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Full text of "Les dialogues de Jacques Tahureau, gentilhomme du Mans"

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U  dVcf  OTTAWA 
39003002313357 


DIALOGUES    DE    TAHUREAU. 


LYON 

IMPRIMERIE      DE      aIf.      LOUIS     PERRIN     ET     MARINET 


LES 


DIALOGUES 


JACQJJES   TAHUREAU 

GENTILHOMME     DU    MANS, 

Avec  Notice  &  Index 

PAR 

F.    CONSCIENCE. 


ALPHONSE    LEMERRE,    ÉDITEUR, 
47,  paffage  Choifeul,  47. 


M.   D.   CGC.    L  X  X. 


BIBLIOTHECA 


/ 103 


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NOTICE 


ES  Dialogues  de  Tahureau,  clajje's  dans  les 
aiivres  des  conteurs  du  XW  Jîècle,  doi- 
vent être  bien  plurct  rangés  parmi  les 
dialogues  fatiriques  qui  furent  écrits  à 
cette  époque.  Quoique  la  plupart  de  ces  ouvrages  aient 
un  caradère  politique  comme  les  Deux  Dialogues  du 
langage  françois  italianizé ,  le  Réveil-Matin  &  le  Miroir 
des  François,  le  Dialogue  du  Maheuftre  &.  du  Manant  6- 
le  Baron  de  Fœnefle,  ils  offrent  tous  la  même  Jlruéiure 
Le  perjonnage  principal,  efprit  fceptique  &  rigide,  en 
révolte  ouverte  contre  les  préjugés  &  les  calculs  mon- 
dains. Je  fait  un  jeu  de  railler  les  fots  &  de  démaf- 
quer  les  ambitieux.  Il  porte  un  nom  bi-[arre,  tiré  du 
grec,  Démocritic,  Celtophile,  Aiythie,  Enay,  exprimant 
le  mépris  de  la  foule,  l'amour  du  pays  &  la  haine  du 
menfonge;  mais   il  emploie  une  langue  claire ,  vivace 


&  merveilleujement  propre  à  la  fatire,  dont  le  modèle 
eji  pour  nous  la  Satire  Me'nippée.  Au  milieu  d'une 
fociété  abaijfe'e,  l'auteur  parle  en  homme  droit.  Il 
protefle  quand  tous  s'inclinent  ou  rejient  indifférents. 
De  tous  les  ouvrages  cités  plus  haut,  les  Dialogues 
de  Tahureaujont  les  premiers  en  date.  Ils  ont  plus  par- 
ticulièrement pour  objet  la  cenfure  de  nos  maurs 
transformées  par  l'influence  étrangère.  Sousce  rapport, 
ils  conftituent  des  portraits  d'autant  plus  intéreffants 
que  le  temps  auquel  ils  appartiennent,  n'a  laiffé  ni 
Caraftères  ni  Diftionnaire  des  Précieufes.  La  gra- 
dation eJi  nettement  marquée  de  Tahureau  à  d'Aubi- 
gné,  par  Henri  EJlienne  &  Théodore  de  Bèje.  Le 
premier,  poète  aimable  dans  fes  vers,  poète  fati- 
rique  dansfa  profe,  dépeint  avec  une  inexorable  ironie 
les  folies  des  amoureux,  les  ridicules  à  la  mode  &  les 
égarements  des  philofophes.  Henri  Eftienne,  qui  avait 
attaqué  la  fociété  religieufe  dans  fou  Apologie  pour 
Hérodote,  porte  la  guerre  contre  une  cour  françaife 
d'où  l'on  s'effaie  à  profcrire  la  langue,  les  maurs  6- 
la  politique  nationales .  Théodore  deBè\e  6*  d'Aubigné, 
l'un  avec  un  infatigable  efprit  d'analyfe.  Vautre  avec 
une  généreufe  colère,  dévoilent  &  flétriffent  dans  tout 
ce  qu'ils  ont  d'odieux,  lesperfonnages  &  les  événements 
d'une  époque  profondément  troublée.  La  campagne 
ouverte  par  Tahureau,  du  fond  du  Maine,  en  Démo- 
crite champêtre,  s'ejl étendue  rapidement  jufqu  au  caur 
du  pays,  oit,  dans  fon  développement  &"  fon  impor- 
tance, elle  eft  demeurée  ce  qu'elle  était  à  l'origine,  la 
guerre  de  la  vérité  contre  l'erreur. 


V.J 


Les  Dialogues  de  Tahureau  ont  été  publiés  pour  la 
première  fois  en  1565.  Suivant  du  Verdier,  l'édition 
originale  de  ce  petit  livre  remonterait  à  1562.  Cette 
opinion  a  été  partagée  par  quelques  bibliographes; 
mais  Vayis  de  La  Croix  du  Maine  &  de  Cailleau,  &  la 
date  deVépiJire  de  Maurice  de  la  Porte,  à  qui  Von  doit 
la  publication  des  Dialogues,  ne  permettent  plus  aucun 
doute  fur  ce  peint.  Cette  date,  du  24  mats  1565,  ejl 
d'ailleurs  confirmée  par  le  marquis  du  Roure  dans 
fon  Analeifla  Biblion.  Dans  le  même  ordre  d'idées,  l'abbé 
Goujet  regarde  comme  feule  originale  l'édition  in-S", 
donnée,  en  1566,  par  Gabriel  Buon.  Cette  dernière 
erreur  a  pour  caufe  le  texte  du  privilège  qui,  n'ayant 
pas  été  accordé  pour  l'imprejjîon  des  Dialogues  avant 
le  3  juillet  1566,  ne  put  paraître,  pour  la  première 
fois,  que  dans  l'édition  de  cette  année. 

Les  Dialogues  de  Tahureau  font  dédiés  par  Maurice 
de  la  Porte  à  François  Pierron,  ancien  précepteur, 
puis  grand  vicaire  d'Antoine  de  Vienne,  abbé  de  Mo- 
lefmes  au  diocèfe  de  Langres.  Six  ans  plus  tard,  d'après 
les  confeils  du  même  grand  vicaire,  Maurice  de  la 
Porte  donnera  fon  livre  des  Epithètes  françoifes.  Dans 
fon  épître  dédicatoire,  l'éditeur  des  Dialogues  fait 
connaître  les  motifs  qui  l'ont  déterminé  à  publier  cet 
ouvrage,  6*  il  en  préfente  une  analyfe  à  fon  leâeur, 
avec  quelques  renfeignements  fur  la  vie  de  Tahureau. 
Ces  indications  trop  générales  peuvent  à  peine  être 
complétées  par  la  courte  biographie  de  Guillaume  Col- 
letet.  En  y  ajoutant  les  refultats  obtenus  juf qu'à  ce 
wur,  on  arrive   d    la    brève  notice  qui  fuit. 


VMJ 


Jjcquef  Tdhureau  naquit  au  Mans  en  1527.  Fils  de 
Jacques  Tahureau  (y  de  Marie  Tiercelin  de  la  Roche  du 
Maine, il  avait  pour  trifaieule  paternelle,  Anne  duGuef- 
clin,  f ce ur  du  connétable  de  France,  &  pour  grand'père 
maternel,  Charles  Tiercelin  ,  Jeigneur  de  la  Roche  du 
Maine,  célébré  par  Brantôme  au  livre  II  de  la  vie  de 
fes  Capitaines  français.  Il  ne  comptait  pas  de  moin^ 
illujires  parents  dans  la  magijlrature.  Son  grand- 
oncle,  Pierre  Courthardy,  était  premier  préjîdent  au 
Parlement  de  Paris,  (y/on  grand-père,  Louis  Tierce- 
lin, président  aux  Requêtes  du  palais. 

Suivant  CoUetet,  Jacques  Tahureau  «  s'adonna,  des 
hi  plus  tendre  enfance,  à  l'étude  des  bonnes  lettres  ;  ce 
quiljit d'abord  dans  l'univerjïté  d'Angers  oii  il  ejclatta 
merveilleufement ;  &  jpres  un  voyage  qu'il  jit  en  Italie 
où  il  obferva  les  maurs  des  peuples  &  apprit  la 
langue  du  pays,  voyant  nos  poètes  français  s'inviter 
les  uns  les  autres  à  efcrire  d'amour,  il  voulut  ejtre  de 
la  partie  &/e  mit  à  compcfer  plujieurs  vers  amoureux 
pour  une  belle  fille  qu'il  aimoit  pajfionnément  &  dont 
il  chanta  les  louanges  fous  le  nom  de  l'Admirée.  Sa 
poéfie,  qui  ejioit  affej  jolie  &  ajjej  mignarde  pour  le 
tems,  le  fit  aimer  &  connoijîre  des  plus  fignalej  poètes 
de  fonfiècle,  comme  de  Ronfard,  de  BaifSf  des  autre- 
qui  le  louèrent  hautement  comme  à  l'envy.  Trop  heu- 
reux s'ilfefujî  maintenu  dans  la  liberté  naturelle  ou 
le  ciel  l'avoit  fait  naifire  6*  qu'il  ne  fe  fufi  point 
abandonné  à  un  funejie  mariage!  je  dis  funejle, 
puifque  quelques  auteurs  defon  temps  n'imputent  qu'à 
ce  fifcheux  lien  la  feule  €•  véritable  caufe  de  la  mort 


précipitée  de  ce  jeune  poète,  trop  ardent  &  trop  amou- 
reux. Ce  fut  donc  fous  le  règne  de  Henry  fécond  que 
la  France  perdit  ce  beau  génie,  cejï-à-dire  Van 
1555  (i),  âgé  de  vingt-huit  ans,  feulement  peu  de 
iours  après  f on  mariage.  » 

Là  fe  bornerait  ce  que  l'on  connaît  de  la  vie  de 
Tahureau,  Ji,  par  le  rapprochement  de  vers  empruntés 
à  La  Pérufe  &  à  Baif,  M .  Blanchemain  n  avait  établi 
que  la  Francine  de  ce  dernier  poète  était  une  demoi- 
felle  de  Gennes,  &  que  l'Admirée  de  Tahureau  n'était 
autre  que  la  f  au  r  de  Francine.  Le  ledleur  trouvera 
tout  le  détail  de  cette  double  découverte,  qui  ne  peut 
être  reproduit  ici,  dans  les  deux  dernières  éditions  de^ 
Odes  &  fonnets  de  Tahureau,  Genève,  Gay,  1869,  6- 
Paris,  Jouaujl,  1870. 

Quoique  les  vers  de  Tahureau  lui  aient,  à  jujie  titre, 
valu  l'ejlime  &  l'amitié  de  Ronfard  6*  de  Baif,  &  le 
premier  rang  parmi  les  poètes  rejiés  en  dehors  de  la 
Pléiade,  fe^  Dialogues  n'ont  pas  moins  contribué  à  fa 
réputation.  De  i<,6^  à  1602,  ce  petit  ouvrage  a  eu 
quin'^e  éditions.  G.  Buon,qui  avait  privilège  d'imprejjîon 


(r)  Ce  rie  fut  donc  qu'un  an  avant  la  mort  de  Tahure.iu,  que 
parurent  à  Poitiers,  chez  '"  <*<  Alarnefs  &  Bouchet,  fesPremièies 
Poéfies  &  /«/ Mignardifes  de  l'Admirée.  Mais  il  faut  remarquer 
que  depuis  le  7  mars  1547,  les  imprimeurs  avaient  obtenu  leur  pri- 
vilège. Ces  deux  ouvrages,  que  l'on  trouve  ajfez  fouveni  relies  en- 
femble,  ont  été  réédités  à  Lyon  par  Benoît  Rigavlt,  en  1574,  &  à 
Paris,  enunfeul  volume,  chez  ^-  Ruelle  ;  Robert  le  Mangnier  ; 
Abel  V Angelier  :  hUcolas  Chefneau  ;  Sonnius,  &  G.  Buon. 


pour  neuf  ans,  a  fait  paraître  les  Dialogues  à  Paris, 
en  1565  &  «566,  in-S°,  en  1568,  1570,  157a,  i574j 
1576  6"  1580,  in-16.  Ils  ont  été,  en  outre,  publies 
dans  le  même  format  à  Rouen,  en  1583,  par  Nicolas 
Lefcuyer,  en  1585  &  en  1 589  par  Marn'n  le  Mégijjier. 
On  connaît  deux  éditions  d'Envers,  Pierre  Vihert, 
1568  6"  1574,  in-16.  Il  en  exijle  enfin  deux  de  Lyon, 
Rigaud  1568  &  1602;  cette  dernière  accrue  des  Son- 
nets, odes  6*  mignardifes  de  l'Admirée. 

Voici  maintenant  quelques  particularités  fournies 
par  Vexamen  de  ces  diverfes  éditions.  La  première  6" 
la  deuxième  in-8°  contiennent,  à  la  fuite  de  Vépiflre  de 
Maurice  de  la  Porte,  un  AduertilTement  de  l'autheur 
que  l'on  ne  retrouve  plus  dans  les  éditions  in-16.  De 
toutes  celles-ci,  les  unes,  d'Envers  &  de  Lyon,fe  termi- 
nent par  un  fonnet  de  Jacques  Moyjfon  à  la  louange 
deTahureau;  6*  les  autres,  de  Paris  &  de  Rouen,  par 
l'adjondlion  de  cinq  pièces  de  vers  fur  la  vanité  des 
hommes,  la  confiance  de  l'efprit,  le  parler  peu,  Vin- 
confiance  des  chofes  &  contre  l'amour.  Le  fonnet  de 
Jacques  Moyjfon  efi  tiré  de  la  féconde  édition  des  Dia- 
logues où  il  a  paru  pour  la  première  fois.  Les  cinq 
pièces  ci-deffus  mentionnées  ont  été  prfes  dans  le  pe- 
tit livret  imprimé  à  Paris  chej  la  veuve  Maurice  de 
la  Porte  (i),  en  i^<y^,fous  le  titre fuivant  : 

«  Oraifon  de  laques  Tahureau  au  Roy  de  la  grandeur 
de  fon  règne  &.  de  l'excellence  de  la  langue  françoife, 


(i)  Mère  d' Ambroife  &  de  Maurice  de  la  Porte.  Elle  em  pour 
fuccejfeur  Gabriel   Buon. 


xj 


plus  quelques  vers  du  mefme  autheur  dédiez  à  Madame 
Marguerite.   » 

Tahureau  avait  laijfe  en  mourant  des  manujcrits 
dans  le/quels  fe  trouvait  une  tradudtion  en  vers  de  VEc- 
defiajle  &,  on  lefuppofe  du  moins,  les  Forejleries  dont 
l^auquelin  de  la  Frefnaye  fait  V éloge  dans  /on  Art 
Poétique.  Ces  divers  ouvrages,  légués  à  Pierre  Tahureau, 
frère  du  poète,  étaient  encore,  en  1777,  dans  les  mains 
d'un  de  leurs  defcendants  mâles.  D'autre  part,  La 
Croix  du  Maine  pojfédait  une  copie  des  Dialogues,  plus 
complète  que  celle  donnée  par  de  la  Porte,  &  il  fe 
propofait  de  la  publier.  Ce  projet  ne  paraît  pas  avoir 
été  réalifé,  car  la  dernière  réimprejjïon  de  Vouvrage 
de  Tahureau,  celle  de  Lyon,  P.  Rigaud,  1602,  ne  dif- 
fère en  rien  des  éditions  précédentes. 

F.  C. 


LES 

DIALOGVES 

DE    FEV    lAQ^VES    TA- 

HVREAV    GENTILHOMME 
DV    MANS, 

Non  moins  profitables  que  facetieus . 

Ou  les  vices  d'vn  chacun  font  repris  fort 

âprement,  pour  nous  animer  dauâta- 

ge  à  les  fuir  &  fuiure  la  vertu. 

A   Monfieur  M.   François  Tierron. 


A   PARIS, 

Chés  Gabriel  Buon,  au  clos  Bruneau, 

à  Venfeigne  S.  Claude 


A    MONSIEVR 

M.    FRANÇOIS   PIERRON 

De  Monfeigneur  l'Abbé  de  Molefmes. 


ToNSiEVR,  quelque  tems  après  que  Dieu 
eut  appelle  de  ce  monde  ambroise  de 
LA  PORTE  mon  trefcher  6*  bien  aimé 
frère  (duquel  la  mémoire  pour  la  gentil- 
lejfe  de /on  e/prit  malgré  le  dard  iniurieus  de  la  mort 
demeurera  perpétuelle)  ie  trouuai  parmi  ce  quil 
tenait  le  plus  pretieus  ces  deus  Dialogues,  auf- 
quels  le  Democritic  remonjire  au  Cofmophile  :  auf- 
quels  di-ie  la  folie  de  ceus  qui  font  réputés  en  dits  & 
en  faits  les  plus  fages,  nous  eji  par  la  feule  couleur 
de  l'encre  Ji  naïuement  dépeinte,  quvn  Appelle  pre- 
mier de   tous  les  peintres  qui  iamais  furent,  aurait 


bien  à  faire  auecq'  fes  diuerfes  couleurs  d\iujji 
yiuement  dedans  le  tableau  nous  la  reprefenter.  De 
forte  qu'en  iceus  auant  VimpreJJton  autre  chofe  on 
n'eut  peu  requérir  fors  le  nom  de  VAutheur,  qui  ou  par 
oubliance,  ou  pour  Vefpoir  qu'il  auoit  de  les  publier 
pendant  fa  vie  ne  s'eji  infcrit  en  fa  minute  originale. 
M  dis  (s'il  faut  ainfi  parler)  l'enfant  ejî  Jî  bien  ne  & 
refemble  tellement  à  fes  frères  qui  long  tems  auant 
fa  naijfance  ont  ejié  d'vn  chacun  fauorifès  S"  humai- 
nement receus,  que  le  père  qui  Va  engendré  peut  ejire 
aifement  reconneu.  Toutefois  quelques  autres  raifons 
encores  plus  praingnantes  ie  déduirai,  outre  le  cer- 
tain témoignage  que  i'en  puis  porter  efiant  oculaire 
témoin,  lefquelles  entendues  ie  m'ajjure  que  de  vous 
S"  de  toutes  perfonnes  de  bon  iugement  ilfera  aduoué 
pour  fis  légitime  de  feu  iaq_ves  tahvreav  gentil- 
homme du  Mans,  &  comme  tel  fera  bien-venu  &  ca- 
rejfé  en  vos  bibliothèques.  Il  vous  faut  donq'  fçauoir 
quicelui  tahvreav  après  auoir  longuement  fait 
profejjîon  des  bonnes  lettres  tant  en  la  langue  Latine 
que  Grecque,  &  d'icelles  ataint  la  parfaire  connoif- 
fance  :  aiant  aujp  durant  les  fanglantes  guerres 
d'entre  nojire  Roi,  &  Charles  le  quint  Empereur,  vo- 
luntairement  fuiui  les  armes  pour  faire  preuue  de  fa 
genereufe  vertu,  &  affin  de  fe  contenter  entièrement 
paffé  quelques  années  à  voir  le  pais,  à  fon  retour  il 
<'amufa  à  difcourir  de  l'amour,  dont  Jî  doâement  & 
mignardement  il  s'acquita  (comme  fes  auures  té- 
moignent) qu'il fembloit  entre  les  poètes  françois  efire 
feul  vraiment  amoureus.  le  me  tai  de  Yoraifon  qu'il 


dedid  au  Roi  faifjnt  mention  de  la  grandeur  de  J'on 
roidume,  laquelle  pour  nejire  moins  fentenrieufe  que 
faconde  donne  ajfes  à  connoijire  Vexcellence  de  fon 
efprit,  qui  enfanta  ces  Dialogues  lors  qu'il  eftoit  en  fa 
plus  belle  fleur,  &  votant  les  abus  qui  fe  commettent 
ordinairement  en  ce  monde,  opiniajlremem approuués 
par  ce  monfire  tejiu,  de  iour  en  iour  multiplier.  Dé- 
libérant partir  de  cejie  ville  de  Paris  pour  fe  retirer 
en  fon  pais  natal,  il  en  laija  en  ma  prefence  la  co- 
pie à  mon  frère  fus-nommé,  le  priant  de  la  voir  &lui 
en  mander  fon  aduis  :  car  non  feulement  lui,  ains  les 
plus  dodies  qui  ont  écrit  en  nojlre  vulgaire,  V ejiimoient 
iuge  compétent  d'vne  compoftion  françoife.  Mon 
frère  aiant  fatisfait  à  fa  volonté,  &  apperceu  que  la 
ledure  de  fon  Hure  eftoit  grandement  profitable, 
fignamment  à  ceus  qui  de  mille  &  mille  fotes  opinions 
ont  leur  pauure  cerueau  enforcelé,  il  le  lui  feit  en- 
tendre pour  auec  fon  confentement  le  mettre  fur  la 
preffe.  Mais  d'autant  que  pour  autres  fennes  affaires 
il  efperoit  dedans  peu  de  tems  s'acheminer  par  deçà, 
il  en  feit  furfeoir  l'impreffion  de  laquelle  il  defroit 
voir  le  commencement.  Or  comme  Tvn  &  l'autre  pro- 
pofoient  de  nous  donner  le  fruit  de  leur  diligence  & 
labeur,  la  mort  qui  renuerfe  à  l'mftantles  entreprifes 
des  hommes,  &  qui  rauit  aujjî  tqft  vne  blonde  ieuneffe 
quvne  blanche  vieilleffe,  eus  neftans  encores  parue- 
nus  au  xxviij.  an  de  leur  aage,  prefque  en  vn  mefme 
tems  trancha  le  filet  de  leur  vie:  Principale  caufe 
pour  laquelle  la  copie  du  prefent  hure  eft  demourée 
fi  longuement  dans  le  coffre  enfeuelie,  minutée  de  la 


propre  main  d'icelui  tahvreav,  a'mji  qu'il  peut 
ejire  vérifié  par  fes  lettres  mijjîues  qui  font  en  ma 
pojfejfion:  Argument  peremptoire  peur  inférer  Vau- 
ure  efire  fien,  parce  quil  nejl  point  vrai-Jemblable 
lui  ejiant  gentilhomme  viuant  de  /es  rentes,  qu'il  eut 
voulu  fi  c'eut  efié  le  labeur  d'autrui,  prendre  vne 
peine  tant  laborieufe  de  laquelle  vn  de  fes  feruiteurs 
ou  quelque  mercenaire  e'criuain  Veut  peu  deliurer. 
Dauantage  il  s'en  efi  bien  apertement  déclaré  Vau- 
theur,  quand  vers  la  fin  du  premier  Dialogue  en  la 
perfonne  du  Democritic,  il  inuite  le  Cofmophile  d  dif- 
ner  en  fa  maifon,  defignant  au  vrai  (ainfi  que  i'ai 
entendu  par  gens  dignes  de  foi)  VaJJiete  &  le  bafii- 
ment  du  lieu  qu'il  auoit  au  Maine.  le  ne  m'aiderai 
point  pour  la  confirmation  de  ce  que  i'ai  prétendu 
vous  prouuer,  de  l'exemple  qu'il  allègue  d'vn  Guil- 
laume Mefche  de  fon  pais,  traitant  de  la  médecine, 
m'affurant  que  d'icelui  vous  colligerés,  tant  les  cir- 
confiances  font  toutes  bien  décrites,  ce  qui  vous  efi 
par  les  raifons  fufdittes  défia  perfuadé.  Puis  donc  que 
l'ouurier  vous  efi  ores  fuffifamment  conneu,  il  ne  fera 
point  hors  de  propos  que  ie  parle  de  l'vtilité  de  Vau- 
ure,  duquel  (encore  qu'il  contienne  vne  feuere  &  mor- 
dante correéiion  des  vices,  où  la  facétie  quelquefois 
mdufirieufement  efi  entre-mélée)  il  y  a  peu  de  per- 
fonnes  fous  la  voûte  des  cieus  preferans  la  raifon  à 
toute  pajfion,  qui  auec  la  confolation  de  leur  efprit 
n'en  remportent  beaucoup  de  proffit.  Comment  aujfi  les 
hommes  fçauroit  on  mieus  infiruire,  que  de  leur  ap- 
prendre  la  manière   de  viure  vertueufement  par  le 


blâme  des  cho/es  vitieujesqui  les  en  empefchenr?  Quel 
preferuatif  meilleur  pourrait  ejire  ordonné  aus  ieunes 
gens  contre  Vamoureufe  poifon,  que  de  leur  de'couurir 
à  Vail  la  malice,  finejfe,  piperie,  de  ce  méchant, 
cauteleus  &  trompeur  fexe  féminin?  Quelles  armes 
plus  propres  en  main  leur  fçauroit  on  mettre  pour 
rejifter  &  virilement  fe  défendre  à  l'encontre  de  cet 
archer  vénérien  qui  leur  meine  incejfamment  la 
guerre,  que  de  leur  déclarer  Fijjue  malheureufe  d'a- 
mour? Par  lequel  l'homme  a  ejié  de  la  femme  (de 
toutes  créatures  la  plus  imparfaite)  Ji  follement  en- 
cheuejtré  qu'il  l'a  receue pour  compagne,  mais  ie  dirai 
pour  maijîre:  Laquelle  nojire  fage  mère  nature  a 
dénuée  tant  de  farces  d'efprit  que  de  cors,  preuoiant 
les  abhominables  inuentians  dont  elle  s'aide  voulant 
exécuter  la  rage  de  fa  vengeance  &  fatisfaire  à  fes 
pajfions  defardannées.  Qui  ejî  aujji  celui  tant  aduifé, 
qui  eut  peu  échaper  les  fanglantes  pâtes  de  cette 
furieufe  bejie,  f  fes  cauteleufes  rujes  eujfent  ejié 
acompagnées  d'vn  rajjis  iugement?  Et  toutefois  à 
■pitié  I  nous  valons  la  plufgrand'  part  des  ieunes  hom- 
mes fe  foubs  mettre  à  mille  dangers  pour  ces  belles- 
fardées  dames,  lefquelles  ils  idolâtrent  iufques  à 
baifer  l'ombre  de  leurs  pantoufles.  Et  font  encor  ces 
fimples  pigeons  tellement  englués  d'icelles,  qu'ils  fe 
perfuadent  eftre  cordialement  aimés  quand  ces  trai- 
trejfes,  s'il  aduient  qu'ils  aient  paffé  deus  ou  trois  iours 
fans  les  aller  mugueter,  iettent  auec  leur  feintes 
larmes  quelques  redoublés  foupir s,  &•  qu'elles  éclatent 
de  hauts  fanglats  pour  les  piper  &  deceuoir.   Toutes 


VIIJ 


ces  qftuces  &  trahifons  font  auiourd'hui  en  Jt  claire 
évidence  que  déformais  la  ieuneffe  fur  faute  d\iduer- 
tijfement  ne  fe  pourra  excufer,  veu  que  les  moiens  lui 
font  donnes  pour  non  feulement  fe  retirer  de  Yamou- 
reus  bourbier  quand  elle  y  eji  plongée,  mais  aujjî  lui 
ejt  monjîré  comme  elle  le  peut  euiter,  fuiant  entre 
autres  chofes  ces  bùteleufes  danfes,  fous  lefqueîles  eJi 
couue'e  &  engendrée  la  paillardife  ,  s'adonnant  a  icel- 
les  pour  vn  fol  égard  de  plaire  à  ces  defdaigneufes 
caignes  qui  ne  s'en  font  que  rire  &  moquer.  Les  prin- 
ces &  gransfeigneurs  font  pareillement  enfeignes  de 
ne prejier  V oreille  aus  faus  raporteurs,  parce  que  le 
mauuais  raport  ejî  le  vrai  poifon  de  ceus  qui  y 
croient:  Ni  d'écouter  ces  blandijfans  flateurs,  qui  ne 
leur  mettent  deuant  les  yeus  que  les  grandes  richeffes 
quihpojfedent  pour  les  induire  à  rigueur  &  tirannie, 
ejiimans  celui  pufll anime  &  quajî  indigne  d'ejire  ap- 
pelle Gentilhomme,  qui  comme  le  bon  pajleur  enuers 
fes  ouailles  ejjaie  par  vne  facilité  6"  difcretion  tem- 
pérée gaignerle  cueur  defesfubiets:  Ne  conjiderans 
que  la  grandeur  d'iceus  prouient  plus  par  cas  fortuit 
que  par  leur  mérite,  &  que  Vinconjiante  fortune  peut 
éleuer  ceus  qui  font  de  baffe  condition,  &  tellement 
abaijfer  les  gransfeigneurs,  voire  mefmes  les  Rois  & 
monarques  de  la  terre,  quelle  leur  fait  auec  les  biens 
perdre  aucunefois  ignominieufement  la  vie,  odroiant 
fes  faveurs  à  qui  lui  plaiji,  les  reuocant  aujji  quand 
bon  luifemble.  Cela  nejlant  inconneu  à  l'Empereur 
Tite,  enquis  pourquoi  ilfoupiroit  à  la  fin  d'vn  banquet 
auquel  auec  fort  bon  vfage  il  s'ejioit  comporté,  ref- 


pondit  iiinji:  le  ne  me  fçauroi  lajfer  de  foupirer  & 
plaindre,  me  fouùenant  que  mon  honneur  dépend  du 
vouloir  de  fortune  &  que  mes  ejiats  font  comme  en 
fequejire,  &  ma  vie  comme  dépofée  en  gage.  L'vne 
des  raifons  quMegua  Demetrius  ejiant  interroguè 
pourquoi  Vheur  de  fa  vieillejfe  ne  correfpondoit  à  ce- 
lui de  fa  ieunejje,fut  telle,  Que  trop  ils'ejioit  appuie 
fur  fortune,  laquelle  l'auoit  ajfoti  par  fes  viâoires 
&  ne  lui  auoit  laijfé  fens  aucun  pour  fe  conduire  en 
fes  aduerftès.  Sans  rechercher  dauantage  les  dits 
des  anciens,  ni  les  exemples  d'iceus  qui  font  infinis, 
affés  iournellement  il  s  en  prefente,  par  lefquels  on 
voit  les  muables  effets  de  cejie  moqueufe  fortune  à 
Vendrait  des  grans  feigneurs  :  aufquels  leur  eji  monf 
tré  femblablement  à  quelles  gens  ils  doiuent  com- 
mettre la  ieuneffe  de  leurs  enfans,  pour  d'icelle  en 
après  moiffonner  &  recueillir  les  fruits  qu'ils  en  atten- 
dent receuoir  :  Non  à  des  laqués  (comme  l'on  dit)  qui 
aiment  mieus  leslaifferviure  en  toute  effrénée  liberté, 
que  d'offencer  leurs  délicates  oreilles:  &•  aujjï  d'autant 
qu'ils  ne  prétendent  qu'à  faire  leur  main,  ejiant  ap- 
pelles au  gouuernement  de  la  noble  ieuneffe,  fe  font 
d'eus  mefmes  aueugles,  fours  &  muets:  Mais  à  ceus 
qui  aians plus  d'égard  à  l'honnefteté  qu'à  leur  parti- 
culier proffit,  mourraient  plujlqfl  que  de  les  permettre 
faire  chofe  mal-feante  à  leurs  perfonnes,  lefquels  tou- 
jours ils Jlimulent  pour  embraffer  la  vertu,  comme  le 
plusfouuerain  bien  qu'ils  fçauroient  acquérir,  ne  leur 
propofant  les  villes,  chqfieaus,  grans  reuenus  &  ejiats 
qu'ont  leurs  parens,  &  les  faueurs  qu'ils  ont  en  cour. 


de  peur  d'enfler  leurs  cueurs  de  telles  vanités  mon- 
daines,moiens  plus  propres  pour  émanciper  vne  impa- 
tiente ieunejfe,  quà  la  contenir  en  office  &  deuoir. 
Au  nombre  de  ces  vertueus  6*  non  mercenaires  gou- 
uerneurs,  monsievr,  la  trefnoble  &  trefancienne 
mai/on  de  Ruffey  vous  mettra  des  premiers:  Principa- 
lement Mon/eigneur  V Abbé  de  Mole/mes  (l'vn  desmiew 
acomplis  feigneurs  que  la  terre  foujlienne)  qui  pour 
auoir  ejié  de  vous  ainjî  diuinement  injîitué,  vous  a  re- 
tenu &  retient  encores  de /es  plus  fidèles  &fauorisfer- 
uiteurs.  Pour  autant  aujjî  que  les  gentilshommes  font 
enclins  naturellement  àfuiure  les  armes,  &  leur  plaijl 
le  cliquetis  d'icelles,  il  les  admonejîe,  reprenant  fort 
aigrement  ceus  qui  font  le  contraire,  que  pour  vne 
parole  le gierement  proférée,  ou  pour  autre  friuole 
iniure  ils  ne  penfent  que  leur  honneur  en  fait  offencé, 
&  que  de  telles  imperfeétions  aufquelles  font  fuiets  les 
hommes,  ils  n'aient  à  demander  le  combat foubs  efpe- 
rance  certaine  qu'à  eus  comme  innocens  &  blecés  à 
tort  la  vidoire  demeure.  Car  quand  leur  particulière 
querelle  feroit  aquitable,  efiant  la  faueur  de  Mars 
douteufe  &  commune,  en  icelle  ne  doiuent  auoir  fiance, 
Veut  il  promis  &  ajjuré  par  feing  &  feel  autentique : 
Sf  pour  faire  aûe  décent  à  noblejfe,  doiuent  referuer 
le  hajard  de  leur  vie,  au  feul  feruice  de  leur  prince 
&  falut  de  la  republique.  Vous  aués  amplement 
entendu  comme  la  ledure  de  ce  Hure  ne  fera  point 
inutile  indifféremment  à  tous  ieunes  gens  amour  eus, 
puis  aus  princes,  &  grans  feigneurs,  maintenant  vous 
apperceurés  qu'elle  fera  autant  ou  plus  proffiraHe  à 


ceus,  qui  aians  la  connoijfance  des  lettres  humaines, 
viennent  à  celle  dé  la  philo/ophie  mère  de  toutes  bon- 
nes fciences,   le/quels  nojlre  autheur   exhorte   à  Je 
contenir  dedans  les  fins  &  limites  d'icelle,  &  de  ne 
s'arrejier  à  limitation  des  di/ciples  pithagoriens,  aus 
particulières   opinions   des    plus    dodes  philo/ophes 
foient  anciennes  ou  modernes  qui  Je  puijjent  trouuer, 
Jîla  raijon  acompagne'e  de  vérité  leur  répugne.   Car 
quelle  Jottije  Je roir-ce  de  vouloir  Joufienir  auec  Platon 
(iaçoit  que  pour  Jon  eminent  Jçauoir  ait  ejié  nommé 
diuinj  ie  ne Jçai  quelles  imaginaires  idées?  Qui  croira 
Jelon  Democrite  &  Epicure,  le  monde  &  ce  qui  eji  en 
icelui  contenu,  auoir  ejîé  compojés  par  VaJJ'emblement 
Jortuit  de  petis  cors  indiuijîhles  quils  appellent  ato- 
mes? Qui  voudroit  aujji  reciter  par  le  menu  les  diuerjes 
couleurs  dont  aucuns  dépeignent  l'ame,  &  la  pluralité 
des  logis  que  les  autres  lui  ejiablijjent  dedans  le  corps 
humain,  ce  ne  Jeroit  iamais  fait.  Vn  autre  inconuenient 
Je  prejente  à  ces  profejfeurs  de  philojophie,  lequel 
mal  aijement  ils  peuuent  échaper,  lors  qu  ils  Jont  gui- 
dés i'vne  trop  grande  curiojité :  Ceji  que  volontiers 
ils  s'adonnent  à  VAjirologie,  de  laquelle  d'autant  qu'ils 
pajfent  coujiumie rement   les   bornes,    ils  deuiennent 
magiciens,  puis  alquimijles,  ainjiparuenans  de  marche 
en  marche  au  Jupremelatif  degré  de  folie.  Pour  en 
cejie  infirmité  les  Jecourir ,  il  leur  monjlre  les  apparens 
abus  de  telles   vaines  Jciences,   il  déclare  les  Jotes 
Juperftitions  de  leurs  autheurs  &  leurs  ru^es  dejquelles 
ils  pipent  les  hommes  à  crédit.  Je  mélans  après  qu'ils 
Je  Jont  follement  amujé  s  &  abujés  à  mejurer  la  gran- 


XIJ 


deur  (y  le  chemin  qu'il  y  a  d'ici  ans  cieus,  de  prédire 
la  mort  des  gransfeigneurs,  ou  la  longue  vie  d'iceus, 
ajjignerle  rems  que  le  monde  finera,  &  parler  des 
chofes  qui  font  à  vnfeul  Dieu  conneues  comme  s'ils  en 
ejioient  les  mignons  fecretaires  :  6"  en  fin  que  toute 
cette  humeur  de  leur  cerueau  quintejfencé  ejl  dijiilée, 
quils  ont  foufié  &  rejoujlé  au  charbon  aus  de/pens  de 
quelque  niais,  &  que  de  leur  auaritieufe  recherche 
i'eji  enjuiuie  vne  multiplication  de  tout  en  rien,  ne 
fâchant  de  quel  bois  faire  flèches  ils  demeurent  co- 
quins &  belijires.  Ceux  qui  pour  ejire  confeillers  ou 
aduocats  efiudient  à  la  loi,  ne  font  aujjî  fans  aduertif- 
fement,  leur  remonfirant  comme  ils  fe  deuroient  con- 
tenter, lors  qu'ils  font  en  telle  dignité  conjlitués,  de 
l'argent  qui  leur  ejî  baillé  fans  contredit  pour  leurs 
fallaires  &  vacations,  tant  par  les  gentilshommes  qui 
auront  pojjible  ha-^ardéleur  vie  &  celle  de  leurs  enfans 
au  feruice  du  Prince,  que  par  les  autres  perfonnes 
defquelles  fouuentefois  ils  tiennent  la  meilleure  par- 
tie de  leur  bien  dedans  vn  fac,  fans  requérir  double 
paiement  en  reuerences  &  gambades,  &  leur  faire 
confommer  le  rejie  miferablement  à  la  pourfuite  de 
leur  quereleus  procès.  lefçai  qu'en  cet  endroit  il  fera 
trouué  fort  véhément  par  celui  qui  pour  la  confer- 
uation  de  fes  biens  n'aura  fréquenté  le  Châtelet  ou  le 
Palais,  mais  non  de  ceus  qui  au  lieu  d'vn  fac  enpor- 
tent  le  biffac.  De  la  médecine  &  des  médecins  il  parle 
en  telle  forte,  qu'il  femble  veu  l'incertitude  de  leur 
fcience  &  l'outrecuidée  inexpérience  'd'iceus,  caufe 
des  infinis  abus  dont  ils  nous  abufent,  que  leur  art  & 


XI  Ij 


leur  pratique  /oient  plus  dommageables  que  necejjai- 
res.  Il  me  fouuient  d'auoir  leu  que  la  médecine  afiori 
en  la  Grèce  du  tems  des  dodes  &  expérimentes  méde- 
cins, G"  que  par  Vignorance  d'aucuns  elle  a  ejié  Jup- 
primée.  Pour  cejle  me/me  rai/on  on  pourrait  faire  le 
femhlahle  en  ce  roiaume  où  l'air  eji  tout  obfcurci 
d'ignorans-fuperbes  médecins,  le/quels  neantmoins 
font  réputés  du  populaire  trejfçauans,  pour  auoir  plus 
par  vne  fauorable  brigue,  que  par  érudition  obtenu 
des  féconds,  tiers  ou  quarts  lieus  de  leur  licence,  de 
laquelle  ceus  qui  font  mis  en  l'ordre  penultime  &  der- 
nier bien-fouuent  les  furpajfent  en  dodrine  &  expé- 
rience, l'ai  leu  pareillement  que  les  médecins  par  le 
commandement  du  bon  Empereur  Tite,  furent  chajfés 
de  Rome  comme  ennemis  de  la  fanté,  &  pour  ojier 
occajton  aus  hommes  d'ejire  vicieus.  N'ejîoit  aujji 
que  trop  indifcretement  nous  lâchons  la  bride  à  nos 
concupifcences,  nojîre  fouueraine  médecine  feroit^ 
nvfer  de  médecine.  Quant  aus  théologiens,  il  ne  les 
touche  qu'en  pajfant,  lors  qu'il  traite  delà  variété  des 
religions,  concluant  la  catholique  ejlre  la  vraie,  & 
celle  qui  demeurera  ferme  &  inuiolable  contre  les 
ajfaus  des  minijires  de  Satan,  en  laquelle  feulle  ejl  le 
falut  du  fidèle  chrejiien.  le  vous  ai  bien  voulu,  mon- 
siEVR,  faire  ce  long  difcours  de  ce  qui  m'a  femble 
plus  notable  &  qui  ejl  plus  amplement  déduit  en  ces 
deus  Dialogues,  affin  que  foies  affuré  du  contente- 
ment que  prendra  vojlre  efprit  en  la  leâure  d'iceus. 
\efquels  fans  les  vrgentes  occupations  qui  depuis  le 
decés  de  mon  frère  iufques  à   ce  iour  m'ont  de  tous 


cqftés  enuironne,  euffent  pluftot  efté  mis  en  lumière 
foubs  vojlre  Jauuegarde  &  defence  :  Ne  fâchant 
homme  au  deffaut  de  leur  naturel protedeur,  qui  aie 
de  meilleures  armes  pour  rabatre  les  coups  de  Tenuie 
coutumiere  de  blé cer  l'honneur  de  ceus  qui  reprenent 
les  vices,  ni  qui  eut  aujji  efté  plus  aggreable  à  Vau- 
theur,  duquel  ceus  qui  dejirent  la  renommée  eftre  im- 
mortelle, Je  fentiront  enuers  vous  perpétuellement 
obligés  leur  odroiant  ceftegratieufe  faueur.  De  Paris 
ce  24.  de  Mars  1^65. 

Voftre  ami  à-iamais, 

M.    DE    LA    PORTE. 


^ 


ADVERTISSEMENT  DE   L'AVTHEVR. 


IE  ne  doute  point  que  plufieurs  qui  veulent  particu- 
larizer  en  leurs  premières  &  folles  opinions,  n'auront 
prefque  veu  le  premier  fueillet  de  mon  liure,  qu'ils  ne  me 
iugent  incontinent  eftré  quelque  nouueau  correcteur  des 
bonnes  &  anciennes  couflumes  :  mais  contre  tels  opi- 
niaflres,  autre  defence  ie  n'ai  délibéré  propofer,  fi-non 
que  ie  veus  pluflot  bien  dire  &  croire  auecques  vn  ou 
peu  de  gens  de  bon  efprit,  que  faillir  auecques  vn  grand 
nombre  d'igr.orans,  m'eftant  du  tout  appuie  fur  le  fon- 
dement de  la  raifon,  &  non  point  d'authorité  humaine 
Amplement  forgée  de  quelque  pauure  cerueau  renuerfé. 
Te  fuppliant  quiconque  tu  fois  qui  en  faces  ledure,  d'en 
excufer  le  langage  poffible  (félon  ton  aduis/  rude  &  mal 
poli,  aimant  mieux  qu'il  fe  fente  vn  peu  du  vulgaire, 
ainfi  que  c'efl  le  vrai  naturel  du  Dialogue,  qu'eftant 
(comme  celui  de  beaucoup  d'autres  liures)  trop  afïeiSé, 
ceus  qui  en  voudroient  vfer  feruiflent  de  badins  en  vne 
compagnie.  D'vne  autre  chofe  auffi  i'ai  à  te  prier,  c'eft 
que  tu  ne  trouueras  point  eftrange  fi  ie  m'égare  quel- 
quefois &  principalement  aux  difcours  &  fotes  harangues 
de  ces  amoureus   :   Car  outre  qu'il  efl  befoin  d'entre- 


Xyj  ADVERTISSEMENT  DE  L'AVTHE  VR, 

lafler  quelque  chofe  ioieufe  pour  donner  plaifir  au  lec- 
teur, ie  m'acommode  femblablement  à  la  perfonne  qui 
parle,  &.  à  la  matière  laquelle  eft  de  foi-mefme  tant 
fote  &  ridicule,  que  la  traitant  on  ne  peut  vfer  que  de 
moquerie.  Au  furplus  ie  m'affure  tellement  de  l'honnef- 
teté  acouflumée  des  fages  &  vertueufes  dames  que  tant 
s'en  faut  que  ie  craigne  qu'elles  treuuent  mauuais  le 
blâme  duquel  ie  dépeins  les  fotes  &  vicieufes,  faifant 
auffi  la  condition  de  l'homme  plus  parfaite  que  celle  de  la 
femme,  qu'au  contraire  ie  croi  qu'en  cela  elles  fi  accor- 
deront à  mes  écris,  confeffant  auecques  moi  qu'il  y  a  ie 
ne  fçai  quoi  en  l'homme  plus  grand  &  plus  parfait  qu'en 
la  femme.  Auffi  tout  ce  que  ie  di  au  mépris  des  fotes  t 
outrecuidées,  ne  lend  qu'à  l'honneur  &  aduantage  de 
celles  qui  font  fages  fc  gratieufes  :  lefquelles  de  ce  mot 
i'ai  bien  voulu  aduertir,  afïin  que  leurs  chartes  &  netes 
oreilles  ne  foient  point  offencées  des  paroles  qu'elles 
entendront  en  ces  Dialogues,  les  interprétant  poffible 
tout  au  contraire  de  mon  intention,  qui  n'eft  encline  à 
autre  chofe  qu'à  complaire  aus  honeftes  dames  &  à 
toutes  autres  perfonnes  bien-nées,  fc  n'aiant  cet  œuure 
entrepris  à  autre  fin  que  pour  adoucir  le  trauail  fc.  re- 
créer le  loifir  des  hommes  de  fain  k  entier  iugement. 


G^ 


T\EmiE'B^  VIcALOGVE 


DV    DEMOCRITIC 


KEMONSTRANT    AV    COSMOPHILF. 


LE    D  EMOCRITI  C. 


E  ne  trouue  point  moindre  occafion  de 
m'émerueiller,  confiderant  les  grans  abus 
&.  fottes  inuentions  qui  font  entre  les 
autres  hommes,  que  de  rendre  grâces  à  la 
haute  &  puiflante  nature,  de  m'auoir  donné  cette 
fincerité  d'efprit  qui  ne  me  laiffe  aucunement  furmon- 
ter  par  vne  infinité  de  foies  opinions,  &  faits  irraifonna- 
bles  qu'ils  obferuent  auiourd'huy  entre  eux  auecques 
auffi  grande  fuperflition  que  fi  c'efloient  les  chofes  les 
plus  parfaittes  du  monde.  Mais  comment  eft-il  poffible 
qu'ils  s'oublient  iufques  à  là,  que  les  plus  grans  fots  font 
eftimez  8t  tenus  au  rang  des  plus  fages  ?  Comment  font- 
ils  tant  aueuglez  qu'ils  ne  trouuent  rien  parfait,  que  ce 


PREMIER     DIALOGVE 


qui  eft  digne  d'eftre  le  plus  moqué?  Bref  tant  plus  l'en 
voy,  &  plus  ils  me  donnent  occafion  de  rizee  &  de  mo- 
querie, le  croy  fermement  que  fi  les  Philofophes  qui 
ont  fait  la  condition  de  l'homme  tant  grande  &.  précieufe, 
eufTent  eu  la  conoiffance  des  erreurs  &  folies  de  l'âge 
où  nous  femmes,  au  lieu  de  le  dire,  outre  tous  les 
autres  animans  feul  participant  de  raifon,  luy  eufTent 
donné  toute  autre  définition,  ou  bien  dit  que  la  pluf- 
grand'partie  d'entre-eux  n'ont  feulement  que  la  forme 
&.  effigie  de  la  créature  raifonnable,  lefquels  on  peut 
conoiflre,  quand  on  leur  voit  delaiffer  vn  ferme  &  raffis 
iugement,  pour  donner  plus  de  lieu  à  ce  qu'on  leur 
donne  à  entendre  de  main  en  main,  qu'à  la  pure  & 
nette  vérité,  aimans  mieux  par  ce  moyen  croire  aux 
chofes  les  plus  faufles  à  crédit,  que  par  raifon  aux 
véritables. 

LE  COSMOPHILE.  Il  me  femble  auoir  entendu 
quelcun  en  ce  bocage,  qui  a  merueilleufement  les 
hommes  en  grand  mépris  :  ha  !  le  le  voy  où  il  fe  pour- 
mene  tenant  ie  ne  fçay  quel  liure  en  fa  main,  le  m'en 
vai  l'aborder,  &.  fi  ie  peux,  l'aurai  de  lui  refolution  du 
propos  que  i'ay  entendu  :  hau  compagnon  qu'à  la 
bonne  heure  te  puiffe-ie  auoir  rencontré  :  comment  ! 
il  femble  à  t'ouyr  parler  qu'en  méprifant  la  manière  de 
faire  de  nous  autres,  tu  approuues  feulement  ta  façon 
de  viure,  &.  ton  efprit,  comme  fi  tu  eflois  le  plus  grand 
ami  de  la  nature,  &.  feul  engendré  d'elle,  ayant  la 
conoifTance  des  chofes  bonnes,  &  que  tous  les  autres 
hommes  auprès  de  toi  fufTent  baftards  &  illégitimes  en 
leur  création  :  ce  que  ie  te  prie  ofter  de  ton  entende- 


DV    DEMOCRITIC.  3 

ment,  à  celle-fin  que  tu  ne  fois  veu  eftre  tombé  au 
vice  que  les  Grées  appellent  ^dxurix,  qui  eft  vne  trop 
grande  amour  de  foy  mefme,  auffi  que  tu  ne  dois  faire 
la  condition  des  hommes  tant  miferable,  que  tu  les 
priues  ainfi  de  l'vfage  de  raifon. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  veux  point  me  faire  fi 
grand,  ni  tant  abaiffer  les  autres,  que  ie  me  die  eflre 
feul  entre  tous  les  hommes,  qui  ait  la  conoifTance  de 
ce  qui  efl  neceflaire  pour  le  contentement  de  fon  efprit  : 
U  fi  te  veux  bien  aduertir,  que  fi  tu  as  bien  pris  mes 
paroles  &  regardé  de  près  à  ce  que  ie  difoy,  tu  trouue- 
ras  que  ie  n'ay  point  tant  anéanti  la  condition  des 
hommes,  comme  tu  penfes,  lefqueis  ie  te  confeffe  bien 
n'eftre  point  fans  raifon,  mais  trop  bien  te  veux  main- 
tenir qu'elle  ne  leur  fert  non  plus,  que  s'ils  n'en  auoient 
point  :  &  tout  ainfi  leur  en  aduient  il,  comme  à  celuy 
qui  porte  au  doi  la  pierre  precieufe  &  orientale,  n'en 
fçachant  aucunement  la  vertu  :  car  autant  luy  feruiroit 
vn  verre,  ou  ftrin  bien  contrefait,  s'il  n'en  a  que  le 
plaifir  de  la  veùe.  Et  à  celle  fin  de  te  le  donner  encores 
plus  familièrement  à  entendre,  prens  en  l'exemple  fus 
quelque  gros  afne  qui  ne  fçait  rien  &  neantmoins  ne 
laifiera  d'auoir  la  bibliotecque,  ou  cabinet  fort  bien 
garni  de  liures  excellens  defquels  il  ne  s'en  fçaura 
nullement  aider  :  ainfi  en  efl-il  de  ceux  que  l'on  peut 
bien  dire  eftre  irraifonnables,  quand  ils  ignorent  la 
grande  vertu  &  puiffance  de  leur  raifon,  s'adonnans 
pluftoft  à  faire  &  croire  mille  badineries  St.  tours  de 
Singes,  qu'ainfi  que  ie  difoy  à  fuyure  la  vraye  voye  qui 
les  guide  tout  droit  au  (entier  de  raifon. 


FRFMIER   DIALOGVE 


LE  COSMOPHILE.  le  croy  que  tu  voudras  tan- 
toft  renouiieler  la  façon  du  miferabie  Heraclite  lequel 
a  malheureufement  confumé  fes  iours  à  pleurer  la  vie  des 
hommes,  fubiefle  à  vne  infinité  de  miferes  :  ou  bien 
celle  de  Democrite  qui  au  contraire  pour  raifon  de 
leurs  grandes,  folies,  pafToit  le  tems  à  s'en  moquer. 

LE  DEMOCRITIC.  l'aimeroy  trop  mieux  fuyure 
la  vie  du  fécond  que  tu  m'as  allégué,  que  du  premier, 
t'atTeurant  que  ie  me  donne  le  moins  d'ennuy  &  de  mé- 
lancolie qu'il  m'efl  poffible,  auffi  que  c'eft  bien  le  plus 
grand  plaifir  du  monde,  fe  voir  exent  d'vne  infinité  de 
réueries  &.  foies  opinions  où  l'on  voit  la  meilleure  par- 
tie des  hommes  eflre  enuelopés  :  &.  en  cela  gift  vn 
grand  contentement  de  l'homme  de  bon  efprit,  prenant 
vn  fingulier  plaifir  d'en  deuifer  auec  ceux  que  l'on  peut 
fans  faillir  dire  rail'onnables. 

LE  COSMOPHILE.  Mais  ie  te  prie  bien  fort 
m'enfeigner  le  chemin  qu'il  me  faudroit  tenir  pour 
paruenir  au  but  de  ce  contentement,  &  quelles  chofes 
font  à  fuyure  des  hommes,  &  quelles  à  euiter. 

LE  DEMOCRITIC.  Vraiment  puis  que  tu  le  defires 
fçauoir  de  moy,  ie  te  le  dirai.  Ne  me  confelTeras-tu  pas 
que  les  hommes  ne  peuuent  faillir,  finon  qu'en  donnant 
lieu  aux  chofes  mauuaifes  &  contraires  à  leur  conferua- 
tion  ou  à  celles,  lefquelles  ne  leur  apportant  aucun 
plaifir,  font  comme  folles,  fuperflues  &  inutiles? 

LE  COSMOPHILE.  Cela  eft  vray. 

LE  DEMOCRITIC.  Puis  doncq'  que  les  chofes 
mauuaifes,  &  qui  n'apportent  auecques  foy  aucun 
contentement    font  à  fuyr  des  hommes,    il  s'en  enfuyt 


DV    DEMOCRITIC.  5 

qu'aucune  chofe  ne  doit  eftre  receùe  entre  eux,  qui  ne 
foit  bonne  ou  plaifante,  bonne,  c'eft  -à  dire  neceflaire 
ou  vtile  pour  la  conferuation  de  leur  eftre,  &  entretene- 
ment  d'vne  politique  qui  fignifie  autant  qu'en  rendant 
le  droit  à  vn  chacun,  on  conferue  en  paix  celte  focieté 
Si  compagnie  humaine,  ic  pour  le  relais  des  trauaus, 
aufquels  outre  les  autres  animaux  créés  de  la  nature,  les 
hommes  font  plus  fuiets,  l'on  fe  relâche  à  quelque 
plaifir  honnefte,  &.  tellement  modéré,  qu'il  ne  nous  face 
priuer  de  cela  dequoy  la  nature  nous  a  voulu  pouruoir 
outre  fes  autres  créatures  :  c'eft  la  raifon  qui  doit  tant 
bien  tenir  la  bride  à  ce  plaifir,  qu'elle  ne  le  lâche  aller 
à  faire  mille  fottifes  &.  fingeries,  lefquelles  n'apportans 
auecques  foy  aucun  contentement  ni  profit,  ne  fentent 
rien  moins  qu'vne  conftance  &  perfeftion  virile. 

LE  COSMOPHILE.  11  me  femble  que  ton  dire 
n'eft  point  mauuais,  &.  qu'il  ne  doit  rien  eftre  receu  entre 
nous  autres,  qu'il  ne  foit  bon  ou  plaifant,  en  la  manière 
que  tu  me  l'as  approuué. 

LE  DEMOCRITIC.  Encore  n'es-tu  point  trop 
élongné  de  bon  iugement,  moyennant  qu'il  te  fouuienne 
de  ce  qu'à  bon  droit  tu  m'as  confefTé,  &.  me  fay  bien 
fort  qu'en  m'écoutant  parler,  ie  te  reueillerai  d'vn 
grand  &  profond  fomme,  auquel  la  plufgrande  partie 
de  ceux  que  l'on  appelle  hommes,  demeurent  endormis, 
&  te  femblera,  fi  tu  veux,  après  m'auoir  entendu, 
aiouter  plus  de  foi  à  la  raifon  &  vérité,  qu'à  vne  fotte 
opinion  feulement  approuuee  par  vne  longue  couftume 
obferuee  de  cette  grand'befte  de  plufieurs  teftes,  que 
ie  t'aurai  retiré  d'vn  grand  bourbier,  où  tu  eftoys  plongé, 


PREMIER    DIALOGVE 


&mis  en  vn  beau &.plain  chemin,  non  point  encores  batu, 
ni  hanté  de  ceux  qui  demeurent  &  font  arreftés  en  la 
fange  de  leur  cerueau. 

LE  COSMOPHILE.  Situ  n'es  du  nombre  de  ceux 
que  l'on  voit  ordinairement  plus  promettre  que  tenir, 
ie  me  fentirai  fort  obligé  à  toi,  &  te  promets  bien  ne 
m'arrefter  point  tant  à  vne  opinion  du  vulgaire,  que  ie 
feray  à  vne  ferme  raifon. 

LE  DEMOCRITIC.il  s'en  trouue  affez,  voire  la 
plufpart  des  aueuglés,  qui  confefTent  bien  ce  que  tu 
me  viens  de  dire,  mais  quand  ce  vient  à  leur  blâmer 
quelque  folie,  ou  vice  qui  de  longtemps  a  pris  pié  en 
leur  efprit,  il  feroit  plus  aifé  de  déraciner  auecques  les 
dents  vn  fort  chefne,  que  de  leur  arracher  cette  pre- 
mière opinion,  en  laquelle  ils  ont  eflé  nourris  &  entre- 
tenus. 

LE  COSMOPHILE.  Tu  auras  de  moy  telle  fantafie 
qu'il  te  plaira,  tant  y  a  que  ie  t'en  ai  dit  au  plus  prés 
de  ma  conception,  t'afTeurant  que  fi  tu  me  fais  entendre 
le  monde  eftre  tant  abufé,  comme  tu  dis,  tu  feras  beau- 
coup pour  moi  de  me  monftrer  telles  erreurs,  encores 
qu'il  me  femble  n'auoir  iamais  hanté  que  gens  qui 
font  réputés  de  bon  efprit,  &  accomplis  en  toutes  hon- 
nefletez,  &.  ciuilitez  requifes  tant  à  ceux  qui  font  éleuez 
en  quelque  grand  eflat,  qu'aux  autres  que  la  fortune  a 
tant  abaiflez,  qu'ils  font  contraints  faire  office  de  ferui- 
teurs,  aufquels  tant  riches  que  pauures  bien  apris  ie  me 
fuys  voulu  régler,  tâchant  par  tous  moyens  à  les  enfuyure, 
pour  en  eflre  mieux  venu  en  toutes  bonnes  compagnies, 
me  dépouillant  au  furplus  d'vn  tas  de  fotteries  &  pre- 


DV    DEMOCRITIC.  7 

fumptueufes  arrogances,  defquelles  communément 
s'acoutrent  ceux  que  l'on  eflime  niais  &  outrecuidez, 
penfans  plus  fçauoir  que  les  autres. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  te  trouueras  bien  loin  de 
ton  conte,  fi  ayant  penfé  fuyure  les  plus  fages,  tu  auoys 
fuyui  les  plus  fols,  &  pour  te  le  faire  entendre,  ie  te 
demanderai  par  quel  point  tu  as  voulu  commencer  à  te 
faire  femblable  à  ceux  que  tu  dis  eflre  de  tant  bon 
efprit. 

LE  COSMOPHILE.  le  croy  que  tu  ne  me  nieras 
point  que  la  hardieffe  de  bien  parier  efl  la  chofe  la  plus 
requife  à  toute  perfonne. 

LE  DEMOCRITIC.  Non  vraiment,  &  te  dirai 
dauantage,  que  fans  cela  plufieurs  qui  ne  laifTent  tou- 
tesfois  à  fçauoir  quelque  chofe  de  bon,  font  reputez 
pour  fots  &  ignares,  eftant  priuez  de  cette  affeurance  ; 
&  au  contraire  qu'elle  fait  le  plus  fouuent  prefumer  d'vn 
homme  dauantage,  qu'il  n'y  en  a. 

LE  COSMOPHILE.  le  te  di  donq',  puifque  cette 
hardieffe  81  affeurance  de  parolle  font  chofes  qui  font 
mieux  eflimer,  &  trouuer  les  hommes  aux  bons  endroits, 
qu'il  faut  chercher  le  moyen  pour  les  acquérir,  en  han- 
tant ordinairement  compagnie,  &  principalement  de 
Dames  &  Damoifeiles. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  ne  dis  pas  tout,  n'entens 
tu  pas  auffi  qu'il  faille  faire  l'amour  à  quelqu'vne  ? 

LE  COSMOPHILE.  C'eft  le  point  où  ie  vouloi 
venir,  entendu  que  l'amour  fert  plus  à  inftruire  vn  gros 
Si  lourd  cerueau,  que  ne  font  toutes  les  autres  inuen- 
tions  &.  artifices  qui  fe  puifTent  trouuer  :  &  pour  le  iour- 


8  PREMfERDlALOGVE 

d'huy,  entre  toutes  les  perfonnes  de  bon  efprit,  il  s'en 
trouue  peu  qui  n'ayent  beaucoup  appris  faifant  l'amour 
à  quelque  gentille  Dame. 

LE  DEMOCRITIC.  Voila  bien  la  chofe  plus 
contraire  à  la  vérité  qu'il  eft  poffible,  car  au  lieu  d'inf- 
truire  vn  homme,  nous  voyons  tous  les  iours  que  l'amour 
fait  deuenir  la  perfonne  de  peu  d'efprit,  foie  du  tout  : 
outre  que  c'eft  bien  la  plus  grande  fottife  qui  fçauroit 
entrer  dedans  le  cerueau  des  hommes,  de  fe  rendre 
fuiets  aux  femmes,  créatures  tant  imparfaittes  qu'elles 
ne  font  engendrées  de  la  nature  feulement  que  pour 
vne  neceffité  de  la  conferuation  humaine,  &  tout  ni  plus 
ni  moins  que  les  épines  &.  herbes  fuperflues  ne  feruent 
qu'à  gâter  vne  bonne  terre,  ainfi  font  la  plufpart  des 
femmes  pour  la  confufion  des  hommes,  i'enten  princi- 
palement de  celles  qui  fe  glorifient  d'en  voir  vne  bonne 
partie  d'iceux  par  leur  folie  fe  foumettre  à  leur  merci, 
&  qui  au  lieu  de  leur  donner  quelque  allégeance  que 
naturellement  fommes  tenus  départir  l'vn  à  l'autre,  en 
prennent  vn  trop  grand  &  démefuré  plaifir,  pour  voir 
ainfi  meffieurs  les  amoureux  fottement  paffionnez  :  & 
en  cela  ne  font  pas  plus  à  blafmer  les  femmes  par  leur 
orgueil  outrecuidé,  que  ceux-là  lefquels  n'eflans  pas 
dignes  d'eftre  appeliez  hommes,  s'afleruent  contre 
toute  raifon  à  celles  defquellesau  contraire  ils  deuroyent 
eftre  feruis,  pour  eftre  les  plus  imparfaittes,  ainfi  que 
ie  te  prouuerai  de  tous  points.  Premièrement  regarde 
fi  la  femme  fçauroit  gouuerner  &  entretenir  vne  Repu- 
blique, rendant  ce  qui  appartient  à  vn  chacun  comme 
fait  l'homme. 


D  V    DE  MO  C  R  ITIC. 


LE  COSMOPHILE.  Pourquoi  ne  le  feront-elles 
pas  auffi  bien  que  les  hommes?  N'en  voyons-nous  pas 
les  exemples  toutes  euidentes  des  Amazones,  lefquelles 
ont  tant  bien  gouuerné  leur  Republique,  mené  guerres 
8t  vaincu  leurs  ennemis,  &.  le  feroyent  auffi  bien  auiour- 
d'iiuy  comme  ell'  l'ont  fait,  n'efloit  le  peu  de  liberté 
qu'elles  ont  de  nous  autres  hommes. 

LE  DEMOCRITIC.  Quant  eft  des  Amazones, 
elles  ne  peuuent  pas  eftre  à  bon  droit  louées  du  gou- 
uernement  de  leur  païs  comme  de  chofe  qui  ne  leur 
éftoit  aduenue  que  par  trop  méchante  inuention  &. 
outrageufe  cruauté,  de  laquelle  ell'  vfoyent  pour  lors, 
comme  ell'  font  de  tous  tems  coutumieres  d'vfer  enuers 
nous  autres  :  c'eft  qu'à  peine  les  pauures  eiifans  mafles 
auoyent  le  loifir  d'eflre  mis  hors  du  ventre,  qu'inconti- 
nent par  leurs  cruelles  mains  ils  ne  fulTent  priués  de  la 
vie,  chofe  tant  deteftable,  &  contre  nature,  que  le 
plus  cruel  des  hommes  auroil  en  grand'  horreur,  le  ne 
dirai  pas  de  faire,  mais  feulement  de  penfer,  &  n'eufl 
eflé  la  neceffité  qui  les  contraignoit,  ell'  les  euffent  tous 
payés  de  mefme  monnoye  :  toutesfois  pour  n'auoir 
faute  de  leur  fexe,  elles  s'en  referuoyent  quelques-vns 
qui  n'en  auoyent  gueres  meilleur  marché  :  car  outre 
qu'elles  leur  coupoyent  les  bras,  ils  eftoyent  contraints 
de  demeurer  à  iamais  captifs  &  miferables,  &  ainfi  les 
pauuréts  ne  pouuant  fatisfaire  à  l'appétit  infatiable  & 
defordonné  de  ces  chieures  enragées,  malheureufement 
finoyent  leurs  iours.  Or  regarde  ie  te  pry'  fi  pour  le 
cruel  &  abhominable  gouuernement  des  Amazones,  les 
autres  femmes  en  ont  occafion  d'aucune  louange  :  &  fi  tu 


PREMIER     DIALOGVE 


veux  dire  qu'elles  ayent  vaillamment  emporté  la  vifloire 
fur  leurs  ennemis,  c'a  eflé  pluftofl  par  fortune  8t  caute- 
leufe  trahiron,  que  par  force  ou  grandeur  de  courage 
qui  fufl  en  elles.  Et  qu'il  foit  vray,  la  nature  les  pre- 
uoyant  tant  pleines  de  ruzes  &e.  pernicieufes  fineffes,  les 
a  dénuées  du  tout,  tant  de  force  d'efprit  que  de  corps, 
&  s'il  s'en  trouue  auiourd'huy  quelqu'vne  qui  fçache  vn 
peu  caqueter,  encores  que  ce  foit  fans  raifon,  ou  qui 
ait  quelque  addreffe  ou  force  de  bras,  cela  efl  eflimé 
comme  chofe  monflrueufe,  &  qui  aduient  peu  fouuent  : 
car  fi  elles  auoyent  tous  les  deux  enfemble,  c'efl  à  dire, 
la  cautéle  accompagnée  de  iugement  raffis  &  force  de 
corps,  il  s'en  enfuyuroit  mil  inconueniens  dommageables 
à  la  conferuation  de  notre  fexe. 

LE  COSMOPHILE.  Il  fembleroit  prefque  à  t'ouyr 
parler  que  Dieu  faillit,  quand  il  créa  la  femme,  qui 
feroit  aller  tout  au  contraire  de  la  vérité,  car  félon  Dieu, 
fi  la  femme  n'efl  plus  parfailte  que  l'homme,  pour  le 
moins  elle  doit  égaler. 

LE  DEMOCRITIC.  Puis  que  tu  es  entré  fus  les 
termes  de  la  Théologie,  encore  que  ie  ne  m'y  foys  pas 
beaucoup  rompu  la  telle,  fi  eft-ce  que  ie  te  prouuerai 
bien  par  icelle  la  femme  ellre  plus  imparfaitte  que 
l'homme  :  ce  que  l'on  peut  aifément  conoiftre  par  les 
defenfes  qui  lui  font  faites  au  nouueau  teftament,  de 
prêcher  publiquement  la  parole  de  Dieu,  ce  qui  a  eflé 
commandé  &  permis  aux  hommes  :  pareillement  Dieu 
parlant  d'vn  péché  énorme,  ne  luy  donne  autre  fimili- 
tude,  que  celle  de  la  fuperfluité  de  la  femme,  que 
nature  luy  a  voulu  donner  exprès  pour  témoignage  de 


DV    DEMOCRITIC. 


fa  grande  vilté  fc  imperfeAion.  Or  vois-tu  euidemment 
la  femme  eftre  plus  imparfaitte  en  toutes  fortes  que 
l'homme  :  &.  par  confequent,  l'homme  eftre  de  tant 
plus  fot  luy  faifant  l'amour,  s'y   rendre  fuiet  &  efclave. 

LE  COSMOPHILE.  Que  me  diras-tu  donq'  de 
tant  de  fçauants,  vertueux  &.  grands  perfonnages,  lef- 
quels  ne  s'en  font  trouuez  moins  exentez  que  les  autres, 
entre  lefquels,  fans  faire  mention  d'vne  infinité  d'autres 
de  noflre  tems,  nous  alléguons  communément  le  puif- 
fant  Dauid,  le  Sage  Salomon,  &  le  fort  Hercule,  lefquels 
nous  voyons  auoir  excédé  les  autres  hommes,  en  richelTe, 
fçauoir  &  force,  &.  nonobftant  ils  n'ont  point  tant  dédai- 
gné l'amour  des  femmes,  comme  tu  fais,  s'y  rendans  du 
tout  leurs  feruiteurs  &.  fuiets. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  ne  médis  chofe  qui  ne 
foit  du  tout  contre  toy,  car  encores  que  plufieurs  braues 
&  vaillants  hommes  fe  foyent  tant  oubliez,  que  de  fe 
laiffer  furmonter  à  cette  foie  paffion,  ce  n'a  elle  qu'à 
leur  grand'  confufion  &.  dommage,  ainfi  que  nous 
voyons  par  les  exemples  de  ceux  que  tu  m'as  alléguez  : 
car  par  cette  frenefie  amoureufe,  celuy  qui  a  efté  ell;imé 
le  plus  fage,  a  tant  perdu  de  fon  efprit,  qu'il  en  a  fait 
des  aftes  du  tout  contraires  à  fa  doflrine.  Combien  il  en 
arriua  de  perte  à  Dauid,  la  preuue  en  efl  afTez  cogneùe 
en  l'écriture  :  combien  la  force  &  grandeur  de  courage 
d'Hercule  en  fut  abâtardie,  nous  le  voyons  alTez  clere- 
ment  aux  complaintes  angoiffeufes,  lefquelles  il  fift  à  fa 
fin  miferable,  &.  telle  que  méritent  tous  ceux  qui  s'afTeu- 
rent,  contre  toute  raifon,  à  ce  fexe  tant  fragile,  muabie 
à  tous  vents,  rempli  d'orgueil  &  méchantes  inuentions, 


PREMI ER    DIALOGVE 


non  point  feulement  tant  pour  attirer  à  foy  les  hommes, 
que  pour  leur  pourchafTer  après  toute  honte,  moquerie 
&  deshonneur.  Tu  vois  donq'  bien  quel  foible  appui  tu 
auois  pris  pour  foutenir  l'amour,  la  penfant  bien  rem- 
parer  d'vne  braue  forterelTe,  me  mettant  au  deuant  ces 
vaillants  fages-foux  perfonnages,  defquels  la  ruine  8t  fin 
malheureufe  nous  doit  feruir  d'exemple  pour  ne  nous 
laifler  aucunement  tranfporter  par  cette  larronneffe  folie, 
que  nous  voyons  auoir  dérobé  les  cœurs  des  hommes, 
voire  des  plus  parfaits.  Combien  voyons-nous  pour 
cette  occafion  en  eflre  furuenues  de  pertes  de  royaumes? 
Combien  de  braues  &  vaillants  hommes  en  auoir  eflé 
tués?  Combien  de  villes  razees,  terres  dépeuplées,  &. 
dégarnies  de  toute  habitation?  Combien  de  regrets  & 
lamentables  cris  fe  font  épandus  en  vain  par  l'air,  & 
tout  pour  cette  rage  d'amour?  Combien  y  en  a  il,  qui 
pour  cette  fottife  ont  miferablement,  &  en  folitude, 
confumé  leurs  iours  :  tellement  que  beaucoup  ne  pou- 
uant  plus  fupporter  telles  paffions,  fe  font  (de  leur 
propres  mains)  donné  la  mort?  Combien  de  nouuelles 
inuentions  de  cruauté  fe  font  trouuees,  &  s'inuentent 
encores  de  iour  en  iour,  pour  fe  venger  de  ceux  que 
ces  fots  enragez  penfent  auoir  plus  qu'eux,  de  faueur 
enuers  leurs  belles  DeefTes?  En  combien  de  hazards, 
périls  &.  dangers,  fe  font  foumis  &  foumettent  ceux 
qui  s'adonnent  à  faire  telles  careffes?  Et  encores  ne 
fuffiroit-il  pas  à  ces  meffieurs,  s'ils  n'en  faifoyent  vn 
Dieu,  tant  qu'il  s'en  eft  leué  vne  infinité  de  cette  fede, 
qui  ne  fe  font  iamais  trouuez  contens,  iufques  à  ce 
qu'ils   nous  ayent   donné  à  entendre  par  leurs  gentil? 


DVDEMOCRITIC.  1} 

barboùillements  St  fottes  fidions,  leur  belle  vie,  &  folle 
fuperftition  :  les  vns  appellans  leurs  amies,  Deefles  &. 
non  femmes  :  les  autres  les  faifans  vaguer,  &  faire  des 
gambades  en  l'air  auecques  les  efprits  :  les  autres  les 
fituans  auecques  les  étoilles  aux  cieux,  aucuns  les  éle- 
uans  auecques  les  Anges  pour  leur  vouer  de  belles 
offrandes,  tellement  que  ie  croy,  fi  on  leur  veut  d'auan- 
tage  prefter  l'oreille,  ils  s'efforceront  de  les  mettre  au 
delTus  des  Dieux,  &.  tant  eft  creuë  cette  folie  entre  les 
hommes,  que  le  Courtifan  du  iourd'huy,  ou  autre  tel 
faifant  eflat  de  feruir  les  Dames,  ne  fera  eftimé  bien 
appris,  s'il  ne  fçait,  en  dechifrant  par  le  menu  fes  fade- 
zes,  fonges  &  folles  paffions,  fe  paffionner  à  l'Italienne, 
foupirer  à  l'Efpagnole,  fraper  à  la  Napolitane,  &  prier 
à  la  mode  de  cour,  &  qui  efl  le  pis,  penfant  bien  voir  & 
louer  ie  ne  fçay  quoy  de  beauté  qu'il  eftime  efîre  en 
s'amie,  il  ne  la  voit  le  plus  fouuent  qu'en  peinture,  i'en- 
ten  peinture  de  fard  ou  d'autre  telle  mafque,  dequoy  ne 
fe  fçauent  que  trop  reparer  ces  vieux  idoles  reuernis  à 
neuf.  Et  tout  cela  ne  fufGroit,  s'ils  n'y  entreméloyent 
quelques  triolets,  virelais,  rondeaux,  ballades  &  autre 
telle  efpece  de  vieille  quinquaille  roûillee,  dont  ils  em- 
pêchent à  toute  heure  les  preffes  des  imprimeries,  &  en 
raptaffent  ie  ne  fçay  quelles  œuures  que  l'ont  peut 
nommer  (outre  qu'elles  font  fottes)  fuperflues  &  inutiles. 
Et  pour  mieux  venir  au  comble  de  toute  réuerie,  il  en 
furuient  après  d'autres  qui  adioutent  des  glofes  aux 
liures  de  ces  premiers  inuenteurs  de  bayes,  pour  nous 
ébourrer  encores  dauantage  cette  mauuaife  odeur,  ce 
que  ceux  qui   ont  cognoifTance  de  la  langue   Italienne, 


14  PREMIERDIALOGVE 

peuuent  voir  aux  glofateurs  de  Pétrarque,  qui  iuy  font 
plus  dire  de  chofes  par  leurs  comments  &  fottes  inter- 
prétations, qu'on  ne  Iuy  feroit  confeffer  (voire  Iuy  don- 
naft  on  l'aftrapade  de  corde)  s'il  elloit  viuant,  non  que  ie 
vueille  toutesfois  tant  blâmer  les  amateurs  de  la  poëfie,  que 
ie  n'approuue  bien  leurs  écris,  &  principalement  quand 
ils  reffentent  quelque  chofe  de  l'antiquité,  pardonnant 
bien  auffi  à  ceux  qui  ont  donné  en  leurs  œuures  quelque 
louange  aux  dames  qu'ils  auoyent  affeftees,  fi  elles  le 
méritent,  moyennant  auffi  que  cela  foit  fait  de  forte 
qu'auecques  le  plaifir,  l'inflruélion  &  doftrine  n'en 
foyent  point  élongnées,  &  que  pour  ce  faire  on  n'y 
employé  pas  tant  de  fon  indufirie  &.  labeur,  que  l'on 
penfe  bien  faire  quelque  chofe  plus  excellente  que  cela. 
Mais,  pour  ne  nous  écarter  point  trop  de  nos  premières 
erres,  rentrant  en  la  trace  que  nous  suions  delaiffee, 
nous  fuyuions  le  mépris  de  ceux,  lefquels  ayans  perdu 
toute  cognoilTance  de  leur  perfe6lion  &  bon  fens  natu- 
rel, n'ont  point  dédaigné  de  s'abaftardir  iufques  à  dire 
qu'ils  baifent  l'ombre  des  fouliers  de  leur  Dame,  appel- 
lans  leur  ame  chambrière  8i  efclaue  d'icelie,  voulant 
ainfi  abaifler  &  anéantir  chofe  fi  haute  &.  tant  precieufe, 
&  ce  qui  ne  doit  eftre  employé,  qu'à  la  contemplation 
des  chofes  grandes,  &  fecrets  de  nature,  l'adonner  iuf- 
ques au  feruice  de  chofe  fi  petite,  &  tant  vile,  comme 
eft  la  femme,  animant  de  tous  ceux  de  la  nature  le  plus 
pernicieux  &  abhominabie.  Et  qu'il  foit  vray,  efl  il  pof- 
fible  de  voir  vn  animant  plus  remply  de  tromperie, 
calomnies  &  menfonges,  ni  adonné  dauantage  aux 
chofes  les  plus  vilaines  du  monde,  que  la  femme  qui 


DVDEMOCRITIC.  15 

le  veut  mal  gouuerner?  Elle  ne  pardonneroit  pas  mefme- 
ment  aux  poifons,  aux  aftres  &  planettes  conjurées,  ni 
à  vne  infinité  d'autres  telles  exécrables  inuentions,  lors 
(ju'elle  a  defir  de  faouler  la  rage  de  fa  vengeance,  ou 
fatisfaire  à  fon  appétit  infatiable  &  defordonné.  Et 
outre  plus  fi  elle  penfe  que  les  malins  efprits  luy  puiflent 
lider  ou  donner  quelque  fecours  en  fa  méchanceté,  en 
méprifant  &.  Dieux  &  toute  religion,  elle  ne  fe  feindra 
aucunement  de  les  inuoquer,  leur  faifant  hommage,  &. 
de  fe  foumettre  du  tout  à  leur  puifiance.  Qu'elle  foit 
opiniaflre  à  l'extrémité,  &  plus  cruelle  que  n'efl  vn 
rigre,  il  n'en  faut  point  douter,  quand  nous  en  auons 
les  exemples  toutes  euidentes  deuant  nos  yeux,  &  aux 
hiftoires  infinies  autres,  comme  celles  de  Medee  &  Agrip- 
pine,  lefquellesà  l'occafion  de  leur  paillardife,  ont  conf- 
piré  la  mort  de  mille  perfonnes.  Que  diray  ie  de  la 
pernicieufe  Clitemneftre,  laquelle  auecques  l'aide  de 
fon  ruffien  Egifle,  tua  fon  loyal  &  innocent  mari  Aga- 
memnon?  Or  il  n'y  a  foy  aucune,  &  moins  encores  de 
confiance,  en  ce  malheureux  &  abominable  fexe  qui 
ne  tâche  tous  les  iours  à  autre  chofe,  qu'  à  trouuer 
quelque  maudite  inuention  par  laquelle  il  puifTe,  ou  du 
tout  ruiner  cettuy-ci,  ou  deceuoir  cettuy-la,  fans  égard 
d'aucune  pitié  naturelle.  Et  s'il  adulent  d'auanture 
qu'aucune  de  ce  fexe  malin  ait  quelque  pauure  homme 
fimple  &  de  bonne  foy  pour  mary.  Dieu  fçait  comme 
elle  en  iouëra  à  la  pellote  :  luy  donnant  neantmoins 
toufiours  à  entendre  qu'elle  efl  •la  plus  femme  de  bien 
du  monde,  puis  le  flattant  &  mignardant  tantoft, 
comme    s'il   eftoit   fon  plus  grand  mignon,  fon    bien 


l6  PREMIER    Dl  ALOGVE 

aimé,  ell'  l'appellera  fon  Dieu,  fon  ame,  &.  toute 
fon  efperance  :  mais  la  traitrefTe,  &  ruzée  paillarde  ne 
laiflera  de  luy  faire  la  moue  en  derrière,  ferrant  &. 
preffant,  le  plus  fecrettement  qu'elle  pourra,  la  main  ou 
le  pied  à  fon  aymé  ruffien,  luy  promettant  par  cela,  ou 
par  tels  autres  femblables  fignes  comme  d'impudiques 
œillades,  que  de  bref  ils  coucheront  enfemble  en  dépit 
du  vilain  ialoux.  Et  fi  elle  ell  par  cas  fortuit,  furprinfe 
fus  le  fait  auecques  fon  ruffien  elle  aura  bien  encores 
cette  cautelle  &  effrontée  audace  de  l'ofer  contredire  &. 
nier  ce  qui  fera  tant  euident  &.  manifefle,  que  les 
aueugles  mefme  le  pourroient  voir  clerement.  Quant  eft 
de  promettre  &  nier  fa  parole,  ce  ne  luy  efl  qu'vn  pafTe- 
temps  tant  elle  eft  naturellement  encline,  &  eft  grande 
fon  affection  de  tromper  &l  decepuoir.  le  ne  te  raconte 
point  combien  elle  iede  de  feintes  larmes,  s'eclatant  en 
hauts  fanglots  &.  foupirs  continuels,  lors  qu'elle  a  entre- 
pris de  tromper  ou  fon  amoureux,  ou  fon  mary.  Bref 
foit  pour  rire,  foit  pour  pleurer,  elle  fe  changera  incon- 
tinent en  toutes  affeftions,  n'eftant  pas  moins  muable 
qu'eft  la  fueille  de  l'arbre  pouffee  d'vn  fort  tourbillon  de 
vent.  Et  fi  tu  penfois  qu'elle  voufift  donner  vn  liard 
pour  deliurer  fon  amy  ou  mary  d'vn  danger  extrême, 
tu  t'abuferoys  bien,  tant  la  pieté  &  douceur  naturelle 
font  efteintes  en  fon  cueur  &  tant  au  contraire  le  feu 
d'auarice  y  eft  enflammé,  qui  la  brufte  iufques  au  dedans 
des  entrailles  :  Neantmoins  qu'elle  n'efpargne  rien, 
quand  ileftqueftion  de  Tes  habits,  pompes,  &  braueries, 
entendu  qu'elle  creueroit  de  defpit  &  de  rage,  fi  elle  en 
voyoit  marcher  vne  autre  plus  braue  qu'elle,  &  après 


DVDEMOCRITIC.  17 


s'eftre  ainfi  pompeufement  acoutree,  vous  la  verrez 
panader  par  vne  rue  fi  fiere  &.  fi  hautaine,  qu'il  femble 
encore*  que  l'on  foit  bien  tenu  de  iuy  aller  faire  la 
reuerence,  &  fi  par  fortune  il  fe  trouue  quelque  pauure 
lot  qui  Iuy  donne  d'vne  Madame  à  voflre  commande- 
ment, voflre  humble  &  obeiffant  feruiteur  s'il  vous 
plaifl,  auecques  force  pieds  de  veau  à  cul  ouuert,  vous 
la  verrez  alors  enfler  d'orgueil,  &  enflammer  ny  plus  ny 
moins  qu'vne  chienne  enragée,  ou  vn  Tigre.  le  me  tay 
lu  temps  que  telles  caignes  confument  à  fe  mirer,  & 
vfer  de  fards  &  vnguens,  pour  remplir  leurs  rides,  &. 
mafquer  leur  vifage  fale  &.  deshonnefie.  Et  encores 
npres  toute  cette  farce  là,  cuidez  vous  fi  elles  fe  trouuent 
en  un  conuy,  qu'elles  facent  femblant  de  tenir  conte  de 
la  fomptuofité  &  magnificence  du  banquet  ?  Vous  diriez 
1  voir  leur  contenance,  facheufe  &  déguifee,  que  toutes 
viandes,  &.  mefmement  les  plus  exquifes  &.  délicates, 
leur  viennent  à  contrecueur,  où  le  plus  fouuent  les  truyes 
fales  &  infeftes  font  bien  aifes  à  leur  mefnage,  fi  elles 
ont  quelque  petit  demeurant  de  trois  iours,  pour  ronger 
auecques  leur  gros  pain  noir,  le  ne  dy  pas  que  fi 
elles  ont  argent  qu'elles  ne  fe  traittent  à  fouhait,  qu'elles 
i.e  boiuent  du  meilleur  de  la  ville,  s'engorgeant  de 
viandes,  &  de  vin,  de  telle  forte  que  leurs  maris,  eftant 
couchez  la  nuift  auprès  d'elles,  n'en  auront  autre  chofe 
qu'vn  parfum  d'vrine  &.  de  vomifTement,  dont  elles  rem- 
pliront tout  le  lîft,  &  qui  eft  le  pis,  encores  ne  fe  con- 
tenteront elles  pas  au  matin  d'auoir  ainfi  acouflré  les 
pauures  diables  de  maris,  il  faudra  encores  (pour  fatif- 
faire  à  la  defpenfe  &.  menus  plaifirs  de  Madame)  vendre 


l8  PREMIER    Dl ALOGVE 

lift,  chalit  &  paille,  draps,  vaiffelle,  taffes  «t  coupe- 
d'or  &.  d'argent,  s'il  y  en  a,  à  celle  fin  d'en  entretenir 
fes  maquerelles  &  Rufiens,  8t  d'auoir  le  moyen  de  han- 
ter les  compaignies  &  lieux  de  plaifir,  comme  les  baings 
des  efluues,  les  ieux  publics,  les  danfes  &  aflembleez, 
principalement  celles  qui  fe  font  au  foir,  pour  mieux 
continuer  la  rubrique,  faifant  vn  peu  branler  les  tapifTe- 
ries,  &.  s'ecartant  en  quelque  coin,  à  la  dérobée,  &. 
auffi  pour  affigner  lieu,  iour  &.  heure,  aux  pauures  par- 
ties attendantes.  Si  d'auenture  elles  hantent  les  Eglifes, 
ou  les  fermons,  ce  n'eft  à  autre  intention  que  pour 
attirer  à  foy  par  regards  lacifs  St  contenances  impudi- 
ques quelque  ieune  clerc  ou  autre  nouice  écharmou- 
cheurs  de  cottes  qui  fe  montrera  à  le  voir  difpos  de 
membres,  frais  &  de  bonne  taille  pour  bien  fournir  au 
contant,  &.  fatisfaire  à  leur  paillardife  demefuree.  Et 
ainfi  fera  pipé  Monfieur  le  ieune  homme  qui  penfera 
incontinent  eflre  quelque  autre  Adonis,  ou  pour  le 
moins  vn  fécond  Cheualier  de  l'ardente  épee,  d'auoir  fait 
vn  fi  grand  coup  que  d'entrer  en  la  faueur  &.  s'infinuer 
en  la  grâce  de  cette  gentille  Madame,  qui  ne  tend  à 
autre  fin  qu'après  auoir  fucé  toute  la  fubftanfe  de  fon 
corps  &.  de  fa  bource,  tirer  la  langue  fus  luy  &  s'en 
moquer  apertement  deuant  vn  chacun.  Et  fi  d'auenture 
elles  mettent  leur  affeflion  en  quelque  perfonnage,  &. 
qu'elles  luy  portent  amitié  non  diffimulee  &.  fans  que 
l'auarice  en  foit  caufe,  c'eft  le  plus  gentil  pafletemps 
du  monde  que  devoir  tout  ce  miftere  là.  L'vne  s'én- 
amourera d'vn  borgne  ou  d'vn  chaffieux,  cette-cy  d'vn 
boyteux  ou  d'vn   prêtre,    cette   là  d'vn  punais,  ou  de 


D  V    D  E  M  O  C  R  1  T  I  C .  I  9 

quelque  gros  valet  qui  fentira  {on  épaule  de  mouton, 
l'autre  d'vn  boffu  ou  d'vn  villain  tout  rempli  de  fiftules, 
&  qui  tombe  déia  par  pièces  tant  il  efl  pourri  de  vérole 
&.  de  ladrerie,  le  ne  veux  pas  dire  que  s'il  fe  trouuoit 
quelque  teigneus  couuert  de  farfin,  portant  l'effigie  de 
la  mort  emprainte  en  fon  vifage,  les  yeux  enfoncez  de 
demy-pied  en  la  tefle,  la  gueule  torte  comme  vn  vilain 
qui  renie  Dieu,  fi  deffait  que  les  oz  luy  perçaffent  la 
peau,  qu'vn  tel  honnefle  homme  ne  chatouillafl  bien 
tant  le  courage  de  ces  vertueufes  dames  qu'il  ne  les 
fift  eftre  déloyales  aux  premiers  eleus.  Tu  peux  voir 
quels  font  les  beaux  Adonis  de  ces  cagnes  lefquelles 
n'ont  pas  encores  la  patience  d'attendre  qu'ils  viennent 
par  deuers  elles,  ains  de  iour  &  de  nuit  elles  les  vont 
voir  à  celle  fin  d'éteindre  la  furieufe  rage  de  leur  pail- 
lardife.  Et  puis  eflans  retournées  à  leur  maifon,  fi  elles 
font  enquifes  par  le  mary  ou  quelcun  des  parens  où 
elles  ont  eflé  pendant  fi  longtemps  abfentes,  elles  vien- 
dront de  donner  confolation  à  quelque  pauure  malade. 
Ennamenda  c'eftoit  grand  pitié  que  de  le  voir,  Dieu  & 
noftre  Dame  luy  auront  fait  belle  grâce,  ou  bien  elles 
viendront  de  vifiter  leur  voifine  de  nagueres  accouchée, 
ainfi  qu'elles  ont  de  bonne  couftume  faire  entre  elles. 
Et  fi  on  les  penfe  chaflier,  ou  par  menaces  ou  par  ba- 
tures,  elles  en  deviendront  cent  fois  pires  :  fi  au  con- 
traire on  les  flatte,  8t  que  l'on  eftime  les  auoir  par 
douces  paroles,  elles  en  prendront  vne  liberté  trop 
plus  grande  qu'elles  n'auoyent  fait  au  commencement.  Si 
on  les  veut  contraindre  &  retirer  des  compagnies,  les 
renfermant  comme  prifonnieres,  elles   fe  communique- 


ao  PREMIERDIALOGVE 

rofit  pluftoft  à  des  befles  ou  à  des  valets,  tellement 
qu'il  eft  impoffible,  quelque  remède  qu'on  s'efforce  d'y 
trouuer,  d'empefcher  ny  donter  la  volonté  impudique 
8t  éfrenee  de  ces  audacieufes  belles  qui  ioùent  du 
cheual  échapé.  le  ne  te  dy  point  de  quelles  fortes  d'in- 
iures  elles  acouftrent  leurs  pauures  maris  abfens,  &. 
principalement  s'ils  font  du  titre  des  froids  &  maleficiés, 
ou  bien  que  par  modeftie  ils  foyent  retardez  de  la  fré- 
quente réitération  du  ieu  de  Venus.  Bref  quelque  chofe 
qu'il  y  ait,  iamais  elles  ne  veullent  que  l'on  les  frullre  de 
ce  morceau  friand,  ces  méchantes  &  maudites  vipères. 
Tout  ce  qu'elles  penfent,  tout  ce  qu'elles  machinent, 
tout  ce  qu'elles  font,  ne  tend  qu'à  trouuer  le  moyen  de 
contenter  leur  paillardife.  Quant  eft  d'honnefteté,  de 
modeftie,  de  chafteté,  iamais  vous  n'en  oirés  vne  pa- 
role fortir  de  leur  bouche  :  tous  leurs  deuis  ne  font 
d'autre  chofe  que  de  louer  celles  là,  comme  bien  heu- 
reufes,  aufquelles  il  eft  efcheu  d'auoir  vn  mari,  ou  vn 
ruffîen  laffif,  &.  qu'il  leur  chatouille  fouuent  le  bas. 
Et  Dieu  fçait  la  chère  &  vie  qu'elles  mènent,  en  l'ab- 
fence  de  leurs  maris,  rien  n'y  eft  efpargné  pour  le 
traitement  de  leurs  ruffiens  &  mignons  de  couchette  : 
tout  ce  que  peut  amaffer  le  pauure  homme,  en  vn  an 
trauaillant,  iour  &  nuift,  eft  deuoré  &.  englouti  en  vn 
iour.  Encores  ne  leur  fuffit-il  pas  de  dépendre  ainfi  le 
bien  des  pauures  cocus,  fi  elles  ne  les  tenoyent  fus  les 
rancs,  durant  leurs  feftins  &  banquets  :  i'vne  difant  du 
fien  que  ce  n'eft  qu'vn  gros  lourdaut,  qui  ne  lui  fçauroit 
rien  faire,  &.  que  toute  la  nuift  il  ne  fait  que  luy  tour- 
ner le  dos,    ronfler  &.  cracher,   comme  s'il  auoit   vne 


DVDEMOCRITIC.  31 

t 

itifie  qui  lui  fift  ieâer  fes  pommons  :  cette-cy  qu'elle 
voudroit  que  le  fien  n'euft  point  tant  étudié,  &.  qu'il  eft 
trop  fçauant,  entendu  qu'il  obferue  le  cours  de  la 
Lune,  les  eclipfes  &.  mouuemens  des  aflres,  pour  fçauoir 
quand  il  eft  bon  ou  mauuais  d'habiter  auecques  les 
femmes,  St   qu'il   ne  paffe    fepmaine  qu'il  ne  luy  face 

:roire  que  les  iours  caniculiers  font  en  règne  :  ce(le-là 
e  le  fien  eft  pareillement  trop  fuperftitieux  en  ces 
affaires  là,  d'auoir  fait  vœu  de  ne  toucher  point  aux 
femmes  certains  iours  de  la  fepmaine,  &.  principalement 
aux  iours  meigres,  &•  bonnes  feftes  de  l'an  :  l'autre 
que  le  fien  n'en  a  pas  fi  grand  que  le  petit  doi,  encores, 
qu'il  eft  fi  niais  qu'il  ne  fçauroit  trouuer  le  pertuis,  fi 
elle  ne  luy  met  elle  mefme.  Et  ainfi  font  dépeins  les 
maris  abfens  lefquels  ne  font  point  pluftoft  retournez 
des  champs,  qu'incontinent  elles  ne  leur  viennent  faire 
la  reuerence,  les  affeurant  du  grand  ennuy  &.  fâcherie 
qu'elles  ont  fouffert  durant  leur  trop  longue  abfence. 
Et  s'il  échape  alors  quelque  foupir  de  leur  eftomac 
pour  la  fraîche  mémoire  qu'elles  ont  encores  de  leurs 
amoureus,  elles  feront  acroire  au  pauure  iobet,  que  ce 
fera  pour  l'amour  de  luy.  Elles  fe  tiendront  tout  vn  long 
temps  pendantes  à  fon  col,  le  baifant  puis  au  front, 
puis  aux  yeux,  puis  en  la  bouche.  Mais  les  traitrelTes 
U  méchantes  qu'elles  font,  le  voudroyent  auoir  ia  baifé 
mort,  pendu  &.  étranglé  à  quelque  gibet,  n'en  faifant 
pas  moins  de  tout  cela  à  l'endroit  de  leurs  amoureux, 
voire  encores  plus  qu'à  leurs  maris.  Qui  fera  donq'  dé- 
formais celuy  tant  elongné  de  tout  bon  iugement,  qui 
fe  voudra    alTeruir  à  vn  animant  tant  pernicieus,  tant 


PREMIER    DIALOGVE 


villain  &.  deteftable  comme  eft  cettuy-ci.  Mais  nonobftant 
tout  cela  vn  tas  de  gentils  mignons  ne  délaiffent  point 
d'eiraier  à  complaire  par  mille  moyens  à  ces  fieres 
befteSj  fe  foubmettans  à  la  merci  du  froid  8t  humide 
ferein,  de  l'afpre  &.  forte  gelée,  de  la  pluye,  des  vens 
&  orage,  &  fouuent  d'vn  parfun  d'vn  pot  à  pifTer  fur 
leur  tefle,  pour  recompenfe  de  la  peine  qu'ils  prennent 
à  fonner  des  aubades,  auecques  luts,  guiternes,  flûtes, 
Si  autres  accords  &.  raclements  de  boyaux,  au  deuant 
de  la  feneftre  de  Madame,  laquelle,  ce  pendant  que 
ces  pauures  niais  font  là  à  trembler  le  grelot,  épandre 
foupirs,  &  baifer  le  crouillet  de  la  porte,  efl;  ou  dor- 
mant à  fon  aife  dedans  vn  lid,  ou  à  fon  réueil  étendant 
la  cuifle,  &  prenant  plus  de  plaifir  à  fe  moquer  de  !a 
folie  de  ces  fols  importuns,  qu'à  cuyr  l'armonie  de 
leur  mufique  :  &  ainfi  font  accouflrez  ces  amoureux  de 
Carefme.  Or  cognois-tu  maintenant  affez  les  imperfec- 
tions de  ces  befles  que  tu  auois  tant  recommandées,  & 
pareillement  le  maigre  pafTetemps  &  pauure  recompenfe 
qui  enfuyt  de  cette  fotife  amoureufe,  n'emportant  auec- 
ques foy  que  mocquerie,  vray  guerdon  à  ces  plaifans 
meffieurs,  pour  les  foulager  des  grandes  peines  &  longs 
trauaux  qu'ils  ont  endurez  à  cette  occafion.  Et  fi  tu 
voulois  retourner  en  ta  première  herefie  de  dire  qu'ils 
apprennent  beaucoup  à  parler,  faifant  l'amour  à  vne 
Madame,  tu  en  pourras  aifément  cognoiftre  la  vérité, 
par  les  refponces  qui  leurs  font  faites,  &.  principalement 
de  Mefdames  de  ville,  dont  ie  t'en  diray  après  nous 
eftre  affis  fur  cette  herbe  verte  quelques  vnes  pour  nous 
recréer  &l  de  celles  que  i'ay  autres    fois  entendues  dire 


DV     DEMOCRITIC.  2^ 

3  dérobée,  c'eft  que  pluftoft  ce  fot  tranfporté  n'aura 
acofté  Madame  la  Bourgeoife,  &.  commencé  à  defcou- 
urir  le  pot  aux  rofes,  qu'elle  ne  luy  face  vne  de  ces 
petites  fottes  refponces  telles  qu'elles  s'enfuyuent.  Enda 
Mjy  :  enda  voire  Monfieur,  vous  nous  en  voulez  conter, 
as  venez  de  Blays  :  vous  voulez  rire  :  vous  faites 
.'.nnemine  :  le  croy  que  vous  venez  d'Angers,  vous  en 
auez  bien  veu  ceus  qui  en  venoyent  :  vous  en  fçauiez  de 
deux,  vous  nous  en  auez  baillé  d'vne  :  ie  croy  que  vous 
efles  fils  de  boucher,  vous  tàtez  bien  la  chair  :  combien 
;ne  voulez  vous  acheter  que  vous  me  tàtez  ainfi?  le  n'ay 
£;arde  d'affondrer,  ie  fuis  bien  arriuee  :  cettuy  là  ne 
vous  coufle  gueres,  monfieur,  il  eft  creu  en  vos  iardins  : 
vous  efles  trop  chaut,  vous  ne  dureriez  pas  :  ha  vous 
elles  trop  blanc,  il  y  a  plus  de  faueur  en  vn  grain  de 
poiure  qu'il  n'y  a  en  vn  muy  de  chaux  :  ce  font  des 
pommes  de  muzart,  nul  n'y  touche  qu'il  n'y  ait  part  : 
vous  diéles  mieux  qu'vn  chalumeau  de  blé  :  reuenez 
demain  vous  ferez  cerclé  :  que  cherchez  vous  là  Mon- 
fieur, vous  n'y  auez  rien  mis  :  dea,  vous  eftes  moût 
priué  pour  la  première  fois  :  he  Dieu,  que  vous  efles 
endemené  :  vous  auez  la  main  terriblement  legiere  : 
vous  efles  moût  importun  :  vous  efles  facheus  :  les  filles 
de  voflre  cartier  fe  laifTent  ell'  ainfi  tâter  ?  Tous  ceux 
qui  m'ont  abbayee  ne  m'ont  pas  mordue  :  le  baifer  qui 
au  cœur  ne  touche  ne  fait  qu'affadir  la  bouche  :  il  vaut 
mieus  auoir  bonne  tefle  que  mauuais  cul  :  ainfi  dit  le 
Renart  des  meures  :  ce  feroit  bien  tofl  faidl  qui  vous 
voudrait  croire  :  la  nuit  nous  donnera  confeil  :  iem'ébahi 
comment  vous  efles  fi   gras^  veu  que   vous  auez   tant 


34  PKEMIERDIALOGVE 

d'affaires  :  vofire  amie  n'eft  pas  fi  noire  :  ceus  qui  me 
verront  de  iour  ne  fe  rompront  pas  le  col  pour  me  ve- 
nir voir  la  nuit.  11  s'en  trouuera  vue  autre  plus  fucree 
&  qui  voudra  contrefaire  de  la  bien  apprife  qui  dira, 
Que  vous  fauez  bien  dire,  ie  croy  que  vous  auez  bien 
leu  les  liures  qui  en  parlent  :  cela  vous  plaift  à  dire, 
Monfieur,  c'eft  du  bien  de  vous  :  on  s'entraime  mieus 
deuant  qu'on  s'entr'ait  que  quand  on  s'entr'a  :  vofire 
ciuilité  me  rend  ruftique  :  il  y  a  long  temps  qu'on  ne 
baife  plus  :  il  ne  fut  iamais  moins  de  refponces,  on  les 
a  toutes  mangées  en  falade  :  vous  pouuez  bien  mentir, 
vous  venez  de  loing  :  vous  ne  me  voulez  pas  tuer,  vous 
me  baillez  du  plat  :  n'y  penfez  plus,  voftre  part  en  eft 
gelée  :  vous  vous  trompez,  ce  n'eflpas  ainfi  que  vous 
penfez  :  vous  fçauez  mieus  que  vous  ne  dites  :  vous  n'en 
fériés  rien  fi  vous  ne  vouliés  :  ie  fuis  telle  que  Dieu  m'a 
faitte  :  vous  auez  puifTance  de  dire  de  moy  tout  ce  qu'il 
vous  plaira,  Monfieur,  tant  y  a  que  ie  ne  cognoy  rien 
en  moy  des  louanges  que  vous  me  donnez  :  vous 
me  faites  trop  d'honneur,  Monfieur,  il  ne  m'apartient 
pas  :  ie  vous  remercie  du  grand  bien  que  vous  me 
defirez,  Monfieur,  ie  n'ay  pas  tant  mérité  en  vofire 
endroit  :  il  faut  cognoiflre  deuant  que  d'aimer:  vous 
autres  hommes  efles  toufiours  couftumiers  de  dire  & 
promettre  telles  chofes,  mais  quand  vous  auez  fait  des 
femmes,  vous  n'en  tenez  plus  de  conte,  vous  perdez  alors 
le  fouuenir  de  tous  les  grands  ferments  que  vous  leur  | 
auiez  faiftsen  la  chaleur  de  vofire  amour,  foudain  vos 
foupirs  &.  promefïes  s'euanouyfTent  par  l'air  :  mais, 
Monfieur,  que  diroit-on    fi  l'on  vous  voyoit  vfer  de  fi 


DV     DEMOCRITIC.  25 

:ide  priuauté  en  mon  endroit,  vous  fçauez  que  les 
i  font  auiourd'huy  tant  mal  parlans  :  il  n'y  a  remède, 
il  faut  quelque  fois  diffiniuler  &  faire  des  chofes  tout 
contre  fon  vouloir  pour  euiter  au  fcandale  :  vraiement  il 
i'en  trouue  ordinairement  aux  compagnies,  ie  ne  fçai  fi 
'  lia  leur  procède  de  ialouzie  ou  de  quelque  autre  enuie 
Is  aient  fus  les  perfonnes,  mais  ils  ne  font  autre 
cnofe  que  noter  tout  ce  qui  s'y  fait,  pour  médire  après 
des  vns  &  des  autres  :  ie  ne  veux  pas  dire,  monfieur 
quant  à  vous  que  vous  ne  vous  y  fceuffiez  gouuerner 
fagement  :  il  appert  bien  que  vous  auez  efté  en  plus 
d'vn  endroit,  vous  fçauez  bien  autre  chofe  que  voflre 
pain  manger.  Et  fi  par  cas  fortuit  il  s'adrelToit  quelqu'vn 
à  elle  qui  fans  vfer  de  toutes  ces  petites  harengues 
deffalees  voufifl  aller  de  droit  fil  donner  dedans  l'aneau, 
madame  la  ruzee  auecques  fes  fourcis  rabaifTez,  &. 
comme  bien  remplie  de  courrous,  luy  refpondra  :  Quel 
gentil  perroquet,  ie  croy  que  vous  auez  eflé  en  cage 
pour  apprendre  à  parler  :  vraiment  c'eft  dommage  que 
l'on  ne  vous  a  préparé  vne  chaire,  vous  prefcheriez  bien, 
vous  auriez  tantoft  le  bec  iaune  :  vous  diètes  d'or  :  ie 
croy  que  vous  ne  difles  pas  à  bon  efcient  :  à  fote  de- 
mande il  ne  faut  point  de  refponce  :  fçauez  vous  que 
c'eft  qu'il  y  a,  Monfieur,  ie  vous  prie  ne  vous  mocquez 
point  de  moy,  l'en  ai  bien  veu  d'autres  :  vous  me  deb- 
uiez  regarder  à  deux  fois  &  penfer  tout  à  ioifir  deuant 
que  de  me  parler  tel  langage  :  ce  n'eft  pas  à  moy  qu'il 
vous  falloit  addreffer  pour  vfer  de  telles  paroUes  :  ie  ne 
fuis  pas  telle  que  vous  penfez  :  vous  deueriez  vous  ad- 
drelTer  ailleurs  pour  paruenir  à  voflre  intention  :  il  ne 


26  PREMIER     DIALOGVE 


faudroit  guère  de  tels  propos  pour  vous  eflranger  d'vne 
bonne  compagnie  :  addreffez  hardiment  ces  lettres  à 
d'autres  :  Monfieur  ie  vous  fupplie  fi  vous  me  voulez 
faire  plaifir,  ne  me  tenez  plus  tels  propos  :  comment  \ 
il  femble  à  vous  ouyr  parler  que  ie  reffemble  vne  garce 
publique  :  vous  pouuez  bien  aller  chafTer  ailleurs,  ce 
n'eft  pas  ici  votre  gibier  :  ce  n'eil  pas  viande  pour 
vos  oifeaus  :  ce  n'eft  pas  pour  vous  que  l'on  frit  ce.- 
œufs  :  addrefTez  hardiment  ailleurs  vos  offrandes , 
ie  fuis  à  vn  autre  faint  vouée  :  il  y  a  bien  vn  autre  qui 
s'y  attend  :  vous  perdez  vos  pas  :  vous  vous  tourmentez 
en  vain.  Comment  !  eft-ce  là  le  peu  de  conte  que  vous 
faites  de  l'honneur  des  Dames?  Mais  ce  dont  ie  me 
fâche  le  plus  efl  dequoy  ces  pauures  fottes  eftiment  leur 
honneur  eftre  caché  entre  leurs  cuiffes,  le  logeant  en 
vn  lieu  tant  fale  &  deshonnefte,  &  croy  que  c'eft  la 
raifon  pour  laquelle  elles  en  font  le  plus  fouuent  part  à 
quelque  gros  vilain  &.  lourdaut  de  valet,  &.  pluftoft  qu'à 
vn  honnefte  gentil-homme  qui  le  meriteroit  :  &  voila  par 
le  corps  Dieu  (l'en  iure)  de  quoy  ie  me  fcandalife  le 
plus.  Mais  ie  te  veus  bien  ici  aduertir  d'vne  chofe,  que 
tu  ne  te  frotte  pas  d'aller  harenguer  ni  prefcher  le 
moins  du  monde  de  la  charité  à  ces  Dames  lourdes 
ruzees  de  Genéue,  fi  tu  ne  veus  fermement  continuer  tes 
coups,  car  il  m'aduint  vne  fois  en  allant  en  voyage  à 
faint  Claude  d'en  parler  à  deux  ou  trois  feulement  de 
gayeté  de  cœur,  mais  pource  que  ie  n'en  fis  après  plus 
de  conte,  ie  me  donne  au  diable  fi  elles  ne  difoyent  tout 
razement  que  ie  ne  croyois  pas  en  Dieu  :  ce  qu'elles 
auoyent  bien  inuenté   fauffement  &  du  tout  contre  la 


DV    DEMOCRITIC. 


vérité,  veu  que  ie  ne  leur  parloy  d'autre  chofe  par  ce 

;   que  i'étoy  bien   affeuré   qu'elles  ayment    fort  cela,   à 

raifon  de  l'air  de   Laufanne  qui    leur    fouffle   la   belle 

I  parolle  de  Dieu  (m'amie)  toute  déliée  comme  fleur  de 

I  farine  paffee  au  plus  menu  fas. 

I        LECOSMOPHILE.  Par  Dieu  ie  me  garderay  donc 

!   bien  de  leur  en  parier,  au  moins  fi  ie  n'ay  moyen  de  les 

pourfuyure  après  de  court.  Cancre  de  dire  qu'on  ne 

:   croit  pas  en  Dieu,   fi  de  par  le  diable  fi,  par  le  Dieu 

I  qui  n'eft  qu'vn,  ie  prendroy  pluflofl  des  Cantharides  &. 

leur  fermeroy   tant  le  bas  que  leur  empècheroy  bien  ie 

haut  de  caqueter.  Mais  pour  retourner  au  propos  de 

ces  gracieufes  &  diuines  réponces  que  tu  as  récitées  au 

parauant,  vraiment  tu  ne  m'en  as  raconté  aucune  qui  ne 

m'ait  autrefois  efl.é  difte  ou  que   ie  n'aye  ouy  dire  à 

d'autres.  Et  ie  te  prie  de  grâce  puis  que  tu  m'as  tant 

bien  fceu   déchifrer  les   répliques  communes    de   ces 

Bourgeoifes,  fi  tu  en  fçais  quelques  vnes  de  ces  Damoi- 

felles  de  cour,  ne  m'en  fois  point  chiche. 

LE  DEMOCRITIC.  N'eftoit  que  le  parler  tou- 
jours graue  &  Philofophic  fans  eflre  entremeflé  de 
quelque  chofe  ioyeufe,  ennuyé  plus  à  l'écoutant  qu'il  ne 
luy  apporte  d'inftruflion,  ie  ne  me  fulTe  daigné  arrefler 
à  ces  fois  propos  :  neantmoins  tant  pour  nous  contenter 
l'efprit  par  la  moquerie  de  ceux  qui  fe  penfent  eflre  bien 
difcreâs,  que  pour  raifon  de  ta  prière,  ie  ne  laifleray  à 
pourfuyure  en  cette  gracieufe  méfiée.  Et  quant  efl  des 
Courtifannes,  pour  en  cognoiftre  les  refponces  affeftueu- 
fement  fardées,  ie  t'enuoirai  à  ces  beaux  liures  defquels 
ie  t'ay  parlé  ici  deuant,  &  principalement  au  Seigneur 


38  PKEMlERDrALOGVE 

des  Eflars,  lequel  ie  nommeray  toutesfois  auecques  re- 
uerence  &  honneur,  tant  pour  vn  coulant  langage, 
liaifon  de  propos,  que  pour  vne  douceur  St  fluidité  de 
parolles  dont  il  a  vfé  outre  tous  ceux  qui  fe  font  méfiez 
deuant  luy  d'écrire  en  noftre  vulgaire,  &  encores 
auiourd'huy  s'en  trouue-il  peu  de  ceux  qui  écriuent  en 
pareilles  chofes,  qui  approchent  de  la  grâce  &  naiTue 
beauté  de  fon  flile.  Or  en  ces  autheurslà  tu  pourras  co- 
gnoiftre  le  peu  d'érudition  qui  nous  vient  par  leurs  mi- 
gnardes  &  affeftees  refponces. 

LE  COSMOPHILE.  Il  eft  bien  vrai  qu'vne  bonne 
part  des  Courtifannes  dérobent  leurs  refponces  en  ces 
liures  d'amour,  &  non  pas  toutes,  car  celles  là  qui  ont 
l'efprit  meilleur,  ne  veullent  point  eflre  veuës  rien 
emprunter  de  l'autruy,  ains  de  leur  propre  efprit  s'en 
forgent  de  toutes  nouuelles. 

LE  DEMOCRITIC.  Pas  ie  ne  veùil  reprouuer 
l'inuention  qui  vient  de  foy  mefme,  trop  bien  veus  ie 
blâmer  celles  lefquelles  ne  veullent  eflre  veuës  parler 
que  de  leur  cerueau,  entendu  que  ce  font  ordinaire- 
ment celles  qui  font  dignes  de  plus  grande  moquerie, 
auffi  que  la  prefomption  efl  trop  grande  de  fe  fîer  tant 
en  fon  naturel  que  l'on  ne  tienne  conte  de  l'artifice  :  car 
tout  ainfi  que  nous  voyons  la  fortereffe  de  quelque  ville 
ou  autre  place  ne  confifter  pas  feulement  au  fort  dont 
la  nature  l'a  voulu  munir,  mais  que  le  meilleur  de  fa 
Jefence  &  fauuegarde  gift  en  ce  qui  y  a  eflé  adiouté  par 
la  main  &  induftrie  des  hommes,  autant  en  efl-il  de 
l'efprit  humain,  car  encores  que  naturellement  il  foit  fort 
de  la  raifon,  fi  eft-ce  que  s'il  n'ell  remparé  &  poli  par 


DV    DEMO  C  R  ITI  C.  29 

ce  qu'il  peut  retenir  de  l'inftrudion  des  autres,  non  pas 
tant  feulement  en  les  écoutant  parler,  mais  en  voyant 
leurs  œuures  dignes  de  mémoire,  il  demeurera  tout 
ainfi  qu'vn  tableau  de  cire  ou  de  marbre  tout  groffier 
h.  fans  aucune  forme  laquelle  foit  digne  d'eflre  regardée. 
A  ces  prefomptueufes  il  en  prent  tout  ainfi  qu'au  dif- 
ciple  qui  veut  corriger  fon  maiftre  deuant  que  de  fçauoir 
le  moindre  point  de  fa  doilrine,  toutesfois  que  fi  ces 
outrecuidees  lefquelles  penfent  tout  fçauoir  d'elles 
mefmes,  font  à  reprendre  en  ce  cas  ici,  les  autres  qui  en 
apprennent  par  l'inftruftion  d'autruy,  ne  le  font  encores 
moins,  car  en  quelque  manière  qu'elles  en  veulent  vfer, 
elles  ne  fçauroyent  dire  chofe  touchant  cette  fottife 
d'amour,  fi  ce  n'eften  la  blâmant,  qui  mérite  louange. 
Ne  connoi  tu  pas  maintenant  ton  erreur  d'auoir  eRiiné 
que  l'on  apprifl  à  bien  parler  en  faifant  l'amour? 

LE  COSMOPHILE.  Tu  ne  m'as  fatisfait  que  d'vn 
cofté,  car  encores  qu'il  foit  vray  que  les  hommes  ne 
puiffent  rien  apprendre  par  ce  que  leur  refpondent  les 
femmes,  cela  n'empefche  pas  qu'ils  ne  s'étudient  à  bien 
parler  pour  leur  complaire. 

LE  DEMOCRITIC.  D'apprendre  à  bien  parler 
c'eft  vne  chofe  fort  louable  &.  bien  feante  à  toute  per- 
fonne,  non  pas  pour  ce  but  que  tu  as  dit  de  plaire  aus 
femmes,  mais  à  celle  fin  que  l'on  donne  plus  aifément 
à  entendre  fes  propos,  &.  que  l'on  face  mieux  croire  ce 
qu'on  a  intention  de  prouuer  :  &  à  celle  fin  que  nous 
ne  nous  égarions  fus  la  vraye  fignification  de  bien  par- 
ler, il  faut  fçauoir  en  quoy  il  confifle.  Le  bien  parler  ne 
gift  pas  feulement  à  vfer  de  termes  &  mots  bien  françois, 


JO  PREMIER      DIALOGVE 

ni  à  dégorger  mille  petites  folies  &  vaines  raptalTeries  de 
paroiles  fans  propos,  mais  à  dire  des  chofes  defquelles 
(outre  l'ornement  &  la  grâce  des  diflions,  dont  elles 
feront  enrichies)  nous  en  puiffions  auecques  le  plaifir 
rapporter  quelque  fruift  &.  inflruftion,  ce  qui  n'aduient 
aucunement  à  ceux  qui  fe  rompent  le  cerueau  à  des 
chofes  tant  legieres  &.  friuolles,  comme  de  faire  l'amour: 
&.  à  celle  fin  qu'il  ne  t'en  relie  aucun  doute,  ie  te  monf- 
treray  de  toutes  les  fortes  de  harengues  auecques  le 
gouuernement  de  ceux  qui  s'encheueflrent  à  tel  ioug. 
Premièrement  viendra  l'homme  de  guerre  &  pour  le 
falut  de  la  Dame  la  chauffera  de  première  abordée, 
l'vn  auecques  braue  par  le  corps-Dieu,  par  le  fang-Dieu, 
ie  renie  Dieu,  Madame,  ie  ne  fçache  homme  fous  le  ciel 
tant  braue  foit-il,  que  s'eflant  auantagé  de  faire  tort  au 
moindre  point  de  vollre  honneur,  que  ie  ne  fîffe  mourir 
ou  recognoiflre  fa  folie,  &  oferoi'  ayant  la  faueur  de 
voftre  bonne  grâce,  entreprendre  le  combat  contre  luy 
tout  armé,  bien  que  ie  ne  fufTe  qu'en  chemife,  car  ce 
feul  point  de  me  voir  fauorizé  d'vne  fi  braue  Dame,  me 
haulTeroit  tant  le  courage  &  me  rendroit  affez  fort,  pour 
ne  redouter  point  vn  Csefar  s'il  efloit  deuant  moy.  Et 
vfera  de  tant  d'autres  fots  &  vaillans  propos  que  tu  di- 
rois  à  l'ouyr  parler  qu'il  doit  aller  tuer  Carefme-prenant 
pour  en  auoir  la  veffie.  le  t'en  veus  faire  à  ce  propos 
vn  petit  difcours  d'vn  certain  feigneur  qui  n'eftoit  pas 
encores  hors  de  page  du  meftier  de  gentil-homme,  & 
combien  qu'il  ne  foit  pas  touchant  l'amour,  il  ne  laifTera 
pourtant  à  te  donner  à  cognoiftre  que  volontiers  tous 
ceus  qui  font  tant  braues  &.  mauuais  de  paroiles  reffem- 


DV    DE  MOC  RITIC.  ^  i 


blent  aux  grandes  montaignes  qui  doiuent  enfanter 
merueilles  &  defquelles  ne  s'en  engendre  à  la  fin 
qu'vne  petite  fouris  feruant  de  rizee  à  vn  chacun.  Or 
pour  tomber  à  mon  point,  tu  dois  entendre  que  cet 
apprenti  de  noblelTe  eftaiit  logé  en  vne  hollelerie  & 
voyant  au  foir  qu'on  ne  luy  apportoit  pas  alTez  toft  à  fon 
gré  vn  couurechef,  après  auoir  longtemps  renié  Dieu  &. 
pris  par  les  tripes  &  par  tout,  commença  à  dire  qu'il  fe- 
roit  cecy,  que  par  la  mort  Dieu  il  leur  monilreroit 
comme  il  s'en  feroit  fâché,  qu'il  leur  en  feroit  fouuenir 
à  qui  ils  fe  penfoyent  iouër  &  que  par  le  fang  Dieu,  il 
eftoit  gentil  homme  &  homme  de  bien  &  de  bonnes  gens, 
qu'il  en  auoit  bien  veu  d'autres  &  bien  tué.  Ceus  de  la 
maifon  penfans  qu'il  deufb  mettre  le  feu  dedans  ou  pour 
le  moins  les  froiffer  en  poudre  tous  les  vns  après  les 
autres  fans  merci,  tant  il  renaquoit  &  frapoit  des  pies 
brauement,  incontinent  fe  diligenterent  luy  en  apporter 
non  pas  feulement  vn,  mais  vne  demie  douzaine.  Et 
après  auoir  vn  peu  rappaifé  fa  frenaifie,  ils  s'enhardirent 
de  luy  demander  ce  qu'il  auoit  délibéré  de  faire  s'ils  ne 
fe  fufTent  haftés  de  luy  apporter  des  couurechefs.  Alors 
encores  tout  enflammé  de  colère  foufflant  &.  marchant 
à  pas  déréglez  par  fa  chambre  de  la  mefme  forte  que 
faifoient  les  Coribans  quand  ils  fortoyent  fraîchement  de 
belle  rage  diuine,  vint  à  répondre  en  haufTant  fon 
bonnet  de  la  main  gauche,  &.  fecoùant  les  oreilles 
comme  vn  chat  mouillé  :  Que  i'eufTe  fait?  Ventre  Dieu, 
que  i'euffe  fait?  Par  la  digne  mort-Dieu  ie  me  fufïe  coiffé 
de  ma  chemife.  Il  en  furuient  volontiers  vne  pareille  fin 
en  ces  grandes  brauades  comme  à  ceus  qui  fe  monflrent 


5  2  PR  EMI t  R    DI Al  OC VF 

tant  vaillans  en  harengues  auprès  des  Damoifelles  :  car 
s'il  eft  queftion  d'exécuter  leurs  hautaines  &.  fieres  pro- 
meffes,  vous  les  verrez  plus  couards  &  plus  craintifs  que 
n'efl  vn  canard  voyant  le  faucon,  tellement  qu'vne 
fimple  femmelette  les  pourroit  batre  aifément  auecques 
fa  quenouille,  ou  bien  comme  fift  l'autre  qui  en  rangea 
vne  demie  douzaine  auecques  la  naië  du  four.  Encores 
feroit-ce  quelque  chofe  fi  pour  leurs  iuremens  ils  en 
auoyent  quelque  recompence,  mais  le  plus  fouuent  ils 
n'en  reçoyuent  que  de  la  moquerie,  voire  fe  fu(Tent-ils 
déuoyé  le  filet  de  la  langue  à  force  de  renier  Dieu,  ou 
rompu  bras  &  iambes  en  maniant  tt  piquant  leurs  che- 
uaux  au  deuant  de  leurs  maitrelTes. 

LE  COSMOPHILE.  Voire  mais  tu  ne  pren  que 
ceux  qui  font  les  plus  vicieux  en  harengues.  Ne  fe  treu- 
ue-il  pas  vne  infinité  de  perfonnes  de  bon  efprit  hantans 
la  Cour  qui  tiennent  de  fort  bons  propos  aux  Damoi- 
felles ? 

LE  DEMOCRITIC.  Quand  eft  du  Courlifan  ie 
confelTeray  fon  langage  eftre  plus  affeflé  que  de  nul 
autre  :  mais  que  pour  cela  il  parle  bien,  ie  te  le  nieray 
du  tout  par  la  définition  que  ie  t'en  ay  donnée  icy  de- 
uant, 8i  principalement  deuifant  de  cette  fottife  d'amour  ; 
entendu  que  de  tous  fes  propos  ne  s'en  trouue  pas  vn 
qui  ne  tende  à  offrir  fon  feruice  :  &  tant  s'eft  abâtardi 
l'efprit  de  l'homme,  que  celuy  qui  le  fera  autrement,  ne 
fera  pas  moins  eftimé  inciuil,  ou  mal  appris,  qu'eftoit 
au  temps  paffé  cettuy-là,  lequel  en  compagnie  refufoit 
à  ioiJer  de  l'inftrument  mufical  qui  luy  eftoit  prefenté.  Or 
me  dis  de  grâce  où  le  Courtifan  a  appris  foit  par  raifon 


DV     DEMOCRITIC.  JJ 

iiaturelle,  ou  autre  telle  que  tu  la  voudras  forger  en  ton 
cerueau,  de  donner  à  fi  bon  marché  la  chofe  qu'il  doit 
tenir  la  plus  chère,  &  foy  priuer  tant  legierement  de  ce 
que  toute  perfonne  eft  tenue  d'auoir  en  plus  grande  re- 
commandation qui  eft  la  liberté?  Ouure  maintenant  les 
yeux,  U.  regarde  fi  de  toutes  ces  harengues  qui  tendent  à 
vne  fin  tant  fotte  &  de  fi  peu  de  confideration,  s'en  fçau- 
roit  tirer  aucun  contentement  à  l'homme  raifonnable 
«i  de  bon  efprit ,  &  moins  encore  d'inflruftion  à 
aucune  perfonne.  Mais  ce  qui  en  eft  bien  le  plus  excel- 
lent, Monfieur  du  muguet  Courtifan  ne  penferoit  pas 
eflre  le  bien  venu,  s'il  ne  contrefaifoit  fa  grâce,  remâ- 
chant brauement  le  petit  fétu  parmi  fa  bouche,  tenant 
fon  bonnet  d'vne  main  fus  le  genou,  quelque  fois  des 
deux  au  derrière  de  foy  auecques  vne  tefle  mal  arreflee, 
&  vne  voix  contrefaitte.  Et  ainfi  s'écarmouchant  il  badi- 
nera plus  de  tours  au  deuant  de  Madamoifelle,  que  ne 
feroit  vn  chien  de  bafleleur  pour  fon  maiftre.  le  ne  dis 
[las  que  s'il  fe  vouloit  efTuier  le  front  auecques  le 
mouchoùer  ouuré,  ou  frapper  fa  bottine  d'vne  petite 
baguette,  que  cela  ne  luy  aidaft  fort  à  alTeurer  fa 
grâce,  &  qu'vne  perruque,  non  pas  treffee  à  la  Ludo- 
iiique  (car  la  mode  n'en  eft  plus)  mais  brauement  re- 
haulTee  à  la  fortune,  &  fubtilement  frifee  auecques 
artifice,  ne  le  fift  trouuer  plus  gaillard  enuers  les  Dames, 
'intauffi  qu'elle  ne  fuft  point  du  xxij.  Pfeaume  de  Dauid, 
eft  à  dire  confitte  en  huille  d'olif.  Mais  pauure  fol  qu'il 
eft,  comment  fe  rompt-il  l'efprit,  s'amufant  à  tant  de 
legieres  folies?  Ne  fçauroit-il  cognoiftre  à  quoy  peuuent 
feruir  tant  de  tapifleries,   tant  d'etfealiers,   tant  de  Ion- 


Î4 


PREMIER    DIALOGVE 


gues  galleries,  tant  de  petis  garderobes,  tant  d'huys  de 
derrière,  &  de  retraittes  égarées, veu  que  tout  cela  n'eft 
inuenté  pour  autre  occafion  que  pour  les  commoditez 
d'entrer  de  l'vn  en  l'autre  ?  Et  outre  toutes  les  folies 
fufdites  à  celle  fin  d'eflre  eftimé  mieus  parlant,  il  ne 
cherchera  autre  chofe  qu'à  trouuer  le  moyen  de  faire 
venir  à  propos  aucun  de  ces  mots,  comme  folâtre,  fat, 
acofter,  aborder,  il  n'y  manque  rien,  efcorte,  endurer 
vne  brauade,  aconche,  galante,  l'efcarpe,  acort,  vn  fort 
bien  à  tous  bouts  de  champ,  difgrace,  de  grâce,  vn 
poltron,  vn  faquin,  &.  ainfi  auecques  ie  ne  fçay  combien 
d'autres  femblables  mots  apoflez,  il  entretiendra  en- 
femble  Madamoifelle  auecques  fa  grâce,  les  redifant  en 
vne  mefme  heure  plus  de  cent  fois,  pour  autant  qu'ils 
fonnent  mieux  ce  luy  femble  aux  oreilles,  &  empliffent 
dauantage  la  bouche,  que  ces  autres  vulgaires  diélions  : 
ioint  que  volontiers  les  plus  braues  &  les  mieux  parlans 
en  vfent  ainfi.  Neantmoins  tout  cela  ne  vaudroit  rien, 
fi  le  branflement  de  tefle  Italiennizé  ne  feruoit  de  fauce 
pour  luy  donner  plus  grand  gouft.  le  ne  veux  pas  toutes- 
fois  reietter  beaucoup  de  bons  mots  qu'il  nous  a  efté 
befoin  &  necefiaire  d'inuenter,  ou  d'emprunter  des 
autres  langues,  puis  que  défia  ils  font  receux  en  la 
noflre,  mais  que  l'vfage  en  foit  plus  rare  &  modéré. 
Encores  n'efl-ce  pas  tout  car  ceux  qui  deuroyent  eflre 
faits  fages  &  prudens  par  les  exemples  d'autruy,  &  les 
bons  aduertifTemens  qu'ils  voyent  en  la  meilleure  partie 
de  leurs  liures,  ce  font  Meffieurs  les  Ecoliers,  8t  autres 
clers  tonfurez,  qui  en  font  encore  plus  à  reprendre 
qu'aucun  de  ceux  dont  ie  t'ay  défia  parlé.  Car  tu  verras 


DVDEMOCRITIC.  3^ 

le  plus  fouuent  Monfieur  le  petit  braue  Ecolier,  qui  ne 
fera  pas  à  grand'peine  encores  éclos  hors  de  la  coque, 
qui  fe  voudra  défia  faire  infcrire  au  papier  &  regiftre 
des  Dames,  &c  infmuër  fes  nominations  au  diocefe  d'a- 
mour, l'ay  dit  notamment  braue,  car  les  Dames  qui  de- 
meurent aux  lieux  aufquels  communément  fréquentent 
les  Ecoliers,  font  bien  la  plufgrand'part  de  ce  cœur-là, 
qu'elles  ne  fauorifent  ni  reçoyuent  que  ceux  qui  font 
miftes,  poupins,  8t  brauement  accouRrez:  tellement 
qu'il  y  en  auoit  vne  (ie  ne  nommeray  point  pour  cette 
heure  l'vniuerfité  où  c'efloit)  laquelle  n'eufl  iamais  per- 
mis à  fon  Pamphile  de  monter  fus  elle  pour  voir  de 
plus  haut,  s'il  n'euft  eu  fon  cafaquin  de  Damas.  Et  ne 
faut  point  trop  s'ébahir  de  cela,  car  penfez-vous  qu'il 
n'y  ait  pareillement  plus  de  plaifir  à  éuenter  ces  ver- 
dugades  de  fatin  ou  de  velours  cramoifi,  qu'à  leuervn 
tas  de  cottes  fimplement  repliées  de  rouge? 

LE  COSMOPHILE.  le  ne  fçay  comment  en  font 
les  autres,  mais  quant  eft  de  moi  tout  m'eft  de  guerre, 
l'aimerois  autant  ou  plus  vne  belle  &  ieune  bergiere  des 
champs  fans  aucune  brauerie,  que  ie  ne  feroy  vne  vieille 
mule  de  ville  au  frein  doré. 

LE  DEMO  CRI  TIC.  Si  eft  ce  que  Meffieurs  les 
écoliers  ne  font  pas  de  cet  aduis,  &  encores  moins  leurs 
maitreffes,  qui  eft  la  caufe  pour  laquelle  le  plus  fouuent 
eft  contraint  le  bon  eftudiant  de  vendre  tous  fes  liures, 
pour  en  employer  l'argent  en  change  d'habits,  petites 
affemblees,  &.  dons  fuperflus,  à  celle  fin  d'entrer  s'il  peut, 
à  la  grâce  de  quelque  Madame.  Et  nonobftant  le  peu 
de  hardieffe  queluy  caufe  faute  d'expérience,  ne  laiffera 


j6  PREMIFRDIALOGVE 

à  s'approcher  d'elle,  &.  après  auoir  longtemps  délibéré 
en  foi-mefme,  manié  les  vellements,  conté  U  reconté 
les  patenoflres  de  la  Dame,  ietté  vne  infinité  de  foupirs 
en  l'air,  baaillé  vn  demi  iour  après  les  perfonnages 
d'vne  tapifferie,  il  commencera  à  rafraîchir  la  mémoire 
de  quelque  plaifant  difcours  de  la  belle  Floripes,  ou  de 
Bietris,  de  Pierre  de  Prouence  &  de  Maguelonne,  d'Artus 
&  Gouain,  des  grandes  vaillances  du  Cheualier  à  l'ar- 
dante  épee,  des  loyales  amours  d'Amadis  &  d'Oriane, 
comme  il  pafla  fous  l'arc  des  loyaux  amans,  &  qu'elle 
endura  la  couronne  fans  eflre  bruflee.  Il  racontera  pa- 
reillement les  grans  plaifirs  qu'on  a  en  la  pourfuyte 
amoureufe,  tefmoins  les  cheualiers  qui  muguetoyent  vne 
grille  toute  altérée  de  fanglots  &  foupirs  dégorgez  à  la 
caflillane.  Encores  faut  il  que  celuy  qui  entrera  fi  auant 
en  matière  foit  des  mieux  appris  :  car  quant  eft  de  la 
plus  grand'part  d'entre  eux,  ce  leur  efl  beaucoup  de 
s'enhardir  tant  feulement  de  dire  à  leur  Dame  qu'vn  tel 
danfe  bien,  qu'il  auroit  bonne  grâce  s'il  ne  branloit 
tant  la  tefte  &  les  mains,  &  demander  comment  on 
appelle  vne  telle,  &  qui  elle  eft,  qu'il  n'auoit  point  acou- 
tumé  de  la  voir  :  difant  auffi  que  cette-là  eft  plus  braue 
que  de  couftume,  qu'il  a  ouy  dire  qu'on  parle  de  la 
fiancer,  qu'il  s'ébahit  comment  vne  telle  a  pris  vn  mary 
qui  eft  fi  niais  &  ialoux  enfemble  :  fomme  tous  ces 
beaux  petits  difcours  appaifez,  après  auoir  changé  dix  ou 
douze  fois  de  couleur,  il  s'ébranlera  tant  qu'il  luy  fera 
à  la  fin  entendre  auecques  fes  parolles  doucettes,  accom- 
pagnées d'vne  contenance  8t  vois  mal  alTeuree,  la  mer- 
ueilleufe  affedion  qu'il   luy  porte,   &.  feruice  qu'il  luy 


DVDEMOCRITIC.  J7 

voudroit  faire.  Et  s'il  adulent  que  la  Dame  cauteleufe  & 
ruzee  feigne  iuy  porter  pareille  amitié,  luy  iettant  vne 
œillade  de  trauers,  auecques  vn  fouris  entremeflé  de 
quelque  foupir,  voila  Monfieur  l'amoureus  du  tout  acheué 
de  peindre,  &  Iuy  tardera  beaucoup  qu'il  ne  foit  hors  de 
là,  pour  en  faire  défia  le  rapport  à  fes  compagnons, 
leur  racontant  qu'il  a  trouué  la  plus  belle  ce-cy,  la  plus 
belle  ce-là,  de  la  meilleure  grâce,  la  mieux  parlante, 
la  plus  braue,  enuers  laquelle  il  eft  le  mieux  venu,  le 
plus  aimé.  Mais  hélas!  d'autant  qu'il  penfe  eftre  près 
de  fon  but,  il  en  eft  loing  :  toutes-fois  de  ce  pas  ne 
laiffera  de  fe  retirer  en  fon  étude,  ou  quelque  autre  lieu 
fecret,  pour  baflir  vne  lettre  à  fa  fauorite,  laquelle  il  luy 
fera  tenir  le  plus  fecrettement  qu'il  pourra,  &.  pour  en 
auoir  meilleur  moyen,  gaignera  s'il  peut,  la  fille  de 
chambre  par  quelque  petit  prefent,  &  belles  promeffes, 
8t  Dieu  fçait  après  que  Madame  aura  recew  la  lettre,  fi 
elle  en  fera  fonproffit,&  lepaffetemps  qu'elle  en  tirera, 
la  communicant  à  fes  compagnes  qui  ne  prendront  pas 
moins  de  plaifir  à  la  lire,  que  d'ébahiffement  à  confi- 
derer  la  grande  folie  &.  fimplicité  de  ce  gentil  beneft.  Et 
voilà  Monfieur  l'Ecolier  acouftré  de  mefmes,  pour  re- 
compence  du  bon  vouloir  qu'il  a  d'employer  fon  feruice, 
Si  de  recouurer  fa  liberté  en  pleurant. 

LE  COSMOPHILE.  Sans  rompre  ton  propos, 
tu  m'as  fait  fouuenir  me  parlant  de  ces  Ecoliers,  que  paf- 
fant  quelques  fois  par  Orléans  &  Poitiers,  ie  me  trouuay 
en  compagnie  de  Dames  &.  Damoifelles,  &.  les  ayant  mifes 
fur  le  propos  d'amour,  ie  ne  vis  iamais  blâmer  larron 
delà  forte,  que  ces  Dames  faifoientces  pauures  Ecoliers, 


)8  PREMIER    Dl  ALOGVE 

tant  qu'vne  fe  print  à  dire  :  l'auroy  grand'enuie  de 
faire  vn  ami  deuant  que  ie  le  fiffe  d'vn  Ecolier:  l'autre 
fi  i'étois  femme  de  péché,  ie  n'auroy  garde  de  m'aban- 
donner  à  ces  Ecoliers  :  vraiment,  ce  dit  la  plus  gaillarde 
de  la  compagnie,  fi  i'en  auoy  cent,  ie  ne  leur  en  prefte- 
roy  pas  vn  :  les  Ecoliers  dit  l'autre,  par  faint  lean,  où 
c'eft  qu'à  grand  peine  ils  ont  receu  la  moindre  faueur 
de  nous,  ils  fe  vantent  d'en  auoir  fait  à  leur  plaifir.  Et 
voilà,  répond  vne  Damoifelle  (i'enten  d'vne  aulne  de 
velours)  dont  procède  que  plufieurs  honnedes  Dames 
font  ainfi  fcandalizees,  &  à  grand  tort:  en  bonne  foy 
(dit  vne  des  plus  rebraffées)  ces  gentils  galans  là  les 
voyez  vous  bien,  s'il  ont  efté  deux  fois  en  vne  maifon, 
ils  ne  trouueront  perfonne  à  qui  ils  n'affeurent  d'auoir 
eu  la  ioùilTance  des  maitrefTes,  mais  ils  fe  tiendroyent 
trop  heureux  de  s'eflre  feulement  égayez  auecques  vn 
fimple  fouillon  de  chambrière  entre  deux  portes.  La 
plus  ruzee  de  la  troupe  ayant  chaiifTé  fon  chaperon  à 
l'enuers,  toute  émeuë  de  colère,  &  iettant  vne  baue 
écumeufe  des  deus  coflés  de  la  bouche,  commença 
ainfi  fon  propos  :  Que  ne  s'adreflîent-ils  à  moy,  par 
Dieu  s'il  y  en  efloit  venu  vn,  ie  luy  monflreroy  bien  fon 
bec-iaunage  :  cela  !  Ils  font  tant  ieunes  :  vraiment  c'efl 
raifon,  baillez  leur  pour  le  perdre,  quoy  !  fi  quelque 
preude  femme  leur  a  fait  cet  honneur  que  de  les  rece- 
voir en  fa  compagnie,  il  n'y  aura  celuy  qui  n'en  foit 
abreuué,  les  petis  enfans  en  iront  incontinent  à  la 
moutarde  :  ha  merci  Dieu  dit  lors  la  plus  agee,  ie  fuis 
bien  vieille  &.  bien  chetiue,  fi  efl-ce  que  fi  le  plus  haut 
huppé  d'entre  eux  m'en  venoit  parler,  ie  le  renuoiroy 
bien  à  ces  Hures. 


DV     DEMOCRITIC.  39 

LE  DEMOCRITIC.  Et  ainfi  peux  tu  voir  comme 
lo:it  acoutrez  ces  panures  fots  qui  employent  la  plus 
grande  partie  de  leur  efprit  &  de  leur  temps  pour  fe 
faire  moquer  d'eux-mermes,  &.  c'eft  bien  vn  pauure 
exemple  pour  en  faire  venir  l'enuie  à  ceux  qui  voudront 
vn  peu  fonder  le  gué  deuant  que  d'y  entrer  plus  auant. 

LE  COSMOPHILE.  Mais  toute  raillerie  oflee,  &  à 
celle  fin  de  parler  auecques  raifon,  il  me  femble  qu'en 
blâmant  ainfi  les  hommes  en  leur  inconftance  &  fottes 
prières,  que  tu  en  fais  les  femmes  beaucoup  dignes  de 
plus  grand'  louange,  entendu  qu'elles  fe  monftrent  en 
amour  trop  plus  confiantes  qu'eux,  ne  faifans  point  l'of- 
fice de  requérir  &  fupplier  comme  ils  font. 

LE  DEMOCRITIC.  le  te  confeffe  bien  en  cela 
l'inconftance  des  hommes  &  folie  eftre  grandes,  ainfi 
que  i'ay  toufiours  dit,  mais  pour  ce  ie  n'approuueray 
aucunement  les  femmes  en  eflre  plus  fages  ou  confiantes, 
car  elles  fe  font  tant  fortes  de  la  folie  &  fimplicité  des 
hommes,  dont  la  plus  grand'  part  font  badaux  iufques  à 
là,  qu'elles  fe  peuuent  tenir  affeurees  de  n'en  eftre  que 
trop  requifes.  Et  qui  doute  fi  les  hommes  eftoyent  tels 
qu'ils  doyuent  eftre,  &  qu'ils  voulfiffent  tenir  bon  de  leur 
cofté,  qu'elles  ne  fiflent  leur  office?  Et  fi  feroyent  fi, 
vray  eft  qu'elles  n'en  feroyent  pas  vn  peu  fi  promptes 
quand  elles  les  cognoiftroyent  n'eftre  pas  toufiours  fi 
prêts  à  payer  leur  dette  comme  elles  font  à  prefter,  & 
cette  feule  occafion  feroit  affez  fuffifante  de  les  empê- 
cher d'eftre  tant  importunes  :  neantmoins  quant  elles  fe 
verroyent  en  fi  peu  d'eftime,  eu  égard  en  celle  là, 
qu'elles  font  pour  le  iourd'huy,  elles  accorderoyent  à 


40  PREMIER    DIALOGVE 

peu  de  peine  ce  que  les  longues  prières,  fottes  harer. 
gués,  dons  fuperflus,  &  autres  telles  carefles  qu'elles  on 
accoutumé  de  receuoir,  ne  peuuent  faire,  fi  d'auenture 
il  ne  s'en  trouuoit  quelques-vnes  qui  euflent  le  cœur 
tant  vertueux,  &  affis  en  fi  bon  lieu  qu'elles  ainriafTent 
mieux  en  vfer  à  la  tribadique. 

LE  COSMOPHILE.  Ceux  qui  ont  efté  mal  traittez 
des  femmes  &  qui  n'ont  fceu  paruenir  à  leur  intention, 
en  parlent  comme  toy,  n'ayans  autre  recours,  finon  a 
blâmer  celles  qui  ne  le  méritent  tant,  &  à  peine  me 
peux-ie  perfuader  qu'il  t'en  foit  arriué  autrement. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  te  nieray  point  que  fi 
i'euffe  voulu  fuyure  mon  fot  appétit  defordonné,  que 
quelquesfois  ne  me  fulTe  trouué  empêtré  d'vn  tel  lien  : 
neantmoins  la  raifon  m'a  tant  iufques  à  préfent  com- 
mandé, &  commandera,  que  pluftofl  i'auroy  le  defir  de 
n'eftre  point,  que  de  laiffer  affaillir  mon  cœur  d'vne 
folie  tant  fotte  &  contre  toute  raifon.  Quant  eft  de  ce 
que  tu  m'accufes  blâmer  celles  qui  ne  le  méritent,  tu  n'en 
as  aucune  ou  que  bien  peu  d'occafion,  car  comme  i'ay 
toufiours  dit,  ie  n'enten  parler  qu'aux  fottes  &  outre- 
cuidees,  &  non  à  celles  lefquelles  (eftans  comme 
Monftres  entre  les  autres)  la  nature  a  voulu  pouruoir 
au  lieu  d'vne  méchanceté,  cauteleufe  inuention,  &  fottife 
ûutrecuidee  (vices  communs  en  la  plus  grand'  partie  de 
leur  fexe)  d'vne  bonté,  douceur  amiable,  &.  honnefteté 
gracieufe  :  vertus  helas  !  tant  rares  en  vn  tant  petit 
nombre  d'entre  elles,  que  la  plus  grand'  partie  des 
autres  fe  peut  dire  pour  le  tout.  Et  outre  plus  celles  que 
ie  blâme  tant,  ce  font  pareillement  vn  tas  de  méchante.^ 


DV    DEMOCRI  Tl  C. 


I  Lizees  lefquelles  font  femblant  d'auoir  en  horreur  & 
haïr  le  plus  cela  qu'elles  ayment  le  mieux  pratiquer. 

LE  COSMOPHILE.  Il  me  (emble  que  tout  ce 
<jue  tu  m'as  tant  penTé  prouuer  efl  droitement  contraire 
,i  la  première  propofition  que  i'ay  entendue  de  toy  peu 
ipres  que  ie  t'ay  rencontré,  fouflenant  que  nous  ne  de- 
uions  receuoir  aucune  chofe  qui  ne  fût  bonne  ou  plai- 
faute,  &  que  rien  n'eftoit  bon  qu'il  ne  fût  vtiie  ou 
necefTaire. 

LE  DEMOCRITIC.  Ilefl vray. 

LE  COSMOPHILE.  Puis  donq'  que  l'amour  fe 
peut  dire  bonne  eftant  vtile,  &  qui  plus  eft,  necelTaire  à 
noftre  conferuation,  entendu  que  fans  l'amour  qui  a  efté 
en  nos  premiers  parens,  nous  ne  fuffions  pas,  il  s'en  en- 
fuyt  par  vn  mefme  moyen,  qu'elle  doit  «flre  à  bonne 
occafion  receuë  de  nous  autres  :  ioint  que  naturellement 
nous  fommes  tenus  &  obligez  d'aimer  tout  ce  qui  nous 
aime,  outre  que  fans  cela  nous  aurions  perdu  la  cognoif- 
(ance  d'vne  beauté  &  honnefle  maintien  d'auecques  vne 
laideur  &  mauuaife  grâce,  qui  feroit  eflre  pis  que  les 
liefles. 

LE  DE  MO  CRITI  C.  Si  tu  n'as  autre  chofe  a  dire 
_  :e  t'auray  tantoft  folu  ce  que  tu  m'as  fi  longtemps  gardé 
&  rendray  le  plus  faible  ce  que  tu  penfe  eflre  le  plus 
fort  de  ta  caufe.  Et  à  celle  fin  d'y  tenir  meilleur  ordre, 
ie  te  prendray  par  le  premier  point  de  ta  réplique,  au- 
quel tu  m'as  dit  que  fans  l'amour  de  l'homme  à  la 
femme,  ne  fe  pourroit  faire  aucune  génération  parquoy 
cela  eflre  necefTaire  pour  conferuer  noflre  efpece.  le  te 
confeffe  bien  qu'vne  amitié  modérée,  &  telle  que  la  na- 


42  PREMIER    DIALOGVE 

ture  l'a  donnée  à  chafq'animant  de  l'vn  à  l'autre  fexe, 
&,  qui  n'excède  point  les  limites  de  raifon,  efl  bonne,  (t 
celle  qui  efl  ainfi  gouuernee,  tant  s'en  faut  que  ie  l'en- 
tende blâmer,  que  ie  l'approuue  la  meilleure  du  monde 
&  très  necefTaire.  Mais  de  quoi  fert  cette  commune 
fottife  qui  fait  tant  élongner  l'homme  de  tout  bon  iuge- 
ment,  qu'il  en  commet  des  aéles  du  tout  indignes  de  la 
créature  raifonnable?  Ainfi  que  tu  peux  cognoiflre,  au 
moins  s'il  te  fouuient  de  ce  que  ie  t'en  ay  dit  icy  au  pa- 
rauant  :  dequoy  feruent  à  noflre  procréation  vne  infinité 
de  fingeries,  fottes  harengues,  paffions  démefurees, 
poignantes  ialoufies,  foies  &  outrecuidees  entreprifes, 
&  vne  infinité  de  tant  d'autres  badineries,  (defquelles 
nous  en  auons  touché  quelques  vnes)  finon  pour  monftrer 
ie  peu  d'efprft  de  celuy  qui  s'y  adonne  &.  pour  toute  re- 
compenfe,  n'en  receuoir  à  la  fin  que  toute  honte  &. 
moquerie?  Doriques  tu  peux  défia  voir  ton  premier 
argument  ne  faire  rien  contre  moy.  Et  quant  efl  d'ai- 
mer naturellement  les  créatures  qui  nous  portent  affec- 
tion, encores  l'approuuai-ie  dauantage  que  le  premier, 
&  reputeroi  l'homme  bien  inhumain  &  ingrat, fi  fe  voyant 
aimé  d'vne  perfonne,  au  lieu  de  la  recompenfer  d'vne 
amitié  réciproque,  l'auoit  en  haine  :  ainfi  donques  s'y^ 
doiuent  gouuerner  les  hommes  de  bon  iugement, 
lefquels  fe  voyans  affeurément  aymez  d'vne  femme,  & 
principalement  fi  elle  eft  de  bon  efprit  (chofe  toutesfois 
rare  en  leur  fexe)  la  doyuent  pareillement  aimer,  non 
pas  comme  ces  fots  paffionnez  amoureux,  mais  ainfi  que 
la  nature  conduitte  auecques  la  raifon  nous  le  commande. 
Et  quant  eft  de  moy  ne  mepenfe  point  Stoïque  iufques  à 


DV    DE  MOC  RITIC. 


que  ie  voulfiffe  méprifer  vne  telle  amour  &  fi  t'affeure 
lien  qu'ayant  rencontré  vne  mignarde  de  mefme  en- 
tendant le  vray  &  naturel  but  de  la  couple  amoureufe, 
le  ne  fâche  homme  qui  s'y  donnaft  plus  deplaifir  ne  qui  fe 
1  laignafl  dauantage  à  procréer  fon  femblable  que  ie  fe- 
roy.  Quant  à  ton  dernier  point  qui  touche  la  différence 

>  beautez,  tant  s'en  faut  que  ce  fol  amour  nous  ouure 

t  les  yeux  qu'il  nous  face  recognoiftre  &.  prendre 
plus  de  plaifir  à  vne  belle  &  honnefle  femme  qu'à  vne 
iaide  &  mal  apprife,  que  c'efl  tout  à  l'oppofite.  Et  de 

auons  afTez  d'exemples  (fans  tant  d'autres  que  nous 
.  .yons  encores  aduenir  plus  fouuent  que  tous  les  iours) 
•ie  ceux  lefquels  s'eftant  laifTez  fi  lâchement  furmonter 
par  vne  chofe  tant  vile  &.  ridicule,  fans  aucunement 
auoir  oppofé  la  moindre  eftincelle  de  raifon  pour  de- 
fenfe,  en  font  demeurez  tant  aueuglez  &,  abêtis  qu'au 
lieu  de  choifir  vne  beauté,  fe  font  énamourez  de  la  plus 
laide,  fans  iamais  auoir  eflé  contens  que  premièrement 
ils  ne  nous  ayent  decouuert  leur  fottife  &  aueuglement 
parleurs  écrits  &.  fiftions  ridicules,  ainfi  que  ie  difoys  na  - 
gueres,  eflimant  nous  la  faire  trouuer  belle,  encores 
qu'elle  foit  plus  laide  que  l'horrible  Medufe  ou  la  vieille 
amie  dépeinte  en  l'anterotique  du  poète  Angeuin 
loachim  du  Bellay  :  leur  femblant  de  fes  imperfeftions 
eflre  les  grâces  les  mieux  accomplies,  fes  vices  eflre 
vertus,  fa  folie  fagefTe,  fon  fot  &t  lourd  parler  le  plus 
élégant  &  doux  langage  du  monde,  fon  laid  &  fardé 
vifage  vne  angelique  beauté.  Ainfi  en  deuient  tant 
confus  &  aueuglé  celuy  qui  s'entremefie  de  telle  folie, 
que  le  plus  fouuent  le  blanc  luy  femble  noir,  cherchant 


44  fREMlERDIALOCVE 

ce  que  plus  il  deuroit  euiler.  Et  tant  font  grandes  les 
folies  de  ces  vaillans  &.  habiles  foldats  de  Cupidon,  qu'il 
feroit  impoffible  à  l'honrinne  (voire  eut-il  cent  langues) 
les  pouuoir  toutes  exprimer,  parquoy  il  ne  fe  faut  pas 
ébahir,  fi  la  fin  n'en  attraine  auecques  foy  qu'vne  infi- 
nité de  folies  fuyuies  de  confufions,  moqueries  &  d'vne 
longue  repentance. 

LE  COSMOPHILE.  Encores  que  tu  m'ayes  bien 
blâmé  l'amour  &  vne  bonne  partie  de  ce  que  ie  t'auoy 
répliqué,  fi  ne  me  fçaurois-tu  faire  confefler  que  l'on  n'y 
apprenne  quelques  ciuilitez  honneftes,  defquelles  il  m'en 
vient  maintenant  fouuenir  de  deux  que  tu  ne  me  fçau- 
roys  aucunement  nier,  dont  l'vne  efi;  bien  danfer,  8t 
l'autre  fonnerdes  inftrumens. 

LE  DEMOCRITIC.  Quant  eft  de  fçauoir  la  mu- 
fique,  c'eft  vne  cliofe  fort  honnefte  &.  plaifante,  mais  il 
en  va  tout  ainfi  que  ie  t'ay  dit  de  bien  parler,  veu  que 
la  fin  où  doit  tendre  cetui-là  qui  s'y  étudie,  ne  doit  pas 
eftre  pour  complaire  aux  femmes  :  car  celuy  qui  aprend 
à  chanter,  ou  toucher  les  inftrumens,  non  point  pour  fe 
donner  plaifir,  mais  pour  autruy,  efperant  d'en  receuoir 
par  ce  moyen  quelque  vaine  louange  à  l'armonidienne, 
fe  peut  véritablement  appeler  fot  ou  mercenaire.  le  ne 
veux  pas  dire,  s'il  fe  trouue  en  compagnie  qui  fe  de- 
lefte  de  fa  Mufique,  que  pour  cette  occafion  il  defifte  à 
en  iouër,  s'il  ne  vouloit  eftre  veu  tenir  de  la  quinte  des 
chantres  :  mais  trop  bien  que  l'on  ne  doit  pas  en  appren- 
dre pour  cette  fin,  &  pareillement  pour  plaire  à  celles, 
aufquelles  les  hommes  de  peu  fe  veulent  alTeruir.  Quant 
eft  de  dancer,  les  hommes  ne  fçauroyent  mieux  témoi- 


DV    D  E  MOCRITIC.  4^ 

gner  leur  folie  &  peu  d'efprit,  qu'en  approuuant  vne  telle 
fingerie  &  folie  fuperflue. 

LE  MONDAIN.  Tu  voudras  tantoft  reffembler  le 
vieil  Caton  Romain  qui  edoit  tant  feuere  correfteur 
>^s  mœurs  &  conditions  humaines,  qu'à  peine  vouloit  il 
iinais  approuuer  chofe  qui  fut  piaifante  &.  deleftable. 
LE  DEMOCRITIC.  Quant  eR  de  Caton  il  ne  fe 
faut  pas  ébahir,  fi  anciennement  il  fut  trouué  rigoureux 
en  fes  remonftrances,  car  encores  que  le  monde  ne  fut 
fille  de  tant  de  réueries,  comme  il  eft  pour  le  iourd'huy, 
fi  eft  ce  que  de  tout  temps  il  y  a  eu  des  erreurs  bien 
grandes,  &  c'efloit  à  ceux  là  qui  s'y  abufoyent,  aufquels 
les  aduertiffemensdu  bon  Caton  .fembloyent  vn  peu  crus 
ti  mal  digérés,  pour  ce  qu'il  ne  vouloit  rien  eftre  receu 
entre  les  hommes  qu'il  ne  fut  conuenable  à  leur  raifon. 
Neantmoins  s'il  s'y  efl  quelque  fois  monftré  rude,  & 
trop  affeôé  en  cela,  ie  ne  délibère  le  fuyure,  &  moins 
encores  vn  tas  d'autres  lourdaus  fuperftitieus  &  Philo- 
fophes  renfrongnés,  qui  veulent  contrefaire  des  fages  & 
graues  enfeigneurs,  n'ayans  autre  occafion  pour  blâmer 
b  reprendre  ce  qu'ils  trouuent  mauuais  (dont  la  danfe 
eft  poffible  du  nombre)  fi  non  qu'en  difant  qu'il  s'y 
trouue  trop  de  chofes  lafciues,  &  qu'il  en  procède  vne 
infinité  de  crimes.  Et  diroit-on  à  voir  la  chère  &  grâce 
de  ces  beaux  méprifeurs  de  toutes  chofes,  qu'ils  font 
coufins  germains  de  quelque  grofle  fouche  de  bois,  de 
forte  que  ie  croy  qu'il  leur  faudroit  fourrer  vn  poinfon 
plus  de  cent  fois  dedans  les  flancs  deuant  que  de  leur 
faire  feulement  remuer  les  leures  ou  filler  les  yeux,  & 
auecques   cela  qui   leur  prefenteroit    au    nez    les  plus 


46  PREMIERDIALOGVe 

excellens  &  doux  parfuns  de  l'Arabie,  encores  diroyent- 
ils  que  l'odeur  en  feroit  puante,  tant  ces  gros  fourcilleus 
ont  le  fentiment  égaré.  Et  qui  efl;  encores  le  pis,  ils  vou- 
droyent  bien  forger  tout  le  refte  des  hommes  à  leur 
coin,  les  rendans  fi  abeftis,  qu'ils  ne  prennent  plaifir  à 
chofe  du  monde,  fors  qu'abayer  après  les  mouches,  &. 
enfoncer  des  contemplations,  en  attendant  la  Lune  à 
leuer.  le  me  tays  qu'Agrippe  en  fon  traité  de  la  vanité 
des  fciences  voulant  blâmer  la  danfe,  n'en  allègue  point 
de  plus  forte  raifon,  fi  non  qu'elle  eft  pernicieufe  pour  le 
trop  grand  plaifir  qui  y  eft.  Mais  tout  au  contraire  de  luy 
&.  de  tous  autres  fins  fous  fpeculatifs,  chahuanstimoniftes 
du  genre  humain,  ie  veux  bien  receuoir  ce  qu'à  bon  droit 
&.  par  raifon  fe  peut  nommer  plaifir,  ce  qui  ne  fe  peut 
aucunement  prouuer  en  la  danfe,  entendu  que  nul  fe 
doit  appeller  plaifir,  fi  ce  n'eft  en  temps  qu'il  delefte  & 
chatouille  l'vn  de  nos  fens,  ou  que  par  iceux  il  puifle 
pénétrer  iufques  à  nous  recréer  l'efprit.  Et  par  cela  peut 
eftre  approuué  le  fon  des  inftrumens,  car  outre  que  l'ar- 
monie  eft  agréable  à  l'oreille,  elle  fert  auffi  à  chafler 
les  mélancolies  &  fâcheries  de  l'ame.  Mais  il  en  eft  bien 
tout  au  contraire  de  cette  belle  baftelerie  que  tu  appelles 
danfe  :  veu  qu'il  ne  s'en  fçauroit  tirer  volupté  qui  reiouifTe 
le  moindre  de  nos  fens.  Premièrement  commence  par 
l'ouïe,  l'armonie  8t  mufique  des  pieds  n'eft  point  fi  grande 
qu'elle  me  delede  l'oreille.  Quant  eft  du  plaifir  du  gouft 
il  ne  s'y  en  trouue  aucun,  du  toucher  encores  moins,  de 
l'odorer  il  n'y  en  a  rien,  s'il  n'aduenoit  d'auanture  que 
quelque  mignon,  pour  danfer  plus  legierement,  voulfift 
ofter  l'efcarpin,  &  parfumer  la  compagnie  de  la  fouëfue 


DV    DEMOCR  ITIC.  47 

i  recieufe  odeur  de  fes  pieds.  Quant  efl;  de  la  veuë 
le  ne  trouue  point  qu'vne  carole  ou  danfe,  foit  vne  cou- 
leur fi  viue,  que  fe  reprefentant  deuant  mes  yeux,  elle 
me  les  refiouynfe,  ou  que  par  iceux  elle  puifTe  pénétrer 
lufques  au  plaifiV  de  l'ame,  entendu  que  le  fuiet  d'icelle 
ne  s'étend  point  à  chofes  tant  foltes  &  fi  baffes,  ainçois 
1  celles,  lefquelles  eftans  plus  parfaites  8i  hautaines,  luy 
apportent  quelque  contentement,  ou  pour  eftre  rares  &. 
[louuelles  luy  femblent  agréables. 

LE  C  OSMOPHILE.  Comment  fe  pourroit  donq' 
faire  que  la  danfe  femblafl  bonne  à  tant  de  perfonnes  ? 

LE  DEMOCRITIC.  De  la  mefme  forte  que  les 
cliardons  femblent  bons  aus  afnes. 

LE  MONDAIN.  Voire,  mais  voudrois  tu  bien  dire 
qu'Homère  fi  excellent  poète  Grec,  qui  a  loué  haute- 
ment Merion  pour  fçauoir  bien  fauter  &.  faire  gambades, 
ait  efté  afne? 

LE  DEMOCRITIC.  Il  n'auoit  pas  vn  peu  les 
vieilles  fi  grandes,  mais  quant  au  refte  ie  croy  qu'il  ne 
s'en  falloit  pas  beaucoup,  &  principalement  en  ce  poinft 
que  tu  en  as  allégué.  Et  penfez  vous  le  beau  titre 
i'honneur  que  l'on  donne  à  vn  homme  quand  on  dit  de 
luy  que  c'eft  vn  beau  danfeur,  &  que  ce  feroit  vne 
chofe  graue  &  fort  honnefte,  d'appeler  auiourd'huy  les 
Magiftratsfe  principaux  gouuerneurs  d'vn  peuple,  ou  les 
Capitaines  commis  à  l'auantgarde  d'vne  bataille,  auant- 
danfeurs,  ou  félon  noftre  vulgaire,  meneurs  de  danfes, 
(fonne  tabourin)  ainfi  que  iadis  par  grande  reuerence  ils 
auoyent  acoutumé  de  les  nommer  en  Theffalie,  tant  ils 
auoyent  cette  belle  efcrime  de  iambes  vénérable  &  en 


48  PREMIERDIALOGVE 

grande  recommandation.  Quant  ell  de  moy  fi  on    vou 
loit  auiourd'huy  renouueller  telle  coutume,  l'en  appelle- 
roi  comme  d'abus,  s'ils  n'auoyent  pareillement  en  la  main 
gauche  le  petit   paillard  bouquet  pour  témoignage  de 
leur  prééminence. 

LECOSMOPHILE.  tu  en  diras  ce  qu'il  t'en 
plaira,  fi  efl-ce  que  i'en  aime  mieus  fuyure  l'expérience 
que  toute  ta  philofophie,  cognoifTant  affeurément  qu'il  y 
a  plaifir  à  bien  danfer,  puis  qu'vne  infinité  de  perfonnes 
&i  gens  de  bon  efprit  s'y  deleftent. 

LE  DEMOCRITIC.  Ne  te  fouuient-il  plus  de  ce 
que  tu  m'as  promis,  qui  eft  de  fuyure  la  raifon  plus 
qu'vne  fotte  coutume,  &.  maintenant  tu  veus  approu- 
uer  la  danfe  feulement  pour  eftre  receuë  des  hommes 
que  tu  appelles  de  bon  efprit  &  fans  aucune  raifon?  Et 
à  celle  fin  qu'il  ne  refie  plus  d'occafion  pour  faire  trou- 
uer  les  chofes  fottes  &  ridicules,  braues  &  dignes  de 
grand'  louange,  ie  t'acheuerai  de  prouuer  cette  bafle- 
lerie  eftre  du  tout  à  reietter  de  l'homme  fage,  comme 
n'eftant  qu'vne  fotte  opinion  élongnee  de  tout  bon 
iugement.  Car  t'ayant  défia  prouué  le  peu  de  plaifir 
qui  en  peut  venir  à  l'homme  fpirituel,  ie  te  veux  monf- 
irer  encores  comme  la  danfe  ne  doit  eftre  confirmée 
pour  eftre  bonne,  ne  contenant  en  foy  aucune  neceffité 
ni  proffit.  Premièrement  qu'elle  foit  encore  moins  né- 
ceffaire  que  plaifante,  en  ce  le  cognoifTons  que  nous  en 
pouuons  bien  pafTer  fans  preiudice  de  la  conferuation 
de  noftre  efpece  :  pour  eftre  vtile  il  ne  s'en  trouue 
occafion  de  la  louer,  quand  il  n'en  reuient  aucun  proffit 
à  la  compagnie  humaine. 


D  V    D  E  M  O  C  R  1  T  1 C .  49 


LE  COSMOPHILE.  le  m'emerueille  pour  homme 
qui  fe  penfe  fi  refolu,  Comme  tu  as  apreflé  à  ton  ennemi 
les  armes  pour  te  vaincre,  car  me  parlant  de  l'vtile,  tu 
m'as  aduifé  d'vne  chofe  expreffe  pour  approuuer  la 
danre,  entendu  quand  il  n'y  auroit  autre  chofe  de  bon 
en  la  danfe,  que  l'exercice  du  corps,  chofe  tant  re- 
commandable  de  foy,  profitable,  &.  mefmement  necef- 
faire  pour  augmenter  la  force,  &  maintenir  l'homme 
en  bonne  difpofition,  cette  feule  raifon  feroit  afiîez  fuffi- 
fante  pour  renuerfer  tout  ce  que  tu  m'es  allé  de  fi  loing 
chercher  par  tes  argumens  &.  fillogifmes,  encores  que 
ie  ne  parle  point  du  plaifir  que  prend  celuy  qui  danfe 
bien,  fe  voyant  loué,  &  de  la  grâce  &.  faueur  qu'en  ce 
faifant  il  peut  acquérir  pour  plaire  à  toute  l'affiftance. 

LE  DEMOCRITIC.  Pour  vn  braue  Maiftre  Maçon 
Arillotelic,  fi  as  tu  tant  mal  bafti  &  fondé  tes  argumens, 
que  l'vn  eft  caufe  de  la  ruine  de  l'autre  :  car  ce  dernier 
point  auquel  tu  as  parlé  de  plaire  à  autruy,  deflruit 
totalement  le  premier,  entendu  qu'il  n'eft  rien  plus 
certain  que  fi  l'égard  de  plaire,  &  principalement  à  ces 
belles  Deeffes,  n'efioit  la  fin  de  la  danfe,  il  ne  s'en 
trouueroit  pas  vn  qui  en  daignafl  déployer  la  iambe 
pour  en  effayer  vn  pafTage,  &l  moins  encores  de  ceux 
qui  voufiflent  en  apprenant  cette  gentille  fingerie, 
quelquefois  tomber  à  la  renuerfe,  ou  bien  accoler  vne 
table,  ou  vn  buffet  fi  doucement  qu'on  dit,  le  Diable  y 
ait  part  en  la  danfe.  Et  par  ce  cognois-tu  ayfement  que 
l'on  n'apprend  pas  à  danfer  pour  le  plaifir  qui  y  peut 
jeftre,  mais  feulement  pour  vn  fol  égard  de  plaire  à 
celles  qui  prennent  plus  de  plaifir  à  fe  moquer  &  rire  de 

3 


50  PREMIERDIALOGVE 

ces  pauures  fots  qui  fe  trauaillent  en  vain,  qu'à  voir 
l'excellence  de  leurs  pieds  de  veau,  ou  bien  pour  leur 
donner  plus  de  couleur  à  l'Italienne  de  leurs  gambes 
rottes,  cabrioUe,  fioret,  mutances,  fufpends,  gambades, 
voltes,  &.  vne  infinité  d'autres  tels  menus  fatras  qui  ne 
feruent  d'autre  chofe  qu'à  fe  faire  moquer  de  foy 
mefme,  comme  n'eftans  que  vrayes  fingeries,  ainfi  que 
leurs  termes  mefmes  nous  le  donnent  aifement  à  cog- 
noiftre  :  Comme  vne  cabrioUe  voulant  par  ce  paffage 
contrefaire  les  fautelantes  cheures,  par  la  gambe  rotte 
vne  perfonne  qui  a  la  iambe  rompue,  par  le  paffage  du 
cheual  le  voulant  enfuyure  en  ce  qu'il  frape  du  pied 
contre  terre.  le  laiffe  à  parler  des  autres  gambades 
qu'ils  ont  autrefois  appelées  le  faut  du  couturier,  au- 
iourd'huy  furnommé  à  la  paluettifte  landrichard,  le  faut 
du  pendu.  Si  prou  d'autres  de  pareille  farine,  termes 
fort  propres  &  dignes  d'vne  telle  fcience.  Il  s'en  efl 
encores  à  la  fin  trouué  quelques  vns  des  plus  expers  en 
cette  fotte  badinerie,  qui  pour  faire  gaigner  de  l'argent 
à  quelques  petis  crieurs  de  rogatons,  l'ont  voulu  réduire 
en  vn  certain  art,  &.  en  compofer  liures  qui  ne  font 
dédiés  à  autre  chofe  qu'à  feruir  aus  reuendeurs  &.  apo- 
ticaires,  pour  en  enueloper  leur  marchandife  &.  drogues, 
*i  faire  des  cornets  à  ferrer  leurs  épiceries.  Mais  i'ay 
belle  peur  que  pareillement  ces  vieus  rondeaus  &.  bal- 
lades ne  les  fuyuent  de  près,  le  laiffe  à  part  vne  infinité 
de  ces  beaus  danfeurs,  lefquels  faifans  vn  fpeélacle  de 
foy  en  compagnie,  ne  feruent  qu'à  donner  occafion  de 
rifee  8i  moquerie  à  ceus  qui  les  regardent,  &  encore? 
que  ces  pauures  fots  fe  rompent  les  iambes,  &.  quelques 


DV    DEMOCRITIC.  51 

fois  tombent  tout  à  plat,  s'efforçans  de  faire  plus  qu'ils 
ne  fçauent  pour  complaire  à  leur  Dame,  ils  n'en  auront 
la  moitié  tant  de  louange  comme  Madame  la  fucree, 
laquelle  auecques  vn  petit  branlement  de  tefle,  vn  tour 
d'efpaule,  &  maniement  de  pied  fretillard,  feratrouuee 
cent  mille  fois  mieus  faire,  que  fon  pauure  confort,  qui 
fe  fera  mis  hors  d'aieine,  à  force  de  gambader.  Outre 
plus,  eft  il  poffible  d'apperceuoir  vn  plus  grand  figne  de 
folie  que  de  voir  fauter  des  perfonnes  les  vnes  contre 
les  autres,  comme  s'ils  auoyent  l'efprit  raui  &.  troublé 
de  la  mefme  diableufement  feinte  &  diuine  fureur, 
qu'efloyent  iadis  furpris  les  preftres  &  preflreffes,  lors 
que  par  la  hautaine  infpiration  de  leurs  Dieus  fouflee 
iiifques  au  plus  profond  du  cinq^iefme  canal  de  leurs 
âmes,  ils  vouloyent  prophetifer  &  mettre  en  auant  les 
oracles  diuins.  Telle  chofe  fut  vne  fois  obiedee  par  vn 
fage  Roy  d'Arragon,  nommé  Alphonfe,  lequel  voyant 
danfer  &  fauter  vne  femme  (comme  elles  ont  de  bonne 
coutume  de  faire  auiourd'huy)  fe  retourna  deuers  toute 
l'affiftence,  &  dit  telles  parolles  :  Meffieurs  tenez  vous 
coi,  tantofl  la  Sibille  rendra  fon  oracle  :  voulant  par 
f|  cela  donner  à  entendre  que  toutes  les  perfonnes  qui  fe 
ïj  mettent  ainfi  à  fauter  &  gambader,  ne  font  pas  moins 
tranfportez  hors  de  leurs  fens,  que  faignoit  eflre  la  Sibille 
vn  peu  auparauant  qu'elle  voufift  dégorger  fes  pro- 
phéties, le  te  laifle  à  penfer  s'il  fe  fçauroit  trouuer 
chofe  raifonnable,  ou  art  tel  qu'il  foit  ou  fcience  (i'en- 
tends  de  ceux  defquels  l'appuy  n'eft  point  fondé  fus 
des  abus  8t  vaines  menfonges  dont  nous  pourrons 
deuiferpar  ci  après)  qui  donne  occafion  à  celui  qui  la 


52  PREMIERDIALOCVE 

veut  fuiure  d'en  eftre  repris,  ou  moqué.  Regarde  ie  te 
prie,  s'il  efl  poffibie  d'alléguer  raifon  aucune,  par  la- 
quelle on  puifTe  prouuer  ces  imitations  de  Singe  eftre 
digne  d'vne  perFecTuon  virile. 

LE  COSMOPHILE.  Tu  dis  le  mieux  du  monde, 
mais  tu  ne  viens  aucunement  à  l'exercice  que  l'on  y 
prend,  8t  à  la  louange  que  l'on  en  acquiert. 

LE  DEMOCRITIC.  Ne  fay-ie  pas  defia  dit  & 
affés  prouué  que  l'exercice  n'eft  pas  la  fin  pour  laquelle 
on  apprend  à  danfer?  Et  bien  que  la  danfe  eut  occafion 
d'eftre  louée  pour  l'exercice,  ie  te  diray  donq'  qu'il  fera 
auffi  bon  pour  s'exercer,  de  courir  &  fauter  tout  feul 
fans  compofition,  que  de  tant  employer  de  temps  pour 
dérober  le  gaing  &  honneur  d'vn  bafleleur.  Quant  efl 
d'en  eftre  loué,  ie  ne  t'en  diray  autre  chofe,  fors  ce 
que  chacun  cognoit  allés,  que  la  louange  s'attribue 
fouuentefois  aux  chofes  les  plus  fottes  &  imparfaites.  Et 
tout  ainfi  que  nous  voyons  vu  farcereau  eftre  bien  loué, 
en  reprefentant  vne  parfaite  badinerie,  autant  en  adulent 
il  à  ceux  qui  font  quelquefois  prifés  en  leurs  fauts  & 
gambades.  le  ne  veux  pas  dire  que  la  hafie  danfe,  mais 
qu'on  ne  la  découpe  point  trop  menu,  ne  foit  vne  chofe 
fort  graue,  &.  principalement  danfee  en  robe,  &  auec- 
ques  vne  mefure  feigneuriale,  ioint  qu'il  faut  auffi  que 
cela  foit  fait  par  vn  homme  defia  meùr  d'aage,  &  raffis 
de  cerueau,  &  non  pas  par  ces  ieunes  apprentis  qui 
portent  leur  deus  (T.  d.  efcris  en  vn  petit  rolet  de  pa- 
pier, 81.  qui  ne  font  pas  encores  bien  affurés  à  la  grâce 
U  contenance  qu'il  faut  tenir  au  branle  durant  lequel 
ils  portent  pour  le  moins  vne  douzaine  de  fois  la  main 


DVDEMOCRITIC.  5  3 


. u  vifage,  à  celle  fin  de  cacher  leur  petite  honte  malaf- 
(inee.  Mais  tout  cela  ne  ferait  encores  rien,  fi  ces  beaus 
danfeurs  d'vne  petite  folie  ne  tomboyent  en  vne  plus 
grande,  veu  qu'ordinairement  ces  fols  à  la  grand'  me- 
fure  réfèrent  toutes  leurs  œuures,  &.  principalement 
^ette  ci  pour  complaire  &  offrir  leur  feruice  à  celles  dont 
t'ai  parlé  ici  deuant. 

LE   COSMOPHILE.  le  recommence  maintenant 

oogDoiflre  par  expérience  que  la  difpute  de  quelque 

ofe  que  ce  foit,  fait  le  plus  fouuent  éclaircir  les  chofes 

uteufes  &  ambiguës,  81  ce  que  la  fimple  opinion  des 

lommes  fe  forge  &.  penfe  le  plus  vrai,  eflre  par  raifon 

le  plus  faus.   Car  deuant  t'auoir  ouy  parler,   aucun  ne 

m'euft   femblé  digne  de  réputation    enuers    ceus  qui 

s'eftiment  les  plus  braues,  qui  ne  fe  feufl  façonné  à  leur 

manière  de  faire,   principalement  les  imitant  en  cette 

frenefie  amoureufe.  Mais  ie  me  fai  bien  fort  que  d'ore- 

nauant  ie  m'en  aiderai  trop  mieus,  que  ie  n'ai  fait  par 

le  paffé,  car  au  lieu  de  tant  de  careffes,  danfes  &  fottes 

badineries  qu'tm  a  de  coutume  de  faire  à  l'endroit  des 

Femmes,  i'ai  délibéré,  que  là  où  l'en  trouuerai  à  l'écart, 

m'efforcer  d'en    prendre  en    folâtrant    ce   que    nature 

nous  a  donné  j^our  le  contentement  de  l'vn  &  de  l'autre, 

croyant   affeurement  que  ceus  qui  en  vfent  ainfi,  fans 

tant  de.  Madame  pour  l'amour  de  vous,  en  doiuent  eftre 

eftimés  les  plus  fages. 

LE  DEMO  CRI  TIC.  Tu  contes  bien  fans  tonhofte, 
4t  fi  elle  te  refufoit. 

LE  COSMOPHILE.  Ne    fe  tenir,  point  efconduit 
pour  la  première  fois. 


54  P«EM!EI(DIALOGVE 

LE  DEMOCRITIC.  Voire-mais  fi  elle  en  fait 
toufiours  de  mefmes. 

LE  COSMOPHILE.  Luy  faire  patarades,  &.  prati- 
quer le  prouerbe  ruftique,  qui  ne  peut  à  vn  moulin, 
aille  à  l'autre. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  ne  parles  point  de  donner. 

LE  COSMOPHILE.  De  donner  vertu  Dieu  encores 
moins,  qui  plus  y  met,  plus  y  pert,  mais  comme  ie 
t'ay  dit,  fl  eft  impoffible  que  s'adreffant  ainfi  à  beau- 
coup, il  ne  s'en  trouue  queiqu'vne  de  bon  vouloir. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  m'as  releué  d'vne  grand" 
peine  d'auoir  tant  bien,  &  fi  tofl  entendu  comment  il 
faut  procéder  en  cette  matière,  t'affurant  que  tu  as 
bien  trouué  vn  moyen  trop  plus  expédient  que  nui 
autre,  &  pour  n'eflre  ridicule  enuers  homme  du  monde. 
Toutesfois  fi  n'efl  ce  pas  encore  tout,  car  puifque  nous 
nous  difons  Crétiens,  il  faut  faire  les  œuures,  acomplif- 
fant  ce  qu'il  nous  en  eft  dit  par  noftre  loy,  laquelle 
donne  à  chafque  perfonne  vn  bon  moyen  de  conten- 
ter fon  appétit  naturel,  commandant  à  ceux  qui  ne  fe 
pourront  contenir,  de  prendre  femme  en  vray  &  légi- 
time mariage. 

LE  COSMOPHILE.  Ce  feroit  encores  faire  pis 
que  deuant,  &  comme  l'on  dit  au  vieil  prouerbe,  voulant 
euiter  Caribde  s'engoufrer  en  Scylle,  ou  bien  autrement 
tomber  de  fleure  en  chaut  mal.  le  fçay  fort  bien  que 
ie  ne  me  contenteray  que  trop,  fi  eftant  vne  foys  empe- 
ftré  d'vne  femme,  l'entreprends  de  la  contenter  :  mais 
ce  n'eft  pas  là  où  gift  le  Heure.  Tu  veux  donque  que  ie 
fois  coquu,  &.  par  Dieu  non  feray  :  car  encores  que  i'aye 


DVDF.  MOCRITIC.  15 

jufté  foy  à  vne  bonne  partie  de  tes  remonftrances, 

ù  eft  ce  que  tu  ne  me  feras  ia  venir  l'enuie  de  porter 
des  cornes. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment!  voudrois-tu  bien 
reculera  cela,  qui  feruiroit  de  tefmoignage  de  ta  vertu 
Si  preud'homie? 

LE  COSMOPHILE.  Comment  cela!  les  cornes 
fc-n-elles  les  gens  de  bien?  Quant  eft  de  moy  ie  n'en 
y  rien. 

LE  DEMOCRITIC.  Dea  ie  ne  te  contrains  point, 
tant  y  a  que  ie  t'en  dis  ce  que  par  écrit  on  en  treuue, 
&  en  quelque  forte  que  tu  en  vueilles  vfer,  fi  me  confef- 
feras-tu  les  folies  de  ces  paffionnés  amoureus  eftre  bien 
grandes. 

LE  COSMOPHILE.  le  ne  te  le  fçaurois  nier, 
encores  que  ce  foit  bien  la  chofe  la  plus  contraire  à  ce 
que  l'en  ay  penfé  autresfois. 

LE  DEMOCRITIC.  Or  fi  tu  cognois  maintenant 
ia  plus  grand'  partie  des  hommes  faillir  &.  eftre  ridicules, 
par  cette  extrémité  trop  amoureufe  qui  leur  fait  com- 
I  mettre  (ainfi  qu'amplement  nous  l'auons  déclaré)  vne 
I  infinité  d'aftes  fots  &  vicieus  qu'ils  eftiment  neant- 
moins  eftre  les  plus  grandes  fagelfes  &.  vertus  du  monde, 
encores  font  ils  plus  à  reprendre  pour  auoir  receu  entre 
eus  l'autre  extrémité  pour  vertu,  qui  eft  faute  d'amitié, 
le  contraire  de  celuy  dont  nous  auons  défia  parlé,  &i 
fans  comparaifon,  digne  de  plus  grand  vitupère  pour 
eftre  moins  humain  que  l'autre  :  veu  que  par  iceluy  eft 
furuenuè  entre  eus  cette  grand' &  plus  que  brutale  cruauté 
de  8'«ntre  pourchafler  la  mort,  contre  tout   l'ordre  &. 


56  PRtMIERDIALOGVE 


amitié   que  noftre  commune  mère  nature  a  donnée  à 
chacune  efpece,  pour  feconferuer  &  aider  l'vne  à  l'autre, 
&  Toy  défendre  contre  les oppreffions  &  iniures,  lefquelles 
leur  font  faites  par  vn  autre  genre  d'animans,   qui  a 
eflé  la  feule  &.  principale  occafion  pourquoy  les  hommes 
fe  font  ainfi  affemblés,  édifié  Villes  &.  cités,  &  pris  autre 
manière  de  viure  qu'ils  n'auoyeiit  lors  que  vagans  par 
lesdefers,  bois,  &  campagnes,  &  foy  retirans  es  cauernes 
&  fofTes  de  la  terre,  viuoyent  brutalement.  Adonq'  fe 
voyans  quelquesfois  oppreffés  &  endommagez  des  autres 
animans,  commencèrent  d'aller  en  compagnie,  à  celle 
fin  de  s'en  défendre  :  de  forte  qu'après  auoir  fait  ainfi 
quelque  temps,  peu  à  peu  fe  déploya  leur  langue,  attri- 
buans  par  ce  moyen  à  chacune  chofe  quelque  nom  qui 
leur  venoit  premier  en  la  bouche  pour  la  fignifier.  Et 
ainfi  ils  en  vfoyent   pour  fe  donner   à   erttendre  leurs 
conceptions,  tellement  qu'ils  commencèrent  au  lieu  d'vne 
vie  brutale,  en   prendre  vne  plus  compagnable  &  hon- 
nefle,  tout  cela  procédant  feulement  d'vne  affeélion  na- 
turelle qu'ils   auoyent    les  vns  enuers  les  autres  pour 
refifter  aus  oppreffions  des  autres  animans.  Mais  helas  ! 
tant  s'en  faut  qu'ils  foyent  auiourd'huy  entre-eus  fi  fe- 
courables,  comme  ils  efloyent  pour  lors,  qu'au  lieu  de 
cette  bonne  affeftion  &  inflincft  naturel  de  s'entre-fecou- 
rir,    ils   vfent    fi   abhominablement  d'vne  telle  cruauté 
entre  eus  mefmes,  que  celuy-là  eft  eftimé  le  plus  gentil 
compagnon  qui  en  a  le  plus  tué.  O  abus  du  monde  par 
trop  deteflables  !  O  monflrueufe  cruauté,  &.  non  au  pa- 
rauant  entendue  !  O  l'ordre  de  nature  du  tout  peruerti  ! 
O  iugement  des  hommes  renuerfé  1  Où  eft  la  raifon  que 


DVDEMOCRITIC.  57 

faulTement  s'attribuent  les  humains?  Où  efl  cette  dou- 
ceur &  pitié  naturelle  de  laquelle  tout  animant  créé  de 
la  nature,  vfe  pour  fe  garentir  St  conferuer,  félon  fon 
pouuoir,  chacun  en  fun  efpece?  N'auons  nous  pas  les 
exemples  des  befles  brutes,  qui  nous  monflrent  comment 
nous  deuoiis  vfer  de  cette  bénignité  &  fecours  mutuel 
chacun  enuers  fon  femblable,  &  nous  autres  qui  à 
grand  tort  nous  difons  raifonnables,  tant  s'en  faut  que 
nous  portions  aide  les  vus  aus  autres,  que  tout  au  con- 
traire, eflans  pires' que  les  autres  animans,  nous  nous 
faifons  acroire  que  nuftre  honneur  efl  bien  fort  preffé, 
fi  nous  ayant  efté  dit  quelque  parolle  à  la  volée,  nous  ne 
faifons  noftre  deuoir  en  camp  clos  ou  autrement  de 
combattre  à  toute  outrance  noflre  ennemy.  O  cœur 
inhumain  &.  par  trop  endurci,  de  te  glorifier  d'auoir 
fouillé  tes  mains  au  fang  de  ton  femblable  !  O  panure 
viôoire  caufee  d'vne  fi  étrange  &  abominable  cruauté! 
Où  auez  vous  trouué,  panures  humains  fans  ceruelle,  & 
plus  incenfez  que  Démoniaques,  qu'il  faut  aitpeller  cette 
enragée  fottife,  voftre  honneur?  Où  e(l  ce  deuoir  que 
vous  penfés  faire  en  exécutant  chofes  toutes  contraires 
à  ce  que  naturellement  &.  fuyuant  la  raifon  vous  eftes 
tenus  ? 

LE  COSiMOPHILE.  le  ne  veus  approuuer,  & 
moins  encores  fouftenir  cette  cruauté  que  tu  as  à  bonne 
8t  iufte  caufe  cor;damnee,  mais  fi  efl-ce  qu'il  eft  quelque 
fois  necefTaire  au  deffaut  d'autre  preune,  pour  iuflifier 
celuy  qui  a  bon  droit,  faire  apparoitre  de  la  vérité 
douteufe  par  la  fin  du  combat  de  l'vn  contre  l'autre. 
Car  il  eft  tout  certain,  &  alTez  cogneu  par  les  anciennes 


PREMI E  R    Dl  ALOCVE 


&  modernes  hiftoires,  comme  le  bon  droit  a  toufiours 
efté  gardé,  &.  la  viftoire  pareillement  demeurée  au 
iufte  &  à  l'innocent. 

LE  DEMOCRITIC.  Si  quelques-fois  &.  par  for- 
tune le  meilleur  s'eft  trouué  du  cofté  deceluy  qui  auoit 
bon  droit,  les  hommes  par  trop  prompts  &  fragiles  en 
leurs  inuentions,  incontinent  ont  penfé  cela  eftre  certain 
&  infallible  :  Et  pour  vuider  quelque  différent,  n'auoir 
point  de  meilleur  moyen,  qu'en  le  vérifiant  par  la 
mort  de  l'vn  ou  de  l'autre.  Mais  en  cela  ils  découurent 
facilement  leurs  bien  peu  cler-voians  yeus,  &  deffaut  de 
iugement,  ne  pouuans  voir  ny  confiderer  cela  n'eflre 
qu'vne  cliofe  hazardeufe,  car  les  armes  (s'il  faut  que  ie 
parle  ainfi)  font  iournalieres,  &  fuiettes  à  la  fortune  qui 
peut  auffi  bien  donner  la  viftoire,  &  prefler  de  fa  faueur, 
voire  le  plus  fouuent  aus  mechans,  qu'aux  bons.  Et  à 
celle  fin  de  te  le  donner  mieux  à  cognoiflre,  ie  te  prie  re- 
garde fi  le  plus  fort  n'emportera  pas  le  plus  foibie,  le 
plus  adroit  le  plus  lourd,  &.  cettuy-là  qui  fe  plaift  d'auoir 
les  mains  enfariglantees,  &.  eft  le  plus  acouHumé  à  ce 
malheur  &  furie  inhumaine  de  defîaire  fon  femblable, 
ne  viendra  pas  mieus  à  bout  de  celuy  lequel  eftant  plus 
dous  &  humain  auroit  horreur  d'auoir  épandu  le  fang 
d'vn  de  fon  efpece.  Et  s'il  eft  ainfi  que  la  viéloire  fuyue 
toufiours  le  bon  droit,  pourquoy  eft-ce  que  l'homme  nu 
ou  foibie,  ou  moins  fauorifé  de  fortune,  ayant  iufte 
caufe,  demeurera  vaincu  de  fon  ennemi  qui  fera  armé, 
ou  bien  le  plus  fort  8t  plus  heureus  ?  Et  qu'il  foit  vray, 
me  veus-tu  nier  qu'ayant  vne  arquebuze  bien  chargée,  fi 
ie  rencontroy  mon  ennemi,  encores  qu'il  euft  bon  droit, 


DV     DEMOCRITIC.  59 

que  cela  le  peuft  Tauuer  de  la  violence  de  la  bafle,  fi  ie 
kl  iuy  voulois  delafcher  au  trauers  du  corps? 

LE  COSMOPHILE.  le  te  confefferay  bien  que  fi 
nous  ne  regardons  fimplement  qu'à  la  nature,  fans  point 
de  doute  le  plus  fort  ou  celuy  auquel  la  fortune  fe 
TOudra  monflrer  pllis  fauorable,  l'emportera,  mais  Dieu 
qui  eft  par  deffus,  ne  permet  iamais  le  bon  droit  eflre 
foulé. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  as  toufiours  de  coutume, 
n'ayant  autre  recours,  de  me  tendre  vn  filet  auquel  tu 
te  trouues  le  premier  pris,  eftimant  ton  dire  eftre  véri- 
table, m'alleguant  aucune  fois,  fans  le  coter,  quelque 
paflage  des  fainftes  écritures  :  en  quoy  tu  me  donnes 
aifement  à  cognoiftre  que  tu  en  crois  plus  par  ouïr  dire, 
que  pour  l'auoir  veu,  par  ce  que  nous  auons  affés 
d'exemples  en  icelles,  comme  Dieu  a  permis  les  bons 
auoir  elle  foulés  des  mechans,  &  ceus  qui  auoyent  bon 
droit  eflre  demeurés  vaincus.  Ce  qu'il  nous  a  eflé  mef- 
mement  confirmé  par  le  nouueau  Teftament,  auquel  il 
eft  dit  que  les  fidèles,  &.  ceus  qui  voudront  prefcher 
purement  l'Euangile,  endureront  des  iniures  &.  perfecu- 
tions  des  mechans,  &.  s'il  elloit  vray,  comme  tu  dis, 
que  le  bon  droit  n'efl  point  foulé,  il  s'enfuyuroit  donq' 
que  les  Saints  eleus  de  Dieu  qui  font  perfecutés,  eufTent 
mauuaife  caufe,  &  qu'à  ceus  qui  font  viftorieus  fus  leurs 
pauures  corps  affligés  demouraft  le  bon  droit,  qui  feroit 
totalement  renuerfer  l'Euangile  delefus  Chrift.  Et  pour- 
ce  cognois  maintenant  cela  n'eflre  point  tant  feulement 
contre  nature,  mais  auffi  contre  Dieu,  &.  qu'il  ne  faut 
aucunement  eprouuer  la  vérité   par  vne  cruauté  tant 


6o  PREMIER      DIALOGVE 

inhumaine,  &  aéte  du  tout  contraire  à  fa  parolle,  par 
laquelle  l'homicide  nous  efl  expreffement  défendu ,  Si 
commandé  d'endurer  les  vns  des  autres. 

LE  COSMOPHILE.  Tu  nous  voudrois  donq' faire 
tant  fimples  que  quand  on  nous  donneroit  vn  fouflet  en 
vne  iouée,  nous  tendiffions  l'autre  pour  en  receuoir  au- 
tant :  8i  en  ce  faifant  monflrerions-nous  bien  noflre  peu 
de  cœur  eftans  plus  lâches  que  la  petite  fourmis  qui 
efTaie  mefme  à  fe  rebecquer  contre  les  plus  fors. 

LE  DEMOCRITIC.  Si  i'ay  dit  quelque  chofe  en 
cela  qui  foit  contre  ta  faiitafie,  remets  en  la  faute  fus 
toymefme,  qui  m'as  contraint  par  ta  réplique  théologale, 
de  faire  ainfi  du  coiitre-prefcheur,  neanlmoins  que  ie  ne 
veus  pas  me  monflrer  tant  feuere  Euaiigelifle,  que  ie  te 
confeille  d'endurer  des  nazardes  à  toutes  heurtes  feruant 
par  ce  moyen  de  fable  &  de  [>anetemps  à  vn  chacun  : 
Non,  Non,  le  ne  veus  pas  prendre  la  lettre  fi  fort  au 
pié  leué  que  tu  penfes,  veu  mefmement  que  les  loix 
nous  permettent,  fi  on  nous  fait  vn  effort  de  le  repouffer 
auecques  vn  autre  effort,  mais  il  feroit  tresbon  pour 
obuier  à  beaucoup  de  iegieres  querelles  de  tenir  vne 
telle  règle,  que  le  premier  mutin  qui  feroit  trouué 
outrageant  fon  compagnon,  fuft  reietté  &.  banni  de 
toute  compagnie,  en  faifant  par  mefme  moyen  autant  à 
ceux  qui  le  voudroyent  hanter.  Et  fi  cela  n'efloit  fuffifant 
pour  corriger  vn  tas  d'autheurs  de  querelles,  il  faudroit, 
&.  principalement  où  ils  ne  ponrroyeiit  prouuer  ce  qu'ils 
auroyent  mis  en  auant,  les  punir  publiquement  pour 
feruir  d'exemple  aus  autres. 

LE  COSMOPHILE.    le   m'étonne    comme   après 


DVDEMOCRITIC.  6l 

ni'auoir  taiil  loué  cette  douceur  &  pitié  naturelle,  &  au 
contraire  blâmé  la  cruauté  que  nous  vfons  enuers  noflre 
femblable,  maintenant  tu  dis  eftre  bon  &  necefîaire 
d'en  faire  vn  cruel  fpeflacle  par  la  mort  d'vn  de  noflre 
efpece. 

LE  DEMOCRITIC.  Encore  que  ie  t'aye  approuué 
eftre  quelquefois  necefTaire  de  châtier  ces  fols  outrageus 
(feul  vice  entre  les  autres  le  plus  digne  d'eflre  puni) 
pour  cela  n'enten-ie  pas  louer  aucune  cruauté  :  veu 
mefmement  qu'vn  tel  confeil  ne  tend  à  autre  fin  qu'à 
nous  conferuer  tous  en  vne  paix  &  amitié  telle  que 
nous  la  deuons  tenir  de  nature,  &  auffi  efl-il  tout  cer- 
tain que  de  deux  maux  neceffaires,  il  faut,  s'il  efl  pof- 
fible,  en  euitant  le  plus  grand  eflire  le  moindre.  Car  ne 
vaut-il  pas  mieux  que  peu  de  ces  fots  outrageux  meu- 
rent pour  modérer  la  gluire  outrecuidee  des  autres, 
qu'vn  nombre  infini  de  braues  &  vaillans  hommes  foyent 
contrains  d'en  paffer  le  pas,  feulement  à  l'appétit  d'vne 
fotte  opinion  approuuee  des  hommes? 

LE  COSMOPHILE.  le  ne  fçache  aucun  qui  fceut 
à  bon  droit  blâmer  ton  confeil,  veu  qu'il  ne  tend  qu'à 
bonne  fin,  8i  qu'il  efl  non  feulement  fondé  fus  la  loy  de 
nature,  mais  auffi  fus  la  diuine,  neantmoins  ie  m'emer- 
ueille  d'vn  grand  nombre  de  ceus  que  l'on  appelle  bien 
apris  8t  de  bon  efprit,  qui  en  vfent  tout  au  contraire  de 
la  raifon,  ne  tâchans  de  iour  à  autre,  qu'en  fe  geinant 
eus-mefmes,  trouuer  inuention  de  deftruyre  leur  fem- 
blable, non  point  tant  à  l'occafion  de  parolles  ou  quel- 
ques autres  légères  iniures  qui  leur  ayent  efté  dites  ou 
faites,  que  pour  vn  dépit  d'en  voir  d'autres  quelque 


6a  PREMIER    DIALOCVE 

fois  plus  fauoris  des  biens  de  fortune,  ou  mieus  venus 
enuers  vn  grand  feigneur  qu'ils  ne  font. 

LE  DEMOCRITIC.  Encores  que  le  n'euffe  point 
délibéré  de  faire  fi  long  feiour  en  ce  lieu,  fi  efl-ce  que 
tant  pour  ce  que  ie  te  voy  défia  prendre  gouft  en  mes 
parolles,  tant  auffi  pour  mettre  en  exécution  la  promeffe 
que  ie  t'auoi'  faite  auparauant,  ie  fuis  content  d'y  de- 
meurer tant  qu'il  te  plaira,  pour  te  déclarer  par  le  menu 
ce  que  tu  voudras  entendre  de  moy,  t'affurant  bien 
que  l'enuie,  félon  que  tu  as  dit,  ell  de  tous  temps  pins 
fus  les  riches  que  fus  les  pauures,  entendu  que  la  mifere 
peut  demeurer  feule  en  ce  monde  fansenuie,  par  laquelle 
eft  furuenue  vne  quantité  innumerable  de  maus  8t  in- 
conueniens.  l'en  pourrois  alléguer  afifés  d'authoritez  de 
Poètes,  Orateurs  &  autres  écriuains,  mais  il  n'efl  feule- 
ment befoin  que  d'en  veoir  les  exemples  ordinaires, 
comme  vne  infinité  de  gens  de  bien  U  innocens  encou- 
rent par  icelle  vne  mauuaife  U  fauffe  renommée.  Par 
l'enuie  on  voit  l'honneur  de  la  plus  chafle  &.  pudique 
femme  eftre  corrompu  &  violé,  par  l'enuie  on  voit  le 
plus  homme  de  bien  du  monde  eftre  eftimé  le  plus  vi- 
cieus,  le  riche  perdre  non  feulement  fes  biens  &.  deuenir 
pauure,  mais  quelquefois  prendre  fin  auecques  vne  mort 
affez  ignominieufe,  le  bon  droit  it  équité  eftre  du  tout 
renuerfee,  par  l'enuie  on  a  veu  autrefois,  U  voit-on 
encores,  le  Magiftrat  eftre  deietté  hors  de  fon  office, 
celuy  qui  a  bien  fait  fon  deuoir  eftre  mal  recompenfé 
pour  en  guerdonnerceusqui  ne  le  méritent  aucunement. 
Donques  tous  faus  &  calomnieus  rappors,  trahifons  mé- 
chantes &t  cauteleufes  machinations  de  mort,  vne  infi- 


DVDEMOCRITIC.  6} 

nité  d'aâes  cruels  &  inhumains  :  &  bref  toutes  les  plus 
grandes  mechancetez  du  monde  font  caufees  le  plus 
fouuent  par  quelque  langue  enuieufe.  Et  tant  font 
auiourd'huy  abufez  les  plus  grans  Seigneurs,  qu'ils  n'ont 
la  plufpart  du  temps  autour  de  leurs  perfonnes,  que  fla- 
teurs  aufquels  ils  fe  laiflent  doucement  tromper  &  de- 
ceuoir  par  louanges  &  applaudifTemens,  &  preftent 
volontiers  l'oreille,  fenlant  médire  d'vn  plus  homme  de 
bien  cent  fois  que  ne  font  les  babillars  qui  en  rapportent. 
Et  pour  acheuer  la  farce,  toute  celle  grande  befte  popu- 
laire s'ébranle  après,  à  l'imitation  des  plus  grans, 
croiant  tout  foudain  aus  plus  volages  &  legieres  parolles 
qu'elle  entend  dire  contre  la  bonne  renommée  de  quel- 
cun,  &  encores  pour  fe  faire  d'auantage  acroire  qu'il 
eft  vrai,  on  met  en  auant  qu'il  n'y  a  point  de  feu  fans 
fumée.  O  trop  pernicieufe  &  fotte  perfuafion  !  faut-il 
que  pour  vne  méchante  langue  remplie  du  plus  noir  & 
dangereus  venin,  la  réputation  d'vn  homme  de  bien,  & 
totalement  net  &.  pur  d'vn  tel  vice  qui  lui  eft  impofé, 
en  foit  ainfi  traitrement  piquée  &  corrompue  ?  Et  puis 
me  dites  que  la  plufgrand'  partie  des  hommes  ne  font 
pas  fols  &  enragés  de  croire  ainfi  à  la  volée,  &.  auecques 
vne  fi  grande  furie,  à  vn  faus  rapport,  &  de  faire  vn  fi 
mauuais  iugement  de  l'autruy  pour  vn  fimple  bruit  qui 
s'eft  leué  de  luy,  femé  par  quelque  enuieus,  fans  en 
auoir  autre  cognoiffance  plus  notoire  &  plus  certaine.  Et 
certainement  oiant  ainfi  médire  de  quelcun,  ce  feroit 
alors  que  i'en  penferoi  pluftoft  au  Contraire  de  ce  qu'on 
en  diroit,  entendu  que  tout  ainfi  que  la  fcience  n'a 
point  de  plus  grand  ennemi  que  l'ignorant,  la  richefie 


64  PREMIERDIALOGVE 

que  la  pauureté,  auffi  l'homme  de  bon  efprit  ou  bien 
viuant  n'a  volontiers  à  l'eiicontre  de  foy  que  cette  ver- 
mine calomnieufemeiit  enuieufe  &  ignorante  qui  ne 
tache  qu'à  mordre  deffus  luy,  &.  ronger  quelque  chofe 
de  fa  louable  &.  vertueufe  réputation.  ToutesFois  il  ne 
faut  point  tant  nous  amufer  icy  à  donner  le  blâme  aus 
flateurs  &.  enuieux,  que  nous  en  delaiffions  ceus  qui  les 
entretiennent  &.  nourrirent  à  leurs  gages,  lefqueis 
eftans  vue  fois  perfuadez  par  eus  qu'il  y  a  en  leurs  per- 
fonnes  des  vertus  &  perfeflions  cent  mille  fois  plus  que 
ne  contient  la  vérité,  incontinent  s'efliment  eftre  dignes 
du  los  &  gloire,  qu'on  leur  donne.  Mais  le  voudroi  biei. 
fçauoir  que  telles  gens,  aufquels  on  fait  à  croire  fi  aife- 
ment  eftre  ce  qu'ils  ne  font  pas  refpondroyent,  fi  on  les 
interrogeoit  de  mefme  que  Stilpon  interrogea  vne 
fois  Théodore,  lors  qu'il  luy  demanda  s'il  croyoit  eftre 
tel  qu'on  le  faifoit  :  U  après  que  Théodore  luy  eut 
donné  à  entendre  par  figne  qu'ouy  :  Tu  es  donques 
Dieu  (dit  Stilpon)  &.  de  rechef  l'autre  s'y  eftant  confenti 
par  mines  comme  auparauant,  Stilpon  fe  print  à  fous- 
rire  luy  répliquant  :  O  grand  fot  que  tu  es  !  par  mefme 
raifon  tu  te  confefferois  eftre  corneille  :  voila  la  grande 
folie  où  tombent  ceus  qu'on  trompe  fi  doucement  par 
flateries.  Et  s'il  adulent  d'auenture  qu'aucun  de  ces 
flateurs  leur  donne  à  entendre  qu'ils  ne  fe  doiuent  foub- 
mettre  fi  bas,  que  de  fe  faire  compagnons  des  autres 
hommes,  à  celle  fin  de  ne  déroger  à  leurs  dignités  St 
prééminences  qu'ils  ont  fus  le  peuple,  leur  mettant 
pareillement  en  auant  les  grans  biens  U  pofTeffions, 
dont  ils  font  doués  plus  que  les  autres  :  ils  n'auront  pas 


DVDEMÛCRITIC.  6  S 

pluftoft  entendu  telles  pernicieufes  remonftrances,  qu'ils 
ne  s'y  coiifentent,  changeant  en  vne  mefme  heure,  &. 
d'opinion  &  de  manière  de  viure,  tellement  que  par  celte 
iiuf  &.  c<Hiuerture  qu'on  leur  met  deuant  les  yeus,  ils 
font  empêchez  de  voir,  &.  cognoiflre  que  tel  auantage  ne 
[irocede  (loint  de  leur  mérite,  ains  feulement  de  la  for- 
tune qui  les  a  fait  naiftre  ou  deuenir  riches  en  dormant. 
N'pantmoins,  fans  auoir  la  moindre  eftincelle  de  telle 
jfideration,  ils  s'enorgueillifTent  de  telle  forte  qu'ils 
ne  tiennent  aucunement  conte  des  autres  hommes, 
comme  fi  la  nature  les  auoit  formez  d'vne  autre  parte,  8t 
exprefTement  produits,  pour  eflre  plus  comblez  de 
richeffes  que  les  autres.  Mais  (qu'ils  fe  gardent  hardi- 
ment de  rendre  à  vu  terme  trop  hatif  &.  furuenant  à 
l'impourueu,  cela  qui  leur  a  efté  prefté  par  le  hazard,  &. 
dont  ils  marchent  tant  fiers  &.  fuperbes.  Et  à  celle  fin 
qu'ils  ne  s'y  penfent  pas  moins  fuiets  que  les  autres, 
defquels  les  miferaliles  exemples  (que  ie  tairay  pour  ne 
faire  turt  à  leur  poQerité)  furuenus  de  noflre  tems,  & 
arriuans  encc.Tes  de  iour  en  iour,  les  doyuent  rendre 
fages  :  outre  cela  qu'ils  regardent  les  plus  grans  Rois  & 
Seigneurs  qui  ont  iamais  efté,  comme  la  fortune  s'efl 
iouee  d'eux  ne  les  ayant  feulement  réduis  en  vne 
extrême  mifere  &.  pauureté,  mais  auffi  à  beaucoup 
d'entre  eus  fait  ignominieufement  perdre  en  vne  mefme 
heure  &  la  vie  &  les  richelTes  :  de  cela  nous  en  voyons 
les  hifloires  toutes  pleines,  &  des  exemples  en  arriuer 
tous  les  iours  deuant  nos  yeus.  Mais  qui  eft  à  ton  aduis 
l'occafion  de  leur  defortune  &  inconuenient?  le  ne  penfe 
point  qu'il  y  en  ait  d'autre  que  le  grand  orgueil  qui  leur 


66  PREMIE  R    D  I  A  LOG  V  E 

fait  ainfi  meprifer  &.  tenir  tant  peu  de  conte  des  autres 
hommes,  qui  eft  la  chore  de  Dieu  &.  du  monde  la  plus 
haïe  &.  mal  voulue.  Confidere  ie  te  prie  de  quelle  manière 
de  faire  vfent  pour  le  iourd'huy  ceus  qui  fe  Tentent  vn 
peu  obéis  pour  leur  bien  :  vous  en  verres  les  vns  batre, 
&.  outrager  fans  aucune  occafion  ceus-là  qu'ils  cognoif- 
fent  bien  ne  s'ofer  attacher  à  eus,  au  moins  s'ils  veu- 
lent auoir  le  bon  de  leur  coRé  :  les  autres  vfer  de 
parolles  piquantes  &  fornettes  iniurieufes,  &  ie  plus  fou- 
uent  aus  perfonnes  de  bon  efprit  qui  font  contrains 
neantmoins  de  les  endurer,  encores  de  leur  dire  vn 
grand  merci  au  bout  du  ieu.  Voilà  bien  vfé  de  nobiefle. 
Et  puis  pour  excufer  telles  folies,  par  ce  que  volontiers 
les  ieunes  en  vfent,  on  dira  que  ce  n'eft  que  grandeur 
de  courage  qui  leur  donne  vne  telle  audace,  &  promet 
en  eux  à  l'aduenir  quelque  chofe  de  bon  :  &.  fi  ce  font 
encores  petis  enfans,  les  parens  leur  permettront  aife- 
ment  de  fe  nourrir  en  tel  orgueil  &  outrecuidee  pre- 
fomption,  &  encores  pour  les  excufer  diront-ils  que  ce 
n'efl  qu'efprit.  O  la  gentille  manière  de  viure,  &  ver- 
tueus  entretien  de  ieuneffe  !  le  ne  fçay  où  telle  manière 
de  belles  dis  ie  teftes  euentees  &  fans  ceruelle,  ont 
trouué  la  nobleffe  procéder  de  vice,  &.  l'effeét  d'icelle 
confifter  en  telles  ieunefles  tant  foies  &.  outrageufes.  le 
te  veus  bien  ici  aduertir  de  n'interpréter  point  tant  mes 
parolles  à  la  rigueur,  ou  à  la  volée,  que  tu  me  dies 
indifféremment  vitupérer  les  Gentilshommes  (veu  que 
ie  me  feroy  tort  à  moy  mefme)  ou  autres  nobles  grans 
Seigneurs,  car  ie  n'enten  parlant  de  quelque  eflat  que 
ce  foit  blâmer  ou  moquer,  finon  les  vicieux  &.  les  fots. 


DV    DE  MOC  RITIC.  67 

Mais  pour  retourner  à  mon  propos,  le  nom  de  NoblelTe 
eft  auiourd'huy  tant  corrompu,  qu'il  ne  s'attribue  le  plus 
fouuent  qu'aux  riches  &.  braues  d'habits,  tant  que  de 
prime-face  voyant  quelcun  auec  grande  fuytte  de  valets, 
ou  eftant  reparé  de  veftemens  plus  riches  &  précieux, 
que  le  vulgaire,  incontinent  efl  iugé  de  tous  grand 
Seigneur  &.  Gentilhomme.  Maisquoy  !  pour  leur  richefTe 
tt  brauerie,  en  font  ils  de  meilleur  efprit?  Rien  moins  : 
Et  ie  te  di  qu'il  eft  auffi  aifé  de  veftir  vn  afne  ou  vne 
telle  foie,  de  Pourpre,  de  Velours,  ou  toille  d'or, 
comme  il  eft  mal-aifé,  voire  impoffible  à  l'afne,  ou  au 
f  fol  d'acheter  la  fcience  &  bon  iugement  par  deniers. 
LE  COSMOPHILE.  le  croi  bien  qu'vn  fol  pour 
fes  biens,  quoy  qu'on  luy  face  accroire  du  contraire, 
ne  deuiendra  pas  fage,  mais  cela  empefche-il  que  beau- 
coup de  perfonnes  &.  grans  Seigneurs  ne  foyent  auffi 
bien  prouueus  de  la  doftrine  comme  les  pauures? 
Entendu  mefmement  que  ce  font  ceus  qui  ont  les  gens 
bien  conditionnez,  dofles  &  fçauans  à  leurs  gages, 
pour  inftruyre  leurs  enfans  en  meurs  vertueufes,  &  cog- 
noiffance  de  bonnes  lettres,  &  ainfi  il  eft  bien  difficile, 
ayant  pris  vn  tant  bon  pli  de  leur  ieune  aage  qu'après  ils 
fe  puilTent  aucunement  deftourner  ou  corrompre,  qui 
eft  vne  chofe  (ce  me  femble)  que  tu  as  affez  legierement 
paffee  en  leur  accufation. 

LE  DEMOCRITIC.  Te  fufKfe  que  ie  t'ay  dit  vne 
propofition  vraye,  &  contre  laquelle  tu  ne  fçaurois  dire 
chofe  qui  ne  tourne  à  ton  preiudice,  ainfi  que  tu  as 
fait  tout  à  cette  heure  m'ayant  obiedé  vn  argument  que 
tu  verras  du  tout  eftre  à  l'encontre  de  toy,  &  n'eftoit  de 


68  PREMIERDIALOGVE 


peur  que  i'auroy  de  me  monfirer  affeélé  aus  règles  de 
ces  maiflres  aus  arts  ie  teconfoiideroy  tout  ton  argument, 
comme  n'eflant  point  fait  en  manière,  ni  en  figure.  Mais 
pour  laifTer  telles  difputes  à  ces  criars,  &.  iappeurs 
arifloteliques,  ie  te  monflreray  par  vn  meilleur  moyen 
ce  que  tu  m'as  répliqué  n'eflre  aucunement  contraire  à 
mes  parolles,  ainçois  pluflofl  à  ce  que  tu  penfes.  Et 
qu'il  foit  vray,  ie  te  conFelTeray  bien  qu'il  eft  mal  aifé, 
Si  prefque  impoffibie  de  changer  l'indruétiori ,  en  la- 
quelle nous  fommes  nourris  dés  noftre  enfance  :  &  tout 
ainfi  que  le  vaiffeau  neuf  &.  récent  retient  prefque 
toufiours  le  fentiment  des  odeurs  dont  il  a  eflé  pre- 
mièrement rempli,  ainfi  les  bonnes  ou  méchantes  con- 
ditions qu'on  nous  apprend  dés  noftre  aage  encores 
tendre  &.  délicate,  demeurent  quafi  à  iamais  enracinées 
fans  leur  pouuoir  plus  dorenauant  faire  perdre  pié  en 
noftre  efprit,  ce  que  nous  voyons  ordinairement  pratiqué 
enuers  les  plus  riches.  Car  pour  cette  grande  liberté 
qui  leur  eft  (ainfi  que  ie  t'ay  dit)  odroyee,  &.  permife 
de  leurs  parens,  ils  s'abandonnent  à  faire  toutes  ces 
inconftantes  ieunelTes,  &.  prendre  vue  telle  audace  à 
l'endroit  de  ceux  lefquels  pour  eftre  moins  fauorifez  des 
biens  de  fortune  leur  doyuent  obeiffance,  de  forte  que 
ils  ne  fentent  rien  moins  qu'vn  efprit  bénin  &  naturel, 
chofe  la  plus  louable  &.  recommandée  que  nul  autre,  Se 
principalement  enuers  les  grans  Seigneurs.  Et  bien  que 
ce  que  tu  m'as  dit  de  l'entretien  de  leur  ieunefTe  femble 
contraire  à  ma  propofition,  fi  eft-ce  qu'il  ne  l'oppugne 
en  rien,  car  encores  qu'ils  foyent  gouuernez  par  les 
mieux  appris  &  plus  doâes,  fi  en  font-ils   moins,  voire 


DV    DEMOCRITI  C.  69 

[ilus  mal  édifiez,  que  s'ils  n'auoyent  pour  leur  coiiduitte, 
jue  les  plus  gros  lourdaux  &  les  plus  ignares  du  monde, 
entendu  que  cette  auarice  &  flaterie  font  tant  receùes 
enuers  vu  chacun,  que  ceux  qui  en  deuroient  eflre  les 
moins  poilus  en  font  les  plus  entachés,  comme  font  or- 
dinairement les  gouuerneurs  de  telles  gens  :  veu  que 
partie  regardani  plus  à  leur  particulier  profRt  qu'à  la 
bonne  inflru(îlion  des  enfans  qu'ils  ont  eiitre  leursmains, 
partie  auffi  pour  leur  complaire,  les  flatans  mefme  & 
mignardans  en  leurs  fautes  &.  erreurs,  ils  les  laifTent 
iir.fi  le  plus  fouuent  croiflre  &  fe  nourrir  en  leurs  pre- 
mières &  ieunes  apprehenfions.  Et  puis  fi  d'auenture  il 
fe  trouue  a])res  quelqu'vn  lequel  ayant  pluflofl  égard  à 
Ihonnefteté  &  au  bien  public,  qu'à  cette  fourde  flaterie, 
vueille  reprendre  les  aéles  qu'ils  commettent  comme 
eftant  mal-feaus  &.  à  leur  perfonne  &  à  leur  dignité, 
incontinent  il  fera  pouifé  au  loing  &  mis  hors  de  cour, 
comme  vu  prefomptueux  &  vn  homme  indifcret  qui 
craint  peu  d'offenfer  les  oreilles  délicates,  tellement  qu'il 
feroit  auiourd'huy  de  befoin  qu'vn  autre  Pericles  Ariflo- 
phauien  retournafl  des  Enfers  pour  admonefier  de  rechef 
qu'il  ne  faut  point  nourrir  vn  Lion  en  vne  ville,  fi  on 
ne  fe  délibère  après  qu'il  y  a  efté  nourry  de  luy  porter 
obeyffance. 

LE  COSMOPHILE.  S'il  eft  ainfi  que  tu  dis,  la  faute 
n'en  doit  point  eflre  imputée  aus  Seigneurs,  comme  a 
ceus  qui  abufent  ainfi  de  leur  deuoir,  pour  ne  leur 
remonftrer  tels  vices  &  folies. 

LE  DEMOCRITI  C.  Tous  deux  faillent  grande- 
ment, mais  encores  d'auantage  ainfi   que    tu    as   dit, 


PREMIEB    DIALOCVE 


ceus  qui  n'accompliffent  pas  la  charge  à  laquelle  ils 
font  tenus.  Mais  ie  te  prie  ne  mets  point  de,  s'il  eft 
ainfi,  car  il  n'eft  rien  plus  vray  que  l'Euangile.  N'as-tu 
iamais  ouy  dire  que  pour  bien  faire  fon  profit  à  la 
cour  des  Rois,  &.  maifons  des  grans  Seigneurs,  il  eft 
necelTaire  de  complaire  à  fon  maiftre,  &  s'acommoder 
à  fes  complexions?  ce  qui  n'eft  que  trop  bien  exécuté  a 
l'endroit  de  ces  braues  gouuerneurs  &  pédagogues.  Mais 
pour  bien  vfer  de  cefle  diffimulation  courtifanne,  il 
faut  entendre  &  mettre  en  effeA  les  trois  règles  qu'en 
donne  loachim  du  Bellai  Angeuin  (l'vn  certes  des  plus 
doâes  &.  mieux  ecriuans  en  noilre  poëfie  Françoife) 
difant  en  fon  difcours  de  vertu  dédié  à  Macrin,  que  ie 
vrai  moyen  d'acquérir  la  faueur  au  feruice  des  plus 
grans  Seigneurs,  c'eR  d'eftre 

Aveugle,  muet ,  &fourd: 
Veu  que  l'homme  qui  eft  à  la  fuytte  de  tels  perfon- 
nages,  doit  faire  le  femblant  de  n'aperceuoir  ce  qu'il 
voit  faire  ordinairement  deuant  fes  yeux,  de  ne  pouuoir 
parler  ou  refpondre  de  ce  qu'il  entend  le  mieux,  &  à 
cela  où  il  pourroit  fort  bien  répliquer,  de  n'ouyr  point 
les  fots  propos  &.  enuieux  rapports,  qui  fe  font  pour  le 
iourd'huy  en  tels  endroits,  &.  bref  pour  rendre  cela  plus 
honneftement  U  en  moins  de  parolles,  il  n'eft  befoin 
que  d'eftre  feulement  bon  traiftre. 

LE  COSMOPHILE.  Ceux  qui  en  vfent  ainfi  font 
volontiers  gens  qui  veulent  faire  des  fots  tout  de  gré, 
ou  bien  vn  tas  de  vilains  &.  mécaniques  qui  n'ont  autre 
Dieu  que  l'auarice,  ne  tâchans  à  autre  chofe  qu'à  faire 
leur  profit,  non  point  tant  par  vne  bonne  &  équitable 


DV    DEMOCRITI  C.  7I 

que  par  vne  méchante  &.  iniufte  voye,  &  non  pas  les 
hommes  de  bon  efprit  aufquels  il  feroit  trop  plus  agréa- 
ble de  mourir,  que  d'abufer  ainfi,  &  faire  tout  au  con- 
traire de  leur  fçauoir  &.  de  la  raifon. 

LE  DEMOCRITI  C.  le  ne  fçay  où  tu  prens  ainfi 
perfonnes  de  fi  bon  efprit  &.  tant  vertueux,  que  tu 
les  feins  de  parolle,  &.  fi  iecroy  que  ce  font  pluflofl  idées 
u.  imaginations  d'hommes  parfaits,  qu'autre  chofe  véri- 
table :  tout  ainfi  que  Ciceron  voulant  définir  vn  Ora- 
'•'ijr,  alla  imaginer  (ainfi  qu'il  auoit  de  bonne  couftume) 

e  perfeftion  qui  eft  impoffible  en  l'homme,  difant, 
urjtor  eft  vir  bonus  &  dicendi  peritus,  que  nous  pou- 
uons  ainfi  rendre  en  françois,  Vn  orateur  c'efl;  vn 
homme  de  bien,  &  qui  fçait  fort  bien  dire.  le  ne  fçay 
où  il  s'en  pourra  trouuer  vn  tant  parfait  auquel  on 
puiffe  feulement  attribuer  (fi  ce  n'eftoit  d'auenture 
quelque  bon  &  honnefte  mari)  la  première  partie  de 
cette  définition,  i'en  prendray  à  tefmoin  noflre  non 
moins  doAe  que  facétieux  Rabelais,  difant  en  ces  mots, 
Gens  de  bien.  Dieu  vous  fauue  &.  gard,  où  eftes  vous, 
ie  ne  vous  peus  voir.  Et  puis  allés  m'en  trouuer  qui 
aimeroyent  mieux  mourir.  Vraiment  c'eft  bien  répli- 
qué à  toy  &  de  bonne  grâce  :  Mourir  de  par  ie  Diable  ! 
on  ne  meurt  pas  ainfi  comme  tu  penfes.  Mais  où  m'en 
pefcherés-vous  vn  de  ces  bons  efpris  &  tant  homme  de 
bien,  qui  defire  pluftoft  la  mort  que  fon  profit,  il  y  a 
long  temps  que  la  mère  en  eft  morte.  le  me  donne 
tout  grillé  au  plus  friand  de  carbonnades  des  valets  de 
garde  robe  de  Proferpine,  cela  eflant  aduenu,  fi  ie  ne 
deliberoy  bientoft  de  ma  confcience.  Et  quoy  !  voudroit 


72  PRE  MiFR    Dl  ALOGVE 


on  voir  vn  plus  grand  prefage  pour  la  fin  du  monde  que 
cettuy  là?  Et  que  feroit-ce  vertu  Dieu,  chacun  voudroit 
mourir  pour  la  parolle.  Mon  amy  à  ce  que  ie  voy  tu  es 
bien  loin  de  ton  conte,  car  il  en  va  tout  au  contraire  de 
ce  que  tu  en  as  dit,  veu  qu'il  s'en  trouue  vne  infinité  qui 
ne  craignent  point  la  mort  corporelle,  ni  la  perdition  de 
leur  pauure  ame  pour  eflre  vn  petit  honneftement  lar- 
rons, faifant  leur  propre  de  ce  qui  ne  leur  appartient  en 
rien,  &.  cela  n'ed  (difent  ils)  qu'vne  vertu  &  fubtilité 
de  bons  efprits.  Il  fnffit  tant  feulement  fans  eflre  tant 
homme  de  bien,  d'auoir  vne  bonne  mine  &  vertu  au 
vifage  &.  en  la  langue,  encores  eR-ce  beaucoup  :  Car 
il  n'efl  pas  permis  à  vn  chacun  de  diffimuler  fa  grâce,  &. 
faire  bonne  morgue  aus  plus  hauts  &.  honnorables  lieux, 
&  eflre  appelle  Monfieur.  Et  penfes  tu  que  fi  i'eftoy  quel- 
que grand  Seigneur,  que  l'on  ne  me  fifl  pas  dauantage 
de  reuerences?  f|ue  l'on  ne  trouuafl  pas  meilleurs  tous 
mes  propos,  encores  que  ie  ne  difie  rien  c(ui  vaille? 
que  l'on  ne  s'accordafl  |)as  à  moy  en  toutes  mes  opi- 
nions &  fantafies?  Et  s'il  aJuenoit  que  ie  voufifTe 
approuuer  le  goiift  d'vn  vin  comme  bon,  encores  qu'il 
fufl;  pouffé,  ou  de  quelque  viande  gafl;ee,  comme  excel- 
lente, que  l'on  ne  dill  pas  après  moy,  ô  le  bon  vin! 
Monfieur,  ô  la  gentille  viande!  Bref  quand  ie  ferois 
l'homme  le  plus  imparfait,  moyennant  que  i'abonde  en 
richeffes,  n'eft  il  pas  certain  que  ie  feray  piuftoft  efiimé 
vertueux  que  cens  lefqueis  contens  de  ce  qui  leur  eft 
neceffaire  pour  la  vie  n'ont  autre  but  propofë  que  la 
vertu?  Voila  comment  les  bons  efprits  d'auiourd'huy 
fçauent  flatter  les  oreilles,  &  s'accommoder  aus  parolles 


DV    DEMOC  RITIC.  7} 

de  leur  maiftre,  &.  non  pas  mourir  comme  lu  difois. 
Au  Diable  l'vn  que  ie  vi  iamais  mourir  pour  s'opiniatrer 
contre  fon  profit  :  ie  te  prie  ne  mourons  donq'  point 
pour  cette  occafion,  car  le  temps  n'efl  plus  de  fe  faire 
brufler  à  crédit  :  ofte  hardiment  celte  lourde  fantafie 
Je  ta  lefle  d'eflimer  que  l'on  foit  fi  prompt  de  mourir 
aiiifi  fans  confeffion. 

LE  COSMOPHILE.  Sieft  ce  que  s'ils  ne  le  font 
comme  ie  difoy,  pour  le  moins  ils  le  deuroyent  faire. 

LE  DEMOCRITIC.  C'eft  bien  pour  le  plus  aulTi. 
Encores  m'y  entendroi  ie  d'auantage  de  dire  qu'ils  le 
deuroyent  faire,  mais  fay  ton  conte  que  ce  ne  fera  pas 
pour  cette  année  que  les  hommes  changeront  de  fan- 
taPies,  car  elles  font  trop  auant  engrauees  dedans  leurs 
telles  à  quatre  cornes. 

LE  C  OSMOPHILE.  le  croi  que  tu  ne  te  contente 
pas  d'auoir  feulement  blafmé  les  Courtifans,  mais  il 
femble  que  fecretlement  tu  vueilles  taxer  ceus  par  le 
confeil  defquels,  non  point  feulement  ed  gouuernee  & 
régie  toute  la  police  humaine,  mais  auffi  la  diuine. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  fçay  où  tu  as  trouué 
que  telles  gens  foyent  plus  cornus  ou  plus  Diables  que 
les  autres  :  quant  eft  de  moy  ie  n'y  mets  prefque  diffé- 
rence aucune,  &  fi  ie  t'affure  bien  que  ie  n'entendoy 
aucunement  parler  de  ceus  que  tu  dis.  Neantmoins  par 
ce  que  tu  m'en  as  fait  fouuenir,  ie  t'en  diray  ma  fantafie, 
non  point  de  ceus  qui  fe  mêlent  de  la  police  diuine, 
veu  que  ce  n'efl  à  moy  d'entreprendre  à  déchifrer  telles 
befongnes,  voulant  me  gouuerner  en  cet  endroit  félon 
l'aduertilTement   de    nos   Latins  :    Quam    quijque   norit 

■4 


74  PREMIER    DIALOCVE 

artem  in  hacje  exerceat  :  chacun  s'exerce  en  l'art  dont 
il  a  la  cognoifTance  :  car  i'auroi  peur,  entendu  que  ce 
n'eft  ma  vacation  de  dogmatizer,  de  m'y  fonder  fi 
auant  que  ie  ne  m'en  puffe  après  retirer,  &  pour  autant 
ie  m'en  démettrai  pour  cette  heure,  toutesfois  que  ie 
l'en  pourrai  bien  dire  quelque  chofe  à  la  trauerfe  deuani 
que  la  compagnie  fe  départe. 

LE  COSMOPHILE.  Et  bien  ie  fuys  content  de  ne 
t'en  importuner  point  d'auantage  pour  cette  heure, 
moyennant  que  tu  me  donnes  à  cognoiftre  les  folies  &. 
abus  des  autres. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  les  fçauras  tout  mainte- 
nant :  quand  tu  as  parlé  de  ceus  qui  ont  en  leur  main 
la  police  humaine,  n'entens  tu  pas  des  aduocas,  procu- 
reurs, &  autres  tels  perfonnages  fe  meflans  de  la  pra- 
tique? 

LE  COSMOPHILE.  Se  méfient  dequoy  ils  vou- 
dront, ce  m'eft  tout  vn,  tant  y  a  que  c'eft  d'eus  mefmes 
que  i'entendoy  parler. 

LE  DEMOCRITIC.  Pour  auoir  parfaittement  la 
cognoiffance  de  quelque  matière  que  ce  foit,  il  faut  pre- 
mièrement commencer  par  fa  définition,  à  celle  fin  que 
l'on  cognoiffe  par  cela  quelle  efl  la  chofe  que  l'on  entre- 
prend de  traiter  :  &  pour-ce  ie  te  veus  bien  définir 
que  c'efl  que  pratique.  Pratique  donques  n'efl  autre 
chofe  qu'vn  fubtil  moien  de  ioindre  le  bien  d'autruy 
auecques  le  fien  :  &.  note  hardiment  ces  mots,  de  ioindre 
le  bien  d'autruy,  car  fi  vn  profit  ne  vient  que  pour  bien 
faire  valoir  le  fien,  ce  n'eft  point  vraie  pratique,  combien 
que  quelques  vus  abufans  du  terme  appellent  vn  bon  & 


UVDEMOCRITIC.  7S 

prouident  ménager  grand  praticien,  nnais  il  efl  bien 
mieus  receu  &.  pour  vn  plus  naturel  &  élégant  François 
d'en  vfer  pour  auoir  gaigné  de  l'autruy,  comme,  il  a 
bien  fceu  pratiquer  cela  de  luy,  c'efl  à  clire,  qu'il  l'a 
tant  amadoué  de  belles  parolles  St  tant  fait  par  fes 
menées  qu'il  en  a  eu  &  emporté  telle  chofe.  Et  pratiquer 
aucun  (manière  de  parler  deriuee  des  Italiens)  n'eft 
autre  chofe  que  par  longue  &  afTidue  fréquentation  gai- 
gner  fa  faueur  &.  bonne  grâce,  à  celle  fin  qu'à  l'auenir 
on  en  puifTe  tirer  quelque  profit. 

LE  COSMOPHILE.  le  croy  que  cette  définition 
eft  plullofl  faitte  à  plaifir  que  félon  la  vérité,  veu  mefme 
que  ce  mot  de  pratique  n'eft  point  feulement  particulier 
à  l'eftat  des  aduocas,  mais  auffi  gênerai  à  toutes  les 
autres  fciences  defquelles  chacune  a  fa  théorique  &.  pra- 
tique. Et  la  théorique  confifte  feulement  en  la  cognoif- 
fance  de  l'art,  la  pratique  en  l'effet  :  donques  pratique  fe 
pourroit  mieux  définir  expérience  des  arts. 

LE  DEMOCRITIC.  Il  femble  que  tu  ayes  quel- 
quefois étudié  en  l'art  d'argumenter,  mais  (à  celle  fin 
que  i'vfe  de  noftre  terme)  tu  le  pratiques  affez  mal  : 
car  pour  donner  la  définition  d'vne  efpece  finguliere, 
qu'eft  il  befoin  d'en  définir  le  genre?  ni  pour  faire  cog- 
noiflre  vne  partie,  d'en  expliquer  le  total?  Puis  donq' 
que  ie  n'ay  autre  chofe  à  te  déclarer  que  la  pratique 
des  aduocas,  pourquoy  iray  ie  icy  amener  toutes  les 
pratiques  des  autres  fciences  particulièrement  ou  en 
gênerai?  Ce  feroit  vne  chofe  trop  longue  8t  véritable- 
ment fuperflue.  Il  me  fuffit  de  te  donner  feulement  à 
cognoiftre  quelle  eft  la  vraye  fignification  de  pratique. 


y  6  PKEMIERDIALOGVE 

Donques  pour  mieux  comprendre  ce  que  nous  en  auions 
dit,  Pratique,  eft  vn  fubtil  moyen,  &.c.  U  qui  voudroit 
voir  ie  vous  pri  vn  plus  fubtil  moyen  que  de  fe  faire 
careffer  8t  fuplier  pour  dérober  honneflement  le  bien 
d'autruy  ? 

LE  COSMOPHILE.  Comment  dérober  !  ne  faut- 
il  qu'vn  chacun  foit  recompenfé  félon  fon  labeur  & 
trauail?  Appelles  vous  dérober  quand  l'homme  de 
iuftice  après  auoir  fueilleté,  leu,  releu,  coté  fes  liures 
&.  papiers,  &  veillé  iour  &.  nuit  pour  garder  le  bon  droit 
de  fa  partie,  s'il  en  prend  quelque  loier  pour  fa  peine? 

LE  DEMOCRITIC.  C'efl;  bien  vne  chofe  trop  plus 
que  raifonnable  qu'vn  chacun  viue  de  l'eflat  qu'il  manie  : 
car  qui  efl  celuy  qui  laboure  la  vigne  &  ne  goufte  du 
fruit  d'icelle?  Mais  faut-il  que  pour  trois  ou  quatre 
fueilles  de  papier  écrites  en  lignes  larges  &  mots  allon- 
gés, ils  ayent  icy  vne  poignée  de  carolus?  ou  que  pour 
deus  ou  trois  mots  dégorgés  fur  quelque  matière  qu'ils 
font  eus-mefmes  par  leurs  crieries  &  braimens  difficile 
&  douteufe,  ils  en  reçoiuent  vne  quantité  d'efcus?  au 
moins  fi  tels  importuns  fc  opiniâtres  criars  font  eftimez 
des  plus  fameus  &  infignes  trompeurs  :  ie  ne  fçay  pas 
de  quel  nom  on  voudroit  couurir  telle  manière  de  pillerie, 
quant  eft  de  moy  ie  ne  le  fçauroi'  autrement  appeller 
que  par  la  définition  que  i'ay  donnée  de  leur  pratique, 
ni  ne  pourroy  mieus  les  comparer  fors  à  l'ancienne 
idole  du  Dieu  memnon,  duquel  autrefois  il  me  fouuient 
auoir  ouy  reciter  la  façon  &  nature. 

LE  COSMOPHILE.  Vraiment  (comme  l'on  dit) 
tu  as  bonne  rate,  &  encores  meilleur  foie,  &  les  voudrois 


D  V    DEMOCRITr  C.  77 

OLi  oferois  tu  bien  comparer  à  fi  fotte  chofe?  Et  où  ainfi 
ferait  tu  leur  ferois  vn  bel  honneur. 

LE  DE  MO  CRI  TIC.  le  ne  di  pas  qu'ils  foient 
idoles,  mais  trop  bien  ie  di  qu'ils  enfuyuent  U  font  vrais 
imitateurs  de  cefte  idole. 

LE  COSMOPHILE.  Quoy  qu'il  en  foit  ie  m'en 
rapporte  à  ce  qui  en  efl,  &  à  ceus-là  qui  ont  paffé  par 
les  piques,  mais  ie  te  prie  di  moy  comme  tu  entens 
telle  fimilitude,  car  ie  defire  fçauoir  quel  eftoit  ce  Dieu 

ME  MNON. 

LE  DEMOCRITIC.  le  fuis  trefcontent  de  te  fatif- 
faire,  non  toutefois  qu'à  prefent  ie  te  vueille  difcourir 
le  fait  tout  au  long,  mais  feulement  en  brief  te  recite- 
ray  vn  huiftain  bien  à  ce  propos,  &  à  ce  qu'il  ne  te  femble 
que  ie  parle  à  crédit,  ie  t'allegueray  mon  autheur  nom- 
mé Pierre  Collau,  homme  plus  véritable  en  fes  facéties 
que  doâe,  lequel  dit  ainfi  : 

Du  Dieu  ME  M  NON  l'idole  ne  rendait 
lamais  oracle  à  per/onne  du  monde, 
Si  lefoleilfes  rayons  n'ejlendoit 
Droit  en/a  bouche,  &  lors  plein  de  faconde 
Parlait  :  aujjî  l'aduocat  qui  fe  fonde 
Au  gain,  de  luy  n'efperej  onq'  confeil. 
Ni  que  iamais  en  droit  il  vous  refponde, 
Sinon  qu'il  voye  en  premier  le  foleil. 
Encores  ne  leur  fufïïroit-ilpas  d'eflre  payez  en  argent 
s'ils  ne  l'eftoyent  en  reuerences  &  careffes.  Et  quoy  qu'ils 
vueillent  dire,  qu'ils  ne  les  demandent  pas  n'y  contrai- 
gnans  perfonne  à  ce  faire,  fi  eft-il  tout  certain  qu'ils  fe 
contentent  bien  fort  d'eflre  bonnetés  &  en  font  quelque 


78  PREMl ER    D ! ALOG VE 


chofe  d'auantage,  &  en  ce  monftrerit-ils  euidemment  a 
tout  le  monde  le  grand  orgueil  &,  folie  qui  les  poflede. 
Car  fi  vn  honnefle  gentil-homme  ou  autre  perfonnage 
quelque  grand  Seigneur  qu'il  foit,  &  lequel  mefmement 
aura  non  feulement  employé  fes  biens,  maisauffi  hazardé 
fa  vie  &.  celle  de  fes  enfans  pour  le  feruice  du  Prince  & 
faiut  de  la  chofe  publique,  fe  trouue  ayant  vn  peu  affaire 
de  leur  faueur,  &.  lequel  après  auoir  longtemps  attendu 
meffieurs,  leur  vienne  à  donner  le  bon  iour  en  quelque 
gallerie  ou  autre  lieu  commode,  vous  verrez  alors  tout 
au  contraire  Monfieur  de  la  robe  rouge  (feul  contrepois 
U  entretien  de  fa  grauité)  qui  n'atira  iamais  fait  autre 
chofe  que  glofer  fus  les  cendres,  palTer  auecques  vn 
orgueil  &  fierté  fi  grande,  que  tant  s'en  faut  qu'il  kiy 
rende  la  deuë  reuerence,  que  mefme  ne  faifant  point 
femblant  de  s'en  apperceuoLr,  il  dédaignera  prefque 
d'abailTer  l'œil  feulement  pour  le  regarder.  le  me  lais 
des  autres  ambitions  qui  leur  font  ainfi  enfler  le  ventre, 
il  me  fuffit  que  par  leurs  œuures  telles  folles  prefomptions 
de  leurs  perfonnes  ne  foyent  que  trop  cogneues  d'vn 
chacun.  Mais  où  efl  ie  vous  prie  cède  grande  humbleffe 
it  honnefteté  laquelle  volontiers  acompagne  ,  ou  doit 
acompagner  ceux  qui  font  éleuez  aux  magiftrats  &. 
autres  dignitez  pour  eftre  les  principaux  chefs  entre  les 
membres  de  cet  animant  politic?  Toutesfois  tout  bien 
confideré  ce  n'efl  pas  de  merueille  s'ils  en  vfent  au  con- 
traire, veu  qu'il  efl  tout  certain  que  le  Lion  quoi  qu'on 
le  domte  &.  appriuoife,  fi  a  il  toufiours  grâce  de  Lion, 
&.  le  Renard  quoi  !  efl-il  pas  toufiours  caut  &  ruzé  ? 
le  maftin,  vilain   &  enuieufement  aboyant    principale- 


DV    DEMOCRITIC.  79 

ment  fus  fon  pallier?  Or  fus  de  par  Dieu  pafTons  outre, 
venons  à  l'eftime  &  peu  de  conte  qu'ils  ont  acouftumé 
de  faire  de  tous  les  autres  eftats  U  fciences  fors  que  de 
la  leur,  laquelle  feule  ils  vantent  &  magnifient.  Ne  mé- 
prifent  ils  pas  les  armes,  chofe  autant,  que  ie  ne  die 
plus,  neceffaire  pour  la  chofe  publique  comme  leurs  loix? 
N'ont  ils  pas  en  horreur  prefque  toutes  les  fciences  libé- 
rales, 8t  honneftes,  &  tous  ceux  qui  n'enfuyuent  leur 
eftat?  Voudroit-on  voirraifon  plus  mercenaire  ou  méca- 
nique que  celle  de  laquelle  ils  ont  acouftumé  d'vfer  pour 
approuuer  l'aduocafferie  &  autres  efpeces  de  la  farine 
praticienne,  difant  que  c'efl  le  vray,  fubtil,  honnefte,  & 
mercurial  moyen  de  gaigner  fon  pain  (comme  ils  difent 
en  leur  iergon,  De  pane  lucrando)  mais  à  celle  fin  qu'il 
ne  leur  face  mal  à  la  gorge  s'ils  le  mangeoyent  tout  fec, 
ils  ont  certaines  loix  &  §§  paragraphes  qui  leur  font 
venir  de  gras  chapons  &  autres  prefens  à  leur  cuifine. 
Voyez  de  grâce  la  belle  preuue  de  leur  meftier,  &  bien 
fondée  pour  le  bâtiment  de  la  panfe.  Toutesfois  de  peur 
de  nous  engorger  trop  de  leur  morceaus,  nous  les  laifTe- 
rons  là,  &.  dirons  la  manière  de  faire  qu'ils  tiennent, 
s'il  adulent  que  quelque  pauure  homme  empeftré  d'vne 
douzaine  de  procès  ou  plus,  ait  vn  peu  affaire  ou  de 
leur  communiquer  fes  pièces,  ou  d'en  retirer  quelques- 
vnes  qui  ne  feront  pas  perdues,  mais  bien  égarées,  & 
qu'il  aille  à  leur  logis  pour  ce  faire  :  Monfieur  ne  fera 
pas  leué,  ains  fera  encores  à  dormir  :  Monfieur  fera  en> 
pefché  pour  quelques  autres  :  Monfieur  difnera  :  Mon- 
fieur fera  à  fe  repofer  après  le  repas  :  Monfieur  viendra 
tantoft  :  ou  au  contraire  il  y  aura  trois  heures  que  l'aua- 


8o  PREMIERDIALOCVE 


riceSteniiie  de  gaigner  luy  aura  bien  deffillé  les  yeux, 
&  chafTé  de  par  le  Diable  hors  de  la  plume.  Et  fi  depuis 
quinze  iours  ou  d'auantage,  il  n'aura  eu  poffible  affaire 
ni  empefchement  aucun,  i'enten  de  procès  :  ioint  que 
fa  cuifine  ne  fera  par  auenture  pas  trop  échauffée  de  fon 
difner  qui  fera  de  iongtems  tout  fricaffé.  Monfieur  fera 
à  fe  repofer,  oui  de  bien  faire  :  Il  viendra  tantoft,  mais 
c'eft  vn  tantoft  qui  dure  longtemps,  &  ce  pendant  la 
pauure  partie  fera  là  à  refuer  &  conter  les  cheuilles  de 
la  porte.  Mais  pourquoy  à  ton  aduis  fe  font  toutes  ces 
menées,  fi  ce  n'eft  à  celle  fîn  de  faire  mieus  valoir  la 
fa-ce  ?  C'eft  à  dire  qui  ne  fçait  fon  meftier  fi  ferme  fa 
boutique.  11  s'en  treuue  encores  beaucoup  entre  les 
autres  des  fucceffeurs  de  Pilate,  defqueis  on  peut  dire, 
ie  n'y  treuue  point  de  caufe  :  Mais  que  font  ils  ces 
pauures  gens  pour  bien  pratiquer  l'Euangile  qui  défend 
fus  tout  de  n'eftre  oifif.  Auffi  faut-il  que  tout  le  monde 
viue  à  la  fueur  de  fon  corps,  &  pour  ce  faire  ils  ont 
fongé  la  plus  braue  inuention  du  monde.  Vous  verrez 
ordinairement  par  ces  Palais  &  des  plus  crottez  (pource 
que  tels  haires  n'ont  point  de  mule)  qui  courront  tan- 
toft d'vn  cofté,  tantoft  de  l'autre,  tantoft  vous  les  ap- 
perceuerez  à  quelque  banc  où  ils  ferrent,  brouillent, 
fricafient  &  notent  certains  vieus  regiftres  :  puis  tout 
foudain  retournés  au  parquet  de  Meffieurs,  &  de  là  in- 
continent à  quelque  bout  de  gallerie,  auecques  vn 
grand  fac  au  poing  remply  de  ie  ne  fçay  quels  vieus 
haillons,  de  querimonies  furannees  qu'ils  auront  trou- 
uees  en  exécutant  le  teftament  du  vicaire  de  leur  pa- 
roiffe,   ou   d'autres  papiers  fuppofés  qui    ne   touchent 


DVDEMOCRITIC.  8l 

toutesfoisen  rien  de  procès.  Mais  tout  ce  miftere  ne  fe 
loue  à  antre  fin  qu'à  cette-ci,  c'eft  que  ceus  qui  les 
voyent  ainfi  trotter  les  efliment  bien  diligens  à  manier 
les  affaires  de  leurs  cliens  &  parties,  &  que  pour  cette 
occafion  ils  ayent,  non  pas  feulement  enuie  de  les  em- 
ployer pour  eus,  mais  aufTi  de  les  en  payer.  Il  s'en  treuue 
encores  de  plus  ruzés  lefquels,  outre  toutes  les  fineffes 
fufdites,  ont  certains  pitaux,  &  autres  perfonnes  apoftees 
qui  feignent  leur  communiquer  de  leurs  procès,  &  les 
prier  bien  inflamment  de  les  dépefcher  le  pluftoft  qu'il 
leur  fera  poffible,  &  ainfi  quelques  vns  s'addrefTent  à 
eus  voyans  qu'ils  fçauent  tant  bien  vfer  de  pratique, 
c'eft  à  dire  félon  vn  de  nos  intellefts,  pratiquer  &  gai- 
gner  les  pauures  gens.  le  te  pourrai  bien  raconter 
d'autres  ruzes  &  moyens  que  ces  vaultours  deguifés  en 
robes  longues  ont  inuenté  pour  ronger  &  décharner  en- 
tièrement iufques  aus  oz,  &  fucer  iufques  au  plus  pro- 
fond des  mouëlles  ceus  qu'ils  ont  vne  fois  chargez,  ne 
les  lâchans  iamais  iufques  à  ce  qu'il  les  aient  par  vn 
infatiable  &enfanglanié  rauiflement  deuorés  &  engloutis, 
de  telle  forte  qu'il  ne  leur  relie  plus  aucune  fubftance. 
Mais  (i  i'entreprenoi  de  pourfuyure  d'auantage  en  telles 
pilleries  &  horreurs,  i'auroy  peur  de  m'engouffrer  en  vn 
abifme  infini  de  larrecins  &  méchancetez,  auquel  ie  ne 
me  plongerai  point  pour  cette  heure  eftant  aflez  cogneu 
à  vn  chacun,  &  principalement  de  ceus  qui  ont  tous  les 
iours  affaire  de  l'excellence  de  tels  Meffieurs  en  voulant 
conferuer  leur  bien. 

LE  COSMOPHILE.  N'eftoit  que  tu  m'as  coupé  la 
broche,  quand  tu  as  dit  n'entendre  en  quelque  eftat  que 


Sa  PKEMIER      DIALOGVE 


ce  foit  blâmer  finon  ceux  qui  en  abufent,  ie  t'eufTe 
défia  bien  aifément  remonflré  &,  dit  qu'il  n'y  a  chore 
aucune  au  monde  meilleure  pour  la  police  des  hommes, 
U.  plus  necefTaire  pour  entretenir  en  paix  cette  focieté 
humaine  que  l'eftat  des  gens  de  luflice,  auffi  ne  croi-it, 
pas  que  tu  le  vueiilestant  reprouuerque  tu  ne  confentes 
en  cela  auecques  moy. 

LE  DEMOCRITIC.  Puisque  tout  le  monde  s'y 
confent  ie  n'y  contredy  point,  mais  que  ceci  te  férue 
hardiment  pour  te  donner  de  garde  de  leurs  finefTes,  U 
n'eflime  plus  dorefnauant  qu'il  y  ait  vne  fi  grande 
fimpathie  de  l'extérieur  auecques  l'intérieur  que  pour 
vn  marcher  &.  grauité  contrefaifte,  pour  vn  deguife- 
ment d'habits  outre  le  vulgaire  (folies  communes  en  telle 
manière  de  gens)  le  cerueau  en  foit  plus  meur  &  raffis, 
comme  s'il  y  auoit  quelque  énergie  &.  occulte  propriété 
aux  veftemens  pour  rendre  l'efprit  de  l'homme  pire  ou 
meilleur.  Donques  pour  donner  fin  à  tels  vénérables 
billots,  ie  ne  veus  oublier  vne  bonne  partie  d'entre  eus, 
St  principalement  de  ces  ieunes  aduocas  écoutans  lef- 
quels  ne  fçauent  pas  moins  pratiquer  la  loy  yinum,  le 
titre  De  e'dendo  au  Petit  Diable,  au  Roy  Pépin,  ou  autre 
reffort  de  bons  altérez,  &  en  quelque  autre  honnefte  &. 
diuin  habitacle  cette  braue  pratique  De  ventre  in/piciendo, 
fans  y  adioufter  le  §  tria  lumina,  qu'ils  font  en  vne 
Cour  de  parlement  le  titre  "De  iuris  &faéii  ignorantia. 
Mais  pour  autant  que  tels  perfonnage  font  volontiers 
bons  compagnons  &.  prêts  à  rire,  cela  fait  que  ie  leur 
porte  moins  d'enuie  qu'aus  autres  qui  s'eftiment  plus 
fages  en  robe  qu'en  pourpoint. 


DV    DEMOCRITIC.  8j 

LE  COSMOPHILE.  Puis  que  tu  es  entré  fi  auant 
en  cette  différence  d'habits,  &  foie  fuperflition  de  ceus 
qui  penfenteftre  plus  fages  pour  vne  grâce  &.  chère  con- 
trefaite, ie  te  prie  au  moins  fi  tu  as  mis  fin  à  ces  pra- 
ticiens, de  m'en  dire  ton  aduis. 

LE  DEMOCRITIC.  Mon  aduis  eft  tel  que  non 
point  feulement  en  cettui-cy,  mais  qu'en  tous  autres 
eftats  du  monde,  la  chofe  qui  efl  la  plus  requife,  c'ell 
de  tenir  bonne  morgue,  par  ce  que  la  folie  des  hommes 
efl  fi  grande  qu'ils  regardent  plus  à  vne  petite  différence 
d'habits,  à  vne  prudence  de  vifage,  à  vn  maintien  four- 
cilleux  &.  contrefait,  à  vne  réputation  vulgaire,  qu'aux 
vertus  intérieures  du  dedans,  qu'à  la  fageffe  &  bon 
iugement,  qu'à  vne  grâce  naturelle,  ou  qu'à  vne  expé- 
rience certaine  &.  véritable. 

LE  COSMOPHILE.  le  n'auoi  iamais  regardé  de 
fi  près  à  tant  de  chofes,  combien  qu'elles  foyent  telles 
que  tu  me  les  as  remonftrees,  &  principalement  cette-ci, 
veu  que  la  plus  grande  partie  des  hommes  font  eflimés 
de  bon  efprit,  &.  paruiennent  plus  par  cette  réputation 
vulgaire  que  pour  autre  preuue  fuffifante,  pour  donner 
tefmoniage  d'vn  bon  fçauoir  &  fain  entendement. 
Toutefois  fi  y  a  il  bien  encores  auiourd'huy  quelque 
efiat  où  c'eft  que  les  hommes  ne  regardent  point  tant 
aus  mines,  qu'ils  n'en  défirent  bien  auoir  grande  expé- 
rience de  ceus  qui  en  font  profeffion,  deuant  que  d'en 
faire  aucune  eflime  ou  de  fe  foubmettre  à  leur  merci. 

LE  DEMOCRITIC.  De  quelle  profeffion  veus-tu 
parler  ? 

LE  COSMOPHILE.  De  quelle  profeffion?  De 
celle  de  médecine. 


84  PREMlERDrALOGVE 

LE  DE  MOCRITIC.  Ha  ha  ha  ha,  cet  homme  ici 
me  fait  rire  :  eft  ce  cela  que  tu  m'auois  fi  longtemps 
gardé?  vraiment  i'attendoi  bien  quelque  chofe  meilleure 
de  toi.  Comment!  ie  penfoi  défia  que  les  hommes 
fuflent  deuenus  fages  t'écoulant  ainfi  louer  leur  grande 
preuoyance,  &.  en  cela  encores  où  ils  fe  monftrent  les 
plus  fots  &  deprouueus  de  tout  bon  confeil,  &•  te  di 
bien  vne  chofe  qu'il  n'y  a  au  monde  plus  grand  abus 
que  de  fe  fier  U  mettre  fa  vie  entre  les  mains  de  ces  pi- 
peurs  de  merde  qui  difent  eus-mefmes  que  :  Summa  me- 
dicina  ejl  non  vti  medicina  :  qui  vaut  autant  rendu  en 
François  comme,  La  plus  fouueraine  médecine  c'eft  de 
n'vfer  point  de  médecine. 

LE  COSMOPHILE.  Comment  I  il  femble  que  lu 
ne  te  vueilles  pas  ici  tant  feulement  moquer  de  ceus  qui 
en  abufent,  mais  auffi  que  tu  ne  pardonnes  pas  mefme 
à  la  fcience  tant  recommandée  par  raifons  naturelles  8t 
par  la  loy  diuine. 

LE  DEMOCRITIC.  Il  ne  faut  point  douter  qu'il 
n'y  ait  quelques  remèdes  fimples  propres  &  fo/t  finguliers, 
pour  nous  garentir  d'aucunes  maladies,  ce  qui  eft 
mefmes  approuué  entre  les  beftes  bruftes  qui  en  pren- 
nent ainfi  que  de  leur  propre  naturel  elles  font  guidées 
8t  conduites,  pour  en  vfer  lors  qu'il  leur  en  fait  befoing. 
Mais  vn  tas  de  piperies  chargées  de  mille  drogues  & 
compofitions  étrangères,  feruentpluftoft  de  poifon  pour 
abréger  &  nuire  au  petit  &.  languiflant  terme  de  noftre 
vie,  que  pour  l'alonger  ou  iuy  donner  aucun  foulage- 
ment  &  reflauration  de  fanté.  Et  qu'il  foit  vray  n'en 
voit  on  l'expérience  de  ceux  iefquels  tant  plus  ils  vfent 


DVDEMOCRITIC.  8$ 


de  ces  belles  médecines,  &  d'autant  plus  ils  font  mala- 
difs &  fuiets  à  vne  infinité  de  feruitudes  &.  régimes  ?  Et 
comme  au  contraire  les  autres  qui  naturellement  fe 
.maintiennent  k  conferuent  en  leur  fanté  auecques  quel- 
que petit  remède  d'herbes  fans  auoir  recours  à  ces 
vendeurs  de  triade,  viuent  la  moitié  d'auantage  &  en 
plus  grande  allegreffe  fe  difpofition  que  ces  aualleurs 
de  pillules  ou  du  faint  bois  de  gaïac,  combien  qu'il 
férue  vn  peu  pour  faire  vuider  les  mauuaifes  humeurs 
des  pauures  zélateurs  de  diettes.  Mais  ie  voy  bien  que 
tu  ne  te  contenteras  iamais  iufques  à  ce  que  ie  t'aye 
donné  cecy  à  entendre  par  raifons  que  tu  ne  me  fçaurois 
aucunement  nier.  N'efl;  il  pas  vray  s'il  y  a  aucune  vérité 
en  vne  fcience,  que  celuy  lequel  y  aura  employé  fon 
temps  &  fon  étude  pour  y  eftre  inftruit,  &.  de  ceux 
mefme  que  l'on  en  dit  eftre  des  plus  parfaits,  en  retien- 
dra quelque  cognoiffance  ? 

LE  COSMOPHILE.  Ouy  bien,  moyennant  qu'il  fe 
foit  monftré  bon  difciple  de  ceus  qui  l'auront  enfeigné. 

LE  DEMOCRITIC.  Or  il  en  eft  tout  au  contraire 
de  cette  vénérable  médecine  que  nous  auons  pour  le 
iourd'huy,  car  prenés  moy  vn  médecin  gradué  fortant 
fraîchement  des  écoles  de  Montpellier,  vous  ne  viftes 
iamais  homme  plus  prompt  à  difputer  le  pro  &  contray 
St.  s'il  faut  donner  vn  remède  à  quelque  pauure  patient, 
encores  plus,  moyennant  qu'il  y  fente  du  profit  :  puis  fi 
d'auenture  il  y  a  ordonné  quelque  R.  &  que  la  maladie 
augmentée  iceluy  patient  vueille  faire  confultation  de 
fon  mal  entre  deus  ou  trois  autres  médecins  des  plus 
renommés,  vous  les  voirrés  après  auoir  tafté  le  pous  du 


86  PREMIER    Dl ALOGVE 

malade  auecques  vne  chère  bafTe  8t  mélancolique,  en- 
foncé leur  veue  fus  vn  vrinal,  s'eftre  retirez  tous  en- 
fembie  en  quelque  coin  auecques  grandes  ceremonies 
des  plus  anciens  (car  l'honneur  efl  deu  à  ceus  qui  en 
ont  le  plus  tué)  comme  ils  commenceront  à  regarder 
ce  pauure  nouueau  médecin  de  trauers,  &  encores  qu'il 
ait  du  tout  befongné  félon  leur  art,  fi  eft-ce  qu'ils  luy 
voudront  faire  acroire  qu'il  n'aura  rien  fait  qui  vaille, 
&  ne  fuffira  au  ieune  médecin  d'alléguer  la  condition 
de  la  maladie  qui  requiert  vn  tel  remède,  ou  les  autho- 
rités  d'vn  Galien,  d'vn  Hippocras,  d'vn  Auicenne,  d'vn 
Rafi,  d'vn  Auerroés,  d'vn  Afclepiade,  d'vn  Alcmeon, 
d'vn  Erafiflrate,  d'vn  Pliftonique,  d'vn  Diocle,  d'vn 
Praxagore,  d'vn  Chrifippe,  d'vn  Cariftin,  ou  d'autres 
tels  pipeurs  pour  approuuer  fon  ordonnance,  car  no- 
nobftant  toutes  ces  preuues,  répliques  &  contredis,  fi 
faudra-il  qu'il  paffe  condemnation,  &.  qu'il  cède  à  l'opi- 
nion de  Meffieurs.  Et  voila  comment  la  vie  d'vn  pauure 
malade  etl  debatue,  &.  le  plus  fouuent  abatue  par  les 
difputes  &  ordonnances  controuerfes  de  ces  vieus  rado- 
teus  médecins. 

LE  COSMOPHILE.  Mais  ie  te  prie  regarde 
comme  ce  que  tu  as  penfé  dire  contre  la  médecine  & 
fes  profelTeurs,  approuue  pluftofl  ce  que  ie  t'auois  dit 
au  parauant  qu'il  ne  luy  contredit,  veu  que  d'autant  que 
l'expérience  efl  la  plus  fouueraine  maiftrefle  de  toutes 
chofes,  auffi  eft-ce  bien  cela  à  quoy  on  prend  le  plus  de 
garde  en  la  médecine,  car  il  ne  fufïit  pas  d'en  auoir 
ouy  les  hures  en  vne  école,  ou  difputé  en  l'vne  &  l'autre 
partie  qui   n'en  a    l'expérience  :  voila   pourquoy  il  ne 


DV     DE  MOC  KIT  IC.  87 

faut  point  trouuer  étrange  fi  quelquefois  l'ordonnance 
de  ceux  que  tu  dis  n'auoir  feulement  que  la  théorique 
efl  retranchée  U  trouuee  mauuaife  des  plus  anciens  & 
plus  expérimentez,  eu  égard  mefme  à  ce  que  l'on  dit 
vulgairement,  de  ieune  médecin  cimetière  boffu. 

LE  DEMOCRITIC.  Tuas  encores  oublié  à  dire, 
de  ieune  logicien  argument  cornu,  mais  pour  venir  à 
tes  expériences,  fi  le  tout  gifl;  en  cela  il  s'enfuiura  de 
ces  deus  chofes  l'vne,  ou  que  l'art  de  foy  eft  inutile,  ou 
bien  que  les  plus  grans  bourreaus  &  ceus  qui  en  ont  le 
plus  fait  mourir  font  des  plus  habilles  du  métier. 

LE  COSMOPHILE.  Et  ie  te  di  encores  au  con- 
traire que  la  fcience  en  eft  fort  bonne,  &  que  d'en 
faire  mourir  plufieurs  ce  n'eft  pas  cela  qui  les  rend  les 
plus  do<Ses. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  eft-il  poffible  fi  le 
principal  eft  en  cette  expérience,  que  ce  qu'en  ont  écrit 
leurs  predeceffeurs  ne  foit  faux?  car  s'il  eft  bon  de 
croire  à  leur  confeil  &  receptes,  faut-il  autre  expérience 
que  la  cognoifiance  de  l'art  pour  fçauoir  accommoder 
ie  remède  propre  à  vne  maladie?  Si  au  contraire  il  ne  fe 
faut  pas  régler  fus  les  écris  des  anciens,  mais  feulement 
fus  vne  rotine,  comment  eft  il  poffible  qu'ils  acquièrent 
cette  grande  expérience,  fi  ce  n'eft  après  en  auoir  bien 
tué?  entandu  qu'ils  n'ont  autre  chofe  auparauant  fus 
quoy  ils  fe  puifTent  régler  que  les  enfeignemens  de 
leurs  liures. 

LE  COSMOPHILE.  le  ne  fçay  où  tu  vas  prendre 
les  chofes  de  fi  loing,  quant  eft  de  moy  i'ay  toufiours 
penfé  que  la  pratique  des  fciences  fuft  feparee  d'auec- 


88  PKEMIERDIALOGVE 

ques  l'art,  de  telle  forte  qu'en  vne  mefme  profeffion  il 
s'en  fut  peu  trouuer  aucuns  bien  entendus  en  la  théo- 
rique, &  les  autres  bien  expers  en  la  pratique,  fans 
toutefois  que  ni  en  l'vne  ni  en  l'autre  y  eut  aucune 
fauceté  pour  telle  feparation.  Et  pour  ce  ie  te  voudroy 
bien  prier  de  me  le  faire  mieus  entendre,  m'en  donnant 
quelque  exemple  plus  familier. 

LE  DEMO  CRI  T  IC.  le  le  veus  bien,  mais  deuant 
que  de  ce  faire  ie  te  voudroi  bien  demander  que  c'eft 
que  tu  entens  par  cette  pratique  de  médecine,  pour  au- 
tant que  c'eft  là  volontiers  où  tu  t'abufes  le  plus,  puis 
après  ie  te  fatisferay  félon  ta  requefte.  N'entens-tu  pas 
la  pratique  des  Médecins  confifter  en  cela,  quand  plu- 
fieurs  fois  ils  ont  efté  appelles  à  la  guerifon  de  beaucoup 
&  de  diuerfes  manières? 

LE  COSMOPHILE.  le  l'enten  ainfi,  &  me  femble 
que  c'en  eft  la  vraye  intelligence. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  m'ébahi  donq'  plus 
comment  tu  t'opiniatrois  tant  en  tes  premières  parolles, 
8i  à  ce  que  ie  voy  nous  n'eftions  pas  prêts  de  nous  ac- 
corder enfemble,  mais  pour  te  découurir  ton  erreur,  ie 
te  monftreray  aifément  par  exemples  comme  la  pratique 
de  la  Médecine  n'eft  pas  ce  que  tu  penfois,  &.  par  icelles 
mefmes  ie  te  donneray  à  cognoiftre  ce  dont  tu  m'auois 
prié  au-parauant.  Confidere  donques  que  la  théorique 
de  quelque  fcience  que  ce  foit,  ne  gift  en  autre  chofe 
qu'aux  préceptes  &  enfeignemens  que  nous  voyons  en 
ceux  qui  font  eftimez  en  auoir  bien  écrit,  &  la  cognoif- 
fance  de  cela  eft  propre  &.  peculiere  feulement  à  vne 
contemplation  fpirituelle.  La  pratique  c'eft  après  auoir 


D  V    DEMOCRITIC.  89 


îu  cette  première  ê4  certaine  cognoifTance  de  l'art  la 
nettre  en  effet  (ainfi  mefme  l'as-tu  définie  lors  que  nous 
Darlions  de  celle  des  aduocas)  St  ce  eft  le  propre  des 
:hofes  extérieures  &  qui  concernent  volontiers  vn  effet 
:orporel.  le  t'en  voi  donner  vn  exemple  fus  vn  peintre 
DU  vn  architefle  :  Sçauoir  la  proportion  des  lineamens 
des  traits,  le  iugement  des  couleurs,  c'efl  le  propre  de 
'art  de  peinture,  &  quant  à  l'architefle,  bien  deffeigner 
e  plan,  obferuer  la  cimmetrie  de  fon  édifice,  &  autres 
celles  chofes  enfeignees  par  vn  tel  art.  Mais  quant  eft 
de  pourtraire  quelque  chofe  que  ce  foit  dedans  vn  ta- 
bleau, le  reprefenter  au  vif,  luy  accommoder  fes  cou- 
leurs au  naturel,  cela  eft  véritablement  la  pratique  de 
peinture  :  ou  bien  de  baftir  vn  bel  édifice,  le  faire  com- 
mode ,  raporter  au  portail  vn  beau  frontifpice,  luy 
approprier  fes  chambres  &  efcaliers,  &  autres  chofes 
neceffaires,  cela  eft  pareillement  la  pratique  de  l'archi- 
tefle.  Mais  de  dire  que  l'effet  de  la  peinture  confifte  à 
auoir  veu  diuerfité  de  pourtraits,  ou  d'vn  architefte 
plufieurs  beaus  bâtimens,  cela  eft  vne  chofe  abfurde  & 
du  tout  contraire  à  la  vérité. 

LE  COSMOPHILE.  le  te  le  confeffe  bien  quanta 
ces  arts  là,  mais  où  feroit  donq'  la  pratique  de  la  mé- 
decine? 

LE  DEMOCRITIC.  Elle  eft  à  la  difpofition  de 
leurs  drogues,  épices,  herbes,  racines,  &  autres  poifons 
méfiez,  defquels  ils  font  miferablement  languir  ceus  qui 
fe  veulent  foubs-mettre  à  leur  merci.  Et  ceus  qui  difpo- 
fent  telles  barbouilleries  font  communément  appelles 
apoticaires,  &.  n'y  a  point  d'autre  pratique  en  leur  art,  fi 

4- 


OO  rREMIERDIALOGVE 

re  n'eft  d'aiienture  celle-là  dont  ie  t'ay  parlé  auparauant, 
en  laquelle  on  ne  fçauroit  eflre  bien  ruzé,  finon  après 
auoirefté  caufe  de  la  mort  de  plufieurs. 

LE  COSMOPHILE.  le  croy  que  tu  dis  bien,  & 
mermement  que  cette  dernière  efpece  de  pratique  eft 
la  plus  braue  pièce  de  leur  harnois,  mais  tu  ne  m'as 
point  encores  fatisfait  à  ce  que  tu  m'auois  promis,  qui 
eftoit  de  me  monftrer  par  vne  exemple  toute  euidente, 
comme  l'art  de  médecine  que  nous  auons  pour  le  iour- 
d'huy  n'efl  qu'vne  tromperie. 

LE  DEMOCRITIC.  Non,  car  tu  ne  m'en  donnes 
pas  le  loifir,  mais  fi  tu  veux  te  rendre  autant  attentif  à 
m'écouter  fans  rompre  mon  propos,  comme  ie  fuis 
prefl  à  tenir  ma  promefTe,  ie  t'affure  bien  que  ce  fera 
tantoft  fait,  &  puis  que  i'ay  commencé  à  entrer  dedans 
l'architeélure  ou  peinture,  ie  fuis  content  de  n'en  fortir 
point  encores,  &  fus  elles  mefmes  te  déclarer  ce  que  tu 
defires  entendre  de  moi.  Eft-ilpas  tout  certain  que  s'il  y 
a  aucun  qui  entende  l'art  &  règles  de  peinture  ou  ar- 
chitedlure,  foudain  qu'il  fe  prefentera  deuant  fes  yeus 
quelque  tableau  ou  édifice  mal  bâti,  qu'auffitoft  il  iugera 
le  défaut  qui  y  efl?  &  non  feulement  fçaura  faire  cela, 
mais  auffi  il  dira  le  moyen  par  lequel  on  le  pourroit 
amender.  Mais  celuy  qui  a  la  cognoifTaiice  de  cette  pi- 
perie  qu'ils  appelent  Médecine,  tant  s'en  faut  que  voiant 
vn  malade  il  puiffe  affurer  le  remède  qui  luy  eft  propre, 
qu'à  peine  peut-il  iuger  de  l'efpece  &  de  la  caufe  de  fa 
maladie,  &  encores  qu'elle  luy  foit  toute  notoire,  fi  eft- 
ce  qu'il  y  perdra  fon  Latin,  toutesfois  pour  ne  fe  mon- 
ftrer point  ignare,  il  ne  laifîeraà  luy  ordonner  queiqu'vne 


DV    D  EMOC  RITIC.  <)  r 


de  ces  belles  receptes  douteufes  &  incertaines.  Et  fi  par 
,  fortune  il  adulent  que  la  maladie  aiant  pris  &  terminé 
i  fon  cours  fatal,  le  patient  commence  à  fe  trouuer  mieux 
I  que   deuant,    ce  fera   Monfieur  le  Médecin  qui  l'aura 
guéri,  ce  feront  les  pillules  qui  auront  bien  opéré,  voire 
ne  fuffent-elles  compofees  que  de  crottes  de  cheures  & 
d'vrine,  &   parfemees  d'vn   peu  de  poudre  de   peigne 
I    pour  leur  bailler  grâce,  ainfi  qu'il  en  fut  donné  vne  fois 
'   à  Tloché  (village  cenomanique  tant  monftruetis  &  plein 
j   de  fi  grandes  merueilles  que  les  grenouilles  y  chantent 
ordinairement  à  la  gueulle  de  leurs   fours)  à  vn  certain 
;    feu  chreftien    de    bonne  mémoire  Guillaume  Mefche, 
.    lequel  eflant  pour    vne   griefue   &.  defefperee  maladie 
abandonné   des  Médecins,  fut  ainfi  traitté  par  vn  fien 
I    neueu  qui  luy   faifoit  acroire  que  c'eftoyent  des  meil- 
leures qu'il  eufl  peu  choifir  chez  les  apoticaires,  &  après 
I    auoir  courageufement  auallé  icelles  pillules,  elles  firent 
telle  opération  que  le  lendemain  il  fut  fus  les  pies  auffî 
prefl  à  boire  que  deuant. 

LE  COSMOPHILE.  Vraiment  quant  eft  de  cela, 
ie  fuis  alTuré  que  tu  n'en  dis  chofe  qui  ne  foit  vraye  : 
mais  tu  en  as  oublié  tout  le  meilleur  de  la  fauce,  car  il 
y  auoit  encores  entre  les  épiceries  aromatizees  fufdites 
des  écharbols  pillés  &  brouillés  pefle-melle,  de  forte 
qu'vn  certain  chirurgien  qui  acompagnoit  le  malade, 
voulant  faire  l'elTay  d'icelles  pillules,  après  en  auoir  pris 
brufquement  fus  la  pointe  d'vn  couteau.  &  mis  fus  la 
langue,  il  trouua  (au  moins  ce  difoit-il  en  grinçant  des 
dens,  &.  faifant  alTés  laide  grimace)  que  c'eftoit  de  la 
caffe,  mais  qu'elle  n'eftoit  pas  des  mieus  mondées  de  ce 
monde. 


ça  PREMIER     DIALOGVE 

LE  DEMOCRITIC.  lecroy  que  tu  dis  vray,  mais 
voyés  que  c'euft  efté  s'il  euft  pris  quelque  chofe  par 
l'ordonnance  du  médecin,  comment  on  eut  dit  alors 
quel  grand  perfonnage  c'eftoit  que  de  luy,  8t  toutesfois 
les  hommes  font  abufés  iufques  à  là  que  volontiers  ils 
rapportent vn  effet  hazardeus  à  l'opération  de  ces  piperies 
de  merde  ou  à  d'autres  telles  folies  qui  ont  encores 
moindre  vertu  que  cela,  mais  s'il  adulent  que  leur  gen- 
tils medicamens  ne  fortifient  pasVn  bon  effet,  &  que  le 
pauure  malade  empoifonné  de  telles  pourritures  en  paffe 
le  pas,  alors monfieur  le  médecin,  auffi  rebraffé  comme 
s'il  vouloit  pétrir  dira,  en  hauffant  les  épaules,  &  ferrant 
les  leures  à  la  bougrefque,  que  fon  heure  étoit  venue, 
qu'il  n'y  a  remède,  qu'on  ne  fçauroit  aller  contre  le  vou- 
loir de  Dieu,  qu'il  n'a  pas  tenu  à  luy  jd'auoir  fait  fon 
deuoir  où  au  contraire  le  bourreau  n'en  aura  pas  efté 
moins  homicide  que  s'il  auoit  rompu  U  froiffé  fur  la 
roue  :  Voila  comment  ainfi  que  dit  le  Poëte  Angeuin, 

C'eji  vne  belle  fcience 

Pour  faire  vne  expérience, 

Auant  qu'ejire  viel  routier 

Par  la  mort  guérir  les  hommes, 

Et  puis  dire  que  nous  fommes 

Des  plus-fçauans  du  métier. 
Encores  les  excuferoi  ie  d'auantage  s'ils  ne  faifoient 
mourir  que  ceus  qu'on  leur  permet  tuer  lorfqu'ils  pren- 
nent le  degré  à  Montpellier,  &  qu'on  leur  dit,  Vade  & 
occide  Caïm,  qui  eft  à  dire.  Va  &  tue  Caïm  :  chacune 
lettre  de  cette  diélion  Caïm  feruant  d'vn  mot.  C.  Car- 
mes. A.  Auguftins.  I.  lacobins.  M.  Mineurs. 


DV    DE  MOC  RITIC.  9} 

LE  MOND  AIN.  Certes  ils  feroient  bien  méchans 
d'exercer  leur  cruauté  fur  ces  pauures  gens  qui  font 
mefme  défia  morts  quant  au  monde. 

LE  COSMOPHILE.  Oui  bien,  ce  difent-ils,  mais 
le  ne  fçay  pas  fi  on  dpnnoit  les  femmes  en  garde  à  telle 
manière  de  mors,  s'ils  en  feroient  point  de  vifs. 

LE  MONDAIN.  le  ne  m'ébahi  plus  maintenant  fi 
tu  n'as  dit  gueres  de  bien  de  ceus  qui  conferuent  la 
fanté  du  cors,  que  mefme  tu  fais  tant  peu  de  comte  des 

j   autres  qui  gardent  celle  de  l'ame. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  la  felle  de  l'afne 
dis-tu  ?  Quant  efl  de  moy  ie  n'ay  afne  ni  afneffe. 

LE  COSMOPHILE.  le  di  celle   de  l'ame,  c'eft  à 

I  dire  la  fanté  de  noflre  ame,  car  ne  penfes  tu  pas  que 
noftre  ame  eftant  en  quelque  péché  mortel,  ne  foit  ma- 

I    lade  auffi   bien  que   le  cors  eftant  détenu  de  quelque 

j    griefue  maladie  ? 

[        LE  DEMOCRITIC.  Oui  dea  ie  le  penfe  ainfi,  car 

I   il  y  a  vn  certain  remors  (que  nos  Théologiens  appellent 

I  lever)  de  confcience  qui  époinçonne  &.  ronge  le  pécheur. 
Mais  paflbns  outre,  &  venons  à  nos  embourreurs  de 
fanté,  par  Diej  fi  ie  fçauoi  au  vrai  quelcun  qui  me  deuft 
deliurer  d'vne  maladie  de  laquelle  ie  me  fentiffe  foulé, 
tiens  toi  aflliré  qu'au  lieu  de  le  méprifer,  il  ne  tiendroit 
point  à  le  carefier,  reuerer,  &.  en  faire  grand  cas  qui  ne 
me  guérit  bien  tofl.  Mais  i'auroi  belle  peur  qu'on  ne 
dit  à  bon  droit  à  celuy  qui  fe  vanteroit  de  ce  faire, 
Médecin  guéris  toi  toi-mefme. 

LE  COSMOPHILE,  le  voudroi  bien  que  tu 
m'euffes  dit   ton  aduis  de  ces  quatre  termes  &  pilliers 


94  PKEMIERDIALOGVE 

doriques  du  cors  de  la  religion  Chreftienne,  entendu 
que  l'ai  défia  veu  comme  tu  leur  as  donné  trois  ou 
quatre  atteintes,  toutesfois  fans  t'y  arrefter  beaucoup. 

LE  DEMOCRITIC.  Encores  ne  t'en  dirai-ie  rien 
d'auantage  pour  cette  iieure,  car  ie  te  les  referue  i\ 
bonne  bouche,  auffi  que  c'efl;  raifon  qu'ils  marchent  les 
derniers  comme  les  plus  dignes  &  plus  graues. 

LE  COSMOPHILE.  Et  bien  il  me  fuffit,  puis  que 
tu  me  promets  d'en  parler,  car  ie  t'ay  toufiours  cogneu 
homme  de  promefTe,  mais  puis  que  tu  as  paracheué 
ton  propos  touchant  ceus  qui  acquièrent  vne  réputation 
feulement  par  hazard  &.  opinion  vulgaire,  ie  voudroi 
bien  que  tu  eufîes  de  mefme  acoutré  ces  autres  qui  fe 
veulent  faire  efiimer  feulement  pour  vne  morgue  &. 
grâce  contrefaiéte. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  dois  entendre  qu'vne 
bonne  partie  des  hommes  encores  qu'ils  foyent  les  plus 
fols&incenfésanimans  créés  de  la  nature,  fi  ne  tâchent- 
ils  à  autre  chofe  que  de  reffembler  &  aparoitre  fages 
il.  bien  apris,  les  vns  en  parlant  à  tort  &  à  trauers  de 
tous  les  propos  qu'ils  oyent  entamer  en  vne  compagnie, 
à  celle  fin  d'eftre  eftimez  bien  méfiez,  &.  certes  auffi 
font-ils,  car  ils  fe  méfient  entre  tant  de  chofes  qu'ils  ne 
s'en  peuuent  le  plus  fouuent  dépeftrer,  ni  fortir  à  leur 
honneur.  Et  fçauez  vous  à  qui  mieux  refTemblent  tels 
babillars  qui  fe  confondent  ainfi,  &  fe  brouillent  en  leurs 
propos?  à  vn  Perroquet  ou  autre  oifeau lequel  fans  en- 
tendre la  voix  qu'il  contrefait,  tantofl  dit  de  l'vn,  puis 
caquette  de  l'autre,  le  tout  pefie-mefie,  &  fans  aucune 
liaifon  de  parties.  Autant  en  font  ces  iappeurs  &  impor- 


DV    DîMOCRITIC.  95 

tuns  caufeitrs  en  vue  compagnie,  car  ils  vont  caquetant, 
ores  de  cettuy-ci,  ores  de  cettuy-là,  tantoft  alléguant  vn 
paflage  d'Ariflote  pour  approuuer  vne  Euangile,  &  tout 
à  l'heure  mefme  philofophant  fus  vn  feftu  de  paille  que 
le  vent  fait  vireuolter  en  l'air,  puis  rompant  leur  propos 
par  mille  petites  fottesdigreffions,  ils  vfent  d'vne  infinité 
de  parolles  fuperflues  &.  ridicules,  toutesfois  ils  ne  iaifle- 
ront  pas  d'entrer  le  plus  fouuent  en  la  réputation  de 
gens  qui  parlent  fort  bien  de  toutes  chofes,  &.  qui  fça- 
uent  dire  le  mot.  Mais  voiant  que  telle  quanaille  ne 
fait  rien  à  mon  propos,  auffi  que  d'eus-mefmes  ils  de- 
couurent  affés  leur  folie,  au  moins  à  ceus  qui  ont  la 
veue  bonne,  ie  fuis  content  de  m'en  taire  &.  parler  des 
autres  lefquels  voulans  faire  au  contraire  de  ceus-ci, 
contre  tout  leur  naturel  affeflent  le  plus  qu'ils  peuuent 
la  mélancolie,  pour  autant  qu'ils  ont  leu  en  quelque 
paflage  d'Ariflote  que  volontiers  les  mélancoliques  font 
ingenieus,  tellement  que  Ciceron  voulant  eflre  de  la 
fefte  comme  les  autres,  &  pour  tourner  fon  imperfection 
en  vertu,  difoit  qu'il  ne  fe  repentoit  point  d'eflre  vn 
peu  morne  &  tardif  en  parolle  :  ioint  que  tels  Singes 
mal  appris  fe  veulent  régler  fus  les  Italiens  qui  poffible 
de  leur  naturel  font  de  telle  condition.  Mais  tant  s'en 
faut  que  cette  contrainte  leur  aguife  d'auantage  l'engin 
qu'au  contraire  ne  leur  fait  rien  laifler  d'eus  en  vne 
compagnie  qu'vne  opinion  de  leur  efprit  lourd  &. 
greffier.  Tels  philofophes  agus  ne  fe  fçauroient  mieus 
comparer  qu'à  la  pourtraiture  de  quelque  beau  cheual, 
aiant  la  mine  d'vne  befte  fort  furieufe,  ou  à  l'homme 
qui  eft  defTus  tenant  brauement  les  armes  au  poing,  car 


96  PR  FMIER   Dl  ALO  GVE 

tout  ainfi  que  ni  le  cheual  ni  l'homme  pareillement, 
pour  tems  qui  vienne,  ne  changent  iamais  cette  pre- 
mière figure  ou  forme  qui  leur  a  eflé  donnée  par  le  !■ 
peintre  ou  engraueur,  autant  en  eft-il  de  ceus-ci  qui  || 
veulent  eflre  veus  prudens  &.  vertueus,  feulement  par  le  II 
vifage  :  car  encores  qu'on  les  mette  en  touF  les  meilleurs  jl 
propos  du  monde,  il  ne  faut  pas  laiffer  d'en  chercher  || 
d'autres  pour  y  refpondre,  car  ils  ont  cette  mafque  me-  1 
lancolique  tant  engrauée  au  fond  du  crâne  de  leur  te-  | 
ftiere,  qu'il  eft  impoffible  de  les  faire  iamais  parler  ni  il 
mouuoir  non  plus  qu'vne  peinture.  Voila  vne  grande  il 
vertu,  fi  elle  n'eftoit  propre  &  peculiere  aus  afnes.  il 

LE  COSMOPHILE.  Si  m'eft-il  aduis  qu'il   n'y   a   i| 
gens  au   monde   à  meilleur  droit  eftimez  fages,  que   ij 
ceux  qui  parlent  ainfi  peu  (chofe  la  plus  recommandée   |i 
de  tous  ceus  qui  ont  atteint  quelque  degré  de  fapience)    j 
ce  que   donna   bien  vne  fois  à  cognoiftre  Anaxagore, 
Philofophe  ancien,   lequel  s'eftant  trouué  en  vne  com- 
pagnie en  laquelle  on  medifoit  d'vn  chacun,  &.  fe  con- 
traignant de  forte  qu'il  ne  fortit  pas  vne  parolle  hors  de 
fa  bouche,  lors  que  quelcun   d'entre  eux  luy  demanda 
qui  eftoit  la  caufe  qui  l'empéchoit  de  parler,  refpondit  il 
alors,  11    me  fouuient   de  m'eflre  quelquesfois    repeoti 
d'auoir  parlé,  mais  de  m'eflre  teu,  iamais.  Nous  lifons 
pareillement  du  bon  Caton  comme  il  témoignoit  volon- 
tiers foy  repentir  de  trois  chofes,  l'vne  defquelles  eftoit  ' 
s'eftre  mis  à  la  merci  des  eaux  pouuant  cheminer  par  ■ 
terre,  l'autre  d'auoir  pafTé  vn  iour  en  oifiueté  fans  faire, 
ou  apprendre  quelque  chofe  vertueufe,  la  troifiéme  &.  [ 
celle  dequoy  il  fe  repentoit  le  plus,  s'il  y  eftoit  aduenu  j 


DV    DEMOCRITIC.  97 


de  déclarer  fon  fecret,  &  principalement  à  vne  femme. 
Et  croi  que  c'eft  vne  des  grandes  vertus  que  fçauroit 
•  auoir  l'homme  de  parler  peu  &  bien  contenir  fa  langue, 
i  ce  qui  nous  efl  mefmes  enfeigné  par  la  nature,  laquelle 
pour  nous  monftrer  qu'il  failloit  ouir  deus  fois  autant  que 
I  de  parler,  nous  a  prouueus  de  deus  oreilles  &  feulement 
j  d'vne  langue,  à  laquelle  elle  a  encores  donné  double 
I  rempart  pour  manifefter  exprefTément  comme  les  paroles 
!  ne  doiuent  point  fortir  de  la  bouche  qu'elles  ne  foient 
I  bien   &  parfaitement  digérées. 

'  LE  DEMOCRITIC.  Ces  raifons  &.  authoritez  que 
I  tu  as  mifes  en  auant,  &  toutes  autres  qui  fe  peuuent  allé- 
guer à  ce  propos  pour  confirmer  la  taciturnité  &.  peu 
de  paroles  eflre  chofes  louables  &  vertueufes  en  la 
perfonne,  fe  peuuent  diffoudre  en  deux  mots.  Et  ne 
penfe  point  que  cela  ait  eflé  tant  recommandé  par  ces 
anciens  autheurs,  fi  non  es  chofes  d'importance,  &  qui 
peuuent  non  feulement  tourner  au  preiudice  des  per- 
fonnes  defquelles  on  parle  en  vne  compagnie,  mais 
auffi  de  cettui-là  lequel  inconfiderément  &  fans  aucun 
arrefl  veut  dire  fon  aduis  de  chacune  chofe  propofee, 
fans  regarder  qu'elle  en  peut  eftre  la  fin  ou  la  confe- 
quence.  Car  il  fuffit  afifez  à  l'homme  de  bon  efprit, 
tant  pour  fon  contentement  que  pour  le  plaifir  qu'il  a 
d'en  deuifer  auecques  fes  femblables,  de  cognoiflre  la 
vérité  des  chofes,  mais  quand  il  voit  qu'en  lesmanifef- 
tant,  la  fin  luy  en  pourroit  eftre  dommageable,  ce  luy 
feroit  bien  vne  grande  témérité  &  fottife  inconfideree 
que  de  ce  faire,  entendu  que  tout  ainfi  qu'il  n'y  a  point 
de  plus  grande  fagefie  au  monde,  que  de  taire  h  bien 

5 


o8  PREMIERDIALOGVE 

diffimuler  vne  vérité  laquelle  eftant  decouuerte  apporte- 
roit  quelque  danger  ou  preiudice  à  fon  autheur,  auffi  n'y 
a  il  point  plus  grande  folie  que  d'en  parler.  Et  voila  la 
feule  occafion  qui  doit-tenir  la  bride  aus  paroUes  effrénées 
qui  s'égarent  quelquesfois  trop  lourdement  fans  confi- 
derer  à  quel  but  elles  peuuent  ou  doiuent  paruenir. 
Mais  s'enfuit-il  pour  cela  qu'il  faille  ainfi  contrefaire  le 
lourdaut  mélancolie,  &  fe  monllrer  muet  en  vne  com- 
pagnie, principalement  quand  il  eft  queftion  de  dire 
fon  aduis  d'vn  bon  propos,  ou  prendre  plaifir  à  quel- 
ques paroles  entremeflees  de  facéties,  pour  vfer  puis 
après  plus  fermement  des  graues  &  ferieufes?  Et  pour 
le  certain  tout  homme  qui  n'en  vfera  ainfi,  quoy  qu'il 
contreface  de  l'ingenieus,  ou  du  magnifique  Meffer  de 
Venife,  fi  ne  fera  il  iamais  entre  perfonnes  de  bon  efprit 
autre  qu'vn  fot  &  de  grolTe  paftetel  qu'il  eft  à  la  vérité, 
cela  toutesfois  demeurant  excufable  à  ceus  qui  veulent 
cacher  leur  folie  &  indifcretion  fous  le  voile  de  filence, 
car  c'eft  bien  la  plus  grande  fageffe  que  fçauroit  point 
auoir  vn  fot  que  de  fe  pouuoir  contenir  de  parler,  veu 
qu'en  ce  faifant  pour  le  moins  il  ne  découure  ce  qui  eft 
de  fon  défaut. 

LE  COSMOPHILE.  Quelque  chofe  que  i'en  aie 
foutenu  au  contraire,  fi  n'en  ai-ie  iamais  eftimé  autre- 
ment que  ce  que  tu  en  as  dit,  car  c'eft  bien  la  chofe  que 
ie  hai  le  plus  que  d'affeéler  cette  mélancolie  d'afne,  de 
laquelle  il  y  en  a  pour  le  iourd'huy  quelques-vns  tant 
entachés  qu'ils  ne  peuuent  trouuer  rien  bon  d'autrui. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  eft-il  poffible  qu'ils 
approuuent  ce  que  font  les  autres,  quand  ils  fe  déplai- 


DV    DEMOCRITIC.  99 

fent  à  eus-mefmes,  ne  cherchans  point  autre  plus  grand 
plaifir  que  d'erpier  l'horreur  de  quelque  lieu  Tecret  pour 
auoir  le  moien  d'eftre  feuls  à  celle  fin  de  diTputer  & 
prendre  querelle  le  plus  fouuent  à  leur  vmbre? 

LE  COSMOPHILE.  le  m'ébahi  comment  tu  dis 
cela,  Sl  que  tu  ne  crains  en  ce  faifant  de  t'en  accufer 
toi-mefme  le  premier,  veu  qu'il  femble  que  le  plus  de 
ton  plaifir  eft  à  chercher  des  lieux  folitaires  pour  faire 
des  difcours  &  difputer  (ainfi  que  tu  difois  des  autres) 
tout  feul  auecques  ton  vmbre. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  fçai  pas  comment  tu 
entreprens  de  iuger  fi  foudain  de  mes  complexions, 
entendu  le  peu  de  cognoiffance  que  tu  as  de  moy,  b 
bien  que  tu  m'euffes  hanté  toute  ta  vie  fi  fuis  le 
affuré  que  tu  ne  m'aurois  pas  en  telle  eftime. 

LE  COSMOPHILE.  D'où  venoit  donques  cela 
lors  que  ie  t'ay  rencontré  que  tu  parlois  feul  meprifant 
la  manière  de  faire  &  fottife  des  hommes? 

LE  DEMOCRITIC.  le  m'étonne  comment  tu 
iuges  fi  legierement  d'vne  chofe  qui  t'eft  incertaine,  ce 
que  ie  te  pardonne  toutesfois  de  bon  cueur,  car  tandis 
qu'il  te  refiera  dedans  la  telle  la  moindre  efiincelle  de 
cette  folie  mondaine,  tu  feras  toufiours  quelque  afle 
volage  &  digne  de  reprehenfion. 

LE  COSMOPHILE.  Non  feray  pas,  moyennant 
que  tu  accompliffes  ce  que  tu  m'as  promis,  car  de  ma 
part  i'ay  eflé  défia,  &  fuis  encores  plus  prell  d'entendre 
8t  croire  tes  aduertiflemens,  que  ie  ne  fu  onques. 

LE  DEMOCRITIC.  Et  ie  ferai  donq' fort  aife  que 
tu  apprennes  ici  de  moy  de  n'affurer  iamais  vne  chofe 


BIBLIOTHLCA 


PREMIER    DIALOGVE 

dont  tu  n'auras  point  certaine  cognoifTance,  de  peur 
qu'en  faillant  à  dire  le  vrai  tu  ne  fois  eflimé  par  trop 
euenté,  ainfi  que  tu  t'es  monftré  euidemment  en  me 
taxant  de  quoi  ie  parloi  feul  lors  que  par  hazard  nous 
nous  fommes  ici  rencontrés.  Et  à  celle  fin  que  tu 
cognoifies  ton  erreur,  il  faut  que  tu  entendes  que  ie  ne 
faifois  alors  que  laiffer  deus  (comme  ie  croi)  des  plus 
grans  fous  du  monde,  dont  l'vn  contrefaifoit  le  philofo- 
phe,  ne  parlant  d'autre  chofe  que  du  cours  des  cieus, 
des  influences  des  planètes  &  étoilles,  de  la  magie  &. 
nature  des  efprits  miniflres  ainfi  qu'il  difoit  de  fon  art, 
fe  ruant  auffi  quelquefois  fus  l'alquimie  qui  efl  vne 
fcience  qui  traifle  de  la  tranfmutation  des  metaus  : 
L'autre  compagnon  de  folie  à  ce  premier  tranchoit  du 
foldat,  blâmant  toutes  autres  chofes,  fors  que  ce  poinft 
d'honneur,  &  fembloit  à  voir  la  fureur  du  perfonnage, 
que  l'vmbre  du  fourreau  de  fon  efpee  eut  la  puiiïance 
de  tuer  vn  homme  fans  coup  frapper  :  Et  ainfi  après 
auoir  pris  quelque  plaifir  à  leur  accorder  par  fois 
tantoR  à  l'vn,  tantoft  à  l'autre,  pour  en  tirer  d'auan- 
tage  de  paffetems  à  la  fin  ennuie  de  leurs  longues  &. 
importunes  cauferies,  i'ai  tant  fait  que  ie  m'en  fuis  dé- 
peftré  le  plus  honneflement  qu'il  m'a  elle  poffible,  8t 
alors  i'auois  auecques  moi  pour  me  féconder  vn  homme 
de  grand  fçauoir  &.  de  fort  bon  efprit,  lequel  fans  autre- 
ment me  cognoifhre  ni  moi  lui,  s'addrelTa,  il  y  a  bien 
vn  demi  an,  à  ma  maifon,  &  après  l'auoir  vn  peu 
regardé  &  oui  parler,  ie  cogneu  tant  à  fes  propos  qu'à 
fon  vifage  que  c'efloit  vn  homme  de  iugement  &  de 
grande  dodrine,  &  le  voiant  fouffreteus  &  en  neceffité 


DV    DE  MO  CRI  TIC. 

ie  ne  fu  pas  moins  prefi  de  lui  donner  fecours  qu'il 
eftoit  à  me  le  demander,  8t  toutesfois  depuis  ce  tems 
là  nous  auons  demeuré  amiablement  enfemble,  eftant 
bien  aife  d'auoir  recouuré  pour  compagnie  vn  tel 
homme  &  plein  de  fi  grande  érudition.  Mais  pour 
rentrer  au  lieu  dont  i'eftois  forti,  après  que  cesMeffieurs 
furent  départis  d'auecques  nous ,  Dieu  fçait  fi  cet 
homme  duquel  ie  te  vien  de  parler,  &  moy  nous  les 
lauafmes  ainfi  qu'il  appartenoit,  &  eftoit  pour  celle 
occafion  que  ie  luy  difoi,  lors  que  tu  m'eflimois  parler 
tout  feul,  comme  ie  me  fentoi  fort  tenu  &  obligé  à  la 
nature  de  ne  m'auoir  point  enfeueli  entre  tant  de  folies 
Sl  erreurs  communes  aus  autres  hommes,  &.  ainfi  que 
ie  donnoi  fin  à  mon  propos  il  fe  fouuint  d'vn  voyage 
qu'il  auoit  à  faire  deuers  vn  fien  ami,  parquoi  tout  in- 
continent il  s'en  partit  Si  prit  congé  de  moy  iufques  au 
retour.  Tu  peus  maintenant  affés  euidemment  cognoiftre 
la  faute  du  iugement  que  tu  auois  fait  tant  foudain  de 
mes  paroles. 

LE  COSMOPHILE.  le  fuis  contraint  de  confeffer 
en  cela  mon  deffaut,  mais  en  penfant  demeurer  fatisfait 
d'vn  poinA,  tu  m'a  remis  de  rechef  en  deus  defirs  trop 
plus  grands  que  n'eftoit  le  premier,  dont  l'vn  eft  de  fça- 
uoir  le  nom  de  cet  homme  tant  dofte,  &  communiquer 
auecques  luy,  l'autre  d'auoir  ma  part  de  la  rifee  que 
t'auoient  appreflee  ces  deus  fous,  dont  tu  as  maintenant 
parlé. 

LE  DEMOCRITIC.  Quant  eft  du  dernier,  puif- 
que  tu  en  as  fi  grande  enuie  ie  t'en  ferai  bien  iouir,  de 
l'autre  qui  eft  de  fçauoir  le  nom  de  cet  homme  dont  ie 


PREMIER    DIALÛGVE 


l'ai  fait  mentionj  le  ne  te  le  fçauroi  dire,  &  moins  encores 
te  faire  communiquer  pour  le  prefent  auecques  luy, 
entendu  qu'il  eft  (ainfi  que  ie  t'ay  défia  dit)  allé  voir  vn 
fien  ami.  Bien  eft  vrai  que  le  nom  par  lequel  il  fe  faifoit 
appeiler  eftoit,  le  Monirien,  &.  eft  vn  homme  à  le  voir 
trifte,  monftrant  vn  vifage  affés  mélancolique,  non  pas 
de  cette  lourde  &  groffiere  mélancolie  d'afne,  car  au 
refte  il  eft  homme  de  fort  grand  efprit,  &  eft  aifé  à  voir, 
ainfi  que  l'en  ay  peu  conieéturer  quelque  chofe  par  fes 
propos,  qu'vne  grande  partie  de  fa  trifteffe  luy  procède 
à  l'occafion  des  grans  tors  qui  luy  ont  efté  faits,  &. 
mefme  de  ceus  dont  il  deuoit  eftre  le  plus  fecouru, 
toutesfois  il  efTaie  le  plus  qu'il  peut  à  mettre  cefte  mé- 
lancolie bas,  &  fe  refiouir  quelques- fois  auecques  moi, 
&  ainfi  qu'il  m'a  dit,  il  fera  ici  de  retour  dedans  peu  de 
tems,  &  fi  tu  veux  attendre  iufques-là,  encores  que 
i'aie  vn  voyage  à  faire,  fi  le  delaierai-ie  pluftoft  à  vn 
autre  terme  pour  te  faire  compagnie,  ou  bien  fi  tu  aime 
mieus  retourner  quand  il  fera  venu,  tu  pourras  alors 
aifément  accomplir  ton  defir,  fi  tu  n'as  autre  empefche- 
ment  qui  t'en  détourne. 

LE  COSMOPHILE.  le  te  remercie  bien  fort  de 
l'offre  que  tu  me  fais,  de  laquelle  toutesfois  ie  ne  peus 
vfer  pour  cette  heure  ici,  entendu  que  neceffai rement 
ie  dois  faire  vn  voyage  fur  mer,  auquel  tant  pour  les 
affaires  que  i'ai  par  le  chemin,  que  pour  le  tems  qui 
me  faut  à  aller  &.  venir,  encores  qu'il  ne  m'arriue  point 
de  fortune  ie  ne  fçauroi  moins  arrefter  que  fept  ou  huit 
mois,  &  ainfi  tu  ne  différeras  point  (s'il  te  plaift)  pour 
moi  à  donner  ordre   à  tes  affaires,  fe  alors  que  nous 


DV     DEMOCRITIC.  I03 

lerons  de  retour  nous  entre-conterons  des  nouuelles 
l'vn  à  l'autre.  Mais  ie  te  prierai  bien  fort  que  noflre 
voyage  fait,  au  moins  fi  ma  compagnie  t'eft  agréable, 
que  ce  peu  de  cognoifTance  que  nous  auons  enfemble 
s'augmente  par  ci  après  par  vne  plus  longue,  &  conti- 
nuelle fréquentation. 

LE  DEMOCRITIC.  le  t'alTure  bien  qu'il  ne  tien- 
dra pas  en  moi,  car  il  n'y  a  homme  en  ce  monde  qui 
defire  pluftoft  compagnie,  mais  qu'elle  ne  foit  point  de 
ces  gros  butiers  qui  s'efliment  fages,  &.  à  celle  fin 
qu'vne  autre  fois  tu  puifles  mieux  retrouuer  le  chemin  à 
me  venir  voir,  ie  te  prierai  bien  fort  de  venir  prendre 
le  difner  iufques  en  ma  petite  maifonnette.  Il  ne  faut 
pas  que  tu  penfes  que  ie  te  conuie  pour  te  donner 
des  viandes  roiales  &  exquifes,  mais  telles  qu'elles  font 
ce  fera  de  bien  bon  cueur.  Et  fi  me  femble  que  tu  ne 
peus  auoir  bonnement  occafion  de  me  refufer,  veu  que 
l'heure  du  difner  s'approche,  auffi  que  le  lieu  n'eft  pas 
pas  fort  loing  d'ici.  Tu  peux  voir  là  au  deffus  en  ce 
petit  lieu  montueus  vne  maifon  quarree  faitte  en  terrafle 
appuiee  de  deus  tourelles  d'vn  cofié,  &t  de  ce  cofté 
mefmevne  belle  veuë  de  prairie  en  bas  couppee  &  entre- 
lafTee  de  ces  petis  ruiffeaus  qui  ont  ainfi  le  cours  vague 
&  tortu  :  de  l'autre  cofté  cefte  touche  de  bois  fort 
haute  &  vmbrageufe,  dont  l'vn  des  bouts  prent  fin  à 
ces  rochers  bocageus  que  tu  vois  à  vn  des  détours  de 
cette  prée,  &  l'autre  au  commencement  de  cefte  grande 
plaine  qui  eft  vn  peu  au  deflbus  de  cette  maifon  que  ie 
t'ai  monftree  :  La  vois-tu  bien  là  par  entre  ces  deus 
chefnes  tirant  vn  peu  fus  la  main  gauche  ? 


104  PREMIER    DIALOGVE. 

LE  COSMOPHILE.  le  la  voi  fortbien. 

LE  DEMOCRITIC.  Ortu  vois  vne  maifon  qui  efl 
mienne,  &  fi  tu  me  veus  faire  tant  de  bien  que  d'y 
venir  prendre  le  difner,  ie  te  monflrerai  plus  ample- 
ment les  commodités  &  fituation  du  lieu  qui  efl  poffible 
telle  que  tu  y  prendras  quelque  plaifir. 

LE  COSMOPHILE.  Certes  la  defcription  que  tu 
m'en  as  faite,  &  dont  l'en  voi  vne  bonne  partie,  me 
conuie  afTés  d'elle-mefmes  de  l'aller  voir,  &.  t'affure  que 
ie  ne  t'en  éconduirai  point,  moyennant  que  tu  me  vue  il- 
les  promettre  de  ton  cofté  d'en  faire  auiourd'huy  le 
pareil  à  fouper  en  la  mienne,  qui  n'efl  pas  gueres  plus 
loing  d'ici  que  celle  là  que  tu  m'as  monftree,  8t  fi  ie 
croy  que  l'on  ne  fçauroit  plus  iuftement  borner  le  milieu 
du  chemin  de  nos  deus  maifons  qu'en  ce  lieu  ici. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  te  fçauroi  promettre 
d'y  aller  pour  le  iourd'huy,  &.  te  pri  de  m'en  excufer, 
veu  que  i'atten  à  fouper  auecques  moi  quelques  vns  de 
mes  plus  grans  amis,  enuers  lefquels  il  ne  me  feroit 
honnefle  de  faucer  ma  promefTe  ni  vfer  d'excufe  en 
quelque  forte  que  ce  fut.  Et  par  ce  ie  te  fupplie  remet- 
tons cela  à  vne  autre-fois,  quand  nous  ferons  retournés 
de  nos  volages  :  Mais  fçais-tu  bien  qu'il  y  a,  tu  ne  lailTe- 
ras  point  pour  cela  de  t'en  venir  difner  auecques  moi. 

LE  COSMOPHILE.  Et  bien  donq'  puis  qu'il  te 
plaift  ainfi,  ie  t'y  ferai  compagnie. 

FIN    DV    PREMIER    DIALOGVE. 


SECOC^V     VIqALOGVE 


DV    DEMOCRITIC 


LE    COSMOPHILE. 


RAI  ME  N  T  à  ce  que  ie  voi  noftre  difner 
n'a  pas  efté  fait  à  la  mode  des  Vénitiens. 
LE  DEMOCRITIC.  Comment  cela? 
LE  COSMOPHILE.  Pour  autant 
qu'on  fe  me-t  à  table  (ainfi  qu'ils  difent)  pour  menger, 
&  non  pas  pour  conférer  de  fes  affaires,  qui  eft  l'occafion 
qui  les  retarde  volontiers  de  deuifer  durant  le  repas. 

LE  DEMOCRITIC.  Si  telle  manière  de  lourdaus 
penfent  que  ce  foit  vne  bien  grande  vertu  que  de  ne 
dire  mot  en  prenant  fa  refeftion,  les  pourceaus  &  autres 
belles  brutes  feroient  tantoft  félon  leur  règle  dignes 
d'eflre  mis  au  reng  des  vertueus  perfonnages,  fi  d'auan- 
ture  cela  ne  failloit  à  l'endroit  des  chiens  qui  mènent 


Io6  SECOND     DIAIOGVE 

quelquefois  affes  belle  noife  pour  vn  oz,  à  qui  l'em- 
portera. 

LE  COSMOPHILE.  leme  doutoi  bien  que  ces 
VenitienSj  quoi  qu'ils  afFedent  fus  toutes  chofes  eftre 
eftimés  les  plus  fages,  n'en  feroient  non  plus  épargnez 
que  les  autres,  qui  a  efté  la  caufe  qui  m'en  a  fait  enta- 
mer le  propos  pour  fçauoir  quel  iugement  tu  en  vou- 
drois  donner,  &  fi  tu  eufles  point  eu  meilleure  opinion 
d'eus,  pour  autant  que  ce  font  lesperfonnes  du  iourd'huy 
qui  fuiuent  de  plus  près  la  trace  de  cette  vénérable 
antiquité,  &.  fur  lefquels  eft  empraint  le  vrai  &  naturel 
archetipe  du  tant  célébré  &  renommé  Sénat  des  Ro- 
mains, vrai  eft  qu'on  dit  que  les  plus  grans  larrons  y 
font  les  mieus  venus,  moyennant  qu'ils  dérobent  à 
moitié  de  butin. 

LE  DEMOCRITIC.  Voila  ceus  que  ie  demande 
pour  auoir  bien  occafion  de  me  moquer,  veu  que  fi 
vous  oftés  à  ces  Meffieurs  les  grandes  manches  ou  leurs 
bonnets  de  diadefme,  vous  leur  ofterés  pareillement 
toute  la  fageffe  :  car  tu  dois  entendre  que  la  plus  faine 
partie  de  leur  cerueau  eft  au  defTus  de  leurs  barretes 
auecques  le  iugement,  &  n'eftoit  qu'ils  ont  trouué  cet 
honnefte  moien  de  faire  leur  profit  ils  demeureroient 
encores  en  vn  plus  extrême  degré  de  fottife,  mais  cette 
diuine  manière  de  larrecin  qu'ils  ont  inuenté,  couure 
beaucoup  de  leur  beftife  &  ignorance. 

LE  COSMOPHILE.  Or  bien  bien  laiflbns  les  là 
faire  la  pipee  pour  cette  heure,  &.  retournons  au  propos 
que  ie  t'auois  rompu  n'agueres  prefque  fus  la  fin  du 
difner,  quand  tu  m'as  dit  que  tu  t'efm.erueillois  beau- 


DV    DEMOCRITIC.  IO7 

coup,  veu  que  nos  mairons  eftoient  fi  près  l'vne  de 
l'autre,  comment  nous  auions  eu  fi  peu  d'acointance 
enfemble. 

LE  DEMOCRITIC.  Ha  !  tu  m'en  fais  fouuenir  : 
mais  à  propos,  comment  s'eft  peu  faire  cela  ? 

LE  COSMOPHILE.  II  ne  faut  point  que  tu  t'en 
ébahiffes,  entendu  qu'il  y  a  pour  le  moins  cinq  ou  fix 
ans  que  ie  n'ai  feiourné  aucunement  par  deçà,  durant 
lequel  temps  ie  n'ai  fait  autre  chofe  que  voiager  pour 
apprendre  que  c'eftoit  que  du  monde.  Mais  à  ce  que 
ie  cognoi  maintenant,  i'eufle  peu  encores  courir  d'ici  à 
trente  ans,  que  ie  n'en  eufTe  gueres  elle  plus  fage,  cog- 
noilTant  défia  bien  que  ce  n'eft  pas  le  tout  que  de  voir 
diuerfitéde  régions  &.  contrées  pour  auoir  l'efprit  meil- 
leur, &  que  l'inftruétion  d'vn  feul  homme  de  bon 
iugement  édifie  plus  en  vne  heure,  que  ne  font  tous  les 
barragouins  &  diuers  langages  de  mille  nations  étran- 
gères en  dix  ans. 

LE  DEMOCRITIC.  le  fuis  fort  aife  de  quoi  tu 
adiouftes  foi  à  mes  enfeignemens,  t'affurant  bien  que  ce 
que  ie  t'en  ai  dit  encores  que  ie  l'aie  fait  affés  fuccinfte- 
ment,  n'eft  point  fans  en  auoir  cogneu  au-parauant  les 
raifons  beaucoup  plus  amples  que  ie  ne  te  les  ai  encores 
déduites,  toutefois  croifTant  noflre  loifir  &  fe  confirmant 
ton  iugennent,  nous  en  pourrons  d'auantage  conférer 
enfemble,  &  lors  tu  en  fonderas  les  raifons  vn  peu  plus 
profondement  que  tu  n'as  fait  iufques  à  cette  heure  ici, 
mais  ce  pendant  ie  fuis  bien  de  cet  aduis  que  nous  allions 
vn  peu  prendre  le  frais  ici  dehors. 

LE   COSMOPHILE.  C'efl   bien  dit,  voyés  s'il  ne 


Io8  SECOND    DIALOGVE 

femble  pas  que  ce  bel  ombrage  de  lauriers  nous  fetnonde 
pour  nous  y  aller  refraichir,  8t  deuifer  de  quelque  gra- 
cieus  propos. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  t'abuferois  bien,  fi  tu 
penfois  que  ie  t'y  ailalTe  recenfer  ces  petis  chiabrena  tt 
badineries  de  l'amour,  car  quant  eft  de  moi  tous  mes 
propos  ne  tendent  qu'a  vne  fin  qui  efl  de  me  moquer 
des  folies  d'vn  chacun. 

LE  COSMOPHILE.  Auffi  ne  t'en  demandai  ie 
point  d'autres,  &  en  parlant  des  gratieus  propos,  ie 
n'enten  pas  de  ces  petis  mots  affeélez  où  il  n'y  a  que 
des  ii  &  des  II  de  peur  d'écorcherces  gorgettes  délicates. 
Mais  la  plus  grande  grâce  que  ie  trouue  en  vn  propos, 
c'efl;  quand  on  le  goufte  à  la  fauce  d'vne  facétie  bien 
ordonnée,  qui  picque  fus  la  langue,  ou  qui  prend  incon- 
tinent les  gens  par  le  nés. 

LE  DEMOC  RITIC.  Dequoi  voudroi-tu  bien  que 
nous  parlaffions  maintenant  ? 

LE  COSMOPHILE.  le  defireroi  fort  fçauoir  tout  le 
difcours  de  ces  deus  vénérables  fots,  que  tu  difois  t'auoir 
laifle  vn  peu  deuant  que  ie  te  rencontraffe  en  ce  lieu  ici, 
puis  félon  les  propos  qui  s'offriront  nous  les  continue- 
rons, ou  en  prendrons  de  nouueaus. 

LE  DEMOCRITIC.  Ne  te  deffie  point  hardiment 
que  ta  demande  ne  foit  accomplie,  car  félon  le  did 
d'Homère,  tu  donnes  courage  à  cettui-là  qui  fe  hâtoit 
défia  affés  de  lui-mefme,  &  n'eftoit  que  tu  m'as  preue- 
nu,  affure  toi  que  ie  t'euffe  défia  prié  d'en  entendre  ce 
qui  en  efloit.  Donques  pour  fatisfaire  enfemble  à  ton 
defir  &  à  mon  vouloir,  il  faut  que  tu  fâches  que  ie  n'ai 


D  V    DEMOCRITIC.  I  09 


pas  eflé  autrefois  moins  curieus  de  cognoiftre  la  diuer- 
fité  des  fciences  &.  manières  de  faire  des  eflats  &  nations 
eftrangeres  que  toi.  Mais  après  auoir  ainfi  long  tems 
étudié  &.  couru,  cognoiffant  à  la  fin  que  tous  les  aftes 
des  hommes  n'eftoient  autre  chofe  qu'vn  fonge  fantafti- 
que  &  ridicule,  l'ai  refolu  en  moi-mefme  de  rue  retirer 
en  ce  petit  lieu,  pour  y  faire  le  plus  de  ma  refidence,  &. 
y  prendre  ce  que  ie  pourroi  de  contentement  auecques 
quelque  peu  de  ceus  qui  ont  pareillement  la  cognoiflance 
de  telles  refueries  mondaines,  &.  qui  prennent  bien 
quelques  fois  la  peine  de  me  venir  vifiter  iufques  ici,  pour 
remettre  en  mémoire  les  bons  propos  qu'autrefois  auons 
debatus  enfemble,  ou  bien  pour  en  inuenter  d'autres  tous 
frais.  Mais  aiant  (ainfi  comme  ie  t'ai  dit)  hanté  tant  de 
diuerfes  feftes  de  gens,  il  efl  impoffible  qu'il  ne  m'ar- 
riue  aucune  fois  d'en  rencontrer  quelques-vns,  &.  le  plus 
fouuent  contre  mon  vouloir  veu  la  grande  importunité  & 
fottife  dont  ils  font  pleins,  &.  n'efloit  le  merueilleus 
pafTetemps  que  i'ai  de  leurs  bafteleries,  ie  leur  tranche- 
rois  entièrement  toute  occafion  de  s'arrefter  auecque 
moi.  Neantmoins  tant  pour  me  feruir  d'eus  ainfi  comme 
de  badins,  &.  faire  par  ce  moien  couler  vne  bonne  partie 
du  iour  plus  doucement,  tant  auffi  pour  le  raconter  &  en 
donner  la  moitié  du  plaifir  à  ceus  que  ie  cognois  ellre 
dignes  de  leur  en  faire  part  ie  fuis  content  quelque-fois 
de  les  ouir  iapper,  &  m'accordent  tantoflà  leur  opinion, 
tantoft  leur  répugnant  vn  peu  pour  les  mettre  plus  auant 
aus  chams,  i'en  ai  du  plaifir  au  poffible  ainfi  que  mefme- 
ment  il  m'eftoit  encores  furuenu  auiourd'huy.  Car  aiant 
cogneu  dedans  Paris    (du   temps  que  i'emploiois  mes 


SECOND    DI  ALOCVE 

ieunes  ans  aus  lettres)  vn  perfonnage,  entre  ceus  que  l'on 
appelle  Philofophes ,  eflimé  vn  des  plus  fages  &.  mieus 
entendus  en  cette  fine  folie,  ie  vouloi  dire  Philofophie,  la 
fortune  a  voulu  que  ie  l'aie  encores  rencontré  en  ce  lieu 
ici  en  me  promenant.  Et  efloit  iceluy  Philofophe  accom- 
pagné d'vn  foldat  foldatizé  pareillement  de  ma  cognoif- 
fance.  Car  tu  dois  fçauoir  qu'après  auoir  longtemps 
trauaiUé  après  ces  liures,  me  trouuant  en  fin  lalTé  &.  re- 
créa des  études,  ie  voulu  tenter  la  voie  des  armes  pour 
fçauoir  comment  on  s'y  gouuernoit,  &  là,  i'eu  la  cognoif- 
fance  de  maints  braues  &.  vailians  hommes  (au  moins 
ce  difent-ils)  &.  entre  autres  de  ce  compagnon  de  fou- 
flets  &  alembics  de  mon  Philofophe.  Toutes-fois  de  pri- 
me-face ils  ne  me  pouuoient  pas  bien  recognoiflre,  mais 
à  la  fin  après  m'auoir  plus  ententiuement  regardé,  ils 
me  font  ici  venu  aborder,  &  après  force  accollades,  em- 
braffemens,  baifé  les  mains  de  voftre  feigneurie,  ou  fi  tu 
l'aimes  mieus  à  l'Efpagnole,  de  voflre  merci,  tant  à  voflre 
commandement  (Monfieur)  de  paroles  que  vous  voudrez, 
&.  telles  autres  careffes,  St  admirations  accouftumées  en- 
tre perfonnes  qui  de  long  temps  ne  fe  font  entre-veues,  &. 
principalement  quand  la  rencontre  fe  fait  ainfi  à  l'im- 
pourueu  :  fomme  toutes  ces  carelTes  finies  ce  diuin  Plato- 
nicien après  m'auoif  quelque  peu  regardé  fans  parler, 
renfrongné  fes  fourcils  auecques  vne  mine  graue,  en- 
foncé fa  veue  vn  peu  fur  la  terre,  puis  tout  lentement  la 
redreflant  auscieus,  comme  s'il  eufl  eflé  refueillé  de 
quelque  profond  fomme,  ou  que  par  diuine  infpiration  il 
eull  eflé  émeu  à  parler  ainfi,  il  commença  tels  propos  en 
ni'interrogeant  fi  i'auoi  point  continué  l'étude  de  la  philo- 


DV    DEMOCRITIC.  I  I  I 

fophie  depuis  que  ie  m'en  efloi  parti  de  Paris.  Et  adonq' 
tant  pour  fçauoir  l'occafion  de  fa  demande  que  pour 
m'accommoder  pareillement  à  fon  naturel,  ie  lui  refpondi 
que  l'en  auoi  elle,  8i  efloi  encores  plus  curieus  que 
iamais,  puis  il  dit  en  cette  forte  pefant  fes  mots  comme 
s'il  eull  parlé  en  voix  d'oracle,  ha  Monfieur,  vous  elles 
tenu  grandement  à  noflre  Seigneur  de  vous  auoir  de- 
parti  la  cognoiflance  d'vne  tant  excellente  chofe,  &  auez 
efté  très  bien  aduifé  de  n'en  difcontinuer  l'étude,  laquelle 
vous  ne  deuez  laifler  encores,  au  moins  fi  vous  me 
croyez,  car  deuant  que  vous  en  allaffiez  de  Paris,  vous  y 
auiez  défia  vne  fort  bonne  entrée  :  Et  ie  vous  afTure 
(Monfieur)  que  fi  vous  y  auiez  donné  auffi  auant  comme 
i'ay  fait  depuis  noflre  abfence,  vous  y  mettriez  poffible 
meilleure  peine  que  vous  ne  fiftes  onques,  car  i'y  ai 
cogneu  les  plus  grans  fecrets,  &.  merueilleufes  expérien- 
ces du  monde,  &.  ne  fera  iamais  que  ie  ne  me  fente  obligé 
à  celui  qui  le  premier  m'en  a  monflré  les  principes,  veu 
la  grande  &.  admirable  perfedion  que  i'y  ai  trouuee  de- 
puis. Et  pour  ce  que  vous  efles  homme  qui  entendez  que 
c'efl  de  telles  matières,  ie  vous  en  veuil  communiquer 
quelque  chofe,  moyennant  que  vous  me  vueillez  promet- 
tre de  clorre  la  bouche,  &.  eflre  fecret  ainfi  que  ie  vous 
ai  toufiours  expérimenté.  Et  alors  l'entendant  ainfi  par- 
ler Socratiquement,  ie  vi  qu'il  efloit  bon,  pour  lui  tirer 
les  vers  du  nés,  contrefaire  vn  peu  le  fage  par  mines 
comme  luy,  l'affurant  au  refle  de  n'en  dire  iamais  pa- 
role, i'entendois  à  ceux  qui  ne  le  voudroyent  ouïr. 

LE  C  O S  .M O  P  H I L  E .  Sans  point  de  doute  auffi  tiens- 
tu  bien  ton  ferment,  car  tu  ne  le  racontes  point  à  vn 


J  la  s  ECOND    Dl  A  LOGVE 

homme  qui  n'ait  bien  grand  vouloir  de  l'entendre,  &.  ne 
m'as  encores  dit  chofe  qui  m'ait  apporté  d'auantage  de 
plaifir  que  celle-ci,  ni  laquelle  i'aie  plus  defiré  fçauoir. 
Mais  combien  ce  pauure  fot  prenoit  de  peine  à  décou- 
urir  fa  folie,  &  fe  faire  moquer  de  luy  ! 

LE  DEMOCRITIC.  Tous  ceus  de  pareille  farine 
ne  font  iamais  contens  iufques  à  ce  qu'ils  ayent  donné  à 
cognoiflre  leur  fottife  :  mais  pour  continuer  mon  propos, 
ce  Vénérable  dodeur  (après  luy  auoir  fait  la  promefTe 
telle  qu'il  me  la  demandoit)  pourfuyuit  ainfi  en  matière  : 
Il  n'eflia  befoin  (me  dit-il)  de  vous  alléguer  les  principes 
&.  fondemens  d'vn  tel  art,  car  vous  n'y  elles  point  ap- 
prenti f.  le  n'ai  que  faire  de  vous  reciter  par  le  menu 
toutes  les  efpeces  des  efpris,  &  comme  il  y  a  fix  genres 
principaux  de  Démons,  ignées,  aériens,  terreflres,  aqua- 
tiques, fou-terrains,  feu  fuians  &  amis  de  ténèbres:  & 
comme  de  toutes  ces  fortes  là  il  n'y'  en  a  que  de  trois 
efpeces  qui  fouffrent,  patiffent,  &  endurent,  à  fçauoir, 
les  feu  fuians,  aquatiques,  &  terreflres,  &  font  ceus  que 
l'on  appelle  volontiers  incubes  &  fuccubes.  le  n'ai  que 
faire  pareillement  de  vous  raconter  les  efpeces  de  magie, 
comme  Hydromance,  qui  fe  fait  auecques  de  l'eau, 
Leuconomance,  qui  fe  fait  auecques  des  baffins,  Pyro- 
mance,  qui  fe  fait  auecques  le  feu,  Geomance,  par  le 
moien  de  la  terre,  Necromance,  laquelle  eft  diuifee 
encores  en  deus  parties,  en  Scyomance  &  Necyomance, 
lefquelles  fe  pratiquent  en  parlementant  auecques  les 
efpris  malins,  ou  en  fufcitant  les  ombres  fc  idoles  erran- 
tes des  morts  :  Capnomance,  qui  fe  fait  auecques  fuffu- 
migations    dont  on   parfume   Si   fait  on    facrifîces  aus 


DV    DEMOCRI  TIC.  I  I  J 

Démons.  11  me  fuffit  feulement  de  vous  en  parler  d'vne 
efpece,  qui  efl  Catoptromance,  &  de  la  perfeftion  d'i- 
celle.  Vous  fçauez  bien  (ce  me  dit  il  alors  tout  bas  en 
l'oreille,  &.  me  tirant  à  part)  comme  du  tems  que  nous 
demeurions  enfembie  à  Paris,  nous  eftions  tous  les  iours 
après,  pour  expérimenter  quelque  chofe  de  cette  Magie, 
de  laquelle  nous  n'auions  encores  fceu  faire  aucune  cer- 
taine expérience,  mais  depuis  ce  tems  là,  croyez  que 
i'y  ai  cogneu  de  plus  grandes  chofes.  Vous  fuffife,  ie 
vous  en  dirai  quelquefois  à  heure  plus  opportune  d'auan- 
tage,  &  vous  en  pourrai  montrer  quelque  eiTet.  Et  comme 
ie  le  priafle  inflamment  de  me  déclarer  que  c'efboit,  il 
vint  tirer  tout  doucement  de  fa  bource  (comme  fi  c'eufl: 
efté  quelque  précieux  ioiau)  vn  miroir  tout  brouillé  & 
barbouillé  de  carafteres,  auquel  efloit  magiftralement 
dépeint  ce  grand  mot  Tetragrammaton,  &  aux  quatre 
coins  arriere-pointé  de  plufieurs  croix  &.  figures  de  pla- 
nettes  :  puis  me  demanda  fi  ie  cognoifToie  point  la  vertu 
&  propriété  des  mots,  cercles,  &  carafteres  que  ie  voiois 
écris  &  emprains  des  deus  coflez  du  miroûer  :  O  (dis- 
ie  alors)  les  grans  &  facrez  mots  !  ô  la  grande  vertu  qui 
eft  cachée  là  defoubs  1  ô  Dieus  !  que  ie  m'eftimerois 
heureus  de  pouuoir  atteindre  à  la  cognoifTance  de  chofes 
tant  hautes  &  parfaites. 

LE  COSMOPHILE.  Mais  fans  rompre  ton  propos, 
quelle  mine  tenoit  ce  pendant  le  foldat? 

LE  DEMOCRITIC.  Il  fembloit  qu'il  fuft  prefque 
ialous  de  ce  que  m'en  declaroit  l'autre,  neantmoins  tant 
pour  la  grande  familiarité  qu'autre  fois  nous  auons  eue 
enfembie,  tant  auffi  pour  monflrer  qu'il  n'efloit  point 

$• 


114  SECOND    DIALOGVE 

ignorant  en  cet  affaire,  il  en  entreprenoit  aucune-fois  la 
parolle  luy  mefme  approuuant  &  admirant  le  dire  de  fon 
compagnon.  Mais  comment  que  ce  fuft  ce  magnifique 
Necromant  ne  laiflbit  point  de  continuer  toufiours  fes 
coups,  &  extoller  de  plus  en  plus  la  grande  &  incompa- 
rable vertu  de  fon  miroir,  m'affurant  qu'il  eftoit  fait 
de  la  vraie  forme  &.  manière  qu'efloit  celuy  de  Salo- 
mon,  &  qu'il  n'y  auoit  vn  feul  poinft  de  faute,  qu'il  auoit 
bien  &  foigneufement  contregardé  le  tems  &  heures 
oporlunes  &.  dédiées  à  ce  faire  :  ioint  que  les  afpefts  & 
conftellations  des  cors  caeleftes  y  eftoyent  obferuees, 
qu'il  auoit  pareillement  (ainfi  qu'il  efl  requis  par  les 
règles  de  l'art)  ieûné  trois  iours  fans  manger  rien  que 
du  pain  &  quelques  racines  fit  autres  chofes  n'aians 
ame  à  la  Pitagorique  (combien  qu'il  y  en  ait  de  moins 
fuperftitieus  qui  difent  que  pour  manger  auecques  cela 
quelques  petis  poiiTonnets  l'on  n'en  romperoit  point  fon 
ieûne)  &  comment  durant  lefdiâs  trois  iours  il  s'eftoit 
abilenu  de  compagnie  de  femmes,  à  quoy  il  faut  bien 
auoir  égard  deuant  que  d'entreprendre  cet  inuiolable, 
impolu  &.  facrofainét  miftere,  qu'il  s'eftoit  baigné , 
mundé  &  purifié  de  toutes  fes  fuperfluités,  &  finalement 
prouueu  de  fon  eau  &.  yfope,  habits  coniurés  &  carade- 
rizés  iufques  à  la  femelle  de  la  pantoufle,  comme  eftant 
garni  de  toutes  ces  chofes  il  entra  ainfi  que  maiftre  de 
l'art  auecques  vn  non-per  de  compagnons  dedans  fon 
cercle  feellé,  bouclé  &  cacheté  de  mots  propres  &  facrés 
de  peur  que  les  Diables  n'entreprifTent  de  s'aller  écar- 
moucher,  &  iouerà  crois  &  à  pille  auecques  eus,  comment 
il  nomma,  appella,  inuoqua,  coniura,  exorcifa,  contrai- 


DV    DEMOC  RITI  C.  I  I  f 

gnit  &  anathematiza  Monfieur  le  Diable  fans  faire  autre 
paftion  auecques  liiy,  à  celle  fin  de  confacrer  &  donner 
vertu  à  fon  experiment.  Cela  fait,  comment  il  fentit  vne 
vapeur  aëree  luy  foufler  &  tinter  dedans  les  oreilles,  les 
tonnerres  &  orages  s'émouuoir  par  l'air,  les  fignes  épou- 
uantables  fe  manifefler  deuant  eus,  toutesfois  qu'ils  fe 
monftrerent  vaillans,  &.  que  pour  tout  cela  ils  ne  laifferent 
pas  à  tenir  bon  dedans  le  cercle.  Puis  il  me  iura  d'abon- 
dant que  toutes  ces  chofes  appaifees,  il  apperceut  incon- 
tinent ce  qu'il  demandoit  voir  dedans  fon  miroir,  me 
difant  à  cette  heure-là  d'vne  voix  baffe,  &  prefque  à  peine 
fortant  hors  de  fon  eflomac,  qu'vn  tel  experiment  eftoit 
vn  des  grans  fecrets  du  monde,  &  trop  plus  excellent  que 
non  pas  cettuy-là  par  lequel  on  fait  voir  dedans  la  paume 
de  la  main,  ou  fus  l'ongle  d'vn  enfant  vierge,  entendu 
qu'iceluy  enfant  fe  peut  abufer,  &  que  pour  cette  occa- 
fion  il  n'eft  que  de  voir  foy-mefme.  Et  à  celle  fin  (me 
difoit-il)  que  vous  ne  penfiez  point  que  ce  foit  feinte,  ni 
que  ie  vous  vueille  paiftre  de  bourdes,  voila  Monfieur 
(&  ce  difoit-il  monftrant  fon  compagnon)  qui  vous  en  fera 
foi.  Alors  le  foldat  fe  mift  à  iurer,  ainfi  qu'il  fçauoit  fort 
bien  faire,  fe  facrifiant  &  immolant  tout  lardé  &  rofli, 
à  trauers  les  machouëres  des  plus  frians  pages  de  Pluton, 
s'il  n'eftoit  ainfi.  Mais  non  non,  ce  dit  alors  le  Necro- 
mant,  vous  le  voirrez  vous-mefme  par  expérience.  Quelle 
perfonne  defirez  vous  voir,  ie  la  vous  monflrerai  ?  ou 
bien,  que  ie  ne  mente,  ie  la  vous  ferai  reprefenter  en  la 
forte  qu'elle  eft,  foit  morte  ou  viue,  dedans  mon  miroûer. 
Et  adonq'  non  point  pour  aucune  foi  que  i'adioutaflîe  à 
ces  bourdes  8i  menteries,   mais  pour  ne  me  manifefter 


Il6  SECOND    DIALOGVE 

point  fi  foudain  méprifeur  de  fa  folie,  pour  voir  auffi 
quelle  en  feroit  l'iffue,  ie  lui  nommai  vne  perfonne  qu'il 
cognoinbit  bien.  Cela  fait,  il  fe  figna  d'vne  infinité  de 
croix,  puis  ayant  fait  vn  cerne  nous  eiitrafmes  dedans,  & 
après  auoir  tenu  fon  miroir  affez  longtems  à  l'oppofite 
du  Soleil,  murmuré  &.  gromelé  entre  fes  dens  certains 
mots,  ietté  quelques  fiflemens  en  l'air,  fe  contretournant, 
comme  agité  de  quelque  fureur  deuers  chacune  des 
quatre  parties  du  monde.  Orient,  Occident,  Midi,  & 
Septentrion,  il  me  demanda  fi  ie  ne  voiois  rien  dedans 
le  miroùer:  le  lui  refpondi  qu'il  difoit  vrai,  8t  que  ie  ne 
voiois  rien,  fors  que  la  reprefentation  de  nos  deus  faces. 
Voila  vn  cas  eflrange,  ce  difoit  mon  Philofophe  contre- 
faifant  du  mélancolique,  il  faut  bien  qu'il  y  ait  de  la 
faute  de  voftre  coflé.  Car  quant  eft  de  moi  ie  le  voi 
auffi  vifiblement,  &  autant  au  naturel  comme  fi  ie  parlois 
à  luy,  ie  le  voi  comme  il  regarde  dedans  vn  liure  :  Ha 
(ce  me  dit-il  lors  foupirant  à  la  Tufcane)  ie  croi  que  vous 
n'auez  pas  vraie  foi. 

LE  COSMOPHILE.  le  penfe  affurément  s'il 
n'auoit  iamais  dit  vérité,  qu'il  la  dit  à  cette  heure-là, 
car  à  mon  aduis  tu  n'y  auois  pas  grande  foi. 

LE  DEMOCRITIC.  Et  qui  eft  celui  encores  tant 
fot  &  enfant  qui  fe  nourrifTe  en  des  fuperftitions  fi  foies, 
&.  puériles,  &t  qui  recognoiffe  bien  cela  n'auoir  efté  pre- 
mièrement inuenté  que  par  des  abufeurs  &.  impofteurs 
de  peuple,  comme  eftoient  au  temps  paffé  vn  tas  de 
beliftres  qui  contrefaifoient  des  diuinateurs,  pipans  & 
abufans  ainfi  le  fimple  populaire,  à  celle  fin  de  fe  faire 
reuerer  de  luy,  &.  le  brider  d'vne  crainte  fous  l'ombre  U 


DV    D  E  MOCRITIC.  1  I7 

prétexte  de  leur  vaine  &  fuperftitieufe  Religion,  ainfi 
mefmemenl  que  tefmoignoit  le  bon  Caton,  lors  qu'il 
difoit  s'émerueiller  comment  il  eftoit  poffibie  que  tels 
abufeurs  s'entrerencontrans  fe  puiffent  regarder  fans 
rire. 

LE  COSMOPHILE.  Pourquoi  cela  fans  rire  ? 

LE  DEMOCRITIC.  Voudroi-tu  voir  plus  grande 
occafion  de  rire  &.  fe  moquer,  que  celle  qu'ils  auoient 
de  la  folie  &  crédule  fimplicité  des  hommes,  qui  fe  laif- 
foyent  tromper  &.  deceuoir  tant  aifément  par  leurs  mines 
&  feintes  diuinations? 

LE  COSMOPHILE.  A  ce  propos  mefme  Diogene 
difoit,  lors  qu'il  auoit  égard  aux  médecins  &.  gens  de 
iuflice,  qu'il  ne  trouuoit  rien  plus  fage  que  l'homme, 
mais  quand  il  venoit  à  penfer  à  ces  diuinateurs,  nécro- 
manciens &  autres  de  pareille  fadion,  qu'il  ne  trouuoit 
rien  plus  fot. 

LE  DEMOCRITIC.  Diogene  difoit  fort  bien, 
mais  il  eut  encores  mieus  parlé  s'il  eut  dit  que  non  point 
feulement  regardant  aus  diuinateurs  &  Nécromanciens, 
mais  auffi  à  tous  eftats  &  vacations  des  hommes,  qu'il 
n'eut  trouué  animant  plus  fol,  ni  plus  deprouueu  de 
raifon  que  l'homme. 

LE  COSMOPHILE.  Peu  s'en  faut  que  ie  ne  croie 
maintenant  que  tout  ce  que  font  les  hommes  n'efl  qu'vn 
abus.  Mais  pour  reprendre  noflre  premier  poinél  ie  te 
prie  di  moi  quelle  fut  la  fin  de  l'entreprife  de  ton  Philo- 
fophe. 

LE  DEMOCRITIC.  le  luy  affuré  fort  bien 
comme  la  faute  ne  venoit  point  de  mon  cofté,  &.  que  i'y 


|8  SECONDDIALOGVE 


auois  la  plus  grande  &  ferme  foi  du  monde,  mais  à  celle 
fin  de  découurir  mieus  fa  menterie  &  fauceté,  ie  m'adui- 
fai  tout  foudain  d'vne  chofe,  par  laquelle  ie  le  pourroi 
furprendre,  qui  eftoit  de  lui  nommer  vne  perfonne  qu'il 
ne  cognoiftroit  point,  à  fin  de  le  prendre  par  le  bec,  fi  en 
afTurant  le  voir  comme  l'autre,  il  ne  m'en  donnoil  les 
certaines  enfeignes  en  le  décriuant  tel  qu'il  feroit.  Et  de 
rechef  luy  aiant  nommé  ce  fécond,  il  ne  laifle  pas,  en- 
cores  qu'il  ne  ie  cogneut,  de  faire  &  fifler  en  l'air,  comme 
deuant,  mais  ce  fut  en  vain,  car  de  peur  de  faillir  à  la 
defcription  du  perfonnage,  il  me  dit  alors  lui-mefme 
qu'il  ne  s'apparoiffoit  point,  m'vfant  à  cette  heure  là  de 
l'excufe  commune  à  tels  abufeurs,  comme  il  n'eft  pas 
bon  d'importuner  ainfi  les  efpris,  &  que  cela  pourroit 
tourner  à  (on  preiudice,  qu'il  valloit  beaucoup  mieus  le 
remettre  à  vne  autre  fois  :  mais  à  cette  autre  fois  il  ne 
laiffera  encores  d'eftre  garni  de  nouuelles  excufes,  en 
remettant  poffible  la  faute  fus  le  temps  qui  ne  fera  pas 
affez  tranquille  &  ferain,  &  mal  difpofé  à  faire  fes  con- 
iurations,  ou  bien  il  dira  que  les  efpris  font  le  plus  fou- 
uent  trompeurs.  Et  voila  comment  pour  toufiours  mieus 
pallier  leur  fait  &  menterie,  ils  ont  trouué  certains  ef- 
chapatoires.  Mais  ils  ont  bien  encores  inuenté  d'autres 
ruzes  pour  donner  couleur  &  apparence  de  vérité,  à 
leurs  piperies  &  menfonge.  Car  fi  aucun  entreprend  de 
fe  faire  eflimer  en  fes  diuinations  au-parauant  que  s'en 
déclarer  entièrement  profelTeur,  il  épiera  par  plufieurs- 
fois,  &.  en  diuerfes  fortes,  le  moien  d'eflre  aduerti  fe- 
crettement  de  quelcun  qui  aura  commis  vn  larrecin,  & 
après  en  etlre  affuré  il  fera  parler  à  celuy  qu'on  aura 


D  V    D  E  MOCRITIC.  .  I  I9 

dérobé  par  perfonnes  interpofees,  qui  luy  feront  men- 
tion de  ce  fçauant  Magicien,  luy  mettant  en  tefte  qu'il 
n'y  a  homme  au  monde,  qui  luy  en  fçache  pluftofl;  dire 
nouuelles  que  luy,  tant  foit-il  expert  en  la  diuination. 
Bref  ces  menées  fe  feront  de  forte  qu'il  parlera  à  celuy 
qui  aura  eflé  volé,  &.  pour  donner  plus  grand'  grâce  à 
fa  piperie,  il  contrefera  du  fecret,  demandant  au  furplus 
quelque  efpace  de  temps,  à  celle  fin  de  mieus  pouruoir 
à  Ton  cas,  &  luy  en  rendre  plus  certaine  &.  affuree 
refponfe,  &  icelle  rendue  fi  elle  efl  trouuee  véritable, 
il  ne  faut  point  demander  s'il  fera  alors  eftimé  parfait 
en  fon  art,  &.  en  quelle  réputation  il  entrera  enuers  les 
fols,  &  ceus  qui  font  curieux  de  s'amufer  &  perdre  le 
tems  à  l'eftude  de  telles  chofes  tant  vaines  &  friuoles. 
Et  puis  s'il  arriue  vne  autre  fois  que  par  hazard  il  puiffe 
deuiner  quelque  chofe  qui  aduienne  ainfi  qu'il  l'aura 
prédite,  comme  en  difant  à  quelque  ieune  homme  ardent 
de  cognoiftre  le  fort  fatal  de  fes  deflinees,  qu'il  aime 
fort  vne  ieune  Dame  ou  damoifelle  ,  mais  qu'il  trauaille 
beaucoup  de  paruenir  à  fes  intentions  pour  raifon  de  la 
ialouzie  des  parens,  qu'il  y  furuiendra  vne  groffe  maladie 
dedans  peu  de  tems  caufee  d'excès  &.  dont  il  penfera 
mourir,  qu'il  y  arriuera  quelque  perte  de  fes  biens  ou 
par  procès  ou  par  autre  inconuenient,  qu'il  fera  trahi  &. 
fon  fecret  découuert  par  ceux  qu'il  eftimera  de  fes  plus 
intimes  amis.  Somme  il  en  barbouillera  pefle  méfie  tant 
d'vns  &  d'autres  &  de  ceus  qui  volontiers  arriuent  aus 
perfonnes,  qu'il  efl  impoffible  qu'il  n'en  aduienne  quel- 
qu'vn  ainfi  qu'il  aura  deuiné,  &  puis  ce  fera  encores  vne 
erreur  pire  que  la  première.  le  lailTe  là  vne  infinité  d'au- 


SECOND    DIALOGVE 


très  ruzes,  calomnies,  &  inuentions  cauteleufes,  defquelles 
ils  ont  acoLiftumé  d'vfer,  tant  pour  faire  valoir  leur  mé- 
tier, que  pour  apafter  auffi  &  entretenir  de  faulTes  ex- 
cufes,  ceus  lefquels  s'eflans  fiés  en  leurs  frafques  &. 
bourdes  fe  trouuent  en  fin  deceus  &.  trompés  de  leurs 
intentions.  Il  fuffit  affés  de  cognoiftre  comme  tels  galans 
ne  font  qu'impofleurs  &  que  cela  qu'ils  promettent  par 
leur  art  n'eft  que  la  mefme  folie. 

LE  COSMOPHILE.  le  ne  m'esbahi  donq'  plus  fi 
le  Tychiade  de  Lucian  fe  monflroit  auffi  incrédule, 
oiant  les  fables  &.  contes  de  vieilles  qui  luy  efloyent 
recitées  comme  vraies  par  Cleodeme  le  Peripatetique, 
Dinomache  le  Stoique,  &  ce  vaillant  Platonicien  Yon, 
qui  plus  fe  monftroient  afîeflés  à  lui  perfuader  ces  folies 
&  baies  eftre  véritables,  moins  il  lui  vouloit  adioufter 
foi,  les  reieftant  entièrement  comme  fottifes  &  vaines 
menfonges. 

LE  DEMOCRITIC.  Et  encores  qu'il  fut  poffible 
de  faire  quelque  chofe  par  l'art  magique,  fi  efl  ce  que 
ce  ne  font  que  fumées  &.  fauces  vifions  qui  s'apparoiflent 
deuant  les  yeus,  &  qui  deuiennent  à  la  fin  à  rien,  ainfi 
que  tefmoigne  mefme  le  maiflre  &  père  de  telles  bour- 
des, lamblique  au  liure  des  mifteres  difant  ainfi  :  Les 
chofes  lefquelles  nous  imaginons,  eftans  charmés  & 
enchantés,  ne  contiennent  point  autre  adion,  ni  vérité 
de  quelque  chofe  que  ce  foit,  fors  que  celle-là  qui  nous 
efl  propofée  deuant  les  yeus,  à  raifon  de  ie  ne  fçai  quels 
fantaumes  &  fauces  imaginations  (dont  il  donne  la  rai- 
fon toft  après,  qui  efl  telle).  Car  la  fin  de  la  Magie  n'eft 
pas  à  faire  des  chofes  qui   foyent,  mais  de  les  pouuoir 


DV    DtMOCRITIC. 


feulement  reprefenter  par  imaginalion,  de  forte  que  l'on 
en  penfevoir  quelque  apparence. 

LE  COSMOPHILE.  Et  toutesFois  ie  m'émerueille 
des  plus  dofles  du  tems  iadis,  qui  s'y  abufoyent  auffi 
bien  que  les  autres. 

LE  DEMOCRITIC.  Qu'entendroi  tu  bien  par  ces 
plus  dofles? 

LE  COSMOPHILE.  Ne  lit-on  pas  de  Pitagore, 
comme  par  cela  il  dontoit  les  beftes  les  plus  cruelles  & 
fauuages  qui  fuffent  point,  &  en  appriuoifoit  les  oifeaux, 
de  forte  qu'après  auoir  nourri  quelque  tems  vn  Ours  fi 
grand  &  fi  horrible  qu'en  le  regardant  il  n'y  auoit  animant 
qui  n'en  fuft  effraie,  il  le  charma,  de  forte  qu'onques 
puis  il  ne  porta  aucune  nuifance  à  créature  de  defTus  la 
terre,  &  viuoit  par  les  forets  amiablement  auecques  les 
autres  animans,  comme  s'il  euft  pafTé  vn  accord  auec- 
ques iceluy  Pitagore,  de  ne  faire  plus  déformais  mai  ni 
dommage  à  aucun.  Nous  lifons  pareillement,  comme 
voiant  vne  fois  voler  par  deffus  luy  vne  Aigle,  après 
auoir  gromelé  &  murmuré  ie  ne  fçai  quels  carmes  de 
fon  art  magique,  il  la  fifi.  venir  à  luy  auffi  priuee  comme 
s'ils  eufPent  eflé  toute  leur  vie  nourris  enfemble. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  appelles-tu  cet 
homme  là  fage?  Efl-ce  pas  ce  braue  Philofophe  qui  ne 
mengeoit  point  de  chofes  qui  euffent  ame? 

LE  COSMOPHILE.  C'eft  luy  fans  autre. 

LE  DEMOCRITIC.  Eftoit  ce  pas  luy-mefme  qui 
accoloit,  embraffoit  &.mignotoit  les  coqs  blancs,  comme 
s'ils  euiïént  eflé  fes  frères? 

LE  COSMOPHILE.   Luy-mefme. 

6 


133  SECONDDIALOGVE 

LE  DEMOCRITIC.  O  le  grand  fot  !  &.  tu  me  le 
mettois  maintenant  en  ieu  comme  vn  homme  fage.  En- 
cores  n'as-tu  pas  recité  le  plus  beau  de  fes  aftes  touchant 
la  Magie.  Ne  te  fouuient-il  point  auoir  pareillement  Ieu 
de  luy,  comment  il  auoit  accouflumé  d'efcrire  auecques 
du  fang,  ce  qu'il  luy  plaifoit  dedans  vn  miroir,  puis 
aiant  mis  les  lettres  à  l'oppofite  de  la  Lune,  lors  qu'elle 
elloit  pleine,  qu'il  les  monftroit  empraintes  dedans  la 
rondeur  d'icelle  Lune  à  vn  qui  efloit  au  derrière  de  luy. 

LE  COSMOPHILE.  Si  fait  fi  il  m'en  fouuient  fort 
bien,  &  de  beaucoup  d'autres  de  fes  badineries  pareilles, 
mais  ce  que  ie  t'en  auoi  dit  n'eftoit  feulement  que  pour 
fçauoir  quel  iugement  tu  en  donnerois,  &.  toutesfois  voies 
comment  ils  eftoyent  au  tems  paffé  abufés  en  ces  ref- 
ueries  là,  tellement  que  les  Egiptiens  n'eftimoyent  point 
vn  homme  digne  de  paruenir  à  la  dignité  Roiale,  que 
(iremierement  il  n'eut  efté  inflruit  en  la  Magie. 

LE  DEMOCRITIC.  Puis  que  nous  fommes  entrés 
fi  auant  en  ces  termes,  ie  t'en  vueil  raconter  vn  autre  afte 
merueilleus  que  fit  Empedocle  pour  détourner  &  ap- 
paifer  la  fureur  du  vent,  duquel  étoyent  tourmentés  fans 
aucune  relâche  les  Agrigentins  :  c'eft  qu'il  entourna  toute 
la  ville  de  peaus  d'afnes,  &  par  ce  moien  il  fit  ceffer  la 
tourmente  qui  couroit  pour  lors,  &  après  il  fut  furnommé 
en  Grec  v.M/'jJxviuaç,  c'efl  à  dire  chafTe-vent. 

LE  COSMOPHILE.  Ha  ha  ha  !  la  grande  folie  que 
c'eft  d'auoir  mis  cefle  bourde  là  en  efcrit,  comme  vnp 
chofe  véritable. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  tu  ne  le  croi  donq' 
pas,  &  tant  d'autheurs  approuués  en  ont  fait  mention. 


D  V    DEMOCK  ITIC.  I2J 

LE  COSMOPHILE.  Si  nous  voulions  croire  tout 
ce  que  nous  voyons  par  efcrit,  enregiflré  comme  hifloi- 
res,  il  ne  faudroit  point  aller  chercher  d'autres  peaus 
pour  détourner  le  vent  que  les  noftres,  car  certainement 
il  ne  fe  trouueroit  point  en  Arcadie  d'afnes  plus  magni- 
fiquement oreilles,  que  nous  ferions,  &  auroi  belle  peur 
(]ue  fi  Midas  eftoit  encores  viuant  qui  ne  le  perdit  contre 
nous  :  Mais  paffons  outre,  le  te  vouloi  bien  demander  à 
quelle  fin  tendent  tous  ces  vénérables  fous  qui  font  de 
cefte  ligne  Necromantique. 

LE  DEMOCRITIC.  A  celle  où  tendoit  mon  Philo- 
fophe,  qui  efl  ou  d'eflre  eftimé  &.  admiré  par  deflus  le 
vulgaire,  ou  bien  (qui  efl  le  plus  commun)  pour  tromper 
&.  deceuoir  ceus  qui  s'addreffent  à  tels  mignons,  &  pour 
en  tirer  ce  qu'ils  pourront  de  profit. 

LE  COSMOPHILE.  Il  n'efloit  que  bien  arriué  en 
ton  endroit  pour  ce  faire,  entendu  que  ie  me  deffieroi 
tantoft  que  tu  ferois  vn  de  ceus  qui  fe  laiffent  fi  facile- 
ment pigeonner  à  telles  gens.  Mais  ie  fçauroi  voluntiers 
après  qu'il  eut  fait  cette  belle  leuee  de  bouclier,  s'il  te 
dit  plus  chofe  qui  fut  plus  digne  d'être  racontée. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  fçai  pas  comment  tu 
l'entens,  mais  tant  y  a  que  ie  t'alTurerai  bien  qu'il  ne  me 
dit  chofe  aucune,  qui  mérite  d'eflre  récitée  finon  en  tant 
que  l'on  s'en  vueille  moquer. 

LE  COSMOPHILE.  Auffi  l'enten-ie  ainfi. 
I      LE  DEMOCRITIC.  Et  bien  puis  que  tu  en  defires 
j  fçauoir  dauantage,  ie  t'en  paracheuerai  fommairement 
!  le  difcours,  &.  le  furplus  ie  te  le  laifferai  à  prefumer. 
j      LE  COSMOPHILE.    le  te   fupplie  ne  m'en  laifTe, 
point  en  doute,  au  moins  s'il  ne  t'ennuie  d'en  parler. 


124  SECOND     DIALOGVE 

LE  D  L  M  OC  RlTl  C.  le  ue  veus  pas  dire  que  ie  te 
lailTerai  en  doute  des  propos  qu'il  m'a  tenus,  mais  feule- 
ment qu'après  te  les  auoir  déclarés,  tu  pourras  penfer  à 
par-toi  les  autres  folies  que  commettent  ceux  qui  enfuy- 
uent  telles  opinions. 

LE  COSMOPHILE.  L'ardent  defir  que  i'ai  d'en 
fçauoir  toute  la  vérité  m'a  fait  ainfi  interpréter  tes  pa- 
roiles,  mais  ie  te  prie  ne  lailTe  pour  cela  de  pourfuyure 
en  ton  entreprife. 

LE  DEMOCRITIC.  le  fuis  fort  aife  de  te  voir  ainfi 
échaufé  d'entendre  ce  dont  ie  brufle  moi-mefme,  pour 
la  grande  enuie  que  i'ai  de  te  le  raconter  :  donques  afin 
que  ie  retourne  à  mon  Necromant,  après  qu'il  m'eut  ainfi 
manifeflé  auecques  grandes  &  infinies  admirations  l'im- 
parangonnable  vertu  de  fon  diuin  &  precieus  miroir,  il 
commença  à  me  déploier  vn  milier  de  vieus  rondeaus, 
&.  carafleres  efcris  en  parchemin  vierge  :  Les  vns  en 
lettres  rouges  entre-meflées  de  croix  pareillementrouges, 
les  autres  vertes,  grifes,  azurées,  &  de  toutes  autres 
fortes  de  couleurs  que  l'on  voit  au  blafon  d'icelles  fus  les 
deuifes  des  amoureus  tranfis,  tout  cela  brouillé,  bar- 
bouillé, gi-fricaffé  auecques  certains  épouuentausde  pen- 
tacles,  idées,  &  candaries  Salomoniques,  au  milieu  def- 
quelles  eftoit  la  table,  &  les  facrés  &  ineffables  mots  que 
fouloient  porter  les  anciens  Prophètes  au  front  :  le  tout 
efcrit  en  lettres  Hébraïques  &  Caldeiques  méfiées  de 
mille  figures  &.  formes  étranges,  me  difant  tantofl  que 
cettui-ci  feruoit  pour  acquérir  la  faueur  des  Rois,  Princes 
&  autres  grans  Seigneurs,  comme  portant  cettui-là  au 
col  on  ne  mourroit  iamais  en  feu,  ni  en  eau,   ni   en  ba- 


D  V    DEMOCR  ITl  C.  125 

taille,  que  cet  autre  empefchoit  l'homme  de  mourir  fai-.s 
confeffion,  me  iurant  au  furplus  qu'il  n'auoit  rien  qui  ne 
fut  extrait  &  compofé  fus  l'archetipe  de  la  clauicule  de 
Salomon,  mais  c'efloit  en  vain  que  le  pauure  homme  fe 
(ourmentoit  de  me  faire  croire  fes  bourdes  &.  menteries- 

LE  COSMOPHILE.  Et  bien  qu'elles  fuffent  véri- 
tables, fi  font  elles  défendues  expreiïement  par  la  parolle 
de  Dieu  ,  comme  indignes  de  la  perfonne  qui  tient  la  foi 
de  lefus  Chrifl,  duquel  (  ainfi  que  dit  très  bien  faint  Paulj 
il  n'y  a  aucune  conuenlion  à  Eelial  efprit  trompeur  &. 
malin. 

LE  DEMOCRITIC.  Si  tu  te  iettes  vne  fois  fus  les 
prefchemens,  ie  voi  bien  que  tu  n'auras  de  long  tems 
fait,  &  pour  ce  regarde  fi  tu  as  enuie  de  fçauoir  la  con- 
tinuation &  l'ifTue  de  ce  que  tu  m'as  requis. 

LE  COSMOPHILE.  le  ne  defire  rien  plus. 

LE  DEMOCRITIC.  Et  pourtant  enten  donques 
qu'auffi  toft  après  que  mon  Philofophe  m'eut  étallé  &l 
replié  fa  marchandife,  il  vint  à  me  faire  vne  defcription 
des  cieus,  mais  fçais-tu  quelle,  par  Dieu  comme  fi  toute 
fa  vie  il  y  eut  elle  nourri,  &.  qu'il  n'eut  fait  autre  chofe 
qu'obferuer,  conter,  compaffer,  &  mefurer  tous  les 
afpefts,  toutes  les  étoilles,  cercles  &  poinfts  qu'il  affu- 
roit  y  eflre.  Et  n'efloit  que  ie  le  cognoifToi  de  longue 
main,  ioint  qu'il  n'eftoit  pas  des  plus  beaus  de  ce  monde, 
ie  l'eufie  iugé  incontinent  pourvn  Ganimede,  mignon  de 
couchette  de  ce  grand  Dieu  haut-tonnant,  qui  fut  ex- 
preffément  defcendu  ici  bas,  &  pris  vn  cors  fantaftique, 
pour  en  rapporter  certaines  nouuelies  à  ceus  qui  feroient 
rurieus  de  fçauoir  comment  on  fe  porte  laffus,    ou  bien 


126  SECOND       DIALOCVE 


vn  autre  Icaromenippe  de  Lucian,  tant  il  fçauoit  braue- 
ment  déchifrer  tous  les  plus  grands  fecrets  de  luppiter, 
&.  aftrologuaiement  deuifer  de  la  fUualion  &  gouuerne-  ^ 
ment  des  globes  &.  cors  celefles. 

LE  COSMOPHILE.  Mais  à  ton  aduis  les  aftrolo- 
gues  ne  peuuent  ils  pas  bien  par  leur  art  dire  des  chofes 
qui  foyent  véritables? 

LE  DEMOCRITIC.  Il  n'eft  rien  plus  vray  que  par 
vne  longue  obferuation  du  leuer  &.  coucher  du  Soleil, 
8i  des  étoilles  qu'ils  ont  appellees  fixes,  ou  par  d'autres 
&  pareilles  difpofitions  des  cors  celefles  (comme  d'af- 
pefts  &  coniunftions)  obferuees  de  longtems,  l'on  a  ré- 
digé cela  peu  à  peu  en  vn  certain  art,  par  lequel  mefme 
on  peut  prédire  les  eclipfes  de  Soleil  &  de  Lune,  la  lon- 
gueur ou  accourfiffement  des  iours,  quand  la  Lune  doit 
apparoiftre  croiffante,  pleine,  ou  décroiffante,  ou  autres 
telles  chofes  qui  font  couftumieres  d'arriuer  félon  la  dif- 
pofition  qui  fe  trouue  entre  lefdits  cors  celefles  :  Mais  de 
les  vouloir  ainfi  conter  par  nombre,  mefurer  leur  gran- 
deur &  chemin  qu'il  y  a  d'ici  aus  cieus,  leur  déterminer 
vn  tems  de  quarante  neuf  mille  ans,  auquel  ils  fe  doiuent  ( 
refouldre,  telles  difputes  font  foies  &  entièrement  fuper- 
Hues,  &.  defquelles  la  vérité  efl  trop  douteufe,  &  quand 
ie  diroi  nulle,  ie  croi  que  ie  n'en  mentiroi  point. 

LE  COSMOPHILE.  l'auroi  belle  peur  que  le  che- 
min ne  fut  fi  long  &  tant  peu  fréquenté  d'ici  là,  que  ceus  i 
qui  l'entreprendroient  ne  peuffent  bien  tant  Irauailler,  j 
qu'ils  demeuraffent  recreus  deuant  que  d'eflre  paruenus  i 
à  la  moitié  de  la  montaigne  d'Olimpe,  ou  qu'en  prenant  j 
l'vn  pour  l'autre  ils  ne  s'égaraffent  de  la  droite  voie.  i 

fl 


DV    D  E  MOCR  ITI  C.  137 

LE  DEMOCRITIC.  11  vaut  donq' beaucoup  mieus 
pour  ne  nous  fouruoyer  aucunement,  prendre  la  feule 
trace  qui  nous  efl  cogneue,  celle  de  noftre  commune 
mère  la  terre. 

LE  COSMOPHILE.  Si  me  femble  il  toutefois  que 
l'homme  en  tant  qu'il  a  le  difcours  de  raifon,  &.  cette 
imaginatiue  plus  grande  &  plus  forte  que  tout  autre  ani- 
mant, ne  doit  point  eftre  fi  terreftre,  qu'il  ne  difcoure 
en   foi   &.  imagine  les  chofes  celelles,    entendu  qu'il  eft 
feul  entre  les  autres  créatures,   formé  par  cette  preor- 
donnance  diuine,  aiant  la  face  &  les  yeus  éleués  en  haut, 
U  croi  que  cette  fingularité  ne  luy  a  iamais  efté  donnée 
que  pour  regarder  &.  dreffer  fa  veuë  deuers  cette  haute 
machine  celefte:    ainfi  que  dit  très  bien  Ouide  au  pre- 
mier de  fa  Metamorphofe,  parlant  de  ce  grand  fabrica- 
teur  de  l'vniuers  en  la  création  de  l'homme, 
Os  homini  fublime  dedït  calumque  videre 
lujjît  :  ce  que  nous  pouuons  ainfi  rendre  en  François, 
A  l'homme  il  a  haut  éleué  les  yeus 
Et  commandé  de  contempler  les  cieus. 
Aînfi  donques  c'efl  vne  chofe  qui  me  femble  eflre  fort 
feante  au  naturel  de  l'homme  raifonnable,  que  d'acom- 
plir  ce  qu'en  dit  le  Poète  fus  mentionné. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  n'as  tu  auffi  bien 
allégué  ce  qu'on  en  lit  en  vn  paffage  de  la  fainte  efcri- 
ture  ?  comme  Dieu  s'eft  referué  le  ciel  pour  fa  demeure, 
U  qu'il  a  donné  la  terre  aus  fils  des  hommes  :  où  il  eft 
affés  manifeflé  qu'ils  fe  doiuent  contenter  du  lieu  qui  leur 
eft  affigné,  fans  entreprendre  de  voler  plus  haut  &  auoir 
la  cognoiffance  de  ce  qui  leur  eft  incertain,  là  où  foie- 


IjS  second    DIALOGVE 


ment  vouloit  paruenir  ce  gentil  Aflronome  Anaximene, 
lequel  regardant  vne  fois  trop  ententiuement  les  étoilles, 
&  leuant  le  nez  en  l'air  comme  vne  truye  aggrauee, 
tomba  à  l'impourueu  dedans  vne  foITe,  là  où  il  fut  moqué 
d'vne  vieille  qui  le  reprit  de  vouloir  cognoinre  ce  qui 
eftoit  aus  cieus  ne  pouuant  pas  feulement  voir  les  chofes 
qui  eftoyent  deuant  luy  à  fes  pieds.  Quant  eft  de  l'au- 
thorité  du  Poète  que  tu  as  mis  en  ieu,  elle  ne  fe  doit  pas 
entendre  pour  approuuer  ton  dire,  ni  pour  fe  tourmenter 
après  ces  contemplations  celefles  tant  vaines  &  tous  les 
iours  debatues  par  nos  Aflroiogues,  mais  feulement  à 
celle  fin  que  l'homme  en  voiant  ainfi  cette  grande  ma- 
chine azurée  tant  excellente  &  admirable  en  fa  compofi- 
tion,  cognoiffe  qu'il  a  ie  ne  fçai  quoi  de  conuenable  & 
parfait  auecques  elle. 

LE  COSMOPHILE.  Tu  me  contentes  fort  par  tes 
refponces,  fi  ai-ie  encores  vn  petit  doute  touchant  ceci 
pour  vn  paffage  qui  efl:  au  Deuteronome  quatrième  cha- 
pitre où  il  efl  dit  que  Dieu  a  fait  fc  créé  les  cors  celefles 
pour  feruir  à  toutes  gens. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  vi  iamais  homme  qui 
alleguaftplus  cruement  les  faintes  efcritures,  ne  qui  plus 
brauement  fe  coupafl  la  gorge  de  fon  couteau  mefme 
que  toi,  mais  deuant  que  de  pafTer  outre  ie  voudroi  bien 
que  tu  m'euffes  affuré  fi  tu  l'as  Ieu  au  Deuteronome  ou 
bien  en  quelque  autre  autheur  qui  en  eut  peruerti  le  fens, 
&  après  lequel  tu  en  iugerois  ainfi  à  crédit. 

LE  COSMOPHILE.  Il  ne  faut  point  que  ie  t'en 
mente,  ie  n'ai  point  eflé  fi  curieus  que  de  l'aller  refueil- 
leter  au  Deuteronome,   mais  ie  l'ai  Ieu  dedans  vn   liure 


DV    DEMOC  RITIC.  129 

nommé  le  Période  du  monde,  fait  &  compofé  par  maiftre 
Pierre  Turel,  homme  fori  do6te  &  bien  expérimenté 
tant  en  la  phiiofophie  qu'en  cette  Aftrologie. 

LE  DEMOCRITIC.  Quand  tu  eufles  reuolté  tous 
les  liures  du  monde  fi  ne  m'en  euffes-tu  fceu  alléguer  vn 
plus  fot  &  plus  rempli  de  bourdes  que  cettui-là,  veu 
qu'en  iceluy  ce  gentil  Monfieur  de  Pierre  Turel  veut 
affigner  le  tems  que  le  monde  finera,  chofe  tant  s'en  faut 
qu'elle  foit  cognue  aus  hommes,  que  mefme  le  Fils,  ni 
les  Anges  du  ciel  ne  le  fçauent  pas,  fors  que  le  feul  père 
tout  puiflant,  auffi  n'eft  ce  pas  à  nous  de  vouloir  décou- 
urir  les  fecrets  que  le  Seigneur  Dieu  a  voulu  ferrer  &. 
tenir  enclos  deffous  la  clef  de  fa  diuine  &  incomparable 
puiflance.  Voila  ce  que  ie  t'ay  bien  voulu  dire  de  la  folie 
de  ce  prefumptueux  fot  Pierre  Turel,  à  celle  fin  qu'en 
cognoilTant  les  folies  &  calomnieufes  menfonges  de  fon 
liure,  tu  defcouures  incontinent  comme  il  a  du  tout  per- 
uerti  ie.  tiré  au  poil  les  pafTages  de  l'efcriture,  qu'il  a  voulu 
alléguer  pour  approuuer  fa  damnable  &  fuperftitieufe 
tradition,  de  laquelle  il  auoit  entrepris  en  efpouuantant 
les  oreilles  &  iugement  du  timide  vulgaire  (ainfi  qu'ont 
acouflumé  de  faire  tels  impofleurs  &.  hautains  Aftrolo- 
guesi  fe  rendre  admirable  à  tout  le  moins  iufquesau  tems 
preordonné  par  luy  poureflrela  confumation  du  monde, 
auquel  on  pourra  cognoiftre  aifement  l'outrecuidee  au- 
dace, &.  effrontée  affurance  de  fa  foie  menfonge  &. 
téméraire  prefumption.  Et  qu'il  foit  vrai  qu'il  ait  du  tout 
pris  au  rebours  le  paffage  que  tu  m'as  allégué  de  fon 
œuure,  pour  approuuer  ces  bourdes  Aftrologuales  pre- 
nant pour  luy  ce  qui  en  eflditau4.  du  Deuteronome, 


1}0 


SECOND    DIALOGVE 


comme  Dieu  a  créé  les  étoilles  pour  la  commodité  de 
toutes  gens  qui  font  foubs  le  ciel,  regarde  ce  qui  eft 
deuant  ces  mots,  8t  alors  tu  iugeras  toi  mefme  qui  n'en  a 
pris  que  l'écorce,  par  laquelle  il  a  voulu  malicieufement 
couurir  le  vrai  bois  de  vie  auquel  efl  enclofe  la  viue 
moùelle  &.  fubftance  du  verbe  diuin.  Car  ileft  facile  à  voir 
que  Moyfe  n'entendoit  aucunement  parleren  ce  lieu  là  de 
leur  vaine  &  faufTe  Aftrologie,  par  laquelle  ils  nous  veul- 
lent  rendre  fuiets  aus  cors  celeftes,  veu  que  tant  s'en 
faut  qu'il  die  que  nous  y  foions  fuiets,  qu'au  contraire  il 
nous  affure  expreffément  comme  il  n'y  a  rien  de  tout 
ce  qui  eft  fus  la  terre,  dedans  les  eaus,  en  l'air,  &  mef- 
mes  iufques  au  Soleil,  à  la  Lune,  &.  autres  aflres  &  cors 
celefles,  qu'il  ne  foit  créé  &.  formé  pour  feruir  à  l'homme, 
tant  s'en  faut  que  l'homme  y  foit  donq'  fuiet.  Or  regarde 
ie  te  prie  fi  cela  fait  aucunement,  pour  faire  valoir  le 
meftier  de  ce  vaillant  Philofophaflre  preallegué,  &  de  ces 
autres  compagnons  qui  veullent  contrefaire  des  renfron- 
gnés  mélancoliques  &  enfonceurs  d'Orizons  régionaux  : 
outre  cela  voi  ce  qu'en  dit  Salomon  au  1 3 .  de  fa  fapience, 
là  où  il  blafme  apertement  comme  fous  &.  incenfés,  tous 
ceus  qui  attribuent  au  Soleil,  à  la  Lune,  &  autres  cors 
celeftes  vn  gouuernement  defTus  ce  monde  ici,  comme 
s'il  y  auoit  plus  grande  force  aus  œuures  qu'au  fouuerain 
maiftre  &  manouurier  d'icelles,  à  l'arbitre  duquel  toutes 
chofes  fe  gouuernent  &  non  point  comme  veullent  vn 
tas  de  fots  refueurs,  par  !e  cours  &  influence  des  cors 
fuperieurs. 

LE  COSMOPHILE.  Si  auoi  ie  bien  vne  autre  opi- 
nion de  ce  gentil  veau  Pierre  Turel  auecques  fon  Période 


DVDEMOCRITIC.  IJl 

du  monde,  qui  ne  fçauroit  eftre  à  ce  que  ie  voi  qu'vn 
abus  ainfi  que  tu  l'as  amplement  approuué.  Mais  ie 
voudroi  bien  fçauoir  fi  cela  qu'ils  predifent  par  leur 
Aftrologie  eft  du  tout  faus  ou  non,  &  s'il  n'y  a  pas  des 
iours  plus  heureus  &  malheureus  les  vns  que  les  autres, 
félon  que  les  cors  celeftes  font  en  afpeft  ou  autre  difpo- 
fition  fortunée  ou  infortunée. 

LE  DEMOCRITIC.  Voire  dea  !  il  règne  des  heu- 
res fi  malheureufes  que  fi  on  iettoit  alors  vn  coin  de 
beurre  frais  de  volée  en  la  gueule  d'vn  chien  il  en  étran- 
gleroit  tout  vif.  Mais  comment  font-ils  encores  fi  abufés, 
que  de  nous  penfer  faire  à  croire  qu'il  y  a  des  iours  &. 
heures  plus  fuiettes  à  malheur  les  vnes  que  les  autres, 
ce  feroit  encores  retourner  à  l'antique  payannifme  fc  à 
la  foie  fuperftition  des  Romains,  qui  auoyent  certains 
iours  qu'ils  appelloyent  les  iours  noirs,  &  nefafles, 
aufquels  il  n'efloit  aucunement  loifible  de  nommer  lup- 
piter,  ni  lanus,  ni  de  trafiquer  en  aucune  forte  les  vns 
auecques  les  autres,  eflimant  que  tout  ce  que  l'on  faifoit 
en  ces  iours  là  venoit  à  vne  mauuaife  fin. 

LE  COSMOPHILE.  Que  feroit-ce  donq' de  toutes 
ces  prognollications  &  almanacs  (jui  fe  font  auiourd'huy 
&  de  leurs  autheurs?  lefquels,  après  auoir  bafli  les  douze 
maifons  celeftes  félon  l'orofcope,  &  afcendant  de  la  nati- 
uité  de  quelcun,  predifent  les  vices  ou  vertus  qui  régne- 
ront en  luy,  auecques  les  bonnes  &  malheureufes  fortunes 
qui  luy  doiuent  arriver  durant  le  tems  de  fa  vie. 

LE  DEMOCRITIC.  Que  ce  feroit?  abus  &.  men- 
teries. 

LE  COSMOPHILE.  Voila  grand  cas  !  Que  dirois- 


ija 


SECOND    DIALOGVE 


tu  donq'  fi  l'on  en  aiioit  prédit  de  moimefme  en  cette 
forte  qui  fe  font  trouuees  vraies? 

LE  DEMOCRITIC.  le  dirois  de-rechef  que  ce  ne 
feroit  qu'vn  abus. 

LE  COSMOPHILE.  Comment  fe  peut  donq' faire 
cela  qu'ils  predifent  des  chofes  qu'on  voit  arriuer  puis 
après  ? 

LE  DEMOCRITIC.  Par  hazard. 

LE  COSMOPHILE.  Pourquoi  dis-tu  pluftoft  que 
ce  foit  par  hazard  que  par  art? 

LE  DEMOCRITIC.  Pour  autant  que  le  plus  fou- 
uent  ils  ne  font  que  mentir,  &,  n'y  a  pas  de  mille  vn  de 
leurs  propos  qui  fe  trouue  vrai. 

LE  COSMOPHILE.  lien  va  donq'  tout  ainfi  que 
de  nos  Nécromanciens? 

LE  DEMOCRITIC.  Tout  ni  plus  ni  moins:  auffi 
la  Magie  a  eflé  couuee  &  engendrée  par  cette  vieille  & 
fauce  maraftre  Aftrologie.  Mais  pour  continuer  mon 
propos,  premièrement  ie  te  prendrai  par  leurs  progno- 
ftications  dont  tu  m'as  parlé,  &  puis  ie  te  diraique  c'eft 
que  de  leurs  douze  maifons.  Regarde  donq'  fi  ce  n'eft 
pas  vne  vraie  piperie  que  de  vouloir  prédire  ainfi  la  mort 
des  grans  Seigneurs  en  leurs  prognoflications,  comme 
de  vrai  s'il  y  auoit  des  étoilies  St  planettes  au  ciel,  plu- 
ftoft pour  la  race  &  lignée  de  ceus  qui  font  douez  de 
richeffes  mondaines  que  pour  les  pauures,  &.  outre 
quand  ainfi  feroit  (ce  qui  eft  neantmoins  impoffible) 
penfes-tu  fi  on  auoit  certaine  cognoiffance  des  prede- 
cefleurs  anciens  &.  de  la  généalogie  de  beaucoup  de 
gens,  auiourd'liuy  fort  riclies  &.  grans  Seigneurs,  qu'on 


DV    D  EMOCRITIC.  I  J  3 

ne  les  trouuafl  poffibie  defcendus  de  quelque  pauure 
beliftre,  qui  n'auroit  fait  toute  fa  vie  autre  chofe,  qu'é- 
tailer  vne  ïambe  toute  mangée  &  mi-pourrie  de  chancre 
à  l'entrée  de  quelque  temple,  ou  aus  lieus  où  le  peuple 
conuient  &  fréquente  le  plus,  témoin  l'elegant  &  infigne 
orateur  beliflral  l'vnique  Ragot,  iadis  tant  renommé 
entre  les  gueus  à  Paris  comme  le  Parangon,  Roi,  &.  fou- 
uerain  maiftre  d'iceus,  lequel  a  tant  fait  en  plaidant  pour 
le  biffac  d'autruy,  qu'il  en  a  laiffé  de  fes  enfans  prou- 
ueus  auec  des  plus  notables  &.  fameufes  perfonnes  que 
l'on  fçauroit  trouuer.  Et  qui  doute  que  fi  tels  enfans  font 
gens  de  bien  (toutefois  de  bon  efprit  &.  fecrettement 
mefchansi  que  leur  richefle  ne  s'augmente,  &  qu'eftans 
pouffez  à  mont  par  le  vent  de  quelque  bonne  fortune 
ils  ne  puifTent  acquérir  grans  biens  &.  réputation  ?  Et 
voila  la  perfonne  de  Ragot  monfieur,  premier  gentil- 
homme de  fa  race,  qui  aura  des  beaus  neueus,  fi  Dieu 
plaift. 

LE  COSMOPHILE.  Si  efl-ce  que  cela  adulent  peu 
fouuent  que  la  perfonne  pauure  tant  de  bon  efprit  foit 
elle  puifle  deuenir  riche,  ce  qui  eft  très  bien  figuré 
dans  vn  Emblème  d'Alciat,  par  vn  homme  qui  y  eft 
dépeint  ayant  des  aefles  au  dos,  &  vne  pierre  fort  poi- 
fante  attachée  au  pied  qui  le  retarde  &.  empêche  de 
pouuoir  voler,  entendant  par  les  œfles  le  bon  efprit,  &l 
par  la  pierre  la  pauureté. 

LE  DEMOCRITIC.  Sans  point  de  doute  cela  ad- 
ulent le  plus  communément,  ainfi  que  tu  l'as  dit,  fi 
eft-ce  qu'il  ne  laifTe  pas  aucune  fois  d'arriuer  au  con- 
traire,  Si  principalement   quand  ces  pauures  gens  font 


I  J4  SECOND     Dl  ALOGVE 

quelques  feruices  agréables  aus  graiis  Seigneurs,  ainfi 
que  le  fçait  tresbien  reciter  Lucian  en  vn  de  fes  dialo- 
gues infcrit  Timon,  &  pour  autant  que  ie  t'ai  cognen 
fort  curieux  des  hiftoires  antiques,  ie  t'en  vueil  raconter 
quelques  vns  qui  de  tresbas  eftat  font  deuenus  fort 
riches,  iufques  à  eftre  mermement  Rois  &  gouuerneurs 
d'vn  peuple.  Ne  voit-on  pas  comme  Darien  fîis  d'Hy- 
flafpe  fut  efleu  Roy  des  Perfes  par  la  rufe  &  fîneffe  d'vn 
maquignon  ?  Archelaus  Roy  des  Macédoniens,  n'e(loit-il 
pas  fils  de  l'efclaue  Simiche?  Themiftocle  vn  fécond 
Neptune  en  mer,  n'efloit-il  pas  fils  de  Phocion  Chryfien, 
faifeur  de  cueilliers?  Epaminonde  la  gloire  des  Thebains, 
efloit-il  pas  de  fi  pauure  lieu  qu'à  peine  fes  parens 
efloyent-ils  cogneus?  Tuile  Hoflilien  qui  gouuerna  & 
augmenta  de  moitié  l'Empire  des  Romains,  n'auoit-il 
pas  emploie  toute  fa  ieunefTe  à  garder  le  beflail  eflant 
vn  fimple  paflre?  Tarquine  l'Ancien  natif  de  Corinthe 
Si  poffible  fils  de  quelque  braue  fignore  courtifanne 
dudit  lieu,  fon  père  n'eflant  qu'vn  fimple  marchant 
banni,  ne  fut  il  pas  par  ie  ne  fçai  quel  hazard  pouffé 
dedans  Rome  &.  créé  Empereur  d'icelle  ?  Demoflhene  le 
premier  &  plus  renommé  orateur  de  la  Grèce,  n'eftoit- 
il  pas  fils  d'vne  reuendereffe  de  chous?  Et  Euripide  qui 
tient  encores  auiourd'hui  tonte  la  Grèce  béante  après  fes 
braues  &  furieufes  tragédies,  n'e(loit-il  pas  pareillement 
fils  d'vn  fimple  couflelier?  Et  combien  que  ces  deux 
derniers  ne  foient  pas  paruenus  à  fi  grandes  richefles 
que  les  autres,  fi  ont  ils  acquis  vn  honneur  &.  vne  gloire 
qui  les  fera  viure  immortellement  par  la  bouche  des 
hommes,  plus  que  s'ils  auoient  efté  monarques  de  tout 


D  V    UE  MO  C  K  n  IC.  155 

le  monde.  le  t'en  pourrai  reciter  affez  d'autres,  mais 
i'auroi  peur  qu'en  ce  faifant  ie  ne  m'oubliafle  pas  tant 
feulement  en  mon  propos  encommencé,  mais  que  la 
iournée  s'y  confumaft  toute  entière. 

LE  COSMOPHILE.  Tu  m'as  fait  vn  finguiier  plai- 
fir  de  me  refraichir  la  mémoire  de  ces  anciennes  hiftoires, 
Sl  n'eftoit  vn  autre  defir  que  i'ai  d'entendre  la  continua- 
tion de  noflre  deuis,  ie  feroi  content  d'y  paiïer  le  refie 
du  iour. 

LE  DEMOCRITIC.  Encores  n'eft  ce  pas  tout, 
car  (i  les  pauures  deuiennent  grans,  penfe-tu  qu'il  n'y 
ait  pas  eu  au  contraire  le  tems  pafTé  de  grandiffime> 
maifons  dont  le  nom  efl  maintenant  du  tout  aboli,  &  qui 
ont  des  fucceiTeurs  poffible  demandans  leur  pain  de 
porte  en  porte?  N'eflime  tu  pas  fi  on  pouuoit  cognoiftre 
au  vray  les  aieus,  bifaieus,  grans  bifaieus,  ou  plus  an- 
ciens anceftres  de  droitte  ligne  de  tous  les  plus  fors 
caimans  de  l'hoflel  Dieu  de  Paris,  qu'on  n'en  trouuaft 
pas  quelqu'vn  eftre  defcendu  de  la  race  du  plufgrand 
Monarque  du  monde,  ou  poffible  de  quelques  autres  qui 
ne  luy  auroyent  gueres  cédé  en  biens  ni  en  puifTance? 
Et  puis  allez  croire  à  ces  graues  prognofliqueurs  qui 
nous  veullent  donner  du  vent  en  payement,  difant, 
qu'en  l'Afie  ou  Europe  il  mourra  vn  grand  Seigneur 
comme  fi  les  eftoilles  fe  renouuelloient  ou  changeoyent 
félon  que  les  races  fe  changent  à  l'arbitre  de  fortune. 
Ils  adioufient  dauantage  en  leurs  bayes  &.  menfonges, 
que  l'Europe  aura  bien  à  fouffrir  pour  les  grans  troubles, 
guerres  &  dilTentions  qui  s'y  feront  cette  année,  quel- 
quesfois  mefmement  particularifant  iufques  à  la  France, 


Ij6  SECOND    DIALOGVE 

lors  qu'ils  y  voyent  défia  quelque  commencement  de 
guerre  efmeu,  &  encores  pour  donner  le  bon,  ils  diront 
que  Dieu  eft  par  deffus,  à  celle  fin  que  s'il  n'aduient  ainfi 
comme  ils  ont  fongé,  on  remette  cela  à  la  preordonnance 
diuine,  de  peur  d'eftre  trouués  menteurs  comme  ils 
font.  Et  penfent  bien  alors  auoir  gaigné  leur  caufe  quand 
ils  difent  ces  quatre  ou  cinq  mots  en  palTant,  &.  fans 
faire  feulement  femblant  d'y  toucher  :  AJira  inclinant fed 
non  necejjitant.  Les  aflres  inclinent  mais  elles  n'empor- 
tent pas  neceffité,  &.  voila  la  menterie  de  ces  piqueurs 
couuerte  (ce  leur  femble)  d'vn  petit  quolibet.  le  ne  veus 
pas  dire  quant  à  la  difpofition  du  tems,  que  par  la  co- 
gnoiffance  parfaite  d'vne  telle  fcience  l'on  n'en  puifle 
dire  quelque  chofe,  mais  que  cela  ait  aucune  puifTance 
fus  l'arbitre  des  hommes,  ou  defius  la  puifTance  fatale 
de  fortune,  c'efl  vne  vraye  moquerie,  ce  qu'ils  tachent 
neantmoins  à  faire  par  l'artifice  de  leurs  douze  maifons, 
confumation  de  leurs  bourdes. 

LE  COSMOPHILE.  Voire  mais  les  luminaires  & 
Planeltes  fe  trouuent  au  ciel  de  la  forte  mefme  qu'ils  les 
figurent  en  leurs  douze  maifons. 

LE  DEMOCRITIC.  le  te  cùnfeffe  bien  cela,  &. 
mefmement  comme  ie  t'ai  dit  auparauant  que  l'on  peut 
bien  dire  quelque  chofe  de  la  difpofition  des  cors  cele- 
fles,  mais  s'enfuit-il  que  pour  cette  occafion  ils  puifiient 
affurer  les  fortunes  de  la  vie  humaine,  ainfi  qu'ils  difent 
la  logeant  en  la  première  de  leurs  douze  maifons  qu'ils 
appellent  l'angle  d'Orient,  l'afcendant  ou  horofcope,  au 
moins  s'ils  euPTent  auffi  bien  mis  la  mort  en  la  dernière 
pour-autant  que  c'eft  la  fin  de  la  vie,  comme  ils  en  ont 


D\     DEMOCRITIC.  1  }7 

fait  le  commencement  en  la  première,  fans  l'aller  fourrer 
en  l'huitiefme,  &  au  lieu  de  cela  y  mettre  les  ennuis  U. 
fafcheries.  le  te  raconterai  bien  par  le  menu  tout  l'autre 
braue  mefnage  8t  fingulieres  proprietez,  dont  ils  ont 
voulu  donner  luflre  &  commoditez  à  chacune  de  leurs- 
dites  douze  maifons,  mais  ce  ne  feroit  que  perdre  tems, 
&  comme  l'on  dit  en  commun  prouerbe,  debatre  de  la 
laine  d'vne  cheure,  &  qu'il  foit  vrai  que  telles  chofes  ne 
foyent  que  folies  &  bourdes  incertaines,  regarde  feule- 
ment à  la  difpute  controuerfe  qu'ils  font  des  efloilles 
fixes  8t  planettes.  Ne  s'en  efl-il  pas  trouué  beaucoup 
qui  ont  du  tout  remis  les  fortunes  de  l'homme  aux  eftoil- 
les  fixes,  laquelle  opinion  a  efté  mefmement  tenue  de 
Ptolomee?  Et  au  contraire  n'y  en  a-il  pas  d'autres  qui 
tafchent  de  prouuer  que  cela  doit  eflre  attribué  aux 
planettes,  alleguans  pour  eus  le  tefmoignage  des  anciens 
autheurs  Grecs,  qui  appelloyent  les  planettes  xocr/xoXjSJc- 
ropxi,  comme  s'ils  entendoyent  les  dire  par  cela  princes 
du  monde,  ainfi  que  l'a  eftimé  Procle  contre  l'opinion 
des  efloilliftes.  Et  à  celle  fin  que  tu  cognoilTes  plus  eui- 
demment  leur  erreur,  voiant  l'expérience  répugnante  à 
leurs  enfeignemens,  confidere  fi  en  vne  mefme  heure  & 
infiant,  il  ne  peut  pas  bien  naiflre  vn  Empereur  &.  vn 
beliftre,  vn  homme  vaillant,  &.  vn  couard,  vn  dofteur  8t 
vn  ignare,  vn  fage  &  vn  fol,  vn  coqu  &  vn  moine:  Et 
puis  vous  allez  fier  à  leurs  douze  maifons  tant  ruineufes 
&L  ainfi  mal  eftimees  que  fi  elles  efloient  baflies  fus  l'in- 
certain du  fable. 

LE  COSMOPHILE.  Auffi  ne  vouloi  ie  pas  fouflenir 
du  tout  que  leurs  diuinations  fulfent  véritables  pour  le 

6. 


1  j8  SECON  D    Dl  ALOGVE 

doute  que  i'eii  auois,  &  pour  cefte  caufe  ie  l'en  deman- 
doi  feulement  ton  aduis,  auquel  ie  croi  maintenant 
dauantage  que  ie  ne  fis  onques  à  leurs  foies  maqui- 
gnonneries.  Mais  il  me  fembie  qu'il  y  a  defia  longtems 
qile  nous  auons  laiffé  noftre  magicien,  &  que  nous  ne 
parlons  plus  de  luy,  &  pour  ce  ie  voudroi  bien  fçauoir 
s'il  te  fouuient  point  de  quelque  autre  propos  qu'il  t'ait 
tenu. 

LE  DEMOCRITIC.  11  ne  faut  point  que  tu  eftimes 
que  nous  l'aions  laiffé  pour-ce  piufloft,  car  tu  dois  penfer 
qu'il  eftoit  vrai  hérétique  en  toutes  les  opinions  que  nous 
auons  refutées  ici  auparauant,  deuifant  defquelles  nous 
parlions  (ce  me  fembie)  affez  de  luy  8i  de  tous  fes  fem- 
blabies. 

LE  COSMOPHILE.  Volontiers  ceus  qui  fe  ruent 
ainfi  fus  la  magie,  fe  iettent  pareillement  au  bal  de  la 
pierre  Philofophale,  autrement  appellee  le  leuain  des 
Philofophes,  &.  pour  ce  ie  voudroi  bien  fçauoir  fi  ton 
homme  eftoit  point  de  la  dance. 

LE  DEMOCRITIC.  Encores  plus  auant  qu'en  au- 
cune decesdeus  belles  fciences  dont  ie  t'ai  defia  parlé. 

LE  COSMOPHILE.   Et  quoy  !  faifoit  il  de  l'argent? 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  de  l'argent,  ie  me 
donne  à  Demorgogon  fi  Geber  y  fift  iamais  œuure  au 
regard  de  fa  feigneurie  :  par  luppiter  l'olimpien  le  haut 
tonnant  8s  amoureus  à  l'orpheifte,  peu  s'en  falloit  en  par- 
lant à  luy  que  ie  n'euffe  peur  d'eftre  conuerti  moimefme 
tout  en  or,  tant  ie  craignoi  qu'il  eut  telle  puiffance  qu'a- 
uoit  ce  grand  Midas  à  oreilles  d'afne,  qui  faifoit  inconti- 
ment  tranfmuer  en  or  tout  ce  qu'il  touchoit. 


U  V     D  E  M  O  C  lU  T  1 C  . 


i9 


LE  COSMOPHILE.  Tu  n'auras  pas  beaucoup  de 
peine  à  me  perfuader  que  cette  belle  fcience  qu'ils  ap- 
pellent alquimie  ou  chymiftique  n'eft  qu'vn  abus,  car  i'en 
ai  l'expérience  fus  moiméme,  &  fuis  affez  marri  que  ie 
n'en  ai  eflé  fait  fage  aus  defpens  &  perte  d'autruy 
comme  i'ay  eflé  à  la  mienne  :  mais  encores  comment 
s'en  accoutroit  ton  fouffleur? 

LE  DEMOCRITIC.  Si  tu  n'auois  appris  les  termes 
de  l'art  (comme  ie  croi  que  tu  as  fait  puis  que  tu  as 
pa(fé  parles  piques  I  iete  lesdeclareroi  par  le  menu  à  fin 
de  te  donner  plus  aifément  l'intelligence  de  fes  propos, 
car  tu  fçais  bien  que  pour  déguifer  les  matières  ils  vfent 
d'autres  mots  qu'on  ne  fait  vulgairement. 

LE  COSMOPHILE.  le  te  pri  ne  laifle  pour  cela 
de  m'en  refraicliir  la  mémoire,  car  ie  prendrai  vn  mer- 
ueilleus  plaifir  d'ouïr  encores  vne  fois  raconter  leurs 
belles  deuifes. 

LE  DEMOCRITIC.  U  faut  donq'  que  tu  te  re- 
cordes qu'ils  appellent  les  metaus  par  les  noms  des 
planettes,  les  figurant  mefmement  par  leurs  carafteres, 
comme  l'or,  ils  le  furnomment  Soleil  le  marquant 
ainfi  0  :  l'argent,  la  Lune  3-  '^  cuiure,  Venus  q  : 
l'eftain,  luppiter  le  chifrant  parellement  d'vne  IT:  le 
plom,  Saturne  J)  le  fer.  Mars  ç^  :  Et  puis  l'efprit  de 
leur  vif  argent.  Mercure  Q  . 

LE  COSMOPHILE.  Il  efl  ainfi,  mais  en  quelle  forte 
en  vfoit  ton  Philofophe,  auoit-il  point  inuenté  d'autres 
nouueaus  termes  pour  cacher  fes  fecrets? 

LE  DEMOCRITIC.   Si  auoit  fi,  car  il  me  monflra 


140  SECOND    DIALOGVE 


vn  petit  liuret  qu'il  tenoit  ^ainfi  qu'il  m'afTura)  plus 
cher  que  fa  propre  vie  tout  rempli  de  nouuelles  maniè- 
res de  parler,  &.  tout  autrement  caraélerizé  que  les  au- 
tres, à  celle  fin  de  n'eflre  entendu  que  de  luy.  D'vn 
autre  coflé  ce  Monfieur  le  foldat  qui  luy  aidoit  à  foufler 
&.  entretenir  le  feu  durant  ces  cimens  &  abftraftions 
quint-efientiales,  ne  m'en  monftroit  pas  moins,  l'vn  à 
grand  peine  aiant  dit  deus  mots  de  fon  propos  que 
l'autre  ne  luy  vint  rompre  pour  en  dire  vn  tout  nouueau. 
Et  ce  pendant  ils  iuroyent  tous  deus  d'affés  bonne  grâce 
comme  ils  auoyent  congelé  &  fixé  le  Mercure,  &  rendu 
en  la  plus  belle  Lune  qu'il  eftoit  poffible,  mais  qu'il  fe 
trouuoit  encores  vn  peu  aigrét  defoubs  le  marteau  :  Qu'il 
ne  s'en  failioit  plus  que  le  moins  du  monde,  qu'ils  n'euf- 
fent  trouué.vne  teinture  au  rouge,  ou  autrement  pour  le 
Soleil  :  Comme  ils  auoient  trouué  vne  inuention  fort 
aifee  auecques  les  herbes  (quoi  qu'en  dit  Geber  au  con- 
traire) par  laquelle  ils  rendoient  le  Venus  en  Lune,  voire 
à  tenir  iufques  à  l'effai  de  la  coupelle  ou  cendrée,  &  que 
c'efloit  à  faire  aus  petis  enfans  &.  apprentis  de  la  blan- 
chir feulement,  &.  la  rendre  bonne  à  l'efpreuue  de  la 
pierre  de  touche,  ce  que  Cardan  en  fon  liure  fixiefme 
traittant  des  metaus,  penfant  bien  auoir  déclaré  quelque 
grand  &.  caché  fecret,  enfeigne  en  deus  ou  trois  maniè- 
res :  puis  ils  adioutoyent  d'auantage  qu'il  ne  falloit  point 
qu'Arnauld  de  Ville-neufue  taxaft  ainfi  le  Moine  qui  a 
compofé  le  liure  de  la  fleur  des  fleurs,  l'appellant  impo- 
fleur  &.  méchant,  pour  autant  qu'il  a  voulu  (à  ce  qu'il  dit) 
en  abufer  d'autres  par  ces  œuures,  comme  il  s'en  eft 
trouué  lui-mefme,  par  d'autres,  &  fe  faire  par  ce  moyen 


DV    DEMOCRITIC.  I4I 

des  compagnons  en  mifere  moquez  &  deceiis,  ainfi 
qu'il  a  efté  par  l'efpace  de  douze  années  auffi  fçauant 
&L  moins  en  cet  art  la  dernière  année  comme  la  pre- 
mière :  Mais  que  fans  point  de  doute  quoi  qu'en  die 
iceluy  Arnauld  de  Ville-neufue,  le  Moine  n'a  pas  laiiïé 
d'eftre  de  grand  fçauoir  &  fort  bien  expérimenté  à  la 
nature  des  metaus,  ce  qu'ils  auoyent  cogneu  par  effet 
auecques  l'expérience  de  la  plus  grande  partie  de  fes 
receptes  :  Et  mefmes  pour  confirmer  d'auantage  leur 
dire  ils  me  monflroyent  de  petits  lingots,  &  m'interro- 
geant  ainfi  l'vn  après  l'autre  ils  me  demandoyent  :  Voyez 
vous  ce  lingot,  que  iugeriez  vous  que  ce  fut?  &.  après 
leur  auoir  refpondu  que  ie  le  penfois  eftre  de  fin  argent: 
vous  dites  vray,  me  refpondirent  alors  tous  deus  d'vne 
voix,  mais  à  voftre  aduis  de  quoy  efl-il  fait?  vous  ne 
penferiez  iamais  que  ce  fuft  de  mercure  :  A  grand' 
peine  (leur  refpondi-ie  alors).  Et  par  le  vray  cors  de 
Dieu  c'en  eft  ou  ie  me  donne  au  Diable  (iura  le  foldat) 
car  ie  l'ai  fait  moi  mefme.  Et  derechef  me  difoyent  : 
Cettuy-ci  efl  de  Venus  ainfi  tranfmué  en  argent,  &.  cet 
autre  que  voyez  encores  plus  beau  efl  du  Saturne  cal- 
ciné &.  p-urifié  de  fes  excremens,  &  rendu  ainfi  en  naifue 
couleur  de  Lune  :  vous  ne  regardez  point  ce  mitoyen 
I  ainfi  appellent  ilz  vne  mixtion  d'or  &  d'argent  fondus 
enfemble  en  pois  égal,  en  latin  Medium,).'Or  ça  il  y  a  la 
moitié  d'argent,  &.  toutefois  ce  n'efl  maintenant  que  pur 
or  à  vingt-quatre.  Et  après  auoir  bien  entendu  leur  beau 
difcours,  ie  ne  me  fçeu  tenir  de  leur  dire,  que  ie  m'e- 
bahiffois  entendu  leur  riche  fçauoir  comment  ilsn'efloyent 
plus  braues,  &  qu'ils  n'alioient  donq'  mieus  montez  que 


142  SECOND      DIALOGVE 


fus  leurs  iambes.  Us  me  refpondirent  quant  à  ce,  qu'ils 
ne  vouloyent  point  aller  en  autre  équipage  pour  ofter 
tout  le  foupçon  que  l'on  pourroit  auoir  fur  eus.  Vous 
auriez  voulontiers  peur  di  ie  que  le  Roy  ne  vous  contrai- 
gnift  à  foudoier  fon  armée,  ou  bien  à  luy  fournir  ie  ne 
fçai  combien  de  millions  s'il  cognoifToit  voflre  tant  mer- 
ueilleus  fçauoir. 

LE  COSMOPHILE.  Ne  cogneurent  ils  point  alors 
(|ue  tu  te  moquois  d'eus? 

LE  DEMOCRITIC,  le  croi  que  non,  8t  qu'ils 
eftoyent  fi  punais  qu'ils  n'en  fentirent  rien,  car  la  grande 
efperance  8t  enuie  qu'ils  auoient  de  me  tromper,  les 
rendoient  ainfi  aueuglez  &  endormis  en  leur  propre  fait. 

LE  COSMOPHILE.  le  t'affure  que  ie  croi  fort 
aifement  ce  que  tu  m'en  as  dit,  car  il  m'en  aduint  vne 
fois  le  pareil  mais  ie  ne  fu  pas  fi  fage  que  toi,  entendu 
que  ie  me  laifTé  abufer  par  vn  qui  fe  difoit  Philofophe 
(ainfi  nomment  ils  ceus,  comme  par  vne  emphafe  fc  ex- 
cellence, qui  font  proffeffion  de  la  fouflerie  i  lequel  après 
m'auoir  affuré  de  la  parfaite  expérience  qu'il  auoit  de 
l'alquimie,  pour  m'apafter  d'auantage  me  donna  vn  lin- 
got d'argent  qu'il  difoit  auoir  fait  de  cuiure,  lequel  ie 
monftray  à  vn  orpheure  8f  luy  vend!  comme  bon  argent 
qu'il  eftoit,  ainfi  que  ie  cogneu.  Mefme  depuis  U  peu 
de  tems  après  ie  rencontray  mon  Philofophe  quafi  à 
l'impourueu,  qui  me  demanda,  que  i'auoy  fait  de  mon 
lingot,  &t  luy  en  aiant  fait  le  récit  tel  qu'il  eftoit,  me 
voyant  fort  curieux  d'en  cognoiftre  la  façon,  il  conuint 
auecques  moy  de  certain  pris  pour  me  l'apprendre,  & 
auffi  toft  qu'il  eut  receu,  feignant  de  s'aller  prouuoir  de 


DV    DEMOCRinC. 


'4} 


drogues  neceffaires,  il  fit  banquerotte  à  fes  fourneaiis  & 
fuis  encores  à  l'attendre  de  prefeiU  pour  me  reueler  ce 
diuin  fecret. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  n'en  as  oui  depuis  aucunes 
nouuelles? 

LE  COSMOPHILE.  Nenni  linon  que  le  récit  de 
femblables  tours  qu'il  auoil  ioué  en  plufieurs  autres  en- 
droits. 

LE  DEMOCRITIC.  Si  n'eftoit  il  point  fi  lourdaut 
que  ceus  qui  fe  font  iailTés  tromper  à  luy. 

LE  COSMOPHILE.  Encore  que  l'en  aie  eflé  l'vn, 
fi  ne  laifTerai-ie  pas  de  te  le  confelTer,  toutes-fois  ie  me 
garderai  bien  déformais  de  tumber  en  tels  inconueniens. 
Mais  au-moins  il  eft  bien  aifé  à  voir  que  tout  cet  art  qui 
n'eft  mie,  di-ie  cet  alquimie  n'efl  qu'vne  bourde,  veu 
que  ceus  qui  s'en  méfient  en  deuiennent  ordinairement 
pauures,  &.  font  bien  neantmoins  effrontés  iufques  à  la, 
qu'ils  promettent  d'enrichir  les  autres,  &  pour  quelque 
petit  loier  qu'ils  en  demandent,  leur  enfeigner  la  vraie 
manière  de  faire  l'or  &  l'argent,  comme  s'il  eftoit  vrai- 
femblable  que  celuy  qui  auroit  la  cognoiffance  d'vne  telle 
fcience  fe  fouciaft  de  la  monftrer  à  autruy  pour  de  l'ar- 
gent, veu  que  ce  feroit  luy  mefme  qui  le  feroit.  Et  ne 
me  fçaurois  affés  émerueiller  d'vne  infinité  de  perfonnes 
qui  s'abufent  encores  à  telles  refueries,  penfant  faire 
incontinent  par  leur  multiplication  d'vne  mouche  vn 
éléphant. 

LE  DEMOCRITIC.  Auffi  font  ils  grans  multipli- 
cateurs, car  ils  font  bien  de  cent  fols,  quatre  liures,  ou 
bien  pour  mieus  dire  félon  du  Bellay  ils  multiplient  tout 


I<J4  SECOND    niALOGVE 

en  rien,  ainfi  que  tefmoigne  mefmement  noftre  premier 
autheur  iirique  françois,  Pierre  de  Ronfard  difant  en 
ces  vers, 

L'vn  allumant  J es  vains  fourneaus  Je  fonde 
Dejjïis  la  pierre  incertaine,  &  combien 
Que  l'inuoqué  Mercure  ne  réponde 
Soujle  en  deus  iours  le  meilleur  de  fan  bien. 

LE  COSMOPHILE.  Voila  comment  la  confom- 
mation  de  i'œuure  à  l'imitation  de  leur  Mercure  s'eua- 
pore  tout  en  fumée. 

LE  DEMOCRITIC.  Si  efl-ce  qu'il  n'eftoit  pas 
ainfi  aduis  au  Philofophe,  &  principalement  au  foldat 
fon  compagnon  qui  en  faifoit  vn  fort  grand  eflat,  ainfi 
que  ie  cogneu  bien  à  fon  nés  tout  barbouillé  du  parfum 
de  fes  drogues. 

LE  COSMOPHILE.  Si  me  femble-il  que  ce  n'efl 
point  l'eflat  des  gens  de  guerre  de  foufler  le  charbon, 
entendu  qu'ils  font  le  plus  fouuent  affez  mal  fournis  de 
ducats  à  la  croifette  pour  faire  la  multiplication. 

LE  DEMOCRITIC.  Ils  ne  laiffent  pour  cela  de 
s'en  méfier,  car  ils  trouuent  toufiours  quelque  bon  niais 
qui  leur  aide  à  foncer  à  i'appointement. 

LE  COSMOPHILE.  Cet  homme  de  guerre  que 
difoit-il  de  fon  eflat,  fe  irouuoit-il  mieus  de  foufler  le 
charbon  que  de  faire  vne  centinelle? 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  mieus!  c'eft  bien 
au  contraire,  car  tous  les  biens  de  ce  monde,  non  pas  fa 
propre  vie  ne  luy  eftoit  rien,  au  regard  du  point  d'hon- 
neur qu'il  difoit  acquérir  en  la  guerre,  &.  ne  penfoit 
'amais  eflre  digne  d'auoir  place  au  rang  des  bien-heu- 


DVDEMOCRITIC.  14^ 

reus  s'il  ne  tomboil  vaillamment  à  vne  brèche,  &.  que 
mille  cheuaus  &  autant  de  piétons  ne  luy  paffaffent  par 
defTus  le  ventre. 

LE  COSMOPHILE.  Eftoit-i!  bien  fi  fot  que  d'vfer 
de  tels  propos? 

LE  DEMOCRITIC.  Ce  n'eft  là  que  la  moindre  de 
fes  fottifes. 

LE  COSMOPHILE.  Et  comment  n'auoit-il  point 
peur  de  s'égarer  en  allant  au  rang  dé  ces  bien-heureus, 
puis  qu'il  les  faut  appeller  ainfi? 

LE  DEMOCRITIC.  Nenni  non,  &.  fi  dauantage 
il  efloit  bien  alTuré  d'acquérir  par  ce  moien  le  titre 
d'immortalité,  car  ceus  qui  meurent  en  la  guerre  font 
toufiours  réputés  viuans  d'vne  étemelle  mémoire. 

LE  COSMOPHILE.  Voire  mais  nonobftant  toute 
cette  réputation  ils  ne  laifTent  pas  d'eftre  bien  mors? 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  t'en  fçauroi  dire  autre 
chofe  finon  que  tu  vois  affés  en  cela  la  folie  du  perfon- 
nage,  duquel  &.  de  tous  fes  femblables  ie  ne  me  fçauroi 
trop  esbahir,  veu  qu'il  leur  eft  aduis  qu'après  eftre 
morts  ainfi,  ils  en  feront  bien  de  plus  belles  gambades 
en  l'air,  &  en  monteront  quatre  étages  aux  cieus  plus 
haut  que  les  autres,  ainfi  que  penfoient  ces  anciens  fous 
&  menteurs  de  la  Grèce  &.  de  Rome,  qui  fe  forgeoient 
des  heroes  &.  demi-dieus  à  polie  pour  auoir  efté  poffîble 
bien  batus  ou  tués  de  leurs  ennemis.  le  ne  di  pas  que 
ceus  qui  entreprennent  vne  telle  charge  pour  vn  bon 
regard  de  feruir  à  leur  prince,  qu'ils  ne  facent  beaucoup 
pour  le  bien  de  la  chofe  publique  &.  que  ce  ne  foit  vn 
afte  fort  vertueux,  mais  d'aller  vendre  ainfi  fa  liberté  &. 


146  SECOND    DIALOGVE 


fa  vie  au  plus  offrant,  d'vfer  de  toutes  ces  brauades 
fûtes  «t  outrecuidées,  prendre  vne  querelle  fus  la  diffé- 
rence de  la  couleur  d'vn  bonnet,  ou  pour  vne  autre 
legiereté  autant  friuole,  cuidés  vous  que  cela  ell  braue  ? 
&  que  telles  gens  font  bien  plus  à  craindre,  U  plus  vail- 
lans  foubs  l'ombre  d'vn  ie  renie  Dieu  proféré  de  bonne 
grâce,  ou  quand  ils  portent  le  bonnet  haut  edeué  par 
deffus  le  front,  defcouurant  vne  frizade  de  cheueus  bra- 
uement  rehauffés,  ou  bien  pour  contrefaire  le  vieil 
foldat  &  qui  entend  défia  que  c'eft  que  du  maniement 
des  guerres,  en  vfer  tout  au  contraire  de  ceux-ci,  & 
mefprifer  telles  manières  de  faire  comme  chofes  qui 
n'appartiennent  qu'  aux  ieunesgens.  Et  à  celle  fin  d'eflre 
eflimé  du  tout  fage  &  refolu,  vous  verrez  vn  tel  perfon- 
nage  affeélé  à  la  réputation  ordinairement  fe  promener 
tout  à  l'entour  des  foffés  d'vne  ville,  tantofl  aduançant 
fort  vne  iambe,  puis  tout  foudain  la  tenant  ferme,  & 
iettant  fes  yeux  à  demie  veùe  defTus,  comme  s'il  vouloit 
drefTer  vne  ligne  vifuaile  &  geometrale  en  ianin  dada, 
ie  vouloi  dire  en  lalidada  de  l'aflrolabe,  8t  ainfi  philo- 
fophant  tout  feul  &.  nerefpondant  que  de  la  tefte  fcdes 
efpaules  fi  on  parle  à  luy,  il  tiendra  le  bonnet  enfoncé 
iufques  fus  les  yeus,  mefurant  grauement  fes  pas  &. 
tenant  fes  bras  croifés,  &.  palTera  en  cette  forte  vne 
bonne  partie  de  la  iournee  à  remafcher  en  foimefme 
fes  faciendes,  tellement  qu'on  iugeroit  de  luy  qu'il  fonge 
quelque  fubtil  moien  pour  donner  vne  camizade  au 
chafleau  de  Milan,  ou  bien  pour  mettre  les  Anglois  en 
France.  A  voftre  aduis  cela  efl-il  pas  fort  fpirituel  &  de 
haut  goull?  principalement  quand  telles  gens  meurent 


DV    DEMOCRITIC.  I47 

au  lift  d'honneur,  ou  qu'ils  en  emportent  quelque  eiifei- 
gne  en  leur  pais,  i'enten  enfeigne  de  coups  d'efpée  fus 
le  vifage,  ou  de  quelque  membre  eftropié,  mais  que  ce 
ne  foit  point  de  cettuy-là  qui  fert  au  contentement  des 
dones,  ce  qui  efl  neantmoins  afiez  commun  à  ces  pau- 
ures  haires  qui  fe  font  voulu  écarmoucher  8t  danfer  le 
premier  bal  fous  les  frefcades  de  Piedmont. 

LE  COSMOPHILE.  Tu  viens  de  me  faire  fouuenir 
d'vne  fois  qu'eftant  pareillement  foldat  ie  faifoi  la  garde 
en  vn  petit  baflion  auecques  fept  ou  huit  compagnons, 
&  après  que  nous  eufmes  là  vn  peu  ioùé  à  la  chandelle 
(non  point  toutefois  fans  foufler  fouuent  au  bout  de  nos 
dois  &  les  aprocher  de  ces  petites  motes  auec  lefquelles 
on  a  acouftumé  d'y  garder  le  feu,  à  l'occafion  de  la 
grande  froidure  qui  faifoit)  St  le  fommeil  nous  eflant 
coulé  dedans  les  yeux  après  que  chacun  fe  fut  mis  à 
repofer,  faifant  toutefois  l'vn  après  l'autre  centinelle  fus 
la  muraille  :  ie  me  donne  au  diable  fi  le  lendemain  au 
matin  à  noflre  réueil  nous  ne  nous  trouuafmes  tous  les 
plus  étonnés  du  monde,  car  la  moindre  paye  que  châ« 
cun  eut  receu  pour  auoir  bien  fait  le  feruice  de  nuit, 
c'eftoit  vn  catharre,  les  vns  fus  le  col,  les  autres  fus  les 
bras  &.  quelques  vns  aus  iambes,  tant  qu'il  s'en  trouuoit 
d'aucuns  appointés  iufques  à  deux,  &  Dieu  fçait  quel  ieu 
il  y  auoit  après  &.  comme  Ion  parloit  à  Dieu  &.  de  bonne 
grâce.  Les  vns  en  font  demeurés  torticolis,  les  autres 
eftropias  de  leur  membres  pour  toute  leur  vie,  &  n'eut 
elle  vn  bon  gros  gaban  dont  i'eftoi  veflu  &  des  foubres 
chauffes  que  i'auois  aus  iambes  plus  que  les  autres,  ie 
ne  fçai  fi  le  fac  rempli  de  paille  qui  eftoit  deffoubs  moi, 


148  SECOND    DIALOGVE 


voire  eut  il  encores  eu  vne  autre  longueur  de  mon  cors 
m'en  eut  peu  fauuer  à  meilleur  marché  que  les  autres, 
par  Dieu  ie  croi  que  non  :  Encores  ne  m'en  peu  ie  ia- 
mais  fi  bien  garentir  que  le  col  ne  m'en  demeuraft  roide 
de  là  à  plus  d'huit  iours,  &  lors  que  ie  m'en  vi  deliure, 
Oftés  vous  de  là,  Cancre,  Le  diable  m'emport'  fi  i'y 
retourne. 

LE  DEMOCRITIC.  Quel  vaillant  gen-darme.  A 
ce  conte  il  en  faudroit  beaucoup  de  tels  comme  toi  pour 
prendre  Thionuille  d'affaut,  ou  pour  defconfire  les  Ge- 
niffaires  du  grand  Turc  :  Mais  voudrois-tu  point  reffem- 
bler  à  ce  gros  Bartolifte,  qui  fe  perfuada  eflre  vaillam- 
ment paffé  cheualier  pour  vne  accolade,  qui  luy  fut 
donnée  fans  queiamais  il  eut  porté  harnois,  fi  ce  n'auoit 
efté  poffible  en  fon  étude  pour  faire  peur  aus  rats,  & 
chaufiburiSj  encores  fe  armoit-il  alors  de  vieilles  pièces 
de  halecrets  &.  brigandinesmifesdeffus  deffoubs,  &  atta- 
chées deuant  derrière  auecques  les  égueillettes  renouées 
de  fes  chauffes.  L'honneur  des  armes  ne  s'acquiert  pas 
fi  aifément:  il  n'y  a  remède,  il  faut  endurer  pour  eftre 
beau. 

LE  COSMOPHILE.  Mais  par  ta  foi  voudroi-tu 
bien  toimefme  en  porter  le  trauail  ? 

LE  DEMOCRITIC.  Quant  eft  de  moi,  ie  me 
trouue  bien  ainfi  :  Neantmoins  s'il  aduenoit  d'auanture 
qu'il  m'y  faillut  trouuer,  i'aduiferois  à  cette  heure  là 
quelle  iambe  il  faudroit  mettre  deuant. 

LE  COSMOPHILE.  Comment  pour  t'en  fuir? 

LE  DEMOCRITIC.  Nenni  non,  mais  pour  m'af- 
furer  d'auantage  le  cors. 


DV    DE  MOCRITIC.  I49 

LE  MONDAIN.  le  croi  que  tu  ne  t'en  mettras  pa? 
encores  de  cette  année  en  la  peine. 

LE  DEMOCRITIC.  11  fe  peut  faire  que  fi,  &  fe 
peut  faire  auffi  que  non. 

LE  COSMOPHILE.  Nous  fommes  donq'  fus  les 
fi?  Or  bien,  bien.  Si  nous  y  trouuons,  fi  plaifl  à  Dieu 
nous  nous  y  porterons  vaillans  :  ce  pendant  ie  croi  que 
ce  fera  le  meilleur  de  nous  donner  du  bon  tems  tandis 
que  nous  en  auons  le  moien. 

LE  DEMOCRITIC.  C'eft  bien  là  le  plus  gentil 
eftat  qu'il  efl  poffible,  &  auquel  ie  feroi  non  feulement 
content  d'y  faire  vn  cartier,  mais  auffi  toute  l'année  de 
mes  compagnons. 

LE  COSMOPHILE.  le  fuis  fort  aife  de-quoi  i'ac- 
corde  mieus  auecques  toi  que  ne  faifoient  ces  deus 
genereus  Si  honnefies  perfonnages,  defquels  tu  m'as  fait 
vn  fi  plaifant  difcours,  dont  il  ne  me  refte  plus  mainte- 
nant qu'vn  petit  poinft  à  fçauoir,  qui  efl  de  cognoiflre 
quelle  fut  l'ifTue  &  congé  de  ces  meffieui-s. 

LE  DEMOCRITIC.  La  fin  en  fut  telle,  qu'après 
m'auoir  penfé  longuement  apafter  de  leurs  aliechemens 
fi  piperies  déguifees,  ils  prindrent  congé  de  moi  fans 
que  ie  les  priaffe  trop  inftamment  d'arrefter,  auffi  me 
dirent  ils  qu'ils  alloient  vifiter  ici  près  vn  certain  gentil- 
homme fort  curieus  de  la  fouflerie,  toute-fois  auecques 
promefies  trefaffurees  de  me  reuenir  voir  à  plus  grand 
loifir  &  dedans  peu  de  tems,  m'offrans  toute  puiffance 
de  leur  commander,  &  que  ie  me  deuoi  tenir  affuré 
qu'il  n'y  auoit  homme  au  monde  pour  qui  ils  euffent 
voulu  faire  d'auantage  que  pour  moi,  Si  alors  pour  ne 


IJO  SECOND    DIALOGVE. 

me  monftrer  point  inciuil  ie  les  remercié  de  leur  bon 
vouloir,  les  arroufant  de  mon  codé  d'eau  benifte  de 
cour  d'auffi  bonne  grâce  8t  autant  honneftement  pour 
le  moins  comme  ils  m'en  auoient  afpergé  du  leur. 

LE  COSMOPHILE.  Voila  fort  bonne  départie  &. 
telle  qu'on  doit  pratiquer  mefmement  enuers  les  plus  fots 
pour  leur  faire  acroire  qu'ils  font  fages  :  donq'  puis  que 
nous  auons  mis  fin  à  ce  propos,  ie  te  voudroi  bien  de- 
mander vne  chofe  laquelle  il  y  a  fort  long  tems  que  ie 
defire  fçauoir  de  toi  :  C\efl  que  tu  me  femble  contrarier 
à  ce  que  tu  m'auois  alTuré  de  vouloir  eftre  imitateur 
de  Democrite,  veu  que  tu  ne  fais  rien  moins  que  l'en- 
fuiure  en  beaucoup  de  tes  propos,  car  ainfi  que  i'ay  peu 
cognoiflre  par  ceus  qui  ont  efcrit  de  fa  vie,  c'eftoit  vn 
bon  compagnon  qui  ne  fe  foucioit  de  rien,  ne  faifant 
autre  chofe  fors  que  fe  moquer,  &.  rire  entièrement  de 
tous  les  eftats  &.  façons  des  hommes,  &.  au  contraire  on 
iugeroit  de  toi  à  vne  bonne  partie  des  propos  que  tu 
m'as  tenus  &.  principalement  lors  que  tu  me  remonftrois 
la  grande  crainte  dont  les  hommes  vfoient  les  vns  enuers 
les  autres  que  tu  ferois  pluftoft  imitateur  de  quelque 
autre  Zenon  ou  Heraclite  que  de  ce  gai  Philofophe 
d'Abdere,  combien  que  tu  ne  laifles  pas  aucunefois  de 
méfier  des  facéties  en  tes  paroles,  qui  font  affés  propres 
&,  conuenables  à  vn  Democritic,  mais  ce  n'efl  pas  tou- 
fiours  :  Et  pour-autant  ie  defireroi  fort  fçauoir  de  toi  la 
raifon  qui  t'incite  de  faire  ainfi  du  Prothée  changeant 
tes  paroUes  en  tant  de  diuerfes  manières,  &  pourquoy 
tu  n'enfuis  totalement  ton  bon  maiftre  en  moquerie? 

LE  DEMOCRITIC.  le  l'ai  fait  en  ton  endroit  pour 


D  V    DE  MOCRITI  C.  I  ^  I 


beaucoup  de  raifons  que  tu  pourras  découurir  plus  aifé- 
ment  mais  que  cette  nue  que  tu  as  deuant  toi  t'ait  def- 
filé  les  yeus  &  rendu  plus  agus  que  tu  n'as  pour  le 
prefent,  toutefois  ie  t'en  dirai  vne  des  principales  qui 
m'a  efmeu  d'en  vfer  ainfi,  ce  que  i'ai  fait,  pour  m'ac- 
commoder  à  toi,  fuyuant  ce  qui  en  eft  enfeigné  par  ce 
grand  vaiffeau  d'eledlion  Sainft  Paul  qui  tefmoigne  de 
lui  mefme  en  vne  de  fes  Epiftres,  Cum  ludeo  ludeus 
fum:  Auec  le  luif  ie  fuis  luif:  par  lefqueis  mots  il  veut 
dire  qu'en  fe  Irouuant  auecques  gens  de  diuerfe  feéle, 
&  autre  opinion  que  la  Tienne,  il  faut  s'accommoder  à  eux 
en  de  petites  chofes  pour  les  gaigner  &  attirer  à  la 
cognoiffance  des  plus  grandes,  de  peur  qu'en  fe  monf- 
trant  de  première  abordée  trop  contraire  à  leurs  fanta- 
fies,  ils  ne  reiettent  du  tout  ce  qu'en  s'accommodant  vn 
peu  à  eus  ils  euffent  bien  pris,  &  en  y  preftant  plus  faci- 
lement l'oreille,  auecques  peu  de  peine  entendu.  Et  ainfi 
cognoiflant  bien,  fi  ie  n'eufTe  vn  peu  contrefait  du  mon- 
dain auecques  toy,  vfant  des  raifons  eflimées  fages  & 
grandes  entre  les  hommes,  &.  que  i'euffe  au  contraire 
toufiours  voulu  rire  U  faire  du  Democritic,  que  tu  n'euffes 
aucunement  adioufté  foi  à  mes  paroles,  &  ainfi  tu  ferois 
encores  demeuré  en  ta  première  ignorance.  Et  outie- 
plus  quant  à  ce  que  tu  m'as  impofé,  de  n'enfuiure  pas 
le  maiftre  duquel  ie  me  dis  imitateur  qui  eft  Democrite, 
ie  te  dis  encores  cela,  que  Democrite  combien  qu'il  fut 
vn  grand  riard  &  moqueur  de  la  folie  des  hommes, 
tellement  que  luuenal  a  dit  de  lui  en  fa  diziefme  Satire, 
qu'à  force  de  rire  il  ne  faifoit  autre  chofe  qu'agiter  fes 
poumons,  fi  eft-ce  que  pour  tout  cela  il  ne  laiffoit  pas 


1<;2  SECONDDIALOGVE 

d'eftre  grand  philofophe,  &  homme  qui  cognoifibit  U 
donnoit  fort  bien  les  raifons  de  fa  moquerie  :  Et  quand  il 
feroit  autrement,  fi  n'eftimerai-ie  point  vn  homme  tant 
parfait,  que  ie  vueille  iurer  en  luy  comme  en  vn  dieu, 
ni  faire  du  finge  en  l'imitant  en  toutes  fes  aâes,  ainfi  que 
faifoient  au  tems  paffé  les  difciples  de  Pithagore,  ne 
donnans  autre  raifon  de  leurs  opinions  voire  fulTent  elles 
les  plus  foltes  &  les  plus  lourdes  du  monde,  fors  qu'en 
difant  avrôs  ë^x,  c'e(ï  à  dire  il  l'a  dit. 

LE  COSMOPHILE.  Et  quoi  !  feroit  il  bien  poffible 
que  Democrite  qui  a  bien  cogneu  les  erreurs  &  folies 
des  autres  hommes,  fe  foit  tant  oublié  lui  mefme  qu'il 
ait  fait  des  aftes  que  tu  ne  voulufTes  pas  imiter  ? 

LE  DEMOCRITIC.  En  voudrois  tu  voir  vn  plus 
fot  que  cettui  là  qu'il  fîft,  quand  après  s'eftre  bien  mo- 
qué des  autres  il  fe  creua  les  yeux  pour  voir  plus  cler,  & 
à  celle  fin  de  mieux  &  plus  profondement  contempler  de 
ceux  de  l'efprit  les  hauts  &  merueilleux  fecrets  (ô  le 
grand  fot)  de  nature:  Et  d'auantage  fe  monflra  il  pas 
bien  tranfporté  de  cerueau,  veu  qu'eftant  de  fi  grande 
&  riche  famille  que  fon  père  peut  bien  fans  fe  faire  tort 
tenir  vne  fois  mai  fon  ouuerte  à  tout  l'exercite  de  Xerxe, 
il  deuint  pauure  à  la  fin  par  fa  folie,  car  il  donna  tout 
pour  eftre  riche  &  de  peur  que  fes  biens  ne  l'enuelopaf- 
fent  entre  tant  de  délices  que  cela  le  retirait  de  fes  eflu- 
des  &  contemplations. 

LE  COSMOPHILE.  Puis  que  Democrite  s'eft 
monflré  à  la  fin  fi  defprouueu  d'efprit,  n'en  euffes  tu 
fceu  choifir  vn  autre  moins  à  reprendre  &  qui  eut  eu 
la  cognoiffance  auffi  bonne  des  erreurs  &  folies  des 
hommes  que  lui? 


DV     DEMOCRITIC.  153 


LE  DEMOCRITIC.  le  voudroi  bien  fi  tu  en  fça- 
uois quelque  autre  plus  digne  d'imiter,  que  tu  me  l'euffes 
enfeigné. 

LE  QOSMOPHILE.  Regarde  comment  Diogene 
s'eft  librement  gouuerné. 

LE  DEMOCRITIC.  le  veux  vinre  plus  à  mon  aife 
qu'en  vn  tonneau. 

LE  COSMOPHILE.  Que  diras  tu  d'Ariftippe. 

LE  DEMOCRITIC.  D'Ariftippe!  Si  i'auois  autant 
d'yeus  que  les  Poètes  en  ont  attribué  à  Argus,  i'aimeroi 
mieus  me  les  creuer  tous  les  vns  après  les  autres,  que 
d'endurer  la  moindre  des  feruitudes  aufquelles  fe  foubf- 
mettoit  cet  yurongne  Ariftippe,  faifant  du  chien  autour 
de  Denis  roi  de  Sicile,  &  foufrant  dix  mille  contumelies 
&  outrages  pour  auoir  vne  repeue  franche:  Et  fi  ie  t'af- 
fure  bien  que  i'aimerois  encores  mieus  ne  manger  que 
des  chous  &  licher  deus  grains  de  fel  auecques  Diogene, 
combien  qu'il  ne  faut  point  que  tu  aies  peur  que  ie  fafTe 
ne  l'vn  ne  l'autre  :  Or  aduife  donq'  lequel  eft  le  plus 
digne  d'eflre  imité  de  tous  ceus  que  tu  m'as  allégués  ou 
de  mon  Democrite. 

LE  COSMOPHILE.  Vraiment  à  ce  que  ie  voi  c'eft 
Democrite,  &  pour  cette  caufe  ie  te  prie  bien  fort  de 
me  receuoir  déformais  auecques  toi  pour  compagnon  & 
fécond  Democritic. 

LE  DEMOCRITIC.  Pour  cette  heure  ici  ie  ne  te 
rebaptiferai  point  de  nouueau,  mais  ie  te  promets  bien 
de  te  receuoir  des  miens,  &.  te  donner  pareil  nom  à  moi 
quant  ie  te  cognoiftrai  parfait  mocqueur,  ce  qui  t'aduien- 
dra  poffible  après  auoir  mieux  digéré  que  tu  n'as  encores 


154  SECOND    DIALOGVE 


fait,  les  raifons  que  ie  t'ai  déduites,  fc  après  que  tu  feras 
retourné  du  voiage  que  tu  veus  entreprendre. 

LE  COSMOPHILE.  Voici  grand  cas,  on  baptife 
bien  les  petis  enfaiis  8t  leur  impofe  Ion  des  noms  encores 
qu'ils  n'aient  aucune  cognoiflance,  fc  moi  qui  ai  entière 
foi  à  ce  que  tu  m'as  dit  &  le  defir  fi  grand  de  te  fuiure, 
ie  ne  feray  donq'  point  enroulé  en  ta  compagnie. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  m'en  diras  tout  ce  qu'il  te 
plaira,  mais  fi  ne  marcheras-tu  point  encores  foubs  mon 
enfeigne,  iufques  à  ce  que  tu  fois  vn  peu  mieux  expéri- 
menté aux  rufes  &  alarmes  de  moquerie. 

LE  COSMOPHILE.  Enfeigne  moy  donq' au-moins 
la  vraye  manière  de  me  moquer,  à  celle  fin  que  par 
grande  exercice  i'en  deuienne  durant  mon  voiage,  d'a- 
prentif  maiflre  parfait. 

LE  DEMOCRITIC.  Il  ne  tiendra  pas  à  cela  que 
tu  ne  fois  bon  moqueur,  car  fi  tu  me  veux  croire  &  le 
pratiquer  ainfi  que  ie  te  dirai,  tu  en  monftreras  dedans 
peu  de  tems  aus  autres.  Pour  cognoiftre  donc  comment 
on  doit  pratiquer  cette  moquerie,  fâches  que  tout  ainfi 
que  pour  fçauoir  bien  parler,  il  faut  au  parauant  auoir 
appris  à  fe  taire,  auffi  pour  entendre  la  parfaite  manière 
de  bien  moquer,  il  faut  auoir  fceu  défia  parler  ferieufe- 
ment  :  Car  cettui  la  (ainfi  que  témoignoit  fort  bien  le 
vieil  Caton)  qui  n'a  iamais  fait  autre  chofe  qu'à  s'étudier 
à  de  petites  rifées,  lors  qu'il  entreprend  de  parler  de 
quelque  chofe  que  ce  foit,  au  lieu  de  fe  monftrer  bon 
moqueur  il  fe  rend  luimefme  moquable  à  tout  le  monde  : 
Et  pour-autant  il  faut  donq'  que  celui  qui  defire  eftre 
veu  facetieus,   fe    foit  premièrement  étudié  aus  chofes 


DVDEMOCRtTIC.  155 

plus  graues  &  ferieures.  Or  quant  à  la  définition  de 
moquerie  elle  eft  telle,  Moquerie  c'efl  le  mépris  non 
aucunement  feint  ni  diffimulé  d'vhe  chofe  fote  &  ridi- 
cule, fait  auecques  raifon  &  bonne  grâce:  Et  ne  penfe 
pas  non  qu'vn  homme  fot  &  de  grofle  pafle  puifTe  par- 
uenir  à  la  perfeâion  de  cette  moquerie,  car  il  efl  impof- 
fible  qu'vne  perfonne  telle  qu'elle  foit  en  fâche  bien 
vfer  fi  elle  n'a  l'efprit  fort  délié,  &.  defchargé  de  ce 
gros  fardeau  d'ignorance  &  outrecuidée  prefumption. 

LE  COSMOPHILE.  Puis  que  tu  m'as  donné  la 
définition  de  moquerie,  ie  defireroi  fort  que  tu  m'euffes 
pareillement  déduit  les  efpeces  de  ces  fottes  moqueries, 
à  celle  fin  qu'en  les  cognoifTant  ie  fçeufTe  tout  par  vn 
mefme  moyen  quelles  font  les  bonnes,  &  que  ie  me 
donnafTe  de  garde  des  autres  :  Entendu  que  l'en  voi 
ordinairement  qui  veullent  entreprendre  de  fe  moquer, 
le  faifant  toute  fois  auecques  fi  mauuaife  grâce  &  pour  fi 
peu  d'occafion  qu'eus  mefmes  fe  monflrent  plus  repre- 
henfibles  que  ceus  dont  ils  fe  veullent  gaudir,  &  pour- 
autant  ie  te  voudroi  bien  prier  de  m'inflruire  en  cela. 

LE  DEMOCRITIC.  11  faut  que  tu  entendes  qu'il 
y  a  trois  efpeces  de  fotte  moquerie,  dont  l'vne  fe  peut 
appeller  niaife,  l'autre  affeflée,  &  la  troifieme  celle  qui 
efl  fardée  &  couuerte  de  diffimulation  :  de  toutes  ces 
trois  efpeces  ie  t'en  donnerai  particulièrement  l'intelli- 
gence auecques  les  exemples.  Premièrement  la  moquerie 
niaife  efl;  celle  qui  eft  faite  fans  qu'il  y  ait  caufe,  &  auec- 
ques cela  de  mauuaife  grâce,  &  telle  moquerie  fe  fait 
voluntiers  par  vne  perfonne  fotte  &  n'aiant  aucune  éru- 
dition lors  qu'elle  en  oit  parler  vne  plus  fage  &  mieus 


156  SECOND    DIALOCVE 

apprife  qu'elle,  -fe  moquant  de  ce  qu'ell'  n'entend  pas, 
&  celuy  qui  fe  voit  moqué  en  cette  forte  fe  doit  affurer 
alors  d'auoir  bien  dit  ou  bien  fait,  puis  que  les  afnes  en 
chauuifTant  des  oreilles  s'en  moquent:  La  féconde  mo- 
querie eft  dite  affeftee,  quand  elle  eft  faite  non  point  du 
tout  fans  occafion,  mais  quand  ceus  qui  la  font  font  in- 
cités à  cela  par  quelque  enuie,  n'y  gardans  aucunement 
cette  grâce  naïfue  &  qui  doit  eftre  généralement  accom- 
modée félon  ce  que  l'on  entreprend  dire  ou  contrefaire 
en  quelque  chofe  que  ce  foit  :  Et  les  perfonnes  qui  vfent 
de  telle  coïonnerie  font  voluntiers  ces  muguets  &  veaus 
de  ville,  qui  n'ont  iamais  autre  chofe  en  vne  compagnie 
que  leurs  brocards  &  lieus  communs  à  toutes  relies, 
ores  attachant  cettui-ci,  ores  cettui-Ia  auecques  le  ne 
fçai  quelles  petites  fornettes  vulgaires  &  communes  entre 
eus,  mais  fi  vous  mettes  vne  fois  ces  meffieurs  hors  de 
leurs  termes,  vous  les  rendrés  auffi  muets  que  poiffons, 
&  ne  viftes  iamais  bourdon  plus  deprouueu  d'éguillon 
qu'alors  ils  feront,  neantmoins  qu'ils  ne  laiffent  pas  de 
s'eftimer  des  plus  grans  &  ioyeus  raillars  de  la  paroiffe  : 
La  troifieme  &  dernière  efpece  de  moquerie  c'efl  la  feinte 
&  diffimulee,  d'entre  toutes  les  autres  à  mon  aduis  la 
plus  excufable,  entendu  qu'ell'  fe  fait  aucunefois  de 
beaucoup  de  perfonnes  qui  ne  laiffent  pas  d'eftre  en 
d'autres  chofes  d'affez  bon  efprit  :  Et  telle  dernière  ef- 
pece de  moquerie  s'eft  peu  pratiquer  par  Agrippe  en  fon 
traité  de  la  vanité  des  fciences,  auquel  deffaut  à  mon  ad- 
uis l'vn  des  poinéls  le  plus  requis  aus  parfaits  moqueurs, 
qui  efl:  le  fain  &  vrai  iugement  en  la  cognoiffance  de 
cela  que  l'on  entreprend  moquer  :  Car  il  eft  tout  cer- 


DV    DEMOCRl  TIC.  1^7 

tain  quoi  qu'en  ait  efcrit  Agrippe,  que  neantmoins  il  en 
auoit  le  plus  fouuent  toute  autre  &.  contraire  opinion 
qu'il  n'écriuoit,  ainfi  mefme  que  par  fes  autres  œuures 
il  appert  alTés  éuidemment:  d'auantage  iceluy  Agrippe 
en  fes  moqueries  a  plus  vfé  d'authorités  empruntées,  &. 
de  ie  ne  fçai  quels  petis  argumens  cornus  &  falacieus 
propres  feulement  pour  feduire  &  faire  changer  d'opi- 
nion au  fimpie  vulgaire,  qu'il  n'a  pas  fait  d'vne  ferme  & 
affuréeraifon. 

LE  COSMOPHILE.  Il  eft  tout  certain  qu'Agrippe 
s'efl  efforcé  le  plus  fouuent  de  confirmer  fes  écris  en 
cette  forte,  mais  auffi  les  authorités  qu'il  a  voulu  allé- 
guer font  bien  approuuées^  &  extraites  des  œuures  de 
gens  fort  dofles,  grans  Philofophes  &.  d'vne  merueilleufe 
érudition  :  Et  quant  à  fes  argumens,  n'eft-ce  pas  l'office 
d'vn  vrai  orateur  de  faire  fembler  bon  &  mauuais  vn 
mefme  fuiet  par  diuerfes  preuues  &  raifons?  ainfi  qu'a 
fort  bien  fceu  pratiquer  Agrippe  homme  certes  eflimé 
d'vn  chacun  fort  dofte  &  de  grand  iugement. 

LE  DEMOCRITIC.  le  m'ébahi  comment  la  folie 
des  hommes  eft  fi  extrême  de  donner  vn  fi  grand  lieu 
aus  authorités  des  hommes  qu'on  fait  plus  doftes  cent 
mille  fois  à  crédit  qu'ils  ne  font,  encores  la  plufgrande 
partie  d'entre  eus  font  abeflis  iufques  à  là  qu'ils  en  ont 
entre  les  autres  quelques  vns  tant  afFeftés  qu'ils  reçoiuent 
leur  dire  comme  oracles  d'Apollon  encores  qu'il  foit  du 
tout  élongné  de  la  vérité  &  hors  de  toute  preuue  raifon- 
nable:  Et  touchant  ce  que  tu  as  dit  de  faire  trouuer  vne 
mefme  matière  bonne  &  mauoâife,  ie  veus  maintenir  que 
cela  eft  encores  vne  autre  folie,  car  fi  vne  chofe  d'elle- 


I  53  SECOND    Dl  ALOCVE 


mefmes  efl  bonne,  elle  ne  fçauroit  élire  mauuaile,  ni  au 
contraire,  quoi  qu'ils  iappent  &.  caquettent  auecques 
toutes  leurs  fleurs,  ^fleurettes,  &  couleurs  bigarrées  de 
leur  rhétorique.  Quant  eft  d'Agrippé  que  tu  dis  eftre 
entré  en  la  réputation  d'vn  homme  dofte,  le  ne  te  nierai 
pas  qu'il  n'ait  fçeu  quelque  chofe,  &  cela  peut  on  cog- 
noiftre  de  ces  cautelles  &  tromperies  par  lefquelles  il 
abufoit  &  abufe  encores  pour  le  iourd'hui  beaucoup  de 
perfonnes,  &  principalement  en  fon  traité  de  l'oculte 
philofophie,  epithete  fort  propre  à  telle  fcience,  veu  que 
lui-mefme  ne  l'a  iamays  fceu  découurir,  &  auroi  bien 
peur  qu'elle  ne  fut  tant  oculte  &  fi  bien  cachée  qu'on  ne 
la  trouuera  pas  encores  de  ces  premières  années,  toute- 
fois il  l'afTure  comme  véritable  &  témoigne  luy  mefme 
d'en  auoir  fait  de  beaus  coups  d'efTai,  combien  que  tout 
cela  foit  auffi  vrai  que  fi  on  difoit  qu'il  y  a  plus  de  toifon 
en  vn  gros  œuf  d'Auftruche  de  l'Afrique  qu'en  celle  de 
tous  les  moutons  de  Berri  enfemble:  11  efl  donq'  tout 
afîuré  qu'Agrippe  n'efloit  qu'vn  vrai  pipeur  de  Chre- 
ftiens. 

LE  COSMOPHILE.  En  reprouuant  ainfi  Agrippe 
tu  me  fais  fouuenir  de  Cardan  qui  le  taxe  pareillement 
en  fes  œuures,  8t  en  allègue  certains  experimens  pour  les 
blafmer  comme  ridicules. 

LE  DEMOCRITIC.  Vraiment  il  me  fouuient  en 
auoir  leu  quelque  chofe  en  fon  liure  xviij.  des  merueilles, 
mais  beau  fire  ie  le  trouue  bon  de  luy  qui  allègue  fans 
comparaifon  de  plus  grandes  folies  qu'Agrippe  dont  il  fe 
veut  moquer. 

LE  COSMOPHILE.    En  quel  lieu  as  tu  veu  que 


DV    D  E  MOCRITIC.  I  $9 


Cardan  ait  dit  ces  chofes  ridicules?  fi  me  femble  il  que 
c'efl  tout  au  contraire  &  qu'il  blafme  voluntiers  toutes 
ces  foies  fuperftitions  magiciennes. 

LE  DEMOCRITIC.  Il  en  vfe  ainfi  de  vrai  aucune- 
fois,  mais  tu  n'entens  pas,  c'efl  la  vraye  nize  :  ne  fçais 
tu  pas  bien  qu'il  faut  aucune-fois  reculer  pour  mieux 
fauter  fcpour  donner  dauantage  de  goufl  au  conte,  qu'il 
efl;  bon  de  méfier  entre  deus  vertes  vne  meure?  A  quelle 
fin  penfes  tu  que  Cardan  ait  reprouué  les  folies  des 
autres,  finon  pour  faire  valoir  dauantage  les  Tiennes? 
Voudrois-tu  voir  vn  plus  fot  experiment  que  celuy  dont 
il  alTure  auoir  eftanché  je  fang  de  fa  leure,  à  quoi  il 
ne  pouuoit  trouuer  aucun  remède  pour  l'arrefter  fors 
qu'en  vfant  de  fon  exorcifme. 

LE  COSMOPHILE.  Et  bien!  eftimes  tu  que  ce 
qu'il  en  dit  foit  faus? 

LE  DEMOCRITIC.  Oui  ie  l'eftime  &  le  croy  fer- 
mement, &  fi  outre  plus  l'en  ai  eflé  affuré  par  l'expé- 
rience contraire,  non  pas  que  i'aye  efté  fi  enfant  que  ie 
l'aye  voulu  effaier  moi-mefme,  mais  l'en  ay  veu  d'aucuns 
qui  en  penfoient  bien  triompher  &  en  faire  arrefter  le 
fang  de  quelques  artères  qu'ils  auoient  coupées  &  toute 
fois  c'eftoit  en  vain,  car  il  ne  laifToit  pas  à  fluer  toufiours 
comme  au  parauant.  Et  fi  ie  fçai  fort  bien  qu'il  ne 
tenoit  point  à  faute  de  bonne  &  ferme  foi,  car  ils  efloient 
pour  le  moins  auffi  fots  que  luy  pour  croire  à  telles  ba- 
dineries.  Il  allègue  encores  en  fon  liure  xix.  des  démons 
deus  autres  fingulieres  receptes,  dont  la  première  enfeigne 
la  manière  de  faire  vn  anneau  pour  guarir  du  haut  mal 
U  l'autre  pour  parapher  vn  certain  fignacle  à  guérir  celui 


l6o  SECOND    D1ALOGVE 

de  la  tefte  :  tt  pour  donner  le  luftre  à  fon  anneau,  il  le 
pare  d'vne  fueille  polie  par  vn  haut  conte  qu'il  allègue 
d'vn  lofephe  le  Noir  braue  necromant,  qui  guérit  auec 
fes  inuocations  vne  Damoifelle  qui  trauailloit  fort  d'vne 
ardeur  d'vrine  tant  véhémente  &.  incurable  que  pour 
cette  occafion  elle  en  eftoit  du  tout  abandonnée  des  mé- 
decins :  mais  ie  doute  fort  qu'à  la  fin,  ni  fon  anneau  ni 
fon  conte,  n'aient  point  plus  de  vertu  qne  les  deus  expe- 
rimens  de  la  noix  d'Agrippé,  defquels  il  fait  mention  en 
s'en  moquant. 

LE  COSMOPHILE.  A  ce  que  ie  voi  c'eft  vn  piètre 
qui  fe  mocque  d'vn  boiteux,  vraiment  ie  me  refous  de 
ne  croire  plus  dorefnauant  ni  à  Agrippe,  ni  à  Cardan, 
ni  à  tous  les  autres  autheurs  quels  qu'ils  foyent,  s'ils 
n'apuient  leurs  authorités  d'vne  plus  grande  raifon  que 
de  bourdes. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  feras  fort  bien,  car 
ceus  mefmement  aufquels  les  hommes  donnent  plus  de 
crédit  font  les  plus  grans  fots,  tefmoing  Platon  &  fon 
difciple  Ariftote,  dont  l'vn  eflant  monté  au  plus  haut  de 
la  quinte  eflence  de  fa  folie  nous  eft  allé  forger  de  belles 
Idées  imaginaires,  &  fubtilement  inuenter  des  principes 
magiftralement  déduits.  Et  puis  Ariftote  le  Philofcphe 
mignard  (duquel  la  plus  grande  vertu  durant  fa  vie  efloit 
à  fe  veftir  délicatement,  auoir  des  fouliers  faitis  fur  le 
pied,  eftre  fongneus  d'vne  belle  perruque,  fe  charger  les 
doits  d'vne  infinité  d'anneaus  fort  enrichis  &  reluifans) 
nous  en  a  encores  fait  de  pires  que  fon  précepteur,  de 
forte  que  fi  on  vouloit  dire  à  vn  maiftre  es  arts  le  iour  de 
fes  determinances,  qu'il  eut  des  oreilles  d'afne  aftuelle- 


DV    DEMOCRITIC.  lOI 

ment  &  qu'il  n'eut  pas  la  fageffe  de  Salomon  potentiale- 
ment,  vous  le  verriés  alors  à  l'imitation  de  fon  autheur 
affefté,  crier  &  braire  tellement  que  le  ieu  ne  fe  depar- 
tiroit  point  iufques  à  tant  que  fon  importunée  crierie  luy 
eut  fi  bien  enroué  la  gorge,  qu'elle  luy  eût  ofté  toute 
puifTance  de  parler  dauantage.  Outreplus  fi  Ariflote 
auoit  dit  que  la  neige  la  plus  blanche  qui  foit  point  au 
fort  de  l'hiuer  fus  les  coupeaus  des  montagnes  fût  noire, 
&  que  l'on  entreprint  de  perfuader  le  contraire  à  vn 
Logicien  la  luy  monftrant  au  doit  &  à  l'œil,  encores  clor- 
roit  il  les  yeux  pour  ne  la  voir  point,  &  frapant  des  pieds 
&  iappant  en  chien  il  s'opiniatreroit  contre  la  vérité. 
Mais  pourquoi  m'arreflerai-ie  d'auantage  à  toucher  ces 
afnes,  veu  qu'vne  bonne  partie  de  tous  les  autres  plus 
renommés  philofophes  ont  rempli  leurs  œuuresde  fonges 
&  réueries  fantaftiquement  alléguées  :  N'en  voit  on  pas 
les  exemples  par  vn  nombre  infini  de  tels  gentils  Philo- 
fophaftres,  l'vn  nous  voulant  faire  acroire  tout  eftre 
fait  d'vne  rencontre  fortuite  &.  hazardeufe  de  petis  cors 
indiuifibles,  qu'il  appelloit  atomes,  &  eft  ce  que  Ion  voit 
aus  rais  du  Soleil  quand  il  entre  en  quelque  lieu  renfermé 
par  vne  feneflre  ou  autre  ouuerture  :  penfés  vous  com- 
bien il  en  faudroit  pour  refaire  vne  autre  montagne 
d'Olimpe  !  Les  autres  nous  ont  dépeint  vne  ame  rouge, 
les  vns  blanche,  &  ceus-ci  bigarrée  comme  les  couleurs 
des  loiaus  amans  :  Aucuns  l'ont  logée  au  cueur,  puis 
tantoft  au  cerueau  pour  la  tenir  chaudement  :  Il  s'en  eft 
trouué  quelques  autres  meilleurs  fourbifleurs  qui  nous 
l'ont  engaignee  dedans  tout  le  corps  comme  dedans  fon 
fourreau,  de   peur  qu'elle  ne  s'enrouillaft  à  la  pluie: 


103  SECOND    DIALOGVE 

Outre  tous  ceus  ci  font  encores  furuenus  certains  orga- 
niftes  qui  nous  l'ont  armonifee  à  quatre  parties:  &  d'au- 
tres expers  enrocheurs  qui  l'ont  entonnée  dedans  vn 
vaiffeau  à  celle  fin  qu'elle  ne  prit  vent.  Mais  à  quoi  pen- 
foient  ces  importuns  fcrutateurs  de  chofes  douteufes? 
le  croy  que  la  fourrure  de  leurs  bonnets  leur  caufoit  ces 
fumées  au  cerueau.  Si  tu  as  enuie  de  fçauoir  d'auantage 
de  leurs  folies,  voi  vn  dialogue  de  Lucian  infcrit  l'Icaro- 
menippe  ou  autrement  l'Hipernephele.  Tu  pourras  là 
voir  amplement  les  opinions  philofophales  de  nos  pre- 
miers bourdeurs  eflre  naifuement  contrefaittes  &  expri- 
mées par  la  perfonne  de  Menippe  qui  raconte  le  difcours 
de  fon  voiage  celefle  à  vn  (îen  ami.  le  ne  veus  pas 
neantmoins  tant  feuerement  reietter  les  authorités  des 
anciens  autheurs,  que  ie  ne  les  vueille  bien  quelquefois 
receuoir  &  principalement  quand  elles  ne  font  point  tant 
fondées  fus  vne  opinion,  que  la  vérité  &  preuue  raifon- 
nable  n'y  foit  apparente  :  &.  telle  chofe  efl  principalement 
requife  à  l'endroit  des  perfonnes  qui  veulent  reprendre, 
&  fe  moquer  des  autres,  ce  qui  a  efté  toutefois  affés 
mal  pratiqué  de  ceus  qui  s'en  font  voulu  méfier. 

LE  COSiMOPHlLE.  Voudrois  tu  dire  que  l'Italien 
M.  Antonio  Phileremo  Fregofo  qui  a  fait  ie  ris  de  Demo- 
crite  &  d'Heraclite,  &  Erafme  en  fa  louange  de  folie 
n'aient  pas  bien  befongné? 

LE  DEMOCRITIC.  Quant  eft  de  l'Italien  il  aurcit 
fort  bien  dit  fi  fes  œuures  eftoient  falées  mais  elles 
manquent  tant  en  cela  (qui  eft  bien  le  plus  requis  à  tel 
genre  d'écrire)  qu'elles  femblent  auoir  eflé  faites  d'vn 
homme  qui  fe  vouloit  feulement  exercer  lui-mefme  en 


DV    DE  MOCRITIC.  l6j 

les  faifant,  &  nofi  pas  pour  poindre  aucun  ni  chatouiller 
de  fon  bien  dire  les  apprehenfions  des  bons  efpris  :  ie 
m'en  rapporterai  à  tous  doftes  lefleurs  qui  voudront 
perdre  quelque  tems  à  l'éplucher  de  plus  près  que  fon 
autheur  mefme. 

LE  COSMOPHILE.  Et  bien  d'Erafme,  n'en  dis- tu 
autre  chofe? 

LE  DEMOCRITIC.  Vraiment  il  a  dit  ie  ne  fçai 
quoi  mais  il  femble  que  s'il  euft  failli  de  s'atacher  à  ces 
pauures  preflres  que  la  parole  luy  fut  quant  b  quant 
faillie  &  que  tel  fuget  tant  il  auoit  la  matière  affeâée  &. 
refTembloit  prefque  à  ces  petis  prechereaus,  lefquels 
eftans  hors  de  propos  fe  ruent  à  tort  &  à  trauers  fus  ces 
hérétiques,  allegant  quelques-fois  auffi  bien  des  chofes 
à  leur  auantage  voire  pluftoft  qu'à  leur  preiudice  :  d'autre 
part  tant  s'en  faut  qu'il  fuft  confiant  en  fes  difcours, 
qu'il  eftoit  à  lui-mefme  du  tout  inconftant  &  volage, 
mefmement  en  fa  louange  de  folie,  en  laquelle  il  taxe  ces 
langars  orateurs  qui  fe  vantent  d'auoir  compofé  en 
trois  iours  ou  prefque  fait  fus  l'heure  &  à  l'impourueu 
ce  qu'ils  ont  pourpenfé  &  rebarbouillé  en  plus  de  deus 
ou  trois  ans,  fit  lui  mefme  fe  vante  d'auoir  fait  fon  traité 
de  la  louange  de  folie  quafi  par  manière  d'ébat  en  huit 
iours,  où  il  a  pofTible  plus  matagrabolizé  qu'Acurfe  en 
fes  vieilles  glofes  de  droit.  Apres  il  fe  moque  de  ceus  qui 
entremeflent  de  petis  quolibets  de  grec  parmi  le  latin, 
U  en  cela  eft-il  plus  vitieus  que  nul  autre,  veu  que  le 
plus  fouuent  il  iargonne  du  grec  en  des  paffages  qui  fe 
pourroient  auffi  bien  voire  mieus  dire  en  latin  qu'en 
cette  fote  mélange  bigarrée.  Et  finalement  pour  fe  faire 


■64  SECOND     DIALOGVE 


mieus  croire  en  fa  folie,   il  dit  tout  au  contraire  de  la 
vérité,  accommodant  ce  qui  eR  entièrement  propre  au 
fage,  aus  conditions  du  fot,  &.  ce  qui  eft  naïf  au  fot  le 
voulant  du  tout  attribuer  au  fage.  Il  allègue  que  le  fage 
fe  trouuant  auecques  les  hommes  fera  ou  du  tout  muet, 
ou  que  par  le  ne  fçai  quelles  facheufes  queftions  il  fera 
importun  à  toute  vne  bonne  compagnie  :  il  dit  pareille- 
ment que  le  fage  fera  mélancolique,  particulier,  &  du 
tout  à  lui  fans  regarder  à  plaire  aus  perfonnes  entre 
lefquelles  il  eft,  fe  monftrant  mal  feant  en  toutes  chofes 
de  pafletems,  ne  prenant  plaifir  qu'à  fe  découurir  par 
vne  face  renfrognée,  contredifant  aus  honnefles  récréa- 
tions des  hommes,  toufiours  pauure  &  beliflre  par  ce 
qu'il  dédaigne  faire  la  court  aus  grans  feigneurs  &  qu'il 
méprife  les  richefles.  Au  contraire  que  le  fotard  eft  tou- 
fiours gai,  difant  le  mot  en  vne  compagnie,  preft  à  rire 
&  folâtrer  auecques  les  autres,  voluntiers  plus  riche  que 
les  fages,  méprifant  toutes  foies  apprehenfions  &  prin- 
cipalement des  efpris   &  diables  mafqués  qui  vont  de 
nuit  pour  épouuanter  les  vieilles,  &  garni  de  mille  autres 
belles  qualités  par  la  queue  de  fes  lettres.  Or  voi  vn 
peu  comment  il  déguife  ce  fol,   &  de  la  grâce   qu'il  a 
mafqué  ce  pauure  nom  de  fage  au  plus  grand  tribouUet 
qui  fut  onques  tribouillé  de  couilles  humaines.  Eft  ce  pas 
aumoins  bien  incagné  les  pauures  pucelles?  les  pauures 
petites  neuf  feurettes  de  ParnafTe?  Eft-cepas  leur  bailler 
au  lieu  de  coronnes  de  laurier  à  chacune  vn  cahuet  verd 
afnierement  oreille  &  houpeté  de  belles  franges  bigar- 
rées? &  au  lieu  de  lyre,  de  luths^  flûtes  &  guiterres,  à 
chacune  vne  veze,  «ipour  Apollon,  vn  Maiftre  lehan  de 


ï 


D  V    D  EMOCRIT  IC.  165 

Poitiers  diogenifant  auecques  fon  bafton  8t  fes  plumes 
de  coq  :  Par  la  Roine  d'Eleuthere  leur  bonne  le  di  bonne 
mère,  c'efl  bien  conchié  hes  plus  grans  mignons  de  ces 
neuf  do(Ses  pucelles,  ie  di  de  ces  puceiles  qui  ont  eu  des 
enfans  beaus,  &  bons,  bien  auenans  en  toutes  courtoifies 
gentiles  &  mignardes:  ie  me  donne  à  leur  faint  chœur 
fi  ce  n'eft  bien  execrablement  blafphemé  contre  leur 
diuinité,  &  parlé  en  vraye  befle  incenfée  &  fans  ceruelle. 

LE  COSMOPHILE.  Si  ne  le  gaigneras-tu  pas 
contre  Erafme,  car  encores  qu'il  n'eufl  dit  rien  qui  vaille, 
fi  eft-ce  que  pour  autant  qu'il  a  efcrit  en  Latin  &.  que  tu 
parles  en  François,  il  fera  toufiours  eftimé  dauantage 
que  toi. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  veus  pas  dire  qu'Erafme 
n'ait  efté  homme  entendant  beaucoup  de  bonnes  chofes, 
&  fort  difert  en  la  langue  Latine,  &  qu'il  n'en  mérite 
quelque  louange  :  car  la  cognoifTance  des  langues  n'eft 
pas  feulement  vtile  &  louable,  mais  auffi  néceffaire  pour 
les  honnefles,  profitables  &  politics  enfeignemens  que 
ion  y  peut  voir,  ioint  les  grans  &  beaus  fecrets  que  nous 
ouurent  les  langues  tant  Grecque  que  Latine:  Mais  auffi 
ie  veus  bien  fouflenir  qu'il  ne  faut  point  eftre  fi  profond 
admirateur  des  étrangers,  que  noflre  langue  maternelle 
en  foit  pour  cette  curiofité  amoindrie  ou  déprifee,  ainfi 
qu'  elle  a  efté  anciennement  par  ie  ne  fçay  quels  braues 
fillogifateurs  d'argumens  cornus,,  qui  donnoient  la  moi- 
tié plus  de  gloire  à  quelque  petit  maiftre  es  arts  crotté, 
ou  autre  bourgeon  de  fcolarés  pour  deus  ou  trois  mots 
de  Latin  dégorgez  en  vne  difpute  ambiguë,  que  ils  n'ont 
fait  sus  autres,  lefquels  eftans  parfaits  en  noftre  françois 


l66  SECOND    DIALOGVE 


nous  ont  retiré  tout  le  meilleur  des  obfcurs  eftrangiers 
tt  facilement  expliqué  en  noftre  vulgaire:  il  me  fouuient 
auoir  quelques-fois  leu  au  premier  liure  des  Académiques 
queftions  de  Ciceron  introduifant  alors  Varron  parlant 
(duquel  l'alléguerai  pour  le  prêtent  l'authorité  eftant  en 
ceft  endroit  accojnpagnée  de  la  raifon)  comme  il  con- 
feille  à  ceus  qui  eftoyent  curieus  de  fçauoir  la  philofo- 
phie,  s'ils  auoyent  la  cognoifTance  8t  érudition  des  lettres 
Grecques,  les  lire  pluftoft  que  les  Latines,  pour-autant 
qu'elle  eftoit  plus  diligemment  expliquée  en  icelles  qu'aus 
Romaines.  Or  voila  mon  ami  la  vraie  raifon  qui  nous 
doit  inciter  à  aprendre  les  autres  langues,  quand  en 
icelles  fe  peut  voir  quelque  fuiet  plus  amplement  &.  mieus 
déclaré  qu'en  la  noflre,  &  ce  deuons  nous  faire  à  celle 
fin  qu'en  l'entendant  telle  cognoiffance  nous  férue  pour 
contenter  noftre  efprit,  ou  pour  en  enrichir  &  fubtilier 
les  trais  de  noftre  langue,  &  non  pas  pour  en  faire  fi 
grande  profeffion  ou  eftime  que  la  noftre  en  perde  fon 
pris,  ainfimefmement  que  tefmoigne  ledit  Ciceron  faifant 
vne  pareille  comparaifon  de  fa  langue  à  la  Grecque  au 
préface  de  fon  premier  liure  des  biens  &  des  maus  :  Et 
qu'il  foit  ainfi,  voit  on  vn  Demofthene  s'eftre  immortalizé 
pour  auoir  efcrit  en  vne  autre  langue  qu'en  la  Grecque? 
En  voit  on  autrement  d'Homère,  ou  de  Pindare?  Les 
anciens  Romains,  &.  pluseftimés  tant  au  bien  dire,  qu'à 
la  poëfie,  ne  fe  font  ils  pas  vengés  du  temps  s'immortali- 
zant  par  leur  langue  Latine  ?Pourquoy  donques  le  pareil 
ne  fe  pourra-il  pas  auffi  bien  pratiquer  en  noftre  langue 
qu'aus  eftrangieres,  fi  les  bons  efprits  (ainfi  que  la  grâce 
aus  dieus  ils  commencent  fort  bien  auiourd'huy)  prof- 


I 


DV    DE  MOCR  ITIC.  167 


perent  &  qu'ils  foient  vn  peu  plus  fauorifez  dorefnauant 
qu'ils  n'ont  pas  eflé  du  tems  de  la  grofle  ignorance, 
dont  les  vieus  fiecles  ont  efté  trop  longuement  enuelo- 
pez?  N'en  voit  on  pas  l'exemple  &  principalement  en 
poëfie  fus  vn  Rohfard,  vn  du  Bellai,  vn  de  Baïf  &  affez 
d'autres  bons  efprits  de  noflre  aage,  dont  les  œuures 
font  &  feront  immortellement  renommés  entre  ceus  qui 
auront  la  cognoiffance  de  la  propriété  &  douceur  de 
noflre  langue?  Que  tous  barbares  ignorans  ceffent  donq' 
de  louer  tant  déformais  ces  mendieurs  de  Latin  qu'ils  ne 
prifent  d'auantage  ceus  qui  les  remettent  au  chemin 
dont  ils  eftoient  égarez  par  ie  ne  fçay  quels  fentiers  inco- 
gneus  à  la  trace  des  bons  François,  non  pas  que  ievueille 
dire  qu'il  fe  faille  tant  élongner  des  chams  eflrangers 
qu'on  n'y  penfe  bien  quelques-fois  recueillir  des  fleurs 
&  des  fruits,  qui  rendent  les  noflres  plus  deleftables  &. 
plaifants,  mais  pour  le  moins  il  y  faut  tenir  vn  tel  moien 
qu'on  n'adnr.Ire  pas  tant  ce  qui  eft  de  l'autruy  (commun 
vice  en  la  nation  Françoife)  que  le  noflre  propre  en  foit 
defprifé. 

LECOSMOPHILE.  Si  efl-ce  que  la  plufgrande 
partie  des  hommes  n'accordera  pas  en  cela  auecques 
toi,  car  ainfi  que  ie  te  difois,  ils  ne  font  conte  que  d'vne 
langue  eflrangere,  &  fi  outre  plus  ils  ne  trouuent  point 
de  goufl  eus  écris  de  nos  François  auprès  de  ceus  des 
anciens  Grecs  &  Latins. 

LE  DEMOCRITIC.  Il  s'enfuiuroit  donq'  fi  nous 
voulions  croire  au  dire  de  tels  fots  que  Nature  fe  fuft 
abaflardie  depuis  le  tems  de  nos  anceflres,  ou  que  les 
écris  fe  meurilTent  &  fe  trouualTent  meilleurs  auecques 
le  cours  des  longues  années. 


l68  SECOND    DIALOGVE 


LE  COSMOPHILE.  Ce  n'eft  pas  cela,  mais  ils 
difent  que  ceusqui  efcriuent  pour  le  iourd'huy  en  Fran- 
çois traittent  les  chofes  plus  à  la  legiere  8i  ne  les  cher- 
chent pas  de  fi  loing  que  les  autres. 

LE  DEMOCRITIC.  Mais  cuidés-vous  que  ces 
anciens  autheurs  qui  font  allé  chercher  les  chofes  de  fi 
loing,  les  traittant  d'vn  ftile  fi  obfcur  &  fi  difficile  qu'eus 
mefmes  ne  les  entendoient  pas,  font  bien  plus  à  louer 
que  ceus  qui  parlent  vn  langage  entendu  d'vn  chafcun? 
Il  me  femble  que  ie  voi  encores  de  ces  vineufes  Thiades 
de  Bacchus  qui  enfoncèrent  les  matières  fi  hautement 
qu'elles  ne  fçauoient  pas  elles  mefmes  ce  qu'elles  pen- 
foient  :  comme  fi  on  vouloit  demander  par  vne  queflion 
amphibologique  :  Afçauoir  fi  la  première  forme  de  la 
fuftance  immatérielle  de  rame,eft  deuant  la  création  de 
l'vniuers  éternellement  emprainte  dedans  le  diuin,  infini, 
&  fupreme  intelleft  des  hautes  Idées:  Ne  voila  pas  de 
belles  difputes  &  prinfes  de  bien  loing. 

LE  COSMOPHILE.  Quand  eftde  moy  ie  ne  veus 
point  eftre  fi  afîedé  à  telle  lourderie  que  ie  n'eflime 
dauantage  ceus  qui  parlent  entendiblement,  que  ces 
enfonceurs  de  matières,  qui  vont  quérir  les  chofes  fi 
fuperliquoquentieufement,  qui  commencent  des  le  haut 
de  la  mitre  louiale  &  puis  viennent  finir  foubs  la  felle 
percée  de  Proferpine,  car  tels  yurongnes  ainfi  comme 
tu  as  fort  bien  dit  ne  s'entendent  pas  eus-mefmes. 

LE  DEMOCRITIC.  Il  ne  faut  pas  que  tu  t'éba- 
hiffes  s'ils  font  des  œuures  fi  hautement  efleuées  qu'ils  n'y 
peuuent  eus-mefmes  atteindre,  veu  qu'ils  commandent 
vne  manière  de  viure  au?  hommes  totalement  impoffible, 


DV    DEMOCRITIC.  I  69 

comme  de  dire  qu'il  ne  faut  s'efiouir  pour  bonne  fortune 
ni  fe  fâcher  pour  mauuaife  tant  grande  foit  elle,  refifter 
&  fe  monftrer  confiant  contre  toutes  les  iniures  &  ad- 
uerfités  qui  furuiennent  tant  au  cors  qu'à  l'efprit  de 
l'homme,  foit  d'endurer  faim,  foif,  chaud,  froid,  ennuis 
ou  maladies,  tellement  que  ie  croi  fi  on  mettoit  ces  gen- 
tils Zenoniens  au  plus  fort  de  l'hiuer  fus  le  millieu  du 
mont  Cenis  auprès  de  la  chapelle  des  tranfis,  qu'ils 
diroient  encores  qu'ils  mourroient  de  chaud,  ou  bien 
fi  on  les  iettoit  dedans  vn  feu  qu'ils  trouueroient  cela 
auffi  dous  que  luppiter  fait  fon  neftar  fucré  d'vn  baifer 
Ganimedien. 

LE  COSMOPHILE.  Comment  donq' n'en  voit  on 
pas  l'exemple  fus  ce  fage  fot  de  Prothée  Peregrin  philo- 
fophe  cyniq',  duquel  Lucian  efcrit  la  vie,  en  laquelle  il 
tefmoigne  comme  après  auoir  affemblé  le  peuple  &  fait 
dreffer  vn  grand  feu,  il  fe  ietta  lui-mefme  dedans  fans 
y  eftre  contraint  d'aucun?  Et  croi  qu'il  ne  l'eut  pas  fait 
s'il  n'y  eut  efperé  quelque  merueilleus  &  fingulier  plaifir. 

LE  DEMOCRITIC.  Mais  à  propos  il  y  en  a  en- 
cores beaucoup  au-iourd'huy  qui  font  frians  de  telle 
manière  de  mort  :  y  auroit  il  point  quelque  certaine  pro- 
priété au  feu  qui  feroit  fentir  vn  mignard  &  fauoureus 
chatouillement  à  l'ame  à  raifon  d'vne  fympathie  qui  eft 
entre  eus  deus,  entendu  mefme  que  l'ame  de  fa  nature 
eft  vne  chofe  ignée? 

LE  COSMOPHILE.  Mais  ie  ne  fçai  :  par  Dieu  ie 
croirois  incontinent  qu'il  en  feroit  quelque  chofe,  &  ce 
qui  me  le  perfuaderoit  encores  dauantage  ce  feroit  ce 
qu'ont  dit  les  philofopbes  naturels  de  la  mort  de  l'eau, 

8 


SECOND    Dl  ALOGVE 

l'aiTurans  tous  enfemble  la  plus  cruelle  des  morts, 
pour  autant  qu'il  n'y  a  rien  plus  contraire  à  la  nature 
de  l'ame  qui  participe  (ainfi  que  tu  as  très  bien  dit)  de 
celle  du  feu  que  l'eau,  &  ainfi  en  argumentant  au  con- 
traire, il  s'enfuiuoit  qu'il  n'y  auoit  point  de  mort  plus 
douce  que  celle  du  feu,  pour  le  grand  accord  de  fa  na- 
ture auecques  celle  des  âmes. 

LE  DEMOCRITIC.  Tu  me  fais  prefque  venir  à 
moi  mefme  de  mourir  en  cette  forte  :  Mais  penferois-tu 
bien  que  l'en  voufiffe  vfer  fi  fotement  que  ce  grand 
veau  de  Peregrin,  lequel  après  auoir  fait  allumer  fon  feu 
t  commencé  lui  mefme  à  l'embrazer  auecques  fa  tor- 
che, s'alla  ruer  à  l'eftourdi  au  beau  millieu  où  il  fut  tout 
foudain  euanoui  &.  confumé  en  cendre?  Nenni,  neniii, 
l'en  voudroi  bien  auoir  le  piaifir  plus  longuement  : 
Sçais  tu  comment  l'en  vferoi  ?  le  drefferoi  en  quelque 
lieu  à  l'efcart  vn  petit  feu  (&  fans  y  appeller  perfonne  à 
tefmoin)  auquel  i'auroi  le  moien  de  m'eflaier  &  me 
tourner  de  tous  les  collés  où  ie  fentiroi  qu'il  me  de- 
mengeroit. 

LE  COSMOPHILE.  11  vaudroit  bien  mieus  fe 
faire  acouftrer  comme  on  cuifl  les  harencs  forés  en 
Italie,  à  beau  petit  feu  de  paille  :  Mais  ie  te  prie  com- 
mence le  premier  à  en  faire  l'effai  8t  puis  ie  te  fuiurai. 

LE  DEMOCRITIC.  Tout  beau,  tout  beau,  tu 
prens  les  matières  trop  à  cueur  :  hô  de  par  Dieu,  il  ne 
faut  pas  ellre  fi  colère  fus  fes  premières  aprehenfions  : 
ie  te  prie  remettons  cela  à  quand  tu  feras  de  retour  de 
ton  voiage,  &  puis  félon  ce  que  i'en  aurai  ce  pendant 
aduifé  ie  le  mettrai  en  exécution. 


UV    D  EMOCRITIC.  I  7' 


LE  COSMOPHILE.  le  croy  à  mon  adiiis  quand 

nous  aurions  bien  debatu  ce  point  là  que  nous  rerou- 
drions  à  la  fin  qu'il  vaudroit  mieus  viure,  fans  efTaierde 
nous  immortalizer  par  ce  dous  tourment  de  ce  pauure 
tranfporté  de  cerueau  Peregrin  philofophe  ciniq,  tou- 
tefois qu'il  femble  encores  mériter  quelque  louange, 
entendu  que  la  fin  qui  l'incitoit  à  ce  faire,  eftoit  pour 
acquérir  litre  d'immortalité. 

L  E  DEMOCRITIC.  a  ce  conte,  celui  qui  mit  le 
feu  dedans  le  temple  de  Diane  d'Ephefe,  deuroit  eftre 
bien  eftimé,  puis  qu'il  le  faifoit  pour  vn  mefme  efgard  : 
Mais  ie  te  prie  regarde  vn  peu  la  grande  folie  où  tum- 
bent  tous  ceusqui  font  fi  affeftés  à  l'immortalité.  Il  s'en 
trouue,  comme  ceiis-ci  defquels  nous  auons  fait  men- 
tion, qui  en  font  les  aftes  les  plus  eflongnés  de  raifon 
qu'il  e(l  poffible  :  les  autres  ne  fe  foucient  aucunement 
de  la  réputation  qu'ils  auront  durant  leur  vie  foit  bonne 
ou  mauuaife,  mais  qu'après  la  mort  ils  efperent  d'en 
eftre  recompenfés  de  quelque  vaine  louange. 

LE  COSMOPHILE.  Qui  feroient  bien  ces  lourdans 
là  qui  defireroient  plus  eftre  approuués  après  leur  dé- 
cès que  durant  leur  vie?  le  m'efbahi  qu'ils  ne  confi- 
derent  que  ie  chien  mort  ne  mort  point,  ni  ne  fent  non 
plus  les  morfures. 

LE  DEMOCRITIC.  Ne  s'en  trouue  il  pas  afles 
qui  fe  priuentde  tout  plaifir,  ne  faifans  autre  chofe  toute 
leur  vie  que  brouiller  ie  ne  fçai  quelles  fornettes  en 
efpoir  qu'elles  foient  mifes  en  lumière  après  leur  mort? 
Et  font  encores  aueuglés  iufques  à  là  qu'ils  en  penfent 
bien  voltiger  St  gambader  en  l'air  plus  dextrement  que 


173  SECONDDIAl.  OGVE 

les  autres.  Cuidés-vous  que  la  louange  que  l'on  donne  à 
Demoflhene  ou  à  Ciceron  leur  chatouille  bien  mainte- 
nant les  oreilles  aus  lieus  oii  ils  font  allés? 

LE  COSMOPHILE.  11  fembleroit  prefque  à  fouir 
parler  qu'il  ne  faudroit  fe  foucier  aucunement  d'acqué- 
rir vn  renom  immortel,  &  par  ce  moien  feroient  du 
fout  abolies  les  eftudes  des  bonnes  lettres,  &  ne  tiendroil 
on  plus  conte  de  fe  tourmenter  après  tant  d'autres 
aftes  braues  &  mémorables,  par  lefquels  on  fe  fait  re- 
nommer d'vne  immortelle  gloire,  gloire  di-ie  qui  fert 
d'aiguillon  à  la  pofterité  pour  imiter  fes  anceflres  en 
leur  manière  de  viure  tant  louable  &.  vertueufe. 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  veus  pas  dire  qu'il  faille 
delaiffer  pour  cela  d'eftre  aHieflé  à  la  vertu,  de  profiter 
au  public,  de  compofer  liures,  &  faire  quelques  autres 
ohofes  dignes  de  mémoires,  mais  ie  veus  bien  mainte- 
nir qu'vne  heure  de  louange  que  Ion  en  reçoit  durant  la 
vie  fait  plus  de  bien  à  la  perfonne  que  cent  mille  ans 
après  la  mort. 

LE  COSMOPHILE.  Ha  dea  fi  tu  l'entens  ainfi  ie 
n'y  contredi  pas  :  Mais  à  propos  de  ces  zélateurs  de 
l'immortalité  i'ai  autrefois  oui  dire  à  gens  dodes  qu'il 
s'en  eft  trouué  qui  pour  celte  occafion  ont  voulu  mefme 
feindre  des  dieux  à  leur  pofte  &.  introduire  de  fauces 
religions  entre  le  populaire,  &.  pour  autant  que  ie  t'ai 
cognu  fort  bien  appris  en  ces  anciennes  hiftoires  ie  te 
voudroi  bien  prier  de  m'en  faire  vn  petit  difcours  &  le 
plus  breuement  que  tu  pourras,  car  ie  vol  le  foleil  qui 
commence  là  fort  à  s'abbaiffer,  &  qui  nous  aduertit  que 
l'heure  du  fouper  nous  preffera  tantoft. 


D\DEMOCRITIC.  I75 

LE  DEMOCRITIC.  Combien  que  cela  nefe  puifïe 
pas  dire  en  fi  peu  de  paroles  que  tu  me  le  demandes, 
fi  elTairai  ie  neantmoins  à  te  le  retraindre  au  moins  de 
langage  qu'il  me  fera  poffible  :  Et  deuant  que  l'y 
commence  tu  me  diras  premièrement  s'il  te  fuffira  que 
ie  te  face  mention  de  ces  premiers  forgerons  de  dieux 
fans  te  parler  des  autres  qui  les  ont  du  tout  voulu  dé- 
molir. 

LE  COSMOPHILE.  lete  prie  de  grâce  ne  me  dis 
point  l'vn  fans  l'autre,  car  i'auroi  peur  de  ne  voir  que 
d'vn  coflé. 

LE  DEMOCRITIC.  le  n'ai  que  faire  de  te  racon- 
ter la  confufion  des  faus  dieus  du  tems  iadis  qui  eftoit 
telle,  qu'il  s'y  trouuoit  mefme  trois  cents  luppins  &  y  en 
auoit  qui  facrifioient  aus  dieus  inconnus.  Il  me  fuffira 
tant  feulement  de  te  parler  des  principaux  inuenteurs 
de  telles  fauces  fuperftitions  dont  la  première  origine  ePc 
deriuee  des  Egyptiens,  &  après  eus  de  Cecrope  pre- 
mier Roi  des  Athéniens  qui  en  abreuua  toute  la  Grèce, 
car  ce  fut  le  premier  qui  commença  à  appeller  luppiter, 
à  contrefaire  des  fimulachres,  ordonner  des  autels,  & 
inuenter  facrifîces,  chofes  qui  efloient  au  parauant  lui 
totalement  inconnues  aus  Grecs.  Et  pourtant  qu'il  fut  le 
premier  qui  amena  la  coutume  de  ioindre  par  mariage 
l'homme  auecques  la  femme,  il  fut  furnommé  double- 
face.  11  fe  trouua  pareillement  en  Crète  vn  autre  Roi 
nommé  MellifTe  qui  commença  à  leur  introduire  de 
nouuelles  manières  de  faire  touchant  les  facrifîces  & 
autres  fuperftitions  :  Nume  Pompile  en  fift  autant  à 
Rome,  là  où  il  inftitua  les   facrifîces,   créa  l'ordre  des 


174  SECOND    DIALOGVC 


vierges  veRales,  facra  Martien  homme  noble  grand 
ponlife,  en  la  charge  &  puirPance  duquel  il  foubmift  tous 
les  droits  des  chofes  facrées.  Ce  fut  lui-mefme  qui  en- 
Teigna  8i  donna  par  règle,  quels  iours  &  quels  temples 
eftoient  dédiés  pour  acomplir  leurs  fiiperflitions  &.  facri- 
fices,  auecques  la  manière  &.  façon  qu'ils  y  deuoient 
tenir.  Ce  fut  le  premier  fondateur  des  iours  qu'ils  ap- 
pelloient  anciennement  faftes  &.  nefaftes,  aufquels  il 
n'efloit  permis  en  aucune  forte  de  trafiquer  ni  de  faire 
autre  œuure  quelconque  entre  le  peuple,  &  fut  lui  qui 
diuifa  l'an  en  douze  parties.  Et  à  celle  fin  de  donner 
plus  de  lieu  à  fes  inflitutions  &.  de  tenir  les  Romains  en 
vne  plus  grand'  crainte  fous  le  prétexte  d'vne  diuinité,  il 
leurdonnoit  à  entendre  que  toutes  les  nuis  il  fetrouuoit 
auecques  la  déerte  AEgerie  :  &  que  par  Ton  confeil  &. 
aduertiffemenl  il  ordonnoit  les  facrifices  qu'il  cognoif- 
foit  eftre  agréables  aus  dieus  immortels.  Mais  il  n'eft 
rien  plus  vrai  que  c'efloit  vne  chofe  controuuée  que 
telle  reuelation  de  la  déefTe  laquelle  il  mettoit  en  auant, 
fi  d'auanture  il  n'entendoit  par  fa  déeffe  fa  grâce,  ainfi 
que  voluntiers  les  nomment  les  amoureux  affeélionnés. 
Neantmoins  il  le  faifoit  pour  vne  bonne  fin  qui  eftoit 
pour  retirer  le  peuple  Romain  eiicores  pour  lors  rude  &. 
JDnital  d'vne  trop  grande  affeflion  qu'il  auoit  aus 
guerres,  &  l'induire  à  quelque  vénération  de  la  diuinité. 
Et  telle  a  toufiours  efté  la  coutume  de  cens  qui  ont 
voulu  eftablir  loix,  &.  introduire  nouuelles  coutumes  an 
villes,  ou  à  tout  vn  peuple,  c'eft  à  dire  de  raporler 
toutes  leurs  inflitutions  à  quelque  particulière  &  affeftée 
diuinité,  à  celle  fin  qu'en  les  faifant  plus  foigneufement 


DVDtMOCRITIC.  175 

garder  comme  faintes  &.  mieus  approuuées,  ils  en  acquif- 
fent  par  ce  moien  vne  plus  grande  &  perdurable  mé- 
moire. Ainfi  en  vfa  Licurge  Roi  des  Lacedemoniens  &. 
grand  philofophe,  rapportant  les  Tiennes  à  Apollon  ; 
Ainfi  Dracon  &.  Solon  enuers  les  Athéniens  à  Minerue  : 
Et  Minos  beaucoup  plus  ancien  que  ceus-ci,  qui  hanta 
par  l'efpace  de  ix  ans  vn  viel  antre  confacré  à  luppitei" 
pour  y  machiner  les  loix  tout  à  loifir,  après  les  auoir 
lignifiées  en  Crète  il  les  refera  pareillement  à  luppiter  : 
Trimegifte  en  Egipte  à  Mercure  :  Zoroallre  en  la  con- 
trée des  Badriens  à  Oromafe  :  Caronde  en  Cartage  à 
Saturne  :  Zamolche  en  Scytie  à  la  déefTe  Vefla.  De  dire 
que  Moyfe  en  ait  fait  autant  &.  qu'il  fe  foit  apofté  vne 
diuinité  comme  les  autres,  c'eft  vne  chofe  tant  mé- 
chante &  deteftable  que  tant  s'en  faut  qu'on  la  doiue 
fouftenir,  qu'elle  ne  doit  pas  fortir,  horsde  la  bouche  des 
fidellesen  quelque  forte  que  ce  foit,  combien  qu'il  y  en 
ait  pour  le  iourd'hui  d'abandonnés  &.  perdus  iufques  à  là 
qu'ils  ne  lailTent  pas  de  s'engoufrer  en  l'abifme  d'vne  (i 
dangereufe  &.  damnable  opinion  :  mais  plaife  à  la  fou- 
ueraine  bonté,  guide  de  nous  tous,  de  les  retirer  de  ce 
péril  auquel  ils  flottent  tant  pernicieufement  &  les  re- 
mettre en  la  vraie  voie  de  (alut.  Nous  delaifîerons 
pour  cette  heure  de  parler  dauantage  de  ces  miferables, 
&  retournerons  aus  fauces  fuperflitions  anciennes  &.  à 
leurs  inuenteurs,  entre  lefquels  il  s'en  eft  trouué  de 
tant  affeftés  à  l'immortalité  qu'eux  mefmes  fe  font  voulu 
faire  eftimer  dieus,  voire  iufques  à  ne  craindre  point 
la  mort  pour  accomplir  leur  fol  fe  tranfporté  defir. 
L'exemple  en  eft  affés  euidenle  en  la  perfonne  d'Empe- 


176  SECOND    DIAIOGVE 

docle,  lequel  afîeélanl  de  laiffer  l'opinion  de  lui  enuers 
le  commun,  qu'il  auoit  eflé  par  quelques  portes  &.  cour- 
riers de  laffus  enleué  tout  chaulTé  &  vertu  à  la  dextre  du 
haut-tonnant  vn  peu  plus  doucement  que  celui  qui  eft 
enregirtré  folemnellement,  fe  ietta  lui-mefme  dedans  le 
goufre  d'AEtne  montagne  pour  lors  bruflante  à  l'occafion 
d'vne  certaine  nature  fulphurée  &.  glutineufe  qui  n'eftoit 
encores  pour  lors  toute  confommée  :  Mais  le  pauure 
lourdaut  laiffa  de  malencoiitre  tomber  vne  de  fes  pan- 
toufles d'airain  qui  fut  trouuée  à  la  gueule  de  ce  goufre 
bluflaiit,  &  par  ce  moien  fa  braue  &.  glorieufe  entreprife 
découuerte. 

LE  COSMOPHILE.  le  voudroi  fort  fçauoir  en 
quelle  eftime  ertoient  le  tems  paffé  tous  ces  beaus  legif- 
lateurs,  &  fi  le  monde  ertoit  pour  lors  fi  étoufé  de  té- 
nèbres qu'il  ne  decouurit  bien  leurs  abus. 

LE  DEMOCRITIC.  11  ert  tout  afTuré  qu'entre  les 
ignares  &.  brutaus  cela  ertoit  le  mieus  receu  du  monde, 
mais  de  tous  tems  il  y  a  eu  des  gens  dofles  &  de  fi  bon 
efprit  qu'ils  n'ont  iamais  rien  voulu  receuoir  de  telles 
bourdes  &.  fauces  erreurs. 

LE  COSMOPHILE.  le  te  prie  compagnon  di  moi 
qui  ont  efté  ces  vénérables  mignons? 

LE  DEMOCRITIC.  le  ne  te  parlerai  de  ce  galant 
d'Epicure  qui  appelloit  les  dieus  monnogrammes,  ni 
d'vn  autre  nombre  infini  de  philofophes  qui  l'ont  enfuiui 
veu  qije  tels  contes  font  trop  vulgaires,  ce  me  fera  afTés 
de  te  refraichir  la  mémoire  de  quelques  vns  &  des 
principaus  qui  ont  voulu  renuerfer  toute  la  fuperrtition 
des  feus  dieus,   ainfi  que  fut  Cambife   Roi    de  Perfe, 


DVDEMOCRITIC.  I77 

lequel  aiant  fubiugué  le  païs  d'Egipte  où  il  trouua  vn 
temple  de  Vulcan,  après  auoir  bien  regardé  de  tous 
coflés  la  gentile  fingularité  de  fon  fimulacre,  il  commença 
fort  à  s'en  moquer  deuant  vn  chacun.  Il  y  auoil  pareil- 
lement en  Egipte  le  temple  des  dieuscaberiens,  dedans 
lequel  il  n'eftoit  permis  à  homme  du  monde  d'y  entrer 
fors  qu'au  grand  preftre,  fi  on  ne  vouloit  contreuenir  à 
la  loi,  &.  toutefois  il  y  entra  de  force,  &.  après  auoir  fait 
vne  grande  rifée  de  toutes  les  idoles  qu'il  y  trouua,  il  les 
fit  grifler  gaillardement  dedans  vn  beau  radier  de  feu. 

LE  COSMOPHILE.  Auffi  en  fut  il  bien  puni,  car 
il  tumboit  du  haut  mal  qui  eft  vne  efpece  de  rage,  &. 
auecques  cela  il  n'auoit  pas  le  cerueau  fort  bien  arrefté. 

LE  DEMOCRITIC.  Pour  le  moins  les  fots  de  fon 
tems  le  penfoient  ainfi  &  raportoient  cette  maladie  qui 
lui  efloit  naturelle  à  vne  punition  diuine,  comme  fi  telle 
quanaille  de  dieus,  &.  faus  fimulacres  eufient  eu  la  force 
81  puifiance  de  fe  vanger  des  tors  qu'on  leur  faifoit. 
Quant  efl  de  ce  qu'il  efloit  eftimé  fol,  ie  croi  cela  bien 
aifement,  mais  que  tu  entendes  à  l'endroit  de  ceus  qu' 
eftoient  abeftis  de  telles  lourderies.  Auffi  enuers  tels 
excellens  &  illuflres  perfonnages  vne  perfonne  de  bon 
efprit  fera  elle  iamais  à  peine  eflimée  autre  que  foie  & 
tranfportée  ducerueau?Il  ena  eu  vn  autre  nommé  Denis, 
natif  de  Siracufe  qui  n'eftoit  pas  moins  cognoiffant  telle 
manière  d'abus  que  Cambife  fus-mentionné,  car  le  plus 
de  fon  plaifir  eftoit  à  fe  railler  8t  gaudir  de  telles  foies 
fuperftitions,  de  forte  qu'vne  fois  après  auoir  pillé  tout 
le  threfor  du  temple  confacré  à  Proferpine  en  la  ville  de 
Locres,  &  que  s'eftant  mis  fur  mer  il  eut  le  vent  à  gré 


178  SECOND    DIALOGVE 


au  poffible  ,  en  fe  riant  il  dit  à  ceus  qui  eftoient  auecques 
lui  :  Voies  vous  aumoins  nnes  amis  comment  les  dieus  im- 
mortels donnent  vne  heureufe  nauigation  aus  facrileges? 
Quelquefois  pareillement  aiaiit  déchargé  luppiter  l'Olym- 
pien d'vn  manteau  de  drap  d'or  fort  pefant,  &  dont  il 
auoit  efté  orné  par  Hieron  Roi  de  Siracufe,  pour  fa  part 
du  butin  qui  luy  eftoit  écheu  de  la  dépouille  des  Carta- 
giniens,  il  lui  en  rendit  vn  autre  de  laine,  difant,  Qu'vn 
manteau  de  drap  d'or  efloit  trop  empêchant  pour  l'eflé 
b  trop  froid  pour  l'hiuer,  mais  que  cettui-la  de  laine 
qu'il  lui  auoit  donné  en  contréchange  lui  feroit  trop 
mieus  feant  &  plus  commode  pour  l'vne  &.  l'autre  faifon. 
Icelui  Denis  s'eflant  vne  fois  emparé  des  tables  d'or  &. 
d'argent  dédiées  aux  temples,  deffus  lefquelles  il  eftoit 
efcrit,  LES  TABLES  DES  BONS  DIEUS,  il  tefmoigna 
comme  il  vouloit  vfer  de  la  bonté  des  Dieus.  Diagore 
philofophe  fort  fçauant  qui  nioit  pareillement  tous  ces 
faux  dieus  des  antiques,  fe  trouua  vne  fois  en  Samo- 
thrace  auecques  vn  fien  ami,  lequel  aiant  vouloir  de  le 
retirer  de  telle  opinion,  lui  monftra  grand  nombre  de 
tableaus  qui  faifoient  foi  de  plufieurs,  lefquels  après 
s'eftre  voués  &  recommandés  aus  dieus,  auoient  (ce 
difoit)  par  ce  moien  euité  la  tempefte  &.  pris  terre 
miraculeufement,  deliurés  du  péril  &.  naufrage  où  ils 
fuffent  péris  fans  le  fecours  diuin  :  Et  alors  ce  mignon 
refpondit  en  fous-riant  &  fe  moquant  de  la  fimplicité  de 
l'autre,  Comment!  eft  ce  tout  cela  que  tu  me  veus  conter? 
Tu  ne  me  dis  rien  de  nouueau  :  ne  vois  tu  pas  pauure 
homme  comment  il  n'eft  point  fait  de  mention  en  ces  mo- 
numens  ici  de  ceus  qui  ont  efté  noies  après  auoirfait  leurs 


I 


DV     DEMOCRITIC.  1 79 


vœus?  Icelui  philofophe  efloit  auffi  vne  fois  Tus  mer  où 
il  fe  leua  vne  fort  grande  tourmente  pour  le  moins  auffi 
tempeftueufe  que  celle  que  Pantagruel  acompagné  de 
fon  Panurge  &.  frère  lan  des  entomeures,  euada  à  force 
de  boire,  de  crier  U  de  iurer,  U  alors  le  pauure  diable 
de  Diagore  fe  voiant  accufé  des  autres  qui  eftoient 
auecques  lui  dedans  vn  mefme  vaiffeau,  comme  s'il  euft 
efté  la  feule  &.  principale  occafion  de  la  tourmente,  en 
fe  moquant  d'eus  il  leur  monftra  vne  autre  grande  flotte 
de  nauires  qui  efloient  en  mefme  péril  &  leur  demanda, 
s'ils  penfoient  que  Diagore  fufl  en  vne  chacune  de  ces 
nauires. 

LE  COSMOPHILE.  N'eft-ce  pas  lui  qui  ofa  le 
premier  efcrire  qu'il  ne  cognoiffoit  point  tous  ces  faus 
dieus  controuués,  &  qu'il  ne  fçauoit  de  quelle  couleur 
ils  eftoient? 

LE  DEMOCRITIC.  C'eft  cettui-la,  &  pour  cette 
occafion  il  fut  chafTé  des  Athéniens  qui  condamnèrent 
pareillement  Socrate  à  la  mort,  pour  autant  qu'il  vouloit 
contreuenir  à  leurs  fuperftitieufes  chimagrées  par  vne 
nouuelle  religion  qu'il  difoit  eftre  meilleure. 

LE  COSMOPHILE.  Ils  eftoient  moult  affedés  à 
leurs  foies  perfuafions. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment  affeaés!  ils  eftoient 
fots  iufques  à  là,  qu'eftans  vne  fois  en  doute  duquel  des 
deus  ils  feroient  vne  Minerue,  ou  d'iuoire  ou  de  marbre, 
&  que  le  peintre  Phidie  dit  qu'elle  deuoit  pluftot  eftre 
de  marbre  pour  autant  que  la  blancheur  &  polliffure  en 
dureroit  plus  longuement,  ce  peintre  fut  tresbien  oui  : 
Mais  quand  il  lui  efchapa  de  dire  qu'elle  en  feroit   auffi 


l8o  SECOND    DIALOGVE 


plus  vile,  incontinent  ils  fe  fcandalizerent  fort  de  tel;; 
propos,  &  deflors  lui  fermèrent  la  bouche  auecques 
exprès  commandemens  de  n'en  parler  plus. 

LE  COSMOPHILE.  Vraiment  tu  me  parles  de 
grans  lourdaus.  Mais  encores  quant  le  confidere  bien  à 
ceus  qui  vouloient  entièrement  contreuenir  aus  (latus  &. 
loix  de  telles  religions  encores  qu'elles  fuITent  fauces,  ie 
ne  les  treuue  pas  moins  à  reprendre  que  ceus  qui  les 
auoient  premièrement  impofées,  veu  que  c'eft  vne  de? 
chofes  des  plus  pernicieufes  du  monde  que  de  laifîer 
courir  &.  vaguer  ce  fot  8i  inconftant  vulgaire  auecques  vn 
fi  grand  abandon  &  liberté,  auquel  il  eft  quelque-fois 
iieceflaire  de  donner  vne  bride  pour  le  contraindre  de 
faire  par  force  ce  à  quoi  les  honneftes  &  braues  efpris 
font  guidés  par  la  vertu. 

LE  DEMOCRITIC.  Ton  opinion  eft  fort  bonne 
en  cet  endroit,  car  il  eft  tout  certain  que  fi  l'homme 
(animant  fus  tous  les  autres  créés  de  la  nature  le  plus 
libre  en  Cottes  aprehenfions)  n'eftoit  refréné  de  quelque 
crainte,  cette  police  qui  eft  tant  neceffaire  pour  noftre 
conferuation  feroit  entièrement  renuerfée  &.  mife  delTus- 
deffous,  tellement  que  nous  ferions  encores  en  pire  eftat 
que  nous  n'eftions  du  tems  de  la  confufion  du  premier 
chaos  qui  eft  vn  poinft  ce  me  femble  afîes  fuffifant  pour 
renuerfer  vne  bonne  partie  des  nouuelles  &.  abhominables 
fedes  qui  courent  pour  le  iourd'huy  à  l'endroit  de  ie  ne 
fçai  quels  pernicieus  &.  naturaliftes  libertins. 

LE  COSMOPHILE.  Ho  les  mechans  I  Voyés  !  ce 
font  de  ces  nouuelles  feftes  qui  courent  pour  le  iourd'hni 
en  noftre  religion  chreftienne. 


D  V    DE  MOC  K  ITI  C.  l8l 

LE  DEMOC  RITIC.  C'eft  vn  vrai  abifme  que  tout 
cela. 

LE  COSMOPHILE.  Mais  ie  te  prie  de  grâce  di 
moi  vn  peu  ce  qu'il  te  femble  de  telle  manière  de 
chriftaudins. 

LE  DEMOCRITIC.  Quant  eft  de  la  grande  diuer- 
fité  des  feftes  reprouuées  qui  ont  eflé  &  font  encores 
pour  le  iourd'huy  en  noftre  loi,  ie  ne  t'en  ferai  point . 
d'autre  mention,  pourautant  que  ie  diable  eft  fi  fubtil 
qu'il  fait  quelque-fois  tendre  vn  filé  à  cettui-la  qui  s'y 
trouue  le  premier  pris  :  ioint  que  c'efl  vne  chofe  qui  me 
femble  fort  lourde  &  de  laquelle  on  fe  pafTeroit  bien  à 
vn  befoing  de  s'aller  rompre  la  tefte  après  fes  queftions 
tropologiquement  anagogiques,  veu  qu'il  fuffit  de  croire 
comme  nos  anciens  pères  fans  s'opiniatrer  tant  à  efpou- 
fer  des  opinions  qui  font  mourir  les  gens  à  crédit. 

LE  COSMOPHILE.  le  croi  que  lu  voudras  prefque 
eftre  femblable  à  ce  bon  compagnon,  lequel  aiant  efté 
vne  fois  inuité  d'vn  certain  dofleur  alla  difiier  auecques 
lui,  8t  après  auoir  vn  peu  enfoncé  &  ranimé  fes  efpris 
vitaus prefque  tous  perclus, de  quelque  bon  vindeBeaune, 
le  cerueau  lui  commençant  à  échaufer  &.  fa  langue  à  fe 
déploier  plus  librement  qu'auparauant  (ainfi  que  c'eft 
l'opération  couftumiere  du  vin  de  rendre  les  perfonnes 
plus  libres  &.  ioieufes  en  paroles)  il  lui  efchapa  par 
manière  de  raillerie  de  dire  quelque  propos  de  la  Trinité 
vn  peu  fcabreus  &.  de  mauuaife  digeftion,  dont  le  dofteur 
tout  mal  édifié  de  voir  ainfi  tenir  (ce  luy  eftoit  aduis) 
tant  peu  de  conte  des  fains  canons,  commença  pareil- 
lement de  fon  cofté  à  s'échaufer  en  fon  harnois,  Si  de 


iSa  SECOND    DIALOGVE 


protefter  d'iniure  faite  a  la  foi  clireflienne.  Et  ce  difoit  il 
en  fe  rebraPTant  iufqiies  au  coude,  foufflant  auecques  vn 
froncement  de  narines  &  de  paupières,  &.  par  pofes  écu- 
mant,  trefTuant  &.  fe  mordant  les  leures  de  rage,  fra- 
pant  des  mains  &.  des  pieds  tout  enfemble,  preft  à  fortir 
de  table,  fi  l'autre  ne  l'apaifant  de  careffes  U  belles  pa- 
roles ne  lui  eut  dit  :  Ha  monfieur  noftre  maiftre  ne  vous 
courroucés  point  le  vous  en  prie,  comment?  lefus,  de 
par  dieu,  penferiés  vous  bien  que  i'entreprinfe  de  foufle- 
nir  vne  telle  opinion  que  ie  n'ai  feulement  dilte  que  par 
manière  de  peffetems?  O  le  bon  dieu  !  eflimeriés  vous 
que  ie  me  voufifTe  faire  brufler  fus  cette  querelle?  Vrai- 
ment ce  feroit  bien  à  grand  tort,  noftre  maiftre  moii 
ami,  fi  vous  le  penfiés  ainfi  :  car  deuant  que  d'entrer  au 
feu,  fi  ce  n'eftoit  alTés  d'vne  Trinité  ie  conferTeroispluftot 
vne  Quaternité. 

LE  DEMOCRITIC.  Ha  non,  non,  ie  ne  voudroi 
pas  eflre  de  ces  gens  là,  car  quant  aus  poinfts  qui  con- 
cernent les  articles  de  foi  il  n'y  faut  pas  paffer  outre  pour 
crainte  de  la  mort,  mais  touchant  vn  tas  de  petites  par- 
ticularitez  forgées  à  l'appétit  de  ie  ne  fçay  quels  nou- 
ueaus  impofleurs,  tout  cela  n'eft  qu'vne  fumée  qui  ne 
fera  que  pafTer  :  &  pour  autant  n'eft-ce  que  fimple  folie 
à  tous  ceus  qui  s'y  embrouillent  penfans  bien  auoir  gai- 
gné  vn  poin6l  fus  nos  anceftres. 

LE  COSMOPHILE.  A  bon  efcient  ie  croi  que  tu 
en  dis  ce  qui  en  eft,  auffi  auoient-ils  l'ame  meilleure 
que  nous  n'auons  pour  le  iourd'hui,  quelque  chofe  que 
l'on  en  vueille  dire. 

LE  DEMOCRITIC.  Or  dieu  les  vueille  tenir  en 
paix  Jt  nous  amender. 


IDVDEMOCRITIC.  l8 


LE  COSMOPHILE.  Mais  à  propos  de  ces  fauces 
feftes  nous  n'auons  point  parié  de  la  principale  qui  eft 
celle  de  Mahomet. 

LE  DEMOCRITIC.  Comment!  de  ce  voleur,  de 
ce  larron,  de  ce  brigant,  de  ce  pipeur,  as  tu  enuie  d'en 
fçauoir? 

LE  COSMOPHILE.  He  mon  ami!  pour  acheuer 
la  farce,  ie  te  prie  di  m'en  quelque  chofe. 

LE  DEMOCRITIC.  Et  certes  fi  ferai-ie  :  pre- 
mièrement il  faut  que  tu  notes  que  tout  le  commence- 
ment de  la  belle  vie  de  Mahomet  machinet  ou  maginet 
ce  m'eft  tout  vn  auffi  bien  tout  n'en  vaut  rien,  fut  à 
dérober  de  tous  coflés  où  il  en  pouuoit  griper,  &  puis 
eftant  par  ie  ne  fçai  quel  deftin  hazardeus  entré  en 
eflime  fc  réputation  enuers  les  fiens,  il  fe  voulut  méfier 
de  corriger  le  magnificat,  &  auecques  l'aide  &  confeil 
d'vn  certain  apoflat  banni  nommé  Sergien,  homme  per- 
nicieus  U  entaché  de  la  fefte  Neftorianne,  il  rapetaffa 
vne  loi  toute  neufue  de  vieilles  pièces  d'herefies,  defia 
vermoulues,  &  mifes  au  rang  des  péchés  effacés,  fit  en 
prenant  de  toutes  chacun  vn  petit  lopin  &  du  plus  vrai- 
femblable  au  iugement  du  vulgaire,  il  en  radouba  fon 
Alcoran  qui  gafte  encores  auiourd'huy  vne  des  grandes 
parties  du  monde,  tant  ce  beliftre  St  impofteur  l'a  bien 
fçeu  mafquer  de  diffimulations  feintes,  &.  trop  plus  dece- 
uantes  que  ne  font  les  deguifemens  de  Flûte,  introduit 
au  Timon  de  Lucian.  Auecques  les  Sabelliens  il  nioit  la 
Trinité,  auecques  l'erreur  de  Manichées  il  ne  mettoit 
que  le  nombre  de  deus  en  l'effence  diuine,  auecques 
Eumonien  il  nioit  l'égalité  du  père  &  du  fîls,  auecques 


184  SECOND       DIALOCVE 

Macédonien  il  affermoit  le  feint  Efprit  eftrevne  créature, 
auecques  les  Nicolaïtes  il  prodiguoit  le  nombre  des 
femmes  à  qui  en  vouloit  :  Et  à  celle  fin  de  donner  quel- 
que chofe  aus  luifs  &.  aus  Chreftiens  il  prefchoit  la  cir- 
concifion  8t  le  baptefme,  il  approuuoit  quelque  fois  le 
vieil  Teftament,  fc  par  endroits  le  reprouuoit.  Quand  il 
s'auifoit  il  difoit  du  bien  de  lefus  Chrift,  l'appeliant  faint 
homme  &  vertueus,  &.  le  temoignoit  auoir  quelque  par- 
ticipation de  diuinité,  blafmant  les  Chreftiens  comme 
fots  &  abufés  de  croire  que  le  Chrift  trefaimé  de  Dieu 
8t  né  de  la  Vierge,  eut  voulu  endurer  tant  d'iniures  & 
outrages  des  luifs,  mefmement  iufques  à  eftre  ignomi- 
nieufement  exécuté  à  vne  mort  infâme  &.  defhonnefte. 

LE  COSMOPHILE,  Ha  le  pauure  homme!  il  ne 
fçauoit  pas  que  noftre  fauueur  eftoit  toufiours  venu  en 
humilité  &.  qu'il  fe  faifoit  ainfi  petit  &  moquable  pour 
noftre  fauuement. 

LE  DEMOCRITIC.  Non,  non,  il  n'en  fçauoit 
rien,  ou  s'il  le  fçauoit  le  diable  ne  lui  vouloit  pas  faire 
confeffer. 

LE  COSMOPHILE.  Certes  il  eft  bien  aifé  à  voir 
que  toutes  ces  fauces  religions  (excepté  la  noftre)  ne 
font  que  bourdes,  &  que  nous  n'auons  autre  chofe  à 
tenir  que  les  écris  des  anciens  Prophéties,  &.  le  nouueau 
teftament  qui  nous  a  efté  prefché  par  lefus  Chrift  &  fes 
difciples,  auecques  les  interprétations  des  fainfts  doc- 
teurs en  ce  qui  en  a  efté  approuué  par  la  vraie  &  catho- 
lique Eglife,  fuiuant  laquelle  nous  ne  fçaurions  faire 
chofe  qui  foit  digne  de  reprehenfion  ou  moquerie,  & 
au-contraire  hors  d'icelle  tout  homme  n'eft  autre  chofe 


DVDEMOCRITIC.  185 


que  folie  &  vanité,  car  la  parolle  de  Dieu  vérifiée  par 
l'Eglife  fainte  U  fidelle,  eft  cela  feul  qui  demeure  à  iamais 
ferme  &  iiiuiolable  contre  tous  les  orages  &  calumnies 
du  tems  enuieus  &.  des  mefchans,  &  au  contraire  toutes 
les  inuentions  humaines  &  fauces  herefies  fe  ruinent 
d'elles  mefmes  &  s'éuanouifTent  auffi  toflque  iegierement 
&  à  la  volée  elles  ont  efté  entreprifes. 

LE  DEMOCRITIC.  Or  aduife  donq'  mon  ami,  fi 
celui  qui  fe  penfoit  eftre  vn  tout  félon  les  hommes,  ne 
fe  trouue  pas  à  la  fin  félon  dieu  eftre  moins  que  rien,  & 
ainfi  nous  pouuons  conclure  auecques  ce  grand  prophète 
de  la  race  leffienne,  Heureus  celui  duquel  l'efperance 
eft  au  nom  du  Seigneur  Dieu  &  qui  ne  s'eft  point  arrefté 
aus  vanités  &  faufTes  reueries  du  monde. 

LE  COSMOPHILE.  Certainement  ie  cognoi  que 
ton  dire  eft  tresbon,  &.  m'en  vai  tout  maintenant  auec- 
ques délibération  de  changer  de  fantafie  &  de  manière 
de  faire,  &.  t'afTure  hardiment  de  me  reuoir  au  retour 
de  mon  voiage  tout  metamorphofé  de  complexions  : 
car  ie  délibère  de  me  nourrir  déformais  tout  autrement 
que  ie  n'ai  fait  par  le  paffé,  &  auoir  en  plus  grand  mef- 
pris  &  horreur  ce  qui  m'a  femblé  autrefois  le  plus  par- 
fait &.  le  plus  beau  :  Que  pleut  à  Dieu,  que  ie  peuffe 
vomir  du  plus  profond  du  cueur  les  enfeignemens  de  ces 
fots  &fuperflitieusamis  du  monde,  d'auffi  grand  courage 
que  gloutement  ie  les  ai  deuorés,  &.  auecque  vne  dent 
tant  chiennine  &  infatiable,  ce  que  ie  ferai  s'il  m'eft 
poffible  deuant  qu'il  foit  peu  de  tems.  Ce  pendant  ie  te 
remercierai  de  bien  bon  cueur  de-quoi  tu  m'as  deffillé 
les  yeus  d'vne  nue  fi  obfcure  &  tant  efpeffe  d'abus  & 


l86  SECOND    DIALOGVE    OV     DEMOCRITIC. 

fauces  erreurs,  me  découurant  vn  foleil  tant  cler  &, 
gracieus,  qu'il  ne  fera  iour  de  ma  vie  que  ie  ne  m'en 
Tente  autant  voire  plus  tenu  à  toi  qu'à  cettui-là  qui 
mefmes  a  efté  la  caufe  de  mon  principal  eftre,  duquel 
ie  ne  tiens  que  celle  lourde  maffe  terreflre,  &  de  toi  le 
comble  de  la  perfeftion  &  naïf  contentement  de  mon 
efprit.  Or  mon  compagnon,  mon  ami,  ie  m'en  vai  com- 
mencer à  donner  ordre  tant  au  fouper  qu'à  l'équipage 
qui  m'eft  necefTaire  pour  me  mettre  à  chemin. 

LE  DEMOCRITIC.  Sus  toutes  chofes  ie  te  prierai 
de  bien  noter  au  doit  &  à  l'œil  tout  ce  qui  fe  prefentera 
deuant  toi  durant  ton  volage. 

LE  COSMOPHILE.  le  le  ferai  8t  principalement 
en  ce  que  ie  cognoiftrai  eftre  digne  de  te  faire  part. 

LE  DEMOCRITIC.  Va   que  Dieu  te  veuille  eRre 
fauorable   tant  que  l'argent  &   la   fanlé  ne    te    puifT»- 
manquer. 


FIN      DV    SECOND    DIALOG\F 
DV     DEMOCRITIC. 


J^ 


TABLE 

DE  CE    QVl    EST    PLVS   DIGNE  A    NOTER 
En  ces  deus  Dialogues. 


COMPARAISON  de  la  rai/on  à  la  pierre  precieu/e 

&  aus  liures  excellens pag.  j 

Les  chofes  qui  font  à  fuir  des  hommes  &  à  future.  4 

L^opinion  du  vulgaire  ejire  fauce 6 

Dequoi  fert  la  hardieffe  de  bien  parler 7 

Mefpris  de  Vamour 8 

La  femme  eflre  plus  imparfaite  que  l'homme.   .  » 
Gouuernement    des    Amajones   &   leur   cruauté 

envers  les  hommes 9 

Les  vices  des  femmes 10 

La  femme  par  droit  diuin  e/î  encores  plus  impar- 
faite que  l'homme » 

La  fn  d'amour 11 

Les    malheurs    &    inconueniens     qui    procéder:! 

d'amour 12 


l88  TABLE. 

Vailles  Jidtions   d'amour i  j 

Sots  écris  des  amoureus d 

De  ceus  qui  commentent  &  glofent  fus  les  liures 

des  amoureus » 

Les  méchancetés  de  la  femme  de  mauuais  gou- 

uernement 15 

Les  infjgnes  beautés  des  amis  aimés  des  femmes.  18 

Sottes  &  communes  refponces  des  femmes.   ...  2] 

Que  c'ejî  de  bien  parler 39 

Harangue  de  l'homme  d'armes  touchant  l'amour.  30 

L'amour  du   courtifan.    , 32 

L'amour  de  Vefcolier 34 

Qu'il  n'entend  pas  blafmer  les  honnejîes  dames.  40 
Vaillante  &  vertueufe  defence   de  l'amour  auec 

lafolution  d'icelle  defence 41 

Comment  le  iugement  d'vn  amoureus  s'abufe  en 

celle  qu'il  ayme 43 

Louange  de  la  Mufque  S*  mépris  de  la  danfe.    .  46 

Les  TheJJaliens  admirateurs  de  la  danfe 47 

La  danfe  ejlre  vne  efpece  de  fureur 51 

Conclufion  de  l'amour 53 

Eflrange  cruauté  des  hommes 56 

Les  armes  font  iournalieres 58 

Les  maus  caufe's  par  enuie 6a 

Comme  il  ne  faut  adioujier  foi  au  rapport   & 

bruit  commun 63 

Les   richejjes  &  prééminences  efire  fuiettes   au 

hajart 65 

Comme  il    n'entend    blafmer    que  ceus   qui    le 

méritent 66 


i89 


L'office  du  courti/an 70 

Le  nombre  des  gens  de  bien 7' 

Que  ceji  que  pratique 74 

La  vie  des  aduocas   &  autres  praticiens 76 

Difcours  de  la  médecine 8^ 

Le  trop  parler  vitieus 94 

La  folie  de  ceus  qui  affe aient  la  mélancolie.   .   .  9s 

Le  parler  peu  approuué  des  fages 96 

Quant  &  en  quoi  il  eji  bon  de  Je  taire 97 

DifcourS'de  la  magie  6*  abus  d'icelle 112 

Foies  Juperftitions  des  magiciens 114 

Le  dire  de  Caton  touchant  les  diuinateurs.   ...  117 

L'opinion  de  Diogene  des  diuinateurs » 

De  Vincredule  de  Lucian 120 

L'opinion  de  lamblique  touchant  la  magie.   .   .  » 

La  magie  de  Pitagore 131 

En  quelle  eftime  ejloit  anciennement  la  magie.  .  122 

Empedocle  furnommé  chajje-vent » 

Le  but  où  tendent  les  magiciens 123 

L'inuention  première  de  l'Ajirologie ,  la  vérité  & 

erreurs  d'icelle 126 

Comment  Je  doit  entendre  le  pajfage  d'Ouide 

Os  homini 128 

La  folie   de  Pierre  Turel   en  Jon   Période   du 

monde 129 

Ancienne   JuperJUtion    des    Romains     touchant 

l'objeruation  des  iours 131 

La  magie  eJi  procedée  de    l'Ajirologie 132 

Exemple  de  ceus  qui  de  pauure  ejlat  Jont  deuenus 

riches 134 


190 


TABLE 


Vècha-patoire    des  qftrologues i}6 

Des   douje  maifons  des  aftrologues • 

L'opinion  controuer/e  des  ajîrolcgues   touchant 

les  -planettes  O  ejioilles  fixes 137 

Les  folies  des  alquimijics 139 

Les  termes  &  notes  de  l'alquimie » 

Du  liure  de  la  fieur  desjleurs  &  de/on  autheur.  140 

Que  ceji  que  le  médium  des  alquimijies 14' 

Les  foujleurs  par  excellence  appelles philofophes .  143 

La  multiplication  des  alquimijies 14} 

Petit  difcours  des  gens  de  guerre 144 

La  maladie  commune  aus  foldats  de  Piémont  .  .  147 

Cheualier  d'acolade 14!^ 

Eau   henijie  de    cour 150 

Pourquoi    le  Democritic    nenfuit  pas    toufiours 

Democrite 151 

De  la  vie  de  Democrite » 

En  quoi  Democrite  s' eft  monfiré fot i^a 

Seruitude    d'AriJlippe 15} 

La  manière  de  Je  bien  mocquer  auec  les  efpeces 

de  mocquerie 154 

Définition  de  mocquerie 155 

Diuerfes  efpeces  de  fotes   mocqueries » 

Du    liure   d'Agrippé    infcrit   de   la    vanté   des 

fciences 156 

Trop    grand    lieu    donne    aus    authorite's    des 

hommes 157 

De  Voculte  philofophie  d'Agrippé 158 

Cardan  blafme  Agrippe » 

Receptes  d'Agrippé 159 


•9» 


De  Platon  &  Ari/lote i6o 

Des  maijires  es  .irs » 

Des  folles  di/putes  des  anciens  philo/ophes.   .   .  i6i 

De  ricaromenippe  de  Lucian i6a 

De  ritalien  M.  Antonio  Phileremo  Fregofo  qui 

a  ejcrit  du  ris  de  Democrite » 

Dijcoursfur  le  Hure  d'Erafme  infcrit  la  louange 

de  follie » 

Pourquoi  nous   deuons  ejire  e/meus  à  apprendre 

les  langues  eftrangeres i66 

Vice  des  François 167 

De  ceus  qui  ont  affeété  d'écrire  objcurement.   .   .  168 

De  la  mort  de  Peregrin  philofophe  ciniqu    ...  169 

De  Vaffeéiion  d'immortalité 171 

De  ceus  qui  veulent  ejire  immortali-^és  après  leur 

mort « 

Les  autheurs  principaus  des  religions 173 

De  la  cautelle  &  méchanceté  de  Mahomet.   ...  183 
La  feule  religion  chrétienne  eflre  feu re  &  véri- 
table   184 


FI  N     DE    LA    TABLE. 


(fmmMmmmm^^ 


INDEX 


Aggr  Avi  E,   128.  Pleine. 

Anaximéne,  138.  Selon  d'autres,  la  méfaventure  rap- 
portée par  Tahureau,  ferait  arrivée  à  Anaximandre, 
le  maître  d'Anaximène.  La  Fontaine  s'en  eft  infpiré 
pour  écrire  la  fable  de  l'Aftrologue  qui  s'eft  laiffé 
choir  dans  un  puits. 

Angers,    23. 

le  croy  que  vous  venez  d'Angers,  fignifie  :  Vous 
me  paraiffei  un  libertin.  On  difait  d'Angers  : 

Bafle  ville  te  hauts  clochers, 
Riches  p ,  pauvres  écoliers  ; 

81  des  Angevins  : 

Angevin 
Sac  à  vin. 
Angevine, 
Sac  à.... 

Baigner  (fe-à>,  43.  Prendre  grand  plaifir  à. 

Belistre,  133,  137.  Mendiant,  gueux. 

De  lia  Y  (Joachim  du).  L'Anterotique  de  la  vieille  &  de 
la  jeune  amye,  citée  p.  45,  a  paru  pour  la  première 
fois,  en  1549,  dans  l'édition  originale  de  VOliue  & 
autres  auures  poéticques.  Paris,  Arnoul  Langelier, 
in-8'. 


i.;4 


Le  vers  :  Aueugle,  muet  &  fourd,  p.  70,  comme  du 
refle  l'indique  l'auteur,  efl  tiré  du  Difcours  fur  la 
louange  de  la  vertu  &  fur  les  diuers  erreurs  des  hommes, 
à  Salmon  Macrin,  St.  19. 

Le  fixain  :  C'eft  vne  belle  fcience,  p.  92,  eft  em- 
prunté à  la  même  pièce,  rt.  25,  qui  a  été  publiée 
pour  la  première  fois  avec  le  Quatriefme  liure  de 
l'Enéide  de  Virgile.  Paris,  Vincent  Certenas,  1553, 
dans  les  autres  œuvres  de  l'invention  du  tradu6leur. 
BiETRis,  36.  Une  des  femmes  du  roman  du  Cheualier 
au  Cygne,  ou  celle  du  vers  de  Villon  : 

Berthe  au  grand  pied,  Bietris,  Allys. 

BLA  YS,  23  . 

Vous  nous  en  voulez  conter,  vous  venez  de  Blays  : 
Le  Roux  de  Lincy  [Proverbes  français)  ajoute  :  Vous 
voulez  rire,  comme  s'il  y  avait  une  virgule  avant  ces 
trois  mots,  dans  le  texte  original  des  Dialogues.  Il  y 
a  là  une  altération  de  la  penfée  de  l'auteur  :  Vous 
voulez  faire  le  beau  parleur  &  vous  venez  de  Blays. 

Cahuet,  164.  Capuchon. 

Caïmans,  135.  Mendiants. 

Caresme   (Amoureux   de),    22.    Amant   timide.   One 
thaïs  afraid  ta  touch  his  miftrejfe,  Cotgrave. 

Caton,  96. 

En  toute  fa  vie,  il  s'eftoit  repenty  de  trois  chofes. 
La  première,  s'il  auoit  iamais  dit  aucune  chofe  de 
fecret  à  femme  ;  la  féconde,  s'il  eftoit  onques  allé  par 
eau  là  ou  il  eufl  pu  aller  par  terre  :  la  troifième,  s'il 
auoit  paffé  vn  iour  entier  fans  rien  faire. 


•9$ 


Plutarque.  Vies  des-  hommes  illustres.  Marcus  Cato. 
Tr.  d'Amyot.  Paris,  Vafcoran,  1^67,  in-8,  p.  1265. 
Cenomani  CLUE.  Manfeau. 

Chère.  Vifage,  mine.  —  Contrefaite,  85  ;  —  Baffe,  8^). 
CHrMAGRÉE,   i7().  S\magrée.  IVij  Moiijh.  Cotgrave. 
On  difait  de  même  chiffler  pour  fiRler. 

I!  meritafi  au  Louure  ejire  chifflé  des  pagei 

REGNIER,  sat.X. 

CoQ^uiN.  Pauvre  diable,  mendiant.  Beggar,  poor 
Jnake.  Cotgrave.  Il  vaut  mieux  être  coquu  que  co- 
quin, dit  un  proverbe  que  l'on  trouve  ailleurs  ainfi  tra- 
duit: Il  vaut  mieux  porter  des  cornes  qu'une  beface. 

CosTEAU  (Pierre).  Les  vers  cités  p.  77,  font  tirés 
de  la  tradudion  françaife  du  Pegme  par  Lanteaume 
de  Romieu.  Lyon,  Macé  Bonhomme,  1555,  P-  i7- 
Le  texte  original  avait  paru  la  même  année  chez  le 
même  libraire. 

CouPEAU,   161.  Sommet. 

Grouille T,  22.  Verrou.  On  remarque  auffi  la  forme 
Courrail  dans  Rabelais,  Pantagruel,  liv.iv,  ch.  6  : 

S'il  vous  plait,  difl  Panurge,  m'en  vendrez  vn  l'en 
feray  bien  fort  tenu  au  courrail  de  voRre  huys. 

Dance  (Baffe),  $2.  Ainfi  appelée  par  oppofition  à  la 
danfe  des  afteurs  fur  la  fcène  &.  des  baladins  fur  les 
tréteaux.  La  Pavane  était  par  excellence  un  des  plus 
purs  types  du  genre. 

Del  a  1ER,  102.  Différer. 

DÉMocRiTic,  159,  lig.  17.11  faut  donq'...  Dans  les 
premières  éditions  des  Dialogue?,  cet  alinéa  fe  rat- 
tache à  tort  au  précédent. 


19^ 


Demosthene,  i}4.  Taliureau  fe  trompe  quand  il  fait 
dire  au  Démocritic,  que  Démofthène  eut  pour  mère 
une  revendereffe  de  choux  &.  qu'Euripide  était  le 
fils  d'un  coutelier.  Il  a  été  induit  en  erreur  par  ce 
pafTage  de  Valère  Maxime,  I.  j,  c.  4  :  Quam  matrem 

Euripides  aut  quem  patrem  Demofienes  habuerit, 

aherius  autem  matrem  olera,  aherius  patrem  cultellos 
venditajfe  omnium  pêne  doâorum  littenr  loquuntur, 
dans  lequel,  le  premier  aherius  défigne  Euripide  &. 
non  pas  Démofthène. 

Diable  (Le  Petit).  Buvette  du  Palais. 

EcouTANS  (Aduoeas).  Stagiaires. 

E  SSARS  (Seigneur  des),  38.  Tradufteur  des  huit  pre- 
miers livres  d'Amadis  de  Gaule.  L'éloge  que  Tahu- 
reau  fait  de  cet  écrivain,  en  grande  réputation  de  fon 
vivant,  efl  confirmé  par  Eftienne  Pafquier.  Liv,  7, 
ch.  5,  àe%  Recherches. 

Faciendes,  146.  On  dirait  auffi  Facendes.  Affaires, 
projets. 

Faitis,  160.  Qui  va  bien,  qui  fied. 

Femme  (Superfluité  de  la),  10.  Pour  l'intelligence  de 
ce  palTage,  voir  la  ix*  matinée  de  Cholière,  de  la 
Trèfue  coniugale. 

F  R  E  G  0  s  o  (Phileremo),  162.  Auteur  de  plulieurs  ouvrages 
dont  le  premier  en  date  eft  précifément  celui  que 
cite  Tahureau.  Publié  à  Milan  en  1 506,  il  porte  pour 
titre  :  Rifo  di  Democrito  e  pianto  di  Heraclite,  t  il  a 
été  traduit  en  vers  par  Michel  d'Amboife.  Paris,  Ar- 
noul  Langelier,  1 547. 


197 


Froids  &.  malé  fici  es  (Eftre  dutitre  des),  20.  Souffrir 
de  l'incommodité  décrite  dans  les  traités  d'aftrologie 
&  de  médecine  judiciaire,  au  titre  De  Frigidis  & 
maleficijtis. 

Gayac  (Saint  bois  de).  Voir,  fur  ce  fpécifique  contre 
les  maladies  vénériennes,  les  T>iuerjes  leçons  de  Loys 
Guyon.  Lyon,   1610,  liv.  4,  ch.  6. 

Go  VA  IN  ou  plutôt  Gauvain,  36.  Perfonnage  dont 
les  amours  font  le  fujet  d'un  roman  héroïque  décrit 
par  Brunet,  Manuel  du  libraire,  dernière  édition, 
tom.  a,  col.  1508.  Il  en  ell  également  queflion  dans 
VHiJîoire  de  Giglan,  Jon  fils  &  dans  le  Roman  du 
Vaillant  Perceual  le  Gallois.  Enfin  M.  Hippeau  a  pu- 
blié en  1862,  chez  Aubry,  le  poëme  du  Trouvère 
Raoul,  MeJJîre  Gauuain  ou  la  vengeance  de  Raguidel, 
in-8. 

Grelot  (Trembler  le),  greloUer.  To  quake  for  cold. 
Cotgrave.  Trembler  de  froid.  Oudin.  Curiojités  fran- 
çoifes. 

HiLLor,  82.  Même  mot  que  Fillot.  par  un  adoucilTe- 
ment  de  l'F.  Garçon.  Fellow,  Cotgrave. 

Iaq_ués.  Jacq_uets.   Vlaiieurs.  Clawbacke.  Cotgrave. 

I G B E  T,  21 .  Niais.  Le  primitif  efl  Job  ou  Jobe,  que  l'on 
trouve  dans  Noël  du  Fail,  Propos  rufiiques,  ch.  6,  & 
d'Aubigné,  ConfeJJîon  de  Sancy,  I.  2,  ch.  i".  Des 
diminutifs  Jobard,  Jobet  &  Jobelin,  le  dernier  n'a 
rien  gagné  à  la  querelle  des  Jobelins  &  des  Uraniens. 

louÉE.  60.  Soufflet.  Les  éditions  poflérieures  donnent  : 
loiiee  (i  568)  &.Iouë  (1602). 


198 


loviALE,  168.  De  Jupiter. 

lu  VENAL,  151.  Voici  le  vers  auquel  il  eft  fait  allufion 
dans  ce  pafTage  : 

Perpétua  r!fu  pulmonem  agiiare  folebjt 
Democritus...  (Sat.  X,  v.    55.) 

Il  n'a  pas  le  fens  outré  que  lui  donne  le  Démocritic. 

Langars.  163.  Bavards. 

LuciAN,  Tychiade,  120;  Icaroménippe,  136;  Ti- 
mon, ij4;Prothée  Peregrin,  169.  Tous  ces  noms, 
fauf  le  premier,  figurent  en  tête  de  dialogues  ou  de 
difcours  de  Lucien.  Tychiade  eft  un  perfonnage  du 
dialogue  intitulé  le  Menteur  ou  l'Incrédule.  Enfin,  c'eft 
à  l'Apologie  pour  ceux  qui  vivent  aux  gages  des  grands, 
qu'il  faut  fe  reporter,  plutôt  qu'au  dialogue  de  Ti- 
mon, pour  faifir  toute  la  penfée  de  Taliureau,  p.  134. 

Mais  qui,  151.  Pourvu  que. 

Mesche  (Guillaume),  91.  Sobriquet  indiquant  une  pro- 

feffion   ou  une    habitude.   On    en    trouve    d'autres 

exemples  dans  les  Propos  rujîiques  de  Noël  du  Faïi, 

ch.  X:  Pierre  Baguette,  Robin  Turelure  &  Guillemin 

Plumail. 
Meslez,  94.  Répandus,  informés. 
MiSTES,  35.  Mignard.  Spruce,  compt.  Cotgrave. 
Mole  s  MES.  Ancienne  abbaye  de  bénédiflins  fondée  en 

1 173  par  Robert  de  Champagne.  On  en  voit  encore 

les  ruines  près  de  Chatillon-fur-Seine. 
MusART,  23.  Oifif,  badaud,  bayeur  aux  grues,  cejja- 

tor,  R.  Eftienne  &  Nicod. 


199 


Les  pommes  de  muzart  font,  comme  les  raifins  de 
la  fable,  des  fruits   que  renard  ou  mufard  peuvent 
contempler,  mais  qu'ils  ne  peuvent  cueillir. 
M  u  s  1  Q,u  E  des   pieds.  Mufique  de  danfe. 

NaÏe,  32.  Expreffion  locale    défignant   la  gaule  avec 
laquelle  on  tifonne  le  feu  allumé  dans  un  four. 

Oreilles  (Chauuir  des),  i$6.  On  difait  auffi  chauver. 

To  clape  downe  the  eares,  as  a  horfe,  or  ajfe  dcxh. 

Cotgrave.  Remuer  les  oreilles. 
Ovide,   127.  La  fin  du  vers  : 

Os  homini  fiihlimt  dédit  caelumque  videre 

doit   être  rétablie  ainfi  : 

.....   Ccelumque  lueri. 

Voir  Métam.  liv.  i,  vers  85. 

Pamphile,  35.  Perfonnage  dont  le  nom,  fynonyme 
d'amant,  ef>  tiré  de  la  Fiammette  amoureufe  de  . 
Boccace,  publiée  d'abord  en  latin  à  Padoue,  en  1472, 
puis  efi  italien,  à  Venife,  en  1481.  Il  peut  être  égale- 
ment pris  du  Liure  d'amour  auquel  eft  relaté  la  grande 
amour  de  Pamphile  &  Galathée,  &  le  moyen  comme 
il  en  peut  iouyr,  liure  très  récréatif.  1545,  à  Paris,  de 
l'imprimerie  de  leanne  de  Marne/,  vefue  de  feu  Denis 
lanot,  in-16. 

Pepin  (Le  Roy).  Buvette  du  Palais.  Voir  Hôtelleries  & 
Cabarets  de  Fr.  Michel  &  Ed.  Fournier.  Paris,  Séré, 
1851. T.  2,  p.  4$. 

Piètre.  Avant  d'avoir  le  fens  de  miférable,  chétif,  ce 
mot  défignait,  parmi  les  gueux,  ceux  qui  truchent  fur 


potences,  c'eft-à-dire  ceux  qui  ayant  les  jambes  ou 
les  bras  rompus,  mendient,  en  fe  trainant  fur  des  bé- 
quilles. V.  Fr.  Michel.  Di(5l.  d'Argot,  p.  319.  Le  dé- 
rivé Pierraille  était  fynonyme  d'infanterie  pour  les 
gens  de  cheval  qui  voient  un  éclopé  dans  tout  homme 
à  pied. 
Poussé,  72.  Aigri.  Turned.  Cotgrave. 

Qui  NQ^u  AILLE,  1 3 .  Piècc de  monnaie.  C/:/ViA'^5,  coyne, 
auffi  oldyron.  Cotgrave. 

R.  Abréviation  pour  Ré" tiiie.  Ordonnance  de  médecin. 

Rabelais,   71. 

Ragot,  133.  Orateur  de  carrefour  qui,  fi  Ton  en  croit 
Henri  Eflienne  (Dialogues  du  langage  françois  italia- 
nizé.  Envers,  1579,  p.  219),  n'eut  pas  moins  d'admi- 
rateurs que  Pathelin.  Voir  auffi  "Panfa^MiW,  liv.  3, 
ch.  II,  &.  les  remarques  de  Le  Duchat. 

Rangs  (Tenir  furies),  20,  Brocarder.  7o  gièe.  Cot- 
grave. On  difait  auffi  :  Mettre  fur  les  rangs,  dans  le 
fens  ordinaire  de  parler  de. 

Ravissement,  81.  Violence,  rapine.  R.7u///I/nf,  pil- 
lard. 

Vn  roy  efl  toufiours  de  fa  nature  vne  belle  rauif- 
fante,  &.  qui  vit  de  proie.  Plutarque,  Marcus  Cato. 
Tr.  d'Amyot. 

Razement,  26.  Tout  à  plat. 

Recreu,   iio,  126.  Las,  épuifé. 

Révolté,  120.  Feuilleté. 

Ronsard  (Pierre  de),  144.  Les  vers:  L'vn  allumant... 
font  tirés  des  Odes,  liv.,5,  od.  18,  adrefîée  à  Charles 


de  Piireleu,    évêque  de    Condom,   St.    lo.    Edition 
de  1550,  Paris,  Guiil.  Cavellat. 
Restes  (A  toutes).  156.  Pour  toutes  relTources. 

Strin,  3.  Diamant  faux.  A  hajïard  Dyamond.  Cot- 
grave. 

Transis  (Chapelle  des),  169.  Chapelle  fituée  fur  la 
plate-forme  du  Mont-CenisSiConfacrée  à  l'inhumation 
des  voyageurs  morts  de  froid  en  palTant  la  montagne. 
Elle  exiftait  encore  en  1790.  Voir  le  Voyage  d'Italie 
de  de  La  Lande,  Genève,  t,  i",  p.  81. 

Triacle,  85.  Thériaque. 

Venise  (Méfier  de).  Sénateur  vénitien.    Voir    Contes 

i'Eutrapel,  vm. 
Veze,  164.  Cornemufe.  Bag-pipe.  Cotgrave. 


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lèque       The  Library 
'Ottawa   University  of  Ottawa 
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