Skip to main content

Full text of "Les chansons des trains et des gares"

See other formats


IJ> 


Les  Chansons 
des  Trains  et  des  Gares 


DU  MEME  AUTEUR 
Flûtes. 


FRANC-NOHAIN 


Les  Chansons 

des  Trains  et  des 

GARES 


PARIS 
ÉDITIONS  DE    LA  REVUE   BLANCHE 

23,    BOULEVARD   DES    ITALIENS,  23 

I  ()()(  ) 

Tous  droits  de  traduction  et  reproduction  réservés  pour  tous  les  pays  y  compris 
la  Suède  et  la  Norvège. 


IdOO 


Il  a  été  tiré  à  part 
quinze  exemplaires  sur  hollande^  numérotes  à  la  presse. 


JUSTIFICATION   DU   TIRAGE 


LETTRE  OUVERTE 

A   MONSIEUR    NOBLEMAIRE 

Directeur  de  la  Compagnie  Paris-Lyon-Médilerranée, 
(P.-L.-M.). 


Cher  Monsieur  Noblemaire, 

Encore  que  la  nature  de  vos  occupations  vous  doive 
apparemment  écarter  des  lectures  frivoles,  et  ne  vous 
permette  point  de  vous  attarder  à  des  badinages  de 
poète,  laissez-moi  écrire  familièrement,  affectueuse- 
ment, votre  nom,  à  la  première  page  de  ce  livre  :  cela 
ne  vous  engage  à  rien,  et  ça  me  fera  tant  de  plaisir! 

Car,  je  le  sais  bien,  cher  Monsieur  Noblemaire,  vous 
n'êtes  pas  toutes  les  gares,  et  vous  n'êtes  pas  tous  les 


VI  LETTRE   OUVERTE   A   MONSIEUR   NOBLEMAIRE 

trains;  mais,  enfant  de  la  Bourgogne  généreuse,  ce 
sont  vos  gares  les  premières  où  j'attendis  de  la  famille, 
c'est  dans  vos  trains  que,  frêle  garçonnet,  j'appris  à 
avoir  mal  au  cœur. 

Plus  tard  des  maîtres  zélés  mirent  sous  mes  yeux 
avides  ces  cartes  de  notre  chère  France,  où  fièrement 
s'enchevêtrent  les  multiples  réseaux,  bienfaits  du  pro- 
grès civilisateur  et  d'un  gouvernement  démocratique  ; 
chagrins  d'amour,  caprices  de  la  vie  administrative,  et 
vous  surtout,  crus  fameux  dont  je  devais  un  jour 
colporter  la  marque,  vous  m'avez  fait  m'asseoir  sur  les 
coussins  de  couleur  diverse  de  tant  de  diverses  com- 
pagnies :  je  connus  ces  autres  lignes,  de  l'État,  du 
Nord,  de  l'Est,  et  d'Orléans,  que  sais-je?  —  Mais  quand 
j'interrogeais  mon  cœur,  mon  cœur  continuait  à 
répondre  avec  une  douceur  un  peu  mélancolique  mais  si 
tendre  :  Paris- Lyon-Méditerranée, 

Et,  pourquoi  le  taire,  ce  n'est  pas  Paris -Lyon- Médi- 
terranée que  répondait  mon  cœur,  mais  bien  plutôt 
trois  lettres,  ces  trois  lettres  prestigieuses  et  sonores  : 
P.-L.-M. 

P.-L.-M.  ! 


LETTRE    OUVERTE   A    MONSIEUR   NOBLEMAIRE  VII 

Certes,  par  ces  temps  de  cosmopolitisme  et  d'affir- 
mations cyniquement  internationalistes,  plus  que 
jamais  je  tiens  qu'il  faut  rester  fidèle  à  sa  station,  fidèle 
Li  la  ligne  qui  côtoie  nos  prés  verts,  à  la  locomotive  dont 
la  fumée  en  panache  égaya  nos  premiers  horizons  ; 
mais  ce  m'est  une  raison  nouvelle  de  rendre  grâce  à  la 
puissance  créatrice,  qui,  —  enfant  de  la  Bourgogne 
généreuse,  comme  j'avais  l'honneur  de  vous  le  dire, 
cher  Monsieur  Noblemaire,  —  m'assignait  déjà  par 
droit  de  naissance  la  seule  voie  que,  poète,  j'eusse 
aimée  et  voulu  choisir  :  ce  P.-L.-M.  qui  est  le  vôtre. 

P.-L.-M.  :  —  titres  à  quelle  trilogie,  portiques  pour 
quel  triptyque,  symboles  de  quelle  trinité? 

Oui,  le  vocabulaire  usuel  pourra  donner  à  d'autres 
lignes  les  noms  d'Orléans,  que  sais-je?  et  de  l'Est,  et 
du  Nord,  et  de  l'État  lui-même,  —  vous,  vous  restez 
le  P.-L.-M.,  à  jamais  drapé  dans  Tétroit  et  mystérieux 
manteau  de  cette  ellipse,  en  pudeur  et  en  beauté  ! 

Discrètes  initiales,  formule  devant  qui  l'on  rêve, 
poètes,  cherchons-nous  autre  chose?  Et  ce  mystère 
n'apparait-il  pas  source  de  toute  poésie,  —  suffisam- 
ment voilé   pour   demeurer   troublant,   suffisamment 


VIII  LETTRE    OUVERTE   A   MONSIEUR   NOBLEMAIRE 

clair    pour    n'inquiéter  et  ne   décourager    personne, 

—  sans  doute  à  la  merci  des  plaisantins  qui  l'interpré- 
teront volontairement  de  façon  triviale,  et  ridicule,  et 
basse,  mais  qu'importe  :  vous  aurez  donné  un  secret  à 
garder  à  la  Foule,  et  par  ainsi  la  Foule  se  sent  meil- 
leure, prend  conscience  d'une  noblesse  et  d'une  dignité 
plus  hautes,  fière  d'être  dans  le  secret  I 

P.-L.-M.  et  sursum  corda! 

C'est  dans  cet  esprit  que  je  vous  demanderai  la  per- 
mission de  vous  embrasser,  cher  Monsieur  Noblemaire, 

—  confraternel  et  reconnaissant. 

F.-N. 


SONNET 

Lorsque  le  Printemps  renouvelle 
Fleurs  et  nids  y  fêtant  son  retour. 
Les  Poètes  chantent  V Amour, 
Vieille  chanson  toujours  nouvelle. 

Et  près  de  moi,  battant  de  Vaile, 
Les  rimes  mêlaient  tour  à  tour, 
A  de  vieux  airs  de  troubadour, 
Leur  voix  délicieuse  et  frêle  : 

Et  f  écoutais,  Vâme  ravie, 
Et  j'ai  chanté,  loin  de  la  vie 
Et  des  soucis  de  l'avenir  ; 

Et  maintenant  le  vent  enlève. 
Si  légères,  ces  fleurs  du  Rêve, 
Et  ces  feuilles  du  Souvenir. 


iaiiU-Mandé,  Salon  des  Familles, 
Mars  1891), 


Chansons  des  Trains  et  des  Gares 


Ah  !  comme  ça  va, 
Comme  ça  va'doiic  vite 
Comme  ça  va  donc  bien 
En  chemin  de  fer  !... 


PRELUDE 

Nous  chanterons  le  P.-L  -M. 

Et,  de  même, 

L'Est, 

L'Ouest, 

Et  le  Midi  ; 

Et  nous  chanterons  aussi, 

—  Si  cela  ne  vous  ennuie, 

Honorable  compagnie  !  — 

Nous  chanterons  encor 

Du  Nord, 

Et  de  l'Etat,  et  d'Orléans,  les  Compagnie' 


2  PRÉLUDE 

(Sans  préjudice,  bien  entendu,  de  quelques  mots 

Pour  les  réseaux 

Economiques  et  départementaux); 

Car  c'est  le  temps  de  prendre  l'air 
En  des  voyages  circulaires  : 

C'est  le  temps  des  chemins  de  fer. 

A  la  campagne,  ou  vers  des  plages,  ou  vers  des  thermes, 

En  d'autres  termes 

Ailleurs,  ailleurs, 

Nous  allons,  pâles  voyageurs, 

Quérir  la  santé,  la  fraîcheur, 

Le  repos,  et  le  lait  des  fermes  : 

Le  mouvement  est  dans  les  gares, 

Car 

Le  temps  est  d'aller  autre  part 

Et  nous  croyons  bon  qu'on  écriv*e 
Ces  chants  sur  les  locomotives 


PRÉLUDE 

Qiiînous  mènent  à. travers  champs, 
Nous  qui  voulons  calmer  les  peinc^s 
En  cherchant, 

Pour  la  mettre  à  portée  des  gens, 
Des  pauvres  inquiètes  gens. 
Qui  s'agitent,  qui  se  démènent, 
Ou  se  promènent, 

La  poésie  des  choses  quotidiennes. 


LA  LOCOMOTIVE  REGARDE  UNE  VACHE 
EN  PASSANT 


Calme,  immobile, 

Dans  le  petit  pré  tranquille,  au  long  de  la  ligne, 

C'est  une  vache  qui  rumine. 

Pour  tant  de  vaches  qui  regardèrent 

Passer  des  chemins  de  fer, 

Il  convient  aussi  qu'on  le  sache, 

Il  y  a  des  locomotives  qui  regardent  les  vaches. 

Et  c'est  avec  des  yeux  d'envie. 
Leurs  gros  yeux  rouges, 


LA   LOCOMOTIVE    REGARDE    UNE   VACHE    EN    PASSANT       5 

Qu'elles  contemplent  les  prairies, 

Où,  paresseuses,  Ton  se  couche. 

Et  Ton  liane  en  se  divertissant  au  vol  des  mouclics:.. 

Laisser  monter  en  soi  le  vin  de  la  paresse. 

Suivant  le  mot 

D'Arthur  Rimbaud!... 

Mais,  quand  on  est  locomotive,  il  faut 

Qu'on  parle,  et  reparte,  et  se  presse. 

(Car  ce  n'est  pas  à  dix-huit,  ni  à  seize, 
'  C'est  à  dix-sept, 

Qu'inéluctable  est  la  correspondance  de  Texprcss 
Avec  le  rapide  Bordeaux-Cette.)  — 

Ah  !  la  préoccupation  de  l'horaire, 
Quand  il  ferait  si  bon  s  étendre 
Sur  l'herbe  tendre, 
Dans  le  pré  vert  !... 

Mais  il  faut  poursuivre  la  tâche. 
En  marche  !  en  marche' 


G   LA  LOCOMOTIVE  REGARDE  UNE  VACHE  EN  PASSANT 

Sans  relâche... 

Et  c'est  avec  des  soupirs  de  regret, 

Que  passe  la  locomotive  au  long  des  prés, 

Où  sont  immobiles  les  vaches, 

Et  songe  en  regardant  les  veaux 
Batifoler  près  de  leur  mère. 
Songe  à  l'impossible  chimère. 
Et  se  détourne  le  cœur  gros,  -- 

Jouir  en  paix  de  la  nature. 
Avec  une  progéniture 
De  petits  locomotiveaux. .. 


L'AME  DES  CHEFS  DE  GARE 


Les  chefs  de  gare  ont  cette  âme  sceptique  et  narquoise 
Des  gens  qui  en  ont  bien  vu  d'autres  : 
Nous  pouvons  la  trouver  mauvoise, 
Nous  irriter,  leur  chercher  noise, 

Jlsonttellementconsciencequece  n'est  pas  leur  faute  !, 

En  souriant,  ils  écoutent,  et  même  inscrivent, 
Pour  être  transmises  par  la  voie  administrative. 
Les  réclamations  les  plus  vives 
Des  personnes  rancunières  et  agressives,  — 
Mais  naïves  : 


8  LAME    DES    CHEFS    DE    GARi: 

Carie  départ  d'un  train  qui  siffle 

A  la  brutalité  des  chiffres, 

Et  malgré  le  retard  prouvé  de  notre  montre, 

Il  n'y  a  pas  à  aller  contre. 

D'ailleurs  une  politesse  élégante 

Couvre  leur  discrète  ironie; 

Les  chefs  de  gare  ne  se  recrutent  et  ne  fréquentent 

Que  dans  la  bonne  compagnie. 

Il  ne  faut  donc  pas  les  confondre 

Avec  d'analogues  messieurs, 

Que,  comme  eux, 

Porteurs  de  casquette,  on  rencontre 

Sifflant  le  soir 

Sur  un  trottoir. 

Car,  à  vrai  dire,  s'il  n'est  point  rare 

Que  ceux-là  aussi  hantent  la  proximité  des  gares, 

En  revanche, 

—  A  plus  de  ponts. 

Mais  sans  galons,  — 

Leur  casquette,  pas  plus  que  leur  âme,  n'est  blanche 

Blanches  sont  la  casquette  et  l'âme  des  chefs  de  gare. 


LE  TUNNEL 


Enfants,  chantez  la  ritournelle. 
Voici  la  ronde  des  Tunnels  : 

C'est  Tony  avec  Toinon, 
■  Tournez,  Toinon,  Tony  —  tunnel  î  — 
C'est  Tony  avec  Toinon, 
Qui  s'aimaient  de  pnssion. 

Avaient  des  parents  baibarcs, 
-  Tournez,  Toinon,  Tony  —  tunnel  î  — 
Avaient  des  parents  barbares, 
Employés  dedans  la  gare. 


10  LE    TUNNEL 

Leur  défendirent  se  voir, 

—  Touinez,  Toinon,  Tony,  —  tunnel  !  — 

Leur  défendirent  se  voir, 
Ce  qui  fit  leur  désespoir, 

Mais  pour  le  joli  péché, 

—  Tournez,  Toinon,  Tony,  —  tunnel  î  - 

Mais  pour  le  joli  péché, 
Au  tunnel  se  sont  cachés. 

Quand  un  train,  passant  près  d'eux, 

—  Tournez,  Toinon,  Tony,  —  tunnel  !  — 

Quand  un  train,  passant  près  d'eux 
Coupa  l'amoureuse  en  deux. 

Le  pauvre  Tony  pleura, 

—  Tournez,  Toinon,  Tony,  —  tunnel  !  — » 

Le  pauvre  Tony  pleura. 
Mais  il  avait  de  bons  bras  ; 

Et  de  Toinon,  tristement, 

—  Tournez,  Toinon,  Tony,  —  tunnel  !  — • 

Et  de  Toinon,  tristement^ 
Rapporta  les  deux  fragments. 


LE    TUNNKL  11 

Sous  le?  tunnels,  comme  quoi, 
—  Tournez,  Toinon,  Tony,  —  tunnel  !  — 
Sous  les  tunnels,  comme  quoi 
On  part  deux,  on  revient  trois. 

Voilà,  petites  demoiselles  y 
Voilà  la  ronde  des  tunnels. 


[Les  enfants  tournent  deux  à  deux,  en  se  tenant  par  la  main,  les  uns 
derrièie  les  autres;  au  mot  iunnel,  chaque  couple,  s'arrêtant  de  tourner, 
lî've  les  bras  en  Tair,  de  façon  à  former  une  sorte  de  pont,  sous  lequel 
passe  le  dernier  couple  en  traînant  les  pieds  et  en  imitant  le  bruit  de  la 
locomotive.  Au  huitième  couplet,  tous  les  enfants  se  couchent  par  terre.  1 


DANS  LE  PETIT  JARDIN  DU  GARDE- 
BARRIÈRE 


Dans  le  jardin  du  garde-barrière,  — 

Jardin  qui  n'est 

Qu'un  jardinet, 

Où  de  parties  de  tennis  et  de  croquet 

Difficilement  se  pourraient  faire  : 

{Mais  ce  ne  sont  pas  là  des  jeux  de  garde-barrière) 

Dans  le  petit  jardin  du  garde-barrière, 

Poussent  des  pois^  des  carottes,  et  des  navels, 

Et, 

Et  autres  plantes  potagères. 


DANS    LE   PETIT  JARDIN    DU    GARDE-BARRIÈRE  13 

Quelle  satisfaction,  le  soir  : 
Le  train  passé  s'enfuit  et  fume... 
Pour  la  bonne  soupe  que  parfument 
Des  choux  à  soi,  d'autochtones  légumes, 
Hardi,  hardi  l'arrosoir  !... 


Et  la  famille  tout  entière 

Interroge,  Tœil  anxieux,  la  cloche  de  verre, 

Où,  majestueux,  se  prépare, 

—  Problème,  espoir,  —  le  melon,  dont 

On  projette  de  faire  don, 

Très  diplomatiquement,  au  chefdegaro. 


Et  puis,  et  puis, 

Il  y  a  aussi  le  petit  coin  bordé  de  buin> 

Où  sont  les  fleurs  : 

itdmirez  les  jolies  pensées. 

Pieusement  et  copieusement  arrosées, 

Avec  ardeur,  le  cœur  rêveur. 

Parla  fille  aînée,  fiancée 

Au  jeune  et  vaillant  aiguilleur... 


14  DANS   LE   PETIT  JARDIN   DU   GARDE-BARRIERE 

C'est  là  que  les  grands  tournesols, 

rtongés  d'une  ambition  folle, 

Regardent,  jaunes  de  dépit, 

La  gare,  dont  les  feux,  la-bas,  brillent  dans  la  nuil> 

Et  les  attristent,  — 

Eux  qu'éternellement  poursuit, 

(Bisque  î...  bisque  !...) 

Cette  idée  fixe  : 

Etre  un  disque  !  — 


LES  GANTS  DU  CONTROLEUR 


Des  gens  sont  spécialement  employés 

A  pratiquer  de  petits  trous  dans  les  billets, 

Et  qui,  pour  les  besoins  du  contrôle  s'enquièrent, 

Surgissant  tout  à  coup  au  cadre  des  portières, 

De  l'âge  exact  du  petit  Pierre  : 

—  Il  est  du  quatorze  janvier. 

Comptez  ce  que  cela  peut  faire  ;  — 

Mais  si  vraiment  la  jeune  Anna 

N'a 

Quesixansettroismois, — (Monsieur,pasdavantageî, 

La  fillette  est  grande,  our-da. 

Pour  son  âge  î...  — 

(L'enfant  tient  cela  de  son  père.  )  — 


16  LES    GANTS    DU    CONTROLEUR 

Au  plus  fort  de  l'hiver  comme  au  cœur  de  l'été, 

Ces  messieurs  sont  toujours  soigneusement  gantés, 

Avec  des  gants  de  couleurs  sombres  : 

Et  je  croyais,  dans  ma  simplicité, 

Que  pareil  luxe  était  nécessité 

Par  leur  souci  de  se  conduire  en  gens  du  monde. 

Mais  on  m'a  dit  que  le  contrôleur  craint, 
Aux  poignées  des  compartiments,  que  son  devoir 
Est  d'ouvrir,  et  que  le  charbon  a  rendues  noires, 
Craint  simplement  de  se  salir  les  mains  ; 
(Entre  nous,  tout  porte  à  le  croire.) 

Si  le  motif  est  celui  qu'on  allègue. 
Ne  vous  semble-t-il  point  qu'il  serait  fort  galant 
Que  quelque  Compagnie  eût  des  contrôleurs  nègres, 
Soigneusement  gantés  de  blanc  ? 


NOUS  DEJEUNERONS  DANS  LE  TRAIN 


Foin  des  buffets,  et  foin  des  terminus, 

Où  le  restaurateur,  l'en  accuse  ma  Musc, 

Cynique  et  déloyal,  abuse 

De  ce  que  le  train  n'attend  point  : 

Des  buffets,  des  terminus,  foin  ! 

Installons-nous  bien  tranquillement  dans  le  coin 

De  ce  wagon,  —  nous  allons  loin. 

Et  le  train  est  omnibus. 

Qu'on  est  donc  bien,  qu'on  est  donc  bien  î 
Ah  !  c'est  ce  Monsieur  Adrien, 


18        NOUS  DÉJEUNERONS  DANS  LE  TRAIN 

Qui  a  toujours  de  bonnes  idées  ! 
Admirez,  la  vue  est  superbe,  — 
Et  c'est  comme  un  dîner  sur  l'herbo, 
Sans  rien  à  craindre  des  ondées... 

Voyons  d'abord  dans  le  panier 
Si  Anna  n'a  rien  oublié  : 
Allons,  voilà  toujours  le  sel 
(Pour  les  œufs  durs,  essentiel)  ;  — 
Ne  manquerons-nous  pas  de  pain 
C'est  que  je  me  sens  une  faim  î... 
Ah  !  le  chemin  de  fer  ça  creuse  !.. 

Voilà  qui  va  des  nfiieux;  oh  !  oh  î...  — 
Gourmand,  on  connaît  vos  défauts. 
C'est  la  surprise  : 

J'ai  vidé  le  petit  flacon  d'eau  dentifrice, 
Et  je  l'ai  rempli  de  chartreuse.  — 

De  l'eau  !...  apprenez,  Henriette, 

Qu'en  voyage,  on  ne  boit  pas  d'eau,. *• 

Je  vais  vous  passer  mon  couteau  : 

C'est  un  couteau,  avec  une  fourchette, 

Et  un  tire-bouchon  ;  j'en  avais  fait  enipletto 


NOUS  DÉJEUNERONS  DANS  LE  THAÎV         10 

Exprès,  —  c'est  très  commode,  et  môme,  duiis  Iciu.m  .  .  . 
Est  pratiqué  un  trou  qui  peut  servir  pour  boire.  . 

—  Gomme  c'est  bien  imaginé  !...  Faites-moi  voir  ?...  — 
Bon,  voilà  que  ça  se  démanche  !...  — 

—  Fifille,  ce  Monsieur  dans  Tautre  coin^là-ba3, 
Qui  fait  semblant  de  lire  les  Débats, 

Qui  sait  s'il  n'a  pas  faim,  et  s'il  ne  voudrait  pas 

Prendre  avec  nous  une  petite  chose  ?... 

Demande-lui  î...  — C'est  que  jen*ose  pas...  — Va,  ose  î... 

—  Monsieur,  voulez-vous  me  permettre  ?... 

De  saucisson  si  vous  plaisaient  quelques  rondelles  ?.. 
Etle  Monsieur,  galant  :  — Certes,  MadcmoiGolle, 
Deux  rondelles, 

Deux,  si  vous  les  donnez  au  bout  de  la  fourchett?, 

Et  trois. 

Trois,  si  vous  les  offrez  avec  vos  jolis  doigls.  — 


DES  DÉLÉGATIONS  ATTENDENT 
M.  FÉLIX  FAURE  A  LA  GARE 


Les  vieux  lutteurs  de  mil  huit  cent  quarante-huit 
Seront  à  la  gare  à  midi  quarante-huit. 

Le  train  ne  s'arrêtera  pas, 

Télégraphia  Monsieur  Le  Gall,  — 

Mais  c'est  égal, 

Il  est  bon  que  nous  soyons  15  ; 

Car,  dussions-nous  n'apercevoir  qu'ù  peine 

Le  profil  du  chef  de  l'Etat, 

Notre  présence  témoignera 

De  notre  foi  républicaine...  — 

Les  vieux  lutteurs  de  mil  huit  cent  quarante-huit 


DES  DÉLÉGATIONS  ATTENDENT  M.  FÉLIX  FAUHE    21 

Seront  à  la  gare  à  midi  quarante-huit. 

Et  voilà  donc  qu'au  grand  complet, 
Se  groupent  autour  du  sous-préfct, 
Toutes  les  autorités  locales,  — 
Qui,  très  sévèrement,  commentent 
L'abstention  delà  fraction opposanlo 
Du  Conseil  Municipal... 

Et  j'en  sais  alors,  pour  qui  les  disques  évoquent 
Quelque  fantastique  rosette. 
Ou  bien  rouge,  ou  bien  violette, 

Les  disques,  ô  Félix  !  pareils  à  ton  monocle... 

Les  vieux  lutteurs  de  mil  huit  cent  quarante-huit 
Seront  à  la  gare  à  midi  quarante-huit. 


ROMANCE  DU  GENDARME 


Bon  voyageur  qui  partez  en  voyage, 
Vous  demandez  ce  que  je  fais  ici  : 
Si  vous  avez  consigné  vos  bagages, 
Sachez  que,  moi,  j'ai  ma  consigne  aussi  ; 
D'ailleurs,  je  vais  vous  conter  mon  histoire, 
Et,  quand  je  vous  aurai  tout  révélé, 
Certainement  il  vous  sera  notoire 
Que  j'aimerais  beaucoup  mieux  m'en  aller. 

Ensemble  : 
Qu'il  aimerait  beaucoup  mieux  s'en  aller. 


ROMANCE    DU   GENDARMR 

J'avais;,  jadis,  une  épouse  clK-rie, 
Dont  j'adorais  l'esprit  et  les  attraits  : 
Sait-on  jamais,  alors  qu'on  se  marie, 
Sait-on  avant  ce  que  sera  après  ? 
En  attendant,  plein  d'une  douce  ivresse, 
Et  confiant  dans  ses  chastes  serments, 
Je  l'entourais  d'estime  et  de  tendresse, 
Avec  mon  cœur  de  soldat  et  d'amant. 

Ensemble  : 
Avec  son  cœur  de  soldat  et  d'amant. 

Chaque  matin,  elle  allait,  la  parjure, 
En  cette  gare,  y  vendre  des  journaux  : 
Peut-être  bien  les  mauvaises  lectures, 
Presse  maudite,  auront  causé  mes  maux  î 
Bref,  un  autre  homme  avait  fait  sa  conquête. 
Un  soir,  hélas  !  je  l'attendis  en  vain  : 
A  mon  chapeau  préférant  sa  casquette, 
Elle  est  partie  avec  un  chef  de  train. 

Ensemble  : 
Elle  est  partie  avec  un  chef  de  train. 

Et  maintenant  les  besoins  du  service 


24  ROMANGK   DU    GENDARME 

Ces  tristes  lieux  me  forcent  à  revoir  ; 
Giiaque  wagon  m'est  un  nouveau  supplice, 
Je  viens  pourtant,  esclave  du  devoir. 
Mais  pour  cacher  le  trouble  de  mon  àme, 
Pour  échapper  au  spectacle  odieux 
Des  compagnons  du  séducteur  infâme, 
Quand  passe  un  train,  je  détourne  les  yeux.... 

Ensemble  : 
Quand  le  train  passe  il  détourne  les  yeux. 


NOCTURNE 


La  petite  gare  est  endormie, 

Endormis, 

Les  tableaux  enchanteurs  de  Hugo  d'AIesi, 

Et  l'appareil  ingénieux 

Qui,  tout  le  jour,  distribua 

Ou  bien  d'excellents  chocolats 

Ou  des  bonbons  délicieux  :  — 

En  la  petite  gare  endormie, 

Seulement  tinte  le  timbre  grêle, 

Et  rappelle 

Que  va  passer  l'express  de  minuit  et  demi. 


26  NOCTURNE 

Et  cependant  solitaire,  au  quai  cle  la  voie 

Numéro  trois, 

L'imprévoyante  grosse  Madame 

Attend  le  train,  sans  que  l'un  voie 

Nulle  angoisse  troubler  son  âme  : 

Pourtant,  ô  Madame,  voyor.s. 

Où  mettra-t-on,  où  metlra-t-on, 

Tous  les  filets,  tous  les  cartons, 

Qui  encombrent. 

Dans  la  nuit  sombre, 

Qui  encombrent  autour  de  vous  le  macadam  ? 

Et  vous-même,  il  vous  faut  un  peu  de  place,  dame  ! 

Le  train  paraît  ;  vous  bondissez, 
—  Pressez  !  pressez  î  — 
Combien  dures  ces  portières  ! 
Les  veilleuses,  les  yeux  baissée. 
Sournoises,  cachent  leur  lumière  ; 
Enfin,  voici  qu'après  des  efforts  insensés, 
Le  compartiment  s'est  ouvert  : 

Ah  !  pauvre  ! 


NOCTURNE  27 

C'est  un  rugissement  de  fauves  ; 

Sur  les  banquettes,  dans  les  ténèbrcr, 

Où  des  pieds  agitent  leur  plante, 

Des  peaux  de  bêtes  effrayantes 

Se  retournent  et  se  soulèvent,  — 

Des  peaux  rayées  comme  des  tigres  ou  des  zèbres,  — 

Peut-être  simples  couvertures, 

Mais,  vraiment,  on  n'en  est  pas  sûr  î... 

Et  tandis  que  s'impatiente 

Le  timbre  grêle, 

La  grosse  dame  parmi  les  fauves  suppliant?, 

—  Telle 

Une  dompteuse  chez  Bidel,  — 

Invoque  en  un  suprême  appel, 

Avec  ses  paquets  et  ses  caisses, 

La  vieille, 

La  vieille  galanterie  française. 


LAMPISTERIE 


La  lompisterie  est  cet  endroit  plein  de  silence, 

Où  sont  les  lampes, 

Où,  dans  les  huiles  et  les  pétro'cs, 

Les  mèches  trempent, 

Les  mèches  molles,  — 

Lampisterie,  endroit  obscur  où  sont  les  lampes. 

Et  le  lampiste  coule  là, 
Goule  des  jours  monotones  et  sans'éclat, 
Sans  gloire,  sans  smar/  :  —  en  général, 
Le  lampiste  s'habille  mal, 


LAMPISTERIE  29 

Kt  les  occasions  sont  rni03, 
^Peut-êlre  le  premier 
Janvier  ?) 

Bien  rares  où  le  chef  de  gare 
Serre  sa  mu  in,  sa  main  103^3  lo. 
Mais  sale. 

Mais  le  lampiste  est  un  modeste, 
Qu'inquiètent  peu  les  égards  : 
11  se  fiche  du  tiers,  du  quart, 
Et  du  ziste  comme  du  zeste,  — 
Pourvu  que  les  lampes  lui  restent. 

Il  ne  demande  même  pas  à  monter  en  grade  : 

Tout  au  plus,  parfois,  songe-t-il 

Que,  s'il  avait  des  appointements  comme  Rothschild, 

Peut-être  mettrait-il  une  autre  huile 

Que  celle  de  l'administration,  dans  sa  salade... 

(Et  puis,  au  fond. 

C'est  encore  une  affaire  d'appréciation.) 

Lampisterie, endroit  pleind'ombreet  de  silence, où  trempe 
La  salade  du  lampiste,  dans  l'huile  des  lampes. 


PARALLELEMENT 


Parallèles 

D'un  parallélisme  éternel, 

Les  rails  s'en  vont  à  Thorizon, 

Et  jamais,  entre  eux,  ne  feront 

Des  rondes,  — 

Jamais,  jusques  au  bout  du  monde. 

Les  rails  ne  se  rencontreront. 

Et  ils  poursuivent  leur  chemin, 

Chacun  de  son  côté,  solitaire  : 

Ils  ne  connaîtront  pas  le  seul  bonheur  sur  terro, 

Cette  douceur  delà  main  dans  la  main. 


PARALLÈLEMENT  31 

Et  si  les  rails  ont  l'âme  aimante, 

Ils  n'ont,  hélas  !  pour  assouvir 

Leur  désir, 

Que  cette  union  momentanée  et  apparente, 

Dont  il  faut  bien  qu'ils  se  contentent, 

Le  baiser  Lamourette  des  plaques  tournantes. 


LES  POULES  EN  VOYAGE 


Les  poules  dans  les  trains  menées, 

Les  poules  sont  fort  étonnées, 

Mais  la  nouveauté  les  ravit  ; 

Aucune  d'elles  ne  se  doute, 

Toute 

Aux  curiosités  de  la  route, 

Que,  si  on  les  promène  ainsi. 

On  les  envoie,  c'est  pour  les  vendre, 

A  la  ville  vorace  et  gourmande, 

Et  friande 

De  leur  chair  délicate  et  tendre. 

Il  est  bon  de  voir  ùm  pays  : 


LES    POULES    EN   VOYAGE  33 

—  Vraiment,  disent-elles,  on  gagno 

A  sortir  un  peu  de  chez  soi, 

Un  esprit  plus  délié  et  moins  étroit  ? 

On  ne  peut  pas  rester  toujours  à  la  campagne.  — 

Et  les  poules  admirent  et  s'amusent  : 

Pouvoir  s'arrêter  un  moment  (par  quelle  ruse  ?) 

Et  aller,  comme  les  moineaux, 

Se  percher,  entre  les  poteaux, 

S'ur  les  fils  télégraphiques. 

Qui  vont  tantôt,  c'est  magnifique, 

Si  vite,  si  vite. 

Tantôt  en  bas,  tantôt  en  haut,  — 

Aller  jouer,  avec  les  moineaux,  aux  montagnes  russes. 


LA  PROTESTATION  DES  PENDULES 


Nous  aurons  une  petite 

Villa  ornée  de  clématites 

Et  de  glycines,  — 

Et,  tout  le  jour,  nous  entendrons, 

Par  delà  les  grands  massifs  do  rhododendrons, 

Où  sont  des  boules. 

Nous  entendrons  les  trains  qui  roulent,  — 

Car  la  ligne  sera  voisine. 

Joie  d'aller  voir  passer  les  trains, 
—  Peut-être  y  aura-t-il  quelqu'un 
De  connaissance  ?  — 


LA    PROTESTATION    DES   PENDULES  35 

(  :'est  un  grand  avantage,  cette  proximilô 
Des  gares,  pour  les  propriétés 
De  plaisance... 

Quelle  exquise  distraction, 

Pour  but  de  promenade  avoir  la  station, 

Où  l'on  entretient  de  cordiales  relations 

Avec  les  hommes  d'équipe  ; 

A  leur  fillette  des  bonbons, 

Un  peu  de  tabac  pour  leur  pipe  ; 

On  leur  donne  en  causant  de  façon  familière, 
Quelque  aperçu  sur  le  service  des  chemins  de  fer 
Alix  Etats-Unis  : 

—  Ah  î  disent-ils,  ces  messieurs  de  Paris 
Sont  vraiment  savants  et  pas  fiers  !  — 

Puis  nous  disposerons  des  sous 

Des  gros  sous  sur  les  rails,  devant  que  le  train  passe, 

Afin  que  la  locomotive,  sous 

Ses  roues  pesantes  les  écrase  : 

(Sera-ce 

Pile,  sera-ce  face  ?) 


36  LA   PROTESTATION    DES    PENLULES 

En  villégiature,  c'est 

Ainsi  qu'on  ne  s'ennuie  jamais. 

Mais  les  Pendules,  dans  la  villa,  ont  proteste 

Pour  leurs  fatigues  inutiles  ; 

Car  nous  avons,  tout  cet  été. 

Nous  avons  affecté  de  ne  plus  consulter 

Leurs  aiguilles. 

—  II  doit  être,  disions-nous  près 
De  neuf  heures  :  voici  Texpress. 

I  Quelle  lîcure  est-il  ?  Onze  heures  di.t, 
J'entends  le  train  de  marchandises. 

—  A  table  !  car,  ou  je  m'abuse, 
Il  est  midi,  c'est  l'omnibus.  — 

Et  les  Pendules,  abreuvées  de  dédain?, 

Lasses  de  marquer  l'heure  en  vain, 

Et  les  Pendules,  indignées, 

Ont  dit  :  —  Faites  donc  mettre  un  train 

Sur  vos  cheminées  î .. . 

Car  cette  comédie  nous  fatigue  à  la  fin. 

Puisque  de  notre  office  il  ne  vous  estbesoin, 

Nous  retournons  à  Berlin!  ■— 


LES  CHIENS 


On  ne  peut  pas  dire  que  les  chiens 
Dans  les  wa^rons  de  chiens  soient  bien. 


•o' 


Car,  sans  parler  du  plus  humble  confort, 

Qui  fait  totalement  défaut, 

Songez  quelle  angoisse  les  tord> 

Quand,  pendant  le  trajet,  ils  entendent  un  cor 

Sonner  près  d'eux  :  Taïaut  î  taïaut  !  — 

(Il  n'est  personne  qui  ignore 

Que,  dans  les  compartiments  même  de  3"  classo, 

Des  jeunes  gens,  principalement  ceux  de  la  classOj 

Aiment  fort 

Sonner  du  cor,  du  cor  de  chasse...) 


J8  LES   CHIENS 

Le  cor  sonne  :  Que  faire  ?  Rien  î 
Ils  se  font  vieux,  les  pauvres  chiens. 

Au  quai  des  gares,  les  employés  ont  des  casqiietfes 

Qui  rendent  encor  l'âme  des  chiens  plus  inquiète  : 

—  Voyons,  leur  casquette,  leur 

Petite  veste. 

Oui,  ce  sont  bien  là  des  piqueurs  ; 

Mais  les  singulières  couleurs  î... 

Que  ces  piqueurs  ont  une  drôle  de  tournure  î...  — 

Et  tout  le  long  du  voyage, 

Les  pauvres  chiens  ont  leur  esprit  à  la  torture, 

Et  enragent 

De  ne  pas  connaître  le  bouton  de  cet  équipage. 


POSTES 


Trop  humbles  mes  chansons  et  timide  ma  lyre, 

Pour  dire 

Les  grands  wagons 

Couleur  marron, 

Où  fastueusement  s'élale 

Notre  télégraphique,  à  la  fois,  et  postab 

Administration  ; 

Mon  ambition  est  moins  haute, 

Et,  c'est  tout  au  plus  si  je  l'ose, 

Lecteurs,  je  ne  vous  parierai 

Que  du  petit  compartiment  de  deuxième  chisso, 


40  POSTES 

Qu'une  plaque,  ou  une  simple  bande  collée  à  la  glac 
Orne  de  C€t  avis  discret, 
Sans  le  faire  à  la  pose  : 
POSTES. 

Un  vieil  hommeest  danslecompartiment,la  barbe  gris 

Une  casquette 

Sur  la  tête, 

Et,  très  fréquemment,  des  lunettes  ; 

Souvent,  usant  de  libertés 

Bien  permises,  en  vérité, 

Surtout  l'été, 

Il  est  en  bras  de  chemise  ; 

Et,  dans  son  compartiment  de  deuxième  classe, 
L'homme  classe,  classe,  classe. 

Il  paraît  que  ce  n'est  pas  une  sinécure  : 

Que  de  fois  Fai-je  aperçu,  le  camarade. 

Boire,  pour  reprendre  des  forces,  à  la  régalade  ; 

Mais  les  besognes  dont  il  s'occupe  sont  obscures  ; 


POSTES  41 

(Et  puis  vous  nie  direz  aussi, 

Pour  moi,  du  moins,  c'est  ma  pensée, 

S'il  ne  ferait  pas  bien  mieux  tout  ça  chez  lui. 

Tranquillement,  à  tôle  reposée  ?) 

A  chaque  station,  sur  le  quai. 

Quelqu'un  l'altend  avec  des  sacs  et  des  paquets  : 

L'homme  aux  sacs  serait-il  uu  marchand  de  chiffons  ? 

Mais  non  : 

Saluons  son  muscle  crural. 

C'est  le  vaillant  facteur  rural  ! 

Le  facteur  et  le  postier 

Echangent  un  bonjour  rapide  et  familier, 

Et  des  impressions  intimes  ; 

Puis,  avant  de  se  séparer  : 

—  Dans  mon  sac,  aujourd'hui,  pas  de  lettre  anonyme  ; 

De  l'argent  que  Monsieur  Benoît 

Envoie 

;  (Quarante-huit  francs)  à  sa  tante  ; 


42  POSTES 

Enfin,  ceîa  ne  peut  durer, 
L'institutrice  écrit  encore  à  son  curé 
Dites  au  député  que  je  lui  parlerai. 

Cette  fille  est  d encroûtante.  — 


RONDE  DES  DEPARTS 


—  Pour  montrer  que  nous  sommes  tristes, 

Il  convient  d'agiter  nos  mouchoirs  de  batiste. 

CHŒUR  DES  SCEPTIQUES 

Et  si  vous  n'avez  pas  de  mouchoir? 

—  Nous  quitterons  nos  redingotes 

Offrant  au  vent  leurs  pans  qui  se  gonflent  et  flottent. 

LE  CHŒUR 

Eè  si  vous  n'avez  pas  de  redingote  ? 

~  Que  notre  gilet  de  flanelle 

S'envole  vers  l'absent  comme  de  blanches  ailes. 


44  RONDE    DES    DKl'AIiTS 

LE    CHŒUR 

Et  si  vous  n'avez  pas  de  flanelle  ? 

—  Mais  notre  pantalon  nous  reste 

Pour  faire  au  train  qui  part  nos  signaux  de  détresse. 

LE   CHŒUR 

Et  si  vous  n'avez  pas  de  pantalon  ?  — 

—  (C'est  absolument  invraisemblable.) 


LEÇON  DE  LECTURE 


Mieux  que  sur  un  alphabet 

Orné  de  fleurs  et  de  bêtes, 

Les  employés  de  chemin  de  fer  à  leurs  bébés, 

Petits  garçons,  jeunes  fillettes. 

Sur  les  wagons  eux-mêmes  apprendront  leurs  lettres  ; 

—  Lis-moi  un  peu  cette  portière,  allons  Félix  ? 

—  Aabx  — 

Pas  besoin  de  les  envoyer  à  la  laïque. 

Plus  tard,  quand  ils  seront  savants,  les  chers  petits, 
Ils  épèleront  vos  casquettes  : 


4G 

Ah  !  que  jamais  ceux-là  n'oublient, 

Qui  alors  y  verront  inscrit 

EST!., 


L'ÉLÉPHANT 


Il  est  certain 

Qu'attendre  un  train 

Est  pour  tout  le  monde  énervant  ; 

Mais  l'est-ce  pas  bien  davantage 

Pour  un  éléphant 

Qui  part  en  voyage? 

Outre  que  les  compagnies  imprévoyante? 
Installent  de  trop  exiguës  salles  d'attente. 
Lui  qui  ne  voudrait  pas  se  faire  remarquer, 
Pendant  qu'il  trompe  l'heure  lente, 
Les  employés,  sur  le  quai, 


AS  l'éléphant 

Le  dévisagent  tous  de  façon  insolente, 

Ou  font  exprès  de  passer,  très  pressés, 

Poussant  près  de  lui  leur  brouette, 

Et  répètent  : 

—  Attention,  eh  !  là,  on  va  vous  écraser  ; 

Mon  Dieu  !  que  les  gens  sont  donc  bêtes  î...  — 

Sans  doute  la  bibliothécaire 

Insiste  bien  pour  qu'il  acquière 

Flûtes  (je  cite  en  premier,  quoique  indigne 

Mais,  que  voulez-vous,  c'est  humain, 

Cet  ouvrage,  son  petit  premier,  de  Franc-Nohain, 

Humble  auteur  de  ces  humbles  lignes)  — 

Veut-il  la  Femme  et  le  Pantin  ? 

Ou  bien 

Le  dernier  livre  de  Bernard,  ou  d'Auriol  ? 

Ou,  ce  qui  lui  plairait  plutôt,  est-ce 

Le  Secret  du  Cacatoès  ? 

Veut-il  Amour,  Délices  et  Orgues  ? 

(Naturellement,  la  bibliothécaire,  physionomislo, 
Auprès  d'un  éléphant,  insiste 


l'éléphant  49 

Sur  les  œuvres  des  humoristes...) 

Mais  rélcphant  trouverait  fol 

<:  jiisentir  à  payer  trois  cinquante  en  province. 

Des  livres  que  Paris  vend  deux  soixante-quinze  ; 

D'ailleurs,  il  n  en  achète  jamais, 

Les  éditeurs  ayant  la  rage  d'imprimer 

Avec  de  trop  petits  caractères... 

Alors,  que  faire  ? 

Que  si,  du  moins,  il  se  pouvait  peser  ? 

Après  des  efforts  sans  succès, 

De  la  bascule,  hélas  !  tristement,  il  s'écarte  : 

Le  plateau  en  est  si  étroit 

Qu'il  n'y  saurait  poser  plus  d'un  pied  à  la  fois,  — 

Et  les  éléphants  en  ont  quatre. 

Or,  pendant  qu'il  fait  les  cent  pas, 

Un  spectacle  effrayant  soudain  le  bouleverse  : 

Qu'a-t-il  aperçu,  tout  là-bas. 

Qui  siffle,  et  qui  fume,  et  se  dresse  : 

C'est  l'ennemi,  c'est  le  boa. 

Et,  devant  lui,  un  être  est  là  — 


OO  L'ÉLÉPHAM 

De  1  éléphant  qui  lui  ressemble, 
Serait-ce  un  iVère,  — 
Sur  le  dos,  la  trompe  en  l'air, 
Et  pas  de  jambes  !... 

(Ce n'est  rien,  s'il  faut  vous  le  dire. 

Qu'une  locomotive  sous  une  pompe  ; 

Mais  vous  admettrez  bien  que  l'éléphant  s'y  trompe, 

—  Bien  que,  par  les  cheveux,  cette  image  se  tire,  — 

Admettez,  cher  lecteur,  — pour  me  faire  plaisir  î...  --} 


PASSAGE  A  NIVEAU 


—  Un  son  de  cloche, 
Le  Irain  est  proche  !  — 

Et  tandis  que  dans  le  rapido 

Trépide 

La  fièvre  de  nos  courses  folle 

Cahin-caha,  les  carrioles, 

Cahin-caha, 

S'arrêtent  à  la  barrière, 

Cabriolet,  tapissière, 

Et  l'antique  Victoria 

Qui  a 

L*âge  de  la  reine  d'Angleterre. 


52  PASSAGE   A   NIVEAU 

C'est  la  voiture  du  médecin, 

Le  vieux  médecin  à  besicles, 

—  Saignée,  ipéca,  sinapismes,  — 

Qui  va  chez  le  fermier  voisin. 

Dont  la  petite  a  dû  manger  trop  de  rai^ân, 

Qu'elle  se  tortille  en  coliques... 

Et  le  curé  avec  sa  nièce, 

Plus  très  jeune  et  jamais  très  belle, 

Un  peu  niaise. 

Mais  qui  excelle, 

Qui  excelle  la  brave  Adèle, 

A  préparer  la  mayonnaise,  — 

Gloire  des  repas  d'Adoration  perpéluello... 

Et  la  demoiselle  du  château, 

(Ses  mitainesj,  blanche  douairière, 

Avecque  le  fidèle  Pierre, 

Très  fier 

Sous  la  toile  cirée  un  peu  rougie  de  son  chapeau. 

Mais  encor  de  belle  tenue  et  1res  comme  il  faut, 

Son  chapeau  haut... 


PASSAGE   A   NIVEAU  ^3 

Ils  ont  de  paisibles  juments, 

Qu'ils  baptisent 

Ou  bien  Cocotte,  ou  bien  La  Grise, 

Qui  vont  leur  chemin  à  leur  guiso. 

Pourvu  seulement  qu'on  leur  dise. 

De  temps  en  temps  amicalement, 

Quelques  mots  d'encouragement,  — 

Car  les  bonnes  bêtes  tranquilles. 

Elles  aussi,  font  un  peu  partie  de  la  fomillo... 

Et  là-bas,  sur  la  quiétude 
Des  arbres  en  bosquets  touffus. 
Pointe  un  petit  clocher  pointu 
Evocateur  des  Angélus,  — 
Et  de  Millet,  bien  entendu, 
Pour  n'en  pas  perdre  l'habitude... 

Oh  !  comme  tous  ces  gens  sont  calmes, 
Dans  le  désarroi  de  nos  âmes; 
Qu'ils  prennent  peu  de  peine  à  vivre, 
Et  comme  ça  leur  est  égal 
Tous  nos  poèmes  et  tous  nos  livres  :  -  - 
Ils  ne  s'en  portent  pas  plus  mal. 


5Î.  PASSAGE   A   NIVEAU 

Aussi  lorsque  nous  passerons, 

Au  roulement  de  nos  wagons, 

Ils  ne  comprendront  guère,  oh  !  non, 

Nos  courses  folles, 

Que  nous  puissions  avoir  besoin 

D'aller  si  vite,  aller  si  loin  :  — 

Mieux  vaut 

Rester  au  passage  à  niveau,  — 

On  est  très  bien  en  carriole. 

Et  pourtant  au  même  passage, 
Pciit-êlre,  du  calme  village, 
Un  soir  sans  lune, 
Un  pauvre  gars,  le  cœur  pantois, 
Viendra  s'étendre  sur  la  voie, 
Pour  l'amour  d'une  fdle  brune  .. 


LE  VISITEUR 


—  Messieurs  les  freins,  j'ai  bien  riionneui 
Car  je  suis  votre  visiteur.  — 

Et  le  visiteur  passe,  frappant  du  marteau, 
Toc,  toc,  —  sansôter  son  chapeau, 
(Manque  d'éducation  première)  ;  — 
Serait-ce  pour  cela  qu'un  peu  collets  mon{( 
Les  freins,  à  l'impoli,  malgré, 
Malgré  tous  ses  coups  répelés. 
Ne  répondent  jamais  :  Entrez  !  — 
D'ailleurs,  lui,  ne  s'en  émeut  guère. 


56  LE   VISITEUR 

ft 

Et  il  continue  sa  besogne, 

Toc,  toc,  toujours,  cogne  et  recogne, 

N'ayant  d'autre  désir,  peut-être, 

Que  de  connaître, 

Et  que  d'émettre. 

Homme  épris  d'étranges  musiques, 

La  gamme  des  freins  des  wagons. 

Toc,  toc,  toc,  comme  les  clowns  font. 

Martelant  des  harmonicas  de  leur  faç<  n, 

Comme  les  clowns  font  dans  les  cirques 


BAGAGES 


Bout-cK  bout-là,  ou  bien  en  pile, 

(Fragile  !) 

Dans  le  fourgon  on  les  empile, 

Valises 

Recouvertes  de  toile  grise, 

Chapelières,  paniers  d'osier. 

Dont  d'Hozier 

Reconnaîtrait  et  saluerait  les  initiales, 

Mais  qu'ignorent  les  employés, 

Qui  ne  sont  pas  monsieur  Crozier, 

Et  qui,  voyant  sur  une  malle 

F.  F- 


58  BAGAGES 

S'en  ficheraient  comme  de  nèfles  ;  — 

Ouste  !  cantines  d'officier  ; 

Malles  rurales, 

Dont  le  bois  blanc  s'orne  de  poils; 

Étuis,  où  l'on  met  ces  chapeaux  / 

Que  l'on  compare  à  des  tuyaux 

De  poêle  ; 

Plates,  mais  innombrables  caisses 

Des  représentants  de  commerce, 

Et  de  noire  gaîté  française  ;  — 

Sans  précautions  inutiles, 

Au  fourgon  en  pile  s'empilent, 

(Fragile  !)  — 

On  s'installe  du  mieux  qu'on  peut; 
Pourfaire  ensemble  un  long  voyage, 
II  faut  bien  s'entr'aider  un  peu, 
(Qu'importe  la  roture  ou  qu'on  ait  le  sang  bleu  !) 
Entre  bagages... 

D'ailleurs,  tous  sont  bien  vite  unis 
Dons  un  commun  sentiment  de  mépris 


BAGAGES 

Pour  une  pauvre  bicycleUe 

Qu'ils  voient  dans  un  coin,  et  lui  jettenî 

D'ironiques  regards,  l'accablent  de  lazzii  : 

—  IIou  !  madame  la  Bicyclette, 

IIou  !  hou  ! 

Que  vous  nous  faites  de  la  peine  î 

Vraiment,  si  nous  avions  des  rouc3 

Comme  vous, 

Nous  aurions  honte  qu'on  nous  trahie  î  — 

Et  sournoisement  chacun  use 

De  ruse 

Pour  venir  bousculer  l'intruse  : 

Trop  heureux  s'ils  pouvaient  briser  à  la  pauvrclte, 
Par  hasard,  un  rayon  ou  deux, 
Ou,  ce  qui  vaudrait  mieux, 
Son  pneu, 

Afin  de  lui  bien  mettre  en  tête 

Que  les  trains  ne  sont  pas  faits  pour  les  bicycleUes, 


SIGNAL  D'ALARME 


Chaque  fois  que  j'ai  pris  un  train,     - 
J'eus  toujours  le  désir  malsain, 
Sans  que  nul  péril  le  réclame, 
(Il  faudra  m'attacher  les  mains). 
De  tirer  le  signal  d'alarme. 

Police  des  chemins  de  fer, 

Je  n'ose  encor  braver  ton  règlement  de  1er  î 

Mais  hélas  !  qui  voudra  me  dire 
Ce  qui  se  produit,  quand  on  tire? 
Voit-on,  alors,  voit-on  surgir, 


SIGNAL    DALAKMK  61 

01 1  î  la  voit-on, 

La  tête  de  monsieur  Bris^on  ? 

A  moins  qu'un  morceau  de  carlou 
A  ce  moment,  soudain,  se  haussa. 
Sur  lequel  on  peut  lire,  inscrit  : 
—  Le  clértcalisyne,  voilà  V ennemi  ! 
Ou  bien  :  —  Le  péril  est  à  gauche  ! 


LE  TEMPS  DES  BOUILLOTTES 


Il  est  revenu,  le  lemps  des  boiiilloUc?. 

Le  temps  des  frimas, 

Des  pieds  qui  greloUcnt  : 

Encore  une  année  qui  s'en  va, 

Ah  !  ça  ne  nous  rajeunit  pas  .. 

U  est  revenu,  le  temps  des  bouilio'tcs. 

Dans  des  couvertures  de  laine, 

—  Hygiène  !  — 

Dans  des  couvertures  pareilles 

A  des  douillettes, 

Nous  nous  envelopperons  des  pieds  à  (a  tllo, 


LE  TEMPS    DES    BOUILLOTTES  63 

Et  nous  rabattrons  notre  casquette, 
Soigneusement,  sur  nos  deux  oreilles. 

Et  nous  ne  nous  ferons  pas  faute, 

Car  on  ne  prend  jamais  trop  de  précaution:, 

De  prendre  en  outre  quelque  chose 

Dont  notre  estomac  se  réchauffe. 

Aux  stations  : 

—  Bouillons,  —  bouillottes,  — 

Bouillottes,  —  bouillons. 

Que  si  maintenant  notre  botte 
Frileuse  frôle  la  bottine 
De  notre  mignonne  voisine. 
Que  personne  ne  s'en  chagrine: 
C'est  le  vrai  jeu  de  la  bouillotte  ; 

Chères  confidences  des  souliers, 
Entre  deux  gares  roman  d'une  heure, 
(C'était peut-être  le  bonheur...)  — 
Et  si  l'hiver  est  dans  nos  pieds, 


04  LE   TEMPS   DES   BOUILLOTTirj 

Le  printemps  germait  dans  nos  cœurs... 

Il  est  revenu  le  temps  des  bouillottes 
Le  temps  des  frimas, 
Des  pieds  qui  grelottent  : 
Encore  une  année  qui  s'en  va,  - 
Mais  nos  cœurs  ne  vieillissent  pas... 

11  peut  revenir  le  temps  des  bouilloUci. 


CONFIDENCES 


La  dame  a  dit  à  la  préposée  de  la  gare  : 

—  Les  miens  sont  sur  le  boulevard  ; 

Sans  le  moindre  soupçon  de  basse  concurrence, 

Je  dirai  donc  ce  que  je  pense  : 

Chez  moi,  l'on  peut  prendre  son  temps, 

Et  mes  clients  ont  le  loisir 

D'y  demeurer,  autant,  autant 

Que  ça  peut  leur  faire  plaisir  ; 

Mais  chez  vous,  c'est  une  autre  affaire  ; 

Si  du  moins  vous  preniez  la  peine  de  les  faire, 

Ainsi  qu'au  buffet,  prévenir, 

Ils  sauraient  à  quoi  s'en  tenir. 


66  CONFIDENCES 

L'employé  du  chemin  de  fer 

Passerait  en  criant  :  On  part  dans  deux  minutes  ! 

En  leur  for  intérieur,  ils  murmureraient  :  Flûte  ! 

Mais  ils  verraient  ce  quMl  leur  reste  à  faire, 

Et  pourraient  s'efforcer  à  de  suprêmes  luttes.. c 

Mais  non,  vous  êtes  sans  pitié  ; 

Ils  connaîtront  les  angoisses,  les  affres. 

De  courir,  rouges,  débraillés. 

Raillés 

Des  voyageurs,  des  employés. 

Arrachant  leurs  boutons,  ou  la  dernière  agrafe, 

(Parfois,  d'ailleurs,  ayant  payé, 

Et  c'est  ainsi  qu'ils  se  rattrapent, 

Avec  une  pièce  du  pape...) 

Voulez-vous  me  permettre  encore  une  remarque  ? 

De  bonnes  mœurs  prenant  prétexte. 

Les  règlements  policiers  parquent 

Chaque  client  suivant  son  sexe  : 

Les  «  dames  seules  »  ont  leur  place, 

(Et  les  a  fumeurs  »  alors,  pourquoi  pas  —  enfin,  pîîsse.' 

Donc,  ne  craignez-vous  pas  que  les  Messieurs  se  vexo.  l 


CONFIDENCF"  07 

Pi'iir  un  inégal  traitement  ! 

\oiis* mettez  HOMMES,  simplement, 

Alors  que  vous  avez  mis  DAMES  : 

Mettez  FEMMES,  — 

Ou  bien  mettez  MESSIEURS  et  DAMES  î 

Ce  n'est  que  de  la  courtoisie  élémentai:   .  .  — 

Mais  l'autre  ayant  soudain  lâché 
Son  crochet  : 

—  Ah  !  ma  bonne  Madame  ma  chère  î... 
Moi,  appeler  ça  des  Messieurs  : 

C'est  des  monstres  qu'il  faudrait  dire,  — 
Si  vous  aviez  souffert  par  eux 
Tout  ce  qu'il  m'a  fallu  souffrir  !... 

Mon  père  était  baron,  et  préfet  de  l'Empire  î  — 

Et  la  première  lui  réplique  : 

—  Il  y  faut  apporter  plus  de  phiIo-.wphîe  ; 
Que  voulez-vous,  c'est  la  vie,  —  mon  mari, 
Il  était  préfet,  lui  aussi,  — 

Mais  c'était  de  la  République. 


SIMPLE  LEGENDE 


J'ai  rêvé  d'une  petite  gare,  dans  un  pays  perdu, 
Où  personne,  jamais  personne,  ne  serait  descendu. 

Et  alors,  lorsque  le  train  passe. 

Le  chef  de  gare  aurait  des  gestes  pleins  do  gràco, 

Et  de  bons  sourires  engageants  ; 

Et  tout  le  personnel  serait  oasquettebasso, 

Et  saluerait  même  les  gens 

Qui  voyagent  en  troisième  classe... 

Mais  personne  pourtant,  jamais, 
Personne  ne  s'arrêterait. 


SIMPLE    LKGENDE 

Et  Ton  verrait  aussi  paraître 

La  femme  du  chef  de  gare  à  sa  fenêtre, 

Blonde,  au  visage  épanoui, 

Très  accorte 

Quoique  un  peu  forte, 

Entourée  de  quatre  petits, 

Roses  et  joufflus,  pour  montrer  comme 

L'air  du  pa^s 

Fait  aux  enfants  un  bien  énorme... 


Mais,  malgré  l'appel  accueillant  de  son  visage. 
Et  l'opulence  de  son  corsage, 
On  ne  s'arrêterait  pas  davantage. 

Puis  une  fois,  une  seule  fois, 

—  0  joie  î  — 

Un  gros  monsieur  aurait  ouvert 

La  portière  : 

Ce  serait  une  fausse  joie. 

—  Monsieur,  soyez  le  bienvenu  î... 
Dirait  le  chef  de  gare,  étrangement  én;u. 


69 


70  SIMPLE   LÉGENDE 

Mais,  en  le  regardant  à  peine. 

Et  sans  prononcer  un  seul  mot, 

Le  gros  monsieur  repartirait  presque  aussitôt 

Satisfait  d'avoir  satisfait  à  l'hygiène... 

Personne  plus  n'est  descendu, 
Et  le  chef  de  gare  s'est  pendu. 


y 


LA  DERNIERE  RONDE 


Nous  n'irons  plus  aux  gares. 
Tous  les  trains  sont  coupés  : 
Il  s'est  bien  rattrapé, 
Le  syndicat  Guérard  ! 
Orléans,  Saint-Lazare 
Et  la  gare  du  Nord, 
Et  Montparnasse  encor, 
Lyon,  l'Est,  et  Sceaux  même, 

Nous  n'irons  plus  aux  gares, 
Tous  les  trains  sont  coupés... 


72  LA   DERNIÈKE    RONDE 

Ah  !  que  Dieu  nous  pardonne  ' 

Qu*est-ce  que  nous  ferons  : 

Restera  la  maison, — 

(Femme,  enfants,  el  ia  boaae)  !...  — 

Ne  plus  prendre  le  train, 

Reprendre  le  train-train, 

De  la  vie  monotone... 

Gomme  le  temps  me  dure 

Delà  grande  ceinture  ! 

Allons  plutôt  à  pié 

Jusques  à  Saint-Mandé... 

Et  Ton  vendra  les  rails 

A  la  vieille  ferraille, 

Et  l'on  prendra  les  disques 

Pour  jouer  aux  oublies 

A  un  sou  la  partie  : 

—  Tache  d'en  gagner  dix  !..,  — 

Nous  n'irons  plus  aux  gares, 
Tous  les  trains  sont  coupés: 
La  belle  que  voilà 


LA    DEUMLHl!:    ilUNDIi  73 

Ira  les  ramasser.  — 

La  belle  qui  ramasse 
Les  trains  à  bout  de  bras. 
Qui  vous  épousera 
Ne  manque  pas  d'audace  !... 

Ne  manque  pas  d'audace, 
Et  même  de  santé, 
(Tu  parles !...); 
Je  sais  que,  pour  ma  part, 
J'aime  mieux  m'en  aller  : 
Bonsoir,  belle  !  et  bonsoir 
Toute  la  société  !... 

Nous  n'irons  plus  aux  gares... 


PARTIE    ANEGDOTIQUE 


AVERTISSEMENT 

POUR    LA    DEUXIÈME    PARTIE 


Le  lecteur  qui,  après  dvoîr  parcouru  les  pièces  qui  précèdent, 
voudia  jeter  un  regard  hienvcilUmt  sur  celles  qui  vont  suivre,  sera 
assurément  frappé  du  manque  absolu  de  suite  qui  se  plaît  à  exister 
entre  la  seconde  partie  de  cet  ouvrage  et  la  première» 

Cest  exprès. 

En  les  réunissant  sous  e«  même  titre,  ainsi  avons- nous  voulu  mar- 
quer la  puissance  des  trains  et  des  gares,  dont  le  seul  lien  suffit  à 
coordonner  en  notre  pensée  des  poèmes  aussi  dissemblables. 

lit  puis,  ne  nous  sommes-nous  jamais  rijouis  d'un  compagnon  de 
voyage,  aimable  conteur  d'anecdotes?  —  on  en  est  quitte  pour  oublier 
les  anecdotes,  et,  si  Von  retrouve  le  conteur,  on  monte  dans  un  autre 
êompartimenté 


L'ANE  BLEU 


C'est  rhistoire  d'un  âne  bleu 
Qui  était  très  malheureux  : 

II  avait  mal  aux  oreilles, 
Gà  lui  bourdonnait  dedans, 
Avec  des  douleurs  pareilles 
A  quand  on  a  mal  aux  dents. 

Il  s'en  fit  arracher  une, 
Il  s'en  fit  arracher  des  ; 
Mais  quand  il  n'en  eut  plus  une, 
Comme  il  était  embêté  I 


78  i/ane  bleu 

Les  bourdons  qui  bourdonnèrent, 
C'était  les  mots  aigre-doux, 
Les  propos  que  les  jaloux 
Tiennent  de  loin,  par  derrière  , 

S'être  fait,  par  infortune, 
Arracher  toutes  les  dents  ; 
Contre  ces  vilaines  gens 
N'en  pouvoir  plus  garder  une... 

Et  c'est  l'histoire  de  l'âne  bleu, 
Qui  était  si  malheureux. 


LE  SPADASSIN  ET  L'HORLOGER 


Pour  un  regard,  jugé  impertinent, 
Sur  une  femme,  dont  Emile  était  Famant, 

Ou  le  parent, 
(Peut-être  cette  femme  était-elle  une  fille, 
Une  simple  fille,  cependant  ?) 
Pour  quelques  paroles  futiles. 
Celui  que  les  boudoirs  nomment  le  beau  Fernand 
A  reçu  les  témoins  d'Emile. 

Emile  est  spadassin;  Fernand,  pour  ses  horloges, 
Bijoutier 
De  son  métier, 
Ne  mérite  que  des  éloges  ; 
C'est  lui  qui  règle  les  pendules,  les  répare, 
Modère  leurs  ardeurs,  ou  prévient  leurs  relards. 
Les  préserve  de  tout  (%Virt  ; 


80  LE  SPADASSIN    ET    l'iIORLOGER 

Et  prenant  sa  iDesogne  à  cœur, 
C'est  bien  lui  qu'on  pourrait  appeler  entre  tous 

—  A  vous,  mon  cher  Hugues  le  Roux  ! 
Le  véritable  Maître  de  THeure... 

Dès  les  sept  heures  du  matin, 
Avec  quatre  témoins,  outre  deux  médecins, 
L'Horloger  et  le  Spadassin, 
Sur  le  terrain,  lepée  en  main, 
Fébriles,  en  vienneni  aux  mains; 
Soudain, 
Frohsant  l'épée,  l'astucieux  Emile, 
De  l'arme  de  Fernand  fait  sonner  la  coquille, 
—  Dzinn  !  — 

—  Gomment  !  il  est  déjà  le  quart  î... 
Pense  le  beau  Fernand,  à  part  ; 

Z)'un  geste  machinal,  il  a  tiré  sa  montre... 
Emile,  en  profitant,  d'une  riposte  prompte, 
Le  transperce,  de  part  en  part... 

Et  c'est  ainsi  qu'un  horloger  périt  en  duel, 
Victime  de  sa  ponctualité  professionnelle. 


SUR  LE  TAPIS 


Que  ce  luxe  m'impressionna 
Du  tapis  moelleux  et  grenat, 
Dont  toute  la  chambre  était  tendue, 
Du  j'attendais  votre  venue  î 

'Car  le  poète  que  je  suis 
Est  de  ceux,  crottés,  qui  essuient. 
Mélancoliques,  leurs  souliers, 
Sous  l'œil  torvedes  concierges,  dans  les  escaliers. 

'Tapis  partout. 
Tapis  jusqu'où  ?  — 


S2  SUR    LE   TAPIS 

Tapis jusqiie-/à  même,  peut-être?)  — 
Hélàs  !  hclas  î  n'est-il  pas  fou, 
Sans  le  sou, 
Qui  vous  aime,  pauvre  poète!..* 

En  de  tels  décors  de  féerie, 
Mon  âme  s'attriste,  et  s'humilie. 
Et  n'ose  : 
Ahî  que  dirait,  toi  que  voilà. 

Que  dirait,  en  te  voyant  là. 
Foulant  ce  grand  tapis  grenat, 
Tante  Rose, 
Et  tante  Rose? 

Tante  Rosa  et  tante  Rose,  dont 

Le  salon 

Symbolisait  pourtant  jadis  pour  toi  (tu  penses!) 

Le  confortable  et  l'élégance,  — 

Avec  les  beaux  cadres  dorés. 

Surtout  le  cadre  ovale  où  brillait  le  portrait, 


SUR   LE   TAPIS  83 

V.n  sous-officier 

De  lanciers, 

ï.c  portrait  de  l'oncle  Fulgence... 

Et  devant  chaque  fauteuil,  et  chaque  chaise, 

Un  petit  rond,  ou  un  petit  carré  d'étoffe  beige, 

Avec  de  la  broderie  dessus. 

Tapis  comme  l'on  n'en  voit  plus, 

Minuscules, 

Mais  si  mignons  et  si  cossus, 

Que,  même  sans  grande  éducation,  on  aurait  er 

Scrupule, 

On  aurait  eu  scrupule,  bien  sûr, 

Rien  qu'à  les  effleurer  du  bout  de  sa  chaussure. 

Faut-il  enfin  que  je  répète 

Les  splendeurs  de  cette  carpette. 

Qu'un  tapissier  subtil  avait  orné  des  traits 

Du  lion,  terreur  des  forêts  ? 

Sur  les  bons  lions  des  tapis. 

Les  simples  petits  chats  viennent  faire  pipi  ; 

El  pourtant  si, 


S4  SUR    LE   TAPIS 

Si  quelque  jour,  où  on  le  secouait  par  la  fenêtre, 
Si,  las  d'être  battu  par  la  bonne  à  tout  faire, 
Le  fier  monarque  du  désert. 
Si  le  lion  s'était  enfui,  dangereuse  bête...) 

Et  moi,  je  songe  à  tout  cela, 

Les  yeux  fixés  sur  le  tapis  grenat. 

Je  songe  aussi  qu'au  baccalauréat,  — 

Une  des  fois  où  je  ne  fus 

Pas  reçu,  — 

Je  regardais  un  grand  tapis,  de  même. 

L'interrogeant,  anxieux,  pour  le  théorème, 

—  D'ailleurs  l'avais-je  jamais  su  ?  — 

Dont  je  ne  me  souvenais  plus... 

Tapis  grenat,  celle  que  j'aime 

Va  venir: 

De  quels  mots  la  charmer,  une  phrase,  un  poème?... 

Dans  l'angoisse  d'un  trouble  extrême. 

Dis-moi,  tapis,  que  lui  faudra-t-il  dire? 

Mais  le  calme  tapis  grenat 

(Les  lapis  bien  souvent  restent  sourds  aux  demandes), 


t  SUR   LE   TAPIS 

"  1,0  lapis  ne  me  répond  pas. 


Heureusement  de  la  guirlande, 

Qui,  luxuriante,  resplendissait  en  son  milieu, 

J'ai  vu,  sous  les  pleurs  de  mes  yeux, 

J'ai  vu  germer,  si  blanche,  une  rose  éclatante  : 

La  belle  rose  je  cueillis. 

Et  fi, 

Fi  maintenant  d'une  timidité  morose  : 

Humble  neveu  de  tante  Rosa,  de  tante  Rose, 

Quand  on  est  poète  et  Français, 

On  sait 

Ouvrir  les  cœurs  en  offrant  une  rose. 


LE  PETIT  MALPROPRE 


Jacques  eût  été  un  délicieux  bambin 
S'il  n'avait  professé  pour  l'eau  et  pour  les  bains 
Celte  répulsion  native; 
S'il  avait  été  mon  petit, 
Ah  !  mes  enfants,  je  vous  le  dis, 
Quelle  sérieuse  lessive  ! 
Mais  son  père,  à  la  vérité, 
Avait  d'autres  chiens  à  fouetter 
(Il  s'occupait  de  crédit  et  d'escompte 
Pour  le  compte  d'une  maison  de  banque  de  Hong-Kong); 
Et  sa  pauvre  petite  maman, 


88  LE    PETIT   MALPROPRE 

Si  pâle,  si  blonde, 
Avait  dû  demeurer  depuis  raccouchement, 

Il  y  aurait  bientôt  sept  ans, 
Tristement  étendue  sur  une  chaise-longue  :  — 

C'est  ain^  que  les  mauvaises  habitudes,  bien  souvent, 
Ne  sont  la  faute  ni  des  parents,  ni  des  enfants. 

Mais  simplement  des  circonstances 

La  regrettable  conséquence.  — 

Il  n'en  est  pas  moins  vrai  qUe  Jacques 
Arriva,  tout  barbouillé,  les  mains  dégoûtantes, 
Chez  ses  excellents  oncle  et  tanfc, 
Passer  les  vacances  de  Pâques  : 
Il  lui  restait  sur  la  figure 
Tant,  oh  î  mais  tant  de  confiture. 
Cela  semblait  une  gageure  !... 

Et  Tencre  I... 
Si  par  la  peau  la  science  entre, 
Il  devait  être  bien  savant; 
(D'ailleurs,  c'était  loin  d'être  un  cancre, 


LE   PETIT   MALPROPRE  89 

C'est  une  justice  à  lui  rendre)  ; 
Mais,  dame,  il  en  avait  par  derrière,  par  devant. 
De  l'encre,  — 
Il  s'en  fourrait  jusques  au  ventre  î 

Comme  bien  vous  pensez,  son  oncle 
Et  sa  tante  en  prirent  grand  lionle  • 
L  oncle,  un  vieillard  propret,  rase. 
Toujours  soigneusement  brossé, 
Qui,  du  velours  de  sa  calotte, 
A  son  pantalon  de  cheviotte. 
Non  plus  sur  ses  pantoufles,  ni 
Sur  ses  souliers  de  veau  verni, 

N'y 

Aurait  toléré  une  crotte  ; 
El  coquette  la  tante  sous  son  bonnet  à  coques. 
Ridée  mais  rose  comme  pomme  d'api  : 

Quelle  tristesse  et  quel  dépit, 
Recevoir  un  neveu  pareil. 
Un  petit  neveu  dont  1  oreille 
Ignorait  depuis  si  longtemps 


90  LE   PETIT   MALPROPRE 

L'usage  des  savons  qui,  même  avant  Rostand, 
Firent  la  gloire  de  Marseille!... 

Sévère,  c'était  pour  son  bien, 
L'oncle,  dontî,  l'accueillit  par  cette  mercuriale  : 

—  Ou  nd  les  petits  garçons  ont  les  oreilles  sales 

Ne  sais-tu  pas  ce  qui  advient  ? 
Apprcnds-le  donc,  puisque  tu  restes  sans  réponse, 

Et  prends-en  ta  part  mon  garçon  : 

Djns  l'oreille  des  polissons, 

Des  arbres  poussent,  des  buissons, 

Et  des  épines,  et  des  ronces! 
Et  alors  tu  verras  si  c'est  agréable  : 

Des  bêtes  viennent,  effroyables, 

Avec  des  griffes  et  des  crocs, 

Et  qui,  dans  les  fourrés,  se  cachent...  — 

—  Oh  !  il  n'y  a  rien  là,  répond  Jacques  à  ces  mots 

Qui  me  fasse  peur  ou  me  fâche  ; 
Car  il  faudra  bien  qu'aussitôt 
Toutes  ces  vilaines  bêtes  me  lâchent  : 

Je  sonnerai  :  «  Taïaut  !  taïaut  !  » 
Avec  ma  trompe  d'Eustache.  — 


LA  MENAGERIE  AMOUREUSE 


Petite  pluie,  pluie  fine  des  soirs. 
Ma  luxurieuse  mauvaise  conseillère  : 
Je  n'ai  pas  allumé  la  lampe  familière, 
J'ai  fui  la  page  blanche,  —  et  j'erre 
Par  les  rues  et  sur  les  trottoirs, 

—  Ombres  noires, 
Sous  les  réverbères, 

Appels  tentateurs  et  pervers,  — 
Petite  pluie,  pluie  fine  des  soirs, 
Ma  luxurieuse  mauvaise  conseillère... 

Et  la  voix  de  dames  âgées,  mais  provocantes, 

—  Blondes  grasses  ou  brunes  piquantes  : 
Bacchantes  !  — 


92  LA  MÉNAGERIE  AMOUREUSE 

La  voix  de  ces  dames  poursuit 
Ma  promenade  dans  la  nuit. 

Encor  que  leurs  propos  m'assurent 

D'une  sympathie  qui  me  flatte, 

Je  constate 

Qu'elles  ont  des  données  bien  mcxactes 

Sur 

La  couleur  de  ma  chevelure  ; 

Bah  !  il  n'y  a  pas  injure. 

Mais  où  leur  incohérence  passait  les  bornes. 

C'est  quand  ces  aimables  personnes 

Ont  voulu,  bon  gré,  mal  gré, 

Plutôt  mal, 

Ont  voulu  me  comparer 

A  quelque  mignon  animal  : 

Rat,  chat,  lapin,  poulet,  çà  leur  était  égal. 

(D'ailleurs,  lapin  bleu,  poulet  rose. 

On  voyait  bien  qu'elles  parlaient  sans  cause, 

Uniquement  pour  dire  quelque  chose.) 


LA  MENAGERIE  AM0UREUS3  93 

Et  j*ai  dit  :  —  Non,  je  ne  suis  pas 
Votre  rat  : 

Les  rats  sont  dans  votre  cuisinr^, 
Qui,  des  bons  reliefs  de  vos  plaU 
^'ont  se  pourlécher  les  babines  ;  — 

Ou  bien,  au  grenier,  ils  dansent  autour  des  malles, 

Et  même,  je  vous  prie  de  le  croire,  ne  respectent  gucro 

Le  portrait,  dont  on  a  cassé  d'ailleurs  le  verre, 

Et  dont  est  fort  endommagé  le  cadre  ovale. 

Le  portrait,  en  uniforme  de  colonel, 

Du  vieux  Monsieur  que  vous  donniez  naguère, 

—  Mais  vos  opinions  ont  changé  sur  l'Affaire  : 

Elles 

Etaient,  je  crois,  superficielles,  — 

Que  vous  donniez  pour  Monsieur  votre  Père... 

Non,  Madame,  je  ne  suis  pas 

Votre  rat  !  — 

Et  j'ai  dit:  —  Non,  je  ne  suis  pas 

Votre  chat  :  • 

(D'un  mot  à  double  sens  est-il  donc  bien  la  peine. 


94  LA  MÉNAGERIE  AMOUREUSE 

Dont  la  banalité  le  dispute  à  l'obscène,  — 

Et  puis  où  sont 

Où  sont  les  sisters  Barrisson?  — 

Non,  Madame,  je  ne  suis  pas 

Votre  chat  î  — 

Et  j'ai  dit:  — Non  plus  le  destin 
Ne  m'a  pas  fait  votre  lapin, 
Et  veuillez,  non  plus,  s'il  vous  plaîL 
Ne  m'appeler  votre  poulet  : 
Parmi  le  serpolet,  le  thym, 
Dans  les  clairières. 
Laissez  dormir  jusqu'au  matin, 
Au  clair  de  lune,  les  lapins, 
Rangés  en  rond  sur  leurs  petits  derrières  :  — 
Et  laissez,  combien  loin  des  foules, 
Et  de  tous  ces  fiacres  qui  roulent, 
Et  laissez,  sans  les  éveiller, 
Tous  les  poulets  au  poulailler. 
Endormis,  depuis  très  longtemps,  comme  des  poulcî 
•Non  je  ne  suis.  Mesdames,  s'il  vous  plaît. 
Ni  votT*e  lapin,  n'est-ce  pas,  ni  votre  poulet  I  — 


LA   MÉNAGERIE   AMOUREUSE  03 

Et  chacune  des  dames  mûres, 

Mais  cette  fois  toutes  d'accord  sur  le  même  mot, 

Murmurent 

Le  nom  d'un  animal  nouveau  : 

—  Veau  î  — 

Petite  pluie,  pluie  fine  des  soirs, 

Ma  luxurieuse  mauvaise  conseillère... 


LE  REMÈDE  INATTENDU 


Dans  le  bosquet  la  jeune  Elviro 
Faisait  retentir  l'air  de  ses  cris  déchirants  : 
Ah  !  disait-elle,  un  tel  martyre  î... 

Mieux  vaut  mourir  : 
Adieu  !  adieu  î  mes  chers  parents!  -— 

La  jeune  Elvire  avait  une  rage  de  dents. 

Souffrait-elle  des  conséquences  d'un  coup  d'air''' 
Voulut-elle  briser  la  coque  d'un  fruit  vert? 
Ou  bien,  ce  sont  des  hypothèses, 
Etaft-ce, 

6 


98  LE    REMÈDE   INATTENbU 

Etoit-ce  une  dent  de  sagesse? 

Quoi  qu'il  en  soit,  amis  lecteurs, 
Vous  préserve  le  ciel  de  semblables  douleurs 

Maintenant,  pour  en  revenir 

A  la  jeune  et  dolente  Elvire, 
L'infortunée,  que  la  douleur  accable, 

S'est  jetée  au  pied  d'un  érable  ; 

De  ses  doigts  crispés  dans  la  mousse 

Elle  creuse  d'affreux  sillons  ; 
Attendris  et  muets  s'arrêtent  les  grillons, 

Aux  gémissements  qu'elle  pousse... 

Puis  c'est  le  grand  abattement 
Qui  succède  infailliblement 
Aux  plus  épouvantables  crises  ; 
Le  sommeil,  enfant  de  la  fièvre, 
Apporte,  enfin,  un  peu  de  trêve 
A  la  souffrance  qui  la  brise. 

Combien  de  temps  dura  cette  lourde  torpeur  ? 

Un  quart  d'heure  ? 

Une  demi-heure?  ou  une  heure  ? 


LE   REMÈDE   INATTENDU  99 

Comme  écrit  notre  Molière, 
Le  temps,  amis  lecteurs,  ne  fait  rien  à  Taffaire  ; 

Enfin,  Elvire  se  réveille  : 
Le  supplice  va-t-il  recommencer  ?  xMais  nou, 
Elle  ne  souffre  plus,  ivresse  sans  pareille, 
Elle  ne  souffre  plus  :  seulement,  clans  Toreille 
Quelque  chose  la  chatouille.  Quoi  donc?...  Voyons... 

Ce  quelque  chose  est  un  flocon, 
Non  pas  de  neige, 
Mais  de  coton. 

Gela  tenait  du  sortilège  î 

« 

Votre  surprise,  amis  lecteurs,  s'explique  as«ez  ; 
Mais  j'abrège 

Voici  ce  qui  s'était  passé  : 
Un  oiseau,  s'envolant  près  d'Elvire,  la  vit,  — 

Qui  cherchait  où  bâtir  son  nid  ; 
Ce  recoin  doux,  et  rose,  et  chaud,  semblait  propice: 

D'un  brin  de  laine  recueilli 

Aux  haies  où  broutent  les  brebis 

Il  commença  son  édificje... 


100  LE    REMÈDE    INATTENDU 

Vous  m'arrêtez,  belle  incrédule  : 
—  Histoire  folle  ! . . .  ridicule  ! . . .  — 
Et,  du  doigt,  vous  me  menacez... 
Ce  n'est  point  badinage,  et  m'en  croyez,  Madam; 

La  conque  de  Toreille  des  femmes 
Est-elle  pas  un  nid  de  baisers? 


INGÉNIEUSE  RÉPONSE  D'UN  JEUNE 
GARÇON 


A  la  terrasse  d'un  café,  avec  son  père, 
Le  voilà  installé,  tout  comme 
Un  homme, 
.   Gomme  un  homme  le  petit  Albert  ; 
J'espère  ! 

Y  en  a-t-il  beaucoup  en  France, 
Beaucoup  de  garçonnets  de  votre  connaissance, 
Qui,  à  cette  heure,  boivent  dans  un  grand  verre 
Du  sirop  de  grenadine  ?  Non,  je  pense  ; 


102  INGÉNIEUSE    RÉPONSE    d'UN   JEUNE   GARÇON 

C'est  qu'aussi  il  n'y  en  a  guère 

Dont  les  parents  puissent  être  aussi  fiersj 

Et  qui  soient  aussi  forts  en  histoire  de  Franct, 

Il  faut  bien  qu'on  le  récompense. 

Il  vient  encore  d'être  premier. 
(La  composition  était  sur  Jeanne  d'Arc.) 

On  est  allé  voir  les  baraques, 

Les  baraques  du  premier  janvier. 

Et  maintenant,  tant  pis  si  Ton  rentre  en  retard  ! 

Tant  pis  si  maman  gronde  un  peu 
Que  le  plat  trop  longtemps,  attendit  sur  le  feu  : 
C'est  la  vie^  c'est  la  grande  vie  du  boulevard  ! 

Grenadine  à  l'enfant,  au  père  absinthe  verte  ; 
—  Puis,  vous  nous  apporterez 
Tous  les  journaux  illustrés,  — * 
Pour  que  la  fête  soit  complète  ! 

(Admirer  de  Forain  le  crayon  incisif 

En  savourant  l'apéritif! 
Joie  î  à  nousHermann  Paul,  Caran  d'Ache,  et  Willette  !) 


INGÉNIEUSE  RÉPONSE  D'uN  JEUNE  GARÇON     103 

Cependant  des  gens  vont  et  viennent, 
S'aiTctant,  en  passant,  devant  le  jeune  Etienne  ; 

(Albert  s'appelle  Etienne  aussi, 
Ceci 
Soit  dit  pour  la  commodité  de  mon  récit,  — 
Stéphanie  est  d'ailleurs  le  nom  de  sa  marraine). 

Donc  tous  au  jeune  Albert-Etienne 

Proposent  d'une  voixméliflue 

Divers  objets  qui  constituent 
Le  cadeau  le  plus  séduisant,  à  leur  avis, 

Qu'un  père,  à  son  enfant  ravi, 

Puisse  donner  pour  ses  étrennes. 

JMais  le  père  d'Albert,  du  geste  les  écarte. 
Et  à  son  fils  tient  ce  discours  : 

—  Albert,  tu  n'as  reçu  le  jour 
Que  longtemps  après  nos  désastres. 
Mois,  cher  petit,  digne  espoir  de  ma  race. 
Tu  dois  t'en  souvenir  toujours  ! 

Or,  ces  jouets,  que  Ton  te  vante, 
Je  rougis  rien  que  d'y  penser, 


104  mGÉNIEUSE    RÉPONSE    d'uN   JEUJÎE   GARÇON 

C'est 
De  la  fabrication  allemande  ! 
Etienne-Albert  voudrait-il  donc  encourager 
Le  commerce  de  l'étranger  ? 
Ah  !  mon  fils,  je  te  le  demande  !... 

L'enfant  réfléchit  un  moment  : 
De  m'avoir  prévenu,  père  je  te  rends  grâces, 

Dit-il,  et  reçois  mon  serment  : 
La  terre  m'engloutisse,  ou  la  foudre  m'écraso, 
Si  je  touche  jamais  ces  jouets  allemands  ! 

Mais,  ajouta-t-il  à  voix  basse, 
N'est-il  pas  des  ballons  d'Alsace  ? 


LE  FIACRE' D'EULALIE 


Maison  à  double  issue  au  quartier  de  l'Europe, 

Rez-de-chaussée  tendu  d'andrinople  : 

—  A  travers  la  triple  voilette. 
Oh  !  les  premiers  baisers,  dans  le  cabinet  de  toilette  î 

Voilà  le  repaire  choisi 

Pour  l'adultère,  c'est  ici 

Le  tombeau  des  femmes  honnêtes  :  — 
Et  Gaétan  attend  sa  dernière  conquête... 

Ultime  rejeton  d'une  race  de  preux, 
Gaétan  ne  suit  pas  les  pas  de  ses  aïeux  • 


lOG  LE   FIACRE   D  EULALIE 

Vain  héritier  de  leur  valeur  guerrière, 
A  dix-huit  ans  il  se  .borna 
A  faire  son  volontariat, 
El  n'est  pas  même  officier  de  cavalerie  démissionnaire. 

11  a  placé  en  viager 
La  fortune  que  lui  légua  l'oncle  Roger 

(D'Angers), 
Et  libre  ainsi  de  tout  souci  matériel, 
Il  voltige  de  fleur  en  fleur,  comme  Tabeillo, 
Fleurs  du  mal,  ou  fleurs  d'oranger. 

Sans  songer 
A  rien  autre  que  bagatelle  : 
—  C'est  ainsi  qu'au  sein  des  délices, 
Les  familles  s'abâtardissent.  — 

Et  chaque  jour  de  nouvelles  maîtresses 
Sont  entraînées  par  lui,  sous  les  subtils  prétextes, 
Dont  prend  texte. 
Pour  ne  pas  dire  dont  abuse. 
Son  esprit  fertile  en  ruses  : 
Hier,  c'était  la  jeune  Lucienne, 
Qu'attirait  sa  collection  de  gravures  anciennes  ; 


LE   FIACRE    d'eULALIE  107 

Pour  admirer  sa  panoplie, 
Aujourcriiiîi  voici  la  jolie 

Eulalie 
(Femme  du  malheureux  Etienne), 
Dont  il  épie  l'arrivée  derrière  la  persiennc  ; 

Or,  par  calcul,  par  accident,  ou  par  hasard, 
Eulalie  est  en  retard. 

Ah  î  qui  sut  dire,  —  est-ce  par  vous,  Ernest 
La  Jeunesse  ?  — 
Qui  sut  dire  de  quelle  angoisse  nous  oppresse 
Le  roulementde  la  voiture  de  nos  maîtresses? 

—  Brrr...  brrr...  mon  cœur  a  fait  tic- tac  : 
Hélas  î  non,  ce  n'est  pas  son  fiacre, 

C'est  un  break  (prononcez  pour  la  rime  hre-ak)  :  — 

—  Tu  bats  encor,  mon  pauvre  cœur  : 
Mais,  à  nouveau,  tu  fais  erreur. 

Car  c'est  le  sinaple  attelage  de/arroseur...  — 

Et  Gaétan,  en  attendant, 
Cstte  attente  Ténerve  trop, 


108  LE   FIACRE    D'EULALIE 

S'étend 
Sur  le  divan  profond  comme  un  tombeau  :  — 

Brrr...  brrr...  ces  roulements...  il  rêve... 

Brrr...  brrr...  brrr...  sans  trêve,  sans  trêve, 
Des  roulements  emplissent  son  oreille  : 

Mais,  quoi  ?  qui  roule  ainsi  toujours  ?... 
Ce  n'est  pas  toi,  véhicule  d'amour  : 

C'est  le  tambour,  c'est  le  tambour, 

Qui  bat  l'héroïque  réveil  ! . . . 

Bruit  d'olifants,  de  palefrois, 
Allons,  Gaétan,  lève-toi  : 
C'est  la  voix 
De  ceux  des  tiens  qui  versèrent  leur  sang  vermeil 
—  (Vois 
Vois  comme  est  rouge  l'andrinople  !...)  — 
A  Bo ovines,  à  Fontenoy, 
A  Waterloo,  à  Gravelotte  !... 

Mais  voici  que  soudain  deux  petites  menottes 
Couvrent  les  yeux  de  Gaétan  : 


LE    FIACRE    d'eULALIR  109 

—  Fi  î  le  vilain,  qui  s'endormait  en  m'attendanl  ; 
Coucou  !...  qui  est  là  ?  C'est  Ciiouchoute  !  — 

(Chouchoute,  d'EuIalie  est  un  diminutif.) 

—  A  pied  aurais-tu  fait  la  route  ? 

fa  voiture,  je  ne  l'entendis  pas,  pour  quel  motif 

—  Tu  ne  l'entendis  pas  ?  sans  doute  : 
Les  roues  des  fiacres,  grand  naïf, 
Maintenant,  on  les  caoutchoute. 


LES  ÉPINGLES 


Ali  !  dans  la  tôle  des  épingles, 

Qui  dira  les  désirs  fous,  les  rêves  ardents, 

Et  tout  ce  qui  se  passe  dans 

Leurs  méninges,  — 

Aliî  les  penscrsque  roulent  dans  leur  tète  les  épingles 

VA  d'al)ord  toutes  les  épingles,  assurément, 
X'ontpas  le  même  tempérament, 
Et  il  faudrait,  suivant  les  mélliodcs  certaines 
De  notre  Taine, 


112  LES    ÉPINGLES 

Il  conviendrait  qu'en  une  étude. 

On  tînt  un  compte  sérieux 

Des  différences  de  milieu, 

D'éducation,  de  genre  de  vie,  et  d'iiabitudes  : 

J'en  sais  qu'en  de  sombres  orgies 

Emploie 

Tel  cynique  vieillard,  chercheur  d'étranges  joies, 

—  Un  sénateur  peut-être,  ou  quelque  homme  de  loi. 


Voilà  les  gens  par  qui  notre  France  est  régie  ! 
Mais  glissons  sans  dire  pourquoi  ; 
Epingles  des  sombres  orgies  !  — 

Combien  plus  calme,  et  la  tête  assagie, 

Celle  qui  se  consacre  à  l'entomologie  : 

Et  comme  je  l'aime  davantage, 

L'autre  vieillard,  le  bon  vieillard  qui  va. 

Avec  son  complet  d'alpaga. 

Son  filet,  et  son  panama. 

Parmi  les  champs  et  les  bocages, 

Courant  après,  à  travers  prés. 

Les  beaux  papillons  diaprés... 


f  


LES    KPINGLrS  113 

Epingle,  ton  dard  acéré, 

Entre  ses  mains,  sans  doute,  aura  plus  digne  usage  : 

Car  l'on  te  confiera  la  mission  austère 

De  piquer  des  colcoplèros  ;  — 

A  moins  que  le  vieil  entomologiste,  bon  apôtre, 

—  Pffft!... 

Sait-on  jamais  avec  les  entomologistes  ?  — 

Rentré  chez  lui,  fasse  des  saletés,  comme  les  autres... 

Epingles,  épingles,  si  j'insiste, 

Ce  n'est  pas  qu'à  vos  moeurs  j'en  impute  la  faute  ; 

Mais  voyez-vous,  on  a  beau  avoir  unctétc, 

Qu'il  est  donc  malaisé  de  demeurer  honnête  ! 

Pourtant  il  est  des  épingles  plus  chastes, 

Au  corsage  discret  de  blondes  ouvrières. 

De  celles-là  qui  s'habillèrent, — 

Elle  est  terrible  aux  retardataires,  cette  Première  !  — 

Qui  s'habillèrent  à  la  hâte, 

Et  même  à  la  six  quatre 

Trois  : 

—  Monsieur  î  Monsieur,  à  bas  les  pattes  ! 
Vous  allez  vous  piquer  les  doigts  !  — 


114  LES    ÉPINGLES 

Au  corsage  des  ouvrières  blondes  et  chastes, 

Epingles,  gardiennes  vigilantes 

De  poitrines  très  opulentes 

Ou  très  plates... 

(Les  gens  entreprenants  ont  des  goûts  disparatcG.  j 

Epingles  aussi  des  tutus, 
Epingles,  drjgons  de  vertu  î 

Et  toutes  ont  dit  aux  aiguilles, 

D'un  air  de  compassion  un  peu  blessante  : 

—  Gomme  nous  vous  plaignons  !  la  nature  mccliante 

Ne  vous  a  pas  donné  de  tête,  pauvres  filles  1 

Ah  !  comme  vous  devez  souffrir  : 

Vous  ne  saurez  pas  découvrir 

Les  fleurs  do  la  science  au  milieu  de  ses  ronces  ; 

Vous  ne  pouvez  pas  réfléchir, 

L'œuvre  de  Monsieur  de  Vogue  vous  reste  absconse  .- 

Les  aiguilles,  sans  faire  attendre  leur  réponse, 
Et  d'un  petit  ton  aigre-doux  : 


W'  '  I^^''S   ÉPINGLES  115 

—  Mon  Dieu,  chères,  devons  à  nous, 

Incomplètes  pour  incomplètes, 

c:.  ries,  nous  déplorons  de  n'avoir  pas  de  tête, 

Mais,  du  moins,  nous  avons  un  trou. 


PAPIER  BUVARD 


Le  papier  buvard  a  trop  bu 

D'encre  de  toutes  les  vertus  ; 

Il  chatouille  le  presse-papier  dans  sa  main  de  marbre, 

Et  va  tirer  les  plumes  par  la  barbe  ; 

Ohé  !  ohé  !  papier  buvard, 

Le  papier  buvard  qui  fait  des  blagues, 

Et  qui  rigole,  et  qui  zigzague, 

Le  papier  buvard  est  pochard. 

J'ai  connu  des  papiers  buvards,  j'en  ai  connu, 
Dans  les  pensionnats  de  demoiselles  ; 
Une  couverture  en  maroquin  était  dessus, 

'7. 


118  PAPIER    BUVARD 

Où  s'envolaient  des  hirondelles  : 

Ah  !  ce  ne  sont  pas  eux,  tout  roses,  et  si  ingénus, 

Qui  se  seraient  mis  dans  des  états  pareils, 

Calmes  buvards  des  pensionnats  de  demoiselles. 

Et  ils  étaient  les  confidents 

Du  premier  mot  d'amour  qu'un  jeune  cœur  soupire, 

Gaastes  aveux,  tendres  serments, 

Où  se  cacher  pour  les  écrire, 

Pendant  la  classe  de  calcul, 

Sous  le  regard  inquisiteur  de  sœur  Ursule?... 

Billets  qu'on  écrit  en  tremblant, 

—  Amour,  printemps, 

Et  lys  et  lyre,  — 

Pour  le  petit  cousin  Fernand, 

Celui  qui  prépare  Saint-Cyr  ; 

Papiers  buvards  que  j'ai  connus,  gardiens  fidèles 

Des  doux  secrets  d'amour  des  jeunes  demoiselles... 

Et  d'autres  buvards,  plus  modestes, 

Dans  le  car  Ion  où  l'écolier  met  ses  devoirs. 

Collés  près  d'une  carte  de  Fi*uiicc,  où  l'onpeut  voir, 


PAPIER   DUVARD  119 

Douloureusement  iiiaïqués  de  noir, 
Nos  chers  départemerils  de  l'Est, 

—  Géographie, 
0  ma  patrie!  — 

J'ai  connu  des  papiers  buvards  graves  et  modestes. 

Tous  rougiraient  en  te  considérant, 

Frère  indigne,  ô  papier  buvard  intempérant  î 

—  Mais  quoi,  belle  amie,  pour  en  faÎT^e  vos  papilloltcs, 
C'est  lui  que  vous  avez  choisi  ? 

Ne  voyez-vous  pas  qu'il  est  gris? 

II  va  vous  dire,  belle  amie, 

A  l'oreille/ des  choses  inconvenantes  et  sottes... 

Vraiment  ?  Je  ne  vous  aime  pas  ? 

C'est  le  buvard  qui  dit  cela? 

Ne  prenez  pas  cet  air  sévère  ; 

Vous  savez  bien,  surtout  en  un  pareil  état, 

Que  le  papier  buvard  comprend  tout  à  l'envers 

Allons,  jetez  ce  buvard-là  : 
S'il  faut  faire  des  papillotes, 


120  PAPIKR   BUVARD 

Mes  Flûtes  sont-elles  pas  là  ? 

Et  le  Gaulois  et  les  DébalS,: 

Sans  vouloir  nommer  tous  les  autres...  — 

Et  moi-même,  d'un  geste  agace, 

Par  la  fenêtre,  je  l'ai  lancé 

Pour  le  chiffonnier  et  sa  hotte.  . 

Est-ce  un  mois,  ou  deux  mois  plus  tard  ? 

J'ai  retrouvé  mon  papier  buvard 

A  demeure  installé  dans  un  bureau  de  poste, 

—  Ah  !  je  me  suis  bien  assagi 
(dit-il), 

Et  les  gens  qui  viennent  ici 
Pour  me  confier  leurs  écrits, 
Anxieux,  fébriles, 
(  —  Ce  soir,  à  minuit. 

—  Impossible. 

—  Venez  yite.—  Cordial  merci. 

—  Lettre  suit. 

—  Répondre  aux  initiales  L.  J., 
406.), 


PAPIEK    BUVARD  121 

En  vain  ces  gens-là  me  prient-ils, 
Et  veulent  me  forcer  à  boire  : 
Leur  insistance  est  inutile, 
Non,  je  ne  veux  plus  rien  savoir... 

—  Cette  sobriété  t'honore,  camarade  ! 
Lui  dis-je  avec  assentiment  ; 

—  Et  puis,  ajouta-t-il  vraiment, 
De  Tencre  du  gouvernement.... 

Je  ne  veux  pas  me  rendre  malade  I 


LES  CHAMPIGNONS 


Aux  champignons  les  parapluies  ont  dit, 

Dirent-lis, 
Bien  entendu,  les  parapluies  aiguilles,  — 
Aux  champignons  les  parapluies 

Ont  dit  : 
—  Vraiment,  vous  êtes  trop  petits, 
Vous  déshonorez  la  famille  !... 
Nous  qui  sommes  déjà  d'un  caractère  somb:-:, 
Combien  plus  nous  nous  attristons. 

Champignons, 
Quand  sur  vous  notre  regard  tombe  : 


124  LES   ClIAM  PIGNONS 

Songer  qu'on  a,  de  par  le  monde, 
Qu'on  a  pour  frères,  et  en  quel  nombre!  — 
(Pour  vous  renier,  la  ressemblance  est  trop  profonde,;  — 
De  lamentables  avortons!... 

Nous  n'exigerions  pas  que  vous  suiviez  les  traces 

Des  géants,  gloire  de  notre  race  : 
Parapluies  orgueilleusement  dressés  au  coin  des  places, 

Les  jours  de  foire  ou  de  marclié. 
Le  violoniste  a  préludé  d'un  coup  d'arcliet. 
Et  la  foule,  à  l'entour,  mélomane  s'amasse. 

Et  Ton  répète  les  couplets 

Délicats  de  notre  Delmet, 
(Oh  !  ses  romances  ! 

C'est  fini,  et  ça  recommence...) 

Les  jours  de  foire  ou  de  marché, 
Parapluies  orgueilleusement  dressés  au  coin  des  places. 

Parapluies  au  bord  de  la  mer, 
Sous  lesquels  la  famille  entière, 
L'époux,  l'épouse. 
Avec  le  fils  aîné,  grand  de  cinq  pieds  six  pouces,, 


LES   CHAMPIGNONS  125 

Et  le  polit  dernier  qui  tète  encore  son  pouce. 

Tous, 
(Quelle  chaleur  !  A  table  d'hôte  on  étouiTait  !...) 
A  l'abri  du  soleil  vont  prendre  le  café, 
Et  l'alcool,  par  qui  le  café 

Se  pousse  : 
Parapluies  sous  lesquels  on  boit,  on  fume,  on  cause, 
(Parapluies  ou  parasols,  c'est  la  même  chose...) 

Mais  sans  vous  élever  à  ces  modes  superbes, 
Nepourriez-vous,  du  moins,  être  moins  ridicules? 
De  la  pluie  qui  transperce  et  du  soleil  qui  brûle, 
A  peine  si  vous  abriteriez,  si  minuscules. 
Un  scarabée  et  trois  brins  d'iici'bc  : 

(Et  puis 
Est-ce  qu'une  bête  à  bon  Dieu 
Ne  peut 
Se  passer,  soit  dit  entre  nous,  de  parapluie  ?...) 

Il  y  a  d'autres  avantages  à  être  grand  ; 
Quand  nous  avons  avec  des  gens  un  différend. 
Nous  leur  crevons  un  œil  ou  leur  cassons  la  tête, 
Et  allez  donc!  à  la  bonne  franquette!... 


120  LES    CHAMPIGNONS 

Comment  donner  un  coup,  un  poing,  un  gnon, 
(On  se  sert  de  tel  ou  tel  nom. 
Suivant  son  éducation), 
Gomment  donner  un  paing,  un  gnon. 
Quand  on  n'est  rien  qu'un  champignon? 
Votre  faible  stature  ne  le  saurait  permettre; 
Vous  vous  vengez  d'autre  façon  : 
Vous  avez  recours  au  poison,  — 
C'est  traître  !  .. 

Enfin,  croyez-vous  qu'on  soit  fier, 
Lorsque,  dans  un  refrain  polisson,  on  entend 

Répéter  le  nom  d'un  parent 
Bizarrement  associé  au  mot  :  tabatière  ; 

—  Champignon,  tabatière,  —  : 

Et  encor,  s'il  n'y  avait  rien  que  :  tabatière  !... 

Les  champignons  ont  répondu  :  —  Quant  à  cela, 

Point  ne  nous  chaut  que  l'on  nous  mille  ; 
Notre  exiguïté  est  hors  de  tout  débat, 
Mais,  ont-ils  ajouté  avec  un  noble  éclat, 
Redressant  leur  petite  taille  ; 

Nous  autres,  parapluies,  on  ne  nous  ferme  pas!  ^~ 


LES  HORLOGERS 


J'ai  toujours  considéré  les  horlogers 

Gomme  de  nature  inoffensive,  un  peu  puérile, 

Et  singulièrement  sujets 

A  se  forger 

Des  tas  d'occupations  inutiles. 

C'est  égal,  ils  n'ont  pas  de  honte 

Ces  horlogers, 

Gens  adultes  et  parfois  même  assez  âgés, 

—  Tandis  que  la  guerre  civile  peut-être  gronde, 

Et  qu'au  dehors  attend  et  nous  menace  l'étranger, 

Us  n'ont  pas  honte,  ces  horlogers, 


128  LES    HORLOGEnS 

De  passer  les  journées  le  plus  vides  du  monde, 

A  arranger,  puis  déranger, 

R arranger,  et  redéranger, 

Des  montres, 

Qu'ils  montent  et  tantôt  démontent, 

Sans  que  leur  calme  imperturbable  se  démonte. 

Et  d'abord,  rien  qu'à  cette  lunelle  qui  n'a  qu'un  verre, 

Dont  ils  se  fourrent,  de  travers, 

Le  gros  bout  dans  le  coin  des  yeux, 

On  voit  bien  tout  de  suite  que  ça  n'est  pas  sérieux. 

Ou  encore,  étant  leur  lunette, 

Gravement  ils  écoutent,  en  hochant  la  tôle, 

\h  écouieni  la  petite  bêle  ; 

La  petite  bête,  à  l'âge  de  ces  Messieurs  ; 
—  Ecoute,  mon  mignon,  écoule !...  — 
Vous  admettrez  bien  qu'ils  s'en  foutent  ; 
Ou  alors  c'est  qu'ils  sont  gâteux;  — 
Ou  bien  les  deux.  — 

Cependant,  flattant  leur  folie, 
Complaisamment,  nous  les  laissons 


LES    HORLOGERS  129 

Pénétrer,  au  moins  une  fois  le  mois,  dans  nos  maisons, 
—  Je  vous  demande  un  peu  ce  que  ça  signifie,  — 
Et  nous  souiïrons  qu'à  nos  intimités  ils  s'initient, 
Ces  gens  qu'à  peine  nous  connaissons  : 

Tout  cela,  sous  le  prétexte  ridicule, 
De  vérifier  nos  pendules  ; 

Pendant  une  heure,  ils  tournent  les  aiguilles, 

Et  font 

Sonner  l'artistique  (de  bronze  doré)  pelile  fille 

Qui  court  après  un  papillon. 

Ou  le  berger  contant  à  la  bergère  sa  passion, 

Oula  biciie  agile,  le  chien  fidèle,  le  fier  lion. 

Ou  Lauré  tendrement  enlacée  à  Péti'arque, — 

Nous  n'y  faisons  pas  attention, 

Ce  sont  de  pauvres  maniaques  ; 

Remarque 

Que  si  nos  domestiques  s'amusaient  de  la  sorte. 

Ce  que  nous  les  ficherions  à  la  porte  î... 

Mais  on  dirait  vraiment  qu*une  grâce  d'État 

Protège  ceux  qui,  d'être  horlogers,  font  état. 


130  LES    IIORLOGKRS 

.Pourtant,  où  celte  manie  ti'esl pas  sans  péril, 

C'est  quand  ils  grimpent,  les  imbéciles, 

En  haut  des  clochers  de  la  ville  : 

Car  vainement  on  voudrait  les  en  empêcher, 

Ils  ont  la  rage  d'escalader  tous  les  clochers, 

Et,  comme  des  fous,  ils  se  moquent 

Et  du  vertige,  et  du  danger,  , 

Et  vont  causer,  près  de, la  girouette,  avec  le  coq, 

Quand  soudain  vos  fils  apparoissenl 
Ainsi  perchés  sur  le  clocher  d'ardoise 
De  la  mairie,  ou  de  l'église  de  la  paroisse, 
Mères  des  horlogers,  qui  dira  votre  angoisse? 

L'horloge  passe  avant  tout  :  régler  Thorloge  ! 

A  la  dignité  de  ce  rôle,    , 

Jamais  l'horloger  ne  déroge  ; 

Ilàte-toi,  écolier  qui  te  rends  à  l'école, 

Et  que  les  fidèles  se  pressent 

Pour  arriver,  avant  l'Evangile,  à  la  messe  : 

L'horloger,  au  péril  de  sa  vie,  règle  les  horloges. 


LES  ii..nLOGi:ns  131 

Celle  formalité  lui  semble  nécessaire,' 

Dût  trembler  et  pleurer  sa  mère  ; 

Les  horlogers  pourtant,  ne  sont  pas  méchants. 

Mais  ils  raisonnent  comme  des  enfants... 

La  nature  des  horlogers  est  puérile. 


GANTS 


En  un  coiïret  de  bois  des  îles, 

Temple  des  souvenirs  futiles, 

En  un  coffret. 

Dont  la  serrure  est  à  secret, 

Secret  subtil,  — 

J'ai  retrouvé  le  gant  parfumé  de  verveiPiO  : 

Et  c'est  une  idylle  ancienne. 

Le  gant,  le  long  gant  parfumé, 

En  peau  de  Suède, 

La  belle  qui  me  l'a  donné, 

N'était-ce  pas,  autant  que  je  mêle  puis  rappeler, 


134  GANTS 

N'était-ce  pas  à  un  bal  costumé 
A  la  légation  de  Suède,  — 

—  Oh  î  son  bras  blanc,  son  bras  de  neige  î...  — 
Et  de  Norwège  î 

Ce  gant,  que  je  n'ai  pas  rendu, 

—  Oui,  je  veux  garder  en  trophée, 
L'empreinte  de  tes  doigts  de  fée... — 

Ce  gant,  naturellement,  je  ne  l'ai  pas  rendu: 
Et  l'autre  gant,  alors,  qu'est-il  devenu  ! 

Maintenant  cette  idée  m'obsède  ; 

Que  deviennent  les  gants  de  Suède, 

Que  deviennent-ils. 

Les  gants  de  peau,  les  gants  de  fd,  ^ 

Que  deviennent 

Les  gants  parfumés  de  verveine. 

Ou  qui  ne  sont  pas  parfumés, 

Les  pauvres  gants  périmés  ? 

J'en  sais,  des  gants,  j'en  sais  qui  furent 
Perdus  en  omnibus,  perdus  en  voilure, 


GANTS  135 

En  bateau  ou  en  chemin  de  fer: 
Si  les  gens  qui  les  retrouvèrent 
N'avaient  pas  la  même  poinlure, 
Que  purent, 
Que  purent-ils  bien  en  faire? 

J'en  sais  des  gants,  j'en  sais  qui  furent 

Lancés  à  travers  des  figures, 

—  Au  café,  ou  bien  au  cercle,  ou  sur  le  lurf,  — 

De  messieurs  qu'on  traitait  de  muffles  : 

Et  ces  gants-là,  qui  sait  (qui  sait?) 

Si  personne  les  a  ramassés.., 

(Combien  de  gens,  pourtant,  à  ce  que  l'on  assure, 
Qui,  pour  acheter  des  gants,  durent 
Se  priver  de  nourriture...) 

Où  donc,  où  se  peut-il  bien  qu'aillent 

Les  gants  blancs,  les  gants  gris-perle,  les  gants  paille. 

Avec  lesquels  nous  convoitâmes  des  hymens  : 

(—  Mon  père,  cette  jeune  fille  est  une  perle  ; 

Mettez,  mettez  vos  gants  gris-perle. 

Et  m'allez  demander  sa  main.  — ) 


136  GANTS 

Une  ou  deux  fois  peut-être,  alliant  l'élégance 

Aux  économiques  nécessités  de  rexislence, 

Nous  les  avons  envoyé    , 

Nettoyer, 

—  0  Benzine,  Benzine  sainte,    * 

Des  employés  à  deux  mille  cinq  !  — 

Aux  commerçants  qui  s'occupent  de  dégraissage  : 

Et  puis  les  voilà  hors  d'usage. 

D'indigents  nousfaisons  la  joie. 
Avec  nos  vieux  chapeaux  de  soie  ; 
Et,  d'un  ancien  habit  à  queue. 
Nous  charmons  les  pauvres  honteux  : 

Mais  nous  n'avons  jamais  accoutumé  de  faire  aumône 
De  nos  vieux  gants,  en  peau  de  chien,  rouges  ou  jaunes, 

Et,  décolorés  et  flétris, 

Sentant  le  vieux  bout  de  cigare, 

Ou  de  vagues  poudres  de  riz. 

Les  gants,  témoins  jadis  des  amoureux  hasards, 

Compagnons  des  jeux  et  des  ris, 

Les  gants  sont  je  lés  à  lecart  : 


GANTS  137 

—  A  moins  encor  que  la  nécessité  barbare 

Ne  les  fasse  couper,  liorreur  !  pour  qu'ils  préparent, 

De  quels  onguents,  ô  gants  !  enduits, 

La  gucrison  des  panaris!... 


TOUCHANTE  ATTENTION    DE 
M.  DURAND 


Il  est  certain  que  le  couple  Durand 
Aurait,  par  dessus  tout,  désiré  des  enfants. 

Et  que  nul  cercle  de  famille 
N'eût  applaudi  par  de  plus  joyeux  cris, 

A  l'apparition  d'un  fils, 

A  la  naissance  d'une  fille: 
Des  jumeaux  même  eussent  été  les  bien  accueillis  ; 

Mais  c'est  toujours  ce  qui  arrive 

Sur  notre  passagère  rive  : 

Quand  on  en  veut,  on  n  en  a  pas 


140      TOUCHANTE  ATTENTION  DE  M.  DURAND 

Plus  on  en  veut  moins  on  en  a,  — 
Ainsi,  de  nous,  la  nature  se  gausse  ; 
Il  en  est  de  ces  gosses-là 
Comme  de  pas  mal  d'autres  choses. 

Mais  ne  nous  attendrissons  paa. 

Les  Durand,  selon  la  coutuiiie, 
Reporlaient  leur  affection 
Sur  des  bêles  de  différente  dimension, 

Chiens,  chats,  oisons,  ou  bien  poisson?, 
Et  poil,  et  plume  ; 

Mais  caniche  fidèle  ou  perroquet  jaseur, 
Poisson  rouge,  chat  angora, 

Toutçà, 
Tout  çà  ne  remplit  pas  le  cœur  : 

Comme  il  était  vide,  si  grand, 
Le  cœur  de  Madame  Durand  ! 


TOUCHANTE  ATTENTION  DE  M.  DURAND      141 

Monsieur  Durand  s'efforçait  bien,  bonne  âme, 
Pcir  mille  riens,  mille  cadeaux  ingénieux, 
De  ramener  un  peu  de  gaîté  dans  les  yeux, 

Les  chers  yeux  de  sa  tendre  femme  ! 

Il  l'emmenait  au  concert  Lamoureux, 
Souper  au  cabaret  comme  deux  amoureux. 

Voir  Séverin,  l'excellent  mime, 

Et  la  Dame  de  chez  Maxim; 
Il  hij  donnait  des  fleurs,  des  bijoux,  tant  et  plus,  — 

Et  je  passe,  bien  entendu. 

Sur  les  provenances  plus  intimes  :  — 
Temps  perdu. 
Madame  Durand  ne  s  éjouissait  que  pour  la  frime... 

C'est  surtout  quand  la  pauvre  dame  avait  été 
Prendre  chez  quelque  amie  une  tasse  de  thé, 

Qu'elle  revenait  abattue; 
La  vue 

D'un  frêle  essaim  de  jeunes  filles, 
Papillonnant  autour  des  mères  de  famille, 


1  i2      TOUCHANTE  ATTENTION  DE  M.  DURANT) 

Lci  transperçait  de  mille  traits: 
Pour  olfrir  le  rhum,  et  le  lait, 

Avec 
L'assiette  de  gâteaux  secs, 

Avoir  aussi  une  petite  demoiselle... 

Et  elle  rentrait,  triste  à  crier. 

En  songeant,  hélas  !  que  chez  elle. 

Nulle  enfant  ne  viendrait  tendre  le  sucrier... 

Un  jour,  à  l'heure  où  l'on  servait 
Le  café, 
.  Monsieur  Durand,  jovial,  dit  :  —  Qui  a  fait 
Une  bonne  surprise  à  sa  poupoule  en  sucre  !  — 

Sans  hésiter  :  —  C'est  le  coco  en  or  !  — 
Répondit  Madame  Durand  ;  car,  bien  qu'ils  fussent 

Mariés  depuis  plus  d'un  lustre. 
De  ces  termes  d'amour  ils  se  servaient  encor. 


Et  là-dessus,  l'aimable  époux  sort  de  sa  poche 
Une  langouste  ;  la  langouste  s'approche 
De  Madame  Durand,  étonnée  et  ravie; 


TOUCHANTE  ATTENTION  DE  M.  OLHAND      143 

Puis  adinirableinent  dresse, 
—  A  coup  sûr,  Monsieur  Durand  sait 
Ce  que  dut  lui  coûter  celle  plaisanterie, 
(Mais  que  ne  fait-on  pour  une  épouse  chérie  ?)  — 

Très  gentiment,  le  crustacé 
Vint  déposer,  au  fond  de  la  tasse  servie, 

Un  morceau  de  sucre  cassé. 
Qu'il  avait,  de  sa  patte,  adroitement  pincé, 

Sans  en  paraître  embarrassé, 

Gomme  s'il  n'eût  jamais  fait  que  cela  de  sa  vie.** 


LA  FRAUDE  DEJOUEE 


Malle,  carton,  ou  bien  panier, 
Tour  à  tour,  il  faut  que  tout  passe 
Sous  ton  œil  torve  et  perspicace, 

Douanier  î 
Quand  tu  le  regardes  en  lace. 
Le  fraudeur,  malgré  son  audace, 
Soudain  se  trouble  et  n'ose  nier  : 
Sous  ton  œil  torve  et  perspicace, 
Malle,  carton,  ou  bien  panier, 

Tout  passe... 

La  petite  dame  effrontée 
Cependant  a  conçu  le  projet,  folle  idée» 


146  LA   FRAUDE    DÉJOUÉE 

D'emporter,  sans  qu'on  le  remarque, 
Trois  bouteilles  de  vieux  cognac. 
Cette  frêle  petite  dame,  quelle  apparence, 
-7- Oui,  quelle  !  — 
Qu'elle 
Puisse  avoir  des  habitudes  d'intempérance? 
Mais  le  cognac  n'est  pas,  je  pense. 
Pour  son  usage  personnel. 

Je  crois  aussi  que  Thypolhèse  serait  fausse 
De  supposer  que,  cuisinière  experte, 
C'est  uniquement  pour  en  mettre, 
De  ce  vieux  cognac,  dans  les  sauces... 

Va,  coquette  contrebandière, 
L'amour  seul  put  t'induire  à  ces  louches  pratiques  : 
C'est  une  surprise  qu'elle  veut  faire 
A  son  amant  alcoolique. 

Donc,  dans  sa  malle,  et  fort  bien  cachés,  j'en  réponds 
Tout  au  fond, 
Sous  des  robes,  sous  des  jupons, 
Des  pantalons, 


LA    FRAUDE    DÉJOUÉE  147 

Parmi  tout  un  fouillis  froufroutant  de  mallnes, 
La  petite  dame  maligne 
Dissimule  les  trois  flacons  :  — 
Elle  avait  des  pieds  trop  mignons 

Pour  pouvoir  mettre  des  bouteilles  dans  ses  bottines  — 

Avec  les  autres  voyageurs  du  airain  ex]  rc3  *, 
Dès  l'arrivée,  vers  les  bagages  elle  s'e  n presse. 
C'est  là  que  le  douanier,  près  du  flot  qui  s'ccoule, 
Gomme  une  digue, 
D'un  geste  digne, 
Vêtu  de  vert, 
Calme  et  sévère, 
Le  douanier  arrête  la  foule  ; 
Et  vous  croyez  que  c'est  ainsi  que  Ton  s'en  tire, 
Que  vous  allez,  avec  votre  malle,  sortir, 

Tranquillement,  sans  qu'il  vous  fouille 
Permettez-moi  de  vous  le  dire. 
Madame,  vous  n'avez  pas  la  trouille  !... 

—  Vous  n'avez  rien  à  déclarer  ? 
A  demandé  le  douanier  ; 


148  LA   FRAUDE   DÉJOUÉE 

—  Non,  Monsieur,  et,  je  vous  en  prie. 
Répond  la  dame,  avec  un  air  tout  éploré, 
Faites  vite,  ma  petite  fille  est  à  Fagonie  : 

Si  vous  me  retenez  au  sein  de  cette  garj, 

Hélas  !  j'arriverai  trop  tard  ! 
Pour  quelques  vêtements  empilés  au  hasarà. 
Lorsque  Ton  m'apporta  la  dépêche  brutale, 
Faudrait-il  donc  ouvrir  ma  malle? 
Faites  vite,  Monsieur,  et,  si  vous  êtes  père. 
Abrégez  cette  attente  où  je  me  désespère  !  - 

Le  douanier,  au  fond,  est  bon  zigue, 
Et,  se  laissant  toucher,  bonhomme  : 

—  Vous  ne  cachez  pas  là  de  rhum. 
Pas  d'eau-de-vie  de  Dantzig?... 

Allez  !  —  Et  il  secoue  la  malle,  pour  la  forme. 

Mais  les  poils  dont  cette  malle,  d'antique  forme. 
Suivant  la  mode  un  peu  désuète, 

Etait  couverte, 
Les  poils  étrangement  se  dressent  l 
Déplorable  mésaventure, 


LA   FRAUDE    DÉJOUÉE  149 

A  la  secousse,  le  contenu 
Des  bouteilles  brisées  s'était  tout  répandu, 

Et  notre  malle,  ayant  tout  bu, 
Avait  très  mal,  maintenant,  à  sa  chevelure... 

Fraudeurs,  prenez  toujours  cette  précaution 
D'acquérir  des  colis,  dont  la  complexion 
Supporte 
Plus  aisément  les  liqueurs  fortes. 


LE  MARTEAU 


L'immeuble,  hôtel  jadis  allier 

D'un  président  à  mortier, 
Affectait  maintenant  l'apparence  vétusté 
De  ceux-là,  qu'artisans  des  modernes  quartiers. 

Font  disparaître  sans  pitié 
Les  fiers  démolisseurs  aux  pioches  robustes. 

Seul  le  portail  restait  entier, 

Avec  sa  porte  de  noyer, 
—  De  noyer,  ou  d'érable,  ou  bien  de  chêne,  ou  d'orme? 

La  porte  énorme, 
-     Où  battait  un  marteau  pesant, 
Qui,  du  poing  crispé  d'un  lutteur,  avait  la  forme  ; 


152  LE   MARTEAU 

Ah  !  combien,  pendant  deux  cents  ans, 

Avaient,  d'une  main  inquiète, 
Soulevé  ce  marteau,  et  par  la  porte  ouverte. 

En  tremblant  tendu  leur  requête, 

Ou  quelque  message  pressant, 
Au  suisse  majestueux  et  méprisant  !... 

Puis  vinrent  d'autres  temps  :  de  publiques  enchères, 
Soit  licitation,  soit  quelque  coup  du  sort. 
Firent  du  vieil  hôtel  une  maison  de  rapport. 
Entre  les  mains  d'un  trop  ingénieux  propriétaire  : 
(Appa:tements  ornés  de  glace, 
^  Eau  et  gaz!...) 

Et  sur  la  porte  furent  mises 
Ces  indications  précises  : 
—  Frappez  une  seule  fois,  pour 
Le  pavillon  qui  est  au  fond  de  la  cour  ;  — 
Deux  fois  (vous  le  deviez  penser). 
Si  vous  allez  au  rez-de-chaussée  :  — 
—  Frappez  trois  fois  pour  le  premier  étage,  — 
Ei  quatre  fois  pour  le  second,  — 


LE   MARTEAU  153 

Et  ainsi  de  suite  ;  mais,  au  fait,  non  : 
Comme  il  n'y  avait  que  deux  étages  dans  la  mai<.  n, 
Il  n'y  avait  pas  lieu  de  frapper  davantage... 

Sur  ces  entrefaites,  le  propriétaire  nouveau 
S'avisa  qu'il  serait  plus  élégant,  et  plus  pratiqua, 

De  remplacer  le  vieux  marteau 

Par  une  sonnerie  électrique  ; 

Mais  quand  vinrent  les  ouvriers, 
Voici  que  se  mita  crier 

La  porte, 
Gomme  sait  crier  une  porte  : 

—  Non  '  je  ne  veux  pas  qu'on  l'emporte, 
Mon  marteau,  mon  cher  compagnon  î...  — 

—  Voyons,  mon  amie,  voyons, 

Dit  le  propriétaire,  il  faut  se  faire  une  raison  : 
Parbleu,  je  comprends  bien,  quand  on  vécut  ensemble 
Si  longtemps,  —  tant  de  souvenirs!  —  Mais  il  me  semble 

Qu'à  vivre  avec  cette 
Sonnette, 

Vous  serez  beaucoup  plus  tranquiHo  : 

Elle  est  très  douce,  bonne  fille, 


154  LE   MARTEAU 

Et  ne  vous  fera  aucun  mal. 
Tandis  que,  trois  fois  sur  quatre, 

Le  brutal 
Vous  rossait, chère,  comme  plâtre!... 
Il  n'est  pas  de  ceux  qu'on  regrette.  — 

Mais  elle  : 
—  Il  me  battait,  je  me  rappelle  1...  — 
Dit-elle  alors,  avec  une  expression  vague  et  sensuelle 
—  Et  si  je  suis  dans  le  genre  de  cette  Goncha, 
(Prononcez  Gountcha,  n'est-ce  pas  ?) 
Que  Louys  a  si  bien  campée  : 
Gela  ne  regarde  que  moi, 

Et  puis  quoi  : 

Eh  bien!  oui,  là!  j'adorais  être  frappée  !  — 


LA  BONNE  ÉDUCATION 


Le  petit  éléphant  de  carton  hocha  la  tête, 
Kt  dit  :  —  Je  commence  à  en  avoir  par-dessus  la  tête. 
J'en  ai  assez  do  vos  baraques  du  boulevard. 
Ail  !  qu'on  me  rende  mon  bazar  ! 

Dans  cette  calme  arrière-boutique,  au  fond  dlun  passage 
Bien  chaudement  enveloppé 

De  papier, 
Je  coulais  des  jours  sans  orage  : 
Chez  mes  braves  petits  marchands, 
Jamais  je  n'avais  vu  pénétrer  un  chaland, 
C'était  charmant  ! 
:  Et  seulement  lorsqu'avaient  été  sages 


156  LA   BONNE    ÉDUCATION 

Leurs  enfants  (ils  avaient  deux  garçons  et  trois  filles), 
Ou  encor  lorsqu'il  leur  venait  de  la  famille, 

On  me  sortait  en  grande  pompe, 

On  remuait  un  peu  ma  trompe, 
(J'avais  surtout  le  don  d'amuser  le  vieil  oncle 
Alphonse), 

Et  puis  l'on  me  laissait  tranquille. 

Soudain,  voici  que,  sous  prétexte 
^     Que  c'est  bientôt  la  saint  Silvestre, 
Veille  du  premier  jour  de  TAn, 
Brusquement  on  vient  m'arracher  de  ma  retraite, 
On  me  jette 
Au  beau  milieu  de  ce  Paris  bruyant, 
Où  l'on  me  force  à  rester,  tout  le  jour,  ballant. 
Ballant  la  tête!... 

D'abord,  je  ne  suis  pas  très  fier, 
Mûiis,  je  vous  le  demande  un  peu,  de  quoi  ai-je  l'air?.  . 
J'ai  l'air  d'une  bête  ! 
Saluer,  d'un  geste  entendu. 
Des  gens  que  Ton  n'a  jamais  vus, 


LA   BONNE   ÉDUCATION  157 

Faire  ainsi  de  petits  signes  d'intelligence 
A  des  tas  de  passants  que  l'on  ne  connaît  pas... 

On  doit  me  prendre  pour  un  gaga, 
Et  j'en  rougis  jusqu'à  l'extrémité  de  mes  défenses  ! 

Et  puis  quelle  promiscuité  ! 
Nous  autres  éléphants  aimons  à  nous  abstraire  : 

Et  j'ai,  tout  juste,  à  mes  côtés, 

Un  chemin  de  fer  circulaire, 
Qui  tourne  constamment  avec  un  bruit  d'enfer  î 

Cela  s'aggrave  encor  de  boîtes  à  musique  ; 

Il  y  a  de  tous  les  métiers 

Dans  cette  boutique  : 
Balayeuses,  cireurs  de  bottes,  palefreniers, 

Qui,  pour  attirer  les  pratiques, 

Trémoussent  bras,  et  tête,  et  pieds  : 

C'est  une  agitation  folle,  — 
Même  un  lapin,  ridiculement  habillé, 
Un  pauvre  lapin,  qui  bat  du  tambour,  vous  croyez  î... 

Peut-être  se  trouve-t-il  drôle  ? 
Que  voulez-vous? —  Moi,  ça  me  fait  pitié  !... 


158  LA   BONNE   ÉDUCATION 

Mais  le  plus  affreux  de  l'affaire, 
Ce  senties  soldats  que  voici, 
Soldats  de  plomb,  soldats  de  bois  aussi, 
Qui  passent  le  temps  à  me  demander  mon  avis, 
Mon  avis  d'éléphant,  sur  la  suprématie 
Ou  du  pouvoir  civil,  ou  bien  du  militaire  ?  — 

—  Du  moins,  dis-je,  quand  vient  la  nuit, 
Tu  peux  sommeiller  ?  —  Vain  espoir  ! 
Elles  sont  là  toute  une  bande  de  toupies, 
En  forme  de  cœur  ou  de  poire. 
Qui  ronflent,  à  peine  endormie?...  — 

Emu  par  la  douleur  que  trahissaient  ces  mots, 
—  Viens  avec  moi,  repris-je  alors,  je  te  promets 
Que  jamais 
Je  ne  troublerai  ton  repos. 
Et  ne  te  secouerai  la  trompe  hors  de  propos.  — 

Mon  interlocuteur,  avec  reconnaissance, 
Accepte,  et  nous  montons  en  voiture  tous  deux  ; 
Je  b  laissais  dans  son  coin,  respectueux 
Dj  son  immobilité  et  de  son  silence  : 


LA   BONNE   ÉDUCATION  159 

Spontanément,  sa  tête  à  nouveau  se  balanco..? 

—  Est-ce  nerveux,  interrogé-je, 
)u,  habitué  au  mouvement,  aurais-tu  donc 

Une  crampe  dans  la  trompe  ? 
—  Tu  te  trompes, 
{épondit-il  ;  —  malgré  ma  fatigue,  n*empêclic 

Que  je  connais  les  usages  du  monde  ; 
legarde  à  la  portière,  ami,  et  rends-toi  comp le  :  — 


fn  convoi  déroulait  son  funèbre  coi'tège. 


LA  MAIN   LÉGÈRE 


Enfant  du  pays  toulousain, 
—  Compatriote,  donc,  de  notre  Armand  Silvcstro, 

Gomme  nous  le  savons  de  reste  : 
Violettes, 
Allées  Lafayette, 

Le  Gapitole,  Saint-Sernin,  — 

Enfant  de  Toulouse  aux  toits  roses. 
Un  apprenti  coiffeur  un  beau  matin  s'en  vint, 

Avec  son  noble  gagne-pain, 

(C'est  de  son  rasoir  que  je  cause), 

A  Paris  tenter  le  destin  : 

Il  faut  bien  faire  quelque  chose. 


102  LA   MAIN   LÉGÈRE 

C  nstatons,  aussitôt,  en  une  parenthèse, 

Constatons  quel  attrait  exerce, 

Malgré  les  campagnes  de  Presse, 

Et  l'intervention  de  Barrés,  — . 
Sur  tous  les  jeunes  gens  qui,  eux  aussi,  exercent. 
Quand  du  service  militaire  ils  sont  libérables, 

Une  industrie,  ou  un  commerce, 

Ou  une  profession  libérale. 
Constatons  quel  attrait  la  Capitale  exerce  ! 

Recommandé  par  Gailhard  et  Falguièro, 
Comme,  tout  naturellement, 
Aussi  par  Benjamin  Constant, 
Vous  pensez  que  notre  merlan 
Sans  place,  ici,  ne  chôma  guère  : 
Il  fut  engagé  sans  retard 
Par  un  coiffeur,  ami  justement  de  Gailhard  : 

LE   CHŒUR 

Tant  est  vrai  que,  si  sympathique, 
Il  ne  compte  que  des  amis, 
Le  directeur  de  notre  Académie 
Nationale  de  Musique  ! 


LA   MAIN    LÉGÈRE  IG. 

M.    GAILIIARD 

Oui,  c'est  vrai, et  moi  je  m'en  pique. 
Je  ne  compte  que  des  amis, 
Gai  directeur  de  votre  Académie 
Nationale  de  Musique  ! 

ENSEMBLE 

Tant  est  (  (  que,  si  sympathique, 

j  vrai  î 
Oui  c'est  (  (  et  moi  je  m'en  pique, 

11  ( 

j  ne  compte  que  des  amis, 

Je  ( 

Le    (  (  notre 

}  directeur  de  }  î  Académie 

Gai  '  (  votre 


Nationale  de  musique 


Grâce  à  cet  appui  sérieux, 
le  jeune  homme  connut  le  jeu  délicieux  : 

.^ans  souci  d'une  courtoisie  aux  vains  scrupules. 
Dire  au  premier  de  ces  Messieurs  : 

—  Si,  devant  une  friction.  Monsieur  recule, 
[Elle  prix  en  est  ridicule), 
Un  homme  averti  en  vaut  deux  : 


164  LA   MAIN   LÉGÈRE 

Vous  périrez  sous  le  poids  de  vos  pellicules  !  — 

Mais  surtout  il  eut  souhaité, 

Pour  le  plaisir  et  pour  la  gloire, 
D'acquérir  dans.Paris  une  notoriété 

Pour  l'extrême  légèreté 
Avec  laquelle  il  eût  su  guider  le  rasoir  : 

—  Connaissez-vous  cegarçonde  Toulouse  ? 
Nul  autre  n'a,  que  lui,  la  main  légère  et  douce...  - 

Et  Ton  en  parlerait  au  foyer  des  artistes  ; 

Et  Baptiste, 
A  l'office,  ferait  un  éloge  idolâtre  : 
II  aurait  à  gogo,  des  billets  de  théâtre, 
Et,  dans  les  bars  franco-russes,  il  irait  rouler 
Avecque  des  cochers  anglais. 

Voilà,  direz-vous,  des  aubaines 
Qui  valent  bien  que  Ton  se  donne  un  peu  de  peine 

Mais  notre  garçon  toulousain 
Entre  tous  était  un  malin  ; 
Sa  main 


LA   MAIN    LÉGÈRE  1G5 

Fit  très  rapidement  la  pige, 
Et  de  combien,  nn  vrai  prodige, 
A  la  main  de  tous  ses  confrères  : 

Car»  pour  l'avoir  plus  bondissante  et  plus  légère, 
Son  secret  tient  en  un  seul  mot, 
11  la  gantait  soigneusement  de  peau 

De  chevreau. 

Encor  fallait-il  y  songer... 


NOËL 


(Et  voici  la  petite  histoire 
De  Noël, 

Obligatoirement  annuelle, 
Annuellement  obligatoire:)   - 

Je  voudrais,  comme  au  temps  de  mes  jeunes  années, 

Mettre  au  coin  de  la  cheminée, 

Mettre  mes  souliers  pour  Noël  : 

Tant  de  joie  cela  me  rappelle, 

Noël  î 

Les  dragées  que  suçait  mon  enfance  gourmande. 

Très  lentement,  pour  en  croquer,  après,  l'amande; 

Et  les  bonbons  au  chocolat 


168  NOËL     . 

Dont,  hélas  î 

Nous  ne  sommes  pas  encore  las!  .. 

El  les  marrons  glacis,  les  gros  marrons  glaces, 

[«  Jamais  nous  n'aurons 

»  Assez 
i>  De  ces  bons  marrons 

»  Glacés!...  » 

(Camille  Doucet.)] 

Ahî  douce,  la  douce  surprise. 

Quand,  au  réveil,  encourait,  en  chemise, 

Nu-pieds,  et  battant  des  mains, 

Vers  les  souliers  qu'on  trouvait  pleins 

De  friandises!... 

Si  je  les  mettais  encore,  hein! 

Mes  souliers  près  de  la  bûche,  pour  demain; 

Mais  je  crains, 

Le  petit  Noël,  qu'il  se  fâche: 

—  Voyons,  Monsieur  Franc-Nohain, 

Vous  n'avez  pas  honte,  à  votre  âge  î 

Et  puis  mes  souliers,  maintenant, 
Naturellement, 


^ 


NOËL  169 

Comme  je  suis  devenu  grand, 

Ils  ont  grandi,  eux  aussi,  — 

(Pas  les  mêmes,  ceux  qu'aujourd'liui 

(.l'achète,  — ) 

Et  alors  je  réfléchis 

Que,  peut-être. 

Cette  prétention  serait  fort  indiscrète, 

Si  grands,  vouloir  qu'il  les  remplit... 

Eh  bien,  j'en  achèterai 

Exprès, 

Une  paire  de  tout  petits 

Dans  une  boutique  ; 

Et  je  les  ferai  bien  cirer, 

—  Ah  î  pas  une  tache  de  bouo, 
Surtout, 

Ni  poussière,  —  qu'ils  reluisent  à  s'y  mirer! 

—  Sans  quoi,  le  bon  Noël  pourrait 
Demander  d'un  ton  qui  se  pique: 

—  Ça,  mais. 

Croyez-vous  donc  qu'ainsi  je  brave  la  froidure 
Pour  venir  faire  vos  chaussures, 

10 


Î70  NOËL 

Est-ce  que  vous  me  prenez  pour  un  domestique?  ^ 

Ces  petits  souliers  tout  petits, 

Près  de  Tàtre  je  les  ai  mis, 

Et  tandis 

Que  mes  songes  heureux  sont  de  sucre  candi 

Et  de  chocolat  à  la  crème, 

Quelqu'un  s'approche  et  me  réveille, 

Et  qui  me  chuchote  à  l'oreille: 

C'est  Noël, 

Ignorant  démon  stratagème; 

—  Mon  pauvre  ami,  me  vient-il  dire, 

Avec  des  souliers  si  étroits 

Tu  dois 

Souffrir  un  horrible  martyre: 

(Moi,  du  moins,  c'est  pieds  nus  que  j'ai  porté  la  croix!) 

Prenis  cette  petite  bouteille. 
Et  tu  m'en  diras  des  nouvelles: 
Uses-en,  aussitôt  disparaîtra  ton  mal...  — 

Voilà  mon  conte  de  Noël; 


NOËL  171 

Mais  quant  au  nom  de  ce  remède  étrange, 

Je  ne  vous  le  puis  répéter, 

Car  le  petit  Noël  n'avait  pas  de  traite. 

De  traité  de  publicité 

Avec  les  éditions  de  la  revue  blanche     . 


LE  BUVEUR  IMPREVOYANT 


Les  voilà  bien  les  suites  de  l'orgie, 
L'orgie  romaine! 
Et  le  malheureux  geint  et  gît, 
(A  peine  a-t-il  figure  humaine). 
Il  geint  et  gît  le  triste  J.  ; 
—  L'initiale  du  nom  suffit. 

Car  inutile 
De  compromettre  la  famille;  — 
Il  geint  et  gît  le  triste  J.; 
Regarde,  cher  enfant,  regarde  et  réfléchis: 
Les  voilà  bien  les  suites  de  l'orgie. 
C'est  laque  mène 
L'usage  inconsidéré  de  ces  boissons  américaines. 

10. 


174  LE    BUVEUR   IMPRÉVOYANT 

Oh  !  rhorrible  cercle  de  fer 

Qui  casque  son  front  et  l'enserre! 

Le  bourdonnement  des  orei  c  \ 

Pareil 
Au  sourd  lamente  de  la  mer,  — 
Ses  oreilles,  ruches  d'abeilles,  — 

Oh!  la  forêt 
De  son  palais  î 

Mais  c'est  surtout  le  bruit  de  ces  voitures 
Qui,  dans  la  rue,  passent  sans  trêve,  passent  toujours: 

—  En  certains  cas,  mieux  vaut,  bien  sûr, 
Avoir  un  tranquille  petit  appartement  donnant  sur 
La  cour;  — • 

Et  les  voitures  roulent  toujours, 
Roulent,  roulent,  comme  en  sa  tête. 
Roulent,  roulent  sous  les  fenêtres 
(C'est  un  quartier  très  passager). 
Les  voitures  des  maraîchers, 
Et  du  Louvre,  et  du  Bon  Marche. 
Et  de  la  Samaritaine  (peut-être), 
Les  fiacres,  les  coupés  de  maître^ 


LE   BUVEUR   IMPRÉVOYANT  175 

Et,  pour  des  noces,  les  landaus: 
Mais,  c'est  son  crâne  qu'ils  piétinent,  tous  leurs  clicvaux! 
Où  faut, 
Où  faut-il  donc  que  ces  gens  aillent, 

Vers  quelles  besognes,  quelles  ripailles? 
Ah!  pourquoi  sont-ils  si  pressô.^!... 
Le  malheureux  va  trépasser: 
—  Un  peu  de  paille!... 

Par  grâce,  répandez,  Messieurs,  devant  le  seuil 
Que  peut-être  demain  franchira  mon  cercueil. 
Oh  !  par  pitié,  un  peu  de  paille  ! . . .  — 

La  paille,  la  paille  d'or!...  en  un  délire, 
Le  moribond  songe  aux  guérets. 
Où,  jeune  collégien,  il  courait, 
Quand  sa  tante  Clara  l'invitait  à  venir 
Dans  sa  propriété  des  environs  de  Guérot, 
(Creuse)  — 
—  C'est  là  que  s'écoula  son  enfance  heureuse.  — 

Temps  béni  où  les  bébés  portent  de  grands  cols. 
Et  ignorent  la  passion  funeste  des  alcools  ! 


17G  LE   BUVEUR    IMPRÉVOYANT 

A  cette  époque,  on  l'appelait  ïoto: 
il  attrapait  des  papillons,  et,  dans  l'éteuie, 
Cueillait  des  bleuets  bleus,  et  des  coquelicots,  — 
En  mettra-t-on,  demain,  autour  de  son  linceul  ?  — 

Paille  d'or,  près  de  la  ferme,  les  grandes  meules... 

La  ferme,  et  la  fermière...  il  rêve:  — 
Et  le  bon  lait  des  vaches  et  des  chèvres!... 
Fermière  aux  cheveux  blonds,  daigne  adoucir  ma  fièvre 
Et  m'apporte  un  peu,  rien  qu'un  peu 
De  ce  lait,  qui  calme  le  feu 
Qui  brûle  ma  gorge  et  mes  lèvres...  -^ 

L@  bon  lait  blanc,  la  paille  d'or,  les  bleuets  bleus... 

Soudain,  il  se  dresse  en  sursaut, 

Hagard,  et  balbutie  ces  mots, 
Les  yeux  fixes,  et  les  pupilles  dilatées  : 

—  Au  lieu  de  les  garder  plutôt, 
Pour  étouffer  le  bruit  des  roues  et  des  chevaux, 
Buveur  imprévoyant,  que  les  ai-je  jelé(^s, 

Les  pailles  de  mes  chalumeaux!...  — 


PETIT  POÈME  DIDACTIQUE 


Claretie, 
Ginisty,  — 
Ginistie, 
Giarety,  — 
Porel, 
Porel!... 

Ecrire  une  pièce  en  cinq  actes, 

Ou  simplement  en  quatre, 

Si  belle, 

Que,  suivant  de  Sarcey  les  sagaces  préceptes, 


178  PETIT    POEME    DIDACTIQUE 

J  il  mais  l'on  n'en  verrait  descendre  la  recette 
Au-dessous  de  sept  mille  ou  de  six  mille  sept. 
(Ce  qui  n'est  pas  à  dédaigner, 
Mazette!...) — 

Pouvoir  imaginer  des  dames  Lemeunicr, 

Qui,  de  leur  petit  nom,  s'appelassent  Georgctle;  — 

Allier,  en  quelque  spectacle  merveilleux,  — 

Il  ne  se  meublent  pas  de  vulgaire  pitchpin, 

Les  auteurs  de  Perlinpinpin...  — 

Allier  (dis-je)  en  quelque  spectacle  merveilleux, 

Les  charmes  de  l'esprit  et  le  plaisir  des  yeux, 

Lavedan, 

Et  Rostand,    - 

Rossedan, 

Lavetand,  — 

Brieux, 

Brieux! 

Et  ce  serait  la  vie  prestigieuse  des  coulisses  ;  - 
Chaque  soir,  applaudi  du  public  idolâtre, 
Etre  celui  que  salue  le  concierge  du  Ihûàlrc;  - 
Des  actrices,  vivre  avec  des  actrices! 


PETIT    POÈME    DIDACTIQUE  179 

(Des  actrices!...) 
Gonnaitre,  en  leur  intimité, 
Telles  femmes  de  rêve I  —  et  des  acteurs,  aussi. 
'Aller  fumer  des  cigarettes  chez  Guitry; 
Comme  parrain  être  choisi 
Pour  le  premier  bébé  de  Monsieur  Le  Bargy; 
l'U  goûter  cette  volupté 
De  tutoyer,  —  vous  m'entendez!  — 

Tutoyer  Coquelin  cadet! 

Mais  tant  d'obstacles  se  hérissent 
Devant  les  colonnes  Morris  ! 

Et  le  souci  poignant  d'une  indulgente  presse  i 

Que  faut-il  faire 

Pour  que  l'on  plaise 

Et  à  Mendès, 

EtàBcuer; 

Et  à  Sarccy,  et  à  Fouquier,  ces  maréchaux 

De  la  critique  dramatique  de  nos  journaux;  ^ 

Ah  !  satisfaire  aussi  les  feld- 

Maréchaur   — 


180  PETIT    POÈME   DIDACTIQUE 

Satisfaire  Lucien  Miihlfeld!... 

Car  le  plus  simple  vaudeville 

Apparaît  œuvre  à  composer  si  difficile! 

Et  d'abord  tous  les  personnages,  sur  la  scène, 

A  point  nommé,  quel  bon  vent  les  amène? 

Sachez  du  moins  le  procédé  subtil 

Grâce  auquel  il  n'est  pas  la  peine 

Ni  d'exposer,  ni  d'expliquer  pourquoi  ils  viennent  : 

On  prend  un  moulin  pour  décor,  — 

Endroit  où  chacun  vient,  endroit  d'où  chacun  sort, 

Sans  commentaire,  et  sans  chercher  de  raison  vaine  ; 

Le  mieux  est  une  pièce  où  les  gens  sont  muets, 

Et  doivent 

Se  contenter  d'éternuer,  — 

(Seul  le  souffleur,  sortant  parfois  de  son  orifice. 

Proclamerait:  Dieu  vous  bénisse!)  ~ 

Car  le  lieu  de  la  scène  est  un  moulin  à  poivre. 


CARNAVAL 


Le  Carnaval  agite  ses  grelots, 

Partout  souffle  un  vent  de  folio  ; 
Bannissons  la  mélancolie 
Bonne  aux  seuls  malades  et  aux 

sots,  — 
Ohé  !  Arlequins  et  Pierrots, 

Dominos, 
Et  Golombines,  et  Folies  :  — 

Le  Carnaval  agite  ses  grelots  ! 

Il 


182  CAnNAVAL 

Pour  célébrer  le  Carnaval, 
De  quel  joli  déguisement 
Vont-ils  parer,  les  bons  parents, 
Leur  petit  garçon  si  travailleur  et  si  intelligent. 
Espoir  du  collège  Chaptal  ? 

En  incroyable  ou  bien  en  page  ? 
Clown?  Postillon?  pas  davantage  ; 
Sera-ce  en  juge  ?  en  avocat  ? 
Pouah  ! 

Mais,  est-il  besoin  qu'on  le  dise, 
Vous  l'avez  deviné  et  vous  rendez  justice 
Au  choix  impérieux  dont  les  soucis  de  l'heure 
Expliquent 

La  haute  portée  patriotique  : 

Oui  !  que  le  cher  petit  sente  battre  son  cœur 
Sous  un  dolman  d'officier  supérieur 
De  notre  vaillante  armée  d'Afrique  ! 

Et  maintenant,  il  est  bon  qu'on  l'emmène, 
Pour  qu'on  l'admire,  chez  sa  marraine  ; 


CARNAVAL  183 

Car  vous  pensez  comme  la  bonne  dame  sera  fière, 
Surtout  d'apprendre  qu'en  chemin, 
Signe  des  temps,  en  voyant  ce  gamin, 
—  0  France,  de  ton  peuple  à  tort  on  désespère  !  — 
Un  conducteur  d'omnibus  lui  serra  la  main, 
Et  un  sergent  de  ville  répondit,  débonnaire, 
A  son  salut  militaire... 

—  Allons,  petit,  a  dit  la  lionne  dame, 

Allons! 
Il  faut  arroser  ces  galons  : 
Qu'une  liqueur  de  choix  élève  aussi  nos  âmes  î  — 

—  Attendez,  reprend  le  papa, 
Auparavant  il  vous  dira 

Sa  fable  : 
Commence,  et  ne  te  presse  pas  î  — 
Le  bambin  monte  sur  la  table; 

(  On  peut  penser  ce  quon  voudra 
De  la  personnalité  de  Déroulède, 
Mais  V austère  beauté  de  ses  «  Chants  du  Soldat  » 
Est  un  point  sur  lequel  il  faut  que  chacimcède.) 


184  CARNAVAL 

Le  petit  garçon  si  travailleur  et  si  intelligent 
A  récité  le  Vieux  Sergent  ! 

La  marraine,  en  transports  ravic^ 
S'écrie  : 

—  En  voilà  un  bon  Carnaval 

Que  je  n'oublierai  de  ma  vie  !...  — 
Et,  des  prunes  à  Teau-de-vie, 
Elle  va  chercher  le  bocal... 

Le  père  est  encor  tout  ému 
De  cette  chaude  poésie  ; 
Il  se  laisse  aller,  là-dessus, 
A  de  rapides  aperçus, 
Et,  tout  en  remplissant  les  verres,  il  confie 
Que  ce  qui  l'inquiète  le  plus 
C'est  Pa venir  de  nos  colonies  : 

—  La  France  est  toujours  le  pays 
De  la  bravoure  et  de  l'honneur. 
Mais  nous  n'avons  pas  le  génie. 
Le  génie  colonisateur. . . 


CARNAVAL  185 

La  Cliine  surtout,  cette  Chine 
Est  pour  notre  Tonkin  une  rude  voisine...  — 

Et  c'est  ainsi  que  par  de  constantes  leçons, 

Avec  un  ton  de  badinage, 
Les  pères  avisés  savent,  dès  le  jeune  âge, 
Mûrir  l'esprit  de  leurs  petits  garçons. 

—  Mais  il  convient  que  l'expansion  coloniale 
Ne  nous  fasse  oublier  les  prunes  du  bocal  ; 
Voyons  ces  excellentes  prunes?  — 

Disant  ces  mots,  il  en  prend  une 

Entre  ses  doigts, 
Puis  va  pour  la  mordre  :  mais  quoi. 
Quelle  singulière  amertume, 
Gliez  un  tel  fruit  hors  de  coutume  ? 

Les  prunes 
S'étaient  déguisées  en  chinois. 


LES  DRAMES   DE  L'AMOUR 


Je  revois  la  grande  salle  claire,  aux  carreaux  luisants, 
Les  rideaux  blancs. 
Et  la  table  de  bon  accueil, 
Les  chaises  de  paille,  le  fauteuil 
Pour  l'aïeul, 
Et  le  dressoir,  ignorant  de  l'orgueil 
Des  pesantes  argenteries, 
Rustique,  et  mettant  sa  seule 
Coquetterie 
A  la  gaîté  des  faïences  fleuries. 


188  LES    DRAMES    DE    L'aMOUR 

Combien  de  fois  les  admirai-je,  tout  petit, 

Les  tableaux  qu'en  homme  d'esprit, 
Simple  de  goûts,  mais  d'un  goût  sûr, 
L'aimable  maître  du  logis 
S'était  complu,  lui-même,  à  accrocher  aux  murs  :  — 

Un  pauvre  pêcheur  qui  a  pris 
En  guise  de  poisson  une  vieille  chaussure, 
(Le  désappointement  est  peint  sur  sa  figure  ;) 

Et  puis  deux  gros  curés  qui  jouent 
Au  piquet,  ou  bien  au  bésigue,  —  et  Ton  devine, 
Tant  l'artiste,  subtil,  sut  varier  leur  mine, 
Ou  joviale,  ou  bien  chagrine. 
Que  l'un,  en  inain,  n'a  rien  du  tout, 
Et  que  l'autre  a  tous  les  atouts  : 

Comme  art  d'expression,  la  peinture  est  divine  î 

Pourtant  plus  que  les  curés,  plus  que  le  pêcheur, 

Un  spectacle  me  tenait  au  cœur  ; 
Quand  j'arrivais  une  angoisse  étreignait  ma  gorge  : 
Tout  à  l'heure, 
Tout  à  l'heure,  quand  sonnera  l'heure, 
Le  petit  coq  sortira-t-il  encor  de  la  grande  horloge? 


LKS    DHAMES    DE    l'aMOUR  180 

c'était  cliaque  fois  allégresse  nouvelle, 
(uand  le  petit  coq  sortait  en  efTet,  battant  de  l'aile. 

Tant  d'heures  ainsi  il  m'a  chantées, 
Souriantes,  désenchantées, 
Berceuses  mélancoliques,  fanfares  d'éveil. 
Heures  de  pluie  et  de  soleil... 

Et  ce  fut  par  un  jour  d'été,  un  jour  chaud  d  orage  : 
La  fermière  du  voisinage, 
Rubiconde,  et  rond  le  corsage, 
Passait,  portant  dans  ses  paniers. 
Les  fruits  mûrs  de  ses  espaliers, 
Et  les  œufs,  et  le  bon  laitage,  — 
Et  surtout,  reine  du  marché, 
Que,  bien  sûr,  allaient  s'arracher 
Toutes  les  cuisinières  bourgeoises, 
Oh  !  l'exquise  petite  poule  cochinchindoise  !... 

—  Vous  vous  reposerez  un  brin, 
et  vous  goûterez  de  mon  vin, 
Allons,  sans  faire  de  manières... — 
Ce  n'est  pas  de  refus,  voisin, 
Dit  la  fermière. 

11. 


190  LES   DRAMES    DE    L'aMOUU 

Influence  mystérieuse  des  temps  d'orage... 

La  petite  poule  que  l'on  délaisse  dans  un  coin, 
Pourquoi  ?  mais  je  n'ai  pas  besoin 
De  vous  en  dire  davantage,  — 
—  Gott  î  cott  !  cott  !  —  a  chanté  la  petite  poulo, 

—  Gott!  cott  !  cott! — 
(Gar  c'est  ainsi  que  les  poules  roucoulent...) 

—  Gott  !  cott  !  cott  !  cott  !  —  entend  le  coq  ; 
Un  frisson  agite  son  être  : 

'Gette  voix. 
Il  l'entend,  c'est  certain,  pour  la  première  fois, 
Et  son  cœur  cependant  a  cru  la  reconnaître  : 

—  Poule,  poule,  il  faut  que  je  voie 
Ton  visage  cochinchinois  !  — 

Mais  quoi. 
Point  n'est  le  temps  encor  de  mettre, 
Hélas  !  le  bec  à  la  fenêtre  ; 
Gar  le  cadran  implacable  et  méthodique 

Indique 
Qu'il  n'est  pas  l'heure  de  chanter  : 
Il  reste  encor  à  patienter 


LEî!    DRAMES    DE    l'aMOUR  101 

Bien  des  minutes, 
Et  dans  la  boîte  il  faut  rester  ! 

—  Zut!  — 
Pense  à  part  lui,  très  irritât 

Le  petit  coq; 
(Oh!  toujours  ce  cott  î  cott!  cott!  cott!...) 

Influence  mystérieuse  des  jours  d'orage  : 
Rouge  de  désir  et  de  rage, 
Il  piétine  dans  les  rouages. 
Il  s*empétre, 
Il  fait  tant  et  si  bien  qu'à  la  fm  l'un  des  poids 
Choit 
Malheureusement  sur  sa  tête,  — 
Le  temps  qu'il  ne  trouvait,  à  venir,  assez  court. 
Amène  son  heure  dernière  : 

Il  ne  faut  pas  songer  à  l'amour 
Quand  on  a  des  occupations  régulières. 


L'ÉCONOMIE  MAL  ENTENDUE 


Suivant  les  strictes  leçons 
D'une  indispensable  hygiène, 
Un  cafetier,  sur  le  plancher  de  chêne 
De  son  débit  de  boissons, 
Faisait,  quatre  fois  la  semaine, 
Répandre  avec  parcimonie  un  peu  de  son  ; 

Je  dis  avec  parcimonie. 
Car  notre  débitant  poussait  l'économie 
Jusqu'aux  confins  de  l'avarice  la  plus  sordide 

Il  affectait  de  n'être  pas  Rothschild, 


194  l'économie  mal  entendue 

Aimait  à  répéter,  à  toute  occasion, 

Qu'il  faut  savoir  compter  en  tout. 

Que  cinq  centimes  font  un  sou, 
Et  que,  qui  veut  former  une  bonne  maison, 
Ne  doit  jamais  donner  un  sou  hors  de  saison  :  — 

Voilà  beaucoup  de  verbiage. 

Pour  rogner  sur  un  sou  de  son  • 

Mais  vous  pensez  avec  raison 
Que,  pour  le  reste,  il  n'était  point  prodigue  davantage. 

Et  mon  confrère,  monsieur  Ponchon, 

Eût  mal  apprécié,  je  gage, 
L'inquiétante  singularité  de  ses  breuvages  : 
Mais  ce  n'est  pas  de  cela  qu'il  est  question. 

Il  est  telles  prescriptions  hygiéniques 

Sur  la  propreté  des  planchers  des  lieux  publics, 

Pour  laquelle  les  règlements  de  la  police 

Exigent  de  petits  sacrifices  : 

Ce  n'est  pas  sans  nécessité. 
Car  les  buveurs  et  les  fumeurs  ont  usité 
De  semer,  insouciants  et  dédaigneux,  par  terre. 

Non  seulement  le  fond  de  leurs  verres. 


l'économie  mal  entendue  195 

Mais  des  humeurs,  de  menues  glaires, 
Ou  autres  mucosités, 
Et,  d'une  façon  générale,  tout  ce  qu'on  expectore, 

Sur  quoi,  sans  doute,  aurais-je  tort, 
Eu  égard  aux  frêles  lectrices,  d'insister. 

—  En  voulez-vous  du  son  à  bon  marché? 
Dit  un  jour  au  cafetier,  d'un  air  amène. 

Un  des  clients  auxquels  il  racontait  sa  peine. 

—  Pardieu,  répond  le  débitant,  chose  certaine. 

Vous  ne  m'en  verriez  point  fâché  !... 

—  Alors,  un  peu  de  pippermint, 

Et  demain 
Vous  en  aurez  un  panier  plein  !  — 
Le  débitant  sert  à  regret 
Le  pippermint  (pourtant  Dieu  sait, 
Et  chercher  à  le  deviner  est  inutile, 
De  quels  ingrédients  ce  breuvage  était  fait  !) 

—  Du  moins,  c'est  un  placement  de  père  de  famille  !.., 

Pensait-il, 
Pour  atténuer  sa  tristesse. 

Le  lendemain,  le  client  tenait  sa  promesse. 


196  l'économie  mal  ex  tendue 

—  Allons  !  dit,  en  donnant  le  panier  au  garçon, 
Le  patron, 
Répandez,  répandez  ce  son, 

Faites  largesse  ! . . .  — 
Soudain,  parmi  la  gent  qui  boit, 
Grand  émoi  : 
L'aimable  donateur  (qui,  sans  en  avoir  Tair, 
N'était  autre  qu'un  aide  de  Deibler), 
Avait  par  pure  inadvertance. 
Je  pense, 
A  moins  que  ce  ne  fût  par  manière  de  plaisanter, 
Laissé  dans  le  panier  la  tête  de  l'exécuté  ;  — 
Vous  devez  imaginer  celle 
Que  firent  les  consommateurs, 
En  voyant,  sous  leurs  pieds,  rouler  pareille  horreur 

Le  débitant,  confus,  perdit  sa  clientèle. 

La  prodigalité  ne  se  conseille  guère. 
Économisons  donc,  pour  quand  nous  serons  vieux  ; 
Mais  il  est  un  juste  milieu. 
Et  des  dépenses  qu'il  faut  savoir  faire. 


BERCEUSE 


Les  employés 

Ministériels 

Ont  dû  retirer  leurs  gilets, 

Tellement  ils  étaient  mouillés. 

Leurs  moites  gilets  de  flanelle  ; 

Et  maintenant  les  employés  ministérieja 

Dorment  accablés 

Par  la  canicule, 

Sur  l'ébauche  interrompue  de  leurs  majuscules, 

Entre  le  point 

Et  la  virgule  : 

A  poings 

Fermés, 

Dormez,  dormez  ! 


198  BERCEUSE 

Dormez,  dormez,  ô  directeur, 

Sous-directeur, 

Chef  de  bureau  ; 

Et  toi,  sous-chcf, 

Sur  ton  bureau, 

Une  torpeur 

Courbe  ton  chef: 

Quelle  chaleur. 

Ah  !  Messeigneurs  ! 

Sous-chef,  et  chef. 

Sous-directeur, 

Et  directeur,  —  dormez,  dornioz, 

A  poings  fermés  ! 

Et  vous,  employés  subalternes, 
—  Il  fait  si  chaud 
Dans  ce  bureau  !...  — 
Vous  délaissez  vos  dominos, 
Et  le  loto. 

Ternes,  quaternes... 
Cherchez  des  poses 
Confortables  : 


BERCEUSE  199 


Que  sur  la  tablo 

Vos  pieds  so  posent  : 

Et  si  jamais  un  contribualjle 

Venait  demander  quelque  chose  ; 

Dormez,  dormez, 

A  poings  fermés  —  bureaux  fermes! 

Les  bureaux  ronflent  et  transpirent 

Gomme  à  plaisir. 

C'est  un  plaisir! 

Et  faut-il  dire 

En  quels  aimables  déshabillc's, 

Quelle  simplicité  exquise. 

Avec  un  abandon  de  mise 

Elégant,  et  si  familier. 

Ils  reposent,  nos  employés, 

Sur  la  chemise 

D'un  dossier 

Appuyant  leurs  bras  de  chemise  ! 

Les  bureaux  ronflent  et  transpirent  : 

Allons  !  la  France  peut  dormir  ! 

J'ai  rêvé  d'un  démon  espiègle, 


200  BERCEUSE 

Par  qui, 

Pendant  cent  jours,  pendant  cent  nuits, 

Pendant  des  années,  et  des  siècles. 

Les  ministères  demeureraient  ainsi 

Endormis: 

La  République  aurait  sombré,  les  fleurs  de  lis, 
Ecloses  à  nouveau,  auraient  fait  place  aux  aiglco; 

Puis  quand  un'^  fée  bienfaisante 

Les  aurait  réveillés,  les  employés  ministériels. 

Ils  recommenceraient  leurs  besognes  habituelles, 

Iraient  émarger 

Au  Budget, 

Et  sans  que  nul  trouvât  la  chose  extravagante. 

Pleins  d'un  pareil  respect  des  délais  nécessaires, 

Ils  reprendraient,  comme  naguère, 

Au  même  point,  Texpédition  des  mêmes  affaires 

Courantes, 


LE  RÉMOULEUR 


—  Kx,  Kx,  Kx,  Kx, 
Kz,  Kz,  Kz,  Kz,  — 

Et,  penché  sur  la  roue  de  pierre, 

Le  brave  rémouleur  aiguise  les  couteaux. 

Les  ciseaux. 
Et  autres  instruments  ou  d'acier  ou  de  fer  : 

Jenny,  jeune  et  chaste  ouvrière, 
Suivez  le  sage  avis  de  votre  pauvre  mère; 
Des  vieux  messieurs,  ornés  de  manteaux  de  fourrure, 
Repoussez,  enfant  calme  et  fière. 


202  LE   RÉMOULEUR 

Repoussez  cadeaux  et  parures, 

Et  l'offre 
D'une  promenade  en  voiture,  — 
Même  si,  à  couper  l'étoffe 

Trop  dure, 
Vos  ciseaux  se  sont  émoussés,  — 

Repoussez, 
Repoussez  les  tentateurs  subtils,  et  restez  pure: 
Le  boa  rémouleur  va  passer, 
Qui  vos  ciseaux  peut  repasser. 

Mais  hâte-toi,  hàte-toi,  rémouleur, 
Car  les  Dubois  te  mandaient  tout  à  l'iieure. 

—  Les  Dubois,  ce  soir,  n'ont-ils  pas, 
Pour  quelque  anniversaire  un  dîner  de  gala?  — 

Or,  un  chacun  reconnaît,  certe. 
Que  Madame  Dubois  sait,  d'une  main  experte. 

Découper  gigot  ou  canard  ; 
(Monsieur  Dubois,  échanson  jovial,  remplit  les  coupes, 
Mais  c'est  toujours  Madame  qui  découpe  ;) 

Découper  comme  elle  est  un  art  : 

Que  l'on  soit  sept,  ou  bien  dix-sept, 


LE    RKMOULEUR  203 

Elle  taille  à  chacun  sa  part, 
Négligemment,  au  bout  de  sa  fourchette  ! 
Seulement,  pour  ce  faire,  il  faut. 
Un  couteau  qui  coupe,  et  non  pas 
Un  couteau  qui  ne  coupe  pas  :  / 

Et  justement  le  beau  couteau, 
(Celui  du  beau  service,  de  la  corbeille  de  mariage), 
Fait  l'admiration  des  gens 
Avec  son  manche  en  vieil  argent, — 
Mais  il  n'en  coupe  pas  davantage  ; 
Il  faut  affiler  son  tranchant, 
Allons,  rémouleur,  à  l'ouvrage!... 

Et  cependant,  vaillant  artisan,  je  devine 
Que  tu  t'attristeras  à  ce  couteau  banal, 

Toi,  dont  le  ruban  colonial 
Si  noblement  décore  la  poitrine  : 

Oui,  ton  cœur  de  guerrier  se  cabre, 
A  ne  fourbir,  hélas  î  que  des  armes  de  paix  ; 

Ah  î  des  baïonnettes,  des  sabres  !... 

On  a  beau  n'en  parler  jamais, 
11  y  pense  toujours,  le  rémouleur  français  : 


204  LE   RÉMOULEUR 

Lorraine,  Alsace... 
Mais  il  suffit,  passons  —  et  toi,  repasse! 
Puis  un  jour  vint,  jour  regrettable. 
Où  le  simple  couteau  de  table 
Ou  de  cuisine, 
Dont  l'honnête  rémouleur,  pour  quelques  centimes, 
Avait,  inconscient,  fait  tranchante  la  lame, 

Dans  le  sein  d'une  vieille  dame, 
Fut  plongé  soudain  par  une  main  assassine  : 

Et  le  rémouleur,  depuis  lors, 
Répugne  à  toute  lame,  instrument  de  la  mort  ; 
Avec  le  même  sifflement  sourd. 
Près  des  squares  ou  dans  les  cours, 
Sa  roue  pourtant  tourne  toujours. 

—  Kz,  Kz,  Kz,  Kz,  — 

Et  des  nourrices  sont  autour  : 

Car  s'il  tourne  toujours  la  roue. 
C'est  pour  que  les  bébés  que  portent  les  nounous, 
Cédant  au  bruit  qui  les  incite,  — 


LE    RÉMOULEUR  205 

Kz,  kz,  kz,  kz, 
Kx,  kx,  kx,  kx,  — 

Se  décident,  sans  hésiter, 
—  Vite,  allons,  vite  î  — 
A  satisfaire  à  la  nécessité  de  leurs  petites 
Nécessités. 


12 


LE  PHOQUE 


J'ignore  si  la  sympathie  est  réciproque, 
Mais  j'eus  toujours  beaucoup  d'amitié  pour  les  phoques: 
Ils  ont  de  si  belles  moustaches  ! 
Ce  ne  sont  pas,  à  parler  proprement, 
(Sot  qui  s'en  fâche  !) 
Des  animaux  d'appartement; 
Mais  s'ils  sont  tels  appaiemment, 

Les  phoques, 
Après  tout,  ce  n'est  pas  leur  faute, 
Et  l'on  ne  peut  trouver  mauvais 
QuMls  préfèrent  rester  dans  l'eau,  prendre  le  frais. 
Au  lieu  de  perdre  un  temps  qui  passe,  hélas  !  si  vile, 
A  s'en  aller  de-ci,de-là,  faire  des  visites. 


208  LE   PHOQUE 

C'est  donc  par  un  très  grand  hasard 

Que  j'en  rencontrai  un  qui  sortait  de  la  gare 

(Gomme  vous.pensez)  Saint-Lazare. 

Le  bon  phoque  soufflait,  soufflait, 
Tout  ainsi  que,  d'après  la  fable, 
Quand  le  bon  saint  Eloi  forgeait, 

Soufflait 
Son  fils,  dont  le  nom  m'échappo. 

—  Ouais! 
Souffler,  monsieur,  n'est  pas  jouer... 
Me  prévint-il  avec  une  infinie  mélancolie, 
Gomme  près  de  moi  je  l'appelais  : 
—  L'heure,  pour  badiner,  serait  trop  mal  choisie, 
Car,  las  !  vous  nous  voyez,  passez  l'expression, 
Dans  une  foutue  situation...  — 

—  Qu'y  a-t-il,  Phoque,  qu'y  a-t-il  ?...  — . 
lasistai-je  aussitôt,  anxieux  et  fébrile. 

—  Quoi,  vous  ne  savez  pas  qu'une  mode  barcqiio 
Et  moins  baroque  que  barbare, 


LE   PHOQUE  209 

Dont  toute  ma  race  se  marre, 
A  décrété  que  cet  hiver  le  monde  smart 
Se  vêtirait  de  vêtements  de  peau  de  phoque  ? 

Ah  !  nous  vivons  dans  une  époque 
Triste!...— 

—Voyons!  et  si  vous  intriguiez  près  des  ministres?...— 
Répartis-je,  voulant  remonter  le  moral 

De  ce  malheureux  animal  : 

—  Vous  pourriez  tenter  un  effort  ; 
Je  ne  vous  dirai  pas  d'aller  voir  Félix  Faure  : 
Il  est  très  occupé  avec  sa  Toison  d'Or, 
AcTheure; 

Et  puis,  de  vous  à  moi,  il  faut, 
Dien  qu'à  coup  sûr  ça  ne  soit  pas  un  déshonneur, 

Eviter  de  parler  de  peau 

Dedans  la  maison  d'un  tanneur. 

Et  même  d'un  ancien  tanneur. 

liais,  chez  Monsieur  Gharle  Dupuy,  à  la  bonne  heure  ! 
Oui,  ce  Président  du  Conseil 
Est  un  homme  de  bon  conseil  ; 

12. 


210  LE    PHOQUE 

Cher  Phoque,  allons,  montrez-vous  ['lus  allègre. 

Un  peu  de  cœur,  et,  pas  de  trac  : 
Espérez  dans  Taménilé  de  Monsieur  Leygucs, 

Vous  connaissez  bien  Lintilhac  ?... 

Mais,  au  demeurant,  j'imagine 

Que  c'est  surtout  M.  Lockroy 
Qui  vous  doit  protéger  ;  j'irais  chez  lui  tout  droit. 
Car  les  phoques,  c'est  bien  encor  de  la  marine...  - 

Mais  le  Phoque,  des  larmes  pleins  les  yeux, 

Et  qui  soufflait  avec  effort  : 
—  Hélas!  dit-il,  comment  tous  ces  messieurs 
Daigneraient-ils  s'intéresser  à  notre  sort? 

Sans  aide,  sans  protection, 
Contre  l'adversité  il  nous  faut  nous  débattre  : 
Ainsi  nous  condamna  la  nature  marâtre, 

Les  Phoques  n'ont  pas  le  bras  long.  — 


FUMÉES 


Fumée  blonde, 

Qui  vagabondes 

Vers  les  nuages  là-bas, là-bas, 

0  fumée  blonde,  n'es-tu  pas 

Tout  ce  qui  reste  du  tabac, 

—  Tant  de  tabac,  tant  de  tabac!   — 
Que  nos  ministrables  fumèrent, 

—  Méline  :  limonade,  orgeat, 
Ou  bière  ?  — 

Lorsqu'ils  s'ingéniaient  à  former  un  ministère. 


Les  hommes  d'Etat  fument  des  cigares  énormes. 


212  FUMÉES 

Maquignonnages  éhontôs, 
Trafics,  compromissions  louches, 
Les  sénateurs  ont  à  la  bouche 
Des  cigares  de  députés  ; 

—  Je  recommande  à  votre  choix 
Cette  boîte,  mon  cher  Bourgeois  : 
Je  fis  sécher  ces  petits  Glay 

Dans  les  greniers  du  quai  d'Orsay.  — 

Trafics,  compromissions  louches... 

Et  cependant  tes  destinées 

S'agitent  parmi  ces  fumées, 

0  France,  ô  chère  France  démocratique: 

Ribot,  Peytral,  ou  Gavaignac, 

C'est  en  fumant  de  bon  tabac 

Qu'on  fait  de  bonne  politique 

Les  hommes  d'État  fument  des  cigares  énormes, 
(Et  des  cigarettes,  aussi.) 

—  Je  dis, 


I 


FUMÉES  213 

Je  dis  (passez-moi  donc  la  boîte  : 

Merci  !) 

Qu'il  faut  répudier  tout  pacte  avec  la  droite. 

—  Quelle  attitude  auront  Drumont  et  ses  amis? 

—  A  la  combinaison  je  ne  vois  qu'un  écueil, 
C'est  l'attribution  des  divers  portefeuilles  ; 
Voulez-vous  de  papier  me  passer  une  feuil'e  ? 
Je  ne  saurais,  mon  cher,  fumer  ces  cigarettes, 
Vos  cigarettes  toutes  faites... 

—  Vous  êtes 

Un  vrai  fumeur...  —  Et,  croyez  bien, 
Un  sincère  républicain  ;  — 

—  Rien  ne  vaut  notre  caporal  !  — 

—  Reste  à  envisager  la  question  fiscale... 

—  Qui  sait  ce  que  sera  la  France  de  demain  ? — 

—  Voulez- vous  de  ces  cigarettes  à  la  main  ? 

—  Merci,  je  préfère  un  havane... 

—  En  voici  des  plus  secs,  et  craquant  à  ravir  ...  — 

—  Du  vizir?...  — 

—  Il  convient  d'appliquer  ce  tarif  aux  douanes...  — 

Et  voilà  votre  emploi,  fumées 


L'14  FUMÉES 

Embaumées, 

Qu'aspirent  les  Trouillot,  les  Dujardin-Beaumctz  : 

En  fumant  d'énormes  cigares, 

Ce  que  tous  ces  gens-là  supputent,  et  discutent, 

Et  suivent  parmi  les  caprices  de  vos  volutes, 

Ce  n'est  pas  un  problème  d'art  ; 

Ce  n'est  pas  une  femme,  ou  rousse,  ou  brune,  ou  blonde 

Qu'enveloppent  pour  eux  vos  spirales  vagabondes  ; 

—  Ou  si,  du  moins,  béats,  ils  ne  songeaient  à  rien  î  — 

Mais  non,  ils  songent  à  Sarrien; 

Et  leurs  brevas 

Rêvent  à 

Des  sous-secrétariats 

D'Etat: 

Pouah  ! 

Et  si  vous  saviez,  cependant, 

Combien  celui  qui  ramassera,  mélancolique,  — 

(C'est 

Peut-être  un  ancien  sous-préfet  ;)  — 


iuMi;;i:s  215 

Tous  vos  mégots,  tant  de  mégots,  ô  Politiques  : 

Si  vous  saviez,  —  vous  le  savez,  pourtant,  — 

Ce  qu'Use  fiche,  ou,  plus  exactement,  ce  qu'il  se  fout 

Que  votre  ministère  soit  homogène, 

Radical  ou  de  concentration  républicaine, 

Ou  rien  du  tout  !... 


SON  IMAGE 


Qui  sait  pour  quel  anniversaire. 
Ce  portrait,  quand  le  fit-il  faire,  — 
(Et  puis,  si  l'on  vient  à  mourir, 
Il  reste,  au  moins,  un  souvenir...)  — 
Qui  sait,  pour  quel  anniversaire, 
Et  par 
Quel  photographe  de  Montélimar  ? 

Et  le  photographe  avait  dit  : 
—  Souriez  !  —  il  avait  souri. 
Bonhomme,  une  main  dans  la  poche, 
Et  en  tournant  la  tête  à  gauche  : 

13 


218  SON   IMAGE 

( —  S:  seulement  vous  m'aviez  écoule,  vilain  mari. 

Et  mis 

Votre  belle  redingote!...) 

Je  songe,  cependant,  à  ses  portraits  anciens, 

Celui  en  petit  collégien. 

Bien  sûr  un  daguerréotype, 

Et  le  portrait  pour  la  première  communion, 

Quand  il  avait  des  cheveux  blonds. 

Et  qu'il  chantait,  de  sa  voix  frélC;  des  cantiques... 

Plus  tard  aussi,  jeune  avocat, 

L'œil  vif  et  la  moustache  retroussée, 

Dons  un  cadre  en  peluche  grenat. 

Le  beau  portrait  qu'il  apporta, 

Tout  palpitant,  un  soir  d'avril,  à  sa  fiancée... 

Tous,  dans  l'album  de  la  famille, 

Près  de  l'oncle,  en  lieutenant  de  la  garde  impériale. 

Et  de  grand'mère,  avec  son  châle, 

Du  temps  qu'elle  était  jeune  fille  — 

Ah  !  comme  on  les  laissait  tranquilles  ! 


SON   IMAGE  219 

Portraits  discrets,  et  qu'on  ne  regardait 

Qu'à  la  campagne,  Taprès-midi,  quand  il  pleuvait... 

Maintenant,  jusqu'au  fond  de  villages  obscurs, 
Des  côtes  delà  Manche  à  la  Côte  d'Azur, 
Ses  traits  resplendiront  aux  murs  ! 

ENSEMBLE 

A  l'auberge,  à  côté  des  règles 
Du  jeu  de  la  poule  au  billard, 
Sourira  le  portrait  de  l'aigle 
Du  barreau  de  Montélimar, 

De  l'aigle 
Du  barreau  de  Montélimar  ! 

Et  aussi,  dans  la  clarté  éblouissante  des  vitrines, 
Avec  les  souverains  d'Europe, 
Le  voici  partout  qui  voisine. 

Un  peu  gèaé,  tout  de  même,  de  sa  redingote. 

Qu'en  pensera 
Victoria? 


220  SON    IMAGE 

Qu'en  dira  le  prince  de  Galles  ? 

Comment  l'appréciera  le  roi  de  Portugal  ? 

Est-ce  que  le  prince  Bulgare 

Ne  lui  lance  pas  des  regards 

De  travers? 

Et  pourquoi  fronce-t-il  ainsi 

Les  sourcils, 

Silencieux,  le  roi  Humbert  ? 

Mais  surtout,  c'est  décourageant, 

Ah  !si 

Si  l'empereur  de  la  Russie 

Allait  trouver,  en  voyant  sa  photographie, 

Qu'il  n'a  pas  l'air  suffisamment  intelligent... 

Et  ce  sont  aussi  toutes  les  petites  actrices 

Qui  lui  glissent, 

A  côté,  leurs  yeux  en  coulisse  : 

Célébrités  de  l'Opéra, 

(Rats), 

Prêtes  à  tous  les  sacrifices  : 

Les  dames  des  Français  ne  font  semblant  de  rien, 


SON   IMAGE  221 

Mais  n'oublions 

Pas  rOdéon, 

Car  il  faut  que  nous  montrions 

Que  nous  sommes  bien  parisiens,  — 

Il  faut  être  bien  parisiens,  — 

Et  peut-être  y  en  a-t-il  qui  regrettent  T AUTRE... 
(Pourquoi  n'a-t-il  pas  mis  sa  belle  redingote  !) 

Mais  de  cet  autre  les  brillantes  photographies, 
Peu  à  peu,  disparaîtront  ; 
Elles  s'en  iront,  c'est  la  vie, 
Dans  la  poussière  des  cartons, 
Suivant  la  fortune  commune, 

Vers  l'éternel  oubli,  où  vonl 
Les  rois  de  toutes  nations, 
Les  Grévy,  et  les  Mac-Mahon 

Gomme  les  lunes. 


LA  VIERGE  AUX  BOUGIES 


Bonne  Madame  du  Quinze  Août, 

Voici  des  bougies  d'un  sou, 

Et  de  deux  sous, 

(La  dépense  n'est  rien,  l'intention  failtout,) 

Et  de  trois,  et  de  quatre  sous  •. 

Entendez-nous,  exaucez-nous, 

Bonne  iMadanae  du  Quinze  Août  ! 

Et  les  dévots  et  les  dévotes  ont  demande 

Des  tas  de  choses, 

Et  la  richesse,  et  la  santé, 

Un  bébé  rose  : 

Nous  avons  tous  à  demander 

Tant  de  choses,  oh  !  tant  de  choses  .. 


224  LA   VIERGE   AUX   BOUGIES 

Et  puis  voici  partis  et  les  dévots  et  lesdévotes, 

—  Des  cantiques  au  loin  meurt  la  dernière  note,  — 
Avec  les  bougies  qui  clignotent 

La  Bonne  Vierge  est  restée  seule  dans  sa  grotte. 

Alors,  à  demi-voix  :  —  Vite,  dit-elle, 

Eteignons  toutes  ces  chandelles! 

Devant  ces  bravesgens,  je  n'ai  pas  \oulu, 

Bien  entendu, 

Pour  ne  pas  leur  faire  de  peine  ; 

Mais  maintenant  il  ne  faut  plus 

Qu'ici  viennent  brûler  leurs  ailes 

Les  papillons  hurluberlus 

Et  les  innocentes  phalènes  : 

D'ailleurs,  cette  lumière  crue 

Finit  par  fatiguer  la  vue  ; 

Allons,  vite,  soufflons  dessus, 

Et  que  l'ombre  calme  revienne...  — 

Et  maintenant  dans  l'ombre  calme, 

—  Les  grands  arbres  lentement  balancent  leur  palme 
Plus  de  bougies  dont  s'indispose  ou  se  couirouce 


LA  VIERGE   AUX    BOUGIJlS  225 


La  bonne  Madame  Marie  ; 

Plus  rien  que  deux  pclitcs  flammes 

Si  pures,  si  douces  : 

Ce  sont  les  yeux  de  mon  amie 
Qui  se  reflètent  dans  la  source. 


13. 


LE  PETIT  VOYANT  DE  POCHE 
POUR  L'ANNÉE  1899 


Approchez,  —  merveille,  merveille  î 
Approchez,  que  nous  vous  disions, 
Vous  disions  et  vous  prédisions 
Des  nouvelles  pour  Tan  nouvel,  — 
Que  nous  vous  donnions  nos  tuyaux 
Dedans  le  tuyau 
De  l'oreille  ;  — 
Approchez,  —  merveille,  merveille  ! 

La  France  court  un  grand  danger, 
|je  mécanisme  est  dérangé, 


228   LE  PETIT  VOYANT  DE  POCHE  POUR  L'ANNÉE  1899 

Mais  il  pourra  se  rarranger, 

—  Ou  bien  avant,  ou  bien  après,  — 

II  ne  faut  pas  désespérer  : 

Les  bons  Français  doivent  songer, 

Songer  aux  yeux  de  l'étranger,  — 

Je  vois  les  yeux  de  Uétrangei^  — 

Songer  : 

Ça  va  peut-être  s'arranger. 

Des  bruits  de  guerre  au  printemps,  — 

Honneur  et  gloire, 

Rantanplan. 

Gloire  et  victoire, 

Rantanplanplan,  — 

Des  bruits  de  guerre  au  printemps,' 

Songer  : 

Ça  va  peut-être  s'arranger. 

Des  ministères 
Fichus  par  terre,  — 
Concentration  et  mystère  ;  — 


LE    PETIT  VOYANT  DE   POCHE  POUR  L*ANNÉE  1899      229 

Voici  venir  un  homme  noir 

Qui  prend  les  rênes  du  pouvoir: 

D'ailleurs,  on  ne  peut  pas  savoir. 

Songer  : 

Ça  va  peut-être  s'arranger. 

Une  ligue, 
—  Le  tocsin  !  — 
Moitié  figue, 
Et  raisin,  — 
Une  ligue, 
Une  intrigue. 
Une  brigue,  — 
Et  la  fin  ! 

Des  coupables  condamnés. 
Des  prévenus  disculpés. 
Et  puis  on  nous  tout  la  paix  • 

Songer  : 

Ça  va  peut-être  s'arranger. 


230   LE  PETIT  VOYANT  DE  POCHE  POUR  l'aNNÉE  1899 

Un  crime  horrible  commis 

Aux  environs  de  Paris  ;  — 

Un  terrible  accident  de  voitures  automobiles, 

La  malveillance  est  le  mobile  : 

Des  piétons  renversés, 

Des  becs  de  gaz  cassés, 

Des  journalistes  écrasés,  — 

Bouillie 

De  pauvres  sergents  de  ville. 

Je  vois  une  famille  entière  empoisonnée 
Par  l'usage  des  champignons  ; 
Le  père,  la  mère,  et  quatre  petits  garçons, 
Et  Toncle  qu'on  avait  invité  à  cette  occasion  : 
On  ne  sauvera  que  la  fille  aînée. 

Songer: 

Ça  va  peut-être  s'arranger. 

Des  palais  sont  construitsi, 
Les  peuples  réunis. 

Des  pièces  sont  représentées. 


LE  PETIT  VOYANT   DE  l'uCIiE  POUR  l'aNNÉE   1899      231 

Et  diversement  goûtées 
Par  l'honorable  société. 
(Des  romans  sont  peu  lus, 
Des  poèmes,  non  plus.) 


Une  extension  sans  égaie 

Est  donnée  à  notre  expansion  coloniale 

Notre  extension  coloniale, 

Prend  une  expansion  sans  égale 

Des  préfets  sont  misa  pié 
Dans  différentes  local i( es. 

Le  sang  a  coulé, 
Le  feu  a  brûlé, 
La  foudre  a  gronda 
L'eau  a  inondé,  — 

Songer  : 

Ça  va  peut-être  s'arranger. 

(Et  puis  je  dis  ça  comme  je  dirais  autre  chose.) 


TABLE    DES    MATIÈRES 


PaRes 

Lettre  ouverte  à  monsieur  Noblemairc  .  -. VI 

Sonnet IX 

Prélude 1 

La  locomotive  regarde  une  vache  en  passant 4 

L'àme  des  chefs  de  gare 7 

Le  tunnel 9 

Dans  le  petit  jardin  du  garde  barrière 12 

Les  gants  du  contrôleur 15 

Nous  déjeunerons  dans  le  train 17 

Des  délégations  attendent  M.  Félix  Faure  à  la  yai  c 20 

Romance  du  gendarme 22 

Nocturne 25 

Lampisterie c 28 

Parallèlement 30 

Les  poules  en  voyage 32 

La  protestation  des  pendules 34 

Les  chiens 37 

Postes 39 


234  TABLE    DES   MATIÈRES 

Ronde  des  départs 43 

Leçon  de  lecture 45 

L'éléphant , 47 

Passaj^c  à  niveau 51 

Le  visiteur 55 

Bagages 57 

Signal  d'alarme 60 

Le  temps  des  bouillottes 62 

Confidences C5 

Simple  légende 68 

La  dernière  ronde 71 

PARTIE   ANECDOTrnUE 

Avertissement  pour  la  2»  partie 76 

L'âne  bleu 77 

Le  spadassin  et  l'horloger 79 

Sur  le  tapis ^ 81 

Le  petit  malpropre 87 

La  ménagerie  amoureuse 01 

Le  remède  inattendu 07 

Ingénieuse  réponse  d'un  jeune  garron 101 

Le  fiacre  d'Eulalie 105 

Les  épingles 111 

Papier  buvard 1 17 

Les  champignons 123 

Les  horlogers '. 127 

Gants 133 

Touchante  attention  de  M.  Durand ,    139 

La  fraude  déjouée »  s  > . . .  145 

Le  marteau c 151 

La  bonne  éducation r  . . . . .  155 

La  main  légère 161 

Noël 167 

Le  buveur  imprévoyant 173 

Petit  poème  didactique. . .  ' .  177 


TAI3LE    DES   MATIÈRES  235 

Carnaval 181 

Les  drames  de  l'amour 187 

L'économie  mal  entendue. 193 

Berceuse 197 

Le  rémouleur 201 

Le  phoque 207 

Fumées 211 

Son  image 217 

La  vierge  aux  bougies 223 

Le  petit  voyant  de  poche  pour  l'annce  1899 227 


Typ.  et  Sleréotyp.  A.  J.a  ustk  et  L.  Bouchardeau.  A.  Mellottée,  successeur. 


1127   4 


'  W#V 


PQ  Le  Grand,  Maurice 

2623      Les  chansons  des  tredns 

S415C4.  ©t  des  gares 

1900 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


J-