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LES
CARACTÈRES
LES MŒURS DE GË SIÈGLË
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A LA MÊME LIBRAIRIE.
La Bruyère : Œuvras, nouvelle éditioa revue sur les plus anciennes
impressions et les autographes et augmentée de morceaux iné-
dits, de variantes et de notices, de notes, d*un lexique des mots
et locutions ren^arquables, d'un portrait, d'un fac-similé, etc., par
M. G. Sbrvois. 3 vol. in-8*> et un album. Brochés. ... 22 fr. 50 c.
Édition faisant partie de la collection des Grandi écriwiins de la
France^ pabliée sous la direction de M. Ad. Régnier, membre de
l'Institut, et qui a obtenu de l'Académie française, en 1877, le grand
prix Archon-Desjpérous s.
Typographie Lahnre, rue de Fleuras, 9, à Paris.
LES
CARACTÈRES
TypograpL
NOTICE.
Jean de la Bruyère est né à Paris, an mois d'août 1645 :
M. A. Jal en a récemment décoayertla preuve authentique,
restituant ainsi à Paris un honneur que l'on avait long-
temps attribué à Dourdan ou à quelque village voisin, et
donnant à la naissance de l'auteur des Ckiractères la date
certaine que l'on avait cherchée vainement jusqu'à ces
dernières années'. Son père, Louis de la Bruyère, contrô-
leur des rentes de la ville, et sa mère, Elisabeth Hamonin,
appartenaient l'un et Tautre à une famille bourgeoise de
Paris. Il étudia le droit et se fit recevoir avocat au Parle-
ment ; mais à vingt-huit ans, il abandonnait le barreau, et
achetait un office de trésorier des finances dans la généra-
lité de Caen*. Les trésoriers étaient assez nombreux à cette
époque pour qu'il fût permis à quelques-uns d'entre eux de
ne pas résider dans leur généralité. Aussi la Bruyère, son
serment prêté, revint-il à Paris, et grâce aux honoraires
qui étaient attachés à la charge qu'il avait achetée, il put
1. Sainuit vn extrait des registres de là paroisse de Saint-Christophe en
la Cité, qui, sur les indications de M. Jal, a été publié en iStf i par M. B.
ChIfU la Bruyère a étébapiisé le 17 août 1845. Le jour du baptême, d'oi^
^naire, suiTaîi de trèsfirèH celui de la iiaisnance.
2. Les généralités éuient les circODscriptions financières de l'ancienne
France. Il y a«ait dans chaqae généralité un bureau de finance. Les tréso-
riers qui le composaient prenaient le titre de conseillers du roi, trésoriers
de France, généraux des finances.
U NOTICE ,
■
j yiyre, en toute iDdépendance, de cette vie studieuse et
tracquille dont il goûtait si vivement les charmes*.
Il fit bientôt cependant Tabandon d'une liberté si pré-
cieuse. Sur la présentation de Bossuet, le grand Condé le
chargea d'enseigner Thistoire à son petit- fils, le duc de
Bourbon, et il yint s'installer auprès de son élève. Nous pou-
vons le dire sans injustice ni témérité : l'élève était peu
digne du maître. Du moins était-il intelligent, et Saint-
Simon, qui a fait de lui, oooime d& son père, un portrait peu
flatté, nous apprend qu'il conserva toute sa vie t les restes de
Fezcellente éducation i qu'il devait en partie à la Bruyère.
Averti du mérite de la Bruyère par Bossuet, Condé put
entrevoir les solides qualités et les délicatesses rares de son
esprit ; mais il mourut avant que le mettre d'histoire de
son petii-flls n^eflt livré le secret de ses méditations soli-
taires. A Tersailles et à Chantilly, la modestie de son rôle,
la dignité de son caractère, et une certaine gaucherie un
peu farouche maintenaient la Bruyère à Fécart. SU se mê->
l&it à la foulé, c^était pour b'j perdre, et pour y étudier à.
Vigâse les personnages dont il devait peindre si admirable-
ment les vices et les ridicules. Il avait pris plaisir à écrire les
impressions qui! recevait dès hommes et des choses, no^
tant une à une lès. réfiexions que faisaient nattre en lui la
lecture qu'il venait d'achever , la conversation qu'il avait
entendue la veille, ITmpertîàence dont il était la victime
ou le témoin, et tout ce qui, de près ou de loin, attirait ^oub
attention. Du fbnd de son cabinet, il adressait aux courti-
sans qu'il voyait s'agiter à Tersailles, et tout aussi bien aux
bonrçeoia de F^s, dont il avait également appris à con-
naître les mœurs et le caractère, les sévères leçons de morale
et dlionnéteté qufl puisait dans la plus sage des pbiloso*
phies.Ildistribuabientôt ses réfiexions sous un certain nom-
ïa^à^ ^tamy las plaça oiAdesitemaB*, ooaoDa «w «orte é^ap*
j^eiidice^ k lA saitô des CorocMrea de TfiéopbrasiSt qu'il avait
t. yo|iq» le chAfiitpe du MériU 9$nowuL p* SS- {U (ùui •» Ftameê^.,)^ te
traduit» du gree^ ai l«s lut à cpie^nes ank. ILi lux lèessTi*
rent les éloges, paraît-il, aree une pmdcntèTéMrte. Heu**
reusemeat cette froîdeu" na deciHuragea paa la Brayère ;
il résolut de faire imivrimer soo manuscrit Au milieii d«
siècle dernier, le savant Maupertuie racontait k Berliu de
quelle ÙQon la Bruyère Ferait sea dsfw^ea an iâiraîra qui
leaédlu, et ranecdote oiérite d'être conaervée.
c M. de la Bruyère, diaait-ilf veaait preflc|iie îetanwHenmf
s'asseoir chez ua libraire nommé Michallet, où il feuillétail
les nouveautés, et s'amusait areo us eafanl btengestil, fille
du libraire^ qu'il avait {^ris en an&iié. Uo jour û tire bu
manuscrit de sa pacbe, et di^ h Michalkl ; c Toules^vou»
imprimer ceci? (C'était les (kiinctéru.)J9 ne aaia si Youa f
trouvères votre compte ; mais «& cas de suecè», le produit
sera pour ma petite aamct* » ^^ lîlyeaîre eiktpaprit Tédilkm.
A peine TeùV-il mise eu Tente qu^^le lut enlsvéef et qu'il
fut obligé de réimprim«r {duaieuM fdis ee htre, qui lui
valut deux ott troia cent raifle fraaos. Telle lut la.d^ ia»*
prévue de sa filie^ qui fit^dans la saite, la mariage le ph»
avantageux*. » ^
Imprimé à la fin de ia87^ ans Aôm d'aatear et seat e»
titre : ks (kuractàrêê de Théophraêtej: ir&dvits At gftc^ mec l»
Cara^Urea ou ks maurs 4$ ee eièckt la lirre fut mes es Tentv
dans le ceur» de Tanaée 1688. La prenièr» éâitfam, qv wm
couteoait guère que le tiers de Fouvrage que nous poasd^
doits» fut, ea eSet, isfûdement épuisée; une seoondeeiuM
troittème la suivirent de près* Le auecès enhardît la Bruyèrrf
^ 8«as janiais ab«idoBiMr le travail dlnceasante réviaseo
auquel Û soumit sas Caitaetèree et dont neuf éditto&s por^»
te&t les marques, il écriiât da aauvelles réftaxioaa ék sbtm
tout de nouveaux portrait».
La duc de Bourbôft^s^étalt BMrié en 1685^ et avait eaasé
de prendre de» leçons d'hialeirSé La Bruyère oqMndaat
n'avait poûm quitté la masses de Goadi s réducalâoB dv
1. Fonney, secrétaire perpétuel de rAcadémie de Wlin,a rapporté cetta
■aecdoie, qM WftaU' dé MatipéniiiÉV ààm VtaS àê ttUt «iieoért aeirié^
miqaes.
IV NOTICE-.
jeune duc de Bourbon tenninée, il était détenu Tun des
gentilshommes de M. le Duc, qui était le père de son ancien
élève, et qui devait, après la mort du grand Condé, s'ap-
peler M. le Prince. Il put donc étudier jusqu'à son dernier
jour le spectacle curieux qu'offrait la cour à tout observa-
teur désiotéressé, et de plus en plus assuré contre les atta-
ques de ceux qui eussent voulu entreprendre sur sa liberté,
il osa plus souvent peindre les gens au milieu desquels il
vivait.
Dans la quatrième édition (1689), le livre des Caractères
avait presque doublé ; chacune des quatre éditions qui la
suivirent (1690-1694), reçut également de nouvelles augmen-
tations. La huitième édition offrait un intérêt particulier. Elle
contenait l'excellent discours que la Bruyère avait pro«
nonce à l'Académie française le jour de sa réception, et la
préface très-acerbe qu'il avait cru devoir y joindre.
Sa candidature à l'Académie avait rencontré d'ardents ad-
versaires, et comment s'en étonner? « Voilà de quoi vous
attirer beaucoup de lecteurs et beaucoup d'ennemis, » lui
avait-on dit, alors qu'il préparait la publication des (7a-
ractères. Et le livre, en effet, avait aussitôt soulevé de
violentes inimitiés, dont le nombre s'était accru chaque
jour. Beaucoup de gens ne voulaient y voir, et pour cause,
qu'un libelle injurieux. Tous ceux dont la malignité pu-
blique, à tort ou à raison, mettait les noms au-dessous
des portraits tracés par la Bruyère, tous ceux qui s'étaient
sentis secrètement blessés des traits qu'il avait lancés
comme au hasard, tous ceux enfin qui avaient quelque
chose à craindre d'un écrivain moraliste et satirique à la
fois, s'indignaient à la pensée qu'il pût devenir académi-
cien. Xes ennemis que la Bruyère avait au sein de l'Aca-
démie obtinrent, une première fois, qu'elle donnilt raison
aux ennemis du dehors. L'auteur des Caractères s'étant pré-
senté en 1691 pour succéder à Benserade, la majorité des
académiciens lui préféra un auteur de frivoles badinages,
Etienne Pavillon, poëte aimable et fort à la mode, honnête
homme d'ailleurs, qui avait eu la modestie de ne pas se met-
m
fïOTICE. V
tie SOT les rangs. Une seconde tentative, faite en 1693, fat
plus heureuse, et grâce à Tappui chaleureux de Racine, de
Boileau, de Regnier^Desmarets, grâce aussi peut-être» s'il
faut tout dire, à Fintervention du secrétaire d'État Pôntchar-
train*, la Bruyère fut élu presque à l'unanimité. L'Acadé-
mie le reçut en même temps que Fabbë Bignûn, le 15 juin
1693, dans une séance que présida Charpentier.
Cette séance eut un long retentissement. L'Académie était
alors divisée en deux camps : les partisans de la littérature
ancienne, et les partisans de la littérature moderne. La
Bruyère, qui s'était prononcé à Tavance en faveur deTanti-
quité classique, fit, dans son discours, l'éloge des premiers
et ne loua parmi les seconds qu'un seul de ses confrères.
Charpentier, qui allait prendre la parole après lui et qu'il
ne pouvait se dispenser de nommer. Il proclama devant les
victimes de Boileau que les vers du satirique étaient f faits
de génie i et que sa critique était f judicieuse et inno-
cente ; 1 ce qui était plus grave, il mit en doute, devant
le frère et le neveu de Corneille*, que la postérité ratifiât le
jugement qu'avaient porté du grand tragique ses contem-
porains immédiats, se rangeant presque ouvertement parmi
ceux qui n'admet1;aient pas que Corneille fût égal à Racine«
Fontenelle ne dissimula point l'irritation que lui avait
causée ce discours, et tenta, mais vainement, d'obtenir qu'il
ne fût pas imprimé dans le recueil des harangues académi-
ues. S'associant àla colère de Fontenelle, le Mercure galant
îublia, au sujet de la réception de la Bruyère, une diatribe
dont la violence contrastait singulièrement avec les articles
de banale admiration qu'il prodiguait d'ordinaire à tout
venant. Ce n'était pas seulement, du reste , le soin de la
gloire de Corneille qui animait Fontenelle et le Mercvre
1. Ia Bruyère » déclaré dans son l/t«cof»rt qu'il est entré à rAcadéorie
•ani avoir fkitancnne ivolIiciutioD, et il faut l'en croire sur parole ; mais
ses aniÏH, du moins, aviient pris à cœur sa nomination. Pontchartrain,
qui était Tua d'eux, écrivit aux académiciens sur lesquels il avaii
oaelqne influence pour leur dira quel prix il attachait an succès de l'auteur
«M Carattèret.
9. Thomaa CoradUe et Fontenelle.
YI AOTKSI.
ooûtra la Brayère : l'on arait à sa Tanger d'a?oir éU paiat
aotts le nom de Cydia»*; Tautre d'avoir été placé mtnédiik'
têmmî au-éessau» de rien*.
Plusieurs mois après cette séanee, la Bruyère yépeodit
aax attaques de ses a iversaires par ia préface qu'il publia
en tête de son discours. G«tie pr^^ùice est la demiére addi-
tion quUl ait faite à son livre. Quelques jours avant que ne
parût la neuvième édition des OiraMrti^ qui n'était, sauf
quelques retouches sans importance, que la simple répéti-
tion de la huitième* le 11 juin 1606, il mottrat snbitement
à Versailles d'une attaque d'apoplexie, laissant inacherés
des dialogues sur le quiétisme*.
D'après les témoignages qu'il a recneillie, l'abbé d'Oliret
nous représente la Bruyère c comme an homme qui ne son-
geait qu'à Yivre tranquille aveo des amis et des livres, fai-
sant un bon choix des uns et des autres; ne cherebant ni ne
fuyant le plaisir; toujours disposé à une joie modeste et in-
génieux à la faire nattre, f^oU dans ses manières et sage dans
ses discours; craignant toute sorte d ambition, même celle
de montrer de l'esprit. » Le portrait est assurément exact.
Saint-Simon, qui avait vu souvent la Bruyère, et qui l'appelle
« un homme illubtre par son esprit, par son style et par la
eonnaissanoe des hommes, » avait reconnu en lui c un fort
honnête homme, de très-bonne compagaie, simple, sans rien
de pédant et fort désintéressé. >
Mais c'est dans son livre qu'il faut surtout chercher ^^
étudier la Bruyère. Il s'y montre par excellence Vhonnéw^
homme tel que nous le déânissons aujourd'hui, et non pas
seulement l'honnête homme td qu'on le définissait de son
temps et que le comprenait Saint-Simon, c'est-à-dire
l'homme instruit et bien-élevé. A travers ces pages où il se
peint lui-même en nous livrant sa pensée sur toutes choseS|
|. Vovn \9 chapitre de In Socié^ et d$ Ja eonvêrsaii^n, p. SI.
S. V«»yi'S le cliHpiire deê OHcrayes d» l'etorHf p X9.
%. Aprèti la ninri •'« (n biuvèiu, ii •* éié pue ie «miub son nwm (iet DJ/1I4-
guessur le quirtisme; muis leur au lieiiiit-it»> a paru fori «u^pfcie. L'édiiMHr,
qui eiaii Kll<eh Dukiiii, avouait qu'il éu*l l'MUlettr iMl^sua ^SUMUfi <|Àftio-
guet; peut-être «vùi-ii cumpvaé l'ouvrage euuer«
I
tiottCK. vu
û eu Bit une qai nras Introduit auprès é» Yvâ tlans von eabi-
net de tmtBil : c faomtnfi important et ebargé d'affaires, qai
à Yotre tour avez besoin de mes offices, venez d ms la solitude
de mon cabinet : le philtnopb«est accessible etc., * > Il faut
lire tout le passage et le rapprocher du commentais pîécieuz
qu'en a ftiit l'un des plus malveillants détracteurs de la
Bruyère : t Rien n'est si beau que ce caractère, a dit le
chartreux Bonaventure d^Argoiine sons le pseudonyme de
Vigneul-Marville; mais aussi faut-il avouer que, sans sup-
poser d'antichambre ni de cabinet, on avait une grande com-
modité pour s'introduire soi-même auprès de M. de la Bru-
yère avant quHl eût un appartement à i^hôtel de.... (Condé).-
U n'y avait qu'une porte à ouvrir et qu'une chambre proche
du ciel, séparée en deux par une légère tapisserie. Le vent,
toujours bon serviteur des philosophes, courant au-devant
de ceux qui arrivaient, et retournant avec le mouvement de
la porte, levait adroitement la tapisserie et laissait voir le
philosophe, le visage riant et bien content d'avoir occasion
de distiller dans l'esprit et le cœur des survenants Télixir
de ses méditations. » Dora Bonaventnre n'est-il pas un biei^
maladroit ennemi? U veut faire de la Bruyère un philosophe
ridicule, et voilà dix lignes qui, à défaut d^autre témoignage,
eussent suffi à recommander à notre sympathie Phomme
qu'il sVst proposé d^amoindrir.
Rendre les hommes meilleurs en leur présentant Timage
de leurs défauts, et en mettant à découvert les sentiments
secrets d'où proviennent leur malice et leuts faiblesses,
tel est le but que s'est proposé la Bruyère. Ce n'est pas en
écrivant un traité méthodique sur la morale, tel, par exem-
ple, que la Cour sainte du P. Caussin, qu'il voulut tenter de
corr ger ses lecteurs. Laissant aux docteurs les dissertations
dogmatiques, et s'afTranchissant des transitions qui eussent
alourdi ei gêné sa marche, il fait passer sous nos yeux une
suite de réflexious détachées où ehacnn de nous peut toar à
tour puiser une leçon, et une série de portndis parmi le»-
1. Vojrei la chapitre d$$ Bimê 4$ forftmt,!». 96.
Vm NOTICE.
qaels nous pourrions parfois trouTer le nôtre, si nous ne
préférions y chercher celui d'un roisin ou d'un ami.
Boileau reprochait à la Bruyère de s'ôtre épargné les
difficultés des transitions; mais quel ouvrage régulièrement
méihodiq[ue sur la morale eût pu valoir les Caractères et
obtenir le môme succès ? Comment d'ailleurs concevoir cet
admirable livre sous une autre forme que celle qu'il a reçue?
A ce reproche, que bien d'autres répétaient, la Bruyère
opposait c le plan et Téconomie du livre, » s'efforçant de
démontrer que les réflexions qui composent chacun des
chapitres se présentent c dans une certaine suite insensi*
ble, > et qne le chapitre final est préparé partons les autres *.
On sait avec quelle énergie la Bruyère a protesté contre
une accusation plus grave. Ses ennemis, comme nous l'a-
vons indiqué, lui reprochaient d'avoir malicieusement in-
séré dans ses Caractères les portraits satiriques et calom-
nieux de divers personnages, et l'on se passait de main en
main des listes sur lesquelles étaient inscrits les noms de
ceux que l'on prétendait avoir reconnus. La Bruyère dés^
avoua hautement toutes les clefs, et assurément il en avait
le droit. Beaucoup de personnes y étaient nommées qu'il
n'avait jamais vues, beaucoup d'autres qu'il avait vues et
qu'il n'avait pas voulu peindre. S'il lui était arrivé de faire,
de propos dé ibéré, le caractère de tel personnage que les
circonstances avaient placé devant ses yeux, n'était-il pas,
au surplus, libre de garder son secret, et fallait-il qu'i^
attachât au portrait le nom du modèle? Ses caractères étaien^
faits d'après nature, il l'avait dit le premier ; mais» sans
nier qu'il eût jamais peint c celui-ci ou celle-là », il asçurait
qu'il avait le plus souvent emprunté de côté et d'autre les
traits dont chaque caractère était formé et qu'il s'était ap-
pliqué sincèrement à dépayser le lecteur c par ihille tours
et mille faux fuyants *. > .
I . Voyez la préface des Caraçth'ti et la préfaee da Diêcour9 à VAcadimiê
françnise, — La Bruyère, toatefois, atait reconnu, dans la Discourt tur
Théophroitê, que son. IWre éiait écrit « san» beaucoup de méthode. »
(Voyez ci-après, p. xxzi).
9. Quoi qu'eo ait dit la Bruyère daoi la préftioe de son Discown à
NOTICE. IX
n n'est pas d'oavrage dont l'étude soit plus profitable que
celle des Caractères» c Voulez-vous faire un .inventaire des
richesses de notre langue, a dit un très-bon juge, en voulez-
vous connaître tous les tours, tous les mouvements,
toutes les figures, toutes les ressources, il n'est pas népes-
saire de recourir à cent volumes, lisez, relisez la Bruyère. »
Et, en effet, quelle variété infinie dans l'expression de sa
pensée I Avec quel art se présente chacune de ses réflexions!
Cet art ne se dissimule pas toujours assez, et la Bruyère a
c plus d'imagination que de goût : » ce sont là les seules
réserves qu'ait pu faire la critique la plus délicate. La
Bruyère n'en est pas moins Tun des écrivains les plus ori-
ginaux de notre littérature *. Sa manière n'est plus tout
à fait celle des grands écrivains du dix-septième siècle , et
l'on a pu dire qu'il touche, par certains côtés, au dix-hui-
tième. Mais s'il est vrai que, par une teinte d'affectation
et par la nouveauté des tours , il appartienne à ce qui est
encore l'avenir, que de liens le rattachent au passé, je veux
dire à la langue de la première partie du dix-septième siè-
cle! Alors que la plupart de ses contemporains avaient
c secoué le joug du latinisme. » il reste, Tun des derniers,
fidèle à quantité de tournures et de locutions qui n'auront
plus cours au dix-huitième siècle et qui parfois étonnent
déjà les puristes de son temps. ^
Nous reproduirons, à la suite de cette rapide notice,
quelques extraits des appréciations littéraires auxquelles
ont donné lieu les Caractères, Sans cesse lu et relu, le livre
de la Bruyère est Fun de ceux auxquels la critique revient
le plus souvent.
Il est aussi l'un de ceux que, de notre temps, l'on a édi-
TAcaàémi»^ il n'a pas toujoars « Dommé nettement, » et par loirs noms
en toutes leures, les personnes qu'il Toulait désigner panicnlièrement.
Il entendait bien, par exemple, que chacun reconnût Chapelain, Corneille,
Bos8uet,ie Mercure galantf les partisans, sous les initiales G. P., G. N., L*.
de Meaux, le M. G., les P. T. S.
1. Aussi est-il l'un de ceux que M. Littré a cités le plus souTent dans
son excellent Dictionruur$ de ta langue française. En même temps que ce
dictionnaire, non» aTons utilement consulié le Ltxiqtu de la langue de Mo^
liàre, par F. Génin, et surtout le Lexique de la langue de ComeUlef par
M. F. Godefroy.
X WOTICË.
tés arec le pltn de soin. MM. Walckenaer, Bestailleuf , et
Hémardinquer, dont nous avons mis à profit les travaux,
doivent être placés au premier rang de ceux qui ont rendu
plus facile la tâche de quiconque publie de nouveau les
Caractêrei. Mais, si nombreux qu*aient été les commen-
tateurs de la Bruyère, tous les passages de son livre ne sont
pas encore éclairds. Tel nom, jadis célèbre, telle mention
d'événements peu connus, telle allusion à des usages oubliés,
présentent de véritables énigmes à Tesprit des lecteurs mo-
dernes. Nous avons tenté, pour notre part, de faire dispa-
rattre toute obseurité.
Quant au texte même, nous l*aTons collationné sur les
éditions qui ont paru pendant la yie de Vautour, et cette
révision n'a pas été inutile, même après les excellente édi-
tions de MM. Walckenaer et Destallleur.
Parmi les services qu'a rendus M. Walckenaer, il en est un
que nous devons particulièrement rappeler. Les chapitres
des Caractères se composent de morceaux détachés, qui for-
ment souvent plusieurs alinéas : la Bruyère avait séparé
chacun de ces morceaux par une marque distiactive, qu'il
eût été nécessaire de maintenir, et que cependant la négli-
gence des éditeurs du dix-huitième siècle a laissé disparaî-
tre. M. Walckenaer a pris le soin de rétablir dans le texte
des Caractères les divisions primitives, et il n*est plus per-
mis de les omettre. Le signe que Ton trouvera en tète de
chaque réflexion a donc pour objet de la séparer de celle
qui la précède et de la maintenir dans le cadre que lui a
tracé Fauteur.
c^
JUGEMENTS LITTERAIRES
SUR U BRUYERE.
lia Bruyè^ est entré pkis afant que Tliéo|yhraste dans le
coeur jde Thomme ; il y est même entré plus délicatement et par
des expressiODs plus fines. Ce ne sont pas des portraits de fantaisie
quMl nous a donnés : il a travaillé d'après nature, et il n'y a pas
une description sur laquelle il n'ait eu quelqu'un en vue. Pour
moi, qui ai le malheur d'une longue expérience du monde, j'ai
trouvé à tous les portraits (ju'il ma faits des ressemblances peut-
être aussi justes que ses propres originaux. Au reste, monsieur,
je suis de votre avis sur la destinée de cet ouvrage, que, dés
qu'il paraîtra, il plaira fort aux gens qui ont de l'esprit, mais qu'à
la longue il plair<a encore davantage. Gomme il y a un beau sens
enveloppé sous 49S tours Dus, la révision en fera sentir toute la
déUcatesi90r
BtJSST-RABDTCt (lettre dtt 10 mars 1688).
Il fi'y 4 pvMqiie point de tour daus rèloquence qu'où ue trouve
dans la Bruyère i «t si on y désire quelque chose, ce ne sont pas
certaine.uient les expressions, qui sont d'une force infinie, et tou-
jours les plus propres et les plus précises qu'on puisse employer.
Peu de gens l'ont compté parmi les orateurs, parce qu'il n'y a pas
une suite sensible dans ses Caractères. Nous faisons trop peu d'at-
tention à la perfection de aea fragments, qui eontiennent souvent
pins de matière que de longs disooura, plus de proportion «t plus
d'art
On remarque dans tout son ouvrage un esprit juste, élevé, nep-
ftai, pathétique, égedement capable de réflexion et ée sentiment.
XII JUGEMENTS LITTÉRAIRES
et doué avec avantage de cette invention qui distingue la main des
maîtres ,et qui caractérise le génie.
Personne n'a peint les détails avec plus de feu, plus de force,
plus d'imagination dans l'expression qu*on n'en voit dans ses Ccl-
ractères. Il est vrai qu'on n'y trouve pas aussi souvent que dans
les écrits de Bossuet et de Pascal de ces traits qui caractérisent
non-seulement une passion ou les vices d'un particulier, mais le
genre humain. Ses portraits les plus élevés ne sont jamais aussi
grands que ceux de Fénelon et de Bossuet: ce qui vient en
grande partie des gehres qu'ils ont traités. La Bruyère a cru, ce
me semible, qu'on ne pouvait peindre les hommes assez petits; et
il s'est bien plus attaché à retever leurs ridicules que leur force.
Vàuvenargues.
La Bruyère est meilleur moraliste et surtout bien plus grand
écrivain que la Rochefoucauld ; il y a peu de livres en aucune
langue où l'on trouve une aussi grande quantité de pensées justes,
solides, et un choix d'expressions aussi heureux et aussi varié.
La satire est chez lui bien mieux entendue que dans la Roche-
foucauld : presque toujours elle est particularisée, et remplit le
titre du livre. Ce sont des caractères; mais ils sont peints supé-
rieurement. Ses portraits sont faits de manière que vous les voyez
agir, parler, se mouvoir, tant son style a de vivacité et de mouve-
ment. Dans l'espace de peu de lignes, il met ses personnages en
scène de vingt manières différentes; et, en une page, il épuise
tous les ridicules d'un sot, ou tous les vices d'un méchant, ou
toute l'histoire d'une passion, ou tous les traits d'une ressemblance
morale. Nul prosateur n'a imaginé plus d'expressions nouvelles,
n'a créé plus de tournures fortes ou piquantes. Sa concision est
pittoresque et sa rapidité lumineuse. Quoiqu'il aille vite, vous le
suivez sans peine; il a un art particulier* pour laisser souvent dans
sa pensée une espèce de réticence qui ne produit pas l'embarras
de comprendre, mais le plaisir de deviner ; en sorte qu'il fait, en
écrivant, ce qu'un ancien prescrivait pour la conversation, il vous
laisse encore plus content de votre esprit que du sien.
La Habpi.
Le livre des Caraetères fit beaucoup de bruit dès sa naissance.
On attribua cet éclat aux traits satiriques qu'on y remarqua, ou
qu'on crut y voir. On ne peut pas douter que cette circonstance n*y
contribuât en effet Peut-être que les hommes en général n'ont ni
le goût assez exercé, ni l'esprit assez éclairé pour sentir tout le
SUR LA BRITTERE. Xm
mérite d*im ouvrage de génie dés le moment où il paraît, et qu'ils
ont besoin d*ôtre avertis de ses beautés par quelque passion parti-
culière, qui fixe plus fortement leur attention sur elles. Mais, si la
malignité hâta le succès du livre de la Bruyère, le temps y a mis le
sceau : on l'a réimprimé cent fois; on Ta traduit dans toutes les
langues; et, ce qui distingue les ouvrages originaux, il a produit
une foule de copistes ; car c'est précisément ce qui est inimitable
que les esprits médiocres s'efTorcent d'imiter.
Sans doute la Bruyère, en peignant les mœurs de son temps, a
pris ses modèles dans le monde où il vivait; mais il peignit les
hommes, non en peintre de portrait , qui copie servilement les ob-
jets et les formes qu'il a sous les yeux, mais en peintre d'histoire,
qui choisit et rassemble divers modèles, qui n'en imite que les
traits de caractère et d'elTet, et qui sait y ajouter ceux que lui
fournit son imagination, pour en former cet ensemble de vérité
idéale et de vérité de nature qui constitue la perfection des beaux-arts.
C'est là le talent du poète comique : aussi a-t-on comparé la
Bruyère à Molière, et ce parallèle ofire des rapports frappants; mais
il y a si loin de l'art d'observer des ridicules et de peindre des ca-
ractères isolés, à celui de les animer et de les faire mouvoir sur la
scène que nous ne nous arrêtons pas à ce genre de rapprochement,
plus propre à faire briller le bel esprit qu'à éclairer le goût. D'ail-
leurs, à qui convient-il détenir ainsi la balance entre des hommes
de g^e? On peut bien comparer le degré de plaisir, la nature des
impressions qu'on reçoit de leurs ouvrages; mais qui peut fixer
exactement la mesure d'esprit et de talent qui est entrée dans la
composition de ces mêmes ouvrages?...
En lisant avec attention les Caractèreg de la Bruyère, il me
semble qu'on est moins frappé des pensées que du style; les tour-
nures et les expressions paraissent avoir quelque chose de plus
brillant, de plus fin, de plus inattendu que le fond des choses
mêmes; et c'est moins l'homme de génie que le grand écrivain qu'on
admire.
Mais le mérite de ce grand écrivain, quand il ne supposerait pas
le génie, appose une réunion des dons de l'esprit, aussi rare que
le génie.... Ce n'est qu'après avoir relu, étudié, médité ses Carac-
tère$^ que j'ai été frappé de l'art prodigieux et des beautés sans
nombre qui semblent mettre cet ouvrage au rang de ce qu'il y a de
plus parfidt dans notre langue. Sans doute la Bruyère n'a ni les
élans et les traits sublimes de Bossuet, ni le nombre, l'abondance
et l'harmonie de Fénelon, ni la grâce brillante et abandonnée de
Voltaire, ni la sensibilité profonde de Rousseau : mais aucun d'eux
ne m'a paru réunir au même degré la variété, la finesse et l'origi-
nalité des formes et des tours qui étonnent dans la Bruyère. Il n'y
a peut-être pas une beauté de style propre à notre idiome, dont
on se trouve des exemples et des modèles dans cet écrivain.
XIY JUGEMENTS UTT^R AIRES.
Il serMt di^ilo de défiair avec préoiBMn W earaelèr» dhtmtif
d» so» ea^ : il aei&Ue réusir tous Iw g«nrafl d*(»f[>ril. Tour à to«f
noble et famlUer, éloquent et rammir^ fin et profoiuit tmer et ^f
il change^ tvee uoe extrôme oiobiUlé do ton, de personnage et
mêioe de sentiment, et parlant cependant dee méflaes objets.
Et ne croyez pas que coe mouveoMnls si divers soient Texpioeicm
nft^nreUe d'une âme trèe-senstye, qpi, f» livrant à rknpressija
qu'elle reçoit des objets dont elle est frap^» s'irrite contre lui
vice> tfméigae d'un riéieule, s'entheusiasake pour les mepvrs et la
Tortu. La Bruyère meotre partout les sentiaaents d'un hewiAte
homiAe; maie 11 n'est ni apôtre ni misanthrope. U se paasionnot il
est vrai; maie c'est comme le poite dramatique qui a de» eanctènan
opposés à mettre en aotion. Racine n'eet ni NéMHi, ni Bnrrhue;
zaais il se pénètr» fortement des idées et des sentiments qui appar-
tiennent au eametère et à la sitoatteit de ses pcmonnages, et il
tranre dans son imagfaiation eialfeée par les sentiment» et le» idée»
dent il est plein, tous les traits dont il a bcsoia peur les peindbre.
Ne cherehoB» dime dan» le style de bt BrayèK ni Feipressioit d»
son caractère ni Tépanehement rafoloBtnre de son àma; mai» oIh
serfOBs tes formes diverses qn'il prend -haliâernent po» noua inlé*
reseer on nous plaire.
ftoe grande partie de ie» peméns né poafftieiit se pvtoater qne
comme te» tésuitat» d'une obserrsiiaB tranquille et réftéefaie; mais^
quelque ?èrité, quelque ftnesiey qvetque profondeur même q»*il f
eût daa» tes pensées, cette forme froide et monotone auraié liient&
ralenti etftitigué l'attentiDOy si' eUs eftt été ti^ eominaetteaniil^
prolongée.
Le pbiiesopbe n^cilt pa» seolemeBt peur m falr» lirey il wut
perMader ce qu'il éeria; ^ ^ cowrtdtev de l'esprit^ ainsi que Té»
mottott de IHime^ est teujeuie preporli«nQé» an 4^é d'attentimi
qa^>n dosne aint papoles. Quel éerivaifl a mkmx connu l'art de
fiier Fatteofien par la T^acité on la ^ngolarité de» tour»^ etdal»^
réveiller sans cesse par une inépuisable yariété?...
tmmmrn
II» livra de la Bruyère est du petit nomiure da ceux qui ne caa*
aeront jamaior d'être ê Tordre du jour. C'est un Uvre fsii d'apré»
nature, w> de» plue pensés qui existent et des plus fortement
écrit». « Comme il y a un beau sens enveloppé soys des tour» Ans,
une seoonde lecture en fait mieux sentir toute la délicatesse. » à
n'est point propre U'ailleurs à être la de suite, étant trop plein et
trop denae de matière, c'est-à-dire d'esprit, pour cela; mais, à
quelqua page qu'on l'ouvre, on est sûr d'y trouver le fond et la
forme, la réflexion et l'agrément, quelque remarque just» relevéa
ir
SUR LA BRUYERE. XV
d'imprévU;, de ce que Bussy-Rabutin appelait le tour et qne nous
appelons Vart,.,,
A prendre l'ouvTagç dans safbrme déftnhîvB, teî qu'il étaft déjà
à partir de la cinquième édition, c'est, je t'ai dit, un des livres les
plus substantiels, les plus consommés que l^^tI ait, et qu^n* peut
toujours reftre smw jamais I épuiser, un de ceux qui honorent le
plus le génie de la nation qui les a produits. 11 n'en est pas de plus
propre à faire respecter Tesprit français à Tétranger (ce qui n'est
pas également vrai de tous nos chefs-d'œuvre domestiques), et en
même temps iï y a profit pour chacun do ravoir, soir et matin, aur
sa table. Peu à la fois et souvent:, su irez la prescription^ et tous
TOUS en trouverez bien pour le réghne de l'esprit....
La Bruyère aime la variété et même il TalDscte un peu. Soit
dans la distribution, soit dans It détail, fart chez lui est grand,
très-grand, il n'est pas suprême, car il se voit et il se sent; il ne
remplit pas cet éloge que le poète donne aux jardins enchantés
d'Annide :
B qntl ehel Mla el ev» MeieaM Al^opfe,
l/ane eli» tetta ft» mlbi û «Gopfe.
« Et ce qui ajoute à la beauté et au prix dés ouvrages, Tart qui
a présidé à tout ne se découvre nulle part. »
Tout est soigné dans là Bruyère : il a de grands morceaux à
effet; ce sont les plus connus, les pUis réputés classiques, tels que
celui-ci : « Ht Us troubles ^ Zénobie^ qui agitent i)otre em^
pire, etc. » Ce ne sont pas ceux qu'on préfère quand on l'a beau*
coup lUf mais ils sont d'une construction, d'Une suspension par-
faite et d'un liaborieux achevé.
Eh fait de toiles de moyenne dimension, on n^ avec lui que
rembarras du choix. On sait les beaux portraits du Riche et du
Pauvre f auxquels il n'y a qu'à admirer : c'est mieux encore que
du Théophraste. La Bruyère excelle et se complaît à ces portraits
d'un détail accompli, qui vont deux par deux, mis en regard et
contrastés ou même concertés : Démophon et Busilidê, le nou=^
velliste Tara pis et le nouvelliste Tant mteux; Gna^um et Citron,
le gourmand vorace qui engloutit tout, et le gourmet qui a fait de
la digestion son étude. N'oubliez pas, entre tant d'autres, l'in-
comparable personnage du ministre plénipotentiaire. Quand j'ap-
pelle cela des portraits, il y a toutefois à dire qulls ne sont jamais
fondus d'un jet ni rassemblés dans l'éclair d'Une physionomie ; la
vie y manque : ils se composent, on le sent trop, d'une quantité de
remarques successives; ils représentent une somme d'additions
patientes et ingénieuses. Aussi la Bruyère ne les a-t-il pas inti-
tulés parfraif^, mais caractères.
Lorsqu'on s'est une fois familiarisé avec lui et avec sa manière ,
on l'aime bien mieux, ce me semble , hors de ces morceaux de
I
•I
XYI JUGEMENTS LmÉRAIRES
montre et d'apprôt, dans les esquisses plus particulières d'origi-
naux, surtout dans les remarques soudaines, dans les traits yifs et
courts , dans les observations pénétrantes qu'il a logés partout et
qui sortent de tous les coins de son œuvre.
Sàinte-Bbovb.
L'aptitude de la Bruyère se révéla et se fortifia par Tétude
qu'il fit de Théophraste, et par l'excellente ' traduction qu'il en
donna. En publiant à la suite dé cette traduction ce qu'il y ajou-
tait de son fonds, et d'après des modèles pris dans sa nation, il
faisait voir, par la comparaison, que notre littérature était mûre
pour ce genre d'écrits. C'est à lui, en effet, qu'il faut faire hon-
neur d'avoir su le premier présenter la morale sous la forme d'un
genre ou d'un art. La Bruyère est le moraliste littérateur.
Ses deux devanciers n'avaient pensé qu'à se rendre compte à
eux-mêmes, celui-ci, de ses souvenirs et de la morale qu'on en
pouvait tirer ; celui-là, de ses motifs d'abdiquer et de se réfugier
dans la foi. La Bruyère, moins sublime en effet que Pascal et
moins profond que la Rochefoucauld, songe plus à s'approprier au
public, et s'accoutume à ne regarder les choses que jusqu'où la
vue des autres peut le suivre. Philosophe plus libre que la Roche-
foucauld et Pascal, il n'est pas enchaîné à son passé comme le pre-
mier, ni, comine le second, tiraillé entre le doute et la foi. S'il
plonge moins avant ou s'il voit de moins haut, il touche k plus de
points et voit plus juste. Au lieu de vouloir enfoncer dans les
cœurs la vérité toute nue, à la manière de la Rochefoucauld, comme
un trait acéré, la Bruyère nous le présente comme un fruit de
notre propre sagesse; et par* là nous dispose d'autant plus à nous
l'appliquer. Au lieu de nous accabler comme Pascal, et de nous
désarmer au moment du combat, il excite notre activité, et nous
fortifie par cet art de montrer à la fois et à qui nous avons affaire,
et qu'il y a presque toujours pire que nous. U varie pour ne pas
fatiguer, et il peint plus qu'il ne raisonne, sachant bien qu'il sera
plus longtemps maître de l'imagination de son lecteur que de sa
raison. Il n'annonce rien d'avance, aimant mieux, pour nous en-
seigner avec fruit, surprendre nos consciences pendant qu'elles
sont occupées des autres, et les faire revenir ainsi tout à coup sur
elles-mêmes, que de les attaquer dogmatiquement, au risque de
les trouver en défense derrière des précautions auxquelles se bri-
sent la vérité impérieuse de la Rochefoucauld et la vérité impi-
toyable de Pascal.... On résiste aux Pensées et aux Maximes,
comme à l'autorité d'une raison individuelle, aigrie par des cir-
constances personnelles à l'auteur; mais on reçoit volontiers les
leçons de la Bruyère, parce que sa raison est libre de ressentiments
SUR I.A BRUYÈRE. XVII
et de souffrances^ et, qu'ainsi qu'il le dit si délicatement, il ne fait
que rendre au public ce que le public lui a prêté.
D. Njsa&d (Hittoire. de la littérature française).
La Bruyère est pour les mœurs de son siècle un témoin incom*
mode. On ne peut nier sa clairvoyance, et on ne saurait douter
de sa véracité. Il a yu ce qu'il peint sans ménagement, mais aussi
sans animosité. Il n'a d'autre passion que Tamour du vrai et du
juste; le mensonge le blesse et l'iniquité l'offense; la seule ven-
geance qu'il en tire est de les représenter au vif; et comme le
fond de la nature humaine ne change pas, que les mêmes travers
et les mêmes vices subsistent toujours sous des formes et des cos-
tumes divers, selon les temps, son livre a été pour les Ages sui-
vants une peinture anticipée. La malignité des contemporains cher-
chait et multipliait les modèles de ses portraits, et nous pouvons
encore les rapporter à des visages qu'il n'a point vus. Les géné-
rations se succèdent et continuent de trouver parmi les vivants des
figures déjà peintes dans cette galerie dont les originaux se renou-
vellent sans cesse. Ainsi, quoique la Bruyère n'ait eu que le dessein
de peindre les mœurs et les caractères de son temps, comme il a
YU au delà de la surface et des traits mobiles du dehors, il est plus
qu'un témoin du passé, et son œuvre ne vieillit point Elle vit, en
outre, par le style qui donne à tant de réflexions fines et profondes
un tour original, à tant de physionomies distinctes un relief du-
rable et des couleurs qui n'ont point p&li. Cependant, il faut re-
connaître qu'avec tous ces mérites de peintre et d'écrivain, la
Bruyère n'a pas l'aisance, le naturel, en un mot, la grande ma-
nière des maîtres qui lui ont frayé la voie. Il sait les admirer et il
ne veut pas les imiter; on sent même la peine qu'il se donne
pour ne pas leur ressembler, cherchant curieusement l'originalité
par la structure de la phrase et le choix des mots qu'il appelle
invention. De plus, il met partout de l'esprit et veut à chaque in-
stant produire un effet; enfin, il n'a pas cet art suprême qui efiace
les traces de l'art.
Géruzsz {Histoire de la littérature française).
Sans système philosophique arrêté, sans prétention à la profon-
deur, la Bruyère est un auteur charmant qu'on ne se lasse pas de
relire. Quel riche tableau que son livre des Caractères l Que de
finesse dans le dessin! que de couleurs brillantes et délicatement
nuancées 1 comme tout ce monde comique qu'il a créé s'agite dans
un pêle-mêle amusant l Point de transition, point de plan régulier.
XVin JUGEMEOTS LITTÉRAIRES
Sôs penonnages sont une foule affairée qui court, qui sé feinae
toute chamarrée de prétentions, d'originalités, de ridicules : vous
croiriet èirt dana la gnnde galerie de Vemilles, et voir défiler
devant vous, ducs, marquis, financiers, bourgeois-gentilshommes,
p(dants, prélats de cour. Tantôt vous entendez un piquant dialo-
gue qui a tout le sel d'une petite comédie, avec un mot plein de
lens pour dénoûment^ tantôt, entre deux travers habilement saisis,
l'auteur glisse une réOexion morale dont la ''érité fait le principal
mérite} Ici O^est une maxime concise, à la manier^ de la Roche-
foucauld, mais sans ses préjugés mlsanthroplqaes; 1& une Image
familière ennoblie & force d'esprit et de nouveauté; plus loin, une
construction maligne qui arme d'un trait inattendu la fin de la
phrase la plus inolTensive. La Bruvère, aUi Ique grand observateufi
n'est pas précisément uù philosopne; il ne creuse pas dans la ré-
gion souterraine des principes; il se tient à la Surface où végètent
les passions et les vices. En folt de pensées, il croit que tnut est dit
et qu'on vient trop tafd élepuis plus de sept mille ans qu*il y à
des hommes. Aussi, en-il plutôt uo artiste qu'un penseur. Il a pria
aux honnêtes gens de son temps leurs croyances toutes faites, &
Théopbraste, qu'il a traduit, sa manière et sa forme ; mais il â
mis sous tout cela son esprit, et c*eât aaset pour aasurer l'immor-
talité de ton livré.
h DsnooKOT iiBistfrirê i$ la littérature /Vatifaiii), •
La Bruyère mérite sa gloire t penseur jtrdlcleux, observateur aa*
gace, écrivain d'une habileté et d*une souplesse merveilleuses, il
est peintre autant qu'écrivain, plutôt peintre de niAurs qu'il n'est
proprement moraliste.... Il a tous les genres d'esprit; 11 a tous les
rnres de style. Il joint la viffueur à l'éclat, l'énergie à la finesse,
est grave, il est véhément; il a l'art de dire légèi-ement des choses
sérieuses et de dire des choses plaisantes avec Un sérieux qui en
double l'eflbt; 11 a l'ironie, le sarcasme, le trait détourné qui ef*>
fleure, le coup de massue qui écrase; il a des alliances de mots et
d'idées qui surprennent; il fait rire et il fait penser; comme tous
ceui qui Offit longtemps observé la nature humaine, il a parfois
l'accent d'ime mélancolie profonde; mais cela. passe comme un
nuage, et il se remet de plus belle à se moquer de nos travers.
Tantôt il va droit à son but; tantôt il y arrive par des détours in-
génieux. Il nous laisse pendant toute une longue page en suspens,
guis 11 Jette à la fols un mot qui fait éclair et illumine sa pensée.
l a de vrais coups de théâtre.
Avec tous ces mérites et d'autres encore, la Bruyère n'est pas
exempt de défauts. Et d'abord c'en est un peut«ètre que eette ia^
croyable diversité de totta : l'effoit s'y fiiit sentir; d^dllenn un
SUR LÀ BRUYÈRE.
teur n'aime pas qu'on le secoue à tout propos de peur que son
attention ne s'endorme. Ce style si curieusement travaillé a aussi
rinconvénient de se détacher de la pensée, qui se trouve reléguée
sur le second plan. Enfin Tauteur des Caractères est quelquefois
maniéré, et c'est le seul classique de la meilleure époque auquel on
puisse faire ce reproche. Contemporain, admirateur de Bossuet et
de Fenelon, il touche par un coin à Voiture. Mais sMl tombe dans
la recherche, si le goût n'avoue pas toutes ses expressions, c'est
qu'a force de courir après la variété et la nouveauté, on s'égare : il
est certain qu'il avait le goût exquis. Dans plusieurs endroits de
son ouvrage, mais principalement dans son discours de réception à
rAcadémie française, il a montré les qualités d'un critique de pre-
mier ordre. En caractérisant les grands écrivains de son siècle, il a
parlé d'avance le langage de la postérité. Il connaissait aussi, il
appréciait mieux qu'on ne le faisait généralement sous Louis XIV
, nos écrivains antérieurs. Il aimait leur vieux style, il en regrettait
les beautés et il en a sauvé plus d'une. On voit qu'il ne s'est mis à
écrire qu'après avoir étudié la langue française à fond et dans ses
véritables sources. Et maintenant encore, voulez-vous faire un m-
ventaire des richesses de notre langue,* en voulez-vous connaître
tous les tours, tous les mouvements, toutes les figures, toutes les
ressources, il n'est pas nécessaire de recourir à cent volumes, lisez,
relisez la Bruyère.
VALLERTRAnoT. (Chefs-^OBWofe des classiques
français du dix-septième siècle^ avec des no-
tices par MM. A. de Courson et Yallery Radot)
FIN DE LA NOTICE.
i
DISCOURS
SUR THÉOPHRASTE'.
Jm n'eatime pu que rhomme soit capable de fonner duu ion
esprit an projet plus vain et plus cbimérique que de prétendre, en
Acrivant de quelque art ou de quelque science que ce soit, ictiap-
per à toute sorte de critique et enlerei les suffrages de tous s«i lec-
Car, sans m'éteudre sur la différence des esprits des hommes,
■usd prodigieuse en eux que celle de leurs TÎsagea, qui fait
goûter aui uns les oboses de apâculalion et aui autres celles ds
fratiqoe ; qui fait que quelques-uns cbercbenl dans les livres à
txercer leur imagination, quelques autres à Tormer leur jugement;
qu'entre ceux qui lisent, caui-ci aiment à Sire forcés par k dé-
monslration , et ceui-là veulent entendre délicatement, ou former
des raisonnements el des coujectures; je me renferme seulement
dans cette science qui décrit les moeurs, qui examine les hommes,
et qui développe leurs caractères ; et j'ose dire que sur les ouvra-
ges qui traitent de choses qui les touchent de si près, et où il ne
s'agit que d'eux-mêmes, ils sont encore extrêmement difficiles à
contenter.
Quelques savants ne goûtent que les apopbtbegmes des anciens et
les exemples tirés des Romains, des Grecs, des Perses, des Égïp-
tiens ; l'histoire du monde présent leur est insipide ; ils ne sont
point touchés des hommes qui les environnent et avec qui ils vi-
vent, et ne font nulle attention ï leurs mceurs. Les femmes, au con-
traire, les gens de la cour, et tous ceux qui n'ont que beaucoup
d'esprit sans érudition, indiflérents pour toutes les choses qui les
ont précédés, sont avides de celles qui se passent k leurs jeux, et
qui sont comme sous leur main ; ils les examinent, ils les discÂr-
1. Cette édliloi uscomtent pas Is tredaciinn qn'afittelaBraTèredei Ca-
ractèTH de Thfophrisie ; mais romme le Diitouri qu'il ■ mit en lète de
u uvdtiiUiDii Hr>aii k la fois d'iiiti uduction wii Caractinê da Th«(iptar*sM
M k us prapn» COrocUrM, aoni sions ilfl le reproduira.
XXn DISCOURS SUR THÉOPHRASTE.
nent ; ils ne perdent pas de vue les personnes qui les entonrent: si
charmés des descriptions et des peintures que Ton fait de leurs
contemporains, de leurs concitoyens, de ceux enfin qui leur res-
semblent et à qui ils ne croient pas ressembler, que jusque dans la
chaire Ton se croit obligé souvent de suspendre l'Évangile pour les
prendre par leur £ûble , et les ramener à leurs devoirs par des
choses qui soient de leur goût et de leur portée*.
La cour ou ne connaît pas la ville, ou, par le mépris qu'elle a
pour elle, néglige a*en relever leridlçulf et n'est point frappée des
images quMl peut fournir ; et si au contraire Ton peint la cour,
comme c'est toujours avec les ménagements qui lui sont dus, la
ville ne tire pas de cette ébauche de quoi remplir sa curiosité et
se faire une juste idée d'un pays où il faut même avoir vécu pour
le connaître.
D'autre part, il est naturel aux hommes de Bé peint convenir de
lA beauté ou de la délicatesse d*un trait de morale qui les peint,
qui les désigne, et où ils se reconnaissent eux-mêmes : ils se tirent
d'embarras en le condamnant ; et tels n'approuvent la satire que
lorsque, commençant à l&cher prise et à s'éloigner de leurs per*
sonnes, elle va mordre quelque autre. ,
Enfin, quelle apparence de pouvoir remplir tous les gofits si dlf^
férents des hommes par un seul ouvrage de morale? Les uns cher*
chent des définitions, des divisions, des tables, et de la méthode)
ils veulent qu'on leur explique ce que c'est que la vertu en génê*
rsd, et cette vertu en particulier ; quelle différence se trouve entre
la valeur, la fbrce et la magnanimité; lesvioes extrêmes par le d^
fiiut ou par l'excès entre lesquels chaque vertu se tMuve placée, et
duquel ae ces deux extrêmes elle emprunte davantage* i toute autre
doctrine ne leur platt pas. Les autres, contents que IVm réduise les
mœurs aux passions, et que l'on explique celles*oi par le mouve^
ment du sang, par celui des fibres et des artères*, quittent un au^
teur de tout le reste.
Il s*en trouve d'un troisième ordre qui , persuadés que toute
doctrine des mœurs doit tendre à les réfbrmer, à discerner les
bonnes d'avec les mauvaises, et à démêler dans les hommes ce
qu'il y a de vain, de faible et de ridicule, d^avec ce quMb peuvent
avoir de bon, de sain et de louable, se plaisent infiniment dans la
lecture des livres (^i, supposant les principes phvsiques et mo-
raux rebattus par les anciens et les modernes, se jettent d'abord
dans leur application aux mœurs du temps, corrigent les hommes
les uns par les autres, par ces images ae 6hoses qui leur sont
|. YoyeSfdans les CofoclIrM, la quatrième ré(W>0 <1« «iMIPitre l>ê la
S. Telle est la méthode qu'a sQirie Aristote,
S. Allusion à divers ouvrages de Tépoque, |Mrml lesquels «A MAt placer
le l^ité d»t patêionê de rAme de Descartes.
MSCOUM SUR TB^OPHUna.
a JMUHèiM «( dool néumûit il» u •'•Tinàant f
iiutmctiOD.
Tel wt la tnit4 dit Ctratiènt de* nmet qua nous > lùuA
TbéophrasiB. Il II puiiA dïoi lei ÉthiqutM «l dia'< 1*9 grandît Mo~
nUes d'AridoU, doni il fui le ditcipte. la eicclisnts» déiiiilUoiu
qu« ron lil (u commencgmant da cbuiut chapitrt soai éulilisi sur
les idceg et sur Im principes àt ca giuul pbilMortie, tt 11 fond du
eanotèrai qui j aoiit dâoriti eil pria de U mâm* wuk4. 11 «st
Trai qu'il m le« rind propres pv l'éUndiu qu'il leur doena, «t pu
la iBtire inaénieua* qu'il in lira C9iUr« lu vio«s d«9 Gncs et «u»
tmii de» àihénians.
Ce livre ne pHit guère pauer que pogr 1* oamiDincemeQt d'os
plus long Duvraxe que Théophniite avait entreprii. Le projet de C«
pbiloioplie, oomme tous le remarquerez ilaji* u prêtée, était da
traiter da toutes le* vertus ei de iQus l«e vieei. Û çomma il M-
nire lui-mtma dus oat endroit qu'il oonmeiMe uoat grand desHin
à l'ftga de i(uatre- vingt- dii>uti(f ans, il J a apparenci qu'una
prompte mort l'empAcha de le ooDduire fc la perfection, i'avoua
que l'opinion commune a toujoura éti qu'il avaii pouaaé m vie aU'
deli de cent au, et eaint iérûme, dana une lettia qu'il était 4 NÎ*
potien, asaura qu'il eil mort à ceai wpl ani vwonipils i de to'ta
que je ne douta point qu'il a'} ail tu une aai:ieDne erreur, uu dani
let chiffrai graca qui OM aervi de Mgle k Uiogèna Laérta', qui Ha
la bit vivra que qtutre-viogt-quiliu annâM, ou daju les pnmiata
mauuacrits qui ont éli faits de <lat hiilorlen, s'il e>t vnl d'aillaun
que lea quatre^vingt-dii-nauT anl que cet auteur m dam» daoa
cette préface se lisentégalement dans quatre manusoriladell bibllo-
tbèqua Palatioa, où * l'on a ausu trouvé les cinq dernier* ebapibea
daa Carmelàrei de Tbioptiraite qui manquaient tua >uiûiao&>t im-
praaaiona, et ob l'on a vudeui titrea, l'un: Dm {odJ fn'oa a peur
1er vteinw, et l'autra : Du gain aenlide, qui lo^ alûla et dénuia
de leurs ciupitraa*.
Ainsi cei ouvrage a'eat p*ut-4tre mima qu'an simple tragmairi,
mais cependant uu resta précieui de l'sllti'iuitéi al un monument
delavivaetié d* l'écrit et du jugemsailaniie ei Mlide da oe pbi-
laaopbe daos un Age li avanai. Kn aSet, il a lou^aur* été lu comme
na ebef-d'ienvre dans ion genre : Il ne se voit nen ttii la godt atti-
que sa (au* mieux remarquer, et où l'âégance grecque éUaie da-
vantage: 00 l'a appelé un livra d'or. Las savants, biaant attantioa
h la (bvarsité des raoeura qui y soot ttsitie* et & k manière nalva
^ au dii-huinèma
XXIY DISCOURS SUR THEOPHRASTE.
dont tous les caractères y sont exprimés, et la comparant d'alUeort
avec celle du poète Uénandre , disciple de Théophraste^ et qui servit
ensuite de modèle à Térence, qu'on a dans nos jours si heureuse-
ment imité) ne peuvent s'empêcher de reconnattre dans ce petit ou-
vrage la première source de tout le comique; je dis de celui qui est
épuré des pointes, des obscénités, des équivoques, qui est pris
dans la nature, qui fait rire les sages et les vertueux.
Mais peut-être que pour relever le mérite de ce traité des Carac-
tères et en inspirer la lecture, il ne sera pas inutile de dire quelque
chose de celui de leur auteur. Il était d'Erèse, ville de Leshos, fils
d'un foulon ; il eut pour premier maître dans son pays un certain
Leucippe*, qui était de la même ville que lui ; de là il passa à l'école
de Platon, et s'arrêta ensuite à celle d'Aristote, où il se distingua
entre tous ses disciples. Ce nouveau maître, charmé de la facilité
de son esprit et de la douceur de son élocution, lui changea son
nom, qui était Tyrtame, en celui d'Euphraste, qui signifie celui
qui parle bien ; et ce nom ne répondant point assez à la haute es-
time qu'il avait de la beauté de son génie et de ses expressions, il
l'appela Théophraste, c'est-à-dire un homme dont le langage est
divin. Et il semble que Gicéron ait entré dans les sentiments de ce
philosophe, lorsque, dans le livre qu'il intitule Brutus ou des Om-
teurs illustres j il parle ainsi : « Qui est plus fécond et plus abon-
dant que Platon, plus solide et plus ferme qu'Aristote, plus agréa-
ble et plus doux que Théophraste? » Et dans quelques-unes de ses
épttres à Atticus, on voit que^ parlant du même Théophraste, il
l'appelle son ami, que la lecture de ses livres lui était ÛLmilière, et
qu'il en faisait ses délices.
Aristote disait de lui et de Gallisthène, un autre de ses disciples,
ce que Platon avait dit la première fois d' Aristote même et de
Xénocrate, que Gallisthène était lent à concevoir et avait l'esprit
tardif, et que Théophraste au contraire l'avait si vif, si perçant, si
pénétrant, qu'il comprenait d'abord d'une chose tout ce qui en
pouvait être connu; que l'un avait besoin d*éperon pour êljfe excité,
et qu'il fallait à l'autre un frein pour le retenir.
Il estimait en celui-ci sur toutes choses un caractère de douceur
qui régnait également dans ses mœurs et dans son style. L'on ra-
conte que les disciples d'Aristote, voyant leur maître avancé en
&ge et d'une santé fort affaiblie, le prièrent de leur nommer son
successeur ; que, comme il avait deux hommes dans son école sur
qui seuls ce choix pouvait tomber, Ménédème' le Rhodien, et
Théophraste d'Érèse, par un esprit de ménagement pour celui qu'il
voulait exclure, il se déclara de cette manière : il feignit, peu de
»
1. Un antre que Leacippe, philosophe célèbre, et disciple de Zenon. {Noté
dé la Bruyère.)
2. Il y en a deux autres de même nom, l'on philosophe cynique, l'antre
disciple de Platon. (Note de la Bruyère.)
DlSCOtntS SUR THÉOPHRASTE.
temps ^risque aw disciples lui eurent bit cette pi
présence, que le TÎn dont il lùsaitun usage ordinaiio .iuo>ui,uui-
silile ; il se fit apporter des Tins de Rhodes et de Lesbos ; il goûta
de tous les deux , dît qu'ils ne démentaient point leur terroir, et
que chacun dans son genre était excellent; que le premier avait da
la force, mais que celui de Lesbos avait plus de douceur et qu'il lui
donnait la préférence. Quoi qu'il en soit de ce fait, qu'on lit dans
Aulu-Celle, il est certain que lorsque Aristote, accnsé par Eurym^
don, prêtre de CérËs, d'avoir mal parlé des dieux, craignant le
desUn de Soccate, voulut sortir d'Athènes et se retirer à Ghalds,
villa d'Eubée, il abandonna son école au Lesbien, lui confia ses
écrits à condition de les tenir secrets; etc'eat par Tbéophraste que
sont venus jusgues à nous les ouvrages de ce grand homme.
Son nom devint si célèbre par toute la GrËce que, successeur d'A"
ristote, ii put compter bientôt dans l'école qu'il lui avait laissée
jusques à deux mille disciples. Il excita l'envie de Sophocle', 31s
d'Amphiclide, et qui pour lors était préteur: celui-ci, en eCTet son
ennemi, mais sous p^teite d'une exacte police et d'empêcher les
assemblées, fit une loi qui défendait, sur peiue de la vie, à aucun
philosophe d'enseigner dans les écoles. Ils obéirent; mais l'année
suivante, Pbilou ayant succédé à Sophocle, qui était sorti de charge,
le peuple d'Âlhénes abrogea cette loi odieuse que ce dernier avait
faite, le condamna à une amende de cinq talents, rétablît Théo-
phraste et le reste des philosophes.
Plus heureux qu'Arislote , qui avait été contraint de céder & Ba-
nrmédon, il fut sur le point de voir un certain Agnonlde puni
comme impie par les Athéniens , seulement à cause qu'il avait osé
l'accuser d'impiété : tant était grande l'affection que ce peuple avait
pour lui et qu'il méritait par sa vertu.
En eOet, on lui rend ce témoignage qu'il avait une singulière
prudence, qu'il était zélé pour le bien public, laborieux, officieux,
affable, bienfaisant. Ainsi, au rapport de Plutarque, lorsque
Érése fut accablée de tyrans qui avaient usurpé la domination de
leur pays, il se joignit à Pbydias', son compatriote, contribua
avec lui de ses biens pour armer les bannis, qui rentrèrent dans
leur ville, en chassèrent les traîtres, et rendirent à toute 111e de
Lesbos sa liberté.
Tant de rares qualités ne lui acquirent pas eeulement la bien-
veillance du peuple, mais encore l'estime et la familiarité des rois.
n fut ami de Gassandre, qui avait succédé à Aridée, frère d'A-
leiandre le Grand, au royaume de Macédoine; et Ptolémée, fils
de Laguset premier roi d'£gypte, entretint toujours un commerce
étroit avec ce pliilosophe, 11 mourut enSn accablé d'années et i«
XZVI DISCOURS SUR HÉGMRAtTI.
teti^es, et il œssA tout à la feti dt tntniUftr «t d« vl«ff« Tiroto
k Grèoê le pleura, et tout le peuple athénien asaista à we fùné-
leillei.
L'on raconte de lui que, dant ton ettrdme vieilleite, ne ponveai
plus marcher à pied, il se faisait porter en litifere par la tlllp, eu
il était vu du peuple, à qai il était si oher. L'on dit auifti que ses
disciples, qui eituiuraient son lit lonqu'il mourut, lui ayant de*
mandé s*il n'avait rien I leur recommander, il leur tint ce die-
eouri : < La vie nous séduit, elle nous promet de grands plaisirs
dans la posseRsion de la gloire; mais! peine coiTimenoe-t«on à
vivre qu'il flautmourir.il n*y a souvent rien de plusstérilèqueramouf
de la réputation. Cependant, mes disciplee, oontentes-vons : si voue
négliges Teetime des hommes, vous vous épargnes à vous-mêmes
de grands travaut ; s'ils ne rebutent point votre courage, il peut
arriver que la gloire sera votre récompense. Souvenez-vous Seule^
ment quMl y a dans la vie beaucoup de choses inutiles, et qu'il y
en a peu qui mènent à uue fin solide. Ce n'est point à mol à déli«
bérer sur le parti que ]e dois prendre, il n'est plus temps : pour
tous, qui aves à mé survivre, vous ne sauriés peser trop mûre-
ment ce que vous devec ikire, » Et ee furent là ses dernières pa-»
loles.
Cioéron, dans le troisième livre des lWe«lane«, dit que rhé<H
phraste mourant se plaignit de' la nature, de ce qu'elle avait
accordé aux cerfs et aux corneilles une vie si longue et qui leur est
si inutile, lorsqu'elle n'avait donné aux hommes qu^une vie très-
oourte, bien qu'il leur importe si fort de vivre longtemps ; que
si l'ftge des hommes edt pu s^étendre à un plus grand nombre d'an-
nées , il serait arrivé que leur vie aumlt été cultivée par une doc-
trine universelle, et qu'il n'y aurait eu dans le monde ni art ni
science qui n*eût atteint sa perfection. Bt saint Jérôme, dans l'en-
droit déjà oité, assure que Théophraste, à Page de cent sept ans,
frappé de la maladie dont il mourut, regretta de sortir de la vi«
dans un temps où il ne faisait que commencer à être sage.
11 avait coutume de dire qu'il ne Ikut pas aimer ses amis pour
les éprouver, mais les éprouver pour les aimer; qtie les amis doi-»
vent être communs entre les frères, comme tout est commun entre
les amis ; que l'on devait plutôt se fier à un cheval sans frein mi'à
celui qui parle sans jugement; que la phis forte dépense que l*on
puisse ftiire est celle du temps. H dit un jour à un nomme qui se
taisait à table dans un festin : « SI tu es un habile homme, ta as
tort de ne pas parler; mais s*il n*est pas ainsi, tu en sais beaucoup.»
Voilà quelques-unes de ses maximes.
Mais si nous parlons de ses ouvrages, ils sont infinis, et nous
n'apprenons pas que nul ancien ait plus écrit que Théopliraste.
Diogéne Laërce fait l'énumération de plus de deux cents traitée dif-
férents, et sur toutes sortes de sujets qu'il a composés. La plus
DISCOURS sun th£opqrast9. x^nx
ff«HAd^ pwrtie f*€)it p^rduQ par 1q w^l^eur fiQ$ tomps, et Ts^utr^ ^
réduit à Tioft traités, oui aoat recueillie dai^s k volume de 8e«
<suvr«9. L'qii y yoit ueui livres de l'histoire des pUotQs, i^i^ Uvtqs
^ leurs C2^tt9es. U « 4cnt des vents, du feu, des pierres, du mi^l»
éti sigoti (ia iNia» temps, des sigoes de la pluie, des signes de û
tempête, des odeurs, 4e U sueur, du vertige, de la lassitude, du
lelftchement des uerfs, de la d^faillanœ, des ppiesous qui vivent
hors de Veaui des animaux qui changent de co%leiir, dei animaw(
qui naissent subitement, des animaux sujets à renviei cies caractè-*
res des mœurs* voil^ qe qui nous reste de ses ^arits, entre lesquels
ee dernier seul} dont en donne la traduction^ peut répondre non-
seulement de la beauté de ceux que l'on vient de déduire, mais en-
core du mérite d'un nombre infini d'autres qui ne sont point venus
jusqu'l nous.
Que si quelquos-uos se refroidissaient pour oet ouvrage moral
par les cboees qu'ils y voient t qui sont du temps auquel il a été
^rit et qui ne sont point selon leurs mœurs, que peuvent^ils faire
de plus utile et de plus agréable pour eux que de se défaire de cette
prévention pour leurs coutumes et leurs manières* qui, sans autre
discussion, non-seulement les leur fait trouver les meilleures de
toutes, mais leur fuit presque décider que tout ee qui n'y est pas eon*
forme est méprisable, et qui les prive, daus la lecture des livres
des aaeie&e, du plaisir et de rinstruetion qu'ils en doivent at^
te&dret
I^ous) qui sommes si modernes ,' serons aneieos da^s quelques
tièeles. Alors l'histoire du ndtre fera goâter à la postérité la véna*
lité des charges, e'est>»2i^re le pouvoir de protéger rinnoeenoe, de
punir le erime, et de faire justice à tout le monde, acheté h deniers
comptants comme une métairie ; la splendeur, des partisans, gens
fi méprisés ches les Hébreux et ches lesGreey Vonentendraparler
d'une eapitale d'un grand royaume où il n'y avait ni places publi-
ques, ni bains, ni fontaines, ni amphithéâtres, ni galeries, nipor^
tiques, ni promienoirs, qui était pourtant une ville merveilleuse.
Von dire que tout le cours de la vie s'y passait presque | sortir de
«a maison pour aller se renfermer dans celle d'un autre; que d'hon-
nêtes femmes, qui n'étaient ni marchandes ni hôtelières, avaient
leurs maisons ouvertes à ceux qui payaient pour y en^r *; que Ton
avait à choisir des dés, des cartes et de tous les jeux ; que Vou
mangeait dans oea maiscms, et qu'elles étaient commodes à tout
commerce*
L'on saura que le peuple ne paraissait dans la ville que pour
y passer aveo précipitation : nul entretien, ituUe familiarité /que
t. laéis les jonears laisssient sur les tables de Jee, qoelqiie riehe que let
leer hete, «ae partie du gain poar payer les earles. La araser* fait aliuaion
à est essge.
XXYin DISCOURS SUR THÉOPHRASTE.
tout y était fitrouche et comme alarmé par le bruit des chars qu'il
fallait éviter, et qui s'abandonnaient au milieu des rues, comme
on fait dans une lice pour remporter le prix de la course.] L'on ap-
prendra sans étonnement qu'en pleine paix, et dans une tranquil-
lité publique, des citoyens entraient dans les temples, allaient voir
des femmes ou visitaient leurs amis avec des armes offensives, et qu'il
n'y avait presque personne qui n'eût à son côté de quoi pouvoir d'un
seul coup en tuer un autre. Ou si ceux qui viendront après nous,
rebutés par des mœurs si étranges et si différentes des leurs, se dé-
goûtent par là de nos mémoires, de nos poésies, de notre comique
et de nos satires, pouvons-nous ne pas les plaindre par avance de
se priver eux-mêmes, par cette fausse délicatesse, de la lecture de
si beaux ouvrages , si travaillés, si réguliers, et de la connais-
sance du plus beau règne dont jamais l'histoire ait été embellie?
^ Ayons donc pour les livres des anciens cette même indulgence
que nous espérons nous-mêmes de la postérité, persuadés que les
hommes n'ont point d'usages ni de coutumes qui soient de tous les
siècles ; qu'elles changent avec les temps ; que nous sommes trop
éloignés de celles qui ont passé, et trop proches de celles qui ré-
gnent encore, pour être dans la distance qu'il faut pour faire des
unes et des autres un juste discernement. Alors, ni ce que nous ap-
pelons la politesse de nos mœurs, ni la bienséance de nos coutu-
mes, ni notre faste, ni notre magnificence, ne nous préviendront
pas davantage contre la vie simple des Athéniens que contre celle
des premiers hommes , grands par eux-mêmes, et indépendamment
de mille choses extérieures qui ont été depuis inventées pour sup-
pléer peut-être à cette véritable grandeur qui n'est plus.
La nature se montrait en eux dans toute sa pureté et sa dignité,
et n'était point encore souillée par la vanité, par le luxe, et par la
sotte ambition. Un homme n'était honoré sur la terre qu'à cause de
sa force ou de sa vertu; il n'était point riche par dm charges
ou des pensions, mais par son champ, par ses troupeaux, par sei
enfants et ses serviteurs ; sa nourriture était saine et naturelle,
les fruits de la terre, le lait de ses animaux et de ses brebis; ses vê-
tements simples et uniformes, leurs laines, leurs toisons ; ses plai-
sirs innocents, une grande récolte, le mariage de ses enfants, l'u-
nion avec ses voisins, la paix dans sa famille. Rien n'est plus opposé
à nos mœurs que toutes ces choses ; mais l'éloignement des temps
nous les fait goûter, ainsi que la distance des lieux nous fait rece-
voir tout ce que les diverses relations ou les livres de voyages nous
apprennent des pays lointains et des nations étrangères.
Ils racontent une religion, une police, une manière de se nour-
rit, de s'habiller, de bâtir et de faire la guerre, qu'on ne savait
point, des mœurs que l'on ignorait. Celles qui approchent des nô-
tres nous touchent, celles qui s'en éloignent nous étonnent; mais
toutes nous amusent. Moins rebutés par la barbarie des manières et
DISCOURS SUR THÉOPHRASTE. XXIX
des containes de peuples si éloignés qulnstruits et mdine réjouis
par leur nouveauté, il nous suffit que ceux dont il s'agit soient
Siamois, Chinois, nègres ou Abyssins.
Or ceux dont Théophraste nous peint les mœurs dans ses CaraC"
tères étaient Athéniens, et nous sonmies Français ; et si nous joi<
gnons à la diversité des lieux et du climat le long intervalle des
temps, et que nous considérions que ce livre a pu être écrit la
dernière année de la cxv* olympiade, trois cent quatorze ans avant
l'ôre chrétienne, et qu'ainsi il y a deux mille ans accomplis que vi-
vait ce peuple d'Athènes dont il fait la peinture, nous admirerons
de iiousy reconnaître nous-mêmes, nos amis, nos ennemis, ceux
avec qui nous vivons, et que cette ressemblance avec des hommes
séparés par tant de siècles soit si entière. En effet, les hommes
n'ont point changé selon le cœur et selon les passions ; ils sont en-
core tels qu'ils étaient alors et qu'ils sont marqués dans Théo-
phraste: vains, dissimulés, flatteurs, intéressés, effrontés, impor-
tons, défiants, médisants, querelleux, superstitieux.
Il est vrai, Athènes était libre; c'était le centre d'ime répu-
blique ; ses citoyens étaient égaux ; ils ne rougissaient point l'un
de l'autre ; ils marchaient presque seuls et à pied dans une ville
propre, paisible et spacieuse, entraient dans les boutiques et
dans les marchés, achetaient eux-mêmes les choses nécessaires;
l'émulation d'une cour ne les faisait point sortir d'une vie com-
mune; ils réservaient leurs esclaves pour les bains, pour les repas^
pour le service intérieur des maisons, pour les voyages; ils pas-
saient une partie de leur vie dans les places, dans les temples, aux
amphithéâtres, sur un port, sous des portiques, et au milieu d'une
ville dont ils étaient également les maîtres. Là, le peuple s'assem-
blait pour délibérer des affaires publiques ; ici , il s'entretenait
avec les étrangers ; ailleurs, les philosophes tantôt enseignaient
leur doctrine, tantôt conféraient avec leurs disciples : ces lieux
étaient tout à la fois la scène des plaisirs et des affaires. U y avait
dans ces mœurs quelque chose de simple et de populaire, et qui
ressemble peu aux nôtres, je l'avoue ; mais cependant quels hom-
mes, en général, que les Athéniens, et quelle ville qu'Athènes !
queues lois! quelle police I quelle valeur! quelle discipline! quelle
perfection dans toutes les sciences et d'ans tous les arts! mais
quelle politesse dans le commerce ordinaire et dans le langage I
Théophraste, le même Théophraste dont Ton vient de dire de si
grandes choses, ce parleur agréable, cet homme qui s'exprimait
divinement, fut reconnu étranger et appelé de ce nom par une
simple femme de qui il achetait des herbes au marché, et qui re-
connut, par je ne sais quoi d'attique qui lui manquait et que les
Romains ont depuis appelé urbanité, qu'il n'était pas Athénien :
et Cicéron rapporte que ce grand personnage lemeura étonné de
voir qu'ayant vieilli dans Athènes, possédant ai paiûdtement le
XXX Dîscoims sxm TfîÉOraRASTB.
langage attique et en ayant acf|uid Paccent par imé UMIMe ûê
tant d'années, il ne 8*était pu donner ee que le aitnple peuple avait
naturellement et sans nuU < peine Que si l*on ne laiMa pas de lire
quelquefois, dans ce traité des Caractères ^ de certainea Oidâurs
qu'on ne peut excuser et qui nous paraissent ridicules, Il fkut Sê
souvenir qu'elles ont paru tedes à Tbêophraste. qu*il lea a régar*
dées C9mme des vices, dont il a fait une peinttlre ttalte ^til fit
k)nte aux Athéniens et qui servit 4 lea corriger.
SnÀn, dans Tesprit de contenter c^ut qui reçoivent flrôidémeiit
tout ce qui appartient aui étrangers et aut anciens, et ()tii tt'eaU*-
ment que ieurs mœurs, on les ajoute à cet ouvrage. Vont à cttt
pouvoir ae dispenser de suivre le pro]et de 6e philosophe, Mit
parce qu'il est touioura pçmicieui de poursuivre 16 travail d*aûtrtti,
surtout si c'est d'un ancien ou d*un auteur d'une grande réputa*
^on ; soit encore parce que cette unique figure qu'on appelle dea^
cription ou énumération, employée avec tant de sucô6s dana 666
yingt-huit chapitres des Catactèretf pourrait en avoif un beaueem^
moindre, si elle était traitée par UA génie fort infàrieUr à celui de
Tbêophraste.
Au contraire, se ressouvenant que, parmi l6 grand nômltfe dea
traités de ce philosophe rapportés par Diogbfle laêrce,il s*en trouirè
on sous le titre de Proverbeê*, c'est-à-dire de pièces détachéea,
comme des réflexions ou des remarques ; que le premier et le plua
Srand livre de morale qui ait été fait porte c6 même nom dansiea
ivines Écritures, on s'est trouvé excité par de ai grandâ ioQOdèlés &
suivre selon ses forceâ une aemblable manière d*6crir6 dea fiiiBUM;
et l'on n'a point été détourné de son entreprise par deux ouvrages
de morale qui sont dans les mains de tout le monda *, 6t d'où, faut9
d'attention ou par un esprit dé critique , quelques-uns pourralatlt
penser que ces remarques sont Imitées.
L'un, par l'enga^^ement de son auteur*, fait Servir ta métaph^«>
que a la religion, fait connaître l'ame, ses passions, ses vices, traité
les grands et Us sérieux motifs pour conduire a la vertu, et veut
rendre l'homme chrétien. L'autre, qui est la production d'un es-
prit instruit par le commerce du monde* et dont la déllcatessa
était égale k la pénétration, observant que l'amour-propre est dana
l'homme la cause de tous ses faibles, l'attaque sans relâche, quel^
que part où il le trouve; et eette unique pensée, commô multipliée
en mille manières diflTérenteSi a toujours, par le choit dea mots et
par la variété (la l'expression, la grice de la nouveauté.
1. L^n entefld oèlté insalère eoupéè dotol saUi»<M • éerit sei preverbeti
et nonemsni les oheseii qui soM dltiqes et bere 4e (eote eemparaisoa.
aVli s'agit des jPeniIft éè H^fHA et des BHieiM» déiai6ebéftm«aaM«
s. Pascal.
4. La Rocbefoacauki.
DISCOURS SUR TH^OPHRAStB. XXXI
rra M Mit aoe^na de «m wmé dâni l'ôtivtag» 4|iii éfll joint à
la tAdttCtIoû dès CPirùeiêretf 11 est tout âll9èr«iit des deux autres
quQ je viani de toucher : moins sublime mu6 le premier et moins
délicat que le second, il ne tend qu*à rendre Thomme raisonnable»
mais par des voies simples et oommunes, et en Tetaminant Indif-
fdrammant, sans beauoodp de méthode et selon que les divers ohi^
pitres y conduisent, par les Ages, les setes et las conditions, et par
bs viees, les faibles et le ridicule qui y sont atuahte.
Vmu s*est plus appliqué aux vioes de l'esprit^ aux replis du oanr
Màtoutritttêrieur derhomme que n'a fait Théopbraste; éirottpeut
dire que, eomme ses CàtaHèret, parmiUa elioses extérieures quils
lent remarquer dans Innomme, par ses actions, ses paroles et ses
démarohes apprennent uuel est son fond» et font remonter jusques
à la source de son déré^ement ; tout au contraire, les nouveaux
Caraetères, déployant d'abord Ifts penMes, les sentiments et les
ttouvemenis des )u)mmes, découvrent le principe de leur malice et
de leurs Iklblésses, font que Ton prévoit aisément tout ee qu'ils
sont Capables de dire ou de faire, et qu'on ne s'étonne plus de
mille actions vicieuses ou frivoles dont leur via est toute remplie*
XL f^ut avouer que sur les titres de ces deux ouvrages < rembar*^
tas s'est trouvé presque égnl. Pour ceux qui partagent le dernier.
S'ils ne plaisent point assex, l'on permet d'en suppléer d^auttes :
msis à l'égard des titres dés Catactè^eif de Théopiimste, la même
liberté n'est pas accordée, parce qu'on n'est point mattre du bien
d'autrui. H a fallu suivre l'esprit de l'auteur, et les traduire selon le
sens le plus proche de la diction grecque, et en même temps selon la
plus exacte conformité avec leurs chapitres , ce qui n'est pas une
chose facile, parce que souvent la signification d'un terme grec,
traduit en français mot pour mot, n'est plus la même dans notre
langue : par exemple, ironie est chez nous une raillerie dans la
conversation, ou une figure de rhétorique, et, chez Théophraste,
c'est quelque chose entre la fourberie et la dissimulation, qui n'est
pourtant ni l'un ni l'autre mais précisément ce qui est décrit dans
le premier chapitre.
Et d'ailleurs les Grecs ont quelquefois deux ou trois termes assez
difi'é'^nts pour exprimer des choses qui le sont aussi, et que nous
ne saurions guère rendre que par un seul mot: cette pauvreté em-
barrajïse En eflet, l'on remarque dans cet ouvrage grec trois espè-^
ces d'avarice, deux sortes d'importuns, des flatteurs de deux ma-
nières, et auUmt de grands parleurs; de sorte que les caractères
de ces personnes semblent rentrer les uns dans les autres, au dés-
avantage du titre. Ils ne sont pas aussi toiyours suivis et parfaite-
1. C'e«t4-dire sur les titre* des chapitres qui eomposenl les deux ooTre-
ges, les Caractèru de Théophraste d'une part, et les Caracièrêê o« lê$
ffimun d9 €$ êiècUf d'autre part.
XXXII DISCOURS SUR THEOPHRASTE.
ment confonnes, parce que Théophraste, emporté quelquefois par
le dessein qu'il a de ÛLire des portraits, se trouve déterminé à ces
changements par le caractère et les mœurs du personnage qu'il
peint ou dont il fait la satire.
Les définitions qui sont au commencement de chaque chapitre
ont eu leurs difficultés. Elles sont courtes et concises dans Théo-
phraste, selon la force du grec et le style d'Aristote, qui lui en a
fourni les premières idées : on les a étendues dans la traduction
pour les rendre intelligibles. Il se lit aussi dans ce traité des phra-
ses qui ne sont pas achevées et qui forment un sens imparfait, au-
quel il a été facile de suppléer le véritable; il s'y trouve de diffé-
rentes leçons, quelques endroits tout à fait interrompus, et qui
pouvaient recevoir diverses explications ; et pour ne point s'égarer
dans ces doutes, on a suivi les meilleurs interprètes.
Enfin, comme cet ouvrage n'est qu'une simple instruction sur les
mœurs des honmies et qu'il vise moins à les rendre savants qu'à
les rendre sages, l'on s'est trouvé exempt de le charger de longues
et curieuses observations, ou de doctes commentaires qui rendis-
sent un compte exact de l'antiquité. L'on s'est contenté de mettre
de petites notes à côté de certains endroits que l'on a cru les mé-
riter, afin que nuls de ceux qui ont de la justesse, de layivacité, et
à qui il ne manque que d'avoir lu beaucoup, ne se reprochent
pas môme ce petit défamt, n^ puissent être arrêtés dans la lecture
des Caractères et douter un moment du sens de Théophraste.
C|u>
LES CARACTÈRES
OU LES
MŒUBS DE CE ^ÈCLE
PRÉFACE.
AdittOtaefè toluimai, non mwéwt *. prodMM,
«on ltt4eM I ooBsulero Moribtw homluam^ Doi
Jd rtiidg ftl) public ce qu'il m'a prêté: ]'ai emprunté dd lui la
iûa1ièr^|cet ouvrage : il est juste aue, rayant achevé avec toute
l'atten^npour la vérité dont je suis capable, et qu^il mérite de
moi y je lui en fasse la restitution. Il peut regarder avec loisir* ce
portrait que J'ai MX de lui d'après nature ; et s'il se connaît quel-
ques-uns des défauts que je touche , s'en corriger. C'est l'unique
6n que Ton doit se proposer en écrivant, et le succès aussi que
l'on doit moins' se promettre. Mais comme les hommes ne se dé«
goûtent point du vice> il ne fl|ut pas aussi ^ se lasser de leur re~
progher* : ïk seraient peut-être pires » s'ils venaient i manquer de
SMUMuie ou de critiques ; c'est ee qui &it que l'on prêche et que
t. Cette é^mphe est tirée d*UDe lettre d'Érasme, !*a& des écrivains les
plus estimés da seitième siècle. —La préface des Ctiractères, dans les
premières éditions, est très-courte; elle se réduit aux deui^ premières
et aei trois dernières phrases de l'introduction qu'on va lire. Remaniée
et augmentée dans la 4*, dans la %• et dans la S* édition , cette préface
a reçu dans la s* sa fbrme définitive. Il est reerettable que dans la 9* édi-
tion l'auteur ne Tait pas réTisée; il eût pu faire disparaître les négli-
gences qu'elle renferme. Il taut rapprocher de cette préface, pour la com-
pléter, une partie de la préface des Caractères de Théopbraste et quelques
passages de la préfiice OQ discours que la Bruyère a prononcé & l'Acadânit
française.
t. A loiâir, dirions-nous aujourd'hui.
t. Moins, pour le moins, est un latinisme dont Pascal, Corneille, Bossuet
et la plupart des écrlTains contemporains, offrent de pombreua exemples.
4. Aujourd'hui l'on écrirait non plus,
5. be leur f aire^ des reproches. H^proçhrr était parfois un tsrbe neutre
«ti dU-ieptièmQ ilHlQ*
XXXVI PRÉFACE.
l'on écrit. L'orateur et Técrivain ne sauraient vaincre la joie qu'ils
ont d'être applaudis: mais ils devraient rougir d'eux-mêmes s'ils
n'avaient cherché par leurs discours ou par leurs écrits que des élo-
ges; outre que l'approbation la plus sûre et la moins équivoque est
le changement de mœurs et la réformation de ceux qui les lisent
ou qui les écoutent. On ne doit parler, on ne doit écrire que pour
l'instruction : et s'il arrive que l'on plaise , il ne faut pas néan-
moins s'en repentir, si cela sert à insinuer et à faire recevoir les
vérités qui doivent instruire. Quand donc il s'est glissé dans un
livre quelques pensées ou quelques réflexions qui n'ont ni le feu ,
ni le tour, ni la vivacité des autres, bien qu'elles semblent y être
admises pour la vari té, pour délasser l'esprit, pour le rendre plus
présent et plus attentif à ce qui va suivre, à moins que d'ailleurs
elles ne soient sensibles \ familières, instructives, accommodées
au simple peuple , qu'il n'est pas permis de négliger, le lecteur
peut les condamner, et l'auteur les doit proscrire : voilà la règle.
11 y en a une autre ', et que j'ai intérêt que l'on^ veuille suivre,
qui est de ne pas perdre mon titre de vue, et de penser toujours,
et dans toute la lecture de cet ouvrage, que ce sont les caractères
ou les mœurs de ce siècle que je décris ' : car, bien que je les
tire souvent de la cour de France et des hommes de im nation,
on ne peut pas néanmoins les restreindre à une seule flv ni les
renfermer en un seul pays, sans que mon livre ne peroe beau-
coup de son étendue et de son utilité, ne s'écarte du plan que je
1. A moins qu'elles ne soient présentées sons nne forme qui les rende
saisissanies.
3. Ce qne Tanieur donne ici comme nne seconde règle OBt simplement une
recommandation qall adresse an lecteur.
S. Que ce eont les caractères ou lei mœurs de ce siècle que je décris : la
{>bra8e se tenni naît ainsi dans la 4* édition, oti elle parut pour la première
bis, et dans les trois éditions suivantes. La Bruyère, qui aans ces éditions
avait fait imprimer de ce siècle en italique, pensait avoir suffisamment in-
diqué qu'il s'était proposé de peindre les mœurs des hommes de son temps
en.génêral, et non pas simplement tes mœurs de la cour de France on les
mœurs des Français. Mais Charpentier, qui le reçut en 1693 à l'Académie
d'an air plus philosophique : il n'a envi8a«;é quel'universfl ; vous êtes plus
descendu dans le particulier. Vous avez fait vos portraits d'après nature; lui
n'a fait les siens que sur une idée fcénérate. Vos portraits ressemblent à de
certaines personnes, et souventon les devine; lesoiensne ressemblent qu'à
rhonime. Cela est cause que ses portraits ressenihleront toujours; mais il
est à craindre que les vôtres ne perdent quelque chose de ce vif et de ce bril-
lant qu'on y remarque, quand on ne |>()urra plus les comparer avec ceux sur
qui vous les avez tirés. » Une telle insistance dut blesser la Bruyère ; par
convenance, il s'abstint de le montrer dans la préface qu'il mit en tète de
son discours ; mais il revint sur la phrase qui fait l'objet de cette note, et
la développa de manière à ce €|ue personne aésormais ne pût se méprendre
sur sa pensée. Inutile précaution, car les critiques ont souvent reproduit la
comparaison qu'avait faite Charpentier.
PRÉFACE. XXXVII
me sais fait d*y peindre les hommes en général, comme des rai-
sons qui entrent dans Tordre des chapitres et dans une certaine
suite insens.ble des réflexions qui les composent ^ Après cette pré<
caution si nécessaire, et dont on pénètre assez les conséquences,
je crois pouvoir protester contre tout chagrin^ toute plainte, toute
maligne interprétation, toute fausse application et toute censure,
contre les froids plaisants et les lecteurs mal intentionnés'. Il faut
savoir lire, et ensuite se taire, ou pouvoir rapporter ce qu'on a
lu, et ni plus ni moins que ce qu'on a lu ; et si on le peut quel-
quefois, ce n'est pas assez, il faut encore le vouloir faire : sans
ces conditions, qu'un auteur exact et scrupuleux est en droit d'exi-
ger de certains esprits pour l'unique récompense de son travail,
le doute qu'il doive continuer d'écrire, s'il préfère du moins sa
propre satisfaction à l'utilité de plusieurs et au zèle de la vérité.
J'avoue d'ailleurs que j'ai balancé dès Tannée 1690, et avant
la cinquième édition , entre l'impatience de donner à mon livre
plus de rondeur et une meilleure forme par de nouveaux carac-
tères*, et la crainte de faire dire à quelques-uns : « Ne finiront-ils
point ^ ces Caractères, et ne verrons-nous jamais autre chose de
cet écrivain?» Des gens sages me disaient, d'une part : « La matière
est solide, utile, agréable, inépuisable ; vivez longtemps et trai-
tez-la sans interruption pendant que vous vivrez : que pourriez-
▼DUS faire de mieux ? il n'y a point d'année que les folies des
hommes ne puissent vous fournir un volume.» D'autres, avec beau-
coup de raison, me faisaient redouter les caprices de la multitude
et la légèreté du public, de qui j'ai néanmoins de si grands sujets
d'être content, et ne manquaient pas de me suggérer que, per-
sonne presque depuis trente années ne lisant plus que pour lire^,
il fallait am hommes, pour les amuser, de nouveaux chapitres et
un nouveau titre ; que cette indolence avait rempli les boutiques
et peuplé le monde, depuis tout ce temps, de livres froids et en-
nuyeux, d*un mauvais style et de nulle ressource, sans règles et
sans la moindre justesse, contraires aux mœurs et aux bienséances,
écrits avec précipitation et lus de môme, seulement par leur nou-
1. C'est-à-dire ne B*écarte du plan que je me suis fait.... ainsi que des
nàsons qui ont déterminé l'ordredes chapitres, et même Tordre des réflexions
dans chacon des chapitres.
3. C'est dès la !■* édition des Caractères que la Bruyère prend ses pré-
cautions. Maid celte déclaration n'arrêta point les maligi es interprétations,
et dans la préface de son discours à l'Académie, il crut devoir protester avec
plusd'énei^e contre les ciels que Ton faisait courir. M»lière aussi avait dû
se défendre contre ceux qui l'accusaient de « toucher aux pert^onnes. m par-
lant ao nom de l'auteur, l'un des personnages de l'Impromptu de Ver-
iaillss déclare que « si quelque chose était capable de dégoûter Molière de
faire des comédies, c'était les ressemblances qu'on y voulait toujours trou-
ver. » La Bruyère exprime le même sentiment dans la phraae suivante, qui
est Tnne des additions de la 5* édition.
S. En ajoutant de nouveaux caractères*
%• Et non pour s'instruire et se réformer.
XXXVra PRÉFACE.
yeauté *; et que, si je ne savais qu^augmenter un livra raisonnablay
le mieux que Je pouvais faire était de me reposer. Je pris alors
quelque chose de ces deux avis si opposés, et je gardai un tempé-
rament qui les rapprochait : je ne feignis point d'ajouter ' quel-
ques nouvelles remarques à celles qui avaient déjà grossi du dou-
ble la première édition de mon ouvrage; mais, afin que le publio
ne fût point obligé de parcourir ce qui était ancien pour passeir à
ce qu'il y avait de nouveau, et qu'il trouvât sous ses yeux ce qu'il
avait seulement envie de lire, je pris soin de lui désigner cette se-
conde augmentation par une marque particulière (())) 'je crue aussi
qu'il ne serait pas inutile de lui distinguer la première augmcQtft*
âon par une autre marque plus simple (f ) qui servit à lui montre? !•
messe sincère de ne plus rien hasarder en ce genre. Que si quel*
qu'un m*accuse d'avoir manqué & ma parole » en insérant dans lef
trois éditions qui ont suivi un assey grand nombre de nouvellai
remarques, il verra du moins qu'en les confondant avec les aa«
ciennes par la suppression entière de ces différences qui sa voient
par apostille*, j'ai moins pensé à lui faire lire rien de nouveau
qu'à laisser peut-être un ouvrage de mœurs plus complet, plus fini
et plus régulier, à 1^ postérité. Ce ne sont point, au reste, des
maïimes que j'aie youln écrire': elles sont pomma daa lois dana la
1. Pottf lètir nonteauté. G*es^ ainsi qoe dans eette pbraae de Molièra.
pmr tignifla AadtMi dé : • Tai eut condamner cette comédie par les mêmes
choses que j'ai tu d aatrea estimer la plna. ■ ( Oriiiquê 4e fEoM iê$ fMuntê.)
2. ie n'hésitai pas à sjoater.
S. L'augmentation da nombre.
4. Dans tontes les éditions qui ont psm pendant la vie de la firnyère, le
^gne t9P0fi>rapbi<|Qa que noas avons placé entre parenthèses et qui sa
nomme ptM de moMchêt a fiauré en tète do ohacnno des réfleiions qui oom-
posent le livre des Caractères, servant ainsi à les distingaer les unes
des autres t eomme ces réfleiions forment psrfbls plusieurs alinéas, i]
était néoessaire d'établir entre elles une difision. et ce fut ce signe qui
les sépara. Lorsque fut imprimée la S* édition, le libraire sans doute ton*
lut stimuler la curiosité du public, et une marqae particulière Ait afféo*
tée aux réflexions nouvelles qu'avait a|outéea rautenr dans la 4« édition
et à celles qu'il insérait dans la s* : op mit entre pareottaèses le immI de
mouché qui accompagnait les premières, et entre doubles parenthèses la
G'ed de moiAche qui accompagnait les secondes. Le lecteur en fut averti dans
préface, et, cet avis a été reproduit dans toutes les éditions posté*
rienres, bien que ces marques parucnlières n'aient été inmiméea que dane
la S* édition.
5. rénelon a employé le mot emacHtude au pleriel en loi donaant le
même sens : « Me voas usez point en détails et an étt&e$itud$ê superflues, m
(Lettre du 3) juillet 1714,) Et ailleurs encore i « Les petia détails et les
fausses exacf <(iwl#«. »
6. C'était en mi^rge que se trouvaient les marques qae neas avons inter*
caléeedabsletdïte.
7. Le verbe est an subjonctif dans teatei les édîtiens qu'a données la
Bruyère.
PRÉFACE.
morale, et j'avoue que je n'ai ni assez d'autorité, ni assez de gé-
nie pour faire le législateur ; je sais même que j'aurais péché
contre Tusage des maximes, qui yeut qu'à la manière des oracles
elles soient courtes et concises '. Quelques-uoes de ces remarques
le sont, quelques autres sont plus étendues : on pense les choses
d'une manière différente, et on les explique par un tour aussi
tout difléient, par une sentence, par un raisonnement, par une
métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une
simple comparaison, par un fait tout entier', par un seul trait,
par une description, par une peinture : de là procède la longueur
ou la brièveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maxi-
mes veulent être crus : je consens, au contraire, que l'on dise de
moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué , pourvu que Ton
remarque mieux.
1. Gomme celles de la Rochefoucauld.
2. Par an récit, par une anecdote, comme l'histoire d'fmfre à la fin da
chapitre dei FemtMê,
^
LES CARACTÈRES
OU LES
MŒURS DE CE SIÈCLE.
CHAPITRE PREMIER.
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT-
Tout est dit, et Ton vient trop tard depuis plus de sept
mille ans qu'il j a des hommes S et qui pensent*. Sur ce
qui concerne les mœurs *, le plus beau et le meilleur est
enlevé; Ton ne fait que glaner après les anciens et les ha-
biles d'entre les modernes.
^ Il faut chercher seulement à penser et à parler juste,
sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos senti-
ments ; c'est une trop grande entreprise.
1. Sept mille atw.... Ainsi, la Brayère n'accepte pas la date qae, sept ans
auparavant. Bossaet avait assignée à la création du monde (4i004 avant J. C.)
«lansson Discours sur l'histoire universelle. Cette date, proposée en 1650
par ilrlandais Usher^ se rapprochait de fort près de celle qui, imprimée
dans la Chronologie française du P. LabbO;; était sans doute enseignée dans
les collèges des Jésuites (4053 av. J.C.). Rejetant Tune et l'autre, la Bruvère
s'en tient aux dates de Suidas, d'Onuphre PauTioo ou des Tables Alphon'
êineê (6000 ou plus avant J. G.).
2. Et qui pensent,... On a rapproché de ce tour l'expression x«l xtOxa des
Grecs, et les tournures équivalentes qu'emploient les auteurs latins lors-
qu'ils veulent insister sur une pensée; on peut encore en rapprocher ce
fragment d'une phrase de la Bruyère lui-môme : « des princes de l'église,
et qui se disent les successeurs des apôtrts. » (Chap. xiv. De quelques
usages.)
S. Or c'est un livre sur les mœurs qu'écrit la Bruyère. Ce début a pour
le moins la simplicité modeste qu'exige Boileau, et la Bruyère, bien plutôt
que Virgile, est par excellence l'auteur qui
• •«•Pour donner beaucoup na nous promet que peu.
a CHAPITRE I.
^ C'est un métier que de faire un livre, comme de faire
une pendule ; il faut plus que de l'esprit pour être auteur.
Va magistrat allait par son mérite à la première dignité, il
était homme délié et pratique dans les ailaires : il a fait
imprimer un ouvrage moral, qui est rare par le ridicule *.
^ Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage
parfait, que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on
s'est déjà acquis.
^ Un ouvrage satirique au qui contient des faits*, qui
est donné en feuilles sous le manteau aux conditions d'être
rendu de même, s'il est médiocre, passe pour merveilleux ;
Pimpression est Técueil.
% Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale l'avertis-
sement au lecteur, l'épître dédicatoire, la préface, xa table,
les approbations *, il reste à peine assea de pages pour mé-
riter le nom de livre.
^ Il y a de certaines choses dont la médiocrité est insup-
portable : la poésie ^, lamusique, lapeinture, le discours public.
1. ce tnagifeirtt est, dit-on , POD<»t d« la Rivière) âpnëeiller «nitat. H
ayait publie en I677| bous le pseudonf me de Baruo de Prelle, un ouvraae
moral, c'e8t-S-dii>e un livré sUr les înobubs. oui àvàil pour litre .- Considê'
raiiotit tur Ui avanlagêM de la ^itilltin aanê la «i« chritimne^ pelitt^
que, civile, économique et soluaire. On prét^ud que s'il n'eûi pae lai^ im^-
primer ce petii volume « qui est rare, » en eQ'ei, « par le l'idicuie, » l^oncéC
eût été domme chancelier ou pour le moins premier prétiident.
2. La Bruyère avaii imprimé dsns lai** édition i ou quiadeefai^, ejt;
pression obscUrë que la variante à peu éclaircie. Il à voulu distinguer des
vraies satires, telles que les sAiireii de Boileau, les paniublets qui 6e codip(:^
sent d'anecdotes, tels que ï histoire amoureuse aee Gaulée de Bussy-Ka-
butin ; mais c'est de satires et de libelles d'un ordre inférieur qu'il s'agit
ici, et non des satires de Boileau ni de l'ouvrage de Bussy. — Donné «»
feuilUê tous le manteau^ communiqué en manuscrit dant^ le plus ^rana
secret. — boileau avait dit de sou côte dans i'Art poitiqùet IV, vers %k s
Tel éerit récité se soutient à roreille,
Qui, dans rimpressioc au grand jour se ibdtlIhUit,
Me soutient pte ëes yeux le regard pénétrant.
3. lies approbations des censeurs.
4. Montaigne s'est montré du même avis (£fMis, U, 13) 1 1 On panltfkire
le sot partout aiUeiirs, mais non en la poésiei
« Itediocribtts eésé poetis
• Iffôô tli, non iiominesj non conçessere cOlnmnÀ. .
(Horace, Àri poélique, vers Sn.)
€ Pletfsf ftDieii iué tme Selitenfcé se troutasi tfil frdmdèSbotitiqttesd«to8l
BOB httprlmëttrS, pOurefldéffeiidfË rentrée h tant dé ver&tftcCrtCRirSI**-^0)«V
auss^ Boileau, Art poétique^ IV, vers uS et suivants i
Vais dans l'art dangefèui dé rimer etd'êcrlr«^
Il n'est point de degrés da médiocre au pire^M*
DES OUVRAGM m L'ESPRIT, 8
Quel sbpplioe qus ttelai d'entendre déclamer pompeuse-
ment uu froid discours, ou prononcer de médiocres vers
sTBc toute. l'emphaae d'un mauvais poëtel
^ Certains poëtËs sont sujets^ dans le dramatique, à de
longues Bdites de rers pompeux qui semblent forts, élevés
el remplis db grands sentiments; Le peuple écoute avide-
ment, les jeni élevés et la bouche ouverte, crçit qiie cela
loi platt, et, à mesure <)n'il ; comprend moins, l'admira da-
Tantage ' ; il n'a pas le temps de respirer, il a à peipe celui
de «e récrier et d'applandit. J'ai cru autrefois^ et dans ma
pretaûère jennesse, que oes endroits étaient clairs et intelli-
gibles pour les acteurs, pDur le parterre et l'amphithéâtre,
qae leurâ auteurs s'entendaient euz-mSmes, et qu'avec toute
l'attention qua je donnais à leur récit, j'avais tort de n'f rien
entendre; je suis détrompé*.
^ L'on n'a guère n jusqiles à présent un ebef-d'o^yr^
d'esprit (jui soit l'ouVrage de plusieurs :, Homère à fait
l'Iliade , Tirgile l'ËdËidei Titê-Lwe ses Décades, et l'Orateur
rsmain ses Otaisons *.
et.LncM ^nun| et «dmirent Egsiiarelle; • Ablqoe n'Aie éwiié'.—L'bà-
bile bomine que l'itl — On), CBeliaibiM qUèJS u'} eaUndtftoaué. • .
i. Htitemircé iwItiLdfeCSrâeilleqU'U est IciqnuijDot Bolleau seplii-
gniit da l'Obiea^U de uiialques-ang desea Te», et ,U Bruière Eaii3 doiue
putagciil le Beiitimeiii 3e Bollesu. • m. Deeftéibi, dtl Uieioa Ri^il, dis-
buguaii ordinaireoieni deui soricB de estimsiiBS ; le galimaliùt tiinpli et 1»
§atimaii<u doubh. [I appelBllgsUinaiiss simple celui ob l'suieur CDlendàit
ce qu'il lODliii dire, duib oii lei auireii ii'«niaDdaie;i;t.nea j ^t gslimuiu
diïii pour ciemple da giUmaiiM d^iuble ce» qualre tara da JUt ifiUrïiiftf
ùt gnnd Corneilla (scie I, Bctoe ii)i
Faol-ilmoorir, nWdùite? Ètj ■] firoclie dn lenile:
Votre Itldslre iDCOhttshce Bil-eHe encore si terme
Qae \t3 tfstês d'UK ftn qUe J'smis cm «1 ton
Paiseeiit dana quatre Jours se promellre tdl Boni ■
jour ,,rié Lope de Veg» de lii
voi'e espagnol lut el relut .
S. Etcicéron tn niKoars, Suiiruilles clerH,,i&ar[iTiieej|i«iul parler da
d<cUoTin^r« ans prépinii de^Ais loDRlemps l'Acadeute frangaiie et dont
1» première édiliOD détail paraître en iCJa.UndictiDBoairc ueittAimun nu-
^rag» d'april, li oa laisse à cette aipTeulonbtTaJfur^ quia! le Wfi
ujOTatit
\
4 CHAPITRE I.
rj ^ Il y a dans Fart un point de perfection, comme de bonté
ou de maturité dans la nature ; celui qui le sent et qui Taime
a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà
ou au delà , a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un
mauvais goût, et Ton dispute des goûts avec fondement.
^ Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les
hommes ; ou, pour mieux dire, il y a peu d'hommes dont
l'esprit soit accompagné d'un goût sûr et d'une critique ju-
dicieuse.
^ La vie des héros a enrichi l'histoire, et l'histoire a em-
belli les actions des héros ; ainsi je ne sais qui sont plus
redevables, ou ceux qui ont écrit l'histoire à ceux qui leur
en ont fourni une si noble matière, ou ces grands hommes
à leurs historiens*.
^ Amas d'épithètes, mauvaises louanges : ce sont les
faits qui louent*, et la manière de les raconter.
^ Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien définir et à
bien peindre. Moïse*, Hobiére, Platon, Virgile, Horace, ne
sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expres-
sions et par leurs images : il faut exprimer le vrai pour
écrire naturellement, fortement, délicatement.
^ On a dû faire du style ce qu'on a fait de l'architec*
ture; on a entièrement abandonné l'ordre gothique, que la
barbarie avait introduit pour les palais et pour les tem-
▼oalu Juger à l'avance le Dictionnaire de l'Académie. Hais ne vani-il pas
mieux y chercher une allasion aax œuvres au'avait produiies, soub ses yeux,
la collaboration d'écrivains de génie ou oie talent? Corneille, Molière et
Quinault avaient fait en 1671 la tragi-comédie de Psyché ; les mêmes avaient
composé Vldyllê êur la paix et VEglomu de Venailles en 1685 ; Racine et
Boileau, qu'unissuit déjà pour un travailcommun leur titre d'historiographes
du roi, avaient tenté, en 1680, de composer ensemble les paroles d'un opéra.
Et au-dessous de ceux que nous avons nommés, que d'auteurs tragiques oo
comiques s'aasodant dans une collaboration secrète ou avuuée! Leurs ou-
vrages, si nous en citions les titres, juï^tifieraient parfaitement la remarque
de la Bruyère. Cette remarque au suq)lu8 pourrait être datée d'aujourd'hui}
il n'est pas encore de < hef-d'œuvre qui soitrouvrage de plusieurs.
1. Horace, OdM, IV, 9 :
Vixere fortes ante Agamemnona
Multi; aedomnea illacrymabiles
Urgentur ignotique longa
Nocte, carent quia vate sacrO.
S. « ....Le sage a raison de dire que « leurs seules actions les peuvent
« louer : » toute autre louange languit auprès des grands noms.» (Bossuet,
Oraison fwf^brê du prince de Cùnaé.)
S. Quand même on ne le considère que comme un homme qui a écrit.
iNote de la Bruyère,)
1
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 5
pies*; on a rappelé le dorique, Tionique et le corinthien; ce
qu'on ne voyait plus que dans les ruines de Tancienne Rome et
de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos porti-
ques et dans nos péristyles. De môme on ne saurait en écri-
vant rencontrer le parfait et, s'il se peut» surpasser les an-
ciens que par leur imitation.
Combien de siècles se sont écoulés avant que les hommes,
dans les sciences et dans les arts, aient pu revenir au goût
des anciens et reprendre enfin le simple et le naturel I
On se nourrit des anciens et des habiles modernes; on les
presse, on en tire le plus que Ton peut, on en renfle ses
ouvrages : et quand enfin l'on ost auteur et que Ton croit
marcher tout seul, on s'élève contre eux, on les maltraite,
semblable à ces enfants drus* et forts d'un bon lait qu'ils
ont sucé, qui battent leur nourrice *«
Un auteur moderne prouve ordinairement que les anciens
nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par
exemple : il tire la raison de son goût particulier et l'exem-
ple de ses ouvrages.
11 avoue que les anciens, quelque inégaux et peu corrects
qu'ils soient, ont de beaux traits ; il les cite ; et ils sont si
beaux qu'ils font lire sa critique.
Quelques habiles prononcent en faveur des anciens contre
les modernes ; mais ils sont suspects, et semblent juger en
leur propre cause, tant leurs ouvrages sont faits sur le
goût de Tantiquité; on les récuse ^
1. Pour tous les contemporains de la Bruyère, comme pour lai, les mo-
numents du moyen âge, qa ils fussent romans oagotbiques, étaient des mo-
naments de barbarie. Le mot barbarie, du reste, pourrait à la rigueur se
prendre ici dans son sens originaire. Attribuée primitivement aux Gotbs,
puisqu'oR lai avait malencontreusement donné leur nom, plus tard attribuée
aux Arabes, Tarcbitecture du moyen &ge a longtemps été considérée conuna
une architecture d'origine étrangère.
2. Dru se dit des petits oiseaux qui soot assez forts pour s'envoler du
nid.
S. Allusion à Charles Perrault, disent les clefs. C'est en même temps
une tûlusion à Fontenelle et à bien d'autres. La querelle que l'on a nom-
mée la querelle des anciens et modernes agitait et divisait le monde litté-
raire. La Bruyère prend hautement parti pour les défenseurs des anciens.
k. Tons les annotateurs se sunt acconiés à voir dans cette phrase une
lonange à l'adresse de Bacine et de Boileau. Pour la Bruyère, les Aa-
bilesj ce sont les meilleurs écrivains. « Habile a presque changé de signi-
fication, écrit le P. Bouhours en 1671. On ne le dit plus guère pour docte et
savant, et on entend par un homme habile un homme adroit et qui a de la
conduite. » La Bruyère s'en tient au premier sens, lorsqu'il emploie le mot
habile substantivement.
6 CHAPITIIIÎ .
^ L'on devrait aimer à lirç ses ouvrages à cenz qui en
frayent assez pour les corriger et les estimer *.
Ne vouloir être ni conseillé ni corrigé sur son ouvrage
est un pédantisme*.
Il faut qu^un auteur reçoive avec une égale modestie*
les élogçs Qt la critique que Ton fait de ses ouvrages.
,^ '^^lËnt^e toutes les différentes expressions qui peuvent
^ rendre une seufe de nos pensées*, il n'y en a qu'une qui
soit la bonne : on ne Is^ rencontre' pas toujours en parlant
ou eja écrivant ; il est vrai néanmoins qu'elle existe, que
tout ce qui ne l'est point" est faible, et' ne satisfait point
un ho.mme d'esprit qui veut se faire entendre ^
Un bon auteur, et qui écrit avec soin, éprouve souvent
que l'expression qu41 chercbait depuis longtemps sans la
connaître et qu'il a enfin trouvée est celk qui était la plus
simple, la plus naturelle, qui semblait devoir se présenter
d'abord et sans effort.
Ceux qui écrivent par humeur ' sont sujets à retoucher
à leurs ouvrages; comme elle n'est pas toujours fixe et
qu'elle varie en eux selon les occasions, ils se refroidissent
bientôt pour les expressions et les termes qu'Os ont le plus
aimés,
Î. E*iimer, »q sens latiiK jv^ger, appi^icir.
.' Bofléaa, Âri poétique^ l, yers 103 :'
Aimes qu'on tous conseitte, et non pas qu'on tous loue.
S. Ifodé^tttf, au sens latin, modération.
4. Qui peuvent rendre une ^ nos pensées,, et celle-là seule que nous
Tç.i4on 8 rendre.
^ 5^ Touiçè qain'eçtpas cette expressioQ qu,e nous cherchons^
è. « y y â, di^ I^. Sainte- fe'euve, nombre dé pent«ées droites, justes, pro»
Ce que l'on conçoit bien s*éaonce clairement, etc., .
11 nous dit dans cet admirable cljiapi^ des Ouvrage» de re.n)rt7, qui est son
Xirtjf'oé tiqué à lui et sa Hhétorique : « Entre toutes les difv.Tentes exprea-
« fiiohti, etc.... « On sent, reprend Mi. Sainte-Beuve après avoir cité lareflexfon
de la llriiyère, combiCD la sagacité si vraie, si judicieuse encore, du second
critique enchérit pourtant sni^ la raison saine du premier. »
'7. yoyez plus loin (page 31) un passage ob la Bruyère indique d'une
manière plus explicite ce qu'U appelle écrire par humeur. Les auteurs qui
écrivent par humeur^ ce sont ceint qui tirent d'eùx-nièmetf, de leur cœnr et
de leur esprit, tout ce qu'ils écrivent, ce sont, avant tout, les moralistes,
Ta Rochefoucauld, la Bruyère , par exemple. Montaigne est aussi l'un des
écrivains auxquels cette expression s'applique le mieux.
^/
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 7
^ La même justesse d'esprit qui notis lait écrire de
bonnes, choses nous fait appréhender (^*elles ne le soietit
pas assez, pour mériter d'être lues *.
Ua esprit médiocre croit écrire divinement j un bon esprit
croit écrire raisonnablement.
^ L'on m'a engagée, dît Ariaie, h lire mes ouvrages à
Z(hk : je l'ai fait. Ils l'ont saisi d'abord, et, avant qu'il ait
pç. le loisir de Içs trouver mauvais, il les a loués modeste-
ment en nia présence^ et il ne les a pas loués depuis devant
personne. Je l'excuse, e\ je n'en demande pas davantage à
un auteur; je le plains même d'avoir écouté de belles choses
<ju*ii n'a point faites.
Ceux qui^ par leur condition, se trouvent exempts de la
jalousie d'auteur, ont ou des passions ou des besoins qui
les distraient et les rendent froids sur les conceptions d'au-
truî; personne, presque, parla disposition de son esprit,
de son coeur et de sa fortune, n'est en état de se Kvrer au
plaisir que donne la perfection d'un ouvrage.
Tf Le plaisir de la critique nous Ôte celui d'être vivement
touchés de très-belles choses*. .
^ Bien des gens vont jusques à sentir le mérite d'un ma-
nuscrit qu'on lec^r lit, qui ne peuvent se déclarer en sa fa-
veur, jusques à ce qu'Us aient yu le cours qu'il aura dans
le mon^e par l'impression, ou quel sera son sort parmi les
habiles z lia ne hasardent point leurs suffrages, et ils veu-
lent être portés par la foule et entraînés par la multitude.
Ils disent alors quHls ont les premiers approuvé cet ouvrage,
et que le public est de leur avis.
Ces gêna laissent échapper les plus belles ocoasions de
no:us convaincre qu'ils pnt de la capacité et des lumières,
qu'ils savent juger, trouver bon ce qui est bon, et meilleur
ce qui est meilleur. Un bel ouvrage tombe entre leurs
mains, c'est un premier ouvrage, l'auteur ne a'e^ pas en-
core fait un grand nom, il n'a rien qui prévienne en sa fa-
veur ; il ne s'agit point de faire aa cour ou de flatter les
i. « C'«it mthftttr^ dit UoiH^^ia»(Basai$, UU 1^ <VAe V^ pnideace tous
detfend de vous salisfùre et fler de veas^et vous renvoyé lousjours mal con-
teDt et craintif, là oti l'opiniastretë et la témérité remplissent leurs hôtes
d'esjuiiiBsance et d'asseiirance. »
2. « Lassoris-uous aller da bonoe foi aax choses qui nous prennent par
les entrailles, et ne cherchons point de raisponement pour noas empôcner
d'avoir du plaisir. » (Molière, critique â& VÈcoh âeê femme».)
8 CHAPITRE I.
grands en applaudissant à ses écrits* On ne tous demande
pas, Zélotes, de vous récrier : c Cest un chef -d^ œuvre de
V esprit; V humanité ne va pas plus loin; c'est jtAsqu'où la
parole humaine peut s* élever; on ne jugera à l^avenir du goût
de quelqu'un qu'à proportion qu'il en aura pour cette pièee^ ; >
phrases oatrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou
l'abbaye *, nuisibles à cela même qui est louable et qu'on
veut louer. Que ne disiez- vous seulement : « Voilà un bon
livre ? » Vous le dites, il est vrai, avec toute la France,
avec les étrangers comnae avec vos compatriotes, quand il
est imprimé par toute l'Europe et qull est traduit en plu-
sieurs langues ; il n'est plus temps*.
^ Quelques-uns de ceux qui ont lu un ouvrage en rap-
portent certains traits dont ils n'ont pas compris le sens,
et qu'ils altèrent encore par tout ce qu'ils y mettent du leur;
et ces traits ainsi corrompus et défigurés, qui ne sont autre
chose que leurs propres pensées et leurs expressions, ils
les exposent à la censure, soutiennent qu'ils sont mauvais,
et tout le monde convient qu'ils sont mauvais ; mais l'en-
droit de l'ouvrage que ces critiques croient citer, et qu'en
effet ils ne citent point, n'en est pas pire ^.
1. « La mesure de Tapprobaiion qn'on donne à cette pièce, écrit Mme de
Sérigné en parlant de la représentation à'Esiher, c'est celle du goût et de
l'attention. » La réflexion de la Bruyère a été punliée deux ans après la re-
présentation d*£«</i«r; mais connaissait-il la lettre de Mme deSevigné? et
■il la connaissait, est-ce de cette phrase qa'il entendait faire la critiqne ? Oi
en peut douter.
2. C'estrà-dire telles que les doivent faire ceux qui sollicitent une abbaye
ou une pension.
8. Cet alinéa parut en i09i, trois ans après la publication de la première
édition des Caractère». Faisant un retour sur la fortune de son livre, l'au-
teur s'était éTidenunent rappelé les premières hésitations de quelques lec-
teurs, qui avaient attendu le succès de l'ouvrage pour le louer ; mais il ne
s'est pas proposé de leur faire publiquement et directement la leçon. Aussi
termine-i-il par deux traits qui, détournant l'application que le lecteur se-
rait tenté de (aire, rendent la réflexion plus générale et plus piquante à la Ibis :
en 1091, les Caractères n'avaient pas encore été traduits, et le texte n'en
arait pas encore éié imprimé à l'étranger.
4. Quintilien TaTait déjà dit : « Modeste tamen et circumspecto Judicio
de tantis viris pronuntiaodum est, ne, quod plerisqueaccidit, damnent que
non intellignnt. »(D«m«(t(u<ton«oralorta; X, i.)Raciue avait, en i67S,
proposé ce passage de Quintilien aux méditations de Charles Perrault, qui,
faute de les comprendre, avaitcritiqué divers passages d'Ëuripide ; laBruyèrii
fait à son tour le commentaire de la même pensé». Plus tard Boileau la tra-
duira dans une épigramme, à l'adresse encore de PerranU i
D'oh vient que Cicéron, Platon, Virjgile, Homère,
Et tous ces grands auteurs que l'univers révère,
Traduits dans vos écrits nous paraissent si sots?
Perrault, c'est qu'en prêtant à ces espriu sublime»
^^
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 9
% « Que dites-you8 du liTPe d'flerwwdora? — Qu'il est
mauvais , répond Anthime. — Qu'il est mauvais ? — Qu'il
est tel, continue-t-il, que ce n'est pas un livre, ou qui
mérite du moins que le monde en parle. — Mais Tavez-
vous lu ? — Non, 1 dit Anthime. — Que n'ajoute-t-il que Fui-
vie et Mêlante Tout condamné sans Tavoir lu, et qu'il est ami
de Fulvie et de Mélanie ' ?
^ Arsène j du plus haut de son esprit*, contemple les
honunes; et, dans l'éloignement d'où il les voit, il est comme
effrayé de leur petitesse : loué, exalté, et porté jusqu'aux
cieux par de certaines gens qui se sont promis de s'admirer
réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu'il a, pos-
séder tout celui qu'on peut avoir, et qu'il n'aura jamais;
occupé et rempli de ses sublimes idées, il se donne à peine
le loisir de prononcer quelques oracles ; élevé par son ca-
ractère au-dessus des jugements humains, il abandonne aux
Voe ftçont de parler, tob btBsesfee, tm rimes,
Voas les faites tons des Perraalt.
Si cette épigramme n'a été composée, comme le pensait M. Berriat Saint-
Prix, qn'après la pablication do tome III da Parallèle des ancUnê tt du
modernes (1693), la réflexion do la Brayèrelui est antérieure de trois ou
qaatreans.
1. Sons one forme noaTelle, c'est Tane des scènes de la Critiqué dé VÈ'
oolê dêê femmes : « lk marquis. Qaoi! ehevalier, est-ce qae tu prétends
soutenir cette pièce? — dorante. Oui, je prétends la soutenir. — le har-
QDis : Parbleu y je la garantis détestable. — dorante. La caution n'est pas
bourgeoise. Mais, marquis, par quelle raison, de grâce, cette comédie est-
elle ce que tu dis? — LE MARQUIS. Pourquoi est-elle détestable?— dorants.
Oui. — LE MARQUIS. BUs est détestable parce qu'elle est détestable. — do-
AANTX. Après cela, il n'y a plus rien à dire; voilà son procès fait. Mais en-
core, instruis-nous, et nous dis les défauts qui y sont. — le marquis. Que
sais-je, moi? je ne me suis pas seulement donné la peine de Técooter. Mais
eofln je sais bien que je n*ai jamais rien tu de si méchant. Dieu me sauTe!
et Dorilss, contre qui j'étais, a été de mon avis. — dorante. L'autorité est
belle, et te loilà bien appuyé. »
2. On peut rapprocher du caractère d'Arsine le portrait de Daais dans
la dnqmème scène du deuxième acte dji Misanthrope :
Bt les deux bras croisés, du liaut de son esprit
Il regarde en pitié tout ce que chacun dit....
et celui des personnages « qui s'en font extrêmement accroire » dans le
quatrième chapitre des Entretiens d?Àriste et SEughns du P. Bouhours. —
C'est^ dit-on, le portrait du comte de Tréville, l'un des geniilsboflunes les
pli«s instruits de la cour, au'a touIu tracer la Bruyère. Buurdaloue, assure-
*-on. s'était déj[èi propose, en I67i, de peindre Tréville dans son Sermtm
sur la sévériié evangeliaue. Lorsqu'il avait montré « ces dévots superbes qui
se sont évanouis dans leur pensée.... ces esprits superbes qui se regar-
daient, et se faisaient un secret plaisir d'être regardés comme les justes,
comme les forfaits, comme les irréprihsnsibles,.., qai de là prétendaient
•voir le droit de mépriser tout le genre humain..*, m chacun des auditeurs
Avait nommé Tréville.
c
10 CHAPimE I.
âmes oèmmn&es le mérite d'une vie eiiiTie el uniforme, et
ii n'est responsable ée ses mconstanoes qn'à ee oercle d^amis
qni les Idolâtrent; eux seuls savent juger, savent penser»
çayent écrire, doivent écrire ; il n'y a point d'autre ouvrage
d'esprh si bien reçu dans le monde et si universellement
goûté des bonnétes gens *, je ne dis pas qnll veuille ap-
|)70uver, mais (^u'il daigne lire : incapable d'être corrigé
par cette peinture, qu*il ne lira point.
Y Théocrwê sali des eboses assez inutiles; il a des senti-
ments toujours singuliers ; il est moins profond que métbo-
di^e; il b'exeree que sa mémoire; il est abstrait*, dédai-
gneux, et il semble toujours rire en lui-môme de ceux qu'il
croit ne le valoir pas. Le basard fait que je lui lis mon ou-
vrage, il l'écoute. Est-ii lu, il me parle du sien. — Et du
vôtre, n^e diret-vous, qu*en pense-t-ilt — Je vous l'ai déjà
dit, il me parle du sien.
^ Il n'y a point d'ouvrage si accompli qui ne fondtt tout
entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en
croire toi^s ^es censeurs qui ôtent cbaci^n Tendroit qui leur
platt }e xaoius.
^ GVst une expérienoe fftite que, s'H se trouve dix pei^
9WM» qui offacoAt d'mt livre une expression ou un senti-
ment, Ton en fournit aisément un pareil nombre qui les ré-
dame. CevH;-çî s'écrient : « Pourquoi ^uppriçier cette pen-
sée f elle est neuve, elle est beUe, et le tour en est admi-
rable ; 1 %t c^ia-l^ s^gnoent, au contraire, ou qu'Us auraient
B^igû^é cette pensée, ou quUls lui auraient donné un' autre
tour. < S y a ûu terme,, di&ent l,es uns, dans votrei ouvrage,
qiii est rencontré \ et qui peint la cbose au nature). > —
c n y a un mot, disent les autre?, qui est hasar({é, et qui
dViilleurs ne signifie f9s asses ee que vous vouler. peut-âtre
faire entendre. » Et c^est du même trait et du même mot
que tous ces gens 9'expUquent ainsi, et tous sont connais-
I. I.*nne dçs exprsBBioDS qwt nont le ph» fr^qveHHMDtesipkiTéeB as dix-
septi^e siècle. Les honDètM rend, dras la Iang]a6 da temps, ce sont iea
gens i)ien életés et eortoat les Bommes d'an esprit eu ItîTa.
* 3. ^bitrait^ rêvear. « AbstraH, distrait^ itignifieaiioû commaoe, défaut
raiteotion, avec cette différence que ce sont nos propre» idées, noa médi-
tations qui nous rendent abstraits, tandis que nous sommes distraits par
les objets extérieurs, qui nous attirent et polis détooraent. • (Guizot Syîio-
nym€s framçais.)
3. Heureusement rencontré.
DES OUVRAGES DE L'eSPHTT- U
Mtirs et passent pour tels *. Quel s^utre parti ppur nn au-
teur, que" d-09er pour lors être ^e l*ayîs dç ceux qui Pap-
prouvent?
•f Un auteur sérieux n*est ps^s obligé de remplir son es-
prit de Routes les extravs^gances, ^çi toutes les saletés, de
tous les mauvais mots que Ton peut dire, et de toutes les
ineptes applicatioDs que Ton peut faire au sujet de quelques
endroits dé sou ouvrage, et encore moins de les supprimer.
Il est convaincu que, ouelque scrupuleuse exact^xiide que
l'on ait dans sa, manière d'écrire, la raillerie froide des mau-
vais plaisants est ui^ mal inévitable^ et que les meilleures
choses ne lei^r servçnt souvent qu'à leur faire rencontrer
une sottiçe •. •
y Si certains esprits vife et décisifs épient crus, ce se-
raif encore trop que les termes pour exprimer les senti-
ments ; il faudrait leur parler par signes, ou sans pa;rleT se
faire entendre. Quelque spin qu'on apporte à isitre serré et
concis, ç.t quelque réputation qu'on ait d'être ^el, ils vous
trouvent dilfus. Il faut leur laîsse^ç tout à suppléer, et n*é-
crire que pour eux seùfi : ils cojjçoivént une période par le
mot qui la commence, et par une période tout un cl^ap^tre :
leur avez- vous li^ un seul endroit de Toiiyrage. c*est assez,
ils sont dans le fait et entendent l'ouvrage. "Drn tissu d'é-
nigmes leur serait une lecture divertissaiite ; et c'est uue
perte pour eux que ce style estropié qui les enlève soit
rare ', et que peu d'écrivains s'en accommodent. Les compa-
I. « J*al oui condamner cçtte, coçdédie ^ certaines gen^ ^it ^«liè^e dans
la Critique de l'Ecole des femmes (scène iv)» par les'mômei^ choses ^ue j'ai
TU d*àtitfes estimer Is plus, m — « /...OU en serait-on,' si l^)n voulait écouter
toat le monde? écrit Boileau di^ns Tune de ses lettres. Quid dem? Qu,iA
nondem? Renuit tuquodjubet altetm Tout te monde juge, et personne ne
sait jnger. i>
S. En protestant cositre lea incfrtcs apsHoatioiia auqaettes donnent lien
parfois tes écrits les plus innocents, oa a eat pas uniquement sa cause per-
sonnelle que défend la Bruyère. A l'époque ob il écrirait cette réflexion,
en 4$a9, les clefs quM désavoua si Tiveoieot plu^ tard n'ava^n^ pas eocore
circulé. Comme Tayait fait, Molière dans. la Critique de l^Ecole aJBa femme»
Cscène yO et dans les femmes &ava,ntes (acte (il, scène \i), \i ^read surtojit
à partie les sots, les méchants plaisants qi^ cl^ei^c^ient et; yoyaifi^t partijMit
qfi grossières et licencieuses équiyoq^ués.
3. Ç'est-â-dire : e^ il est regreil^ble pour çu^^ queleçen.re de style qui
les charme soit rare. — « N'avez-vous pas pris garde, oii le P. Boubours
dans un livre que la Bruyère avait ccrtalhemenilu, aue Tobscuritç dec pen-
sées vient encore de ce qu'elles sont estropiée^^ si j ose m'exprimer die la
Sonet je veux dire que le sens- n'en est pas complet, et qu'elles ont quel'
que chose de monstrueux, comme ces stattie^ imparfaitet ou. toutes muti-
léea...* etc. » ^Manière de penser^ i687.)
-b^
V
IS CHAPITRE I.
raisons tirées d'un fleure dont le ooqts, quoique rapide, est
égal et uniforme, ou d*un embrasement qui, poussé par les
vents, s^épand au loin dans une forôt où il consume les
chênes et les pins, ne leur fournissent aucune idée de Télo-
quence. Montrez- leur un feu grégeois* qui les surprenne
ou un éclair qui les éblouisse, ils tous quittent du bon et
du beau*.
^ Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage et un
ouvrage parfait ou régulier 1 Je ne sais s'ils*en est encore
trouvé de ce dernier genre. Il est peut-être moins difficile
aux rares génies de rencontrer le grand et le sublime, que
d'éviter toute sorte de fautes. Le Cid n'a eu qu'une voix
pour lui à sa naissance," qui a été celle de l'admiration; il
s'est vu plus fort que l'autorité et la politique *, qui ont
tenté vainement de le détruire ; il a réuni en sa faveur des
esprits toujours partagés d'opinions et de sentiments, les
grands et le peuple ; ils s'accordent tous à le savoir de mé-
moire, et à prévenir au théâtre les acteurs qui le récitent.
Le Cid enfin est l'un des plus beaux poèmes que l'on puisse
faire; et l'une des meilleures critiques qui ait été faite sur
aucun sujet est celle du Cid*.
^ Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle vous
inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez
pas une autre règle pour juger de l'ouvrage : il est bon et
fait de main d'ouvrier*.
1. Une foBée, an fea d'artifice. ScarroD a ploaiearo fois employé cette
expression avec le même sens dans ses comédies.
3. Quitter quelqu'un de quelque chose, Ten tenir quitte, est une ex^
pression dont il se rencontre de nombreux exemples dans les comédies dn
temps. I
8. Boileau, satire ix, Ters 231 :
En Tain contre le Cid un ministre se ligue :
Tout Paris pour Ghimène a les yeux de aedrigoe.
L'Académie en corps a beau le censurer,
. Le public révolté s^obstine à l'admirer.
%. Vvne du mêilltwre» critique* qui ait été faite : dans tontes les
éditions qui ont passé sous les yeux de la Bruyère, le verbe est resté an
singulier. La règle rigoureuse de la grammaire exigerait le pluriel, mais
te sin^lier n'a pu choquer les contemporains de noire auteur ; Quelques
écrivains en approuvaient formellement l'usage en pareil cas. — « Zee ««n-
timents de P Académie eur la tragédie du Cid^ dit M. Gelruzez dans son
édition de Boileau, ont été trop vantés, et la nhraae de la^ruyère vaut mieux
comme antithèse que comme jugement. »
5. Au dix-septième siècle , comme aujourd'hui, l'on disait plus souvent
&it de main de mattre. — « Tout ce qui est véritablement sublime a cela de
propre, quand on l'écoute, qu'il élève l'&me et lui fait concevoir use plut
DES OUVRAGES DE L'eSPRIT. 13
•
^ {7ap2^5, qui s'érige en juge du beau style et qui croit
écrire comme Bouhours et Rabutin, résiste à la voix du
peuple, et dit tout seul que Damis n'est pas un bon auteur.
Bamis cède à la multitude., et dit ingénument avec le public
que Gapys est froid écrivain ^
% Le devoir du nouvelliste est de dire : c II y a un tel
livre qui court, et qui est imprimé cbez Cramoisy*, en tel
caractère; il est bien relié*, et en beau papier; il se vend
tant. > Il doit savoir jusques à renseigne du libraire^qui le
•débite : sa folie est d*en vouloir faire la critique \
Le sublime du nouvelliste est le raisonnement creux sur
la politique.
Le nouvelliste se coucbe le soir tranquillement sur une
nouvelle qui se corrompt la nuit, et qu'il est obligé d'aban*
donner le matin à son réveil.
^ Le philosophe consume sa vie à observer les hommes,
et n use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule.
haute opinion d*eUe-même. » (Longin, Du Sublime^ cbap. t, traduction de
Boilean.)
1. Selon tontes les clefs, Capys est Boursaalt et Damis Boileau; mais au
moment où la Bruyère publiait cette réflexion (16S9), Bourhault et Boileaa
étaient réconciliés depuis deux ans. — Le P. Bonheurs, jésuite, élégant et in-
génieux écrivain, né en 1628, mort en 1702. C'est dans l'édition de i690
qne la Bruyère plaça pour la première fois son nom à côté de celui de Bussy,
qui figurait seul dans l'édition précédente. Le P. Bouhours venait de publier
les Pentéeê ingénieufti des anciens et des modernes y où il avait plusieurs
fois cité lee Caractèrea. >- Roger de Rabutin, comte de Buss^ (i6i8-i693),
le spirituel cousin de Mme de Séviçné, écrivait des lettres qui couraient le
monde. 11 avait fait faire des copies de sa correspondance et de ses mé-
moires, et communiquait volontiers ses manuscrits à ses amis.
S. Nom d'une famille célèbre dans l'histoire de la librairie. Le seul de
ses membres auquel appartint une imprimerie se nommait André Cramoisy.
Une de ses tantes, veuve de ëébastieo Mabre Cramoisy, dirigeait aussi une
imprimerie, mais c'éuit Timprimerie du roi.
3. Les livres, môme dans leur nouveauté, ne s'achetaient presque jamais
qne reliés.
k. La Bruyère, a>t-on dit, veut parler des journaux, encore dans leur en-
fonce. Assurément, les droits de ia critique étaient alors très- limités et très-
contestés. Aussi lorsque l'abbé Gallois prit, en 1666, la direction du jour-
nal des saeantSf crut-il devoir rassurer les auteurs qu'avaient alarmés les
critiques auxquelles s'était laissé entraîner la direction précédente: il promit
de ne pas « entreprendre sur la liberté publique, » reconnaissant humble-
ment que « c'était exercer une sorte de tyrannie dans l'empire des lettres
que de s'attribuer le droit de juger les ouvrages de tout le monde. » Il expri-
mait ainsi le sentiment général, et toutes les fois que le Journal des savants
s'écarta, au dix-septième siècle, de cette profession de foi, il s'attira de
méchantes querelles. Mais ce n'est ni du Journal des savants ni même da
Mercure galant qu^il s'agit ici. Les nouvellistes, ce sont les fabricants et les
colporteurs de nouvelles, les discoureurs des salons et des lieux publics.
Pour diverses causes, la Bruyère les aimait peu, et c'est contre eux qu'il a
lancé cette boutade.
14 CHÀpmts it
S'il donne quelque tour à eea penaéea , c'est moins par ona
Tonité d'auteor que pour mettra une vérité , qu'il à trou-
vée, dons tout le jouf nécessaire pour faire l'impression
qui doit servir i. son dessein. Quelques lecteurs croient
néanmoins le payer avec usure s'ils disent magUtralement
qu'ils ont iu son livre, et qu'il ; a de l'esprit : mais il leui'
renvoie toiis leurs éloges, qu'il n'a pas cbèrcliés par soa
travail et par sas veilles. IL porte plus baiit ses projets
«t agit pour uns fin plus relevée : il demâiidè des hom-
mes un plus grand et un plus rare biiccès que tés louaii-
gea, et mâma que les récompenses, <]>ù ^^^ '^^ l^s rElldrâ
meilleurs '.
^ Les sots lisent un livre, et ne l'entendent point, lés
esprits médiocres croient Tentendre pattàitémêiil. Les
grands esprits ne l'entendent quelqtieïois pas tolit entier:
ils trouvent obscur ca qui est obscur, comme ils troiivéiit
clair fle qui est clair. Les beaux esprits veulehi trouver
obscur ce qui ne l'est point, et ne pas eateitdré ce qui est
fort intelligible.
% Un auteur cborcte vainement S 3é faite âdffiitHt pSf
son tllivrage. Les sots admirent qnel^ntifais, mais ce sont
des sois. Les persoimes d'esprit oUt âti etll * Ué âemti&cël
ie toUtefi les vérités et de tous les sentiments) rien ne leur
est nouveau ; ils admirent peu, ils approiii^ênt.
^ Je ne sais ^ l'citi pdnrra jamais mettre dans des lettres
plus d'esprit, plus de tour, plus d'agrément et pItU de ^t^lè
que l'on eu Voit dàtis telles de Balzac et d» TettuRB *
i. Èst-ll ii«t:«iBa)re à» ftitv rtmatqnct hiM,IVnl«fir patu Ict de Itii
miiUB! C'esl en lea qu'il t, inséié cet HiAii iHittlii Caraciirts.
ï. Molière ■ faii de pe—--— '- ■■"—" ■■-- ■ i— —i——n — ^— iiq_
i> laaait je n'ki tu deux pe >im
Juan, J, 11.}— ' b«Dx ven la-
tait imajinain, Û, tIJ. C iel
gmnniuineDg du dix-seplii tna
Oivderiies. vaugchii tuDtei da
Uilherbs. ad 18 motjMnon 11^
samtnml.dii-iljjè genre m iiw
DES OUVBAMS DE L'ESPRIT.' 10
«Des sont yides ds sentiments qui n'ont régné que depuis
leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance» Ge
sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire. Elles
trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui
souvent en nous fie sont 1 effet que d'un long travail et
d'une pénible recherche ; elles sont heureuses dans le choix
des termes» qu'elles placent si juste que, toutdondus qu'ils
sont) ils ont le ch&rme de la nouveauté, et semblent être
&itsseuleiiientpour Pusage où elles les mettent; il n'appar*-
tient qu'à elles de faire lire dans ua seul mot tout un sen*
timenl^ et de rendre délicatetnent une pensée qui est déli'*
cate; ^Ues ont un enéhaînement de discours ihimitable^
qui se suit naturellement, et qui n'est lié que par le sens'»
Si les femmes étaient toujours correctes, j'ol^èrais dire (^he
les lettres de quelques»uiies d'entre elles seraient peut-être
ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit.
" ; j. ^11 n'a manqué à Térbnce que d'être moins froid : quâle
pureté) quelle exactitude, quelle pdlitessCi quelle éléganoei
quels caractères I U n'a manqué à Molièrb que d'évité le
jargoB et le barbarisme « et d'éorire purement* i quel flâu,
. %
(ls^S-1648)^tU n^eilleure part ée n célébrité à m eorresponduic»' U
était poète, et Boileau tenait ses poésies en graiide estime. Il le nommeà c6té
de Malherbe (eplire ix), et même à côté d'Horace (satire ix).
1. La Bruyère avait sans tiOttlë Ib qiiei^iièii-iltieft dés lettrée de if me tie \. *
SéYfgné. Bussy lui avait pent-étre commdtiiqué là copié de ëellés qui lui
avaient été adressées.
2. Les Déeligencea .et les incorrectiODSiie sont pas rares dans les œuvres
de Molière, bien qu'elles soient mi^ns fré<iuente8 que ne Tont imaginé la
plupart de ses annotateurs. « Bn pensant bien j dit Féoelon, il parle souvent
mal ; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Xérence
dit en quatre mot«, avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit
qu'avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias.» Vau-
venargues, qui, comme t^énelbu, aimé ih:eUi la prose de Hollère tthe ses
vers, s'est eccore montré plus rigonrenx : « U y a en lai, dit>il, tiint de né-
gligences et d'expre8^ions imprqpre^ q[U'il y a peu de poCies^ bi j'ose le 41re,
moins corrects et moins purs que lui. » Plusieurs écrivains ont protesté
contre la sévérité de ces jpgementS) dans lesquels il n est pas tenu compte
de la rapidité avec laquelle Molière a dû composer ses pièces. Ils ont surtout
proteste contre l'excès de sévérité de la Bruyère. Mais est-il certain qu'on
rait bien compris? La Bruyère tetli-it dite qfcie ftollèré ult si mal étudié la
langue qu'il n'ait pu évitée lé Jargon et le bàrbarldiiié^ J'endoutét et je
propose l'interprétation qui niit. La Brdyère a blftmé l'atltettr du Miaon-
thropêf comme on le verra plus I :>in, d'avQir introduit des paysans sur^ia
aoène : le jargon et les barbarûmea dont il se plaint, ne se trouveraient -ils
pas dans le janf^e de Jacqueline; de Lucas^ de divers perapnnagefi dû Fhtin
de Pierrêf de M, de Poureeaugnac^ etc., dans ce langage que Molière a fidè-
lement transporté des cbamps au théâtre 7 Hors des farce», la Bruyère ne veut
pu âe paysanneriea i on peut en conclure sans témeritéi ce me semble^ qu'U
X
16 CHAPITRE I.
quelle naïveté, quelle source de la bonne plaisanterie, quelle
imitation des mœurs, quelles images, et quel fléau du ridi-
cule I Mais quel homme on aurait pu faire de ces deux
comiques!
^ J*ai lu Malherbe et Théophile ^ Ils ont tous deux
connu la nature, avec cette différence que le premier, d'un
style plein et uniforme*, montre tout à la fois ce qu'elle a
de plus beau et de plus noble, de plus naïf et de plus simple :
il en fait la peinture ou l'histoire. L'autre, sans choix, sans
exactitude, d'une plume libre et inégale, tantôt charge ses
descriptions, s'appesantit sur les détails; il fait une anato-
mie ; tantôt il feint *, il exagère, il passe le vrai dans la
nature : il en fait le roman.
^ Ronsard * et Balzac ont eu, chacun dans leur genre,
assez de bon et de mauvais pour former après eux de très-
grands hommes en vers et en prose.
^ Marot * , par son tour et par son «tyle, semble avoir
écrit depuis Ronsard : il n'y a guère , entre ce premier et
nous, que la différence de quelques mots.
^ Ronsard et les auteurs ses contemporains ont plus nui
au style qu'ils ne lui ont servi : ils Font retardé dans le
lai répognait d'entendre, an théâtre de Molière, les paytaos parler comm*
à la campagne.
I. Tous les jours à la cour un sot de çiualité
Peut juger do travers avec impunité,
A Malherbe, à Racan, prérérer Théùphile,..,
Est-ce en souvenir de ce vers de Boileau (satire ix) que la Bruyère a
voulu comparer Malherbe (1555-1628), le réformateur de la poésie, et Théo-
phile Viaad (1590-1626), poète que son mauvais goût a ridiculisé > Le rap-
prochement qu'il a fait de ces deux noms a fort étonné les critiques. —
Théophile est l'auteur de ces vers cités par Boileau dans sa préface :
Ah ! voici le poignard qui du sang de son mattre
S'est souillé lâchement. 11 en rougit le trï
traître!
A cèté de ces vers, tirés de la tragédie de Pyrams et Thiabéf l'on en pour-
rait citer d'autres qui ne sont pas plus heureux. Ainsi Pyrame, s'approchant
de la muraille qui le sépare de Thîsbé et dans laquelle une fente est prati-
quée, s'écrie :
Voyez comme ce marbre est fendu de pitié.
Et qu'à no*jre douleur le sein de ces murailles
Pour receler nos feux s'entr'onvre les entrailles !
9. D'un style plein et toujours égal.
3. Fingit, il invente.
4. Uonsard (1524-1586), qui voulut être le réformateur de la langue et de
la poésie, a semblé le plus admirable des poètes à ses contemporains.
5. Clément Maroi (i 495-154%) a excellé dans Im poésie familière, dans les
épitres, les épigrammes et les élégies.
DES OUYEAGES Dfi L'ESPRTT. 17
chemin de la perfection; ils Tont exposé à la manquer pour
toujours et à n'y plus revenir*. 11 est étonnant que les ou-
vrages de Marot^ si naturels et si faciles, n'aient su faire
de Ronsard, d'ailleurs plein de verve et d'enthousiasme, un
plus grand poëte que Ronsard et que Marot ; et, au con-
traire, que Belleau, Jodelle et du Bartas' aient été sitôt
suivis d'un Racan^ et d'un Malherbe, et que notre langue,
à peine corrompue , se soit vue réparée *.
, } \ % Marot et Rabelais * sont inexcusables d'avoir semé
1. C'est, à pen de chose près, le iagement de Boileau. (Art panique, I,
vers 113.) Ronsard, dit-il.
Réglant toat, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Mais sa muse, en français pariant grec et latin.
Vit dans Tàge suivant, par un retour grotesque.
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque....
Enfin Malberbe vint, et le premier en France....
« Ronsard, dit M. Geruzez, a été trop loué et trop dénigré. S*il a échoué
complètement dans l'épopée et Tode pindarique, il faut reconnaître aussi
^ qu'il a rencontré, par interralles, la vraie noblesse de langace poétique dans
f quelques passages du Bocag9 royal, des Bymnet et des Ditcour* sur Uê
I misère» dt» Utnfê. M. Sainte-Beuve, qui, de nos jours, a revisé ce grand
procès, a tout au moins prouvé, pièces en main, que, dans le sonnet et dam
les pièces anacréontiques, Ronsard garde un rang élevé. Malherbe, qui a si
heureusement prufite des efforts de Ronsard, aurait dû blâmer moins
rudement les écarts de ce poëte, martyr de la cause dont il reste le
héros. M
2. Rémi Belleau (i528-t577), l'un des poôtes de la Pléiade^ a traduit les
odes d'Anacréon, les Phénomènes d'Aratus, VEcclisiastey etc. U est l'auteur
d'une jolie pièce, ilortj, qui est souvent citée. — Jodelle (1532-1573), poëte
dramatique, auteur de tragédies imitées des tragédies grecques. — Du Bar-
tas (1544-1590), poète sans goût qui exagéra encore le ftute pédantesque
de Ronsard, est F
la Semaine, ou Ut
{mblia ces considérations w .
e nom de Saint-Ckslais a occupé la place oh l'on voit celui de du Bartas, et
ce n'est qu'en 1696, fort peu de temps avant sa mort, que la Bruyère
remplaça Saint-Gelais par du Bartas. On lui avait sans doute fait remar-
2ner que MelUn de SaintrGelais (1491-1558) était de l'école de Mai^pt et non
e celle de Ronsard.
3. Honorât de Baeil , marquis de Racan (1589-1670), élève et ami de
Kdherbe, sur la vie duquel il a laissé des mémoires. U a oompos64es Ber-
gtries, des Odes sacrées, etc.
4. La Bruyère dit en prose ce que Boileau dit en vera :
Par ce sage écrivain la langue réparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.
6. François Rabelais, né à Chinon en 1483, tour à tour cordelier, béné-^
dictin. médecin, bibliothécaire, secrétaire d'ambassadeur et curé, m'ourai à
Meodôn en 1553. C'est à dessein qu'il fit de son livre une énigme, dissimu-
lant ses hardiesses sous des bouffonneries extravagantes. Le jttf^émeot de
- ht Bruyère est sOavent cité et mérite de l'être.
9
18 CHAPITRE I.
Tordure * d^qs leurs écrits : tous deux aYaient assçz de gé'
ijie et de naturel pour {pouvoir, s'en passer, môme à l'égard
dp cenx, qui cherphent moins à, apLmirer qu'à rire dans un
auteur, ^ab^is surtout est incompréhensible; son livre
^sjtune é.nigme, quoi, qu'on yeuillq dire, in.explicable ; c'est
ijne chimère, ç*est le vidage d'ui^e belle femme avec des
pieds et une queue de serpent • ou de quelque autre bête
plus ditforiûe ; c'est un monstrueux assemblage d'une mo-
rale fine et ingénieuse et d'une sale corruption. Où il est
mauvais, il passe bien loin au delà du pire, c'est le charme
de. la canaille ; où il est bQ)QL| il v^t ju^ques à.rexquis et à
l'excellent, il peut être le mets des plus délicats*
^ Deux écrivains, dans laur& ouvrages, ont blâmé Mon-
taigne*, que je ne crois pas., aussi. bien qu^eux*, exempt
de toute sorte dâblânae. 11 paraît que tousdeu&ne Tout
estimé en nulle manière, t'unt ne pe^i^s/iit. pas aaçez pour
goûter un auteur qui pense beaucoup; l'autre pense trop
$utitilemLènt pou;, s^s^ccommoder de, pensées, qui; sont, uf^tur
relies**
U « ....I^. cœ.Qr de rbomn^j» est creiu. etplçm d'or^i^a, » a dit PjtfCf^
dans BesPènsees, Hplièré a employéle même mot au pilunel ;
Chaque instant de ma vie est chargé de souillares;
Elle n'est qui* fin amas de crimes et d'ordures.
{Tartufif apte I{I, scène ^^ '
2,^ B9race^ Art poétique f tejps 8 :
.... uttturpiter. in atrum
Desinatin piscemjnulier formosa. super ne«
3. Nicolas Montaigne (ou Montagne^ comme écrit la Bruyère), lié
en 153J, mort en 1592, l'immorte) auteur dès Essais^ La Bruyère l'avait
beaucoup In. * .. .- . .
4é. Que je ne crois pas non plus.... Au dix-septième siècle, aussi se re»
contre à cnaqûe ihstantdans les phrases négatives. Pascal , Descartes, Mo-
tièrâ, Corneille^ en offrent quantité d'exemples. Les grammairiens modernes
exigent que l'on fasse usage, en pareil cas, de non plus.
5. L'écrïrain qui «< pense' trup subtilement, » d*aprèa tous les commen-
tateurs^ est le philosophe cartésien Malebrancne ( 1638-1715), qui « a blâmé»
Blbntaignê dans la RèckercHs de la véHtê, Celui qui « ne pense pas assez »
est pou^ les \ins Nicole (lfi2S-16d5), Pècrivain de Port-Royal, pour lèsautrès
Balzac. Comme l'a fait remarquer M. Sainte-Beuve, la partie des Essais itti
Nicole a parlé de Montaigne n''a point paru assez tôt pour que la Bruyère
ait pu la lire. Aussi, à moins que la Bruyère n'ait e^ vue quelque passage
de la Logique de Port-Royal, à laquelle avait collaboré PUcole. n'est-ce pas
à Nicole qu'il fait allusion. Balzac a consacré deux Entretiens a Montaigne,
el, bien que Von puisse se demander si la critique (ju'ii en a faite autorisait
la JB|>ruyère à dire qu'il ne restimait.w en nulle maulôre, » son nom est sans
doute cfilui auquel il faut s'arrêter. Il était mort depuis irente ans environ
lorsque la Bruyère écrivait; l'imparfait (m pensMt pas) se- comprend
donc mieux, appliqué à lui; que s'il a'agissait de Nicole, qui fivalt encora
quand p^rut ce passage.
» -,
DES OUVRAGES- BB L'ESPRIT. . 1-9
^ Un style- grove, sétieux^ scrupuleux, var fbit loin. Ou
lit Amyot • et GoEPFETEAU* : lequel ]it-on de leurs cpntBmpo-
rains?' Balzïwg, pour \e» termes^ et pour- Pexpressiun, est
moins vieu» que Voiture ; mais si- oe dernier, pour le tour,
pour Tesprit et pour le^ naturel, n'est pas moderne et ne
ressemble en* rien à nos éori^ains*, c'est qu'il' leur a-été plus
facile dele négliger que de limiter, et que le petit nombre
de ceux^ qui courant aprèsi'lui ne peut l'atteindre;
^ Le a***Gr**** est immédiatement' au-dessous de rien*.
Il y a bien d'autres ouvrages qui lui ressemblent. 11 y a au-
teunt d'invention à s^ennc^ir par un- sot livre qxxHl 7 a' de
sottise à l'acbeter; c'est ignorer le goût àjL peu|ile, que de
ne pas hasarder quelquefois de grandes fadaises.
Tf L'on voit bien que l' Opéra est Fébauohe d^un grand
spectacle ; il en djonne l'idée *.
Je ne sais pas comment VOpéra', aveoune musique si par-
faite et ime dépense taute royale,., a pu réussir, à m'en-
nuyer.
Il y a des endroits dl^a POp^a- qui. làis^nt en désirer
d'autres; il échappe quelquefois de souhaiter la. fin de tout
1. Jacqaes Amyot (i513-.159$), qui, d*a]l>iordy»let au collège de Navarre,
devîDt précepteur des eja.faDis d.e Henri I(, g^aiid aumôuier de France et
évèqoe d'Auxerre^ à iraduit Plalirqueet lee roiuajojB grecs d'J)éliodoreetde
Longue.
2. Nicolas Coëfifeteau (15,74-1683), évêque deMarseilIe, savant théologien
et célèbre prédicateur, auteur d'un grand nombre d'ouvrages. Vajijgelas avait
une vive admiration pour le style de Coefl'eleau.^ et prehaii très-souvent dans
■on Histoire romaine les exemples qu'il citait. Mais la réputation de Coéffe-
leaa faiblit dès latin du dix- septième siècjle, comme, le prouvent, les raille-
ries de Sainl'Ëvremond. Mme de Maintenon veut que laducbessede Bour-
gogne appxenoe l'iiistoire de r«mpird roDain dans VHiaêoin romains de
Coêffeteau, mais la seule raison qu'elle en donn^^ est.qu.e les. chapitres y
sont courts, et que la jeune princesse n aime pas ce qjgiji est long^
s. l\sHi9^t da'^Uercwe g/i/aii^ Le, Jl^rcî*r^ journal ou pluiôf revue qui
depuis 1672 paraissait tous les. mois, était rédigé paf Donnéau de Visé, qui
eut parfois pour coUaboraieurs Thomas Corneille et FonteneUe;^ Dans deux
éditions, la 6« et la ?•, la Bruyère fit ou laïsea ioiprimey les véritables ini-
tiales du Mercure galanty M. G.; mais dans les autres on lit ; H, Q., c'est-à-
dire Hermès galant-, la DU'uyère iraduisail.aiosi H^rcurt, en grec. Le
Mercure, qui donnait les nouvelles de la. cour, de l'arniée et de, la littéra-
ture, qui apprenait le mariag,e et lé décès des personnages importants, et
qui contenait dies sonnets, des élégies et des annonces industrielles, avait
pris parti pour CorneiUe contre Racine, et pourles moderoeft^^ontre lês^n-
ciens
4. La 9* édition seuie contient; au-dessous- de rtt» ; dans 'tontes les
précédentes, on lit : au-dessous, du rHn. Le rien s'employait aasea^seaTeat
poar exprimer le néant.
5. Cette criti<|«e et les snivantes sont dirigées- contre l'académie de
DMMiqiie, qui avait été adnûnistvéepef LuU»|MqQ*À sa^mort (168<^ etqui
SO CHAPITRE I.
le spectacle : c'est faute de thé&tre S d aetioii et de choses
qai intéressent.
VOpéra^ jusques à ce jour, n'est pas un poëme, ce lïont
des vers ; ni un spectacle, depuis que les machines ont dis-
paru par le bon ménage à'^Amphion et de sa race*: c'est
un concert, ou ce sont des voix soutenues par des instru-
ments. C'est prendre le change et cultiver un mauvais goût
que de dire , comme Ton fait, que la machine n'est qu'un
amusement d'enfants et qui ne convient qu'aux marion-
le fut après lui par son gendre. BoiIeaa,RaciDe, la Fontaine, Saint-Evremond
n'aimaient pas non dIob l'opéra; mais leurs critiques s'adressaient surtout
an genre, qu'ils condamnaient. La Fontaino écrierait en 1677, pour n« citer
que lui :
Quand j'entends le sifflet. je ne trouve Jamais
he changement si prompt que je me le promets.
Souvent au plus beau char le contre-poids résiste;
Un dieu pend à la corde, et crie au machiniste;
Un reste de forêt demeure dans la mer,
Ou la moitié du ciel au milieu de l'enfer.
— Quand le théâtre seul ne réussirait guère, /
La Comédie an moins, me diras-tu, doit plaire.
Les ballets, les concerts, se peut-il rien de mieux
Pour contenter l'esprit et réveiller les yeux?
— Ces beautés, néanmoins, toutes trois séparées.
Si tu veux l'avouer, seraient mieux savourées.
De genres si divers le magnifique appas,
Aux règles de chaque art ne s'accommode pas.
Il ne faut point, suivant les préceptes d'Horace,
Qu'on grand nombre d'acteurs le théâtre embarrasse ;
Qu'en sa machine un dieu vienne tout ajuster;
Le bon comédien ne doit jamais chanter;
Le ballet fut toujour» une action muette;
La voix veut le téorbe, et non pas la trompette,
Et la viole, propre aux plus tendres amours,
N'a jamais jusqu'ici pu se joindre aux tambours.
Mais la foule ne partageait point sur l'opéra le sentiment de la Fontaine :
Que l'on n'y trouve point de machines nouvelles.
Que les vers soientmauvais, que les voixsuient cruelles;
De Baptiste (LvUlt) épuisé les compositions
N9 sont, si vous voulez, que répétitions;
Le Français, pour lui seul, contraignant sa nature,
ITaque pour l'opéra de passion qui dure.
Les jours de l'opéra, de l'un à l'autre bout,
Saint-Honoré. rempli de carrosses partout.
Voit, malgré la misère à tous états commune.
Que l'opéra tout seul fait leur bonne fortune.
i. Dans cette phrase comme dans l'un des vers de la Fontame que nous
venons de citer, le théâtre signifie les décorations, les machines.
2. LuUiet sa famille. Le marquis de Sourdéac, qui dirigeait une aca-
démie de musique avec l'abbé de Perrio, etqui perfectionna singolièremeni
\Hfft du machiniste, avait fait sur son théâtre de très-belles décorations. Il flfe
mina» Metiàlit ia raine i profiti Ltllli obtint un privilège) fonda une noati»lltt
acldémit, el Ht une pirx nmins ghmâè âut tfanehioM et âttt dëedratloas.
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 21
nettes ; eUe augmente et embellit la fiction, soutient dans
les spectateurs cette douce illusion qui est tout le plaisir du
tkéâtre, où elle jette encore le merveilleux. Il ne faut point
de Yols, ni de chars, ni de changements, aux Bérénices et
à Pénélope * ; il en faut aux opéras ; et le propre de ce speo-
tade est de tenir les esprits, les yeux et les oreilles dans un
égal enchantement.
^ Ils ont fait le théâtre*, ces empressés, les machines,
les ballets, les vers, la musique, tout le spectacle, jusqu'à la
saUe où s'est donné le spectacle, j'entends le toit et les qua-
tre murs dès leurs fondements. Qui doute que la chasse sur
Teau*, Penchantement de la Table ^, la merveille du laby-
rinthe", ne soient encore de leur invention? J'en juge pat
le mouvement qu'ils se donnent, et par l'air content dont ils
s'applaudissent sur tout le succès. Si je me trompe, et qu'ils
n'aient contribué en rien à cette fête si superbe, si galante,
si longtemps soutenue, et où un seul a suffi pour le projet
et pour la dépense, j'admire deux choses : la tranquillité et
le flegme de celui qui a tout remué, comme l'embarras et
l'action de ceux qui n'ont rien fait.
1. La Bérénice de Corneille et celle de Racine, représentées en 1670. ~ La
Pénélope de Tabbé Geneat, représentée en 1684.
3. An mois d'août 1688, M. le Prince, fils dn grand Condé et père de
l'élère de la Brajère, avait offert au daaphin, dans sa terre de GhantillT,
nne fête qui avait duré huit Jours et coûte plus de cent mille écns. « M. le
Prince était l'homme dn monde qui avait le pins de talent noar imaginer
tout ce qui pouvait rendre la fête galante et magnifique, » dit la Fare en se»
mémoires. « Personne, écrit Saint-Simon de son côté^n'a )amaisporté si loin
l'invention, Texécution, Tinduslrie, les agréments m les magnincences des
fêtes dont il savait surprendre et enchanter. » Tel était aussi Tavis de la
Bruyère, qni crut devoir mettre à profit la publication de la 4* édition de ses
Caractèrea (1689), pour y glisser, an milieu de ses considérations sur le
théâtre, nne fiatterie à l'adresse de M. le Prince. On ne sait au juste quels
sont les « empressés» qu'il raille.
3. La chasse sur Tean se fit le sixième jour de la fête (38 août). Après
nne chasse où l'on avait tué 50 on 60 cerfs, biches ou sangliers, on jeta aans
rétang de Comelle, au son des hautbois et des trompettes, les bêtes vivantes
qne l'on avait prises. Les dames, placées sur des bateaux couverts de feuil-
lage, arrêtaient les cerfs au moyen de nœuds coulants et les faisaient at-
tacher h la barque. Lorsque, les rames levées, on avait ga^né la terre à la
remorqne des cerfs, elles coupaient la corde et leur rendaient la liberté.
4. I^e dimanche 22 août, premier jour de la fête, le dauphin qni avait
été re«u à l'extrémité de la forêt par M. le Duc, avait été amené par lui au
carrefour de la Tabi«, où les attendait M. le Prince. Au milieu de ce car»
refoar s'élevait sur nne estrade un édifice de verdure, au milieu duquel une
magnifique corbeille d'argent contenait la collation. Après le repas et le
concert, on vit passer le cerf dans l'une des allées, et la chasse com-
mença.
S- Collation très-ingéniense. donnée dans le labyrinthe de Chantilly.
(Note de la Bruyère). La collation dan» le labyrinthe eut lien le 39 août.
22 CHAPITRE 4.
^ 'L6S comiftisseiifs, oa ceax qui se 4iroMnt<telB|'8e ôob^
nent voix délibërative et déoisive sarles spectacles, tie ean-
ton&ent aussi, et se divisent en des partis contraires, dozit
chactm, potiiBsé par tin tout anlire intérêt qne par celui da
public on de réqufté, admire un certain poëme ou une cer-
taine tti unique, et siffle toute autre, ite nuisent également,
par celte chaleur à défendre leurs préventions, et à la fac-
tion opposée, et 4 ^eiir pvopre cabate ; ils découragent par
mille contradidfams les poëtes et les musiciens, Tî^tardeat le
progrès Ûes sciences et des arts, en 'leur ôtant le fruit quils
pottrriBdent tiiier de 'réoGRiiation et de la liberté qu'annôeat
plusieurs exceUenes Baîtl*e6'de faire, chacundaifs leur genre
et selon leur génie, de trôs-^jeaux x)uvrages.
J- ^ Q9'où vient que Ton n^it si iibrement «u tizéâti^ «t *que
^ Toin >a iionte d'y ipleimr ? Est-il >moins dans la nature 4m 8>ai-
tendrir sut le'prtajrable * que d'éclater sur le^ridicale^ Est-ce
rahémiion des traits qui noos Tetient? Elle est. plusii^eande
dans un ris Immodéré que dans la plus amère ^ov>eur; et
ron-éétoome son visage ^ponr rire, comme pour fdeiEror, em
la présence des grands et de tous ceux que l'en respecte.
Est-ce une peine que l'on sent à laisser voir que l'on est
tendre, et à teiarquet quelque faîWesse, surtotft^iïn sujet
faux, 'et dont il semble que Ton «oit !hi dupe? Mais, sans d-
ter les personnes graves ou les esprite forts qui trotiveirtdu
faible dans un ris excessif comme dans les pleurs, et qui se
les fléfendefnt également, qm^attend-on d'une ^cène tragi-
que? Qu'elle fasse'dre? fit 4'ailleurs, «la vérité n'y règne*-
t-elle pas aussi vivement par -ses imstgés 'que ftans le comi-
que ?L''àme ne va-t-elle pas jusqu'au vrai dans d'un et l'autre
genre avant que de s^ouvoit? est-effle "même si aisée à
contenter? ne Im faut-il pas -encore le vraisemblable? Gomme
donc ce n'eiâft Joint "une cfhose î)izatl*e d'enteridre s'élevet fte
torut MÊL aiapkitkéàtre «n ris «niversel «ur quelqve endroit
d*une cfomédie, et que cela suppose au contraire qu^ isSl plai-
sant «t trèsHSLaïvemeBit ^écuté, aussi rextrôme Vèotosiee
que cfhacun isre fait %. crontimindre ses larmes, et le tnauvalis
ris dont on veut les couvrir, prouvent clairement que l'eSet
naturel du grand tragique serait de pleuret tous fraïictee-
1. Le pitoyable, ce qui est digne de pitié. Ce mot aurait deux sigoiftoR-
tioDS : tftiiiôi il «Mit ie sent q«^ pra«eM6 ici , tHM6t H a^ah ta vaAeur =de
compoiùMfil.
DES OUVRAGtef DE L'ESPRIT. 23
ment et de concert à la vue l'un de l'autre , et sans autre
embarras que à'essuyeT ses larmes : outre qu'après être
convenu de s*y âbandonnel", on ^prouVeraît encore qu'il y à
souvent 'moins lieu de crïiinflre Se ^ileurer au théâtre que
de s*y morfondre.
^ Le poërïie tragique Vous sèrt*e le cœur 'dès sot com-
mendement, vous laisse à peitie dans tout ison "progrès* la
liberté de respirer et le temps 'fte vous l'eiïiéttre; où, 's'a
vous donne quelque telâcbe, c'e^t pour vous replonger dsitils
de nouveaux abîmes et dans de 'fiô^ùvelles alarmes; 11 Vdùs
conduit à la 'terreur par la^itié/ôû, ¥écipToquement , Il fe
pitié parle terrible; Vous ûîène par les larmes, pà'rles skft-
glots, par rincértitude, 'ptir Vesperancô , pàrlk cràitftë, par
les surprises et par rboirréur, jusîjù'à là catastrophe. Ce
n*est doiic pas un tissu de jolis sentiments, fte ûéclarations
tendres, d'entretiens galàïïts, dé portraits "àg'r'éàïyles , de
mots doucereux *j ou quelquefois kssez plaisants pdtrr faire
rire, suivi à la vérité d'une àerïïïèi*e %cène où les "mtitîns
p'éntendent aucune raison*, et où, "pour la^eYii^éânce. îl y
a ecffn ûu sang répandu, et ^'el^ùe 'taâïheui'exix à'^ui il ^èh
coûte la Vie.
Tf Ce n'est point assez cfùe les 'inôeùrs dû TÎhéâtre * né
soient point mauvaises; ïl faù't 'endôVe quVUés soient dé-
centes et instructives. Il peut y àVo'ir un Vîifîcùïè si lias 'et
si grossier, ou mênïè Si faàe et si IndiÔé'rent, qu'il û'ést ûi
permis au poëte d'y ïàîre attention, nî possiliie aux specta-
teurs de s'en divertir. Le paysan ou ï'^ivrôgne fournit quelques
scènes à un farceur; il "ti^entre qu'à peiùe dans le v^ai co-
mique : comment pourrait-il faire le fond ou l%c*tiôn 'prin-
cipale de la comédie? 'Ces caractères, àit-ôn, "èôitft dâturels.
Ainsi, par cette règle, on occupera feëïitôt tonit l'afùphi-
théâtre d'un laquais qui siffle, d'un malade dans sa garde-
1. DtBstoiit son développélneiit.
2. ^igriez donc, j'y consens, ïès "hërôs amoureux,
uais ne m'en formez pa's des bcfrgerô do'ucVreûd?,
dit Boilem en s'adressant aux suteors dramsfcicfires. (Art poétipte, III, yers
97.) Dans l'ancien langage le mot doucereUa: n'était pas emfrlo^ô en mauvaise
part; Boileau, l'iro des premien, lui donna le sens avec lequel il est arrivé,
josqu'à nous.
3. Sédition, dénotment vulgaire des tragédies. <iVo^e delà Bruyère.)-^
Tel est, par exemple, le dénoûmentdepla^ietfrs tragëdre^ de Quivault? la
mort de Cynu, Agrippa, Astrctte^ Pausanias,
%. hm rnoBors ées persoûnages que les aiAecon iiidtt<»iit eu scènik
2^ CHAPITRE I.
robe*, d'un homme ivre qui dort ou qui vomit : y a-t-il
rien de plus naturel? C'est le propre d'un efféminé de se le-
ver tard, de passer une partie du jour à sa toilette, de se
voir au miroir, de se parfumer, de se mettre des mouches,
de recevoir des billets et d'y faire réponse : mettez ce rôle
sur la scène : plus longtemps vous le ferez durer, un acte,
deux actes , plus il sera naturel et conforme à son original;
mais plus aussi il sera froid et insipide*.
^ Il semble que le roman et la comédie pourraient être
aussi utiles qu'ils sont nuisibles. L'on y voit de si grands
exemples de constance , de vertu , de tendresse et de désin-
téressement, de si beaux et de si parfaits caractères, que,
quand une jeune personne jette de là sa vue sur tout ce
qui l'entoure, ne trouvant que des sujets indignes et fort
au-dessous de ce qu'elle vient d'admirer, je m'étonne qu'elle
soit capable pour eux de la moindre faiblesse.
^ Corneille ne peut être égalé dans les endroits où il
excelle : il a pour lors un caractère original et inimitable ;
mais il est inégal. Ses premières comédies sont sèches, lan-
guissantes , et ne laissaient pas espérer qu'il dût ensuite al-
ler si loin; comme ses dernières font qu'on s'étonne qu'il
ait pu tomber de si haut. Dans quelques-unes de ses meil-
leures pièces, ily a des fautes inexcusables contre lesmœurs',
un style de déclamateur qui arrête l'action et la fait languir,
des négligences dans les vers et dans l'expression qu'on ne
peut comprendre en un si grand homme. Ce qu'il y a eu en
lui de plus éminent, c'est l'esprit, qu'il avait sublime, au-
quel il a été redevable de certains vers, les plus heureux
qu'on ait jamais lus ailleurs, de la conduite de son théâtre,
qu'il a quelquefois hasardée contre les règles des anciens,
1. MoHère a souvent mis en scène des paysans (voyez, pa^ 15^ la note s),
et Sganarelle, le Médecin malgré lut, est, si Ton veut, un ivrogne : encore
Molière ne montre-t-il qae irès-discrèiement l'ivrognerie de Sganarelle, et
n'a-t-il jamais fait d'un vrai paysan le personnage principal d'une comédie;
Sganarelle, qui a su le rudiment, n'est pas un vrai campagnard. Mais voici
Argan, U Malade imaginaire^ qui tombe, et cette fois sans la moindre ré>
serve, sous le coup de la critique de la Bruyère. Ainsi, d'un trait indirecte-
ment lancé, la Bruyère adresneà Molière le reproche, rigoureux à l'excès,
que déjà lui avait adressé Boileau dans VArt poétique (III, vers 393-400).
2. Ce rôle est celui que l'acteur Baron avait mis sur la scène dans sa
comédie V Homme à bonnes fortunée^ pièce en laquelle il avait pris plaisir
à se peindre lui-même, et qui fût représentée en i686.
S. non pas contre la morale, mais contre les mœurs et les habitudes qui
appartiennent à telle époque, à telle nation , etc. « Comédies désigne ici
les pièces tragiques de Corneille aussi bien que fliss pièces comiques.
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 25
et enfin de ses dénoûments , car il ne s est pas toujours
assujetti au goût des Grecs et à leur grande simplicité; il a
aimé au contraire à charger la scène d'événements dont il
est presque toujours sorti avec succès : admirable surtout
par l'extrême variété et le peu de rapport qui se trouve pour
le dessein entre un si grand nombre de poëmes qu'il a com-
posés. Il semble qu'il y ait plus de ressemblance dans ceux
de Raghœ, et qu'Us tendent un peu plus à une même chose;
mais il est égal, soutenu, toujours le même partout, soit
pour le dessein et la conduite de ses pièces, qui sont justes,
régulières, prises dans le bon sens et dans la nature, soit
pour la versification, qui est correcte, riche dans ses rimes,
élégante, nombreuse, harmonieuse : exact imitateur des an-
ciens, dont il a suivi scrupuleusement la netteté et la sim-
plicité de Taction; à qui le grand et le merveilleux n'ont
pas même manqué, ainsi qu'à Corneille, ni le touchant ni le
pathétique. Quelle plus grande tendresse que celle qui est
répandue dans tout le Cid^ dans Polyeucte et dans les Ho-
races ? Quelle grandeur ne se remarque point en Mithridate,
en Porus et en Burrhus? Ces passions encore favorites des
anciens , que les tragiques aimaient à exciter sur les théâ-
tres, et qu'on nomme la terreur et la pitié, ont été connues
de ces deux poètes. Oreste, dans VAndromaque de Racine,
et Phèdre du même auteur, comme VŒdipe * et les Horaces
de Corneille, en sont la preuve. Si cependant il est permis
de faire entre eux quelque comparaison et les marquer l'un
et Fautre par ce qu'ils ont eu de plus propre et par ce qui
éclate le plus ordinairement dans leurs ouvrages , peut-être
qu'on pourrait parler ainsi : Corneille nous assujettit à ses
caractères et à ses idées, Racine se conforme aux nôtres;
celui-là peint les hommes comme ils devraient être, celui-ci
les peint tels qu'ils sont. Il y a plus dans le premier.de ce
que l'on admire, et de ce que l'on doit même imiter; il y a
plus dans le second de ce que l'on reconnaît dans les autres,
1. « C^est une chose étrange, dit Voltaire, que le difScile et concis la
Bruyère, dans son parallèle de Corneille et de Racine, ait dit ha Boraces et
GBdipe.... Voilà comme l'or et le plomb sont confondus souvent. » 0Edip9
avait obtenu un grand succès auprès des contemporains, et Saint-Ëvremond
déclarait que cette pièce devait compter parmi les chefs-d'œuvre de l'art.
11 n'est donc pas étonnant qu'en 1687 la Bruyère ait mis Œdipe sur la
même ligne (\u.*Horace; du moins est-il l'un des premier^ qui aient réaffi
contre reothonsiasme qu'avait tout d'abord «tcite cette tragédie. Voy. la
nota suivante.
26 CHiypiTKB I.
OU de ce que l'on éprouve dans soi-même. L'un élève, étonne,
maîtrise, instruit; l'autre plaît, remue, touche, pénètre. Ce
qu'il y a de plus beau , de plus noble et de plus impérieux
dans la raison, est manié par le premier; et par l'autre, ce
qu'il y a de .plus flatteur et de plus délicat dans la passion.
Ce sont dans celui-là des maximes, des règles, des précités ;
et dans celui-ci du goût et des sentimaits. L'<»i est plus
occupé aux pièces de Corneille; Ton est pins ébranlé et plus
attendri à celles de Racine. Corneille «st plus moral, Racine
plus naturel. Il semble que Voa imite SopHOQi2E<^ ei «pie
l'autre doit plus à Eumpide *.
\ Le peuple appelle éloquenoe la facilité qiïe quelques--
uns 7) nt de parler seuls et longtemps, jointe à l'emportement
du geste , à l'éclat de la voix , et à la force des poumons.
Les pédants ne Tadmettent aussi que dans le distjouts ora-
toire, et ne la distinguent pas de l'entassement tles figures,
de Tusage des grands mats, et de la rondeur des périodes.
Il semble que la logique est Part de convaincre -de quelque
vérité ; et l'éloquence un don de Fâmeile^eluous rend maî-
tres du cœur et de l'esprit des autres, qui fait que nous leur
inspirons ou que nous leur persuadons tout ce q^ui nous plaît*.
L'éloquence peut ^e trouver dans les entretiens e^ dans
tout genre d'écrire. Elle est rarement où on la cherche^ et
elle est quelquefois où on ne la cherche point. .
L'éloquence est au sublime ce que le tout est à sa partie.
Qu'est-ce que le sublime? Il ne paraît pas qu'on l'ait dé-
fini. Est-ce une figure? Naît-il des figures, ou du moins de
quelques figures? Tout genre d'écrire reçoit-il le sublime-^
ou s'il n'y a que les grands sujets qui en soient capables*?
]. C'est en 1687 que la Bruyère a écrit ce parallèle entre Corneille et
Rticine. Plus tard, & mesure qunl se lie davantage avec Hacine et ses amis,
son admiration pour Corneille faiblit. En 1690, il fait^ à l'adresse de cer-
tains poêles dramatiques, une prolession de foi qui peut déplaire aux amis
de Corneille (voyez p. 3), et il a la hardiesse, en 1693, de dîrè 'toute sa peii-
sée au sem même de l'Académie, xlanis son discours de réception. Gonn/ment,
en effet, ne pas comprendre qu'il parlait en ton propre nom, lorsque, ve*
nant à dire que quelques admirateurs de Racine ne soufiraient pus que
Corneille lui fût égale, il osait ïcjot^ter : « Ils en appeflent à Tairfre rïècle;
ils attendefi't la lin de quelques vieillards, qui, touchés tiidïtfèi'ëriinrent ne
tout ce qui tapi^lle leurs prétaières années, n'aiment fiëiit-écre dans
(Mdipe que le souvenir de leur jeunesse. *>
3. « Nihîl pi'teiitobiliUR «f^etur quam posse dicendo ténere lioinihnm
cœtus, mêmes aPioèi^e «biuotutès impellere, tinde autein vèlit deducere. »
(Cicéron, d« Or Aiorip, i.)
S. Non pu qui soient capiAUs ^ tecwoirU wibUfi(t ittOM qui sofetft
>
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. 27
Paut-il briller autre chose dans Téglague qu'un beau natu-
rel, et dans les lettres familières comme dans les conversa-
tions Qu'une graade délicatesse? ou plutôt le naturel et le dé-
licat -ne bont-ils .pas le sublime des ouvrages dont ils font la
perfection? Qu'est-ce que le sublimet Où entre le sublime?
Les synonymes sont plusieurs dictions' ou -plusieurs
phrases diUe rentes qui signifient une même chose. L'anti-
thèse est une opposition de deux yéritës qui se donnent du
jour Tune à l'autre *. La métaphore ou la comparaison -em-
prunte d'une chose étrangère une image sensible et natu-
relle d^une vérité. L'hyperbole exprime au delà de -la vérité
pour ramener Tesprit à la mieux connaître. Le sublime -ne
peint -que la vérité, -mais en un sujet noble; il la peint teot
entière, dans sa cause et daœ son effet; il est rexpressicm
ou l'image k plus digne de cette vérité. Les esprits mé-
diocres ne trouvent ^oint Tunique expression, et usent de
synonymes. Les Jeunes gens sont <éblouis de l'éclat de l'aa-
tithôse^ «t s'en servent. Les esprits justes, et qui aiment -à
aire des images qui soient précises, donnent naturellement
dans la oamparaison et la méti^hore*. Les esprits vifs,
pleins de feu, et qu'iine vaste imagination -emporte hors
des règles et de la justesse^ ne peuvent s'assouvk de Thy-
perbole. Pour le sublime, il n'y ^ même entre les grands
génies, que les plus élevés qui en soient capables.
^ Tout écrivain, pour écrire uettement-, doit se mettre à
la place de ses leoteura, examiner son profère ouvrage coanne
quelque chose qui lui est nouveau, qu'41 lit<pour la premièi^
fois, où^il n^4ittlleii>art, et que l'auteur wdxmi soumis à
capables dû tUblime, Ceftt ainsi t(ne Pascsil a dit faans Itt diïlètoe lettré
lies Provincialet : a'Ouelqnes «uroles ambigoës d'une de aes lettres, t^m,
étant capahles d'un bon sens, doWeDt êtie prises en bonne part; m et que
la Bruyère lui-même écrit un peu plus lofti : « Pocrr lë soblime, i'i n'y à,
■ième entre tes grands génies, que les -plus étevés qui en soient capables» »
1. Diction 661 ici synonyme de mot; un peUiplas loin (page 26), diction
sera synonyme de style»
2. Qui s'éclairent l'une l'autre. « Ceux qui font des antithèses en forçant
des mots, a dit Pascal dans teuPenséet sur /'eVoçttencf, ce sont comme ceux
qui font de fausses fenêtres pour l'a symétrie, m
3. Donfient da^iss,.,» La Bruyère emploie cette expression -fflns y attacher
la pensée de blâme on d'hH)nie qti'«ft y joint le phife eoovënt, mdiûe -au
dix-septième siècle.
4. bans les cas où Boos employons ImrsrreAifement et lotrrd^ment les
locations dans lequei ou laquelle,, en qui, auquel ou à laqueUit^ 9ur lequel
ou laquelle f chez lequel ou laquelle, etc., les éciivains du dix-sepUème siè-
cle, et les meilleurs, mettent Simplement oit; les exemples aiboiidenu
X
28 CHAPITRE I.
sa critique , et se persuader ensuite qu'on n'est pas entendu
seulement à cause que l'on s'entend soi-même, mais parce
qu'on est en effet intelligible.
^L'on n'écrit que pour être entendu; mais il faut du
moins, en écrivant, faire entendre de belles choses. L'on
doit avoir une diction pure , et user de termes qui soient
propres , il est vrai; mais IL faut que ces termes si propres
expriment des pensées nobles, vives, solides, et qui renfer-
ment un très-beau sens. C'est faire de la pureté et de la clarté
du discours un mauvais usage que de les faire servir à une
matière aride, infructueuse, qui est sans sel, sans utilité,
sans nouveauté. Que sert aux lecteurs de comprendre aisé-
ment et sans peine des choses frivoles et puériles, quelque-
fois fades et communes, et d'être moins incertains de la
pensée d'un aufeur qu'ennuyés de son ouvrage?
Si l'on jette quelque profondeur* dans certains écrits, si
l'on affecte une finesse de tour, et quelquefois une trop
grande délicatesse , ce n'est que par la bonne opinion qu'on
a de ses lecteurs*:
^ L'on a cette incommodité à essuyer dans la lecture des
livres faits par des gens de parti et de cabale, que l'on n'y
voit pas toujours la vérité. Les faits y sont déguisés , les
raisons réciproques n'y sont point rapportées dans toute
leur force, ni avec une entière exactitude; et, ce qui use la
plus longue patience, il faut lire un grand nombre de termes
durs et injurieux que se disent des hommes graves, qui,
d'un point de doctrine ou d'un fait contesté, se font une
querelle personnelle. Ces ouvrages ont cela de particulier
qu'ils ne méritent ni le cours prodigieux qu'ils ont pendant
un certain temps, ni le profond oubli où ils tombent lorsque,
le feu et la division venant à s'éteindre, ils deviennent des
almanacbs de l'autre année.
^ La gloire ou le mérite de certains hommes est de
bien écrire; et de quelques autres, c'est de n'écrire point*.
1. On a relevé un certain nombre de mauvaises métaphores dans la
bruyère : celle-ci est de celles que l'on a jastement critiG[uées.
2. Cette pensée, insérée dans la quatrième édition , répond éTidemment
à ane critique des Caractères^ qui était parvenue jusqu'à rauteur.
3. Voilà une tirade d'Alceste résumée d'un trait :
Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livr^
Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre.
Crof es-moi, résistez à vos tentations.
f\
DES OUVRAGES DE L'ESPRIT. S9
^ L'on écrit régulièrement depuis vingt années; Ton est
esclave de la construction ; Ton a enrichi la langue de nou-
veaux mots, secoué le joug du latinisme, et réduit le style à
la phrase purement française; l'on a presque retrouvé le
nombre que Malherbe et Balzac avaient les premiers ren-
contré, et que tant d'auteurs depuis eux ont laissé perdre;
Ton a mis enfin dans le discours tout Tordre et toute la
netteté dont il est capable : cela conduit insensiblement à y
mettre de l'esprit '.
^ Il y a des artisans ou des habiles dont Pesprit est aussi
vaste que l'art et la science qu'ils professent; ils lui ren-
dent avec avantage, par le géoie et par l'invention, ce qu'ils
JDérubes au public ces oocnpatioDs,
Rt n'allés poiut quitter, de quoi que l'on tous tomme.
Le nom que dans la cour tuus avez d'honnête homme.
Pour prendre de la main d'un avide imprimeur
Celui de ridicule et mépriaabie auteur.
(Ja Mùanthrope, I, ii.)
f . Cette réflexion a été diversement interprétée. « Cet éloge, dit M. Génin,
ne s'applique exactement qu'au style d'un seul écrivain : c'est la Bruyère.
Il n'en est pas un trait qui convienne aux quatre grands modèles, Pascal,
Molière, la Fontaine et Bossuet. l\ semble plutôt que ce soit une attaque Toi-
lée contre leur manière. » Non , la Bruyère n'a pas voulu les attaquer, et
j'ajouterai que, s'il a cherché à peindre son propre style, il s'y est assurément
fort mal pris. Moins que personne, en effet, il n'a réussi à seconer le joug du
latinisme, et moins qUe personne il ne s'est rendu l'esclave delà construc-
tion. Qui ne voit que les locutions latines et les inversions abondent dans
son livre ? Qui ne sent qu'à la correcte régularité de la lan^e de sou temps
il préfère secrètement l'irrégularité plus capricieuse de l'ancienne littérature?
Est-ce à dire toutefois que cette réflexion soit purement ironique? Un savant
et judicieux critique, M. Hémardinquer , l'a pensé : ce passage lui « semble,
dit-il, une allusion aux écrivains comme Perrault et Lamotie^ qui sont
corrects sans originalité, mais non pas sans esprit. » A ces deux interpréta-
tions contradictoires nous opposerons celle de M. Sainte-Beuve : la Bruyère,
dit-il dans ses Portrait» littérairet^ « nous a tracé une courte histoire de la
S rose française en oes termes : L'on écrit régulièrement, etc. » Telle doit
tre en effet la juste appréciation de cet alinéa : il contient l'histoire de la
prose française à cette époque. Dans ce résumé de l'histoire de la langue au
dix-septième siècle, la Bruyère loue-t-il sans réserve chacune des modifica-
tions qu'il constate? Que l'on ait « enrichi la lanmiede nouveaux mots,» que
Von ait « presque retrouvé le nombre que Malherbe et Balzac avaient les
premiers rencontré, » assurément il s'en félicite. Mais tout ea applaudissant
à certains i>rogrès de la langue, ne signale-t-il pas avec une sorte de regret
plus ou moins dissimulé certaines exigences un peu tyranniques des dise!-
i>]es de Vaugelas ? Cette expression : « esclave de la construction » pennct-
trait peut-être de le conjecturer. Dans sa Lettre «ur les occupations de l'Aca-
démie française, Féoelon a yivement critiqué la trop grande soumission des
écrivains à « la méthode la plus scrupuleuse et la plus uniforme de la gram-
maire. » m L'excès choquant de Ronsard, écrit- il; nous a un peu jetés dans
l'extiémité opposée : on a appauvri , desséché et gêné notre langue. » 11
aJoQiB, non sans quelque injtfsttce, que lea lois trop rigooreuiia.de la gram-
maire «iclueht « tobie fiiri'^té el soAvehl fbuté m&gniflfittè eadenee. h
30 CHAPrmB K
tiennent d'elle et de- ses principes; ils sortent^ dè^ Part ponr
l'ennoblir, s'écartent des règles si elles ne- les conduisent
pas an grand et an snblime; ils marchent seuls et sans
compagnie; mais ils- vont fort haut et pénètrent fort loin^
toujours SÛT» et confirmés par le succès des avantages
que l'on tire quelquefois de rirrëgularité. Les esprits
justes, doux, modérés, non-seulement ne les atteignent
pas, ne les admirent pas, mais ils ne las comprennent poin^
et voudraient encore moins les imiter. Ils demeurent tran-
quilles dans l'étendue de leur sphère , vont jusque* à un
certain point qui fait les bornes de leur capacité et de
leurs lumières; ils ne vont pas plus loin» parce qu'ils ne
voient rien au delà. Ils ne peuvent au plus qu'être les
.premiers d'une seconde classe, et e;i;peller dans, le mé-
diocre.
1[ Il y a des esprits,, si je l!osO dire, inférieurs et subal-
ternes, qui ne semblent faits* que pour être le recueil, le
registre, ou le magasin de toutes les productions des autres
génies. Il§ sont plajgiaires, traducteurs, compilateurs : ils
ne pensent point, ils. disent ce que les.auteurs ont pensé;
et comme Iç choii^ des pensées est invention, ils Pont mau-
vais, peu juste^ et qui<les détermine plutôt à rapportar. beau*
coup de choses que d'excellentes choses ; ils n'ont rien
d'original et qui. soit à eux; ils ne savent que ce qu'ils ont
appris, et ils n'aRpriEinnent que ce qpe tout, le monde veut
bien ignorer, une science vaine, aride, dénuée d'agré-
ment et. d!utilité , qpi nQ tombe point dans la conversa*
tion, qui est hors de commerce, semblable à une- rnoor
naie qjii n'a point de cours. On est tout à. la fois étonné
de leur lecture et ennuyé de leur entreitien ou de leurs
ouvrages. Ce sont ce\ix que les grands et le vulgaire cour
fondent- avec les. savants^ et. que les> sages r^nvûie&t<aA pér
dantlsifte.
^ La critique souvent n'est pas< une. science; c'est un mé*
tier, où il faut pluç de santé, que d'esprit,, plus de travail
que de capacité, plus d'habitude que de génie. Si elle vient
d'un homme qui ait moins de discernement que de lecture
et qu'elle s'exerce sur de certains chapitres, elle corrompt
et les lecteurs et l'écrivain,
^ Je conseille à un auteur né copiste, et qui a l'extrême
modestie de travailler d'après quelqu'un, de ne se choisir
l
DES OUVRAGfiS DB L'ESPRÎT. 31
pour exemplaires ' que ces sortes d-'ouyr^ge&oà il entre de
Tesprit, de Fimagination, ou même de l'érudition : s'il n'at-
teint pas ses originaux, du moins il en approche, et il se
fait lire. Il doit au contraire éviter comme un écueil de
vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le cœur
£ftit parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui
tirent,, pour ainsi dire, de leurs entrailles, tout ce qu'ils ex-
priment sur le papier; dangereux modèles et^tout propres à
faire tomber d^ns le froid, dans ie bas et dans le ridicule,
ceux qui s'ingèrent de les suivre. Bn effet'y je riims d'un
homme«qui .voudrait sôrieus(»nent parler- mon ton de voix *,
ou me ressembler de visage.
-4- ^ Un homme né chrétien et Français- se trouve- contraint
dans la satire' : les-granids sujets- lui- sont défendus; il- les
entame quelquefois , et se détourne ensuite sur de petites
choses, qu'il relève par la beauté de son génie et- de son
style.
{ T[ Il faut éviter le style vain et puéril , de peur de res-
^sembler à Dorilas et Handbuxg** L'on peut au contraire, en
une sorte d'écrits, hasarder de certaines expressions, user
de termes transposés'' et qui peignent vivement^ et plaindre
1. Esremplaires, types, modèles. Un 1^1 eçeemplaire d'équité ou de du-
reté, a dit Corneille dans ses Discours.
2. Molière et Pascal se sont aussi servis.de fMiridrcoin me d*un verbe actif:
« Si un animal faisait par esprit ca qu'il fait par instiact, et s'il pariait par
esprit ce qu'il parle par instinct. » [¥&SGa.\, Pensées.) — « Ce que je parie
avec TOUS, qp'est-ce que c'est? » (Molière^ Épfirgeoii gentilhomme, m, 3.)
3. L'auteur, a-t-on dit, se plaint ici de la coniraiiite qu'il a dû s'imposer,
mais s'est-il Gonc cuntraint? Nous aimons mieux admettre, avçc ^. Uavet,
que la Bruyère fait allusion à Boilean.
4. Pour les contemporains, lé nom de Dorilas désignait clairement, l'his-
tnrien Varillas, qui mourut la môme année que la Bruyère. Son Histoire
des révolutions arrivéesen Europe était en cours de publication lorsque
parut la première édition des Caractères. Le nom du P. Mainbourg est en-
core plus reconnaissable sous celui de Handburg. Mainbourg, auteur d'un
grand nombre d'ouvrages d'histoire et de théologie, était mort en 1686.
« VHistoire des croisades est fort belle, écrit en 1675 Mme de Sévigné,
mais le style du P. Mainbourg me déptatt fort; il sent Tauteur qui a ramasse
te délicat des mauvaises ruelles. »
5. User de termes transpotésj est-ce user d'inversions, comme Ta fait
l'âuteur à la fin de la réflexion qui suit? Ce trait, jeté en passant, est-il une
protestation contre la iéforii:e qui, par excès de régularité, bannirait toute
inversion? « L'on e^t esclave de la construction,»^ dit la Bruyère plus haut
(p. 31) : déclartf-t-il ici qu'il faut se soustraire parfois à cet esclavage ?
Cette explication a été souvent proposée ; mais elle se fonde sur une fausse
Interprétation des expressions employées par la Bruyère, User de termes
transposés, tt qui peignent vivement^ c'est évidemment se servir de termes
transposés quant au sens, c'est-à-dire métaphoriques; ce D'est pas inter-
vertir l'ordre méthodique de la construction.
\
\
3S CHAPITRE I.
ceux qui ne sentent pas le plaisir qu'il y a à s'en serrir ou
à les entendre.
. ^ Celui qui n'a égard en écrivant qu'au goût de son
/ siècle songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut tou-
jours tendre à la perfection; et alors cette justice qui nous
est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité
sait nous la rendre.
^ Il ne faut point mettre un ridicule où il n'y en a point;
c'est se gâter le goût, c'est corrompre son jugement et celui
des autres. Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l'y
Toir, l'en tirer avec grâce, et d'une manière qui plaise et
qui instruise '.
^ ^ Horace ou Despréauz Ta dit avant vous *. — Je le crois
sur votre parole; mais je l'ai dit comme mien. Ne puis-je
pas penser après eux une chose vraie , et que d'autres en-
core penseront après moi'?
1. Horace, Satires, I, x :
Ridicalum mcri
Fortins ac melius magnas plemmquê secat res. ,
Boileau, satire ix, vers 267 :
La satire en leçons, en nouveauté fertile.
Sait seule assaisonner le plaisant et Tutile.
2. Boileau, même satire, vers 127 :
Mais lui qui fait ici le régent du Parnasse,
N'est qu'un gueux revêtu des déponiUes d'Horace.
Avant loi Juvénai avait dit en latin....
3. Ici même la Bruyère exprime une pensée que l'on retrouve dans Mon-
taigne: a La vérité et la raison sont communes à un chascon, et ne sont non
plus à qui les a dictes premièrement, qu'à qui les dit après : ce n'est non
plus selon Platon que selon moy, puisque lui et moy Tentendons et voyons
de mesroe. » {BtsaiSy 1, 2&.)
<4>
DU BIÉRirS PERSONNEL. 38
CHAPITRE n.
DU MÉRITB PERSOIWEL».
-^ Qui peut, avec les plus rares talents et le plus excellent
mérite*, n^être pas convaincu de son inutilité, quand il con-
sidère qu'il laisse en mourant un monde qui ne se sent pas
de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer t
\ De bien des gens il n'y a que le nom quivale* quelque
chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que
rien; de loin, ils imposent.
\ Tout persuadé que je suis* que ceux que l'on choisit
pour de différents emplois , chacun selon son génie et sa
profession , font bien*, je me hasarde de dire qu'il se peut
faire qu'il y ait au monde plusieurs personnes, connues ou
inconnues, que Ton n'emploie pas, qui feraient très-bien;
et je suis induit à ce sentiment par le merveilleux succès
1. « La Bruyère n*aYail pu ea les débats faciles; il lui arait fallu bien de
la peine et du temps, etaassi une occasion uniaue poaroercer. L'homme de
mérite et aussi rbomme de lettres en lai avaient secrètement sonlFert. Le
ressentiment qa^l en a gardé se laisse voir en maint endroit de son livre,
et s'y marque même parfois avec une sorte d'amertume. Ayant passé pres-
que eu un seul Jour de l'obscurité entière au plein éclat et à la vogue, il
« s'avise de lui-même du mérite d'un autre. » On ne se rend au mérite nou^
▼eau qu'd Pextrémité. Mais l'élévation chez lui l'emporte, en fin de compte,
sur la rancune ; Thonnète homme triomphe de Tauteor. Le chapitre du
Mérite pertonnelj qui est le second de son livre, et qui pourrait avoir pour
épigraphe ce mot de Montesquieu : « Le mérite console de tout; » est plein
de fierté, de noblesse, de fermeté. On sent que Tauteur possède son sujet,
et qu'il en est maître, sans en être plein. » Saintb-Beuvb.
2. Excellent équivaut aujourd'hni à un superlatif; il n'en étah pas de
même jadis, et ee root admettait des degrés de comparaison : « Les plus ex-
cellentes choses, » dit Molière; « les plus excellents auteurs de nos jours, •
écrit Fénelon.
3. De parti pris, la Bruyère écrivait toi^ours vale au lieu de vaille. C'é-
tait une laute aux ^eux mêmes des contemporains. VcUê ne se trouve guère^
au dix-septième siècle, que dans les lettres des gens d'une instruction
médiocre. Cette ancienne forme s'est conservée dans le présent du subjonctif
de préfMloir.
4. La Bruyère a hésité entre tout persuadé que je toi» et tout persuadé
^ueje êuiê, 11 avait d'abord mis le subjonctif ; il a préféré plus tard nndicatif.
fi. Faire bien , faire son devoir. La Bruyère emploiera encore plus loin
cette expression toute latine, qui n'est d'aiUeun point rare et que l'on
trouve dans Montaigne et dans Bossuet.
N C3UPITRK n.
d« certaines gens que le hasard seul a placés, et de qui
jusques alors on n'avait pas attendu de fort grandes choses.
Combien d*hommes admirables , et qui avaient de très-
beaux génies y sont morts sans (}ii^ôn en ait parlé I Combien
vivent encore dont Qn &a parle point, et dent on ne parlera
jamais I
^ Quelle borrible peine it un homme qui est sans prôators
«tsans cabale, qui n'est engagé dans aueun eorps, maie
qui est leui, et qui n'a que beaucoup de mérite pour tettte
lecommandatiout de se faire jour à travers l'obscurité où
il se trouvât et de venir au niveau d'un fat qui est en crédit :
^^ . if Personne presque ne s'avise de lui<méme du mérite
d^ln autre.
Les hommes sont trop occupés d'eux-mêmes pour avoir
le loisir de pénétrer ou de discerner les autres i de là vient
qu'avec nn grand mérite et une plus grande modestie l'eu
peut être longtemps ignoré.
^ ^ Le génie et les grands talents manquent souvent i
quelquefois aussi les seules occasions : tels peuvent ébe
loués de ce qu'ils ont fait, et tels de ce qu'ils auraient fait.
X ^11 est moins rare de trouver de l'esprit que des gens
^td 8« m^m du ietii^, ou qui fasseiit taloliT tteltii déii auteae
et le mettent à quelque usage»
1 n )- â plus d*diitil8 qti0 d'oiiVfléïs, ôt de C6â dewlerâ
plus de mauvais que d'excellenis t que pensei-vôus de celui
^tilvemséiefatectitirabotïfct qui ^rehdsasciepouri*abotel'f
^ Il n^y a poini au monde un si pénible métier que celui
de de faife uil gtâhd nom ] U tie s'&ehèVâ qtie ]*dn à à peine
ébauché son ouvrage»
w ^ Qtid .faire à^Egésipptj tfoA détnânde tlh einplolt lA
mettra-t-on dans les finances, ou dans les troupes? Cela êsi
indifféfeùt, et il faut que ce soit rintéîét setl qui en décide,
car il est aussi capable de manier de l'argent, ou de dresser
des comptes, que de poftët les àrmeâ! il est pràptQ à tout,
disent ses amis, ce qui signifie toujours qu'il n'a pas nlus
de talent potir tihe chose que pour une autre, ou , en dW-
tres termes, qu'il n'est propre à rieui Ainsi, la plupart dès
hommes, occupés d*eux seuls dans leur jeunesse, corrompus
par la paresse ou par le plaisir, croient faussement, dans
tin âge pltis âvanèô, qu'il leur suffit d'être inutiles dU dans
rindigence, afin que la république soit engagée à les placer
DU MâllTB PIKSONNEL. 35
mi à les sacdnrir « $ #t ils phiflUftt mr^meAt de MUè leçon *
■I importante : que les hommes dSTfaient employer léS pre*
mières aimées de leur tie à deiretiit tels pat ItnH études et
par leur travail que la république elle-même eût besoih de
leur industrie et de leurs lumières, qu'ils fussent comme
une pièce néeessaire à tout son édiâde^ et qu'elle se trouvât
portée par ses propres avantages à fàif e leur fortune ou à
^embellir*
Noue deyons travailler à nous rëndfe très^dignes dé
quelque emploi : le reste ne ndus f égarde point , e'est l'àf*
faire des autres.
Y 8e (aire valoir païf des oMosêl qdi ne dépèiideiit point
des autres, mais de soi seul, ou renoncer à se faire Yàloi^ !
matime inestimable et d'une ressource infinie dans la pra-
tique^ Utile aua faibleè, aux vertueut , à deui qui ont de
Tesprit, qu'elle rend maîtres de leur fortune ou de leur re-
pos; pernicieuse pour les grands ; qui diminuerait leur oour^
ou plutôt le nombre de leurs esclaves ; qui féi'ait tomber
leur morgue avec une partie de leur autorité, et les rédui-
rait presque à leurs entremets et à leurs équipages*: qui
les priverait du plaisir qu'ils sentent à se faire prier, presser,
solliciter, à faire attendre ou à refuser, à promettre et à ne
pas donner; qUi les traverserait dans lé goût qu'ils ont quel-
quefois à mettre les sots en vile, et à anéantir le mérite
quand il leur arrive de le discerner; qui bannirait des cours
les brigues , les eabales, lès mauvais offices, la bassesse, la
flatterie, la fourberie; qui ferait d'une cour orageuse, pleine
de mouvements et d'intrigues , comme une pièce comique,
on même tragique, dont les sages ne Seraient que les spe(y
tateurs; qui remettrait de la dignité dans les différentes
conditions des hommes, de la sérénité sur leur visage; qui
étendrait leur liberté; qui réveillerait en eux, avec les ta-
lents naturels, l'habitude du travail et de l'exercice ; qui les
exciterait à l'émulation, au désir de la gloire, k l'amour de
la vertu; qui, au lieu de courtisans vils, inquiets, inutiles,
souvent onéreux à la république, en ferait ou de sages éco-
nomes, ou d'excellents pères de famille^ ou des juges iu-
1. Mieux vaudrait pour 9«««*«. -^ La république, ato mis lailDi la chose
publique, l'État.
2. De cette maxima«
3. Aux plaisirs de la table et an luxe de Imra di(iipsss**
-^
36 CHAPITRE n.
tègres, en de bons officiers ' , ou de grands capitaines, ou des
orateurs, ou des philosophes; et qui ne leur attirerait à tous
nul autre inconvénient que celui peut-être de laisser à leurs
héritiers moins de trésors que de bons exemples.
^ Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande
étendue d'esprit pour se passer des charges et des emplois,
et consentir ainsi à demeurer chez soi et à ne rien faire.
Personne presque n'a assez de mérite pour jouer ce rôle
avec dignité , ni assez de fonds pour remplir le yide du
temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne
manque cependant à Toisiveté du sage qu'un meilleur nom,
et que méditer, parler, lire et être tranquille s'appelât tra-
vailler.
^ Un homme de mérite^ et qui est en place, n'est jamais
incommode par sa vanité ; il s'étourdit moins du poste qu'il
occupe qu'il n'est humilié par un plus grand qu'il ne rem-
plit pas et dont il se croit digne : plus capable d'inquiétude
que de fierté ou de mépris pour les autres, il ne pèse qu'à
soi-même*.
^ Il coûte à un homme de mérite de faire assidûment sa
cour, mais par une raison bien opposée à celle que l'on
pourrait croire : il n'est point tel sans une grande modestie
qui r éloigne de penser qu'il fasse le moindre plaisir aux
princes s'il se trouve sur leur passage, se poste devant leurs
yeux, et leur montre son visage; il est plus proche de se
persuader qu'il les importune , et il a besoin de toutes les
raisons tirées de l'usage et de son devoir pour se résoudre
à se montrer. Celui au contraire qui a bonne opinion de
soi, et que le vulgaire appelle un glorieux, a du goût à
se faire voir, et il fait sa cour avec d'autant plus de con-
fiance qu'il est incapable de s'imaginer que les grands dont
il est vu pensent autrement de sa personne qu'il fait lui-
même *.
^ Un honnête homme se paye par ses mains de l'applica-
tion qu'il a à son devoir, par le plaisir qu'il sent à le faire,
1. De bons officiers de finance, par exempte.
7, Les écrirains da dix» septième siècle emploient le pronom sei, et non
pas loR pronoms lui, elle, tux, elles, dans les cas où l'on mettrait m en la-
tin , c'est-k-dire dans les cas où le pronom se rapporte au sujet da rerbe ;
c'est là une règle générale à laquelle obéit la-Bruyère.
8. Autrement est presque toujours, même au dix-septième siècle «suivi
de ne explétif : autrement qu'il ne fait.
DU MÉRITE PERSONNEL. 37
et se désintéresse sur les éloges, Festime et la reconnais-
sance, qui lui manquent quelquefois.
^ Si j'osais faire une comparaison entre deux conditions
tout à fait inégales *, je dirais qu'un homme de cœur pense
à remplir ses devoirs à peu près comme le couvreur songe
à couvrir : ui l'un ni l'autre ne cherchent à exposer leur
yie, ni ne sont détournés par le péril; la mort pour eux est
un inconvénient dans le métier, et jamais un obstacle. Le
premier aussi n*est guère plus vain d'avoir paru à la tran-
chée, emporté un ouvrage* ou forcé un retranchement,
que celui-ci d'avoir monté sur de bailts combles ou sur la
pointe d'un clocher. Ils ne sont tous deux appliqués qu'à
bien faire, pendant que le fanfaron travaille à ce que Ton
dise de lui qu'il a bien fait.
^ La modestie est au mérite ce que les ombres sfont aux
figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief.
Un extérieur simple est l'habit des hommes vulgaires ; il
est taillé pour eux et sur leur mesure ; mais c'est une parure
pour ceux qui ont rempli leur vie de grandes actions : je
les compare à une beauté négligée, mais plus piquante.
Certains hommes, contents d'eux-mêmes, de quelque ac-
tion ou de quelque ouvrage qui ne leur a pas mal réussi, et
ayant ouï dire que la modestie sied bien aux grands hommes,
osent être modestes, contrefont les simples et les naturels;
semblables à ces gens d'une taille médiocre qui se baissent
aux portes, de peur de se heurter.
^ Votre fils est bègue : ne le faites pas monter s«r la tri-
bune. Votre fille est née pour le monde : ne renfermez pas
parmi les vestales '. Xantus^ votre affranchi, est faible et
timide : ne différez pas, retirez-le des légions et de la mi-
lice.— Je veux l'avancer, dites-vous. — Comblez-le de biens,
surchargez-le de terres, de titres et de possessions; servez-
vous du temps ; nous vivons dans un siècle où elles lui fe-
ront plus d'honneur que la vertu. — Il m'en coûterait trop,
ajoutez-vous. — Parlez-vous sérieusement, Crassus? Songez-
vous que c'est une goutte d'eau que vous puisez du Tibre
1. Entre celle de l'homme de guerre et celle du courreur.
2. Ouvrage , terme de fortification, travail avancé qui ■ pont* objet de
couvrir un Bastion, une courtine, etc.
3. On reprochait au premier 'président de Harlagr d'avoir fait un aTt>ca(
Sénéral de son fils qui était bègue, et d'avoir mis au couvent um fille qui
Uiit « née pour le monde. »
38 CHAPITRE H
pour enrichir Xantus ' que tous aimez, et pour prévenir les
honteuses suites d'un engagement où il n^st pas propre?
^ Il ne faut regarder dans ses amis que la seule veiHu qui
nous attache à eux, sans aucun examen de leur bonne ou
de leur mauvaise fortune ; et, quand on se sent capable de
les suivre dans leur disgrâce, il faut les cuiller hardiment
et avec confiauce jusque dans leur plus grande prospérité.
^ S'il est ordinaire d*être vivement touché des choses
rares, pourquoi le sommes-nous si peu de la vertu?
^ S^l est heureux d'avoir de la naissance , il ne Test pas
moins d'être tel qu'on ne s'informe plus si vous en avez.
% il apparaît de temps en temps sur la surface de la terre
des hommes rares, exquis, qui brillent par leur vertu, et
dont les qualités éminentes jettent un éclat prodigieux.
Semblables à ces étoiles extraordinaires dont on ignore les
causes, et dont on sait encore moins ce qu'elles deviennent
après avoir disparu, ils n'ont ni aïeuls' ni deseendants; ils
composent seuls toute leur race.
^ Le bon esprit nous découvre notre devoir, notre enga.-
gement à le faire*, et s'il y a du péril, avec péril : il In-
spire le courage, ou il y supplée.
^ Quand on excelle dans son art, et qu'on lui donne toute
la perfection dont il est capable , l'on en sort en quelque
manière, et l'on s'égale à ce qu'il y a de plus noble et d^
plus relevé. V** est un peintre*, G** un musicien", et
1. Les contemporains ont voula reconnaître dans Xantus\e fils atné de
liOuTuU, Courtenvaux. Son père lai avait d**nné la sorrivanoe de sa iJbange
de sBcr^lHïre d'^t^i; niftis il &vftit été o)>li^ de la lui retirer en USS.
CouitenYdUx fit la campagne de 1688 en qualité de vulontaire, acheta eB
1688 le ré^ime't de la r^^ine, et prit part aui campagnes des années sui
Yantes. « }1 était uq fort petit homme et avait une voix ridicale, t dit Saiatp
^inaop. Une chanson du temps fait dire à Louvoie :
Pour Gourtenvaux, j'en suis en peine|
il est sot et de mauvais air :
Nous n'en ferons qu'yn duc et pair.
Cet alinéa parnt en l^f^i» dan^ la «iii^me éditio», — Eng^fiiiBenl o4» Wl^
quel, Voy. pa^e 27, la note 4.
2. Les grammairiens ont décidé que les aleui seraient les aneètres, et
que TexpriBsion d aïeuls ne s'appliquerait c[u'au grand-p^eet à la grand'-
mère. Cette disviiiction n'était pas encore établie au temps de la Bruyère.
8. L'obligation ob nous sommes de le faire.
4. Vigooii, fila aîné de Glande Vignon, et iteinire m<lns célèbre que son
père, lequel était mon en 1670. 11 était membre de TAcadémie de |>eu)ture.
5. Colasst*, élève de i ulli, et l'un des maîtres de la musique du roi. Il
venait de t»\re }oneT Achille et Polyxènej lorsque pat ut la première éditloQ
des Caractères, Les paroles de cet opéra étaient de Campistron.
DU MI^IO^ PfinSONITEL. 99
î>Tîteur dç fyram* est to poëte; ipais Miih^arp* fil
l^iONÀRD, {iUm ' est Luixii et CoiiiîEi^^Lf; es,\ Cov^mfmih^f
^ Un bompae libf^, e\ qui p'a point 4^ femme, ^*'\l |i
quelque esprit, pei^t s^ëleYer aii^dessui 4§ ^ fortune, 99
mêler dans le monde , et aller de pair avec ]és plus hox^-
pétes gens^. Cela e^t fpoips facile h oplui qui est f pgagé :
U seipble qu9 le ipar|age ipf t tout le monde dans 909 9F*-
dre»,
^ Après }e mérite personnel, |1 faut Taypufri Pe «ont les
i^piiu^D^es dignités et les grands titres im\ le« hommes
• tirent plus de distinction ^t plus d^éclat; et qui ne sait être
un ËR^siq;* doit penser k être évoque. Qii^lquesruns, pquf
étendre leur renommée , entassent sur leurs personnes des
pairies f ^^s colliers d'ordre, des primaties, la pourpre, et
ils auraient besoiu 4'uoe tif^re; m^s <iuel beçoiu a Jnro-
phime^ d'être cardinal?
^ % L'or éclate, dites -tous, sur )es babits d^ rMlémwn. ^
Il éclate de même che| les marchauds. — 1} est babillé d##
plus belles étofifes. -^ Le spnt^Ues moins tqutes déployées'
|. Uaotew de PytaiM est Prftdon , ^êtd trafique; Oellé de mb trigé»
ëies qui eut le plus de succès a pour lUre : Phèan 4| i^'PPo'yM ; il ^ il
jouer en même temps que la Phèdre de Racine ( 1677).
s. Pieire Migqard, peintre de grand mérite, éui mouroi en IISI. C^t à
fort que plnsieura éditeurs <>f)i pônivé ici ^on ifèvpj I9ico|^ |9|gnar4! q^i eat
mort en 1668. Il s'ugii de Miguard U Romatn^ dont les portraits surtout fl*
tent la célébrité.
S. B4piis),e L)}iii (iass<ist7), auriDtep4snt f|f i| a»sfiq!i« 4a roi et ^ein^
positeur cél^bre.
t. c'est-à-dire avec le plue frand monde.
fi. Dans sa olisse, flâna aa cooditipo.
6. Érasme (1^67-1536), l'un des écrivaina les plus célèbres et ran dea
hommes les plus savants et les plus sages de ^on temps.
7. Ub ppi( si fsctleineiit «t m hiep l'h^biiude de ipypiuer Bossuet en lisant
cette pbrase que, dans les éditions qui furent laites après la mort de la
Bruyère, fi^M^^ns, prénom de l'cvèque de Me^ux , Fut mla à U place de IVo-
phifne ; |l. VValckenaer ^\ le premier qui sit rétabli daQ« le texte le nom qu*f-
Taitéurit Tauieur. il n*est pas certain tout^'fois que la Bruyère ait pensé à Bos-
euet* Lea premièrea ciels inscrivent ici le nom de le Gamas, évèqua da
Grenoble, qui , tiprès une Jeupesfe peu ëdiU^pie, éti^it (jçvouu l« plus pieu^
et le plus vertueux des évèques, et qui avait été nommé cardinal en 1686.
Si c'est de loi quM estquesiinn, le sens de la phrase devient tout différent.
S'agit-il de Bossuet, la Bruyère rend r)iQq)ni:^ge le plpn delicai m piérita
Ser»)sne) de l^vÂque de Meaux, qm, ponime on le sait, né fut amals C^r-
inal. S*agit-il de 1^ Qamua, pop^ avons là uq Ôch » qes ressenti rnents
Îru'av^it conserves (.ôui# x|V de Is nomination de le Camus au cardinalat
je roi avait demandé le cl^apeiiu pour l'an Uevèque de Paris^ t\ n'avait ps
ro))tenir. U nommaiion fort peu prévue de l*apsière je Camus étonna dune
verauitlea et irrita la roi. «Quel hesuin le Camus a^ait-il d'è ra cardinal?»
— Des di'ux interprétations quelle est la rpeilleure? Le lecteur pnuKsira. L^
première a pour elle une iradiiipq depuis longt^'mps 9c<}ept4e «ans coni^ts>
|. $()iit-elles mo^us bell^ loraqa'^Uea Août....
40 CHAPITRB n.
dans les boutiques et à la pièce? — Mais la broderie et les
ornements y ajoutent encore la magnificence.— Je loue donc
le travail de FouTrier. — Si on loi demande qaeUe heure il
est, il tire une montre qui est un chef-d'œuvre; la garde de
son épée est un onyx ' ; il a au doigt un gros diamant qu'D
fait briller aux jeux, et qui est parfait; il ne lui manque
aucune de ces cnrieuses bagatelles que l'on porte sur soi
autant pour la vanité que pour Pusage, et il ne se plaint*
non plus toute sorte de parure qu'un jeune homme qui a
épousé une riche vieille. — Tous m'inspirez enfin de la cu-
riosité; il faut voir du moins des choses si prédeuses : en-
voyez-moi cet habit et ces bijoux de Philémon, je vous
quitte, de la personne.
Tu te trompes, Philémon, si avec ce carrosse brillant, ce
grand nombre de coquins qui te suivent, et ces six bêtes
qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage :
l'on écarte tout cet attirail, qui t'est étranger, pour péné-
trer jusques à toi, qui n'es qu'un fàt.
Ce n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celui qui,
avec un grand cortège, un habit riche et un magnifique
équipage, s'en croit plus de naissance et plus d'esprit : il lit
cela dans la contenance et dans les yeux de ceux qui lui parlent.
^ Un homme à la cour» et souvent à la ville , qui a un
long manteau de soie ou de drap de Hollande, une ceinture
large et placée haut sur Testomac , le soulier de maroquin,
la calotte de môme, d'un beau grain, un collet ^ien fait et
bien empesé, les cheveux arrangés et le teint vermeil, qui
avec cela se souvient de quelques distinctions métaphy-
siques, explique ce que c'est que la lumière de gloire', et
sait précisément comment l'on voit Dieu^ cela s'appelle un
docteur. Une personne humble , qui est ensevelie dans le
cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu ou
écrit pendant toute sa vie, est un homme docte \
1. Agate. (Note de la Bruyèn.)
3. Piag loin (chap. De la ville), la Bruyère emploiera le mot plaindn
^ dans le aens de regretter. Ici plaindre a plus particulièrement le sens d'^
^ pargner, comme dans cette phrase de Lesage : « J'ordonnai qu'on le saignftt
y" sans miséricorde et qu'on ne lai plaignit point Tean. » {Gil Blae^ II, m.)
^ ,. ^ S. « Les ibéologiens appellent lumière de gloire un secours que Dieu
K ^' „, ,•!■ donne aux âmes des Bienneureux pour les fortifier, afin qu'elles puissent
X. ; «^ voir Dieu face à face, comme dit saint Paul, ou intuitivement, comme on
parie dans l'École, et soutenir sa présence immédiate. » {Vict. de Trévotug.}
c^/ 4. Le docteur est peut-être l'abbé Charles Boileau, fameux prédicateur.
DU MÉRITE PERSONNEL. 41
^ Chez nous, le soldat est brave, et l'homme de robe est
sayant; nous n'allon^ pas plus loin. Chez les Romains,
rhomme de robe était brave, et le soldat était savant : un
Romain était tout ensemble et le soldat et Thomme de robe.
^ U semble que le héros est d'un seul métier ^ qui est
celui de la guerre, et que le grand homme est de tous les
métiers, ou de la robe, ou de Tépée, ou du cabinet, ou de
la cour : Tun et Fautre mis ensemble ne pèsent pas un
homme de bien.
^ Dans la guerre, la distinction entre le héros et le grand
homme est délicate : toutes les. vertus militaires font l'un
et l'autre ; il semble néanmoins que le premier soit jeune,
entreprenant, d'une haute valeur, ferme dans les périls, in-
trépide; que l'autre excelle par un grand sens, par une
vaste prévoyance , par une haute capacité , et par une lon-
gue expérience. Feut^tre qu' Alexandre n'était qu'un héros,
et que César était un grand homme.
^ ^tnile* était né ce que les plus grands honmies ne de-
viennent qu'à force de règles, de méditation et d'exercice.
Il n'a eu dans ses premières années qu'à remplir des talents
qui étaient naturels, et qu'à se livrer à son génie. 11 a fait,
il a agi, avant que de savoir, ou plutôt il a su ce qu'il n'a-
vait jamais appris*. Dirai-je que les jeux de son enfance
ont été plusieurs victoires? Une vie accompagnée d'un ex-
trême bonheur joint à une longue expérience serait illustre
par les seules actions qu'il avait achevées dès sa jeunesse ^.
L'homme do6t^ est, à coup tùr, le P. Mabillon (1632-1707), satant bénédio
tin, qui tenait d'être nommé membre honoraire de rAcadémie des inscrip-
Uons.
1. Molière a de même employé plasieors fois rindicatif présent en pa-
reil cas. Ainsi^dans Don Juan : « U semble qu'il est en fie et qu'il s^en
TB parler.... Vous tournes les choses d'une manière qu'il semble que tons
avûM raison. »
2. Le grand Condé. Cet éloge a pam dans la septième édition des Co-
raetèreêj c'est-à-dire en 1692, quatre années environ après la mort de
Condé. On y retrouve l'imitation de plusieurs traits de l'Oraison funèbre
que Bossuet prononça en 1687.
3. Voiture avait delà dit dans une lettre qu'il avait adressée au grand
Condé : « Vous avez fait voir que l'expérience n'est nécessaire qu'aux nom-
mes ordinaires, que la vertu des héros vient par d'autres chemins, qu'elle
ne monte pas par degrés, et que les ouvrages du ciel sont en leur perfection
dès le commencement. » Condé avait viogt-deux ans lorsqu'il gagna la
bataille de Rocroy (1643), bientôt suivie de la victoire de Fnoonrg (1644),
de celle de Nordlingen (1645) et de celle de Lens (i648).
4. « C'en serait asses pour illustrer une autre vie que la sienne: mais
pour lui c'est le premier pas de sa course. » (Bossuet, Oraison fwMors du
prtnce d$ Condi,)
4t OHA^ITRI n.
Toutes 1m acoationa de yaiiiGre qui M aoirt ëtpaîi nffertes,
il les a «mbrastéag; et oellea qui Q'étaieat pas, aa terta et
aon étoile les ont fait naître : admirable même et par les
ehoses qu'il a faites, et par celles qu'il aurait pu faire. On
l'a regardé eomme un homme ineapable de oéder à l'en-
nemi, de plier sous le nombre ou sous les obstacles; eomme
une ftme du premier ordre, pleine de resseurces et de lu-
ttiôres, et qui voyait eneore où personne ne voyait plus{
comme celui qui, à la tête des légions, était pour elles un
présage de la yictoire, et qui valait seul plusieurs légions;
qui était grand dans la prospérité, plus grand quand la for*
tune lui a été contraire : la levée d'un siège S une retraite,
Tont plus ennobli* que ses triomphes; Ton ne met qu'après*
les bataillea gagfnées et les villes prises ; qui était rempli de
gloire et de modestie ) on lui a entendu dire *. /é fityois^ avec
la même grftoe qu'il disait : Nous les baitimes; un homme
dévoué à TËtat, à sa famille, au chef de sa ftuniUe*;
sincère peur Dieu et pour les hommes, autant admirateur
du mérite que s'il lui eût été moins propre et moins fami-
lier; un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n%
manqué que les moindres vertus".
i. Allusion an stége de lérlda (tSkI), que Coudé Alt obHf{é delevêf.
m .... Tout p%rt|iwtt lùr ioui U oonduiie da doo d'Engbitn ; et, aani foa»
loir ici Bchever te jour à tous marquer seulement se» autres exploits, Toup
saves, oarnii tant de places fortes attaquées, qu'il n'yeo eut qu'une seuls
qui pot éohapper lei iiisiBS{ eneore ralevf-t-alla la gloire du prinea.
L'Europe, qui admirait la divine ardeur dont il était animé dans les com-
bats, s'étonna qu'il en fût le maître, et, dès Tà^e de virigt-si;^ 4ns. aus^
capable de ménager se;* troupes que de les pousiiter d-ips les hasards, et de
oëder k U fortunf que la faire servir à ses desseins, (bosquet, Oràiton
funèbre du vrime de Condé.)
2. Les èaiilnns du dix-septième siècle donnent annobHt qui se nroqon-
çalt comme $n>iObli et qui en avait la valeur. Les écrivaina dq dix-seb-
tième siècle ne connaissaient pas la oistmciion qu*ont récemment établie les
grammHirieris entre ennoblir e\ anoblir. Ce dernier terpif ne s'emploie
Imourd'hul que dan^ le sens d«> conféret lu nobteêse,
t. L'on ne met qu'en seconde ligne....
4. Dévoue ft sa tamillH Jusqu'à braver, bien peu do temps ptant sa tAot%,
la contagion de Is petite vérole auprès de sa belie-nlle, la duchesse de
llourbon ; au chef de sa fkmlile, c'est-â«dir<> au roi, JusqU'b marier son pa-
Ut-flls à une des filles légitimées de Louis XIV. La Bruyère n'était p»s obligé,
comme l'avati été Bossuet, de rappeler le rôie de Goridé ()en(iantla Fronae.
9. BossuHtnon plus n'a pu taire ce qnll y avait paifois d'emporté dans le
caractère du bénis : a )^e dirHi-je? mai^ puur<)Uoi ut aindreque la gloire d'os
ai grand homme puisse être diminuée pur cet aveu? Ce n'eët plus ces promp-
tes saillies qu'il i^avait si vite et si agréablement réparer, mais enfin qu'on
fui voyait quelquefois dans les occasions ordinaires ; vous diriez qu'il 7 aen
lui un autre homme à qui aa grande ftme abandonne de moindres ouvrages
où elle ne daigna se mêler. »
DU IIÉRITI KR80NNEL. 48
^ Les enfants des dieux*, pour ainsi dire, ne tirent des
FAg]es* de la nature 0t en sont comme Texception : ils n'at-
tendent presque rien du temps et des apnées* Le mérite
ehez eux devance Page. Ils naissent instruits, e^ ils sont
plus tôt des hommes parfaits que le oommuD dos hommes
ne sort de Fenfanee.
^ Les vues courtes, je yeux dire les esprits bornas et res-
serrés dans leur petite sphère, ne peuvent comprendre oett^
universalité de talents que Ton remarque quelquefois dans
un même sujet i où ils voient Tagrëable, ils en excluent te
solide ; où ils croient découvrir les grâces du Qo? ps , Tagi-
lité, la souplesse, la dextérité, ils ne veulont plus j admettre
les dons de Tâme, la profondeur, la réflexion» la sagesse :
Us 6tent ie l'histoire de Socrats qu'il ait dansé<
^ Il n'y a guère d'homme si accompli et si nécessaire
aux siens qu'il n'ait de quoi se faire moins ffgrcttpr,
% Un homme d'esprit et d'i)n caractère simple et droit
peut tomber dans quelque piège; il ne pçnse pas que per-
sonne veuille lui en dresser, et le choisir pour être s^ dupe :
cette confiance le rend moins préoautionné, et les iiiauvais
plaisants Tentament par cet endroit, Il n'y a qu'à perdre
peur ceux qui pn viendraient à une seconde charge ; U n'e^t
trompé qu'une fois.
J'éviterai avec soin d'offenser personne, si je suis équi-
table; mais sur toutes choses* un homme d'çspritt si j'aime
le moins du monde mes intérêts*
Shrttse qui commence le poriiaii d'Éuâle, mais celle fuis les fi'setpelii-fils
a ^rand Condé prenneni leur part de cette louange quelque peu esceisive.
— Dane la Itttie que ooiji atoQ» oiUe ulus baut. Voiture écrit en«-ore:
f Yoqâ vérifiez bien ce qui a étéditauiiefois que la tertu vient aux <:ésar8
avant U temp»^ car, voudqui êtes un yral César, en esprit ai eu idence, vn
Céaar en ûiWgitfc^, en tiHiiaoce, en courage. César, fier omnies cmus, etc. »
La Bruyère^ qui avait lu les lettres de Voilure, ei surtout celles qui s'adres-
saient a Condé, s'est peut-être rappelé cette f>hrafae; mais que ne a'esl-il
rappelé aussi celle de Mascarille, dans les Précieuses ridicîHes : « Les gens
de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris. » Plus tard, ralibe de
Chuisy répétera dans ses Diémoirei^ l'byperbole de la Bruyère, mais il la
léuéiers en souriant : « Le prince de Conli eut le cornDiàndement de l'ar-
mée de Caialtigne, quoiqu'il n'eûi jamais servi. Ledsnfanta des ruia, comme
ceux desaicux, naibscni instruii)« dé tout. »
8. Se oieiteot en dehors des règles.
I. Maie surtouL Corneille, Cinna^ Y, in :
El, sur lotde eiU>««,
observe exactement la loi que je Vimpose.
44 CHAPITRE n.
T n n'y a rien de si délié *, de si simple et de si imper-
ceptible, où il n'entre des manières qui nous décèlent. Un
sot ni n'entre, ni ne sort, ni ne s'assied, ni ne se lève, ni ne
se tait, ni n'est sur ses jambes, comme un homme d'esprit.
^ Je connais Mopse d'une visite qu'il m'a rendue sans me
connaître. Il prie des gens qu'il ne connaît point de le me-
ner chez d'autres dont il n'est pas connu; il écrit à des
femmes qu'il connaît de vue ; il s'insinue dans un cercle de
personnes respectables, et qui ne savent quel .il est, et là,
sans attendre qu'on l'interroge, ni sans sentir qu'il inter-
rompt, il parle, et souvent, et ridiculement. Il entre une
autre fois dans une assemblée, se place où il se trouve,
sans nulle attention aux autres ni à soi-môme; on Tôte
d'une place destinée à un ministre, il s'assied à ceile du
duc et pair; il est là précisément celui dont ]a multitude
rit, et qui seul est grave et ne rit point. Chassez un chien
du fauteuil du roi, il grimpe à la chaire du prédicateur ; il
regarde le monde indifféremment, sans embarras, sans pu-
deur; il n'a pas, non plus que le sot, de quoi rougir.
^ Celse est d'un rang médiocre, mais des grands le souf-
frent; il n'est pas savant, il a relation avec des savants; il
a peu de mérite, mais il connaît des gens qui en ont beau-
coup; il n'est pas habile, mais il a une langue qui peut
servir de truchement » et des pieds qui peuvent le porter
d*un lieu à un a^tre. C'est un homme né pour les allées et
venues, pour écouter des propositions et ]es rapporter, pour
en faire d'office, pour aller plus loin que sa commission, et
en être désavoué *, pour réconcilier des gens qui se que-
rellent à leur première entrevue, pour réussir dans une
affaire et en manquer mille, pour se donner toute la gloire
de la réussite, et pour détourner sur les autres la haine
d*un mauvais succès. Il sait les bruits communs, les histo-
riettes de la ville ; il ne fait rien, il dit ou il écoute ce que
les autres font; il est nouvelliste ; il sait même le secret des
OUI reproc
l identité du mot nouveau et du mot de l'ancien français.
2. Celse estf dit-on, le baron de Breieuil, qui alla en 1682 à Mantone atec
le titre d'envoyé extraordinaire du roi, et y fil, pairatt-il, des avances qui
furent désavouées. « On le soufi&ait, dit Saint-Simon, et l'on s'en mo-
quait. »
DU VÊBItK FERSOmOEL. 45
fusilles; fit entre dans de plus hauts mystères; il tous dit
pourquoi celui-ci est exilé, et pourquoi on rappelle cet
autre ; il connaît le fond et les causes de la brouillerie des
deux frères ^ et de la rupture des deux ministres *. N'a-t-il
pas prédit aux premiers les tristes suites de leur mésintel-
ligence? ITa-t-il pas dit de ceux-ci que leur union ne serait
pas longue? N'était-il pas présent à de certaines paroles qui
furent dites? ITentra^t-il pas dans une espèce de négocia-
tion? Le Youlut"On croire? fut-il écouté? A qui parlez-yous
de ces choses? Qui a eu plus de part que Celse à toutes ces
intrigues de cour? St si cela n'était ainsi, s'il ne Tayait du
moins ou rêvé ou imaginé, songerait-il à yous le faire
croire? auraitdl l'air important et mystérieux d'un homme
revenu d'une ambassade?
^ Menippe* est l'oiseau paré de divers plumages qui ne
sont pas à lui. Il ne parle pas, il ne sent pas ; il répète des
sentiments et des discours, se sert même si naturellement
de l'esprit des autres qu'il y est le premier trompé, et qu'il
croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu'il
n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est
un homme qui est de mise un quart d'heure de suite, qui
le moment d'après baisse, dégénère, perd le peu de lustre
qu'un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde. Lui
seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de
l'héroïque, et, incapable de savoir jusqu'où Ton peut avoir
de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a est tout ce
que les hommes en sauraient avoir : aussi a-t-il l'air et le
maintien de celui qui n'a rien à désirer sur ce chapitre, et
1. Allntlte à une brooillerie qai sorrint entre Claude le Pelletier, con-
trMear général des finances de 1683 à 1689, et Tan de ses frères.
2. La France detait-elle faroriser les tentatites da roi Jacques II, et
Paider à remonter sur le trftne d'Àngleierre? Louyois et Seignelay ne s^on-
tendaient pas sur ce point. Le second toulait que Louis XIV fit partir des
troupes pour l'Irlande, et le premier conseillait de ne point faire la guerre.
Seignelay l'emporta , mais Louvoie n'envoya qu'un petit corps d'armée, et
mon, bas aussi à l'excès pour peu qu'il en eût besoin. 11 avait cet esprit
de cour et du monde que le grand usage donne , avec ce jargon qu'on y ap-
prend, qui n'a qne le tuf, maïs qui éblouit les sots. C'était un homme fait
exprès pour présider à on bal, poar être le Juge d'un carrousel, et, s'il
avait eu de la voix, pour chanter à l'Opéra les rôles de rois et de héros;
fort propre encore a donner les modes et à rien du tout au deiii. Il ne b%
connaissait ni en gens ni en choses, et parlait et agissait sur parole. •
M CHâPITRE n«
qui ne pofte tSTie à pcrtoilDai II te patk lovvint à bqh
mémfl, et il ne s'en cache pas, eéui qm passent le yoient,
et qttUl semble teajours prendre un parti * ou dédder
({U'uHe telle chose est saiis réplique. Si tous le ftaluez quel*
quefoiSf c'est le jeter dans rembarrai de saToir s'il doit
vendre le salut» ou ilon; et, pendant qu'il délibère, Vous êtes
déjà hors de portée. 8à tanité Ta fait honnête homme, Ta
mis au-dessus de lui-même» l'a fait derenir 6e qu'il n'était
pui L'eh juge, en le Toyalit, ^u'ii n'est ooeupé que de aA
personnel qu'il ssit que tout lui sied bien, et que stt parure
est Assortie! qu'il eroit que tous les jé\ix sont ouverts stir
Ini^ et que les honimes se relayent pour le contOmplen
^ Oelui qui, logé ohes soi dans un pahdft, avec deUx àp^
partements pour les deux saisons, Vient eoaeher au Louvre
dans un entre«sol, n'eiruse pas ainsi par modestie *» Cet
autre qui* pdur oonserver Une taille fine, s'ibstient du via
et ne iidt qu'un seul repas* n'est ni sobfe ni tempérant; et
d*nn troisième qui, importu&ë d'un ami pauvre, lui doUntf
enfin quelque ssoours, l'on dit qu'il a<^ète son repos^ et
nullement qu'il est libéral. Le mbtif seul fait le Uiérite dea
actions des hommes, et.le désiatérossenlent j inet la perfeo^
tioUi
^La fausse grtndeuf est fàrouebe et inacoessible : comme
elle ient son ûublët elle se cache, ou du moins ne se montre
pas de front, et ne se fait voir qu'autAUt qu'il fAut pour imi-
poser et ne paraître point ce qu'elle est, je veux dire une
vraie petitesse. La véritable grandeur est libre* douoe, U^
niilière, populaire; elle se laisse touoher et manier, elle ne
perd rien à être vue de près ; plus on la connaît, plus on
l'admire ; elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et re-
1. VoMtti qtiMl M Mrle & lal-liidttiÊ et tfttMl aeftibld.;.. -^ 11 tff a MiiH
là Ab faille dMttitil*e65ibn^ qtini âu'efi flierttuèâ80<lu(!ndtié«éditéttM. PeUiââoif
a dit d'dbe mtHiiëre drtaldgo«4 ohHè son HUIôitB dé LôUii XIV î à G0ti8ld4«
raflt toutefois l'état des cTiodèd, et ^ti'il gérait peat-èird difflcilé sa roi de
cofiserver. « Vo^m eilôore Molière datis les Fmmeê «evatlIM, IV| ti t
J*en suis persuadé
Et f«i4 de Totre appai je serai secondé.
BtRMinej ôÊbUphigéniêi I, <t :
ÎoudfaiMl insulter à la oraiote publique .
t qu$ le chef det Grecs, irritant les Destind.
S< C'était dne fSTeur Inedtlmable gué d'atotr un tppartSCBlèDt Stt JAnm§
et aartodt an (Milain de versalllesi fQtHîë I rentre-soi éottuBS SSl&t-Simoai
fût-ce souS k» ooitiblee oomme Tarchetéque de piHi.
DU MilUTB PBKBONNEL. If
vient sans effort dans son naturel *>; elle s'abandonne quel-
qnefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours
en pouvoir de les reprendre et de les faire valoir; elle rit,
joue et badine, mais avec dignité ; on rapproche tout en-
semble avec liberté et avee retenue. 8on caractère est noble
et facile, inspire le respect et la confiance, et fait que les
princes nous paraissent grandi et trèt^frands) mxA ndus
fiûre sentir que n^oa sommet petits*.
% Le Mge guérit de l'ambition par Tambition même; il
tend à de si grandes ehoses qu'il ne peut te borner à oa
qu^on appelle des trésors, des postes^ la fortbne «t la fa*
veur : il ne voit lien dans de si faibles avantages qui soit
ai^sex bon et asses solide peur remplir sdn eœar et pou^ ffié-
riter ses seins et ses désirs; il a mBme besoin d'efforts pou?
na les pas trop dédaigner^ ie seul bien capable da le tent«r
est cette sorte de gloire qui devrait naître de la tartu toUttt
pure et toute simple ; maie les bdmmel n4i TaCoordent guM»
et il s'en passe.
^ Celtti^à est bon qui fait du bidn aux autres ; s'il souffla
pour le bien qu'il lait) il est très«bon ; s'il sduffre de edux
à qui il a fait oe bien, il a une si grande bonté qu'elle lie
peut être augmentée que dans 1* eas où seb iouffraneea
viendraient à croître; et, s'il en meurt, sa vertu ne saurait
aller jdusloini elle est béroiqte) elle oitpatlaito
i.m Lavéritable candeur se laisse toucher et manier •iê* tdViS cM*f'bl|lf)).
Tout excellent écnvain est excellent peintre, dit U Bruièra lai-mêiBe ,
ei II le itfoate àkm tobt le coara de soit litre. Tout tit et s^ànirhè sotts feon
piDoeauj tout y uarle k l'imt^inatloo. » (Suferd « NoMi MiT la ITHiyér»,)
i. « Est-ce la celui qui forçait les Tilles et qui gagnait des bataillât 7
t'deHe ÈdMdët datis VOraison fittiebre du pttncé de Condé. Quoi ! il semblé
oublier le haut rang qu'on lui i yu si biau déftiiidre! HéconùtAinei le 1^^
ros qui , toujours égal à lui-même, sans se hausser pour paraître grand*
aans s'abaisser pour être civil et obligeant, se trouve naturellement tuât ce
qu'il doit 6tre envers tous les homnies. »
♦
48 CHAPITRE m.
CHAPITRE m.
DES FEMMES.
Les hommes et les femmes conyiemient * rarement sur le
mérite d'une femme; leurs intérêts sont trop différents.
Les femmes ne se plaisent point les unes aux autres par les
mêmes agpréments qu'elles plaisent aux hoamies * ; mille
manières, qui allument dans ceux-ci les grandes passions,
forment * entre elles l'aversion et l'antipathie.
^ Il 7 a dans quelques femmes une grandeur artificielle
attachée au mouvement des yeux, à un air de tête, aux fa-
çons de marcher, et qui ne va pas plus loin; un esprit
éblouissant qui impose, et que l'on n'estime que parce qu'il
n'est pas approfondi. 11 y a dans quelques autres une gran-
deur simple, naturelle, indépendante du geste.^^ la dé-
marche, qui a sa source dans le cœur, et qui est comme une
suite de leur haute naissance ; un mérite paisible, mais so-
lide, accompagné de mille vertus qu'elles ne peuvent cou-
vrir de toute leur modestie, qui échappent, et qui se mon-
trent à ceux qui ont des yeux.
^ J'ai vu souhaiter d'être fille, et une belle fîUe, depuis
treize ans jusques à vingt-deux, et, après cet âge, de de-
venir un homme.
^ Quelques* jeunes personnes ne connaissent point assez
les avantages d'une heureuse nature, et combien il leur se-
rait utile de s'y abandonner ; elles affaiblissent ces dons -du
ciel, si rares et si fragiles, par des manières affectées et
i. S'accordent. « Od ne convient pas de Tannée oh il vint aa monde,» dit
de mêaae Bossuet dans son Hitloir$ univerteUey I, lo. i
2. Cette tournure était irréprochable au dix-septiëine siècle. Que répon«
dait k l'ablatif qw>, qvibue. Molière a dit : « de rair ov'on s'y prend.... de
la manière ^u'il faut vivre.... Je regarde les choses au côté ^ti'on me les
montre.... Et l'on a pu vous prendre par Tendroit seul que vous êtes pre-
nable..., etc. »
S. Font naître, engendrent, sens du mot latin formate. Le sort, aditCor^
neille {Horace, 111, n; :
....Epuise sa force à former un malheur.
Racine {àndromaqw^ V,v) :
Ta haine a pris plaisir à former ma misère •
DES FEMMES. 49
par une mauvaise imitation ] leur son de voix et leur dé-
marche sont empruntés; elles se composent, elles se re-
cherchent ^, regardent dans un miroir si elles s^éloignent
assez de leur naturel. Ce n*est pas sans peine qu'elles plai-
sent moins.
^ Chez les femmes, se parer et se farder n'est pas, je
Tavoue, parler contre sa pensée; c'est plus aussi que le tra-
vestissement et la mascarade, où l'on ne se donne point
pour ce que l'on paraît être, mais où l'on pense seulement
à se cacher et à se faire ignorer : c'est chercher à imposer
aux yeux, et vouloir paraître selon l'extérieur contre la vé-
rité ; c'est une espèce de menterie *,
Il faut juger des femmes depuis la chaussure jusqu'à la
coiffure exclusivement, à peu près comme on mesure le
poisson, entre queue et tète '.
^ Si les femmes veulent seulement être belles à leurs
propres yeux et se plaire à elles-mêmes, elles peuvent sans
t. Se rechercher : nous ne disons plus qu'être recherché. CTest là one
nuance perdue.
2. Cette psnsée, qui parut pour la première fois dans la 7* édition, est
obscure. L'auteur l'a senti : aussi a-tpil écrit cette variante : « Se mettre du
lougeou se farder est, le rayoue, un moindre crime que de parler contre sa
pensée ; c'est quelque chose auHsi de moius innocent que le iraTestissement
et la mascarade, etc. » Le début devenait plus clair, et par suite la pensée
Comment expliquer qu'en même temps il se trouve d'autres exemplaires de
la même 8* édition qui donnent la rédaction primitive, et que ce soit cette
rédaction primitive que reproduise la 9* édition tout entière? Est-ce à dire
Sue la Bruyère soit revenu sur sa correction ? qu'il ait interrompu le tirage
e la 8* édition et qu'il ait, pour la fin du tirage et pour les éditions suivan-
te, à tout jamais effacé la variante? Nous croirons plus volontiers que, lors-
Su'il refit sa phrase, un certain nombre de feuilles de la 8* édition
taient déjà tirées, et qu'il était trop tard pour que la variante fût intro-
imprimer par méearde
Srecédente qui n^vaient point reçu la variante. Cette variante n'aurait alora
isparu du texte qu'à la suite d'une méprise, et il y aurait lieu de Fy rétablir.
XÂ rédaction nouvelle toutefois laissait subsister quelque obscurité, etljpte
phn elle restreignait fângulièrement la portée de la remarque : il nj ^udt
plBs question «des artifices de la parure en général, mais simplement du
ronge et du fard, c'est-à-dire du rou^e et du blanc dans la langue de cette
époque. — Sur cette expression: imposer awc yeus^ avec te sens de
mentir aux yeux, voyez page 56, la note 2.
3. « La comparaison, dit Suard, ne parait pas d'un goût bien délicat. »
Tous les lecteurs seront de cet avis. Les femmes se grandissai^t par de
hauts talons et par des coiffures élevées. De là ce trivial rapprocher) ent. Au
chtfritre de la Mode^ la Bruyère reviendra sur « la mode qui fait de la
têt* àèk léfflAéi là taie d'un* édifiée à pltièieurs étagèi. à
4
50 CHAPITRE ra.
doute, dans la manière de s'embellir, dans le choix d^s
ajustements et de la parure, suivre leur goût et leur ca-
price ; mais si c'est aux hommes qu'elles désirent de plaÎT^
si c'est pour eux qu^elles se fardent ou qu'elles s'enluminent,
j'ai recueilli les voix, et je leur prononce *, de la part de
tous les hommes ou de la plus grande partie, que le blanc
et le rou^e les rend ailreuses et dégoûtantes ; que le roug9
seul les yieîllit et les déguise ; qu'ils haïssent autant ^ le9
voir * avec de la céru^e sur le visage qu'ayec de fau$sey
dents en la bouche et des boules de cire dans les mâchoires;
qu'ils protestent sérieusement contre tout Tai'tiûce doi^
elles usent pour se rendre laides; et que, bien loin d'en ré-
pondre devant Dieu ', il semble au contraire qu'il U^r ait
réservé ce dernier et infaillible moyen de guérir 4e9
femme^.
Si les femmes étaient telles naturellement qu'elles le de**
viennent par artifice^ qu'elles perdissent en un moment
toute la fraîcheur de leur teint, qu'elles eussent le visage
aussi allumé et aussi plombé qu'elles se le font par le
rouçe et par la peinture dont eUes se (ardent, elles Keraieut
inoonsola^e».
^ Une femme coquette ne se rend point sur la passloa
de plaire et ftur Topinioa quVUe a de sa beauté : elle regarda
le temps et les années comme quelque chose seulement qui
tlde et qui eulaidit les autres Cemmas; elle oublie du moins
que Tâge est écrit sur le visage. La même parure qui a ait-
trefois embelli sa jeunesse défigure enân ea personnel
éolaire ies défauts de sa vieillesse. La mignardise et l'alfe^h
tation raccompagnent dans la douleur et dans la fièvre i
eUe meurt parée et en rubans de couleur.
^ 1^80 entend dire d'une autre coquette qu^elle te moqué
de se piquer de Jeunesse, et de vouloir user d'ajustement»
qui ne conviennent plus knne femme de quarante ans. Lîm
les a accomplit, mat9 les années pour elle ont moins d0
douie mois et ne la vieillissenl point. Elle le croit ainsi, et,
pendant (ju'elle se ref^arde au miroir, qu'elle met du rouge
sur son visage et qu'elle placu des. mouohes, elle eonvie&l
qu'il n'est pas permis à un certain âge de faire la jcaae, ^
1. Je leur annonce BvU,eQnellemeBt.
2. « Tel qui hait à s» voir...^ * dit de mèm» BoileftU.|£idli<#li;«llnrlié4
3. Bien loin qu'ils en doivent être responsables devant Pieu.
BIS FEMMES. 51
^e (^ÊH0é^ &i effet, avec ses moudies et 800 fOnfT^ lal
ridieule.
^ Ua beau visage est le plus beau de tous |es spectaol^;
et l'hamusde la plus douce est le son de yoix de celle qv9
l'on aime.
f L'agrément est arbitraire : la beauté est quelque cb^se
de plut réel et de plus indépendant du goût et de l'opinion.
f L'en peut être touché de certaines beautés «i parfaite^
et d'un mérite si éclatant, ^e Ton se borne à les voir et à
leur parier.
% Une belle femme qui a les (jualîtés à'rxSK bonotte
bemme est ee qufl y a au monde d\iQ commerce plus dé*
Mekms ' l'en trouye en elle tout le mérite des de9z seies.
Y Le caprice est, dans les femmes, tout proc^i^ de U
beauté, peur être son contre-poison et afin qu'elle nuise
iBoins aux hommes, qui n*en guériraient pas sans ce remM%
^ Une femme faibte est celle à qui l'on reproche une faut^
qui se la reproche à elle-même^ dont le cœur c^mb^ larai«'
SM, qui yeut guérir, qui ne guérira poiut, ou bien tard.
Y Une femme inconstante est celle qui n'aima plus; me
légère, celle qui déjà en aime un autre; une Yplage, celle
^i ne sait si elle aime et ce qu'elle aime ; una indifEérent^
orile qui n'aime rien.
^ 14^ perfidie, si je l*ôse dire, est un mensonge de toutf
h i^feenne { e'esl, dans une femme, Fart de placer un mot
^tm uneaetioB qui donne le change, et quelqut^fQis de mettre
en CMïTfe des serments et des promesses qui aq lui cç^teat
pas plus à faire qu*à yioler.
Une femme infidèle, si elle est connue pour tellç de la
peremiBe intéressée, n'est qu'infidèle : s'il la croit fidèle^ eÛs
eit perfide.
On tire ce bien de la perfidie des femmes, qu'elle guérit
da la jakmsie.
^ A juger die c#Ue femme par sa beauté, sa jenaasa, sa
flarté et ses dédains, U nY <^ personne qui doute que ce 09
soit un héros qui doiye w jour la charmer. Son choii «t
fait : e*est vm petit m^stre, qui manque d'esprit.
^ lie rebut 4« la fiour est legu à la villa* daaa wm
*
1* Le arartiMn que toet le monde méprise S ?BrH|]|M ««t r«ça 1 1^*
ris-..
52 CHAPITRE m.
ruelle *, où il défait le magistrat, môme en cravate et en
habit gris, ainsi que le bourgeois en baudrier, les écarte et
devient maître de la place* ; il est écouté, il est aimé : on
ne tient guère plus d*un moment contre une écharpe d*or
et une plume blanche, contre un homme qui parte aurai* et
voit les ministres. Il fait des jaloux et des jalouses; on Tad-
mire, il fait envie : à quatre lieues de là^, il fait pitié.
^ Un homme de la ville est pour une femme de province
ce qu'est pour une femme de ville un homme de la cour.
^ A un homme vain, indiscret, qui est grand parleur et
mauvais plaisant, qui parle de soi avec confiance, et des
autres avec mépris; impétueux, altier, entreprenant, sans
mœurs ni probité, de nul jugement et d'une imagination
très-libre, il ne lui manque plus, pour être adoré de bien
des femmes, que de beaux traits et la taille belle.
^ La dévotion * vient à quelques-uns , et surtout aux
femmes , comme une passion, ou comme le faible d'un cer-
tain âge, ou comme iule mode qu'il faut suivre. Elles comp-
taient autrefois une semaine par les jours de jeu, de spec-
tacle, de concert, de mascarade, ou d'un joli sermon :
elles allaient le lundi perdre leur argent chez Ismène,
le mardi leur temps chez CKmène, et le mercredi leur
réputation chez Célimène; elles savaient, dès la veille,
toute la joie qu'elles devaient avoir le jour d'après et le
lendemain ; elles jouissaient tout à la fois du plaisir pré-
sent et de celui qui ne leur pouvait manquer ; elles auraient
souhaité de les pouvoir rassembler tous en un seul jour :
c'était alors leur unique inquiétude et tout le sujet de
leurs distractions ; et si elles se trouvaient quelquefois à
l'Opéra, elles y regrettaient la comédie. Autre temps, autres
mœurs : elles outrent l'austérité et la retraite; elles n'ou-
t. La rnelle était la partie de la chambre oti les femmes receraient les
3. U remporte sar le magistrat, lors même que le magistrat est habillé
du costome élégaot que Ini interdisent les règlements, sar le boargeoia»
lors même qae Te bourgeois porte Tépée.
3. « iMmAMn. Vous êtes l'bomme du monde que j'estime le plus, et je par-
lais encore de tous ce matin dans la chambre du roi. — M. JoDanAiH. Vous
me faites beaucoup d'honneur, monsieur. Dans la chambre du roi!... Que
faire? Voules-Yoosqve je refuse un homme de cette oondition-Ià, qui a parlé
de moi ce matin dans la chambre dn roi? • (Molière, U Mourgiois gmltl-
homme, m, i?.)
4. Cest'^-direàVersaiUea. . ^
5. raûitê défoyon. (SôU de ta Bruy^t.)
DES FEMMES. 53
vrent pins les yeux qui lenr sont donnés ponr voir ; elles né
mettent plus lenrs sens à aucun usage; et, chose incroyablel
elles parlent peu : elles pensent encore, et assez bien d'elles-
mêmes , comme assez mal des autres, n y a chez elles une
émulation de vertu et de réforme qui tient quelque chose
de la jalousie : elles ne haïssent pas de primer dans ca nou-
yeau genre de vie , comme elles faisaient dans celui qu'elles
Yiennent de quitter par politique ou par dégoût Elles se
perdaient gaiement par la galanterie, par la bonne chère et
par l'oisiveté ; et elles se perdent tristement par la présomp-
tion et par l'envie.
^ Quelques femmes ont voulu cacher leur conduite sous
les dehors de la modestie; et tout ce que chacune a pu
gagner par une continuelle affectation, et qui ne s'est jamais
démentie , a été de faire dire de soi : c On Vawrait prise pour
une vestaie. >
^ C'est, dans lesfemmes, une violente prenve d'une repu*
tation bien nette et bien établie, qu'elle ne soit pas même ef-
fleurée parla familiarité dequelques-unes qui ne leurressem-
blent point; et qu'avec toute la pente qu'on a aux malignes
explications , on ait recours à une tout autre raison de ce
commerce qu'à celle de la convenance des mcours '.
^ Un comique outre sur la scène ses personnages ; un
poète charge ses descriptions ; un peintre qui fait d'après
nature force et exagère une passion , un contraste, des atti-
tudes; et celui qui copie, sll ne mesure au compas les
grandeurs et les proportions, grossit ses figures, donne à
toutes les pièces qui entrent dans Fordonnance de son ta-
bleau plus de volume que n'en ont celles de l'original : de
même la pruderie est une imitation de la sagesse.
D y a une fausse modestie qui est vanité ; une fausse
gloire qui est légèreté ; une fausse grandeur qui est peti-
tesse ; une fausse vertu qui est hypocrisie ; une fausse sa-
. gesse qui est pruderie.
Une femme prude paye de maintien et de paroles ; une
lemme sage paye de conduite. Celle-là suit son humeur et
5a complexion, celle-ci sa raison et son cœur. L'une est
sérieuse et austère; l'autre est, dans les diverses ren-
contres, précisément ce qu'il faut qu'elle soit. La première
1. La conformité dei mœurs.
54 CHAFimE m.
cache des^(aibl#8*aoi]fl de plaotiblee islieit; la lecoode
coayre un riche fonds seoe un air libre et aaterel. La {ira-
derie contraint Teaprit, ne eaehe ni Tâge ni la laideur;
aouTent elle les suppose; la sageeee, au eontralre, pallie les
défauts du corps, ennoblit l'esprit # ne rend la )euaeese que
plus piquante et la beauté que plue périlleuse.
% Pourquoi s'en prendre aux hommes dece queleafeamee
Qe sont pas saTaates*? Par quelles lois, par quele éditt,
par quels reserits leur a-t^en défendu d'eutrir lei yeux et
de lire, de retenir ee qu'elles ont lu et d'en rendre eouple
ou dans leur conyersation , ou par leurs ouTragest Ne ee
aont-eUes pas au eeatraire établies elles-mêmes daAs cet
usage de ne rien saToir» ou par la ûdblesàe de teuf dom-
niezion, ou par la paresse de leur esprit» ou par le aoin de
leur beauté I ou par une certaine légèreté qui les etnpéche
de suivre une longue étude , ou par le talent et le génie
qu'elles ont seulement pour les ouTragês de la tnain, oupar
les distractions que donnent les détails d'un domestique *,
ou par un éloignement naturel des choses pénibles et sé«
rieuses, ou par une curiosité toute différente de eslle qui
contente l'esprit, ou par un tout autre goût que eelui d'exeN
cer leur mémoire? Mais , à quelque cause que les hommes
puissent devoir cette ignorance des femmes , ils sont heu-
reux que les iemmeet qui les domment d'ailleurs partant
d'endroitSi aient sur eux cet avantage de moine*.
I. thé faibleBsés, des déf^ats.
%, CM paragraphe est li Réponse qaé is Bra^^e edrètae à Pbil&iHitite,
s'éprisDt daas lee Fmimh tû^nêm ée Ueliftre* lU^ ii t
Car eofin ie me sens un êtraiMie dépit
DQ ton que l*on nous n!t du coté de l'esprit ;
Et je Yéiiioous vMgM», ttftttas tant qae iiotoB sottiilletfi
pe cette iodigne classe où nous rangent tes boaunet,
De borner nos talents à des futiliiés,
Il feoui fersMMP ta porte sus sublimée elftriés.
S» liM détails de llmériMr «'ad diéoise. Li Bntfèfé SftifSôlé tdttfsM
cette expression.
4. L'auteur termine par une épigramme. Mais c'est dans ce qui pré-
fM et dtlis të qttt suit qu'il fanictiercber le fond de sa pensée* ta Bruyère
Iridemment ne part»ge osa tdus les sentiments du Chrysaie dea Femmêê
iàfxiitif» snr l'écincailon des femmes. Il les veut à ta fois sages et savantes,
m il regrette qn^etles salent divisées en deux clasKét t les fetnmes luiilei^ él
les femmes de ménage d'iin côté, les femmes savantes de l'autre. Geriaina
es leurft défauts, dit- 11, s'oppusentà ce que le^ femmes soient en général
%néé\ instruites qtw iea hitamies : il souhaUe qu'elles sVn c»nigenl L'ali-
néa très-lahorieux qui termine et résume la dissertation de l'auteur trahit
reflTort et l'embarras de la penaée. — La Bruyère tenait en grande estiniA
Mme Dacier, la femme la plus savante de son ttapi^
DES FEKUES. 55
On regarda une femme sayante comme on fait une belle
arme : elle est ciselée artistement, d^une polissure admw
rable et d^un travail fort recherché ; c'est une pièce de ca-
binet, que Ton montre aux curieux, qui n^est pas d'usage,
qui ne sert ni à la guerre ni à la chasse , non plus qu'un
cheval de manège ^ quoique le mieux instruit du monda.
Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même
sujet, je ne m'informe plus du sexe , j'admire ; et si vous
me dites qu'une femme sage ne songe guère à être savante,
ou qu'une femme savante n'est guère sage , vous aves 4éjà
oublié ce que vous venez de lire , que les femmes ne sont
détournées des sciences que par de certains défauts : con-
cluez donc vous-mêmes que moins elles auraient de ces dé-
fauts, plus elles seraient sages, et qu'ainsi une femme sage
n'en serait que plus propre à devenir savante, ou qu'une
femme savante, n'étant telle que parce qu'elle aurait pu
vaincre beaucoup de défauts, n'en est que plus sage.
^ La neutralité entre des femmes qui nous sont également
amies % quoiqu'elles aient rompu pour des intérêts où nous
n'avons nulle part, est un point difficile : il faut choisir
souvent entre elles , ou les perdre toutes deux.
^ Les femmes sont extrêmes*; elles sont meilleures ou
pires que les hommes.
% Les femmes vont plus loin en amour que la plupart
des hommes ; mais les hommes l'emportent sur elles en
amitié.
Les hommes sont cause que les femmes ne s'aime&t
point.
^ Il 7 a du péril à contrefaire. Liee^ déjà vieille , veut
rendre* une jeune femme ridicule, et elle-même devient
difforme ; elle me fait peur. Elle use, pour l'imiter, de gri-
maces et de contorsions : la voilà aussi laide qu'il faut pour
embellir celle dont elle se moque ^»
^ On veut à la ville que bien des idiots et des idiotes aient
de resprit« On veut à la cour que bien des gens manquent
d'esprit qui en ont beaueoup ; et, entre les personnes de ce
1 . Nous sont amits.... De môme Volière dams Don Juan (m, it) i « Quel-
qu^âmi que tous lut soyet. »
3. Sénèqoe L'avait d^à dit.
$. Imiter. ^
^. Pour que celle 4oot elle H moque parues^ ]i>eUe Hu^rèed^elle*
I
56 CHAPITRE m.
dernier genre, une belle femme ne se sauve qu'à peine avec
d'autres femmes*.
^ Un homme est plus fidèle au secret d'autrui qu'au sien
propre > une femme, au contraire, garde mieux son secret
que celui d'autrui.
^ Il n'y a point dans le cœur d'une jeune personne un si
violent amour auquel l'intérêt ou l'ambition n'ajoute quelque
chose.
^ n 7 a un temps où les filles les plus riches doivent
prendre parti ; elles n'en laissent guère échapper les pre-
mières occasions sans se préparer un long repentir : il
semble que la réputation des biens diminue en elles avec
celle de leur beauté. Tout favorise au contraire une jeune
personne, jusques à ropinion des hommes, qui aiment à lui
accorder tous les avantages qui peuvent la rendre plus sou-
haitable.
^ Combien de filles à qui une grande beauté n'a jamais
servi qu'à leur faire espérer une grande fortune!
^ Un homme qui serait en peine de connaître s'il change,
s'il commence à vieillir, peut consulter les yeux d'une jeune
femme qu'il aborde, et le ton dont elle lui parle : il appren-
dra ce qu'il craint de savoir. Rude école!
^ 11 coûte peu aux femmes de dire ce qu'elles ne sentent
point : il coûte encore moins aux honmies de dire ce qu'ils
sentent.
^ Il arrive quelquefois qu'une femme cache à un homme
toute la passion qu'elle sent pour lui, pendant que, de son
côté, il feint pour elle toute celle qu'il ne sent pas.
^ L'on suppose un homme indifférent, mais qui voudrait
persuader à une femme une passion qu'il ne sent pas; et l'oa
demande s'il ne lui serait pas plus aisé d'imposer* à celle
dont il est aimé qu'à celle qui ne l'aime point.
^ Un homme peut tromper une femme p^r un feint atta-
chement, pourvu qu'il n'en ait pas ailleurs un véritable.
^ Un homme éclate contre une femme qui ne l'aime plus,
et se console : une femme fait moins de bruit quand elle est
quittée, et demeure longtemps inconsolable.
1. Et ane belle femme, qai a de Tesprit, échappe avec peine au danger
d'être proclamée soite par les autres femmes.
% Imposeff mentir. 11 n'y a gaère qu'an siècle qne l'usage s'est établi
de dire en impoMr, quand le mot impour signifie commettre une impo8<*
ture, et simplement mpoter, quand il signifie inspirer du respect*
DES FEMMES. 5?
Y Les femmes guëiissent de leur paresse par la yanitë
ou par Tamour.
La paresse, au contraire, dans les femmes yiyes, est le
présage de l'amour.
^ Il est fort sûr qu'une femme qui écrit avec emporte-
ment est emportée; il est moins clair qu'elle soit touchée.
Il semble qu'une passion yiye et tendre est morne et silen-
cieuse , et que le plus pressant intérêt d'une femme qui
n'est plus libre , celui qui l'agite davantage , est moins
de persuader qu'elle aime que de s'assurer si elle est
aimée.
^ Je ne comprends pas comment un mari qui s'abandonne
à son humeur et à sa complezion, qui ne cache aucun de
ses défauts, et se montre au contraire par ses mauvais en-
droits , qui est avare, qui est trop négligé dans son ajus-
tement, brusque dans ses réponses, incivil, froid et taci-
turne, peut espérer de défendre le cœur d'une jeune femme
contre les entreprises de son galant, qui emploie la parure
et la magnificence, la complaisance, les soins, l'empresse-
ment, les dons, la flatterie.
^ U y a telle femme qui anéantit ou qui enterre son
mari, au point qu'il n'en est fait dans le monde aucune men-
tion : vit-il encore? ne vit-il plus? on en doute. Il ne sert
dans sa famille qu'à montrer Fezemple d'un silence timide
et d'une parfaite soumission. Il ne lui est dû ni douaire ni
conventions; mais à cela près, et qu'il n'accouche pas, il
est la femme, et elle le mari. Ils passent les mois entiers
dans une même maison sans le moindre danger de se ren-
contrer; il est vrai seulement qu'ils sont voisins. Monsieur
paye le rôtisseur et le cuisinier, et c'est toujours chez ma-
dame qu'on a soupe. Ils n'ont souvent rien de commun, ni
le lit, ni la table, pas même le nom : ils vivent à la romaine
ou à la grecque; chacun a le sien; et ce n'est qu'avec le
temps, et après qu'on est initié au jargon d'une ville, qu'on
sait enfin que M. B.... est publiquement, depuis vingt an-
nées, le mari de Mme L.... *.
^ TeUe autre femme, à qui le désordre manque pour mor-
1. On cite en exemple Nicolas de Bauqnemare, président au Parlement
et Mme d'Ona-en-Bray on d'Osembray, sa femme, qui poriait le nom d'une
terre de son mari.
56 CHAPmUB m.
tifier mm mm, j veritnt * ptf sa nobièiM el m» iltiancft,
par la riche dot qu'elle a apportée, par les chamits de sa
beauté^ ]^ soa nérit»^ par ce que qaelquta-uas appelletit
vertu.
^ Les dottiaurft muettes «t stupides* sont hi9ts d'utftg^ :
on pleure, on féoite, ob répète, on est d tooohé àt la
mort de son mari, qu'on n'en oabUa pat la moindre eir^
oonstanoe.'
Y U 7 avait à SmfHi$ tm# trèa«bdlé fille qu'on apptiaU
Émin^ et qui était moina connus dans t(mte la tille par sA
beauté que par la sévérité de ses mœurs, et surtout par Fin«
différenoe qu'elle osnservait pour tooa les hommes, qû'i^e
voyait, disait^slle, sans aaoun péril, et sans d'autres dispo-
sitions qus csiles où élis se trouvait pour ses amies oa
pour ses frères. Elle ne croyait pas la moindre partie àt
toutes les folies qu'on disait que l'amour avait fait faire dans
tous les temps; et celles qu'elle avait vues elle-même, elle
ne les pouvait comprendre t elle ne oonnaissait que Tami-
tié. Une jeune et oharmante personne, à qui elle devait
cette expérience*, la lui avait rendue si douoe qu'elle ne
pensait qu'à la faire durer, et n'imaginait pas par quel autre
sentiment elle pourrait jamais se ' refroidir sur celui de
l'estime et de la «onfianoe, dont elle était ai eontente. £lle
ne parlait que HEuphrosim î c'était le nom de cette fidèle
amie; et tpnt Smjrrne ne parlait que d'elle et d'Ëuphrosine i
leur amitié passait en proverbe, fimife avait deux frères
qui étaient jeunes, d'une excellente beauté^, et dont toutes
les femmes de la ville étaient éprises ; et il est vrai qu'elle
les aima toujours comme une suittr aime ses frères. Il y
eut un prêtre de Jupittr qui avait accès dans la maison de
son père, à qui elle plut, qui osa le lui déclarer, et ne s'at-
1. Se dédommage eo !• mortifiant par....
2. Stupide est d'un usage fréquent avec le lena IttiB* Go» neille, dàna
Ctnna,V,t!
Je demeure stvpidé ;
Nea que Totre culèrè oo la mon m'intimide...*
Et encore dans Œdipe, V, viii :
Stupide» ainsi qu'elle, ainsi qu'elle afflfgéeê.
S. L'expérience de l'amitié.
k. Excellent f AU sens latin. La Bruyère a écrit plus haut : « le plus excel"
leni mérite. » Méaeray d\ié^v\emeniune excellente 6eauf« dans son Histoire
de France, et Beauaé répétera rexpre»aioD, au dii-hoitième siècle, dâos sa
traduction de Quifite-Curce.
9BS FUrnU. 59
tîva que te nëf»m, U» ^killard, cpii, se conûant en sa nais-
saoce et en ses grands biens, avait eu la même audace, eut
aussi la marne sTenture. Elle triomphait cependant ; et c'était
jusqo'alops au milieu de ses frères, d'un prêtre et d'un
TÎeillafd, qu'elle se disait insensible. U sembla que le Ciel
voul(^ l'expeser à de plus fortes épreuves, qui ne servi-
rent néanmoins qu'à la rendre pkis vaine, et qu'à raffermit
dans la réputation d'une fille que l'amour ne pouvait tou-
dier. De |reis amants que ses obarmes lui acquirent su(^
«essiveiaenti et dont elle ne craignit pas de voir toute la
passion» le premier, dans un transport amoureux, se per^a
te seia à ses pieds; le second, plein de désespoir de n'être
pas écouté, alla se faire tuer à la guerre de Crète; et le
troisième mourut de langueur et d'insomnie. Celui qui les
devait venger n'avait pas encore paru. Ce vieillard, qui avait
été si malheureux dans ses amours, s'en était guéri par des
réfleaions sur son Age et sur le caractère de la personne à
qui il voulait plaire : il désira de continuer de la voir, et elle
le souffrit. Il lui amena un jour son fils, qui était jeune,
d'une physionomie agréable, et. qui avait une taille fort
noble. Elle le vit avec Internet; et comme il se tut beaucoup
en la présence de son père, elle trouva qu'il n'avait pas
assez d'esprit, et désira qu'il en eût eu davantage. Il la vit
seul, parla assez, et avec esprit ; mais comme il la regarda
peu, et qu'il parla encore moins d'elle et de sa beauté, elle
jhit mirpriae et somme indignée qu'un heome si bien fait et
si spirituel ne fût pas galant. Elle s'entretint de lui avec son
imie, qui voulut le voir. Il n^eut des jeux que pour Eu-
phrosine; il lui dit qu'dle était belle t et Ëmire, n indiffé-
junte, devenue jaloeee, comprit que Cténphon était per»
inadéde ee ^ull disait, etquenonHseulementil était galant,
mais même qu'il était tendit. Elle se trouva depuis oe temps
moins libre avec son amie. Elle désira de les voir ensem-
ble une seeonde fois, peur être plus éclaircie i et une se-
conde entrevue lui tit voir eneore plus qu'elle ne craignait
de voir, et ohangea ses soapyoos en certitude. Elle s'éloigne
d'EuphrosinSi ne lui coonatt plus le mérite qui l'avait
charmée^ perd le goût de sa conversation : elle ne l'aime
plus; tt ce changement lui fait sentir que l'amour dans son
cœuf a pîis ift place de l'amlilé. Ctésiphon et Euphrosine se
voient tous les jours, s'aiment, songent à s'épouser, s^épou-
60 CHAPITRE m.
sent. La nouYelle s'en répand par tonte la Tille; et l'on
publie que deux personnes enfin ont eu cette joie si rare
de se marier à ce qu'ils aimaient. Ëmire l'apprend, et s'en
désespère. Elle ressent tout son amour : elle recherche £u-
phrosine pour le seul plaisir de revoir Gtésiphon; mais ce
jeune mari est encore l'amant de sa femme, et troure une
maîtresse dans une nouyelle épouse; il ne voit dans Ëmire
que l'amie d'une personne qui Idt est chère. Cette fille in-
fortunée perd le sonuneil ^ et ne yeut plus manger : elle
s'affaiblit; son esprit s'égare ; elle prend son frère pour
Gtésiphon, et elle lui parle comme à un amant. Elle se dé-
trompe, rougit de son égarement : elle retombe bientôt
dans de plus grands, et n'en rougit plus; elle ne les con-
naît plus. Alors elle craint les hommes, mais trop tard;
c'est sa folie. Elle a des intervalles où sa raison lui re-
vient, et où elle gémit de la retrouver. La jeunesse de
Smyme, qui Ta vue si fière et si insensible, trouve que les
dieux l'ont trop punie ^
CHAPITRE IV.
DU COEUR.
Il y a un goût dans la pure amitié où ne peuvent atteindre
ceux qui sont nés médiocres.
^ L'amitié peut subsister entre des gens de différents
sexes, exempte même de toute grossièreté. Une femme ce-
pendant regarde toujours un homme comme un homme;
et réciproquement, un homme regarde une femme comme
une femme. Cette liaison n'est ni passion ni amitié pure ; elle
fait une classe à part.
^ L'amour naît brusquement, sans autre réflexion, par
tempérament ou par faiblesse : un trait de beauté nous ûxe«
nous détermine. L'amitié, au contraire, se forme peu à peu,
avec le temps, par la pratique, par un long commerce.
Combien d'esprit, de bonté de cœur, d'attachement, de
1. a II y a pea de chose dans notre langue d'aussi parfût qne l'histoii*
d'Êmire. C'est un petit roman plein de grâce, de finesse et même d'intérêt.»
(Saard.)
DU COEUR. 61
services et de complaisance dans les amis, pour faire en
plusieurs années bien moins que ne fait quelquefois en un
moment un beau visage ou une belle maint
^ Le temps, qui fortifie les amitiés, affaiblit Pamour.
^ Tant que Tamour dure, il subsiste de soi-même, et
quelquefois par les choses qui semblent le devoir éteindre,
par les caprices, par les rigueurs, par Téloignement, par la
jalousie. L'amitié, au contraire, a besoin de secours; elle
périt faute de soins, de confiance et de complaisance.
^ Il est plus ordinaire de voir un amour extrême qu'une
paifaite amitié '.
^ L'amour et l'amitié s'excluent Tun l'autre.
^ Celui qui a eu Texpérience d'un grand amour néglige
l'amitié; et celui qui est épuisé sur l'amitié n'a encore rien
fait pour l'amour.
^ L'amour commence par l'amour; et l'on ne saurait v
passer de la plus forte amitié qu'à un amour faible.
^ Rien ne ressemble mieux à une vive amitié que ces
liaisons que l'intérêt de notre amour nous fait cultiver.
^ L'on n'aime bien qu'une seule fois; c'est la première :
les amours qui suivent sont moins involontaires.
^ L'amour qui natt subitement est le plus long à guérir.
^ L'amour qui croit peu à peu, et par degrés, ressemble
trop à l'amitié pour être une passion violente.
^ Celui qui aime assez pour vouloir aimer un million de
fois plus qu'il ne fait, ne cède en amour qu'à celui qui aime
plus qu'il ne voudrait.
^ Si j'accorde que, dans la violence d'une grande passion,
on peut aimer quelqu'un plus que soi-même, à qui ferai-je
plus de plaisir, ou à ceux qui aiment, ou à ceux qui sont
aimés?
^ Les hommes souvent veulent aimer, et ne sauraient y
réussir; ils cherchent leur défaite sans pouvoir la rencon-
trer; et, si j'ose ainsi parler, ils sont contraints de demeu-
rer libres.
^ Ceux qui s'aiment d'abord avec la plus violente passion
contribuent bientôt chacun de leur part à s'aimer moins, et
ensuite à ne s'aimer plus. Qui, d'un homme ou d'une femme,
I. « Qndqiie tue que soit le téritable amoar, il l'est «ocori moins que
la téritable amitié.* (lA Aocheroaca&ld.)
6% CHAPITRE nr.
met datantaga du sien dans eette nmtare, il n'est pas aisd
de le décider. Les femmes accusent les hommes d^être yo-
lages, et les hommes disent qu'elles sont légères.
^ Quelque délicat que Fon soit en amour, on pardonne
pins de fautes que dans l*amitié.
^ C'est une vengeance douce à celui qui aime beaucoup
de faire, par tout son procédé, d'une personne ingrate une
très-ingrate.
^ 11 est triste d'aimer sans une |p*ande fortune, et ^uî
nous donne les moyens de combler ce que 1*qq aime, et le
rendre si heureux qu'il n'ait plus de souhaits à faire.
^ S'il se tronve une femme peur qui Ton ait eu uçe
grande passion et qni ait été indifférente, quelques impor-
tatnts serriees qu'elle nous rende dans la suite de notre yiei
l'on court un grand risque d'être ingrat. .
^ Une grande reconnaissance emporte avec soi beaucoup
de goût et d'amitié pour la personne qui nous oblige S
Y Être ayee les gens qu'on aime, cela suffit ; rérer, leur
parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des
choses plus indifférentes, mais auprès d'eux, tout est égal.
^ 11 n'y a pas si loin de la haine à l'amitié qne de l'antl-
palbie.
^ Il s^nble qu'il est moins rare de passer de fiantiputliia
Famour qu'à l'amitié.
^ L'on confie son seeret dans Tàfflitié ; malt il échappe
dans l'amour.
L'on peut avoir la confiance de quelqn\tn sans en avoir
le eœur. Celui qui a le eœur n'a pas besoin de révélation
ou de eenfianee ; tout lut est ouvert.
% L'en ne voit dans Pamitié que les déOiuts qui petjvent
nuire à nos amis. L'on ne voit en amour de défauts dan& ce
qu'on aime que ceux dont on souffre soi-même,
^ Il n*y a qu^un premier dépit en amour, con^me la pre-
mière faute dans l'amitié, dont on puisse faire un bon
usage.
^ Il aettMe que, a'S y a un sottpçon injuste, bizarre et
i. Pensée obscure. Si elle n'était anDoocée, et comme à l'avaDce expliquée
par la précédente, on serait exposé à l'en tendre de cette façon: Une grande
reçonnaisii^nce a pour (.on^iéquence^ etc. .... Or a U vérit,a|)li^ «epa de |a
phrase est celui-ci: Nous ne pontons ressentir une reconnûfiH^iet Ipw*
Vite qu'à l'égard d'une personne que noug aimons beaucoup.
DU costm. 63
sans fonddniMil, qu'on tdt use foin appelé Jalousie, cette
antre jalousie qui est un sentiment juste, naturel, fondé en
raison et sur i'expërienee, mériterait un autre nom.
Le tempéfament a beaucoup de part à la jalousie, et elle
ne suppose pas toujours une grande passion. C'est cepen-
dant un paradoxe qu^in violent amour sans délicatesse.
Il arrive souvent que l'on souffre tout seul de la délioa-
teaae. L'on souffre de ia jalousie, et Ton fait souffrir les^
autres.
Celles qui ne nous ménagent sur rien, et ne nous épar-
gnent nulles oeeasio&ê de jalousie, ne mériteraient de nous
aucune jalousie, si Ton se réglait plus par leurs sentiments
et leur c(mdaitê que par son cœur.
^ Les froideurs et les relâchements dans l*amité ont
leurs caufiss. £n amour, il n'y a guère d'autre raison de ne
s'aimar plus que de s'être trop aimés.
^ L'on n'est pas plus maître de toujours aimer, (ju^onTa
été de ne pas aimer.
^ Les amours meurent par le dégoût, et l*oid)li les en^
terre.
^ Le eomme&eemeBt et le déclin de Pamour se font son-*
tir par Vcmbarras oà Von est de se trouver seuls.
Y Cesser à*«imer, preuve sensible que l'homme est borné,
cA que le ccBur a ses limitej».
C^est faîMesse que d'aimer; c'est souvent une autre Shi"
blesse que de guérir.
On guérit comme on se console ; on n'a pas dans le ccmt
ds quoi toujours pleurer et toujours aimer.
^ Il devrait y avoir dans le cœur des sources inépuisa-
bles de douleur pour de oertaines pertes. Ce n'est guère par
Yfirta ou par foroe d'esprit que Fou sort d'une grande af-
fliction : l'on pleure amèrement, et l'on est sensiblement
touché ; mais l'on est ensuite si faible, ou si léger^ (jue Ton
se console.
^ Si une laide se fait aimer, ce ne peut être qn'éperdtt*
ment; car il faut que ce aolt ou paf une étrange faiblesse
da son amant, ou par de plus secrets et de phis invinciblea
cliarmes que cenx de la beauté.
^ L'on est encore longtemps à se voir par habitu^Ae, et |
se dire de bouche que Ion s*aime, après que les manièns
diiesb qu'on AA a'aiûns plus*
64 CHAPITRE iV.
^ Vouloir oublier quelqu'un, c'est j penser. L'amour a
cela de commun avec les scrupules, cpi'il s'aigrit par les
réflexions et les retours que l'on fait pour s'en délivrer. Il
faut, s'il se peut, ne point songer à sa passion pour l'aifai-
blir.
^ L'on veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne se peut
ainsi, tout le malheur de ce qu'on aime.
^ Regretter ce que Ton aime est un bien, en comparaison
de vivre avec ce que l'on hait.
^ Quelque désintéressement qu'on ait à l'égard de ceux
qu'on aime, il faut quelquefois se contraindre pour eux, et
avoir la générosité de recevoir *.
Celui-là peut prendre, qui goûte un plaisir aussi délicat
à recevoir que son ami en sent à lui donner.
^ Donner, c'est agir, ce n'est pas souffrir de ses bien-
faits, ni céder à l'importunité ou à la nécessité de ceux qui
nous demandent*.
% Si l'on a donné à ceux que Ton aimait, quelque chose
qu'il arrive, il n'y a plus d'occasions où Ton doive songer
à ses bienfaits.
^ On a dit en latin qu'il coûte moins cher de haïr que
d'aimer; ou^ si Ton veut, que l'amitié est plus à charge que
la haine. Il est vrai qu'on est dispensé de donner à ses enne-
mis ; mais ne coûte-t-il rien de s'en venger? Ou, s'il est doux
et naturel de faire du mal à ce que Ton hait, Test-il moins
de faire du bien à ce qu'on aime? Ne serait-ilpas dur et pé-
nible de ne lui en point faire '?
^ Il 7 a du plaisir à rencontrer les yeux de celui à qui
l'on vient de donner.
^ Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, et
ainsi sur un indigne, ne change pas de nom, et s'il méritait
plus de reconnaissance *.
1. «Si en l'amitié de qnoy je parle, dit Montaigne, l'an pouToit donner à
l'antre, ce seroit celny qui recevroit le bienfeict qui obligeroit gon oom-
paiKnon.... » (Eisais^ I, 47.)
2. C'est faire un acte volontaire et spontané; ce n'e;iit pas oavrir la
main à regret, et ne l'ouvrir que si l'on y est contraint.
3. De ne lui en point faire. C'est là ce qu'a écrit l'auteur dans la S" édi-
tion, et le mot lui, appliqué à cê qu'on aime, nous étonne peu chez la
Bruyère. Dans les éditions suivantes leur a été substitué à lui. Si c'est
l'auiMur qui a effacé lui pour écrire l0ur, il n'a pu le faire que par distrac-
tion. A-t-il oublié qu'il avait écrit ce ftt'oti aime et non pas ceu(D qu'on
ûime?
4. 0&ftB tt chapitre, là Ëni^èrb ft reproduit, tu leur dumiiit U tout 4Vi
DU COEUR. 65
^ La libéralité consiste moins à donner beaacoup qu'à
donner à propos *.
^ S'il est vrai que la pitié eu la compassion soit un re*
tour vers nous-mêmes, qui nous met en la place des mal-
heureux, pourquoi tirent-ils de nous si peu de soulagement
dans leurs misères?
Il vaut mieux s'exposer à l'ingratitude que de manquer
aux misérables.
^ L'expérience confirme que la mollesse ou Findulgence
pour soi et la dureté pour les autres n'est qu'un seul et
même vice.
^ Un homme dur au travail et à la peine, inexorable à
soi-même, n'est indulgent aux autres que par un excès de
raison.
Quelque désagrément qu'on ait à se trouver chargé d'un
indigent. Ton goûte à peine les nouveaux avantages qui le
tirent enfin de notre sujétion : de môme, la joie que Ton
reçoit de l'élévation de son ami est un peu balancée par la
petite peine qu'on a de le voir au-dessus de nous ou s'éga-
ler à nous. Ainsi Ton s'accorde mal avec soi-même, car l'on
veut des dépendants, et qu'il n'en coûte rien : l'on veut aussi
le bien de ses amis, et, s'il arrive, ce n'est pas toujours par
s'en réjouir que l'on commence.
^ On convie, on invite, on offre sa maison, sa table, son
bien et ses services; rien ne coûte qu'à tenir parole.
^ C'est assez pour soi d'un fidèle ami ; c'est même beau-
coup de l'avoir rencontré : on ne peut en avoir trop pour
le service des autres.
% Quand on a assez fait auprès de certaines personnes
pour avoir dû se les acquérir, si cela ne réussit point, il y
a encore une ressource, qui est de ne plus rien faire.
Tf Vivre avec ses ennemis comme s'ils devaient un jour
être DOS amis, et vivre avec nos amis comme s'ils pouvaient
devenir nos ennemis, n'est ni selon la nature de la haine,
ni selon les règles de l'amitié ; ce n'est point une maxime
morale, mais politique*.
lui est propre, bon nombre de pensées qa*a exprimées Sénèqae dans son
traité De 6ene/ictt«. Celle-ci est Tune doF celles qu'il lui a empruntées.
1. « Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner.» (La
Rochefoucauld.)
3. « Ce précepte, qui est si abominable en cette souveraine et maistresse
5
\
M CHAPITRE IV.
^ On 116 doit pu M faire des «nnemiB de ceux qniy mieux
connus, pourraient avoir rang entre nos amis. On doit faire
choix d'amis si sûrs et d'une si exaete probité, que, venant
à cesser de Tétre, ils ne veuillent pas abuser de notre con-
fiance, ni se faire craindre oonmie ennemis.
^ Il est doux de voir ses amis par goût et par estime; il
est pénible de l^s cultiver par intérêt t c'est toUieitêr.
% Il faut briguer la faveur de ceux à qui Poil veut dtt
bien, plutôt que de ceux de qui l'on espèr« du bien ^
^ On ne vole point des mômes ailes pour sa fortune que
Ton fait pour des choses frivoles et de fantaisie. Il y a un
sentiment de liberté à suivre ses caprices, et tout au con-
traire de servitude à courir pour son établissement : il est
naturel de le souhaiter beaucoup et d'y travailler peu, de sd
croire digne de le trouver sans l'avoir cherché.
^ Celui qui sait attendre le bien qu'il souhaite, ne prend
pas le chemin* de se désespérer s'il ne lui arrive pas; et
celui au contraire qui désire une chose avec une grande
impatience, y met trop du sien pour en être assez récom-
pensé par le succès.
^ Il y a de certaines gens qui veulent si ardemment et si
déterminément ' une certaine chose que, de peur de lamaii-
quer, ils n'oublient rien de ce qu'il faut faire pour la manquer.
^ Les choses les plus souhaitées n^arrivent point, ou, si
elles arrivent, ce n'est ni dans le temps ni dans les circon-
stances où elles auraient fait un extrême plaisir, t
% Il faut lire avant que d'être heureux, de peUr dé mou-
rir sans avoir ri.
amitié, n est salataire en l'usage des amltiei ordinaires et coutomières, à
l'endroict desquelles il fanlt employer le mot qu'Aristotefttoit trè8<^k]itiUir t
« mes amys * il n'y a nul amy t » (Montaigne. SMait, 1, 27.)
1. M Cette maxime, dit la Harpe, fiùt voir que la Bruyère west pas toujours
exempi d'o)»curi|^. On peut soup^nner qu'il a voulu dire : 11 faut eé
donner plus de soins pour se faire pardonner le bien qu'on fait que pouf
obtenir celui qu'on espère. Mais le dit-il f » Nous croyons, qu'il ne le dit pas,
et noua écar(oos l'interprétation de la Harpe, qui est aussi celle de M. Hd«
mardinquer, pour adopter celle que propose M« Oeat^illeur : a II faut bri*
guer la faveur de ceux que l'on aime , que l'on estime assez pour leur
vouloir du bien, plu tôt que de ceux qui pourraient en faire. Comme l'a dit
Sénèque: Ne recevez que de ceux à qui tous voudriez donner*»
9. Cette expression, empruntée au langage familier, est l'one de celles
oui se présentent le plus souvent sous la prume de Mme dé Sévigné. Molière
remploie aussi : « Nous ne prenons guère le chemin de nous rendre ss^es. <*
3. Corneille^ Bossuet, Saint- Simon ont couramment employé cet adverbe. Il
est & peu près hors d'usage aujourd'hui .
I
DU GOBUH» 67
Y La Tie lest courte, si ^e m mérite te nom que lors^
qa'elle est agréable, puiscpie, «i Ton aousait ensemble toutes
les heures que Ton passe ayec ce qui plaît, Ton ferait à
peine d'un grand nombre d'wnées we vie de ^[uslfues
mois^
^ Qu'il est difficile d'être content de quelqu'un i
4 Ott ne pourrait se défendre de quelque joi^ à yoir pé-
rir un méchant homme; Ton joukait alors du finiit de sa
haine, et Ton tirerait de lui teut €• qU'ou en peut espérer,
qui est le plaisir de sa perte. Sa âiort enfin arrive, mais
dans une oonjoBstuiu où nos intérôtà ne nous permutteut
pas de nous eu réjouir s il meurt trop tôt ou trop tard.
Y II est pénible à un homme fier de fkardonuer à odui mal
le surprend en fautes et qui se plaint de lui avee raiseu t sa
fierté ne s'ttdouuit que lorsqu'il reprend ses atantages^ et
qu'il met l'autre dans son tort.
^ Gomme nous nous aâisctionnuns de plus en plus aux
personnes à qui nom faisons du bien, de même nous haïs*
sons Tiolemment oeux qbe nous avons beauooup ofiénsés*
^ Il est également difficile d'étouffer dans les commen«
céments le sentiment des injuresi, et de le eomerY^v aptes
UD certain nombre d-années.
^ C'est par faibleâse que Ton hait un ennemi et que l'on
songe à s'en venger, et c'est par pareese que l'on s'apaise et
qu'on ne se venge point *.
f U j a bien autsat de paresse que de faiblesse & sa
laisser gouverner.
U ne faut pas penser à gouverner un homme tout d'un
coup, et sans autre préparation, dans une affaire impor^
tante et qui serait capitale à lui ou aux liens ; il sentirait
d'abord l'empire et l'ascendant qu'on veut prendre sur son
esprit, et il secouerait le joug par honte ou par caprice : il
faut tenter auprès de lui les petites choses, et de là le pro-
grès jusqu'aux plus grandes est immanquable. Tel ne pOu<»
vait au plus dans les commencements qu'entmpreuâre de le
1. « La réconciliation avec nos ennemis n'est que le désir de rendre notre
condition meilleure, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque
mauTais éTénement. » — « Les hommes ne sont pas seulement suiets à perdre
le souvenir des injures, ils cessent dé liait* ctul cfiA les ont outragés. L'ap-
plication de se venger du mal léu^ pafatt une Mrvitàde à laquelle ils ont
peine à se soumettre. » (La Rochefoucauld.)
68 CHAPITRE nr.
faire partir pour la campagne ou retourner à la yille, qui
finit par lui dicter un testament où il réduit son fils à la lé-
gitime *.
Pour gouyemer quelqu'un longtemps et absolument, il
faut avoir la main légère, et ne lui faire sentir que le moin»
qu'il se peut sa dépendance.
Tels se laissent gouverner jusqu'à un certain point, qui
au delà sont intraitables et ne se gouvernent plus : on perd
tout à coup la route de leur cœur et de leur esprit ; ni hau-
teur ni souplesse, ni force ni industrie, ne les peuvent
dompter; avec cette différence que quelques-uns sont ainsi
faits par raison et avec fondement, et quelques autres par
tempérament et par humeur.
Il se trouve des hommes qui n'écoutent ni la raison ni les
bons conseils, et qui s'égarent volontairement, par la crainte
qu'ils ont d'ôtre gouvernés.
D'autres consentent d'être gouvernés par leurs amis en
des choses presque indifférentes, et s'en font un droit de
les gouverner à leur tour en des choses graves et de consé-
quence.
Drance veut passer pour gouverner son maître, qui n'en
croit rien, non plus que le public : parler sans cesse à un
grand que l'on sert, en des lieux et en des temps où il con-
vient le moins, lui parler à l'oreille ou en des termes mysté^
rieuz, rire jusqu'à éclater en sa présence^ lui couper la pa-
role, se mettre entre lui et ceux qui lui parlent, dédaigner
ceux qui viennent faire leur cour ou attendre impatiemment
qu'ils se retirent, se mettre proche de lui en une posture
trop libre, figurer avec lui le dos appuyé à une cheminée,
le tirer par son habit, lui marcher sur les talons, faire le
familier, prendre des libertés, marquent mieux un fat qu'un
favori.
Un homme sage ni ne se laisse gouverner, ni ne cherche
à gouverner les autres; il veut que la raison gouverne
seule et toujours.
Je ne haïrais pas d'être livré par la confiance à une per-
sonne raisonnable, et d'en être gouverné en toutes choses,
1. La légitime est la part à laquelle ont droit les enfants sar les biens de
leurs père et mère, et dont 'les père et mère ne peuvent les priver par
dispositions testamentairea.
DU COEUR. 69
et absolument, et toujours : je serais sûr de bien faire, sans
avoir le soin de délibérer; je jouirais de la tranquillité de
celui qui est gouverné par la raison.
^ Toutes les passions sont menteuses; elles se déguisent
autant qu'elles le peuvent aux yeux des autres; elles se
cachent à elles-mêmes : il n'y a point de vice qui n'ait une
fausse ressemblance avec quelque vertu, et qui ne s'en aide.
^ On ouvre un livre de dévotion , et il touche ; on en
ouvre un autre qui est galant, et il fait son impression
Oserai-je dire que le cœur seul concilie les choses con-
traires et admet les incompatibles?
^ Les hommes rougissent moins de leurs crimes que de
leurs faiblesses et de leur vanité. Tel est ouvertement in-
juste, violent, perfide, calomniateur, qui cache son amour
ou son ambition, sans autre vue que de la cacher.
% Le cas n'arrive guère où. l'on puisse dire : J'étais am-
bitieux; ou on ne l'est point, ou on l'est toujours; mais le
temps vient où l'on avoue que Ton a aimé.
^ Les hommes commencent par Tamour, finissent par
l'ambition, et ne se trouvent souvent dans une assiette plus
tranquille que lorsqu'ils meurent.
^ Rien ne coûte moins à la passion que de se mettre au-
dessus de la raison; son grand triomphe est de l'emporter
sur rintérôt.
^ L'on est plus sociable et d'un meilleur commerce pai
le cœur que par l'esprit.
^ 11 y a de certains grands sentiments, de certaines ac-
tions nobles et élevées, que nous devons moins à la force de
notre esprit qu'à la bonté de notre naturel.
^ Il n'y a guère au monde un plus bel excès que celui de
la reconnaissance.
^ Il faut être bien dénué d'esprit, si l'amour, la malignité,
la nécessité, n'en font pas trouver.
^ Il y des lieux que l'on admire : il y en a d'autres qui
touchent et où l'on aimerait à vivre.
11 me semble que Ton dépend des lieux pour Tespriti
l'humeur, la passion, le goût et les sentiments.
^ Ceux qui font bien mériteraient seuls d'être enviés, s'il
n'y avait encore un meilleur parti à prendre, qui est de faire
mieux : c'est une douce vengeance contre ceux qui nous
donnent cette jalousie.
70 CHAPITRE IV.
Y QaeIqii6»*i2iiB m dëfèadeat d^aimer «t de Uàtê des vere,
ocMnine de deux faibles qn^ïh n'oftent arguer, Tan du 0€Bûr,
Tautre de l'esprit.
Y il y a qaelqnefoit, dâne 1« oonfe de la fie, de ei chers
plaîeirs et de si tendre» engagements qiié l'on nous défend,
qu'il est naturel de désirer du moins qu'ils fussent permis :
de si grands charmes ne penrent être surpassés que par
li de savoir y renoncer ptr tertu»
«MMhM^^MMti
CIUPITRE V.
DB LA SOCIËTS ET DK LA CGHYERSATIOM.
Un caractère bien fade est celui de n'en ayoir anoun«
Y C^est le rôle d'un sot d'être importun t^un homme ha-
bile sent s'il contient ou s'il ennuie ; il sait disparaître le
moment qui précède celui où 11 serait de trop quelque
part
^ L'on marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par
tout pays de cette sorte d'insectes* Un bon plaisant est une
pièce rare ; à un homme qui est né tel, il est encore fort
délicat d'en soutenir longtemps le personnage : il n'est pas
ordinaire que celui qui fait rire se fasse estimer.
^ Il y a beaucoup d'esprits obscènes, enoore plns demé^
disants ou de satiriques, peu de délicats. Pour badiner avec
grâce et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets,
il faut trop de manières % trop de politesse, et même trop de
fécondité : c'est créer que de railler ainsi, et faire quelque
chose de rien.
^ Si Ton faisait une sérieuse attention à tout ce qui se dit
de froid^ de vain et de puéril dans les entretiens ordinaires,
l'on aurait honte de parler on d'écouter, et Ton se condam-
nerait peut-être à un silence perpétuel, qui serait une chose
pire dans le oommerod que les discours inutiles. Il faut donc
s^accommoder à tous les esprits; permettre comme nn mal
nécessaire le récit des fausses nouvelles, les vagues réflexions
t. ManUrea^ pris en bonne part, et en quelque sorte comme synonyme
de l'expression lour, qu'emploie si sonyent Tautenr.
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 71
sftf lé goUTefUMie&t présent ou sur Finlérât des priàcea^ U
débit d68 beattz sentimeats, et qui revienneat toujoum les
mêmesi : il fàtit laisier Àrcncê parler proverbe et MMindê
parler de sol, do ses tapeurs, de ses migraines et de ses
iusouiaiee.
^ L'on voit des gens qui, dans les conversations ou dans
le peu de eommerce que Fon a avec eux, vous dégoûtent
par leurs ridieules expressions, par la nouveauté, et j'ose
dife par Timpropriété des termes dont ili se servent, oomme
par raUianee de certains mots qui ne se rencontrent en*
semble que dans leur bouobe, et à qui ils font signifier des
oboses que leurs premiers inventeurs n'ont jamais eu inten»
tion de leur faire dire. Ils ne suivent, en parlant, ni la rai*
son ni l'usage, mais leur bizarre géiiie, que Tenvie de ton*-
jours plaisanter, et peut^re de briller, tourne insensiblement
à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur
idiome naturel ; ils accompagnent un langage ai eitrava-
gant d'un geste affecté et d'une prononciation qui est con<-
trefaite. Tous sont oontents d'eux-mêmes et de l'a^ément
de leur esprit, et l'on ne peut pas dire qu'Us en soient en-
tièrement dénués ; mais on les plaint de ce peu qu'ils en
ont, et, ce qui est pire, on en soufre*
% Que dite»«vous? Comment? Je n'y suis pas : vous plai-
rai^il de recommencer? J'y suis encore moins< Je devine
enfin : vous voulez, AoU, me dire qu'il fait froid ; que ne di-
aiez-vous : Il fait froid? Vous voulez m'apprendre qu'il pleut
ou qu'il neige; dites : Il pleut, il neige. Vous me trouvez
bon visage et vous désirez m'en féliciter; dites : Je vous
trouve bon visage. *-^ Mais, répondez-vous, cela est bien uni
et bien clair; et d'ailleurs, qui ne pourrait pas en dire au-
tant? — Qu'importe, Aois? Eat-oe un si grand mal d'ôtre
entendu quand on parle et de parler comme tout le monde?
Une cbose vous manque, Âcis, à vous et à vos semblables,
les diseurs de phébus*; vous ne vous en défiez point, et je
fais vous jeter dans Fétonnement s une obose vous manque»
s'est l'esprit. Ce n'est pas tout : il y a en vous une chose
de trop , qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres ;
voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases
embrouillées et de vos grands mots qui ne signifient rien.
1. Phibui, langage obscur et 4^ *«c*«Jt/\.|^
72 CHAPITRE V.
Vous abordez cet homme, ou vous entres^ dans cette cham-
bre ; je TOUS tire par votre habit et vous dis à Toreille : Ne
songez point à avoir de l'esprit, n'en ayez point ; c'est votre
rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple et tel que
Tout ceux en ^qui vous ne trouvez aucun esprit ; peut-être
y alors croira-t-on que vous en avez.
^ % Qui peut se promettre d'éviter dans la société des hommes
la rencontre de certains esprits vains, légers, familiers, dé-
libérés , qui sont toujours dans une compagnie ceux qui
parlent et qu'il faut que les autres écoutent? On les entend
de Tantichambre; on entre impunément et sans crainte de les
interrompre : ils continuent leur récit sans la moindre atten-
tion pour ceux qui entrent ou qui sortent, comme pour le
rang ou le mérite des personnes qui composent le cercle ;
ils font taire celui qui commence à conter une nouvelle, pour
la dire de leur façon, qui est la meilleure ; ils la tiennent de
Zatnet^ de Ruccelay ou de Conchini *, qu'ils ne connaissent
point, à qui ils n'ont jamais parlé, et qu'ils traiteraient de
Monseigneur s'ils leurs parlaient; ils s'approchent quel-
quefois de l'oreille du plus qualifié de rassemblée, pour le
gratifier d'une circonstance que personne ne sait et dont ils
ne veulent pas que les autres soient instruits ; ils suppri-
ment quelques noms pour déguiser l'histoire qu'ils racon-
tent et pour détourner les applications : vous les priez, vous
les pressez inutilement ; il y a des choses qu'ils ne diront pas,
il y a des gens qu'ils ne sauraient nommer, leur parole y est
engagée ; c'est le dernier secret, c'est un mystère ; outre que
vous leur demandez l'impossible, car, sur ce que vous voulez
apprendre d'eux, ils ignorent le fait et les personnes.
1. Sans dire montwtr» iNote de la Bruyère,)
Il totoie en parlant ceux du plus haut étage,
Bt le nom de monsieur est chez lui hors cPusage.
(Molière, le Misanthrope, H, v.)
Ces trois noms appartiennent à la première partie du dix-septième siècle,
et tiennent la place de ceux des fayoris du jour. — Zamet (1649-1614), fi-
nancier italien, joua souvent un rèle fort peu honorable à la cour de
France, où il était venu à la suite de Catherine de Hédicis. — L'ahbé Kuc-
cellai, gentilhonune florentin, introduit à la cour par Goncini, prit part à
toutes les intrigues de la régence de Marie de Médicis. Exilé de la cour,
il mourut en 1627. — Concini, maréchal d'Ancre, avait été comblé d'hon-
neurs, d'argent et de dignités. Sa fortune rapide, ses hauteurs, son esprit
de domination lui firent un grand nombre d'ennemis. Louis XIII ayant
donné à Vitry Tordre de l'arrêter mort ou vif, il fut tué dans la cour du
LcDvre. le 24 avril 1617.
DE LA SOCIÉré ET DE LÀ CONVERSATION. 73
^ Ârrias a tout lu, a tout tu, il veut le persuader ainsi;
c'est un homme universel, et il se donne pour tel ; il aime
mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque
chose. On parle à la table d'un grand d'une cour du Nord :
il prend la parole et Tôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils
en savent ; il s'oriente dans cette région lointaine comme
s'il en était originaire ; il discourt des mœurs de cettei cour,
des femmes du pays » de ses lois et de ses coutumes ; il ré*
cite des historiettes * qui y sont arrivées ; il les trouve plai-
santes et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se
hasarde de le contredire et lui prouve nettement qu'il dit
des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble
point , prend feu au contraire contre l'interrupteur : c Je
n'avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d'ori-
ginal; je l'ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans
cette cour, revenu à Paris depuis quelques jours , que je
connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne
m'a caché aucune circonstance. > U reprenait le fil de sa
narration avec plus de confiance qu'il ne Tavait commencée,
lorsque l^un des conviés lui dit : c C'est Sethon à qui vous
parlez, lui-même, et qui arrive de son ambassade *. >
^ 11 y a un parti à prendre, dans les entretiens, entre
une certaine paresse qu'on a de parler, ou quelquefois un
esprit abstrait', qui, nous jetant loin du sujet de la conver-
sation, nous fait faire ou de mauvaises demandes ou de
sottes réponses; et une attention importune qu'on a au
moindre mot qui échappe, pour le relever, badiner autour,
y trouver un mystère que les autres n'y voient pas, y cher-
cher de la finesse et de la subtilité , seulement pour avoir
occasion d'y placer la sienne^.
% Être infatué de soi et s'être fortement pers.uadé qu'on
a beaucoup d'esprit, est un accident qui n'arrive guère qu'à
celui qui n'en a point ou qui en a peu : malheur, pour lors,
à qui est exposé à l'entretien d^in tel personnage! combien
1. Réciter était synonyme de raconter.
2. Pareille méâftveDtare était, dit-OD, arrivée à Robert de Chatillon, pro-
cureur an Ghatelet. Montesquieu s'est souvenu de ce trait dans les Lettrée
persanee (lettre 72), et Delille Va. mis en vers dans son poëme de la Couver-
sation. La Bruyère, de son c6té, avait pu se rappeler le Crrand Parleur d#
Thécphraste en écrivant ce caractère et le précédent.
3. Voyez, p. 10, la note 2.
%. Sa finesse ou sa subtilité.
74 CHAPITRE V.
dé JdliM i^hMlal lui fâttdf à-Vil eisttye? I cdiiMéii da eos mots
aténturien* qui pâvaisseat finbitement, âufoil «ui tetapa,
et que bientôt on se Mteit pin* I S'il oonte une noatelle ,
c^eit moins pouy rAppfendiie à denx qui Técontent qne pour
avoir le méi^ite de la dire , et de la dire bien ; elle devient
nn roman entre ses maint t il lidt penser les gens à sa ma-
nière t leur met en la bonehe ses petites façons de parler,
et les fait tenjonn parler longtempe; iltpmbe^isttiteenâes
pafenflièees qai peuvent passer pour épisodes « mais qui
font o«d»lief le gros de rbistoire, et à lui qui vous parle, et
à vous qui le sopportea« Que serait>*oe de vous et de lui , si
quelqu'un ne survenait beureusement pou? déranger le
cercle et faire oublier la narration ?
% J'entends néodectê de l'antichambre ; 11 grossit sa voix
à mesure qu'il s'approobe. Le voilà entré s il rit, il orie, il
dclate; on bouche sea oreilles, c'est un tonnerre. Il n*est
pas moins redoutable par les choses qu'il dit que par le ton
dont il parle. Il ne s'apaise et il ne revient de ce grand
ITaoas que pour bredouiller des venités ' et des scittisés. U a
ai peu d'égard au temps, aux personnes, aux bienséanoes,
que chacun a son fait sans qu'il ait eu inten^on de le loi
donner; il n'est pas eneore assis qu'il a, à son insu, déso-
bligé toute rassemblée. l«t*on servi, il se met le premier à
table^ et dans la première place ; les femmee sont à sa droite
et à sa gauche. Il mange, il boit, il conte, il plaisante, il
interrompt tout à la fois. D n'a nul disoemement des per-
sonnes, ni du maître, ni des conviés; il abuse de la folle
déférence qu'on a pour lui. Est-ce lui, est-ce Eutidèmê qtU
donne le repas? Il rappelle a soi toute l'autorité de la table ,
et il 7 a un moindre inconvénient à la lui laisser entière
qu'^ la lui diQ^uter. Le vin et les viandes n'ajoutent rien è
son oaractère. Si l'on joue, il gagne au jeu ; û veut railler
celui qui perd et il l'offense ; les rieurs so{it pour lui; il n'y
a sorte de fatuités qu'on ne lui passe. Je cède enfin et je
disparais, incapable de souffrir plus longtemps Théodecte
et ceux qui le souffrent.
^ Trdik est utile à cçux qui ont trop de bien ; il leur
1. Motê cuûêniwrfers, L'expréssioD semble apDâitenir à la Brayère. Suinta
Evremond dit, en faisaot également un ad jectifa'avenfufter :« Le maréchal
de Gaston, si aventurier pour lea partis et si brasque à les chercher. »
2. Des choses yaines.
DE. LA SOCIÉTÉ Et DE LA CONVERSATION. 75
file Fembamu» Au âupérfla ; il leur sauve la petne d'amasser
de Pargeat, défaire des contrats, de fermer des coftres, de
porter des clefs sur soi et de craindre un vol domestique.
n les aide dans leurs plaisirs, et il deyient capable ensuite
de les servir dans leurs passions; bientôt il les règle et les
maîtrise dans leur conduite. Il est l^oracle d'une maison,
celui dont on attend, que dis-jet dont on prévient, dont on
devine les décisions. U dit de cet esclave : c II faut le punir, »
et on le fouette ; et de cet autre : c II faut Pafhranchir, i et on
rafl^anchit. L'on voit qu'un parasite ne le fait pas rire; il
peut lui déplaire : il est congédié. Le mattre est heureux
si Trotte lui laisse sa femme et ses enfants. Si celui-ci est à
table, et qu'il prononce d'un mets qu'il est friand, le maître
et les conviés , qui en mangeaient sans réflexion, le trou-
vent friand et ne s'en peuvent rassasier ; s'il dit au con-
traire dhm autre mets qu'il est insipide, ceux qui commen-
çaient à le goûter, n'osant avaler le morceau qu'ils ont à la
bouche, ils le jettent à terre * : tous ont les yeux sur lui ,
observent son maintien et son visage avant de prononcer
sur le vin ou sur les viandes qui sont servies. Ne le cher-
chez pas ailleurs que dans la maison de ce riche qu'il gou-
verne : c'est là quHl mange, quHl dort et quil fait digestion,
qu*il querelle son valet, qu'il reçoit ses ouvriers et qu*îl
remet ses créanciers. Il régente, il domine dans une salle;
il y reçoit la cour et les hommages de ceux qui, plus fins
que les autres, ne veulent aller au maître que parTroïIe. Si
ron entre par malheur sans avoir une physionomie qui lui
agrée, il ride son front et il détourne sa vue ; si on l'aborde,
n ne se lève pas ; si l'on s^assied auprès de lui, il s'éloigne ;
si on lui parle, il ne répond point; si l'on continue de par-
ler, il passe dans une autre chambre; si on le suit, il gagne
Tescalier ; il franchirait tous les étages, ou il se lancerait
par une fenêtre plutôt que de se laisser joindra par quel-
qu'un qui a un visage ou un son de voix qu'il désapprouve.
L'un et l'autre sont agréables en Troile, et il s'en est servi
heureusement pour s'insinuer ou pour conquérir. Tout de-
vient, avec la temps, au-dessous de ses soins, comme il est
1. A Gdtte époqae, on Jetidt à terra, et cel» daot le neUtoiur moude, ce
3^e l'on a^ait en trop dans aon terre ou dan» son assiette. Voyez plus loin,
ans le caractère du distrait, Ménalque voulant jeter à terre le vin qu'on lui
a Tersé de trop.
76 CHAPITRE V.
au'dessus de Youloir se soutenir* ou continuer de plaire
par le moindre des talents qui ont commencé à le faire va-
loir. C'est beaucoup qu'il sorte quelquefois'de ses méditations
et de sa taciturnité pour contredire, et que même pour cri-
tiquer il daigne une fois le jour avoir de l'esprit. Bien loin
d'attendre de lui qu'il défère à vos sentiments, qu'il soit
complaisant, qu'il vous loue, vous n'êtes pas sûr qu'il aime
toujours votre approbation, ou qu'il souffre votre complai-
sance.
^ Il faut laisser parler cet inconnu que le hasard a placé
auprès de vous dans une voiture publique, à une fête ou à
un spectacle ; et il ne vous coûtera bientôt pour le connaître
que de l'avoir écouté : vous saurez son nom, sa demeure ,
son pays, l'état de son bien, son emploi, celui de son père,
la famille dont est sa mère, sa parenté, ses alliances, les
armes de sa maison; vous comprendrez qu'il est noble,
qu'il a un château, de beaux meubles, des valets et un car-
rosse *.
^ Il y a des gens qui parlent un moment avant que d'avoir
pensé. Il y en a d'autres qui ont une fade attention à ce qu'ils
disent, et avec qui l'on souffre dans la conversation de tout
le travail de leur esprit ; ils sont comme pétris de phrases
et de petits tours d'expression, concertés dans leur geste et
dans tout leur maintien ; il sont puristes ', et ne hasardent
pas le moindre mot, quand il devrait faire le plus bel effet
du monde ; rien d'heureux ne leur échappe , rien ne -coule
de source et avec liberté : ils parlent proprement* et en-
nuyeusement.
^ L'esprit de la conversation consiste bien moins à en
montrer beaucoup qu'à en faire trouver aux autres : celui
qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit
1. 11 serait peut-être difficile de trouYer ailleurs que dans la Bruyère
des exemples de cette tournure.
2. Od peut rapprocher de cette réflexion Vltnpertinont ou le diseur de
rien, de Tbéophraste.
3. Gens qui afifectentune ^nde pureté de langage. {Noie de la Bruyère,)
4. PropremerU est d'ordinaire, au dix-septième siècle, synonyme dV-
légcmiment. Hais il s'agit ici de la correction du langage et de la propriété
des termes. La Bruyère fait la guerre aux puristes après l'avoir faite
(p. 71) aux gens qui « vous dégoûtent par l'impropriété des termes », blâ-
mant ainsi les deux excès contraires. — a Le parler que j'ayme, dit Mon-
taigne, c'est un parler simple et naif, un parler succuleDt et nerveux, court
et serré, non tant délicat et peigné comme véhément et brasque..., éloigné
d'affectation, desreglé, descousu et bardy.... (Eteaia^ 1, 35.)
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 77
Test de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à
TOUS admirer, ils yenlent plaire; ils cherchent moins à être
instruits, et même réjouis, qu'à être goûtés et applaudis;
et le plaisir le plus délicat est de faire celui d'autrui.
^ Il ne faut pas qu'il y ait trop d'imagination dans nos
conversations ni dans nos écrits ; elle ne produit souvent
que des idées vaines et puériles, qui ne servent point à
perfectionner le goût, et à nous rendre meilleurs : nos
pensées doivent être prises dans le bon sens et la droite
raison, et doivent être un effet de notre jugement.
% C'est une grande misère que de n'avoir pas assez d'es-
prit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire.
Voilà le principe de toute impertinence.
^ Dire d'une chose modestement ou qu'elle est bonne ou
qu'elle est mauvaise, et les raisons pourquoi elle est telle,
demande du bon sens et de l'expression *, c'est une affaire.
Û est plus court de prononcer, d'un ton décisif et qui em-
porte la preuve de ce qu'on avance, ou qu'elle est exécra-
ble, ou qu'elle est miraculeuse.
^ Rien n'est moins selon Dieu et selon le monde que
d'appuyer tout ce que l'on dit dans la conversation, jusques
aux choses les plus indifférentes, par de longs et de fasti-
dieux serments*. Un honnête homme qui dit oui et non'
mérite d'être cru : son caractère jure pour lui, donne créance^
à ses paroles, et lui attire toute sorte de confiance.
^ Celui qui dit incessamment qu'il a de l'honneur et de
la probité, qu'il ne nuit à personne, qu'il consent que le
mal qu'il fait aux autres lui arrive, et qui jure pour le faire
croire, ne sait pas même contrefaire l'homme de bien.
Un honmie de bien ne saurait empêcher, par toute sa
1. De l'habileté dans VezpressioD.
2. La Bruyère note et blâme une habitude trèa-fréauente cbea les gens
de couTj et que Molière avait déjà constatée lorsqu'il faisait dire à son Al-
ceste, 81 passionné pour la vérité et le naturel :
De protestations, d'offres et de serments
Vous chargez la fureur de vos embrassements.
(Le Jtisanthrope, 1, 1 .)
3. Soit qn'il dise oui, soit qu'il dise non .
4. Donner créance , était plus souvent pris dans le sens de croire, que
dans celui de rendre croyable, b&m où l'emploie la Bruyère. «David, ayant
donné créance aux impostures de Siba, » dit Pasoil; et Racine, dans J^rt-
êannicusjlll, Tt
Seigneur, à vos sonpcons downex moins de créance.
n CHAPmuE V.
modestie, qu'(m ne dise de loi ce qu'wi melboimtte homme
sait dire de eoi*
Y Cléan pftrle peu obligeemmeat ou peu juste, c'est Tua
ou Tautre; mais il ajoute qu'il est fait ainsi, et qu'il dit ce
qu'il pense*
Y II y a parler bieui parler aisément, parler justot parler
h propos. C'esl p^ober contre ce dernier genre que de s*é«
tendre sur un repas magnifique que Ton vient de laire, de*
vaut des gens qui sont réduits à épargner leur pain; de dire
merveilles de sa santé devant des infirmes 4 d'entretenir de
ses ricbeseest de ses revenus et de bw ameublemeoU, un
boauae qui n'a ni rentes ni domicile ; en un mot, de parler
de son bonheur devant des misérables : cette conversation
est trop forte pour eus, et la comparaison qu'ils font alors
de leur état au vôtre est odieuse.
f f Pour vous, dit By4iphr(mi voua (itea riche, ou vous
devez Tétre t dix mill^ livres de rentOi et en fonds de t^rre»
cela est beau S delà est doux, et l'on est heureux 4 moins» §
pendant que lui qui parle ainsi a cinquante mille livres de
revenu, et qu*il croit n'avoir que la moitié de ce qu'il mé-
rite. Il vous tazot il vous apprécist U fixe votre dépense, et
s'il vous jugesit digne d'une meilleure fottune, et de celle
même où il aspire, il ne manquerait pss de vous la souhaiter*
Il n'eet pas le seul qui fasse de si mauvaises estimations ou
des comparaisons si désobligeantes; le monde est plein
d'Ëutiphrons.
Y Quelqu'un, suivant la pente de la coutume qui veut
qu'on loue^ et par l'habitude qu'il a ii la flatterie et à Texa*
gération, congratule ' TModèin$- sur un discours qu'il n'a
point entendu, et dont personne n'a pu encore lui rendre
compte : il ne laisse pas de lui parler de son génie, de son
geste, et surtout de la fidélité de sa mémoire $ et il est vrai
que Théodème est demeuré court-
^ L'on voit des gens brusques, inquiets, $uffiêaÊU$^<, qui,
1. Et, pour le dire en pasfiapt, cela 4tftU betu en effet, car les ioooo 11*
yres de rente auxquelles Eutiphron taxait son interlocuteur en vaudraient
aujourd'hui 59 000 ; les 50 000 livres quUl avait tui-ttètotè éu Vaudraient
tBOooo. M&isiei les chiffres ne sont rien, et la pensée dé l'auteur ne porte
que sur la feçon Si différente qoe nous avons ë*ettvisa|;er les choses suivant
qufil s'agit des autres ou de nous-mémas.
3. Congratuler ne se dit plus qu'avec une nuance de pUiéanterie.
s. Les mots qui sont iwyrunés en Mique dan» I9 coarpdM Carêctires,
DE LA SOCIÉTÉ ET M M CONVERSATION. 79
bien qu'gisifs 9t «an» «ucue affaira qui les app«Ue aiUaara,
TOUS expédiant S pour ainsi dire, en peu de paroles, et ne
songent qu'à se dégager de vous; on leur parle enoore,
qu'ils sont partis et ont disparu. Ils ne sont pas moins in^
pertinents que oeux qui vous arrêtent seolement pouf tous
ennuyer; ils sont peut-être moius inoommodes.
^ Parler et offenseri pour de certaines gens, est pi^éeiaé^
ment la même chose. Us sont piquants et amers ( leur style
est mêlé de fiel et d'absinthe; la raillerie, Tinjure, rinsnlta^
leur déooulent des lèvres oomme leur saliye. Il leur serai)
utile d'être nés muets ou stupides : oe qu'ils ont de viTaoité
et d'esprit leur nuit dayantage que ne fait k quelques autres
leur sottise*. Ils ne se contentent pas toujours de répliquer
avec aigreur, ils attaquent souvent aveo insolenoe; ils frap«
peut sur tout ce qui s» trouve sous leur langue, sur les pré*
sents, sur les absents; ils heurtent de front et de côté,
comme des béliers* Demaude«lKm à des béliers qu'ils n'aient
pas de cornes T De môme n'espère-t-on pas de réformer par
cette peinture des naturels si durs, si farouches, si indo-
cileSé Ce que Ton peut faire de mieux, d*auB8i loin qu'on les
découvre, est de les tulr de toute sa force et sans regarder
derrière soi *é
f II y a de» gens d*uue certaine étoife ou d'un certain
caractère avec qui il ne faut jamais se commettre» de qui
l'on ne doit se plaindre que le moins qu'il est possible, et
contre qui il n'est pas même permis d'avoir raison.
^ Entre deux personnes qui ont eu ensemble une violenta
sont de« «[pressioDi (jae Vaateur «opligne pour dsi a^oUfg <UT«n, Mots
nouTeaux oa rareioeot usités, mots pris «v«q uoo sc<M»ptiQn dout«11«, modi
empruntés attUngage fsmUler de}» çonTQrsstiop, mots («(^niques, moM
sur lesquels Ttoteur Tsut Insister et appeler l'attentiop : autant de motf
que l'auteur souligne. — Suffisant se prenait presque toujours «q bonne
j>art, et l'acception qu'il a dans cette phrase était encore nouvoUOi ?uf0«
tière, toutefois, la donne dans son dictionnaire. •
i. On ea;pédiaU les affaires ; on ne disait pas encoro comme auioHrd'boi*
ea^iiivr quelqu'un dans le sens oU le dit la STUy^re.
2, Davantage qw ; cette locution, proscrite au;Qurd*l>qi par Iss graoun^-
riens. a été employée iadi$ par les meUleura écrtfains,
3. La Bruyère a iituté ce trait de Tbéophraste, ei même a textuellement
de UntU f d forc^ tt som regarder derrière eoi. » Après les avoir transportés
dans cette réflexion qui parut en lç90, U effara de b« traduction les moti
soaUgnés sans les remplacer par d'autres.
80 CHAPITRE V.
querelle, dont l'un a raison et Tautre ne Pa pas *, ce que la
plupart de ceux qui y ont assisté ne manquent jamais de
faire, ou pour se dispenser de juger, ou par un tempéra-
ment qui m'a toujours paru hors de sa place, c'est de con-
damner tous les deux: leçon importante, motif pressant et
indispensable de fuir à Torient quand le fat est à Toccident,
pour éviter de partager avec lui le môme tort *.
^ Je n'aime pas un homme que je ne puis aborder le
premier, ni saluer avant qu'il me salue, sans m'avilir à ses
yeux, et sans tremper dans la bonne opinion qu'il a de lui-
même. Montaigne dirait ' : Je veux avoir mes coudées fran-
ches , et être courtois et affable à mon point *j sans remords ne*
conse(^ience. Je ne puis du tout estriver^ contre mon penchant j
et aller au rebours de mon naturel^ qui m'emmeine vers celuy
que je trouve à ma rencontre. Quand il m'est égal^ et qu'il ne
m'est point ennemy, j'anticipe sur son accueil ' ; je le ques-
tionne sur sa disposition et santé ; je luy fais offre de mes of-
1. Comme il arrive soavent aa dix- septième siècle et même aa dix-
huitième, le pronom la se rapporte à un substantif indéterminé, à raison :
ce que ne permet plus la grammaire. « Il ne suffit pas d'avoir raison, dit
Fénelon ; c'est la gâter, c'est la déshonorer que de la soutenir d'une ma-
nière brusque et hautaine. » Pascal offre un exemple du même tour dans la
!%• lettre des Provinciales. R&cme a dit de même dans Mithridate :
Quand je me fais justice, il faut qu'on se la fasse.
3. Pour éviter d'avoir une querelle arec lui, et d'être condamné par la
suite avec lui. — Cette phrase a donné lieu, dans les premières années du
dix-huitième siècle, à i^ne discussion singulière entre un critique et un
apologiste de la Bruyère. Une faute d'impression s'était glissée dans la
9* édition, et l'on y lisait : « Pour éviter de partager le même ton. » L'auteur
des Sentiments critiques des caractères de M. de la Bruyère avait la 9* édi-
tion sous les yeux lorsqu'il écrivit son livre. Il déclara que, d'une pan, l'ex-
pression parto^er le même ton ne lui semblait pas claire, et que, de l'autre,
c'était mal parler que de l'employer, « car un ton ne se partage point. » L'a-
pologiste ne voulut point accorder que la critique pût être juste, et soutint
bravement oue la Bruyère s'était servi d'une allégorie ingénieuse.
S. Imité ae Montaigne. (Note de la Bruyère.)
%. A ma mesure.
5. Ni.
6. Estrivert entrer en querelle. Ce mot était encore employé du temps de
la Bruyère, témoin le dictionnaire de Furetière.
7. Je devance son bon accueil. — De la cinquième édition, la première
qui contienne ce pastiche de Montaigne , èi la huitième, on lit : « J'anticipe
son bon accoeil. » C'est ainsi qu'il a été dit par Montaigne ; « Il y en a qui
de frayeur anticipent les mains du bourreau » (Essais, I, 91), et par Pascal
dans ses Pensées : « Nous ne tenons jamais au présent : nous anticipons
l'avenir comme trop lent. » — « J'anticipe «tir son accueil, » variante de
la 9* édition, n'était donc pas une correction nécessaire. Bientôt toutefois,
dans ce même sens, on dira le plus souvent anticiper sttr : « Vous astici-
pei «tir nos espérances, » écrit Mme de Sévigné.
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 81
^s, sans tant marchander sur le phts ou sur le moins, ne étre^
comme disent aucuns^ sur le qui vive, Celuy-là me dépkdst,
quiy par la connoissance que j*ay de ses coutumes et façons
d^agir^ me tire de cette liberté * et franchise. Comment me res-
souvenir tout à propos y et d* aussi loin que je vois cet homme ^
d^emprunter une contenance grave et importante^ et qui Vaver-
tisse que je crois le valoir bien et au delà? pour cela de me ra-
mentevoir * de mes bonnes qualitez et conditions ^ et des siennes
mauvaises , puis en faire la compa/raison? C'est trop de tror
vail pour,moy, et ne suis du tout capable de si roide et si su-
bite attention; et quand bien elle m*auroit succédé* une pre-
mière foiSy je ne laisserois de fléchir et me démentir à une
seconde tâche : je ne puis me forcer et contraindre pour quel-
conque* à être fier,
^ Avec de la vertu, de la capacité et une bonne conduite,
Ton peut être insupportable. Les manières, que Ton néglige
comme de petites choses, sont souvent ce qui fait que les
hommes décident de vous en bien ou en mal : une légère
attention à les avoir douces et pdies prévient leurs mau-
vais jugements. Il ne faut presque rien pour être cru fier,
incivil, méprisant, désobligeant ; il faut encore moins pour
être estimé tout le contraire.
^ La politesse n'inspire pas toujours la bonté, l'équité, la
complaisance, la gratitude; elle en donne du moins les appa-
rences, et fait paraître Thomme au dehors comme il devrait
être intérieurement.
L'on peut définir Tesprit de politesse. Ton ne peut en
fixer la pratique : elle suit Fusage et les coutumes reçues ;
elle est attachée aux temps, aux lieux, aux personnes, et
n*est point la même dans les deux sexes ni dans les diffé-
rentes conditions : l'esprit tout seul ne la fait pas deviner ;
il fait qu'on la suit par imitation, et que Ton s'y perfec-
tionne. Il y a des tempéraments qui ne sont susceptibles
que de la politesse, et il y en a d'autres qui ne servent
qu'aux grands talents ou à une vertu solide. Il est vrai que
les manières polies donnent cours au mérite et le rendent
(
1 . Me force à sortir de cette liberté.
3. Mesootenir.
3. Réussi. Molière et la Bruyère loi-mème oot employé ce mot dans le
Djème sens*
%. Pour qai que ce soit.
6
82 CHAPITRE V.
agréable, el qu'il faut ayoîr de bien émitie&tes qttafités
pour 86 soutenir sa&s la politôsâe.
Il me semble que Tesprit de politesse est une certaine
attention à faire que, par nos paroles et par nos manières,
les autres soient contents de nous et d'eux-mêmes S
^ C'est une faute contre la politesse que de louer immo-
dërément, en présence de ceux que vous faites chanter ou
toucher un instrument, quelque autre personne qui a ces
mêmes talents; comme devant ceux qui vous lisent leurs
vers, un autre poëte.
^ Dans les repas ou les fêtes que l'on donne aut autres,
dans les présents qu^on leur fait et dans tous les plaisirs
qu'on leur procure, il y a faire bien, et faire selon leur
goût; le dernier est préférable.
^ Il y aurait une espèce de férocité à rejeter indifférem-
ment toutes sortes de louanges; l'on doit être sensible à
celles qui noQS viennent des gens de bien, qui louent ea
nous sincèrement des choses louables.
^ Un homme d'esprit et qui est né fier ne perd tien de
sa fierté et de sa roideur pour se trouver pauvre ; si quel-
que chose au contraire doit amollir son humeur, le rendre
plus doux et plus sociable, c'est un peu de prospérité.
T Ne pouvoir supporteir tous ks mauvais caractères dont
le monde est plein n'est pas un fort bon caractère : il faut,
dans le commerce, des pièces d'or et de la monnaie.
Tf Vivre avec des gens qui sont brouillés et dont il faut
écouter de part et d'autre les plaintes réciproques, c'est,
pour ainsi dire, ne pas sortir de l'audience, et entendre du
matin au soir plaider et parler procès.
^ L'on sait des gens qui avaient coulé leurs jours dans
une union étroite : leurs biens étaient en commun; ils n'a-
vaient qu'une même demeure; ils ne se perdaient pas de
vue. Ils se sont aperçus à plus de quatre-vingts ans qu'ils
devaient se quitter Tun l'autre et finir leur société ; ils n'a-
vaient plus qu'un jour à vivre, et ils n'ont osé entreprendre
de le passer ensemble; ils se sont dépêchés de rompre avant
que de mourir; ils n'avaient de fonds pour la complaisance
que jusque-là. Ils ont trop véo«i pour la boa exemple; un
1 . « La politesse de Tesprit cooeiste à penser des choses honnêtes et dé-
licates. La galanterie de Tesprit est de dire des choses flatteuses d'une ma-
nière a{;réable. » (La Rochefoucauld.)
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 83
moment plus tdt îk môtiraleflt sociables et laissaient après
eux un rare modèle de la persérérance dans l'amitié *.
Tf L'intérieur des familles est souvent troublé par les dé-
fiances, par les jalousies et par Tantipathie, pendant que
des dehors eontents, paisibles et enjoués, nous trompent et
nous y font supposer une paix qui n'y est point î il y en a
peu qui gagnent à être approfondies. Cette visite que vous
rendes vient de suspendre une querelle domestique qui
n'attend que votre retraite pour récommeneer.
f Dans la société, c'est la raison qui plie la première.
Les plus sages sont souvent menés par le plus fou et le plus
bizarre : l'on étudie son faible, son humeur, ses caprices ;
Fon s'y accommode ; l'on évite de le heurter; tout le monde
lui cède, ta moindre sérénité qui paraît sur son visage lui
attire des éloges; on lui tient compte de n'être pas toujours
insupportable. & est craint, ménagé, obéi, quelquefois
8xmé.
% Il n'y à que ceux qui ont eu de vieux collatéraux ou qui
en ont enoore, et dont il s'agit d'hériter, qui puissent dire
ce qu'il en coûte.
1 Cléante est uii três-honnôte homme; il s'est choisi une
femme qui est la meilleure personne du monde et là plus
raisonnable : chacun, de sa part •, fait tout le plaisir et tout
l'agrément des sociétés où il se trouve ; Ton ne peut voir
ailleurs plus de probité, plus de politesse. Ils se quittent
demain, et l'acte de leur séparation est tout dressé chez le
notaire. H y a, sans mentir, de certains mérites qui ne sont
point faits pour être ensemble, de certaines vertus incom-
patibles ^
^ L'on peul ciMaptelr sAriio^ siur U dat, le douaire et
1. Vers la fin du di^septfème «fèdfé, U séparattcrii de deux amie qui
avaient longtempe iNéoa eDftembte et dao» ta plus grande Intimicéj GoorUn et
Sunt-Romaln, Fua et rauirecouseillers d'Ëtat. fit grand bruit à la cour et à
la ville. Les commentateurs de la Bruyère ont ananiffiement prétendu qae
ce passage avait été écrit au sujet de leur brouilie. Hais il étnt déjà publié
lorsque Courtin et Saint-Romain se séparèrent.
3« De son eôté.
3. « Il y a quelq[nefoi8, dit Ptntarque au sujet d^ine séparation seili-
blable. de petites hargnes et riottes souvent répétées, pro(ïédantes de quel-
Sues foscdneases conditions, ou de quelque disdimilUude ou incompatibilité
e nature, que les esti'angers ne cognoisseét pas, lesquelles, par succession
de temps, engendrent de si grandes aliénations de volontés entre des per-
sonnes qu'elles ne peuvent plus vivre ny habiter ensemble* » {fie iê Pcsu"
fou £mi/ti4;, cbap. m de la version d^Amyot.)
84 CHAPITRE V.
163 conventions , mais faiblement sur les nowrritivres ' ; elles
dépendent d'une union fragile de la belle-môre et de la bru,
et qui périt souvent dans Tannée du mariage.
^Un beau-père aime son gendre, aime sa bru*. Une
belle-mère aime son gendre , n'aime point sa bru. Tout est
réciproque.
^ Ce qu'une marâtre aime le moins de tout ce qui est au
monde, ce sont les enfants de son mari : plus elle est folle
de son mari, plus elle est marâtre.
Les marâtres font déserter les villes et les bourgades , et
ne peuplent pas moins la terre de mendiants, de vagabonds,
de domestiques et d'esclaves que la pauvreté.
^ G** et H*** sont voisins de campagne, et leurs terres
sont contiguëa ; ils habitent une contrée déserte et solitaire.
Éloignés des villes et de tout commerce,, il semblait que la
fuite d^une entière solitude ^y ou Tamour de la société eût
dû les assujettir à une liaison réciproque; il est cependant
difficile d'exprimer la bagatelle qui les a fait rompre, qui
les rend implacables l'un pour l'autre, et qui perpétuera
leurs haines dans leurs descendants. Jamais des parents, et
même des frères, ne se sont brouillés pour une moindre chose.
Je suppose qu'il n'y ait que deux hommes sur la terre ,
qui la possèdent seuls et qui la partagent toute entre eux
deux : je suis persuadé qu'il leur naîtra bientôt quelque
sujet de rupture, quand ce ne serait que pour les limites.
^ Il est souvent plus court et plus utile de cadrer aux
autres* que de faire que les autres s'ajustent à nous®.
1. Le douaire est la ponion de biens dont le mari donne l'usufruit à sa
femme en cas de sunrivance. — Ou entend par nourriture la convention
par laquelle il est stipulé que les époux vivront pendant un certain nombre
d'années anprëB des parents de Tun d'eux. — Convention est une expression
qui s'applique àtous les articles accordés à une femme par contrat de mariage.
2. Quelques éditeurs ont cru restituer la pensée ae la Bruyère en modi-
fiant le texte, qalls croyaient altéré par une faute dMmpression : « Un beau-
père n'aime pas son gendre, etc., » ont-ils imprimé. Cette correction déna-
ture la réflexion. Le beau-père et le gendre, le beau-père et la belle-fille, la
belle-mère et le gendre s'aiment réciproquement; la belle-mère et la belle-
fille ne s'aiment pas : tel est le fond de la pensée.
3. Allusion , selon les clefs, à un procès que se firent, au sujet d'un droit
de pèche, deux conseillers au parlement. Hervé et Vedeau de Grammoni.
4. La crainte de l'isolement et le désir de le prévenir.
9. On dit aussi bien (Mdrtr à que cadrer anec. Bossuet, qui emploie très-
Houvent cette expression, la fiut indifi'éremment suivre de l'une ou de
/autre préposition.
6. * tin esprit droit a souvent moins de peine à se soumettre aux esprits
<le travers que de les conduire. » (ta Rochefoucauld.)
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 85
% J'approche d'une petite ville, et je suis déjà sur une
hauteur d'où je la découvre. Elle est située à mi-côte; une
rivière haigne ses murs et coule ensuite dans une belle
prairie ; elle a une forêt épaisse qui la couvre des vents
froids et de Faquilon. Je la vois dans un jour si favorable ,
que je compte ses tours et ses clochers ; elle me paraît peinte
sur le penchant de la colline. Je me récrie et je dis : Quel
plaisir de vivre sous un si beau ciel et dans ce séjour si
délicieux I Je descends dans la ville, où je n'ai pas couché
deux nuits, que je ressemble à ceux qui Thabitent : j'en
veux sortir.
• . ^ Il y a une chose que l'on n'a point vue sous le ciel, et
que,* selon toutes les apparences, on ne verra jamais : c'est
une petite .ville qui n'est divisée en aucuns partis, où les fa-
milles sont unies et où les cousins se voient avec confiance ;
où un mariage n'engendre pomt une guerre civile ; où la
querelle des rangs ne se réveille pas à tous moments par
l'ofirande, l'encens et le pain bénit , par les processions et
par les obsèques; d'où l'on a banni les caquets ^ le mensonge
et la médisance; où l'on voit parler ensemble le bailli
et le président, les élus et les assesseurs ' ; où le doyen
vit bien avec ses chanoines; où les chanoines ne dé-
daignent pas les chapelains et où ceux-ci souffrent les
chantres.
^ Les provinciaux et les sots sont toujours prêts à se
fâcher et à croire qu'on se moque d'eux, ou qu'on les mé-
prise : il ne faut jamais hasarder la plaisanterie, même la
plus douce et la plus permise, qu'avec des gens polis ou qui
ont de l'esprit.
^ On ne prime point avec les grands , ils se défendent par
leur grandeur; ni avec les petits, ils vous repoussent par le
^ Tout ce qui est mérite se sent, se discerne, se devine
réciproquement : si Ton voulait être estimé, il faudrait vivre
avec des personnes estimables.
^ Celui qui est d'une éminence au-dessus des autres qui
1. Les élQS étaient des officiers qni jogeaient en première instance les
procès qui avaient rapport aux tailles, aux aides et aux gabelles. Les as-
sesseurs sont les magistrats adjoints à un Juge pour lui Yenir en aide ou le
suppléer.
86 CHAPITRE V.
le met à o^wreri de la repartie, na dm! fumàM ftirê une
raillerie piquante*
^ n 7 a de petits défauts ^e Tob abaadoBaa TOlontûrra
à la censure^ et dont nous ne haïssons pas à être raiUés :
ce sont de pareils défanti tpm bobs écrona choisir pour
railler les antres.
^ Rire des gens d'fesprit, c'est le priiilëg» des sots : ils
sont dans le monde ee que les Ions smit à la oour, je fmx%
dire sans oondéquenoe.
ÎIa jooqnerie est songent indigisoe 4'esprit.
Yons le croyez votre dupe : s'il feint de rèUBi qui est
plus dupe de lui ou de you«*?
^ Si vous observes avec soin qui a^t les gens qui no
peuvent louer» qui bUmeirt toujours , qm ne sont contents
de personne 9 vous recooni^trez que ee sont ceux mêmes
dont personne n'est content*
% Le dédain et le rengofgement dans la société atttrei^
précisément le contraire de sa que Ton oherohe, si «'est à se
fairo estimer.
^ Le plaisir de la société entre les amis se cultire par une
ressemblance de goût sur ce qui regarde les n^nura, et par
quelque différence d'opinions sur les sciences : par là, ou
Ton s'affermit dans ses sentiments^ on Ton s'eierce et l'on
s'instruit par la dispute*.
Y L'on ne peut aûer loin dans Tamitié , si Ton n'est pas
disposé à se pardonner les uns aux autres les petits dé*
fauts.
% Combien de belles et inutiles raisons à étaler à celui
qui est dans une grande adversité, pour essayer de la rendre
tranquille! Les choses de dehors, qu'on appelle les événe-
ments, sont quelquefois plus fortes que la raison et que la
nature. Mangez, dormez , ne vous laissez point mourir d«
chagrin, songez à vivre t barangueik froides et qui rédui-
sent à l'impossible» £tes-vou9 raisonnable de tous tant in*^
quiéter? N'est-ce pas dire : fites^vous fou d'ôtr» malheu-
reux?
t. « La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de
tomber dans les friéges qas l'on nous tend, et oo n'est jamais ai aisé-
ment trompé que qaand on senge à CFomfMr iea astres. » ( La Redie»
foucauld.)
2. C'est-à-dire par la discussion.
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 87
Y Le coQseil, si nécessaire pour les affaires, est quelque-
fois, dans la société , nuisible à qui le donne, et inutUe à
celui à qui il est donné. Sur les mœurs, vous faites remar-
quer des défauts ou que Ton n'avoue pas, ou que l'on estime
des vertus; sur les ouvrages, vous rayez les endroits qui
paraissent admirables à leur auteur, où il se complaît davan-
tage, où il croit s'être surpassé lui-même. Yous perdez ainsi
la confiance de vos amis, sans les avoir rendus ni meilleurs
ni plus habiles.
^ Von a vu, il n'y a pas longtemps, un cercle de per-
sonnes des deux sexes , liées ensemble par la conversation
et par un coiomerce d'esprit '. Ils laissaient au vulgaire l'art
de parler d'une manière intelligible ; une chose dite entre
enx peu clairement en entraînait une autre encore plus obs-
cure, sur laquelle on oichérissait par de vraies énigmes,
toujours suivies de longs applaudissements : par tout ce
qu'ils appelaient délicatesse, sentiments, tour et finesse
d'expression, ils étaient enfin parvenus à n'être plus enten-
dus et À ne s'entendre pas eux-mêmes. Il ne fallait, pour
Iburnir à ces entretiens, ni bon sens, ni jugement, ni mé-
moire, ni la moindre capacité; il fallait de Tesprit, non pas
du meilleur» mais de celui qui est faux, et où rimagination
a trop de part.
1 Je le sais, Théohalde, vous êtes vieilli ; mais voudrlez-
vous que je crusse que vous êtes baissé , que vous n'êtes
plus poëte, ni bel esprit; que vous êtes présentement
aussi mauvais juge de tout genre d'ouvrage que méchant
auteur; que vous n'avez plus rien de na'îf et de délicat dans
la conversation? Votre air libre et présomptueux me ras-
sure et me persuade tout le contraire. Vous êtes donc au-
jourd'hui tout ce que vous fûtes jamais, et peut-être meil-
leur; car, si à votre âge vous êtes si vif et si impétueux,
quel nom, Théobalde, fallait-il vous donner dans votre jeu-
nesse, et lorsque vous étiez la coqueluche* ou l'entêtement
de certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur
i. AUasioD à la société de Tbôtel de RambooiUet, et aux conTersations des
précieux,
2. La Bruyère B'est pas le premier qui ait recueilli cette expression fa*
milière ; Baroo Tavatt transportée sur la scène trois ans plus tôt :
C'est cependant, dit-on, la coqueluche de Paris.
{L'homme à bonnee fortune»^ ii, I.)
88 CHAPITRE V.
votre parole, qui disaient : Cela est délicieux: qu'a-t-il
dit?
1 L'on parle impétueusement dans les entretiens, souvent
par vanité ou par humeur *, rarement avec assez d'atten-
tion : tout occupé du désir de répondre à ce qu'on n'écoute
point , l'on suit ses idées et on les explique sans le moindre
égard pour les raisonnements d'autrui; l'on est bien éloigné
de trouver ensemble la vérité, Ton n'est pas encore convenu
de celle que Ton cherche. Qui pourrait écouter ces sortes
de conversations et les écrire, ferait voir quelquefois de
bonnes choses qui n'ont nulle suite.
1 11 a régné pendant quelque temps une sorte de conver*
sation fade et puérile, qui roulait toute sur des questions
frivoles qui avaient relation au cœur et à ce qu'on appelle
passion ou tendresse. La lecture de quelques romans les
avaient introduites parmi les plus honnêtes gens de la ville
et de la cour ; ils s'en sont défaits , et la bourgeoisie les a
reçues, avec les pointes et les équivoques *.
1 Quelques femmes de la ville ont la délicatesse de ne
pas savoir ou de n'oser dire le nom des rues , des places et
de quelques endroits publics qu'elles ne croient pas assex
nobles pour être connus. Elles disent : le Louvre^ la Place
Royale; mais elles usent de tours et de phrases plutôt que de
prononcer de certains noms ; et, s'ils leur échappent , c'est
du moins avec quelque altération du mot, et après quelques
façons qui les rassurent : en cela moins naturelles que les
femmes de la cour, qui, ayant besoin , dans le discours , des
Halles y du Châtelet, ou de choses semblables, disent : les
Halles y le Châtelet.
1 Si l'on feint quelquefois de ne pas se souvenir de cer-
1. Le mot humeur avait, aa dix-septième siècle, le même sens que le
yiot anglais humour. Ainsi, dans la Suite du Menteur de Corneille :
C'est homme a de Yhumeur. — C'est na vieux domestique,
Qui, comme tous le voyez, n'est pas mélancolique.
Mais ici le mot humeur signifie disposition naturelle, manière d'être.
2. L'auteur, comme on le voit , fait une distinction entre les f)lns hon-
nêtes gens de la ville et la bourgeoisie, et plus loin il placera au même point
la bourgeoisie et la province en matière de goût. — Pour lui et ses contem-
porains, les honnêtes gens sont, en général, les gens que leur condition, leur
situation ou leur éducation élève au-dessus du commun. — Les romans
dont il s'agit sont les romans héroïques de Gomberville (1600-I6<à7), de la
Galprenède (1610-1663), et surtout de Mlle de Scudéri (1607-1701), l'une des
nrécieutts de l'hôtel de Rambouillet, l'auteur du Grand Cyrue (1650), de
Clélie (1656), etc.
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 89
tains noms que Ton croit obscurs , et si l'on affecte de les
corrompre en les prononçant, c'est par la bonne opinion
qu'on a du sien •.
1 L'on dit par belle humeur, et dans la liberté de la con-
yersation, de ces choses froides, qu'à la vérité l'on donne
pour telles, et que l'on ne trouve bonnes que parce qu'elles
sont extrêmement mauvaises. Cette manière basse de plai-
santer a passé du peuple, à qui elle appartient, jusque dans
une grande partie de la jeunesse de la cour, qu'elle a déjà
infectée. Il est vrai qu'il y entre trop de fadeur et de gros-
sièreté pour devoir craindre qu'elle s'étende plus loin , et
qu'elle fasse de plus grands progrès dans un pays qui est le
centre du bon goût et de la politesse : l'on doit cependant
en inspirer le dégoût à ceux qui la pratiquent ; car, bien que
ce ne soit jamais sérieusement, elle ne laisse pas de tenir la
place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de
quelque chose de meilleur *.
1 Entre dire de mauvaises choses et en dire de bonnes que
tout le monde sait, et les donner pour nouvelles, je n'ai pas
à choisir*.
1 a Lucam a dit une jolie chose ; Il y a un beau mot de
Claudien; Il y a cet endroit de Sénèque ; » et là- dessus une
longue suite de latin que l'on cite souvent devant des gens
qui ne l'entendent pas, et qui feignent de l'entendre. Le se-
cret serait d'avoir un grand sens et bien de l'esprit ; car ou
l'on se passerait des anciens^, ou, après les avoir lus avec
1. La Bruyère se relisait, se complétait, se corrigeait sans cesse^ et chan-
geait le tour de ea pensée lorsqu'il ne le croyait pas assez clair: Voici la pre-
mière forme soas laquelle a été publiée cette réflexion : u On feint quelque-
fois de ne pas se souvenir de certains noms que Ton croit obscurs, et on
affecte de les corrompre en les prononçant par la bonne opinion qu'on a
du sien. »
2. « La belle chose de faire entrer, aux conyersations du Louvre, de
vieilles équivoques ramassées parmi les boues des halles et de la place Mau-
bert! La Julie façon de plaisanter pour un courtisan, et qu'un homme montre
d'esprit lorsqu'il vient vous dire : «t Madame, vous êtes dans la place Royale
« et tout le monde vous voit de trois lieues de Paris, car chacun vous voit
«I de bon œil ; » à cause queBonneuil est un village à trois lieues d'ici ! Gela
n'est-il pas bieo galant et bien spirituel? Et ceux qui trouvent ces belles
choses n*ont-il pas lieu de s'en glorifier ? »
(Molière, La cntique de l'Ecole des femmes^ se. i'«.)
3. Écrit en 1690, après quatre éditions des Caractères^ auxquelles les
critiques n'avaient point manqué.
4. Montaigne avait dit: k Nous ne travaillons qu'à remplir \a mémoire^ et
laissons l'entendement et la conscience vuides.... Nous savons dire : Cicero
90 CHAPITRE T.
soin, Von iiaiirait encore choisir les m#i]leim et les citer k
propos.
1 Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie ; il s'é-
tonne de n'entendre faire aucune mention du roi de Bohême ' ;
ne lui parlez pas des fuerres de Flandre et de Hollande %
dispenseïrle du moins de vous répondre, il confond les
temps f il ignore quand elles ont commencé, quand elles ont
fini ; combats, sièges, tout lui est nouveau. Mais il est in-
struit de la guerre <les géanti», il en raconte le progrès et lea
moindres détails, rien ne lui est échappé ; il débrouille de
même Thorrible chaos des deux empires, )e babylonien et
Tassyrien ; il connaît à fond les Égyptiens et leurs dynas-*
tîes. Il n'a jamais tu Versailles, il ne le verra point : il a
presque vu la tour de Babel; il en compte les degrés; il
sait combien d'arehiteotes ont présidé à cet ouvrage ; il sait
le nom des architectes. Dirai-je qu'il croit Henri lY fils de
Henri UI? Il néglige du moins de rien connaître aux mai-
sons de Franoe, d'Autriche et de Bavière : Quelles minu-
ties 1 dit-il, pendant qu'il récite de mémoire toute une liste
des roi des Mèdes ou de Babylone, et que les noms à^Aprch»
naïf à^Hérigebal^ de Noesnemordach^ de Mco'dokmpady lui
sont aussi familiers qu'à nous ceux de Yalpis et de Boun*
BON.I II deœ^mde si Tempereur a jamais été marié; mais
personne ne lui apprendra que Ninus a eu deux femmes.
On lui dit que le roi jouit d'une santé parfaite , et il se
souvient que Thetmosia, un roi d'Egypte, était valétudi*
naire, et qu'il tenait cette complexion de son aïeul Alîphar-
mutosis. Que ne sait-il point? Quelle chose lui est cachée
de la vénérable antiquité? U vous dira que Sémiramis, ou,
selon quelques^'uns, Sérimaris, parlait oomme son fils Ni-
nyas; qu'on ne les dietingualt pas h la parole : si c'était
parce que la mère avait une voix mâle eoinme son fils, ou
dict ainsi; 9oità Ut mofwg 4* PUtoni c$ sont Ut mùtt metrMs éPArittott ;
mais ]iou8.que dUons-pou» nous-mesioes? qae jugeoD5-noa67 que fftisons-
XI0U9? rtŒttaitn if 14.)
i. La Hongrie a reconnu la domination autrtctiienne en 1S70, et, trois
d'AUemagna.
2. La conquête de la Flandre par Louis XtV, et set campagPM ea Hol-
lande.
Z, nenrt le Grand. (Note dt {a ^n«yèrt}.
DE LA SOCIÉTÉ WTC W LA CONVERSATION. 91
l8 fils UDe Yosx effémmée oomme ga mère, qu'il n'ose pas
le décider. Il tous ré?ëlera que Nembrot était gaucher et
SésoBtrifi iffiibidextre ; que o'eet une erreur de s'imaginer
qu'un Ariazeroe lût été appelé Louguemain parce que les
bris lui tombaient jnequ'aux genoux, et non à cause qu'il
«Tiit one main plus lengue que l'autre ; et il ajoute qull y
a des auteurs grayes qui afôrœwt que c'était la droite ,
qu'il oroit néanm^e être bi^ fondé h soutenir que c'est la
ganahe«
1 Asoagne est atatuaife, Hégion fondenr, .ffî^cbine foulon^
«t Cydias bel eepril S e'est aa profassion. Jl a une enseigne,
un atdier, des ouvvages de commande et des compagnons
qui Iraynillent «oua lui ; il ne voua saurait rendre de plus
d'un mois les ataoces qu'il yous a promises, s'il ne manque
de piiiole k Ihiithée^ qui l'a engagé à faire une élégie; une
idylle est sur le métier, c'est pour Crantor^ qui le presse et
qui hii laisse espérer un riche salaire. Prose, vers, que
vouleE-YOQs? Il réussit également en l'uu et en l'autre. De-
mandec-hii des lettres de eonsolation* ou sur une absence,
il les entrepteudra ; {Nrene^les toutes faites et entrez dans
ton magasin, il y a à choisir. Il a un ami qui n'a point
d'autre fonotion sur la t^re que de le promettre longtemps
à un certain monde, et de le présenter enfin dans les. mai-
sons comme homme rare et d'une exquise couversation ; et
là, ainsi que le mu^ien ohante et que le îoueur de lu&
touche son lutin datant les personnes à qui il a été promis,
Cydias, après avoir toussé, relevé sa manchette^ étendu la
main et ouvert les doigts, débite gravement ses pensées
quintessenoiéto et ses raisonnements sophistiqués. Différent
de ceux qui, convenant de principes et connaissant la rai^
son ou la vérité qui est une, s'arrachent la parole l'un à
l'autre pour s'aooorder sur leurs sentiments, il n'ouvre la
bouche que pour contredire : c /| i»^ $èmbU^ dit^ilgracieuse*
ment, qae c*est Umt le contraire de ce que vous dites; v ou : c Je
ne saurais être de votre opinion: » ou bien : « Ca été autrefois
mon entêtement^ comme il eU Ïb vôtre; mais»,,, f I ^ a trots
choses^ ajoute-t-il, à consii^er ..., i et il en ajoute une qua-
1. FertrtU de Fonteoelle (l(lS7-i7S7). qa!, neTea ë» Cofuèfllé et mM âm
rédacteurs da Mercure galant, était l*un de? ennemift de 1« Bniyèrt, 6tt du
mois» le devint après la pabUeation de ce Caractère (ISSI).
92 CHAPITRE V.
trîème : fade discoureur, qui n'a pas mis plus tôt le pied
dans une assemblée qu'il cherche quelques femmes auprès
de qui il puisse s'insinuer, se parer de son bel esprit ou de
sa philosophie, et mettre en œuvre ses rares conceptions :
car, soit qu^il parle ou qu'il écrive, il ne doit pas être soup-
çonné d'avoir en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable
ni le ridicule ; il évite uniquement de donner dans le sens
des autres et d'être de l'avis de quelqu'un ' : aussi attend-il
dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui
s'est offert, ou souvent qu'il a amené lui-môme, pour dire
dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à s<m
gré décisives et sans réplique. Gydias s'égale à Lucien et à
Séoèque *, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de
Théocrite*; et son flatteur a soin de le confirmer tous les
matins dans cette opinion. Uni de goût et d'intérêt avec les
contempteurs d'Homère, il attend paisiblement que les
hommes détrompés lui préfèrent les poëtes modernes : il se
met en ce cas à la tête de ces derniers, et il sait à qui il
adjuge la seconde place. C'est, en un mot, un composé du
pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bour-
geoisie et de la province, en qui néanmoins on n'aperçoit
rien de grand que l'opinion qu'il a de lui-même.
1 C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogma-
tique *. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce
qu'il vient d'apprendre lui-même ; celui qui sait beaucoup
pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle
plus indifféremment.
1 Les plus grandes choses n'ont besoin que d'être dites
simplement ; elles se gâtent par l'emphase. Il faut dire no-
blement les plus petites ; elles ne se soutiennent que par
l'expression, le ton et la manière.
1 II me semble que l'on dit les choses encore plus fine-
ment qu'on ne peut les écrire.
1. Il penserait paraître un homme da comman,
Si Von voyait qu'il fiit de Tavis de quelqu'un.
(Molière, le Misanthropey H, v.)
2. Philosophe et poëie tragiaue. {Note de la Bruyère.)
3. Comme Lucain, Fontenelie avait composé des Dtaloguei deê morts
(1680); conmie Sénèqne, il avait fait des tragédies; comme Virgile et Théo-
crite, il avait écrit des pastorales ; et ses Entrêuent tur la pluralité des
mondée (1686) permettaient de nommer ici Platon.
4. Le ton impérieux et tranchant.
DE LA SOCIÉTÉ ET DE LA CONVERSATION. 93
1 II n'y a guère qu'une naissance honnête * ou une bonne
éducation qui rende les hommes capables dé secret.
^ Toute confiance est dangereuse si elle n'est entière ; il
7 a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout ca-
cher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui l'on croit
devoir en dérober une circonstance.
1 Des gens vous promettent le secret, et ils le révèlent
eux-mêmes et à leur insu ; ils ne remuent pas les lèvres, et
on les entend ; on lit sur leur front et dans leurs yepx; on
voit au travers de leur poitrine ; ils sont transparents. D'au-
tres ne disent pas précisément une chose qui leur a été con-
fiée, mais ils parlent et agissent de manière qu'on la dé-
couvre de soi-même. Enfin quelques-uns méprisent votre
secret, de quelque conséquence qu'il puisse être : < Cest un
mystère, un tel m'en a fait part et m* a défendu de le dire; :»
et ils le disent.
Toute révélation d'un secret est la faute de celui qui l'a
confié.
1 Nicandre s'entretient avec Élise de la manière douce et
complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour
qu'il en fit le choix jusques à sa mort; il a déjii dit qu'il re-
grette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfants, et Û le ré-
pète ; il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une
terre qu'il a à la campagne ; il calcule le revenu qu'elle lui
rapporte; il fait le plan des bâtiments, en décrit la situation,
exagère la commodité des appartements, ainsi que la richesse
et la propreté des meubles'; il assure qu'il aime la bonne
chère, les équipages ; il se plaint que sa femme n'aimait
point assez le jeu et la société. Vous êtes si riche, lui disait
l'un de ses amis, que n'achetez-vous cette charge? pourquoi
ne pas faire cette acquisition qui étendrait votre domaine?
1. Une naissance honnête est ane naissance qui place dans les hauts
rangs de la société. Il ne faut jamais oublier la langue de l'époque lors-
qu'on lit la Bruyère. Au surplus, Tbomme ({ui en France était alors le plus
capable de secret , c'était celui dont la naissance était le plus élevée, c'é-
tait le roi : le secret est peut-être la vertu dont Louis XIV s'applaudissait
le plus volontiers. « Toute la France, écrit-il dans ses mémoires en racon-
tant l'arrestation de Fouquet, ... loua particulièrement le secret dans le-
quel j'avais tenu, durant trois ou quatre mois , une résolution de cette
nature, principalement à l'égard d'un homme qui avait des entrées si par-
ticulières auprès de moi.... p (Voyez encore, à la fin du chap. DuSouverainf
réloge qu'a fait la Bruyèr« de Louis XIV.)
3 L'élégftncé des ifieublés.
94 CHAPITHE t.
On me croit, ajotite-t-il, pitis de bien que je n'en (lossède.
U n'oublie pas son extraction et ses alliances : c Monsieur le
Surintendant, qui est mon cousin; madame la Chancelière, qui
est ma parente; » voiîà son style. H raconte nn fait qui
proute le mécontentement quSl doit avoir de ses plus pro-
ches et de ceux même qui sont ses héritiers. « Ai- je tort?
dit-il àfilise ; ai-je ^and sujet de leur vouloir dn bien? # et
il l'en fait juge. Il insinue ensuite qu'il a nne sanCé faible et
languissante, et il parie de la cave * où il doit être enterré,
n est insinuant, flatteur, officieux, à Fégard de tous cenx
quUl trouve auprès de la personne à qui il aspire. Mais
élise n'a pas le courage d'être riche en P^onsant. On an-
nonce, au moment qu'A parle*, un cavalier qui, de sa seule
présence, démonte la batterie de l'homme de ville; il se
lève déconcerté et chagrin, et va dire ailleurs qu'il veut se
remarier.
1 Le sage quelquefois évite le monde, de peur d*être en-
nuyé.
CHAPITRE YI^
CES BIENS DE K^MTOTË.
Un homme fort riche peut manger des entremets, faire
peindre ses lambris et ses alcôves, jonir d'un palais à la
campagne et d^un autre à la ville, avoir im grand équipage,
mettre nn duc dans sa famille et Mre de son fils un grand
seigneur: cela est juste et de son ressort; mais il appar-
tient peut-être à d'autres de vivre contents.
1 Une grande naissance ou ime grande fortune annonce
le mérite et le fait plus tôt remarquer*
1 Ce qui dt&oulp« le fat Mobitieux dft sen ambition est le
loin que Pon prend, s'il a fait une grande .fortune, de lui
trouver un m&it» qu'il n'a jamais ett^ ai aussi grand qu'il
croit l'avoir.
1 A mesure que la faveur et les grands biena se retirent
1. Da cayeaa, dirions-nous aijgourd'hui.
S. Âa moment qusj à Theure que^ locailoos fréqnemn^t eaptoyéeflà
cette époque. '^
f
J
BBS BIB^d Z)& FORTUNE. 08
éHm liom&ie, ils laissent voir m lui le fidieule qn^ïts oom-
yraleat, et qui y était sa^ que personne s'en aperçût.
1 Si Fou ne le voyait de ses yeux, pourrait-on jamais
s^imaginer l'étrange disproporticm que le plus ou le moins
de places de monnaie met entre les hommes?
Ce plus ou ce moins détermine à Fëp^e, à la robe eu à
l'Église; il n'y a presque point d'autre vocation*
1 Deux marchands étaient voisins et faisaient le même
commerce, qui ont eu dans la suite une fortune toute diffé^
rente. Us avaient chacun une iOe unique; elles ont été
nourries ensemble ' et ont véc» dans cette familiarité que
donnent un même âge et une même condition : IMne des
deux, pour se tirer d'une extrême misère, eherobe à se
placer; elle entre au sertiee d'une fort grande dame et Fune
des premières de la cour, chez sa compagne.
1 Si le financier manque son coup, les courtisans disent
de lui t c C'est tin bourgeois, un homme de rien, un malo-
tru; > s'il réussit, ils lui demandent sa fille.
1 Quelques-uns ont fait dans leur jeunesse Fapprenti^
sage d'un certain métier, pour en exercer un autre, et fort
différent, le reste de leur vie •.
1 Un homme est laid, de petite taille, et a peu d'esprit;
Fon me dit à Foreille ; « n a cinquante mille livres de
rente. > Cela le concerne tout seul, et il ne m'en fera jamais
ni pis ni mieux. Si je commence à le regarder avec d'au*
très yeux, et si je ne suis pas maître de faire autrement,
quelle sottise!
1 Un projet assez vain serait de vouloir tourner un homme
fort sot et fort riche en ridicule; les rieurs sont de son côté«
1 N**, avec un portier rustre, farouche, tirant sur le
Suisse •, avec un vestibule et une antichambre *, pour peu
qu'a y fasse languir quelqu'un et se morfondre, qu*tl pa-
f . Ëtovéet «niMible. Kourrir ot ntmnitmm Bom, clui \m éQriTvas ée
e# temps, Us synonymes d'élever et d'éducation. « Si ma disfip^âce leur a fait
perdre des avantages du côté de la fortune , écrit Buss^ en iHirlsnt de ses
tofiftiiis, elle leur tn a doone dtt côté do la bonne «owridMrt «t ai l'eapht.*
2. Voyez pa£fi 97 ÇSosi^^ etc.).
3. Les grands seigneurs prenaient des Suisses pour portieM; on les imi-
tait du mieux que l'on pouvait :
U m'avait £ût venir d'Amieiis poitr Atro mimm»
dit Petit-Jean dans les Plaideurs,
4. « C'est une faute assez commufiè, dfsenf les çrammairieos, d« Mr^an-
ticbambre du masculin. » On commettait aussi bten cette faute a« éix-sep-
96 CHAPITRE VI.
raisse enfin avec une mine grave et une démarche mesurée,
qu'il écoute un peu et ne reconduise point , quelque subal-
terne qu'il soit d'ailleurs, il fera sentir de lui-môme quel-
que chose qui approche de la considération.
f Je vais, Clitiphon, à votre porte ; le besoin que j'ai de
TOUS me chasse de mon lit et de ma chambre : plût aux
dieux que je ne fusse ni votre client ni votre fâcheux I Vos
esclaves me disent que vous êtes enfermé et que vous ne
pouvez m'écouter que d'une heure entière '. Je reviens avant
le temps qu'ils m'ont marqué, et ils me disent que vous êtes
sorti. Que faites-vous, Glitiphon, dans cet endroit le plus
reculé de votre appartement, de si laborieux qui vous em-
pêche de m'entendre? Vous enfilez quelques mémoires, vous
coUatiohnez un registre, vous signez, vous paraphez. Je
n'avais qu'une chose à vous demander, et vous n'aviez qu'un
mot à me répondre, oui ou non. Voulez-vous être rare? Ren-
dez service à ceux qui dépendent de vous : vous le serez
davantage par cette conduite que par ne vous pas laisser
voir \ homme important et chargé d'affaires, qui, à votre
tour, avez besoin de mes offices, venez dans la solitude de
mon cabinet: le philosophe est accessible; je ne vous re-
mettrai point à un autre jour. Vous me trouverez sur les
livres de Platon qui traitent de la spiritualité de l'âme et de
sa distinction d'avec le corps^ ou la plume à la main pour
calculer les distances de Saturne et de Jupiter : j'admire
Dieu dans ses ouvrages, et je cherche, par la connaissance
de la vérité, à régler mon esprit et devenir meilleur. Entrez,
toutes les portes vous sont ouvertes ; mon antichambre n'est
pas faite pour s'y ennuyer en m' attendant; passez jusqu'à
moi sans me faire avertir. Vous m'apportez quelque chose
de plus précieux que l'argent et Tor, si c'est une occasion
de vous obliger. Parlez, que voulez- vous que je fasse pour
vous? Faut-il quitter mes livres, mes études, mon ouvrage,
cette ligne qui est commencée? Quelle interruption heu- I
reuse pour moi que celle qui vous est utile I Le manieur »
d'argent, l^omme d'affaires est un ours qu'on ne saurait
apprivoiser; on ne le voit dans sa loge qu'avec peine : que
tième siècle. Dans les deux premières éditions qai contiennent cette réflexion,
les imprimeurs l'ont dire à la Bruyère : un antichambre.
U Que yous ne pouvez m'écouter avant une heure entière.
7. Là firuyère joue suf' le doublé sens du mut rare : Voua qui êtes rares,
DES BIENS DE FORTUNE. 97
di&-je? on ne le Yoit point; car d*abord on itb le voit pfts en«
core, et bientôt on ne le voit plus. L'homme de lettres, an
contraire, est trivial comme une borne au coin des . places ';
il est vu de tous, et à toute heure, et en tous états, à table,
au lit, nu, habillé, sain ou malade ; i} ne peut être impor-
tant, et il ne le veut point être*. • •
^ N'envions point à une sorte de gens leurs grandes
richesses; ils les ont à titre onéreux et qui ne nous accom-
moderait point; ils ont mis leur repos, leur santé, leur hon-
neur et leur conscience pour les avoir; cela est trop cher,
et il n'y a rien à gagner à un tel marché.
f Les P. T. S. * nous font sentir toutes les passions Tune
après l'autre : Ton commence par le mépris, à cause de
leur obscurité ; on les envie ensuite, on les hait, on les
craint, on les estime quelquefois, et on les respecte; Ton
vit assez pour finir à leur égard par la compassion.
^ Sosie, de la livrée^, a passé, par une petite recette, à
une sous-ferme ; et, par les concussions, la violence et Vabus
qu'il a fait de ses potwoirs'^ , il s'est enfin, sur les ruines de
plusieurs familles, élevé à quelque grade. Devenu noble par
une charge, il ne lui manquait que d'être homme de bien :
une place de marguillier a fait ce prodige.
puisque tous ne tous laissez pas ▼oir, voulex-yous de^eoir rares en agis-
sant comme ne le font point ros pareils?
1. Trivial, trivialis, in trivio. Il est aassi facile à voir que la borne d'un
carrefour.
3. Il est impossible de s*y méprendre; c'est la Bruyère qui se met lui-
même eu scène. Bonayenture d'Argonne nous a donné un précieux commen-
taire de ce passage; nous l'avons cité dans la Notice.
3. Les ffartisant, La Bruyère, eu proposant à Tintelligenoe de ses lecteurs
une si facile énigme, n'avait crainte que f 'on s'y tromiÀt. Les partisans étaient
les financiers qui prenaient à ferme les revenus du roi. Le recouvrement
des impôts les ennchiasait avec une rapidité scandaleuse, et plus d'une fois
Louis XIV s'émut de la facilité avec laquelle s'établissait leur fortune. Mais,
à l'époque oh la Bruyère écrivait, les condamnations qui avaient été pronon-
cées contre quelques-uns d'entre eux par la chambre de justice, à la snite
du procès de Fouquet, étaient complètement oubliées, et le luxe des parti-
sans était Tun des sujets qui devaient attirer tout d'abord l'attention d\io
moraliste.
k. Ce n'était point là une exagération. Plus d'an laquais était devenu par*
tisan et grand personnage àla suite. ««Mme Gornuel. écrit Mme de Sévigné er.
1876, était l'autre jour chei B.... (Berrier), dont elle était maltraitée; elle
attendait à lui parler dans une antichambre qui était pleine de laffLais. Il
Tient une espèce d'bonnète homme qui lui dit qu'elle était mal dans ce
lieu-là : « Hélas ! dit-elle, j'y sais fort bien ; je ne )es crains point, tant qu'ils
sont laquais. »
S. Des pouvoirs que lui déléguait le fermier général, comme à tons les
ious-fermiers.
98 CHAPinUS .TI.
% ArfuTê cheminait fteule et à pied yers le g^and portique
de Saint '^'^, entendait de loin le sermon d'un earme on d'ttfi
docteur qu'elle ne voyait qu'obliquement » et dont elle per-
dait bien des paroles^ Sa vertu était obscure^ et sa détotiod
connue comme sa personne. Son mari est etltré dans le hui*
tième denier ' ; quelle monstriieuse fortune en nldidâ de bit
années I Elle n'arriye à Tégiise que dans un ehar; oii lUi
porte une lourde queue; Torateur s'ii^errohipt pendant
qu'elle se place; elld le voit de front, n'en perd pas dné
seule parole ni le moindre geSte; il y a une brigue énti*é les
prêtres pour la confesser; tous veulent l'absoudre , et lé
our^ l'emporte.
^ L'on porte Grésus au cimetière: de toutes seS imtdeiisëi
riebeeseç, qUe le vol et la concussion lui avaieiit flcqUisës,
et qu'il a énuisées par le luxé et par la bonne chètë, il né
lui est pasaemeuré de quoi se faire enterrer; il est moi*t
iDsolvable, sans biens; et ainsi privé de toub les secbufs.
L'on n'a vu cfaea lui ni julep, ni cordiaux, iii môdëdinS) ni le
moindre docteur qui l'ait AssUré de son salut.
^ Chxanpa^ne^ Au éortir d'un long dinèr qui lui ënfie i'ëd-
tomao, et dans les doiibes fumées d'un vin d'Avenay où de
Sillery ■, signe un ordre qu'on lui présente ; qui dtfeWlt le
pain à toute une province, si l'on n'y remédiait. Il est ex-
cusable : quel moyen à^ comprendre , dans la première
héiif é de la digesUôii, qii'bii puisse quelque part mourir de
faiih.
^ Sylvain^ de ses deniers, a acquis de la naissance et iin
autre tiotn ; il est seifebédi'. de là pai>bi^sê b& è'éà àiëuis
payaient la taille': il n: aurait pii autrefois entrer page chez
<?li^o6ttte; et il eét son^ôndrt. .
% Horùs passe en litière par la volé Àppiennef précédé de
ses Affranchis et de ses ësblates, qui détDUfhehj^.lê ()éûplé
éi ioâi faire plicà; il îié lui manque que des lîoteurs; il
i .... - *
1. Dans la fenne de l'impôt qui senomine le huitième denier. Mdté^tiatit
!• fAiement du druit qae l'on hommait de ce nom; les àc(f nétéurâ de biens
6eclésiafttl<fMes el les asorpatews de biens de cohimonàtitëé laïques éiàlètit'
ooofirméa éûhA leat fiostoesioii; Ce droit ayait dté ëiablt eH 16^2 peAdÂbf
Ift guerre de BollÉBde;
2. ATCnaf et. SiUerf rfoot en GhampafitMv Hé tin dé ChafhttftbHè; tHt-
célèbre à cetieépoqnë) n'était pas eneofeièTlM thoaiiëuX iqiië Vm cobnaÙ
aujourd'hui sous ce nom»
S. m ntaient ses Uen {yoj, p. i8« bote 2)j qui, étatlth)tilHëH, p&tàieât
1» taille : les nobles étaient exempts de cet impôt.
J -J
DES BIENS DB FORTUNE. 99
entré à Bum» avec ee cortège^ où il semble triompher de la
bassesse et de la pauvreté de son père San§a.
•^ On né peutinieux user de sa fortune que fait Périandre;
elle lui donné du rangj du crédit, de Tautorité ; déjà on ne
le prie plus d'accorder son amitié^ on imploro ^ protection.
Il à commencé par dire de sei-iaême : ur\ homme de ma
sorti; il passe à dire : un homvfie de ma qiuUité. Il se donne
pour tel; et il n*f à personne de ceux à qui il prête de l'ar-
gent, ou qu'il reçoit à sa table , qui est délicate^ qui veuille
s*y op|)oser. Sa deijaeure est superbe; un dorique règne
dans tous ses dehors ; ce n'eSt pas une porte^ o'est un por-
tique. Est-ce la maison d'un particulier, est-ce un temple?
le peuple s'j tromj[}e; U est le seigneur dominant de tout le
quartier ^ C'est lui que l'on envie, et dont on voudrait voir
la chute; e^est lui dont la femtne, par son collier de perles,
s'est fait des ennemies de toutes les dames du voisinage.
Tout se soutient dans cet homme ; rien encore ne se dément
dai^s cette grandeur qu'il a acquise « dont il ne doit rien,
qu'il a payée. Que son père, si vieux ei si caduc, n'est-il
mort il f a vingt ans et avant qu'il se fît dans le monde
aucune mention de Périandre i Comment pourra-t-iï soutenir
ces odieuses pancartes * qui déchiffrent les conditions ' et
qui souvent font rougir la veuve et les héritiers? Les sup-
primera-Vil aux yeux de toute une ville jalouse, maligne,
clairvoyante, et aux dépens de mille gens qui veulent abso-
lument aller tenir leur rang à des.ol}sèques? Veut-on d'ail-
leurs qu'il fasse de son père un JNoble homme , et peut-être
un Honorable Aomms, lui qui est Messire* ?
^ Combien d'hommes ressemblent à ces arbres d^à forts
et avancés que Ton transplante dans les jardins, ou ils sur-
prennent les yeux de ceux qui les voient placés dans de
beaux endroits où ils ne lés ont point vus croître, et qui ne
connaissent ni leurs commex^cements ni^eurs progrès!
% Si certains morts revenaient au monde, et s'ils voyaient
i. Le seigneur sazeraln de qui relève tout le quartier.
t. Billets d'enterrement. (Note de la Bruyère.)
9; Qtii tétèleiit 1m condftionâ de ebacon.
4, Noble homme était le titre que, dans les contrats , prenaient les bonr^
gèois de quelque importance ; honorable iiomme, Iselui que prenaient les pe-
tits boiirgbJDii, les marchanda., les bnisans^ et metnrs ,. celui qui était ré«
sQrvé aux personnes de^qui^ité. Boiieau ne put prendre le titre de mewîrf
que lorsqu il eut prouvé sa îioblesse.
»• •
•: . . - -
• . . • •
» • • •
100 CHAPITRE VI.
leurs grands noms portés, et leurs terres les mieux titrées,
avec leurs châteaux et leurs maisons antiques , possédées
par des gens dont les pères étaient peut-être leurs métayers,
quelle opinion pourraient-ils avoir de notre siècle.
^ Rien ne fait mieux comprendre le peu de chose que
Dieu croit donner aux hommes en leur abandonnant les
richesses, Targent, les grands établissements et les autres
biens, que la dispensation qu'il en fait, et le genre d'hommes
qui en sont le mieux pourvus.
^ Si vous entrez dans les cuisines, où Ton voit réduit en
art et en méthode le secret de flatter votre goût et de vous
faire manger au delà du nécessaire*, si vous examinez en
détail tous les apprêts des viandes qui doivent composer le
festin que Ton vous prépare ; si vous regardez par quelles
mains elles passent, et toutes les formes dififérentes qu'elles
prennent avant de devenir un mets exquis, et d^arriver à
cette propreté et à cette élégance qui charment vos yeux,
vous font hésiter sur le choix et prendre le parti d^essayer
de tout; si vous voyez tout le repas ailleurs que sur une
table bieç servie, quelles saletés! quel dégoût! Si vous
allez derrière un théâtre, et si vous nombrez les poids, les
roues, les cordages, qui font les vols et les machines ; si
vous considérez combien de gens entrent dans Texécution
de ces mouvements , quelle force de bras, et quelle exten-
sion de nerfs ils y emploient, vous direz : Sont-ce là les
principes et les ressorts de ce spectacle si beau, si naturel,
qui paraît animé et agir de soi-même? vous vous récrierez:
Quels efforts 1 quelle violence! De même, n'approfondissez
pas la fortune des partisans.
^ Ce garçon si frais, si fleuri, et d'une si belle santé, est
seigneur d'une abbaye et de dix autres bénéfices ' z tous
ensemble lui rappgrtent^six «vingt mille livres de revenu,
dont il n'est payé qu'en médailles d'or *. Il y a ailleurs six
vingts familles indigentes qui ne se chauffent point pendant
rhiver, qui n'ont point d'haJ^its pour se couvrir, et qui sou-
1. Tels que priearés ou chanoinies. Les bénéfices soot des charges spl«
rituelles , accompagnées de revenus.
3. L^auteur ayait cru d'abord deToir expliquer sa pensée, et, dans la
i'« édition , il avait écrit en marge : Louis d'or. Par la suite, cette anno-
tation lui sembla inutile et disparut. — Six vingts (c'est-à-dire cent vingt)
se disait awsi couramment que quatre-vingts.
DES BIENS DE FORTUNE. 101
vent ix3anqnent de pain ; leur pauvreté est extrême et hon-
teuse. Quel partage ! Et cela ne prouve-t-il pas clairement
un avenir * ?
^ Chrysippe^ homme nouveau, et le premier nohle de sa
race, aspirait, il y a trente années, à se voir un jour deux
mille livres de rente pour tout hien : c'était là le comble
de ses souhaits et sa plus haute ambition; il l'a dit ainsi,
et on s'en souvient. Il arrive, je ne sais par quels chemins,
jusques à donner en revenu à Ti^ne de ses filles , pour sa
dot, ce qu'il désirait lui-même d'avoir en fonds pour toute
fortune pendant sa vie. Une pareille somme est comptée
dans ses coffres pour chacun de ses autres enfants qu'il
doit pourvoir, et il a un grand nombre d'enfants : ce n'est
qu'en avancement d'hoirie*; il y a d'autres biens à espérer
après sa mort. Il vit encore, quoique assez avancé en âge,
et il use le reste de ses jours à travailler pour s'enrichir.
^ Laissez faire Ergaste^ et il exigera un droit de tous
ceux qui boivent de l'eau de la rivière, ou qui marchent'
sur la terre ferme ; il sait convertir en or jusques aux ro-
seaux, aux joncs et à l'ortie. Il écoute tous les avis, et pro-
pose tous ceux qu'il a écoutés. Le prince ne donne aux au-
tres qu'aux dépens d'Ërgaste, et ne leur fait de grâces que
celles qui lui étaient dues*. C'est une faim insatiable
d'avoir et de posséder ; il trafiquerait des arts et des scien-
ces, et mettrait en parti jusques à l'harmonie ^. 11 faudrait,
s'il en était cru, que le peuple , pour avoir le plaisir de le
voir riche, de lui voir tme meute et une écurie, pût perdre
le souvenir de la musique à^Orphée, et se contenter de la
sienne.
^ Ne traitez pas avec Otton, il n'est touché que de ses
seuls avantages. Le piège est tout dressé à ceux à qui sa
charge, sa terre, ou ce qu'il possède, feront envie : il vous
imposera des conditions extravagantes. Il n'y a nul ména-
gement et nulle composition à attendre d'un homme si
1. Une vie fature.
2. C'est-à-dire par anticipation sur ce qui dpU leur revenir dans sa auc-
cession.
3. Molière, le Misanthrope^ II, v :
Et Von ne donne emploi, charge ni bénéfice.
Qu'à tout ce qu'il se croit on ne fasse injustice.
4. Il afifermerait aux partisans, pour qu'ils en tirent un impôt, jusqu'à la
musique.
lOâ CHAPITRE VI.
plein de ses intérêts et si ennemi des Titres t îl inilant nne
dupe.
% BrorUin^ dit le peuple, fait des retraites , et s'enferme
huit jours avec des saints ' : Us ont leurs médmt^ons, pt il
a les siennes.
% Le peuple souvent a le plaisir de la* tragédie; il ¥oit
périr sur le théâtre du monde les personnages les plus
ndieux, qui ont lait le plus de mal dans direrses scènes , et
qu'il a le plus halJs.
Y Si Ton partage la vie des P. T. S. en deux portions
égales» la première, Yive et agissante, est tout pceupée à
Touloir affliger le peuple , et la seconde, voisine de la mort,
à se déceler et à se rainer les uns les autres.
^ Cet homme qui a fait la fortune de plusieurs, qui a fait
la tôtre, n'a pu soutenir la sienne, ni assurer avant sa mort
celle de sa femme et de ses enfants : ils vivent cachés et
malheureux. Quelque bien instruit que vous soyez de la
misère de leur condition, vous ne pensez pas à Tadcacir;
vous ne le pouvez pas en effet, vous tenez table, vous bft-
tissez; mais vous conservez par reconnaissance le portrait
de votre bienfacteur *, qui a passé, à la vérité, du cabinet
à Tantichambre : quels égards I il pouvait aller au garde-
meuble.
^ Il ^ a une dureté de complexion; il y en a une autre
de condition et d'état. L'on tire de celle-ci, comme 4® la
première, de quoi s'endurcir sur la misère des autres, di-
rai-je mè^e de quoi ne pas plaindre les malheurs de sa fa-
mille t Un bon financier ne pleure ni ses amis, ni sa femme,
ni ses enfants.
Y Fuyez, retirez-vous ; vous n?étes pas assez loin, -r Je
suis, dites- vous, sous Tautre tropique. — Passez sous le pèle
et dans Pautre hémisphère ; montez aux étoiles, si vous le
pouvez. — Wj voilà. — Fort bien, vous êtes en sCireté. Je
découvre sur la terre un homme avide, insatiable, inexq-
1. Atm des bonmiM Téritabfementpfenx.
2. a Peu se servent aujourd'hai de ces mots bienfacteur^ himfiiciriety
écrit Tauteur des Sentimente critiques sur U» Caracitreê as M. de la
Bruyère (i70i). Ceux qui se piquent de bien parler prononcent bienfaiteur
et récrivent. » Quoi qu'en dise le critique qe la Bruyère, le P. Bouhours
et Patru, qui se piquaient de bien parler, tenaient encore pour bienfacteur
et Uen^trioe. chacune des formes bienfacteur^ btef^aieteur et bienfait
teur avait ses partisans.
DES BISNS DK FORTUNE 103
nble, qui veiit, aux dépens de tout ce qui $0 trouvera tnr
son cbeimîn et à sa rencontre, etqaoi(|u41 en puisse ôeûtér
aux autres, pourToin à )ui seul, grossir sa fortune, et regor-
ger de b|en.
9 Faire fortune est pne si belle phrase, et qai dit une si
bonne chose, qu'elle est d'un usage universel : on la recon-
naît dans toutes les langues; elle platt aux étrangers et aux
barbares ; elle règne à la eour et à la ville ; elle à pérôé leÉt
doîtres et franchi le^ murs des abbajres do Tun et de Tautré
sexe : il n'y a point de lieux saerés où elle n^ait pénétré,
point de désert ni de solitude où elle soit inconnue;
% A force de £ûre de nouveaux contrats, ou de sentir son
argent goossir dans ses coffres, on se oroit enfin une bonne
tdtë, et presque capable de gouverner.
% il faut une sorte d'esprit pour faire fortune, et surtout
une grande fortune : ee n^st ni le bon, ni le bel esprit, ni
le grand, ni le Sublime, ni le fort, ni le délicat j je ne sais
préei$ément lequel e^e^t, et j*attéàds que quelqu'un veuille
m'en instruire.
Il faut moins d'esprit que d'habitude ou d'expériènee pour
laire sa fortune ; lV>n y songe trop tard^ et quand enfin l'on
s'en avise, l'on commence par dès fautes qfue 1-on B*à pas
toujours le loisir de réparer : de là Vient peut-être aue les
fortunes sont si rares.
Un homme d'uti petit génie peut vouloir s^vancer : il né-
glige tout, il ne pense du matin au soir, il ne rêve la nuit,
qu'à une seule chose , qui est de s'avancer. Il a commencé
de bonne heure, et dès son adolescence, à se mettre dans
les voies de la fortune : s'i} trouve ui;e bjitrière de front
qui ferme son passage, il biaise naturellement, et va à àvoH*
ou à gauche, selon qu'ij y voit de jour et d'apparence; et
prendre d'autres mesures; son intérêt, l'usage, les conjonc-
ture» le dirigent, F^ut-il dosfi grw^s isimtsk «t uu^ «i bpQne
i. Les écrivaiDi da dix-septièyne lièclf diseQt wwenl 4 4*oi$ 9$ à
gauche :
L'un à droit j l'autre à gaacbe, et courant Taiitenent.
(Boileau, aêiir# it.)
104 CHAPITRK YI.
tète à UD Tojageur pour suivre d'abord le grand chemin
et, s'il est plein et embarrassé, prendre la terre et aller à
travers champs, puis regagner sa première route, la con-
tinuer, arriver i son terme? Faut-il tant d'esprit pour aller
à ses fins ? Est-ce donc un prodige qu'un sot riche et accré-
dité?.
Il y a même des stupides, et j'ose dire dés imbéciles % qui .
se placent en de beaux postes et qui savent mourir dans
l'opulence, sans qu'on les doive soupçonner en nulle ma-
nière d'y avoir contribué de leur travail ou de la moindre
industrie ; quelqu'un les a conduits à la source d'un fleuve,
ou bien le hasard seul les y a fait rencontrer*; on leur a
dit ; t Youles-vous de Teau ? puisez , » et ils ont puisé.
^ Quand on est jeune , souvent on est pauvre : ou l'on
n'a pas encore tait d'acquisitions, ou les successions ne sont
pas échues. L'on devient riche et vieux en même temps,
tant il est rare que les honmies puissent réunir tous leurs
avantages I et si cela arrive à quelques-uns, il n'y a pas de
quoi leur porter envie : ils ont assez à perdre par la mort '
pour mériter d'être plaints.
^ Il faut avoir trente ans pour songer à sa fortune ; elle
n est pas faite à cinquante : l'on bâtit dans sa vieillesse , et
l'on meurt quand on en est aux peintres et aux vitriers.
^ Quel est le fruit d'une grande fortune, si ce n'est de
jouir de la vanité , de l'industrie , du travail et de la dé-
pense de ceux qui sont venus avant nous, et de travailler
nous-mêmes , de planter, de bâtir, d'acquérir pour la pos-
térité?
^ L'on ouvre et l'on étale * tous les matins, pour tromper
son monde, et l'on ferme le soir, après avoir trompé tout le
jour.~
^ Le marchand fait des montres ^ pour donner de sa mar-
chandise ce qu'il y a de pire; il a le catî " et les faux jours
afin d'en cacher les défauts et qu'elle paraisse bonne; il la
1. Imbéeilê s'employait cbaqoe Jour avec le sens da. latin imbêdllii: « le
sexe imbécile,» dit Corneille en parlant des femmes ; m l'enfance la plus im-
bécile, » dit Bossnet. n semble donc qu'au dix-septième siècle, plus encore
qu'aujourd'hui, la gradation devait exiger que ce mot vint le premier.
2. Les y a fnt trouyer, les y a conduits.
3. L'on ouvre sa boutique et l'on étale sa marchandise.
k. Fait des étalages.
fi. Le eati est an apprêt qui donne du lustre aux étoffes
DES BIENS DE FORTUNE. 105
sarfait pour la vendre plus cher qu'elle ne vaut; il a des
marques fausses et. mystérieuses afin qu'on croie n'en don-
ner que son prix , un mauvais aunage pour %il livrer le
moins qu'il se peut, et il a un trébuchef^ afin que oelui à
qui il l'a livrée la lui paie en or qui soit de poids.
^ Dans toutes les conditions , le pauvre est bien proche
de l'homme de bien , et l'opulent n'est guère éloigné de la
friponnerie. Le savoir-faire et Thabileté ne mènent pas jus-
ques aux énormes richesses.
L'on peut s'enrichir dans quelque art , ou dans quelque
commerce que ce soit, par l'ostentation d'une certaine pro-
bité.
^ De tous les moyens de faire sa fortune, le plus court et
le meilleur est de mettre les gens à voir clairement leurs
intérêts à vous faire du bien. f
^ Les hommes pressés par les besoins de la vie, et quel-
quefois par le désir du gain ou de la gloire , cultivent des
ûlents profanes y ou s'engagent dans des professions équi-
voques, et dont ils se cachent longtemps à eux-mêmes le
péril et les conséquences ; ils les quittent ensuite par une
dévotion discrète, qui ne leur vient jamais qu'après qu'ils
ont fait leur récolte et qu'ils jouissent d'une fortune bien
établie.
^ Il y a des misères sur la terre qui saisissent le cœur. Il
manque à quelques-uns jusqu'aux aliments ; ils redoutent
l'hiver, ils appréhendent de vivre. L'on mange ailleurs des
fruits précoces ; l'on force la terre et les saisons pour four-
nir à sa délicatesse : de simples bourgeois, seulement à
cause qu'ils étaient riches ', ont eu l'audace d'avaler en un
seul morceau la nourriture de cent familles. Tienne qui
voudra contre de si grandes extrémités ; je ne veux être, si
je le puis, ni malheureux, ni heureux; je me jette et me
réfugie dans la médiocrité.
^ On sait que les pauvres sont chagrins de ce que tout
leur manque et que personne ne les soulage ; mais s'il est
vrai que les riches soient colères, c'est de ce que la moin-
dre chose puisse leur manquer, ou que quelqu'un veuille leur
résister.
1. Â cause que...» Les grammairiens ont proscrit cette locution ; mais
Pascal, Bossaet, et presque tous les grands écriTains remploient sans
scrupule.
1Û6 CHâPIIIRB VI.
f Qelpi«là est viohe ftd veçoit plus qa*il ne consiime * ;
oeluirlà est pauvre ^ont la éépense ezeède It. recette '.
Tel, aye^denz millions de Tente^ peut être pauyre chaque
année de pinq celft mille livres.
H n'y a riei) qni se soutienne plus lon^emps qu^une mé-
diocre fortune; il n*y a rien dont on Toiè mieux la fin que
d'une grande fortune.
L'occasion prochaine de la pauvreté, e^st de grandes ri-
chesses •.
S^il est vrai que 1-on soit riche de tout ee dont on n'a
pas besoin, un homme fort riche, c'est un homme qui est
sage.
8U1 est vrai que Von soH pauvre par toutes les ehoses que
1?0B désirs, l'ambitieux et Uavare languissent dans une ex-
trôme pauvreté. •
f Les passions tyrannisent l'homme, et l'ambition sus-
pend en lui les autres passions et lui donne pour un temps
les apparences de toutes les vertus. Ce Triplum qui a tous
les vices, je l'ai cru sobre, chaste, libérai, humble et même
dévot) je le croirais encore, s'il n*eùt enfin fait sa for^
tune.
% L'on ne se rend peint sur le désir de posséder et de s'a»
grandir : la bile gagne et la mort approche, qu'avec un
visage flétri et des jambes déjà faibles Von dit : ifa fhrtune^
mon àtabliiiement,
^ Il n'y a au monde que deux manières de sMlever, ou
par sa propre industrie, ou par l'imbécillité des autres.
% Les traits découvrent la eomplezion et les mœurs ; mais
la mine désigne les biens de fortune : le plus ou le moins
dç mille livres de rente se trouve écrit sur les visages.
% Ohry$ante, homme opulent et impertinent, ne veut pas
être vu avec EugàM^ qui est homme dé mérite, mais pau-
vre ; il croirait en être déshonoré. Eugène est peut Ghry-
t. Noiu dirions aqloami'biiii OQnsomiiMf ; pais le diy-«ej|ti|pf; 9i^le,
comme le seizième, a confondu consumer etconsommer,
' 3 Cicéron, Senè(iae ^t d'autres ravalent déjà die, et la Bruyère le
répétera quelques lignes plus bas.
Qui Tit content de rien, possède toute chose. *>
(Boileau, É pitre t, yera S8.)
S. Bxpreisioq t)iéologiçpia C'eft Is richesse qui exposç le plus & la paa-
Treté.
DES BtEMS DE PQKTnHE. 107
sainte daqi le;initoes dispositlom : ^ano couvent [HHir>*^^
Aç sa iiearter.
fi Quand ja vais i^o ner^upa gêna, qui ifi« pfâT^aient
^utrpfois par feois civilités, {attendre au coni^^fP <iue je Jes
^a^VI«, et ep être aveg ipoi sur 1« plus oa sur le moios, ja
dis enmQiTfQSmç : yort YiÇD, j'en suis rayi, tant nùeuf
pour euf ; Tttm veire? çftg cet hotpma^i ait niieçi Iqgé,
fpieux ine^blâ et miaux pou^ qtf'à l'prdiiiuTq ; qu'il spf»
Uiftrë depiUs gtielque; mois 4an» que^qufi a^4ii«, pu \\ aant
ilÉjh fait un gain rai^oima^le. Di^u Teuille gu'il e|^ viei^ne
l^ans pQu de temps jusqu'à pie mépriser.
% Si les psqpës^ , les lÎTres et Isufs auteius d^pgiidal^Qt
des riches et 4fl °eax qui eut ^t iwe belle f^Ttuns, quelle
proscriptiop ! il ^'r aurait plus da rappel'. Cqel tpn, qijei
ascepdapt ÇB pçeuneut'Us pa# pur laa sfï^tf \ Quelle fufir
jesté u'observent-ils pas à l'ëgacd dfi Ces hoipmes çhéHft*
gue {ei)F o>^pte n'a (^ placés ni enrichis, et ^\{\ en font en-
core à penser et ^ éc^n judipieusentent I |l faut li^vgu^f, Ip
présent est pour les riches, ^t l'ayeiiiT pour laf yaftueuz ^t
les ^abilef. flQtff:RB est encore et sera tpiijqi^fsj las rec^
yeuEs de 4^oit«, le^ publiciipE; ne sont pI'Jb; ont-ils dtéT
leur patrie, leurs noms sopVils connusT ; ^rtril eu dans \f,
B-rèc^ des partisans? Que lont deveifus c^ içipartfnis pef^
3|);inaga8 qui mêpri^ient Hao^âre, qui qa sqnge^piit dÀus
la place qu'ji l'éviter, qu^ ne lui randaient P^ \^ ^^^''^i f^^
qu| le saluaient p^f son aaja, gui ne daign^iept pas l'^^so-
çieç à leur t^)e, qip le regardaient comi^q ^p honvnp q^i
n'était pas riche et qui faisait un livra? Que de^^en^rq^t
)e; F|iuconit«(i * ? iront-il^ ai:)^8t )oin in^e la postérité que
D^^PfBTfiS, ni fraiiçaia tt tnorf en Suéde *,
f pu mime fonds 4'CTSneii dont l'on s'^léTe parlent
%11-desans ^e ses ^nférieu;^, l'oçk r^iqpp fileiqgnt deyaiit
1. On, pour mieax dira, d'spptl. Il ttat dira m ajipêUr «1 non •» rop-
Ktêr; tons les graminimen? et leiicognphcs eonl d accord ■urc« point, et
BrqTtrelRi-maniq, aaplu
l t'WHf «l lin vW» (h
PlmiUrd, Je mot » éW refi
ili.lCœoienieeaiHfavà
». Faucooncl élsil le ftri
forinea, »»iPri été juigue-li
t. Beoé DcscirlW, aè ea
holm, oli l'aTail appelé 1» i
108 CHAPITRE VI.
ceux qui sont au-dessus de soi. C'est le propre de ce vice,
qui n'est fondé ni sur le mérite personnel, ni sur la vertu,
mais sur les richesses, les postes, le crédit, et sur de vaines
sciences, de nous porter également à mépriser ceux qui
ont moins que nous de cette espèce de biens, et à estimer
trop ceux qui en ont une mesure qui excède la nôtre.
^ Il y a des âmes sales , pétries de boue et d'ordure,
éprises du gain et de l'intérêt , comme les belles âmes le
sont de la gloire et de la vertu , capables d'une seule vo-
lupté, qui est celle d'acquérir ou de ne point perdre , cu-
rieuses et avides du denier dix S uniquement occupées de
leurs débiteurs, toujours inquiètes sur le rabais ou sur le
décri des monnaies *, enfoncées et comme abîmées dans les
contrats, les titres et les parchemins. De telles gens ne sont
ni parents, ni amis, ni citoyens , ni chrétiens , ni peut-être
des hommes : ils ont de l'argent.
^ Commençons par excepter ces âmes nobles et coura-
geuses, s'il en reste encore sur la terre, secourables, ingé-
nieuses à faire du bien, que nuls besoins, nulle dispropor-
tion , nuls artifices , ne peuvent séparer de ceux qu'ils se
sont une fois choisis pour amis ; et, après cette précaution,
disons hardiment une chose triste et douloureuse à imagi^
ner : Il n'y a personne au monde si bien lié avec nous de
société et de bienveillance, qui nous aime, qui nous goûte,
qui nous fait miUe offres de services et qui nous sert quel-
quefois, qui n'ait en soi, par l'attachement à son intérêt ,
des dispositions très-proches à rompre avec nous et à deve-
nir notre ennemi.
^Pendant qu' Oronte augmente, avec ses années, son
fonds et ses revenus , une fille naît dans quelque famille ,
s'élève, croît, s'embellit et entre dans sa seizième année.
Il se fait prier à cinquante ans pour l'épouser, jeune , beUe,
1. Placer de Targent an denier dix, c'est le placer à dix pour cent, c'est
en retirer un intérêt qui vaille le dixième du capital.
3. La crainte que le gouvernement ne supprimât on ne réduisit telles
ou telles monn&ies, troublait de temps à autre les gens d'affaire et sus-
pendait les transactions. En 1679 une déclaration royale avait réglé le
cours des monnaies, décriant le» une?, réduisant les autres. L'annonce d'une
nouvelle réglementation fut souvent faite par la suite. « On croit toujours
être ici, écrit Racine en 1698, à la veille d'un décri, et cela cause le plub
grand désordre dn monde. » — Les pièoes décriées n'avaient plus cours
qu'en raison de leur poids.
DES BIENS DE FORTUNE. 109
Spirituelle : cet homme sans naissance, sans esprit et sans
le moindre mérite, est préféré à tous ses rivaux.
^ Le mariage, qui devrait être à l'homme une source ie
tous les biens, lui est souvent, par la disposition de sa for-
tune, un lourd fardeau sous lequel il succombe. C'est alors
qu'une femme et des enfants sont une violente tentation à
la fraude, au mensonge et aux gains illicites ; il se trouve
entre la friponnerie etTindigence : étrange situation!
Epouser une veuve, en bon français, signifie faire sa for-
tune; il n'opère pas toujours ce qu'il signifie.
f Celui qui n'a de partage avec ses frères ' que pour vivre
à l'aise bon praticien*, veut être officier*; le simple officier
se fait magistrat, et le magistrat veut présider^; et ainsi de
toutes les conditions où les hommes languissent serrés et
indigents, après avoir tenté au delà de leur fortune et forcé ,
pour ainsi dire, leur destinée , incapables tout à la fois de
ne pas vouloir être riches et de demeurer riches.
^ Dîne bien, CléarqWy soupe le soir, mets du bois au
feu, achète un manteau, tapisse ta chambre : tu n'aimes
point ton héritier; tu ne le connais point, tu n'en as
point.
^ Jeune, on conserve pour sa vieillesse ; vieux, on épargne
pour la mort. L'héritier prodigue paie de superbes funé-
railles, et dévore le reste.
% L'avare dépense plus mort, en un seul jour, qu'il ne
faisait vivant en dix années; et son héritier plus en dix
mois, qu'il n'a su faire lui-môme en toute sa vie.
^ Ce que Ton prodigue, on l'ôte à son héritier; ce que
l'on épargne sordidement, on se l'ôte à soi-même. Le milieu
est justice pour soi et pour les autres.
f Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères
et, réciproquement, les pères à leurs enfants, sans le titre
d'héritiers.
% Triste condition de l'homme, et qui dégoûte de la vie!
il faut suer, veiller, fléchir, dépendre , pour avoir un peu
de fortune, ou la devoir à l'agonie de nos proches. Celui
1. Celai qai n*B de forinne patrimoniala.
3. Avocat ou procureur.
3. Acheter un office dans une cour.
4. Devenir président.
110 CHAPITRE TI.
qui s'empéehe de sooliaiter que son père f passe ^ biettt6l
est homme de bien.
% Le caractère de celui qui reut hériter de quelqu'un
rentre dans celui du complaisant : nous ne sommes point
mieUx flattés } inieux obéis ^ plus suiris^ ifixïs éfitoùrës, plus
chltivés, plus ménagés, plus carëssfes de personne pendant
notre vie; que de celui qui creit gftgner à notre tnort et qui
désire qu'elle àrri?e.
% Tous les hommes i par les t)0St6S diflSreuts, par Ibs
titres et par les successions , se reifirâent comme héHtiëH
les uns des tutrbs^ et cultivent par cet intérêt, pendant tôiit
le cours de leur Tie> un dësir secret et ënrelôppé de la mbh
d'àutmi : le )>luk heureux; dans chaque condition^ est eëlui
qui a plus de ehoseï à perdre par sa mort et à laisser à sdâ
successeur
t L'bn dit du jeu ^\x'û égale leé boilditioiid$ mm elles
se trouvent qtlelquefbis si ëtrSn^enieût disproportionnées,
et il y a entre telle et telle eonditioh un abtmë d'iiitertaile
si immense et si profond; qtie les yeux souffrent de TOir de
telles éxtrëmitës se ràpprbbhéif * : c'est coiiiifae Une ititisiquè
--. . * . . , . . qm
nous rendent bai'bâi*és à Tauti'ê partie dii monde, et que
leis Drîëntàux ^ùi tièûnèttt jtisqu'â nôiis rfeiripbrtedt stir
leurs tablettes : je Hé doute paô même (}ùé bët excès de
familiarité ne les rebute davantage (}ué liôus hë sbxhmes i>lës-
sêH dé ISilf Mihûgi * hï de leurs autrei prosteifiiations.
qdi avait eié laqUaiB; jonait âreé ïésipl Us grands seigneurs^ avant çîépiQ
qtt'il n0 fût devenu un t)ersbnDigo. liorin le Jaif, Joueur fiim«kitj vô^nfl
toutes les maisons s'ouvrir devant lui ; forcé de quitter la France, il était
allé jouer en Angleterre chei la duchesse de Mazarin. Une femme qui don-
nait à jouer, fût-elle do plus grand monde, recevait volontiers tous les
joueurs, de quelque condition quMls fassent. On s'in^agine.majaiséineitt, da
reste, quel ae^ré de {Mission avait atteint l'âmdur au jêa. ftU mbmë^t o^
la Bruyère écrivaiu Ce fut bientôt l'une des plu§ difi^cilës ttcbes de la p6^
lice que de réprimer les abus et les scabdiiies qu) k%u éoiVirent.
S. Les ambassadears qui paraissaient devant le roi dé SilUil sl^^Atcbâient
DES BIINS DE FORTUNE. 111
^ Une tenae d'fitats \ bu les chambres* assemblées pour
une affaire très*capitale, n'offrent point aux yeux rien * de
si grave et de si sérieux qli'Uiie table de gens qui jouent
un grand jeu : une triste sévérité règne sur leur yisage ;
implacables l'iin pour Tautre, et irréconciliables ennemis
pendant que la séatlee dure , il& ne l'econnaissent plus ni
liaisons, ni alliance, ni naissance, ni distihétions : le hasard
seul) aveugle et farouche divinité, préside au cercle, et y
décide soiiyerainement ; ils Fhonorent tons par un silence
profond, et par une attention dont ils sont partout ailleurs
fqrt inisapables; toutes les passiodâ , comme suspendues^
cèdent à une seule : le courtisan alors n'est ni doùx^ iii
flatteur, ni complaisant, ni même dévot t .
^ L'on ne reconnaît plus en ceux qlie le jeu et le gain
ont illustrés la moindre trace de leur première condition i
ils perdent de vue leut^ égaux, et atteignent les plus grands
seigneurs. 11 est vrai que la forfcutie dû dé ou du lansquenet
le^ remet souyent où elle les a pris.
% Je ne m'étonne pas qu'il y ail des bt^ans publicSi
d^ Im galle d'aud^e/içç en «e .tratnapt à ij^noai^ aq milieu te iiian<inriDi
prosternés, et faisaient à une certaine distabçeoDe profonde ioclinatioa
qiii Sb nominal la g'ombmyi; é*avàhçartt ufa péti plus près, t< ujBotv a g&!
noas^ i\» frap^aiept iruis ioja la terre (|e leur froutt, M'ayjançaièQt enconi
faisaient la uoibaye. puis àitenaaient que le roi leur parlât. Ce cérémonial
était QD peu ibré^l pbar lëd adibasaddelirë Beé sda^ëralUs loiiiohà'nu, niaiV
epçore oç^a'f^yaniiaieijt^ils qa'eq rampant ^ar lears^ genoux; M. dé CHaapia^Q
eliVoyë èh ambasiiaac auprès dû ix)i de Siam p&r Louis XIY en 1685. refusa
de dire les prôsternktibns baBitùélléè, et Ait le )|ireibièr àmbaBÂfcdéiir qai
parut, deb'iut( devauf lui. ( Yoyagi d« Siim^ gar le P, TMb&rd,) ^ ,
I. Les États, âBséinblées qui dans ceriaihés provinces réglaiedt l'impôt.
t. Léê cbàtcitirés du Parlement.
cine e^ c«ll^de Molière loi-même, elle offeusaU déjà les oreilles des puristea
Iwsqu'èlfô s'écriait :
fet tous Yok biaîix dictons ne si^rvéist pa$ 2e rien.
Là pbras'é de la fihiyère a toutefois trouvé grâce devant les critiQues de
soii tetiii^, et faohft attrioiis tort d'èil>e piâs ri^dreui ijti'ilà ne l'oUt été. Il
est à remarquer que dans cette phrase, le mot ritn conservé aatUrtfiient sa
valeur primitive. îtien, qui vient de rem, n'est point par lui-même une ova-
tion : ga (itethièt'b iki^niëéstiéii est quelqvi9 CMse; tinlc^biè, et c'est tànidt
en vertu d'une ellipse, tantôt par suite d'un usage qui est contraire à l'éty*
moloKie, qu'en certains cas il a pris de lui-même une signification négative.
{[iquement, deux manières ds paiiar j)àrfaiiemehi éqdivatentés.
112 CHAPITRE VI.
comme autant de pièges tendus à TaYarice des hommes,
comme des gouffres où l'argent des particuliers tombe et se
précipite sans retour, comme d'affreux écueils où les joueurs
viennent se briser et se perdre ; qu'il parte de ces lieux des
émissaires pour savoir à heure marquée qui a descendu à
terre avec un argent frais d'une nouvelle prise, qui a ga-
gné un procès d'où on lui a compté une grosse somme, qui
a reçu un don, qui a fait au jeu un gain considérable, quel
fils de famille vient de recueillir une riche succession, ou
quel commis imprudent veut hasarder sur une carte les
deniers de sa caisse. C'est un sale et indigne métier, il
est vrai, que de tromper ; mais c'est un métier qui est an-
cien, connu, pratiqué de tout temps par ce genre d'hommes
que j'appelle des brelandiers. L'enseigne est à leur porte,
on y lirait presque : Ici Von trompe de bonne foi ; car se
voudraient-ils donner pour irréprochables? Qui ne sait
pas qu'entrer et perdre dans ces maisons est une môme
chose? Qu'Us trouvent donc sous leur main autant de
dupes qu'il en faut pour leur subsistance , c'est ce qui me
passe.
^ Mille gens se rainent au jeu, et vous disent froidement
qu'ils ne sauraient se passer de jouer : quelle excuse 1 T
a-t-il une passion, quelque violente ou honteuse qu'elle soit,
qui ne pût tenir ce môme langage ? Serait-on reçu à dire
qu'on ne peut se passer de voler, d'assassiner, de se pré-
cipiter *? Un jeu effroyable, continuel, sans retenue, sans
bornes, où Pon n'a en vue que la ruine totale de son ad«
versaire, où l'on est transporté du désir du gain , déses-
péré sur la perte, consumé par l'avarice, où l'on expose
sur une carte ou à la fortune du dé la sienne propre, celle
de sa femme et de ses enfants, est-ce une chose qui soit
permise ou dont Ton doive se passer? Ne faut-il pas quel-
quefois se faire une plus grande violence, lorsque, poussé
par le jeu jusques à une déroute universelle, il faut môme
que l'on se passe d'habits et de nourriture, et de les four-
nir à sa famille?
Je ne permets à personne d'être fripon ; mais je permets
1. Ot ? Dans le y\ce et le déBordre, sans doute. En souvenir du sens qu'a
quelquefois le mot praecvp* en latin, l'auteur attribue à Texpression m pr^-
ciptlsr une Taleur qu'elle n'a jamais eue.
Df:S BIENS DE FORTUNE. 113
à un fripon de jouer un grandjeu: je le défends à un hon-
nête homme. C'est une trop grande puérilité que de s'ex-
poser à une grande perte.
T[ Il n'y a qu'une affliction qui dure, qui est celle qui
vient de la perte de hiens : le temps, qui adoucit toutes les
autres, aigrit celle-ci. Nous sentons à tous moments, pen-
dant le cours de notre vie, où le bien que nous avons perdu
nous manque.
^ Il fait bon avec celui qui ne se sert pas de son bien à
marier ses filles, à payer ses dettes, ou à faire des contrats,
pourvu que Ton ne soit ni ses enfants ni sa femme.
1[ Ni les troubles, Zénobie *, qui agitent votre empire, ni
la guerre que vous soutenez virilement contre une nation
puissante depuis la mort du roi votre époux, ne diminuent
rien de votre magnificence. Vous avez préféré à toute autre
contrée les rives de TEuphrate pour y élever un superbe
édifice : l'air y est sain et tempéré, la situation en est riante ;
un bois sacré l'ombrage du côté du couchant. Les dieux de
Syrie, qui habitent quelquefois la terre, n'y auraient pu
choisir une plu3 belle demeure. La campagne autour est
couverte d'hommes qui taillent et qui coupent, qui vont et
qui viennent , qui roulent ou qui charrient le bois du Liban,
Tairain et le porphyre; les grues* et les machines gémissent
dans l'air, et font espérer à ceux qui voyagent vers l'Arabie
de revoir à leur retour en leurs foyers ce palais achevé,
et dans cette splendeur où vous désirez de le porter avant
de l'habiter, vous et les princes vos enfants. N'y é{)argnez
rien, grande reine ; employez-y l'or et tout l'art des plus
excellents ouvriers ' ; que les Phidias et les Zeuxis de votre
siècle déploient toute leur science sur vos plafonds et sur
vos lambris ; tracez-y de vastes et délicieux jardins, dont
l'enchantement soit tel qu'ils ne paraissent pas faits de la
main des hommes ; épuisez vos trésors et votre industrie
sur cet ouvrage incomparable ; et après que vous y aurez
mis, Zénobie, la dernière main, quelqu'un de ces pâtres qui
bie,
aux
à Rome et parut dans le triomphe'qui célébra sa défaite.
2. Macbmes pour élever les pierres.
8. Voyez page 33, note 2.
114 CHAPITRE VI.
habitent les sables voisins de Palmyre, devèna riche par les
péages de vos rivières, achètera un jour à deniers comp-
tants cette royale maison , pour Temibellir et la rendre plus
àigne de lui et de sa fortune *.
^ Ce palais, ces meubles, ces jardins, ces belles eaux,
vous enchantent et vous font récrier d^une première vue'
sur une maison si délicieuse, et sur Pextrèmë bonheur du
maître qui la possède. Il n^est plus ; il n'en a pas joui si
agréablement ni si tranquillemetit que vous : il n'y a jamais
eu un jour serein, ni une nuit tran^quille; il s'est noyé de
dettes pour la porter à ce degré de beauté où elle vous
ravit. Ses créanciers Ten ont chassé : il a tourné la tête, et
il Ta regardée de loin une dernière fois; et il est mort de
saisissement.
f L'on ne saurait s'empêcher de voir dans certaines iair
milles ce qu'on appelle les caprices du hasard ou les jeux
de la fortabe. Il y a cent ans qu'on ne parlait point de ces
familles , qu'elles n'étaient point : le ciel tout d'un coup
s'ouvre en leur faveur ; les biens, les honneurs, les dignités,
fondent sur elles à plusieurs reprises ; elles nagent dans la
prospérité. Eumolpef Tan de ces hommes qui n'ont point de
grands-pères, a eu un père du moins qui s'était élevé si
haut, que tout ce qu'il a pu souhaiter pendant le cours
d'une longue vie , c'a été de l'atteindre ; et il Ta atteint.'
Était-ce dans ces deux personnages émînence d'esprit, pro-
fonde capacité? étaient-ce les conjonctures? la fortune enfin
ne leur lît plus ; elle se joue ailleurs, et traite leur postérité
comme leurs anaètres*
^ La cause là plus immédiate de la ruine et de la déroute
des personnes des deux conditions, de la robe et de l'épëe,
est que l'état ^ seul, et non le bien, règle la dépense.
% Si vous n'avez rien oublié pour votre fortune , quel
travail ! Si vous avez négligé la moindre chose, quel re-
pentir!
f GiUm a le teint frais, le visage plein et les joues pen-
i. Cet âoqaeiit paitage ett INui de cens que ^on a l« plot admirés. « Si
Ton examine aToc attentioii tous les détaMa de ce beau tablead, dit Snàrd,
on verra que feat y est préparé, dispoaé avec on art ioftnl pour produire ùk
grand effet. » ^ . vf
2. Dès le premier coup d'œil.
S. Le rang, la condition.
DES BIENS DE FOBTUNE. 115
dantes, l'œU fix« et assuré) les épaulça lasges, l'estomao
l^sut, la démarche ferme et délibéxéa. Il parle avec con*
fiance; il &it répéter celui qui Teutretient, et il ne goûte
que médiocrement tout ce qu*il lui dit. Il déplcûe un aa^ple
iQOUOhoir, et se mouche ayeo grand bruit; il eraohe fort
Ipin, et il étemue fort haut. Il do^ le jour, il dort la nail)
et pffo&kndément; il ronfle en compagnie, il occupe à tabla
et à. la promenade plus de place qu-un autre; il tient la
qulieu an se promenant avec ses égaux; îl etoète, etlVm
s'arrête; il oontinue de marches, et Ton marcha; tons sa
règlent ^r lui. H interrompt, il redresse ceux qui put la
parole; on ne l'interrompt pas, on récoute aussi longtemps
qu'à veut parler; on est de son avis, «n oroit les noiiT>eItea
qu'il débita. S'il s^assied, vous le TOjes enfoncer dans oh
fauteuil, croiser les jambes l'une sftir l'autna, froneer la
SQurcil, abaisser son chapeau sur ses yeux panr ne voim
p^d^onne, op le relayer ensuitçi , et déçoi:^vrir soa l^nl pAr>
fierté ^t par audace. II est enjqu^, grand rieur, ixpj^^yjjbaa^t»
pré^cmptueiu, colàçe, libertin % politiqu^e, my^tériei^ ffa^
les affaires du temps ; il se croit des tiadents et de Vufti^iii*
n est riche.
Phédûn a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec
et le visage maigre : il dort peu, et d*un sommeil fort léger;
il est abstrait, rêveur, et Ù a ^yec de Tesprit l'air d*un
stupide : il oublie de dire ce qu'il sait, ou de parler d'évé-
nements qui lui sont connus; et s'il le fait quelquefois, il
s'en tire mal; il croit peser à ceux à qui il parle; il conte
brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter^ il ne
lait point rire : il applaudit, il sourit à eé que lés iiulres
lui disent, il est de leur avis; il court, il vole pour leos
rendre de petits services ; il est complidsant, flatteur, èm^
pressé; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois men-
teur; il est superstitieux , sompuletix, tkaide ; il marche
doucement et légèremaat, il seon)^ craindre de fouler la
t. Un homme libertin était ira homme ennemi de ]a contrafnte, raiwi
I& définition dé Bonhoaiis; mai$ ce Hhbt' MtC ^riii; dunfj iâ àli^cofrae'^rm
dn dix-eeptième siècle, uiKe acception j^articdliè'rè, et é'appMqnalt atjii^ ^t
que l'on accosait d'irréligion - -»
le le soupçoAne encor d'être on peu l^ertin!
le ne remarque pas qu'il bante les église».
(Molière, U Tartvft^ 11, ii.)
116 CHAPITRE Vn.
torre; il marche les yeux baissés, et il n'ose les lever sur
ceux qui passent. U n'est jamais da nombre de ceux qui
forment un cercle pour discourir ; il se met derrière celoi
qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire
si on le regarde. U n'occupe point de lieu, il ne tient
point de place; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé
sur ses yeux pour n'être point vu ; il se replie et se ren-
ferme dans son manteau : il n'y a point de rues ni de ga-
leries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne
trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans
être aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur
le bord d'un siège ; il parle bas dans la conversation, et il
articule mal; libre néanmoins sur les affaires publiques S
chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des mi-
nistres* et du ministère. Il n'ouvre la bouche que pour
répondre ; il tousse , il se mouche sous son chapeau ; il
crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour
étemuer, ou, si cela lui arrive, c'est à l'insu de la compa-
gnie; il n'en coûte à personne ni salut ni compliment. Il
est pauvre.
CHAPITRE vu.
DE LA VILLE.
L'on se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez-
vous public , mais fort exact, tous les soirs, au Cours ' ou
aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprou-
ver les uns les autres.
L'on ne peut se passer de ce même monde que Ton
n'aime point, et dont l'on se moque.
L'on s'attend au passage réciproquement dans une pro-
t. Librt néanmoins aoee w$ amif, dan« la tf* éditioo, la première qai con-
tienne ce caractère. U est possible que ces trois derniers mois aient dis-
paru par une faute d'impression, sans que l'auteur s^n soit aperçu.
2. C'est-à-dire en faveur des ministres.
3, Le Cours-la- Heine, le long de la Seine, promenade qui est comprise au-
jourd'hui dans les Cliamps-Ëlysée!?. « Cette promenade, écrit Brice en 1685,
amène en été tout ce qu'il y a de beau monde à Paris : on y compte jusqu'à
sept ou huit cents carrosses qui se promènent dans le plus bel ordre, m
DE LA VILLE. 117
menade publique* ; Ton y passe en revue Pun devant l'au-
tre : carrosse, chevaux, livrées, armoiries, rien n'échappe
aux yeux, tout est curieusement ou malignement obsefvé;
et, selon le plus ou le moins de Téquipage, ou Ton res-
pecte les personnes, ou on les dédaigne.
f Dans ces lieux d'un concours général *, où les femmes se
rassemblent pour montrer une belle étoffe, et pour recueillir
le fruit de leur toilette, on ne se promène pas avec une
compagne par la nécessité de la conversation ; on se joint
ensemble pour se rassurer sur le théâtre', s'apprivoiser
avec le public, et se raffermir contre la critique : c'est là
précisément qu'on se parle sans se rien dire, ou plutôt
qu'on parle pour les passants, pour ceux mêmes en faveur
de qui l'on hausse sa voix ; Ton gesticule et l'on badine,
l'on penche négligemment la tête» l'on passe et l'on re-
passe.
^ La ville est partagée en diverses sociétés, qui sont comme
autant de petites républiques, qui ont leurs lois, leurs usa-
ges, leur jargOD, et leurs mots pour rire. Tant que cet as-
semblage est dans sa force, et que l'entêtement^ subsiste,
l'on ne trouve rien de bien dit ou de bien fait que ce qui
part des siens, et l'on est incapable de goûter ce qui vient
d'ailleurs*; cela va jusques au mépris pour les gens qui
ne sont pas initiés dans leurs mystères. L'homme du monde
d'un meilleur esprit*, que le hasard a porté au milieu
d'eux, leur est étranger : il se trouve là connue dans un
pays lointain, dont il ne connaît ni les routes, ni la langue,
ni les mœurs, ni la coutume' ; il voit un peuple qui cause,
bourdonne, parle à l'oreille, éclate de rire, et qui retombe
ensuite dans un morne silence; il y perd son maintien, ne
1. Vincennes.
2. Les Taileries, par exemple.
3. Poor se donner plus d'assuraoee sur le théâtre où Ton tient )ouer une
sorte de rôle.
4. L'engouement opiniâtre, la passion obstinée. — Molière, daaa les
Femmes savantes^ Ml, ii ;
J'aime la poésie aTec entêtement,
ft. Molière, Im Femmes eavantee,, III, ii :
Nul n'aura d'esprit, hors nous et nos amis.
6. C'est-à-dire l'homme qui a le meilleur esprit du monde.
7. La législation que l'usage a introduite dans le pays. En jorisprudenee,
on opposait la coutume au droit écrit, à la loi.
118 CBA^tTRE VU.
troQYe pas où placer un seul mot, et n*a pas même de quoi
écouter. 11 né manque jamais là un mauvais plaisant qui
domine, et qui est comme le héros de là société : côlui-ci
s'est chargé de la joie des autres, et fait toujours rire
avant que d'avoir parlé. Si qûelquefbis une femme survient
qui n'est poiht de leurs plaisirs, la bande joyeuse ne peut
comprendre qu'elle ne sache point iîre des choses qu'elle
n'entend point, et paraisse insensible à des fadaises qu'ill^
n'ent^ndwit eux-mômes que pa^ce qu'ils lés ont faites : ils
W lui pardonnent ni son ton de voii, ni soft silence, ni sa
taille, ni son visage, ni soii habillement, ni son entrée, ni
la maniée dont elle est sortie. Deux années cependant ne
passent point sur une môme coterie*; il 7 a toujours, dèé
la première année, des semences de division pour rompre
dan^ celle qui doit suivre : Tintërêt de la beauté, les inci-
dents du jeu, l'extravagance des repas, qui, modestes au
commencement, dégénèrent bientôt en pyramîdeé dé viâudes
et en banquets somptueux^ dérangent la république, et lui
portent enfin le coup mortel : il n'est en fort peu de temps
non plus parlé de cette iMition que des mouchés de Tànnéè
passée.
f II y a dans la ville la grande et la petite robô*; et là
première se venge sur l'autre des dédains de là cour, et
des petites humiliations qu'elle y essuie. De savoir quelles
çont leurs limites^ où la ^rfttide finit, et où la petite com-
menoe^ ce n'est pas une chose facile. 11 $è trouva ihême uii
porps considérable qui refuse d'être do second ordre, et i
qui.ron conteste le premier; il ne se rend pas néanmoins,
U. obérée au contraire, par là gravité et par la dépensé, a
s'égaler à la magistrature, ou ne lui cède qu'avec peiné :
on l'entend dire que la noblesse de son emploi, l'indépen-
dance de sa profession, le talent de la parole et le mérite
personnel, balancent au moins les sacs de mille francs que
le fils dd p^niisàh bu du bàh(|tiiet à sU paye^ pour sou
office*.
^ Vous moquez-vous de rêver en carrosse, 'dà peut-être
1. Originairement, une coterie était Viné toef été de tillageois ^ai tenaient
en commun les terres d'un 3Qigneuf. *L.e mot prit au dix- septième siècle le
aens qae nous lui donnoû's aujoùrdliui.
2. Outre les magistr&is^ ta tube coitil^t'étiait éhcoirto téis atocatâ et l'es pro«
careots) ti^urd'hui les atoaéa. L» eorpâ ebdBidér&ble dont il s'agit plus bas
est celui des avocats.
DE LA YILLC. 119
de Toas y reposer? Viu^ prenez YOtre livre du yos papiers,
lisez, ne saluez qu'à peine ces ^ens qui passent dans leur
équipage ; ils vous en croiront plus occupé ; ils diront : c Cet
homme est laborieux, infatigable ; il lit, il trayaille jusque
dans les rues ou sur la route. » Apprenez du moindre avo^
cat qu'il faut paraître accablé d'affaires, froncer le sourcil^
et rôver à rien très-profondément ; savoir à propos perdre
le boire et le manger; ne faire qu'apparoir' daiis sa mai-
son, s'évanouir et se perdre comme un fantôme dans le
sombre de son cabinet ; se cacher au public, éviter le
théâtre, le laisser à ceux qui ne courent aucun risque à s'y
montrer, qui ea ont à peine le loisir, aux GtomonS) aux
DUHAMELS*.
^ Il y a un certain nombre de jeunes magistrats que lei$
grands biens et les plftisirs ont associés à quelques-uns de
ceut qu'on nomme à la coût* de petits maitres : ils les imi«
tent, ils se tiennent fort aunlessus de la gravité de la robe,
et se croient dispensés par leur âge et par leur fortuné
d'être sages et modérés. Ils prennent de la cour ce qu'elle
a de pire : ils s'approprient la vanité^ la mollesse, Tintem-
pérance, le libertinage, comme ^i tous ces vibes leur étaient
dus; et, tôectant ainsi un caractère éloigné de celui qu'ils
ont à soutenir, ils deviennent enfin,^ selon leurs souhaits,
des copies fidèles de très-méch«its Originaux.
^ Un homme de robe à la ville, et Te même à la^eour^ ce
sont deux hommes. Revenu chez soi^ il reprend ses mœurs,
sa taille et son visage, qu'il y avait laissés : il n'est plus ni
si embarrassé , ni si honnête '.
If Les Crispins sè cotisent et rassemblent dan$ leur fa-
mille jùsques à six chevaux pour allonger un équipage qui^
avec un essaim de gens de livrée où ils ont fourni chacun
leur part, les fait triompher au Cours ou à Yincennes, et
aller de pair avec les nouvelles mariées, avec Jason^ qui se
ruine, et avec Thrason^ qui veut se xharier et qui a consi-
gné*.
1. Appctrùir, poar apparaître, terme de palais^ dottt l^titear se Sert ici
plaisamment.
2. Gomon,Dnhamel^ célèbres avocats.
3* Ni si poli.
k. Déposé son argent au trésor public pour une grande chUrge (Note â$
la Bruyère). — Pour unegrcmde charge, c'est-à-dire pour payer un oilQce
. important qu'il \çut acbettir*
120 CHAPITRE VII.
% Xentends dire des Sanmions : c Même nom, mêmes ar«
mes; la branche atnée, la branche cadette, les cadets de la
seconde branche; » ceux-là portent les armes pleines*,
ceux-ci brisent un lambel *, et les autres d'une bordure den-
telée '. Ils ont avec les Bourbons, sur une même couleur,
un même métal^; ils portent, comme eux, deux et une** :
ce ne sont pas des fleurs de lis, mais ils s'en consolent;
peut-être dans leur cœur trouvent-ils leurs pièces aussi ho-
norables, et ils les ont communes avec de gprands seigneurs
qui en sont contents : on les voit sur les litres * et sur
les vitrages, sur la porte de leur château, sur le pilier de
leur haute justice, où ils ^viennent de faire pendre un homme
qui méritait le bannissement ; elles s'offrent aux yeux de
toutes parts ; elles sont sur les meubles et sur les serrures;
elles sont semées sur les carrosses. Leurs livrées ne désho-
norent point leurs armoiries. Je dirais volontiers aux Sau-
nions : c Votre folie est prématurée ; attendez du moins que
le siècle s'achève sur votre race ; ceux qui ont vu votre
grand-père, qui lui ont parlé, sont vieux, et ne sauraient
plus vivre longtemps. Qui pourra dire comme eux : Là il
étalait, et vendait très-cher? »
Les Saunions et les Crispins veulent encore davantage
que Ton dise d'eux qu'ils font une grande dépense, qu'ils
n'aiment à la faire. Ils font un récit long et ennuyeux d'une
fête ou d'un repas qu'ils ont donné; ils disent l'argent qu'ils
ont perdu au jeu, et ils plaignent' fort haut celui qu'ils
1. Les ataés portent les armes pleines de leur xnaisou; lear éca est d*ane
pièce, sans brisure, sans division.
2. Toute pièce d'armoiries que les cadets ajoutent à l'écu est une brisure.
Briser d'un lambel , c'est charger l'écu d'un lilet, garni de {wndanls, qui se
place au chef, c'est-à-dire en tête de l'écu.
S. La bordure est une brisure qui est placée au bord de l'ccn et en fait )•
tour.
k. Les couleurs de blason, ou émaux, sont au nombre de cinq : gueules
ou le rouge; azur ou le bleu; sinople on le vert } sable ou le noir, et enfin le
pourpre. Les métaux sont 1 or et Targent, c'est<à-dire le jaune et le blanc.
5. C'est-à-dire : leur écu est charge de trois pièces d'armoiries, dont deux
sont vers le chef et une vers la pointe, comme les trois fleurs de lis de France.
6. La litre est une bande noire sur laquelle les seigneurs fondateurs ou
patrons d'une église, et les seigneurs haut justiciers avaient droit de faire
peindre leurs écussons.
7. Us regrettent. Corneille, Horace, II, m ;
J'aime ce qu'il me donne et je plains ce qu'il m'ûte.
Boileau, éplire v, vers 63 :
Que Dion âme, en ce jour de joie et d'opalence,
D'an superbe convoi plaindrait peu l'opulence!
DE LA VILLE. 121
n'ont pas songé à perdre. Ils parlent jargon et mystère sur
de certaines femmes; ils ont réciproquement cent choses
plaisantes à se conter; ils ont fait depuis peu des découvertes;
ils se passent les uns aux autres qu'ils sont gens à belles
aventures. L^un d'eux, qui s'est couché tard à la campagne,
et qui voudrait dormir, se lève matin, chausse des guêtres,
endosse un habit de toile, passe un cordon où pend le four-
nimeiit, renoue ses cheveux, prend un fusil : le voilà
chasseur, s'il tirait bien. Il revient de nuit, mouillé et re-
cru', sans avoir tué. Û retourne à la chasse le lendemain,
et il passe tout le jour à manquer des grives ou des per-
drix.
Un autre, avec quelques mauvais chiens, aurait envie de
dire : Ma meute** Il sait un rendez-vous de chasse, il s'y
trouve; il est au laisser-courre*; il entre dans le fort, se
mêle avec les piqueurs; il a un cor. Il ne dit pas, comme
MénaUppe : Ai-je 'du plaisir* ? il croit en avoir. Il oublie
lois et procédure : c'est un Hippolyte. Ménandre, qui le vit
hier sur un procès qui est en ses mains, ne reconnaîtrait
pas aujourd'hui son rapporteur. Le voyez-vous le lendemain
à sa chambre, où Ton va juger une cause grave et capitale? .
il se fait entourer de ses confrères, il leur raconte comme
il n'a point perdu le cerf de meute, comme il s'est étouffé
de crier après les chiens qui étaient en défaut, ou après
ceux des chasseurs qui prenaient le change ; qu'il a vu don-
ner les six chiens. L'heure presse ; il achève de leur parler
des abois et de la curée, et il court s'asseoir avec les autres
pour juger.
^ Quel est l'égarement de certains particuliers qui, riches
du négoce de leurs pères* , dont ils viennent de recueillir
1. Fatigaë.
2. Dorante, dans les Fdcheua de Molière, H, m :
Dieu préserve, en chassant, toute sage personne....
De ces gens qui. suivis de dix houreis galeux,
Disent : ma meuUy et font les chasseurs merveilleux t
3. Le laisserHîourre est le lieu oti l'on découple les chiens. Cowrrs^ andeii
infinitif du verbe rourtr.
4. M. de Nouveau, surintendant des postes, qui venait d'acheter un équi-
page de chasse, courait an jour le cerf. « Ai-je bien du plaisir ? » demanda-
t-il & son veneur. Le mot devmt célèbre, et Mme de Sé^igné l'a répété après
bien d'autres.
i. Quoique fils de meunier, encore blanc du moulin.
(Boileau, ÈgiU V, vers %V)
122 CHAPITRE Vn.
la succession, se mouleat ïar les priBce> po^' 1^^' f aide-
robe et pour leur équipage, excitent, par une dépense ex*
cessiTO et par un faste ridicule , les traits et la raillerie de
toute une ville qu'ils ôroient éblouir, et se ruinent ainsi à
se faire moquer de soi!
Quelques-uns n'oot pas même le triste avantage de ré->
pândre leurs folies ' plus loin que le quartier où ils habi-
tent ; c'est le seul théâtre de leur vanité. L'on ne sait point
dans rUé* qn* André baille au Marais^ et qu'il f dissipe son
patrimoine : du moins, s'il était coUnu dans toute la ville
et dans sesfaubourgs^ il serait difôicile qu'entre un si grand
nombre de citoyens qui ne savent pas tous juger sainement
de toutes choses, il Hé s'en trouvât quelqu'un qui dirait de
lui : Il est magnifique^ et qui lui tiendrait compte des régals
qu'il fait à Xante et à Jn'âlofi, et des fêtes qu'il donne k
ÉUmire : mais il se ruine obscurément; ce n'est qu'en fa-
veur de deux ou trois personnes, qui ne l'estiment points
qu'il court à l'indigence, et qu'aujourd'hui en carrosse^ il
n'aura pas dans six mois le moyen d'aUer à pied.
% Narcisse se lève le matin pour se coucher le soir; il i^
ses heures de toilette comme une fem&e; il va tous les
jours fort réguliètement à là belle messe aux Feuillants ou
aux Minimes ; il est homme d'un bon conimerce^ et l'on
compte sur lui au quartier de *** pour un tiers ou pour uiK
(Huquième & l'hombre ou au réversi '; Là il tient le fauteuil
quatre heures de suite bhez Aricie^ où il risque chaque soir
cinq pistôles d'or*; il lit exactement la Gazette de Hol-
lande * et le Mercure galant ; il a lu Bergerac *, Des Marets ',
{. Le bruit dio leurs foliM.
2. Dans l'île Saint-Louis.
3. Jeui de caries.
4. La pistole d'or valait, d'ordinaire, onze livres.
5. Gazette qui se publiait en Hollande, et oti Ton parlait librement à» la
cour de Versailles.
6. Cyrano de BergerAe^ auteur de VBistoirè cofniçiM des Étati âê la lune
et du soleil, de la tragédie d*Ayrifpine^ de la comédie du Pédant j^ué. Mo-
lière a t'ré du Pédant jùixé deux scéneB des Fourberiee de Scapin; Il mou-
rut en 1655. , . . . .
7. Desmarets de Sàiiit-Sorliîi (1596-1676), auteur de plusieurs tragi-co-
médies, de la Cjomédie. «aiirique. des f^iistonnotr^, dupoëmQ de CfoviÂ, de
divers romans et de plusieurs ouvrages dç dévotion, pairmi lesquels un pbëme
qui a pour titre : Xta Piramenades de Ricl^elieu ofi les vertus chréiiennes. et
qui contient des sèirnioiis en vers sur tu foi, l'espérance et la charité, suivis
de la description du château de la ville de Richelieu. Il fut l'un des premiers
agresseurs des anciens dans la qdëretle des anciesi eC dM modernes, et rao
des plu« ardents adverMires des Jansénistes.
DE LÀ VILLE. 123
L«£rclaché% lies Historiettes de Barbin*, et ^ueiques
iPecueils de poésies. Il se promène avec des femmes k
là Plaine* ou au Cours, et i} est d'une ponctualité reli-
gieuse sur les visites. U fera demain ce çii'il fait aujour-
d'hui et ce qu'il fit hier; et il meurt ainsi après avoir
vécu.
% Voilà un homme, dites-vous^ que j'ai vu quelque part :
de savoir où, ii est difâcile ; mais son visage m'est faini-
Ker.— ^ Il Test à bien d'autres ; et je vais, s'il se peut, aid^r
votre inéméire. Sst-ce au boulevard* sur un strapontin*,
ou atDc Tuileriies dans la grande allée, ou dans le balcon à
la comédie? Est-ce au sermon, au bal, à Rambouillet*? Où
pourriez-vouS ne l'avoir point vu? où n'est-il point? S'il y
a dans la place une fameuse exécution, ou un feu de joie,
il parait à une fenêtre de l'Hôtel de Ville ; si l'on attend
une magnifique entrée, il a sa plaee sur un échafaud;
s'il se fait un carrousel, lé voilà entré, et placé sur l'amphi-
théâtre ; si lé rdi reçoit des ambassadeurs, il voit lei^r mar-
che, il assiste à leur audience, il est en haie quand ils re-
viennent de leur audience. Sa présence est aussi essentielle
aux serments des ligues suisses que celle Ôh ctancélier et
des ligues mêmes'. C'est son visage que l'on voit aux al-
manachs représeiitef le peuple 6u l'assiétàncè'. Il f %ùne
i; Louis dé L«»clActaé, intettr d^un traité cor I& réforme éeVùriograft
franceze. d'un Cours de philosophie eccpliqnée en tablée^ etc.
!l . bfirbin, eéïèbire Ubr aire, cbek lequel se Teudaieut qunniité d'hietoriettei
)^Ù0 le pubtlc nommait dëft Bàrbinadiss:
3. Il i*agU ^Ahs duuie dé là pUiuô des Sablons.
%. Au bôufôVàrd de )a porte saint-Antoine; ,
5. Petit siège que l'on place sur le devant d'un oaurrou* eonpé^ oa va
ipûTtières danl lés girainâs carrossèi.
6. Va^te Jardin, qui était sitaé danft 1» faubourg Saint-Antdine, et que l'on
bOfiimait aussi Jardin db Reuiliy ou jardin déa Quatre- PaviliDos. Le finan-
icier Mlùdlaà de HambonlUet^ pfeté do po^ta Antoine de Ramboaillat delà
Sablière, l'aTait fait planter bt dëailfiBr & ^rattdê frais. « On 7 Tient en
foule bôttr fc't divertir, i» dit sauvai.
7. C'ekt-à-olt^ ant cérénioalbe dana Ibftquelles était renouvelée ,l'«llianee
dé la fraittié avec léâ suisieft. Le chancelier j ou ëelui qui le remplaçait » y
M))OHdaît II \é. haHintoié de^ àmbassadburt dbs cantonti, «t libait la fôriBule
Ma serment que ptétait tbaeun d'eux et 4n6 réfiétàit le roi; La dernière
a{{tanc0 avait eu lieu le 18 novembre i66i. . .
S. M SoM LottU XIV, on poblildt chaque àbnée pour ahnànacb de trè»-bellea
et de i^ëà-gr&ndes èfiiartipës, desBinéeë et graTéds par les meilleure artistes.
Là se trbuvbht représentés, par allégorie, lea événeinents de l'année pas-
sée. Les rois, les princes, les généraux, les grands dignitaires figurent or-
dinairement dana le champs principal de ce$ estampes et sont très-ressem<
blatitfe. t^lus bas sont dés pot-traits d'échevins.ou de personnage» du tiers
état, qui regardent 18 troi; c'est tepeiipift ou VûisiêicMûr. Stkr lea côtés, dea
124 CHAPITRE Vn.
châsse pablique, VLneSainUHubert\ le voilà à cheval; on
parle d'un camp et d'une revue, il est à Quilles, il est à
Achères*. Il aime les troupes, la milice, la guerre; il la
voit de près, et jusques au fort de Bemardi', Ghahlet sait
les marches*, JACQurER les vivres*, Du Metz l'artillerie* :
celui-ci voit, il a vieilli sous le hamois en voyant, il est
spectateur de profession ; il ne fait rien de ce qu'un homme
doit faire, il ne sait rien de ce qu'il doit savoir; mais il a
vu, dit-il, tout ce qu'on peut voir, et il n'aura point de re-
gret de mourir. Quelle perte alors pour toute la ville I Qui
dira après lui : « Le Cours est fermé, on ne s'y promène
point ; le bourbier de Yincennes est desséché et relevé, on
n'y versera plus? » Qui annoncera un concert, un beau sa-
lut', un prestige de la foire ? Qui vous avertira que Beau-
mavielle mourut hier, que Rochois est enrhumée * et ne
chantera de huit jours? Qui connaîtra comme lui un bour-
geois à ses armes et à ses livrées? Qui dira : c Scapin porte
des fleurs de lis, » et qui en sera plus édifié ? Qui pronon-
médailloDs représentent les batailles, les fêtes, les événements de l'année:
et plus bas encore est un espace blanc oti l'on collait un calendrier imprime
de l'année. » (Walckenaer. )
1. Tous les ans, à la Saint-Hubert, le roi et la cour prenaient part à une
graiMe chasse dans les forêts Toisioes de Versailles.
2. Houilles, village situé à trois lieues de Versailles, auprès duquel
Louis XIV passait fréquemment des revues. Les troupes du roi campaient
souvent dans la plaine d'Achères, village qui est également situé h quelques
lieues de Versailles.
3. Bernardi était le directeur d'une académie dans laquelle les jeunes
gentilshommes venaient apprendre le métier des armes. Il faisait, tous les
ans, construire auprès du Luxembourg un fort qu'use partie de ses élèves
devait défendre et qu'une au ire partie devait attaquer. Cette petite guerre
attirait un grand nombre de curieux.
k. Jules-Louis Bolé, marquis de Chamlay, fils d'un procureur, était maré-
chal des logis de l'armée du roi. Personne ne savait mieux indiquer les che-
mins que les troupes devai«nt suivre, les campements qu'elles devaient occu-
per, les emplacements qu'elles devaient choisir pour le combat. « C'est une
carte vivante, » disait de lui le maréchal de Luxembourg.
S. Jaequier, munitionnairedes vivres et secrétaire du roi. k Jacquier étoit
unique pour les vivres, » dit dans ses mémoires l'abbé Legendre , qui ré-
pète cette phrase de Turenne souvent rappelée par les contemporains :
« Qu'on me donne Chamlay, Jacquier, Saint-Hilaire et trente mille hommes
de vieilles troupes, il n'y a point de puissance que je ne force à se sou-
mettre. » Jacquier mourut en 168%.
e. Pierre-Claude Berbier de Mets, lieutenant général d'artillerie, tué le
i*' juillet 1690 à la bataille de Fleurus. Il avait commandé l'artillerie à
presque tous les sièges auxquels le roi avait assisté. Louis XIV le tenait en
grande estime.
7. Voyez, dans le chap. De quelqws usages, la définition d'un beau salut.
S. Beaumavielle, célèbre basse-taille de l'Opéra, était mort depuis quel-
ques années. Ulle Rochois chantait avec grand succès à l'Opéra.
DE LÀ VILLE. 125
oera avec plus de vanité et d'emphase le nom d'une simple
bourgeoise? Qai sera mieux fourni de vaudevilles? Qui
prêtera aux femmes les Annales galantes et le J<mrnal
amoureux ? Qui saura comme lui chanter à table tout un
dialogue de VOpéra, et les fureurs de Roland* dans une
ruelle ? Enfin, puisqu'il y a à la ville comme ailleurs de
fort sottes gens, des gens fades, oisifs, désoccupés, qui
pourra aussi parfaitement leur convenir?
^ Théramène était riche et avait du mérite; il a hérité; il
est donc très-riche et d'un très-grand mérite. Voilà toutes
les femmes en campagne pour l'avoir pour galant, et toutes
les filles pour épùxtëeu/r. Il va de maison en maison faire es-
pérer aux mères qu'il épousera. Est-il assis, elles se reti-
rent pour laisser à leurs filles toute la liberté d'être aima-
bles, et à Théramène de faire des déclarations. Il tient ici
contre le mortier*; là il efface le cavalier' ou le gentil-
homme. Un jeune homme fleuri, vif, enjoué, spirituel,
n'est pas souhaité plus ardemment ni mieux reçu ; on se
l'arrache des mains, on a à peine le loisir de sourire à qui
se trouve avec lui dans une même visite. Combien de ga-
lants vart-ii mettre en déroute ! quels bons partis ne fera-t-il
pas manquer! Pourra-t-il suffire à tant d'héritières qui le
recherchent? Ce n'est pas seulement la terreur des maris,
c'est l'épouvantail de tous ceux qui ont envie de l'être, et
qui attendent d'un mariage à remplir le vide de leur consi-
gnation^. On devrait proscrire de tels personnages si heu-
reux, si pécunieux, d'une ville bien policée, ou condamner
le &exe, sous peine de folie ou d'indignité *, à ne les traiter
pas mieux que s'ils n'avaient que du mérite.
^ Paris, pour l'ordinaire le singe de la cour, ne sait pas
toujours la contrefaire; il ne l'imite en aucune manière
dans ces dehors agréables et caressants que quelques cour-
tisans, et surtout les f enmies, y ont naturellement pour un
1. Roland^ opéra de Quinaalt et de Lulli.
2. Cooire un président à mortier. Le mortier était la toque de yelours,
que portaient les présidents du parlement. Le mortier du premier pré-
sident avait deux galons d'or; celui des présidents de chambre n'en avait
qu'un. — Le chaucelier portait également un mortier, qui était de toile d'or
bordée d'hermine.
3. L'homme d'épée.
k. Qui attendent qu'une dot remplisse dans leur caisse le vide qu'y a fait
Facquisition d'une charge.
5. SoUs peine d'être convaincu de folie ou déclaré indigne.
W6 CHAPITIUB va.
hoinmt de méiilet et <pû a^« nâmt %ii« du nérita : •Bas ne
a^infoiment ni de ses contrats * ni de ses ancêtres ; elles le
trouvent à la ço^r, cela leur suffit; elles le souffrent, elles
restiment; elles ne demandent pas s'il est repu en chaise
ou i iued, s'il a une ctiarge, une terre oq un équipage :
C99iuie elles ¥«^jrgeut de train^ de splendeur et de digni-
té, elles se délassent TolQD^ers aV^o la philosophie ou la
Tertu. Une femme de. T^lle §ntend-^e le tM^uissement d'un
carrosse qui ^'srréte à {» pQVtei elle pc^e 4e goût et de
QOTOJlaisance pq^r qui^9qpe eyt dedans, aa^s le connaître ;
mais 9i elle a tvi 49 sa le.n^re un bel attelage, beaucoup de
liyvéee, et que plusieurs rangs de cious parls^tomei^t dorés!
raient éblouie, quelle impatience nVt-edle pas de ?oir déjà
d^ns sa chambre le caYidifv ou le magistrat t quelle çhar^
•nante récep^on ne lui fera-t-elle point? dtera-t-^e les jeux
de dessjis lui'? Il ne perd rien auprès d'elle; on lui tient
cpmpte des doubles ^upeutes et des- ressorts qui le font
rçuleir. plus moUem^t i oUe J^en estime 4^Tautage, elle l'en
aime mi^z.
% Gei^ fatuité de quelques femmes de la ^îtte qui cause
en elles uue mauyaise imitation de ceUea de la cour, est
quelque chose de pire que la grossièreté des léxiiunfis du
peuple et que la rusticité des YiUageoises : ^e a sus toutee
deux l'affectation de. plus.
% La subtUe in^^entlon, de faire de magnifiques présent^
de noces qui ne cot^tent «leu, et qui dfivent être retidus eu
espèces ^ t
f Ji'utile et la loual^le pratique, de perdrf en frais de
noces le tiers de la dot qu'vme feimme apport^ 1 de com-
mencer par s-appauvrir de concert par Pâmas et Tent^
sèment de chpses superflues, et de prendre déjà sus
sou iouds de quçi pejer fiaultiesf, les meubles et la
toilette I
1. De Vétat de ses affaires, de sa fortune.
8. li'efs d^âidoVéi fortbSî^nt lÀ pt^dpate ornemeotatlon des carrosses*
yalt laBruyèfl^. Bossus et é^saus ne sb/)tùlus Uxihtè êip^&ffy qùë ^èotemè
aSverlfté» dans la'bëednde partie dti aiï-seimèmtrsfàcle: '^' ' '' '^
%. Il s'agit des présents qae le fatur envoie à sa flancée et «rae noo^ gom-
mons aujoard'hai la corbeille. Du temps de la Brayère, 'duelQues jeunet
^ns, véritables fHponli, ùvafent émpmiié K dés iôaîtlitrrs coropkfsants fee^
bijoux qu'ils uvaient otï«rts à leurs fiancées, puis les avAîeut reâdùs après ïe
mariage. , # .
DE Ul VItLS. 127
^Pénible ooatame, asservissement incommode ! seclier-
cher incessamment les unes les autres avec P impatience de
ne se point rencontrer * ; ne se rencontrer que pour se dire
des riens, que pour s^pprendre réciproquement' des choses
dont on est également instruite, et dont il importe peu que
l'on soit instruite; n'-entrer dans une chambre précisément
que pour en sortir ; né sortir de chez soi l'après-dtnée que
pour 7 rentrer le soir, fort satisfaite d^avoir vu en cinq
petites heures trois suisse», une femme que lH)n oonnatt I
peine, et une autre cpie l'on n*aime guère 1 Qui considére-
rait bien le prix du temps, et combien sa perte est irrépa-
rable, pleurerût amèrement sur de si grandes misères.
^ On ^'élève à la yille dans une indiâérence grossière des
choses rurales et champêtres ; on distingue à peine la plante
qui porte le chanvre d'avec celle qui produit le lin, et le
blé froment d*avec les seigles*, et l'un ou l'autre d'avec lé
méteil : on se contente de se nourrir et de s'habiller. Né
parlez à un grand nombre de bourgeois ni de guérets, nî
de baliveaux, ni de provins, ni de regains ^ si vous vouleî
être entendu; ces termes pour eux ne sont pas français.
Parlez au$ uns d^aunage^, de tarif, ou de sou pour livre i^, et
aux autres de voie d'appel, de requête civile, d^appointe-
ment, d^évocation*. Us connaissent le monde, et encore
1. Allusion aax visites qu'échangeaient les femmes.
i, Le iQotbl^, qui » |adta déngiifl tootf les gnUns, a*ap^qaait égatemMit
an froment et au sei^e. Oliver d& Serres, aa sei;$ième ^ifolet 4it 1« pur blé
ftoment lorsqu'il Teut distinguer le premier do second. Le ff-'oment et lé
seigle Bout encore appeMb les grands blés, et l'or^ et l%yfl&ûé tes petiu blé«
Le luélaoge du froment et diu çeigle forme le méieH.
31 ùvéretf terre labodrée et non ensemencée. — Les bciîiveaux sont les
vitres que l'on r^erfielors de la coc^ des bois et qui fiftut desfiiiéfi àderenii^
des arbres ^ baute (utaie. Réserv^ lo^s d'une seconde co^pe, Ua d«yi.eii
nent des tnodtemes ; aptes Une troisième coupe, x)n les' tiûmme de>s àricieru.
4. Les étoffes se mesuraient à l'aune, mesure de 8 pieds 7 ponces 10 lignes
5. lï y avait sur les marchandises une imposition qui se nommait alna!
ei qm tii^i^ du vip|;tiim« de leur valeur.
«. t^jç^es de <koA- L» Tfq^éU eivik («'esit-j^-dir^ requête polie) est uoo
vQ^'e çxtraoxdip&ir« W laquelle ou pent, en certains cas, W!ir« rétracter,
par les juges mêmes qui l'ont prononcé, un arrêt rendu en dernier rea>
son. — VappoinUtnmt eut, « «n généra), un jugement prép>art^toire pat
lequel le juge, pour mieux s'instruire ^uJl^e afairç, ordonu^ que ie^ parties
la discuteront par écrit devant lui. » ~ VévocaUofn est •< l'action d'^ter an
juge ordinaire la connaissance d*ane contestation e^ de coulérer & d'autres
jages ie pouvoir de la décider. » (Merlin.)
128 CHAPITRE VU.
par ce qu'il a de moins beau et de moins spécieux * : ils
ignorent la nature, ses commencements, ses progrès, ses
dons et ses largesses. Leur ignorance souvent est volon-
taire, et fondée sur l'estime qu'ils ont pour leur profession
et pour leurs talents. Il n'y a si yil praticien qui, au fond
de son étude sombre et enfumée, et Tesprit occupé d'une
plus noire chicane, ne se préfère au laboureur, qui jouit du
ciel, qui cultive la terre, qui sème à propos, et qui fait de
riches moissons ; et s'il entend quelquefois parler des pre*
miers hommes ou des patriarches, de leur vie champêtre et
de leur économie, il s'étonne qu'on ait pu vivre en de tels
temps, où il n'y avait encore ni offices, ni commissions, ni
présidents, ni procureurs; il ne comprend pas qu'on ait
jamais pu se passer du greffe, du parquet et de la buvette*.
^ Les empereurs n'ont jamais triomphé à Rome si mol-
lement, si commodément, ni si sûrement même, contre le
vent, la pluie, la poudre et le soleil, que le bourgeois sait
à Paris se faire mener par toute la ville : quelle chstance de
cet usage à la mule de leurs ancêtres ! ils ne savaient point
encore se priver du nécessaire pour avoir le superflu, ni
préférer lo faste aux choses utiles. On ne les voyait point
s'éclairer avec des bougies', et se chauffer à un petit feu :
la cire était pour l'autel et pour le Louvre. Ils ne sortaient
point d'un mauvais dîner pour monter dans leur carrosse;
ils se persuadaient que l'homme avait des jambes pour
marcher, et ils marchaient. Ils se conservaient propres
quand il faisait sec, et dans un temps humide lis gâtaient
leur chaussure, aussi peu embarrassés de franchir les rues
et les carrefours que le chasseur de traverser un guéret,
ou le soldat de se mouiller dans une tranchée. On n'avait
pas encore imaginé d'atteler deux hommes à une litière^;
il y avait même plusieurs magistrats qui allaient à pied à
la chambre ou aux enquêtes*, d'aussi bonne grâce qu'Au-
i. Spécieuœ est ici pris eu bonne part, comme tpecionu Test sonrent en
latin.
2. « Lieu établi dans tontes les cours et juridictions, oti les conseillers
vont prendre un doigt de vin quand ils sont trop longtemps en l'exercice
de leurs charges et où ils parlent aussi de leurs affaires communes.» (Dtcf.
de Trévoux,)
8. L'usage de la chandelle de cire, que Ton fabriquait à Bougie, surlac6te
d'Afrique, était encore d'un grand luxe.
4. A une chaise à porteur».
5. A la chambre dfts enquêtes.
DE LA VILLE. 129
giiste autrefois allait de son pied au Gapîtole. L'étain, dans
ce temps, brillait sur les tables et sur les buffets, comme le
fer e{ le cuivre dans les foyers ; l'argent et Tor étaient dans
les coffres. Les femmes se faisaient servir par des femmes; on
mettait celles-ci jusqu'à la cuisine. Les beaux noms de gou-
verneurs et de gouvernantes n'étaient pas inconnus à nos
pères : ils savaient à qui l'on confiait les enfants des rois
et des plus grands princes; mais ils partageaient le servica
de leurs domestiques avec leurs enfants', contents de veiller
eux-mêmes immédiatement à leur éducation. Ils comptaient
en toutes choses avec eux-mêmes : leur dépense était pro-
portionnée à leur recette ; leurs livrées, leurs équipages,
leurs meubles, leur table, leurs maisons de la ville et de la
campagne, tout était mesuré sur leurs rentes et sur leur
condition. Il y avait entre eux des distinctions extérieures
qui empêchaient qu*on ne prtt la femme du praticien pour
celle du magistrat, et le roturier ou le simple valet pour le
gentilhomme. Moins appliqués à dissiper ou à grossir leur
patrimoine qu'à le maintenir, ils le laissaient entier à leurs
héritiers, et passaient ainsi d'une vie modérée à une mort
tranquille. Ils ne disaient point : Le siècle est dur^ la misère
est grande^ Vargent est rare; ils en avaient moins que nous,
et en avaient assez, plus riches par leur économie et par
leur modestie que de leurs revenus et de leurs domaines.
Enfin 4'on était alors pénétré de cette maxime, que ce qui
est dans les grands splendeur, somptuosité, magnificence,
est dissipation^ folie, ineptie, dans le particulier.
CHAPITRE vm.
DE LA COUR.
Le reproche, en un sens, le plus honorable que Ton puisse
faire à un homme, c'est de lui dire qu'il ne sait pas la
cour : il n'y a sorte de vertus qu'on ne rassemble en lui
par ce seul mot.
1. CeM'à-ilire que l«ars en&nts n'avaient d*aatreft domestiqDes que les
leart.
9
130 CHAPITRE Vni.
^ Un homme qui sait 1^ cour est oiattre de son geste, do
ses yeux et de son visage ; il est profond, inipéoétrable ; il
dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, con-
traint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur,
parle, agit contre ses sentiments. Tout ce grand raffinement
n'est qu^un vice, que Ton appelle fausseté ; quelquefois
aussi inutile au courtisan pour sa fortune que la franchise,
la sincérité et la vertu.
% Qui peut nommer de certaines couleurs changeantes,
et qui sont diverses selon les divers jours dout* on les re-
garde"? de môme, qui peut définir la cour?
% Se dérober à la cour un seul moment, c'est y renon-
cer : le courtisan qui Ta vue le matin la voit le soir, pour
la reconnaître le lendemain, ou afin que lui-même y soit
connu.
% L'on est petit à la cour, et, quelque vanité quQ Tou ait,
on s'y trouve tel ; mais le pial çst commun, et les grands
mêmes y sont petits.
^ I.a province est l'endroit d'où la cour, comme dau9 §Qa
point de vue, parait une chose admirable : si l'on s'en ap-;
proche, 9es agréments diminuent cpmm^ çeu^ d'une per-
spective que Ton voit de trop près,
^ L'on s'accQutume difficilement ^ une. vie qui se passç
dans UU9 antichambre, dans des cours, ou sur l'escalier.
^ La cour ne rend paa content; elle empêche qu'on ^o
le soit ailleurs.
% 11 faut qu'un honnête homme ait tâté de la cour : U
découvre en y entrant, comme un nouveau monde qui lui
était inconnu, où il voit régner également le vice et la
politesse, et où tout lui est utile, le bon et le mauvais.
1. Dont a ea, dans la pensée de l'antenr, laTaleor de d'où. Les grammairioDa
ont biàmé l'emploi da mot dont eu pareille circonstance; les meilleun
écriyains cependaiU en ont fait usage, au propre comme au figuré, sans ad-
meiii-e les oistinctions auront Tourn ét&bllr k cet égard Vaagelas et ses
successeurs. Corneille, Nicomède, v, 2 :
Le mont ÂYentin
Donf il TauraitTU (aire qpe t)orr)t)le descente....
Badne, Bajçiztt, u, 1:
Rentre dans le néant dont Je t'ai fait sortir.
Les exemples abondent au seizième, au dis-septième et même au dix-
huitième siècle. L'ét^mologie peut les justifier, aoù étant calqué sur de
ybiy et dont sur de unde : iaiin barbare, mais c'est sur le latin de la plue
infime latinité que s'est en grande partie formée notre langue.
DE LA COUR. 131
% Lft Gour est comme im édifice bâti de marbiç : je yeux
dire qa'elle est composée d'hommes fort durs, mais fort
polis.
% L'on Ta quelquefois à la cour pour en reyenir, et se
faire par U respecter dvi nobl^ de s^ proyiuce, ou de soû
diocésain *•
% le brodeur et le confiseur seraient superflus^ et ne fe*
raient qu'upe montre inutile *^ si Toq était mo4este et sobre :
les CQurs seraient désertes, et les roi^ presque seuls, si Ton
était guéri 4e la yanité et de Pi^térêt. Les hommes yeulent
être esi^aves quelque part, et puiser là de quoi dominer
ailleurs- Il semble qu'oQ liyre en gros aux premiers de la
cour Tair de hauteur, de fierté et de commandement, afin
qu'ils le distribuent en détail dans les proyinces : ils font
précisément comme on leur fait, yrais singes de la royauté.
^ Il n'y a rien qui enlaidisse certains courtigans comme
la présence du prince t à peine les puis-je reconnaître k
leurs yisages ; leurs traits sont altérés, et leur contenanee
est ayilie ; les gens fiers et superbes SPQt les plus défaits,
car ils perdeDt plus du leur. Celui qui est honnête et rno*
deste s'y soutient mieux ; il n'a rieu 4 réfprixv^r.
% L'air de cour est contagieux ; il se prend à V*'^*%
comme Taccent normand à Rouen ou à Falaise ; on reotrQ'*
yoit en des fourriers, en de petits contrôleurs, et en des
chefs de fniiterie^ : Ton peut, ayec une portée d'esprit fort
médiocre, y faire de grands progrès. Un homme d'un génie
éleyé et d'un mérite solide ne fait pas assez de cas de cette
espèce de talent pour faire son capital* de l'Ôtudier et se le
rendre propre; il l'acquiçrt 3%as réfleadpp, et il ne pense
point à s'en défaire. .
1[ N*** arriva avec graAd bruit : écjirte I9 jnonde, se
t . Ou de révèqae de son diocède.
3. Oavriraieo^ inutilement leur |)OUti(^iie. La montre est l^étalage que fait
le marchacd.
3. A Versailles.
4. Les fourriers, placés sou^ les ordres des maréchatti des logis, mar«
quaient les logis pour le roi el U cour, quand le roi iroyageait. Les contrô-
leurs ordonnaient, sarreillaient et vérifiaient les dépenées de bouche de la
maison du roi. Les chefs dé fruiterie, qui avaient eessé, d^bis le règne de
Louis XIII, de fournir le fruit de la table du ro!, dtspoaaient le dessert-
fouruissaient les bougies de cire des lustres et des girandoles, etc.
5. Faire son capital (son afiklre principale) d'une cho*e, eipression fort
usitée au seizième et an dix-septièmé siècle.
132 CHAPITRE VIII.
fait faire place ; il gratte , il heurte presque; il se nomme :
on respire, et il n'entre qu'avec la foule * .
^ Il y a dans les cours des apparitions de gens aventu-
riers et hardis, d'un caractère libre et familier, qui se pro-
duisent eux-mêmes, protestent qu'ils ont dans leur art toute
l'habileté qui manque aux autres, et qui sont crus sur
leur parole. Ils profitent cependant de Terreur publique,
ou de l'amour qu'ont les hommes pour la nouveauté ; ils
percent la foule, et parviennent jusqu'à l'oreille du prince,
à qui le courtisan les voit parler, pendant qu'il se trouve
heureux d'en être vu. Ils ont cela de commode pour les
grands, qu'ils en sont soufferts sans conséquence, et con-
gédiés de même : alors ils disparaissent tout à la fois riches
1. La Bcène se passe à la porte de la chambre du roi, à Theure oh se ter-
mine le petit lever. Déjà les personnages qui compuseot la première entrée
ont été admis dans la chambre de Louis XIV. Les coanisans se pressent
devant la porte. Les hauts dignitaires, et quelques courtisans favorisés dont
l'huissier a les nomS| ou pour lesquels, « selon le discernement gu'il fait des
personnesplu&ou moins qualifiées, il fait demander au roi l'autorisation d'en-
trer, » pénètrent un à un, à mesure qu'ils se présentent. 11 semble que N***,
qui arrive avec tant de bruit, doive être l'un de ces privilégiés et entrer
avant la foule. La porte est fermée. A cette porte, comme à toutes celles des
appartements du roi. l'étiquette exige que Tun gratte doucevMnt avec lei
ongles : H*** a failli l'oublier. L'huissier entrx>uvre la porte; ti*** se
nomme, et la porte se referme, sans qu'il ait obtenu la permission d'entrer.
Quelques vers d'une comédie de R. Poisson, le Baron de la Crasse^ qui fût
jouée en 1662, peuvent servir de commentaire à ce passage. Le baron, een-
tilhomme de province, raconte la tentative qu'il a faite pour voir le roi dans
un Toyage à Fontainebleau :
J'allais pour voir le roi, quand insensiblement
Je connus que j'étais dans son appartement....
.... Où j'étais donc on faisait f«irt la presse.
Une porte s'ouvrait et se fermait sans cesse.
Beaucoup de gens entraient assez facilement,
J'en vis qu'on repoussait aussi fort rudement.
Des hommes fort bien faits assez haut se nommèrent,
Et, quelque temps après, on ouvrit ; ils entrèrent.
Le baron parvient à se faire jour jusqu'à la porte de la chambre i
Je cherchai le marteau pour frapper à la porte.
Mais je fus obligé (car je n'en trouvai point)
De donner seulement deux ou trois coups de poing*
L'huissier ouvre aussitôt, criant d'une voix forte t
« Qui diable est l'insolent qui frappe de la sorte?
— Je n'ai pas frappé fort, lui dis-je, excusez-moi;
C'est le désir ardent qu'on a de voir le roi.
— Hais d'où diable êtes- vous pour être si novice?
Dit-il. — DePézenas, dis-]e, à votre service.
— Hé bien! apprenez donc, monsieur de Pézenas,
Qu'on gratte à cette porte et qu'on n'y heurte pas.
Vous voulez voir le roi? vous attendrez qu'il sorte.»
Ditril, et repoussa fort rudement la porte.
DE LA COUR. 133
et dêcrédités; et le monde qu'ils yiennent de tromper est
encore prêt d'être trompé par d'autres '.
^ Vous voyez des gens qui entrent sans saluer que légè-
rement*, qui marchent des épaules, et qui se rengorgent
comme une femme : ils vous interrogent sans vous regar-
der; ils parlent d'un ton élevé, et qui marque qu'ils se sen-
tent au-dessus de ceux qui se trouvent présents; ils s'arrê-
tent, et on les entoure; ils ont la parole, président au
cercle, et persistent dans cette hauteur ridicule et contre-
faite, jusqu'à ce qu'il survienne un grand , qui, la faisant
tomber tout d'un coup par sa présence, les réduise à leur
naturel, qui est moins mauvais.
% Les cours ne sauraient se passer d'une certaine espace
de courtisans, hommes flatteurs, coinplaisants, insinuants,
dévoués aux femmes, dont ils ménagent les plaisirs, étu-
dient les faibles et flattent toutes les passions : ils leur
soufflent à l'oreille des grossièretés, leur parlent de leurs
maris et de leurs amants dans les termes convenables, devi-
nent leurs chagrins, leurs maladies, et fixent leurs cou-
ches ; ils font les modes, raffinent sur le luxe et sur la
dépense, et apprennent à ce sexe de prompts moyens de con-
sumer de grandes sommes en habits, en meubles et en
équipages ; ils ont eux-mêmes des habits où brillent l'inven-
tion et la richesse, et ils n'habitent d'anciens palais qu'après
les avoir renouvelés et embellis. Ils mangent délicatement
et avec réflexion; il n'y a sorte de volupté qu'ils n'essayent,
et dont ils ne puissent rendre compte. Ils doivent à eux-
mêmes leur fortune, et ils la soutiennent avec la même
adresse qu'ils l'ont élevée. Dédaigneux et fiers, ils n'abor-
dent plus leurs pareils, ils ne les saluent plus ; ils parlent
oi!i tous les autres se taisent , entrent, pénètrent en des en-
droits et à des heures où les grands n'osent se faire voir :
ceux-ci, avec de longs services, bien des plaies sur le corps,
1. 1.a locution prit de, employée comme aujourd'hui près de pour signifier
sur le point cle, éiait d'un usage très-fréquent au dix-septième siècle. Cetta
locution a toutefois été rejetée par les grammairiens modernes, qui, sur ce
point comme sur t)eaucoup d^autres, se sont mis en contradiction arec leurs
prédéceÂseurs. Prêt de ei prêt à se disaient également dans le même sens.
m Lorsque prêt signilie sur le point, dit Bouhours, prit de est beaucoup
meilleur. »
2. Si ce n*e8t légèrement. C'est là une construction qui se retroure très-
fréquemment dans les meilleurs écritains.
134 côAPItR» vm.
de baàUl «mploià ou dô grandes û\ghiiéii, tie montrée pas
un visage si assuré ni une cotiteUan(;e si libre. Ces gens
ont roreille des plus grands princes, soUt de tous leurs
plaisir^ et cle toutes leurs féteâ, ne sortent pas du Louvre
ou du ehâteàU *, où ils marchent et agi^àètt cotnme chez
eux et â&ûé leur domestique', âèmbleut se multiplier en
mille endroits, et sont toujours Ifes premiers visages qui
frappent les nouveaux tenus à Une eour : ils embrassent,
ils sont embfassés; ils rient, Us éclatent, ils Sont plaisants,
ils font des contes : personnes commodes, agréables, riches,
qui prêtent, et qui àont sans conséquence.
^ Ne croirait-on pas de Cirhofi et de Cliiartdre qu'ils sont
seuls chargés des détails de tout l'Etat, et que Seuls aussi
ils en doivent répondre? L*un à du moins les affaires de
terre*, et l'autre les înafitimeâ. Qui pourrait les repré-
senter exprimerait TemprebSement, l'inquiétude, la curio-
sité» l'activité, saurait peindre le mouvement. On ne les a
jamais vus assis, jamais fixes et arfétés : qui même les a
vus marcher? On les voit courir, parler en courant, et vous
interroger sans attendre de réponse. Ils ûe Viennent d'au-
cun endroit, ils ne vont nulle part ; ils passent et ils repas-
sent. Ne les retardez pas dans leur course précipitée, vous
démonteriez leur machine; ne leur faites pas de questions,
ou donnez-leur du moins le temps de respirer et de se res-
souvenir qu'ils n'ont nulle affairé, qu ils peuvent demeurer
avec vous et longtemps^ vous suivre même oii il vous plaira
de les emmener. Ils ne sont pas les satellites de Jupiter^ je
veux dire ceux qui pressent et qui entourent le prince;
mais ils l'annoncent et le précèdent; ils se lancent impé-
tueusement dans la foule des courtisans; tout ce qui se
trouve sur leur passade est en péril. Leur profession est
d'être vus et revus, et ils ne se couchent jamais sans s'être
acquittés d'un emploi si sérieux, et si utile à la république.
Ils sont, au reste, instruits à fond de toutes les nouvelles
indijQférentes, et ils savent à la cour tout ce que l'on peut
y ignorer**^ il ne leur manque aucun des talents nécessaires
i. pu ch&teau de Versailles.
3. Dans leur intérieur.
S. On dirait que l'un a pour le moins le ministère des affaires de terte»
4. Y ignorer. « Cela est éJLrangenient rude, >» dit avec quelque raison l'ap-
teur des Sentiments criliaues'iur les Caractères de M, de la Bruyère,
DS LA COUR. 135
pour s'avancer méâiocretnent. Gens néannioins éveillés et
alertes sur tout ce qu'ils croient leur convenir, un peu en-
treprenants, légers et précipités ; le dirai-jet ils portent au
Vent, attflés tous deux au char de la fortune, et tous deux
fort éloignés de s*y voir afesis '. "^ i i
% tin homme de là cour qui n*a pas uû assez beau nom
doit fensevelir èous un meilleur ; mais, s'il l'a tel quMl ose
le porter, il doit alors insinuer qu'il est* de tous leô noms
le plus illustre , comme sa maison de toutes les maisons la
plus ancienne : il doit tenir aux princes lorrains, aux Ro-
HANâ, aux Ghastillons, aux MonTmorencîs, et, s*il se peut,
aux PRINCES Dû SANG *, ne parler que de ducs, de cardinaux
et de ministres ; faire entrer dans toutes les conversations
ses aïeuls paternels et maternels, et y trouver place pour
roHflamme et pour les croisades ; avoir des salles parées
d'arbres généalogiques, d*écussons chargés de seize quar-
tiers, et de tableaux de ses ancêtres et des alliés de ses an-
cêtres; se piquer d'avoir un ancien château à tourelles, à
créneaux et à mâchicoulis ; dire en toute rencontre : ma race^
ma branche , mon nom et mes armes ; dire de celui-ci qu'il
n'est pas homme de qualité, de celle-là qu'elle n'est pas de-
moiselle • ; ou, si on lui dit q\i' Hyacinthe a eu le gros lot*,
demander s'il est gentilhomme. Quelques-Un s riront de ces
contre-temps", mais il les laissera rire; d'autres en feront
des contes, et il leur permettra de conter : il dira toujours
qu'il marche après la maison régnante, et à force de le dire,
il sera cru.
1 . Lft Bruyère BTâit d'abof d éeiit et il fmprlmft denx fois : * lli portent
au vent^ ei sont conime aUclés au char de la Fortune, ot ils sont tous deux
fort éloignés de se voir assis. » La phrase, Corume on le voit, a été singu-
ilèrem«iii améliorée. — Il porte au tmt^ M dit d'ut> c>ie¥al qui porte le nex
aussi haut que les oreilles. ^
2. //, ce nom. I.e même pronom il se jrapporte dans^ la mAme phra&o à
deux pujf'tA difîërents : giHTe négligence que l'on a ptt reprocher plus d'une
fois à Molière et dont Pascal offru des exetnples.
3. Une demoi>clle était jadis la fiile ou la femme qui était née de parents
Boblfs. « Ahl qu'un- femme demoiselle e>^i une étrange affaire! » fait dire
Molière a un mari de ses comeoiea. C'est le 8en:^que la Bruyère donne au
mot demoiselle: mai» presque loutfs les bourgeoises de 8on temps pre-
naient le titre de demoiselles. Rn pli'sieurs acies pa!>st;s par-<levaiit notaire,
la mère de la Bruyère, simple bourgeuibe,est'iualifife<le demoiselle veute.
L'uiUige devait bieniôi restreindre cette appcllatiou aux filles de boargeoss,
non encore mariées.
ii. A la loterie.
S. De ces phrases inopportun*»^»
136 CHAPITRE Vni.
^ C'est une grande simplicité que d'apporter à la cour la
moindre roture, et de n'y être pas gentilhomme '.
% L'on se couche à la cour et Ton se lève sur l'intérêt :
c'est ce que l'on digère le matin et le soir, le jour et la nuit ;
c'est cej|ui fait que Ton pense, que Ton parle, que l'on se
tait, que l'on agit; c'est dans cet esprit qu'on aborde les
uns et qu'on néglige les autres, que l'on monte et que Ton
descend ; c'est sur cette règle que Ton mesure ses soins, ses
complaisances , son estime, son indifférence , son mépris.
Quelques pas que quelques-uns fassent par vertu vers la
modération et la sagesse, un premier mobile d'ambition les
emmène avec les plus avares , les plus violents dans leurs
désirs, et les plus ambitieux : quel moyen de demeurer im-
mobile où tout marche, où tout se remue, et de ne pas cou-
rir où les autres courent? On croit même être responsable
à soi-même de son élévation et de sa fortune : celui qui ne
l'a point faite à la cour est censé ne l'avoir pas dû faire ;
on n'en appelle pas*. Cependant s'en éloignera-t-on avant
d'en avoir tiré le moindre fruit, ou persistera-t-on à y de-
meurer sans grâces et sans récompenses? question si épi-
neuse, si embarrassée , et d'une si pénible décision qu'uu
nombre infini de courtisans vieillissent sur le oui et sur le
non ', et meurent dans le doute.
% Il n'y a rien à la cour de si méprisable et de si indigne
qu'un homme qui ne peut contribuer en rien à notre for-
tune : je m'étonne qu'il ose se montrer.
% Celui qui voit loin derrière soi un homme de son temps
et de sa condition , avec qui il est venu à la cour la pre-
mière fois, s'il croit avoir une raison solide d'être prévenu
de son propre mérite et de s'estimer davantage que * cet
autre qui est demeuré en chemin, ne se souvient plus de ce
qu'avant sa faveur il pensait de soi-même et de ceux qui
l'avaient devancé.
% C'est beaucoup tirer de notre ami , si, ayant monté à
1. C'est-à-dire de ne pas se défaire de sa roture avant d'arriver à la cour,
et de ne s'y point faire passer pour gentilhomme.
3. C'est la un arrêt irrévocable. Oti n'en appelle peu est une locution
qu'affectionne la Bruyère.
8. Vieillisseot avant de l'avoir résolue.
4. Cette locution, aujourd'hui condamnée par les grammairiens, se re-
trouve dans les œuvres de Malherbe, Descartes, Pascal, Molière, Bossuet,
MassUlon.eic
\
DE LA COUR. 137
une grande faveur, il est encore un homme de notre con-
naissance.
% Si celui qui est en faveur ose s'en prévaloir avant
qu'elle lui échappe, s'il se sert d'un hon vent qui souffle
pour faire son chemin , s'il a les yeux ouverts sur tout ce
qui vaque, poste, abbaye, pour les demander et les obtenir,
et qu'il soit muni de pensions, de brevets et de survi-
vances ', vous lui reprochez son avidité et son ambition ;
vous dites que tout le tente , que tout lui est propre , aux
siens, à ses créatures *, et que, par le nombre et la diver-
sité des grâces dont il se trouve comblé, lui seul a fait plu-
sieurs fortunes'. Cependant qu*a-t-il dû faire? Si j'en juge
moins par vos discours que par le parti que vous auriez
pris vous-même en pareille situation , c'est ce qu'il a
fait *.
L'on blâme les gens qui font une grande fortune pendant
qu'ils en ont les occasions, parce que Ton désespère, par la
médiocrité de la sienne, d'être jamais en état de faire
comme eux, et de s'attirer ce reproche. Si Ton était à por-
tée de leur succéder, l'on commencerait à sentir qu'ils ont
moins de tort, et l'on serait plus retenu, de peur de pro-
noncer d'avance sa condamnation.
% Il ne faut rien exagérer, ni dire des cours le ma) qui
n'y est point* : l'on n'y attente rien de pis contre le vrai mé-
rite que de le laisser quelquefois sans récompense ; on ne
l'y méprise pas toujours, quand on a pu une fois le discer-
ner: on l'oublie ; et c'est là où l'on sait parfaitement ne faire
rien, ou faire très-peu de chose, pour ceux que l'on estime
beaucoup.
^ Il est difficile à la cour que , de toutes les pièces que
l'on emploie à l'édifice de sa fortune , il n'y en ait quel-
qu'une qui porte à faux : Tun de mes amis qui a promis de
1. Un breret était jadis « un acte qa*ezpédiait un ministre d'État et par le-
3nel le roi accordait an don, une pension, un bénéfice, une grâce ou un titre
e dignité. » (Littré.) — La survivance était le droit qu'accordait le roi
d'exercer une chaîne après la mort du titulaire.
3. Que tout lui semble bon à prendre, pour lui, pour les siens, pour ses
créatures.
8. Il a fait à lui seul plusieurs fortunes.
%. Cest précisément ce qu'il a fait , leçon des premières éditions. A la
neuvième, f)récisément a aisparu, peui-ètre par une faute d'impression.
5. Début ironique.
138 CHAPITRE Mil.
parlei*' ûe parle point ; Tautre parle mollement; il échappe
à un troisième de parler contre mes intérêts et contre ses
intentions; à celui-là manque la bonne volontë, à celui-ci
Thabileté et la prudence ; tous n^ont pas assez de plaisir à
me voir heureux pour contribuer de tout leur pouvoir à me
rendre tel. Chacun se souvient assez de tout ce que son
établissement* lui a coûté à faire, ainsi que des secours qui
lui en ont frayé le chemin: on serait même assez porté à
justifier les services qu'on a reçus des Uns par ceux qu'en
de pareils besoins onrelidraît aux autres*, si le premier
et l^unique soin qu*on a, après>sa fortune laite, n^était pas
de songer à soi.
^ Les courtisans n*emploient pas ce qu4ls ont d'esprit,
d'adresse et de finesse, pour trouver les expédients d'obli-
ger* ceux de leurs amis qui implorent leur secours, mais
seulement pour leur trouver des raisons apparentes, de
spécieux prétextes, ou ce qu'ils appellent une impossibilité
de le pouvoir faire ; et ils se persuadent d'être quittes par
là en leur endroit* de tous les devoirs de l'amitié ou de la
reconnaissance.
Personne à la cour ne veut entamer* : on s'offre d'appuyer,
parce que, jugeant des autres par soi-même, on espère que
nul n'entamera, et qu'on sera ainsi dispensé d'appuyer. C'est
une manière douce et polie de refuser son crédit, ses offices
et sa médiation à qui en a besoin.
% Combien de gens vous étouffent de caresses dans le par-
ticulier, vous aiment et vous estiment, qui sont embarras-
sas de vous dans le public, et qui, au lever ou à la messe'',
évitent vos yeux et votre rencontre I 11 n'y a qu'un petit
nombre de courtisans qui, par grandeur ou par une con-
fiance qu'ils ont d'eux-mêmes, osent honorer devant le
monde le mérite qui est seul et dénué de grands établisse-
ments.
^ Je vois un homme- entouré et suivi ; mais il est en
i . De parler en ma faveur.
2. L'établissement de sa fortunOi
3. A montrer que l'on était digne des secoora qu'on a reçus en rendant de
pareils services à d'autres.
k. Les moyens d'obliger. Le naot ts^dient s^emploie rarement de cette
manière.
5. A leur égard. A leur endroit est plus fréquemment employé.
6. Solliciter le premier.
7. Au lever du roi, à la messe de la chapelle du roi.
DÉ LA COUR. 139
^ I place. S^en vois un autre que tout le iâûûde abotdô*, mais
'? il est en faveur. Celui-ci est embrassé et caressé, même des
'^ grands ; mais il est riche. Celui-là est regardé de tous avec
^ curiosité, on le montre du doigt ; mais 11 est savant et élo-
® quent. J'en découvre un que personne n*oublie de saluer;
^ I mais il est méôhant. Se veux un homme qui soit bon , ^ui
} ne soit rien davantage, et qui soit f echerché.
^ % Vient-on de placer quelqu'un dans un nouveau poste ^
^ c'est uu débordement de louanges en sa faveur qui inonde
^ les cours et la chapelle, qui gagne l'escalier, les salles, la
' j galerie, tout l'appartement •, on en à au-dessus des yeux'',
' on n'y tient pas. Il n'y a pas deux voix différentes sur ce
personnage; l'envie, la jalousie, parlent comme l'adulation:
tous se laissent entraîner au torrent qui les emporte , qui
les force de dire d^un homme ce qu'ils en pensent ou ce
qu'ils n'en pensent pas, comme de louer souvent celui qu'ils
ne connaissent point. L'homme d'esprit , de méfite ou de
valeur, devient en un instant un génie du premier ordfe,
un héros, un demi-dieu. Il est si prodigieusement flatté
dans toutes les peintures que l'on fkit de lui qu'il paraît
difforme près de ses portraits ; il lui est Impossible d'arriver
jamais jusqu'où la bassesse et la complaisance viennent de
le porter ; il rougit de sa propre réputation. Gommence-t-il
à chanceler dans ce poste où on l'avait mis, tout le monde
passe facilement à un autre avis ; en est-il entièrement
déchu , les machines qui l'avaient guindé si haut par l'ap-
plaudissement et les éloges sont encore toutes dressées pour
le faire tomber dans le dernier mépris ; je veux dire qu'il
n'y en a point qui le dédaignent mieux, qui le blâment
plus aigrement , et qui en disent plus de mal , que ceux
qui s'étaient comme dévoués à la fureur d'en dire du bien *•
1 • lies eo«rR> la chapelle, tout le palaia de VbrsHiUes. ,
7, On en aaurdêtsuB de* y«tu;, figure énergique et familière. Les ciefa ont
placé à c6(é du passage de la Bruyère le nom du maréchal de Luxembourg.
Il atait en effet connu ces revirements de Popitiion. Nommé maréchal de
France en 1675, et chargé penriant plusieurs campagnes du commandement
en chef des armées, il tomba subilemenien disgrâce lorsque survint le pro-
cès de la Voisin et de ses coniplices, accusés a'empoisonnements et de sor-
tilèges. Impliqué dans cette affaire (1679), par suite de la haine que lui por-
tait Loatoi8, Luxembourg fut un iusiaut exilé quoiqu'il eût été absous
(1680). Ce ne fut guère que sept ou huit ans plus tard qu*il rentra en
faveur. L'année même où paraissait ce passage, il commandait en chef
l'armée da roi et gagnait ta bataille de Fleurus.
S. « U De fauU que veoir uu homme esleyé en dignité : qaand nous Tsa-
140 CHAPITRE VIII.
f Je crois pouvoir dire d'un poste ëminent et délicat
qu'on y monte plus aisément qu'on ne s'y conserve.
% L^on voit des hommes tomber d'une haute fortune par
les mêmes défauts qui les y avaieDt fait monter.
^ il y a dans les cours deux manières de ce que Ton ap-
pelle congédier son monde ou se défaire des gens : se fâcher
contre eux, ou faire si bien qu'ils se fâchent contre vous et
s'en dégoûtent '.
ir L'on dit à la cour du bien de quelqu'un pour deux
raisons : la première, afin qu'il apprenne que nous disons
du bien de lui ; la seconde, afin qu'il en dise de nous.
% Il est aussi dangereux à la cour de faire les avances
qu'il est embarrassant de ne les point faire.
Il y a des gens à qui ne connaître point le nom et le
visage d'un homme est un titre pour en rire et le mépriser.
Us demandent qui est cet homme; ce n'est ni Rousseau^ ni
un Fabry, ni la Couture * ; ils ne pourraient le mécon-
naître.
1[ L'on me dit tant de mal de cet homme, et j'y en vois si
peu, que je commence à soupçonner qu'il n'ait un mérite
importun, qui éteigne celui des autres.
^ Vous êtes homme de bien, vous ne songez ni à plaire
ni à déplaire aux favoris, uniquement attaché à votre maî-
tre et à votre devoir : vous êtes perdu.
^ On n'est point effronté par choix, mais par complexion;
c'est un vice de l'être, mais naturel. Celui qui n'est pas né
tel est modeste, et ne passe pas aistîment de cette extrémité
à l'autre. C'est une leçon assez inutile que de lui dire :
Soyez effronté, et vous réussirez. Une mauvaise imitation
ne lui profiterait pas, et le ferait échouer. 11 ne faut rien de
riens cogneu, trois joars deyant, homme de peu, il coule insensiblement en
nos opinions une image de grandeur de suffisance ; et nuus persuadons que,
croissant de train et de crédit, il est creu de mérite; nous jugeons de lui, non
félon sa râleur, mais à la mode des jectons, selon la prérogative de son reng.
Que la chance tourne aussi. qu*il reiumbe et se mesle à la presse, chascun
B'enquiert avecques admiration de la cause qui l'avoii guindé si hault.» Est-ce
« luy? faici-on. N'y sçavoit-il aultre chose quand il y estoit' Les princes se
«•contentent-ils de si peu? Nous estions vrayemeot en bonnes mains! »
C'est chose que j'ay veu souvent de mon temps.» (Montaigne, EssaiSy m, 8.)
i. Et se drgoûient de vous.
2. Fabry, brûlé il y a vingt ans (Note de la Bruyère), — Le Chàtelet Ta-
Tau condamné à mort à la suite d'un procès scandaleux. — Rousseau, caba-
retier célèbre.— La Couture, tailleur d'babits qui était devenu fou. On lui
permettait de demeurer à la cour et d'y tenir des propos extravagants.
DE LA COUR. 141
moins dans les cours qu'une vraie et naïve impudence pour
réussir.
^ On cherche, on s'empresse, on hrigue, on se tourmente,
on demande, on est refusé, on demande et on obtient, mais,
dit-on, sans l'avoir demandé, et dans le temps que l'on n'y
pensait pas et que Ton songeait même à tout autre chose :
vieux style , menterie innocente, et qui ne trompe personne.
^ On^fait sa brigue pour parvenir à un grand poste, on
prépare toutes ses machines , toutes les mesures sont bien
prises, et l'on doit être servi selon ses souhaits ; les uns doi-
vent entamer, les autres appuyer ; l'amorce est déjà con-
duite, et la mine prête à jouer : alors on s'éloigne de la
cour. Qui oserait soupçonner dMr^amon qu'il ait pensé à se
mettre dans une si belle place, lorsqu'on le tire de sa terre
ou de son gouvernement pour Yj faire asseoir? Artifice
grossier, finesses usées, et dont le courtisan s'est servi tant
de fois, que si je voulais donner le change à tout le public
et lui dérober mon ambition, je me trouverais sous l'œil et
sous la main du prince, pour recevoir de lui la grâce que
j'aurais recherchée avec le plus d'emportement.
^ Les hommes ne veulent pas que l'on découvre les vues h
qu'ils ont sur leur fortune, ni que l'on pénètre qu'ils pen-
sent à une telle dignité , parce que , s'ils ne l'obtiennent
point, il y a de la honte, se persuadent-ils » à être refusés ;
et, s'ils y parviennent , il y a plus de gloire pour eux d'en
être crus dignes par celui qui la leur accorde , que de s'en
juger dignes eux-mêmes par leurs brigues et par leurs ca-
bales : ils se trouvent parés tout à la fois de leur dignité et
de leur modestie.
Quelle plus grande honte y a-t-il d'être refusé d'un poste '
que l'on mérite, ou d'y être placé sans le mériter?
Quelques grandes difficultés qu'il y ait à se placer à la
cour, il est encore plus âpre et plus difficile de se rendre
digne d'être placé.
Il coûte moins à faire dire de soi* : Pourquoi a-tpil obtenu
ce poste? qu'à faire demander : Pourquoi ne l'a-t-il pas ob-
tenu.
1. Étn refusé dfwn poêtt^ se disait nurement au temps de la Brayèn^
et se dirait encore moins du nôtre.
3. La Bruyère dira quelques lignes pins loin et chap. ix : il coûU de. —
Couler à est moins-usité.
142 CHAPITRE VIII.
L'on «Q présenta encore pour les chi^rges de ville', Fou
postule une place dans rAcadémie française, Ton demandait
le Qpnsul^t : quelle moindre raison 7 aurait-il de travailler
les premières années de sa vie à se rendre capable d'un
grand emploi, et de dems^nder ensuite, sans nul mystère et
sans nulle intrigue , mais ouvertement et avec conû^ce,
d'y servir sa patrie, son prince, U république?
% Je ne vois aucun courtisaii k qui le prince vienne d'ac-
corder un bon gouvemen^ent, npe place éminente qu une .
forte pension, qui n'assure, par vanité ou pour marquer soq
désintéressement;, qu'il est bien moins content du don que
de la manière dont U lui a été fait \ Ce qu'il 7 a en cela de
sur et d'indubitable, a'est qu'il le dit ainsi.
C'est rusticité que 4^ dpnner de mauvaise grâce ; le plus
fort et le plus pénible est 40 dpnner; que çoûte-t-il d'y
ajouter un sourire'?
Il faut avouer iiéanmoins qu'il s'ç$t trouvé des bommes
qui refusaient plus honnêtement que d'autres ue savaient
donner ; qu'on a dit de quelques*uns qu'ils SQ faisaient si -
longtemps prieri qu'ils^ donpaient si sèchement, et char-
geaient une grÂc§ qu'on leur arrachait de conditions si dés-
agréables, qu'une plus grande grâce ^tait d'obtenir d'eu^
d'être dispensé de rien recevoir*
f L'on remarque dans les cours des hoinmes avideç qui
se revêtent de toutes les conditiQns pour en avoir les avan-
tages: gouvernement^, oharge, bé^ficd't tP^t leur con^
1. C'est-à-dire pour les offices municipaux.
3. Cette réSeidoQ est de tous les temps, mais elle était surtout de mise
sous Louis XIV. « Mme de la Fayette tous aura mandé, éerit lime de Sé-
vigné en 1671, eomme M. de la Rocbefoucauld a fai| duc le priopeCtifeifar-
ettlac) son lils, et de quelle façon le roi s donué une nouvelle pension :
enfin la manière vaut mieux que la chose, n*est-il pas vrai? Nous ayons quel-
quefois ri de ce discours commun à tous (es courtisf^q». ¥ Le comte de B^s^f,
tout homme d'esprit qu'il fut, n'en tiendra pas moins le même discours, lors^
quMl racontera, quelques années plus tard, une visite qu'il |t an roi, et d^s
laquelle il prit le change sur les septinent» du roi V^\9 X^V,
d. Corneille, le Menteur, i, i i
Tel donne k pleines mains ({ui n'oblige personne;
La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne.
La Bruyère^ nous Tavons déjà dit, a répété un certaio nombre de ré-
Sexioos que Sénteue avait exprimées dans son traité df ifenefiçiie. Celle-ci
est encore l'une de celles qu'il reproduit.
4. Gouvernement d'une provinoe,
S* ^^tf/lc«, charge spirituelle, telle que prieuré, çbaDOioieyabbayfieMk
PS tk COUR. 143
vient ; ils se sont ^i bien ajustés que, ps^r leui- état, ils de-
viennent capables de toutes }es grâces ; ils sont amphibies^
ils vivent de TÊglise et de Tépée, et auront le gecret d'y
joindre la robe *. Si vous demandez : Que font CQs gens \
la cour? ils reçoivent, et envient tous ceux à qui Ton doni^e,
^ Mille gens à la cour y traipeut leur vie à embrasser,
serrer et congratuler ceux q:ui reçoivent, jusqu'à ce qu'ils j
meurent sans rien aypir.
% Ménophile emprunte ses mœurs d'une profession^ et
d'une autre son habit ; il masque • toute Tannée, quoique k
visage découvert ; il paraît à la couy, h la villQ, ailleurs,
toujours sous un certain nom et cous Iç mêmç déguisem^t«
On le reconnaît, et on sait quel jl est à son visage,
^ Il y a, pour arriver aux digîiités, ce qu'on appellç la
grande voie ou le chemin battu ; il y a le ch^miQ détourné
ou de traverse, qui est le plus court,
^L'on court les malheureux' pour les eovieager; l'on se
range en haie, ou l'on se place aux fenêtres, pouy observer
les traits et la contenance d'un hon^me qui est condamna
et qui sait qu'il va mourir : vaine, maligne, iuhumaipe cu-
riosité? Si les hommes étaient sages, la place publique sq-'
rait abandonnée, et il serait établi qull y aurait de l'igno'?
minie seulement à voii: dQ tels spectacles. Si vous êtes si
touchés de curiosité, exerpei-la du moins eu xm sujet upble :
vovez un heureux, contemplez-le (lans le jour mêu^e où il
a été nommé à un nouveau poste et qu'il en reçoit les cou^?
plin.ents; lisçî dans ses yeux, et au travers d'uu calme
étudié et d'une feinte modestie, combien il e$t çonteut Qt
pénétré de gpi-méme; voypz (quelle sérénité cet aooompUs-
senient 4o &6S désirs répand dans son çceuç çt ^ur ^ou v|«
1. 1U ■enf en teU« situation qoMU peavMt receTo^i» tontes les grâces et
été répète par Saiut-Simon : % Saint-Bomain.4it-il, ampMM« <}« beaaroup de
mérite, conseiller d'épéesaDsêtreaépée^avecdes abbayes sansètred^Ëglise.»
2. Masqiur, s'babiller en masque.
S. Courir Quelqy,'un, le rechercher ST^ emprefsepien^étût une^expres-
•ion très-Qsitee. La Bruyère l'a déjà emplgyéo, et plus loin u dir» encore s
« Ceux qoi courent le favori du prince, 9 — Hm 4e Sévigné, comme beau-
coup d'autres , avait cédé |t la curiosiié dont parle la Bruyère : le 17 juiU
let 1678, jour de l'exécution de la Brinvpers, célèbre empoisoi^neyse, qU^
était allée se placer «or I9 pbn( {(o^re-name pow )^ voir p^aser dans so«
tombereau.
144 CHAPITRE Vra.
sage , comme il ne songe plus qu'à vivre et à avoir de la
santé, comme ensuite sa joie lui échappe et ne peut plus se
dissimuler, comme il plie sous le poids de son bonheur,
quel air froid et sérieux il conserve pour ceux qui ne sont
plus ses égaux, il ne leur répond pas, il ne les voit pas ; les
embrassements et les caresses des grands, qu'il ne voit plus
de si loin, achèvent de lui nuire ; il se déconcerte, il s'é-
tourdit, c'est une courte aliénation. Vous voulez être heu-
reux, vous désirez des grâces; que de choses pour vous à
éviter!
% Un homme qui vient d'être placé ne se sert plus de sa
raison et de son esprit pour régler sa conduite et ses de-
hors à regard des autres ; il emprunte sa règle de son, poste
et de son état : de là l'oubli, la fierté, Tarrogance, la du-
reté, l'ingratitude.
^ ThéonaSf abbé depuis trente ans, se lassait de Tétre.
On a moins d'ardeur et d'impatience de se voir habillé de
pourpre qu'il en avait de porter une croix d'or sur sa poi-
trine % et parce qne les grandes fêtes se passaient toujours
sans rien changer à sa fortune, il murmurait contre le
temps présent, trouvait l'Ëtat mal gouverné, et n'en pré-
disait rien que de sinistre. Convenant en son cœur que le
mérite est dangereux dans les cours à qui veut s'avancer,
il avait enfin pris son parti et renoncé à la prélature, lorsque
quelqu'un accourt lui dire qu'il est nommé à un évêché.
Rempli de joie et de confiance sur une nouvelle si peu at-
tendue : c Vous verrez, dit-il, que je n'en demeurerai pas
là, et qu'ils me feront archevêque. >
% n faut des fripons à la cour auprès des grands et des
ministres, même les mieux intentionnés; mais l'usage en
est délicat, et il faut savoir les mettre en œuvre : il y a des
temps et des occasions où ils ne peuvent être suppléés par
d'autres. Honneur, vertu, conscience, qualités toujours res-
pectables , souvent inutiles : que «voulez- vous quelquefois
que l'on fasse d'un homme de bien*?
•
1. Qu'il n'en arait de devenir évèque. — Nous avons d^à remarqué l'o-
mission de la particule négative ne en bien des cas où nous la mettons.
2. « LMnjuste (l'homme injuste) peut entrer dans tous les desseins, trou-
ver tous les expédients, entrer dans tous les intérêts; à (]uel usage peut-on
mettre cet homme si droit, qui ne parle que de son devoir? U n'y a rien de
ii sec, ni de moins flexible, et il y a tant de choses qu'il ne peut pas faire
qu'à laiin il est regardé comme un homme qui n'est bon à rien, entièrement
DE LA COUR. 145
^ Un vieil auteur, et dont j'ose rapporter ici les propret
termes, de peur d*en affaiblir le sens par ma traduction, dis
que s'élongner des petits, voire * de ses pareils, et iceulx vi-
IcUner et dépriser * ; s'accointer de grands * et puissants en tous
' biens et chevances *, et en cette leur cointise et privauté estre
de tous ébats, gabs^, mommeries, et vilaines besoignes; estre
eshonté, saffranier* et sans point de vergogne''; endurer bro-
cards et gausseries de tous chacuns, sans pour ce feindre de
cheminer en avant, et à tout son entregent, engendre heur et
fortune ■.
% Jeunesse du prince, source des belles fortunes.
^ Tintante, toujours le même, et sans rien perdre de ce
mérite qui lui a attiré la première fols de la réputation et
des récompenses, ne lavssait pas de dégénérer dans l'esprit
des courtisans : ils étaient las de l'estimer; ils le saluaient
froidement, ils ne lui souriaient plus, ils commençaient à
ne le plus joindre, ils ne l'embrassaient plus, ils ne le ti-
raient plus à récart^our lui parler mystérieusement dMne
chose indifférente, ils n'avaient plus rien à lui dire. Il lui
fallait cette pension ou ce nouveau poste dont il vient d'être
honoré pour faire revivre ses vertus à demi effacées de leur
mémoire, et en rafraîchir Tidée : ils lui font conmie dans
les commencements, et encore mieux*.
inutile. Ainsi, étant inatile, on se résont facilement à le mépriser, ensuite à
le sacrifier dans Vintérèt du plus fort et aux pressantes sollicitaiions de cet
homme de grand secours, qui n*épargiie ni le saint ni le profane pour en-
trer dans nos desseins, qui fait remuer les iniérèts et les passions, ces deux
grands ressorts de la Yie humaine. » (Bossuet, Sermon contre Vambiiion.)
1. Même.
3. Et les mépriser et rabaisser. — Dépriser, tiré directement de prix, a
encore sa place dans la langue, malgré la formation plus récente da mot dé-
précier.
3. Entrer dans la familiarité des grands.
4. Biens et clievancee, deux mots synonymes.
5. Tromperies.
6. Banqueroutier. Le mot safranier a sin^lièrement exercé l'imagina^
tion des étymologistes : les plus sages l'ont tiré de safran; les uns ont fait
remarquer que le chagrin qu'éprouve un banqueroutier le rend jaune
comme safran ; les autres ont rappelé avec plus de sagacité qu'on a jadis
peint en jaune les maisons des banqueroutiers.
7. Et sans vergogne.
8. Sans pour cela craindre d'aller en avant, et avec son entregent (son ha-
bileté), tout cela ensendre bonheur et fortune. — A tout avait dans l'an-
cienne langue la valeur de avec. On retrouve ce sens dans le mot patois
itouty aussi. — Ce passage, que la Bruyère prête à un vieil auteur inconnu,
est sans doute un pastiche.
y. Tous les commentateurs ont voulu voir en Timante le marquis de Pom-
pbnlie, 4ui fut disgi^cié en iû79, et râdeviht iniûish'e après la mort ds
10
146 CHAPITRE VIII.
^ Que d'amis, que de parentà naissent en une nuit au
nouveau ministre I Les uns font valoir leurs anciennes liaî-
ôons, leur société d'études*, les droits du voisinage; les
autres feuillettent leur généalogie , remontent jusqu'à un
trisaïeul, rappellent le côté paternel et le matt-rnei : Ton
veut tenir à cet homme par quelque endroit, et Ton dit plu-
sieurs fois le jour que Ton y tient ; on l'imprimerait volon-
tiers : Cest mon amt, et je suis fort aise de son élévation ;
fy dois prendre part^ il m* est assez proche^. Hommes vains
et dévoués à la fortune, fades courtisans, parliez -vous ainsi
il 7 a huit jours? Est-il devenu, depuis ce temps, plus
homme de bien, plus digne du choix que le prince en vient
de faire? Âttendiez-vous cette circonstance pour le mieux
connaître?
% Ce qui me soutient et me rassure contre les petits dë^
dains que j'essuie quelquefois des grands et de mes égaux,
c'est que je me dis à moi-même ; c^ gens n'en veulent
peut-être qu'à ma fortune, et ils ont' raison ; elle est bien
petite. Ils m'adoreraient sans doute si j'étais ministre.
Dois-je bientôt être en place? le sait-il? est-ce en lui un
pressentiment? il me prévient, il me salue.
'% Celui qui dit : Je dinai hier à Tibur^ ou : Ty soupe
ce «otr, qui le répète, qui fait entrer dix fois le nom de
PlanciAS * dans les moindres conversations, qui dit : Plan-
eus me demandait..,. Je disais à PZanctiS..., celui-là. même
apprend dans ce moment que son héros vient d'ôtre enlevé
par und mort extraordinaire. Il part de la main *, il ras^
LouTois; mais il n'était pas encore rappelé à la coor en 1680, époqaa à 1**
quelle parut ce passade.
1. Leur camaraderie de collège.
2. Le duc de Yilleroi, c[ui fut plus tard maréchal de Franca« apprenant la
nominalioa de le Pelletier au contrôle général des finances (1683J, avait,
dit-on, raconté, avec de grandes démonstrationa de joie, que la nouveau
Contrôleur était son parent : assertion complètement ii)exacie. Si i'aoecdoie
est vraie, son père, le Tieux. maréchal de Viileroi , avait dû ressentir quel- ^
2ue impatience d'un tel propos. U avait l'esprit de cour tout autant que son
Is, et proclamait qu'il fallait être le très-humble et très-dévoué serviteur
de tous les ministres iusqu'au jour où le pied venait à leur glisser; mais il
disait aussi qu'il préférait un ministre gentilhomme, fùt-il son ennemi, à
un minisire bourgeois, fût-il son ami.
3. Ce passage parut peu de temps après la mort de LouTois (1601); et
quelques lecteurs mirent le nom de Louvois k côté de celui de PÎâncuS)
traduisant Tibur par Meudoa, qui était l'habitation du minisire.
4. U pan de la main, comme fait un cheTal^ en style de maoégei qui prend
le galop.
DE LA COUR. 147
semble le peuple dans les places ou sous les portiques, ac>
cuse le mort, décrie sa conduite, dénigre son consulat, lui
6te jusqu'à la science des détails que la voix publique lui
accorde, ce lui passe point une mémoire heureuse, lui re-
fuse l'éloge d'un homme sévère et laborieux, ne lui fait pas
Fhonneur de lui croire, parmi les ennemis de l'empire, un
ennemi.
Tf Un homme de mérite se donne, je crois, un joli * spec-
tacle, lorsque la même place à une assemblée ou à un spec-
tacle dont il est refusé, il la voit accorder à un homme qui
n'a point d'yeux pouir voir, ni d'oreilles pour entendre, ni
d'esprit pour connaître et pour juger; qui n*est recomman-
dable que par de certaines livrées, que môme il ne porte
plus.
% Tkéodote^ avec un habit austère, a un visage comique,
et d'un homme qui entre sur la scène* : sa voix, sa démarche,
son geste, son altitude, accompagnent son visage*; il est
fin, cauteleua:^ doucereux, mystérieux; il s'approche de vous,
et il vous dit à l'oreille : Voilà un beau temps; voilà un
grand dégel*. S'il n'a pas les grandes manières, il a du
moins toutes les petites, et celles même qui ne conviennent
guère qu'à une jeune précieuse. Imaginez-vous l'application
d'un enfant à élever un château de cartes bu à se saisir
d'un papillon, c'est celle de Théodote pour une affaire de
tien, et qui ne mérite pas qu'on s'en remue : il la traite
sérieusement, et comme quelque chose qui est capital; il
agit, il s'empresse, il la fait réussir : le voilà qui respire et
qui se repose, et il a raison ; elle lui a coûté beaucoup de
peine. L'on voit des gens cuivrés, ensorcelés de la faveur;
ils y pensent le jour, ils y ttvent la ïiuit; ils montent l'es-
calier d'un minifitre, et Us «a descendent; ils sortent de
son antichambre, et ils y rentrenjt ; ils n'ont rlea à lui dire,
et ils lui parlent; ils lui parlent une seconde fois: le» voilà
1. Joli était Pun des meuiàla itiode. Od s'en stei^vaità toaté oecaaion.
La Broyère s'en a point fait abus, ne Ta^^ant emplo^t^ que deux ou trois fois.
S. Et le visage cnmique d'un homme qu! entre sur la scène. Sorte d'ellipse
très- familière à notre auteur.
8. Conriennent à son visage.
4. Molière, le Misanthropey ii, 5 t
C'est delà tèto aux pieds un liomme tout myst^...*
De la moindre vétille il fait une merveille.
Et jusques au bonjour il dit tout à roreille .
148 CHAPITRE Vm. 1
contents, ils lui ont parlé. Pressez-les, tordez-les, ils dé*
gouttent Torgueil ", Tarrogance, la présomption. Vous leur
adressez la parole, ils ne vous répondent point, ils ne vous
connaissent point, ils ont les yeux égarés et Tesprit aliéné :
c'est à leurs parents à en prendre soin et à les renfermer,
de peur que leur folie ne devienne fureur, et que le monde
n'en souffre. Théodote a une plus douce manie : il aime la
faveur éperdument; mais sa passion a moins d'éclat; il lui
fait des vœux en secret, il la cultive, il la sert mystérieu-
sement; il est au guet et à la découverte sur tout ce qui
paraît de nouveau avec les livrées de la faveur : ont^-ils*
une prétention, il s'offre à eux, il s'intrigue pour eux, il
leur sacrifie sourdement mérite, alliance, amitié, engage-
ment, reconnaissance. Si la place d'un Cassini * devenait
vacante, et que le suisse ou le postillon du favpri s'avisât de
la demander, il appuierait sa demande, il le jugerait digne
de cette place, il le trouverait capable d'observer et de cal-
culer, de parler de parhélies et de parallaxes *. Si vous de-
mandiez de Théodote s'il est auteur ou plagiaire, original
ou copiste, je vous donnerais ses ouvrages, et je vous dirais :
Lisez et jugez; mais s'il est dévot ou courtisan, qui pour-
rait le décider sur le portrait que j'en viens de faire? Je
prononcerais plus hardiment sur son étoile. Oui, Théodote,
j'ai observé le point de votre naissance; vous serez placé,
et bientôt. Ne veillez plus, n'imprimez plus; le public vous
demande quartier *.
^ N'espérez plus de candeur, de franchise, d'équité, de
bons offices, de services, de bienveillance, de générosité,
1. Dégoutter devient ici un Terbe actif : ce tour a paru « hasardé » k
l'auteur des SentifMntê critiques sur les Caractères. Au moyen âge et aa
seizième siècle, si ce n'est au dix-septième, il n'est point rare que dégoutter
prenne un régime.
2, Ils s'applique, dans la pensée de l'auteur, à ceux qui portent les liTrées
de la faveur.
S. Cassini, célèbre astronome, était directeur de PObseryatoire.
4. Parhélie, image du soleil réfléchie dans hne nuée. — Parallaxe, angle
formé dans le centre d'un astre par deux lignes qui se tirent. Tune du centre
de la terre, l'autre du point de la surface terrestre oh se fait robservation.
5. Le caractère de Théodote est évidemment un portrait, et les commen-
tateurs, sur la foi des clefs du temps, ont nommé l'abbé de Choisy. Quelques
traits semblent convenir à merveille à cet aimable et galant abbé de cour;
mais les derniers mots snfDraient à prou^r que la Bruyère ne pensait pas
à lui en écrivant ce passage. Ami de l'abbé dû Choisy ^ la Bruyère a
loué Rou talent littéraire daùs le discours (|u'il a pronèbcé à ^Académie
eii 169â.
DE LA COUR. 149
de fermeté, dans un homme qui s'est depnis quelque temps
livré à la cour, et qui secrètement veut sa fortune. Le re-
connaissez-vous à son visage, à ses entretiens? 11 ne nomme
plus chaque chose par son nom : il n'y a plus pour lui de
fripons, de fourbes, de sots et d'impertinents'; celui dont
il lui échapperait de dire ce qu'il en pense est celui-là
nïéme qui, venant à le savoir, Tempêcherait de cheminer*.
Pensant mal de tout le monde, il n'en dit de personne; ne
voulant du bien qu'à lui seul, il veut persuader qu'il en veut
à tous, afin que tous lui- en fassent, ou que nul du moins
lui soit contraire *. Non content de n'être pas sincère, il ne
souffre pas que personne le soit; la vérité blesse son oreille.
Il est froid et indifférent sur les observations que l'on fait
sur la cour et sur le courtisan ; et, parce qu'il les a enten-
dues , il s'en croit complice et responsable. Tyran de la
société et martyr de son ambition, il a une triste circonspec-
tion dans sa conduite et dans ses discours, une raillerie in-
nocente, mais froide et contrainte, un ris forcé, des caresses
contrefaites, une conversation interrompue et des distrac-
tions fréquentes. Il a une profusion, le dirai-je? des torrents
de louanges pour ce qu'a fait ou ce qu'a dit un homme
placé et qui est en faveur, et pour tout autre une sécheresse
de pulmonique ; il a des formules de cojnpliments différents
pour l'entrée et pour la sortie à l'égard de ceux qu'il visite
ou dont il est visité ; et il n'y a personne de ceux qui se
payent de mines et de façons de parler qui ne sorte d'avec
lui fort satisfait *. Il vise également à se faire des patrons et
des créatures; il est médiateur, confident, entremetteur; il
1. Alceste andt donc raison de s'écrier :
. . . Oui, je hais tous les hommes,
Les uns parce quMIs sont méchants et malfaisants.
Et les autres pour être aux méchants complaisants,
Et n'avoir pas puur eux les haines yigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.
(Molière, le Mitcmthropey i, 1.)
2. Chêtninerf faire fortune^ c^était le mot des courtisans, et Saint-Simon
l'a répété ; « Medioa Sidonia était l'un de ces hommes à qui il ne manque
rien pour chemins et arriver dans les cours. »
S. rful, pour l'auteur, exprime suffisamment la négation : aussi supprime*
t-il ici, en souvenir du latin et à l'exemple de Montai^oe, la particule
négative iw, dont le mot nu/, malgré sa valeur ongioaire, a toujours été
accompagne depuis les premiers temps du moyen &ge.
%. Sortir d'avec quelqu'un, expression qoL au dix-septième siècle comme
de nos jours, appartient au langage le plus familier.
1 50 CHAPITRE VUI.
veut f ouyerner. U a uoe ferveur de novice pour toutes len
petites pratiques de cour; il sait où il faut se placer pour
ôtre vu ; il sait vous embrasser, prendre part à votre joie,
vous faire coup sur coup des qu^^stions empressées &ur votre
santé, sur vos aHaires, et, pendant que vous lui répondes,
il perd le fil de sa curiosité, vous interrompt, entame un
autre sujet ; ou, s'il survient quelqu'un à qui il doive un
discours tout différent, il sait, en achevant de vous caugra^*
tuler, lui faire un eompliment de condoléance; il pleura
d'un œil, et U rit de Tautre. Se formant quelquefois sur les
ministres ou sur le favori, il parle en public d^ choses fri-
voles, du vent, de la gelée ; il se tait, au contraire, et fut lo
mystérieux sur ce qu'il sait de plus important, et plus vo^
lontiers encore sur ce qu'il ne sait poiat.
^ Il y a un pays ' où les joies sont visibles, mais Causses,
et les chagrins cachés, mais réels. Qui croirait que l'empres^
sèment pour les spectacles, que les éclats et les applaudisse*^
ments aux théâtres de MoÛèrs et d'Arlequin *, les repaa, la
chasse, les ballets, les carrousels, couvrissent tant d'inquié-
tudes, de soins et de divers intérêts, tant de craintes et d'es»
pérances, des passions si vives et des affaires si sérieuses *f
\ La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique,
qui applique^. 11 faut arranger ses pièces et ses batteries,
avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire,
hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et, après toutes
ses rêveries et toutes ses mesures, on est échec, quelque-
fois mat. 3oûvent, avec des pions qu'on ménage bien, ou
va à dame, et l'on gagne la partie ; le plus habile l'emporta,
ou le plus heureux *.
1. La cour.
S. Théâtre d'Arlequin, la comédie Itahenne.
S. « La coar yeut tonjoars anir les plaisirs arec les aflUrea. Par un mé-
lange étonnant, il n*Y a rien de plus sérieux, ni ensemble d$ pins enjoué.
Entoncez : vous trouverez partout désintérêts cJichés, des jaîoiisies délicates
qui causent une extrême sensibilité, et dans nne ardente ambition des soins
et un sérieux aussi triste qu'il est vain. Tont est couvert d'un air gai : vous
diriez qu'on nt songiB qu'à s'y divertir, m (Bossqet, Or^tisim fvtiélHV lij^Ànué
de (jQnxague.)
4. Muniaigne aussi a insisté sur l'appliMtiot qu'exifte la JM des échees,
auquel il fait le reproche de n n'être pas assez jw, » et de nous « ébattre trep
sérieusement. » — « Quelle corde de sob esprit (il s'agit d'Alexandre) se
touche et n'employé ce niai» et puéril jeu?... Quelle passie» jm bous y
exerce?... » {Essais, i, so.)
i. Dans les premières éditions, cette pensée se temioed'ttae manièm dif-
férente : « et après toutes ses rêveries (o'eat-è-dire après tAntes ses médii«*
DE Ll COUR. 151
'^ Les roues, les ressorts, les mouvements sont cacliés,
rien ne paraît d'une montre que son aiguille, qui insensi-
blement s'avance et achève son tour : im ige du courtisan,
d'autant plus parfaite, qu'après avoir fait assez de chemin,
il revient souvent au même point d'où il est parti.
^ Les deux tiers de ma vie sont écoulés ; pourquoi tant
m'inquiéter sur ce qui m'en reste? La plus brillante fortune
ne mérite point ni le tourment que je me donne, ni les pe-
titesses oh je me surprends, ni les humiliations, ni les
hontes que j'essuie. Trente années détruiront ces colosses
de puissance qu'on ne voyait bien qu'à force de lever la
tète \ nous disparaîtrons, moi qui suis si peu de chose , et
ceux que je contemplais si avidement et ae qui j'espérais
toute ma grandeur. Le meilleur de tous les biens , s'il y a
des biens , c'est le repos , la retraite et un endroit qui soit
son domaine*. N'^*^'^ a pensé cela dans sa disgrâce, et 1'^
oublié dans la prospérité.
^ Un noble, s'il vit chez lui dans sa province, il yit libre *,
mais sans appui; s'il vit à la cour, il est protégé, mais il
est esclave : cela se compense.
^ Xantippe^ au fond de sa province, sous un vieux toit
et dans un mauvais lit, a rêvé pendsijit la nuit qu'il voyait
le prince, qu'il lui parlait et qu'il en ressentait une extrême
joie. Il a été triste à son réveil; il a conté son songe, et il
a dit : Quelles chimères ne tombent point dans l'esprit des
hommes pendant qu'ils dorment I Xantippe a continué de
vivre : il est venu à la cour, il a vu le prince, il lui a parlé ;
et il a été plus loin que son songe : il est favori.
% Qui est plus esclave qu'un courtisan assidu, si ce n*est
un courtisan plus assidu?
lions) et toutes ses mesures, op est échec, quelquefois mat : le plus foa
l'emporte ou le plus heureui. » La Tariaote qu'a introduite la Bruyère â
•eosiblemeni moaifié sa pensée, en agrandissant ta part de Tb^Mleté.
1. Yictoriu Fabre a cité cette phrase dans son Éloge de la Bruyère, et,
roulant corriger une « faute trop apparente, a-t-il dit, pour qu'il tut possi*
ble de la laisser passer, >» il à imprimé ^ut' soit notre domaine. Lai seul a
jugé cette correction nécessaire. C'est-bien ton et non pas nôtre qu'a écrit
et qu^a voulu écrire la Bruyère : m Le meilleur de tous les biens pour un
homme, c'est.... un endroit qui soit son domaine, »
3. Il est explétif ; mais les meilleurs écrivains ont souvent placé deyant
le veibe un pronom surabondant pour donoer de la force, du piquant, ou
de la clarté à leur phrase.
S. Xantippe est, dit-on, Bontemps, premier valet de chambre de Louis XIV.
152 CHAPITRE vm.
• % L'esclave n'a qn^un mattre ; Pambitieux en a autant qu*il
y a de gens utiles à sa fortune*.
^ Mille geus à peine connus font la foule au lever pour
être vus du prince, qui n'en saurait voir mille à la fois ; et,
s'il ne voit aujourd'hui que ceux qu'il vit hier et qu'il verra
demain, combiea de malheureux!
% De tous ceux qui s'empressent auprès des grands et
qui leur foot la cour, un petit nombre les honore dans le
cœur, un grand nombre les recherche par des vues d'am-
bition et d'intérêt, un plus grand nombre par une ridicule
vanité, ou par, une sotte impatience de se faire voir.
^ 11 7 a de certaines familles qui , par les lois du monde
ou ce qu'on appelle de la bienséance, doivent être irrécon-
ciliables. Les voilà réunies; et où la religion a échoué quand
elle a voulu l'entreprendre, l'intérêt s'en joue et le fait sans
peine.
% L'on parle d'une région* où les vieillards sont galants,
poUs et civils; les jeunes gens, au contraire, durs, féroces,
sans mœurs ni politesse. Celui-là, chez eux, est sobre et
modéré, qui ne s'enivre que de vin : l'usage trop fréquent
qu'ils en ont fait le leur a rendu insipide. Ils cherchent à
réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie et par
toutes les liqueurs les plus violentes; il ne manque à leur
débauche que de boire de l'eau-forte. Les femmes du pays
précipitent le déclin .de leur beauté par des artifices qu'elles
croient servir à les rendre belles ; leur coutume est de pein-
dre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules,
qu'elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles,
comme si elles craignaient de cacher l'endroit par où elles
pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qu:
habitent cette contrée ont une physionomie qui n'est pas
nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de
cheveux étrangers qu'ils préfèrent aux naturels, et dont ils
font un long tissu* pour couvrir leur tête ; il descend à la
moitié du corps, change les traits et empêche qu'on ne
1. L'ambitieux, dit Bourdaloiie daDS son Strmon sur l'ambition, « a
dans une cour autant de maîtres dont il 'déi>end qu'il y a de gens de
toutes conditions dont il espère d'être secondé ou dont il craint d'être
desservi. »
2. La cour, Versailles.
S. Un long tissu de cheveux, une perruque.
DE LA COUR. 153
connaisse les hommes à leur visage. Ces peuples d'ailleurs
ont leur dieu et leur roi. Les grands de la nation s'as-
semblent tous les joufs, à une certaine heure, dans un
temple qu'ils nomment église. Il y a au fond de ce temple
un autel consacré à leur dieu, où un prêtre célèbre des
mystères qu'ils appellent saints, sacrés et redoutables. Les
grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et
paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et
aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que
Ton voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent
avoir tout l'esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse
pas de voir dans cet usage une espèce de subordination ;
car ce peuple parait adorer le prince, et le prince adorer
Dieu. Les gens du pays le nomment *** ; il est à quelque
quarante-huit degrés d'élévation du pôle, et à plus d'onze
cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons.
% Qui considérera que le visage du prince fait toute la
félicité du courtisan , qu'il s'occupe et se remplit pendant
toute sa vie de le voir et d'en être vu , comprendra un peu
comment voir Dieu peut faire toute la gloire et tout le bon-
heur des saints*.
^ Les grands seigneurs sont pleins d'égards pour les
princes ; c'est leur affaire, ils ont des fnférieurs. Les petits
courtisans se relâchent sur ces devoirs , font les familiers ,
1. Le meilleur commentaire que l'on ait pu faire de cette réflexion est la
citation d^un certain nombre de phrases empruntées à la correspondance des
contemporains. « Il n'y a rien d'exagéré, dit M. Destailleur, dans cette ingé-
nieuse raillerie : l'idolâtrie pour le roi est attestée par les mémoires et cor-
respondances du temps. Mme deSévigné, rerenant de Versailles (mars 1683),
parle à Mme de Guitaut de tous le» enchantements Qu'elle y a trouvés :
« Mais, ajoute-t-elle, ce qui me ))latt souverainement, c est de vivre quatre
heures entières -avec le roi, être dans ses plaisirs et lui dans les nôtres :
c'est assez pour contenter tout un royaume qui aime passionnément à voir
son maître. » Le maréchal de Villeroi écrit à Mme de Maintenon (37 fé-
▼rier 1712) : « Je commence à voir les cieux ouverts, le roi m'a accordé une
addience. » Et le duc de Richelieu (13 sept. 1715) : « j'aime autant mourir
3ue d*ètre deux ou trois mois sans TOir le roi.» On ne se faisait nul scrupule
e le comparer sérieusement à la divinité. Mlle de Monipensier, dans une
réponse à une lettre de Bassy, dit, eu parlant du roi : « Il est comme Dieu,
il tant attendre sa volonté avec soumission, et tout espérer de sa justice et de
sa bonté sans impatience, afin d'en avoir plus de mérite. » Le môme Bussy,
•'adressante M. de Saint-Aignan, premier gentilhomme de la chambre : « Je
m'imaginais que comme la patience dans les adversités et la résignation
aux Toloiltés de Dieu apaisaient sa colère et rendaient enfin digne de see
gr&ces, il en éuit de même à l'égard du roi.... » — m Mais, dit-if dans une
aotre lettre, le roi sait bien mieux ce qu'il nous fautque nous-mêmes* »
154 CHAPITK£ YQI.
et TÎTent comme gens qui n'ont d'exemples ^ donner |ipei'<«
sonne.
^ Que manque-t-il de nos jours à la jeunesse? Elle peut^
et elle sait ; ou du moins, quand elle saurait autant qu'elle
peut, elle ne serait pas plus décisive.
^Faibles hommes! Un grand dit de Timagène^ votre
ami, qu'il est un sot, et il se trompe. Je ne demande paa
que vous répliquiez qu'il est bomme d'esprit; osez seule-
ment penser qu'il n'est pas un sot.
De même il prononce à'Jphicrate qu'il manque de cœur;
vous lui ave» vu faire une belle action : rassurea^-vous , je
vous dispense de la raconter, pourvu qu'après ce que vous
venez d'entendre, vous vous souveniez encore 4o la lui
avoir vu faire.
% Qui sait parler aux rois *, c'est peut-être où se termine
toute la prudence et toute la souplesse du courtisan. Une
parole échappe, et elle tombe de l'oreille du prince bien
avant dans sa mémoire, et quelquefois jusque dans son
cœur : il est impossible de la ravoir; tous les soins que Ppn
prend et toute l'adresse dont on use pour l'expliquer ou
pour l'affaiblir servent à la graver plus profondément et à
l'enfoncer davantage. Si ce n'est que contre nous-mêmes
que nous ayons parlé, outre que ce malheur n'est pas or-
dinaire, il 7 a encore un prompt remède, qui est de noua
instruire par notre faute et de souffrir la peine de notre
légèreté ; mais si c'est contre quelque autre , quel abatte-
ment! quel repentir I Y a<rHl une règle plus utile (contre un
si dangfereux inconvénient que de parier des auives au sou-
veram, de leurs personnes, de leurs ouvrages , de leur^
actions, de leurs mœurs ou de leur coaduite, du moins avee
l'attention, les précautions eli le^ mesures dont on parle de
soi?
% Pîseurs de bons mots, nuuvaia caractère ; je le dirais,
i. Il y • duit celte phnse une toamore ellipti^ve qui ae pencoativ fré-
quemment. G'«8t eioBi, pour ne flitar qae deux eiemplea, que Compile % dit
oane la QtUêrie du Palais:
Qui pourrait toatefois en détourner Lyeandre,
Ce serai i le plus sftr. ... ^
Et que Fontenelle a écrit dans la ppéfaoe de son litre sur les Qraeh0 :
« Voilà oe qu'il faut aux gens dœtes; qui leur égayerait tout cela par des x4^.
flexions, par des traits ou de morale (m même de piaisantéfie, oê serait m
soin dont ils n'aaraiest pas gnode reeonaaiseaiice. •
P£ Là COUA. 155
s'il n'av^U été dit *. Ceux qui nuisent k la réputation ou à
la fortuse des autres, plutôt que de perdre un boa mot,
méritent une peine infamante. Cela n'a pas été dit, et je
l'ose dire.
f^ Il y a un certain nombre de phrases toutes faites que
l'on prend comme dans un magasin , et dont Ton se sert
pour se féliciter les uns les autres sur les événements. Bien
qu'elles se disent souvent sans affection, et qu'elles soient
reçues sans reconnaissance , il n'est pas permis avec oela
de les omettre , parce que du moins elles sont l'image de
ce qu'il y a au monde de meilleur, qui est l'amitié, et que les
hommes , ne pouvant guère compter les uns sur les autres
pour la réalité» semblent être convenus entre eux de se con-
tenter des apparences.
^ Avec cinq ou six termes de Fart, et rien de plus , Ton
se donne pour connaisseur en musique, en tableaux, en
bâtiments et en bonne chère : Von croit avoir plus de plaisir
qu'un autre à entendre, à voir et à maogev; Ton impose à
ses semblables et l'on se trompe soi-même.
% La cour n'est jamais dénuée ' d'un certain sombre de
gens en qui l'usage du monde , la politesse ou la fortune
tiennent lieu d'esprit et suppléent au mérite, ils savent en-
trer et sortir ; ils se tirent de la conversation en ne s'y mé*
lant point ; ils plaisent à force de se taire, et se rendent
importants par un silence longtemps soutenu, ou tout au
plus par quelques monosyllabes'; ils payent de minet, d'une
inflexion de voix, d'un geste et d'un sourire : ils n'ont pas,
si je l'ose dire, jdeux pouces de {Hrofondeur; si vous les en-t
forcez, vous rencontrez le tuf.
^ Il y a de^ €»®ns à qui % faveur arrive comme un acoi*
dent; i}p en so^t les premiers surpris et consternés t ils se
reconnaissent enfin et se trouvent dignes de leur étoile;
fl comme si la stupidité et la fortune étaient deux chosea
1. Pateal l%dU dana ses P«iiBé«t.
3. « 11 faut être bien dénué o'esprif, » a dit la Broyère dapa le chapitre IV.
Ainsi employé, le mot dénué était parfaitement à sa place; mais la conve-
nanoe en est ici oontetiabie : être <lénné {dênudari)^ e^eet ètra douille de
ce qui est uécessaire.
s. « A ceux qui nous régissent et commandent... est le silence non-sea*
lementcoDienance de respect et gravité, mais encore souvent de prouffit et
mesnage.... A combien de sottes âmes, eu mon temps, a servy une mina
froide et taciturne, detUtre de prudence et de capacité! » (Montaigne, pt*
eat«,iii, 8.)
156 CHAPITRE Vin.
incompatibles, ou qu'il fût impossible d'être heureux et sot
tout à la fois, ils se croient de Tesprit; ils hasardent, que
dis-je ? ils ont la confiance de parler en tonte rencontre et
sur quelque matière qui puisse s'offrir, et sans nul discer-
nement des personnes qui les écoutent. Ajouterai- je qu'ils
épouvantent ou qu'ils donnent le dernier dégoCtt par leur
fatuité et par leurs fadaises ? Il est yrai du moins qu'ils
déshonorent sans ressource ceux qui ont quelque part au
hasard de leur élévation.
^ Comment nommerai-je cette sorte de gens qui ne sont
fins que pour les sots? Je sais du moins que les habiles les
confondent avec ceux qu'ils savent tromper.
C'est avoir fait un grand pas dans la finesse que de faire
penser de soi que Ton n'est que médiocrement fin '.
La finesse n'est ni une trop bonne ni une trop mauvaise
qualité ; elle flotte entre le vice et la vertu : il n'y a point
de rencontre où elle ne puisse, et peuirétre où elle ne doive
être suppléée par la prudence.
La finesse est l'occasion prochaine de la fourberie ; de
l'uu à l'autre le pas est glissant ; le mensonge seul en fait
t^^la différence ; si on l'ajoute à la finesse, c'est fourberie.
T^i^ Avec les gens qui , par finesse , écoutent tout et parlent
Vpeu, parlez encore moins ; ou si vous parlez beaucoup, dites
peu de chose.
% Vous dépendez, dans une affaire qui est juste et impor-
tante, du consentement de deux personnes. L'un vous dit :
« J^y donne les mains, pourvu qu'un tel y condescende; »
et ce tel y condescend, et ne désire plus que d'être assuré
des intentions de l'autre. Cependant rien n'avance ; les mois,
les années s'écoulent inutilemeft. c Je m'y perds, dites -
vous, et je n'y comprends rien; il ne s'agit que de faire
qu'ils s'abouchent et qu'ils se parlent. » — Je vous dis,
moi, que j'y vois clair et que j'y comprends tout : ils se sont
parlé.
^ 11 me semble que qui sollicite pour les autres a la con-
fiance d'un homme qui demande justice , et qu'en parlant
ou en agissant pour soi-même on a l'embarras et la pudeur
de celui qui demande grâce.
1 . « C'est une 4;raiide habileté que de savoir cacher son habileté. » (La Ro-
ehefoucauld.)
DE LA COUR. 157
f Si l'on ne se précautionne à la cour contre les pièges
que Ton y tend sans cesse pour faire tomber dans le ridi-
cule, Ton est étonné, avec tout son esprit, de se trouver la
dupe de plus sots que soi.
^ ir II y * quelques rencontres dans la vie où la vérité et
^7^ simplicité sont le meilleur manège du monde '•
/ % Êtes-vous en faveur, tout manège est bon, vous ne
faites point de fautes , tous les chemins vous mènent au
terme*; autrement, tout est faute, rien n'est utile, il n'y a
. point de sentier qui ne vous égare.
nJ^ % Un homme qni a vécu dans l'intrigue un certain temps
^'^iie peut plus s'en passer; toute autre vie pour lui est lan-
guissante.
% 11 faut avoir de l'esprit pour être homme de cabale
l'on peut cependant en avoir à un certain point que Ton
est au-dessus de Tintrigue et de la cabale*, et que Ton ne
saurait s'y assujettir ; l'on va alors à une grande fortune ou
à une haute réputation par d'autres chemins.
T Avec un esprit sublime, une doctrine universelle , une
probité à toutes épreuves et un mérite très-accompli, n'ap-
préhendez pas, ô Aristide^ de tomber à la cour ou de per-
dre la faveur des grands, pendant tout Je temps qu'ils au-
ront besoin de vous. _ '
If Qu'un favori s'observe de fort près ; car s'il me fait
moins attendre dans son antichambre qu'à l'ordinaire , s'il
a le visage plus ouvert, s'il fronce moins le sourcil, s'il
m'écoute plus volontiers et s'il me reconduit un peu plus
loin, je penserai qu'il commence à tomber, et je penserai
vrai.
L'homme a bien peu de Ressources dans soi-même, puis-
qu'il lui faut une disgrâce ou une mortification pour le rendre
plus humain, plus traitable, moins féroce, plus honnête
homme.
% L'on contemple dans les cours de certaines gens, et
l'on voit bien, à leur discours et à toute leur conduite, qu'ils
ne songent ni à leurs grands-pères, ni à leurs petits-fîls :
1. Il est difttdle de jucer si un procédé net, sincère et honnête, est un
effet de probité on d'iiabiieté. » (La Rochefoucauld.)
3. « La fortune tourne tout à Tavanlage de ceux qu'elle favorise.» (La Ro-
chefoucauld.) — « N'esL-9l pas nai, ma llUe, que louttoiirûe bien pour ceux
qui sont heureux? » (Mme de SéTi^Ué, 1679.)
3. ▲ œ point, à te^ pbiUt que l'on soit au-dessus, etc.
158 CHAprtRE vni.
le pi^sént est pour eux; ils n'en Jouisisent pÀS, ils en
abusent.
îf Straton est né sous deut étoiles : malheureut, heufeux
dans le même degré. Sa vie est un roman; non, il lui
manque le vraisemblable. Il n'a point eu d'aventures ; il a eu
de beaux songes, il en a eu de mauvais. Que dis- je? on ne
rêve point comme il a vécu •. Personne n*a tiré d'une des-
tinée plus qu'il a fait; l'extrême et le médiocre lui sont
connus : iî a brillé, il a souffert, il a mené une vie com-
mune; rien ne lui est échappé. 11 s'est fait valoir par des
Tertus qu'il assurait fort sérieusement qui étaient en lui; il
a dit de soi : Tai de Vesprit, fai du courage; et tous ont dit
' après lui : /{ a de Vesprit^ il a du courage. Il a eiercé dans
l'une et l'autre fortune le génie du courtisan , qui a dit de
lui plus de bien peut-être et plus de mal qu'il n'y en avait.
Le joli^ Yaimable , le rare , le merveilleux , l'hërotçue, ont été
employés à son éloge; et tout le contraire a servi depuis
pour le ravaler : caractère équivoque, mêlé, enveloppé; une
>jnigme, une question presque indécise.
•'^ Tf La faveur met l'homme au-dessus de ses égaux ; et sa
chute au-dessous.
% Celui qui, un beau jour, sait renoncer fermement ou à
un grand nom, ou à une grande autorité, ou à une grande
fortune, se délivre en un moment de bien des peines, de
bien des veilles, et quelquefois de bien des crimes.
1[ Dans cent ans, le monde subsistera encore en son en-
tier; ce sera le même théâtre et les mêmes décorations; ce
ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur
une grâce reçue, ou ce qui s'attsiste et se désespère sur un
. refus, tous auront disparu de dessus la scène. II. s'avance
déjà sur le théâtre d'autres hommes qui vont jouer dans
une même pièce les mêmes rôles ; ils s'ivanouiront à leur
1. Straton,... Les clefs boniment ici d'an commmi accord le doc de Laa-
lun, et c'est Justice. « H a été, dit Saint-Simon (son beau-frère), an per»
Bonoage si extraordinaire et si unique en tout genre que c'est avec beaucoup
de raison que la Bruyère a dit de lui dans les CoractôrM qu'it n'était pas
permis de rêver comme il a yécu. » D'abord favori du roi, avec de courtes
intermittences, le duc de Lauzun fut sur le point d'épouser Mlle de Monipen-
sier, cousine germaine de Louis XtV. Disfçracié, il passa dix ans dans la
prison de Plgneroi, puis il revint à Versailles, reçut de belles pensions de
Mlle de Muntpensier,8e brouilla de nouveau avec elle et se fit exclure de la
cour, il commanda eo Irlande le corps d'armée que Louis XIV j avait envoyé
pour venir en aide à Jacques II dans ses tentatives contre le roi Guillauine.
et fut battu au combat de la Boy ne.
DE LA COUR. 159
tour; et ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront
plus ; de nouveaux acteurs ont pris leur place. Quel fend à
faire sur un personii^ge de Comédie !
^ Qui a vu la cour a Vu du Inonde ce qtli est le plus beau,
le plus précieux et le plus orné : tJUi méprise la cour, après
l'avoir vue, méprise le monde.
^ La ville dégoûte de la province ; la cour détrompe de
la ville, et guérit de la cour.
Un esprit sain pui3e à la cour le goùf àti la solitude et de
la retraite *.
J^Jm
CHAPITRE IX.
DEB GRANDS.
La iJtéTeniioll an peuple dit faveur de» grands est si
aveuglé, et Tentéteiiient pour leur geste, leur visage, leur
ton de voix et leurs manières si général que» s'ils s'avisaient
d'être Boiis, cela irait à l'idolâtrie.
% Si vous êtes né vicieux, d ThéagèM*^']^ vous plains ; si
tous le devenes par faiblesse pour ceux qui ont irtérêt que
vous le soyee, qui ont juré entre eux de vous corrompre,
et qui se vantent déjà dB pouvoir y réussir, souffrez que je
TOUS méprise Mais si vous êtes sage , teioapérant, modeste,
eivil, généreux, reconnaissant, laborieux, d'un rang d'ail-
leurs et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à
les prendre d'autrui^ et à faire les règles plutôt qu'à les re-
cevoir, coûvenea avec cette sorte de gens de suivre pa^
ttomplaiâance leurs dérèglements , hurs vices et leur folie,
1. « Voici la première phrase de ce chapitre : « Le reproche en un senA le
« plu» honorable que l'on puisse faire à un botnme, c'est do lui dire qu'il ne
« «tait pas la oour. » En voici la dernière : « Un e&prit sain puise à la cour le
«. guût de la bolitude et de la retraite. » Tous les paragraphe» entre ces deux
phrases amènent la dernière commd un résultat et sont des preuves de la
première. » (Suard.)
2. La plupart des clefs ont nommé le grand prieur Vendôme, et les édi-
teurs modernes ont approuvé l'application qui lui était faite du caractère
de Théagène. Mais Théagène est jeune, et sa vie n'est pas eng^^ée sans re-
tour dans les scandales qui ont rendu célèbre le grand prieur. C'est sans
4oute au doc de Bourbon, son ancien élève, quti la Bruyère s^adresse dans
le secret de son cabinet. Le jeune duc, qui alors avait 33 ans, choisist^aic
fort mal ses amis.
160 CHAPITRE IX.
quand ils auront, par la déférence qu'ils vous doivent,
exercé toutes les vertus que vous chérissez ; ironie forte,
mais utile , très-propre à mettre vos mœurs en s(iretë , à
renverser tous leurs projets, et à les jeter dans le parti de
continuer d'être ce qu'ils sont, et de vous laisser tel que
vous êtes.
% L'avantage des grands sur les autres hommes est im*
mense par un endroit. Je leur cède leur bonne chère, leurs
riches ameublements, leurs chiens , leurs chevaux, leurs
singes , leurs nains , leurs fous et leurs flatteurs ; mais je
leur envie le bonheur d'avoir à leur service des gens qui
les égalent par le cœur et par Tesprit, et qui les passent
quelquefois *.
% Les grands se piquent d'ouvrir une allée dans une fo-
rêt, de soutenir des terres par de longues murailles, de
dorer des plafonds, de faire venir dix pouces d'eau, de
meubler une orangerie ; mais de rendre un cœur content,
de combler une âme de joie, de prévenir d'extrêmes be-
soins ou d'y remédier, leur curiosité ne s'étend point jus-
que-là.
% On demande si, en comparant ensemble les différentes
conditions des hommes, leurs peines, leurs avantages, on
n'y remarquerait pas un mélange ou une espèce de compen-
sation de bien et de mal qui établirait entre elles l'égalité,
ou qui ferait du moins que Tune ne gérait guère plus dési-
rable que l'autre *. Celui qui est puissant, riche, et à qui
il ne manque rien, peut former cette question; mais il faut
que ce soit un homme pauvre qui la décide.
Il ne laisse pas d'y avoir comme un charme attaché à
chacune des différentes conditions, et qui y demeure jus-
ques à ce que la misère l'en ait ôté. Ainsi les grands se
plaisent dans l'excès, et les petits aiment la modération :
1. Gomme Ta remarqué Ménage, Geryantès a écrit, à peu de chose près,
la môme réflexion dans le 31* chapitre de la II* partie de Don Quichotte.
liais que de fois la Bruyère ayait dû penser tout bas ce qu'il écrit ici ! At-
taché a la maison de Bourbon, témoin de la vie du fils et du petit-flls du grand
Gondé, ces deux bizarres personnages dont Saint-Simon a laissé des por-
traits si peu flatteurs, il a dû soulfnr plus d'une fois des étrangetés et des
emportements de leur caractère. Il s'en Tenge par cetie réflexion, qui est
dhine légitime fierté. ^
2. « Quelque différence qui paraisse entre les fortunes, il y a une cer-
taine Cbinpénsatioti de biens et de maUx qui lés rend ésM^, » (La Roche-
foucauld.)
DES GRANDS. 161
ceux-là ont le goût de dominer et de commander, et ceux-
ci sentent du plaisir et même de la vanité à les servir et à
leur obéir: les grands sont entouras, salués,. respectés;
les petits entourent, saluent, se prosternent; et tous sont
contents.
^ Il coûte si peu aux grands à ne donner que des paroles,
et leur condition les dispense si fort de tenir les belles pro*
messes qu'ils vous ont faites, que c'est modestie à eux de
ne promettre pas encore plus largement.
^ c II est vieux et usé, dit un grand; il s'est crevé à me
suivre : qu'en faire? » Un autre, plus jeune, enlève ses espé-
rances, et obtient le poste qu'on ne refuse à ce malheureux
que parce^qu'il l'a trop mérité.
^ Je ne sais, dites-vous avec un air froid et dédaigneux,
Philante a du mérite, de l'esprit, de l'agrément, de l'exac-
titude sur son devoir, de la fidélité et de l'attachement pour
son maître, et il en est médiocrement considéré; il ne plaît
pas, il n'est pas goûté.— Expliquez-vous : est-ce Philante,
ou le grand qu'il sert, que vous condamnez?
% Il est souvent plus utile de quitter les grands que de
s'en plaindre.
If Qui peut dire pourquoi quelques-uns ont le gros lot " î
ou quelques autres la faveur des grands?
^ Les grands sont si heureux qu'ils n'essuient pa&mème,
dans toute leur vie, Finconvénient de regretter la perte de
leurs meilleurs serviteurs , ou des personnes illustres dans
leur genre, et dont ils ont tiré le plus de plaisir et le plus
d'utilité* La première chose que la flatterie sait faire, après
la mort de ces hommes uniques , et qui ne se réparent
point *, est de leur supposer des endroits faibles, dont elle
prétend que ceux qui leur succèdent sont très-exempts :
elle assure que l'un, avec toute la capacité et toutes les lu-
mières de l'autre, dont il prend la place, n'en a point les
débuts ; et ce style sert aux princes à se consoler du grand
et de l'excellent par le médiocre.
% Les grands dédaignent les gens d'esprit qui n'ont que
de l'esprit ; les gens d'esprit méprisent les grands qui n'ont
que de la grandeut. Les gens de bien plaignent les uns et
i. À la loterie.
2. Et dont la perte est irréparable.
11
16S CÉAPITRÉ îi.
lôft autres^ ^ùi ovl M dé li j^ràndèàr eu flë l'espirit', làni
nulle Vertu.
If QUahd je Vois, d'Uhé part, aupr'éà dés grands, à letif
tablé, Ù quelquefois dânà leùtr fâmiliàtitë ; dé clés hômiheé
alertes, empressés, intrigants, aventuriers, esprits 'daiigè-
reUx et iiùi^ibleii, et qtlë je considère j d'atitrë i^art, duëlle
peiné nÛ Ibs ^érébÂiibà dé ihérité à en ap|)ir6tihèr , 3e ne
suis 'j^tà iôlijbUrti disf^bsé II cl'oirë que les méchauts sbleiit
soufferts par intérêt-, oU ^dé ^^^ ^'^^^ ^^ ^^^^ sôiéht regar-
dés cbtàm inUtilels; je trbhré plus ttlbil cbm^ite à me bdfa-
fimier dauà bëttè peilëëe, i^ue ^l^ndeut bt discernement sont
dbbi ehbàbii diJBféî-eiltes^ et l'âmoùr j^bUr là VéHU et (ioût lés
vertueux une troisième chose.
^ Lfmlè aime mieux bsëi* sa tié à be faire sbpfiortër lie
quelt[Uës grande; ^bb d'être téduït à viVîré faihilièirémëiit
aVec sed égauï.
La règle dé Voiir de filuà ^rahds ^ilè ébi doit avoir ses
restrictions. Il faiit qii'el(j[uéfbià li'étràùgëli tàléntii pbUr \i
réduire en pratiqué.
^ Quelle ëât rihcùHblë maladie dé fMùpnm\?n]à iiii
dure depuis plus de trente années; il ne guérit ^bitit : il &
vbiilu, il veut et il Voudra gbtivettiét lèà grands; Ik fcdôrt
seule lui ôtera avec la vie bëttè Mî d'édipii'è 6t d'&scëtidànt
. sur les eSptitâ. £st-cô en Iiii zèle dii t)rbcliaib? ëst-be habi-
' tuOe? bst-cè tidë excessive dt)inion dé sdi-tnêttié? 11 n'y a
point de palais bû il He ^'insinue : bé ii'éât paii àii iiiiliëtl
d'une chambre qu'il s'atrëte; il paiëe à une ènibrââùiie, hû
aU babinet : oH attend qii'U ait parlé, et latlgtéttips, et âVéb
action, pour avoir audience, j^oùr. étire vU. 11 ëuttë dâiis lé
séciretdes familles; il est de t^uël^ile bhosë dànk tout ce
qui letit arliVë dé triste Oii d'aVàhtageUx i il prévient; il
s'offrëi il bèfkit dé fétë*, il faut l'adinett^é. Ce ti*eBt pâli
1. ruiiratt de 11. d& Roquette, ëvôttue d'Atitlin; « qui fi'afàit tien blibiid
pour faire foriune et être un personnage, dit Saint-Simon, tout sacre e|
tout miel, etenirautdans toutes les intrigués.... » Saîhi-Simon insisio sui^
8ft ROOple&sè; et « sod m^négë, »iï'<at l'une des et))l'ë8hionâ de là Bruyère.
« Maijsré tout ce qu'il put faire, il demeura k Autun .et ne put arriver ^ ùno
plils grande foMiihe. Sur ik fin, il se mit & courtiser le roi et la rëiué d'An-
gleterre. Tout lui était boô^ 08péi>eri à se ffijurrer, kib tonille^ >i c'eut ett
1691 que la Bi-uyère écrivait ce caractère, qiii se termine par une allusion à
la cour que l'éveque d'Autun tità Jacques II, débarqué en France deux ans
plus tôt.
1, Il s'impose indiscrètement. Bnssy-Babittia » pluMeura fois employé
cette expression, et particulièrement dans une lettre qu'il écrivit, en i69lti
DES GRANDS. 163
assez, pouï remplir son temps ou son ambition, qaa le boîi)
de dix mille âmes dont il,r^
propre ; il y ep a d'un plii:
distinction dont u ne doit a
plus Tolontiers, U écoute,,!
TÏi^ de pâture à son esprit
niànége. À peine un gT&ôâ
et s'en saisit; on.é^teni^^
le gouverne, qu'on n'a p'
goùveriier'. ^ ^ . . ■ . ■ ,-,,r b
^ tjne froideur ou une incivilité qui, ineni 4B..,ce'ux qui
sont ail-dessus de noiis hoiis le^ laii haïr; mais un salut
ou un sourire ùons les réconcilie*.
^ y y à des hommes superbes qup l'él^yation de leurs
rivaui humilie et apprivoisa; ils çn viennent, par cette disr-
l^^çe, jusqu'à rendre, le s<<iv^ v.'^f^^i^ t^?ip^i T^i Eidoùcii
foqies choses, les remet enfin dans leur natarel.., .
^ Le mépris que les grands ont pour le peuple les ren|^
indifférents sur les flatteries ou sur les losanges qu'ils en
reçoivent, et tempère leur vanité. De même les princesi
loués sans fln et sans relâche des. grands ou des courtisans,
en seraient plus vains , s'ils estimaient davantage ceux qui
les louent
^ Les grands croient âtre seuls parfaits, n'admettent qu'à
peine ilaas les autres hommes là ^roitùre d' esprit ; l'iiabi-
leté, la délicatesse, et s'emparent de ces riches talents,
comme de choses dues ^ leur naissance. C'est cependant
en euï une erreui* grossière de se nourrir d^ si fausses
préventions : ce^ qu'il y, a jamais eu d.é inieui pensé, dé
mieux dit, de mieui ëcrit, .et peu^'étre d'une conduite plus
délicate, né nous est pas toùjoun venu de leur fonds. Ils
k IB Brajtra, Ce U«c»ec r»i»nt remercié d b
demie, bien dn'il ne loi «At point hit connah
dibposiiiau. il loi rduandlti aOïKiid Je iods
«u^iri diflM,.>niias|eiu,.i:a n'csl pu que j'eUBH hfjnu de 'uus »
c'est qu'il ih'h paru qa'uD feitiu annoDcé aisni qu'il Boii rendu s i
daaaDm«rila.'
I. Oif enwad dire k JCbiophila : ■ le le ganieine, a araot qu'oo ail
Umps de iou|>(oDber qnll pt^iait k le gouTerDer.
a. Moui rêcuiicUie afec eux, — ' Voilà, dit BuBST-HabutlD dans sei
• rereiiir et ouLUer loat le poeié. ■
164 CHAPITRE IX.
ont de grands domaines et une longue suite d'ancêtres; cela
ne leur peut être contesté.
% Avez- vous de l'esprit, de la grandeur, de Thabileté, du
goût, du discernement ? en croirai-je la prévention et la
flatterie, qui publient hatfftiment votre mérite? elles me sont
suspectes, et je les récuse. Me laisserai-je éblouir par un
air de capacité ou de hauteur qui vous met au-dessus de
tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s'écrit , qui
vous rend sec sur les louanges, et empoche qu'on ne puisse
arracher de vous la moindre approbation? Je conclus de là
plus naturellement que vous avez de la faveur, du crédit et
de grandes richesses. Quel moyen de vous définir, Télé'
phon'i on n'approche de vous que comme du feu , et dans
une certaine distance ; et il faudrait vous développer *, vous
manier, vous confronter avec vos pareils , pour porter de
vous un jugement sain et raisonnable. Votre homme de
confiance, qui est dans votre familiarité , dont vous prenez
conseil, pour qui vous quittez Socrate et Aristide , avec qui
vous r|ez, et qui rit plus haut que vous, Dave enfin ,
m'est très- connu : serait-ce assez pour vous bien con-
naître?
If II y en a de tels que, s'ils pouvaient connaître leurs
subalternes et se connaître eux-mêmes , ils auraient honte
de primer.
Tf S'il y a peu d'excellents orateurs, y a-t-il bien des gens
qui puissent les entendre? S'il n'y a pas assez de bons écri-
vains, où sont ceux qui savent lire? De même on s*est tou-
jours plaint du petit nombre de personnes capables de con-
seiller les rois, et de les aider dans l'administration de leurs
affaires. Mais s'ils naissent enfin, ces hommes habiles et in-
telligents, s'ils agissent selon leurs vues et leurs lumières,
sont-ils aimés, sont-ils estimés autant qu'ils le méritent?
S'ont-ils loués de ce qu'ils pensent et de ce qu'ils font
pour la patrie? Ils vivent, Ù* suffit; on les censure s'ils
échouent, et on les envie s'ils réussissent. Blâmons le
peuple où il serait ridicule de vouloir l'excuser. Son cha-
grin et sa jalousie, regardés des grands ou des puissants
comme inévitables, les oi^t conduits insensiblement à
le compter pour rien, et à négliger ses suffrages dans
1. Vous enlever votre enveloppe.
DES GRANDS. 165
toutes leurs entreprises, à s'en faire même une règle de
politique.
Les petits se haïssent les uns les autres lorsqu'ils se nui-
sent réciproquement. Les grands sont odieux aux petits par
le mal qu'ils leur font, et par tout le bien qu'ils ne leur font
pas. Ils leur sont responsables de leur obscurité , de leur
pauvreté et de leur infortune ; ou du moins ils leur parais-
sent tels.
% C'est déjà trop d'avoir avec le peuple une même reli-
gion et un même Dieu : quel moyen encore de s'appeler
Pierre^ Jean^ Jacques y comme le marchand ou le laboureur?
Évitons d'avoir rien de commun avec la multitude ; affec-
tons au contraire toutes les distinctions qui nous en sépa-
rent. Qu'elle s'approprie les douze apôtres, leurs disciples,
les premiers martyrs (telles gens, tels patrons); qu'elle voie
avec plaisir revenir , toutes les années , ce jour particulier
que chacun célèbre comme sa fête. Pour nous autres grands,
ayons recours aux noms profanes; faisons- nous baptiser
sous ceux à^Annibàl, de César et de Pompée, c'étaient de
grands hommes; sous celui de Lucrèce , c'était une illustre
Romaine ; sous ceux de Renaud, de Roger, d*OHvier et de
Tancrède^, c'étaient des paladins, et le roman n'a point de
héros plus merveilleux ; sous ceux d'JETecfor, à*AchiUe, à! Her-
cule, tous demi-dieux; sous ceux même de Phébus et de
Diane *. Et qui nous empêchera de nous faire nommer Jupt-
ter, ou Mercwre, ou Vénus, ou Adonis ?
^ Pendant que les grands négligent de rien connaître, je
ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires
publiques, mais à leurs propres affaires; qu'ils ignorent
l'économie* et la science d'un père de famille, et qu'ils se
louent eux-mêmes de cette ignorance ; qu'ils ' se laissent
appauvrir et maîtriser par des intendants ; qu'ils se conten-
tent d'être gourmets ou coteaux*^ d'aller chez Thais ou
1. Héros du Bokmd amoureux deBoiardo (1495),de celai de Berni(is4l),
da Roland furieux ei da Roland amoureux de rArioste, et de la Jérusalem
délivrée du Tasse.
2. Les lecteurs contemporains écrivaient en naarge de cette réflexion
les noms de César de Vendôme, Annibal d*Estrées, Hercule de Rohan,
Achille de Harlay, Phébns de Foix, Diane de Chastignier, etc., etc.
3. C'esi-à-dire Tart d'administrer une maison.
4. BoileaUf Mme de Sévigné, et bien d'autres ont parlé des coteaux, et ce
nom a soulevé de nombreuses dissertations. Selon les uns, lé nom de ce-
teoMX avait été donné à trois gourmets célèbres qui s'étaient partagés sur
l'estime en laquelle on devait tenir les vins de chacun des celteaux de U
166 CHAPITRE IX.
chez Phrynê, de parler de la meute et de la vieille çaente ',
de dire combiéh 11 y à dé postès''de Vaii^ & Èesàûçoa ou k
Philisbourg, des citoyens s'instruisent du dedaÂs et du
dehors d'un royaume,' étudient lé gouvernement, devien-
nent fins et politiques; savent le fbrt et le faible de tbut un
État, Songent à se mièui plàèer , se plaLcent,' s*^élèvent, de-
"i^ieiinent puissants , "éôlilagént te pÀnce cl'^ne partie dés
soins publics. Les graàdsVqûî lés îdédaignaieût, les rêvè-
rent, heureux s'ils deviennent leurs gendres 1
' ^ Si je comparé ensemltlé'ïés deux "bonditibiis des hommes
les pltis opposées, je vètix! dire lès grands avec lé peuplé^
èe dernier kne 'paraît cbnteiit du nécessaire,'^ et l^s autres
ôônt inquiets et pauvres 'avec le feuperflii. Uû' homme du
peuple Àe saurait fàfre aucun nàâl ;' iin grand lie vêtit faire
aucun bien et est capable de' grâiids 'maui.'l'uù^nè ié
formé et ne s'exéi*ce que Mans leii chb^eà qui s6ni"utïles*|
Pautre y joint les pernicieuses, ta se' montrent mgënùment
la grossièreté et la'f ranchiëe ; ici se cache une se Ve maligne
et èorrompue isoùij ï^écdrce' dé la'pbîhjessè. le peuplé n'a
guère d'esprit, "et ïes grands tf ont 'poiù^ d*âme : celùi-là à
un bon fond et n'a pohit dé dehors ; ceux-ci ri* ôiit que des
dehors 'et qu'iiné' sitopîe sùperflbi^. P'àùt-il ô^ter? Je ne
balance pas, je veux être peuple. - ........<,
' Tf Quelque profonds que feô'îerit les grands de la cour, et
quelque art 'qu'ils aient pour paraître ce qd'ils rié'sont'()as
à; pouif rie point paraître ce qu'ils sont, ils né peuvent cacher
leur malignité, leur extréine pente à' rire aux dépens d'au-
truî et à jeter uh rîdïcùle souvent où îl n^y en peut avoir.
Ces beaux talents se découvrent en eux dfti'pi'eriiiércoùp
d*oéSl ; àdihirablés èans doiite' pour erivelôpper une dupé et
tendre 'sot celui qui fest déJàV niais encore plus propres à
léur'ôter tout le plaisir qu'îiè pourraient tirer d'tiri homme
d'^éfeprii,,'qu}' saurait se tourner et' se ^lîèi* en mîUô ma(-
ûières agréables et réjouissantes, sî lé dangereux 'caractère
Champa^e. Selon d'antres, un évêque du Mans ayait reproché à an convive
difticUe de n'aimer que le vin d'un ;;ertaîn ooteau : de la,' diêait-on, ce nom
donné à tous leâ délicats. Quelle que sûii l'ori^îne du mot, origine sur' la-
quelle ge'sont prononcés tour h tour Boiléau, Saint-ÉVremOnd, Bouhours et
Ménage, il était devenu le synonyme dé friand et de gourmet. '
t. « On appelle chiens de meute les premiers Chîens qu'on donne au lais-
ser courre ; vieille meute, les seconds chiens qu'on donne après lés pr9«
miers. » (FureUère.) ,
DES GRANDS. 1.Ç7
du courtisan ne Fepçageait pas à un9 fort ^ande retenue.
Il lui opposé *uii caractère sériât^, dans legueî il se re-
tranché ; et îl fait si bien que les tailleurè, ivec des inten-
tions si mauvaises, manquent d'occasibné de se jouer de
lui.
• • *
% Les aises de la vie, Pabondance, le calme d'iiuQ grande
prospérité, font que ^ês princes ont de la Joie dé reste pour
fire d'-un nain/d^n si,i?çe, d*un imbécile 'et d'un 'mauvais
conte : les cens moins heureux ne rient qu'à proposa
If 0n gratd aime îa Ct\amj)agn9, abhorre la Brib*; il s'en-
ivre oe meitlêur vti que l'hbmme du çèuple : seule diffé-
rence que la crapule laisse entre les conditions les plus dis-
proportionnées, entre le seignQur et l'èsta^ér.'
' ^ Il semble d'àb.ôird qu'il entre' dans les plaisirs des prin-
ces' un peu de celui d'iobommoder les autres. î^ais non, les
prihces/ressémbléhtaux'hommesVils songent à eux-mêmes,
[Suivent leur goût, leurs passions, iQur cdmmo^ië ; cela e^t
naturel. * "- ' . -
" ^ îl semble q^ue 1î\ pren^ère règle des cpmpa^ieij, des
fens en place on d.e^ puissants, est dç donner à ceu:^ qui
épendent ci'eùx pour le l)esoin de leurs affaires toutes les
traverses qu us ■ en peuvent craindre.
' ^ ^ un grand a quelque^eçré d^ bonheur çu^ leaaijitres
hommes, je ne dèyînè pas le^uel^ si ce' n*est "peut-être de
se trouver souvent dans k pouvoir çt dans 1 occasion de
faire plaisir; et, si elle naît, cette conjoncture, il semble
qu'il doive s'en servir : si c'est en faveur d'un homme de
bien, il doit' appréhender qu'elle ne lui échappe! Mais,
comme c'est en iine chose iuste, il doit prévenir la sollici-
tation, et n'être ^ que pour être remercié; et, si elle est
facile, Une doit cas mêmfe la lui faire valoir, è'flîa Ini re^-
fuse, je les çjains tous deux V
^ Il y a des hommes nés inaccessibles; et ce sont préci-
sément ceux de qui les autres ont besoin, ie qui ils dépen-
dent. Ils ne sont jamais que sur un pied ; mobiles comme le
çiercurç, il^ pjrpujçttiei^t,, il3 ge^licnj^ei^t," i)^ Çi^ep^i, îjs. s'ap-
tent : semblables à ces figures de carton qui servent do
i. Le vin de la CltampaguB, U vin de U Brie.
2. ili^ ceux qui dépendint d'em.
S. L'un de n'avoir pee obtenu ce q\^% déeire4 raotsadei n'avoir paa larvi
an homme de bien. en. une chose jaste.
)68 CHAPITRE n.
montre à une fête publique *, ils jettent feu et flamme, ton-
nent et foudroient; on n'en approche pas; jusqu^à ce que,
venant à s'éteindre, ils tombent, et par leur chute devien-
nent traitables, mais inutiles.
^Le suisse, le valet de chambre, l'homme de livrée, s'ils
n'ont plus d'esprit que ne porte leur condition, ne jugent
plus d'eux-mêmes par leur première bassesse, mais par Të-
lévation et la fortune des gens qu'ils servent, et mettent
tous ceux qui entrent par leur porte et montent leur esca-
lier, indifféremment, au-dessous d'eux et de leurs mattres :
tant il est vrai qu'on-est destiné à souffrir des grands et de
ce qui leur appartient!
% Un homme en place doit aimer son prince, sa femme,
ses enfants *, et après eux les gens d'esprit ; il les doit
adopter, il doit s* en fournir et n'en jamais manquer. Il ne
saurait payer, je ne dis pas de trop de pensions et de bien-
faits, mais de trop de familiarité et de caresses, les secours
et les services qu'il en tire, même sans le savoir. Quels pe-
tits bruits ne dissipent-ils pas? quelles histoires ne rédui-
sent-ils pas à la fable et à la fiction? Ne savent-ils pas jus-
tifier les mauvais succès par les bonnes intentions ; prouver
la bonté d'un dessein et la justesse des mesures par le bon-
heur des événements; s'élever contre la malignité et l'envie
pour accorder à de bonnes entreprises de meilleurs motifs ;
donner des explications favorables à des apparences qui
étaient mauvaises; détourner les petits défauts, ne montrer
que les vertus, et les mettre dans leur jour; semer en mille
occasions des faits et des détails qui soient avantageux, et
tourner le ris et la moquerie contre ceux qui oseraient en
douter ou avancer des faits contraires*? Je sais que les
grands ont pour maxime de laisser parler, et de continuer
d'agir; mais je sais aussi qu'il leur arrive, en plusieurs reU'
contres, que laisser dire les empêche de faire.
i. U s'agit de piècee d'artifice.
2. Sa femme, sesenfantSi êonprincêt dans la 4* éditioD, la première qai
ftit contena oette réflexion. A la 6* édition, la Brayère a placé l'amour du prince
a^ant l'amour de la famille ; mais, comme on le verra plos loin, il met l'Ëtat
att-desBus da prince.
8. « Un vrai ami est une chose si aTantagease,mème pour les plus grands
seigneurs, afin qu'il dise du bien d'eux et qu'il les soutienne en leur ab-
sence même, qu'ils doiTent tout faire pour en avoir. Mai» qu'ils cLoivssent
bien ; car s'ils font tous leurs efforts pour des sots, cela leur sera inutile,
quelque bien qu'ils disent d'eux. » (Pascal.)
DES GRANDS. 169
% Sentir le mérite, et, quand il est une fois connu, le Bien
traiter, deux grandes démarches à faire tout de suite, et
dont la plupart des grands sont fort incapables.
^ Tu es grand, tu es puissant, ce n'est pas assez; fais
que je t'estime, afin que je sois triste d'être déchu de tes
bonnes grâces, ou de n'avoir pu les acquérir.
^ Vous dites d'un grand ou d'un homme en place qu'il
est prévenant, officieux , qu'il aime à faire plaisir ; et vous
le confirmez par un long détail de ce qu'il a fait en une af-
faire où il a su que vous preniez intérêt. Je vous entends :
on va pour vous au-devant de la sollicitation, vous avez
du crédit, vous êtes connu du ministre, vous êtes bien
avec les puissances : désiriez-vous que je susse autre
chose?
Quelqu'un vous dit i€ Jemê plains d'un tel, H est fier de-
puis son élévation^ il me dédaigne^ il ne me connait plus. »
c Je n'ai pas, pour moi, lui répondez-vous, sujet de m'en
plaindre; au contraire, je m'en loue fort, et il me semble même
quHl est assez civil. > Je crois encore vous entendre : vous
voulez qu'on sache qu'un homme en place a de l'attache-
ment pour vous, et qull vous démêle dans l'antichambre
entre mille honnêtes gens de qui il détourne ses yeux, de
peur de tomber dans l'inconvénient de leur rendre le salut
ou de leur sourire.
Se louer de quelqu'un, se louer d'un grand, phrase déli-
cate dans son origine, et qui signifie sans doute se louer
soi-même, en disant d'un grand tout le bien qu'il nous a
fait, ou qu'il n'a pas songé à nous faire.
On loue les grands pour marquer qu'on les voit de près,
rarement par estime ou par gratitude* On ne connaît pas
souvent ceux que l'on loue : la vanité ou la légèreté l'em-
porte quelquefois sur le ressentiment; on est mal content *
d'eux et on les loue.
^ S'il est périlleux de tremper dans une affaire suspecte,
il l'est encore davantage de s'y trouver complice d'un grand :
1. Àtt dix-Beptième siècle, on plaçait beaucoup plue Bougent l'adxerbe fnal
deTBDt un tidjeciif que nous ne le faisons aujourd'hui : « mal propre à déci-
der, «dans le Misanthrope (1,2) ; «lieu si mal propre & notre confidence,»
dans Cinna (II, 2) ; « le ciel a nos vœux mal propice, » dans Horace (V, S).
On préférait mal content à mécontent: mal cont)rnt est « plus noble et
plus de la cour, » disaient les puristes; pour eux, w^mécontent était un fao
tieux, un rebelle.
179 CHAPITRE a.
il B'e^ tirç, et ^90* laisse, payer dpublçment, mut ^ et
pour vous *.
une
lui
trop
geaçice au ^rt ou'il en a reçu*
^ j - - - ^ • -
pouç
prinae
part et d^autres 4e.s fonctions yieu^ aubUmes çt dVne mer-
ye^leusQ utilité ; les ^om^es uq sont guère capables îe
plus, grandes choses, çt ie né sais d'pù t^ robe'^t \épé^^ ont
puisé de quoi se mépriser réciproquement. '
% S*U e|t y?r^i qg^'^ Çra?.^ ^punç ylus ^ U fortune ^ors-
gu'Ûj has^i^de ui\evie àestïùeè à co^Içr dans les ris, ^e plai-
^\r et l'abondance, qu'un particuliç,^ qui ne Visc^ûe que ^es
joun^ q^i $Q;nt p^ij^éi^ables, il faut} avouer aussi qu'^ a un
tout autrç dédoQilinagçmeàlj, qo^' est la gl^oirç^ e^ îa haute
réjpu.tation. j^e, sol(^t ne senti pas qu'il soit connu ; il meurt
obscur et dans la ■Coule : il vivaijt de môixie, à, Ija vérité,
inais ij, vivait ; et c^est V^Ç, aes sources du défaT^i| de cou-
ç^^e 4i3^s les^ conditions basses et serviles. Ceux, au con-
traire, que la naissance démêle d'avec le peuple, et expose
9UX yeux des. hommea, k leur censure et à leurs éloges,
sont même capables d^ sortir par effort de I^iir tei;opéra-
ïn^t, s'il ne les portaitj pas à la vertu*; et cette disposi-
tion de cœur et d'esprit , qui passe des aïeuls par les pèrea
dsgois ]^ur$ descendants, est ce^tte bravoure si Can^ilière aux
personne^ npble^i e^ peut-être^ la noblesse méçx|^
t. Le nom de Gaston d'Orléans, frtoe de Lonis XIII, Tient tontoatoreUe-
ment se placer à côié de cette réflexion. Son histoire en démontre la par-
faite justesse. Mais la Bruyère pensait- il à Gaston en récfivtjfat ? d'est une
Vérité «s tous lés )ouri qu'il exprimidu - .r. ^
2. lA Brojère dit des ewapkuMiits oeqoe Racine a dit des fl^ttears. dans
Détestables flattenrs, présent le pins funeste
Que plusse faire aux rcie laiftolère céleste!
Qn sait la phrase de Tacite : Pesaimum inimicorum genus^ îaudantfs,
• 8."Gette réflexion a été publiée pour la première fois dans là 4* édition.
](,a gloire du souverain .y venait axant le salut de l'Etat; vùt^s d^ la S* èdf-
t^n, \fi salut de PEtat igt placé en première ligne.
4. Virtus^ courage.
DES GRANDS. 171
smà
répondre
% Les princes, isans autre science ni autre règle, ontj un
goét de comparaison : ils * sont nék et (élevés aijL iriilieù et
conime dans le centre des meilleures' ciioses, i, quoi ils rap-
portent ce' qu'ils lîb'ent, ce qu'ils voienf et ce qù'iTs enten-
dent. Tout ce qui s'éloigne trop dé' Ltjlli, de Racine et de
liE Brxjn *, est condamne.
f Ne parler' aux jéunës princes que du soin de leur rang
est un eicès de ptécàuliioiiVïôrsque toute une' cour met son
devoir eV une partie de sa pbliteààe aies respecter, èV (juMls
sont 'bien moins sujets k* ignorer aucun des égaMs d,ùs^^
leur naiissance ' qu'à èdnfondrç les personnes et les traiter
îndiflférèmment et sans distinction des conditions et des ti-
tres. Ils ont une fierté" naturelle, qu'ils retrouvent dans les
occasions ; il ne leur fau1; d.es leçons que pour la réj^ler, que
potr leur inspirer là bonté, llibimôteîé et Tésprit c^ di^icer-
nement.
que tout le monde lui cèd(e. Il ne lui coûte rien d'êtr^
àiodeste, de se riiëlef dans ïa multitude (jui Va §*ouvri^
pour lui, de prendre' dans yiii.e 'assemblée une de^ni^ère
place, afin que tous Vj voient et s'empresseàt d.e 1,'èn ô^er.
La modestie esi d'une pratique plus amèré aux hommes
d'une condition ordinaire ; s*ils se jettent dans ]^ foule, oni
les écrasé; s'ils choisissent un poste incommode, il, leur
demeure.
^'Aristarque se transporte dans la place avec un héraut
et un trompette; celui-ci commence : toute la multitude
accourt et âe rassémblife. « Écoutez,' peuple, dit*l,è. Ijérà.ut,
§6yez atténiîfe; sileiicé, sùence! Aristarqw^ que vous voyez
présent, doit faire demain Une bonne action*. 3' Je dirai plus
1. 1,um, voyez p. 89. — Charles le Bran (l«l»— tô»), célèbre peintr»
4e Técole française. - - - ;"
2. Allusion, si l'on en croit le» etefs, à un trait dp 1^ vie dp premier pré-
sident Achille de Harluy s ayant reçu u» legs de a5,00û 'francaj il .le»
aurait brasquftment'donaés aux pauvre» pendant son séjour èrla cour. -»
« Il avait, auiwnt rexpression de Saint-Simon, un orgueil raffiné, mais ex-
trême, e| qui malgré lui sautait aux yeux, « Aussi, lui faisant Fapplicatioii
de Talinéa précédent, les commentateurs ont^ls voulu voir en loi l'bomm^
qui prend la dernière place pour qa'on l'en ôte.
172 CHAPITRE IX.
simplement et sans fignre : Quelqu^un fait bien ; yent-il
faire mieux? que je ne sache pas qu'il fait bien, ou que je
ne le soupçonne pas du moins de me Tavoir appris.
% Les meilleures actions s'altèrent et s'affaiblissent par la
manière dont on les fait, et laissent môme douter des in-
tentions. Celui qui protège ou qui loue la vertu pour la
vertu, qui corrige ou qui blâme le vice à cause du vice,
agit simplement, naturellement, sans aucun tour, sans nulle
singularité, sans faste, sans affectation ; il n'use point de
réponses graves et sentencieuses, encore moins de traits
piquants et satiriques*; ce n'est jamais une scène qu'il
joue pour le public, c'est un bon exemple qu'il donne, et
un devoir dont il s'acquitte ; il ne fournit rien aux visites
des femmes, ni au cabinet*, ni aux noavellistes ; il ne
donne point à un homme agréable la matière d'un joli
conte. Le bien qu'il vient de faire est un peu moins su,
à la vérité ; mais il a fait ce bien : que voudrait-il da-
vantage?
f Les grands ne doivent point aimer les premiers temps;
ils ne leur sont point favorables : il est triste pour eux d'y
voir que nous sortions tous du frère et de la sœur. Les
hommes composent ensemble une même famille; il n'y a
que le plus ou le moins dans le degré de parenté.
f Théognis est recherché dans son ajustement, et il sort
paré comme une femme : il n'est pas hors de sa maison,
qu'il a déjà ajusté ses yeux et son visage *, afin que ce soit
une chose faite quand il sera dans le public, qu'il y paraisse
tout concerté, que ceux qui passent le trouvent déjà gra-
cieux et leur souriant, et que nul ne lui échappe. Marche-
1. Cette phnse, ajoutée iprèscoap, aenoore para contenir one aUosion ao
même président deHarlay. « Les sentences et les maximes, dit Saint-Simon^
étaient son langage oMinaire, même dans les propos communs.... On ferait
un Tolume de ses traits, tous d'antant pins piqnanu quHi avait infiniment
d*esprit. »
3. Rendes-TOus à Paris de quelques honnêtes gens pour la conversation
(Noté de la Bruyère). Ce mot depuis longtemps désignait les réunions où
s'assemblaient les savants et les littérateurs, soit ches l'un d*entre eux, soit
ches quelque grand personnage, « pour faire une conversation savante et
agréable, » selon la définition du Dictionnûre de Trévoux. Dans la corres-
pondance de l'astronome Bouliiau et des érudits qui se retrouvaient chaque
jour Mutour de MM. Dupu7,le cabinet était la bibliothèque de M. de Theu, fils
du célèbre historien. Plus tard. Ménage, le marquis et l'abbé de Dangeau,
l'abbé de Choisy et quantité d'autres ont tenu cabinet,
8. Qu'il s'est déjà fait une contenance étudiée. Deux lignes plus haut, dans
la même phrase, a^uetement est synonyme d'habillement.
DES GRANDS. 173
t-il dans les salles, il se tourne à droit *, où il y a un grand
inonde *, et à gauche, où il n'y a personne ; il salue ceux
qui y sont et ceux qui n'y sont pas. 11 embrasse un homme
qu'il trouve sous sa main ; il lui presse la tôte contre sa
poitrine : il demande ensuite qui est celui qu'il a embrassé.
Quelqu'un a besoin de lui dans une affaire qui est facile; il
va le trouver, lui fait sa prière : Théognis l'écoute favora-
blement ; il est ravi de lui être bon à quelque chose ; il le
conjure de faire naître des occasions de lui rendre service;
et, comme celui-ci insiste sur son affaire, il lui dit qu'il ne
la fera point ; il le prie de se mettre en sa place, il l'en fait
juge. Le client sort, reconduit, caressé, confus, presque
content d'être refusé.
^ C'est avoir une très-mauvaise opinion des hommes, et
néanmoins les bien connaître, que de croire, dans un grand
poste, leur imposer par des caresses étudiées, par de longs
et stériles embrassements.
^ Pamphile ne s'entretient pas avec les gens qu'il ren-
contre dans les salles ou dans les cours ; si l'on en croit sa
gravité et l'élévation de sa voix , il les reçoit, leur donne
audience, les congédie. Il a des termes tout à la fois civils
et hautains, une honnêteté impérieuse et qu'il emploie sans
discernement : il a une fausse grandeur qui l'abaisse, et
qui embarrasse fort ceux qui sont ses amis, et qui ne veu«
lent pas le mépriser.
Un Pamphile * est plein de lui-môme, ne se perd pas de
vue, ne sort point de l'idée de sa grandeur, de ses alliances,
de sa charge, de sa dignité ; il ramasse, pour ainsi dire,
toutes ses pièces^, s'en enveloppe pour se faire valoir: il
dit : Mon ordre, mor^ cordon bku; û l'étalé ou il le cache par
ostentation; im Pamphile, en un mot, veut être grand : U
croit l'être, il ne l'est pas, il est d'après un grand\ Si
1. Voyez page 103, note 1.
2. Où il 7 a Deaacoap de monde.
8. Pampbile est, de toate évideDce, le marquis de Dangean, cet excellent
homme •( chamarré de ridicules, comme dit Saint-Simon, à qui la tète avait
tourné d'être seigneur. » Il était membre de l'Académie française.
4. Tontes les pièces de son écusson. C'est eu 1691 qu'a paru cet alinéa.
ùangeau était depuis trois ans chevalier de l'ordre du SaintrEsprit. Les cbe-
Taliers de cet ordre portaient un large ruban bleu au bout duquel pendait la
croix du SaintpEsprit ; ce ruban et cette croix figuraient autour de leurs ar-
moiries.
5. m Ses charges et son argent , écrit Saint-Simon an sqjet de Dangeau, en
174 CHAPITRE ÏX.
quel({aefois il sourit à un homme au dermer ordre, à un
nomnié d^eiprit, il choisit son temps si juste qu'il p'est.ja-
ùiais ^iris sur lé fait : aussi la rougeur lui monterait -elle au
visage; s'il était malheureusement surpris dans la moindre
familiarité avec quelqu'un éui n'est ni opulent, ni puisj-
sant. lU ami d'ikh ministre, ni son allié ^ ni çon dome^tiqi^e^
Il eist séVère et Inëzoi'âhie à 4ui n'a point encore ifâit sa for-
tuiie. Il voua laperçoiib un jour dans une galerie, et il vous
fuit; et lé lehdeihain V^l vous trouve eh un endroit m9ins
J^Ùblic, pu, s'il est public, en là compagnie d'un grand, u
prfend cottra'gô, Il vient à vous, et il vous dit ; Vous ne fai-
siez pcà hier semblant àè nous voir. Tantôt U ypuis. quitte
brusquement pour joindre un seigneur ou un premier corn-
Bais*, et taîltot; s'il les bbuve avec vous en conversation,
il vous coupe* et vous les énlêye. If oui ràbordêz liiié autr^
fôîs, *et il ne s'ârrèté pas*; il se ïail suivre, vous , parle si
haut que Vest une scène pour ceux qui pâssçnt. Aussi les
Pâmphiles sont-ils toujours comnie sur un. théâlre;,gens
nourris dans le faux, et (|ui né haïssent rien taHt que d'être
naturels;.^ vrais personnages dé comédie, des Floridors, deâ
Monàoris*. .......
^ 04 iie tarit point sur lés Pâmphiles *. ils sont I)as et ti-
mides devant les princes et les ministres^ pleins de hauteujr
et de cônâànce avec ceux qiii n ont que de là vert^û *,. muets
et embarrassés avec les savants; vifs, hardis et décisifs
slvec ceiix (|ui ne savent riéii. Us parlent de guerre à iin
mviiéni ïàli Bon pas an Bëlj^neal', maiB, comme Ta ^i plaisammisnt dit là
BjrujèrA^ un hQixuné diaprés un seigneur.... Sa fkdeur naturelle, eotée sur là
bassesse du courtisan et recfépie ae l'o,rgueil d\) sç^igoeur postiche» fii u|i
composé que combla la grande maîtrisé de l'oirare de Sàint-Làzare. Il ât lé
singe du coi daiia les.proDiQtions (|a'il fit de^cei ctrdro » toute la cour accou-
rait ppur rire avec aci^odale, tandis gu'il a'en cjroyait idmiré. » ■ •
1. Ni Attaché à sa inaisoii. Tous ceux qui àvaiëni des emplois auprès d'un
grand, fussent-ils des {^entilsliommes, étaient nommés ses domestiques,
2. IjO premier commis d'un ministre était un personnage important. Le
marquis de Saint-Pouange, qui était cousin- gennain de Louîois, et dont
l'autorité était grande à la cour, avait été le commis principal de Louvoie
et de Barbézieux.
8. Couper^ cfest passer devant une personne ei la séparer d'une autreé
Mme de Sévigné et Saint-Simon se sont sertis du mot eoup«r dans le même
sens* 1 ' '
4. Peuft^tre.ee traiiesiril une iréminisoencè d^nn passage deThéopbraste i
« Un homme Aer et aapevbe. n'écoute pas celui iftti Taborde dans là place
pour lui parler de quei^ite. affaires mais sabs s'arrêter et se faisant suirra
quelque temps...» {De ^orgueil.)
i. t'Ioridor etMondoris aoteurê célèbres de Taoclen théâtre français. Moo-
dori eat mort en 1651, Floridor en 1672.
DES GklNbé. 175
hôibtne li'é irote , et de JièUliqtié k xA fiàaùcier ; iis sàvênî
lliistoire aveb les îeiniiifes ; ils sont Jioêtéis avec un 'docteur
ôt gébitiêtreis avtec un poétê. î)e ftlaxliiifes, ils né s'en char-
gent pas ; de princi^es^ encore moins : ils vivent à Tàven-
tiire; poussèl et eritrati^'és par le Vent de fa faveur et t^ar
râttrait dés Hcheéseè. ils n»otit point d'ojpiîiion qÂi sôit à
eiii, &ài leur èbit propre ; ils eu (Bmbrûlit'ént à mesure qu'ils
eh ont Besoîtt ^^et clèlui li àût ils btit rebôîirk h^eét guère un
homme èàge, ou Hiabtlè, ou Vértueùi ; c^ëst \in homme a
la iïibdé.
If Nbtite aVoùé pour les ^râilds él jfoùr tes 'gehs ôii ^iâcè
une jalousie stérile bii Une hàiiie impuissante, qui né nous
venge poiiit dé leur sjplfendéur et de Ibur él'étâlîon ", et qiii
ûB fait (iu*aj6\iter 1 nôtrb pi'opré misêi*e le poids insu^pot-
tablb dti boxiheur d^âutrui. Qûè faire contre une maladie ie
râin'é ai iHvétéré'e fet ai êoiitâgieùse ? Coûtéiitolds-iiôus de
cmr un conliiiis, tt'fitré ïepbds^é k une po'rie par là fbùlê
iimombi'aËlé de bliehts bb ne courtisans dbht la maison d^un
ministre se d'égorgé plusieurs foiâ le jour* ; de languir dans
sa sàllë d'àudieiibb ; de lîil dëmâiider ^ en Semblant et en
hàlbutiàntj une ctiose )ustb ; d'ëssùyer sa gravité, son ris
ameir et èbii tàcoViismB, Alors je ne le hais pliis^ je iié lui
porte plue d*ehirlë ; il tie më fait àuciliië prière, je ne lui en
fais ^as; nbtis somméà égàui, st ce n'est peUt-Ôtrë qu'il
n*ei5t paô trahquille, fet que je le suis*. . _ ^
% Si lé§ grandi oiit lé^ bccksibns de nous faire dû Bien.
ilS éh biit ràrfeinéîit la volonté ; et i'ils désirefat de nous
fsdf e dh mal, ilâ h'ën troùvënl paé t6ujoui*s }es occasions.
Ainsi Ton peut être trompé dans l'espèce de cùlté qu'on leur
rend, i'il n'est fobdê qùé sur l'ésperàiicë Bù sur la crainte ;
et une longue vie se termine quelquefois sans qu'il arrive
ie dépendre d'eux pour le moindre intérôt j ou qu'oU leur
1. . « PoisqiM} noiMs ne la pouvona aveiodre^ àraildit Montaigne en parlftnt
de là.grandeur« Tengeons-Dous.à en mesdite. »
3. Virgile, GéorgiqwSf II, 462 :
Ifaoe salatantnm totis yomit se(iibd& uudam.
1. La Bruyère , dit-on , s'est souvenu de Louvois en ecrif ant cet alinéa.
176 CHAPITRE IX.
doive sa bonne ou sa mauvaise fortune. Nous devons les ho-
norer, parce qu'ils sont grands et que nous sommes petits,
et qu'il y en a d'autres plus petits que nous qui nous ho-
norent.
f A la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes faiblesses,
mêmes petitesses, mêmes travers d'esprit, mêmes brouille*
ries dans les familles et entre les proches, mêmes envies,
mêmes antipathies. Partout des brus et des belles-mères,
des maris et des femmes, des divorces , des ruptures, et de
mauvais raccommodements ; partout des humeurs, des co-
lères, des partialités, des rapports, et ce qu'on appelle de
mauvais discours. Avec de bons yeux on voit sans peine la
petite ville, la rue Saint-Denis, comme transportées à V'*^'*^'*^
ou à F*** *. Ici Ton croit se haïr avec plus de fierté et de
hauteur, et peut-être avec plus de dignité : on se nuit réci-
proquement avec plus d'habileté et de finesse; les colères
sont plus éloquentes , et Ton se dit des injures plus poli-
ment et en meilleurs termes ; Ton n'y blesse point la pureté
de la langue ; Ton n'y offense que les hommes ou que leur
réputation : tous les dehors du vice y sont spécieux *, mais
le fond . encore une fois , y est le même que dans les con-
ditions les plus ravalées ; tout le bas, tout le faible et tout
l'indigne s'y trouvent. Ces hommes si grands ou par leur
naissance, ou par leur faveur, ou par leurs dignités, ces
têtes si fortes et si habiles, ces femmes si polies et si spi-
rituelles, tous méprisent le peuple , et ils sont peuple *.
Qui dit le peuple dit plus d'ime chose : c*est une vaste ex-
pression, et l'on s'étonnerait de voir ce qu'elle embrasse,
et jusques où elle s'étend. Il y a le peuple qui est opposé
aux grands ; c'est la populace et la multitude : il y a le peuple
qui est opposé aux sages, aux habiles et aux vertueux; ce
sont les grands comme les petits.
f Les grands se gouvernent par sentiment : âmes oisives ,
!• À Versailles oa à Fontûneblean.
S. Y sont beaux. La Bruyère, comme nous l'avons déjà tu, donne Boarent
kspécieux le sens qu'il a le plus fréquemment en latin.
3. a ... Quelque élevés qu'ils soient, ils sont unis aux moindres des
hommes par le môme endroit. Ils ne sont pas suspendus en l'air, tout ab-
straits de notre société. S'ils sont plus grands que nous, c'est qu'iJsontia tête
plus élevée; mais ils ont les pieds aussi bas que les nôtres. Ils sont tous aa
même niveau et s'appuient sur la même terre; et, par cette extrémité, ilt
■ont aussi abaissés que nous, que les enfants, que les bèies. » (Pascal.)
DES GRANDS. 177
sur lesquelles tout fait d'abord une vive impression. Une
chose arrive ; ils en parlent trop ; bientôt ils en parlent peu;
ensuite ils n'en parlent plus, et ils n'en parleront plus. Ac-
tion, conduite, ouvrage, événement, tout est oublié; ne leur
demandez ni correction, ni prévoyance, ni réflexion, ni re-
connaissance, ni récompense.
% L'on se porte aux extrémités opposées à Tégard de
certains personnages. La satire, après leur mort, court
parmi le peuple, pendant que les voûtes des temples reten-
tissent de leurs éloges. Ils ne méritent quelquefois ni libelles
ni discours funèbres ; quelquefois aussi ils sont dignes de
tous les deux.
% L'on doit se taire sur les puissants : il j a presque tou-
jours de la flatterie à en dire du bien ; il y a du péril à en
dire du mal pendant qu'ils vivent, et de la lâcheté quand
ils sont morts.
CHAPITRE X.
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE «.
Quand l'on parcourt , sans la prévention de son pays,
toutes les formes de gouvernement , l'on ne sait à laquelle
se tenir ; il y a dans toutes le moins bon et le moins mau-
vais. Ce qu'il y a de pins raisonnable et de plus sûr, c'est
d'estimer celle où l'on est né la meilleure de toutes, et de
s'y soumettre.
^ Il ne faut ni art ni science pour exercer la tyrannie ;
et la politique qui ne consiste qu'à répandre le sang est fort
bornée et de nul raffinement; elle inspire de tuer ceux dont
la vie est un obstacle à notre ambition : un homme né cruel
fait cela sans peine. C'est la manière la plus horrible et la
plus grossière de se maintenir ou de s'agrandir.
^ C'est une politique sûre et ancienne dans les républi-
ques que d'y laisser le peuple s'endormir dans les fôtes,
dans les spectacles , dans le luxe, dans le faste, dans les
plaisirs, dans la vanité et la mollesse ; le laisser se rem-
1. ÎM république, c'ediVÈUt^tûipublica. Pendant les cinq pireiâières
éditions, lé litre au chapitre était simplement ï Du iouvétùih.
12
i78 CHAPITRE X.
plir du vide et savourer la bagatelle * : quelles grandes dé-
marches ne fait -on pas au despotique •" par cette indul-
gence I • • . • .. .
'If n n'y a point de patrie dans le despotique; d'au-
tres choseâ y suppléent : Tintérêt, la gloire , le service" du
prince. - • •
^ Quand on veut changer et innover dans une république,
c'est moins lès choses i^ue le temps que ron considère. Il
y^a des cotljonclures où Ton Sent bien qu*on rie saurait trop
attenter contre le jieuple ;' et il y en a d'autres où il est clair
qtt'on ne peut trop le ménager. Vous pouvez aujourd'hui
ôter à cette ville ses franchises , ses droits , ses privilèges ;
mais demain ne songez pas mémt réformer ses ensei-
gnes*.' '• •
•^f Quand le peuple est en mouvem on ne comprend
pas pat où le calmé peut y rentrer ; et nd il est paisible, '
on ne voit pas par où le calme peut en . ir.
If 11 y a de certains maux dans la rép» Tue qui y sont
soufferts, parce qu'ils préviennent ou en ihent de plus
grands maux. Il y a d'autres maux qui soub ^els seulement
par leur établissement*, et qui, étant dans leur origine un
abus ou un mauvais usage, sont moins pernicieux dans leurs
suites et dans la pratique qu'une loi plus juste ou une cou-
tume plus raisonnable. L'on voit une • espèce de maux que
1. La hagatelle,\e9 frivolités agréables. «L'enchantement de la bagatelle,
dit Bourdaioue, dissipe tellttnentQoapeDsées qne noa» oablions le seul bien
digne de nôtre suuyenir. »
2. Quels grands pas, quels progrès ne fait-on point vers le gouvernement
despotique.. ..
3. Aulrerois les enseignes des marchands, au lieu d'être appliquées conlro
les murs, étaient suspendues au-dessus de latôte des passante; elles étaient
si numhceuses et de dimension si grande que les-rue&eB étaient pai'foia
obscurcies. A Paris, un règlement de police les réduisit, en 1669, à ane di-
mension commune. — Toute la correspondance administrative du règne de
Louis XIV vient à Tappui de la réflexion, de la Bruyère. Le plus souvent^ le
gouvernement intervient dans les affaires municipales, méconnaît les privi«
fegeSffiUpprimeou violente les élections, sans éprouver la moindre résistance;
il pourra même en .1092, trois ana après la f>ablicatien deee passage, retirer
d'un seul coup aux communes le droit d'élire leurs magistrats,. sans que
cette mesure provoque la plus légère opposition. Quelquefois, au contraire,
la diminution des uffices d'écbevins dans un corps de ville où ils sont
trop nombreux, ou telle autre mesure de minime importance, soulève
des émeutes. L*ëdit qui enjoignit aux particuliers de se servir pour leurs
contrat» de papiers timbrés sur lesquels se trouvaient imprimées à Tavance
les formules usitées, a donné lieu en Guyenne et en Bretagne, de 1673
à 1675, à de graves désordres que suivirent dès répressions terribles.
4. Par la manière dont ils entêté établit.
DU SOUVERAIN OU DE LA, RÉPUBLIQUE. 179
i • • •
Voxk p,e.utjCorrigerjPW le C;l\aiigfiment ou la nouvefiuté* qui
est UA mal, et fort dgingereux *, ïl y eu a (faulrès cachés et
eufoncés comme des ordures Bans, un cloaque, je veuxdirô
ensevelis sous la Uonte, sous le secret et dans r.ol;)scurît^ :~
on i^e pei^t les fouijler étales remuer qu'ils n* exhalent le
poison et l'iniamie : les pf^. sages doutent quelquefois s'î[.
est mieux de connaîtra ces. maux que de les ignorer. L'on
tolère quelqueCpis ilans, un Etat un assez grand mal, mais,
qui détourne un million de petits maux ou d'ipconvénients^
qui tous seraient, inévitables et irrémédiables.' Il se trouve
des maux, doAt, chaque particulier gémit, et qui dçyiennent.
néanmoins, un bien pub,lic ', quoique le public ne spi^ autre
chose que tous les particuliers. Il j a des maux personnels
qui concourent au bien et à. l*avantage de chaque famille,
yen a qui affligent, ruiijient. ou déshonorent les famillçs^i
mais qui tendent au bien'ét à la conservation de î^, machine,^
de l'État et du gouvernement. D'autres^ ^^^^/f renversen^t'^
des États, et sur leurs ruines en élèvent dé noùveaiui. On
en a vu enfin qui ont sapé par les fondements de grands"
empires, et qui les ont f^it évanouir, de dessus JaterrOj^ pour
varier et renouveler la face de runivers.
^ Qu'importe 4 l'État qu'Ergaste soit riche, qu'il ait dçs
chiens qui arrêtent bien, qu'il crée les modeisur les' équi-
pages et sur les habits, qu'il abonde en superiiuitésî.Oîi,
il s'agit àe. l'intérêt et des commbdUés dç tout le piiblic, le'
particulier' est-il compté*? La consplàtion des peuples dans,
lès choses qui lui pèsent un peu est de savoir qu'ib^ sou-*
lagent le prince, ou qu'ils n'enrichissent que lui : ils né se
croient point redevables à,Ergaste de l'embelliçsement de sa
fortune*..
If La guerre a pour elle l'antiquité ; ejle. a été daps.tous.
les siècles : on l'a toujours vue remplir le, monde de veuves
et d'orphelins, épuiser les familles d'héritiers, et faire périr
les frères à une mèpe bataille. Jeune S^vpiqqijp*,. je reg;pette.
1. « II. y a grand donbte sMl se peut trouyer si éyident proufit an chaDffe»
ment d*tili6 lo^ recèae, telle qffetle soit, (tuMIy a-demal a la remuer; d^tt-
tant qii'une pdlice^ c'est comme un basiiment de diterses pièceis jointes èii-
semble d'une telle liaison quMl est impossible d'efn esbranler une que tooi
le corps ne s'en sente. «(Montaigne, Essaie, I, 22.) '
2. Les impôts; te
3. Doit-on faire entrer en compte ce qui ne concerne qu'Ergaste ?
k* Us ne se croient pas obligés d'embellir la formned'Êrgaste. '
5. Adolphe de Belleforîère, chevalier de Sôyecourt, capitaihe-lieatenant
180 CHAPITRE X.
ta vertu, ta pudeur, ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé,
sociable ; je plains cette mort prématurée qui te joint à ton
intrépide frère , et t'enlève à une cour où tu n*as fait que
te montrer : malheur déplorable , mais ordinaire I De tout
temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus
ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se
brûler, se tuer, s'égorger les uns les autres ; et, pour le
faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont in-
venté de belles règles qu'on appelle Tart militaire ; ils ont
attaché à la pratique de ces règles la gloire ou la plus so-
lide réputation ; et ils ont depuis enchéri de siècle en siècle
sur la manière de se détruire réciproquement. De Tinjus-
tice des premiers hommes , comme de son unique source,
est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont
trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits
et leurs prétentions, Si, content du sien, on eût pu s'abste-
nir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et
la liberté.
^ Le peuple, paisible dans ses foyers, au milieu des siens
et dans le sein d'une grande ville où il n'a rien à craindre
ni pour ses biens ni pour sa vie, respire le feu et le sang,
s'occupe de guerres, de ruines, d'embrasements et de mas-
sacres, souffre impatiemment que des armées qui tiennent
la campagne ne viennent point à se rencontrer, ou si elles
sont une fois en présence, qu'elles ne combattent point, ou
si elles se mêlent, que le combat ne soit pas sanglant et
qu'il y ait moins de dix mille hommes sur la place. Il va
même souvent jusques à oublier ses intérêts les plus chers,
le repos et la sûreté, par l'amour qu'il a pour le changement,
et par le goût de la nouveauté ou des choses extraordinai-
res. Quelques-uns consentiraient à voir une autre fois les
ennemis aux portes de Dijon ou de Corbie', à voir tendre
des gendarmes-Daupbin, blessé à la bataille de Fleuras, le !•' juillet 1690.
mort le 3 juillet. Son frère aîné , Jean-Maximilien de Belieforière, marquis
de Soyecourt, colonel du régiment de Vermandois, avait été tué sur le champ
de bataille. La double perte que fit à la bataille de Fleurus Mme de Soye-
eourt avait vivement ému la cour. — Le nom de Soyecourt est écrit StMcour
dans les lettres de Mme de Sévigné : c'est ainsi qu'il se prononçait.
1. La ville de Dijon fut assiégée en 1513 par 30 000 Suisses, Allemands et
Francs- Comtois. Les ennemis levèrent le siège à la suite d'un traité qui ne
fiit point ratifié par le roi. — La ville de Corbie fut prise pendant la guerre
de Trente ans, en i636« par les Espagnols et les impériaux^ qui, tandis que
Vûïméé françaiàe était en Hollande, avaient franchi la Somme. La ville foi
reprise p«tt de temps après, soâa les teui de Richelieu
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 181
des chaînes', et faire des barricades, pour le seul plaisir
d'en dire ou d'en apprendre la nouvelle.
^ Démopkile, à ma droite, se lamente et s'écrie : c Tout est
perdu , c*est fait de l'État ; il est du moins sur le penchant
de sa ruine. Comment résister à une si forte et si générale
conjuration*? Quel moyen, je ne dis pas d'être supérieur,
mais de suffire seul à tant et de si puissants ennemis ? Gela
est sans exemple dans la monarchie. Un héros, un Achille
y succomberait. On a fait, ajoute-t-il, de lourdes fautes : je
sais bien ce que je dis, je suis du métier, j'ai vu la guerre,
et l'histoire m'en a beaucoup appris. » Il parle là-dessus avec
admiration d'Olivier le Daim et de Jacques Cœur * : c Gâ-
taient là des hommes, dit-il, c'étaient des ministres, j» Il dé-
bite ses nouvelles, qui sont toutes les plus tristes et les plus
désavantageuses que l'on pourrait feindre : tantôt un parti
des nôtres a été attiré dans une embuscade et taillé en pièces;
tantôt quelques troupes renfermées dans un château se sont
rendues aux ennemis à discrétion, et ont passé * par le fil de
l'épée. Et si vous lui dites que ce bruit est faux et qu'il ne
se confirme point, il ne vous écoute pas. Il ajoute qu'un tel
général a été tué, et, bien qu'il soit vrai qu'il n'a reçu
qu'une légère blessure et que vous l'en assuriez, il déplore
sa mort, il plaint sa veuve, ses enfants, l'Ëtat; il se plaint
lui-même : il a perdu un bon ami et une grande protection»
Il dit que la cavalerie allemande est invincible ; il pâlit au
seul nom des cuirassiers de l'empereur, c Si l'on attaque cette
place, continue-t-il , on lèvera le siège. Ou l'on demeurera
sur la défensive sans livrer combat ; ou , si on le livre,
on le doit perdre ; et si on le perd , voilà l'ennemi sur la
frontière, j» Et, comme Démophile le fait voler, le voilà dans
le cœur du royaume : il entend déjà sonner le beffroi des
1. I^eft chatDes qui fermaient les rues étaient des moyens de défense.
2. Conjuration h \e sens de coalition. Ce passage a paru en 1 691, pendant
la guerre que soutenait Louis XIV contre la ligue d'Augsbourg, c'est-à-dire
contre TEmpire, l'Espagne, la Hollande, l'Angleterre, la Suède, la Savoie, etc.
3. Oliyier le Daim, qui, après avoir été le barbier de Louis XI, devint son
favori. Il fut pendu sous le règne de Charles VIII, en i484k. — Jacques Cœur,
riche négociant, qui rendit de grands services à Charles VU et devint tréso-
rier de 1 épargne du roi. Jeté en prison , il 8*échappa et mourut dans l'exil
Çi%6i). Du temps de la Bruyère, l'histoire ne lui avait pas encore rendu la
justice qui lui est due.
4. Ont été passées, diraitK>n aujourd'hui
182 CHAPITRE k.
villes et crîerVralarme ;'irsongeàsonbien et^à ses terres.
Où conduira-t-il son argent, ses meubles, sa famille? où se
réfugiera-t^il? eh Suisse ou a Venise?
Mais, à m'a '^dMcbie^'Sasiîide met tout d'un cou]^ sur pied
une armée de .trois cent mille hommes; il n'iêh rabattrait
pas une seule brigade : il a la liste des escadrons et des
bataillons, des généraux et des bteciers 5 îln'oùblîe pas Far-
tillèrie ni le bagage. 11 dispose abs'oliimônt de toutes ces
troupes*: ilen envoie tant en Allemagne ettàiit èh Flandre;
'il réserve un certain nombre 'pour les Alpes, un peu moins
fbùrlés Pyi^éiiées, et il fait casser fa mer à ce qui lui reste,
l connaît les marches de ces armées, il sait ce qu'elles
feront et ce qu'elles ne feront pas ; vous diriez tju'il ait*
Toreille dû prince ou le secret du ministre. Si les ennemis
viennent de perdre une 'bataille où il soft demeuré sur 'la
place quelque neuf i dix mille hommes dés leurs, il ièn
compte jusqu'à trente înille, ni plus ni moins; car ses hbrh-
'bres sont toujours fixes et certains, coinine de celui* qui est
bien informé. S'il apprend le thàtin que nous avons perdu
une bicoque, non-seulement il envoie s'éxcusér a ses amis
qu'ira la veille conviés à cltner, maïs 'même ce jour-là il ne
*dîne point, et Vil soiipe, c'est "sans appétit. Si les noires
assiègent une pla-ce irès-fôrte , très-régulière , pourvue de
vivres et de munitions , qui a ûnç bonne garnison , cona-
mandée par un homrné d'un grand courage, il dit que ta
ville a deslsiidroits faibles et mal fortifiés, qu'elle manque
depôudre, que soîi gouviérneur man^iue d'expérience, et
■qu'elle capitulera après huit |j ours de tranchée ouverte. Une
autre fois il accourt tout horis d^haleine, et, après sCvpir res-
piré un peu : « Voflà, s^ecrie-t-il, une grande "nouvellel îîs
sont défaits, et à plate couture; le géîieral, lés chefs, du
moins une bonne partie, tout est tué , tout a péri. Voilà,
continue-t-il, un grand massacre, et il faut convenir que nous
joUohis ilin gfaiidïcrahèlir. i UVa'ësied'*, îl souffle, après
1. Très-BotiYeBt la Bniyère eftiploie rindicatif ei^ des cas ot «ions net-
trions anjourd'hoi le subjonctif. Voilà un exemple en sens contraire. Cor-
neille a di' de nlêine^dans Cinna, IV, k:
jjoïiar résument qu'il at'Min grand sujet d'en oui,
Et qiril mande cinna pour prendre avis de iiîL
3. Comme sont les nombres de.cébtL ...
S. Il t'assit t dans toutes les éditions qui ont été imprimées sous les ^eox
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 183
avoir débité sa nouvelle, à laquelle il. ne ipanque qu'une
circonstance, qui est qu'il est certain qu'il n'y a point eu
de bataille '. Il assure d'aill^eii^i)!» qu'uQ tel prince ]?enonce à
la ligue, et quitte sçs confédérés^. qu'un ajitre'^e disposée
prendre le même jpart^ ;. il .cifoit, feqnem^iit^ ayeQ }a populace,
qu'un troisième, est mort,; il noparçie, 1^. jieu où il est. en-
terré ; et quand on est ^étr^ippé aux balles et.aip: faubpurgs,
il parie encore pour l'affirmative •* Il §2^it, par une .voie in-
dubitable, que f. |C.^L,.* fait de gr?mds progrès contre l'pm-
"pereur; que le Grand. Seigneur , arme puissamment^,, ne veijt
point (ie paix, et qi^e son visir va.se ijtipx^trer une autre foi^
aux portes de Vieune. Il frappe des mainç, et il tressaille
sur cet événement, dont il ne doiite.plus. I49, triple, ailiance^
chez lui est un Cçrbère, et les enbemi^auti^nt de xpoiï^tr^ss
à assommer. Il ne parle que de lauriers, que de.palme^,
que de triomphes et que de trophées.. Il dit 4^R^ ^^ discpurç
familier : Notre auguste héros , notre grand. pqt&^at , nfitre
invincible monaf que. Réduisez-le,, si vous pouvez^.à dire
simplement : Le roi a beaucoup dP ennemis^ H^ son Ipuissar^s^
ils sont unis ^ ils sont aigris^ il lès a vaincus ^J'è$père tou^
jours qu'il les pourra vaincre. Ce. style, trop^^^e^me ef trop
décisif pour Demophîle, n'est, pour Bj^silide.ni assez pqqi-
peux ni assez exagéré : il a bien d^autrê^ expressions en tét^
'il travaille aux inscriptions. des arcs et des pyramides qui
doivent orner là ville capitale un jour d'.§»trée.; et, dè^
qu'il entend Sire que les armées soutien présence, ou qu'une
de laBroyère. Gett» foy me<sdirottte égrifineniTépétée en deux autrefi âiidiioits
(chap. XI et xiii). Mais Ton rencontre aussi deux fois, dans lû.coars des C</h
rartereâ, la forme il s'msied, qai a prévalu, et qui déjà était déclarée la
meilleure par tous les auteurs^ Ttiomas Corneille excepté. • > .- -^
1. Après la mort de la Bruyère, les éditeurs, voulant améliorer la phrase,
ont imprimé : qui est qu*il y ait eu une bataille.
2. Le 2 août i69(h le. bruit se répandit à Paria quele nouveau roi d'Aûgk»-
terre^ Guillaume d'Orange, venait de mourir. On fil ,djes feux de joie daos
les rues , on dressa des tables en plein air. on but à ht ronde et Ton
força les passants & boire/ La police eut lyeaucoup de peine h, faire cesser ce
scandale, que Louis 1(1V blâma hautemeut,
3 Le hongrois Tekeli, qui dirigeait une insurrection contre Tempereur
d'Autriche, et qui avait remporté une vicioire sur les troupes impériales le
21 août 1690. Le sultan de Constantinople, que la Bruyère nomme le Grand
Seigneur, soutenait sa révolte. i -, . ■■ >
4. Ou a particulièrement donné le nom de triple aliianee à la ligue qui
s*est formée k la Haye, le 23 janvier i66S««mreila')BoUadide^ l'Angleterre
et la Suède, pour empêcher tuute.agreftaioa^de Uoui»XW sur leterriioirede
la monarchie espagnole; elle offrit sa médiation à la Frauce, pat l'imposer à
l'Espagne et prépara ainsi la paix d'Aix-la-Chapelle.
184 CHAPITRE X.
place est investie, il fait déplier sa robe et la mettre à Fair,
afin qu'elle soit toute prête pour la cérémonie de la cathé-
drale^.
% Il faut que le capital d'une affaire qui assemble dans
une yille les plénipotentiaires ou les agents des couronnes
et des républiques, soit d'une longue et extraordinaire dis-
cussion, si elle leur coûte plus de temps, je ne dis pas que
les seul» préliminaires, mais que le simple règlement des
rangs, des préséances et des autres cérémonies.
Le ministre ou le plénipotentiaire est un caméléon, est
un Prêtée. Semblable quelquefois à un joueur habile, Û ne
montre ni humeur ni complezion *, soit pour ne point don-
ner lieu aux conjectures ou se laisser pénétrer, soit pour
ne rien laisser échapper de son secret par passion ou par
faiblesse. Quelquefois aussi, il sait feindre le caractère le
plus conforme aux vues qu'il a et aux besoins où il se
trouve, et paraître tel qu'il a intérêt que les autres croient
qu'il est en effet. Ainsi, dans une grande puissance ou dans
une grande faiblesse qu'il veut dissimuler, il est ferme et
inflexible, pour ôter Tenyie de beaucoup obtenir ; ou il est
facile, pour fournir aux autres les occasions de lui deman-
der, et se donner la même licence. Une autre fois, ou il est
profond et dissimulé, pour cacher une vérité en l'annon-
çant, parce qu'il lui importe qu'il l'ait dite et qu'elle ne
soit pas crue ; ou il est franc et ouvert, afin que, lorsqul2
dissimule ce qui ne doit pas être su, l'on croie néanmoins
qu'on n'ignore rien de ce que l'on veut savoir, et que l'on
86 persuade qu'il a tout dit. De même, ou il est vif et
grand parleur, pour faire parler les autres, pour empêcher
qu'on ne lui parle de ce qu'il ne veut pas ou de ce qu'il ne
doit pas savoir, pour dire plusieurs choses différentes qui se
modifient ou qui se détruisent les unes les autres, qui con-
fondent dans les esprits la crainte et la confiance, pour se
défendre d'une ouverture qui lui est échappée par une autre
qu'il aura faite; ou il est froid et taciturne, pour jeter les
autres dans l'engagement* de parler, pour écouter long-
1. Est-ce en raison de ce mot, sa rohej que les commentateurs ont inscrit
à côté da nom de Basilide le nom , aujourd'hui parfaitement obscur, d'un
abbé contemporain 7 Basilide peut, tout aussi bien et mieux encore, être un
magistrat prenant ses dispositions pour la cérémonie du Te Deum*
S. 11 dissimule son caractère et son tempérament.
8. Dans l'obligatioii*
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 185
temps, ponr être écouté quand il parle, pour parler aye.c
ascendant et avec poids, pour faire des promesses ou des
menaces qui portent un grand coup et qui ébranlent. Il
s'ouvre et parle le premier, pour, en découvrant les oppo-
sitions, les contradictions, les brigues et les cabales des
ministres étrangers sur les propositions qu'il aura avan-
cées, prendre ses mesures et avoir la réplique * ; et, dans
une autre rencontre, il parle le dernier, pour ne point par-
ler en vain, pour être précis, pour connaître parfaitement
les choses sur quoi* il est permis de faire foncL pour lui ou
pour ses alliés, pour savoir ce qu*il doit demander et ce
qu'il peut obtenir. Il sait parler en termes clairs et formels ;
11 sait encore mieux parler ambigument, d'une manière en-
veloppée, user de tours ou de mots équiyoques, qu'il peut
faire valoir ou diminuer* dans les occasions et selon ses
intérêts. Il demande peu quand il ne veut pas donner beau-
coup ; il demande beaucoup pour avoir peu, et l'avoir plus
sûrement. Il exige d'abord de petites choses, qu'il prétend
ensuite lui devoir être comptées pour rien, et qui ne l'ex-
cluent pas d'en demander une plus grande ^ ; et il évite au
contraire de commencer par obtenir un point important,
s'il l'empêche d'en gagner plusieurs autres de moindre con-
séquence, mais qui tous ensemble l'emportent sur le pre-
mier. 11 demande trop, pour être refusé, mais dans le des-
sein de se faire un droit ou une bienséance * de refuser lui-
même ce qu'il sait bien qu'il lui sera, demandé, et qu'il ne
veut pas octroyer t aussi soigneux alors d'exagérer l'énor-
mité de la demande, et de faire convenir, s'il se peut, des
raisons qu'il a de n'y pas entendre, que d'affaiblir celles
qu'on prétend avoir de ne lui pas accorder ce qu'il sollicite
avec instance ; également appliqué à faire sonner haut et à
grossir dans l'idée des autres le peu qu'il offre, et à mépri-
ser ouvertement le peu que l'on consent de lui donner. U
1. La préposition pour était souTent autrefois, mômo au dix-septième
siècle, séparée du Terbe auquel elle se rapportait. Bossuet, par exemple, la
détache souvent du YeÂe.
2. Vangelas recommandait comme « fort élégant et fort commode » Tusvge
du pronom ftiot à la place de lequel, Uiquelle, lesqueltf etc. Les succeaseurs
de Vangelas ont proscrit cette manière de parler.
S. Dont il peut augmenter ou diminuer la portée.
4. Il serait peut*eire asses difficile de citer une seule phrase d'an bon écri*
Tain où exclure de soit suivi, comme ici^ d'un verbe.
ft. Une raison de convenance, de dignité.
186 CHAPITRE X.
fait de fausses offres, maî^ extraordinaires, q^i donnent da
la déiSance, et obligent de rejeter ce que Von accepterait
inutilement, qui lui sont cependant, une occasion 4e ^^ii^
des demandes^ exorbitantes, et mettant dai^ç leur tort ceux
qiji les lui i;el'usent. 11 accorde '^lus qu^on ne lui denjande,
pour avoir encore plus qu'il ne doit donner. Il se fait Ipnjg-
temps prier» presser, import'un,er, sur une chose médiocre,
pour éteindre le"s espérances et Ôterl?i pensée dVxiger de
lui rien de plus fort; ou^ s'il 9e laisse fléchir jiisques à
l'abandonner, c'est toujçiirs avec des conditions qui lui font
partager le gain et les avantages ,avec ceux q^ii reçoivent.
Il prend directement où indirectement Tintérêt d'un allié,
s'il y trouve son utilité et l'avancement de ses prétentions.
Il ne parle qiie de paix, que d'alliances, que de tranquillité
'publique, que d'intérêt public ; et en effet il ne songe qu'aux
siens*, c'est-à-dire à ceux de son maître ou de sa république,
ïantôt il réunît quelques-uns qui étaient contraires les uns
aux autres, et tantôt il divise quelques autres qui étaient
unis. Il intimide les forts et les puissants, il éiicoùrage les
faibles. Il unit d'abord d*intérêt plusieurs faibles contre un
3)lus puissant, pour rendre la balance égale ; il se jçint en-
suite aux premiers pour la faire 'pencher, et il leur vend
cher sa protection et son alliance. Il sait intéresser ceux
avec qui.îl traite ; et, par un adroit manège, par de finis et
"de subtils détour^, il leur fait sentir leurs avantages parti-
liers, lesT)iens et les honneurs qu'ils peuvent espérer par une
certaine faicilité, qui ne choque point leur cbnimissipn* ni
les intentiôiîs de leurs maîtres. Il ne veut pas aussi être cru
imprenable par cet endroit ; il laisse voir en lui quelque peu
de sensibilité pour sa fortune : il s'attire par là des propo-
sitions ^ui lui découvrent les vues des autres les "plus se-
crètes, leui's desseins les plus "profonds et leur "dernière
ressource,, et il en profite. Si quelquefois il est lésé dans
quelques chefs' qui ont enfin été réglés, il crie haut : si
c'est le contraire, il crie plus haut, et jette ceux qui perdent
sur la justificatioii et la défensive. ïl a, son fait digéré par
la cour, toutes ses démarches sont mesurées, les moindres
1. A ses intérêts.
2. Le pouvoir qui leur a été délégué.
3. Sur quelques points.
DU SOUVERAl!ï OU DE LÀ RÉPUBLIQUE. 187
avances qu'il fait lui sont prescrites ; et il agit néanmoins,
dans les points difficiles et d'ans ^ les articles contestés,
comme s'il se relâchait de lui-même sur-le-champ, et comme
par un, esprit d'accommoc|ement; il ose même^ promettre à
rassemblée. qu'il fera goûter la proposition, et qu^il n'en
sera pas dftayoué. H fait courir un bruit faux des choses
seulement dont il est chargé ', muni d'aiiîeurs de pouvoirs
particuliers, qu^il ne découvre jamais qu*à rextrémité, et
dans les moments où il lui serait pernicieux de ne les pas
mettre en iisage. Il tend surtout par ses intrigués au solide
et à l'essentiel,. toujours prêt dé leîir sacrifier" les minuties
et les points d'honneur imaginaires. Il a du flegme, il 's'arme
décourage et de patience, il ne se lasse point, il fatigue
les autres, et les pousse jusqu'au découragement. Il se pré-
cautionne et s'endurcit contre les lenteurs et les remisés,
coiitre les reproclies, les soupçons, les défiances, contre les
difficultés et les obstacles^ persuadé que le temps seul et
les conjonctures amènent les choses et conduisent les es-
prits au point où on les souhaite. Il va jusques à feindre un
intérêt secret à Ta rupture de la négociatiQn, lorsqu'il dé-
sire le plus ardemment qu'elle soit continué^; et si, au con-
traire, il a des ordres précis de faire les. derniers efforts
pour la rompre, il croit devoir, pour y réussir, en presser
la continuation et la fin. S'il survient un grand événement,
il se roidit ou il se relâche, selon qu'il lui est utile ou pré-
judiciable ; et si, par une grande prudence, il sait le pré-
voir, ilpresse et il temporise, selon que i*État pour qui il
travaille en doit craindre ou espérer; et 11 règle. sur ses
hesoins'ses Conditions. Il prend conseil du temps, du lieu,
des occasions, <le sa puissance bu de sa faiblesse,, du génie
des nations avec qui îl traite, du tempérament et du carac-
tère des personnes avec qui il négocie. Toutes ses vues,
toutes ses maximes, tous les raffinements de sa politique,
tendent à une seule fiii, qui est de n^étre point trompé et
détromper les; autres. . , ^^
^ Le caractère des Fi^o^ais demande du sérieux dans le
souveraiii.
1. Il (ait courir de faux bruits sur retendue de ses pouvoirs, qu*il présente
comme Irès-limiiés.
2. V4>yespage ia3,,noiei.:
3. Sur les besoios de l'État.
188 CHAPITRE X.
^ L'un des malheurs du prince est d'être souvent trop
plein de son secret, par le péril qu^il y a à le répandre :
son bonheur est de rencontrer une personne sûre qui l'en
décharge*.
% Il ne manque rien à un roi que les douceurs d'une yie
privée ; il ne peut être consolé d'une si grande perte que
par le charme de l'amitié, et par la fidélité de ses amis.
^ Le plaisir d'un roi qui mérite de l'être est de l'être
moins quelquefois, de sortir du théâtre, de quitter le bas
de saje et les brodequins*, et de jouer avec une personne
de confiance un rôle plus familier K
^ Rien ne fait plus d'honneur au prince que la modestie
de son favori.
^ Le favori n'a point de suite ; il est sans engagement et
sans liaisons: il peut être entouré de parents et de créa-
tures, mais il n'y tient pas; il est détaché de tout, et
comme isolé.
^ Une belle ressource pour celui qui est tombé dans la
disgrâce du prince, c'est la retraite. Il lui est avantageux
de disparaître, plutôt que de traîner dans le monde le dé*
bris d'une faveur qu'il a perdue, et d'y faire un nouveau
personnage si différent du premier qu'il a soutenu. Il con-
serve, au contraire, le merveilleux de sa vie dans la soli-
tude; et, mourant pour ainsi dire avant la caducité, il ne
laisse de soi qu'une brillante idée et une mémoire agréable*.
i. Est-il un contemporain de la Bmyère qpi n*ait pas vu dans cette phrase
une délicate allusion aux sentiments du roi pour Mme de Maintenon ? Elle
parut dans la l** édition, trois ans après le mariage secret de Louis XIV.
2. De quitter le costume de son rôle, l.e bas de saye, qui, dans le costume
des acteurs tragiques, représentait la partie inférieure du saye, c'est-à-dire
du Yètement des soldais romains, était une sorte de jupe plissée qui descen-
dait jusqu'aux genoux. — C'est le cothurne, et non le brodequin , que l'on
s'attendait à rencontrer ici. Dans la langue du dix-septième Hiècle, le bro-
dequin était particulièrement la chaussure des acteurs comiques, et le co-
làarne celle des acteurs tragiques.
Mais quoi ! je chausse ici le cothurne tragique \
Reprenons au plus tôt le brodequin comique....
a dit Boileau dans sa X« satire. Boileau cependant n'a pas toajonrs observé
' i.a distinction qu'il établit, car, dans VArt poétiçiue (III, 74), qui est anté-
térieur aux deux pièces oh il fait do brodequin le signe particulier de la
comédie (épttre VU et satire X), il attribue le brodequin, et non le cothurney
aux acteurs d'Eschyle.
3. « I^es princes et les rois jouent quelquefois *, ils ne sont pas toujours sur
leur tr6ne, ils s'y ennuient. La grandeur a besoin d'être quittée pour être
sentie. » (Pascal.)
4. Cette réflexion pouTait, en 1688, s'appliquer à plus d'an courtisan dis-
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 189
Une plus belle ressource pour le favori disgracié que de
se perdre dans la solitude et ne faire plus parler de soi,
c'est d'en faire parler magnifiquement, et de se jeter, s'il se
peut, dans quelque haute et généreuse entreprise, qui re-
lève ou confirme du moins son caractère, et rende raison
de son ancienne faveur, qui fasse qu'on le plaigne dans sa
chute et qu'on en rejette une partie sur son étoile*.
^ Je ne doute point qu'un favori, s'il a quelque force et
quelque élévation, ne se trouve souvent confus et décon-
certé des bassesses, des petitesses, de la flatterie, des soins
superflus et des attentions frivoles de ceux qui le courent,
qui le suivent, et qui s'attachent à lui comme ses viles
créatures; et quHl ne se dédommage dans le particulier
d'une si grande servitude par le ris et la moquerie.
% Hommes en place, ministres, favoris, me permettrez-
Tous de le dire? ne vous reposez point sur vos descendants
gracié ; M.Walckeoaer en a npproché les noms du marquis de Wardes, du duc
ielAusun et du comte de Bussy-Rabutin, qui tous les trois avaient été, pour
des motifs différents, exilés de la cour. Il eût fallu ajouter que si elle était à
Tadresse dés deux premiers, elle contenait une leçon et une ironie, car il y
avait alors près de trois ans que Vardes était rentré à la cour^ où il se trou-
vait fort dépaysé, et Lauzuu, qui était aussi revenu de l'exil, faisait assez
triste figure à Paris on à Saint-Gloud, n*ayaot pas encore obtenu la permis-
sion de vivre continuellement à la cour, c*est-à-dire à Versailles. Si, comme
il est plus vraisemblable, c*est vers Bussy que s'est reportée la pensée de la
Bruvère, cette réflexion est au contraire une sorte d*faommage secret qu'il lui
rend. En 1682, Bussy était revenu à la cour après seize années d'exil, et,
froidement accueilli par Louis XIV, il s'était volontairement condamné à une
nouTelle retraite; en 1S87, il s'était de nouveau présenté à Versailles, et
frétait éloigné de nouveau devant les marques de la rancune qu'avait con-
servée le roi. La Bruyère estimait Bussy, malgré tous ses défauts, et plu •
tieors fois il en a donné la preuve.
1 . L'alinéa gui précède avait paru dans la première édition des Caractères,
celui-ci fat ajouté en mars 1690. En 1689, Lauzun, fatigué de sa disgr&ce.
avait offert ses services à Jacques II. et avait pris, avec la permission de
Louis XIV et aux applaudissements oe la cour, le commandement de l'armée
qui s'embarquait pour IMrlande. Vers la même époque, Bussy avait, de son
o&té, sollicite Louis XIV de lai accorder l'autorisation de le servir dans la
campagne de 1690. En écrivant ce second alinéa, la Bruyère pensait-il à
Lanzun , qui allait affronter l'armée de Guillaume, ou à Bussy qui faisait le»
plus persévérants efforts pour obtenir la permission de rejoindre l'armée
du roi? A Tun et à l'autre peut-être. Quoi ({u'il en soit, la réflexion ne pouvait
déplaire à Lanzun , tout baitu qu'il eût été à la malheureuse affaire de la
Boyne (juillet 169o), alors que oe passage était publié depuis quelques mois ;
mais elle pouvait froisser Bussy qui, moins heureux que Lauzun, n'avait
tût la guerre nulle part. Aussi la Bruyère la supprima-t-ii en i69i, ainsi
que la reflexion précédente, à laquelle elle était liée. Cette suppression qui,
selon toute apparence, se fit silencieusement et sans que la Bruyère s'en
flôit jamais fait honneur auprès de Bussy, trouva sa récompense* Bussy fut
l'un des sept«cadémiciéi)S qui, en 1691 » soutinrent ta candidature à l'Aca-
démie française.
1 90 CHAPITRE X.
pour le soin de yotre mémoire et poar la durée de Totre
nom : Içs titres passent, la faveur s^évanouit, les dignités
se perdent, les richesses se dissipent, et le mérite dégé-
nère. Vous avez des enfants, il est vrai, dignes de vous,
j'ajoute méiné capables'dé soutenir toute votre fortune; maïs
qui peut vous en promettre aùtaùt de' vos peiàts-fas ? Ne
m'en croyez pas, regardez céétè' unique fois de certains
hommes que vous né regardez jamais, que vous dédaignez f
ils ont dès aïeuls i' à qui, tout grands que vous êtes, vous ne
faites' que succéder. Ayez de la vértu^et de l'humanité ;'et si
vous me dites : Qu'àurdns-nous de plus? je vous répondrai :
De ÎTiumanîté et de la vertu. Maîtres alors de Tavenir, et
indépendants d'une postérité, vous êtes sûrs de durer au-"
tant (Jue la monarchie ; et, dans le temps que l'on montrera
les ruines de vos châteaux, et peut*-être la seule place où ils
étaient construits, Tidéede vos louables actions sera encore
fraîche dans l'esprit des peuples ;'îls considërèront avide-
ment vos portraits et vos médailles ; ils diront : « Cet
homme * dont vous regarder la peinture a parlé à son maître,
avec force et avec liberté, et a plus craintxle lui nuire que '
de lui déplaire; il lui a permis d'être bon ètjbienfaisant» de/
dire de ses villes : Ma bonne viHe^ et de son peuple : Mon
peuple. Cet autre dont vous voyez limage*, et en qui.rpnT
remarque une physionomie forte, jointe à un air grave,
austère et majestueux, augmente d'année à autre 'de répu-
tation : les plus grands politiques soufirent de lui être
comparés*. Son grând^dessein a été d'àfflçrmir Tàutoirité d^'
prince et la sûreté des peuples par rabaissement des grands : '
ni lès partis, ni lés conjurations, iu' les trahisons, ni le .
péril de la mort, ni ses infirmités, n'ont pu l'en détourner.
11 a eu'du' temps de reste pour ^entamer ùn.oùVràge, con-
tinué ensuite et achevé par Fun de nos plus grands et de
nos meilleurs princes, l'extinction de rhérésié*.' i "
^ Le panneau le plus délié* et le plu^ spécieux qui d^ns
1 . Georgesd'Amboise, arcbevêquede Rouen, cardUial, miniitre de Louis XU,.
3« b» eap^inal de Riobelie«.
3r bouHreniqu'oD lescumpareàjai.
4« Allusion à la révoeatiou de- VééÀi de Nantes, qn'approaYsient saoa ré-.
serve tous ce»x qui entouraient la Brufère. Sur d^auires poiats« il est eâ
ayanoe kur t>ea coaieuipunt^M» ; >t "« fi'*^^ P<m Sipare d'«tuk <flttr ceite^
question.
â* Le filet le plus fin. -^ Les contemporains ont vu dans cette phrase an^
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 191
tous les temps, ait été tendu auz grands par leurs gens
d'affaires eV aux rois par leurs ministres, est la leçon qu'ils
leur font de s'acquitter et de s'enrîchir. Excellent conseil,
maxime utile, fructueuse; une mine li'or, un. Pérou, du
moins "pour ceux qui ont sii jusqu'à jprésent l'inspirer à leurs
maîtres! ' '
^ C'est un extrême bonheur pour les peuples quand le
prince admet dans sa confiance et choisit pour le ministère
ceux ûiêmeà qu'ils auraient voulu lui donner, s'ils en
avaient été les maîtres. ' '
^ La science des détails, ou une diligente attention aux,
moindres besoins dé la république, est une partie' essen-'
tielle au bon gouvernement, trop négligée, à 1?l vérité,
dans les derniers temps, par les ro?s ou par les ministres,
mais qu'on ne peut trop souhaiter dans le souverain qui
l'ignore, ni assez estimer dans celui qui la possédé*. Que
sert en eCét âù bien dès peuples et à la douceur de leurs
jours, que le prince place les bornes de son empire au delà
des terreâ'de ses enneniis; qu'il fasse de léui's souveraine-^
tés des provinces de son royaume ; qu'il . leur soit égale-
ment supérieur par les sièges et par les batailles, et qu'ils
né scienf devant lui en sûreté ni dans lés plaines ni dans
les plus forts bastions; que les nations s'appellent les unes
les autres, se liguent ensemble pour se* défendre et pour
l'arrêter; qu'elles se liguent eh Vain; qu'il marche toujours
et qu'il triomphe toujours; que leurs dernières espérances
soient tombées par le raffebèaissemént d'une sainte* qui
donnera au monarque le plaisir de volir les priiices ses'
petits-fils soutenir ou accroître ses destinées, se Inettre ei
campagne, s'emparer de redoutables forteresses, et con-'
quérir de nouveaux' fitats; commander de vieux 'et expéri-
mentés capitaines, moins par leur rang et letii* naissance
• que parleur génie et leur sagesse ; suivi'è lei^trkces augustes
de leur victorieux père, imiter sa bonté/ sa docilité, son*
équité, sa vigilance, son intrépidité? Jjue nié se'rvirait, en
aUnsion aa remboaKementdes rentes de Vhôtel de Tille, remboursement
qui avait été fait sar les cunseilsde Colbert.
f . Flatterie délicate à l'adresse du rai, qui entrait dans les détails de tou-
tes choses avec une rotnutie'que, même de. sou temps, l'<^n a trouvée exces-
sive. « Son esprit, naturellement porté au petit, dit Saint-Simon, se plutea
toutes sortes de détaihr.... H régna das» le peti U »
S. Allusion à Topé^tlon qu'avait subie Louis XIV en 1686.
192 CHAPITRE X.
un mot, comme à tout le peuple, que le prince fût heureux
et comblé de gloire par lui-même et par les siens, que ma
patrie fût puissante et formidable, si, triste et inquiet, j'y
vivais dans l'oppression ou dans Findigence ; si, à couvert
des courses de l'ennemi, je me trouvais exposé, dans les
places ou dans les rues d'une ville, au fer d'un assassin, et
que je craignisse moins, dans l'horreur de la nuit, d'être pillé
ou massacré dans d'épaisses forêts que dans ses carrefours *;
si la sûreté, l'ordre et la propreté ne rendaient pas le sé-
jour des villes si délicieuz, et n'y avaient pas amené, avec
l'abondance, la douceur de la société ; si, faible et seul de
mon parti, j'avais à souffrir dans ma métairie du voisinage
d'un grand, et si l'on avait moins pourvu à me faire justice
de ses entreprises; si je n'avais pas sous ma main autant
de maîtres, et d'excellents maîtres, pour élever mes enfants
dans les sciences ou dans les arts qui feront un jour leur
établissement; si, par la facilité du commerce, il m'était
moins ordinaire de m'habiller de bonnes étoffes, et de me
nourrir de viandes saines et de les acheter peu; si enfîn,
par les soins du prince, je n'étais pas aussi content de ma
fortune qu'il doit lui-même, par ses vertus, l'être de la
sienne?
^ Les huit ou les dix mille hommes sont au souverain
comme une monnaie dont il achète une place ou une vic-
toire : s'il fait qu'il lui en coûte moins, s'il épargne les
hommes, il ressemble à celui qui marchande et qui connaît
mieux qu'un autre le prix de l'argent.
^ Tout prospère dans une monarchie où Ton confond les
intérêts de l'Ëtat avec ceux du prince.
^ Nommer un roi père du peuple est moins faire son
éloge que l'appeler par son nom, ou faire sa définition.
^ Il y a un commerce ou un retour de devoirs du souve-
rain à ses sujets, et de ceux-ci au souverain : quels sont les
plus assujettissants et les plus pénibles , je ne le déciderai
pas. Il s'agit de juger, d'un côté, entre les étroits engage-
ments du respect, des secours, des services, de l'obéissance,
!• Le bois le plus iVineste et le moins fréquenté
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté....
Boileau composait en 1660 la satire aur les Embarras de T/if *>, qui con-
tient ces vers. A L'ét^uque oti la Bruyère écrivait. 16 gu<}i, qui avait été très-
augmenté, faisait meilleure garde.
DTT SOUVERAIN OU DE LA REPUBLIQUE. 193
de la dépendance ; et d'an autre, les obligations indispen-
sables de bonté, de justice, de soins, de défense, de protec-
tion. Dire qu'un prioce est arbitre de la vie des hommes,
c'est dire seulement que les hommes, par leurs crimes, de-
vieûnent naturellement soumis aux lois et à la justice, dont
le prince est le dépositaire : ajouter qu'il est maître absolu
de tous les biens de ses sujets, sans égards, sans compte ni
discussion, c'est le langage de la flatterie, c'est Topiiûon
d'un favori qui se dédira à Tagonie.
i[ Quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau
qui, répandu sur une colline vers le déclin d'un beau jour,
patt tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute
dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé
à la faux du moissonneur, le berger, soigneux et attentif,
est debout auprès de ses brebis; il ne les perd pas de vue,
il les suit, il les conduit, il les change de pâturage; si elles
se dispersent, il Içs rassemble; si un loup avide paraît, il
lâche son chien, qui le met en fuite; il les nourrit, il les
défend; Faurore le trouve déjà en pleine campagne, d'où il
ne se retire qu'avec le soleil : quels soins I quelle vigilance!
quelle servitude! Quelle condition vous paraît la plus dé-
licieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis?Le
troupeau est-il fait pour le berger, ou le berger pour le
troupeau? image naïve des peuples et du prince qui les
gouverne, s'il est bon prince.
Le faste et le luxe dans un souverain, c'est le berger ha-
billé d'or et de pierreries, la houlette d'or en ses mains ;
son chien a un collier d'or, il est attaché avec une laisse
d'or et de soie. Que sert tant d'or à son troupeau ou contre
les loups ?
^ Quelle heureuse place que celle qui fournit dans tous
les instants l'occasion à un homme de faire du bien à tant
de milliers d'hommes f Quel dangereux poste que celui qui
expose à tous moments un homme à nuire à un million
d'hommes I
^ Si les hommes ne sont point capables sur la terre d'une
joie plus naturelle, plus flatteuse et plus sensible, que de
connaître qu'ils sont aimés, et si les rois sont hommes,
peuvent-ils jamais trop acheter le cœur de leurs peu-
ples?
f n 7 a peu de règles générales et de mesures certaines
13
194 CHAPITBS X.
pour bien gouyeimer ; Ton soit le tempe et les conjonctnves,
et cela roule sor la prudeoce et sar les vues de ceux qui
régnent. Aussi le chef-d'œuvre de Tesprit, c'est le parfait
gouvernement; et ce ne serait peut-être pas une cfaosé pos-
sible, si les peuples, par Thabitude où ils sont de la dépen-
dance et de la soumission, ne faisaient la moitié de Fou-
yrage.
% Sous un très-grand roi, ceu^ qui tiennent les premières
places n'ont que des devoirs faciles, et que Ton remplit sanà
nulle peine : tout coule de source; l'autorité et le génie du
prince leur aplanissent les chemins, leur épargnent les diffT-
cultés, et font tout prospérer au delà de leur attente ': ils
ont le mérite des subalternes!. ^
% Si c'est trop de se trouver chargé d'une seule famille,
si c'est assez d'avoir à répondre de soi seul, quel pofds,
quel accablement, que celui de tout un royaume t Un sou^
verain est-il payé de ses peines par le plaisir que semble
donner une puissance absolue, par toutes ^es prosternations
0es courtisans? Je songe aux pénibles, douteux et Jïihge-
peux chemins qu'il est quelquefois obligé de suivre pour
arriver à la tranquillité publique ; je répasse les moyen^
extrêmes, mais nécessaires, dont il use souvent pour' une
bonne fin : je sais qu'il doit réj^ondre à Dieu même dé Ta
félicité de ses peuples, que le )>ienet le mal est en ses mains,'
et que toute ignorance ne l'excuse pas; et je me dis à moi-
n^.dme : Voudrais-je régner? Un homme un peu heureux
dans une condition privée devrait-il y renoncer pour une
mon^chie? M 'est-ce pas beaucoup, pour celui qui se trouve
e^ place par i^n droit héréditaire, de supporter d'être ne
roi?
% Que de dons du cielf ne faut-il p^s pour bien régner!
ipng l^aissauce auguste, un air d'empire et d'autorité, un
ji»9Lg§ q)ii remplisse la curiosité dés peuples empressés dé
1. On a trouTé qoe raalenr sacrifiait trop aisément à la gloire du roi
des ministres tels que Colbert et Louvoie. ' *
'2. Ce car actêi*é eil le panéuyrique,' parfois excessif, de Louis Xiy . — « Uq
li?re coQDpoaé sous Louis X1.V ne seraitiïas codipl^ii, et,' j'BJotivfci^i,'ne serait
pas assuré contre le tonnerre, s'il n'y avait au milieu lioe image 'dirrai.-
La Bruyère n'a manqué ni à la précaution ni à la règle, et, en grajid artiste,
il a disposé les choses de telle Uijàtt qu'on arrive à cette imagé par ttes
degrés successifs, et comme par une longue avenue. L*autel est au cèntreç
au ownr de Tœnvre, un peu plus près de la fin que du commencemont ^ à
QD eodtoU étové, d^eliil est en foe dt (ontea partf. » (Saiiitd-Bettte.7 '^
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 195
Toir le prince, et qui coiiâervele respect dans le courtisan';
une parfaite égalité d'humeur; un ^and éloignement pour
1^ raillerie piquante, ou assez de raison pour ne se la per-
mettre point; né faire jamais ni menaces ^i reproches; ne
point céder à la colère *, et être toujours obéi; l-esprit facilèf^
insinuant ; le cœur ouvert, sincère, et dont on croît voir lé
fond, et ainsi très-propre à se faire des amis, des créatures
et des alliés; être secret toutefois, prgfond et impénétrable
dans ses motifs et dans ses projets^; du sérieux et dé là
gravité dans le public; de la|)rièvetÎ6, jointe à beaucoup
de justesse et de dignité, soit dans les réponses aux am-
bassadeurs des princes, soit dans les cobseils : une manière
de faire des grâces qui est éomme un second bienfait ; le
choix des personnes que Ton gratifie ; le discernement des
esprits, des talents et des complexions, pour la distribution
des postes et des emplois ; le choix des généraux et des
ministres ; un jugement ferme , solide, décisif dans les af-
faires, qui fait que Ton connaît le meiJieur parti et le plusi
juste ; un esprit de droiture et d'équité qui fait qu^on lé
suit jusques à prononcer quelquefois contre soi-même en
faveur du peuple, des alliés, des ennemis ; une mémoire
heureuse et très-présente, qui rappelle les besoins des su-
jets, leurs visages , leurs noms, leurs requêtes ; une vaste
capacité, qui s'étende non-seulement aux affaires de dehors,
au commerce, aux maximes d'État, aux vues de la politi-^
que, au reculement des frontières par la conquête de nou-
velles provinces, et à leur sûreté par un grand nombre de
I.Dans Bérénice {ly S), et daDs Etther (IJ, T^Hacine avait rendaun hom-
mage indirpct à la majesté du grand roi. JBaitit-Simon dira deson «ôtérf r-Jn»*
qT)*aa moindre geste, son marcher^Bon port, toùie sa contenance, tout me-
aaréftontdéèent, noble, grand, majéstneifx, et toutefois liès-tiaittre1,'à quoi
l'habitude eU'avantage incomiiarable et uniciue de toute sa figure donnaient
ntie grande fàciliié." Aussi dànsles dhoses sérieuse», les audiences d'ambas-
sadeurs, les cérémonies, iamais homme n'a tant imposé, et il fallait com-
mencer par s'accoutumer a le voir si en le haranguant on oe ▼oalaitfl'eipf •
ser à demeurer court. *
3. « Jamais, dit encore Saint-Simon, il ne lui éc^iappa de dire rien de
désobligeant à personne, et s*il avait '^ reprendre,^ réprimander ou à cot».
riger. ce qui était tort raréj c*éia(t foujoura avec un air plus ou nioins de
bonté, presque jamais avec sécheresse, jamais avec colère.... » Saint-Simon
ajoute touteiois que Louis ^IM n'était pas exempt de colère, «quelquefois
avec un air de sévérité. »
s; « JainafB rien ne coOta moins au roi que 4e se taire proi^ondément et d«
dissimuler de même. Ce dërnîer tarent, ille poussa souvent jusqa'k la faus-
seté; mais avec cela, jamais de mensonge. » (Salnt^ffiaon.) Voy. p. 93,
Qute 1. . ^. - "t..»i .„j, . ,. ^.
196 CHAPITRE X.
forteresses inaccessibles , mais qui sache aussi se renfermer
au dedans, et comme dans les détails de tout un royaume ,
qui en bannisse an culte faux, suspect et ennemi de la sou*
veraineté, s'il s^y rencontre* , qui abolisse des usages cruels
et impies, s'ils y régnent *, qui réforme les lois et les cou-
tumes, si elles étaient remplies d^abus', qui donne aux villes
^ plus de sûreté et plus de commodités par le renouvellement
d'une exacte police, plus d'éclat et plus de majesté par des
édifices somptueux; punir sévèrement les vices scandaleux;
donner, par son autorité et par son exemple, du crédit à la
piété et à la vertu ; protéger TËglise, ses ministres, ses
droits, ses libertés^; ménager ses peuples comme ses en-
fants; être toujours occupé de la pensée de les soulager,
de rendre les subsides légers, et tels qu'ils se lèvent sur les
provinces sans les appauvrir; de grands talents pour la
guerre; être vigilant, ajfpliqué, laborieux; avoir des armées
nombreuses, les commander en personne ; être froid dans le
péril, ne ménager sa vie que pour le bien de son Ëtat", ai-
mer le bien de son État et sa gloire plus que sa vie ; une
puissance très-absolue, qui ne laisse point d'occasion aux
brigues, à Tintrigue et à la cabale , qui ôte cette distance
infinie qui est quelquefois entre les grands et les petits, qui
les rapproche, et sous laquelle tous plient également ; une
étendue de connaissances qui fait que le prince voit tout
par ses yeux, qu'il agit immédiatement et par lui-même,
que ses généraux ne sont, quoique éloignés de lui, que ses
lieutenants, et les ministres que ses ministres ; une pro-
fonde sagesse, qui sait déclarer la guerre, qui sait vaincre
et user de la victoire , qui sait faire la paix, qui sait la
rompre y qui sait quelquefois, et selon les divers intérêts,
contraindre les ennemis à la recevoir , qui donne des règles
aune vaste ambition, et sait jusques où l'on doit conquérir;
1. n faut bien le noter, la Bniyère ne laisse échapper aucone occasion de
loner la ré?ocaUon de VEdit de Nanies.
3. Allusion aux ordoiinanees que Loui» XIV a rendues contre le duel.
8. Six codes avaient paru de 1667 à 168S : Tordonnance ci?ile, celle des
eaux et forêts, l'ordonnance d'instruction criminelle, celle du commerce,
celle de la marine et des colonies, et enfla le code noir pour nos colonies.
4. Allusion à la célèbre déclaration de 1682, rédigée par Bossuet.
5. Cette phrase devait rappeler inévitahlement k la mémoire d^ tons les
contemporains les vers si connus de Boileau {^EitUre IV) :
Louis, les animant du feu Je son coarage
Se plaint de sa grandeur qui Katthche an rivage.
DU SOUVERAIN OU DE LA RÉPUBLIQUE. 197
] au milieu d'ennemis couverts ou déclarés, se procurer le
I loisir des jeux, des fêtes, des spectacles; cultiver les arts et
^les sciences; former et exécuter des projets d'édifices sup-
( prenants ; un génie enfin supérieur et puissant, qui se fait
aimer et révérer des siens, craindre des étrangers , qui fait
d'une cour, et même de tout un royaume, comme une seule
famille, unie parfaitement sous un même chef, dont Tu-
nion et la bonne intelligence est redoutable au reste du
monde. Ces admirables vertus me semblent renfermées
dans ridée du souverain. Il est vrai qu'il est rare de les voir
réunies dans un même sujet ; il faut que trop de choses
concourent à la fois : Teâprit, le cœur, les dehors, le tem*
pérament ; et il me paraît qu'ua monarque qui les ras-
semble toutes en sa personne est bien digne du nom de
Grand. '
CHAPITRE XI.
D£ L'HOMME. .
Ne nous emportons point contre les hommes en voyant
leur dureté, leur ingratitude, leur injustice, leur fierté, Ta-
mour d'eux-mêmes, et l'oubli des autres ; ils sont ainsi
faits, c'est leur nature : c'est ne pouvoir supporter que la
pierre tombe ou que le feu s*élève *.
% Les hommes, en un sens, ne sont point légers, ou ne
le sont que dans les petites choses : ils changent leurs ha-
bits, leur langage, les dehors, les bienséances ; ils chan-
gent de goût quelquefois ; ils gardent leurs mœurs toujours
mauvaises; fermes et constants dans le mal, ou dans Tin-
difFérence pour la vertu.
f Le stoïcisme est un jeu d'esprit et une idée* semblable
1. Phiiinte, dans le Misanthrope^ I, i :
Oui, \e Tois ces défauts, dont votre âme murmare,
CoQime vices unis à l'humaine nature;
Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé
De voir un homme fout be, injuste, intéressé.
Que de voir df*s vautours affamés de carnage,
Des singes malfaisants et des loups pleins de nge.
2. OneinventiOD, une fiction.
198 CHAPITRÉ XI.
à la fëpubliqtie dô Piston. Lè^ ^tôï({uës* dût f^t ^'ba
pouvait rire dans là J)ativrètë ; être irisènsible aUx injures,
â ringratitude, aux pertes de biens, comme & celles des pa-
rents et des amis; regarder froidement la mort, et comttié
une chose indifférente, qui liè devait ni réjouir ni rendre
triste; ii'étf^ vaincii tti.paMe plaisir,* ni par là dôulôUr;
sentir le fer ou îë feu dans quelque partie dô 8on corpâ
sans poiisser lé nioîridrë soupir ni jeter tme seule larine; et;
ce faiitÔme de ^ertil et de constance àîiisi imaginé, il leur a
plu dô rappeler Un sage. Ils 6ht laissé à Thomnie tous les
défauts qu'ils lui ont trouvés, et n'oût presque relevé aucun
de ses faibles. Ad lieu de faire de ses vices des pèintui*es
affreuses ou ridicules qui servissent à l'en cotrigei»,' ils lui
ont tracé Fidée d'une peffèction et d'un héroïsme dont il
n'est point capable, et Tout exhorté à l'impossible. Ainsi le
sage qui n'est pas, ou qui n'est qu'imaginaire, se trouve
naturellement et par lui-même au-dessus de tous les évé-
nements et de tous les maux : ni la goutte la plus doulou-
reuse, ni la colique la plus aiguë, ne sauraient lui arracher
une plainte ; le ciel et la terre peuvent être renversés sans
l'entraîner dans leur chiite, et il demeurerait ferme sur les
ruines de l'univers*; pendant que l'homme qui est en effet,
isoft de son sens, crie, se désespère, étincelle des feut et
perd la respiration f)our un chien perdu ou pour tine por-
celaine qui est en pièces.
% Inquiétude d'esprit, inégalité d'humeur, inconstance
de coBur, incertitude de conduite, tous vices de l'âme, maïs
Hiffëfents, et qui, avec tout le rapport qui paraît entre eux*,
né se supposent pas toiijours rdÉi l'autre dans un même
sujet.
% il est difficile 'ié décider si l'irrésolution rend l'hbmmè
pluà ihalheUrenx que méprisable; de même, s'il y a toù-
1. L'usage a établi entre stot^ et ttoïcien une distinction qai n'existait
pas jadis. Stoïque ne s'emploie plus qa'adiectivement, et nous disons les
stoïciens pour désigna les pl^ilo^ph^ ^\x Portique.
2. Réminiscence d'Horace, Odes^ iii| 3 :
Si fractus illabatùr orbis,
Impavidum ferlent ruinse.
3. Avec présenta souvent, comme ici. Le sens de tjfiaîgré. « Ce n'est pas
qu'av0c tuutceia votre flile ne puisse mourir, » dit Molière dans le Malade
imaçiinaire. Voyez la même locution dans la Bruyère, j>. f 55, d* ligne.
DE l'homme. 199
jours plits d'mconyénknt à ptendre nii mantais parti ^u'à
s'en prendre ancun.
^ Un homme inégal n'est pas un seul homme^ ce sont
plusieurs : il se multiplie autant de fois qu'il a de nduyeauz
^oûts et de manières .différentes; il est à chaque moment
ce qu'il n'était point, et il va être bientôt ce qu'il n'a ja-
mais été : il se succède à lui-môme; 1^3 demandez pas de
quelle oomplexion il est) mais quelles sont ses complezions;
ni de quelle humerur, mais combien il a dé sortes d'hu-
meurs. Ne votis trômpe^YÔû^ point? est-ce £t<^yc/ira^fc que
Youë aborder? Àugburd'hui quelle glace pour vous? hier il
TOUS recherchait^ il vous caressaitf votls dcfnniez de la ja-
lousie à ses amis^ Voua reconnaît-il bien? Dites-lui votrel
nom..
^ Ménalqiie * descend son escalier] ouvre sa portef pout
sortir ; il la re;fermè: Il s'aperçoit qu'il est en bonnet de
nuit; et, vemant à mieui s'eiaminer, il se trouve rasé à
moitië ; il voit que soii épée est miéé du cOté droit, que ses
bas sotit rabattus sur ses talons; et. que sa chemise est par-
dessus èes chausses '. S'il marche dans les places; il se sent
tout d'un cotlp rudement frapper â l'estomac du au visage ;
il ne soupçonne point ce que ce peut être, jusqu'à.ce qu'ou-
trant les yeux et se réveillant, il se trouvé ou devant un
limon de charrette , ou derrière uii long âis de menuiserie
que potte uii outfier sur ses épaules. On l'a vu une fois
heurte^ du front fcdntre celui d'un aveugle, s'embarrasser
dans ses jambes, et tomber avec lui; chacun de son côté, à
là renverse. Il lui est arrivé plusieurs foi^ de se trouver tété
pour tête* â là rencontre d'un prince et sur son passage;
se reconnaître à peilie , et û'avoii* qtié le loisir de se collet
à un miir pour lui faite placé; 11 cherche, il brouille*, il criej
1. Ceci est I^oiI)s un caractère particulier qu*uD recueil de faits de distrac-
tion. Ils ne sauraient être en trop grand nombre, s'ils sont agréables*, car
Ses goûts étant difiTérônts, on a à choisir. (Note de la Bruyère,) — On. avait
reproché à la Bruyère d'avoir entast^é dans ce caractère, qui s'allongeait à
chaque édition, plus de distractions qu'un seul distrait li'en pouvait cbm*
meure. En se dét'endani comme on vient de le voir, la Bruyère disait à bon
l'abbé de Mauroy, aumônier lié Mile ^de Montpensier ; quelques autres au
prioce de la Rocbe-£ur-YoDt qui fut plus tard duc de Conti.
2. Cbaut^ses, suite ue culotte.
3. Face à face.
%. Il mêle tout, il met tout pêle-mêle. Ce mot, d'ordinaire pris actiVemeiit,!
200 CHAPITRE XI.
il s'ëchaufTe, il appelle ses Talets l'an après Pautre ; on
perd tout^ tm lui égare tovU^* il demande ses gants qu'il a
dans ses mains /semblable à cette femme qui prenait le
temps de demander son masque , lorsqu'elle Tayait sur son
yisage. 11 entre à l'appartement ', et passe sous un lustre où.
sa perruque s^accroclie et demeure suspendue : tous les
courtisans regardent et rient ; Ménalque regarde aussi et
rit plus baut qu» les autres ; il cherche des yeux, dans
toute rassemblée, où est celui qui montre ses oreilles et à
qui il manque une perruque. S'il va par la ville, après avoir
fait quelque chemin, il se croit égaré , il s'émeut, et il de-
mande où il est à des passants, qui lui disent précisément
le nom de sa rue. 11 entre ensuite dans sa maison , d'où il
sort précipitamment, croyant qu*il s'est trompé. Il descend
du palais ; et, trouvant au bas du grand degré* un carrosse
qu'il prend pour le sien , il se met dedans : le cocher tou-
che et croit remener son maître dans sa maison. Ménalque
se jette hors de la portière, traverse la cour, monte l'esca-
lier, parcourt l'antichambre , la chambre, le cabinet; tout
lui est familier, rien ne lui est nouveau : il s'assied , il se
repose, il est chez soi. Le maître arrive : celui-ci se lève
pour le recevoir; il le traite fort civilement, le prie de s'as-
seoir, et croit faire les honneurs de sa chambre ; il parle, il
rêve, il reprend la parole : le maître de la maison s'ennuie
et 'demeure étonné ; Ménalque ne l'est pas moins, et ne dit
pas ce qu'il en pense; il a affaire à un fâcheux, à un homme
oisif, qui se retirera à la fin: il l'espère, et il prend patience:
la nuit arrive qu'il est à peine détrompé. Une autre fols, il
rend visite à une femme ; et, se persuadant bientôt que c'est
lui qui la reçoit , il s'établit dans son fauteuil , et ne songe
nullement à l'abandonner : il trouve ensuite que cette dame
fait ses visites longues ; il attend à tout moment qu'elle se lève
et le laisse en liberté; mais comme cela tire en longueur,
qu'il a fiim, et que la nuit est déjà avancée, il la prie à
souper : elle rit, et si haut, qu'elle le réveille. Lui-même se
été, de même, employé d'une manière absolue par la Fontaine dans la fablo
qui a pour liire: La vieille chambrière et les deux servantes :
F.llfg fil'iienl si bien que les sœurs filandières
Ne faitateni que brouiller auprès de celles-ci.
l.L'appanemeni du roi, au palais de Versailles : expression consacrée.
9. Du grand escalier. Il s'agit du Palais de iastice.
DE l'homme. 201
marie le matin, Fonblie le soir, et découche la nuit de ses
noces; et quelques années après, il perd sa femme, elle
meurt entre ses bras, il assiste à ses obsèques, et, le len-
demain, quand on lui vient dire qu'on a servi, il demande
si sa femme est prête et si elle est avertie. C'est lui encore
qui entre dans une église, et, prenant l'aveugle qui est collé
à la porte pour un pilier , et sa tasse pour le bénitier, y
plonge la main, la porte à son front , lorsqu'il entend tout
d^un coup le pilier qui parle, et qui lui offre des oraisons *.
Il s^avance dans la nef ; il croit voir un prie-Dieu, il se jette
lourdement dessus : la machine plie, s'enfonce, et fait des
efforts pour crier; Ménalque est surpris de se voir à genoux
sur les jambes d'un fort petit homme, appuyé sur son* dos,
les deux bras passés sur ses épaules, et ses deux mains
jointes et étendues qui lui prennent le nez et lui ferment
la bouche ; il se retire confus, et va s'agenouiller ailleurs.
^ tire un livre pour faire sa prière, et c'est sa pantoufle qu'il
a prise pour ses heures , et qu'il a mise dans sa poche avant
que de sortir. Il n'est pas hors de Téglise qu'un homme de
livrée court après lui, le joint, lui demande en riant s'il n'a
point la pantoufle de monseigneur; Ménalque lui montre la
sienne, et lui dit ; c Voilà toutes les pantoufles que fai sur
moi; » il se fouille néanmoins, et tire celle de l'évoque de**%
qu'il vient de quitter, qu'il a trouvé malade auprès de son
feu, et dont, avant de prendre congé de lui, il a ramassé la
pantoufle, comme l'un de ses gants qui était à terre : ainsi
Ménalque s'en retourne chez soi avec une pantoufle de
moins. Il a une fois perdu au jeu tout l'argent qui est dans
sa bourse, et, voulant continuer déjouer, il entre dans son
cabinet, ouvre une armoire, y prend sa cassette, en tire ce
qu'il lui plaît, croit la remettre où il l'a prise : il entend
aboyer dans son armoire qu'il vient de fermer ; étonné de
ce prodige, il l'ouvre une seconde fois, et il éclate de rire
d'y voir son chien , qu'il a serré pour sa cassette. Il joue
au trictrac, il demande k boire, on lui en apporte ; c'est à
lui à jouer : il tient le cornet d'une main et un verre de
l'autre ; et comme il a une grande soif, il avale les dés et
presque le cornet| jette le verre d'eau dans le trictrac, et
1. « Les aveugles offrent de dire l'antienne ei Turaison d'an saint à Tin*
teoiion de cenx qui leur donnent l'aumône. » (fiict, d$ Trévoux»)
202 CHAt^ITRE Xl.
inonde celui coiiM c|ni il jone. Et âinn une' eSafûbrè où
il est familier, il crache sur lé lit et jette son chapeau à
terre, en croyant faire tout le contraire*. Il éé {)fomèiie sur
l'eau^ et il demande quelle heure il é^ : oh lui ^résetite ùnè
montre ; à peine IVt-il teçué, que; ne son^eaitt plus ni à
Theure ni à la montre , il la jette dans la rivlèi'e , cômtoè
une chose qui rembarrasse. Lui-môme écrit une longue
lettre, met de la poudre dessos à plusieurs reprises, et jette
toujours la.pbudre dans Tencrier. Ce n'eiA pa^ tout : il écrit
«ne seconde lettre; et, après les avoir cachétéèâ tduteà
deux, il se ^trompe à l'adresse ; un ddc et pai^ Reçoit l'une
de ces deux lettres, et, en l'ouvrant j f lit ces mots : Matïrè
Olivier, ne manquez^ sitôt la présenté r^ile; dk nCe^voyét
ma provision de foin... Son fermier reçoit l'autre ' il l'ouvre;
et se la fait lire; on y trouve ; Monseigneur, f'éi reçii aveé
une soumission aveugle les orébrés qii'il â plû à Votlre Gtaîi^
deur,..» Lui-même encore écrit une lettre peddaot la hiiii}
et, après l'avoir cachetée, il éteint sa bodgie; il ne kiâsê
pas d'être sar|)ris de ce voir goûti», .et il sait à peine coni-
ment cela est arrivé. Ménalque descend l'escalier du Lou-
vre; un autre le monte, à qui il dit : Cest vous que je cher'
ehe, il^le.prehd par la main, le fait descendre avec lui;
traverse plusieurs cours{ entre dans les sàUes, èh âort* il
va, il revient sur ses pas : ii regâtde enfin celui qu'il traîne
aprèasoi depuis un quart d'heure^ i} est étonné que ce soii
lui ; il n'a rien à lui dire ; il lui quitte la main, et touriiâ
d'un autre côté. Souvent il vous interroge , et il est déj&
bien loin de vous quand vous songez à lui répondre ; oti
bien il vous demande ep. courant comment se porte votre
pé^e^ eti comme vous lui dites qu'il est fort mal, il vouil
crie qu'il en est bien aise. Il vous trouvé quelque autre fois
sur son chemin : // est ravi de vous rencontrer; il sort dé
ehe% vàus pbwr iso\»s entretenir, d^une certaine chose. Il con-
temple votre main : Vous avez là, dit-il; un beau rubis ; est-U
balais*? Il vous quitte et continue sa route : voilà l'affaire
importante dont il avait à vous parler: Se trouve-t-il eH
1. S'il eût fait tout le contrti,ir(ij \\ n'eût étQBjié perso^Qf)^ Noua verront
de même, un peu plus loiii, que ce n'était pas Élessér les b£d)iiùdes reçues
que de jeter à terre le foud de son verre ou les débris de s«>n assiette.
2. w Uubis balais, variété de rubis, couleur de viç paillet,. . ainsi dit de
BalaUschan, Bàlaschany d&Aâ le tolsiiikg0 (le jiubiércaDdè. m mt^i<mi\alre
Liitré.)
DE l'homme. 203
iîàmpàgné •, il dit à quelqu'ua qu'il le ttonve heiireûi d^âyoîp
pu se dérober à la cour pefidant Fautolnne, et d'avoir pîtsèe
daiis ses terres tout le temps dô Fontainebleau ; îl tient à
d'autres d'autres discours ; puis, Pôvènattlt à celui-ci : « Vou's
avez eu, lui dit-il , de beaux jours à Fontainebleau; vôiis y
avez sans doiite beaucoup chassé, i^ Il conimèùce enstiite tin
conte qu'il oublie d'achever * 11 rit en lui-itfêmé, il éclate
d'une chose qui lui passe par l'^spHt, il tépônd à sa pensée,
il chante entre ses dents; il siffle,- il se renverse dans une
chaise, il pousse un 6ri plaintif, il bâille, il àé croit seul.
S'il fee trouve à un repas, on voit le pain ère fflttltîj)lièt iriseit-
siblêment sur son aâéiette : il est v^aî qiàe ses voMëiUiS èli
manquent; aussi bien que de couteaux et de fourchettei^,
dont il ne les laiâse |>as jouir lôn^tèmt)^: On à invetitâ aux
tables une grande cuiller pour la commodité du service :
il la prend, là plonge dans le plat, l'emplit; la porte à sa
bouche; et il ne sort pas d'étonhement de voit répandu siir
son, linge et âur ses habita le potage qu'il vient â'avalër. H
oublie de boire pehdarit totlt le dlnèr; ou, s'il s'en soutient,
et qu'il trdtiiè que l'on Iti donné tirop de vin, il ètl flaque
pltià dé la inoitié àû visage de celui qui eët & sa droite ; il
boit le teste tranquillement, et lie compreiid pas pourquoi
tout le inoilde éclate dô rire de ce qtl'il a jeté à terre cè
qu'on lui â versé dé trop. Il est Un jour retefau au lit pour
quelque incommodité : ori lui rend visite î il y a iin cercle
d'hommes et dé femmes dans sa ruelle qui rentrëtienneilt*
et, en leur présence, il soulève sa couverture et ôrâlbhe dans
ses draps. On le mène aux Chattreùt; oh lui fait voiruii
cloître orné d'ouvrages, toUs de là tnain d'un èxcelleht péiti-
tre*; le religietil qui les Itii explique ^rle de S. Brîjnô; dh
chanoine et dé son aventure *, en fait une longue histdire}
et la montre dans l'uii de àeà tâbleaul. Ménalque, qui pen-
dkiit la narration est hors du cloîtré, et bien loin au dëlà{
i. Moas disons aujourd'hui d ià campdgvié. ' - ' •' .
2. IX'Eusiacbjd l^eiuAur ((01.7-1^55}^ qui i^yajÀ,peitiV.po«r,le çlof(re^^
Chartreux, près du Luxe^lbou^g, àpans, viogi-dL'Uz..^bleaa| qo| représeor
talent l'histoire de sidut Bruno. Là plus grande ptLttih de ces fableaut
eaj an Louvre.. ., ,.. , ,,. ...;., . . ., :.,.... ^i., .... ,
$ Saint Bruno, qui vécut au onzième siècje^ est le fondateur de l'ordre
des Charireux. L'aventure dont il s'agit, reproduite dans le 3* tableau dé
Lesueur, est le miracle qui, suivant la légende, l'a déterminé à se retirer da
inonde. On allait ensevelir un chanoine de Paris. Au milieu des funérailles,
le mort se dressa, s'écria qu'il était damné^ puis â'affiàissà datiâ sa bièra*
204 CHAPITAE XI.
j rerient enfin, et demande au père si c'est le chanoine ou
S. Bruno qui est damné. Il se trouve par hasard avec une
jeune veuve; il lui parle de son défunt mari, lui demande
comment il est mort. Cette femme» à qui ce discours renou-
velle ses douleurs, pleure , sanglote , et ne laisse pas de
reprendre tous les détails de la maladie de son époux,
qu'elle conduit depuis la veille de sa fièvre, qu'il se portait
bien, jusqu'à l'agonie, c Madame, lui demande Ménalque, qui
l'avait apparemment écoutée avec attention , n'aviez-vous
que celui-là? » 11 s'avise un matin de faire tout hâter dans sa
cuisine; il se lève avant le fruit*, et prend congé de la
compagnie : on le voit ce jour-là en tous les endroits de la
ville, hormis en celui où il a donné un rendez-vous précis
pour cette affaire qui l'a empêché de dîner, et l'a fait sortir
à pied, de peur que son carrosse ne le fît attendre. L'en-
tendez-vous crier, gronder , s'emporter contre l'un de ses
domestiques? il est étonné de ne le point voir : c Où peut-il
être? dit- il; que fait-il? qu'est-il devenu? qu'il ne se pré-
sente plus devant moi, je le chasse dès à cette heure. > Le
valet arrive, à qui il demande fièrement d'où il vient ; il lui
répond qu'il vient de l'endroit où il l'a envoyé, et il lui rend
un fidèle compte de sa commission,! Vous le prendriez sou-
vent pour tout ce qu'il n'est pas : pour un stupide, car il
n'écoute point, et il parle encore moins ; pour un fou, car,
outre qu'il parle tout seul , il est sujet à de certaines gri-
maces et à des mouvements de tète involontaires ; pour un
homme fier et incivil, car vous le saluez; et il passe sans
TOUS regarder, ou il vous regarde sans vous rendre le salut;
pour un inconsidéré, car il parle de banqueroute au milieu
d'une famille où il ^ a cette tache ; d'exécution et d'écha-
faud devant un homme dont le père y a monté ; de roture
devant des roturiers qui sont riches et qui se donnent pour
nobles. De même, il a dessein d'élever auprès de soi un fils
naturel, sous le nom et le personnage d'un valet; et, quoi-
qu'il veuille le dérober à la connaissance de sa femme et de
ses enfants, il lui échappe de l'appeler son fils dix fois le
jour. 11 a pris aussi la résolution de marier son fils à la fille
d'un homme d'affaires, et il ne laisse pas de dire de temps
en temps, en parlant de sa maison et de ses ancêtres, que
i. U se lèye de table ayant le dessert.
DE l'homme. 20&
les Mënalqne ne se sont jamais mésalliés. Enfin, il n*est ni
présent ni attentif dans une compagnie à ce qui fait la
sujet de la conversation. Il pense et il parle tout à la fois ;
mais la chose dont il parle est rarement celle à laquelle il
pense; aussi ne parle-t-il guère conséquemment et a^ec
suite : où il dit non^ souvent il faut dire otit, et où il dit oui,
croyez qu'il veut dire non. Il a, en vous répondant si juste,
les yeux fort ouverts, mais il ne s'en sert point : il ne re-
garde ni vous ni personne , ni rien qui soit au monde ; tout
ce que vous pouvez tirer de lui, et encore dans le temps
qu'il est le plus appliqué et d*un meilleur commerce , ce
sont ces mots : Oui vraiment; Cest vrai; Boni Tout dé
bon? Owrdaî Je pense qu'oui; Assurément; Àh! ciel! et
quelques autres monosyllabes qui ne sont pas même placés
à propos. Jamais aussi il n^est avec ceux avec qui il paraît
être : il appelle sérieusement son laquais monsieur^ et son
ami , il rappelle la Verdure : il dit Votre Révérence à un
prince du sang, et Votre Altesse à un jésuite. Il entend la
messe : le prêtre vient à éternuer; il lui dit : Dieu vous
assiste. Il se trouve avec un magistrat : cet homme , grave
par son caractère, vénérable par son âge et par sa dignité,
l'interroge sur un événement, et lui demande si cela est
ainsi ; Ménalque lui répond : Ou», mademoiselle. Il revient
une fois de la campagne : ses laquais en livrée entrepren-
nent de le voler et y réussissent; ils descendent de son
carrosse, lui portent un bout de flambeau sous la gorge,
lui demandent la bourse , et il la rend. Arrivé chez soi, il
raconte son aventure à ses amis, qui ne manquent pa^s de
l'interroger sur les circonstances, et il leur dit : Demandez
à mes gens^ ils y étaient.
% L'incivilité n'est pas un vice de Pâme, elle est PefTet
de plusieurs vices : de la sotte vanité , de l'ignorance de
ses devoirs, de la paresse, de la stupidité, de la distraction,
du mépris des autres, de la jalousie. Pour ne se répandre
que sur les dehors, elle n'en est que plus haïssable *, parce
que c'est toujours un défaut visible et manifeste. Il est vrai
cependant qu'il offense plus ou moins, selon la cause qui le
produit.
1. Elle De se répand qne aur les dehors, mais elle n*en est que plas
iMïssable....
206 CSAPnas m.
% Dire d'nn JliQmme colore, inég^lf qpereUiQiiz.S ^^grin,
pointilleux, c&pciciea^ : ç c'est son bumeor, 9 n'est pas Tex-
cQser, conupe on le croit, mai? ^yoneri sans y penser, <iae
4e si grands défauts sont irrémédiables.
Ce qu'on appelle hi^meur est une chose trop négligée
pargai les bonunes : ils deyraieQt comprendre qu'il ne leur
suffit pas d'être bons , n^is qu'ils doiyent enoore paraître
tels, du moins s'ils toisent à être sociable^, capables d'union
^\ de commerce, c'est-ài-dire k âtre 4es hommes. L'on n'exige
pas des âmes malignes qu'elles aient de }a douceur et de la
souplesse ; elle ne leur manque jamais, et elle leur sert de
piège pour suiprendre les simples, et pour faire valoir leurs
artifices : l'on désirerait 4e ceux qui ont un bon cœur qu'ils
fussent ]boujours pliants, faciles, complaisants , et qu'il fû^
moins yr^i quelquefois que ce sont les méchants qui nui-
sent, pp le§ ))on9 qui font souffrir.
% te cofi^un ^e^ hommes va 4^ l^ colère à l'injure ;
quelques-uDS en uspnt autrement : ils offensent, et puis il3
se f^c^çnj^ : la si^rprf^e où Ton e^ toujours de ce procède
ne laisse pas ^ place f u ressentiment.
]f Les hommes ne s'attachent pas assez ^ pe pQJn^ man-:
Îuer les dcc^sioQS de faire plaisir : il semble que l'on n'entre
ans un çmpjoi que pour pouvoir obliger et n'en rien faire;
la chose la pjus prompte et qui se présentç 4'abord, c'est 1$
refus, et Jl'o^ n'accorde que par r-^flexjoç.
Ç §acbeî précisément ce qu.ç vous pouvejs atjtendre des
gommes en gçnéral, et 4e chacun d'^.^^ P9 participer; e^
jetez-yoys ^çnsuif^e dau^ le commence du monde.
|[ Si 1^ pauvret^ es^ la înèrç des crimes, le défaut d'esprit
en est le péfe.
f^ 1^ est (difficile qu'u^ fort malhonnête homme ait fis^ez
4'esprit : un géni§ qui est droit çt perçant conduit enfin ^ 1^
règle, à la pçpbité, ï la vertu. Il jipanque ^\i seps ejt de la
pënçtrâfion a celuj gui s'opiniâtrie dans le mauvais commç
dans le faux: l'on cherche en yain à le corriger par deg
traits" 4e satire qui lé désignent aux autres, et où ^ ne se
reconnaît pas lui-méine; ce sont des injuref dites à un
sourd. ïl serait désiraÈle, pour le plaisir des honnêtes gçns
1. En écrivant qwrille^Xy au liea de querelleur, la Brtijère conserve
l'ancienne orthographe et reproduit la proiiouciatidn du temps.
Dï l'homme. , â07
6t pour la vengeance pu2)Uque, qu'tm çpqoin ne le lût pas
au pdnt' é'étre privé de tout sentipieiit.
^ Il y a des Tices que nous ne devons à personne, que
nous apportons en naissant, et que nous fortifions par l'ha*
biiude', il y en a d'autre^ que Ton contracte , et qui nous
sont étrangers. L'on est né quelquefois aveô des mœurs fa-
ciles , de la complaisance , tout le désir de plaire ; mais,
parles traitements que l'on reçoit de ceux avec qui Ton vit
ou de q[ui Fon dépend, l-on est lyientôt jeté hors de ses
mesure^, et même de son naturel; Ton a des chagrins' et
une bile que l'on ne se connaissait point, l'on se voit une
antre complexion, Ton est enfin étonné dé se trouve): dur et
épineux.
% L'on demande pourquoi tous les hommes ensemble ne
composent pas comme une seule nation et n'ont point Voulu
parler uoe même langue, vivre sous les mêmes lois, con-
venir entre eux des mêmes usages et d*ûn même culte ; et
moi, pensant à la conttariété des esprits, des goûts et dés
sentiments, je suis étonné de voir jusques'à sept ou huit
personnes se rassembler sous un même toit, dans Une même
enceinte, et composer une fteulë famille.
f II y a d'étranges pères, et dont toute U vie ne semble
occupée qu'à préparer à leurs enfants des raisons de se
consoler dé leur mort.
ÎTout est étranger dans l'humeur, les mœurs et les ma-
es de la plupart des hommeà; Td a vécu pendant toute
i^ vie chagrin, emporté, avare, rampant, souiùis, laborieux,
intéressé, 'qui était né gai, paisible, paresseux, magnifique,
d'un courage fier*, et éloigné dé toute bassesse : les besoins
de la vie, la situation où l'on se trouve, la loi de la néces-
sité, forcent la nature et y causent ces grands change-
jgaeat^. Àin^i :^el b'ôpjj^> ^ %^ '^ eç lui-giéme i^e se peu*
qu'il est ou ce ^u'il parait
' 'Ur ï*a yie eçt courte' et eènûyçun^e. ; iplle se p^ssje toulé \ 4^
sirer : l'on remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âj^e
iouypntp^IesmeUJéuii? biè^s QnV4ëiV disparu, Vsanté et
1. Courage t dans le sens de cœur, mnitMUt sens qu'il a très-souTent
dans les tragédies de Corneille. ' '
208 CHAPITRE XI.
la j ennesse. Ce temps arrive, qai nous surprend encore dans
les désirs : on en est là, quand la fiôvre nous saisit et nous
éteint; si Ton eût guéri , ce n'était que pour désirer plus
longtemps *.
f Lorsqu'on désire, on se rend à discrétion à celui de qui
Pon espère : est-on sûr d'avoir , on temporise, on parle*
mente, on capitule.
^ Il est si ordinaire à l'homme de n'être pas heureux , et
si essentiel à tout ce qui est un hien d'être acheté par
mille peines, qu'une affaire qui se rend facile devient sus*
pecte. L'on comprend à peine , ou que ce qui coûte si peu
puisse nous être fort avantageux, ou qu'avec des mesures
justes l'on doive si aisément parvenir à la fin que l'on se
propose. L'on croit mériter les hons succès, mais n'j devoir
compter que fort rarement.
f L'homme qui dit qu'il n'est pas né heureux pourrait du
moins le devenir par le bonheur de ses amis ou de ses pro-
ches. L'envie lui ôte cette dernière ressource.
f Quoi que j'aie pu dire ailleurs *, peut-être que les affli-
gés ont tort : les hommes semblent être nés pour l'infor-
tune, la douleur et la pauvreté ; peu en échappent; et comme
toute disgrâce peut leur arriver, ils devraient être préparés
à toute disgrâce.
f Les hommes ont tant de peine à s'approcher * sur les
affaires, sont si épineux sur les moindres intérêts, si hé-
rissés de difficultés, veulent si fort tromper et si peu être
trompés, mettent si haut ce qui leur appartient, et si bas
ce qui appartient aux autres, que j'avoue que je ne sais par
où et comment se peuvent conclure les mariages, les con-
f . « Nons ne fommes jamais ctaeiDoua; nous sommes tonjoars an delà : U
crainte, le désir, respérance^ nous eslancent Ters l'ad venir, et nous deHrob-
beni le sentiment ei la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce
qui sera, voire quand nous ne serons plus. » (Muntalgue, Etsais^ i, 3.) "<I<*
présent ne nou» satisfaisant Jamais, l'espérance nous pipe, et de malheur
en malheur nous mène jusqu'à la mort, qui en est un comble éternel.»(Pasciil.)
— «f Que chacun examine ses pensées, avait encore dit Pascal, il les trouvera
toujours occnpées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au
présent; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière, pour
disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre tin: le pa<sé et le pre>en(
sont nos moyens, le seul avenir est notre lin. Ainsi noott ne vivons jamais,
maii* nous espérons de vivre ; et, nous dinposant toujours à être heureux, il
est inévitable que nous ne le soyons jamais.
t. Voyez page 8« : * ConUen de belles et inutUês raitfona.«.. »
S. À s'entecdre.
DE l'homme. 209
trats, les acquisitions, la paix, la trôve, les traités, les al-
liances.
% A quelques-uns l'arrogance tient lieu de grandeur,
Finhumanité de fermeté, et la fourberie d'esprit.
Les fourbes croient aisément que les autrec le sont ; ils
ne peuvent guère être trompés, et ils ne trompent pas long-
temps.
Je me rachèterai toujours fort volontiers d'être fourbe
par être stupide et passer pour tel * .
On ne trompe point en bien : la fourberie ajoute la ma«>
lice au mensonge.
If S'il y avait moins de dupes , il y aurait moins de ce
qu'on appelle des hommes fins ou entendus, et de ceux qui
tirent autant de vanité que de distinction d'avoir su , pen-
dant tout le cours de leur vie, tromper les autres. Gomment
voulez-vous qa^Érophiley à qui le manque de parole, les
mauvais offices, la fourberie, bien loin de nuire, ont mérité
des grâces et des bienfaits de ceux mêmes qu'il a ou man-
qué de servir ou désobligés, ne présume pas infiniment da
soi ettle son industrie?
f L'on n'entend , dans les places et dans les rues des
grandes villes, et de la bouche de ceux qui passent, que
les mots d'expZott, de saisie^ ai interrogatoire^ de promisse,
et de plaider contre sa promesse» Est-ce qu'il n'y aurait pas
dans le monde la plus petite équité? Serait-il, au contraire,
rempli de gens qui demandent froidement ce qui ne leur
est pas dû, on qui refusent nettement de rendre ce qu'ils
doivent?
Parchemins inventés pour faire souvenir ou pour con-
vaincre les hommes de leur parole : honte de l'humanité!
Otez les passions, l'intérêt, l'injustice, quel calme dans
les plus grandes villes l Les besoins et la subsistance n'y
font pas le tiers de l'embarras.
^ Rien n'engage tant un esprit raisonnable à supporter
tranquillement des parents et des amis les torts qu'ils ont
à son égard, que la réflexion qu'il fait sur les vices de l'hu-
manité, et combien il est pénible aux hommes d'être con-
1. Cette tonrniire, inuaitée aojoard'hai, n'était point rare an dix-sep-
tième siècle. M Je suis vena chez moi, écrit Bussy an retour d'un voyage è la
oour, remplacer par itre mon maître le bien que je n'ai pu attraper en fai-
aant le valeL »
14
210 CHjà>itRk il.
stants, gëhëîreiiz ; fidèles, à'être tbticHés d'uilë àtbitié plus
forte que leur intérêt •. Comme il connaît leur portée; il
n'exige point d'eux qu'ils pénétrent les corps, qtt'ils volent
dans l*air, qu'ils aient dé l'équité. Il peut haïr les homtïiéè
en gétiërâl, où il y à si peu de vertu; mais il excusé les
particulière, il les aithe même par des motifs pliis relevés;
et il s'étudie à mériter le moins qu'il se peut une pâi-éiUè
indùîgéiicè.
^ Il y a de certains bieiis ^u)b l'oîi désire àVe'c emporte-
ment, et dont l'idée seule hous enlève et nbûi transporte.
S'il nous arrive de les obtenir, on les sent ^ilus tr'àncniille-
ineiit qu'on ne l'eût jpeiisë, ô'n fen jbilît iîibins 4<ie l'on n'as-
pite encore â dé plus grands *;
^ Il y a des maux ëffï-oyàbiés et d'îibirtbVé's bailleurs 6ù^
qii'ob né resiiérait.
If U iié faut quelquefois qu'une jolie tnàison clonl oîi Mé-
rite, qu'un beau cheval ou un joli chien dont oh se îrouvé
le inâlttè, qu'une tapisserie, qù'iine jpendile , pour adbiicir
tiixë gbânde douleur^ et pour faire moins séhtir liiie gtàtiàâ
perte.
If Xq suppose que les hoiimès soient éternels sur là terre",
et je médite ensuite sur ce qui pourrait me faire connaître
qu'ils se feraient alors une plus gràudé affaire de leur étà-
blissëmeht qu'ils né s'en font dans l'ëtàt où sont les choses.
^ Si la vie est misérable, elle est pénible à supporter ; si
elle est heureuse, il est horrible de là perdre ; l'un revient
à l^autre.
^ Il n'y fit rien que les hommes ^ment mieux à conserver
et qu'ilô ménagent moins, qtié leur propre vie. .
% Irène se transporte à grands frais bil Épidkdre \ ioiï
1. Être fçfuké dft.tèl 09 tel sentiment^ expression trèe-asitlto à oétté épo-
que. H Jè.suls touché d'un seutiiinent de joie quand je voUt.tito, , ») écrit Fé-
nelon; On était (ottCA^ de passion, d'admiration, de reconhàîssaoce, etc.
2. « Quoy que ce soit qui lumbe en nosire cognoissance et jouissance,
nous sentons qu'il ne nous satistaicf pas, et aUquahéai^jl lAP^e^ les choses
adteniir et intôghùëé, d'autant qnè lés présentes ne nous sàoiilent point. »
(Montaigne, Essais, ]IÎZ.)
S. AttxqueU. Voy p. 27, note 5.
4. Aujourd'hui l'on dirait à Ëpidanre. Bn se met très-souyent, à cette épo-
fisciîlâpë dàîil dott tèMple, et le consulte sur tous des liiaîiz.
D'abord elle se plaint qu'elle eàt lasse et récrue de fatigue ;
et lé diéii prbtibnce que cela lui arrive paJ* la longueur dtt
chemiii qu'elle vient de faire. Elle dit qu'elle est le Soir sans
appétit; l'oracle lui ordonne de dîner peu. Elle ajdtitë
(^'ëllé est àûjëtt'é à des iisisomUies ; et il lui {^ireàc'rit de
n'être au lit que pendant la nuit. Elle lui deîtiaiidé poUr-
qtioi elle devient t)esàiite , et (îllel rbiilSdè ; l'ôraclé rëpôhd
[u'eile doit se lever atàiii àiidi, et quelquefois se ëervit dé
^s Jàmb'éâ pour niarchèrl Eilfe lUi dëfelslcè (Jtie le vid lui Sst
ïlliisiblb \ Vmèïk lui dil dé bbirë db l'eâù; Qu'elle a dëi
iiiâigéstiotis; et il ajouté qu'elle Ifaâsë diète. I BTa Vue è'at-
ioià vîfeilliikli. - Màii quel iribyën de gdëHr de celte
langueur t— te pîiîs côiirV, îirèné, 8'6st de mbiirlt, fcblnnlë
ont fait votre mère et vottë aîétilè.— îiîs d'Apollbh; s'ébnë
Irène, quel bdiiâeil Inë donbei-véiiât Eét-cèlà téUte cette
science que les hommes publibut, bt qui vdûs fait Hvërë^
dé toute là terré î Qùb in'âpi)renei-vbU3 dé ràtë et dé ifaj^s-
tërieux ? Et ne savais-ie pas tous béà i^Blilèdës '^ue vbuâ
iti'eii'sèigiiez? — Que ireh iisiëî-vôus dô^c^ répoM le dieu,
âans veiiir me cUërchë^ dé si Ibin, et abirégér vbë jdiii^ par
on .tong voyage?* »
^ Là mort îi'arriyé ^n'iXné tbis; et isê t&it sektir & tbûs les
moments de là vie t il est pliis dur de l'apprébendei* que dé
là souffrir*.
t L'inqiiîétudé, la ci-atiité, l'âbattethëiil ; n'eioifeilfetit p'ââ
la fdbrt. au cbnti*airé : je doUte seulëineiit (j[iib le Hs elces^
kif convienne aux hoiiimei . qui àont môhélS.
^ Ce qu'il y â dé certain dans la ioacirt é^t ùii peu adouci
par ce ^i est incettàin; c'est un indéfini dails lé temps;
qui tient qUélque chose dé l'iiiànî et de be qu'où appelle
éternité '.
- ■ •• ' .
que, deiaot qd qom ûe yiUe: Molière ft Corneille oilt dit m Àlgeri Racine,
«n Ârgos (Iphigéniej 1, 1); Bossuët, en Jérusalem, etc.
1. « L'on tint ce discours à Mme de Montespàh; siiivânt les clefs, ahïMlîx
de Bourbon, oh elle allait souvent pour des maladies imaginaires. »
3. « La mort est plus aisée à supporter sans y penser que la pensée de
la piqrt sans péril. » (P9sca\j) . . . ^,, . , ,
3. i/inâiènni, ce ({ui nia point de lîoutés certainèii et flétennihdès; llnini,
ce qui n'a point de fia» l'éternité;
212 CHAPITRE XI.
^Pensons que, comme nous soupirons présentement
pour la florissante jeunesse qui n'est plus et ne reyiendra
point, la caducité suisrra, qui nous fera regretter Tâge
viril où nous sommes encore, et que nous n^estimons pas
assez.
% L'on craint la vieillesse, que Ton n'est pas sûr de pou-
voir atteindre.
% L'on espère de vieillir, et Ton craint la vieillesse ; c'est-
à-dire l'on aime la vie, et l'on fuit la mort.
% C'est plus tôt fait de céder à la nature et de craindre la
mort, que de faire de continuels e (Torts, s'armer de raisons
et de rëflezions, et être continuellement aux prises avec
soi-iTiéme, pour ne la pas craindre *.
% Si de tous les hommes les uns mouraient, les autres
non, ce serait une désolante affliction que de mourir. .
^ Une longue maladie semble être placée entre la vie et
la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et
à ceux qui meurent et à ceux qui restent.
^ A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui
est de mettre fin à la vieillesse.
La mort qui prévient la caducité arrive plus à propos
c[ue celle qui la termine.
^ Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du
temps qu'ils ont déjà vécu, ne les conduit pas toujours à
faire de celui qui leur reste à vivre un meilleur usage.
% La vie est un sommeil. Les vieillards sont ceux dont le
sommeil a été plus long : ils ne commencent à se réveiller
que quand il faut mourir. S'ils repassent alors sur tout le
cours de leurs années, ils ne trouvent souvent ni vertus ni
actions louables qui les distinguent les unes des autres, ils
confondent leurs différents âges, ils n'y voient rien qui
marque assez pour mesurer le temps qu'ils ont vécu. Ils
ont eu un songe confus, informe, et sans aucune suite; ils
sentent néanmoins, comme ceux qui s'éveillent, qu'ils ont
dormi longtemps.
If II n'y a pour l'homme que trois événements : naître,
vivre et mourir : il ne se sent pas naître, il souffre à mou-
rir, et il oublie de vivre.
1. M Nous troublons la yie par le seing de la mort : Yune doqs ennuyé»
Fiatre nous effraye.... » (Montaigne, Eitais, III, 12.)
DE l'homme. 213
^ Il y a un temps où la raison n'est pas encore, où Ton
ne vit qae par instlDct , à la manière des animaux , et dont
il ne reste dans la mémoire aucun yestige. Il y a un second
temps où la raison se développe, où elle est formée, et où
elle pourrait agir, si elle n'était pas obscurcie et comme
éteinte par les vices de la complexion, et par un enchaîne-
ment de passions qui se succèdent les unes aux autres, et
conduisent jusquesau troisième et dernier âge. La raison,
alors dans sa force, devrait produire ; mais elle est refroidie
et ralentie par les années, par la maladie et la douleur, dé-
concertée ensuite par le désordre de la machine, qui est
dans son déclin : et ces temps néanmoins sont la vie de
lliommel
^ Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux,
curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempé-
rants, menteurs, dissimulés; ils rient et pleurent facilement;
ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur
de très-petits sujets; ils ne veulent point souffrir de mal,
et aiment à en faire : ils sont déjà des hommes.
^ Les enfants n'ont ni passé ni avenir ', et, ce qui ne
nous arrive guère, ils jouissent du présent.
^ Le caractère de l'enfance parait unique ; les mœurs,
dans cet âge, sont assez les mêmes, et ce n'est qu'avec une
curieuse attention qu'on en pénètre la différence : elle aug-
mente avec la raison, parce qu'avec celle-ci croissent les
passions et les vices, qui seuls rendent les hommes si dis-
semblables entre eux, et si contraires à eux-mêmes.
^ Les enfants ont déjà de leur âme l'imagination et la
mémoire, c'est-à-dire ce que les vieillards n'ont plus, et ils
en tirent un merveilleux usage pour leurs petits jeux et
pour tous leurs amusements : c'est par elles qu'ils répètent
ce qu'ils ont entendu dire, qu'ils contrefont ce qu'ils ont va
faire; qu'ils sont de tous métiers, soit qu'ils s'occupent en
effet à mille petits ouvrages, soit qu'ils imitent les divers
artisans par le mouvement et par le geste; qu'ils se trou-
vent à un grand festin, et y font bonne chère; qu'ils se
transportent dans des palais et dans des lieux enchantés;
que, bien que seuls, ils se voient un riche équipage et un
grand cortège; qu'ils conduisent des armées, livrent ba-
t. Ili n'ont soQd ni da passé n\ de l'afenir.
1
214 ÇBAPITI^E XI.
^aie, ej jpmssçî^^ c|ix plaigfir 4e la yicipira; quUl^ parlent
î^uf rois et aux plus grands pripç^ç; qu'il» 9opt rotia eux-
fD^'es/pnt de^ sujeis» possèdent 4^9 tnéaorf qu'ils peuvent
^aire de feuilles, d'arbres Qu de g^aips àe s^ble; et, oe qu'ils
Ignorent 4^i^9 1^ sv^ii^^ ÇJ^ )§vur vie, savent, 4 Ofit âge, dtre
les ^rbitref[ de Ipur fprtuQ^, et les maîtres de leur propre
^ 1| n*y a nuls yipes ezt^rienrs et nuls défauts du corps
gui ne §q^ent^pQ^ç\:|s par les enfants; ils les saisissent d-une
pr^mièfte yuç, ^\ Us sl^vent les exprimer par des mots con-
yenables : on ne npmpae point plus heureusement. Devenus
]^oa)ipes, ils sont pbargé^, h \wt tour, de toutes les imper-
fections dont ils se sont moqués.
L'unique soin des enâ^nts ^st de trouver Tendroit fa^ible
4e leurs maîtres, comine de tous ceux à qui ils sont soumis :
4ès qu'ils ont pu les entamer, ils gagnent le dessus, et
prennent sur ex^. yn ascendant qu'ils ne perdent plus. Ce
qui nous f^^it décboir une première fo|s de cette siipériorité
à leur égar4, est toujours ce qui nous empoche de b récou-
yrer.
^ La paresse, Tindolepce et Foisiveté, vices si naturels
s^ux enfants, disparaissent dans leurs jeux, 6ù ils sont t^fs,
appliqués, exacts, amoureux des règles et de I4 symétrie,
op: \\s ne se pardonnent nuUe faute les uns aux autres, et
r^comn^encent eux-mêmes plusieurs fois unô seule chose
q^i'ils ont manquée : présagea certains qu'ils pourront un
jour négliger leurs devoirs , mais qu'ils n'oublieront rien
pour leurs plaisirs. *
% 4ux f nfants tout paraît gcand , les eoura, les jardins,
les 'édifices, les meubles, les hommes, les animaux Vaux
Jiomipes les choses du monde paraissent ainsi, et j'oôe dire
par la même raison, parce qu'ils sont petits. '
^ Le$ enfants commencent entre eux par Pitat populaire ,
chacun y est le maître; et y ce qui est bien naturel, ils ne
s'en accommpdent pas longtemps, et passent au monar-
chique. Quelqu'un se distingue , ou par une plus grande
vivacité , ou par une meilleure disposition du corps, ou par
une connaissance plus exacte des jeux différents et des pe-
tites lois qui les composent; les autres lui défèrent, et il se
forme alors un gouvernement absolu qui ne roule que sur
le plaisir.
DE l'HOUHE. 215
^ Qui doute que les enfants ne oonçoivaat, quUU ne iu-
Çent,' qu'ils ne raisonnent côn^équemment? Si c'est seiàe-
menf sur de petites choses, c'est qu'ils sont enfants, et sans
une longue expérience; et ôi c'est en mauvais termes» c'est
moins leur faute que 'celle de leurs parents oi^ de leurs
maîtres. ' '•
^ C'est perdre toute confiance dans l'esprit 4es enfants,
et leur devenir inutile , que de les punir des fautes qu'ils
n'ont 'point faites, 'ou ihôme sévèrement de 'celles qui sont
légères. Ils sayent précisénient'et mieux que personne ce
qu'Ds niérilent, et ils ne méritent guère que ce qu'ils crai-
gnent ': ils coimaissent si c'est à tort ou nyec raison qu'on
les châtie, et ne se gâtent pas moins par des peines mal or-
données que par l'impunité.
^ On ne vit point assez pour profiter de ses fautes:
en commet pendant tout' le coûts de sa vie; et tout oe
que l'on peut faire à force de faillir, c'est de mourir cor-
ngé.
Il n'y a rien qui rafraîchisse le s^g comme d'avoir su
éviter de faire une sottise 1. - .. -
^ Le récit de ses fautes est pénible; on veut les couvrir*
et en charger quelque autre. C'est ce qui donne le pa^ au
iîrec teiir" sur le confesseur.
^ Les fautes des sots sont quelquefois si lourdes et si dif-
ficiles à' prévoir, qu'elles mettent les sages en défaut, et ne
sont utiles qu'à ceui qui les font.
\ L'esprit de pafti abaisse lés plus grands homoiQS jus*
ques aux petitesses du peuple.
^ If pus fafsons, par vanité ou par bienséance, les mêmes
choses et avec les mêmes dehors que nous le^ ferions par
;nclî;}^tiqn pu' paç devo|r. "Tel yîejït de njourir à Paris de
la fièvre qu'il a gagnée à veiller sa femme, qu^il ji^aimàit
point*.
^ Les hommes, dans le rœur, veulent être estimés, et ils
1. « C'est une figure bien beqrease qae celle qui transf^^nne ainsi en sen-
«ationle sentimem qu'on veut eiipHiiier.'» (Suai-jd.)' ^
2. Les cacher ou les pallier. -^ Lé directeur est recclésiastiqne qai a la
direction de la conscience d'une personpe.
3. En 1685, la princesse de Çunti, tille léç:itinice deljouia Xiy, tomba gra-
yement malade de la pe.titp yerule; elle guérit, mais le. prince de Conti, qui
avait veillé auprès d'elle , tomba malade à son tour et succtmiba. Les clefs
ont malignement inscrit son nom ^ côté de la remarque de la Brujère.
216 CHAPITRE XI.
cachent ayee soin l'envie qnlls ont d'être estimés; parce
qne les hommes veulent passer pour vertueux , et que vou-
loir tirer de la vertu tout autre avantage que la même vertu *,
je veux dire Testime et les louanges, ce ne serait plus être
vertueux, mais aimer l'estime et les louanges, ou être vain ;
les hommes sont très-vains, et ils ne haïssent rien tant que
de passer pour tels.
^ Un homme vain trouve son compte à dire du hien ou
du mal de soi* : un homme modeste ne parle point de soi.
On ne voit point mieux le ridicule de la vanité , et com-
bien elle est un vice honteux, qu'en ce qu'elle n'ose se mon*
trer, et qu'elle se cache souvent sous les apparences de son
contraire*.
La fausse modestie est le dernier raffinement de la va-
nité; elle fait que l'homme vain ne parait point tel, et se
fait valoir au contraire par la vertu opposée au vice qui
fait son caractère : c'est un mensonge. La fausse gloire est
recueil de la vanité ; elle nous conduit à vouloir être esti-
més par des choses qui, à la vérité , se trouvent en nous,
mais qui sont frivoles et indignes qu'on les relève : c'est
une erreur.
^ Les hommes parlent de manière, sur ce qui les regarde,
qu'ils n'avouent d'eux-mêmes que de petits défauts^, et en-
core ceux qui supposent en leurs personnes de beaux talents
ou de grandes qualités. Ainsi Ton se plaint de son peu de
mémoire , content d'ailleurs de son grand sens et de son
bon jugement" : l'on reçoit le reproche de la distraction et
de la rêverie , comme s'il nous accordait le bel esprit ;
1. La Bruyère avait d*abord écrit : qw la vertÏA mémi, et c'eat la conatroo-
tion que l'on emploierait aujoarù'hai pour éviter toute amphibologie; mais,
f (référant plus tard la construction dont Corneille s'esi servi le plus to-
onliers, il a, dans les deux dernières éditions, placé même devant le sub-
stantif, comme l'ont fait Molière et beaucoup d autres. C'est ainsi que Cor-
neille a dit, pour ne citer qu'un exemple ('« Ctd, U,2):
Sais-tu que ce vieillard est la même yertn?
3. « On aime mieux à dire du mal de ï>oi que de n'en point parler. » (La Ro-
diefoucauld.)
3.« L'humilité n'est souvent qu'une feinte soumission ; ...c'est un artifice
de l'orgueil qui s'abaisse pour b'él'^ver^ et bien qu1l se transforme en mille
manières, il n'est jamais mieux dt^guisé et plus capable de tromper que
lorsqu'il se cache soas la figure de rhun>ilité.i» (La Rochefoucauld.)
k. « Nous n'avouoo» de petits défauts qne pour persuader que nous n'en
avons pas de grands. » (La Rochefoucauld.)
5. « Tout le monde se plaint de sa mémoire, et persoone ne ee plaint de
son Jugement. » (La Rochefoucauld.)
DE l'homme. 217
Pon dit de soi qu'on est maladroit , et qu*on ne peut rien
faire de ses mains, fort consolé de la perte de ces petits ta-
lents par ceux de l'esprit, ou par les dons de l'âme, que tout
le monde nous connaît; Ton fait Taveu de sa paresse en des
termes qui signifient toujours son désintéressement, et que
roQ est guéri de l'ambition; Ton ne rougit point de sa
malpropreté, qui n^est qu'une négligence pour les petites
choses, et qui semble supposer qu'on n'a d'application que
pour les solides et essentielles. Un homme de guerre
aime à dire que c'était par trop d'empressement ou par cu-
riosité qu'il se trouva un certaia jour à la tranchée, ou en
quelque autre poste très-périlleux, sans être de garde ni
commandé ; et il ajoute qu'il en fut repris de son général.
De même une bonne tête ou un ferme génie qui se trouve
né avec cette prudence que les autres hommes cherchent
vainement à acquérir ; qui a fortifié la trempe de son esprit
par une grande expérience; que le nombre, le poids, la di-
versité, la difficulté et l'importance des affaires occupent
seulement, et n'accablent point ; qui, par l'étendue de ses
vues et de sa pénétration, se rend maître de tous les évé-
nements; qui, bien loin de consulter toutes les réflexions
qui sont écrites sur le gouvernement et la politique , est
peut-être de ces âmes sublimes nées pour régir les autres,
et sur qui ces premières règles ont été faites; qui est dé-
tourné, par les grandes choses qu'il fait, des belles ou des
agréables qu'il pourrait lire , et qui au contraire ne perd
rien à retracer et à feuilleter, pour ainsi dire, sa vie et ses
actions *; un homme ainsi fait peut dire aisément, et sans
se commettre, qu'il ne connaît aucun livre, et qu'il ne lit
jamais*.
^ On veut quelquefois cacher ses faibles, ou en diminuer
Topinion ', par l'aveu libre que Ton en fait. Tel dit : c Je
suis ignorant, » qui ne sait rien. Un homme dit : « Je suis
I. La Bruyère s sans doute empronté ceife expression à Boileao («a«
tire V, vers 52) ;
Feuilletei à loisir les siècles passés....
Et Boileau, de son c6té, avait traduit Horace (Satins, I, m, vers 112) :
Tempora si fitslosque velis evoleere mnndi.
S. Ceist à LouTois, disent les clefs, que ce passage s'applique.
3. Ou atitauer le sentiment qu'en ont^es autres.
ï
218 CHAPITRE XI.
YÎeux, > il passe soixante ans; un antre encore : « Je ne
suis pas riche, » et il est pauvre.
^ La modestie n'est point, bu est confondue avec une
chose toute 'différent^ de soi, si on la prend pour un senti-
ment intérieur (jui avilit Thomme à ses propres yeux, et
ui est une vertu surnaturelle qu'on appelle humilité,
i^tomme, de sa naturQ, pense hautement 'et superbement
de' lui-môme , et iie pense ainsi que de lui-même : la mo-
destie ne téhd qu'à faire que personne' n'en souffre; elle est
une vertu au dehors , qui règle ses yeux, sa démarche, ses
paroles, son 'ton de voix, et qui le fait agir extérieurement
^vèc les autres comme s'il n* était pas vraiquHl les compte
pour rien. • « . •
' ^ Le monde est plein de gens qui, faisant intérieurement *
et pir habitude la comparaison d'eux-mêmes avec les ad-
irés, décident toujours en faveur de leur propre mérite , et
agissent cônséquemmént.
' ^ Vous' dites qu'il faut être modeste; les gens bien nés
ne îStemandent pas mieux : faites seulement que lés hommes
n'empiètent pas sur ceux qui cèdent' par modestie, et ne
brisent pas ceux qui plient.
De même foà' dit : i 11 faut avoir des habits modestes; les
personnes de ihérite ne désirent rien davantage. Mais le
Inonde veut dé là parure, on lut en donne; 'il est avide de
la superfiuité', on lui en montré. Quelqùss-ùns n'estiment
les 'autres que paV de beau linge où pà^'une riche étoffe;
Ton ne refuse pas tofu jours d'être estimé à ce prix. Il y a
des endroits oîi il faut se faire voir : un galon d'or plus
large ou'plus étroit' vous fait' entrer où refuser*.
^ Notre vanité et la trop grande estime que nous avons
de nous-mêmes nous fait soupçonner dans les autres une
âerté à notre égard qui y est quelquefois , et qui souvent
n'y est pas: une personne modeste n'a point cette délicatesse.
1. Dans Coûtes les éditions des Caractères qai sont postérienres à la
n'eu donnerez à l'advepture pas un quatrain, si vous l'avez dépouillée. Il le
faut juger par ruy-niesme, non par ses atours; et, comme' dict irès-plaisam-
ment uu ancien : Scavez-Toas pourquoy voqh l'estimeit grand f tous y comp*
tez la baulteur de ses patins. » (Montaigne, Ifissai^, I, k^-)
3. « Si nous n'avions point d'orguef), nous lié ûoââ plaiodrions pas de
celui des autres. » (La Rochelbàcaifld.}- ' ^ • ' r -... r .. . . .. r
DE L'HOHMS. 219
^ Gomme il faut se défendre de cette vanité qui noui^ f^it
penset que \e% autres nous te^ârdènt'a^éc cùrîôsiti' ef aVèc
estime , et ne parlent ensemble que pour s'entretenir de
notre mérite et faire notre éloge : aùsëi devons-nous avoir
une certaine confiaocé qui nous empêché de croire (^u'on
ne se parle S Foreille tpië poùrHire dit mal de nous,' où que
• . f » I
l'on ne rit quô pour s'en nioquerV '
% D'où vient qxi^Àlcippé mô salue aujourd'hui, me sourit,
et are jette hors d*unë pôitière, de peur de nïe Ithahquèr? Je
ne suis pas riche, eC je* suis àf>red : il doit, dans lé J règles,
ne me pas voir. N'est-ce point 'pour êtrfe Vu lui-même dans
un môme fond* avec un grand? ' "' *
^ L'on est si rempli dé soi-même, que tout s'y rapporte;
l'on aimé à êtte vd, è! être montré, à^ être salué, même cif s
inconnus : ils sont fiers s'ils l'oublient; l'on veut qu'ils nous
devment".
^ Nous cherchons notre bonheur hors de non^-mêmçs, et
dans Topinion des hommes,' que nous connaissons ff^^teprs,
peu sincères, sans équité, pleins d'envie, de caprices et de
préventions. Quelle bizarrerie l
!|[ Il semblé que l'on né puisse rire que des choses ridi-
cules : l'on voit néanmpiîls dé certainei^ gens qui rient éga-
lement dés choseé ridicules et de celles qui ne le soni pas.
Si voua êtes Sôt etinbonsldéré, et qu'il vous échappe devant
eux quelque impertinence, ils rient de vous : si vous êtes
sage, et que vous ne disiez que des choses rsdsonnables, et
du ton qu'il lés faut dire, ils rient de même.
^^ Geiix qui nous ravissent les biens par la violence qu
par l'injustice, et qu; nous ôtent l'honneur par là calomnie,
iious màrqvfept assez leur haine pour nous; mais ifs ne nous
|>rouyent |)as également qu'ils aient perdu à notre égard
toute sorte d'estime : aussi ne sommes-nous pas incapables
de quelque retour pour eux, et de leur rendre un jour notre
amftiè. La moquerie, au contraire, est de toutes les injures
celle qui se pardonne' le moins* elle est le langage du
mépris,'*et Tune des" manières dont il se fait le mieux en-
tendre; elle attaque Tbomme dans son dernier retranche-
menty qui est l'opinion qu'il a de soi-même; elle veut le
1. G*e8t-à-dire dans le fond d'ane mdme TOitonu
9. Qa'ild devinent qui nous sommes.
220 CHAPITRÉ XI.
rendre ridicule à ses propres yeux; et aiosi elle le conyaino
de la plus mauvaise disposition où Ton puisse être pour lui,
et le rend irréconciliable.
C'est une chose monstrueuse que le goût et la facilité qui
est en nous de railler, dMmprouver et de mépriser les autres;
et tout ensemble la colère que nous ressentons contre ceux
qui nous raillent, nous improuvent et nous méprisent.
^ La santé et les richesses, ôtant aux hommes Texpé*
rience du mal, leur inspirent la dureté pour leurs sembla-
bles ; et les gens déjà chargés de leur propre misère sont
ceux qui entrent davantage, par la compassion, dans celle
d'autrui*.
^ Il semble qu'aux âmes bien nées les fêtes, les specta-,
clesy la symphonie, rapprochent et font mieux sentir Tin-
fortune de nos proches ou de nos amis.
^ Une grande âme est au-dessus de Tinjure, de rinjus*
tice, de la douleur, de la moquerie ; et elle serait invulné-
rable, si elle ne souifrait par la compassion.
^ 11 y a une espèce de honte d'être heureux à la vue de
certaines misères.
^ On est prompt à connaître ses plus petits avantages,
et lent à pénétrer ses défauts : on nUgnore point qu'on a
de beaux sourcils, les ongles bien faits ; on sait à peine que
Ton est borgne; on ne sait point du tout que l'on manque
d'esprit.
Argyre tire son gant pour montrer une belle main, et elle
ne néglige pas de découvrir un petit soulier qui suppose
qu'elle a le pied petit : elle rit des choses plaisantes ou sé-
rieuses, pour faire voir de belles dents ; si elle montre son
oreille, c'est qu'elle Ta bien faite; et si elle ne danse jamais»
c'est qu'elle est peu contente de sa taille, qu'elle a épaisse.
Elle entend tous ses intérêts , à l'exception d'un seul : elle
parle toujours, et n'a point d'esprit.
^ Les hommes comptent presque pour rien toutes les
vertus du cœur, et idolâtrent les talents du corps et de l'es-
prit. Celui qui dit froidement de soi, et sans croire blesser
la modestie, qu'il est bon, qu'il est constant, fidèle, sincère»
t. Virgile, Enéide, I, 630 :
Non ignara mali, roiseris succarrere disoo.
DE l'homme. 221
équitable» reconnaissant» n'ose dire qu'il est vif, qu'il a les
dents belles et la peau douce : cela est trop fort '.
Il est vrai qu'il y a deux vertus que les hommes admi-
rent, la bravoure et la libéralité, parce qu'il y a deux cboses
qu'ils estiment beaucoup, et que ces vertus font négliger,
la vie et Targent : aussi personne n'avance de soi qu'il est
brave ou libérai.
Personne ne dit de soi, et surtout sans fondement, qu'il
est beau, quHl est généreux » qu'il est sublime : on a mis
ces qualités à un trop haut prix; on se contente de le penser.
^ Quelque rapport qu'il paraisse de la jalousie à l'ému-
lation» il y a entre elles le même éloignement que celui qui
se trouve entre le vice et la vertu.
La jalousie et l'émulation s'exercent sur le même objet 9
qui est le bien ou le mérite des autres; avec cette différence,
que celle-ci est un sentiment voloi taire, courageux, sin-^
cère, qui rend l'âme féconde, qui la fait profiter des grands
exemples, et la porte souvent au-dessus de ce qu'elle admire;
et que celle-là au contraire est un mouvement violent et
comme un aveu contraint du mérite qui est hors d'elle;
qu'elle va même jusques à nier la vertu dans les sujets où elle
existe, ou qui, forcée de la reconnaître, lui refuse les éloges
ou lui envie les récompenses; une passion stérile qui laisse
l'homme dans l'état où elle le trouve, qui le remplit de lui-
même, de l'idée de sa réputation, qui le rend froid et sec
sur les actions ou sur les ouvrages d'autrui, qui fait qu'il
s'étonne de voir dans le monde d'autres talents que les
siens, ou d'autres hommes avec les mêmes talents dont il
se pique : vice honteux, et qui, par &on excès, rentre tou-
jours dans la vanité et dans la présomption, et ne persuade
pas tant à celui qui en est blessé * qu'il a plus d'esprit et de
mérite que les autres, qu'il lui fait croire qu'il a lui seul de
Tesprit et du mérite.
L'émulation et la jalousie ne se rencontrent guère que
dans les personnes de même art, de mêmes talents et de
même condition. Les plus vils artisans sont les plus sujets à
la jalousie. Ceux qui font profession des arts libéraux ou des
1 . « Cbaenn dit da bien de son ooBor, et penonne n'en oie dire de son
esprit. » (La Rocberouceuld.)
2. Etr$ blêssé d'une passion , d'un vice, expression aussi fréquente an
dix-sepiième siècle qne l'expression êtrt towihé.
222 GHAPURte H.
belles-lettres^ les peintres, les musiciexut^ les oratents^.!»!
poëtes, tous ceâx qui se niélent d'écrire ) ne devraient être
capables que d^émulation. .
Toute jalousie n^est point elëmpte dé quelque sorte d'en-
vie, et souvent même ces deux passions se confondent. L'en-
vie , au contraire, est (quelquefois séparée de la jalousie^
comme est celle qu'excitent dans notre âme. les. conditions
fort. élevées au-dessus de la nôtre, les grandes fortunes; la
faveur, le ministère. , ...
L'envie et la haine s'unissent toujours et se fortifient
Tune l'autre dans un même sujQt; et elles ne sont recçn-
uaissables entre elles qu'en ce que l'une s'attache & la per-
sonne, l'autre à l'état et à la condition.
Un homme d*esprit n'est pbint jaloux d'un ouvrier quia
travaillé une bonne épée, ou d'un statu^re qui vient d'a«
chever une belle figure. Il sait qu'il y a dans ces ërts des
régies .et une méthode qu'on ne. devine point; qu'il j a des
outils à manier dont il ne connaît ni l'usage, lii le nom, ni
la figure ^ et il lui suffit de penser qu'il n'a point fait l'ap-
prentissage d'un certain métier, pour se. consoler de n'j
être point maître. Il peut^ au contraire; être susceptible
d'envie et môîne dé jalousie contré un ministre et contre
ceux qui gduvement, comme si la raison et le bon sens;
qui lui sont cominuns avec eux', étaient les seuls instru-
ments qui servent à régir un État et à présider aux affaires
publiques, et qu'ils diissent suppléée aux règles^ aux pré-
ceptes, à l'expérience;
^ L'on voit peu d'esprits entièrement lourds et stupides ;
l'on en .voit encore moins qui soient sublimes et transcen-
dants. Le commun des hommes liage entre ces deux ex-
trémités : l'intervalle est rempli par un grand nombre de
talents ordinaires, mais qui sont d'un grand usage, seryent
à la république, et renferment en soi l'utile et l'agréable;
comme le commerce^ les finances^ le détail des armées, la
navigation,. les arts, les métiers; l'heureuse mémoire; Tes-
prit du jett*, celui de la société et de la conversation.
1. Ni la forme.
ou du moins avec un dédain qui se dissiniiUer» oapina «tétait l'une des
qualités ^ue l'on prisait le plus & la cour. Le marquis peDaogea^ yii. Rê-
vait en grande partie la situaiion qu'il ayait acquise^ et le maihématicieo
DE l'HOMUS. SS3
f Tout l'esprit qui est au monde edt iiititile à celui i}Tii
n'en a point : il n'a nulles vues, et il est incapable de pro«
fiter de celles d'autrui.
^ Le premier degré dans, l'homine après la raison, ce
serait de sentir quMl Ta perdue ; là folie mètne est incom-
patible avec cette connaissance. .De même, ce qu'il y au-
rait en nous de meilleiir at)rès,resprit, ce serait de con-
naître qu'il nous manque : par là on ferait l'impbssible, on
sabrhit^ dans esprit, n'être pas un sot; ni un fat; ni tin int*
pertinent.
% Un homme qui n'a de Tësprit que dans une certaine
médiocrité est sérieiit et t6tï% d'une pièce : il ne rit point;
il ne badine jamais^ 11 ne tire aucun fruit de la bagatelle!
aussi incapable de s'életer aux grandes choses que da
s'accommoder» même par relâchement; des plus petites; 11
sait à- peine joueir aveases enfaiits: .
^ Tout le inonde dit d'un fat qd'il est un M\ pei^onné
n'ose le lui dire à lui-même : il meurt sans le savoir, et
sans que personne se soit vengé.
.^ Quelle mésintelligence entre l'esprit et lé cœur t Lé
philosophe vit mal avec tous ses préceptes, et le pëlitic^ue;
rempli de vues et de réflexiolis, ne Sait fias se gouyerner:
^ L'esprit s'use comme toutes choses ; les Sbienbes soht
ses aliments, elles le nourrissent et le consument.
% Les petits sont quelquefois chargés de mille yerius
inutiles : ils n'ont pas de (^uoi les metttë en œutrte.
^ Il se trouye des hommes qui soutiehbëht facileinent lé
poids de la faveur et de l'autorité; qui se fanliliarisënt avec
leur ptopre grandeur, et à qui la tête hè tourné |)oint dànà
les postés les plus élevés. Ceaiàù cbhtràiré que là fortuné,
aveugle , sans choix et sans discernement , a comme acca-
blés de ses bienfaits, en iouissent avec orgueil et sans mo-
dération : leUrs yeux, leur démarche, leur ton de Voix et
leur accès, marquent longtemps éh eux l'admiration où ils
sont d'eux-mêmes et de se voir si ëinineUts ; et ils devien-
nent si farouches que leur chute seule peut les appri-
voiser.
wx poar f^re,4QvafitierQi et( jeB /çourUsan*, de scientifiques dissert»-
taODB BOT les combinaisons des jeax à li^ mode.
224 CHAPITRE XI >
f Un homme hant et robuste, qui a une poitrme large
et de larges épaules, porte légèrement et de bonne grâce
un lourd fardeau ; il lui reste encore un bras de libre : un
nain serait écrasé de la moitié de sa charge. Ainsi les
postes éminents rendent les grands hommes encore plus
grands, et les petits beaucoup plus petits.
f 11 y a des gens qui gagoeot à être extraordinaires : ils
voguent, ils cinglent dans ane mer où les autres échouent
et se brisent ; ils parviennent en blessant toutes les règles
de parvenir; ils tirent de leur irrégularité et de leur folie
tous les fruits d'une sagesse la plus consommée : hommes
dévoués à d^autres hommes, aux grands à qui ils ont sacri-
fié, en qui ils ont placé leurs dernières espérances, ils ne
les servent point, mais ils les amusent. Les personnes de
mérite et de service sont utiles aux grands, ceux-ci leur
sont nécessaires; ils blanchissent auprès d'eux dans la pra-
tique des bons mots, qui leur tiennent lieu d'exploits dont
ils attendent la réconipense ; ils s'attirent, à force d'être
plaisants, des emplois graves, et s'élèvent, par un conti-
nuel enjouement, jusqu'au sérieux des dignités : ils finissent
enfin, et rencontrent inopinément un avenir qu'ils n'ont ni
craint ni espéré*. Ce qui reste d'eux sur la terre, c'est
l'exemple de leur fortune, fatal à ceux qui voudraient le
suivre.
^ L'on exigerait de certains personnages, qui ont une
fois été capables d'une action noble, héroïque, et qui a été
sue de toute la terre, que, sans paraître comme épuisés par
un si grand effort, ils eussent du moins, dans le reste de
leur vie, cette conduite sage et judicieuse qui se remarque
môme dans les hommes ordinaires ; qu'ils ne tombassent
point dans des petitesses indignes de la haute réputation
qu'ils avaient acquise ; que, se mêlant moins dans le peu-
ple, et ne lui laissant pas le loisir de les voir de près, ils ne
le fissent point passer de la curiosité et de l'admiration à
rindiiférence, et peut-être au mépris.
1. Ces diTers traits conviennent fort bien au maréchal de la Fenillads,
< « courtisan passant tous les courtisans passés, » comme dit Urne de Sévi-
pagne à<;|uelqa'nn qu'il accusait d'avoir mal parlé de Louis XIV, et aussi
ses exploita militaires, l'ayaient mis fort à la mode. C'est lui qui fit él(
DE L'HOMBIE. 225
% n coûte moins à certains hommes de s^enrichir de
mille vertus que de se corriger d^un seul défaut; ils sont
même si malheureux, que ce vice est souvent celui qui con-
Tenait le moins à leur état, et qui pouvait leur donner dans
le monde plus de ridicule : il affaiblit Téclat de leurs gran-
des qualités, empêche qu'ils ne soient des hommes parfaits
et que leur réputation ne soit entière. On ne leur demande
point qu'ils soient plus éclairés et plus incorruptibles, qu'ils
soient plus amis de Perdre et de la discipline, plus fidèles
à leurs devoirs, plus zélés pour le bien public, plus graves ;
on veut seulement qu'ils ne soient point amoureux.
f Quelques hommes, dans le cours de leur vie, sont si
différents d'eux-mêmes par le cœur et par l'esprit, qu'on
est sûr de se méprendre, si l'on en juge seulement par ce
qui a paru d'eux dans leur première jeunesse. Tels étaient
pieux, sages, savants, qui, par cette mollesse inséparable
d'une trop riante fortune, ne le sont plus. L'on en sait d'au-
tres qui ont commencé leur vie par les plaisirs, et qui ont
mis ce qu'ils avaient d'esprit à les connaître, que les dis-
grâces ensuite ont rendus religieux, sages, tempérants. Ces
derniers sont, pour l'ordinaire, de grands sujets, et sur qui
l'on peut faire beaucoup de fond : ils ont une probité éprou-
vée par la patience et par l'adversité ; ils entent sur cette
extrême politesse que le commerce des femmes leur a don-
née, et dont ils ne se défont jamais, un esprit de règle, de
réflexion, et quelquefois une haute capacité, qu'ils doivent
à la chambre * et au loisir d'une mauvaise fortune.
Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls : de là le
jeu, le luxe, la dissipation, le vin, les femmes, l'ignorance,
la médisance, l'envie, l'oubli de soi-même et de Dieu*.
f L'homme semble quelquefois ne se suffire pas à soi-
même : les ténèbres, la solitude le troublent^ le jettent
dans des craintes frivoles et dans de vaines terreurs : le
moindre mal alors qui puisse lui arriver est de s'ennuyer.
f L'ennui est entré dans le monde par la paresse; elle a
à si grands frais, sur la place des Victoires, une statue de Louis XIV entou-
rée d'esclaves enchaînés. Bile portait celte inscription ; Viro imfMrtali.
i, A la chambre, c'est-ik-dire à l'étude et à la retraite.
2. Pascal Tavait dit : « Tout le malheur des hommes vient d-jine seule
* chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une dîambre....
De là Tient due le ieu, la couversatioti dM femmes, la guerre, lea grand*
emploie sOfli si r^bétchét. •
lî)
2^6 CHAHTRi; XI.
beanconp à9 p^ da];L9 la rechercha q^« font les hontes
des plaisirs, du Jeu, à^i^ la i^Qciélé. Gdui qui aima le travail
a assez de soi-même.
f La plupart des hoxames QmplQient U meilleure partie
de leur vie à rendre Vautre misérablQ.
f II 7 a des ouvrages qui commencent par A et-finissent
par Z * : le boQ, le mauvais, le pire, tout y entre ; rien en
un certain genre n'est oublié : quelle recbercbe, quelle af-
fectation 4ans ce9 ouvrages I On les appelle des jeux d'es-
prit. D.e môme, il y a un jeu daos la conduite : on a com*
mencé, il f^ut finir; on veut (Qurçir toute la carrière. Il
serait mîe^uz Q\i d|e chauger ou 4e suspeudre ; mais il est
plus rare et plus difâcile ie poursuivre : 09 poursuit, on
a'aniçie pai^ ^es contradictious ; la v^Joi^é patient, supplée
i. la raiçp^, qui cède et qui se désuète. On porte ce ra^u^«
ment jusque dans les actions les plus veiTtaeases, dans ceMef
même où il entre de 1^ religion..
^ Il i^'y ^ que nos dçvoirs qui nous çQfttent, parce que,
leur pratique ne reg^4a,nt que les cbos^^ que nous sommes
étroitenie^t obligés 4e foires eU€( n'est paa suivie de grandi
^logçs, qui çst tout ce qui uous ei^cite au3( ^ctioBS louables
et qui ^us sQutie;)^^ dans nos entreprises . N'^'^ aime une
piété (astueus,e qui l^i attir^ riutçndauQe des besoins des
pauvres., le re^^ dépositaire de leur patrimoine, et fait de
sa m?d$pn un ^épôt public où s^e lo^t les distributions : les
çeii3 i petits collets^ et Içs sceur$ jfme» * y ont une libre
entrée ; touie ujue yillç voit ses auça^J^^es et les publie. Qui
pourrait douter qu'il çoit bçnwe i,e biePi si ce n'est peut-
être ses créanciers?
% Gérontfi ip(ieurt de cs^ucUé, ^ »m$ a¥9ir &itce testa*
ment qu'^ projetait dç^uiç trente s^^ea : d&L tàtes vi^n-
1. Leçon de la fl|« ^^tioa^ d^^ tfivjm Im précédentea, ad lit t la prt-
mière partie.
3. La Bruyère ùAi allasion, ce nous semble, aux pièces de yer? àbéçé'
dairet. Ces itux ffwprit peuvept présenter diyeraea eombinàisoos.' Le
plus souveni, les lettres de ralphaoet y sont successiTement reproduitea
par les lettres initialeft' des vers, le premier commençant par A, le vingt-
quatrième par Z. ' '' •' "'
3. Le collet, en rabat, i était un ornement de linge qu*on mettait sur le
collet du poui point. Les gens do monde le portaient ampie'étsouvé^iirtr^
orné; les ecclésiastiques w perçaient ptus petit. ^
4. Nom populaire des Filles de la Charité, <)ni sont vêtues de serse gris^.
Les H^es de la Chanté yivent en commanauté sans ptçnbncer dé vœux ^
prennent soin des pauvres et des malades. ^
^6^t ak ûUMt£0£ p^ag^r sa succes^Q^. Il ue yi^^it 4eipuii3
longtemps q);^e par Içs soins i'Astéri$, s^jCçjân^e, qui, jeun^
encore, s^était dévouée ^ s^ p.çrçQnne, nç le perdait pa$ de
vue, secQurait sa Tieilles;$e, et lui a enfin feriAé les yeux.
Il ne lui laisse ps^s ^^z de b^en pour pouvoir ^ $^s.e;ç,
pour vivr^, A'm autre vieillard.
Ç L^iss,er perdra ç^^rges et bénéfice? plutôt (jne de Ten-
dre qn de ré^ig^er.', iç^.Dgys ^^^ 90ft Qi1ir%e vieillççs.e,
c'est se persuader (pi'ofl. jji'ej^t ps^ 4u nombre 4^ ceui qui
meijirçnt ; qu ^ Fpn qrp^t q,ue. Voi^ Rçijt çipurîr,' c'ç^st s'ai-
nier soi-çftêfl^, et ft'4%«ir que s^qi.
f Fau$l^ e$t \ip. 4is.§9],u, un prodigue, un libertin, un m-
grat, vn emporté, qu'^wréfe, son oncle, n'a pu baïr iy'4^Sr
l^ér^ter.
f fio^tm, DL^veu d'Aur^le, ^près vingt anjuées 4*Wf pï:obité
connue, et d'u^ç^ ooj^jpUis^ce aveuglé poij^r q6 ileillard,
ne r^ p^^ ^chir çn sa ^y.eur, et nç[ tire de sa dé^QÙille qu'une
l^gète pex^sion qi;ie l^^uste, unique légataire, lui doit payer.
% tf s l^^j^e^ SQ^t 1^ longue çt si opîj^âkf.^ que 1^ fl^
gn^i sjignç de i^ort, 4^lqs un ^qmni» n^§^^ c'est la ré-
conciUçition.
V L'^ ^'^si,9JU/9 «qpr^s de tqus 1^9 l^Wii^i QU ç^ les
flattant dans les passions qui occupent leur ^(^^ ou en Qo;çn-
patisçaint aux infruiit^s qui affligent leur ciçirps. S^i cela
seul Çs9U.§isieiVt les so^^ que I'qjjl peut leur X^ài^ \ ^e là
vieAt que celui qui se porte bien, ^t^ui désire peu de. o^osdy
est mqins facile à gouverner.
% La ^pUesse ^ la volujji^^ i^a^sf^t ayeiç l'bop^, et ne
finissent qu^ec lui; ni le$ beureu^ç ni îês tristes év^e-
ments ne l'en peuvent séparer ; ç'eçt pour lui pu ]^e &uit
de la bonne fortune, ou un dédommagement de la n?9;Uy/4se.
f G'eat une gjç^d^ diffor^piité çU^ns Uk natuçç qu'un vieîl-
l^à amoureux.
% Peu de gens se s,Quviei?nent d'ay^çir ^té jeune^, çt com-
bien il leur était diCfiçile d^êlre çibastf^s çt tempçrau^s. JLa
première chose qui arrive aux nommes après avoir renoncé
aux plaisirs, ou par bienséance, ou par lassitude, ou paf
régime, c'est de les condamner dàçs les autres. Il ënxre
dans cette conduite unesorta d'ajttacjiepientppur W^ choses
1. Se démel^Ure d'une ebarge pu d'an béi\4fl<ie eo fay^ur d^'uq paire*
228 CHAPITRE XI.
mêmes qne l'on vient de quitter; Ton aimerait qjtTxm bien
qui n'est plus pour nous ne fût plus aussi pour le reste du
monde : c'est un sentiment de jdousie.
^ Ce n'est pas le besoin d'argent où les yieillards peuvent
appréhender de tomber un jour qui les reod avares, car il
y en a de tels qui ont de si grands fonds qu'ils ne peuvent
guère avoir cette inquiétude; et d'ailleurs, comment pour-
raient-ils craindre de manquer dans leur caducité des com-
modités de la vie, puisqu'ils s'en privent eux-mêmes volon.
tairement pour satisfaire à leur avarice? Ce n'est point aussi
l'envie de laisser de plus grandes richesses à leurs enfants^
car il n'est pas naturel d'aimer quelque autre chose plus
que soi-même , outre qu'il se trouve des avares qui n'ont
point d'héritiers. Ce vice est plutôt l'effet de l'âge et de
la comp'j«zion des vieillards, qui s'y abandonnent aussi na-
turellement qu'ils suivaient leurs plaisirs dans leur jeunesse,
ou leur ambition dans l'âge viril. Il ne faut ni vigueur, ni
jeunesse, ni santé, pour être avare; l'on n'a aussi nul be-
soin de s'empresser ou de se donner le moindre mouve-
ment pour épargner ses revenus : il faut laisser seulement
son bien dans ses coffres, et se priver de tout. Cela est
commode aux vieillards, à qui il faut une passion, parce
qu'ils sont hommes.
^ Il y a des gens qui sont mal logés , mal couchés, mal
habillés, et plus mal nourris; qui essuient les rigueurs des
aisons; qui se privent eux-mêmes de la société des hom-
mes, et passent leurs jours dans la solitude; qui souffrent
du présent, du passé et de l'avenir ; dont la vie est comme
une pénitence continuelle , et qui ont ainsi trouvé le secret
d'aller à leur perte par le chemin le plus pénible : ce sont
les avares ■.
f Le souvenir de la jeunesse est tendre dans les vieil*
ards : ils aiment les lieux où ils l'ont passée ; les personnes
(qu'ils ont commencé de connaître dans ce temps leur sont
ahôres; ils affectent quelques mots du premier langage
U BoileaUf Satire VI ir, Tert 80 1
11 faut Bouffi-ir la faim et coucher snr la dure;
Eftt->on plus de trésors qne n'en perdit Galet,
N'aToir en sa maii^on ni meuble ni Talei ;
Pftfmi les las de blé tivro dn scigifi el d'orge ;
De peut- de perdre on Itafd, looffrir qu'on tous égorgn.
DE l'homme. 229
qu'ils ont parlé ; ils tiennent pour l'ancienne manière de
chanter^ et pour la yieille danse ; ils vantent les modes qui
régnaient alors dans les habits, les meubles et les équi-
pages ; ils ne peuvent encore désapprouver des choses qui
servaient à leurs passions, qui étaient si utiles à leurs plai-
sirs, et qui en rappellent la mémoire. Comment peurraient-
ils leur préférer de nouveaux usages et des modes toutes
récentes, où ils n'ont nulle part, dont ils n^espèrent rien,
que les jeunes gens ont faites, et dont ils tirent à leur tour
de si grands avantages contre la vieillesse?
% Une trop grande négligence comme une excessive pa-
rure dans les vieillards multiplient leurs rides» et font mieux
voir leur caducité.
^ Un vieillard est fier, dédaigneux, et d'un commerce
difficile, s'il n'a beaucoup d'esprit.
% Un vieillard qui a vécu à la cour, qui a un grand sens
et une mémoire fidèle, est un trésor inestimable. Il est plein
de faits et de maximes ; l'on y trouve l'histoire du siècle,
revêtue de circonstances très-curieuses , et qui ne se lisent
nulle part; Ton y apprend des règles pour la conduite et
pour les mœurs, qui sont toujours sûres, parce qu'elles sont
fondées sur l'expérience.
^ Les jeunes gens, à cause des passions qui les amusent»
s'accommodent mieux de la solitude que les vieillards.
^ Phidippe, déjà vieux , raffine sur la propreté et sar la
mollesse; il passe aux petites délicatesses; il s'est fait un
art du boire, du manger, du repos et de l'exercice. Les
petites règles qu'il s'est prescrites, et qui tendent toutes
aux aises de sa personna, il les observe avec scrupule, et
ne les romprait pas pour une maîtresse, si le régime lui
avait permis d'en retenir. Il s'est accablé de superfluités,
que l'habitude enfin lui rend nécessaires. Il double ainsi et ,
renforce les liens qui l'attachent à la vie , et il veut em-
ployer ce qui lui en reste à en rendre la perte plus doulou-
reuse. N'appréhendait-il pas assez de mourir?
^ Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes en-
semble sont à son égard comme s'ils n'étaient point *• Non
1. ItaeïDe, £<(A<r, I, 3 :
Et les faibles mortels, vaiD jouet dn trépas, '
Sont tous deTant ses ^enx comme s'ils n'étaient pts.
S30 CHAPITRS XI.
contèùt Ab rêàplîir % mi'e tàblè Hk prë'mfère pTtfde, il occnipô
Inl àenl cellô de deul tiutreà; il oublié que le repas est
pour lui et poùt toute là compagnie; Il Se reïiil maître du
plat, et fait sou propre de chaque service ^ ; il té s'attache
à aucun des mets quMl n'ait achevé d'essayer de tous; il
voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se
sert ft table qtie de ses. tîiàinà ) il knanië lëis viandes, les
remanié, démembre,' déchire, et en usé de manière qu'il
ïaut que les coàvîés, s'ils veulent thangér, hiangent sed
restes. Il ne leur épargne aucune de ces malprôprelés dé-
goûtantes, capables d'ôtet l'appéiit aux plus affaméà ; le jus
et les sauces lui dégouttent dû menton et de la bai'bé; s'il
enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en cheinih
dans un autre plat et sur là nappe : on lé suH à là trace ; il
mange haut et avec grand bruit ; il rottle leâ yeui en man*
géant; la table est pour lui uii râtelier j il écure seà dents,
et il continue à manger. 11 se fait , quelque part 6ù ï! se
trouve, une manière d'établissement, et ne souffre pas
d'ètrè plus pressé au sermon où â\i théâtre que dans âà
fchambré. Il n'y a dans un carrosse que les placée du fond
qui lui conviennent : dans loutè autre, si on veut l'en croire,
il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage àveè "plu-
sieurs, il les prévient dans leà hôtelleries; et 8 feaît toujours
se coÂsérver dans la meilleure chambté le nieillèiir Ut
îl tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d^àutrui , cou-
rent dans lé même temps pour son service; tout teé qu'il
trouve sous sa maiil lui est propre, ha'rdèâ, équipages. Il
embarrasse tout le monde , ne se contraint pour personne,
n% plaint personne, ne connaît de inauz que les siens, que
sa réplétion et sa bile, hé pieuire point là mort des autres,
t'appréhende que îâ sienne, qu'il rachèterait Irolontiers de
l'extinction du genre hûmaîti.
^ Cîiton n'a jamais eu en toute, sa vie que deuî affaires,
qui est * dé dîner le matin et de souper le soir : il né
semble né que pour la digestion. 11 n'a de même qu'un en-
tretien : il dit les entrées qui ont été servies au dernier
repas où il s'eét trouvé ; il dit combien il y a eu de potages,
et quels potages; il place ensuite le rôt et les entremets;
1. 11 s'apprQjyrM chaque service, p'e'n empare.
3. Quod nt, ce qtti est. Voy ., p. 226, ligné 2i, an exemple do iàièai'e latinisme.
DE L'hOMHE. ^31
il M sonvient bihictement de quel» ^àXh âtt & tëtéH Fé pre-
mier service; il n^oublîê pàâ lie'3 hôrs^&iêvre, Ife fruit et les
assiettes* ; il nomme tous les vins et toutes les liqueurs ddit
il a bu : il possède le langstgè ll^l; cnîsîîie&r autant qu'il peut
s'étendre , et il me ftit envie dé manger à une bonne table
où il ne soit point'. ïl a êurtbut un pàlîaiîs sûr, qui né
prend point le change , et il ne s'es^ jamais va ëzpoâé à
l'horrible inconvénient de maâjer tth tnâàvaii ragoût où
de boire d'un vin médiocre. C'est un personnage illustré
dons son genre, et qui a fàv^é le t&lent de se bien nourrir
juôques où il pttttvnit allet. Dn he retfeira plus un homme
qui mange tant et qtll ârstngè éi bieti ; it^i ei^-îl l'arbitre
des bons moreeaoî , ^t il n'est guère petrnîs d'àvbîr du
goût pour ce qull désapprouve. Mais il n'est ^lus : il s'est
fait du moins porteï i labUi jusqu'ati dernier soupir. Il
donûait à Manger le jour qu'il fest rttort. Quelque part où
il soit, il mange; etj s'il révieUt au monde, c'est* pour
manger.
f Ruffiû commeïiee à giriàonûer; mais il éàt éaiti, Il â ùu
visage frais et un œil vif qui lui promettent encore ViU^
anntées de vie; il est gàî, joviial, ftwûtlièr, indîfférteût" il Ht
db tout soi) C(6Qr, et il rit tout seul et sans èujét, il est
contèiit de soi, des siens, de sa petite fortune; il dit qu'il
est heufeUt:. H perd sofi fils unique, jeuûe homme dé grande
espérance, et qui poUVàit Un jout être Thonneur de sa fa-
mille: il remet sur d'autres le soiri de le pleùret; il dit ;
Moh fllè est mort\ cela fera mourir sa mère; et il est consolé.
Il n'a point de passions; il n'a ni amis ni ennemis ; personne
ne l'embarrasse, tout le monde lui convient, tout lui est
propre; il parle à celui qu'il voit une première fois avec
la même liberté et la même confiance qu'à ceux qu'il ap-
pelle de vieul amis, et il lui fait part bientôt de ses quoli-
bets et de ses historiettes. On l'aborde, on le quitte sans '
«
t. Les aêêiHitê «oionliM, qoe Ton mettait entre \9é plftts^ èi «loi eobte-
DHient les entrées, les ragoûts, les entremets, etc.
2. Molière, le Misanthrope, II, 5 :
Il Drend soin d'y f^ervir des mets fort délicats. I
— Oai ; niai4 )e vendrais bien qu'il ne s'y servit pas. ;
C'est un fort mecnant plat que sa sotte personne,
Et qui gâte, à mon goût, touâ les repas qu'il donne.
t* C'esf-àKlire cê <8ra«
232 CHAPITRE XI.
qu'il y fasse attention; et le môme conte qu'il a commencé
de faire à quelqu'un, il l'achèye*à celui qui prend sa
place.
^ N'^'^ est moins affaibli par l'âge que par la maladie, car
il ne passe point soixante-huit ans ; mais il a la goutte, et il
est sujet à une colique néphrétique ; il aie visage décharné,
le teint verdâtre, et qui menace ruine : il fait marner sa
terre *, et il compte que de quinze ans entiers il ne sera
obligé de la fumer; il plante un jeune bois, et il espère
qu'en moins de vingt années il lui donnera un beau cou-
vert; il fait bâtir dans la rue ** une maison de pierre de
taille, raffermie dans les encoignures par des mains de fer,
et dont il assure, en toussant et avec une voix frêle et dé-
bile, qu'on ne verra jamais la fin; il se promène tous les
jours dans ses ateliers sur le bras * d'un valet qui le sou-
lage ; il montre à ses amis ce qu'il a fait, et il leur dit ce
qu'il a dessein de faire. Ce n'est pas pour ses enfants qu'il
tâtit, car il n'en a point, ni pour ses héritiers, personnes
riles et qui se sont brouiUées avec lui ; c'est pour lui seul,
et il mourra demain*.
% Antagoras a un visage trivial * et populaire ; un suisse
de paroisse ou le saint de pierre qui orne le grand autel
n'est pas mieux connu que lui de toute la multitude, n par-
court le matin toutes les chambres et tous les greffes d'un
parlement, et le soir les rues et les carrefours d'une ville :
il plaide depuis quarante ans*, plus proche de sortir de la
vie que de sortir d'affaires. Il n'y a point eu aii palais de-
puis tout ce temps de causes célèbres ou de procédures
longues et embrouillées où il n'ait du moins intervenu :
aussi a-t-il un nom fait pour remplir la bouche .de l'avocat,
et qui s'accorde avec le demandeur ou le défendeur * comme
le substantif et l'adjectif. Parent de tous et haï de tous, il
t. La marne est un composé de calcaire et d'argile que l*oa répand sur les
terres qui ne contiennent pas assez de calcaire.
2. Appuyé sur le bras.
3. Ce caractère rappelle la fable de la Fontaine : Le viêiUard tt Us Iroii
jeunes hommes.
k. Connu de tous<
.ft. Chicaneau. Depuis quand plaidez-Tous ?
La comtesiê. Je ne m'en souTiens pas.
Depuis trente ans au plus.
(Racine, Lee plaideurs^ I, th.)
6. Demandeur, celai qui fait le procès; défendeur , celui à qui on le fait»
PE l'homme. . 233
n'y a guère âe familles dont il ne se plaigne, et qui ne se
plaignent de lai : appliqué successivement à saisir une terre,
à s'opposer au sceau % à se servir d'un committimus ^, ou à
mettre un arrêt à exécution, outre qu'il assiste chaque
jour à quelques assemblées de créanciers : partout syndic
de direotioDS ', et perdant à toutes les banqueroutes, il a
des heures de reste pour ses visites : vieil meuble *■ de
ruelle, où il parle procès et dit des nouvelles. Vous l'avez
laissé dans une maison au Marais, vous le retrouvez au
grand Faubourg*, où il vous a prévenu, et où déjà il
redit ses nouvelles et son procès. Si vous plaidez vous*
même, et que vous alliez le lendemain à la pointe du
jour chez l'un de vos juges pour le solliciter, le juge
attend pour vous donner audience qn'Antagoras soit ex-
pédié.
% Tels hommes passent une longue vie à se défendre des
uns et, à nuire aux autres , et ils meurent consumés de
vieillesse, après avoir causé autant de maux qu'ils en ont
soufferts.
% Il faut des saisies de terre et des enlèvements de meu-
bles, des prisons et des supplices, je l'avoue; mais justice,
lois et besoins à part, ce m*est une chose toujours nouvelle
de contempler avec quelle férocité les hommes traitent
d'autres hommes *.
^ L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des
femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout
brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils
remuent avec une opiniâtreté invincible : ils ont comme une
voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds , ils
montrent une face humaine ; et en effet ils sont des hom-
mes. Ils 86 retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent
1. Mettre opposition à la vente d'une charge on d'ane rente sar l'État.
2. Od appelle de ce norit le droit qu'avaient certaines personnes de plai-
der devant certaines Juridictions. Les commensaux de la maison du roi
pouvaient, par exemple, faire évoquer leurs affaires aux requêtes de l'U6tel.
3. Un syndic de direction était chargé de régir, dans Tintérêt des créan-
ciers, les bit-n:» abandonoés par un débiteur.
%. Vieil s'est longtemps dit pour vieus^ même devant une consonne.
« Le vieil Testament, » écrit Parical.
ft. Sans douie le faubourg Saint-Gennain.
0. « Que de réformes, dit M. Sainte-Beuve, poursuivies depuis lors et non
encore menées à fin, contient cette parole ! le cœur d'un Fénelon y pal-
pite sons un accent plus contenu. »
234 CHAPITRE XI.
de pflîn iioir; d'ëàt et de ràciûed : ilâ épargnent anx autres
hommes la peine de âêmer, de labourer et de recuëillîï pour
vivre, et itaérîletlt ainsi de né pas manquer dé ce pâîû qu'ils
ont semé *.
^ Don F&mdnd^ dans sa province, est oislï, ignorant,
médisant, querellèuî', fonrbè, intempértint, impertinent;
mais il tirB Vép^é contrfe ses voisins, et pour tin rien îl ei-
pose sa vie ; il à tné des hommes, il sera tué '.
f Le ûbbîe de pTbVincé, iftutilfe à sà patrie, à Sa Sfamîllé
et à lul-mènie, sontent sans tdt, s^cns habit et s^s antittu
mérite, répète dii fois le jour qu'il est gentilhomme, traité
les fourrures et les mortiers* de bourgeoisie, occupé toute
1. « HalLeaf k àm ne troÛTO pas cela déchirant! s'écrie Victoria Fabre
dans un éloge de la Brujère qu'a coaronné l'Académie française. Comme
dès le priQiBier trait, ce tal;»lefta vieot frapper et agpter nmagioaiion pour
saisir ensuite et serrer le cœur! Quels développements oratoires pourraient
é|;aler de pareils traite? Il ne f&ut pas sa flatter de trouver souvent, môiina
dans la Bruyère, cette éloquence pénétrante et cette viguear de pinceatt)
mais cette phUodophic douce et humaine, on Ty trouvera toujours. ».Peii>
dam la Fronde, la plus cruelle misère avait désolé les campagnes, ôomM^ ï^
montré M. Feiilct dans ub livre qui a pour litre : Sittmr6dê lûtnisère au temps
de ta Frondèj et la misère avait survécu à la Fronde. « On minuie jie nout^
veaux impôt», écrit Gui Patiu en 1661 ; les pauvres gens lâeUrent piir
toute la France de maladie^ de misère, d'oppression^ de pauvreté et de d«*^
espoir, m L'oppression dont parle Oui Patin avec une si véhémepl^ ^mer:^
tume, c'est celle dont s'étaient rendus coupables les traitants et ïes par-'
tîaans, les fermiers des impôts. Un boo^me d'une plus grande autorité, 10
Î président Lamuignon disait, à )a même époque,. dans le discours par
equel \\ outrait les séances de la Chambre de justice : « Lès pèùptiËB gé«
missaient dans toutes les provinces sous les mains de l'exacieur, et il
semblait que toute leur substance et leur propre sang no pouvaient suftlre
à ia soif urdenle dés partisans. La misère de ces I)aàvre8 gêna est presque
dans la dernière eitrémiié, tant parla coniinnatipn des maux qu'ils ont
souÎTeris depuis si lon|;iemp8 que par la cherté et la disette presque inouïe
des deax dernières années. « L'excessive sévérité avec îâqueTle la Chambre
de justice punit un certain nombre de partisans, sur lesquels il était >n>*
juste de .faire retomber l'entière responsabilité de la détresse générale^.ne
mit pas fin aux maux qui émouvaient tous les ^ens de cœur, et la correspon-
dance administrative du temps vint souvent signaler aux ministres l afifreuse
misère des campagnes. C'est en 1689 que la Bruyère en a fait cette élo-
quente et navrante peinture. Quelcjues années plus tard, la mê^e piifère
inspirait à Racine le travail qui lui valut Vi* disgrâce de Louis XIV, k Bois
Cuiîlebert ses travaux économiques, et à Vaubaa l'ouvrage qui fut publié
BOUS le titr'é de Dîme royale et qui, comme le mémoire de Racine, mé-
contenta le roi.
2. Voyez, page 206, la noté 1.
3. Ce portrait convenait à beaucoup de nobles de province. Les Grande-
Jours, sort» d'assises oîi des commissaires, nommés par le roi, jugeaient
les nobles qui s'éiaient soustraits à toute autre Justice, ont provoqué snj* les
excès et les violences de quelques gcntils&udimes provinciaui de curleasés
révélations. " . "
%. Les fourrures désignent les bacheliers et les docteurs de I*UûiversUëa
Sur les mortiers, voyez, page 12$, la not!b il.
DE L*HOMBfE. 235
sa Vie de ses parchemins et de ses titréâ, 6[tl*il ne changerait
pas cotAre leô triasses * d'un chancelier.
f 11 se ftil généralëftietit dans tonà les hommes des com-
binaisons infinies de la puissance, de îa faveur, du génie,
des richesses, dès dî'ffiiitéè, dé la noblesse, de la forée, de
rihdùsirië^, de la capacité , de la vertu, du vice, de la fai-
blesse, de la stupidité, de la pauvreté, de Timpuissânce, dô
la rot\ire et de là basèessé. Ces choses , mêlées ensemble
en mille manières différentes, et compensées Tune parPaû-
trfe en diVeî*à sujets, fôrtileht aussi les divers états et les
d!fif6Hhté^ côîîditibiis; Les hCFJnmeà d'ailletirs, qui tous
savent le fort et le fkiblè les Qnà déâ autres, agissent aussi
réciproqtlemeîit cômïne ils croient lé devoir faire, Connais-
sent cettt qui leur sont éf aùk, sentent la sut)ériorîté que
quelques-uns ont sur eux, et celle qu'ils ont siir quelques
autres; et de là naissent entre eux où là familiarité, ou le
respect et là déférence, ou là fierté et le lînéprià. De cette
source vient que, dans les endroits publics et où lé monde
se rassemble, oA se trouvé à tous moments entré celui que
l'on Cherche à abiofrder oà à saluer, et cet autrte que l'on
feint de ne pals connaître , et dont l'on Veut enbore moins
Se laisser joindre; que Pôn s» fait honneur de Pùn, et qu'on
a honte de l'autre; qu'il arrive même que celui dont vous
vous faites honneur , et que vous voulez retenir, est celui
Wtis'si qui efet émbâVràssé de vous, et qui vo\as quitte ; et que
le mêniè ^i souvèîit cëldl qui rotigit d'àutrui et dont où
Wùgît, qui dédaigne ici et qui tk est dédaigné : il est eù-
cbré assèi ôrdîûaîre de mépriser qui nous méprise. Quelle
misère! é't, ]puî*qu*ïl est vrai que, dans uii si étrange com-
merce, ce que Ton pense ga'gùer d'un côté où le perd de
râûtré, né reviendrait-il pas àù même de renoncer à toute
hauteur et à toute fierté , qui convient âî peu àdx faibles
hommes, et de composer ensemble, de se triaiter tous avec
une mutuelle bonté, qui , avec l'avantage de ù'ôtre jàibaîs
mortifiés, nous procurerait un aussi grand bien que celui
dé. ]ie mortifier personne?
1[.Bieu loin de s'effrayer ou dé rougîV même du nom de
philosophe, il n'y a personne au monde qui ne dût avoir
I. Bâtons à tête garnie d'argent, qu'on portait par Bbnttenr derant le
chancelier àe France,
236 CHAPITRE XI.
une forte teinture de philosophie '. Elle convient à tout le
monde ; la pratique en est utile à tous les âges, à tous les
sexes et à toutes les conditions; elle noas console du bon-
heur d'autrui, des indignes préférences, des mauvais suc-
cès, du déclin de nos forces ou de notre beauté ; elle nous
arme contre la pauvreté, la vieillesse, la maladie et la mort,
contre les sots et les mauvais railleurs; elle nous fait vivre
sans une femme, ou noas fait supporter celle avec qui nous
vivons.
^ Les hommes, en un même jour, ouvrent leur âme à de
petites joies, et se laissent dominer par de petits chagrins;
rien n'est plus inégfal et moins suivi que ce qui se passe en
si peu de temps dans leur cœur et dans leur esprit. Le re-
mède à ce mal est de n'estimer les choses du monde préci-
sément que ce qu'elles valent.
% Il est aussi difficile de trouver un homme vain qui se
croie assez heureux, qu'un homme modeste qui se croie
trop malheureux.
^ Le destin du vigneron , du soldat et du tailleur de
pierre, m'empêche de m'estimer malheureux par la fortune
des princes ou des ministres, qui me manque *.
^ U n'y a pour Phomme qu'un vrai malheur, qui est de
se trouver en faute , et d'avoir quelque chose à se repro-
cher*.
^ La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont
plus capables d'un grand effort que d'une longue persévé-
rance : leur paresse ou leur inconstance leur fait perdre
le fruit des meilleurs commencements; ils se laissent sou-
vent devancer par d'autres qui sont partis après eux, et qui
marchent lentement, mais constamment \
% J'ose presque assurer que les hommes savent encore
mieux prendre des mesures que les suivre, résoudre ce
qu'il faut faire et ce qu'il faut dire que de faire ou de dire
ce qu'il faut. On se propose fermement , dans une affaire.
1. L'on ne peut^lus entendre que (ielle qui est dépendante de la religion
chrétienne {Note de la Bruyère').
2. De m'esiimer m&lheureux parce que la fortune des princes me
manque.
S. «Il faut demeurer d'accord, à l'honneur de la vertu, que les plus
grands malheurs des hommes sont ceux oh ils tombent par les crimes. »
(La Rochefoucauld.)
%. La Bruyère se souyient de la fable du LiHre et delà Tortue,
DE L HOlklME. 237
qu'on négocie, de taire une certaine chose; et ensuite, ou
par passion^ ou par une intempérance de langue, ou dans
la chaleur de Tentretien, c'est la preinière qui échappe.
^ Les homoies agissent mollement dans les choses qui
sont de leur devoir, pendant qu'ils se font un mérite, ou
plutôt une yanité, de s'empresser pour celles qui leur sont
étrangères, et qui ne conviennent ni à leur état ni à leur
caractère.
^ La différence d'un homme qui se revêt d'un caractère
étranger à lui-môme, quand il rentre dans le sien, est celle
d'un masque à un visage.
^ Téléphe a de l'esprit, mais dix fois fooins , de compte
fait, qu'il ne présume d'en avoir : il est donc, dans ce qu'il
dit, dans ce qu'il fait, dans ce qu'il médite et ce qu'il pro-
jette, dix fois au delà de ce qu'il a d'esprit; il n'est donc
jamais dans ce qu'il a de force et d'étendue : ce raisonne-
ment est juste. 11 a comme une barrière qui le ferme , et
qui devrait l'avertir de s'arrêter en deçà, mais il passe
outre, il se jette hors de sa sphère ; il trouve lui-même son
endroit faible, et se montre par cet endroit ; il parle de ce
qu'il ne sait point, ou de ce qu'il sait mal ; il entreprend
au-dessus de son pouvoir, il désire au delà de sa portée ;
il s'égale à ce qu'il y a de meilleur en tout genre; il a du
bon et du louable , qu'il offusque * par l'affectation du grand
ou du merveilleux : on voit clairement ce qu'il n'est pas, et
il faut deviner ce qu'il est en effet. C'est un homme qui ne
se mesure point, qui ne se connaît point ; son caractère est
de ne savoir pas se renfermer dans celui qui lui est propre,
et qui est le sien.
^ L'homme du meilleur esprit est inégal, il souffre des
accroissements et des diminutions; il entre en verve, mais
il en sort : alors, s'il est sage, il parle peu, il n'écrit point,
il ne cherche point à imaginer ni à plaire. Ghante-t-on
avec un rhume? ne faut -il pas attendre que la voix re-
vienne ■?
1. Qa*\\ cacbe.
2. « La Bruyère est cet homme sage. Il oe chante pas arec un rhnme ;
c?est-à-dire qu'il n'écrit jamais que dans ces rooments d'inspiration, od
l'âme vivement frappée des objetn les reç il, elles réfléchit dans le discours
«tomme une glace bdèle. La iurme seule de son livre pouvait lui pbrmeitre
d^âttendre toujours et de toujours saisir ces monieiits plus ou moins
rares. Dans tine cottOosition 6h tout n)arch6 et té àolt, .on est ^ttelquefois
à38 Chapitre xi.
Le 90^ 6|^ a^i^omate, il est xo^çlù^ç, U 9|t ressort; le poids
remporte, le fait mouvoir, le fgiit tourner , et toujours , et
dans 1^ mèqie sens, et avec la çaéme égalité : il est unî-
fonpe, il ne ^ç Cément point; qui Ta tu une fois, Ta yu
c^s tous les instants et ^/^ toutes les périodes de sa vie ;
c'est tout au plus le bœuf qui meugle^ ou le merle qui
siffle * : il est fixé et déterminé par sa nature, et f ose dire
par son espèce. Ce qui paraît le moins en lui, c^e,st son
àme; elle xCagiif poiAt, elle oe ^,'e.:^^i*Çô jp^oint, elle ^
lepoçe.
^ Le sot ne meurt point; ou, çji cela lui arrive, seloA
notre panièrç de parler, il est vrai 4.e dire ^u'il ga^^ à
mourir, et que, da^s ce ipoçient q& les autrçs içeurént, il
Goinjgi^nce E vivre : son âj^ alori^ PÇQS,Çi l'ai^oniie, iniTèr^,
condut, juge,, prévoit, fait précisément tout ce qu^elle i^e
faisait point ; eue §.e trouve dégajg^ d'une masse de chair)
Qù elle était cômmQ einsevelie san^ fonction, S9,jas mouve-
laent, sans ailcuQ du moiQç qi,ii C^t ^igne d'elle : jé diraî^
presque qu'elle rougit de son propre çprj^s ei; des orgaQe$
]^ruts et imparfaits auj(;qi^els elle s'e$t vi^e attachée si long-
temps, ^t dont elle n'a pu faire qu'u^ s^ot ou qu'ua stupide :
elle Y.a d'égal avec les grades âiçip^, ^vec celles qui font
les l^oj^nes têtes ou les hommes d'esprit. L'âii^e à! Alain * ne
se démêle plus d'avec celle du grand Condé, de Eicbslisu,
de Pascal et de LiNGÇî^pES •.
^ Là fausse délicatesse dans^ le| action^ lil^r.eSi dans les
mœurs ou dlans la conduire, n'^st p|s ainsi ijiç^miiiée parqg
qu'elle est fçinte, mai9 pirce qu*en Ciffèt elle s^exerce sur
des choses et en des occasions qui n'en m^itent point. I^
fausse délicatesse de goût e^t ^^ Qç^p^çsio^çt i\'Q$t tellQ ^ au
contraire, que par.CQ qu'eue est fein^ ou a|Çeçtée. Ç'e^t
Emilie qui crie à^e toute sa force sux un petit pérÙ qui né
lui lait pas de peur; ç'e^ u^.e %utre qui pa]c mignardise
entraîné par la suite du raisonnement ou la liaison des idées : op déve-
loppe un Tasie plan, on tient la chaîne de ses créations, on craint qu'eue
ne vienne à se rompre, on est tourmenté du besoin de continuer sa course
quand il faudrait se reposer. La Bruyère n'éprouve jamais ni ce besoin ni
ces craintes. » (y. Fabre.) ' '* ^ -*'- .
i. Pescaries avait soutenu que 1.69 b^tes ne sontqfiec^es automates, e^
qu'elles sont dépourvues delà conscience dés Vnûùvemepts''c^mrél''çx^
cutent. La Bruyère s'empare plaisamment de cette singulière tnéoriè. *^
3. Alain est un nom en l'air et désigne lé ijrëbiiei* ëot venu. ""
t. Claudç de Liogende^ célèbre prédicate^r^ né en 15^1', mor( ^ 10^0.
pâlit il la VQ9 4^uie «qurls, ou qui v«)it %iiner les yicdettea,
- et s'éy^nQuir aii^ tubérea3es '•
^ Qui oserait sj^ promettre de contenter les bommes? Uu
prince, quelque bon et quelque puissant qu-il fût, vou-
drait-il Ventre prepd?e? Qu'il l'essaye : qu'il se fasse lui-
^^me w^ ^air^ de leurs plaisirs '; qu'il ouvre son palais
à nés Goi^urtisan^, qu'il le3 admette jusque dans son domes-
tique ; que, dans des lieux dont h vue seule est un spec-
tsKîle^ U leqr fasse voir d'autres c^ctacles; qu'il ],ear
^ojçme le çboix des jeus» des concerts «t de tous les rafral*
cbis^ejo^eots; qu'il 7 a}Oute une cbère spkndide et une en^
tière Uberté : qu'il entre avec eux en société des mômes
«Bms^znents; que te graad homme devienne aimable, et
que le hirjg^ sait humain et familier : il n'aura paa assea
4it. Les boome^ s'ennuient enfin des méznes choses qui
les ont çh^iï&és dans leurs commencements : ils déserte*
rsient la iaUe cUs dieux; et le nectar, avec le temps, leur
devient iijisiptide. Ils n'ihésitentpas 4^ oritiquer^. des choses
qui sont parfaites; U y entre de la vanité et une mauvaise
délicatesse : leur goût, si on les en croit, est encore an
delà de toute l'affectation * qu'on aurait à les s^itisfaire , et
d'ime dépense toute royale que l'4>n ferait pour y réussir ;
il s'y mêle de la nudignité, qui va jusques à vouloir ai^ihlir
dans les autres la joie qu'ils auraient de les rendre con-
tents. Ces mêmes gens, pour l'ordinaire si flatteurs et si
comfdaisants, peuv«it se démentir : quelquefois on ne les
reconnaît plus, et Ton voit l'Jiomme jusque dans 2e cour-
tisan.
^ L'aiectation dans le geste , dans le parler et dans les
manières, est sauvent une suite de l'oisiveté ou de l'indif-
férence; et il semble qu!un grand attachement ou de se-
dûnses affaires jettent Thomme dans son naturel.
^ Les hommes n'ont point de caractère, ou, s'ils en ont,
c'est celui de n'en avoir aucun qui soit suiyi, qui ne sç ^é-
îaente point, et ôii Us soient reconnaissables. Ùs souilrent
|. A FtOdeur d^ tuSkéreoses.
9. AUaaifi aux f^tes que Lopis XIV donnait à laooar.
3. Versatiles, Marly, FoDtainebleau.
4. Soavem,, entre deux verbes dont le «eoond sert de coropléraeDtaa pre-
(Qier, l'on employait jadis la proposition de en des cas ou iiooft mettons àt
Cl^rcber de, conclure de, inviter de, exborter de, btc.
5. Affectation^ an sens latin, désir ardent.
240 CHAPITRE XI.
beaucoup à être toujours les mêmes, à peMévérer dans la
règle ou dans le désordre; et, s'ils se délassent quelquefois
d*une vertu par une autre yertu, ils se dégoûtent plus sou-
vent d^un vîce par un autre vice; ils ont des passions con-
traires et des faibles qui se contredisent; il leur coûte moins
de joindre les extrémités que d'avoir une conduite dont
une partie naisse de Fautre. Ennemis de la modération ,
ils outrent toutes choses, les bonnes et les mauvaises, dont
ne pouvant ensuite supporter rezcès *, ils radoucissent par
le changement. Adrcute était si corrompu et si libertin, qu'il
lui a été moins difficile de suivre la mode et de se faire dé-
vot : il lui eût coûté davantage d'être homme de bien.
^ D'où vient que les mêmes hommes qui ont un flegme
tout prêt pour recevoir indifféremment les plus grands dés-
astres, s'échappent, et ont une bile intarissable sur les plus
petits inconvénients? Ce n'est pas sagesse en eux qu'une
telle conduite, car la vertu est égale et ne se dément point:
c'est donc un vice; et quel autre que la vanité, qui ne se
réveille et ne se recherche que dans les événements où il y
a de quoi faire parler le monde, et beaucoup à gagner pour
elle, mais qui se néglige sur tout le reste?
^ L'on se repent rarement de parler peu, très-souvent de
trop parler : maxime usée et triviale que tout le monde sait,
et que tout le monde ne pratique pas.
1[ C'est se venger contre soi-même, et donner un trop
grand avantage à ses ennemis, que de leur imputer des
choses qui ne sont pas vraies , et de mentir pour les dé-
crier.
^ SiThomme savait rougir de soi, quels crimes, non-
seulement cachés, mais publics et connus, ne s'épargne-
rait-il pas?
^ Si certains hommes ne vont pas dans le bien jusques
I. « Il y a dans le dix-septième siècle, dit M. Littré, plusieurs exemples
de dontt se rapportant, non au verbe du membre de (a phrase qu'il lie,
mais à une incise qui commence ce membre de phrase : « La dure-mère
bat sans cesse le cerveau, dont les parties étant fort pressées, il s'ensuit
Sue le sang et les esprits sont aussi fort presses ■ (Bossuei, Conuaissancs
Dieu, 11, 6). Après avoir cité cet exemple, M. Littré emprunte ft la Bruyère
celui que l'on a sous les yeux, et regrette qu'une manière si commode de
lier les phrases n'ait point passé dans la langue moderne. La Bruyère ne noua
semble pa» cependant s'en être servi avec habileté. La pensée était subtile,
•I la construction de la phrase qui « comme on l'a dit àtée aaelttoe èê*
irétité, éeàible uù |>eu « barbafe, • Tobàcurcit eacoirto.
DE L'HOMUE. 241
OÙ ils pourraient aller, c^est par le Yice de leur première
instruction.
^ 11 y a dans quelques hommes une certaine médiocrité
d'esprit qui contribue à les rendre sages.
^ Il faut aux enfants les verges et la férule : il faut aux
hommes faits une couronne, un sceptre, un mortier, des
fourrures, des faisceaux, des timbales, des hoquetons *. La
raison et la justice dénuées de tous leurs ornements ni ne
persuadent ni n'intimident. L'homme, qui est esprit, se
mène par les yeux et les oreilles '.
^ Timon^ ou le misanthrope, peut avoir Tâme austère et
farouche, mais extérieurement il est civil et cérémonieux:
il ne s'échappe pas% il ne s'apprivoise pas avec les hommes;
au contraire, il les traite honnêtement et sérieusement; il
emploie à leur égard tout ce qui peut éloigner leur familia-
rité; il ne veut pas les mieux connaître ni s'en faire, des
amis, semblable en ce sens à une femme qui est en visite
chez une autre femme.
^ La raison tient de la vérité, elle est une; Ton n'y ar-
rive que par un chemin , et Ton s'en écarte par mille. L'é-
tude de la sagesse a moins d'étendue que celle que Ton fe-
rait des sots et des impertinents. Celui qui n'a vu que des
hommes polis et raisonnables, ou ne connaît pas l'homme,
ou ne le connaît qu'à demi : quelque diversité qui se tirouve
dans les complexions ou dans les mœurs, le commerce du
monde et la politesse donnent les mêmes apparences , font
qu'on se ressemble les uns aux autres par des dehors qui
plaisent réciproquement, qui semblent communs à tous, et
qui font croire qu'il n'y a rien ailleurs qui ne s'y rapporte.
I. ToDt Tappareil dont on use sur le trône, sar les siégps d'un tribunal,
et dans les défilés publics. — Les hoquetons sont les vêtements des ar-
chers.
3. Pascal a dit de même : « Nos magistrats ont bi<>n connu ce mystère.
Leurs robes louiçes, leurs hermines dont ils s'emmaillottent en chaia four-
rés, les palais oh ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était
nécessaire ; et si iea médecins n'avaient des soutanes et des mules, et que
les docteurs n'eussent des bonnets carrés, et des robes trop amples de
quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde, qui no peut résister
à cette montre authentique. Les seuls gens de guerre ne se sont pas dégui-
sés de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle. Ils s'éta-
blissent par la force, les autres par grimace. » L'oniforme n'a été imposé
aux gens de guerre qu'après la iporc de Pascal.
3. Il reste froid. On a Ta dans cette réflexion nne critique du Mitant
ikmpe de Molière.
16
241 CâÀFITRB Xi.
CeMt, âil conthiité, qui se jette dans le peuple btl ôèM U
province, y fait bientôt, s'il a des yeux, d'étranges décon-
vertes, y voit des choses qnî lui feont nouvelles, dont il 6e
se doutait pas, doot il ne pouvait avoit le moindre sbupçoii ;
il avaiibe , par des expériences costibuelles , dans là con-
naissance de rhumanité : il calcule presque en combien de
niahiàrés différentes Tboinme petit être itisnppoHablë.
f Âp^è^ âvoif thûrement appi-ofondi lëâ fibinniés, et cdtinii
le faux de leiii^s pensées, de ledrs sëhtimehts^ de léUH ^o&tâ
et de leurs aCTections, Ton est déduit à diris ^n'il y à moins
à beirdffe petit eux par rinconStànce qtte pat ropiriîâtreté,
% Cbmbièti d'âmeâ faibles, tnolles et indifféréiites, $àns de
grands défauts, et qtli puisseiit fbiirilir à la satire! Combien
de sdtteà de ridicules répandus parmi les honitfaes , niais
qtli, pat leur sitigtllanté, ne tirëilt poiiit fi cohsëqdeiicë, et
ne soiit d'âiicliile Ressource pout Hnsltaction et pouir là
morale I Ce sont des Vices uniques <^i ne sont pas conta-
gieux, et qu isont moins de l'humanité (|iie de là petsbniie.
cHAl>rrkE iii.
DËÎS îtTÔËMENTl
tUen iié téééeniblé pMé à là tiVe ^èrsHàdîéii qtie lè diati*'
vais ettëtémeht : de là lés partis, lés éàbâles, les hérésies.
^ L'oti hé pense pas toujours constamrfaent ' d'iih khémë
sujet : l'entéteiUeht et le dégoût ée sUiveiit de (ii-èS.
% Les grandes choses étonnent , et les petites rebutent :
nous nous apprivoisons avec les unes et les autres par l'har
bitudSi
% Deux choses tputes contraîreis nous préviennent égalée
ment, l'habitude et la nouveauté*.
% 11 iiV ^ riexi dé plus bas, et qui cohirleiinë tUiéût éH
peuple i que de parler en des termes magnifiques de ceux
mêmes dont l'en pensait ttë^modestenient avant létiir élë^
vatiom
i. B^oaoMpièM.iDvariitile. . ■■ .. ,
2. « Les im)[>res8ioD8 anciennes ne sont pas seules capables de môéê
abuser : les charmes de la nouTeanté ont le même pouTOir. » (PascaL}
DfiS JUGEMENTS. * â4S
^ Là faveur dés princes h^exclut psà le inérite, et ne le
suppose pas aussi *. . i ■
Tf îi est étonnant qii'àvec tout Porgueil dont nous Sommes
gonfles, et la haute opinion que nous avons de nous-mêmes
et dé ia bonté de notre jugement, nous négligions de nous
éii. servir pour prononcer sur le mérite aes autres, ta vogue,
là ïatéiir populaire, celle du prince^ nous entraînent comme
ûii torrent : nous loùbiis àé qui est loué bien plus que ce
qui est louable. .
^ Je ne sais s'il j a rien ^u monde (mi coûte ^avantage
à approuver et à louer que ce qui est Ans digne ^ d'àppro*
bâti oh et de louàhgè^ et si la vertu, le mérite, la. beauté,
lés bonnes actioqs, les beaux ouvragés, ont un efifet plus
naturel et plus sÀr que l'envie , \a jalousie et Tantipathie»
Ce h^estpas d'un saint dont un dévot ^ sait dire du bien,
ihàis d'un autre dévot. Si une belle femme approuve la
beauté d*ùhé autre femme, on peut cçnclure qu*elle a mieux
(Jiie ce qu'elle approuve. Si un poëte loue les vers d'un autre
pôeté, il y à à j>arier quils sont mauvais et sans conséquence *.
^ Lès hommes ne se goûtent qu'à peine les uns les au-
Ixës, n'ont qu'une fàiblé pente à s^apprpuver réciproque-
ment : actiân, condiiite, pensée ^ expression, rien ne plaît,
nën de contente. Ils substituent à là place ai ce qu'on leur
récité, de ce qu'on leur dit ou de ce qu'on leur lit, ce qu'ils
auraient fait eux-mêmes en pareille conjoncture , ce qu'ils
penseraient ou ce qu'ils écriraient sur uh tel sujet ; et ils
sont si pleins dé leurs idées qu'il n*j a plus de place pour
celles d'auirui.
^ Le commun des hommes est pi enclin au dérèglement
si à la bagatelle, el le monde bsi si plein d'exemples bu per-
e
t; LesgramiDAirieDi exigent anjotmi'hiii (ttte l'on dise non plut en pa-
reil cas.
2. Plus poar 1$ pltUy comme il arrive soavent au dix-«eptiëme siècle.
, 8.r Fa|i]^ dévok (Notê,d$ la Bru/yèrê), Ce n'est pas d'un saint dontt^ pléo-
nasme qw, n'était pas alQce proscrit par les framatairiens : « Ce n'est pas
de Y(\us,. madame, dont il est amouravi» » (Molière, Ainantê fna§n^lifu$8i
Û, lit.) Boiléau a dit de même dans la ix« satire :
C'est é TonÀ, inon es|>rU, à (j|ai je Véui î^aHeK
4. Aussi Molière !ait'il aire à l'un des personnages de VImpromptu dé
F#rtatU4f , parlait de Molière ioiriBème » « Pourquoi DÉit-il de mëcnantes
Sièces que tout .Paris ya Toirr«*> Que ne fait-il des comédieii eosiBie celtef
e monsieur Lysidas ? Il n'aurait personne contre lui, et tout les aateari
en diraient du bien, s
244 CHAPITRE Xn.
nicieux on ridicules qae je croirais assez qae l'esprit de
singularité, s^il pouvait avoir ses bornes et ne pas aller trop
loin, approcherait fort de la droite raison et d^une conduite
régulière.
11 faut faire comme les autres : maxime suspecte, qui si-
gnifie presque toujours : il faut mal faire, dès qu'on Tétend
au delà de ces choses purement extérieures, qui n^ont point
de suite, qui dépendent de Tusage, de la mode ou des bien-
séances ^
^ Si les hommes sont hommes plutôt qu^ours et pan-
thères, s'ils sont équitables, s^ils se font justice à eux-
mêmes, et qu'ils la rendent aux autres , que deviennent les
lois , leur texte et le prodigieux accablement de leurs com-
mentaires? que devient le pétitoire et le possessoire *, et tout
ce qu'on appelle jurisprudence? où se réduisent même ceux
qui doivent tout leur relief et toute leur enflure à l'autorité
où ils sont établis de faire valoir ces mêmes lois? Si ces
mêmes hommes ont de la droiture et de la sincérité , s'ils
sont guéris de la prévention, où sont évanouies les disputes
de l'école, la scolastique et les controverses? S'ils sont tem-
pérants, chastes et modérés, que leur sertie mystérieux jar-
gon de la médecine, et qui est une mine d'or pour ceux qui
s'avisent d^ le parler? Légistes, docteurs, médecins, quelle
chute pour vous, si nous pouvions tous nous donner le mot
de devenir sages!
De combien de grands hommes , dans les différents exer-
cices de la paix et de la guerre, aurait-on dû se passer!
A quel point de perfection et de raffinement n'a-t-on pas
porté de certains arts et de certaines sciences qui ne de-
vaient point être nécessaires, et qui sont dans le monde
comme des remèdes à tous les maux dont notre malice est
Tunique source!
Que de choses depuis Yarron *, que Varron a ignorées ! Ne
1. « Le sage doibt aa dedans retirer son âme de la presse, et la tenir en
liberté et puissance de joger librement des choses ; mais, qaant aa dehors,
il doibt sayrre entièrement les façons et formes receaes. » ( Montaigne,
1» 22.)
2. Le pétitoire est une action par laqnelle on demande la propriété
d'une chose; le poiseisoire, une action par laquelle on en demande la
possession.
S. M. Terentius Varron, que Ton nommait le plus satant des Romains,
et qui mourut l'an 36 aTant J. G., auteur des traités D§ t$ ruttiea. et De
Hngua kUinn,
DES JUGEMENTS. 245
tiaus suffirait-il pas même de n'être savant que comme Platon
ou comme Socrate?
^ Tel, à un sermon, à une musique, ou dans une galerie
de peintures, a entendu à sa droite et à sa gauche, sur une
chose précisément la même, des sentiments précisément
opposés. Cela me ferait dire volontiers que Ton peut hasar-
der, dans tout genre d'ouvrages , d'y mettre le bon et le
mauvais : le bon plaît aux uns, et le mauvais aux autres.
L'on ne risque guère davantage d'y mettre le pire : il a ses
partisans.
^ Le phénix de la poésie chantante * renaît de ses cendres ;
il a vu mourir et revivre sa réputation en un même jour. Ce
juge même si infaillible et si ferme dans ses jugements , le
public, a varié sur son sujet; ou il se trompe, ou il s'est
trompé. Celui qui prononcerait aujourd'hui que Q***, en un
certain genre , est mauvais poëte, parlerait presque aussi
mal que s'il eût dit, il y a quelque temps : Il est bon poète,
% Chapelain était riche, et Corneille * ne Pétait pas : la
Pucelle et Rodogune méritaient chacune une autre aventure.
Ainsi l'on a toujours demandé pourquoi, dans telle ou telle
profession, celui*ci avait fait sa fortune, et cet autre l'avait
manquée; et en cela les hommes cherchent la raison de
leurs propres caprices, qui, dans les conjonctures pressantes
1. Quinaolt, qai sera désigné plus bas par la lettre initiale de son nom.
Après avoir fait des tragédies et des comédies, qae, comme Boileau, la
Bruyère estimait peu, il composa des opéras qui eurent un grand succès et
qui sont ses meilleurs titres littéraires. La musique de ces opéras était de
Lulli.
2. Après avoir fait imprimer, dans deux éditions, ces deux noms en toutes
lettres, la Bruyère les remplaça dsns les éditions suivantes p»r les lettres G. P.
et G. N. L'énigme était facile à deviner. Nommer la Pucelle et Rodoguney
(tétait désigner pour tout le monde Chapelain et Corneille. — Chapelain
était riche en effet. « Le mieux rente de tous les beaux esprits, » comme a
dit Boileau dans la 9* satire, pensionné par le roi et par le duc de Longue-
Tille, il recevait plus du dix mille livres en gratifications annuelles. Il ét&it
fort avare néanmoins, et l'on trouva chez lui, à sa mort (1674), plus de
150000 francs en espèce». Corneille, au contraire, qui avait k pourvoir aux
besoins d'une famille nombreuse, était pauvre. Ses pièces lui rapportaient
peu, et il lui est échappé de répondre un jour à Boileau, qui lui parlait de sa
«(loire : «Oui, je ouis saoul de gloire etaffxméd'aig^'nt! • Vieux et malade,
il se mourait dans le plus douloureux déoûment, lorsqu'averti par Boileau de
sa gène, le roi lui envoya 20o lo<iis. Il les reçut doujt jours avant sa mort
(1684). — Il est juste d'ajouter ici que Chapelain qui, cédant aux exigences
de Hictelieu , avait conoenii en 16J7 à rédiger les Sentiments critiques de
V Académie sur le Ctd, inscrivit eu I06i Curneille f>ur la lisie des <^ri vains
auxquels il conseillait à Colt>eri d'accorder une pension. C'est en partie à
lui que Corneille dut les 2ooo francs qu'il reçut chaque anné% de 1663 à
1779» époque à laquelle la pension fut, ditH)n, supprimée.
346 CHA?ITR5 XU*
de leurs affai^r de ^eiirç plaii^rs, de leus ta^ti «t de leur
vie, leur font souvent laisser les meilleurs et prendre les
pires*
% La conditiox^ des comédiens était infâqie ohei> Un &<i-
mains et honorable chez lei^ Grecs : qu'est-eUe cbes oona?
On pense d'euqc comme ^es Rompons, ça yi| i^veQ eux oomp^
les Grecs.
% Rien ne déoo^yre inieuz d^ç fuelle disposition sont
\es hommes à Pégard def sciences et des bellçç-lettres, et
de queile utilité Ûs les croient dans la république ^ que le
pri]( qu'ils j ont ipis, e\ l'idéfi qu'ils ^ (ormept de ceux qui
pnt pris le par^j 4e les, ovd^lyer. {l q-j a pomt d'art si méca-
liiqvLe ni de si vile condition où les ayantages ne gQie^t pli&s
fùrs, plus prompte et plvi« solides, l«e çQmMieil» couché
^a^s son carrqsse, jette 4e l9^ houe m yi^ftge 4a Coiwsili'Ls»
qui est il pied^ Chez plusievi^a» a^Yaot fit pédant 9QAt ajoo-
pjines.
Souyenf y où le ric)ie par^e et p^rl^ do doçtH99\ ('est
|t^ dociês ^ se ^ire^ j^ ^coûter, 4 applaudir» s'ils yei^e^t
du moins ne passeur que pour doctes.
V II ; f^ upe sorte de hardiesse à soutenir ^ devant cer-
taine egpritç la honte de TéruditioQ : Ton trouve ehes eux
une préyeQtif^ tout étahUe contre les «avants, à qui ils
ôtent les manières du monde, le savoir-vivre, Tesprit de so-
ciété, et qu'ils renvoient, ainsi dépouillés, à leur cabinet et
|i leuts livres. Gomme Tignorance est un état paisible et qui
ne coûte aucune peine, l'on s'y range en feule, et elle forme,
à la cour et à la yille, un noinbreu^p parti, qui ^'çjQipojte sur
celui des savantsi S'ils allèguent en içur laveur les noms
d'FsTKÉBs, 4? Ha|ii4T, BpssuE^, Ségtîto, Ud^ttaus^çr ,
WAAn£S, Chpvreuse, liCoviQ», Lamoiomon, Scudéat, I^lis-
son', f^t 4e tant 4*^utrçs perj^onnages égl^enient dpctei^ çt
1. ne icienee.
9. À supporter.
S. César d'Estrées, cardinal, membra de rAcBdémie firaoçatse, mori
en 1714. Il a écrit des lettres en latin qol n'ont pas été pûtliéas. Le
cojoipliinent pouvait en même temps s'adresser an savant duc ^'Estréas,
Soi fut plus tard maréchal de France. Au moment oh, parut ce passage,
avait 81 ans. ^ François de Harlay. archevêque de Paris, membre
de TAcadémie française ; Achille de Harlay, procureur f^énéni «au Parle-
ment, nommé premier président en 1689. — Le chancelier Séguier (isss-
1672) fut le protecteur de l'Académie française après la mort du cardi.
nal oe Rlcheheu. -«Le 4ao de Montausier, qui avait ^osé la fille de la
polU; s'ilB t^j^\ piftme citqr les grfA4s ^om% ie Qh4|itR8I>
de PoNPii, 4^ CoNTV, 4e Bourbon, du llat^E, ^e Ysipôi^*
comme dç princes qui ont §\i joindre am pli^^, ^ellq* e^ ai^:
plus hautes çppnai^ances ^i rs^^tiqUrne 4^^ Qrf)c« çt l'of-
banité des ^Q|nain$, Vgu p§ feint poôit de la\ir dir^9 que 9fi
^ont des e^ei^ples singuliers; et s'ils ont rçicours k de so-
^4e9 wsp^^ I filles sox^t faiî)les contre 1^ yoî? 4ft la multi-
tude, ^ sèxabl^ 9éan;¥ïoiû§ q^^ Topi devrait décider «ur cela
i^yeq plu? de pi^^cautjou, «t SA 4onn§f settUmeut 1» paiuf
de douterai ce même esprit, qui fait faire de si grands pcq-
fpAs dans les s^ieppe^, qui fp\ \^m n^Wi ^m ingie?, bien
parter et bien éqxm^ m 1^^^9^\ ppiflt P^icore w??iï à
<*re poli,
Il fai^t t^èsrpeu 4e (Qn4^ fionr 1» politesiA 4a«« tel m»-
Hières; il eu f^ut liçaucflup pouy çellQ 4e V^9prit.
f f II 9st 8«v|k9t ) 4i^ un politique, il est ^qqc inoapabie
d'aires; Iq pe lui confierais r^^t 4e m9^ g^rde-r^be^; 9
9t il » raison, Q^T« ÎJ]is«^, Eic9B}.p:y 1, étaient sa?4&ta :
xnarqaise de Rambouillet, avait été nommé gouverneur da Danphio en
16^8. -^ le marquis de Vardes était un courtisan instruit : son nom avait été
prononcé lô'rsqu^il s'était agi de donner un gouverneur au auc de bour-
gogne.— Le due de Cbevreuse, fils dii duc ê^ Luynes, avait reçu à Pon-
premier président au f arl^meot Jusqu'en t9B9, membre de l'Académie frùi-
Ïùse. Il mourut en 1693- — « Mademoiselle de Çcuderv, » écrit ep note la
ruyèrè, ponr bien indiquer qu'il s'agit d'elfe et 'ribn pas de son frère,
MUS le noip duquel set'rorpans avaient paru. — pelliBSon (1624-1693)i au-
teur de inémoires pour Fouquet, d'une histoire dc( l'Académie française,
dont il était membre, et de divers opuscules. ' ■ ' - '
1. Le dno de Chartres, qui fpt depuis duc d'Orléans et régent du royaume.
U avait 17 ans lorsque la Bruyère inséra son nom au milieu des autres.^ Las
princes de Conti soniune branche cadette de la maison de Conde. iCrmandâe
Bourbon (1629-1672), qu'elle eut pour chef, avait composé, vers la fin de sa
vie, des livres ihéologiques et moraux. Son second fils, Françuis-Louùi do
Bourbon (1664-1709) ratrilii des plnscfaarmsiits etl^itn des plus savants per-
sonnages de la cour. « C'était, dit S^iAt-Simon, V9 tr^s-bel esjirit^ lumineux,
juste, exact, étendu, d'une lecture infinie. • — Le duc de Bourbon est l'élève
dé la Bruyère; le duc du Maine (1670-1736), flis légitimé de Louis ^ir, est
relève de Mmed6 Maintenon: — Le çrand prienr de Vendôme (1695-1727)
tfvait au Temple au milieu d'un èercie de beaux esprits. Sdn'frere, le duo
do Vendôme, fut l'un des meilleurs généraux de Louis Xiy.
' 2. L'on n'hésite point à leur dirfe.-
i. Le soin de dresser l'état, l'inventaire de ma g^rde-robe.
4. Le cardinal d'Ossht (1536-1604), bttbilèdiprotniCUf ft*an^Biiî. Bans sa ien-
nesse, il avait professé la rhétoiique et la philosophie dans l'unlVefsite de
Paris. Il a laissé un excellent recueil de lettres diplomatiques". — Ximenêfs
(1437-1517), célèbre ministre d'État espagiiol. Il fonda l'uiAVersité o'Aleala,
ist fit publier à ses frais la Bible polyglotte d'AIcala. — Richelieu, cdmip^
on Mftit, Sf des tnigédier. H est le fondatOttr de KAcadémie flrançaiMt. '
248 CHAPITRS Xa.
étaient-ils habiles? ont-ils passé pour de bons ministres?
c II sait le grec, continue Thomme d'Ëtat, c'iBSt un grimaud\
c'est un philosophe. > Et, en effet, une fruitière à Athènes,
selon les apparences, parlait grec, et, par cette raison, était
philosophe. Les Bignon, les Lamgignon *, étaient de purs
grimauds : qui en peut douter? ils savaient le grec. Quelle
Tision, quel délire au grand, au sage, au judicieux Antonin,
de dire qu'a/ors les peuples seraient heuretkx^ si Vempereur
phihsophctitj ou si le philosophe ou le grimaud venait à Vem^
pire*I
Les langues sont la clef ou l'entrée des sciences , et rien
davantage; le mépris des unes tombe sur les autres. Il ne
s'agit point si les langues sont anciennes ou nouvelles,
mortes ou vivantes; mais si elles sont grossières ou polies,
si les livres qu'elles ont formés sont d'un bon ou d'un mau-
vais goût. Supposons que notre langue pût un jour avoir le
sort de la grecque et de la latine, serait-on pédant, quelques
siècles après qu'on ne la parlerait plus, pour lire Molière
ou La Fontaine ?
% Je nomme Euripile, et vous dites : c C'est un bel es-
prit. > Vous dites aussi de celui qui travaille une poutre :
c II est charpentier; > et de celui qui refait un mur : c II est
maçon. > Je vous demande quel est Tatelier où travaille cet
homme de métier, ce bel esprit , quelle est son enseigne, k
quel habit le reconnaît-on, quels sont ses outils : est-ce le
coin? sont-ce le marteau ou l'enclume? où fend- il, où co-
gne-t-il son ouvrage? où l'eipose-t-il en vente? Un ouvrier
se pique d'être ouvrier : Euripile se pique-t^il d'être bel es-
prit? S'il est tel, vous me peignez uu fat, qui met l'esprit
f . Cest llnjare que Trissottn dit à Vadias (Femmes eavanies^ Ul, s) :
Ailes, petit grimaud, barl)ouUlenr de papier.
3. Jérôme Bignon (1589-1656), célèbre magistrat, grand mattre de la bl-
bliotlièque du roi, avait une immense érudiiion. Son tiU, et son petit-Kis
surtout, l'abbé Jean-Paul Bignon (1662-1743), qui fut reçu à TAcadémie
française en 1693> furent aussi des savants. — Guillaume de Lamoi-
gnun (1617-1677), premier président au Parlement de Paris, était élève
de Jéiôme Bignon. I) fit lui-même l'éducation de sop tlls, Cbréiien-Fran"
Cuis Lamoiguon ^644-1709), qui fut avocat général, puis président à mor-
tier, et qui a été l'acui de iVacine et de Boileau ; ce dernier lui a dédié sa
lixième epkre.
. 3. C'est Platon qui est l'auteur de cette pensée, écrite dans le Vil* livre
de la Bépublique, L empereur Maro-Aurèle, qui remplit si bien le vœu de
PUton. la répétait sans cesse, et c'est lui que la Bruyère désigne sous le
nom d Antonio.
DES JUGEMENTS. 249
en roture *, une âme vile et mécanique , à qui ni ce qui est
beau ni ce qui est esprit ne sauraient s'appliquer sérieuse-
ment; et s'il est vrai qu'il ne se pique de rien, je tous en-
tends, c'est un homme sage et qui a de l'esprit. Ne dites-
vous pas encore du savantasse : c II est bel esprit ; » et ainsi
du mauvais poëte? Mais vous-même vous croyez-vous sans
aucun esprit? et si vous en avez, c'est sans doute de celui
qui est beau et convenable : vous voilà donc un bel esprit;
ou, s'il s'en faut peu que vous ne preniez ce nom pour une
injure, continuez, j'y consens, de le donner à Euripile, et
d'employer cette ironie comme les sots, sans le moindre
discernement, ou comme les ignorants, qu'elle console d'une
certaine culture qui leur manque et qu'ils ne voient que
dans les autres.
% Qu'on ne me parle jamais d'encre, de papier, de plume,
de style, d'imprimeur, d'imprimerie; qu'on ne se hasarde
plus de me dire : c Vous écrivez si bien, Antisihènel con-
tinuez d'écrire. Ne verrons-nous point de vous un in-folio?
Traitez de toutes les vertus et de tous les vices dans un ou-
vrage suivi, méthodique, qui n'ait point de fin; » ils de-
vraient ajouter : c et nul cours. > Je renonce à tout ce qui
a été , qui est et qui sera livre. Bérylle tombe en syncope à
la vue d'un chat, et moi à la vue d'un livre. Suis-je mieux
nourri et plus lourdement vêtu, suis-je dans ma chambre à
l'abri du nord, ai-je un lit de plumes, après vingt ans en-
tiers qu'on me débite dans la place? J'ai un grand nom,
dites-vous, et beaucoup de gloire : dites que j'ai beaucoup
de vent qui ne sert à rien. Ai-je un grain de ce métal qui
procure toutes choses? Le vil praticien grossit son mémoire,
se fait rembourser des frais qu'il n'avance pas , et il a pour
gendre un comte ou un magistrat. Un homme rouge ou feuHle-
morte * devient commis, et bientôt plus riche que son maître ;
il le laisse dans la roture, et, avec de l'argent, il devient
noble. B** ' s'enrichit à montrer dans un cercle des ma-
rionnettes; BB***, à vendre en bouteille l'eau de la rivière.
1. Qai fait déchoir Tesprit de sa noblesse natarelle.
2. Un homme qui p<>rie une livrée rouge ou feuitle-morte, un laquais.
3. Pierre d'Aitelin, qui, sous le nom de Brioché, établit à Paris un ihé&-
Ire de marionneiies. On a nommé aussi Benoli qui ucuïplait des figures en
cire et les montrait, à prix d'argent, aux curieux.
4. Barbereau, qui a fait fortune en Tendant de l'eau de la Seine pour des
eaux minérales.
250 CBAPITR1S xq.
Un ^Xvp çh^rllttan ^je ici 4fi iàk \^ ^^919^ 4T#q 090
palle; il i^'est pas déchargés que le^ peosiox^s coui^e^t; et
il est près de Retourner d'où il arriva ayec 4^9 p^le^s et des
fourgons. 4f«rc«ér(|* gs| Aferçure, e\ rje^ davantage, et l'pr
pa p^V^t P*y^? ses ifté4i?^tion9 ^\ «es ^tr^g«es; on y lyoute
la fayeur et ]^s disti^ctiûQf|. Et» sap.si parler gi^e de§ g^i^s
licites*, Qn pçtyfi au tqilier s^ tui^e, et à Vouvrief sqq ^pîftps
et ^n ouvr^gii. Paje-t-q^ \ un i^i^tevir ce qu'U pense ^\ cfi
qi^'il éQfitî et' s'il pepçe ^fès-bien, le p^ye-t-P» trè?-l^rS§"
piei^t? Se meuble-t-il, sVQ^UH^ ^ i^^^^ ^^ P^p^r §t 4'é-
cri|;e juste? U faut que le^ ^om^ie; §ûient i^hilî^.s» quHl^
soieptF|9é§; U fa^t que, ^etifé? 4^ ^W% waisops, jls
aient une pcirte qi|i ferme bien ; e^^'|l néce^ire. qu'ils
soient instruits? Folie, simplicité, imbécillités conti^H^A?-
ti^th^n^ , de mett]:ie l'enseii^ne 4'^^t^Hf ^^ 4^ P^i^P^ûphe 1
Ayoiir, s'il se peut , ui^ offiçei lucriuif, qi4 y«in4e }a vie f^((-
ble , qui fasse prêter à ses amis gt dqnner {^ cçt^x qui ^e
peuvent rendra; écrire alorç par jçu, par pisiveté, et çomç^e
Tityre ^i£(l9 ou jo^e 4e la flûte : q^la ou ri§9 ; f écris 4 9^
conditionsi et je cèdç ainsi \ la viplenQ^. 49 9P^^ ^^^ V^^
prenpent à la gorge, et me 4^sept : f Yqui écri^j^^. j; l\s UçQ^t
pour titre de mou i^q^ve^u livre ; nu BIeau, py, 6o]:i, i)U
Yrjli, nj:3 |dée9, nu i^ni^^çn P^]p«c;?E, gar Àpfi^ti^r^j
vindeur dfi mafée^.
% Si les ambassadeurs des princef étrap.ge|9} f éi^G%\ iqs
I. Il n'a pas déchargé sa malle. — Sur Carro Carettl, qd est le char-
Uum dont il a'agit, voyez le chapitre De qutlquiê utoitea,
8. Jfercurf est, dit-on, eonterops, le premier Talet de chambre 4^ foL
I. Corneille a dit de mémo, Boracèj lu, i' : '
Revoyons les vainqueurs sans penser ^'à la gloire
Que toute lear maiaoa reçoit de leiir nctoireu"
dans la boutade de la Bruyère ; mus la Harpe est mal iuspird en lui repro-
éfaant pi àprement d'écrire « pour le gain. » La Bruyère, comme bous l'a-
vons dit dans la Notice, fit à son libraire l'abandon do i^anuacrit des
Caractères, et, selon toute vraisemblance, il ne tira aucun prunî des neuf
éditions qui, sous ses yeux, enrichirent la famille Michallet. — Il est
curieux de retrouver dans ce passage de la Qruyère le« çon^ila que lui
donnaient ses amis. La plupart d'entre eux lui reprochaient san^ doute,
fivec Boîleau, ifi s'être épargné les difficultés des transiiionf, et youlaient
qu'il composât nn ouvrée dogmatique et méthodique, un traité en règle
sur la morale. Mais la gruyère aurait-il autant de iecte^f s'^ eût écrit
jiuelqtte livre de morale à la façon de Nicole ?
5. Lé roi de Siam avait envoyé en 1686 des ambassade^rf ^ )<(kaia XIV.
DES JUGSip;£IT$. 251
HÎHe^es fiif^^ts à m^çtier si)r lei;r^ pi^ds, de dfiTRèrji, et ^
ne faire ÇAtendr§ par interprète, nous ^e pourripôs pa3
marquer lui plus grand étoni^^ment que celui que uous dou-
tent. U juateçs^ de leurs répouses, et ]q bo^ seu^ qui paraît
quelquefois d^s leurs discours. Ls^ préy^ntioi) 4u ^J^t
jointe ^ rpr^ueU 4fl la u^tioQ) nous fait oublier quQ la rai*;
son est de tous les cl^^tf , et qui^ Tpu peni^q ju^^ F^^^
t9Ut Qù ii y # des ^Quwes. Iio^% u'^in^eriop^ pas à Âtrè
traitée aiQ^i df ceu^ que nousf s^ppelonij b^rbaref ; et s'il y ^
9U pous' quelque ^ar^ari^, elle con^is^ à $(^0 épouyaut^
4e Ypir 4'autres peuples raiso^u^' ppqi^f uqus.
Tous lie» étrangers U^ ^o\if. p^s barbares, et tous nqç pqp^-
patriptes i^ iiput pas piyilisé^ : de ^ê^e, tpu^ PWP^gfl?
n*fâ9t p^s agreste ^ et toute ville n'est pas polig. Il y a danf
r^urope m en4roit ^'mu^ prpyiuce u^ari^iiue d'un gr^nd
f pyfium# P^ le Yill^^oia ^St 4pux §t iuwftuaoti Ip i)purgeq|s
101 eoutr»ir§ et Ip magistrat grossier^, çt dpnt ]^ rusticité
$»i bé?éditai?e *.
f Aysc un langage fi pus, u^e ^ gr^49 T^çbercbç^ 4au^
nos babits» dei» moBvrs §i çultiyées, de si belles lois ef un
yisage blapo, nou$ 8omR§3 b^rbaree^ ppur quelques peuple^.
f Si nous enteudion^ dire de$ Orieut^iu^f^ qu'ils ^oiveut
ordinairement d'une liqueur qui leur moute |i la tète, l§ur
tait perdre la raisou et les fait vomir, nous dirions ; Qelfi
est bien barbare.
f Ce prélat se montre peu à la cour; il u'eçt 4q wl oom-
merce% on ne le voit point avec des femmes; il ue joue ni
à grande ni à petite prime *; il n'assiste ni auxfêtes» ni aux
spectacles; il n'est point homme de cabale, et il n'a point
- Dès lear arrWée en France, ils derinrent Vobjet de la curiosité générale,
et cfatusune de layni dèioiardies fût ehresiairée et comnehiée par le jtfer-
Ctti e galant.
1. ôe (erm«i a'«Q(9od ici métapborigaemeot {Hfote ^ la ^fi|^^.)
9. L'énigme es( encorf ^ trouver. Les auteurs oe clefs ont ici çardé le
^iience, ne sachant vers quelle viUe de province la Bruyère envoiâil cette
pbrase de mauvaise humeur. Il ne connaissait vraisemblablemenl d'autre
proviDce maritime que la Normandie; il y atait séjourné quelque temps, '
on mois peut-être, soit & Rouen, soit à Caen. A.Tait>ii eu | se plaindre des
gens de la chambre des comptes de Rouen ou de ses collègues de Caen? 11
fet 4 noter que. la Bruyère n'opposa d'abord que )§ magistrat au paysan :
4| (le magistrat, au contraire, grossier, et dont la rusticité peut passei' ^n
Sroverbe : » telle est la leçon des trcis premières é^i^^t^A* 4 l| quatrièa^e*
^ bouf gepia prit plac« ^ côté du maglftiiat.
S. U ne fréquente pas le monclio.
i. iwi de cartes.
252 CHAPITRE Xn.
Tesprit d^intrigue : toujours dans son ëvéchë, où il fait nne
résidence continuelle, il ne songe qu'à instruire son peuple
par la parole et à l'édifier par son exemple; il consume
son bien en des aumônes, et son corps par la pénitence \ il
n'a que Tesprit de régularité, et il est imitateur du zèle et
de la piété des Apôtres. Les temps sont changés, et il est
menacé sous ce règne d*un titre plus éminent.
% Ne pourrait-on point faire comprendre aux personnes
d'un certain caractère et d^une profession sérieuse*, pour ne
rien dire de plus, qu'ils ne sont point obligés à faire dire
d'eux qu^ils jouent, qu'ils chantent et qu'ils badinent comme
les autres hommes I et qu'aies voir si plaisants et si agréa-
bles, on ne croirait point qu'ils fussent d'ailleurs si réguliers
et si sévères? Oserait-on même leur insinuer qu'ils s'éloi-
gnent par de telles manières de la politesse dont ils se pi-
quent; qu'elle assortit au contraire et conforme les dehors
aux conditions, qu'elle évite le contraste, et de montrer le
même homme sous des figures dififërentes et qui font de
lui un composé bizarre ou un grotesque?
^ Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau
ou d'une figure, sur une seule et première vue; il y a un
intérieur et un cœur qu'il faut approfondir. Le voile de la
modestie couvre le mérite, et le masque de l'hypocrisie
cache la malignité. Il n'y a qu'un très-petit nombre de con-
naisseurs qui discerne, et qui soit en droit de prononcer.
Ce n'est que peu à peu, et forcés même par le temps et les
occasions, que la vertu parfaite et le vice consommé vien-
nent enfin à se déclarer.
Fragment.
f c .... Il disait que l'esprit dans cette belle personne * était
1. Noua écririoDS plas Tolontiers aujourd'hui ; il consommé son bien «n
des aumônes. Consumer son corps evt au contraire une expression très-
conforme à Tusage moderne. « Consommer^ du M. Liitré, suppose une des-
truction uiile, employée à quelque usage, à quelque fin, tanois que oonsu'
mer ne présente qu'une desirueiion pure et simple. » — Le nombre des
prélats qui résidaient avec quelque coniinuité dans leurs diocèses était
alors très-resireint.
2. Aux riiHgisirats, par exemple qui étaient si graves pendant l'exercice de
leurs functioiiK, et, qui, à la cour et la ville, se laiiaieui souvent remarquer
par leurs habitudt s bruyantes.
3. S'il faut on croire l'abbé de Chaulieo, la personne dont la Bruyère fait
ici le portrait était Catherine Turgot, femme de Gilles d'Aligre, seigneur de
Boislaudry, conseiller au parlement. « Elle joignait^ dit-il, aune figure trèa>
DES JUGEMENTS. 253
un diamant bien mis en œuyre. Et continuant de parler
d'elle : C'est, ajoutait-il , comme une nuance de raison et
d'agrémeDt qui occupe les yeux et le cœur de ceux qui
lui parlent ; on ne sait si on Taime ou si on l'admire : il
y a en elle de quoi faire nne parfaite amie, il y a aussi
de quoi vous mener plus loin que Tamitié : trop jeune et
trop fleurie pour ne pas plaire, mais trop modeste pour
songer à plaire, elle ne tient compte aux hommes que de
leur mérite, et ne croit avoir que des amis. Pleine de vi-
yacités et capable de sentiments, elle surprend et elle in-
téresse ; et, sans rien ignorer de ce qui peut entrer de
plus délicat et de plus fin dans les conversations, elle a
encore ces saillies heureuses qui, entre autres plaisirs
qu'elles font, dispensent toujours de la réplique. Elle vous
parle comme celle qui n'est pas savante, qui doute et qui
cherche à s'éclaircir; et elle vous écoute comme celle qui
sait beaucoup, qui connaît le prix de ce que vous lui
dites, et auprès de qui vous ne perdez rien de ce qui vous
échappe. Loin de s'appliquer à vous contredire avec es-
prit, et d'imiter Elvire, qui aime mieux passer pour une
femme vive que marquer du bon sens et de la justesse,
elle s'approprie vos sentiments, elle les croit siens, elle
les étend, elle les embellit; vous êtes content de vous
d'avoir pensé si bien, et d'avoir mieux dit encore que vous
n'aviez cru. Elle est toujours au-dessus de la vanité, soit
(pi'^e parle, soit qu'elle écrive : elle oublie les traits où
il faut des raisons ; elle a déjà compris que la simplicité
est éloquente. S'il s'agit de servir quelqu'un et de vous
jeter dans les mêmes intérêts, laissant à Elvire les jolis
discours et les belles-lettres , qu'tlle met à tous usager,
Arténice n'emploie auprès de vous que la sincérité, l'ar-
deur, l'empressement et la persuasion. Ce qui domine en
elle, c'est le plaisir de la lecture, avec le goût des per-
sonnes de nom et de réputation , moins pour en être con-
nue que pour les connaître. On peut la louer d'avance de
toute la sagesse qu'elle aura un jour, et de tout le mérite
qu'elle se prépare par les années, puisque avec une bonne
conduite elle a de meilleures intentions , des principes
kîmable la douceur de rhnmeur et tout le brillant de l'esprit; personne
l'a jamais mieux écrit oa'elle. et personne aussi bien. »
254 t:fiAPiTHË xn.
c âûrd, titîlëi fc celles (Jui sotit comme elle éx^bâééft aux
i ëôlns ei & la flatterie | et quêtant assez particulière * saiis
« poûhâht être farouche, ayant môme ûh peu de penchant
€ potit l'a retraite, il be lui âatitait j?eut-être manquer que
c îëd bccasibns, ou ce qu'on appelle un grand théâtre, pour
é Jr faite briller lotîtes ses tettus. i
^ tJiie belle fènimë eàt aimable dânâ son naturel ; elle ne
pëtd rieh â^ êtbe tlégligëe, et sans àùlre pàriii'Ô que celle
qil^éllë tire de sa beàUté et dé sa jeunesse; ùhe grâce naiye
ëblitë ëùt son Visage, àninie ses tnoindres actions : il y au-
rait mdins dé péril & là voir avec tout Tattirail de l^àjûstè-
meht et dé la mode. t)e iméme iin homme Ae bien est
respectable pàt Idî-mêmé, et indépendamment de toiis les
déhoi'S dont il toudlrâit s'aldèt pour tendre sa personne pltis
grave et sa vertu Jiliis épëcieûëe •. tJh air réfornié *, ùiie
modestie outrée, la sitigiilarité de l'habit, une âmplé ca-
lotte, h'àjotitéiit rien à là probité, iie f elêveiil pas le mérite;
ils le fardent, et foiit peùt^trë qii^il est moins pur et moins
ingénu. .
Uhë gl-aVîté trdp étudiée dêyiènt coipiqué ; ce sôîit
cothitië dès éxtréihité^ (|ui se tbucheiit et dont le milieu est
dîgUité; belâ iie s'appelle pas être grave, maià eh jouer le
personnage j éëlUi l^ùi s;ohge à le devenir iie lé sera jamais.
Oti Ik çravité n'est point, bii elle est naturelle ; et il est
nlbths dirtdilë d'eii descendre que d*y monter.
^ Ûti honime de talent et de réputation, s'il est chagrin
et austèîre, il elîaroùche lés jeiiqes geds *, les tait pehsçr
niai de U vei*tu, et là leuir rend siiâpectë d'une trop grande
réfbi'iilë • et d'Uûë t)i-âtique trop ennuyeuse. . S'il est ail
contraire d'uh boh cothméréé, il leur est Une leçon utile;
il leur àîJprédd 4^'6h peut vivre gaiement et laborieuse-
nient, ^ioit des tues sérieuses sans renoncer aux plaisirs,
honnêtes : U lèUt devieiit tin éxe&ple qii'on peut suiyré.
% Là physiohotiiie h^est pas iihé régie qui nous soit doii-
1. « On dit au'BD bomme est pariifM<ter% lorsqu'il fu\t le oommeitoe et la
fréquentation des autres hommes, qu'il n^aime pas à Tisiter ei à être Tisité.»
(Furetiëre;)
2. Pl(i8 apparente.
3. Un air austère.
A» Nous l'avons déjà remarqué, la Bruyère affeotiomio eoa MrtMéSfé*
pétitions de sujet.
6. Leur fait craindre qu'elle ekigè ùnè th>p grande réforme.
DES jaôEMENTS. 255
t%% pàût ]vL^f U% hbmâiès ': elle vMà peut éërvir dô
cbtijébtùre.
Tf L^^àir spiritiiel est flahâ îes hômàlëé ce qilë là réguiatité
ddS traita est dàiis les ^êiiitiieâ ï c'êét le getlté de beaUtë oÛ
leâ pllià Vainft t)ûi'séënt àspitfei-.
f Un liDilimé qui à beaucoup) de itiéHte et d^esprlt , et
tSi est ébhiitt peut* tel, ii*ëst ^aà laid, même âVeé des traitt
qui 6oht âifToriiies | ôa S^il a de là laideili*, elle iie fait pas
séki imprëséibû.
% Combien d'art pour rentrer dans la nâtiirè ! fcombleil de
tém^la, de tègiès, d'attention fet de travail, t)oùr dàtisër aVec
lit înêitiè libeHé éi la ihême grâce que l'on bâit itiarchëf ;
pbuï bbâùtëi* cdinrtiB on parle, parler et s'exprltriër côminô
Y6n peiisé; jétér autant de forcé, de vivacité, de pàssioû
et de pfetsuafeion danâ tin discours étudié et qde l'ôii |)ro-
fiôilcè dâhâ le public, qu'bd en â qùeliqUefois iiaturelle-
iliéht et bâils i)rêpâlratidn dans les entretiens les pluà fa-
miliers.
^ Ceux ^ui, Êanâ notis cdîihàîtfe assez, pensent tiial dé
nbus, iië libus font pas de tort : ce n'est jias noua qu'ils at-
taalieiit, c'est le fantôme de leur iiliaginâtibn.
If U jr a dé petites irègles, dès devoirs, des bîetiséances,
attachés àuilieùi, aux temps, aux personnes, qui ne séde-'
tihëni pôltit â force d'esprit, et que l'usage apprend sans
nulle pëiiie ': ]iig:ër des hômtnës par les fautes qui leur
échappent en ce genre, avant qu'ils soient assez instruits,
c'est «li juger pài* leurs ongles ou pai* la j)ointe dé leurs
cbfevéùi; c'ésl vouloir un jotir être détrouipé *.
^ Se ûe saià 's*il est permis dé juger dès honàmes par une
faute qui efet unique, et si uh besoin extrême, ou uiie viô-
lëiite t^àsâiôfi, ou ùù i)î'emier mouvement, tirent ^ cônéé-
(Juehce.
% Lô côiitraité des bruits qui courent des afTairés ou des
personnes est souvent la vérité.
^ Sans une gi^ande rôideur et iine continuelle attention
à toutes ses paroles, on est exposé à dire en moins d'une
heure Ib oiii et \é hàh. sur utié inélne chose où sur une
même personne, déterminé seulement par un esprit de
1. t'tH ^^nr&[6\î se lirâmpé^ jusqu'à ce <tab Toh ap^reiibé I les inieox
connaître.
256 CHAPITRE Xn.
société et de commerce ', qui entraîne naturellement à ne pas
contredire celui-ci et celui-là qui en parlent différemment.
% Un homme partial est exposé à de petites mortifica-
tions : car , comme il est également impossible que ceux
qu'il favorise soient toujours heureux ou sages, et que ceux
contre qui il se déclare soient toujours en faute ou mal-
heureux, il natt de là qu'il lui arrive souvent de perdre
contenauce dans le public, ou par le mauvais succès de
ses amis, ou par une nouvelle gloire qu'acquièrent ceux
qu'il n'aime point.
% Un homme sujet à se laisser prévenir*, s'il ose remplir
une dignité ou séculière ou ecclésiastique, est un aveugle
qui veut peindre, un muet qui s'est chargé d'une harangue,
un sourd qui juge d'une symphonie : faibles images, et qui
n'expriment qu'imparfaitement la misère de la prévention.
Il faut ajouter qu'elle est un mal désespéré, incurable, qui
infecte tous ceux qui s'approchent du malade, qui fait dé-
serter les égaux, les inférieurs, les parents, les amis, jus»
qu'aux médecins : ils sont bien éloignés de le guérir, s'ils
ne peuvent le faire convenir de sa maladie, ni des remèdes,
qui seraient d'écouter, de douter, de s'informer et de s'é-
claircir. Les flatteurs, les fourbes, les calomniateurs, ceux
qui ne délient leur langue que pour le mensonge et l'inté-
rêt, sont les charlatans en qui il se confie, et qui lui font
avaler tout ce qui leur platt : ce sont eux aussi qui l'em-
poisonnent et qui le tuent.
f La règle de Desgartes, q[ui ne veut pas qu'on décide
sur les moindres véritës avant qu'elles soient connues clai-
rement et distinctement, est assez belle et assez juste pour
devoir s'étendre aujugementquel'on fait des personnes.
^ Rien ne nous venge mieux des mauvais jugements que
les hommes font de notre esprit, de nos mœurs et de nos
manières, que l'indignité et le mauvais caractère de ceux
qu'ils approuvent.
Du même fonds dont on néglige un homme de mérite,
l'on sait encore admirer un sot.
^ Un sot est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit
pour être fat.
1. Esprit detociétéf etprit de eùtnmeree, deox expreMions tnioiiyines. j
9. A concevoir des préventioD s. ;
DES JUGEMENTS. 257
f fTnfat est celui que les sots croient un homme démérite.
îf L'impertinent est un fat outré. Le fat lasse, ennuie,
dégoûte, rebute ; Timpertinent rebute, aigrit, irrite, offense ;
il commence où Tautre finit.
Le fat est entre Pimperlinent et le sot; il est composé de
Tun et de Tautre. *
^ Les vices partent d'une dépravation du cœur ; les dé-
fauts, d'un vice de tempérament; le ridicule, d'un défaut
d'esprit.
L'homme ridicule est celui qui, tant qu'il demeure tel, a
les apparences du sot.
Le sot ne se tire jamais du ridicule, c'est son caractère ;
l'on y entre quelquefois avec de l'esprit, mais l'on en sort.
Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule.
La sottise est dans le sot, la fatuité dans le fat, et l'im-
pertinence dans l'impertinent : il semble que le ridicule ré-
side tantôt dans celui qui en effet est ridicule , et tantôt
dans l'imagination de ceux qui croieht voir le ridicule où il
n'est point et ne peut être.
f La grossièreté, la rusticité, la brutalité peuvent être
les vices d'un homme d'esprit.
% Le stupide est un sot qui ne parle point, en cela plus
supportable que le sot qui parle.
^ La même chose souvent est, dans la bouche d'un
homme d'esprit, une naïveté ou un bon mot, et, dans celle
du sot, une sottise.
^ Si le fat pouvait craindre de mal parler, 11 sortirait de
son caractère.
% L'une des marques de la médiocrité de l'esprit est de
toujours conter.
^Le sot est embarrassé de sa personne; le fat a l'air
libre et assuré ; l'impertinent passe à l'effronterie : le mérite
a de la pudeur.
^ Le suffisant est celui en qui la pratique de certains dé-
tails, que l'on honore du nom d'affaires, se trouve jointe à
une très-grande médiocrité d'esprit.
Un grain d'esprit et une once d'affaires * plus qu'il n'en
entre dans la composition du suffisant, font l'important.
f . Le grain est 1« 176* partie d'nbe onee, qui est eUe^nAmê Im 16* partie
d*une livre.
17
258 CHAPITRE Xn.
Pendant qu'on ne fait que rire de Timportant, il ii*a pas
un autre nom ; dès qu'on s'en plaint, c'est l'arrogant.
^ L'honnête homme tient le milieu entre l'habile homme
et l'homme de bien, quoique dans une distance inégale de
ces deux extrêmes.
La distance qu'il y a de l'honriete homme à l'habile
homme s'affaiblit de jour à autre, et est sur le point de dis-
paraître.
L'habile homme est celui qui cache ses passions, qui en-
tend ses intérêts, qui y sacrifie beaucoup de choses, qui ^
su acquérir du bien ou en conserver.
L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grand»
chemins, et qui ne tue personne, dont les vices enfin ne sont
pas scandaleux.
On connaît assez qu'un homme de bien est hounête
homme; mais il est plaisant d'imaginer que tout honnôtçi
homme n'est pas homme de bien.
L'homme de bien est celui qui n'est ni un saint ni ua ié-
vot V et qui s'est borné à n'avoir que de la vertu.
^ Talent, goût, esprit, bons sens, choses différentes, non
incompatibles.
Entre le bons sens et le bon goût il y a la différence de la
cause à son effet.
Entre esprit et talent il y a la proportion du tout h 8«
partie.
Appellerai-je homme d'esprit, celui qui, borné et renfermé
dans quelque art, ou même dans une certaine science qu'il
exerce dans une grande perfection, ne montre hors de là ni
jugement, ni mémoire ; ni vivacité, ni mœurs, ni conduite $
qui ne m'entend pas, qui ne pense point, qui s'énonce mal ;
un musicien , par exemple, qui, après m'avoir comme en-
chanté par ses accords, semble s'être remis avec son luth
dans un même étui, ou n'être plus, sans cet instrument,
qu'une machine démontée, à qui il manque quelque chose,
et dont il n'est pas permis de rien attendre?
Que dirai-je encore de l'esprit du jeu? pourrait-on me le
déûnir T Ne faut-il ni prévoyance, ni finesse, ni habileté pour
jouer l'hombre ou les échecs? et sll en faut, pourquoi voit-
on des imbéciles qui y excellent, et de très-beaux génies qui
I. Faux àéyoX{Noi$ de la Bruyirt^
DES JUGEMENTS* 259
n'tsAt pu même atteindre la médioorité, ft qui un» pièce ou
une oaita dans les mains trouble la vue, et fait perdre «o^t
tenaaca?
Il 3r a dans le monde quelque chose, s*il se peut, de plm
incompréhensible. Un homnfe parait grossier*» lourd, «t^r
pide; il ne sait pas parler, ni raconter oe qu'il Tient de TOir ;
s'il se met à é<krire* e'esl le modèle de« bo&s contes ; U i^M
parler les animant, les arbrea, les pierres, tout es qui ne
parlé point i ee n'est que légèreté, qu'éléganoe, que l^tU
naturel, et que délioatesae dans ses eufrages^
^ Un autre ^ est simple, timide, d'uiie ennuyeuse eonver^
satioa$ il prend un mot pour un autrov et il ne juge de te
bonté de sa piéoe que par Pavgent qui lui en reyie^t; il
ne sait pas la réoiter, ni lire son éeritare. Laisses-le s'éle*
Ter par là composition : il n'est pas au-dessQUs d'Anou^TSi
de PoifTÉi, de NmosiÉnB, d'HÉKACiiixn ; il est roi, et ui^ grauÂ
roi ; il est politique, il est philosophe ; il entreprend de Uit^t
parler des héros, de les faire agir; il peint les Roo^ai^s:
ils sont plus grands et plus Romains dans ses Teis que dsQt
leur histoire.
Youles«-ToUs quelque autre prddige? GonesTesun bemme
faoile, doux, oottiplaisant, treitable ; et Ifout d'un oesp vio^
lent, e^ëre, fougueux , caprioieui : imaginea»Toaa uu
homme simple, ingénu , erédule, badlû, Toli^ge, un enfant
en oheTeuz gris*) iliais permettez-lui de se reeueiUir, eu
plutôt de se liTter à u|i ^énie qui agit en lui , j'tee dire»
sans qu'il y prenne part, et comme à son insu t quelle
Terve 1 quelle éléTationl quelles images l quelle latiullél ^
Parlez-Tous d'une même personne? me direz-TOus. — Oui,
du même, de ThéQdmt et de lui seul. Il crie, il s'agite, il
se roule à terre, il se relèye, il tonne, il éclate $ et du mi^
lieu de cette tempête il sort une lumière qui brille et qui
réjouit. Disons-le sans figure t Q par)? cqmtjClt ^n fou, et
■
1. La Fontaine, qai viTait encore lorsqae pan)t C0 pqrtrMU
9. Corneille, mort depuis plusiea^ ftnDéai)« l^^porlriiitiist l^apt; mais
pourquoi cetie allusion cruelle aux plaintes qa'arrachaii au poe(e sa p»uyreiét
8. Portrait de Satitouil, chanoine oie Saini- Victor, le plus célèbre et le
pins élégant des poètes latins ihodernei, La Bruyère était ton ami, et lui
nisait directement les reproches qu'il adresse ici àthéodea. « Tou(et-feua
MTOlr la térité, mon cher monaienr? lui écrft*il on jour, le tobi ai fort
bien défini U premiên^ Pois. Vidus êtes le pins beau génie du monde et Ut
plea fertile imairinaiio)! ùu'il spH possible dé toendfvolri mais pour IM
eittiie SI m meliieM, Test èéit as eafisàt ds d^M ebe «1 demlk •
260 CHAPITRE XII.
«
pense comme un homme sage; il dit ridiculement des
choses vraies, et follement des choses sensées et raisonna-
bles : on est surpris de Yoirnattre et éclore le bon sens da
sein de la bouffonnerie, parmi les grimaces et les contor-
sions*. Qu'ajouterai-je davantage? Il dit et il fait mieux qu'il
ne sait : ce sont en lui comme deux Ames qui ne se con-
naissent point, qui ne dépendent point Tune de l'autre, qui
ont chacune leur tour ou leurs fonctions toutes séparées. Il
manquerait un trait à cette peinture si surprenante, si j'ou-
bliais de dire qu'il est tout à la foia avide et insatiable de
louanges, près de se jeter aux yeux de ses critiques , et.
dans le fond assez docile pour profiter de leur censure. Je*
commence à me persuader moi-môme que j'ai fait le por-
trait de deux personnages tout différents : il ne serait pas
môme impossible d'en trouver un troisième dans Théodas;
car il est bon homme, il est plaisant homme, et il est ex-
cellent homme.
% Après l^espiit de discernement, ce qu'il y a au monde
de plus rare, ce sont les diamants et les perles*.
^ Tel , connu dans le monde par de grands talents, ho-
norîé et chéri partout où il se trouve, est petit dans son
domestique et aux yeux de ses proches, qu'il n'a pu réduire
à l'estimer : tel autre au contraire, prophète dans son pays,
jouit d'une vogue qu'il a panni les siens et qui est resser-
rée dans l'enceinte de sa maison; s'applaudit d'un mérite
rare et singulier qui lui est accordé par sa famille, d<mt il
est l'idole, mais qu'il laisse chez soi toutes les fois qu'il sort,
et qu'il ne porte nulle pari.
1. Boileaa m fait une éplgrtmnw sar les'coatortioiit vno lesquelles Sid-
ienil récitait set vers :
Quand f aperçois sons ce portique
Ce nioïDe au regard fanatique,
Lisant des tere audacieux,
Faits pour les habiiants des cieai^
Ouvrir uoe l>oache effroyable^
S'agiter, se tordre les maios.
Il me semble en lui voir le diable
Que Dieu force à louer lea saints.
S. «Quel rapprochement biiarre et frivole pour dire que le discernement
est rare! s'est écrié la Harpe en citant ces deux ligues. Et puis les diamants
et les perles, sont-ce des choses si rares? » M. Saard,qui est d'un autre avis,
loue au contraire l'art avec loquet cette réflexion, « qai n*est que sensées,
est relevée par une image ou un rapport éloigné qui frappe resprit d'une
manière inailendoe. Si la Bruyère, ^oute-t-il, avait dit simplement que riea
. DES JUGEMENTS. 261
% Tout le monde s'élève contre un homme qui entre en
réputation : à peine ceux qu*il croit ses amis lui pardon-
nent-ils un mérite naissant, et une première vogue qui sem-
ble l'associer à la gloire dont ils sont déjà en possession.
L'on ne se rend qu'à l'extrémité, et après que le prince s'est
déclare par les récompenses : tous alors se rapprochent de
lui, et de ce jour<là seulement il prend son rang d'homme
de mérite.
% Nous affectons souvent de louer avec exagération des
honunes assez médiocres, et de les élever, s'il se pouvait,
jusqu'à la hauteur de ceux qui excellent, ou parce que nous
eommes las d'admirer toujours les mômes personnes, ou
parce que leur gloire, ainsi partagée ; offense moins notre
vue, et nous devient plus douce et plus supportable *.
^ L'on voit des hommes que le vent de la faveur pousse
d'iJbord à pleines voiles ; ils perdent en un moment la terre
de vue, et font leur route : tout leur rit, tout leur succède ';
action, ouvrage, tout est comblé d'éloges et de récom-
penses; ils ne se montrent que pour être embrassés et f^-
cités. Il y a un rocher immobile qui s'élève sur une côte;
les flots se brisent au pied; la puissance, les richesses, la
violence, la flatterie, Tautorité, la faveur, tous les vents ne
l'ébranlent pas : c'est le public, où ces gens échouent.
^ Il est ordinaire et comme naturel de juger du travail
d'autrui seulement par rapport à celui qui nous occupe.
Ainsi le poète, rempli de grandes et sublimes idées , estime
peu le discours de l'orateur , qui ne s'exerce souvent que
sur de simples faits; et celui qui écrit l'histoire de son pays
ne peut comprendre qu'un esprit raisonnable emploie sa
vie à imaginer des fictions et à trouver une rime : de même
le bachelier*, plongé dans les quatre premiers siècles, traite
toute autre doctrine de science triste, vaine et inutile, pen-
dant qu'il est peut-être méprisé du géomètre.
f Tel a assez d'esprit pour exceller dans une certaine
n'eot plus rare gae l'esprit de discernement, on n'aurait pas troaTé cette
réflexion digne d'être écrite. »
1. « Nous éleyons la gloire des ans pour abaisser celle des autres* »
(La Kochefoucauld.)
3. Tout leur réassiu Molière, daos Don Garciif III, 1 :
Ces maximes, un temps, leur peuvent sxiccédtr,
1. En druii canon ou en théologie.
SftS CBAPiras m.
watièn ttl en fairt dis lagons, <{«i cm maftqvie pMirVoir
^u'ii doit se taire sur qualque autre dont il n'a qu^une faible
oonoaissaaca x il sort hardiment dss limiieê ds son gtinie,
mais il s'égare, et fait que rhomme iUastre parle comme
un sot.
f HinU$^ soit qu'il parle» qu'il karangue ou qu^il éerite,
veut citer : il*fait dirs au prince des philosophes ' qoe le Tin
enivre, et à l'orateur romain * que Teau le tempère» 0'il se
jette dfms la morale^ ee n'est pss lui» c'est le dîTin Platon
fuiessure (|Qe la vertu est aimable, le vice odieux, eu que
l'un et Vautre se tournent en habitude» Les ohoses les plus
communesi les plus triviales, et qu'il est même capable de
l^neer» il vaut les devoir aux anciens, aui Latins, aux
Grecs ; c# n'est ni pour donner plus d'autorité à ee qu'il dit,
m peuuétM pour ee laire honneur de ee qu'il sait i il veut
lûtar.
T C'est souvent hasarder un bon mot * et touloir le' peiv*
4re que de le donner pour sien : il n'est pas relève, il tombe
avec des gens d'esprit , ou qui se croient tele, qui ne l'ont
pas dit, et qui devaient le dire. C'est au contraire le ûiire
valoir que de le rapporter comme d*un autre t ee n'est
qu'un fait, et qu'on ne se croit pas obligé de savoir ^ il est
dit avec plus d'insinuation et regu avee moins de jalousie;
personne n en souffre c on rit s'il ftiut rire, et s'il faut ad-
Siirer, ou admire.
f On a dit de SocauTS qu'il était en délire, ei que estait
un feu tout plein d'esj^t \ mais ceux des Oreos qui paN
1. Artstssi.
3. Cicéron.
3. Hasarde le soccet d'un bon mot.
4. Ménage Hl es eelti phriee «ne teeSftdittiffe btétorique, et èntit née
ISitre qu*il écrini à J« Brwyèraf il dis<Hiu Is vuleurdu iMi»ftM|e de Diogène
Laerce qui avait dii, pénoaitil, l'induire en ernur.. Dans sa rc|>un8a
la Bruyère cita, pelir delSendre èi«ii ftâsenii>n, diveri!(e6 phrases de Diogène
44Mroe qui la reiidaieni vraisembUt>le s nutia, av«a( ^Wriver è ces re-
présailles d'érudition, il lit a Ménage celte uincessiun et cet aveu : mPou<>
ee qui regarde Socrate, je n'ai trouvé nulle part qu'on ait dit de lui en
Ëropres terineti ^ue c'était un t'ou tout plein d'e:i> rit : façon de parler à
ion avfft Impertinente et pourtant en usage, que j'ai essaye de àecréditer
en la faisant servir puur Sociaie, comme Ton s'en t>eri aujuurd'bui pour
êiflhmer les personnes les plus sages, mais qui, >'elevaut au-dessus d'une
murale basse et secrète qui règne depuis ^i lungiempâ, se disiinguent dana
leurs ouviagcs par ia hardiesse et la vivacité de leurs traits et par la
beauté de leur imagination. Aïdsî Sooratt ici a'eapaa Socraie: c'est un
nom qui en cache un . auiie... • ëi cet autre uoui pourrait bien être celui
de la Bruyère. C'est ce que le pédant Ménage n'avait pas compris. « Vuoa
DES JUGSMBlfTS. 863
Iticnt aioti d'ttt homme si sage paesaient pour feus. Ils
disaient : « Quels biiarres portraits nous fait o^ philosopbel
quelles mœurs étranges et p^irtiouliéres ne déorit-il point!
eu a-t*il rêvé , creusé , rassemblé des idées si extraordi*-
naires? quelles couleurs I quel pinceau I ce sont des chi-
mères, t lis se trompaient : c'étaient des monstres, c'étaient
des vices, mais peints au naturel ; on croyait les roir, ils
faisaient peur. Socrate s'éloignait du cynique ; il épargnait
les personnes, et hlâmait les mœurs qui étaient mauvaises.
% Celui qui est riche par son savoiiwfaire eonnatt un phi-
losophe, ses préceptes^ sa morale et sa conduite; et, n4-
maginant pas dans tous les hommes une autre fin de toutes
leurs actions que celle qu'il c'est proposée lui-même toute
ta vie, dit en son cœur i c Je le plains, je le tiens échoué,
ce rigide censeur; il s'égare, et il est hors de route; ce
n'est pas ainsi que Ton prend le Ytnt, et que l'on arrive au
délicieui port de la fortune ; » et, selon ses principes, il
iftisonne juste.
Je pardonne, dit Antiêthiuê, à ceux que j*ai loués dans
mon ouvrage, s'ils m'oublient : qu'ai-je fait pour eux? ils
étaient louables. Je le perdontierais moins à tous ceux dont
j'ai attaqué les vices sans toucher à leurs personnes , s'ils
me devaient un aussi grand bien que celui d'être corrigés;
mais comme c'est un événement qu'on ne voit point, il suit
de là que ni les uns ni les autres ne sont tenus de me faire
du bien.
L'on peut, ajoute ee philosophe, envier ou refuser à mes
écrits leur rëcompeuBC ; on ne saurait en diminuer la répu-
tation; et, si on le fait, qui m'empêchera de le mépriser?
^ Il est bon d'être philosophe , il n'est guère utile de
passer pour tel. Il n'est pas permis de traiter quelqu'un de
philosophe : ce sera toujours lui dire une injure, jusqu'à ce
qu'il ait plu aux hommes d'en ordonner autrement, et, en
restituant à un si beau nom son idée propre et convenable,
de lui concilier toute l'estime qui lui est due.
^ Il y a une philosophie qui nous élève au-dessus de
l'ambition et de la fortune, qui nous égale, que dis-je?qui
êtes un foQ tout plein d'esprit i » c'est U en effet ce que Ton- disait,
ce que l'on écrivait à l'auteur des Caractèreêf et U réflex&ou que nous an«
Dotons est la réponse qu'il faisait^ une fois pour toutes, à ce désobligeant
cumpliment.
264 CHAPITRE XU.
nous place plus haut que les riches» que les grands et que
les puissants; qui nous fait négliger les postes et ceux qui
les procurent; qui nous exempte de désirer, de demander,
de prier, de solliciter, d'importuner, et qui nous sauve
même Témotion et Fexcessive joie d'être exaucés. Il y a une
autre philosophie qui nous soumet et nous assujettit à toutes
ces choses en faveur de nos proches ou de nos amis : c'est
la meilleure.
f C'est abréger, et s'épargner mille discussions, que de
penser de certaines gens qu'ils sont incapables de parler
juste, et de condamner ce qu'ils disent, ce qu'ils ont dit, et
ce qu'ils diront.
^[ Nous n'approuvons les autres que par les rapports que
nous sentons qu'ils ont avec nous-mêmes; et il semble
qu'estimer quelqu'un, c'est l'égaler à soi \
% Les mêmes défauts qui, dans les autres , sont lourds et
insupportables, sont chez nous comme dans leur centre; ils
ne pèsent plus, on ne les sent pas. Tel parle d'un autre, et
en fait un portrait affreux, qui ne voit pas qu'il se peint lui-
même *.
Rien ne nous corrigerait plus promptement de nos dé-
fauts que si nous étions capables de les avouer et de les
reconnaître dans les autres : c'est dans cette juste distance
que, nous paraissant tels qu'ils sont, ils se feraient haïr
autant qu'ils le méritent.
% La sage conduite roule sur deux pivots, le passé et
l'avenir. Celui qui a la mémoire âdèle et une grande pré-
voyance est hors du péril de censurer dans les autres ce
qu'il a peut-être fait lui-même, ou de condamner une action
dans un pareil cas, et dans toutes les circonstances où elle
lui sera un jour inévitable.
f Le guerrier et le politique, non plus que le joueur ha-
bile, ne font pas le hasard, mais ils le préparent , ils l'atti-
rent, et semblent presque le déterminer. Non-seulement ils
savent ce que le sot et le poltron ignorent, je veux dire se
i. » Il n'y a point d'homme qui se croie, en chacuDe de ses qualités, au-
dessous de Tbomme du monde qu'il estime le plus*, m (La Uocheipucnuld).
2. «I Cent fois le jour nous nous mocquons de nous sur le subjeci de
nostre voisin, et détestons en d'auUres les déraulis qui sont en nous plus
clairement. » (Moutaiisue, 111, s.) Rappelons encore la table de La Oetace de
DES JUGEMENTS. 265
serrir du hasard quand il arrive ; ils sayent même profiter,
par leurs précautions et leurs mesures, d^un tel ou à^xm tel
hasard, ou de plusieurs tout à ]a fois : si ce point arrive,
ils gagnent; si c'est cet autre, ils gagnent encore; un même
point souvent les fait gagner de plusieurs manières. Ces
hommes sages peuvent être loués de leur bonne fortune
comme de leur bonne conduite, et le hasard doit être ré-
compensé en eux comme la vertu.
^ Je ne mets au-dessus d'un grand politique que celui
qui néglige de le devenir , et qui se persuade de plus eu
plus que le monde ne mérite point qu'on s'en occupe.
^ Il y a dans les meilleurs conseils de quoi déplaire : ils
viennent d'ailleurs que de notre esprit; c'est assez pour
être rejetés d'abord par présomption et par humeur, et sui-
vis seulement par nécessité ou par réflexion.
^ Quel bonheur surprenant a accompagné ce favori pen-
dant tout le cours de sa vie l quelle autre fortune mieux
soutenue, sans interruption, sans la moindre disgrâce 1 les
premiers postes, l'oreille du prince, d'immenses trésors,,
une santé parfaite^ et une mort douce. Mais quel étrange
compte à rendre d'une vie passée dans la faveur , des con*
seils que l'on a donnés, de ceux qu'on a négligé de donner
ou de suivre, des biens que l'on n'a point faits, des maux
au contraire que l'on a faits , ou par soi-même ou par les
autres; en un mot, de toute sa prospérité 1
^ L'on gagne à mourir d'-être loué de ceux qui nous sur-
vivent, souvent sans autre mérite que celui de n'être plus :
le même éloge sert alors pourCATON et pour Pison \
« Le bruit court que Pison est mort. C'est une grande
perte : c'était un homme de bien et qui méritait une plus
longue vie; il avait de l'esprit et de l'agrément, de la fer-
meté et du courage ; il était sûr, généreux, fidèle, i — Ajou-
tez : < pourvu qu'il soit mort. »
f La manière dont on se récrie sur quelques-uns qui se
distinguent par la bonne foi, le désintéressement et lapro-
1. L'auteur personnifie en Gaton Thomme vertueux ; Pison est sans doute
le beau-père de César, celui que Cicéron attaque dans sa harangue in Pi-
êotknn.-^ Boileau a dit de même en parlant du poêle (£pllr« VU, rera 15) >
Ja mort seule ici^bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie,
Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits,
£t doaner à lei vert leur légitime prix.
S66 CHAPITRB XU,
bité, n'est i^ \9fk% letir éloge qae le déorédltsnu&t du geiire
bumain,
% Tel soulage les ipisëraMes, qui néglige «a famille et
laisse son fils dans Tindigence ; un autre élèye un nouvel
édifice, qui n'a pas encore payé les plombs d'une maison
qui est acbeyée depuis iU années ; un troisième fait des
présents et des largesses, et ruine ses oréaneievs. Je de*
mande : la pitié, la libéralité, la magnificeiiee, sont^ les
vertus d'un bomme iojuste? ou plutôt si la bizarrerie «t la
yanité ne sont pas les causes de l'injustice»
% Uoe circonstance essentielle à la justice que Ton doit
aux autres, c'est de la faire promptement et sans différer :
la faire attendre, c'est injustice.
Ceux-là font bien, ou font ce qu'ils doitrent) qui font oe
qu'ils doivent. Celui qui, dans toute sa conduite » laisse
longtemps dire de soi qu'il fera bien, fait très-maL
f {i'oB dit d'un grand qui tient table deux fois le jeu^, et
qçi passe ^ vie k Caire digestion, qu'il meurt de faim, pour
exprimer qu'il n*est pas ricbe, ou que ses affkirss sent fort
m^uyaises : c'est une figure ; on le dirait plus à la lettre de
ses créanciers.
% L'bonnéteté, les égards et la politesse des personnes
avancées en âge, de Tun et de l'autre sexe , me donnent
bonne opinion de ce qu'on appelle le vieux temps.
% C'est un excès de confiance dans les parents d'espéré?
tout de la bonne éducation de leurs enfants , et une grande
erreur de n'en attendre rien et de la négliger.
% Quand il serait vrai, ce que plusieurs disent, que l'é-
ducation ne donne point à Tbomme un autre cœur ni une
antre complexion, qu'elle ne change rien dans son fond et
ne touche qu'aux superficies, je ne laisserais pas de dire
qu'elle ne lui est pas inutile.
% Il n'y a que de l'avantage pour celui qui parle peu, la
présomption est qu'il a de l'esprit; et, s'il est vrai qu^l n'en
manque pas, la présomption est qu'il l'a excellent.
% Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans
la politique.
% Le plus grand malheur, après celui d'être convaincu
d'un crime, est souvent d'avoir eu à s'en justifier. Tels arrêts
nous déchargent et nous renvoient absous, qui sont infir-
més par la voix du peuple.
DES JUGSM5NTS. S67
f Un homme est fidèle & de certaines pn^tlqp^fl 4^ reli-
gion, on le voit ^*en acquitter avec exactitude ; per^oupene
le loue ni ne le désapprouve, ou n'y pense pas, Tel autre y
revient après les avoir négligées dix années entières ; on se
récrie, ou l'exalte ; cela est lit)re * : moi, je 1^ bi^me d'un si
long oubli de ses devoirS| et je le trouve l^e^rf^^L d'y ^tre
rentré.
f Le flatteur u*a pas ^se» boi^ne Opinion 4^101^1 i^s
çiutres'.
^ Tels sont oubliés dans la distributioa des grftc^, et font
dire d'eux : Pourquoi Us cuMt^r î qui, si Ton s'eu é^t sou-
Tenu, auraient fait dire : Pourquoi s'en souvenir? D'où vient
cette contrariété? £st-oe du ç^rapt^re de ces personnes»
ou de rincertit^de de nos jUgQff^ÇQt^» ou n;^6me de tçua les
deux ?
% (.'on dit communément : « Après un teU qui sera q^smt
celier? qni çera primat des Çrau}ea*?qui sera pape? » On va
plus loin: chacun, selon ses spubai^ PU sob çapriee» Uit
sa promotion, qui est souvent do gens plus vieux et plus
caducs qne celui qui efft en plao^; et comme il n'y a pas de
raison qu'une dignité tne celui <iui s'en trouve revêtu,
qu'elle sert aU contraire à le rajeunir, et à donner an eoi^s
et à l'esprit de nouvelles ressources, ce n'est pas un évé-
nement fort rare à un titulaire d'enterrer son successeur,
% La disgrâce éteiut les baines et les jalousies. Celui-rlà
peut bien faire, qui ne noua, aigrit plue par nue grande fa-
veur : il n'y a aucun mérite, il n'y a sorte de vertus, qu'on
ne lui pardonne; il serait un héros impunément*
Rien n^est bien d'un homme disgracié ; vertus m^te,
tout est dédaigné, ou mal expliqué, ou imputé à vice ; qu'il
ait un grand cœur, qu'il ne craigne ni le fer pi le feu, ^u'il
aille d'aussi bonne grâce à l'ennemi que Bâtard et Montre-
vsL^, c'est un braTacbe; «n #& idaUaatet il n'a pltts de
<tfWi Aire fm kérosw
1. Cela est peimiA.
8. ne soi, fMiiftqu'il le floi4aiBB« à mi vM« ^«1 llwMre •! ^tt ; des tutres,
puidquMl les cn*ii dupes de ses flatteries.
3. C*est-à-dire arehevè(|tie dc'Lyon. Un primat Mt on ârebeirèque qui a
«ne supérioiiiêile juiidtciion »ur viusimrs arciievéquee. t'archeyèque de
LyoD pieaaii le tiire de piimai dea Gaales.
4. Mttn)u«9 de Monirt-vel, ooiirmisBatre géiiéml de la cavalerie, lleute-
oaot géDerai \,Noteé$ la iiruyèrt), — Le nom du Bajrard, le chevalier sans
pear et sans reproche (1476-U34)| pettt se passer de tont commentaire;
268 CHAPITRB XU.
Je me contredis, il est vrai ; accusez-en les hommes, dont
je ne fais que rapporter les jugements ; je ne dis pas de dif-
férents hommes , je dis les mémes^ qui jugent si différeav-
ment '.
^ Il ne faut pas vingt années accomplies pour Toir chax^
ger les hommes d'opinion sur les choses les plus sérieuses
comme sur celles qui leur ont paru les plus sûres et le«
plus Traies. Je ne hasarderai pas d'arancer que le feu en
soi, et indépendamment de nos sensations, n'a aucune cha-
leur ', c'est-à-dire rien de semblable à ce que nous éprouvons
en nous-mêmes à son approche, de peur que quelque jour
il ne devienne aussi chaud qu'il a jamais été. J'assurerai
aussi peu qu'une ligne droite tombant sur une autre ligne
droite fait deux angles droits, ou égaux à deux droits, de
peur que» les hommes venant à y découvrir quelque chose
de plus ou de moins, je ne sois raillé de ma proposition.
Ainsi, dans un autre genre, je dirai à peine avec toute la
France : Yâuban est infaillible, on n'en appelle point : qui
me garantirait que dans peu de temps on n'insinuera pas
que môme sur le siège, qui est son fort et où il décide sou-
verainement, il erre quelquefois*, sujet aux fautes comme
ÀntiphOe?
% Si vous en croyez des personnes aigries l'une contre
Tautre, et que la passion domine, l'homme docte est unsa-
vantasse^ le magistrat un bourgeois ou un praticien, le
financier un malUHier, et le gentilhomme un gentilldtre:
mais il est étrange que de si mauvais noms, que la colère
et la haine ont su inventer, deviennent familiers, et que
le dédain , tout froid et tout paisible qu'il est, ose s'en
servir,
f Vous vous agitez, vous vous donnez un grand mouve-
nutis le nom de MontreTel, bien que trèe-eonno à la ooar, exigeait une an-
notation. Ce nom, comme l'a prédit Saint-Simon, ne se trouve guère dans
les histoires; mais celui qui le portait avait une bravoure à laquelle Saint-
Simon lui-même, qui le baissait, a été forcé de rendre justice. Montrevei,
qui venait d*être nommé lieutenant général , devint mHréchal en 1703, et
mourut, quelques années après, de reffroi que lui causa une salière ren-
versée.
i. C'est la doctrine que nescartes avait fait prévaloir.
par
tion
mais
n'avait point suivi le plan qu'il avait àoiiné. »
DBS JUGEMENTS. 269
ment, sartout lorsque les ennemis commencent à fair et
qne la yictoire n'est plus douteuse, ou devant une ville après
qu^elle a capitulé ; vous aimez, dans un combat ou pen*
dant un siège, à paraître en cent endroits pour n'être nulle
t>art, à prévenir les ordres du général de peur de les suivre,
et à chercher les occasions plutôt que de les attendre et
les recevoir : votre valeur serait- elle fausse?
% Faites garder aux Hommes quelque poste où ils puis-
sent être tues, et où néanmoins ils ne soient pas tués : ils
aiment Thonneur et laTie*.
% A voir comme les hommes aiment la Tie, pouvait-on
soupçonner qu'ils aimassent quelque autre chose plus que
la vie; et que la gloire, qu'ils préfèrent à la vie, ne fût sou-
Tcnt qu'une certaine opinion d'eux-mêmes établie dans
l'esprit de mille gens ou qu'ils ne connaissent point ou qu'ils
n'eâiment point?
% Ceux qui, ni guerriers ni courtisans, vont à la guerre
et suivent la cour, qui ne font pas un siège, mais qui y as-
sistent*, ont bientôt épuisé leur curiosité sur une place de
guerre, quelque surprenante qu'elle soit, sur la tranchée,
sur l'effet des bombes et du canon, sur les coups de main,
comme sur Tordre et le succès d'une attaque qu'ils entre-
voient : la résistance continue, les pluies surviennent, les
fatigues croissent, on plonge dans la fange, on a à com-
battre les saisons et l'ennemi, on peut être forcé dans ses
lignes et enfermé entre une ville et une armée : quelles
extrémités ! On perd courage, on murmure. < Est-ce un si
grand inconvénient que de lever un siège? Le salut de
l'Ëtat dépend- il d'une citadelle de plus ou de moins? Ne
faut-il pas, ajoutent-ils, fléchir sous les ordres du Ciel, qui
semble se déclarer contre nous, et remettre la partie à un
autre temps? • Alors ils ne comprennent plus la fermeté, et,
t. « On ne vent point perdre la fie et on veut acquérir de la gloire. »
rta Rochefoucauld.)
3. Cet alinéa parut en 1693, un an après le siège et la pnse de Namar.
Un certain nombre de magioii ats et de financiers avaient assisté, par curio^
site, aux opérations du siège qui, sous les yeux du roi, était conduit par
Vaubao. Toutes les ciroonsunces que mentionne la Bruyère sont d'une
parfaite exactitude. l\ tomba, pendant la darée du siège, « de fbrieusea
pluie«, » comme dit Boileau, et « les gens de la cour commençaient à s'en-
nuyer de Toir si longtemps remuer de la terre, » suiTant l'expression de
Kacine *'^-*"*'"' ^^ nAIAkvck inor^niAnr ItnlIiinHida <'.nhni»n. nui dîriiTAait la de»
fense
avait
270 CHAPItAB XII.
i'ils «ftaieUt dit», ropiniâtrèté du fénéfâl, 411! M MtttI
«ontre les obstacles, qui s'anime pat la difficulté de Teti*
treprise, qui teille la Huit et s*eipose le jour pour la oofl**
duire à sa fio. Â-t*on capitulé? ces hommes ai découragés
relèvent l'importance de cette conquête, en pfédisent let
suites, exagéfODt la nécessité qu'il 7 ayait dé la faire, le
péril et la honte qui éuiTaient de s'en désister *, prouTent
que l'année qui noua oouirrait deê ennemis* était invincible.
Ils reviennent avec la couf , passent par les villes et les
bourgades, fiers d'être regardés de la bourgeoisie, qui est
aux fenêtres, comme ceux mêmes qui ont pfis la placé; ils
en triomphent paf les chemins, ili se eroient braves. Reve^
nus chez eux, ils vous étoufdlssent de flancs, de redansi
d3 ravelins, de fausse^braie, de oôurtinel et de obemin cou«
vert; ils rendent compte des endroits où Yenviê dé imt
les a portés, et où •/ ne laissait pas d*y avoif eu péfil^ des
hasards qu'ils ont courus, à leur fetoor, d'être pria ou tués
par l'ennemi i ils taisent seulement qu'ils ont eu peur.
f C'est le plus petit inconvénient du mondé que dé de«
meurer coart dans un sermon ou dans une hafangue ; il
laisse à l'orateur ee qu'il a d'esprit, de bon sens, d'imagi«
tion, de moBurt et de doetri&e ; il ne lui ôte rien 1 mais on
ne laisse pas de s'étonner que les hommes^ ayant voulu «ne
fois y attacher une espèce de honte et de ridicule, s'ejpo^
sent, par de longs et souvent d'inutiles diseouts, à en eou^
rir tout le risque.
f Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à
se plaindre de sa brièveté. Gomme ils le consument à s*ha*
biller, à manger, à dormir, à de sots dièoourS, k se résoudre
sur ee qu'ils doivent faire, et souvent à he rien faire, ils en
manquent pour leurs affaires ou pour leurs plaisirs. Ceux,
au contraire^ qui en font un meilleur usage en ont de reàte.
Il n'y a point de ministre si occupé qui ne sache perdre
chaque jour deux heures de temps; cela va loin {t la fin
d'une longue vie : et si le mal est eaoors plus grand dans
lés autres conditions des hommes, quelle perte inflpie nit
se fait pas dans le monde d'une chose si préeieass, et dont
l'ou se plaint qu'on n'a poiut asafei \
I. Ool evnent étéja rait* é'm déflistomcot»
t. Le eorps 4*armëe au inttréchal éê Lntémhfmté «iat en ê€b«e S«il«
laume, ([tti, a la tste as •• ses aenunea, a était av«n«9 pour aeeeurir mmmn
DBS JTTGEttSNTS. S71
f H y 8 des créatures de Dieu, qu'on af^^èlle dfts hom**
mes, qui ont une àme qui est esprit, dont toute la vie est
occupée et toute l'attention est réunie à scier du marbre :
oela est bien simple, c'est bien peu de chose. Il y en a
d'autres qui s'en étonnent, mais qui sont entièrement in-
utiles, et qui passent les jours à ne rien faire i c'est encore
moins que de scier du marbre.
% La plupart des hommes oublielit si fort qu'ils ont une
âme, et se répandent en tant d^actions et d'exercices où il
semble qu'elle est inutile, que Ton croit parler avantageu-
•ement de quelqu'un eu disant qu'il pense. Cet éloge même
est devenu vulgaire, qui pourtant ne met cet homme qu'au-
dessus da chien ou du cheyal.
If • A quoi vous divertissez-vous? à quoi passez-vous le
temps ? » vous demandent les sots et les gens d'esprit. Si ]d
réplique que c'est à ouvrir les yeux et à voir, à prêter l'o-
reille et à entendre, à avoir la santé, le repos, la liberté,
€6 n'est rien dire. Les solides biens, les grands biens, les
•euls biens, ne sont pas comptés, ne se font pas sentir.
« Jouet-vous? masquez- vous? » il faut répondre.
Est -ce un bien pour l'homme que la liberté, si elle peut
être trop grande et trop étendue, telle enûn qu'elle ne serve
qu'à lui faire désirer quelque chose ,^ qui est d'avoir moins
de liberté?
La liberté n'est pas oisiveté ; c'est un usage libre du
temps, o'est le choix du travail et de Texercice ? être libre,
en un mot, n'est pas ne rien faire, c'est être seul arbitre de
oe qu'on fait ou de ce qu'on ne fait point. Quel bien en ce
sens que la liberté I
% César n'était point trop vieux pour penser à la con-
quête de Tunivers' : il n'avait point d'autre béatitude h se
faire que le cours d'une belle vie, et un grand nom après
sa mort. Né fier, ambitieux, et se portant bien comme il
faisait, il ne pouvait mieux employer son temps qu'à con-
quérir le Inonde. ÀLEïANDRfe était bien jeune pour un des-
t. Yoyet'les Ptmétê de 1t. Pascal, chapitré 3t, çti il ait le eopiraim.
ifiot$ de la Bruyère.) voici la reflexion de pascal : « César était trop rieil.
ce me semble, pour l'aller amuser à conquérir le monde. Cet arnnsemeni
était bon à Alexandre : c'était un Jettne nomme qu'il éuit difficile dV-
litar I HMl# Oéatr défait êti« plus tahr» ti ->Gésar avall 16 àné quand U rat
Miné.
272 CHAPITRE XII.
sein si sërienx : il est étonnant que, dans oe premier âge,
les femmes ou le vin n'aient plus tôt rompu son entreprise.
f Un jeune prince', d'une rage auguste, l'amour et
l'espérance des peuples, donné du ciel pour prolonger
LA FiuCITfi DE LA TERRE, PLUS GRAND QUE SES AIEX7X, FILS
d'un Héros qui est son modèle, a déjà montré a l'univers»
par ses divines qualités et par une vertu anticipée, que
les enfants des héros sont plus proches de l'être que les
autres hommes*.
f Si le monde dore seulement cent millions d'années, il
est encore dans toute sa fraîcheur, et ne fait presque que
commencer ; nous-mêmes nous touchons aux premiers
hommes et aux patriarches : et qui pourra ne nous pas con-
fondre avec eux dans des siècles si reculiés? Mais si Ton
juge par le passé de l'avenir, quelles choses nouvelles nous
sont inconnues dans les arts, dans les sciences, dans la na-
ture, et j'ose dire dans l'histoire I quelles découvertes ne
fera-t-on point I quelles différentes révolutions ne doivent
pas arriver sur toute la face de la terre, dans les Ëtats et
dans les empires 1 Quelle ignorance est la nôtre ! et quelle
légère expérience que celle de six ou sept mille ans !
^ Il n'y a point de chemin trop long à qui marche lente-
ment et sans se presser : il n'y a point d'avantages trop
éloignés à qui s'y prépare par la patience.
^ Ne faire sa cour à personne, ni attendre de quelqu'un
qu'il vous fasse la sienne, douce situation, âge d'or, état de
l'homme le plus naturel.
^ Le monde est pour ceux qui suivent les cours ou qui
peuplent les villes : la nature n'est que pour ceux qui ha-
bitent la campagne ; eux seuls vivent, eux seuls du moins
connaissent qu'ils vivent.
% Pourquoi me faire froid, et vous plaindre de ce qui
m'est échappé sur quelques jeunes gens qui peuplent les
cours? Ëtes-vous vicieux, ô Thrasille? Je ne le savais pas,
et vous me l'apprenez : ce que je sais est que vous n'êtes
plus jeune.
1. Le dauphin, fils de Loais XIV. Cette flatterie fat imprimée dans 1m
|M édition en caractères ordinaires. A la 4* édition l'auteui* crut devoir la
faire imprimer en capitales. — En itf88. le dauphin commanda l'armée sur
les bords dn Rhin et se distingua au siège de Pbiiisbourg.
2. Contre la maxime latine et triviale {Not€ de la Bruyère). — Cette
maxime est celle-ci : Filii heroum noxœ.
DES JUGEMENTS. 273
Et TOUS qui voulez être offensé persoxmelleineiKt ée ce
que j'ai dit de quelques grands, ne criez-vous point de la
blessure d'un autre? Étes-vous dédaigneux, malfaisant,
mauvais plaisant, flatteur, hypocrite ? Je l'ignorais, et ne
pensais pas à vous : j'ai parlé des grands.
^ L'esprit de modération et une certaine sagesse dans la
conduite laissent les hommes dans l'obscurité : il leur faut
de grandes vertus pour être connus et admirés, ou peut-être
de grands vices.
% Les hommes, sur la conduite des grands et des petits
in^fféremment, sont prévenus, charmés, enlevés par la
réussite : il s'en faut peu que le crime heureux ne soit loué
comme la vertu même, et que le bonheur ne tienne lieu
de toutes les vertus. C'est un noir attentat, c'est une sale
et odieuse entreprise que celle que le succès ne saurait
justifier *.
% Les hommes, séduits par de belles apparences et de
spécieux prétextes, goûtent aisément un projet d'ambition
que quelques grands ont médité ; ils en parlent avec inté-*
rêt, il leur plan même par la hardiesse ou par la nouveauté
que Ton lui impute; ils y sont déjà accoutumés, et n'en
attendent que le succès, lorsque, venant au contraire à
avorter, ils décident avec confiance, et sans nulle crainte
de se tromper, qu'il était téméraire et ne pouvait réussir*.
^ Il y a de tels projets, d'un si grand éclat et d'une cou-
séquence si vaste, qui font parler les hommes si longtemps,
qui font tant espérer ou tant craindre, selon les divers in-
1. Toute la fin du chapitre, à partir de ce paragraphe, est consacrée à
Guillaume de Nassau, prince d'Orange, stathouder de Hollande, et à la ré-
volution de 1688 qui le plaça sor le trône d'Angleterre. Guillaume éult
Tennemi de la France; à ce titre, la Bruyère le haïssait; aussi la cause
de Jacques 11. détrôné par son gendre, a-t-elle trouvé en lui an défenseur
passionné, et s'esiril montré injuste pour Guillaume d'Oraoge; ses attaques
ont été toutefois plus modérées que celles du grand Arnauld, qui appelait
Guillaume le nouvel Hérode, le nouveau Néron, etc. — Cet alinéa et les
trois suivants ont été écrits en 1689.
2. Peu de temps avant que ne parût cette réflexion, qu'avait inspirée la
latte de Guillaume d'Orange et de Jacques II, Bnssy écrivait, de son côté,
sur le même sujet ; « L'Angleterre va nous donner une grande scène^ mon-
sieur. Quand les têtes couronnées en sont les acteurs, les spectateurs en
sont plus attentifs. Si le roi d'Angleterre réassit, ce sera un néros pour le
monde et pour le ciel. Si le prince d'Orange demeure le mettre, il n'en sera
paa de même. Les hommes ne jugent aujourd'hui des grands desseias que
par la tuccèa. Nous ne sommes pU^sdans le temps qu'on pensait ï
Oûod si deficiant tires, atuUcia eeriê
Lâus efit. (PropMCë, ii, I, i,)
IS
1T4 cxAHMi xa.
lérèli é0B yettpto, qtBie tMite là g loin et tonls la fortune
4*im honme y soBt eoBunise». H ae peut pas aroir paru
9ùT Im icèfie àtee un si bel appareil pour se retirer sans
l4en dira ; quelques aflVeux périls qu'û commence à prévoir
dans la suite de son e&ti^prise, il faut quHl Teniame t !•
«leindre nid pour lui est de la manquer.
f Dans un méohant homme il n'y a pas de quoi fkire un
gruid honme. Loues ses ^ues et ses projets, admires si
conduite, exagérez son habileté à se serrir des moyens
les plus propres et les plus eourts pour parrenir à ses fins:
•i ses fins sont maufaises, la prudence* n'y a aucune part;
«I où manqua la pnidenee, trouTec la grandeur, si vous le
yeuTOi.
^ Un ennemi est mort*, qui était à la tête dHine armée
formidable, destinée à passer le Rhin; il saraH la guerre,
et son expérience pouvait être secondée de la fortune ?
faek feux de joie a-t*on tusf qu^le fête publique? Il y a
dea hottmes, au contraire, naturelleneent odieux, et dont
l'arersion devient popnlaire t ce n*eaft poiqt précisément
par les progrès quils font, ni par la crainte de ceux qu'ils
peuvent faire, que la Toix du peuple éclate à leur mort, et
que tout tressaille, jusqu'aux enfonts, dès que Ton mar-
Bture daos les places que la terre eofin en est délivrée.
T temps! 6 mœurs ! s*écrie MrochYa, ô malheureux
siècle f siècle rempli de mauvais exemples, où là vertu
■ouiAre, où le crime domine, où il triomphe! Je veux être
un Lyeaon^ un MgisU^ roccasion ne peut être meilleure,
ni les conjonctures plus favorables, si je désire du m,QiQa de
fleurir et de praspénsr. Un hooana^ dit s % Je pMswai la
mer, je dépouillerai mon père de $oa patrimolae, ]e te
abassarai, liuu aa femme, aoa héritiar, de sas lerraa al de
■es 8tats, » eit, coftime il l'a dit, il Ta Mt. Ce qu'il devait
aiHprébeMier, o^était le raasanlinenl de pèusieon mm f»^
Sk €tx»r4«» Vy 4*0 ée LMimiM, k«u»^rèra é» IVttpener U %fu H ff. It
iMurtM 1a If a^ril IfiSo. S^eMieiawMiHaèaMè'MCiraÉlMt C MiyMinnt
aoiift t'ftvwii» dâi, \% t'MâM oM Mil to à» Ift M«ft de OulUMia» ^ %l «Mwaicr
azéris d«A f^us é» >wtk -• Gei ftliaé» , oè «e «Moire wa xma d'eotrgi*
Ift bftiaa d« l'utHMr «outra a»iltwii9% jpMUKe tsti.
8. Lycaoïit rai d'Aretdia, ^^m Jupiwr edtrifeii •• Im» foar 1» ^mhi^ de
•es meartres. — tgisthe, fils de Tbyes^e, et meurtrier d^Agftineiniion.
ks Tqujoara le prince d'Oraoge. Jacques II, comme on sait, éuds son
beftQ'-fiefe.
DES JU6HMENTS. 275
oncragd «a la pere^iMiiie dMn seul ro! ; mais ils tiennent
pour lui ; ils lui ont presque dit : t Passez la mer, dépouillez
TOtre père, montrez k tout l'unirers qu'on peut chasser un
roi de son royaume, ainsi qu^un petit sei^eur de son châ-
teau, en un fermier de sa métairie ; qu'il n'y ait plus de
différenoe entre de simples particuliers et nous t nous
somineslas de oes distinotions ; apprenez an monde que ces
peuples que Dieu a mis sons nos pieâs peuvent nous aban-
donner, nous trahir, nous livrer, se livrer eux-mêmes à nn
étranger, et qa*ils nat moins à craindre de nous que nous
d'eux et de leur puissance. » Qui pourrait voir des choses
si tristes avee des yeux secs et une âme tranquille? Il nV
a point de eharj^s qui n*aient leurs privilèges ; il n'y a au-
oon titulaire qui ne parie, qui ne plaide, qui ne s'agite
pour les défendre : la dignité )*oyaIe senle n'a plas de pri-
viléges; les rois eux-mêmes y ont itnoncé Un seul, tou-
jours boa et nsagnanime *, ouvre ses bras à une famille
iMilheUre«te; tous les autres se liguent comme pour se
venger de Ini, et de Tappui qu'il donne à une cause qui
leur est commune : Tesprit de pique et de jalousie prévaut
ches eux à Tintérêt de l^onneur, de la religion et de leur
Btat; estHse assez? k leur intérêt personnel et domestique;
il y va, je ne dis pas de leur élection, mais de leur succes'-
sioa, de leurs droits comme héréditaires : enfin, dans tous,
l'homme remporte sur le souverain. Uniprinee délivrait
l^uropc*, se délivrait lui-même d'un fatal ennemi, allait
jewir de la gloire d^avoir détroit un grand empire • : il la
néglige pour une guerre douteuse. Ceux qui sont nés arbi-
tres et médiateurs* temporisent ; et, lorsqulls pourraient
avoir déjà employé utilement leur médiation, lis la pro-
ittettent. pâtres I continue Heraclite, 6 rustres qui habi-
tes sous le chaume et dans les cabanes ! si les événements
ne vent point jusqu'à vous, si voue n'avez point le cœur
percé par la maMce des hommes, d on ne parle plus d'hom-
mes dtam vos contrées, mais seulement de renards et de
1. Louis XIV, qui reçut Jacques II à sa cour lorsqu'il s'enfuit devant
Guillaume, lui donna des secours, et lui offrit de nouveau i'hospilAlilé après
la défaite de la Boyn«.
9. L'empereur Léopold.
fw La Turquie.
%. Le pape Inoocent XI.
276 CHAPITRE XII.
loups-eerviers» receTez-moi parmi toui i manger yotra
pain Doir et à boire Teau de tos citernes I
% Petits bomines hauts de six pieds, tout au plus de sept,
qui TOUS enfermez aux foires comme géants, et comme des
pièces rares dont il faut acheter la vue, dés que vous allez
jusques k huit pieds; qui vous donnez sans pudeur de la
hautessê et de rëmtnence, qui est tout ce que l'on pourrait
accorder à ces montagnes voisines du ciel et qui voient les
nuages se former au-dessous d'elles; espèces d'animaux
glorieux et superbes, qui méprisez toute autre espèce, qui
ne faites pas même comparaison avec l'éléphant et la ba-
leine; approchez, hommes, répondez un peu à Démoerite.
Ne dites-vous pas en commun proverbe : deê loup9 ravis-
sants, des lions furieux^ malicieux comme un singe? Ei vous
autres, qui êtes- vous? J'entends corner sans cesse à mes
oreilles : Vhomme est un animal raisonnable* Qui vous a
passé cette définition? sont-ce les loups, les singes et les
lions, ou si vous vous Tètes accordée à vous-mêmes? C'est
déjà une chose plaisante que vous donniez aux animaux,
vos confrères, ce qu'il y a de pire, pour prendre pour vous
ce qu'il y a de meilleur. Laissez-les un peu se définir eux-
mêmes, et vous verrez comme ils s'oublieront et conune
vous serez traités. Je ne parle point, ô hommes, de vos lé-
gèretés, de vos folies et de vos caprices, qui vous mettent
au-dessous de la taupe et de la tortue, qui vont sagement
leur petit train, et qui suivent, sans varier, l'instinct de
leur nature : mais écoutez-moi un moment. Vous dites d'un
tiercelet' de faucon qui est fort léger, et qui fait une belle
descente sur la perdrix : c Voilà un bon oiseau » ; et d'un lévrier
qui prend un lièvre corps à corps : f C'est un bon lévrier. •
Je consens aussi que vous disiez d'un homme qui court le
sanglier, qui le met aux abois, qui l'atteint et qui le perce:
f Voilà un brave homme *. » Mais si vous voyez deux
chiens qui s'aboient, qui s'affrontent, qui se mordent et se
déchirent, vous dites :c Voilà de sots animaux»; et vous pre-
nez un bâton pour les séparer. Que si l'on vous disait que
tous les chats d'un grand pays se sont assemblés par milliers
t. Le tiercelet eit le mUe de quelques oiseaux de proie*
S. De nos ioors, un brave homfne est un bonn6te homme ; un homm$
brmu est un nomme plein de bravoure : c'est une distinction qui n'exitftiit
pas ail dii-sêptième sièoie, témoins Comeille, Racine «t la Brutèie.
DES JUGEMENTS. 277
dans une plaine» et qn'après avoir miaulé tout leur soûl, ils
se sont jetés aveo furear les uns sur les autres, et ont joué
ensemble de la dent et de la griffe ; que de cette mêlée il
est demeuré de part et d'autre neuf à dix mille chats sur
la place, qui ont infecté l'air à dix lieues de là par leur
puanteur, ne diries-vous pas : « Yoilà le plus abominable
êabbat dont on ait jamais ouï parler? » Et si les loups en fai-
saient de même, quels hurlements 1 quelle boucherie! Et si
les uns ou les autres vous disaient qu'ils aiment la gloire,
conclurieE-yous de ce discours qu'ils la mettent à se trou-
ver à ce beau rendez-vous, à détruire ainsi et à anéantir
leur propre espèce? ou, après l'avoir conclu, ne riries-vous
pas de tout votre cœur de Tingénuité de ces pauvres bêtes?
Tous avez déjà, en animaux raisonnables, et pour vous dis-
tinguet de ceux qui ne se servent que de leurs dents et do
leurs ongles, imaginé les lances, les piques, les dards, les
sabres et les cimeterres, et à mon gré fort judicieusement :
car, avec vos seules mains, que pouviez-vous vous faire les
uns aux autres que vous arracher les cheveux, vous égrati-
gner au visage, ou tout au plus vous arracher les yeux de la
tête ? au lieu que vous voilà munis d'instruments commo-
des, qui vous servent à vous faire réciproquement de larges
plaies, d'où peut couler votre sang jusqu'à la dernière
goutte, sans que vous puissiez craindre d'en échapper. Mais,
comme vous devenez d'année à autre plus raisonnables,
vous avez bien enchéri sur cette vieille manière de vous
exterminer : vous avez de petits globes * qui vous tuent
tout d'un coup, s'ils peuvent seulement vous atteindre à la
tête ou à la poitrine; vous en avez d'autres* plus pesants et
plus massifs, qui vous coupent en deux parts ou qui vous
ëventrent, sans compter ceux qui, tombant sur vos toits *,
enfoncent les planchers, vont du grenier à la cave, en en-
lèvent les voûtes, et font sauter en l'air, avec vos maisons,
vos femmes qui sont en couche, l'enfant et la nourrise : et
c'est là encore où git la gloire; elle aime le remue ménage^
et elle est personne d'un grand fracas. Vous avez d'ailleurs
des armes défensi\res, et, dans les bonnes règles, vous de-
vez en guerre être habillés de fer, ce qui est, sans mentiri
t. Dei baUes de moasqneu
3. Les boulets de canons.
S< Les bombes.
278 CHAPITRE XU.
une jolie parure, et qui me fkit soaTetiiT àt cet quatre paoca
célèbres que moatrait autrefois un charlatan, subtil oa-
Trier, dans une fiole où il avait trouvé le secr^ de les faire
vivre : il leur avait mis à chacune une salade ' en tète, leur
avait passé un corps de cuirasse, mis des brassards, des
genouillères, la lance sar la cuisse; rimi ne leur manquait,
et en cet équipage elles allaient par sauts et par bonds daas
leur bouteille. Feiguez un homme de k taille du mont Ath<» :
pourquoi non? une âme seraii-elle embarrassée d%nim«r
un tel corps? elle en serait plus au large : si cet homme
avait la vue assea subtile pour vous découvrir quelque part
•ar la terre avec vos armes offensif es et défensives, que
croyez-vous qu^il penserait de petits marmousets ainsi
équipés, et de ce que vous appelés guorre, cavalene, infan-
terie, un mémoraûe siège, une fameuse journée ? rfenten-
drai*je donc plus bourdonner d'autre chose parmi vous? le
monde ne se divise^t-il plus qu'en régiments et en compa-
gnies? tout e&t-il devenu bataillon ou escadron? /I a pris
une vilk^ il en a pris «ne êeeondé^ puit une froûtàne; il a
gagné une baiaUk^ deux batailles; il chasse Vennsmi^ il vainc*
sur mer, il vaine fur ierrs : est'^oe de quelqu'un de vous
autres, est-ce d*un géant, d'un A$hos, que vous parlez? Vous
avez surtout un homme pâle et livide* qui n'a pas sur soi
dii onces de chair, et que Ton croirait jeter à terre du
moindre souffle. Il fait néanmoins plus de bruit que quatre
autres, et met tout tn combustion; il vient de pêchel'en
eau trouble une île tout entière* : ailleurs*^, à la vérité, il
est battu et poursuivi ; mais il se sauve par les mdrais^ et
ne veut écouter ni paix ni trêve. Il a montré de bonne
heure ce qu'il savait faire : il a mordu le sein de sa nou^»
rice*; elle en est morte, la pauvre femme : je m'entends,
1. Sorte de casqne.
9. FoJfie a'eni ploie rarenent
s. Le roi Guillaume. Le porirait est eiaGt. Sa pftleay peripH à Boile^ ^
iire, en s'adressant à la Tille de Namur :
Dans Bruxelles Nassau bUmi
Commence à ureaUiler pour toi.
4. L'Angleterre.
5. En Hollande, oh Guillaume, en 1673, avait rompu les digues, ouvert les
écluses et arrêié rarmée française par l'enyahissement des eaux. — Turenne
disait que le pnnce d'Orange pouvait se Taoter d'avoir perdu plus de ba-
tailles qu'aucun général.
6. La Hollande, dont Guillaume entreprit de restreindre les libertés. Coi-
DIS jQcxmifs, 979
il suffit Bn «Q mot, il était né sujet, et U ne Pest plnt ; au
contraire, il est le mattre, et èeul <)u^l a domptes et mis
BOUS le ^ou^ vont à ta ehsrrne et labourent de bon courage »
ils semblent même appréhender, les bonnes gens» de pon-
Toir se déhet un jenr et de devenfr libres, eat ils ont étendu
laeottfroie et allongé )e fonet de celoi qui les fait mareber;
t)s n'oBblient rieb pooir aeorottre leur servitude; ils lui font
passer Teau pour se l^ire d'autres tassauk et s'acquérir de
sou^eaut domaines : il s*agit, il est trai, de prendre son
p^e et sa inère par les épaules et de les jeter hors de leut
maison; et Ih Mdelit dabs une si honnête entreprise. te$
g«ns de delà Peau* et ceux d'en deçà * se cotisent et met*
tent ehaoun du leur ptxxt se le rendre à eux tous àe Jour
en }our plus redoutable t les Picies et les Saxtms imposent si<k
lence àiix Èatûves , et ceux-ci aux Pfc^es et aux Saœons;
tous se peuvent vanter d'être ses humbles esclayes, et au-
tant qu'ils le souhaitent. Mais qu'entends-je de certains
personnages qui ont des couronnes, je ne dis pas des comtes
ou des marquis, dont la terre fourmille, mais des princes
et des souverains? ils viennent trouver cet homme dés
qu'il a sifflé, ils se découtrent dés son antichambre, et ils
ne parlent que quand on les interroge*. Sont-ce là ces
ffiéfiies princes si pointilleux, si formalistes sur leurs rangs
et sur leurs préséances, et qui consument, pour les régler,
les mois entiers dans une diète t Que fera ce nouvel m^«
ehont9* peur payer une si aveugle soumission, et pour
répondre à une si haute idée qu'on a dé lui? S'il se livré
une bataille, il doit la gagner, et en personne ; si rennemi
fait un siège, il doit le lui faire lever, et ave6 honte, à
moins que tout l'océan ne s&it entré lui et Tennemi : il ne
saurait moins faire en faveur de ses courtisans. César ^
leau «M 1* «talé «itdfllOB daœ |bt èdesit lapitoe éeNyDar, ISMqiPIl
parlera au Batave
Désormaig docile esclave.
I. heê Atttrlais.
3. Les Hollandais.
S. Lorftqoe Goiiiatttté tint à \t Haye en {601, le« prfnees Mgnéê aecoa-
rtifent auprès de lui, et rËlectenr de Bayière, parafi^il. dutaitendre pa«
flemment one audience dans une antichambre. L huniilité atec laquelle letf
{rinces qui se rendirent au congrès de la Haye prodiguèrent leurs respects
Tasurpatenr Ouillaume se ndatisa la cour de yersailles : on les titrait I
la risée publique dati8 les llbelle^ ei les carlcaiurei.
4. L'archonie était à Athènes le magistrat qui dirigeait la r^pabUi^ae.
ft. L'empereur.
^BO CHAPITRE Xn.
]uii>méine ne doit-il pas venir en grossir le nombre? il en
attend du moins d'importants services; car, ou Farchonte
échouera avec ses alâés, ce qui est pins difficile qu'impos-
sible à concevoir, ou, s*il réussit et que rien ne lui résiste
le voilà tout porté, avec ses alliés jaloux de la religion et
de la puissance de César, pour fondre sur lui, pour lui en-
lever VcUghy et le réduire, lui ou son héritier, à la fasce
d'argent * et aux pays héréditaires. Enfin, c'en est fait, ils
se sont tous livrés k lui volontairement, à celui peut-être
de qui ils devaient se défier davantage. Ésope ne leur di-
rait-il pas : La geiU volatile d'une certaine contrée prend
V alarme et s'effraie du voisinage du lion^ dont le seul rugis^
sèment lui fait peur : elle se réfugie auprès de la béte^ gui lui
fait parler d'accommodement et la prend sous sa protection
qui se termine enfin à les croquer tous Vun après l'autre.
CHAPrrRE xm.
DE LA MODE.
Une chose folle et qui découvre bien notre petitesse, c^est
l'assujettissement aux modes, quand on Tétend à ce qui
concerne le goût, le vivre , la santé et la conscience. La
viande noire* est hors de mode, et, par cette raison, insi-
pide; ce serait pécher contre la mode que de guérir de la
fièvre par la saignée. De même. Ton ne mourait plus depuis
bngtemps par Théotime; ses tendres exhortations ne sau-
vaient plus^ue le peuple, et Théotime a vu son succes-
seur*. ^^
% La curiosité * n*est pas un goût pour ce qui est bon ou
ce qui est beau, mais pour ce qui est rare^ unique, pour ce
1. Lai enlever l'empire et le réduire aux armes de la maison d'iatriche.
2. Le gibier.
3. PeDdaiit lonctttnps. noas disent les clefs, M. Sacbot, curé de Saint-Ger-
vais, avait entenda la aerniëre confession des gens de qualité. Peu à peu
l'un cessa de rappe>ler,etcefat de Bourdaloue que Ton voulut recevoir les
dernières exbortatiuns.
4. La définition qui suit nous dispense de nous arrêter sur le sens parti-
culier qu^offre ici ce mot. Le fleuriste, l'amateur de fruits, l'amateur d'es-
tampes, le bibliophile, etc., autant de types de cwrievx que la Bruyère pas-
sera successivement en revue.
DE LA MODE. 281
qu'on a et ce que les autres n'ont point. Ce n'est pas un at-
tachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, à
ce qui est à la mode. Ce n'est pas un amusement , mais une
passion, et souvent si yiolente qu'elle ne cède à l'amour et
à l'ambition que par la petitesse de son objet. Ce n'est pas
une passion qu'on a généralement pour les choses rares * et
qui ont cours, mais qu'on a seulement pour une certaine
chose, qui est rare, et pourtant à la mode.
Le fleuriste a un jardin dans un faubourg; il y court au
lever du soleil, et il en revient à son coucher. Vous le voyez
planté et qui a pris racine au milieu de ses tulipes et de-
vant la Solitaire : il ouvre de grands yeux, il frotte ses
mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l'a jamais
Tue si belle , il a le cœur épanoui de joie : il la quitte pour
V Orientale ; de là, il ya à la Veuve ; il passe au Drap d*or; de
celle*ci à V Agathe; d'où il revient enfin à la Solitaire *, où il
se fixe» où il se lasse, où il s'assied, où il oublie de dtner :
aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pièces emportées ;
elle a un beau vase ou un beau calice ; il la contemple , il
l'admire ; Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'ad-
mire point : il ne va pas plus loin que l'oignon de sa tulipe,
qu'il ne livrerait pas pour mille écus, et qu'il donnera
pour rien quand les tulipes seront négligées et que les
œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable qui a une
âme, qui a un culte et une religion, revient chez soi fa-
tigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vu des
ti^pes*.
Parlez à cet autre de la richesse des moissons, d'une
ample récolte, d'une bonne vendange ; il est curieux de
fruits; vous n'articulez pas, vous ne vous faites pas enten-
dre. Parlez-lui de figues et de melons, dites que les poi-
riers rompent de fruit cette année, que les pèchei^ ont
donné avec abondance : c'est pour lui un idiome inconnu ;
il s'attache aux seuls prunii^ , il ne vous répond pas. Ne
l'entretenez pas même de vos pruniers : il n'a de l'amour
que pour une certaine espèce, toute autre que vous lui nom-
mez le fait sourire et se moquer. Il vous mène à Tarbre ,
i, C'esi-à-dire pour les cbosas rirM en géDéntl.
% la Soittotre, VOrittUale. eic, uoms de variétés de taUpei.
S « U n*y a point de si petit cartotère qu'on ne puisse rendre sgréable
par le coloris; le flearista de la Bruyère en est la preute. » (VaaTenarguesJ
28â CHAHTRB xni;
eaeille àtfisMttiefii oétte yitme «R^aiât ; il iHniTfe , T»n en
éonne une moitié, et prend Tautre : t Quelle ebâ^r, dit-U;
goûtez-vous cela *T cela est-tl ditin? voilà ee q«M toos ne
trouverez pas ailleurs! » et IMessns ses Aatines s'evUei^
il cache avec peine sa joie et sa vanitépâr qtteiqiieaitohora
de modestie. Q l'homme divin, en effet) hodimé qu'on ■•
pent jamai» asset loner et admlfert hoflime dost II se»
parlé dans plusieurs siéclesl que je tôle sa tailla «I son -f^
sage pendant qûfl vit; que fobeerve \m tnits el 1« iumfe-
nance d*iin homme qni MUl eaxte )M stoileU poHèiie vas
telle prune !
On troisième, qtie vous allei voir, tous parie de» c\sti0aM^
ses confrères, et surtout de Dêôgnêlet* ie l'admire, dil>cl,<t
je le comiDrends moine que jamais. iPeMet-véus qu'il i^MToke
à s'instruire par les médailles, el' qu'il les regarde eomAte
des preuves parlantes de ceftainà foits, et des monametits
fixes elf indubitable^ de Fanciënfte histoire? rien moins. Tous
y^ croyez pëui-étre ^e toute la peine qu^l se donne pon^ fe«
couvrer une tête vient du plaisir qo4l se fait de ne voit pas
une suite d'empereurs Interrompue? c'est encore tn#kis.
Diognète sait d'une médaille le fruste, le flou, et la fkut dà
coin * ; il a une tablette dont toutes les places sont ^amieâ»
à rezception d'une seule : ce vide lui blesse là tue, et o'eel
préciséQient et à la lettre pour le remplir qu'il einploie son
bien et sa vie.
c Tous voulez, ajoute Démocêde, voir mes estampes? a et
bientôt il les étale et vous les montre. Vous en rencontres
une qui n*est ni noire, ni nette, ni dessinée, et d'aîlltnrs
moins propre à être gardée dans un cabinet quHt tapisser,
un jour de fête, le PetiV-Pont ou la rue Neuve* : il convient
qu'elle est mal gravée, plus mal dessinée; mais il assure
qu'elle est d'un Italien qui a travaillé peu, qu*elle n*a presqne
Jas été tirée , que b'est la seule qui 'soit en France de ee
éssin, qu*il Ta achetée trèâ-cher, et ^'îl ne la changerait
f. Cela esMl de totre goétw
2. Une médaiUe frmU est une médaHIe Ofté», sur laquelle te tjpe et U
légende sont effacés. — Flou vient de (luidus et se dit des roédalhes dont
les angles rentrants ei shillanis sont empalés. — • Une médaille à fleur de
coin est celle que le frotiemefit s'a ^a uaaa ^t %n.\ a«m^ avoir été iQut
réceriiment frappée par \e ooint
I. La Petit>Pont était alora cauvart da inaisians. On Iça taDissait df tan-
tureaet d'itMgea, ainai qu» calka 4a te rM KfiKfei^tets^aoïa» 1^ i^asa di9
procession.
DE lA IKUœ* 283
jfê» pouf ee qu'^ a do meilleur : c J*ai, coatinae^Mli une
sensible affliction, et qui m'obligera à renoncer aux estam-
pes pour le reste de mes jours : j'ai tout Callot\ hormis
une seule, qui n'est pas, à la vérité, de ses bons ouvrages;
au contraire, c'est un des moindres, mais qui m'achèverait
Gallot : je travaille depuis vingt ans i recouvrer cette es-
tampe, et je déaesp^e enfin d'y r^uwir; eela est bien
fiidel »
Tel autre lait la satire de oes gens qui s'engngent par ior
quiétude ou par euriosité daaa de l«flgs voyages, qui ne
iaoi ni mémoires ni lelatione» qui ne pertent po^àt de ta-
blettes; qui vont peur voir, et qui ne voient pas, ou qui
oublient ce qu'ils OAt vu, qui désirent seulement de oen-
naitre de nouvelles teutu ou de nouveaux clochers, et de
passer des rivières qu'on n'appelle ni la Seine ni la Ivoire;
qui sortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à
être absenta, qui veulent un jour être revenus de loin, fit oe
Mtirique parle juste, et se fait écouter.
Mais quand il ajoute que les livret en apprennent plus
que les voyages, et qu'il m'a fait comprendre par ses dis-
cours qu'il a une bibliothèque, je souhaite de la voir : je
vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison où,
dès l'escalier, je tombe en faiblesse d'nne odeur de HUro-
quin noir dont ses livres sont tous couverts. 11 a beau me
erisr aux oreilles, pour me ranimer, qu'ils sont dorés sur
tranche , ornés de filets d'or, et de la bonne édition, me
BommfT les meilleurs l'un après Neutre, dire que sa galerie
est remplie , à quelques endroits près, qui sont peints de
manière qu'on les prend pour de vrais livres arrangea sur
des tablettes et que TobII s'y trompe; ajouter qu'il ne lit
jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette galerie, qu'il y
viendra pour me faire plaisir; je le remercie de sa eomplai-
•anee, et ne veux, non plus que lui, visiter sa ^nnerie, qu'il
appelle bibliothèque.
Quelques-uns, par une intempérance de savoir, et par ne
pouvoir se résoudre à renoncer à aucune sorte die oonnais-
aance, les embrassent toutes et n*en possèdent aucune : ils
aiment mieux savoir beaucoup que de savoir bien, et être
faibles et superficiels dans diverses sciences que d*ètre sûrs
té Jaeqoei Gsllot, peintre, dessioatenr et gmeur (f9M*lSl»>«
284 CHAPITRE XUI.
et profonds dans une seule. Ils trouyent en tontes rencon«
très celui qoi est leur maître et qui les redresse; ils sont les
dopes de lear vaioe curiosité, et ne peuvent au plus, par de
longs et pénibles efforts, que se tirer d'nne ignorance
crasse.
D'autres ont la clef des sciences, où ils n'entrent jamais :
ils passent leur vie à déchiffrer les langnes orientales et les
langues du Nord, celles des deux Indes, celle des deux
pôles, et celle qui se parle dans la lune. Les idiomes les
plus inntiles, ayec les caractères les plus bizarres et les
pins magiques, sont précisément ce qui réyeille lenr pas-
sion et qui excite leur travail ; ils plaignent ceux qui se
bornent ingénument à savoir leur langue, ou tout au pins
la grecque et la latine. Ces gens lisent toutes les histoires,
et ignorent Thistoire; ils parcourent tous les livres, et ne
profitent d'aucun: c'est en eux une stérilité de faits et de
principes qui ne peut être plus grande, mais, à la vérité, la
meilleure récolte et la richesse la plus abondante de mots
et de paroles qui puisse s'imaginer : ils plient sous le fidx;
leur mémoire en est accablée, pendant que leur esprit de-
meure vide.
Un bourgeois aime les bâtiments ; il se fait bâtir nn hôtel
si beau, si riche et si orné, qu'il est inhabitable; le maî-
tre, honteux de s'y loger, ne pouvant peut-être se ré-
soudre à le louer à un prince ou à nn homme d'affaires se
retire au galetas, où il achève sa vie, pendant que l'enfilade
et les planchers de rapport* sont en proie aux Anglais et
aux Allemands qui voyagent, et qui viennent là du palais
Royal, du palais L.... G....* et du Luxembourg. On heurte
sans fin à cette belle porte; tous demandent à voir la mai-
son, et personne à voir Monsieur»
On en sait d'autres qui ont des filles devant leurs yeux,
à qui ils ne peuvent pas donner une dot ; que dis-je ? elles
ne sont pas vêtues, à peine nourries ; qui se refusent un
tour de lit * et du linge blanc, qui sont pauvres; et la source
de leur misère n'est pas fort loin : c'est nn garde-meuble
chargé et embarrassé de bustes rares, déjà poudreux et
1. Les planchera en marqueterie.
3. L'h6tel Lesdignières ou l'hôtel Langlée.
S. Ud tour de lit se compose de rideaux sospendu et fixés aatonr da lit.
DE LA MODE. 285
couverts d'ordures, dont la vente les mettrait an large, mais
qu'ils ne peuvent se résoudre à mettre en vente.
Diphile commence par un oiseau et finit par mille : sa
maison n'en est pas égayée, mais empestée ; la cour, la
salle, l'escalier, le vestibule, les chambres, le cabinet, tout
e6t volière. Ce n'est plus un ramage, c'est un vacarme; les
vents d'automne et les eaux dans leurs plus grandes crues
ne font pas un bruit si perçant et si aigu ; on ne s'entend
non plus parler les uns les autres que dans ces chambres
où il faut attendre, pour faire le compliment d'entrée, que
les petits chiens aient aboyé. Ce n'est plus pour Diphile un
agréable amusement, c'est une affaire laborieuse, et à la-
quelle à peine il peut suffire. Il passe les jours, ces jours
qui échappent et qui ne reviennent plus, à verser du grain
et à nettoyer des ordures. Il donne pension à un homme
qui n'a point d'autre ministère que de siffier des serins au
yfiageolet et de faire couver des Canaries*, 11 est vrai que ce
/qu'il dépense d'un côté, il l'épargne de l'autre, car ses en-
fants sont sans mattres et sans éducation. 11 se renferme le
soir, fatigué de son propre plaisir, sans pouvoir jouir du
moindre repos que ses oiseaux ne reposent, et que ce petit
peuple, qu'il n'aime que parce qu'il chante, ne cesse de
chanter. Il retrouve ses oiseaux dans son sommeil : lui-
même il est oiseau, il est huppé, il gazouille, il perche ; il
Téve la nuit qu'il mue ou qu'il couve.
Qui pourrait épuiser tous les différents genres de curieux?
Devineriez-vous, à entendre parler celui-ci de son Léopard,
de sa Plume, de sa Musique*, les vanter comme ce qu'il y
a sur la terre de plus singulier et de plus merveilleux, qu'il
veut vendre ses coquilles? Pourquoi non, s'il les achète au
poids de l'or ?
Cet autre aime les insectes ; il en fait tous les jours de
nouvelles emplettes ; c'est surtout le premier homme de
l'Europe pour les papillons : il en a de toutes les tailles et
de toutes les couleurs. Quel temps prenez-vous pour lui
rendre visite? il est plongé dans une amère douleur ; il a
1. Serins des lies Canaries. La Bruyère ëerit CatutrUi ooofonnément k
rétymologie, et non CcmarU, comme on le fiUt aii^ourd'hai. Le poète Sau-
tenil élevait ches lui an grand nombre de serins, «t c'eBt \v& que l*on a
voulu Mooimattre dans le personnage de nibhile»
Û. Nomà de coquillages. (iVo<«d« là Bt^yète,)
366 CHAFITRS XUI.
ITuunevr ftom, diigrioe, et é»Dt toute sa funitte touApe t
aussi a-t-il fait un« parte irréparable. Afkprochei, regardes
oe qu'il Toua montre aur aon doigt, qui n'a plus de yw et
qui Tient d^expirer : o'eat une ekeiîilley et quelle eke-
aille I
% Le duel «at la triomphe de la mode, et l'endroit oh efin
a exercé aa tyrannie avec plua d'éclat '• Cet usage n'a pas
laiaaé au poltron la liberté de viTrei il l'a mené se faire
tuer par un plus brare que soi, et Fa eonfiandn avec un
homme de ceaur; il a. attaché de l'honneur et de la gloire à
uf^ action fcUe et extravagante ; il a été approuvé par ht
présenoe des rois ; il y a eu quelquefois une eapèce de re*
îigioo à le pratiquer; il a décidé de rinoocenoe dea hommes,
dai acoaaations lausses ou véritablea sur des crimes capi^
taux*; il s'était enfin si prafoedément enraeiné dansTopi*
nien à9$ pe^ples, et s'était si fort saisi de leur coaur et de
leur esprit, qu'un des plus beaux endroits de la vie d'ia
txés-^raad roi ' a été de les guérir de cette folie.
% Tel a été à la mode^ on pour le commandement des np^
mées et la négociation*, eu pour Téloqu^ce de la duLire, on
pour les vers, qui n'y est plus. Y a*t-il des hommes qui âé«-
génèrent de ce qu'ils furent autrefois? estn» leur mérite fû
est usé, ou le gofikt que l'oii avait pour eux?
f Un homme à la mode dure peu, ear les modes pasecai t
s'il est par hasard homme de mérite, il n'est pas anéanti^
et il subsiste encore par quelque endroit : également eati-
m^bl9« iiBst seulement meies estieaé.
lA vertu a cela d'heureux, qu'elle se anffit k éUe*mème^
et qu'elle sait se passer d'admirateurs^ de partisan ei de
protecteurs i le maoque d'appui et d'approbati<m non^eenie»
ment ne lui nuit pas, mais il la conserve, l'épure et ht rend
paarfaite : qu'elle soit à la mode, qu'elle n'y soit ptes, eUe
demeure vertu.
% Si vous dites au hommes, et anrtout ans grande, qm'vn
tels delà vevtn, ils tous disent : % Qu'il la garde ; » qu'il a
1. Le plus d'éclat. Noas avonê déjà ta que plut atait songent la ndeor
du superlatif.
9. AMtwIuB aa duel Judiciaire. l*Dti de« dern!era duels jiKfidaireB est
cel»i qai eot lieu, le t^^oiltet f S47, tous les jeui de tienrf U e( do sa covr,
enm Jarnac et la Châtaigneraie.
3. Louis XIV, qui a rendu pltt8ie(h<8 dntotuttncas contre le tfoel. i
4. La diplomatie.
1» LA UOM. 9ê7
biaii àt l%8prlt) de edmi surtout qui plaît «I ^i «msas, fk
'v^iis répondent : « TMit ttienx pour lui; 9 qfa*i\ a l'esprit fort
eultité) qvUl «ait beaucoup, ils yoiis dasiandetit quelle heure
il est ou ^ue) tempe il fett. MâÎB si vous leur appreoes cpl'il
y a ufi 2^'lllrfi qui souffle ou qui feiti m nMe un veive d'eau^
de*?ie', et, chiose mervelileuse} qui j revient à plueieum
foie ea tm repM< ulere ils disent t s 04 estait ameaes^le-
iftoi deiBtin, ee soir; tne ramèttevMi^vous 1 1 On le leur amène;
et cet ^oHiBie, ff^pr% à pfeiet les av^aues d'une foire et à
être meatië eu okwasbM powr de i^MPgeat) iis l'admettent
daus leur fnslliarité.
Y H &*7 a rien qui iMOte plus «ttHtemenl un homme à la
msde tlxftA le irevkMTe davufitaf^ que le ^nmè feu : eek t&
du patr avec H crapule K Je yeudrais bien yeir un homme
C»H, eujeué, epirîtuel, fût^l ub GAtifLiG ou son drs(^plei,
Ire quelque eomparaiseu avec celui qui vient de perdre
hvtit eehts pis^i^s en une séance.
^ Utie peiteenufi à Ift mode rssîsemblu à une flmir bku&*
fini 9TfM de sd^-mérae dans le]| sillefts, oft elle étouflb le^
dpis, diminue là moisson, et tient la place et quelque chose
dfe meilleur ; qui n'a de prix et de beauté que ce qu'elle em*
prunte d^ft caprice léf^er qui naît et qui tombe presque
dans le même iustant : aujourd'hui elle est courue, tes fem-
mes s'en parent; demain elle est négligée, et rendue au
peuple.
Une persottnts de métîte, au uontraîre, est une fleur qu^otl
fie déMgne pas par sa couleur, mais que Ton nommt^ par son
nom, que rcn cultive pour sa beauté ou pour soû odeur •;
Tune des grâces de la nature, Tune de ces choses qui em^
bellissent le monde, qui est de tous les temps et dWe
vogue ancienne et populaire ; que nos pères ont estimde, et
que nous estimeas «prèe ne» pères; à qui le dégoût ou
rantipathie de qu(jli|ueaiHiaft na aatùrwi nnife 3 un lis, une
rose.
^ L^on voit Eiisttate assis dans sa nacelle, où il jouit dMn
t. TinBlliB, ffféCet 4m oohoflti in<itone»Mtv «éUèripHr mi délMHic)i«e.
^Soufflffr, jeter en êoAle uu iabler un verre d'eau-de-vie, l'avaler d'ua trail,
4«M \t alyielMBiii^r «t fNrovcrbial.
2. Cela va de pair avec Tivrognérie. Nous ateai Aâ|àito pias limM(p. iS7)
tom(H ùrmfmiô ikuM Le nèive ««m*
3. Les bluets furent, pendant quelqne le«pi,)a»lMrill te'iM<le»Lfe»
4ames portaicBi des liouqtieu é« J»liWHi*
288 CHAPITRE xni.
air pur et d'an cial serein : il avance d'un bon vent et
qui a toutes les apparences de devoir durer ; mais il tombe '
tout d*un coup, le ciel se couvre, Forage se déclare, un
tourbillon enveloppe la nacelle, elle est submergée : on
voit Ëustrate revenir sur Feau et faire quelquet^ efTcrts; on
espère qu'il pourra du moins se sauver et venir à bord ;
mais une vague l'enfonce, on le tient perdu; il parait une
seconde fois , et les espérances se réveillent, lorsqu'un
flot survient et Tablme * : on ne le revoit plus , il est noyé.
f Voiture et Sàrrazin * étaient nés pour leur siècle» et ils
ont paru dans un temps où il semble qu'ils étaient attendus.
S'ils s'étaient moins pressés de venir, ils arrivaient trop
tard; et j'ose douter qu'ils fussent tels aujourd'hui qu'ils ont
été alors. Les conversations légères, les cercles, la fine
plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites
parties où l*on était admis seulement avec de Tesprit, tout
a disparu. Et qu'on ne dise point qu'ils les feraient revivre :
ce que je puis faire en faveur de leur esprit est de conve-
nir que peut-être ils excelleraient dans un autre genre ; mais
les femmes sont, de nos jours, ou dévotes, ou coquettes, ou
joueuses ou ambitieuses, quelques-unes même tout cela à la
fois : le goût de la faveur, le jeu, les galants, les directeurs,
ont pris la place, et la défendent contre les gens d'esprit.
% Un homme fat et ridicule porte un long chapeau, un
pourpoint à ailerons^, des chausses à aiguillettes* et des
bottines : il rôve la veille par où et comment il pourra se
faire remarquer le jour qui suit. Un philosophe se laisse ha-
biller par son tailleur. 11 y a autant de faiblesse à fuir la
mode qu'à l'affecter*.
i. Iiy leveDt. ^
s. Et to précipite dans rabime. Ceti l« vni aeui dn mot:
Sera-moi de pbare, et (jarde d*ab<f mer
Ma nef qui flotte en si profoude mer.
(Ronsard.)
succès.
4. Les ailerons, petits bords d'étoffes qui couvraient les coutures du baut
des manches d'un pourpoint.
5. Oes chausses au bas desquelles eont attadiées, pour ornement, des
touffes de rubans on de cordons ferrés.
e. Tcuiàurs an pins grand ndobre on doit a^actommoder.
DE LA MODE. 289
% L'on blâme une mode qui, divisant la taille des hommes
en deux parties égales, en prend une tout entière pour le
buste, et laisse l'autre pour le reste du corps. L'on con-
damne celle qui fait de la tête des femmes la base d'un
édifice à plusieurs étages , dont Tordre * et la structure
changent selon leurs caprices ; qui éloigne les cheveux du
visage, bien qu'ils ne croissent que pour l'accompagner ;
qui les relève et les hérisse à la manière des bacchantes, et
semble avoir pourvu à ce que les femmes changent leur
physionomie douce et modeste en une autre qui soit fière et
audacieuse. On se récrie enfin contre une telle ou une telle
mode, qui cependant, toute bizarre qu'eUe est, pare et em-
bellit pendant qu'elle dure, et dont Ton tire tout l'avantage
qu'on en peut espérer, qui est de plaire. Il me paraît qu'on
devrait seulement admirer l'inconstance et la légèreté des
hommes, qui attachent successivement les agréments et la
bienséance à des choses tout opposées ; qui emploient pour
le comique et pour la mascarade ce qui leur a servi de pa-
rure grave et d'ornements les plus sérieux ; et que si peu
de temps en fasse la différence*.
% N.... est riche, elle mange bien, elle dort bien : mais
les coiffures changent ; et lorsqu'elle y pense le moins, et
qu'elle se croit heureuse, la sienne est hors de mode.
% Iphis voit à Téglise un soulier d'une nouvelle mode ;
il regarde le sien, et en rougit ; il ne se croit plus habillé.
n était venu à la messe pour s'y montrer, et il se cache : le
voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du
Et jamais il ne faut sa faire regarder.
L'un et l'autre excès choque, et tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage.
N'y rien trop afficher, et sans empressement,
Suivre ce que Tusage y fait de changemenu
(Molière, l'Ecole des mariSf I, i.)
t. L'ordre d'architecture.
Et qu'une main saTante avec tant d^artifloe
Bàtit de ses cheveux l'élégant édifice.
(Boileau, satire x, t. 193.)
2. « Je me plains de la particulière indiscrétion de nostre peuple de se
lûsser si fort piper et aveugler à l'auctorité de l'usage présent, qu'il soit
capable de changer d'opiniun et d'advis touls les mois, sMl plaist à lacoas<
tame, et qu'il Juge si diversement de soy-mesme. La façon de se vestir
présente luv faict incontinent condamner l'aucienne, d'une résolution si
grande et dHin consentement si universel que vous diriez que c'est quelque
espèce de manie qui lui tourneboule ainsi l'enlendemeot. » (Montaigne,
1,4».)
19
290 CHAPITRE xni.
jour. Il a 1a main douce, et il rentretUnt avec une pftte de
senteur; il a soin de rire pour montrer ses dents; il fait la
peiite bouche, et il n'y a guère de moments où il ne veuille
sourire ; il regarde ses jambes, il se voit au miroir : Ton ne
peut être plus content de personne qu'il iVst de lui-mèaïc;
Il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement
il parle gras; il a uq mouvement de tête, et je ne sais quel
adoucissement dans les yeux, dont il n'oublie pas de s'em-
bellir * ; il a une démarche molle et le plus joli maintien
qu'il est capa])Ie de se procurer ; il met du rouge, maie ra-
rement, il' n'en fait pas habitude : il est vrai aussi qu'il
porte des chausses et un chapeau, et qu'U n'a ni boucles
d'oreilles ni collier de perles ; ausei ne l'a^^ P*^ ^^ ^^^^
le chapitre des femme:i.
^ Ces mêmes modes que les homm^es euivent si vqâojk^
tiers pour leurs persoooes, ils ajQfectent de lee négliger dans
leurs portraits, comme s'ils sentaient ou qu'ils prévieseiKt
riodéceDce* et le ridicule où ellee peuvent tomber dès
qu'elles auront perdu ce qu'on appelle la fleur ou l'agré-
ment de la nouveauté : ils leur préfèrent uoe parure arbi-
traire, une draperie indiiférente, CantaLsise du peintre qui ne
sont prises ni sut l'air ni sur le visage , qui ne rappellent
ni les mœurs ni la personne. Us aiment des attitudes toroëes
ou immodestes^ une manière dure, sauvage, étrangère, qui
font un capitan d'un jeune abbé» et un matamored'un homme
de robe ; uoe Diane d'une femme de ville, comme d'uae
femme simple et timide une amazone ou une Pallas ; une
Lais d'une honnête fille ; un Scythe, un Attila, d'un prince
qui est bon et magnanime.
Une mode a à peine détruit une autre mode qa*^elle est
abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-même à celle qui
la suit, et qui ne sera pas la dernière ; telle est notre légè-
reté. Pendant ces révolutions, un siècle s'eet écoulé quia
mis toutes ces parures au rang des choses passées et qui
ne sont plus. La mode alors la plus curieuse et qui fait plus
de plaisir 'k voir, c'eat la plu3 ancienne : aidée du tempe
I. C'est ainsi qne Pon toU» dans Regoier (tatin VlU), le Jeune fkt
lUre hors de propos, montrer ses beHes dents,'
Et f 'adoucir les yeuo; ainsi qu'une poupée.
9. Indécence, au sens latin, ^uod non dece(, ce qui ne conyient pas.
DE LA MODE. Ô91
et des années, elle a le même agrément dans les portraits
qu'a la saye ou Tbabit romain sur les théâtres , qu'ont la
mante , le voile et la tiare ' dans nos tapisseries et dans nos
ceintures.
Nos pères nous ont transmis, avec la connaissaoce de
leurs personnes, celle de leurs babils, de leurs coifTures, de
leurs armes*, et des autres ornements qu'ils ont aimés pen-
dant leur vie. Nous ne saurions bi£u reconnaître cette sorte
de bienfait qu'en traitant de même nos descendants.
^ Le courtisan autrefois avait ses cbeveux , était en
chausses et en pourpoint, portait de larges canons', et il
était libertin*. Cela ne sied plus; il porte une perruque,
rhabit serré, le bas uni, et il est dévot : tout se règle par la
mode*.
% Celui qui depuis quelque temp$ à la cour était dévot,
et par là contre toute raison peu éloigné du ridicule, pou-
Tait- il espérer de devenir à la mode?
^ De quoi n'est point capable un courtisan dans la vue d0
sa fortune, si, pour ne la pas manquer, il devient dévot?
^ Les couleurs sont préparées» et là toile est toute prête :
mais comment le fixer, cet homme inquiet, léger, inconstant,
qui change de mille et mille figures? Je le peins dévot, et
]e crois Vavoir attrapé *; mais il m'échappe, et déjà il est
libertin. Qu'il demeure du moins dans cette mauvaise situa-
tion, et je saurai le prendre dans un point de dérèglement
de CQBur et d'esprit où il sera reconnaissable ; mais la mode
presse, il est dévot.
^ Celui qui a pénétré la cour connaît ce qjx0 c'est que
U H»bitaQrioDtMix.(iirolf dêU Imyiira.)
8. Offw8iY«ft«tdéfcii6iies. {fiaU dt lu Bruyère»^
3. Oenoment de uÀXa nond» fort large, souvaat orné d« 'dentalla qu'oa
mâchait ML-dasaoua da gtau« ak^iii paaidain inaqu'à la nailié de la iaàdMb
Da cas lai^ea CÊtnm oii oanai^ an das antraras
On aaat tons lea mattoa aaa dam iambett eaclaTes.
(Molière, Kvoie det marU, 1, 6»)
%. JDtbfrltfi, irTaligianx.
S. G'eRt deux ans après la réTOcation de redit de Nantes aue la Bruyère
écrîTaii ces réflexions sur la ftiusae déTotion qui avait envahi la cour. L*in-
fluence de Mme de Maintenon, qne Louis XIV ayait secrètement épousée,
modifiait peu à peu las habitudes des courtisans, et la plupart affectaient una
déTotion dont la sincérité, comme l'on peut TOir, semblait fort doutaaaa à
U Bruyère.
•• 1/avoir paint rassemblant.
292 CHAPITRE Xm.
vertu et ce que c'est que déTOtion*; il ne peut plus s'y
tromper.
^ Négliger yêpres comme une chose antique et hors de
mode, garder sa place soi-même pour le salut, savoir les
êtres de la chapelle, connaître le flanc*, savoir où Poii est
vu et où Ton n'est pas vu; rêver dans l'église à Dieu et à
ses affaires, j recevoir des visites, y donner des ordres et
des commissions, y attendre les réponses; avoir un direc-
teur* mieux écouté que l'Évangile; tirer toute sa sainteté
et tout son relief de la réputation de son directeur; dédai-
gner ceux dont le directeur a moins de vogue , et convenir
à peine de leur salut ; n'aimer de la parole de Dieu que ce
qui s'en prêche chez soi ou par son directeur; préférer sa
meise aux autres messes, et les sacrements donnés de sa
main à ceux qui ont moins de cette circonstance*; ne se
repattre que de livres de spiritualité, comme s'il n'y avait
ni Ëvangile, ni Ëpîtres des Apôtres, ni morale des Pères;
lire ou parler un jargon inconnu aux premiers siècles; cir-
constancier à confesse les défauts d'autrui, y pallier les
siens; s'accuser de ses souffrances, de sa patience; dire
comme un péché son peu de progrès dans l'héroïsme ; être
en liaison secrète avec de certaines gens contre certains
autres; n'estimer que soi et sa cabale; avoir pour suspecte
la vertu même ; goûter, savourer la prospérité et la faveur,
n'en vouloir que pour soi; ne point aider au mérite; faire
servir la piété à son ambition; aller à son salut par le che-
min de la fortune et des dignités * : c'est du moins jusqu'à
ce jour le plus bel effort de la dévotion du temps.
Un dévot* est celui qui, soua un roi athée, serait athée.
1. Fausse déTOtion. (Note de laBruyire.)
2. Cette exprensioD a son explication dans le membre de phrase qui la
soit* La grande affaire au salut, était de se placer de manière à être va dn
roi. Un jour, un officier des cardes, voulant jouer un tour aux gens qui
ayaient pris leur place avant l'heure dans la chapelle, annonça tout haut
que le roi ne Tiendrait pas au salut ; les assistants se retirèrent avec em-
pressement, et le roi trouva, ce qui n'était jamais arrivé, la chapelle déserter
3. Un directeur de conscience.
4. A ceux qui ont moins de prix n*étant pas donnés par lui.
5. La Bruyère s'est sans doute souvenu d'un vers de Tartufe (1, 6):
Ces gens, dis-je, qu'on voit, d'une ardeur peu commun^
Par le chemin du ciel cottrir à leur fortune ;
Qui brûlants et priants, demandent chaque jour.
Et prêchent la retraite au milieu de la cour.
6. Faux dévôt. (Nùtêie la Bniyètù.)
DE LA MODE. 293
^ Les dévots' ne connaissent de crimes que Tinconti-
nence, parlons plus précisément, que le bruit ou les dehors
de l'incontinence. Si Phérécide passe pour être guéri des
femmes, ou Phérénice pour être fidèle à son mari, ce leur
est assez; laissez-les jouer un jeu ruineux, faire perdre
leurs créanciers, se réjouir du malheur d'autrui et en pro-
fiter, idolâtrer les grands, mépriser les petits, s'enivrer de
leur propre mérite, sécher d'envie, mentir, médire, cabaler,
nuire, c'est leur état. Voulez-vous qu'ils empiètent sur celui
des gens de bien, qui, avec les vices cachés', fuient encore
Torgueil et l'injustice ?
^ Quand un courtisan sera humble, guéri du faste et de
l'ambition; qu'il n'établira point sa fortune sur la ruine de
ses concurrents ; qu'il sera équitable , soulagera ses vas-
saux, payera ses créanciers ; qu'il ne sera ni fourbe ni mé-
disant; qu'il renoncera aux grands repas et aux amours illé-
gitimes; qu'il priera autrement que des lèvres, et même hors
de la présence du prince ; quand d'ailleurs il ne sera point
d'un abord farouche et difficile ; qu'il n'aura point le visage
austère et la mine triste; qu'il ne sera point paresseux et
contemplatif; qu'il saura rendre, par une scrupuleuse at-
tention, divers emplois très-compatibles; qu'il pourra et
qu'il voudra même tourner son esprit et ses soins aux
grandes et laborieuses affaires, à celles surtout d'une suite la
plus étendue pour les peuples et pour tout l'Ëtat ; quand son
caractère me fera craindre de le nommer en cet endroit, et
que sa modestie Tempêchera, si je ne le nomme pas, de s'y
reconnaître; alors je dirai de ce personnage : Il est dévot;
ou plutôt : c'est un homme dox^é à son siècle pour le mo-
dèle d'une vertu sincère et pour le discernement de l'hy-
pocrite*.
^ Onuphre* n^Si pour tout lit qu'une housse de serge grise,
mais il couche sur le coton et sur le duvet ; de même il est
habillé simplement, mais commodément , je veux dire d'une
1. Faux dévots. (Note de la Erw^ère,)
2. Outre les vices cachés.
3. Et pour qu'il puisse servir à distinguer IlLomme vraiment pieux de
l*hypocrite. Ce paragraphe est, dit-on, un Dommage rendu à la piété du duc
de Beauvilliert»
4. OtitipArs est le personnage de Tartufe, tel que le comprend la Bruyère
en 1091. 11 le compare avec le Tartufe que Molière avait représenté en 1667,
et signale les différences et les ressemblances de Tun et rautre hypocrite.
294 CHAPITRE Xm.
étoffe fort légère en été, et d'une autre fort moelleuse pen-
dant rhiver; il porte des chemises irès-déliées*, qu'il a un
très-grand soin de bien cacher. Il ne <iit . oint : Ma haire et
madisciplif*e^, au contraire; il passerait po^ir ce qu'il est,
pour un hypocrite, et il veut passer pour « e qu'il nVst pas,
pour un homme dévot : il est viai qu'il fait en sor^te que
l'on croie, sans luM le dise, qu'il porte un-- haire et qu'il se
donne la discipline, il y a quelques livres répandus daus sa
chambre indilferemment: ouvrez-les : c'est leùmibat «ptri-
fuel, le Chrétien intérieur et VAnn'^e sainte : d'autres livres sont
sous la clef. S'il marche par la ville, et qu'il découvre de
loin un homme devant qui il est nécessaire quM soit dévot,
leé yeux baissés, la démarche lente et modrste, Pair recueilli
lui sont familiers; il j ^ue son rôle. S'il entre dans une église^
il observe d* bord de qui il peut être vu, et selon la décou-
verte qu'il vient de faire, il se met à genoux et prie, ou il
ne songe ni à se mettre à genoux ni à prier. Arrive-t il ver«
un homme de bien et d'autorité qui le verra et qui peut Ten»
tendre, non-seulement il prie, mais il médite, il pousse des
élans et des soupirs*; si rhomm** de bien se retire, celui-ci,
qui le voit partir, s'apaise et ne soufÛe pas. Il entre une
autre -fois diins un lieu s^int, perce la foule, choisit un en-
droit pour se recueillir, et où tout le monde voit qu'il s'hu-
milie : s'il entend dts courtisans qui parlent, qui rieat, et
qui sont à la chapelle avec moins de silence que dans 1 anti-
1. Très-fines.
2. A)lu8ioii au Ters de MoHère (Tartufe, T, ri):
l.aarent, serret matiaireavec ma discipliné.
C^Mi la première parole de Tartufe entrant en scène.— La haire est nne
sorte de oliennse de crin, que l'on met sur sa cbair pour fiure péiiilenoeet
aenjoriifier; la discipline, un instrumeutde fla|$ellalioo.
3. Orgorif dans Tartufe, I, vi :
Ali! si vous aviet vq (t^mme j'en Bs rencontre,
VuttsavrifS pr-s ptur 4«i l>e>iiiite que je mootM:
Chuqiit; jour & ^égll^e il venait, d'un air doux.
Tout vts- à-vis de moi se mettre à deux genoux.
11 attirait les yeux de l'ansemUlee emière
Par l'ardeur dont au citl il poussiit sa prière;
21 faisait des soupirs^ de grande e/af<eemenl«,
Etbdisdit hunibleiiient la terre à tou^ niuineuiSh.M
€léaiite, frère d'Orgon, revient t>ur ce trait lorsqu'il peint lel hypocrîtefl»
Ces gens qui, par une àme & l'intérêt soumise,
»... Vi uleol ucbeter crédit et diffiniés
A prix de iMix clin* d >-e«x et ^éiatté affeetéê.
DE LA MODE. 295
chambre, il fait plus de bruit qu^eux pour les faire taire ; il
pepreBd sa méditation, qui est toujours la comparaison qu'il
fait de ces personnes avec lui-même, et où il trouve son
compte *. 11 évite une église déserte et solitaire, où il pour-
rait entendre deui messes de suite , le sermon , vêpres et
compiles, tout cela entre Dieu et lui, et sans que personne
lui en sût ^ré : il aime la paroisse, il fréquente les temples
où se fait nn grand concours; on n'y manque point son coup,
on y est vu. Il choisit deui ou trois jours dans toute Tannée,
où , à propos de rien , il jeûne ou fait abstinence ; mais à la
fin de rhiver il tousse, il a une mauvaise poitrine, il a des
vapeur», û a eu la fièvre : il se fait prier, presser, r,uepeller^
pour rompre le carême dès son commencement, et il en
vient là par complaisance. Si Onuphre est nommé arbitre
dans une querelle de parents ou dans un procès de famille,
il est pour les plus forts, je veux dire pour les plus riches,
et il ne se persuade poiât que celui ou celle (^ui a beaucoup
de bien puisse avoir tort. S'il se trouve bien d'un homme
opulent, à qui il a su imposer*, dont il est le parasite, et
dont il peut tirer de grands secours, il ne cajole point sa
femme, il ne lui fait du moins ni avance ni déclaration*; il
est encore plus éloigné d'employer pour la flatter et pourla sé-
duire le jargon de la dévotion * : ce n'est point par habitude
qu'il le parle, mais avec dessein, et selon qu'il lui est utile,
et jamais quand il ne servirait qu'à le rendre très- ridicule.
i. Lorsque le caractère d'Onuphre parut en 1691 dans la 6* édition, la
phrase q'ii commence par les mois II entre .. ne s'y trouvait pas, ei le ca-
racière a'Onuphre était »«ttivi du caractère du vrai dovoi que nous transcri-
vons à la fin de cette DOte. Dan^ la 7* édition, la Bruyère a supprimé le ca>
raclère du vrai dévot, et s'en est servi pour ajouter au caractère d'Onuphre
Je trait qu'on vient de lire. Voici le caràcière dont il s'ao^ii : « Un humme
dévot entre dans un lieu saint, perce modestement la fouie, chuisil un cuiû
pour se recueillir, et <<ù personne ne voit qu'il s'iiumilie. S'il entend de^^ cour-
tisans qai parlent, qut rienv, et qui sotit à là chapelle avec moins de silence
que dans I antichambre, quelque comparaison qoMt fnsse de ces personnes
avec lui-môme, il ne les méprise pas,il nn s'en plaint pas : il prie pour eux. m
— iJà, ckapdle est ici la chapelle du palais de Versailles, et \*antirhambre
oh les courtisans font plus de silence qu'à la obapeiie est Tanticbambre de
l'appartement du roi.
%. Qu'il a su tromper. Voyez pa?:e 6«, note 2.
3. Tartufe Tait una déclaration à Elmire, femme d'OrgoA, et cette déclara*
tion est le moyen dont se sert Molèjv pour démasquer l'hypocrite.
4. Fausse dévouait, (JVo/« de la Bruyère.) (*q voit ave.- quel soin mi-
nutieux et par c<inibitn d'annotaiions répétées ta Bruyère avertit ses lec-
teurs, toutes les fois quM pa le dèfavoraolemefli '4e la- (i^woiton-, que e'est
de la fatuae dévotion qu'il s'a^t.
296 CHAPITRE Zin.
n n'oublié pas de tirer ayantage de raTenglement de son ami,
et de la préyention où il Ta jeté en sa ùiyeur : tantôt il lui
emprunte de l'argent, tantôt il fait si bien que cet ami lui en
offre; il se fait reprocher de n'ayoir pas recours à ses amis
dans ses besoins. Quelquefois il ne yeut pas recevoir une obole
sans donner un billet , qu'il est bien sûr de ne jamais reti-
rer '. 11 dit une autre fois, et d'une certaine manière, que rien
ne lui manque , et c'est lorsqu'il ne lui faut qu'une petite
nomme. Il yante quelque autre fois publiquement la géné-
rosité de cet honune , pour le piquer d'honneur et le con-
duire à lui faire une grande largesse. Il ne pense point à
profiter de toute sa succession, ni à s'attirer une donation
générale de tous ses biens, s'il s'agit surtout de les enlever
à un fils , le légitime héritier '. Un homme dévot n'est ni
avare, ni violent, ni injuste, ni même intéressé. Onuphre
n'est pas dévot, mais il yeut être cru tel, et, par une par-
faite quoique fausse imitation de la piété, ménager sourde-
ment ses intérêts : aussi ne se joue-t-il pas à la ligne di-
recte, et il ne s'insinue jamais dans une famille où se trou-
vent tout à la fois une fille à pourvoir et un fils à établir*;
il y a là des droits trop forts et trop inviolables; on ne les
traverse point sans faire de l'éclat, et il l'appréhende, sans
qu'une pareille entreprise vienne aux oreilles du prince \
à qui il dérobe sa marche, par la crainte qu'il a d'être dé-
couvert et de paraître ce qu'il ^st. U en veut à la ligne col-
latérale, on l'attaque plus impunément : il est la terreur
des cousins et des cousines, du neveu et de la nièce, le flat-
teuir et l'ami déclaré de tous les oncles qui ont fait fortune;
il se donne pour l'héritier légitime de tout vieillard qui
meurt riche et sans enfants; et il faut que celui-ci le déshé-
rite , s'il yeut que ses parents recueillent sa succession : si
Onuphre ne trouve pas jour à les en frustrer à fond, il leur
en ôte du moins une bonne partie : une petite calomnie ,
moins que cela, une légère médisance lui suffit pour ce
pieux dessein; et c'est le talent qu'il possède à un plus haut
degré de perfection; il se fait même souvent un point de
conduite de ne le pas laisser inutile : il y a des gens, selon
1. C*e8tFà-dire de De Jamais iNiyer.
2. C'est là ce qae fait Tartufe. /
3. Comme est Tenue à ses oreilles celle de Tartufe^
4. Orgoo, Tbôte de Tartufe, a un fils et une flUe.
DE LA MODE. 297
lui, qu'on est obligé en conscience de décrier; et ces gens
sont ceux qu'il n'aime point, à qui il veut nuire > et dont il
désire la dépouille. 11 vient à ses fins sans se donner même
la peine d'ouvrir la bouche : on lui parle à*Eudoœe, il sourit
ou il soupire; on l'interroge, on insiste, il ne répond rien;
et il a raison : il en a assez dit.
^ hlez^Zélie^ soyez badine et folâtre à votre ordinaire :
qu'est devenue votre joie? — Je suis riche, dites-vous, me
voilà au large, et je commence à respirer. — Riez plus haut,
Zélie, éclatez : que sert une meilleure fortune, si elle amène
avec soi le sérieux et la tristesse? Imitez les grands qui
sont nés dans le sein de Topulence; ils rient quelquefois,
ils cèdent à leur tempérament, suivez le vôtre : ne faites
pas dire de vous qu'une nouvelle place ou que quelques mille
livres de rente de plus ou de moins vous font passer d'une
extrémité à l'autre. — Je tiens , dites-vous , à la faveur par
un endroit. — Je m'en doutais*, Zélie; mais, croyez-moi,
ne laissez pas de rire, et môme de me sourire en passant,
comme autrefois : ne craignez rien, je n'en serai ni plus
libre ni plus familier avec vous; je n'aurai pas une moindre
opinion de vous et de votre poste; je croirai également que
TOUS ôtes riche et en faveur.— Je suis dévote, ajoutez-vous.
—C'est assez, Zélie, et je dois me souvenir quQ ce n'est plus
la sérénité et la joie que le sentiment d'une bonne con-
science étale sur le visage ; les passions tristes et austères
ont pris le dessus et se répandent sur les dehors : elles mè-
nent plus loin % et l'on ne s'étonne plus de voir que la dé-
Yotion* sache encore mieux que la beauté et la jeunesse
rendre une femme fière et dédaigneuse.
f L'on a été loin depuis un siècle dans les arts et dans
les sciences, qui toutes ont été poussées à un grand point
de raffinement, jusques à celle du salut, que l'on a réduite
en règle et en méthode , et augmentée de tout ce que l'es-
prit des hommes pouvait inventer de plus beau et de plus
sublime. La dévotion' et la géométrie ont leurs façons de
parler, ou ce qu'on appelle les termes de l'art : celui qui ne
les sait pas n'est ni dévot ni géomètre. Les premiers dévots.
1. BUes Bervent mieaz l'ambition qn'ane bonne cooicience.
3. Faasae dévotion. {Noted0 la Bruyère.)
S. Même note.
298 CHAPITRE 2UI.
ceux même qui ont été dirigés par lie «p6tfes> igsoraieitt
ces termes : simples gens qui n'ayai^iit que la foi et les om^
yres, et qui se réduisaieut à croire et à bien vivre I
^ C'est uoe ch(»se délicate à un prinoe religieux de ré-
former la cour, et de la rendre pieuse* : instruit jesques où,
le courtisan veut lui plaire, et aux dépens de quoi il ferail
sa fortune, il le ménage avec prudence, il tolère, il dissi-
mule, de peur de le j«ter dans rhjpoGrisie ou le seerilége;
il attend plus de Dieu et du temps que de son lèâe et de «oa
industrie.
% C'est une pratique ancienne dans les oontf de éenatr
des pensions et de distribuer des grâces à «n masieîen, à
un matire de danse, à un farceur, à «a jouvor de Mte, à
un flatteur, à un complaisant : ils ont un mente fin et des
talents sûrs et eonnus qui amusent les grands et qui les dé*
lassent de leur grMideur. On sait que Favier est beau dan*
seur, et que Lorenzani fait de beaux motets* ; qui sait, au
contraire, si Thomme dévot a de ht vertu? il n'y ariHi peur
lui sur la cassette ni à l'épargne', et avec raison : e'eal «i
métier aisé à contrefaire, qui, s'il était récompensé, expo-
serait le prince à mettre en bonneur la dissimulatinn et la
fourberie, et à payer pension à rbypoerite%
% L'on espère que la dévotion es la eonr ne laissem pcs
d'inspirer la résidence K
% Je ne doute peint que la vraie dévotion ne «oH )a 80«»ee
du repos; elle fait supporter la vie et rend ia ittort doûee s
on n'en tire pas tant de l'kypecrîfiie'.
% Chaque heure en soi, comme à notre égard, est unique t
est-elle écoulée une fois, elle a péri entièrement, les mil-
lions de biècles ne la ramèneront pas. Les jours, les mois,
les années, s'enfoncent et se perdent sans retour dans Ta-
btme des temps. Le temps même sera détruit : een'estqu'^n
point dans les espaees immenws de Tétemité^ et il seta
t. C*ést en |6S7, dès la l** édition, ^ne la Bruyère osait ainsi se pro-
noncer siir 1«É lendances nouvelles se te CMït, et avenir indirectement
Loui» XIV du daii((er que ufé^ieniait la mode de tm fausse dévoiion.
3. Favier, «fanseur de nipéra. Le enzani, après avoir été matire de la
musique à Rome« puis à Messine, devint matire de musique d'Anne d'Aa-
tri< he. H a cumposc de la musique religieuse.
S. Les pensions éiaieni payées soit sur la cassette du roi, soUparUiré*
tor royal, qui se nommait auti%f\)fe V^pargnê.
4. D'inspirer aux évèquesla pensée de résider (&ns ïeuiï dlocëséÉ.
DE LA MODE. 299
effacé, n y a de légères et frivoles circonstances du temps
qui ne snnt point s<»bles, qui passent, ei que j'appelle des
modes, la grandeur, la faveur, les richesses, la puissance ^
l'autorité, 1 indépendance, le plaisir, les joies, 1^ ^upe^fluité.
Que deviendront ces modes quand le temps même aUra dis-
^aru? La vertu seule, si peu à la mode, vâ au delà de^
temps.
i^lOi
CHAPITRE XIV,
m QtJELQUfiS XÎSAGES.
n y a des gens qui n^ont pas Te moyen d'ôtte nobles *.
Il y en a de tels que, s'ils eussent obtenu six mois de
délai de Uurs créanciers, ils étaient nobles '.
Quelques autres se couchent roturiers et se lèvent nobles.
Combien de nobles dont le père et les aînés sont rotu-
riers I
% Tel abandonne son père qni est connu, et dont l'on cite
le greffe ou la boutique, pour se retrancher sur son aïeul,
qui, mort depuis longtemps, est inconnu et hors de prise.
Il montre ensuite un grois revenu, une grande charge, de
belles a)liaBeea>; «t, pour Aire noble, il le lui manifae que
des titres.
% RéhabiUiaPiùnSy mot en iifiage dans les tribunaux, qui a
fait vieillir et rendu gothiq"ue celui de lettrée de noblesse*,
autrefois si fï'ançais et si usité. Se faire réhabiliter suppoise
qu'un homme, devenu riche, originairement est noble, qu'il
est d'une nécessité plus que morale qu'il le Isoit; qu'à la vé-
rité» son père a pu déroger ou par la charrue, ou par la
t. 8iecréta1re« dtt m. ( Noté âè là È^w^.) ^ Cette BUttetfttfon de Ié
Brayère dUpaVdt à ta cinquième édition. Les offlteà ée tieerét«ffe d« vêl
It'étaient }nis It» .<eul8, en'ieff i, qtki retYâfsspni frobt^B eeoi t)tij H» ache>*
taient, et la preuve en est que )a lifbyètie lui-même ptH le uiye ît^frcayer
lorsquNl • ui acheU^ nntî clraVffe de tt^s'orieï* dvs ttna(ice!«.
2. Véténins, {Note de ta Vrttykrt.) -> Les cunseilitrs dtt Parlement, tes
Oohsf. liera de la rom* dvs ajdes, qui, apirès vln^tans dVrereive, obdenaTenl
des leiires de rt^bles»!», tm numra ieiit vâtér^Hb. La B>ttycre leur appliqué
égnltUieni ia i-ofliXion suivanto
3. C'esi p»r les leiiies dr noblesse qu'étaieni Anoblis )ifts rutolrier^; oA
ne devait, en prihci{>e, se servir du mut de léb&bîKlaiiun qM dans les cas
Ot anefaniille noble, a]pTèi déiOjgeance, élidt rétabli* idaM* dH «>(fb)eMM)i
300 CHAPITRE IIV.
houe% ou par la malle*, ou par les liyrëes*; mais qa^I ne
s'agit pour lui que de rentrer dans les premiers droits de
ses ancêtres , et de continuer les armes de sa maison , les
mêmes pourtant qu'il a fabriquées, et tout autres que celles
de sa vaisselle d'étain^; qu'en un mot, les lettres de no-
blesse ne lui couTiennent plus, qu'elles n'honorent que le
roturier, c'est-à-dire celui qui cherche encore le secret de
devenir riche*.
% Un homme du peuple, à force d'assurer qu'il a vu un
prodige, se persuade faussement qu'il a vu un prodige.
Celui qui continue de cacher son âge pense enfin lui-môme
être aussi jeune qu'il veut le faire croire aux autres. De
même, le roturier qui dit par habitude qu'il tire son orig^e
de quelque ancien baron ou de quelque châtelain , dont il
est yrai qull ne descend pas, a le plaisir de croire qu'il en
descend.
^ Quelle est la roture un peu heureuse et établie à qui
il manque des armes, et dans ces armes une pièce honora-
ble, des suppôts, un cimier, une devise, et peut-être le cri
de guerre*? Qu'est devenue la distinction des casques et des
heaumes^? Le nom et l'usage en sont abolis ; il ne s'agit plus
1.* Instrament qui sert aux traTaux de U campagne. On laboure les yi-
gnes avec la hoae.
3. Panier dans lequel les merden de campagne colportent leurs nur-
chan dises.
8. Par la livrée qull ayait portée comme domestique.
k. Armes qui sont de son invention et qui n'avaient pAînt servi à marquer
sa vaisselle, lorsqu'elle était d'étain et non d'argent.
5. Mais quand un bomme est ricbe, il vaut toujours son prix,
El l'eût-on vu porter la mandille à Paris,
N'eût^il de son vrai nom ni titre ni mémoire,
n'Hozier lui trouvera cent aieux dans rbistoire*
(Boileau, sat, v, lis.)
6. Le cri de guerre ou cri d'armes, encore pins que les suppôts, le ci-
mier, etc., était l'indice d'une très-vieille noblesse. — Les figures héraldi-
ques se divisent en pièces honorables on de premier ordre, et en pièces
moint honorcMes ou de second ordre. — Les supports ou suppôts sont des
figures (anges, bommes on animaux) qui sont peintes à côte de Técu et
semblent le supporter. — Le cimier est la partie la plus élevée des orne-
ments de l'écu et se place au-dessus du casque; quelquefois il reproduit
une pièce du blason de l'écu, comme un lion, une fleur de lis , etc., mais le
plus souvent il se compose de plumes attachée au casque. « Le cimier était
une plus grande marque de noblesse que l'armoirie , parce qu'on la portait
aux tournois, où on ne pouvait être admis sans avoir fait preuve de no-
blesse. » (P. Menestrier.)
7. Cette phrase ne signifie point que l'on ait jamais, en blason, distingué
les heaumes et les casques. HeaufM est le mot que l'on trouve dans les
anciens auteurs; ecuquê, le synonyme qui a pris peu à peu sa place dans
DB QUELQUES USAGES. 301
de les porter de front ou de côté, ouverts ou fermés, et
ceux-ci de tant ou de tant de grilles ; on n'aime pas les mi-
nuties, on passe droit aux couronnes; cela est plus simple :
on s'en croit digne , on se les adjuge, n reste encore aux
meilleurs bourgeois ime certaine pudeur qui les empêche
de se parer d'une couronne de marquis, trop satisfaits de
la comtale : quelques-uns même ne vont pas la chercher
fort loin, et la font passer de leur enseigne à leur carrosse *.
% Il suffit de n'être point né dans une ville, mais sous
une chaumière répandue dans la campagne , ou sous une
ruine qui trempe dans un marécage et qu'on appelle châ-
teau, pour être cru noble sur sa parole*.
^ Un bon gentilhomme veut passer pour un petit sei-
gneur, et il y parvient. Un grand seigneur affecte la prin-
cipauté, et il use de tant de précautions qu'à force de
beaux noms, de disputes sur le rang et les préséances, de
nouvelles armes, et d'une généalogie que d'Hozœr* ne lui
a pas faite, il devient enfin un petit prince.
f Les grands , en toutes choses, se forment et se mou-
lent sur de plus grands , qui , de leur part , pour n'avoir
rien de commun avec leurs inférieurs, renoncent volontiers
à toutes les rubriques d'honneurs et de distinctions dont
leur condition se trouve chargée , et préfèrent à cette sér-
ia langue béraldique. Mais, s^lon que l'on était d'une plas ou moins baute
■aissance , le casque que Ion figurait au-dessus de son écu avait la visière
ouverte ou fermée, et était placé de front ou de profil : c'est dans la forma
et dans la situation des casques que résidait la distluction dont parle la
Bruyère , aiosi qu*il l'explique deux lignes plus bas. Le casque qui se pré-
sentait de front et ouvert indiquait une grande naissance, et le nombre des
grilles^ (?est-à-dire des barreaux qui étaient placés dans la visière du cas
que et en fermaient l'ouverture, servait à marquer le degré de la noblesse.
Les nouveaux anoblis devaient, au contraire, figurer le casque de profil, avec
la visière close et abattue. Ces règles arbitraires ne furent observées que
pendant fort peu de temps.
1. « Les armoiries des nouvelles maisons sont, la plus grande partie, lei
«nseignes de leurs anciennes boutiques. • (Méni^e.)
22. Qui diable vous a fait aussi tous aviser,
A quarante-deux ans de vous débaptiser.
Et d'un vieux tronc pourri de votre métairie
Vous faire dans le monde un nom de seigneurie ?.••
Je sais un paysan qu'on appelait Gros Pierre,
Qui n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre.
Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux,
Et de monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux.
(Molière, \ École des femmes^ I, l.)
3 . lyHozier, nom d'une iiunille célèbre de généalogistes.
302 CHAPITRS xnr.
yitude une vie plus libre et plus commode. Ceux qui sm-
▼eot leur piste observent déjà par éniulatioi^ cette sim-
plicité et cette modestie : tous ainsi s>e réduiront par
hauteur à vivre naturellement et comme le peuple. Horrible
inconvénient * I
% Certaines gens portent trois noms, de peur d'ea man-
quer : ils en ont pour la cam^ a^ne et pour la ville, pour
les lieux de leur service ou de leur emploi*. D^autres ont
ou seul nom dissyllable, qu'ils anoblissent par des parti-
cules, dès que leur fortune devient meilleure. Celui-ci, par
la suppression d^uue syllable, fait de son nom obscur nn
iiom illustre ', celui-là, par le changement d*une lettre en
une autre, se travestit, et de Syrus devient Cyrus. Plusieurs
supprin^eot leurs noms , quHls pourraient conserver sans
honte, pour en adopter de pins beaux, où ils n'ont qu^à
perdre par la comparaison que Ton fait toujours d'eux qui
les portent avec les graods hommes q^ud les oat portés^*
Il s'en trouve enfin, qui, néis à Uombce des clochers de Pa-
ns, veulent être Flamaixds' ou Italiens*, comme si la ro<-
tare notait pas de tout pays; allongent leurs noms français
d'ittie terminaison étrangère , et «rolexit qna Tenir de boa
lieu c^est venir de loin.
% Le besoin d'argent a réconcilié la noblesse avec la ro-
ture, et à fait évanouir la preuve des quatre quartiers*.
1. t Altnfiion^^ disent les cleh, ft et qiM feu Momnair, |M>er g'ap p rpc i lcr
de Monseigneur le Dauphin , ne vouloit plus qu'on le irsitàc é'Alttsm
Royale, mais qu'on lui parlit par «ot««, comme l*on faiseità Honsei^iew
et aux petits princes (ses tils). Les autres princes, k son exemple, ne ve*»
leni plus être traités d'Aliesse, mais simplement de vok«. »
2. On même personnage purtait paribis, outre son nom de (kmiHe, seit
un nom de seigoeurie, soit un surnom ; de U quelque confusion dans 1m
récits du temps.
3. Comme Delriea, mattre d'h^'el du rot, qui se fit nonmier d» Siens.
4. lies clefs citent M, le Camus de Vienne, qui, en raison de son neni^
se faisait descendre de l'amiral Jean de Vienne, qai Técnt an quatorzième
tiède.
5. G*est ainsi qae M. Sonia» fito-dfva eeraveur de Bans, «mit piis le nom
de Soningen.
6. « Le roi Charles ¥111, en aUanià la oonqaèie da reyaiinie de Naples^
dit en ses mémoires Tabné de Uieisity donna la ohaige de capitaine dev
chassés du pays de Beaumont à IL Miodaft qui, se troïkVM&ea Italie, ba-
billa son nom à ritalianoe, en cliaAgeant 8en.« aD<t»a
T. Boileau, tatire v, vers 1<Q5 t
Alors le noble altier pressé dellndigenoe,
Humblement du fsqotn lechercha l'altiance^
Avec lui iraftquant d'un nom si précieux,
Par un lâche contrat vendit tous ses aïeux.
DE QUELQUES USAGES. 303
^ A combien d'enfants serait utile la loi qui déciderait
que c'est le ventre qui anoblit !. Qiajis à, combien d'aubes
serait-elle contraire '!
^ 11 y a peu de familles dans le monde qui ne toucbeni
aux plus grands princes par une e;strém,itéf et par TavUre
au simple peuple*.
If 11 n'y a rien à perdre à être noble : franchises, imma-^
nités, exemptions, privilèges, que njijajaque-t-il à ceux qui
ont un titre? Croyez-vous que ce soit pQu.r la noblesse quj9
des solitaires* ^e sont faits nobles? Us ne sontpa3 ^i vains.;
c'est pour le profit qu'ils en reçoivent. Cela ne leur sied-il
pas niieux que d'entrer dans les gabelle^*? je nie dis pas à
chacun en particulier, leurs vœux s'y opposent., je dlian^^me
à la communauté.
^ Je le déclare nettement , afîn que Tan s'y pr^f are^ ^
que personne un jour n'eu soit surpris : s! il ai?rîve jaisguais
que qutlque grand m^ trouva dÀgne d.e sea soins, si je fais
enfin une belle fortune, il y a ujj Geoffroy de la Bruyère*
que toutes les chroniques rangent au nooxbre dâs plus.grai»ds
SQigneursi die France qui suivijre&t 6oo]Si?fi0¥i)£ Bouiu^o» à
%. ^esnoemp de rot«ri«v«, dtvenis riches, é|»DMiit des fill«s noMet^^
beaucoup de nubies, devenus pauvres, épousent deA fillea de cotoriers. Si dono
la noblesse se transmettHit par les femmes, et non plus de mâle en mâle,
^eonkJ»ien dfeoCajits ae«ait utile la loi aoiivelle^ à coralHeB d'autres elle
serait contraire 1 J)e\y^ liffoes suffisent k l'auteur pour réèUQier oette ré^
éexVoD.
3. Sén^que a exprimé la même pensée dans une de ses ktlree^
3. « Maison religieuse, secrétaire du roi, » dit la Bruyècc en note. Le
eonvenides Céle&tins avait un office de secrétaire du roi; il en touchait
les revenus^ et il iouiseait des privilèges et franchises aitacdés à la bo->
blesse, mis la Bruyère ignorait rohgiue de cette siet^ularité. Les CélestUift
n'avaient pas acheté cet office; le revenu tt les privilèges d'une charge
cïesecpeuMie durei leiw avaient été aceordée par lUiMllceuee royale, eu
quatorzième siècle.
%. G'est'-à-dire d'entrer dans la fbrme de IMmpôt sur le sel.
5. Dans la S* édition» la première qui contienne cette déclaration, la
Bruyère avait simplement écrit: un Geoffroy D**^. A la 6% il mit en
toutes lettres le nom de la Bruyère; c'était, pour la pveialère fois, signei^
publiquement son livre. — Dont Hfonaveiiiure d'Art^oBoef qui, soes le
pseudonyme de Vig^eul-Marville*. a. vivement attaqné la Bruyère aprèa s&
mort, le présente comme un gentilhomme à louer qui met enseigne à sa
porte, oli avertit, dii-il, le siècle présentei les siècles k venir de rantiquûé
de sa noblesse, et cela sur le ton de Don Quichotte. » C*était assurément une
sottise de prendre ce passage au sérieux et d'en faire un crime à l'aateur;
mais la déciuratiun de la Bruyère n^est pas en tout point ane plaisanterie
pure et simple. Ce Geoffroy de la Bruyère n'est pas de son ioveniion. Un
Geoffroy de la Bruyère a pris part it la troisième croisade; il eet mort aa
siège de Saint- Jean-d*Acre en 1191 : en le mettant à la suite de GodelMy
de BoailloD^ la Bruyère Ta d:)nc fait vivre presque un siècle trop tôt.
304 CHAPFTRB ZIV.
la conqaéte de la Terre-Sainte : voilà alors de qui je des-
cends en ligne directe.
^ Si la noblesse est verta, elle se perd par tout ce qui
n'est pas vertueux ; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de
chose.
f II y a des choses qui, ramenées à leurs principes et à
leur première institution, sont étonnantes et incompréhen*
Bibles* Qui peut concevoir, en effet , que certains abbés, à
qui il ne manque rien de l'ajastement, de la mollesse et de
la vanité des sexes et des conditions, qui entrent auprès
des femmes en concurrence avec le marquis et le financier,
et qui l'emportent sur tous les deux , qu'eux-mêmes soient
originairement, et dans l'étymologie de leur nom \ les pères
et les chefs de saints moines et d'humbles solitaires, et qu'ils
en devraient être l'exemple? Quelle force, quel empire,
quelle tyrannie de l'usage I Et, sans parler de plus grands
désordres, ne doit-on pas craindre de voir un jour un jeune
abbé* en velours gris et à ramages comme une éminence*,
ou avec des mouches et du rouge comme une femme ?
% Les belles choses le sont moins hors de leur place : les
bienséances mettent la perfection, et la raison met les bien-
séances. Ainsi l'on n'entend point une gigue à la chapelle,
ni dans un sermon des tons de théâtre ; Ton ne voit pdint
d'images profanes * dans les temples, un Christ par exem-
ple et le Jugement de Paris dans le même sanctuaire , ni
à des personnes consacrées à l'Ëglise le train et l'équipage
d'un cavalier*.
% Déclarerai-je donc ce que je pense de ce qu'on appelle
dans le monde un beau salut, la décoration souvent pro-
fane, les places retenues et payées, des livres* distribués
comme au théâtre , les entrevues et les rendez-vous fré-
quents, le murmure et les causeries étourdissantes, quel-
1. Abbé vient dn syrien abha^ qai signifie père.
2. Un jeune abhéj leçon de la 0* édition. La Bruyère avait d'abord écrit tiii
simple ao6e. ce qui s'accordait mal avec la tin de la phrase.
3. Titre d^honneur que l'on donne aux cardinaux.
%. Tapisseries. (Note de la Bruyère.) — Cette réflexion contient une
suite d'assertions ironiques : on entendait souvent des airs fort gais dans
les églises , et souvent aussi dans les églises se trouvaient des tapisseries
qui représentaient des sujets profanes.
5. D'un bomine d*épée.
«. Le motet traduit en vers français par L. L***. (Note de la Bruyère. )
NouB ignorons le nom du poète obscur que désignent ces initiileft.
DE QUELQUES USAGES. 305
qu'un monté sur une tribune qui y parle familièrement,
sèchement, et sans autre zèle que de rassembler le peuple,
Famuser, jusqu^à ce qu'un orchestre, le dirai-je?etdes voix
qui concertent* depuis longtemps, se fassent entendre?
Est-ce à moi à m'écrier que le zèle de la maison du Sei-
gneur me consume, et à tirer le voile léger qui couvre les
mystères, témoins d'une telle indécence? Quoi l parce qu'oiv
ne danse pas encore aux TT****, me forcera-t-on d'appeler
tout ce spectacle office d'église ?
% L'on ne voit point faire de vœux ni de pèlerinages pour
obtenir d'un saint d'avoir l'esprit plus doux, Tâme plus
reconnaissante, d'être plus équitable et moins malfaisant,
d'être guéri de la vanité, de l'inquiétude * et de la mauvaise
raillerie.
^ Quelle idée plus bizarre que de se représenter une foule
de chrétiens de l'un et de l'autre sexe, qui se rassemblent
à certains jours dans une salle , pour y applaudir à une
troupe d'excommuniés, qui ne le sont que par le plaisir^
qu'ils leur donnent, et qui est déjà payé d'avance? Il me
semble qu'il faudrait ou fermer les théâtres, ou prononcer
moins sévèrement sur l'état des comédiens.
f Dans ces jours qu'on appelle saints, le moine confesse,
pendant que le curé tonne en chaire contre le moine et ses
adhérents. Telle femme pieuse sort de l'autel , qui entend
au prône qu'elle vient de faire un sacrilège. N'y a-t-il point
dans l'église une puissance à qui il appartienne ou de faire
taire le pasteur, ou de suspendre pour un temps le pouvoir
du harnabite'^?
f II y a plus de rétribution dans les paroisses pour un
mariage que pour un baptême, et plus pour un baptême que
pour la confession : Ton dirait que ce soit un taux sur les
sacrements, qui semblent par là être appréciés. Ce n'est
1. Qai font des répétitions.
3. Ces initiales désignent les Théatins, dont le couTent, fondé par Ma-
larin^ se trouvait sur le quai Malaquais. La mondaine splendeur des saluts
des Théatins, grands amateurs de musique, a donné lieu à plus d'une cri-
tique.
. S. De r<notttVftu2e Su^t y dans la V édition. U s*agit de Tagitation
«ans objet, dTe ractivité stérile de certains esprits.
4. A cause du plaisir.
5. L'ordre des Bamabites, ou clercs réfi^ers de la congrégation de
saint-Paul , institué à Milan au seirième siècle, arait pris son nom de
réglise de Saint-Barnabé^ dans laquelle s'étaient assemblés les fondateurs.
20
306 CHAPITRS XIY.
rien an fond qne cet osage ; et oeai qui reçoÎTent pow les
choses saintes ne croient point les vendrei comme ceux qui
donnent ne pensent p .int à les acu ter : c*s sont peui-ètre
des apptrences qu'on pourrait éparj^ner aui simples et aux
iud vots.
^ Un pasteur frais et en parfaite santé, en hnge fin et
en point de Yenis*^ ', a sa ^iace dans l'œuvre* auprès ]tA
pourpres et les fourrures* : il y achèTO sa digestion» peD«
dant que le Feuillant^ ou le Récoilet' quitte la rellale et
son dé^ertt où il est lié par ses tœux et par la biensënnce,
pour venir le prêcher^ lui et ses ouailles, et en receToir le
salaire, comme d'une pièce d'étoffe* — Vous m'interrompes^
et vous dues : Quelle censure ! et combien elle est nouvslle
et peu attendue! Ne voudriez- vous point interdire i oe
pasteur et à son troupeau la parole divine et le pain de 1*Ë-
vangile? — Au contraire, je voudrais qu'il le d stribuftt lui**
même le matin, le soir, dans les tem Jes dans les maisons,
dans les places , sur les toits^ et que nul ne prétendît à un
emploi si grand, si laborieux, qu'avec des intentions, des
talents et des poumons cap ibles de lui mériter les belles
olTrandes et «es riches rétributions qui y sont attachées. Je
suis forcé, il est vrai, d'excuser un curé sur cette con-
duite, par un usage reçu, qu^il trouve établi, et qu'il lais*
sera à son successeur; mais c'est cet usage bizarre^ et dé-
nué de fondement et d'apparence, que je ne puis approuver^
et que je goûte encore moins que celui de se faire payer
quatre fois des mômes obsèques, pour soi, pour ses droits^
pour sa présence, pour son assistance.
^ Titôf par vingt années de service dans une seconde
place, n'est pas encore digne de la première, qui est va-
cante : ni ses talents , ni sa doctrine *, ni une vie exem-
plaire, ni les via^ux des paroissiens, ne sauraient l'y Caire
1. En dentelles point de Venise.
S. Bano affecte, dans une église, int officiers dé U fabrique^ e'est^à-
dire aui marguilli«rs. Les personnages importants étalent invité» & f
prendre place pendant le sermon»
3. Les pourpres désignent le Parlement. Sur les /'ourrure«,yoyez pagaS34»
note 4. ~ Auiirè9 iet est nna négligeaca dont ndtis ne eonnalkaras ^as
d'autre exemple.
%. Religieux oui vivait sous l'étroite observance de la règle da saint Ber-
nard. L'ordre aes Feuillanti a pris son nom d'us viîtetd du lAnÉttediK).
5. Religieux réformé de l'ordre da saÂBt FranfOii.
S. Son savoir.
DE QUELQUES USAGES. 307
asseoir. Il natt de dessous terre ^ un autre clerc* pour la
remplir. Tite est reculé ou cougédiô : il ne se plaint pas ;
c'est r usagée.
^ c Moi, dit le cbevecier', je suis maître du chœur : qui
me forcera d'aller à matines? mon prédécesseur n'y allait
point : suis-je de pire condition? dois-je laisser avilir ma
dignité entre mes mains, ou la laisser telle que je Tai
reçue? -- Ce n*est point, dit l'écolâtre ^, mon intérêt qui
me mène , mais celui de la prébende : il serait bien dur
qu'un grand chanoine fût sujet au choeur*, pendant que le
trésorier*, Tarchidiacre, le pénitencier et le grand-vicaire
s'en croient exempts. — Je suis bien fondé, dit le prévôt'i
à demander la rétribution sans me trouver à Tofûce : il y a
vingt années entières que je suis en possession de dormir
les nuits ; je veux finir comme j'ai commencé , et l'on ne
me verra point déroger à mon titre : que me servirait d'être
à la tète d'un chapitre? mon exemple ne tire point à consé-
quence. • ^ufin c'est entre eux tous à qui ne louera point
éieu, à qui fera voir, par un long usage , qu'il n'est point
obligé de le faire : l'émulation de ne se point rendre aux
offices divins ne saurait être plus vive ni plus ardente*. Les
4. i^effoufacessé d'être ooe préposition, et ne s'emploie plus queoommci
hflVerbe
2. Bcclësiftstique , a itiis en note la Bruyère. C'était l'acception la plu?
ancienne et la plus ordinaire du mot clerc,
5. La Bruyère semble étendie aux chanoines ae tods les chapitres les ac-
CQsations que Boileau avait portées contre ceux de ta Sainte-Chapelle do
Paris. S'il s'agissait ici de la Sainie-Gbapelle, le trésorier serait Iq pemon-
Dage le plus important du chapitre, et non un dignitaire inférieur à
récolàtre. I^e chevicier a^ait soin du chœur.
^. Chanoine qui, jouissant d'une prébende, c'est-à-d<re d'un certain re-
penti, devait enseigner gratuitement la philosophie et les humanités à sed
confrèiesoa aux jeunes gens pauvres qui se destinaient au service do
"Église.
5. Au serTice du chœur.
6. Le trésorier avait la Karde des roliquet.
Ï, Chet du chapitre.
. Boileau peint à merveille cette mollesse des chanoines dans le iMirini
I, vers 18 :
Parmi les doux [)lai»ir8 d'une paix fraternelle
Paris voyait fleurir son antique chapelle :
Ses chanoines vermeils et brillants de santé
S'engraissaient d'une longue et sainte oisiveté : ^
Sans sortir de leurs lits, plus doux que leurs hermines,
Ces pieux fainéants faisaient chanter matines,
Veillaient à bien dtner. et laissaient en leur lien
A des chantres gsgés le soin de louer Dieu.
■t oaoore le vigilant Girot, dans le chapitre iv, s'adressant lit ehantre :
308 CHAPITRE inr.
cloches sonnent dans une nuit tranquille; et leur mélodie^
qui réveille les chantres et les enfants de chœur, endort les
chanoines , les plonge dam un sommeil doux et facile, et
qui ne leur procure que de beaux songes : ils se lèvent tard,
et vont à Téglise se faire payer d'avoir dormi.
f Qui pourrait s'imaginer , si l'expérience ne nous le
mettait devant les yeux, quelle peine ont les hommes à se
résoudre d'eux-mêmes à leur propre félicité, et qu'on ait
besoin de gens d'un certain habit, qui, par un discours
préparé, tendre et pathétique , par de certaines inflexions
de voix, par des larmes, par des mouvements qui les met-
tent en sueur et qui les jettent dans l'épuisement, fassent
enfin consentir un homme chrétien et raisonnable , dont la
maladie est sans ressource, à ne se point perdre et à faire
son salut?
f La fille à*Ar%stippe est malade et en péril ; elle envoie
vers son père, veut se réconcilier avec lui et mourir dans
ses bonnes grâces. Cet homme si sage , le conseil de toute
une ville, fera-t-il de lui-même cette démarche si raison-
nable? y entraînera-t-il sa femme? ne faudra-t-il point pour
les remuer tous deux la machine du directeur?
^ Une mère , je ne dis pas qui cède et qui se rend à la
vocation de sa fille, mais qui la fait religieuse, se charge
d'une âme avec la sienne, en répond à Dieu même, en est
la caution. Afin qu'une telle mère ne se perde pas, il faut
que sa fille se sauve*
f Un homme joue et se ruine : il marie néanmoins l'aînée
de ses deux filles de ce qu'il a pu sauver des mains d'un
Àmbreville '. La cadette est sur le point de faire ses vœux,
qui n'a point d'autre vocation que le jeu de son père.
^ Il s'est trouvé des filles qui avaient de la vertu, de la
santé, de la ferveur, et une bonne vocation, mais qui n'é-
taient pas assez riches pour faire dans une riche abbaye
vœu de pauvreté *.
% Celle qui délibère sur le choix d'une abbaye ou d'un
Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre sommeil?
Quoi ! voulez-TOtts au chant prévenir le soleil ?
Ah ! dormes ; et laissez à des chantres vulgaires
Le soin d'aller sitôt mériter leurs salaires.
1. C'est-à-dire on fripon. Ambreville était chef d^ine troupe de vagabonds.
S. • Ce dernier trait, dit Suard, rejeté si heureusement à la An de la pé-
DE QUELQUES USAGES. 309
simple monastère pour s'y enfermer ' agite Tancienne ques-
tion de l'état populaire et du despotique.
^ Faire une folie et se marier par amourette^ c'est épou-
ser Mélite, qui est jeune, belle, sage, économe, qui plaît,
qui vous aime , qui a moins de bien qu'^^in^ qu'on vous
propose, et qui, avec une riche dot, apporte de riches
dispositions à la consumer, et tout votre fonds avec sa dot.
% Il était délicat autrefois de se marier; c'était un long
étahlissement, une affaire sérieuse, et qui méritait qu'on y
pensât : l'on était pendant toute sa vie le mari de sa femme,
bonne ou mauvaise i même table , même demeure , même
lit; Ton n'en était point quitte pour une pension : avec des
enfants et un ménage complet, l'on n'avait pas les apparen-
ces et les délices du célibat.
^ Qu'on évite d'être vu seul avec une femme qui n'est
point la sienne, voilà une pudeur qui est bien placée : qu'on
sente quelque peine à se trouver dans le monde avec des
personnes dont la réputation est attaquée, cela n'est pas in-
compréhensible. Mais quelle mauvaise honte fait rougir un
homme de sa propre femme, et l'empêche de paraître dans
le public avec celle qu'il s'est choisie pour sa compagne
inséparable , qui doit faire sa joie, ses délices et toute sa so-
ciété ; avec celle qu'il aime et qu'il-estime, qui est son orne-
ment, dont Tesprit, le mérite, la vertu, l'alliance, lui font hon-
neur ? Que ne commence-t-il par rougir de son mariage.
Je connais la force de la coutume, et jusqu'où elle maîtrise
les esprits et contraint les mœurs, dans les choses même les
plus dénuées de raison et de fondement : je sens néanmoins
que j'aurais l'impudence de me promener au Cours, et d'y
passer en revue avec une personne qui serait ma femme.
^ Ce n'est pas une honte ni une faute à un jeune homme
que d'épouser une femme avancée en âge ; c'est quelque-
riode poar donner plus de saillie au contraste, n'échappera pas à ceux
qui aiment à observer dans les productions des arts les procèdes de l'ar-
tiste. Mettez à la place, a qui n'étaient pas assez riches pour faire vœu de
pauvreté dans une riche Hbbaye; » et voyez combien cette légère transpo-
sition , quoique peut-être favorable à l'harmonie, afflaiblirait l'effet de la
phrase. Ce sont ces artifices que les anciens recherchaient avec tant d'é-
tude, et que les modernes négligent trop. Lorsqu'on en trouve des exem-
ples chez nos bons écrivains, il semble que c'est plutôt i'eifet de l'instinct
que de la réflexion. »
1. La Bruyère avait d'abord écrit t'y renfermer; à la 9* édition, il a
préféré ê'y enfermer.
310 CHAPITRE xnr.
fois prudence, c*est précaution. L'infamie est de se jouer de
sa bienfactrice ' par des traitements indignes, et qui lui dé-
couvrent qu'elle est la dupe diun hypocrite et d'un ingrat.
Si la fiction ' est excusable, c*est où il^aut feindre de l^ami-
tié; sMl est permis de tromper, cest dans une occasion où
il y aurait de la dureté ^ être sincère. — Mais elle vit long-
temps.— A viez-vous stipulé qu'elle mourût après avoir signé
votre fortune et l'acquit de toutes vos dettes? N'a*t*eUe
plus, après ce grand ouvrage, qu'à retenir son haleixie,
qu*à prendre de l'opium ou de la ciguë? A-t-elle tort
de vivre ? Si même vous mourez avant pelle dont vous
aviez déjà réglé les funérailles, à qui vous destiniez la grosse
sonnerie et les beaux ornements, en est-elle responsable?
^ Il y a depuis longtemps dans le monde une manière * de
faire valoir son bien , qui continue toujours 4*être pratiquée par
d'honnêtes gens, et d'être condamnée par d'habiles docteurs,.
^ On a toujours vu dans la république de certaines char-
ges qui semblent n'avoir été imaginées la première fois que
pour enrichir un seul au^ dépens de plusieurs ; les fonds
ou l'argent des particuliers y cdule sans fin et sans in-
terruption*. Dirai-je qu'il n'en revient plus, ou qu*il ^'en
revient que tard? C'est un gouffre, c'est une mer qui reçoit
les eaux des fleuves, et qui ne les rend pas; ou si elle les
rend, c'est par des conduits secrets et souterrains, sans qu'il
y paraisse, ou qu'elle en soit moins grosse et moins enôëe;
ce n'est qu^après en avoir joui longteçaps, et qu'eue ne peut
plus les retenir.
1. Bienfactrice. Voyez page 102, note 2.
3. L'action de feiudre.
3. Billets et obligations. {Noté et la firvyértf.) — Ai| fnoym |ge, le éroit
ecèlésiasiique et le droit civil défendaient le prêt à intérêt. Celte interdic-
tion, chaque jour violée, n'avait qu'en partie disparu du temps de la Bruyère.
Il n'était pas permis^ quoiqu'on le fît à chaque instant, de tirer intérêtû'une
somme prêtée sur hxlUt ua Rur obligation : l'intérêt n'était licite que dans
les cas aii« pour un contrat de constitution de rente, l'on abandonnait le
capital à iHtniprunteur jusqu'à ce au'il lui plût de le rendre.
^. Greffe, consignation. (iVote a« ki S' uyèré. ) Cette annotation, qui ne
parut que<lans la 9" édition, n'était pas inutile, pour remettre sur la Toie
les commentaieuis qui avaient t'ait fausse route. Le passage contenait une
allusion, préiendaient-iis, soit au surintendant des Mnances, soit an rece-
veur des cuntlscaiions. Mais pourquoi la Bruyère eût-il parlé de la surin-
tendance des finances ? Il n'y avait plus de surintendant depuis la chute de
Fouquci. Kt cornmeiii celle réflexion eût elle pu s'appliquer aux receveurs
des confiscations? Ne retusaienl-ils pas à bon droit de rendre aux particu-
liers l'argent qu'ils avaient légalement contisqué? Vis-à-vis des grelners qui
ne devaient retenir les sommes provisoirement déposées entre leurs mains
DE QUELQUES USAGES. 311
Y Le fonds perdu, autrefois si sûr, si relifrieux et si in-
▼ioiable, est devenu avec le temps, et par les soins de ceux
qui en (étaient chargés, un bie per«iu •. Quel autre secret
de doubler mes revenus et de thésauriser? Entrerai-je dans
le huitième denier, ou dans les aides'? Serai-je avare, par-
tisan, ou administrateur?
% Vous avez une pièce d'argent, on même une pièce d'or;
ce n'est pas assez, c'est le nombre qui opère : faiies-en, si
vous pouvez un amas considérable et qui s'élève en pyra-
mide, et je me charge du reste. Vous n'avez ni naissance,
ni esprit, ni talents, ni expérience, qu'importe? ne dimi-
nuez rien de votre monceau, et }^ vous placerai si haut que
vous vous couvrirez dftvant votre maître, si vous en avez;
il sera même fort éminent, si, avec votre métal, qui de jour
à autre se multiplie, je ne fais en sorte qu'il se découvre
devant vous *.
^ Orante plaide depuis dix ans entiers en règlement de
jugeç*, pour une aflFaire juste, capitale; et où il y va de toute
sa fortune : elle saura peut-être , dans cinq années , quels
seront ses juges, et dans quel tribunal elle doit plaider le
reste de sa vie.
f L'on applaudit à la coutume qui s'est introduite dans
les tribunaux d'interrompre les avocats au milieu de leur
action •, de les empêcher d'être éloquents et d'avoir de l'es-
prit, de les ramener au fait et aux preuves toutes sèches
qui établissent leurs causes et le droit de leurs parties;
et cette pratique si sévère, qui laisse aux orateurs le regret
de n'avoir pas prononcé les plus beaux traits de leurs dis-
cours, qui bannit l'éloquence du seul endroit où elle est en
sa place, et ira faire du parlement une muette juridiction,
que jusqu'à la solution d*aB procès, la plainte de la Brayère était au con-
traire fort légitime.
1. « Allusion, disent les clefs, à la banqueroute faite par les hôpitaux
de Paris ei ies Incurables, en i689. Elle a rail perdre aux pariiculiers qui
«vaieot des deniers à fouds peidu sur def> hôpitaux la plus grande pariie
de leurs biens : ce qui arriva (lar la fri|K>nnerie de quelques adminlstra-
tsurs que l'on chassa. » — l.e tonds perdu est une somme d'argent dont
l'on abandonne le cspiul, moyennant une rente vis^ière.
2. Voyez psge 96, noie 1. — tes aides sont les subsides qni ont été rem*
placés par nos contributions indirectes,
S. Boilesu exprime la même pensée dans la satire viii, vers t7S-906.
4. Puur faire décider que sou procès sera perte devant tel tribunal et
non devant tel autre,
f. De leur plaidoyer.
312 CHAPITRE XIY.
on Tantorise par une raison solide et sans répli(pie, qui est
celle de l'expédition ' : il est seulement à désirer qu'elle fût
moins oubliée en toute autre rencontre; qu'elle réglât au
contraire les bureaux comme les audiences, et qu'on cherchât
une fin aux écritures *, comme on a fait aux plaidoyers.
f Le devoir des juges est de rendre la justice ; leur mé-
tier, de la différer. Quelques-uns savent leur devoir, et font
leur métier.
f Celui qui sollicite son juge ne lui fait pas honneur : car,
ou il se déôe de ses lumières et même de sa probité, ou il
cherche à le prévenir, ou il lui demande une injustice'.
^ U se trouve des juges auprès de qui la faveur, l'autorité,
les droits de l'amitié et de l'alliance , nuisent à une bonne
cause, et qu'une trop grande affectation de passer pour in-
corruptibles expose à être injustes^.
% Le magistrat coquet ou galant est pire dans les consé-
quences que le dissolu : celui-ci cache son commerce et ses
liaisons, et l'on ne sait souvent par où aller jusqu'à lui; ce-
lui-là est ouvert par mille faibles qui sout connus, et l'on j
arrive par toutes les femmes à .qui il veut plaire.
% Il s'en faut peu que la religion et la justice n'aillent
de pair dans la république, et que la magistrature ne con-
sacre les hommes comme la prêtrise. L'homme de robe ne
saurait guère danser au bal, paraître aux théâtres, renoncer
aux habits simples et modestes, sans consentir à son propre
avilissement; et il est étrange qu'il ait fallu une loi pour
régler son extérieur, et le contraindre ainsi à être grave et
plus respecté %
1. lA prompte expédition des affaires. — Cette cootume sfintroduisity
suivant les clefs, t^ous le premier président de NovioD.
2. Procès par écrit. (Note de la Bruyère.)
3. Philinte^ à Alceste, dans le Misanthrope, 1. 1 t
Mais qui voulez-TOUs donc qui vous pour sollicite*
Alceste. Qui je veux? La raison, mon bon droit, Téquité.
4. La même pensée se trouve dans le 6* discours de i'Artsttppe de Baliac
et dans les Pensées de Pascal. « Il n'est pas permis au plus équitable homme
du monde, dit Pascal, d'être iuffe en sa cause : J'en sais qui, pour ne pas tom-
ber dans cet amuui'-propre, ont ete les plus injustes du monde à contre^
biais. Le moyen le plus sur de perdre une affaire toute juste était de la
leur faire recommander par leurs proches parents. » (Pascal.)
5. « n y a, lit-on dans les clefs, un arrêt du CousetI qui oblige les
conseillers k être en rabat. Avant ce temps-là ils étaient presque toujours
en cravate. Cet arrêt fut rendu à la requête de M. de Narlay, alors proca«
reur général. •
DE QUELQUES USAGES. 313
% Il n'y a aucun métier qui n'ait son apprentissage, et,
en montant des moindres conditions jusques aux pins gran-
des, on remarque dans toutes un temps de pratique et
d^exercice qui prépare aux emplois, où les fautes sont sans
conséquence, et mènent au contraire à la perfection. La
guerre même , qui ne semble naître et durer que par la
confusion et le désordre, a ses préceptes : on ne se massa-
cre pas par pelotons et par troupes en rase campagne, sans
l'ayoir appris, et l'on s'y tue méthodiquement. 11 y a l'é-
cole de la guerre : où est l'école du magistrat? Il y a un
usage, des lois, des coutumes : où est le temps, et le temps
assez long que l'on emploie à les digérer et à s'en instruire?
L'essai et l'apprentissage d'un jeune adolescent qui passe
de la férule à la pourpre , et dont la consignation a fait un
juge, est de décider souverainement des vies et des for-
tunes des hommes.
^ La principale partie de l'orateur, c'est la probité : sans
elle, il dégénère en déclamateur, il déguise ou il exagère
les faits, il cite faux» il calomnie, il épouse la passion et
les haines de ceux pour qui il parle ; et il est de la classe
de ces avocats dont le proverbe dit qu'ils sont payés pour
dire des injures.
^ Il est vrai, dit-on, cette somme lui est due, et ce droit
lui est acquis; mais je l'attends à cette petite formalité;
s'il l'oublie, il n'y revient plus, et conséquemmerU il perd sa
somme, ou il est incontestablement déchu de son droit : or,
il oubliera cette formalité. — Voilà ce que j'appelle une
conscience de praticien.
Une belle maxime pour le palais, utile au public, remplie
de raison, de sagesse et d'équité, ce serait précisément la
contradictoire de celle qui dit que la forme emporte le
fond.
% La question est une invention merveilleuse et tout à
fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion fai-
ble, et sauver un coupable qui est né robuste '.
% Un coupable puni est un exemple pour la canaille :
1. Cerrantes avait mis la même réflexion dans laboocbe de Don Qui-
chotte, et cette réflexion devait se présenter à l'esprit de tous. La question
n'a cependant été supprimée que sous Louis XVL — Vers l'époque od
écrivait la Bruvère , un accusé , nommé Lebrun , avait succombé après
avoir été mis à la question.
314 CHAPITRE mr.
un innocent oondamné est raffaire de tons les honnêtes
gens.
Je dirai presque de moi : i Je ne serai pas voleur oa
meurtrier. » c Je ne serni pas un jour puni comme tel , »
c'est parler bien hardiment.
Une Condition lamentable est celle d*un homme innocent
à qui la précipît'ition et la procédure ont trouvé an crime;
celle même de son juge peut-elle l*étre davantage*?
ir Si l'on me racontait qu'il 9*est trouvé autrefois un pré-
vôt, ou Tun de ces magistrats créés pour poursuivre les
voleurs et les exterminer, qui les connaissait tous depuis
longtemps de nom et de visage, savait leurs volSi j'entends
Tespèce, le nombre et la qi^antité, pénétrait si avant dans
toutes ces profondeurs, et était si initié d^ns tous c^s affreux
mystères, qu'il sut rendre à un homme de crédit un bijou
qu'on lui avait pris dans 1^ foule au sortir d'une asseçtiblée,
et dont* il était sur le point de faire de Téclat ; que le par-
lement intervint dans cette affaire, et fit la procès à cet of-
ficier; je regarderais cet événement comme l'une de ces
choses dont l'histoire se charge, et à qui le temps ôte la
croyance : comment donc pourrais -je croire C|u'on doive
présumer, par des faits récents, connus et circonstanciés,
qu'une connivence si pernicieuse ^mv^ encore, ^u'^Ue ait
même tourné en jeu et passé en coutume?
f Combien d'hommes qui sont forts contre les faibles,
fermes et inflexibles aux sollicitatious du simple peuple,
sans nuls égards pour les petits, rigides et Révères dans les
minuties, qui refusent les petits présentai qui n'écou^git ni
leurs parents ni leurs amia^ çt quQ le^ femQie;^ seu^e^ pet»*
vent corrompre l
^ Il n'est pas absolument impossible qu'une persoQ]i9
qui s^ trouve dans une grande faveur perde m procès.
^ Les mourants qui parlent dans leurs teçtam^nta peu*
vent s'attendre à être écoutés cooune des oracles : chacun
les tire de son côté et les interprète à sa manière, je veux
dire selon ses désirs ou ses intérêts.
t. La Bnif AN m nppelait peot-dtre que le ntrqnii 4e Lan'gHide, accosé
é'on W qu'il o'aTEit point commis, et couilamné aux iralères, étaii monk
ifliôpi^l dea forçaia. Son innocence fut reconnue irop tard.
2. Et au sQjei duquel. ^ • M. de Grandinaisoy, grand pré^de la arévftlé
de THÔiel, disent les clefs, a tait rendre à M. de Sautt^PouaB^ee ttnebou*
de de diamants qui lai avait été dérobée au sortir de ropéra. »
DE QUELQUES USAGES. 315
ff II est yrai qu*il y a des hommed dont on peut dire que
la mort fixe moins la dernière volonté qu'elle ne leur ôte,
avec la vie, rirrésolution et l'inquiétude. Un dépit, pendant
qu'ils vivent, les fait tester; ils s'apaisent et déchirent leur
minute S la voilà en cendre. Ils n'ont pas moins de testa-
ments dans leur cassette que d'almanachs sur leur table;
ils les comptent par les années : un second se trouve détruit
par un troisième , qui est anéanti lui-même par un autre
mieux digéré, et celui-ci encore par un cinquième ologra^
phe*. M?is, si le moment, ou la malice, ou l'autorité
manque â celui qui a intérêt de le supprimer*, il faut qu'il
en essuie les clauses et les conditions : car appert-W mieux
des dispositions des hommes les plus inconstants que par un
dernier acte , signé de leur main , et après lequel ils n'ont
pas du moins eu le loisir de vouloir tout le contraire*?
% S'il n'y avait point de testaments pour régler le droit
des héritiers, je ne sais si l'on aurait besoin de tribunaux
pour régler les différends des hommes ; les juges seraient
presque réduits à la triste fonction d'envoyer au gibet les
voleurs et les incendiaires. Qui voit-on dans les lanternes *
des chambres , au parquet , à la porte ou dans la salle du
magistrat? des héritiers ob intestat ? Non, les lais ont pourvu
à leurs partages. On y voit les testamentaires* qui plaident
en explication d'une clause ou d'un article; les personnes
exhérédées; ceux qui se plaignent d'un testament fait avec
loisir, avec maturité , par un homme grave , habile , eon-
sciencieux, et qui a été aidé d'un bon conseil, d'un acte où
le praticien n'a rien obmis^ de son jargon et de ses finesses
ordinaires : il est signé du testateur et des témoins publics,
il est paraphé; et c'est en cet état qu'il est cassé et déclaré
nul.
1. Udo minate est un acte origiBal on nn broaitloQ.
a. Un çUiqnième testament. Un testf^mejqnt oktograpb^ e»t. nn tealan^ent
qm est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur.
3. S), afiyr^ la ^ort 4« testatear, celui dupt le testament blesse les in-
térêts n'est ni assez malhonnôie pour le laire disparaître, lorsque) le peut,
|ii sAses puissant pour le faire ca!»ser..-
4. hf6 dispositions des hommes les plus inconstants penvei^t^ellea mieux
apparalire que car an dernier acte, etc. -^ Il appert^ terme de palais.
5. Sorte de tribunes où quelques personnes pouvaient assister aux séan-
ces du parlement sans.èire vues.
6. Ceux qui, contrairement aax héritiers ab iateiUU, héritent en vertu
d*an testament.
1» Orthographe des praticiens : Vauteor la conserve à dessein»
316 CHAPITRE XIV.
% TUius assiste à la lecture d'an testament avec des yenx
rouges et humides, et le cœur serré de la perte de celui dont
il espère recueillir la succession. Un article iui donne la
charge, un autre les rentes de la ville *, un troisième le rend
maître d^une terre à la campagne; il y a une clause qui,
hien entendue , lui accorde une maison située au milieu de
Paris, comme elle se trouve , et avec les meubles : son af-
fliction augmente, les larmes lui coulent des yeux; le moyen
de les contenir? il se voit officier*, logé aux champs et à la
yille, meublé de même; il se yoit une bonne table et un
carrosse : « Y avait-il au monde un plus honnête homme que
le défunt f un meilleur homme? » Il y a un codicille', il faut
le lire : il fait Afawttts légataire universel, et il renvoie Titius
dans son faubourg, sans rentes, sans titre, et le met à pied.
11 essuie ses larmes : c'est à Maevius à s'affliger.
% La loi qui défend de tuer un homme n'embrasse-t-eUe
pas dans cette défense le fer, le poisoiji, le feu, Peau, les
embûches, la force ouverte, tous les moyens enfin qui peu-
vent servir à l'homicide? La loi qui ôte aux maris et aux
femmes le pouvoir de se donner réciproquement, n'a-t-elle
connu que les voies directes et immédiates de donner^?
a-t-elle manqué de prévoir les indirectes? a-t-elle introduit
les fidéicommis, ou si même elle les tolère? Avec une femme
qui nous est chère et qui nous survit , lègue-t-on son bien
à un ami fidèle par un sentiment de reconnaissance pour
lui , ou plutôt par une extrême confiance, et par la certitude
qu'on a du bon usage qu^il saura faire de ce qu'on lui lègue?
Donne-t-on à celui que Ton peut soupçonner de ne devoir
pas rendre à la personne à qui en effet Ton veut donner?
Faut-il se parler, faut-il s'écrire , est-il besoin de pacte ou
de serments pour former cette collusion*? Les honmies ne
I. Les rentes sar l'hftlel de Tille»
3. Pourvu d'un office.
S. Disposition qaï a pour objet de faire une addition on nn changement à
un testament.
4. Voyez dans le Malade imaginaire comment le notaire Bonnefoi
apprend à Argan que la coutume de Paris lui interdit de rien léguer à sa
femme, et comment il lui apprend en même temps qu'il est des expédients
3ui permettent de « passer par-dessus la loi. » On peut, par exemple,
onner par testament une partie de sa fortune à un ami, en le chargeant
secrètement de la transmettre à sa femme : c'est là le fidéi-commis dont il
▼a être auestiun. — Les époux oui n'avaient pas d^enfants pouvaient toota-
fois se léguer, par don mutuel, l'Visufruit de certains biens.
5. Cette entente secrète pour éluder la coutume.
DE QUELQUES USAGES. 317
senteni-il8 pas en ce rencontre* ce qu'ils peuvent espérer
les uns des autres? Et si, au contraire, la propriété d'un tel
bien est dévolue au fidéicommissaire , pourquoi perd-il sa
réputation à le retenir? Sur quoi fonde-t-on la satire et les
vaudevilles? Voudrait-on le comparer au dépositaire qui
trahit le dépôt, à un domestique qui vole Pargent que son
maître lui envoie porter? On aurait tort : y a-t-il de l'infa-
mie à ne pas faire une libéralité , et à conserver pour soi ce
qui est à soi? Étrange embarras, horrible poids que le fidéi-
commisl Si» par la révérence des lois, on se l'approprie, il
ne faut plus passer pour homme de bien; si, par le respect
d'un ami mort, l'on suit ses intentions en le rendant à sa
veuve, on est confidentiaire*, on blesse la loi. Elle cadre
donc bien mal avec l'opinion des hommes. Gela peut être;
et il ne me convient pas de dire ici : La loi pèche, ni : Les
hommes se trompent.
^ J'entends dire de quelques particuliers ou de quelques
compagnies : « Tel et tel corps se contestent l'un à l'autre
la préséance; le mortier et la pairie* se disputent le pas.» Il
me paraît que celui des deux qui évite de se rencontrer aux
assemblées est celui qui cède, et qui, sentant son faible,
juge lui-même en faveur de son concurrent.
^ Typhon fournit un grand de chiens et de chevaux : que
ne lui fournit-il point? Sa protection le rend audacieux; il
est impunément dans sa province tout ce qui lui plaît d'être^,
assassin, parjure; il brûle ses voisins, et il n'a pas besoin
d'asile. Il faut enfin que le prince se mêle lui-même de sa
punition.
^Ragoûts, liqueurs, entrées, entremets, tous mots qui
devraient être barbares et inintelligibles en notre langue;
et, s'il est vrai qu'ils ne devraient pas être d'usage en pleine
paix, où ils ne se servent qu'à entretenir le luxe et la gour-
i. Cette rencontre ààns tontes les éditioBs modernes; mais les éditions
du dix-septième siècle font oe mot masculin. Comme la Bruyère, la plupart
des écriirains de cette époqne écriTent ce rencontre. Dans la correspon-
dance de Colbert, par exemple, ce mot est toujours au masculin.
2. « Le oonfidentiaire est celui qui a reçu une somme d'argent ou antce
▼alenr arec l'engagement secret, mais d'honneur, de le rendre ànne per-
sonne déterminée » (Littré).
S. Les présidents du parlement, et les pairs de France, qui avaient droit
de séance an parlement.
%. La Bruyère a hésité entre de qu'il lui platt et ce qui lui platt
dTitre. C'est à ce qui lui platt qu'il s'est arrèié dans les deux dernières
éditions. La première rédaction était préférable.
818 cHAPrnuE xrr.
mandise i oomment peuyeDt-ils 6tre entendus dans le temps
de la guerre et d'une misère publique, à la vue de Pen-
nemi, à la veille aVn combat, pendant un siège? Où est«il
parlé de la table de Seipion ou de celle de Mariua? Ai-je la
quelque part que MiUiade^ q}ïÉpaminQnda$y qu^AgésilaSj
aient fait une obère délicate? Je voudrais qu'on ne ftt men-
tion de la délicatesse, de la propreté * et de la somptuositë
des généraux, qu'après n'avoir plus rien à dire sur leur un^
jet, et s'être épuisé sur les ciroonstances d'une bataille ga-
gnée et d'une ville prise ; j'aimerais môme qu'ils TOttlaMeat
se priver de cet éloge *.
^ Hermippe est l'esclave de ee qu'il appelle ses petites
commodités; il leur sacrifie l'usage reçu, la coutume « les
modes « la bienséance { il les cherche en toutes choses , il
quitte une moindre pour une plus grande, il ne néglige au*
cune de celles qui sont praticables^ il s'en fait une étude, et
il ne se passe aucun jour qu'il ne fasse en ce genre une dé-
couverte. 11 laisse aux auires hommes le dtner et le souper,
à peine en admet-il les termes; il mange quand il a faim, et
les mets seulement où son appétit le porte* Il voit faire son
lit : quelle main assez adroite ou assez heureuse pourrait le
faire dormir comme il veut dormir? Il sort rarement de ches
soi; il aimQ la chambre, où il n'est ui oisif ni laborieux, où
il n'agit point, où il tracasse^ et dans l'équipage d'un homme
qui a pris médecine. On dépend servilement d'un serrurier
et d'un menuisier, selon ses besoins : pour lui| s'il faut
limer, il a une lime ; une scie, s'U faut scier, et des tenaillesi
s'il faut arracher. Imaginez, s'il est possible, quelques ou-
tils qu'il n'ait pas, et meilleurs et plus commodes à son gré
que ceux mêmes dont les ouvriers se servent : il en a de non*
veaux et d'inconnus , qui n'ont point de nom , productions
de son esprit, et dont il a presque oublié l'usage. Ifttl ne se
1. Élégance. , ,. ...
2. bc iiiMr^ais ci Humières, ast, seloD Gourville, le premier sénénl qui
ait tianspurU; dans les camps le luxe des ville?. Penaant le siège d*kfm
(iâSfi). Guanrille, soupaot à sa ^^Ifu j vit avec étonnement de la vais-
selle d'argent. «< Le Lendemain, alHlt j 0U8 Vhunneur de dtner avec M. de
Tureoue : il n'avait que dé la vaisselle de Ter-blanc. m En 1S73, une or*
donnaucQ fut rendue pour la modéraviuD d^s tables des officiers géné>
raux. Mais cette ordonnance demeura impuissante. « ht luxe e( la bonne
chère, dit Saint-Simon, avuent corrompu les armées ( on j était servi
avec la iuème délicatesse et le même a|»pareU que dans les filles et aux
meilleures tables.»
DE QUELQUES USAGES. 819
peut coTTpnrer à lui pour faire en peu de temps et sans peine
un travail fort imiile. 11 faisa.t dix pas pour aller de sou
lit dans sa ^arde-robe, il n'en fait plus que neuf par la ma-
nière d nt il a su tourner sa cbambre : combien de pas
épargnes dans le oours d'une yiel Ailleurs Ton tourne la
clef. Ton pousse contre, ou l'on tire à soi, et une porte sou-
yre : quelle fatigue! voilà un mouvement de trop qu'il sait
s'épargner; et comment? c*est un mystère qu'il ne révèle
point. 11 est, à la vérité, un grand maître peur le ressort et
pour la mécanique, pour celle du moins dont tout le monde
se passe. Hermippe tire le jour de son appartement d'ailleurs
quf de la fenêtre; il a trouvé le secret de monter et de des-
cendre autrement que par Te-calier, et il cherche celui d'en-
trer et de sortir plus commodément que par la portei
^ Il y a déjà longtemps que l'on im prouve les médecins,
et qurï l'on s'en sert : le théâtre et la satire ne touchent
pointa leurs pensions: ils dotent leurs files, placent leurs
fils aux parlements tt dans la prélature, et les railleurs eux-
mêmes fournissent Ta rgent* Ceux qui se portent bien de.
tiennent malades; il leur faut des gens dont le métier Soit
de les assurer qu'ils ne mourront point. Tant que les hommes
pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sert
raillé et bien payé.
^ Un bon médecin est celui qui a des remèdes spécifiques,
ou, s'il en manque, qui permet à ceux qui les ont de guérir
son malade;
^ La témérité des charlatans « et leurs tristes succès qui
en sont les suites font raloir la xbédecine et les médecins x
gi ceux-ci laissent mourir^ les autres tuent.
% Carro Corn ' débarque avec une recette t^u'll appelle
un prompt retnède, et qui quelquefois est un poison lent :
c'est un bien de famille, mais amélioré en ses mains; de
spécifique quH é ait contre la colique, il guérit do la fièvre
i]uarte, de la pleurésie , dé l'by iropisie, de ^apoplexie, de
Tépilepsie. Forces un peu voti*e mémoire, nommez une ma^
ladie, la première qui voua viendra eh î^espril : l^hémor-
rhagie^ ditas-yous? il la guérit. U ne ressuscite personne,
t. Careut. médecin èmpiriqtie qilf étslt venu d'Italte. Là i^éHsofa dii
eue de la Feûillidtet du duc de GftâërduBse, qui, abandonnés dès médeCliiS,
l'étarant •ooftés à sei soitts, Pavait mis en tres-grattde répaution. U se
faisait payer fort cher et à ravance.
3S0 CHAPITRE ZIV.
il est Trai; il ne rend pas la vie aux hommes; mais il les
oondnit nécessairement jusqu'à la décrépitude 9 et ce n'est
que par hasard que son père et son aïeul , qui avaient ce
secret, sont morts fort jeunes. Les médecins reçoivent pour
leurs visites ce qu'on leur donne ; quelques-uns se conten-
tent d'un remerctment : Garro Garri est si sûr de son re-
mède, et de Teffet qui en doit suivre , qu'il n'hésite pas de
s'en faire payer d'avance, et de recevoir avant que de don-
ner. Si le mal est incurable, tant mieux; il n'en est que
plus digne de son application et de son remède *. Commen-
cez par lui livrer quelques sacs de mille francs, passez-lui
un contrat de constitution*, donnez-lui une de vos terres,
la plus petite, et ne soyez pas ensuite plus inquiet que lui
de votre guérîson. L'émulation de cet homme a peuplé le
monde de noms en et en I, noms vénérables , qui impo-
sent aux malades et aux maladies. Vos médecins , Fagon *,
et de toutes les facultés, avouez-le, ne guérissent pas tou-
jours, ni sûrement : ceux, au contraire, qui ont hérité de
leurs pères la médecine pratique , et à qui l'expérience est
échue par succession, promettent toujours, et avec ser-
ments, qu'on guérira. Qu'il est doux aux hommes de tout
espérer d'une maladie morteUe, et de se porter encore pas-
sablement bien à Tagouie 1 La mort surprend agréablement
et sans s'être fait craindre; on la sent plutôt qu'on n*a songé
à s'y préparer et à s'y résoudre. Fagon Esgulape! faites
régner sur toute la terre le quinquina et l'émétique'*; con-
duisez à sa perfection la science des simples*, qui sont don-
nés aux hommes pour prolonger leur vie ; observez dans les
cures, avec plus de précision et de sagesse que personne n'a
encore fait, le climat, les temps, les symptômes et les com-
plexions; guérissez de la manière seule qu'il convient à
1. ToiNBTTB, en médecin. « Je voudrais, monsieur, que tous fussiei
EbaudoDué de tous les médecins, désespéré, à l'agonie, pour tous montrer
l'excellence de mes remèdes. » (Molière, le Malade imaginaire, III, u.)
2. Contrat par lequel on constituait une rente.
3. Fagon, rennemi le plus implacable des charlatans, suivant l'expres-
sion de Saint-Simon, venait de succéder à Daquin dans la charge de premier
médecin du roi.
4. Fagon était l'un des défenseurs du quinquina, qui, importé eo France
vers le milieu du dix-septième siècle et récemment mis à la mode, avait été
l'objet de discussions très-vives. La Fontaine a célébré en vers les mérites
du quinquioa. Comme le quinquina, l'émétique avait d'ardents «diersairet.
6. Herbes, plantes.
DE QUELQUES USAGES. 321
chacun d'être guéri; diassez des corps, ou rien i^e tous est
caché de leur économie, les maladies les plus obscures et.
les plus invétérées; n'attentez pas sur celles de Tesprit,
elles sont incurables ; laissez à Corinne^ à Lesbie^ à Canidie^ à
TWmoldbn, et à Carfms^ la passion où la fureur des charlatans.
f L'on souffre dans la république les chiromanciens ' et
les deyins, ceux qui font l'horoscope et qui tirent la figure,
ceux qui connaissent le passé par le mouvement du sas*^
ceux qui font voir dans un miroir ou dans un rase d'eau la
claire vérité; et ces gens sont en effet de quelque usage :
ils prédisent aux hommes qu^Is feront fortune » aux filles
qu'elles épouseront leurs amants, consolent les enfants dont
les pères ne meurent point, et charment Tinquiétude des
jeunes femmes qui ont de vieux maris : ils trompent enfin
à très-vil prix ceux qui cherchent à être trompés.
f Que penser de la magie et du sortilège? La théorie en
est obscure, les principes vagues, incertains, et qui appro-
chent du visionnaire; mais il y a des faits embarrassants,
affirmés par des hommes graves qui les ont vus, ou qui les
ont appris de personnes qui leur ressemblent : les admettre
tous ou les nier tous paratt un égal inconvénient; et j'ose
dire qu'en cela, comme dans toutes les choses extraordi-
naires et qui sortent des communes règles, il y a un parti à
trouver entre les âmes crédules et les esprits forts '.
f L'on ne peut guère charger Tenfance de la connaissance
de trop de langues, et il me semble que Ton devrait mettre
toute son application à l'en instruire : elles sont utiles à
toutes les conditions des hommes, et elles leur ouvrent éga-
lement l'entrée ou à une profonde ou à une facile et agréa-
ble érudition. Si l'on remet cette étude si pénible à un âge
on peu plus avancé et qu'on appelle la jeunesse , ou Ton
n'a pas la force de l'embrasser par choix , ou l'on n'a pas
celle d'y persévérer; et si Ton y persévère, c'est consumer à
1. CharUtaos qui prédisent Payenir on inspectant la main de cenx qui
les oonsultenu
3. Le sas, ou tamis, qne des chartatans faisaient tourner à la requête dee
bonnes gens qui avaient perdu qnelc^ae objet, derait s'arrêter an moment
oh l'on nommait la personne qni ravait dérobé.
S. K l'époque oii la Rruyère écrivait celte remarque, on se préoccupait
vivement de charlatans qui prétendaient découvrir, à Taide d*une baguette,
les voleurs, les assassins, etc. La oonflandb quHls inspirèrent un instant
fat si générale que la Justice eUe-même eut recours à l'un d^eux dans une
•oquéite.
SI
$89 CHAimiB JIW.
la recbdrche dfls langaes le môme temps qm eek eomaeié à
rusage que Ton en doit faire; c'est borner à la seienoe des
mots un âge qui veat déjà aller plus loin, al qui 4^in?»T^i^^
des choses; c'est au moios avoir perdu les premières et les
plus belles aonées de sa ?ie. Un si grand fonds ne se peut
bien faire que lorsque tout s'imprime dans }*âme natarelle-
ment et profmidémeiit; qi^ la mëmçir» est leuve , prompte
et fidôl^; que l'esprit et le cçRor sont enoore vides de psfr*
siops, de soius et de désirs, ^t que Von est déterminé à de
longs travaux par ceux de qi|i i'on dépend. Je suis perswidé
que le peti^ nombre d'babiles , ou le grand nombre de f^u
superfioiele, viçnt de Toubli de o^tte pratique.
% L'étude des textes ne peut jamais être asseï reoomman*
dée; c'eat le chemin le plus court, le plus sûr et le plus
agréable ppur tout genre d'éruditiont Ayei les ehosea de la
première main, puises li la souroe; manies, remanies le
texte, q^preoes-'le de mémoire, cites*le dans les ecoasions,
songes surtout à en pénétrer le sens dans toute son étendue
et dans ses oir constances ; conciliez un auteur original ' , aju»*
tes ses principes, tires vous-même les oonolusions. Les pre*
miers commentateurs se sont trouvés dans le eas où je dé-
sire qus vous soyez ; n'empruntez leurs lumières et ne suives
leurs vues qu'où les vôtres seraient trop courtes ; leurs ex*
plications ne sont pas à vous, et peuvent aisément vous
échapper ; yos observations, au çon^aire, naissent de votre
esprit, et y demeurent; vous les retrouvez plus ordinaire-»
ment dans la conversation, dans la consultation et dans la
dispute» Ayez Is plaisir de voir que vous n'êtes arrêté dans
la lecture que par les difficultés qui sont invincibles, où les
commentateurs et les scoliastea eux-mêmes demeurent
courts, si fertiles d'ailleurs, si abondants et si chargés d'une
vaine et fastueuse érudition dans les endroits clairs, et qui
ne font de peins ni à eux ni aux autres. Achevez ainsi de vous
convaincre , par cette méthode d'étudier, que c'est la paresse
des honmiesqui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt
qu'à enrichir les bibliothèques, i faire périr le texte sous le
poids des commentaires; et qu'elle a en cela agi contre soi-
jnôme st contre sss plus diiçrs intérêts, en multipliant les lec-
iuiea, les recherches et le travail, qu'elle oherehait à éviter.
«
I. Aoooniei entre elles lee pensées.
DE QUELQ0S$ USAGES. 3^3
T Qui vèfU J^s bomiRw da»s leur mmèv^ 49 yivr^ et
à'rmr de9 ftJimê^t^? L^ §^ti^ et h réi^iipe? Gela est dou^
teu^. Une n^tipi^ entl^rQ mm^^ h^ yiande? apr$9 les fruits^
an9 wtr© (wt tout Je coutrwé} guelques-unç comin^nçeut
le^rp rip»s ppir de çort^in^ frwti , et 1^9 flni^wnt par tfftU-
trei»; ^st-ç^ rw5o»î i9?t^ç(? us^ge? B?t-çe p^r y» poin 49
leçr sftfttô que l»s bpmm^s ^'b^hilteul; jusqu'à» mwton, pgr^
tent 4ef» fraise» ^ 4e9 QOltets \ ^W ^ui QJ^t ^u si lon^emps
l# pojitfiue 4éo9UV9rte*T JB^Hé p^ bieo^éaocç, 9urtQut daim
W tfmps 9^ il9 ftY^ieut troyy^ U (^cr9t de paraîtra UU3 tout
linbUlés* ? Bt 4'aiU9ur9, }e9 ieminç^, qui moutr^ut l^ur gprjj^^
et jQuitp épjiul98f i^out^^U^s 4'uQ9 ço^ple^ou moiU9 dôupatf
qu3 le« bpium«)9t 0^ v^om sujettçgqu'çus fiUX J)i§l»éan(S9s?
Qarile 99t }^ puduur qui 9Uga^9 ç^Ues^i ^ pouYrâ l9ur«
j»mi>9§ et presque l9ur« pi94s, 9t qui l9ur permet 4'i^Yoir
l#s hrw uas ftu*de9iu« du poude? Qui 9-mt mn autrefois
daQ9 l'»spnt d9s bommps qu'w était à U guerre pu pour sp
4^feB4r9 pu ppur attaquer, et qui Ipur «lyait insiuu^^ Vu9agp
des armw pffeusiypi» ^% é^ délpusive»? Qui 1«» pUi«[9 ftUr
jpurd'btti d# r«uouc9r k 09ll«P-ci, 9t« pendAUt qu% se ho^
tent pour aller au bal, de soutenir sans armes et en pour-
point des tvaTaiUeurs etpesés à tout le {en dHine ^ontire^aâipe?
Nos p^reç, qui UP jugeaient pas UU9 telle cpndujte utUp au
prince et à la patrie, étaientdls gagea ou insiuses? £t uott»-
mêmes, quels héros célébrons-nous dans notre histoirpt Un
CruesoliB, un Giissen, un 7eix, un Boupieaut^, qui tous ont
porté rarmet" et endossé une cuirasse. Qui pourrait rpndre
ndson de la fortune de eertains moto et de la prosoription de
quelques autrpat
Àint a péri ; la Toyelle qui le oommence, et si propre
pour rélisiou» n'a pu 1« sauTpr ; il a cédé % uu autre moug-
sjllabe*, et ^i n'est au plus que son anagramme. Cfirtês
f . Allnstoii tan eeituntida •aiiiène siioU, La ino4« 4ef QoUetp a\ 4es
fraiset (sorts d» eoU «a toile, avM trois ou qaatro rgQg«, plissés p% em-
pesés) , eommança soao Honri 11/ eUo 6tai^ abaadOQnô» du %^mw d9 V^utear.
9. Comme sous Franeois If.
3. Alors qa'iis moBtriieni oBtièremsDt lenn jambfs, 0enT9F(a« 4».])4is
ëe soie.
4. Da Gneselia (Itli-ISM) oonBétablo de Fvanee sous Charles V, •«• OU-
Tier de Cliason (i83t-i40T), ooanétable de rvance sons Oharlei YI« -^ Oas
ton do Poix, sarnoaimé Fhabas, vieoaite do Béam (18liii89l)« wm jf^n le
Haingre de Boufiicaut, maréchal de France (1364-1421).
5. Armare de tête. ,
6. Mait. {Note de la Bruyère.) — Maie n'est point Fanienuiuat 4^fit. Il
324 CHAPITRE XIT.
est beau dans sa Tieillpsse , et a encore de la force sur son
déclin : la poésie le réclame, et notre langae doit beaucoup
aux écrivains qui le disent en prose, et qui se commettent
pour lui dans leurs ouvrages. Maint est un mot qu'on ne de-
vait jamais abandonner, et par la facilité' qu'il y avait à le
couler dans le style, et par son origine, qui est française*.*
MoM^ quoique latin*, était dans son temps d'un même mé-
rite, et je ne vois pas par où beaucoup l'emporte sur lui.
Quelle persécution le car* n*a-t-il pas essuyée I et, s'il n'eût
trouvé de la protection parmi les gens polis , n'était-il pas
banni bonteusement d'une langue à qui il a rendu de d
longs services, sans qu'on sût quel mot lui substituer? Cil*
a été, dans ses beaux jours, le plus joli mot de la langue
française ; il est douloureux pour les poëtes qu'il ait vieilli.
Douloureux ne vient pas plus naturellement de douleur que
de chaleur vient chaleureux* ou chaloureux .- celui-ci se
passe, bien que ce fût une richesse pour la langue, et qu'O
se dise fort juste où chaud ne s'emploie qu'improprement.
Va/etir devait aussi nous conseTYBT valeureux; haine, Aai-
neux ; peinCj peineux ; fruits fructueux; fniié, piteux; joie,
Ikvdnit, poar qu'il le (ftt, qa*il j eût timpleineDt transpositioD d« lettim:
c'est aioBi que le mot ancre est l*anagramine de naer$. On ne sait tro|>, au
latin magis.
i. Du moins n'est-elle pM latine. Bat-elle celtique? Bst-elle gerauniqaa ?
Qrammatici cerlant,
S. Moult y multwn,
S. Voiture a été l'an des défeoseors de cor, que des puristes Tovhûent
{>roscrire de la langae. « Car étant d'ane si grande considération dans notre
angue,écrit-il àHniédeRambonillet. j'approiiTeextrônpement le ressentiment
Sue Tons sTei du tort qu'on rent lai taire; en un temps od U fortune joue
es tragédies partons les endroits de l'Europe, je ne vois rien si digne de
pitié que qoand >e tois que l'on est prêt de chasser et faire le procès à un
mot qui a si utilement serti cette monarchie (allusion à la formule des
actes royaux, ear tel est notre plaisir), et qui, dans toutes les brouilleries
du royaume, s'est toujours inontré bon Français. Pour moi, Je ne pois
qui
lui appartient, pour le donner à pour cr que, ni pourquoi ils Teuient dire
atec trois mots ce qa^ls peuvent dira avec trois lettre:». »
%• Celui. — 11 y avait une sorte de déclinaison dans l'ancienne langue
française. Ciloti oil était le nominatif singulier masculin,* ce2e le nomi-
natif-singulier féminin; eelui s'employait au régime singulier pour les
deux-genres. La déclinaison a disparu, et C8i«t est seul resté pour le mas-
culin sinffulier.
S. La pTujpart dea mots que la Bruyère croyait sar le point de diepanltre
oatTepcis csTeur.
DE QUELQUES USAGES. 325
jovial; foi, féal; cour, courtois; gite^ gisant: hakine, ha-'
kné; vanterie, vantard; msnsonye, mensonger; coutume,
coutumier : comme pari maintient partial; point, pointu et
pointiUeux; ton, tonnant; son, sonore; frein, effréné; front,
effronté; ris, ridicule; loi, loyal; coeur, cordial; bien, bénin;
'mal, malicieux. Heur se plaçait où bonheur ne saurait en-
trer, il a Ml heureux, qui est si français , et il a cessé de
rôtre : si quelques poëtes s'en sont servis , c*est moins par
choix que par contrainte de la mesure. Issue prospère, et
▼ient d'issir, qui est aboli. Fin subsiste sans conséquence
pour finer, qui vient de lui, pendant que cesse et cesser
régnent également. Verd ne fait plus verdoyer; ni fête, fér
foyer; ni larme, larmoyer; ni deuil, se douhir, se oondouloir;
ni joie, s'éjouir, bien qu'il fasse toujours se r^ouir, se con-
jouir ^, ainsi qix^orgueil, s'enorgueilUr, On a dit gent, le
corps gent : ce mot si facile non-seulement est tombé, l'on
Yoit même qu'il a entraîné gentil dans sa chute. On dit ddf"
famét qui dérive de famé*, qui ne s'entend plus. On dit cu-
rieux, dérivé de cura*, qui est hors d'usage. Il y avait à
gagner de dire si que pour de sorte que, ou de manière que;
de moi*, au lieu de pour moi ou de quant à moi, de dire je
sais que c'est qu^un mal*, plutôt que je sais ce que c^est qu'un
mal, soit par l'analogie latine, soit par l'avantage qu'il y a
souvent à avoir un mot de moins à placer dans l'oraison*.
L*usage a préféré par conséquent à par conséquence, et en
conséquence à en conséquent, façons de faire à manières de
faire, et manières d'agir à façons d^agir...; dans les verbes,
travailler k ouvrer, être accoutumé à souloir , convenir à
duire, faire du bruit }l bruire, injurier à vt^insr, piquer à
poindre, faire ressouvenir à ramentevoir.,.; et dans les
1. Tandis que d'antres mots que la Brnyère croTaU perdna se sont ré-
tablis dans l'usage, celui-ci est pret^qae tombé en désuétade. Déjà il n'était
que rarement employé an dix-septième siècle.
2. Fama.
3. Cura,
4. Malherbe est Ton des derniers écrivains qui aient employé cette lo-
cution :
De moi, toutes les fois que j'arrête lee yeux.
5. Corneille a souvent employé que pour c$ que. Ainsi, dana fforocf ,
v, a :
Le roi ne sait que c'est d'honorer à demi.
6. Bans le discours.
ai6 caApmuE xsr.
notnsf fwrtite k pMMrt^ tin ai b«aa mo!» et dMit le Tén se
tfotltftil si }Aêù\ gtandêê aeUon$ à promtm^ Wuangm à te,
MMdfu0<^ k ffiauvaifl^^, jtfofM k Mii») navên à ne^ affilé à
osfj ftuMitflt^ à mdnâl^^ «ralfiM k pr^i..; ioni mot» qmi
poiitfti«nt duter «niembld drime égftle hnMU^ et rendre oIm
Ift&cfM plus àbondftiile. L'ilsage a, par l'àddiUoni la snp
iFreetiOfi, Id ohanf «tneitt on le déranfement de qnelqtiei
lettres, Mtftelatéf de ^(^dlef^ pf(moir de prfUuer, pro/ll de
proufU^ fîtmeMêé fmàmtntj jprofU de pomrfU^ prinHêim de
|MMir«?#o<r^ premenéf* de pourfiUner, et promanadtf de potàrrhê"
nâdëi Le même nsage fait, selmi rdcoasion, à'habiki à*iàHk^
de/liHl0) de lico^fo, de mo6l<« et de /Mt7e, sans j rien ehan*
gêf, des genres différents s an eontraire de vH, vHbj subiU^
iuhtilé, selon lenr terminaison) masculins ou iémininsi U a
altéré les terminaisons anciennes : de ios< il a fait sceau; ée
mdntèli MûrUëau; de Mpèi, chapeau; deodufol, ceufeoii; de
hafnèl^ AanuNitt> de d(Èmoi$il^ élimoiièau; de /ouitenoai, Jfou-
«snceaii; et oela sana que Ton yde gtièfe ee <ttte la langue
française gagne à ces différenoes et k ces changements.
BslKSé donc faire pour le progrès d'une Imgnè que de àé-
Unt à l'usage? Seraii-il mieux de secouer le joug de son
etxjpire si despotiqneT Fandt^it-il» dans une langiie yiTanie,
écouter la seule raison, qui prétient les dquiroques^ suit la
racine des mois et le rapport qu'ils ont atee les langues
OriginâiiHss dont ils Sont dertis, si la raison, d'ailleurs^ Tedt
lu'ôliatliTe l'usage *t
Éï ûùn ancêtres ont miëttt écrit que nous, ou si neite
Témponons sur eux par le choix des mots^ par le tour et
Téipressidn, ^éî la clarté et la brièveté du diseoofs, o'est
tine question sottrenl agitée ^ toujours indédse : on ne la
terminera point en comparant, comme Ton fait quelquefois,
un froid éerivain de l'autre siècle aux plus célèbres de ce-
ltli-»ci, oti lèS teUl dé Laurent*^ payé pour ne plus écrite,
à ceux de Marot et de DesporI^s. Il {audraii, pour pro-
noncer juste sur cette matière, opposer siècle à sièiile, et
excellent ouvrage à excellent duvragé , pair eiôtnpla , les
meilleurs rondeaux de BôiISsrads ou de Voiture à ces
t. YaoReiM et ses commentatears Toulaieiit que l'on se soumit orèugle-
ment k rasage.
3. Laurent, mauvais poète qui, de 1685 à 1688, avait raconté en Ters les
IStes de la cour et les fêtes de Chantilly.
DE (QUELQUES USAGES. 3S7
denx-ci, qu'une tradition nous a conservés, sans nous en
marquer le temps ni Pauteur* :
Bien à propos s*eti rlni Ogiér en France
Pour le pais de mescréans monder :
Jà n'est oesoin de Conter sa vaillance,
Puisqu'ennemis n'osoient le regarder.
Or, quand il eut tout mis en assuMnee)
De voyaser il Y0uli|t s'enhardw)
En Paraais trouva Peau de Jouvance,
Dont il se sceut de tieillesse eugai^dei^
Bien à propos»
Puis par cette eàù son col*ps tout décrê^itë
transmué fut par manière subite
En Jeune gars, Irais ^ gracient et droit.
Grand dommage est que cecy soit Boruettet {
Filles conneis qui ne sont pas jeunettes
k qui cette eau de Jouvence viendroit
Ëien à piropos.
De èettby preux maints gmiids elercë ont deHt
QU'oncques dangier n'étonnason courage)
Abusé tut par le malin esprit,
Ou'il épousa sous féminin visage.
Si piteux cas à la fin découvrit,
Sans Un seul brin de peui* tiy de domtUage,
Dont gl^and tenom par tout le monde aequit|
8i qu'en tenoit très-nonnèste langage
De cettuy preux.
ien-tost adirés fille de roy é'épilt
De son amour , qui voulentiers s'offrit
Au bon Richard en second mariage.
Dëné, s'il Vaut mieui ou diable eu femme ayoir ,
Bt qui des deut bruit plus en ménage)
Ceùlx qui voudront, si le pouf ront séaVoif
De cettuy preux.
I, Ooftme l'a {lëflii M. Pt Paris ) sur Ptuiorité daqael s'est tppa
U. waicteDAer. ces dëui itndeaux, composés i'uQ en l'honneur d'Ogier le
Dlihoit, hétbÈ àes rottiaiis dii eycle carloTîngieti, ranimé en i'hdhiikar de
niehftra satié Peur, duc de Nortnatidië (dixième tiècte) ^ duivélit ètte dfls
pastiches. « Us eut été probablement cempoeés à la fin du seisidroe sièule.
In niênie plUit tàitl) êoUs le règae de Louis XI tl, à l'occasion d'dD ballet ou
d'un carrousel dans leauel auront figvire Rlshami saBi Peiàr ei Ogier le
Danois. » (Walckenaer.)
^
328 CHAPITRE XV.
CHAPITRE XY.
DE LA CHAIRE.
Le discours chrétien est devena un spectacle. Cette tris-
tesse ëvangélique • qui en est Tâme ne s'y remarque plus :
elle est suppléée par les avantages de la mine, par les in-
flexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix
des mots, et par les longues énumérations.^On uMcoute
plus sérieusement la parole sainte : c'est une sorte d'amu-
sement entre mille autres; c'est un jeu où il y a de Fému-
lation et des parieurs.
% L'éloquence profane est transposée, pour ainsi dire, du
barreau, où Le MAmiE, Pucelle et Fourcroy* l'ont fait
régner, et où elle n'est plus d'usage , à la chaire, où elle ne
doit pas être.
L'on fait assaut d'éloquence jusqu'au pied de Tautel et
en la présence des mystères. Celui qui écoute s'établit juge
de celui qui prêche, pour condamner ou pour applau-
dir et n'est pas plus converti par le discours qu'il favorise
que par celui auquel il est contraire *. L'orateur plaît aux
uns, déplaît aux autres, et convient* avec tous en une
chose, que, comme il ne cherche point à les rendre meil-
leurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir.
Un apprentif » est docile, il écoute son maître, il profite de
1 Triêttsê» éwmûiliqvê : exprewion souTent dlèe. « 11 fcut que dins ta
tragédie toat se ressenie de celte majesiueuie tH»teê$9 qui en Uit le plu-
Srf» aTait déjà dit Corneille; maia l'emploi que la Bruyère a fait du mot
«rti<WMe«t plus remarquable. .— x*v«-*
2. Antoine Leniaiatre, célèbre atocat au Parlement, mort en 1658 à Port-
Hoval où il vivait dans la retraite depuis une Tingiaine d'années. Il était le
frère ïe Lemaistre de Sacl, traducteur de l'Ancien Testament. - Bonaven-
tore FourcroT, poète et jurisci^nsulte, mort en 1691. Il était l'ami de Molij^re
et de Bolleau — L'avocat Pucelle est aujourdliui moins connu que son fils,
»éné Pucelle. confeiller-clercau Parlement, auauel ses discours et son zèle
contre la bulle Unigmitus ont valu quelque célébrité.
S. Massillon fera plus tard les mêmes réflexions dans son sermon du pre-
mieV dimanche du carême, 2* partie.
%. S'accorde. . , ^. « n j». #z î
S. Telle était jadis l'orthographe du mot oppr^nlt. Boileau a dit au fémi-
nin (Mitre X):
Vais-je épouser ici quelque afprentivt auteur?
DB LA CHAIRE. 329
ses leçons, et U devient maître. L'homme indocile critique
le discours du prédicateur, comme le liyre du philosophe;
et il ne devient ni chrétien ni raisonnable.
% Jusqu'à ce qu'il revienne un homme* qui, avec un style
nourri des saintes Écritures, explique au peuple la parole
divine uniment et familièrement, les orateurs et les déda-
mateurs seront suivis.
% Les citations profanes, les froides allusions, le mauvais
pathétique, les antithèses, les figures outrées, ont fini : les
portraits finiront "■, et feront place à une simpR explication
de TËvangile, jointe aux mouvements qui inspirent la con-
yersion.
^ Cet homme que je souhaitais impatiemment, et que je
ne daignais pas espérer de notre siècle^, est enfin venu. Les
courtisans, à force de goût et de connaître les bienséances,
lui ont applaudi; ils ont, chose incroyable! abandonné la
chapelle du roi, pour venir entendre avec le peuple la pa-
role de Dieu annoncée par cet homme apostolique*. La ville
n'a pas été de Taris de la cour : où il a prêché, les parois-
siens ont déserté; jusqu'aux marguilliers ont disparu : les
pasteurs ont tenu ferme; maiis les ouailles se sont disper-
sées, et les orateurs voisins en ont grossi leur auditoire. Je
devais le prévoir, et ne pas dire qu'un tel homme n'avait
qu'à se montrer pour être suivi, et qu'à parler pour être
écouté : ne savais-je pas quelle est dans les hommes, et en
toutes choses, la force indomptable de Thabitude? Depuis
trente années on prête ToreilVe aux rhéteurs , aux déclama-
teurs, aux inumérateurB; on court ceux qui peignent en
grand ou en miniature. Il n'y a pas longtemps qulls avaient
des chutes ou des transitions ingénieuses, quelquefois même
si vives et si aiguto qu'elles pouvaient passer pour épigram-
t. Le prédicateur dont ta Bruyère proposait ainsi l*êzeniple était, disent
les commentateurs, l'abbé le Tourneoz, qui était mort en 1616. t Quel est,
demandait un jour Louis XIV à Doileau, un pràdicaiear qu'on nomme le
Tourneux? On dit que tout le monde y court. Kst-il donc si habile ? — Sire,
répondit Boileaii, Votre Majesté sait qu\)n court toujours V la nouveauté :
c'est un prédii-ateur qui prêche TEvangile. »
3.' B turdaloue avait inséré dans ses sermons des portraits que chacun
avait reconnus. Voyes page 9, note S. Presque tous les prédicateurs Tavaient
imité.
8. Voyes ravant-demière réflexion.
4. Le P. Séraphin, capucin. (JVoto dé la Bruyère.) — L'éloge que fait la
Bruyère du P. Séraphin avait déjà paru lorsqu'il Tint prêcher à la conr. Il y
obtint un grand succès.
8&0 CAÂtTTBM XV»
mu t ils te «Bt adouiifci je ràtooé, «k oè Éè loat pl«iqM
â«fe HiftMgatil. Db ottt loiijoitfs, d'niM néeetaitë indispen-
sable et géométriqfièf trois sujets sdfflimblés de vos fttten»
tioiis } ils ptottTMDAt «lie t^e ekesedans la premiète partie
de letif disooitfSi eette autre dans là seeoiide partie^ et
eette atttre eMo^ da&s la treisiéme^ Ainsi» rensseret coa-
Tainca d'abord d'une certaine yéritë| et e'eSt leitr premier
poiat; d'tme antre ?éHtd ^ et s'est leor seeoiid point; et
pais d'uae troisième yétMt et e^est led# troisième point : de
softs que if première réflexidn Tons iniitmira d'an priii-
dpe des plas fondamentsni de yetre religion; la seeonde,
d'nn autre principe qui ne Test pas moins; et la dernière
réfletien, d'un troisième et dernier prinéit>e, le plus impor-
tabt de tonè, qoi est remis pourtant, faute de loisir, à use
autre fois. Bann» pont réprendre et abréger èette ditision
et ftirmer im plaft*... -^ Encore! ditess^tous, et quelles pré-
parations pour un discours de trois quarts d'heure qui léar
reete à iàiifi 1 Mus ils eberebeiit à le digérer et à l*éclairoir,
plus Us m'etnbrouiUeutA — le vous eroié ssnë peine^ et
c'est l'effet le plus naturel de tout cet amas d'idées qui re-
viennent h la mémo , dont ils èhargent sans pitié la mé-
moire de leurs auditeurs. Il semble, à les voir s'opiniAtra
à est usage, que la grâce de la eouyersion sdt attachée à
ces énormes partitions*. Qommént néanmoins serait-on
converti par de tels afiôtres, si Ton ne peut qu'à peihe les
entehdre articuler, les suivre et ne les pafe perdre de vue?
le leur demander aie volontiers qu'au inilieu de leur ^urss
impétueuse, ils voulussent plusieurs fois reprendre haleine,
soufilsr un peu < 6t laisser souffler leurs auditeurs. Tains
diéeours, paroles perdues } Le temps des homélies n'est plus,
les Basile ) les Qhrysostome*, ne le ramèneraient pas; cm
passerait en d'autres diocèses pour être hors de la portée
de lenr voii et de leurs familières instnietioas. Le com-
thuU dôs homhiéâ àilhé les pbfdàes et les pëHddes, adinii^
ee qu^il n'entend pas» se suppose instruit, eontent de Àési-
i. BiHsidBt. roftÊ ibr Pàbsi dit éltltlent la Dmtiètnê dialogue «ur
Véloquence de Féoelon .
2. Saint Basile (329-379), ëyôque de eésaMe, et Mist Iws CbiTtOstSme
(84k>407), éTèt|ii6 de CoUBmniihople) ffnt^iit les plus éloctû^nts Ses pèfeê de
rSsitM gr^cqaei Alnil quê Ik déAsU la BnâfèMi rSoméUe était use infttra^
Uon familière.
BB LA CHAIRE. 831
der efltiro tiâ premiei* ôt un Second points ou efttre U der-
nier aermdii et le pénultièmei
i[ Il y a moins d'un sièele qu'ttu liyre françain étftit un
oertain Nombre de pages latines, où Poli âéeoUTraift quel-
ques lignes ou quelques mots en notre langue. Les passades,
les traits et les citations n'en étaient pas demeurés là :
Ovide et Gatulle acheraient de décider des mariages et des
tëstainents, et Tenaient aveo les P/ifufeo(es* au seoours de
la veute et des pupilleSi Le sacré et le profane ne se quit-
taient point; ils s'étaient glissés ensemble jusque dans la
ohàiret saint Cyrille ) Horade^ saint Qjprien, Luèràôè, par-
laient alternatiTcment : les poètes étaient do Taris de saint
Augustin et de tous les Pores ; on parlait latin, et longtemps,
dèrant des femmes et des marguilliers; on a parlé grec : il
falliût savoir prodigieusement pour préoher si mali Autre
tetapS^ autre usage ! le texte est encore latiii , tout le dis-
eours est ftanf ais, et d'un beau français ) TËTangilé même
n'est pas cité : il faitt savoir aujourd'hui très-peu de chose
pour bien prdeher^
f L'en a enfin banni la ë6(ilastique* de toutes lès ehaires
des grandes villes^ ef on Ta Reléguée dans les boilrgs et
dans les villages pour l'instrueticm et pour le salut du la-
boureur ou du vigneron.
% G'eet avdir de Tesprit que de plaire au pmxplé dans un
èermon par un style fleuri, uhè morale enjouée, des figures
réitérées, des traits brillants et de vives descHptionst mais
t. 6n nomme Pandeetes ou Diseste le recaeil des décisions de iuriscenkalties
qu'A fait coinposer Tempcirétti' JUAtltiien, et àiKtâél 11 à donilé forcé de ioi.^
Les ciutions âTtleut été longiepps I la mode an barreas c Tpjes le {flai-
rant diflcours de l'Intimé dans les Phideurt^ et la note que lui a consacrée
Loulâ aacloè, Ûls do grand Hacine. m Bellièvre, dii^il, dëmandani a la reine
tlisabeih la grâce de MArieStuarl dans un ieng djscoprs ^«e rapporte M. de
3hou« non content de raconter plusieurs traits de rbistoire ancienne, eite
es |)aa8agës d'Ébtnéi^, dé Platon et de Céliitnaqne. dd tempe qé noire pdëte,
BM avocats avaient encore CDatnme de remt^lir leurs disoourtf de lofags paa-
aages des anciens, et, pour faire voir leur érudition, de rapporter bcàaucoup
de citations ; c^est pour cela qu'on voit ici des passages d'Ovide et de Lu-
eain, et qa'on entend citer non-seulemeni le Digeste, mais Aristote, Pau-
•aniaSf etc^ Ge^u'il j a de .singulier, e'est qee personne ne vit lé ridicule do
eette manière de plaider. La finesse des plaisanteries de Racine ne. fui pas
acntie. Le parterre ne rit point de oe qu'U appelait des termes de cUcane, et
la pièee tomba aiii premières rsprésentalions* 9 . .
S. « La Bcelastiqae est^ (el«n la définition du pictionnaire de. Tréroux,
la partie de la théologie qui dûcute les quesiipna de théologie j|iar lé secoiuv
de la raison eidesargameots, suivant la méthode ordinaire de^ écoles* » La
Bruyère veut prier des subtilités d'argumentation aûiqaeUeaên était arfi-
irée la scolastique.
332 CHAPITRE XV.
ce n'est point en ayoir assez. Un meilleur esprit néglige ces
ornements étrangers, indignes de servir à TÊvangile; il
prêche simplement, fortement, chrétiennement*.
^ L'orateur fait de si belles images de certains désordres,
y fait entrer des circonstances si délicates , met tant d'es-
prit, de tour et de raffinement dans celui qui pèche, que,
si je n'ai pas de pente à vouloir ressembler à ses portraits,
j'ai besoin du moins que' quelque apôtre, avec un style plus
chrétien, me dégoûte des vioes dont Ton m'avait fait une
peinture si agréable.
^ Un beau sermon est un discours oratoire qui est dans
toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conforme aux
préceptes de l'éloquence humaine, et paré de tous les orne-
ments de la rhétorique. Ceux qui entendent finement n'en
perdent pas le moindre trait ni une seule pensée ; ils suivent
sans peine l'orateur dans toutes les énumérations où il se
promène , comme dans toutes les élévations où il se jette :
ce n'est une énigme que pour le peuple.
% Le solide et l'admirable discours que celui qu'on vient
d'entendre I Les points de religion les plus essentiels comme
les plus pressants motifs de conversion, y ont été traités :
quel grand effet n'a-t-il pas dû faire sur l'esprit et dans
l'âme. de tous les auditeurs I Les voilà rendus; ils en sont
émus et touchés au point de résoudre dans leur cœur, sur
ce sermon de Théodore , qu'il est encore plus beau que le
dernier qu'il a prêché.
% La morale douce et relâchée tombe avec celui qui la
prêche; die n'a rien qui réveille et qui pique la curiosité
d'un homme du monde, qui craint moins qu'on ne pense
une doctrine sévère, et qui l'aime même dans celui qui fait
son devoir en l'annonçant'. Il semble donc qu'il y ait dans
l'Ëglise comme deux états qui doivent la partager : celui de
dire la vérité dans toute son étendue , sans égards , sans
1. 1 J*aToae que le genre fleuri a ses gr&cet; mais elles sont déplacées
dans les disoiurs où il ne s'a^i point d'un |ea d'esprit plein de déli«^tesse,
et ob les grandes pasions doivent parler. Le genre fleuri n'atteint jamais au
sublime. Qu'est-ce que les anciens auraient dit d'une tragédie où ilécabe
aurait dépluré son malheur par des pointes? l^a vraie douleur ne parle point
ainsi. Que pourrail-on croire d'un prédicateur qui Tiendrait nioiiirer aux pê-
cheurs ie jufteroent de Dieu pendant sur leur tète et l'enfer ouvert sous
leurs pieds, avec les jeux de muts les plus affectés ? » (Féneion^ Lettre êuf
les occupations de VÀcadémie),
2. fin la prêchant.
DE LA CHAIRE. 333
déguisement; celui de Técouter avidement, ETeo goût, avec
admiration, avec éloges, et de n^ea faire cependant ni pis
ni mieux.
^ Vaa peut faire ce reproche à l'héroïque vertu des
grands hommes, qu'elle a corrompu Péloquence, ou du
moins amolli le style de la plupart des prédicateurs. Au
lieu de s'unir seulement avec les peuples pour bénir le ciel
de si rares présents qui en sont venus, ils ont entré * en so-
ciété avec les auteurs et les poètes ; et, devenus comme eux
panégyristes, ils ont enchéri sur les épltres dédicatoires,
sur les stances etàur les prologues; ils ont changé la parole
sainte en un tissu de louanges» justes à la vérité, mais mal
placées, intéressées, que personne n'exige d'eux , et qui ne
conviennent point à leur caractère. On est heureux si, à
l'occasion du héros qu'ils célèbrent jusque dans le sanc-
tuaire, ils disent un mot de Dieu et du mystère qu'ils de-
vaient prêcher. Il s'en est trouvé quelques-uns qui « ayant
assujetti le saint Svangile, qui doit être commun à tous, à
la présence d'un seul auditeur, se sont vus déconcertés par
des hasards qui le retenaient ailleurs, n'ont pu prononcer
devant des chrétiens un discours chrétien qui n'était pas
fait pour eux, et ont été suppléés par d'autres orateurs, qui
n'ont eu le temps que de louer Dieu dans un sermon préci-
pité».
^ Théodule a moins réussi que quelques-uns de ses audi-
teurs ne l'appréhendaient; ils sont contents de lui et de son
discours; il a mieux fait, à leur gré, que de charmer l'esprit
et les oreilles, qui est de flatter leur jalousie. «
f Le métier de la parole ressemble en une chose à celui
de la guerre; il y a plus de risque qu'ailleurs, mais la for-
tune y est plus rapide.
^ Si vous êtes d'une certaine qualité, et que vous ne vous
1. « Quand on Tonlait marquer une action, nn monvement, entnr se eon-
joguait avec avoir. Cette consirnction n'est plus cuère employée. » (Littré.)
2. Quelqnes moisa^antla pablicaiion de cet alinéa, pareille aventure était
arrivée à rabbé de la Roqoetie, nevea de l'évèque d'Auiun. Le 7 avril 1689,
U avait prêché avec le plus grand fruccès devant le roi. Il devait prêcher de
nouveau le jeudi saint, is avril, et il avait préparé un discours a l'adreste
de Louis XIV et tout à 6a louange. Hetenu par la goutte, le roi ne put asaii-
cer à la cérémonie de la cène, et le malheureux prédicateur, dont les ap-
Sréte 86 trouvaient perdus, n osa monter en chaire. Cette déconvenue iyi
'autant plus remarquée que la cérémonie s'accoDtplit sans ittiDontUy
manqua même le sermon précipité dont parie la Bruyère.
384 CHAPITRE XT.
sentiai point d'autre talent que eeloi de fiuM 4a Cmto dii«
cours, prèchet, faites de fvoids discours : il n'y a riaa da
pire pour sa fortune ^e d'être entièrement ignoré. Théoia/t
a été payé de ses mauvaises pjirasea et de sou ennuyeuse
monotonie.
f L'on a eu de grands ëvêcbés par un mérita de ehair»,
qui pré^ntement ne vaudrait pas à son homme iui9 WJ^
prébende*.
f te nom de ce panégyriste semble gémif sens le paida
des titres dont il éstaceabié; leur grand nombre rçmpUt
de vastes affiches ^ui sent distribuées dans les maisaDs^ eu
que l'on lit par les mes en earaetèf es monstrueux*, et qu'on
ne peut non plus ignorer que la place publique. Quand ,
sur une si belle montre, Pen a seulement essayé du pono&i
nage, et qu'on l'a un peu écouté, l'on reconnaît qu'il maa-^
que au dénombrement de ses qualités celle de mauvais pién
dicateur.
f L'oisiveté des femmes, et l'habitude qu'ont les hemmea
de les courir partout où elles s'assemblent, demient du nom
à de froids orateurs, et soutiennent quelque temps eeuxqul
ont décliné.
f Devrait-il suffire d'avoir été grand et puissant dans le
monde pour être louable ou nen, et, devant le sûnt autel
et dans la chaire de la vérité , loué et célébré à ses funét
railles? N'y a-t-il point d'autre grandeur que celle qui vient
de Tautorité et de la naissance? Pourquoi n'est-ii pas établi
de faire publiquement le puiégjrrique d^un homme qui a
excellé pendant sa vie dans la bonté, dans l'équité, dans la
douceur, dans la fidélité, dans la piété? Ge qu'on appelle pne
oraison funèbre n'est aujourd'hui bien reçue du plus grand
nombre des auditeurs ^u'à mesure qu'elle s'éloigne davasr
tage du discours chrétien, eu, si vous l'aimeE mieux ainsi,
qu'elle approche de plus près d'un éloge profane.
f L'orateur oherche par ses discours no évêpbô : l'apôtre
Uii des conversions; il mérfte 4e trouver ee <^e l'autre
cherche.
f t'on voit des clercs* revenli^ i§ q^elcpes provinoea où
1. Mt vMdraltpMt ^MpI qairiiiir»i(,iuisiD[ip|D^oiii(»t.
s. Lm iirédiottioiui, ou aa moiiui les orqJBOni fo^ebpes étalent, pai^fl-{|^
annoncéesjMir des afliclies, coomie aqjpurd'bp) l^ speâ^ctet.
S. n s'agit âfeccléaiastiqnea charges de la coinrerftion dés proteatanti.
Dl tk CHAIRS. 385
ils n'ont pas lait un long séjouf , vaÎBades coBTersions qu'ils
ont trouvées toatas faites, oomme ie eallea qn'ila n'ont pa
faire , se eemparer déjà aux Vurcausf et aux Xavier' et se
croire des hommes apostoliques : de si grands travaux et
de si heureuses misaioM ne seraient pas, à leuf gré» payées
d'ui^e abhaye.
% Tel, tout d'u4 coup, et sans y avoir pensé h veilloi
prend du papier, une plume, dit en soismèmç 1 1 Je vaip faiff
on livre, 9 sans autre talent pour écrire que lehesoin qu'ils
de cinquante pistoles. Je lui ehe inutilement i « Prenes une
soie, Dioseore, soies, on bien tournes, eu faites une juite
de roue; vous sures votre salaire^. » Il n'a point fait l'apr
prentissage de tous ces métiersi f Copiez donc, transcrives,
soyes au plus correcteur d'impriqierie, n'écrives point, s II
veut écrire et faire imprimer; et paroe qu'on ii'envoie paf
à l'imprimeur un cahier blanc, il le bai^uille de ce qui lui
plaît : il écrirait volontiers que I9 fieine eeule à Paris, qu^il
y a sept jours dans la semaine, ou que le temps est à la
pluie, et comme ce diaoouts n'est ni ccmtre la religion ni
contre l'fitat, et qu'il ne fera point d'antre déswdredanale
public que de lui gâter le goût et l'accoutumer aux choses
fodes et insipides, il passe à l'examen*, il est imprimé, et, à
la honte du siècle, comme pour l'humiliation des bons au-
teurs, réimprimé, De même, un homme dit en son cœur c
c Je prêcherai, 1 et il prêche; le voilà en chaire, pans autre
talent ni vocation que le besoin d'un bénéfice.
f Un clerc mondain 09 irrâigleux, s'il monte en ohaive,
est dédamateur.
n y a au contraire des hommes saints, et dont le seul
caractère est efficace pour la persuasion : ils paraissent, et
tout un peuple qui doit les écouter est déjà ému et comme
persuade par leur présence; le discours qu'ils vont pronon-
cer fera le reste.
1. Saint Vincent de Paul (tBT6^l6<e), qii0 sa charité a renéa «I eélèbre, fit
denombreiiee«qooTeniion«. -« Saipt Frfuiçoli*X«vier (iS06i>iS§i|), qui s été
nn des premiers disciples 4lgnace fie Loyolii et 009 ^'on a aarnomiq^ Vj^-
pôtre des Indes, fit d'éclatantes conversions dans les Indes Orteataiet.
S. BoUeao, Art p^élifut, tV. ^rvn W :
Soyes plat6t maeon, si c'est votre talent,
OuTTier estimé dans un art nécessai|rs«
Qn^écriTais 4a ooiiwmn ei iK>é<9 T^lj^fiurs,
3 Arezamendeaoensesrs.
336 CHAPITRE XY.
% V. DE SCEAUX* et le P. Bourdaloue* me rappellent Dé-
MOSTHÉNES et Cic£RON. Tous deux, xnattres dans l'éloquence
de la chaire, ont eu le destin des grands modèles : l'on a
fait de mauvais censeurs, l'autre de mauvais copistes.
% L'éloquence de la chaire, en ce qui y entre d'humaio et
du talent de l'orateur, est cachée, connue de peu de per-
sonnes , et d'une difficile exécution. Quel art en ce genre
pour plaire en persuadant! Il faut marcher par des chemins
battus, dire ce qui a été dit, et ce que l'on prévoit que vous
allez dire. Les matières sont grandes, mais usées et tri-
viales ; les principes sûrs, mais dont les auditeurs pénètrent
les conclusions d'une seule vue. Il y entre des sujets qui
sont sublimes; mais qui peut traiter le sublime? 11 y a des
mystères que l'on doit expliquer, et qui s'expliquent mieux
par une leçon de l'école que par un discours oratoire. La
morale même de la chaire, qui comprend une matière ^ussi
vaste et aussi diversifiée que le sont les mœurs des hommes,
roule sur les mêmes pivots, retrace les mêmes images, et se
prescrit des bornes bien plus étroites que la satire. Après
l'invective commune contre les honneurs, les richesses et
le plaisir, il ne reste plus à l'orateur qu'à courir à la fin de
son discours et à congédier l'assemblée. Si quelquefois on
pleure, si on est ému, après avoir fait attention au génie et
au caractère de ceux qui font pleurer , peut-être convien-
dra-t-on que c'est la matière qui se prêche elle-même, et
notre intérêt le plus capital qui se fait sentir; que c'est
moins une véritable éloquence que la ferme poitrine du
missionnaire qui nous ébranle et qui cause en nous ces
mouvements. Enfin , le prédicateur n'est point soutenu,
comme l'avocat, par des faits toujours nouveaux, par de
différents événements, par des aventures inouïes; il ne
s'exerce point sur les questions douteuses, il ne fait point
valoir les violentes conjectures et les présomptions : toutes
choses néanmoins qui élèvent le génie, lui donnent de la
force et de l'étendue, et qui contraignent bien moins l'élo-
quence qu'elles ne la fixent et ne la dirigent. Il doit , au
contraire, tirer son discours d'une source commune, et où
tout le monde puise; et s'il s'écarte de ces lieux communs ,
I. L'éTèqnedelfeaux, Bossnet.
3. Le P. Bonrdaloae, jésuite, oé en iSSS, mort en 170%, célèbre prédici-
tear. Vojei page 329, note 2.
DE LA CHAIRE. 337
il n'est plus populaire, il est abstrait ou dédamateur, il ne
prêche plus TËvangile. Il n'a besoin que d'une noble sim-
plicité, mais il faut Tatteindre; talent rare, et qui passe les
forces du commun des hommes : ce qu'ils ont de génie,
d'imagination, d'érudition et de mémoire, ne leur sert sou-
vent qu'à s'en éloigner.
La fonction de l'avocat est pénible, laborieuse, et suppose,
dans celui qui Texerce , un riche fonds et de grandes res-
sources. .11 n'est pas seulement chargé, comme le prédica-
teur, d'un certain nopibre d'oraisons composées avec loisir,
récitées. de mémoire, avec autorité, saos contradicteurs, et
qui, avec de médiocres changements, lui font honneur plus
d'une fois. Il prononce de graves plaidoyers devant des
juges qui peuvent lui imposer silence , et contre des ad\rer-
saires qui l'interrompent; il doit être prêt sur la réplique;
il parle en un même jour, dans divers tribunaux, de diffé-
rentes affaires. Sa maison n'est pas pour lui un lieu de re-
pos et de retraite, ni un asile contre les plaideurs; elle est
ouverte à tous ceux qui viennent l'accabler de leurs ques-
tions et de leurs doutes : il ne se met pas au lit, on ne l'es-
suie point, on ne lui prépare point des rafraîchissements *;
il ne se fait point dans sa chambre un concours de monde
de tous les états et de tous les sexes, pour le féliciter sur
l'agrément et sur la politesse de son langage, lui remettre
l'esprit sur un endroit où il a couru risque de demeurer
court, ou sur un scrupule qu'il a sur le chevet d'avoir
plaidé moins vivement qu'à l'ordinaire. Il se délasse d'un
long discours par de plus longs écrits, il ne fait que chan-
ger de travaux et de fatigues : j'ose dire qu'il est, dans
son genre , ce qu'étaient dans le leur les premiers hommes
apostoliques.
Quand on a ainsi distingué l'éloquence du barreau de la
fonction de l'avocat, et l'éloquence de la chaire du minis-
tère du prédicateur, on cïoit voir qu'il est plus aisé de prê-
cher que de plaider, et plus difficile de bien prêcher que d§
bien plaider*.
1. Ce trait malicieux se retroaye danaia dixième aatire de Boileaa, qui
Itat composée trois ans après la publicatîou de ce passage.
S. Montaigne avait fAit la même comparaison : • La charge de prescbear,
dit- il. luy donne autant qu'il lay ulaist de loisir pour se préparer,
et puis sa carrière se ptsde d*Qn fil et d'une suite sans intermpiion;
là oH les oommoditei de TadTceat le pressent à toute heure de se met-
32
338 CBAPITRK XV.
f Qael fttàntftgd li*â 'ptH nû discduni fiildfidiibê M!t m
ouvrage qui (!st écrit! Lèâ hbmihes l^oiit Ui datieé de IW
tion et de la parole , eoiiime de tout l^àppatéil de l^attdi-
toire. Pour peu de préTentiou quHls aient eu fttrëui^ dé celui
^1 parle, Us Padmireiit, et chéh^beui éusuite à le çbiu-
prendre : avant qu'il ait commencé y ils ^'édliéut dd'il Va
fcieti foire ; ilft s'endotment bientôt, et, lé dîsroUrâ fini, ils
se léteillènt pour dire qu'il à bien âiit. On se passionne
lâoiud ^otir Un auteur ! son ourrage est lu danl^ le loiàiirde
là éampague , eu dans le silence dti Cabinet; il n'f À point
Be rendeî'tou^ publiés pour lui apî^laudir, encore ihoinsde
eàbale pour lui jsaCHfier touâ ses rivàùt, et pour Péiev^r à
là prëlaiùre. Oti lit sou Une , quelqtie 6xceUent qu'il goit,
dane Fesprit Se le troUre^ médlbcre ; bu le fôuiUëtte, on le
discute, am le confronte; ce tie sont paé déà sdiis qui se
perdent en Tair et qui s'oubUetit; ce qui est imprimé de-
meiire imprimé. n l'attend qtiëlquefoiâ plasieùirs jouré àraiit
iHtxipiression potir le décriet; et le plaisir le plus délicat qtië
Ton en tire tiedt de là critique qu'on eh fait : tin est piqué
d'y trourer à chaque page deâ traits qui doivent plaire, on
va mêthe souvent jusqu'à appréhehdéi^ d*ën étfe diverti,
et oh ne quitte ce livre que parce qh'il ttslt bon. fout iè
ihoude Ué se dbhhe paîf |)out orateur; les phraàeà, lé^
figurée, le doh dé U méihoiré, là Hbe bu l'ën|agëtiient de
celui qui ptêche , ne sont |)as deé choses i|u'dh ose ou
kfï^àn véuiUë tbUjohfs s'àppFopriéh Chacun, au bonthdre,
ciroit pehseir bién^ et écrire èncoMé mieux eé quHl a pensé;
U eu lettt mbius favorable à belui qhi pèhsè et qui écrit aussi
bien que Ihi. Eu uu îhot^ le sèî^bfih^ti^ est |)lùs ïbl éVôqù6
que le plus àolide écrivain n'est révétu d^Uh prieuré slùi-
ple ; et dans la distribution des grâces , de noûrélléS eoUt
jkccbi'dé^ à cMui-là, pendant ^tié l^UtèUl^ gAve détient
heùi^ùi d'àVoi^ ses ^stes;
f S^il Arrivé ^é les ihéèhàntd Vodl hàSn^idht et Voiiil |ef-
iéé^tiènt, les |ehs dé bieh vbuè cbhseiUéiit de vôUs bttmiîier
devant Dieu, pour vous mettre en garde contirdlâ Vanité
Vfp an lice, et las teénpâsés Iinpr6uv9aeè de 6|i partie adrereéU rejec-
tcàitdesoii brad%lé.oti il lay fault sur le champ pireQ^re nouvïBaa parij....
Là part de rad^ocaiest plus difficiie^qoe celle du présçheartetnoua tro»-
yons pourtant^ ce m'est advjs. plus dépâsaablea adfocata qae «ê àreioiiMunt
au moins en France. » (1, 10.)
DE LA CHAIRE. 339
qui pourrait vous venir de déplaire à des gens de ce carac-
tère : de même, si certains hommes, sujets à se récrier' sur
le médiocre, désapprouyent un ouvrage que vous aurez
écrit, ou un discours que vous venez de prononcer en pu-
blic, soit au barreati) soit dans la chaire , ou ailleurs, hu-
miliez-vous; on ne peut guère être exposé à une tentation
d'orgueil plus dëlieate et plus prochaine.
f II me semble qu'un prédicateur devftiit faire choix,
dans chaque discours, d'une vérité u&ique, mais eapitale,
terrible ou instrùctite, la manier à fbnd et répuiser; aban-
donner toutes ces divisions si recherchées ^ si retournées,
isi remaniées et si différenciées; iie point supposer ce qui
est faux , je veî^x dire que lé grand ou le beau moiide sait
sa religion et Sés devoirs; et ne pas appréhender de faire,
ou à ees bonnes têtés, où à ces esprits si taffinés^ des caté-
ishismes; eé temps si long que Ton use à composer un long
ouvrage, remployé!^ à se rendre si maître de sa matière ^
que le tour et les expressions naissent dans l'aetién ^ et
coulent de source; se livrer, après une certaine prépara-
tion, à son génie et aux mouvements qu'un grand sujet peut
iiaspirer; qu'il pourrait enfin s'épargner eeS prodigieux
efforts de mémoire j qui ressemblent mieux à une gageure
qu'à une affairé sérieuse, qui corrompent le gBste et défi-
gurent le visage; jeter eu contraire, par un bel enthou-
siasme , la |>ersUasion dans les esprits et l'alarme dans le
cœuf , et toucher ses auditeurs d'une toute autre crainte que
de ceUe de le voir demeurer court*.
% Que celui qui n'est pas encore assez parfait pour s'ou-
blier soi-même dans le ministère de la parole sainte ne se
décourage point par les règles austères qu'on lui prescrit,
comme si elles lui étaient les moyens de faire moUtre de
son esprit) et de monter aux dignités où il aspire : qvelplus
beau talent que celai de prêcher apostoli(}uômentt et quel
autre mérite mieux un év6ché| Féhelqn en était^ii indigne?
aurait-il pu échapper àû choit du prince que par un autre
•hoix*?
1. A Mréerler d*»diDiration. - «ii ,
3. Féoelon a développé plus tard les oièmèB idées dans les Dialogueatur
I. Quty sigoifiant «t ce n'ett^ auÈrtment f «M, était alors nne tournure fort
usitée. — Fenelon était à ceite époque précepteur du duo d9 Bourgogoe. Il
ne devint archevêque de Cambrai qu'en i69S.
340 CHAPITRE XVI.
CHAPITRE XVI.
DES ESPRITS FORTS*,
Les esprits forts savent-ils qu'on les appeUe ainsi par
ironie? Qaelle plus grande faiblesse que d'être incertain quel
est le principe de son être, de sa vie» de ses sens, de ses
connaissances, et quelle en doit être la fin? Qael découra*
gement plus grand qae de douter si son &me n'est point
matière comme la pierre et le reptile, et si elle n'est point
corruptible comme ces viles créatures? N'y a-t-il pas plus
de force et de grandeur à recevoir dans notre esprit l'idée
d'un être supérieur à tous les êtres» qui les a tous faits, et
à qui tous se doivent rapporter; d'un être souverainement
parfait» qui est pur, qui n'a point commencé et qui ne peut
finir, dont notre âme est l'image, et, si j'ose dire , une por-
tion, comme esprit et comme immortelle?
% Le docile et le faible sont susceptibles d'impressions :
l'un en reçoit de bonnes, l'autre de mauvaises; c'est-à-dire
que le premier est persuadé et fidèle , et que le second est
entêté et corrompu. Ainsi» l'esprit docile admet la vraie re«
ligion ; et l'esprit faible» ou n'en admet aucune» ou en admet
une fausse : or l'esprit fort ou n'a point de religion» ou sa
fait une religion; donc l'esprit fort, c'est l'esprit faible*.
t. L'auteor, dit M. Sainte-BenTe, trait « à cœur de terminer par ce qn'il
y a de plui élevé dans la société comme dans l'homme, la Reliidon. Avant
de montrer et de caractériser la vraie, il avait commencé par flétrir conra-
ffeasement la fausse dans le chapitre de la Mode. Le chapitre de la Chaire,
ravant-dernier da livre, bien qa easentielleoieni littéraire «t relevant sur-
tout de la Rhétorique, achemine pourtant, par la nature même dti sujet, au
dernier chapitre tout religieux, intitulé det Esprits forts ; et celui-ci, trop
poussé et trop développé certainement pour devoir être considéré comme
une simple précaution, termine l'œuvre par une espèce de traité à peu près
complet de philosophie spiritualiste et religieuse. Cette fin est beaucoup
plus suivie et d'un plus rigoureux enchaînement que le reste. On peut dire
que ce dernier chapitre tranche d'aspect et de ton avec tous les autres:
c'est une réfutation en règle de llncrodulité. » — La Bruyère avait fait une
étude attentive de la philosophie de Descartes^ et Ton retrouve dans ce
chapitre plusieurs emprunts a son argumentation. 11 présente également,
sous une forme nouvelle, quelques pensées de Platon, de Pasod et de Boa-
suec.
2. « Rien n'accuse davantage une extrême faiblesse d*esprit que do ne
Méconnaître quel est la malheur d'un homme sans DietL^M rifU n'est plu
làdM que de fuie le brave contre Dieo. > (Pascal.)
DES ESPRITS FORTS. 341
f J'appelle mondains, terrestres ou grossiers , ceux dont
Tesprit et le cœur sont attachés à ane petite portion de ce
monde qu'ils habitent, qui est la terre ; qui n'estiment rien,
qui n'aiment rien au delà : gens aussi limités que ce qu'ils
appellent leurs possessions ou leur domaine , que l'on me-
sure, dont on compte les arpents, et dont on montre les
bornes. Je ne mitonne pas que des hommes qui s'appuient
sur un atome chancellent dans les moindres efforts qu'ils
font pour sonder la vérité, si, avec des vues si courtes, ils
ne percent point, à travers le ciel et les astres, jusques à
Dieu même; si, ne s'apercevant point ou de l'excellence de
ce qui est esprit, ou de la dignité de Tâme, ils ressentent
encore moins combien elle est difficile à assouvir , combien
la terre entière est au-dessous d'elle, de quelle nécessité lui
devient un être souverainement parfait, qui est Dieu, et
quel besoin indispensable elle a d'une religion qui le lui
indique, et qui lui en est une caution sûre. Je comprends
au contraire fort aisément qu'il est naturel à de tels esprits
de tomber dans l'incrédulité ou Tindifférence , et de faire
servir Dieu et la religion à la politique, c'es^à-dire à l'ordre
et à la décoration de ce monde, la seule chose selon eux,
qui mérite qu'on y pense.
% Quelques-uns achèvent de se corrompre par de longs
voyages, et perdent le peu de religion qui leur restait : ils
voient de jour à autre un nouveau culte, diverses mœurs»
diverses cérémonies. Ils ressemblent à ceux qui entrent
dans les magasins, indéterminés sur le choix des étoffes
qu'ils veulent acheter : le grand nombre de celles qu'on
leur montre les rend plus indifférents; elles ont chacune
leur agrément et leur bienséance : ils ne se fixent point, ils
sortent sans emplette.
f II y a des hommes qui attendent à être dévots* et reli-
gieux que tout le monde se déclare impie et libertin : ce
sera alors le parti du vulgaire; ils sauront s'en dégager. La
singularité leur plaît dans une matière si sérieuse et si
1. Atundrê à estime location qai se retroQTe fréquemment. BoUeao,
Bpitre /, Ters 47 :
Faadra-t-il tar sa gloire attendre à m'exercer,
Que ma tremblante voix commence à se glacer?
• On attend à se oomrertir à l'heore de la mort, • dit Fléchier dans l'an
de ses sermons.
342 CHAPITRE XVI
profonde; ilfi ne saireiit la mode et le train commui^ que
dans les choses de rien et de nulle suite * : qui sait môme
s'ils p'ont pas déjà mis une sorte de bravoure et d'intrépi*
dite i courir tout le risque de Tavenir? Il ne faut pas d'ail-
leurs que, dans une certaine condition , ay^c une certaine
étendue d'esprit et de certaines vues, l'on songe k croire
oomme les savants et le peuple,
% Il fis^udrait s'^urouver et s'examiner très-sérieusement,
avant qi^^ de se aéclftrer esprit fort ou libertin*, ^ûn au
moins, ei selon ses principes, de finir çomipe l'on a vécuj
ou, si Ton ne se sent pas la force d'allçr si loin, se résoudre
de vivre comme l'on v^ut mourir»
% Toute plaisanterie dans un homme mourant est hors
de sa place : si elle roule sur de certains chapitres',
elle est funeste. C'est une extrême misère que de donner
à ses 4épens, à ceux que Ton laisse, le plaisir d'un bou
mot*.
Dans quelque prévention où l'on puisse être sur ce qui
doit suivre la mort, c'est une chose bieu sérieu^^ que de
mourir : ce u'est poiut alors le ))adinage qui sied bi^, mais
la constance.
^ Il y a eu de tout temps de ces g;ens d'un bel esprit et
d-une agréable littérature, esolaves des grands dont ûs ont
épousé le libertinage et *porté le joug toute leur vie contre
}eu?s propres lumières et contre leur conscience*. Ces
jsLommes n'ont jamais vécu que pour d'autres hopimes ^ et
ils semblent le^ avoir regardés comm^ leur dernière fin. Ils
eut eu honte de se sauver à leurs yeux, de paraître tels
qu'ils étajent peut-être dan§ le cœur, e^ lisse sont perdus
t. Dans les choies qoi ne sont d'aacane importanM ni 4'-aaGi»a cooiAi
qtieQç«.
2. Efjprif fort ou libertin: les dens expressions sont synonymes.
S. Snr les choses reU^euses.
fc. « B^ ees TUes kmp* 4« bQi)ffon«. dit Montaigne, ({ai aippyie cette li^
|)exion de nombreux exemples, il s'en est trouvé qui n'otit tôuIu abandon-
ner lear gaudUserié en la mort mesme. » (1, 40). ~> Le IS juin 1678, Bussy-
Rabntin écrivait à Mme de Sévigné, après lui avoir fait part de paroJee
tristen^ent plaisantes qui avaientété, disait-on, prononcées auprès de Mme de
Monaco raenrante: < Re tronves-vous pas, madame, que les plaisanteries en
ces rencontres -là sont bien à contre-iemps?Pour moi, je ne samraislet
souffrir.... »
5. Excellente et flère leçon que donnait ici la l^rny^fe à ceux qni, attachés
comme lui & des princes dont la vie était peu exemplaire, ne savaieht point
comme loi sauvegarder lear propre dignité I
DES BSPBITS FORTS. 34a
pas 4éférftD0fl oa par &ib)<ssa ^ T a-t-il done mv la teinra
des grands assez grands, et des puissants asaei puissants,
pour méviter de nous que noua crojioi^s et que nous vivions
à leur gré, selon leur goût et leais paprices, et quo nous
poussions la eomplaisanoe plus lois, en jinQuvant non de la
naanière qui est la plus sûre pour nous, maii de odle qui
Itur fis&t davantage?
f l'effarais de «eux qui vont oontre le trai» e^mmun et
les grandes règles, qu'ils sussent plus que les autres, qu*ila
eussept des raisons olairea, et de «es firgumeots qui e^a-
portent PQQvieUon.
If jFp voïidriis voir uii homm^i sobre, modéré, ehaate,
éqaita))le , prononcer qu'il n'j a peint de Dieu \ il parlerait
du moins sans intérêt : 'maia set honme ne se trouve
point.
^ J'aurais une extrême curiosité de voir celui qui eerail
\ persuadé que Bien n^eat point; il nae dirait du moins In rpd-
SQU inYincible qqi a su le oonvain^e.
f I^'impossibOité où je suis de prouver que Dieu n'mtPM
pe déeeuvre sou erôtepee.
f Dieu condamne et punit eeu^ qui rofiensent, seul jugn
en sa propce cause; se qui répugne» s'il n'eet lui-même 1§
justip^ et la vérité, o^est-à-dire s^il n'est Dieu.
% Je sens qu^il y a un Dieu, et je ne sens pas qu'il nV ^n
ait point; cela me suffit, tout le raisonnement du ^iQude
m'est inutile* : je oonolus que IHeu existe. Cette poncJusion
est dans ma nature; j'en ai reçu les principes trop aisé*
ment dans mon enfance, et je Ips al conservés depuis trop
naturellement dans un Age plus av^oé, pour l99 soupçon-i
ner ide fausseté. — Mais il 7 a des «sprits qui ee défont de
9f» prineipea» r- C'est une grande question ^'il n'en trouve
Des spperbes mor^U ]b plui affreux li^n,
N'en douions poiot, Arnauld, c'est )a home dn f>ien.»..
Vois>tu ce libertin en public iniréplde,
Qui prdpl^e pQqtre un Dieu ^oe df ns »ûq Ims U croit?
Il irait embrasser la vérité qu'il voit :
Mais de ses faux amis il craint la raillerie,
Et ne brave ainsi Dieu que par poltronnerie.
3..« Le cœur a ses raisons, que la raiaoïi ne connaît pta.«.. C*Mt le cc»ur
oui sent Dieu, et non la raison. » (Pascal). — Pesoartee aiwii «tait tàrû de
ridée que noos avons do Dioo la prauYO do son exisMocs.
344 CHAPITRE XVI.
de tels; et, quand il serait ainsi, cela prouve seulement qu'il
y a des monstres.
% L'dthéisme n'est point. Les grands, qui en sont le plus
soupçonnés , sont trop paresseux pour décider en leur es-
prit que Dieu n'est pas : leur indolence va jusqu'à les ren-
dre froids et indifférents sur cet ariicle si capital , comme
sur la nature de leur âme, et sur les conséquences d'une
▼raie religion; ils ne nient ces choses ni ne les accordent;
ils n'y pensent point.
f Nous n'avons pas trop de toute notre santé, de toutes
nos forces, et de tout notre esprit, pour penser aux hommes
ou au plus petit intérêt : il semble , au contraire , que la
bienséance et la coutume exigent de nous que nous ne pen-
sions à Dieu que dans un état où il ne reste en nous qu'au-
tant de raison qu'il faut pour ne pas dire qu'il n'y en a
plus ••
If Un grand croît s'évanouir, et il meurt; un autre grand
périt insensiblement, et perd chaque jour quelque chose de
soi-même avant qu'il soit éteint: formidables leçons, mais
inutiles I Des circonstances si marquées et si sensiblement
opposées ne se relèvent point* , et ne touchent personne.
Les hommes n'y ont pas plus d'attention qu'à une fleur qui
se fane ou à une feuille qui tombe; ils envient les places
qui demeurent vacantes, ou ils s'informent si elles sont rem-
plies, et par qui.
^ Les hommes sont-ils assez bons , assez fidèles , assez
équitables , pour mériter toute notre confiance , et ne nous
pas faire désirer du moins que Dieu existât, à qui nous pus-
sions appeler de leurs jugements et avoir recours quand
nous en sommes persécutés ou trahis?
% Si c'est le grand et le sublime de la religion qui éblouit
ou qui confond les esprits forts, ils ne sont plus des esprits
forts, mais de faibles génies et de petits esprits ; et , si c'est
au contraire ce qu'il y a d'humble et de simple qui les re-
bute, ils sont à la vérité des esprits forts, et plus forts que
tant de grands hommes si éclairés, si élevés , et néanmoins
si fidèles, que les Léon, les Basile, les Jérôbie, les Augus-
tin*.
1 . G*estȈ-dire aux approcheB de la mon. ^
9. Ne sont paH remarquées.
s. Le pape saint Léoo, qui, en %52, par son éloquence, obtint «KAttlla
DES ESPRITS FORTS. 345
^Un Père de l'figlise, on docteur de TËglise, quels
noms ! quelle tristesse dans leurs écrits! quelle sécheresse,
quelle froide dévotion, et peut-être quelle scolastique! disent
ceux qui ne les ont jamais lus. Mais plutôt quel étonnement
pour tous ceux qui se sont fait une idée des Pères si éloi-
gnée de la vérité , s'ils voyaient dans leurs ouvrages plus
de tour et de délicatesse, plus de politesse et d'esprit, plus
de richesse d'expression et plus de force de raisonnement,
des traits plus vifs et des grâces plus naturelles, que Ton
n'en remarque dans la plupart des livres de ce temps, qui
sont lus avec goût, qui donnent du nom et de la vanité à
leurs auteurs! Quel plaisir d*aimer la religion, et delà voir
crue , soutenue , expliquée par de si beaux génies et par de
si solides esprits! surtout lorsque Ton vient à connaître
que, pour l'étendue de connaissances, pour la profondeur et
la pénétration, pour les principes de la pure philosophie,
pour leur application et leur développement, pour la jus-
tesse des conclusions, pour la dignité du discours, pour la
beauté de la morale et des sentiments, il n'y a rien, par
exemple , que l'on puisse coiAparer à S. Augustin , que
Platon et que Cïcéron.
% L'homme est né menteur. La vérité est simple et in-
génue , et il veut du spécieux et de l'ornement. Elle n'est
pas à lui, elle vient du ciel toute faite, pour ainsi dire, et
dans toute sa perfection; et l'homme n'aime que son propre
ouvrage, la fiction et la fable. Voyez le peuple : il con-
trouve, il augmente, il charge , par grossièreté et par sot-
tise; demandez même au plus honnête homme s'il est
toujours vrai dans ses discours, s'il ne se surprend pas
quelquefois dans des déguisements où engagent nécessaire-
ment la vanité et la légèreté , si , pour faire un meilleur
conte, il ne lui échappe pas souvent d'ajouter à un fait qu'il
récite une circonstance qui y manque. Une chose arrive
aujourd'hui, et presque sous nos yeux; cent personnes qui
root vue la racontent en cent façons différentes ; celui-ci ,
s'il est écouté, la dira encore d'une manière qui n'a pas été
dite. Quelle ciiJMince donc pourrais-je donner à des faits qqi
qu'il t'éloiçDàt de Rome. — Saint Jérôme (S3i-%30), le traductenr de la
Bfble. " Saint Augustin (3%5-430), le célèbre érêque d'Hippone, Tauteur
ae la Cité de Dieu, des Confessions^ etc., le premier des Pères de VEglise
latine.
a(i6 cHAPiTiis xyi.
BOBI «npi«i» 6t éloigaés du aous pav plusieurs siMest cpiel
foiiddmmt doift-je fam «ur 1«b plu« graves l^istQsiens? qu»
4eTieptriiistoiretC^ra4-il été massacre au m^m 4u
aéoatfy a4-il 9^ \m Cé^ar? f Qualla (HmsôqHeQpel f^% ditaa-
¥008; quali doutes! quello demande l i Tous rie^, ^&^ m
me juges pas digo9 d'a^^uae vépoasa; et je a^ois iiiâmeqaa
TOUS a^ei m^on. Je suppose néa^mpiwi qu^ le livp» qui
fait meutioa de Césa? ue soit pas u^ li?re pfQfan^, éprit dd
la mam des boamea, q»i soi»t ^9ute»r«, tr^uf^ par ^m^
dans les bibUotb^quea parmi d'autrea maniiscrits qi^ cout
tiennent des histoires ?raiesou apocryphes ^ qi^'aucontraira
il doit inspiré, aaint, difin; qu'il porte en soi cea oarapt^roa;
qu^il se trouye depuis ps^s de den^ fnille aps dans une ao-
ciété nembreuae qui p'a pas pa rmia qu'on j ait fail^ pendant
tout ç^ temps la moiudre altdratian» et qui s'^st fait una
religion de le ooiiserTer dans topta son intégrité | qu'il f
ait même un engagement religieux et indispensablo d'avoir
do la loi pour tous Isa faits contenus dans ee Toluma oi il
est parlé de César et de sa diotature : ayoues-lOy ImilêproM
douteras alors qu'il y ait eu un César.
^ Toute musique n'est pas propre à louer Biau et à Mie
entendue dans leisanotuairet toute philosophie uê parle
pas dignement de Dieu, de sa puisaaaee , des principes de
ses opérations et de sas mystères : plus cette philosophie
est subtile at idéale, plus elle est vaine et inutile pour ex->
pliquer des choses qui ne demandent des hommes qu'un
sens droit pour être connues jusqaes à un eertain point, et
qui au delà sont inexplicables. Vouloir rœdve raison de
Dieu, de ses perféotions, et, si j'ose ainû parler, de ses
actions, c'est aller plus loin <}ue les anciens philosophes,
que les apôtres , que les premiers docteurs ; mais ee n^est
pas rencontrer si juste, o'est creuser longtemps et profou'?
dément, sans trcmver les sources de la vérité. Dàs qu'on a
abandonné les termes de bonté » de miséricorde , de justice
et de tottte^puissance) qui donnent de Dieu de si hautes et
de si aimables idées, quelque grand eiort d'imagination
qu'on puisse faire, il faut vaoevoir les expregdons sèches,
stériles, vides de sens ; admettre les pensées creuses, écar-
tées des notions communes f ou tout au plus les subtiles et
les ingénieuses; et, & mesura que l'on acquiert d'ouverture
dans unenouveûe métaphysiqpie, perdreunpeudesareligion.
DES ESPIU7P FOliTS. 3^7
f JBsqttMi 0^ les binnmes iip se por(eAti'il|i^ pûiu^ P9r rio-»
térêt de la religion, àm% ilQ lont b| peu persuadés , ^t q^i'ils
pratigueut sinuil!
f Ce1it9 iQ^imA religion que les hommes défendent §fyeQ
chaleur et ayec zèle contre ceux qui en ont une toute oon<-
trpii^, ils r«(ltèrent eux-pêm^s 4^ps leur espiit par des
^ptimânts par^Q^Uers, ils y tyoutei^t et ils en Tfîtrancl^enl
mille choses souvent essentielles, seloQ pe qui leur conyie^t,
et ils demoureat {ei^es et inél^^^nlables dans c^^te forme
qu'ils lui oQt dciMée, Ainsi, h parler populaire^ieni \ m pfiu^
dira d une seule aation qu'eUe ?it spus un m^ê PUlte, et
qu'elle n'a qu'une seule religion; mais, à parler ezaçie^iept,
U est ¥rai qu'elle en a plusieurs, et que ch^oup presque ï
a la sienne-
% Deux sortes de geus fleurissent d^uis les eours, et y dpo
minent dans divan temps, les libertins et les bypeprites ;
eaui^li^ gaiement, ouvertepent, sans art et p^ps dissimula'^
tion; eeuz-ei finement, par des furtifi^es, pï^r )a pabale.Cent
fois plus épris de la fortuue que les prgn^iprs , ils e» soi^t
jaloux jusqu'à Texcès; ils veulent la gouveri^er, la possé*
der seuls, la partager entre eux et eu exclure tout aMtre;
dignités, oharges, postes, bénëgoes, pensious, bQUUeurs,
tout leur ccmvient et ne convient qu'à eux, la roste dep
hommes en est indigne; ils ne epmpreuuentpoiut que saus
leur attache* on ait l'impudence de les espérer. Une troupe
de masques entre dans un bal : ont-ils la maiu, ils dansent,
ils se font danser les uns les autres, ils danseut enoore, ils
dansent toujours : ils ne rendent li| main à personne de
l'assemblée , quelque digne qu'elle soit de leur attention*.
un languit, on sèche de les voir danser et de ne dmser
point : quelques-uns murmurent ; les plus ssges piennQnt
leur parti, et s'en vont.
f^ Il y a deux espèces de libertins : les libertins , peux du
moins qui croient Tétre, et les hypocrites ou Aiux dévota t
. 1. Comme tout le monde.
2. Sans leur agrément.
S. tesmasqaei couraient ^ bel en ImA. Cens doet U e^gife de metteqt à
danser, dansent sans fin et ne dansent qu'entre eux, chpisUiant ton»
Jours l'un des leurs pour remplacer le danseur qui, euiyftQt l'usage en
certaines danses, s'est retiré, et oubliant ainsi que dWres atteas^nt Ipur
tonr.
I
348 CHAPITRE XVI.
c*e8t-à-diK ceux qui ne veulent pas être eras libertins : les
derniers, dans ce genre-là ', sont les meilleurs.
Le faux dévot ou ne croit pas en Dieu , ou se moque de
Dieu ; parlons de lui obligeamment : il ne croit pas en
Dieu.
% Si toute religion est une crainte respectueuse de la
Divinité , que penser de ceux qui osent la blesser dans sa
plus vive image, qui est le prince?
% Si Ton nous assurait que le motif secret de l'ambassade
des Siamois* a été d'exciter le roi Très-Chrétien à renon-
cer au christianisme, à permettre Feutrée de son royaume
aux Talapoins*^ qui eussent pénétré dans nos maisons pour
persuader leur religion à nos femmes , à nos enfants et à
nous-mêmes, par leurs livres et par leurs entretiens, qui
eussent élevé des pttgodes au milieu des vUles , où ils eus-
sent placé des figures de métal pour être adorées, avec
quelles risées et quel étrange mépris n'enteudrions-nous
pas des choses si extravagantes I Nous faisons cependant
six mille lieues de mer pour la conversion des Indes, des
royaumes deSiam, de la Chine et du Japon, c'est-à-dire
pour faire très-sérieusement à tous ces peuples des propo-
sitions qui doivent leur paraître très-folles et très-ridicules.
Us supportent néanmoins nos religieux et nos prêtres ; Us
les écoutent quelquefois, leur laissent bâtir leurs églises et
faire leurs missions : qui fait cela en eux et en nous? ne
serait-ce point la force de la vérité?
% Il ne convient pas à toute sorte de personnes de lever
rétendard d'aumônier^, et d'avoir tous les pauvres d'une
ville assemblés à sa porte , qui y reçoivent leurs portions.
Qui ne sait pas , au contraire , des misères plus secrètes,
qu'il peut entreprendre de soulager, ou immédiatement et
par ses secours, ou du moins par sa médiation? De même il
n'est pas donné à tous de monter en chaire et d'y distribuer,
en missionnaire ou en catéchiste , la parole sainte : mais
qui n'a pas quelquefois sous sa main un libertin à réduire
et à ramener, par de douces et insinuantes conversations,
i. Ceux qui réassiBsent le moins dans ce genre-là, les hTpocritee lei
moins habiles.
2. Vorez page 350, note S.
S. Prêtres siamois.
%. De s'établir publiquement distributeur d'aumAnes.
DES ESPRITS FOllTS. 349
à la docilité? Quand on ne serait pendant sa vie queUapôtre
d'un seul homme, ce ne serait pas être en vain sur la terre,
ni lui être un fardeau inutile.
^ 11 y a deux mondes ; l'un où Ton séjourne peu, et dont
Ton doit sortir pour n'y plus rentrer; Tautre où l'on doit
bientôt entrer pour n'en jamais sortir. La faveur, l'autorité,
les amis, la haute réputation, les grands biens, servent pour
le premier monde; le mépris de toutes ces choses sert pour
le second. Il s'agit de choisir.
% Qui a vécu un seul jour, a vécu un siècle : même soleil,
même terre, même monde, mêmes sensations; rien ne
ressemble mieux à aujourd'hui que demain '. Il y aurait
quelque curiosité à mourir , c'est-à-dire à n'être plus un
corps , mais à être seulement esprit. L'homme cependant,
impatient de la nouveauté, n'est point curieux sur ce seul
article; né inquiet et qui s'eunuie de tout, il ne s'ennuie
point de vivre ; il consentirait peut-être à vivre toujours. Ce
qu'il voit de la mort le frappe j)lus violemment que ce qu'il
en sait : la maladie, la douleur, le cadavre, le dégoûtent de
la connaissance d'un autre monde; il faut tout le sérieux de
la religion pour le réduire.
f Si Dieu avait donné le choix, ou de mourir ou de tou-
jours vivre , après avoir médité profondément ce que c'est
que de ne voir nulle fin à la pauvreté, à la dépendance, à
l'ennui, à la maladie, ou de n'essayer des richesses, de la
grandeur, des plaisirs et de la santé, que pour les voir chan-
ger inviolablement* et par la révolution des temps en leurs
contraires , et être ainsi le jouet des biens et des maux ,
l'on ne saurait guère à quoi se résoudre. La nature nous
fixe et nous ôte l'embarras de choisir*; et la mort, qu'elle
nous rend nécessaire» est encore adoucie par la reli*
gion.
f Si ma religion était fausse, je Tavoue» voilà le piège le
t. t Et si vons aves Tetea an jour, tous etoi tout tbo t un jour est égal
à tous jours. 11 n'y a point d'aultre lumière ni d*aultre nuict; oe soleil,
cette lune, ces étoiles, cette disposition, c'est celle mesmes que tos ayenls
ont jooye et qui entreiiendra tos arrière nep^eux. > (Moniaigne, 1, 19.)
3. Suivant une loi ioTariable.
S. « Nature nous y force. Sortes, dict-elle, de ce monde comme tous y
estes entres. Le mesme passive aue tous feistes de la mort à la ^e, sans
passion et sans fhiyear, relaictes-ie de la vie à la mort. Vostre mort est
vue des pièces de l'ordre de l'univers; cfett une pièce de la viedu monde, s
(llontaigne«LiO
350 OttÀPltRS xn.
flii«oft dNMë qa'il Mit ^Odtible dloiAgliitrt il (ftàh iàëfi-
tâbl« de ne féB tomoir teut â« travers, et do n'y être pas
pris : quelle majesté^ quel éclat des mystères! quelle suite
it qusl esehitnemeiit de teiEittt la dootrine I quelle taiiiDii
émlnéiitel quelle daudeur, quelle Ih&OGênc» de tnœurftl
qtoelld fohse iuti&ciUe «t acOabUdite dés tëmoigiiagës t^û-*
dus suceessiyemeiit et pendant trois sièeles entiers pàt des
millions de personnes les plus sages » les pMs modérées qui
fussent alors sur la terre, et que le sentiment d'une même
rérité soutient dans rexil, dans les fers, eontm k ttie de
la mort et du dernier supplice! Prenez Phlstoire^ butrez,
Remontât jtisques au commeneemetit dti monde ^ jusques &
là veille de sa naissance : f érU\ eu rien de semblable daâs
tous les temps? iMeù même pouTaiib-11 jamais mieux fen-
eontrer pour me séduire? Par eu échapper? où aller, oh
me Jetef , }e ne dis pas pour ti^otiTef rien de meilleur, mais
quelque ohose qui en approche? S'il faut périr, c'esf parla
que je veux périr; il in'est plus doul de niei^ Dieu que de
l'acoorder areo une tromperie si spécieuse et si éntiêté :
mais je Vn Approfondi , je ne puis être athée ; je suis dbnc
ramené et entraîné dans ma religion; è^ôh est fait.
f La religion est traie ^ du elle est fausse : si elle n'est
qu'une taihe fiction, toilà, si l'onreutj soitante atihëes per-
dues peu^ l'homme de hien^ podr le eha^reux ou le seH-
làite ; ils he courent pÂs un autre risque t mais si elle est
fdhdëe sut la vérité même, e'est aloi^ uh épehtahteble miU-
Meut peur l'homme tieieut; ridée seule des maut qu'il se
prépare me trouble l'ima^nation ; la pensée est trop faible
pouf les odtK^foir^ et les paroles trop taines pour les ex-
primer. Certes ) en siipposAet même déhe le âionSé moins
de certitude qu'il ne s'en trouve en effet sur la vérité de la
religion, il n'y a point pour l'homme un meilleur parti que
la vertu*»
1. « rcsoM kl gtlti él H pertet ea flagtent q«e ntèn eat.... Si toqs
fiffoet, tout S«gDM tout; êi tons perdes, yoss né p^réefc rien. Gages dooe
quhi ett, sans bésiter..». 11 y a aoe infinité da iria iDftnimeDC beareuse à
gaçner.... Or quel mal vous arrivera- 1- il en fitenaat oe parti ? Voas èeres
Sdèla^ baonète, horoblev reconnaiaaani, bienfaisant, aineère, ami Yétiiable.
A U yérité, tétta ne serei pnm dana let plaisira emportéa, dana ia flaire,
dans leadétleii^Ddiiaa'eb àurM-voaa point dliittres r..; fe vous dia ^ua
voua y §Bi^9n% en eetta yie, et qu'à dia^tie paa ^ue Voda HBrec dans ce
cbemin, vous verrez tant de certitude de gain, et tant de Aéafit de 08 qué
DES ESPKirS FOkTS. 351
%ié ôe Sâiâ èi ceux qui osent nier Diëd méfîteiil ^•on
S'ëffôtée de lé lètif t>wuveï', et qti'on les traite t^ltis sëriéiiôe-
lîient que l^oii n'a fait dans ce chapitre. L'ignôrancéi qui
est leur caractère, les rend incapables àefi prihcipes les t^us
blairs et des raisonnements les mieux suivis, ^e consens
iiêànthDinis qu'ils lisent celUi t)ue je vais faire, pourvu qu'ils
Hë se persuadent t)is t|ùe c'est tout ne que Ton t)ôiiYait dire
0ur une vérité si éclatante.
tl y a tjTlarante ans que jô n'étaiii point, et ^ù^l h'ëtait
|}â8 en tboi de pouvoir jamais être, èotnihe il he dëpiendpaS
iô moi , qui éuls uile fois , de ii*)6tn5 plui. J'ai dune ettaii.
mencé, et je éohtifauô d'être par quelque chose qui est hors
de moi, qui durera après moi, qui esi meilleur et plus puis*
sànt ^ué mol. Si ce quelque tMst ti'est p&s Dieu, qu'on mè
aise ce que d*est *.
Peut-être que niol qUl existé n'exista àiusi qUë pa^ là
ioTcé d^tiue nature universelle 0[mà toujours été telle qUe
Ubuâ la Voyons, eh remontaht justjues â l'infitiité des
temps I*. Mais cette nature, 6u elle est seuleiiiiint esprit, et
b'est Diéù ; ou elle est màtiètë, et né peut ^ai* eensé^hent
avoir créé mon espHt; bu elle est iin c6iiit)obë de matière et
'd*esprit, et alors, ce qui est esjJiit dans la nature , je Tap-
})elle Dieu.
Peut-être aussi que ce que J'appelle môli esprit h'ëst qu'une
t>Ortion de matière qui éiiste par la force d'Unè nature Uni-
verselle, qui est aussi matière , qui a toujours été, et qtài
'ééra toujours telle que nous la voyons, et qui n*ëst JJoint
Dieu*. Mais du moins feiut-il m'âocordei^ que dé que j'ap-
})èlle moh esprit, quelque chbsë que ce puisse être, est une
chose qui pensé, et que, s'il est matiez. Il est hëceSSftirë-
inent Une matière qui ^ensé; car l^oU ne me persuadera
jpoihit qu'il n'y ait pas en mol quelque bhose 'qui ^ense j^eii-
' dànt que ]é fais ce railàohU'emeht. Or, ce quelque chose qui
éhi éh mol et ij[ui pëhSe, is^lldoit SOil étHè et sa conservation
vpuft bàtardaz. qoé tous reconoattrez à la fiq Qoe vous àTez parié jpoAr une
tnodè cértaiûe^innnie, ^ar laquelle 4on* n'aVeï Hen doi^né. » (pastel).
1. f ébelOD * repris eè rtiaonnefneDt datis te Traité d$ l'exiêttàçt de
piêUf IL 2. Saini Augustin le premier Tàvait présenté dans les Soft-
3. Objection dt ifBtèihe des libertins. {Note de la Brtiyérs.} La réponse
Tient ensuite.
I. Instance des libertins. {Not$Â$ la Brwi/èn.) Stf t Is réponse.
352 CHAPITRE XVI.
i une nature uniTerseUe, qui a toujours été et qui seratou*
jours, laquelle il reconnaisse comme sa cause, il faut indis-
pensablement que ce soit à une nature universelle , ou qui
pense , ou qui soit plus noble et plus parfaite que ce qui
pense; et si cette nature ainsi faite est matière, l'on doit
encore conclure que c'est une matière universelle qui
pense , ou qui est plus noble et plus parfaite que ce qui
pense.
Je continue, et je dis : Cette matière telle qu'elle vient
d'être supposée , si elle n'est pas un être chimérique , mais
réel, n'est pas aussi imperceptible à tous les sens; et si elle
ne se découvre pas par elle-même, on la connaît du moins
dans le divers arrangement de ses parties, qui constitue
les corps , et qui en fait la différence : elle est doçc elle-
même tous ces différents corps ; et comme elle est une ma-
tière qui pense selon la supposition, ou qui vaut mieux que
ce qui pense , il s'ensuit qu'elle est telle du moins selon
quelques-uns de ces corps, et, par une suite nécessaire,
selon tous ces corps, c'est-àrdire qu'elle pense dans les
pierres, dans les métaux, dans les mers, dans la. terre, dans
moi-même, qui ne suis qu'un corps, comme dans toutes les
autres parties qui la composent. C'est donc à l'assemblage
de ces parties éi terrestres, si grossières, si corporelles, qui
toutes ensemble sont la matière universelle ou ce monde
visible , que je dois ce quelque chose qui est en moi , qui
pense, et que j'appelle mon esprit; ce qui est absurde.
Si, au contraire, cette nature universelle, quelque chose
que ce puisse être , ne peut pas être tous ces corps , ni au-
cun de ces corps , il suit de là qu'elle n'est point matière,
ni perceptible par aucun des sens ; si cependant elle pense,
ou si elle est plus parfaite que ce qui pense, je conclus en-
core qu'elle est esprit, ou un être meilleur et plus accompli
que ce qui est esprit : si d'ailleurs il ne reste plus à ce qui
pense en moi, et que j'appelle mon esprit, que cette nature
universelle à laquelle il puisse remonter pour rencontrer
sa première cause et son unique origine , parce quHl ne
trouve point son principe en soi, et qu'il le trouve encore
moins dans la matière, ainsi qu'il a été démontré, alors je
ne dispute point des noms ; mais cetl^ source originaire de
tout esprit, qui est esprit elle-même , et qui est plus excel-
lente que tout esprit, je l'appelle Dieu.
DES ESPRITS FORTS. 353
En nn mot , je pense ; donc Dieu existe : car ce qui pense
en moi , je ne le dois point à moi-même, parce qu'il n'a pas
plus dépendu de moi de me le donner une première fois
qu'il dépend encore de moi de me le conserver un seul in-
stant : je ne le dois point à un être qui soit au-dessus de
moi, et qui soit matière, puisqu'il est impossible que la ma-
tière soit au-dessus de ce qui pense : je le dois donc à un
être qai est au-dessus de moi et qai n'est point matière; et
c'est Dieu.
^ De ce qu'une nature universelle qui pense exclut de soi
généralement tout ce qui est matière, il soit nécessairement
qu'un être particulier qui pense ne peut pas aussi admettre
en soi la moindre matière : car, bien qu'un être unirersel
qui pense renferme dans son idée infiniment plus de gran-
deur, de puissance, d'indépendance et de capacité , qu'un
être particulier qui pense, il ne renferme pas néanmoins
une plus grande exclusion de matière , puisque cette exclu-
sion dans l'un et l'autre de ces deux êtres est aussi grande
qu'elle peut être et comme infinie, et qu'il est autant im-
possible que ce qui pense en moi soit matière qull est in-
sonceyable que Dieu soit matière : ainsi, conune Dieu est
esprit, mon âme aussi est esprit.
^ Je ne sais point si le chien chobit , s'il se ressouvient, s'il
affectionne, s'il craint, s'il imagine, s'il pense : quand donc
l'on me dit que toutes ces choses ne sont en lui ni passions,
ni sentiment, mais Teffet naturel et nécessaire de la dispo-
sition de sa machine préparée par le divers arrangement
des parties de la matière, je puis au moins acquiescer à cette
doctrine '. Mais je pense , et je suis certain que je pense :
or, quelle proportion y a-t*il de tel ou de tel arrangetnent des
parties de la matière, c'est-à-dire d'une étendue selon toutes
ses dimensions, qui est longue, large et profonde, et qui est
divisible dans tous ces sens, avec ce qui pense?
^ Si tout est matière, et si la pensée en moi, comme dans
tous les autres hommes, n'est qu'un effet de l'arrangement
des parties de la matière , qui a mis dans le monde toute
autre idée que celle des choses matérielles? La matière
a-t-elle dans son fond une idée aussi pure, aussi simple,
i. C'est Ift doctrine de Deacartet. Ta Fontaine en a fait l'exposition et l'a
raiUée avec beaacoop de bon sens dans la fable qnl a poor titre Let deux
ratif le renard et VauU
73
354 CMAPUBM ZYI,
mm imou^léridl^t V^'^ c^U* de Tesprit? Commeiit pe«l-
«U« être Id principe d« c« qoi la nie e( Texçlut de son pro-
pie ét?eT Comment »«l;*elle dans l'homme ce ^ui pense.
c'^t4-dir« ee qui e^t à Ti^omme xnêai« un« conyiçUo^ ^n'U
^'e&l point matière T
f 11 J 1^ 4ei é(res qni dimnt peu , parce qn'ile «ont com-
poeiie de çbofes fràe-dilTéreû^ee, »t qi)i »e nuisent récipiq»
fnemtntf V y ep • d'autres qc^i dirent dAvent^i^e , |4r««
qu'ils sont plus simples; mais ils périssent, parce quMa nQ
iMMQtpMd'eyoir 4^ peftie? «^on }«sq^eUee iU peu^nt
ftM difiséa. Ce qui peim en moi doit durer beaucoup, pftrc9
«ne i'eat m ttre pur, «Mmpt 49 tout mélanfe et de touti9
compoaitieBi et il n'y e pa^ de raison qu'il doive péri? ; cax
qui peut eorpompre ou «épimi' uu 4tro fimplo et qui u'4
point de p^iM?
f L'fcne voit In oouleur par Vorgaue d^ l'<nil » et entend
1m toni par rori«ne de Yqt%\\H ; mM ellq p§ut Qoaeer df
voir ou dVntendre, quand oea ^Jm ou «es p^jete \{\i m^jf^
quent. 8»ns que pour cela oUe çeai^ d'âtrfi, ps^rce quQ Vim
u'f at point pvéoieinient ce qui voit la coul^uTi ou ce qui oo?
tendiez sous; ell^ n'^t que oe qui poupoi Qr, eomnout
peutrelle cesser d'être tell§? Ce n'r^t point par le dé&ut
d'orgnne, puisqu'il est prouvé qu'elle u'e^t point matière;
m par lo défaut d'ol)i«t, tant qu'il y aura un Qieu Qt d'dW^
pellea ?érité« \ aUe ont donc iuoorruptibUf
f le ne oonooi» point qu'una <^a que pi^u a touIu rexu«
plir de l'idée de ^n ètra infini ot ^ouv^r^^eut parfait
doive être anéantia,
f VçyeE.iiVc^S ae îUOrceau do terra, plus propre et
plus orné ^ua les autre» tarraa qui lui août contigui» ; ici,
M sont daa eompartimau^ luttéa 4'«aux plate» * et d'eaux
iftiiliegautaa; 14, dos alléas au palissada' qui n'ont pas de
fin, et qui voui aouTP^nt de» yents du ^ord \ d'up câté, o'est
un boifl épais qui défand de tous les aoloils , et d'un autre
un beau peint de vue; plu» ba»i u^o Ive^tOr ou uu LisuoUt
qui coulait obaouréwant entra loa aaula» ot les paupUoru,
1. Cette leçon s'adrèMe nus éoQte à I*é1èM de la Bruyère, eWt-à^dive a«
dno de Bourbon. Le moroean de terre doniil s'agit est le parc de Chantilij:.
S. M^ïait^M ttfl^ de iw^furQ I» Q0 qifiii fqnoflatu» «ivr da
dure.
DES BSPRrb rOKTS. 955
et^ iê^m^n vm 9%m\ %\À Ml r#?dttt ^ «ôU^ois,^ de k)ngiiea et
f ratç]}^ avaBu^g m ^fieait à»m la oan^pagiie, el annoncent
lamsôflon, qni ^ aatouré^ d'^au. Vous récrierei^^oas :
fc Qu^ jeu di» ]»a9ardl combien de hellea olioaes te sont
reneontré^ ^aseoiibie inepintoentl » Ntin, sans doute;
^i)m di(^9 au oontwra : « Gela est bien imaginé et bien
0Td99M^; il H$TSi^ iei m biOB 90ût et beaucoup d'intelli-
gfPM* ^ ^ fiarlerai ooBuna tous, et j'a)outevai que oe doit
ètT« la demeura de quelqu^un de oes gens ohea qui un
N4^?Ha* Yi^ trae«F et piMOidvQ des alignements dès le jour
même quUls acm^ ea place. Q^'^^o* pourtant que oette
piie« de terfe Idoii disposée, et où tout Part d'un ouYrier
)u^)Âl^ a été «employé pour Veiabelliis si mâme toute la terre
p'eat ou -un atome «uapeadu en l'air, et si vous écoutez ce
que je Tai« diret
Vous é^si l4ç^aéi A liU^ila, quelque part sur cet atome; i}
lai^t doua que yous soyei bien petit, car ipous n'j occupes
pas U9e grande ptoce: eependaul tous ayes des yeux, qui
§QQt i^m poiut^ impe^eptitde^ } ue laisses pas de les ou-
yrir fer» le ciel : qu'y aperceyex-TOua quelquefois^ La lune
4ans ^ov, pleiu? illl^ ast Jpk^Ue alovs et fort lumineuse, quoique
^^ lupi^i^TQ lie soU que la réflexion de celle du soleil : elle
Pfffs^i gH^^d^ comQie le aalail t plus grande que les autres
planète); et qu-«uoaPQ daa étoiles* Mais ne yeus laissez pas
^mpei pav les deboni; il u'y a rien au ciel de si petit que
ta ^W^f^ I ift superficie est treiie fois plus petite que celle de
la terre, sa solidité quarante-huit fois ; et son diamètre, de
sept cent cinquante lieues, n'est que le quart de celui de la
tsFM 3 aussi est«il vrai qu'il n'y a que son ▼oisiuage qui
lui donne une i^i grî|pde ?ippa?eppe , pni$qu*PÏle p'pst guêrei
plus éloignée de nous que de trente fois le diamètre de la
terre, o\i ^ue s^ dist^çe {l'est pe de ç^nf mille lieueç,*.
I. Iiegeapids leNantttp at de la Tbèw, jasqua-là perdats dans lea mare*
çnges, furent •nferaiées dans un canal par les ordres ds Gondé et se trans-
formèrent en cascades et en « jets o'eaa qai ne se taisaient ni Jour ni
unit, I selon l'espression de Bossuet. Le Lignon «t rVfette, qoe la Bruyère
nommea leur place, sont deux petites riTières dont Pune prend sa source
dans les montagnes du Fores et se jette dans la Loire, et dont Fautif naît aux
enf iront de Ham^ooillet, ut paspa a Gbeyreuse, Orsay, Longinmeau, etc. Le
roman d'Astrée a donné quelque eélabrité au Lignon.
S. André le Hfttre, qél^bre dessinateur de iardins, qui mounrt en 1700. n
dMSin» Its iMiPca de yenaiUes, de Cbantilly, et tous les grands ijsrdinsde
s. I4M làifliNW qaeieeae le Bruyère dane tette ■rgsnieiitaliai ne sont
356 CHAPITRE XVI
EUo n'a presque pas même de chemin à faire en comparai*
son dn vaste tour que le soleil fait dans les espaces du ciel * ;
car il est certain qu'elle n'achève par jour que cinq cent
quarante mille lieues' : ce n'est par heure que vingt-deux
mille cinq cents lieues, et trois cent soixante et quinze lieues
dans une minute. 11 faut, néanmoins, pour accomplir cette
course, qu'elle aille cinq mille six cents fois plus vite qu'un
cheval de poste qui ferait quatre lieues par heure; qu'elle
vole quatre-vingts fois plus légèrement que le son, que le
bruit, par exemple, du canon et du tonnerre , qui parcourt
en une heure deux cent soixante et dix-sept lieues'.
Mais quelle comparaison de la lune au soleil pour la gran-
deur, pour l'éloignement, pour la course! vous verrez qu'il
n'y en a aucune. Souvenez-vous seulement du diamètre de la
terre, il est de trois mille lieues; celui du soleil est cent fois^
plus grand, il est donc de trois cent mille lieues. Si c'est là
sa largeur en tous sens, quelle peut être tonte sa superfi-
cie! quelle sa solidité l 'Comprenez-vous bien cette étendue,
et qu'un million de terres comme la nôtre ne seraient toutes
ensemble pas plus grosses que le soleil "T Quel est donc,
direz-vous, son éloignement, si Ton en juge par son appa-
rence? Vous avez raison, il est prodigieux; il est démontré
qu'il ne peut pas y avoir de la terre au soleil moins de dix
mille diamètres de la terre, autrement moins de trente mil-
lions de lieues : peut-être y a-t-il quatre fois, six fois, dix
fois plus loin; on n'a aucune méthode pour déterminer cette
distance ^
pas tons Ti^oareosement exacts. Ainsi le volome oa la solidité de la hine esc
49 fois moindre qae le TOlume ou la solidité de la terre ; son diamètre est de
797 lieaes; elle est à moins de 9S000 lieues de la terre, etc.
1. La Bruyère fait donc tourner le soleil sutour de la terre : il n'adopte
pas le système de Copernic, que Galilée n'avait pu faire triompher, et que
Descsrtes n'avait osé professer publiquement. 11 y fera toutefois allusion un
peu plus loin.
3. Il faut en compter plus de 600 000, si Ton se place, comme la Bruyère,
dans le système oii l'on suppose que la terre est immobile, Bn réaiiié, la
lune ne fait Kuère que 30 ooo lieues pnr iour de 34 heures.
3. Ce chiffre est au-dessous du chiffre exsct ; le son parcourt plus de
300 lieues en une heure.
4. Cent dix fois.
5. Le volume du soleil est 1 400 000 fois plus gros qae celui de la terre;
sa masse est 35S fois plus forande que celle de la terre.
e. Cette distance est de 33 millions de lieues. ~~ « Que l'homme contemple
donc la nature dans sa haute et pleine majesté ; qu'il éloigne sa Toe aes
objets bas qui TenTironnent; qu'il regarde cette éclatante lumière mise
comme une lampe éternelle pour éclairer l'uni vere; que la terre lui pareime
DES ESPRITS FORTS. 357
Pour aider seulement votre imagination à se Im repré-
senter, supposons une meule de moulin qui tombe du soleil
sur la terre; donnons-lui la plus grande vitesse qu'elle isoit
capable d'avoir, celle môme que n'ont pas les corps tombant
de fort haut; supposons encore qu'elle conserve toujours
cette même vitesse, sans en acquérir et sans en perdre ;
qu'elle parcourt quinze toises par chaque seconde de temps,
c'est-à-dire la moitié de l'élévation des plus hautes tours,
et ainsi neuf cent toises en une minute; passons lui mille
toises en une minute, pour une plus grande facilité ; mille
toises font une demi-lieue commune; ainsi en deux minutes
la meule fera une lieue» et en une heure elle en fera trente,
et en un jour elle fera sept cent vingt lieues : or, elle a
trente millions à traverser avant que d'arriver à terre; il
lui faudra donc quarante-un mille six cent soixante-six
jours t qui sont plus de cent quatorze années , pour faire ce
voyage. Ne vous effrayez pas, LucUe, écoutez-moi : la dis«
tance de la terre à Saturne est au moins décuple de ceUe de
la terre au soleil; c'est vous dire qu'elle ne peut être moin-
dre que de trois cents ndllions de lieues, et que cette pierre
emploierait plus de onze cent quarante ans pour tomber de
Saturne en terre.
Par cette élévation de Saturne, élevez vous-même, si vous
le pouvez , votre imagination à concevoir quelle doit être
l'immensité du chemin qu'il parcourt chaque jour au-dessus
de nos têtes : le cercle que Saturne décrit a plus de six
cents millions de lieues de diamètre, et par conséquent plus
de dix-huit cents millions de lieues de circonférence ' ; un
cheval anglais qui ferait dix lieues par heure n'aurait à
oomme vu point aa prix dn Tute Umr que oel astre décrit, et qu'il s'étODne
deoe qae ce va»te toor lui-mèine D'est qu'an point très^délicat à l'égard de
celui que ces astres qui roulent dans le lirmament embrasse. Mais si notre
▼ne s'arrête là, que l'iiuMioation passe outre : elle se lassera plutôt de con-
cevoir que la nalarede fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait im-
perceptible dans l'ample sein de la natnre. Nulle idée n'en approclie. Nous
avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables : nous
n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. • (PascaL)
1. La planète Saturne, qui est de SOO fos plus grosse que la terre, et
qui est 9 fois i/? plus loin qu'elle du soleil, se meut, à S66 000 OuO lieues du
auieil, dans un orbite qu'elle décrit en 39 an», 5 mois, i4 Jours. Du temps de
la Bruyère, on croyait que Saturne était la grande planète la pins éloignée de
notre «ystème planétaire. Herschell a découvert en ITSi la planète Uranus,
qui est 19 Tois plus loin du soleil que la terre, et entln M. Galle a découvert
en i8%6, sur les indications de M. Leverrier, la planète Meptane , qui est
trente fois plus loin du soleil que la terre.
358 CflAPlTRE XVI.
OMiir fii« vingt ttittè ciaq otal fWMÉMitil en pour
6dro oe tour.
Je n*ai pas toat dil^ d Lucito, «or le nirteld d« M mosd»
visible, on, eommo ¥0«s ptrlei qttelqvefois, sur le« m«k^
veUles da luuard. ^è von «dmettM ■e«l pmnr 11 «iiiM
première de tout» dioses. H est «ncors ttfi oavrier plus
admirable f ae vous ae peasea^ ONiaaisaei la hasard, lAia*
ses-vous instraire da taata là puiSBàaoa da vatra Oie^
Savaz-vOQS qaa cette diatanaa da trMHi taiUièaa da Itauaa
qa"û 7 a de la terreau aoleil> at aalia da troia eeats millmoa
de lieues de la terre à Saturne, saat û peu da ohnaa, oaoa*
parées à rétoigaameat (|u'ii 7 a da la tarra aua dloilaa) qaè
ce n'est pas même s'tooiroer assez jasta ^^% de sa aarvit^
sur le sujet de oe6 distaiioaa, da tama de SoaiipandsMt
Quelle proportion, à la térité, da aa ^ sa mesure^ ^6l»
çue gfaad qu'il paisse étrs^ avea sa (|\ii ne se nvesti^ pas t
On lie connaît pmnt la hauteur d'una iKoile; ette asi, si
j'ose ainsi parler, immmtuNMê *; il n'j a plus ai angle» , ai
sinus, ni parallaxes, dont on puisse a'aidef* 61 uA hôtetais
observait à Paris una étoile fixa, at qa'tta autfè la i^gkrdlft
du JatKMi, las deux lignaa qtd partiraiakit da leurs 7ett
pour aboutir jusqu'à cet astre ne feraient pas Un luigtaj «I
se aoufondraient m «ne âeula at mèâie ligW, tail bt lêf re
entière n'aat pas espace pa^ rapport i aas éloigïiemaàt» JtaA
les étoiles <mt aela da oomnan aVoto Salume ^ àVeé lé m»^
lail : il faut dira quelque ahbse de j^ua^ ai dauik: obsai'vUP'
teurs^ Tun sur la terre et Tautra dans la aoteil, ^bèaTTaiefil
en même temps une étoile, les deux rayons VisâM ië ca6
deux observateurs ne foraulratot paiut d*an^ aenjubti»
1. Ostts «pfresiiea n*m% pm m»éê atM la huigUb^ ai aa 1% uSW a W
fdgreué. inco mm ê nt mrmbèi we yféseMt fM k iseiûé «igfefSUMIoa t élNlt
ligoes «oBt itioommeiMvrablet lorsqik'eMM a'bDt fMtà te KieMia tOtotnttâs^
■i peiile ^a'Mto Mil. --- « O» s'oit tmewpé wsmMlaÊkiipMnevi, ail àiata,
qaMl s'y a aâcaite éloil« éd p^Miière sratidMr éMt k tomièia fMSs jl^
vienne en siotaséè trois aas» D'aiirSs oeMi, l«s ISniSrM dbs éMilcè a» «tS^
rents ordres seratest à de teltes disianees d« 4a terre que la Isttiièia m
saurait les parcoarir) pear les étoiles de preMièfa a^aa«iit«) es ttAiiis dé
t an*, pour les étieilcs de deuaième f riadeui', «s moittli de S SM, pMr les
deraières é«oites visibles avec 4e téiescofie de l^ffiètres en liioiiisde i éfeS saS|
pour les dernières étoiles visibies av«o lé léleeoope de S ttittras, M aloltis
de i 7oe aask • Les étoites de preiiière graiideùr eeat A hait taMlloM da
lieaesk Oa évalae, poar citer desex^tapless que la kiSiiéivde l'dloiis Sir^ia
ne nous parvieet qa'après M ooo ao« pour la Moiaa, «t qa^e «fet i plas da
B8 miliioBS da lieue» ; que Is lumière de la Chèvre ne nous parvient qo'aprèS
Ti 000 ans pour le moins, et qu'elle est à plas de !?• miUiotis de lieeea.
DES ESPRITS FORTS. ^59
Vmf eoncètolf là chôâe ftnttémetit, A uli hoâitte était ài^
tué dâbs une étoile , notre âoleil, ûottè tetf e, et ied tfénttt
lûillions de lieues qui les séparent, lai pâf atttaieût Un inômë
point : ôela èBt démontré.
On ne sait paii ausài la distanôe d'une étoile d'a^eô uûô
àutfe étoile, quelque Voisines qu^elleà nous palraisseht. Les
t^léiadès se touchent pfêsque, à en jugef p&r Uoà yeux : Uûè
étoile patatt assise sUf Tune de telles qui tohnent la quéud
de la grande Ourse ; à peine 1& tuô peut-elle attethdi'e à
diàcètlielr la partie du ciel qui les sépare, e*est eonime une
étoile qui pafàtt double. Si cependant tout l'art des astro-
nomes est inutile pour en marquer la distance, que doit-on
))enser de l*éloignement de deut étoiles qui en effet parais^
Sent éloignées Tune de Tautre, et à plus forte raison deS
deut polairest Quelle est donc l'immensité de la ligne qui
Jiasse d'une polaire à Tautre t et que sera>»ce que le ôercle
ont eette ligne est le diamètre? Mais n*est-ee pas quelque
6hose de plus que de sonder lèâ abîmes, qUe de tunlolr ima-
^ner la solidité du globe , dont ce cercle n^eât qu'une see=-
tiont Serons-nous encore surpris que ces mêmes étoiles,
si démesurées dans leur grandeur, ne nous paraissent néan-
moins que Comme des étincelles ? N*aàmiréronâ-nous pas
))lutôt que d'une hauteur si prodigieuse elles puissent lion-
Serv«r une certaine apparente, et qu'on ne les perde pas
touteà de Vue? tl n*est pas aussi imaginable cnmbien il nous
en échappe. 6n fiie le Ut^mbre des étoiles : oui, de celles
qrii sont apparentes^, le moyen de compter celles qu'on
n'aperçoit point, celles, par exemple, qui composent la toiè
tie lait*, cette trace lumineuse qu^cn remarque au ciel,
dans une nuit sereine, du nord Su midi, et qui, par leur
eïtractdinaire élévation, ne poutant percer jusque nos
yeui pour être vues chacune en particulier, ne font stu
plus (pie blanciiir cette mute des deut cù eltes S(mt pla^
cées ■ t
Me Yoilà donc sur la terre comme sur un grain de sable
i. tn disait indttfët^ment à eette Ét>bqtié «otl tf» Ult et Ml» Ifttl^.
!l. « X>û ft*eBi fiouvent posé cette question capitale: 6iiroiûefi y a-tpi1 à^toilesf
le nombre de celles qui sont ^5U)1es à f œil ne s^^Ve pas a pHus de s eoo
d*an p^e à Tauire : naais au télescope ce Aombhi augmente éntrfbftnelit.
in T adee milliards d'étoiles; on n*eo a e&core catalogaé qu'une centaine tie
mille, pour servir de repère aux observations des mouTements des plafiMea
et des comètes. » (Arago, Leçons d^oêtronomiê).
360 CHAPITRE XVI.
qui ne tient à pen, et qui est suspendu au milieu des airs:
un nombre presque infini de globes de feu d'une grandeur
inexprimable et qui confond l'imagination , d'une hauteur
qui surpasse nos conceptions, tournent, roulent autour de
ce grain de sable, et traversent chaque jour, depuis plus
de six mille ans, les vastes et immenses espaces des cieux.
Toillez-vous un autre système, et qui ne diminue rien du
merveilleux? La terre elle-même est emportée avec une
rapidité inconcevable autour du soleil, le centre de l'uni-
vers*. Je me les représente, tous ces globes, ces corps ef-
froyables qui sont en i^arche ; ils ne s'embarrassent point
l'un l'autre , ils ne se choquent point, ils ne se dérangent
point : si le plus petit d'eux tous venait à se démentir et
à rencontrer la terre, que deviendrait la terre? Tous au
contraire sont en leur place, demeurent dans Tordre qui
leur est prescrit, suivent la route qui leur est marquée, et
si paisiblement à notre égai^d, que personne n'a l'oreille
assez fine pour les entendre marcher, et que le vulgaire ne
sait pas s'ils sont au monde. économie merveilleuse du
hasard! l'intelligence même pourrait -elle mieux réussir?
Une seule chose , Lucile , me fait de la peine : ces grands
corps sont si précis et si constants dans leur marche, dans
leurs révolutions et dans tous leurs rapports , qu'un petit
animal relégué en un coin de cet espace immense qu'on
appelle le monde , après les avoir observés, s'est fait une
méthode infaillible de prédire à quel point de leur course
tous ces astres se trouveront d'aujourd'hui en deux, en
quatre, en vingt mille ans. Voilà mon scrupule, Lucile ; si
c'est par hasard qu'ils observent des règles si invariables,
qu'est-ce l'ordre? qu'est-ce que la règle?
Je vous demanderai même ce que c'est que le hasard :
est-il corps ? est-il esprit ? est-ce un être distingué des au-
tres êtres, qui ait son existence particulière, qui soit quel-
que part? ou plutôt n'est-ce pas un mode, ou une fago
I. Non pts le centre de l'onifers, mai» le centre de notre système plané-
taire : la Bruyère répète à tort l'expression que l'on employait d'ordinaire.
Après a?oir donné pour point de départ à son argumentation le système
qui avait encore le plus grand nombre de partisans, il en Tient à celui
qu'arait exposé Fontenelle dans ses Entretiens nir la pluralité des
mondes. Ce traité, dans lequel Fontenelle expliquait avec clarté la théorie de
Copernic, de Galilée, de Gassendi, etc., ainsi que le système de Descartes
sur les tourbillon:^, avait paru en 16S6.
DfiS ESPRITS FORTS. 361
d'dtre? Quand une boule rencontre une pierre, Ton dit:
c'est un hasard; mais est-ce autre chose que ces deux corps
qui se choquent fortuitement? Si par ce hasard ou cette
rencontre la boule ne va plus droit, mais o'bliquemént; si
son mouvement n'est plus direct, mais réfléchi ; si elle ne
roule plus sur son axe, mais qu'elle tournoie et qu'elle pi-
rouette, conclurai-je que c'est par ce même hasard qu'en
général la boule est en mouvement? ne soapçonnerai-je pas
plus volontiers qu'elle se meut ou de soi-mAme, ou par Tim-
pulsion du bras qui l'a jetée? Et parce que les roues d'une
pendule sont déterminées Tune par l'autre à un mouvement
circulaire d'une teUe ou telle vitesse, ezaminerai-je moins
curieusement quelle peut être la cause de tous ces mouve-
ments, s'ils se font d'eux-mêmes ou par la force mouvante
d'un poids qui les emporte? Mais ni ces roues, ni cette
boule, n'ont pu se donner le mouvement d'eux-mêmes ', ou
ne l'ont point par leur nature, s'ils peuvent le perdre sans
changer de nature : il y a donc apparence qu'ils sont mus
d'ailleurs, et par une puissance qui leur est étrangère. Et
les corps célestes, s'ils venaient à perdre leur mouvement,
changeraient -ils de nature? seraient- ils moins des corps?
Je ne me l'imagine pas ainsi ; ils se meuvent cependant, et
ce n'est point d'eux-mêmes et par leur nature. 11 faudrait
donc chercher, ô Lucile, s'il n'y a point hors d'eux un prin-
cipe qui les fait mouvoir; qui que vous trouviez, je l'ap-
pelle Dieu.
Si nous supposions que ces grands corps sont sans mou-
vement, on ne demanderait plus, à la vérité, qui les met en
mouvement, mais on serait toujours reçu à demander qui
a fait ces corps, comme on peut s'informer qui a fait ces
roues ou cette boule ; et quand chacun de ces grands corps
serait supposé un amas fortuit d'atomes qui se sont liés et
enchaîna ensemble par la figure et la conformation de
leurs parties, je prendrais un de ces atomes et je dirais :
Qui a créé cet atome ? Est-il matière ? est-il intelligence ?
A-t-il eu quelque idée de soi-même , avant que de se faire
soi-même? 11 était donc un moment avant que d'être; il
était et il n'était pas tout à la fois ; et s'il est auteur de son
être et de sa manière d'être, pourquoi s'est-il fait corps
1. La gnimiiairt exig» d'elUs^minuê»
ses CHAPITRl XVI.
plittM <ttL*Mpritr Bien pliiB, eel atome a'a^i^l fôidt MnW
mencëT esi-il étemslt etUîl infini Y 7ertt«^toiift «n Dién de
mi «tome ' ?
f Le oiron**! des yetit» il M détourne à U retioofttM dM
objelt <|ai lui pourraient aaire; quand on lé met Mr de Té*
Moe pour le mienx remarier, si^ dans la temps ftt*il tnaf-
ohe yen on c6ttf , on lui présente le taolodri fëtn, il ehaa^
de route x eatH^e un jeu da hasird qaa een oriataUln^ aa fé*-
tine et ton nerf optique t
L'on Toit dans une goutte d*eau qtia le paiYfê ^*M )r
a mia tremper a altérée» nn nombre presque fnnombrabie
de petits animaaX) dont la miofoâoope nous fait apercetoir
la fifnre^ et qui ae meuyent atea une i*apiditd incroyable
comme autant de monstres dans une TsAte tner ; tbaoun de
ces animaux est plus petit mille fois qu'un éiroil ^ et néan*
Boitia c'est un e<M*ps qui vit ^ qui se nourrit^ qui oh>ît, qui
doit atoir des musoles, des vaisseaux équivalents sût Yêi«^
aea^ aux nérlUi aux artères^ et un terreau pollf distributtt
Iss sBpriti animaux'.
Une taehe de moisissure da la (grandeur d*an igtixt. ds
aable parait dans le tniorôseope eomma un amaa de p1qn>
aieUM plantes très-distiattas, dont les unes eut das fieufs,
les autres das ChiitS; il y en a qui liront que éèi boutons I
demi ourarts ; il y an a qualques^mes qui sant fanéas t dé
quells étrange petitesse doiveiit èti^ les racines et les filtires
qui séparent les aliments de ces petites plantes I Et ai Ton
mat à canalddrar qua aaa plantes ant laufs f faines, ainsi
1. FéneloD s'arrêtera plu iMgoemeBt, dans «on Traité je Vtivtmm Jê
0fM«, àts itréoTft dèk EpItmifeSB, (|ai, après tèuclppe, Héitaoc^^tè et uen
é'mtras aivisiSeBi les tarpa en Égréuftia et M auwea. bMè ISot Sc xl rtas »
Jeft atomes, corps élémeniaires dont se comoiisent len agFMats» aoet
liSfiiels es èarte, itoltis e& ntftibre, et doués, ^S loate élérnltt^. do teoa»
▼eveiit qmiieeryeraietiile se iwicoiiCl^r et Se se senfeMM^ Ce Syeièiaè S
été exposé par Lucrèce dans le De naiwra nnmu et par Gasseedi dan* eaa
trattQk But Êpteure. n a «té robjei de l^oml^reiisas réfutatlotas.
s» PMcal alwBi s'eM seHi Su eifOn Sém soti «lasiieBlfeiioiH «I «oSi «
montré « daas la petitesse de Mti corps des parties i nr^imjparableipeiit
p\ùB petStes, des Jttabes avBc^es )ointiite8, de& reities daos ces jambes, de
sang dase ces veiiiesi» des htmeura dstis ce saSg^ aii gOutUa Smié tas
humeurs, etc. »
^. « les e5]f>f1tk sont le» patt!^ m )>)us Volatiléi du (Sbrp^, HfA séhrènti
flUre toutes ses «pélvtioiMk Lea esprits «mtmosA; «oiit Ufcs wcjA «rèeaBuSUIè
et très-mobiles coutenus dans le cerveau et dans les nerfs ; ils sont les
auteurs du sentiment et du monvernoot animal. » {Dict, de Tréwmx,) La
théorie des esprits animaux est depaia ^TrgtirmpB tOTaisiifi par ia seieMe.
DES ESPIUTS FORTS. 363
qad Ito cMies ^t les pins^ et que ôsb pttUs immawc dont
' )6 tieliÀ dtt patlvr m multiplient par Toie de génération,
comme Idê ^léphaftts et les baleines, où cels ûe mène<>t-il
poiiitr Qtiii A BU travAiller à des outragés si délicuts, si ûû^
qui édhftpp«ilt à U vQt des hommes^ et qui tiennent de
l'infitii eo&me les lûeux^ bien que dftitt l'autre extrémité ?
Ife seràii-éd poiut celui qui a foit leé cieui^ les astres, ces^
masses énormee^ époufantables pat leur grandeur, par leur
léléVatien» par U rapidité et l^teudua de leur eeurse) et qui
«e joue de left ftiire teouVoir?
^ U <ft8t de fait qtté i'bomme jouit du soleil^ des afetreSi
€esoîéuic et de leurs influmoes^ eomme il joût de Fair
qu'il respiré, et de la terre sUr laquelle il marehe et qui le
èontient; et s'il flallait ajouter à là certitude d'un fait la
êonvenance ou là vraisemblànoe, elle y est tout entièrei
puisque les ^ieux et tout eu qu'ils conti^oneiit ne peuvent
pas entrer en comparaieon^ pour la aioblesse et la dignité,
ureo le moindre des hommes qui sont sur la terre , et que
la propoMo)! qdi se trouvé entre «us et lui est «elle de la
matière incapable de eeûtiment, qui eAt sevdeoient une éten«
due selon trois dUuetisioiiB , à ce qui est esprit, raison^ ou
intelligence *. Si Ton dit que l'homme aurait pu se passw
Il moins pour sa eonâertuUon^ je réponds que Dieu ne pou<-
tait moin» faire pour étaler eon poutoir, %a bonté et sa
matipQifi^eiiOe) puisque, quelque chose que nous Toyions
qu'à ait fait', il pouvait faire infiniment davantage.
Le xhohd« ^kAiét^ e'ti eet ùit pour Thomme, eet littéra-
lement la moiuâre choee que Dieu ait fait pour l'homiifte;
!à preuve e*ett tire du fend de la religion : eu n'est àai»
Yd vanité ni présomption à l'homme de se rendre au^ ses
avantages à la forée de la Vérité \ ce aérait en lui stupidité
«t aveuglement de 4ie pae ee laisser containere par Teii»-
ohaiuemeiàt des preuves dont la religion dé sert pour lai
1. « L*hoMi6 fi^st cpi'iiB h»MM. te i^lut Caibl^ Ab U nature , mais c'est on
roaeao pensant. U ne faut pas que Vunivers entier sWmb pour l^écraser :
une YSpetir, utB goutte &\xA somi p^nr le ttier. Mais ^uand ranirers l'écra-
serait, l'homme 8erait encore plus noble que ce (]ui le lue, parce qu'il sait
qu'il meurt, et ravaniage que TuniTers a sur lui, l'univers n'en s^iit rien.
Ainsi toute notre dignité consiste dans la pensée. C'est de là qu'il faut nous
feleveir, non dtt l^sptce eitfe 4à datév» » (Fateaii)
3. Ni tiens cette pMtM «i éMOt iieaea ptaa Mat U Bnike n'a Jhil
accorder le participe.
364 CHAPITRE XYI.
faire connaître ses privilèges, ses ressources , ses espéran-
ces, poar lui apprendre ce qu'il est et ce qu'il peut devenir.
— Mais la lune est habitée ; il n'est pas du moins impos-
sible qu'elle le soit *. — Que parlez-vous, Lucile, de la lune,
et à quel propos? En supposant Dieu, quelle est en effet la
chose impossible? Vous demandez peut-être si nous som-
mes les seuls dans l'univers que Dieu ait si bien traités ;
s'il n'y a point dans la lune ou d'autres hommes, ou d'au-
tres créatures que Dieu ait aussi favorisées? Yaine curio-
sité I frivole demande! La terre, Lucile, est habitée; nous
rhabitons, et nous savons que nous Thabitons ; nous avons
nos preuves, notre évidence, nos convictions, sjir tout ce
que nous devons penser de Dieu et de nous-mêmes ; que
ceux qui peuplent les globes célestes, quels qu'ils puissent
être, s'inquiètent pour eux-mêmes ; ils ont leurs soins , et
nous les nôtres. Vous avez, Lucile, observé la lune, vous
avez reconnu ses taches, ses abîmes, ses inégalités, sa hau-
teur, son étendue, son cours, ses éclipses : tous les astro-
nomes n'ont pas été plus loin. Imaginez de nouveaux in-
struments, observez-la avec plus d'exactitade : voyez-vous
qu'elle soit peuplée, et de quels animaux? ressemblent-ils
aux hommes ? sont-ce des hommes? Labsez-moi voir après
vous; et si nous sommes convaincus l'un et l'autre que
des hommes habitent la lune, examinons alors s'ils sont
chrétiens, et si Dieu a partagé ses faveurs entre eux et
nous.
^ Tout est grand et admirable dans la nature; il ne s'y
voit rien qui ne soit marqué au coin de l'ouvrier ; ce qui
s'y voit quelquefois d'irrégulier et d'imparfait suppose
règle et perfection. Homme vain et présomptaeax I faites
un vermisseau que vous foulez aux pieds, que vous mépri-
sez : vous avez horreur du crapaud, faites un crapaud, s'il
est possible. Quel excellent mattre que celui qui fait des
ouvrages, je ne dis pas que les hommes admirent, mais
qu'ils craignent 1 Je ne vous demande pas de vous mettre à
votre atelier pour faire un homme d'esprit, un homme bien
fait, une belle femme; l'entreprise est forte et au-dessus
1. Voyez, dang les Entretiens iwr la pluralité de$ mondtSy les ingé-
nieux chapitres que Fontenelle a consacres à l'bypoUièse qui de la Inné el
des planète» fait des terres habitées.
DES ESPRITS FORTS. 365
de vous : essayez seulement de faire on bossu, un fou, un
monstre, je suis conteot.
Rois, monarques, potentats, sacrées majestés, vous ai-je
nommés par tous tos superbes noms? grands de la terre,
très-hauts, très-puissants, et peut-être bientôt tout-puissants
seignewrSy nous autres hommes nous avons besoin pour nos
moissons d'un peu de pluie , de quelque chose de moins,
d'un peu de rosée : faites de la rosée, envoyez sur la terre
mie goutte d'eau.
L'ordre, la décoration, les effets de la nature, sont popu- .
laires*; les causes, les principes, ne le sont point. Deman-
dez à une femme comment un bel œil n'a qu'à s'ouvrir
pour voir, demandez-le à un homme docte.
^Plusieurs millions d'années, plusieurs centaines de
millions d'années, en un mot tous les temps, ne sont qu'un
instant, comparés à la durée de Dieu, qui est étemelle :
tous les espaces du monde entier ne sont qu'un point,
qu'un léger atome, comparés à son immensité. S'il est
ainsi, comme je l'avance, car quelle proportion du fini à
l'infini T je demande : Qu'est-ce que le cours de la vie d'un
homme T qu'est-ce qu'un grain de poussière qu'on appelle
la terre? qu'est-ce qu'une petite portion de cette terre que
l'homme possède et qu'il habite? — Les méchants prospè-
rent pendant qu'ils vivent.-^ Quelques méchants, je l'avoue.
— - La vertu est opprimée et le crime impuni sur la terre. —
Quelquefois, j'en conviens. — C'est une injustice. — Point
du tout : il faudrait, pour tirer cette conclusion, avoir prouvé
qu'absolument les méchants sont heureux, que la vertu ne
l'est pas, et que le crime demeure impuni ; il faudrait du
moins que ce peu de temps où les bons souffrent et où les
méchants prospèrent eût une durée, et que ce que nous
appelons prospérité et fortune ne fût pas une apparence
fausse et une ombre vaine qui s'évanouit; que cette terre,
cet atome, où il paraît que la vertu et le crime rencontrent
si rarement ce qui leur est dû, fût le seul endroit de
la scène où se doivent passer la punition et les récom-
penses.
De ce que je pense, je n'infère pas plus clairement que
je suis esprit, que je conclus de ce que je fais ou ne fais
i. SuDt oonnas de tout.
MO CBAPHRC XVI.
pomlt selon qu-U »• platt, qut )« mut Ulu» t or, Hberté,
c'est choix, autrement une détermination volontaire aa
bien eu au mal, et ainsi une aotion k)nne ou mauvaise, et
oe qu'on apelle Tertu ou cnme. Que le erime absolument
toit impuni» il est rrai, e^eat iDJuatiee ; q^-il Te aoit sur la
terre, e'eat un mystère. Supposons pourtant, ayeo i^aihée,
qne tt*est injuatiee s tente injustice est i|ne négation on
une privation 4e justiee ; donc toute in justice snppoae jus*
tice. Toute justice est' une conformité à une souveraine
raieon i je demailde, en effet, quand il n'a pas été raison-
naUe que le crime seit puni, à ipoins qn^on ne dise que
e'est quand le triangle avait moins de trois angles; or»
toute conformité à la raison est une vérité) oetta oonfom»
mitéy nomme il vient d'ôtre dit, a toujours été; elle est
done de oelles que Ton appelle des étemelles vérités. Getta *
vérité, d'ailleurs, ou n^est point et ne peut être, ou elle est
Tobjet d'UAO eennai^sanee; elle est dono éternelle, cetto
eonnais^enoe, et e^eat Dieu.
l<es dénoùineute qui déeouvreut les erimçs les plus ea^
çbéiK, et oti le précaution des eoupables poar loi déroben
ev% jreus dee liommea a été plus grande, paraissent si sim*
ples #t si faeiloa qu'il semble qu'il n*y ait que Bleu seul
qui puisse en (tre l'auteur; et les faits d^ailleum que Ton en
repporte sont en si grand noiQbre, que sHl platt à quelques-
uns da les attribuer à de purs hasarda, i} faut dono qu'ils
eoutiennent que le basard, de tout temps, a passé eu eeu«
tMme*
■% 8i vous feitee eette supposition que tous les bommea
qui peuplent la terre, sans exoeption, soient ebacun dans
Tabondanoe, et que rien ne leur manque, j'infère de là que
uul bomme qui est sur la terre n'est dans l'abc^Ddanee, et
que tout lui manque. Il n-j a que deux sortes de richesses,
et auxquelles les autrea se rédtjlsent, l'argent et les terres t
si tous sont riobes, qui cultivera les terres, et qui fouillera
les mines? Geui qui sont éloignés des mines ne les fouille-
ront pas, ni oeux qui bebitent des terres incultes et miné-
rales ne pourront pas en tirer des fruits. On aura recours
au oommerea, et on le suppose. Mais si les bpmmes abon-
dent de biens, et que pul ne soit dans le oss de vivre pan
son travail, qui transportera d'une région à une autre les
lingots ou les choses échangées T qui mettra des vaisseaux
DEia aSPfUTS FORTS. 387
m nil^r ^ <m ^^ Pbargera 46 }69 Qon4uireT iini «itF^pvwidra
des caravanes? Oq manquera alor^ 4u p^cessi^ir^ 9% 4^9
choses utiles. S'il n'y a plus de besoins, il n'y a plus d'arts,
plus de sciences, plus d'invention, plus de mécanique ^
D'ailleurs cette égalité de possessions et de richesses en
établit une autre dans les conditions, bannit toute subor-
dipation, réduit les hommes ^so servir euif-mêmesy et à ne
pouvoir être secouroi lisa uns des antres, r#nd les lois fri-
Yoles et inutiles, entraine une janarcliie universelle, attire
la violence, les injures, les massacres, l'impunité.
Si vous supposez, au contraire, que tous les hommes sont
pauvres, en vain le soleil se lève pour eux sur l'horizon,
en vam il échauffe la terre et la rend féconde, en vain le
ciel verse sur elle ses influences, les fleuves en vain l'arro-
»sent et répandent dans les diverses contrées la fertilité et
l'abondance ; inutilement aussi la mer laisse sonder ses
abîmes profonds, les rochers et les montagnes s'ouvrent
pour laisser fouiller dans leur sein et en tirer tous les tré-
sors qu'ils y renferment. Mais si vous établissez que, de
tous les hommes répandus dans le monde, les uns soient
riches et les autres pauvres et indigents, vous faites alors
que le besoin rapproche mutuellement les hommes^ les lie.
les réconcilie : ceux-ci servent, obéissent, inventent, tra-
vaillent, cultivent, perfectionnent ; ceux-là jouissent, nour-
rissent, secourent, protègent, gouvernent : tout ordre est
rétabli, et Dieu se découvre.
^ Mettez l'autorité, les plaisirs et l'oisiveté d*un côté; 'la
dépendance, les soins et la misère de l'autre: ou ces choses
sont déplacées par la malice des hommes, ou Dieu n'est pas
Dieu.
Une certaine inégalité dans les conditions, qui entretient
l'ordre et la subordination, est l'ouvrage de Dieu, ou sup-
pose une loi divine : une trop grande disproportion, et telle
qu'elle se remarque parmi les hommes, est leur ouvrage,
ou la loi des plus forts.
1. t Le docte et éloqaent saint Jean Chrysostome nons propose une
belle idée pour connatlre les aVantuges de la pauYreié sur les richesses. I!
BOUS représente deux Tilles, dont i'ttoe ne soit composée qae de riches,
loutre n'ait qae des pauvres dans son enceinte : et il examine ensuite
laquelle des deux est la plus puissante.... Le irrand saint Chrysostome oon-
clut peur les pauvres. • (Bossuet, Sirmon êurVémin^ntê dignité deifiauvrêi
dam l'EgJin.)
368 CHAPITRE XVI.
Les extrémités sont Tieieuses, et partent de l'homme;
tonte compensation est juste, et Tient de Dien.
Si on ne goûte point ces Caractères, je m'en étonne; et
si on les goûte» je m'en étonne de même.
FIN DBS CARACTÈRES.
DISCOURS
PRONONCÉ DANS
L'ACADÉMIE FRANÇAISE
LE LUNDI QUINZIÈME JUIN 1693.
PRÉFACE
Ceux qui, interrogés sur le discours que je fis à TAcadé-
mie française le jour que j'eus l'honneur d'j être reçu, ont
dit sèchement que j'avais fait des caractères, croyant le blâ-
mer, en ont donné l'idée la plus avantageuse que je pouvais
moi-même désirer : car, le public ayant approuvé ce genre
d'écrire où je me suis appliqué depuis quelques années, c'était
le prévenir en ma faveur que de faire une telle réponse. U
ne restait plus que de savoir si je n'aurais pas dû renoncer
aux caractères dans le discours dont il s'agissait ; et cette
question s'évanouit dès qu'on sait que l'usage a prévalu
qu'un Douvel académicien compose celui qu'il doit pronon-
cer le jour de sa réception de l'éloge du roi, de ceux du
cardinal de Richelieu, du chancelier Séguier, delà personne
à qui il succède et de l'Académie française. De ces cinq
éloges, il y en a quatre de personnels ; or, je demande à mes
censeurs qu'ils ipe posent si bien la différence qu'il y a des
éloges personnels aux caractères qui louent, que je la puisse
sentir et avouer ma faute. Si, chargé de faire quelque autre
harangue, je retombe encore dans des peintures, c'est alors
qu'on pourra écouter leur critique et peut-être me condam-
ner; je dis peut-être, puisque les caractères, ou du moins
24
370 DISCOURS A L'ACAD]£mIE.
les images des choses et des personnes; sont inévitables
dans l'oraison, que tout écrivain est peintre, et tout excel-
lent écrivain excellent peintre.
J'avoue que j'ai ajouté à ces tableaux, qui étaient de com-
mande , les louanges de ebacun des hommes illustres qui
composent l'Académie française, et ils ont dû me le par-
donner, s'ils ont fait attention qu'autant pour ménager leur
pudeur que pour éviter les caractères, je me suis abstenu
de toucher à leurs personnes, pour n« parler que de leurs
ouvrages, dont j'ai fait des éloges publics -plus ou moins
étendus, selon que les sujets qu'ils y ont traités pouvaient
l'exiger. J'ai loué des académiciens encore vivants, disent
quelques-uns. Il est vrai ; mais je les ai loués tous : qui d'entre
eux aurait une raison de se plaindre ? C'est une coutume
toute nouvelle, ajoutent-Us, et qui n'avait point encore eu
d'exemple. Je veux en convenir, et que j'ai pris soin de m'é-
carter des lieux commuas et des phrases proverbiales usées
depub si longtemps pout ftvoir servi à un nombre infini de
pareils discours depuis la naissance de FAcadémie française.
M'était-il donc si difficile de faire entrer Rome et Athènes,
le Lycée h le ï^ortiqtie dans l*éloge de cette savante com-
pagnie t Êttè au cotnbîe de ses \)œux de se ^oir académicien;
protetltêr, ^Ht te jour où Vofi jouit pour la première fois d'un
;it tùfe hùtiheuf est le jour le plus beau de sa vie; douter si cet
honitèii^ iju^Wi ^ieni dè'fècei'oir ^st une chose vraie ou qu'on
nU sonjgiée; espérer de puiser désormais â la source les plus
pures ètiuiaD d» VétoqueHcè française; n^âvoir accepté, n'avoir
désM ttne Ulk place <jue pour profiter des lumières de tant de
fer^ùnnesri êchxirées ; pimente que, tout indigne de leur choix
Qtt'ôn seYemmatt^ on s^efforc&ra de s* en rendre digne : ceiâ
autres lormuhs de pxtreils compliments sônirelles si rare^
tst si preu connues que ^e n'eusse pu les trouver, les placer,
et feu mériter des applaudissementst
"PafdB dionc que j'ai cru que, quî)i que l'envie et l'injtig.
tieepiMent de PAcadémie f^nçaisô, quoi qu'elles Veuillent
dire de ison â^e d'or et de sa décadence, elle û'a jamais,
depuis son établissement, rassemblé un si grsrnd nombre de
^«frsentttges illustres par toutes sortes de talents ôt en tout
genre d'érudition qu'il est facile aujourd'hui d^ en remar-
quer; et que, dans cette prévention où je sois, je n'ai pas es-
péré que cette eompagnie pût être une autre fois plus l^eile k
PRÉFACE. 371
-ptfaidAfiii pvit^^âau ma jour ^«ft ftivonKbk^vt^iia jenB
«itls servi de ro^ocamoft, «i-je rien âiil qui doi^ tn'atiirer i«
iMittâKs ?»prooiMB? Gioéron a {hi louer impunémeiâ BnM-
'tae^, Gésar^ fompôe, MatmIIus, qui étaient maato, qi^
étaiefft préseiits ; il les b tooéa plwiasiv Ioib; il ka « l&ute
-aank, dam le eéiial, aoaveiit^n présaaoa de teammnsima,
itoujoatt de^raflttiae oompagnia jalouse de isnr^méiila^ et
^qui avait bien d'autres déjâcateases depdx^que sur la Teetu
des grands hommes que iite4Uuiaît avoir rAoadémie tgax^
faite. ^*ai lo«é te académiftieiis, je les ai lowb toua^ «t ce
«'a pu ité «spiiiiëBient : qoe^na aeradt^l-aitivé si j^Jbm
«vais blâmés toi»?
Je «MHS dVMmdre^a dit Tbéobald6%«iie yntada Maàm
à oN m g m ^ai «t'a faâ kàiUet tnmgt ^4$^ m qmi taVumnafi^ il
.la mert. Voilà ce qu'il e dit, et voilà ensuite «e qu^il a fait,
lui et. pea dVàutres* qui eut ara devoir eatiar dam les anè-
mes intérêts. Us partirent pour ta eotir le lendemain ûb la
l»oiiencktioa de «la harangue; ils altôreat^eittaleoaaan
nafao^ ; ile dirent ai» personnes «après de qui llipettt4M-
Hila que jeleut avais batfontié la veiUe un diaoeoca oè iin'y
avait ni «t?fle ni «eus cemmunt qui était «empli d^aalra^ra^
{fUBoes, et une vraie eatîre. Itoveniisà Paris, ilaaeeantoB^
fièrent dans divers quartiers, où ils répandirent tant de
muok eaatre naei) e^aehanièreat si fort à dJUamer aetle ha-
"tangue, itoît dans leurs eonversatioiis, seitihine les lettieB
qu'as écriûvttità leurs amis dans les prc^nees, en dirent
lantdetnal, elle persuadèrent ai IMement à qui ne favidt
pas antendae, qu'as arurent pouvoir insinuer au «publk, on
que les caractères tedts de la même mainiitaietttttauivia,
AU qaa s'ila étaient .hoas^ je n'en étais paa.nauteac» mais
tqu*une femme de meattmiesin^vait 'faumii» qu'il y avait
de plaa aapportahle. 2k piottaacèfant4aaid4ua je n'itais
.^as capable de faire tien ide suivi, pas même la moindre
{iréfaGe ; tant ik «atimaîwit impBattaaUaàim homme mâme
qui lest dans Thabitude de penser, et d*iécrire ce qu'il
pense, Part de lier ses pensées et de faire des tranaitiooa.
Us firent phn '. violant les lois de l'At^adémie fransaisoi
^ défend aux aeadémieieps d'éoiiee an deilaira jéarira aon*
1. théobkiae ML labs aacim doote, fomeséDsi ^ ISintt partia te
rAcadèmie depuis deux ans.
3. Et quelques autre».
372 DISCOURS A L'ACADÉMIE.
tre leurs confrères, ils lâchèrent sur moi deux auteurs asso-
ciés à une même gazette *; ils les animèrent, non pas à
publier contre moi une satire fine et ingénieuse, ouyrage
trop au-dessous des uns et des autres, facile à manier^ et
dùtU lee tnoindree espriU ee trouvent capables *, mais à me dire
de ces injures grossières et personnelles, si difficiles à ren-
contrer, si pénibles à prononcer ou à écrire, surtout à des
gens à qui je veux croire qu'il reste encore quelque pudeur
et quelque soin de leur réputation*.
Et en Térité je ne doute point que le public ne soit enfin
étourdi et fatigué d'entendre, depuis quelques années, de
Tieux corbeaux croasser autour de ceux qui, d'un vol libre
et d'une plume légère, se sont élevés à quelque gloire par
leurs écrits. Ces oiseaux lugubres semblent, par leurs cris
continuels, leur vouloir imputer le décri universel où tombe
nécessairement tout ce qu'ils exposent au grand jour de
Pimpression ; comme si on était cause qu'ils manquent de
force et d'haleine, ou qu'on ddt être responsable de cette
médiocrité répandue sur leurs ouvrages. S'il s'imprime un
livre de mœurs assez mal digéré pour tomber de soi-même
et ne pas exciter leur jalousie, ils le louent volontiers, et
plus volontiers encore ils n'en parlent point; mab s'il est
t. Le Merewrêffolanit comme la Broyèrt preod soin de le dire dans une
noie. Les deux associés sont de Visé et Thomas Corneille. Dans le récil
qu'il avait fait de la séance de réception de la Bruyère, de Visé avait serri
ses propres rancunes tout en servant celles de Fonienelle et de Thomas
Corneille. 11 n*avaii pu. pour son compte, oublier le mépris avec lequel l'an-
teur des Car€u:tiru s'euit exprimé sur le Jfercur» (voyei le chap. de» Ou-
erooes de l'Esprit^ p. 19) ; et de leur c6ié, le neTeu et le frère du grand Cor^
neilîe avaient été profondément blessés des termes dans lesquels il avait loué
Rseine en entrant à l'Académie.
2. La Bruvère revient à plusieurs reprises dans cette préface sur les at-
taques que le Mercure aalant avait dirigées contre lui et contre son livre.
Voici à quel passage il (ait allusion dans cette phrase : • Rien n'est plus aisé,
disait le Jfsretiff , que de faire trois ou quatre pages d'un portrait qui ne
demande point d'ordre, et ii n'y a point de génie si borné qui ne soit ca-
pable de coudre ensemble quelques médisances de son prochain et d'y
i^outer ce qui lui pantlt capable de faire rire. » En essayant à son tour de
faire le caracibre de la Bruyère, de Visé a suffisamment montré, par son
Eropre exemple, que la satire n'est point aussi facile à manier quHI Teat
ienledire.
S. De Visé l'sTait sccusé d'avoir « voulu fitire réussir son livre à force de
dire du mal de son prochain, » d'avoir mis à profit « le désir empressé
qu'on a de voir le mal que l'on dit d'une infinité de personnes distinguéea.»
d'avoir «calomnié toute la terre, «d'avoir obtenu son admission à l'Académie
par les plus foi tes intrigues qui aient jamais été faites, » etc. De leUcs
accusations etpli(tpent et excusent la vivacité avec laquelle la Bruyère ré'
pondit à la diatribe du Mircun^
PRÉFACE. 373
tel que le monde en parle, ils rattaqnent arec furie. Prose,
vers, tout est sujet à leur censure, tout est en proie à une
haine implacable, qu'ils ont conçue contre ce qui ose pa-
raître dans quelque perfection et avec les signes d'une ap-
probation publique. On ne sait plus quelle morale leur four-
nir qui leur agrée ; il faudra leur rendre celle de la Serre
ou de Desmarets ', et s'ils en sont crus, revenir au Pédch
gogue Chrétien et à la Cour Sainte. Il paraît une nouvelle
satire écrite contre les vices en général, qui, d'un vers
fort et d'un style d'airaln« enfonce ses traits contre Tavarice,
Texcès du jeu, la chicane, la mollesse, l'ordure et l'hypo-
crisie, où personne n'est nommé ni désigné, où nulle femme
vertueuse ne peut ni ne doit se reconnaître *, un Bourda-
LOUB en chaire ne fait point de peintures du crime ni pluff
vives ni plus innocentes ' : il n'importe, a^est médisance ^ c^est
ca^omme.Yoilà, depuis quelque temps, leur unique ton, celui
qu'ils emploient contre les ouvrages de mœurs qui réus-
sissent : ils y prennent tout littéralement, ils les lisent
comme une histoire, ils n'y entendent ni la poésie ni la
figure ; ainsi ils les condamnent ; ils y trouvent des endroits
faibles : il y en a dans Homère, dans Pindare, dans Virgile
et dans Horace : où n'y en a-t-il point? si ce n'est peut-être
dans leurs écrits. Bernin * n'a pas manié le marbre ni traité
toutes ses figures d'une égaie force ; mais on ne laisse pas
de voir, dans ce qu'il a moins heureusement rencontré, de
certains traits si achevés, tout proches de quelques autres
qui le sont moins, qu'ils découvrent aisément l'excellence
de l'ouvrier : si c'est un cheval , les crins sont tournés
d'une main hardie, ils voltigent et semblent être le jouet
du vent ; l'œil est ardent, les naseaux soufflent le feu et la
vie; un ciseau de maître s'y retrouve en mille endroits ; il
n'est pas donné à ses copistes ni à ses envieux d'arriver à
de telles fautes par leurs chefs-d'œuvre : l'on voit bien que
c'est quelque chose de manqué par un habile homme, et
une faute de Praxitèle.
Mais qui sont ceux qui, si tendres et si scrupuleux, ne
1. Jean Poget de la Serre (1000-1005), très-fécond et très-médiocre an-
teur, queBoilean a soutcdi raiUé. Voyez sur Desmarets, page 123, note 7.
9. La 10* satire de Boileau.
3. VoYes page 339, note 3.
%• 11 était récemment arrivé à Versailles nne statne éqnestre da Bernin.
sculpteur italien, mort en 168O, mû avait été l'objet de Tires critiques.
374 DISCOURS ▲ t'àOJyiVJE.
ymPNfùX mloio wippoitor que, sans bless«r et sans nommw
ks yioieiii, on sa déclare contra le vice? sont-ca des cluor^
tr««x at des aoliuires? SonWce las jésuites, bommaa fûaux
et éclairés? soot-ca cas hommes religieux qui habiUnt aa
Fsaaoa les aloUrea ai las abbajesT Tavw, au conlfaûra,
Useal ses sortes d'ouvrages, et an particulier, et eu public^
à lasra réoréatioos; ils en inspirant la laoUira à leurs petK
aiosnaives^ k leuraélérea; il»ea dépeuplent Isa boutiques^
ilalas aanservent dana leuvabibliotbÂques. N'ool^ila pas les
paaiûeia raconna la plan et Vécanomie du U^re des Çanti^
feras? M'oDt»ils pas obsavvé que» de seize chapitres qui la
aompeaaDt^ il y ea a quinse qui, s'attachant à découvrir le
bus et le ridicule qui se reneontrent dans las ob]eta des
passions et des attachements humains, ne tendent qu'à rui^
ser tous les obstacles «pu affaiblissent d'aboi et qui étai-
g;BSBt ensuite, dans tous las hommes, la connaissance da
Biei^ : qu'râsi Us ne soat que des préparations au 8ai%i4mA
et darnÂar ahapitre, ad Vaûiëisme est attaqué, et peut>4txo
eeofoadtt v oit les prévoies de Dieu, une partie du moine, da
eellee que les taibtee hommea sont capables de reoevo?^
dans leur esprit, sont apportées ; où la providence de lùi^m
eal défendue contre Finsulte et les plaintes dea ly^ertinat
Qfii sont donc oeux qui eseat répéter contre «a ouvrage ai
aérieux et si utile ee continuel re&aîn : CTesé tnédiwneê^
^ut caLomfUél U faut les nommer ; ce sontdea poâtes; mais
quela poëtea? des auteurs d'hjmnes saccées o» des tsadoo*
leurs de psaumes, des Godeaux ou des Corneilles'? Noik
mais des faiseurs de stances et d'éiégies amoureuses, de ce«
beaux esprile qui tournent ua sonnet sur une absences ou
S«p m retour, qui font une épîgramme sur une beUe gorge»
fi ma madrigal sur une jouissance. Voilà ceux qui, paf
éélioataasa dA consciene&, ne souDtreat qu'impatiemman;t
qu'en méitageant les particuMers avec toutes lee précau*
tiona que la» prudence peut suggérar, i'essayOf dans nuHi
livre des Mœur$^ de décrier, s'il est possible^ tous les vices
4u cmm et de Tesprit» de pendre Thomme msonnable et
plus proche de devenir chrétien. Tels ont été les Théobal-
• t. Antoioe Godeaa (f 6OS-1072), éTdqne de Gtmm «i de Veoce, s tradoft
les Paaumea en vers français. Corneille a publié une Ua4acti«ji en iws de
YJmitatiw d»J4>K»CfcHrt,qa> sae la pies snad»««iBA» «upcte ée Mi cen-
temponîBi.
PJIÉFACÏI- 375
des, ou o^n^ du moins qpi trayaUleut sous exa et dans leur
i^elieir.
Ils.sQQteuQore allés plus loin ; car, palliaut^ d'u4Q politi-
que ^lée le cliajriu de ue sfj sçotir pas ^ leur gxé si bieu
lou49 et si longtemps que cbdcuu des autres aQadénpiQi.ens,
ils. ont 0S.4 (aire des applications. déUcatei^ et d9,ngei:eu3ea
dp, Ten droit de m^ baraugue où, m'e^posai^t seul, ^pire^idre
le parti de tQujte Ig, littérature cqutce ieuMi plu§ terécpuci-i
liabies euueuiis, g:eus. péQuuie.ux, <3[ue Vej^cègi d'açgesfcQU,
qu'une fortune faite par de cejtainps vQieA. jointe \ la fjt-
YeuT des^ grands qu'elle Ictur attire n.éceassiiremeut^ naè^j^.
jusqu'à une froide insolence, je leur fais à. la. vérité ^ tQUSt
une Yiye apostrophe» mai^ qu'il n'çsît, pas pernxis de détaur-
uerde dessous eux pour la^rej^etei; sur u» sjeuj, et siy: Utvrfk
autre.
^jusi en usent à, mou égard,, excités peut«étj:e pa? lea
Théobald^ ceu:ç qui, ce persuadant qu'un autour écritt
seulement pour les amuser par la satire , ^ point du tou^
pour les instruire par une saina q^orale., au Ueu dp preçdre.
pour eux et de faire servir à la coprectiou de l^ur^ luoiui^
les divers traits qui sont sçniés dans un Quvrs^e, s'aj^pli-.
quent à découvrir, s'ils le peuvent,, quela de leurs amis ou
de leurs ennemis ces traits peuvent regardej, négU^Qni
dans un livre tout ce qui n'e&t que remarquej^ solides ou,
sérieuses réflexion)^,, quoiqu'on si grand uonibre qu'elles 1^
composent presque tout entier,, pour ue s'arréteç qu'%a^
peintures ou aux caractères ; et, après les. a^voir expliqués^
à leur manière et en avoir cru trouver les originaux, don-»^
nent au public de longues listes, ou, comme ils les appellent,,
desclefs ; fausses clefs, et qui leur sont aussi inutiles qu'elles
sont injurieuses aux personues dont les noms a'; voient
déchiffrés, et à l'écrivain qui en est la cause, quoique i^no*
cente.
J'avais pris la précaution de protester, dans une préface,
contre toutes ces interprétations, que quelque connaissance
que j'ai des hommes m'avait fait prévoir, jusqu'à hésiter
quelque temps si je devais repdre mon livre publlQ, et k
balancer entre le désir d'être utile à ma patrie par moi^L
écrits, et la crainte de fournir à quelques-uns de quoi Qxer«
cèr leur malignité. Mais, puisque j'ai eu la feiblesçQ du
publier ces Çarqçj^ère9f quelle digue ^i^ver^l-je cQutre ç^
376 DISCOURS A L*ACADéMIE.
délugd d'explications qui inonde la ville et qui bientôt ya
gagner la cour? Dirai-je sérieusement, et protesterai-je
avec d'horribles serments, que je ne sais ni auteur ni com-
plice de ces clefs qui courent; que je n'en ai donné aucune;
que mes plus famÛiers amis savent que je les leur ai toutes
refusées; que les personnes les plus accréditées de la cour
ont désespéré d'avoir mon secret? N'est-ce pas la même
chose que si je me tourmentais beaucoup à soutenir que je
ne suis pas un malhonnête honmie, un homme sans pudeur,
sans mœurs, sans conscience, tel enfin que les gazetiers
dont je viens de parler ont voulu me représenter dans lear
libelle diffamatoire?
Mais, d'ailleurs, comment auraîs-je donné ces sortes de
clefs, si je n'ai pu moi-même les forger telles qu'elles sont
et que je les ai vues? Ëtant presque toutes différentes en-
tre elles, quel moyen de les faire servir à une même entrée,
je veux dire à Tintelligence de mes remarques ? Nommant
des personnes de la cour et de la ville à qui je n'ai jamais
parlé, que je ne connais point, peuvent-elles partir de moi
et être distribuées de ma main? Aurais-je donné celles qui
se fabriquent à Romorentin, à Mortagne et à Belesme, dont
les différentes applications sont à la baillive, à la femme de
l'assesseur, au président de l'élection, au prévôt de la ma>
réchaussée et au prévôt de la collégiale ? Les noms y sont
fort bien marqués ; mais ils ne m'aident pas davantage à
connattre les personnes. Qu'on me permette ici une vanité
sur mon ouvrage : je suis presque disposé à croire qu'il
faut que mes peintures expriment bien Thomme en général,
puisqu'elles ressemblent à tant de particuliers, et que cha-
cun y croit voir ceuk de sa ville ou de sa province. J'ai
peint, à la vérité, d'après nature, mais je n'ai pas toujours
songé à peindre celui-ci ou celle-là dans mon livre des
Mœurs. Je ne me suis point loué au public pour faire des
portraits qui ne fassent que vrais et ressemblants, de peur
que quelquefois ils ne fussent pas croyables et ne parussent
feints ou imaginés : me rendant plus difficile, je suis allé
plus loin ; j'ai pris un trait d'un côté et un trait d'un autre;
et, de ces divers traits qui pouvaient convenir à une même
personne, j'en ai fait des peintures vraisemblables, cher-
chant moins à réjouir les lecteurs par le caractère, ou,
comme la disent les mécontents, par la satire de quelqu'un.
PREFACE. 377
qu'à leur proposer des défauts à éviter et des modèles à
suivre.
11 me semble donc que je dois être moins blâmé que plaint
de ceux qui , par basard, verraient leurs ooms écrits dans
ces insolentes listes, que je désavoue et que je condanme
autant qu^elles le méritent. J'ose même attendre d'eux cette
justice, que, sans s'arrêter à un auteur moral qui n'a eu
nulle intention de les offenser par son ouvrage, ils passe-
ront jusqu'aux interprètes, dont la noirceur est inexcusable.
Je dis en effet ce que je dis, et nullement ce qu'on assure
que j'ai voulu ^ire; et je réponds encore moins de ce qu'on
me fait dire, et que je ne dis point. Je nomme nettement les
poBsomies que je veux nommer, toujours dans la vue de
louer leur vertu ou leur mérite ; j'écris leurs noms en let-
tres capitales, afin qu'on les voie de loin et que le lecteur
ne coure pas risque de les manquer. Si j'avais voulu met-
tre des noms véritables aux peintures moins obligeantes, je
me serais épargné le travail d'emprunter des noms de l'an-
cienne histoire , d'employer des lettres'lnitiales, qui n'ont
qu'une siguification vaine et incertaine, de trouver enfin
mille tours et mille faux-fuyants pour dépayser ceux qui me
lisent, et les dégoûter des applications. Voilà la conduite
que j'ai tenue dans la composition des Caractères.
Sur ce qui concerne la harangue, qui a paru longue et
ennuyeuse au chef des mécontents, je ne sais en effet pour-
quoi j'ai tenté ds faire de ce remerctment à l'Académie
française un discours oratoire qui eût quelque force et quel-
que étendue. De zélés académiciens m'avaient déjà frayé -ce
chemin ; mais ils se sont trouvés en petit nombre, et leur
zèle pour l'honneur et pour la réputation de l'Académie n'a
eu que peu d'imitateurs. Je pouvais suivre l'exemple de
ceux qui, postulant une place dans cette compagnie sans
avoir jamais rien écrit, quoiqu'ils sachent écrire, annoncent
dédaigneusement, la veille de leur réception, qu'ils n'ont
que deux mots à dire et qu'un moment à parler, quoique
capables de parler longtemps et de parler bien.
J'ai pensé, au contraire, qu'ainsi que nul artisan n'est
agrégé à aucune société ni n'a ses lettres de maîtrise sans
faire son chef-d'œuvre, de môme, et avec encore plus de
bienséance, un homme associé à un corps qui ne s'est sou-
tenu et ne peut jamais se soutenir que par l'éloquence, se
37S ' DISCOURS ▲ I.* ACADÉMIE.
trmmtiftiMgtgé hkm ea y 6Atr»D% w «0(M 9B o« geqrt»
qui le fît aux yeux de tous parattre digne du choix dont il
"nmik 4s Vboaoïer* Il me «emUait eiMor» %iie paisque rélo-
<|BtBOê profaM'ne iMNiiaiiii plu» régner an b^neaa, d'où
etta a élé baiiv# pai te néoeasiM 49 Foipédîtion, «^ qu'elle
M â6Tah pliit4ii«aikBttad«iia la.c^am«o4eU9ii^%4té qa^
tropaottfvta, te «e«i wUe qui poivrait hû feater était l'Agar
dente fiaDQHM; et qu'il «'y «mt viea da pUui naturel^ ni
qû pfti xmir» «etta oompagiûa plwiaélttiDa^ qiM ai» an ank^
jft éis féeepl^oQft 4e nouTaaM amdfoiioienia > ^U^ sac*
wt qualquefiite attiiier te oeur et te vUte h se» aaaem^
Uéea» pif te cucteailé df y e&teodr^ daa piècea d'^loqibMi^
4'iiiie juite Man4tte, laite» 4t idaîii de maîtiae, et 4QQlt te
profeaaiett est d'eioeller daaa te acitAce 4e te peinte»
Si je D*ai pat atteiot mon bot^ qui élait d» pfoiiaiHser Jm
di8eeur& AoqtteBt, il m» parait du veioa que je meaoiar
ébcnàpé de faiMir fa^ ttep lent de qq^elqiiea. miautea s
eaF, si d'aittaw» Pana, 4 q«i qa l'ayait pfomte mauisaifi»
aaliriqao et inaenaé, e'esl pteint qu'on tei ay^it iMAqu^ d»
pai>^; a» Ifaily *, eu te ourtoeité de Petttaère a'ttait i4-
p«adue, B^t po»t retenti d'afptendiaiefQettla qi^ te cciur
aîl demies à te oritique q«'^ en avait fJEÛte; a'il a au îra»^
chir Ghantiiiy \ ée«eii dat mauTate evi^raflea; si TAcadé^
aaiefirançaiaa» è qui j'avaie^ appelé oomtte au yàg^^ sokav««aîn
deoetaerleadepiôees, étanlayMonUéeextroordinaifemeAt,
a adopte aelte-ei» Fn teit ûnprisnar pai^ «on Ubmira, Va naise
dana ses arehi've» \ ai elte n'était p«* ei^ effet cempo«ée d'uA
tàyk «^Glé» éttt-tà i i tf< rrein pm» ni ehargéa de touaoïges fades
et eoliée», taUes qu'eu ka Ht éam les frQlogm$^ d'o^^aa»
et dans tant dtéfdttn dMiooAoinsa^ il, q» teut ^na a'étonaei^
fu'ella ait enxuiyé Théobatee^ ^ voie tea temps, te publia
me penwtta de te dire» e(k cte na a^ra pa^ «sae& d^
l^approtetion qu'il an? a donnée è w fiivisM^ pot» m Uix^
te r^utatien, «t que^ponr y mett^W deroieï sceau, il sera
néeeeaaire que de oavtainea sena le déa^pro^^tiat^ qu'itey
aient bâillé.
Car Tendimianfetite, préaantemeAt qu'ils ont reaonn^ que
I. te^aiM» «•llul^ oa v^mm m»¥«iu i» toi tuSH d'aae paHîe éa «a
GQWt,
9. Le prince dei eondé et le duc de Bourbon, lUs et oettt-ftis do cnnd
ewidd) hiMittoBt ClUuitilly.
c«ltt haranfae a moin» mal rémsi dan^ la puMic fusils oe
raraient espéré, qu'ils aniiwat que d«ix libraires GLi ]»laidé^
k (pii rimprimerail, TOiiéraiefQt-ita désavouer leur goût et
]« jugeaient qu'ils e» omi porté dans )ee pTsmieMi jours
qu*ei)e fut prononcée t lie permettraisBl-iis d» puKliei^ on
seulemort de soupçonner, une tout autre raîsoQ de Fâpps
eensute qu'ils en fimnt, que lu pevsaasifm où ^ étsiait
qu'elle le méritait ? On sait que oet hmnrae d*aa Bom et ê^n
mérite si distingué *, avec qui j'eus Thonneur d'être reçu
à l'Académie française, prié, sollicité, persécuté de consen-
tir à l'impression de sa harangue par ceux mêmes qui vou-
laient supprimer la mieone et en éteindre la mémoire, leur
résista toujours avec fermeté. 11 leur dit qu*il ne pouvait ni
ne devait approuver une distinction si odieuse quHls voulaient
faire entre lui et moi; que la préférence qu'ils donnaient à son
discours avec cette affectation et cet empressement qu*ils lui
marquaient^ bien loin de l'obliger^ comme ils pouvaient le
croire, lui faisait au contraire une véritable peine ; qtie deux
discours également innotentSf prononcés dans le même jour^
devaient être imprimés dans le même temps. 11 s'expliqua en-
suite obligeamment, en publie et en particulier, sur le vio-
lent chagrin qu'il ressentait de ce que les deux auteurs de
la gazette que j'ai cités avaient fait servir les louanges
qu'il leur avait plu de lui donner à un dessein formé de
médire de moi, de mon Discours et de mes Caractères; et
il me fit, sur cette satire injurieuse, des explications et des
excuses qu'il ne me devait point. Si donc on voulait inférer
de cette conduite des Théobaldes, qu'ils ont cru faussement
avoir besoin de comparaisons et d'une harangue folle et
décriée pour relever celle de mon collègue, ils doivent ré-
pondre, pour se laver de ce soupçon, qui les déshonore,
qu'ils ne sont ni courtisans, ni dévoués à la faveur, ni inté-
ressés, ni adulateurs ; qu'au contraire ils sont sincères, et
qu'ils ont dit naïvement ce qu'ils pensaient du plan, du style
et des expressions de mon remerciment à l'Académie fran-
çaise. Mais on ne manquera pas d'insister et de leur dire
que le jugement de la cour et de la ville, des grands et du
peuple, lui a été favorable. Qu'importe ? Ils répliqueront avec
1. LtDstance était anx requêtes de THÔtel. (Note delà fniyirt.)
t. L'abbé Bignon. Voy. p. S86, note S.
380 DISCOURS A L*ACÂl)éMIE.
confiance que le public a son goût et qu'ils ont le leur,
réponse qui ferme la bouche et qui termine tout différend,
il est vrai qu'elle m'éloigne de plus en plus de vouloir leur
plaire par aucun de mes écrits ; car, si j'ai un peu de santé
STeo quelques années de yie, je n'aurai plus d'autre ambi-
tion que celle de rendre, par des soins assidus et par de
bons conseils , mes ouTrages tels qu'ils puissent toujours
partager les Tbéobaldes et le public.
c^
DISCOURS
A L'ACADÉMIE FRANÇAISE.
Messieurs,
n serait difficile d'ayoir rhonneur de se trouTer au mi-
lieu de TOUS, d'avoir devant ses yeux T Académie françaisoi
d'avoir lu l'histoire de son établissement, sans penser d'a-
bord à celui à qai elle en est redevable', et sans se persua-
der qu'il n'y a rien de plus naturel, et qui doive moins vous
déplaire, que d'entamer ce tissu de louanges qu'exigent le
devoir et la coutume, par quelques traits où ce grand oardi
nal soit reoonnalssable, et qui en renouvellent la mémoire.
Ce n'est point un personnage qu'il soit facile de rendre
ni d'exprimer par de belles paroles ou par de riches figures,
par ces discours moins faits pour rélever le mérite de celui
que l'on veut peindre, que pour montrer tout le feu et toute
la vivacité de Torateur. Suivez le régne de Louis le Juste :
c'est la vie du cardinal de Richelieu, c'est son éloge et celui
du prince qui l'a mis en osuvre. Que pourrais-je ajouter à
des faits encore récents et si mémorables? Ouvrez son Tes-
tament politique, digérez cet ouvrage : c'est la peinture de
son esprit; son âme tout entière s'y développe; l'on y dé-
couvre le secret de sa conduite et de ses actions; l'on y
trouve la source et la vraisemblance de tant et de si grands
événements qui ont paru sous son administration ; l'on y
▼oit sans peine qu'un homme qui pense si virilement et si
juste a pu agir sûrement et avec succès , et que celui qui a
achevé de si grandes choses , ou n'a jamais écrit, ou a dû
écrire comme il a fait.
1. Lo cardinal de RScbclien.
38d DISCOURS ▲ lVcadémie.
Génie fort et supérieur, il a su tout le fond et tout le mys-
tère du gouyernement ; il a connu le beau et le sublime du
ministère; il a respecté l'étranger, ménagé les couronnes,
connu le poids de leur alliance ; il a opposé des alliés à des
ennemis ; il a veillé att intëiéts du dehors , à ceux du
dedans; il n'a oublié que les siens : une yie laborieuse et
languissante, souvent exposée, a été le prix d'une si hante
Tenu; dépositaite des trésors de so» mdtrt, comblé de ses
bienfaits, ordonnateur, dispensateur de ses finances , on ne
saurait dire qu'il est mort riche.
Le croirait-on, Messieurs? cette âme sérieuse et austère,
formidable aux ennemis de l'État , inexorable aux factieux ,
plongée dans la négociation , occupée tantM à affaiblir le
parti de l'hérésie, tantôt à déconcerter une ligue, et tantôt
à «éditer «ne cdnqtiéte , a troayé le loisir d^tre si^rule ,
a geftté les beÛ«»4ettreè fft esttx qtli en fldasiestprofessioii.
Oom psiwv e m , si tohs l^esea, «u gîttd Hiehelieu, hommes
défooés à la fortune, qàhf» le sacoès 4àe Tos slfoireB par»
HcQlières, Ttm Jufsc digwM fite fi^È, ttntt ^«idie les «f^
faiMi {Msbli^es; ^ui toes iMmes pmt liée génies hettmi
éti^r #» bonnes tites ; qui elles q&e^tis ne «très tien,
^e teea a'^ms jefatls Ki, qse "vtms ne Uves fstet, ee)>ee»
mar^uef l'inutilité des sefeness, ett pear f^anfite nedetoir
rien aux maires , mais ptrfset %etft de ^otre fioftés. Apprenet
ffit le csrdbiid de fUehelieH^ «u, qnll a lu; jeibe ^is p«
^"il n*a point en d*éleigtt em eii t poor les 'gens de lettres,
imds quHl les a aimés, eaiessés, ftkrorMs \ qu'à leur a m6>
nagé ^des t)rhfiéges, qu^ leur éesihMdt des pMsiensi qe'â
les a réunis en une eompargaie ettèfafe, qu'il en a ftdt l'Aes*
tMmie fl^ançaise. Oui, heflflnes rfclies et sBÉMIeiii, tsen»
ferapieers de la ^ertu, et de toete easooiatlMi qui ^le^ieeie
l$assarles4ttbliflesiBentset set fintérêt, esHe^i est une
des pensées- de^cegrattd ttiiftistie> Bé 'liommediBtat, iléTOtti
t PÂat: eMrtt selide, éminent, eapable dans ee qu'il triséil
desmotfib les ^us télexés ettpii tendakut hml %ien ptdb^
eomme li la gioiie de la menanSùe} tnoapible'ifte ooneereilf
Jamais rien qui ee fût digne de lui, tef Hneequ*fi seandt^
wd la fTattoe, a qui -il eiTut oottsaere ses tteSisKions et ses
veilles.
n savait quelle est la force et l'utilité de l'éloquence , la
puissance de la parole qui aide la raison et la fait valoir.
qui ionnae Irk faonfnwi la jusllde «t là {)f6b!tl , qtd ^dftë
d«it8 k ceatur du iK^lâst l'intrépiâité ieit r^mdàOe , qtti t&litiè
1«8 émadiom ^opalaûreb^^âi eiai^ à kftirs devoirs te tom-
pagaiBS entières ^ là tmiltituSe. Il hH^ntmlt ptô qtiete
fiODt \€% tmïU ût i'Ustoiré e% dé k ptyémB, ^elte est l^ né-
€essttë de 1» -^ruxoHift^Yi», la iMilse ^ le loDdettxdit dt» tmtrôà
bdeaceB; «t quB^ ^ur (sond^îre ces choses II un degré de
perfeetioa qtti lee retiâft %yfttita^uses à ktéprîbUqtte,^
fallait dresser le plan d'tifie eeifspftglHe Dû la yjstiu tèùh
itl admiee^ le mérite placé) l'esprit et le SStoir rat^semblés
^ar des sufltages. I^'allobB ^s plus lolb : f oilà, Messieurs,
^s pnttoipes el ^Mre règle ^ âotitjeiiie-suîs qu'uiïe ezeep-
tkfnk
llappdfiE4s& ^mtpe «léa^te , k t;etnp«faîstm ne ^us isera
ims iDJutie«ie> ^»a{^le2 ee gfantl et pôremier ibcmtile ouïes
Pères qtti -k «ttiûpiMàieut étiaiem temtirqtiables tlracmi pao*
l|\ielcpieB ttea^res mutiléâ, ou p«: hi tiCAtrfees qui leur
étaient restées des iùi«ttra de la penréctriieii; as sembkieitl
tenir de leurs plaies le droit de s'asseoir dans cette tfSselli-
biéeigéiiéiak 4e tetfle l'Église ! H û^ ^r&h aueun de ^os
iUttstees prédéoeftiews qu^eti ûe-è'idtnpressât de voir, qù^h
ne montât dft&e les placée, ffû'eti ite déiûgûât t>at iqtielqtte
ouvrage ùouetti: qtti Ittiavftit foit uii grand fiem , et tjm lui
donnait rang ifons ^tie Atadëmie naissante quMls avaieixt
comme tondée. Tels étaient ees grands artrsatis de la pa-
role^ o«B premiefs usillaree H» Mequenee française; ^h
TOttft êtes, Mesiitttrs, ^tti ne eéâeK ni en Mvoir ni en mé*
lite à nol de oeuix qui f eue eiit préeédés.
L'un % aussi «M«e9t ^us «a langue que iHl l^aft ap-
prise par règles et ^r priueipes, aussi éMgaut dans m
ka^es étrttBgères que «i eUee lui <taieift natordiles , en
quelque idiome qu^ll eûmpoee, setnbk toujours parler nehii
de sott peyA : il a «ntrepria, Il a ftui fine pénible traducûon
que k phn bel^spidt pounatt ateuer, "et ffatQ k plus pieux
pers^mnege detrrait désirer d'avuir laite.
L'autre* lait revivre Virgile parmi nous, trattsnret^ns
notre langue les^Aees et les ricbeases de k ktine , fait
1. L'abbé de Cboisy, qui a traduit Vlmitàtion deJiâus-Chrttt,
2. Segraia (i02%-i67o), traducteur de l'JSnétdf et dw Géorgiquiê.!! nV
fait encore paru que la traduction deVÉnéide,
384 DISCOURS A l'académie.
des romans qui ont une fin, en bannit le prolixe et Tin-
croyable, pour y substituer le yraisemblable et le naturel.
Un autre *, plus égal que Marot et plus poëte que Voiture,
aie jeu, le tour, et la naïveté de tous les deux; il instruit
en badinant, persuade aux bommes la yertu par Torgane
des bétes, élève les petits sujets jusqu'au sublime : homme
unique dans son genre d'écrire; toujours original, soit qu'il
invente, soit qu^U traduise ; qui a été au delà de ses modèles^
modèle lui-même difficile à imiter.
Celui-ci' passe Juvénal, atteint Horace, semble créer les
pensées d'autruî et se rendre propre tout ce qu'il manie ; il
a, dans ce qu'il emprunte des autres, toutes les grâces de
la nouveauté et tout le mérite de l'invention. Ses vers ,
forts et harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec
art , pleins de traits et de poésie, seront lus encote quand
la langue aura vieilli, en seront les derniers débris : on y
remarque une critique sûre, judicieuse et innocente, s'il
est permis du moins de dire de ce qui est mauvais qu'il est
mauvais.
Cet autre' vient après un homme loué, applaudi, admiré,
dont les vers volent entons lieux et passent en proverbe,
qui prime, qui règne sur la seène, qui s'est emparé de tout
le théâtre : il ne l'en dépossède pas; il est vrai; mais il s'y
établit avec lui : le monde s'accoutume à en voir faire la
comparaison. Quelques-uns ne souffrent pas que Corneille,
le grand Corneille, lui soit préféré; quelques autres, qu'il
lui soit égalé : ils en appellent à l'autre siècle ; ils attendent
la fin de quelques vieillards qui, touchés indifféremment de
tout ce qui rappelle leurs premières années, n'aiment peut*
être dans CEdipe que le souvenir de leur jeunesse.
Que diçai-je de ce personnage^ qui a Ml parler si long-
temps une envieuse critique et qui Ta fait taire; qu'on ad-
mire malgré soi, qui accable par le grand nombre et par
l'éminence de ses talents? Orateur, Mstorien, théologien,
philosophe, d'une rare érudition, d'une plus rare éloquence,
soit dans ses entretiens, soit dans ses écrits , soit dans la
chaire; un défenseur de la religion, une lumière de l'figlise,
1. La Fontaine.
2. Boileao.
t. Eadoe.
4. Bossaet.
DISCOURS A l'académie. 385
parlons d'ayance le langage de la postérité, un Père de
l'Ëglise : qae n'est-il point? Nommez, Messieurs, une vertu
qui ne soit pas la sienne.
Toucherai-je aussi votre dernier choix', si digne de vous?
Quelles choses vous furent dites dans la place où je me
trouve! Je m'en souvieas; et, après ce que vous avez
entendu , comment osé- je parler? comment daignez- vous
m'entendre? Avouons-le, on sent la force et Tascendant de
ce rare esprit, soit qu'il proche de génie et sans préparation,
soit qu'il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu'il
explique ses pensées dans la conversation : toujours maître
de ToreUle et du cœur de ceux qui Pécoutent, il ne leur
permet pas d'envier ni tant d'élévation, ni tant de facilité,
de délicatesse , de politesse : on est assez heureux de l'en-
tendre, de sentir ce qu'il dit, et comme il le dit ; on doit être
cornent de soi, si l'on emporte ses reflexions et si Ton en
profite. Quelle grande acquisition avez-vous faite en cet
homme illustre! A qui m'associez- vous!
Je voudrais, Messieurs, moins pressé par le temps et par
les bienséances qui mettent des bornes à ce discours, pou-
voir louer chacun de ceux qui composent cette Académie
par des endroits encore plus marqués et par de plus vives
expressions. Toutes les sortes de talents que l'on voit ré-
pandus parmi les hommes se trouvent partagées entre
vous. Veut-on de diserts orateurs , qui aient semé dans la
chaire toutes les fleurs de IV loquence , qui , avec unt; saine
morale , aient employé tous les tours et toutes les finesses
de la langue, qui plaisent par un beau choix de paroles,
qui fassent aimer les solennités, les temples, qui y fassent
courir : qu'on ne les cherche pas ailleurs, ils sont parmi
vous. Admire-t-on une vaste et profonde litti rature qui aille
fouiller dans les archives de l'antiquité pour en retirer des
choses ensevelies dans l'oubli, échappées aux esprits les
plus curieux, ignorées des autres hommes ; une mémoire,
une méthode, une précision a ne pouvoir, dans ces recher-
ches, s'égarer d'une seule année, quelquefois d'un seul jour
sur tant de siècles : cette doctrine admirable*, vous la pos-
sédez ; elle est du moins en quelques-uns de ceux qui for-
1. Féiielon, qai avait été rcça à l^Âcadèmie peu de temps avant la Bruyère.
2. Celle science admimble.
2S
386 DI9C0UBS A L'aCâBÉBOS.
ment cette earnite assemblée. SI l'on est earietncên don d^
lao^es, joint ae double talent de savoir avee esactitud
les choses anciennes, et de narrer celles qui sont uouvcUe
avec autant de simplicité que de vérité, des qualités s
rares ne vous manquent pas et sont réunies en un mém
sujet. Si l'on cherche des hommes habiles, pleins d'esprit €
d'expérience, qui, par le privilège de leur» emplois, f ssf n
parler le prince avec dignité et avec justesse ; d'autres qu
f lacent heureusement et avec succès , dans les négociation
les plos <iélicates, les talents qu'ils ont de bien parler et d
bien écrire; d'autres encore qui prêtent leurs soins et leu
Tigilance aux affaires publiques, après les avoir employée
aux judiciaires, toujours avec une égale réputation : tou
se trouvent au milieu de vous , et je souffre k ne les pà
nommer.
Si vous aimez le savoir joint & l'éloquence, vouj n^atten
drez pas longtemps ; réservez seulement toute votre atteu
tion pour celui qui parlera après moi '. Que vous manque
t-il enfin? vous avez des écrivains habiles en Tune et e]
l'autre oraison ; des poètes en tout genre de poésies « soi
morales , soit chrétiennes, soit héroïques , soit galantes e
enjouées ; des imitateurs des anoiens ; des critiques au»
tères ; des esprits fins, délicats, subtils, Ingénieux, proprei
à briller dans les conversatioos et dans les cercles. Encori
une fois, à quels hommes, à quels grands sujets m'associez'
vous!
Mais avec qui daignez- vous aujourdTiui me recevoir "1
Après qui vous lais-je ce public remerciement? U ne doit
pas néanmoins, cet homme si louable et si modeste, appré*
hender que je le loue : si proche de moi, il aurait autant ai
facilité que de disposition à m'interrompre. Je vous deman-
derai plus volontiers : A qui me faites-vous succéder? A un
homme qui avait de la vertu.
Quelquefois , Messieurs , fi arrive que ceux qui tous âoi'
vent les louanges des illustres morts dont ils remplissent
la place , hésitent, partagés entre plusieurs choses gui mé-
1. François Charpentier (1620-1702), membre de TAciidémie française el
de rAcadémie des inscriptions. 11 répondit à la Bruyère au nom de l'Acs'
demie, dont il était le directaor.
2. L'abbé J.-B. Bignun , petit-fils du savant Jérôme BifQQB , iraait ét^
nommé à la place de Bussy-Rabutin^ et fut reçu le même jour que la Bruyère*
DISCOURS A li'AGipéiUjB. 36?
yli jUmt 4êl^m^ qu'oo 1^9 rt^lè^f». Yovf. avîtz ekeki «a
,^ M. X^hhé is la Chamhr# ' up iioi^mç ci pj^ax , $i tfaidre , ai
'^,^ cliaFita))li« #i louabto pair te choiup, qui arail dea mœura ai
'(^! sag^ et fd ebrétieançB, q^i éUi^t ai lOR^i» da raiigion, ai
^ attac^^ i sas devQi9« , q^'w^ da aaa leo^dftaqaaiites était
m:
•X
s;
da b^ /écrifa. I>a aoUdea ?aruia , fa'oa Tandrait oélébreri
fooi paase? légèramai^ aor aoa ^uibiioa oa aur acm éio«-
quoaaa; on a»tima aoaai^a ji^toa «» yie at sa aonduita q«a
sea ouTapa?a«. Ja iH^éj^erais an affel da prooaoeer la dùir
cours funèbre da celai k qui je amenda, pltttAt qua de ma
boraar ^ aa nmpla éio^e da saa aeprit. Xe aaérita an lui
n'ét^ait paa «laa Abo^a acqoiaa , auiis «m patHnoiiie, \in biea
béréditaiTa, fij du moies il en faut juger par k pboix àa
celui qua avait Uti^ aoa cçaur , aa aooâanaa , toute sa par*-
aopijie, à oa^ £amiUe, qui Tavait rendue aafsma votre atiiéa,
paisqu'oo peut dira qu*U Tavai^ adoptée « et qu'il i^araii
loise avep TAoadéime françaiee août aa protaotion'.
Je p^^îe da abanoalier ^éa^iiaf • 0« t'a» souviaut ^gmmê
4e Tua 4^^ pli^s g;raa4s inagM>traia qua la Imm» ait nour^
ris depps aes aomiUteucerQafi'ia. U a laiasé k douter an quoi
il eioaUait daYautaga, a» 4aue lae beUairlattres, ou 4an$
les affairas ; il aat yw da maint» al oa an eoaTioQt , qu^U
aurpassait eu l'^n et en l'autre tous aeiax ia aon tempa.
Homma giçaye at fiimitier, profond dana laa délibérati<ni3,
quoique 4oujc et îdssiifi dans le coaMXiaroa, il a au naturei^o»
meut c^ qm tant d'aoiree yeulpnt aroir rt iia sa danaaal
jp^a, aa qu'on a'a point par l'étude et par i'affeetaitiony par
|ea a»ot9 gi'araa ou «antoacieux, aa qui art plaa rare que la
soienae, al p^iètn que la probité , je vaux àijt9 da la di*-
^nité. U sa )a darait point à rémineAca àe aon pqate ; at
çontmra, il Ta aaoUi s il a ii^é gra&d «t aeeréâité aana
^ ministère, et on ne voit pas que ceux qui ont su tout réunir
^ en leurs personnes Paient efTacé.
^ Vous le perdjttea tt jr a qu«lquae axuiiéai^ aa fsand protac*-
leur : vous jetâtes la vue autour de vous, yoQ.$ promçnâtes
' va» je^x 9u.r tpua oei^ qui ^'^/^anjt at qm «e troujraMol
Jî
i
f . I/«M»é Pierre Coreaii de ht Chambre étfiit Dis 4e Martin C«rq»9 df
la 4SbMnbn, aticeiir épv Cfyanc^et 4u passiont. Quoiqu'il ii'eftt janjiMa
éorifc, il fM^'eçti à l'Ae«dèime en i67o. Il mourut en avi-il (693, Q^ kisauii
Mie .aueleues eermons et «reit discours prononcés à IVLcadémïe. ^^
2. le chancelier Sé^er aTait le titre de protecteur d9 rAçadémie tt9»
çaise.
388 DISCOURS A l'académie.
honorés de tous recevoir; mais le sentiment de votre |>erte
fnt tel que, dans les efforts que tous fîtes pour la réparer,
TOUS osâtes penser à celui qui seul pouvait vous la faire
oublier et la tourner à votre gloire *. Avec quelle bonté,
avec quelle humanité ce magnanime prince vous a-t-il re-
çus 1 N'en soyons pas surpris, c'est son caractère; le même,
Messieurs, que Fou voit éclater dans toutes les actions de sa
belle vie, mais que les surprenantes révolutions arrivées
dans un royaume voisiii et allié de la France * ont mis dans
le plus beau jour qu'il pouvait jamais recevoir.
Quelle facilité est la nôtre pour perdre tout d'un coup le
sentiment et la mémoire des choses dont nous nous sommes
vus le plus fortement imprimés ! Souvenons-nous de ces
jours tristes que nous avons passés dans l'agitation et dans
le trouble, curieux, incertains quelle fortune auraient cou-
rue un grand roi, une grande reine, le prince leur fils, fa-
mille auguste, mais malheureuse, que la piété et la religion
avaient poussée jusqu'aux dernières épreuves de Tadversité.
Hélas 1 avaient-ils péri sur la mer ou par les mains de leurs
ennemis? Nous ne le savions pas : on s'interrogeait, on se
promettait réciproquement les premières nouvelles qui vien«
draient sur un événement si lamentable. Ce n'était plus une
affaire publique, mais domestique ; on n'en dormait plus, on
s'éveillait les uns les autres pour s'annoncer ce qu'on en
avait appris*. Et quand ces personnes royales, à qui l'on pre-
nait tant d'ivtérôt, eussent pu échapper à la mer ou à leur
patrie, était-ce assez? ne fallait-il pas une terre étrangère
où ils pussent aborder, un roi également bon et puissant
qui pût et qui voulût les recevoir? Je l'ai vue, cette récep-
tion, spectacle tendre s'il en fut jamais! On y versait des
larmes d'admiration et de joie*. Ce prince n'a pas plus de
t. ▲ la mort do chancelier Séguier (28 janvier 1672), rAcadémie pria
lioais XIV d'accepter le titre de protecteur de l'Académie.
S. L'Aogleierre.
3. Mme de Sévigné écrivait, l'un de ces jours oti les nouTelles les plas con-
tradictoires arrivaient à la cour, le 29 décembre 1688 : « Jamais il ne s'est
vu un Jour comme celui-ci. Ou dit quatre cliofees différentes du roi d*Au-
{(leterre, et toutes quatre par de bons auteurs : H est à Calais ; il est à Bon-
ogne; il est urrété en Angleierie; il esi péri Ha^S son vaisf«au; un cin-
quième dit à Brest; et tout cela tellement brouillé qu'on ne sait que dire;....
les laquais vont et viennent à tous moments; jamais je n'ai va an jour
pareil.... »
4. La reine d'Angleterre et le prince de Galles arrivèrent à Saint-Germain
DISCOURS A L'ACADISmIÉ 389
grâce, lorsqa'à la tête de ses camps et de ses années, il fou-
droie une yille qui lui résiste, ou qu'il dissipe les troupes
ennemies du seul bruit de son approche.
S'il soutient cette longue guerre', n'en doutons pas, c'est
pour nous donner une paix heureuse , c'est pour l'avoir à
des conditions qui soient justes et qui fassent honneur à la
nation, qui ôtent pour toujours à Pennemi Tespérance de
nous troubler par de nouvelles hostilités. Qfie d'autres pu-
blient, exaltent ce que ce grand roi a exécuté, ou par lui-
même , ou par ses capitaines, durant le cours de ces mou-
vements dont toute l'Europe est ébranlée , ils ont un sujet
vaste et qui les exercera longtemps. Que 6'autres augurent,
s'ils le peuvent, ce qu'il veut achever dans cette campagne.
Je ne parle que de son cœur, que de la pureté et de la droi-
ture de ses intentions ; elles sont connues , elles lui échap-
pent. On le félicite sur des titres d'honneur dont il vient de
gratifier quelques grands de son Ëtat : que dit-il? qa'il ne
peut être content quand tous ne le sont pas, et qu'il lui est
impossible que tous le soient comme il le voudrait. Il sait,
Messieurs, que la fortune d'un roi est de prendre des villes,
de gagner des batailles, de reculer ses frontières, d'être
craint de ses ennemis ; mais que la gloire du souverain con-
siste à être aimé de ses peuples, en avoir le cœur, et par le
cœur tout ce qu'ils possèdent. Provinces éloignées, provinces
Toisînes, ce prmce humain et bienfaisant, que les peintres
et les statuaires nous défigurent, vous tend les bras, vous
regarde avec des yeux tendres et pleins de douceur; c'est là
son attitude : il veut voir vos habitants, vos bergers, danser
au son d'une flûte champêtre sous les saules et les peupliers,
y mêler leurs voix rustiques, et chanter les louanges de ce-
lui qui, avec la paix et les fruits de la paix, leur aura rendu
la joie et la sérénité.
C'est pour arriver à ce comble de ses souhaits, la félicité
commune , qu'il se livre aux travaux et aux fatigues d'une
guerre pénible, qu'il essuie Tinclémence du ciel et des sai-
sons, qu'il expose sa personne , qu'il risque une vie heu-
reuse : voilà son secret et les vues qui le font agir; on les
pénètre, on les discerne par les seules qualités de ceux qui
le 6 ianTier 1689; Jacques II les rejoignit le lendemain. Louis XIV était
Tenu recevoir lui-mèoie la reine et le roi.
1. La guerre contre la ligue d'Angsbourg, qui avait commencé en 1689.
990 IMrSCOTM» A L'ACA0iMîft.
MAI m {Aidé, et ifii faidetit dé lénni dditteilé. lé tiïêiAgé
leur iDodestta : Ço'ils «10 perttiettdtif senlemdiit de femxi*
quer qu'on ne devine point les projeté de ee stge priàee[
qu'on devifte, sn eontraife, qu*on nottine !efl pertonites
qu'il m, plaeef, et qu'il ne fait que eonfl/mef la fbit dti
peuple dant le etaoii qaTil fait de ses ministree. Il ûe se dé»
éh&fge pas entièrement stri* extt du poids de ses a£foifes;
hii-méme, si ]ê Tose dire, il eét son ptitteipal minisfre:
tonjonrs appRqaë à nos besoins, il ùV a pour îni nf temps
de reiacbe ni hetifes ptltilégiées r d^l la nuit s'avance, lég
gardes sont relevées aui avenues de éon palais, lés astres
MDent ati ciel et font leur course ; toute la natnté répose,
pfivée Au lont, ensevelie dans les otnbfes; nous fsposone
aussi, tafidis que ée roi, fétîré dans soû balostre*, véiBe seul
sttf tioué et sur totit l*Ëtat. Tel est, Messieurs, le protecteur
que tous tous êtes procuré , eelui de ses peuples^.
Vous m*aves admis dans une compagnie illustrée par mie
si haute protection. Je ne le dissimule pas, f ai assex estfmd
cette distinction pour désirer de favoir dans tente sa tfeur
et dans toute son intégrité, je Veux dire de la devoir à votre
Seul choit; et j'ai mis votre choix à tel prix, quejen'af pas
osé en blesser, pas même en effleurer la liberté, par une im-
portune sollicitation. Pavais d'ailleurs une juste dëJtance
de moi-même, je sentais de la répugnance à demander
d'être préféré k d'sntres qui pouvaient être choisis. J'avaié
cru entrevoir, Messieurs , une chose que je ne devais avoir
aucune peîflé à eroire, que vos inclinations se tournaient
affleura, Étit Un sujet digne, sur un homme rempH de ver-
tas, d*esprlt ei de conhaâsatices, qui était tel avant le poste
de confiance qtt'â occupe, et qui êerait tel encore s'il ne Too-
cupait plus*, le me sens touché, noh de sa déférence , je
sais celle que je lui dois, mais de Tamitié qu'il m'a témoi-
gnée, jtisques à s*0ublier en ma fateur. Un père mène son
fils à un spectacle : la foule y est grande, la porte est assié-
gée; il est haut et robuste, il fend la presse; et, comme il
est pTês d'entrer, il pousse son fils detant lui, qui, sans cette
1. Ii9 m dét prtMM était enUNffé 4'aAé bitoélr|de, qS* lé plné ioarSÉii
Ton nommait balustrê,
2. SimoD de la Loubère, gouTernear du flU de Pontcbartralo. Il fat nommé
a rAcadéraf« peu dé xetapê aprèf fa Srnyèfe. U avait pabiié. 4û reionr (TuA
voyage qu'il avait fait dans le royaume de SilDtt ttec l# titre d'envoté SICTi*
•rdiaatre, aie mmptioû dé os pays.
DISCOURS A l'académie. 391
précaution, ou n'entrerait point, ou entrerait tard. Cette dé-
marche, d'avoir supplié quelques-uns de vous, comme il a
fait, de détourner vers moi leurs suffrages, qui pouvaient
si justement aller à lui, elle est rare, puisque, dans ces cir-
constances, elle est unique, et elle ne diminue rien de
ma reconnaissance envers vous, puisque vos voix seules,
toujours libres et arbitraires, donnent une place dans l'Aca-
démie française.
Vous me Tayez accordée, Messieurs, et de si bonne grâce,
avec un consentement si unanime, que je la dois et la yeux
tenir de votre seule magnificence. Il n'y a ni poste, ni
crédit, ni richesses , ni titres, ni autorité, ni faveur, qui
aient pu yous plier à faire ce choix : je n'ai rien de toutes
ces choses , tout me manque. Un ouvrage qui a eu quelque
succès par sa singularité , et dont les fausses , je dis les
fausses et malignes applications pouvaient me nuire auprès
des personnes moins équitables et moins éclairées que yous,
a été toute la médiation que j'ai employée, et que yous ayex
reçue. Quel moyen de me repentir jamais d'avoir écrit?
^
TABLE.
Notice ..«•••• '• I
Jugements littéraires sur la Bruyère ^
Discours sur Théophraste Z2i
Les Caractères ou les mœurs de ce siècle zxxm
Préface des Caractères xxzv
I. Des ouvrages de l'espritTrr. 1
II. Du mérite personnel 33
ITI. Des femmes 48
IV. Du'cœur.<w 69
V. De la société et de la conversation 60
VI. Des biens de fortune 70
VII. De la ville 116
Vin. De la cour 129
IX. Des grands 159
X. Du souverain ou de la république 177
XI. De l'hontme.Tr 197
XII. Des jugements 242
XIII. De la mode 280
XIV. De quelques usages 299
XV. De la chaire 328
XVI. Des esprits forts 340
Préface du discours à TAcadémie 369
Discours à l'Académie 381
Pm DB LA TABUS.
[20 415]. — PARIS, TYPOGRAPHIE L'AHURE
Rne de Fleuras, d
">
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