, à son insu, déso- 
bligé toute rassemblée. l«t*on servi, il se met le premier à 
table^ et dans la première place ; les femmee sont à sa droite 
et à sa gauche. Il mange, il boit, il conte, il plaisante, il 
interrompt tout à la fois. D n'a nul disoemement des per- 
sonnes, ni du maître, ni des conviés; il abuse de la folle 
déférence qu'on a pour lui. Est-ce lui, est-ce Eutidèmê qtU 
donne le repas? Il rappelle a soi toute l'autorité de la table , 
et il 7 a un moindre inconvénient à la lui laisser entière 
qu'^ la lui diQ^uter. Le vin et les viandes n'ajoutent rien è 
son oaractère. Si l'on joue, il gagne au jeu ; û veut railler 
celui qui perd et il l'offense ; les rieurs so{it pour lui; il n'y 
a sorte de fatuités qu'on ne lui passe. Je cède enfin et je 
disparais, incapable de souffrir plus longtemps Théodecte 
et ceux qui le souffrent. 

^ Trdik est utile à cçux qui ont trop de bien ; il leur 

1. Motê cuûêniwrfers, L'expréssioD semble apDâitenir à la Brayère. Suinta 
Evremond dit, en faisaot également un ad jectifa'avenfufter :« Le maréchal 
de Gaston, si aventurier pour lea partis et si brasque à les chercher. » 

2. Des choses yaines. 



DE. LA SOCIÉTÉ Et DE LA CONVERSATION. 75 

file Fembamu» Au âupérfla ; il leur sauve la petne d'amasser 
de Pargeat, défaire des contrats, de fermer des coftres, de 
porter des clefs sur soi et de craindre un vol domestique. 
n les aide dans leurs plaisirs, et il deyient capable ensuite 
de les servir dans leurs passions; bientôt il les règle et les 
maîtrise dans leur conduite. Il est l^oracle d'une maison, 
celui dont on attend, que dis-jet dont on prévient, dont on 
devine les décisions. U dit de cet esclave : c II faut le punir, » 
et on le fouette ; et de cet autre : c II faut Pafhranchir, i et on 
rafl^anchit. L'on voit qu'un parasite ne le fait pas rire; il 
peut lui déplaire : il est congédié. Le mattre est heureux 
si Trotte lui laisse sa femme et ses enfants. Si celui-ci est à 
table, et qu'il prononce d'un mets qu'il est friand, le maître 
et les conviés , qui en mangeaient sans réflexion, le trou- 
vent friand et ne s'en peuvent rassasier ; s'il dit au con- 
traire dhm autre mets qu'il est insipide, ceux qui commen- 
çaient à le goûter, n'osant avaler le morceau qu'ils ont à la 
bouche, ils le jettent à terre * : tous ont les yeux sur lui , 
observent son maintien et son visage avant de prononcer 
sur le vin ou sur les viandes qui sont servies. Ne le cher- 
chez pas ailleurs que dans la maison de ce riche qu'il gou- 
verne : c'est là quHl mange, quHl dort et quil fait digestion, 
qu*il querelle son valet, qu'il reçoit ses ouvriers et qu*îl 
remet ses créanciers. Il régente, il domine dans une salle; 
il y reçoit la cour et les hommages de ceux qui, plus fins 
que les autres, ne veulent aller au maître que parTroïIe. Si 
ron entre par malheur sans avoir une physionomie qui lui 
agrée, il ride son front et il détourne sa vue ; si on l'aborde, 
n ne se lève pas ; si l'on s^assied auprès de lui, il s'éloigne ; 
si on lui parle, il ne répond point; si l'on continue de par- 
ler, il passe dans une autre chambre; si on le suit, il gagne 
Tescalier ; il franchirait tous les étages, ou il se lancerait 
par une fenêtre plutôt que de se laisser joindra par quel- 
qu'un qui a un visage ou un son de voix qu'il désapprouve. 
L'un et l'autre sont agréables en Troile, et il s'en est servi 
heureusement pour s'insinuer ou pour conquérir. Tout de- 
vient, avec la temps, au-dessous de ses soins, comme il est 

1. A Gdtte époqae, on Jetidt à terra, et cel» daot le neUtoiur moude, ce 

3^e l'on a^ait en trop dans aon terre ou dan» son assiette. Voyez plus loin, 
ans le caractère du distrait, Ménalque voulant jeter à terre le vin qu'on lui 
a Tersé de trop. 



76 CHAPITRE V. 

au'dessus de Youloir se soutenir* ou continuer de plaire 
par le moindre des talents qui ont commencé à le faire va- 
loir. C'est beaucoup qu'il sorte quelquefois'de ses méditations 
et de sa taciturnité pour contredire, et que même pour cri- 
tiquer il daigne une fois le jour avoir de l'esprit. Bien loin 
d'attendre de lui qu'il défère à vos sentiments, qu'il soit 
complaisant, qu'il vous loue, vous n'êtes pas sûr qu'il aime 
toujours votre approbation, ou qu'il souffre votre complai- 
sance. 

^ Il faut laisser parler cet inconnu que le hasard a placé 
auprès de vous dans une voiture publique, à une fête ou à 
un spectacle ; et il ne vous coûtera bientôt pour le connaître 
que de l'avoir écouté : vous saurez son nom, sa demeure , 
son pays, l'état de son bien, son emploi, celui de son père, 
la famille dont est sa mère, sa parenté, ses alliances, les 
armes de sa maison; vous comprendrez qu'il est noble, 
qu'il a un château, de beaux meubles, des valets et un car- 
rosse *. 

^ Il y a des gens qui parlent un moment avant que d'avoir 
pensé. Il y en a d'autres qui ont une fade attention à ce qu'ils 
disent, et avec qui l'on souffre dans la conversation de tout 
le travail de leur esprit ; ils sont comme pétris de phrases 
et de petits tours d'expression, concertés dans leur geste et 
dans tout leur maintien ; il sont puristes ', et ne hasardent 
pas le moindre mot, quand il devrait faire le plus bel effet 
du monde ; rien d'heureux ne leur échappe , rien ne -coule 
de source et avec liberté : ils parlent proprement* et en- 
nuyeusement. 

^ L'esprit de la conversation consiste bien moins à en 
montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres : celui 
qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit 

1. 11 serait peut-être difficile de trouYer ailleurs que dans la Bruyère 
des exemples de cette tournure. 

2. Od peut rapprocher de cette réflexion Vltnpertinont ou le diseur de 
rien, de Tbéophraste. 

3. Gens qui afifectentune ^nde pureté de langage. {Noie de la Bruyère,) 

4. PropremerU est d'ordinaire, au dix-septième siècle, synonyme dV- 
légcmiment. Hais il s'agit ici de la correction du langage et de la propriété 
des termes. La Bruyère fait la guerre aux puristes après l'avoir faite 
(p. 71) aux gens qui « vous dégoûtent par l'impropriété des termes », blâ- 
mant ainsi les deux excès contraires. — a Le parler que j'ayme, dit Mon- 
taigne, c'est un parler simple et naif, un parler succuleDt et nerveux, court 
et serré, non tant délicat et peigné comme véhément et brasque..., éloigné 
d'affectation, desreglé, descousu et bardy.... (Eteaia^ 1, 35.) 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 77 

Test de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à 
TOUS admirer, ils yenlent plaire; ils cherchent moins à être 
instruits, et même réjouis, qu'à être goûtés et applaudis; 
et le plaisir le plus délicat est de faire celui d'autrui. 

^ Il ne faut pas qu'il y ait trop d'imagination dans nos 
conversations ni dans nos écrits ; elle ne produit souvent 
que des idées vaines et puériles, qui ne servent point à 
perfectionner le goût, et à nous rendre meilleurs : nos 
pensées doivent être prises dans le bon sens et la droite 
raison, et doivent être un effet de notre jugement. 

% C'est une grande misère que de n'avoir pas assez d'es- 
prit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire. 
Voilà le principe de toute impertinence. 

^ Dire d'une chose modestement ou qu'elle est bonne ou 
qu'elle est mauvaise, et les raisons pourquoi elle est telle, 
demande du bon sens et de l'expression *, c'est une affaire. 
Û est plus court de prononcer, d'un ton décisif et qui em- 
porte la preuve de ce qu'on avance, ou qu'elle est exécra- 
ble, ou qu'elle est miraculeuse. 

^ Rien n'est moins selon Dieu et selon le monde que 
d'appuyer tout ce que l'on dit dans la conversation, jusques 
aux choses les plus indifférentes, par de longs et de fasti- 
dieux serments*. Un honnête homme qui dit oui et non' 
mérite d'être cru : son caractère jure pour lui, donne créance^ 
à ses paroles, et lui attire toute sorte de confiance. 

^ Celui qui dit incessamment qu'il a de l'honneur et de 
la probité, qu'il ne nuit à personne, qu'il consent que le 
mal qu'il fait aux autres lui arrive, et qui jure pour le faire 
croire, ne sait pas même contrefaire l'homme de bien. 

Un honmie de bien ne saurait empêcher, par toute sa 

1. De l'habileté dans VezpressioD. 

2. La Bruyère note et blâme une habitude trèa-fréauente cbea les gens 
de couTj et que Molière avait déjà constatée lorsqu'il faisait dire à son Al- 
ceste, 81 passionné pour la vérité et le naturel : 

De protestations, d'offres et de serments 
Vous chargez la fureur de vos embrassements. 
(Le Jtisanthrope, 1, 1 .) 

3. Soit qn'il dise oui, soit qu'il dise non . 

4. Donner créance , était plus souvent pris dans le sens de croire, que 
dans celui de rendre croyable, b&m où l'emploie la Bruyère. «David, ayant 
donné créance aux impostures de Siba, » dit Pasoil; et Racine, dans J^rt- 
êannicusjlll, Tt 

Seigneur, à vos sonpcons downex moins de créance. 



n CHAPmuE V. 

modestie, qu'(m ne dise de loi ce qu'wi melboimtte homme 
sait dire de eoi* 

Y Cléan pftrle peu obligeemmeat ou peu juste, c'est Tua 
ou Tautre; mais il ajoute qu'il est fait ainsi, et qu'il dit ce 
qu'il pense* 

Y II y a parler bieui parler aisément, parler justot parler 
h propos. C'esl p^ober contre ce dernier genre que de s*é« 
tendre sur un repas magnifique que Ton vient de laire, de* 
vaut des gens qui sont réduits à épargner leur pain; de dire 
merveilles de sa santé devant des infirmes 4 d'entretenir de 
ses ricbeseest de ses revenus et de bw ameublemeoU, un 
boauae qui n'a ni rentes ni domicile ; en un mot, de parler 
de son bonheur devant des misérables : cette conversation 
est trop forte pour eus, et la comparaison qu'ils font alors 
de leur état au vôtre est odieuse. 

f f Pour vous, dit By4iphr(mi voua (itea riche, ou vous 
devez Tétre t dix mill^ livres de rentOi et en fonds de t^rre» 
cela est beau S delà est doux, et l'on est heureux 4 moins» § 
pendant que lui qui parle ainsi a cinquante mille livres de 
revenu, et qu*il croit n'avoir que la moitié de ce qu'il mé- 
rite. Il vous tazot il vous apprécist U fixe votre dépense, et 
s'il vous jugesit digne d'une meilleure fottune, et de celle 
même où il aspire, il ne manquerait pss de vous la souhaiter* 
Il n'eet pas le seul qui fasse de si mauvaises estimations ou 
des comparaisons si désobligeantes; le monde est plein 
d'Ëutiphrons. 

Y Quelqu'un, suivant la pente de la coutume qui veut 
qu'on loue^ et par l'habitude qu'il a ii la flatterie et à Texa* 
gération, congratule ' TModèin$- sur un discours qu'il n'a 
point entendu, et dont personne n'a pu encore lui rendre 
compte : il ne laisse pas de lui parler de son génie, de son 
geste, et surtout de la fidélité de sa mémoire $ et il est vrai 

que Théodème est demeuré court- 

^ L'on voit des gens brusques, inquiets, $uffiêaÊU$^<, qui, 

1. Et, pour le dire en pasfiapt, cela 4tftU betu en effet, car les ioooo 11* 
yres de rente auxquelles Eutiphron taxait son interlocuteur en vaudraient 
aujourd'hui 59 000 ; les 50 000 livres quUl avait tui-ttètotè éu Vaudraient 
tBOooo. M&isiei les chiffres ne sont rien, et la pensée dé l'auteur ne porte 
que sur la feçon Si différente qoe nous avons ë*ettvisa|;er les choses suivant 
qufil s'agit des autres ou de nous-mémas. 

3. Congratuler ne se dit plus qu'avec une nuance de pUiéanterie. 

s. Les mots qui sont iwyrunés en Mique dan» I9 coarpdM Carêctires, 



DE LA SOCIÉTÉ ET M M CONVERSATION. 79 

bien qu'gisifs 9t «an» «ucue affaira qui les app«Ue aiUaara, 
TOUS expédiant S pour ainsi dire, en peu de paroles, et ne 
songent qu'à se dégager de vous; on leur parle enoore, 
qu'ils sont partis et ont disparu. Ils ne sont pas moins in^ 
pertinents que oeux qui vous arrêtent seolement pouf tous 
ennuyer; ils sont peut-être moius inoommodes. 

^ Parler et offenseri pour de certaines gens, est pi^éeiaé^ 
ment la même chose. Us sont piquants et amers ( leur style 
est mêlé de fiel et d'absinthe; la raillerie, Tinjure, rinsnlta^ 
leur déooulent des lèvres oomme leur saliye. Il leur serai) 
utile d'être nés muets ou stupides : oe qu'ils ont de viTaoité 
et d'esprit leur nuit dayantage que ne fait k quelques autres 
leur sottise*. Ils ne se contentent pas toujours de répliquer 
avec aigreur, ils attaquent souvent aveo insolenoe; ils frap« 
peut sur tout ce qui s» trouve sous leur langue, sur les pré* 
sents, sur les absents; ils heurtent de front et de côté, 
comme des béliers* Demaude«lKm à des béliers qu'ils n'aient 
pas de cornes T De môme n'espère-t-on pas de réformer par 
cette peinture des naturels si durs, si farouches, si indo- 
cileSé Ce que Ton peut faire de mieux, d*auB8i loin qu'on les 
découvre, est de les tulr de toute sa force et sans regarder 

derrière soi *é 

f II y a de» gens d*uue certaine étoife ou d'un certain 
caractère avec qui il ne faut jamais se commettre» de qui 
l'on ne doit se plaindre que le moins qu'il est possible, et 
contre qui il n'est pas même permis d'avoir raison. 

^ Entre deux personnes qui ont eu ensemble une violenta 



sont de« «[pressioDi (jae Vaateur «opligne pour dsi a^oUfg <UT«n, Mots 
nouTeaux oa rareioeot usités, mots pris «v«q uoo sc<M»ptiQn dout«11«, modi 
empruntés attUngage fsmUler de}» çonTQrsstiop, mots («(^niques, moM 
sur lesquels Ttoteur Tsut Insister et appeler l'attentiop : autant de motf 
que l'auteur souligne. — Suffisant se prenait presque toujours «q bonne 
j>art, et l'acception qu'il a dans cette phrase était encore nouvoUOi ?uf0« 
tière, toutefois, la donne dans son dictionnaire. • 

i. On ea;pédiaU les affaires ; on ne disait pas encoro comme auioHrd'boi* 
ea^iiivr quelqu'un dans le sens oU le dit la STUy^re. 

2, Davantage qw ; cette locution, proscrite au;Qurd*l>qi par Iss graoun^- 
riens. a été employée iadi$ par les meUleura écrtfains, 

3. La Bruyère a iituté ce trait de Tbéophraste, ei même a textuellement 




de UntU f d forc^ tt som regarder derrière eoi. » Après les avoir transportés 
dans cette réflexion qui parut en lç90, U effara de b« traduction les moti 
soaUgnés sans les remplacer par d'autres. 



80 CHAPITRE V. 

querelle, dont l'un a raison et Tautre ne Pa pas *, ce que la 
plupart de ceux qui y ont assisté ne manquent jamais de 
faire, ou pour se dispenser de juger, ou par un tempéra- 
ment qui m'a toujours paru hors de sa place, c'est de con- 
damner tous les deux: leçon importante, motif pressant et 
indispensable de fuir à Torient quand le fat est à Toccident, 
pour éviter de partager avec lui le môme tort *. 

^ Je n'aime pas un homme que je ne puis aborder le 
premier, ni saluer avant qu'il me salue, sans m'avilir à ses 
yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu'il a de lui- 
même. Montaigne dirait ' : Je veux avoir mes coudées fran- 
ches , et être courtois et affable à mon point *j sans remords ne* 
conse(^ience. Je ne puis du tout estriver^ contre mon penchant j 
et aller au rebours de mon naturel^ qui m'emmeine vers celuy 
que je trouve à ma rencontre. Quand il m'est égal^ et qu'il ne 
m'est point ennemy, j'anticipe sur son accueil ' ; je le ques- 
tionne sur sa disposition et santé ; je luy fais offre de mes of- 



1. Comme il arrive soavent aa dix- septième siècle et même aa dix- 
huitième, le pronom la se rapporte à un substantif indéterminé, à raison : 
ce que ne permet plus la grammaire. « Il ne suffit pas d'avoir raison, dit 
Fénelon ; c'est la gâter, c'est la déshonorer que de la soutenir d'une ma- 
nière brusque et hautaine. » Pascal offre un exemple du même tour dans la 
!%• lettre des Provinciales. R&cme a dit de même dans Mithridate : 

Quand je me fais justice, il faut qu'on se la fasse. 

3. Pour éviter d'avoir une querelle arec lui, et d'être condamné par la 
suite avec lui. — Cette phrase a donné lieu, dans les premières années du 
dix-huitième siècle, à i^ne discussion singulière entre un critique et un 
apologiste de la Bruyère. Une faute d'impression s'était glissée dans la 
9* édition, et l'on y lisait : « Pour éviter de partager le même ton. » L'auteur 
des Sentiments critiques des caractères de M. de la Bruyère avait la 9* édi- 
tion sous les yeux lorsqu'il écrivit son livre. Il déclara que, d'une pan, l'ex- 
pression parto^er le même ton ne lui semblait pas claire, et que, de l'autre, 
c'était mal parler que de l'employer, « car un ton ne se partage point. » L'a- 
pologiste ne voulut point accorder que la critique pût être juste, et soutint 
bravement oue la Bruyère s'était servi d'une allégorie ingénieuse. 

S. Imité ae Montaigne. (Note de la Bruyère.) 

%. A ma mesure. 

5. Ni. 

6. Estrivert entrer en querelle. Ce mot était encore employé du temps de 
la Bruyère, témoin le dictionnaire de Furetière. 

7. Je devance son bon accueil. — De la cinquième édition, la première 
qui contienne ce pastiche de Montaigne , èi la huitième, on lit : « J'anticipe 
son bon accoeil. » C'est ainsi qu'il a été dit par Montaigne ; « Il y en a qui 
de frayeur anticipent les mains du bourreau » (Essais, I, 91), et par Pascal 
dans ses Pensées : « Nous ne tenons jamais au présent : nous anticipons 
l'avenir comme trop lent. » — « J'anticipe «tir son accueil, » variante de 
la 9* édition, n'était donc pas une correction nécessaire. Bientôt toutefois, 
dans ce même sens, on dira le plus souvent anticiper sttr : « Vous astici- 
pei «tir nos espérances, » écrit Mme de Sévigné. 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 81 

^s, sans tant marchander sur le phts ou sur le moins, ne étre^ 
comme disent aucuns^ sur le qui vive, Celuy-là me dépkdst, 
quiy par la connoissance que j*ay de ses coutumes et façons 
d^agir^ me tire de cette liberté * et franchise. Comment me res- 
souvenir tout à propos y et d* aussi loin que je vois cet homme ^ 
d^emprunter une contenance grave et importante^ et qui Vaver- 
tisse que je crois le valoir bien et au delà? pour cela de me ra- 
mentevoir * de mes bonnes qualitez et conditions ^ et des siennes 
mauvaises , puis en faire la compa/raison? C'est trop de tror 
vail pour,moy, et ne suis du tout capable de si roide et si su- 
bite attention; et quand bien elle m*auroit succédé* une pre- 
mière foiSy je ne laisserois de fléchir et me démentir à une 
seconde tâche : je ne puis me forcer et contraindre pour quel- 
conque* à être fier, 

^ Avec de la vertu, de la capacité et une bonne conduite, 
Ton peut être insupportable. Les manières, que Ton néglige 
comme de petites choses, sont souvent ce qui fait que les 
hommes décident de vous en bien ou en mal : une légère 
attention à les avoir douces et pdies prévient leurs mau- 
vais jugements. Il ne faut presque rien pour être cru fier, 
incivil, méprisant, désobligeant ; il faut encore moins pour 
être estimé tout le contraire. 

^ La politesse n'inspire pas toujours la bonté, l'équité, la 
complaisance, la gratitude; elle en donne du moins les appa- 
rences, et fait paraître Thomme au dehors comme il devrait 
être intérieurement. 

L'on peut définir Tesprit de politesse. Ton ne peut en 
fixer la pratique : elle suit Fusage et les coutumes reçues ; 
elle est attachée aux temps, aux lieux, aux personnes, et 
n*est point la même dans les deux sexes ni dans les diffé- 
rentes conditions : l'esprit tout seul ne la fait pas deviner ; 
il fait qu'on la suit par imitation, et que Ton s'y perfec- 
tionne. Il y a des tempéraments qui ne sont susceptibles 
que de la politesse, et il y en a d'autres qui ne servent 
qu'aux grands talents ou à une vertu solide. Il est vrai que 
les manières polies donnent cours au mérite et le rendent 

( 

1 . Me force à sortir de cette liberté. 
3. Mesootenir. 

3. Réussi. Molière et la Bruyère loi-mème oot employé ce mot dans le 
Djème sens* 
%. Pour qai que ce soit. 

6 



82 CHAPITRE V. 

agréable, el qu'il faut ayoîr de bien émitie&tes qttafités 
pour 86 soutenir sa&s la politôsâe. 

Il me semble que Tesprit de politesse est une certaine 
attention à faire que, par nos paroles et par nos manières, 
les autres soient contents de nous et d'eux-mêmes S 

^ C'est une faute contre la politesse que de louer immo- 
dërément, en présence de ceux que vous faites chanter ou 
toucher un instrument, quelque autre personne qui a ces 
mêmes talents; comme devant ceux qui vous lisent leurs 
vers, un autre poëte. 

^ Dans les repas ou les fêtes que l'on donne aut autres, 
dans les présents qu^on leur fait et dans tous les plaisirs 
qu'on leur procure, il y a faire bien, et faire selon leur 
goût; le dernier est préférable. 

^ Il y aurait une espèce de férocité à rejeter indifférem- 
ment toutes sortes de louanges; l'on doit être sensible à 
celles qui noQS viennent des gens de bien, qui louent ea 
nous sincèrement des choses louables. 

^ Un homme d'esprit et qui est né fier ne perd tien de 
sa fierté et de sa roideur pour se trouver pauvre ; si quel- 
que chose au contraire doit amollir son humeur, le rendre 
plus doux et plus sociable, c'est un peu de prospérité. 

T Ne pouvoir supporteir tous ks mauvais caractères dont 
le monde est plein n'est pas un fort bon caractère : il faut, 
dans le commerce, des pièces d'or et de la monnaie. 

Tf Vivre avec des gens qui sont brouillés et dont il faut 
écouter de part et d'autre les plaintes réciproques, c'est, 
pour ainsi dire, ne pas sortir de l'audience, et entendre du 
matin au soir plaider et parler procès. 

^ L'on sait des gens qui avaient coulé leurs jours dans 
une union étroite : leurs biens étaient en commun; ils n'a- 
vaient qu'une même demeure; ils ne se perdaient pas de 
vue. Ils se sont aperçus à plus de quatre-vingts ans qu'ils 
devaient se quitter Tun l'autre et finir leur société ; ils n'a- 
vaient plus qu'un jour à vivre, et ils n'ont osé entreprendre 
de le passer ensemble; ils se sont dépêchés de rompre avant 
que de mourir; ils n'avaient de fonds pour la complaisance 
que jusque-là. Ils ont trop véo«i pour la boa exemple; un 

1 . « La politesse de Tesprit cooeiste à penser des choses honnêtes et dé- 
licates. La galanterie de Tesprit est de dire des choses flatteuses d'une ma- 
nière a{;réable. » (La Rochefoucauld.) 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 83 

moment plus tdt îk môtiraleflt sociables et laissaient après 
eux un rare modèle de la persérérance dans l'amitié *. 

Tf L'intérieur des familles est souvent troublé par les dé- 
fiances, par les jalousies et par Tantipathie, pendant que 
des dehors eontents, paisibles et enjoués, nous trompent et 
nous y font supposer une paix qui n'y est point î il y en a 
peu qui gagnent à être approfondies. Cette visite que vous 
rendes vient de suspendre une querelle domestique qui 
n'attend que votre retraite pour récommeneer. 

f Dans la société, c'est la raison qui plie la première. 
Les plus sages sont souvent menés par le plus fou et le plus 
bizarre : l'on étudie son faible, son humeur, ses caprices ; 
Fon s'y accommode ; l'on évite de le heurter; tout le monde 
lui cède, ta moindre sérénité qui paraît sur son visage lui 
attire des éloges; on lui tient compte de n'être pas toujours 
insupportable. & est craint, ménagé, obéi, quelquefois 
8xmé. 

% Il n'y à que ceux qui ont eu de vieux collatéraux ou qui 
en ont enoore, et dont il s'agit d'hériter, qui puissent dire 
ce qu'il en coûte. 

1 Cléante est uii três-honnôte homme; il s'est choisi une 
femme qui est la meilleure personne du monde et là plus 
raisonnable : chacun, de sa part •, fait tout le plaisir et tout 
l'agrément des sociétés où il se trouve ; Ton ne peut voir 
ailleurs plus de probité, plus de politesse. Ils se quittent 
demain, et l'acte de leur séparation est tout dressé chez le 
notaire. H y a, sans mentir, de certains mérites qui ne sont 
point faits pour être ensemble, de certaines vertus incom- 
patibles ^ 

^ L'on peul ciMaptelr sAriio^ siur U dat, le douaire et 



1. Vers la fin du di^septfème «fèdfé, U séparattcrii de deux amie qui 
avaient longtempe iNéoa eDftembte et dao» ta plus grande Intimicéj GoorUn et 
Sunt-Romaln, Fua et rauirecouseillers d'Ëtat. fit grand bruit à la cour et à 
la ville. Les commentateurs de la Bruyère ont ananiffiement prétendu qae 
ce passage avait été écrit au sujet de leur brouilie. Hais il étnt déjà publié 
lorsque Courtin et Saint-Romain se séparèrent. 

3« De son eôté. 

3. « Il y a quelq[nefoi8, dit Ptntarque au sujet d^ine séparation seili- 
blable. de petites hargnes et riottes souvent répétées, pro(ïédantes de quel- 

Sues foscdneases conditions, ou de quelque disdimilUude ou incompatibilité 
e nature, que les esti'angers ne cognoisseét pas, lesquelles, par succession 
de temps, engendrent de si grandes aliénations de volontés entre des per- 
sonnes qu'elles ne peuvent plus vivre ny habiter ensemble* » {fie iê Pcsu" 
fou £mi/ti4;, cbap. m de la version d^Amyot.) 



84 CHAPITRE V. 

163 conventions , mais faiblement sur les nowrritivres ' ; elles 
dépendent d'une union fragile de la belle-môre et de la bru, 
et qui périt souvent dans Tannée du mariage. 

^Un beau-père aime son gendre, aime sa bru*. Une 
belle-mère aime son gendre , n'aime point sa bru. Tout est 
réciproque. 

^ Ce qu'une marâtre aime le moins de tout ce qui est au 
monde, ce sont les enfants de son mari : plus elle est folle 
de son mari, plus elle est marâtre. 

Les marâtres font déserter les villes et les bourgades , et 
ne peuplent pas moins la terre de mendiants, de vagabonds, 
de domestiques et d'esclaves que la pauvreté. 

^ G** et H*** sont voisins de campagne, et leurs terres 
sont contiguëa ; ils habitent une contrée déserte et solitaire. 
Éloignés des villes et de tout commerce,, il semblait que la 
fuite d^une entière solitude ^y ou Tamour de la société eût 
dû les assujettir à une liaison réciproque; il est cependant 
difficile d'exprimer la bagatelle qui les a fait rompre, qui 
les rend implacables l'un pour l'autre, et qui perpétuera 
leurs haines dans leurs descendants. Jamais des parents, et 
même des frères, ne se sont brouillés pour une moindre chose. 

Je suppose qu'il n'y ait que deux hommes sur la terre , 
qui la possèdent seuls et qui la partagent toute entre eux 
deux : je suis persuadé qu'il leur naîtra bientôt quelque 
sujet de rupture, quand ce ne serait que pour les limites. 

^ Il est souvent plus court et plus utile de cadrer aux 
autres* que de faire que les autres s'ajustent à nous®. 

1. Le douaire est la ponion de biens dont le mari donne l'usufruit à sa 
femme en cas de sunrivance. — Ou entend par nourriture la convention 
par laquelle il est stipulé que les époux vivront pendant un certain nombre 
d'années anprëB des parents de Tun d'eux. — Convention est une expression 
qui s'applique àtous les articles accordés à une femme par contrat de mariage. 

2. Quelques éditeurs ont cru restituer la pensée ae la Bruyère en modi- 
fiant le texte, qalls croyaient altéré par une faute dMmpression : « Un beau- 
père n'aime pas son gendre, etc., » ont-ils imprimé. Cette correction déna- 
ture la réflexion. Le beau-père et le gendre, le beau-père et la belle-fille, la 
belle-mère et le gendre s'aiment réciproquement; la belle-mère et la belle- 
fille ne s'aiment pas : tel est le fond de la pensée. 

3. Allusion , selon les clefs, à un procès que se firent, au sujet d'un droit 
de pèche, deux conseillers au parlement. Hervé et Vedeau de Grammoni. 

4. La crainte de l'isolement et le désir de le prévenir. 

9. On dit aussi bien (Mdrtr à que cadrer anec. Bossuet, qui emploie très- 
Houvent cette expression, la fiut indifi'éremment suivre de l'une ou de 
/autre préposition. 

6. * tin esprit droit a souvent moins de peine à se soumettre aux esprits 
<le travers que de les conduire. » (ta Rochefoucauld.) 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 85 

% J'approche d'une petite ville, et je suis déjà sur une 
hauteur d'où je la découvre. Elle est située à mi-côte; une 
rivière haigne ses murs et coule ensuite dans une belle 
prairie ; elle a une forêt épaisse qui la couvre des vents 
froids et de Faquilon. Je la vois dans un jour si favorable , 
que je compte ses tours et ses clochers ; elle me paraît peinte 
sur le penchant de la colline. Je me récrie et je dis : Quel 
plaisir de vivre sous un si beau ciel et dans ce séjour si 
délicieux I Je descends dans la ville, où je n'ai pas couché 
deux nuits, que je ressemble à ceux qui Thabitent : j'en 
veux sortir. 

• . ^ Il y a une chose que l'on n'a point vue sous le ciel, et 
que,* selon toutes les apparences, on ne verra jamais : c'est 
une petite .ville qui n'est divisée en aucuns partis, où les fa- 
milles sont unies et où les cousins se voient avec confiance ; 
où un mariage n'engendre pomt une guerre civile ; où la 
querelle des rangs ne se réveille pas à tous moments par 
l'ofirande, l'encens et le pain bénit , par les processions et 
par les obsèques; d'où l'on a banni les caquets ^ le mensonge 
et la médisance; où l'on voit parler ensemble le bailli 
et le président, les élus et les assesseurs ' ; où le doyen 
vit bien avec ses chanoines; où les chanoines ne dé- 
daignent pas les chapelains et où ceux-ci souffrent les 
chantres. 

^ Les provinciaux et les sots sont toujours prêts à se 
fâcher et à croire qu'on se moque d'eux, ou qu'on les mé- 
prise : il ne faut jamais hasarder la plaisanterie, même la 
plus douce et la plus permise, qu'avec des gens polis ou qui 
ont de l'esprit. 

^ On ne prime point avec les grands , ils se défendent par 
leur grandeur; ni avec les petits, ils vous repoussent par le 

^ Tout ce qui est mérite se sent, se discerne, se devine 
réciproquement : si Ton voulait être estimé, il faudrait vivre 
avec des personnes estimables. 

^ Celui qui est d'une éminence au-dessus des autres qui 



1. Les élQS étaient des officiers qni jogeaient en première instance les 
procès qui avaient rapport aux tailles, aux aides et aux gabelles. Les as- 
sesseurs sont les magistrats adjoints à un Juge pour lui Yenir en aide ou le 
suppléer. 



86 CHAPITRE V. 

le met à o^wreri de la repartie, na dm! fumàM ftirê une 
raillerie piquante* 

^ n 7 a de petits défauts ^e Tob abaadoBaa TOlontûrra 
à la censure^ et dont nous ne haïssons pas à être raiUés : 
ce sont de pareils défanti tpm bobs écrona choisir pour 
railler les antres. 

^ Rire des gens d'fesprit, c'est le priiilëg» des sots : ils 
sont dans le monde ee que les Ions smit à la oour, je fmx% 
dire sans oondéquenoe. 

ÎIa jooqnerie est songent indigisoe 4'esprit. 
Yons le croyez votre dupe : s'il feint de rèUBi qui est 
plus dupe de lui ou de you«*? 

^ Si vous observes avec soin qui a^t les gens qui no 
peuvent louer» qui bUmeirt toujours , qm ne sont contents 
de personne 9 vous recooni^trez que ee sont ceux mêmes 
dont personne n'est content* 

% Le dédain et le rengofgement dans la société atttrei^ 
précisément le contraire de sa que Ton oherohe, si «'est à se 
fairo estimer. 

^ Le plaisir de la société entre les amis se cultire par une 
ressemblance de goût sur ce qui regarde les n^nura, et par 
quelque différence d'opinions sur les sciences : par là, ou 
Ton s'affermit dans ses sentiments^ on Ton s'eierce et l'on 
s'instruit par la dispute*. 

Y L'on ne peut aûer loin dans Tamitié , si Ton n'est pas 
disposé à se pardonner les uns aux autres les petits dé* 
fauts. 

% Combien de belles et inutiles raisons à étaler à celui 
qui est dans une grande adversité, pour essayer de la rendre 
tranquille! Les choses de dehors, qu'on appelle les événe- 
ments, sont quelquefois plus fortes que la raison et que la 
nature. Mangez, dormez , ne vous laissez point mourir d« 
chagrin, songez à vivre t barangueik froides et qui rédui- 
sent à l'impossible» £tes-vou9 raisonnable de tous tant in*^ 
quiéter? N'est-ce pas dire : fites^vous fou d'ôtr» malheu- 
reux? 



t. « La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de 
tomber dans les friéges qas l'on nous tend, et oo n'est jamais ai aisé- 
ment trompé que qaand on senge à CFomfMr iea astres. » ( La Redie» 
foucauld.) 

2. C'est-à-dire par la discussion. 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 87 

Y Le coQseil, si nécessaire pour les affaires, est quelque- 
fois, dans la société , nuisible à qui le donne, et inutUe à 
celui à qui il est donné. Sur les mœurs, vous faites remar- 
quer des défauts ou que Ton n'avoue pas, ou que l'on estime 
des vertus; sur les ouvrages, vous rayez les endroits qui 
paraissent admirables à leur auteur, où il se complaît davan- 
tage, où il croit s'être surpassé lui-même. Yous perdez ainsi 
la confiance de vos amis, sans les avoir rendus ni meilleurs 
ni plus habiles. 

^ Von a vu, il n'y a pas longtemps, un cercle de per- 
sonnes des deux sexes , liées ensemble par la conversation 
et par un coiomerce d'esprit '. Ils laissaient au vulgaire l'art 
de parler d'une manière intelligible ; une chose dite entre 
enx peu clairement en entraînait une autre encore plus obs- 
cure, sur laquelle on oichérissait par de vraies énigmes, 
toujours suivies de longs applaudissements : par tout ce 
qu'ils appelaient délicatesse, sentiments, tour et finesse 
d'expression, ils étaient enfin parvenus à n'être plus enten- 
dus et À ne s'entendre pas eux-mêmes. Il ne fallait, pour 
Iburnir à ces entretiens, ni bon sens, ni jugement, ni mé- 
moire, ni la moindre capacité; il fallait de Tesprit, non pas 
du meilleur» mais de celui qui est faux, et où rimagination 
a trop de part. 

1 Je le sais, Théohalde, vous êtes vieilli ; mais voudrlez- 
vous que je crusse que vous êtes baissé , que vous n'êtes 
plus poëte, ni bel esprit; que vous êtes présentement 
aussi mauvais juge de tout genre d'ouvrage que méchant 
auteur; que vous n'avez plus rien de na'îf et de délicat dans 
la conversation? Votre air libre et présomptueux me ras- 
sure et me persuade tout le contraire. Vous êtes donc au- 
jourd'hui tout ce que vous fûtes jamais, et peut-être meil- 
leur; car, si à votre âge vous êtes si vif et si impétueux, 
quel nom, Théobalde, fallait-il vous donner dans votre jeu- 
nesse, et lorsque vous étiez la coqueluche* ou l'entêtement 
de certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur 

i. AUasioD à la société de Tbôtel de RambooiUet, et aux conTersations des 
précieux, 

2. La Bruyère B'est pas le premier qui ait recueilli cette expression fa* 
milière ; Baroo Tavatt transportée sur la scène trois ans plus tôt : 

C'est cependant, dit-on, la coqueluche de Paris. 

{L'homme à bonnee fortune»^ ii, I.) 



88 CHAPITRE V. 

votre parole, qui disaient : Cela est délicieux: qu'a-t-il 
dit? 

1 L'on parle impétueusement dans les entretiens, souvent 
par vanité ou par humeur *, rarement avec assez d'atten- 
tion : tout occupé du désir de répondre à ce qu'on n'écoute 
point , l'on suit ses idées et on les explique sans le moindre 
égard pour les raisonnements d'autrui; l'on est bien éloigné 
de trouver ensemble la vérité, Ton n'est pas encore convenu 
de celle que Ton cherche. Qui pourrait écouter ces sortes 
de conversations et les écrire, ferait voir quelquefois de 
bonnes choses qui n'ont nulle suite. 

1 11 a régné pendant quelque temps une sorte de conver* 
sation fade et puérile, qui roulait toute sur des questions 
frivoles qui avaient relation au cœur et à ce qu'on appelle 
passion ou tendresse. La lecture de quelques romans les 
avaient introduites parmi les plus honnêtes gens de la ville 
et de la cour ; ils s'en sont défaits , et la bourgeoisie les a 
reçues, avec les pointes et les équivoques *. 

1 Quelques femmes de la ville ont la délicatesse de ne 
pas savoir ou de n'oser dire le nom des rues , des places et 
de quelques endroits publics qu'elles ne croient pas assex 
nobles pour être connus. Elles disent : le Louvre^ la Place 
Royale; mais elles usent de tours et de phrases plutôt que de 
prononcer de certains noms ; et, s'ils leur échappent , c'est 
du moins avec quelque altération du mot, et après quelques 
façons qui les rassurent : en cela moins naturelles que les 
femmes de la cour, qui, ayant besoin , dans le discours , des 
Halles y du Châtelet, ou de choses semblables, disent : les 
Halles y le Châtelet. 

1 Si l'on feint quelquefois de ne pas se souvenir de cer- 

1. Le mot humeur avait, aa dix-septième siècle, le même sens que le 
yiot anglais humour. Ainsi, dans la Suite du Menteur de Corneille : 

C'est homme a de Yhumeur. — C'est na vieux domestique, 
Qui, comme tous le voyez, n'est pas mélancolique. 

Mais ici le mot humeur signifie disposition naturelle, manière d'être. 

2. L'auteur, comme on le voit , fait une distinction entre les f)lns hon- 
nêtes gens de la ville et la bourgeoisie, et plus loin il placera au même point 
la bourgeoisie et la province en matière de goût. — Pour lui et ses contem- 
porains, les honnêtes gens sont, en général, les gens que leur condition, leur 
situation ou leur éducation élève au-dessus du commun. — Les romans 
dont il s'agit sont les romans héroïques de Gomberville (1600-I6<à7), de la 
Galprenède (1610-1663), et surtout de Mlle de Scudéri (1607-1701), l'une des 
nrécieutts de l'hôtel de Rambouillet, l'auteur du Grand Cyrue (1650), de 
Clélie (1656), etc. 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 89 

tains noms que Ton croit obscurs , et si l'on affecte de les 
corrompre en les prononçant, c'est par la bonne opinion 
qu'on a du sien •. 

1 L'on dit par belle humeur, et dans la liberté de la con- 
yersation, de ces choses froides, qu'à la vérité l'on donne 
pour telles, et que l'on ne trouve bonnes que parce qu'elles 
sont extrêmement mauvaises. Cette manière basse de plai- 
santer a passé du peuple, à qui elle appartient, jusque dans 
une grande partie de la jeunesse de la cour, qu'elle a déjà 
infectée. Il est vrai qu'il y entre trop de fadeur et de gros- 
sièreté pour devoir craindre qu'elle s'étende plus loin , et 
qu'elle fasse de plus grands progrès dans un pays qui est le 
centre du bon goût et de la politesse : l'on doit cependant 
en inspirer le dégoût à ceux qui la pratiquent ; car, bien que 
ce ne soit jamais sérieusement, elle ne laisse pas de tenir la 
place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de 
quelque chose de meilleur *. 

1 Entre dire de mauvaises choses et en dire de bonnes que 
tout le monde sait, et les donner pour nouvelles, je n'ai pas 
à choisir*. 

1 a Lucam a dit une jolie chose ; Il y a un beau mot de 
Claudien; Il y a cet endroit de Sénèque ; » et là- dessus une 
longue suite de latin que l'on cite souvent devant des gens 
qui ne l'entendent pas, et qui feignent de l'entendre. Le se- 
cret serait d'avoir un grand sens et bien de l'esprit ; car ou 
l'on se passerait des anciens^, ou, après les avoir lus avec 



1. La Bruyère se relisait, se complétait, se corrigeait sans cesse^ et chan- 
geait le tour de ea pensée lorsqu'il ne le croyait pas assez clair: Voici la pre- 
mière forme soas laquelle a été publiée cette réflexion : u On feint quelque- 
fois de ne pas se souvenir de certains noms que Ton croit obscurs, et on 
affecte de les corrompre en les prononçant par la bonne opinion qu'on a 
du sien. » 

2. « La belle chose de faire entrer, aux conyersations du Louvre, de 
vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles et de la place Mau- 
bert! La Julie façon de plaisanter pour un courtisan, et qu'un homme montre 
d'esprit lorsqu'il vient vous dire : «t Madame, vous êtes dans la place Royale 
« et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit 
«I de bon œil ; » à cause queBonneuil est un village à trois lieues d'ici ! Gela 
n'est-il pas bieo galant et bien spirituel? Et ceux qui trouvent ces belles 
choses n*ont-il pas lieu de s'en glorifier ? » 

(Molière, La cntique de l'Ecole des femmes^ se. i'«.) 

3. Écrit en 1690, après quatre éditions des Caractères^ auxquelles les 
critiques n'avaient point manqué. 

4. Montaigne avait dit: k Nous ne travaillons qu'à remplir \a mémoire^ et 
laissons l'entendement et la conscience vuides.... Nous savons dire : Cicero 



90 CHAPITRE T. 

soin, Von iiaiirait encore choisir les m#i]leim et les citer k 
propos. 

1 Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie ; il s'é- 
tonne de n'entendre faire aucune mention du roi de Bohême ' ; 
ne lui parlez pas des fuerres de Flandre et de Hollande % 
dispenseïrle du moins de vous répondre, il confond les 
temps f il ignore quand elles ont commencé, quand elles ont 
fini ; combats, sièges, tout lui est nouveau. Mais il est in- 
struit de la guerre <les géanti», il en raconte le progrès et lea 
moindres détails, rien ne lui est échappé ; il débrouille de 
même Thorrible chaos des deux empires, )e babylonien et 
Tassyrien ; il connaît à fond les Égyptiens et leurs dynas-* 
tîes. Il n'a jamais tu Versailles, il ne le verra point : il a 
presque vu la tour de Babel; il en compte les degrés; il 
sait combien d'arehiteotes ont présidé à cet ouvrage ; il sait 
le nom des architectes. Dirai-je qu'il croit Henri lY fils de 
Henri UI? Il néglige du moins de rien connaître aux mai- 
sons de Franoe, d'Autriche et de Bavière : Quelles minu- 
ties 1 dit-il, pendant qu'il récite de mémoire toute une liste 
des roi des Mèdes ou de Babylone, et que les noms à^Aprch» 
naïf à^Hérigebal^ de Noesnemordach^ de Mco'dokmpady lui 
sont aussi familiers qu'à nous ceux de Yalpis et de Boun* 
BON.I II deœ^mde si Tempereur a jamais été marié; mais 
personne ne lui apprendra que Ninus a eu deux femmes. 
On lui dit que le roi jouit d'une santé parfaite , et il se 
souvient que Thetmosia, un roi d'Egypte, était valétudi* 
naire, et qu'il tenait cette complexion de son aïeul Alîphar- 
mutosis. Que ne sait-il point? Quelle chose lui est cachée 
de la vénérable antiquité? U vous dira que Sémiramis, ou, 
selon quelques^'uns, Sérimaris, parlait oomme son fils Ni- 
nyas; qu'on ne les dietingualt pas h la parole : si c'était 
parce que la mère avait une voix mâle eoinme son fils, ou 



dict ainsi; 9oità Ut mofwg 4* PUtoni c$ sont Ut mùtt metrMs éPArittott ; 
mais ]iou8.que dUons-pou» nous-mesioes? qae jugeoD5-noa67 que fftisons- 
XI0U9? rtŒttaitn if 14.) 
i. La Hongrie a reconnu la domination autrtctiienne en 1S70, et, trois 




d'AUemagna. 

2. La conquête de la Flandre par Louis XtV, et set campagPM ea Hol- 
lande. 

Z, nenrt le Grand. (Note dt {a ^n«yèrt}. 



DE LA SOCIÉTÉ WTC W LA CONVERSATION. 91 

l8 fils UDe Yosx effémmée oomme ga mère, qu'il n'ose pas 
le décider. Il tous ré?ëlera que Nembrot était gaucher et 
SésoBtrifi iffiibidextre ; que o'eet une erreur de s'imaginer 
qu'un Ariazeroe lût été appelé Louguemain parce que les 
bris lui tombaient jnequ'aux genoux, et non à cause qu'il 
«Tiit one main plus lengue que l'autre ; et il ajoute qull y 
a des auteurs grayes qui afôrœwt que c'était la droite , 
qu'il oroit néanm^e être bi^ fondé h soutenir que c'est la 
ganahe« 

1 Asoagne est atatuaife, Hégion fondenr, .ffî^cbine foulon^ 
«t Cydias bel eepril S e'est aa profassion. Jl a une enseigne, 
un atdier, des ouvvages de commande et des compagnons 
qui Iraynillent «oua lui ; il ne voua saurait rendre de plus 
d'un mois les ataoces qu'il yous a promises, s'il ne manque 
de piiiole k Ihiithée^ qui l'a engagé à faire une élégie; une 
idylle est sur le métier, c'est pour Crantor^ qui le presse et 
qui hii laisse espérer un riche salaire. Prose, vers, que 
vouleE-YOQs? Il réussit également en l'uu et en l'autre. De- 
mandec-hii des lettres de eonsolation* ou sur une absence, 
il les entrepteudra ; {Nrene^les toutes faites et entrez dans 
ton magasin, il y a à choisir. Il a un ami qui n'a point 
d'autre fonotion sur la t^re que de le promettre longtemps 
à un certain monde, et de le présenter enfin dans les. mai- 
sons comme homme rare et d'une exquise couversation ; et 
là, ainsi que le mu^ien ohante et que le îoueur de lu& 
touche son lutin datant les personnes à qui il a été promis, 
Cydias, après avoir toussé, relevé sa manchette^ étendu la 
main et ouvert les doigts, débite gravement ses pensées 
quintessenoiéto et ses raisonnements sophistiqués. Différent 
de ceux qui, convenant de principes et connaissant la rai^ 
son ou la vérité qui est une, s'arrachent la parole l'un à 
l'autre pour s'aooorder sur leurs sentiments, il n'ouvre la 
bouche que pour contredire : c /| i»^ $èmbU^ dit^ilgracieuse* 
ment, qae c*est Umt le contraire de ce que vous dites; v ou : c Je 
ne saurais être de votre opinion: » ou bien : « Ca été autrefois 
mon entêtement^ comme il eU Ïb vôtre; mais»,,, f I ^ a trots 
choses^ ajoute-t-il, à consii^er ..., i et il en ajoute une qua- 



1. FertrtU de Fonteoelle (l(lS7-i7S7). qa!, neTea ë» Cofuèfllé et mM âm 
rédacteurs da Mercure galant, était l*un de? ennemift de 1« Bniyèrt, 6tt du 
mois» le devint après la pabUeation de ce Caractère (ISSI). 



92 CHAPITRE V. 

trîème : fade discoureur, qui n'a pas mis plus tôt le pied 
dans une assemblée qu'il cherche quelques femmes auprès 
de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de 
sa philosophie, et mettre en œuvre ses rares conceptions : 
car, soit qu^il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soup- 
çonné d'avoir en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable 
ni le ridicule ; il évite uniquement de donner dans le sens 
des autres et d'être de l'avis de quelqu'un ' : aussi attend-il 
dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui 
s'est offert, ou souvent qu'il a amené lui-môme, pour dire 
dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à s<m 
gré décisives et sans réplique. Gydias s'égale à Lucien et à 
Séoèque *, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de 
Théocrite*; et son flatteur a soin de le confirmer tous les 
matins dans cette opinion. Uni de goût et d'intérêt avec les 
contempteurs d'Homère, il attend paisiblement que les 
hommes détrompés lui préfèrent les poëtes modernes : il se 
met en ce cas à la tête de ces derniers, et il sait à qui il 
adjuge la seconde place. C'est, en un mot, un composé du 
pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bour- 
geoisie et de la province, en qui néanmoins on n'aperçoit 
rien de grand que l'opinion qu'il a de lui-même. 

1 C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogma- 
tique *. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce 
qu'il vient d'apprendre lui-même ; celui qui sait beaucoup 
pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle 
plus indifféremment. 

1 Les plus grandes choses n'ont besoin que d'être dites 
simplement ; elles se gâtent par l'emphase. Il faut dire no- 
blement les plus petites ; elles ne se soutiennent que par 
l'expression, le ton et la manière. 

1 II me semble que l'on dit les choses encore plus fine- 
ment qu'on ne peut les écrire. 

1. Il penserait paraître un homme da comman, 
Si Von voyait qu'il fiit de Tavis de quelqu'un. 

(Molière, le Misanthropey H, v.) 

2. Philosophe et poëie tragiaue. {Note de la Bruyère.) 

3. Comme Lucain, Fontenelie avait composé des Dtaloguei deê morts 
(1680); conmie Sénèqne, il avait fait des tragédies; comme Virgile et Théo- 
crite, il avait écrit des pastorales ; et ses Entrêuent tur la pluralité des 
mondée (1686) permettaient de nommer ici Platon. 

4. Le ton impérieux et tranchant. 



DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 93 

1 II n'y a guère qu'une naissance honnête * ou une bonne 
éducation qui rende les hommes capables dé secret. 

^ Toute confiance est dangereuse si elle n'est entière ; il 
7 a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout ca- 
cher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui l'on croit 
devoir en dérober une circonstance. 

1 Des gens vous promettent le secret, et ils le révèlent 
eux-mêmes et à leur insu ; ils ne remuent pas les lèvres, et 
on les entend ; on lit sur leur front et dans leurs yepx; on 
voit au travers de leur poitrine ; ils sont transparents. D'au- 
tres ne disent pas précisément une chose qui leur a été con- 
fiée, mais ils parlent et agissent de manière qu'on la dé- 
couvre de soi-même. Enfin quelques-uns méprisent votre 
secret, de quelque conséquence qu'il puisse être : < Cest un 
mystère, un tel m'en a fait part et m* a défendu de le dire; :» 
et ils le disent. 

Toute révélation d'un secret est la faute de celui qui l'a 
confié. 

1 Nicandre s'entretient avec Élise de la manière douce et 
complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour 
qu'il en fit le choix jusques à sa mort; il a déjii dit qu'il re- 
grette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfants, et Û le ré- 
pète ; il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une 
terre qu'il a à la campagne ; il calcule le revenu qu'elle lui 
rapporte; il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation, 
exagère la commodité des appartements, ainsi que la richesse 
et la propreté des meubles'; il assure qu'il aime la bonne 
chère, les équipages ; il se plaint que sa femme n'aimait 
point assez le jeu et la société. Vous êtes si riche, lui disait 
l'un de ses amis, que n'achetez-vous cette charge? pourquoi 
ne pas faire cette acquisition qui étendrait votre domaine? 



1. Une naissance honnête est ane naissance qui place dans les hauts 
rangs de la société. Il ne faut jamais oublier la langue de l'époque lors- 
qu'on lit la Bruyère. Au surplus, Tbomme ({ui en France était alors le plus 
capable de secret , c'était celui dont la naissance était le plus élevée, c'é- 
tait le roi : le secret est peut-être la vertu dont Louis XIV s'applaudissait 
le plus volontiers. « Toute la France, écrit-il dans ses mémoires en racon- 
tant l'arrestation de Fouquet, ... loua particulièrement le secret dans le- 
quel j'avais tenu, durant trois ou quatre mois , une résolution de cette 
nature, principalement à l'égard d'un homme qui avait des entrées si par- 
ticulières auprès de moi.... p (Voyez encore, à la fin du chap. DuSouverainf 
réloge qu'a fait la Bruyèr« de Louis XIV.) 

3 L'élégftncé des ifieublés. 



94 CHAPITHE t. 

On me croit, ajotite-t-il, pitis de bien que je n'en (lossède. 
U n'oublie pas son extraction et ses alliances : c Monsieur le 
Surintendant, qui est mon cousin; madame la Chancelière, qui 
est ma parente; » voiîà son style. H raconte nn fait qui 
proute le mécontentement quSl doit avoir de ses plus pro- 
ches et de ceux même qui sont ses héritiers. « Ai- je tort? 
dit-il àfilise ; ai-je ^and sujet de leur vouloir dn bien? # et 
il l'en fait juge. Il insinue ensuite qu'il a nne sanCé faible et 
languissante, et il parie de la cave * où il doit être enterré, 
n est insinuant, flatteur, officieux, à Fégard de tous cenx 
quUl trouve auprès de la personne à qui il aspire. Mais 
élise n'a pas le courage d'être riche en P^onsant. On an- 
nonce, au moment qu'A parle*, un cavalier qui, de sa seule 
présence, démonte la batterie de l'homme de ville; il se 
lève déconcerté et chagrin, et va dire ailleurs qu'il veut se 
remarier. 

1 Le sage quelquefois évite le monde, de peur d*être en- 
nuyé. 



CHAPITRE YI^ 

CES BIENS DE K^MTOTË. 

Un homme fort riche peut manger des entremets, faire 
peindre ses lambris et ses alcôves, jonir d'un palais à la 
campagne et d^un autre à la ville, avoir im grand équipage, 
mettre nn duc dans sa famille et Mre de son fils un grand 
seigneur: cela est juste et de son ressort; mais il appar- 
tient peut-être à d'autres de vivre contents. 

1 Une grande naissance ou ime grande fortune annonce 
le mérite et le fait plus tôt remarquer* 

1 Ce qui dt&oulp« le fat Mobitieux dft sen ambition est le 
loin que Pon prend, s'il a fait une grande .fortune, de lui 
trouver un m&it» qu'il n'a jamais ett^ ai aussi grand qu'il 
croit l'avoir. 

1 A mesure que la faveur et les grands biena se retirent 

1. Da cayeaa, dirions-nous aijgourd'hui. 

S. Âa moment qusj à Theure que^ locailoos fréqnemn^t eaptoyéeflà 
cette époque. '^ 



f 



J 



BBS BIB^d Z)& FORTUNE. 08 

éHm liom&ie, ils laissent voir m lui le fidieule qn^ïts oom- 
yraleat, et qui y était sa^ que personne s'en aperçût. 

1 Si Fou ne le voyait de ses yeux, pourrait-on jamais 
s^imaginer l'étrange disproporticm que le plus ou le moins 
de places de monnaie met entre les hommes? 

Ce plus ou ce moins détermine à Fëp^e, à la robe eu à 
l'Église; il n'y a presque point d'autre vocation* 

1 Deux marchands étaient voisins et faisaient le même 
commerce, qui ont eu dans la suite une fortune toute diffé^ 
rente. Us avaient chacun une iOe unique; elles ont été 
nourries ensemble ' et ont véc» dans cette familiarité que 
donnent un même âge et une même condition : IMne des 
deux, pour se tirer d'une extrême misère, eherobe à se 
placer; elle entre au sertiee d'une fort grande dame et Fune 
des premières de la cour, chez sa compagne. 

1 Si le financier manque son coup, les courtisans disent 
de lui t c C'est tin bourgeois, un homme de rien, un malo- 
tru; > s'il réussit, ils lui demandent sa fille. 

1 Quelques-uns ont fait dans leur jeunesse Fapprenti^ 
sage d'un certain métier, pour en exercer un autre, et fort 
différent, le reste de leur vie •. 

1 Un homme est laid, de petite taille, et a peu d'esprit; 
Fon me dit à Foreille ; « n a cinquante mille livres de 
rente. > Cela le concerne tout seul, et il ne m'en fera jamais 
ni pis ni mieux. Si je commence à le regarder avec d'au* 
très yeux, et si je ne suis pas maître de faire autrement, 
quelle sottise! 

1 Un projet assez vain serait de vouloir tourner un homme 
fort sot et fort riche en ridicule; les rieurs sont de son côté« 

1 N**, avec un portier rustre, farouche, tirant sur le 
Suisse •, avec un vestibule et une antichambre *, pour peu 
qu'a y fasse languir quelqu'un et se morfondre, qu*tl pa- 

f . Ëtovéet «niMible. Kourrir ot ntmnitmm Bom, clui \m éQriTvas ée 
e# temps, Us synonymes d'élever et d'éducation. « Si ma disfip^âce leur a fait 
perdre des avantages du côté de la fortune , écrit Buss^ en iHirlsnt de ses 
tofiftiiis, elle leur tn a doone dtt côté do la bonne «owridMrt «t ai l'eapht.* 

2. Voyez pa£fi 97 ÇSosi^^ etc.). 

3. Les grands seigneurs prenaient des Suisses pour portieM; on les imi- 
tait du mieux que l'on pouvait : 

U m'avait £ût venir d'Amieiis poitr Atro mimm» 

dit Petit-Jean dans les Plaideurs, 

4. « C'est une faute assez commufiè, dfsenf les çrammairieos, d« Mr^an- 
ticbambre du masculin. » On commettait aussi bten cette faute a« éix-sep- 



96 CHAPITRE VI. 

raisse enfin avec une mine grave et une démarche mesurée, 
qu'il écoute un peu et ne reconduise point , quelque subal- 
terne qu'il soit d'ailleurs, il fera sentir de lui-môme quel- 
que chose qui approche de la considération. 

f Je vais, Clitiphon, à votre porte ; le besoin que j'ai de 
TOUS me chasse de mon lit et de ma chambre : plût aux 
dieux que je ne fusse ni votre client ni votre fâcheux I Vos 
esclaves me disent que vous êtes enfermé et que vous ne 
pouvez m'écouter que d'une heure entière '. Je reviens avant 
le temps qu'ils m'ont marqué, et ils me disent que vous êtes 
sorti. Que faites-vous, Glitiphon, dans cet endroit le plus 
reculé de votre appartement, de si laborieux qui vous em- 
pêche de m'entendre? Vous enfilez quelques mémoires, vous 
coUatiohnez un registre, vous signez, vous paraphez. Je 
n'avais qu'une chose à vous demander, et vous n'aviez qu'un 
mot à me répondre, oui ou non. Voulez-vous être rare? Ren- 
dez service à ceux qui dépendent de vous : vous le serez 
davantage par cette conduite que par ne vous pas laisser 
voir \ homme important et chargé d'affaires, qui, à votre 
tour, avez besoin de mes offices, venez dans la solitude de 
mon cabinet: le philosophe est accessible; je ne vous re- 
mettrai point à un autre jour. Vous me trouverez sur les 
livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l'âme et de 
sa distinction d'avec le corps^ ou la plume à la main pour 
calculer les distances de Saturne et de Jupiter : j'admire 
Dieu dans ses ouvrages, et je cherche, par la connaissance 
de la vérité, à régler mon esprit et devenir meilleur. Entrez, 
toutes les portes vous sont ouvertes ; mon antichambre n'est 
pas faite pour s'y ennuyer en m' attendant; passez jusqu'à 
moi sans me faire avertir. Vous m'apportez quelque chose 
de plus précieux que l'argent et Tor, si c'est une occasion 
de vous obliger. Parlez, que voulez- vous que je fasse pour 
vous? Faut-il quitter mes livres, mes études, mon ouvrage, 
cette ligne qui est commencée? Quelle interruption heu- I 
reuse pour moi que celle qui vous est utile I Le manieur » 
d'argent, l^omme d'affaires est un ours qu'on ne saurait 
apprivoiser; on ne le voit dans sa loge qu'avec peine : que 

tième siècle. Dans les deux premières éditions qai contiennent cette réflexion, 
les imprimeurs l'ont dire à la Bruyère : un antichambre. 

U Que yous ne pouvez m'écouter avant une heure entière. 

7. Là firuyère joue suf' le doublé sens du mut rare : Voua qui êtes rares, 



DES BIENS DE FORTUNE. 97 

di&-je? on ne le Yoit point; car d*abord on itb le voit pfts en« 
core, et bientôt on ne le voit plus. L'homme de lettres, an 
contraire, est trivial comme une borne au coin des . places '; 
il est vu de tous, et à toute heure, et en tous états, à table, 
au lit, nu, habillé, sain ou malade ; i} ne peut être impor- 
tant, et il ne le veut point être*. • • 

^ N'envions point à une sorte de gens leurs grandes 
richesses; ils les ont à titre onéreux et qui ne nous accom- 
moderait point; ils ont mis leur repos, leur santé, leur hon- 
neur et leur conscience pour les avoir; cela est trop cher, 
et il n'y a rien à gagner à un tel marché. 

f Les P. T. S. * nous font sentir toutes les passions Tune 
après l'autre : Ton commence par le mépris, à cause de 
leur obscurité ; on les envie ensuite, on les hait, on les 
craint, on les estime quelquefois, et on les respecte; Ton 
vit assez pour finir à leur égard par la compassion. 

^ Sosie, de la livrée^, a passé, par une petite recette, à 
une sous-ferme ; et, par les concussions, la violence et Vabus 
qu'il a fait de ses potwoirs'^ , il s'est enfin, sur les ruines de 
plusieurs familles, élevé à quelque grade. Devenu noble par 
une charge, il ne lui manquait que d'être homme de bien : 
une place de marguillier a fait ce prodige. 



puisque tous ne tous laissez pas ▼oir, voulex-yous de^eoir rares en agis- 
sant comme ne le font point ros pareils? 

1. Trivial, trivialis, in trivio. Il est aassi facile à voir que la borne d'un 
carrefour. 

3. Il est impossible de s*y méprendre; c'est la Bruyère qui se met lui- 
même eu scène. Bonayenture d'Argonne nous a donné un précieux commen- 
taire de ce passage; nous l'avons cité dans la Notice. 

3. Les ffartisant, La Bruyère, eu proposant à Tintelligenoe de ses lecteurs 
une si facile énigme, n'avait crainte que f 'on s'y tromiÀt. Les partisans étaient 
les financiers qui prenaient à ferme les revenus du roi. Le recouvrement 
des impôts les ennchiasait avec une rapidité scandaleuse, et plus d'une fois 
Louis XIV s'émut de la facilité avec laquelle s'établissait leur fortune. Mais, 
à l'époque oh la Bruyère écrivait, les condamnations qui avaient été pronon- 
cées contre quelques-uns d'entre eux par la chambre de justice, à la snite 
du procès de Fouquet, étaient complètement oubliées, et le luxe des parti- 
sans était Tun des sujets qui devaient attirer tout d'abord l'attention d\io 
moraliste. 

k. Ce n'était point là une exagération. Plus d'an laquais était devenu par* 
tisan et grand personnage àla suite. ««Mme Gornuel. écrit Mme de Sévigné er. 
1876, était l'autre jour chei B.... (Berrier), dont elle était maltraitée; elle 
attendait à lui parler dans une antichambre qui était pleine de laffLais. Il 
Tient une espèce d'bonnète homme qui lui dit qu'elle était mal dans ce 
lieu-là : « Hélas ! dit-elle, j'y sais fort bien ; je ne )es crains point, tant qu'ils 
sont laquais. » 

S. Des pouvoirs que lui déléguait le fermier général, comme à tons les 
ious-fermiers. 



98 CHAPinUS .TI. 

% ArfuTê cheminait fteule et à pied yers le g^and portique 
de Saint '^'^, entendait de loin le sermon d'un earme on d'ttfi 
docteur qu'elle ne voyait qu'obliquement » et dont elle per- 
dait bien des paroles^ Sa vertu était obscure^ et sa détotiod 
connue comme sa personne. Son mari est etltré dans le hui* 
tième denier ' ; quelle monstriieuse fortune en nldidâ de bit 
années I Elle n'arriye à Tégiise que dans un ehar; oii lUi 
porte une lourde queue; Torateur s'ii^errohipt pendant 
qu'elle se place; elld le voit de front, n'en perd pas dné 
seule parole ni le moindre geSte; il y a une brigue énti*é les 
prêtres pour la confesser; tous veulent l'absoudre , et lé 
our^ l'emporte. 

^ L'on porte Grésus au cimetière: de toutes seS imtdeiisëi 
riebeeseç, qUe le vol et la concussion lui avaieiit flcqUisës, 
et qu'il a énuisées par le luxé et par la bonne chètë, il né 
lui est pasaemeuré de quoi se faire enterrer; il est moi*t 
iDsolvable, sans biens; et ainsi privé de toub les secbufs. 
L'on n'a vu cfaea lui ni julep, ni cordiaux, iii môdëdinS) ni le 
moindre docteur qui l'ait AssUré de son salut. 

^ Chxanpa^ne^ Au éortir d'un long dinèr qui lui ënfie i'ëd- 
tomao, et dans les doiibes fumées d'un vin d'Avenay où de 
Sillery ■, signe un ordre qu'on lui présente ; qui dtfeWlt le 
pain à toute une province, si l'on n'y remédiait. Il est ex- 
cusable : quel moyen à^ comprendre , dans la première 
héiif é de la digesUôii, qii'bii puisse quelque part mourir de 
faiih. 

^ Sylvain^ de ses deniers, a acquis de la naissance et iin 
autre tiotn ; il est seifebédi'. de là pai>bi^sê b& è'éà àiëuis 
payaient la taille': il n: aurait pii autrefois entrer page chez 
<?li^o6ttte; et il eét son^ôndrt. . 

% Horùs passe en litière par la volé Àppiennef précédé de 
ses Affranchis et de ses ësblates, qui détDUfhehj^.lê ()éûplé 
éi ioâi faire plicà; il îié lui manque que des lîoteurs; il 

i .... - * 

1. Dans la fenne de l'impôt qui senomine le huitième denier. Mdté^tiatit 
!• fAiement du druit qae l'on hommait de ce nom; les àc(f nétéurâ de biens 
6eclésiafttl<fMes el les asorpatews de biens de cohimonàtitëé laïques éiàlètit' 
ooofirméa éûhA leat fiostoesioii; Ce droit ayait dté ëiablt eH 16^2 peAdÂbf 
Ift guerre de BollÉBde; 

2. ATCnaf et. SiUerf rfoot en GhampafitMv Hé tin dé ChafhttftbHè; tHt- 
célèbre à cetieépoqnë) n'était pas eneofeièTlM thoaiiëuX iqiië Vm cobnaÙ 
aujourd'hui sous ce nom» 

S. m ntaient ses Uen {yoj, p. i8« bote 2)j qui, étatlth)tilHëH, p&tàieât 
1» taille : les nobles étaient exempts de cet impôt. 



J -J 



DES BIENS DB FORTUNE. 99 

entré à Bum» avec ee cortège^ où il semble triompher de la 
bassesse et de la pauvreté de son père San§a. 

•^ On né peutinieux user de sa fortune que fait Périandre; 
elle lui donné du rangj du crédit, de Tautorité ; déjà on ne 
le prie plus d'accorder son amitié^ on imploro ^ protection. 
Il à commencé par dire de sei-iaême : ur\ homme de ma 
sorti; il passe à dire : un homvfie de ma qiuUité. Il se donne 
pour tel; et il n*f à personne de ceux à qui il prête de l'ar- 
gent, ou qu'il reçoit à sa table , qui est délicate^ qui veuille 
s*y op|)oser. Sa deijaeure est superbe; un dorique règne 
dans tous ses dehors ; ce n'eSt pas une porte^ o'est un por- 
tique. Est-ce la maison d'un particulier, est-ce un temple? 
le peuple s'j tromj[}e; U est le seigneur dominant de tout le 
quartier ^ C'est lui que l'on envie, et dont on voudrait voir 
la chute; e^est lui dont la femtne, par son collier de perles, 
s'est fait des ennemies de toutes les dames du voisinage. 
Tout se soutient dans cet homme ; rien encore ne se dément 
dai^s cette grandeur qu'il a acquise « dont il ne doit rien, 
qu'il a payée. Que son père, si vieux ei si caduc, n'est-il 
mort il f a vingt ans et avant qu'il se fît dans le monde 
aucune mention de Périandre i Comment pourra-t-iï soutenir 
ces odieuses pancartes * qui déchiffrent les conditions ' et 
qui souvent font rougir la veuve et les héritiers? Les sup- 
primera-Vil aux yeux de toute une ville jalouse, maligne, 
clairvoyante, et aux dépens de mille gens qui veulent abso- 
lument aller tenir leur rang à des.ol}sèques? Veut-on d'ail- 
leurs qu'il fasse de son père un JNoble homme , et peut-être 
un Honorable Aomms, lui qui est Messire* ? 

^ Combien d'hommes ressemblent à ces arbres d^à forts 
et avancés que Ton transplante dans les jardins, ou ils sur- 
prennent les yeux de ceux qui les voient placés dans de 
beaux endroits où ils ne lés ont point vus croître, et qui ne 
connaissent ni leurs commex^cements ni^eurs progrès! 

% Si certains morts revenaient au monde, et s'ils voyaient 



i. Le seigneur sazeraln de qui relève tout le quartier. 

t. Billets d'enterrement. (Note de la Bruyère.) 

9; Qtii tétèleiit 1m condftionâ de ebacon. 

4, Noble homme était le titre que, dans les contrats , prenaient les bonr^ 
gèois de quelque importance ; honorable iiomme, Iselui que prenaient les pe- 
tits boiirgbJDii, les marchanda., les bnisans^ et metnrs ,. celui qui était ré« 
sQrvé aux personnes de^qui^ité. Boiieau ne put prendre le titre de mewîrf 
que lorsqu il eut prouvé sa îioblesse. 



»• • 



•: . . - - 
• . . • • 

» • • • 



100 CHAPITRE VI. 

leurs grands noms portés, et leurs terres les mieux titrées, 
avec leurs châteaux et leurs maisons antiques , possédées 
par des gens dont les pères étaient peut-être leurs métayers, 
quelle opinion pourraient-ils avoir de notre siècle. 

^ Rien ne fait mieux comprendre le peu de chose que 
Dieu croit donner aux hommes en leur abandonnant les 
richesses, Targent, les grands établissements et les autres 
biens, que la dispensation qu'il en fait, et le genre d'hommes 
qui en sont le mieux pourvus. 

^ Si vous entrez dans les cuisines, où Ton voit réduit en 
art et en méthode le secret de flatter votre goût et de vous 
faire manger au delà du nécessaire*, si vous examinez en 
détail tous les apprêts des viandes qui doivent composer le 
festin que Ton vous prépare ; si vous regardez par quelles 
mains elles passent, et toutes les formes dififérentes qu'elles 
prennent avant de devenir un mets exquis, et d^arriver à 
cette propreté et à cette élégance qui charment vos yeux, 
vous font hésiter sur le choix et prendre le parti d^essayer 
de tout; si vous voyez tout le repas ailleurs que sur une 
table bieç servie, quelles saletés! quel dégoût! Si vous 
allez derrière un théâtre, et si vous nombrez les poids, les 
roues, les cordages, qui font les vols et les machines ; si 
vous considérez combien de gens entrent dans Texécution 
de ces mouvements , quelle force de bras, et quelle exten- 
sion de nerfs ils y emploient, vous direz : Sont-ce là les 
principes et les ressorts de ce spectacle si beau, si naturel, 
qui paraît animé et agir de soi-même? vous vous récrierez: 
Quels efforts 1 quelle violence! De même, n'approfondissez 
pas la fortune des partisans. 

^ Ce garçon si frais, si fleuri, et d'une si belle santé, est 
seigneur d'une abbaye et de dix autres bénéfices ' z tous 
ensemble lui rappgrtent^six «vingt mille livres de revenu, 
dont il n'est payé qu'en médailles d'or *. Il y a ailleurs six 
vingts familles indigentes qui ne se chauffent point pendant 
rhiver, qui n'ont point d'haJ^its pour se couvrir, et qui sou- 

1. Tels que priearés ou chanoinies. Les bénéfices soot des charges spl« 
rituelles , accompagnées de revenus. 

3. L^auteur ayait cru d'abord deToir expliquer sa pensée, et, dans la 
i'« édition , il avait écrit en marge : Louis d'or. Par la suite, cette anno- 
tation lui sembla inutile et disparut. — Six vingts (c'est-à-dire cent vingt) 
se disait awsi couramment que quatre-vingts. 



DES BIENS DE FORTUNE. 101 

vent ix3anqnent de pain ; leur pauvreté est extrême et hon- 
teuse. Quel partage ! Et cela ne prouve-t-il pas clairement 
un avenir * ? 

^ Chrysippe^ homme nouveau, et le premier nohle de sa 
race, aspirait, il y a trente années, à se voir un jour deux 
mille livres de rente pour tout hien : c'était là le comble 
de ses souhaits et sa plus haute ambition; il l'a dit ainsi, 
et on s'en souvient. Il arrive, je ne sais par quels chemins, 
jusques à donner en revenu à Ti^ne de ses filles , pour sa 
dot, ce qu'il désirait lui-même d'avoir en fonds pour toute 
fortune pendant sa vie. Une pareille somme est comptée 
dans ses coffres pour chacun de ses autres enfants qu'il 
doit pourvoir, et il a un grand nombre d'enfants : ce n'est 
qu'en avancement d'hoirie*; il y a d'autres biens à espérer 
après sa mort. Il vit encore, quoique assez avancé en âge, 
et il use le reste de ses jours à travailler pour s'enrichir. 

^ Laissez faire Ergaste^ et il exigera un droit de tous 
ceux qui boivent de l'eau de la rivière, ou qui marchent' 
sur la terre ferme ; il sait convertir en or jusques aux ro- 
seaux, aux joncs et à l'ortie. Il écoute tous les avis, et pro- 
pose tous ceux qu'il a écoutés. Le prince ne donne aux au- 
tres qu'aux dépens d'Ërgaste, et ne leur fait de grâces que 
celles qui lui étaient dues*. C'est une faim insatiable 
d'avoir et de posséder ; il trafiquerait des arts et des scien- 
ces, et mettrait en parti jusques à l'harmonie ^. 11 faudrait, 
s'il en était cru, que le peuple , pour avoir le plaisir de le 
voir riche, de lui voir tme meute et une écurie, pût perdre 
le souvenir de la musique à^Orphée, et se contenter de la 
sienne. 

^ Ne traitez pas avec Otton, il n'est touché que de ses 
seuls avantages. Le piège est tout dressé à ceux à qui sa 
charge, sa terre, ou ce qu'il possède, feront envie : il vous 
imposera des conditions extravagantes. Il n'y a nul ména- 
gement et nulle composition à attendre d'un homme si 

1. Une vie fature. 

2. C'est-à-dire par anticipation sur ce qui dpU leur revenir dans sa auc- 
cession. 

3. Molière, le Misanthrope^ II, v : 

Et Von ne donne emploi, charge ni bénéfice. 
Qu'à tout ce qu'il se croit on ne fasse injustice. 

4. Il afifermerait aux partisans, pour qu'ils en tirent un impôt, jusqu'à la 
musique. 



lOâ CHAPITRE VI. 

plein de ses intérêts et si ennemi des Titres t îl inilant nne 
dupe. 

% BrorUin^ dit le peuple, fait des retraites , et s'enferme 
huit jours avec des saints ' : Us ont leurs médmt^ons, pt il 
a les siennes. 

% Le peuple souvent a le plaisir de la* tragédie; il ¥oit 
périr sur le théâtre du monde les personnages les plus 
ndieux, qui ont lait le plus de mal dans direrses scènes , et 
qu'il a le plus halJs. 

Y Si Ton partage la vie des P. T. S. en deux portions 
égales» la première, Yive et agissante, est tout pceupée à 
Touloir affliger le peuple , et la seconde, voisine de la mort, 
à se déceler et à se rainer les uns les autres. 

^ Cet homme qui a fait la fortune de plusieurs, qui a fait 
la tôtre, n'a pu soutenir la sienne, ni assurer avant sa mort 
celle de sa femme et de ses enfants : ils vivent cachés et 
malheureux. Quelque bien instruit que vous soyez de la 
misère de leur condition, vous ne pensez pas à Tadcacir; 
vous ne le pouvez pas en effet, vous tenez table, vous bft- 
tissez; mais vous conservez par reconnaissance le portrait 
de votre bienfacteur *, qui a passé, à la vérité, du cabinet 
à Tantichambre : quels égards I il pouvait aller au garde- 
meuble. 

^ Il ^ a une dureté de complexion; il y en a une autre 
de condition et d'état. L'on tire de celle-ci, comme 4® la 
première, de quoi s'endurcir sur la misère des autres, di- 
rai-je mè^e de quoi ne pas plaindre les malheurs de sa fa- 
mille t Un bon financier ne pleure ni ses amis, ni sa femme, 
ni ses enfants. 

Y Fuyez, retirez-vous ; vous n?étes pas assez loin, -r Je 
suis, dites- vous, sous Tautre tropique. — Passez sous le pèle 
et dans Pautre hémisphère ; montez aux étoiles, si vous le 
pouvez. — Wj voilà. — Fort bien, vous êtes en sCireté. Je 
découvre sur la terre un homme avide, insatiable, inexq- 

1. Atm des bonmiM Téritabfementpfenx. 

2. a Peu se servent aujourd'hai de ces mots bienfacteur^ himfiiciriety 
écrit Tauteur des Sentimente critiques sur U» Caracitreê as M. de la 
Bruyère (i70i). Ceux qui se piquent de bien parler prononcent bienfaiteur 
et récrivent. » Quoi qu'en dise le critique qe la Bruyère, le P. Bouhours 
et Patru, qui se piquaient de bien parler, tenaient encore pour bienfacteur 
et Uen^trioe. chacune des formes bienfacteur^ btef^aieteur et bienfait 
teur avait ses partisans. 



DES BISNS DK FORTUNE 103 

nble, qui veiit, aux dépens de tout ce qui $0 trouvera tnr 
son cbeimîn et à sa rencontre, etqaoi(|u41 en puisse ôeûtér 
aux autres, pourToin à )ui seul, grossir sa fortune, et regor- 
ger de b|en. 

9 Faire fortune est pne si belle phrase, et qai dit une si 
bonne chose, qu'elle est d'un usage universel : on la recon- 
naît dans toutes les langues; elle platt aux étrangers et aux 
barbares ; elle règne à la eour et à la ville ; elle à pérôé leÉt 
doîtres et franchi le^ murs des abbajres do Tun et de Tautré 
sexe : il n'y a point de lieux saerés où elle n^ait pénétré, 
point de désert ni de solitude où elle soit inconnue; 

% A force de £ûre de nouveaux contrats, ou de sentir son 
argent goossir dans ses coffres, on se oroit enfin une bonne 
tdtë, et presque capable de gouverner. 

% il faut une sorte d'esprit pour faire fortune, et surtout 
une grande fortune : ee n^st ni le bon, ni le bel esprit, ni 
le grand, ni le Sublime, ni le fort, ni le délicat j je ne sais 
préei$ément lequel e^e^t, et j*attéàds que quelqu'un veuille 
m'en instruire. 

Il faut moins d'esprit que d'habitude ou d'expériènee pour 
laire sa fortune ; lV>n y songe trop tard^ et quand enfin l'on 
s'en avise, l'on commence par dès fautes qfue 1-on B*à pas 
toujours le loisir de réparer : de là Vient peut-être aue les 
fortunes sont si rares. 

Un homme d'uti petit génie peut vouloir s^vancer : il né- 
glige tout, il ne pense du matin au soir, il ne rêve la nuit, 
qu'à une seule chose , qui est de s'avancer. Il a commencé 
de bonne heure, et dès son adolescence, à se mettre dans 
les voies de la fortune : s'i} trouve ui;e bjitrière de front 
qui ferme son passage, il biaise naturellement, et va à àvoH* 
ou à gauche, selon qu'ij y voit de jour et d'apparence; et 




prendre d'autres mesures; son intérêt, l'usage, les conjonc- 
ture» le dirigent, F^ut-il dosfi grw^s isimtsk «t uu^ «i bpQne 



i. Les écrivaiDi da dix-septièyne lièclf diseQt wwenl 4 4*oi$ 9$ à 
gauche : 

L'un à droit j l'autre à gaacbe, et courant Taiitenent. 

(Boileau, aêiir# it.) 



104 CHAPITRK YI. 

tète à UD Tojageur pour suivre d'abord le grand chemin 
et, s'il est plein et embarrassé, prendre la terre et aller à 
travers champs, puis regagner sa première route, la con- 
tinuer, arriver i son terme? Faut-il tant d'esprit pour aller 
à ses fins ? Est-ce donc un prodige qu'un sot riche et accré- 
dité?. 

Il y a même des stupides, et j'ose dire dés imbéciles % qui . 
se placent en de beaux postes et qui savent mourir dans 
l'opulence, sans qu'on les doive soupçonner en nulle ma- 
nière d'y avoir contribué de leur travail ou de la moindre 
industrie ; quelqu'un les a conduits à la source d'un fleuve, 
ou bien le hasard seul les y a fait rencontrer*; on leur a 
dit ; t Youles-vous de Teau ? puisez , » et ils ont puisé. 

^ Quand on est jeune , souvent on est pauvre : ou l'on 
n'a pas encore tait d'acquisitions, ou les successions ne sont 
pas échues. L'on devient riche et vieux en même temps, 
tant il est rare que les honmies puissent réunir tous leurs 
avantages I et si cela arrive à quelques-uns, il n'y a pas de 
quoi leur porter envie : ils ont assez à perdre par la mort ' 
pour mériter d'être plaints. 

^ Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune ; elle 
n est pas faite à cinquante : l'on bâtit dans sa vieillesse , et 
l'on meurt quand on en est aux peintres et aux vitriers. 

^ Quel est le fruit d'une grande fortune, si ce n'est de 
jouir de la vanité , de l'industrie , du travail et de la dé- 
pense de ceux qui sont venus avant nous, et de travailler 
nous-mêmes , de planter, de bâtir, d'acquérir pour la pos- 
térité? 

^ L'on ouvre et l'on étale * tous les matins, pour tromper 
son monde, et l'on ferme le soir, après avoir trompé tout le 
jour.~ 

^ Le marchand fait des montres ^ pour donner de sa mar- 
chandise ce qu'il y a de pire; il a le catî " et les faux jours 
afin d'en cacher les défauts et qu'elle paraisse bonne; il la 



1. Imbéeilê s'employait cbaqoe Jour avec le sens da. latin imbêdllii: « le 
sexe imbécile,» dit Corneille en parlant des femmes ; m l'enfance la plus im- 
bécile, » dit Bossnet. n semble donc qu'au dix-septième siècle, plus encore 
qu'aujourd'hui, la gradation devait exiger que ce mot vint le premier. 

2. Les y a fnt trouyer, les y a conduits. 

3. L'on ouvre sa boutique et l'on étale sa marchandise. 
k. Fait des étalages. 

fi. Le eati est an apprêt qui donne du lustre aux étoffes 



DES BIENS DE FORTUNE. 105 

sarfait pour la vendre plus cher qu'elle ne vaut; il a des 
marques fausses et. mystérieuses afin qu'on croie n'en don- 
ner que son prix , un mauvais aunage pour %il livrer le 
moins qu'il se peut, et il a un trébuchef^ afin que oelui à 
qui il l'a livrée la lui paie en or qui soit de poids. 

^ Dans toutes les conditions , le pauvre est bien proche 
de l'homme de bien , et l'opulent n'est guère éloigné de la 
friponnerie. Le savoir-faire et Thabileté ne mènent pas jus- 
ques aux énormes richesses. 

L'on peut s'enrichir dans quelque art , ou dans quelque 
commerce que ce soit, par l'ostentation d'une certaine pro- 
bité. 

^ De tous les moyens de faire sa fortune, le plus court et 
le meilleur est de mettre les gens à voir clairement leurs 
intérêts à vous faire du bien. f 

^ Les hommes pressés par les besoins de la vie, et quel- 
quefois par le désir du gain ou de la gloire , cultivent des 
ûlents profanes y ou s'engagent dans des professions équi- 
voques, et dont ils se cachent longtemps à eux-mêmes le 
péril et les conséquences ; ils les quittent ensuite par une 
dévotion discrète, qui ne leur vient jamais qu'après qu'ils 
ont fait leur récolte et qu'ils jouissent d'une fortune bien 
établie. 

^ Il y a des misères sur la terre qui saisissent le cœur. Il 
manque à quelques-uns jusqu'aux aliments ; ils redoutent 
l'hiver, ils appréhendent de vivre. L'on mange ailleurs des 
fruits précoces ; l'on force la terre et les saisons pour four- 
nir à sa délicatesse : de simples bourgeois, seulement à 
cause qu'ils étaient riches ', ont eu l'audace d'avaler en un 
seul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui 
voudra contre de si grandes extrémités ; je ne veux être, si 
je le puis, ni malheureux, ni heureux; je me jette et me 
réfugie dans la médiocrité. 

^ On sait que les pauvres sont chagrins de ce que tout 
leur manque et que personne ne les soulage ; mais s'il est 
vrai que les riches soient colères, c'est de ce que la moin- 
dre chose puisse leur manquer, ou que quelqu'un veuille leur 
résister. 

1. Â cause que...» Les grammairiens ont proscrit cette locution ; mais 
Pascal, Bossaet, et presque tous les grands écriTains remploient sans 
scrupule. 



1Û6 CHâPIIIRB VI. 

f Qelpi«là est viohe ftd veçoit plus qa*il ne consiime * ; 
oeluirlà est pauvre ^ont la éépense ezeède It. recette '. 

Tel, aye^denz millions de Tente^ peut être pauyre chaque 
année de pinq celft mille livres. 

H n'y a riei) qni se soutienne plus lon^emps qu^une mé- 
diocre fortune; il n*y a rien dont on Toiè mieux la fin que 
d'une grande fortune. 

L'occasion prochaine de la pauvreté, e^st de grandes ri- 
chesses •. 

S^il est vrai que 1-on soit riche de tout ee dont on n'a 
pas besoin, un homme fort riche, c'est un homme qui est 
sage. 

8U1 est vrai que Von soH pauvre par toutes les ehoses que 
1?0B désirs, l'ambitieux et Uavare languissent dans une ex- 
trôme pauvreté. • 

f Les passions tyrannisent l'homme, et l'ambition sus- 
pend en lui les autres passions et lui donne pour un temps 
les apparences de toutes les vertus. Ce Triplum qui a tous 
les vices, je l'ai cru sobre, chaste, libérai, humble et même 
dévot) je le croirais encore, s'il n*eùt enfin fait sa for^ 
tune. 

% L'on ne se rend peint sur le désir de posséder et de s'a» 
grandir : la bile gagne et la mort approche, qu'avec un 
visage flétri et des jambes déjà faibles Von dit : ifa fhrtune^ 
mon àtabliiiement, 

^ Il n'y a au monde que deux manières de sMlever, ou 
par sa propre industrie, ou par l'imbécillité des autres. 

% Les traits découvrent la eomplezion et les mœurs ; mais 
la mine désigne les biens de fortune : le plus ou le moins 
dç mille livres de rente se trouve écrit sur les visages. 

% Ohry$ante, homme opulent et impertinent, ne veut pas 
être vu avec EugàM^ qui est homme dé mérite, mais pau- 
vre ; il croirait en être déshonoré. Eugène est peut Ghry- 



t. Noiu dirions aqloami'biiii OQnsomiiMf ; pais le diy-«ej|ti|pf; 9i^le, 

comme le seizième, a confondu consumer etconsommer, 

' 3 Cicéron, Senè(iae ^t d'autres ravalent déjà die, et la Bruyère le 

répétera quelques lignes plus bas. 

Qui Tit content de rien, possède toute chose. *> 

(Boileau, É pitre t, yera S8.) 

S. Bxpreisioq t)iéologiçpia C'eft Is richesse qui exposç le plus & la paa- 
Treté. 



DES BtEMS DE PQKTnHE. 107 

sainte daqi le;initoes dispositlom : ^ano couvent [HHir>*^^ 

Aç sa iiearter. 

fi Quand ja vais i^o ner^upa gêna, qui ifi« pfâT^aient 
^utrpfois par feois civilités, {attendre au coni^^fP <iue je Jes 
^a^VI«, et ep être aveg ipoi sur 1« plus oa sur le moios, ja 
dis enmQiTfQSmç : yort YiÇD, j'en suis rayi, tant nùeuf 
pour euf ; Tttm veire? çftg cet hotpma^i ait niieçi Iqgé, 
fpieux ine^blâ et miaux pou^ qtf'à l'prdiiiuTq ; qu'il spf» 
Uiftrë depiUs gtielque; mois 4an» que^qufi a^4ii«, pu \\ aant 
ilÉjh fait un gain rai^oima^le. Di^u Teuille gu'il e|^ viei^ne 
l^ans pQu de temps jusqu'à pie mépriser. 

% Si les psqpës^ , les lÎTres et Isufs auteius d^pgiidal^Qt 
des riches et 4fl °eax qui eut ^t iwe belle f^Ttuns, quelle 
proscriptiop ! il ^'r aurait plus da rappel'. Cqel tpn, qijei 
ascepdapt ÇB pçeuneut'Us pa# pur laa sfï^tf \ Quelle fufir 
jesté u'observent-ils pas à l'ëgacd dfi Ces hoipmes çhéHft* 
gue {ei)F o>^pte n'a (^ placés ni enrichis, et ^\{\ en font en- 
core à penser et ^ éc^n judipieusentent I |l faut li^vgu^f, Ip 
présent est pour les riches, ^t l'ayeiiiT pour laf yaftueuz ^t 
les ^abilef. flQtff:RB est encore et sera tpiijqi^fsj las rec^ 
yeuEs de 4^oit«, le^ publiciipE; ne sont pI'Jb; ont-ils dtéT 
leur patrie, leurs noms sopVils connusT ; ^rtril eu dans \f, 
B-rèc^ des partisans? Que lont deveifus c^ içipartfnis pef^ 
3|);inaga8 qui mêpri^ient Hao^âre, qui qa sqnge^piit dÀus 
la place qu'ji l'éviter, qu^ ne lui randaient P^ \^ ^^^''^i f^^ 
qu| le saluaient p^f son aaja, gui ne daign^iept pas l'^^so- 
çieç à leur t^)e, qip le regardaient comi^q ^p honvnp q^i 
n'était pas riche et qui faisait un livra? Que de^^en^rq^t 
)e; F|iuconit«(i * ? iront-il^ ai:)^8t )oin in^e la postérité que 
D^^PfBTfiS, ni fraiiçaia tt tnorf en Suéde *, 

f pu mime fonds 4'CTSneii dont l'on s'^léTe parlent 
%11-desans ^e ses ^nférieu;^, l'oçk r^iqpp fileiqgnt deyaiit 

1. On, pour mieax dira, d'spptl. Il ttat dira m ajipêUr «1 non •» rop- 

Ktêr; tons les graminimen? et leiicognphcs eonl d accord ■urc« point, et 
BrqTtrelRi-maniq, aaplu 
l t'WHf «l lin vW» (h 
PlmiUrd, Je mot » éW refi 
ili.lCœoienieeaiHfavà 
». Faucooncl élsil le ftri 

forinea, »»iPri été juigue-li 

t. Beoé DcscirlW, aè ea 

holm, oli l'aTail appelé 1» i 



108 CHAPITRE VI. 

ceux qui sont au-dessus de soi. C'est le propre de ce vice, 
qui n'est fondé ni sur le mérite personnel, ni sur la vertu, 
mais sur les richesses, les postes, le crédit, et sur de vaines 
sciences, de nous porter également à mépriser ceux qui 
ont moins que nous de cette espèce de biens, et à estimer 
trop ceux qui en ont une mesure qui excède la nôtre. 

^ Il y a des âmes sales , pétries de boue et d'ordure, 
éprises du gain et de l'intérêt , comme les belles âmes le 
sont de la gloire et de la vertu , capables d'une seule vo- 
lupté, qui est celle d'acquérir ou de ne point perdre , cu- 
rieuses et avides du denier dix S uniquement occupées de 
leurs débiteurs, toujours inquiètes sur le rabais ou sur le 
décri des monnaies *, enfoncées et comme abîmées dans les 
contrats, les titres et les parchemins. De telles gens ne sont 
ni parents, ni amis, ni citoyens , ni chrétiens , ni peut-être 
des hommes : ils ont de l'argent. 

^ Commençons par excepter ces âmes nobles et coura- 
geuses, s'il en reste encore sur la terre, secourables, ingé- 
nieuses à faire du bien, que nuls besoins, nulle dispropor- 
tion , nuls artifices , ne peuvent séparer de ceux qu'ils se 
sont une fois choisis pour amis ; et, après cette précaution, 
disons hardiment une chose triste et douloureuse à imagi^ 
ner : Il n'y a personne au monde si bien lié avec nous de 
société et de bienveillance, qui nous aime, qui nous goûte, 
qui nous fait miUe offres de services et qui nous sert quel- 
quefois, qui n'ait en soi, par l'attachement à son intérêt , 
des dispositions très-proches à rompre avec nous et à deve- 
nir notre ennemi. 

^Pendant qu' Oronte augmente, avec ses années, son 
fonds et ses revenus , une fille naît dans quelque famille , 
s'élève, croît, s'embellit et entre dans sa seizième année. 
Il se fait prier à cinquante ans pour l'épouser, jeune , beUe, 



1. Placer de Targent an denier dix, c'est le placer à dix pour cent, c'est 
en retirer un intérêt qui vaille le dixième du capital. 

3. La crainte que le gouvernement ne supprimât on ne réduisit telles 
ou telles monn&ies, troublait de temps à autre les gens d'affaire et sus- 
pendait les transactions. En 1679 une déclaration royale avait réglé le 
cours des monnaies, décriant le» une?, réduisant les autres. L'annonce d'une 
nouvelle réglementation fut souvent faite par la suite. « On croit toujours 
être ici, écrit Racine en 1698, à la veille d'un décri, et cela cause le plub 
grand désordre dn monde. » — Les pièoes décriées n'avaient plus cours 
qu'en raison de leur poids. 



DES BIENS DE FORTUNE. 109 

Spirituelle : cet homme sans naissance, sans esprit et sans 
le moindre mérite, est préféré à tous ses rivaux. 

^ Le mariage, qui devrait être à l'homme une source ie 
tous les biens, lui est souvent, par la disposition de sa for- 
tune, un lourd fardeau sous lequel il succombe. C'est alors 
qu'une femme et des enfants sont une violente tentation à 
la fraude, au mensonge et aux gains illicites ; il se trouve 
entre la friponnerie etTindigence : étrange situation! 

Epouser une veuve, en bon français, signifie faire sa for- 
tune; il n'opère pas toujours ce qu'il signifie. 

f Celui qui n'a de partage avec ses frères ' que pour vivre 
à l'aise bon praticien*, veut être officier*; le simple officier 
se fait magistrat, et le magistrat veut présider^; et ainsi de 
toutes les conditions où les hommes languissent serrés et 
indigents, après avoir tenté au delà de leur fortune et forcé , 
pour ainsi dire, leur destinée , incapables tout à la fois de 
ne pas vouloir être riches et de demeurer riches. 

^ Dîne bien, CléarqWy soupe le soir, mets du bois au 
feu, achète un manteau, tapisse ta chambre : tu n'aimes 
point ton héritier; tu ne le connais point, tu n'en as 
point. 

^ Jeune, on conserve pour sa vieillesse ; vieux, on épargne 
pour la mort. L'héritier prodigue paie de superbes funé- 
railles, et dévore le reste. 

% L'avare dépense plus mort, en un seul jour, qu'il ne 
faisait vivant en dix années; et son héritier plus en dix 
mois, qu'il n'a su faire lui-môme en toute sa vie. 

^ Ce que Ton prodigue, on l'ôte à son héritier; ce que 
l'on épargne sordidement, on se l'ôte à soi-même. Le milieu 
est justice pour soi et pour les autres. 

f Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères 
et, réciproquement, les pères à leurs enfants, sans le titre 
d'héritiers. 

% Triste condition de l'homme, et qui dégoûte de la vie! 
il faut suer, veiller, fléchir, dépendre , pour avoir un peu 
de fortune, ou la devoir à l'agonie de nos proches. Celui 



1. Celai qai n*B de forinne patrimoniala. 
3. Avocat ou procureur. 

3. Acheter un office dans une cour. 

4. Devenir président. 



110 CHAPITRE TI. 

qui s'empéehe de sooliaiter que son père f passe ^ biettt6l 
est homme de bien. 

% Le caractère de celui qui reut hériter de quelqu'un 
rentre dans celui du complaisant : nous ne sommes point 
mieUx flattés } inieux obéis ^ plus suiris^ ifixïs éfitoùrës, plus 
chltivés, plus ménagés, plus carëssfes de personne pendant 
notre vie; que de celui qui creit gftgner à notre tnort et qui 
désire qu'elle àrri?e. 

% Tous les hommes i par les t)0St6S diflSreuts, par Ibs 
titres et par les successions , se reifirâent comme héHtiëH 
les uns des tutrbs^ et cultivent par cet intérêt, pendant tôiit 
le cours de leur Tie> un dësir secret et ënrelôppé de la mbh 
d'àutmi : le )>luk heureux; dans chaque condition^ est eëlui 
qui a plus de ehoseï à perdre par sa mort et à laisser à sdâ 
successeur 

t L'bn dit du jeu ^\x'û égale leé boilditioiid$ mm elles 
se trouvent qtlelquefbis si ëtrSn^enieût disproportionnées, 
et il y a entre telle et telle eonditioh un abtmë d'iiitertaile 



si immense et si profond; qtie les yeux souffrent de TOir de 
telles éxtrëmitës se ràpprbbhéif * : c'est coiiiifae Une ititisiquè 




--. . * . . , . . qm 

nous rendent bai'bâi*és à Tauti'ê partie dii monde, et que 

leis Drîëntàux ^ùi tièûnèttt jtisqu'â nôiis rfeiripbrtedt stir 

leurs tablettes : je Hé doute paô même (}ùé bët excès de 

familiarité ne les rebute davantage (}ué liôus hë sbxhmes i>lës- 

sêH dé ISilf Mihûgi * hï de leurs autrei prosteifiiations. 



qdi avait eié laqUaiB; jonait âreé ïésipl Us grands seigneurs^ avant çîépiQ 
qtt'il n0 fût devenu un t)ersbnDigo. liorin le Jaif, Joueur fiim«kitj vô^nfl 
toutes les maisons s'ouvrir devant lui ; forcé de quitter la France, il était 
allé jouer en Angleterre chei la duchesse de Mazarin. Une femme qui don- 
nait à jouer, fût-elle do plus grand monde, recevait volontiers tous les 
joueurs, de quelque condition quMls fassent. On s'in^agine.majaiséineitt, da 
reste, quel ae^ré de {Mission avait atteint l'âmdur au jêa. ftU mbmë^t o^ 
la Bruyère écrivaiu Ce fut bientôt l'une des plu§ difi^cilës ttcbes de la p6^ 
lice que de réprimer les abus et les scabdiiies qu) k%u éoiVirent. 
S. Les ambassadears qui paraissaient devant le roi dé SilUil sl^^Atcbâient 



DES BIINS DE FORTUNE. 111 

^ Une tenae d'fitats \ bu les chambres* assemblées pour 
une affaire très*capitale, n'offrent point aux yeux rien * de 
si grave et de si sérieux qli'Uiie table de gens qui jouent 
un grand jeu : une triste sévérité règne sur leur yisage ; 
implacables l'iin pour Tautre, et irréconciliables ennemis 
pendant que la séatlee dure , il& ne l'econnaissent plus ni 
liaisons, ni alliance, ni naissance, ni distihétions : le hasard 
seul) aveugle et farouche divinité, préside au cercle, et y 
décide soiiyerainement ; ils Fhonorent tons par un silence 
profond, et par une attention dont ils sont partout ailleurs 
fqrt inisapables; toutes les passiodâ , comme suspendues^ 
cèdent à une seule : le courtisan alors n'est ni doùx^ iii 
flatteur, ni complaisant, ni même dévot t . 

^ L'on ne reconnaît plus en ceux qlie le jeu et le gain 
ont illustrés la moindre trace de leur première condition i 
ils perdent de vue leut^ égaux, et atteignent les plus grands 
seigneurs. 11 est vrai que la forfcutie dû dé ou du lansquenet 
le^ remet souyent où elle les a pris. 

% Je ne m'étonne pas qu'il y ail des bt^ans publicSi 



d^ Im galle d'aud^e/içç en «e .tratnapt à ij^noai^ aq milieu te iiian<inriDi 
prosternés, et faisaient à une certaine distabçeoDe profonde ioclinatioa 
qiii Sb nominal la g'ombmyi; é*avàhçartt ufa péti plus près, t< ujBotv a g&! 
noas^ i\» frap^aiept iruis ioja la terre (|e leur froutt, M'ayjançaièQt enconi 
faisaient la uoibaye. puis àitenaaient que le roi leur parlât. Ce cérémonial 
était QD peu ibré^l pbar lëd adibasaddelirë Beé sda^ëralUs loiiiohà'nu, niaiV 
epçore oç^a'f^yaniiaieijt^ils qa'eq rampant ^ar lears^ genoux; M. dé CHaapia^Q 
eliVoyë èh ambasiiaac auprès dû ix)i de Siam p&r Louis XIY en 1685. refusa 
de dire les prôsternktibns baBitùélléè, et Ait le )|ireibièr àmbaBÂfcdéiir qai 
parut, deb'iut( devauf lui. ( Yoyagi d« Siim^ gar le P, TMb&rd,) ^ , 

I. Les États, âBséinblées qui dans ceriaihés provinces réglaiedt l'impôt. 

t. Léê cbàtcitirés du Parlement. 




cine e^ c«ll^de Molière loi-même, elle offeusaU déjà les oreilles des puristea 
Iwsqu'èlfô s'écriait : 

fet tous Yok biaîix dictons ne si^rvéist pa$ 2e rien. 

Là pbras'é de la fihiyère a toutefois trouvé grâce devant les critiQues de 
soii tetiii^, et faohft attrioiis tort d'èil>e piâs ri^dreui ijti'ilà ne l'oUt été. Il 
est à remarquer que dans cette phrase, le mot ritn conservé aatUrtfiient sa 
valeur primitive. îtien, qui vient de rem, n'est point par lui-même une ova- 
tion : ga (itethièt'b iki^niëéstiéii est quelqvi9 CMse; tinlc^biè, et c'est tànidt 
en vertu d'une ellipse, tantôt par suite d'un usage qui est contraire à l'éty* 
moloKie, qu'en certains cas il a pris de lui-même une signification négative. 




{[iquement, deux manières ds paiiar j)àrfaiiemehi éqdivatentés. 



112 CHAPITRE VI. 

comme autant de pièges tendus à TaYarice des hommes, 
comme des gouffres où l'argent des particuliers tombe et se 
précipite sans retour, comme d'affreux écueils où les joueurs 
viennent se briser et se perdre ; qu'il parte de ces lieux des 
émissaires pour savoir à heure marquée qui a descendu à 
terre avec un argent frais d'une nouvelle prise, qui a ga- 
gné un procès d'où on lui a compté une grosse somme, qui 
a reçu un don, qui a fait au jeu un gain considérable, quel 
fils de famille vient de recueillir une riche succession, ou 
quel commis imprudent veut hasarder sur une carte les 
deniers de sa caisse. C'est un sale et indigne métier, il 
est vrai, que de tromper ; mais c'est un métier qui est an- 
cien, connu, pratiqué de tout temps par ce genre d'hommes 
que j'appelle des brelandiers. L'enseigne est à leur porte, 
on y lirait presque : Ici Von trompe de bonne foi ; car se 
voudraient-ils donner pour irréprochables? Qui ne sait 
pas qu'entrer et perdre dans ces maisons est une môme 
chose? Qu'Us trouvent donc sous leur main autant de 
dupes qu'il en faut pour leur subsistance , c'est ce qui me 
passe. 

^ Mille gens se rainent au jeu, et vous disent froidement 
qu'ils ne sauraient se passer de jouer : quelle excuse 1 T 
a-t-il une passion, quelque violente ou honteuse qu'elle soit, 
qui ne pût tenir ce môme langage ? Serait-on reçu à dire 
qu'on ne peut se passer de voler, d'assassiner, de se pré- 
cipiter *? Un jeu effroyable, continuel, sans retenue, sans 
bornes, où Pon n'a en vue que la ruine totale de son ad« 
versaire, où l'on est transporté du désir du gain , déses- 
péré sur la perte, consumé par l'avarice, où l'on expose 
sur une carte ou à la fortune du dé la sienne propre, celle 
de sa femme et de ses enfants, est-ce une chose qui soit 
permise ou dont Ton doive se passer? Ne faut-il pas quel- 
quefois se faire une plus grande violence, lorsque, poussé 
par le jeu jusques à une déroute universelle, il faut môme 
que l'on se passe d'habits et de nourriture, et de les four- 
nir à sa famille? 

Je ne permets à personne d'être fripon ; mais je permets 



1. Ot ? Dans le y\ce et le déBordre, sans doute. En souvenir du sens qu'a 
quelquefois le mot praecvp* en latin, l'auteur attribue à Texpression m pr^- 
ciptlsr une Taleur qu'elle n'a jamais eue. 



Df:S BIENS DE FORTUNE. 113 

à un fripon de jouer un grandjeu: je le défends à un hon- 
nête homme. C'est une trop grande puérilité que de s'ex- 
poser à une grande perte. 

T[ Il n'y a qu'une affliction qui dure, qui est celle qui 
vient de la perte de hiens : le temps, qui adoucit toutes les 
autres, aigrit celle-ci. Nous sentons à tous moments, pen- 
dant le cours de notre vie, où le bien que nous avons perdu 
nous manque. 

^ Il fait bon avec celui qui ne se sert pas de son bien à 
marier ses filles, à payer ses dettes, ou à faire des contrats, 
pourvu que Ton ne soit ni ses enfants ni sa femme. 

1[ Ni les troubles, Zénobie *, qui agitent votre empire, ni 
la guerre que vous soutenez virilement contre une nation 
puissante depuis la mort du roi votre époux, ne diminuent 
rien de votre magnificence. Vous avez préféré à toute autre 
contrée les rives de TEuphrate pour y élever un superbe 
édifice : l'air y est sain et tempéré, la situation en est riante ; 
un bois sacré l'ombrage du côté du couchant. Les dieux de 
Syrie, qui habitent quelquefois la terre, n'y auraient pu 
choisir une plu3 belle demeure. La campagne autour est 
couverte d'hommes qui taillent et qui coupent, qui vont et 
qui viennent , qui roulent ou qui charrient le bois du Liban, 
Tairain et le porphyre; les grues* et les machines gémissent 
dans l'air, et font espérer à ceux qui voyagent vers l'Arabie 
de revoir à leur retour en leurs foyers ce palais achevé, 
et dans cette splendeur où vous désirez de le porter avant 
de l'habiter, vous et les princes vos enfants. N'y é{)argnez 
rien, grande reine ; employez-y l'or et tout l'art des plus 
excellents ouvriers ' ; que les Phidias et les Zeuxis de votre 
siècle déploient toute leur science sur vos plafonds et sur 
vos lambris ; tracez-y de vastes et délicieux jardins, dont 
l'enchantement soit tel qu'ils ne paraissent pas faits de la 
main des hommes ; épuisez vos trésors et votre industrie 
sur cet ouvrage incomparable ; et après que vous y aurez 
mis, Zénobie, la dernière main, quelqu'un de ces pâtres qui 



bie, 
aux 
à Rome et parut dans le triomphe'qui célébra sa défaite. 

2. Macbmes pour élever les pierres. 

8. Voyez page 33, note 2. 




114 CHAPITRE VI. 

habitent les sables voisins de Palmyre, devèna riche par les 
péages de vos rivières, achètera un jour à deniers comp- 
tants cette royale maison , pour Temibellir et la rendre plus 
àigne de lui et de sa fortune *. 

^ Ce palais, ces meubles, ces jardins, ces belles eaux, 
vous enchantent et vous font récrier d^une première vue' 
sur une maison si délicieuse, et sur Pextrèmë bonheur du 
maître qui la possède. Il n^est plus ; il n'en a pas joui si 
agréablement ni si tranquillemetit que vous : il n'y a jamais 
eu un jour serein, ni une nuit tran^quille; il s'est noyé de 
dettes pour la porter à ce degré de beauté où elle vous 
ravit. Ses créanciers Ten ont chassé : il a tourné la tête, et 
il Ta regardée de loin une dernière fois; et il est mort de 
saisissement. 

f L'on ne saurait s'empêcher de voir dans certaines iair 
milles ce qu'on appelle les caprices du hasard ou les jeux 
de la fortabe. Il y a cent ans qu'on ne parlait point de ces 
familles , qu'elles n'étaient point : le ciel tout d'un coup 
s'ouvre en leur faveur ; les biens, les honneurs, les dignités, 
fondent sur elles à plusieurs reprises ; elles nagent dans la 
prospérité. Eumolpef Tan de ces hommes qui n'ont point de 
grands-pères, a eu un père du moins qui s'était élevé si 
haut, que tout ce qu'il a pu souhaiter pendant le cours 
d'une longue vie , c'a été de l'atteindre ; et il Ta atteint.' 
Était-ce dans ces deux personnages émînence d'esprit, pro- 
fonde capacité? étaient-ce les conjonctures? la fortune enfin 
ne leur lît plus ; elle se joue ailleurs, et traite leur postérité 
comme leurs anaètres* 

^ La cause là plus immédiate de la ruine et de la déroute 
des personnes des deux conditions, de la robe et de l'épëe, 
est que l'état ^ seul, et non le bien, règle la dépense. 

% Si vous n'avez rien oublié pour votre fortune , quel 
travail ! Si vous avez négligé la moindre chose, quel re- 
pentir! 

f GiUm a le teint frais, le visage plein et les joues pen- 



i. Cet âoqaeiit paitage ett INui de cens que ^on a l« plot admirés. « Si 
Ton examine aToc attentioii tous les détaMa de ce beau tablead, dit Snàrd, 
on verra que feat y est préparé, dispoaé avec on art ioftnl pour produire ùk 

grand effet. » ^ . vf 

2. Dès le premier coup d'œil. 
S. Le rang, la condition. 



DES BIENS DE FOBTUNE. 115 

dantes, l'œU fix« et assuré) les épaulça lasges, l'estomao 
l^sut, la démarche ferme et délibéxéa. Il parle avec con* 
fiance; il &it répéter celui qui Teutretient, et il ne goûte 
que médiocrement tout ce qu*il lui dit. Il déplcûe un aa^ple 
iQOUOhoir, et se mouche ayeo grand bruit; il eraohe fort 
Ipin, et il étemue fort haut. Il do^ le jour, il dort la nail) 
et pffo&kndément; il ronfle en compagnie, il occupe à tabla 
et à. la promenade plus de place qu-un autre; il tient la 
qulieu an se promenant avec ses égaux; îl etoète, etlVm 
s'arrête; il oontinue de marches, et Ton marcha; tons sa 
règlent ^r lui. H interrompt, il redresse ceux qui put la 
parole; on ne l'interrompt pas, on récoute aussi longtemps 
qu'à veut parler; on est de son avis, «n oroit les noiiT>eItea 
qu'il débita. S'il s^assied, vous le TOjes enfoncer dans oh 
fauteuil, croiser les jambes l'une sftir l'autna, froneer la 
SQurcil, abaisser son chapeau sur ses yeux panr ne voim 
p^d^onne, op le relayer ensuitçi , et déçoi:^vrir soa l^nl pAr> 
fierté ^t par audace. II est enjqu^, grand rieur, ixpj^^yjjbaa^t» 
pré^cmptueiu, colàçe, libertin % politiqu^e, my^tériei^ ffa^ 
les affaires du temps ; il se croit des tiadents et de Vufti^iii* 
n est riche. 

Phédûn a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec 
et le visage maigre : il dort peu, et d*un sommeil fort léger; 
il est abstrait, rêveur, et Ù a ^yec de Tesprit l'air d*un 
stupide : il oublie de dire ce qu'il sait, ou de parler d'évé- 
nements qui lui sont connus; et s'il le fait quelquefois, il 
s'en tire mal; il croit peser à ceux à qui il parle; il conte 
brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter^ il ne 
lait point rire : il applaudit, il sourit à eé que lés iiulres 
lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour leos 
rendre de petits services ; il est complidsant, flatteur, èm^ 
pressé; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois men- 
teur; il est superstitieux , sompuletix, tkaide ; il marche 
doucement et légèremaat, il seon)^ craindre de fouler la 



t. Un homme libertin était ira homme ennemi de ]a contrafnte, raiwi 
I& définition dé Bonhoaiis; mai$ ce Hhbt' MtC ^riii; dunfj iâ àli^cofrae'^rm 
dn dix-eeptième siècle, uiKe acception j^articdliè'rè, et é'appMqnalt atjii^ ^t 
que l'on accosait d'irréligion - -» 

le le soupçoAne encor d'être on peu l^ertin! 
le ne remarque pas qu'il bante les église». 
(Molière, U Tartvft^ 11, ii.) 



116 CHAPITRE Vn. 

torre; il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur 
ceux qui passent. U n'est jamais da nombre de ceux qui 
forment un cercle pour discourir ; il se met derrière celoi 
qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire 
si on le regarde. U n'occupe point de lieu, il ne tient 
point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé 
sur ses yeux pour n'être point vu ; il se replie et se ren- 
ferme dans son manteau : il n'y a point de rues ni de ga- 
leries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne 
trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans 
être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur 
le bord d'un siège ; il parle bas dans la conversation, et il 
articule mal; libre néanmoins sur les affaires publiques S 
chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des mi- 
nistres* et du ministère. Il n'ouvre la bouche que pour 
répondre ; il tousse , il se mouche sous son chapeau ; il 
crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour 
étemuer, ou, si cela lui arrive, c'est à l'insu de la compa- 
gnie; il n'en coûte à personne ni salut ni compliment. Il 
est pauvre. 



CHAPITRE vu. 
DE LA VILLE. 

L'on se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez- 
vous public , mais fort exact, tous les soirs, au Cours ' ou 
aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprou- 
ver les uns les autres. 

L'on ne peut se passer de ce même monde que Ton 
n'aime point, et dont l'on se moque. 

L'on s'attend au passage réciproquement dans une pro- 



t. Librt néanmoins aoee w$ amif, dan« la tf* éditioo, la première qai con- 
tienne ce caractère. U est possible que ces trois derniers mois aient dis- 
paru par une faute d'impression, sans que l'auteur s^n soit aperçu. 

2. C'est-à-dire en faveur des ministres. 

3, Le Cours-la- Heine, le long de la Seine, promenade qui est comprise au- 
jourd'hui dans les Cliamps-Ëlysée!?. « Cette promenade, écrit Brice en 1685, 
amène en été tout ce qu'il y a de beau monde à Paris : on y compte jusqu'à 
sept ou huit cents carrosses qui se promènent dans le plus bel ordre, m 



DE LA VILLE. 117 

menade publique* ; Ton y passe en revue Pun devant l'au- 
tre : carrosse, chevaux, livrées, armoiries, rien n'échappe 
aux yeux, tout est curieusement ou malignement obsefvé; 
et, selon le plus ou le moins de Téquipage, ou Ton res- 
pecte les personnes, ou on les dédaigne. 

f Dans ces lieux d'un concours général *, où les femmes se 
rassemblent pour montrer une belle étoffe, et pour recueillir 
le fruit de leur toilette, on ne se promène pas avec une 
compagne par la nécessité de la conversation ; on se joint 
ensemble pour se rassurer sur le théâtre', s'apprivoiser 
avec le public, et se raffermir contre la critique : c'est là 
précisément qu'on se parle sans se rien dire, ou plutôt 
qu'on parle pour les passants, pour ceux mêmes en faveur 
de qui l'on hausse sa voix ; Ton gesticule et l'on badine, 
l'on penche négligemment la tête» l'on passe et l'on re- 
passe. 

^ La ville est partagée en diverses sociétés, qui sont comme 
autant de petites républiques, qui ont leurs lois, leurs usa- 
ges, leur jargOD, et leurs mots pour rire. Tant que cet as- 
semblage est dans sa force, et que l'entêtement^ subsiste, 
l'on ne trouve rien de bien dit ou de bien fait que ce qui 
part des siens, et l'on est incapable de goûter ce qui vient 
d'ailleurs*; cela va jusques au mépris pour les gens qui 
ne sont pas initiés dans leurs mystères. L'homme du monde 
d'un meilleur esprit*, que le hasard a porté au milieu 
d'eux, leur est étranger : il se trouve là connue dans un 
pays lointain, dont il ne connaît ni les routes, ni la langue, 
ni les mœurs, ni la coutume' ; il voit un peuple qui cause, 
bourdonne, parle à l'oreille, éclate de rire, et qui retombe 
ensuite dans un morne silence; il y perd son maintien, ne 



1. Vincennes. 

2. Les Taileries, par exemple. 

3. Poor se donner plus d'assuraoee sur le théâtre où Ton tient )ouer une 
sorte de rôle. 

4. L'engouement opiniâtre, la passion obstinée. — Molière, daaa les 
Femmes savantes^ Ml, ii ; 

J'aime la poésie aTec entêtement, 

ft. Molière, Im Femmes eavantee,, III, ii : 

Nul n'aura d'esprit, hors nous et nos amis. 

6. C'est-à-dire l'homme qui a le meilleur esprit du monde. 

7. La législation que l'usage a introduite dans le pays. En jorisprudenee, 
on opposait la coutume au droit écrit, à la loi. 



118 CBA^tTRE VU. 

troQYe pas où placer un seul mot, et n*a pas même de quoi 
écouter. 11 né manque jamais là un mauvais plaisant qui 
domine, et qui est comme le héros de là société : côlui-ci 
s'est chargé de la joie des autres, et fait toujours rire 
avant que d'avoir parlé. Si qûelquefbis une femme survient 
qui n'est poiht de leurs plaisirs, la bande joyeuse ne peut 
comprendre qu'elle ne sache point iîre des choses qu'elle 
n'entend point, et paraisse insensible à des fadaises qu'ill^ 
n'ent^ndwit eux-mômes que pa^ce qu'ils lés ont faites : ils 
W lui pardonnent ni son ton de voii, ni soft silence, ni sa 
taille, ni son visage, ni soii habillement, ni son entrée, ni 
la maniée dont elle est sortie. Deux années cependant ne 
passent point sur une môme coterie*; il 7 a toujours, dèé 
la première année, des semences de division pour rompre 
dan^ celle qui doit suivre : Tintërêt de la beauté, les inci- 
dents du jeu, l'extravagance des repas, qui, modestes au 
commencement, dégénèrent bientôt en pyramîdeé dé viâudes 
et en banquets somptueux^ dérangent la république, et lui 
portent enfin le coup mortel : il n'est en fort peu de temps 
non plus parlé de cette iMition que des mouchés de Tànnéè 
passée. 

f II y a dans la ville la grande et la petite robô*; et là 
première se venge sur l'autre des dédains de là cour, et 
des petites humiliations qu'elle y essuie. De savoir quelles 
çont leurs limites^ où la ^rfttide finit, et où la petite com- 
menoe^ ce n'est pas une chose facile. 11 $è trouva ihême uii 
porps considérable qui refuse d'être do second ordre, et i 
qui.ron conteste le premier; il ne se rend pas néanmoins, 
U. obérée au contraire, par là gravité et par la dépensé, a 
s'égaler à la magistrature, ou ne lui cède qu'avec peiné : 
on l'entend dire que la noblesse de son emploi, l'indépen- 
dance de sa profession, le talent de la parole et le mérite 
personnel, balancent au moins les sacs de mille francs que 
le fils dd p^niisàh bu du bàh(|tiiet à sU paye^ pour sou 

office*. 
^ Vous moquez-vous de rêver en carrosse, 'dà peut-être 

1. Originairement, une coterie était Viné toef été de tillageois ^ai tenaient 
en commun les terres d'un 3Qigneuf. *L.e mot prit au dix- septième siècle le 
aens qae nous lui donnoû's aujoùrdliui. 

2. Outre les magistr&is^ ta tube coitil^t'étiait éhcoirto téis atocatâ et l'es pro« 
careots) ti^urd'hui les atoaéa. L» eorpâ ebdBidér&ble dont il s'agit plus bas 
est celui des avocats. 



DE LA YILLC. 119 

de Toas y reposer? Viu^ prenez YOtre livre du yos papiers, 
lisez, ne saluez qu'à peine ces ^ens qui passent dans leur 
équipage ; ils vous en croiront plus occupé ; ils diront : c Cet 
homme est laborieux, infatigable ; il lit, il trayaille jusque 
dans les rues ou sur la route. » Apprenez du moindre avo^ 
cat qu'il faut paraître accablé d'affaires, froncer le sourcil^ 
et rôver à rien très-profondément ; savoir à propos perdre 
le boire et le manger; ne faire qu'apparoir' daiis sa mai- 
son, s'évanouir et se perdre comme un fantôme dans le 
sombre de son cabinet ; se cacher au public, éviter le 
théâtre, le laisser à ceux qui ne courent aucun risque à s'y 
montrer, qui ea ont à peine le loisir, aux GtomonS) aux 

DUHAMELS*. 

^ Il y a un certain nombre de jeunes magistrats que lei$ 
grands biens et les plftisirs ont associés à quelques-uns de 
ceut qu'on nomme à la coût* de petits maitres : ils les imi« 
tent, ils se tiennent fort aunlessus de la gravité de la robe, 
et se croient dispensés par leur âge et par leur fortuné 
d'être sages et modérés. Ils prennent de la cour ce qu'elle 
a de pire : ils s'approprient la vanité^ la mollesse, Tintem- 
pérance, le libertinage, comme ^i tous ces vibes leur étaient 
dus; et, tôectant ainsi un caractère éloigné de celui qu'ils 
ont à soutenir, ils deviennent enfin,^ selon leurs souhaits, 
des copies fidèles de très-méch«its Originaux. 

^ Un homme de robe à la ville, et Te même à la^eour^ ce 
sont deux hommes. Revenu chez soi^ il reprend ses mœurs, 
sa taille et son visage, qu'il y avait laissés : il n'est plus ni 
si embarrassé , ni si honnête '. 

If Les Crispins sè cotisent et rassemblent dan$ leur fa- 
mille jùsques à six chevaux pour allonger un équipage qui^ 
avec un essaim de gens de livrée où ils ont fourni chacun 
leur part, les fait triompher au Cours ou à Yincennes, et 
aller de pair avec les nouvelles mariées, avec Jason^ qui se 
ruine, et avec Thrason^ qui veut se xharier et qui a consi- 
gné*. 

1. Appctrùir, poar apparaître, terme de palais^ dottt l^titear se Sert ici 
plaisamment. 

2. Gomon,Dnhamel^ célèbres avocats. 
3* Ni si poli. 

k. Déposé son argent au trésor public pour une grande chUrge (Note â$ 
la Bruyère). — Pour unegrcmde charge, c'est-à-dire pour payer un oilQce 
. important qu'il \çut acbettir* 



120 CHAPITRE VII. 

% Xentends dire des Sanmions : c Même nom, mêmes ar« 
mes; la branche atnée, la branche cadette, les cadets de la 
seconde branche; » ceux-là portent les armes pleines*, 
ceux-ci brisent un lambel *, et les autres d'une bordure den- 
telée '. Ils ont avec les Bourbons, sur une même couleur, 
un même métal^; ils portent, comme eux, deux et une** : 
ce ne sont pas des fleurs de lis, mais ils s'en consolent; 
peut-être dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces aussi ho- 
norables, et ils les ont communes avec de gprands seigneurs 
qui en sont contents : on les voit sur les litres * et sur 
les vitrages, sur la porte de leur château, sur le pilier de 
leur haute justice, où ils ^viennent de faire pendre un homme 
qui méritait le bannissement ; elles s'offrent aux yeux de 
toutes parts ; elles sont sur les meubles et sur les serrures; 
elles sont semées sur les carrosses. Leurs livrées ne désho- 
norent point leurs armoiries. Je dirais volontiers aux Sau- 
nions : c Votre folie est prématurée ; attendez du moins que 
le siècle s'achève sur votre race ; ceux qui ont vu votre 
grand-père, qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauraient 
plus vivre longtemps. Qui pourra dire comme eux : Là il 
étalait, et vendait très-cher? » 

Les Saunions et les Crispins veulent encore davantage 
que Ton dise d'eux qu'ils font une grande dépense, qu'ils 
n'aiment à la faire. Ils font un récit long et ennuyeux d'une 
fête ou d'un repas qu'ils ont donné; ils disent l'argent qu'ils 
ont perdu au jeu, et ils plaignent' fort haut celui qu'ils 

1. Les ataés portent les armes pleines de leur xnaisou; lear éca est d*ane 
pièce, sans brisure, sans division. 

2. Toute pièce d'armoiries que les cadets ajoutent à l'écu est une brisure. 
Briser d'un lambel , c'est charger l'écu d'un lilet, garni de {wndanls, qui se 
place au chef, c'est-à-dire en tête de l'écu. 

S. La bordure est une brisure qui est placée au bord de l'ccn et en fait )• 
tour. 

k. Les couleurs de blason, ou émaux, sont au nombre de cinq : gueules 
ou le rouge; azur ou le bleu; sinople on le vert } sable ou le noir, et enfin le 
pourpre. Les métaux sont 1 or et Targent, c'est<à-dire le jaune et le blanc. 

5. C'est-à-dire : leur écu est charge de trois pièces d'armoiries, dont deux 
sont vers le chef et une vers la pointe, comme les trois fleurs de lis de France. 

6. La litre est une bande noire sur laquelle les seigneurs fondateurs ou 
patrons d'une église, et les seigneurs haut justiciers avaient droit de faire 
peindre leurs écussons. 

7. Us regrettent. Corneille, Horace, II, m ; 

J'aime ce qu'il me donne et je plains ce qu'il m'ûte. 

Boileau, éplire v, vers 63 : 

Que Dion âme, en ce jour de joie et d'opalence, 
D'an superbe convoi plaindrait peu l'opulence! 



DE LA VILLE. 121 

n'ont pas songé à perdre. Ils parlent jargon et mystère sur 
de certaines femmes; ils ont réciproquement cent choses 
plaisantes à se conter; ils ont fait depuis peu des découvertes; 
ils se passent les uns aux autres qu'ils sont gens à belles 
aventures. L^un d'eux, qui s'est couché tard à la campagne, 
et qui voudrait dormir, se lève matin, chausse des guêtres, 
endosse un habit de toile, passe un cordon où pend le four- 
nimeiit, renoue ses cheveux, prend un fusil : le voilà 
chasseur, s'il tirait bien. Il revient de nuit, mouillé et re- 
cru', sans avoir tué. Û retourne à la chasse le lendemain, 
et il passe tout le jour à manquer des grives ou des per- 
drix. 

Un autre, avec quelques mauvais chiens, aurait envie de 
dire : Ma meute** Il sait un rendez-vous de chasse, il s'y 
trouve; il est au laisser-courre*; il entre dans le fort, se 
mêle avec les piqueurs; il a un cor. Il ne dit pas, comme 
MénaUppe : Ai-je 'du plaisir* ? il croit en avoir. Il oublie 
lois et procédure : c'est un Hippolyte. Ménandre, qui le vit 
hier sur un procès qui est en ses mains, ne reconnaîtrait 
pas aujourd'hui son rapporteur. Le voyez-vous le lendemain 
à sa chambre, où Ton va juger une cause grave et capitale? . 
il se fait entourer de ses confrères, il leur raconte comme 
il n'a point perdu le cerf de meute, comme il s'est étouffé 
de crier après les chiens qui étaient en défaut, ou après 
ceux des chasseurs qui prenaient le change ; qu'il a vu don- 
ner les six chiens. L'heure presse ; il achève de leur parler 
des abois et de la curée, et il court s'asseoir avec les autres 
pour juger. 

^ Quel est l'égarement de certains particuliers qui, riches 
du négoce de leurs pères* , dont ils viennent de recueillir 

1. Fatigaë. 

2. Dorante, dans les Fdcheua de Molière, H, m : 

Dieu préserve, en chassant, toute sage personne.... 
De ces gens qui. suivis de dix houreis galeux, 
Disent : ma meuUy et font les chasseurs merveilleux t 

3. Le laisserHîourre est le lieu oti l'on découple les chiens. Cowrrs^ andeii 
infinitif du verbe rourtr. 

4. M. de Nouveau, surintendant des postes, qui venait d'acheter un équi- 
page de chasse, courait an jour le cerf. « Ai-je bien du plaisir ? » demanda- 
t-il & son veneur. Le mot devmt célèbre, et Mme de Sé^igné l'a répété après 
bien d'autres. 

i. Quoique fils de meunier, encore blanc du moulin. 

(Boileau, ÈgiU V, vers %V) 



122 CHAPITRE Vn. 

la succession, se mouleat ïar les priBce> po^' 1^^' f aide- 
robe et pour leur équipage, excitent, par une dépense ex* 
cessiTO et par un faste ridicule , les traits et la raillerie de 
toute une ville qu'ils ôroient éblouir, et se ruinent ainsi à 
se faire moquer de soi! 

Quelques-uns n'oot pas même le triste avantage de ré-> 
pândre leurs folies ' plus loin que le quartier où ils habi- 
tent ; c'est le seul théâtre de leur vanité. L'on ne sait point 
dans rUé* qn* André baille au Marais^ et qu'il f dissipe son 
patrimoine : du moins, s'il était coUnu dans toute la ville 
et dans sesfaubourgs^ il serait difôicile qu'entre un si grand 
nombre de citoyens qui ne savent pas tous juger sainement 
de toutes choses, il Hé s'en trouvât quelqu'un qui dirait de 
lui : Il est magnifique^ et qui lui tiendrait compte des régals 
qu'il fait à Xante et à Jn'âlofi, et des fêtes qu'il donne k 
ÉUmire : mais il se ruine obscurément; ce n'est qu'en fa- 
veur de deux ou trois personnes, qui ne l'estiment points 
qu'il court à l'indigence, et qu'aujourd'hui en carrosse^ il 
n'aura pas dans six mois le moyen d'aUer à pied. 

% Narcisse se lève le matin pour se coucher le soir; il i^ 
ses heures de toilette comme une fem&e; il va tous les 
jours fort réguliètement à là belle messe aux Feuillants ou 
aux Minimes ; il est homme d'un bon conimerce^ et l'on 
compte sur lui au quartier de *** pour un tiers ou pour uiK 
(Huquième & l'hombre ou au réversi '; Là il tient le fauteuil 
quatre heures de suite bhez Aricie^ où il risque chaque soir 
cinq pistôles d'or*; il lit exactement la Gazette de Hol- 
lande * et le Mercure galant ; il a lu Bergerac *, Des Marets ', 

{. Le bruit dio leurs foliM. 

2. Dans l'île Saint-Louis. 

3. Jeui de caries. 

4. La pistole d'or valait, d'ordinaire, onze livres. 

5. Gazette qui se publiait en Hollande, et oti Ton parlait librement à» la 
cour de Versailles. 

6. Cyrano de BergerAe^ auteur de VBistoirè cofniçiM des Étati âê la lune 
et du soleil, de la tragédie d*Ayrifpine^ de la comédie du Pédant j^ué. Mo- 
lière a t'ré du Pédant jùixé deux scéneB des Fourberiee de Scapin; Il mou- 
rut en 1655. , . . . . 

7. Desmarets de Sàiiit-Sorliîi (1596-1676), auteur de plusieurs tragi-co- 
médies, de la Cjomédie. «aiirique. des f^iistonnotr^, dupoëmQ de CfoviÂ, de 
divers romans et de plusieurs ouvrages dç dévotion, pairmi lesquels un pbëme 
qui a pour titre : Xta Piramenades de Ricl^elieu ofi les vertus chréiiennes. et 
qui contient des sèirnioiis en vers sur tu foi, l'espérance et la charité, suivis 
de la description du château de la ville de Richelieu. Il fut l'un des premiers 
agresseurs des anciens dans la qdëretle des anciesi eC dM modernes, et rao 
des plu« ardents adverMires des Jansénistes. 



DE LÀ VILLE. 123 

L«£rclaché% lies Historiettes de Barbin*, et ^ueiques 
iPecueils de poésies. Il se promène avec des femmes k 
là Plaine* ou au Cours, et i} est d'une ponctualité reli- 
gieuse sur les visites. U fera demain ce çii'il fait aujour- 
d'hui et ce qu'il fit hier; et il meurt ainsi après avoir 
vécu. 

% Voilà un homme, dites-vous^ que j'ai vu quelque part : 
de savoir où, ii est difâcile ; mais son visage m'est faini- 
Ker.— ^ Il Test à bien d'autres ; et je vais, s'il se peut, aid^r 
votre inéméire. Sst-ce au boulevard* sur un strapontin*, 
ou atDc Tuileriies dans la grande allée, ou dans le balcon à 
la comédie? Est-ce au sermon, au bal, à Rambouillet*? Où 
pourriez-vouS ne l'avoir point vu? où n'est-il point? S'il y 
a dans la place une fameuse exécution, ou un feu de joie, 
il parait à une fenêtre de l'Hôtel de Ville ; si l'on attend 
une magnifique entrée, il a sa plaee sur un échafaud; 
s'il se fait un carrousel, lé voilà entré, et placé sur l'amphi- 
théâtre ; si lé rdi reçoit des ambassadeurs, il voit lei^r mar- 
che, il assiste à leur audience, il est en haie quand ils re- 
viennent de leur audience. Sa présence est aussi essentielle 
aux serments des ligues suisses que celle Ôh ctancélier et 
des ligues mêmes'. C'est son visage que l'on voit aux al- 
manachs représeiitef le peuple 6u l'assiétàncè'. Il f %ùne 

i; Louis dé L«»clActaé, intettr d^un traité cor I& réforme éeVùriograft 

franceze. d'un Cours de philosophie eccpliqnée en tablée^ etc. 

!l . bfirbin, eéïèbire Ubr aire, cbek lequel se Teudaieut qunniité d'hietoriettei 
)^Ù0 le pubtlc nommait dëft Bàrbinadiss: 

3. Il i*agU ^Ahs duuie dé là pUiuô des Sablons. 

%. Au bôufôVàrd de )a porte saint-Antoine; , 

5. Petit siège que l'on place sur le devant d'un oaurrou* eonpé^ oa va 
ipûTtières danl lés girainâs carrossèi. 

6. Va^te Jardin, qui était sitaé danft 1» faubourg Saint-Antdine, et que l'on 
bOfiimait aussi Jardin db Reuiliy ou jardin déa Quatre- PaviliDos. Le finan- 
icier Mlùdlaà de HambonlUet^ pfeté do po^ta Antoine de Ramboaillat delà 
Sablière, l'aTait fait planter bt dëailfiBr & ^rattdê frais. « On 7 Tient en 
foule bôttr fc't divertir, i» dit sauvai. 

7. C'ekt-à-olt^ ant cérénioalbe dana Ibftquelles était renouvelée ,l'«llianee 
dé la fraittié avec léâ suisieft. Le chancelier j ou ëelui qui le remplaçait » y 
M))OHdaît II \é. haHintoié de^ àmbassadburt dbs cantonti, «t libait la fôriBule 
Ma serment que ptétait tbaeun d'eux et 4n6 réfiétàit le roi; La dernière 
a{{tanc0 avait eu lieu le 18 novembre i66i. . . 

S. M SoM LottU XIV, on poblildt chaque àbnée pour ahnànacb de trè»-bellea 
et de i^ëà-gr&ndes èfiiartipës, desBinéeë et graTéds par les meilleure artistes. 
Là se trbuvbht représentés, par allégorie, lea événeinents de l'année pas- 
sée. Les rois, les princes, les généraux, les grands dignitaires figurent or- 
dinairement dana le champs principal de ce$ estampes et sont très-ressem< 
blatitfe. t^lus bas sont dés pot-traits d'échevins.ou de personnage» du tiers 
état, qui regardent 18 troi; c'est tepeiipift ou VûisiêicMûr. Stkr lea côtés, dea 



124 CHAPITRE Vn. 

châsse pablique, VLneSainUHubert\ le voilà à cheval; on 
parle d'un camp et d'une revue, il est à Quilles, il est à 
Achères*. Il aime les troupes, la milice, la guerre; il la 
voit de près, et jusques au fort de Bemardi', Ghahlet sait 
les marches*, JACQurER les vivres*, Du Metz l'artillerie* : 
celui-ci voit, il a vieilli sous le hamois en voyant, il est 
spectateur de profession ; il ne fait rien de ce qu'un homme 
doit faire, il ne sait rien de ce qu'il doit savoir; mais il a 
vu, dit-il, tout ce qu'on peut voir, et il n'aura point de re- 
gret de mourir. Quelle perte alors pour toute la ville I Qui 
dira après lui : « Le Cours est fermé, on ne s'y promène 
point ; le bourbier de Yincennes est desséché et relevé, on 
n'y versera plus? » Qui annoncera un concert, un beau sa- 
lut', un prestige de la foire ? Qui vous avertira que Beau- 
mavielle mourut hier, que Rochois est enrhumée * et ne 
chantera de huit jours? Qui connaîtra comme lui un bour- 
geois à ses armes et à ses livrées? Qui dira : c Scapin porte 
des fleurs de lis, » et qui en sera plus édifié ? Qui pronon- 



médailloDs représentent les batailles, les fêtes, les événements de l'année: 
et plus bas encore est un espace blanc oti l'on collait un calendrier imprime 
de l'année. » (Walckenaer. ) 

1. Tous les ans, à la Saint-Hubert, le roi et la cour prenaient part à une 
graiMe chasse dans les forêts Toisioes de Versailles. 

2. Houilles, village situé à trois lieues de Versailles, auprès duquel 
Louis XIV passait fréquemment des revues. Les troupes du roi campaient 
souvent dans la plaine d'Achères, village qui est également situé h quelques 
lieues de Versailles. 

3. Bernardi était le directeur d'une académie dans laquelle les jeunes 
gentilshommes venaient apprendre le métier des armes. Il faisait, tous les 
ans, construire auprès du Luxembourg un fort qu'use partie de ses élèves 
devait défendre et qu'une au ire partie devait attaquer. Cette petite guerre 
attirait un grand nombre de curieux. 

k. Jules-Louis Bolé, marquis de Chamlay, fils d'un procureur, était maré- 
chal des logis de l'armée du roi. Personne ne savait mieux indiquer les che- 
mins que les troupes devai«nt suivre, les campements qu'elles devaient occu- 
per, les emplacements qu'elles devaient choisir pour le combat. « C'est une 
carte vivante, » disait de lui le maréchal de Luxembourg. 

S. Jaequier, munitionnairedes vivres et secrétaire du roi. k Jacquier étoit 
unique pour les vivres, » dit dans ses mémoires l'abbé Legendre , qui ré- 
pète cette phrase de Turenne souvent rappelée par les contemporains : 
« Qu'on me donne Chamlay, Jacquier, Saint-Hilaire et trente mille hommes 
de vieilles troupes, il n'y a point de puissance que je ne force à se sou- 
mettre. » Jacquier mourut en 168%. 

e. Pierre-Claude Berbier de Mets, lieutenant général d'artillerie, tué le 
i*' juillet 1690 à la bataille de Fleurus. Il avait commandé l'artillerie à 
presque tous les sièges auxquels le roi avait assisté. Louis XIV le tenait en 
grande estime. 

7. Voyez, dans le chap. De quelqws usages, la définition d'un beau salut. 

S. Beaumavielle, célèbre basse-taille de l'Opéra, était mort depuis quel- 
ques années. Ulle Rochois chantait avec grand succès à l'Opéra. 



DE LÀ VILLE. 125 

oera avec plus de vanité et d'emphase le nom d'une simple 
bourgeoise? Qai sera mieux fourni de vaudevilles? Qui 
prêtera aux femmes les Annales galantes et le J<mrnal 
amoureux ? Qui saura comme lui chanter à table tout un 
dialogue de VOpéra, et les fureurs de Roland* dans une 
ruelle ? Enfin, puisqu'il y a à la ville comme ailleurs de 
fort sottes gens, des gens fades, oisifs, désoccupés, qui 
pourra aussi parfaitement leur convenir? 

^ Théramène était riche et avait du mérite; il a hérité; il 
est donc très-riche et d'un très-grand mérite. Voilà toutes 
les femmes en campagne pour l'avoir pour galant, et toutes 
les filles pour épùxtëeu/r. Il va de maison en maison faire es- 
pérer aux mères qu'il épousera. Est-il assis, elles se reti- 
rent pour laisser à leurs filles toute la liberté d'être aima- 
bles, et à Théramène de faire des déclarations. Il tient ici 
contre le mortier*; là il efface le cavalier' ou le gentil- 
homme. Un jeune homme fleuri, vif, enjoué, spirituel, 
n'est pas souhaité plus ardemment ni mieux reçu ; on se 
l'arrache des mains, on a à peine le loisir de sourire à qui 
se trouve avec lui dans une même visite. Combien de ga- 
lants vart-ii mettre en déroute ! quels bons partis ne fera-t-il 
pas manquer! Pourra-t-il suffire à tant d'héritières qui le 
recherchent? Ce n'est pas seulement la terreur des maris, 
c'est l'épouvantail de tous ceux qui ont envie de l'être, et 
qui attendent d'un mariage à remplir le vide de leur consi- 
gnation^. On devrait proscrire de tels personnages si heu- 
reux, si pécunieux, d'une ville bien policée, ou condamner 
le &exe, sous peine de folie ou d'indignité *, à ne les traiter 
pas mieux que s'ils n'avaient que du mérite. 

^ Paris, pour l'ordinaire le singe de la cour, ne sait pas 
toujours la contrefaire; il ne l'imite en aucune manière 
dans ces dehors agréables et caressants que quelques cour- 
tisans, et surtout les f enmies, y ont naturellement pour un 

1. Roland^ opéra de Quinaalt et de Lulli. 

2. Cooire un président à mortier. Le mortier était la toque de yelours, 
que portaient les présidents du parlement. Le mortier du premier pré- 
sident avait deux galons d'or; celui des présidents de chambre n'en avait 
qu'un. — Le chaucelier portait également un mortier, qui était de toile d'or 
bordée d'hermine. 

3. L'homme d'épée. 

k. Qui attendent qu'une dot remplisse dans leur caisse le vide qu'y a fait 
Facquisition d'une charge. 
5. SoUs peine d'être convaincu de folie ou déclaré indigne. 



W6 CHAPITIUB va. 

hoinmt de méiilet et <pû a^« nâmt %ii« du nérita : •Bas ne 
a^infoiment ni de ses contrats * ni de ses ancêtres ; elles le 
trouvent à la ço^r, cela leur suffit; elles le souffrent, elles 
restiment; elles ne demandent pas s'il est repu en chaise 
ou i iued, s'il a une ctiarge, une terre oq un équipage : 
C99iuie elles ¥«^jrgeut de train^ de splendeur et de digni- 
té, elles se délassent TolQD^ers aV^o la philosophie ou la 
Tertu. Une femme de. T^lle §ntend-^e le tM^uissement d'un 
carrosse qui ^'srréte à {» pQVtei elle pc^e 4e goût et de 
QOTOJlaisance pq^r qui^9qpe eyt dedans, aa^s le connaître ; 
mais 9i elle a tvi 49 sa le.n^re un bel attelage, beaucoup de 
liyvéee, et que plusieurs rangs de cious parls^tomei^t dorés! 
raient éblouie, quelle impatience nVt-edle pas de ?oir déjà 
d^ns sa chambre le caYidifv ou le magistrat t quelle çhar^ 
•nante récep^on ne lui fera-t-elle point? dtera-t-^e les jeux 
de dessjis lui'? Il ne perd rien auprès d'elle; on lui tient 
cpmpte des doubles ^upeutes et des- ressorts qui le font 
rçuleir. plus moUem^t i oUe J^en estime 4^Tautage, elle l'en 
aime mi^z. 

% Gei^ fatuité de quelques femmes de la ^îtte qui cause 
en elles uue mauyaise imitation de ceUea de la cour, est 
quelque chose de pire que la grossièreté des léxiiunfis du 
peuple et que la rusticité des YiUageoises : ^e a sus toutee 
deux l'affectation de. plus. 

% La subtUe in^^entlon, de faire de magnifiques présent^ 
de noces qui ne cot^tent «leu, et qui dfivent être retidus eu 

espèces ^ t 

f Ji'utile et la loual^le pratique, de perdrf en frais de 
noces le tiers de la dot qu'vme feimme apport^ 1 de com- 
mencer par s-appauvrir de concert par Pâmas et Tent^ 
sèment de chpses superflues, et de prendre déjà sus 
sou iouds de quçi pejer fiaultiesf, les meubles et la 
toilette I 

1. De Vétat de ses affaires, de sa fortune. 

8. li'efs d^âidoVéi fortbSî^nt lÀ pt^dpate ornemeotatlon des carrosses* 

yalt laBruyèfl^. Bossus et é^saus ne sb/)tùlus Uxihtè êip^&ffy qùë ^èotemè 
aSverlfté» dans la'bëednde partie dti aiï-seimèmtrsfàcle: '^' ' '' '^ 

%. Il s'agit des présents qae le fatur envoie à sa flancée et «rae noo^ gom- 
mons aujoard'hai la corbeille. Du temps de la Brayère, 'duelQues jeunet 
^ns, véritables fHponli, ùvafent émpmiié K dés iôaîtlitrrs coropkfsants fee^ 
bijoux qu'ils uvaient otï«rts à leurs fiancées, puis les avAîeut reâdùs après ïe 
mariage. , # . 



DE Ul VItLS. 127 

^Pénible ooatame, asservissement incommode ! seclier- 
cher incessamment les unes les autres avec P impatience de 
ne se point rencontrer * ; ne se rencontrer que pour se dire 
des riens, que pour s^pprendre réciproquement' des choses 
dont on est également instruite, et dont il importe peu que 
l'on soit instruite; n'-entrer dans une chambre précisément 
que pour en sortir ; né sortir de chez soi l'après-dtnée que 
pour 7 rentrer le soir, fort satisfaite d^avoir vu en cinq 
petites heures trois suisse», une femme que lH)n oonnatt I 
peine, et une autre cpie l'on n*aime guère 1 Qui considére- 
rait bien le prix du temps, et combien sa perte est irrépa- 
rable, pleurerût amèrement sur de si grandes misères. 

^ On ^'élève à la yille dans une indiâérence grossière des 
choses rurales et champêtres ; on distingue à peine la plante 
qui porte le chanvre d'avec celle qui produit le lin, et le 
blé froment d*avec les seigles*, et l'un ou l'autre d'avec lé 
méteil : on se contente de se nourrir et de s'habiller. Né 
parlez à un grand nombre de bourgeois ni de guérets, nî 
de baliveaux, ni de provins, ni de regains ^ si vous vouleî 
être entendu; ces termes pour eux ne sont pas français. 
Parlez au$ uns d^aunage^, de tarif, ou de sou pour livre i^, et 
aux autres de voie d'appel, de requête civile, d^appointe- 
ment, d^évocation*. Us connaissent le monde, et encore 

1. Allusion aax visites qu'échangeaient les femmes. 

i, Le iQotbl^, qui » |adta déngiifl tootf les gnUns, a*ap^qaait égatemMit 
an froment et au sei^e. Oliver d& Serres, aa sei;$ième ^ifolet 4it 1« pur blé 
ftoment lorsqu'il Teut distinguer le premier do second. Le ff-'oment et lé 
seigle Bout encore appeMb les grands blés, et l'or^ et l%yfl&ûé tes petiu blé« 
Le luélaoge du froment et diu çeigle forme le méieH. 

31 ùvéretf terre labodrée et non ensemencée. — Les bciîiveaux sont les 
vitres que l'on r^erfielors de la coc^ des bois et qui fiftut desfiiiéfi àderenii^ 
des arbres ^ baute (utaie. Réserv^ lo^s d'une seconde co^pe, Ua d«yi.eii 
nent des tnodtemes ; aptes Une troisième coupe, x)n les' tiûmme de>s àricieru. 




4. Les étoffes se mesuraient à l'aune, mesure de 8 pieds 7 ponces 10 lignes 

5. lï y avait sur les marchandises une imposition qui se nommait alna! 
ei qm tii^i^ du vip|;tiim« de leur valeur. 

«. t^jç^es de <koA- L» Tfq^éU eivik («'esit-j^-dir^ requête polie) est uoo 
vQ^'e çxtraoxdip&ir« W laquelle ou pent, en certains cas, W!ir« rétracter, 
par les juges mêmes qui l'ont prononcé, un arrêt rendu en dernier rea> 
son. — VappoinUtnmt eut, « «n généra), un jugement prép>art^toire pat 
lequel le juge, pour mieux s'instruire ^uJl^e afairç, ordonu^ que ie^ parties 
la discuteront par écrit devant lui. » ~ VévocaUofn est •< l'action d'^ter an 
juge ordinaire la connaissance d*ane contestation e^ de coulérer & d'autres 
jages ie pouvoir de la décider. » (Merlin.) 



128 CHAPITRE VU. 

par ce qu'il a de moins beau et de moins spécieux * : ils 
ignorent la nature, ses commencements, ses progrès, ses 
dons et ses largesses. Leur ignorance souvent est volon- 
taire, et fondée sur l'estime qu'ils ont pour leur profession 
et pour leurs talents. Il n'y a si yil praticien qui, au fond 
de son étude sombre et enfumée, et Tesprit occupé d'une 
plus noire chicane, ne se préfère au laboureur, qui jouit du 
ciel, qui cultive la terre, qui sème à propos, et qui fait de 
riches moissons ; et s'il entend quelquefois parler des pre* 
miers hommes ou des patriarches, de leur vie champêtre et 
de leur économie, il s'étonne qu'on ait pu vivre en de tels 
temps, où il n'y avait encore ni offices, ni commissions, ni 
présidents, ni procureurs; il ne comprend pas qu'on ait 
jamais pu se passer du greffe, du parquet et de la buvette*. 
^ Les empereurs n'ont jamais triomphé à Rome si mol- 
lement, si commodément, ni si sûrement même, contre le 
vent, la pluie, la poudre et le soleil, que le bourgeois sait 
à Paris se faire mener par toute la ville : quelle chstance de 
cet usage à la mule de leurs ancêtres ! ils ne savaient point 
encore se priver du nécessaire pour avoir le superflu, ni 
préférer lo faste aux choses utiles. On ne les voyait point 
s'éclairer avec des bougies', et se chauffer à un petit feu : 
la cire était pour l'autel et pour le Louvre. Ils ne sortaient 
point d'un mauvais dîner pour monter dans leur carrosse; 
ils se persuadaient que l'homme avait des jambes pour 
marcher, et ils marchaient. Ils se conservaient propres 
quand il faisait sec, et dans un temps humide lis gâtaient 
leur chaussure, aussi peu embarrassés de franchir les rues 
et les carrefours que le chasseur de traverser un guéret, 
ou le soldat de se mouiller dans une tranchée. On n'avait 
pas encore imaginé d'atteler deux hommes à une litière^; 
il y avait même plusieurs magistrats qui allaient à pied à 
la chambre ou aux enquêtes*, d'aussi bonne grâce qu'Au- 

i. Spécieuœ est ici pris eu bonne part, comme tpecionu Test sonrent en 
latin. 

2. « Lieu établi dans tontes les cours et juridictions, oti les conseillers 
vont prendre un doigt de vin quand ils sont trop longtemps en l'exercice 
de leurs charges et où ils parlent aussi de leurs affaires communes.» (Dtcf. 
de Trévoux,) 

8. L'usage de la chandelle de cire, que Ton fabriquait à Bougie, surlac6te 
d'Afrique, était encore d'un grand luxe. 

4. A une chaise à porteur». 

5. A la chambre dfts enquêtes. 



DE LA VILLE. 129 

giiste autrefois allait de son pied au Gapîtole. L'étain, dans 
ce temps, brillait sur les tables et sur les buffets, comme le 
fer e{ le cuivre dans les foyers ; l'argent et Tor étaient dans 
les coffres. Les femmes se faisaient servir par des femmes; on 
mettait celles-ci jusqu'à la cuisine. Les beaux noms de gou- 
verneurs et de gouvernantes n'étaient pas inconnus à nos 
pères : ils savaient à qui l'on confiait les enfants des rois 
et des plus grands princes; mais ils partageaient le servica 
de leurs domestiques avec leurs enfants', contents de veiller 
eux-mêmes immédiatement à leur éducation. Ils comptaient 
en toutes choses avec eux-mêmes : leur dépense était pro- 
portionnée à leur recette ; leurs livrées, leurs équipages, 
leurs meubles, leur table, leurs maisons de la ville et de la 
campagne, tout était mesuré sur leurs rentes et sur leur 
condition. Il y avait entre eux des distinctions extérieures 
qui empêchaient qu*on ne prtt la femme du praticien pour 
celle du magistrat, et le roturier ou le simple valet pour le 
gentilhomme. Moins appliqués à dissiper ou à grossir leur 
patrimoine qu'à le maintenir, ils le laissaient entier à leurs 
héritiers, et passaient ainsi d'une vie modérée à une mort 
tranquille. Ils ne disaient point : Le siècle est dur^ la misère 
est grande^ Vargent est rare; ils en avaient moins que nous, 
et en avaient assez, plus riches par leur économie et par 
leur modestie que de leurs revenus et de leurs domaines. 
Enfin 4'on était alors pénétré de cette maxime, que ce qui 
est dans les grands splendeur, somptuosité, magnificence, 
est dissipation^ folie, ineptie, dans le particulier. 



CHAPITRE vm. 
DE LA COUR. 

Le reproche, en un sens, le plus honorable que Ton puisse 
faire à un homme, c'est de lui dire qu'il ne sait pas la 
cour : il n'y a sorte de vertus qu'on ne rassemble en lui 
par ce seul mot. 



1. CeM'à-ilire que l«ars en&nts n'avaient d*aatreft domestiqDes que les 
leart. 

9 



130 CHAPITRE Vni. 

^ Un homme qui sait 1^ cour est oiattre de son geste, do 

ses yeux et de son visage ; il est profond, inipéoétrable ; il 
dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, con- 
traint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, 
parle, agit contre ses sentiments. Tout ce grand raffinement 
n'est qu^un vice, que Ton appelle fausseté ; quelquefois 
aussi inutile au courtisan pour sa fortune que la franchise, 
la sincérité et la vertu. 

% Qui peut nommer de certaines couleurs changeantes, 
et qui sont diverses selon les divers jours dout* on les re- 
garde"? de môme, qui peut définir la cour? 

% Se dérober à la cour un seul moment, c'est y renon- 
cer : le courtisan qui Ta vue le matin la voit le soir, pour 
la reconnaître le lendemain, ou afin que lui-même y soit 
connu. 

% L'on est petit à la cour, et, quelque vanité quQ Tou ait, 
on s'y trouve tel ; mais le pial çst commun, et les grands 
mêmes y sont petits. 

^ I.a province est l'endroit d'où la cour, comme dau9 §Qa 
point de vue, parait une chose admirable : si l'on s'en ap-; 
proche, 9es agréments diminuent cpmm^ çeu^ d'une per- 
spective que Ton voit de trop près, 

^ L'on s'accQutume difficilement ^ une. vie qui se passç 
dans UU9 antichambre, dans des cours, ou sur l'escalier. 

^ La cour ne rend paa content; elle empêche qu'on ^o 
le soit ailleurs. 

% 11 faut qu'un honnête homme ait tâté de la cour : U 
découvre en y entrant, comme un nouveau monde qui lui 
était inconnu, où il voit régner également le vice et la 
politesse, et où tout lui est utile, le bon et le mauvais. 

1. Dont a ea, dans la pensée de l'antenr, laTaleor de d'où. Les grammairioDa 
ont biàmé l'emploi da mot dont eu pareille circonstance; les meilleun 
écriyains cependaiU en ont fait usage, au propre comme au figuré, sans ad- 
meiii-e les oistinctions auront Tourn ét&bllr k cet égard Vaagelas et ses 
successeurs. Corneille, Nicomède, v, 2 : 

Le mont ÂYentin 
Donf il TauraitTU (aire qpe t)orr)t)le descente.... 

Badne, Bajçiztt, u, 1: 

Rentre dans le néant dont Je t'ai fait sortir. 

Les exemples abondent au seizième, au dis-septième et même au dix- 
huitième siècle. L'ét^mologie peut les justifier, aoù étant calqué sur de 
ybiy et dont sur de unde : iaiin barbare, mais c'est sur le latin de la plue 
infime latinité que s'est en grande partie formée notre langue. 



DE LA COUR. 131 

% Lft Gour est comme im édifice bâti de marbiç : je yeux 
dire qa'elle est composée d'hommes fort durs, mais fort 
polis. 

% L'on Ta quelquefois à la cour pour en reyenir, et se 
faire par U respecter dvi nobl^ de s^ proyiuce, ou de soû 

diocésain *• 

% le brodeur et le confiseur seraient superflus^ et ne fe* 
raient qu'upe montre inutile *^ si Toq était mo4este et sobre : 
les CQurs seraient désertes, et les roi^ presque seuls, si Ton 
était guéri 4e la yanité et de Pi^térêt. Les hommes yeulent 
être esi^aves quelque part, et puiser là de quoi dominer 
ailleurs- Il semble qu'oQ liyre en gros aux premiers de la 
cour Tair de hauteur, de fierté et de commandement, afin 
qu'ils le distribuent en détail dans les proyinces : ils font 
précisément comme on leur fait, yrais singes de la royauté. 

^ Il n'y a rien qui enlaidisse certains courtigans comme 
la présence du prince t à peine les puis-je reconnaître k 
leurs yisages ; leurs traits sont altérés, et leur contenanee 
est ayilie ; les gens fiers et superbes SPQt les plus défaits, 
car ils perdeDt plus du leur. Celui qui est honnête et rno* 
deste s'y soutient mieux ; il n'a rieu 4 réfprixv^r. 

% L'air de cour est contagieux ; il se prend à V*'^*% 
comme Taccent normand à Rouen ou à Falaise ; on reotrQ'* 
yoit en des fourriers, en de petits contrôleurs, et en des 
chefs de fniiterie^ : Ton peut, ayec une portée d'esprit fort 
médiocre, y faire de grands progrès. Un homme d'un génie 
éleyé et d'un mérite solide ne fait pas assez de cas de cette 
espèce de talent pour faire son capital* de l'Ôtudier et se le 
rendre propre; il l'acquiçrt 3%as réfleadpp, et il ne pense 
point à s'en défaire. . 

1[ N*** arriva avec graAd bruit : écjirte I9 jnonde, se 



t . Ou de révèqae de son diocède. 

3. Oavriraieo^ inutilement leur |)OUti(^iie. La montre est l^étalage que fait 
le marchacd. 

3. A Versailles. 

4. Les fourriers, placés sou^ les ordres des maréchatti des logis, mar« 
quaient les logis pour le roi el U cour, quand le roi iroyageait. Les contrô- 
leurs ordonnaient, sarreillaient et vérifiaient les dépenées de bouche de la 
maison du roi. Les chefs dé fruiterie, qui avaient eessé, d^bis le règne de 
Louis XIII, de fournir le fruit de la table du ro!, dtspoaaient le dessert- 
fouruissaient les bougies de cire des lustres et des girandoles, etc. 

5. Faire son capital (son afiklre principale) d'une cho*e, eipression fort 
usitée au seizième et an dix-septièmé siècle. 



132 CHAPITRE VIII. 

fait faire place ; il gratte , il heurte presque; il se nomme : 
on respire, et il n'entre qu'avec la foule * . 

^ Il y a dans les cours des apparitions de gens aventu- 
riers et hardis, d'un caractère libre et familier, qui se pro- 
duisent eux-mêmes, protestent qu'ils ont dans leur art toute 
l'habileté qui manque aux autres, et qui sont crus sur 
leur parole. Ils profitent cependant de Terreur publique, 
ou de l'amour qu'ont les hommes pour la nouveauté ; ils 
percent la foule, et parviennent jusqu'à l'oreille du prince, 
à qui le courtisan les voit parler, pendant qu'il se trouve 
heureux d'en être vu. Ils ont cela de commode pour les 
grands, qu'ils en sont soufferts sans conséquence, et con- 
gédiés de même : alors ils disparaissent tout à la fois riches 



1. La Bcène se passe à la porte de la chambre du roi, à Theure oh se ter- 
mine le petit lever. Déjà les personnages qui compuseot la première entrée 
ont été admis dans la chambre de Louis XIV. Les coanisans se pressent 
devant la porte. Les hauts dignitaires, et quelques courtisans favorisés dont 
l'huissier a les nomS| ou pour lesquels, « selon le discernement gu'il fait des 
personnesplu&ou moins qualifiées, il fait demander au roi l'autorisation d'en- 
trer, » pénètrent un à un, à mesure qu'ils se présentent. 11 semble que N***, 
qui arrive avec tant de bruit, doive être l'un de ces privilégiés et entrer 
avant la foule. La porte est fermée. A cette porte, comme à toutes celles des 
appartements du roi. l'étiquette exige que Tun gratte doucevMnt avec lei 
ongles : H*** a failli l'oublier. L'huissier entrx>uvre la porte; ti*** se 
nomme, et la porte se referme, sans qu'il ait obtenu la permission d'entrer. 
Quelques vers d'une comédie de R. Poisson, le Baron de la Crasse^ qui fût 
jouée en 1662, peuvent servir de commentaire à ce passage. Le baron, een- 
tilhomme de province, raconte la tentative qu'il a faite pour voir le roi dans 
un Toyage à Fontainebleau : 

J'allais pour voir le roi, quand insensiblement 
Je connus que j'étais dans son appartement.... 
.... Où j'étais donc on faisait f«irt la presse. 
Une porte s'ouvrait et se fermait sans cesse. 
Beaucoup de gens entraient assez facilement, 
J'en vis qu'on repoussait aussi fort rudement. 
Des hommes fort bien faits assez haut se nommèrent, 
Et, quelque temps après, on ouvrit ; ils entrèrent. 

Le baron parvient à se faire jour jusqu'à la porte de la chambre i 

Je cherchai le marteau pour frapper à la porte. 
Mais je fus obligé (car je n'en trouvai point) 
De donner seulement deux ou trois coups de poing* 
L'huissier ouvre aussitôt, criant d'une voix forte t 
« Qui diable est l'insolent qui frappe de la sorte? 

— Je n'ai pas frappé fort, lui dis-je, excusez-moi; 
C'est le désir ardent qu'on a de voir le roi. 

— Hais d'où diable êtes- vous pour être si novice? 
Dit-il. — DePézenas, dis-]e, à votre service. 

— Hé bien! apprenez donc, monsieur de Pézenas, 
Qu'on gratte à cette porte et qu'on n'y heurte pas. 
Vous voulez voir le roi? vous attendrez qu'il sorte.» 
Ditril, et repoussa fort rudement la porte. 



DE LA COUR. 133 

et dêcrédités; et le monde qu'ils yiennent de tromper est 
encore prêt d'être trompé par d'autres '. 

^ Vous voyez des gens qui entrent sans saluer que légè- 
rement*, qui marchent des épaules, et qui se rengorgent 
comme une femme : ils vous interrogent sans vous regar- 
der; ils parlent d'un ton élevé, et qui marque qu'ils se sen- 
tent au-dessus de ceux qui se trouvent présents; ils s'arrê- 
tent, et on les entoure; ils ont la parole, président au 
cercle, et persistent dans cette hauteur ridicule et contre- 
faite, jusqu'à ce qu'il survienne un grand , qui, la faisant 
tomber tout d'un coup par sa présence, les réduise à leur 
naturel, qui est moins mauvais. 

% Les cours ne sauraient se passer d'une certaine espace 
de courtisans, hommes flatteurs, coinplaisants, insinuants, 
dévoués aux femmes, dont ils ménagent les plaisirs, étu- 
dient les faibles et flattent toutes les passions : ils leur 
soufflent à l'oreille des grossièretés, leur parlent de leurs 
maris et de leurs amants dans les termes convenables, devi- 
nent leurs chagrins, leurs maladies, et fixent leurs cou- 
ches ; ils font les modes, raffinent sur le luxe et sur la 
dépense, et apprennent à ce sexe de prompts moyens de con- 
sumer de grandes sommes en habits, en meubles et en 
équipages ; ils ont eux-mêmes des habits où brillent l'inven- 
tion et la richesse, et ils n'habitent d'anciens palais qu'après 
les avoir renouvelés et embellis. Ils mangent délicatement 
et avec réflexion; il n'y a sorte de volupté qu'ils n'essayent, 
et dont ils ne puissent rendre compte. Ils doivent à eux- 
mêmes leur fortune, et ils la soutiennent avec la même 
adresse qu'ils l'ont élevée. Dédaigneux et fiers, ils n'abor- 
dent plus leurs pareils, ils ne les saluent plus ; ils parlent 
oi!i tous les autres se taisent , entrent, pénètrent en des en- 
droits et à des heures où les grands n'osent se faire voir : 
ceux-ci, avec de longs services, bien des plaies sur le corps, 



1. 1.a locution prit de, employée comme aujourd'hui près de pour signifier 
sur le point cle, éiait d'un usage très-fréquent au dix-septième siècle. Cetta 
locution a toutefois été rejetée par les grammairiens modernes, qui, sur ce 
point comme sur t)eaucoup d^autres, se sont mis en contradiction arec leurs 
prédéceÂseurs. Prêt de ei prêt à se disaient également dans le même sens. 
m Lorsque prêt signilie sur le point, dit Bouhours, prit de est beaucoup 
meilleur. » 

2. Si ce n*e8t légèrement. C'est là une construction qui se retroure très- 
fréquemment dans les meilleurs écritains. 



134 côAPItR» vm. 

de baàUl «mploià ou dô grandes û\ghiiéii, tie montrée pas 
un visage si assuré ni une cotiteUan(;e si libre. Ces gens 
ont roreille des plus grands princes, soUt de tous leurs 
plaisir^ et cle toutes leurs féteâ, ne sortent pas du Louvre 
ou du ehâteàU *, où ils marchent et agi^àètt cotnme chez 
eux et â&ûé leur domestique', âèmbleut se multiplier en 
mille endroits, et sont toujours Ifes premiers visages qui 
frappent les nouveaux tenus à Une eour : ils embrassent, 
ils sont embfassés; ils rient, Us éclatent, ils Sont plaisants, 
ils font des contes : personnes commodes, agréables, riches, 
qui prêtent, et qui àont sans conséquence. 

^ Ne croirait-on pas de Cirhofi et de Cliiartdre qu'ils sont 
seuls chargés des détails de tout l'Etat, et que Seuls aussi 
ils en doivent répondre? L*un à du moins les affaires de 
terre*, et l'autre les înafitimeâ. Qui pourrait les repré- 
senter exprimerait TemprebSement, l'inquiétude, la curio- 
sité» l'activité, saurait peindre le mouvement. On ne les a 
jamais vus assis, jamais fixes et arfétés : qui même les a 
vus marcher? On les voit courir, parler en courant, et vous 
interroger sans attendre de réponse. Ils ûe Viennent d'au- 
cun endroit, ils ne vont nulle part ; ils passent et ils repas- 
sent. Ne les retardez pas dans leur course précipitée, vous 
démonteriez leur machine; ne leur faites pas de questions, 
ou donnez-leur du moins le temps de respirer et de se res- 
souvenir qu'ils n'ont nulle affairé, qu ils peuvent demeurer 
avec vous et longtemps^ vous suivre même oii il vous plaira 
de les emmener. Ils ne sont pas les satellites de Jupiter^ je 
veux dire ceux qui pressent et qui entourent le prince; 
mais ils l'annoncent et le précèdent; ils se lancent impé- 
tueusement dans la foule des courtisans; tout ce qui se 
trouve sur leur passade est en péril. Leur profession est 
d'être vus et revus, et ils ne se couchent jamais sans s'être 
acquittés d'un emploi si sérieux, et si utile à la république. 
Ils sont, au reste, instruits à fond de toutes les nouvelles 
indijQférentes, et ils savent à la cour tout ce que l'on peut 
y ignorer**^ il ne leur manque aucun des talents nécessaires 

i. pu ch&teau de Versailles. 

3. Dans leur intérieur. 

S. On dirait que l'un a pour le moins le ministère des affaires de terte» 

4. Y ignorer. « Cela est éJLrangenient rude, >» dit avec quelque raison l'ap- 
teur des Sentiments criliaues'iur les Caractères de M, de la Bruyère, 



DS LA COUR. 135 

pour s'avancer méâiocretnent. Gens néannioins éveillés et 
alertes sur tout ce qu'ils croient leur convenir, un peu en- 
treprenants, légers et précipités ; le dirai-jet ils portent au 
Vent, attflés tous deux au char de la fortune, et tous deux 
fort éloignés de s*y voir afesis '. "^ i i 

% tin homme de là cour qui n*a pas uû assez beau nom 
doit fensevelir èous un meilleur ; mais, s'il l'a tel quMl ose 
le porter, il doit alors insinuer qu'il est* de tous leô noms 
le plus illustre , comme sa maison de toutes les maisons la 
plus ancienne : il doit tenir aux princes lorrains, aux Ro- 
HANâ, aux Ghastillons, aux MonTmorencîs, et, s*il se peut, 
aux PRINCES Dû SANG *, ne parler que de ducs, de cardinaux 
et de ministres ; faire entrer dans toutes les conversations 
ses aïeuls paternels et maternels, et y trouver place pour 
roHflamme et pour les croisades ; avoir des salles parées 
d'arbres généalogiques, d*écussons chargés de seize quar- 
tiers, et de tableaux de ses ancêtres et des alliés de ses an- 
cêtres; se piquer d'avoir un ancien château à tourelles, à 
créneaux et à mâchicoulis ; dire en toute rencontre : ma race^ 
ma branche , mon nom et mes armes ; dire de celui-ci qu'il 
n'est pas homme de qualité, de celle-là qu'elle n'est pas de- 
moiselle • ; ou, si on lui dit q\i' Hyacinthe a eu le gros lot*, 
demander s'il est gentilhomme. Quelques-Un s riront de ces 
contre-temps", mais il les laissera rire; d'autres en feront 
des contes, et il leur permettra de conter : il dira toujours 
qu'il marche après la maison régnante, et à force de le dire, 
il sera cru. 



1 . Lft Bruyère BTâit d'abof d éeiit et il fmprlmft denx fois : * lli portent 
au vent^ ei sont conime aUclés au char de la Fortune, ot ils sont tous deux 
fort éloignés de se voir assis. » La phrase, Corume on le voit, a été singu- 
ilèrem«iii améliorée. — Il porte au tmt^ M dit d'ut> c>ie¥al qui porte le nex 
aussi haut que les oreilles. ^ 

2. //, ce nom. I.e même pronom il se jrapporte dans^ la mAme phra&o à 
deux pujf'tA difîërents : giHTe négligence que l'on a ptt reprocher plus d'une 
fois à Molière et dont Pascal offru des exetnples. 

3. Une demoi>clle était jadis la fiile ou la femme qui était née de parents 
Boblfs. « Ahl qu'un- femme demoiselle e>^i une étrange affaire! » fait dire 
Molière a un mari de ses comeoiea. C'est le 8en:^que la Bruyère donne au 
mot demoiselle: mai» presque loutfs les bourgeoises de 8on temps pre- 
naient le titre de demoiselles. Rn pli'sieurs acies pa!>st;s par-<levaiit notaire, 
la mère de la Bruyère, simple bourgeuibe,est'iualifife<le demoiselle veute. 
L'uiUige devait bieniôi restreindre cette appcllatiou aux filles de boargeoss, 
non encore mariées. 

ii. A la loterie. 

S. De ces phrases inopportun*»^» 



136 CHAPITRE Vni. 

^ C'est une grande simplicité que d'apporter à la cour la 
moindre roture, et de n'y être pas gentilhomme '. 

% L'on se couche à la cour et Ton se lève sur l'intérêt : 
c'est ce que l'on digère le matin et le soir, le jour et la nuit ; 
c'est cej|ui fait que Ton pense, que Ton parle, que l'on se 
tait, que l'on agit; c'est dans cet esprit qu'on aborde les 
uns et qu'on néglige les autres, que l'on monte et que Ton 
descend ; c'est sur cette règle que Ton mesure ses soins, ses 
complaisances , son estime, son indifférence , son mépris. 
Quelques pas que quelques-uns fassent par vertu vers la 
modération et la sagesse, un premier mobile d'ambition les 
emmène avec les plus avares , les plus violents dans leurs 
désirs, et les plus ambitieux : quel moyen de demeurer im- 
mobile où tout marche, où tout se remue, et de ne pas cou- 
rir où les autres courent? On croit même être responsable 
à soi-même de son élévation et de sa fortune : celui qui ne 
l'a point faite à la cour est censé ne l'avoir pas dû faire ; 
on n'en appelle pas*. Cependant s'en éloignera-t-on avant 
d'en avoir tiré le moindre fruit, ou persistera-t-on à y de- 
meurer sans grâces et sans récompenses? question si épi- 
neuse, si embarrassée , et d'une si pénible décision qu'uu 
nombre infini de courtisans vieillissent sur le oui et sur le 
non ', et meurent dans le doute. 

% Il n'y a rien à la cour de si méprisable et de si indigne 
qu'un homme qui ne peut contribuer en rien à notre for- 
tune : je m'étonne qu'il ose se montrer. 

% Celui qui voit loin derrière soi un homme de son temps 
et de sa condition , avec qui il est venu à la cour la pre- 
mière fois, s'il croit avoir une raison solide d'être prévenu 
de son propre mérite et de s'estimer davantage que * cet 
autre qui est demeuré en chemin, ne se souvient plus de ce 
qu'avant sa faveur il pensait de soi-même et de ceux qui 
l'avaient devancé. 
% C'est beaucoup tirer de notre ami , si, ayant monté à 



1. C'est-à-dire de ne pas se défaire de sa roture avant d'arriver à la cour, 
et de ne s'y point faire passer pour gentilhomme. 

3. C'est la un arrêt irrévocable. Oti n'en appelle peu est une locution 
qu'affectionne la Bruyère. 

8. Vieillisseot avant de l'avoir résolue. 

4. Cette locution, aujourd'hui condamnée par les grammairiens, se re- 
trouve dans les œuvres de Malherbe, Descartes, Pascal, Molière, Bossuet, 
MassUlon.eic 



\ 



DE LA COUR. 137 

une grande faveur, il est encore un homme de notre con- 
naissance. 

% Si celui qui est en faveur ose s'en prévaloir avant 
qu'elle lui échappe, s'il se sert d'un hon vent qui souffle 
pour faire son chemin , s'il a les yeux ouverts sur tout ce 
qui vaque, poste, abbaye, pour les demander et les obtenir, 
et qu'il soit muni de pensions, de brevets et de survi- 
vances ', vous lui reprochez son avidité et son ambition ; 
vous dites que tout le tente , que tout lui est propre , aux 
siens, à ses créatures *, et que, par le nombre et la diver- 
sité des grâces dont il se trouve comblé, lui seul a fait plu- 
sieurs fortunes'. Cependant qu*a-t-il dû faire? Si j'en juge 
moins par vos discours que par le parti que vous auriez 
pris vous-même en pareille situation , c'est ce qu'il a 
fait *. 

L'on blâme les gens qui font une grande fortune pendant 
qu'ils en ont les occasions, parce que Ton désespère, par la 
médiocrité de la sienne, d'être jamais en état de faire 
comme eux, et de s'attirer ce reproche. Si Ton était à por- 
tée de leur succéder, l'on commencerait à sentir qu'ils ont 
moins de tort, et l'on serait plus retenu, de peur de pro- 
noncer d'avance sa condamnation. 

% Il ne faut rien exagérer, ni dire des cours le ma) qui 
n'y est point* : l'on n'y attente rien de pis contre le vrai mé- 
rite que de le laisser quelquefois sans récompense ; on ne 
l'y méprise pas toujours, quand on a pu une fois le discer- 
ner: on l'oublie ; et c'est là où l'on sait parfaitement ne faire 
rien, ou faire très-peu de chose, pour ceux que l'on estime 
beaucoup. 

^ Il est difficile à la cour que , de toutes les pièces que 
l'on emploie à l'édifice de sa fortune , il n'y en ait quel- 
qu'une qui porte à faux : Tun de mes amis qui a promis de 



1. Un breret était jadis « un acte qa*ezpédiait un ministre d'État et par le- 

3nel le roi accordait an don, une pension, un bénéfice, une grâce ou un titre 
e dignité. » (Littré.) — La survivance était le droit qu'accordait le roi 
d'exercer une chaîne après la mort du titulaire. 

3. Que tout lui semble bon à prendre, pour lui, pour les siens, pour ses 
créatures. 
8. Il a fait à lui seul plusieurs fortunes. 

%. Cest précisément ce qu'il a fait , leçon des premières éditions. A la 
neuvième, f)récisément a aisparu, peui-ètre par une faute d'impression. 
5. Début ironique. 






138 CHAPITRE Mil. 

parlei*' ûe parle point ; Tautre parle mollement; il échappe 
à un troisième de parler contre mes intérêts et contre ses 
intentions; à celui-là manque la bonne volontë, à celui-ci 
Thabileté et la prudence ; tous n^ont pas assez de plaisir à 
me voir heureux pour contribuer de tout leur pouvoir à me 
rendre tel. Chacun se souvient assez de tout ce que son 
établissement* lui a coûté à faire, ainsi que des secours qui 
lui en ont frayé le chemin: on serait même assez porté à 
justifier les services qu'on a reçus des Uns par ceux qu'en 
de pareils besoins onrelidraît aux autres*, si le premier 
et l^unique soin qu*on a, après>sa fortune laite, n^était pas 
de songer à soi. 

^ Les courtisans n*emploient pas ce qu4ls ont d'esprit, 
d'adresse et de finesse, pour trouver les expédients d'obli- 
ger* ceux de leurs amis qui implorent leur secours, mais 
seulement pour leur trouver des raisons apparentes, de 
spécieux prétextes, ou ce qu'ils appellent une impossibilité 
de le pouvoir faire ; et ils se persuadent d'être quittes par 
là en leur endroit* de tous les devoirs de l'amitié ou de la 
reconnaissance. 

Personne à la cour ne veut entamer* : on s'offre d'appuyer, 
parce que, jugeant des autres par soi-même, on espère que 
nul n'entamera, et qu'on sera ainsi dispensé d'appuyer. C'est 
une manière douce et polie de refuser son crédit, ses offices 
et sa médiation à qui en a besoin. 

% Combien de gens vous étouffent de caresses dans le par- 
ticulier, vous aiment et vous estiment, qui sont embarras- 
sas de vous dans le public, et qui, au lever ou à la messe'', 
évitent vos yeux et votre rencontre I 11 n'y a qu'un petit 
nombre de courtisans qui, par grandeur ou par une con- 
fiance qu'ils ont d'eux-mêmes, osent honorer devant le 
monde le mérite qui est seul et dénué de grands établisse- 
ments. 

^ Je vois un homme- entouré et suivi ; mais il est en 

i . De parler en ma faveur. 

2. L'établissement de sa fortunOi 

3. A montrer que l'on était digne des secoora qu'on a reçus en rendant de 
pareils services à d'autres. 

k. Les moyens d'obliger. Le naot ts^dient s^emploie rarement de cette 
manière. 

5. A leur égard. A leur endroit est plus fréquemment employé. 

6. Solliciter le premier. 

7. Au lever du roi, à la messe de la chapelle du roi. 



DÉ LA COUR. 139 

^ I place. S^en vois un autre que tout le iâûûde abotdô*, mais 
'? il est en faveur. Celui-ci est embrassé et caressé, même des 
'^ grands ; mais il est riche. Celui-là est regardé de tous avec 
^ curiosité, on le montre du doigt ; mais 11 est savant et élo- 
® quent. J'en découvre un que personne n*oublie de saluer; 
^ I mais il est méôhant. Se veux un homme qui soit bon , ^ui 
} ne soit rien davantage, et qui soit f echerché. 
^ % Vient-on de placer quelqu'un dans un nouveau poste ^ 

^ c'est uu débordement de louanges en sa faveur qui inonde 
^ les cours et la chapelle, qui gagne l'escalier, les salles, la 
' j galerie, tout l'appartement •, on en à au-dessus des yeux'', 
' on n'y tient pas. Il n'y a pas deux voix différentes sur ce 
personnage; l'envie, la jalousie, parlent comme l'adulation: 
tous se laissent entraîner au torrent qui les emporte , qui 
les force de dire d^un homme ce qu'ils en pensent ou ce 
qu'ils n'en pensent pas, comme de louer souvent celui qu'ils 
ne connaissent point. L'homme d'esprit , de méfite ou de 
valeur, devient en un instant un génie du premier ordfe, 
un héros, un demi-dieu. Il est si prodigieusement flatté 
dans toutes les peintures que l'on fkit de lui qu'il paraît 
difforme près de ses portraits ; il lui est Impossible d'arriver 
jamais jusqu'où la bassesse et la complaisance viennent de 
le porter ; il rougit de sa propre réputation. Gommence-t-il 
à chanceler dans ce poste où on l'avait mis, tout le monde 
passe facilement à un autre avis ; en est-il entièrement 
déchu , les machines qui l'avaient guindé si haut par l'ap- 
plaudissement et les éloges sont encore toutes dressées pour 
le faire tomber dans le dernier mépris ; je veux dire qu'il 
n'y en a point qui le dédaignent mieux, qui le blâment 
plus aigrement , et qui en disent plus de mal , que ceux 
qui s'étaient comme dévoués à la fureur d'en dire du bien *• 

1 • lies eo«rR> la chapelle, tout le palaia de VbrsHiUes. , 
7, On en aaurdêtsuB de* y«tu;, figure énergique et familière. Les ciefa ont 
placé à c6(é du passage de la Bruyère le nom du maréchal de Luxembourg. 
Il atait en effet connu ces revirements de Popitiion. Nommé maréchal de 
France en 1675, et chargé penriant plusieurs campagnes du commandement 
en chef des armées, il tomba subilemenien disgrâce lorsque survint le pro- 
cès de la Voisin et de ses coniplices, accusés a'empoisonnements et de sor- 
tilèges. Impliqué dans cette affaire (1679), par suite de la haine que lui por- 
tait Loatoi8, Luxembourg fut un iusiaut exilé quoiqu'il eût été absous 
(1680). Ce ne fut guère que sept ou huit ans plus tard qu*il rentra en 
faveur. L'année même où paraissait ce passage, il commandait en chef 
l'armée da roi et gagnait ta bataille de Fleurus. 
S. « U De fauU que veoir uu homme esleyé en dignité : qaand nous Tsa- 



140 CHAPITRE VIII. 

f Je crois pouvoir dire d'un poste ëminent et délicat 
qu'on y monte plus aisément qu'on ne s'y conserve. 

% L^on voit des hommes tomber d'une haute fortune par 
les mêmes défauts qui les y avaieDt fait monter. 

^ il y a dans les cours deux manières de ce que Ton ap- 
pelle congédier son monde ou se défaire des gens : se fâcher 
contre eux, ou faire si bien qu'ils se fâchent contre vous et 
s'en dégoûtent '. 

ir L'on dit à la cour du bien de quelqu'un pour deux 
raisons : la première, afin qu'il apprenne que nous disons 
du bien de lui ; la seconde, afin qu'il en dise de nous. 

% Il est aussi dangereux à la cour de faire les avances 
qu'il est embarrassant de ne les point faire. 

Il y a des gens à qui ne connaître point le nom et le 
visage d'un homme est un titre pour en rire et le mépriser. 
Us demandent qui est cet homme; ce n'est ni Rousseau^ ni 
un Fabry, ni la Couture * ; ils ne pourraient le mécon- 
naître. 

1[ L'on me dit tant de mal de cet homme, et j'y en vois si 
peu, que je commence à soupçonner qu'il n'ait un mérite 
importun, qui éteigne celui des autres. 

^ Vous êtes homme de bien, vous ne songez ni à plaire 
ni à déplaire aux favoris, uniquement attaché à votre maî- 
tre et à votre devoir : vous êtes perdu. 

^ On n'est point effronté par choix, mais par complexion; 
c'est un vice de l'être, mais naturel. Celui qui n'est pas né 
tel est modeste, et ne passe pas aistîment de cette extrémité 
à l'autre. C'est une leçon assez inutile que de lui dire : 
Soyez effronté, et vous réussirez. Une mauvaise imitation 
ne lui profiterait pas, et le ferait échouer. 11 ne faut rien de 



riens cogneu, trois joars deyant, homme de peu, il coule insensiblement en 
nos opinions une image de grandeur de suffisance ; et nuus persuadons que, 
croissant de train et de crédit, il est creu de mérite; nous jugeons de lui, non 
félon sa râleur, mais à la mode des jectons, selon la prérogative de son reng. 
Que la chance tourne aussi. qu*il reiumbe et se mesle à la presse, chascun 
B'enquiert avecques admiration de la cause qui l'avoii guindé si hault.» Est-ce 
« luy? faici-on. N'y sçavoit-il aultre chose quand il y estoit' Les princes se 
«•contentent-ils de si peu? Nous estions vrayemeot en bonnes mains! » 
C'est chose que j'ay veu souvent de mon temps.» (Montaigne, EssaiSy m, 8.) 

i. Et se drgoûient de vous. 

2. Fabry, brûlé il y a vingt ans (Note de la Bruyère), — Le Chàtelet Ta- 
Tau condamné à mort à la suite d'un procès scandaleux. — Rousseau, caba- 
retier célèbre.— La Couture, tailleur d'babits qui était devenu fou. On lui 
permettait de demeurer à la cour et d'y tenir des propos extravagants. 



DE LA COUR. 141 

moins dans les cours qu'une vraie et naïve impudence pour 
réussir. 

^ On cherche, on s'empresse, on hrigue, on se tourmente, 
on demande, on est refusé, on demande et on obtient, mais, 
dit-on, sans l'avoir demandé, et dans le temps que l'on n'y 
pensait pas et que Ton songeait même à tout autre chose : 
vieux style , menterie innocente, et qui ne trompe personne. 

^ On^fait sa brigue pour parvenir à un grand poste, on 
prépare toutes ses machines , toutes les mesures sont bien 
prises, et l'on doit être servi selon ses souhaits ; les uns doi- 
vent entamer, les autres appuyer ; l'amorce est déjà con- 
duite, et la mine prête à jouer : alors on s'éloigne de la 
cour. Qui oserait soupçonner dMr^amon qu'il ait pensé à se 
mettre dans une si belle place, lorsqu'on le tire de sa terre 
ou de son gouvernement pour Yj faire asseoir? Artifice 
grossier, finesses usées, et dont le courtisan s'est servi tant 
de fois, que si je voulais donner le change à tout le public 
et lui dérober mon ambition, je me trouverais sous l'œil et 
sous la main du prince, pour recevoir de lui la grâce que 
j'aurais recherchée avec le plus d'emportement. 

^ Les hommes ne veulent pas que l'on découvre les vues h 
qu'ils ont sur leur fortune, ni que l'on pénètre qu'ils pen- 
sent à une telle dignité , parce que , s'ils ne l'obtiennent 
point, il y a de la honte, se persuadent-ils » à être refusés ; 
et, s'ils y parviennent , il y a plus de gloire pour eux d'en 
être crus dignes par celui qui la leur accorde , que de s'en 
juger dignes eux-mêmes par leurs brigues et par leurs ca- 
bales : ils se trouvent parés tout à la fois de leur dignité et 
de leur modestie. 

Quelle plus grande honte y a-t-il d'être refusé d'un poste ' 
que l'on mérite, ou d'y être placé sans le mériter? 

Quelques grandes difficultés qu'il y ait à se placer à la 
cour, il est encore plus âpre et plus difficile de se rendre 
digne d'être placé. 

Il coûte moins à faire dire de soi* : Pourquoi a-tpil obtenu 
ce poste? qu'à faire demander : Pourquoi ne l'a-t-il pas ob- 
tenu. 

1. Étn refusé dfwn poêtt^ se disait nurement au temps de la Brayèn^ 
et se dirait encore moins du nôtre. 

3. La Bruyère dira quelques lignes pins loin et chap. ix : il coûU de. — 
Couler à est moins-usité. 



142 CHAPITRE VIII. 

L'on «Q présenta encore pour les chi^rges de ville', Fou 
postule une place dans rAcadémie française, Ton demandait 
le Qpnsul^t : quelle moindre raison 7 aurait-il de travailler 
les premières années de sa vie à se rendre capable d'un 
grand emploi, et de dems^nder ensuite, sans nul mystère et 
sans nulle intrigue , mais ouvertement et avec conû^ce, 
d'y servir sa patrie, son prince, U république? 

% Je ne vois aucun courtisaii k qui le prince vienne d'ac- 
corder un bon gouvemen^ent, npe place éminente qu une . 
forte pension, qui n'assure, par vanité ou pour marquer soq 
désintéressement;, qu'il est bien moins content du don que 
de la manière dont U lui a été fait \ Ce qu'il 7 a en cela de 
sur et d'indubitable, a'est qu'il le dit ainsi. 

C'est rusticité que 4^ dpnner de mauvaise grâce ; le plus 
fort et le plus pénible est 40 dpnner; que çoûte-t-il d'y 
ajouter un sourire'? 

Il faut avouer iiéanmoins qu'il s'ç$t trouvé des bommes 
qui refusaient plus honnêtement que d'autres ue savaient 
donner ; qu'on a dit de quelques*uns qu'ils SQ faisaient si - 
longtemps prieri qu'ils^ donpaient si sèchement, et char- 
geaient une grÂc§ qu'on leur arrachait de conditions si dés- 
agréables, qu'une plus grande grâce ^tait d'obtenir d'eu^ 
d'être dispensé de rien recevoir* 

f L'on remarque dans les cours des hoinmes avideç qui 
se revêtent de toutes les conditiQns pour en avoir les avan- 
tages: gouvernement^, oharge, bé^ficd't tP^t leur con^ 



1. C'est-à-dire pour les offices municipaux. 

3. Cette réSeidoQ est de tous les temps, mais elle était surtout de mise 
sous Louis XIV. « Mme de la Fayette tous aura mandé, éerit lime de Sé- 
vigné en 1671, eomme M. de la Rocbefoucauld a fai| duc le priopeCtifeifar- 
ettlac) son lils, et de quelle façon le roi s donué une nouvelle pension : 
enfin la manière vaut mieux que la chose, n*est-il pas vrai? Nous ayons quel- 
quefois ri de ce discours commun à tous (es courtisf^q». ¥ Le comte de B^s^f, 
tout homme d'esprit qu'il fut, n'en tiendra pas moins le même discours, lors^ 
quMl racontera, quelques années plus tard, une visite qu'il |t an roi, et d^s 
laquelle il prit le change sur les septinent» du roi V^\9 X^V, 

d. Corneille, le Menteur, i, i i 

Tel donne k pleines mains ({ui n'oblige personne; 
La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne. 

La Bruyère^ nous Tavons déjà dit, a répété un certaio nombre de ré- 
Sexioos que Sénteue avait exprimées dans son traité df ifenefiçiie. Celle-ci 
est encore l'une de celles qu'il reproduit. 

4. Gouvernement d'une provinoe, 

S* ^^tf/lc«, charge spirituelle, telle que prieuré, çbaDOioieyabbayfieMk 



PS tk COUR. 143 

vient ; ils se sont ^i bien ajustés que, ps^r leui- état, ils de- 
viennent capables de toutes }es grâces ; ils sont amphibies^ 
ils vivent de TÊglise et de Tépée, et auront le gecret d'y 
joindre la robe *. Si vous demandez : Que font CQs gens \ 
la cour? ils reçoivent, et envient tous ceux à qui Ton doni^e, 

^ Mille gens à la cour y traipeut leur vie à embrasser, 
serrer et congratuler ceux q:ui reçoivent, jusqu'à ce qu'ils j 
meurent sans rien aypir. 

% Ménophile emprunte ses mœurs d'une profession^ et 
d'une autre son habit ; il masque • toute Tannée, quoique k 
visage découvert ; il paraît à la couy, h la villQ, ailleurs, 
toujours sous un certain nom et cous Iç mêmç déguisem^t« 
On le reconnaît, et on sait quel jl est à son visage, 

^ Il y a, pour arriver aux digîiités, ce qu'on appellç la 
grande voie ou le chemin battu ; il y a le ch^miQ détourné 
ou de traverse, qui est le plus court, 

^L'on court les malheureux' pour les eovieager; l'on se 
range en haie, ou l'on se place aux fenêtres, pouy observer 
les traits et la contenance d'un hon^me qui est condamna 
et qui sait qu'il va mourir : vaine, maligne, iuhumaipe cu- 
riosité? Si les hommes étaient sages, la place publique sq-' 
rait abandonnée, et il serait établi qull y aurait de l'igno'? 
minie seulement à voii: dQ tels spectacles. Si vous êtes si 
touchés de curiosité, exerpei-la du moins eu xm sujet upble : 
vovez un heureux, contemplez-le (lans le jour mêu^e où il 
a été nommé à un nouveau poste et qu'il en reçoit les cou^? 
plin.ents; lisçî dans ses yeux, et au travers d'uu calme 
étudié et d'une feinte modestie, combien il e$t çonteut Qt 
pénétré de gpi-méme; voypz (quelle sérénité cet aooompUs- 
senient 4o &6S désirs répand dans son çceuç çt ^ur ^ou v|« 



1. 1U ■enf en teU« situation qoMU peavMt receTo^i» tontes les grâces et 




été répète par Saiut-Simon : % Saint-Bomain.4it-il, ampMM« <}« beaaroup de 

mérite, conseiller d'épéesaDsêtreaépée^avecdes abbayes sansètred^Ëglise.» 
2. Masqiur, s'babiller en masque. 

S. Courir Quelqy,'un, le rechercher ST^ emprefsepien^étût une^expres- 
•ion très-Qsitee. La Bruyère l'a déjà emplgyéo, et plus loin u dir» encore s 
« Ceux qoi courent le favori du prince, 9 — Hm 4e Sévigné, comme beau- 
coup d'autres , avait cédé |t la curiosiié dont parle la Bruyère : le 17 juiU 
let 1678, jour de l'exécution de la Brinvpers, célèbre empoisoi^neyse, qU^ 
était allée se placer «or I9 pbn( {(o^re-name pow )^ voir p^aser dans so« 
tombereau. 



144 CHAPITRE Vra. 

sage , comme il ne songe plus qu'à vivre et à avoir de la 
santé, comme ensuite sa joie lui échappe et ne peut plus se 
dissimuler, comme il plie sous le poids de son bonheur, 
quel air froid et sérieux il conserve pour ceux qui ne sont 
plus ses égaux, il ne leur répond pas, il ne les voit pas ; les 
embrassements et les caresses des grands, qu'il ne voit plus 
de si loin, achèvent de lui nuire ; il se déconcerte, il s'é- 
tourdit, c'est une courte aliénation. Vous voulez être heu- 
reux, vous désirez des grâces; que de choses pour vous à 
éviter! 

% Un homme qui vient d'être placé ne se sert plus de sa 
raison et de son esprit pour régler sa conduite et ses de- 
hors à regard des autres ; il emprunte sa règle de son, poste 
et de son état : de là l'oubli, la fierté, Tarrogance, la du- 
reté, l'ingratitude. 

^ ThéonaSf abbé depuis trente ans, se lassait de Tétre. 
On a moins d'ardeur et d'impatience de se voir habillé de 
pourpre qu'il en avait de porter une croix d'or sur sa poi- 
trine % et parce qne les grandes fêtes se passaient toujours 
sans rien changer à sa fortune, il murmurait contre le 
temps présent, trouvait l'Ëtat mal gouverné, et n'en pré- 
disait rien que de sinistre. Convenant en son cœur que le 
mérite est dangereux dans les cours à qui veut s'avancer, 
il avait enfin pris son parti et renoncé à la prélature, lorsque 
quelqu'un accourt lui dire qu'il est nommé à un évêché. 
Rempli de joie et de confiance sur une nouvelle si peu at- 
tendue : c Vous verrez, dit-il, que je n'en demeurerai pas 
là, et qu'ils me feront archevêque. > 

% n faut des fripons à la cour auprès des grands et des 
ministres, même les mieux intentionnés; mais l'usage en 
est délicat, et il faut savoir les mettre en œuvre : il y a des 
temps et des occasions où ils ne peuvent être suppléés par 
d'autres. Honneur, vertu, conscience, qualités toujours res- 
pectables , souvent inutiles : que «voulez- vous quelquefois 

que l'on fasse d'un homme de bien*? 

• 

1. Qu'il n'en arait de devenir évèque. — Nous avons d^à remarqué l'o- 
mission de la particule négative ne en bien des cas où nous la mettons. 

2. « LMnjuste (l'homme injuste) peut entrer dans tous les desseins, trou- 
ver tous les expédients, entrer dans tous les intérêts; à (]uel usage peut-on 
mettre cet homme si droit, qui ne parle que de son devoir? U n'y a rien de 
ii sec, ni de moins flexible, et il y a tant de choses qu'il ne peut pas faire 
qu'à laiin il est regardé comme un homme qui n'est bon à rien, entièrement 



DE LA COUR. 145 

^ Un vieil auteur, et dont j'ose rapporter ici les propret 
termes, de peur d*en affaiblir le sens par ma traduction, dis 
que s'élongner des petits, voire * de ses pareils, et iceulx vi- 
IcUner et dépriser * ; s'accointer de grands * et puissants en tous 
' biens et chevances *, et en cette leur cointise et privauté estre 
de tous ébats, gabs^, mommeries, et vilaines besoignes; estre 
eshonté, saffranier* et sans point de vergogne''; endurer bro- 
cards et gausseries de tous chacuns, sans pour ce feindre de 
cheminer en avant, et à tout son entregent, engendre heur et 
fortune ■. 

% Jeunesse du prince, source des belles fortunes. 

^ Tintante, toujours le même, et sans rien perdre de ce 
mérite qui lui a attiré la première fols de la réputation et 
des récompenses, ne lavssait pas de dégénérer dans l'esprit 
des courtisans : ils étaient las de l'estimer; ils le saluaient 
froidement, ils ne lui souriaient plus, ils commençaient à 
ne le plus joindre, ils ne l'embrassaient plus, ils ne le ti- 
raient plus à récart^our lui parler mystérieusement dMne 
chose indifférente, ils n'avaient plus rien à lui dire. Il lui 
fallait cette pension ou ce nouveau poste dont il vient d'être 
honoré pour faire revivre ses vertus à demi effacées de leur 
mémoire, et en rafraîchir Tidée : ils lui font conmie dans 
les commencements, et encore mieux*. 

inutile. Ainsi, étant inatile, on se résont facilement à le mépriser, ensuite à 
le sacrifier dans Vintérèt du plus fort et aux pressantes sollicitaiions de cet 
homme de grand secours, qui n*épargiie ni le saint ni le profane pour en- 
trer dans nos desseins, qui fait remuer les iniérèts et les passions, ces deux 
grands ressorts de la Yie humaine. » (Bossuet, Sermon contre Vambiiion.) 

1. Même. 

3. Et les mépriser et rabaisser. — Dépriser, tiré directement de prix, a 
encore sa place dans la langue, malgré la formation plus récente da mot dé- 
précier. 

3. Entrer dans la familiarité des grands. 

4. Biens et clievancee, deux mots synonymes. 

5. Tromperies. 

6. Banqueroutier. Le mot safranier a sin^lièrement exercé l'imagina^ 
tion des étymologistes : les plus sages l'ont tiré de safran; les uns ont fait 
remarquer que le chagrin qu'éprouve un banqueroutier le rend jaune 
comme safran ; les autres ont rappelé avec plus de sagacité qu'on a jadis 
peint en jaune les maisons des banqueroutiers. 

7. Et sans vergogne. 

8. Sans pour cela craindre d'aller en avant, et avec son entregent (son ha- 
bileté), tout cela ensendre bonheur et fortune. — A tout avait dans l'an- 
cienne langue la valeur de avec. On retrouve ce sens dans le mot patois 
itouty aussi. — Ce passage, que la Bruyère prête à un vieil auteur inconnu, 
est sans doute un pastiche. 

y. Tous les commentateurs ont voulu voir en Timante le marquis de Pom- 
pbnlie, 4ui fut disgi^cié en iû79, et râdeviht iniûish'e après la mort ds 

10 



146 CHAPITRE VIII. 

^ Que d'amis, que de parentà naissent en une nuit au 
nouveau ministre I Les uns font valoir leurs anciennes liaî- 
ôons, leur société d'études*, les droits du voisinage; les 
autres feuillettent leur généalogie , remontent jusqu'à un 
trisaïeul, rappellent le côté paternel et le matt-rnei : Ton 
veut tenir à cet homme par quelque endroit, et Ton dit plu- 
sieurs fois le jour que Ton y tient ; on l'imprimerait volon- 
tiers : Cest mon amt, et je suis fort aise de son élévation ; 
fy dois prendre part^ il m* est assez proche^. Hommes vains 
et dévoués à la fortune, fades courtisans, parliez -vous ainsi 
il 7 a huit jours? Est-il devenu, depuis ce temps, plus 
homme de bien, plus digne du choix que le prince en vient 
de faire? Âttendiez-vous cette circonstance pour le mieux 
connaître? 

% Ce qui me soutient et me rassure contre les petits dë^ 
dains que j'essuie quelquefois des grands et de mes égaux, 
c'est que je me dis à moi-même ; c^ gens n'en veulent 
peut-être qu'à ma fortune, et ils ont' raison ; elle est bien 
petite. Ils m'adoreraient sans doute si j'étais ministre. 

Dois-je bientôt être en place? le sait-il? est-ce en lui un 
pressentiment? il me prévient, il me salue. 

'% Celui qui dit : Je dinai hier à Tibur^ ou : Ty soupe 
ce «otr, qui le répète, qui fait entrer dix fois le nom de 
PlanciAS * dans les moindres conversations, qui dit : Plan- 
eus me demandait..,. Je disais à PZanctiS..., celui-là. même 
apprend dans ce moment que son héros vient d'ôtre enlevé 
par und mort extraordinaire. Il part de la main *, il ras^ 



LouTois; mais il n'était pas encore rappelé à la coor en 1680, époqaa à 1** 
quelle parut ce passade. 

1. Leur camaraderie de collège. 

2. Le duc de Yilleroi, c[ui fut plus tard maréchal de Franca« apprenant la 
nominalioa de le Pelletier au contrôle général des finances (1683J, avait, 
dit-on, raconté, avec de grandes démonstrationa de joie, que la nouveau 
Contrôleur était son parent : assertion complètement ii)exacie. Si i'aoecdoie 
est vraie, son père, le Tieux. maréchal de Viileroi , avait dû ressentir quel- ^ 

2ue impatience d'un tel propos. U avait l'esprit de cour tout autant que son 
Is, et proclamait qu'il fallait être le très-humble et très-dévoué serviteur 
de tous les ministres iusqu'au jour où le pied venait à leur glisser; mais il 
disait aussi qu'il préférait un ministre gentilhomme, fùt-il son ennemi, à 
un minisire bourgeois, fût-il son ami. 

3. Ce passage parut peu de temps après la mort de LouTois (1601); et 
quelques lecteurs mirent le nom de Louvois k côté de celui de PÎâncuS) 
traduisant Tibur par Meudoa, qui était l'habitation du minisire. 

4. U pan de la main, comme fait un cheTal^ en style de maoégei qui prend 
le galop. 



DE LA COUR. 147 

semble le peuple dans les places ou sous les portiques, ac> 
cuse le mort, décrie sa conduite, dénigre son consulat, lui 
6te jusqu'à la science des détails que la voix publique lui 
accorde, ce lui passe point une mémoire heureuse, lui re- 
fuse l'éloge d'un homme sévère et laborieux, ne lui fait pas 
Fhonneur de lui croire, parmi les ennemis de l'empire, un 
ennemi. 

Tf Un homme de mérite se donne, je crois, un joli * spec- 
tacle, lorsque la même place à une assemblée ou à un spec- 
tacle dont il est refusé, il la voit accorder à un homme qui 
n'a point d'yeux pouir voir, ni d'oreilles pour entendre, ni 
d'esprit pour connaître et pour juger; qui n*est recomman- 
dable que par de certaines livrées, que môme il ne porte 
plus. 

% Tkéodote^ avec un habit austère, a un visage comique, 
et d'un homme qui entre sur la scène* : sa voix, sa démarche, 
son geste, son altitude, accompagnent son visage*; il est 
fin, cauteleua:^ doucereux, mystérieux; il s'approche de vous, 
et il vous dit à l'oreille : Voilà un beau temps; voilà un 
grand dégel*. S'il n'a pas les grandes manières, il a du 
moins toutes les petites, et celles même qui ne conviennent 
guère qu'à une jeune précieuse. Imaginez-vous l'application 
d'un enfant à élever un château de cartes bu à se saisir 
d'un papillon, c'est celle de Théodote pour une affaire de 
tien, et qui ne mérite pas qu'on s'en remue : il la traite 
sérieusement, et comme quelque chose qui est capital; il 
agit, il s'empresse, il la fait réussir : le voilà qui respire et 
qui se repose, et il a raison ; elle lui a coûté beaucoup de 
peine. L'on voit des gens cuivrés, ensorcelés de la faveur; 
ils y pensent le jour, ils y ttvent la ïiuit; ils montent l'es- 
calier d'un minifitre, et Us «a descendent; ils sortent de 
son antichambre, et ils y rentrenjt ; ils n'ont rlea à lui dire, 
et ils lui parlent; ils lui parlent une seconde fois: le» voilà 



1. Joli était Pun des meuiàla itiode. Od s'en stei^vaità toaté oecaaion. 
La Broyère s'en a point fait abus, ne Ta^^ant emplo^t^ que deux ou trois fois. 

S. Et le visage cnmique d'un homme qu! entre sur la scène. Sorte d'ellipse 
très- familière à notre auteur. 

8. Conriennent à son visage. 

4. Molière, le Misanthropey ii, 5 t 

C'est delà tèto aux pieds un liomme tout myst^...* 
De la moindre vétille il fait une merveille. 
Et jusques au bonjour il dit tout à roreille . 



148 CHAPITRE Vm. 1 

contents, ils lui ont parlé. Pressez-les, tordez-les, ils dé* 
gouttent Torgueil ", Tarrogance, la présomption. Vous leur 
adressez la parole, ils ne vous répondent point, ils ne vous 
connaissent point, ils ont les yeux égarés et Tesprit aliéné : 
c'est à leurs parents à en prendre soin et à les renfermer, 
de peur que leur folie ne devienne fureur, et que le monde 
n'en souffre. Théodote a une plus douce manie : il aime la 
faveur éperdument; mais sa passion a moins d'éclat; il lui 
fait des vœux en secret, il la cultive, il la sert mystérieu- 
sement; il est au guet et à la découverte sur tout ce qui 
paraît de nouveau avec les livrées de la faveur : ont^-ils* 
une prétention, il s'offre à eux, il s'intrigue pour eux, il 
leur sacrifie sourdement mérite, alliance, amitié, engage- 
ment, reconnaissance. Si la place d'un Cassini * devenait 
vacante, et que le suisse ou le postillon du favpri s'avisât de 
la demander, il appuierait sa demande, il le jugerait digne 
de cette place, il le trouverait capable d'observer et de cal- 
culer, de parler de parhélies et de parallaxes *. Si vous de- 
mandiez de Théodote s'il est auteur ou plagiaire, original 
ou copiste, je vous donnerais ses ouvrages, et je vous dirais : 
Lisez et jugez; mais s'il est dévot ou courtisan, qui pour- 
rait le décider sur le portrait que j'en viens de faire? Je 
prononcerais plus hardiment sur son étoile. Oui, Théodote, 
j'ai observé le point de votre naissance; vous serez placé, 
et bientôt. Ne veillez plus, n'imprimez plus; le public vous 
demande quartier *. 

^ N'espérez plus de candeur, de franchise, d'équité, de 
bons offices, de services, de bienveillance, de générosité, 



1. Dégoutter devient ici un Terbe actif : ce tour a paru « hasardé » k 
l'auteur des SentifMntê critiques sur les Caractères. Au moyen âge et aa 
seizième siècle, si ce n'est au dix-septième, il n'est point rare que dégoutter 
prenne un régime. 

2, Ils s'applique, dans la pensée de l'auteur, à ceux qui portent les liTrées 
de la faveur. 

S. Cassini, célèbre astronome, était directeur de PObseryatoire. 

4. Parhélie, image du soleil réfléchie dans hne nuée. — Parallaxe, angle 
formé dans le centre d'un astre par deux lignes qui se tirent. Tune du centre 
de la terre, l'autre du point de la surface terrestre oh se fait robservation. 

5. Le caractère de Théodote est évidemment un portrait, et les commen- 
tateurs, sur la foi des clefs du temps, ont nommé l'abbé de Choisy. Quelques 
traits semblent convenir à merveille à cet aimable et galant abbé de cour; 
mais les derniers mots snfDraient à prou^r que la Bruyère ne pensait pas 
à lui en écrivant ce passage. Ami de l'abbé dû Choisy ^ la Bruyère a 
loué Rou talent littéraire daùs le discours (|u'il a pronèbcé à ^Académie 
eii 169â. 



DE LA COUR. 149 

de fermeté, dans un homme qui s'est depnis quelque temps 
livré à la cour, et qui secrètement veut sa fortune. Le re- 
connaissez-vous à son visage, à ses entretiens? 11 ne nomme 
plus chaque chose par son nom : il n'y a plus pour lui de 
fripons, de fourbes, de sots et d'impertinents'; celui dont 
il lui échapperait de dire ce qu'il en pense est celui-là 
nïéme qui, venant à le savoir, Tempêcherait de cheminer*. 
Pensant mal de tout le monde, il n'en dit de personne; ne 
voulant du bien qu'à lui seul, il veut persuader qu'il en veut 
à tous, afin que tous lui- en fassent, ou que nul du moins 
lui soit contraire *. Non content de n'être pas sincère, il ne 
souffre pas que personne le soit; la vérité blesse son oreille. 
Il est froid et indifférent sur les observations que l'on fait 
sur la cour et sur le courtisan ; et, parce qu'il les a enten- 
dues , il s'en croit complice et responsable. Tyran de la 
société et martyr de son ambition, il a une triste circonspec- 
tion dans sa conduite et dans ses discours, une raillerie in- 
nocente, mais froide et contrainte, un ris forcé, des caresses 
contrefaites, une conversation interrompue et des distrac- 
tions fréquentes. Il a une profusion, le dirai-je? des torrents 
de louanges pour ce qu'a fait ou ce qu'a dit un homme 
placé et qui est en faveur, et pour tout autre une sécheresse 
de pulmonique ; il a des formules de cojnpliments différents 
pour l'entrée et pour la sortie à l'égard de ceux qu'il visite 
ou dont il est visité ; et il n'y a personne de ceux qui se 
payent de mines et de façons de parler qui ne sorte d'avec 
lui fort satisfait *. Il vise également à se faire des patrons et 
des créatures; il est médiateur, confident, entremetteur; il 

1. Alceste andt donc raison de s'écrier : 

. . . Oui, je hais tous les hommes, 
Les uns parce quMIs sont méchants et malfaisants. 
Et les autres pour être aux méchants complaisants, 
Et n'avoir pas puur eux les haines yigoureuses 
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses. 
(Molière, le Mitcmthropey i, 1.) 

2. Chêtninerf faire fortune^ c^était le mot des courtisans, et Saint-Simon 
l'a répété ; « Medioa Sidonia était l'un de ces hommes à qui il ne manque 
rien pour chemins et arriver dans les cours. » 

S. rful, pour l'auteur, exprime suffisamment la négation : aussi supprime* 
t-il ici, en souvenir du latin et à l'exemple de Montai^oe, la particule 
négative iw, dont le mot nu/, malgré sa valeur ongioaire, a toujours été 
accompagne depuis les premiers temps du moyen &ge. 

%. Sortir d'avec quelqu'un, expression qoL au dix-septième siècle comme 
de nos jours, appartient au langage le plus familier. 



1 50 CHAPITRE VUI. 

veut f ouyerner. U a uoe ferveur de novice pour toutes len 
petites pratiques de cour; il sait où il faut se placer pour 
ôtre vu ; il sait vous embrasser, prendre part à votre joie, 
vous faire coup sur coup des qu^^stions empressées &ur votre 
santé, sur vos aHaires, et, pendant que vous lui répondes, 
il perd le fil de sa curiosité, vous interrompt, entame un 
autre sujet ; ou, s'il survient quelqu'un à qui il doive un 
discours tout différent, il sait, en achevant de vous caugra^* 
tuler, lui faire un eompliment de condoléance; il pleura 
d'un œil, et U rit de Tautre. Se formant quelquefois sur les 
ministres ou sur le favori, il parle en public d^ choses fri- 
voles, du vent, de la gelée ; il se tait, au contraire, et fut lo 
mystérieux sur ce qu'il sait de plus important, et plus vo^ 
lontiers encore sur ce qu'il ne sait poiat. 

^ Il y a un pays ' où les joies sont visibles, mais Causses, 
et les chagrins cachés, mais réels. Qui croirait que l'empres^ 
sèment pour les spectacles, que les éclats et les applaudisse*^ 
ments aux théâtres de MoÛèrs et d'Arlequin *, les repaa, la 
chasse, les ballets, les carrousels, couvrissent tant d'inquié- 
tudes, de soins et de divers intérêts, tant de craintes et d'es» 
pérances, des passions si vives et des affaires si sérieuses *f 

\ La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, 
qui applique^. 11 faut arranger ses pièces et ses batteries, 
avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, 
hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et, après toutes 
ses rêveries et toutes ses mesures, on est échec, quelque- 
fois mat. 3oûvent, avec des pions qu'on ménage bien, ou 
va à dame, et l'on gagne la partie ; le plus habile l'emporta, 
ou le plus heureux *. 

1. La cour. 

S. Théâtre d'Arlequin, la comédie Itahenne. 

S. « La coar yeut tonjoars anir les plaisirs arec les aflUrea. Par un mé- 
lange étonnant, il n*Y a rien de plus sérieux, ni ensemble d$ pins enjoué. 
Entoncez : vous trouverez partout désintérêts cJichés, des jaîoiisies délicates 
qui causent une extrême sensibilité, et dans nne ardente ambition des soins 
et un sérieux aussi triste qu'il est vain. Tont est couvert d'un air gai : vous 
diriez qu'on nt songiB qu'à s'y divertir, m (Bossqet, Or^tisim fvtiélHV lij^Ànué 
de (jQnxague.) 

4. Muniaigne aussi a insisté sur l'appliMtiot qu'exifte la JM des échees, 
auquel il fait le reproche de n n'être pas assez jw, » et de nous « ébattre trep 
sérieusement. » — « Quelle corde de sob esprit (il s'agit d'Alexandre) se 
touche et n'employé ce niai» et puéril jeu?... Quelle passie» jm bous y 
exerce?... » {Essais, i, so.) 

i. Dans les premières éditions, cette pensée se temioed'ttae manièm dif- 
férente : « et après toutes ses rêveries (o'eat-è-dire après tAntes ses médii«* 



DE Ll COUR. 151 

'^ Les roues, les ressorts, les mouvements sont cacliés, 
rien ne paraît d'une montre que son aiguille, qui insensi- 
blement s'avance et achève son tour : im ige du courtisan, 
d'autant plus parfaite, qu'après avoir fait assez de chemin, 
il revient souvent au même point d'où il est parti. 

^ Les deux tiers de ma vie sont écoulés ; pourquoi tant 
m'inquiéter sur ce qui m'en reste? La plus brillante fortune 
ne mérite point ni le tourment que je me donne, ni les pe- 
titesses oh je me surprends, ni les humiliations, ni les 
hontes que j'essuie. Trente années détruiront ces colosses 
de puissance qu'on ne voyait bien qu'à force de lever la 
tète \ nous disparaîtrons, moi qui suis si peu de chose , et 
ceux que je contemplais si avidement et ae qui j'espérais 
toute ma grandeur. Le meilleur de tous les biens , s'il y a 
des biens , c'est le repos , la retraite et un endroit qui soit 
son domaine*. N'^*^'^ a pensé cela dans sa disgrâce, et 1'^ 
oublié dans la prospérité. 

^ Un noble, s'il vit chez lui dans sa province, il yit libre *, 
mais sans appui; s'il vit à la cour, il est protégé, mais il 
est esclave : cela se compense. 

^ Xantippe^ au fond de sa province, sous un vieux toit 
et dans un mauvais lit, a rêvé pendsijit la nuit qu'il voyait 
le prince, qu'il lui parlait et qu'il en ressentait une extrême 
joie. Il a été triste à son réveil; il a conté son songe, et il 
a dit : Quelles chimères ne tombent point dans l'esprit des 
hommes pendant qu'ils dorment I Xantippe a continué de 
vivre : il est venu à la cour, il a vu le prince, il lui a parlé ; 
et il a été plus loin que son songe : il est favori. 

% Qui est plus esclave qu'un courtisan assidu, si ce n*est 
un courtisan plus assidu? 



lions) et toutes ses mesures, op est échec, quelquefois mat : le plus foa 
l'emporte ou le plus heureui. » La Tariaote qu'a introduite la Bruyère â 
•eosiblemeni moaifié sa pensée, en agrandissant ta part de Tb^Mleté. 

1. Yictoriu Fabre a cité cette phrase dans son Éloge de la Bruyère, et, 
roulant corriger une « faute trop apparente, a-t-il dit, pour qu'il tut possi* 
ble de la laisser passer, >» il à imprimé ^ut' soit notre domaine. Lai seul a 
jugé cette correction nécessaire. C'est-bien ton et non pas nôtre qu'a écrit 
et qu^a voulu écrire la Bruyère : m Le meilleur de tous les biens pour un 
homme, c'est.... un endroit qui soit son domaine, » 

3. Il est explétif ; mais les meilleurs écrivains ont souvent placé deyant 
le veibe un pronom surabondant pour donoer de la force, du piquant, ou 
de la clarté à leur phrase. 

S. Xantippe est, dit-on, Bontemps, premier valet de chambre de Louis XIV. 



152 CHAPITRE vm. 

• % L'esclave n'a qn^un mattre ; Pambitieux en a autant qu*il 
y a de gens utiles à sa fortune*. 

^ Mille geus à peine connus font la foule au lever pour 
être vus du prince, qui n'en saurait voir mille à la fois ; et, 
s'il ne voit aujourd'hui que ceux qu'il vit hier et qu'il verra 
demain, combiea de malheureux! 

% De tous ceux qui s'empressent auprès des grands et 
qui leur foot la cour, un petit nombre les honore dans le 
cœur, un grand nombre les recherche par des vues d'am- 
bition et d'intérêt, un plus grand nombre par une ridicule 
vanité, ou par, une sotte impatience de se faire voir. 

^ 11 7 a de certaines familles qui , par les lois du monde 
ou ce qu'on appelle de la bienséance, doivent être irrécon- 
ciliables. Les voilà réunies; et où la religion a échoué quand 
elle a voulu l'entreprendre, l'intérêt s'en joue et le fait sans 
peine. 

% L'on parle d'une région* où les vieillards sont galants, 
poUs et civils; les jeunes gens, au contraire, durs, féroces, 
sans mœurs ni politesse. Celui-là, chez eux, est sobre et 
modéré, qui ne s'enivre que de vin : l'usage trop fréquent 
qu'ils en ont fait le leur a rendu insipide. Ils cherchent à 
réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie et par 
toutes les liqueurs les plus violentes; il ne manque à leur 
débauche que de boire de l'eau-forte. Les femmes du pays 
précipitent le déclin .de leur beauté par des artifices qu'elles 
croient servir à les rendre belles ; leur coutume est de pein- 
dre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, 
qu'elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles, 
comme si elles craignaient de cacher l'endroit par où elles 
pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qu: 
habitent cette contrée ont une physionomie qui n'est pas 
nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de 
cheveux étrangers qu'ils préfèrent aux naturels, et dont ils 
font un long tissu* pour couvrir leur tête ; il descend à la 
moitié du corps, change les traits et empêche qu'on ne 



1. L'ambitieux, dit Bourdaloiie daDS son Strmon sur l'ambition, « a 
dans une cour autant de maîtres dont il 'déi>end qu'il y a de gens de 
toutes conditions dont il espère d'être secondé ou dont il craint d'être 
desservi. » 

2. La cour, Versailles. 

S. Un long tissu de cheveux, une perruque. 



DE LA COUR. 153 

connaisse les hommes à leur visage. Ces peuples d'ailleurs 
ont leur dieu et leur roi. Les grands de la nation s'as- 
semblent tous les joufs, à une certaine heure, dans un 
temple qu'ils nomment église. Il y a au fond de ce temple 
un autel consacré à leur dieu, où un prêtre célèbre des 
mystères qu'ils appellent saints, sacrés et redoutables. Les 
grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et 
paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et 
aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que 
Ton voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent 
avoir tout l'esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse 
pas de voir dans cet usage une espèce de subordination ; 
car ce peuple parait adorer le prince, et le prince adorer 
Dieu. Les gens du pays le nomment *** ; il est à quelque 
quarante-huit degrés d'élévation du pôle, et à plus d'onze 
cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons. 

% Qui considérera que le visage du prince fait toute la 
félicité du courtisan , qu'il s'occupe et se remplit pendant 
toute sa vie de le voir et d'en être vu , comprendra un peu 
comment voir Dieu peut faire toute la gloire et tout le bon- 
heur des saints*. 

^ Les grands seigneurs sont pleins d'égards pour les 
princes ; c'est leur affaire, ils ont des fnférieurs. Les petits 
courtisans se relâchent sur ces devoirs , font les familiers , 



1. Le meilleur commentaire que l'on ait pu faire de cette réflexion est la 
citation d^un certain nombre de phrases empruntées à la correspondance des 
contemporains. « Il n'y a rien d'exagéré, dit M. Destailleur, dans cette ingé- 
nieuse raillerie : l'idolâtrie pour le roi est attestée par les mémoires et cor- 
respondances du temps. Mme deSévigné, rerenant de Versailles (mars 1683), 
parle à Mme de Guitaut de tous le» enchantements Qu'elle y a trouvés : 
« Mais, ajoute-t-elle, ce qui me ))latt souverainement, c est de vivre quatre 
heures entières -avec le roi, être dans ses plaisirs et lui dans les nôtres : 
c'est assez pour contenter tout un royaume qui aime passionnément à voir 
son maître. » Le maréchal de Villeroi écrit à Mme de Maintenon (37 fé- 
▼rier 1712) : « Je commence à voir les cieux ouverts, le roi m'a accordé une 
addience. » Et le duc de Richelieu (13 sept. 1715) : « j'aime autant mourir 

3ue d*ètre deux ou trois mois sans TOir le roi.» On ne se faisait nul scrupule 
e le comparer sérieusement à la divinité. Mlle de Monipensier, dans une 
réponse à une lettre de Bassy, dit, eu parlant du roi : « Il est comme Dieu, 
il tant attendre sa volonté avec soumission, et tout espérer de sa justice et de 
sa bonté sans impatience, afin d'en avoir plus de mérite. » Le môme Bussy, 
•'adressante M. de Saint-Aignan, premier gentilhomme de la chambre : « Je 
m'imaginais que comme la patience dans les adversités et la résignation 
aux Toloiltés de Dieu apaisaient sa colère et rendaient enfin digne de see 
gr&ces, il en éuit de même à l'égard du roi.... » — m Mais, dit-if dans une 
aotre lettre, le roi sait bien mieux ce qu'il nous fautque nous-mêmes* » 



154 CHAPITK£ YQI. 

et TÎTent comme gens qui n'ont d'exemples ^ donner |ipei'<« 
sonne. 

^ Que manque-t-il de nos jours à la jeunesse? Elle peut^ 
et elle sait ; ou du moins, quand elle saurait autant qu'elle 
peut, elle ne serait pas plus décisive. 

^Faibles hommes! Un grand dit de Timagène^ votre 
ami, qu'il est un sot, et il se trompe. Je ne demande paa 
que vous répliquiez qu'il est bomme d'esprit; osez seule- 
ment penser qu'il n'est pas un sot. 

De même il prononce à'Jphicrate qu'il manque de cœur; 
vous lui ave» vu faire une belle action : rassurea^-vous , je 
vous dispense de la raconter, pourvu qu'après ce que vous 
venez d'entendre, vous vous souveniez encore 4o la lui 
avoir vu faire. 

% Qui sait parler aux rois *, c'est peut-être où se termine 
toute la prudence et toute la souplesse du courtisan. Une 
parole échappe, et elle tombe de l'oreille du prince bien 
avant dans sa mémoire, et quelquefois jusque dans son 
cœur : il est impossible de la ravoir; tous les soins que Ppn 
prend et toute l'adresse dont on use pour l'expliquer ou 
pour l'affaiblir servent à la graver plus profondément et à 
l'enfoncer davantage. Si ce n'est que contre nous-mêmes 
que nous ayons parlé, outre que ce malheur n'est pas or- 
dinaire, il 7 a encore un prompt remède, qui est de noua 
instruire par notre faute et de souffrir la peine de notre 
légèreté ; mais si c'est contre quelque autre , quel abatte- 
ment! quel repentir I Y a<rHl une règle plus utile (contre un 
si dangfereux inconvénient que de parier des auives au sou- 
veram, de leurs personnes, de leurs ouvrages , de leur^ 
actions, de leurs mœurs ou de leur coaduite, du moins avee 
l'attention, les précautions eli le^ mesures dont on parle de 
soi? 

% Pîseurs de bons mots, nuuvaia caractère ; je le dirais, 

i. Il y • duit celte phnse une toamore ellipti^ve qui ae pencoativ fré- 
quemment. G'«8t eioBi, pour ne flitar qae deux eiemplea, que Compile % dit 
oane la QtUêrie du Palais: 

Qui pourrait toatefois en détourner Lyeandre, 
Ce serai i le plus sftr. ... ^ 

Et que Fontenelle a écrit dans la ppéfaoe de son litre sur les Qraeh0 : 
« Voilà oe qu'il faut aux gens dœtes; qui leur égayerait tout cela par des x4^. 
flexions, par des traits ou de morale (m même de piaisantéfie, oê serait m 
soin dont ils n'aaraiest pas gnode reeonaaiseaiice. • 



P£ Là COUA. 155 

s'il n'av^U été dit *. Ceux qui nuisent k la réputation ou à 

la fortuse des autres, plutôt que de perdre un boa mot, 
méritent une peine infamante. Cela n'a pas été dit, et je 
l'ose dire. 

f^ Il y a un certain nombre de phrases toutes faites que 
l'on prend comme dans un magasin , et dont Ton se sert 
pour se féliciter les uns les autres sur les événements. Bien 
qu'elles se disent souvent sans affection, et qu'elles soient 
reçues sans reconnaissance , il n'est pas permis avec oela 
de les omettre , parce que du moins elles sont l'image de 
ce qu'il y a au monde de meilleur, qui est l'amitié, et que les 
hommes , ne pouvant guère compter les uns sur les autres 
pour la réalité» semblent être convenus entre eux de se con- 
tenter des apparences. 

^ Avec cinq ou six termes de Fart, et rien de plus , Ton 
se donne pour connaisseur en musique, en tableaux, en 
bâtiments et en bonne chère : Von croit avoir plus de plaisir 
qu'un autre à entendre, à voir et à maogev; Ton impose à 
ses semblables et l'on se trompe soi-même. 

% La cour n'est jamais dénuée ' d'un certain sombre de 
gens en qui l'usage du monde , la politesse ou la fortune 
tiennent lieu d'esprit et suppléent au mérite, ils savent en- 
trer et sortir ; ils se tirent de la conversation en ne s'y mé* 
lant point ; ils plaisent à force de se taire, et se rendent 
importants par un silence longtemps soutenu, ou tout au 
plus par quelques monosyllabes'; ils payent de minet, d'une 
inflexion de voix, d'un geste et d'un sourire : ils n'ont pas, 
si je l'ose dire, jdeux pouces de {Hrofondeur; si vous les en-t 
forcez, vous rencontrez le tuf. 

^ Il y a de^ €»®ns à qui % faveur arrive comme un acoi* 
dent; i}p en so^t les premiers surpris et consternés t ils se 
reconnaissent enfin et se trouvent dignes de leur étoile; 
fl comme si la stupidité et la fortune étaient deux chosea 

1. Pateal l%dU dana ses P«iiBé«t. 

3. « 11 faut être bien dénué o'esprif, » a dit la Broyère dapa le chapitre IV. 
Ainsi employé, le mot dénué était parfaitement à sa place; mais la conve- 
nanoe en est ici oontetiabie : être <lénné {dênudari)^ e^eet ètra douille de 
ce qui est uécessaire. 

s. « A ceux qui nous régissent et commandent... est le silence non-sea* 
lementcoDienance de respect et gravité, mais encore souvent de prouffit et 
mesnage.... A combien de sottes âmes, eu mon temps, a servy une mina 
froide et taciturne, detUtre de prudence et de capacité! » (Montaigne, pt* 
eat«,iii, 8.) 



156 CHAPITRE Vin. 

incompatibles, ou qu'il fût impossible d'être heureux et sot 
tout à la fois, ils se croient de Tesprit; ils hasardent, que 
dis-je ? ils ont la confiance de parler en tonte rencontre et 
sur quelque matière qui puisse s'offrir, et sans nul discer- 
nement des personnes qui les écoutent. Ajouterai- je qu'ils 
épouvantent ou qu'ils donnent le dernier dégoCtt par leur 
fatuité et par leurs fadaises ? Il est yrai du moins qu'ils 
déshonorent sans ressource ceux qui ont quelque part au 
hasard de leur élévation. 

^ Comment nommerai-je cette sorte de gens qui ne sont 
fins que pour les sots? Je sais du moins que les habiles les 
confondent avec ceux qu'ils savent tromper. 

C'est avoir fait un grand pas dans la finesse que de faire 
penser de soi que Ton n'est que médiocrement fin '. 

La finesse n'est ni une trop bonne ni une trop mauvaise 
qualité ; elle flotte entre le vice et la vertu : il n'y a point 
de rencontre où elle ne puisse, et peuirétre où elle ne doive 
être suppléée par la prudence. 

La finesse est l'occasion prochaine de la fourberie ; de 

l'uu à l'autre le pas est glissant ; le mensonge seul en fait 

t^^la différence ; si on l'ajoute à la finesse, c'est fourberie. 

T^i^ Avec les gens qui , par finesse , écoutent tout et parlent 

Vpeu, parlez encore moins ; ou si vous parlez beaucoup, dites 

peu de chose. 

% Vous dépendez, dans une affaire qui est juste et impor- 
tante, du consentement de deux personnes. L'un vous dit : 
« J^y donne les mains, pourvu qu'un tel y condescende; » 
et ce tel y condescend, et ne désire plus que d'être assuré 
des intentions de l'autre. Cependant rien n'avance ; les mois, 
les années s'écoulent inutilemeft. c Je m'y perds, dites - 
vous, et je n'y comprends rien; il ne s'agit que de faire 
qu'ils s'abouchent et qu'ils se parlent. » — Je vous dis, 
moi, que j'y vois clair et que j'y comprends tout : ils se sont 
parlé. 

^ 11 me semble que qui sollicite pour les autres a la con- 
fiance d'un homme qui demande justice , et qu'en parlant 
ou en agissant pour soi-même on a l'embarras et la pudeur 
de celui qui demande grâce. 

1 . « C'est une 4;raiide habileté que de savoir cacher son habileté. » (La Ro- 
ehefoucauld.) 



DE LA COUR. 157 

f Si l'on ne se précautionne à la cour contre les pièges 
que Ton y tend sans cesse pour faire tomber dans le ridi- 
cule, Ton est étonné, avec tout son esprit, de se trouver la 
dupe de plus sots que soi. 
^ ir II y * quelques rencontres dans la vie où la vérité et 
^7^ simplicité sont le meilleur manège du monde '• 
/ % Êtes-vous en faveur, tout manège est bon, vous ne 
faites point de fautes , tous les chemins vous mènent au 
terme*; autrement, tout est faute, rien n'est utile, il n'y a 
. point de sentier qui ne vous égare. 
nJ^ % Un homme qni a vécu dans l'intrigue un certain temps 
^'^iie peut plus s'en passer; toute autre vie pour lui est lan- 
guissante. 

% 11 faut avoir de l'esprit pour être homme de cabale 
l'on peut cependant en avoir à un certain point que Ton 
est au-dessus de Tintrigue et de la cabale*, et que Ton ne 
saurait s'y assujettir ; l'on va alors à une grande fortune ou 
à une haute réputation par d'autres chemins. 

T Avec un esprit sublime, une doctrine universelle , une 
probité à toutes épreuves et un mérite très-accompli, n'ap- 
préhendez pas, ô Aristide^ de tomber à la cour ou de per- 
dre la faveur des grands, pendant tout Je temps qu'ils au- 
ront besoin de vous. _ ' 

If Qu'un favori s'observe de fort près ; car s'il me fait 
moins attendre dans son antichambre qu'à l'ordinaire , s'il 
a le visage plus ouvert, s'il fronce moins le sourcil, s'il 
m'écoute plus volontiers et s'il me reconduit un peu plus 
loin, je penserai qu'il commence à tomber, et je penserai 
vrai. 

L'homme a bien peu de Ressources dans soi-même, puis- 
qu'il lui faut une disgrâce ou une mortification pour le rendre 
plus humain, plus traitable, moins féroce, plus honnête 
homme. 

% L'on contemple dans les cours de certaines gens, et 
l'on voit bien, à leur discours et à toute leur conduite, qu'ils 
ne songent ni à leurs grands-pères, ni à leurs petits-fîls : 

1. Il est difttdle de jucer si un procédé net, sincère et honnête, est un 
effet de probité on d'iiabiieté. » (La Rochefoucauld.) 

3. « La fortune tourne tout à Tavanlage de ceux qu'elle favorise.» (La Ro- 
chefoucauld.) — « N'esL-9l pas nai, ma llUe, que louttoiirûe bien pour ceux 
qui sont heureux? » (Mme de SéTi^Ué, 1679.) 

3. ▲ œ point, à te^ pbiUt que l'on soit au-dessus, etc. 



158 CHAprtRE vni. 

le pi^sént est pour eux; ils n'en Jouisisent pÀS, ils en 
abusent. 

îf Straton est né sous deut étoiles : malheureut, heufeux 
dans le même degré. Sa vie est un roman; non, il lui 
manque le vraisemblable. Il n'a point eu d'aventures ; il a eu 
de beaux songes, il en a eu de mauvais. Que dis- je? on ne 
rêve point comme il a vécu •. Personne n*a tiré d'une des- 
tinée plus qu'il a fait; l'extrême et le médiocre lui sont 
connus : iî a brillé, il a souffert, il a mené une vie com- 
mune; rien ne lui est échappé. 11 s'est fait valoir par des 
Tertus qu'il assurait fort sérieusement qui étaient en lui; il 
a dit de soi : Tai de Vesprit, fai du courage; et tous ont dit 
' après lui : /{ a de Vesprit^ il a du courage. Il a eiercé dans 
l'une et l'autre fortune le génie du courtisan , qui a dit de 
lui plus de bien peut-être et plus de mal qu'il n'y en avait. 
Le joli^ Yaimable , le rare , le merveilleux , l'hërotçue, ont été 
employés à son éloge; et tout le contraire a servi depuis 
pour le ravaler : caractère équivoque, mêlé, enveloppé; une 
>jnigme, une question presque indécise. 
•'^ Tf La faveur met l'homme au-dessus de ses égaux ; et sa 
chute au-dessous. 

% Celui qui, un beau jour, sait renoncer fermement ou à 
un grand nom, ou à une grande autorité, ou à une grande 
fortune, se délivre en un moment de bien des peines, de 
bien des veilles, et quelquefois de bien des crimes. 

1[ Dans cent ans, le monde subsistera encore en son en- 
tier; ce sera le même théâtre et les mêmes décorations; ce 
ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur 
une grâce reçue, ou ce qui s'attsiste et se désespère sur un 
. refus, tous auront disparu de dessus la scène. II. s'avance 
déjà sur le théâtre d'autres hommes qui vont jouer dans 
une même pièce les mêmes rôles ; ils s'ivanouiront à leur 

1. Straton,... Les clefs boniment ici d'an commmi accord le doc de Laa- 
lun, et c'est Justice. « H a été, dit Saint-Simon (son beau-frère), an per» 
Bonoage si extraordinaire et si unique en tout genre que c'est avec beaucoup 
de raison que la Bruyère a dit de lui dans les CoractôrM qu'it n'était pas 
permis de rêver comme il a yécu. » D'abord favori du roi, avec de courtes 
intermittences, le duc de Lauzun fut sur le point d'épouser Mlle de Monipen- 
sier, cousine germaine de Louis XtV. Disfçracié, il passa dix ans dans la 
prison de Plgneroi, puis il revint à Versailles, reçut de belles pensions de 
Mlle de Muntpensier,8e brouilla de nouveau avec elle et se fit exclure de la 
cour, il commanda eo Irlande le corps d'armée que Louis XIV j avait envoyé 
pour venir en aide à Jacques II dans ses tentatives contre le roi Guillauine. 
et fut battu au combat de la Boy ne. 



DE LA COUR. 159 

tour; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront 
plus ; de nouveaux acteurs ont pris leur place. Quel fend à 
faire sur un personii^ge de Comédie ! 

^ Qui a vu la cour a Vu du Inonde ce qtli est le plus beau, 
le plus précieux et le plus orné : tJUi méprise la cour, après 
l'avoir vue, méprise le monde. 

^ La ville dégoûte de la province ; la cour détrompe de 
la ville, et guérit de la cour. 

Un esprit sain pui3e à la cour le goùf àti la solitude et de 
la retraite *. 



J^Jm 



CHAPITRE IX. 

DEB GRANDS. 

La iJtéTeniioll an peuple dit faveur de» grands est si 
aveuglé, et Tentéteiiient pour leur geste, leur visage, leur 
ton de voix et leurs manières si général que» s'ils s'avisaient 
d'être Boiis, cela irait à l'idolâtrie. 

% Si vous êtes né vicieux, d ThéagèM*^']^ vous plains ; si 
tous le devenes par faiblesse pour ceux qui ont irtérêt que 
vous le soyee, qui ont juré entre eux de vous corrompre, 
et qui se vantent déjà dB pouvoir y réussir, souffrez que je 
TOUS méprise Mais si vous êtes sage , teioapérant, modeste, 
eivil, généreux, reconnaissant, laborieux, d'un rang d'ail- 
leurs et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à 
les prendre d'autrui^ et à faire les règles plutôt qu'à les re- 
cevoir, coûvenea avec cette sorte de gens de suivre pa^ 
ttomplaiâance leurs dérèglements , hurs vices et leur folie, 

1. « Voici la première phrase de ce chapitre : « Le reproche en un senA le 
« plu» honorable que l'on puisse faire à un botnme, c'est do lui dire qu'il ne 
« «tait pas la oour. » En voici la dernière : « Un e&prit sain puise à la cour le 
«. guût de la bolitude et de la retraite. » Tous les paragraphe» entre ces deux 
phrases amènent la dernière commd un résultat et sont des preuves de la 
première. » (Suard.) 

2. La plupart des clefs ont nommé le grand prieur Vendôme, et les édi- 
teurs modernes ont approuvé l'application qui lui était faite du caractère 
de Théagène. Mais Théagène est jeune, et sa vie n'est pas eng^^ée sans re- 
tour dans les scandales qui ont rendu célèbre le grand prieur. C'est sans 
4oute au doc de Bourbon, son ancien élève, quti la Bruyère s^adresse dans 
le secret de son cabinet. Le jeune duc, qui alors avait 33 ans, choisist^aic 
fort mal ses amis. 



160 CHAPITRE IX. 

quand ils auront, par la déférence qu'ils vous doivent, 
exercé toutes les vertus que vous chérissez ; ironie forte, 
mais utile , très-propre à mettre vos mœurs en s(iretë , à 
renverser tous leurs projets, et à les jeter dans le parti de 
continuer d'être ce qu'ils sont, et de vous laisser tel que 
vous êtes. 

% L'avantage des grands sur les autres hommes est im* 
mense par un endroit. Je leur cède leur bonne chère, leurs 
riches ameublements, leurs chiens , leurs chevaux, leurs 
singes , leurs nains , leurs fous et leurs flatteurs ; mais je 
leur envie le bonheur d'avoir à leur service des gens qui 
les égalent par le cœur et par Tesprit, et qui les passent 
quelquefois *. 

% Les grands se piquent d'ouvrir une allée dans une fo- 
rêt, de soutenir des terres par de longues murailles, de 
dorer des plafonds, de faire venir dix pouces d'eau, de 
meubler une orangerie ; mais de rendre un cœur content, 
de combler une âme de joie, de prévenir d'extrêmes be- 
soins ou d'y remédier, leur curiosité ne s'étend point jus- 
que-là. 

% On demande si, en comparant ensemble les différentes 
conditions des hommes, leurs peines, leurs avantages, on 
n'y remarquerait pas un mélange ou une espèce de compen- 
sation de bien et de mal qui établirait entre elles l'égalité, 
ou qui ferait du moins que Tune ne gérait guère plus dési- 
rable que l'autre *. Celui qui est puissant, riche, et à qui 
il ne manque rien, peut former cette question; mais il faut 
que ce soit un homme pauvre qui la décide. 

Il ne laisse pas d'y avoir comme un charme attaché à 
chacune des différentes conditions, et qui y demeure jus- 
ques à ce que la misère l'en ait ôté. Ainsi les grands se 
plaisent dans l'excès, et les petits aiment la modération : 

1. Gomme Ta remarqué Ménage, Geryantès a écrit, à peu de chose près, 
la môme réflexion dans le 31* chapitre de la II* partie de Don Quichotte. 
liais que de fois la Bruyère ayait dû penser tout bas ce qu'il écrit ici ! At- 
taché a la maison de Bourbon, témoin de la vie du fils et du petit-flls du grand 
Gondé, ces deux bizarres personnages dont Saint-Simon a laissé des por- 
traits si peu flatteurs, il a dû soulfnr plus d'une fois des étrangetés et des 
emportements de leur caractère. Il s'en Tenge par cetie réflexion, qui est 
dhine légitime fierté. ^ 

2. « Quelque différence qui paraisse entre les fortunes, il y a une cer- 
taine Cbinpénsatioti de biens et de maUx qui lés rend ésM^, » (La Roche- 
foucauld.) 



DES GRANDS. 161 

ceux-là ont le goût de dominer et de commander, et ceux- 
ci sentent du plaisir et même de la vanité à les servir et à 
leur obéir: les grands sont entouras, salués,. respectés; 
les petits entourent, saluent, se prosternent; et tous sont 
contents. 

^ Il coûte si peu aux grands à ne donner que des paroles, 
et leur condition les dispense si fort de tenir les belles pro* 
messes qu'ils vous ont faites, que c'est modestie à eux de 
ne promettre pas encore plus largement. 

^ c II est vieux et usé, dit un grand; il s'est crevé à me 
suivre : qu'en faire? » Un autre, plus jeune, enlève ses espé- 
rances, et obtient le poste qu'on ne refuse à ce malheureux 
que parce^qu'il l'a trop mérité. 

^ Je ne sais, dites-vous avec un air froid et dédaigneux, 
Philante a du mérite, de l'esprit, de l'agrément, de l'exac- 
titude sur son devoir, de la fidélité et de l'attachement pour 
son maître, et il en est médiocrement considéré; il ne plaît 
pas, il n'est pas goûté.— Expliquez-vous : est-ce Philante, 
ou le grand qu'il sert, que vous condamnez? 

% Il est souvent plus utile de quitter les grands que de 
s'en plaindre. 

If Qui peut dire pourquoi quelques-uns ont le gros lot " î 
ou quelques autres la faveur des grands? 

^ Les grands sont si heureux qu'ils n'essuient pa&mème, 
dans toute leur vie, Finconvénient de regretter la perte de 
leurs meilleurs serviteurs , ou des personnes illustres dans 
leur genre, et dont ils ont tiré le plus de plaisir et le plus 
d'utilité* La première chose que la flatterie sait faire, après 
la mort de ces hommes uniques , et qui ne se réparent 
point *, est de leur supposer des endroits faibles, dont elle 
prétend que ceux qui leur succèdent sont très-exempts : 
elle assure que l'un, avec toute la capacité et toutes les lu- 
mières de l'autre, dont il prend la place, n'en a point les 
débuts ; et ce style sert aux princes à se consoler du grand 
et de l'excellent par le médiocre. 

% Les grands dédaignent les gens d'esprit qui n'ont que 
de l'esprit ; les gens d'esprit méprisent les grands qui n'ont 
que de la grandeut. Les gens de bien plaignent les uns et 

i. À la loterie. 

2. Et dont la perte est irréparable. 

11 



16S CÉAPITRÉ îi. 

lôft autres^ ^ùi ovl M dé li j^ràndèàr eu flë l'espirit', làni 
nulle Vertu. 

If QUahd je Vois, d'Uhé part, aupr'éà dés grands, à letif 
tablé, Ù quelquefois dânà leùtr fâmiliàtitë ; dé clés hômiheé 
alertes, empressés, intrigants, aventuriers, esprits 'daiigè- 
reUx et iiùi^ibleii, et qtlë je considère j d'atitrë i^art, duëlle 
peiné nÛ Ibs ^érébÂiibà dé ihérité à en ap|)ir6tihèr , 3e ne 
suis 'j^tà iôlijbUrti disf^bsé II cl'oirë que les méchauts sbleiit 
soufferts par intérêt-, oU ^dé ^^^ ^'^^^ ^^ ^^^^ sôiéht regar- 
dés cbtàm inUtilels; je trbhré plus ttlbil cbm^ite à me bdfa- 
fimier dauà bëttè peilëëe, i^ue ^l^ndeut bt discernement sont 
dbbi ehbàbii diJBféî-eiltes^ et l'âmoùr j^bUr là VéHU et (ioût lés 
vertueux une troisième chose. 

^ Lfmlè aime mieux bsëi* sa tié à be faire sbpfiortër lie 
quelt[Uës grande; ^bb d'être téduït à viVîré faihilièirémëiit 
aVec sed égauï. 

La règle dé Voiir de filuà ^rahds ^ilè ébi doit avoir ses 
restrictions. Il faiit qii'el(j[uéfbià li'étràùgëli tàléntii pbUr \i 
réduire en pratiqué. 

^ Quelle ëât rihcùHblë maladie dé fMùpnm\?n]à iiii 
dure depuis plus de trente années; il ne guérit ^bitit : il & 
vbiilu, il veut et il Voudra gbtivettiét lèà grands; Ik fcdôrt 
seule lui ôtera avec la vie bëttè Mî d'édipii'è 6t d'&scëtidànt 
. sur les eSptitâ. £st-cô en Iiii zèle dii t)rbcliaib? ëst-be habi- 
' tuOe? bst-cè tidë excessive dt)inion dé sdi-tnêttié? 11 n'y a 
point de palais bû il He ^'insinue : bé ii'éât paii àii iiiiliëtl 
d'une chambre qu'il s'atrëte; il paiëe à une ènibrââùiie, hû 
aU babinet : oH attend qii'U ait parlé, et latlgtéttips, et âVéb 
action, pour avoir audience, j^oùr. étire vU. 11 ëuttë dâiis lé 
séciretdes familles; il est de t^uël^ile bhosë dànk tout ce 
qui letit arliVë dé triste Oii d'aVàhtageUx i il prévient; il 
s'offrëi il bèfkit dé fétë*, il faut l'adinett^é. Ce ti*eBt pâli 

1. ruiiratt de 11. d& Roquette, ëvôttue d'Atitlin; « qui fi'afàit tien blibiid 
pour faire foriune et être un personnage, dit Saint-Simon, tout sacre e| 
tout miel, etenirautdans toutes les intrigués.... » Saîhi-Simon insisio sui^ 
8ft ROOple&sè; et « sod m^négë, »iï'<at l'une des et))l'ë8hionâ de là Bruyère. 
« Maijsré tout ce qu'il put faire, il demeura k Autun .et ne put arriver ^ ùno 
plils grande foMiihe. Sur ik fin, il se mit & courtiser le roi et la rëiué d'An- 
gleterre. Tout lui était boô^ 08péi>eri à se ffijurrer, kib tonille^ >i c'eut ett 
1691 que la Bi-uyère écrivait ce caractère, qiii se termine par une allusion à 
la cour que l'éveque d'Autun tità Jacques II, débarqué en France deux ans 
plus tôt. 

1, Il s'impose indiscrètement. Bnssy-Babittia » pluMeura fois employé 
cette expression, et particulièrement dans une lettre qu'il écrivit, en i69lti 



DES GRANDS. 163 

assez, pouï remplir son temps ou son ambition, qaa le boîi) 
de dix mille âmes dont il,r^ 
propre ; il y ep a d'un plii: 
distinction dont u ne doit a 
plus Tolontiers, U écoute,,! 
TÏi^ de pâture à son esprit 
niànége. À peine un gT&ôâ 
et s'en saisit; on.é^teni^^ 
le gouverne, qu'on n'a p' 
goùveriier'. ^ ^ . . ■ . ■ ,-,,r b 

^ tjne froideur ou une incivilité qui, ineni 4B..,ce'ux qui 
sont ail-dessus de noiis hoiis le^ laii haïr; mais un salut 
ou un sourire ùons les réconcilie*. 

^ y y à des hommes superbes qup l'él^yation de leurs 
rivaui humilie et apprivoisa; ils çn viennent, par cette disr- 
l^^çe, jusqu'à rendre, le s<<iv^ v.'^f^^i^ t^?ip^i T^i Eidoùcii 
foqies choses, les remet enfin dans leur natarel.., . 

^ Le mépris que les grands ont pour le peuple les ren|^ 
indifférents sur les flatteries ou sur les losanges qu'ils en 
reçoivent, et tempère leur vanité. De même les princesi 
loués sans fln et sans relâche des. grands ou des courtisans, 
en seraient plus vains , s'ils estimaient davantage ceux qui 
les louent 

^ Les grands croient âtre seuls parfaits, n'admettent qu'à 
peine ilaas les autres hommes là ^roitùre d' esprit ; l'iiabi- 
leté, la délicatesse, et s'emparent de ces riches talents, 
comme de choses dues ^ leur naissance. C'est cependant 
en euï une erreui* grossière de se nourrir d^ si fausses 
préventions : ce^ qu'il y, a jamais eu d.é inieui pensé, dé 
mieux dit, de mieui ëcrit, .et peu^'étre d'une conduite plus 
délicate, né nous est pas toùjoun venu de leur fonds. Ils 



k IB Brajtra, Ce U«c»ec r»i»nt remercié d b 

demie, bien dn'il ne loi «At point hit connah 

dibposiiiau. il loi rduandlti aOïKiid Je iods 

«u^iri diflM,.>niias|eiu,.i:a n'csl pu que j'eUBH hfjnu de 'uus » 

c'est qu'il ih'h paru qa'uD feitiu annoDcé aisni qu'il Boii rendu s i 

daaaDm«rila.' 

I. Oif enwad dire k JCbiophila : ■ le le ganieine, a araot qu'oo ail 
Umps de iou|>(oDber qnll pt^iait k le gouTerDer. 

a. Moui rêcuiicUie afec eux, — ' Voilà, dit BuBST-HabutlD dans sei 

• rereiiir et ouLUer loat le poeié. ■ 



164 CHAPITRE IX. 

ont de grands domaines et une longue suite d'ancêtres; cela 
ne leur peut être contesté. 

% Avez- vous de l'esprit, de la grandeur, de Thabileté, du 
goût, du discernement ? en croirai-je la prévention et la 
flatterie, qui publient hatfftiment votre mérite? elles me sont 
suspectes, et je les récuse. Me laisserai-je éblouir par un 
air de capacité ou de hauteur qui vous met au-dessus de 
tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s'écrit , qui 
vous rend sec sur les louanges, et empoche qu'on ne puisse 
arracher de vous la moindre approbation? Je conclus de là 
plus naturellement que vous avez de la faveur, du crédit et 
de grandes richesses. Quel moyen de vous définir, Télé' 
phon'i on n'approche de vous que comme du feu , et dans 
une certaine distance ; et il faudrait vous développer *, vous 
manier, vous confronter avec vos pareils , pour porter de 
vous un jugement sain et raisonnable. Votre homme de 
confiance, qui est dans votre familiarité , dont vous prenez 
conseil, pour qui vous quittez Socrate et Aristide , avec qui 
vous r|ez, et qui rit plus haut que vous, Dave enfin , 
m'est très- connu : serait-ce assez pour vous bien con- 
naître? 

If II y en a de tels que, s'ils pouvaient connaître leurs 
subalternes et se connaître eux-mêmes , ils auraient honte 
de primer. 

Tf S'il y a peu d'excellents orateurs, y a-t-il bien des gens 
qui puissent les entendre? S'il n'y a pas assez de bons écri- 
vains, où sont ceux qui savent lire? De même on s*est tou- 
jours plaint du petit nombre de personnes capables de con- 
seiller les rois, et de les aider dans l'administration de leurs 
affaires. Mais s'ils naissent enfin, ces hommes habiles et in- 
telligents, s'ils agissent selon leurs vues et leurs lumières, 
sont-ils aimés, sont-ils estimés autant qu'ils le méritent? 
S'ont-ils loués de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils font 
pour la patrie? Ils vivent, Ù* suffit; on les censure s'ils 
échouent, et on les envie s'ils réussissent. Blâmons le 
peuple où il serait ridicule de vouloir l'excuser. Son cha- 
grin et sa jalousie, regardés des grands ou des puissants 
comme inévitables, les oi^t conduits insensiblement à 
le compter pour rien, et à négliger ses suffrages dans 

1. Vous enlever votre enveloppe. 



DES GRANDS. 165 

toutes leurs entreprises, à s'en faire même une règle de 
politique. 

Les petits se haïssent les uns les autres lorsqu'ils se nui- 
sent réciproquement. Les grands sont odieux aux petits par 
le mal qu'ils leur font, et par tout le bien qu'ils ne leur font 
pas. Ils leur sont responsables de leur obscurité , de leur 
pauvreté et de leur infortune ; ou du moins ils leur parais- 
sent tels. 

% C'est déjà trop d'avoir avec le peuple une même reli- 
gion et un même Dieu : quel moyen encore de s'appeler 
Pierre^ Jean^ Jacques y comme le marchand ou le laboureur? 
Évitons d'avoir rien de commun avec la multitude ; affec- 
tons au contraire toutes les distinctions qui nous en sépa- 
rent. Qu'elle s'approprie les douze apôtres, leurs disciples, 
les premiers martyrs (telles gens, tels patrons); qu'elle voie 
avec plaisir revenir , toutes les années , ce jour particulier 
que chacun célèbre comme sa fête. Pour nous autres grands, 
ayons recours aux noms profanes; faisons- nous baptiser 
sous ceux à^Annibàl, de César et de Pompée, c'étaient de 
grands hommes; sous celui de Lucrèce , c'était une illustre 
Romaine ; sous ceux de Renaud, de Roger, d*OHvier et de 
Tancrède^, c'étaient des paladins, et le roman n'a point de 
héros plus merveilleux ; sous ceux d'JETecfor, à*AchiUe, à! Her- 
cule, tous demi-dieux; sous ceux même de Phébus et de 
Diane *. Et qui nous empêchera de nous faire nommer Jupt- 
ter, ou Mercwre, ou Vénus, ou Adonis ? 

^ Pendant que les grands négligent de rien connaître, je 
ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires 
publiques, mais à leurs propres affaires; qu'ils ignorent 
l'économie* et la science d'un père de famille, et qu'ils se 
louent eux-mêmes de cette ignorance ; qu'ils ' se laissent 
appauvrir et maîtriser par des intendants ; qu'ils se conten- 
tent d'être gourmets ou coteaux*^ d'aller chez Thais ou 

1. Héros du Bokmd amoureux deBoiardo (1495),de celai de Berni(is4l), 
da Roland furieux ei da Roland amoureux de rArioste, et de la Jérusalem 
délivrée du Tasse. 

2. Les lecteurs contemporains écrivaient en naarge de cette réflexion 
les noms de César de Vendôme, Annibal d*Estrées, Hercule de Rohan, 
Achille de Harlay, Phébns de Foix, Diane de Chastignier, etc., etc. 

3. C'esi-à-dire Tart d'administrer une maison. 

4. BoileaUf Mme de Sévigné, et bien d'autres ont parlé des coteaux, et ce 
nom a soulevé de nombreuses dissertations. Selon les uns, lé nom de ce- 
teoMX avait été donné à trois gourmets célèbres qui s'étaient partagés sur 
l'estime en laquelle on devait tenir les vins de chacun des celteaux de U 



166 CHAPITRE IX. 

chez Phrynê, de parler de la meute et de la vieille çaente ', 
de dire combiéh 11 y à dé postès''de Vaii^ & Èesàûçoa ou k 
Philisbourg, des citoyens s'instruisent du dedaÂs et du 
dehors d'un royaume,' étudient lé gouvernement, devien- 
nent fins et politiques; savent le fbrt et le faible de tbut un 
État, Songent à se mièui plàèer , se plaLcent,' s*^élèvent, de- 
"i^ieiinent puissants , "éôlilagént te pÀnce cl'^ne partie dés 
soins publics. Les graàdsVqûî lés îdédaignaieût, les rêvè- 
rent, heureux s'ils deviennent leurs gendres 1 

' ^ Si je comparé ensemltlé'ïés deux "bonditibiis des hommes 
les pltis opposées, je vètix! dire lès grands avec lé peuplé^ 
èe dernier kne 'paraît cbnteiit du nécessaire,'^ et l^s autres 
ôônt inquiets et pauvres 'avec le feuperflii. Uû' homme du 
peuple Àe saurait fàfre aucun nàâl ;' iin grand lie vêtit faire 
aucun bien et est capable de' grâiids 'maui.'l'uù^nè ié 
formé et ne s'exéi*ce que Mans leii chb^eà qui s6ni"utïles*| 
Pautre y joint les pernicieuses, ta se' montrent mgënùment 
la grossièreté et la'f ranchiëe ; ici se cache une se Ve maligne 
et èorrompue isoùij ï^écdrce' dé la'pbîhjessè. le peuplé n'a 
guère d'esprit, "et ïes grands tf ont 'poiù^ d*âme : celùi-là à 
un bon fond et n'a pohit dé dehors ; ceux-ci ri* ôiit que des 
dehors 'et qu'iiné' sitopîe sùperflbi^. P'àùt-il ô^ter? Je ne 
balance pas, je veux être peuple. - ........<, 

' Tf Quelque profonds que feô'îerit les grands de la cour, et 
quelque art 'qu'ils aient pour paraître ce qd'ils rié'sont'()as 
à; pouif rie point paraître ce qu'ils sont, ils né peuvent cacher 
leur malignité, leur extréine pente à' rire aux dépens d'au- 
truî et à jeter uh rîdïcùle souvent où îl n^y en peut avoir. 
Ces beaux talents se découvrent en eux dfti'pi'eriiiércoùp 
d*oéSl ; àdihirablés èans doiite' pour erivelôpper une dupé et 
tendre 'sot celui qui fest déJàV niais encore plus propres à 
léur'ôter tout le plaisir qu'îiè pourraient tirer d'tiri homme 
d'^éfeprii,,'qu}' saurait se tourner et' se ^lîèi* en mîUô ma(- 
ûières agréables et réjouissantes, sî lé dangereux 'caractère 



Champa^e. Selon d'antres, un évêque du Mans ayait reproché à an convive 
difticUe de n'aimer que le vin d'un ;;ertaîn ooteau : de la,' diêait-on, ce nom 
donné à tous leâ délicats. Quelle que sûii l'ori^îne du mot, origine sur' la- 
quelle ge'sont prononcés tour h tour Boiléau, Saint-ÉVremOnd, Bouhours et 
Ménage, il était devenu le synonyme dé friand et de gourmet. ' 

t. « On appelle chiens de meute les premiers Chîens qu'on donne au lais- 
ser courre ; vieille meute, les seconds chiens qu'on donne après lés pr9« 
miers. » (FureUère.) , 



DES GRANDS. 1.Ç7 

du courtisan ne Fepçageait pas à un9 fort ^ande retenue. 
Il lui opposé *uii caractère sériât^, dans legueî il se re- 
tranché ; et îl fait si bien que les tailleurè, ivec des inten- 
tions si mauvaises, manquent d'occasibné de se jouer de 
lui. 

• • * 

% Les aises de la vie, Pabondance, le calme d'iiuQ grande 
prospérité, font que ^ês princes ont de la Joie dé reste pour 
fire d'-un nain/d^n si,i?çe, d*un imbécile 'et d'un 'mauvais 
conte : les cens moins heureux ne rient qu'à proposa 

If 0n gratd aime îa Ct\amj)agn9, abhorre la Brib*; il s'en- 
ivre oe meitlêur vti que l'hbmme du çèuple : seule diffé- 
rence que la crapule laisse entre les conditions les plus dis- 
proportionnées, entre le seignQur et l'èsta^ér.' 

' ^ Il semble d'àb.ôird qu'il entre' dans les plaisirs des prin- 
ces' un peu de celui d'iobommoder les autres. î^ais non, les 
prihces/ressémbléhtaux'hommesVils songent à eux-mêmes, 
[Suivent leur goût, leurs passions, iQur cdmmo^ië ; cela e^t 
naturel. * "- ' . - 

" ^ îl semble q^ue 1î\ pren^ère règle des cpmpa^ieij, des 

fens en place on d.e^ puissants, est dç donner à ceu:^ qui 
épendent ci'eùx pour le l)esoin de leurs affaires toutes les 
traverses qu us ■ en peuvent craindre. 
' ^ ^ un grand a quelque^eçré d^ bonheur çu^ leaaijitres 
hommes, je ne dèyînè pas le^uel^ si ce' n*est "peut-être de 
se trouver souvent dans k pouvoir çt dans 1 occasion de 
faire plaisir; et, si elle naît, cette conjoncture, il semble 
qu'il doive s'en servir : si c'est en faveur d'un homme de 
bien, il doit' appréhender qu'elle ne lui échappe! Mais, 
comme c'est en iine chose iuste, il doit prévenir la sollici- 
tation, et n'être ^ que pour être remercié; et, si elle est 
facile, Une doit cas mêmfe la lui faire valoir, è'flîa Ini re^- 
fuse, je les çjains tous deux V 

^ Il y a des hommes nés inaccessibles; et ce sont préci- 
sément ceux de qui les autres ont besoin, ie qui ils dépen- 
dent. Ils ne sont jamais que sur un pied ; mobiles comme le 
çiercurç, il^ pjrpujçttiei^t,, il3 ge^licnj^ei^t," i)^ Çi^ep^i, îjs. s'ap- 
tent : semblables à ces figures de carton qui servent do 

i. Le vin de la CltampaguB, U vin de U Brie. 
2. ili^ ceux qui dépendint d'em. 

S. L'un de n'avoir pee obtenu ce q\^% déeire4 raotsadei n'avoir paa larvi 
an homme de bien. en. une chose jaste. 



)68 CHAPITRE n. 

montre à une fête publique *, ils jettent feu et flamme, ton- 
nent et foudroient; on n'en approche pas; jusqu^à ce que, 
venant à s'éteindre, ils tombent, et par leur chute devien- 
nent traitables, mais inutiles. 

^Le suisse, le valet de chambre, l'homme de livrée, s'ils 
n'ont plus d'esprit que ne porte leur condition, ne jugent 
plus d'eux-mêmes par leur première bassesse, mais par Të- 
lévation et la fortune des gens qu'ils servent, et mettent 
tous ceux qui entrent par leur porte et montent leur esca- 
lier, indifféremment, au-dessous d'eux et de leurs mattres : 
tant il est vrai qu'on-est destiné à souffrir des grands et de 
ce qui leur appartient! 

% Un homme en place doit aimer son prince, sa femme, 
ses enfants *, et après eux les gens d'esprit ; il les doit 
adopter, il doit s* en fournir et n'en jamais manquer. Il ne 
saurait payer, je ne dis pas de trop de pensions et de bien- 
faits, mais de trop de familiarité et de caresses, les secours 
et les services qu'il en tire, même sans le savoir. Quels pe- 
tits bruits ne dissipent-ils pas? quelles histoires ne rédui- 
sent-ils pas à la fable et à la fiction? Ne savent-ils pas jus- 
tifier les mauvais succès par les bonnes intentions ; prouver 
la bonté d'un dessein et la justesse des mesures par le bon- 
heur des événements; s'élever contre la malignité et l'envie 
pour accorder à de bonnes entreprises de meilleurs motifs ; 
donner des explications favorables à des apparences qui 
étaient mauvaises; détourner les petits défauts, ne montrer 
que les vertus, et les mettre dans leur jour; semer en mille 
occasions des faits et des détails qui soient avantageux, et 
tourner le ris et la moquerie contre ceux qui oseraient en 
douter ou avancer des faits contraires*? Je sais que les 
grands ont pour maxime de laisser parler, et de continuer 
d'agir; mais je sais aussi qu'il leur arrive, en plusieurs reU' 
contres, que laisser dire les empêche de faire. 

i. U s'agit de piècee d'artifice. 

2. Sa femme, sesenfantSi êonprincêt dans la 4* éditioD, la première qai 
ftit contena oette réflexion. A la 6* édition, la Brayère a placé l'amour du prince 
a^ant l'amour de la famille ; mais, comme on le verra plos loin, il met l'Ëtat 
att-desBus da prince. 

8. « Un vrai ami est une chose si aTantagease,mème pour les plus grands 
seigneurs, afin qu'il dise du bien d'eux et qu'il les soutienne en leur ab- 
sence même, qu'ils doiTent tout faire pour en avoir. Mai» qu'ils cLoivssent 
bien ; car s'ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile, 
quelque bien qu'ils disent d'eux. » (Pascal.) 



DES GRANDS. 169 

% Sentir le mérite, et, quand il est une fois connu, le Bien 
traiter, deux grandes démarches à faire tout de suite, et 
dont la plupart des grands sont fort incapables. 

^ Tu es grand, tu es puissant, ce n'est pas assez; fais 
que je t'estime, afin que je sois triste d'être déchu de tes 
bonnes grâces, ou de n'avoir pu les acquérir. 

^ Vous dites d'un grand ou d'un homme en place qu'il 
est prévenant, officieux , qu'il aime à faire plaisir ; et vous 
le confirmez par un long détail de ce qu'il a fait en une af- 
faire où il a su que vous preniez intérêt. Je vous entends : 
on va pour vous au-devant de la sollicitation, vous avez 
du crédit, vous êtes connu du ministre, vous êtes bien 
avec les puissances : désiriez-vous que je susse autre 
chose? 

Quelqu'un vous dit i€ Jemê plains d'un tel, H est fier de- 
puis son élévation^ il me dédaigne^ il ne me connait plus. » 
c Je n'ai pas, pour moi, lui répondez-vous, sujet de m'en 
plaindre; au contraire, je m'en loue fort, et il me semble même 
quHl est assez civil. > Je crois encore vous entendre : vous 
voulez qu'on sache qu'un homme en place a de l'attache- 
ment pour vous, et qull vous démêle dans l'antichambre 
entre mille honnêtes gens de qui il détourne ses yeux, de 
peur de tomber dans l'inconvénient de leur rendre le salut 
ou de leur sourire. 

Se louer de quelqu'un, se louer d'un grand, phrase déli- 
cate dans son origine, et qui signifie sans doute se louer 
soi-même, en disant d'un grand tout le bien qu'il nous a 
fait, ou qu'il n'a pas songé à nous faire. 

On loue les grands pour marquer qu'on les voit de près, 
rarement par estime ou par gratitude* On ne connaît pas 
souvent ceux que l'on loue : la vanité ou la légèreté l'em- 
porte quelquefois sur le ressentiment; on est mal content * 
d'eux et on les loue. 

^ S'il est périlleux de tremper dans une affaire suspecte, 
il l'est encore davantage de s'y trouver complice d'un grand : 

1. Àtt dix-Beptième siècle, on plaçait beaucoup plue Bougent l'adxerbe fnal 
deTBDt un tidjeciif que nous ne le faisons aujourd'hui : « mal propre à déci- 
der, «dans le Misanthrope (1,2) ; «lieu si mal propre & notre confidence,» 
dans Cinna (II, 2) ; « le ciel a nos vœux mal propice, » dans Horace (V, S). 
On préférait mal content à mécontent: mal cont)rnt est « plus noble et 
plus de la cour, » disaient les puristes; pour eux, w^mécontent était un fao 
tieux, un rebelle. 




179 CHAPITRE a. 

il B'e^ tirç, et ^90* laisse, payer dpublçment, mut ^ et 
pour vous *. 

une 

lui 

trop 

geaçice au ^rt ou'il en a reçu* 

^ j - - - ^ • - 

pouç 

prinae 

part et d^autres 4e.s fonctions yieu^ aubUmes çt dVne mer- 

ye^leusQ utilité ; les ^om^es uq sont guère capables îe 

plus, grandes choses, çt ie né sais d'pù t^ robe'^t \épé^^ ont 

puisé de quoi se mépriser réciproquement. ' 

% S*U e|t y?r^i qg^'^ Çra?.^ ^punç ylus ^ U fortune ^ors- 
gu'Ûj has^i^de ui\evie àestïùeè à co^Içr dans les ris, ^e plai- 
^\r et l'abondance, qu'un particuliç,^ qui ne Visc^ûe que ^es 
joun^ q^i $Q;nt p^ij^éi^ables, il faut} avouer aussi qu'^ a un 
tout autrç dédoQilinagçmeàlj, qo^' est la gl^oirç^ e^ îa haute 
réjpu.tation. j^e, sol(^t ne senti pas qu'il soit connu ; il meurt 
obscur et dans la ■Coule : il vivaijt de môixie, à, Ija vérité, 
inais ij, vivait ; et c^est V^Ç, aes sources du défaT^i| de cou- 
ç^^e 4i3^s les^ conditions basses et serviles. Ceux, au con- 
traire, que la naissance démêle d'avec le peuple, et expose 
9UX yeux des. hommea, k leur censure et à leurs éloges, 
sont même capables d^ sortir par effort de I^iir tei;opéra- 
ïn^t, s'il ne les portaitj pas à la vertu*; et cette disposi- 
tion de cœur et d'esprit , qui passe des aïeuls par les pèrea 
dsgois ]^ur$ descendants, est ce^tte bravoure si Can^ilière aux 
personne^ npble^i e^ peut-être^ la noblesse méçx|^ 

t. Le nom de Gaston d'Orléans, frtoe de Lonis XIII, Tient tontoatoreUe- 
ment se placer à côié de cette réflexion. Son histoire en démontre la par- 
faite justesse. Mais la Bruyère pensait- il à Gaston en récfivtjfat ? d'est une 
Vérité «s tous lés )ouri qu'il exprimidu - .r. ^ 

2. lA Brojère dit des ewapkuMiits oeqoe Racine a dit des fl^ttears. dans 

Détestables flattenrs, présent le pins funeste 
Que plusse faire aux rcie laiftolère céleste! 

Qn sait la phrase de Tacite : Pesaimum inimicorum genus^ îaudantfs, 
• 8."Gette réflexion a été publiée pour la première fois dans là 4* édition. 
](,a gloire du souverain .y venait axant le salut de l'Etat; vùt^s d^ la S* èdf- 
t^n, \fi salut de PEtat igt placé en première ligne. 
4. Virtus^ courage. 



DES GRANDS. 171 




smà 
répondre 

% Les princes, isans autre science ni autre règle, ontj un 
goét de comparaison : ils * sont nék et (élevés aijL iriilieù et 
conime dans le centre des meilleures' ciioses, i, quoi ils rap- 
portent ce' qu'ils lîb'ent, ce qu'ils voienf et ce qù'iTs enten- 
dent. Tout ce qui s'éloigne trop dé' Ltjlli, de Racine et de 
liE Brxjn *, est condamne. 

f Ne parler' aux jéunës princes que du soin de leur rang 
est un eicès de ptécàuliioiiVïôrsque toute une' cour met son 
devoir eV une partie de sa pbliteààe aies respecter, èV (juMls 
sont 'bien moins sujets k* ignorer aucun des égaMs d,ùs^^ 
leur naiissance ' qu'à èdnfondrç les personnes et les traiter 
îndiflférèmment et sans distinction des conditions et des ti- 
tres. Ils ont une fierté" naturelle, qu'ils retrouvent dans les 
occasions ; il ne leur fau1; d.es leçons que pour la réj^ler, que 
potr leur inspirer là bonté, llibimôteîé et Tésprit c^ di^icer- 
nement. 




que tout le monde lui cèd(e. Il ne lui coûte rien d'êtr^ 
àiodeste, de se riiëlef dans ïa multitude (jui Va §*ouvri^ 
pour lui, de prendre' dans yiii.e 'assemblée une de^ni^ère 
place, afin que tous Vj voient et s'empresseàt d.e 1,'èn ô^er. 
La modestie esi d'une pratique plus amèré aux hommes 
d'une condition ordinaire ; s*ils se jettent dans ]^ foule, oni 
les écrasé; s'ils choisissent un poste incommode, il, leur 
demeure. 

^'Aristarque se transporte dans la place avec un héraut 
et un trompette; celui-ci commence : toute la multitude 
accourt et âe rassémblife. « Écoutez,' peuple, dit*l,è. Ijérà.ut, 
§6yez atténiîfe; sileiicé, sùence! Aristarqw^ que vous voyez 
présent, doit faire demain Une bonne action*. 3' Je dirai plus 

1. 1,um, voyez p. 89. — Charles le Bran (l«l»— tô»), célèbre peintr» 
4e Técole française. - - - ;" 

2. Allusion, si l'on en croit le» etefs, à un trait dp 1^ vie dp premier pré- 
sident Achille de Harluy s ayant reçu u» legs de a5,00û 'francaj il .le» 
aurait brasquftment'donaés aux pauvre» pendant son séjour èrla cour. -» 
« Il avait, auiwnt rexpression de Saint-Simon, un orgueil raffiné, mais ex- 
trême, e| qui malgré lui sautait aux yeux, « Aussi, lui faisant Fapplicatioii 
de Talinéa précédent, les commentateurs ont^ls voulu voir en loi l'bomm^ 
qui prend la dernière place pour qa'on l'en ôte. 



172 CHAPITRE IX. 

simplement et sans fignre : Quelqu^un fait bien ; yent-il 
faire mieux? que je ne sache pas qu'il fait bien, ou que je 
ne le soupçonne pas du moins de me Tavoir appris. 

% Les meilleures actions s'altèrent et s'affaiblissent par la 
manière dont on les fait, et laissent môme douter des in- 
tentions. Celui qui protège ou qui loue la vertu pour la 
vertu, qui corrige ou qui blâme le vice à cause du vice, 
agit simplement, naturellement, sans aucun tour, sans nulle 
singularité, sans faste, sans affectation ; il n'use point de 
réponses graves et sentencieuses, encore moins de traits 
piquants et satiriques*; ce n'est jamais une scène qu'il 
joue pour le public, c'est un bon exemple qu'il donne, et 
un devoir dont il s'acquitte ; il ne fournit rien aux visites 
des femmes, ni au cabinet*, ni aux noavellistes ; il ne 
donne point à un homme agréable la matière d'un joli 
conte. Le bien qu'il vient de faire est un peu moins su, 
à la vérité ; mais il a fait ce bien : que voudrait-il da- 
vantage? 

f Les grands ne doivent point aimer les premiers temps; 
ils ne leur sont point favorables : il est triste pour eux d'y 
voir que nous sortions tous du frère et de la sœur. Les 
hommes composent ensemble une même famille; il n'y a 
que le plus ou le moins dans le degré de parenté. 

f Théognis est recherché dans son ajustement, et il sort 
paré comme une femme : il n'est pas hors de sa maison, 
qu'il a déjà ajusté ses yeux et son visage *, afin que ce soit 
une chose faite quand il sera dans le public, qu'il y paraisse 
tout concerté, que ceux qui passent le trouvent déjà gra- 
cieux et leur souriant, et que nul ne lui échappe. Marche- 



1. Cette phnse, ajoutée iprèscoap, aenoore para contenir one aUosion ao 
même président deHarlay. « Les sentences et les maximes, dit Saint-Simon^ 
étaient son langage oMinaire, même dans les propos communs.... On ferait 
un Tolume de ses traits, tous d'antant pins piqnanu quHi avait infiniment 
d*esprit. » 

3. Rendes-TOus à Paris de quelques honnêtes gens pour la conversation 
(Noté de la Bruyère). Ce mot depuis longtemps désignait les réunions où 
s'assemblaient les savants et les littérateurs, soit ches l'un d*entre eux, soit 
ches quelque grand personnage, « pour faire une conversation savante et 
agréable, » selon la définition du Dictionnûre de Trévoux. Dans la corres- 
pondance de l'astronome Bouliiau et des érudits qui se retrouvaient chaque 
jour Mutour de MM. Dupu7,le cabinet était la bibliothèque de M. de Theu, fils 
du célèbre historien. Plus tard. Ménage, le marquis et l'abbé de Dangeau, 
l'abbé de Choisy et quantité d'autres ont tenu cabinet, 

8. Qu'il s'est déjà fait une contenance étudiée. Deux lignes plus haut, dans 
la même phrase, a^uetement est synonyme d'habillement. 



DES GRANDS. 173 

t-il dans les salles, il se tourne à droit *, où il y a un grand 
inonde *, et à gauche, où il n'y a personne ; il salue ceux 
qui y sont et ceux qui n'y sont pas. 11 embrasse un homme 
qu'il trouve sous sa main ; il lui presse la tôte contre sa 
poitrine : il demande ensuite qui est celui qu'il a embrassé. 
Quelqu'un a besoin de lui dans une affaire qui est facile; il 
va le trouver, lui fait sa prière : Théognis l'écoute favora- 
blement ; il est ravi de lui être bon à quelque chose ; il le 
conjure de faire naître des occasions de lui rendre service; 
et, comme celui-ci insiste sur son affaire, il lui dit qu'il ne 
la fera point ; il le prie de se mettre en sa place, il l'en fait 
juge. Le client sort, reconduit, caressé, confus, presque 
content d'être refusé. 

^ C'est avoir une très-mauvaise opinion des hommes, et 
néanmoins les bien connaître, que de croire, dans un grand 
poste, leur imposer par des caresses étudiées, par de longs 
et stériles embrassements. 

^ Pamphile ne s'entretient pas avec les gens qu'il ren- 
contre dans les salles ou dans les cours ; si l'on en croit sa 
gravité et l'élévation de sa voix , il les reçoit, leur donne 
audience, les congédie. Il a des termes tout à la fois civils 
et hautains, une honnêteté impérieuse et qu'il emploie sans 
discernement : il a une fausse grandeur qui l'abaisse, et 
qui embarrasse fort ceux qui sont ses amis, et qui ne veu« 
lent pas le mépriser. 

Un Pamphile * est plein de lui-môme, ne se perd pas de 
vue, ne sort point de l'idée de sa grandeur, de ses alliances, 
de sa charge, de sa dignité ; il ramasse, pour ainsi dire, 
toutes ses pièces^, s'en enveloppe pour se faire valoir: il 
dit : Mon ordre, mor^ cordon bku; û l'étalé ou il le cache par 
ostentation; im Pamphile, en un mot, veut être grand : U 
croit l'être, il ne l'est pas, il est d'après un grand\ Si 



1. Voyez page 103, note 1. 

2. Où il 7 a Deaacoap de monde. 

8. Pampbile est, de toate évideDce, le marquis de Dangean, cet excellent 
homme •( chamarré de ridicules, comme dit Saint-Simon, à qui la tète avait 
tourné d'être seigneur. » Il était membre de l'Académie française. 

4. Tontes les pièces de son écusson. C'est eu 1691 qu'a paru cet alinéa. 
ùangeau était depuis trois ans chevalier de l'ordre du SaintrEsprit. Les cbe- 
Taliers de cet ordre portaient un large ruban bleu au bout duquel pendait la 
croix du SaintpEsprit ; ce ruban et cette croix figuraient autour de leurs ar- 
moiries. 

5. m Ses charges et son argent , écrit Saint-Simon an sqjet de Dangeau, en 



174 CHAPITRE ÏX. 

quel({aefois il sourit à un homme au dermer ordre, à un 
nomnié d^eiprit, il choisit son temps si juste qu'il p'est.ja- 
ùiais ^iris sur lé fait : aussi la rougeur lui monterait -elle au 
visage; s'il était malheureusement surpris dans la moindre 
familiarité avec quelqu'un éui n'est ni opulent, ni puisj- 
sant. lU ami d'ikh ministre, ni son allié ^ ni çon dome^tiqi^e^ 
Il eist séVère et Inëzoi'âhie à 4ui n'a point encore ifâit sa for- 
tuiie. Il voua laperçoiib un jour dans une galerie, et il vous 
fuit; et lé lehdeihain V^l vous trouve eh un endroit m9ins 
J^Ùblic, pu, s'il est public, en là compagnie d'un grand, u 
prfend cottra'gô, Il vient à vous, et il vous dit ; Vous ne fai- 
siez pcà hier semblant àè nous voir. Tantôt U ypuis. quitte 
brusquement pour joindre un seigneur ou un premier corn- 
Bais*, et taîltot; s'il les bbuve avec vous en conversation, 
il vous coupe* et vous les énlêye. If oui ràbordêz liiié autr^ 
fôîs, *et il ne s'ârrèté pas*; il se ïail suivre, vous , parle si 
haut que Vest une scène pour ceux qui pâssçnt. Aussi les 
Pâmphiles sont-ils toujours comnie sur un. théâlre;,gens 
nourris dans le faux, et (|ui né haïssent rien taHt que d'être 
naturels;.^ vrais personnages dé comédie, des Floridors, deâ 
Monàoris*. ....... 

^ 04 iie tarit point sur lés Pâmphiles *. ils sont I)as et ti- 
mides devant les princes et les ministres^ pleins de hauteujr 
et de cônâànce avec ceux qiii n ont que de là vert^û *,. muets 
et embarrassés avec les savants; vifs, hardis et décisifs 
slvec ceiix (|ui ne savent riéii. Us parlent de guerre à iin 

mviiéni ïàli Bon pas an Bëlj^neal', maiB, comme Ta ^i plaisammisnt dit là 
BjrujèrA^ un hQixuné diaprés un seigneur.... Sa fkdeur naturelle, eotée sur là 
bassesse du courtisan et recfépie ae l'o,rgueil d\) sç^igoeur postiche» fii u|i 
composé que combla la grande maîtrisé de l'oirare de Sàint-Làzare. Il ât lé 
singe du coi daiia les.proDiQtions (|a'il fit de^cei ctrdro » toute la cour accou- 
rait ppur rire avec aci^odale, tandis gu'il a'en cjroyait idmiré. » ■ • 

1. Ni Attaché à sa inaisoii. Tous ceux qui àvaiëni des emplois auprès d'un 
grand, fussent-ils des {^entilsliommes, étaient nommés ses domestiques, 

2. IjO premier commis d'un ministre était un personnage important. Le 
marquis de Saint-Pouange, qui était cousin- gennain de Louîois, et dont 
l'autorité était grande à la cour, avait été le commis principal de Louvoie 
et de Barbézieux. 

8. Couper^ cfest passer devant une personne ei la séparer d'une autreé 
Mme de Sévigné et Saint-Simon se sont sertis du mot eoup«r dans le même 
sens* 1 ' ' 

4. Peuft^tre.ee traiiesiril une iréminisoencè d^nn passage deThéopbraste i 
« Un homme Aer et aapevbe. n'écoute pas celui iftti Taborde dans là place 
pour lui parler de quei^ite. affaires mais sabs s'arrêter et se faisant suirra 
quelque temps...» {De ^orgueil.) 

i. t'Ioridor etMondoris aoteurê célèbres de Taoclen théâtre français. Moo- 
dori eat mort en 1651, Floridor en 1672. 



DES GklNbé. 175 

hôibtne li'é irote , et de JièUliqtié k xA fiàaùcier ; iis sàvênî 
lliistoire aveb les îeiniiifes ; ils sont Jioêtéis avec un 'docteur 
ôt gébitiêtreis avtec un poétê. î)e ftlaxliiifes, ils né s'en char- 
gent pas ; de princi^es^ encore moins : ils vivent à Tàven- 
tiire; poussèl et eritrati^'és par le Vent de fa faveur et t^ar 
râttrait dés Hcheéseè. ils n»otit point d'ojpiîiion qÂi sôit à 
eiii, &ài leur èbit propre ; ils eu (Bmbrûlit'ént à mesure qu'ils 
eh ont Besoîtt ^^et clèlui li àût ils btit rebôîirk h^eét guère un 
homme èàge, ou Hiabtlè, ou Vértueùi ; c^ëst \in homme a 
la iïibdé. 

If Nbtite aVoùé pour les ^râilds él jfoùr tes 'gehs ôii ^iâcè 
une jalousie stérile bii Une hàiiie impuissante, qui né nous 
venge poiiit dé leur sjplfendéur et de Ibur él'étâlîon ", et qiii 
ûB fait (iu*aj6\iter 1 nôtrb pi'opré misêi*e le poids insu^pot- 
tablb dti boxiheur d^âutrui. Qûè faire contre une maladie ie 
râin'é ai iHvétéré'e fet ai êoiitâgieùse ? Coûtéiitolds-iiôus de 




cmr un conliiiis, tt'fitré ïepbds^é k une po'rie par là fbùlê 
iimombi'aËlé de bliehts bb ne courtisans dbht la maison d^un 
ministre se d'égorgé plusieurs foiâ le jour* ; de languir dans 
sa sàllë d'àudieiibb ; de lîil dëmâiider ^ en Semblant et en 
hàlbutiàntj une ctiose )ustb ; d'ëssùyer sa gravité, son ris 
ameir et èbii tàcoViismB, Alors je ne le hais pliis^ je iié lui 
porte plue d*ehirlë ; il tie më fait àuciliië prière, je ne lui en 
fais ^as; nbtis somméà égàui, st ce n'est peUt-Ôtrë qu'il 
n*ei5t paô trahquille, fet que je le suis*. . _ ^ 

% Si lé§ grandi oiit lé^ bccksibns de nous faire dû Bien. 
ilS éh biit ràrfeinéîit la volonté ; et i'ils désirefat de nous 
fsdf e dh mal, ilâ h'ën troùvënl paé t6ujoui*s }es occasions. 
Ainsi Ton peut être trompé dans l'espèce de cùlté qu'on leur 
rend, i'il n'est fobdê qùé sur l'ésperàiicë Bù sur la crainte ; 
et une longue vie se termine quelquefois sans qu'il arrive 
ie dépendre d'eux pour le moindre intérôt j ou qu'oU leur 



1. . « PoisqiM} noiMs ne la pouvona aveiodre^ àraildit Montaigne en parlftnt 
de là.grandeur« Tengeons-Dous.à en mesdite. » 
3. Virgile, GéorgiqwSf II, 462 : 

Ifaoe salatantnm totis yomit se(iibd& uudam. 

1. La Bruyère , dit-on , s'est souvenu de Louvois en ecrif ant cet alinéa. 



176 CHAPITRE IX. 

doive sa bonne ou sa mauvaise fortune. Nous devons les ho- 
norer, parce qu'ils sont grands et que nous sommes petits, 
et qu'il y en a d'autres plus petits que nous qui nous ho- 
norent. 

f A la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes faiblesses, 
mêmes petitesses, mêmes travers d'esprit, mêmes brouille* 
ries dans les familles et entre les proches, mêmes envies, 
mêmes antipathies. Partout des brus et des belles-mères, 
des maris et des femmes, des divorces , des ruptures, et de 
mauvais raccommodements ; partout des humeurs, des co- 
lères, des partialités, des rapports, et ce qu'on appelle de 
mauvais discours. Avec de bons yeux on voit sans peine la 
petite ville, la rue Saint-Denis, comme transportées à V'*^'*^'*^ 
ou à F*** *. Ici Ton croit se haïr avec plus de fierté et de 
hauteur, et peut-être avec plus de dignité : on se nuit réci- 
proquement avec plus d'habileté et de finesse; les colères 
sont plus éloquentes , et Ton se dit des injures plus poli- 
ment et en meilleurs termes ; Ton n'y blesse point la pureté 
de la langue ; Ton n'y offense que les hommes ou que leur 
réputation : tous les dehors du vice y sont spécieux *, mais 
le fond . encore une fois , y est le même que dans les con- 
ditions les plus ravalées ; tout le bas, tout le faible et tout 
l'indigne s'y trouvent. Ces hommes si grands ou par leur 
naissance, ou par leur faveur, ou par leurs dignités, ces 
têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spi- 
rituelles, tous méprisent le peuple , et ils sont peuple *. 

Qui dit le peuple dit plus d'ime chose : c*est une vaste ex- 
pression, et l'on s'étonnerait de voir ce qu'elle embrasse, 
et jusques où elle s'étend. Il y a le peuple qui est opposé 
aux grands ; c'est la populace et la multitude : il y a le peuple 
qui est opposé aux sages, aux habiles et aux vertueux; ce 
sont les grands comme les petits. 

f Les grands se gouvernent par sentiment : âmes oisives , 



!• À Versailles oa à Fontûneblean. 

S. Y sont beaux. La Bruyère, comme nous l'avons déjà tu, donne Boarent 
kspécieux le sens qu'il a le plus fréquemment en latin. 

3. a ... Quelque élevés qu'ils soient, ils sont unis aux moindres des 
hommes par le môme endroit. Ils ne sont pas suspendus en l'air, tout ab- 
straits de notre société. S'ils sont plus grands que nous, c'est qu'iJsontia tête 
plus élevée; mais ils ont les pieds aussi bas que les nôtres. Ils sont tous aa 
même niveau et s'appuient sur la même terre; et, par cette extrémité, ilt 
■ont aussi abaissés que nous, que les enfants, que les bèies. » (Pascal.) 



DES GRANDS. 177 

sur lesquelles tout fait d'abord une vive impression. Une 
chose arrive ; ils en parlent trop ; bientôt ils en parlent peu; 
ensuite ils n'en parlent plus, et ils n'en parleront plus. Ac- 
tion, conduite, ouvrage, événement, tout est oublié; ne leur 
demandez ni correction, ni prévoyance, ni réflexion, ni re- 
connaissance, ni récompense. 

% L'on se porte aux extrémités opposées à Tégard de 
certains personnages. La satire, après leur mort, court 
parmi le peuple, pendant que les voûtes des temples reten- 
tissent de leurs éloges. Ils ne méritent quelquefois ni libelles 
ni discours funèbres ; quelquefois aussi ils sont dignes de 
tous les deux. 

% L'on doit se taire sur les puissants : il j a presque tou- 
jours de la flatterie à en dire du bien ; il y a du péril à en 
dire du mal pendant qu'ils vivent, et de la lâcheté quand 
ils sont morts. 



CHAPITRE X. 
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE «. 

Quand l'on parcourt , sans la prévention de son pays, 
toutes les formes de gouvernement , l'on ne sait à laquelle 
se tenir ; il y a dans toutes le moins bon et le moins mau- 
vais. Ce qu'il y a de pins raisonnable et de plus sûr, c'est 
d'estimer celle où l'on est né la meilleure de toutes, et de 
s'y soumettre. 

^ Il ne faut ni art ni science pour exercer la tyrannie ; 
et la politique qui ne consiste qu'à répandre le sang est fort 
bornée et de nul raffinement; elle inspire de tuer ceux dont 
la vie est un obstacle à notre ambition : un homme né cruel 
fait cela sans peine. C'est la manière la plus horrible et la 
plus grossière de se maintenir ou de s'agrandir. 

^ C'est une politique sûre et ancienne dans les républi- 
ques que d'y laisser le peuple s'endormir dans les fôtes, 
dans les spectacles , dans le luxe, dans le faste, dans les 
plaisirs, dans la vanité et la mollesse ; le laisser se rem- 

1. ÎM république, c'ediVÈUt^tûipublica. Pendant les cinq pireiâières 
éditions, lé litre au chapitre était simplement ï Du iouvétùih. 

12 



i78 CHAPITRE X. 

plir du vide et savourer la bagatelle * : quelles grandes dé- 
marches ne fait -on pas au despotique •" par cette indul- 
gence I • • . • .. . 

'If n n'y a point de patrie dans le despotique; d'au- 
tres choseâ y suppléent : Tintérêt, la gloire , le service" du 
prince. - • • 

^ Quand on veut changer et innover dans une république, 
c'est moins lès choses i^ue le temps que ron considère. Il 
y^a des cotljonclures où Ton Sent bien qu*on rie saurait trop 
attenter contre le jieuple ;' et il y en a d'autres où il est clair 
qtt'on ne peut trop le ménager. Vous pouvez aujourd'hui 
ôter à cette ville ses franchises , ses droits , ses privilèges ; 
mais demain ne songez pas mémt réformer ses ensei- 
gnes*.' '• • 

•^f Quand le peuple est en mouvem on ne comprend 
pas pat où le calmé peut y rentrer ; et nd il est paisible, ' 
on ne voit pas par où le calme peut en . ir. 

If 11 y a de certains maux dans la rép» Tue qui y sont 
soufferts, parce qu'ils préviennent ou en ihent de plus 
grands maux. Il y a d'autres maux qui soub ^els seulement 
par leur établissement*, et qui, étant dans leur origine un 
abus ou un mauvais usage, sont moins pernicieux dans leurs 
suites et dans la pratique qu'une loi plus juste ou une cou- 
tume plus raisonnable. L'on voit une • espèce de maux que 



1. La hagatelle,\e9 frivolités agréables. «L'enchantement de la bagatelle, 
dit Bourdaioue, dissipe tellttnentQoapeDsées qne noa» oablions le seul bien 
digne de nôtre suuyenir. » 

2. Quels grands pas, quels progrès ne fait-on point vers le gouvernement 
despotique.. .. 

3. Aulrerois les enseignes des marchands, au lieu d'être appliquées conlro 
les murs, étaient suspendues au-dessus de latôte des passante; elles étaient 
si numhceuses et de dimension si grande que les-rue&eB étaient pai'foia 
obscurcies. A Paris, un règlement de police les réduisit, en 1669, à ane di- 
mension commune. — Toute la correspondance administrative du règne de 
Louis XIV vient à Tappui de la réflexion, de la Bruyère. Le plus souvent^ le 
gouvernement intervient dans les affaires municipales, méconnaît les privi« 
fegeSffiUpprimeou violente les élections, sans éprouver la moindre résistance; 
il pourra même en .1092, trois ana après la f>ablicatien deee passage, retirer 
d'un seul coup aux communes le droit d'élire leurs magistrats,. sans que 
cette mesure provoque la plus légère opposition. Quelquefois, au contraire, 
la diminution des uffices d'écbevins dans un corps de ville où ils sont 
trop nombreux, ou telle autre mesure de minime importance, soulève 
des émeutes. L*ëdit qui enjoignit aux particuliers de se servir pour leurs 
contrat» de papiers timbrés sur lesquels se trouvaient imprimées à Tavance 
les formules usitées, a donné lieu en Guyenne et en Bretagne, de 1673 
à 1675, à de graves désordres que suivirent dès répressions terribles. 

4. Par la manière dont ils entêté établit. 



DU SOUVERAIN OU DE LA, RÉPUBLIQUE. 179 

i • • • 

Voxk p,e.utjCorrigerjPW le C;l\aiigfiment ou la nouvefiuté* qui 
est UA mal, et fort dgingereux *, ïl y eu a (faulrès cachés et 
eufoncés comme des ordures Bans, un cloaque, je veuxdirô 
ensevelis sous la Uonte, sous le secret et dans r.ol;)scurît^ :~ 
on i^e pei^t les fouijler étales remuer qu'ils n* exhalent le 
poison et l'iniamie : les pf^. sages doutent quelquefois s'î[. 
est mieux de connaîtra ces. maux que de les ignorer. L'on 
tolère quelqueCpis ilans, un Etat un assez grand mal, mais, 
qui détourne un million de petits maux ou d'ipconvénients^ 
qui tous seraient, inévitables et irrémédiables.' Il se trouve 
des maux, doAt, chaque particulier gémit, et qui dçyiennent. 
néanmoins, un bien pub,lic ', quoique le public ne spi^ autre 
chose que tous les particuliers. Il j a des maux personnels 
qui concourent au bien et à. l*avantage de chaque famille, 
yen a qui affligent, ruiijient. ou déshonorent les famillçs^i 
mais qui tendent au bien'ét à la conservation de î^, machine,^ 
de l'État et du gouvernement. D'autres^ ^^^^/f renversen^t'^ 
des États, et sur leurs ruines en élèvent dé noùveaiui. On 
en a vu enfin qui ont sapé par les fondements de grands" 
empires, et qui les ont f^it évanouir, de dessus JaterrOj^ pour 
varier et renouveler la face de runivers. 

^ Qu'importe 4 l'État qu'Ergaste soit riche, qu'il ait dçs 
chiens qui arrêtent bien, qu'il crée les modeisur les' équi- 
pages et sur les habits, qu'il abonde en superiiuitésî.Oîi, 
il s'agit àe. l'intérêt et des commbdUés dç tout le piiblic, le' 
particulier' est-il compté*? La consplàtion des peuples dans, 
lès choses qui lui pèsent un peu est de savoir qu'ib^ sou-* 
lagent le prince, ou qu'ils n'enrichissent que lui : ils né se 
croient point redevables à,Ergaste de l'embelliçsement de sa 
fortune*.. 

If La guerre a pour elle l'antiquité ; ejle. a été daps.tous. 
les siècles : on l'a toujours vue remplir le, monde de veuves 
et d'orphelins, épuiser les familles d'héritiers, et faire périr 
les frères à une mèpe bataille. Jeune S^vpiqqijp*,. je reg;pette. 

1. « II. y a grand donbte sMl se peut trouyer si éyident proufit an chaDffe» 
ment d*tili6 lo^ recèae, telle qffetle soit, (tuMIy a-demal a la remuer; d^tt- 
tant qii'une pdlice^ c'est comme un basiiment de diterses pièceis jointes èii- 
semble d'une telle liaison quMl est impossible d'efn esbranler une que tooi 
le corps ne s'en sente. «(Montaigne, Essaie, I, 22.) ' 

2. Les impôts; te 

3. Doit-on faire entrer en compte ce qui ne concerne qu'Ergaste ? 
k* Us ne se croient pas obligés d'embellir la formned'Êrgaste. ' 

5. Adolphe de Belleforîère, chevalier de Sôyecourt, capitaihe-lieatenant 



180 CHAPITRE X. 

ta vertu, ta pudeur, ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé, 
sociable ; je plains cette mort prématurée qui te joint à ton 
intrépide frère , et t'enlève à une cour où tu n*as fait que 
te montrer : malheur déplorable , mais ordinaire I De tout 
temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus 
ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se 
brûler, se tuer, s'égorger les uns les autres ; et, pour le 
faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont in- 
venté de belles règles qu'on appelle Tart militaire ; ils ont 
attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus so- 
lide réputation ; et ils ont depuis enchéri de siècle en siècle 
sur la manière de se détruire réciproquement. De Tinjus- 
tice des premiers hommes , comme de son unique source, 
est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont 
trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits 
et leurs prétentions, Si, content du sien, on eût pu s'abste- 
nir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et 
la liberté. 

^ Le peuple, paisible dans ses foyers, au milieu des siens 
et dans le sein d'une grande ville où il n'a rien à craindre 
ni pour ses biens ni pour sa vie, respire le feu et le sang, 
s'occupe de guerres, de ruines, d'embrasements et de mas- 
sacres, souffre impatiemment que des armées qui tiennent 
la campagne ne viennent point à se rencontrer, ou si elles 
sont une fois en présence, qu'elles ne combattent point, ou 
si elles se mêlent, que le combat ne soit pas sanglant et 
qu'il y ait moins de dix mille hommes sur la place. Il va 
même souvent jusques à oublier ses intérêts les plus chers, 
le repos et la sûreté, par l'amour qu'il a pour le changement, 
et par le goût de la nouveauté ou des choses extraordinai- 
res. Quelques-uns consentiraient à voir une autre fois les 
ennemis aux portes de Dijon ou de Corbie', à voir tendre 

des gendarmes-Daupbin, blessé à la bataille de Fleuras, le !•' juillet 1690. 
mort le 3 juillet. Son frère aîné , Jean-Maximilien de Belieforière, marquis 
de Soyecourt, colonel du régiment de Vermandois, avait été tué sur le champ 
de bataille. La double perte que fit à la bataille de Fleurus Mme de Soye- 
eourt avait vivement ému la cour. — Le nom de Soyecourt est écrit StMcour 
dans les lettres de Mme de Sévigné : c'est ainsi qu'il se prononçait. 

1. La ville de Dijon fut assiégée en 1513 par 30 000 Suisses, Allemands et 
Francs- Comtois. Les ennemis levèrent le siège à la suite d'un traité qui ne 
fiit point ratifié par le roi. — La ville de Corbie fut prise pendant la guerre 
de Trente ans, en i636« par les Espagnols et les impériaux^ qui, tandis que 
Vûïméé françaiàe était en Hollande, avaient franchi la Somme. La ville foi 
reprise p«tt de temps après, soâa les teui de Richelieu 



DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 181 

des chaînes', et faire des barricades, pour le seul plaisir 
d'en dire ou d'en apprendre la nouvelle. 

^ Démopkile, à ma droite, se lamente et s'écrie : c Tout est 
perdu , c*est fait de l'État ; il est du moins sur le penchant 
de sa ruine. Comment résister à une si forte et si générale 
conjuration*? Quel moyen, je ne dis pas d'être supérieur, 
mais de suffire seul à tant et de si puissants ennemis ? Gela 
est sans exemple dans la monarchie. Un héros, un Achille 
y succomberait. On a fait, ajoute-t-il, de lourdes fautes : je 
sais bien ce que je dis, je suis du métier, j'ai vu la guerre, 
et l'histoire m'en a beaucoup appris. » Il parle là-dessus avec 
admiration d'Olivier le Daim et de Jacques Cœur * : c Gâ- 
taient là des hommes, dit-il, c'étaient des ministres, j» Il dé- 
bite ses nouvelles, qui sont toutes les plus tristes et les plus 
désavantageuses que l'on pourrait feindre : tantôt un parti 
des nôtres a été attiré dans une embuscade et taillé en pièces; 
tantôt quelques troupes renfermées dans un château se sont 
rendues aux ennemis à discrétion, et ont passé * par le fil de 
l'épée. Et si vous lui dites que ce bruit est faux et qu'il ne 
se confirme point, il ne vous écoute pas. Il ajoute qu'un tel 
général a été tué, et, bien qu'il soit vrai qu'il n'a reçu 
qu'une légère blessure et que vous l'en assuriez, il déplore 
sa mort, il plaint sa veuve, ses enfants, l'Ëtat; il se plaint 
lui-même : il a perdu un bon ami et une grande protection» 
Il dit que la cavalerie allemande est invincible ; il pâlit au 
seul nom des cuirassiers de l'empereur, c Si l'on attaque cette 
place, continue-t-il , on lèvera le siège. Ou l'on demeurera 
sur la défensive sans livrer combat ; ou , si on le livre, 
on le doit perdre ; et si on le perd , voilà l'ennemi sur la 
frontière, j» Et, comme Démophile le fait voler, le voilà dans 
le cœur du royaume : il entend déjà sonner le beffroi des 



1. I^eft chatDes qui fermaient les rues étaient des moyens de défense. 

2. Conjuration h \e sens de coalition. Ce passage a paru en 1 691, pendant 
la guerre que soutenait Louis XIV contre la ligue d'Augsbourg, c'est-à-dire 
contre TEmpire, l'Espagne, la Hollande, l'Angleterre, la Suède, la Savoie, etc. 

3. Oliyier le Daim, qui, après avoir été le barbier de Louis XI, devint son 
favori. Il fut pendu sous le règne de Charles VIII, en i484k. — Jacques Cœur, 
riche négociant, qui rendit de grands services à Charles VU et devint tréso- 
rier de 1 épargne du roi. Jeté en prison , il 8*échappa et mourut dans l'exil 
Çi%6i). Du temps de la Bruyère, l'histoire ne lui avait pas encore rendu la 
justice qui lui est due. 

4. Ont été passées, diraitK>n aujourd'hui 



182 CHAPITRE k. 

villes et crîerVralarme ;'irsongeàsonbien et^à ses terres. 
Où conduira-t-il son argent, ses meubles, sa famille? où se 
réfugiera-t^il? eh Suisse ou a Venise? 

Mais, à m'a '^dMcbie^'Sasiîide met tout d'un cou]^ sur pied 
une armée de .trois cent mille hommes; il n'iêh rabattrait 
pas une seule brigade : il a la liste des escadrons et des 
bataillons, des généraux et des bteciers 5 îln'oùblîe pas Far- 
tillèrie ni le bagage. 11 dispose abs'oliimônt de toutes ces 
troupes*: ilen envoie tant en Allemagne ettàiit èh Flandre; 
'il réserve un certain nombre 'pour les Alpes, un peu moins 

fbùrlés Pyi^éiiées, et il fait casser fa mer à ce qui lui reste, 
l connaît les marches de ces armées, il sait ce qu'elles 
feront et ce qu'elles ne feront pas ; vous diriez tju'il ait* 
Toreille dû prince ou le secret du ministre. Si les ennemis 
viennent de perdre une 'bataille où il soft demeuré sur 'la 
place quelque neuf i dix mille hommes dés leurs, il ièn 
compte jusqu'à trente înille, ni plus ni moins; car ses hbrh- 
'bres sont toujours fixes et certains, coinine de celui* qui est 
bien informé. S'il apprend le thàtin que nous avons perdu 
une bicoque, non-seulement il envoie s'éxcusér a ses amis 
qu'ira la veille conviés à cltner, maïs 'même ce jour-là il ne 
*dîne point, et Vil soiipe, c'est "sans appétit. Si les noires 
assiègent une pla-ce irès-fôrte , très-régulière , pourvue de 
vivres et de munitions , qui a ûnç bonne garnison , cona- 
mandée par un homrné d'un grand courage, il dit que ta 
ville a deslsiidroits faibles et mal fortifiés, qu'elle manque 
depôudre, que soîi gouviérneur man^iue d'expérience, et 
■qu'elle capitulera après huit |j ours de tranchée ouverte. Une 
autre fois il accourt tout horis d^haleine, et, après sCvpir res- 
piré un peu : « Voflà, s^ecrie-t-il, une grande "nouvellel îîs 
sont défaits, et à plate couture; le géîieral, lés chefs, du 
moins une bonne partie, tout est tué , tout a péri. Voilà, 
continue-t-il, un grand massacre, et il faut convenir que nous 
joUohis ilin gfaiidïcrahèlir. i UVa'ësied'*, îl souffle, après 



1. Très-BotiYeBt la Bniyère eftiploie rindicatif ei^ des cas ot «ions net- 
trions anjourd'hoi le subjonctif. Voilà un exemple en sens contraire. Cor- 
neille a di' de nlêine^dans Cinna, IV, k: 

jjoïiar résument qu'il at'Min grand sujet d'en oui, 
Et qiril mande cinna pour prendre avis de iiîL 

3. Comme sont les nombres de.cébtL ... 

S. Il t'assit t dans toutes les éditions qui ont été imprimées sous les ^eox 



DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 183 

avoir débité sa nouvelle, à laquelle il. ne ipanque qu'une 
circonstance, qui est qu'il est certain qu'il n'y a point eu 
de bataille '. Il assure d'aill^eii^i)!» qu'uQ tel prince ]?enonce à 
la ligue, et quitte sçs confédérés^. qu'un ajitre'^e disposée 
prendre le même jpart^ ;. il .cifoit, feqnem^iit^ ayeQ }a populace, 
qu'un troisième, est mort,; il noparçie, 1^. jieu où il est. en- 
terré ; et quand on est ^étr^ippé aux balles et.aip: faubpurgs, 
il parie encore pour l'affirmative •* Il §2^it, par une .voie in- 
dubitable, que f. |C.^L,.* fait de gr?mds progrès contre l'pm- 
"pereur; que le Grand. Seigneur , arme puissamment^,, ne veijt 
point (ie paix, et qi^e son visir va.se ijtipx^trer une autre foi^ 
aux portes de Vieune. Il frappe des mainç, et il tressaille 
sur cet événement, dont il ne doiite.plus. I49, triple, ailiance^ 
chez lui est un Cçrbère, et les enbemi^auti^nt de xpoiï^tr^ss 
à assommer. Il ne parle que de lauriers, que de.palme^, 
que de triomphes et que de trophées.. Il dit 4^R^ ^^ discpurç 
familier : Notre auguste héros , notre grand. pqt&^at , nfitre 
invincible monaf que. Réduisez-le,, si vous pouvez^.à dire 
simplement : Le roi a beaucoup dP ennemis^ H^ son Ipuissar^s^ 
ils sont unis ^ ils sont aigris^ il lès a vaincus ^J'è$père tou^ 
jours qu'il les pourra vaincre. Ce. style, trop^^^e^me ef trop 
décisif pour Demophîle, n'est, pour Bj^silide.ni assez pqqi- 
peux ni assez exagéré : il a bien d^autrê^ expressions en tét^ 
'il travaille aux inscriptions. des arcs et des pyramides qui 
doivent orner là ville capitale un jour d'.§»trée.; et, dè^ 
qu'il entend Sire que les armées soutien présence, ou qu'une 



de laBroyère. Gett» foy me<sdirottte égrifineniTépétée en deux autrefi âiidiioits 
(chap. XI et xiii). Mais Ton rencontre aussi deux fois, dans lû.coars des C</h 
rartereâ, la forme il s'msied, qai a prévalu, et qui déjà était déclarée la 
meilleure par tous les auteurs^ Ttiomas Corneille excepté. • > .- -^ 

1. Après la mort de la Bruyère, les éditeurs, voulant améliorer la phrase, 
ont imprimé : qui est qu*il y ait eu une bataille. 

2. Le 2 août i69(h le. bruit se répandit à Paria quele nouveau roi d'Aûgk»- 
terre^ Guillaume d'Orange, venait de mourir. On fil ,djes feux de joie daos 
les rues , on dressa des tables en plein air. on but à ht ronde et Ton 
força les passants & boire/ La police eut lyeaucoup de peine h, faire cesser ce 
scandale, que Louis 1(1V blâma hautemeut, 

3 Le hongrois Tekeli, qui dirigeait une insurrection contre Tempereur 
d'Autriche, et qui avait remporté une vicioire sur les troupes impériales le 
21 août 1690. Le sultan de Constantinople, que la Bruyère nomme le Grand 
Seigneur, soutenait sa révolte. i -, . ■■ > 

4. Ou a particulièrement donné le nom de triple aliianee à la ligue qui 
s*est formée k la Haye, le 23 janvier i66S««mreila')BoUadide^ l'Angleterre 
et la Suède, pour empêcher tuute.agreftaioa^de Uoui»XW sur leterriioirede 
la monarchie espagnole; elle offrit sa médiation à la Frauce, pat l'imposer à 
l'Espagne et prépara ainsi la paix d'Aix-la-Chapelle. 



184 CHAPITRE X. 

place est investie, il fait déplier sa robe et la mettre à Fair, 
afin qu'elle soit toute prête pour la cérémonie de la cathé- 
drale^. 

% Il faut que le capital d'une affaire qui assemble dans 
une yille les plénipotentiaires ou les agents des couronnes 
et des républiques, soit d'une longue et extraordinaire dis- 
cussion, si elle leur coûte plus de temps, je ne dis pas que 
les seul» préliminaires, mais que le simple règlement des 
rangs, des préséances et des autres cérémonies. 

Le ministre ou le plénipotentiaire est un caméléon, est 
un Prêtée. Semblable quelquefois à un joueur habile, Û ne 
montre ni humeur ni complezion *, soit pour ne point don- 
ner lieu aux conjectures ou se laisser pénétrer, soit pour 
ne rien laisser échapper de son secret par passion ou par 
faiblesse. Quelquefois aussi, il sait feindre le caractère le 
plus conforme aux vues qu'il a et aux besoins où il se 
trouve, et paraître tel qu'il a intérêt que les autres croient 
qu'il est en effet. Ainsi, dans une grande puissance ou dans 
une grande faiblesse qu'il veut dissimuler, il est ferme et 
inflexible, pour ôter Tenyie de beaucoup obtenir ; ou il est 
facile, pour fournir aux autres les occasions de lui deman- 
der, et se donner la même licence. Une autre fois, ou il est 
profond et dissimulé, pour cacher une vérité en l'annon- 
çant, parce qu'il lui importe qu'il l'ait dite et qu'elle ne 
soit pas crue ; ou il est franc et ouvert, afin que, lorsqul2 
dissimule ce qui ne doit pas être su, l'on croie néanmoins 
qu'on n'ignore rien de ce que l'on veut savoir, et que l'on 
86 persuade qu'il a tout dit. De même, ou il est vif et 
grand parleur, pour faire parler les autres, pour empêcher 
qu'on ne lui parle de ce qu'il ne veut pas ou de ce qu'il ne 
doit pas savoir, pour dire plusieurs choses différentes qui se 
modifient ou qui se détruisent les unes les autres, qui con- 
fondent dans les esprits la crainte et la confiance, pour se 
défendre d'une ouverture qui lui est échappée par une autre 
qu'il aura faite; ou il est froid et taciturne, pour jeter les 
autres dans l'engagement* de parler, pour écouter long- 

1. Est-ce en raison de ce mot, sa rohej que les commentateurs ont inscrit 
à côté da nom de Basilide le nom , aujourd'hui parfaitement obscur, d'un 
abbé contemporain 7 Basilide peut, tout aussi bien et mieux encore, être un 
magistrat prenant ses dispositions pour la cérémonie du Te Deum* 

S. 11 dissimule son caractère et son tempérament. 

8. Dans l'obligatioii* 



DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 185 

temps, ponr être écouté quand il parle, pour parler aye.c 
ascendant et avec poids, pour faire des promesses ou des 
menaces qui portent un grand coup et qui ébranlent. Il 
s'ouvre et parle le premier, pour, en découvrant les oppo- 
sitions, les contradictions, les brigues et les cabales des 
ministres étrangers sur les propositions qu'il aura avan- 
cées, prendre ses mesures et avoir la réplique * ; et, dans 
une autre rencontre, il parle le dernier, pour ne point par- 
ler en vain, pour être précis, pour connaître parfaitement 
les choses sur quoi* il est permis de faire foncL pour lui ou 
pour ses alliés, pour savoir ce qu*il doit demander et ce 
qu'il peut obtenir. Il sait parler en termes clairs et formels ; 
11 sait encore mieux parler ambigument, d'une manière en- 
veloppée, user de tours ou de mots équiyoques, qu'il peut 
faire valoir ou diminuer* dans les occasions et selon ses 
intérêts. Il demande peu quand il ne veut pas donner beau- 
coup ; il demande beaucoup pour avoir peu, et l'avoir plus 
sûrement. Il exige d'abord de petites choses, qu'il prétend 
ensuite lui devoir être comptées pour rien, et qui ne l'ex- 
cluent pas d'en demander une plus grande ^ ; et il évite au 
contraire de commencer par obtenir un point important, 
s'il l'empêche d'en gagner plusieurs autres de moindre con- 
séquence, mais qui tous ensemble l'emportent sur le pre- 
mier. 11 demande trop, pour être refusé, mais dans le des- 
sein de se faire un droit ou une bienséance * de refuser lui- 
même ce qu'il sait bien qu'il lui sera, demandé, et qu'il ne 
veut pas octroyer t aussi soigneux alors d'exagérer l'énor- 
mité de la demande, et de faire convenir, s'il se peut, des 
raisons qu'il a de n'y pas entendre, que d'affaiblir celles 
qu'on prétend avoir de ne lui pas accorder ce qu'il sollicite 
avec instance ; également appliqué à faire sonner haut et à 
grossir dans l'idée des autres le peu qu'il offre, et à mépri- 
ser ouvertement le peu que l'on consent de lui donner. U 

1. La préposition pour était souTent autrefois, mômo au dix-septième 
siècle, séparée du Terbe auquel elle se rapportait. Bossuet, par exemple, la 
détache souvent du YeÂe. 

2. Vangelas recommandait comme « fort élégant et fort commode » Tusvge 
du pronom ftiot à la place de lequel, Uiquelle, lesqueltf etc. Les succeaseurs 
de Vangelas ont proscrit cette manière de parler. 

S. Dont il peut augmenter ou diminuer la portée. 
4. Il serait peut*eire asses difficile de citer une seule phrase d'an bon écri* 
Tain où exclure de soit suivi, comme ici^ d'un verbe. 
ft. Une raison de convenance, de dignité. 



186 CHAPITRE X. 

fait de fausses offres, maî^ extraordinaires, q^i donnent da 
la déiSance, et obligent de rejeter ce que Von accepterait 

inutilement, qui lui sont cependant, une occasion 4e ^^ii^ 
des demandes^ exorbitantes, et mettant dai^ç leur tort ceux 
qiji les lui i;el'usent. 11 accorde '^lus qu^on ne lui denjande, 
pour avoir encore plus qu'il ne doit donner. Il se fait Ipnjg- 
temps prier» presser, import'un,er, sur une chose médiocre, 
pour éteindre le"s espérances et Ôterl?i pensée dVxiger de 
lui rien de plus fort; ou^ s'il 9e laisse fléchir jiisques à 
l'abandonner, c'est toujçiirs avec des conditions qui lui font 
partager le gain et les avantages ,avec ceux q^ii reçoivent. 
Il prend directement où indirectement Tintérêt d'un allié, 
s'il y trouve son utilité et l'avancement de ses prétentions. 
Il ne parle qiie de paix, que d'alliances, que de tranquillité 
'publique, que d'intérêt public ; et en effet il ne songe qu'aux 
siens*, c'est-à-dire à ceux de son maître ou de sa république, 
ïantôt il réunît quelques-uns qui étaient contraires les uns 
aux autres, et tantôt il divise quelques autres qui étaient 
unis. Il intimide les forts et les puissants, il éiicoùrage les 
faibles. Il unit d'abord d*intérêt plusieurs faibles contre un 
3)lus puissant, pour rendre la balance égale ; il se jçint en- 
suite aux premiers pour la faire 'pencher, et il leur vend 
cher sa protection et son alliance. Il sait intéresser ceux 
avec qui.îl traite ; et, par un adroit manège, par de finis et 
"de subtils détour^, il leur fait sentir leurs avantages parti- 
liers, lesT)iens et les honneurs qu'ils peuvent espérer par une 
certaine faicilité, qui ne choque point leur cbnimissipn* ni 
les intentiôiîs de leurs maîtres. Il ne veut pas aussi être cru 
imprenable par cet endroit ; il laisse voir en lui quelque peu 
de sensibilité pour sa fortune : il s'attire par là des propo- 
sitions ^ui lui découvrent les vues des autres les "plus se- 
crètes, leui's desseins les plus "profonds et leur "dernière 
ressource,, et il en profite. Si quelquefois il est lésé dans 
quelques chefs' qui ont enfin été réglés, il crie haut : si 
c'est le contraire, il crie plus haut, et jette ceux qui perdent 
sur la justificatioii et la défensive. ïl a, son fait digéré par 
la cour, toutes ses démarches sont mesurées, les moindres 



1. A ses intérêts. 

2. Le pouvoir qui leur a été délégué. 

3. Sur quelques points. 



DU SOUVERAl!ï OU DE LÀ RÉPUBLIQUE. 187 

avances qu'il fait lui sont prescrites ; et il agit néanmoins, 
dans les points difficiles et d'ans ^ les articles contestés, 
comme s'il se relâchait de lui-même sur-le-champ, et comme 
par un, esprit d'accommoc|ement; il ose même^ promettre à 
rassemblée. qu'il fera goûter la proposition, et qu^il n'en 
sera pas dftayoué. H fait courir un bruit faux des choses 
seulement dont il est chargé ', muni d'aiiîeurs de pouvoirs 
particuliers, qu^il ne découvre jamais qu*à rextrémité, et 
dans les moments où il lui serait pernicieux de ne les pas 
mettre en iisage. Il tend surtout par ses intrigués au solide 
et à l'essentiel,. toujours prêt dé leîir sacrifier" les minuties 
et les points d'honneur imaginaires. Il a du flegme, il 's'arme 
décourage et de patience, il ne se lasse point, il fatigue 
les autres, et les pousse jusqu'au découragement. Il se pré- 
cautionne et s'endurcit contre les lenteurs et les remisés, 
coiitre les reproclies, les soupçons, les défiances, contre les 
difficultés et les obstacles^ persuadé que le temps seul et 
les conjonctures amènent les choses et conduisent les es- 
prits au point où on les souhaite. Il va jusques à feindre un 
intérêt secret à Ta rupture de la négociatiQn, lorsqu'il dé- 
sire le plus ardemment qu'elle soit continué^; et si, au con- 
traire, il a des ordres précis de faire les. derniers efforts 
pour la rompre, il croit devoir, pour y réussir, en presser 
la continuation et la fin. S'il survient un grand événement, 
il se roidit ou il se relâche, selon qu'il lui est utile ou pré- 
judiciable ; et si, par une grande prudence, il sait le pré- 
voir, ilpresse et il temporise, selon que i*État pour qui il 
travaille en doit craindre ou espérer; et 11 règle. sur ses 
hesoins'ses Conditions. Il prend conseil du temps, du lieu, 
des occasions, <le sa puissance bu de sa faiblesse,, du génie 
des nations avec qui îl traite, du tempérament et du carac- 
tère des personnes avec qui il négocie. Toutes ses vues, 
toutes ses maximes, tous les raffinements de sa politique, 
tendent à une seule fiii, qui est de n^étre point trompé et 
détromper les; autres. . , ^^ 

^ Le caractère des Fi^o^ais demande du sérieux dans le 
souveraiii. 

1. Il (ait courir de faux bruits sur retendue de ses pouvoirs, qu*il présente 
comme Irès-limiiés. 

2. V4>yespage ia3,,noiei.: 

3. Sur les besoios de l'État. 



188 CHAPITRE X. 

^ L'un des malheurs du prince est d'être souvent trop 
plein de son secret, par le péril qu^il y a à le répandre : 
son bonheur est de rencontrer une personne sûre qui l'en 
décharge*. 

% Il ne manque rien à un roi que les douceurs d'une yie 
privée ; il ne peut être consolé d'une si grande perte que 
par le charme de l'amitié, et par la fidélité de ses amis. 

^ Le plaisir d'un roi qui mérite de l'être est de l'être 
moins quelquefois, de sortir du théâtre, de quitter le bas 
de saje et les brodequins*, et de jouer avec une personne 
de confiance un rôle plus familier K 

^ Rien ne fait plus d'honneur au prince que la modestie 
de son favori. 

^ Le favori n'a point de suite ; il est sans engagement et 
sans liaisons: il peut être entouré de parents et de créa- 
tures, mais il n'y tient pas; il est détaché de tout, et 
comme isolé. 

^ Une belle ressource pour celui qui est tombé dans la 
disgrâce du prince, c'est la retraite. Il lui est avantageux 
de disparaître, plutôt que de traîner dans le monde le dé* 
bris d'une faveur qu'il a perdue, et d'y faire un nouveau 
personnage si différent du premier qu'il a soutenu. Il con- 
serve, au contraire, le merveilleux de sa vie dans la soli- 
tude; et, mourant pour ainsi dire avant la caducité, il ne 
laisse de soi qu'une brillante idée et une mémoire agréable*. 



i. Est-il un contemporain de la Bmyère qpi n*ait pas vu dans cette phrase 
une délicate allusion aux sentiments du roi pour Mme de Maintenon ? Elle 
parut dans la l** édition, trois ans après le mariage secret de Louis XIV. 

2. De quitter le costume de son rôle, l.e bas de saye, qui, dans le costume 
des acteurs tragiques, représentait la partie inférieure du saye, c'est-à-dire 
du Yètement des soldais romains, était une sorte de jupe plissée qui descen- 
dait jusqu'aux genoux. — C'est le cothurne, et non le brodequin , que l'on 
s'attendait à rencontrer ici. Dans la langue du dix-septième Hiècle, le bro- 
dequin était particulièrement la chaussure des acteurs comiques, et le co- 
làarne celle des acteurs tragiques. 

Mais quoi ! je chausse ici le cothurne tragique \ 
Reprenons au plus tôt le brodequin comique.... 

a dit Boileau dans sa X« satire. Boileau cependant n'a pas toajonrs observé 
' i.a distinction qu'il établit, car, dans VArt poétiçiue (III, 74), qui est anté- 
térieur aux deux pièces oh il fait do brodequin le signe particulier de la 
comédie (épttre VU et satire X), il attribue le brodequin, et non le cothurney 
aux acteurs d'Eschyle. 

3. « I^es princes et les rois jouent quelquefois *, ils ne sont pas toujours sur 
leur tr6ne, ils s'y ennuient. La grandeur a besoin d'être quittée pour être 
sentie. » (Pascal.) 

4. Cette réflexion pouTait, en 1688, s'appliquer à plus d'an courtisan dis- 



DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 189 

Une plus belle ressource pour le favori disgracié que de 
se perdre dans la solitude et ne faire plus parler de soi, 
c'est d'en faire parler magnifiquement, et de se jeter, s'il se 
peut, dans quelque haute et généreuse entreprise, qui re- 
lève ou confirme du moins son caractère, et rende raison 
de son ancienne faveur, qui fasse qu'on le plaigne dans sa 
chute et qu'on en rejette une partie sur son étoile*. 

^ Je ne doute point qu'un favori, s'il a quelque force et 
quelque élévation, ne se trouve souvent confus et décon- 
certé des bassesses, des petitesses, de la flatterie, des soins 
superflus et des attentions frivoles de ceux qui le courent, 
qui le suivent, et qui s'attachent à lui comme ses viles 
créatures; et quHl ne se dédommage dans le particulier 
d'une si grande servitude par le ris et la moquerie. 

% Hommes en place, ministres, favoris, me permettrez- 
Tous de le dire? ne vous reposez point sur vos descendants 



gracié ; M.Walckeoaer en a npproché les noms du marquis de Wardes, du duc 
ielAusun et du comte de Bussy-Rabutin, qui tous les trois avaient été, pour 
des motifs différents, exilés de la cour. Il eût fallu ajouter que si elle était à 
Tadresse dés deux premiers, elle contenait une leçon et une ironie, car il y 
avait alors près de trois ans que Vardes était rentré à la cour^ où il se trou- 
vait fort dépaysé, et Lauzuu, qui était aussi revenu de l'exil, faisait assez 
triste figure à Paris on à Saint-Gloud, n*ayaot pas encore obtenu la permis- 
sion de vivre continuellement à la cour, c*est-à-dire à Versailles. Si, comme 
il est plus vraisemblable, c*est vers Bussy que s'est reportée la pensée de la 
Bruvère, cette réflexion est au contraire une sorte d*faommage secret qu'il lui 
rend. En 1682, Bussy était revenu à la cour après seize années d'exil, et, 
froidement accueilli par Louis XIV, il s'était volontairement condamné à une 
nouTelle retraite; en 1S87, il s'était de nouveau présenté à Versailles, et 
frétait éloigné de nouveau devant les marques de la rancune qu'avait con- 
servée le roi. La Bruyère estimait Bussy, malgré tous ses défauts, et plu • 
tieors fois il en a donné la preuve. 

1 . L'alinéa gui précède avait paru dans la première édition des Caractères, 
celui-ci fat ajouté en mars 1690. En 1689, Lauzun, fatigué de sa disgr&ce. 
avait offert ses services à Jacques II. et avait pris, avec la permission de 
Louis XIV et aux applaudissements oe la cour, le commandement de l'armée 
qui s'embarquait pour IMrlande. Vers la même époque, Bussy avait, de son 
o&té, sollicite Louis XIV de lai accorder l'autorisation de le servir dans la 
campagne de 1690. En écrivant ce second alinéa, la Bruyère pensait-il à 
Lanzun , qui allait affronter l'armée de Guillaume, ou à Bussy qui faisait le» 
plus persévérants efforts pour obtenir la permission de rejoindre l'armée 
du roi? A Tun et à l'autre peut-être. Quoi ({u'il en soit, la réflexion ne pouvait 
déplaire à Lanzun , tout baitu qu'il eût été à la malheureuse affaire de la 
Boyne (juillet 169o), alors que oe passage était publié depuis quelques mois ; 
mais elle pouvait froisser Bussy qui, moins heureux que Lauzun, n'avait 
tût la guerre nulle part. Aussi la Bruyère la supprima-t-ii en i69i, ainsi 
que la reflexion précédente, à laquelle elle était liée. Cette suppression qui, 
selon toute apparence, se fit silencieusement et sans que la Bruyère s'en 
flôit jamais fait honneur auprès de Bussy, trouva sa récompense* Bussy fut 
l'un des sept«cadémiciéi)S qui, en 1691 » soutinrent ta candidature à l'Aca- 
démie française. 



1 90 CHAPITRE X. 

pour le soin de yotre mémoire et poar la durée de Totre 
nom : Içs titres passent, la faveur s^évanouit, les dignités 
se perdent, les richesses se dissipent, et le mérite dégé- 
nère. Vous avez des enfants, il est vrai, dignes de vous, 
j'ajoute méiné capables'dé soutenir toute votre fortune; maïs 
qui peut vous en promettre aùtaùt de' vos peiàts-fas ? Ne 
m'en croyez pas, regardez céétè' unique fois de certains 
hommes que vous né regardez jamais, que vous dédaignez f 
ils ont dès aïeuls i' à qui, tout grands que vous êtes, vous ne 
faites' que succéder. Ayez de la vértu^et de l'humanité ;'et si 
vous me dites : Qu'àurdns-nous de plus? je vous répondrai : 
De ÎTiumanîté et de la vertu. Maîtres alors de Tavenir, et 
indépendants d'une postérité, vous êtes sûrs de durer au-" 
tant (Jue la monarchie ; et, dans le temps que l'on montrera 
les ruines de vos châteaux, et peut*-être la seule place où ils 
étaient construits, Tidéede vos louables actions sera encore 
fraîche dans l'esprit des peuples ;'îls considërèront avide- 
ment vos portraits et vos médailles ; ils diront : « Cet 
homme * dont vous regarder la peinture a parlé à son maître, 
avec force et avec liberté, et a plus craintxle lui nuire que ' 
de lui déplaire; il lui a permis d'être bon ètjbienfaisant» de/ 
dire de ses villes : Ma bonne viHe^ et de son peuple : Mon 
peuple. Cet autre dont vous voyez limage*, et en qui.rpnT 
remarque une physionomie forte, jointe à un air grave, 
austère et majestueux, augmente d'année à autre 'de répu- 
tation : les plus grands politiques soufirent de lui être 
comparés*. Son grând^dessein a été d'àfflçrmir Tàutoirité d^' 
prince et la sûreté des peuples par rabaissement des grands : ' 
ni lès partis, ni lés conjurations, iu' les trahisons, ni le . 
péril de la mort, ni ses infirmités, n'ont pu l'en détourner. 
11 a eu'du' temps de reste pour ^entamer ùn.oùVràge, con- 
tinué ensuite et achevé par Fun de nos plus grands et de 
nos meilleurs princes, l'extinction de rhérésié*.' i " 

^ Le panneau le plus délié* et le plu^ spécieux qui d^ns 

1 . Georgesd'Amboise, arcbevêquede Rouen, cardUial, miniitre de Louis XU,. 

3« b» eap^inal de Riobelie«. 

3r bouHreniqu'oD lescumpareàjai. 

4« Allusion à la révoeatiou de- VééÀi de Nantes, qn'approaYsient saoa ré-. 

serve tous ce»x qui entouraient la Brufère. Sur d^auires poiats« il est eâ 

ayanoe kur t>ea coaieuipunt^M» ; >t "« fi'*^^ P<m Sipare d'«tuk <flttr ceite^ 
question. 

â* Le filet le plus fin. -^ Les contemporains ont vu dans cette phrase an^ 



DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 191 

tous les temps, ait été tendu auz grands par leurs gens 
d'affaires eV aux rois par leurs ministres, est la leçon qu'ils 
leur font de s'acquitter et de s'enrîchir. Excellent conseil, 
maxime utile, fructueuse; une mine li'or, un. Pérou, du 
moins "pour ceux qui ont sii jusqu'à jprésent l'inspirer à leurs 
maîtres! ' ' 

^ C'est un extrême bonheur pour les peuples quand le 
prince admet dans sa confiance et choisit pour le ministère 
ceux ûiêmeà qu'ils auraient voulu lui donner, s'ils en 
avaient été les maîtres. ' ' 

^ La science des détails, ou une diligente attention aux, 
moindres besoins dé la république, est une partie' essen-' 
tielle au bon gouvernement, trop négligée, à 1?l vérité, 
dans les derniers temps, par les ro?s ou par les ministres, 
mais qu'on ne peut trop souhaiter dans le souverain qui 
l'ignore, ni assez estimer dans celui qui la possédé*. Que 
sert en eCét âù bien dès peuples et à la douceur de leurs 
jours, que le prince place les bornes de son empire au delà 
des terreâ'de ses enneniis; qu'il fasse de léui's souveraine-^ 
tés des provinces de son royaume ; qu'il . leur soit égale- 
ment supérieur par les sièges et par les batailles, et qu'ils 
né scienf devant lui en sûreté ni dans lés plaines ni dans 
les plus forts bastions; que les nations s'appellent les unes 
les autres, se liguent ensemble pour se* défendre et pour 
l'arrêter; qu'elles se liguent eh Vain; qu'il marche toujours 
et qu'il triomphe toujours; que leurs dernières espérances 
soient tombées par le raffebèaissemént d'une sainte* qui 
donnera au monarque le plaisir de volir les priiices ses' 
petits-fils soutenir ou accroître ses destinées, se Inettre ei 
campagne, s'emparer de redoutables forteresses, et con-' 
quérir de nouveaux' fitats; commander de vieux 'et expéri- 
mentés capitaines, moins par leur rang et letii* naissance 
• que parleur génie et leur sagesse ; suivi'è lei^trkces augustes 
de leur victorieux père, imiter sa bonté/ sa docilité, son* 
équité, sa vigilance, son intrépidité? Jjue nié se'rvirait, en 

aUnsion aa remboaKementdes rentes de Vhôtel de Tille, remboursement 
qui avait été fait sar les cunseilsde Colbert. 

f . Flatterie délicate à l'adresse du rai, qui entrait dans les détails de tou- 
tes choses avec une rotnutie'que, même de. sou temps, l'<^n a trouvée exces- 
sive. « Son esprit, naturellement porté au petit, dit Saint-Simon, se plutea 
toutes sortes de détaihr.... H régna das» le peti U » 

S. Allusion à Topé^tlon qu'avait subie Louis XIV en 1686. 



192 CHAPITRE X. 

un mot, comme à tout le peuple, que le prince fût heureux 
et comblé de gloire par lui-même et par les siens, que ma 
patrie fût puissante et formidable, si, triste et inquiet, j'y 
vivais dans l'oppression ou dans Findigence ; si, à couvert 
des courses de l'ennemi, je me trouvais exposé, dans les 
places ou dans les rues d'une ville, au fer d'un assassin, et 
que je craignisse moins, dans l'horreur de la nuit, d'être pillé 
ou massacré dans d'épaisses forêts que dans ses carrefours *; 
si la sûreté, l'ordre et la propreté ne rendaient pas le sé- 
jour des villes si délicieuz, et n'y avaient pas amené, avec 
l'abondance, la douceur de la société ; si, faible et seul de 
mon parti, j'avais à souffrir dans ma métairie du voisinage 
d'un grand, et si l'on avait moins pourvu à me faire justice 
de ses entreprises; si je n'avais pas sous ma main autant 
de maîtres, et d'excellents maîtres, pour élever mes enfants 
dans les sciences ou dans les arts qui feront un jour leur 
établissement; si, par la facilité du commerce, il m'était 
moins ordinaire de m'habiller de bonnes étoffes, et de me 
nourrir de viandes saines et de les acheter peu; si enfîn, 
par les soins du prince, je n'étais pas aussi content de ma 
fortune qu'il doit lui-même, par ses vertus, l'être de la 
sienne? 

^ Les huit ou les dix mille hommes sont au souverain 
comme une monnaie dont il achète une place ou une vic- 
toire : s'il fait qu'il lui en coûte moins, s'il épargne les 
hommes, il ressemble à celui qui marchande et qui connaît 
mieux qu'un autre le prix de l'argent. 

^ Tout prospère dans une monarchie où Ton confond les 
intérêts de l'Ëtat avec ceux du prince. 

^ Nommer un roi père du peuple est moins faire son 
éloge que l'appeler par son nom, ou faire sa définition. 

^ Il y a un commerce ou un retour de devoirs du souve- 
rain à ses sujets, et de ceux-ci au souverain : quels sont les 
plus assujettissants et les plus pénibles , je ne le déciderai 
pas. Il s'agit de juger, d'un côté, entre les étroits engage- 
ments du respect, des secours, des services, de l'obéissance, 

!• Le bois le plus iVineste et le moins fréquenté 
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté.... 

Boileau composait en 1660 la satire aur les Embarras de T/if *>, qui con- 
tient ces vers. A L'ét^uque oti la Bruyère écrivait. 16 gu<}i, qui avait été très- 
augmenté, faisait meilleure garde. 



DTT SOUVERAIN OU DE LA REPUBLIQUE. 193 

de la dépendance ; et d'an autre, les obligations indispen- 
sables de bonté, de justice, de soins, de défense, de protec- 
tion. Dire qu'un prioce est arbitre de la vie des hommes, 
c'est dire seulement que les hommes, par leurs crimes, de- 
vieûnent naturellement soumis aux lois et à la justice, dont 
le prince est le dépositaire : ajouter qu'il est maître absolu 
de tous les biens de ses sujets, sans égards, sans compte ni 
discussion, c'est le langage de la flatterie, c'est Topiiûon 
d'un favori qui se dédira à Tagonie. 

i[ Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau 
qui, répandu sur une colline vers le déclin d'un beau jour, 
patt tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute 
dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé 
à la faux du moissonneur, le berger, soigneux et attentif, 
est debout auprès de ses brebis; il ne les perd pas de vue, 
il les suit, il les conduit, il les change de pâturage; si elles 
se dispersent, il Içs rassemble; si un loup avide paraît, il 
lâche son chien, qui le met en fuite; il les nourrit, il les 
défend; Faurore le trouve déjà en pleine campagne, d'où il 
ne se retire qu'avec le soleil : quels soins I quelle vigilance! 
quelle servitude! Quelle condition vous paraît la plus dé- 
licieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis?Le 
troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le 
troupeau? image naïve des peuples et du prince qui les 
gouverne, s'il est bon prince. 

Le faste et le luxe dans un souverain, c'est le berger ha- 
billé d'or et de pierreries, la houlette d'or en ses mains ; 
son chien a un collier d'or, il est attaché avec une laisse 
d'or et de soie. Que sert tant d'or à son troupeau ou contre 
les loups ? 

^ Quelle heureuse place que celle qui fournit dans tous 
les instants l'occasion à un homme de faire du bien à tant 
de milliers d'hommes f Quel dangereux poste que celui qui 
expose à tous moments un homme à nuire à un million 
d'hommes I 

^ Si les hommes ne sont point capables sur la terre d'une 
joie plus naturelle, plus flatteuse et plus sensible, que de 
connaître qu'ils sont aimés, et si les rois sont hommes, 
peuvent-ils jamais trop acheter le cœur de leurs peu- 
ples? 

f n 7 a peu de règles générales et de mesures certaines 

13 



194 CHAPITBS X. 

pour bien gouyeimer ; Ton soit le tempe et les conjonctnves, 
et cela roule sor la prudeoce et sar les vues de ceux qui 
régnent. Aussi le chef-d'œuvre de Tesprit, c'est le parfait 
gouvernement; et ce ne serait peut-être pas une cfaosé pos- 
sible, si les peuples, par Thabitude où ils sont de la dépen- 
dance et de la soumission, ne faisaient la moitié de Fou- 
yrage. 

% Sous un très-grand roi, ceu^ qui tiennent les premières 
places n'ont que des devoirs faciles, et que Ton remplit sanà 
nulle peine : tout coule de source; l'autorité et le génie du 
prince leur aplanissent les chemins, leur épargnent les diffT- 
cultés, et font tout prospérer au delà de leur attente ': ils 
ont le mérite des subalternes!. ^ 

% Si c'est trop de se trouver chargé d'une seule famille, 
si c'est assez d'avoir à répondre de soi seul, quel pofds, 
quel accablement, que celui de tout un royaume t Un sou^ 
verain est-il payé de ses peines par le plaisir que semble 
donner une puissance absolue, par toutes ^es prosternations 
0es courtisans? Je songe aux pénibles, douteux et Jïihge- 
peux chemins qu'il est quelquefois obligé de suivre pour 
arriver à la tranquillité publique ; je répasse les moyen^ 
extrêmes, mais nécessaires, dont il use souvent pour' une 
bonne fin : je sais qu'il doit réj^ondre à Dieu même dé Ta 
félicité de ses peuples, que le )>ienet le mal est en ses mains,' 
et que toute ignorance ne l'excuse pas; et je me dis à moi- 
n^.dme : Voudrais-je régner? Un homme un peu heureux 
dans une condition privée devrait-il y renoncer pour une 
mon^chie? M 'est-ce pas beaucoup, pour celui qui se trouve 
e^ place par i^n droit héréditaire, de supporter d'être ne 
roi? 

% Que de dons du cielf ne faut-il p^s pour bien régner! 
ipng l^aissauce auguste, un air d'empire et d'autorité, un 
ji»9Lg§ q)ii remplisse la curiosité dés peuples empressés dé 

1. On a trouTé qoe raalenr sacrifiait trop aisément à la gloire du roi 
des ministres tels que Colbert et Louvoie. ' * 

'2. Ce car actêi*é eil le panéuyrique,' parfois excessif, de Louis Xiy . — « Uq 
li?re coQDpoaé sous Louis X1.V ne seraitiïas codipl^ii, et,' j'BJotivfci^i,'ne serait 
pas assuré contre le tonnerre, s'il n'y avait au milieu lioe image 'dirrai.- 
La Bruyère n'a manqué ni à la précaution ni à la règle, et, en grajid artiste, 
il a disposé les choses de telle Uijàtt qu'on arrive à cette imagé par ttes 
degrés successifs, et comme par une longue avenue. L*autel est au cèntreç 
au ownr de Tœnvre, un peu plus près de la fin que du commencemont ^ à 
QD eodtoU étové, d^eliil est en foe dt (ontea partf. » (Saiiitd-Bettte.7 '^ 



DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 195 

Toir le prince, et qui coiiâervele respect dans le courtisan'; 
une parfaite égalité d'humeur; un ^and éloignement pour 
1^ raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la per- 
mettre point; né faire jamais ni menaces ^i reproches; ne 
point céder à la colère *, et être toujours obéi; l-esprit facilèf^ 
insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croît voir lé 
fond, et ainsi très-propre à se faire des amis, des créatures 
et des alliés; être secret toutefois, prgfond et impénétrable 
dans ses motifs et dans ses projets^; du sérieux et dé là 
gravité dans le public; de la|)rièvetÎ6, jointe à beaucoup 
de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux am- 
bassadeurs des princes, soit dans les cobseils : une manière 
de faire des grâces qui est éomme un second bienfait ; le 
choix des personnes que Ton gratifie ; le discernement des 
esprits, des talents et des complexions, pour la distribution 
des postes et des emplois ; le choix des généraux et des 
ministres ; un jugement ferme , solide, décisif dans les af- 
faires, qui fait que Ton connaît le meiJieur parti et le plusi 
juste ; un esprit de droiture et d'équité qui fait qu^on lé 
suit jusques à prononcer quelquefois contre soi-même en 
faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire 
heureuse et très-présente, qui rappelle les besoins des su- 
jets, leurs visages , leurs noms, leurs requêtes ; une vaste 
capacité, qui s'étende non-seulement aux affaires de dehors, 
au commerce, aux maximes d'État, aux vues de la politi-^ 
que, au reculement des frontières par la conquête de nou- 
velles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de 

I.Dans Bérénice {ly S), et daDs Etther (IJ, T^Hacine avait rendaun hom- 
mage indirpct à la majesté du grand roi. JBaitit-Simon dira deson «ôtérf r-Jn»* 
qT)*aa moindre geste, son marcher^Bon port, toùie sa contenance, tout me- 
aaréftontdéèent, noble, grand, majéstneifx, et toutefois liès-tiaittre1,'à quoi 
l'habitude eU'avantage incomiiarable et uniciue de toute sa figure donnaient 
ntie grande fàciliié." Aussi dànsles dhoses sérieuse», les audiences d'ambas- 
sadeurs, les cérémonies, iamais homme n'a tant imposé, et il fallait com- 
mencer par s'accoutumer a le voir si en le haranguant on oe ▼oalaitfl'eipf • 
ser à demeurer court. * 

3. « Jamais, dit encore Saint-Simon, il ne lui éc^iappa de dire rien de 
désobligeant à personne, et s*il avait '^ reprendre,^ réprimander ou à cot». 
riger. ce qui était tort raréj c*éia(t foujoura avec un air plus ou nioins de 
bonté, presque jamais avec sécheresse, jamais avec colère.... » Saint-Simon 
ajoute touteiois que Louis ^IM n'était pas exempt de colère, «quelquefois 
avec un air de sévérité. » 

s; « JainafB rien ne coOta moins au roi que 4e se taire proi^ondément et d« 
dissimuler de même. Ce dërnîer tarent, ille poussa souvent jusqa'k la faus- 
seté; mais avec cela, jamais de mensonge. » (Salnt^ffiaon.) Voy. p. 93, 
Qute 1. . ^. - "t..»i .„j, . ,. ^. 



196 CHAPITRE X. 

forteresses inaccessibles , mais qui sache aussi se renfermer 
au dedans, et comme dans les détails de tout un royaume , 
qui en bannisse an culte faux, suspect et ennemi de la sou* 
veraineté, s'il s^y rencontre* , qui abolisse des usages cruels 
et impies, s'ils y régnent *, qui réforme les lois et les cou- 
tumes, si elles étaient remplies d^abus', qui donne aux villes 
^ plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement 
d'une exacte police, plus d'éclat et plus de majesté par des 
édifices somptueux; punir sévèrement les vices scandaleux; 
donner, par son autorité et par son exemple, du crédit à la 
piété et à la vertu ; protéger TËglise, ses ministres, ses 
droits, ses libertés^; ménager ses peuples comme ses en- 
fants; être toujours occupé de la pensée de les soulager, 
de rendre les subsides légers, et tels qu'ils se lèvent sur les 
provinces sans les appauvrir; de grands talents pour la 
guerre; être vigilant, ajfpliqué, laborieux; avoir des armées 
nombreuses, les commander en personne ; être froid dans le 
péril, ne ménager sa vie que pour le bien de son Ëtat", ai- 
mer le bien de son État et sa gloire plus que sa vie ; une 
puissance très-absolue, qui ne laisse point d'occasion aux 
brigues, à Tintrigue et à la cabale , qui ôte cette distance 
infinie qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui 
les rapproche, et sous laquelle tous plient également ; une 
étendue de connaissances qui fait que le prince voit tout 
par ses yeux, qu'il agit immédiatement et par lui-même, 
que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses 
lieutenants, et les ministres que ses ministres ; une pro- 
fonde sagesse, qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre 
et user de la victoire , qui sait faire la paix, qui sait la 
rompre y qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts, 
contraindre les ennemis à la recevoir , qui donne des règles 
aune vaste ambition, et sait jusques où l'on doit conquérir; 

1. n faut bien le noter, la Bniyère ne laisse échapper aucone occasion de 
loner la ré?ocaUon de VEdit de Nanies. 

3. Allusion aux ordoiinanees que Loui» XIV a rendues contre le duel. 

8. Six codes avaient paru de 1667 à 168S : Tordonnance ci?ile, celle des 
eaux et forêts, l'ordonnance d'instruction criminelle, celle du commerce, 
celle de la marine et des colonies, et enfla le code noir pour nos colonies. 

4. Allusion à la célèbre déclaration de 1682, rédigée par Bossuet. 

5. Cette phrase devait rappeler inévitahlement k la mémoire d^ tons les 
contemporains les vers si connus de Boileau {^EitUre IV) : 

Louis, les animant du feu Je son coarage 

Se plaint de sa grandeur qui Katthche an rivage. 



DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 197 

] au milieu d'ennemis couverts ou déclarés, se procurer le 
I loisir des jeux, des fêtes, des spectacles; cultiver les arts et 
^les sciences; former et exécuter des projets d'édifices sup- 
( prenants ; un génie enfin supérieur et puissant, qui se fait 
aimer et révérer des siens, craindre des étrangers , qui fait 
d'une cour, et même de tout un royaume, comme une seule 
famille, unie parfaitement sous un même chef, dont Tu- 
nion et la bonne intelligence est redoutable au reste du 
monde. Ces admirables vertus me semblent renfermées 
dans ridée du souverain. Il est vrai qu'il est rare de les voir 
réunies dans un même sujet ; il faut que trop de choses 
concourent à la fois : Teâprit, le cœur, les dehors, le tem* 
pérament ; et il me paraît qu'ua monarque qui les ras- 
semble toutes en sa personne est bien digne du nom de 
Grand. ' 



CHAPITRE XI. 
D£ L'HOMME. . 

Ne nous emportons point contre les hommes en voyant 
leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, Ta- 
mour d'eux-mêmes, et l'oubli des autres ; ils sont ainsi 
faits, c'est leur nature : c'est ne pouvoir supporter que la 
pierre tombe ou que le feu s*élève *. 

% Les hommes, en un sens, ne sont point légers, ou ne 
le sont que dans les petites choses : ils changent leurs ha- 
bits, leur langage, les dehors, les bienséances ; ils chan- 
gent de goût quelquefois ; ils gardent leurs mœurs toujours 
mauvaises; fermes et constants dans le mal, ou dans Tin- 
difFérence pour la vertu. 

f Le stoïcisme est un jeu d'esprit et une idée* semblable 

1. Phiiinte, dans le Misanthrope^ I, i : 

Oui, \e Tois ces défauts, dont votre âme murmare, 
CoQime vices unis à l'humaine nature; 
Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé 
De voir un homme fout be, injuste, intéressé. 
Que de voir df*s vautours affamés de carnage, 
Des singes malfaisants et des loups pleins de nge. 

2. OneinventiOD, une fiction. 



198 CHAPITRÉ XI. 

à la fëpubliqtie dô Piston. Lè^ ^tôï({uës* dût f^t ^'ba 
pouvait rire dans là J)ativrètë ; être irisènsible aUx injures, 
â ringratitude, aux pertes de biens, comme & celles des pa- 
rents et des amis; regarder froidement la mort, et comttié 
une chose indifférente, qui liè devait ni réjouir ni rendre 
triste; ii'étf^ vaincii tti.paMe plaisir,* ni par là dôulôUr; 
sentir le fer ou îë feu dans quelque partie dô 8on corpâ 
sans poiisser lé nioîridrë soupir ni jeter tme seule larine; et; 
ce faiitÔme de ^ertil et de constance àîiisi imaginé, il leur a 
plu dô rappeler Un sage. Ils 6ht laissé à Thomnie tous les 
défauts qu'ils lui ont trouvés, et n'oût presque relevé aucun 
de ses faibles. Ad lieu de faire de ses vices des pèintui*es 
affreuses ou ridicules qui servissent à l'en cotrigei»,' ils lui 
ont tracé Fidée d'une peffèction et d'un héroïsme dont il 
n'est point capable, et Tout exhorté à l'impossible. Ainsi le 
sage qui n'est pas, ou qui n'est qu'imaginaire, se trouve 
naturellement et par lui-même au-dessus de tous les évé- 
nements et de tous les maux : ni la goutte la plus doulou- 
reuse, ni la colique la plus aiguë, ne sauraient lui arracher 
une plainte ; le ciel et la terre peuvent être renversés sans 
l'entraîner dans leur chiite, et il demeurerait ferme sur les 
ruines de l'univers*; pendant que l'homme qui est en effet, 
isoft de son sens, crie, se désespère, étincelle des feut et 
perd la respiration f)our un chien perdu ou pour tine por- 
celaine qui est en pièces. 

% Inquiétude d'esprit, inégalité d'humeur, inconstance 
de coBur, incertitude de conduite, tous vices de l'âme, maïs 
Hiffëfents, et qui, avec tout le rapport qui paraît entre eux*, 
né se supposent pas toiijours rdÉi l'autre dans un même 
sujet. 

% il est difficile 'ié décider si l'irrésolution rend l'hbmmè 
pluà ihalheUrenx que méprisable; de même, s'il y a toù- 



1. L'usage a établi entre stot^ et ttoïcien une distinction qai n'existait 
pas jadis. Stoïque ne s'emploie plus qa'adiectivement, et nous disons les 
stoïciens pour désigna les pl^ilo^ph^ ^\x Portique. 

2. Réminiscence d'Horace, Odes^ iii| 3 : 

Si fractus illabatùr orbis, 
Impavidum ferlent ruinse. 

3. Avec présenta souvent, comme ici. Le sens de tjfiaîgré. « Ce n'est pas 
qu'av0c tuutceia votre flile ne puisse mourir, » dit Molière dans le Malade 
imaçiinaire. Voyez la même locution dans la Bruyère, j>. f 55, d* ligne. 



DE l'homme. 199 

jours plits d'mconyénknt à ptendre nii mantais parti ^u'à 
s'en prendre ancun. 

^ Un homme inégal n'est pas un seul homme^ ce sont 
plusieurs : il se multiplie autant de fois qu'il a de nduyeauz 
^oûts et de manières .différentes; il est à chaque moment 
ce qu'il n'était point, et il va être bientôt ce qu'il n'a ja- 
mais été : il se succède à lui-môme; 1^3 demandez pas de 
quelle oomplexion il est) mais quelles sont ses complezions; 
ni de quelle humerur, mais combien il a dé sortes d'hu- 
meurs. Ne votis trômpe^YÔû^ point? est-ce £t<^yc/ira^fc que 
Youë aborder? Àugburd'hui quelle glace pour vous? hier il 
TOUS recherchait^ il vous caressaitf votls dcfnniez de la ja- 
lousie à ses amis^ Voua reconnaît-il bien? Dites-lui votrel 
nom.. 

^ Ménalqiie * descend son escalier] ouvre sa portef pout 
sortir ; il la re;fermè: Il s'aperçoit qu'il est en bonnet de 
nuit; et, vemant à mieui s'eiaminer, il se trouve rasé à 
moitië ; il voit que soii épée est miéé du cOté droit, que ses 
bas sotit rabattus sur ses talons; et. que sa chemise est par- 
dessus èes chausses '. S'il marche dans les places; il se sent 
tout d'un cotlp rudement frapper â l'estomac du au visage ; 
il ne soupçonne point ce que ce peut être, jusqu'à.ce qu'ou- 
trant les yeux et se réveillant, il se trouvé ou devant un 
limon de charrette , ou derrière uii long âis de menuiserie 
que potte uii outfier sur ses épaules. On l'a vu une fois 
heurte^ du front fcdntre celui d'un aveugle, s'embarrasser 
dans ses jambes, et tomber avec lui; chacun de son côté, à 
là renverse. Il lui est arrivé plusieurs foi^ de se trouver tété 
pour tête* â là rencontre d'un prince et sur son passage; 
se reconnaître à peilie , et û'avoii* qtié le loisir de se collet 
à un miir pour lui faite placé; 11 cherche, il brouille*, il criej 

1. Ceci est I^oiI)s un caractère particulier qu*uD recueil de faits de distrac- 
tion. Ils ne sauraient être en trop grand nombre, s'ils sont agréables*, car 
Ses goûts étant difiTérônts, on a à choisir. (Note de la Bruyère,) — On. avait 
reproché à la Bruyère d'avoir entast^é dans ce caractère, qui s'allongeait à 
chaque édition, plus de distractions qu'un seul distrait li'en pouvait cbm* 
meure. En se dét'endani comme on vient de le voir, la Bruyère disait à bon 




l'abbé de Mauroy, aumônier lié Mile ^de Montpensier ; quelques autres au 
prioce de la Rocbe-£ur-YoDt qui fut plus tard duc de Conti. 

2. Cbaut^ses, suite ue culotte. 

3. Face à face. 

%. Il mêle tout, il met tout pêle-mêle. Ce mot, d'ordinaire pris actiVemeiit,! 



200 CHAPITRE XI. 

il s'ëchaufTe, il appelle ses Talets l'an après Pautre ; on 
perd tout^ tm lui égare tovU^* il demande ses gants qu'il a 
dans ses mains /semblable à cette femme qui prenait le 
temps de demander son masque , lorsqu'elle Tayait sur son 
yisage. 11 entre à l'appartement ', et passe sous un lustre où. 
sa perruque s^accroclie et demeure suspendue : tous les 
courtisans regardent et rient ; Ménalque regarde aussi et 
rit plus baut qu» les autres ; il cherche des yeux, dans 
toute rassemblée, où est celui qui montre ses oreilles et à 
qui il manque une perruque. S'il va par la ville, après avoir 
fait quelque chemin, il se croit égaré , il s'émeut, et il de- 
mande où il est à des passants, qui lui disent précisément 
le nom de sa rue. 11 entre ensuite dans sa maison , d'où il 
sort précipitamment, croyant qu*il s'est trompé. Il descend 
du palais ; et, trouvant au bas du grand degré* un carrosse 
qu'il prend pour le sien , il se met dedans : le cocher tou- 
che et croit remener son maître dans sa maison. Ménalque 
se jette hors de la portière, traverse la cour, monte l'esca- 
lier, parcourt l'antichambre , la chambre, le cabinet; tout 
lui est familier, rien ne lui est nouveau : il s'assied , il se 
repose, il est chez soi. Le maître arrive : celui-ci se lève 
pour le recevoir; il le traite fort civilement, le prie de s'as- 
seoir, et croit faire les honneurs de sa chambre ; il parle, il 
rêve, il reprend la parole : le maître de la maison s'ennuie 
et 'demeure étonné ; Ménalque ne l'est pas moins, et ne dit 
pas ce qu'il en pense; il a affaire à un fâcheux, à un homme 
oisif, qui se retirera à la fin: il l'espère, et il prend patience: 
la nuit arrive qu'il est à peine détrompé. Une autre fols, il 
rend visite à une femme ; et, se persuadant bientôt que c'est 
lui qui la reçoit , il s'établit dans son fauteuil , et ne songe 
nullement à l'abandonner : il trouve ensuite que cette dame 
fait ses visites longues ; il attend à tout moment qu'elle se lève 
et le laisse en liberté; mais comme cela tire en longueur, 
qu'il a fiim, et que la nuit est déjà avancée, il la prie à 
souper : elle rit, et si haut, qu'elle le réveille. Lui-même se 

été, de même, employé d'une manière absolue par la Fontaine dans la fablo 
qui a pour liire: La vieille chambrière et les deux servantes : 

F.llfg fil'iienl si bien que les sœurs filandières 
Ne faitateni que brouiller auprès de celles-ci. 

l.L'appanemeni du roi, au palais de Versailles : expression consacrée. 
9. Du grand escalier. Il s'agit du Palais de iastice. 



DE l'homme. 201 

marie le matin, Fonblie le soir, et découche la nuit de ses 
noces; et quelques années après, il perd sa femme, elle 
meurt entre ses bras, il assiste à ses obsèques, et, le len- 
demain, quand on lui vient dire qu'on a servi, il demande 
si sa femme est prête et si elle est avertie. C'est lui encore 
qui entre dans une église, et, prenant l'aveugle qui est collé 
à la porte pour un pilier , et sa tasse pour le bénitier, y 
plonge la main, la porte à son front , lorsqu'il entend tout 
d^un coup le pilier qui parle, et qui lui offre des oraisons *. 
Il s^avance dans la nef ; il croit voir un prie-Dieu, il se jette 
lourdement dessus : la machine plie, s'enfonce, et fait des 
efforts pour crier; Ménalque est surpris de se voir à genoux 
sur les jambes d'un fort petit homme, appuyé sur son* dos, 
les deux bras passés sur ses épaules, et ses deux mains 
jointes et étendues qui lui prennent le nez et lui ferment 
la bouche ; il se retire confus, et va s'agenouiller ailleurs. 
^ tire un livre pour faire sa prière, et c'est sa pantoufle qu'il 
a prise pour ses heures , et qu'il a mise dans sa poche avant 
que de sortir. Il n'est pas hors de Téglise qu'un homme de 
livrée court après lui, le joint, lui demande en riant s'il n'a 
point la pantoufle de monseigneur; Ménalque lui montre la 
sienne, et lui dit ; c Voilà toutes les pantoufles que fai sur 
moi; » il se fouille néanmoins, et tire celle de l'évoque de**% 
qu'il vient de quitter, qu'il a trouvé malade auprès de son 
feu, et dont, avant de prendre congé de lui, il a ramassé la 
pantoufle, comme l'un de ses gants qui était à terre : ainsi 
Ménalque s'en retourne chez soi avec une pantoufle de 
moins. Il a une fois perdu au jeu tout l'argent qui est dans 
sa bourse, et, voulant continuer déjouer, il entre dans son 
cabinet, ouvre une armoire, y prend sa cassette, en tire ce 
qu'il lui plaît, croit la remettre où il l'a prise : il entend 
aboyer dans son armoire qu'il vient de fermer ; étonné de 
ce prodige, il l'ouvre une seconde fois, et il éclate de rire 
d'y voir son chien , qu'il a serré pour sa cassette. Il joue 
au trictrac, il demande k boire, on lui en apporte ; c'est à 
lui à jouer : il tient le cornet d'une main et un verre de 
l'autre ; et comme il a une grande soif, il avale les dés et 
presque le cornet| jette le verre d'eau dans le trictrac, et 

1. « Les aveugles offrent de dire l'antienne ei Turaison d'an saint à Tin* 
teoiion de cenx qui leur donnent l'aumône. » (fiict, d$ Trévoux») 



202 CHAt^ITRE Xl. 

inonde celui coiiM c|ni il jone. Et âinn une' eSafûbrè où 
il est familier, il crache sur lé lit et jette son chapeau à 
terre, en croyant faire tout le contraire*. Il éé {)fomèiie sur 
l'eau^ et il demande quelle heure il é^ : oh lui ^résetite ùnè 
montre ; à peine IVt-il teçué, que; ne son^eaitt plus ni à 
Theure ni à la montre , il la jette dans la rivlèi'e , cômtoè 
une chose qui rembarrasse. Lui-môme écrit une longue 
lettre, met de la poudre dessos à plusieurs reprises, et jette 
toujours la.pbudre dans Tencrier. Ce n'eiA pa^ tout : il écrit 
«ne seconde lettre; et, après les avoir cachétéèâ tduteà 
deux, il se ^trompe à l'adresse ; un ddc et pai^ Reçoit l'une 
de ces deux lettres, et, en l'ouvrant j f lit ces mots : Matïrè 
Olivier, ne manquez^ sitôt la présenté r^ile; dk nCe^voyét 
ma provision de foin... Son fermier reçoit l'autre ' il l'ouvre; 
et se la fait lire; on y trouve ; Monseigneur, f'éi reçii aveé 
une soumission aveugle les orébrés qii'il â plû à Votlre Gtaîi^ 
deur,..» Lui-même encore écrit une lettre peddaot la hiiii} 
et, après l'avoir cachetée, il éteint sa bodgie; il ne kiâsê 
pas d'être sar|)ris de ce voir goûti», .et il sait à peine coni- 
ment cela est arrivé. Ménalque descend l'escalier du Lou- 
vre; un autre le monte, à qui il dit : Cest vous que je cher' 
ehe, il^le.prehd par la main, le fait descendre avec lui; 
traverse plusieurs cours{ entre dans les sàUes, èh âort* il 
va, il revient sur ses pas : ii regâtde enfin celui qu'il traîne 
aprèasoi depuis un quart d'heure^ i} est étonné que ce soii 
lui ; il n'a rien à lui dire ; il lui quitte la main, et touriiâ 
d'un autre côté. Souvent il vous interroge , et il est déj& 
bien loin de vous quand vous songez à lui répondre ; oti 
bien il vous demande ep. courant comment se porte votre 
pé^e^ eti comme vous lui dites qu'il est fort mal, il vouil 
crie qu'il en est bien aise. Il vous trouvé quelque autre fois 
sur son chemin : // est ravi de vous rencontrer; il sort dé 
ehe% vàus pbwr iso\»s entretenir, d^une certaine chose. Il con- 
temple votre main : Vous avez là, dit-il; un beau rubis ; est-U 
balais*? Il vous quitte et continue sa route : voilà l'affaire 
importante dont il avait à vous parler: Se trouve-t-il eH 

1. S'il eût fait tout le contrti,ir(ij \\ n'eût étQBjié perso^Qf)^ Noua verront 
de même, un peu plus loiii, que ce n'était pas Élessér les b£d)iiùdes reçues 
que de jeter à terre le foud de son verre ou les débris de s«>n assiette. 

2. w Uubis balais, variété de rubis, couleur de viç paillet,. . ainsi dit de 
BalaUschan, Bàlaschany d&Aâ le tolsiiikg0 (le jiubiércaDdè. m mt^i<mi\alre 
Liitré.) 



DE l'homme. 203 

iîàmpàgné •, il dit à quelqu'ua qu'il le ttonve heiireûi d^âyoîp 
pu se dérober à la cour pefidant Fautolnne, et d'avoir pîtsèe 
daiis ses terres tout le temps dô Fontainebleau ; îl tient à 
d'autres d'autres discours ; puis, Pôvènattlt à celui-ci : « Vou's 
avez eu, lui dit-il , de beaux jours à Fontainebleau; vôiis y 
avez sans doiite beaucoup chassé, i^ Il conimèùce enstiite tin 
conte qu'il oublie d'achever * 11 rit en lui-itfêmé, il éclate 
d'une chose qui lui passe par l'^spHt, il tépônd à sa pensée, 
il chante entre ses dents; il siffle,- il se renverse dans une 
chaise, il pousse un 6ri plaintif, il bâille, il àé croit seul. 
S'il fee trouve à un repas, on voit le pain ère fflttltîj)lièt iriseit- 
siblêment sur son aâéiette : il est v^aî qiàe ses voMëiUiS èli 
manquent; aussi bien que de couteaux et de fourchettei^, 
dont il ne les laiâse |>as jouir lôn^tèmt)^: On à invetitâ aux 
tables une grande cuiller pour la commodité du service : 
il la prend, là plonge dans le plat, l'emplit; la porte à sa 
bouche; et il ne sort pas d'étonhement de voit répandu siir 
son, linge et âur ses habita le potage qu'il vient â'avalër. H 
oublie de boire pehdarit totlt le dlnèr; ou, s'il s'en soutient, 
et qu'il trdtiiè que l'on Iti donné tirop de vin, il ètl flaque 
pltià dé la inoitié àû visage de celui qui eët & sa droite ; il 
boit le teste tranquillement, et lie compreiid pas pourquoi 
tout le inoilde éclate dô rire de ce qtl'il a jeté à terre cè 
qu'on lui â versé dé trop. Il est Un jour retefau au lit pour 
quelque incommodité : ori lui rend visite î il y a iin cercle 
d'hommes et dé femmes dans sa ruelle qui rentrëtienneilt* 
et, en leur présence, il soulève sa couverture et ôrâlbhe dans 
ses draps. On le mène aux Chattreùt; oh lui fait voiruii 
cloître orné d'ouvrages, toUs de là tnain d'un èxcelleht péiti- 
tre*; le religietil qui les Itii explique ^rle de S. Brîjnô; dh 
chanoine et dé son aventure *, en fait une longue histdire} 
et la montre dans l'uii de àeà tâbleaul. Ménalque, qui pen- 
dkiit la narration est hors du cloîtré, et bien loin au dëlà{ 

i. Moas disons aujourd'hui d ià campdgvié. ' - ' •' . 

2. IX'Eusiacbjd l^eiuAur ((01.7-1^55}^ qui i^yajÀ,peitiV.po«r,le çlof(re^^ 
Chartreux, près du Luxe^lbou^g, àpans, viogi-dL'Uz..^bleaa| qo| représeor 
talent l'histoire de sidut Bruno. Là plus grande ptLttih de ces fableaut 
eaj an Louvre.. ., ,.. , ,,. ...;., . . ., :.,.... ^i., .... , 

$ Saint Bruno, qui vécut au onzième siècje^ est le fondateur de l'ordre 
des Charireux. L'aventure dont il s'agit, reproduite dans le 3* tableau dé 
Lesueur, est le miracle qui, suivant la légende, l'a déterminé à se retirer da 
inonde. On allait ensevelir un chanoine de Paris. Au milieu des funérailles, 
le mort se dressa, s'écria qu'il était damné^ puis â'affiàissà datiâ sa bièra* 



204 CHAPITAE XI. 

j rerient enfin, et demande au père si c'est le chanoine ou 
S. Bruno qui est damné. Il se trouve par hasard avec une 
jeune veuve; il lui parle de son défunt mari, lui demande 
comment il est mort. Cette femme» à qui ce discours renou- 
velle ses douleurs, pleure , sanglote , et ne laisse pas de 
reprendre tous les détails de la maladie de son époux, 
qu'elle conduit depuis la veille de sa fièvre, qu'il se portait 
bien, jusqu'à l'agonie, c Madame, lui demande Ménalque, qui 
l'avait apparemment écoutée avec attention , n'aviez-vous 
que celui-là? » 11 s'avise un matin de faire tout hâter dans sa 
cuisine; il se lève avant le fruit*, et prend congé de la 
compagnie : on le voit ce jour-là en tous les endroits de la 
ville, hormis en celui où il a donné un rendez-vous précis 
pour cette affaire qui l'a empêché de dîner, et l'a fait sortir 
à pied, de peur que son carrosse ne le fît attendre. L'en- 
tendez-vous crier, gronder , s'emporter contre l'un de ses 
domestiques? il est étonné de ne le point voir : c Où peut-il 
être? dit- il; que fait-il? qu'est-il devenu? qu'il ne se pré- 
sente plus devant moi, je le chasse dès à cette heure. > Le 
valet arrive, à qui il demande fièrement d'où il vient ; il lui 
répond qu'il vient de l'endroit où il l'a envoyé, et il lui rend 
un fidèle compte de sa commission,! Vous le prendriez sou- 
vent pour tout ce qu'il n'est pas : pour un stupide, car il 
n'écoute point, et il parle encore moins ; pour un fou, car, 
outre qu'il parle tout seul , il est sujet à de certaines gri- 
maces et à des mouvements de tète involontaires ; pour un 
homme fier et incivil, car vous le saluez; et il passe sans 
TOUS regarder, ou il vous regarde sans vous rendre le salut; 
pour un inconsidéré, car il parle de banqueroute au milieu 
d'une famille où il ^ a cette tache ; d'exécution et d'écha- 
faud devant un homme dont le père y a monté ; de roture 
devant des roturiers qui sont riches et qui se donnent pour 
nobles. De même, il a dessein d'élever auprès de soi un fils 
naturel, sous le nom et le personnage d'un valet; et, quoi- 
qu'il veuille le dérober à la connaissance de sa femme et de 
ses enfants, il lui échappe de l'appeler son fils dix fois le 
jour. 11 a pris aussi la résolution de marier son fils à la fille 
d'un homme d'affaires, et il ne laisse pas de dire de temps 
en temps, en parlant de sa maison et de ses ancêtres, que 

i. U se lèye de table ayant le dessert. 



DE l'homme. 20& 

les Mënalqne ne se sont jamais mésalliés. Enfin, il n*est ni 
présent ni attentif dans une compagnie à ce qui fait la 
sujet de la conversation. Il pense et il parle tout à la fois ; 
mais la chose dont il parle est rarement celle à laquelle il 
pense; aussi ne parle-t-il guère conséquemment et a^ec 
suite : où il dit non^ souvent il faut dire otit, et où il dit oui, 
croyez qu'il veut dire non. Il a, en vous répondant si juste, 
les yeux fort ouverts, mais il ne s'en sert point : il ne re- 
garde ni vous ni personne , ni rien qui soit au monde ; tout 
ce que vous pouvez tirer de lui, et encore dans le temps 
qu'il est le plus appliqué et d*un meilleur commerce , ce 
sont ces mots : Oui vraiment; Cest vrai; Boni Tout dé 
bon? Owrdaî Je pense qu'oui; Assurément; Àh! ciel! et 
quelques autres monosyllabes qui ne sont pas même placés 
à propos. Jamais aussi il n^est avec ceux avec qui il paraît 
être : il appelle sérieusement son laquais monsieur^ et son 
ami , il rappelle la Verdure : il dit Votre Révérence à un 
prince du sang, et Votre Altesse à un jésuite. Il entend la 
messe : le prêtre vient à éternuer; il lui dit : Dieu vous 
assiste. Il se trouve avec un magistrat : cet homme , grave 
par son caractère, vénérable par son âge et par sa dignité, 
l'interroge sur un événement, et lui demande si cela est 
ainsi ; Ménalque lui répond : Ou», mademoiselle. Il revient 
une fois de la campagne : ses laquais en livrée entrepren- 
nent de le voler et y réussissent; ils descendent de son 
carrosse, lui portent un bout de flambeau sous la gorge, 
lui demandent la bourse , et il la rend. Arrivé chez soi, il 
raconte son aventure à ses amis, qui ne manquent pa^s de 
l'interroger sur les circonstances, et il leur dit : Demandez 
à mes gens^ ils y étaient. 

% L'incivilité n'est pas un vice de Pâme, elle est PefTet 
de plusieurs vices : de la sotte vanité , de l'ignorance de 
ses devoirs, de la paresse, de la stupidité, de la distraction, 
du mépris des autres, de la jalousie. Pour ne se répandre 
que sur les dehors, elle n'en est que plus haïssable *, parce 
que c'est toujours un défaut visible et manifeste. Il est vrai 
cependant qu'il offense plus ou moins, selon la cause qui le 
produit. 



1. Elle De se répand qne aur les dehors, mais elle n*en est que plas 
iMïssable.... 



206 CSAPnas m. 

% Dire d'nn JliQmme colore, inég^lf qpereUiQiiz.S ^^grin, 
pointilleux, c&pciciea^ : ç c'est son bumeor, 9 n'est pas Tex- 
cQser, conupe on le croit, mai? ^yoneri sans y penser, <iae 
4e si grands défauts sont irrémédiables. 

Ce qu'on appelle hi^meur est une chose trop négligée 
pargai les bonunes : ils deyraieQt comprendre qu'il ne leur 
suffit pas d'être bons , n^is qu'ils doiyent enoore paraître 
tels, du moins s'ils toisent à être sociable^, capables d'union 
^\ de commerce, c'est-ài-dire k âtre 4es hommes. L'on n'exige 
pas des âmes malignes qu'elles aient de }a douceur et de la 
souplesse ; elle ne leur manque jamais, et elle leur sert de 
piège pour suiprendre les simples, et pour faire valoir leurs 
artifices : l'on désirerait 4e ceux qui ont un bon cœur qu'ils 
fussent ]boujours pliants, faciles, complaisants , et qu'il fû^ 
moins yr^i quelquefois que ce sont les méchants qui nui- 
sent, pp le§ ))on9 qui font souffrir. 

% te cofi^un ^e^ hommes va 4^ l^ colère à l'injure ; 
quelques-uDS en uspnt autrement : ils offensent, et puis il3 
se f^c^çnj^ : la si^rprf^e où Ton e^ toujours de ce procède 
ne laisse pas ^ place f u ressentiment. 

]f Les hommes ne s'attachent pas assez ^ pe pQJn^ man-: 

Îuer les dcc^sioQS de faire plaisir : il semble que l'on n'entre 
ans un çmpjoi que pour pouvoir obliger et n'en rien faire; 
la chose la pjus prompte et qui se présentç 4'abord, c'est 1$ 
refus, et Jl'o^ n'accorde que par r-^flexjoç. 

Ç §acbeî précisément ce qu.ç vous pouvejs atjtendre des 
gommes en gçnéral, et 4e chacun d'^.^^ P9 participer; e^ 
jetez-yoys ^çnsuif^e dau^ le commence du monde. 

|[ Si 1^ pauvret^ es^ la înèrç des crimes, le défaut d'esprit 
en est le péfe. 

f^ 1^ est (difficile qu'u^ fort malhonnête homme ait fis^ez 
4'esprit : un géni§ qui est droit çt perçant conduit enfin ^ 1^ 
règle, à la pçpbité, ï la vertu. Il jipanque ^\i seps ejt de la 
pënçtrâfion a celuj gui s'opiniâtrie dans le mauvais commç 
dans le faux: l'on cherche en yain à le corriger par deg 
traits" 4e satire qui lé désignent aux autres, et où ^ ne se 
reconnaît pas lui-méine; ce sont des injuref dites à un 
sourd. ïl serait désiraÈle, pour le plaisir des honnêtes gçns 

1. En écrivant qwrille^Xy au liea de querelleur, la Brtijère conserve 
l'ancienne orthographe et reproduit la proiiouciatidn du temps. 



Dï l'homme. , â07 

6t pour la vengeance pu2)Uque, qu'tm çpqoin ne le lût pas 
au pdnt' é'étre privé de tout sentipieiit. 

^ Il y a des Tices que nous ne devons à personne, que 
nous apportons en naissant, et que nous fortifions par l'ha* 
biiude', il y en a d'autre^ que Ton contracte , et qui nous 
sont étrangers. L'on est né quelquefois aveô des mœurs fa- 
ciles , de la complaisance , tout le désir de plaire ; mais, 
parles traitements que l'on reçoit de ceux avec qui Ton vit 
ou de q[ui Fon dépend, l-on est lyientôt jeté hors de ses 
mesure^, et même de son naturel; Ton a des chagrins' et 
une bile que l'on ne se connaissait point, l'on se voit une 
antre complexion, Ton est enfin étonné dé se trouve): dur et 
épineux. 

% L'on demande pourquoi tous les hommes ensemble ne 
composent pas comme une seule nation et n'ont point Voulu 
parler uoe même langue, vivre sous les mêmes lois, con- 
venir entre eux des mêmes usages et d*ûn même culte ; et 
moi, pensant à la conttariété des esprits, des goûts et dés 
sentiments, je suis étonné de voir jusques'à sept ou huit 
personnes se rassembler sous un même toit, dans Une même 
enceinte, et composer une fteulë famille. 

f II y a d'étranges pères, et dont toute U vie ne semble 
occupée qu'à préparer à leurs enfants des raisons de se 
consoler dé leur mort. 

ÎTout est étranger dans l'humeur, les mœurs et les ma- 
es de la plupart des hommeà; Td a vécu pendant toute 
i^ vie chagrin, emporté, avare, rampant, souiùis, laborieux, 
intéressé, 'qui était né gai, paisible, paresseux, magnifique, 
d'un courage fier*, et éloigné dé toute bassesse : les besoins 
de la vie, la situation où l'on se trouve, la loi de la néces- 
sité, forcent la nature et y causent ces grands change- 
jgaeat^. Àin^i :^el b'ôpjj^> ^ %^ '^ eç lui-giéme i^e se peu* 




qu'il est ou ce ^u'il parait 
' 'Ur ï*a yie eçt courte' et eènûyçun^e. ; iplle se p^ssje toulé \ 4^ 
sirer : l'on remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âj^e 
iouypntp^IesmeUJéuii? biè^s QnV4ëiV disparu, Vsanté et 

1. Courage t dans le sens de cœur, mnitMUt sens qu'il a très-souTent 
dans les tragédies de Corneille. ' ' 



208 CHAPITRE XI. 

la j ennesse. Ce temps arrive, qai nous surprend encore dans 
les désirs : on en est là, quand la fiôvre nous saisit et nous 
éteint; si Ton eût guéri , ce n'était que pour désirer plus 
longtemps *. 

f Lorsqu'on désire, on se rend à discrétion à celui de qui 
Pon espère : est-on sûr d'avoir , on temporise, on parle* 
mente, on capitule. 

^ Il est si ordinaire à l'homme de n'être pas heureux , et 
si essentiel à tout ce qui est un hien d'être acheté par 
mille peines, qu'une affaire qui se rend facile devient sus* 
pecte. L'on comprend à peine , ou que ce qui coûte si peu 
puisse nous être fort avantageux, ou qu'avec des mesures 
justes l'on doive si aisément parvenir à la fin que l'on se 
propose. L'on croit mériter les hons succès, mais n'j devoir 
compter que fort rarement. 

f L'homme qui dit qu'il n'est pas né heureux pourrait du 
moins le devenir par le bonheur de ses amis ou de ses pro- 
ches. L'envie lui ôte cette dernière ressource. 

f Quoi que j'aie pu dire ailleurs *, peut-être que les affli- 
gés ont tort : les hommes semblent être nés pour l'infor- 
tune, la douleur et la pauvreté ; peu en échappent; et comme 
toute disgrâce peut leur arriver, ils devraient être préparés 
à toute disgrâce. 

f Les hommes ont tant de peine à s'approcher * sur les 
affaires, sont si épineux sur les moindres intérêts, si hé- 
rissés de difficultés, veulent si fort tromper et si peu être 
trompés, mettent si haut ce qui leur appartient, et si bas 
ce qui appartient aux autres, que j'avoue que je ne sais par 
où et comment se peuvent conclure les mariages, les con- 



f . « Nons ne fommes jamais ctaeiDoua; nous sommes tonjoars an delà : U 
crainte, le désir, respérance^ nous eslancent Ters l'ad venir, et nous deHrob- 
beni le sentiment ei la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce 
qui sera, voire quand nous ne serons plus. » (Muntalgue, Etsais^ i, 3.) "<I<* 
présent ne nou» satisfaisant Jamais, l'espérance nous pipe, et de malheur 
en malheur nous mène jusqu'à la mort, qui en est un comble éternel.»(Pasciil.) 
— «f Que chacun examine ses pensées, avait encore dit Pascal, il les trouvera 
toujours occnpées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au 
présent; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière, pour 
disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre tin: le pa<sé et le pre>en( 
sont nos moyens, le seul avenir est notre lin. Ainsi noott ne vivons jamais, 
maii* nous espérons de vivre ; et, nous dinposant toujours à être heureux, il 
est inévitable que nous ne le soyons jamais. 

t. Voyez page 8« : * ConUen de belles et inutUês raitfona.«.. » 

S. À s'entecdre. 



DE l'homme. 209 

trats, les acquisitions, la paix, la trôve, les traités, les al- 
liances. 

% A quelques-uns l'arrogance tient lieu de grandeur, 
Finhumanité de fermeté, et la fourberie d'esprit. 

Les fourbes croient aisément que les autrec le sont ; ils 
ne peuvent guère être trompés, et ils ne trompent pas long- 
temps. 

Je me rachèterai toujours fort volontiers d'être fourbe 
par être stupide et passer pour tel * . 

On ne trompe point en bien : la fourberie ajoute la ma«> 
lice au mensonge. 

If S'il y avait moins de dupes , il y aurait moins de ce 
qu'on appelle des hommes fins ou entendus, et de ceux qui 
tirent autant de vanité que de distinction d'avoir su , pen- 
dant tout le cours de leur vie, tromper les autres. Gomment 
voulez-vous qa^Érophiley à qui le manque de parole, les 
mauvais offices, la fourberie, bien loin de nuire, ont mérité 
des grâces et des bienfaits de ceux mêmes qu'il a ou man- 
qué de servir ou désobligés, ne présume pas infiniment da 
soi ettle son industrie? 

f L'on n'entend , dans les places et dans les rues des 
grandes villes, et de la bouche de ceux qui passent, que 
les mots d'expZott, de saisie^ ai interrogatoire^ de promisse, 
et de plaider contre sa promesse» Est-ce qu'il n'y aurait pas 
dans le monde la plus petite équité? Serait-il, au contraire, 
rempli de gens qui demandent froidement ce qui ne leur 
est pas dû, on qui refusent nettement de rendre ce qu'ils 
doivent? 

Parchemins inventés pour faire souvenir ou pour con- 
vaincre les hommes de leur parole : honte de l'humanité! 

Otez les passions, l'intérêt, l'injustice, quel calme dans 
les plus grandes villes l Les besoins et la subsistance n'y 
font pas le tiers de l'embarras. 

^ Rien n'engage tant un esprit raisonnable à supporter 
tranquillement des parents et des amis les torts qu'ils ont 
à son égard, que la réflexion qu'il fait sur les vices de l'hu- 
manité, et combien il est pénible aux hommes d'être con- 

1. Cette tonrniire, inuaitée aojoard'hai, n'était point rare an dix-sep- 
tième siècle. M Je suis vena chez moi, écrit Bussy an retour d'un voyage è la 
oour, remplacer par itre mon maître le bien que je n'ai pu attraper en fai- 
aant le valeL » 

14 



210 CHjà>itRk il. 

stants, gëhëîreiiz ; fidèles, à'être tbticHés d'uilë àtbitié plus 
forte que leur intérêt •. Comme il connaît leur portée; il 
n'exige point d'eux qu'ils pénétrent les corps, qtt'ils volent 
dans l*air, qu'ils aient dé l'équité. Il peut haïr les homtïiéè 
en gétiërâl, où il y à si peu de vertu; mais il excusé les 
particulière, il les aithe même par des motifs pliis relevés; 
et il s'étudie à mériter le moins qu'il se peut une pâi-éiUè 
indùîgéiicè. 

^ Il y a de certains bieiis ^u)b l'oîi désire àVe'c emporte- 
ment, et dont l'idée seule hous enlève et nbûi transporte. 
S'il nous arrive de les obtenir, on les sent ^ilus tr'àncniille- 
ineiit qu'on ne l'eût jpeiisë, ô'n fen jbilît iîibins 4<ie l'on n'as- 
pite encore â dé plus grands *; 

^ Il y a des maux ëffï-oyàbiés et d'îibirtbVé's bailleurs 6ù^ 




qii'ob né resiiérait. 

If U iié faut quelquefois qu'une jolie tnàison clonl oîi Mé- 
rite, qu'un beau cheval ou un joli chien dont oh se îrouvé 
le inâlttè, qu'une tapisserie, qù'iine jpendile , pour adbiicir 
tiixë gbânde douleur^ et pour faire moins séhtir liiie gtàtiàâ 
perte. 

If Xq suppose que les hoiimès soient éternels sur là terre", 
et je médite ensuite sur ce qui pourrait me faire connaître 
qu'ils se feraient alors une plus gràudé affaire de leur étà- 
blissëmeht qu'ils né s'en font dans l'ëtàt où sont les choses. 

^ Si la vie est misérable, elle est pénible à supporter ; si 
elle est heureuse, il est horrible de là perdre ; l'un revient 
à l^autre. 

^ Il n'y fit rien que les hommes ^ment mieux à conserver 
et qu'ilô ménagent moins, qtié leur propre vie. . 

% Irène se transporte à grands frais bil Épidkdre \ ioiï 



1. Être fçfuké dft.tèl 09 tel sentiment^ expression trèe-asitlto à oétté épo- 
que. H Jè.suls touché d'un seutiiinent de joie quand je voUt.tito, , ») écrit Fé- 
nelon; On était (ottCA^ de passion, d'admiration, de reconhàîssaoce, etc. 

2. « Quoy que ce soit qui lumbe en nosire cognoissance et jouissance, 
nous sentons qu'il ne nous satistaicf pas, et aUquahéai^jl lAP^e^ les choses 
adteniir et intôghùëé, d'autant qnè lés présentes ne nous sàoiilent point. » 
(Montaigne, Essais, ]IÎZ.) 

S. AttxqueU. Voy p. 27, note 5. 

4. Aujourd'hui l'on dirait à Ëpidanre. Bn se met très-souyent, à cette épo- 



fisciîlâpë dàîil dott tèMple, et le consulte sur tous des liiaîiz. 
D'abord elle se plaint qu'elle eàt lasse et récrue de fatigue ; 
et lé diéii prbtibnce que cela lui arrive paJ* la longueur dtt 
chemiii qu'elle vient de faire. Elle dit qu'elle est le Soir sans 
appétit; l'oracle lui ordonne de dîner peu. Elle ajdtitë 
(^'ëllé est àûjëtt'é à des iisisomUies ; et il lui {^ireàc'rit de 
n'être au lit que pendant la nuit. Elle lui deîtiaiidé poUr- 
qtioi elle devient t)esàiite , et (îllel rbiilSdè ; l'ôraclé rëpôhd 
[u'eile doit se lever atàiii àiidi, et quelquefois se ëervit dé 
^s Jàmb'éâ pour niarchèrl Eilfe lUi dëfelslcè (Jtie le vid lui Sst 



ïlliisiblb \ Vmèïk lui dil dé bbirë db l'eâù; Qu'elle a dëi 
iiiâigéstiotis; et il ajouté qu'elle Ifaâsë diète. I BTa Vue è'at- 




ioià vîfeilliikli. - Màii quel iribyën de gdëHr de celte 
langueur t— te pîiîs côiirV, îirèné, 8'6st de mbiirlt, fcblnnlë 
ont fait votre mère et vottë aîétilè.— îiîs d'Apollbh; s'ébnë 
Irène, quel bdiiâeil Inë donbei-véiiât Eét-cèlà téUte cette 
science que les hommes publibut, bt qui vdûs fait Hvërë^ 
dé toute là terré î Qùb in'âpi)renei-vbU3 dé ràtë et dé ifaj^s- 
tërieux ? Et ne savais-ie pas tous béà i^Blilèdës '^ue vbuâ 
iti'eii'sèigiiez? — Que ireh iisiëî-vôus dô^c^ répoM le dieu, 
âans veiiir me cUërchë^ dé si Ibin, et abirégér vbë jdiii^ par 
on .tong voyage?* » 

^ Là mort îi'arriyé ^n'iXné tbis; et isê t&it sektir & tbûs les 
moments de là vie t il est pliis dur de l'apprébendei* que dé 
là souffrir*. 

t L'inqiiîétudé, la ci-atiité, l'âbattethëiil ; n'eioifeilfetit p'ââ 
la fdbrt. au cbnti*airé : je doUte seulëineiit (j[iib le Hs elces^ 
kif convienne aux hoiiimei . qui àont môhélS. 

^ Ce qu'il y â dé certain dans la ioacirt é^t ùii peu adouci 
par ce ^i est incettàin; c'est un indéfini dails lé temps; 
qui tient qUélque chose dé l'iiiànî et de be qu'où appelle 

éternité '. 

- ■ •• ' . 

que, deiaot qd qom ûe yiUe: Molière ft Corneille oilt dit m Àlgeri Racine, 
«n Ârgos (Iphigéniej 1, 1); Bossuët, en Jérusalem, etc. 

1. « L'on tint ce discours à Mme de Montespàh; siiivânt les clefs, ahïMlîx 
de Bourbon, oh elle allait souvent pour des maladies imaginaires. » 

3. « La mort est plus aisée à supporter sans y penser que la pensée de 
la piqrt sans péril. » (P9sca\j) . . . ^,, . , , 

3. i/inâiènni, ce ({ui nia point de lîoutés certainèii et flétennihdès; llnini, 
ce qui n'a point de fia» l'éternité; 



212 CHAPITRE XI. 

^Pensons que, comme nous soupirons présentement 
pour la florissante jeunesse qui n'est plus et ne reyiendra 
point, la caducité suisrra, qui nous fera regretter Tâge 
viril où nous sommes encore, et que nous n^estimons pas 
assez. 

% L'on craint la vieillesse, que Ton n'est pas sûr de pou- 
voir atteindre. 

% L'on espère de vieillir, et Ton craint la vieillesse ; c'est- 
à-dire l'on aime la vie, et l'on fuit la mort. 

% C'est plus tôt fait de céder à la nature et de craindre la 
mort, que de faire de continuels e (Torts, s'armer de raisons 
et de rëflezions, et être continuellement aux prises avec 
soi-iTiéme, pour ne la pas craindre *. 

% Si de tous les hommes les uns mouraient, les autres 
non, ce serait une désolante affliction que de mourir. . 

^ Une longue maladie semble être placée entre la vie et 
la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et 
à ceux qui meurent et à ceux qui restent. 

^ A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui 
est de mettre fin à la vieillesse. 

La mort qui prévient la caducité arrive plus à propos 
c[ue celle qui la termine. 

^ Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du 
temps qu'ils ont déjà vécu, ne les conduit pas toujours à 
faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage. 

% La vie est un sommeil. Les vieillards sont ceux dont le 
sommeil a été plus long : ils ne commencent à se réveiller 
que quand il faut mourir. S'ils repassent alors sur tout le 
cours de leurs années, ils ne trouvent souvent ni vertus ni 
actions louables qui les distinguent les unes des autres, ils 
confondent leurs différents âges, ils n'y voient rien qui 
marque assez pour mesurer le temps qu'ils ont vécu. Ils 
ont eu un songe confus, informe, et sans aucune suite; ils 
sentent néanmoins, comme ceux qui s'éveillent, qu'ils ont 
dormi longtemps. 

If II n'y a pour l'homme que trois événements : naître, 
vivre et mourir : il ne se sent pas naître, il souffre à mou- 
rir, et il oublie de vivre. 



1. M Nous troublons la yie par le seing de la mort : Yune doqs ennuyé» 
Fiatre nous effraye.... » (Montaigne, Eitais, III, 12.) 



DE l'homme. 213 

^ Il y a un temps où la raison n'est pas encore, où Ton 
ne vit qae par instlDct , à la manière des animaux , et dont 
il ne reste dans la mémoire aucun yestige. Il y a un second 
temps où la raison se développe, où elle est formée, et où 
elle pourrait agir, si elle n'était pas obscurcie et comme 
éteinte par les vices de la complexion, et par un enchaîne- 
ment de passions qui se succèdent les unes aux autres, et 
conduisent jusquesau troisième et dernier âge. La raison, 
alors dans sa force, devrait produire ; mais elle est refroidie 
et ralentie par les années, par la maladie et la douleur, dé- 
concertée ensuite par le désordre de la machine, qui est 
dans son déclin : et ces temps néanmoins sont la vie de 
lliommel 

^ Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, 
curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempé- 
rants, menteurs, dissimulés; ils rient et pleurent facilement; 
ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur 
de très-petits sujets; ils ne veulent point souffrir de mal, 
et aiment à en faire : ils sont déjà des hommes. 

^ Les enfants n'ont ni passé ni avenir ', et, ce qui ne 
nous arrive guère, ils jouissent du présent. 

^ Le caractère de l'enfance parait unique ; les mœurs, 
dans cet âge, sont assez les mêmes, et ce n'est qu'avec une 
curieuse attention qu'on en pénètre la différence : elle aug- 
mente avec la raison, parce qu'avec celle-ci croissent les 
passions et les vices, qui seuls rendent les hommes si dis- 
semblables entre eux, et si contraires à eux-mêmes. 

^ Les enfants ont déjà de leur âme l'imagination et la 
mémoire, c'est-à-dire ce que les vieillards n'ont plus, et ils 
en tirent un merveilleux usage pour leurs petits jeux et 
pour tous leurs amusements : c'est par elles qu'ils répètent 
ce qu'ils ont entendu dire, qu'ils contrefont ce qu'ils ont va 
faire; qu'ils sont de tous métiers, soit qu'ils s'occupent en 
effet à mille petits ouvrages, soit qu'ils imitent les divers 
artisans par le mouvement et par le geste; qu'ils se trou- 
vent à un grand festin, et y font bonne chère; qu'ils se 
transportent dans des palais et dans des lieux enchantés; 
que, bien que seuls, ils se voient un riche équipage et un 
grand cortège; qu'ils conduisent des armées, livrent ba- 

t. Ili n'ont soQd ni da passé n\ de l'afenir. 



1 



214 ÇBAPITI^E XI. 

^aie, ej jpmssçî^^ c|ix plaigfir 4e la yicipira; quUl^ parlent 
î^uf rois et aux plus grands pripç^ç; qu'il» 9opt rotia eux- 
fD^'es/pnt de^ sujeis» possèdent 4^9 tnéaorf qu'ils peuvent 
^aire de feuilles, d'arbres Qu de g^aips àe s^ble; et, oe qu'ils 
Ignorent 4^i^9 1^ sv^ii^^ ÇJ^ )§vur vie, savent, 4 Ofit âge, dtre 
les ^rbitref[ de Ipur fprtuQ^, et les maîtres de leur propre 



^ 1| n*y a nuls yipes ezt^rienrs et nuls défauts du corps 
gui ne §q^ent^pQ^ç\:|s par les enfants; ils les saisissent d-une 
pr^mièfte yuç, ^\ Us sl^vent les exprimer par des mots con- 
yenables : on ne npmpae point plus heureusement. Devenus 
]^oa)ipes, ils sont pbargé^, h \wt tour, de toutes les imper- 
fections dont ils se sont moqués. 

L'unique soin des enâ^nts ^st de trouver Tendroit fa^ible 
4e leurs maîtres, comine de tous ceux à qui ils sont soumis : 
4ès qu'ils ont pu les entamer, ils gagnent le dessus, et 
prennent sur ex^. yn ascendant qu'ils ne perdent plus. Ce 
qui nous f^^it décboir une première fo|s de cette siipériorité 
à leur égar4, est toujours ce qui nous empoche de b récou- 
yrer. 

^ La paresse, Tindolepce et Foisiveté, vices si naturels 
s^ux enfants, disparaissent dans leurs jeux, 6ù ils sont t^fs, 
appliqués, exacts, amoureux des règles et de I4 symétrie, 
op: \\s ne se pardonnent nuUe faute les uns aux autres, et 
r^comn^encent eux-mêmes plusieurs fois unô seule chose 
q^i'ils ont manquée : présagea certains qu'ils pourront un 
jour négliger leurs devoirs , mais qu'ils n'oublieront rien 
pour leurs plaisirs. * 

% 4ux f nfants tout paraît gcand , les eoura, les jardins, 
les 'édifices, les meubles, les hommes, les animaux Vaux 
Jiomipes les choses du monde paraissent ainsi, et j'oôe dire 
par la même raison, parce qu'ils sont petits. ' 

^ Le$ enfants commencent entre eux par Pitat populaire , 
chacun y est le maître; et y ce qui est bien naturel, ils ne 
s'en accommpdent pas longtemps, et passent au monar- 
chique. Quelqu'un se distingue , ou par une plus grande 
vivacité , ou par une meilleure disposition du corps, ou par 
une connaissance plus exacte des jeux différents et des pe- 
tites lois qui les composent; les autres lui défèrent, et il se 
forme alors un gouvernement absolu qui ne roule que sur 
le plaisir. 



DE l'HOUHE. 215 

^ Qui doute que les enfants ne oonçoivaat, quUU ne iu- 
Çent,' qu'ils ne raisonnent côn^équemment? Si c'est seiàe- 
menf sur de petites choses, c'est qu'ils sont enfants, et sans 
une longue expérience; et ôi c'est en mauvais termes» c'est 
moins leur faute que 'celle de leurs parents oi^ de leurs 
maîtres. ' '• 

^ C'est perdre toute confiance dans l'esprit 4es enfants, 
et leur devenir inutile , que de les punir des fautes qu'ils 
n'ont 'point faites, 'ou ihôme sévèrement de 'celles qui sont 
légères. Ils sayent précisénient'et mieux que personne ce 
qu'Ds niérilent, et ils ne méritent guère que ce qu'ils crai- 
gnent ': ils coimaissent si c'est à tort ou nyec raison qu'on 
les châtie, et ne se gâtent pas moins par des peines mal or- 
données que par l'impunité. 

^ On ne vit point assez pour profiter de ses fautes: 
en commet pendant tout' le coûts de sa vie; et tout oe 
que l'on peut faire à force de faillir, c'est de mourir cor- 
ngé. 

Il n'y a rien qui rafraîchisse le s^g comme d'avoir su 
éviter de faire une sottise 1. - .. - 

^ Le récit de ses fautes est pénible; on veut les couvrir* 
et en charger quelque autre. C'est ce qui donne le pa^ au 
iîrec teiir" sur le confesseur. 

^ Les fautes des sots sont quelquefois si lourdes et si dif- 
ficiles à' prévoir, qu'elles mettent les sages en défaut, et ne 
sont utiles qu'à ceui qui les font. 

\ L'esprit de pafti abaisse lés plus grands homoiQS jus* 
ques aux petitesses du peuple. 

^ If pus fafsons, par vanité ou par bienséance, les mêmes 
choses et avec les mêmes dehors que nous le^ ferions par 
;nclî;}^tiqn pu' paç devo|r. "Tel yîejït de njourir à Paris de 
la fièvre qu'il a gagnée à veiller sa femme, qu^il ji^aimàit 
point*. 

^ Les hommes, dans le rœur, veulent être estimés, et ils 

1. « C'est une figure bien beqrease qae celle qui transf^^nne ainsi en sen- 
«ationle sentimem qu'on veut eiipHiiier.'» (Suai-jd.)' ^ 

2. Les cacher ou les pallier. -^ Lé directeur est recclésiastiqne qai a la 
direction de la conscience d'une personpe. 

3. En 1685, la princesse de Çunti, tille léç:itinice deljouia Xiy, tomba gra- 
yement malade de la pe.titp yerule; elle guérit, mais le. prince de Conti, qui 
avait veillé auprès d'elle , tomba malade à son tour et succtmiba. Les clefs 
ont malignement inscrit son nom ^ côté de la remarque de la Brujère. 



216 CHAPITRE XI. 

cachent ayee soin l'envie qnlls ont d'être estimés; parce 
qne les hommes veulent passer pour vertueux , et que vou- 
loir tirer de la vertu tout autre avantage que la même vertu *, 
je veux dire Testime et les louanges, ce ne serait plus être 
vertueux, mais aimer l'estime et les louanges, ou être vain ; 
les hommes sont très-vains, et ils ne haïssent rien tant que 
de passer pour tels. 

^ Un homme vain trouve son compte à dire du hien ou 
du mal de soi* : un homme modeste ne parle point de soi. 

On ne voit point mieux le ridicule de la vanité , et com- 
bien elle est un vice honteux, qu'en ce qu'elle n'ose se mon* 
trer, et qu'elle se cache souvent sous les apparences de son 
contraire*. 

La fausse modestie est le dernier raffinement de la va- 
nité; elle fait que l'homme vain ne parait point tel, et se 
fait valoir au contraire par la vertu opposée au vice qui 
fait son caractère : c'est un mensonge. La fausse gloire est 
recueil de la vanité ; elle nous conduit à vouloir être esti- 
més par des choses qui, à la vérité , se trouvent en nous, 
mais qui sont frivoles et indignes qu'on les relève : c'est 
une erreur. 

^ Les hommes parlent de manière, sur ce qui les regarde, 
qu'ils n'avouent d'eux-mêmes que de petits défauts^, et en- 
core ceux qui supposent en leurs personnes de beaux talents 
ou de grandes qualités. Ainsi Ton se plaint de son peu de 
mémoire , content d'ailleurs de son grand sens et de son 
bon jugement" : l'on reçoit le reproche de la distraction et 
de la rêverie , comme s'il nous accordait le bel esprit ; 

1. La Bruyère avait d*abord écrit : qw la vertÏA mémi, et c'eat la conatroo- 
tion que l'on emploierait aujoarù'hai pour éviter toute amphibologie; mais, 

f (référant plus tard la construction dont Corneille s'esi servi le plus to- 
onliers, il a, dans les deux dernières éditions, placé même devant le sub- 
stantif, comme l'ont fait Molière et beaucoup d autres. C'est ainsi que Cor- 
neille a dit, pour ne citer qu'un exemple ('« Ctd, U,2): 

Sais-tu que ce vieillard est la même yertn? 

3. « On aime mieux à dire du mal de ï>oi que de n'en point parler. » (La Ro- 
diefoucauld.) 

3.« L'humilité n'est souvent qu'une feinte soumission ; ...c'est un artifice 
de l'orgueil qui s'abaisse pour b'él'^ver^ et bien qu1l se transforme en mille 
manières, il n'est jamais mieux dt^guisé et plus capable de tromper que 
lorsqu'il se cache soas la figure de rhun>ilité.i» (La Rochefoucauld.) 

k. « Nous n'avouoo» de petits défauts qne pour persuader que nous n'en 
avons pas de grands. » (La Rochefoucauld.) 

5. « Tout le monde se plaint de sa mémoire, et persoone ne ee plaint de 
son Jugement. » (La Rochefoucauld.) 



DE l'homme. 217 

Pon dit de soi qu'on est maladroit , et qu*on ne peut rien 
faire de ses mains, fort consolé de la perte de ces petits ta- 
lents par ceux de l'esprit, ou par les dons de l'âme, que tout 
le monde nous connaît; Ton fait Taveu de sa paresse en des 
termes qui signifient toujours son désintéressement, et que 
roQ est guéri de l'ambition; Ton ne rougit point de sa 
malpropreté, qui n^est qu'une négligence pour les petites 
choses, et qui semble supposer qu'on n'a d'application que 
pour les solides et essentielles. Un homme de guerre 
aime à dire que c'était par trop d'empressement ou par cu- 
riosité qu'il se trouva un certaia jour à la tranchée, ou en 
quelque autre poste très-périlleux, sans être de garde ni 
commandé ; et il ajoute qu'il en fut repris de son général. 
De même une bonne tête ou un ferme génie qui se trouve 
né avec cette prudence que les autres hommes cherchent 
vainement à acquérir ; qui a fortifié la trempe de son esprit 
par une grande expérience; que le nombre, le poids, la di- 
versité, la difficulté et l'importance des affaires occupent 
seulement, et n'accablent point ; qui, par l'étendue de ses 
vues et de sa pénétration, se rend maître de tous les évé- 
nements; qui, bien loin de consulter toutes les réflexions 
qui sont écrites sur le gouvernement et la politique , est 
peut-être de ces âmes sublimes nées pour régir les autres, 
et sur qui ces premières règles ont été faites; qui est dé- 
tourné, par les grandes choses qu'il fait, des belles ou des 
agréables qu'il pourrait lire , et qui au contraire ne perd 
rien à retracer et à feuilleter, pour ainsi dire, sa vie et ses 
actions *; un homme ainsi fait peut dire aisément, et sans 
se commettre, qu'il ne connaît aucun livre, et qu'il ne lit 
jamais*. 

^ On veut quelquefois cacher ses faibles, ou en diminuer 
Topinion ', par l'aveu libre que Ton en fait. Tel dit : c Je 
suis ignorant, » qui ne sait rien. Un homme dit : « Je suis 



I. La Bruyère s sans doute empronté ceife expression à Boileao («a« 
tire V, vers 52) ; 

Feuilletei à loisir les siècles passés.... 

Et Boileau, de son c6té, avait traduit Horace (Satins, I, m, vers 112) : 

Tempora si fitslosque velis evoleere mnndi. 

S. Ceist à LouTois, disent les clefs, que ce passage s'applique. 
3. Ou atitauer le sentiment qu'en ont^es autres. 



ï 



218 CHAPITRE XI. 

YÎeux, > il passe soixante ans; un antre encore : « Je ne 
suis pas riche, » et il est pauvre. 

^ La modestie n'est point, bu est confondue avec une 
chose toute 'différent^ de soi, si on la prend pour un senti- 
ment intérieur (jui avilit Thomme à ses propres yeux, et 
ui est une vertu surnaturelle qu'on appelle humilité, 
i^tomme, de sa naturQ, pense hautement 'et superbement 
de' lui-môme , et iie pense ainsi que de lui-même : la mo- 
destie ne téhd qu'à faire que personne' n'en souffre; elle est 
une vertu au dehors , qui règle ses yeux, sa démarche, ses 
paroles, son 'ton de voix, et qui le fait agir extérieurement 
^vèc les autres comme s'il n* était pas vraiquHl les compte 
pour rien. • « . • 

' ^ Le monde est plein de gens qui, faisant intérieurement * 
et pir habitude la comparaison d'eux-mêmes avec les ad- 
irés, décident toujours en faveur de leur propre mérite , et 
agissent cônséquemmént. 

' ^ Vous' dites qu'il faut être modeste; les gens bien nés 
ne îStemandent pas mieux : faites seulement que lés hommes 
n'empiètent pas sur ceux qui cèdent' par modestie, et ne 
brisent pas ceux qui plient. 

De même foà' dit : i 11 faut avoir des habits modestes; les 
personnes de ihérite ne désirent rien davantage. Mais le 
Inonde veut dé là parure, on lut en donne; 'il est avide de 
la superfiuité', on lui en montré. Quelqùss-ùns n'estiment 
les 'autres que paV de beau linge où pà^'une riche étoffe; 
Ton ne refuse pas tofu jours d'être estimé à ce prix. Il y a 
des endroits oîi il faut se faire voir : un galon d'or plus 
large ou'plus étroit' vous fait' entrer où refuser*. 

^ Notre vanité et la trop grande estime que nous avons 
de nous-mêmes nous fait soupçonner dans les autres une 
âerté à notre égard qui y est quelquefois , et qui souvent 
n'y est pas: une personne modeste n'a point cette délicatesse. 



1. Dans Coûtes les éditions des Caractères qai sont postérienres à la 




n'eu donnerez à l'advepture pas un quatrain, si vous l'avez dépouillée. Il le 
faut juger par ruy-niesme, non par ses atours; et, comme' dict irès-plaisam- 
ment uu ancien : Scavez-Toas pourquoy voqh l'estimeit grand f tous y comp* 
tez la baulteur de ses patins. » (Montaigne, Ifissai^, I, k^-) 

3. « Si nous n'avions point d'orguef), nous lié ûoââ plaiodrions pas de 
celui des autres. » (La Rochelbàcaifld.}- ' ^ • ' r -... r .. . . .. r 



DE L'HOHMS. 219 

^ Gomme il faut se défendre de cette vanité qui noui^ f^it 
penset que \e% autres nous te^ârdènt'a^éc cùrîôsiti' ef aVèc 
estime , et ne parlent ensemble que pour s'entretenir de 
notre mérite et faire notre éloge : aùsëi devons-nous avoir 
une certaine confiaocé qui nous empêché de croire (^u'on 
ne se parle S Foreille tpië poùrHire dit mal de nous,' où que 



• . f » I 



l'on ne rit quô pour s'en nioquerV ' 

% D'où vient qxi^Àlcippé mô salue aujourd'hui, me sourit, 
et are jette hors d*unë pôitière, de peur de nïe Ithahquèr? Je 
ne suis pas riche, eC je* suis àf>red : il doit, dans lé J règles, 
ne me pas voir. N'est-ce point 'pour êtrfe Vu lui-même dans 
un môme fond* avec un grand? ' "' * 

^ L'on est si rempli dé soi-même, que tout s'y rapporte; 
l'on aimé à êtte vd, è! être montré, à^ être salué, même cif s 
inconnus : ils sont fiers s'ils l'oublient; l'on veut qu'ils nous 
devment". 

^ Nous cherchons notre bonheur hors de non^-mêmçs, et 
dans Topinion des hommes,' que nous connaissons ff^^teprs, 
peu sincères, sans équité, pleins d'envie, de caprices et de 
préventions. Quelle bizarrerie l 

!|[ Il semblé que l'on né puisse rire que des choses ridi- 
cules : l'on voit néanmpiîls dé certainei^ gens qui rient éga- 
lement dés choseé ridicules et de celles qui ne le soni pas. 
Si voua êtes Sôt etinbonsldéré, et qu'il vous échappe devant 
eux quelque impertinence, ils rient de vous : si vous êtes 
sage, et que vous ne disiez que des choses rsdsonnables, et 
du ton qu'il lés faut dire, ils rient de même. 
^^ Geiix qui nous ravissent les biens par la violence qu 
par l'injustice, et qu; nous ôtent l'honneur par là calomnie, 
iious màrqvfept assez leur haine pour nous; mais ifs ne nous 
|>rouyent |)as également qu'ils aient perdu à notre égard 
toute sorte d'estime : aussi ne sommes-nous pas incapables 
de quelque retour pour eux, et de leur rendre un jour notre 
amftiè. La moquerie, au contraire, est de toutes les injures 
celle qui se pardonne' le moins* elle est le langage du 
mépris,'*et Tune des" manières dont il se fait le mieux en- 
tendre; elle attaque Tbomme dans son dernier retranche- 
menty qui est l'opinion qu'il a de soi-même; elle veut le 

1. G*e8t-à-dire dans le fond d'ane mdme TOitonu 
9. Qa'ild devinent qui nous sommes. 



220 CHAPITRÉ XI. 

rendre ridicule à ses propres yeux; et aiosi elle le conyaino 
de la plus mauvaise disposition où Ton puisse être pour lui, 
et le rend irréconciliable. 

C'est une chose monstrueuse que le goût et la facilité qui 
est en nous de railler, dMmprouver et de mépriser les autres; 
et tout ensemble la colère que nous ressentons contre ceux 
qui nous raillent, nous improuvent et nous méprisent. 

^ La santé et les richesses, ôtant aux hommes Texpé* 
rience du mal, leur inspirent la dureté pour leurs sembla- 
bles ; et les gens déjà chargés de leur propre misère sont 
ceux qui entrent davantage, par la compassion, dans celle 
d'autrui*. 

^ Il semble qu'aux âmes bien nées les fêtes, les specta-, 
clesy la symphonie, rapprochent et font mieux sentir Tin- 
fortune de nos proches ou de nos amis. 

^ Une grande âme est au-dessus de Tinjure, de rinjus* 
tice, de la douleur, de la moquerie ; et elle serait invulné- 
rable, si elle ne souifrait par la compassion. 

^ 11 y a une espèce de honte d'être heureux à la vue de 
certaines misères. 

^ On est prompt à connaître ses plus petits avantages, 
et lent à pénétrer ses défauts : on nUgnore point qu'on a 
de beaux sourcils, les ongles bien faits ; on sait à peine que 
Ton est borgne; on ne sait point du tout que l'on manque 
d'esprit. 

Argyre tire son gant pour montrer une belle main, et elle 
ne néglige pas de découvrir un petit soulier qui suppose 
qu'elle a le pied petit : elle rit des choses plaisantes ou sé- 
rieuses, pour faire voir de belles dents ; si elle montre son 
oreille, c'est qu'elle Ta bien faite; et si elle ne danse jamais» 
c'est qu'elle est peu contente de sa taille, qu'elle a épaisse. 
Elle entend tous ses intérêts , à l'exception d'un seul : elle 
parle toujours, et n'a point d'esprit. 

^ Les hommes comptent presque pour rien toutes les 
vertus du cœur, et idolâtrent les talents du corps et de l'es- 
prit. Celui qui dit froidement de soi, et sans croire blesser 
la modestie, qu'il est bon, qu'il est constant, fidèle, sincère» 

t. Virgile, Enéide, I, 630 : 

Non ignara mali, roiseris succarrere disoo. 



DE l'homme. 221 

équitable» reconnaissant» n'ose dire qu'il est vif, qu'il a les 
dents belles et la peau douce : cela est trop fort '. 

Il est vrai qu'il y a deux vertus que les hommes admi- 
rent, la bravoure et la libéralité, parce qu'il y a deux cboses 
qu'ils estiment beaucoup, et que ces vertus font négliger, 
la vie et Targent : aussi personne n'avance de soi qu'il est 
brave ou libérai. 

Personne ne dit de soi, et surtout sans fondement, qu'il 
est beau, quHl est généreux » qu'il est sublime : on a mis 
ces qualités à un trop haut prix; on se contente de le penser. 

^ Quelque rapport qu'il paraisse de la jalousie à l'ému- 
lation» il y a entre elles le même éloignement que celui qui 
se trouve entre le vice et la vertu. 

La jalousie et l'émulation s'exercent sur le même objet 9 
qui est le bien ou le mérite des autres; avec cette différence, 
que celle-ci est un sentiment voloi taire, courageux, sin-^ 
cère, qui rend l'âme féconde, qui la fait profiter des grands 
exemples, et la porte souvent au-dessus de ce qu'elle admire; 
et que celle-là au contraire est un mouvement violent et 
comme un aveu contraint du mérite qui est hors d'elle; 
qu'elle va même jusques à nier la vertu dans les sujets où elle 
existe, ou qui, forcée de la reconnaître, lui refuse les éloges 
ou lui envie les récompenses; une passion stérile qui laisse 
l'homme dans l'état où elle le trouve, qui le remplit de lui- 
même, de l'idée de sa réputation, qui le rend froid et sec 
sur les actions ou sur les ouvrages d'autrui, qui fait qu'il 
s'étonne de voir dans le monde d'autres talents que les 
siens, ou d'autres hommes avec les mêmes talents dont il 
se pique : vice honteux, et qui, par &on excès, rentre tou- 
jours dans la vanité et dans la présomption, et ne persuade 
pas tant à celui qui en est blessé * qu'il a plus d'esprit et de 
mérite que les autres, qu'il lui fait croire qu'il a lui seul de 
Tesprit et du mérite. 

L'émulation et la jalousie ne se rencontrent guère que 
dans les personnes de même art, de mêmes talents et de 
même condition. Les plus vils artisans sont les plus sujets à 
la jalousie. Ceux qui font profession des arts libéraux ou des 

1 . « Cbaenn dit da bien de son ooBor, et penonne n'en oie dire de son 

esprit. » (La Rocberouceuld.) 

2. Etr$ blêssé d'une passion , d'un vice, expression aussi fréquente an 
dix-sepiième siècle qne l'expression êtrt towihé. 



222 GHAPURte H. 

belles-lettres^ les peintres, les musiciexut^ les oratents^.!»! 
poëtes, tous ceâx qui se niélent d'écrire ) ne devraient être 
capables que d^émulation. . 

Toute jalousie n^est point elëmpte dé quelque sorte d'en- 
vie, et souvent même ces deux passions se confondent. L'en- 
vie , au contraire, est (quelquefois séparée de la jalousie^ 
comme est celle qu'excitent dans notre âme. les. conditions 
fort. élevées au-dessus de la nôtre, les grandes fortunes; la 
faveur, le ministère. , ... 

L'envie et la haine s'unissent toujours et se fortifient 
Tune l'autre dans un même sujQt; et elles ne sont recçn- 
uaissables entre elles qu'en ce que l'une s'attache & la per- 
sonne, l'autre à l'état et à la condition. 

Un homme d*esprit n'est pbint jaloux d'un ouvrier quia 
travaillé une bonne épée, ou d'un statu^re qui vient d'a« 
chever une belle figure. Il sait qu'il y a dans ces ërts des 
régies .et une méthode qu'on ne. devine point; qu'il j a des 
outils à manier dont il ne connaît ni l'usage, lii le nom, ni 
la figure ^ et il lui suffit de penser qu'il n'a point fait l'ap- 
prentissage d'un certain métier, pour se. consoler de n'j 
être point maître. Il peut^ au contraire; être susceptible 
d'envie et môîne dé jalousie contré un ministre et contre 
ceux qui gduvement, comme si la raison et le bon sens; 
qui lui sont cominuns avec eux', étaient les seuls instru- 
ments qui servent à régir un État et à présider aux affaires 
publiques, et qu'ils diissent suppléée aux règles^ aux pré- 
ceptes, à l'expérience; 

^ L'on voit peu d'esprits entièrement lourds et stupides ; 
l'on en .voit encore moins qui soient sublimes et transcen- 
dants. Le commun des hommes liage entre ces deux ex- 
trémités : l'intervalle est rempli par un grand nombre de 
talents ordinaires, mais qui sont d'un grand usage, seryent 
à la république, et renferment en soi l'utile et l'agréable; 
comme le commerce^ les finances^ le détail des armées, la 
navigation,. les arts, les métiers; l'heureuse mémoire; Tes- 
prit du jett*, celui de la société et de la conversation. 



1. Ni la forme. 

ou du moins avec un dédain qui se dissiniiUer» oapina «tétait l'une des 
qualités ^ue l'on prisait le plus & la cour. Le marquis peDaogea^ yii. Rê- 
vait en grande partie la situaiion qu'il ayait acquise^ et le maihématicieo 



DE l'HOMUS. SS3 

f Tout l'esprit qui est au monde edt iiititile à celui i}Tii 
n'en a point : il n'a nulles vues, et il est incapable de pro« 
fiter de celles d'autrui. 

^ Le premier degré dans, l'homine après la raison, ce 
serait de sentir quMl Ta perdue ; là folie mètne est incom- 
patible avec cette connaissance. .De même, ce qu'il y au- 
rait en nous de meilleiir at)rès,resprit, ce serait de con- 
naître qu'il nous manque : par là on ferait l'impbssible, on 
sabrhit^ dans esprit, n'être pas un sot; ni un fat; ni tin int* 
pertinent. 

% Un homme qui n'a de Tësprit que dans une certaine 
médiocrité est sérieiit et t6tï% d'une pièce : il ne rit point; 
il ne badine jamais^ 11 ne tire aucun fruit de la bagatelle! 
aussi incapable de s'életer aux grandes choses que da 
s'accommoder» même par relâchement; des plus petites; 11 
sait à- peine joueir aveases enfaiits: . 

^ Tout le inonde dit d'un fat qd'il est un M\ pei^onné 
n'ose le lui dire à lui-même : il meurt sans le savoir, et 
sans que personne se soit vengé. 
.^ Quelle mésintelligence entre l'esprit et lé cœur t Lé 
philosophe vit mal avec tous ses préceptes, et le pëlitic^ue; 
rempli de vues et de réflexiolis, ne Sait fias se gouyerner: 

^ L'esprit s'use comme toutes choses ; les Sbienbes soht 
ses aliments, elles le nourrissent et le consument. 

% Les petits sont quelquefois chargés de mille yerius 
inutiles : ils n'ont pas de (^uoi les metttë en œutrte. 

^ Il se trouye des hommes qui soutiehbëht facileinent lé 
poids de la faveur et de l'autorité; qui se fanliliarisënt avec 
leur ptopre grandeur, et à qui la tête hè tourné |)oint dànà 
les postés les plus élevés. Ceaiàù cbhtràiré que là fortuné, 
aveugle , sans choix et sans discernement , a comme acca- 
blés de ses bienfaits, en iouissent avec orgueil et sans mo- 
dération : leUrs yeux, leur démarche, leur ton de Voix et 
leur accès, marquent longtemps éh eux l'admiration où ils 
sont d'eux-mêmes et de se voir si ëinineUts ; et ils devien- 
nent si farouches que leur chute seule peut les appri- 
voiser. 

wx poar f^re,4QvafitierQi et( jeB /çourUsan*, de scientifiques dissert»- 
taODB BOT les combinaisons des jeax à li^ mode. 



224 CHAPITRE XI > 

f Un homme hant et robuste, qui a une poitrme large 
et de larges épaules, porte légèrement et de bonne grâce 
un lourd fardeau ; il lui reste encore un bras de libre : un 
nain serait écrasé de la moitié de sa charge. Ainsi les 
postes éminents rendent les grands hommes encore plus 
grands, et les petits beaucoup plus petits. 

f 11 y a des gens qui gagoeot à être extraordinaires : ils 
voguent, ils cinglent dans ane mer où les autres échouent 
et se brisent ; ils parviennent en blessant toutes les règles 
de parvenir; ils tirent de leur irrégularité et de leur folie 
tous les fruits d'une sagesse la plus consommée : hommes 
dévoués à d^autres hommes, aux grands à qui ils ont sacri- 
fié, en qui ils ont placé leurs dernières espérances, ils ne 
les servent point, mais ils les amusent. Les personnes de 
mérite et de service sont utiles aux grands, ceux-ci leur 
sont nécessaires; ils blanchissent auprès d'eux dans la pra- 
tique des bons mots, qui leur tiennent lieu d'exploits dont 
ils attendent la réconipense ; ils s'attirent, à force d'être 
plaisants, des emplois graves, et s'élèvent, par un conti- 
nuel enjouement, jusqu'au sérieux des dignités : ils finissent 
enfin, et rencontrent inopinément un avenir qu'ils n'ont ni 
craint ni espéré*. Ce qui reste d'eux sur la terre, c'est 
l'exemple de leur fortune, fatal à ceux qui voudraient le 
suivre. 

^ L'on exigerait de certains personnages, qui ont une 
fois été capables d'une action noble, héroïque, et qui a été 
sue de toute la terre, que, sans paraître comme épuisés par 
un si grand effort, ils eussent du moins, dans le reste de 
leur vie, cette conduite sage et judicieuse qui se remarque 
môme dans les hommes ordinaires ; qu'ils ne tombassent 
point dans des petitesses indignes de la haute réputation 
qu'ils avaient acquise ; que, se mêlant moins dans le peu- 
ple, et ne lui laissant pas le loisir de les voir de près, ils ne 
le fissent point passer de la curiosité et de l'admiration à 
rindiiférence, et peut-être au mépris. 

1. Ces diTers traits conviennent fort bien au maréchal de la Fenillads, 
< « courtisan passant tous les courtisans passés, » comme dit Urne de Sévi- 



pagne à<;|uelqa'nn qu'il accusait d'avoir mal parlé de Louis XIV, et aussi 
ses exploita militaires, l'ayaient mis fort à la mode. C'est lui qui fit él( 



DE L'HOMBIE. 225 

% n coûte moins à certains hommes de s^enrichir de 
mille vertus que de se corriger d^un seul défaut; ils sont 
même si malheureux, que ce vice est souvent celui qui con- 
Tenait le moins à leur état, et qui pouvait leur donner dans 
le monde plus de ridicule : il affaiblit Téclat de leurs gran- 
des qualités, empêche qu'ils ne soient des hommes parfaits 
et que leur réputation ne soit entière. On ne leur demande 
point qu'ils soient plus éclairés et plus incorruptibles, qu'ils 
soient plus amis de Perdre et de la discipline, plus fidèles 
à leurs devoirs, plus zélés pour le bien public, plus graves ; 
on veut seulement qu'ils ne soient point amoureux. 

f Quelques hommes, dans le cours de leur vie, sont si 
différents d'eux-mêmes par le cœur et par l'esprit, qu'on 
est sûr de se méprendre, si l'on en juge seulement par ce 
qui a paru d'eux dans leur première jeunesse. Tels étaient 
pieux, sages, savants, qui, par cette mollesse inséparable 
d'une trop riante fortune, ne le sont plus. L'on en sait d'au- 
tres qui ont commencé leur vie par les plaisirs, et qui ont 
mis ce qu'ils avaient d'esprit à les connaître, que les dis- 
grâces ensuite ont rendus religieux, sages, tempérants. Ces 
derniers sont, pour l'ordinaire, de grands sujets, et sur qui 
l'on peut faire beaucoup de fond : ils ont une probité éprou- 
vée par la patience et par l'adversité ; ils entent sur cette 
extrême politesse que le commerce des femmes leur a don- 
née, et dont ils ne se défont jamais, un esprit de règle, de 
réflexion, et quelquefois une haute capacité, qu'ils doivent 
à la chambre * et au loisir d'une mauvaise fortune. 

Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls : de là le 
jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes, l'ignorance, 
la médisance, l'envie, l'oubli de soi-même et de Dieu*. 

f L'homme semble quelquefois ne se suffire pas à soi- 
même : les ténèbres, la solitude le troublent^ le jettent 
dans des craintes frivoles et dans de vaines terreurs : le 
moindre mal alors qui puisse lui arriver est de s'ennuyer. 

f L'ennui est entré dans le monde par la paresse; elle a 

à si grands frais, sur la place des Victoires, une statue de Louis XIV entou- 
rée d'esclaves enchaînés. Bile portait celte inscription ; Viro imfMrtali. 
i, A la chambre, c'est-ik-dire à l'étude et à la retraite. 
2. Pascal Tavait dit : « Tout le malheur des hommes vient d-jine seule 
* chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une dîambre.... 

De là Tient due le ieu, la couversatioti dM femmes, la guerre, lea grand* 
emploie sOfli si r^bétchét. • 

lî) 



2^6 CHAHTRi; XI. 

beanconp à9 p^ da];L9 la rechercha q^« font les hontes 
des plaisirs, du Jeu, à^i^ la i^Qciélé. Gdui qui aima le travail 
a assez de soi-même. 

f La plupart des hoxames QmplQient U meilleure partie 
de leur vie à rendre Vautre misérablQ. 

f II 7 a des ouvrages qui commencent par A et-finissent 
par Z * : le boQ, le mauvais, le pire, tout y entre ; rien en 
un certain genre n'est oublié : quelle recbercbe, quelle af- 
fectation 4ans ce9 ouvrages I On les appelle des jeux d'es- 
prit. D.e môme, il y a un jeu daos la conduite : on a com* 
mencé, il f^ut finir; on veut (Qurçir toute la carrière. Il 
serait mîe^uz Q\i d|e chauger ou 4e suspeudre ; mais il est 
plus rare et plus difâcile ie poursuivre : 09 poursuit, on 
a'aniçie pai^ ^es contradictious ; la v^Joi^é patient, supplée 
i. la raiçp^, qui cède et qui se désuète. On porte ce ra^u^« 
ment jusque dans les actions les plus veiTtaeases, dans ceMef 
même où il entre de 1^ religion.. 

^ Il i^'y ^ que nos dçvoirs qui nous çQfttent, parce que, 
leur pratique ne reg^4a,nt que les cbos^^ que nous sommes 
étroitenie^t obligés 4e foires eU€( n'est paa suivie de grandi 
^logçs, qui çst tout ce qui uous ei^cite au3( ^ctioBS louables 
et qui ^us sQutie;)^^ dans nos entreprises . N'^'^ aime une 
piété (astueus,e qui l^i attir^ riutçndauQe des besoins des 
pauvres., le re^^ dépositaire de leur patrimoine, et fait de 
sa m?d$pn un ^épôt public où s^e lo^t les distributions : les 
çeii3 i petits collets^ et Içs sceur$ jfme» * y ont une libre 
entrée ; touie ujue yillç voit ses auça^J^^es et les publie. Qui 
pourrait douter qu'il çoit bçnwe i,e biePi si ce n'est peut- 
être ses créanciers? 

% Gérontfi ip(ieurt de cs^ucUé, ^ »m$ a¥9ir &itce testa* 
ment qu'^ projetait dç^uiç trente s^^ea : d&L tàtes vi^n- 

1. Leçon de la fl|« ^^tioa^ d^^ tfivjm Im précédentea, ad lit t la prt- 
mière partie. 

3. La Bruyère ùAi allasion, ce nous semble, aux pièces de yer? àbéçé' 
dairet. Ces itux ffwprit peuvept présenter diyeraea eombinàisoos.' Le 
plus souveni, les lettres de ralphaoet y sont successiTement reproduitea 
par les lettres initialeft' des vers, le premier commençant par A, le vingt- 
quatrième par Z. ' '' •' "' 

3. Le collet, en rabat, i était un ornement de linge qu*on mettait sur le 
collet du poui point. Les gens do monde le portaient ampie'étsouvé^iirtr^ 
orné; les ecclésiastiques w perçaient ptus petit. ^ 

4. Nom populaire des Filles de la Charité, <)ni sont vêtues de serse gris^. 
Les H^es de la Chanté yivent en commanauté sans ptçnbncer dé vœux ^ 
prennent soin des pauvres et des malades. ^ 



^6^t ak ûUMt£0£ p^ag^r sa succes^Q^. Il ue yi^^it 4eipuii3 
longtemps q);^e par Içs soins i'Astéri$, s^jCçjân^e, qui, jeun^ 
encore, s^était dévouée ^ s^ p.çrçQnne, nç le perdait pa$ de 
vue, secQurait sa Tieilles;$e, et lui a enfin feriAé les yeux. 
Il ne lui laisse ps^s ^^z de b^en pour pouvoir ^ $^s.e;ç, 
pour vivr^, A'm autre vieillard. 

Ç L^iss,er perdra ç^^rges et bénéfice? plutôt (jne de Ten- 
dre qn de ré^ig^er.', iç^.Dgys ^^^ 90ft Qi1ir%e vieillççs.e, 
c'est se persuader (pi'ofl. jji'ej^t ps^ 4u nombre 4^ ceui qui 
meijirçnt ; qu ^ Fpn qrp^t q,ue. Voi^ Rçijt çipurîr,' c'ç^st s'ai- 
nier soi-çftêfl^, et ft'4%«ir que s^qi. 

f Fau$l^ e$t \ip. 4is.§9],u, un prodigue, un libertin, un m- 
grat, vn emporté, qu'^wréfe, son oncle, n'a pu baïr iy'4^Sr 
l^ér^ter. 

f fio^tm, DL^veu d'Aur^le, ^près vingt anjuées 4*Wf pï:obité 
connue, et d'u^ç^ ooj^jpUis^ce aveuglé poij^r q6 ileillard, 
ne r^ p^^ ^chir çn sa ^y.eur, et nç[ tire de sa dé^QÙille qu'une 
l^gète pex^sion qi;ie l^^uste, unique légataire, lui doit payer. 

% tf s l^^j^e^ SQ^t 1^ longue çt si opîj^âkf.^ que 1^ fl^ 
gn^i sjignç de i^ort, 4^lqs un ^qmni» n^§^^ c'est la ré- 
conciUçition. 

V L'^ ^'^si,9JU/9 «qpr^s de tqus 1^9 l^Wii^i QU ç^ les 
flattant dans les passions qui occupent leur ^(^^ ou en Qo;çn- 
patisçaint aux infruiit^s qui affligent leur ciçirps. S^i cela 
seul Çs9U.§isieiVt les so^^ que I'qjjl peut leur X^ài^ \ ^e là 
vieAt que celui qui se porte bien, ^t^ui désire peu de. o^osdy 
est mqins facile à gouverner. 

% La ^pUesse ^ la volujji^^ i^a^sf^t ayeiç l'bop^, et ne 
finissent qu^ec lui; ni le$ beureu^ç ni îês tristes év^e- 
ments ne l'en peuvent séparer ; ç'eçt pour lui pu ]^e &uit 
de la bonne fortune, ou un dédommagement de la n?9;Uy/4se. 

f G'eat une gjç^d^ diffor^piité çU^ns Uk natuçç qu'un vieîl- 
l^à amoureux. 

% Peu de gens se s,Quviei?nent d'ay^çir ^té jeune^, çt com- 
bien il leur était diCfiçile d^êlre çibastf^s çt tempçrau^s. JLa 
première chose qui arrive aux nommes après avoir renoncé 
aux plaisirs, ou par bienséance, ou par lassitude, ou paf 
régime, c'est de les condamner dàçs les autres. Il ënxre 
dans cette conduite unesorta d'ajttacjiepientppur W^ choses 

1. Se démel^Ure d'une ebarge pu d'an béi\4fl<ie eo fay^ur d^'uq paire* 



228 CHAPITRE XI. 

mêmes qne l'on vient de quitter; Ton aimerait qjtTxm bien 
qui n'est plus pour nous ne fût plus aussi pour le reste du 
monde : c'est un sentiment de jdousie. 

^ Ce n'est pas le besoin d'argent où les yieillards peuvent 
appréhender de tomber un jour qui les reod avares, car il 
y en a de tels qui ont de si grands fonds qu'ils ne peuvent 
guère avoir cette inquiétude; et d'ailleurs, comment pour- 
raient-ils craindre de manquer dans leur caducité des com- 
modités de la vie, puisqu'ils s'en privent eux-mêmes volon. 
tairement pour satisfaire à leur avarice? Ce n'est point aussi 
l'envie de laisser de plus grandes richesses à leurs enfants^ 
car il n'est pas naturel d'aimer quelque autre chose plus 
que soi-même , outre qu'il se trouve des avares qui n'ont 
point d'héritiers. Ce vice est plutôt l'effet de l'âge et de 
la comp'j«zion des vieillards, qui s'y abandonnent aussi na- 
turellement qu'ils suivaient leurs plaisirs dans leur jeunesse, 
ou leur ambition dans l'âge viril. Il ne faut ni vigueur, ni 
jeunesse, ni santé, pour être avare; l'on n'a aussi nul be- 
soin de s'empresser ou de se donner le moindre mouve- 
ment pour épargner ses revenus : il faut laisser seulement 
son bien dans ses coffres, et se priver de tout. Cela est 
commode aux vieillards, à qui il faut une passion, parce 
qu'ils sont hommes. 

^ Il y a des gens qui sont mal logés , mal couchés, mal 
habillés, et plus mal nourris; qui essuient les rigueurs des 
aisons; qui se privent eux-mêmes de la société des hom- 
mes, et passent leurs jours dans la solitude; qui souffrent 
du présent, du passé et de l'avenir ; dont la vie est comme 
une pénitence continuelle , et qui ont ainsi trouvé le secret 
d'aller à leur perte par le chemin le plus pénible : ce sont 
les avares ■. 

f Le souvenir de la jeunesse est tendre dans les vieil* 

ards : ils aiment les lieux où ils l'ont passée ; les personnes 

(qu'ils ont commencé de connaître dans ce temps leur sont 

ahôres; ils affectent quelques mots du premier langage 

U BoileaUf Satire VI ir, Tert 80 1 

11 faut Bouffi-ir la faim et coucher snr la dure; 

Eftt->on plus de trésors qne n'en perdit Galet, 

N'aToir en sa maii^on ni meuble ni Talei ; 

Pftfmi les las de blé tivro dn scigifi el d'orge ; 

De peut- de perdre on Itafd, looffrir qu'on tous égorgn. 



DE l'homme. 229 

qu'ils ont parlé ; ils tiennent pour l'ancienne manière de 
chanter^ et pour la yieille danse ; ils vantent les modes qui 
régnaient alors dans les habits, les meubles et les équi- 
pages ; ils ne peuvent encore désapprouver des choses qui 
servaient à leurs passions, qui étaient si utiles à leurs plai- 
sirs, et qui en rappellent la mémoire. Comment peurraient- 
ils leur préférer de nouveaux usages et des modes toutes 
récentes, où ils n'ont nulle part, dont ils n^espèrent rien, 
que les jeunes gens ont faites, et dont ils tirent à leur tour 
de si grands avantages contre la vieillesse? 

% Une trop grande négligence comme une excessive pa- 
rure dans les vieillards multiplient leurs rides» et font mieux 
voir leur caducité. 

^ Un vieillard est fier, dédaigneux, et d'un commerce 
difficile, s'il n'a beaucoup d'esprit. 

% Un vieillard qui a vécu à la cour, qui a un grand sens 
et une mémoire fidèle, est un trésor inestimable. Il est plein 
de faits et de maximes ; l'on y trouve l'histoire du siècle, 
revêtue de circonstances très-curieuses , et qui ne se lisent 
nulle part; Ton y apprend des règles pour la conduite et 
pour les mœurs, qui sont toujours sûres, parce qu'elles sont 
fondées sur l'expérience. 

^ Les jeunes gens, à cause des passions qui les amusent» 
s'accommodent mieux de la solitude que les vieillards. 

^ Phidippe, déjà vieux , raffine sur la propreté et sar la 
mollesse; il passe aux petites délicatesses; il s'est fait un 
art du boire, du manger, du repos et de l'exercice. Les 
petites règles qu'il s'est prescrites, et qui tendent toutes 
aux aises de sa personna, il les observe avec scrupule, et 
ne les romprait pas pour une maîtresse, si le régime lui 
avait permis d'en retenir. Il s'est accablé de superfluités, 
que l'habitude enfin lui rend nécessaires. Il double ainsi et , 
renforce les liens qui l'attachent à la vie , et il veut em- 
ployer ce qui lui en reste à en rendre la perte plus doulou- 
reuse. N'appréhendait-il pas assez de mourir? 

^ Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes en- 
semble sont à son égard comme s'ils n'étaient point *• Non 

1. ItaeïDe, £<(A<r, I, 3 : 

Et les faibles mortels, vaiD jouet dn trépas, ' 

Sont tous deTant ses ^enx comme s'ils n'étaient pts. 



S30 CHAPITRS XI. 

contèùt Ab rêàplîir % mi'e tàblè Hk prë'mfère pTtfde, il occnipô 
Inl àenl cellô de deul tiutreà; il oublié que le repas est 
pour lui et poùt toute là compagnie; Il Se reïiil maître du 
plat, et fait sou propre de chaque service ^ ; il té s'attache 
à aucun des mets quMl n'ait achevé d'essayer de tous; il 
voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se 
sert ft table qtie de ses. tîiàinà ) il knanië lëis viandes, les 
remanié, démembre,' déchire, et en usé de manière qu'il 
ïaut que les coàvîés, s'ils veulent thangér, hiangent sed 
restes. Il ne leur épargne aucune de ces malprôprelés dé- 
goûtantes, capables d'ôtet l'appéiit aux plus affaméà ; le jus 
et les sauces lui dégouttent dû menton et de la bai'bé; s'il 
enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en cheinih 
dans un autre plat et sur là nappe : on lé suH à là trace ; il 
mange haut et avec grand bruit ; il rottle leâ yeui en man* 
géant; la table est pour lui uii râtelier j il écure seà dents, 
et il continue à manger. 11 se fait , quelque part 6ù ï! se 
trouve, une manière d'établissement, et ne souffre pas 
d'ètrè plus pressé au sermon où â\i théâtre que dans âà 
fchambré. Il n'y a dans un carrosse que les placée du fond 
qui lui conviennent : dans loutè autre, si on veut l'en croire, 
il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage àveè "plu- 
sieurs, il les prévient dans leà hôtelleries; et 8 feaît toujours 
se coÂsérver dans la meilleure chambté le nieillèiir Ut 
îl tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d^àutrui , cou- 
rent dans lé même temps pour son service; tout teé qu'il 
trouve sous sa maiil lui est propre, ha'rdèâ, équipages. Il 
embarrasse tout le monde , ne se contraint pour personne, 
n% plaint personne, ne connaît de inauz que les siens, que 
sa réplétion et sa bile, hé pieuire point là mort des autres, 
t'appréhende que îâ sienne, qu'il rachèterait Irolontiers de 
l'extinction du genre hûmaîti. 

^ Cîiton n'a jamais eu en toute, sa vie que deuî affaires, 
qui est * dé dîner le matin et de souper le soir : il né 
semble né que pour la digestion. 11 n'a de même qu'un en- 
tretien : il dit les entrées qui ont été servies au dernier 
repas où il s'eét trouvé ; il dit combien il y a eu de potages, 
et quels potages; il place ensuite le rôt et les entremets; 

1. 11 s'apprQjyrM chaque service, p'e'n empare. 

3. Quod nt, ce qtti est. Voy ., p. 226, ligné 2i, an exemple do iàièai'e latinisme. 



DE L'hOMHE. ^31 

il M sonvient bihictement de quel» ^àXh âtt & tëtéH Fé pre- 
mier service; il n^oublîê pàâ lie'3 hôrs^&iêvre, Ife fruit et les 
assiettes* ; il nomme tous les vins et toutes les liqueurs ddit 
il a bu : il possède le langstgè ll^l; cnîsîîie&r autant qu'il peut 
s'étendre , et il me ftit envie dé manger à une bonne table 
où il ne soit point'. ïl a êurtbut un pàlîaiîs sûr, qui né 
prend point le change , et il ne s'es^ jamais va ëzpoâé à 
l'horrible inconvénient de maâjer tth tnâàvaii ragoût où 
de boire d'un vin médiocre. C'est un personnage illustré 
dons son genre, et qui a fàv^é le t&lent de se bien nourrir 
juôques où il pttttvnit allet. Dn he retfeira plus un homme 
qui mange tant et qtll ârstngè éi bieti ; it^i ei^-îl l'arbitre 
des bons moreeaoî , ^t il n'est guère petrnîs d'àvbîr du 
goût pour ce qull désapprouve. Mais il n'est ^lus : il s'est 
fait du moins porteï i labUi jusqu'ati dernier soupir. Il 
donûait à Manger le jour qu'il fest rttort. Quelque part où 
il soit, il mange; etj s'il révieUt au monde, c'est* pour 
manger. 

f Ruffiû commeïiee à giriàonûer; mais il éàt éaiti, Il â ùu 
visage frais et un œil vif qui lui promettent encore ViU^ 
anntées de vie; il est gàî, joviial, ftwûtlièr, indîfférteût" il Ht 
db tout soi) C(6Qr, et il rit tout seul et sans èujét, il est 
contèiit de soi, des siens, de sa petite fortune; il dit qu'il 
est heufeUt:. H perd sofi fils unique, jeuûe homme dé grande 
espérance, et qui poUVàit Un jout être Thonneur de sa fa- 
mille: il remet sur d'autres le soiri de le pleùret; il dit ; 
Moh fllè est mort\ cela fera mourir sa mère; et il est consolé. 
Il n'a point de passions; il n'a ni amis ni ennemis ; personne 
ne l'embarrasse, tout le monde lui convient, tout lui est 
propre; il parle à celui qu'il voit une première fois avec 
la même liberté et la même confiance qu'à ceux qu'il ap- 
pelle de vieul amis, et il lui fait part bientôt de ses quoli- 
bets et de ses historiettes. On l'aborde, on le quitte sans ' 
« 

t. Les aêêiHitê «oionliM, qoe Ton mettait entre \9é plftts^ èi «loi eobte- 
DHient les entrées, les ragoûts, les entremets, etc. 
2. Molière, le Misanthrope, II, 5 : 

Il Drend soin d'y f^ervir des mets fort délicats. I 

— Oai ; niai4 )e vendrais bien qu'il ne s'y servit pas. ; 

C'est un fort mecnant plat que sa sotte personne, 
Et qui gâte, à mon goût, touâ les repas qu'il donne. 

t* C'esf-àKlire cê <8ra« 



232 CHAPITRE XI. 

qu'il y fasse attention; et le môme conte qu'il a commencé 
de faire à quelqu'un, il l'achèye*à celui qui prend sa 
place. 

^ N'^'^ est moins affaibli par l'âge que par la maladie, car 
il ne passe point soixante-huit ans ; mais il a la goutte, et il 
est sujet à une colique néphrétique ; il aie visage décharné, 
le teint verdâtre, et qui menace ruine : il fait marner sa 
terre *, et il compte que de quinze ans entiers il ne sera 
obligé de la fumer; il plante un jeune bois, et il espère 
qu'en moins de vingt années il lui donnera un beau cou- 
vert; il fait bâtir dans la rue ** une maison de pierre de 
taille, raffermie dans les encoignures par des mains de fer, 
et dont il assure, en toussant et avec une voix frêle et dé- 
bile, qu'on ne verra jamais la fin; il se promène tous les 
jours dans ses ateliers sur le bras * d'un valet qui le sou- 
lage ; il montre à ses amis ce qu'il a fait, et il leur dit ce 
qu'il a dessein de faire. Ce n'est pas pour ses enfants qu'il 
tâtit, car il n'en a point, ni pour ses héritiers, personnes 
riles et qui se sont brouiUées avec lui ; c'est pour lui seul, 
et il mourra demain*. 

% Antagoras a un visage trivial * et populaire ; un suisse 
de paroisse ou le saint de pierre qui orne le grand autel 
n'est pas mieux connu que lui de toute la multitude, n par- 
court le matin toutes les chambres et tous les greffes d'un 
parlement, et le soir les rues et les carrefours d'une ville : 
il plaide depuis quarante ans*, plus proche de sortir de la 
vie que de sortir d'affaires. Il n'y a point eu aii palais de- 
puis tout ce temps de causes célèbres ou de procédures 
longues et embrouillées où il n'ait du moins intervenu : 
aussi a-t-il un nom fait pour remplir la bouche .de l'avocat, 
et qui s'accorde avec le demandeur ou le défendeur * comme 
le substantif et l'adjectif. Parent de tous et haï de tous, il 

t. La marne est un composé de calcaire et d'argile que l*oa répand sur les 
terres qui ne contiennent pas assez de calcaire. 

2. Appuyé sur le bras. 

3. Ce caractère rappelle la fable de la Fontaine : Le viêiUard tt Us Iroii 
jeunes hommes. 

k. Connu de tous< 

.ft. Chicaneau. Depuis quand plaidez-Tous ? 

La comtesiê. Je ne m'en souTiens pas. 

Depuis trente ans au plus. 

(Racine, Lee plaideurs^ I, th.) 

6. Demandeur, celai qui fait le procès; défendeur , celui à qui on le fait» 



PE l'homme. . 233 

n'y a guère âe familles dont il ne se plaigne, et qui ne se 
plaignent de lai : appliqué successivement à saisir une terre, 
à s'opposer au sceau % à se servir d'un committimus ^, ou à 
mettre un arrêt à exécution, outre qu'il assiste chaque 
jour à quelques assemblées de créanciers : partout syndic 
de direotioDS ', et perdant à toutes les banqueroutes, il a 
des heures de reste pour ses visites : vieil meuble *■ de 
ruelle, où il parle procès et dit des nouvelles. Vous l'avez 
laissé dans une maison au Marais, vous le retrouvez au 
grand Faubourg*, où il vous a prévenu, et où déjà il 
redit ses nouvelles et son procès. Si vous plaidez vous* 
même, et que vous alliez le lendemain à la pointe du 
jour chez l'un de vos juges pour le solliciter, le juge 
attend pour vous donner audience qn'Antagoras soit ex- 
pédié. 

% Tels hommes passent une longue vie à se défendre des 
uns et, à nuire aux autres , et ils meurent consumés de 
vieillesse, après avoir causé autant de maux qu'ils en ont 
soufferts. 

% Il faut des saisies de terre et des enlèvements de meu- 
bles, des prisons et des supplices, je l'avoue; mais justice, 
lois et besoins à part, ce m*est une chose toujours nouvelle 
de contempler avec quelle férocité les hommes traitent 
d'autres hommes *. 

^ L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des 
femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout 
brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils 
remuent avec une opiniâtreté invincible : ils ont comme une 
voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds , ils 
montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hom- 
mes. Ils 86 retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent 



1. Mettre opposition à la vente d'une charge on d'ane rente sar l'État. 

2. Od appelle de ce norit le droit qu'avaient certaines personnes de plai- 
der devant certaines Juridictions. Les commensaux de la maison du roi 
pouvaient, par exemple, faire évoquer leurs affaires aux requêtes de l'U6tel. 

3. Un syndic de direction était chargé de régir, dans Tintérêt des créan- 
ciers, les bit-n:» abandonoés par un débiteur. 

%. Vieil s'est longtemps dit pour vieus^ même devant une consonne. 
« Le vieil Testament, » écrit Parical. 

ft. Sans douie le faubourg Saint-Gennain. 

0. « Que de réformes, dit M. Sainte-Beuve, poursuivies depuis lors et non 
encore menées à fin, contient cette parole ! le cœur d'un Fénelon y pal- 
pite sons un accent plus contenu. » 



234 CHAPITRE XI. 

de pflîn iioir; d'ëàt et de ràciûed : ilâ épargnent anx autres 
hommes la peine de âêmer, de labourer et de recuëillîï pour 
vivre, et itaérîletlt ainsi de né pas manquer dé ce pâîû qu'ils 
ont semé *. 

^ Don F&mdnd^ dans sa province, est oislï, ignorant, 
médisant, querellèuî', fonrbè, intempértint, impertinent; 
mais il tirB Vép^é contrfe ses voisins, et pour tin rien îl ei- 
pose sa vie ; il à tné des hommes, il sera tué '. 

f Le ûbbîe de pTbVincé, iftutilfe à sà patrie, à Sa Sfamîllé 
et à lul-mènie, sontent sans tdt, s^cns habit et s^s antittu 
mérite, répète dii fois le jour qu'il est gentilhomme, traité 
les fourrures et les mortiers* de bourgeoisie, occupé toute 

1. « HalLeaf k àm ne troÛTO pas cela déchirant! s'écrie Victoria Fabre 
dans un éloge de la Brujère qu'a coaronné l'Académie française. Comme 
dès le priQiBier trait, ce tal;»lefta vieot frapper et agpter nmagioaiion pour 
saisir ensuite et serrer le cœur! Quels développements oratoires pourraient 
é|;aler de pareils traite? Il ne f&ut pas sa flatter de trouver souvent, môiina 
dans la Bruyère, cette éloquence pénétrante et cette viguear de pinceatt) 
mais cette phUodophic douce et humaine, on Ty trouvera toujours. ».Peii> 
dam la Fronde, la plus cruelle misère avait désolé les campagnes, ôomM^ ï^ 
montré M. Feiilct dans ub livre qui a pour litre : Sittmr6dê lûtnisère au temps 
de ta Frondèj et la misère avait survécu à la Fronde. « On minuie jie nout^ 
veaux impôt», écrit Gui Patiu en 1661 ; les pauvres gens lâeUrent piir 
toute la France de maladie^ de misère, d'oppression^ de pauvreté et de d«*^ 
espoir, m L'oppression dont parle Oui Patin avec une si véhémepl^ ^mer:^ 
tume, c'est celle dont s'étaient rendus coupables les traitants et ïes par-' 
tîaans, les fermiers des impôts. Un boo^me d'une plus grande autorité, 10 

Î président Lamuignon disait, à )a même époque,. dans le discours par 
equel \\ outrait les séances de la Chambre de justice : « Lès pèùptiËB gé« 
missaient dans toutes les provinces sous les mains de l'exacieur, et il 
semblait que toute leur substance et leur propre sang no pouvaient suftlre 
à ia soif urdenle dés partisans. La misère de ces I)aàvre8 gêna est presque 
dans la dernière eitrémiié, tant parla coniinnatipn des maux qu'ils ont 
souÎTeris depuis si lon|;iemp8 que par la cherté et la disette presque inouïe 
des deax dernières années. « L'excessive sévérité avec îâqueTle la Chambre 
de justice punit un certain nombre de partisans, sur lesquels il était >n>* 
juste de .faire retomber l'entière responsabilité de la détresse générale^.ne 
mit pas fin aux maux qui émouvaient tous les ^ens de cœur, et la correspon- 
dance administrative du temps vint souvent signaler aux ministres l afifreuse 
misère des campagnes. C'est en 1689 que la Bruyère en a fait cette élo- 
quente et navrante peinture. Quelcjues années plus tard, la mê^e piifère 
inspirait à Racine le travail qui lui valut Vi* disgrâce de Louis XIV, k Bois 
Cuiîlebert ses travaux économiques, et à Vaubaa l'ouvrage qui fut publié 
BOUS le titr'é de Dîme royale et qui, comme le mémoire de Racine, mé- 
contenta le roi. 

2. Voyez, page 206, la noté 1. 

3. Ce portrait convenait à beaucoup de nobles de province. Les Grande- 
Jours, sort» d'assises oîi des commissaires, nommés par le roi, jugeaient 
les nobles qui s'éiaient soustraits à toute autre Justice, ont provoqué snj* les 
excès et les violences de quelques gcntils&udimes provinciaui de curleasés 
révélations. " . " 

%. Les fourrures désignent les bacheliers et les docteurs de I*UûiversUëa 
Sur les mortiers, voyez, page 12$, la not!b il. 



DE L*HOMBfE. 235 

sa Vie de ses parchemins et de ses titréâ, 6[tl*il ne changerait 
pas cotAre leô triasses * d'un chancelier. 

f 11 se ftil généralëftietit dans tonà les hommes des com- 
binaisons infinies de la puissance, de îa faveur, du génie, 
des richesses, dès dî'ffiiitéè, dé la noblesse, de la forée, de 
rihdùsirië^, de la capacité , de la vertu, du vice, de la fai- 
blesse, de la stupidité, de la pauvreté, de Timpuissânce, dô 
la rot\ire et de là basèessé. Ces choses , mêlées ensemble 
en mille manières différentes, et compensées Tune parPaû- 
trfe en diVeî*à sujets, fôrtileht aussi les divers états et les 
d!fif6Hhté^ côîîditibiis; Les hCFJnmeà d'ailletirs, qui tous 
savent le fort et le fkiblè les Qnà déâ autres, agissent aussi 
réciproqtlemeîit cômïne ils croient lé devoir faire, Connais- 
sent cettt qui leur sont éf aùk, sentent la sut)ériorîté que 
quelques-uns ont sur eux, et celle qu'ils ont siir quelques 
autres; et de là naissent entre eux où là familiarité, ou le 
respect et là déférence, ou là fierté et le lînéprià. De cette 
source vient que, dans les endroits publics et où lé monde 
se rassemble, oA se trouvé à tous moments entré celui que 
l'on Cherche à abiofrder oà à saluer, et cet autrte que l'on 
feint de ne pals connaître , et dont l'on Veut enbore moins 
Se laisser joindre; que Pôn s» fait honneur de Pùn, et qu'on 
a honte de l'autre; qu'il arrive même que celui dont vous 
vous faites honneur , et que vous voulez retenir, est celui 
Wtis'si qui efet émbâVràssé de vous, et qui vo\as quitte ; et que 
le mêniè ^i souvèîit cëldl qui rotigit d'àutrui et dont où 
Wùgît, qui dédaigne ici et qui tk est dédaigné : il est eù- 
cbré assèi ôrdîûaîre de mépriser qui nous méprise. Quelle 
misère! é't, ]puî*qu*ïl est vrai que, dans uii si étrange com- 
merce, ce que Ton pense ga'gùer d'un côté où le perd de 
râûtré, né reviendrait-il pas àù même de renoncer à toute 
hauteur et à toute fierté , qui convient âî peu àdx faibles 
hommes, et de composer ensemble, de se triaiter tous avec 
une mutuelle bonté, qui , avec l'avantage de ù'ôtre jàibaîs 
mortifiés, nous procurerait un aussi grand bien que celui 
dé. ]ie mortifier personne? 

1[.Bieu loin de s'effrayer ou dé rougîV même du nom de 
philosophe, il n'y a personne au monde qui ne dût avoir 

I. Bâtons à tête garnie d'argent, qu'on portait par Bbnttenr derant le 
chancelier àe France, 



236 CHAPITRE XI. 

une forte teinture de philosophie '. Elle convient à tout le 
monde ; la pratique en est utile à tous les âges, à tous les 
sexes et à toutes les conditions; elle noas console du bon- 
heur d'autrui, des indignes préférences, des mauvais suc- 
cès, du déclin de nos forces ou de notre beauté ; elle nous 
arme contre la pauvreté, la vieillesse, la maladie et la mort, 
contre les sots et les mauvais railleurs; elle nous fait vivre 
sans une femme, ou noas fait supporter celle avec qui nous 
vivons. 

^ Les hommes, en un même jour, ouvrent leur âme à de 
petites joies, et se laissent dominer par de petits chagrins; 
rien n'est plus inégfal et moins suivi que ce qui se passe en 
si peu de temps dans leur cœur et dans leur esprit. Le re- 
mède à ce mal est de n'estimer les choses du monde préci- 
sément que ce qu'elles valent. 

% Il est aussi difficile de trouver un homme vain qui se 
croie assez heureux, qu'un homme modeste qui se croie 
trop malheureux. 

^ Le destin du vigneron , du soldat et du tailleur de 
pierre, m'empêche de m'estimer malheureux par la fortune 
des princes ou des ministres, qui me manque *. 

^ U n'y a pour Phomme qu'un vrai malheur, qui est de 
se trouver en faute , et d'avoir quelque chose à se repro- 
cher*. 

^ La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont 
plus capables d'un grand effort que d'une longue persévé- 
rance : leur paresse ou leur inconstance leur fait perdre 
le fruit des meilleurs commencements; ils se laissent sou- 
vent devancer par d'autres qui sont partis après eux, et qui 
marchent lentement, mais constamment \ 

% J'ose presque assurer que les hommes savent encore 
mieux prendre des mesures que les suivre, résoudre ce 
qu'il faut faire et ce qu'il faut dire que de faire ou de dire 
ce qu'il faut. On se propose fermement , dans une affaire. 



1. L'on ne peut^lus entendre que (ielle qui est dépendante de la religion 
chrétienne {Note de la Bruyère'). 

2. De m'esiimer m&lheureux parce que la fortune des princes me 
manque. 

S. «Il faut demeurer d'accord, à l'honneur de la vertu, que les plus 
grands malheurs des hommes sont ceux oh ils tombent par les crimes. » 
(La Rochefoucauld.) 

%. La Bruyère se souyient de la fable du LiHre et delà Tortue, 



DE L HOlklME. 237 

qu'on négocie, de taire une certaine chose; et ensuite, ou 
par passion^ ou par une intempérance de langue, ou dans 
la chaleur de Tentretien, c'est la preinière qui échappe. 

^ Les homoies agissent mollement dans les choses qui 
sont de leur devoir, pendant qu'ils se font un mérite, ou 
plutôt une yanité, de s'empresser pour celles qui leur sont 
étrangères, et qui ne conviennent ni à leur état ni à leur 
caractère. 

^ La différence d'un homme qui se revêt d'un caractère 
étranger à lui-môme, quand il rentre dans le sien, est celle 
d'un masque à un visage. 

^ Téléphe a de l'esprit, mais dix fois fooins , de compte 
fait, qu'il ne présume d'en avoir : il est donc, dans ce qu'il 
dit, dans ce qu'il fait, dans ce qu'il médite et ce qu'il pro- 
jette, dix fois au delà de ce qu'il a d'esprit; il n'est donc 
jamais dans ce qu'il a de force et d'étendue : ce raisonne- 
ment est juste. 11 a comme une barrière qui le ferme , et 
qui devrait l'avertir de s'arrêter en deçà, mais il passe 
outre, il se jette hors de sa sphère ; il trouve lui-même son 
endroit faible, et se montre par cet endroit ; il parle de ce 
qu'il ne sait point, ou de ce qu'il sait mal ; il entreprend 
au-dessus de son pouvoir, il désire au delà de sa portée ; 
il s'égale à ce qu'il y a de meilleur en tout genre; il a du 
bon et du louable , qu'il offusque * par l'affectation du grand 
ou du merveilleux : on voit clairement ce qu'il n'est pas, et 
il faut deviner ce qu'il est en effet. C'est un homme qui ne 
se mesure point, qui ne se connaît point ; son caractère est 
de ne savoir pas se renfermer dans celui qui lui est propre, 
et qui est le sien. 

^ L'homme du meilleur esprit est inégal, il souffre des 
accroissements et des diminutions; il entre en verve, mais 
il en sort : alors, s'il est sage, il parle peu, il n'écrit point, 
il ne cherche point à imaginer ni à plaire. Ghante-t-on 
avec un rhume? ne faut -il pas attendre que la voix re- 
vienne ■? 

1. Qa*\\ cacbe. 

2. « La Bruyère est cet homme sage. Il oe chante pas arec un rhnme ; 
c?est-à-dire qu'il n'écrit jamais que dans ces rooments d'inspiration, od 
l'âme vivement frappée des objetn les reç il, elles réfléchit dans le discours 
«tomme une glace bdèle. La iurme seule de son livre pouvait lui pbrmeitre 
d^âttendre toujours et de toujours saisir ces monieiits plus ou moins 
rares. Dans tine cottOosition 6h tout n)arch6 et té àolt, .on est ^ttelquefois 



à38 Chapitre xi. 

Le 90^ 6|^ a^i^omate, il est xo^çlù^ç, U 9|t ressort; le poids 
remporte, le fait mouvoir, le fgiit tourner , et toujours , et 
dans 1^ mèqie sens, et avec la çaéme égalité : il est unî- 
fonpe, il ne ^ç Cément point; qui Ta tu une fois, Ta yu 
c^s tous les instants et ^/^ toutes les périodes de sa vie ; 
c'est tout au plus le bœuf qui meugle^ ou le merle qui 
siffle * : il est fixé et déterminé par sa nature, et f ose dire 
par son espèce. Ce qui paraît le moins en lui, c^e,st son 
àme; elle xCagiif poiAt, elle oe ^,'e.:^^i*Çô jp^oint, elle ^ 
lepoçe. 

^ Le sot ne meurt point; ou, çji cela lui arrive, seloA 
notre panièrç de parler, il est vrai 4.e dire ^u'il ga^^ à 
mourir, et que, da^s ce ipoçient q& les autrçs içeurént, il 
Goinjgi^nce E vivre : son âj^ alori^ PÇQS,Çi l'ai^oniie, iniTèr^, 
condut, juge,, prévoit, fait précisément tout ce qu^elle i^e 
faisait point ; eue §.e trouve dégajg^ d'une masse de chair) 
Qù elle était cômmQ einsevelie san^ fonction, S9,jas mouve- 
laent, sans ailcuQ du moiQç qi,ii C^t ^igne d'elle : jé diraî^ 
presque qu'elle rougit de son propre çprj^s ei; des orgaQe$ 
]^ruts et imparfaits auj(;qi^els elle s'e$t vi^e attachée si long- 
temps, ^t dont elle n'a pu faire qu'u^ s^ot ou qu'ua stupide : 
elle Y.a d'égal avec les grades âiçip^, ^vec celles qui font 
les l^oj^nes têtes ou les hommes d'esprit. L'âii^e à! Alain * ne 
se démêle plus d'avec celle du grand Condé, de Eicbslisu, 
de Pascal et de LiNGÇî^pES •. 

^ Là fausse délicatesse dans^ le| action^ lil^r.eSi dans les 
mœurs ou dlans la conduire, n'^st p|s ainsi ijiç^miiiée parqg 
qu'elle est fçinte, mai9 pirce qu*en Ciffèt elle s^exerce sur 
des choses et en des occasions qui n'en m^itent point. I^ 
fausse délicatesse de goût e^t ^^ Qç^p^çsio^çt i\'Q$t tellQ ^ au 
contraire, que par.CQ qu'eue est fein^ ou a|Çeçtée. Ç'e^t 
Emilie qui crie à^e toute sa force sux un petit pérÙ qui né 
lui lait pas de peur; ç'e^ u^.e %utre qui pa]c mignardise 

entraîné par la suite du raisonnement ou la liaison des idées : op déve- 
loppe un Tasie plan, on tient la chaîne de ses créations, on craint qu'eue 
ne vienne à se rompre, on est tourmenté du besoin de continuer sa course 
quand il faudrait se reposer. La Bruyère n'éprouve jamais ni ce besoin ni 
ces craintes. » (y. Fabre.) ' '* ^ -*'- . 

i. Pescaries avait soutenu que 1.69 b^tes ne sontqfiec^es automates, e^ 
qu'elles sont dépourvues delà conscience dés Vnûùvemepts''c^mrél''çx^ 
cutent. La Bruyère s'empare plaisamment de cette singulière tnéoriè. *^ 
3. Alain est un nom en l'air et désigne lé ijrëbiiei* ëot venu. "" 
t. Claudç de Liogende^ célèbre prédicate^r^ né en 15^1', mor( ^ 10^0. 



pâlit il la VQ9 4^uie «qurls, ou qui v«)it %iiner les yicdettea, 
- et s'éy^nQuir aii^ tubérea3es '• 

^ Qui oserait sj^ promettre de contenter les bommes? Uu 
prince, quelque bon et quelque puissant qu-il fût, vou- 
drait-il Ventre prepd?e? Qu'il l'essaye : qu'il se fasse lui- 
^^me w^ ^air^ de leurs plaisirs '; qu'il ouvre son palais 
à nés Goi^urtisan^, qu'il le3 admette jusque dans son domes- 
tique ; que, dans des lieux dont h vue seule est un spec- 
tsKîle^ U leqr fasse voir d'autres c^ctacles; qu'il ],ear 
^ojçme le çboix des jeus» des concerts «t de tous les rafral* 
cbis^ejo^eots; qu'il 7 a}Oute une cbère spkndide et une en^ 
tière Uberté : qu'il entre avec eux en société des mômes 
«Bms^znents; que te graad homme devienne aimable, et 
que le hirjg^ sait humain et familier : il n'aura paa assea 
4it. Les boome^ s'ennuient enfin des méznes choses qui 
les ont çh^iï&és dans leurs commencements : ils déserte* 
rsient la iaUe cUs dieux; et le nectar, avec le temps, leur 
devient iijisiptide. Ils n'ihésitentpas 4^ oritiquer^. des choses 
qui sont parfaites; U y entre de la vanité et une mauvaise 
délicatesse : leur goût, si on les en croit, est encore an 
delà de toute l'affectation * qu'on aurait à les s^itisfaire , et 
d'ime dépense toute royale que l'4>n ferait pour y réussir ; 
il s'y mêle de la nudignité, qui va jusques à vouloir ai^ihlir 
dans les autres la joie qu'ils auraient de les rendre con- 
tents. Ces mêmes gens, pour l'ordinaire si flatteurs et si 
comfdaisants, peuv«it se démentir : quelquefois on ne les 
reconnaît plus, et Ton voit l'Jiomme jusque dans 2e cour- 
tisan. 

^ L'aiectation dans le geste , dans le parler et dans les 
manières, est sauvent une suite de l'oisiveté ou de l'indif- 
férence; et il semble qu!un grand attachement ou de se- 
dûnses affaires jettent Thomme dans son naturel. 

^ Les hommes n'ont point de caractère, ou, s'ils en ont, 
c'est celui de n'en avoir aucun qui soit suiyi, qui ne sç ^é- 
îaente point, et ôii Us soient reconnaissables. Ùs souilrent 

|. A FtOdeur d^ tuSkéreoses. 

9. AUaaifi aux f^tes que Lopis XIV donnait à laooar. 

3. Versatiles, Marly, FoDtainebleau. 

4. Soavem,, entre deux verbes dont le «eoond sert de coropléraeDtaa pre- 
(Qier, l'on employait jadis la proposition de en des cas ou iiooft mettons àt 
Cl^rcber de, conclure de, inviter de, exborter de, btc. 

5. Affectation^ an sens latin, désir ardent. 



240 CHAPITRE XI. 

beaucoup à être toujours les mêmes, à peMévérer dans la 
règle ou dans le désordre; et, s'ils se délassent quelquefois 
d*une vertu par une autre yertu, ils se dégoûtent plus sou- 
vent d^un vîce par un autre vice; ils ont des passions con- 
traires et des faibles qui se contredisent; il leur coûte moins 
de joindre les extrémités que d'avoir une conduite dont 
une partie naisse de Fautre. Ennemis de la modération , 
ils outrent toutes choses, les bonnes et les mauvaises, dont 
ne pouvant ensuite supporter rezcès *, ils radoucissent par 
le changement. Adrcute était si corrompu et si libertin, qu'il 
lui a été moins difficile de suivre la mode et de se faire dé- 
vot : il lui eût coûté davantage d'être homme de bien. 

^ D'où vient que les mêmes hommes qui ont un flegme 
tout prêt pour recevoir indifféremment les plus grands dés- 
astres, s'échappent, et ont une bile intarissable sur les plus 
petits inconvénients? Ce n'est pas sagesse en eux qu'une 
telle conduite, car la vertu est égale et ne se dément point: 
c'est donc un vice; et quel autre que la vanité, qui ne se 
réveille et ne se recherche que dans les événements où il y 
a de quoi faire parler le monde, et beaucoup à gagner pour 
elle, mais qui se néglige sur tout le reste? 

^ L'on se repent rarement de parler peu, très-souvent de 
trop parler : maxime usée et triviale que tout le monde sait, 
et que tout le monde ne pratique pas. 

1[ C'est se venger contre soi-même, et donner un trop 
grand avantage à ses ennemis, que de leur imputer des 
choses qui ne sont pas vraies , et de mentir pour les dé- 
crier. 

^ SiThomme savait rougir de soi, quels crimes, non- 
seulement cachés, mais publics et connus, ne s'épargne- 
rait-il pas? 

^ Si certains hommes ne vont pas dans le bien jusques 



I. « Il y a dans le dix-septième siècle, dit M. Littré, plusieurs exemples 
de dontt se rapportant, non au verbe du membre de (a phrase qu'il lie, 
mais à une incise qui commence ce membre de phrase : « La dure-mère 
bat sans cesse le cerveau, dont les parties étant fort pressées, il s'ensuit 

Sue le sang et les esprits sont aussi fort presses ■ (Bossuei, Conuaissancs 
Dieu, 11, 6). Après avoir cité cet exemple, M. Littré emprunte ft la Bruyère 
celui que l'on a sous les yeux, et regrette qu'une manière si commode de 
lier les phrases n'ait point passé dans la langue moderne. La Bruyère ne noua 
semble pa» cependant s'en être servi avec habileté. La pensée était subtile, 
•I la construction de la phrase qui « comme on l'a dit àtée aaelttoe èê* 
irétité, éeàible uù |>eu « barbafe, • Tobàcurcit eacoirto. 



DE L'HOMUE. 241 

OÙ ils pourraient aller, c^est par le Yice de leur première 
instruction. 

^ 11 y a dans quelques hommes une certaine médiocrité 
d'esprit qui contribue à les rendre sages. 

^ Il faut aux enfants les verges et la férule : il faut aux 
hommes faits une couronne, un sceptre, un mortier, des 
fourrures, des faisceaux, des timbales, des hoquetons *. La 
raison et la justice dénuées de tous leurs ornements ni ne 
persuadent ni n'intimident. L'homme, qui est esprit, se 
mène par les yeux et les oreilles '. 

^ Timon^ ou le misanthrope, peut avoir Tâme austère et 
farouche, mais extérieurement il est civil et cérémonieux: 
il ne s'échappe pas% il ne s'apprivoise pas avec les hommes; 
au contraire, il les traite honnêtement et sérieusement; il 
emploie à leur égard tout ce qui peut éloigner leur familia- 
rité; il ne veut pas les mieux connaître ni s'en faire, des 
amis, semblable en ce sens à une femme qui est en visite 
chez une autre femme. 

^ La raison tient de la vérité, elle est une; Ton n'y ar- 
rive que par un chemin , et Ton s'en écarte par mille. L'é- 
tude de la sagesse a moins d'étendue que celle que Ton fe- 
rait des sots et des impertinents. Celui qui n'a vu que des 
hommes polis et raisonnables, ou ne connaît pas l'homme, 
ou ne le connaît qu'à demi : quelque diversité qui se tirouve 
dans les complexions ou dans les mœurs, le commerce du 
monde et la politesse donnent les mêmes apparences , font 
qu'on se ressemble les uns aux autres par des dehors qui 
plaisent réciproquement, qui semblent communs à tous, et 
qui font croire qu'il n'y a rien ailleurs qui ne s'y rapporte. 



I. ToDt Tappareil dont on use sur le trône, sar les siégps d'un tribunal, 
et dans les défilés publics. — Les hoquetons sont les vêtements des ar- 
chers. 

3. Pascal a dit de même : « Nos magistrats ont bi<>n connu ce mystère. 
Leurs robes louiçes, leurs hermines dont ils s'emmaillottent en chaia four- 
rés, les palais oh ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était 
nécessaire ; et si iea médecins n'avaient des soutanes et des mules, et que 
les docteurs n'eussent des bonnets carrés, et des robes trop amples de 
quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde, qui no peut résister 
à cette montre authentique. Les seuls gens de guerre ne se sont pas dégui- 
sés de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle. Ils s'éta- 
blissent par la force, les autres par grimace. » L'oniforme n'a été imposé 
aux gens de guerre qu'après la iporc de Pascal. 

3. Il reste froid. On a Ta dans cette réflexion nne critique du Mitant 
ikmpe de Molière. 

16 



241 CâÀFITRB Xi. 

CeMt, âil conthiité, qui se jette dans le peuple btl ôèM U 
province, y fait bientôt, s'il a des yeux, d'étranges décon- 
vertes, y voit des choses qnî lui feont nouvelles, dont il 6e 
se doutait pas, doot il ne pouvait avoit le moindre sbupçoii ; 
il avaiibe , par des expériences costibuelles , dans là con- 
naissance de rhumanité : il calcule presque en combien de 
niahiàrés différentes Tboinme petit être itisnppoHablë. 

f Âp^è^ âvoif thûrement appi-ofondi lëâ fibinniés, et cdtinii 
le faux de leiii^s pensées, de ledrs sëhtimehts^ de léUH ^o&tâ 
et de leurs aCTections, Ton est déduit à diris ^n'il y à moins 
à beirdffe petit eux par rinconStànce qtte pat ropiriîâtreté, 

% Cbmbièti d'âmeâ faibles, tnolles et indifféréiites, $àns de 
grands défauts, et qtli puisseiit fbiirilir à la satire! Combien 
de sdtteà de ridicules répandus parmi les honitfaes , niais 
qtli, pat leur sitigtllanté, ne tirëilt poiiit fi cohsëqdeiicë, et 
ne soiit d'âiicliile Ressource pout Hnsltaction et pouir là 
morale I Ce sont des Vices uniques <^i ne sont pas conta- 
gieux, et qu isont moins de l'humanité (|iie de là petsbniie. 



cHAl>rrkE iii. 
DËÎS îtTÔËMENTl 

tUen iié téééeniblé pMé à là tiVe ^èrsHàdîéii qtie lè diati*' 
vais ettëtémeht : de là lés partis, lés éàbâles, les hérésies. 

^ L'oti hé pense pas toujours constamrfaent ' d'iih khémë 
sujet : l'entéteiUeht et le dégoût ée sUiveiit de (ii-èS. 

% Les grandes choses étonnent , et les petites rebutent : 
nous nous apprivoisons avec les unes et les autres par l'har 
bitudSi 

% Deux choses tputes contraîreis nous préviennent égalée 
ment, l'habitude et la nouveauté*. 

% 11 iiV ^ riexi dé plus bas, et qui cohirleiinë tUiéût éH 
peuple i que de parler en des termes magnifiques de ceux 
mêmes dont l'en pensait ttë^modestenient avant létiir élë^ 
vatiom 

i. B^oaoMpièM.iDvariitile. . ■■ .. , 

2. « Les im)[>res8ioD8 anciennes ne sont pas seules capables de môéê 
abuser : les charmes de la nouTeanté ont le même pouTOir. » (PascaL} 



DfiS JUGEMENTS. * â4S 

^ Là faveur dés princes h^exclut psà le inérite, et ne le 
suppose pas aussi *. . i ■ 

Tf îi est étonnant qii'àvec tout Porgueil dont nous Sommes 
gonfles, et la haute opinion que nous avons de nous-mêmes 
et dé ia bonté de notre jugement, nous négligions de nous 
éii. servir pour prononcer sur le mérite aes autres, ta vogue, 
là ïatéiir populaire, celle du prince^ nous entraînent comme 
ûii torrent : nous loùbiis àé qui est loué bien plus que ce 
qui est louable. . 

^ Je ne sais s'il j a rien ^u monde (mi coûte ^avantage 
à approuver et à louer que ce qui est Ans digne ^ d'àppro* 
bâti oh et de louàhgè^ et si la vertu, le mérite, la. beauté, 
lés bonnes actioqs, les beaux ouvragés, ont un efifet plus 
naturel et plus sÀr que l'envie , \a jalousie et Tantipathie» 
Ce h^estpas d'un saint dont un dévot ^ sait dire du bien, 
ihàis d'un autre dévot. Si une belle femme approuve la 
beauté d*ùhé autre femme, on peut cçnclure qu*elle a mieux 
(Jiie ce qu'elle approuve. Si un poëte loue les vers d'un autre 
pôeté, il y à à j>arier quils sont mauvais et sans conséquence *. 

^ Lès hommes ne se goûtent qu'à peine les uns les au- 
Ixës, n'ont qu'une fàiblé pente à s^apprpuver réciproque- 
ment : actiân, condiiite, pensée ^ expression, rien ne plaît, 
nën de contente. Ils substituent à là place ai ce qu'on leur 
récité, de ce qu'on leur dit ou de ce qu'on leur lit, ce qu'ils 
auraient fait eux-mêmes en pareille conjoncture , ce qu'ils 
penseraient ou ce qu'ils écriraient sur uh tel sujet ; et ils 
sont si pleins dé leurs idées qu'il n*j a plus de place pour 
celles d'auirui. 



^ Le commun des hommes est pi enclin au dérèglement 
si à la bagatelle, el le monde bsi si plein d'exemples bu per- 



e 



t; LesgramiDAirieDi exigent anjotmi'hiii (ttte l'on dise non plut en pa- 
reil cas. 

2. Plus poar 1$ pltUy comme il arrive soavent au dix-«eptiëme siècle. 
, 8.r Fa|i]^ dévok (Notê,d$ la Bru/yèrê), Ce n'est pas d'un saint dontt^ pléo- 
nasme qw, n'était pas alQce proscrit par les framatairiens : « Ce n'est pas 
de Y(\us,. madame, dont il est amouravi» » (Molière, Ainantê fna§n^lifu$8i 
Û, lit.) Boiléau a dit de même dans la ix« satire : 

C'est é TonÀ, inon es|>rU, à (j|ai je Véui î^aHeK 

4. Aussi Molière !ait'il aire à l'un des personnages de VImpromptu dé 
F#rtatU4f , parlait de Molière ioiriBème » « Pourquoi DÉit-il de mëcnantes 

Sièces que tout .Paris ya Toirr«*> Que ne fait-il des comédieii eosiBie celtef 
e monsieur Lysidas ? Il n'aurait personne contre lui, et tout les aateari 
en diraient du bien, s 



244 CHAPITRE Xn. 

nicieux on ridicules qae je croirais assez qae l'esprit de 

singularité, s^il pouvait avoir ses bornes et ne pas aller trop 
loin, approcherait fort de la droite raison et d^une conduite 
régulière. 

11 faut faire comme les autres : maxime suspecte, qui si- 
gnifie presque toujours : il faut mal faire, dès qu'on Tétend 
au delà de ces choses purement extérieures, qui n^ont point 
de suite, qui dépendent de Tusage, de la mode ou des bien- 
séances ^ 

^ Si les hommes sont hommes plutôt qu^ours et pan- 
thères, s'ils sont équitables, s^ils se font justice à eux- 
mêmes, et qu'ils la rendent aux autres , que deviennent les 
lois , leur texte et le prodigieux accablement de leurs com- 
mentaires? que devient le pétitoire et le possessoire *, et tout 
ce qu'on appelle jurisprudence? où se réduisent même ceux 
qui doivent tout leur relief et toute leur enflure à l'autorité 
où ils sont établis de faire valoir ces mêmes lois? Si ces 
mêmes hommes ont de la droiture et de la sincérité , s'ils 
sont guéris de la prévention, où sont évanouies les disputes 
de l'école, la scolastique et les controverses? S'ils sont tem- 
pérants, chastes et modérés, que leur sertie mystérieux jar- 
gon de la médecine, et qui est une mine d'or pour ceux qui 
s'avisent d^ le parler? Légistes, docteurs, médecins, quelle 
chute pour vous, si nous pouvions tous nous donner le mot 
de devenir sages! 

De combien de grands hommes , dans les différents exer- 
cices de la paix et de la guerre, aurait-on dû se passer! 
A quel point de perfection et de raffinement n'a-t-on pas 
porté de certains arts et de certaines sciences qui ne de- 
vaient point être nécessaires, et qui sont dans le monde 
comme des remèdes à tous les maux dont notre malice est 
Tunique source! 

Que de choses depuis Yarron *, que Varron a ignorées ! Ne 

1. « Le sage doibt aa dedans retirer son âme de la presse, et la tenir en 
liberté et puissance de joger librement des choses ; mais, qaant aa dehors, 
il doibt sayrre entièrement les façons et formes receaes. » ( Montaigne, 

1» 22.) 

2. Le pétitoire est une action par laqnelle on demande la propriété 
d'une chose; le poiseisoire, une action par laquelle on en demande la 
possession. 

S. M. Terentius Varron, que Ton nommait le plus satant des Romains, 
et qui mourut l'an 36 aTant J. G., auteur des traités D§ t$ ruttiea. et De 
Hngua kUinn, 



DES JUGEMENTS. 245 

tiaus suffirait-il pas même de n'être savant que comme Platon 
ou comme Socrate? 

^ Tel, à un sermon, à une musique, ou dans une galerie 
de peintures, a entendu à sa droite et à sa gauche, sur une 
chose précisément la même, des sentiments précisément 
opposés. Cela me ferait dire volontiers que Ton peut hasar- 
der, dans tout genre d'ouvrages , d'y mettre le bon et le 
mauvais : le bon plaît aux uns, et le mauvais aux autres. 
L'on ne risque guère davantage d'y mettre le pire : il a ses 
partisans. 

^ Le phénix de la poésie chantante * renaît de ses cendres ; 
il a vu mourir et revivre sa réputation en un même jour. Ce 
juge même si infaillible et si ferme dans ses jugements , le 
public, a varié sur son sujet; ou il se trompe, ou il s'est 
trompé. Celui qui prononcerait aujourd'hui que Q***, en un 
certain genre , est mauvais poëte, parlerait presque aussi 
mal que s'il eût dit, il y a quelque temps : Il est bon poète, 

% Chapelain était riche, et Corneille * ne Pétait pas : la 
Pucelle et Rodogune méritaient chacune une autre aventure. 
Ainsi l'on a toujours demandé pourquoi, dans telle ou telle 
profession, celui*ci avait fait sa fortune, et cet autre l'avait 
manquée; et en cela les hommes cherchent la raison de 
leurs propres caprices, qui, dans les conjonctures pressantes 

1. Quinaolt, qai sera désigné plus bas par la lettre initiale de son nom. 
Après avoir fait des tragédies et des comédies, qae, comme Boileau, la 
Bruyère estimait peu, il composa des opéras qui eurent un grand succès et 
qui sont ses meilleurs titres littéraires. La musique de ces opéras était de 
Lulli. 

2. Après avoir fait imprimer, dans deux éditions, ces deux noms en toutes 
lettres, la Bruyère les remplaça dsns les éditions suivantes p»r les lettres G. P. 
et G. N. L'énigme était facile à deviner. Nommer la Pucelle et Rodoguney 
(tétait désigner pour tout le monde Chapelain et Corneille. — Chapelain 
était riche en effet. « Le mieux rente de tous les beaux esprits, » comme a 
dit Boileau dans la 9* satire, pensionné par le roi et par le duc de Longue- 
Tille, il recevait plus du dix mille livres en gratifications annuelles. Il ét&it 
fort avare néanmoins, et l'on trouva chez lui, à sa mort (1674), plus de 
150000 francs en espèce». Corneille, au contraire, qui avait k pourvoir aux 
besoins d'une famille nombreuse, était pauvre. Ses pièces lui rapportaient 
peu, et il lui est échappé de répondre un jour à Boileau, qui lui parlait de sa 
«(loire : «Oui, je ouis saoul de gloire etaffxméd'aig^'nt! • Vieux et malade, 
il se mourait dans le plus douloureux déoûment, lorsqu'averti par Boileau de 
sa gène, le roi lui envoya 20o lo<iis. Il les reçut doujt jours avant sa mort 
(1684). — Il est juste d'ajouter ici que Chapelain qui, cédant aux exigences 
de Hictelieu , avait conoenii en 16J7 à rédiger les Sentiments critiques de 
V Académie sur le Ctd, inscrivit eu I06i Curneille f>ur la lisie des <^ri vains 
auxquels il conseillait à Colt>eri d'accorder une pension. C'est en partie à 
lui que Corneille dut les 2ooo francs qu'il reçut chaque anné% de 1663 à 
1779» époque à laquelle la pension fut, ditH)n, supprimée. 



346 CHA?ITR5 XU* 

de leurs affai^r de ^eiirç plaii^rs, de leus ta^ti «t de leur 

vie, leur font souvent laisser les meilleurs et prendre les 
pires* 

% La conditiox^ des comédiens était infâqie ohei> Un &<i- 
mains et honorable chez lei^ Grecs : qu'est-eUe cbes oona? 
On pense d'euqc comme ^es Rompons, ça yi| i^veQ eux oomp^ 
les Grecs. 

% Rien ne déoo^yre inieuz d^ç fuelle disposition sont 
\es hommes à Pégard def sciences et des bellçç-lettres, et 
de queile utilité Ûs les croient dans la république ^ que le 
pri]( qu'ils j ont ipis, e\ l'idéfi qu'ils ^ (ormept de ceux qui 
pnt pris le par^j 4e les, ovd^lyer. {l q-j a pomt d'art si méca- 
liiqvLe ni de si vile condition où les ayantages ne gQie^t pli&s 
fùrs, plus prompte et plvi« solides, l«e çQmMieil» couché 
^a^s son carrqsse, jette 4e l9^ houe m yi^ftge 4a Coiwsili'Ls» 
qui est il pied^ Chez plusievi^a» a^Yaot fit pédant 9QAt ajoo- 
pjines. 

Souyenf y où le ric)ie par^e et p^rl^ do doçtH99\ ('est 
|t^ dociês ^ se ^ire^ j^ ^coûter, 4 applaudir» s'ils yei^e^t 
du moins ne passeur que pour doctes. 

V II ; f^ upe sorte de hardiesse à soutenir ^ devant cer- 
taine egpritç la honte de TéruditioQ : Ton trouve ehes eux 
une préyeQtif^ tout étahUe contre les «avants, à qui ils 
ôtent les manières du monde, le savoir-vivre, Tesprit de so- 
ciété, et qu'ils renvoient, ainsi dépouillés, à leur cabinet et 
|i leuts livres. Gomme Tignorance est un état paisible et qui 
ne coûte aucune peine, l'on s'y range en feule, et elle forme, 
à la cour et à la yille, un noinbreu^p parti, qui ^'çjQipojte sur 
celui des savantsi S'ils allèguent en içur laveur les noms 
d'FsTKÉBs, 4? Ha|ii4T, BpssuE^, Ségtîto, Ud^ttaus^çr , 
WAAn£S, Chpvreuse, liCoviQ», Lamoiomon, Scudéat, I^lis- 
son', f^t 4e tant 4*^utrçs perj^onnages égl^enient dpctei^ çt 



1. ne icienee. 

9. À supporter. 

S. César d'Estrées, cardinal, membra de rAcBdémie firaoçatse, mori 
en 1714. Il a écrit des lettres en latin qol n'ont pas été pûtliéas. Le 
cojoipliinent pouvait en même temps s'adresser an savant duc ^'Estréas, 



Soi fut plus tard maréchal de France. Au moment oh, parut ce passage, 
avait 81 ans. ^ François de Harlay. archevêque de Paris, membre 
de TAcadémie française ; Achille de Harlay, procureur f^énéni «au Parle- 



ment, nommé premier président en 1689. — Le chancelier Séguier (isss- 
1672) fut le protecteur de l'Académie française après la mort du cardi. 
nal oe Rlcheheu. -«Le 4ao de Montausier, qui avait ^osé la fille de la 



polU; s'ilB t^j^\ piftme citqr les grfA4s ^om% ie Qh4|itR8I> 
de PoNPii, 4^ CoNTV, 4e Bourbon, du llat^E, ^e Ysipôi^* 
comme dç princes qui ont §\i joindre am pli^^, ^ellq* e^ ai^: 
plus hautes çppnai^ances ^i rs^^tiqUrne 4^^ Qrf)c« çt l'of- 
banité des ^Q|nain$, Vgu p§ feint poôit de la\ir dir^9 que 9fi 
^ont des e^ei^ples singuliers; et s'ils ont rçicours k de so- 
^4e9 wsp^^ I filles sox^t faiî)les contre 1^ yoî? 4ft la multi- 
tude, ^ sèxabl^ 9éan;¥ïoiû§ q^^ Topi devrait décider «ur cela 
i^yeq plu? de pi^^cautjou, «t SA 4onn§f settUmeut 1» paiuf 
de douterai ce même esprit, qui fait faire de si grands pcq- 
fpAs dans les s^ieppe^, qui fp\ \^m n^Wi ^m ingie?, bien 
parter et bien éqxm^ m 1^^^9^\ ppiflt P^icore w??iï à 
<*re poli, 

Il fai^t t^èsrpeu 4e (Qn4^ fionr 1» politesiA 4a«« tel m»- 
Hières; il eu f^ut liçaucflup pouy çellQ 4e V^9prit. 

f f II 9st 8«v|k9t ) 4i^ un politique, il est ^qqc inoapabie 
d'aires; Iq pe lui confierais r^^t 4e m9^ g^rde-r^be^; 9 
9t il » raison, Q^T« ÎJ]is«^, Eic9B}.p:y 1, étaient sa?4&ta : 

xnarqaise de Rambouillet, avait été nommé gouverneur da Danphio en 
16^8. -^ le marquis de Vardes était un courtisan instruit : son nom avait été 
prononcé lô'rsqu^il s'était agi de donner un gouverneur au auc de bour- 
gogne.— Le due de Cbevreuse, fils dii duc ê^ Luynes, avait reçu à Pon- 




premier président au f arl^meot Jusqu'en t9B9, membre de l'Académie frùi- 

Ïùse. Il mourut en 1693- — « Mademoiselle de Çcuderv, » écrit ep note la 
ruyèrè, ponr bien indiquer qu'il s'agit d'elfe et 'ribn pas de son frère, 
MUS le noip duquel set'rorpans avaient paru. — pelliBSon (1624-1693)i au- 
teur de inémoires pour Fouquet, d'une histoire dc( l'Académie française, 
dont il était membre, et de divers opuscules. ' ■ ' - ' 

1. Le dno de Chartres, qui fpt depuis duc d'Orléans et régent du royaume. 
U avait 17 ans lorsque la Bruyère inséra son nom au milieu des autres.^ Las 
princes de Conti soniune branche cadette de la maison de Conde. iCrmandâe 
Bourbon (1629-1672), qu'elle eut pour chef, avait composé, vers la fin de sa 
vie, des livres ihéologiques et moraux. Son second fils, Françuis-Louùi do 
Bourbon (1664-1709) ratrilii des plnscfaarmsiits etl^itn des plus savants per- 
sonnages de la cour. « C'était, dit S^iAt-Simon, V9 tr^s-bel esjirit^ lumineux, 
juste, exact, étendu, d'une lecture infinie. • — Le duc de Bourbon est l'élève 
dé la Bruyère; le duc du Maine (1670-1736), flis légitimé de Louis ^ir, est 
relève de Mmed6 Maintenon: — Le çrand prienr de Vendôme (1695-1727) 
tfvait au Temple au milieu d'un èercie de beaux esprits. Sdn'frere, le duo 
do Vendôme, fut l'un des meilleurs généraux de Louis Xiy. 
' 2. L'on n'hésite point à leur dirfe.- 

i. Le soin de dresser l'état, l'inventaire de ma g^rde-robe. 

4. Le cardinal d'Ossht (1536-1604), bttbilèdiprotniCUf ft*an^Biiî. Bans sa ien- 
nesse, il avait professé la rhétoiique et la philosophie dans l'unlVefsite de 
Paris. Il a laissé un excellent recueil de lettres diplomatiques". — Ximenêfs 
(1437-1517), célèbre ministre d'État espagiiol. Il fonda l'uiAVersité o'Aleala, 
ist fit publier à ses frais la Bible polyglotte d'AIcala. — Richelieu, cdmip^ 
on Mftit, Sf des tnigédier. H est le fondatOttr de KAcadémie flrançaiMt. ' 



248 CHAPITRS Xa. 

étaient-ils habiles? ont-ils passé pour de bons ministres? 
c II sait le grec, continue Thomme d'Ëtat, c'iBSt un grimaud\ 
c'est un philosophe. > Et, en effet, une fruitière à Athènes, 
selon les apparences, parlait grec, et, par cette raison, était 
philosophe. Les Bignon, les Lamgignon *, étaient de purs 
grimauds : qui en peut douter? ils savaient le grec. Quelle 
Tision, quel délire au grand, au sage, au judicieux Antonin, 
de dire qu'a/ors les peuples seraient heuretkx^ si Vempereur 
phihsophctitj ou si le philosophe ou le grimaud venait à Vem^ 
pire*I 

Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences , et rien 
davantage; le mépris des unes tombe sur les autres. Il ne 
s'agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles, 
mortes ou vivantes; mais si elles sont grossières ou polies, 
si les livres qu'elles ont formés sont d'un bon ou d'un mau- 
vais goût. Supposons que notre langue pût un jour avoir le 
sort de la grecque et de la latine, serait-on pédant, quelques 
siècles après qu'on ne la parlerait plus, pour lire Molière 
ou La Fontaine ? 

% Je nomme Euripile, et vous dites : c C'est un bel es- 
prit. > Vous dites aussi de celui qui travaille une poutre : 
c II est charpentier; > et de celui qui refait un mur : c II est 
maçon. > Je vous demande quel est Tatelier où travaille cet 
homme de métier, ce bel esprit , quelle est son enseigne, k 
quel habit le reconnaît-on, quels sont ses outils : est-ce le 
coin? sont-ce le marteau ou l'enclume? où fend- il, où co- 
gne-t-il son ouvrage? où l'eipose-t-il en vente? Un ouvrier 
se pique d'être ouvrier : Euripile se pique-t^il d'être bel es- 
prit? S'il est tel, vous me peignez uu fat, qui met l'esprit 

f . Cest llnjare que Trissottn dit à Vadias (Femmes eavanies^ Ul, s) : 

Ailes, petit grimaud, barl)ouUlenr de papier. 

3. Jérôme Bignon (1589-1656), célèbre magistrat, grand mattre de la bl- 
bliotlièque du roi, avait une immense érudiiion. Son tiU, et son petit-Kis 
surtout, l'abbé Jean-Paul Bignon (1662-1743), qui fut reçu à TAcadémie 
française en 1693> furent aussi des savants. — Guillaume de Lamoi- 
gnun (1617-1677), premier président au Parlement de Paris, était élève 
de Jéiôme Bignon. I) fit lui-même l'éducation de sop tlls, Cbréiien-Fran" 
Cuis Lamoiguon ^644-1709), qui fut avocat général, puis président à mor- 
tier, et qui a été l'acui de iVacine et de Boileau ; ce dernier lui a dédié sa 
lixième epkre. 
. 3. C'est Platon qui est l'auteur de cette pensée, écrite dans le Vil* livre 
de la Bépublique, L empereur Maro-Aurèle, qui remplit si bien le vœu de 
PUton. la répétait sans cesse, et c'est lui que la Bruyère désigne sous le 
nom d Antonio. 



DES JUGEMENTS. 249 

en roture *, une âme vile et mécanique , à qui ni ce qui est 
beau ni ce qui est esprit ne sauraient s'appliquer sérieuse- 
ment; et s'il est vrai qu'il ne se pique de rien, je tous en- 
tends, c'est un homme sage et qui a de l'esprit. Ne dites- 
vous pas encore du savantasse : c II est bel esprit ; » et ainsi 
du mauvais poëte? Mais vous-même vous croyez-vous sans 
aucun esprit? et si vous en avez, c'est sans doute de celui 
qui est beau et convenable : vous voilà donc un bel esprit; 
ou, s'il s'en faut peu que vous ne preniez ce nom pour une 
injure, continuez, j'y consens, de le donner à Euripile, et 
d'employer cette ironie comme les sots, sans le moindre 
discernement, ou comme les ignorants, qu'elle console d'une 
certaine culture qui leur manque et qu'ils ne voient que 
dans les autres. 

% Qu'on ne me parle jamais d'encre, de papier, de plume, 
de style, d'imprimeur, d'imprimerie; qu'on ne se hasarde 
plus de me dire : c Vous écrivez si bien, Antisihènel con- 
tinuez d'écrire. Ne verrons-nous point de vous un in-folio? 
Traitez de toutes les vertus et de tous les vices dans un ou- 
vrage suivi, méthodique, qui n'ait point de fin; » ils de- 
vraient ajouter : c et nul cours. > Je renonce à tout ce qui 
a été , qui est et qui sera livre. Bérylle tombe en syncope à 
la vue d'un chat, et moi à la vue d'un livre. Suis-je mieux 
nourri et plus lourdement vêtu, suis-je dans ma chambre à 
l'abri du nord, ai-je un lit de plumes, après vingt ans en- 
tiers qu'on me débite dans la place? J'ai un grand nom, 
dites-vous, et beaucoup de gloire : dites que j'ai beaucoup 
de vent qui ne sert à rien. Ai-je un grain de ce métal qui 
procure toutes choses? Le vil praticien grossit son mémoire, 
se fait rembourser des frais qu'il n'avance pas , et il a pour 
gendre un comte ou un magistrat. Un homme rouge ou feuHle- 
morte * devient commis, et bientôt plus riche que son maître ; 
il le laisse dans la roture, et, avec de l'argent, il devient 
noble. B** ' s'enrichit à montrer dans un cercle des ma- 
rionnettes; BB***, à vendre en bouteille l'eau de la rivière. 

1. Qai fait déchoir Tesprit de sa noblesse natarelle. 

2. Un homme qui p<>rie une livrée rouge ou feuitle-morte, un laquais. 

3. Pierre d'Aitelin, qui, sous le nom de Brioché, établit à Paris un ihé&- 
Ire de marionneiies. On a nommé aussi Benoli qui ucuïplait des figures en 
cire et les montrait, à prix d'argent, aux curieux. 

4. Barbereau, qui a fait fortune en Tendant de l'eau de la Seine pour des 
eaux minérales. 



250 CBAPITR1S xq. 

Un ^Xvp çh^rllttan ^je ici 4fi iàk \^ ^^919^ 4T#q 090 
palle; il i^'est pas déchargés que le^ peosiox^s coui^e^t; et 
il est près de Retourner d'où il arriva ayec 4^9 p^le^s et des 
fourgons. 4f«rc«ér(|* gs| Aferçure, e\ rje^ davantage, et l'pr 

pa p^V^t P*y^? ses ifté4i?^tion9 ^\ «es ^tr^g«es; on y lyoute 
la fayeur et ]^s disti^ctiûQf|. Et» sap.si parler gi^e de§ g^i^s 
licites*, Qn pçtyfi au tqilier s^ tui^e, et à Vouvrief sqq ^pîftps 
et ^n ouvr^gii. Paje-t-q^ \ un i^i^tevir ce qu'U pense ^\ cfi 
qi^'il éQfitî et' s'il pepçe ^fès-bien, le p^ye-t-P» trè?-l^rS§" 
piei^t? Se meuble-t-il, sVQ^UH^ ^ i^^^^ ^^ P^p^r §t 4'é- 
cri|;e juste? U faut que le^ ^om^ie; §ûient i^hilî^.s» quHl^ 
soieptF|9é§; U fa^t que, ^etifé? 4^ ^W% waisops, jls 
aient une pcirte qi|i ferme bien ; e^^'|l néce^ire. qu'ils 
soient instruits? Folie, simplicité, imbécillités conti^H^A?- 
ti^th^n^ , de mett]:ie l'enseii^ne 4'^^t^Hf ^^ 4^ P^i^P^ûphe 1 
Ayoiir, s'il se peut , ui^ offiçei lucriuif, qi4 y«in4e }a vie f^((- 
ble , qui fasse prêter à ses amis gt dqnner {^ cçt^x qui ^e 
peuvent rendra; écrire alorç par jçu, par pisiveté, et çomç^e 
Tityre ^i£(l9 ou jo^e 4e la flûte : q^la ou ri§9 ; f écris 4 9^ 
conditionsi et je cèdç ainsi \ la viplenQ^. 49 9P^^ ^^^ V^^ 
prenpent à la gorge, et me 4^sept : f Yqui écri^j^^. j; l\s UçQ^t 
pour titre de mou i^q^ve^u livre ; nu BIeau, py, 6o]:i, i)U 
Yrjli, nj:3 |dée9, nu i^ni^^çn P^]p«c;?E, gar Àpfi^ti^r^j 
vindeur dfi mafée^. 
% Si les ambassadeurs des princef étrap.ge|9} f éi^G%\ iqs 

I. Il n'a pas déchargé sa malle. — Sur Carro Carettl, qd est le char- 
Uum dont il a'agit, voyez le chapitre De qutlquiê utoitea, 
8. Jfercurf est, dit-on, eonterops, le premier Talet de chambre 4^ foL 
I. Corneille a dit de mémo, Boracèj lu, i' : ' 

Revoyons les vainqueurs sans penser ^'à la gloire 
Que toute lear maiaoa reçoit de leiir nctoireu" 




dans la boutade de la Bruyère ; mus la Harpe est mal iuspird en lui repro- 
éfaant pi àprement d'écrire « pour le gain. » La Bruyère, comme bous l'a- 



vons dit dans la Notice, fit à son libraire l'abandon do i^anuacrit des 
Caractères, et, selon toute vraisemblance, il ne tira aucun prunî des neuf 
éditions qui, sous ses yeux, enrichirent la famille Michallet. — Il est 
curieux de retrouver dans ce passage de la Qruyère le« çon^ila que lui 
donnaient ses amis. La plupart d'entre eux lui reprochaient san^ doute, 
fivec Boîleau, ifi s'être épargné les difficultés des transiiionf, et youlaient 
qu'il composât nn ouvrée dogmatique et méthodique, un traité en règle 
sur la morale. Mais la gruyère aurait-il autant de iecte^f s'^ eût écrit 
jiuelqtte livre de morale à la façon de Nicole ? 
5. Lé roi de Siam avait envoyé en 1686 des ambassade^rf ^ )<(kaia XIV. 



DES JUGSip;£IT$. 251 

HÎHe^es fiif^^ts à m^çtier si)r lei;r^ pi^ds, de dfiTRèrji, et ^ 
ne faire ÇAtendr§ par interprète, nous ^e pourripôs pa3 
marquer lui plus grand étoni^^ment que celui que uous dou- 
tent. U juateçs^ de leurs répouses, et ]q bo^ seu^ qui paraît 
quelquefois d^s leurs discours. Ls^ préy^ntioi) 4u ^J^t 
jointe ^ rpr^ueU 4fl la u^tioQ) nous fait oublier quQ la rai*; 
son est de tous les cl^^tf , et qui^ Tpu peni^q ju^^ F^^^ 
t9Ut Qù ii y # des ^Quwes. Iio^% u'^in^eriop^ pas à Âtrè 
traitée aiQ^i df ceu^ que nousf s^ppelonij b^rbaref ; et s'il y ^ 
9U pous' quelque ^ar^ari^, elle con^is^ à $(^0 épouyaut^ 
4e Ypir 4'autres peuples raiso^u^' ppqi^f uqus. 

Tous lie» étrangers U^ ^o\if. p^s barbares, et tous nqç pqp^- 
patriptes i^ iiput pas piyilisé^ : de ^ê^e, tpu^ PWP^gfl? 
n*fâ9t p^s agreste ^ et toute ville n'est pas polig. Il y a danf 
r^urope m en4roit ^'mu^ prpyiuce u^ari^iiue d'un gr^nd 
f pyfium# P^ le Yill^^oia ^St 4pux §t iuwftuaoti Ip i)purgeq|s 
101 eoutr»ir§ et Ip magistrat grossier^, çt dpnt ]^ rusticité 
$»i bé?éditai?e *. 

f Aysc un langage fi pus, u^e ^ gr^49 T^çbercbç^ 4au^ 
nos babits» dei» moBvrs §i çultiyées, de si belles lois ef un 
yisage blapo, nou$ 8omR§3 b^rbaree^ ppur quelques peuple^. 

f Si nous enteudion^ dire de$ Orieut^iu^f^ qu'ils ^oiveut 
ordinairement d'une liqueur qui leur moute |i la tète, l§ur 
tait perdre la raisou et les fait vomir, nous dirions ; Qelfi 
est bien barbare. 

f Ce prélat se montre peu à la cour; il u'eçt 4q wl oom- 
merce% on ne le voit point avec des femmes; il ue joue ni 
à grande ni à petite prime *; il n'assiste ni auxfêtes» ni aux 
spectacles; il n'est point homme de cabale, et il n'a point 

- Dès lear arrWée en France, ils derinrent Vobjet de la curiosité générale, 
et cfatusune de layni dèioiardies fût ehresiairée et comnehiée par le jtfer- 
Ctti e galant. 
1. ôe (erm«i a'«Q(9od ici métapborigaemeot {Hfote ^ la ^fi|^^.) 
9. L'énigme es( encorf ^ trouver. Les auteurs oe clefs ont ici çardé le 
^iience, ne sachant vers quelle viUe de province la Bruyère envoiâil cette 
pbrase de mauvaise humeur. Il ne connaissait vraisemblablemenl d'autre 
proviDce maritime que la Normandie; il y atait séjourné quelque temps, ' 
on mois peut-être, soit & Rouen, soit à Caen. A.Tait>ii eu | se plaindre des 
gens de la chambre des comptes de Rouen ou de ses collègues de Caen? 11 
fet 4 noter que. la Bruyère n'opposa d'abord que )§ magistrat au paysan : 
4| (le magistrat, au contraire, grossier, et dont la rusticité peut passei' ^n 

Sroverbe : » telle est la leçon des trcis premières é^i^^t^A* 4 l| quatrièa^e* 
^ bouf gepia prit plac« ^ côté du maglftiiat. 
S. U ne fréquente pas le monclio. 
i. iwi de cartes. 



252 CHAPITRE Xn. 

Tesprit d^intrigue : toujours dans son ëvéchë, où il fait nne 
résidence continuelle, il ne songe qu'à instruire son peuple 
par la parole et à l'édifier par son exemple; il consume 
son bien en des aumônes, et son corps par la pénitence \ il 
n'a que Tesprit de régularité, et il est imitateur du zèle et 
de la piété des Apôtres. Les temps sont changés, et il est 
menacé sous ce règne d*un titre plus éminent. 

% Ne pourrait-on point faire comprendre aux personnes 
d'un certain caractère et d^une profession sérieuse*, pour ne 
rien dire de plus, qu'ils ne sont point obligés à faire dire 
d'eux qu^ils jouent, qu'ils chantent et qu'ils badinent comme 
les autres hommes I et qu'aies voir si plaisants et si agréa- 
bles, on ne croirait point qu'ils fussent d'ailleurs si réguliers 
et si sévères? Oserait-on même leur insinuer qu'ils s'éloi- 
gnent par de telles manières de la politesse dont ils se pi- 
quent; qu'elle assortit au contraire et conforme les dehors 
aux conditions, qu'elle évite le contraste, et de montrer le 
même homme sous des figures dififërentes et qui font de 
lui un composé bizarre ou un grotesque? 

^ Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau 
ou d'une figure, sur une seule et première vue; il y a un 
intérieur et un cœur qu'il faut approfondir. Le voile de la 
modestie couvre le mérite, et le masque de l'hypocrisie 
cache la malignité. Il n'y a qu'un très-petit nombre de con- 
naisseurs qui discerne, et qui soit en droit de prononcer. 
Ce n'est que peu à peu, et forcés même par le temps et les 
occasions, que la vertu parfaite et le vice consommé vien- 
nent enfin à se déclarer. 

Fragment. 
f c .... Il disait que l'esprit dans cette belle personne * était 

1. Noua écririoDS plas Tolontiers aujourd'hui ; il consommé son bien «n 
des aumônes. Consumer son corps evt au contraire une expression très- 
conforme à Tusage moderne. « Consommer^ du M. Liitré, suppose une des- 
truction uiile, employée à quelque usage, à quelque fin, tanois que oonsu' 
mer ne présente qu'une desirueiion pure et simple. » — Le nombre des 
prélats qui résidaient avec quelque coniinuité dans leurs diocèses était 
alors très-resireint. 

2. Aux riiHgisirats, par exemple qui étaient si graves pendant l'exercice de 
leurs functioiiK, et, qui, à la cour et la ville, se laiiaieui souvent remarquer 
par leurs habitudt s bruyantes. 

3. S'il faut on croire l'abbé de Chaulieo, la personne dont la Bruyère fait 
ici le portrait était Catherine Turgot, femme de Gilles d'Aligre, seigneur de 
Boislaudry, conseiller au parlement. « Elle joignait^ dit-il, aune figure trèa> 



DES JUGEMENTS. 253 

un diamant bien mis en œuyre. Et continuant de parler 
d'elle : C'est, ajoutait-il , comme une nuance de raison et 
d'agrémeDt qui occupe les yeux et le cœur de ceux qui 
lui parlent ; on ne sait si on Taime ou si on l'admire : il 
y a en elle de quoi faire nne parfaite amie, il y a aussi 
de quoi vous mener plus loin que Tamitié : trop jeune et 
trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste pour 
songer à plaire, elle ne tient compte aux hommes que de 
leur mérite, et ne croit avoir que des amis. Pleine de vi- 
yacités et capable de sentiments, elle surprend et elle in- 
téresse ; et, sans rien ignorer de ce qui peut entrer de 
plus délicat et de plus fin dans les conversations, elle a 
encore ces saillies heureuses qui, entre autres plaisirs 
qu'elles font, dispensent toujours de la réplique. Elle vous 
parle comme celle qui n'est pas savante, qui doute et qui 
cherche à s'éclaircir; et elle vous écoute comme celle qui 
sait beaucoup, qui connaît le prix de ce que vous lui 
dites, et auprès de qui vous ne perdez rien de ce qui vous 
échappe. Loin de s'appliquer à vous contredire avec es- 
prit, et d'imiter Elvire, qui aime mieux passer pour une 
femme vive que marquer du bon sens et de la justesse, 
elle s'approprie vos sentiments, elle les croit siens, elle 
les étend, elle les embellit; vous êtes content de vous 
d'avoir pensé si bien, et d'avoir mieux dit encore que vous 
n'aviez cru. Elle est toujours au-dessus de la vanité, soit 
(pi'^e parle, soit qu'elle écrive : elle oublie les traits où 
il faut des raisons ; elle a déjà compris que la simplicité 
est éloquente. S'il s'agit de servir quelqu'un et de vous 
jeter dans les mêmes intérêts, laissant à Elvire les jolis 
discours et les belles-lettres , qu'tlle met à tous usager, 
Arténice n'emploie auprès de vous que la sincérité, l'ar- 
deur, l'empressement et la persuasion. Ce qui domine en 
elle, c'est le plaisir de la lecture, avec le goût des per- 
sonnes de nom et de réputation , moins pour en être con- 
nue que pour les connaître. On peut la louer d'avance de 
toute la sagesse qu'elle aura un jour, et de tout le mérite 
qu'elle se prépare par les années, puisque avec une bonne 
conduite elle a de meilleures intentions , des principes 

kîmable la douceur de rhnmeur et tout le brillant de l'esprit; personne 
l'a jamais mieux écrit oa'elle. et personne aussi bien. » 



254 t:fiAPiTHË xn. 

c âûrd, titîlëi fc celles (Jui sotit comme elle éx^bâééft aux 
i ëôlns ei & la flatterie | et quêtant assez particulière * saiis 
« poûhâht être farouche, ayant môme ûh peu de penchant 
€ potit l'a retraite, il be lui âatitait j?eut-être manquer que 
c îëd bccasibns, ou ce qu'on appelle un grand théâtre, pour 
é Jr faite briller lotîtes ses tettus. i 

^ tJiie belle fènimë eàt aimable dânâ son naturel ; elle ne 
pëtd rieh â^ êtbe tlégligëe, et sans àùlre pàriii'Ô que celle 
qil^éllë tire de sa beàUté et dé sa jeunesse; ùhe grâce naiye 
ëblitë ëùt son Visage, àninie ses tnoindres actions : il y au- 
rait mdins dé péril & là voir avec tout Tattirail de l^àjûstè- 
meht et dé la mode. t)e iméme iin homme Ae bien est 
respectable pàt Idî-mêmé, et indépendamment de toiis les 
déhoi'S dont il toudlrâit s'aldèt pour tendre sa personne pltis 
grave et sa vertu Jiliis épëcieûëe •. tJh air réfornié *, ùiie 
modestie outrée, la sitigiilarité de l'habit, une âmplé ca- 
lotte, h'àjotitéiit rien à là probité, iie f elêveiil pas le mérite; 
ils le fardent, et foiit peùt^trë qii^il est moins pur et moins 
ingénu. . 

Uhë gl-aVîté trdp étudiée dêyiènt coipiqué ; ce sôîit 
cothitië dès éxtréihité^ (|ui se tbucheiit et dont le milieu est 
dîgUité; belâ iie s'appelle pas être grave, maià eh jouer le 
personnage j éëlUi l^ùi s;ohge à le devenir iie lé sera jamais. 
Oti Ik çravité n'est point, bii elle est naturelle ; et il est 
nlbths dirtdilë d'eii descendre que d*y monter. 

^ Ûti honime de talent et de réputation, s'il est chagrin 
et austèîre, il elîaroùche lés jeiiqes geds *, les tait pehsçr 
niai de U vei*tu, et là leuir rend siiâpectë d'une trop grande 
réfbi'iilë • et d'Uûë t)i-âtique trop ennuyeuse. . S'il est ail 
contraire d'uh boh cothméréé, il leur est Une leçon utile; 
il leur àîJprédd 4^'6h peut vivre gaiement et laborieuse- 
nient, ^ioit des tues sérieuses sans renoncer aux plaisirs, 
honnêtes : U lèUt devieiit tin éxe&ple qii'on peut suiyré. 

% Là physiohotiiie h^est pas iihé régie qui nous soit doii- 

1. « On dit au'BD bomme est pariifM<ter% lorsqu'il fu\t le oommeitoe et la 
fréquentation des autres hommes, qu'il n^aime pas à Tisiter ei à être Tisité.» 
(Furetiëre;) 

2. Pl(i8 apparente. 

3. Un air austère. 

A» Nous l'avons déjà remarqué, la Bruyère affeotiomio eoa MrtMéSfé* 
pétitions de sujet. 
6. Leur fait craindre qu'elle ekigè ùnè th>p grande réforme. 



DES jaôEMENTS. 255 

t%% pàût ]vL^f U% hbmâiès ': elle vMà peut éërvir dô 
cbtijébtùre. 

Tf L^^àir spiritiiel est flahâ îes hômàlëé ce qilë là réguiatité 
ddS traita est dàiis les ^êiiitiieâ ï c'êét le getlté de beaUtë oÛ 
leâ pllià Vainft t)ûi'séënt àspitfei-. 

f Un liDilimé qui à beaucoup) de itiéHte et d^esprlt , et 
tSi est ébhiitt peut* tel, ii*ëst ^aà laid, même âVeé des traitt 
qui 6oht âifToriiies | ôa S^il a de là laideili*, elle iie fait pas 
séki imprëséibû. 

% Combien d'art pour rentrer dans la nâtiirè ! fcombleil de 
tém^la, de tègiès, d'attention fet de travail, t)oùr dàtisër aVec 
lit înêitiè libeHé éi la ihême grâce que l'on bâit itiarchëf ; 
pbuï bbâùtëi* cdinrtiB on parle, parler et s'exprltriër côminô 
Y6n peiisé; jétér autant de forcé, de vivacité, de pàssioû 
et de pfetsuafeion danâ tin discours étudié et qde l'ôii |)ro- 
fiôilcè dâhâ le public, qu'bd en â qùeliqUefois iiaturelle- 
iliéht et bâils i)rêpâlratidn dans les entretiens les pluà fa- 
miliers. 

^ Ceux ^ui, Êanâ notis cdîihàîtfe assez, pensent tiial dé 
nbus, iië libus font pas de tort : ce n'est jias noua qu'ils at- 
taalieiit, c'est le fantôme de leur iiliaginâtibn. 

If U jr a dé petites irègles, dès devoirs, des bîetiséances, 
attachés àuilieùi, aux temps, aux personnes, qui ne séde-' 
tihëni pôltit â force d'esprit, et que l'usage apprend sans 
nulle pëiiie ': ]iig:ër des hômtnës par les fautes qui leur 
échappent en ce genre, avant qu'ils soient assez instruits, 
c'est «li juger pài* leurs ongles ou pai* la j)ointe dé leurs 
cbfevéùi; c'ésl vouloir un jotir être détrouipé *. 

^ Se ûe saià 's*il est permis dé juger dès honàmes par une 
faute qui efet unique, et si uh besoin extrême, ou uiie viô- 
lëiite t^àsâiôfi, ou ùù i)î'emier mouvement, tirent ^ cônéé- 
(Juehce. 

% Lô côiitraité des bruits qui courent des afTairés ou des 
personnes est souvent la vérité. 

^ Sans une gi^ande rôideur et iine continuelle attention 
à toutes ses paroles, on est exposé à dire en moins d'une 
heure Ib oiii et \é hàh. sur utié inélne chose où sur une 
même personne, déterminé seulement par un esprit de 

1. t'tH ^^nr&[6\î se lirâmpé^ jusqu'à ce <tab Toh ap^reiibé I les inieox 
connaître. 



256 CHAPITRE Xn. 

société et de commerce ', qui entraîne naturellement à ne pas 
contredire celui-ci et celui-là qui en parlent différemment. 

% Un homme partial est exposé à de petites mortifica- 
tions : car , comme il est également impossible que ceux 
qu'il favorise soient toujours heureux ou sages, et que ceux 
contre qui il se déclare soient toujours en faute ou mal- 
heureux, il natt de là qu'il lui arrive souvent de perdre 
contenauce dans le public, ou par le mauvais succès de 
ses amis, ou par une nouvelle gloire qu'acquièrent ceux 
qu'il n'aime point. 

% Un homme sujet à se laisser prévenir*, s'il ose remplir 
une dignité ou séculière ou ecclésiastique, est un aveugle 
qui veut peindre, un muet qui s'est chargé d'une harangue, 
un sourd qui juge d'une symphonie : faibles images, et qui 
n'expriment qu'imparfaitement la misère de la prévention. 
Il faut ajouter qu'elle est un mal désespéré, incurable, qui 
infecte tous ceux qui s'approchent du malade, qui fait dé- 
serter les égaux, les inférieurs, les parents, les amis, jus» 
qu'aux médecins : ils sont bien éloignés de le guérir, s'ils 
ne peuvent le faire convenir de sa maladie, ni des remèdes, 
qui seraient d'écouter, de douter, de s'informer et de s'é- 
claircir. Les flatteurs, les fourbes, les calomniateurs, ceux 
qui ne délient leur langue que pour le mensonge et l'inté- 
rêt, sont les charlatans en qui il se confie, et qui lui font 
avaler tout ce qui leur platt : ce sont eux aussi qui l'em- 
poisonnent et qui le tuent. 

f La règle de Desgartes, q[ui ne veut pas qu'on décide 
sur les moindres véritës avant qu'elles soient connues clai- 
rement et distinctement, est assez belle et assez juste pour 
devoir s'étendre aujugementquel'on fait des personnes. 

^ Rien ne nous venge mieux des mauvais jugements que 
les hommes font de notre esprit, de nos mœurs et de nos 
manières, que l'indignité et le mauvais caractère de ceux 
qu'ils approuvent. 

Du même fonds dont on néglige un homme de mérite, 
l'on sait encore admirer un sot. 

^ Un sot est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit 
pour être fat. 

1. Esprit detociétéf etprit de eùtnmeree, deox expreMions tnioiiyines. j 

9. A concevoir des préventioD s. ; 



DES JUGEMENTS. 257 

f fTnfat est celui que les sots croient un homme démérite. 

îf L'impertinent est un fat outré. Le fat lasse, ennuie, 
dégoûte, rebute ; Timpertinent rebute, aigrit, irrite, offense ; 
il commence où Tautre finit. 

Le fat est entre Pimperlinent et le sot; il est composé de 
Tun et de Tautre. * 

^ Les vices partent d'une dépravation du cœur ; les dé- 
fauts, d'un vice de tempérament; le ridicule, d'un défaut 
d'esprit. 

L'homme ridicule est celui qui, tant qu'il demeure tel, a 
les apparences du sot. 

Le sot ne se tire jamais du ridicule, c'est son caractère ; 
l'on y entre quelquefois avec de l'esprit, mais l'on en sort. 

Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule. 

La sottise est dans le sot, la fatuité dans le fat, et l'im- 
pertinence dans l'impertinent : il semble que le ridicule ré- 
side tantôt dans celui qui en effet est ridicule , et tantôt 
dans l'imagination de ceux qui croieht voir le ridicule où il 
n'est point et ne peut être. 

f La grossièreté, la rusticité, la brutalité peuvent être 
les vices d'un homme d'esprit. 

% Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus 
supportable que le sot qui parle. 

^ La même chose souvent est, dans la bouche d'un 
homme d'esprit, une naïveté ou un bon mot, et, dans celle 
du sot, une sottise. 

^ Si le fat pouvait craindre de mal parler, 11 sortirait de 
son caractère. 

% L'une des marques de la médiocrité de l'esprit est de 
toujours conter. 

^Le sot est embarrassé de sa personne; le fat a l'air 
libre et assuré ; l'impertinent passe à l'effronterie : le mérite 
a de la pudeur. 

^ Le suffisant est celui en qui la pratique de certains dé- 
tails, que l'on honore du nom d'affaires, se trouve jointe à 
une très-grande médiocrité d'esprit. 

Un grain d'esprit et une once d'affaires * plus qu'il n'en 
entre dans la composition du suffisant, font l'important. 



f . Le grain est 1« 176* partie d'nbe onee, qui est eUe^nAmê Im 16* partie 
d*une livre. 

17 



258 CHAPITRE Xn. 

Pendant qu'on ne fait que rire de Timportant, il ii*a pas 
un autre nom ; dès qu'on s'en plaint, c'est l'arrogant. 

^ L'honnête homme tient le milieu entre l'habile homme 
et l'homme de bien, quoique dans une distance inégale de 

ces deux extrêmes. 

La distance qu'il y a de l'honriete homme à l'habile 
homme s'affaiblit de jour à autre, et est sur le point de dis- 
paraître. 

L'habile homme est celui qui cache ses passions, qui en- 
tend ses intérêts, qui y sacrifie beaucoup de choses, qui ^ 
su acquérir du bien ou en conserver. 

L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grand» 
chemins, et qui ne tue personne, dont les vices enfin ne sont 
pas scandaleux. 

On connaît assez qu'un homme de bien est hounête 
homme; mais il est plaisant d'imaginer que tout honnôtçi 
homme n'est pas homme de bien. 

L'homme de bien est celui qui n'est ni un saint ni ua ié- 
vot V et qui s'est borné à n'avoir que de la vertu. 

^ Talent, goût, esprit, bons sens, choses différentes, non 
incompatibles. 

Entre le bons sens et le bon goût il y a la différence de la 

cause à son effet. 
Entre esprit et talent il y a la proportion du tout h 8« 

partie. 

Appellerai-je homme d'esprit, celui qui, borné et renfermé 
dans quelque art, ou même dans une certaine science qu'il 
exerce dans une grande perfection, ne montre hors de là ni 
jugement, ni mémoire ; ni vivacité, ni mœurs, ni conduite $ 
qui ne m'entend pas, qui ne pense point, qui s'énonce mal ; 
un musicien , par exemple, qui, après m'avoir comme en- 
chanté par ses accords, semble s'être remis avec son luth 
dans un même étui, ou n'être plus, sans cet instrument, 
qu'une machine démontée, à qui il manque quelque chose, 
et dont il n'est pas permis de rien attendre? 

Que dirai-je encore de l'esprit du jeu? pourrait-on me le 
déûnir T Ne faut-il ni prévoyance, ni finesse, ni habileté pour 
jouer l'hombre ou les échecs? et sll en faut, pourquoi voit- 
on des imbéciles qui y excellent, et de très-beaux génies qui 

I. Faux àéyoX{Noi$ de la Bruyirt^ 



DES JUGEMENTS* 259 

n'tsAt pu même atteindre la médioorité, ft qui un» pièce ou 
une oaita dans les mains trouble la vue, et fait perdre «o^t 
tenaaca? 

Il 3r a dans le monde quelque chose, s*il se peut, de plm 
incompréhensible. Un homnfe parait grossier*» lourd, «t^r 
pide; il ne sait pas parler, ni raconter oe qu'il Tient de TOir ; 
s'il se met à é<krire* e'esl le modèle de« bo&s contes ; U i^M 
parler les animant, les arbrea, les pierres, tout es qui ne 
parlé point i ee n'est que légèreté, qu'éléganoe, que l^tU 
naturel, et que délioatesae dans ses eufrages^ 
^ Un autre ^ est simple, timide, d'uiie ennuyeuse eonver^ 
satioa$ il prend un mot pour un autrov et il ne juge de te 
bonté de sa piéoe que par Pavgent qui lui en reyie^t; il 
ne sait pas la réoiter, ni lire son éeritare. Laisses-le s'éle* 
Ter par là composition : il n'est pas au-dessQUs d'Anou^TSi 
de PoifTÉi, de NmosiÉnB, d'HÉKACiiixn ; il est roi, et ui^ grau 
roi ; il est politique, il est philosophe ; il entreprend de Uit^t 
parler des héros, de les faire agir; il peint les Roo^ai^s: 
ils sont plus grands et plus Romains dans ses Teis que dsQt 
leur histoire. 

Youles«-ToUs quelque autre prddige? GonesTesun bemme 
faoile, doux, oottiplaisant, treitable ; et Ifout d'un oesp vio^ 
lent, e^ëre, fougueux , caprioieui : imaginea»Toaa uu 
homme simple, ingénu , erédule, badlû, Toli^ge, un enfant 
en oheTeuz gris*) iliais permettez-lui de se reeueiUir, eu 
plutôt de se liTter à u|i ^énie qui agit en lui , j'tee dire» 
sans qu'il y prenne part, et comme à son insu t quelle 
Terve 1 quelle éléTationl quelles images l quelle latiullél ^ 
Parlez-Tous d'une même personne? me direz-TOus. — Oui, 
du même, de ThéQdmt et de lui seul. Il crie, il s'agite, il 
se roule à terre, il se relèye, il tonne, il éclate $ et du mi^ 
lieu de cette tempête il sort une lumière qui brille et qui 
réjouit. Disons-le sans figure t Q par)? cqmtjClt ^n fou, et 

■ 

1. La Fontaine, qai viTait encore lorsqae pan)t C0 pqrtrMU 
9. Corneille, mort depuis plusiea^ ftnDéai)« l^^porlriiitiist l^apt; mais 
pourquoi cetie allusion cruelle aux plaintes qa'arrachaii au poe(e sa p»uyreiét 
8. Portrait de Satitouil, chanoine oie Saini- Victor, le plus célèbre et le 
pins élégant des poètes latins ihodernei, La Bruyère était ton ami, et lui 
nisait directement les reproches qu'il adresse ici àthéodea. « Tou(et-feua 
MTOlr la térité, mon cher monaienr? lui écrft*il on jour, le tobi ai fort 
bien défini U premiên^ Pois. Vidus êtes le pins beau génie du monde et Ut 
plea fertile imairinaiio)! ùu'il spH possible dé toendfvolri mais pour IM 
eittiie SI m meliieM, Test èéit as eafisàt ds d^M ebe «1 demlk • 



260 CHAPITRE XII. 

« 

pense comme un homme sage; il dit ridiculement des 
choses vraies, et follement des choses sensées et raisonna- 
bles : on est surpris de Yoirnattre et éclore le bon sens da 
sein de la bouffonnerie, parmi les grimaces et les contor- 
sions*. Qu'ajouterai-je davantage? Il dit et il fait mieux qu'il 
ne sait : ce sont en lui comme deux Ames qui ne se con- 
naissent point, qui ne dépendent point Tune de l'autre, qui 
ont chacune leur tour ou leurs fonctions toutes séparées. Il 
manquerait un trait à cette peinture si surprenante, si j'ou- 
bliais de dire qu'il est tout à la foia avide et insatiable de 
louanges, près de se jeter aux yeux de ses critiques , et. 
dans le fond assez docile pour profiter de leur censure. Je* 
commence à me persuader moi-môme que j'ai fait le por- 
trait de deux personnages tout différents : il ne serait pas 
môme impossible d'en trouver un troisième dans Théodas; 
car il est bon homme, il est plaisant homme, et il est ex- 
cellent homme. 

% Après l^espiit de discernement, ce qu'il y a au monde 
de plus rare, ce sont les diamants et les perles*. 

^ Tel , connu dans le monde par de grands talents, ho- 
norîé et chéri partout où il se trouve, est petit dans son 
domestique et aux yeux de ses proches, qu'il n'a pu réduire 
à l'estimer : tel autre au contraire, prophète dans son pays, 
jouit d'une vogue qu'il a panni les siens et qui est resser- 
rée dans l'enceinte de sa maison; s'applaudit d'un mérite 
rare et singulier qui lui est accordé par sa famille, d<mt il 
est l'idole, mais qu'il laisse chez soi toutes les fois qu'il sort, 
et qu'il ne porte nulle pari. 



1. Boileaa m fait une éplgrtmnw sar les'coatortioiit vno lesquelles Sid- 
ienil récitait set vers : 

Quand f aperçois sons ce portique 
Ce nioïDe au regard fanatique, 
Lisant des tere audacieux, 
Faits pour les habiiants des cieai^ 
Ouvrir uoe l>oache effroyable^ 
S'agiter, se tordre les maios. 
Il me semble en lui voir le diable 
Que Dieu force à louer lea saints. 

S. «Quel rapprochement biiarre et frivole pour dire que le discernement 
est rare! s'est écrié la Harpe en citant ces deux ligues. Et puis les diamants 
et les perles, sont-ce des choses si rares? » M. Saard,qui est d'un autre avis, 
loue au contraire l'art avec loquet cette réflexion, « qai n*est que sensées, 
est relevée par une image ou un rapport éloigné qui frappe resprit d'une 
manière inailendoe. Si la Bruyère, ^oute-t-il, avait dit simplement que riea 



. DES JUGEMENTS. 261 

% Tout le monde s'élève contre un homme qui entre en 
réputation : à peine ceux qu*il croit ses amis lui pardon- 
nent-ils un mérite naissant, et une première vogue qui sem- 
ble l'associer à la gloire dont ils sont déjà en possession. 
L'on ne se rend qu'à l'extrémité, et après que le prince s'est 
déclare par les récompenses : tous alors se rapprochent de 
lui, et de ce jour<là seulement il prend son rang d'homme 
de mérite. 

% Nous affectons souvent de louer avec exagération des 
honunes assez médiocres, et de les élever, s'il se pouvait, 
jusqu'à la hauteur de ceux qui excellent, ou parce que nous 
eommes las d'admirer toujours les mômes personnes, ou 
parce que leur gloire, ainsi partagée ; offense moins notre 
vue, et nous devient plus douce et plus supportable *. 

^ L'on voit des hommes que le vent de la faveur pousse 
d'iJbord à pleines voiles ; ils perdent en un moment la terre 
de vue, et font leur route : tout leur rit, tout leur succède '; 
action, ouvrage, tout est comblé d'éloges et de récom- 
penses; ils ne se montrent que pour être embrassés et f^- 
cités. Il y a un rocher immobile qui s'élève sur une côte; 
les flots se brisent au pied; la puissance, les richesses, la 
violence, la flatterie, Tautorité, la faveur, tous les vents ne 
l'ébranlent pas : c'est le public, où ces gens échouent. 

^ Il est ordinaire et comme naturel de juger du travail 
d'autrui seulement par rapport à celui qui nous occupe. 
Ainsi le poète, rempli de grandes et sublimes idées , estime 
peu le discours de l'orateur , qui ne s'exerce souvent que 
sur de simples faits; et celui qui écrit l'histoire de son pays 
ne peut comprendre qu'un esprit raisonnable emploie sa 
vie à imaginer des fictions et à trouver une rime : de même 
le bachelier*, plongé dans les quatre premiers siècles, traite 
toute autre doctrine de science triste, vaine et inutile, pen- 
dant qu'il est peut-être méprisé du géomètre. 

f Tel a assez d'esprit pour exceller dans une certaine 

n'eot plus rare gae l'esprit de discernement, on n'aurait pas troaTé cette 
réflexion digne d'être écrite. » 

1. « Nous éleyons la gloire des ans pour abaisser celle des autres* » 
(La Kochefoucauld.) 

3. Tout leur réassiu Molière, daos Don Garciif III, 1 : 

Ces maximes, un temps, leur peuvent sxiccédtr, 
1. En druii canon ou en théologie. 



SftS CBAPiras m. 

watièn ttl en fairt dis lagons, <{«i cm maftqvie pMirVoir 
^u'ii doit se taire sur qualque autre dont il n'a qu^une faible 
oonoaissaaca x il sort hardiment dss limiieê ds son gtinie, 
mais il s'égare, et fait que rhomme iUastre parle comme 
un sot. 

f HinU$^ soit qu'il parle» qu'il karangue ou qu^il éerite, 
veut citer : il*fait dirs au prince des philosophes ' qoe le Tin 
enivre, et à l'orateur romain * que Teau le tempère» 0'il se 
jette dfms la morale^ ee n'est pss lui» c'est le dîTin Platon 
fuiessure (|Qe la vertu est aimable, le vice odieux, eu que 
l'un et Vautre se tournent en habitude» Les ohoses les plus 
communesi les plus triviales, et qu'il est même capable de 
l^neer» il vaut les devoir aux anciens, aui Latins, aux 
Grecs ; c# n'est ni pour donner plus d'autorité à ee qu'il dit, 
m peuuétM pour ee laire honneur de ee qu'il sait i il veut 
lûtar. 

T C'est souvent hasarder un bon mot * et touloir le' peiv* 
4re que de le donner pour sien : il n'est pas relève, il tombe 
avec des gens d'esprit , ou qui se croient tele, qui ne l'ont 
pas dit, et qui devaient le dire. C'est au contraire le ûiire 
valoir que de le rapporter comme d*un autre t ee n'est 
qu'un fait, et qu'on ne se croit pas obligé de savoir ^ il est 
dit avec plus d'insinuation et regu avee moins de jalousie; 
personne n en souffre c on rit s'il ftiut rire, et s'il faut ad- 
Siirer, ou admire. 

f On a dit de SocauTS qu'il était en délire, ei que estait 
un feu tout plein d'esj^t \ mais ceux des Oreos qui paN 

1. Artstssi. 

3. Cicéron. 

3. Hasarde le soccet d'un bon mot. 

4. Ménage Hl es eelti phriee «ne teeSftdittiffe btétorique, et èntit née 
ISitre qu*il écrini à J« Brwyèraf il dis<Hiu Is vuleurdu iMi»ftM|e de Diogène 
Laerce qui avait dii, pénoaitil, l'induire en ernur.. Dans sa rc|>un8a 
la Bruyère cita, pelir delSendre èi«ii ftâsenii>n, diveri!(e6 phrases de Diogène 
44Mroe qui la reiidaieni vraisembUt>le s nutia, av«a( ^Wriver è ces re- 
présailles d'érudition, il lit a Ménage celte uincessiun et cet aveu : mPou<> 
ee qui regarde Socrate, je n'ai trouvé nulle part qu'on ait dit de lui en 

Ëropres terineti ^ue c'était un t'ou tout plein d'e:i> rit : façon de parler à 
ion avfft Impertinente et pourtant en usage, que j'ai essaye de àecréditer 
en la faisant servir puur Sociaie, comme Ton s'en t>eri aujuurd'bui pour 
êiflhmer les personnes les plus sages, mais qui, >'elevaut au-dessus d'une 
murale basse et secrète qui règne depuis ^i lungiempâ, se disiinguent dana 
leurs ouviagcs par ia hardiesse et la vivacité de leurs traits et par la 
beauté de leur imagination. Aïdsî Sooratt ici a'eapaa Socraie: c'est un 
nom qui en cache un . auiie... • ëi cet autre uoui pourrait bien être celui 
de la Bruyère. C'est ce que le pédant Ménage n'avait pas compris. « Vuoa 



DES JUGSMBlfTS. 863 

Iticnt aioti d'ttt homme si sage paesaient pour feus. Ils 
disaient : « Quels biiarres portraits nous fait o^ philosopbel 
quelles mœurs étranges et p^irtiouliéres ne déorit-il point! 
eu a-t*il rêvé , creusé , rassemblé des idées si extraordi*- 
naires? quelles couleurs I quel pinceau I ce sont des chi- 
mères, t lis se trompaient : c'étaient des monstres, c'étaient 
des vices, mais peints au naturel ; on croyait les roir, ils 
faisaient peur. Socrate s'éloignait du cynique ; il épargnait 
les personnes, et hlâmait les mœurs qui étaient mauvaises. 

% Celui qui est riche par son savoiiwfaire eonnatt un phi- 
losophe, ses préceptes^ sa morale et sa conduite; et, n4- 
maginant pas dans tous les hommes une autre fin de toutes 
leurs actions que celle qu'il c'est proposée lui-même toute 
ta vie, dit en son cœur i c Je le plains, je le tiens échoué, 
ce rigide censeur; il s'égare, et il est hors de route; ce 
n'est pas ainsi que Ton prend le Ytnt, et que l'on arrive au 
délicieui port de la fortune ; » et, selon ses principes, il 
iftisonne juste. 

Je pardonne, dit Antiêthiuê, à ceux que j*ai loués dans 
mon ouvrage, s'ils m'oublient : qu'ai-je fait pour eux? ils 
étaient louables. Je le perdontierais moins à tous ceux dont 
j'ai attaqué les vices sans toucher à leurs personnes , s'ils 
me devaient un aussi grand bien que celui d'être corrigés; 
mais comme c'est un événement qu'on ne voit point, il suit 
de là que ni les uns ni les autres ne sont tenus de me faire 
du bien. 

L'on peut, ajoute ee philosophe, envier ou refuser à mes 
écrits leur rëcompeuBC ; on ne saurait en diminuer la répu- 
tation; et, si on le fait, qui m'empêchera de le mépriser? 

^ Il est bon d'être philosophe , il n'est guère utile de 
passer pour tel. Il n'est pas permis de traiter quelqu'un de 
philosophe : ce sera toujours lui dire une injure, jusqu'à ce 
qu'il ait plu aux hommes d'en ordonner autrement, et, en 
restituant à un si beau nom son idée propre et convenable, 
de lui concilier toute l'estime qui lui est due. 

^ Il y a une philosophie qui nous élève au-dessus de 
l'ambition et de la fortune, qui nous égale, que dis-je?qui 

êtes un foQ tout plein d'esprit i » c'est U en effet ce que Ton- disait, 
ce que l'on écrivait à l'auteur des Caractèreêf et U réflex&ou que nous an« 
Dotons est la réponse qu'il faisait^ une fois pour toutes, à ce désobligeant 
cumpliment. 



264 CHAPITRE XU. 

nous place plus haut que les riches» que les grands et que 
les puissants; qui nous fait négliger les postes et ceux qui 
les procurent; qui nous exempte de désirer, de demander, 
de prier, de solliciter, d'importuner, et qui nous sauve 
même Témotion et Fexcessive joie d'être exaucés. Il y a une 
autre philosophie qui nous soumet et nous assujettit à toutes 
ces choses en faveur de nos proches ou de nos amis : c'est 
la meilleure. 

f C'est abréger, et s'épargner mille discussions, que de 
penser de certaines gens qu'ils sont incapables de parler 
juste, et de condamner ce qu'ils disent, ce qu'ils ont dit, et 
ce qu'ils diront. 

^[ Nous n'approuvons les autres que par les rapports que 
nous sentons qu'ils ont avec nous-mêmes; et il semble 
qu'estimer quelqu'un, c'est l'égaler à soi \ 

% Les mêmes défauts qui, dans les autres , sont lourds et 
insupportables, sont chez nous comme dans leur centre; ils 
ne pèsent plus, on ne les sent pas. Tel parle d'un autre, et 
en fait un portrait affreux, qui ne voit pas qu'il se peint lui- 
même *. 

Rien ne nous corrigerait plus promptement de nos dé- 
fauts que si nous étions capables de les avouer et de les 
reconnaître dans les autres : c'est dans cette juste distance 
que, nous paraissant tels qu'ils sont, ils se feraient haïr 
autant qu'ils le méritent. 

% La sage conduite roule sur deux pivots, le passé et 
l'avenir. Celui qui a la mémoire âdèle et une grande pré- 
voyance est hors du péril de censurer dans les autres ce 
qu'il a peut-être fait lui-même, ou de condamner une action 
dans un pareil cas, et dans toutes les circonstances où elle 
lui sera un jour inévitable. 

f Le guerrier et le politique, non plus que le joueur ha- 
bile, ne font pas le hasard, mais ils le préparent , ils l'atti- 
rent, et semblent presque le déterminer. Non-seulement ils 
savent ce que le sot et le poltron ignorent, je veux dire se 



i. » Il n'y a point d'homme qui se croie, en chacuDe de ses qualités, au- 
dessous de Tbomme du monde qu'il estime le plus*, m (La Uocheipucnuld). 

2. «I Cent fois le jour nous nous mocquons de nous sur le subjeci de 
nostre voisin, et détestons en d'auUres les déraulis qui sont en nous plus 
clairement. » (Moutaiisue, 111, s.) Rappelons encore la table de La Oetace de 



DES JUGEMENTS. 265 

serrir du hasard quand il arrive ; ils sayent même profiter, 
par leurs précautions et leurs mesures, d^un tel ou à^xm tel 
hasard, ou de plusieurs tout à ]a fois : si ce point arrive, 
ils gagnent; si c'est cet autre, ils gagnent encore; un même 
point souvent les fait gagner de plusieurs manières. Ces 
hommes sages peuvent être loués de leur bonne fortune 
comme de leur bonne conduite, et le hasard doit être ré- 
compensé en eux comme la vertu. 

^ Je ne mets au-dessus d'un grand politique que celui 
qui néglige de le devenir , et qui se persuade de plus eu 
plus que le monde ne mérite point qu'on s'en occupe. 

^ Il y a dans les meilleurs conseils de quoi déplaire : ils 
viennent d'ailleurs que de notre esprit; c'est assez pour 
être rejetés d'abord par présomption et par humeur, et sui- 
vis seulement par nécessité ou par réflexion. 

^ Quel bonheur surprenant a accompagné ce favori pen- 
dant tout le cours de sa vie l quelle autre fortune mieux 
soutenue, sans interruption, sans la moindre disgrâce 1 les 
premiers postes, l'oreille du prince, d'immenses trésors,, 
une santé parfaite^ et une mort douce. Mais quel étrange 
compte à rendre d'une vie passée dans la faveur , des con* 
seils que l'on a donnés, de ceux qu'on a négligé de donner 
ou de suivre, des biens que l'on n'a point faits, des maux 
au contraire que l'on a faits , ou par soi-même ou par les 
autres; en un mot, de toute sa prospérité 1 

^ L'on gagne à mourir d'-être loué de ceux qui nous sur- 
vivent, souvent sans autre mérite que celui de n'être plus : 
le même éloge sert alors pourCATON et pour Pison \ 

« Le bruit court que Pison est mort. C'est une grande 
perte : c'était un homme de bien et qui méritait une plus 
longue vie; il avait de l'esprit et de l'agrément, de la fer- 
meté et du courage ; il était sûr, généreux, fidèle, i — Ajou- 
tez : < pourvu qu'il soit mort. » 

f La manière dont on se récrie sur quelques-uns qui se 
distinguent par la bonne foi, le désintéressement et lapro- 

1. L'auteur personnifie en Gaton Thomme vertueux ; Pison est sans doute 
le beau-père de César, celui que Cicéron attaque dans sa harangue in Pi- 
êotknn.-^ Boileau a dit de même en parlant du poêle (£pllr« VU, rera 15) > 

Ja mort seule ici^bas, en terminant sa vie, 
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie, 
Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits, 
£t doaner à lei vert leur légitime prix. 



S66 CHAPITRB XU, 

bité, n'est i^ \9fk% letir éloge qae le déorédltsnu&t du geiire 

bumain, 

% Tel soulage les ipisëraMes, qui néglige «a famille et 
laisse son fils dans Tindigence ; un autre élèye un nouvel 
édifice, qui n'a pas encore payé les plombs d'une maison 
qui est acbeyée depuis iU années ; un troisième fait des 
présents et des largesses, et ruine ses oréaneievs. Je de* 
mande : la pitié, la libéralité, la magnificeiiee, sont^ les 
vertus d'un bomme iojuste? ou plutôt si la bizarrerie «t la 
yanité ne sont pas les causes de l'injustice» 

% Uoe circonstance essentielle à la justice que Ton doit 
aux autres, c'est de la faire promptement et sans différer : 
la faire attendre, c'est injustice. 

Ceux-là font bien, ou font ce qu'ils doitrent) qui font oe 
qu'ils doivent. Celui qui, dans toute sa conduite » laisse 
longtemps dire de soi qu'il fera bien, fait très-maL 

f {i'oB dit d'un grand qui tient table deux fois le jeu^, et 
qçi passe ^ vie k Caire digestion, qu'il meurt de faim, pour 
exprimer qu'il n*est pas ricbe, ou que ses affkirss sent fort 
m^uyaises : c'est une figure ; on le dirait plus à la lettre de 
ses créanciers. 

% L'bonnéteté, les égards et la politesse des personnes 
avancées en âge, de Tun et de l'autre sexe , me donnent 
bonne opinion de ce qu'on appelle le vieux temps. 

% C'est un excès de confiance dans les parents d'espéré? 
tout de la bonne éducation de leurs enfants , et une grande 
erreur de n'en attendre rien et de la négliger. 

% Quand il serait vrai, ce que plusieurs disent, que l'é- 
ducation ne donne point à Tbomme un autre cœur ni une 
antre complexion, qu'elle ne change rien dans son fond et 
ne touche qu'aux superficies, je ne laisserais pas de dire 
qu'elle ne lui est pas inutile. 

% Il n'y a que de l'avantage pour celui qui parle peu, la 
présomption est qu'il a de l'esprit; et, s'il est vrai qu^l n'en 
manque pas, la présomption est qu'il l'a excellent. 

% Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans 
la politique. 

% Le plus grand malheur, après celui d'être convaincu 
d'un crime, est souvent d'avoir eu à s'en justifier. Tels arrêts 
nous déchargent et nous renvoient absous, qui sont infir- 
més par la voix du peuple. 



DES JUGSM5NTS. S67 

f Un homme est fidèle & de certaines pn^tlqp^fl 4^ reli- 
gion, on le voit ^*en acquitter avec exactitude ; per^oupene 
le loue ni ne le désapprouve, ou n'y pense pas, Tel autre y 
revient après les avoir négligées dix années entières ; on se 
récrie, ou l'exalte ; cela est lit)re * : moi, je 1^ bi^me d'un si 
long oubli de ses devoirS| et je le trouve l^e^rf^^L d'y ^tre 
rentré. 

f Le flatteur u*a pas ^se» boi^ne Opinion 4^101^1 i^s 
çiutres'. 

^ Tels sont oubliés dans la distributioa des grftc^, et font 
dire d'eux : Pourquoi Us cuMt^r î qui, si Ton s'eu é^t sou- 
Tenu, auraient fait dire : Pourquoi s'en souvenir? D'où vient 
cette contrariété? £st-oe du ç^rapt^re de ces personnes» 
ou de rincertit^de de nos jUgQff^ÇQt^» ou n;^6me de tçua les 
deux ? 

% (.'on dit communément : « Après un teU qui sera q^smt 
celier? qni çera primat des Çrau}ea*?qui sera pape? » On va 
plus loin: chacun, selon ses spubai^ PU sob çapriee» Uit 
sa promotion, qui est souvent do gens plus vieux et plus 
caducs qne celui qui efft en plao^; et comme il n'y a pas de 
raison qu'une dignité tne celui <iui s'en trouve revêtu, 
qu'elle sert aU contraire à le rajeunir, et à donner an eoi^s 
et à l'esprit de nouvelles ressources, ce n'est pas un évé- 
nement fort rare à un titulaire d'enterrer son successeur, 

% La disgrâce éteiut les baines et les jalousies. Celui-rlà 
peut bien faire, qui ne noua, aigrit plue par nue grande fa- 
veur : il n'y a aucun mérite, il n'y a sorte de vertus, qu'on 
ne lui pardonne; il serait un héros impunément* 

Rien n^est bien d'un homme disgracié ; vertus m^te, 
tout est dédaigné, ou mal expliqué, ou imputé à vice ; qu'il 
ait un grand cœur, qu'il ne craigne ni le fer pi le feu, ^u'il 
aille d'aussi bonne grâce à l'ennemi que Bâtard et Montre- 
vsL^, c'est un braTacbe; «n #& idaUaatet il n'a pltts de 
<tfWi Aire fm kérosw 

1. Cela est peimiA. 

8. ne soi, fMiiftqu'il le floi4aiBB« à mi vM« ^«1 llwMre •! ^tt ; des tutres, 
puidquMl les cn*ii dupes de ses flatteries. 

3. C*est-à-dire arehevè(|tie dc'Lyon. Un primat Mt on ârebeirèque qui a 
«ne supérioiiiêile juiidtciion »ur viusimrs arciievéquee. t'archeyèque de 
LyoD pieaaii le tiire de piimai dea Gaales. 

4. Mttn)u«9 de Monirt-vel, ooiirmisBatre géiiéml de la cavalerie, lleute- 
oaot géDerai \,Noteé$ la iiruyèrt), — Le nom du Bajrard, le chevalier sans 
pear et sans reproche (1476-U34)| pettt se passer de tont commentaire; 



268 CHAPITRB XU. 

Je me contredis, il est vrai ; accusez-en les hommes, dont 
je ne fais que rapporter les jugements ; je ne dis pas de dif- 
férents hommes , je dis les mémes^ qui jugent si différeav- 
ment '. 

^ Il ne faut pas vingt années accomplies pour Toir chax^ 
ger les hommes d'opinion sur les choses les plus sérieuses 
comme sur celles qui leur ont paru les plus sûres et le« 
plus Traies. Je ne hasarderai pas d'arancer que le feu en 
soi, et indépendamment de nos sensations, n'a aucune cha- 
leur ', c'est-à-dire rien de semblable à ce que nous éprouvons 
en nous-mêmes à son approche, de peur que quelque jour 
il ne devienne aussi chaud qu'il a jamais été. J'assurerai 
aussi peu qu'une ligne droite tombant sur une autre ligne 
droite fait deux angles droits, ou égaux à deux droits, de 
peur que» les hommes venant à y découvrir quelque chose 
de plus ou de moins, je ne sois raillé de ma proposition. 
Ainsi, dans un autre genre, je dirai à peine avec toute la 
France : Yâuban est infaillible, on n'en appelle point : qui 
me garantirait que dans peu de temps on n'insinuera pas 
que môme sur le siège, qui est son fort et où il décide sou- 
verainement, il erre quelquefois*, sujet aux fautes comme 
ÀntiphOe? 

% Si vous en croyez des personnes aigries l'une contre 
Tautre, et que la passion domine, l'homme docte est unsa- 
vantasse^ le magistrat un bourgeois ou un praticien, le 
financier un malUHier, et le gentilhomme un gentilldtre: 
mais il est étrange que de si mauvais noms, que la colère 
et la haine ont su inventer, deviennent familiers, et que 
le dédain , tout froid et tout paisible qu'il est, ose s'en 
servir, 

f Vous vous agitez, vous vous donnez un grand mouve- 

nutis le nom de MontreTel, bien que trèe-eonno à la ooar, exigeait une an- 
notation. Ce nom, comme l'a prédit Saint-Simon, ne se trouve guère dans 
les histoires; mais celui qui le portait avait une bravoure à laquelle Saint- 
Simon lui-même, qui le baissait, a été forcé de rendre justice. Montrevei, 
qui venait d*être nommé lieutenant général , devint mHréchal en 1703, et 
mourut, quelques années après, de reffroi que lui causa une salière ren- 
versée. 

i. C'est la doctrine que nescartes avait fait prévaloir. 

par 

tion 

mais 

n'avait point suivi le plan qu'il avait àoiiné. » 




DBS JUGEMENTS. 269 

ment, sartout lorsque les ennemis commencent à fair et 
qne la yictoire n'est plus douteuse, ou devant une ville après 
qu^elle a capitulé ; vous aimez, dans un combat ou pen* 
dant un siège, à paraître en cent endroits pour n'être nulle 
t>art, à prévenir les ordres du général de peur de les suivre, 
et à chercher les occasions plutôt que de les attendre et 
les recevoir : votre valeur serait- elle fausse? 

% Faites garder aux Hommes quelque poste où ils puis- 
sent être tues, et où néanmoins ils ne soient pas tués : ils 
aiment Thonneur et laTie*. 

% A voir comme les hommes aiment la Tie, pouvait-on 
soupçonner qu'ils aimassent quelque autre chose plus que 
la vie; et que la gloire, qu'ils préfèrent à la vie, ne fût sou- 
Tcnt qu'une certaine opinion d'eux-mêmes établie dans 
l'esprit de mille gens ou qu'ils ne connaissent point ou qu'ils 
n'eâiment point? 

% Ceux qui, ni guerriers ni courtisans, vont à la guerre 
et suivent la cour, qui ne font pas un siège, mais qui y as- 
sistent*, ont bientôt épuisé leur curiosité sur une place de 
guerre, quelque surprenante qu'elle soit, sur la tranchée, 
sur l'effet des bombes et du canon, sur les coups de main, 
comme sur Tordre et le succès d'une attaque qu'ils entre- 
voient : la résistance continue, les pluies surviennent, les 
fatigues croissent, on plonge dans la fange, on a à com- 
battre les saisons et l'ennemi, on peut être forcé dans ses 
lignes et enfermé entre une ville et une armée : quelles 
extrémités ! On perd courage, on murmure. < Est-ce un si 
grand inconvénient que de lever un siège? Le salut de 
l'Ëtat dépend- il d'une citadelle de plus ou de moins? Ne 
faut-il pas, ajoutent-ils, fléchir sous les ordres du Ciel, qui 
semble se déclarer contre nous, et remettre la partie à un 
autre temps? • Alors ils ne comprennent plus la fermeté, et, 

t. « On ne vent point perdre la fie et on veut acquérir de la gloire. » 
rta Rochefoucauld.) 

3. Cet alinéa parut en 1693, un an après le siège et la pnse de Namar. 
Un certain nombre de magioii ats et de financiers avaient assisté, par curio^ 
site, aux opérations du siège qui, sous les yeux du roi, était conduit par 
Vaubao. Toutes les ciroonsunces que mentionne la Bruyère sont d'une 
parfaite exactitude. l\ tomba, pendant la darée du siège, « de fbrieusea 
pluie«, » comme dit Boileau, et « les gens de la cour commençaient à s'en- 
nuyer de Toir si longtemps remuer de la terre, » suiTant l'expression de 

Kacine *'^-*"*'"' ^^ nAIAkvck inor^niAnr ItnlIiinHida <'.nhni»n. nui dîriiTAait la de» 

fense 
avait 




270 CHAPItAB XII. 

i'ils «ftaieUt dit», ropiniâtrèté du fénéfâl, 411! M MtttI 
«ontre les obstacles, qui s'anime pat la difficulté de Teti* 
treprise, qui teille la Huit et s*eipose le jour pour la oofl** 
duire à sa fio. Â-t*on capitulé? ces hommes ai découragés 
relèvent l'importance de cette conquête, en pfédisent let 
suites, exagéfODt la nécessité qu'il 7 ayait dé la faire, le 
péril et la honte qui éuiTaient de s'en désister *, prouTent 
que l'année qui noua oouirrait deê ennemis* était invincible. 
Ils reviennent avec la couf , passent par les villes et les 
bourgades, fiers d'être regardés de la bourgeoisie, qui est 
aux fenêtres, comme ceux mêmes qui ont pfis la placé; ils 
en triomphent paf les chemins, ili se eroient braves. Reve^ 
nus chez eux, ils vous étoufdlssent de flancs, de redansi 
d3 ravelins, de fausse^braie, de oôurtinel et de obemin cou« 
vert; ils rendent compte des endroits où Yenviê dé imt 
les a portés, et où •/ ne laissait pas d*y avoif eu péfil^ des 
hasards qu'ils ont courus, à leur fetoor, d'être pria ou tués 
par l'ennemi i ils taisent seulement qu'ils ont eu peur. 

f C'est le plus petit inconvénient du mondé que dé de« 
meurer coart dans un sermon ou dans une hafangue ; il 
laisse à l'orateur ee qu'il a d'esprit, de bon sens, d'imagi« 
tion, de moBurt et de doetri&e ; il ne lui ôte rien 1 mais on 
ne laisse pas de s'étonner que les hommes^ ayant voulu «ne 
fois y attacher une espèce de honte et de ridicule, s'ejpo^ 
sent, par de longs et souvent d'inutiles diseouts, à en eou^ 
rir tout le risque. 

f Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à 
se plaindre de sa brièveté. Gomme ils le consument à s*ha* 
biller, à manger, à dormir, à de sots dièoourS, k se résoudre 
sur ee qu'ils doivent faire, et souvent à he rien faire, ils en 
manquent pour leurs affaires ou pour leurs plaisirs. Ceux, 
au contraire^ qui en font un meilleur usage en ont de reàte. 

Il n'y a point de ministre si occupé qui ne sache perdre 
chaque jour deux heures de temps; cela va loin {t la fin 
d'une longue vie : et si le mal est eaoors plus grand dans 
lés autres conditions des hommes, quelle perte inflpie nit 
se fait pas dans le monde d'une chose si préeieass, et dont 

l'ou se plaint qu'on n'a poiut asafei \ 

I. Ool evnent étéja rait* é'm déflistomcot» 

t. Le eorps 4*armëe au inttréchal éê Lntémhfmté «iat en ê€b«e S«il« 
laume, ([tti, a la tste as •• ses aenunea, a était av«n«9 pour aeeeurir mmmn 



DBS JTTGEttSNTS. S71 

f H y 8 des créatures de Dieu, qu'on af^^èlle dfts hom** 
mes, qui ont une àme qui est esprit, dont toute la vie est 
occupée et toute l'attention est réunie à scier du marbre : 
oela est bien simple, c'est bien peu de chose. Il y en a 
d'autres qui s'en étonnent, mais qui sont entièrement in- 
utiles, et qui passent les jours à ne rien faire i c'est encore 
moins que de scier du marbre. 

% La plupart des hommes oublielit si fort qu'ils ont une 
âme, et se répandent en tant d^actions et d'exercices où il 
semble qu'elle est inutile, que Ton croit parler avantageu- 
•ement de quelqu'un eu disant qu'il pense. Cet éloge même 
est devenu vulgaire, qui pourtant ne met cet homme qu'au- 
dessus da chien ou du cheyal. 

If • A quoi vous divertissez-vous? à quoi passez-vous le 
temps ? » vous demandent les sots et les gens d'esprit. Si ]d 
réplique que c'est à ouvrir les yeux et à voir, à prêter l'o- 
reille et à entendre, à avoir la santé, le repos, la liberté, 
€6 n'est rien dire. Les solides biens, les grands biens, les 
•euls biens, ne sont pas comptés, ne se font pas sentir. 
« Jouet-vous? masquez- vous? » il faut répondre. 

Est -ce un bien pour l'homme que la liberté, si elle peut 
être trop grande et trop étendue, telle enûn qu'elle ne serve 
qu'à lui faire désirer quelque chose ,^ qui est d'avoir moins 
de liberté? 

La liberté n'est pas oisiveté ; c'est un usage libre du 
temps, o'est le choix du travail et de Texercice ? être libre, 
en un mot, n'est pas ne rien faire, c'est être seul arbitre de 
oe qu'on fait ou de ce qu'on ne fait point. Quel bien en ce 
sens que la liberté I 

% César n'était point trop vieux pour penser à la con- 
quête de Tunivers' : il n'avait point d'autre béatitude h se 
faire que le cours d'une belle vie, et un grand nom après 
sa mort. Né fier, ambitieux, et se portant bien comme il 
faisait, il ne pouvait mieux employer son temps qu'à con- 
quérir le Inonde. ÀLEïANDRfe était bien jeune pour un des- 



t. Yoyet'les Ptmétê de 1t. Pascal, chapitré 3t, çti il ait le eopiraim. 
ifiot$ de la Bruyère.) voici la reflexion de pascal : « César était trop rieil. 
ce me semble, pour l'aller amuser à conquérir le monde. Cet arnnsemeni 
était bon à Alexandre : c'était un Jettne nomme qu'il éuit difficile dV- 
litar I HMl# Oéatr défait êti« plus tahr» ti ->Gésar avall 16 àné quand U rat 
Miné. 



272 CHAPITRE XII. 

sein si sërienx : il est étonnant que, dans oe premier âge, 

les femmes ou le vin n'aient plus tôt rompu son entreprise. 

f Un jeune prince', d'une rage auguste, l'amour et 

l'espérance des peuples, donné du ciel pour prolonger 

LA FiuCITfi DE LA TERRE, PLUS GRAND QUE SES AIEX7X, FILS 

d'un Héros qui est son modèle, a déjà montré a l'univers» 
par ses divines qualités et par une vertu anticipée, que 
les enfants des héros sont plus proches de l'être que les 
autres hommes*. 

f Si le monde dore seulement cent millions d'années, il 
est encore dans toute sa fraîcheur, et ne fait presque que 
commencer ; nous-mêmes nous touchons aux premiers 
hommes et aux patriarches : et qui pourra ne nous pas con- 
fondre avec eux dans des siècles si reculiés? Mais si Ton 
juge par le passé de l'avenir, quelles choses nouvelles nous 
sont inconnues dans les arts, dans les sciences, dans la na- 
ture, et j'ose dire dans l'histoire I quelles découvertes ne 
fera-t-on point I quelles différentes révolutions ne doivent 
pas arriver sur toute la face de la terre, dans les Ëtats et 
dans les empires 1 Quelle ignorance est la nôtre ! et quelle 
légère expérience que celle de six ou sept mille ans ! 

^ Il n'y a point de chemin trop long à qui marche lente- 
ment et sans se presser : il n'y a point d'avantages trop 
éloignés à qui s'y prépare par la patience. 

^ Ne faire sa cour à personne, ni attendre de quelqu'un 
qu'il vous fasse la sienne, douce situation, âge d'or, état de 
l'homme le plus naturel. 

^ Le monde est pour ceux qui suivent les cours ou qui 
peuplent les villes : la nature n'est que pour ceux qui ha- 
bitent la campagne ; eux seuls vivent, eux seuls du moins 
connaissent qu'ils vivent. 

% Pourquoi me faire froid, et vous plaindre de ce qui 
m'est échappé sur quelques jeunes gens qui peuplent les 
cours? Ëtes-vous vicieux, ô Thrasille? Je ne le savais pas, 
et vous me l'apprenez : ce que je sais est que vous n'êtes 
plus jeune. 

1. Le dauphin, fils de Loais XIV. Cette flatterie fat imprimée dans 1m 
|M édition en caractères ordinaires. A la 4* édition l'auteui* crut devoir la 
faire imprimer en capitales. — En itf88. le dauphin commanda l'armée sur 
les bords dn Rhin et se distingua au siège de Pbiiisbourg. 

2. Contre la maxime latine et triviale {Not€ de la Bruyère). — Cette 
maxime est celle-ci : Filii heroum noxœ. 



DES JUGEMENTS. 273 

Et TOUS qui voulez être offensé persoxmelleineiKt ée ce 
que j'ai dit de quelques grands, ne criez-vous point de la 
blessure d'un autre? Étes-vous dédaigneux, malfaisant, 
mauvais plaisant, flatteur, hypocrite ? Je l'ignorais, et ne 
pensais pas à vous : j'ai parlé des grands. 

^ L'esprit de modération et une certaine sagesse dans la 
conduite laissent les hommes dans l'obscurité : il leur faut 
de grandes vertus pour être connus et admirés, ou peut-être 
de grands vices. 

% Les hommes, sur la conduite des grands et des petits 
in^fféremment, sont prévenus, charmés, enlevés par la 
réussite : il s'en faut peu que le crime heureux ne soit loué 
comme la vertu même, et que le bonheur ne tienne lieu 
de toutes les vertus. C'est un noir attentat, c'est une sale 
et odieuse entreprise que celle que le succès ne saurait 
justifier *. 

% Les hommes, séduits par de belles apparences et de 
spécieux prétextes, goûtent aisément un projet d'ambition 
que quelques grands ont médité ; ils en parlent avec inté-* 
rêt, il leur plan même par la hardiesse ou par la nouveauté 
que Ton lui impute; ils y sont déjà accoutumés, et n'en 
attendent que le succès, lorsque, venant au contraire à 
avorter, ils décident avec confiance, et sans nulle crainte 
de se tromper, qu'il était téméraire et ne pouvait réussir*. 

^ Il y a de tels projets, d'un si grand éclat et d'une cou- 
séquence si vaste, qui font parler les hommes si longtemps, 
qui font tant espérer ou tant craindre, selon les divers in- 

1. Toute la fin du chapitre, à partir de ce paragraphe, est consacrée à 
Guillaume de Nassau, prince d'Orange, stathouder de Hollande, et à la ré- 
volution de 1688 qui le plaça sor le trône d'Angleterre. Guillaume éult 
Tennemi de la France; à ce titre, la Bruyère le haïssait; aussi la cause 
de Jacques 11. détrôné par son gendre, a-t-elle trouvé en lui an défenseur 
passionné, et s'esiril montré injuste pour Guillaume d'Oraoge; ses attaques 
ont été toutefois plus modérées que celles du grand Arnauld, qui appelait 
Guillaume le nouvel Hérode, le nouveau Néron, etc. — Cet alinéa et les 
trois suivants ont été écrits en 1689. 

2. Peu de temps avant que ne parût cette réflexion, qu'avait inspirée la 
latte de Guillaume d'Orange et de Jacques II, Bnssy écrivait, de son côté, 
sur le même sujet ; « L'Angleterre va nous donner une grande scène^ mon- 
sieur. Quand les têtes couronnées en sont les acteurs, les spectateurs en 
sont plus attentifs. Si le roi d'Angleterre réassit, ce sera un néros pour le 
monde et pour le ciel. Si le prince d'Orange demeure le mettre, il n'en sera 
paa de même. Les hommes ne jugent aujourd'hui des grands desseias que 
par la tuccèa. Nous ne sommes pU^sdans le temps qu'on pensait ï 

Oûod si deficiant tires, atuUcia eeriê 
Lâus efit. (PropMCë, ii, I, i,) 

IS 



1T4 cxAHMi xa. 

lérèli é0B yettpto, qtBie tMite là g loin et tonls la fortune 
4*im honme y soBt eoBunise». H ae peut pas aroir paru 
9ùT Im icèfie àtee un si bel appareil pour se retirer sans 
l4en dira ; quelques aflVeux périls qu'û commence à prévoir 
dans la suite de son e&ti^prise, il faut quHl Teniame t !• 
«leindre nid pour lui est de la manquer. 

f Dans un méohant homme il n'y a pas de quoi fkire un 
gruid honme. Loues ses ^ues et ses projets, admires si 
conduite, exagérez son habileté à se serrir des moyens 
les plus propres et les plus eourts pour parrenir à ses fins: 
•i ses fins sont maufaises, la prudence* n'y a aucune part; 
«I où manqua la pnidenee, trouTec la grandeur, si vous le 
yeuTOi. 

^ Un ennemi est mort*, qui était à la tête dHine armée 
formidable, destinée à passer le Rhin; il saraH la guerre, 
et son expérience pouvait être secondée de la fortune ? 
faek feux de joie a-t*on tusf qu^le fête publique? Il y a 
dea hottmes, au contraire, naturelleneent odieux, et dont 
l'arersion devient popnlaire t ce n*eaft poiqt précisément 
par les progrès quils font, ni par la crainte de ceux qu'ils 
peuvent faire, que la Toix du peuple éclate à leur mort, et 
que tout tressaille, jusqu'aux enfonts, dès que Ton mar- 
Bture daos les places que la terre eofin en est délivrée. 

T temps! 6 mœurs ! s*écrie MrochYa, ô malheureux 
siècle f siècle rempli de mauvais exemples, où là vertu 
■ouiAre, où le crime domine, où il triomphe! Je veux être 
un Lyeaon^ un MgisU^ roccasion ne peut être meilleure, 
ni les conjonctures plus favorables, si je désire du m,QiQa de 
fleurir et de praspénsr. Un hooana^ dit s % Je pMswai la 
mer, je dépouillerai mon père de $oa patrimolae, ]e te 
abassarai, liuu aa femme, aoa héritiar, de sas lerraa al de 
■es 8tats, » eit, coftime il l'a dit, il Ta Mt. Ce qu'il devait 
aiHprébeMier, o^était le raasanlinenl de pèusieon mm f»^ 



Sk €tx»r4«» Vy 4*0 ée LMimiM, k«u»^rèra é» IVttpener U %fu H ff. It 
iMurtM 1a If a^ril IfiSo. S^eMieiawMiHaèaMè'MCiraÉlMt C MiyMinnt 
aoiift t'ftvwii» dâi, \% t'MâM oM Mil to à» Ift M«ft de OulUMia» ^ %l «Mwaicr 
azéris d«A f^us é» >wtk -• Gei ftliaé» , oè «e «Moire wa xma d'eotrgi* 
Ift bftiaa d« l'utHMr «outra a»iltwii9% jpMUKe tsti. 

8. Lycaoïit rai d'Aretdia, ^^m Jupiwr edtrifeii •• Im» foar 1» ^mhi^ de 
•es meartres. — tgisthe, fils de Tbyes^e, et meurtrier d^Agftineiniion. 

ks Tqujoara le prince d'Oraoge. Jacques II, comme on sait, éuds son 
beftQ'-fiefe. 



DES JU6HMENTS. 275 

oncragd «a la pere^iMiiie dMn seul ro! ; mais ils tiennent 
pour lui ; ils lui ont presque dit : t Passez la mer, dépouillez 
TOtre père, montrez k tout l'unirers qu'on peut chasser un 
roi de son royaume, ainsi qu^un petit sei^eur de son châ- 
teau, en un fermier de sa métairie ; qu'il n'y ait plus de 
différenoe entre de simples particuliers et nous t nous 
somineslas de oes distinotions ; apprenez an monde que ces 
peuples que Dieu a mis sons nos pieâs peuvent nous aban- 
donner, nous trahir, nous livrer, se livrer eux-mêmes à nn 
étranger, et qa*ils nat moins à craindre de nous que nous 
d'eux et de leur puissance. » Qui pourrait voir des choses 
si tristes avee des yeux secs et une âme tranquille? Il nV 
a point de eharj^s qui n*aient leurs privilèges ; il n'y a au- 
oon titulaire qui ne parie, qui ne plaide, qui ne s'agite 
pour les défendre : la dignité )*oyaIe senle n'a plas de pri- 
viléges; les rois eux-mêmes y ont itnoncé Un seul, tou- 
jours boa et nsagnanime *, ouvre ses bras à une famille 
iMilheUre«te; tous les autres se liguent comme pour se 
venger de Ini, et de Tappui qu'il donne à une cause qui 
leur est commune : Tesprit de pique et de jalousie prévaut 
ches eux à Tintérêt de l^onneur, de la religion et de leur 
Btat; estHse assez? k leur intérêt personnel et domestique; 
il y va, je ne dis pas de leur élection, mais de leur succes'- 
sioa, de leurs droits comme héréditaires : enfin, dans tous, 
l'homme remporte sur le souverain. Uniprinee délivrait 
l^uropc*, se délivrait lui-même d'un fatal ennemi, allait 
jewir de la gloire d^avoir détroit un grand empire • : il la 
néglige pour une guerre douteuse. Ceux qui sont nés arbi- 
tres et médiateurs* temporisent ; et, lorsqulls pourraient 
avoir déjà employé utilement leur médiation, lis la pro- 
ittettent. pâtres I continue Heraclite, 6 rustres qui habi- 
tes sous le chaume et dans les cabanes ! si les événements 
ne vent point jusqu'à vous, si voue n'avez point le cœur 
percé par la maMce des hommes, d on ne parle plus d'hom- 
mes dtam vos contrées, mais seulement de renards et de 



1. Louis XIV, qui reçut Jacques II à sa cour lorsqu'il s'enfuit devant 
Guillaume, lui donna des secours, et lui offrit de nouveau i'hospilAlilé après 
la défaite de la Boyn«. 

9. L'empereur Léopold. 

fw La Turquie. 

%. Le pape Inoocent XI. 



276 CHAPITRE XII. 

loups-eerviers» receTez-moi parmi toui i manger yotra 

pain Doir et à boire Teau de tos citernes I 

% Petits bomines hauts de six pieds, tout au plus de sept, 
qui TOUS enfermez aux foires comme géants, et comme des 
pièces rares dont il faut acheter la vue, dés que vous allez 
jusques k huit pieds; qui vous donnez sans pudeur de la 
hautessê et de rëmtnence, qui est tout ce que l'on pourrait 
accorder à ces montagnes voisines du ciel et qui voient les 
nuages se former au-dessous d'elles; espèces d'animaux 
glorieux et superbes, qui méprisez toute autre espèce, qui 
ne faites pas même comparaison avec l'éléphant et la ba- 
leine; approchez, hommes, répondez un peu à Démoerite. 
Ne dites-vous pas en commun proverbe : deê loup9 ravis- 
sants, des lions furieux^ malicieux comme un singe? Ei vous 
autres, qui êtes- vous? J'entends corner sans cesse à mes 
oreilles : Vhomme est un animal raisonnable* Qui vous a 
passé cette définition? sont-ce les loups, les singes et les 
lions, ou si vous vous Tètes accordée à vous-mêmes? C'est 
déjà une chose plaisante que vous donniez aux animaux, 
vos confrères, ce qu'il y a de pire, pour prendre pour vous 
ce qu'il y a de meilleur. Laissez-les un peu se définir eux- 
mêmes, et vous verrez comme ils s'oublieront et conune 
vous serez traités. Je ne parle point, ô hommes, de vos lé- 
gèretés, de vos folies et de vos caprices, qui vous mettent 
au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement 
leur petit train, et qui suivent, sans varier, l'instinct de 
leur nature : mais écoutez-moi un moment. Vous dites d'un 
tiercelet' de faucon qui est fort léger, et qui fait une belle 
descente sur la perdrix : c Voilà un bon oiseau » ; et d'un lévrier 
qui prend un lièvre corps à corps : f C'est un bon lévrier. • 
Je consens aussi que vous disiez d'un homme qui court le 
sanglier, qui le met aux abois, qui l'atteint et qui le perce: 
f Voilà un brave homme *. » Mais si vous voyez deux 
chiens qui s'aboient, qui s'affrontent, qui se mordent et se 
déchirent, vous dites :c Voilà de sots animaux»; et vous pre- 
nez un bâton pour les séparer. Que si l'on vous disait que 
tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers 

t. Le tiercelet eit le mUe de quelques oiseaux de proie* 
S. De nos ioors, un brave homfne est un bonn6te homme ; un homm$ 
brmu est un nomme plein de bravoure : c'est une distinction qui n'exitftiit 
pas ail dii-sêptième sièoie, témoins Comeille, Racine «t la Brutèie. 



DES JUGEMENTS. 277 

dans une plaine» et qn'après avoir miaulé tout leur soûl, ils 
se sont jetés aveo furear les uns sur les autres, et ont joué 
ensemble de la dent et de la griffe ; que de cette mêlée il 
est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur 
la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur 
puanteur, ne diries-vous pas : « Yoilà le plus abominable 
êabbat dont on ait jamais ouï parler? » Et si les loups en fai- 
saient de même, quels hurlements 1 quelle boucherie! Et si 
les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire, 
conclurieE-yous de ce discours qu'ils la mettent à se trou- 
ver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et à anéantir 
leur propre espèce? ou, après l'avoir conclu, ne riries-vous 
pas de tout votre cœur de Tingénuité de ces pauvres bêtes? 
Tous avez déjà, en animaux raisonnables, et pour vous dis- 
tinguet de ceux qui ne se servent que de leurs dents et do 
leurs ongles, imaginé les lances, les piques, les dards, les 
sabres et les cimeterres, et à mon gré fort judicieusement : 
car, avec vos seules mains, que pouviez-vous vous faire les 
uns aux autres que vous arracher les cheveux, vous égrati- 
gner au visage, ou tout au plus vous arracher les yeux de la 
tête ? au lieu que vous voilà munis d'instruments commo- 
des, qui vous servent à vous faire réciproquement de larges 
plaies, d'où peut couler votre sang jusqu'à la dernière 
goutte, sans que vous puissiez craindre d'en échapper. Mais, 
comme vous devenez d'année à autre plus raisonnables, 
vous avez bien enchéri sur cette vieille manière de vous 
exterminer : vous avez de petits globes * qui vous tuent 
tout d'un coup, s'ils peuvent seulement vous atteindre à la 
tête ou à la poitrine; vous en avez d'autres* plus pesants et 
plus massifs, qui vous coupent en deux parts ou qui vous 
ëventrent, sans compter ceux qui, tombant sur vos toits *, 
enfoncent les planchers, vont du grenier à la cave, en en- 
lèvent les voûtes, et font sauter en l'air, avec vos maisons, 
vos femmes qui sont en couche, l'enfant et la nourrise : et 
c'est là encore où git la gloire; elle aime le remue ménage^ 
et elle est personne d'un grand fracas. Vous avez d'ailleurs 
des armes défensi\res, et, dans les bonnes règles, vous de- 
vez en guerre être habillés de fer, ce qui est, sans mentiri 

t. Dei baUes de moasqneu 
3. Les boulets de canons. 
S< Les bombes. 



278 CHAPITRE XU. 

une jolie parure, et qui me fkit soaTetiiT àt cet quatre paoca 
célèbres que moatrait autrefois un charlatan, subtil oa- 
Trier, dans une fiole où il avait trouvé le secr^ de les faire 
vivre : il leur avait mis à chacune une salade ' en tète, leur 
avait passé un corps de cuirasse, mis des brassards, des 
genouillères, la lance sar la cuisse; rimi ne leur manquait, 
et en cet équipage elles allaient par sauts et par bonds daas 
leur bouteille. Feiguez un homme de k taille du mont Ath<» : 
pourquoi non? une âme seraii-elle embarrassée d%nim«r 
un tel corps? elle en serait plus au large : si cet homme 
avait la vue assea subtile pour vous découvrir quelque part 
•ar la terre avec vos armes offensif es et défensives, que 
croyez-vous qu^il penserait de petits marmousets ainsi 
équipés, et de ce que vous appelés guorre, cavalene, infan- 
terie, un mémoraûe siège, une fameuse journée ? rfenten- 
drai*je donc plus bourdonner d'autre chose parmi vous? le 
monde ne se divise^t-il plus qu'en régiments et en compa- 
gnies? tout e&t-il devenu bataillon ou escadron? /I a pris 
une vilk^ il en a pris «ne êeeondé^ puit une froûtàne; il a 
gagné une baiaUk^ deux batailles; il chasse Vennsmi^ il vainc* 
sur mer, il vaine fur ierrs : est'^oe de quelqu'un de vous 
autres, est-ce d*un géant, d'un A$hos, que vous parlez? Vous 
avez surtout un homme pâle et livide* qui n'a pas sur soi 
dii onces de chair, et que Ton croirait jeter à terre du 
moindre souffle. Il fait néanmoins plus de bruit que quatre 
autres, et met tout tn combustion; il vient de pêchel'en 
eau trouble une île tout entière* : ailleurs*^, à la vérité, il 
est battu et poursuivi ; mais il se sauve par les mdrais^ et 
ne veut écouter ni paix ni trêve. Il a montré de bonne 
heure ce qu'il savait faire : il a mordu le sein de sa nou^» 
rice*; elle en est morte, la pauvre femme : je m'entends, 

1. Sorte de casqne. 
9. FoJfie a'eni ploie rarenent 

s. Le roi Guillaume. Le porirait est eiaGt. Sa pftleay peripH à Boile^ ^ 
iire, en s'adressant à la Tille de Namur : 

Dans Bruxelles Nassau bUmi 
Commence à ureaUiler pour toi. 

4. L'Angleterre. 

5. En Hollande, oh Guillaume, en 1673, avait rompu les digues, ouvert les 
écluses et arrêié rarmée française par l'enyahissement des eaux. — Turenne 
disait que le pnnce d'Orange pouvait se Taoter d'avoir perdu plus de ba- 
tailles qu'aucun général. 

6. La Hollande, dont Guillaume entreprit de restreindre les libertés. Coi- 



DIS jQcxmifs, 979 

il suffit Bn «Q mot, il était né sujet, et U ne Pest plnt ; au 
contraire, il est le mattre, et èeul <)u^l a domptes et mis 
BOUS le ^ou^ vont à ta ehsrrne et labourent de bon courage » 
ils semblent même appréhender, les bonnes gens» de pon- 
Toir se déhet un jenr et de devenfr libres, eat ils ont étendu 
laeottfroie et allongé )e fonet de celoi qui les fait mareber; 
t)s n'oBblient rieb pooir aeorottre leur servitude; ils lui font 
passer Teau pour se l^ire d'autres tassauk et s'acquérir de 
sou^eaut domaines : il s*agit, il est trai, de prendre son 
p^e et sa inère par les épaules et de les jeter hors de leut 
maison; et Ih Mdelit dabs une si honnête entreprise. te$ 
g«ns de delà Peau* et ceux d'en deçà * se cotisent et met* 
tent ehaoun du leur ptxxt se le rendre à eux tous àe Jour 
en }our plus redoutable t les Picies et les Saxtms imposent si<k 
lence àiix Èatûves , et ceux-ci aux Pfc^es et aux Saœons; 
tous se peuvent vanter d'être ses humbles esclayes, et au- 
tant qu'ils le souhaitent. Mais qu'entends-je de certains 
personnages qui ont des couronnes, je ne dis pas des comtes 
ou des marquis, dont la terre fourmille, mais des princes 
et des souverains? ils viennent trouver cet homme dés 
qu'il a sifflé, ils se découtrent dés son antichambre, et ils 
ne parlent que quand on les interroge*. Sont-ce là ces 
ffiéfiies princes si pointilleux, si formalistes sur leurs rangs 
et sur leurs préséances, et qui consument, pour les régler, 
les mois entiers dans une diète t Que fera ce nouvel m^« 
ehont9* peur payer une si aveugle soumission, et pour 
répondre à une si haute idée qu'on a dé lui? S'il se livré 
une bataille, il doit la gagner, et en personne ; si rennemi 
fait un siège, il doit le lui faire lever, et ave6 honte, à 
moins que tout l'océan ne s&it entré lui et Tennemi : il ne 
saurait moins faire en faveur de ses courtisans. César ^ 

leau «M 1* «talé «itdfllOB daœ |bt èdesit lapitoe éeNyDar, ISMqiPIl 

parlera au Batave 

Désormaig docile esclave. 
I. heê Atttrlais. 

3. Les Hollandais. 

S. Lorftqoe Goiiiatttté tint à \t Haye en {601, le« prfnees Mgnéê aecoa- 
rtifent auprès de lui, et rËlectenr de Bayière, parafi^il. dutaitendre pa« 
flemment one audience dans une antichambre. L huniilité atec laquelle letf 

{rinces qui se rendirent au congrès de la Haye prodiguèrent leurs respects 
Tasurpatenr Ouillaume se ndatisa la cour de yersailles : on les titrait I 
la risée publique dati8 les llbelle^ ei les carlcaiurei. 

4. L'archonie était à Athènes le magistrat qui dirigeait la r^pabUi^ae. 
ft. L'empereur. 



^BO CHAPITRE Xn. 

]uii>méine ne doit-il pas venir en grossir le nombre? il en 
attend du moins d'importants services; car, ou Farchonte 
échouera avec ses alâés, ce qui est pins difficile qu'impos- 
sible à concevoir, ou, s*il réussit et que rien ne lui résiste 
le voilà tout porté, avec ses alliés jaloux de la religion et 
de la puissance de César, pour fondre sur lui, pour lui en- 
lever VcUghy et le réduire, lui ou son héritier, à la fasce 
d'argent * et aux pays héréditaires. Enfin, c'en est fait, ils 
se sont tous livrés k lui volontairement, à celui peut-être 
de qui ils devaient se défier davantage. Ésope ne leur di- 
rait-il pas : La geiU volatile d'une certaine contrée prend 
V alarme et s'effraie du voisinage du lion^ dont le seul rugis^ 
sèment lui fait peur : elle se réfugie auprès de la béte^ gui lui 
fait parler d'accommodement et la prend sous sa protection 
qui se termine enfin à les croquer tous Vun après l'autre. 



CHAPrrRE xm. 

DE LA MODE. 

Une chose folle et qui découvre bien notre petitesse, c^est 
l'assujettissement aux modes, quand on Tétend à ce qui 
concerne le goût, le vivre , la santé et la conscience. La 
viande noire* est hors de mode, et, par cette raison, insi- 
pide; ce serait pécher contre la mode que de guérir de la 
fièvre par la saignée. De même. Ton ne mourait plus depuis 
bngtemps par Théotime; ses tendres exhortations ne sau- 
vaient plus^ue le peuple, et Théotime a vu son succes- 
seur*. ^^ 

% La curiosité * n*est pas un goût pour ce qui est bon ou 
ce qui est beau, mais pour ce qui est rare^ unique, pour ce 

1. Lai enlever l'empire et le réduire aux armes de la maison d'iatriche. 

2. Le gibier. 

3. PeDdaiit lonctttnps. noas disent les clefs, M. Sacbot, curé de Saint-Ger- 
vais, avait entenda la aerniëre confession des gens de qualité. Peu à peu 
l'un cessa de rappe>ler,etcefat de Bourdaloue que Ton voulut recevoir les 
dernières exbortatiuns. 

4. La définition qui suit nous dispense de nous arrêter sur le sens parti- 
culier qu^offre ici ce mot. Le fleuriste, l'amateur de fruits, l'amateur d'es- 
tampes, le bibliophile, etc., autant de types de cwrievx que la Bruyère pas- 
sera successivement en revue. 



DE LA MODE. 281 

qu'on a et ce que les autres n'ont point. Ce n'est pas un at- 
tachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, à 
ce qui est à la mode. Ce n'est pas un amusement , mais une 
passion, et souvent si yiolente qu'elle ne cède à l'amour et 
à l'ambition que par la petitesse de son objet. Ce n'est pas 
une passion qu'on a généralement pour les choses rares * et 
qui ont cours, mais qu'on a seulement pour une certaine 
chose, qui est rare, et pourtant à la mode. 

Le fleuriste a un jardin dans un faubourg; il y court au 
lever du soleil, et il en revient à son coucher. Vous le voyez 
planté et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et de- 
vant la Solitaire : il ouvre de grands yeux, il frotte ses 
mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l'a jamais 
Tue si belle , il a le cœur épanoui de joie : il la quitte pour 
V Orientale ; de là, il ya à la Veuve ; il passe au Drap d*or; de 
celle*ci à V Agathe; d'où il revient enfin à la Solitaire *, où il 
se fixe» où il se lasse, où il s'assied, où il oublie de dtner : 
aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées ; 
elle a un beau vase ou un beau calice ; il la contemple , il 
l'admire ; Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'ad- 
mire point : il ne va pas plus loin que l'oignon de sa tulipe, 
qu'il ne livrerait pas pour mille écus, et qu'il donnera 
pour rien quand les tulipes seront négligées et que les 
œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable qui a une 
âme, qui a un culte et une religion, revient chez soi fa- 
tigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vu des 
ti^pes*. 

Parlez à cet autre de la richesse des moissons, d'une 
ample récolte, d'une bonne vendange ; il est curieux de 
fruits; vous n'articulez pas, vous ne vous faites pas enten- 
dre. Parlez-lui de figues et de melons, dites que les poi- 
riers rompent de fruit cette année, que les pèchei^ ont 
donné avec abondance : c'est pour lui un idiome inconnu ; 
il s'attache aux seuls prunii^ , il ne vous répond pas. Ne 
l'entretenez pas même de vos pruniers : il n'a de l'amour 
que pour une certaine espèce, toute autre que vous lui nom- 
mez le fait sourire et se moquer. Il vous mène à Tarbre , 

i, C'esi-à-dire pour les cbosas rirM en géDéntl. 
% la Soittotre, VOrittUale. eic, uoms de variétés de taUpei. 
S « U n*y a point de si petit cartotère qu'on ne puisse rendre sgréable 
par le coloris; le flearista de la Bruyère en est la preute. » (VaaTenarguesJ 



28â CHAHTRB xni; 

eaeille àtfisMttiefii oétte yitme «R^aiât ; il iHniTfe , T»n en 

éonne une moitié, et prend Tautre : t Quelle ebâ^r, dit-U; 
goûtez-vous cela *T cela est-tl ditin? voilà ee q«M toos ne 
trouverez pas ailleurs! » et IMessns ses Aatines s'evUei^ 
il cache avec peine sa joie et sa vanitépâr qtteiqiieaitohora 
de modestie. Q l'homme divin, en effet) hodimé qu'on ■• 
pent jamai» asset loner et admlfert hoflime dost II se» 
parlé dans plusieurs siéclesl que je tôle sa tailla «I son -f^ 
sage pendant qûfl vit; que fobeerve \m tnits el 1« iumfe- 
nance d*iin homme qni MUl eaxte )M stoileU poHèiie vas 
telle prune ! 

On troisième, qtie vous allei voir, tous parie de» c\sti0aM^ 
ses confrères, et surtout de Dêôgnêlet* ie l'admire, dil>cl,<t 
je le comiDrends moine que jamais. iPeMet-véus qu'il i^MToke 
à s'instruire par les médailles, el' qu'il les regarde eomAte 
des preuves parlantes de ceftainà foits, et des monametits 
fixes elf indubitable^ de Fanciënfte histoire? rien moins. Tous 
y^ croyez pëui-étre ^e toute la peine qu^l se donne pon^ fe« 
couvrer une tête vient du plaisir qo4l se fait de ne voit pas 
une suite d'empereurs Interrompue? c'est encore tn#kis. 
Diognète sait d'une médaille le fruste, le flou, et la fkut dà 
coin * ; il a une tablette dont toutes les places sont ^amieâ» 
à rezception d'une seule : ce vide lui blesse là tue, et o'eel 
préciséQient et à la lettre pour le remplir qu'il einploie son 
bien et sa vie. 

c Tous voulez, ajoute Démocêde, voir mes estampes? a et 
bientôt il les étale et vous les montre. Vous en rencontres 
une qui n*est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d'aîlltnrs 
moins propre à être gardée dans un cabinet quHt tapisser, 
un jour de fête, le PetiV-Pont ou la rue Neuve* : il convient 
qu'elle est mal gravée, plus mal dessinée; mais il assure 
qu'elle est d'un Italien qui a travaillé peu, qu*elle n*a presqne 

Jas été tirée , que b'est la seule qui 'soit en France de ee 
éssin, qu*il Ta achetée trèâ-cher, et ^'îl ne la changerait 

f. Cela esMl de totre goétw 

2. Une médaiUe frmU est une médaHIe Ofté», sur laquelle te tjpe et U 
légende sont effacés. — Flou vient de (luidus et se dit des roédalhes dont 
les angles rentrants ei shillanis sont empalés. — • Une médaille à fleur de 
coin est celle que le frotiemefit s'a ^a uaaa ^t %n.\ a«m^ avoir été iQut 
réceriiment frappée par \e ooint 

I. La Petit>Pont était alora cauvart da inaisians. On Iça taDissait df tan- 
tureaet d'itMgea, ainai qu» calka 4a te rM KfiKfei^tets^aoïa» 1^ i^asa di9 
procession. 



DE lA IKUœ* 283 

jfê» pouf ee qu'^ a do meilleur : c J*ai, coatinae^Mli une 
sensible affliction, et qui m'obligera à renoncer aux estam- 
pes pour le reste de mes jours : j'ai tout Callot\ hormis 
une seule, qui n'est pas, à la vérité, de ses bons ouvrages; 
au contraire, c'est un des moindres, mais qui m'achèverait 
Gallot : je travaille depuis vingt ans i recouvrer cette es- 
tampe, et je déaesp^e enfin d'y r^uwir; eela est bien 
fiidel » 

Tel autre lait la satire de oes gens qui s'engngent par ior 
quiétude ou par euriosité daaa de l«flgs voyages, qui ne 
iaoi ni mémoires ni lelatione» qui ne pertent po^àt de ta- 
blettes; qui vont peur voir, et qui ne voient pas, ou qui 
oublient ce qu'ils OAt vu, qui désirent seulement de oen- 
naitre de nouvelles teutu ou de nouveaux clochers, et de 
passer des rivières qu'on n'appelle ni la Seine ni la Ivoire; 
qui sortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à 
être absenta, qui veulent un jour être revenus de loin, fit oe 
Mtirique parle juste, et se fait écouter. 

Mais quand il ajoute que les livret en apprennent plus 
que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses dis- 
cours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir : je 
vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison où, 
dès l'escalier, je tombe en faiblesse d'nne odeur de HUro- 
quin noir dont ses livres sont tous couverts. 11 a beau me 
erisr aux oreilles, pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur 
tranche , ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me 
BommfT les meilleurs l'un après Neutre, dire que sa galerie 
est remplie , à quelques endroits près, qui sont peints de 
manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangea sur 
des tablettes et que TobII s'y trompe; ajouter qu'il ne lit 
jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y 
viendra pour me faire plaisir; je le remercie de sa eomplai- 
•anee, et ne veux, non plus que lui, visiter sa ^nnerie, qu'il 
appelle bibliothèque. 

Quelques-uns, par une intempérance de savoir, et par ne 
pouvoir se résoudre à renoncer à aucune sorte die oonnais- 
aance, les embrassent toutes et n*en possèdent aucune : ils 
aiment mieux savoir beaucoup que de savoir bien, et être 
faibles et superficiels dans diverses sciences que d*ètre sûrs 

té Jaeqoei Gsllot, peintre, dessioatenr et gmeur (f9M*lSl»>« 



284 CHAPITRE XUI. 

et profonds dans une seule. Ils trouyent en tontes rencon« 
très celui qoi est leur maître et qui les redresse; ils sont les 
dopes de lear vaioe curiosité, et ne peuvent au plus, par de 
longs et pénibles efforts, que se tirer d'nne ignorance 
crasse. 

D'autres ont la clef des sciences, où ils n'entrent jamais : 
ils passent leur vie à déchiffrer les langnes orientales et les 
langues du Nord, celles des deux Indes, celle des deux 
pôles, et celle qui se parle dans la lune. Les idiomes les 
plus inntiles, ayec les caractères les plus bizarres et les 
pins magiques, sont précisément ce qui réyeille lenr pas- 
sion et qui excite leur travail ; ils plaignent ceux qui se 
bornent ingénument à savoir leur langue, ou tout au pins 
la grecque et la latine. Ces gens lisent toutes les histoires, 
et ignorent Thistoire; ils parcourent tous les livres, et ne 
profitent d'aucun: c'est en eux une stérilité de faits et de 
principes qui ne peut être plus grande, mais, à la vérité, la 
meilleure récolte et la richesse la plus abondante de mots 
et de paroles qui puisse s'imaginer : ils plient sous le fidx; 
leur mémoire en est accablée, pendant que leur esprit de- 
meure vide. 

Un bourgeois aime les bâtiments ; il se fait bâtir nn hôtel 
si beau, si riche et si orné, qu'il est inhabitable; le maî- 
tre, honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se ré- 
soudre à le louer à un prince ou à nn homme d'affaires se 
retire au galetas, où il achève sa vie, pendant que l'enfilade 
et les planchers de rapport* sont en proie aux Anglais et 
aux Allemands qui voyagent, et qui viennent là du palais 
Royal, du palais L.... G....* et du Luxembourg. On heurte 
sans fin à cette belle porte; tous demandent à voir la mai- 
son, et personne à voir Monsieur» 

On en sait d'autres qui ont des filles devant leurs yeux, 
à qui ils ne peuvent pas donner une dot ; que dis-je ? elles 
ne sont pas vêtues, à peine nourries ; qui se refusent un 
tour de lit * et du linge blanc, qui sont pauvres; et la source 
de leur misère n'est pas fort loin : c'est nn garde-meuble 
chargé et embarrassé de bustes rares, déjà poudreux et 



1. Les planchera en marqueterie. 

3. L'h6tel Lesdignières ou l'hôtel Langlée. 

S. Ud tour de lit se compose de rideaux sospendu et fixés aatonr da lit. 



DE LA MODE. 285 

couverts d'ordures, dont la vente les mettrait an large, mais 
qu'ils ne peuvent se résoudre à mettre en vente. 

Diphile commence par un oiseau et finit par mille : sa 
maison n'en est pas égayée, mais empestée ; la cour, la 
salle, l'escalier, le vestibule, les chambres, le cabinet, tout 
e6t volière. Ce n'est plus un ramage, c'est un vacarme; les 
vents d'automne et les eaux dans leurs plus grandes crues 
ne font pas un bruit si perçant et si aigu ; on ne s'entend 
non plus parler les uns les autres que dans ces chambres 
où il faut attendre, pour faire le compliment d'entrée, que 
les petits chiens aient aboyé. Ce n'est plus pour Diphile un 
agréable amusement, c'est une affaire laborieuse, et à la- 
quelle à peine il peut suffire. Il passe les jours, ces jours 
qui échappent et qui ne reviennent plus, à verser du grain 
et à nettoyer des ordures. Il donne pension à un homme 
qui n'a point d'autre ministère que de siffier des serins au 
yfiageolet et de faire couver des Canaries*, 11 est vrai que ce 
/qu'il dépense d'un côté, il l'épargne de l'autre, car ses en- 
fants sont sans mattres et sans éducation. 11 se renferme le 
soir, fatigué de son propre plaisir, sans pouvoir jouir du 
moindre repos que ses oiseaux ne reposent, et que ce petit 
peuple, qu'il n'aime que parce qu'il chante, ne cesse de 
chanter. Il retrouve ses oiseaux dans son sommeil : lui- 
même il est oiseau, il est huppé, il gazouille, il perche ; il 
Téve la nuit qu'il mue ou qu'il couve. 

Qui pourrait épuiser tous les différents genres de curieux? 
Devineriez-vous, à entendre parler celui-ci de son Léopard, 
de sa Plume, de sa Musique*, les vanter comme ce qu'il y 
a sur la terre de plus singulier et de plus merveilleux, qu'il 
veut vendre ses coquilles? Pourquoi non, s'il les achète au 
poids de l'or ? 

Cet autre aime les insectes ; il en fait tous les jours de 
nouvelles emplettes ; c'est surtout le premier homme de 
l'Europe pour les papillons : il en a de toutes les tailles et 
de toutes les couleurs. Quel temps prenez-vous pour lui 
rendre visite? il est plongé dans une amère douleur ; il a 

1. Serins des lies Canaries. La Bruyère ëerit CatutrUi ooofonnément k 
rétymologie, et non CcmarU, comme on le fiUt aii^ourd'hai. Le poète Sau- 
tenil élevait ches lui an grand nombre de serins, «t c'eBt \v& que l*on a 
voulu Mooimattre dans le personnage de nibhile» 

Û. Nomà de coquillages. (iVo<«d« là Bt^yète,) 



366 CHAFITRS XUI. 

ITuunevr ftom, diigrioe, et é»Dt toute sa funitte touApe t 
aussi a-t-il fait un« parte irréparable. Afkprochei, regardes 
oe qu'il Toua montre aur aon doigt, qui n'a plus de yw et 
qui Tient d^expirer : o'eat une ekeiîilley et quelle eke- 
aille I 

% Le duel «at la triomphe de la mode, et l'endroit oh efin 
a exercé aa tyrannie avec plua d'éclat '• Cet usage n'a pas 
laiaaé au poltron la liberté de viTrei il l'a mené se faire 
tuer par un plus brare que soi, et Fa eonfiandn avec un 
homme de ceaur; il a. attaché de l'honneur et de la gloire à 
uf^ action fcUe et extravagante ; il a été approuvé par ht 
présenoe des rois ; il y a eu quelquefois une eapèce de re* 
îigioo à le pratiquer; il a décidé de rinoocenoe dea hommes, 
dai acoaaations lausses ou véritablea sur des crimes capi^ 
taux*; il s'était enfin si prafoedément enraeiné dansTopi* 
nien à9$ pe^ples, et s'était si fort saisi de leur coaur et de 
leur esprit, qu'un des plus beaux endroits de la vie d'ia 
txés-^raad roi ' a été de les guérir de cette folie. 

% Tel a été à la mode^ on pour le commandement des np^ 
mées et la négociation*, eu pour Téloqu^ce de la duLire, on 
pour les vers, qui n'y est plus. Y a*t-il des hommes qui âé«- 
génèrent de ce qu'ils furent autrefois? estn» leur mérite fû 
est usé, ou le gofikt que l'oii avait pour eux? 

f Un homme à la mode dure peu, ear les modes pasecai t 
s'il est par hasard homme de mérite, il n'est pas anéanti^ 
et il subsiste encore par quelque endroit : également eati- 
m^bl9« iiBst seulement meies estieaé. 

lA vertu a cela d'heureux, qu'elle se anffit k éUe*mème^ 
et qu'elle sait se passer d'admirateurs^ de partisan ei de 
protecteurs i le maoque d'appui et d'approbati<m non^eenie» 
ment ne lui nuit pas, mais il la conserve, l'épure et ht rend 
paarfaite : qu'elle soit à la mode, qu'elle n'y soit ptes, eUe 
demeure vertu. 

% Si vous dites au hommes, et anrtout ans grande, qm'vn 
tels delà vevtn, ils tous disent : % Qu'il la garde ; » qu'il a 

1. Le plus d'éclat. Noas avonê déjà ta que plut atait songent la ndeor 
du superlatif. 

9. AMtwIuB aa duel Judiciaire. l*Dti de« dern!era duels jiKfidaireB est 
cel»i qai eot lieu, le t^^oiltet f S47, tous les jeui de tienrf U e( do sa covr, 
enm Jarnac et la Châtaigneraie. 

3. Louis XIV, qui a rendu pltt8ie(h<8 dntotuttncas contre le tfoel. i 

4. La diplomatie. 



1» LA UOM. 9ê7 

biaii àt l%8prlt) de edmi surtout qui plaît «I ^i «msas, fk 
'v^iis répondent : « TMit ttienx pour lui; 9 qfa*i\ a l'esprit fort 
eultité) qvUl «ait beaucoup, ils yoiis dasiandetit quelle heure 
il est ou ^ue) tempe il fett. MâÎB si vous leur appreoes cpl'il 
y a ufi 2^'lllrfi qui souffle ou qui feiti m nMe un veive d'eau^ 
de*?ie', et, chiose mervelileuse} qui j revient à plueieum 
foie ea tm repM< ulere ils disent t s 04 estait ameaes^le- 
iftoi deiBtin, ee soir; tne ramèttevMi^vous 1 1 On le leur amène; 
et cet ^oHiBie, ff^pr% à pfeiet les av^aues d'une foire et à 
être meatië eu okwasbM powr de i^MPgeat) iis l'admettent 
daus leur fnslliarité. 

Y H &*7 a rien qui iMOte plus «ttHtemenl un homme à la 
msde tlxftA le irevkMTe davufitaf^ que le ^nmè feu : eek t& 
du patr avec H crapule K Je yeudrais bien yeir un homme 

C»H, eujeué, epirîtuel, fût^l ub GAtifLiG ou son drs(^plei, 
Ire quelque eomparaiseu avec celui qui vient de perdre 
hvtit eehts pis^i^s en une séance. 

^ Utie peiteenufi à Ift mode rssîsemblu à une flmir bku&* 
fini 9TfM de sd^-mérae dans le]| sillefts, oft elle étouflb le^ 
dpis, diminue là moisson, et tient la place et quelque chose 
dfe meilleur ; qui n'a de prix et de beauté que ce qu'elle em* 
prunte d^ft caprice léf^er qui naît et qui tombe presque 
dans le même iustant : aujourd'hui elle est courue, tes fem- 
mes s'en parent; demain elle est négligée, et rendue au 
peuple. 

Une persottnts de métîte, au uontraîre, est une fleur qu^otl 
fie déMgne pas par sa couleur, mais que Ton nommt^ par son 
nom, que rcn cultive pour sa beauté ou pour soû odeur •; 
Tune des grâces de la nature, Tune de ces choses qui em^ 
bellissent le monde, qui est de tous les temps et dWe 
vogue ancienne et populaire ; que nos pères ont estimde, et 
que nous estimeas «prèe ne» pères; à qui le dégoût ou 
rantipathie de qu(jli|ueaiHiaft na aatùrwi nnife 3 un lis, une 
rose. 

^ L^on voit Eiisttate assis dans sa nacelle, où il jouit dMn 

t. TinBlliB, ffféCet 4m oohoflti in<itone»Mtv «éUèripHr mi délMHic)i«e. 
^Soufflffr, jeter en êoAle uu iabler un verre d'eau-de-vie, l'avaler d'ua trail, 
4«M \t alyielMBiii^r «t fNrovcrbial. 

2. Cela va de pair avec Tivrognérie. Nous ateai Aâ|àito pias limM(p. iS7) 
tom(H ùrmfmiô ikuM Le nèive ««m* 

3. Les bluets furent, pendant quelqne le«pi,)a»lMrill te'iM<le»Lfe» 
4ames portaicBi des liouqtieu é« J»liWHi* 



288 CHAPITRE xni. 

air pur et d'an cial serein : il avance d'un bon vent et 
qui a toutes les apparences de devoir durer ; mais il tombe ' 
tout d*un coup, le ciel se couvre, Forage se déclare, un 
tourbillon enveloppe la nacelle, elle est submergée : on 
voit Ëustrate revenir sur Feau et faire quelquet^ efTcrts; on 
espère qu'il pourra du moins se sauver et venir à bord ; 
mais une vague l'enfonce, on le tient perdu; il parait une 
seconde fois , et les espérances se réveillent, lorsqu'un 
flot survient et Tablme * : on ne le revoit plus , il est noyé. 

f Voiture et Sàrrazin * étaient nés pour leur siècle» et ils 
ont paru dans un temps où il semble qu'ils étaient attendus. 
S'ils s'étaient moins pressés de venir, ils arrivaient trop 
tard; et j'ose douter qu'ils fussent tels aujourd'hui qu'ils ont 
été alors. Les conversations légères, les cercles, la fine 
plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites 
parties où l*on était admis seulement avec de Tesprit, tout 
a disparu. Et qu'on ne dise point qu'ils les feraient revivre : 
ce que je puis faire en faveur de leur esprit est de conve- 
nir que peut-être ils excelleraient dans un autre genre ; mais 
les femmes sont, de nos jours, ou dévotes, ou coquettes, ou 
joueuses ou ambitieuses, quelques-unes même tout cela à la 
fois : le goût de la faveur, le jeu, les galants, les directeurs, 
ont pris la place, et la défendent contre les gens d'esprit. 

% Un homme fat et ridicule porte un long chapeau, un 
pourpoint à ailerons^, des chausses à aiguillettes* et des 
bottines : il rôve la veille par où et comment il pourra se 
faire remarquer le jour qui suit. Un philosophe se laisse ha- 
biller par son tailleur. 11 y a autant de faiblesse à fuir la 
mode qu'à l'affecter*. 



i. Iiy leveDt. ^ 

s. Et to précipite dans rabime. Ceti l« vni aeui dn mot: 

Sera-moi de pbare, et (jarde d*ab<f mer 
Ma nef qui flotte en si profoude mer. 

(Ronsard.) 




succès. 

4. Les ailerons, petits bords d'étoffes qui couvraient les coutures du baut 
des manches d'un pourpoint. 

5. Oes chausses au bas desquelles eont attadiées, pour ornement, des 
touffes de rubans on de cordons ferrés. 

e. Tcuiàurs an pins grand ndobre on doit a^actommoder. 



DE LA MODE. 289 

% L'on blâme une mode qui, divisant la taille des hommes 
en deux parties égales, en prend une tout entière pour le 
buste, et laisse l'autre pour le reste du corps. L'on con- 
damne celle qui fait de la tête des femmes la base d'un 
édifice à plusieurs étages , dont Tordre * et la structure 
changent selon leurs caprices ; qui éloigne les cheveux du 
visage, bien qu'ils ne croissent que pour l'accompagner ; 
qui les relève et les hérisse à la manière des bacchantes, et 
semble avoir pourvu à ce que les femmes changent leur 
physionomie douce et modeste en une autre qui soit fière et 
audacieuse. On se récrie enfin contre une telle ou une telle 
mode, qui cependant, toute bizarre qu'eUe est, pare et em- 
bellit pendant qu'elle dure, et dont Ton tire tout l'avantage 
qu'on en peut espérer, qui est de plaire. Il me paraît qu'on 
devrait seulement admirer l'inconstance et la légèreté des 
hommes, qui attachent successivement les agréments et la 
bienséance à des choses tout opposées ; qui emploient pour 
le comique et pour la mascarade ce qui leur a servi de pa- 
rure grave et d'ornements les plus sérieux ; et que si peu 
de temps en fasse la différence*. 

% N.... est riche, elle mange bien, elle dort bien : mais 
les coiffures changent ; et lorsqu'elle y pense le moins, et 
qu'elle se croit heureuse, la sienne est hors de mode. 

% Iphis voit à Téglise un soulier d'une nouvelle mode ; 
il regarde le sien, et en rougit ; il ne se croit plus habillé. 
n était venu à la messe pour s'y montrer, et il se cache : le 
voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du 

Et jamais il ne faut sa faire regarder. 

L'un et l'autre excès choque, et tout homme bien sage 

Doit faire des habits ainsi que du langage. 

N'y rien trop afficher, et sans empressement, 

Suivre ce que Tusage y fait de changemenu 

(Molière, l'Ecole des mariSf I, i.) 

t. L'ordre d'architecture. 

Et qu'une main saTante avec tant d^artifloe 
Bàtit de ses cheveux l'élégant édifice. 

(Boileau, satire x, t. 193.) 

2. « Je me plains de la particulière indiscrétion de nostre peuple de se 
lûsser si fort piper et aveugler à l'auctorité de l'usage présent, qu'il soit 
capable de changer d'opiniun et d'advis touls les mois, sMl plaist à lacoas< 
tame, et qu'il Juge si diversement de soy-mesme. La façon de se vestir 
présente luv faict incontinent condamner l'aucienne, d'une résolution si 
grande et dHin consentement si universel que vous diriez que c'est quelque 
espèce de manie qui lui tourneboule ainsi l'enlendemeot. » (Montaigne, 
1,4».) 

19 



290 CHAPITRE xni. 

jour. Il a 1a main douce, et il rentretUnt avec une pftte de 
senteur; il a soin de rire pour montrer ses dents; il fait la 
peiite bouche, et il n'y a guère de moments où il ne veuille 
sourire ; il regarde ses jambes, il se voit au miroir : Ton ne 
peut être plus content de personne qu'il iVst de lui-mèaïc; 
Il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement 
il parle gras; il a uq mouvement de tête, et je ne sais quel 
adoucissement dans les yeux, dont il n'oublie pas de s'em- 
bellir * ; il a une démarche molle et le plus joli maintien 
qu'il est capa])Ie de se procurer ; il met du rouge, maie ra- 
rement, il' n'en fait pas habitude : il est vrai aussi qu'il 
porte des chausses et un chapeau, et qu'U n'a ni boucles 
d'oreilles ni collier de perles ; ausei ne l'a^^ P*^ ^^ ^^^^ 
le chapitre des femme:i. 

^ Ces mêmes modes que les homm^es euivent si vqâojk^ 
tiers pour leurs persoooes, ils ajQfectent de lee négliger dans 
leurs portraits, comme s'ils sentaient ou qu'ils prévieseiKt 
riodéceDce* et le ridicule où ellee peuvent tomber dès 
qu'elles auront perdu ce qu'on appelle la fleur ou l'agré- 
ment de la nouveauté : ils leur préfèrent uoe parure arbi- 
traire, une draperie indiiférente, CantaLsise du peintre qui ne 
sont prises ni sut l'air ni sur le visage , qui ne rappellent 
ni les mœurs ni la personne. Us aiment des attitudes toroëes 
ou immodestes^ une manière dure, sauvage, étrangère, qui 
font un capitan d'un jeune abbé» et un matamored'un homme 
de robe ; uoe Diane d'une femme de ville, comme d'uae 
femme simple et timide une amazone ou une Pallas ; une 
Lais d'une honnête fille ; un Scythe, un Attila, d'un prince 
qui est bon et magnanime. 

Une mode a à peine détruit une autre mode qa*^elle est 
abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-même à celle qui 
la suit, et qui ne sera pas la dernière ; telle est notre légè- 
reté. Pendant ces révolutions, un siècle s'eet écoulé quia 
mis toutes ces parures au rang des choses passées et qui 
ne sont plus. La mode alors la plus curieuse et qui fait plus 
de plaisir 'k voir, c'eat la plu3 ancienne : aidée du tempe 



I. C'est ainsi qne Pon toU» dans Regoier (tatin VlU), le Jeune fkt 

lUre hors de propos, montrer ses beHes dents,' 
Et f 'adoucir les yeuo; ainsi qu'une poupée. 

9. Indécence, au sens latin, ^uod non dece(, ce qui ne conyient pas. 



DE LA MODE. Ô91 

et des années, elle a le même agrément dans les portraits 
qu'a la saye ou Tbabit romain sur les théâtres , qu'ont la 
mante , le voile et la tiare ' dans nos tapisseries et dans nos 
ceintures. 

Nos pères nous ont transmis, avec la connaissaoce de 
leurs personnes, celle de leurs babils, de leurs coifTures, de 
leurs armes*, et des autres ornements qu'ils ont aimés pen- 
dant leur vie. Nous ne saurions bi£u reconnaître cette sorte 
de bienfait qu'en traitant de même nos descendants. 

^ Le courtisan autrefois avait ses cbeveux , était en 
chausses et en pourpoint, portait de larges canons', et il 
était libertin*. Cela ne sied plus; il porte une perruque, 
rhabit serré, le bas uni, et il est dévot : tout se règle par la 
mode*. 

% Celui qui depuis quelque temp$ à la cour était dévot, 
et par là contre toute raison peu éloigné du ridicule, pou- 
Tait- il espérer de devenir à la mode? 

^ De quoi n'est point capable un courtisan dans la vue d0 
sa fortune, si, pour ne la pas manquer, il devient dévot? 

^ Les couleurs sont préparées» et là toile est toute prête : 
mais comment le fixer, cet homme inquiet, léger, inconstant, 
qui change de mille et mille figures? Je le peins dévot, et 
]e crois Vavoir attrapé *; mais il m'échappe, et déjà il est 
libertin. Qu'il demeure du moins dans cette mauvaise situa- 
tion, et je saurai le prendre dans un point de dérèglement 
de CQBur et d'esprit où il sera reconnaissable ; mais la mode 
presse, il est dévot. 

^ Celui qui a pénétré la cour connaît ce qjx0 c'est que 



U H»bitaQrioDtMix.(iirolf dêU Imyiira.) 
8. Offw8iY«ft«tdéfcii6iies. {fiaU dt lu Bruyère»^ 
3. Oenoment de uÀXa nond» fort large, souvaat orné d« 'dentalla qu'oa 
mâchait ML-dasaoua da gtau« ak^iii paaidain inaqu'à la nailié de la iaàdMb 

Da cas lai^ea CÊtnm oii oanai^ an das antraras 
On aaat tons lea mattoa aaa dam iambett eaclaTes. 

(Molière, Kvoie det marU, 1, 6») 

%. JDtbfrltfi, irTaligianx. 

S. G'eRt deux ans après la réTOcation de redit de Nantes aue la Bruyère 
écrîTaii ces réflexions sur la ftiusae déTotion qui avait envahi la cour. L*in- 
fluence de Mme de Maintenon, qne Louis XIV ayait secrètement épousée, 
modifiait peu à peu las habitudes des courtisans, et la plupart affectaient una 
déTotion dont la sincérité, comme l'on peut TOir, semblait fort doutaaaa à 
U Bruyère. 

•• 1/avoir paint rassemblant. 



292 CHAPITRE Xm. 

vertu et ce que c'est que déTOtion*; il ne peut plus s'y 
tromper. 

^ Négliger yêpres comme une chose antique et hors de 
mode, garder sa place soi-même pour le salut, savoir les 
êtres de la chapelle, connaître le flanc*, savoir où Poii est 
vu et où Ton n'est pas vu; rêver dans l'église à Dieu et à 
ses affaires, j recevoir des visites, y donner des ordres et 
des commissions, y attendre les réponses; avoir un direc- 
teur* mieux écouté que l'Évangile; tirer toute sa sainteté 
et tout son relief de la réputation de son directeur; dédai- 
gner ceux dont le directeur a moins de vogue , et convenir 
à peine de leur salut ; n'aimer de la parole de Dieu que ce 
qui s'en prêche chez soi ou par son directeur; préférer sa 
meise aux autres messes, et les sacrements donnés de sa 
main à ceux qui ont moins de cette circonstance*; ne se 
repattre que de livres de spiritualité, comme s'il n'y avait 
ni Ëvangile, ni Ëpîtres des Apôtres, ni morale des Pères; 
lire ou parler un jargon inconnu aux premiers siècles; cir- 
constancier à confesse les défauts d'autrui, y pallier les 
siens; s'accuser de ses souffrances, de sa patience; dire 
comme un péché son peu de progrès dans l'héroïsme ; être 
en liaison secrète avec de certaines gens contre certains 
autres; n'estimer que soi et sa cabale; avoir pour suspecte 
la vertu même ; goûter, savourer la prospérité et la faveur, 
n'en vouloir que pour soi; ne point aider au mérite; faire 
servir la piété à son ambition; aller à son salut par le che- 
min de la fortune et des dignités * : c'est du moins jusqu'à 
ce jour le plus bel effort de la dévotion du temps. 

Un dévot* est celui qui, soua un roi athée, serait athée. 

1. Fausse déTOtion. (Note de laBruyire.) 

2. Cette exprensioD a son explication dans le membre de phrase qui la 
soit* La grande affaire au salut, était de se placer de manière à être va dn 
roi. Un jour, un officier des cardes, voulant jouer un tour aux gens qui 
ayaient pris leur place avant l'heure dans la chapelle, annonça tout haut 
que le roi ne Tiendrait pas au salut ; les assistants se retirèrent avec em- 
pressement, et le roi trouva, ce qui n'était jamais arrivé, la chapelle déserter 

3. Un directeur de conscience. 

4. A ceux qui ont moins de prix n*étant pas donnés par lui. 

5. La Bruyère s'est sans doute souvenu d'un vers de Tartufe (1, 6): 

Ces gens, dis-je, qu'on voit, d'une ardeur peu commun^ 
Par le chemin du ciel cottrir à leur fortune ; 
Qui brûlants et priants, demandent chaque jour. 
Et prêchent la retraite au milieu de la cour. 

6. Faux dévôt. (Nùtêie la Bniyètù.) 



DE LA MODE. 293 

^ Les dévots' ne connaissent de crimes que Tinconti- 
nence, parlons plus précisément, que le bruit ou les dehors 
de l'incontinence. Si Phérécide passe pour être guéri des 
femmes, ou Phérénice pour être fidèle à son mari, ce leur 
est assez; laissez-les jouer un jeu ruineux, faire perdre 
leurs créanciers, se réjouir du malheur d'autrui et en pro- 
fiter, idolâtrer les grands, mépriser les petits, s'enivrer de 
leur propre mérite, sécher d'envie, mentir, médire, cabaler, 
nuire, c'est leur état. Voulez-vous qu'ils empiètent sur celui 
des gens de bien, qui, avec les vices cachés', fuient encore 
Torgueil et l'injustice ? 

^ Quand un courtisan sera humble, guéri du faste et de 
l'ambition; qu'il n'établira point sa fortune sur la ruine de 
ses concurrents ; qu'il sera équitable , soulagera ses vas- 
saux, payera ses créanciers ; qu'il ne sera ni fourbe ni mé- 
disant; qu'il renoncera aux grands repas et aux amours illé- 
gitimes; qu'il priera autrement que des lèvres, et même hors 
de la présence du prince ; quand d'ailleurs il ne sera point 
d'un abord farouche et difficile ; qu'il n'aura point le visage 
austère et la mine triste; qu'il ne sera point paresseux et 
contemplatif; qu'il saura rendre, par une scrupuleuse at- 
tention, divers emplois très-compatibles; qu'il pourra et 
qu'il voudra même tourner son esprit et ses soins aux 
grandes et laborieuses affaires, à celles surtout d'une suite la 
plus étendue pour les peuples et pour tout l'Ëtat ; quand son 
caractère me fera craindre de le nommer en cet endroit, et 
que sa modestie Tempêchera, si je ne le nomme pas, de s'y 
reconnaître; alors je dirai de ce personnage : Il est dévot; 
ou plutôt : c'est un homme dox^é à son siècle pour le mo- 
dèle d'une vertu sincère et pour le discernement de l'hy- 
pocrite*. 

^ Onuphre* n^Si pour tout lit qu'une housse de serge grise, 
mais il couche sur le coton et sur le duvet ; de même il est 
habillé simplement, mais commodément , je veux dire d'une 



1. Faux dévots. (Note de la Erw^ère,) 

2. Outre les vices cachés. 

3. Et pour qu'il puisse servir à distinguer IlLomme vraiment pieux de 
l*hypocrite. Ce paragraphe est, dit-on, un Dommage rendu à la piété du duc 
de Beauvilliert» 

4. OtitipArs est le personnage de Tartufe, tel que le comprend la Bruyère 
en 1091. 11 le compare avec le Tartufe que Molière avait représenté en 1667, 
et signale les différences et les ressemblances de Tun et rautre hypocrite. 



294 CHAPITRE Xm. 

étoffe fort légère en été, et d'une autre fort moelleuse pen- 
dant rhiver; il porte des chemises irès-déliées*, qu'il a un 
très-grand soin de bien cacher. Il ne <iit . oint : Ma haire et 
madisciplif*e^, au contraire; il passerait po^ir ce qu'il est, 
pour un hypocrite, et il veut passer pour « e qu'il nVst pas, 
pour un homme dévot : il est viai qu'il fait en sor^te que 
l'on croie, sans luM le dise, qu'il porte un-- haire et qu'il se 
donne la discipline, il y a quelques livres répandus daus sa 
chambre indilferemment: ouvrez-les : c'est leùmibat «ptri- 
fuel, le Chrétien intérieur et VAnn'^e sainte : d'autres livres sont 
sous la clef. S'il marche par la ville, et qu'il découvre de 
loin un homme devant qui il est nécessaire quM soit dévot, 
leé yeux baissés, la démarche lente et modrste, Pair recueilli 
lui sont familiers; il j ^ue son rôle. S'il entre dans une église^ 
il observe d* bord de qui il peut être vu, et selon la décou- 
verte qu'il vient de faire, il se met à genoux et prie, ou il 
ne songe ni à se mettre à genoux ni à prier. Arrive-t il ver« 
un homme de bien et d'autorité qui le verra et qui peut Ten» 
tendre, non-seulement il prie, mais il médite, il pousse des 
élans et des soupirs*; si rhomm** de bien se retire, celui-ci, 
qui le voit partir, s'apaise et ne soufÛe pas. Il entre une 
autre -fois diins un lieu s^int, perce la foule, choisit un en- 
droit pour se recueillir, et où tout le monde voit qu'il s'hu- 
milie : s'il entend dts courtisans qui parlent, qui rieat, et 
qui sont à la chapelle avec moins de silence que dans 1 anti- 

1. Très-fines. 

2. A)lu8ioii au Ters de MoHère (Tartufe, T, ri): 

l.aarent, serret matiaireavec ma discipliné. 

C^Mi la première parole de Tartufe entrant en scène.— La haire est nne 
sorte de oliennse de crin, que l'on met sur sa cbair pour fiure péiiilenoeet 
aenjoriifier; la discipline, un instrumeutde fla|$ellalioo. 

3. Orgorif dans Tartufe, I, vi : 

Ali! si vous aviet vq (t^mme j'en Bs rencontre, 
VuttsavrifS pr-s ptur 4«i l>e>iiiite que je mootM: 
Chuqiit; jour & ^égll^e il venait, d'un air doux. 
Tout vts- à-vis de moi se mettre à deux genoux. 
11 attirait les yeux de l'ansemUlee emière 
Par l'ardeur dont au citl il poussiit sa prière; 
21 faisait des soupirs^ de grande e/af<eemenl«, 
Etbdisdit hunibleiiient la terre à tou^ niuineuiSh.M 

€léaiite, frère d'Orgon, revient t>ur ce trait lorsqu'il peint lel hypocrîtefl» 

Ces gens qui, par une àme & l'intérêt soumise, 

»... Vi uleol ucbeter crédit et diffiniés 

A prix de iMix clin* d >-e«x et ^éiatté affeetéê. 



DE LA MODE. 295 

chambre, il fait plus de bruit qu^eux pour les faire taire ; il 
pepreBd sa méditation, qui est toujours la comparaison qu'il 
fait de ces personnes avec lui-même, et où il trouve son 
compte *. 11 évite une église déserte et solitaire, où il pour- 
rait entendre deui messes de suite , le sermon , vêpres et 
compiles, tout cela entre Dieu et lui, et sans que personne 
lui en sût ^ré : il aime la paroisse, il fréquente les temples 
où se fait nn grand concours; on n'y manque point son coup, 
on y est vu. Il choisit deui ou trois jours dans toute Tannée, 
où , à propos de rien , il jeûne ou fait abstinence ; mais à la 
fin de rhiver il tousse, il a une mauvaise poitrine, il a des 
vapeur», û a eu la fièvre : il se fait prier, presser, r,uepeller^ 
pour rompre le carême dès son commencement, et il en 
vient là par complaisance. Si Onuphre est nommé arbitre 
dans une querelle de parents ou dans un procès de famille, 
il est pour les plus forts, je veux dire pour les plus riches, 
et il ne se persuade poiât que celui ou celle (^ui a beaucoup 
de bien puisse avoir tort. S'il se trouve bien d'un homme 
opulent, à qui il a su imposer*, dont il est le parasite, et 
dont il peut tirer de grands secours, il ne cajole point sa 
femme, il ne lui fait du moins ni avance ni déclaration*; il 
est encore plus éloigné d'employer pour la flatter et pourla sé- 
duire le jargon de la dévotion * : ce n'est point par habitude 
qu'il le parle, mais avec dessein, et selon qu'il lui est utile, 
et jamais quand il ne servirait qu'à le rendre très- ridicule. 



i. Lorsque le caractère d'Onuphre parut en 1691 dans la 6* édition, la 
phrase q'ii commence par les mois II entre .. ne s'y trouvait pas, ei le ca- 
racière a'Onuphre était »«ttivi du caractère du vrai dovoi que nous transcri- 
vons à la fin de cette DOte. Dan^ la 7* édition, la Bruyère a supprimé le ca> 
raclère du vrai dévot, et s'en est servi pour ajouter au caractère d'Onuphre 
Je trait qu'on vient de lire. Voici le caràcière dont il s'ao^ii : « Un humme 
dévot entre dans un lieu saint, perce modestement la fouie, chuisil un cuiû 
pour se recueillir, et <<ù personne ne voit qu'il s'iiumilie. S'il entend de^^ cour- 
tisans qai parlent, qut rienv, et qui sotit à là chapelle avec moins de silence 
que dans I antichambre, quelque comparaison qoMt fnsse de ces personnes 
avec lui-môme, il ne les méprise pas,il nn s'en plaint pas : il prie pour eux. m 
— iJà, ckapdle est ici la chapelle du palais de Versailles, et \*antirhambre 
oh les courtisans font plus de silence qu'à la obapeiie est Tanticbambre de 
l'appartement du roi. 

%. Qu'il a su tromper. Voyez pa?:e 6«, note 2. 

3. Tartufe Tait una déclaration à Elmire, femme d'OrgoA, et cette déclara* 
tion est le moyen dont se sert Molèjv pour démasquer l'hypocrite. 

4. Fausse dévouait, (JVo/« de la Bruyère.) (*q voit ave.- quel soin mi- 
nutieux et par c<inibitn d'annotaiions répétées ta Bruyère avertit ses lec- 
teurs, toutes les fois quM pa le dèfavoraolemefli '4e la- (i^woiton-, que e'est 
de la fatuae dévotion qu'il s'a^t. 



296 CHAPITRE Zin. 

n n'oublié pas de tirer ayantage de raTenglement de son ami, 
et de la préyention où il Ta jeté en sa ùiyeur : tantôt il lui 
emprunte de l'argent, tantôt il fait si bien que cet ami lui en 
offre; il se fait reprocher de n'ayoir pas recours à ses amis 
dans ses besoins. Quelquefois il ne yeut pas recevoir une obole 
sans donner un billet , qu'il est bien sûr de ne jamais reti- 
rer '. 11 dit une autre fois, et d'une certaine manière, que rien 
ne lui manque , et c'est lorsqu'il ne lui faut qu'une petite 
nomme. Il yante quelque autre fois publiquement la géné- 
rosité de cet honune , pour le piquer d'honneur et le con- 
duire à lui faire une grande largesse. Il ne pense point à 
profiter de toute sa succession, ni à s'attirer une donation 
générale de tous ses biens, s'il s'agit surtout de les enlever 
à un fils , le légitime héritier '. Un homme dévot n'est ni 
avare, ni violent, ni injuste, ni même intéressé. Onuphre 
n'est pas dévot, mais il yeut être cru tel, et, par une par- 
faite quoique fausse imitation de la piété, ménager sourde- 
ment ses intérêts : aussi ne se joue-t-il pas à la ligne di- 
recte, et il ne s'insinue jamais dans une famille où se trou- 
vent tout à la fois une fille à pourvoir et un fils à établir*; 
il y a là des droits trop forts et trop inviolables; on ne les 
traverse point sans faire de l'éclat, et il l'appréhende, sans 
qu'une pareille entreprise vienne aux oreilles du prince \ 
à qui il dérobe sa marche, par la crainte qu'il a d'être dé- 
couvert et de paraître ce qu'il ^st. U en veut à la ligne col- 
latérale, on l'attaque plus impunément : il est la terreur 
des cousins et des cousines, du neveu et de la nièce, le flat- 
teuir et l'ami déclaré de tous les oncles qui ont fait fortune; 
il se donne pour l'héritier légitime de tout vieillard qui 
meurt riche et sans enfants; et il faut que celui-ci le déshé- 
rite , s'il yeut que ses parents recueillent sa succession : si 
Onuphre ne trouve pas jour à les en frustrer à fond, il leur 
en ôte du moins une bonne partie : une petite calomnie , 
moins que cela, une légère médisance lui suffit pour ce 
pieux dessein; et c'est le talent qu'il possède à un plus haut 
degré de perfection; il se fait même souvent un point de 
conduite de ne le pas laisser inutile : il y a des gens, selon 

1. C*e8tFà-dire de De Jamais iNiyer. 

2. C'est là ce qae fait Tartufe. / 

3. Comme est Tenue à ses oreilles celle de Tartufe^ 

4. Orgoo, Tbôte de Tartufe, a un fils et une flUe. 



DE LA MODE. 297 

lui, qu'on est obligé en conscience de décrier; et ces gens 
sont ceux qu'il n'aime point, à qui il veut nuire > et dont il 
désire la dépouille. 11 vient à ses fins sans se donner même 
la peine d'ouvrir la bouche : on lui parle à*Eudoœe, il sourit 
ou il soupire; on l'interroge, on insiste, il ne répond rien; 
et il a raison : il en a assez dit. 

^ hlez^Zélie^ soyez badine et folâtre à votre ordinaire : 
qu'est devenue votre joie? — Je suis riche, dites-vous, me 
voilà au large, et je commence à respirer. — Riez plus haut, 
Zélie, éclatez : que sert une meilleure fortune, si elle amène 
avec soi le sérieux et la tristesse? Imitez les grands qui 
sont nés dans le sein de Topulence; ils rient quelquefois, 
ils cèdent à leur tempérament, suivez le vôtre : ne faites 
pas dire de vous qu'une nouvelle place ou que quelques mille 
livres de rente de plus ou de moins vous font passer d'une 
extrémité à l'autre. — Je tiens , dites-vous , à la faveur par 
un endroit. — Je m'en doutais*, Zélie; mais, croyez-moi, 
ne laissez pas de rire, et môme de me sourire en passant, 
comme autrefois : ne craignez rien, je n'en serai ni plus 
libre ni plus familier avec vous; je n'aurai pas une moindre 
opinion de vous et de votre poste; je croirai également que 
TOUS ôtes riche et en faveur.— Je suis dévote, ajoutez-vous. 
—C'est assez, Zélie, et je dois me souvenir quQ ce n'est plus 
la sérénité et la joie que le sentiment d'une bonne con- 
science étale sur le visage ; les passions tristes et austères 
ont pris le dessus et se répandent sur les dehors : elles mè- 
nent plus loin % et l'on ne s'étonne plus de voir que la dé- 
Yotion* sache encore mieux que la beauté et la jeunesse 
rendre une femme fière et dédaigneuse. 

f L'on a été loin depuis un siècle dans les arts et dans 
les sciences, qui toutes ont été poussées à un grand point 
de raffinement, jusques à celle du salut, que l'on a réduite 
en règle et en méthode , et augmentée de tout ce que l'es- 
prit des hommes pouvait inventer de plus beau et de plus 
sublime. La dévotion' et la géométrie ont leurs façons de 
parler, ou ce qu'on appelle les termes de l'art : celui qui ne 
les sait pas n'est ni dévot ni géomètre. Les premiers dévots. 



1. BUes Bervent mieaz l'ambition qn'ane bonne cooicience. 
3. Faasae dévotion. {Noted0 la Bruyère.) 
S. Même note. 



298 CHAPITRE 2UI. 

ceux même qui ont été dirigés par lie «p6tfes> igsoraieitt 
ces termes : simples gens qui n'ayai^iit que la foi et les om^ 
yres, et qui se réduisaieut à croire et à bien vivre I 

^ C'est uoe ch(»se délicate à un prinoe religieux de ré- 
former la cour, et de la rendre pieuse* : instruit jesques où, 
le courtisan veut lui plaire, et aux dépens de quoi il ferail 
sa fortune, il le ménage avec prudence, il tolère, il dissi- 
mule, de peur de le j«ter dans rhjpoGrisie ou le seerilége; 
il attend plus de Dieu et du temps que de son lèâe et de «oa 
industrie. 

% C'est une pratique ancienne dans les oontf de éenatr 
des pensions et de distribuer des grâces à «n masieîen, à 
un matire de danse, à un farceur, à «a jouvor de Mte, à 
un flatteur, à un complaisant : ils ont un mente fin et des 
talents sûrs et eonnus qui amusent les grands et qui les dé* 
lassent de leur grMideur. On sait que Favier est beau dan* 
seur, et que Lorenzani fait de beaux motets* ; qui sait, au 
contraire, si Thomme dévot a de ht vertu? il n'y ariHi peur 
lui sur la cassette ni à l'épargne', et avec raison : e'eal «i 
métier aisé à contrefaire, qui, s'il était récompensé, expo- 
serait le prince à mettre en bonneur la dissimulatinn et la 
fourberie, et à payer pension à rbypoerite% 

% L'on espère que la dévotion es la eonr ne laissem pcs 
d'inspirer la résidence K 

% Je ne doute peint que la vraie dévotion ne «oH )a 80«»ee 
du repos; elle fait supporter la vie et rend ia ittort doûee s 
on n'en tire pas tant de l'kypecrîfiie'. 

% Chaque heure en soi, comme à notre égard, est unique t 
est-elle écoulée une fois, elle a péri entièrement, les mil- 
lions de biècles ne la ramèneront pas. Les jours, les mois, 
les années, s'enfoncent et se perdent sans retour dans Ta- 
btme des temps. Le temps même sera détruit : een'estqu'^n 
point dans les espaees immenws de Tétemité^ et il seta 

t. C*ést en |6S7, dès la l** édition, ^ne la Bruyère osait ainsi se pro- 
noncer siir 1«É lendances nouvelles se te CMït, et avenir indirectement 
Loui» XIV du daii((er que ufé^ieniait la mode de tm fausse dévoiion. 

3. Favier, «fanseur de nipéra. Le enzani, après avoir été matire de la 
musique à Rome« puis à Messine, devint matire de musique d'Anne d'Aa- 
tri< he. H a cumposc de la musique religieuse. 

S. Les pensions éiaieni payées soit sur la cassette du roi, soUparUiré* 
tor royal, qui se nommait auti%f\)fe V^pargnê. 

4. D'inspirer aux évèquesla pensée de résider (&ns ïeuiï dlocëséÉ. 



DE LA MODE. 299 

effacé, n y a de légères et frivoles circonstances du temps 
qui ne snnt point s<»bles, qui passent, ei que j'appelle des 
modes, la grandeur, la faveur, les richesses, la puissance ^ 
l'autorité, 1 indépendance, le plaisir, les joies, 1^ ^upe^fluité. 
Que deviendront ces modes quand le temps même aUra dis- 
^aru? La vertu seule, si peu à la mode, vâ au delà de^ 
temps. 



i^lOi 



CHAPITRE XIV, 

m QtJELQUfiS XÎSAGES. 

n y a des gens qui n^ont pas Te moyen d'ôtte nobles *. 

Il y en a de tels que, s'ils eussent obtenu six mois de 
délai de Uurs créanciers, ils étaient nobles '. 

Quelques autres se couchent roturiers et se lèvent nobles. 

Combien de nobles dont le père et les aînés sont rotu- 
riers I 

% Tel abandonne son père qni est connu, et dont l'on cite 
le greffe ou la boutique, pour se retrancher sur son aïeul, 
qui, mort depuis longtemps, est inconnu et hors de prise. 
Il montre ensuite un grois revenu, une grande charge, de 
belles a)liaBeea>; «t, pour Aire noble, il le lui manifae que 
des titres. 

% RéhabiUiaPiùnSy mot en iifiage dans les tribunaux, qui a 
fait vieillir et rendu gothiq"ue celui de lettrée de noblesse*, 
autrefois si fï'ançais et si usité. Se faire réhabiliter suppoise 
qu'un homme, devenu riche, originairement est noble, qu'il 
est d'une nécessité plus que morale qu'il le Isoit; qu'à la vé- 
rité» son père a pu déroger ou par la charrue, ou par la 

t. 8iecréta1re« dtt m. ( Noté âè là È^w^.) ^ Cette BUttetfttfon de Ié 
Brayère dUpaVdt à ta cinquième édition. Les offlteà ée tieerét«ffe d« vêl 
It'étaient }nis It» .<eul8, en'ieff i, qtki retYâfsspni frobt^B eeoi t)tij H» ache>* 
taient, et la preuve en est que )a lifbyètie lui-même ptH le uiye ît^frcayer 
lorsquNl • ui acheU^ nntî clraVffe de tt^s'orieï* dvs ttna(ice!«. 

2. Véténins, {Note de ta Vrttykrt.) -> Les cunseilitrs dtt Parlement, tes 
Oohsf. liera de la rom* dvs ajdes, qui, apirès vln^tans dVrereive, obdenaTenl 
des leiires de rt^bles»!», tm numra ieiit vâtér^Hb. La B>ttycre leur appliqué 
égnltUieni ia i-ofliXion suivanto 

3. C'esi p»r les leiiies dr noblesse qu'étaieni Anoblis )ifts rutolrier^; oA 
ne devait, en prihci{>e, se servir du mut de léb&bîKlaiiun qM dans les cas 
Ot anefaniille noble, a]pTèi déiOjgeance, élidt rétabli* idaM* dH «>(fb)eMM)i 



300 CHAPITRE IIV. 

houe% ou par la malle*, ou par les liyrëes*; mais qa^I ne 
s'agit pour lui que de rentrer dans les premiers droits de 
ses ancêtres , et de continuer les armes de sa maison , les 
mêmes pourtant qu'il a fabriquées, et tout autres que celles 
de sa vaisselle d'étain^; qu'en un mot, les lettres de no- 
blesse ne lui couTiennent plus, qu'elles n'honorent que le 
roturier, c'est-à-dire celui qui cherche encore le secret de 
devenir riche*. 

% Un homme du peuple, à force d'assurer qu'il a vu un 
prodige, se persuade faussement qu'il a vu un prodige. 
Celui qui continue de cacher son âge pense enfin lui-môme 
être aussi jeune qu'il veut le faire croire aux autres. De 
même, le roturier qui dit par habitude qu'il tire son orig^e 
de quelque ancien baron ou de quelque châtelain , dont il 
est yrai qull ne descend pas, a le plaisir de croire qu'il en 
descend. 

^ Quelle est la roture un peu heureuse et établie à qui 
il manque des armes, et dans ces armes une pièce honora- 
ble, des suppôts, un cimier, une devise, et peut-être le cri 
de guerre*? Qu'est devenue la distinction des casques et des 
heaumes^? Le nom et l'usage en sont abolis ; il ne s'agit plus 

1.* Instrament qui sert aux traTaux de U campagne. On laboure les yi- 
gnes avec la hoae. 

3. Panier dans lequel les merden de campagne colportent leurs nur- 
chan dises. 

8. Par la livrée qull ayait portée comme domestique. 

k. Armes qui sont de son invention et qui n'avaient pAînt servi à marquer 
sa vaisselle, lorsqu'elle était d'étain et non d'argent. 

5. Mais quand un bomme est ricbe, il vaut toujours son prix, 
El l'eût-on vu porter la mandille à Paris, 

N'eût^il de son vrai nom ni titre ni mémoire, 
n'Hozier lui trouvera cent aieux dans rbistoire* 

(Boileau, sat, v, lis.) 

6. Le cri de guerre ou cri d'armes, encore pins que les suppôts, le ci- 
mier, etc., était l'indice d'une très-vieille noblesse. — Les figures héraldi- 
ques se divisent en pièces honorables on de premier ordre, et en pièces 
moint honorcMes ou de second ordre. — Les supports ou suppôts sont des 
figures (anges, bommes on animaux) qui sont peintes à côte de Técu et 
semblent le supporter. — Le cimier est la partie la plus élevée des orne- 
ments de l'écu et se place au-dessus du casque; quelquefois il reproduit 
une pièce du blason de l'écu, comme un lion, une fleur de lis , etc., mais le 
plus souvent il se compose de plumes attachée au casque. « Le cimier était 
une plus grande marque de noblesse que l'armoirie , parce qu'on la portait 
aux tournois, où on ne pouvait être admis sans avoir fait preuve de no- 
blesse. » (P. Menestrier.) 

7. Cette phrase ne signifie point que l'on ait jamais, en blason, distingué 
les heaumes et les casques. HeaufM est le mot que l'on trouve dans les 
anciens auteurs; ecuquê, le synonyme qui a pris peu à peu sa place dans 



DB QUELQUES USAGES. 301 

de les porter de front ou de côté, ouverts ou fermés, et 
ceux-ci de tant ou de tant de grilles ; on n'aime pas les mi- 
nuties, on passe droit aux couronnes; cela est plus simple : 
on s'en croit digne , on se les adjuge, n reste encore aux 
meilleurs bourgeois ime certaine pudeur qui les empêche 
de se parer d'une couronne de marquis, trop satisfaits de 
la comtale : quelques-uns même ne vont pas la chercher 
fort loin, et la font passer de leur enseigne à leur carrosse *. 

% Il suffit de n'être point né dans une ville, mais sous 
une chaumière répandue dans la campagne , ou sous une 
ruine qui trempe dans un marécage et qu'on appelle châ- 
teau, pour être cru noble sur sa parole*. 

^ Un bon gentilhomme veut passer pour un petit sei- 
gneur, et il y parvient. Un grand seigneur affecte la prin- 
cipauté, et il use de tant de précautions qu'à force de 
beaux noms, de disputes sur le rang et les préséances, de 
nouvelles armes, et d'une généalogie que d'Hozœr* ne lui 
a pas faite, il devient enfin un petit prince. 

f Les grands , en toutes choses, se forment et se mou- 
lent sur de plus grands , qui , de leur part , pour n'avoir 
rien de commun avec leurs inférieurs, renoncent volontiers 
à toutes les rubriques d'honneurs et de distinctions dont 
leur condition se trouve chargée , et préfèrent à cette sér- 



ia langue béraldique. Mais, s^lon que l'on était d'une plas ou moins baute 
■aissance , le casque que Ion figurait au-dessus de son écu avait la visière 
ouverte ou fermée, et était placé de front ou de profil : c'est dans la forma 
et dans la situation des casques que résidait la distluction dont parle la 
Bruyère , aiosi qu*il l'explique deux lignes plus bas. Le casque qui se pré- 
sentait de front et ouvert indiquait une grande naissance, et le nombre des 
grilles^ (?est-à-dire des barreaux qui étaient placés dans la visière du cas 
que et en fermaient l'ouverture, servait à marquer le degré de la noblesse. 
Les nouveaux anoblis devaient, au contraire, figurer le casque de profil, avec 
la visière close et abattue. Ces règles arbitraires ne furent observées que 
pendant fort peu de temps. 

1. « Les armoiries des nouvelles maisons sont, la plus grande partie, lei 
«nseignes de leurs anciennes boutiques. • (Méni^e.) 

22. Qui diable vous a fait aussi tous aviser, 
A quarante-deux ans de vous débaptiser. 
Et d'un vieux tronc pourri de votre métairie 
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie ?.•• 
Je sais un paysan qu'on appelait Gros Pierre, 
Qui n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre. 
Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux, 
Et de monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux. 

(Molière, \ École des femmes^ I, l.) 

3 . lyHozier, nom d'une iiunille célèbre de généalogistes. 



302 CHAPITRS xnr. 

yitude une vie plus libre et plus commode. Ceux qui sm- 
▼eot leur piste observent déjà par éniulatioi^ cette sim- 
plicité et cette modestie : tous ainsi s>e réduiront par 
hauteur à vivre naturellement et comme le peuple. Horrible 
inconvénient * I 

% Certaines gens portent trois noms, de peur d'ea man- 
quer : ils en ont pour la cam^ a^ne et pour la ville, pour 
les lieux de leur service ou de leur emploi*. D^autres ont 
ou seul nom dissyllable, qu'ils anoblissent par des parti- 
cules, dès que leur fortune devient meilleure. Celui-ci, par 
la suppression d^uue syllable, fait de son nom obscur nn 
iiom illustre ', celui-là, par le changement d*une lettre en 
une autre, se travestit, et de Syrus devient Cyrus. Plusieurs 
supprin^eot leurs noms , quHls pourraient conserver sans 
honte, pour en adopter de pins beaux, où ils n'ont qu^à 
perdre par la comparaison que Ton fait toujours d'eux qui 
les portent avec les graods hommes q^ud les oat portés^* 
Il s'en trouve enfin, qui, néis à Uombce des clochers de Pa- 
ns, veulent être Flamaixds' ou Italiens*, comme si la ro<- 
tare notait pas de tout pays; allongent leurs noms français 
d'ittie terminaison étrangère , et «rolexit qna Tenir de boa 
lieu c^est venir de loin. 

% Le besoin d'argent a réconcilié la noblesse avec la ro- 
ture, et à fait évanouir la preuve des quatre quartiers*. 

1. t Altnfiion^^ disent les cleh, ft et qiM feu Momnair, |M>er g'ap p rpc i lcr 
de Monseigneur le Dauphin , ne vouloit plus qu'on le irsitàc é'Alttsm 
Royale, mais qu'on lui parlit par «ot««, comme l*on faiseità Honsei^iew 
et aux petits princes (ses tils). Les autres princes, k son exemple, ne ve*» 
leni plus être traités d'Aliesse, mais simplement de vok«. » 

2. On même personnage purtait paribis, outre son nom de (kmiHe, seit 
un nom de seigoeurie, soit un surnom ; de U quelque confusion dans 1m 
récits du temps. 

3. Comme Delriea, mattre d'h^'el du rot, qui se fit nonmier d» Siens. 

4. lies clefs citent M, le Camus de Vienne, qui, en raison de son neni^ 
se faisait descendre de l'amiral Jean de Vienne, qai Técnt an quatorzième 
tiède. 

5. G*est ainsi qae M. Sonia» fito-dfva eeraveur de Bans, «mit piis le nom 
de Soningen. 

6. « Le roi Charles ¥111, en aUanià la oonqaèie da reyaiinie de Naples^ 
dit en ses mémoires Tabné de Uieisity donna la ohaige de capitaine dev 
chassés du pays de Beaumont à IL Miodaft qui, se troïkVM&ea Italie, ba- 
billa son nom à ritalianoe, en cliaAgeant 8en.« aD<t»a 

T. Boileau, tatire v, vers 1<Q5 t 

Alors le noble altier pressé dellndigenoe, 
Humblement du fsqotn lechercha l'altiance^ 
Avec lui iraftquant d'un nom si précieux, 
Par un lâche contrat vendit tous ses aïeux. 



DE QUELQUES USAGES. 303 

^ A combien d'enfants serait utile la loi qui déciderait 
que c'est le ventre qui anoblit !. Qiajis à, combien d'aubes 
serait-elle contraire '! 

^ 11 y a peu de familles dans le monde qui ne toucbeni 
aux plus grands princes par une e;strém,itéf et par TavUre 
au simple peuple*. 

If 11 n'y a rien à perdre à être noble : franchises, imma-^ 
nités, exemptions, privilèges, que njijajaque-t-il à ceux qui 
ont un titre? Croyez-vous que ce soit pQu.r la noblesse quj9 
des solitaires* ^e sont faits nobles? Us ne sontpa3 ^i vains.; 
c'est pour le profit qu'ils en reçoivent. Cela ne leur sied-il 
pas niieux que d'entrer dans les gabelle^*? je nie dis pas à 
chacun en particulier, leurs vœux s'y opposent., je dlian^^me 
à la communauté. 

^ Je le déclare nettement , afîn que Tan s'y pr^f are^ ^ 
que personne un jour n'eu soit surpris : s! il ai?rîve jaisguais 
que qutlque grand m^ trouva dÀgne d.e sea soins, si je fais 
enfin une belle fortune, il y a ujj Geoffroy de la Bruyère* 
que toutes les chroniques rangent au nooxbre dâs plus.grai»ds 
SQigneursi die France qui suivijre&t 6oo]Si?fi0¥i)£ Bouiu^o» à 

%. ^esnoemp de rot«ri«v«, dtvenis riches, é|»DMiit des fill«s noMet^^ 
beaucoup de nubies, devenus pauvres, épousent deA fillea de cotoriers. Si dono 
la noblesse se transmettHit par les femmes, et non plus de mâle en mâle, 
^eonkJ»ien dfeoCajits ae«ait utile la loi aoiivelle^ à coralHeB d'autres elle 
serait contraire 1 J)e\y^ liffoes suffisent k l'auteur pour réèUQier oette ré^ 
éexVoD. 

3. Sén^que a exprimé la même pensée dans une de ses ktlree^ 

3. « Maison religieuse, secrétaire du roi, » dit la Bruyècc en note. Le 
eonvenides Céle&tins avait un office de secrétaire du roi; il en touchait 
les revenus^ et il iouiseait des privilèges et franchises aitacdés à la bo-> 
blesse, mis la Bruyère ignorait rohgiue de cette siet^ularité. Les CélestUift 
n'avaient pas acheté cet office; le revenu tt les privilèges d'une charge 
cïesecpeuMie durei leiw avaient été aceordée par lUiMllceuee royale, eu 
quatorzième siècle. 

%. G'est'-à-dire d'entrer dans la fbrme de IMmpôt sur le sel. 

5. Dans la S* édition» la première qui contienne cette déclaration, la 
Bruyère avait simplement écrit: un Geoffroy D**^. A la 6% il mit en 
toutes lettres le nom de la Bruyère; c'était, pour la pveialère fois, signei^ 
publiquement son livre. — Dont Hfonaveiiiure d'Art^oBoef qui, soes le 
pseudonyme de Vig^eul-Marville*. a. vivement attaqné la Bruyère aprèa s& 
mort, le présente comme un gentilhomme à louer qui met enseigne à sa 
porte, oli avertit, dii-il, le siècle présentei les siècles k venir de rantiquûé 
de sa noblesse, et cela sur le ton de Don Quichotte. » C*était assurément une 
sottise de prendre ce passage au sérieux et d'en faire un crime à l'aateur; 
mais la déciuratiun de la Bruyère n^est pas en tout point ane plaisanterie 
pure et simple. Ce Geoffroy de la Bruyère n'est pas de son ioveniion. Un 
Geoffroy de la Bruyère a pris part it la troisième croisade; il eet mort aa 
siège de Saint- Jean-d*Acre en 1191 : en le mettant à la suite de GodelMy 
de BoailloD^ la Bruyère Ta d:)nc fait vivre presque un siècle trop tôt. 



304 CHAPFTRB ZIV. 

la conqaéte de la Terre-Sainte : voilà alors de qui je des- 
cends en ligne directe. 

^ Si la noblesse est verta, elle se perd par tout ce qui 
n'est pas vertueux ; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de 
chose. 

f II y a des choses qui, ramenées à leurs principes et à 
leur première institution, sont étonnantes et incompréhen* 
Bibles* Qui peut concevoir, en effet , que certains abbés, à 
qui il ne manque rien de l'ajastement, de la mollesse et de 
la vanité des sexes et des conditions, qui entrent auprès 
des femmes en concurrence avec le marquis et le financier, 
et qui l'emportent sur tous les deux , qu'eux-mêmes soient 
originairement, et dans l'étymologie de leur nom \ les pères 
et les chefs de saints moines et d'humbles solitaires, et qu'ils 
en devraient être l'exemple? Quelle force, quel empire, 
quelle tyrannie de l'usage I Et, sans parler de plus grands 
désordres, ne doit-on pas craindre de voir un jour un jeune 
abbé* en velours gris et à ramages comme une éminence*, 
ou avec des mouches et du rouge comme une femme ? 

% Les belles choses le sont moins hors de leur place : les 
bienséances mettent la perfection, et la raison met les bien- 
séances. Ainsi l'on n'entend point une gigue à la chapelle, 
ni dans un sermon des tons de théâtre ; Ton ne voit pdint 
d'images profanes * dans les temples, un Christ par exem- 
ple et le Jugement de Paris dans le même sanctuaire , ni 
à des personnes consacrées à l'Ëglise le train et l'équipage 
d'un cavalier*. 

% Déclarerai-je donc ce que je pense de ce qu'on appelle 
dans le monde un beau salut, la décoration souvent pro- 
fane, les places retenues et payées, des livres* distribués 
comme au théâtre , les entrevues et les rendez-vous fré- 
quents, le murmure et les causeries étourdissantes, quel- 



1. Abbé vient dn syrien abha^ qai signifie père. 

2. Un jeune abhéj leçon de la 0* édition. La Bruyère avait d'abord écrit tiii 
simple ao6e. ce qui s'accordait mal avec la tin de la phrase. 

3. Titre d^honneur que l'on donne aux cardinaux. 

%. Tapisseries. (Note de la Bruyère.) — Cette réflexion contient une 
suite d'assertions ironiques : on entendait souvent des airs fort gais dans 
les églises , et souvent aussi dans les églises se trouvaient des tapisseries 
qui représentaient des sujets profanes. 

5. D'un bomine d*épée. 

«. Le motet traduit en vers français par L. L***. (Note de la Bruyère. ) 
NouB ignorons le nom du poète obscur que désignent ces initiileft. 



DE QUELQUES USAGES. 305 

qu'un monté sur une tribune qui y parle familièrement, 
sèchement, et sans autre zèle que de rassembler le peuple, 
Famuser, jusqu^à ce qu'un orchestre, le dirai-je?etdes voix 
qui concertent* depuis longtemps, se fassent entendre? 
Est-ce à moi à m'écrier que le zèle de la maison du Sei- 
gneur me consume, et à tirer le voile léger qui couvre les 
mystères, témoins d'une telle indécence? Quoi l parce qu'oiv 
ne danse pas encore aux TT****, me forcera-t-on d'appeler 
tout ce spectacle office d'église ? 

% L'on ne voit point faire de vœux ni de pèlerinages pour 
obtenir d'un saint d'avoir l'esprit plus doux, Tâme plus 
reconnaissante, d'être plus équitable et moins malfaisant, 
d'être guéri de la vanité, de l'inquiétude * et de la mauvaise 
raillerie. 

^ Quelle idée plus bizarre que de se représenter une foule 
de chrétiens de l'un et de l'autre sexe, qui se rassemblent 
à certains jours dans une salle , pour y applaudir à une 
troupe d'excommuniés, qui ne le sont que par le plaisir^ 
qu'ils leur donnent, et qui est déjà payé d'avance? Il me 
semble qu'il faudrait ou fermer les théâtres, ou prononcer 
moins sévèrement sur l'état des comédiens. 

f Dans ces jours qu'on appelle saints, le moine confesse, 
pendant que le curé tonne en chaire contre le moine et ses 
adhérents. Telle femme pieuse sort de l'autel , qui entend 
au prône qu'elle vient de faire un sacrilège. N'y a-t-il point 
dans l'église une puissance à qui il appartienne ou de faire 
taire le pasteur, ou de suspendre pour un temps le pouvoir 
du harnabite'^? 

f II y a plus de rétribution dans les paroisses pour un 
mariage que pour un baptême, et plus pour un baptême que 
pour la confession : Ton dirait que ce soit un taux sur les 
sacrements, qui semblent par là être appréciés. Ce n'est 



1. Qai font des répétitions. 

3. Ces initiales désignent les Théatins, dont le couTent, fondé par Ma- 
larin^ se trouvait sur le quai Malaquais. La mondaine splendeur des saluts 
des Théatins, grands amateurs de musique, a donné lieu à plus d'une cri- 
tique. 

. S. De r<notttVftu2e Su^t y dans la V édition. U s*agit de Tagitation 
«ans objet, dTe ractivité stérile de certains esprits. 

4. A cause du plaisir. 

5. L'ordre des Bamabites, ou clercs réfi^ers de la congrégation de 
saint-Paul , institué à Milan au seirième siècle, arait pris son nom de 
réglise de Saint-Barnabé^ dans laquelle s'étaient assemblés les fondateurs. 

20 



306 CHAPITRS XIY. 

rien an fond qne cet osage ; et oeai qui reçoÎTent pow les 
choses saintes ne croient point les vendrei comme ceux qui 
donnent ne pensent p .int à les acu ter : c*s sont peui-ètre 
des apptrences qu'on pourrait éparj^ner aui simples et aux 
iud vots. 

^ Un pasteur frais et en parfaite santé, en hnge fin et 
en point de Yenis*^ ', a sa ^iace dans l'œuvre* auprès ]tA 
pourpres et les fourrures* : il y achèTO sa digestion» peD« 
dant que le Feuillant^ ou le Récoilet' quitte la rellale et 
son dé^ertt où il est lié par ses tœux et par la biensënnce, 
pour venir le prêcher^ lui et ses ouailles, et en receToir le 
salaire, comme d'une pièce d'étoffe* — Vous m'interrompes^ 
et vous dues : Quelle censure ! et combien elle est nouvslle 
et peu attendue! Ne voudriez- vous point interdire i oe 
pasteur et à son troupeau la parole divine et le pain de 1*Ë- 
vangile? — Au contraire, je voudrais qu'il le d stribuftt lui** 
même le matin, le soir, dans les tem Jes dans les maisons, 
dans les places , sur les toits^ et que nul ne prétendît à un 
emploi si grand, si laborieux, qu'avec des intentions, des 
talents et des poumons cap ibles de lui mériter les belles 
olTrandes et «es riches rétributions qui y sont attachées. Je 
suis forcé, il est vrai, d'excuser un curé sur cette con- 
duite, par un usage reçu, qu^il trouve établi, et qu'il lais* 
sera à son successeur; mais c'est cet usage bizarre^ et dé- 
nué de fondement et d'apparence, que je ne puis approuver^ 
et que je goûte encore moins que celui de se faire payer 
quatre fois des mômes obsèques, pour soi, pour ses droits^ 
pour sa présence, pour son assistance. 

^ Titôf par vingt années de service dans une seconde 
place, n'est pas encore digne de la première, qui est va- 
cante : ni ses talents , ni sa doctrine *, ni une vie exem- 
plaire, ni les via^ux des paroissiens, ne sauraient l'y Caire 

1. En dentelles point de Venise. 

S. Bano affecte, dans une église, int officiers dé U fabrique^ e'est^à- 
dire aui marguilli«rs. Les personnages importants étalent invité» & f 
prendre place pendant le sermon» 

3. Les pourpres désignent le Parlement. Sur les /'ourrure«,yoyez pagaS34» 
note 4. ~ Auiirè9 iet est nna négligeaca dont ndtis ne eonnalkaras ^as 
d'autre exemple. 

%. Religieux oui vivait sous l'étroite observance de la règle da saint Ber- 
nard. L'ordre aes Feuillanti a pris son nom d'us viîtetd du lAnÉttediK). 

5. Religieux réformé de l'ordre da saÂBt FranfOii. 

S. Son savoir. 



DE QUELQUES USAGES. 307 

asseoir. Il natt de dessous terre ^ un autre clerc* pour la 
remplir. Tite est reculé ou cougédiô : il ne se plaint pas ; 
c'est r usagée. 

^ c Moi, dit le cbevecier', je suis maître du chœur : qui 
me forcera d'aller à matines? mon prédécesseur n'y allait 
point : suis-je de pire condition? dois-je laisser avilir ma 
dignité entre mes mains, ou la laisser telle que je Tai 
reçue? -- Ce n*est point, dit l'écolâtre ^, mon intérêt qui 
me mène , mais celui de la prébende : il serait bien dur 
qu'un grand chanoine fût sujet au choeur*, pendant que le 
trésorier*, Tarchidiacre, le pénitencier et le grand-vicaire 
s'en croient exempts. — Je suis bien fondé, dit le prévôt'i 
à demander la rétribution sans me trouver à Tofûce : il y a 
vingt années entières que je suis en possession de dormir 
les nuits ; je veux finir comme j'ai commencé , et l'on ne 
me verra point déroger à mon titre : que me servirait d'être 
à la tète d'un chapitre? mon exemple ne tire point à consé- 
quence. • ^ufin c'est entre eux tous à qui ne louera point 
éieu, à qui fera voir, par un long usage , qu'il n'est point 
obligé de le faire : l'émulation de ne se point rendre aux 
offices divins ne saurait être plus vive ni plus ardente*. Les 

4. i^effoufacessé d'être ooe préposition, et ne s'emploie plus queoommci 
hflVerbe 

2. Bcclësiftstique , a itiis en note la Bruyère. C'était l'acception la plu? 
ancienne et la plus ordinaire du mot clerc, 

5. La Bruyère semble étendie aux chanoines ae tods les chapitres les ac- 
CQsations que Boileau avait portées contre ceux de ta Sainte-Chapelle do 
Paris. S'il s'agissait ici de la Sainie-Gbapelle, le trésorier serait Iq pemon- 
Dage le plus important du chapitre, et non un dignitaire inférieur à 
récolàtre. I^e chevicier a^ait soin du chœur. 

^. Chanoine qui, jouissant d'une prébende, c'est-à-d<re d'un certain re- 
penti, devait enseigner gratuitement la philosophie et les humanités à sed 
confrèiesoa aux jeunes gens pauvres qui se destinaient au service do 
"Église. 

5. Au serTice du chœur. 

6. Le trésorier avait la Karde des roliquet. 

Ï, Chet du chapitre. 
. Boileau peint à merveille cette mollesse des chanoines dans le iMirini 
I, vers 18 : 

Parmi les doux [)lai»ir8 d'une paix fraternelle 
Paris voyait fleurir son antique chapelle : 
Ses chanoines vermeils et brillants de santé 
S'engraissaient d'une longue et sainte oisiveté : ^ 

Sans sortir de leurs lits, plus doux que leurs hermines, 
Ces pieux fainéants faisaient chanter matines, 
Veillaient à bien dtner. et laissaient en leur lien 
A des chantres gsgés le soin de louer Dieu. 

■t oaoore le vigilant Girot, dans le chapitre iv, s'adressant lit ehantre : 



308 CHAPITRE inr. 

cloches sonnent dans une nuit tranquille; et leur mélodie^ 
qui réveille les chantres et les enfants de chœur, endort les 
chanoines , les plonge dam un sommeil doux et facile, et 
qui ne leur procure que de beaux songes : ils se lèvent tard, 
et vont à Téglise se faire payer d'avoir dormi. 

f Qui pourrait s'imaginer , si l'expérience ne nous le 
mettait devant les yeux, quelle peine ont les hommes à se 
résoudre d'eux-mêmes à leur propre félicité, et qu'on ait 
besoin de gens d'un certain habit, qui, par un discours 
préparé, tendre et pathétique , par de certaines inflexions 
de voix, par des larmes, par des mouvements qui les met- 
tent en sueur et qui les jettent dans l'épuisement, fassent 
enfin consentir un homme chrétien et raisonnable , dont la 
maladie est sans ressource, à ne se point perdre et à faire 
son salut? 

f La fille à*Ar%stippe est malade et en péril ; elle envoie 
vers son père, veut se réconcilier avec lui et mourir dans 
ses bonnes grâces. Cet homme si sage , le conseil de toute 
une ville, fera-t-il de lui-même cette démarche si raison- 
nable? y entraînera-t-il sa femme? ne faudra-t-il point pour 
les remuer tous deux la machine du directeur? 

^ Une mère , je ne dis pas qui cède et qui se rend à la 
vocation de sa fille, mais qui la fait religieuse, se charge 
d'une âme avec la sienne, en répond à Dieu même, en est 
la caution. Afin qu'une telle mère ne se perde pas, il faut 
que sa fille se sauve* 

f Un homme joue et se ruine : il marie néanmoins l'aînée 
de ses deux filles de ce qu'il a pu sauver des mains d'un 
Àmbreville '. La cadette est sur le point de faire ses vœux, 
qui n'a point d'autre vocation que le jeu de son père. 

^ Il s'est trouvé des filles qui avaient de la vertu, de la 
santé, de la ferveur, et une bonne vocation, mais qui n'é- 
taient pas assez riches pour faire dans une riche abbaye 
vœu de pauvreté *. 

% Celle qui délibère sur le choix d'une abbaye ou d'un 



Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre sommeil? 
Quoi ! voulez-TOtts au chant prévenir le soleil ? 
Ah ! dormes ; et laissez à des chantres vulgaires 
Le soin d'aller sitôt mériter leurs salaires. 

1. C'est-à-dire on fripon. Ambreville était chef d^ine troupe de vagabonds. 
S. • Ce dernier trait, dit Suard, rejeté si heureusement à la An de la pé- 



DE QUELQUES USAGES. 309 

simple monastère pour s'y enfermer ' agite Tancienne ques- 
tion de l'état populaire et du despotique. 

^ Faire une folie et se marier par amourette^ c'est épou- 
ser Mélite, qui est jeune, belle, sage, économe, qui plaît, 
qui vous aime , qui a moins de bien qu'^^in^ qu'on vous 
propose, et qui, avec une riche dot, apporte de riches 
dispositions à la consumer, et tout votre fonds avec sa dot. 

% Il était délicat autrefois de se marier; c'était un long 
étahlissement, une affaire sérieuse, et qui méritait qu'on y 
pensât : l'on était pendant toute sa vie le mari de sa femme, 
bonne ou mauvaise i même table , même demeure , même 
lit; Ton n'en était point quitte pour une pension : avec des 
enfants et un ménage complet, l'on n'avait pas les apparen- 
ces et les délices du célibat. 

^ Qu'on évite d'être vu seul avec une femme qui n'est 
point la sienne, voilà une pudeur qui est bien placée : qu'on 
sente quelque peine à se trouver dans le monde avec des 
personnes dont la réputation est attaquée, cela n'est pas in- 
compréhensible. Mais quelle mauvaise honte fait rougir un 
homme de sa propre femme, et l'empêche de paraître dans 
le public avec celle qu'il s'est choisie pour sa compagne 
inséparable , qui doit faire sa joie, ses délices et toute sa so- 
ciété ; avec celle qu'il aime et qu'il-estime, qui est son orne- 
ment, dont Tesprit, le mérite, la vertu, l'alliance, lui font hon- 
neur ? Que ne commence-t-il par rougir de son mariage. 

Je connais la force de la coutume, et jusqu'où elle maîtrise 
les esprits et contraint les mœurs, dans les choses même les 
plus dénuées de raison et de fondement : je sens néanmoins 
que j'aurais l'impudence de me promener au Cours, et d'y 
passer en revue avec une personne qui serait ma femme. 

^ Ce n'est pas une honte ni une faute à un jeune homme 
que d'épouser une femme avancée en âge ; c'est quelque- 

riode poar donner plus de saillie au contraste, n'échappera pas à ceux 
qui aiment à observer dans les productions des arts les procèdes de l'ar- 
tiste. Mettez à la place, a qui n'étaient pas assez riches pour faire vœu de 
pauvreté dans une riche Hbbaye; » et voyez combien cette légère transpo- 
sition , quoique peut-être favorable à l'harmonie, afflaiblirait l'effet de la 
phrase. Ce sont ces artifices que les anciens recherchaient avec tant d'é- 
tude, et que les modernes négligent trop. Lorsqu'on en trouve des exem- 
ples chez nos bons écrivains, il semble que c'est plutôt i'eifet de l'instinct 
que de la réflexion. » 

1. La Bruyère avait d'abord écrit t'y renfermer; à la 9* édition, il a 
préféré ê'y enfermer. 



310 CHAPITRE xnr. 

fois prudence, c*est précaution. L'infamie est de se jouer de 
sa bienfactrice ' par des traitements indignes, et qui lui dé- 
couvrent qu'elle est la dupe diun hypocrite et d'un ingrat. 
Si la fiction ' est excusable, c*est où il^aut feindre de l^ami- 
tié; sMl est permis de tromper, cest dans une occasion où 
il y aurait de la dureté ^ être sincère. — Mais elle vit long- 
temps.— A viez-vous stipulé qu'elle mourût après avoir signé 
votre fortune et l'acquit de toutes vos dettes? N'a*t*eUe 
plus, après ce grand ouvrage, qu'à retenir son haleixie, 
qu*à prendre de l'opium ou de la ciguë? A-t-elle tort 
de vivre ? Si même vous mourez avant pelle dont vous 
aviez déjà réglé les funérailles, à qui vous destiniez la grosse 
sonnerie et les beaux ornements, en est-elle responsable? 

^ Il y a depuis longtemps dans le monde une manière * de 
faire valoir son bien , qui continue toujours 4*être pratiquée par 
d'honnêtes gens, et d'être condamnée par d'habiles docteurs,. 

^ On a toujours vu dans la république de certaines char- 
ges qui semblent n'avoir été imaginées la première fois que 
pour enrichir un seul au^ dépens de plusieurs ; les fonds 
ou l'argent des particuliers y cdule sans fin et sans in- 
terruption*. Dirai-je qu'il n'en revient plus, ou qu*il ^'en 
revient que tard? C'est un gouffre, c'est une mer qui reçoit 
les eaux des fleuves, et qui ne les rend pas; ou si elle les 
rend, c'est par des conduits secrets et souterrains, sans qu'il 
y paraisse, ou qu'elle en soit moins grosse et moins enôëe; 
ce n'est qu^après en avoir joui longteçaps, et qu'eue ne peut 
plus les retenir. 

1. Bienfactrice. Voyez page 102, note 2. 

3. L'action de feiudre. 

3. Billets et obligations. {Noté et la firvyértf.) — Ai| fnoym |ge, le éroit 
ecèlésiasiique et le droit civil défendaient le prêt à intérêt. Celte interdic- 
tion, chaque jour violée, n'avait qu'en partie disparu du temps de la Bruyère. 
Il n'était pas permis^ quoiqu'on le fît à chaque instant, de tirer intérêtû'une 
somme prêtée sur hxlUt ua Rur obligation : l'intérêt n'était licite que dans 
les cas aii« pour un contrat de constitution de rente, l'on abandonnait le 
capital à iHtniprunteur jusqu'à ce au'il lui plût de le rendre. 

^. Greffe, consignation. (iVote a« ki S' uyèré. ) Cette annotation, qui ne 
parut que<lans la 9" édition, n'était pas inutile, pour remettre sur la Toie 
les commentaieuis qui avaient t'ait fausse route. Le passage contenait une 
allusion, préiendaient-iis, soit au surintendant des Mnances, soit an rece- 
veur des cuntlscaiions. Mais pourquoi la Bruyère eût-il parlé de la surin- 
tendance des finances ? Il n'y avait plus de surintendant depuis la chute de 
Fouquci. Kt cornmeiii celle réflexion eût elle pu s'appliquer aux receveurs 
des confiscations? Ne retusaienl-ils pas à bon droit de rendre aux particu- 
liers l'argent qu'ils avaient légalement contisqué? Vis-à-vis des grelners qui 
ne devaient retenir les sommes provisoirement déposées entre leurs mains 



DE QUELQUES USAGES. 311 

Y Le fonds perdu, autrefois si sûr, si relifrieux et si in- 
▼ioiable, est devenu avec le temps, et par les soins de ceux 
qui en (étaient chargés, un bie per«iu •. Quel autre secret 
de doubler mes revenus et de thésauriser? Entrerai-je dans 
le huitième denier, ou dans les aides'? Serai-je avare, par- 
tisan, ou administrateur? 

% Vous avez une pièce d'argent, on même une pièce d'or; 
ce n'est pas assez, c'est le nombre qui opère : faiies-en, si 
vous pouvez un amas considérable et qui s'élève en pyra- 
mide, et je me charge du reste. Vous n'avez ni naissance, 
ni esprit, ni talents, ni expérience, qu'importe? ne dimi- 
nuez rien de votre monceau, et }^ vous placerai si haut que 
vous vous couvrirez dftvant votre maître, si vous en avez; 
il sera même fort éminent, si, avec votre métal, qui de jour 
à autre se multiplie, je ne fais en sorte qu'il se découvre 
devant vous *. 

^ Orante plaide depuis dix ans entiers en règlement de 
jugeç*, pour une aflFaire juste, capitale; et où il y va de toute 
sa fortune : elle saura peut-être , dans cinq années , quels 
seront ses juges, et dans quel tribunal elle doit plaider le 
reste de sa vie. 

f L'on applaudit à la coutume qui s'est introduite dans 
les tribunaux d'interrompre les avocats au milieu de leur 
action •, de les empêcher d'être éloquents et d'avoir de l'es- 
prit, de les ramener au fait et aux preuves toutes sèches 
qui établissent leurs causes et le droit de leurs parties; 
et cette pratique si sévère, qui laisse aux orateurs le regret 
de n'avoir pas prononcé les plus beaux traits de leurs dis- 
cours, qui bannit l'éloquence du seul endroit où elle est en 
sa place, et ira faire du parlement une muette juridiction, 



que jusqu'à la solution d*aB procès, la plainte de la Brayère était au con- 
traire fort légitime. 

1. « Allusion, disent les clefs, à la banqueroute faite par les hôpitaux 
de Paris ei ies Incurables, en i689. Elle a rail perdre aux pariiculiers qui 
«vaieot des deniers à fouds peidu sur def> hôpitaux la plus grande pariie 
de leurs biens : ce qui arriva (lar la fri|K>nnerie de quelques adminlstra- 
tsurs que l'on chassa. » — l.e tonds perdu est une somme d'argent dont 
l'on abandonne le cspiul, moyennant une rente vis^ière. 

2. Voyez psge 96, noie 1. — tes aides sont les subsides qni ont été rem* 
placés par nos contributions indirectes, 

S. Boilesu exprime la même pensée dans la satire viii, vers t7S-906. 
4. Puur faire décider que sou procès sera perte devant tel tribunal et 
non devant tel autre, 
f. De leur plaidoyer. 



312 CHAPITRE XIY. 

on Tantorise par une raison solide et sans répli(pie, qui est 
celle de l'expédition ' : il est seulement à désirer qu'elle fût 
moins oubliée en toute autre rencontre; qu'elle réglât au 
contraire les bureaux comme les audiences, et qu'on cherchât 
une fin aux écritures *, comme on a fait aux plaidoyers. 

f Le devoir des juges est de rendre la justice ; leur mé- 
tier, de la différer. Quelques-uns savent leur devoir, et font 
leur métier. 

f Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur : car, 
ou il se déôe de ses lumières et même de sa probité, ou il 
cherche à le prévenir, ou il lui demande une injustice'. 

^ U se trouve des juges auprès de qui la faveur, l'autorité, 
les droits de l'amitié et de l'alliance , nuisent à une bonne 
cause, et qu'une trop grande affectation de passer pour in- 
corruptibles expose à être injustes^. 

% Le magistrat coquet ou galant est pire dans les consé- 
quences que le dissolu : celui-ci cache son commerce et ses 
liaisons, et l'on ne sait souvent par où aller jusqu'à lui; ce- 
lui-là est ouvert par mille faibles qui sout connus, et l'on j 
arrive par toutes les femmes à .qui il veut plaire. 

% Il s'en faut peu que la religion et la justice n'aillent 
de pair dans la république, et que la magistrature ne con- 
sacre les hommes comme la prêtrise. L'homme de robe ne 
saurait guère danser au bal, paraître aux théâtres, renoncer 
aux habits simples et modestes, sans consentir à son propre 
avilissement; et il est étrange qu'il ait fallu une loi pour 
régler son extérieur, et le contraindre ainsi à être grave et 
plus respecté % 



1. lA prompte expédition des affaires. — Cette cootume sfintroduisity 
suivant les clefs, t^ous le premier président de NovioD. 

2. Procès par écrit. (Note de la Bruyère.) 

3. Philinte^ à Alceste, dans le Misanthrope, 1. 1 t 

Mais qui voulez-TOUs donc qui vous pour sollicite* 
Alceste. Qui je veux? La raison, mon bon droit, Téquité. 

4. La même pensée se trouve dans le 6* discours de i'Artsttppe de Baliac 
et dans les Pensées de Pascal. « Il n'est pas permis au plus équitable homme 
du monde, dit Pascal, d'être iuffe en sa cause : J'en sais qui, pour ne pas tom- 
ber dans cet amuui'-propre, ont ete les plus injustes du monde à contre^ 
biais. Le moyen le plus sur de perdre une affaire toute juste était de la 
leur faire recommander par leurs proches parents. » (Pascal.) 

5. « n y a, lit-on dans les clefs, un arrêt du CousetI qui oblige les 
conseillers k être en rabat. Avant ce temps-là ils étaient presque toujours 
en cravate. Cet arrêt fut rendu à la requête de M. de Narlay, alors proca« 
reur général. • 



DE QUELQUES USAGES. 313 

% Il n'y a aucun métier qui n'ait son apprentissage, et, 
en montant des moindres conditions jusques aux pins gran- 
des, on remarque dans toutes un temps de pratique et 
d^exercice qui prépare aux emplois, où les fautes sont sans 
conséquence, et mènent au contraire à la perfection. La 
guerre même , qui ne semble naître et durer que par la 
confusion et le désordre, a ses préceptes : on ne se massa- 
cre pas par pelotons et par troupes en rase campagne, sans 
l'ayoir appris, et l'on s'y tue méthodiquement. 11 y a l'é- 
cole de la guerre : où est l'école du magistrat? Il y a un 
usage, des lois, des coutumes : où est le temps, et le temps 
assez long que l'on emploie à les digérer et à s'en instruire? 
L'essai et l'apprentissage d'un jeune adolescent qui passe 
de la férule à la pourpre , et dont la consignation a fait un 
juge, est de décider souverainement des vies et des for- 
tunes des hommes. 

^ La principale partie de l'orateur, c'est la probité : sans 
elle, il dégénère en déclamateur, il déguise ou il exagère 
les faits, il cite faux» il calomnie, il épouse la passion et 
les haines de ceux pour qui il parle ; et il est de la classe 
de ces avocats dont le proverbe dit qu'ils sont payés pour 
dire des injures. 

^ Il est vrai, dit-on, cette somme lui est due, et ce droit 
lui est acquis; mais je l'attends à cette petite formalité; 
s'il l'oublie, il n'y revient plus, et conséquemmerU il perd sa 
somme, ou il est incontestablement déchu de son droit : or, 
il oubliera cette formalité. — Voilà ce que j'appelle une 
conscience de praticien. 

Une belle maxime pour le palais, utile au public, remplie 
de raison, de sagesse et d'équité, ce serait précisément la 
contradictoire de celle qui dit que la forme emporte le 
fond. 

% La question est une invention merveilleuse et tout à 
fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion fai- 
ble, et sauver un coupable qui est né robuste '. 

% Un coupable puni est un exemple pour la canaille : 

1. Cerrantes avait mis la même réflexion dans laboocbe de Don Qui- 
chotte, et cette réflexion devait se présenter à l'esprit de tous. La question 
n'a cependant été supprimée que sous Louis XVL — Vers l'époque od 
écrivait la Bruvère , un accusé , nommé Lebrun , avait succombé après 
avoir été mis à la question. 



314 CHAPITRE mr. 

un innocent oondamné est raffaire de tons les honnêtes 
gens. 

Je dirai presque de moi : i Je ne serai pas voleur oa 
meurtrier. » c Je ne serni pas un jour puni comme tel , » 
c'est parler bien hardiment. 

Une Condition lamentable est celle d*un homme innocent 
à qui la précipît'ition et la procédure ont trouvé an crime; 
celle même de son juge peut-elle l*étre davantage*? 

ir Si l'on me racontait qu'il 9*est trouvé autrefois un pré- 
vôt, ou Tun de ces magistrats créés pour poursuivre les 
voleurs et les exterminer, qui les connaissait tous depuis 
longtemps de nom et de visage, savait leurs volSi j'entends 
Tespèce, le nombre et la qi^antité, pénétrait si avant dans 
toutes ces profondeurs, et était si initié d^ns tous c^s affreux 
mystères, qu'il sut rendre à un homme de crédit un bijou 
qu'on lui avait pris dans 1^ foule au sortir d'une asseçtiblée, 
et dont* il était sur le point de faire de Téclat ; que le par- 
lement intervint dans cette affaire, et fit la procès à cet of- 
ficier; je regarderais cet événement comme l'une de ces 
choses dont l'histoire se charge, et à qui le temps ôte la 
croyance : comment donc pourrais -je croire C|u'on doive 
présumer, par des faits récents, connus et circonstanciés, 
qu'une connivence si pernicieuse ^mv^ encore, ^u'^Ue ait 
même tourné en jeu et passé en coutume? 

f Combien d'hommes qui sont forts contre les faibles, 
fermes et inflexibles aux sollicitatious du simple peuple, 
sans nuls égards pour les petits, rigides et Révères dans les 
minuties, qui refusent les petits présentai qui n'écou^git ni 
leurs parents ni leurs amia^ çt quQ le^ femQie;^ seu^e^ pet»* 
vent corrompre l 

^ Il n'est pas absolument impossible qu'une persoQ]i9 
qui s^ trouve dans une grande faveur perde m procès. 

^ Les mourants qui parlent dans leurs teçtam^nta peu* 
vent s'attendre à être écoutés cooune des oracles : chacun 
les tire de son côté et les interprète à sa manière, je veux 
dire selon ses désirs ou ses intérêts. 

t. La Bnif AN m nppelait peot-dtre que le ntrqnii 4e Lan'gHide, accosé 
é'on W qu'il o'aTEit point commis, et couilamné aux iralères, étaii monk 
ifliôpi^l dea forçaia. Son innocence fut reconnue irop tard. 

2. Et au sQjei duquel. ^ • M. de Grandinaisoy, grand pré^de la arévftlé 
de THÔiel, disent les clefs, a tait rendre à M. de Sautt^PouaB^ee ttnebou* 
de de diamants qui lai avait été dérobée au sortir de ropéra. » 



DE QUELQUES USAGES. 315 

ff II est yrai qu*il y a des hommed dont on peut dire que 
la mort fixe moins la dernière volonté qu'elle ne leur ôte, 
avec la vie, rirrésolution et l'inquiétude. Un dépit, pendant 
qu'ils vivent, les fait tester; ils s'apaisent et déchirent leur 
minute S la voilà en cendre. Ils n'ont pas moins de testa- 
ments dans leur cassette que d'almanachs sur leur table; 
ils les comptent par les années : un second se trouve détruit 
par un troisième , qui est anéanti lui-même par un autre 
mieux digéré, et celui-ci encore par un cinquième ologra^ 
phe*. M?is, si le moment, ou la malice, ou l'autorité 
manque â celui qui a intérêt de le supprimer*, il faut qu'il 
en essuie les clauses et les conditions : car appert-W mieux 
des dispositions des hommes les plus inconstants que par un 
dernier acte , signé de leur main , et après lequel ils n'ont 
pas du moins eu le loisir de vouloir tout le contraire*? 

% S'il n'y avait point de testaments pour régler le droit 
des héritiers, je ne sais si l'on aurait besoin de tribunaux 
pour régler les différends des hommes ; les juges seraient 
presque réduits à la triste fonction d'envoyer au gibet les 
voleurs et les incendiaires. Qui voit-on dans les lanternes * 
des chambres , au parquet , à la porte ou dans la salle du 
magistrat? des héritiers ob intestat ? Non, les lais ont pourvu 
à leurs partages. On y voit les testamentaires* qui plaident 
en explication d'une clause ou d'un article; les personnes 
exhérédées; ceux qui se plaignent d'un testament fait avec 
loisir, avec maturité , par un homme grave , habile , eon- 
sciencieux, et qui a été aidé d'un bon conseil, d'un acte où 
le praticien n'a rien obmis^ de son jargon et de ses finesses 
ordinaires : il est signé du testateur et des témoins publics, 
il est paraphé; et c'est en cet état qu'il est cassé et déclaré 
nul. 

1. Udo minate est un acte origiBal on nn broaitloQ. 
a. Un çUiqnième testament. Un testf^mejqnt oktograpb^ e»t. nn tealan^ent 
qm est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur. 

3. S), afiyr^ la ^ort 4« testatear, celui dupt le testament blesse les in- 
térêts n'est ni assez malhonnôie pour le laire disparaître, lorsque) le peut, 
|ii sAses puissant pour le faire ca!»ser..- 

4. hf6 dispositions des hommes les plus inconstants penvei^t^ellea mieux 
apparalire que car an dernier acte, etc. -^ Il appert^ terme de palais. 

5. Sorte de tribunes où quelques personnes pouvaient assister aux séan- 
ces du parlement sans.èire vues. 

6. Ceux qui, contrairement aax héritiers ab iateiUU, héritent en vertu 
d*an testament. 

1» Orthographe des praticiens : Vauteor la conserve à dessein» 



316 CHAPITRE XIV. 

% TUius assiste à la lecture d'an testament avec des yenx 
rouges et humides, et le cœur serré de la perte de celui dont 
il espère recueillir la succession. Un article iui donne la 
charge, un autre les rentes de la ville *, un troisième le rend 
maître d^une terre à la campagne; il y a une clause qui, 
hien entendue , lui accorde une maison située au milieu de 
Paris, comme elle se trouve , et avec les meubles : son af- 
fliction augmente, les larmes lui coulent des yeux; le moyen 
de les contenir? il se voit officier*, logé aux champs et à la 
yille, meublé de même; il se yoit une bonne table et un 
carrosse : « Y avait-il au monde un plus honnête homme que 
le défunt f un meilleur homme? » Il y a un codicille', il faut 
le lire : il fait Afawttts légataire universel, et il renvoie Titius 
dans son faubourg, sans rentes, sans titre, et le met à pied. 
11 essuie ses larmes : c'est à Maevius à s'affliger. 

% La loi qui défend de tuer un homme n'embrasse-t-eUe 
pas dans cette défense le fer, le poisoiji, le feu, Peau, les 
embûches, la force ouverte, tous les moyens enfin qui peu- 
vent servir à l'homicide? La loi qui ôte aux maris et aux 
femmes le pouvoir de se donner réciproquement, n'a-t-elle 
connu que les voies directes et immédiates de donner^? 
a-t-elle manqué de prévoir les indirectes? a-t-elle introduit 
les fidéicommis, ou si même elle les tolère? Avec une femme 
qui nous est chère et qui nous survit , lègue-t-on son bien 
à un ami fidèle par un sentiment de reconnaissance pour 
lui , ou plutôt par une extrême confiance, et par la certitude 
qu'on a du bon usage qu^il saura faire de ce qu'on lui lègue? 
Donne-t-on à celui que Ton peut soupçonner de ne devoir 
pas rendre à la personne à qui en effet Ton veut donner? 
Faut-il se parler, faut-il s'écrire , est-il besoin de pacte ou 
de serments pour former cette collusion*? Les honmies ne 

I. Les rentes sar l'hftlel de Tille» 

3. Pourvu d'un office. 

S. Disposition qaï a pour objet de faire une addition on nn changement à 
un testament. 

4. Voyez dans le Malade imaginaire comment le notaire Bonnefoi 
apprend à Argan que la coutume de Paris lui interdit de rien léguer à sa 
femme, et comment il lui apprend en même temps qu'il est des expédients 

3ui permettent de « passer par-dessus la loi. » On peut, par exemple, 
onner par testament une partie de sa fortune à un ami, en le chargeant 
secrètement de la transmettre à sa femme : c'est là le fidéi-commis dont il 
▼a être auestiun. — Les époux oui n'avaient pas d^enfants pouvaient toota- 
fois se léguer, par don mutuel, l'Visufruit de certains biens. 

5. Cette entente secrète pour éluder la coutume. 



DE QUELQUES USAGES. 317 

senteni-il8 pas en ce rencontre* ce qu'ils peuvent espérer 
les uns des autres? Et si, au contraire, la propriété d'un tel 
bien est dévolue au fidéicommissaire , pourquoi perd-il sa 
réputation à le retenir? Sur quoi fonde-t-on la satire et les 
vaudevilles? Voudrait-on le comparer au dépositaire qui 
trahit le dépôt, à un domestique qui vole Pargent que son 
maître lui envoie porter? On aurait tort : y a-t-il de l'infa- 
mie à ne pas faire une libéralité , et à conserver pour soi ce 
qui est à soi? Étrange embarras, horrible poids que le fidéi- 
commisl Si» par la révérence des lois, on se l'approprie, il 
ne faut plus passer pour homme de bien; si, par le respect 
d'un ami mort, l'on suit ses intentions en le rendant à sa 
veuve, on est confidentiaire*, on blesse la loi. Elle cadre 
donc bien mal avec l'opinion des hommes. Gela peut être; 
et il ne me convient pas de dire ici : La loi pèche, ni : Les 
hommes se trompent. 

^ J'entends dire de quelques particuliers ou de quelques 
compagnies : « Tel et tel corps se contestent l'un à l'autre 
la préséance; le mortier et la pairie* se disputent le pas.» Il 
me paraît que celui des deux qui évite de se rencontrer aux 
assemblées est celui qui cède, et qui, sentant son faible, 
juge lui-même en faveur de son concurrent. 

^ Typhon fournit un grand de chiens et de chevaux : que 
ne lui fournit-il point? Sa protection le rend audacieux; il 
est impunément dans sa province tout ce qui lui plaît d'être^, 
assassin, parjure; il brûle ses voisins, et il n'a pas besoin 
d'asile. Il faut enfin que le prince se mêle lui-même de sa 
punition. 

^Ragoûts, liqueurs, entrées, entremets, tous mots qui 
devraient être barbares et inintelligibles en notre langue; 
et, s'il est vrai qu'ils ne devraient pas être d'usage en pleine 
paix, où ils ne se servent qu'à entretenir le luxe et la gour- 

i. Cette rencontre ààns tontes les éditioBs modernes; mais les éditions 
du dix-septième siècle font oe mot masculin. Comme la Bruyère, la plupart 
des écriirains de cette époqne écriTent ce rencontre. Dans la correspon- 
dance de Colbert, par exemple, ce mot est toujours au masculin. 

2. « Le oonfidentiaire est celui qui a reçu une somme d'argent ou antce 
▼alenr arec l'engagement secret, mais d'honneur, de le rendre ànne per- 
sonne déterminée » (Littré). 

S. Les présidents du parlement, et les pairs de France, qui avaient droit 
de séance an parlement. 

%. La Bruyère a hésité entre de qu'il lui platt et ce qui lui platt 
dTitre. C'est à ce qui lui platt qu'il s'est arrèié dans les deux dernières 
éditions. La première rédaction était préférable. 



818 cHAPrnuE xrr. 

mandise i oomment peuyeDt-ils 6tre entendus dans le temps 
de la guerre et d'une misère publique, à la vue de Pen- 
nemi, à la veille aVn combat, pendant un siège? Où est«il 
parlé de la table de Seipion ou de celle de Mariua? Ai-je la 
quelque part que MiUiade^ q}ïÉpaminQnda$y qu^AgésilaSj 
aient fait une obère délicate? Je voudrais qu'on ne ftt men- 
tion de la délicatesse, de la propreté * et de la somptuositë 
des généraux, qu'après n'avoir plus rien à dire sur leur un^ 
jet, et s'être épuisé sur les ciroonstances d'une bataille ga- 
gnée et d'une ville prise ; j'aimerais môme qu'ils TOttlaMeat 
se priver de cet éloge *. 

^ Hermippe est l'esclave de ee qu'il appelle ses petites 
commodités; il leur sacrifie l'usage reçu, la coutume « les 
modes « la bienséance { il les cherche en toutes choses , il 
quitte une moindre pour une plus grande, il ne néglige au* 
cune de celles qui sont praticables^ il s'en fait une étude, et 
il ne se passe aucun jour qu'il ne fasse en ce genre une dé- 
couverte. 11 laisse aux auires hommes le dtner et le souper, 
à peine en admet-il les termes; il mange quand il a faim, et 
les mets seulement où son appétit le porte* Il voit faire son 
lit : quelle main assez adroite ou assez heureuse pourrait le 
faire dormir comme il veut dormir? Il sort rarement de ches 
soi; il aimQ la chambre, où il n'est ui oisif ni laborieux, où 
il n'agit point, où il tracasse^ et dans l'équipage d'un homme 
qui a pris médecine. On dépend servilement d'un serrurier 
et d'un menuisier, selon ses besoins : pour lui| s'il faut 
limer, il a une lime ; une scie, s'U faut scier, et des tenaillesi 
s'il faut arracher. Imaginez, s'il est possible, quelques ou- 
tils qu'il n'ait pas, et meilleurs et plus commodes à son gré 
que ceux mêmes dont les ouvriers se servent : il en a de non* 
veaux et d'inconnus , qui n'ont point de nom , productions 
de son esprit, et dont il a presque oublié l'usage. Ifttl ne se 



1. Élégance. , ,. ... 

2. bc iiiMr^ais ci Humières, ast, seloD Gourville, le premier sénénl qui 
ait tianspurU; dans les camps le luxe des ville?. Penaant le siège d*kfm 
(iâSfi). Guanrille, soupaot à sa ^^Ifu j vit avec étonnement de la vais- 
selle d'argent. «< Le Lendemain, alHlt j 0U8 Vhunneur de dtner avec M. de 
Tureoue : il n'avait que dé la vaisselle de Ter-blanc. m En 1S73, une or* 
donnaucQ fut rendue pour la modéraviuD d^s tables des officiers géné> 
raux. Mais cette ordonnance demeura impuissante. « ht luxe e( la bonne 
chère, dit Saint-Simon, avuent corrompu les armées ( on j était servi 
avec la iuème délicatesse et le même a|»pareU que dans les filles et aux 
meilleures tables.» 



DE QUELQUES USAGES. 819 

peut coTTpnrer à lui pour faire en peu de temps et sans peine 
un travail fort imiile. 11 faisa.t dix pas pour aller de sou 
lit dans sa ^arde-robe, il n'en fait plus que neuf par la ma- 
nière d nt il a su tourner sa cbambre : combien de pas 
épargnes dans le oours d'une yiel Ailleurs Ton tourne la 
clef. Ton pousse contre, ou l'on tire à soi, et une porte sou- 
yre : quelle fatigue! voilà un mouvement de trop qu'il sait 
s'épargner; et comment? c*est un mystère qu'il ne révèle 
point. 11 est, à la vérité, un grand maître peur le ressort et 
pour la mécanique, pour celle du moins dont tout le monde 
se passe. Hermippe tire le jour de son appartement d'ailleurs 
quf de la fenêtre; il a trouvé le secret de monter et de des- 
cendre autrement que par Te-calier, et il cherche celui d'en- 
trer et de sortir plus commodément que par la portei 

^ Il y a déjà longtemps que l'on im prouve les médecins, 
et qurï l'on s'en sert : le théâtre et la satire ne touchent 
pointa leurs pensions: ils dotent leurs files, placent leurs 
fils aux parlements tt dans la prélature, et les railleurs eux- 
mêmes fournissent Ta rgent* Ceux qui se portent bien de. 
tiennent malades; il leur faut des gens dont le métier Soit 
de les assurer qu'ils ne mourront point. Tant que les hommes 
pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sert 
raillé et bien payé. 

^ Un bon médecin est celui qui a des remèdes spécifiques, 
ou, s'il en manque, qui permet à ceux qui les ont de guérir 
son malade; 

^ La témérité des charlatans « et leurs tristes succès qui 
en sont les suites font raloir la xbédecine et les médecins x 
gi ceux-ci laissent mourir^ les autres tuent. 

% Carro Corn ' débarque avec une recette t^u'll appelle 
un prompt retnède, et qui quelquefois est un poison lent : 
c'est un bien de famille, mais amélioré en ses mains; de 
spécifique quH é ait contre la colique, il guérit do la fièvre 
i]uarte, de la pleurésie , dé l'by iropisie, de ^apoplexie, de 
Tépilepsie. Forces un peu voti*e mémoire, nommez une ma^ 
ladie, la première qui voua viendra eh î^espril : l^hémor- 
rhagie^ ditas-yous? il la guérit. U ne ressuscite personne, 

t. Careut. médecin èmpiriqtie qilf étslt venu d'Italte. Là i^éHsofa dii 
eue de la Feûillidtet du duc de GftâërduBse, qui, abandonnés dès médeCliiS, 
l'étarant •ooftés à sei soitts, Pavait mis en tres-grattde répaution. U se 
faisait payer fort cher et à ravance. 



3S0 CHAPITRE ZIV. 

il est Trai; il ne rend pas la vie aux hommes; mais il les 
oondnit nécessairement jusqu'à la décrépitude 9 et ce n'est 
que par hasard que son père et son aïeul , qui avaient ce 
secret, sont morts fort jeunes. Les médecins reçoivent pour 
leurs visites ce qu'on leur donne ; quelques-uns se conten- 
tent d'un remerctment : Garro Garri est si sûr de son re- 
mède, et de Teffet qui en doit suivre , qu'il n'hésite pas de 
s'en faire payer d'avance, et de recevoir avant que de don- 
ner. Si le mal est incurable, tant mieux; il n'en est que 
plus digne de son application et de son remède *. Commen- 
cez par lui livrer quelques sacs de mille francs, passez-lui 
un contrat de constitution*, donnez-lui une de vos terres, 
la plus petite, et ne soyez pas ensuite plus inquiet que lui 
de votre guérîson. L'émulation de cet homme a peuplé le 
monde de noms en et en I, noms vénérables , qui impo- 
sent aux malades et aux maladies. Vos médecins , Fagon *, 
et de toutes les facultés, avouez-le, ne guérissent pas tou- 
jours, ni sûrement : ceux, au contraire, qui ont hérité de 
leurs pères la médecine pratique , et à qui l'expérience est 
échue par succession, promettent toujours, et avec ser- 
ments, qu'on guérira. Qu'il est doux aux hommes de tout 
espérer d'une maladie morteUe, et de se porter encore pas- 
sablement bien à Tagouie 1 La mort surprend agréablement 
et sans s'être fait craindre; on la sent plutôt qu'on n*a songé 
à s'y préparer et à s'y résoudre. Fagon Esgulape! faites 
régner sur toute la terre le quinquina et l'émétique'*; con- 
duisez à sa perfection la science des simples*, qui sont don- 
nés aux hommes pour prolonger leur vie ; observez dans les 
cures, avec plus de précision et de sagesse que personne n'a 
encore fait, le climat, les temps, les symptômes et les com- 
plexions; guérissez de la manière seule qu'il convient à 

1. ToiNBTTB, en médecin. « Je voudrais, monsieur, que tous fussiei 
EbaudoDué de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour tous montrer 
l'excellence de mes remèdes. » (Molière, le Malade imaginaire, III, u.) 

2. Contrat par lequel on constituait une rente. 

3. Fagon, rennemi le plus implacable des charlatans, suivant l'expres- 
sion de Saint-Simon, venait de succéder à Daquin dans la charge de premier 
médecin du roi. 

4. Fagon était l'un des défenseurs du quinquina, qui, importé eo France 
vers le milieu du dix-septième siècle et récemment mis à la mode, avait été 
l'objet de discussions très-vives. La Fontaine a célébré en vers les mérites 
du quinquioa. Comme le quinquina, l'émétique avait d'ardents «diersairet. 

6. Herbes, plantes. 



DE QUELQUES USAGES. 321 

chacun d'être guéri; diassez des corps, ou rien i^e tous est 
caché de leur économie, les maladies les plus obscures et. 
les plus invétérées; n'attentez pas sur celles de Tesprit, 
elles sont incurables ; laissez à Corinne^ à Lesbie^ à Canidie^ à 
TWmoldbn, et à Carfms^ la passion où la fureur des charlatans. 

f L'on souffre dans la république les chiromanciens ' et 
les deyins, ceux qui font l'horoscope et qui tirent la figure, 
ceux qui connaissent le passé par le mouvement du sas*^ 
ceux qui font voir dans un miroir ou dans un rase d'eau la 
claire vérité; et ces gens sont en effet de quelque usage : 
ils prédisent aux hommes qu^Is feront fortune » aux filles 
qu'elles épouseront leurs amants, consolent les enfants dont 
les pères ne meurent point, et charment Tinquiétude des 
jeunes femmes qui ont de vieux maris : ils trompent enfin 
à très-vil prix ceux qui cherchent à être trompés. 

f Que penser de la magie et du sortilège? La théorie en 
est obscure, les principes vagues, incertains, et qui appro- 
chent du visionnaire; mais il y a des faits embarrassants, 
affirmés par des hommes graves qui les ont vus, ou qui les 
ont appris de personnes qui leur ressemblent : les admettre 
tous ou les nier tous paratt un égal inconvénient; et j'ose 
dire qu'en cela, comme dans toutes les choses extraordi- 
naires et qui sortent des communes règles, il y a un parti à 
trouver entre les âmes crédules et les esprits forts '. 

f L'on ne peut guère charger Tenfance de la connaissance 
de trop de langues, et il me semble que Ton devrait mettre 
toute son application à l'en instruire : elles sont utiles à 
toutes les conditions des hommes, et elles leur ouvrent éga- 
lement l'entrée ou à une profonde ou à une facile et agréa- 
ble érudition. Si l'on remet cette étude si pénible à un âge 
on peu plus avancé et qu'on appelle la jeunesse , ou Ton 
n'a pas la force de l'embrasser par choix , ou l'on n'a pas 
celle d'y persévérer; et si Ton y persévère, c'est consumer à 

1. CharUtaos qui prédisent Payenir on inspectant la main de cenx qui 

les oonsultenu 

3. Le sas, ou tamis, qne des chartatans faisaient tourner à la requête dee 
bonnes gens qui avaient perdu qnelc^ae objet, derait s'arrêter an moment 
oh l'on nommait la personne qni ravait dérobé. 

S. K l'époque oii la Rruyère écrivait celte remarque, on se préoccupait 
vivement de charlatans qui prétendaient découvrir, à Taide d*une baguette, 
les voleurs, les assassins, etc. La oonflandb quHls inspirèrent un instant 
fat si générale que la Justice eUe-même eut recours à l'un d^eux dans une 
•oquéite. 

SI 



$89 CHAimiB JIW. 

la recbdrche dfls langaes le môme temps qm eek eomaeié à 
rusage que Ton en doit faire; c'est borner à la seienoe des 
mots un âge qui veat déjà aller plus loin, al qui 4^in?»T^i^^ 
des choses; c'est au moios avoir perdu les premières et les 
plus belles aonées de sa ?ie. Un si grand fonds ne se peut 
bien faire que lorsque tout s'imprime dans }*âme natarelle- 
ment et profmidémeiit; qi^ la mëmçir» est leuve , prompte 
et fidôl^; que l'esprit et le cçRor sont enoore vides de psfr* 
siops, de soius et de désirs, ^t que Von est déterminé à de 
longs travaux par ceux de qi|i i'on dépend. Je suis perswidé 
que le peti^ nombre d'babiles , ou le grand nombre de f^u 
superfioiele, viçnt de Toubli de o^tte pratique. 

% L'étude des textes ne peut jamais être asseï reoomman* 
dée; c'eat le chemin le plus court, le plus sûr et le plus 
agréable ppur tout genre d'éruditiont Ayei les ehosea de la 
première main, puises li la souroe; manies, remanies le 
texte, q^preoes-'le de mémoire, cites*le dans les ecoasions, 
songes surtout à en pénétrer le sens dans toute son étendue 
et dans ses oir constances ; conciliez un auteur original ' , aju»* 
tes ses principes, tires vous-même les oonolusions. Les pre* 
miers commentateurs se sont trouvés dans le eas où je dé- 
sire qus vous soyez ; n'empruntez leurs lumières et ne suives 
leurs vues qu'où les vôtres seraient trop courtes ; leurs ex* 
plications ne sont pas à vous, et peuvent aisément vous 
échapper ; yos observations, au çon^aire, naissent de votre 
esprit, et y demeurent; vous les retrouvez plus ordinaire-» 
ment dans la conversation, dans la consultation et dans la 
dispute» Ayez Is plaisir de voir que vous n'êtes arrêté dans 
la lecture que par les difficultés qui sont invincibles, où les 
commentateurs et les scoliastea eux-mêmes demeurent 
courts, si fertiles d'ailleurs, si abondants et si chargés d'une 
vaine et fastueuse érudition dans les endroits clairs, et qui 
ne font de peins ni à eux ni aux autres. Achevez ainsi de vous 
convaincre , par cette méthode d'étudier, que c'est la paresse 
des honmiesqui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt 
qu'à enrichir les bibliothèques, i faire périr le texte sous le 
poids des commentaires; et qu'elle a en cela agi contre soi- 
jnôme st contre sss plus diiçrs intérêts, en multipliant les lec- 
iuiea, les recherches et le travail, qu'elle oherehait à éviter. 

« 

I. Aoooniei entre elles lee pensées. 



DE QUELQ0S$ USAGES. 3^3 

T Qui vèfU J^s bomiRw da»s leur mmèv^ 49 yivr^ et 

à'rmr de9 ftJimê^t^? L^ §^ti^ et h réi^iipe? Gela est dou^ 
teu^. Une n^tipi^ entl^rQ mm^^ h^ yiande? apr$9 les fruits^ 
an9 wtr© (wt tout Je coutrwé} guelques-unç comin^nçeut 

le^rp rip»s ppir de çort^in^ frwti , et 1^9 flni^wnt par tfftU- 

trei»; ^st-ç^ rw5o»î i9?t^ç(? us^ge? B?t-çe p^r y» poin 49 
leçr sftfttô que l»s bpmm^s ^'b^hilteul; jusqu'à» mwton, pgr^ 
tent 4ef» fraise» ^ 4e9 QOltets \ ^W ^ui QJ^t ^u si lon^emps 
l# pojitfiue 4éo9UV9rte*T JB^Hé p^ bieo^éaocç, 9urtQut daim 

W tfmps 9^ il9 ftY^ieut troyy^ U (^cr9t de paraîtra UU3 tout 

linbUlés* ? Bt 4'aiU9ur9, }e9 ieminç^, qui moutr^ut l^ur gprjj^^ 
et jQuitp épjiul98f i^out^^U^s 4'uQ9 ço^ple^ou moiU9 dôupatf 

qu3 le« bpium«)9t 0^ v^om sujettçgqu'çus fiUX J)i§l»éan(S9s? 

Qarile 99t }^ puduur qui 9Uga^9 ç^Ues^i ^ pouYrâ l9ur« 
j»mi>9§ et presque l9ur« pi94s, 9t qui l9ur permet 4'i^Yoir 
l#s hrw uas ftu*de9iu« du poude? Qui 9-mt mn autrefois 
daQ9 l'»spnt d9s bommps qu'w était à U guerre pu pour sp 
4^feB4r9 pu ppur attaquer, et qui Ipur «lyait insiuu^^ Vu9agp 
des armw pffeusiypi» ^% é^ délpusive»? Qui 1«» pUi«[9 ftUr 
jpurd'btti d# r«uouc9r k 09ll«P-ci, 9t« pendAUt qu% se ho^ 

tent pour aller au bal, de soutenir sans armes et en pour- 
point des tvaTaiUeurs etpesés à tout le {en dHine ^ontire^aâipe? 
Nos p^reç, qui UP jugeaient pas UU9 telle cpndujte utUp au 
prince et à la patrie, étaientdls gagea ou insiuses? £t uott»- 
mêmes, quels héros célébrons-nous dans notre histoirpt Un 
CruesoliB, un Giissen, un 7eix, un Boupieaut^, qui tous ont 
porté rarmet" et endossé une cuirasse. Qui pourrait rpndre 
ndson de la fortune de eertains moto et de la prosoription de 

quelques autrpat 

Àint a péri ; la Toyelle qui le oommence, et si propre 
pour rélisiou» n'a pu 1« sauTpr ; il a cédé % uu autre moug- 
sjllabe*, et ^i n'est au plus que son anagramme. Cfirtês 

f . Allnstoii tan eeituntida •aiiiène siioU, La ino4« 4ef QoUetp a\ 4es 
fraiset (sorts d» eoU «a toile, avM trois ou qaatro rgQg«, plissés p% em- 
pesés) , eommança soao Honri 11/ eUo 6tai^ abaadOQnô» du %^mw d9 V^utear. 

9. Comme sous Franeois If. 

3. Alors qa'iis moBtriieni oBtièremsDt lenn jambfs, 0enT9F(a« 4».])4is 
ëe soie. 

4. Da Gneselia (Itli-ISM) oonBétablo de Fvanee sous Charles V, •«• OU- 
Tier de Cliason (i83t-i40T), ooanétable de rvance sons Oharlei YI« -^ Oas 
ton do Poix, sarnoaimé Fhabas, vieoaite do Béam (18liii89l)« wm jf^n le 
Haingre de Boufiicaut, maréchal de France (1364-1421). 

5. Armare de tête. , 

6. Mait. {Note de la Bruyère.) — Maie n'est point Fanienuiuat 4^fit. Il 



324 CHAPITRE XIT. 

est beau dans sa Tieillpsse , et a encore de la force sur son 
déclin : la poésie le réclame, et notre langae doit beaucoup 
aux écrivains qui le disent en prose, et qui se commettent 
pour lui dans leurs ouvrages. Maint est un mot qu'on ne de- 
vait jamais abandonner, et par la facilité' qu'il y avait à le 
couler dans le style, et par son origine, qui est française*.* 
MoM^ quoique latin*, était dans son temps d'un même mé- 
rite, et je ne vois pas par où beaucoup l'emporte sur lui. 
Quelle persécution le car* n*a-t-il pas essuyée I et, s'il n'eût 
trouvé de la protection parmi les gens polis , n'était-il pas 
banni bonteusement d'une langue à qui il a rendu de d 
longs services, sans qu'on sût quel mot lui substituer? Cil* 
a été, dans ses beaux jours, le plus joli mot de la langue 
française ; il est douloureux pour les poëtes qu'il ait vieilli. 
Douloureux ne vient pas plus naturellement de douleur que 
de chaleur vient chaleureux* ou chaloureux .- celui-ci se 
passe, bien que ce fût une richesse pour la langue, et qu'O 
se dise fort juste où chaud ne s'emploie qu'improprement. 
Va/etir devait aussi nous conseTYBT valeureux; haine, Aai- 
neux ; peinCj peineux ; fruits fructueux; fniié, piteux; joie, 

Ikvdnit, poar qu'il le (ftt, qa*il j eût timpleineDt transpositioD d« lettim: 
c'est aioBi que le mot ancre est l*anagramine de naer$. On ne sait tro|>, au 




latin magis. 

i. Du moins n'est-elle pM latine. Bat-elle celtique? Bst-elle gerauniqaa ? 
Qrammatici cerlant, 

S. Moult y multwn, 

S. Voiture a été l'an des défeoseors de cor, que des puristes Tovhûent 

{>roscrire de la langae. « Car étant d'ane si grande considération dans notre 
angue,écrit-il àHniédeRambonillet. j'approiiTeextrônpement le ressentiment 
Sue Tons sTei du tort qu'on rent lai taire; en un temps od U fortune joue 
es tragédies partons les endroits de l'Europe, je ne vois rien si digne de 
pitié que qoand >e tois que l'on est prêt de chasser et faire le procès à un 
mot qui a si utilement serti cette monarchie (allusion à la formule des 
actes royaux, ear tel est notre plaisir), et qui, dans toutes les brouilleries 
du royaume, s'est toujours inontré bon Français. Pour moi, Je ne pois 




qui 

lui appartient, pour le donner à pour cr que, ni pourquoi ils Teuient dire 
atec trois mots ce qa^ls peuvent dira avec trois lettre:». » 

%• Celui. — 11 y avait une sorte de déclinaison dans l'ancienne langue 
française. Ciloti oil était le nominatif singulier masculin,* ce2e le nomi- 
natif-singulier féminin; eelui s'employait au régime singulier pour les 
deux-genres. La déclinaison a disparu, et C8i«t est seul resté pour le mas- 
culin sinffulier. 

S. La pTujpart dea mots que la Bruyère croyait sar le point de diepanltre 
oatTepcis csTeur. 



DE QUELQUES USAGES. 325 

jovial; foi, féal; cour, courtois; gite^ gisant: hakine, ha-' 
kné; vanterie, vantard; msnsonye, mensonger; coutume, 
coutumier : comme pari maintient partial; point, pointu et 
pointiUeux; ton, tonnant; son, sonore; frein, effréné; front, 
effronté; ris, ridicule; loi, loyal; coeur, cordial; bien, bénin; 
'mal, malicieux. Heur se plaçait où bonheur ne saurait en- 
trer, il a Ml heureux, qui est si français , et il a cessé de 
rôtre : si quelques poëtes s'en sont servis , c*est moins par 
choix que par contrainte de la mesure. Issue prospère, et 
▼ient d'issir, qui est aboli. Fin subsiste sans conséquence 
pour finer, qui vient de lui, pendant que cesse et cesser 
régnent également. Verd ne fait plus verdoyer; ni fête, fér 
foyer; ni larme, larmoyer; ni deuil, se douhir, se oondouloir; 
ni joie, s'éjouir, bien qu'il fasse toujours se r^ouir, se con- 
jouir ^, ainsi qix^orgueil, s'enorgueilUr, On a dit gent, le 
corps gent : ce mot si facile non-seulement est tombé, l'on 
Yoit même qu'il a entraîné gentil dans sa chute. On dit ddf" 
famét qui dérive de famé*, qui ne s'entend plus. On dit cu- 
rieux, dérivé de cura*, qui est hors d'usage. Il y avait à 
gagner de dire si que pour de sorte que, ou de manière que; 
de moi*, au lieu de pour moi ou de quant à moi, de dire je 
sais que c'est qu^un mal*, plutôt que je sais ce que c^est qu'un 
mal, soit par l'analogie latine, soit par l'avantage qu'il y a 
souvent à avoir un mot de moins à placer dans l'oraison*. 
L*usage a préféré par conséquent à par conséquence, et en 
conséquence à en conséquent, façons de faire à manières de 
faire, et manières d'agir à façons d^agir...; dans les verbes, 
travailler k ouvrer, être accoutumé à souloir , convenir à 
duire, faire du bruit }l bruire, injurier à vt^insr, piquer à 
poindre, faire ressouvenir à ramentevoir.,.; et dans les 



1. Tandis que d'antres mots que la Brnyère croTaU perdna se sont ré- 
tablis dans l'usage, celui-ci est pret^qae tombé en désuétade. Déjà il n'était 
que rarement employé an dix-septième siècle. 

2. Fama. 

3. Cura, 

4. Malherbe est Ton des derniers écrivains qui aient employé cette lo- 
cution : 

De moi, toutes les fois que j'arrête lee yeux. 

5. Corneille a souvent employé que pour c$ que. Ainsi, dana fforocf , 
v, a : 

Le roi ne sait que c'est d'honorer à demi. 

6. Bans le discours. 



ai6 caApmuE xsr. 

notnsf fwrtite k pMMrt^ tin ai b«aa mo!» et dMit le Tén se 
tfotltftil si }Aêù\ gtandêê aeUon$ à promtm^ Wuangm à te, 
MMdfu0<^ k ffiauvaifl^^, jtfofM k Mii») navên à ne^ affilé à 
osfj ftuMitflt^ à mdnâl^^ «ralfiM k pr^i..; ioni mot» qmi 
poiitfti«nt duter «niembld drime égftle hnMU^ et rendre oIm 
Ift&cfM plus àbondftiile. L'ilsage a, par l'àddiUoni la snp 
iFreetiOfi, Id ohanf «tneitt on le déranfement de qnelqtiei 
lettres, Mtftelatéf de ^(^dlef^ pf(moir de prfUuer, pro/ll de 
proufU^ fîtmeMêé fmàmtntj jprofU de pomrfU^ prinHêim de 
|MMir«?#o<r^ premenéf* de pourfiUner, et promanadtf de potàrrhê" 
nâdëi Le même nsage fait, selmi rdcoasion, à'habiki à*iàHk^ 
de/liHl0) de lico^fo, de mo6l<« et de /Mt7e, sans j rien ehan* 
gêf, des genres différents s an eontraire de vH, vHbj subiU^ 
iuhtilé, selon lenr terminaison) masculins ou iémininsi U a 
altéré les terminaisons anciennes : de ios< il a fait sceau; ée 
mdntèli MûrUëau; de Mpèi, chapeau; deodufol, ceufeoii; de 
hafnèl^ AanuNitt> de d(Èmoi$il^ élimoiièau; de /ouitenoai, Jfou- 
«snceaii; et oela sana que Ton yde gtièfe ee <ttte la langue 
française gagne à ces différenoes et k ces changements. 
BslKSé donc faire pour le progrès d'une Imgnè que de àé- 
Unt à l'usage? Seraii-il mieux de secouer le joug de son 
etxjpire si despotiqneT Fandt^it-il» dans une langiie yiTanie, 
écouter la seule raison, qui prétient les dquiroques^ suit la 
racine des mois et le rapport qu'ils ont atee les langues 
OriginâiiHss dont ils Sont dertis, si la raison, d'ailleurs^ Tedt 
lu'ôliatliTe l'usage *t 

Éï ûùn ancêtres ont miëttt écrit que nous, ou si neite 
Témponons sur eux par le choix des mots^ par le tour et 
Téipressidn, ^éî la clarté et la brièveté du diseoofs, o'est 
tine question sottrenl agitée ^ toujours indédse : on ne la 
terminera point en comparant, comme Ton fait quelquefois, 
un froid éerivain de l'autre siècle aux plus célèbres de ce- 
ltli-»ci, oti lèS teUl dé Laurent*^ payé pour ne plus écrite, 
à ceux de Marot et de DesporI^s. Il {audraii, pour pro- 
noncer juste sur cette matière, opposer siècle à sièiile, et 
excellent ouvrage à excellent duvragé , pair eiôtnpla , les 
meilleurs rondeaux de BôiISsrads ou de Voiture à ces 

t. YaoReiM et ses commentatears Toulaieiit que l'on se soumit orèugle- 
ment k rasage. 

3. Laurent, mauvais poète qui, de 1685 à 1688, avait raconté en Ters les 
IStes de la cour et les fêtes de Chantilly. 



DE (QUELQUES USAGES. 3S7 

denx-ci, qu'une tradition nous a conservés, sans nous en 
marquer le temps ni Pauteur* : 

Bien à propos s*eti rlni Ogiér en France 
Pour le pais de mescréans monder : 
Jà n'est oesoin de Conter sa vaillance, 
Puisqu'ennemis n'osoient le regarder. 

Or, quand il eut tout mis en assuMnee) 
De voyaser il Y0uli|t s'enhardw) 
En Paraais trouva Peau de Jouvance, 
Dont il se sceut de tieillesse eugai^dei^ 
Bien à propos» 

Puis par cette eàù son col*ps tout décrê^itë 

transmué fut par manière subite 

En Jeune gars, Irais ^ gracient et droit. 

Grand dommage est que cecy soit Boruettet { 
Filles conneis qui ne sont pas jeunettes 
k qui cette eau de Jouvence viendroit 
Ëien à piropos. 



De èettby preux maints gmiids elercë ont deHt 
QU'oncques dangier n'étonnason courage) 
Abusé tut par le malin esprit, 
Ou'il épousa sous féminin visage. 

Si piteux cas à la fin découvrit, 
Sans Un seul brin de peui* tiy de domtUage, 
Dont gl^and tenom par tout le monde aequit| 
8i qu'en tenoit très-nonnèste langage 
De cettuy preux. 



ien-tost adirés fille de roy é'épilt 
De son amour , qui voulentiers s'offrit 
Au bon Richard en second mariage. 

Dëné, s'il Vaut mieui ou diable eu femme ayoir , 
Bt qui des deut bruit plus en ménage) 
Ceùlx qui voudront, si le pouf ront séaVoif 
De cettuy preux. 

I, Ooftme l'a {lëflii M. Pt Paris ) sur Ptuiorité daqael s'est tppa 
U. waicteDAer. ces dëui itndeaux, composés i'uQ en l'honneur d'Ogier le 
Dlihoit, hétbÈ àes rottiaiis dii eycle carloTîngieti, ranimé en i'hdhiikar de 
niehftra satié Peur, duc de Nortnatidië (dixième tiècte) ^ duivélit ètte dfls 
pastiches. « Us eut été probablement cempoeés à la fin du seisidroe sièule. 
In niênie plUit tàitl) êoUs le règae de Louis XI tl, à l'occasion d'dD ballet ou 
d'un carrousel dans leauel auront figvire Rlshami saBi Peiàr ei Ogier le 
Danois. » (Walckenaer.) 



^ 



328 CHAPITRE XV. 



CHAPITRE XY. 
DE LA CHAIRE. 

Le discours chrétien est devena un spectacle. Cette tris- 
tesse ëvangélique • qui en est Tâme ne s'y remarque plus : 
elle est suppléée par les avantages de la mine, par les in- 
flexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix 
des mots, et par les longues énumérations.^On uMcoute 
plus sérieusement la parole sainte : c'est une sorte d'amu- 
sement entre mille autres; c'est un jeu où il y a de Fému- 
lation et des parieurs. 

% L'éloquence profane est transposée, pour ainsi dire, du 
barreau, où Le MAmiE, Pucelle et Fourcroy* l'ont fait 
régner, et où elle n'est plus d'usage , à la chaire, où elle ne 

doit pas être. 

L'on fait assaut d'éloquence jusqu'au pied de Tautel et 
en la présence des mystères. Celui qui écoute s'établit juge 
de celui qui prêche, pour condamner ou pour applau- 
dir et n'est pas plus converti par le discours qu'il favorise 
que par celui auquel il est contraire *. L'orateur plaît aux 
uns, déplaît aux autres, et convient* avec tous en une 
chose, que, comme il ne cherche point à les rendre meil- 
leurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir. 

Un apprentif » est docile, il écoute son maître, il profite de 

1 Triêttsê» éwmûiliqvê : exprewion souTent dlèe. « 11 fcut que dins ta 
tragédie toat se ressenie de celte majesiueuie tH»teê$9 qui en Uit le plu- 
Srf» aTait déjà dit Corneille; maia l'emploi que la Bruyère a fait du mot 
«rti<WMe«t plus remarquable. .— x*v«-* 

2. Antoine Leniaiatre, célèbre atocat au Parlement, mort en 1658 à Port- 
Hoval où il vivait dans la retraite depuis une Tingiaine d'années. Il était le 
frère ïe Lemaistre de Sacl, traducteur de l'Ancien Testament. - Bonaven- 
tore FourcroT, poète et jurisci^nsulte, mort en 1691. Il était l'ami de Molij^re 
et de Bolleau — L'avocat Pucelle est aujourdliui moins connu que son fils, 
»éné Pucelle. confeiller-clercau Parlement, auauel ses discours et son zèle 
contre la bulle Unigmitus ont valu quelque célébrité. 

S. Massillon fera plus tard les mêmes réflexions dans son sermon du pre- 
mieV dimanche du carême, 2* partie. 

%. S'accorde. . , ^. « n j». #z î 

S. Telle était jadis l'orthographe du mot oppr^nlt. Boileau a dit au fémi- 
nin (Mitre X): 

Vais-je épouser ici quelque afprentivt auteur? 



DB LA CHAIRE. 329 

ses leçons, et U devient maître. L'homme indocile critique 
le discours du prédicateur, comme le liyre du philosophe; 
et il ne devient ni chrétien ni raisonnable. 

% Jusqu'à ce qu'il revienne un homme* qui, avec un style 
nourri des saintes Écritures, explique au peuple la parole 
divine uniment et familièrement, les orateurs et les déda- 
mateurs seront suivis. 

% Les citations profanes, les froides allusions, le mauvais 
pathétique, les antithèses, les figures outrées, ont fini : les 
portraits finiront "■, et feront place à une simpR explication 
de TËvangile, jointe aux mouvements qui inspirent la con- 
yersion. 

^ Cet homme que je souhaitais impatiemment, et que je 
ne daignais pas espérer de notre siècle^, est enfin venu. Les 
courtisans, à force de goût et de connaître les bienséances, 
lui ont applaudi; ils ont, chose incroyable! abandonné la 
chapelle du roi, pour venir entendre avec le peuple la pa- 
role de Dieu annoncée par cet homme apostolique*. La ville 
n'a pas été de Taris de la cour : où il a prêché, les parois- 
siens ont déserté; jusqu'aux marguilliers ont disparu : les 
pasteurs ont tenu ferme; maiis les ouailles se sont disper- 
sées, et les orateurs voisins en ont grossi leur auditoire. Je 
devais le prévoir, et ne pas dire qu'un tel homme n'avait 
qu'à se montrer pour être suivi, et qu'à parler pour être 
écouté : ne savais-je pas quelle est dans les hommes, et en 
toutes choses, la force indomptable de Thabitude? Depuis 
trente années on prête ToreilVe aux rhéteurs , aux déclama- 
teurs, aux inumérateurB; on court ceux qui peignent en 
grand ou en miniature. Il n'y a pas longtemps qulls avaient 
des chutes ou des transitions ingénieuses, quelquefois même 
si vives et si aiguto qu'elles pouvaient passer pour épigram- 

t. Le prédicateur dont ta Bruyère proposait ainsi l*êzeniple était, disent 
les commentateurs, l'abbé le Tourneoz, qui était mort en 1616. t Quel est, 
demandait un jour Louis XIV à Doileau, un pràdicaiear qu'on nomme le 
Tourneux? On dit que tout le monde y court. Kst-il donc si habile ? — Sire, 
répondit Boileaii, Votre Majesté sait qu\)n court toujours V la nouveauté : 
c'est un prédii-ateur qui prêche TEvangile. » 

3.' B turdaloue avait inséré dans ses sermons des portraits que chacun 
avait reconnus. Voyes page 9, note S. Presque tous les prédicateurs Tavaient 
imité. 

8. Voyes ravant-demière réflexion. 

4. Le P. Séraphin, capucin. (JVoto dé la Bruyère.) — L'éloge que fait la 
Bruyère du P. Séraphin avait déjà paru lorsqu'il Tint prêcher à la conr. Il y 
obtint un grand succès. 



8&0 CAÂtTTBM XV» 

mu t ils te «Bt adouiifci je ràtooé, «k oè Éè loat pl«iqM 
â«fe HiftMgatil. Db ottt loiijoitfs, d'niM néeetaitë indispen- 
sable et géométriqfièf trois sujets sdfflimblés de vos fttten» 
tioiis } ils ptottTMDAt «lie t^e ekesedans la premiète partie 
de letif disooitfSi eette autre dans là seeoiide partie^ et 
eette atttre eMo^ da&s la treisiéme^ Ainsi» rensseret coa- 
Tainca d'abord d'une certaine yéritë| et e'eSt leitr premier 
poiat; d'tme antre ?éHtd ^ et s'est leor seeoiid point; et 
pais d'uae troisième yétMt et e^est led# troisième point : de 
softs que if première réflexidn Tons iniitmira d'an priii- 
dpe des plas fondamentsni de yetre religion; la seeonde, 
d'nn autre principe qui ne Test pas moins; et la dernière 
réfletien, d'un troisième et dernier prinéit>e, le plus impor- 
tabt de tonè, qoi est remis pourtant, faute de loisir, à use 
autre fois. Bann» pont réprendre et abréger èette ditision 
et ftirmer im plaft*... -^ Encore! ditess^tous, et quelles pré- 
parations pour un discours de trois quarts d'heure qui léar 
reete à iàiifi 1 Mus ils eberebeiit à le digérer et à l*éclairoir, 
plus Us m'etnbrouiUeutA — le vous eroié ssnë peine^ et 
c'est l'effet le plus naturel de tout cet amas d'idées qui re- 
viennent h la mémo , dont ils èhargent sans pitié la mé- 
moire de leurs auditeurs. Il semble, à les voir s'opiniAtra 
à est usage, que la grâce de la eouyersion sdt attachée à 
ces énormes partitions*. Qommént néanmoins serait-on 
converti par de tels afiôtres, si Ton ne peut qu'à peihe les 
entehdre articuler, les suivre et ne les pafe perdre de vue? 
le leur demander aie volontiers qu'au inilieu de leur ^urss 
impétueuse, ils voulussent plusieurs fois reprendre haleine, 
soufilsr un peu < 6t laisser souffler leurs auditeurs. Tains 
diéeours, paroles perdues } Le temps des homélies n'est plus, 
les Basile ) les Qhrysostome*, ne le ramèneraient pas; cm 
passerait en d'autres diocèses pour être hors de la portée 
de lenr voii et de leurs familières instnietioas. Le com- 
thuU dôs homhiéâ àilhé les pbfdàes et les pëHddes, adinii^ 
ee qu^il n'entend pas» se suppose instruit, eontent de Àési- 



i. BiHsidBt. roftÊ ibr Pàbsi dit éltltlent la Dmtiètnê dialogue «ur 
Véloquence de Féoelon . 

2. Saint Basile (329-379), ëyôque de eésaMe, et Mist Iws CbiTtOstSme 
(84k>407), éTèt|ii6 de CoUBmniihople) ffnt^iit les plus éloctû^nts Ses pèfeê de 
rSsitM gr^cqaei Alnil quê Ik déAsU la BnâfèMi rSoméUe était use infttra^ 
Uon familière. 



BB LA CHAIRE. 831 

der efltiro tiâ premiei* ôt un Second points ou efttre U der- 
nier aermdii et le pénultièmei 

i[ Il y a moins d'un sièele qu'ttu liyre françain étftit un 
oertain Nombre de pages latines, où Poli âéeoUTraift quel- 
ques lignes ou quelques mots en notre langue. Les passades, 
les traits et les citations n'en étaient pas demeurés là : 
Ovide et Gatulle acheraient de décider des mariages et des 
tëstainents, et Tenaient aveo les P/ifufeo(es* au seoours de 
la veute et des pupilleSi Le sacré et le profane ne se quit- 
taient point; ils s'étaient glissés ensemble jusque dans la 
ohàiret saint Cyrille ) Horade^ saint Qjprien, Luèràôè, par- 
laient alternatiTcment : les poètes étaient do Taris de saint 
Augustin et de tous les Pores ; on parlait latin, et longtemps, 
dèrant des femmes et des marguilliers; on a parlé grec : il 
falliût savoir prodigieusement pour préoher si mali Autre 
tetapS^ autre usage ! le texte est encore latiii , tout le dis- 
eours est ftanf ais, et d'un beau français ) TËTangilé même 
n'est pas cité : il faitt savoir aujourd'hui très-peu de chose 
pour bien prdeher^ 

f L'en a enfin banni la ë6(ilastique* de toutes lès ehaires 
des grandes villes^ ef on Ta Reléguée dans les boilrgs et 
dans les villages pour l'instrueticm et pour le salut du la- 
boureur ou du vigneron. 

% G'eet avdir de Tesprit que de plaire au pmxplé dans un 
èermon par un style fleuri, uhè morale enjouée, des figures 
réitérées, des traits brillants et de vives descHptionst mais 

t. 6n nomme Pandeetes ou Diseste le recaeil des décisions de iuriscenkalties 
qu'A fait coinposer Tempcirétti' JUAtltiien, et àiKtâél 11 à donilé forcé de ioi.^ 
Les ciutions âTtleut été longiepps I la mode an barreas c Tpjes le {flai- 
rant diflcours de l'Intimé dans les Phideurt^ et la note que lui a consacrée 
Loulâ aacloè, Ûls do grand Hacine. m Bellièvre, dii^il, dëmandani a la reine 
tlisabeih la grâce de MArieStuarl dans un ieng djscoprs ^«e rapporte M. de 

3hou« non content de raconter plusieurs traits de rbistoire ancienne, eite 
es |)aa8agës d'Ébtnéi^, dé Platon et de Céliitnaqne. dd tempe qé noire pdëte, 
BM avocats avaient encore CDatnme de remt^lir leurs disoourtf de lofags paa- 
aages des anciens, et, pour faire voir leur érudition, de rapporter bcàaucoup 
de citations ; c^est pour cela qu'on voit ici des passages d'Ovide et de Lu- 
eain, et qa'on entend citer non-seulemeni le Digeste, mais Aristote, Pau- 
•aniaSf etc^ Ge^u'il j a de .singulier, e'est qee personne ne vit lé ridicule do 
eette manière de plaider. La finesse des plaisanteries de Racine ne. fui pas 
acntie. Le parterre ne rit point de oe qu'U appelait des termes de cUcane, et 
la pièee tomba aiii premières rsprésentalions* 9 . . 

S. « La Bcelastiqae est^ (el«n la définition du pictionnaire de. Tréroux, 
la partie de la théologie qui dûcute les quesiipna de théologie j|iar lé secoiuv 
de la raison eidesargameots, suivant la méthode ordinaire de^ écoles* » La 
Bruyère veut prier des subtilités d'argumentation aûiqaeUeaên était arfi- 
irée la scolastique. 



332 CHAPITRE XV. 

ce n'est point en ayoir assez. Un meilleur esprit néglige ces 
ornements étrangers, indignes de servir à TÊvangile; il 
prêche simplement, fortement, chrétiennement*. 

^ L'orateur fait de si belles images de certains désordres, 
y fait entrer des circonstances si délicates , met tant d'es- 
prit, de tour et de raffinement dans celui qui pèche, que, 
si je n'ai pas de pente à vouloir ressembler à ses portraits, 
j'ai besoin du moins que' quelque apôtre, avec un style plus 
chrétien, me dégoûte des vioes dont Ton m'avait fait une 
peinture si agréable. 

^ Un beau sermon est un discours oratoire qui est dans 
toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conforme aux 
préceptes de l'éloquence humaine, et paré de tous les orne- 
ments de la rhétorique. Ceux qui entendent finement n'en 
perdent pas le moindre trait ni une seule pensée ; ils suivent 
sans peine l'orateur dans toutes les énumérations où il se 
promène , comme dans toutes les élévations où il se jette : 
ce n'est une énigme que pour le peuple. 

% Le solide et l'admirable discours que celui qu'on vient 
d'entendre I Les points de religion les plus essentiels comme 
les plus pressants motifs de conversion, y ont été traités : 
quel grand effet n'a-t-il pas dû faire sur l'esprit et dans 
l'âme. de tous les auditeurs I Les voilà rendus; ils en sont 
émus et touchés au point de résoudre dans leur cœur, sur 
ce sermon de Théodore , qu'il est encore plus beau que le 
dernier qu'il a prêché. 

% La morale douce et relâchée tombe avec celui qui la 
prêche; die n'a rien qui réveille et qui pique la curiosité 
d'un homme du monde, qui craint moins qu'on ne pense 
une doctrine sévère, et qui l'aime même dans celui qui fait 
son devoir en l'annonçant'. Il semble donc qu'il y ait dans 
l'Ëglise comme deux états qui doivent la partager : celui de 
dire la vérité dans toute son étendue , sans égards , sans 

1. 1 J*aToae que le genre fleuri a ses gr&cet; mais elles sont déplacées 
dans les disoiurs où il ne s'a^i point d'un |ea d'esprit plein de déli«^tesse, 
et ob les grandes pasions doivent parler. Le genre fleuri n'atteint jamais au 
sublime. Qu'est-ce que les anciens auraient dit d'une tragédie où ilécabe 
aurait dépluré son malheur par des pointes? l^a vraie douleur ne parle point 
ainsi. Que pourrail-on croire d'un prédicateur qui Tiendrait nioiiirer aux pê- 
cheurs ie jufteroent de Dieu pendant sur leur tète et l'enfer ouvert sous 
leurs pieds, avec les jeux de muts les plus affectés ? » (Féneion^ Lettre êuf 
les occupations de VÀcadémie), 

2. fin la prêchant. 



DE LA CHAIRE. 333 

déguisement; celui de Técouter avidement, ETeo goût, avec 
admiration, avec éloges, et de n^ea faire cependant ni pis 
ni mieux. 

^ Vaa peut faire ce reproche à l'héroïque vertu des 
grands hommes, qu'elle a corrompu Péloquence, ou du 
moins amolli le style de la plupart des prédicateurs. Au 
lieu de s'unir seulement avec les peuples pour bénir le ciel 
de si rares présents qui en sont venus, ils ont entré * en so- 
ciété avec les auteurs et les poètes ; et, devenus comme eux 
panégyristes, ils ont enchéri sur les épltres dédicatoires, 
sur les stances etàur les prologues; ils ont changé la parole 
sainte en un tissu de louanges» justes à la vérité, mais mal 
placées, intéressées, que personne n'exige d'eux , et qui ne 
conviennent point à leur caractère. On est heureux si, à 
l'occasion du héros qu'ils célèbrent jusque dans le sanc- 
tuaire, ils disent un mot de Dieu et du mystère qu'ils de- 
vaient prêcher. Il s'en est trouvé quelques-uns qui « ayant 
assujetti le saint Svangile, qui doit être commun à tous, à 
la présence d'un seul auditeur, se sont vus déconcertés par 
des hasards qui le retenaient ailleurs, n'ont pu prononcer 
devant des chrétiens un discours chrétien qui n'était pas 
fait pour eux, et ont été suppléés par d'autres orateurs, qui 
n'ont eu le temps que de louer Dieu dans un sermon préci- 
pité». 

^ Théodule a moins réussi que quelques-uns de ses audi- 
teurs ne l'appréhendaient; ils sont contents de lui et de son 
discours; il a mieux fait, à leur gré, que de charmer l'esprit 
et les oreilles, qui est de flatter leur jalousie. « 

f Le métier de la parole ressemble en une chose à celui 
de la guerre; il y a plus de risque qu'ailleurs, mais la for- 
tune y est plus rapide. 

^ Si vous êtes d'une certaine qualité, et que vous ne vous 



1. « Quand on Tonlait marquer une action, nn monvement, entnr se eon- 
joguait avec avoir. Cette consirnction n'est plus cuère employée. » (Littré.) 

2. Quelqnes moisa^antla pablicaiion de cet alinéa, pareille aventure était 
arrivée à rabbé de la Roqoetie, nevea de l'évèque d'Auiun. Le 7 avril 1689, 
U avait prêché avec le plus grand fruccès devant le roi. Il devait prêcher de 
nouveau le jeudi saint, is avril, et il avait préparé un discours a l'adreste 
de Louis XIV et tout à 6a louange. Hetenu par la goutte, le roi ne put asaii- 
cer à la cérémonie de la cène, et le malheureux prédicateur, dont les ap- 

Sréte 86 trouvaient perdus, n osa monter en chaire. Cette déconvenue iyi 
'autant plus remarquée que la cérémonie s'accoDtplit sans ittiDontUy 
manqua même le sermon précipité dont parie la Bruyère. 



384 CHAPITRE XT. 

sentiai point d'autre talent que eeloi de fiuM 4a Cmto dii« 
cours, prèchet, faites de fvoids discours : il n'y a riaa da 
pire pour sa fortune ^e d'être entièrement ignoré. Théoia/t 
a été payé de ses mauvaises pjirasea et de sou ennuyeuse 
monotonie. 

f L'on a eu de grands ëvêcbés par un mérita de ehair», 
qui pré^ntement ne vaudrait pas à son homme iui9 WJ^ 
prébende*. 

f te nom de ce panégyriste semble gémif sens le paida 
des titres dont il éstaceabié; leur grand nombre rçmpUt 
de vastes affiches ^ui sent distribuées dans les maisaDs^ eu 
que l'on lit par les mes en earaetèf es monstrueux*, et qu'on 
ne peut non plus ignorer que la place publique. Quand , 
sur une si belle montre, Pen a seulement essayé du pono&i 
nage, et qu'on l'a un peu écouté, l'on reconnaît qu'il maa-^ 
que au dénombrement de ses qualités celle de mauvais pién 
dicateur. 

f L'oisiveté des femmes, et l'habitude qu'ont les hemmea 
de les courir partout où elles s'assemblent, demient du nom 
à de froids orateurs, et soutiennent quelque temps eeuxqul 
ont décliné. 

f Devrait-il suffire d'avoir été grand et puissant dans le 
monde pour être louable ou nen, et, devant le sûnt autel 
et dans la chaire de la vérité , loué et célébré à ses funét 
railles? N'y a-t-il point d'autre grandeur que celle qui vient 
de Tautorité et de la naissance? Pourquoi n'est-ii pas établi 
de faire publiquement le puiégjrrique d^un homme qui a 
excellé pendant sa vie dans la bonté, dans l'équité, dans la 
douceur, dans la fidélité, dans la piété? Ge qu'on appelle pne 
oraison funèbre n'est aujourd'hui bien reçue du plus grand 
nombre des auditeurs ^u'à mesure qu'elle s'éloigne davasr 
tage du discours chrétien, eu, si vous l'aimeE mieux ainsi, 
qu'elle approche de plus près d'un éloge profane. 

f L'orateur oherche par ses discours no évêpbô : l'apôtre 
Uii des conversions; il mérfte 4e trouver ee <^e l'autre 
cherche. 

f t'on voit des clercs* revenli^ i§ q^elcpes provinoea où 

1. Mt vMdraltpMt ^MpI qairiiiir»i(,iuisiD[ip|D^oiii(»t. 
s. Lm iirédiottioiui, ou aa moiiui les orqJBOni fo^ebpes étalent, pai^fl-{|^ 
annoncéesjMir des afliclies, coomie aqjpurd'bp) l^ speâ^ctet. 
S. n s'agit âfeccléaiastiqnea charges de la coinrerftion dés proteatanti. 



Dl tk CHAIRS. 385 

ils n'ont pas lait un long séjouf , vaÎBades coBTersions qu'ils 
ont trouvées toatas faites, oomme ie eallea qn'ila n'ont pa 
faire , se eemparer déjà aux Vurcausf et aux Xavier' et se 
croire des hommes apostoliques : de si grands travaux et 
de si heureuses misaioM ne seraient pas, à leuf gré» payées 
d'ui^e abhaye. 

% Tel, tout d'u4 coup, et sans y avoir pensé h veilloi 
prend du papier, une plume, dit en soismèmç 1 1 Je vaip faiff 
on livre, 9 sans autre talent pour écrire que lehesoin qu'ils 
de cinquante pistoles. Je lui ehe inutilement i « Prenes une 
soie, Dioseore, soies, on bien tournes, eu faites une juite 
de roue; vous sures votre salaire^. » Il n'a point fait l'apr 
prentissage de tous ces métiersi f Copiez donc, transcrives, 
soyes au plus correcteur d'impriqierie, n'écrives point, s II 
veut écrire et faire imprimer; et paroe qu'on ii'envoie paf 
à l'imprimeur un cahier blanc, il le bai^uille de ce qui lui 
plaît : il écrirait volontiers que I9 fieine eeule à Paris, qu^il 
y a sept jours dans la semaine, ou que le temps est à la 
pluie, et comme ce diaoouts n'est ni ccmtre la religion ni 
contre l'fitat, et qu'il ne fera point d'antre déswdredanale 
public que de lui gâter le goût et l'accoutumer aux choses 
fodes et insipides, il passe à l'examen*, il est imprimé, et, à 
la honte du siècle, comme pour l'humiliation des bons au- 
teurs, réimprimé, De même, un homme dit en son cœur c 
c Je prêcherai, 1 et il prêche; le voilà en chaire, pans autre 
talent ni vocation que le besoin d'un bénéfice. 

f Un clerc mondain 09 irrâigleux, s'il monte en ohaive, 
est dédamateur. 

n y a au contraire des hommes saints, et dont le seul 
caractère est efficace pour la persuasion : ils paraissent, et 
tout un peuple qui doit les écouter est déjà ému et comme 
persuade par leur présence; le discours qu'ils vont pronon- 
cer fera le reste. 

1. Saint Vincent de Paul (tBT6^l6<e), qii0 sa charité a renéa «I eélèbre, fit 
denombreiiee«qooTeniion«. -« Saipt Frfuiçoli*X«vier (iS06i>iS§i|), qui s été 
nn des premiers disciples 4lgnace fie Loyolii et 009 ^'on a aarnomiq^ Vj^- 
pôtre des Indes, fit d'éclatantes conversions dans les Indes Orteataiet. 

S. BoUeao, Art p^élifut, tV. ^rvn W : 

Soyes plat6t maeon, si c'est votre talent, 
OuTTier estimé dans un art nécessai|rs« 
Qn^écriTais 4a ooiiwmn ei iK>é<9 T^lj^fiurs, 

3 Arezamendeaoensesrs. 



336 CHAPITRE XY. 

% V. DE SCEAUX* et le P. Bourdaloue* me rappellent Dé- 
MOSTHÉNES et Cic£RON. Tous deux, xnattres dans l'éloquence 
de la chaire, ont eu le destin des grands modèles : l'on a 
fait de mauvais censeurs, l'autre de mauvais copistes. 

% L'éloquence de la chaire, en ce qui y entre d'humaio et 
du talent de l'orateur, est cachée, connue de peu de per- 
sonnes , et d'une difficile exécution. Quel art en ce genre 
pour plaire en persuadant! Il faut marcher par des chemins 
battus, dire ce qui a été dit, et ce que l'on prévoit que vous 
allez dire. Les matières sont grandes, mais usées et tri- 
viales ; les principes sûrs, mais dont les auditeurs pénètrent 
les conclusions d'une seule vue. Il y entre des sujets qui 
sont sublimes; mais qui peut traiter le sublime? 11 y a des 
mystères que l'on doit expliquer, et qui s'expliquent mieux 
par une leçon de l'école que par un discours oratoire. La 
morale même de la chaire, qui comprend une matière ^ussi 
vaste et aussi diversifiée que le sont les mœurs des hommes, 
roule sur les mêmes pivots, retrace les mêmes images, et se 
prescrit des bornes bien plus étroites que la satire. Après 
l'invective commune contre les honneurs, les richesses et 
le plaisir, il ne reste plus à l'orateur qu'à courir à la fin de 
son discours et à congédier l'assemblée. Si quelquefois on 
pleure, si on est ému, après avoir fait attention au génie et 
au caractère de ceux qui font pleurer , peut-être convien- 
dra-t-on que c'est la matière qui se prêche elle-même, et 
notre intérêt le plus capital qui se fait sentir; que c'est 
moins une véritable éloquence que la ferme poitrine du 
missionnaire qui nous ébranle et qui cause en nous ces 
mouvements. Enfin , le prédicateur n'est point soutenu, 
comme l'avocat, par des faits toujours nouveaux, par de 
différents événements, par des aventures inouïes; il ne 
s'exerce point sur les questions douteuses, il ne fait point 
valoir les violentes conjectures et les présomptions : toutes 
choses néanmoins qui élèvent le génie, lui donnent de la 
force et de l'étendue, et qui contraignent bien moins l'élo- 
quence qu'elles ne la fixent et ne la dirigent. Il doit , au 
contraire, tirer son discours d'une source commune, et où 
tout le monde puise; et s'il s'écarte de ces lieux communs , 

I. L'éTèqnedelfeaux, Bossnet. 

3. Le P. Bonrdaloae, jésuite, oé en iSSS, mort en 170%, célèbre prédici- 
tear. Vojei page 329, note 2. 



DE LA CHAIRE. 337 

il n'est plus populaire, il est abstrait ou dédamateur, il ne 
prêche plus TËvangile. Il n'a besoin que d'une noble sim- 
plicité, mais il faut Tatteindre; talent rare, et qui passe les 
forces du commun des hommes : ce qu'ils ont de génie, 
d'imagination, d'érudition et de mémoire, ne leur sert sou- 
vent qu'à s'en éloigner. 

La fonction de l'avocat est pénible, laborieuse, et suppose, 
dans celui qui Texerce , un riche fonds et de grandes res- 
sources. .11 n'est pas seulement chargé, comme le prédica- 
teur, d'un certain nopibre d'oraisons composées avec loisir, 
récitées. de mémoire, avec autorité, saos contradicteurs, et 
qui, avec de médiocres changements, lui font honneur plus 
d'une fois. Il prononce de graves plaidoyers devant des 
juges qui peuvent lui imposer silence , et contre des ad\rer- 
saires qui l'interrompent; il doit être prêt sur la réplique; 
il parle en un même jour, dans divers tribunaux, de diffé- 
rentes affaires. Sa maison n'est pas pour lui un lieu de re- 
pos et de retraite, ni un asile contre les plaideurs; elle est 
ouverte à tous ceux qui viennent l'accabler de leurs ques- 
tions et de leurs doutes : il ne se met pas au lit, on ne l'es- 
suie point, on ne lui prépare point des rafraîchissements *; 
il ne se fait point dans sa chambre un concours de monde 
de tous les états et de tous les sexes, pour le féliciter sur 
l'agrément et sur la politesse de son langage, lui remettre 
l'esprit sur un endroit où il a couru risque de demeurer 
court, ou sur un scrupule qu'il a sur le chevet d'avoir 
plaidé moins vivement qu'à l'ordinaire. Il se délasse d'un 
long discours par de plus longs écrits, il ne fait que chan- 
ger de travaux et de fatigues : j'ose dire qu'il est, dans 
son genre , ce qu'étaient dans le leur les premiers hommes 
apostoliques. 

Quand on a ainsi distingué l'éloquence du barreau de la 
fonction de l'avocat, et l'éloquence de la chaire du minis- 
tère du prédicateur, on cïoit voir qu'il est plus aisé de prê- 
cher que de plaider, et plus difficile de bien prêcher que d§ 
bien plaider*. 

1. Ce trait malicieux se retroaye danaia dixième aatire de Boileaa, qui 
Itat composée trois ans après la publicatîou de ce passage. 

S. Montaigne avait fAit la même comparaison : • La charge de prescbear, 
dit- il. luy donne autant qu'il lay ulaist de loisir pour se préparer, 
et puis sa carrière se ptsde d*Qn fil et d'une suite sans intermpiion; 
là oH les oommoditei de TadTceat le pressent à toute heure de se met- 

32 



338 CBAPITRK XV. 

f Qael fttàntftgd li*â 'ptH nû discduni fiildfidiibê M!t m 
ouvrage qui (!st écrit! Lèâ hbmihes l^oiit Ui datieé de IW 
tion et de la parole , eoiiime de tout l^àppatéil de l^attdi- 
toire. Pour peu de préTentiou quHls aient eu fttrëui^ dé celui 
^1 parle, Us Padmireiit, et chéh^beui éusuite à le çbiu- 
prendre : avant qu'il ait commencé y ils ^'édliéut dd'il Va 
fcieti foire ; ilft s'endotment bientôt, et, lé dîsroUrâ fini, ils 
se léteillènt pour dire qu'il à bien âiit. On se passionne 
lâoiud ^otir Un auteur ! son ourrage est lu danl^ le loiàiirde 
là éampague , eu dans le silence dti Cabinet; il n'f À point 
Be rendeî'tou^ publiés pour lui apî^laudir, encore ihoinsde 
eàbale pour lui jsaCHfier touâ ses rivàùt, et pour Péiev^r à 
là prëlaiùre. Oti lit sou Une , quelqtie 6xceUent qu'il goit, 
dane Fesprit Se le troUre^ médlbcre ; bu le fôuiUëtte, on le 
discute, am le confronte; ce tie sont paé déà sdiis qui se 
perdent en Tair et qui s'oubUetit; ce qui est imprimé de- 
meiire imprimé. n l'attend qtiëlquefoiâ plasieùirs jouré àraiit 
iHtxipiression potir le décriet; et le plaisir le plus délicat qtië 
Ton en tire tiedt de là critique qu'on eh fait : tin est piqué 
d'y trourer à chaque page deâ traits qui doivent plaire, on 
va mêthe souvent jusqu'à appréhehdéi^ d*ën étfe diverti, 
et oh ne quitte ce livre que parce qh'il ttslt bon. fout iè 
ihoude Ué se dbhhe paîf |)out orateur; les phraàeà, lé^ 
figurée, le doh dé U méihoiré, là Hbe bu l'ën|agëtiient de 
celui qui ptêche , ne sont |)as deé choses i|u'dh ose ou 
kfï^àn véuiUë tbUjohfs s'àppFopriéh Chacun, au bonthdre, 
ciroit pehseir bién^ et écrire èncoMé mieux eé quHl a pensé; 
U eu lettt mbius favorable à belui qhi pèhsè et qui écrit aussi 
bien que Ihi. Eu uu îhot^ le sèî^bfih^ti^ est |)lùs ïbl éVôqù6 
que le plus àolide écrivain n'est révétu d^Uh prieuré slùi- 
ple ; et dans la distribution des grâces , de noûrélléS eoUt 
jkccbi'dé^ à cMui-là, pendant ^tié l^UtèUl^ gAve détient 
heùi^ùi d'àVoi^ ses ^stes; 

f S^il Arrivé ^é les ihéèhàntd Vodl hàSn^idht et Voiiil |ef- 
iéé^tiènt, les |ehs dé bieh vbuè cbhseiUéiit de vôUs bttmiîier 
devant Dieu, pour vous mettre en garde contirdlâ Vanité 

Vfp an lice, et las teénpâsés Iinpr6uv9aeè de 6|i partie adrereéU rejec- 
tcàitdesoii brad%lé.oti il lay fault sur le champ pireQ^re nouvïBaa parij.... 
Là part de rad^ocaiest plus difficiie^qoe celle du présçheartetnoua tro»- 
yons pourtant^ ce m'est advjs. plus dépâsaablea adfocata qae «ê àreioiiMunt 

au moins en France. » (1, 10.) 



DE LA CHAIRE. 339 

qui pourrait vous venir de déplaire à des gens de ce carac- 
tère : de même, si certains hommes, sujets à se récrier' sur 
le médiocre, désapprouyent un ouvrage que vous aurez 
écrit, ou un discours que vous venez de prononcer en pu- 
blic, soit au barreati) soit dans la chaire , ou ailleurs, hu- 
miliez-vous; on ne peut guère être exposé à une tentation 
d'orgueil plus dëlieate et plus prochaine. 

f II me semble qu'un prédicateur devftiit faire choix, 
dans chaque discours, d'une vérité u&ique, mais eapitale, 
terrible ou instrùctite, la manier à fbnd et répuiser; aban- 
donner toutes ces divisions si recherchées ^ si retournées, 
isi remaniées et si différenciées; iie point supposer ce qui 
est faux , je veî^x dire que lé grand ou le beau moiide sait 
sa religion et Sés devoirs; et ne pas appréhender de faire, 
ou à ees bonnes têtés, où à ces esprits si taffinés^ des caté- 
ishismes; eé temps si long que Ton use à composer un long 
ouvrage, remployé!^ à se rendre si maître de sa matière ^ 
que le tour et les expressions naissent dans l'aetién ^ et 
coulent de source; se livrer, après une certaine prépara- 
tion, à son génie et aux mouvements qu'un grand sujet peut 
iiaspirer; qu'il pourrait enfin s'épargner eeS prodigieux 
efforts de mémoire j qui ressemblent mieux à une gageure 
qu'à une affairé sérieuse, qui corrompent le gBste et défi- 
gurent le visage; jeter eu contraire, par un bel enthou- 
siasme , la |>ersUasion dans les esprits et l'alarme dans le 
cœuf , et toucher ses auditeurs d'une toute autre crainte que 
de ceUe de le voir demeurer court*. 

% Que celui qui n'est pas encore assez parfait pour s'ou- 
blier soi-même dans le ministère de la parole sainte ne se 
décourage point par les règles austères qu'on lui prescrit, 
comme si elles lui étaient les moyens de faire moUtre de 
son esprit) et de monter aux dignités où il aspire : qvelplus 
beau talent que celai de prêcher apostoli(}uômentt et quel 
autre mérite mieux un év6ché| Féhelqn en était^ii indigne? 
aurait-il pu échapper àû choit du prince que par un autre 
•hoix*? 

1. A Mréerler d*»diDiration. - «ii , 

3. Féoelon a développé plus tard les oièmèB idées dans les Dialogueatur 

I. Quty sigoifiant «t ce n'ett^ auÈrtment f «M, était alors nne tournure fort 
usitée. — Fenelon était à ceite époque précepteur du duo d9 Bourgogoe. Il 
ne devint archevêque de Cambrai qu'en i69S. 



340 CHAPITRE XVI. 



CHAPITRE XVI. 
DES ESPRITS FORTS*, 

Les esprits forts savent-ils qu'on les appeUe ainsi par 
ironie? Qaelle plus grande faiblesse que d'être incertain quel 
est le principe de son être, de sa vie» de ses sens, de ses 
connaissances, et quelle en doit être la fin? Qael découra* 
gement plus grand qae de douter si son &me n'est point 
matière comme la pierre et le reptile, et si elle n'est point 
corruptible comme ces viles créatures? N'y a-t-il pas plus 
de force et de grandeur à recevoir dans notre esprit l'idée 
d'un être supérieur à tous les êtres» qui les a tous faits, et 
à qui tous se doivent rapporter; d'un être souverainement 
parfait» qui est pur, qui n'a point commencé et qui ne peut 
finir, dont notre âme est l'image, et, si j'ose dire , une por- 
tion, comme esprit et comme immortelle? 

% Le docile et le faible sont susceptibles d'impressions : 
l'un en reçoit de bonnes, l'autre de mauvaises; c'est-à-dire 
que le premier est persuadé et fidèle , et que le second est 
entêté et corrompu. Ainsi» l'esprit docile admet la vraie re« 
ligion ; et l'esprit faible» ou n'en admet aucune» ou en admet 
une fausse : or l'esprit fort ou n'a point de religion» ou sa 
fait une religion; donc l'esprit fort, c'est l'esprit faible*. 

t. L'auteor, dit M. Sainte-BenTe, trait « à cœur de terminer par ce qn'il 
y a de plui élevé dans la société comme dans l'homme, la Reliidon. Avant 
de montrer et de caractériser la vraie, il avait commencé par flétrir conra- 
ffeasement la fausse dans le chapitre de la Mode. Le chapitre de la Chaire, 
ravant-dernier da livre, bien qa easentielleoieni littéraire «t relevant sur- 
tout de la Rhétorique, achemine pourtant, par la nature même dti sujet, au 
dernier chapitre tout religieux, intitulé det Esprits forts ; et celui-ci, trop 
poussé et trop développé certainement pour devoir être considéré comme 
une simple précaution, termine l'œuvre par une espèce de traité à peu près 
complet de philosophie spiritualiste et religieuse. Cette fin est beaucoup 
plus suivie et d'un plus rigoureux enchaînement que le reste. On peut dire 
que ce dernier chapitre tranche d'aspect et de ton avec tous les autres: 
c'est une réfutation en règle de llncrodulité. » — La Bruyère avait fait une 
étude attentive de la philosophie de Descartes^ et Ton retrouve dans ce 
chapitre plusieurs emprunts a son argumentation. 11 présente également, 
sous une forme nouvelle, quelques pensées de Platon, de Pasod et de Boa- 
suec. 

2. « Rien n'accuse davantage une extrême faiblesse d*esprit que do ne 
Méconnaître quel est la malheur d'un homme sans DietL^M rifU n'est plu 
làdM que de fuie le brave contre Dieo. > (Pascal.) 



DES ESPRITS FORTS. 341 

f J'appelle mondains, terrestres ou grossiers , ceux dont 
Tesprit et le cœur sont attachés à ane petite portion de ce 
monde qu'ils habitent, qui est la terre ; qui n'estiment rien, 
qui n'aiment rien au delà : gens aussi limités que ce qu'ils 
appellent leurs possessions ou leur domaine , que l'on me- 
sure, dont on compte les arpents, et dont on montre les 
bornes. Je ne mitonne pas que des hommes qui s'appuient 
sur un atome chancellent dans les moindres efforts qu'ils 
font pour sonder la vérité, si, avec des vues si courtes, ils 
ne percent point, à travers le ciel et les astres, jusques à 
Dieu même; si, ne s'apercevant point ou de l'excellence de 
ce qui est esprit, ou de la dignité de Tâme, ils ressentent 
encore moins combien elle est difficile à assouvir , combien 
la terre entière est au-dessous d'elle, de quelle nécessité lui 
devient un être souverainement parfait, qui est Dieu, et 
quel besoin indispensable elle a d'une religion qui le lui 
indique, et qui lui en est une caution sûre. Je comprends 
au contraire fort aisément qu'il est naturel à de tels esprits 
de tomber dans l'incrédulité ou Tindifférence , et de faire 
servir Dieu et la religion à la politique, c'es^à-dire à l'ordre 
et à la décoration de ce monde, la seule chose selon eux, 
qui mérite qu'on y pense. 

% Quelques-uns achèvent de se corrompre par de longs 
voyages, et perdent le peu de religion qui leur restait : ils 
voient de jour à autre un nouveau culte, diverses mœurs» 
diverses cérémonies. Ils ressemblent à ceux qui entrent 
dans les magasins, indéterminés sur le choix des étoffes 
qu'ils veulent acheter : le grand nombre de celles qu'on 
leur montre les rend plus indifférents; elles ont chacune 
leur agrément et leur bienséance : ils ne se fixent point, ils 
sortent sans emplette. 

f II y a des hommes qui attendent à être dévots* et reli- 
gieux que tout le monde se déclare impie et libertin : ce 
sera alors le parti du vulgaire; ils sauront s'en dégager. La 
singularité leur plaît dans une matière si sérieuse et si 

1. Atundrê à estime location qai se retroQTe fréquemment. BoUeao, 
Bpitre /, Ters 47 : 

Faadra-t-il tar sa gloire attendre à m'exercer, 
Que ma tremblante voix commence à se glacer? 

• On attend à se oomrertir à l'heore de la mort, • dit Fléchier dans l'an 
de ses sermons. 



342 CHAPITRE XVI 

profonde; ilfi ne saireiit la mode et le train commui^ que 
dans les choses de rien et de nulle suite * : qui sait môme 
s'ils p'ont pas déjà mis une sorte de bravoure et d'intrépi* 
dite i courir tout le risque de Tavenir? Il ne faut pas d'ail- 
leurs que, dans une certaine condition , ay^c une certaine 
étendue d'esprit et de certaines vues, l'on songe k croire 
oomme les savants et le peuple, 

% Il fis^udrait s'^urouver et s'examiner très-sérieusement, 
avant qi^^ de se aéclftrer esprit fort ou libertin*, ^ûn au 
moins, ei selon ses principes, de finir çomipe l'on a vécuj 
ou, si Ton ne se sent pas la force d'allçr si loin, se résoudre 
de vivre comme l'on v^ut mourir» 

% Toute plaisanterie dans un homme mourant est hors 
de sa place : si elle roule sur de certains chapitres', 
elle est funeste. C'est une extrême misère que de donner 
à ses 4épens, à ceux que Ton laisse, le plaisir d'un bou 
mot*. 

Dans quelque prévention où l'on puisse être sur ce qui 
doit suivre la mort, c'est une chose bieu sérieu^^ que de 
mourir : ce u'est poiut alors le ))adinage qui sied bi^, mais 
la constance. 

^ Il y a eu de tout temps de ces g;ens d'un bel esprit et 
d-une agréable littérature, esolaves des grands dont ûs ont 
épousé le libertinage et *porté le joug toute leur vie contre 
}eu?s propres lumières et contre leur conscience*. Ces 
jsLommes n'ont jamais vécu que pour d'autres hopimes ^ et 
ils semblent le^ avoir regardés comm^ leur dernière fin. Ils 
eut eu honte de se sauver à leurs yeux, de paraître tels 
qu'ils étajent peut-être dan§ le cœur, e^ lisse sont perdus 



t. Dans les choies qoi ne sont d'aacane importanM ni 4'-aaGi»a cooiAi 
qtieQç«. 

2. Efjprif fort ou libertin: les dens expressions sont synonymes. 

S. Snr les choses reU^euses. 

fc. « B^ ees TUes kmp* 4« bQi)ffon«. dit Montaigne, ({ai aippyie cette li^ 
|)exion de nombreux exemples, il s'en est trouvé qui n'otit tôuIu abandon- 
ner lear gaudUserié en la mort mesme. » (1, 40). ~> Le IS juin 1678, Bussy- 
Rabntin écrivait à Mme de Sévigné, après lui avoir fait part de paroJee 
tristen^ent plaisantes qui avaientété, disait-on, prononcées auprès de Mme de 
Monaco raenrante: < Re tronves-vous pas, madame, que les plaisanteries en 
ces rencontres -là sont bien à contre-iemps?Pour moi, je ne samraislet 
souffrir.... » 

5. Excellente et flère leçon que donnait ici la l^rny^fe à ceux qni, attachés 
comme lui & des princes dont la vie était peu exemplaire, ne savaieht point 
comme loi sauvegarder lear propre dignité I 



DES BSPBITS FORTS. 34a 

pas 4éférftD0fl oa par &ib)<ssa ^ T a-t-il done mv la teinra 
des grands assez grands, et des puissants asaei puissants, 
pour méviter de nous que noua crojioi^s et que nous vivions 
à leur gré, selon leur goût et leais paprices, et quo nous 
poussions la eomplaisanoe plus lois, en jinQuvant non de la 
naanière qui est la plus sûre pour nous, maii de odle qui 
Itur fis&t davantage? 

f l'effarais de «eux qui vont oontre le trai» e^mmun et 
les grandes règles, qu'ils sussent plus que les autres, qu*ila 
eussept des raisons olairea, et de «es firgumeots qui e^a- 
portent PQQvieUon. 

If jFp voïidriis voir uii homm^i sobre, modéré, ehaate, 
éqaita))le , prononcer qu'il n'j a peint de Dieu \ il parlerait 
du moins sans intérêt : 'maia set honme ne se trouve 
point. 

^ J'aurais une extrême curiosité de voir celui qui eerail 
\ persuadé que Bien n^eat point; il nae dirait du moins In rpd- 
SQU inYincible qqi a su le oonvain^e. 

f I^'impossibOité où je suis de prouver que Dieu n'mtPM 
pe déeeuvre sou erôtepee. 

f Dieu condamne et punit eeu^ qui rofiensent, seul jugn 
en sa propce cause; se qui répugne» s'il n'eet lui-même 1§ 
justip^ et la vérité, o^est-à-dire s^il n'est Dieu. 

% Je sens qu^il y a un Dieu, et je ne sens pas qu'il nV ^n 
ait point; cela me suffit, tout le raisonnement du ^iQude 
m'est inutile* : je oonolus que IHeu existe. Cette poncJusion 
est dans ma nature; j'en ai reçu les principes trop aisé* 
ment dans mon enfance, et je Ips al conservés depuis trop 
naturellement dans un Age plus av^oé, pour l99 soupçon-i 
ner ide fausseté. — Mais il 7 a des «sprits qui ee défont de 
9f» prineipea» r- C'est une grande question ^'il n'en trouve 

Des spperbes mor^U ]b plui affreux li^n, 

N'en douions poiot, Arnauld, c'est )a home dn f>ien.».. 

Vois>tu ce libertin en public iniréplde, 

Qui prdpl^e pQqtre un Dieu ^oe df ns »ûq Ims U croit? 

Il irait embrasser la vérité qu'il voit : 

Mais de ses faux amis il craint la raillerie, 

Et ne brave ainsi Dieu que par poltronnerie. 

3..« Le cœur a ses raisons, que la raiaoïi ne connaît pta.«.. C*Mt le cc»ur 
oui sent Dieu, et non la raison. » (Pascal). — Pesoartee aiwii «tait tàrû de 
ridée que noos avons do Dioo la prauYO do son exisMocs. 



344 CHAPITRE XVI. 

de tels; et, quand il serait ainsi, cela prouve seulement qu'il 
y a des monstres. 

% L'dthéisme n'est point. Les grands, qui en sont le plus 
soupçonnés , sont trop paresseux pour décider en leur es- 
prit que Dieu n'est pas : leur indolence va jusqu'à les ren- 
dre froids et indifférents sur cet ariicle si capital , comme 
sur la nature de leur âme, et sur les conséquences d'une 
▼raie religion; ils ne nient ces choses ni ne les accordent; 
ils n'y pensent point. 

f Nous n'avons pas trop de toute notre santé, de toutes 
nos forces, et de tout notre esprit, pour penser aux hommes 
ou au plus petit intérêt : il semble , au contraire , que la 
bienséance et la coutume exigent de nous que nous ne pen- 
sions à Dieu que dans un état où il ne reste en nous qu'au- 
tant de raison qu'il faut pour ne pas dire qu'il n'y en a 
plus •• 

If Un grand croît s'évanouir, et il meurt; un autre grand 
périt insensiblement, et perd chaque jour quelque chose de 
soi-même avant qu'il soit éteint: formidables leçons, mais 
inutiles I Des circonstances si marquées et si sensiblement 
opposées ne se relèvent point* , et ne touchent personne. 
Les hommes n'y ont pas plus d'attention qu'à une fleur qui 
se fane ou à une feuille qui tombe; ils envient les places 
qui demeurent vacantes, ou ils s'informent si elles sont rem- 
plies, et par qui. 

^ Les hommes sont-ils assez bons , assez fidèles , assez 
équitables , pour mériter toute notre confiance , et ne nous 
pas faire désirer du moins que Dieu existât, à qui nous pus- 
sions appeler de leurs jugements et avoir recours quand 
nous en sommes persécutés ou trahis? 

% Si c'est le grand et le sublime de la religion qui éblouit 
ou qui confond les esprits forts, ils ne sont plus des esprits 
forts, mais de faibles génies et de petits esprits ; et , si c'est 
au contraire ce qu'il y a d'humble et de simple qui les re- 
bute, ils sont à la vérité des esprits forts, et plus forts que 
tant de grands hommes si éclairés, si élevés , et néanmoins 
si fidèles, que les Léon, les Basile, les Jérôbie, les Augus- 
tin*. 

1 . G*estȈ-dire aux approcheB de la mon. ^ 

9. Ne sont paH remarquées. 

s. Le pape saint Léoo, qui, en %52, par son éloquence, obtint «KAttlla 



DES ESPRITS FORTS. 345 

^Un Père de l'figlise, on docteur de TËglise, quels 
noms ! quelle tristesse dans leurs écrits! quelle sécheresse, 
quelle froide dévotion, et peut-être quelle scolastique! disent 
ceux qui ne les ont jamais lus. Mais plutôt quel étonnement 
pour tous ceux qui se sont fait une idée des Pères si éloi- 
gnée de la vérité , s'ils voyaient dans leurs ouvrages plus 
de tour et de délicatesse, plus de politesse et d'esprit, plus 
de richesse d'expression et plus de force de raisonnement, 
des traits plus vifs et des grâces plus naturelles, que Ton 
n'en remarque dans la plupart des livres de ce temps, qui 
sont lus avec goût, qui donnent du nom et de la vanité à 
leurs auteurs! Quel plaisir d*aimer la religion, et delà voir 
crue , soutenue , expliquée par de si beaux génies et par de 
si solides esprits! surtout lorsque Ton vient à connaître 
que, pour l'étendue de connaissances, pour la profondeur et 
la pénétration, pour les principes de la pure philosophie, 
pour leur application et leur développement, pour la jus- 
tesse des conclusions, pour la dignité du discours, pour la 
beauté de la morale et des sentiments, il n'y a rien, par 
exemple , que l'on puisse coiAparer à S. Augustin , que 
Platon et que Cïcéron. 

% L'homme est né menteur. La vérité est simple et in- 
génue , et il veut du spécieux et de l'ornement. Elle n'est 
pas à lui, elle vient du ciel toute faite, pour ainsi dire, et 
dans toute sa perfection; et l'homme n'aime que son propre 
ouvrage, la fiction et la fable. Voyez le peuple : il con- 
trouve, il augmente, il charge , par grossièreté et par sot- 
tise; demandez même au plus honnête homme s'il est 
toujours vrai dans ses discours, s'il ne se surprend pas 
quelquefois dans des déguisements où engagent nécessaire- 
ment la vanité et la légèreté , si , pour faire un meilleur 
conte, il ne lui échappe pas souvent d'ajouter à un fait qu'il 
récite une circonstance qui y manque. Une chose arrive 
aujourd'hui, et presque sous nos yeux; cent personnes qui 
root vue la racontent en cent façons différentes ; celui-ci , 
s'il est écouté, la dira encore d'une manière qui n'a pas été 
dite. Quelle ciiJMince donc pourrais-je donner à des faits qqi 

qu'il t'éloiçDàt de Rome. — Saint Jérôme (S3i-%30), le traductenr de la 
Bfble. " Saint Augustin (3%5-430), le célèbre érêque d'Hippone, Tauteur 
ae la Cité de Dieu, des Confessions^ etc., le premier des Pères de VEglise 
latine. 



a(i6 cHAPiTiis xyi. 

BOBI «npi«i» 6t éloigaés du aous pav plusieurs siMest cpiel 
foiiddmmt doift-je fam «ur 1«b plu« graves l^istQsiens? qu» 
4eTieptriiistoiretC^ra4-il été massacre au m^m 4u 
aéoatfy a4-il 9^ \m Cé^ar? f Qualla (HmsôqHeQpel f^% ditaa- 
¥008; quali doutes! quello demande l i Tous rie^, ^&^ m 
me juges pas digo9 d'a^^uae vépoasa; et je a^ois iiiâmeqaa 
TOUS a^ei m^on. Je suppose néa^mpiwi qu^ le livp» qui 
fait meutioa de Césa? ue soit pas u^ li?re pfQfan^, éprit dd 
la mam des boamea, q»i soi»t ^9ute»r«, tr^uf^ par ^m^ 
dans les bibUotb^quea parmi d'autrea maniiscrits qi^ cout 
tiennent des histoires ?raiesou apocryphes ^ qi^'aucontraira 
il doit inspiré, aaint, difin; qu'il porte en soi cea oarapt^roa; 
qu^il se trouye depuis ps^s de den^ fnille aps dans une ao- 
ciété nembreuae qui p'a pas pa rmia qu'on j ait fail^ pendant 
tout ç^ temps la moiudre altdratian» et qui s'^st fait una 
religion de le ooiiserTer dans topta son intégrité | qu'il f 
ait même un engagement religieux et indispensablo d'avoir 
do la loi pour tous Isa faits contenus dans ee Toluma oi il 
est parlé de César et de sa diotature : ayoues-lOy ImilêproM 
douteras alors qu'il y ait eu un César. 

^ Toute musique n'est pas propre à louer Biau et à Mie 
entendue dans leisanotuairet toute philosophie uê parle 
pas dignement de Dieu, de sa puisaaaee , des principes de 
ses opérations et de sas mystères : plus cette philosophie 
est subtile at idéale, plus elle est vaine et inutile pour ex-> 
pliquer des choses qui ne demandent des hommes qu'un 
sens droit pour être connues jusqaes à un eertain point, et 
qui au delà sont inexplicables. Vouloir rœdve raison de 
Dieu, de ses perféotions, et, si j'ose ainû parler, de ses 
actions, c'est aller plus loin <}ue les anciens philosophes, 
que les apôtres , que les premiers docteurs ; mais ee n^est 
pas rencontrer si juste, o'est creuser longtemps et profou'? 
dément, sans trcmver les sources de la vérité. Dàs qu'on a 
abandonné les termes de bonté » de miséricorde , de justice 
et de tottte^puissance) qui donnent de Dieu de si hautes et 
de si aimables idées, quelque grand eiort d'imagination 
qu'on puisse faire, il faut vaoevoir les expregdons sèches, 
stériles, vides de sens ; admettre les pensées creuses, écar- 
tées des notions communes f ou tout au plus les subtiles et 
les ingénieuses; et, & mesura que l'on acquiert d'ouverture 
dans unenouveûe métaphysiqpie, perdreunpeudesareligion. 



DES ESPIU7P FOliTS. 3^7 

f JBsqttMi 0^ les binnmes iip se por(eAti'il|i^ pûiu^ P9r rio-» 
térêt de la religion, àm% ilQ lont b| peu persuadés , ^t q^i'ils 
pratigueut sinuil! 

f Ce1it9 iQ^imA religion que les hommes défendent §fyeQ 
chaleur et ayec zèle contre ceux qui en ont une toute oon<- 
trpii^, ils r«(ltèrent eux-pêm^s 4^ps leur espiit par des 
^ptimânts par^Q^Uers, ils y tyoutei^t et ils en Tfîtrancl^enl 
mille choses souvent essentielles, seloQ pe qui leur conyie^t, 
et ils demoureat {ei^es et inél^^^nlables dans c^^te forme 
qu'ils lui oQt dciMée, Ainsi, h parler populaire^ieni \ m pfiu^ 
dira d une seule aation qu'eUe ?it spus un m^ê PUlte, et 
qu'elle n'a qu'une seule religion; mais, à parler ezaçie^iept, 
U est ¥rai qu'elle en a plusieurs, et que ch^oup presque ï 
a la sienne- 

% Deux sortes de geus fleurissent d^uis les eours, et y dpo 
minent dans divan temps, les libertins et les bypeprites ; 
eaui^li^ gaiement, ouvertepent, sans art et p^ps dissimula'^ 
tion; eeuz-ei finement, par des furtifi^es, pï^r )a pabale.Cent 
fois plus épris de la fortuue que les prgn^iprs , ils e» soi^t 
jaloux jusqu'à Texcès; ils veulent la gouveri^er, la possé* 
der seuls, la partager entre eux et eu exclure tout aMtre; 
dignités, oharges, postes, bénëgoes, pensious, bQUUeurs, 
tout leur ccmvient et ne convient qu'à eux, la roste dep 
hommes en est indigne; ils ne epmpreuuentpoiut que saus 
leur attache* on ait l'impudence de les espérer. Une troupe 
de masques entre dans un bal : ont-ils la maiu, ils dansent, 
ils se font danser les uns les autres, ils danseut enoore, ils 
dansent toujours : ils ne rendent li| main à personne de 
l'assemblée , quelque digne qu'elle soit de leur attention*. 
un languit, on sèche de les voir danser et de ne dmser 
point : quelques-uns murmurent ; les plus ssges piennQnt 
leur parti, et s'en vont. 

f^ Il y a deux espèces de libertins : les libertins , peux du 
moins qui croient Tétre, et les hypocrites ou Aiux dévota t 



. 1. Comme tout le monde. 

2. Sans leur agrément. 

S. tesmasqaei couraient ^ bel en ImA. Cens doet U e^gife de metteqt à 
danser, dansent sans fin et ne dansent qu'entre eux, chpisUiant ton» 
Jours l'un des leurs pour remplacer le danseur qui, euiyftQt l'usage en 
certaines danses, s'est retiré, et oubliant ainsi que dWres atteas^nt Ipur 
tonr. 



I 



348 CHAPITRE XVI. 

c*e8t-à-diK ceux qui ne veulent pas être eras libertins : les 
derniers, dans ce genre-là ', sont les meilleurs. 

Le faux dévot ou ne croit pas en Dieu , ou se moque de 
Dieu ; parlons de lui obligeamment : il ne croit pas en 
Dieu. 

% Si toute religion est une crainte respectueuse de la 
Divinité , que penser de ceux qui osent la blesser dans sa 
plus vive image, qui est le prince? 

% Si Ton nous assurait que le motif secret de l'ambassade 
des Siamois* a été d'exciter le roi Très-Chrétien à renon- 
cer au christianisme, à permettre Feutrée de son royaume 
aux Talapoins*^ qui eussent pénétré dans nos maisons pour 
persuader leur religion à nos femmes , à nos enfants et à 
nous-mêmes, par leurs livres et par leurs entretiens, qui 
eussent élevé des pttgodes au milieu des vUles , où ils eus- 
sent placé des figures de métal pour être adorées, avec 
quelles risées et quel étrange mépris n'enteudrions-nous 
pas des choses si extravagantes I Nous faisons cependant 
six mille lieues de mer pour la conversion des Indes, des 
royaumes deSiam, de la Chine et du Japon, c'est-à-dire 
pour faire très-sérieusement à tous ces peuples des propo- 
sitions qui doivent leur paraître très-folles et très-ridicules. 
Us supportent néanmoins nos religieux et nos prêtres ; Us 
les écoutent quelquefois, leur laissent bâtir leurs églises et 
faire leurs missions : qui fait cela en eux et en nous? ne 
serait-ce point la force de la vérité? 

% Il ne convient pas à toute sorte de personnes de lever 
rétendard d'aumônier^, et d'avoir tous les pauvres d'une 
ville assemblés à sa porte , qui y reçoivent leurs portions. 
Qui ne sait pas , au contraire , des misères plus secrètes, 
qu'il peut entreprendre de soulager, ou immédiatement et 
par ses secours, ou du moins par sa médiation? De même il 
n'est pas donné à tous de monter en chaire et d'y distribuer, 
en missionnaire ou en catéchiste , la parole sainte : mais 
qui n'a pas quelquefois sous sa main un libertin à réduire 
et à ramener, par de douces et insinuantes conversations, 

i. Ceux qui réassiBsent le moins dans ce genre-là, les hTpocritee lei 
moins habiles. 
2. Vorez page 350, note S. 
S. Prêtres siamois. 
%. De s'établir publiquement distributeur d'aumAnes. 



DES ESPRITS FOllTS. 349 

à la docilité? Quand on ne serait pendant sa vie queUapôtre 
d'un seul homme, ce ne serait pas être en vain sur la terre, 
ni lui être un fardeau inutile. 

^ 11 y a deux mondes ; l'un où Ton séjourne peu, et dont 
Ton doit sortir pour n'y plus rentrer; Tautre où l'on doit 
bientôt entrer pour n'en jamais sortir. La faveur, l'autorité, 
les amis, la haute réputation, les grands biens, servent pour 
le premier monde; le mépris de toutes ces choses sert pour 
le second. Il s'agit de choisir. 

% Qui a vécu un seul jour, a vécu un siècle : même soleil, 
même terre, même monde, mêmes sensations; rien ne 
ressemble mieux à aujourd'hui que demain '. Il y aurait 
quelque curiosité à mourir , c'est-à-dire à n'être plus un 
corps , mais à être seulement esprit. L'homme cependant, 
impatient de la nouveauté, n'est point curieux sur ce seul 
article; né inquiet et qui s'eunuie de tout, il ne s'ennuie 
point de vivre ; il consentirait peut-être à vivre toujours. Ce 
qu'il voit de la mort le frappe j)lus violemment que ce qu'il 
en sait : la maladie, la douleur, le cadavre, le dégoûtent de 
la connaissance d'un autre monde; il faut tout le sérieux de 
la religion pour le réduire. 

f Si Dieu avait donné le choix, ou de mourir ou de tou- 
jours vivre , après avoir médité profondément ce que c'est 
que de ne voir nulle fin à la pauvreté, à la dépendance, à 
l'ennui, à la maladie, ou de n'essayer des richesses, de la 
grandeur, des plaisirs et de la santé, que pour les voir chan- 
ger inviolablement* et par la révolution des temps en leurs 
contraires , et être ainsi le jouet des biens et des maux , 
l'on ne saurait guère à quoi se résoudre. La nature nous 
fixe et nous ôte l'embarras de choisir*; et la mort, qu'elle 
nous rend nécessaire» est encore adoucie par la reli* 
gion. 

f Si ma religion était fausse, je Tavoue» voilà le piège le 

t. t Et si vons aves Tetea an jour, tous etoi tout tbo t un jour est égal 
à tous jours. 11 n'y a point d'aultre lumière ni d*aultre nuict; oe soleil, 
cette lune, ces étoiles, cette disposition, c'est celle mesmes que tos ayenls 
ont jooye et qui entreiiendra tos arrière nep^eux. > (Moniaigne, 1, 19.) 

3. Suivant une loi ioTariable. 

S. « Nature nous y force. Sortes, dict-elle, de ce monde comme tous y 
estes entres. Le mesme passive aue tous feistes de la mort à la ^e, sans 
passion et sans fhiyear, relaictes-ie de la vie à la mort. Vostre mort est 
vue des pièces de l'ordre de l'univers; cfett une pièce de la viedu monde, s 
(llontaigne«LiO 



350 OttÀPltRS xn. 

flii«oft dNMë qa'il Mit ^Odtible dloiAgliitrt il (ftàh iàëfi- 
tâbl« de ne féB tomoir teut â« travers, et do n'y être pas 
pris : quelle majesté^ quel éclat des mystères! quelle suite 
it qusl esehitnemeiit de teiEittt la dootrine I quelle taiiiDii 
émlnéiitel quelle daudeur, quelle Ih&OGênc» de tnœurftl 
qtoelld fohse iuti&ciUe «t acOabUdite dés tëmoigiiagës t^û-* 
dus suceessiyemeiit et pendant trois sièeles entiers pàt des 
millions de personnes les plus sages » les pMs modérées qui 
fussent alors sur la terre, et que le sentiment d'une même 
rérité soutient dans rexil, dans les fers, eontm k ttie de 
la mort et du dernier supplice! Prenez Phlstoire^ butrez, 
Remontât jtisques au commeneemetit dti monde ^ jusques & 
là veille de sa naissance : f érU\ eu rien de semblable daâs 
tous les temps? iMeù même pouTaiib-11 jamais mieux fen- 
eontrer pour me séduire? Par eu échapper? où aller, oh 
me Jetef , }e ne dis pas pour ti^otiTef rien de meilleur, mais 
quelque ohose qui en approche? S'il faut périr, c'esf parla 
que je veux périr; il in'est plus doul de niei^ Dieu que de 
l'acoorder areo une tromperie si spécieuse et si éntiêté : 
mais je Vn Approfondi , je ne puis être athée ; je suis dbnc 
ramené et entraîné dans ma religion; è^ôh est fait. 

f La religion est traie ^ du elle est fausse : si elle n'est 
qu'une taihe fiction, toilà, si l'onreutj soitante atihëes per- 
dues peu^ l'homme de hien^ podr le eha^reux ou le seH- 
làite ; ils he courent pÂs un autre risque t mais si elle est 
fdhdëe sut la vérité même, e'est aloi^ uh épehtahteble miU- 
Meut peur l'homme tieieut; ridée seule des maut qu'il se 
prépare me trouble l'ima^nation ; la pensée est trop faible 
pouf les odtK^foir^ et les paroles trop taines pour les ex- 
primer. Certes ) en siipposAet même déhe le âionSé moins 
de certitude qu'il ne s'en trouve en effet sur la vérité de la 
religion, il n'y a point pour l'homme un meilleur parti que 
la vertu*» 



1. « rcsoM kl gtlti él H pertet ea flagtent q«e ntèn eat.... Si toqs 
fiffoet, tout S«gDM tout; êi tons perdes, yoss né p^réefc rien. Gages dooe 
quhi ett, sans bésiter..». 11 y a aoe infinité da iria iDftnimeDC beareuse à 
gaçner.... Or quel mal vous arrivera- 1- il en fitenaat oe parti ? Voas èeres 
Sdèla^ baonète, horoblev reconnaiaaani, bienfaisant, aineère, ami Yétiiable. 
A U yérité, tétta ne serei pnm dana let plaisira emportéa, dana ia flaire, 
dans leadétleii^Ddiiaa'eb àurM-voaa point dliittres r..; fe vous dia ^ua 
voua y §Bi^9n% en eetta yie, et qu'à dia^tie paa ^ue Voda HBrec dans ce 
cbemin, vous verrez tant de certitude de gain, et tant de Aéafit de 08 qué 



DES ESPKirS FOkTS. 351 

%ié ôe Sâiâ èi ceux qui osent nier Diëd méfîteiil ^•on 
S'ëffôtée de lé lètif t>wuveï', et qti'on les traite t^ltis sëriéiiôe- 
lîient que l^oii n'a fait dans ce chapitre. L'ignôrancéi qui 
est leur caractère, les rend incapables àefi prihcipes les t^us 
blairs et des raisonnements les mieux suivis, ^e consens 
iiêànthDinis qu'ils lisent celUi t)ue je vais faire, pourvu qu'ils 
Hë se persuadent t)is t|ùe c'est tout ne que Ton t)ôiiYait dire 
0ur une vérité si éclatante. 

tl y a tjTlarante ans que jô n'étaiii point, et ^ù^l h'ëtait 
|}â8 en tboi de pouvoir jamais être, èotnihe il he dëpiendpaS 
iô moi , qui éuls uile fois , de ii*)6tn5 plui. J'ai dune ettaii. 
mencé, et je éohtifauô d'être par quelque chose qui est hors 
de moi, qui durera après moi, qui esi meilleur et plus puis* 
sànt ^ué mol. Si ce quelque tMst ti'est p&s Dieu, qu'on mè 
aise ce que d*est *. 

Peut-être que niol qUl existé n'exista àiusi qUë pa^ là 
ioTcé d^tiue nature universelle 0[mà toujours été telle qUe 
Ubuâ la Voyons, eh remontaht justjues â l'infitiité des 
temps I*. Mais cette nature, 6u elle est seuleiiiiint esprit, et 
b'est Diéù ; ou elle est màtiètë, et né peut ^ai* eensé^hent 
avoir créé mon espHt; bu elle est iin c6iiit)obë de matière et 
'd*esprit, et alors, ce qui est esjJiit dans la nature , je Tap- 
})elle Dieu. 

Peut-être aussi que ce que J'appelle môli esprit h'ëst qu'une 
t>Ortion de matière qui éiiste par la force d'Unè nature Uni- 
verselle, qui est aussi matière , qui a toujours été, et qtài 
'ééra toujours telle que nous la voyons, et qui n*ëst JJoint 
Dieu*. Mais du moins feiut-il m'âocordei^ que dé que j'ap- 
})èlle moh esprit, quelque chbsë que ce puisse être, est une 
chose qui pensé, et que, s'il est matiez. Il est hëceSSftirë- 
inent Une matière qui ^ensé; car l^oU ne me persuadera 
jpoihit qu'il n'y ait pas en mol quelque bhose 'qui ^ense j^eii- 
' dànt que ]é fais ce railàohU'emeht. Or, ce quelque chose qui 
éhi éh mol et ij[ui pëhSe, is^lldoit SOil étHè et sa conservation 

vpuft bàtardaz. qoé tous reconoattrez à la fiq Qoe vous àTez parié jpoAr une 
tnodè cértaiûe^innnie, ^ar laquelle 4on* n'aVeï Hen doi^né. » (pastel). 

1. f ébelOD * repris eè rtiaonnefneDt datis te Traité d$ l'exiêttàçt de 
piêUf IL 2. Saini Augustin le premier Tàvait présenté dans les Soft- 

3. Objection dt ifBtèihe des libertins. {Note de la Brtiyérs.} La réponse 
Tient ensuite. 
I. Instance des libertins. {Not$Â$ la Brwi/èn.) Stf t Is réponse. 



352 CHAPITRE XVI. 

i une nature uniTerseUe, qui a toujours été et qui seratou* 
jours, laquelle il reconnaisse comme sa cause, il faut indis- 
pensablement que ce soit à une nature universelle , ou qui 
pense , ou qui soit plus noble et plus parfaite que ce qui 
pense; et si cette nature ainsi faite est matière, l'on doit 
encore conclure que c'est une matière universelle qui 
pense , ou qui est plus noble et plus parfaite que ce qui 
pense. 

Je continue, et je dis : Cette matière telle qu'elle vient 
d'être supposée , si elle n'est pas un être chimérique , mais 
réel, n'est pas aussi imperceptible à tous les sens; et si elle 
ne se découvre pas par elle-même, on la connaît du moins 
dans le divers arrangement de ses parties, qui constitue 
les corps , et qui en fait la différence : elle est doçc elle- 
même tous ces différents corps ; et comme elle est une ma- 
tière qui pense selon la supposition, ou qui vaut mieux que 
ce qui pense , il s'ensuit qu'elle est telle du moins selon 
quelques-uns de ces corps, et, par une suite nécessaire, 
selon tous ces corps, c'est-àrdire qu'elle pense dans les 
pierres, dans les métaux, dans les mers, dans la. terre, dans 
moi-même, qui ne suis qu'un corps, comme dans toutes les 
autres parties qui la composent. C'est donc à l'assemblage 
de ces parties éi terrestres, si grossières, si corporelles, qui 
toutes ensemble sont la matière universelle ou ce monde 
visible , que je dois ce quelque chose qui est en moi , qui 
pense, et que j'appelle mon esprit; ce qui est absurde. 

Si, au contraire, cette nature universelle, quelque chose 
que ce puisse être , ne peut pas être tous ces corps , ni au- 
cun de ces corps , il suit de là qu'elle n'est point matière, 
ni perceptible par aucun des sens ; si cependant elle pense, 
ou si elle est plus parfaite que ce qui pense, je conclus en- 
core qu'elle est esprit, ou un être meilleur et plus accompli 
que ce qui est esprit : si d'ailleurs il ne reste plus à ce qui 
pense en moi, et que j'appelle mon esprit, que cette nature 
universelle à laquelle il puisse remonter pour rencontrer 
sa première cause et son unique origine , parce quHl ne 
trouve point son principe en soi, et qu'il le trouve encore 
moins dans la matière, ainsi qu'il a été démontré, alors je 
ne dispute point des noms ; mais cetl^ source originaire de 
tout esprit, qui est esprit elle-même , et qui est plus excel- 
lente que tout esprit, je l'appelle Dieu. 



DES ESPRITS FORTS. 353 

En nn mot , je pense ; donc Dieu existe : car ce qui pense 
en moi , je ne le dois point à moi-même, parce qu'il n'a pas 
plus dépendu de moi de me le donner une première fois 
qu'il dépend encore de moi de me le conserver un seul in- 
stant : je ne le dois point à un être qui soit au-dessus de 
moi, et qui soit matière, puisqu'il est impossible que la ma- 
tière soit au-dessus de ce qui pense : je le dois donc à un 
être qai est au-dessus de moi et qai n'est point matière; et 
c'est Dieu. 

^ De ce qu'une nature universelle qui pense exclut de soi 
généralement tout ce qui est matière, il soit nécessairement 
qu'un être particulier qui pense ne peut pas aussi admettre 
en soi la moindre matière : car, bien qu'un être unirersel 
qui pense renferme dans son idée infiniment plus de gran- 
deur, de puissance, d'indépendance et de capacité , qu'un 
être particulier qui pense, il ne renferme pas néanmoins 
une plus grande exclusion de matière , puisque cette exclu- 
sion dans l'un et l'autre de ces deux êtres est aussi grande 
qu'elle peut être et comme infinie, et qu'il est autant im- 
possible que ce qui pense en moi soit matière qull est in- 
sonceyable que Dieu soit matière : ainsi, conune Dieu est 
esprit, mon âme aussi est esprit. 

^ Je ne sais point si le chien chobit , s'il se ressouvient, s'il 
affectionne, s'il craint, s'il imagine, s'il pense : quand donc 
l'on me dit que toutes ces choses ne sont en lui ni passions, 
ni sentiment, mais Teffet naturel et nécessaire de la dispo- 
sition de sa machine préparée par le divers arrangement 
des parties de la matière, je puis au moins acquiescer à cette 
doctrine '. Mais je pense , et je suis certain que je pense : 
or, quelle proportion y a-t*il de tel ou de tel arrangetnent des 
parties de la matière, c'est-à-dire d'une étendue selon toutes 
ses dimensions, qui est longue, large et profonde, et qui est 
divisible dans tous ces sens, avec ce qui pense? 

^ Si tout est matière, et si la pensée en moi, comme dans 
tous les autres hommes, n'est qu'un effet de l'arrangement 
des parties de la matière , qui a mis dans le monde toute 
autre idée que celle des choses matérielles? La matière 
a-t-elle dans son fond une idée aussi pure, aussi simple, 

i. C'est Ift doctrine de Deacartet. Ta Fontaine en a fait l'exposition et l'a 
raiUée avec beaacoop de bon sens dans la fable qnl a poor titre Let deux 
ratif le renard et VauU 

73 



354 CMAPUBM ZYI, 



mm imou^léridl^t V^'^ c^U* de Tesprit? Commeiit pe«l- 
«U« être Id principe d« c« qoi la nie e( Texçlut de son pro- 
pie ét?eT Comment »«l;*elle dans l'homme ce ^ui pense. 
c'^t4-dir« ee qui e^t à Ti^omme xnêai« un« conyiçUo^ ^n'U 
^'e&l point matière T 

f 11 J 1^ 4ei é(res qni dimnt peu , parce qn'ile «ont com- 
poeiie de çbofes fràe-dilTéreû^ee, »t qi)i »e nuisent récipiq» 
fnemtntf V y ep • d'autres qc^i dirent dAvent^i^e , |4r«« 
qu'ils sont plus simples; mais ils périssent, parce quMa nQ 

iMMQtpMd'eyoir 4^ peftie? «^on }«sq^eUee iU peu^nt 
ftM difiséa. Ce qui peim en moi doit durer beaucoup, pftrc9 
«ne i'eat m ttre pur, «Mmpt 49 tout mélanfe et de touti9 
compoaitieBi et il n'y e pa^ de raison qu'il doive péri? ; cax 
qui peut eorpompre ou «épimi' uu 4tro fimplo et qui u'4 
point de p^iM? 

f L'fcne voit In oouleur par Vorgaue d^ l'<nil » et entend 
1m toni par rori«ne de Yqt%\\H ; mM ellq p§ut Qoaeer df 
voir ou dVntendre, quand oea ^Jm ou «es p^jete \{\i m^jf^ 
quent. 8»ns que pour cela oUe çeai^ d'âtrfi, ps^rce quQ Vim 
u'f at point pvéoieinient ce qui voit la coul^uTi ou ce qui oo? 
tendiez sous; ell^ n'^t que oe qui poupoi Qr, eomnout 

peutrelle cesser d'être tell§? Ce n'r^t point par le dé&ut 

d'orgnne, puisqu'il est prouvé qu'elle u'e^t point matière; 
m par lo défaut d'ol)i«t, tant qu'il y aura un Qieu Qt d'dW^ 
pellea ?érité« \ aUe ont donc iuoorruptibUf 
f le ne oonooi» point qu'una <^a que pi^u a touIu rexu« 

plir de l'idée de ^n ètra infini ot ^ouv^r^^eut parfait 
doive être anéantia, 

f VçyeE.iiVc^S ae îUOrceau do terra, plus propre et 
plus orné ^ua les autre» tarraa qui lui août contigui» ; ici, 
M sont daa eompartimau^ luttéa 4'«aux plate» * et d'eaux 
iftiiliegautaa; 14, dos alléas au palissada' qui n'ont pas de 

fin, et qui voui aouTP^nt de» yents du ^ord \ d'up câté, o'est 
un boifl épais qui défand de tous les aoloils , et d'un autre 
un beau peint de vue; plu» ba»i u^o Ive^tOr ou uu LisuoUt 
qui coulait obaouréwant entra loa aaula» ot les paupUoru, 

1. Cette leçon s'adrèMe nus éoQte à I*é1èM de la Bruyère, eWt-à^dive a« 

dno de Bourbon. Le moroean de terre doniil s'agit est le parc de Chantilij:. 

S. M^ïait^M ttfl^ de iw^furQ I» Q0 qifiii fqnoflatu» «ivr da 

dure. 



DES BSPRrb rOKTS. 955 

et^ iê^m^n vm 9%m\ %\À Ml r#?dttt ^ «ôU^ois,^ de k)ngiiea et 
f ratç]}^ avaBu^g m ^fieait à»m la oan^pagiie, el annoncent 
lamsôflon, qni ^ aatouré^ d'^au. Vous récrierei^^oas : 
fc Qu^ jeu di» ]»a9ardl combien de hellea olioaes te sont 
reneontré^ ^aseoiibie inepintoentl » Ntin, sans doute; 
^i)m di(^9 au oontwra : « Gela est bien imaginé et bien 
0Td99M^; il H$TSi^ iei m biOB 90ût et beaucoup d'intelli- 
gfPM* ^ ^ fiarlerai ooBuna tous, et j'a)outevai que oe doit 
ètT« la demeura de quelqu^un de oes gens ohea qui un 
N4^?Ha* Yi^ trae«F et piMOidvQ des alignements dès le jour 
même quUls acm^ ea place. Q^'^^o* pourtant que oette 
piie« de terfe Idoii disposée, et où tout Part d'un ouYrier 
)u^)Âl^ a été «employé pour Veiabelliis si mâme toute la terre 
p'eat ou -un atome «uapeadu en l'air, et si vous écoutez ce 
que je Tai« diret 

Vous é^si l4ç^aéi A liU^ila, quelque part sur cet atome; i} 
lai^t doua que yous soyei bien petit, car ipous n'j occupes 
pas U9e grande ptoce: eependaul tous ayes des yeux, qui 
§QQt i^m poiut^ impe^eptitde^ } ue laisses pas de les ou- 
yrir fer» le ciel : qu'y aperceyex-TOua quelquefois^ La lune 
4ans ^ov, pleiu? illl^ ast Jpk^Ue alovs et fort lumineuse, quoique 
^^ lupi^i^TQ lie soU que la réflexion de celle du soleil : elle 
Pfffs^i gH^^d^ comQie le aalail t plus grande que les autres 
planète); et qu-«uoaPQ daa étoiles* Mais ne yeus laissez pas 
^mpei pav les deboni; il u'y a rien au ciel de si petit que 
ta ^W^f^ I ift superficie est treiie fois plus petite que celle de 
la terre, sa solidité quarante-huit fois ; et son diamètre, de 
sept cent cinquante lieues, n'est que le quart de celui de la 
tsFM 3 aussi est«il vrai qu'il n'y a que son ▼oisiuage qui 
lui donne une i^i grî|pde ?ippa?eppe , pni$qu*PÏle p'pst guêrei 
plus éloignée de nous que de trente fois le diamètre de la 
terre, o\i ^ue s^ dist^çe {l'est pe de ç^nf mille lieueç,*. 

I. Iiegeapids leNantttp at de la Tbèw, jasqua-là perdats dans lea mare* 
çnges, furent •nferaiées dans un canal par les ordres ds Gondé et se trans- 
formèrent en cascades et en « jets o'eaa qai ne se taisaient ni Jour ni 
unit, I selon l'espression de Bossuet. Le Lignon «t rVfette, qoe la Bruyère 
nommea leur place, sont deux petites riTières dont Pune prend sa source 
dans les montagnes du Fores et se jette dans la Loire, et dont Fautif naît aux 
enf iront de Ham^ooillet, ut paspa a Gbeyreuse, Orsay, Longinmeau, etc. Le 
roman d'Astrée a donné quelque eélabrité au Lignon. 

S. André le Hfttre, qél^bre dessinateur de iardins, qui mounrt en 1700. n 
dMSin» Its iMiPca de yenaiUes, de Cbantilly, et tous les grands ijsrdinsde 

s. I4M làifliNW qaeieeae le Bruyère dane tette ■rgsnieiitaliai ne sont 



356 CHAPITRE XVI 

EUo n'a presque pas même de chemin à faire en comparai* 
son dn vaste tour que le soleil fait dans les espaces du ciel * ; 
car il est certain qu'elle n'achève par jour que cinq cent 
quarante mille lieues' : ce n'est par heure que vingt-deux 
mille cinq cents lieues, et trois cent soixante et quinze lieues 
dans une minute. 11 faut, néanmoins, pour accomplir cette 
course, qu'elle aille cinq mille six cents fois plus vite qu'un 
cheval de poste qui ferait quatre lieues par heure; qu'elle 
vole quatre-vingts fois plus légèrement que le son, que le 
bruit, par exemple, du canon et du tonnerre , qui parcourt 
en une heure deux cent soixante et dix-sept lieues'. 

Mais quelle comparaison de la lune au soleil pour la gran- 
deur, pour l'éloignement, pour la course! vous verrez qu'il 
n'y en a aucune. Souvenez-vous seulement du diamètre de la 
terre, il est de trois mille lieues; celui du soleil est cent fois^ 
plus grand, il est donc de trois cent mille lieues. Si c'est là 
sa largeur en tous sens, quelle peut être tonte sa superfi- 
cie! quelle sa solidité l 'Comprenez-vous bien cette étendue, 
et qu'un million de terres comme la nôtre ne seraient toutes 
ensemble pas plus grosses que le soleil "T Quel est donc, 
direz-vous, son éloignement, si Ton en juge par son appa- 
rence? Vous avez raison, il est prodigieux; il est démontré 
qu'il ne peut pas y avoir de la terre au soleil moins de dix 
mille diamètres de la terre, autrement moins de trente mil- 
lions de lieues : peut-être y a-t-il quatre fois, six fois, dix 
fois plus loin; on n'a aucune méthode pour déterminer cette 
distance ^ 

pas tons Ti^oareosement exacts. Ainsi le volome oa la solidité de la hine esc 
49 fois moindre qae le TOlume ou la solidité de la terre ; son diamètre est de 
797 lieaes; elle est à moins de 9S000 lieues de la terre, etc. 

1. La Bruyère fait donc tourner le soleil sutour de la terre : il n'adopte 
pas le système de Copernic, que Galilée n'avait pu faire triompher, et que 
Descsrtes n'avait osé professer publiquement. 11 y fera toutefois allusion un 
peu plus loin. 

3. Il faut en compter plus de 600 000, si Ton se place, comme la Bruyère, 
dans le système oii l'on suppose que la terre est immobile, Bn réaiiié, la 
lune ne fait Kuère que 30 ooo lieues pnr iour de 34 heures. 

3. Ce chiffre est au-dessous du chiffre exsct ; le son parcourt plus de 
300 lieues en une heure. 

4. Cent dix fois. 

5. Le volume du soleil est 1 400 000 fois plus gros qae celui de la terre; 
sa masse est 35S fois plus forande que celle de la terre. 

e. Cette distance est de 33 millions de lieues. ~~ « Que l'homme contemple 
donc la nature dans sa haute et pleine majesté ; qu'il éloigne sa Toe aes 
objets bas qui TenTironnent; qu'il regarde cette éclatante lumière mise 
comme une lampe éternelle pour éclairer l'uni vere; que la terre lui pareime 



DES ESPRITS FORTS. 357 

Pour aider seulement votre imagination à se Im repré- 
senter, supposons une meule de moulin qui tombe du soleil 
sur la terre; donnons-lui la plus grande vitesse qu'elle isoit 
capable d'avoir, celle môme que n'ont pas les corps tombant 
de fort haut; supposons encore qu'elle conserve toujours 
cette même vitesse, sans en acquérir et sans en perdre ; 
qu'elle parcourt quinze toises par chaque seconde de temps, 
c'est-à-dire la moitié de l'élévation des plus hautes tours, 
et ainsi neuf cent toises en une minute; passons lui mille 
toises en une minute, pour une plus grande facilité ; mille 
toises font une demi-lieue commune; ainsi en deux minutes 
la meule fera une lieue» et en une heure elle en fera trente, 
et en un jour elle fera sept cent vingt lieues : or, elle a 
trente millions à traverser avant que d'arriver à terre; il 
lui faudra donc quarante-un mille six cent soixante-six 
jours t qui sont plus de cent quatorze années , pour faire ce 
voyage. Ne vous effrayez pas, LucUe, écoutez-moi : la dis« 
tance de la terre à Saturne est au moins décuple de ceUe de 
la terre au soleil; c'est vous dire qu'elle ne peut être moin- 
dre que de trois cents ndllions de lieues, et que cette pierre 
emploierait plus de onze cent quarante ans pour tomber de 
Saturne en terre. 

Par cette élévation de Saturne, élevez vous-même, si vous 
le pouvez , votre imagination à concevoir quelle doit être 
l'immensité du chemin qu'il parcourt chaque jour au-dessus 
de nos têtes : le cercle que Saturne décrit a plus de six 
cents millions de lieues de diamètre, et par conséquent plus 
de dix-huit cents millions de lieues de circonférence ' ; un 
cheval anglais qui ferait dix lieues par heure n'aurait à 

oomme vu point aa prix dn Tute Umr que oel astre décrit, et qu'il s'étODne 
deoe qae ce va»te toor lui-mèine D'est qu'an point très^délicat à l'égard de 
celui que ces astres qui roulent dans le lirmament embrasse. Mais si notre 
▼ne s'arrête là, que l'iiuMioation passe outre : elle se lassera plutôt de con- 
cevoir que la nalarede fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait im- 
perceptible dans l'ample sein de la natnre. Nulle idée n'en approclie. Nous 
avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables : nous 
n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. • (PascaL) 

1. La planète Saturne, qui est de SOO fos plus grosse que la terre, et 
qui est 9 fois i/? plus loin qu'elle du soleil, se meut, à S66 000 OuO lieues du 
auieil, dans un orbite qu'elle décrit en 39 an», 5 mois, i4 Jours. Du temps de 
la Bruyère, on croyait que Saturne était la grande planète la pins éloignée de 
notre «ystème planétaire. Herschell a découvert en ITSi la planète Uranus, 
qui est 19 Tois plus loin du soleil que la terre, et entln M. Galle a découvert 
en i8%6, sur les indications de M. Leverrier, la planète Meptane , qui est 
trente fois plus loin du soleil que la terre. 



358 CflAPlTRE XVI. 



OMiir fii« vingt ttittè ciaq otal fWMÉMitil en pour 
6dro oe tour. 

Je n*ai pas toat dil^ d Lucito, «or le nirteld d« M mosd» 
visible, on, eommo ¥0«s ptrlei qttelqvefois, sur le« m«k^ 
veUles da luuard. ^è von «dmettM ■e«l pmnr 11 «iiiM 
première de tout» dioses. H est «ncors ttfi oavrier plus 
admirable f ae vous ae peasea^ ONiaaisaei la hasard, lAia* 
ses-vous instraire da taata là puiSBàaoa da vatra Oie^ 
Savaz-vOQS qaa cette diatanaa da trMHi taiUièaa da Itauaa 
qa"û 7 a de la terreau aoleil> at aalia da troia eeats millmoa 
de lieues de la terre à Saturne, saat û peu da ohnaa, oaoa* 
parées à rétoigaameat (|u'ii 7 a da la tarra aua dloilaa) qaè 
ce n'est pas même s'tooiroer assez jasta ^^% de sa aarvit^ 
sur le sujet de oe6 distaiioaa, da tama de SoaiipandsMt 
Quelle proportion, à la térité, da aa ^ sa mesure^ ^6l» 
çue gfaad qu'il paisse étrs^ avea sa (|\ii ne se nvesti^ pas t 
On lie connaît pmnt la hauteur d'una iKoile; ette asi, si 
j'ose ainsi parler, immmtuNMê *; il n'j a plus ai angle» , ai 
sinus, ni parallaxes, dont on puisse a'aidef* 61 uA hôtetais 
observait à Paris una étoile fixa, at qa'tta autfè la i^gkrdlft 
du JatKMi, las deux lignaa qtd partiraiakit da leurs 7ett 
pour aboutir jusqu'à cet astre ne feraient pas Un luigtaj «I 
se aoufondraient m «ne âeula at mèâie ligW, tail bt lêf re 
entière n'aat pas espace pa^ rapport i aas éloigïiemaàt» JtaA 
les étoiles <mt aela da oomnan aVoto Salume ^ àVeé lé m»^ 
lail : il faut dira quelque ahbse de j^ua^ ai dauik: obsai'vUP' 
teurs^ Tun sur la terre et Tautra dans la aoteil, ^bèaTTaiefil 
en même temps une étoile, les deux rayons VisâM ië ca6 
deux observateurs ne foraulratot paiut d*an^ aenjubti» 

1. Ostts «pfresiiea n*m% pm m»éê atM la huigUb^ ai aa 1% uSW a W 
fdgreué. inco mm ê nt mrmbèi we yféseMt fM k iseiûé «igfefSUMIoa t élNlt 
ligoes «oBt itioommeiMvrablet lorsqik'eMM a'bDt fMtà te KieMia tOtotnttâs^ 
■i peiile ^a'Mto Mil. --- « O» s'oit tmewpé wsmMlaÊkiipMnevi, ail àiata, 
qaMl s'y a aâcaite éloil« éd p^Miière sratidMr éMt k tomièia fMSs jl^ 
vienne en siotaséè trois aas» D'aiirSs oeMi, l«s ISniSrM dbs éMilcè a» «tS^ 
rents ordres seratest à de teltes disianees d« 4a terre que la Isttiièia m 
saurait les parcoarir) pear les étoiles de preMièfa a^aa«iit«) es ttAiiis dé 
t an*, pour les étieilcs de deuaième f riadeui', «s moittli de S SM, pMr les 
deraières é«oites visibles avec 4e téiescofie de l^ffiètres en liioiiisde i éfeS saS| 
pour les dernières étoiles visibies av«o lé léleeoope de S ttittras, M aloltis 
de i 7oe aask • Les étoites de preiiière graiideùr eeat A hait taMlloM da 
lieaesk Oa évalae, poar citer desex^tapless que la kiSiiéivde l'dloiis Sir^ia 
ne nous parvieet qa'après M ooo ao« pour la Moiaa, «t qa^e «fet i plas da 
B8 miliioBS da lieue» ; que Is lumière de la Chèvre ne nous parvient qo'aprèS 
Ti 000 ans pour le moins, et qu'elle est à plas de !?• miUiotis de lieeea. 



DES ESPRITS FORTS. ^59 

Vmf eoncètolf là chôâe ftnttémetit, A uli hoâitte était ài^ 
tué dâbs une étoile , notre âoleil, ûottè tetf e, et ied tfénttt 
lûillions de lieues qui les séparent, lai pâf atttaieût Un inômë 
point : ôela èBt démontré. 

On ne sait paii ausài la distanôe d'une étoile d'a^eô uûô 
àutfe étoile, quelque Voisines qu^elleà nous palraisseht. Les 
t^léiadès se touchent pfêsque, à en jugef p&r Uoà yeux : Uûè 
étoile patatt assise sUf Tune de telles qui tohnent la quéud 
de la grande Ourse ; à peine 1& tuô peut-elle attethdi'e à 
diàcètlielr la partie du ciel qui les sépare, e*est eonime une 
étoile qui pafàtt double. Si cependant tout l'art des astro- 
nomes est inutile pour en marquer la distance, que doit-on 
))enser de l*éloignement de deut étoiles qui en effet parais^ 
Sent éloignées Tune de Tautre, et à plus forte raison deS 
deut polairest Quelle est donc l'immensité de la ligne qui 

Jiasse d'une polaire à Tautre t et que sera>»ce que le ôercle 
ont eette ligne est le diamètre? Mais n*est-ee pas quelque 
6hose de plus que de sonder lèâ abîmes, qUe de tunlolr ima- 
^ner la solidité du globe , dont ce cercle n^eât qu'une see=- 
tiont Serons-nous encore surpris que ces mêmes étoiles, 
si démesurées dans leur grandeur, ne nous paraissent néan- 
moins que Comme des étincelles ? N*aàmiréronâ-nous pas 
))lutôt que d'une hauteur si prodigieuse elles puissent lion- 
Serv«r une certaine apparente, et qu'on ne les perde pas 
touteà de Vue? tl n*est pas aussi imaginable cnmbien il nous 
en échappe. 6n fiie le Ut^mbre des étoiles : oui, de celles 
qrii sont apparentes^, le moyen de compter celles qu'on 
n'aperçoit point, celles, par exemple, qui composent la toiè 
tie lait*, cette trace lumineuse qu^cn remarque au ciel, 
dans une nuit sereine, du nord Su midi, et qui, par leur 
eïtractdinaire élévation, ne poutant percer jusque nos 
yeui pour être vues chacune en particulier, ne font stu 
plus (pie blanciiir cette mute des deut cù eltes S(mt pla^ 
cées ■ t 
Me Yoilà donc sur la terre comme sur un grain de sable 

i. tn disait indttfët^ment à eette Ét>bqtié «otl tf» Ult et Ml» Ifttl^. 

!l. « X>û ft*eBi fiouvent posé cette question capitale: 6iiroiûefi y a-tpi1 à^toilesf 
le nombre de celles qui sont ^5U)1es à f œil ne s^^Ve pas a pHus de s eoo 
d*an p^e à Tauire : naais au télescope ce Aombhi augmente éntrfbftnelit. 
in T adee milliards d'étoiles; on n*eo a e&core catalogaé qu'une centaine tie 
mille, pour servir de repère aux observations des mouTements des plafiMea 
et des comètes. » (Arago, Leçons d^oêtronomiê). 



360 CHAPITRE XVI. 

qui ne tient à pen, et qui est suspendu au milieu des airs: 
un nombre presque infini de globes de feu d'une grandeur 
inexprimable et qui confond l'imagination , d'une hauteur 
qui surpasse nos conceptions, tournent, roulent autour de 
ce grain de sable, et traversent chaque jour, depuis plus 
de six mille ans, les vastes et immenses espaces des cieux. 
Toillez-vous un autre système, et qui ne diminue rien du 
merveilleux? La terre elle-même est emportée avec une 
rapidité inconcevable autour du soleil, le centre de l'uni- 
vers*. Je me les représente, tous ces globes, ces corps ef- 
froyables qui sont en i^arche ; ils ne s'embarrassent point 
l'un l'autre , ils ne se choquent point, ils ne se dérangent 
point : si le plus petit d'eux tous venait à se démentir et 
à rencontrer la terre, que deviendrait la terre? Tous au 
contraire sont en leur place, demeurent dans Tordre qui 
leur est prescrit, suivent la route qui leur est marquée, et 
si paisiblement à notre égai^d, que personne n'a l'oreille 
assez fine pour les entendre marcher, et que le vulgaire ne 
sait pas s'ils sont au monde. économie merveilleuse du 
hasard! l'intelligence même pourrait -elle mieux réussir? 
Une seule chose , Lucile , me fait de la peine : ces grands 
corps sont si précis et si constants dans leur marche, dans 
leurs révolutions et dans tous leurs rapports , qu'un petit 
animal relégué en un coin de cet espace immense qu'on 
appelle le monde , après les avoir observés, s'est fait une 
méthode infaillible de prédire à quel point de leur course 
tous ces astres se trouveront d'aujourd'hui en deux, en 
quatre, en vingt mille ans. Voilà mon scrupule, Lucile ; si 
c'est par hasard qu'ils observent des règles si invariables, 
qu'est-ce l'ordre? qu'est-ce que la règle? 

Je vous demanderai même ce que c'est que le hasard : 
est-il corps ? est-il esprit ? est-ce un être distingué des au- 
tres êtres, qui ait son existence particulière, qui soit quel- 
que part? ou plutôt n'est-ce pas un mode, ou une fago 



I. Non pts le centre de l'onifers, mai» le centre de notre système plané- 
taire : la Bruyère répète à tort l'expression que l'on employait d'ordinaire. 
Après a?oir donné pour point de départ à son argumentation le système 
qui avait encore le plus grand nombre de partisans, il en Tient à celui 
qu'arait exposé Fontenelle dans ses Entretiens nir la pluralité des 
mondes. Ce traité, dans lequel Fontenelle expliquait avec clarté la théorie de 
Copernic, de Galilée, de Gassendi, etc., ainsi que le système de Descartes 
sur les tourbillon:^, avait paru en 16S6. 



DfiS ESPRITS FORTS. 361 

d'dtre? Quand une boule rencontre une pierre, Ton dit: 
c'est un hasard; mais est-ce autre chose que ces deux corps 
qui se choquent fortuitement? Si par ce hasard ou cette 
rencontre la boule ne va plus droit, mais o'bliquemént; si 
son mouvement n'est plus direct, mais réfléchi ; si elle ne 
roule plus sur son axe, mais qu'elle tournoie et qu'elle pi- 
rouette, conclurai-je que c'est par ce même hasard qu'en 
général la boule est en mouvement? ne soapçonnerai-je pas 
plus volontiers qu'elle se meut ou de soi-mAme, ou par Tim- 
pulsion du bras qui l'a jetée? Et parce que les roues d'une 
pendule sont déterminées Tune par l'autre à un mouvement 
circulaire d'une teUe ou telle vitesse, ezaminerai-je moins 
curieusement quelle peut être la cause de tous ces mouve- 
ments, s'ils se font d'eux-mêmes ou par la force mouvante 
d'un poids qui les emporte? Mais ni ces roues, ni cette 
boule, n'ont pu se donner le mouvement d'eux-mêmes ', ou 
ne l'ont point par leur nature, s'ils peuvent le perdre sans 
changer de nature : il y a donc apparence qu'ils sont mus 
d'ailleurs, et par une puissance qui leur est étrangère. Et 
les corps célestes, s'ils venaient à perdre leur mouvement, 
changeraient -ils de nature? seraient- ils moins des corps? 
Je ne me l'imagine pas ainsi ; ils se meuvent cependant, et 
ce n'est point d'eux-mêmes et par leur nature. 11 faudrait 
donc chercher, ô Lucile, s'il n'y a point hors d'eux un prin- 
cipe qui les fait mouvoir; qui que vous trouviez, je l'ap- 
pelle Dieu. 

Si nous supposions que ces grands corps sont sans mou- 
vement, on ne demanderait plus, à la vérité, qui les met en 
mouvement, mais on serait toujours reçu à demander qui 
a fait ces corps, comme on peut s'informer qui a fait ces 
roues ou cette boule ; et quand chacun de ces grands corps 
serait supposé un amas fortuit d'atomes qui se sont liés et 
enchaîna ensemble par la figure et la conformation de 
leurs parties, je prendrais un de ces atomes et je dirais : 
Qui a créé cet atome ? Est-il matière ? est-il intelligence ? 
A-t-il eu quelque idée de soi-même , avant que de se faire 
soi-même? 11 était donc un moment avant que d'être; il 
était et il n'était pas tout à la fois ; et s'il est auteur de son 
être et de sa manière d'être, pourquoi s'est-il fait corps 

1. La gnimiiairt exig» d'elUs^minuê» 



ses CHAPITRl XVI. 

plittM <ttL*Mpritr Bien pliiB, eel atome a'a^i^l fôidt MnW 
mencëT esi-il étemslt etUîl infini Y 7ertt«^toiift «n Dién de 
mi «tome ' ? 

f Le oiron**! des yetit» il M détourne à U retioofttM dM 
objelt <|ai lui pourraient aaire; quand on lé met Mr de Té* 
Moe pour le mienx remarier, si^ dans la temps ftt*il tnaf- 
ohe yen on c6ttf , on lui présente le taolodri fëtn, il ehaa^ 
de route x eatH^e un jeu da hasird qaa een oriataUln^ aa fé*- 
tine et ton nerf optique t 

L'on Toit dans une goutte d*eau qtia le paiYfê ^*M )r 
a mia tremper a altérée» nn nombre presque fnnombrabie 
de petits animaaX) dont la miofoâoope nous fait apercetoir 
la fifnre^ et qui ae meuyent atea une i*apiditd incroyable 
comme autant de monstres dans une TsAte tner ; tbaoun de 
ces animaux est plus petit mille fois qu'un éiroil ^ et néan* 
Boitia c'est un e<M*ps qui vit ^ qui se nourrit^ qui oh>ît, qui 
doit atoir des musoles, des vaisseaux équivalents sût Yêi«^ 
aea^ aux nérlUi aux artères^ et un terreau pollf distributtt 
Iss sBpriti animaux'. 

Une taehe de moisissure da la (grandeur d*an igtixt. ds 
aable parait dans le tniorôseope eomma un amaa de p1qn> 
aieUM plantes très-distiattas, dont les unes eut das fieufs, 
les autres das ChiitS; il y en a qui liront que éèi boutons I 
demi ourarts ; il y an a qualques^mes qui sant fanéas t dé 
quells étrange petitesse doiveiit èti^ les racines et les filtires 
qui séparent les aliments de ces petites plantes I Et ai Ton 

mat à canalddrar qua aaa plantes ant laufs f faines, ainsi 



1. FéneloD s'arrêtera plu iMgoemeBt, dans «on Traité je Vtivtmm Jê 
0fM«, àts itréoTft dèk EpItmifeSB, (|ai, après tèuclppe, Héitaoc^^tè et uen 
é'mtras aivisiSeBi les tarpa en Égréuftia et M auwea. bMè ISot Sc xl rtas » 

Jeft atomes, corps élémeniaires dont se comoiisent len agFMats» aoet 
liSfiiels es èarte, itoltis e& ntftibre, et doués, ^S loate élérnltt^. do teoa» 
▼eveiit qmiieeryeraietiile se iwicoiiCl^r et Se se senfeMM^ Ce Syeièiaè S 
été exposé par Lucrèce dans le De naiwra nnmu et par Gasseedi dan* eaa 
trattQk But Êpteure. n a «té robjei de l^oml^reiisas réfutatlotas. 

s» PMcal alwBi s'eM seHi Su eifOn Sém soti «lasiieBlfeiioiH «I «oSi « 
montré « daas la petitesse de Mti corps des parties i nr^imjparableipeiit 
p\ùB petStes, des Jttabes avBc^es )ointiite8, de& reities daos ces jambes, de 
sang dase ces veiiiesi» des htmeura dstis ce saSg^ aii gOutUa Smié tas 
humeurs, etc. » 

^. « les e5]f>f1tk sont le» patt!^ m )>)us Volatiléi du (Sbrp^, HfA séhrènti 
flUre toutes ses «pélvtioiMk Lea esprits «mtmosA; «oiit Ufcs wcjA «rèeaBuSUIè 
et très-mobiles coutenus dans le cerveau et dans les nerfs ; ils sont les 
auteurs du sentiment et du monvernoot animal. » {Dict, de Tréwmx,) La 
théorie des esprits animaux est depaia ^TrgtirmpB tOTaisiifi par ia seieMe. 



DES ESPIUTS FORTS. 363 

qad Ito cMies ^t les pins^ et que ôsb pttUs immawc dont 
' )6 tieliÀ dtt patlvr m multiplient par Toie de génération, 
comme Idê ^léphaftts et les baleines, où cels ûe mène<>t-il 
poiiitr Qtiii A BU travAiller à des outragés si délicuts, si ûû^ 
qui édhftpp«ilt à U vQt des hommes^ et qui tiennent de 
l'infitii eo&me les lûeux^ bien que dftitt l'autre extrémité ? 
Ife seràii-éd poiut celui qui a foit leé cieui^ les astres, ces^ 
masses énormee^ époufantables pat leur grandeur, par leur 
léléVatien» par U rapidité et l^teudua de leur eeurse) et qui 
«e joue de left ftiire teouVoir? 

^ U <ft8t de fait qtté i'bomme jouit du soleil^ des afetreSi 
€esoîéuic et de leurs influmoes^ eomme il joût de Fair 
qu'il respiré, et de la terre sUr laquelle il marehe et qui le 
èontient; et s'il flallait ajouter à là certitude d'un fait la 
êonvenance ou là vraisemblànoe, elle y est tout entièrei 
puisque les ^ieux et tout eu qu'ils conti^oneiit ne peuvent 
pas entrer en comparaieon^ pour la aioblesse et la dignité, 
ureo le moindre des hommes qui sont sur la terre , et que 
la propoMo)! qdi se trouvé entre «us et lui est «elle de la 
matière incapable de eeûtiment, qui eAt sevdeoient une éten« 
due selon trois dUuetisioiiB , à ce qui est esprit, raison^ ou 
intelligence *. Si Ton dit que l'homme aurait pu se passw 
Il moins pour sa eonâertuUon^ je réponds que Dieu ne pou<- 
tait moin» faire pour étaler eon poutoir, %a bonté et sa 
matipQifi^eiiOe) puisque, quelque chose que nous Toyions 
qu'à ait fait', il pouvait faire infiniment davantage. 

Le xhohd« ^kAiét^ e'ti eet ùit pour Thomme, eet littéra- 
lement la moiuâre choee que Dieu ait fait pour l'homiifte; 
!à preuve e*ett tire du fend de la religion : eu n'est àai» 
Yd vanité ni présomption à l'homme de se rendre au^ ses 
avantages à la forée de la Vérité \ ce aérait en lui stupidité 
«t aveuglement de 4ie pae ee laisser containere par Teii»- 
ohaiuemeiàt des preuves dont la religion dé sert pour lai 



1. « L*hoMi6 fi^st cpi'iiB h»MM. te i^lut Caibl^ Ab U nature , mais c'est on 
roaeao pensant. U ne faut pas que Vunivers entier sWmb pour l^écraser : 
une YSpetir, utB goutte &\xA somi p^nr le ttier. Mais ^uand ranirers l'écra- 
serait, l'homme 8erait encore plus noble que ce (]ui le lue, parce qu'il sait 
qu'il meurt, et ravaniage que TuniTers a sur lui, l'univers n'en s^iit rien. 
Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous 
feleveir, non dtt l^sptce eitfe 4à datév» » (Fateaii) 

3. Ni tiens cette pMtM «i éMOt iieaea ptaa Mat U Bnike n'a Jhil 
accorder le participe. 



364 CHAPITRE XYI. 

faire connaître ses privilèges, ses ressources , ses espéran- 
ces, poar lui apprendre ce qu'il est et ce qu'il peut devenir. 
— Mais la lune est habitée ; il n'est pas du moins impos- 
sible qu'elle le soit *. — Que parlez-vous, Lucile, de la lune, 
et à quel propos? En supposant Dieu, quelle est en effet la 
chose impossible? Vous demandez peut-être si nous som- 
mes les seuls dans l'univers que Dieu ait si bien traités ; 
s'il n'y a point dans la lune ou d'autres hommes, ou d'au- 
tres créatures que Dieu ait aussi favorisées? Yaine curio- 
sité I frivole demande! La terre, Lucile, est habitée; nous 
rhabitons, et nous savons que nous Thabitons ; nous avons 
nos preuves, notre évidence, nos convictions, sjir tout ce 
que nous devons penser de Dieu et de nous-mêmes ; que 
ceux qui peuplent les globes célestes, quels qu'ils puissent 
être, s'inquiètent pour eux-mêmes ; ils ont leurs soins , et 
nous les nôtres. Vous avez, Lucile, observé la lune, vous 
avez reconnu ses taches, ses abîmes, ses inégalités, sa hau- 
teur, son étendue, son cours, ses éclipses : tous les astro- 
nomes n'ont pas été plus loin. Imaginez de nouveaux in- 
struments, observez-la avec plus d'exactitade : voyez-vous 
qu'elle soit peuplée, et de quels animaux? ressemblent-ils 
aux hommes ? sont-ce des hommes? Labsez-moi voir après 
vous; et si nous sommes convaincus l'un et l'autre que 
des hommes habitent la lune, examinons alors s'ils sont 
chrétiens, et si Dieu a partagé ses faveurs entre eux et 
nous. 

^ Tout est grand et admirable dans la nature; il ne s'y 
voit rien qui ne soit marqué au coin de l'ouvrier ; ce qui 
s'y voit quelquefois d'irrégulier et d'imparfait suppose 
règle et perfection. Homme vain et présomptaeax I faites 
un vermisseau que vous foulez aux pieds, que vous mépri- 
sez : vous avez horreur du crapaud, faites un crapaud, s'il 
est possible. Quel excellent mattre que celui qui fait des 
ouvrages, je ne dis pas que les hommes admirent, mais 
qu'ils craignent 1 Je ne vous demande pas de vous mettre à 
votre atelier pour faire un homme d'esprit, un homme bien 
fait, une belle femme; l'entreprise est forte et au-dessus 



1. Voyez, dang les Entretiens iwr la pluralité de$ mondtSy les ingé- 
nieux chapitres que Fontenelle a consacres à l'bypoUièse qui de la Inné el 
des planète» fait des terres habitées. 



DES ESPRITS FORTS. 365 

de vous : essayez seulement de faire on bossu, un fou, un 
monstre, je suis conteot. 

Rois, monarques, potentats, sacrées majestés, vous ai-je 
nommés par tous tos superbes noms? grands de la terre, 
très-hauts, très-puissants, et peut-être bientôt tout-puissants 
seignewrSy nous autres hommes nous avons besoin pour nos 
moissons d'un peu de pluie , de quelque chose de moins, 
d'un peu de rosée : faites de la rosée, envoyez sur la terre 
mie goutte d'eau. 

L'ordre, la décoration, les effets de la nature, sont popu- . 
laires*; les causes, les principes, ne le sont point. Deman- 
dez à une femme comment un bel œil n'a qu'à s'ouvrir 
pour voir, demandez-le à un homme docte. 

^Plusieurs millions d'années, plusieurs centaines de 
millions d'années, en un mot tous les temps, ne sont qu'un 
instant, comparés à la durée de Dieu, qui est étemelle : 
tous les espaces du monde entier ne sont qu'un point, 
qu'un léger atome, comparés à son immensité. S'il est 
ainsi, comme je l'avance, car quelle proportion du fini à 
l'infini T je demande : Qu'est-ce que le cours de la vie d'un 
homme T qu'est-ce qu'un grain de poussière qu'on appelle 
la terre? qu'est-ce qu'une petite portion de cette terre que 
l'homme possède et qu'il habite? — Les méchants prospè- 
rent pendant qu'ils vivent.-^ Quelques méchants, je l'avoue. 
— - La vertu est opprimée et le crime impuni sur la terre. — 
Quelquefois, j'en conviens. — C'est une injustice. — Point 
du tout : il faudrait, pour tirer cette conclusion, avoir prouvé 
qu'absolument les méchants sont heureux, que la vertu ne 
l'est pas, et que le crime demeure impuni ; il faudrait du 
moins que ce peu de temps où les bons souffrent et où les 
méchants prospèrent eût une durée, et que ce que nous 
appelons prospérité et fortune ne fût pas une apparence 
fausse et une ombre vaine qui s'évanouit; que cette terre, 
cet atome, où il paraît que la vertu et le crime rencontrent 
si rarement ce qui leur est dû, fût le seul endroit de 
la scène où se doivent passer la punition et les récom- 
penses. 

De ce que je pense, je n'infère pas plus clairement que 
je suis esprit, que je conclus de ce que je fais ou ne fais 

i. SuDt oonnas de tout. 



MO CBAPHRC XVI. 

pomlt selon qu-U »• platt, qut )« mut Ulu» t or, Hberté, 
c'est choix, autrement une détermination volontaire aa 
bien eu au mal, et ainsi une aotion k)nne ou mauvaise, et 
oe qu'on apelle Tertu ou cnme. Que le erime absolument 
toit impuni» il est rrai, e^eat iDJuatiee ; q^-il Te aoit sur la 
terre, e'eat un mystère. Supposons pourtant, ayeo i^aihée, 
qne tt*est injuatiee s tente injustice est i|ne négation on 
une privation 4e justiee ; donc toute in justice snppoae jus* 
tice. Toute justice est' une conformité à une souveraine 
raieon i je demailde, en effet, quand il n'a pas été raison- 
naUe que le crime seit puni, à ipoins qn^on ne dise que 
e'est quand le triangle avait moins de trois angles; or» 
toute conformité à la raison est une vérité) oetta oonfom» 
mitéy nomme il vient d'ôtre dit, a toujours été; elle est 
done de oelles que Ton appelle des étemelles vérités. Getta * 
vérité, d'ailleurs, ou n^est point et ne peut être, ou elle est 
Tobjet d'UAO eennai^sanee; elle est dono éternelle, cetto 
eonnais^enoe, et e^eat Dieu. 

l<es dénoùineute qui déeouvreut les erimçs les plus ea^ 
çbéiK, et oti le précaution des eoupables poar loi déroben 
ev% jreus dee liommea a été plus grande, paraissent si sim* 
ples #t si faeiloa qu'il semble qu'il n*y ait que Bleu seul 
qui puisse en (tre l'auteur; et les faits d^ailleum que Ton en 
repporte sont en si grand noiQbre, que sHl platt à quelques- 
uns da les attribuer à de purs hasarda, i} faut dono qu'ils 
eoutiennent que le basard, de tout temps, a passé eu eeu« 
tMme* 

■% 8i vous feitee eette supposition que tous les bommea 
qui peuplent la terre, sans exoeption, soient ebacun dans 
Tabondanoe, et que rien ne leur manque, j'infère de là que 
uul bomme qui est sur la terre n'est dans l'abc^Ddanee, et 
que tout lui manque. Il n-j a que deux sortes de richesses, 
et auxquelles les autrea se rédtjlsent, l'argent et les terres t 
si tous sont riobes, qui cultivera les terres, et qui fouillera 
les mines? Geui qui sont éloignés des mines ne les fouille- 
ront pas, ni oeux qui bebitent des terres incultes et miné- 
rales ne pourront pas en tirer des fruits. On aura recours 
au oommerea, et on le suppose. Mais si les bpmmes abon- 
dent de biens, et que pul ne soit dans le oss de vivre pan 
son travail, qui transportera d'une région à une autre les 
lingots ou les choses échangées T qui mettra des vaisseaux 



DEia aSPfUTS FORTS. 387 

m nil^r ^ <m ^^ Pbargera 46 }69 Qon4uireT iini «itF^pvwidra 
des caravanes? Oq manquera alor^ 4u p^cessi^ir^ 9% 4^9 
choses utiles. S'il n'y a plus de besoins, il n'y a plus d'arts, 
plus de sciences, plus d'invention, plus de mécanique ^ 
D'ailleurs cette égalité de possessions et de richesses en 
établit une autre dans les conditions, bannit toute subor- 
dipation, réduit les hommes ^so servir euif-mêmesy et à ne 
pouvoir être secouroi lisa uns des antres, r#nd les lois fri- 
Yoles et inutiles, entraine une janarcliie universelle, attire 
la violence, les injures, les massacres, l'impunité. 

Si vous supposez, au contraire, que tous les hommes sont 
pauvres, en vain le soleil se lève pour eux sur l'horizon, 
en vam il échauffe la terre et la rend féconde, en vain le 
ciel verse sur elle ses influences, les fleuves en vain l'arro- 
»sent et répandent dans les diverses contrées la fertilité et 
l'abondance ; inutilement aussi la mer laisse sonder ses 
abîmes profonds, les rochers et les montagnes s'ouvrent 
pour laisser fouiller dans leur sein et en tirer tous les tré- 
sors qu'ils y renferment. Mais si vous établissez que, de 
tous les hommes répandus dans le monde, les uns soient 
riches et les autres pauvres et indigents, vous faites alors 
que le besoin rapproche mutuellement les hommes^ les lie. 
les réconcilie : ceux-ci servent, obéissent, inventent, tra- 
vaillent, cultivent, perfectionnent ; ceux-là jouissent, nour- 
rissent, secourent, protègent, gouvernent : tout ordre est 
rétabli, et Dieu se découvre. 

^ Mettez l'autorité, les plaisirs et l'oisiveté d*un côté; 'la 
dépendance, les soins et la misère de l'autre: ou ces choses 
sont déplacées par la malice des hommes, ou Dieu n'est pas 
Dieu. 

Une certaine inégalité dans les conditions, qui entretient 
l'ordre et la subordination, est l'ouvrage de Dieu, ou sup- 
pose une loi divine : une trop grande disproportion, et telle 
qu'elle se remarque parmi les hommes, est leur ouvrage, 
ou la loi des plus forts. 

1. t Le docte et éloqaent saint Jean Chrysostome nons propose une 
belle idée pour connatlre les aVantuges de la pauYreié sur les richesses. I! 
BOUS représente deux Tilles, dont i'ttoe ne soit composée qae de riches, 
loutre n'ait qae des pauvres dans son enceinte : et il examine ensuite 
laquelle des deux est la plus puissante.... Le irrand saint Chrysostome oon- 
clut peur les pauvres. • (Bossuet, Sirmon êurVémin^ntê dignité deifiauvrêi 
dam l'EgJin.) 



368 CHAPITRE XVI. 

Les extrémités sont Tieieuses, et partent de l'homme; 
tonte compensation est juste, et Tient de Dien. 



Si on ne goûte point ces Caractères, je m'en étonne; et 
si on les goûte» je m'en étonne de même. 



FIN DBS CARACTÈRES. 



DISCOURS 

PRONONCÉ DANS 



L'ACADÉMIE FRANÇAISE 

LE LUNDI QUINZIÈME JUIN 1693. 



PRÉFACE 



Ceux qui, interrogés sur le discours que je fis à TAcadé- 
mie française le jour que j'eus l'honneur d'j être reçu, ont 
dit sèchement que j'avais fait des caractères, croyant le blâ- 
mer, en ont donné l'idée la plus avantageuse que je pouvais 
moi-même désirer : car, le public ayant approuvé ce genre 
d'écrire où je me suis appliqué depuis quelques années, c'était 
le prévenir en ma faveur que de faire une telle réponse. U 
ne restait plus que de savoir si je n'aurais pas dû renoncer 
aux caractères dans le discours dont il s'agissait ; et cette 
question s'évanouit dès qu'on sait que l'usage a prévalu 
qu'un Douvel académicien compose celui qu'il doit pronon- 
cer le jour de sa réception de l'éloge du roi, de ceux du 
cardinal de Richelieu, du chancelier Séguier, delà personne 
à qui il succède et de l'Académie française. De ces cinq 
éloges, il y en a quatre de personnels ; or, je demande à mes 
censeurs qu'ils ipe posent si bien la différence qu'il y a des 
éloges personnels aux caractères qui louent, que je la puisse 
sentir et avouer ma faute. Si, chargé de faire quelque autre 
harangue, je retombe encore dans des peintures, c'est alors 
qu'on pourra écouter leur critique et peut-être me condam- 
ner; je dis peut-être, puisque les caractères, ou du moins 

24 



370 DISCOURS A L'ACAD]£mIE. 

les images des choses et des personnes; sont inévitables 
dans l'oraison, que tout écrivain est peintre, et tout excel- 
lent écrivain excellent peintre. 

J'avoue que j'ai ajouté à ces tableaux, qui étaient de com- 
mande , les louanges de ebacun des hommes illustres qui 
composent l'Académie française, et ils ont dû me le par- 
donner, s'ils ont fait attention qu'autant pour ménager leur 
pudeur que pour éviter les caractères, je me suis abstenu 
de toucher à leurs personnes, pour n« parler que de leurs 
ouvrages, dont j'ai fait des éloges publics -plus ou moins 
étendus, selon que les sujets qu'ils y ont traités pouvaient 
l'exiger. J'ai loué des académiciens encore vivants, disent 
quelques-uns. Il est vrai ; mais je les ai loués tous : qui d'entre 
eux aurait une raison de se plaindre ? C'est une coutume 
toute nouvelle, ajoutent-Us, et qui n'avait point encore eu 
d'exemple. Je veux en convenir, et que j'ai pris soin de m'é- 
carter des lieux commuas et des phrases proverbiales usées 
depub si longtemps pout ftvoir servi à un nombre infini de 
pareils discours depuis la naissance de FAcadémie française. 
M'était-il donc si difficile de faire entrer Rome et Athènes, 
le Lycée h le ï^ortiqtie dans l*éloge de cette savante com- 
pagnie t Êttè au cotnbîe de ses \)œux de se ^oir académicien; 
protetltêr, ^Ht te jour où Vofi jouit pour la première fois d'un 
;it tùfe hùtiheuf est le jour le plus beau de sa vie; douter si cet 
honitèii^ iju^Wi ^ieni dè'fècei'oir ^st une chose vraie ou qu'on 
nU sonjgiée; espérer de puiser désormais â la source les plus 
pures ètiuiaD d» VétoqueHcè française; n^âvoir accepté, n'avoir 
désM ttne Ulk place <jue pour profiter des lumières de tant de 
fer^ùnnesri êchxirées ; pimente que, tout indigne de leur choix 
Qtt'ôn seYemmatt^ on s^efforc&ra de s* en rendre digne : ceiâ 
autres lormuhs de pxtreils compliments sônirelles si rare^ 
tst si preu connues que ^e n'eusse pu les trouver, les placer, 
et feu mériter des applaudissementst 

"PafdB dionc que j'ai cru que, quî)i que l'envie et l'injtig. 
tieepiMent de PAcadémie f^nçaisô, quoi qu'elles Veuillent 
dire de ison â^e d'or et de sa décadence, elle û'a jamais, 
depuis son établissement, rassemblé un si grsrnd nombre de 
^«frsentttges illustres par toutes sortes de talents ôt en tout 
genre d'érudition qu'il est facile aujourd'hui d^ en remar- 
quer; et que, dans cette prévention où je sois, je n'ai pas es- 
péré que cette eompagnie pût être une autre fois plus l^eile k 



PRÉFACE. 371 

-ptfaidAfiii pvit^^âau ma jour ^«ft ftivonKbk^vt^iia jenB 
«itls servi de ro^ocamoft, «i-je rien âiil qui doi^ tn'atiirer i« 
iMittâKs ?»prooiMB? Gioéron a {hi louer impunémeiâ BnM- 
'tae^, Gésar^ fompôe, MatmIIus, qui étaient maato, qi^ 
étaiefft préseiits ; il les b tooéa plwiasiv Ioib; il ka « l&ute 
-aank, dam le eéiial, aoaveiit^n présaaoa de teammnsima, 
itoujoatt de^raflttiae oompagnia jalouse de isnr^méiila^ et 
^qui avait bien d'autres déjâcateases depdx^que sur la Teetu 
des grands hommes que iite4Uuiaît avoir rAoadémie tgax^ 
faite. ^*ai lo«é te académiftieiis, je les ai lowb toua^ «t ce 
«'a pu ité «spiiiiëBient : qoe^na aeradt^l-aitivé si j^Jbm 
«vais blâmés toi»? 

Je «MHS dVMmdre^a dit Tbéobald6%«iie yntada Maàm 
à oN m g m ^ai «t'a faâ kàiUet tnmgt ^4$^ m qmi taVumnafi^ il 
.la mert. Voilà ce qu'il e dit, et voilà ensuite «e qu^il a fait, 
lui et. pea dVàutres* qui eut ara devoir eatiar dam les anè- 
mes intérêts. Us partirent pour ta eotir le lendemain ûb la 
l»oiiencktioa de «la harangue; ils altôreat^eittaleoaaan 
nafao^ ; ile dirent ai» personnes «après de qui llipettt4M- 
Hila que jeleut avais batfontié la veiUe un diaoeoca oè iin'y 
avait ni «t?fle ni «eus cemmunt qui était «empli d^aalra^ra^ 
{fUBoes, et une vraie eatîre. Itoveniisà Paris, ilaaeeantoB^ 
fièrent dans divers quartiers, où ils répandirent tant de 
muok eaatre naei) e^aehanièreat si fort à dJUamer aetle ha- 
"tangue, itoît dans leurs eonversatioiis, seitihine les lettieB 
qu'as écriûvttità leurs amis dans les prc^nees, en dirent 
lantdetnal, elle persuadèrent ai IMement à qui ne favidt 
pas antendae, qu'as arurent pouvoir insinuer au «publk, on 
que les caractères tedts de la même mainiitaietttttauivia, 
AU qaa s'ila étaient .hoas^ je n'en étais paa.nauteac» mais 
tqu*une femme de meattmiesin^vait 'faumii» qu'il y avait 
de plaa aapportahle. 2k piottaacèfant4aaid4ua je n'itais 
.^as capable de faire tien ide suivi, pas même la moindre 
{iréfaGe ; tant ik «atimaîwit impBattaaUaàim homme mâme 
qui lest dans Thabitude de penser, et d*iécrire ce qu'il 
pense, Part de lier ses pensées et de faire des tranaitiooa. 

Us firent phn '. violant les lois de l'At^adémie fransaisoi 
^ défend aux aeadémieieps d'éoiiee an deilaira jéarira aon* 

1. théobkiae ML labs aacim doote, fomeséDsi ^ ISintt partia te 

rAcadèmie depuis deux ans. 
3. Et quelques autre». 



372 DISCOURS A L'ACADÉMIE. 

tre leurs confrères, ils lâchèrent sur moi deux auteurs asso- 
ciés à une même gazette *; ils les animèrent, non pas à 
publier contre moi une satire fine et ingénieuse, ouyrage 
trop au-dessous des uns et des autres, facile à manier^ et 
dùtU lee tnoindree espriU ee trouvent capables *, mais à me dire 
de ces injures grossières et personnelles, si difficiles à ren- 
contrer, si pénibles à prononcer ou à écrire, surtout à des 
gens à qui je veux croire qu'il reste encore quelque pudeur 
et quelque soin de leur réputation*. 

Et en Térité je ne doute point que le public ne soit enfin 
étourdi et fatigué d'entendre, depuis quelques années, de 
Tieux corbeaux croasser autour de ceux qui, d'un vol libre 
et d'une plume légère, se sont élevés à quelque gloire par 
leurs écrits. Ces oiseaux lugubres semblent, par leurs cris 
continuels, leur vouloir imputer le décri universel où tombe 
nécessairement tout ce qu'ils exposent au grand jour de 
Pimpression ; comme si on était cause qu'ils manquent de 
force et d'haleine, ou qu'on ddt être responsable de cette 
médiocrité répandue sur leurs ouvrages. S'il s'imprime un 
livre de mœurs assez mal digéré pour tomber de soi-même 
et ne pas exciter leur jalousie, ils le louent volontiers, et 
plus volontiers encore ils n'en parlent point; mab s'il est 

t. Le Merewrêffolanit comme la Broyèrt preod soin de le dire dans une 
noie. Les deux associés sont de Visé et Thomas Corneille. Dans le récil 
qu'il avait fait de la séance de réception de la Bruyère, de Visé avait serri 
ses propres rancunes tout en servant celles de Fonienelle et de Thomas 
Corneille. 11 n*avaii pu. pour son compte, oublier le mépris avec lequel l'an- 
teur des Car€u:tiru s'euit exprimé sur le Jfercur» (voyei le chap. de» Ou- 
erooes de l'Esprit^ p. 19) ; et de leur c6ié, le neTeu et le frère du grand Cor^ 
neilîe avaient été profondément blessés des termes dans lesquels il avait loué 
Rseine en entrant à l'Académie. 

2. La Bruvère revient à plusieurs reprises dans cette préface sur les at- 
taques que le Mercure aalant avait dirigées contre lui et contre son livre. 
Voici à quel passage il (ait allusion dans cette phrase : • Rien n'est plus aisé, 
disait le Jfsretiff , que de faire trois ou quatre pages d'un portrait qui ne 
demande point d'ordre, et ii n'y a point de génie si borné qui ne soit ca- 
pable de coudre ensemble quelques médisances de son prochain et d'y 
i^outer ce qui lui pantlt capable de faire rire. » En essayant à son tour de 
faire le caracibre de la Bruyère, de Visé a suffisamment montré, par son 

Eropre exemple, que la satire n'est point aussi facile à manier quHI Teat 
ienledire. 

S. De Visé l'sTait sccusé d'avoir « voulu fitire réussir son livre à force de 
dire du mal de son prochain, » d'avoir mis à profit « le désir empressé 
qu'on a de voir le mal que l'on dit d'une infinité de personnes distinguéea.» 
d'avoir «calomnié toute la terre, «d'avoir obtenu son admission à l'Académie 
par les plus foi tes intrigues qui aient jamais été faites, » etc. De leUcs 
accusations etpli(tpent et excusent la vivacité avec laquelle la Bruyère ré' 
pondit à la diatribe du Mircun^ 



PRÉFACE. 373 

tel que le monde en parle, ils rattaqnent arec furie. Prose, 
vers, tout est sujet à leur censure, tout est en proie à une 
haine implacable, qu'ils ont conçue contre ce qui ose pa- 
raître dans quelque perfection et avec les signes d'une ap- 
probation publique. On ne sait plus quelle morale leur four- 
nir qui leur agrée ; il faudra leur rendre celle de la Serre 
ou de Desmarets ', et s'ils en sont crus, revenir au Pédch 
gogue Chrétien et à la Cour Sainte. Il paraît une nouvelle 
satire écrite contre les vices en général, qui, d'un vers 
fort et d'un style d'airaln« enfonce ses traits contre Tavarice, 
Texcès du jeu, la chicane, la mollesse, l'ordure et l'hypo- 
crisie, où personne n'est nommé ni désigné, où nulle femme 
vertueuse ne peut ni ne doit se reconnaître *, un Bourda- 
LOUB en chaire ne fait point de peintures du crime ni pluff 
vives ni plus innocentes ' : il n'importe, a^est médisance ^ c^est 
ca^omme.Yoilà, depuis quelque temps, leur unique ton, celui 
qu'ils emploient contre les ouvrages de mœurs qui réus- 
sissent : ils y prennent tout littéralement, ils les lisent 
comme une histoire, ils n'y entendent ni la poésie ni la 
figure ; ainsi ils les condamnent ; ils y trouvent des endroits 
faibles : il y en a dans Homère, dans Pindare, dans Virgile 
et dans Horace : où n'y en a-t-il point? si ce n'est peut-être 
dans leurs écrits. Bernin * n'a pas manié le marbre ni traité 
toutes ses figures d'une égaie force ; mais on ne laisse pas 
de voir, dans ce qu'il a moins heureusement rencontré, de 
certains traits si achevés, tout proches de quelques autres 
qui le sont moins, qu'ils découvrent aisément l'excellence 
de l'ouvrier : si c'est un cheval , les crins sont tournés 
d'une main hardie, ils voltigent et semblent être le jouet 
du vent ; l'œil est ardent, les naseaux soufflent le feu et la 
vie; un ciseau de maître s'y retrouve en mille endroits ; il 
n'est pas donné à ses copistes ni à ses envieux d'arriver à 
de telles fautes par leurs chefs-d'œuvre : l'on voit bien que 
c'est quelque chose de manqué par un habile homme, et 
une faute de Praxitèle. 
Mais qui sont ceux qui, si tendres et si scrupuleux, ne 

1. Jean Poget de la Serre (1000-1005), très-fécond et très-médiocre an- 
teur, queBoilean a soutcdi raiUé. Voyez sur Desmarets, page 123, note 7. 

9. La 10* satire de Boileau. 

3. VoYes page 339, note 3. 

%• 11 était récemment arrivé à Versailles nne statne éqnestre da Bernin. 
sculpteur italien, mort en 168O, mû avait été l'objet de Tires critiques. 



374 DISCOURS ▲ t'àOJyiVJE. 

ymPNfùX mloio wippoitor que, sans bless«r et sans nommw 
ks yioieiii, on sa déclare contra le vice? sont-ca des cluor^ 
tr««x at des aoliuires? SonWce las jésuites, bommaa fûaux 
et éclairés? soot-ca cas hommes religieux qui habiUnt aa 
Fsaaoa les aloUrea ai las abbajesT Tavw, au conlfaûra, 
Useal ses sortes d'ouvrages, et an particulier, et eu public^ 
à lasra réoréatioos; ils en inspirant la laoUira à leurs petK 
aiosnaives^ k leuraélérea; il»ea dépeuplent Isa boutiques^ 
ilalas aanservent dana leuvabibliotbÂques. N'ool^ila pas les 
paaiûeia raconna la plan et Vécanomie du U^re des Çanti^ 
feras? M'oDt»ils pas obsavvé que» de seize chapitres qui la 
aompeaaDt^ il y ea a quinse qui, s'attachant à découvrir le 
bus et le ridicule qui se reneontrent dans las ob]eta des 
passions et des attachements humains, ne tendent qu'à rui^ 
ser tous les obstacles «pu affaiblissent d'aboi et qui étai- 
g;BSBt ensuite, dans tous las hommes, la connaissance da 
Biei^ : qu'râsi Us ne soat que des préparations au 8ai%i4mA 
et darnÂar ahapitre, ad Vaûiëisme est attaqué, et peut>4txo 
eeofoadtt v oit les prévoies de Dieu, une partie du moine, da 
eellee que les taibtee hommea sont capables de reoevo?^ 
dans leur esprit, sont apportées ; où la providence de lùi^m 
eal défendue contre Finsulte et les plaintes dea ly^ertinat 
Qfii sont donc oeux qui eseat répéter contre «a ouvrage ai 
aérieux et si utile ee continuel re&aîn : CTesé tnédiwneê^ 
^ut caLomfUél U faut les nommer ; ce sontdea poâtes; mais 
quela poëtea? des auteurs d'hjmnes saccées o» des tsadoo* 
leurs de psaumes, des Godeaux ou des Corneilles'? Noik 
mais des faiseurs de stances et d'éiégies amoureuses, de ce« 
beaux esprile qui tournent ua sonnet sur une absences ou 
S«p m retour, qui font une épîgramme sur une beUe gorge» 
fi ma madrigal sur une jouissance. Voilà ceux qui, paf 
éélioataasa dA consciene&, ne souDtreat qu'impatiemman;t 
qu'en méitageant les particuMers avec toutes lee précau* 
tiona que la» prudence peut suggérar, i'essayOf dans nuHi 
livre des Mœur$^ de décrier, s'il est possible^ tous les vices 
4u cmm et de Tesprit» de pendre Thomme msonnable et 
plus proche de devenir chrétien. Tels ont été les Théobal- 

• t. Antoioe Godeaa (f 6OS-1072), éTdqne de Gtmm «i de Veoce, s tradoft 
les Paaumea en vers français. Corneille a publié une Ua4acti«ji en iws de 

YJmitatiw d»J4>K»CfcHrt,qa> sae la pies snad»««iBA» «upcte ée Mi cen- 
temponîBi. 



PJIÉFACÏI- 375 

des, ou o^n^ du moins qpi trayaUleut sous exa et dans leur 
i^elieir. 

Ils.sQQteuQore allés plus loin ; car, palliaut^ d'u4Q politi- 
que ^lée le cliajriu de ue sfj sçotir pas ^ leur gxé si bieu 
lou49 et si longtemps que cbdcuu des autres aQadénpiQi.ens, 
ils. ont 0S.4 (aire des applications. déUcatei^ et d9,ngei:eu3ea 
dp, Ten droit de m^ baraugue où, m'e^posai^t seul, ^pire^idre 
le parti de tQujte Ig, littérature cqutce ieuMi plu§ terécpuci-i 
liabies euueuiis, g:eus. péQuuie.ux, <3[ue Vej^cègi d'açgesfcQU, 
qu'une fortune faite par de cejtainps vQieA. jointe \ la fjt- 
YeuT des^ grands qu'elle Ictur attire n.éceassiiremeut^ naè^j^. 
jusqu'à une froide insolence, je leur fais à. la. vérité ^ tQUSt 
une Yiye apostrophe» mai^ qu'il n'çsît, pas pernxis de détaur- 
uerde dessous eux pour la^rej^etei; sur u» sjeuj, et siy: Utvrfk 
autre. 

^jusi en usent à, mou égard,, excités peut«étj:e pa? lea 
Théobald^ ceu:ç qui, ce persuadant qu'un autour écritt 
seulement pour les amuser par la satire , ^ point du tou^ 

pour les instruire par une saina q^orale., au Ueu dp preçdre. 
pour eux et de faire servir à la coprectiou de l^ur^ luoiui^ 
les divers traits qui sont sçniés dans un Quvrs^e, s'aj^pli-. 
quent à découvrir, s'ils le peuvent,, quela de leurs amis ou 
de leurs ennemis ces traits peuvent regardej, négU^Qni 
dans un livre tout ce qui n'e&t que remarquej^ solides ou, 
sérieuses réflexion)^,, quoiqu'on si grand uonibre qu'elles 1^ 
composent presque tout entier,, pour ue s'arréteç qu'%a^ 
peintures ou aux caractères ; et, après les. a^voir expliqués^ 
à leur manière et en avoir cru trouver les originaux, don-»^ 
nent au public de longues listes, ou, comme ils les appellent,, 
desclefs ; fausses clefs, et qui leur sont aussi inutiles qu'elles 
sont injurieuses aux personues dont les noms a'; voient 
déchiffrés, et à l'écrivain qui en est la cause, quoique i^no* 
cente. 

J'avais pris la précaution de protester, dans une préface, 
contre toutes ces interprétations, que quelque connaissance 
que j'ai des hommes m'avait fait prévoir, jusqu'à hésiter 
quelque temps si je devais repdre mon livre publlQ, et k 
balancer entre le désir d'être utile à ma patrie par moi^L 
écrits, et la crainte de fournir à quelques-uns de quoi Qxer« 
cèr leur malignité. Mais, puisque j'ai eu la feiblesçQ du 
publier ces Çarqçj^ère9f quelle digue ^i^ver^l-je cQutre ç^ 



376 DISCOURS A L*ACADéMIE. 

délugd d'explications qui inonde la ville et qui bientôt ya 
gagner la cour? Dirai-je sérieusement, et protesterai-je 
avec d'horribles serments, que je ne sais ni auteur ni com- 
plice de ces clefs qui courent; que je n'en ai donné aucune; 
que mes plus famÛiers amis savent que je les leur ai toutes 
refusées; que les personnes les plus accréditées de la cour 
ont désespéré d'avoir mon secret? N'est-ce pas la même 
chose que si je me tourmentais beaucoup à soutenir que je 
ne suis pas un malhonnête honmie, un homme sans pudeur, 
sans mœurs, sans conscience, tel enfin que les gazetiers 
dont je viens de parler ont voulu me représenter dans lear 
libelle diffamatoire? 

Mais, d'ailleurs, comment auraîs-je donné ces sortes de 
clefs, si je n'ai pu moi-même les forger telles qu'elles sont 
et que je les ai vues? Ëtant presque toutes différentes en- 
tre elles, quel moyen de les faire servir à une même entrée, 
je veux dire à Tintelligence de mes remarques ? Nommant 
des personnes de la cour et de la ville à qui je n'ai jamais 
parlé, que je ne connais point, peuvent-elles partir de moi 
et être distribuées de ma main? Aurais-je donné celles qui 
se fabriquent à Romorentin, à Mortagne et à Belesme, dont 
les différentes applications sont à la baillive, à la femme de 
l'assesseur, au président de l'élection, au prévôt de la ma> 
réchaussée et au prévôt de la collégiale ? Les noms y sont 
fort bien marqués ; mais ils ne m'aident pas davantage à 
connattre les personnes. Qu'on me permette ici une vanité 
sur mon ouvrage : je suis presque disposé à croire qu'il 
faut que mes peintures expriment bien Thomme en général, 
puisqu'elles ressemblent à tant de particuliers, et que cha- 
cun y croit voir ceuk de sa ville ou de sa province. J'ai 
peint, à la vérité, d'après nature, mais je n'ai pas toujours 
songé à peindre celui-ci ou celle-là dans mon livre des 
Mœurs. Je ne me suis point loué au public pour faire des 
portraits qui ne fassent que vrais et ressemblants, de peur 
que quelquefois ils ne fussent pas croyables et ne parussent 
feints ou imaginés : me rendant plus difficile, je suis allé 
plus loin ; j'ai pris un trait d'un côté et un trait d'un autre; 
et, de ces divers traits qui pouvaient convenir à une même 
personne, j'en ai fait des peintures vraisemblables, cher- 
chant moins à réjouir les lecteurs par le caractère, ou, 
comme la disent les mécontents, par la satire de quelqu'un. 



PREFACE. 377 

qu'à leur proposer des défauts à éviter et des modèles à 
suivre. 

11 me semble donc que je dois être moins blâmé que plaint 
de ceux qui , par basard, verraient leurs ooms écrits dans 
ces insolentes listes, que je désavoue et que je condanme 
autant qu^elles le méritent. J'ose même attendre d'eux cette 
justice, que, sans s'arrêter à un auteur moral qui n'a eu 
nulle intention de les offenser par son ouvrage, ils passe- 
ront jusqu'aux interprètes, dont la noirceur est inexcusable. 
Je dis en effet ce que je dis, et nullement ce qu'on assure 
que j'ai voulu ^ire; et je réponds encore moins de ce qu'on 
me fait dire, et que je ne dis point. Je nomme nettement les 
poBsomies que je veux nommer, toujours dans la vue de 
louer leur vertu ou leur mérite ; j'écris leurs noms en let- 
tres capitales, afin qu'on les voie de loin et que le lecteur 
ne coure pas risque de les manquer. Si j'avais voulu met- 
tre des noms véritables aux peintures moins obligeantes, je 
me serais épargné le travail d'emprunter des noms de l'an- 
cienne histoire , d'employer des lettres'lnitiales, qui n'ont 
qu'une siguification vaine et incertaine, de trouver enfin 
mille tours et mille faux-fuyants pour dépayser ceux qui me 
lisent, et les dégoûter des applications. Voilà la conduite 
que j'ai tenue dans la composition des Caractères. 

Sur ce qui concerne la harangue, qui a paru longue et 
ennuyeuse au chef des mécontents, je ne sais en effet pour- 
quoi j'ai tenté ds faire de ce remerctment à l'Académie 
française un discours oratoire qui eût quelque force et quel- 
que étendue. De zélés académiciens m'avaient déjà frayé -ce 
chemin ; mais ils se sont trouvés en petit nombre, et leur 
zèle pour l'honneur et pour la réputation de l'Académie n'a 
eu que peu d'imitateurs. Je pouvais suivre l'exemple de 
ceux qui, postulant une place dans cette compagnie sans 
avoir jamais rien écrit, quoiqu'ils sachent écrire, annoncent 
dédaigneusement, la veille de leur réception, qu'ils n'ont 
que deux mots à dire et qu'un moment à parler, quoique 
capables de parler longtemps et de parler bien. 

J'ai pensé, au contraire, qu'ainsi que nul artisan n'est 
agrégé à aucune société ni n'a ses lettres de maîtrise sans 
faire son chef-d'œuvre, de môme, et avec encore plus de 
bienséance, un homme associé à un corps qui ne s'est sou- 
tenu et ne peut jamais se soutenir que par l'éloquence, se 



37S ' DISCOURS ▲ I.* ACADÉMIE. 

trmmtiftiMgtgé hkm ea y 6Atr»D% w «0(M 9B o« geqrt» 
qui le fît aux yeux de tous parattre digne du choix dont il 
"nmik 4s Vboaoïer* Il me «emUait eiMor» %iie paisque rélo- 
<|BtBOê profaM'ne iMNiiaiiii plu» régner an b^neaa, d'où 
etta a élé baiiv# pai te néoeasiM 49 Foipédîtion, «^ qu'elle 
M â6Tah pliit4ii«aikBttad«iia la.c^am«o4eU9ii^%4té qa^ 
tropaottfvta, te «e«i wUe qui poivrait hû feater était l'Agar 
dente fiaDQHM; et qu'il «'y «mt viea da pUui naturel^ ni 
qû pfti xmir» «etta oompagiûa plwiaélttiDa^ qiM ai» an ank^ 
jft éis féeepl^oQft 4e nouTaaM amdfoiioienia > ^U^ sac* 
wt qualquefiite attiiier te oeur et te vUte h se» aaaem^ 
Uéea» pif te cucteailé df y e&teodr^ daa piècea d'^loqibMi^ 
4'iiiie juite Man4tte, laite» 4t idaîii de maîtiae, et 4QQlt te 
profeaaiett est d'eioeller daaa te acitAce 4e te peinte» 

Si je D*ai pat atteiot mon bot^ qui élait d» pfoiiaiHser Jm 
di8eeur& AoqtteBt, il m» parait du veioa que je meaoiar 
ébcnàpé de faiMir fa^ ttep lent de qq^elqiiea. miautea s 
eaF, si d'aittaw» Pana, 4 q«i qa l'ayait pfomte mauisaifi» 
aaliriqao et inaenaé, e'esl pteint qu'on tei ay^it iMAqu^ d» 
pai>^; a» Ifaily *, eu te ourtoeité de Petttaère a'ttait i4- 
p«adue, B^t po»t retenti d'afptendiaiefQettla qi^ te cciur 
aîl demies à te oritique q«'^ en avait fJEÛte; a'il a au îra»^ 
chir Ghantiiiy \ ée«eii dat mauTate evi^raflea; si TAcadé^ 
aaiefirançaiaa» è qui j'avaie^ appelé oomtte au yàg^^ sokav««aîn 
deoetaerleadepiôees, étanlayMonUéeextroordinaifemeAt, 
a adopte aelte-ei» Fn teit ûnprisnar pai^ «on Ubmira, Va naise 
dana ses arehi've» \ ai elte n'était p«* ei^ effet cempo«ée d'uA 
tàyk «^Glé» éttt-tà i i tf< rrein pm» ni ehargéa de touaoïges fades 
et eoliée», taUes qu'eu ka Ht éam les frQlogm$^ d'o^^aa» 
et dans tant dtéfdttn dMiooAoinsa^ il, q» teut ^na a'étonaei^ 
fu'ella ait enxuiyé Théobatee^ ^ voie tea temps, te publia 
me penwtta de te dire» e(k cte na a^ra pa^ «sae& d^ 
l^approtetion qu'il an? a donnée è w fiivisM^ pot» m Uix^ 
te r^utatien, «t que^ponr y mett^W deroieï sceau, il sera 
néeeeaaire que de oavtainea sena le déa^pro^^tiat^ qu'itey 
aient bâillé. 

Car Tendimianfetite, préaantemeAt qu'ils ont reaonn^ que 
I. te^aiM» «•llul^ oa v^mm m»¥«iu i» toi tuSH d'aae paHîe éa «a 

GQWt, 

9. Le prince dei eondé et le duc de Bourbon, lUs et oettt-ftis do cnnd 
ewidd) hiMittoBt ClUuitilly. 



c«ltt haranfae a moin» mal rémsi dan^ la puMic fusils oe 
raraient espéré, qu'ils aniiwat que d«ix libraires GLi ]»laidé^ 
k (pii rimprimerail, TOiiéraiefQt-ita désavouer leur goût et 
]« jugeaient qu'ils e» omi porté dans )ee pTsmieMi jours 
qu*ei)e fut prononcée t lie permettraisBl-iis d» puKliei^ on 
seulemort de soupçonner, une tout autre raîsoQ de Fâpps 
eensute qu'ils en fimnt, que lu pevsaasifm où ^ étsiait 
qu'elle le méritait ? On sait que oet hmnrae d*aa Bom et ê^n 
mérite si distingué *, avec qui j'eus Thonneur d'être reçu 
à l'Académie française, prié, sollicité, persécuté de consen- 
tir à l'impression de sa harangue par ceux mêmes qui vou- 
laient supprimer la mieone et en éteindre la mémoire, leur 
résista toujours avec fermeté. 11 leur dit qu*il ne pouvait ni 
ne devait approuver une distinction si odieuse quHls voulaient 
faire entre lui et moi; que la préférence qu'ils donnaient à son 
discours avec cette affectation et cet empressement qu*ils lui 
marquaient^ bien loin de l'obliger^ comme ils pouvaient le 
croire, lui faisait au contraire une véritable peine ; qtie deux 
discours également innotentSf prononcés dans le même jour^ 
devaient être imprimés dans le même temps. 11 s'expliqua en- 
suite obligeamment, en publie et en particulier, sur le vio- 
lent chagrin qu'il ressentait de ce que les deux auteurs de 
la gazette que j'ai cités avaient fait servir les louanges 
qu'il leur avait plu de lui donner à un dessein formé de 
médire de moi, de mon Discours et de mes Caractères; et 
il me fit, sur cette satire injurieuse, des explications et des 
excuses qu'il ne me devait point. Si donc on voulait inférer 
de cette conduite des Théobaldes, qu'ils ont cru faussement 
avoir besoin de comparaisons et d'une harangue folle et 
décriée pour relever celle de mon collègue, ils doivent ré- 
pondre, pour se laver de ce soupçon, qui les déshonore, 
qu'ils ne sont ni courtisans, ni dévoués à la faveur, ni inté- 
ressés, ni adulateurs ; qu'au contraire ils sont sincères, et 
qu'ils ont dit naïvement ce qu'ils pensaient du plan, du style 
et des expressions de mon remerciment à l'Académie fran- 
çaise. Mais on ne manquera pas d'insister et de leur dire 
que le jugement de la cour et de la ville, des grands et du 
peuple, lui a été favorable. Qu'importe ? Ils répliqueront avec 



1. LtDstance était anx requêtes de THÔtel. (Note delà fniyirt.) 
t. L'abbé Bignon. Voy. p. S86, note S. 



380 DISCOURS A L*ACÂl)éMIE. 

confiance que le public a son goût et qu'ils ont le leur, 
réponse qui ferme la bouche et qui termine tout différend, 
il est vrai qu'elle m'éloigne de plus en plus de vouloir leur 
plaire par aucun de mes écrits ; car, si j'ai un peu de santé 
STeo quelques années de yie, je n'aurai plus d'autre ambi- 
tion que celle de rendre, par des soins assidus et par de 
bons conseils , mes ouTrages tels qu'ils puissent toujours 
partager les Tbéobaldes et le public. 



c^ 



DISCOURS 



A L'ACADÉMIE FRANÇAISE. 



Messieurs, 

n serait difficile d'ayoir rhonneur de se trouTer au mi- 
lieu de TOUS, d'avoir devant ses yeux T Académie françaisoi 
d'avoir lu l'histoire de son établissement, sans penser d'a- 
bord à celui à qai elle en est redevable', et sans se persua- 
der qu'il n'y a rien de plus naturel, et qui doive moins vous 
déplaire, que d'entamer ce tissu de louanges qu'exigent le 
devoir et la coutume, par quelques traits où ce grand oardi 
nal soit reoonnalssable, et qui en renouvellent la mémoire. 

Ce n'est point un personnage qu'il soit facile de rendre 
ni d'exprimer par de belles paroles ou par de riches figures, 
par ces discours moins faits pour rélever le mérite de celui 
que l'on veut peindre, que pour montrer tout le feu et toute 
la vivacité de Torateur. Suivez le régne de Louis le Juste : 
c'est la vie du cardinal de Richelieu, c'est son éloge et celui 
du prince qui l'a mis en osuvre. Que pourrais-je ajouter à 
des faits encore récents et si mémorables? Ouvrez son Tes- 
tament politique, digérez cet ouvrage : c'est la peinture de 
son esprit; son âme tout entière s'y développe; l'on y dé- 
couvre le secret de sa conduite et de ses actions; l'on y 
trouve la source et la vraisemblance de tant et de si grands 
événements qui ont paru sous son administration ; l'on y 
▼oit sans peine qu'un homme qui pense si virilement et si 
juste a pu agir sûrement et avec succès , et que celui qui a 
achevé de si grandes choses , ou n'a jamais écrit, ou a dû 
écrire comme il a fait. 

1. Lo cardinal de RScbclien. 



38d DISCOURS ▲ lVcadémie. 

Génie fort et supérieur, il a su tout le fond et tout le mys- 
tère du gouyernement ; il a connu le beau et le sublime du 
ministère; il a respecté l'étranger, ménagé les couronnes, 
connu le poids de leur alliance ; il a opposé des alliés à des 
ennemis ; il a veillé att intëiéts du dehors , à ceux du 
dedans; il n'a oublié que les siens : une yie laborieuse et 
languissante, souvent exposée, a été le prix d'une si hante 
Tenu; dépositaite des trésors de so» mdtrt, comblé de ses 
bienfaits, ordonnateur, dispensateur de ses finances , on ne 
saurait dire qu'il est mort riche. 

Le croirait-on, Messieurs? cette âme sérieuse et austère, 
formidable aux ennemis de l'État , inexorable aux factieux , 
plongée dans la négociation , occupée tantM à affaiblir le 
parti de l'hérésie, tantôt à déconcerter une ligue, et tantôt 
à «éditer «ne cdnqtiéte , a troayé le loisir d^tre si^rule , 
a geftté les beÛ«»4ettreè fft esttx qtli en fldasiestprofessioii. 
Oom psiwv e m , si tohs l^esea, «u gîttd Hiehelieu, hommes 
défooés à la fortune, qàhf» le sacoès 4àe Tos slfoireB par» 
HcQlières, Ttm Jufsc digwM fite fi^È, ttntt ^«idie les «f^ 
faiMi {Msbli^es; ^ui toes iMmes pmt liée génies hettmi 
éti^r #» bonnes tites ; qui elles q&e^tis ne «très tien, 
^e teea a'^ms jefatls Ki, qse "vtms ne Uves fstet, ee)>ee» 
mar^uef l'inutilité des sefeness, ett pear f^anfite nedetoir 
rien aux maires , mais ptrfset %etft de ^otre fioftés. Apprenet 
ffit le csrdbiid de fUehelieH^ «u, qnll a lu; jeibe ^is p« 
^"il n*a point en d*éleigtt em eii t poor les 'gens de lettres, 
imds quHl les a aimés, eaiessés, ftkrorMs \ qu'à leur a m6> 
nagé ^des t)rhfiéges, qu^ leur éesihMdt des pMsiensi qe'â 
les a réunis en une eompargaie ettèfafe, qu'il en a ftdt l'Aes* 
tMmie fl^ançaise. Oui, heflflnes rfclies et sBÉMIeiii, tsen» 
ferapieers de la ^ertu, et de toete easooiatlMi qui ^le^ieeie 
l$assarles4ttbliflesiBentset set fintérêt, esHe^i est une 
des pensées- de^cegrattd ttiiftistie> Bé 'liommediBtat, iléTOtti 
t PÂat: eMrtt selide, éminent, eapable dans ee qu'il triséil 
desmotfib les ^us télexés ettpii tendakut hml %ien ptdb^ 
eomme li la gioiie de la menanSùe} tnoapible'ifte ooneereilf 
Jamais rien qui ee fût digne de lui, tef Hneequ*fi seandt^ 
wd la fTattoe, a qui -il eiTut oottsaere ses tteSisKions et ses 
veilles. 

n savait quelle est la force et l'utilité de l'éloquence , la 
puissance de la parole qui aide la raison et la fait valoir. 



qui ionnae Irk faonfnwi la jusllde «t là {)f6b!tl , qtd ^dftë 
d«it8 k ceatur du iK^lâst l'intrépiâité ieit r^mdàOe , qtti t&litiè 
1«8 émadiom ^opalaûreb^^âi eiai^ à kftirs devoirs te tom- 
pagaiBS entières ^ là tmiltituSe. Il hH^ntmlt ptô qtiete 
fiODt \€% tmïU ût i'Ustoiré e% dé k ptyémB, ^elte est l^ né- 
€essttë de 1» -^ruxoHift^Yi», la iMilse ^ le loDdettxdit dt» tmtrôà 
bdeaceB; «t quB^ ^ur (sond^îre ces choses II un degré de 
perfeetioa qtti lee retiâft %yfttita^uses à ktéprîbUqtte,^ 
fallait dresser le plan d'tifie eeifspftglHe Dû la yjstiu tèùh 
itl admiee^ le mérite placé) l'esprit et le SStoir rat^semblés 
^ar des sufltages. I^'allobB ^s plus lolb : f oilà, Messieurs, 
^s pnttoipes el ^Mre règle ^ âotitjeiiie-suîs qu'uiïe ezeep- 
tkfnk 

llappdfiE4s& ^mtpe «léa^te , k t;etnp«faîstm ne ^us isera 
ims iDJutie«ie> ^»a{^le2 ee gfantl et pôremier ibcmtile ouïes 
Pères qtti -k «ttiûpiMàieut étiaiem temtirqtiables tlracmi pao* 
l|\ielcpieB ttea^res mutiléâ, ou p«: hi tiCAtrfees qui leur 
étaient restées des iùi«ttra de la penréctriieii; as sembkieitl 
tenir de leurs plaies le droit de s'asseoir dans cette tfSselli- 
biéeigéiiéiak 4e tetfle l'Église ! H û^ ^r&h aueun de ^os 
iUttstees prédéoeftiews qu^eti ûe-è'idtnpressât de voir, qù^h 
ne montât dft&e les placée, ffû'eti ite déiûgûât t>at iqtielqtte 
ouvrage ùouetti: qtti Ittiavftit foit uii grand fiem , et tjm lui 
donnait rang ifons ^tie Atadëmie naissante quMls avaieixt 
comme tondée. Tels étaient ees grands artrsatis de la pa- 
role^ o«B premiefs usillaree H» Mequenee française; ^h 
TOttft êtes, Mesiitttrs, ^tti ne eéâeK ni en Mvoir ni en mé* 
lite à nol de oeuix qui f eue eiit préeédés. 

L'un % aussi «M«e9t ^us «a langue que iHl l^aft ap- 
prise par règles et ^r priueipes, aussi éMgaut dans m 
ka^es étrttBgères que «i eUee lui <taieift natordiles , en 
quelque idiome qu^ll eûmpoee, setnbk toujours parler nehii 
de sott peyA : il a «ntrepria, Il a ftui fine pénible traducûon 
que k phn bel^spidt pounatt ateuer, "et ffatQ k plus pieux 
pers^mnege detrrait désirer d'avuir laite. 

L'autre* lait revivre Virgile parmi nous, trattsnret^ns 
notre langue les^Aees et les ricbeases de k ktine , fait 



1. L'abbé de Cboisy, qui a traduit Vlmitàtion deJiâus-Chrttt, 

2. Segraia (i02%-i67o), traducteur de l'JSnétdf et dw Géorgiquiê.!! nV 
fait encore paru que la traduction deVÉnéide, 



384 DISCOURS A l'académie. 

des romans qui ont une fin, en bannit le prolixe et Tin- 
croyable, pour y substituer le yraisemblable et le naturel. 

Un autre *, plus égal que Marot et plus poëte que Voiture, 
aie jeu, le tour, et la naïveté de tous les deux; il instruit 
en badinant, persuade aux bommes la yertu par Torgane 
des bétes, élève les petits sujets jusqu'au sublime : homme 
unique dans son genre d'écrire; toujours original, soit qu'il 
invente, soit qu^U traduise ; qui a été au delà de ses modèles^ 
modèle lui-même difficile à imiter. 

Celui-ci' passe Juvénal, atteint Horace, semble créer les 
pensées d'autruî et se rendre propre tout ce qu'il manie ; il 
a, dans ce qu'il emprunte des autres, toutes les grâces de 
la nouveauté et tout le mérite de l'invention. Ses vers , 
forts et harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec 
art , pleins de traits et de poésie, seront lus encote quand 
la langue aura vieilli, en seront les derniers débris : on y 
remarque une critique sûre, judicieuse et innocente, s'il 
est permis du moins de dire de ce qui est mauvais qu'il est 
mauvais. 

Cet autre' vient après un homme loué, applaudi, admiré, 
dont les vers volent entons lieux et passent en proverbe, 
qui prime, qui règne sur la seène, qui s'est emparé de tout 
le théâtre : il ne l'en dépossède pas; il est vrai; mais il s'y 
établit avec lui : le monde s'accoutume à en voir faire la 
comparaison. Quelques-uns ne souffrent pas que Corneille, 
le grand Corneille, lui soit préféré; quelques autres, qu'il 
lui soit égalé : ils en appellent à l'autre siècle ; ils attendent 
la fin de quelques vieillards qui, touchés indifféremment de 
tout ce qui rappelle leurs premières années, n'aiment peut* 
être dans CEdipe que le souvenir de leur jeunesse. 

Que diçai-je de ce personnage^ qui a Ml parler si long- 
temps une envieuse critique et qui Ta fait taire; qu'on ad- 
mire malgré soi, qui accable par le grand nombre et par 
l'éminence de ses talents? Orateur, Mstorien, théologien, 
philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence, 
soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits , soit dans la 
chaire; un défenseur de la religion, une lumière de l'figlise, 

1. La Fontaine. 

2. Boileao. 
t. Eadoe. 
4. Bossaet. 



DISCOURS A l'académie. 385 

parlons d'ayance le langage de la postérité, un Père de 
l'Ëglise : qae n'est-il point? Nommez, Messieurs, une vertu 
qui ne soit pas la sienne. 

Toucherai-je aussi votre dernier choix', si digne de vous? 
Quelles choses vous furent dites dans la place où je me 
trouve! Je m'en souvieas; et, après ce que vous avez 
entendu , comment osé- je parler? comment daignez- vous 
m'entendre? Avouons-le, on sent la force et Tascendant de 
ce rare esprit, soit qu'il proche de génie et sans préparation, 
soit qu'il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu'il 
explique ses pensées dans la conversation : toujours maître 
de ToreUle et du cœur de ceux qui Pécoutent, il ne leur 
permet pas d'envier ni tant d'élévation, ni tant de facilité, 
de délicatesse , de politesse : on est assez heureux de l'en- 
tendre, de sentir ce qu'il dit, et comme il le dit ; on doit être 
cornent de soi, si l'on emporte ses reflexions et si Ton en 
profite. Quelle grande acquisition avez-vous faite en cet 
homme illustre! A qui m'associez- vous! 

Je voudrais, Messieurs, moins pressé par le temps et par 
les bienséances qui mettent des bornes à ce discours, pou- 
voir louer chacun de ceux qui composent cette Académie 
par des endroits encore plus marqués et par de plus vives 
expressions. Toutes les sortes de talents que l'on voit ré- 
pandus parmi les hommes se trouvent partagées entre 
vous. Veut-on de diserts orateurs , qui aient semé dans la 
chaire toutes les fleurs de IV loquence , qui , avec unt; saine 
morale , aient employé tous les tours et toutes les finesses 
de la langue, qui plaisent par un beau choix de paroles, 
qui fassent aimer les solennités, les temples, qui y fassent 
courir : qu'on ne les cherche pas ailleurs, ils sont parmi 
vous. Admire-t-on une vaste et profonde litti rature qui aille 
fouiller dans les archives de l'antiquité pour en retirer des 
choses ensevelies dans l'oubli, échappées aux esprits les 
plus curieux, ignorées des autres hommes ; une mémoire, 
une méthode, une précision a ne pouvoir, dans ces recher- 
ches, s'égarer d'une seule année, quelquefois d'un seul jour 
sur tant de siècles : cette doctrine admirable*, vous la pos- 
sédez ; elle est du moins en quelques-uns de ceux qui for- 

1. Féiielon, qai avait été rcça à l^Âcadèmie peu de temps avant la Bruyère. 

2. Celle science admimble. 

2S 



386 DI9C0UBS A L'aCâBÉBOS. 

ment cette earnite assemblée. SI l'on est earietncên don d^ 
lao^es, joint ae double talent de savoir avee esactitud 
les choses anciennes, et de narrer celles qui sont uouvcUe 
avec autant de simplicité que de vérité, des qualités s 
rares ne vous manquent pas et sont réunies en un mém 
sujet. Si l'on cherche des hommes habiles, pleins d'esprit € 
d'expérience, qui, par le privilège de leur» emplois, f ssf n 
parler le prince avec dignité et avec justesse ; d'autres qu 
f lacent heureusement et avec succès , dans les négociation 
les plos <iélicates, les talents qu'ils ont de bien parler et d 
bien écrire; d'autres encore qui prêtent leurs soins et leu 
Tigilance aux affaires publiques, après les avoir employée 
aux judiciaires, toujours avec une égale réputation : tou 
se trouvent au milieu de vous , et je souffre k ne les pà 
nommer. 

Si vous aimez le savoir joint & l'éloquence, vouj n^atten 
drez pas longtemps ; réservez seulement toute votre atteu 
tion pour celui qui parlera après moi '. Que vous manque 
t-il enfin? vous avez des écrivains habiles en Tune et e] 
l'autre oraison ; des poètes en tout genre de poésies « soi 
morales , soit chrétiennes, soit héroïques , soit galantes e 
enjouées ; des imitateurs des anoiens ; des critiques au» 
tères ; des esprits fins, délicats, subtils, Ingénieux, proprei 
à briller dans les conversatioos et dans les cercles. Encori 
une fois, à quels hommes, à quels grands sujets m'associez' 
vous! 

Mais avec qui daignez- vous aujourdTiui me recevoir "1 
Après qui vous lais-je ce public remerciement? U ne doit 
pas néanmoins, cet homme si louable et si modeste, appré* 
hender que je le loue : si proche de moi, il aurait autant ai 
facilité que de disposition à m'interrompre. Je vous deman- 
derai plus volontiers : A qui me faites-vous succéder? A un 
homme qui avait de la vertu. 

Quelquefois , Messieurs , fi arrive que ceux qui tous âoi' 
vent les louanges des illustres morts dont ils remplissent 
la place , hésitent, partagés entre plusieurs choses gui mé- 



1. François Charpentier (1620-1702), membre de TAciidémie française el 
de rAcadémie des inscriptions. 11 répondit à la Bruyère au nom de l'Acs' 
demie, dont il était le directaor. 

2. L'abbé J.-B. Bignun , petit-fils du savant Jérôme BifQQB , iraait ét^ 
nommé à la place de Bussy-Rabutin^ et fut reçu le même jour que la Bruyère* 



DISCOURS A li'AGipéiUjB. 36? 

yli jUmt 4êl^m^ qu'oo 1^9 rt^lè^f». Yovf. avîtz ekeki «a 
,^ M. X^hhé is la Chamhr# ' up iioi^mç ci pj^ax , $i tfaidre , ai 
'^,^ cliaFita))li« #i louabto pair te choiup, qui arail dea mœura ai 
'(^! sag^ et fd ebrétieançB, q^i éUi^t ai lOR^i» da raiigion, ai 
^ attac^^ i sas devQi9« , q^'w^ da aaa leo^dftaqaaiites était 

m: 

•X 

s; 



da b^ /écrifa. I>a aoUdea ?aruia , fa'oa Tandrait oélébreri 
fooi paase? légèramai^ aor aoa ^uibiioa oa aur acm éio«- 
quoaaa; on a»tima aoaai^a ji^toa «» yie at sa aonduita q«a 
sea ouTapa?a«. Ja iH^éj^erais an affel da prooaoeer la dùir 
cours funèbre da celai k qui je amenda, pltttAt qua de ma 
boraar ^ aa nmpla éio^e da saa aeprit. Xe aaérita an lui 
n'ét^ait paa «laa Abo^a acqoiaa , auiis «m patHnoiiie, \in biea 
béréditaiTa, fij du moies il en faut juger par k pboix àa 
celui qua avait Uti^ aoa cçaur , aa aooâanaa , toute sa par*- 
aopijie, à oa^ £amiUe, qui Tavait rendue aafsma votre atiiéa, 
paisqu'oo peut dira qu*U Tavai^ adoptée « et qu'il i^araii 
loise avep TAoadéime françaiee août aa protaotion'. 

Je p^^îe da abanoalier ^éa^iiaf • 0« t'a» souviaut ^gmmê 
4e Tua 4^^ pli^s g;raa4s inagM>traia qua la Imm» ait nour^ 
ris depps aes aomiUteucerQafi'ia. U a laiasé k douter an quoi 
il eioaUait daYautaga, a» 4aue lae beUairlattres, ou 4an$ 
les affairas ; il aat yw da maint» al oa an eoaTioQt , qu^U 
aurpassait eu l'^n et en l'autre tous aeiax ia aon tempa. 
Homma giçaye at fiimitier, profond dana laa délibérati<ni3, 
quoique 4oujc et îdssiifi dans le coaMXiaroa, il a au naturei^o» 
meut c^ qm tant d'aoiree yeulpnt aroir rt iia sa danaaal 
jp^a, aa qu'on a'a point par l'étude et par i'affeetaitiony par 
|ea a»ot9 gi'araa ou «antoacieux, aa qui art plaa rare que la 
soienae, al p^iètn que la probité , je vaux àijt9 da la di*- 
^nité. U sa )a darait point à rémineAca àe aon pqate ; at 
çontmra, il Ta aaoUi s il a ii^é gra&d «t aeeréâité aana 

^ ministère, et on ne voit pas que ceux qui ont su tout réunir 

^ en leurs personnes Paient efTacé. 

^ Vous le perdjttea tt jr a qu«lquae axuiiéai^ aa fsand protac*- 
leur : vous jetâtes la vue autour de vous, yoQ.$ promçnâtes 

' va» je^x 9u.r tpua oei^ qui ^'^/^anjt at qm «e troujraMol 






Jî 



i 



f . I/«M»é Pierre Coreaii de ht Chambre étfiit Dis 4e Martin C«rq»9 df 
la 4SbMnbn, aticeiir épv Cfyanc^et 4u passiont. Quoiqu'il ii'eftt janjiMa 
éorifc, il fM^'eçti à l'Ae«dèime en i67o. Il mourut en avi-il (693, Q^ kisauii 
Mie .aueleues eermons et «reit discours prononcés à IVLcadémïe. ^^ 

2. le chancelier Sé^er aTait le titre de protecteur d9 rAçadémie tt9» 
çaise. 



388 DISCOURS A l'académie. 

honorés de tous recevoir; mais le sentiment de votre |>erte 
fnt tel que, dans les efforts que tous fîtes pour la réparer, 
TOUS osâtes penser à celui qui seul pouvait vous la faire 
oublier et la tourner à votre gloire *. Avec quelle bonté, 
avec quelle humanité ce magnanime prince vous a-t-il re- 
çus 1 N'en soyons pas surpris, c'est son caractère; le même, 
Messieurs, que Fou voit éclater dans toutes les actions de sa 
belle vie, mais que les surprenantes révolutions arrivées 
dans un royaume voisiii et allié de la France * ont mis dans 
le plus beau jour qu'il pouvait jamais recevoir. 

Quelle facilité est la nôtre pour perdre tout d'un coup le 
sentiment et la mémoire des choses dont nous nous sommes 
vus le plus fortement imprimés ! Souvenons-nous de ces 
jours tristes que nous avons passés dans l'agitation et dans 
le trouble, curieux, incertains quelle fortune auraient cou- 
rue un grand roi, une grande reine, le prince leur fils, fa- 
mille auguste, mais malheureuse, que la piété et la religion 
avaient poussée jusqu'aux dernières épreuves de Tadversité. 
Hélas 1 avaient-ils péri sur la mer ou par les mains de leurs 
ennemis? Nous ne le savions pas : on s'interrogeait, on se 
promettait réciproquement les premières nouvelles qui vien« 
draient sur un événement si lamentable. Ce n'était plus une 
affaire publique, mais domestique ; on n'en dormait plus, on 
s'éveillait les uns les autres pour s'annoncer ce qu'on en 
avait appris*. Et quand ces personnes royales, à qui l'on pre- 
nait tant d'ivtérôt, eussent pu échapper à la mer ou à leur 
patrie, était-ce assez? ne fallait-il pas une terre étrangère 
où ils pussent aborder, un roi également bon et puissant 
qui pût et qui voulût les recevoir? Je l'ai vue, cette récep- 
tion, spectacle tendre s'il en fut jamais! On y versait des 
larmes d'admiration et de joie*. Ce prince n'a pas plus de 

t. ▲ la mort do chancelier Séguier (28 janvier 1672), rAcadémie pria 
lioais XIV d'accepter le titre de protecteur de l'Académie. 
S. L'Aogleierre. 

3. Mme de Sévigné écrivait, l'un de ces jours oti les nouTelles les plas con- 
tradictoires arrivaient à la cour, le 29 décembre 1688 : « Jamais il ne s'est 
vu un Jour comme celui-ci. Ou dit quatre cliofees différentes du roi d*Au- 

{(leterre, et toutes quatre par de bons auteurs : H est à Calais ; il est à Bon- 
ogne; il est urrété en Angleierie; il esi péri Ha^S son vaisf«au; un cin- 
quième dit à Brest; et tout cela tellement brouillé qu'on ne sait que dire;.... 
les laquais vont et viennent à tous moments; jamais je n'ai va an jour 
pareil.... » 

4. La reine d'Angleterre et le prince de Galles arrivèrent à Saint-Germain 



DISCOURS A L'ACADISmIÉ 389 

grâce, lorsqa'à la tête de ses camps et de ses années, il fou- 
droie une yille qui lui résiste, ou qu'il dissipe les troupes 
ennemies du seul bruit de son approche. 

S'il soutient cette longue guerre', n'en doutons pas, c'est 
pour nous donner une paix heureuse , c'est pour l'avoir à 
des conditions qui soient justes et qui fassent honneur à la 
nation, qui ôtent pour toujours à Pennemi Tespérance de 
nous troubler par de nouvelles hostilités. Qfie d'autres pu- 
blient, exaltent ce que ce grand roi a exécuté, ou par lui- 
même , ou par ses capitaines, durant le cours de ces mou- 
vements dont toute l'Europe est ébranlée , ils ont un sujet 
vaste et qui les exercera longtemps. Que 6'autres augurent, 
s'ils le peuvent, ce qu'il veut achever dans cette campagne. 
Je ne parle que de son cœur, que de la pureté et de la droi- 
ture de ses intentions ; elles sont connues , elles lui échap- 
pent. On le félicite sur des titres d'honneur dont il vient de 
gratifier quelques grands de son Ëtat : que dit-il? qa'il ne 
peut être content quand tous ne le sont pas, et qu'il lui est 
impossible que tous le soient comme il le voudrait. Il sait, 
Messieurs, que la fortune d'un roi est de prendre des villes, 
de gagner des batailles, de reculer ses frontières, d'être 
craint de ses ennemis ; mais que la gloire du souverain con- 
siste à être aimé de ses peuples, en avoir le cœur, et par le 
cœur tout ce qu'ils possèdent. Provinces éloignées, provinces 
Toisînes, ce prmce humain et bienfaisant, que les peintres 
et les statuaires nous défigurent, vous tend les bras, vous 
regarde avec des yeux tendres et pleins de douceur; c'est là 
son attitude : il veut voir vos habitants, vos bergers, danser 
au son d'une flûte champêtre sous les saules et les peupliers, 
y mêler leurs voix rustiques, et chanter les louanges de ce- 
lui qui, avec la paix et les fruits de la paix, leur aura rendu 
la joie et la sérénité. 

C'est pour arriver à ce comble de ses souhaits, la félicité 
commune , qu'il se livre aux travaux et aux fatigues d'une 
guerre pénible, qu'il essuie Tinclémence du ciel et des sai- 
sons, qu'il expose sa personne , qu'il risque une vie heu- 
reuse : voilà son secret et les vues qui le font agir; on les 
pénètre, on les discerne par les seules qualités de ceux qui 

le 6 ianTier 1689; Jacques II les rejoignit le lendemain. Louis XIV était 
Tenu recevoir lui-mèoie la reine et le roi. 

1. La guerre contre la ligue d'Angsbourg, qui avait commencé en 1689. 



990 IMrSCOTM» A L'ACA0iMîft. 

MAI m {Aidé, et ifii faidetit dé lénni dditteilé. lé tiïêiAgé 
leur iDodestta : Ço'ils «10 perttiettdtif senlemdiit de femxi* 
quer qu'on ne devine point les projeté de ee stge priàee[ 
qu'on devifte, sn eontraife, qu*on nottine !efl pertonites 
qu'il m, plaeef, et qu'il ne fait que eonfl/mef la fbit dti 
peuple dant le etaoii qaTil fait de ses ministree. Il ûe se dé» 
éh&fge pas entièrement stri* extt du poids de ses a£foifes; 
hii-méme, si ]ê Tose dire, il eét son ptitteipal minisfre: 
tonjonrs appRqaë à nos besoins, il ùV a pour îni nf temps 
de reiacbe ni hetifes ptltilégiées r d^l la nuit s'avance, lég 
gardes sont relevées aui avenues de éon palais, lés astres 
MDent ati ciel et font leur course ; toute la natnté répose, 
pfivée Au lont, ensevelie dans les otnbfes; nous fsposone 
aussi, tafidis que ée roi, fétîré dans soû balostre*, véiBe seul 
sttf tioué et sur totit l*Ëtat. Tel est, Messieurs, le protecteur 
que tous tous êtes procuré , eelui de ses peuples^. 

Vous m*aves admis dans une compagnie illustrée par mie 
si haute protection. Je ne le dissimule pas, f ai assex estfmd 
cette distinction pour désirer de favoir dans tente sa tfeur 
et dans toute son intégrité, je Veux dire de la devoir à votre 
Seul choit; et j'ai mis votre choix à tel prix, quejen'af pas 
osé en blesser, pas même en effleurer la liberté, par une im- 
portune sollicitation. Pavais d'ailleurs une juste dëJtance 
de moi-même, je sentais de la répugnance à demander 
d'être préféré k d'sntres qui pouvaient être choisis. J'avaié 
cru entrevoir, Messieurs , une chose que je ne devais avoir 
aucune peîflé à eroire, que vos inclinations se tournaient 
affleura, Étit Un sujet digne, sur un homme rempH de ver- 
tas, d*esprlt ei de conhaâsatices, qui était tel avant le poste 
de confiance qtt'â occupe, et qui êerait tel encore s'il ne Too- 
cupait plus*, le me sens touché, noh de sa déférence , je 
sais celle que je lui dois, mais de Tamitié qu'il m'a témoi- 
gnée, jtisques à s*0ublier en ma fateur. Un père mène son 
fils à un spectacle : la foule y est grande, la porte est assié- 
gée; il est haut et robuste, il fend la presse; et, comme il 
est pTês d'entrer, il pousse son fils detant lui, qui, sans cette 

1. Ii9 m dét prtMM était enUNffé 4'aAé bitoélr|de, qS* lé plné ioarSÉii 
Ton nommait balustrê, 

2. SimoD de la Loubère, gouTernear du flU de Pontcbartralo. Il fat nommé 
a rAcadéraf« peu dé xetapê aprèf fa Srnyèfe. U avait pabiié. 4û reionr (TuA 
voyage qu'il avait fait dans le royaume de SilDtt ttec l# titre d'envoté SICTi* 

•rdiaatre, aie mmptioû dé os pays. 



DISCOURS A l'académie. 391 

précaution, ou n'entrerait point, ou entrerait tard. Cette dé- 
marche, d'avoir supplié quelques-uns de vous, comme il a 
fait, de détourner vers moi leurs suffrages, qui pouvaient 
si justement aller à lui, elle est rare, puisque, dans ces cir- 
constances, elle est unique, et elle ne diminue rien de 
ma reconnaissance envers vous, puisque vos voix seules, 
toujours libres et arbitraires, donnent une place dans l'Aca- 
démie française. 

Vous me Tayez accordée, Messieurs, et de si bonne grâce, 
avec un consentement si unanime, que je la dois et la yeux 
tenir de votre seule magnificence. Il n'y a ni poste, ni 
crédit, ni richesses , ni titres, ni autorité, ni faveur, qui 
aient pu yous plier à faire ce choix : je n'ai rien de toutes 
ces choses , tout me manque. Un ouvrage qui a eu quelque 
succès par sa singularité , et dont les fausses , je dis les 
fausses et malignes applications pouvaient me nuire auprès 
des personnes moins équitables et moins éclairées que yous, 
a été toute la médiation que j'ai employée, et que yous ayex 
reçue. Quel moyen de me repentir jamais d'avoir écrit? 



^ 



TABLE. 



Notice ..«•••• '• I 

Jugements littéraires sur la Bruyère ^ 

Discours sur Théophraste Z2i 

Les Caractères ou les mœurs de ce siècle zxxm 

Préface des Caractères xxzv 

I. Des ouvrages de l'espritTrr. 1 

II. Du mérite personnel 33 

ITI. Des femmes 48 

IV. Du'cœur.<w 69 

V. De la société et de la conversation 60 

VI. Des biens de fortune 70 

VII. De la ville 116 

Vin. De la cour 129 

IX. Des grands 159 

X. Du souverain ou de la république 177 

XI. De l'hontme.Tr 197 

XII. Des jugements 242 

XIII. De la mode 280 

XIV. De quelques usages 299 

XV. De la chaire 328 

XVI. Des esprits forts 340 

Préface du discours à TAcadémie 369 

Discours à l'Académie 381 



Pm DB LA TABUS. 



[20 415]. — PARIS, TYPOGRAPHIE L'AHURE 

Rne de Fleuras, d 



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