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U dVcf OTTAWA
39003002313357
DIALOGUES DE TAHUREAU.
LYON
IMPRIMERIE DE aIf. LOUIS PERRIN ET MARINET
LES
DIALOGUES
JACQJJES TAHUREAU
GENTILHOMME DU MANS,
Avec Notice & Index
PAR
F. CONSCIENCE.
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR,
47, paffage Choifeul, 47.
M. D. CGC. L X X.
BIBLIOTHECA
/ 103
y
/ ^'
il
NOTICE
ES Dialogues de Tahureau, clajje's dans les
aiivres des conteurs du XW Jîècle, doi-
vent être bien plurct rangés parmi les
dialogues fatiriques qui furent écrits à
cette époque. Quoique la plupart de ces ouvrages aient
un caradère politique comme les Deux Dialogues du
langage françois italianizé , le Réveil-Matin & le Miroir
des François, le Dialogue du Maheuftre &. du Manant 6-
le Baron de Fœnefle, ils offrent tous la même Jlruéiure
Le perjonnage principal, efprit fceptique & rigide, en
révolte ouverte contre les préjugés & les calculs mon-
dains. Je fait un jeu de railler les fots & de démaf-
quer les ambitieux. Il porte un nom bi-[arre, tiré du
grec, Démocritic, Celtophile, Aiythie, Enay, exprimant
le mépris de la foule, l'amour du pays & la haine du
menfonge; mais il emploie une langue claire , vivace
& merveilleujement propre à la fatire, dont le modèle
eji pour nous la Satire Me'nippée. Au milieu d'une
fociété abaijfe'e, l'auteur parle en homme droit. Il
protefle quand tous s'inclinent ou rejient indifférents.
De tous les ouvrages cités plus haut, les Dialogues
de Tahureaujont les premiers en date. Ils ont plus par-
ticulièrement pour objet la cenfure de nos maurs
transformées par l'influence étrangère. Sousce rapport,
ils conftituent des portraits d'autant plus intéreffants
que le temps auquel ils appartiennent, n'a laiffé ni
Caraftères ni Diftionnaire des Précieufes. La gra-
dation eJi nettement marquée de Tahureau à d'Aubi-
gné, par Henri EJlienne & Théodore de Bèje. Le
premier, poète aimable dans fes vers, poète fati-
rique dansfa profe, dépeint avec une inexorable ironie
les folies des amoureux, les ridicules à la mode & les
égarements des philofophes. Henri Eftienne, qui avait
attaqué la fociété religieufe dans fou Apologie pour
Hérodote, porte la guerre contre une cour françaife
d'où l'on s'effaie à profcrire la langue, les maurs 6-
la politique nationales . Théodore deBè\e 6* d'Aubigné,
l'un avec un infatigable efprit d'analyfe. Vautre avec
une généreufe colère, dévoilent & flétriffent dans tout
ce qu'ils ont d'odieux, lesperfonnages & les événements
d'une époque profondément troublée. La campagne
ouverte par Tahureau, du fond du Maine, en Démo-
crite champêtre, s'ejl étendue rapidement jufqu au caur
du pays, oit, dans fon développement &" fon impor-
tance, elle eft demeurée ce qu'elle était à l'origine, la
guerre de la vérité contre l'erreur.
V.J
Les Dialogues de Tahureau ont été publiés pour la
première fois en 1565. Suivant du Verdier, l'édition
originale de ce petit livre remonterait à 1562. Cette
opinion a été partagée par quelques bibliographes;
mais Vayis de La Croix du Maine & de Cailleau, & la
date deVépiJire de Maurice de la Porte, à qui Von doit
la publication des Dialogues, ne permettent plus aucun
doute fur ce peint. Cette date, du 24 mats 1565, ejl
d'ailleurs confirmée par le marquis du Roure dans
fon Analeifla Biblion. Dans le même ordre d'idées, l'abbé
Goujet regarde comme feule originale l'édition in-S",
donnée, en 1566, par Gabriel Buon. Cette dernière
erreur a pour caufe le texte du privilège qui, n'ayant
pas été accordé pour l'imprejjîon des Dialogues avant
le 3 juillet 1566, ne put paraître, pour la première
fois, que dans l'édition de cette année.
Les Dialogues de Tahureau font dédiés par Maurice
de la Porte à François Pierron, ancien précepteur,
puis grand vicaire d'Antoine de Vienne, abbé de Mo-
lefmes au diocèfe de Langres. Six ans plus tard, d'après
les confeils du même grand vicaire, Maurice de la
Porte donnera fon livre des Epithètes françoifes. Dans
fon épître dédicatoire, l'éditeur des Dialogues fait
connaître les motifs qui l'ont déterminé à publier cet
ouvrage, 6* il en préfente une analyfe à fon leâeur,
avec quelques renfeignements fur la vie de Tahureau.
Ces indications trop générales peuvent à peine être
complétées par la courte biographie de Guillaume Col-
letet. En y ajoutant les refultats obtenus juf qu'à ce
wur, on arrive d la brève notice qui fuit.
VMJ
Jjcquef Tdhureau naquit au Mans en 1527. Fils de
Jacques Tahureau (y de Marie Tiercelin de la Roche du
Maine, il avait pour trifaieule paternelle, Anne duGuef-
clin, f ce ur du connétable de France, & pour grand'père
maternel, Charles Tiercelin , Jeigneur de la Roche du
Maine, célébré par Brantôme au livre II de la vie de
fes Capitaines français. Il ne comptait pas de moin^
illujires parents dans la magijlrature. Son grand-
oncle, Pierre Courthardy, était premier préjîdent au
Parlement de Paris, (y/on grand-père, Louis Tierce-
lin, président aux Requêtes du palais.
Suivant CoUetet, Jacques Tahureau « s'adonna, des
hi plus tendre enfance, à l'étude des bonnes lettres ; ce
quiljit d'abord dans l'univerjïté d'Angers oii il ejclatta
merveilleufement ; & jpres un voyage qu'il jit en Italie
où il obferva les maurs des peuples & apprit la
langue du pays, voyant nos poètes français s'inviter
les uns les autres à efcrire d'amour, il voulut ejtre de
la partie &/e mit à compcfer plujieurs vers amoureux
pour une belle fille qu'il aimoit pajfionnément & dont
il chanta les louanges fous le nom de l'Admirée. Sa
poéfie, qui ejioit affej jolie & ajjej mignarde pour le
tems, le fit aimer & connoijîre des plus fignalej poètes
de fonfiècle, comme de Ronfard, de BaifSf des autre-
qui le louèrent hautement comme à l'envy. Trop heu-
reux s'ilfefujî maintenu dans la liberté naturelle ou
le ciel l'avoit fait naifire 6* qu'il ne fe fufi point
abandonné à un funejie mariage! je dis funejle,
puifque quelques auteurs defon temps n'imputent qu'à
ce fifcheux lien la feule €• véritable caufe de la mort
précipitée de ce jeune poète, trop ardent & trop amou-
reux. Ce fut donc fous le règne de Henry fécond que
la France perdit ce beau génie, cejï-à-dire Van
1555 (i), âgé de vingt-huit ans, feulement peu de
iours après f on mariage. »
Là fe bornerait ce que l'on connaît de la vie de
Tahureau, Ji, par le rapprochement de vers empruntés
à La Pérufe & à Baif, M . Blanchemain n avait établi
que la Francine de ce dernier poète était une demoi-
felle de Gennes, & que l'Admirée de Tahureau n'était
autre que la f au r de Francine. Le ledleur trouvera
tout le détail de cette double découverte, qui ne peut
être reproduit ici, dans les deux dernières éditions de^
Odes & fonnets de Tahureau, Genève, Gay, 1869, 6-
Paris, Jouaujl, 1870.
Quoique les vers de Tahureau lui aient, à jujie titre,
valu l'ejlime & l'amitié de Ronfard 6* de Baif, & le
premier rang parmi les poètes rejiés en dehors de la
Pléiade, fe^ Dialogues n'ont pas moins contribué à fa
réputation. De i<,6^ à 1602, ce petit ouvrage a eu
quin'^e éditions. G. Buon,qui avait privilège d'imprejjîon
(r) Ce rie fut donc qu'un an avant la mort de Tahure.iu, que
parurent à Poitiers, chez '" <*< Alarnefs & Bouchet, fesPremièies
Poéfies & /«/ Mignardifes de l'Admirée. Mais il faut remarquer
que depuis le 7 mars 1547, les imprimeurs avaient obtenu leur pri-
vilège. Ces deux ouvrages, que l'on trouve ajfez fouveni relies en-
femble, ont été réédités à Lyon par Benoît Rigavlt, en 1574, & à
Paris, enunfeul volume, chez ^- Ruelle ; Robert le Mangnier ;
Abel V Angelier : hUcolas Chefneau ; Sonnius, & G. Buon.
pour neuf ans, a fait paraître les Dialogues à Paris,
en 1565 & «566, in-S°, en 1568, 1570, 157a, i574j
1576 6" 1580, in-16. Ils ont été, en outre, publies
dans le même format à Rouen, en 1583, par Nicolas
Lefcuyer, en 1585 & en 1 589 par Marn'n le Mégijjier.
On connaît deux éditions d'Envers, Pierre Vihert,
1568 6" 1574, in-16. Il en exijle enfin deux de Lyon,
Rigaud 1568 & 1602; cette dernière accrue des Son-
nets, odes 6* mignardifes de l'Admirée.
Voici maintenant quelques particularités fournies
par Vexamen de ces diverfes éditions. La première 6"
la deuxième in-8° contiennent, à la fuite de Vépiflre de
Maurice de la Porte, un AduertilTement de l'autheur
que l'on ne retrouve plus dans les éditions in-16. De
toutes celles-ci, les unes, d'Envers & de Lyon,fe termi-
nent par un fonnet de Jacques Moyjfon à la louange
deTahureau; 6* les autres, de Paris & de Rouen, par
l'adjondlion de cinq pièces de vers fur la vanité des
hommes, la confiance de l'efprit, le parler peu, Vin-
confiance des chofes & contre l'amour. Le fonnet de
Jacques Moyjfon efi tiré de la féconde édition des Dia-
logues où il a paru pour la première fois. Les cinq
pièces ci-deffus mentionnées ont été prfes dans le pe-
tit livret imprimé à Paris chej la veuve Maurice de
la Porte (i), en i^<y^,fous le titre fuivant :
« Oraifon de laques Tahureau au Roy de la grandeur
de fon règne &. de l'excellence de la langue françoife,
(i) Mère d' Ambroife & de Maurice de la Porte. Elle em pour
fuccejfeur Gabriel Buon.
xj
plus quelques vers du mefme autheur dédiez à Madame
Marguerite. »
Tahureau avait laijfe en mourant des manujcrits
dans le/quels fe trouvait une tradudtion en vers de VEc-
defiajle &, on lefuppofe du moins, les Forejleries dont
l^auquelin de la Frefnaye fait V éloge dans /on Art
Poétique. Ces divers ouvrages, légués à Pierre Tahureau,
frère du poète, étaient encore, en 1777, dans les mains
d'un de leurs defcendants mâles. D'autre part, La
Croix du Maine pojfédait une copie des Dialogues, plus
complète que celle donnée par de la Porte, & il fe
propofait de la publier. Ce projet ne paraît pas avoir
été réalifé, car la dernière réimprejjïon de Vouvrage
de Tahureau, celle de Lyon, P. Rigaud, 1602, ne dif-
fère en rien des éditions précédentes.
F. C.
LES
DIALOGVES
DE FEV lAQ^VES TA-
HVREAV GENTILHOMME
DV MANS,
Non moins profitables que facetieus .
Ou les vices d'vn chacun font repris fort
âprement, pour nous animer dauâta-
ge à les fuir & fuiure la vertu.
A Monfieur M. François Tierron.
A PARIS,
Chés Gabriel Buon, au clos Bruneau,
à Venfeigne S. Claude
A MONSIEVR
M. FRANÇOIS PIERRON
De Monfeigneur l'Abbé de Molefmes.
ToNSiEVR, quelque tems après que Dieu
eut appelle de ce monde ambroise de
LA PORTE mon trefcher 6* bien aimé
frère (duquel la mémoire pour la gentil-
lejfe de /on e/prit malgré le dard iniurieus de la mort
demeurera perpétuelle) ie trouuai parmi ce quil
tenait le plus pretieus ces deus Dialogues, auf-
quels le Democritic remonjire au Cofmophile : auf-
quels di-ie la folie de ceus qui font réputés en dits &
en faits les plus fages, nous eji par la feule couleur
de l'encre Ji naïuement dépeinte, quvn Appelle pre-
mier de tous les peintres qui iamais furent, aurait
bien à faire auecq' fes diuerfes couleurs d\iujji
yiuement dedans le tableau nous la reprefenter. De
forte qu'en iceus auant VimpreJJton autre chofe on
n'eut peu requérir fors le nom de VAutheur, qui ou par
oubliance, ou pour Vefpoir qu'il auoit de les publier
pendant fa vie ne s'eji infcrit en fa minute originale.
M dis (s'il faut ainfi parler) l'enfant ejî Jî bien ne &
refemble tellement à fes frères qui long tems auant
fa naijfance ont ejié d'vn chacun fauorifès S" humai-
nement receus, que le père qui Va engendré peut ejire
aifement reconneu. Toutefois quelques autres raifons
encores plus praingnantes ie déduirai, outre le cer-
tain témoignage que i'en puis porter efiant oculaire
témoin, lefquelles entendues ie m'ajjure que de vous
S" de toutes perfonnes de bon iugement ilfera aduoué
pour fis légitime de feu iaq_ves tahvreav gentil-
homme du Mans, & comme tel fera bien-venu & ca-
rejfé en vos bibliothèques. Il vous faut donq' fçauoir
quicelui tahvreav après auoir longuement fait
profejjîon des bonnes lettres tant en la langue Latine
que Grecque, & d'icelles ataint la parfaire connoif-
fance : aiant aujp durant les fanglantes guerres
d'entre nojire Roi, & Charles le quint Empereur, vo-
luntairement fuiui les armes pour faire preuue de fa
genereufe vertu, & affin de fe contenter entièrement
paffé quelques années à voir le pais, à fon retour il
<'amufa à difcourir de l'amour, dont Jî doâement &
mignardement il s'acquita (comme fes auures té-
moignent) qu'il fembloit entre les poètes françois efire
feul vraiment amoureus. le me tai de Yoraifon qu'il
dedid au Roi faifjnt mention de la grandeur de J'on
roidume, laquelle pour nejire moins fentenrieufe que
faconde donne ajfes à connoijire Vexcellence de fon
efprit, qui enfanta ces Dialogues lors qu'il eftoit en fa
plus belle fleur, & votant les abus qui fe commettent
ordinairement en ce monde, opiniajlremem approuués
par ce monfire tejiu, de iour en iour multiplier. Dé-
libérant partir de cejie ville de Paris pour fe retirer
en fon pais natal, il en laija en ma prefence la co-
pie à mon frère fus-nommé, le priant de la voir &lui
en mander fon aduis : car non feulement lui, ains les
plus dodies qui ont écrit en nojlre vulgaire, V ejiimoient
iuge compétent d'vne compoftion françoife. Mon
frère aiant fatisfait à fa volonté, & apperceu que la
ledure de fon Hure eftoit grandement profitable,
fignamment à ceus qui de mille & mille fotes opinions
ont leur pauure cerueau enforcelé, il le lui feit en-
tendre pour auec fon confentement le mettre fur la
preffe. Mais d'autant que pour autres fennes affaires
il efperoit dedans peu de tems s'acheminer par deçà,
il en feit furfeoir l'impreffion de laquelle il defroit
voir le commencement. Or comme Tvn & l'autre pro-
pofoient de nous donner le fruit de leur diligence &
labeur, la mort qui renuerfe à l'mftantles entreprifes
des hommes, & qui rauit aujjî tqft vne blonde ieuneffe
quvne blanche vieilleffe, eus neftans encores parue-
nus au xxviij. an de leur aage, prefque en vn mefme
tems trancha le filet de leur vie: Principale caufe
pour laquelle la copie du prefent hure eft demourée
fi longuement dans le coffre enfeuelie, minutée de la
propre main d'icelui tahvreav, a'mji qu'il peut
ejire vérifié par fes lettres mijjîues qui font en ma
pojfejfion: Argument peremptoire peur inférer Vau-
ure efire fien, parce quil nejl point vrai-Jemblable
lui ejiant gentilhomme viuant de /es rentes, qu'il eut
voulu fi c'eut efié le labeur d'autrui, prendre vne
peine tant laborieufe de laquelle vn de fes feruiteurs
ou quelque mercenaire e'criuain Veut peu deliurer.
Dauantage il s'en efi bien apertement déclaré Vau-
theur, quand vers la fin du premier Dialogue en la
perfonne du Democritic, il inuite le Cofmophile d dif-
ner en fa maifon, defignant au vrai (ainfi que i'ai
entendu par gens dignes de foi) VaJJiete & le bafii-
ment du lieu qu'il auoit au Maine. le ne m'aiderai
point pour la confirmation de ce que i'ai prétendu
vous prouuer, de l'exemple qu'il allègue d'vn Guil-
laume Mefche de fon pais, traitant de la médecine,
m'affurant que d'icelui vous colligerés, tant les cir-
confiances font toutes bien décrites, ce qui vous efi
par les raifons fufdittes défia perfuadé. Puis donc que
l'ouurier vous efi ores fuffifamment conneu, il ne fera
point hors de propos que ie parle de l'vtilité de Vau-
ure, duquel (encore qu'il contienne vne feuere & mor-
dante correéiion des vices, où la facétie quelquefois
mdufirieufement efi entre-mélée) il y a peu de per-
fonnes fous la voûte des cieus preferans la raifon à
toute pajfion, qui auec la confolation de leur efprit
n'en remportent beaucoup de proffit. Comment aujfi les
hommes fçauroit on mieus infiruire, que de leur ap-
prendre la manière de viure vertueufement par le
blâme des cho/es vitieujesqui les en empefchenr? Quel
preferuatif meilleur pourrait ejire ordonné aus ieunes
gens contre Vamoureufe poifon, que de leur de'couurir
à Vail la malice, finejfe, piperie, de ce méchant,
cauteleus & trompeur fexe féminin? Quelles armes
plus propres en main leur fçauroit on mettre pour
rejifter & virilement fe défendre à l'encontre de cet
archer vénérien qui leur meine incejfamment la
guerre, que de leur déclarer Fijjue malheureufe d'a-
mour? Par lequel l'homme a ejié de la femme (de
toutes créatures la plus imparfaite) Ji follement en-
cheuejtré qu'il l'a receue pour compagne, mais ie dirai
pour maijîre: Laquelle nojire fage mère nature a
dénuée tant de farces d'efprit que de cors, preuoiant
les abhominables inuentians dont elle s'aide voulant
exécuter la rage de fa vengeance & fatisfaire à fes
pajfions defardannées. Qui ejî aujji celui tant aduifé,
qui eut peu échaper les fanglantes pâtes de cette
furieufe bejie, f fes cauteleufes rujes eujfent ejié
acompagnées d'vn rajjis iugement? Et toutefois à
■pitié I nous valons la plufgrand' part des ieunes hom-
mes fe foubs mettre à mille dangers pour ces belles-
fardées dames, lefquelles ils idolâtrent iufques à
baifer l'ombre de leurs pantoufles. Et font encor ces
fimples pigeons tellement englués d'icelles, qu'ils fe
perfuadent eftre cordialement aimés quand ces trai-
trejfes, s'il aduient qu'ils aient paffé deus ou trois iours
fans les aller mugueter, iettent auec leur feintes
larmes quelques redoublés foupir s, &• qu'elles éclatent
de hauts fanglats pour les piper & deceuoir. Toutes
VIIJ
ces qftuces & trahifons font auiourd'hui en Jt claire
évidence que déformais la ieuneffe fur faute d\iduer-
tijfement ne fe pourra excufer, veu que les moiens lui
font donnes pour non feulement fe retirer de Yamou-
reus bourbier quand elle y eji plongée, mais aujjî lui
ejt monjîré comme elle le peut euiter, fuiant entre
autres chofes ces bùteleufes danfes, fous lefqueîles eJi
couue'e & engendrée la paillardife , s'adonnant a icel-
les pour vn fol égard de plaire à ces defdaigneufes
caignes qui ne s'en font que rire & moquer. Les prin-
ces & gransfeigneurs font pareillement enfeignes de
ne prejier V oreille aus faus raporteurs, parce que le
mauuais raport ejî le vrai poifon de ceus qui y
croient: Ni d'écouter ces blandijfans flateurs, qui ne
leur mettent deuant les yeus que les grandes richeffes
quihpojfedent pour les induire à rigueur & tirannie,
ejiimans celui pufll anime & quajî indigne d'ejire ap-
pelle Gentilhomme, qui comme le bon pajleur enuers
fes ouailles ejjaie par vne facilité 6" difcretion tem-
pérée gaignerle cueur defesfubiets: Ne conjiderans
que la grandeur d'iceus prouient plus par cas fortuit
que par leur mérite, & que Vinconjiante fortune peut
éleuer ceus qui font de baffe condition, & tellement
abaijfer les gransfeigneurs, voire mefmes les Rois &
monarques de la terre, quelle leur fait auec les biens
perdre aucunefois ignominieufement la vie, odroiant
fes faveurs à qui lui plaiji, les reuocant aujji quand
bon luifemble. Cela nejlant inconneu à l'Empereur
Tite, enquis pourquoi ilfoupiroit à la fin d'vn banquet
auquel auec fort bon vfage il s'ejioit comporté, ref-
pondit iiinji: le ne me fçauroi lajfer de foupirer &
plaindre, me fouùenant que mon honneur dépend du
vouloir de fortune & que mes ejiats font comme en
fequejire, & ma vie comme dépofée en gage. L'vne
des raifons quMegua Demetrius ejiant interroguè
pourquoi Vheur de fa vieillejfe ne correfpondoit à ce-
lui de fa ieunejje,fut telle, Que trop ils'ejioit appuie
fur fortune, laquelle l'auoit ajfoti par fes viâoires
& ne lui auoit laijfé fens aucun pour fe conduire en
fes aduerftès. Sans rechercher dauantage les dits
des anciens, ni les exemples d'iceus qui font infinis,
affés iournellement il s en prefente, par lefquels on
voit les muables effets de cejie moqueufe fortune à
Vendrait des grans feigneurs : aufquels leur eji monf
tré femblablement à quelles gens ils doiuent com-
mettre la ieuneffe de leurs enfans, pour d'icelle en
après moiffonner & recueillir les fruits qu'ils en atten-
dent receuoir : Non à des laqués (comme l'on dit) qui
aiment mieus leslaifferviure en toute effrénée liberté,
que d'offencer leurs délicates oreilles: &• aujjï d'autant
qu'ils ne prétendent qu'à faire leur main, ejiant ap-
pelles au gouuernement de la noble ieuneffe, fe font
d'eus mefmes aueugles, fours & muets: Mais à ceus
qui aians plus d'égard à l'honnefteté qu'à leur parti-
culier proffit, mourraient plujlqfl que de les permettre
faire chofe mal-feante à leurs perfonnes, lefquels tou-
jours ils Jlimulent pour embraffer la vertu, comme le
plusfouuerain bien qu'ils fçauroient acquérir, ne leur
propofant les villes, chqfieaus, grans reuenus & ejiats
qu'ont leurs parens, & les faueurs qu'ils ont en cour.
de peur d'enfler leurs cueurs de telles vanités mon-
daines,moiens plus propres pour émanciper vne impa-
tiente ieunejfe, quà la contenir en office & deuoir.
Au nombre de ces vertueus 6* non mercenaires gou-
uerneurs, monsievr, la trefnoble & trefancienne
mai/on de Ruffey vous mettra des premiers: Principa-
lement Mon/eigneur V Abbé de Mole/mes (l'vn desmiew
acomplis feigneurs que la terre foujlienne) qui pour
auoir ejié de vous ainjî diuinement injîitué, vous a re-
tenu & retient encores de /es plus fidèles &fauorisfer-
uiteurs. Pour autant aujjî que les gentilshommes font
enclins naturellement àfuiure les armes, & leur plaijl
le cliquetis d'icelles, il les admonejîe, reprenant fort
aigrement ceus qui font le contraire, que pour vne
parole le gierement proférée, ou pour autre friuole
iniure ils ne penfent que leur honneur en fait offencé,
& que de telles imperfeétions aufquelles font fuiets les
hommes, ils n'aient à demander le combat foubs efpe-
rance certaine qu'à eus comme innocens & blecés à
tort la vidoire demeure. Car quand leur particulière
querelle feroit aquitable, efiant la faueur de Mars
douteufe & commune, en icelle ne doiuent auoir fiance,
Veut il promis & ajjuré par feing & feel autentique :
Sf pour faire aûe décent à noblejfe, doiuent referuer
le hajard de leur vie, au feul feruice de leur prince
& falut de la republique. Vous aués amplement
entendu comme la ledure de ce Hure ne fera point
inutile indifféremment à tous ieunes gens amour eus,
puis aus princes, & grans feigneurs, maintenant vous
apperceurés qu'elle fera autant ou plus proffiraHe à
ceus, qui aians la connoijfance des lettres humaines,
viennent à celle dé la philo/ophie mère de toutes bon-
nes fciences, le/quels nojlre autheur exhorte à Je
contenir dedans les fins & limites d'icelle, & de ne
s'arrejier à limitation des di/ciples pithagoriens, aus
particulières opinions des plus dodes philo/ophes
foient anciennes ou modernes qui Je puijjent trouuer,
Jîla raijon acompagne'e de vérité leur répugne. Car
quelle Jottije Je roir-ce de vouloir Joufienir auec Platon
(iaçoit que pour Jon eminent Jçauoir ait ejié nommé
diuinj ie ne Jçai quelles imaginaires idées? Qui croira
Jelon Democrite & Epicure, le monde & ce qui eji en
icelui contenu, auoir ejîé compojés par VaJJ'emblement
Jortuit de petis cors indiuijîhles quils appellent ato-
mes? Qui voudroit aujji reciter par le menu les diuerjes
couleurs dont aucuns dépeignent l'ame, & la pluralité
des logis que les autres lui ejiablijjent dedans le corps
humain, ce ne Jeroit iamais fait. Vn autre inconuenient
Je prejente à ces profejfeurs de philojophie, lequel
mal aijement ils peuuent échaper, lors qu ils Jont gui-
dés i'vne trop grande curiojité : Ceji que volontiers
ils s'adonnent à VAjirologie, de laquelle d'autant qu'ils
pajfent coujiumie rement les bornes, ils deuiennent
magiciens, puis alquimijles, ainjiparuenans de marche
en marche au Jupremelatif degré de folie. Pour en
cejie infirmité les Jecourir , il leur monjlre les apparens
abus de telles vaines Jciences, il déclare les Jotes
Juperftitions de leurs autheurs & leurs ru^es dejquelles
ils pipent les hommes à crédit. Je mélans après qu'ils
Je Jont follement amujé s & abujés à mejurer la gran-
XIJ
deur (y le chemin qu'il y a d'ici ans cieus, de prédire
la mort des gransfeigneurs, ou la longue vie d'iceus,
ajjignerle rems que le monde finera, & parler des
chofes qui font à vnfeul Dieu conneues comme s'ils en
ejioient les mignons fecretaires : 6" en fin que toute
cette humeur de leur cerueau quintejfencé ejl dijiilée,
quils ont foufié & rejoujlé au charbon aus de/pens de
quelque niais, & que de leur auaritieufe recherche
i'eji enjuiuie vne multiplication de tout en rien, ne
fâchant de quel bois faire flèches ils demeurent co-
quins & belijires. Ceux qui pour ejire confeillers ou
aduocats efiudient à la loi, ne font aujjî fans aduertif-
fement, leur remonfirant comme ils fe deuroient con-
tenter, lors qu'ils font en telle dignité conjlitués, de
l'argent qui leur ejî baillé fans contredit pour leurs
fallaires & vacations, tant par les gentilshommes qui
auront pojjible ha-^ardéleur vie & celle de leurs enfans
au feruice du Prince, que par les autres perfonnes
defquelles fouuentefois ils tiennent la meilleure par-
tie de leur bien dedans vn fac, fans requérir double
paiement en reuerences & gambades, & leur faire
confommer le rejie miferablement à la pourfuite de
leur quereleus procès. lefçai qu'en cet endroit il fera
trouué fort véhément par celui qui pour la confer-
uation de fes biens n'aura fréquenté le Châtelet ou le
Palais, mais non de ceus qui au lieu d'vn fac enpor-
tent le biffac. De la médecine & des médecins il parle
en telle forte, qu'il femble veu l'incertitude de leur
fcience & l'outrecuidée inexpérience 'd'iceus, caufe
des infinis abus dont ils nous abufent, que leur art &
XI Ij
leur pratique /oient plus dommageables que necejjai-
res. Il me fouuient d'auoir leu que la médecine afiori
en la Grèce du tems des dodes & expérimentes méde-
cins, G" que par Vignorance d'aucuns elle a ejié Jup-
primée. Pour cejle me/me rai/on on pourrait faire le
femhlahle en ce roiaume où l'air eji tout obfcurci
d'ignorans-fuperbes médecins, le/quels neantmoins
font réputés du populaire trejfçauans, pour auoir plus
par vne fauorable brigue, que par érudition obtenu
des féconds, tiers ou quarts lieus de leur licence, de
laquelle ceus qui font mis en l'ordre penultime & der-
nier bien-fouuent les furpajfent en dodrine & expé-
rience, l'ai leu pareillement que les médecins par le
commandement du bon Empereur Tite, furent chajfés
de Rome comme ennemis de la fanté, & pour ojier
occajton aus hommes d'ejire vicieus. N'ejîoit aujji
que trop indifcretement nous lâchons la bride à nos
concupifcences, nojîre fouueraine médecine feroit^
nvfer de médecine. Quant aus théologiens, il ne les
touche qu'en pajfant, lors qu'il traite delà variété des
religions, concluant la catholique ejlre la vraie, &
celle qui demeurera ferme & inuiolable contre les
ajfaus des minijires de Satan, en laquelle feulle ejl le
falut du fidèle chrejiien. le vous ai bien voulu, mon-
siEVR, faire ce long difcours de ce qui m'a femble
plus notable & qui ejl plus amplement déduit en ces
deus Dialogues, affin que foies affuré du contente-
ment que prendra vojlre efprit en la leâure d'iceus.
\efquels fans les vrgentes occupations qui depuis le
decés de mon frère iufques à ce iour m'ont de tous
cqftés enuironne, euffent pluftot efté mis en lumière
foubs vojlre Jauuegarde & defence : Ne fâchant
homme au deffaut de leur naturel protedeur, qui aie
de meilleures armes pour rabatre les coups de Tenuie
coutumiere de blé cer l'honneur de ceus qui reprenent
les vices, ni qui eut aujji efté plus aggreable à Vau-
theur, duquel ceus qui dejirent la renommée eftre im-
mortelle, Je fentiront enuers vous perpétuellement
obligés leur odroiant ceftegratieufe faueur. De Paris
ce 24. de Mars 1^65.
Voftre ami à-iamais,
M. DE LA PORTE.
^
ADVERTISSEMENT DE L'AVTHEVR.
IE ne doute point que plufieurs qui veulent particu-
larizer en leurs premières & folles opinions, n'auront
prefque veu le premier fueillet de mon liure, qu'ils ne me
iugent incontinent eftré quelque nouueau correcteur des
bonnes & anciennes couflumes : mais contre tels opi-
niaflres, autre defence ie n'ai délibéré propofer, fi-non
que ie veus pluflot bien dire & croire auecques vn ou
peu de gens de bon efprit, que faillir auecques vn grand
nombre d'igr.orans, m'eftant du tout appuie fur le fon-
dement de la raifon, & non point d'authorité humaine
Amplement forgée de quelque pauure cerueau renuerfé.
Te fuppliant quiconque tu fois qui en faces ledure, d'en
excufer le langage poffible (félon ton aduis/ rude & mal
poli, aimant mieux qu'il fe fente vn peu du vulgaire,
ainfi que c'efl le vrai naturel du Dialogue, qu'eftant
(comme celui de beaucoup d'autres liures) trop afïeiSé,
ceus qui en voudroient vfer feruiflent de badins en vne
compagnie. D'vne autre chofe auffi i'ai à te prier, c'eft
que tu ne trouueras point eftrange fi ie m'égare quel-
quefois & principalement aux difcours & fotes harangues
de ces amoureus : Car outre qu'il efl befoin d'entre-
Xyj ADVERTISSEMENT DE L'AVTHE VR,
lafler quelque chofe ioieufe pour donner plaifir au lec-
teur, ie m'acommode femblablement à la perfonne qui
parle, &. à la matière laquelle eft de foi-mefme tant
fote & ridicule, que la traitant on ne peut vfer que de
moquerie. Au furplus ie m'affure tellement de l'honnef-
teté acouflumée des fages & vertueufes dames que tant
s'en faut que ie craigne qu'elles treuuent mauuais le
blâme duquel ie dépeins les fotes & vicieufes, faifant
auffi la condition de l'homme plus parfaite que celle de la
femme, qu'au contraire ie croi qu'en cela elles fi accor-
deront à mes écris, confeffant auecques moi qu'il y a ie
ne fçai quoi en l'homme plus grand & plus parfait qu'en
la femme. Auffi tout ce que ie di au mépris des fotes t
outrecuidées, ne lend qu'à l'honneur & aduantage de
celles qui font fages fc gratieufes : lefquelles de ce mot
i'ai bien voulu aduertir, afïin que leurs chartes & netes
oreilles ne foient point offencées des paroles qu'elles
entendront en ces Dialogues, les interprétant poffible
tout au contraire de mon intention, qui n'eft encline à
autre chofe qu'à complaire aus honeftes dames & à
toutes autres perfonnes bien-nées, fc n'aiant cet œuure
entrepris à autre fin que pour adoucir le trauail fc. re-
créer le loifir des hommes de fain k entier iugement.
G^
T\EmiE'B^ VIcALOGVE
DV DEMOCRITIC
KEMONSTRANT AV COSMOPHILF.
LE D EMOCRITI C.
E ne trouue point moindre occafion de
m'émerueiller, confiderant les grans abus
&. fottes inuentions qui font entre les
autres hommes, que de rendre grâces à la
haute & puiflante nature, de m'auoir donné cette
fincerité d'efprit qui ne me laiffe aucunement furmon-
ter par vne infinité de foies opinions, & faits irraifonna-
bles qu'ils obferuent auiourd'huy entre eux auecques
auffi grande fuperflition que fi c'efloient les chofes les
plus parfaittes du monde. Mais comment eft-il poffible
qu'ils s'oublient iufques à là, que les plus grans fots font
eftimez 8t tenus au rang des plus fages ? Comment font-
ils tant aueuglez qu'ils ne trouuent rien parfait, que ce
PREMIER DIALOGVE
qui eft digne d'eftre le plus moqué? Bref tant plus l'en
voy, & plus ils me donnent occafion de rizee & de mo-
querie, le croy fermement que fi les Philofophes qui
ont fait la condition de l'homme tant grande &. précieufe,
eufTent eu la conoiffance des erreurs & folies de l'âge
où nous femmes, au lieu de le dire, outre tous les
autres animans feul participant de raifon, luy eufTent
donné toute autre définition, ou bien dit que la pluf-
grand'partie d'entre-eux n'ont feulement que la forme
&. effigie de la créature raifonnable, lefquels on peut
conoiflre, quand on leur voit delaiffer vn ferme & raffis
iugement, pour donner plus de lieu à ce qu'on leur
donne à entendre de main en main, qu'à la pure &
nette vérité, aimans mieux par ce moyen croire aux
chofes les plus faufles à crédit, que par raifon aux
véritables.
LE COSMOPHILE. Il me femble auoir entendu
quelcun en ce bocage, qui a merueilleufement les
hommes en grand mépris : ha ! le le voy où il fe pour-
mene tenant ie ne fçay quel liure en fa main, le m'en
vai l'aborder, &. fi ie peux, l'aurai de lui refolution du
propos que i'ay entendu : hau compagnon qu'à la
bonne heure te puiffe-ie auoir rencontré : comment !
il femble à t'ouyr parler qu'en méprifant la manière de
faire de nous autres, tu approuues feulement ta façon
de viure, &. ton efprit, comme fi tu eflois le plus grand
ami de la nature, &. feul engendré d'elle, ayant la
conoifTance des chofes bonnes, & que tous les autres
hommes auprès de toi fufTent baftards & illégitimes en
leur création : ce que ie te prie ofter de ton entende-
DV DEMOCRITIC. 3
ment, à celle-fin que tu ne fois veu eftre tombé au
vice que les Grées appellent ^dxurix, qui eft vne trop
grande amour de foy mefme, auffi que tu ne dois faire
la condition des hommes tant miferable, que tu les
priues ainfi de l'vfage de raifon.
LE DEMOCRITIC. le ne veux point me faire fi
grand, ni tant abaiffer les autres, que ie me die eflre
feul entre tous les hommes, qui ait la conoifTance de
ce qui efl neceflaire pour le contentement de fon efprit :
U fi te veux bien aduertir, que fi tu as bien pris mes
paroles & regardé de près à ce que ie difoy, tu trouue-
ras que ie n'ay point tant anéanti la condition des
hommes, comme tu penfes, lefqueis ie te confeffe bien
n'eftre point fans raifon, mais trop bien te veux main-
tenir qu'elle ne leur fert non plus, que s'ils n'en auoient
point : & tout ainfi leur en aduient il, comme à celuy
qui porte au doi la pierre precieufe & orientale, n'en
fçachant aucunement la vertu : car autant luy feruiroit
vn verre, ou ftrin bien contrefait, s'il n'en a que le
plaifir de la veùe. Et à celle fin de te le donner encores
plus familièrement à entendre, prens en l'exemple fus
quelque gros afne qui ne fçait rien & neantmoins ne
laifiera d'auoir la bibliotecque, ou cabinet fort bien
garni de liures excellens defquels il ne s'en fçaura
nullement aider : ainfi en efl-il de ceux que l'on peut
bien dire eftre irraifonnables, quand ils ignorent la
grande vertu & puiffance de leur raifon, s'adonnans
pluftoft à faire & croire mille badineries St. tours de
Singes, qu'ainfi que ie difoy à fuyure la vraye voye qui
les guide tout droit au (entier de raifon.
FRFMIER DIALOGVE
LE COSMOPHILE. le croy que tu voudras tan-
toft renouiieler la façon du miferabie Heraclite lequel
a malheureufement confumé fes iours à pleurer la vie des
hommes, fubiefle à vne infinité de miferes : ou bien
celle de Democrite qui au contraire pour raifon de
leurs grandes, folies, pafToit le tems à s'en moquer.
LE DEMOCRITIC. l'aimeroy trop mieux fuyure
la vie du fécond que tu m'as allégué, que du premier,
t'atTeurant que ie me donne le moins d'ennuy & de mé-
lancolie qu'il m'efl poffible, auffi que c'eft bien le plus
grand plaifir du monde, fe voir exent d'vne infinité de
réueries &. foies opinions où l'on voit la meilleure par-
tie des hommes eflre enuelopés : &. en cela gift vn
grand contentement de l'homme de bon efprit, prenant
vn fingulier plaifir d'en deuifer auec ceux que l'on peut
fans faillir dire rail'onnables.
LE COSMOPHILE. Mais ie te prie bien fort
m'enfeigner le chemin qu'il me faudroit tenir pour
paruenir au but de ce contentement, & quelles chofes
font à fuyure des hommes, & quelles à euiter.
LE DEMOCRITIC. Vraiment puis que tu le defires
fçauoir de moy, ie te le dirai. Ne me confelTeras-tu pas
que les hommes ne peuuent faillir, finon qu'en donnant
lieu aux chofes mauuaifes & contraires à leur conferua-
tion ou à celles, lefquelles ne leur apportant aucun
plaifir, font comme folles, fuperflues & inutiles?
LE COSMOPHILE. Cela eft vray.
LE DEMOCRITIC. Puis doncq' que les chofes
mauuaifes, & qui n'apportent auecques foy aucun
contentement font à fuyr des hommes, il s'en enfuyt
DV DEMOCRITIC. 5
qu'aucune chofe ne doit eftre receùe entre eux, qui ne
foit bonne ou plaifante, bonne, c'eft -à dire neceflaire
ou vtile pour la conferuation de leur eftre, & entretene-
ment d'vne politique qui fignifie autant qu'en rendant
le droit à vn chacun, on conferue en paix celte focieté
Si compagnie humaine, ic pour le relais des trauaus,
aufquels outre les autres animaux créés de la nature, les
hommes font plus fuiets, l'on fe relâche à quelque
plaifir honnefte, &. tellement modéré, qu'il ne nous face
priuer de cela dequoy la nature nous a voulu pouruoir
outre fes autres créatures : c'eft la raifon qui doit tant
bien tenir la bride à ce plaifir, qu'elle ne le lâche aller
à faire mille fottifes &. fingeries, lefquelles n'apportans
auecques foy aucun contentement ni profit, ne fentent
rien moins qu'vne conftance & perfeftion virile.
LE COSMOPHILE. 11 me femble que ton dire
n'eft point mauuais, &. qu'il ne doit rien eftre receu entre
nous autres, qu'il ne foit bon ou plaifant, en la manière
que tu me l'as approuué.
LE DEMOCRITIC. Encore n'es-tu point trop
élongné de bon iugement, moyennant qu'il te fouuienne
de ce qu'à bon droit tu m'as confefTé, &. me fay bien
fort qu'en m'écoutant parler, ie te reueillerai d'vn
grand & profond fomme, auquel la plufgrande partie
de ceux que l'on appelle hommes, demeurent endormis,
& te femblera, fi tu veux, après m'auoir entendu,
aiouter plus de foi à la raifon & vérité, qu'à vne fotte
opinion feulement approuuee par vne longue couftume
obferuee de cette grand'befte de plufieurs teftes, que
ie t'aurai retiré d'vn grand bourbier, où tu eftoys plongé,
PREMIER DIALOGVE
&mis en vn beau &.plain chemin, non point encores batu,
ni hanté de ceux qui demeurent & font arreftés en la
fange de leur cerueau.
LE COSMOPHILE. Situ n'es du nombre de ceux
que l'on voit ordinairement plus promettre que tenir,
ie me fentirai fort obligé à toi, & te promets bien ne
m'arrefter point tant à vne opinion du vulgaire, que ie
feray à vne ferme raifon.
LE DEMOCRITIC.il s'en trouue affez, voire la
plufpart des aueuglés, qui confefTent bien ce que tu
me viens de dire, mais quand ce vient à leur blâmer
quelque folie, ou vice qui de longtemps a pris pié en
leur efprit, il feroit plus aifé de déraciner auecques les
dents vn fort chefne, que de leur arracher cette pre-
mière opinion, en laquelle ils ont eflé nourris & entre-
tenus.
LE COSMOPHILE. Tu auras de moy telle fantafie
qu'il te plaira, tant y a que ie t'en ai dit au plus prés
de ma conception, t'afTeurant que fi tu me fais entendre
le monde eftre tant abufé, comme tu dis, tu feras beau-
coup pour moi de me monftrer telles erreurs, encores
qu'il me femble n'auoir iamais hanté que gens qui
font réputés de bon efprit, & accomplis en toutes hon-
nefletez, &. ciuilitez requifes tant à ceux qui font éleuez
en quelque grand eflat, qu'aux autres que la fortune a
tant abaiflez, qu'ils font contraints faire office de ferui-
teurs, aufquels tant riches que pauures bien apris ie me
fuys voulu régler, tâchant par tous moyens à les enfuyure,
pour en eflre mieux venu en toutes bonnes compagnies,
me dépouillant au furplus d'vn tas de fotteries & pre-
DV DEMOCRITIC. 7
fumptueufes arrogances, defquelles communément
s'acoutrent ceux que l'on eflime niais & outrecuidez,
penfans plus fçauoir que les autres.
LE DEMOCRITIC. Tu te trouueras bien loin de
ton conte, fi ayant penfé fuyure les plus fages, tu auoys
fuyui les plus fols, & pour te le faire entendre, ie te
demanderai par quel point tu as voulu commencer à te
faire femblable à ceux que tu dis eflre de tant bon
efprit.
LE COSMOPHILE. le croy que tu ne me nieras
point que la hardieffe de bien parier efl la chofe la plus
requife à toute perfonne.
LE DEMOCRITIC. Non vraiment, & te dirai
dauantage, que fans cela plufieurs qui ne laifTent tou-
tesfois à fçauoir quelque chofe de bon, font reputez
pour fots & ignares, eftant priuez de cette affeurance ;
& au contraire qu'elle fait le plus fouuent prefumer d'vn
homme dauantage, qu'il n'y en a.
LE COSMOPHILE. le te di donq', puifque cette
hardieffe 81 affeurance de parolle font chofes qui font
mieux eflimer, & trouuer les hommes aux bons endroits,
qu'il faut chercher le moyen pour les acquérir, en han-
tant ordinairement compagnie, & principalement de
Dames & Damoifeiles.
LE DEMOCRITIC. Tu ne dis pas tout, n'entens
tu pas auffi qu'il faille faire l'amour à quelqu'vne ?
LE COSMOPHILE. C'eft le point où ie vouloi
venir, entendu que l'amour fert plus à inftruire vn gros
Si lourd cerueau, que ne font toutes les autres inuen-
tions &. artifices qui fe puifTent trouuer : & pour le iour-
8 PREMfERDlALOGVE
d'huy, entre toutes les perfonnes de bon efprit, il s'en
trouue peu qui n'ayent beaucoup appris faifant l'amour
à quelque gentille Dame.
LE DEMOCRITIC. Voila bien la chofe plus
contraire à la vérité qu'il eft poffible, car au lieu d'inf-
truire vn homme, nous voyons tous les iours que l'amour
fait deuenir la perfonne de peu d'efprit, foie du tout :
outre que c'eft bien la plus grande fottife qui fçauroit
entrer dedans le cerueau des hommes, de fe rendre
fuiets aux femmes, créatures tant imparfaittes qu'elles
ne font engendrées de la nature feulement que pour
vne neceffité de la conferuation humaine, & tout ni plus
ni moins que les épines &. herbes fuperflues ne feruent
qu'à gâter vne bonne terre, ainfi font la plufpart des
femmes pour la confufion des hommes, i'enten princi-
palement de celles qui fe glorifient d'en voir vne bonne
partie d'iceux par leur folie fe foumettre à leur merci,
& qui au lieu de leur donner quelque allégeance que
naturellement fommes tenus départir l'vn à l'autre, en
prennent vn trop grand & démefuré plaifir, pour voir
ainfi meffieurs les amoureux fottement paffionnez : &
en cela ne font pas plus à blafmer les femmes par leur
orgueil outrecuidé, que ceux-là lefquels n'eflans pas
dignes d'eftre appeliez hommes, s'afleruent contre
toute raifon à celles defquellesau contraire ils deuroyent
eftre feruis, pour eftre les plus imparfaittes, ainfi que
ie te prouuerai de tous points. Premièrement regarde
fi la femme fçauroit gouuerner & entretenir vne Repu-
blique, rendant ce qui appartient à vn chacun comme
fait l'homme.
D V DE MO C R ITIC.
LE COSMOPHILE. Pourquoi ne le feront-elles
pas auffi bien que les hommes? N'en voyons-nous pas
les exemples toutes euidentes des Amazones, lefquelles
ont tant bien gouuerné leur Republique, mené guerres
8t vaincu leurs ennemis, &. le feroyent auffi bien auiour-
d'iiuy comme ell' l'ont fait, n'efloit le peu de liberté
qu'elles ont de nous autres hommes.
LE DEMOCRITIC. Quant eft des Amazones,
elles ne peuuent pas eftre à bon droit louées du gou-
uernement de leur païs comme de chofe qui ne leur
éftoit aduenue que par trop méchante inuention &.
outrageufe cruauté, de laquelle ell' vfoyent pour lors,
comme ell' font de tous tems coutumieres d'vfer enuers
nous autres : c'eft qu'à peine les pauures eiifans mafles
auoyent le loifir d'eflre mis hors du ventre, qu'inconti-
nent par leurs cruelles mains ils ne fulTent priués de la
vie, chofe tant deteftable, & contre nature, que le
plus cruel des hommes auroil en grand' horreur, le ne
dirai pas de faire, mais feulement de penfer, & n'eufl
eflé la neceffité qui les contraignoit, ell' les euffent tous
payés de mefme monnoye : toutesfois pour n'auoir
faute de leur fexe, elles s'en referuoyent quelques-vns
qui n'en auoyent gueres meilleur marché : car outre
qu'elles leur coupoyent les bras, ils eftoyent contraints
de demeurer à iamais captifs & miferables, & ainfi les
pauuréts ne pouuant fatisfaire à l'appétit infatiable &
defordonné de ces chieures enragées, malheureufement
finoyent leurs iours. Or regarde ie te pry' fi pour le
cruel & abhominable gouuernement des Amazones, les
autres femmes en ont occafion d'aucune louange : & fi tu
PREMIER DIALOGVE
veux dire qu'elles ayent vaillamment emporté la vifloire
fur leurs ennemis, c'a eflé pluftofl par fortune 8t caute-
leufe trahiron, que par force ou grandeur de courage
qui fufl en elles. Et qu'il foit vray, la nature les pre-
uoyant tant pleines de ruzes &e. pernicieufes fineffes, les
a dénuées du tout, tant de force d'efprit que de corps,
& s'il s'en trouue auiourd'huy quelqu'vne qui fçache vn
peu caqueter, encores que ce foit fans raifon, ou qui
ait quelque addreffe ou force de bras, cela efl eflimé
comme chofe monflrueufe, & qui aduient peu fouuent :
car fi elles auoyent tous les deux enfemble, c'efl à dire,
la cautéle accompagnée de iugement raffis & force de
corps, il s'en enfuyuroit mil inconueniens dommageables
à la conferuation de notre fexe.
LE COSMOPHILE. Il fembleroit prefque à t'ouyr
parler que Dieu faillit, quand il créa la femme, qui
feroit aller tout au contraire de la vérité, car félon Dieu,
fi la femme n'efl plus parfailte que l'homme, pour le
moins elle doit égaler.
LE DEMOCRITIC. Puis que tu es entré fus les
termes de la Théologie, encore que ie ne m'y foys pas
beaucoup rompu la telle, fi eft-ce que ie te prouuerai
bien par icelle la femme ellre plus imparfaitte que
l'homme : ce que l'on peut aifément conoiftre par les
defenfes qui lui font faites au nouueau teftament, de
prêcher publiquement la parole de Dieu, ce qui a eflé
commandé & permis aux hommes : pareillement Dieu
parlant d'vn péché énorme, ne luy donne autre fimili-
tude, que celle de la fuperfluité de la femme, que
nature luy a voulu donner exprès pour témoignage de
DV DEMOCRITIC.
fa grande vilté fc imperfeAion. Or vois-tu euidemment
la femme eftre plus imparfaitte en toutes fortes que
l'homme : &. par confequent, l'homme eftre de tant
plus fot luy faifant l'amour, s'y rendre fuiet & efclave.
LE COSMOPHILE. Que me diras-tu donq' de
tant de fçauants, vertueux &. grands perfonnages, lef-
quels ne s'en font trouuez moins exentez que les autres,
entre lefquels, fans faire mention d'vne infinité d'autres
de noflre tems, nous alléguons communément le puif-
fant Dauid, le Sage Salomon, & le fort Hercule, lefquels
nous voyons auoir excédé les autres hommes, en richelTe,
fçauoir & force, &. nonobftant ils n'ont point tant dédai-
gné l'amour des femmes, comme tu fais, s'y rendans du
tout leurs feruiteurs &. fuiets.
LE DEMOCRITIC. Tu ne médis chofe qui ne
foit du tout contre toy, car encores que plufieurs braues
& vaillants hommes fe foyent tant oubliez, que de fe
laiffer furmonter à cette foie paffion, ce n'a elle qu'à
leur grand' confufion &. dommage, ainfi que nous
voyons par les exemples de ceux que tu m'as alléguez :
car par cette frenefie amoureufe, celuy qui a efté ell;imé
le plus fage, a tant perdu de fon efprit, qu'il en a fait
des aftes du tout contraires à fa doflrine. Combien il en
arriua de perte à Dauid, la preuue en efl afTez cogneùe
en l'écriture : combien la force & grandeur de courage
d'Hercule en fut abâtardie, nous le voyons alTez clere-
ment aux complaintes angoiffeufes, lefquelles il fift à fa
fin miferable, &. telle que méritent tous ceux qui s'afTeu-
rent, contre toute raifon, à ce fexe tant fragile, muabie
à tous vents, rempli d'orgueil & méchantes inuentions,
PREMI ER DIALOGVE
non point feulement tant pour attirer à foy les hommes,
que pour leur pourchafTer après toute honte, moquerie
& deshonneur. Tu vois donq' bien quel foible appui tu
auois pris pour foutenir l'amour, la penfant bien rem-
parer d'vne braue forterelTe, me mettant au deuant ces
vaillants fages-foux perfonnages, defquels la ruine 8t fin
malheureufe nous doit feruir d'exemple pour ne nous
laifler aucunement tranfporter par cette larronneffe folie,
que nous voyons auoir dérobé les cœurs des hommes,
voire des plus parfaits. Combien voyons-nous pour
cette occafion en eflre furuenues de pertes de royaumes?
Combien de braues & vaillants hommes en auoir eflé
tués? Combien de villes razees, terres dépeuplées, &.
dégarnies de toute habitation? Combien de regrets &
lamentables cris fe font épandus en vain par l'air, &
tout pour cette rage d'amour? Combien y en a il, qui
pour cette fottife ont miferablement, & en folitude,
confumé leurs iours : tellement que beaucoup ne pou-
uant plus fupporter telles paffions, fe font (de leur
propres mains) donné la mort? Combien de nouuelles
inuentions de cruauté fe font trouuees, & s'inuentent
encores de iour en iour, pour fe venger de ceux que
ces fots enragez penfent auoir plus qu'eux, de faueur
enuers leurs belles DeefTes? En combien de hazards,
périls &. dangers, fe font foumis & foumettent ceux
qui s'adonnent à faire telles careffes? Et encores ne
fuffiroit-il pas à ces meffieurs, s'ils n'en faifoyent vn
Dieu, tant qu'il s'en eft leué vne infinité de cette fede,
qui ne fe font iamais trouuez contens, iufques à ce
qu'ils nous ayent donné à entendre par leurs gentil?
DVDEMOCRITIC. 1}
barboùillements St fottes fidions, leur belle vie, & folle
fuperftition : les vns appellans leurs amies, Deefles &.
non femmes : les autres les faifans vaguer, & faire des
gambades en l'air auecques les efprits : les autres les
fituans auecques les étoilles aux cieux, aucuns les éle-
uans auecques les Anges pour leur vouer de belles
offrandes, tellement que ie croy, fi on leur veut d'auan-
tage prefter l'oreille, ils s'efforceront de les mettre au
delTus des Dieux, &. tant eft creuë cette folie entre les
hommes, que le Courtifan du iourd'huy, ou autre tel
faifant eflat de feruir les Dames, ne fera eftimé bien
appris, s'il ne fçait, en dechifrant par le menu fes fade-
zes, fonges & folles paffions, fe paffionner à l'Italienne,
foupirer à l'Efpagnole, fraper à la Napolitane, & prier
à la mode de cour, & qui efl le pis, penfant bien voir &
louer ie ne fçay quoy de beauté qu'il eftime efîre en
s'amie, il ne la voit le plus fouuent qu'en peinture, i'en-
ten peinture de fard ou d'autre telle mafque, dequoy ne
fe fçauent que trop reparer ces vieux idoles reuernis à
neuf. Et tout cela ne fufGroit, s'ils n'y entreméloyent
quelques triolets, virelais, rondeaux, ballades & autre
telle efpece de vieille quinquaille roûillee, dont ils em-
pêchent à toute heure les preffes des imprimeries, & en
raptaffent ie ne fçay quelles œuures que l'ont peut
nommer (outre qu'elles font fottes) fuperflues & inutiles.
Et pour mieux venir au comble de toute réuerie, il en
furuient après d'autres qui adioutent des glofes aux
liures de ces premiers inuenteurs de bayes, pour nous
ébourrer encores dauantage cette mauuaife odeur, ce
que ceux qui ont cognoifTance de la langue Italienne,
14 PREMIERDIALOGVE
peuuent voir aux glofateurs de Pétrarque, qui iuy font
plus dire de chofes par leurs comments & fottes inter-
prétations, qu'on ne Iuy feroit confeffer (voire Iuy don-
naft on l'aftrapade de corde) s'il elloit viuant, non que ie
vueille toutesfois tant blâmer les amateurs de la poëfie, que
ie n'approuue bien leurs écris, & principalement quand
ils reffentent quelque chofe de l'antiquité, pardonnant
bien auffi à ceux qui ont donné en leurs œuures quelque
louange aux dames qu'ils auoyent affeftees, fi elles le
méritent, moyennant auffi que cela foit fait de forte
qu'auecques le plaifir, l'inflruélion & doftrine n'en
foyent point élongnées, & que pour ce faire on n'y
employé pas tant de fon indufirie &. labeur, que l'on
penfe bien faire quelque chofe plus excellente que cela.
Mais, pour ne nous écarter point trop de nos premières
erres, rentrant en la trace que nous suions delaiffee,
nous fuyuions le mépris de ceux, lefquels ayans perdu
toute cognoilTance de leur perfe6lion & bon fens natu-
rel, n'ont point dédaigné de s'abaftardir iufques à dire
qu'ils baifent l'ombre des fouliers de leur Dame, appel-
lans leur ame chambrière 8i efclaue d'icelie, voulant
ainfi abaifler & anéantir chofe fi haute &. tant precieufe,
& ce qui ne doit eftre employé, qu'à la contemplation
des chofes grandes, & fecrets de nature, l'adonner iuf-
ques au feruice de chofe fi petite, & tant vile, comme
eft la femme, animant de tous ceux de la nature le plus
pernicieux & abhominabie. Et qu'il foit vray, efl il pof-
fible de voir vn animant plus remply de tromperie,
calomnies & menfonges, ni adonné dauantage aux
chofes les plus vilaines du monde, que la femme qui
DVDEMOCRITIC. 15
le veut mal gouuerner? Elle ne pardonneroit pas mefme-
ment aux poifons, aux aftres & planettes conjurées, ni
à vne infinité d'autres telles exécrables inuentions, lors
(ju'elle a defir de faouler la rage de fa vengeance, ou
fatisfaire à fon appétit infatiable & defordonné. Et
outre plus fi elle penfe que les malins efprits luy puiflent
lider ou donner quelque fecours en fa méchanceté, en
méprifant &. Dieux & toute religion, elle ne fe feindra
aucunement de les inuoquer, leur faifant hommage, &.
de fe foumettre du tout à leur puifiance. Qu'elle foit
opiniaflre à l'extrémité, & plus cruelle que n'efl vn
rigre, il n'en faut point douter, quand nous en auons
les exemples toutes euidentes deuant nos yeux, & aux
hiftoires infinies autres, comme celles de Medee & Agrip-
pine, lefquellesà l'occafion de leur paillardife, ont conf-
piré la mort de mille perfonnes. Que diray ie de la
pernicieufe Clitemneftre, laquelle auecques l'aide de
fon ruffien Egifle, tua fon loyal & innocent mari Aga-
memnon? Or il n'y a foy aucune, & moins encores de
confiance, en ce malheureux & abominable fexe qui
ne tâche tous les iours à autre chofe, qu' à trouuer
quelque maudite inuention par laquelle il puifTe, ou du
tout ruiner cettuy-ci, ou deceuoir cettuy-la, fans égard
d'aucune pitié naturelle. Et s'il adulent d'auanture
qu'aucune de ce fexe malin ait quelque pauure homme
fimple & de bonne foy pour mary. Dieu fçait comme
elle en iouëra à la pellote : luy donnant neantmoins
toufiours à entendre qu'elle efl •la plus femme de bien
du monde, puis le flattant & mignardant tantoft,
comme s'il eftoit fon plus grand mignon, fon bien
l6 PREMIER Dl ALOGVE
aimé, ell' l'appellera fon Dieu, fon ame, &. toute
fon efperance : mais la traitrefTe, & ruzée paillarde ne
laiflera de luy faire la moue en derrière, ferrant &.
preffant, le plus fecrettement qu'elle pourra, la main ou
le pied à fon aymé ruffien, luy promettant par cela, ou
par tels autres femblables fignes comme d'impudiques
œillades, que de bref ils coucheront enfemble en dépit
du vilain ialoux. Et fi elle ell par cas fortuit, furprinfe
fus le fait auecques fon ruffien elle aura bien encores
cette cautelle & effrontée audace de l'ofer contredire &.
nier ce qui fera tant euident &. manifefle, que les
aueugles mefme le pourroient voir clerement. Quant eft
de promettre & nier fa parole, ce ne luy efl qu'vn pafTe-
temps tant elle eft naturellement encline, & eft grande
fon affection de tromper &l decepuoir. le ne te raconte
point combien elle iede de feintes larmes, s'eclatant en
hauts fanglots &. foupirs continuels, lors qu'elle a entre-
pris de tromper ou fon amoureux, ou fon mary. Bref
foit pour rire, foit pour pleurer, elle fe changera incon-
tinent en toutes affeftions, n'eftant pas moins muable
qu'eft la fueille de l'arbre pouffee d'vn fort tourbillon de
vent. Et fi tu penfois qu'elle voufift donner vn liard
pour deliurer fon amy ou mary d'vn danger extrême,
tu t'abuferoys bien, tant la pieté & douceur naturelle
font efteintes en fon cueur & tant au contraire le feu
d'auarice y eft enflammé, qui la brufte iufques au dedans
des entrailles : Neantmoins qu'elle n'efpargne rien,
quand ileftqueftion de Tes habits, pompes, & braueries,
entendu qu'elle creueroit de defpit & de rage, fi elle en
voyoit marcher vne autre plus braue qu'elle, & après
DVDEMOCRITIC. 17
s'eftre ainfi pompeufement acoutree, vous la verrez
panader par vne rue fi fiere &. fi hautaine, qu'il femble
encore* que l'on foit bien tenu de iuy aller faire la
reuerence, & fi par fortune il fe trouue quelque pauure
lot qui Iuy donne d'vne Madame à voflre commande-
ment, voflre humble & obeiffant feruiteur s'il vous
plaifl, auecques force pieds de veau à cul ouuert, vous
la verrez alors enfler d'orgueil, & enflammer ny plus ny
moins qu'vne chienne enragée, ou vn Tigre. le me tay
lu temps que telles caignes confument à fe mirer, &
vfer de fards & vnguens, pour remplir leurs rides, &.
mafquer leur vifage fale &. deshonnefie. Et encores
npres toute cette farce là, cuidez vous fi elles fe trouuent
en un conuy, qu'elles facent femblant de tenir conte de
la fomptuofité & magnificence du banquet ? Vous diriez
1 voir leur contenance, facheufe & déguifee, que toutes
viandes, &. mefmement les plus exquifes &. délicates,
leur viennent à contrecueur, où le plus fouuent les truyes
fales & infeftes font bien aifes à leur mefnage, fi elles
ont quelque petit demeurant de trois iours, pour ronger
auecques leur gros pain noir, le ne dy pas que fi
elles ont argent qu'elles ne fe traittent à fouhait, qu'elles
i.e boiuent du meilleur de la ville, s'engorgeant de
viandes, & de vin, de telle forte que leurs maris, eftant
couchez la nuift auprès d'elles, n'en auront autre chofe
qu'vn parfum d'vrine &. de vomifTement, dont elles rem-
pliront tout le lîft, & qui eft le pis, encores ne fe con-
tenteront elles pas au matin d'auoir ainfi acouflré les
pauures diables de maris, il faudra encores (pour fatif-
faire à la defpenfe &. menus plaifirs de Madame) vendre
l8 PREMIER Dl ALOGVE
lift, chalit & paille, draps, vaiffelle, taffes «t coupe-
d'or &. d'argent, s'il y en a, à celle fin d'en entretenir
fes maquerelles & Rufiens, 8t d'auoir le moyen de han-
ter les compaignies & lieux de plaifir, comme les baings
des efluues, les ieux publics, les danfes & aflembleez,
principalement celles qui fe font au foir, pour mieux
continuer la rubrique, faifant vn peu branler les tapifTe-
ries, &. s'ecartant en quelque coin, à la dérobée, &.
auffi pour affigner lieu, iour &. heure, aux pauures par-
ties attendantes. Si d'auenture elles hantent les Eglifes,
ou les fermons, ce n'eft à autre intention que pour
attirer à foy par regards lacifs St contenances impudi-
ques quelque ieune clerc ou autre nouice écharmou-
cheurs de cottes qui fe montrera à le voir difpos de
membres, frais & de bonne taille pour bien fournir au
contant, &. fatisfaire à leur paillardife demefuree. Et
ainfi fera pipé Monfieur le ieune homme qui penfera
incontinent eflre quelque autre Adonis, ou pour le
moins vn fécond Cheualier de l'ardente épee, d'auoir fait
vn fi grand coup que d'entrer en la faueur &. s'infinuer
en la grâce de cette gentille Madame, qui ne tend à
autre fin qu'après auoir fucé toute la fubftanfe de fon
corps &. de fa bource, tirer la langue fus luy & s'en
moquer apertement deuant vn chacun. Et fi d'auenture
elles mettent leur affeflion en quelque perfonnage, &.
qu'elles luy portent amitié non diffimulee &. fans que
l'auarice en foit caufe, c'eft le plus gentil pafletemps
du monde que devoir tout ce miftere là. L'vne s'én-
amourera d'vn borgne ou d'vn chaffieux, cette-cy d'vn
boyteux ou d'vn prêtre, cette là d'vn punais, ou de
D V D E M O C R 1 T I C . I 9
quelque gros valet qui fentira {on épaule de mouton,
l'autre d'vn boffu ou d'vn villain tout rempli de fiftules,
& qui tombe déia par pièces tant il efl pourri de vérole
&. de ladrerie, le ne veux pas dire que s'il fe trouuoit
quelque teigneus couuert de farfin, portant l'effigie de
la mort emprainte en fon vifage, les yeux enfoncez de
demy-pied en la tefle, la gueule torte comme vn vilain
qui renie Dieu, fi deffait que les oz luy perçaffent la
peau, qu'vn tel honnefle homme ne chatouillafl bien
tant le courage de ces vertueufes dames qu'il ne les
fift eftre déloyales aux premiers eleus. Tu peux voir
quels font les beaux Adonis de ces cagnes lefquelles
n'ont pas encores la patience d'attendre qu'ils viennent
par deuers elles, ains de iour & de nuit elles les vont
voir à celle fin d'éteindre la furieufe rage de leur pail-
lardife. Et puis eflans retournées à leur maifon, fi elles
font enquifes par le mary ou quelcun des parens où
elles ont eflé pendant fi longtemps abfentes, elles vien-
dront de donner confolation à quelque pauure malade.
Ennamenda c'eftoit grand pitié que de le voir, Dieu &
noftre Dame luy auront fait belle grâce, ou bien elles
viendront de vifiter leur voifine de nagueres accouchée,
ainfi qu'elles ont de bonne couftume faire entre elles.
Et fi on les penfe chaflier, ou par menaces ou par ba-
tures, elles en deviendront cent fois pires : fi au con-
traire on les flatte, 8t que l'on eftime les auoir par
douces paroles, elles en prendront vne liberté trop
plus grande qu'elles n'auoyent fait au commencement. Si
on les veut contraindre & retirer des compagnies, les
renfermant comme prifonnieres, elles fe communique-
ao PREMIERDIALOGVE
rofit pluftoft à des befles ou à des valets, tellement
qu'il eft impoffible, quelque remède qu'on s'efforce d'y
trouuer, d'empefcher ny donter la volonté impudique
8t éfrenee de ces audacieufes belles qui ioùent du
cheual échapé. le ne te dy point de quelles fortes d'in-
iures elles acouftrent leurs pauures maris abfens, &.
principalement s'ils font du titre des froids & maleficiés,
ou bien que par modeftie ils foyent retardez de la fré-
quente réitération du ieu de Venus. Bref quelque chofe
qu'il y ait, iamais elles ne veullent que l'on les frullre de
ce morceau friand, ces méchantes & maudites vipères.
Tout ce qu'elles penfent, tout ce qu'elles machinent,
tout ce qu'elles font, ne tend qu'à trouuer le moyen de
contenter leur paillardife. Quant eft d'honnefteté, de
modeftie, de chafteté, iamais vous n'en oirés vne pa-
role fortir de leur bouche : tous leurs deuis ne font
d'autre chofe que de louer celles là, comme bien heu-
reufes, aufquelles il eft efcheu d'auoir vn mari, ou vn
ruffîen laffif, &. qu'il leur chatouille fouuent le bas.
Et Dieu fçait la chère & vie qu'elles mènent, en l'ab-
fence de leurs maris, rien n'y eft efpargné pour le
traitement de leurs ruffiens & mignons de couchette :
tout ce que peut amaffer le pauure homme, en vn an
trauaillant, iour & nuift, eft deuoré &. englouti en vn
iour. Encores ne leur fuffit-il pas de dépendre ainfi le
bien des pauures cocus, fi elles ne les tenoyent fus les
rancs, durant leurs feftins & banquets : i'vne difant du
fien que ce n'eft qu'vn gros lourdaut, qui ne lui fçauroit
rien faire, &. que toute la nuift il ne fait que luy tour-
ner le dos, ronfler &. cracher, comme s'il auoit vne
DVDEMOCRITIC. 31
t
itifie qui lui fift ieâer fes pommons : cette-cy qu'elle
voudroit que le fien n'euft point tant étudié, &. qu'il eft
trop fçauant, entendu qu'il obferue le cours de la
Lune, les eclipfes &. mouuemens des aflres, pour fçauoir
quand il eft bon ou mauuais d'habiter auecques les
femmes, St qu'il ne paffe fepmaine qu'il ne luy face
:roire que les iours caniculiers font en règne : ce(le-là
e le fien eft pareillement trop fuperftitieux en ces
affaires là, d'auoir fait vœu de ne toucher point aux
femmes certains iours de la fepmaine, &. principalement
aux iours meigres, &• bonnes feftes de l'an : l'autre
que le fien n'en a pas fi grand que le petit doi, encores,
qu'il eft fi niais qu'il ne fçauroit trouuer le pertuis, fi
elle ne luy met elle mefme. Et ainfi font dépeins les
maris abfens lefquels ne font point pluftoft retournez
des champs, qu'incontinent elles ne leur viennent faire
la reuerence, les affeurant du grand ennuy &. fâcherie
qu'elles ont fouffert durant leur trop longue abfence.
Et s'il échape alors quelque foupir de leur eftomac
pour la fraîche mémoire qu'elles ont encores de leurs
amoureus, elles feront acroire au pauure iobet, que ce
fera pour l'amour de luy. Elles fe tiendront tout vn long
temps pendantes à fon col, le baifant puis au front,
puis aux yeux, puis en la bouche. Mais les traitrelTes
U méchantes qu'elles font, le voudroyent auoir ia baifé
mort, pendu &. étranglé à quelque gibet, n'en faifant
pas moins de tout cela à l'endroit de leurs amoureux,
voire encores plus qu'à leurs maris. Qui fera donq' dé-
formais celuy tant elongné de tout bon iugement, qui
fe voudra alTeruir à vn animant tant pernicieus, tant
PREMIER DIALOGVE
villain &. deteftable comme eft cettuy-ci. Mais nonobftant
tout cela vn tas de gentils mignons ne délaiffent point
d'eiraier à complaire par mille moyens à ces fieres
befteSj fe foubmettans à la merci du froid 8t humide
ferein, de l'afpre &. forte gelée, de la pluye, des vens
& orage, & fouuent d'vn parfun d'vn pot à pifTer fur
leur tefle, pour recompenfe de la peine qu'ils prennent
à fonner des aubades, auecques luts, guiternes, flûtes,
Si autres accords &. raclements de boyaux, au deuant
de la feneftre de Madame, laquelle, ce pendant que
ces pauures niais font là à trembler le grelot, épandre
foupirs, & baifer le crouillet de la porte, efl; ou dor-
mant à fon aife dedans vn lid, ou à fon réueil étendant
la cuifle, & prenant plus de plaifir à fe moquer de !a
folie de ces fols importuns, qu'à cuyr l'armonie de
leur mufique : & ainfi font accouflrez ces amoureux de
Carefme. Or cognois-tu maintenant affez les imperfec-
tions de ces befles que tu auois tant recommandées, &
pareillement le maigre pafTetemps & pauure recompenfe
qui enfuyt de cette fotife amoureufe, n'emportant auec-
ques foy que mocquerie, vray guerdon à ces plaifans
meffieurs, pour les foulager des grandes peines & longs
trauaux qu'ils ont endurez à cette occafion. Et fi tu
voulois retourner en ta première herefie de dire qu'ils
apprennent beaucoup à parler, faifant l'amour à vne
Madame, tu en pourras aifément cognoiftre la vérité,
par les refponces qui leurs font faites, &. principalement
de Mefdames de ville, dont ie t'en diray après nous
eftre affis fur cette herbe verte quelques vnes pour nous
recréer &l de celles que i'ay autres fois entendues dire
DV DEMOCRITIC. 2^
3 dérobée, c'eft que pluftoft ce fot tranfporté n'aura
acofté Madame la Bourgeoife, &. commencé à defcou-
urir le pot aux rofes, qu'elle ne luy face vne de ces
petites fottes refponces telles qu'elles s'enfuyuent. Enda
Mjy : enda voire Monfieur, vous nous en voulez conter,
as venez de Blays : vous voulez rire : vous faites
.'.nnemine : le croy que vous venez d'Angers, vous en
auez bien veu ceus qui en venoyent : vous en fçauiez de
deux, vous nous en auez baillé d'vne : ie croy que vous
efles fils de boucher, vous tàtez bien la chair : combien
;ne voulez vous acheter que vous me tàtez ainfi? le n'ay
£;arde d'affondrer, ie fuis bien arriuee : cettuy là ne
vous coufle gueres, monfieur, il eft creu en vos iardins :
vous efles trop chaut, vous ne dureriez pas : ha vous
elles trop blanc, il y a plus de faueur en vn grain de
poiure qu'il n'y a en vn muy de chaux : ce font des
pommes de muzart, nul n'y touche qu'il n'y ait part :
vous diéles mieux qu'vn chalumeau de blé : reuenez
demain vous ferez cerclé : que cherchez vous là Mon-
fieur, vous n'y auez rien mis : dea, vous eftes moût
priué pour la première fois : he Dieu, que vous efles
endemené : vous auez la main terriblement legiere :
vous efles moût importun : vous efles facheus : les filles
de voflre cartier fe laifTent ell' ainfi tâter ? Tous ceux
qui m'ont abbayee ne m'ont pas mordue : le baifer qui
au cœur ne touche ne fait qu'affadir la bouche : il vaut
mieus auoir bonne tefle que mauuais cul : ainfi dit le
Renart des meures : ce feroit bien tofl faidl qui vous
voudrait croire : la nuit nous donnera confeil : iem'ébahi
comment vous efles fi gras^ veu que vous auez tant
34 PKEMIERDIALOGVE
d'affaires : vofire amie n'eft pas fi noire : ceus qui me
verront de iour ne fe rompront pas le col pour me ve-
nir voir la nuit. 11 s'en trouuera vue autre plus fucree
& qui voudra contrefaire de la bien apprife qui dira,
Que vous fauez bien dire, ie croy que vous auez bien
leu les liures qui en parlent : cela vous plaift à dire,
Monfieur, c'eft du bien de vous : on s'entraime mieus
deuant qu'on s'entr'ait que quand on s'entr'a : vofire
ciuilité me rend ruftique : il y a long temps qu'on ne
baife plus : il ne fut iamais moins de refponces, on les
a toutes mangées en falade : vous pouuez bien mentir,
vous venez de loing : vous ne me voulez pas tuer, vous
me baillez du plat : n'y penfez plus, voftre part en eft
gelée : vous vous trompez, ce n'eflpas ainfi que vous
penfez : vous fçauez mieus que vous ne dites : vous n'en
fériés rien fi vous ne vouliés : ie fuis telle que Dieu m'a
faitte : vous auez puifTance de dire de moy tout ce qu'il
vous plaira, Monfieur, tant y a que ie ne cognoy rien
en moy des louanges que vous me donnez : vous
me faites trop d'honneur, Monfieur, il ne m'apartient
pas : ie vous remercie du grand bien que vous me
defirez, Monfieur, ie n'ay pas tant mérité en vofire
endroit : il faut cognoiflre deuant que d'aimer: vous
autres hommes efles toufiours couftumiers de dire &
promettre telles chofes, mais quand vous auez fait des
femmes, vous n'en tenez plus de conte, vous perdez alors
le fouuenir de tous les grands ferments que vous leur |
auiez faiftsen la chaleur de vofire amour, foudain vos
foupirs &. promefïes s'euanouyfTent par l'air : mais,
Monfieur, que diroit-on fi l'on vous voyoit vfer de fi
DV DEMOCRITIC. 25
:ide priuauté en mon endroit, vous fçauez que les
i font auiourd'huy tant mal parlans : il n'y a remède,
il faut quelque fois diffiniuler & faire des chofes tout
contre fon vouloir pour euiter au fcandale : vraiement il
i'en trouue ordinairement aux compagnies, ie ne fçai fi
' lia leur procède de ialouzie ou de quelque autre enuie
Is aient fus les perfonnes, mais ils ne font autre
cnofe que noter tout ce qui s'y fait, pour médire après
des vns & des autres : ie ne veux pas dire, monfieur
quant à vous que vous ne vous y fceuffiez gouuerner
fagement : il appert bien que vous auez efté en plus
d'vn endroit, vous fçauez bien autre chofe que voflre
pain manger. Et fi par cas fortuit il s'adrelToit quelqu'vn
à elle qui fans vfer de toutes ces petites harengues
deffalees voufifl aller de droit fil donner dedans l'aneau,
madame la ruzee auecques fes fourcis rabaifTez, &.
comme bien remplie de courrous, luy refpondra : Quel
gentil perroquet, ie croy que vous auez eflé en cage
pour apprendre à parler : vraiment c'eft dommage que
l'on ne vous a préparé vne chaire, vous prefcheriez bien,
vous auriez tantoft le bec iaune : vous diètes d'or : ie
croy que vous ne difles pas à bon efcient : à fote de-
mande il ne faut point de refponce : fçauez vous que
c'eft qu'il y a, Monfieur, ie vous prie ne vous mocquez
point de moy, l'en ai bien veu d'autres : vous me deb-
uiez regarder à deux fois & penfer tout à ioifir deuant
que de me parler tel langage : ce n'eft pas à moy qu'il
vous falloit addreffer pour vfer de telles paroUes : ie ne
fuis pas telle que vous penfez : vous deueriez vous ad-
drelTer ailleurs pour paruenir à voflre intention : il ne
26 PREMIER DIALOGVE
faudroit guère de tels propos pour vous eflranger d'vne
bonne compagnie : addreffez hardiment ces lettres à
d'autres : Monfieur ie vous fupplie fi vous me voulez
faire plaifir, ne me tenez plus tels propos : comment \
il femble à vous ouyr parler que ie reffemble vne garce
publique : vous pouuez bien aller chafTer ailleurs, ce
n'eft pas ici votre gibier : ce n'eil pas viande pour
vos oifeaus : ce n'eft pas pour vous que l'on frit ce.-
œufs : addrefTez hardiment ailleurs vos offrandes ,
ie fuis à vn autre faint vouée : il y a bien vn autre qui
s'y attend : vous perdez vos pas : vous vous tourmentez
en vain. Comment ! eft-ce là le peu de conte que vous
faites de l'honneur des Dames? Mais ce dont ie me
fâche le plus efl dequoy ces pauures fottes eftiment leur
honneur eftre caché entre leurs cuiffes, le logeant en
vn lieu tant fale & deshonnefte, & croy que c'eft la
raifon pour laquelle elles en font le plus fouuent part à
quelque gros vilain &. lourdaut de valet, &. pluftoft qu'à
vn honnefte gentil-homme qui le meriteroit : & voila par
le corps Dieu (l'en iure) de quoy ie me fcandalife le
plus. Mais ie te veus bien ici aduertir d'vne chofe, que
tu ne te frotte pas d'aller harenguer ni prefcher le
moins du monde de la charité à ces Dames lourdes
ruzees de Genéue, fi tu ne veus fermement continuer tes
coups, car il m'aduint vne fois en allant en voyage à
faint Claude d'en parler à deux ou trois feulement de
gayeté de cœur, mais pource que ie n'en fis après plus
de conte, ie me donne au diable fi elles ne difoyent tout
razement que ie ne croyois pas en Dieu : ce qu'elles
auoyent bien inuenté fauffement & du tout contre la
DV DEMOCRITIC.
vérité, veu que ie ne leur parloy d'autre chofe par ce
; que i'étoy bien affeuré qu'elles ayment fort cela, à
raifon de l'air de Laufanne qui leur fouffle la belle
I parolle de Dieu (m'amie) toute déliée comme fleur de
I farine paffee au plus menu fas.
I LECOSMOPHILE. Par Dieu ie me garderay donc
! bien de leur en parier, au moins fi ie n'ay moyen de les
pourfuyure après de court. Cancre de dire qu'on ne
: croit pas en Dieu, fi de par le diable fi, par le Dieu
I qui n'eft qu'vn, ie prendroy pluflofl des Cantharides &.
leur fermeroy tant le bas que leur empècheroy bien ie
haut de caqueter. Mais pour retourner au propos de
ces gracieufes & diuines réponces que tu as récitées au
parauant, vraiment tu ne m'en as raconté aucune qui ne
m'ait autrefois efl.é difte ou que ie n'aye ouy dire à
d'autres. Et ie te prie de grâce puis que tu m'as tant
bien fceu déchifrer les répliques communes de ces
Bourgeoifes, fi tu en fçais quelques vnes de ces Damoi-
felles de cour, ne m'en fois point chiche.
LE DEMOCRITIC. N'eftoit que le parler tou-
jours graue & Philofophic fans eflre entremeflé de
quelque chofe ioyeufe, ennuyé plus à l'écoutant qu'il ne
luy apporte d'inftruflion, ie ne me fulTe daigné arrefler
à ces fois propos : neantmoins tant pour nous contenter
l'efprit par la moquerie de ceux qui fe penfent eflre bien
difcreâs, que pour raifon de ta prière, ie ne laifleray à
pourfuyure en cette gracieufe méfiée. Et quant efl des
Courtifannes, pour en cognoiftre les refponces affeftueu-
fement fardées, ie t'enuoirai à ces beaux liures defquels
ie t'ay parlé ici deuant, & principalement au Seigneur
38 PKEMlERDrALOGVE
des Eflars, lequel ie nommeray toutesfois auecques re-
uerence & honneur, tant pour vn coulant langage,
liaifon de propos, que pour vne douceur St fluidité de
parolles dont il a vfé outre tous ceux qui fe font méfiez
deuant luy d'écrire en noftre vulgaire, & encores
auiourd'huy s'en trouue-il peu de ceux qui écriuent en
pareilles chofes, qui approchent de la grâce & naiTue
beauté de fon flile. Or en ces autheurslà tu pourras co-
gnoiftre le peu d'érudition qui nous vient par leurs mi-
gnardes & affeftees refponces.
LE COSMOPHILE. Il eft bien vrai qu'vne bonne
part des Courtifannes dérobent leurs refponces en ces
liures d'amour, & non pas toutes, car celles là qui ont
l'efprit meilleur, ne veullent point eflre veuës rien
emprunter de l'autruy, ains de leur propre efprit s'en
forgent de toutes nouuelles.
LE DEMOCRITIC. Pas ie ne veùil reprouuer
l'inuention qui vient de foy mefme, trop bien veus ie
blâmer celles lefquelles ne veullent eflre veuës parler
que de leur cerueau, entendu que ce font ordinaire-
ment celles qui font dignes de plus grande moquerie,
auffi que la prefomption efl trop grande de fe fîer tant
en fon naturel que l'on ne tienne conte de l'artifice : car
tout ainfi que nous voyons la fortereffe de quelque ville
ou autre place ne confifter pas feulement au fort dont
la nature l'a voulu munir, mais que le meilleur de fa
Jefence & fauuegarde gift en ce qui y a eflé adiouté par
la main & induftrie des hommes, autant en efl-il de
l'efprit humain, car encores que naturellement il foit fort
de la raifon, fi eft-ce que s'il n'ell remparé & poli par
DV DEMO C R ITI C. 29
ce qu'il peut retenir de l'inftrudion des autres, non pas
tant feulement en les écoutant parler, mais en voyant
leurs œuures dignes de mémoire, il demeurera tout
ainfi qu'vn tableau de cire ou de marbre tout groffier
h. fans aucune forme laquelle foit digne d'eflre regardée.
A ces prefomptueufes il en prent tout ainfi qu'au dif-
ciple qui veut corriger fon maiftre deuant que de fçauoir
le moindre point de fa doilrine, toutesfois que fi ces
outrecuidees lefquelles penfent tout fçauoir d'elles
mefmes, font à reprendre en ce cas ici, les autres qui en
apprennent par l'inftruftion d'autruy, ne le font encores
moins, car en quelque manière qu'elles en veulent vfer,
elles ne fçauroyent dire chofe touchant cette fottife
d'amour, fi ce n'eften la blâmant, qui mérite louange.
Ne connoi tu pas maintenant ton erreur d'auoir eRiiné
que l'on apprifl à bien parler en faifant l'amour?
LE COSMOPHILE. Tu ne m'as fatisfait que d'vn
cofté, car encores qu'il foit vray que les hommes ne
puiffent rien apprendre par ce que leur refpondent les
femmes, cela n'empefche pas qu'ils ne s'étudient à bien
parler pour leur complaire.
LE DEMOCRITIC. D'apprendre à bien parler
c'eft vne chofe fort louable &. bien feante à toute per-
fonne, non pas pour ce but que tu as dit de plaire aus
femmes, mais à celle fin que l'on donne plus aifément
à entendre fes propos, &. que l'on face mieux croire ce
qu'on a intention de prouuer : & à celle fin que nous
ne nous égarions fus la vraye fignification de bien par-
ler, il faut fçauoir en quoy il confifle. Le bien parler ne
gift pas feulement à vfer de termes & mots bien françois,
JO PREMIER DIALOGVE
ni à dégorger mille petites folies & vaines raptalTeries de
paroiles fans propos, mais à dire des chofes defquelles
(outre l'ornement & la grâce des diflions, dont elles
feront enrichies) nous en puiffions auecques le plaifir
rapporter quelque fruift &. inflruftion, ce qui n'aduient
aucunement à ceux qui fe rompent le cerueau à des
chofes tant legieres &. friuolles, comme de faire l'amour:
&. à celle fin qu'il ne t'en relie aucun doute, ie te monf-
treray de toutes les fortes de harengues auecques le
gouuernement de ceux qui s'encheueflrent à tel ioug.
Premièrement viendra l'homme de guerre & pour le
falut de la Dame la chauffera de première abordée,
l'vn auecques braue par le corps-Dieu, par le fang-Dieu,
ie renie Dieu, Madame, ie ne fçache homme fous le ciel
tant braue foit-il, que s'eflant auantagé de faire tort au
moindre point de vollre honneur, que ie ne fîffe mourir
ou recognoiflre fa folie, & oferoi' ayant la faueur de
voftre bonne grâce, entreprendre le combat contre luy
tout armé, bien que ie ne fufTe qu'en chemife, car ce
feul point de me voir fauorizé d'vne fi braue Dame, me
haulTeroit tant le courage & me rendroit affez fort, pour
ne redouter point vn Csefar s'il efloit deuant moy. Et
vfera de tant d'autres fots & vaillans propos que tu di-
rois à l'ouyr parler qu'il doit aller tuer Carefme-prenant
pour en auoir la veffie. le t'en veus faire à ce propos
vn petit difcours d'vn certain feigneur qui n'eftoit pas
encores hors de page du meftier de gentil-homme, &
combien qu'il ne foit pas touchant l'amour, il ne laifTera
pourtant à te donner à cognoiftre que volontiers tous
ceus qui font tant braues &. mauuais de paroiles reffem-
DV DE MOC RITIC. ^ i
blent aux grandes montaignes qui doiuent enfanter
merueilles & defquelles ne s'en engendre à la fin
qu'vne petite fouris feruant de rizee à vn chacun. Or
pour tomber à mon point, tu dois entendre que cet
apprenti de noblelTe eftaiit logé en vne hollelerie &
voyant au foir qu'on ne luy apportoit pas alTez toft à fon
gré vn couurechef, après auoir longtemps renié Dieu &.
pris par les tripes & par tout, commença à dire qu'il fe-
roit cecy, que par la mort Dieu il leur monilreroit
comme il s'en feroit fâché, qu'il leur en feroit fouuenir
à qui ils fe penfoyent iouër & que par le fang Dieu, il
eftoit gentil homme & homme de bien & de bonnes gens,
qu'il en auoit bien veu d'autres & bien tué. Ceus de la
maifon penfans qu'il deufb mettre le feu dedans ou pour
le moins les froiffer en poudre tous les vns après les
autres fans merci, tant il renaquoit & frapoit des pies
brauement, incontinent fe diligenterent luy en apporter
non pas feulement vn, mais vne demie douzaine. Et
après auoir vn peu rappaifé fa frenaifie, ils s'enhardirent
de luy demander ce qu'il auoit délibéré de faire s'ils ne
fe fufTent haftés de luy apporter des couurechefs. Alors
encores tout enflammé de colère foufflant &. marchant
à pas déréglez par fa chambre de la mefme forte que
faifoient les Coribans quand ils fortoyent fraîchement de
belle rage diuine, vint à répondre en haufTant fon
bonnet de la main gauche, &. fecoùant les oreilles
comme vn chat mouillé : Que i'eufTe fait? Ventre Dieu,
que i'euffe fait? Par la digne mort-Dieu ie me fufïe coiffé
de ma chemife. Il en furuient volontiers vne pareille fin
en ces grandes brauades comme à ceus qui fe monflrent
5 2 PR EMI t R DI Al OC VF
tant vaillans en harengues auprès des Damoifelles : car
s'il eft queftion d'exécuter leurs hautaines &. fieres pro-
meffes, vous les verrez plus couards & plus craintifs que
n'efl vn canard voyant le faucon, tellement qu'vne
fimple femmelette les pourroit batre aifément auecques
fa quenouille, ou bien comme fift l'autre qui en rangea
vne demie douzaine auecques la naië du four. Encores
feroit-ce quelque chofe fi pour leurs iuremens ils en
auoyent quelque recompence, mais le plus fouuent ils
n'en reçoyuent que de la moquerie, voire fe fu(Tent-ils
déuoyé le filet de la langue à force de renier Dieu, ou
rompu bras & iambes en maniant tt piquant leurs che-
uaux au deuant de leurs maitrelTes.
LE COSMOPHILE. Voire mais tu ne pren que
ceux qui font les plus vicieux en harengues. Ne fe treu-
ue-il pas vne infinité de perfonnes de bon efprit hantans
la Cour qui tiennent de fort bons propos aux Damoi-
felles ?
LE DEMOCRITIC. Quand eft du Courlifan ie
confelTeray fon langage eftre plus affeflé que de nul
autre : mais que pour cela il parle bien, ie te le nieray
du tout par la définition que ie t'en ay donnée icy de-
uant, 8i principalement deuifant de cette fottife d'amour ;
entendu que de tous fes propos ne s'en trouue pas vn
qui ne tende à offrir fon feruice : & tant s'eft abâtardi
l'efprit de l'homme, que celuy qui le fera autrement, ne
fera pas moins eftimé inciuil, ou mal appris, qu'eftoit
au temps paffé cettuy-là, lequel en compagnie refufoit
à ioiJer de l'inftrument mufical qui luy eftoit prefenté. Or
me dis de grâce où le Courtifan a appris foit par raifon
DV DEMOCRITIC. JJ
iiaturelle, ou autre telle que tu la voudras forger en ton
cerueau, de donner à fi bon marché la chofe qu'il doit
tenir la plus chère, & foy priuer tant legierement de ce
que toute perfonne eft tenue d'auoir en plus grande re-
commandation qui eft la liberté? Ouure maintenant les
yeux, U. regarde fi de toutes ces harengues qui tendent à
vne fin tant fotte & de fi peu de confideration, s'en fçau-
roit tirer aucun contentement à l'homme raifonnable
«i de bon efprit , & moins encore d'inflruftion à
aucune perfonne. Mais ce qui en eft bien le plus excel-
lent, Monfieur du muguet Courtifan ne penferoit pas
eflre le bien venu, s'il ne contrefaifoit fa grâce, remâ-
chant brauement le petit fétu parmi fa bouche, tenant
fon bonnet d'vne main fus le genou, quelque fois des
deux au derrière de foy auecques vne tefle mal arreflee,
& vne voix contrefaitte. Et ainfi s'écarmouchant il badi-
nera plus de tours au deuant de Madamoifelle, que ne
feroit vn chien de bafleleur pour fon maiftre. le ne dis
[las que s'il fe vouloit efTuier le front auecques le
mouchoùer ouuré, ou frapper fa bottine d'vne petite
baguette, que cela ne luy aidaft fort à alTeurer fa
grâce, & qu'vne perruque, non pas treffee à la Ludo-
iiique (car la mode n'en eft plus) mais brauement re-
haulTee à la fortune, & fubtilement frifee auecques
artifice, ne le fift trouuer plus gaillard enuers les Dames,
'intauffi qu'elle ne fuft point du xxij. Pfeaume de Dauid,
eft à dire confitte en huille d'olif. Mais pauure fol qu'il
eft, comment fe rompt-il l'efprit, s'amufant à tant de
legieres folies? Ne fçauroit-il cognoiftre à quoy peuuent
feruir tant de tapifleries, tant d'etfealiers, tant de Ion-
Î4
PREMIER DIALOGVE
gues galleries, tant de petis garderobes, tant d'huys de
derrière, & de retraittes égarées, veu que tout cela n'eft
inuenté pour autre occafion que pour les commoditez
d'entrer de l'vn en l'autre ? Et outre toutes les folies
fufdites à celle fin d'eflre eftimé mieus parlant, il ne
cherchera autre chofe qu'à trouuer le moyen de faire
venir à propos aucun de ces mots, comme folâtre, fat,
acofter, aborder, il n'y manque rien, efcorte, endurer
vne brauade, aconche, galante, l'efcarpe, acort, vn fort
bien à tous bouts de champ, difgrace, de grâce, vn
poltron, vn faquin, &. ainfi auecques ie ne fçay combien
d'autres femblables mots apoflez, il entretiendra en-
femble Madamoifelle auecques fa grâce, les redifant en
vne mefme heure plus de cent fois, pour autant qu'ils
fonnent mieux ce luy femble aux oreilles, & empliffent
dauantage la bouche, que ces autres vulgaires diélions :
ioint que volontiers les plus braues & les mieux parlans
en vfent ainfi. Neantmoins tout cela ne vaudroit rien,
fi le branflement de tefle Italiennizé ne feruoit de fauce
pour luy donner plus grand gouft. le ne veux pas toutes-
fois reietter beaucoup de bons mots qu'il nous a efté
befoin & necefiaire d'inuenter, ou d'emprunter des
autres langues, puis que défia ils font receux en la
noflre, mais que l'vfage en foit plus rare & modéré.
Encores n'efl-ce pas tout car ceux qui deuroyent eflre
faits fages & prudens par les exemples d'autruy, & les
bons aduertifTemens qu'ils voyent en la meilleure partie
de leurs liures, ce font Meffieurs les Ecoliers, 8t autres
clers tonfurez, qui en font encore plus à reprendre
qu'aucun de ceux dont ie t'ay défia parlé. Car tu verras
DVDEMOCRITIC. 3^
le plus fouuent Monfieur le petit braue Ecolier, qui ne
fera pas à grand'peine encores éclos hors de la coque,
qui fe voudra défia faire infcrire au papier & regiftre
des Dames, &c infmuër fes nominations au diocefe d'a-
mour, l'ay dit notamment braue, car les Dames qui de-
meurent aux lieux aufquels communément fréquentent
les Ecoliers, font bien la plufgrand'part de ce cœur-là,
qu'elles ne fauorifent ni reçoyuent que ceux qui font
miftes, poupins, 8t brauement accouRrez: tellement
qu'il y en auoit vne (ie ne nommeray point pour cette
heure l'vniuerfité où c'efloit) laquelle n'eufl iamais per-
mis à fon Pamphile de monter fus elle pour voir de
plus haut, s'il n'euft eu fon cafaquin de Damas. Et ne
faut point trop s'ébahir de cela, car penfez-vous qu'il
n'y ait pareillement plus de plaifir à éuenter ces ver-
dugades de fatin ou de velours cramoifi, qu'à leuervn
tas de cottes fimplement repliées de rouge?
LE COSMOPHILE. le ne fçay comment en font
les autres, mais quant eft de moi tout m'eft de guerre,
l'aimerois autant ou plus vne belle & ieune bergiere des
champs fans aucune brauerie, que ie ne feroy vne vieille
mule de ville au frein doré.
LE DEMO CRI TIC. Si eft ce que Meffieurs les
écoliers ne font pas de cet aduis, & encores moins leurs
maitreffes, qui eft la caufe pour laquelle le plus fouuent
eft contraint le bon eftudiant de vendre tous fes liures,
pour en employer l'argent en change d'habits, petites
affemblees, &. dons fuperflus, à celle fin d'entrer s'il peut,
à la grâce de quelque Madame. Et nonobftant le peu
de hardieffe queluy caufe faute d'expérience, ne laiffera
j6 PREMIFRDIALOGVE
à s'approcher d'elle, &. après auoir longtemps délibéré
en foi-mefme, manié les vellements, conté U reconté
les patenoflres de la Dame, ietté vne infinité de foupirs
en l'air, baaillé vn demi iour après les perfonnages
d'vne tapifferie, il commencera à rafraîchir la mémoire
de quelque plaifant difcours de la belle Floripes, ou de
Bietris, de Pierre de Prouence & de Maguelonne, d'Artus
& Gouain, des grandes vaillances du Cheualier à l'ar-
dante épee, des loyales amours d'Amadis & d'Oriane,
comme il pafla fous l'arc des loyaux amans, & qu'elle
endura la couronne fans eflre bruflee. Il racontera pa-
reillement les grans plaifirs qu'on a en la pourfuyte
amoureufe, tefmoins les cheualiers qui muguetoyent vne
grille toute altérée de fanglots & foupirs dégorgez à la
caflillane. Encores faut il que celuy qui entrera fi auant
en matière foit des mieux appris : car quant eft de la
plus grand'part d'entre eux, ce leur efl beaucoup de
s'enhardir tant feulement de dire à leur Dame qu'vn tel
danfe bien, qu'il auroit bonne grâce s'il ne branloit
tant la tefte & les mains, & demander comment on
appelle vne telle, & qui elle eft, qu'il n'auoit point acou-
tumé de la voir : difant auffi que cette-là eft plus braue
que de couftume, qu'il a ouy dire qu'on parle de la
fiancer, qu'il s'ébahit comment vne telle a pris vn mary
qui eft fi niais & ialoux enfemble : fomme tous ces
beaux petits difcours appaifez, après auoir changé dix ou
douze fois de couleur, il s'ébranlera tant qu'il luy fera
à la fin entendre auecques fes parolles doucettes, accom-
pagnées d'vne contenance 8t vois mal alTeuree, la mer-
ueilleufe affedion qu'il luy porte, &. feruice qu'il luy
DVDEMOCRITIC. J7
voudroit faire. Et s'il adulent que la Dame cauteleufe &
ruzee feigne iuy porter pareille amitié, luy iettant vne
œillade de trauers, auecques vn fouris entremeflé de
quelque foupir, voila Monfieur l'amoureus du tout acheué
de peindre, & Iuy tardera beaucoup qu'il ne foit hors de
là, pour en faire défia le rapport à fes compagnons,
leur racontant qu'il a trouué la plus belle ce-cy, la plus
belle ce-là, de la meilleure grâce, la mieux parlante,
la plus braue, enuers laquelle il eft le mieux venu, le
plus aimé. Mais hélas! d'autant qu'il penfe eftre près
de fon but, il en eft loing : toutes-fois de ce pas ne
laiffera de fe retirer en fon étude, ou quelque autre lieu
fecret, pour baflir vne lettre à fa fauorite, laquelle il luy
fera tenir le plus fecrettement qu'il pourra, &. pour en
auoir meilleur moyen, gaignera s'il peut, la fille de
chambre par quelque petit prefent, & belles promeffes,
8t Dieu fçait après que Madame aura recew la lettre, fi
elle en fera fonproffit,& lepaffetemps qu'elle en tirera,
la communicant à fes compagnes qui ne prendront pas
moins de plaifir à la lire, que d'ébahiffement à confi-
derer la grande folie &. fimplicité de ce gentil beneft. Et
voilà Monfieur l'Ecolier acouftré de mefmes, pour re-
compence du bon vouloir qu'il a d'employer fon feruice,
Si de recouurer fa liberté en pleurant.
LE COSMOPHILE. Sans rompre ton propos,
tu m'as fait fouuenir me parlant de ces Ecoliers, que paf-
fant quelques fois par Orléans & Poitiers, ie me trouuay
en compagnie de Dames &. Damoifelles, &. les ayant mifes
fur le propos d'amour, ie ne vis iamais blâmer larron
delà forte, que ces Dames faifoientces pauures Ecoliers,
)8 PREMIER Dl ALOGVE
tant qu'vne fe print à dire : l'auroy grand'enuie de
faire vn ami deuant que ie le fiffe d'vn Ecolier: l'autre
fi i'étois femme de péché, ie n'auroy garde de m'aban-
donner à ces Ecoliers : vraiment, ce dit la plus gaillarde
de la compagnie, fi i'en auoy cent, ie ne leur en prefte-
roy pas vn : les Ecoliers dit l'autre, par faint lean, où
c'eft qu'à grand peine ils ont receu la moindre faueur
de nous, ils fe vantent d'en auoir fait à leur plaifir. Et
voilà, répond vne Damoifelle (i'enten d'vne aulne de
velours) dont procède que plufieurs honnedes Dames
font ainfi fcandalizees, & à grand tort: en bonne foy
(dit vne des plus rebraffées) ces gentils galans là les
voyez vous bien, s'il ont efté deux fois en vne maifon,
ils ne trouueront perfonne à qui ils n'affeurent d'auoir
eu la ioùilTance des maitrefTes, mais ils fe tiendroyent
trop heureux de s'eflre feulement égayez auecques vn
fimple fouillon de chambrière entre deux portes. La
plus ruzee de la troupe ayant chaiifTé fon chaperon à
l'enuers, toute émeuë de colère, & iettant vne baue
écumeufe des deus coflés de la bouche, commença
ainfi fon propos : Que ne s'adreflîent-ils à moy, par
Dieu s'il y en efloit venu vn, ie luy monflreroy bien fon
bec-iaunage : cela ! Ils font tant ieunes : vraiment c'efl
raifon, baillez leur pour le perdre, quoy ! fi quelque
preude femme leur a fait cet honneur que de les rece-
voir en fa compagnie, il n'y aura celuy qui n'en foit
abreuué, les petis enfans en iront incontinent à la
moutarde : ha merci Dieu dit lors la plus agee, ie fuis
bien vieille &. bien chetiue, fi efl-ce que fi le plus haut
huppé d'entre eux m'en venoit parler, ie le renuoiroy
bien à ces Hures.
DV DEMOCRITIC. 39
LE DEMOCRITIC. Et ainfi peux tu voir comme
lo:it acoutrez ces panures fots qui employent la plus
grande partie de leur efprit & de leur temps pour fe
faire moquer d'eux-mermes, &. c'eft bien vn pauure
exemple pour en faire venir l'enuie à ceux qui voudront
vn peu fonder le gué deuant que d'y entrer plus auant.
LE COSMOPHILE. Mais toute raillerie oflee, & à
celle fin de parler auecques raifon, il me femble qu'en
blâmant ainfi les hommes en leur inconftance & fottes
prières, que tu en fais les femmes beaucoup dignes de
plus grand' louange, entendu qu'elles fe monftrent en
amour trop plus confiantes qu'eux, ne faifans point l'of-
fice de requérir & fupplier comme ils font.
LE DEMOCRITIC. le te confeffe bien en cela
l'inconftance des hommes & folie eftre grandes, ainfi
que i'ay toufiours dit, mais pour ce ie n'approuueray
aucunement les femmes en eflre plus fages ou confiantes,
car elles fe font tant fortes de la folie & fimplicité des
hommes, dont la plus grand' part font badaux iufques à
là, qu'elles fe peuuent tenir affeurees de n'en eftre que
trop requifes. Et qui doute fi les hommes eftoyent tels
qu'ils doyuent eftre, & qu'ils voulfiffent tenir bon de leur
cofté, qu'elles ne fiflent leur office? Et fi feroyent fi,
vray eft qu'elles n'en feroyent pas vn peu fi promptes
quand elles les cognoiftroyent n'eftre pas toufiours fi
prêts à payer leur dette comme elles font à prefter, &
cette feule occafion feroit affez fuffifante de les empê-
cher d'eftre tant importunes : neantmoins quant elles fe
verroyent en fi peu d'eftime, eu égard en celle là,
qu'elles font pour le iourd'huy, elles accorderoyent à
40 PREMIER DIALOGVE
peu de peine ce que les longues prières, fottes harer.
gués, dons fuperflus, & autres telles carefles qu'elles on
accoutumé de receuoir, ne peuuent faire, fi d'auenture
il ne s'en trouuoit quelques-vnes qui euflent le cœur
tant vertueux, & affis en fi bon lieu qu'elles ainriafTent
mieux en vfer à la tribadique.
LE COSMOPHILE. Ceux qui ont efté mal traittez
des femmes & qui n'ont fceu paruenir à leur intention,
en parlent comme toy, n'ayans autre recours, finon a
blâmer celles qui ne le méritent tant, & à peine me
peux-ie perfuader qu'il t'en foit arriué autrement.
LE DEMOCRITIC. le ne te nieray point que fi
i'euffe voulu fuyure mon fot appétit defordonné, que
quelquesfois ne me fulTe trouué empêtré d'vn tel lien :
neantmoins la raifon m'a tant iufques à préfent com-
mandé, & commandera, que pluftofl i'auroy le defir de
n'eftre point, que de laiffer affaillir mon cœur d'vne
folie tant fotte & contre toute raifon. Quant eft de ce
que tu m'accufes blâmer celles qui ne le méritent, tu n'en
as aucune ou que bien peu d'occafion, car comme i'ay
toufiours dit, ie n'enten parler qu'aux fottes & outre-
cuidees, & non à celles lefquelles (eftans comme
Monftres entre les autres) la nature a voulu pouruoir
au lieu d'vne méchanceté, cauteleufe inuention, & fottife
ûutrecuidee (vices communs en la plus grand' partie de
leur fexe) d'vne bonté, douceur amiable, &. honnefteté
gracieufe : vertus helas ! tant rares en vn tant petit
nombre d'entre elles, que la plus grand' partie des
autres fe peut dire pour le tout. Et outre plus celles que
ie blâme tant, ce font pareillement vn tas de méchante.^
DV DEMOCRI Tl C.
I Lizees lefquelles font femblant d'auoir en horreur &
haïr le plus cela qu'elles ayment le mieux pratiquer.
LE COSMOPHILE. Il me (emble que tout ce
<jue tu m'as tant penTé prouuer efl droitement contraire
,i la première propofition que i'ay entendue de toy peu
ipres que ie t'ay rencontré, fouflenant que nous ne de-
uions receuoir aucune chofe qui ne fût bonne ou plai-
faute, & que rien n'eftoit bon qu'il ne fût vtiie ou
necefTaire.
LE DEMOCRITIC. Ilefl vray.
LE COSMOPHILE. Puis donq' que l'amour fe
peut dire bonne eftant vtile, & qui plus eft, necelTaire à
noftre conferuation, entendu que fans l'amour qui a efté
en nos premiers parens, nous ne fuffions pas, il s'en en-
fuyt par vn mefme moyen, qu'elle doit «flre à bonne
occafion receuë de nous autres : ioint que naturellement
nous fommes tenus & obligez d'aimer tout ce qui nous
aime, outre que fans cela nous aurions perdu la cognoif-
(ance d'vne beauté & honnefle maintien d'auecques vne
laideur & mauuaife grâce, qui feroit eflre pis que les
liefles.
LE DE MO CRITI C. Si tu n'as autre chofe a dire
_ :e t'auray tantoft folu ce que tu m'as fi longtemps gardé
& rendray le plus faible ce que tu penfe eflre le plus
fort de ta caufe. Et à celle fin d'y tenir meilleur ordre,
ie te prendray par le premier point de ta réplique, au-
quel tu m'as dit que fans l'amour de l'homme à la
femme, ne fe pourroit faire aucune génération parquoy
cela eflre necefTaire pour conferuer noflre efpece. le te
confeffe bien qu'vne amitié modérée, & telle que la na-
42 PREMIER DIALOGVE
ture l'a donnée à chafq'animant de l'vn à l'autre fexe,
&, qui n'excède point les limites de raifon, efl bonne, (t
celle qui efl ainfi gouuernee, tant s'en faut que ie l'en-
tende blâmer, que ie l'approuue la meilleure du monde
& très necefTaire. Mais de quoi fert cette commune
fottife qui fait tant élongner l'homme de tout bon iuge-
ment, qu'il en commet des aéles du tout indignes de la
créature raifonnable? Ainfi que tu peux cognoiflre, au
moins s'il te fouuient de ce que ie t'en ay dit icy au pa-
rauant : dequoy feruent à noflre procréation vne infinité
de fingeries, fottes harengues, paffions démefurees,
poignantes ialoufies, foies & outrecuidees entreprifes,
& vne infinité de tant d'autres badineries, (defquelles
nous en auons touché quelques vnes) finon pour monftrer
ie peu d'efprft de celuy qui s'y adonne &. pour toute re-
compenfe, n'en receuoir à la fin que toute honte &.
moquerie? Doriques tu peux défia voir ton premier
argument ne faire rien contre moy. Et quant efl d'ai-
mer naturellement les créatures qui nous portent affec-
tion, encores l'approuuai-ie dauantage que le premier,
& reputeroi l'homme bien inhumain & ingrat, fi fe voyant
aimé d'vne perfonne, au lieu de la recompenfer d'vne
amitié réciproque, l'auoit en haine : ainfi donques s'y^
doiuent gouuerner les hommes de bon iugement,
lefquels fe voyans affeurément aymez d'vne femme, &
principalement fi elle eft de bon efprit (chofe toutesfois
rare en leur fexe) la doyuent pareillement aimer, non
pas comme ces fots paffionnez amoureux, mais ainfi que
la nature conduitte auecques la raifon nous le commande.
Et quant eft de moy ne mepenfe point Stoïque iufques à
DV DE MOC RITIC.
que ie voulfiffe méprifer vne telle amour & fi t'affeure
lien qu'ayant rencontré vne mignarde de mefme en-
tendant le vray & naturel but de la couple amoureufe,
le ne fâche homme qui s'y donnaft plus deplaifir ne qui fe
1 laignafl dauantage à procréer fon femblable que ie fe-
roy. Quant à ton dernier point qui touche la différence
> beautez, tant s'en faut que ce fol amour nous ouure
t les yeux qu'il nous face recognoiftre &. prendre
plus de plaifir à vne belle & honnefle femme qu'à vne
iaide & mal apprife, que c'efl tout à l'oppofite. Et de
auons afTez d'exemples (fans tant d'autres que nous
. .yons encores aduenir plus fouuent que tous les iours)
•ie ceux lefquels s'eftant laifTez fi lâchement furmonter
par vne chofe tant vile &. ridicule, fans aucunement
auoir oppofé la moindre eftincelle de raifon pour de-
fenfe, en font demeurez tant aueuglez &, abêtis qu'au
lieu de choifir vne beauté, fe font énamourez de la plus
laide, fans iamais auoir eflé contens que premièrement
ils ne nous ayent decouuert leur fottife & aueuglement
parleurs écrits &. fiftions ridicules, ainfi que ie difoys na -
gueres, eflimant nous la faire trouuer belle, encores
qu'elle foit plus laide que l'horrible Medufe ou la vieille
amie dépeinte en l'anterotique du poète Angeuin
loachim du Bellay : leur femblant de fes imperfeftions
eflre les grâces les mieux accomplies, fes vices eflre
vertus, fa folie fagefTe, fon fot &t lourd parler le plus
élégant & doux langage du monde, fon laid & fardé
vifage vne angelique beauté. Ainfi en deuient tant
confus & aueuglé celuy qui s'entremefie de telle folie,
que le plus fouuent le blanc luy femble noir, cherchant
44 fREMlERDIALOCVE
ce que plus il deuroit euiler. Et tant font grandes les
folies de ces vaillans &. habiles foldats de Cupidon, qu'il
feroit impoffible à l'honrinne (voire eut-il cent langues)
les pouuoir toutes exprimer, parquoy il ne fe faut pas
ébahir, fi la fin n'en attraine auecques foy qu'vne infi-
nité de folies fuyuies de confufions, moqueries & d'vne
longue repentance.
LE COSMOPHILE. Encores que tu m'ayes bien
blâmé l'amour & vne bonne partie de ce que ie t'auoy
répliqué, fi ne me fçaurois-tu faire confefler que l'on n'y
apprenne quelques ciuilitez honneftes, defquelles il m'en
vient maintenant fouuenir de deux que tu ne me fçau-
roys aucunement nier, dont l'vne efi; bien danfer, 8t
l'autre fonnerdes inftrumens.
LE DEMOCRITIC. Quant eft de fçauoir la mu-
fique, c'eft vne cliofe fort honnefte &. plaifante, mais il
en va tout ainfi que ie t'ay dit de bien parler, veu que
la fin où doit tendre cetui-là qui s'y étudie, ne doit pas
eftre pour complaire aux femmes : car celuy qui aprend
à chanter, ou toucher les inftrumens, non point pour fe
donner plaifir, mais pour autruy, efperant d'en receuoir
par ce moyen quelque vaine louange à l'armonidienne,
fe peut véritablement appeler fot ou mercenaire. le ne
veux pas dire, s'il fe trouue en compagnie qui fe de-
lefte de fa Mufique, que pour cette occafion il defifte à
en iouër, s'il ne vouloit eftre veu tenir de la quinte des
chantres : mais trop bien que l'on ne doit pas en appren-
dre pour cette fin, & pareillement pour plaire à celles,
aufquelles les hommes de peu fe veulent alTeruir. Quant
eft de dancer, les hommes ne fçauroyent mieux témoi-
DV D E MOCRITIC. 4^
gner leur folie & peu d'efprit, qu'en approuuant vne telle
fingerie & folie fuperflue.
LE MONDAIN. Tu voudras tantoft reffembler le
vieil Caton Romain qui edoit tant feuere correfteur
>^s mœurs & conditions humaines, qu'à peine vouloit il
iinais approuuer chofe qui fut piaifante &. deleftable.
LE DEMOCRITIC. Quant eR de Caton il ne fe
faut pas ébahir, fi anciennement il fut trouué rigoureux
en fes remonftrances, car encores que le monde ne fut
fille de tant de réueries, comme il eft pour le iourd'huy,
fi eft ce que de tout temps il y a eu des erreurs bien
grandes, & c'efloit à ceux là qui s'y abufoyent, aufquels
les aduertiffemensdu bon Caton .fembloyent vn peu crus
ti mal digérés, pour ce qu'il ne vouloit rien eftre receu
entre les hommes qu'il ne fut conuenable à leur raifon.
Neantmoins s'il s'y efl quelque fois monftré rude, &
trop affeôé en cela, ie ne délibère le fuyure, & moins
encores vn tas d'autres lourdaus fuperftitieus & Philo-
fophes renfrongnés, qui veulent contrefaire des fages &
graues enfeigneurs, n'ayans autre occafion pour blâmer
b reprendre ce qu'ils trouuent mauuais (dont la danfe
eft poffible du nombre) fi non qu'en difant qu'il s'y
trouue trop de chofes lafciues, & qu'il en procède vne
infinité de crimes. Et diroit-on à voir la chère & grâce
de ces beaux méprifeurs de toutes chofes, qu'ils font
coufins germains de quelque grofle fouche de bois, de
forte que ie croy qu'il leur faudroit fourrer vn poinfon
plus de cent fois dedans les flancs deuant que de leur
faire feulement remuer les leures ou filler les yeux, &
auecques cela qui leur prefenteroit au nez les plus
46 PREMIERDIALOGVe
excellens & doux parfuns de l'Arabie, encores diroyent-
ils que l'odeur en feroit puante, tant ces gros fourcilleus
ont le fentiment égaré. Et qui efl; encores le pis, ils vou-
droyent bien forger tout le refte des hommes à leur
coin, les rendans fi abeftis, qu'ils ne prennent plaifir à
chofe du monde, fors qu'abayer après les mouches, &.
enfoncer des contemplations, en attendant la Lune à
leuer. le me tays qu'Agrippe en fon traité de la vanité
des fciences voulant blâmer la danfe, n'en allègue point
de plus forte raifon, fi non qu'elle eft pernicieufe pour le
trop grand plaifir qui y eft. Mais tout au contraire de luy
&. de tous autres fins fous fpeculatifs, chahuanstimoniftes
du genre humain, ie veux bien receuoir ce qu'à bon droit
&. par raifon fe peut nommer plaifir, ce qui ne fe peut
aucunement prouuer en la danfe, entendu que nul fe
doit appeller plaifir, fi ce n'eft en temps qu'il delefte &
chatouille l'vn de nos fens, ou que par iceux il puifle
pénétrer iufques à nous recréer l'efprit. Et par cela peut
eftre approuué le fon des inftrumens, car outre que l'ar-
monie eft agréable à l'oreille, elle fert auffi à chafler
les mélancolies & fâcheries de l'ame. Mais il en eft bien
tout au contraire de cette belle baftelerie que tu appelles
danfe : veu qu'il ne s'en fçauroit tirer volupté qui reiouifTe
le moindre de nos fens. Premièrement commence par
l'ouïe, l'armonie 8t mufique des pieds n'eft point fi grande
qu'elle me delede l'oreille. Quant eft du plaifir du gouft
il ne s'y en trouue aucun, du toucher encores moins, de
l'odorer il n'y en a rien, s'il n'aduenoit d'auanture que
quelque mignon, pour danfer plus legierement, voulfift
ofter l'efcarpin, & parfumer la compagnie de la fouëfue
DV DEMOCR ITIC. 47
i recieufe odeur de fes pieds. Quant efl; de la veuë
le ne trouue point qu'vne carole ou danfe, foit vne cou-
leur fi viue, que fe reprefentant deuant mes yeux, elle
me les refiouynfe, ou que par iceux elle puifTe pénétrer
lufques au plaifiV de l'ame, entendu que le fuiet d'icelle
ne s'étend point à chofes tant foltes & fi baffes, ainçois
1 celles, lefquelles eftans plus parfaites 8i hautaines, luy
apportent quelque contentement, ou pour eftre rares &.
[louuelles luy femblent agréables.
LE C OSMOPHILE. Comment fe pourroit donq'
faire que la danfe femblafl bonne à tant de perfonnes ?
LE DEMOCRITIC. De la mefme forte que les
cliardons femblent bons aus afnes.
LE MONDAIN. Voire, mais voudrois tu bien dire
qu'Homère fi excellent poète Grec, qui a loué haute-
ment Merion pour fçauoir bien fauter &. faire gambades,
ait efté afne?
LE DEMOCRITIC. Il n'auoit pas vn peu les
vieilles fi grandes, mais quant au refte ie croy qu'il ne
s'en falloit pas beaucoup, & principalement en ce poinft
que tu en as allégué. Et penfez vous le beau titre
i'honneur que l'on donne à vn homme quand on dit de
luy que c'eft vn beau danfeur, & que ce feroit vne
chofe graue & fort honnefte, d'appeler auiourd'huy les
Magiftratsfe principaux gouuerneurs d'vn peuple, ou les
Capitaines commis à l'auantgarde d'vne bataille, auant-
danfeurs, ou félon noftre vulgaire, meneurs de danfes,
(fonne tabourin) ainfi que iadis par grande reuerence ils
auoyent acoutumé de les nommer en Theffalie, tant ils
auoyent cette belle efcrime de iambes vénérable & en
48 PREMIERDIALOGVE
grande recommandation. Quant ell de moy fi on vou
loit auiourd'huy renouueller telle coutume, l'en appelle-
roi comme d'abus, s'ils n'auoyent pareillement en la main
gauche le petit paillard bouquet pour témoignage de
leur prééminence.
LECOSMOPHILE. tu en diras ce qu'il t'en
plaira, fi efl-ce que i'en aime mieus fuyure l'expérience
que toute ta philofophie, cognoifTant affeurément qu'il y
a plaifir à bien danfer, puis qu'vne infinité de perfonnes
&i gens de bon efprit s'y deleftent.
LE DEMOCRITIC. Ne te fouuient-il plus de ce
que tu m'as promis, qui eft de fuyure la raifon plus
qu'vne fotte coutume, &. maintenant tu veus approu-
uer la danfe feulement pour eftre receuë des hommes
que tu appelles de bon efprit & fans aucune raifon? Et
à celle fin qu'il ne refie plus d'occafion pour faire trou-
uer les chofes fottes & ridicules, braues & dignes de
grand' louange, ie t'acheuerai de prouuer cette bafle-
lerie eftre du tout à reietter de l'homme fage, comme
n'eftant qu'vne fotte opinion élongnee de tout bon
iugement. Car t'ayant défia prouué le peu de plaifir
qui en peut venir à l'homme fpirituel, ie te veux monf-
irer encores comme la danfe ne doit eftre confirmée
pour eftre bonne, ne contenant en foy aucune neceffité
ni proffit. Premièrement qu'elle foit encore moins né-
ceffaire que plaifante, en ce le cognoifTons que nous en
pouuons bien pafTer fans preiudice de la conferuation
de noftre efpece : pour eftre vtile il ne s'en trouue
occafion de la louer, quand il n'en reuient aucun proffit
à la compagnie humaine.
D V D E M O C R 1 T 1 C . 49
LE COSMOPHILE. le m'emerueille pour homme
qui fe penfe fi refolu, Comme tu as apreflé à ton ennemi
les armes pour te vaincre, car me parlant de l'vtile, tu
m'as aduifé d'vne chofe expreffe pour approuuer la
danre, entendu quand il n'y auroit autre chofe de bon
en la danfe, que l'exercice du corps, chofe tant re-
commandable de foy, profitable, &. mefmement necef-
faire pour augmenter la force, & maintenir l'homme
en bonne difpofition, cette feule raifon feroit afiîez fuffi-
fante pour renuerfer tout ce que tu m'es allé de fi loing
chercher par tes argumens &. fillogifmes, encores que
ie ne parle point du plaifir que prend celuy qui danfe
bien, fe voyant loué, & de la grâce &. faueur qu'en ce
faifant il peut acquérir pour plaire à toute l'affiftance.
LE DEMOCRITIC. Pour vn braue Maiftre Maçon
Arillotelic, fi as tu tant mal bafti & fondé tes argumens,
que l'vn eft caufe de la ruine de l'autre : car ce dernier
point auquel tu as parlé de plaire à autruy, deflruit
totalement le premier, entendu qu'il n'eft rien plus
certain que fi l'égard de plaire, & principalement à ces
belles Deeffes, n'efioit la fin de la danfe, il ne s'en
trouueroit pas vn qui en daignafl déployer la iambe
pour en effayer vn pafTage, &l moins encores de ceux
qui voufiflent en apprenant cette gentille fingerie,
quelquefois tomber à la renuerfe, ou bien accoler vne
table, ou vn buffet fi doucement qu'on dit, le Diable y
ait part en la danfe. Et par ce cognois-tu ayfement que
l'on n'apprend pas à danfer pour le plaifir qui y peut
jeftre, mais feulement pour vn fol égard de plaire à
celles qui prennent plus de plaifir à fe moquer & rire de
3
50 PREMIERDIALOGVE
ces pauures fots qui fe trauaillent en vain, qu'à voir
l'excellence de leurs pieds de veau, ou bien pour leur
donner plus de couleur à l'Italienne de leurs gambes
rottes, cabrioUe, fioret, mutances, fufpends, gambades,
voltes, &. vne infinité d'autres tels menus fatras qui ne
feruent d'autre chofe qu'à fe faire moquer de foy
mefme, comme n'eftans que vrayes fingeries, ainfi que
leurs termes mefmes nous le donnent aifement à cog-
noiftre : Comme vne cabrioUe voulant par ce paffage
contrefaire les fautelantes cheures, par la gambe rotte
vne perfonne qui a la iambe rompue, par le paffage du
cheual le voulant enfuyure en ce qu'il frape du pied
contre terre. le laiffe à parler des autres gambades
qu'ils ont autrefois appelées le faut du couturier, au-
iourd'huy furnommé à la paluettifte landrichard, le faut
du pendu. Si prou d'autres de pareille farine, termes
fort propres & dignes d'vne telle fcience. Il s'en efl
encores à la fin trouué quelques vns des plus expers en
cette fotte badinerie, qui pour faire gaigner de l'argent
à quelques petis crieurs de rogatons, l'ont voulu réduire
en vn certain art, &. en compofer liures qui ne font
dédiés à autre chofe qu'à feruir aus reuendeurs &. apo-
ticaires, pour en enueloper leur marchandife &. drogues,
*i faire des cornets à ferrer leurs épiceries. Mais i'ay
belle peur que pareillement ces vieus rondeaus &. bal-
lades ne les fuyuent de près, le laiffe à part vne infinité
de ces beaus danfeurs, lefquels faifans vn fpeélacle de
foy en compagnie, ne feruent qu'à donner occafion de
rifee 8i moquerie à ceus qui les regardent, & encore?
que ces pauures fots fe rompent les iambes, &. quelques
DV DEMOCRITIC. 51
fois tombent tout à plat, s'efforçans de faire plus qu'ils
ne fçauent pour complaire à leur Dame, ils n'en auront
la moitié tant de louange comme Madame la fucree,
laquelle auecques vn petit branlement de tefle, vn tour
d'efpaule, & maniement de pied fretillard, feratrouuee
cent mille fois mieus faire, que fon pauure confort, qui
fe fera mis hors d'aieine, à force de gambader. Outre
plus, eft il poffible d'apperceuoir vn plus grand figne de
folie que de voir fauter des perfonnes les vnes contre
les autres, comme s'ils auoyent l'efprit raui &. troublé
de la mefme diableufement feinte & diuine fureur,
qu'efloyent iadis furpris les preftres & preflreffes, lors
que par la hautaine infpiration de leurs Dieus fouflee
iiifques au plus profond du cinq^iefme canal de leurs
âmes, ils vouloyent prophetifer & mettre en auant les
oracles diuins. Telle chofe fut vne fois obiedee par vn
fage Roy d'Arragon, nommé Alphonfe, lequel voyant
danfer & fauter vne femme (comme elles ont de bonne
coutume de faire auiourd'huy) fe retourna deuers toute
l'affiftence, & dit telles parolles : Meffieurs tenez vous
coi, tantofl la Sibille rendra fon oracle : voulant par
f| cela donner à entendre que toutes les perfonnes qui fe
ïj mettent ainfi à fauter & gambader, ne font pas moins
tranfportez hors de leurs fens, que faignoit eflre la Sibille
vn peu auparauant qu'elle voufift dégorger fes pro-
phéties, le te laifle à penfer s'il fe fçauroit trouuer
chofe raifonnable, ou art tel qu'il foit ou fcience (i'en-
tends de ceux defquels l'appuy n'eft point fondé fus
des abus 8t vaines menfonges dont nous pourrons
deuiferpar ci après) qui donne occafion à celui qui la
52 PREMIERDIALOCVE
veut fuiure d'en eftre repris, ou moqué. Regarde ie te
prie, s'il efl poffibie d'alléguer raifon aucune, par la-
quelle on puifTe prouuer ces imitations de Singe eftre
digne d'vne perFecTuon virile.
LE COSMOPHILE. Tu dis le mieux du monde,
mais tu ne viens aucunement à l'exercice que l'on y
prend, 8t à la louange que l'on en acquiert.
LE DEMOCRITIC. Ne fay-ie pas defia dit &
affés prouué que l'exercice n'eft pas la fin pour laquelle
on apprend à danfer? Et bien que la danfe eut occafion
d'eftre louée pour l'exercice, ie te diray donq' qu'il fera
auffi bon pour s'exercer, de courir & fauter tout feul
fans compofition, que de tant employer de temps pour
dérober le gaing & honneur d'vn bafleleur. Quant efl
d'en eftre loué, ie ne t'en diray autre chofe, fors ce
que chacun cognoit allés, que la louange s'attribue
fouuentefois aux chofes les plus fottes & imparfaites. Et
tout ainfi que nous voyons vu farcereau eftre bien loué,
en reprefentant vne parfaite badinerie, autant en adulent
il à ceux qui font quelquefois prifés en leurs fauts &
gambades. le ne veux pas dire que la hafie danfe, mais
qu'on ne la découpe point trop menu, ne foit vne chofe
fort graue, &. principalement danfee en robe, & auec-
ques vne mefure feigneuriale, ioint qu'il faut auffi que
cela foit fait par vn homme defia meùr d'aage, & raffis
de cerueau, & non pas par ces ieunes apprentis qui
portent leur deus (T. d. efcris en vn petit rolet de pa-
pier, 81. qui ne font pas encores bien affurés à la grâce
U contenance qu'il faut tenir au branle durant lequel
ils portent pour le moins vne douzaine de fois la main
DVDEMOCRITIC. 5 3
. u vifage, à celle fin de cacher leur petite honte malaf-
(inee. Mais tout cela ne ferait encores rien, fi ces beaus
danfeurs d'vne petite folie ne tomboyent en vne plus
grande, veu qu'ordinairement ces fols à la grand' me-
fure réfèrent toutes leurs œuures, &. principalement
^ette ci pour complaire & offrir leur feruice à celles dont
t'ai parlé ici deuant.
LE COSMOPHILE. le recommence maintenant
oogDoiflre par expérience que la difpute de quelque
ofe que ce foit, fait le plus fouuent éclaircir les chofes
uteufes & ambiguës, 81 ce que la fimple opinion des
lommes fe forge &. penfe le plus vrai, eflre par raifon
le plus faus. Car deuant t'auoir ouy parler, aucun ne
m'euft femblé digne de réputation enuers ceus qui
s'eftiment les plus braues, qui ne fe feufl façonné à leur
manière de faire, principalement les imitant en cette
frenefie amoureufe. Mais ie me fai bien fort que d'ore-
nauant ie m'en aiderai trop mieus, que ie n'ai fait par
le paffé, car au lieu de tant de careffes, danfes & fottes
badineries qu'tm a de coutume de faire à l'endroit des
Femmes, i'ai délibéré, que là où l'en trouuerai à l'écart,
m'efforcer d'en prendre en folâtrant ce que nature
nous a donné j^our le contentement de l'vn & de l'autre,
croyant affeurement que ceus qui en vfent ainfi, fans
tant de. Madame pour l'amour de vous, en doiuent eftre
eftimés les plus fages.
LE DEMO CRI TIC. Tu contes bien fans tonhofte,
4t fi elle te refufoit.
LE COSMOPHILE. Ne fe tenir, point efconduit
pour la première fois.
54 P«EM!EI(DIALOGVE
LE DEMOCRITIC. Voire-mais fi elle en fait
toufiours de mefmes.
LE COSMOPHILE. Luy faire patarades, &. prati-
quer le prouerbe ruftique, qui ne peut à vn moulin,
aille à l'autre.
LE DEMOCRITIC. Tu ne parles point de donner.
LE COSMOPHILE. De donner vertu Dieu encores
moins, qui plus y met, plus y pert, mais comme ie
t'ay dit, fl eft impoffible que s'adreffant ainfi à beau-
coup, il ne s'en trouue queiqu'vne de bon vouloir.
LE DEMOCRITIC. Tu m'as releué d'vne grand"
peine d'auoir tant bien, & fi tofl entendu comment il
faut procéder en cette matière, t'affurant que tu as
bien trouué vn moyen trop plus expédient que nui
autre, & pour n'eflre ridicule enuers homme du monde.
Toutesfois fi n'efl ce pas encore tout, car puifque nous
nous difons Crétiens, il faut faire les œuures, acomplif-
fant ce qu'il nous en eft dit par noftre loy, laquelle
donne à chafque perfonne vn bon moyen de conten-
ter fon appétit naturel, commandant à ceux qui ne fe
pourront contenir, de prendre femme en vray & légi-
time mariage.
LE COSMOPHILE. Ce feroit encores faire pis
que deuant, & comme l'on dit au vieil prouerbe, voulant
euiter Caribde s'engoufrer en Scylle, ou bien autrement
tomber de fleure en chaut mal. le fçay fort bien que
ie ne me contenteray que trop, fi eftant vne foys empe-
ftré d'vne femme, l'entreprends de la contenter : mais
ce n'eft pas là où gift le Heure. Tu veux donque que ie
fois coquu, &. par Dieu non feray : car encores que i'aye
DVDF. MOCRITIC. 15
jufté foy à vne bonne partie de tes remonftrances,
ù eft ce que tu ne me feras ia venir l'enuie de porter
des cornes.
LE DEMOCRITIC. Comment! voudrois-tu bien
reculera cela, qui feruiroit de tefmoignage de ta vertu
Si preud'homie?
LE COSMOPHILE. Comment cela! les cornes
fc-n-elles les gens de bien? Quant eft de moy ie n'en
y rien.
LE DEMOCRITIC. Dea ie ne te contrains point,
tant y a que ie t'en dis ce que par écrit on en treuue,
& en quelque forte que tu en vueilles vfer, fi me confef-
feras-tu les folies de ces paffionnés amoureus eftre bien
grandes.
LE COSMOPHILE. le ne te le fçaurois nier,
encores que ce foit bien la chofe la plus contraire à ce
que l'en ay penfé autresfois.
LE DEMOCRITIC. Or fi tu cognois maintenant
ia plus grand' partie des hommes faillir &. eftre ridicules,
par cette extrémité trop amoureufe qui leur fait com-
I mettre (ainfi qu'amplement nous l'auons déclaré) vne
I infinité d'aftes fots & vicieus qu'ils eftiment neant-
moins eftre les plus grandes fagelfes &. vertus du monde,
encores font ils plus à reprendre pour auoir receu entre
eus l'autre extrémité pour vertu, qui eft faute d'amitié,
le contraire de celuy dont nous auons défia parlé, &i
fans comparaifon, digne de plus grand vitupère pour
eftre moins humain que l'autre : veu que par iceluy eft
furuenuè entre eus cette grand' & plus que brutale cruauté
de 8'«ntre pourchafler la mort, contre tout l'ordre &.
56 PRtMIERDIALOGVE
amitié que noftre commune mère nature a donnée à
chacune efpece, pour feconferuer & aider l'vne à l'autre,
& Toy défendre contre les oppreffions & iniures, lefquelles
leur font faites par vn autre genre d'animans, qui a
eflé la feule &. principale occafion pourquoy les hommes
fe font ainfi affemblés, édifié Villes &. cités, & pris autre
manière de viure qu'ils n'auoyeiit lors que vagans par
lesdefers, bois, & campagnes, & foy retirans es cauernes
& fofTes de la terre, viuoyent brutalement. Adonq' fe
voyans quelquesfois oppreffés & endommagez des autres
animans, commencèrent d'aller en compagnie, à celle
fin de s'en défendre : de forte qu'après auoir fait ainfi
quelque temps, peu à peu fe déploya leur langue, attri-
buans par ce moyen à chacune chofe quelque nom qui
leur venoit premier en la bouche pour la fignifier. Et
ainfi ils en vfoyent pour fe donner à erttendre leurs
conceptions, tellement qu'ils commencèrent au lieu d'vne
vie brutale, en prendre vne plus compagnable & hon-
nefle, tout cela procédant feulement d'vne affeélion na-
turelle qu'ils auoyent les vns enuers les autres pour
refifter aus oppreffions des autres animans. Mais helas !
tant s'en faut qu'ils foyent auiourd'huy entre-eus fi fe-
courables, comme ils efloyent pour lors, qu'au lieu de
cette bonne affeftion & inflincft naturel de s'entre-fecou-
rir, ils vfent fi abhominablement d'vne telle cruauté
entre eus mefmes, que celuy-là eft eftimé le plus gentil
compagnon qui en a le plus tué. O abus du monde par
trop deteflables ! O monflrueufe cruauté, &. non au pa-
rauant entendue ! O l'ordre de nature du tout peruerti !
O iugement des hommes renuerfé 1 Où eft la raifon que
DVDEMOCRITIC. 57
faulTement s'attribuent les humains? Où efl cette dou-
ceur & pitié naturelle de laquelle tout animant créé de
la nature, vfe pour fe garentir St conferuer, félon fon
pouuoir, chacun en fun efpece? N'auons nous pas les
exemples des befles brutes, qui nous monflrent comment
nous deuoiis vfer de cette bénignité & fecours mutuel
chacun enuers fon femblable, & nous autres qui à
grand tort nous difons raifonnables, tant s'en faut que
nous portions aide les vus aus autres, que tout au con-
traire, eflans pires' que les autres animans, nous nous
faifons acroire que nuftre honneur efl bien fort preffé,
fi nous ayant efté dit quelque parolle à la volée, nous ne
faifons noftre deuoir en camp clos ou autrement de
combattre à toute outrance noflre ennemy. O cœur
inhumain &. par trop endurci, de te glorifier d'auoir
fouillé tes mains au fang de ton femblable ! O panure
viôoire caufee d'vne fi étrange & abominable cruauté!
Où auez vous trouué, panures humains fans ceruelle, &
plus incenfez que Démoniaques, qu'il faut aitpeller cette
enragée fottife, voftre honneur? Où e(l ce deuoir que
vous penfés faire en exécutant chofes toutes contraires
à ce que naturellement &. fuyuant la raifon vous eftes
tenus ?
LE COSiMOPHILE. le ne veus approuuer, &
moins encores fouftenir cette cruauté que tu as à bonne
8t iufte caufe cor;damnee, mais fi efl-ce qu'il eft quelque
fois necefTaire au deffaut d'autre preune, pour iuflifier
celuy qui a bon droit, faire apparoitre de la vérité
douteufe par la fin du combat de l'vn contre l'autre.
Car il eft tout certain, & alTez cogneu par les anciennes
PREMI E R Dl ALOCVE
& modernes hiftoires, comme le bon droit a toufiours
efté gardé, &. la viftoire pareillement demeurée au
iufte & à l'innocent.
LE DEMOCRITIC. Si quelques-fois &. par for-
tune le meilleur s'eft trouué du cofté deceluy qui auoit
bon droit, les hommes par trop prompts & fragiles en
leurs inuentions, incontinent ont penfé cela eftre certain
& infallible : Et pour vuider quelque différent, n'auoir
point de meilleur moyen, qu'en le vérifiant par la
mort de l'vn ou de l'autre. Mais en cela ils découurent
facilement leurs bien peu cler-voians yeus, & deffaut de
iugement, ne pouuans voir ny confiderer cela n'eflre
qu'vne cliofe hazardeufe, car les armes (s'il faut que ie
parle ainfi) font iournalieres, & fuiettes à la fortune qui
peut auffi bien donner la viftoire, & prefler de fa faueur,
voire le plus fouuent aus mechans, qu'aux bons. Et à
celle fin de te le donner mieux à cognoiflre, ie te prie re-
garde fi le plus fort n'emportera pas le plus foibie, le
plus adroit le plus lourd, &. cettuy-là qui fe plaift d'auoir
les mains enfariglantees, &. eft le plus acouHumé à ce
malheur & furie inhumaine de defîaire fon femblable,
ne viendra pas mieus à bout de celuy lequel eftant plus
dous & humain auroit horreur d'auoir épandu le fang
d'vn de fon efpece. Et s'il eft ainfi que la viéloire fuyue
toufiours le bon droit, pourquoy eft-ce que l'homme nu
ou foibie, ou moins fauorifé de fortune, ayant iufte
caufe, demeurera vaincu de fon ennemi qui fera armé,
ou bien le plus fort 8t plus heureus ? Et qu'il foit vray,
me veus-tu nier qu'ayant vne arquebuze bien chargée, fi
ie rencontroy mon ennemi, encores qu'il euft bon droit,
DV DEMOCRITIC. 59
que cela le peuft Tauuer de la violence de la bafle, fi ie
kl iuy voulois delafcher au trauers du corps?
LE COSMOPHILE. le te confefferay bien que fi
nous ne regardons fimplement qu'à la nature, fans point
de doute le plus fort ou celuy auquel la fortune fe
TOudra monflrer pllis fauorable, l'emportera, mais Dieu
qui eft par deffus, ne permet iamais le bon droit eflre
foulé.
LE DEMOCRITIC. Tu as toufiours de coutume,
n'ayant autre recours, de me tendre vn filet auquel tu
te trouues le premier pris, eftimant ton dire eftre véri-
table, m'alleguant aucune fois, fans le coter, quelque
paflage des fainftes écritures : en quoy tu me donnes
aifement à cognoiftre que tu en crois plus par ouïr dire,
que pour l'auoir veu, par ce que nous auons affés
d'exemples en icelles, comme Dieu a permis les bons
auoir elle foulés des mechans, & ceus qui auoyent bon
droit eflre demeurés vaincus. Ce qu'il nous a eflé mef-
mement confirmé par le nouueau Teftament, auquel il
eft dit que les fidèles, &. ceus qui voudront prefcher
purement l'Euangile, endureront des iniures &. perfecu-
tions des mechans, &. s'il elloit vray, comme tu dis,
que le bon droit n'efl point foulé, il s'enfuyuroit donq'
que les Saints eleus de Dieu qui font perfecutés, eufTent
mauuaife caufe, & qu'à ceus qui font viftorieus fus leurs
pauures corps affligés demouraft le bon droit, qui feroit
totalement renuerfer l'Euangile delefus Chrift. Et pour-
ce cognois maintenant cela n'eflre point tant feulement
contre nature, mais auffi contre Dieu, &. qu'il ne faut
aucunement eprouuer la vérité par vne cruauté tant
6o PREMIER DIALOGVE
inhumaine, & aéte du tout contraire à fa parolle, par
laquelle l'homicide nous efl expreffement défendu , Si
commandé d'endurer les vns des autres.
LE COSMOPHILE. Tu nous voudrois donq' faire
tant fimples que quand on nous donneroit vn fouflet en
vne iouée, nous tendiffions l'autre pour en receuoir au-
tant : 8i en ce faifant monflrerions-nous bien noflre peu
de cœur eftans plus lâches que la petite fourmis qui
efTaie mefme à fe rebecquer contre les plus fors.
LE DEMOCRITIC. Si i'ay dit quelque chofe en
cela qui foit contre ta faiitafie, remets en la faute fus
toymefme, qui m'as contraint par ta réplique théologale,
de faire ainfi du coiitre-prefcheur, neanlmoins que ie ne
veus pas me monflrer tant feuere Euaiigelifle, que ie te
confeille d'endurer des nazardes à toutes heurtes feruant
par ce moyen de fable & de [>anetemps à vn chacun :
Non, Non, le ne veus pas prendre la lettre fi fort au
pié leué que tu penfes, veu mefmement que les loix
nous permettent, fi on nous fait vn effort de le repouffer
auecques vn autre effort, mais il feroit tresbon pour
obuier à beaucoup de iegieres querelles de tenir vne
telle règle, que le premier mutin qui feroit trouué
outrageant fon compagnon, fuft reietté &. banni de
toute compagnie, en faifant par mefme moyen autant à
ceux qui le voudroyent hanter. Et fi cela n'efloit fuffifant
pour corriger vn tas d'autheurs de querelles, il faudroit,
&. principalement où ils ne ponrroyeiit prouuer ce qu'ils
auroyent mis en auant, les punir publiquement pour
feruir d'exemple aus autres.
LE COSMOPHILE. le m'étonne comme après
DVDEMOCRITIC. 6l
ni'auoir taiil loué cette douceur & pitié naturelle, & au
contraire blâmé la cruauté que nous vfons enuers noflre
femblable, maintenant tu dis eftre bon & necefîaire
d'en faire vn cruel fpeflacle par la mort d'vn de noflre
efpece.
LE DEMOCRITIC. Encore que ie t'aye approuué
eftre quelquefois necefTaire de châtier ces fols outrageus
(feul vice entre les autres le plus digne d'eflre puni)
pour cela n'enten-ie pas louer aucune cruauté : veu
mefmement qu'vn tel confeil ne tend à autre fin qu'à
nous conferuer tous en vne paix & amitié telle que
nous la deuons tenir de nature, & auffi efl-il tout cer-
tain que de deux maux neceffaires, il faut, s'il efl pof-
fible, en euitant le plus grand eflire le moindre. Car ne
vaut-il pas mieux que peu de ces fots outrageux meu-
rent pour modérer la gluire outrecuidee des autres,
qu'vn nombre infini de braues & vaillans hommes foyent
contrains d'en paffer le pas, feulement à l'appétit d'vne
fotte opinion approuuee des hommes?
LE COSMOPHILE. le ne fçache aucun qui fceut
à bon droit blâmer ton confeil, veu qu'il ne tend qu'à
bonne fin, 8i qu'il efl non feulement fondé fus la loy de
nature, mais auffi fus la diuine, neantmoins ie m'emer-
ueille d'vn grand nombre de ceus que l'on appelle bien
apris 8t de bon efprit, qui en vfent tout au contraire de
la raifon, ne tâchans de iour à autre, qu'en fe geinant
eus-mefmes, trouuer inuention de deftruyre leur fem-
blable, non point tant à l'occafion de parolles ou quel-
ques autres légères iniures qui leur ayent efté dites ou
faites, que pour vn dépit d'en voir d'autres quelque
6a PREMIER DIALOCVE
fois plus fauoris des biens de fortune, ou mieus venus
enuers vn grand feigneur qu'ils ne font.
LE DEMOCRITIC. Encores que le n'euffe point
délibéré de faire fi long feiour en ce lieu, fi efl-ce que
tant pour ce que ie te voy défia prendre gouft en mes
parolles, tant auffi pour mettre en exécution la promeffe
que ie t'auoi' faite auparauant, ie fuis content d'y de-
meurer tant qu'il te plaira, pour te déclarer par le menu
ce que tu voudras entendre de moy, t'affurant bien
que l'enuie, félon que tu as dit, ell de tous temps pins
fus les riches que fus les pauures, entendu que la mifere
peut demeurer feule en ce monde fansenuie, par laquelle
eft furuenue vne quantité innumerable de maus 8t in-
conueniens. l'en pourrois alléguer afifés d'authoritez de
Poètes, Orateurs & autres écriuains, mais il n'efl feule-
ment befoin que d'en veoir les exemples ordinaires,
comme vne infinité de gens de bien U innocens encou-
rent par icelle vne mauuaife U fauffe renommée. Par
l'enuie on voit l'honneur de la plus chafle &. pudique
femme eftre corrompu & violé, par l'enuie on voit le
plus homme de bien du monde eftre eftimé le plus vi-
cieus, le riche perdre non feulement fes biens &. deuenir
pauure, mais quelquefois prendre fin auecques vne mort
affez ignominieufe, le bon droit it équité eftre du tout
renuerfee, par l'enuie on a veu autrefois, U voit-on
encores, le Magiftrat eftre deietté hors de fon office,
celuy qui a bien fait fon deuoir eftre mal recompenfé
pour en guerdonnerceusqui ne le méritent aucunement.
Donques tous faus & calomnieus rappors, trahifons mé-
chantes &t cauteleufes machinations de mort, vne infi-
DVDEMOCRITIC. 6}
nité d'aâes cruels & inhumains : & bref toutes les plus
grandes mechancetez du monde font caufees le plus
fouuent par quelque langue enuieufe. Et tant font
auiourd'huy abufez les plus grans Seigneurs, qu'ils n'ont
la plufpart du temps autour de leurs perfonnes, que fla-
teurs aufquels ils fe laiflent doucement tromper & de-
ceuoir par louanges & applaudifTemens, & preftent
volontiers l'oreille, fenlant médire d'vn plus homme de
bien cent fois que ne font les babillars qui en rapportent.
Et pour acheuer la farce, toute celle grande befte popu-
laire s'ébranle après, à l'imitation des plus grans,
croiant tout foudain aus plus volages & legieres parolles
qu'elle entend dire contre la bonne renommée de quel-
cun, & encores pour fe faire d'auantage acroire qu'il
eft vrai, on met en auant qu'il n'y a point de feu fans
fumée. O trop pernicieufe & fotte perfuafion ! faut-il
que pour vne méchante langue remplie du plus noir &
dangereus venin, la réputation d'vn homme de bien, &
totalement net &. pur d'vn tel vice qui lui eft impofé,
en foit ainfi traitrement piquée & corrompue ? Et puis
me dites que la plufgrand' partie des hommes ne font
pas fols & enragés de croire ainfi à la volée, &. auecques
vne fi grande furie, à vn faus rapport, & de faire vn fi
mauuais iugement de l'autruy pour vn fimple bruit qui
s'eft leué de luy, femé par quelque enuieus, fans en
auoir autre cognoiffance plus notoire & plus certaine. Et
certainement oiant ainfi médire de quelcun, ce feroit
alors que i'en penferoi pluftoft au Contraire de ce qu'on
en diroit, entendu que tout ainfi que la fcience n'a
point de plus grand ennemi que l'ignorant, la richefie
64 PREMIERDIALOGVE
que la pauureté, auffi l'homme de bon efprit ou bien
viuant n'a volontiers à l'eiicontre de foy que cette ver-
mine calomnieufemeiit enuieufe & ignorante qui ne
tache qu'à mordre deffus luy, &. ronger quelque chofe
de fa louable &. vertueufe réputation. ToutesFois il ne
faut point tant nous amufer icy à donner le blâme aus
flateurs &. enuieux, que nous en delaiffions ceus qui les
entretiennent &. nourrirent à leurs gages, lefqueis
eftans vue fois perfuadez par eus qu'il y a en leurs per-
fonnes des vertus & perfeflions cent mille fois plus que
ne contient la vérité, incontinent s'efliment eftre dignes
du los & gloire, qu'on leur donne. Mais le voudroi biei.
fçauoir que telles gens, aufquels on fait à croire fi aife-
ment eftre ce qu'ils ne font pas refpondroyent, fi on les
interrogeoit de mefme que Stilpon interrogea vne
fois Théodore, lors qu'il luy demanda s'il croyoit eftre
tel qu'on le faifoit : U après que Théodore luy eut
donné à entendre par figne qu'ouy : Tu es donques
Dieu (dit Stilpon) &. de rechef l'autre s'y eftant confenti
par mines comme auparauant, Stilpon fe print à fous-
rire luy répliquant : O grand fot que tu es ! par mefme
raifon tu te confefferois eftre corneille : voila la grande
folie où tombent ceus qu'on trompe fi doucement par
flateries. Et s'il adulent d'auenture qu'aucun de ces
flateurs leur donne à entendre qu'ils ne fe doiuent foub-
mettre fi bas, que de fe faire compagnons des autres
hommes, à celle fin de ne déroger à leurs dignités St
prééminences qu'ils ont fus le peuple, leur mettant
pareillement en auant les grans biens U pofTeffions,
dont ils font doués plus que les autres : ils n'auront pas
DVDEMÛCRITIC. 6 S
pluftoft entendu telles pernicieufes remonftrances, qu'ils
ne s'y coiifentent, changeant en vne mefme heure, &.
d'opinion & de manière de viure, tellement que par celte
iiuf &. c<Hiuerture qu'on leur met deuant les yeus, ils
font empêchez de voir, &. cognoiflre que tel auantage ne
[irocede (loint de leur mérite, ains feulement de la for-
tune qui les a fait naiftre ou deuenir riches en dormant.
N'pantmoins, fans auoir la moindre eftincelle de telle
jfideration, ils s'enorgueillifTent de telle forte qu'ils
ne tiennent aucunement conte des autres hommes,
comme fi la nature les auoit formez d'vne autre parte, 8t
exprefTement produits, pour eflre plus comblez de
richeffes que les autres. Mais (qu'ils fe gardent hardi-
ment de rendre à vu terme trop hatif &. furuenant à
l'impourueu, cela qui leur a efté prefté par le hazard, &.
dont ils marchent tant fiers &. fuperbes. Et à celle fin
qu'ils ne s'y penfent pas moins fuiets que les autres,
defquels les miferaliles exemples (que ie tairay pour ne
faire turt à leur poQerité) furuenus de noflre tems, &
arriuans encc.Tes de iour en iour, les doyuent rendre
fages : outre cela qu'ils regardent les plus grans Rois &
Seigneurs qui ont iamais efté, comme la fortune s'efl
iouee d'eux ne les ayant feulement réduis en vne
extrême mifere &. pauureté, mais auffi à beaucoup
d'entre eus fait ignominieufement perdre en vne mefme
heure & la vie & les richelTes : de cela nous en voyons
les hifloires toutes pleines, & des exemples en arriuer
tous les iours deuant nos yeus. Mais qui eft à ton aduis
l'occafion de leur defortune & inconuenient? le ne penfe
point qu'il y en ait d'autre que le grand orgueil qui leur
66 PREMIE R D I A LOG V E
fait ainfi meprifer &. tenir tant peu de conte des autres
hommes, qui eft la chore de Dieu &. du monde la plus
haïe &. mal voulue. Confidere ie te prie de quelle manière
de faire vfent pour le iourd'huy ceus qui fe Tentent vn
peu obéis pour leur bien : vous en verres les vns batre,
&. outrager fans aucune occafion ceus-là qu'ils cognoif-
fent bien ne s'ofer attacher à eus, au moins s'ils veu-
lent auoir le bon de leur coRé : les autres vfer de
parolles piquantes & fornettes iniurieufes, & ie plus fou-
uent aus perfonnes de bon efprit qui font contrains
neantmoins de les endurer, encores de leur dire vn
grand merci au bout du ieu. Voilà bien vfé de nobiefle.
Et puis pour excufer telles folies, par ce que volontiers
les ieunes en vfent, on dira que ce n'eft que grandeur
de courage qui leur donne vne telle audace, & promet
en eux à l'aduenir quelque chofe de bon : &. fi ce font
encores petis enfans, les parens leur permettront aife-
ment de fe nourrir en tel orgueil & outrecuidee pre-
fomption, & encores pour les excufer diront-ils que ce
n'efl qu'efprit. O la gentille manière de viure, & ver-
tueus entretien de ieuneffe ! le ne fçay où telle manière
de belles dis ie teftes euentees & fans ceruelle, ont
trouué la nobleffe procéder de vice, &. l'effeét d'icelle
confifter en telles ieunefles tant foies &. outrageufes. le
te veus bien ici aduertir de n'interpréter point tant mes
parolles à la rigueur, ou à la volée, que tu me dies
indifféremment vitupérer les Gentilshommes (veu que
ie me feroy tort à moy mefme) ou autres nobles grans
Seigneurs, car ie n'enten parlant de quelque eflat que
ce foit blâmer ou moquer, finon les vicieux &. les fots.
DV DE MOC RITIC. 67
Mais pour retourner à mon propos, le nom de NoblelTe
eft auiourd'huy tant corrompu, qu'il ne s'attribue le plus
fouuent qu'aux riches &. braues d'habits, tant que de
prime-face voyant quelcun auec grande fuytte de valets,
ou eftant reparé de veftemens plus riches & précieux,
que le vulgaire, incontinent efl iugé de tous grand
Seigneur &. Gentilhomme. Maisquoy ! pour leur richefTe
tt brauerie, en font ils de meilleur efprit? Rien moins :
Et ie te di qu'il eft auffi aifé de veftir vn afne ou vne
telle foie, de Pourpre, de Velours, ou toille d'or,
comme il eft mal-aifé, voire impoffible à l'afne, ou au
f fol d'acheter la fcience & bon iugement par deniers.
LE COSMOPHILE. le croi bien qu'vn fol pour
fes biens, quoy qu'on luy face accroire du contraire,
ne deuiendra pas fage, mais cela empefche-il que beau-
coup de perfonnes &. grans Seigneurs ne foyent auffi
bien prouueus de la doftrine comme les pauures?
Entendu mefmement que ce font ceus qui ont les gens
bien conditionnez, dofles & fçauans à leurs gages,
pour inftruyre leurs enfans en meurs vertueufes, & cog-
noiffance de bonnes lettres, & ainfi il eft bien difficile,
ayant pris vn tant bon pli de leur ieune aage qu'après ils
fe puilTent aucunement deftourner ou corrompre, qui
eft vne chofe (ce me femble) que tu as affez legierement
paffee en leur accufation.
LE DEMOCRITIC. Te fufKfe que ie t'ay dit vne
propofition vraye, & contre laquelle tu ne fçaurois dire
chofe qui ne tourne à ton preiudice, ainfi que tu as
fait tout à cette heure m'ayant obiedé vn argument que
tu verras du tout eftre à l'encontre de toy, & n'eftoit de
68 PREMIERDIALOGVE
peur que i'auroy de me monfirer affeélé aus règles de
ces maiflres aus arts ie teconfoiideroy tout ton argument,
comme n'eflant point fait en manière, ni en figure. Mais
pour laifTer telles difputes à ces criars, &. iappeurs
arifloteliques, ie te monflreray par vn meilleur moyen
ce que tu m'as répliqué n'eflre aucunement contraire à
mes parolles, ainçois pluflofl à ce que tu penfes. Et
qu'il foit vray, ie te conFelTeray bien qu'il eft mal aifé,
Si prefque impoffibie de changer l'indruétiori , en la-
quelle nous fommes nourris dés noftre enfance : & tout
ainfi que le vaiffeau neuf &. récent retient prefque
toufiours le fentiment des odeurs dont il a eflé pre-
mièrement rempli, ainfi les bonnes ou méchantes con-
ditions qu'on nous apprend dés noftre aage encores
tendre &. délicate, demeurent quafi à iamais enracinées
fans leur pouuoir plus dorenauant faire perdre pié en
noftre efprit, ce que nous voyons ordinairement pratiqué
enuers les plus riches. Car pour cette grande liberté
qui leur eft (ainfi que ie t'ay dit) odroyee, &. permife
de leurs parens, ils s'abandonnent à faire toutes ces
inconftantes ieunelTes, &. prendre vue telle audace à
l'endroit de ceux lefquels pour eftre moins fauorifez des
biens de fortune leur doyuent obeiffance, de forte que
ils ne fentent rien moins qu'vn efprit bénin & naturel,
chofe la plus louable &. recommandée que nul autre, Se
principalement enuers les grans Seigneurs. Et bien que
ce que tu m'as dit de l'entretien de leur ieunefTe femble
contraire à ma propofition, fi eft-ce qu'il ne l'oppugne
en rien, car encores qu'ils foyent gouuernez par les
mieux appris & plus doâes, fi en font-ils moins, voire
DV DEMOCRITI C. 69
[ilus mal édifiez, que s'ils n'auoyent pour leur coiiduitte,
jue les plus gros lourdaux & les plus ignares du monde,
entendu que cette auarice & flaterie font tant receùes
enuers vu chacun, que ceux qui en deuroient eflre les
moins poilus en font les plus entachés, comme font or-
dinairement les gouuerneurs de telles gens : veu que
partie regardani plus à leur particulier profRt qu'à la
bonne inflru(îlion des enfans qu'ils ont eiitre leursmains,
partie auffi pour leur complaire, les flatans mefme &
mignardans en leurs fautes &. erreurs, ils les laifTent
iir.fi le plus fouuent croiflre & fe nourrir en leurs pre-
mières & ieunes apprehenfions. Et puis fi d'auenture il
fe trouue a])res quelqu'vn lequel ayant pluflofl égard à
Ihonnefteté & au bien public, qu'à cette fourde flaterie,
vueille reprendre les aéles qu'ils commettent comme
eftant mal-feaus &. à leur perfonne & à leur dignité,
incontinent il fera pouifé au loing & mis hors de cour,
comme vu prefomptueux & vn homme indifcret qui
craint peu d'offenfer les oreilles délicates, tellement qu'il
feroit auiourd'huy de befoin qu'vn autre Pericles Ariflo-
phauien retournafl des Enfers pour admonefier de rechef
qu'il ne faut point nourrir vn Lion en vne ville, fi on
ne fe délibère après qu'il y a efté nourry de luy porter
obeyffance.
LE COSMOPHILE. S'il eft ainfi que tu dis, la faute
n'en doit point eflre imputée aus Seigneurs, comme a
ceus qui abufent ainfi de leur deuoir, pour ne leur
remonftrer tels vices & folies.
LE DEMOCRITI C. Tous deux faillent grande-
ment, mais encores d'auantage ainfi que tu as dit,
PREMIEB DIALOCVE
ceus qui n'accompliffent pas la charge à laquelle ils
font tenus. Mais ie te prie ne mets point de, s'il eft
ainfi, car il n'eft rien plus vray que l'Euangile. N'as-tu
iamais ouy dire que pour bien faire fon profit à la
cour des Rois, &. maifons des grans Seigneurs, il eft
necelTaire de complaire à fon maiftre, & s'acommoder
à fes complexions? ce qui n'eft que trop bien exécuté a
l'endroit de ces braues gouuerneurs & pédagogues. Mais
pour bien vfer de cefle diffimulation courtifanne, il
faut entendre & mettre en effeA les trois règles qu'en
donne loachim du Bellai Angeuin (l'vn certes des plus
doâes &. mieux ecriuans en noilre poëfie Françoife)
difant en fon difcours de vertu dédié à Macrin, que ie
vrai moyen d'acquérir la faueur au feruice des plus
grans Seigneurs, c'eR d'eftre
Aveugle, muet , &fourd:
Veu que l'homme qui eft à la fuytte de tels perfon-
nages, doit faire le femblant de n'aperceuoir ce qu'il
voit faire ordinairement deuant fes yeux, de ne pouuoir
parler ou refpondre de ce qu'il entend le mieux, & à
cela où il pourroit fort bien répliquer, de n'ouyr point
les fots propos &. enuieux rapports, qui fe font pour le
iourd'huy en tels endroits, &. bref pour rendre cela plus
honneftement U en moins de parolles, il n'eft befoin
que d'eftre feulement bon traiftre.
LE COSMOPHILE. Ceux qui en vfent ainfi font
volontiers gens qui veulent faire des fots tout de gré,
ou bien vn tas de vilains &. mécaniques qui n'ont autre
Dieu que l'auarice, ne tâchans à autre chofe qu'à faire
leur profit, non point tant par vne bonne & équitable
DV DEMOCRITI C. 7I
que par vne méchante &. iniufte voye, & non pas les
hommes de bon efprit aufquels il feroit trop plus agréa-
ble de mourir, que d'abufer ainfi, & faire tout au con-
traire de leur fçauoir &. de la raifon.
LE DEMOCRITI C. le ne fçay où tu prens ainfi
perfonnes de fi bon efprit &. tant vertueux, que tu
les feins de parolle, &. fi iecroy que ce font pluflofl idées
u. imaginations d'hommes parfaits, qu'autre chofe véri-
table : tout ainfi que Ciceron voulant définir vn Ora-
'•'ijr, alla imaginer (ainfi qu'il auoit de bonne couftume)
e perfeftion qui eft impoffible en l'homme, difant,
urjtor eft vir bonus & dicendi peritus, que nous pou-
uons ainfi rendre en françois, Vn orateur c'efl; vn
homme de bien, & qui fçait fort bien dire. le ne fçay
où il s'en pourra trouuer vn tant parfait auquel on
puiffe feulement attribuer (fi ce n'eftoit d'auenture
quelque bon & honnefte mari) la première partie de
cette définition, i'en prendray à tefmoin noflre non
moins doAe que facétieux Rabelais, difant en ces mots,
Gens de bien. Dieu vous fauue &. gard, où eftes vous,
ie ne vous peus voir. Et puis allés m'en trouuer qui
aimeroyent mieux mourir. Vraiment c'eft bien répli-
qué à toy & de bonne grâce : Mourir de par ie Diable !
on ne meurt pas ainfi comme tu penfes. Mais où m'en
pefcherés-vous vn de ces bons efpris & tant homme de
bien, qui defire pluftoft la mort que fon profit, il y a
long temps que la mère en eft morte. le me donne
tout grillé au plus friand de carbonnades des valets de
garde robe de Proferpine, cela eflant aduenu, fi ie ne
deliberoy bientoft de ma confcience. Et quoy ! voudroit
72 PRE MiFR Dl ALOGVE
on voir vn plus grand prefage pour la fin du monde que
cettuy là? Et que feroit-ce vertu Dieu, chacun voudroit
mourir pour la parolle. Mon amy à ce que ie voy tu es
bien loin de ton conte, car il en va tout au contraire de
ce que tu en as dit, veu qu'il s'en trouue vne infinité qui
ne craignent point la mort corporelle, ni la perdition de
leur pauure ame pour eflre vn petit honneftement lar-
rons, faifant leur propre de ce qui ne leur appartient en
rien, &. cela n'ed (difent ils) qu'vne vertu & fubtilité
de bons efprits. Il fnffit tant feulement fans eflre tant
homme de bien, d'auoir vne bonne mine & vertu au
vifage &. en la langue, encores eR-ce beaucoup : Car
il n'efl pas permis à vn chacun de diffimuler fa grâce, &.
faire bonne morgue aus plus hauts &. honnorables lieux,
& eflre appelle Monfieur. Et penfes tu que fi i'eftoy quel-
que grand Seigneur, que l'on ne me fifl pas dauantage
de reuerences? f|ue l'on ne trouuafl pas meilleurs tous
mes propos, encores que ie ne difie rien c(ui vaille?
que l'on ne s'accordafl |)as à moy en toutes mes opi-
nions & fantafies? Et s'il aJuenoit que ie voufifTe
approuuer le goiift d'vn vin comme bon, encores qu'il
fufl; pouffé, ou de quelque viande gafl;ee, comme excel-
lente, que l'on ne dill pas après moy, ô le bon vin!
Monfieur, ô la gentille viande! Bref quand ie ferois
l'homme le plus imparfait, moyennant que i'abonde en
richeffes, n'eft il pas certain que ie feray piuftoft efiimé
vertueux que cens lefqueis contens de ce qui leur eft
neceffaire pour la vie n'ont autre but propofë que la
vertu? Voila comment les bons efprits d'auiourd'huy
fçauent flatter les oreilles, & s'accommoder aus parolles
DV DEMOC RITIC. 7}
de leur maiftre, &. non pas mourir comme lu difois.
Au Diable l'vn que ie vi iamais mourir pour s'opiniatrer
contre fon profit : ie te prie ne mourons donq' point
pour cette occafion, car le temps n'efl plus de fe faire
brufler à crédit : ofte hardiment celte lourde fantafie
Je ta lefle d'eflimer que l'on foit fi prompt de mourir
aiiifi fans confeffion.
LE COSMOPHILE. Sieft ce que s'ils ne le font
comme ie difoy, pour le moins ils le deuroyent faire.
LE DEMOCRITIC. C'eft bien pour le plus aulTi.
Encores m'y entendroi ie d'auantage de dire qu'ils le
deuroyent faire, mais fay ton conte que ce ne fera pas
pour cette année que les hommes changeront de fan-
taPies, car elles font trop auant engrauees dedans leurs
telles à quatre cornes.
LE C OSMOPHILE. le croi que tu ne te contente
pas d'auoir feulement blafmé les Courtifans, mais il
femble que fecretlement tu vueilles taxer ceus par le
confeil defquels, non point feulement ed gouuernee &
régie toute la police humaine, mais auffi la diuine.
LE DEMOCRITIC. le ne fçay où tu as trouué
que telles gens foyent plus cornus ou plus Diables que
les autres : quant eft de moy ie n'y mets prefque diffé-
rence aucune, & fi ie t'affure bien que ie n'entendoy
aucunement parler de ceus que tu dis. Neantmoins par
ce que tu m'en as fait fouuenir, ie t'en diray ma fantafie,
non point de ceus qui fe mêlent de la police diuine,
veu que ce n'efl à moy d'entreprendre à déchifrer telles
befongnes, voulant me gouuerner en cet endroit félon
l'aduertilTement de nos Latins : Quam quijque norit
■4
74 PREMIER DIALOCVE
artem in hacje exerceat : chacun s'exerce en l'art dont
il a la cognoifTance : car i'auroi peur, entendu que ce
n'eft ma vacation de dogmatizer, de m'y fonder fi
auant que ie ne m'en puffe après retirer, & pour autant
ie m'en démettrai pour cette heure, toutesfois que ie
l'en pourrai bien dire quelque chofe à la trauerfe deuani
que la compagnie fe départe.
LE COSMOPHILE. Et bien ie fuys content de ne
t'en importuner point d'auantage pour cette heure,
moyennant que tu me donnes à cognoiftre les folies &.
abus des autres.
LE DEMOCRITIC. Tu les fçauras tout mainte-
nant : quand tu as parlé de ceus qui ont en leur main
la police humaine, n'entens tu pas des aduocas, procu-
reurs, & autres tels perfonnages fe meflans de la pra-
tique?
LE COSMOPHILE. Se méfient dequoy ils vou-
dront, ce m'eft tout vn, tant y a que c'eft d'eus mefmes
que i'entendoy parler.
LE DEMOCRITIC. Pour auoir parfaittement la
cognoiffance de quelque matière que ce foit, il faut pre-
mièrement commencer par fa définition, à celle fin que
l'on cognoiffe par cela quelle efl la chofe que l'on entre-
prend de traiter : & pour-ce ie te veus bien définir
que c'efl que pratique. Pratique donques n'efl autre
chofe qu'vn fubtil moien de ioindre le bien d'autruy
auecques le fien : &. note hardiment ces mots, de ioindre
le bien d'autruy, car fi vn profit ne vient que pour bien
faire valoir le fien, ce n'eft point vraie pratique, combien
que quelques vus abufans du terme appellent vn bon &
UVDEMOCRITIC. 7S
prouident ménager grand praticien, nnais il efl bien
mieus receu &. pour vn plus naturel & élégant François
d'en vfer pour auoir gaigné de l'autruy, comme, il a
bien fceu pratiquer cela de luy, c'efl à clire, qu'il l'a
tant amadoué de belles parolles St tant fait par fes
menées qu'il en a eu & emporté telle chofe. Et pratiquer
aucun (manière de parler deriuee des Italiens) n'eft
autre chofe que par longue & afTidue fréquentation gai-
gner fa faueur &. bonne grâce, à celle fin qu'à l'auenir
on en puifTe tirer quelque profit.
LE COSMOPHILE. le croy que cette définition
eft plullofl faitte à plaifir que félon la vérité, veu mefme
que ce mot de pratique n'eft point feulement particulier
à l'eftat des aduocas, mais auffi gênerai à toutes les
autres fciences defquelles chacune a fa théorique &. pra-
tique. Et la théorique confifte feulement en la cognoif-
fance de l'art, la pratique en l'effet : donques pratique fe
pourroit mieux définir expérience des arts.
LE DEMOCRITIC. Il femble que tu ayes quel-
quefois étudié en l'art d'argumenter, mais (à celle fin
que i'vfe de noftre terme) tu le pratiques affez mal :
car pour donner la définition d'vne efpece finguliere,
qu'eft il befoin d'en définir le genre? ni pour faire cog-
noiflre vne partie, d'en expliquer le total? Puis donq'
que ie n'ay autre chofe à te déclarer que la pratique
des aduocas, pourquoy iray ie icy amener toutes les
pratiques des autres fciences particulièrement ou en
gênerai? Ce feroit vne chofe trop longue 8t véritable-
ment fuperflue. Il me fuffit de te donner feulement à
cognoiftre quelle eft la vraye fignification de pratique.
y 6 PKEMIERDIALOGVE
Donques pour mieux comprendre ce que nous en auions
dit, Pratique, eft vn fubtil moyen, &.c. U qui voudroit
voir ie vous pri vn plus fubtil moyen que de fe faire
careffer 8t fuplier pour dérober honneflement le bien
d'autruy ?
LE COSMOPHILE. Comment dérober ! ne faut-
il qu'vn chacun foit recompenfé félon fon labeur &
trauail? Appelles vous dérober quand l'homme de
iuftice après auoir fueilleté, leu, releu, coté fes liures
&. papiers, & veillé iour &. nuit pour garder le bon droit
de fa partie, s'il en prend quelque loier pour fa peine?
LE DEMOCRITIC. C'efl; bien vne chofe trop plus
que raifonnable qu'vn chacun viue de l'eflat qu'il manie :
car qui efl celuy qui laboure la vigne & ne goufte du
fruit d'icelle? Mais faut-il que pour trois ou quatre
fueilles de papier écrites en lignes larges & mots allon-
gés, ils ayent icy vne poignée de carolus? ou que pour
deus ou trois mots dégorgés fur quelque matière qu'ils
font eus-mefmes par leurs crieries & braimens difficile
& douteufe, ils en reçoiuent vne quantité d'efcus? au
moins fi tels importuns fc opiniâtres criars font eftimez
des plus fameus & infignes trompeurs : ie ne fçay pas
de quel nom on voudroit couurir telle manière de pillerie,
quant eft de moy ie ne le fçauroi' autrement appeller
que par la définition que i'ay donnée de leur pratique,
ni ne pourroy mieus les comparer fors à l'ancienne
idole du Dieu memnon, duquel autrefois il me fouuient
auoir ouy reciter la façon & nature.
LE COSMOPHILE. Vraiment (comme l'on dit)
tu as bonne rate, & encores meilleur foie, & les voudrois
D V DEMOCRITr C. 77
OLi oferois tu bien comparer à fi fotte chofe? Et où ainfi
ferait tu leur ferois vn bel honneur.
LE DE MO CRI TIC. le ne di pas qu'ils foient
idoles, mais trop bien ie di qu'ils enfuyuent U font vrais
imitateurs de cefte idole.
LE COSMOPHILE. Quoy qu'il en foit ie m'en
rapporte à ce qui en efl, & à ceus-là qui ont paffé par
les piques, mais ie te prie di moy comme tu entens
telle fimilitude, car ie defire fçauoir quel eftoit ce Dieu
ME MNON.
LE DEMOCRITIC. le fuis trefcontent de te fatif-
faire, non toutefois qu'à prefent ie te vueille difcourir
le fait tout au long, mais feulement en brief te recite-
ray vn huiftain bien à ce propos, & à ce qu'il ne te femble
que ie parle à crédit, ie t'allegueray mon autheur nom-
mé Pierre Collau, homme plus véritable en fes facéties
que doâe, lequel dit ainfi :
Du Dieu ME M NON l'idole ne rendait
lamais oracle à per/onne du monde,
Si lefoleilfes rayons n'ejlendoit
Droit en/a bouche, & lors plein de faconde
Parlait : aujjî l'aduocat qui fe fonde
Au gain, de luy n'efperej onq' confeil.
Ni que iamais en droit il vous refponde,
Sinon qu'il voye en premier le foleil.
Encores ne leur fufïïroit-ilpas d'eflre payez en argent
s'ils ne l'eftoyent en reuerences & careffes. Et quoy qu'ils
vueillent dire, qu'ils ne les demandent pas n'y contrai-
gnans perfonne à ce faire, fi eft-il tout certain qu'ils fe
contentent bien fort d'eflre bonnetés & en font quelque
78 PREMl ER D ! ALOG VE
chofe d'auantage, & en ce monftrerit-ils euidemment a
tout le monde le grand orgueil &, folie qui les poflede.
Car fi vn honnefle gentil-homme ou autre perfonnage
quelque grand Seigneur qu'il foit, & lequel mefmement
aura non feulement employé fes biens, maisauffi hazardé
fa vie &. celle de fes enfans pour le feruice du Prince &
faiut de la chofe publique, fe trouue ayant vn peu affaire
de leur faueur, &. lequel après auoir longtemps attendu
meffieurs, leur vienne à donner le bon iour en quelque
gallerie ou autre lieu commode, vous verrez alors tout
au contraire Monfieur de la robe rouge (feul contrepois
U entretien de fa grauité) qui n'atira iamais fait autre
chofe que glofer fus les cendres, palTer auecques vn
orgueil & fierté fi grande, que tant s'en faut qu'il kiy
rende la deuë reuerence, que mefme ne faifant point
femblant de s'en apperceuoLr, il dédaignera prefque
d'abailTer l'œil feulement pour le regarder. le me lais
des autres ambitions qui leur font ainfi enfler le ventre,
il me fuffit que par leurs œuures telles folles prefomptions
de leurs perfonnes ne foyent que trop cogneues d'vn
chacun. Mais où efl ie vous prie cède grande humbleffe
it honnefteté laquelle volontiers acompagne , ou doit
acompagner ceux qui font éleuez aux magiftrats &.
autres dignitez pour eftre les principaux chefs entre les
membres de cet animant politic? Toutesfois tout bien
confideré ce n'efl pas de merueille s'ils en vfent au con-
traire, veu qu'il efl tout certain que le Lion quoi qu'on
le domte &. appriuoife, fi a il toufiours grâce de Lion,
&. le Renard quoi ! efl-il pas toufiours caut & ruzé ?
le maftin, vilain & enuieufement aboyant principale-
DV DEMOCRITIC. 79
ment fus fon pallier? Or fus de par Dieu pafTons outre,
venons à l'eftime & peu de conte qu'ils ont acouftumé
de faire de tous les autres eftats U fciences fors que de
la leur, laquelle feule ils vantent & magnifient. Ne mé-
prifent ils pas les armes, chofe autant, que ie ne die
plus, neceffaire pour la chofe publique comme leurs loix?
N'ont ils pas en horreur prefque toutes les fciences libé-
rales, 8t honneftes, & tous ceux qui n'enfuyuent leur
eftat? Voudroit-on voirraifon plus mercenaire ou méca-
nique que celle de laquelle ils ont acouftumé d'vfer pour
approuuer l'aduocafferie & autres efpeces de la farine
praticienne, difant que c'efl le vray, fubtil, honnefte, &
mercurial moyen de gaigner fon pain (comme ils difent
en leur iergon, De pane lucrando) mais à celle fin qu'il
ne leur face mal à la gorge s'ils le mangeoyent tout fec,
ils ont certaines loix & §§ paragraphes qui leur font
venir de gras chapons & autres prefens à leur cuifine.
Voyez de grâce la belle preuue de leur meftier, & bien
fondée pour le bâtiment de la panfe. Toutesfois de peur
de nous engorger trop de leur morceaus, nous les laifTe-
rons là, &. dirons la manière de faire qu'ils tiennent,
s'il adulent que quelque pauure homme empeftré d'vne
douzaine de procès ou plus, ait vn peu affaire ou de
leur communiquer fes pièces, ou d'en retirer quelques-
vnes qui ne feront pas perdues, mais bien égarées, &
qu'il aille à leur logis pour ce faire : Monfieur ne fera
pas leué, ains fera encores à dormir : Monfieur fera en>
pefché pour quelques autres : Monfieur difnera : Mon-
fieur fera à fe repofer après le repas : Monfieur viendra
tantoft : ou au contraire il y aura trois heures que l'aua-
8o PREMIERDIALOCVE
riceSteniiie de gaigner luy aura bien deffillé les yeux,
& chafTé de par le Diable hors de la plume. Et fi depuis
quinze iours ou d'auantage, il n'aura eu poffible affaire
ni empefchement aucun, i'enten de procès : ioint que
fa cuifine ne fera par auenture pas trop échauffée de fon
difner qui fera de iongtems tout fricaffé. Monfieur fera
à fe repofer, oui de bien faire : Il viendra tantoft, mais
c'eft vn tantoft qui dure longtemps, & ce pendant la
pauure partie fera là à refuer & conter les cheuilles de
la porte. Mais pourquoy à ton aduis fe font toutes ces
menées, fi ce n'eft à celle fîn de faire mieus valoir la
fa-ce ? C'eft à dire qui ne fçait fon meftier fi ferme fa
boutique. 11 s'en treuue encores beaucoup entre les
autres des fucceffeurs de Pilate, defqueis on peut dire,
ie n'y treuue point de caufe : Mais que font ils ces
pauures gens pour bien pratiquer l'Euangile qui défend
fus tout de n'eftre oifif. Auffi faut-il que tout le monde
viue à la fueur de fon corps, & pour ce faire ils ont
fongé la plus braue inuention du monde. Vous verrez
ordinairement par ces Palais & des plus crottez (pource
que tels haires n'ont point de mule) qui courront tan-
toft d'vn cofté, tantoft de l'autre, tantoft vous les ap-
perceuerez à quelque banc où ils ferrent, brouillent,
fricafient & notent certains vieus regiftres : puis tout
foudain retournés au parquet de Meffieurs, & de là in-
continent à quelque bout de gallerie, auecques vn
grand fac au poing remply de ie ne fçay quels vieus
haillons, de querimonies furannees qu'ils auront trou-
uees en exécutant le teftament du vicaire de leur pa-
roiffe, ou d'autres papiers fuppofés qui ne touchent
DVDEMOCRITIC. 8l
toutesfoisen rien de procès. Mais tout ce miftere ne fe
loue à antre fin qu'à cette-ci, c'eft que ceus qui les
voyent ainfi trotter les efliment bien diligens à manier
les affaires de leurs cliens & parties, & que pour cette
occafion ils ayent, non pas feulement enuie de les em-
ployer pour eus, mais aufTi de les en payer. Il s'en treuue
encores de plus ruzés lefquels, outre toutes les fineffes
fufdites, ont certains pitaux, & autres perfonnes apoftees
qui feignent leur communiquer de leurs procès, & les
prier bien inflamment de les dépefcher le pluftoft qu'il
leur fera poffible, & ainfi quelques vns s'addrefTent à
eus voyans qu'ils fçauent tant bien vfer de pratique,
c'eft à dire félon vn de nos intellefts, pratiquer & gai-
gner les pauures gens. le te pourrai bien raconter
d'autres ruzes & moyens que ces vaultours deguifés en
robes longues ont inuenté pour ronger & décharner en-
tièrement iufques aus oz, & fucer iufques au plus pro-
fond des mouëlles ceus qu'ils ont vne fois chargez, ne
les lâchans iamais iufques à ce qu'il les aient par vn
infatiable &enfanglanié rauiflement deuorés & engloutis,
de telle forte qu'il ne leur relie plus aucune fubftance.
Mais (i i'entreprenoi de pourfuyure d'auantage en telles
pilleries & horreurs, i'auroy peur de m'engouffrer en vn
abifme infini de larrecins & méchancetez, auquel ie ne
me plongerai point pour cette heure eftant aflez cogneu
à vn chacun, & principalement de ceus qui ont tous les
iours affaire de l'excellence de tels Meffieurs en voulant
conferuer leur bien.
LE COSMOPHILE. N'eftoit que tu m'as coupé la
broche, quand tu as dit n'entendre en quelque eftat que
Sa PKEMIER DIALOGVE
ce foit blâmer finon ceux qui en abufent, ie t'eufTe
défia bien aifément remonflré &, dit qu'il n'y a chore
aucune au monde meilleure pour la police des hommes,
U. plus necefTaire pour entretenir en paix cette focieté
humaine que l'eftat des gens de luflice, auffi ne croi-it,
pas que tu le vueiilestant reprouuerque tu ne confentes
en cela auecques moy.
LE DEMOCRITIC. Puisque tout le monde s'y
confent ie n'y contredy point, mais que ceci te férue
hardiment pour te donner de garde de leurs finefTes, U
n'eflime plus dorefnauant qu'il y ait vne fi grande
fimpathie de l'extérieur auecques l'intérieur que pour
vn marcher &. grauité contrefaifte, pour vn deguife-
ment d'habits outre le vulgaire (folies communes en telle
manière de gens) le cerueau en foit plus meur & raffis,
comme s'il y auoit quelque énergie &. occulte propriété
aux veftemens pour rendre l'efprit de l'homme pire ou
meilleur. Donques pour donner fin à tels vénérables
billots, ie ne veus oublier vne bonne partie d'entre eus,
St principalement de ces ieunes aduocas écoutans lef-
quels ne fçauent pas moins pratiquer la loy yinum, le
titre De e'dendo au Petit Diable, au Roy Pépin, ou autre
reffort de bons altérez, & en quelque autre honnefte &.
diuin habitacle cette braue pratique De ventre in/piciendo,
fans y adioufter le § tria lumina, qu'ils font en vne
Cour de parlement le titre "De iuris &faéii ignorantia.
Mais pour autant que tels perfonnage font volontiers
bons compagnons &. prêts à rire, cela fait que ie leur
porte moins d'enuie qu'aus autres qui s'eftiment plus
fages en robe qu'en pourpoint.
DV DEMOCRITIC. 8j
LE COSMOPHILE. Puis que tu es entré fi auant
en cette différence d'habits, & foie fuperflition de ceus
qui penfenteftre plus fages pour vne grâce &. chère con-
trefaite, ie te prie au moins fi tu as mis fin à ces pra-
ticiens, de m'en dire ton aduis.
LE DEMOCRITIC. Mon aduis eft tel que non
point feulement en cettui-cy, mais qu'en tous autres
eftats du monde, la chofe qui efl la plus requife, c'ell
de tenir bonne morgue, par ce que la folie des hommes
efl fi grande qu'ils regardent plus à vne petite différence
d'habits, à vne prudence de vifage, à vn maintien four-
cilleux &. contrefait, à vne réputation vulgaire, qu'aux
vertus intérieures du dedans, qu'à la fageffe & bon
iugement, qu'à vne grâce naturelle, ou qu'à vne expé-
rience certaine &. véritable.
LE COSMOPHILE. le n'auoi iamais regardé de
fi près à tant de chofes, combien qu'elles foyent telles
que tu me les as remonftrees, & principalement cette-ci,
veu que la plus grande partie des hommes font eflimés
de bon efprit, &. paruiennent plus par cette réputation
vulgaire que pour autre preuue fuffifante, pour donner
tefmoniage d'vn bon fçauoir & fain entendement.
Toutefois fi y a il bien encores auiourd'huy quelque
efiat où c'eft que les hommes ne regardent point tant
aus mines, qu'ils n'en défirent bien auoir grande expé-
rience de ceus qui en font profeffion, deuant que d'en
faire aucune eflime ou de fe foubmettre à leur merci.
LE DEMOCRITIC. De quelle profeffion veus-tu
parler ?
LE COSMOPHILE. De quelle profeffion? De
celle de médecine.
84 PREMlERDrALOGVE
LE DE MOCRITIC. Ha ha ha ha, cet homme ici
me fait rire : eft ce cela que tu m'auois fi longtemps
gardé? vraiment i'attendoi bien quelque chofe meilleure
de toi. Comment! ie penfoi défia que les hommes
fuflent deuenus fages t'écoulant ainfi louer leur grande
preuoyance, &. en cela encores où ils fe monftrent les
plus fots & deprouueus de tout bon confeil, &• te di
bien vne chofe qu'il n'y a au monde plus grand abus
que de fe fier U mettre fa vie entre les mains de ces pi-
peurs de merde qui difent eus-mefmes que : Summa me-
dicina ejl non vti medicina : qui vaut autant rendu en
François comme, La plus fouueraine médecine c'eft de
n'vfer point de médecine.
LE COSMOPHILE. Comment I il femble que lu
ne te vueilles pas ici tant feulement moquer de ceus qui
en abufent, mais auffi que tu ne pardonnes pas mefme
à la fcience tant recommandée par raifons naturelles 8t
par la loy diuine.
LE DEMOCRITIC. Il ne faut point douter qu'il
n'y ait quelques remèdes fimples propres & fo/t finguliers,
pour nous garentir d'aucunes maladies, ce qui eft
mefmes approuué entre les beftes bruftes qui en pren-
nent ainfi que de leur propre naturel elles font guidées
8t conduites, pour en vfer lors qu'il leur en fait befoing.
Mais vn tas de piperies chargées de mille drogues &
compofitions étrangères, feruentpluftoft de poifon pour
abréger & nuire au petit &. languiflant terme de noftre
vie, que pour l'alonger ou iuy donner aucun foulage-
ment & reflauration de fanté. Et qu'il foit vray n'en
voit on l'expérience de ceux iefquels tant plus ils vfent
DVDEMOCRITIC. 8$
de ces belles médecines, & d'autant plus ils font mala-
difs & fuiets à vne infinité de feruitudes &. régimes ? Et
comme au contraire les autres qui naturellement fe
.maintiennent k conferuent en leur fanté auecques quel-
que petit remède d'herbes fans auoir recours à ces
vendeurs de triade, viuent la moitié d'auantage & en
plus grande allegreffe fe difpofition que ces aualleurs
de pillules ou du faint bois de gaïac, combien qu'il
férue vn peu pour faire vuider les mauuaifes humeurs
des pauures zélateurs de diettes. Mais ie voy bien que
tu ne te contenteras iamais iufques à ce que ie t'aye
donné cecy à entendre par raifons que tu ne me fçaurois
aucunement nier. N'efl; il pas vray s'il y a aucune vérité
en vne fcience, que celuy lequel y aura employé fon
temps & fon étude pour y eftre inftruit, &. de ceux
mefme que l'on en dit eftre des plus parfaits, en retien-
dra quelque cognoiffance ?
LE COSMOPHILE. Ouy bien, moyennant qu'il fe
foit monftré bon difciple de ceus qui l'auront enfeigné.
LE DEMOCRITIC. Or il en eft tout au contraire
de cette vénérable médecine que nous auons pour le
iourd'huy, car prenés moy vn médecin gradué fortant
fraîchement des écoles de Montpellier, vous ne viftes
iamais homme plus prompt à difputer le pro & contray
St. s'il faut donner vn remède à quelque pauure patient,
encores plus, moyennant qu'il y fente du profit : puis fi
d'auenture il y a ordonné quelque R. & que la maladie
augmentée iceluy patient vueille faire confultation de
fon mal entre deus ou trois autres médecins des plus
renommés, vous les voirrés après auoir tafté le pous du
86 PREMIER Dl ALOGVE
malade auecques vne chère bafTe 8t mélancolique, en-
foncé leur veue fus vn vrinal, s'eftre retirez tous en-
fembie en quelque coin auecques grandes ceremonies
des plus anciens (car l'honneur efl deu à ceus qui en
ont le plus tué) comme ils commenceront à regarder
ce pauure nouueau médecin de trauers, & encores qu'il
ait du tout befongné félon leur art, fi eft-ce qu'ils luy
voudront faire acroire qu'il n'aura rien fait qui vaille,
& ne fuffira au ieune médecin d'alléguer la condition
de la maladie qui requiert vn tel remède, ou les autho-
rités d'vn Galien, d'vn Hippocras, d'vn Auicenne, d'vn
Rafi, d'vn Auerroés, d'vn Afclepiade, d'vn Alcmeon,
d'vn Erafiflrate, d'vn Pliftonique, d'vn Diocle, d'vn
Praxagore, d'vn Chrifippe, d'vn Cariftin, ou d'autres
tels pipeurs pour approuuer fon ordonnance, car no-
nobftant toutes ces preuues, répliques & contredis, fi
faudra-il qu'il paffe condemnation, &. qu'il cède à l'opi-
nion de Meffieurs. Et voila comment la vie d'vn pauure
malade etl debatue, &. le plus fouuent abatue par les
difputes & ordonnances controuerfes de ces vieus rado-
teus médecins.
LE COSMOPHILE. Mais ie te prie regarde
comme ce que tu as penfé dire contre la médecine &
fes profelTeurs, approuue pluftofl ce que ie t'auois dit
au parauant qu'il ne luy contredit, veu que d'autant que
l'expérience efl la plus fouueraine maiftrefle de toutes
chofes, auffi eft-ce bien cela à quoy on prend le plus de
garde en la médecine, car il ne fufïit pas d'en auoir
ouy les hures en vne école, ou difputé en l'vne & l'autre
partie qui n'en a l'expérience : voila pourquoy il ne
DV DE MOC KIT IC. 87
faut point trouuer étrange fi quelquefois l'ordonnance
de ceux que tu dis n'auoir feulement que la théorique
efl retranchée U trouuee mauuaife des plus anciens &
plus expérimentez, eu égard mefme à ce que l'on dit
vulgairement, de ieune médecin cimetière boffu.
LE DEMOCRITIC. Tuas encores oublié à dire,
de ieune logicien argument cornu, mais pour venir à
tes expériences, fi le tout gifl; en cela il s'enfuiura de
ces deus chofes l'vne, ou que l'art de foy eft inutile, ou
bien que les plus grans bourreaus & ceus qui en ont le
plus fait mourir font des plus habilles du métier.
LE COSMOPHILE. Et ie te di encores au con-
traire que la fcience en eft fort bonne, & que d'en
faire mourir plufieurs ce n'eft pas cela qui les rend les
plus do<Ses.
LE DEMOCRITIC. Comment eft-il poffible fi le
principal eft en cette expérience, que ce qu'en ont écrit
leurs predeceffeurs ne foit faux? car s'il eft bon de
croire à leur confeil & receptes, faut-il autre expérience
que la cognoifiance de l'art pour fçauoir accommoder
ie remède propre à vne maladie? Si au contraire il ne fe
faut pas régler fus les écris des anciens, mais feulement
fus vne rotine, comment eft il poffible qu'ils acquièrent
cette grande expérience, fi ce n'eft après en auoir bien
tué? entandu qu'ils n'ont autre chofe auparauant fus
quoy ils fe puifTent régler que les enfeignemens de
leurs liures.
LE COSMOPHILE. le ne fçay où tu vas prendre
les chofes de fi loing, quant eft de moy i'ay toufiours
penfé que la pratique des fciences fuft feparee d'auec-
88 PKEMIERDIALOGVE
ques l'art, de telle forte qu'en vne mefme profeffion il
s'en fut peu trouuer aucuns bien entendus en la théo-
rique, & les autres bien expers en la pratique, fans
toutefois que ni en l'vne ni en l'autre y eut aucune
fauceté pour telle feparation. Et pour ce ie te voudroy
bien prier de me le faire mieus entendre, m'en donnant
quelque exemple plus familier.
LE DEMO CRI T IC. le le veus bien, mais deuant
que de ce faire ie te voudroi bien demander que c'eft
que tu entens par cette pratique de médecine, pour au-
tant que c'eft là volontiers où tu t'abufes le plus, puis
après ie te fatisferay félon ta requefte. N'entens-tu pas
la pratique des Médecins confifter en cela, quand plu-
fieurs fois ils ont efté appelles à la guerifon de beaucoup
& de diuerfes manières?
LE COSMOPHILE. le l'enten ainfi, & me femble
que c'en eft la vraye intelligence.
LE DEMOCRITIC. le ne m'ébahi donq' plus
comment tu t'opiniatrois tant en tes premières parolles,
8i à ce que ie voy nous n'eftions pas prêts de nous ac-
corder enfemble, mais pour te découurir ton erreur, ie
te monftreray aifément par exemples comme la pratique
de la Médecine n'eft pas ce que tu penfois, &. par icelles
mefmes ie te donneray à cognoiftre ce dont tu m'auois
prié au-parauant. Confidere donques que la théorique
de quelque fcience que ce foit, ne gift en autre chofe
qu'aux préceptes & enfeignemens que nous voyons en
ceux qui font eftimez en auoir bien écrit, & la cognoif-
fance de cela eft propre &. peculiere feulement à vne
contemplation fpirituelle. La pratique c'eft après auoir
D V DEMOCRITIC. 89
îu cette première ê4 certaine cognoifTance de l'art la
nettre en effet (ainfi mefme l'as-tu définie lors que nous
Darlions de celle des aduocas) St ce eft le propre des
:hofes extérieures & qui concernent volontiers vn effet
:orporel. le t'en voi donner vn exemple fus vn peintre
DU vn architefle : Sçauoir la proportion des lineamens
des traits, le iugement des couleurs, c'efl le propre de
'art de peinture, & quant à l'architefle, bien deffeigner
e plan, obferuer la cimmetrie de fon édifice, & autres
celles chofes enfeignees par vn tel art. Mais quant eft
de pourtraire quelque chofe que ce foit dedans vn ta-
bleau, le reprefenter au vif, luy accommoder fes cou-
leurs au naturel, cela eft véritablement la pratique de
peinture : ou bien de baftir vn bel édifice, le faire com-
mode , raporter au portail vn beau frontifpice, luy
approprier fes chambres & efcaliers, & autres chofes
neceffaires, cela eft pareillement la pratique de l'archi-
tefle. Mais de dire que l'effet de la peinture confifte à
auoir veu diuerfité de pourtraits, ou d'vn architefte
plufieurs beaus bâtimens, cela eft vne chofe abfurde &
du tout contraire à la vérité.
LE COSMOPHILE. le te le confeffe bien quanta
ces arts là, mais où feroit donq' la pratique de la mé-
decine?
LE DEMOCRITIC. Elle eft à la difpofition de
leurs drogues, épices, herbes, racines, & autres poifons
méfiez, defquels ils font miferablement languir ceus qui
fe veulent foubs-mettre à leur merci. Et ceus qui difpo-
fent telles barbouilleries font communément appelles
apoticaires, &. n'y a point d'autre pratique en leur art, fi
4-
OO rREMIERDIALOGVE
re n'eft d'aiienture celle-là dont ie t'ay parlé auparauant,
en laquelle on ne fçauroit eflre bien ruzé, finon après
auoirefté caufe de la mort de plufieurs.
LE COSMOPHILE. le croy que tu dis bien, &
mermement que cette dernière efpece de pratique eft
la plus braue pièce de leur harnois, mais tu ne m'as
point encores fatisfait à ce que tu m'auois promis, qui
eftoit de me monftrer par vne exemple toute euidente,
comme l'art de médecine que nous auons pour le iour-
d'huy n'efl qu'vne tromperie.
LE DEMOCRITIC. Non, car tu ne m'en donnes
pas le loifir, mais fi tu veux te rendre autant attentif à
m'écouter fans rompre mon propos, comme ie fuis
prefl à tenir ma promefTe, ie t'affure bien que ce fera
tantoft fait, & puis que i'ay commencé à entrer dedans
l'architeélure ou peinture, ie fuis content de n'en fortir
point encores, & fus elles mefmes te déclarer ce que tu
defires entendre de moi. Eft-ilpas tout certain que s'il y
a aucun qui entende l'art & règles de peinture ou ar-
chitedlure, foudain qu'il fe prefentera deuant fes yeus
quelque tableau ou édifice mal bâti, qu'auffitoft il iugera
le défaut qui y efl? & non feulement fçaura faire cela,
mais auffi il dira le moyen par lequel on le pourroit
amender. Mais celuy qui a la cognoifTaiice de cette pi-
perie qu'ils appelent Médecine, tant s'en faut que voiant
vn malade il puiffe affurer le remède qui luy eft propre,
qu'à peine peut-il iuger de l'efpece & de la caufe de fa
maladie, & encores qu'elle luy foit toute notoire, fi eft-
ce qu'il y perdra fon Latin, toutesfois pour ne fe mon-
ftrer point ignare, il ne laifîeraà luy ordonner queiqu'vne
DV D EMOC RITIC. <) r
de ces belles receptes douteufes & incertaines. Et fi par
, fortune il adulent que la maladie aiant pris & terminé
i fon cours fatal, le patient commence à fe trouuer mieux
I que deuant, ce fera Monfieur le Médecin qui l'aura
guéri, ce feront les pillules qui auront bien opéré, voire
ne fuffent-elles compofees que de crottes de cheures &
d'vrine, & parfemees d'vn peu de poudre de peigne
I pour leur bailler grâce, ainfi qu'il en fut donné vne fois
' à Tloché (village cenomanique tant monftruetis & plein
j de fi grandes merueilles que les grenouilles y chantent
ordinairement à la gueulle de leurs fours) à vn certain
; feu chreftien de bonne mémoire Guillaume Mefche,
. lequel eflant pour vne griefue &. defefperee maladie
abandonné des Médecins, fut ainfi traitté par vn fien
I neueu qui luy faifoit acroire que c'eftoyent des meil-
leures qu'il eufl peu choifir chez les apoticaires, & après
I auoir courageufement auallé icelles pillules, elles firent
telle opération que le lendemain il fut fus les pies auffî
prefl à boire que deuant.
LE COSMOPHILE. Vraiment quant eft de cela,
ie fuis alTuré que tu n'en dis chofe qui ne foit vraye :
mais tu en as oublié tout le meilleur de la fauce, car il
y auoit encores entre les épiceries aromatizees fufdites
des écharbols pillés & brouillés pefle-melle, de forte
qu'vn certain chirurgien qui acompagnoit le malade,
voulant faire l'elTay d'icelles pillules, après en auoir pris
brufquement fus la pointe d'vn couteau. & mis fus la
langue, il trouua (au moins ce difoit-il en grinçant des
dens, &. faifant alTés laide grimace) que c'eftoit de la
caffe, mais qu'elle n'eftoit pas des mieus mondées de ce
monde.
ça PREMIER DIALOGVE
LE DEMOCRITIC. lecroy que tu dis vray, mais
voyés que c'euft efté s'il euft pris quelque chofe par
l'ordonnance du médecin, comment on eut dit alors
quel grand perfonnage c'eftoit que de luy, 8t toutesfois
les hommes font abufés iufques à là que volontiers ils
rapportent vn effet hazardeus à l'opération de ces piperies
de merde ou à d'autres telles folies qui ont encores
moindre vertu que cela, mais s'il adulent que leur gen-
tils medicamens ne fortifient pasVn bon effet, & que le
pauure malade empoifonné de telles pourritures en paffe
le pas, alors monfieur le médecin, auffi rebraffé comme
s'il vouloit pétrir dira, en hauffant les épaules, & ferrant
les leures à la bougrefque, que fon heure étoit venue,
qu'il n'y a remède, qu'on ne fçauroit aller contre le vou-
loir de Dieu, qu'il n'a pas tenu à luy jd'auoir fait fon
deuoir où au contraire le bourreau n'en aura pas efté
moins homicide que s'il auoit rompu U froiffé fur la
roue : Voila comment ainfi que dit le Poëte Angeuin,
C'eji vne belle fcience
Pour faire vne expérience,
Auant qu'ejire viel routier
Par la mort guérir les hommes,
Et puis dire que nous fommes
Des plus-fçauans du métier.
Encores les excuferoi ie d'auantage s'ils ne faifoient
mourir que ceus qu'on leur permet tuer lorfqu'ils pren-
nent le degré à Montpellier, & qu'on leur dit, Vade &
occide Caïm, qui eft à dire. Va & tue Caïm : chacune
lettre de cette diélion Caïm feruant d'vn mot. C. Car-
mes. A. Auguftins. I. lacobins. M. Mineurs.
DV DE MOC RITIC. 9}
LE MOND AIN. Certes ils feroient bien méchans
d'exercer leur cruauté fur ces pauures gens qui font
mefme défia morts quant au monde.
LE COSMOPHILE. Oui bien, ce difent-ils, mais
le ne fçay pas fi on dpnnoit les femmes en garde à telle
manière de mors, s'ils en feroient point de vifs.
LE MONDAIN. le ne m'ébahi plus maintenant fi
tu n'as dit gueres de bien de ceus qui conferuent la
fanté du cors, que mefme tu fais tant peu de comte des
j autres qui gardent celle de l'ame.
LE DEMOCRITIC. Comment la felle de l'afne
dis-tu ? Quant efl de moy ie n'ay afne ni afneffe.
LE COSMOPHILE. le di celle de l'ame, c'eft à
I dire la fanté de noflre ame, car ne penfes tu pas que
noftre ame eftant en quelque péché mortel, ne foit ma-
I lade auffi bien que le cors eftant détenu de quelque
j griefue maladie ?
[ LE DEMOCRITIC. Oui dea ie le penfe ainfi, car
I il y a vn certain remors (que nos Théologiens appellent
I lever) de confcience qui époinçonne &. ronge le pécheur.
Mais paflbns outre, & venons à nos embourreurs de
fanté, par Diej fi ie fçauoi au vrai quelcun qui me deuft
deliurer d'vne maladie de laquelle ie me fentiffe foulé,
tiens toi aflliré qu'au lieu de le méprifer, il ne tiendroit
point à le carefier, reuerer, &. en faire grand cas qui ne
me guérit bien tofl. Mais i'auroi belle peur qu'on ne
dit à bon droit à celuy qui fe vanteroit de ce faire,
Médecin guéris toi toi-mefme.
LE COSMOPHILE, le voudroi bien que tu
m'euffes dit ton aduis de ces quatre termes & pilliers
94 PKEMIERDIALOGVE
doriques du cors de la religion Chreftienne, entendu
que l'ai défia veu comme tu leur as donné trois ou
quatre atteintes, toutesfois fans t'y arrefter beaucoup.
LE DEMOCRITIC. Encores ne t'en dirai-ie rien
d'auantage pour cette iieure, car ie te les referue i\
bonne bouche, auffi que c'efl; raifon qu'ils marchent les
derniers comme les plus dignes & plus graues.
LE COSMOPHILE. Et bien il me fuffit, puis que
tu me promets d'en parler, car ie t'ay toufiours cogneu
homme de promefTe, mais puis que tu as paracheué
ton propos touchant ceus qui acquièrent vne réputation
feulement par hazard &. opinion vulgaire, ie voudroi
bien que tu eufîes de mefme acoutré ces autres qui fe
veulent faire efiimer feulement pour vne morgue &.
grâce contrefaiéte.
LE DEMOCRITIC. Tu dois entendre qu'vne
bonne partie des hommes encores qu'ils foyent les plus
fols&incenfésanimans créés de la nature, fi ne tâchent-
ils à autre chofe que de reffembler & aparoitre fages
il. bien apris, les vns en parlant à tort & à trauers de
tous les propos qu'ils oyent entamer en vne compagnie,
à celle fin d'eftre eftimez bien méfiez, &. certes auffi
font-ils, car ils fe méfient entre tant de chofes qu'ils ne
s'en peuuent le plus fouuent dépeftrer, ni fortir à leur
honneur. Et fçauez vous à qui mieux refTemblent tels
babillars qui fe confondent ainfi, & fe brouillent en leurs
propos? à vn Perroquet ou autre oifeau lequel fans en-
tendre la voix qu'il contrefait, tantofl dit de l'vn, puis
caquette de l'autre, le tout pefie-mefie, & fans aucune
liaifon de parties. Autant en font ces iappeurs & impor-
DV DîMOCRITIC. 95
tuns caufeitrs en vue compagnie, car ils vont caquetant,
ores de cettuy-ci, ores de cettuy-là, tantoft alléguant vn
paflage d'Ariflote pour approuuer vne Euangile, & tout
à l'heure mefme philofophant fus vn feftu de paille que
le vent fait vireuolter en l'air, puis rompant leur propos
par mille petites fottesdigreffions, ils vfent d'vne infinité
de parolles fuperflues &. ridicules, toutesfois ils ne iaifle-
ront pas d'entrer le plus fouuent en la réputation de
gens qui parlent fort bien de toutes chofes, &. qui fça-
uent dire le mot. Mais voiant que telle quanaille ne
fait rien à mon propos, auffi que d'eus-mefmes ils de-
couurent affés leur folie, au moins à ceus qui ont la
veue bonne, ie fuis content de m'en taire &. parler des
autres lefquels voulans faire au contraire de ceus-ci,
contre tout leur naturel affeflent le plus qu'ils peuuent
la mélancolie, pour autant qu'ils ont leu en quelque
paflage d'Ariflote que volontiers les mélancoliques font
ingenieus, tellement que Ciceron voulant eflre de la
fefte comme les autres, & pour tourner fon imperfection
en vertu, difoit qu'il ne fe repentoit point d'eflre vn
peu morne & tardif en parolle : ioint que tels Singes
mal appris fe veulent régler fus les Italiens qui poffible
de leur naturel font de telle condition. Mais tant s'en
faut que cette contrainte leur aguife d'auantage l'engin
qu'au contraire ne leur fait rien laifler d'eus en vne
compagnie qu'vne opinion de leur efprit lourd &.
greffier. Tels philofophes agus ne fe fçauroient mieus
comparer qu'à la pourtraiture de quelque beau cheual,
aiant la mine d'vne befte fort furieufe, ou à l'homme
qui eft defTus tenant brauement les armes au poing, car
96 PR FMIER Dl ALO GVE
tout ainfi que ni le cheual ni l'homme pareillement,
pour tems qui vienne, ne changent iamais cette pre-
mière figure ou forme qui leur a eflé donnée par le !■
peintre ou engraueur, autant en eft-il de ceus-ci qui ||
veulent eflre veus prudens &. vertueus, feulement par le II
vifage : car encores qu'on les mette en touF les meilleurs jl
propos du monde, il ne faut pas laiffer d'en chercher ||
d'autres pour y refpondre, car ils ont cette mafque me- 1
lancolique tant engrauée au fond du crâne de leur te- |
ftiere, qu'il eft impoffible de les faire iamais parler ni il
mouuoir non plus qu'vne peinture. Voila vne grande il
vertu, fi elle n'eftoit propre & peculiere aus afnes. il
LE COSMOPHILE. Si m'eft-il aduis qu'il n'y a i|
gens au monde à meilleur droit eftimez fages, que ij
ceux qui parlent ainfi peu (chofe la plus recommandée |i
de tous ceus qui ont atteint quelque degré de fapience) j
ce que donna bien vne fois à cognoiftre Anaxagore,
Philofophe ancien, lequel s'eftant trouué en vne com-
pagnie en laquelle on medifoit d'vn chacun, &. fe con-
traignant de forte qu'il ne fortit pas vne parolle hors de
fa bouche, lors que quelcun d'entre eux luy demanda
qui eftoit la caufe qui l'empéchoit de parler, refpondit il
alors, 11 me fouuient de m'eflre quelquesfois repeoti
d'auoir parlé, mais de m'eflre teu, iamais. Nous lifons
pareillement du bon Caton comme il témoignoit volon-
tiers foy repentir de trois chofes, l'vne defquelles eftoit '
s'eftre mis à la merci des eaux pouuant cheminer par ■
terre, l'autre d'auoir pafTé vn iour en oifiueté fans faire,
ou apprendre quelque chofe vertueufe, la troifiéme &. [
celle dequoy il fe repentoit le plus, s'il y eftoit aduenu j
DV DEMOCRITIC. 97
de déclarer fon fecret, & principalement à vne femme.
Et croi que c'eft vne des grandes vertus que fçauroit
• auoir l'homme de parler peu & bien contenir fa langue,
i ce qui nous efl mefmes enfeigné par la nature, laquelle
pour nous monftrer qu'il failloit ouir deus fois autant que
I de parler, nous a prouueus de deus oreilles & feulement
j d'vne langue, à laquelle elle a encores donné double
I rempart pour manifefter exprefTément comme les paroles
! ne doiuent point fortir de la bouche qu'elles ne foient
I bien & parfaitement digérées.
' LE DEMOCRITIC. Ces raifons &. authoritez que
I tu as mifes en auant, & toutes autres qui fe peuuent allé-
guer à ce propos pour confirmer la taciturnité &. peu
de paroles eflre chofes louables & vertueufes en la
perfonne, fe peuuent diffoudre en deux mots. Et ne
penfe point que cela ait eflé tant recommandé par ces
anciens autheurs, fi non es chofes d'importance, & qui
peuuent non feulement tourner au preiudice des per-
fonnes defquelles on parle en vne compagnie, mais
auffi de cettui-là lequel inconfiderément & fans aucun
arrefl veut dire fon aduis de chacune chofe propofee,
fans regarder qu'elle en peut eftre la fin ou la confe-
quence. Car il fuffit afifez à l'homme de bon efprit,
tant pour fon contentement que pour le plaifir qu'il a
d'en deuifer auecques fes femblables, de cognoiflre la
vérité des chofes, mais quand il voit qu'en lesmanifef-
tant, la fin luy en pourroit eftre dommageable, ce luy
feroit bien vne grande témérité & fottife inconfideree
que de ce faire, entendu que tout ainfi qu'il n'y a point
de plus grande fagefie au monde, que de taire h bien
5
o8 PREMIERDIALOGVE
diffimuler vne vérité laquelle eftant decouuerte apporte-
roit quelque danger ou preiudice à fon autheur, auffi n'y
a il point plus grande folie que d'en parler. Et voila la
feule occafion qui doit-tenir la bride aus paroUes effrénées
qui s'égarent quelquesfois trop lourdement fans confi-
derer à quel but elles peuuent ou doiuent paruenir.
Mais s'enfuit-il pour cela qu'il faille ainfi contrefaire le
lourdaut mélancolie, & fe monllrer muet en vne com-
pagnie, principalement quand il eft queftion de dire
fon aduis d'vn bon propos, ou prendre plaifir à quel-
ques paroles entremeflees de facéties, pour vfer puis
après plus fermement des graues & ferieufes? Et pour
le certain tout homme qui n'en vfera ainfi, quoy qu'il
contreface de l'ingenieus, ou du magnifique Meffer de
Venife, fi ne fera il iamais entre perfonnes de bon efprit
autre qu'vn fot & de grolTe paftetel qu'il eft à la vérité,
cela toutesfois demeurant excufable à ceus qui veulent
cacher leur folie & indifcretion fous le voile de filence,
car c'eft bien la plus grande fageffe que fçauroit point
auoir vn fot que de fe pouuoir contenir de parler, veu
qu'en ce faifant pour le moins il ne découure ce qui eft
de fon défaut.
LE COSMOPHILE. Quelque chofe que i'en aie
foutenu au contraire, fi n'en ai-ie iamais eftimé autre-
ment que ce que tu en as dit, car c'eft bien la chofe que
ie hai le plus que d'affeéler cette mélancolie d'afne, de
laquelle il y en a pour le iourd'huy quelques-vns tant
entachés qu'ils ne peuuent trouuer rien bon d'autrui.
LE DEMOCRITIC. Comment eft-il poffible qu'ils
approuuent ce que font les autres, quand ils fe déplai-
DV DEMOCRITIC. 99
fent à eus-mefmes, ne cherchans point autre plus grand
plaifir que d'erpier l'horreur de quelque lieu Tecret pour
auoir le moien d'eftre feuls à celle fin de diTputer &
prendre querelle le plus fouuent à leur vmbre?
LE COSMOPHILE. le m'ébahi comment tu dis
cela, Sl que tu ne crains en ce faifant de t'en accufer
toi-mefme le premier, veu qu'il femble que le plus de
ton plaifir eft à chercher des lieux folitaires pour faire
des difcours & difputer (ainfi que tu difois des autres)
tout feul auecques ton vmbre.
LE DEMOCRITIC. le ne fçai pas comment tu
entreprens de iuger fi foudain de mes complexions,
entendu le peu de cognoiffance que tu as de moy, b
bien que tu m'euffes hanté toute ta vie fi fuis le
affuré que tu ne m'aurois pas en telle eftime.
LE COSMOPHILE. D'où venoit donques cela
lors que ie t'ay rencontré que tu parlois feul meprifant
la manière de faire & fottife des hommes?
LE DEMOCRITIC. le m'étonne comment tu
iuges fi legierement d'vne chofe qui t'eft incertaine, ce
que ie te pardonne toutesfois de bon cueur, car tandis
qu'il te refiera dedans la telle la moindre efiincelle de
cette folie mondaine, tu feras toufiours quelque afle
volage & digne de reprehenfion.
LE COSMOPHILE. Non feray pas, moyennant
que tu accompliffes ce que tu m'as promis, car de ma
part i'ay eflé défia, & fuis encores plus prell d'entendre
8t croire tes aduertiflemens, que ie ne fu onques.
LE DEMOCRITIC. Et ie ferai donq' fort aife que
tu apprennes ici de moy de n'affurer iamais vne chofe
BIBLIOTHLCA
PREMIER DIALOGVE
dont tu n'auras point certaine cognoifTance, de peur
qu'en faillant à dire le vrai tu ne fois eflimé par trop
euenté, ainfi que tu t'es monftré euidemment en me
taxant de quoi ie parloi feul lors que par hazard nous
nous fommes ici rencontrés. Et à celle fin que tu
cognoifies ton erreur, il faut que tu entendes que ie ne
faifois alors que laiffer deus (comme ie croi) des plus
grans fous du monde, dont l'vn contrefaifoit le philofo-
phe, ne parlant d'autre chofe que du cours des cieus,
des influences des planètes & étoilles, de la magie &.
nature des efprits miniflres ainfi qu'il difoit de fon art,
fe ruant auffi quelquefois fus l'alquimie qui efl vne
fcience qui traifle de la tranfmutation des metaus :
L'autre compagnon de folie à ce premier tranchoit du
foldat, blâmant toutes autres chofes, fors que ce poinft
d'honneur, & fembloit à voir la fureur du perfonnage,
que l'vmbre du fourreau de fon efpee eut la puiiïance
de tuer vn homme fans coup frapper : Et ainfi après
auoir pris quelque plaifir à leur accorder par fois
tantoR à l'vn, tantoft à l'autre, pour en tirer d'auan-
tage de paffetems à la fin ennuie de leurs longues &.
importunes cauferies, i'ai tant fait que ie m'en fuis dé-
peftré le plus honneflement qu'il m'a elle poffible, 8t
alors i'auois auecques moi pour me féconder vn homme
de grand fçauoir &. de fort bon efprit, lequel fans autre-
ment me cognoifhre ni moi lui, s'addrelTa, il y a bien
vn demi an, à ma maifon, & après l'auoir vn peu
regardé & oui parler, ie cogneu tant à fes propos qu'à
fon vifage que c'efloit vn homme de iugement & de
grande dodrine, & le voiant fouffreteus & en neceffité
DV DE MO CRI TIC.
ie ne fu pas moins prefi de lui donner fecours qu'il
eftoit à me le demander, 8t toutesfois depuis ce tems
là nous auons demeuré amiablement enfemble, eftant
bien aife d'auoir recouuré pour compagnie vn tel
homme & plein de fi grande érudition. Mais pour
rentrer au lieu dont i'eftois forti, après que cesMeffieurs
furent départis d'auecques nous , Dieu fçait fi cet
homme duquel ie te vien de parler, & moy nous les
lauafmes ainfi qu'il appartenoit, & eftoit pour celle
occafion que ie luy difoi, lors que tu m'eflimois parler
tout feul, comme ie me fentoi fort tenu & obligé à la
nature de ne m'auoir point enfeueli entre tant de folies
Sl erreurs communes aus autres hommes, &. ainfi que
ie donnoi fin à mon propos il fe fouuint d'vn voyage
qu'il auoit à faire deuers vn fien ami, parquoi tout in-
continent il s'en partit Si prit congé de moy iufques au
retour. Tu peus maintenant affés euidemment cognoiftre
la faute du iugement que tu auois fait tant foudain de
mes paroles.
LE COSMOPHILE. le fuis contraint de confeffer
en cela mon deffaut, mais en penfant demeurer fatisfait
d'vn poinA, tu m'a remis de rechef en deus defirs trop
plus grands que n'eftoit le premier, dont l'vn eft de fça-
uoir le nom de cet homme tant dofte, & communiquer
auecques luy, l'autre d'auoir ma part de la rifee que
t'auoient appreflee ces deus fous, dont tu as maintenant
parlé.
LE DEMOCRITIC. Quant eft du dernier, puif-
que tu en as fi grande enuie ie t'en ferai bien iouir, de
l'autre qui eft de fçauoir le nom de cet homme dont ie
PREMIER DIALÛGVE
l'ai fait mentionj le ne te le fçauroi dire, & moins encores
te faire communiquer pour le prefent auecques luy,
entendu qu'il eft (ainfi que ie t'ay défia dit) allé voir vn
fien ami. Bien eft vrai que le nom par lequel il fe faifoit
appeiler eftoit, le Monirien, &. eft vn homme à le voir
trifte, monftrant vn vifage affés mélancolique, non pas
de cette lourde & groffiere mélancolie d'afne, car au
refte il eft homme de fort grand efprit, & eft aifé à voir,
ainfi que l'en ay peu conieéturer quelque chofe par fes
propos, qu'vne grande partie de fa trifteffe luy procède
à l'occafion des grans tors qui luy ont efté faits, &.
mefme de ceus dont il deuoit eftre le plus fecouru,
toutesfois il efTaie le plus qu'il peut à mettre cefte mé-
lancolie bas, & fe refiouir quelques- fois auecques moi,
& ainfi qu'il m'a dit, il fera ici de retour dedans peu de
tems, & fi tu veux attendre iufques-là, encores que
i'aie vn voyage à faire, fi le delaierai-ie pluftoft à vn
autre terme pour te faire compagnie, ou bien fi tu aime
mieus retourner quand il fera venu, tu pourras alors
aifément accomplir ton defir, fi tu n'as autre empefche-
ment qui t'en détourne.
LE COSMOPHILE. le te remercie bien fort de
l'offre que tu me fais, de laquelle toutesfois ie ne peus
vfer pour cette heure ici, entendu que neceffai rement
ie dois faire vn voyage fur mer, auquel tant pour les
affaires que i'ai par le chemin, que pour le tems qui
me faut à aller &. venir, encores qu'il ne m'arriue point
de fortune ie ne fçauroi moins arrefter que fept ou huit
mois, & ainfi tu ne différeras point (s'il te plaift) pour
moi à donner ordre à tes affaires, fe alors que nous
DV DEMOCRITIC. I03
lerons de retour nous entre-conterons des nouuelles
l'vn à l'autre. Mais ie te prierai bien fort que noflre
voyage fait, au moins fi ma compagnie t'eft agréable,
que ce peu de cognoifTance que nous auons enfemble
s'augmente par ci après par vne plus longue, & conti-
nuelle fréquentation.
LE DEMOCRITIC. le t'alTure bien qu'il ne tien-
dra pas en moi, car il n'y a homme en ce monde qui
defire pluftoft compagnie, mais qu'elle ne foit point de
ces gros butiers qui s'efliment fages, &. à celle fin
qu'vne autre fois tu puifles mieux retrouuer le chemin à
me venir voir, ie te prierai bien fort de venir prendre
le difner iufques en ma petite maifonnette. Il ne faut
pas que tu penfes que ie te conuie pour te donner
des viandes roiales & exquifes, mais telles qu'elles font
ce fera de bien bon cueur. Et fi me femble que tu ne
peus auoir bonnement occafion de me refufer, veu que
l'heure du difner s'approche, auffi que le lieu n'eft pas
pas fort loing d'ici. Tu peux voir là au deffus en ce
petit lieu montueus vne maifon quarree faitte en terrafle
appuiee de deus tourelles d'vn cofié, &t de ce cofté
mefmevne belle veuë de prairie en bas couppee & entre-
lafTee de ces petis ruiffeaus qui ont ainfi le cours vague
& tortu : de l'autre cofté cefte touche de bois fort
haute & vmbrageufe, dont l'vn des bouts prent fin à
ces rochers bocageus que tu vois à vn des détours de
cette prée, & l'autre au commencement de cefte grande
plaine qui eft vn peu au deflbus de cette maifon que ie
t'ai monftree : La vois-tu bien là par entre ces deus
chefnes tirant vn peu fus la main gauche ?
104 PREMIER DIALOGVE.
LE COSMOPHILE. le la voi fortbien.
LE DEMOCRITIC. Ortu vois vne maifon qui efl
mienne, & fi tu me veus faire tant de bien que d'y
venir prendre le difner, ie te monflrerai plus ample-
ment les commodités & fituation du lieu qui efl poffible
telle que tu y prendras quelque plaifir.
LE COSMOPHILE. Certes la defcription que tu
m'en as faite, & dont l'en voi vne bonne partie, me
conuie afTés d'elle-mefmes de l'aller voir, &. t'affure que
ie ne t'en éconduirai point, moyennant que tu me vue il-
les promettre de ton cofté d'en faire auiourd'huy le
pareil à fouper en la mienne, qui n'efl pas gueres plus
loing d'ici que celle là que tu m'as monftree, 8t fi ie
croy que l'on ne fçauroit plus iuftement borner le milieu
du chemin de nos deus maifons qu'en ce lieu ici.
LE DEMOCRITIC. le ne te fçauroi promettre
d'y aller pour le iourd'huy, &. te pri de m'en excufer,
veu que i'atten à fouper auecques moi quelques vns de
mes plus grans amis, enuers lefquels il ne me feroit
honnefle de faucer ma promefTe ni vfer d'excufe en
quelque forte que ce fut. Et par ce ie te fupplie remet-
tons cela à vne autre-fois, quand nous ferons retournés
de nos volages : Mais fçais-tu bien qu'il y a, tu ne lailTe-
ras point pour cela de t'en venir difner auecques moi.
LE COSMOPHILE. Et bien donq' puis qu'il te
plaift ainfi, ie t'y ferai compagnie.
FIN DV PREMIER DIALOGVE.
SECOC^V VIqALOGVE
DV DEMOCRITIC
LE COSMOPHILE.
RAI ME N T à ce que ie voi noftre difner
n'a pas efté fait à la mode des Vénitiens.
LE DEMOCRITIC. Comment cela?
LE COSMOPHILE. Pour autant
qu'on fe me-t à table (ainfi qu'ils difent) pour menger,
& non pas pour conférer de fes affaires, qui eft l'occafion
qui les retarde volontiers de deuifer durant le repas.
LE DEMOCRITIC. Si telle manière de lourdaus
penfent que ce foit vne bien grande vertu que de ne
dire mot en prenant fa refeftion, les pourceaus & autres
belles brutes feroient tantoft félon leur règle dignes
d'eflre mis au reng des vertueus perfonnages, fi d'auan-
ture cela ne failloit à l'endroit des chiens qui mènent
Io6 SECOND DIAIOGVE
quelquefois affes belle noife pour vn oz, à qui l'em-
portera.
LE COSMOPHILE. leme doutoi bien que ces
VenitienSj quoi qu'ils afFedent fus toutes chofes eftre
eftimés les plus fages, n'en feroient non plus épargnez
que les autres, qui a efté la caufe qui m'en a fait enta-
mer le propos pour fçauoir quel iugement tu en vou-
drois donner, & fi tu eufles point eu meilleure opinion
d'eus, pour autant que ce font lesperfonnes du iourd'huy
qui fuiuent de plus près la trace de cette vénérable
antiquité, &. fur lefquels eft empraint le vrai & naturel
archetipe du tant célébré & renommé Sénat des Ro-
mains, vrai eft qu'on dit que les plus grans larrons y
font les mieus venus, moyennant qu'ils dérobent à
moitié de butin.
LE DEMOCRITIC. Voila ceus que ie demande
pour auoir bien occafion de me moquer, veu que fi
vous oftés à ces Meffieurs les grandes manches ou leurs
bonnets de diadefme, vous leur ofterés pareillement
toute la fageffe : car tu dois entendre que la plus faine
partie de leur cerueau eft au defTus de leurs barretes
auecques le iugement, & n'eftoit qu'ils ont trouué cet
honnefte moien de faire leur profit ils demeureroient
encores en vn plus extrême degré de fottife, mais cette
diuine manière de larrecin qu'ils ont inuenté, couure
beaucoup de leur beftife & ignorance.
LE COSMOPHILE. Or bien bien laiflbns les là
faire la pipee pour cette heure, &. retournons au propos
que ie t'auois rompu n'agueres prefque fus la fin du
difner, quand tu m'as dit que tu t'efm.erueillois beau-
DV DEMOCRITIC. IO7
coup, veu que nos mairons eftoient fi près l'vne de
l'autre, comment nous auions eu fi peu d'acointance
enfemble.
LE DEMOCRITIC. Ha ! tu m'en fais fouuenir :
mais à propos, comment s'eft peu faire cela ?
LE COSMOPHILE. II ne faut point que tu t'en
ébahiffes, entendu qu'il y a pour le moins cinq ou fix
ans que ie n'ai feiourné aucunement par deçà, durant
lequel temps ie n'ai fait autre chofe que voiager pour
apprendre que c'eftoit que du monde. Mais à ce que
ie cognoi maintenant, i'eufle peu encores courir d'ici à
trente ans, que ie n'en eufTe gueres elle plus fage, cog-
noilTant défia bien que ce n'eft pas le tout que de voir
diuerfitéde régions &. contrées pour auoir l'efprit meil-
leur, & que l'inftruétion d'vn feul homme de bon
iugement édifie plus en vne heure, que ne font tous les
barragouins & diuers langages de mille nations étran-
gères en dix ans.
LE DEMOCRITIC. le fuis fort aife de quoi tu
adiouftes foi à mes enfeignemens, t'affurant bien que ce
que ie t'en ai dit encores que ie l'aie fait affés fuccinfte-
ment, n'eft point fans en auoir cogneu au-parauant les
raifons beaucoup plus amples que ie ne te les ai encores
déduites, toutefois croifTant noflre loifir & fe confirmant
ton iugennent, nous en pourrons d'auantage conférer
enfemble, & lors tu en fonderas les raifons vn peu plus
profondement que tu n'as fait iufques à cette heure ici,
mais ce pendant ie fuis bien de cet aduis que nous allions
vn peu prendre le frais ici dehors.
LE COSMOPHILE. C'efl bien dit, voyés s'il ne
Io8 SECOND DIALOGVE
femble pas que ce bel ombrage de lauriers nous fetnonde
pour nous y aller refraichir, 8t deuifer de quelque gra-
cieus propos.
LE DEMOCRITIC. Tu t'abuferois bien, fi tu
penfois que ie t'y ailalTe recenfer ces petis chiabrena tt
badineries de l'amour, car quant eft de moi tous mes
propos ne tendent qu'a vne fin qui efl de me moquer
des folies d'vn chacun.
LE COSMOPHILE. Auffi ne t'en demandai ie
point d'autres, & en parlant des gratieus propos, ie
n'enten pas de ces petis mots affeélez où il n'y a que
des ii & des II de peur d'écorcherces gorgettes délicates.
Mais la plus grande grâce que ie trouue en vn propos,
c'efl; quand on le goufte à la fauce d'vne facétie bien
ordonnée, qui picque fus la langue, ou qui prend incon-
tinent les gens par le nés.
LE DEMOC RITIC. Dequoi voudroi-tu bien que
nous parlaffions maintenant ?
LE COSMOPHILE. le defireroi fort fçauoir tout le
difcours de ces deus vénérables fots, que tu difois t'auoir
laifle vn peu deuant que ie te rencontraffe en ce lieu ici,
puis félon les propos qui s'offriront nous les continue-
rons, ou en prendrons de nouueaus.
LE DEMOCRITIC. Ne te deffie point hardiment
que ta demande ne foit accomplie, car félon le did
d'Homère, tu donnes courage à cettui-là qui fe hâtoit
défia affés de lui-mefme, & n'eftoit que tu m'as preue-
nu, affure toi que ie t'euffe défia prié d'en entendre ce
qui en efloit. Donques pour fatisfaire enfemble à ton
defir & à mon vouloir, il faut que tu fâches que ie n'ai
D V DEMOCRITIC. I 09
pas eflé autrefois moins curieus de cognoiftre la diuer-
fité des fciences &. manières de faire des eflats & nations
eftrangeres que toi. Mais après auoir ainfi long tems
étudié &. couru, cognoiffant à la fin que tous les aftes
des hommes n'eftoient autre chofe qu'vn fonge fantafti-
que & ridicule, l'ai refolu en moi-mefme de rue retirer
en ce petit lieu, pour y faire le plus de ma refidence, &.
y prendre ce que ie pourroi de contentement auecques
quelque peu de ceus qui ont pareillement la cognoiflance
de telles refueries mondaines, &. qui prennent bien
quelques fois la peine de me venir vifiter iufques ici, pour
remettre en mémoire les bons propos qu'autrefois auons
debatus enfemble, ou bien pour en inuenter d'autres tous
frais. Mais aiant (ainfi comme ie t'ai dit) hanté tant de
diuerfes feftes de gens, il efl impoffible qu'il ne m'ar-
riue aucune fois d'en rencontrer quelques-vns, &. le plus
fouuent contre mon vouloir veu la grande importunité &
fottife dont ils font pleins, &. n'efloit le merueilleus
pafTetemps que i'ai de leurs bafteleries, ie leur tranche-
rois entièrement toute occafion de s'arrefter auecque
moi. Neantmoins tant pour me feruir d'eus ainfi comme
de badins, &. faire par ce moien couler vne bonne partie
du iour plus doucement, tant auffi pour le raconter & en
donner la moitié du plaifir à ceus que ie cognois ellre
dignes de leur en faire part ie fuis content quelque-fois
de les ouir iapper, & m'accordent tantoflà leur opinion,
tantoft leur répugnant vn peu pour les mettre plus auant
aus chams, i'en ai du plaifir au poffible ainfi que mefme-
ment il m'eftoit encores furuenu auiourd'huy. Car aiant
cogneu dedans Paris (du temps que i'emploiois mes
SECOND DI ALOCVE
ieunes ans aus lettres) vn perfonnage, entre ceus que l'on
appelle Philofophes , eflimé vn des plus fages &. mieus
entendus en cette fine folie, ie vouloi dire Philofophie, la
fortune a voulu que ie l'aie encores rencontré en ce lieu
ici en me promenant. Et efloit iceluy Philofophe accom-
pagné d'vn foldat foldatizé pareillement de ma cognoif-
fance. Car tu dois fçauoir qu'après auoir longtemps
trauaiUé après ces liures, me trouuant en fin lalTé &. re-
créa des études, ie voulu tenter la voie des armes pour
fçauoir comment on s'y gouuernoit, & là, i'eu la cognoif-
fance de maints braues &. vailians hommes (au moins
ce difent-ils) &. entre autres de ce compagnon de fou-
flets & alembics de mon Philofophe. Toutes-fois de pri-
me-face ils ne me pouuoient pas bien recognoiflre, mais
à la fin après m'auoir plus ententiuement regardé, ils
me font ici venu aborder, & après force accollades, em-
braffemens, baifé les mains de voftre feigneurie, ou fi tu
l'aimes mieus à l'Efpagnole, de voflre merci, tant à voflre
commandement (Monfieur) de paroles que vous voudrez,
&. telles autres careffes, St admirations accouftumées en-
tre perfonnes qui de long temps ne fe font entre-veues, &.
principalement quand la rencontre fe fait ainfi à l'im-
pourueu : fomme toutes ces carelTes finies ce diuin Plato-
nicien après m'auoif quelque peu regardé fans parler,
renfrongné fes fourcils auecques vne mine graue, en-
foncé fa veue vn peu fur la terre, puis tout lentement la
redreflant auscieus, comme s'il eufl eflé refueillé de
quelque profond fomme, ou que par diuine infpiration il
eull eflé émeu à parler ainfi, il commença tels propos en
ni'interrogeant fi i'auoi point continué l'étude de la philo-
DV DEMOCRITIC. I I I
fophie depuis que ie m'en efloi parti de Paris. Et adonq'
tant pour fçauoir l'occafion de fa demande que pour
m'accommoder pareillement à fon naturel, ie lui refpondi
que l'en auoi elle, 8i efloi encores plus curieus que
iamais, puis il dit en cette forte pefant fes mots comme
s'il eull parlé en voix d'oracle, ha Monfieur, vous elles
tenu grandement à noflre Seigneur de vous auoir de-
parti la cognoiflance d'vne tant excellente chofe, & auez
efté très bien aduifé de n'en difcontinuer l'étude, laquelle
vous ne deuez laifler encores, au moins fi vous me
croyez, car deuant que vous en allaffiez de Paris, vous y
auiez défia vne fort bonne entrée : Et ie vous afTure
(Monfieur) que fi vous y auiez donné auffi auant comme
i'ay fait depuis noflre abfence, vous y mettriez poffible
meilleure peine que vous ne fiftes onques, car i'y ai
cogneu les plus grans fecrets, &. merueilleufes expérien-
ces du monde, &. ne fera iamais que ie ne me fente obligé
à celui qui le premier m'en a monflré les principes, veu
la grande &. admirable perfedion que i'y ai trouuee de-
puis. Et pour ce que vous efles homme qui entendez que
c'efl de telles matières, ie vous en veuil communiquer
quelque chofe, moyennant que vous me vueillez promet-
tre de clorre la bouche, &. eflre fecret ainfi que ie vous
ai toufiours expérimenté. Et alors l'entendant ainfi par-
ler Socratiquement, ie vi qu'il efloit bon, pour lui tirer
les vers du nés, contrefaire vn peu le fage par mines
comme luy, l'affurant au refle de n'en dire iamais pa-
role, i'entendois à ceux qui ne le voudroyent ouïr.
LE C O S .M O P H I L E . Sans point de doute auffi tiens-
tu bien ton ferment, car tu ne le racontes point à vn
J la s ECOND Dl A LOGVE
homme qui n'ait bien grand vouloir de l'entendre, &. ne
m'as encores dit chofe qui m'ait apporté d'auantage de
plaifir que celle-ci, ni laquelle i'aie plus defiré fçauoir.
Mais combien ce pauure fot prenoit de peine à décou-
urir fa folie, & fe faire moquer de luy !
LE DEMOCRITIC. Tous ceus de pareille farine
ne font iamais contens iufques à ce qu'ils ayent donné à
cognoiflre leur fottife : mais pour continuer mon propos,
ce Vénérable dodeur (après luy auoir fait la promefTe
telle qu'il me la demandoit) pourfuyuit ainfi en matière :
Il n'eflia befoin (me dit-il) de vous alléguer les principes
&. fondemens d'vn tel art, car vous n'y elles point ap-
prenti f. le n'ai que faire de vous reciter par le menu
toutes les efpeces des efpris, & comme il y a fix genres
principaux de Démons, ignées, aériens, terreflres, aqua-
tiques, fou-terrains, feu fuians & amis de ténèbres: &
comme de toutes ces fortes là il n'y' en a que de trois
efpeces qui fouffrent, patiffent, & endurent, à fçauoir,
les feu fuians, aquatiques, & terreflres, & font ceus que
l'on appelle volontiers incubes & fuccubes. le n'ai que
faire pareillement de vous raconter les efpeces de magie,
comme Hydromance, qui fe fait auecques de l'eau,
Leuconomance, qui fe fait auecques des baffins, Pyro-
mance, qui fe fait auecques le feu, Geomance, par le
moien de la terre, Necromance, laquelle eft diuifee
encores en deus parties, en Scyomance & Necyomance,
lefquelles fe pratiquent en parlementant auecques les
efpris malins, ou en fufcitant les ombres fc idoles erran-
tes des morts : Capnomance, qui fe fait auecques fuffu-
migations dont on parfume Si fait on facrifîces aus
DV DEMOCRI TIC. I I J
Démons. 11 me fuffit feulement de vous en parler d'vne
efpece, qui efl Catoptromance, & de la perfeftion d'i-
celle. Vous fçauez bien (ce me dit il alors tout bas en
l'oreille, &. me tirant à part) comme du tems que nous
demeurions enfembie à Paris, nous eftions tous les iours
après, pour expérimenter quelque chofe de cette Magie,
de laquelle nous n'auions encores fceu faire aucune cer-
taine expérience, mais depuis ce tems là, croyez que
i'y ai cogneu de plus grandes chofes. Vous fuffife, ie
vous en dirai quelquefois à heure plus opportune d'auan-
tage, & vous en pourrai montrer quelque eiTet. Et comme
ie le priafle inflamment de me déclarer que c'efboit, il
vint tirer tout doucement de fa bource (comme fi c'eufl:
efté quelque précieux ioiau) vn miroir tout brouillé &
barbouillé de carafteres, auquel efloit magiftralement
dépeint ce grand mot Tetragrammaton, & aux quatre
coins arriere-pointé de plufieurs croix &. figures de pla-
nettes : puis me demanda fi ie cognoifToie point la vertu
& propriété des mots, cercles, & carafteres que ie voiois
écris & emprains des deus coflez du miroûer : O (dis-
ie alors) les grans & facrez mots ! ô la grande vertu qui
eft cachée là defoubs 1 ô Dieus ! que ie m'eftimerois
heureus de pouuoir atteindre à la cognoifTance de chofes
tant hautes & parfaites.
LE COSMOPHILE. Mais fans rompre ton propos,
quelle mine tenoit ce pendant le foldat?
LE DEMOCRITIC. Il fembloit qu'il fuft prefque
ialous de ce que m'en declaroit l'autre, neantmoins tant
pour la grande familiarité qu'autre fois nous auons eue
enfembie, tant auffi pour monflrer qu'il n'efloit point
$•
114 SECOND DIALOGVE
ignorant en cet affaire, il en entreprenoit aucune-fois la
parolle luy mefme approuuant & admirant le dire de fon
compagnon. Mais comment que ce fuft ce magnifique
Necromant ne laiflbit point de continuer toufiours fes
coups, & extoller de plus en plus la grande & incompa-
rable vertu de fon miroir, m'affurant qu'il eftoit fait
de la vraie forme &. manière qu'efloit celuy de Salo-
mon, & qu'il n'y auoit vn feul poinft de faute, qu'il auoit
bien & foigneufement contregardé le tems & heures
oporlunes &. dédiées à ce faire : ioint que les afpefts &
conftellations des cors caeleftes y eftoyent obferuees,
qu'il auoit pareillement (ainfi qu'il efl requis par les
règles de l'art) ieûné trois iours fans manger rien que
du pain & quelques racines fit autres chofes n'aians
ame à la Pitagorique (combien qu'il y en ait de moins
fuperftitieus qui difent que pour manger auecques cela
quelques petis poiiTonnets l'on n'en romperoit point fon
ieûne) & comment durant lefdiâs trois iours il s'eftoit
abilenu de compagnie de femmes, à quoy il faut bien
auoir égard deuant que d'entreprendre cet inuiolable,
impolu &. facrofainét miftere, qu'il s'eftoit baigné ,
mundé & purifié de toutes fes fuperfluités, & finalement
prouueu de fon eau &. yfope, habits coniurés & carade-
rizés iufques à la femelle de la pantoufle, comme eftant
garni de toutes ces chofes il entra ainfi que maiftre de
l'art auecques vn non-per de compagnons dedans fon
cercle feellé, bouclé & cacheté de mots propres & facrés
de peur que les Diables n'entreprifTent de s'aller écar-
moucher, & iouerà crois & à pille auecques eus, comment
il nomma, appella, inuoqua, coniura, exorcifa, contrai-
DV DEMOC RITI C. I I f
gnit & anathematiza Monfieur le Diable fans faire autre
paftion auecques liiy, à celle fin de confacrer & donner
vertu à fon experiment. Cela fait, comment il fentit vne
vapeur aëree luy foufler & tinter dedans les oreilles, les
tonnerres & orages s'émouuoir par l'air, les fignes épou-
uantables fe manifefler deuant eus, toutesfois qu'ils fe
monftrerent vaillans, &. que pour tout cela ils ne laifferent
pas à tenir bon dedans le cercle. Puis il me iura d'abon-
dant que toutes ces chofes appaifees, il apperceut incon-
tinent ce qu'il demandoit voir dedans fon miroir, me
difant à cette heure-là d'vne voix baffe, & prefque à peine
fortant hors de fon eflomac, qu'vn tel experiment eftoit
vn des grans fecrets du monde, & trop plus excellent que
non pas cettuy-là par lequel on fait voir dedans la paume
de la main, ou fus l'ongle d'vn enfant vierge, entendu
qu'iceluy enfant fe peut abufer, & que pour cette occa-
fion il n'eft que de voir foy-mefme. Et à celle fin (me
difoit-il) que vous ne penfiez point que ce foit feinte, ni
que ie vous vueille paiftre de bourdes, voila Monfieur
(& ce difoit-il monftrant fon compagnon) qui vous en fera
foi. Alors le foldat fe mift à iurer, ainfi qu'il fçauoit fort
bien faire, fe facrifiant & immolant tout lardé & rofli,
à trauers les machouëres des plus frians pages de Pluton,
s'il n'eftoit ainfi. Mais non non, ce dit alors le Necro-
mant, vous le voirrez vous-mefme par expérience. Quelle
perfonne defirez vous voir, ie la vous monflrerai ? ou
bien, que ie ne mente, ie la vous ferai reprefenter en la
forte qu'elle eft, foit morte ou viue, dedans mon miroûer.
Et adonq' non point pour aucune foi que i'adioutaflîe à
ces bourdes 8i menteries, mais pour ne me manifefter
Il6 SECOND DIALOGVE
point fi foudain méprifeur de fa folie, pour voir auffi
quelle en feroit l'iffue, ie lui nommai vne perfonne qu'il
cognoinbit bien. Cela fait, il fe figna d'vne infinité de
croix, puis ayant fait vn cerne nous eiitrafmes dedans, &
après auoir tenu fon miroir affez longtems à l'oppofite
du Soleil, murmuré &. gromelé entre fes dens certains
mots, ietté quelques fiflemens en l'air, fe contretournant,
comme agité de quelque fureur deuers chacune des
quatre parties du monde. Orient, Occident, Midi, &
Septentrion, il me demanda fi ie ne voiois rien dedans
le miroùer: le lui refpondi qu'il difoit vrai, 8t que ie ne
voiois rien, fors que la reprefentation de nos deus faces.
Voila vn cas eflrange, ce difoit mon Philofophe contre-
faifant du mélancolique, il faut bien qu'il y ait de la
faute de voftre coflé. Car quant eft de moi ie le voi
auffi vifiblement, & autant au naturel comme fi ie parlois
à luy, ie le voi comme il regarde dedans vn liure : Ha
(ce me dit-il lors foupirant à la Tufcane) ie croi que vous
n'auez pas vraie foi.
LE COSMOPHILE. le penfe affurément s'il
n'auoit iamais dit vérité, qu'il la dit à cette heure-là,
car à mon aduis tu n'y auois pas grande foi.
LE DEMOCRITIC. Et qui eft celui encores tant
fot & enfant qui fe nourrifTe en des fuperftitions fi foies,
&. puériles, &t qui recognoiffe bien cela n'auoir efté pre-
mièrement inuenté que par des abufeurs &. impofteurs
de peuple, comme eftoient au temps paffé vn tas de
beliftres qui contrefaifoient des diuinateurs, pipans &
abufans ainfi le fimple populaire, à celle fin de fe faire
reuerer de luy, &. le brider d'vne crainte fous l'ombre U
DV D E MOCRITIC. 1 I7
prétexte de leur vaine & fuperftitieufe Religion, ainfi
mefmemenl que tefmoignoit le bon Caton, lors qu'il
difoit s'émerueiller comment il eftoit poffibie que tels
abufeurs s'entrerencontrans fe puiffent regarder fans
rire.
LE COSMOPHILE. Pourquoi cela fans rire ?
LE DEMOCRITIC. Voudroi-tu voir plus grande
occafion de rire &. fe moquer, que celle qu'ils auoient
de la folie & crédule fimplicité des hommes, qui fe laif-
foyent tromper &. deceuoir tant aifément par leurs mines
& feintes diuinations?
LE COSMOPHILE. A ce propos mefme Diogene
difoit, lors qu'il auoit égard aux médecins &. gens de
iuflice, qu'il ne trouuoit rien plus fage que l'homme,
mais quand il venoit à penfer à ces diuinateurs, nécro-
manciens & autres de pareille fadion, qu'il ne trouuoit
rien plus fot.
LE DEMOCRITIC. Diogene difoit fort bien,
mais il eut encores mieus parlé s'il eut dit que non point
feulement regardant aus diuinateurs & Nécromanciens,
mais auffi à tous eftats & vacations des hommes, qu'il
n'eut trouué animant plus fol, ni plus deprouueu de
raifon que l'homme.
LE COSMOPHILE. Peu s'en faut que ie ne croie
maintenant que tout ce que font les hommes n'efl qu'vn
abus. Mais pour reprendre noflre premier poinél ie te
prie di moi quelle fut la fin de l'entreprife de ton Philo-
fophe.
LE DEMOCRITIC. le luy affuré fort bien
comme la faute ne venoit point de mon cofté, &. que i'y
|8 SECONDDIALOGVE
auois la plus grande & ferme foi du monde, mais à celle
fin de découurir mieus fa menterie & fauceté, ie m'adui-
fai tout foudain d'vne chofe, par laquelle ie le pourroi
furprendre, qui eftoit de lui nommer vne perfonne qu'il
ne cognoiftroit point, à fin de le prendre par le bec, fi en
afTurant le voir comme l'autre, il ne m'en donnoil les
certaines enfeignes en le décriuant tel qu'il feroit. Et de
rechef luy aiant nommé ce fécond, il ne laifle pas, en-
cores qu'il ne ie cogneut, de faire & fifler en l'air, comme
deuant, mais ce fut en vain, car de peur de faillir à la
defcription du perfonnage, il me dit alors lui-mefme
qu'il ne s'apparoiffoit point, m'vfant à cette heure là de
l'excufe commune à tels abufeurs, comme il n'eft pas
bon d'importuner ainfi les efpris, & que cela pourroit
tourner à (on preiudice, qu'il valloit beaucoup mieus le
remettre à vne autre fois : mais à cette autre fois il ne
laiffera encores d'eftre garni de nouuelles excufes, en
remettant poffible la faute fus le temps qui ne fera pas
affez tranquille & ferain, & mal difpofé à faire fes con-
iurations, ou bien il dira que les efpris font le plus fou-
uent trompeurs. Et voila comment pour toufiours mieus
pallier leur fait & menterie, ils ont trouué certains ef-
chapatoires. Mais ils ont bien encores inuenté d'autres
ruzes pour donner couleur & apparence de vérité, à
leurs piperies & menfonge. Car fi aucun entreprend de
fe faire eflimer en fes diuinations au-parauant que s'en
déclarer entièrement profelTeur, il épiera par plufieurs-
fois, &. en diuerfes fortes, le moien d'eflre aduerti fe-
crettement de quelcun qui aura commis vn larrecin, &
après en etlre affuré il fera parler à celuy qu'on aura
D V D E MOCRITIC. . I I9
dérobé par perfonnes interpofees, qui luy feront men-
tion de ce fçauant Magicien, luy mettant en tefte qu'il
n'y a homme au monde, qui luy en fçache pluftofl; dire
nouuelles que luy, tant foit-il expert en la diuination.
Bref ces menées fe feront de forte qu'il parlera à celuy
qui aura eflé volé, &. pour donner plus grand' grâce à
fa piperie, il contrefera du fecret, demandant au furplus
quelque efpace de temps, à celle fin de mieus pouruoir
à Ton cas, & luy en rendre plus certaine &. affuree
refponfe, & icelle rendue fi elle efl trouuee véritable,
il ne faut point demander s'il fera alors eftimé parfait
en fon art, &. en quelle réputation il entrera enuers les
fols, & ceus qui font curieux de s'amufer & perdre le
tems à l'eftude de telles chofes tant vaines & friuoles.
Et puis s'il arriue vne autre fois que par hazard il puiffe
deuiner quelque chofe qui aduienne ainfi qu'il l'aura
prédite, comme en difant à quelque ieune homme ardent
de cognoiftre le fort fatal de fes deflinees, qu'il aime
fort vne ieune Dame ou damoifelle , mais qu'il trauaille
beaucoup de paruenir à fes intentions pour raifon de la
ialouzie des parens, qu'il y furuiendra vne groffe maladie
dedans peu de tems caufee d'excès &. dont il penfera
mourir, qu'il y arriuera quelque perte de fes biens ou
par procès ou par autre inconuenient, qu'il fera trahi &.
fon fecret découuert par ceux qu'il eftimera de fes plus
intimes amis. Somme il en barbouillera pefle méfie tant
d'vns & d'autres & de ceus qui volontiers arriuent aus
perfonnes, qu'il efl impoffible qu'il n'en aduienne quel-
qu'vn ainfi qu'il aura deuiné, & puis ce fera encores vne
erreur pire que la première. le lailTe là vne infinité d'au-
SECOND DIALOGVE
très ruzes, calomnies, & inuentions cauteleufes, defquelles
ils ont acoLiftumé d'vfer, tant pour faire valoir leur mé-
tier, que pour apafter auffi & entretenir de faulTes ex-
cufes, ceus lefquels s'eflans fiés en leurs frafques &.
bourdes fe trouuent en fin deceus &. trompés de leurs
intentions. Il fuffit affés de cognoiftre comme tels galans
ne font qu'impofleurs & que cela qu'ils promettent par
leur art n'eft que la mefme folie.
LE COSMOPHILE. le ne m'esbahi donq' plus fi
le Tychiade de Lucian fe monflroit auffi incrédule,
oiant les fables &. contes de vieilles qui luy efloyent
recitées comme vraies par Cleodeme le Peripatetique,
Dinomache le Stoique, & ce vaillant Platonicien Yon,
qui plus fe monftroient afîeflés à lui perfuader ces folies
& baies eftre véritables, moins il lui vouloit adioufter
foi, les reieftant entièrement comme fottifes & vaines
menfonges.
LE DEMOCRITIC. Et encores qu'il fut poffible
de faire quelque chofe par l'art magique, fi efl ce que
ce ne font que fumées &. fauces vifions qui s'apparoiflent
deuant les yeus, & qui deuiennent à la fin à rien, ainfi
que tefmoigne mefme le maiflre & père de telles bour-
des, lamblique au liure des mifteres difant ainfi : Les
chofes lefquelles nous imaginons, eftans charmés &
enchantés, ne contiennent point autre adion, ni vérité
de quelque chofe que ce foit, fors que celle-là qui nous
efl propofée deuant les yeus, à raifon de ie ne fçai quels
fantaumes & fauces imaginations (dont il donne la rai-
fon toft après, qui efl telle). Car la fin de la Magie n'eft
pas à faire des chofes qui foyent, mais de les pouuoir
DV DtMOCRITIC.
feulement reprefenter par imaginalion, de forte que l'on
en penfevoir quelque apparence.
LE COSMOPHILE. Et toutesFois ie m'émerueille
des plus dofles du tems iadis, qui s'y abufoyent auffi
bien que les autres.
LE DEMOCRITIC. Qu'entendroi tu bien par ces
plus dofles?
LE COSMOPHILE. Ne lit-on pas de Pitagore,
comme par cela il dontoit les beftes les plus cruelles &
fauuages qui fuffent point, & en appriuoifoit les oifeaux,
de forte qu'après auoir nourri quelque tems vn Ours fi
grand & fi horrible qu'en le regardant il n'y auoit animant
qui n'en fuft effraie, il le charma, de forte qu'onques
puis il ne porta aucune nuifance à créature de defTus la
terre, & viuoit par les forets amiablement auecques les
autres animans, comme s'il euft pafTé vn accord auec-
ques iceluy Pitagore, de ne faire plus déformais mai ni
dommage à aucun. Nous lifons pareillement, comme
voiant vne fois voler par deffus luy vne Aigle, après
auoir gromelé & murmuré ie ne fçai quels carmes de
fon art magique, il la fifi. venir à luy auffi priuee comme
s'ils eufPent eflé toute leur vie nourris enfemble.
LE DEMOCRITIC. Comment appelles-tu cet
homme là fage? Efl-ce pas ce braue Philofophe qui ne
mengeoit point de chofes qui euffent ame?
LE COSMOPHILE. C'eft luy fans autre.
LE DEMOCRITIC. Eftoit ce pas luy-mefme qui
accoloit, embraffoit &.mignotoit les coqs blancs, comme
s'ils euiïént eflé fes frères?
LE COSMOPHILE. Luy-mefme.
6
133 SECONDDIALOGVE
LE DEMOCRITIC. O le grand fot ! &. tu me le
mettois maintenant en ieu comme vn homme fage. En-
cores n'as-tu pas recité le plus beau de fes aftes touchant
la Magie. Ne te fouuient-il point auoir pareillement Ieu
de luy, comment il auoit accouflumé d'efcrire auecques
du fang, ce qu'il luy plaifoit dedans vn miroir, puis
aiant mis les lettres à l'oppofite de la Lune, lors qu'elle
elloit pleine, qu'il les monftroit empraintes dedans la
rondeur d'icelle Lune à vn qui efloit au derrière de luy.
LE COSMOPHILE. Si fait fi il m'en fouuient fort
bien, & de beaucoup d'autres de fes badineries pareilles,
mais ce que ie t'en auoi dit n'eftoit feulement que pour
fçauoir quel iugement tu en donnerois, &. toutesfois voies
comment ils eftoyent au tems paffé abufés en ces ref-
ueries là, tellement que les Egiptiens n'eftimoyent point
vn homme digne de paruenir à la dignité Roiale, que
(iremierement il n'eut efté inflruit en la Magie.
LE DEMOCRITIC. Puis que nous fommes entrés
fi auant en ces termes, ie t'en vueil raconter vn autre afte
merueilleus que fit Empedocle pour détourner & ap-
paifer la fureur du vent, duquel étoyent tourmentés fans
aucune relâche les Agrigentins : c'eft qu'il entourna toute
la ville de peaus d'afnes, & par ce moien il fit ceffer la
tourmente qui couroit pour lors, & après il fut furnommé
en Grec v.M/'jJxviuaç, c'efl à dire chafTe-vent.
LE COSMOPHILE. Ha ha ha ! la grande folie que
c'eft d'auoir mis cefle bourde là en efcrit, comme vnp
chofe véritable.
LE DEMOCRITIC. Comment tu ne le croi donq'
pas, & tant d'autheurs approuués en ont fait mention.
D V DEMOCK ITIC. I2J
LE COSMOPHILE. Si nous voulions croire tout
ce que nous voyons par efcrit, enregiflré comme hifloi-
res, il ne faudroit point aller chercher d'autres peaus
pour détourner le vent que les noftres, car certainement
il ne fe trouueroit point en Arcadie d'afnes plus magni-
fiquement oreilles, que nous ferions, & auroi belle peur
(]ue fi Midas eftoit encores viuant qui ne le perdit contre
nous : Mais paffons outre, le te vouloi bien demander à
quelle fin tendent tous ces vénérables fous qui font de
cefte ligne Necromantique.
LE DEMOCRITIC. A celle où tendoit mon Philo-
fophe, qui efl ou d'eflre eftimé &. admiré par deflus le
vulgaire, ou bien (qui efl le plus commun) pour tromper
&. deceuoir ceus qui s'addreffent à tels mignons, & pour
en tirer ce qu'ils pourront de profit.
LE COSMOPHILE. Il n'efloit que bien arriué en
ton endroit pour ce faire, entendu que ie me deffieroi
tantoft que tu ferois vn de ceus qui fe laiffent fi facile-
ment pigeonner à telles gens. Mais ie fçauroi voluntiers
après qu'il eut fait cette belle leuee de bouclier, s'il te
dit plus chofe qui fut plus digne d'être racontée.
LE DEMOCRITIC. le ne fçai pas comment tu
l'entens, mais tant y a que ie t'alTurerai bien qu'il ne me
dit chofe aucune, qui mérite d'eflre récitée finon en tant
que l'on s'en vueille moquer.
LE COSMOPHILE. Auffi l'enten-ie ainfi.
I LE DEMOCRITIC. Et bien puis que tu en defires
j fçauoir dauantage, ie t'en paracheuerai fommairement
! le difcours, &. le furplus ie te le laifferai à prefumer.
j LE COSMOPHILE. le te fupplie ne m'en laifTe,
point en doute, au moins s'il ne t'ennuie d'en parler.
124 SECOND DIALOGVE
LE D L M OC RlTl C. le ue veus pas dire que ie te
lailTerai en doute des propos qu'il m'a tenus, mais feule-
ment qu'après te les auoir déclarés, tu pourras penfer à
par-toi les autres folies que commettent ceux qui enfuy-
uent telles opinions.
LE COSMOPHILE. L'ardent defir que i'ai d'en
fçauoir toute la vérité m'a fait ainfi interpréter tes pa-
roiles, mais ie te prie ne lailTe pour cela de pourfuyure
en ton entreprife.
LE DEMOCRITIC. le fuis fort aife de te voir ainfi
échaufé d'entendre ce dont ie brufle moi-mefme, pour
la grande enuie que i'ai de te le raconter : donques afin
que ie retourne à mon Necromant, après qu'il m'eut ainfi
manifeflé auecques grandes & infinies admirations l'im-
parangonnable vertu de fon diuin & precieus miroir, il
commença à me déploier vn milier de vieus rondeaus,
&. carafleres efcris en parchemin vierge : Les vns en
lettres rouges entre-meflées de croix pareillementrouges,
les autres vertes, grifes, azurées, & de toutes autres
fortes de couleurs que l'on voit au blafon d'icelles fus les
deuifes des amoureus tranfis, tout cela brouillé, bar-
bouillé, gi-fricaffé auecques certains épouuentausde pen-
tacles, idées, & candaries Salomoniques, au milieu def-
quelles eftoit la table, & les facrés & ineffables mots que
fouloient porter les anciens Prophètes au front : le tout
efcrit en lettres Hébraïques & Caldeiques méfiées de
mille figures &. formes étranges, me difant tantofl que
cettui-ci feruoit pour acquérir la faueur des Rois, Princes
& autres grans Seigneurs, comme portant cettui-là au
col on ne mourroit iamais en feu, ni en eau, ni en ba-
D V DEMOCR ITl C. 125
taille, que cet autre empefchoit l'homme de mourir fai-.s
confeffion, me iurant au furplus qu'il n'auoit rien qui ne
fut extrait & compofé fus l'archetipe de la clauicule de
Salomon, mais c'efloit en vain que le pauure homme fe
(ourmentoit de me faire croire fes bourdes &. menteries-
LE COSMOPHILE. Et bien qu'elles fuffent véri-
tables, fi font elles défendues expreiïement par la parolle
de Dieu , comme indignes de la perfonne qui tient la foi
de lefus Chrifl, duquel ( ainfi que dit très bien faint Paulj
il n'y a aucune conuenlion à Eelial efprit trompeur &.
malin.
LE DEMOCRITIC. Si tu te iettes vne fois fus les
prefchemens, ie voi bien que tu n'auras de long tems
fait, & pour ce regarde fi tu as enuie de fçauoir la con-
tinuation & l'ifTue de ce que tu m'as requis.
LE COSMOPHILE. le ne defire rien plus.
LE DEMOCRITIC. Et pourtant enten donques
qu'auffi toft après que mon Philofophe m'eut étallé &l
replié fa marchandife, il vint à me faire vne defcription
des cieus, mais fçais-tu quelle, par Dieu comme fi toute
fa vie il y eut elle nourri, &. qu'il n'eut fait autre chofe
qu'obferuer, conter, compaffer, & mefurer tous les
afpefts, toutes les étoilles, cercles & poinfts qu'il affu-
roit y eflre. Et n'efloit que ie le cognoifToi de longue
main, ioint qu'il n'eftoit pas des plus beaus de ce monde,
ie l'eufie iugé incontinent pourvn Ganimede, mignon de
couchette de ce grand Dieu haut-tonnant, qui fut ex-
preffément defcendu ici bas, & pris vn cors fantaftique,
pour en rapporter certaines nouuelies à ceus qui feroient
rurieus de fçauoir comment on fe porte laffus, ou bien
126 SECOND DIALOCVE
vn autre Icaromenippe de Lucian, tant il fçauoit braue-
ment déchifrer tous les plus grands fecrets de luppiter,
&. aftrologuaiement deuifer de la fUualion & gouuerne- ^
ment des globes &. cors celefles.
LE COSMOPHILE. Mais à ton aduis les aftrolo-
gues ne peuuent ils pas bien par leur art dire des chofes
qui foyent véritables?
LE DEMOCRITIC. Il n'eft rien plus vray que par
vne longue obferuation du leuer &. coucher du Soleil,
8i des étoilles qu'ils ont appellees fixes, ou par d'autres
& pareilles difpofitions des cors celefles (comme d'af-
pefts & coniunftions) obferuees de longtems, l'on a ré-
digé cela peu à peu en vn certain art, par lequel mefme
on peut prédire les eclipfes de Soleil & de Lune, la lon-
gueur ou accourfiffement des iours, quand la Lune doit
apparoiftre croiffante, pleine, ou décroiffante, ou autres
telles chofes qui font couftumieres d'arriuer félon la dif-
pofition qui fe trouue entre lefdits cors celefles : Mais de
les vouloir ainfi conter par nombre, mefurer leur gran-
deur & chemin qu'il y a d'ici aus cieus, leur déterminer
vn tems de quarante neuf mille ans, auquel ils fe doiuent (
refouldre, telles difputes font foies & entièrement fuper-
Hues, &. defquelles la vérité efl trop douteufe, & quand
ie diroi nulle, ie croi que ie n'en mentiroi point.
LE COSMOPHILE. l'auroi belle peur que le che-
min ne fut fi long & tant peu fréquenté d'ici là, que ceus i
qui l'entreprendroient ne peuffent bien tant Irauailler, j
qu'ils demeuraffent recreus deuant que d'eflre paruenus i
à la moitié de la montaigne d'Olimpe, ou qu'en prenant j
l'vn pour l'autre ils ne s'égaraffent de la droite voie. i
fl
DV D E MOCR ITI C. 137
LE DEMOCRITIC. 11 vaut donq' beaucoup mieus
pour ne nous fouruoyer aucunement, prendre la feule
trace qui nous efl cogneue, celle de noftre commune
mère la terre.
LE COSMOPHILE. Si me femble il toutefois que
l'homme en tant qu'il a le difcours de raifon, &. cette
imaginatiue plus grande & plus forte que tout autre ani-
mant, ne doit point eftre fi terreftre, qu'il ne difcoure
en foi &. imagine les chofes celelles, entendu qu'il eft
feul entre les autres créatures, formé par cette preor-
donnance diuine, aiant la face & les yeus éleués en haut,
U croi que cette fingularité ne luy a iamais efté donnée
que pour regarder &. dreffer fa veuë deuers cette haute
machine celefte: ainfi que dit très bien Ouide au pre-
mier de fa Metamorphofe, parlant de ce grand fabrica-
teur de l'vniuers en la création de l'homme,
Os homini fublime dedït calumque videre
lujjît : ce que nous pouuons ainfi rendre en François,
A l'homme il a haut éleué les yeus
Et commandé de contempler les cieus.
Aînfi donques c'efl vne chofe qui me femble eflre fort
feante au naturel de l'homme raifonnable, que d'acom-
plir ce qu'en dit le Poète fus mentionné.
LE DEMOCRITIC. Comment n'as tu auffi bien
allégué ce qu'on en lit en vn paffage de la fainte efcri-
ture ? comme Dieu s'eft referué le ciel pour fa demeure,
U qu'il a donné la terre aus fils des hommes : où il eft
affés manifeflé qu'ils fe doiuent contenter du lieu qui leur
eft affigné, fans entreprendre de voler plus haut & auoir
la cognoiffance de ce qui leur eft incertain, là où foie-
IjS second DIALOGVE
ment vouloit paruenir ce gentil Aflronome Anaximene,
lequel regardant vne fois trop ententiuement les étoilles,
& leuant le nez en l'air comme vne truye aggrauee,
tomba à l'impourueu dedans vne foITe, là où il fut moqué
d'vne vieille qui le reprit de vouloir cognoinre ce qui
eftoit aus cieus ne pouuant pas feulement voir les chofes
qui eftoyent deuant luy à fes pieds. Quant eft de l'au-
thorité du Poète que tu as mis en ieu, elle ne fe doit pas
entendre pour approuuer ton dire, ni pour fe tourmenter
après ces contemplations celefles tant vaines & tous les
iours debatues par nos Aflroiogues, mais feulement à
celle fin que l'homme en voiant ainfi cette grande ma-
chine azurée tant excellente & admirable en fa compofi-
tion, cognoiffe qu'il a ie ne fçai quoi de conuenable &
parfait auecques elle.
LE COSMOPHILE. Tu me contentes fort par tes
refponces, fi ai-ie encores vn petit doute touchant ceci
pour vn paffage qui efl: au Deuteronome quatrième cha-
pitre où il efl dit que Dieu a fait fc créé les cors celefles
pour feruir à toutes gens.
LE DEMOCRITIC. le ne vi iamais homme qui
alleguaftplus cruement les faintes efcritures, ne qui plus
brauement fe coupafl la gorge de fon couteau mefme
que toi, mais deuant que de pafTer outre ie voudroi bien
que tu m'euffes affuré fi tu l'as Ieu au Deuteronome ou
bien en quelque autre autheur qui en eut peruerti le fens,
& après lequel tu en iugerois ainfi à crédit.
LE COSMOPHILE. Il ne faut point que ie t'en
mente, ie n'ai point eflé fi curieus que de l'aller refueil-
leter au Deuteronome, mais ie l'ai Ieu dedans vn liure
DV DEMOC RITIC. 129
nommé le Période du monde, fait & compofé par maiftre
Pierre Turel, homme fori do6te & bien expérimenté
tant en la phiiofophie qu'en cette Aftrologie.
LE DEMOCRITIC. Quand tu eufles reuolté tous
les liures du monde fi ne m'en euffes-tu fceu alléguer vn
plus fot & plus rempli de bourdes que cettui-là, veu
qu'en iceluy ce gentil Monfieur de Pierre Turel veut
affigner le tems que le monde finera, chofe tant s'en faut
qu'elle foit cognue aus hommes, que mefme le Fils, ni
les Anges du ciel ne le fçauent pas, fors que le feul père
tout puiflant, auffi n'eft ce pas à nous de vouloir décou-
urir les fecrets que le Seigneur Dieu a voulu ferrer &.
tenir enclos deffous la clef de fa diuine & incomparable
puiflance. Voila ce que ie t'ay bien voulu dire de la folie
de ce prefumptueux fot Pierre Turel, à celle fin qu'en
cognoilTant les folies & calomnieufes menfonges de fon
liure, tu defcouures incontinent comme il a du tout per-
uerti ie. tiré au poil les pafTages de l'efcriture, qu'il a voulu
alléguer pour approuuer fa damnable & fuperftitieufe
tradition, de laquelle il auoit entrepris en efpouuantant
les oreilles & iugement du timide vulgaire (ainfi qu'ont
acouflumé de faire tels impofleurs &. hautains Aftrolo-
guesi fe rendre admirable à tout le moins iufquesau tems
preordonné par luy poureflrela confumation du monde,
auquel on pourra cognoiftre aifement l'outrecuidee au-
dace, &. effrontée affurance de fa foie menfonge &.
téméraire prefumption. Et qu'il foit vrai qu'il ait du tout
pris au rebours le paffage que tu m'as allégué de fon
œuure, pour approuuer ces bourdes Aftrologuales pre-
nant pour luy ce qui en eflditau4. du Deuteronome,
1}0
SECOND DIALOGVE
comme Dieu a créé les étoilles pour la commodité de
toutes gens qui font foubs le ciel, regarde ce qui eft
deuant ces mots, 8t alors tu iugeras toi mefme qui n'en a
pris que l'écorce, par laquelle il a voulu malicieufement
couurir le vrai bois de vie auquel efl enclofe la viue
moùelle &. fubftance du verbe diuin. Car ileft facile à voir
que Moyfe n'entendoit aucunement parleren ce lieu là de
leur vaine & faufTe Aftrologie, par laquelle ils nous veul-
lent rendre fuiets aus cors celeftes, veu que tant s'en
faut qu'il die que nous y foions fuiets, qu'au contraire il
nous affure expreffément comme il n'y a rien de tout
ce qui eft fus la terre, dedans les eaus, en l'air, & mef-
mes iufques au Soleil, à la Lune, &. autres aflres & cors
celefles, qu'il ne foit créé &. formé pour feruir à l'homme,
tant s'en faut que l'homme y foit donq' fuiet. Or regarde
ie te prie fi cela fait aucunement, pour faire valoir le
meftier de ce vaillant Philofophaflre preallegué, & de ces
autres compagnons qui veullent contrefaire des renfron-
gnés mélancoliques & enfonceurs d'Orizons régionaux :
outre cela voi ce qu'en dit Salomon au 1 3 . de fa fapience,
là où il blafme apertement comme fous &. incenfés, tous
ceus qui attribuent au Soleil, à la Lune, & autres cors
celeftes vn gouuernement defTus ce monde ici, comme
s'il y auoit plus grande force aus œuures qu'au fouuerain
maiftre & manouurier d'icelles, à l'arbitre duquel toutes
chofes fe gouuernent & non point comme veullent vn
tas de fots refueurs, par !e cours & influence des cors
fuperieurs.
LE COSMOPHILE. Si auoi ie bien vne autre opi-
nion de ce gentil veau Pierre Turel auecques fon Période
DVDEMOCRITIC. IJl
du monde, qui ne fçauroit eftre à ce que ie voi qu'vn
abus ainfi que tu l'as amplement approuué. Mais ie
voudroi bien fçauoir fi cela qu'ils predifent par leur
Aftrologie eft du tout faus ou non, & s'il n'y a pas des
iours plus heureus & malheureus les vns que les autres,
félon que les cors celeftes font en afpeft ou autre difpo-
fition fortunée ou infortunée.
LE DEMOCRITIC. Voire dea ! il règne des heu-
res fi malheureufes que fi on iettoit alors vn coin de
beurre frais de volée en la gueule d'vn chien il en étran-
gleroit tout vif. Mais comment font-ils encores fi abufés,
que de nous penfer faire à croire qu'il y a des iours &.
heures plus fuiettes à malheur les vnes que les autres,
ce feroit encores retourner à l'antique payannifme fc à
la foie fuperftition des Romains, qui auoyent certains
iours qu'ils appelloyent les iours noirs, & nefafles,
aufquels il n'efloit aucunement loifible de nommer lup-
piter, ni lanus, ni de trafiquer en aucune forte les vns
auecques les autres, eflimant que tout ce que l'on faifoit
en ces iours là venoit à vne mauuaife fin.
LE COSMOPHILE. Que feroit-ce donq' de toutes
ces prognollications & almanacs (jui fe font auiourd'huy
& de leurs autheurs? lefquels, après auoir bafli les douze
maifons celeftes félon l'orofcope, & afcendant de la nati-
uité de quelcun, predifent les vices ou vertus qui régne-
ront en luy, auecques les bonnes & malheureufes fortunes
qui luy doiuent arriver durant le tems de fa vie.
LE DEMOCRITIC. Que ce feroit? abus &. men-
teries.
LE COSMOPHILE. Voila grand cas ! Que dirois-
ija
SECOND DIALOGVE
tu donq' fi l'on en aiioit prédit de moimefme en cette
forte qui fe font trouuees vraies?
LE DEMOCRITIC. le dirois de-rechef que ce ne
feroit qu'vn abus.
LE COSMOPHILE. Comment fe peut donq' faire
cela qu'ils predifent des chofes qu'on voit arriuer puis
après ?
LE DEMOCRITIC. Par hazard.
LE COSMOPHILE. Pourquoi dis-tu pluftoft que
ce foit par hazard que par art?
LE DEMOCRITIC. Pour autant que le plus fou-
uent ils ne font que mentir, &, n'y a pas de mille vn de
leurs propos qui fe trouue vrai.
LE COSMOPHILE. lien va donq' tout ainfi que
de nos Nécromanciens?
LE DEMOCRITIC. Tout ni plus ni moins: auffi
la Magie a eflé couuee & engendrée par cette vieille &
fauce maraftre Aftrologie. Mais pour continuer mon
propos, premièrement ie te prendrai par leurs progno-
ftications dont tu m'as parlé, & puis ie te diraique c'eft
que de leurs douze maifons. Regarde donq' fi ce n'eft
pas vne vraie piperie que de vouloir prédire ainfi la mort
des grans Seigneurs en leurs prognoflications, comme
de vrai s'il y auoit des étoilies St planettes au ciel, plu-
ftoft pour la race & lignée de ceus qui font douez de
richeffes mondaines que pour les pauures, &. outre
quand ainfi feroit (ce qui eft neantmoins impoffible)
penfes-tu fi on auoit certaine cognoiffance des prede-
cefleurs anciens &. de la généalogie de beaucoup de
gens, auiourd'liuy fort riclies &. grans Seigneurs, qu'on
DV D EMOCRITIC. I J 3
ne les trouuafl poffibie defcendus de quelque pauure
beliftre, qui n'auroit fait toute fa vie autre chofe, qu'é-
tailer vne ïambe toute mangée & mi-pourrie de chancre
à l'entrée de quelque temple, ou aus lieus où le peuple
conuient & fréquente le plus, témoin l'elegant & infigne
orateur beliflral l'vnique Ragot, iadis tant renommé
entre les gueus à Paris comme le Parangon, Roi, &. fou-
uerain maiftre d'iceus, lequel a tant fait en plaidant pour
le biffac d'autruy, qu'il en a laiffé de fes enfans prou-
ueus auec des plus notables &. fameufes perfonnes que
l'on fçauroit trouuer. Et qui doute que fi tels enfans font
gens de bien (toutefois de bon efprit &. fecrettement
mefchansi que leur richefle ne s'augmente, & qu'eftans
pouffez à mont par le vent de quelque bonne fortune
ils ne puifTent acquérir grans biens &. réputation ? Et
voila la perfonne de Ragot monfieur, premier gentil-
homme de fa race, qui aura des beaus neueus, fi Dieu
plaift.
LE COSMOPHILE. Si efl-ce que cela adulent peu
fouuent que la perfonne pauure tant de bon efprit foit
elle puifle deuenir riche, ce qui eft très bien figuré
dans vn Emblème d'Alciat, par vn homme qui y eft
dépeint ayant des aefles au dos, & vne pierre fort poi-
fante attachée au pied qui le retarde &. empêche de
pouuoir voler, entendant par les œfles le bon efprit, &l
par la pierre la pauureté.
LE DEMOCRITIC. Sans point de doute cela ad-
ulent le plus communément, ainfi que tu l'as dit, fi
eft-ce qu'il ne laifTe pas aucune fois d'arriuer au con-
traire, Si principalement quand ces pauures gens font
I J4 SECOND Dl ALOGVE
quelques feruices agréables aus graiis Seigneurs, ainfi
que le fçait tresbien reciter Lucian en vn de fes dialo-
gues infcrit Timon, & pour autant que ie t'ai cognen
fort curieux des hiftoires antiques, ie t'en vueil raconter
quelques vns qui de tresbas eftat font deuenus fort
riches, iufques à eftre mermement Rois & gouuerneurs
d'vn peuple. Ne voit-on pas comme Darien fîis d'Hy-
flafpe fut efleu Roy des Perfes par la rufe & fîneffe d'vn
maquignon ? Archelaus Roy des Macédoniens, n'e(loit-il
pas fils de l'efclaue Simiche? Themiftocle vn fécond
Neptune en mer, n'efloit-il pas fils de Phocion Chryfien,
faifeur de cueilliers? Epaminonde la gloire des Thebains,
efloit-il pas de fi pauure lieu qu'à peine fes parens
efloyent-ils cogneus? Tuile Hoflilien qui gouuerna &
augmenta de moitié l'Empire des Romains, n'auoit-il
pas emploie toute fa ieunefTe à garder le beflail eflant
vn fimple paflre? Tarquine l'Ancien natif de Corinthe
Si poffible fils de quelque braue fignore courtifanne
dudit lieu, fon père n'eflant qu'vn fimple marchant
banni, ne fut il pas par ie ne fçai quel hazard pouffé
dedans Rome &. créé Empereur d'icelle ? Demoflhene le
premier & plus renommé orateur de la Grèce, n'eftoit-
il pas fils d'vne reuendereffe de chous? Et Euripide qui
tient encores auiourd'hui tonte la Grèce béante après fes
braues & furieufes tragédies, n'e(loit-il pas pareillement
fils d'vn fimple couflelier? Et combien que ces deux
derniers ne foient pas paruenus à fi grandes richefles
que les autres, fi ont ils acquis vn honneur &. vne gloire
qui les fera viure immortellement par la bouche des
hommes, plus que s'ils auoient efté monarques de tout
D V UE MO C K n IC. 155
le monde. le t'en pourrai reciter affez d'autres, mais
i'auroi peur qu'en ce faifant ie ne m'oubliafle pas tant
feulement en mon propos encommencé, mais que la
iournée s'y confumaft toute entière.
LE COSMOPHILE. Tu m'as fait vn finguiier plai-
fir de me refraichir la mémoire de ces anciennes hiftoires,
Sl n'eftoit vn autre defir que i'ai d'entendre la continua-
tion de noflre deuis, ie feroi content d'y paiïer le refie
du iour.
LE DEMOCRITIC. Encores n'eft ce pas tout,
car (i les pauures deuiennent grans, penfe-tu qu'il n'y
ait pas eu au contraire le tems pafTé de grandiffime>
maifons dont le nom efl maintenant du tout aboli, & qui
ont des fucceiTeurs poffible demandans leur pain de
porte en porte? N'eflime tu pas fi on pouuoit cognoiftre
au vray les aieus, bifaieus, grans bifaieus, ou plus an-
ciens anceftres de droitte ligne de tous les plus fors
caimans de l'hoflel Dieu de Paris, qu'on n'en trouuaft
pas quelqu'vn eftre defcendu de la race du plufgrand
Monarque du monde, ou poffible de quelques autres qui
ne luy auroyent gueres cédé en biens ni en puifTance?
Et puis allez croire à ces graues prognofliqueurs qui
nous veullent donner du vent en payement, difant,
qu'en l'Afie ou Europe il mourra vn grand Seigneur
comme fi les eftoilles fe renouuelloient ou changeoyent
félon que les races fe changent à l'arbitre de fortune.
Ils adioufient dauantage en leurs bayes &. menfonges,
que l'Europe aura bien à fouffrir pour les grans troubles,
guerres & dilTentions qui s'y feront cette année, quel-
quesfois mefmement particularifant iufques à la France,
Ij6 SECOND DIALOGVE
lors qu'ils y voyent défia quelque commencement de
guerre efmeu, & encores pour donner le bon, ils diront
que Dieu eft par deffus, à celle fin que s'il n'aduient ainfi
comme ils ont fongé, on remette cela à la preordonnance
diuine, de peur d'eftre trouués menteurs comme ils
font. Et penfent bien alors auoir gaigné leur caufe quand
ils difent ces quatre ou cinq mots en palTant, &. fans
faire feulement femblant d'y toucher : AJira inclinant fed
non necejjitant. Les aflres inclinent mais elles n'empor-
tent pas neceffité, &. voila la menterie de ces piqueurs
couuerte (ce leur femble) d'vn petit quolibet. le ne veus
pas dire quant à la difpofition du tems, que par la co-
gnoiffance parfaite d'vne telle fcience l'on n'en puifle
dire quelque chofe, mais que cela ait aucune puifTance
fus l'arbitre des hommes, ou defius la puifTance fatale
de fortune, c'efl vne vraye moquerie, ce qu'ils tachent
neantmoins à faire par l'artifice de leurs douze maifons,
confumation de leurs bourdes.
LE COSMOPHILE. Voire mais les luminaires &
Planeltes fe trouuent au ciel de la forte mefme qu'ils les
figurent en leurs douze maifons.
LE DEMOCRITIC. le te cùnfeffe bien cela, &.
mefmement comme ie t'ai dit auparauant que l'on peut
bien dire quelque chofe de la difpofition des cors cele-
fles, mais s'enfuit-il que pour cette occafion ils puifiient
affurer les fortunes de la vie humaine, ainfi qu'ils difent
la logeant en la première de leurs douze maifons qu'ils
appellent l'angle d'Orient, l'afcendant ou horofcope, au
moins s'ils euPTent auffi bien mis la mort en la dernière
pour-autant que c'eft la fin de la vie, comme ils en ont
D\ DEMOCRITIC. 1 }7
fait le commencement en la première, fans l'aller fourrer
en l'huitiefme, & au lieu de cela y mettre les ennuis U.
fafcheries. le te raconterai bien par le menu tout l'autre
braue mefnage 8t fingulieres proprietez, dont ils ont
voulu donner luflre & commoditez à chacune de leurs-
dites douze maifons, mais ce ne feroit que perdre tems,
& comme l'on dit en commun prouerbe, debatre de la
laine d'vne cheure, & qu'il foit vrai que telles chofes ne
foyent que folies & bourdes incertaines, regarde feule-
ment à la difpute controuerfe qu'ils font des efloilles
fixes 8t planettes. Ne s'en efl-il pas trouué beaucoup
qui ont du tout remis les fortunes de l'homme aux eftoil-
les fixes, laquelle opinion a efté mefmement tenue de
Ptolomee? Et au contraire n'y en a-il pas d'autres qui
tafchent de prouuer que cela doit eflre attribué aux
planettes, alleguans pour eus le tefmoignage des anciens
autheurs Grecs, qui appelloyent les planettes xocr/xoXjSJc-
ropxi, comme s'ils entendoyent les dire par cela princes
du monde, ainfi que l'a eftimé Procle contre l'opinion
des efloilliftes. Et à celle fin que tu cognoilTes plus eui-
demment leur erreur, voiant l'expérience répugnante à
leurs enfeignemens, confidere fi en vne mefme heure &
infiant, il ne peut pas bien naiflre vn Empereur &. vn
beliftre, vn homme vaillant, &. vn couard, vn dofteur 8t
vn ignare, vn fage & vn fol, vn coqu & vn moine: Et
puis vous allez fier à leurs douze maifons tant ruineufes
&L ainfi mal eftimees que fi elles efloient baflies fus l'in-
certain du fable.
LE COSMOPHILE. Auffi ne vouloi ie pas fouflenir
du tout que leurs diuinations fulfent véritables pour le
6.
1 j8 SECON D Dl ALOGVE
doute que i'eii auois, & pour cefte caufe ie l'en deman-
doi feulement ton aduis, auquel ie croi maintenant
dauantage que ie ne fis onques à leurs foies maqui-
gnonneries. Mais il me fembie qu'il y a defia longtems
qile nous auons laiffé noftre magicien, & que nous ne
parlons plus de luy, & pour ce ie voudroi bien fçauoir
s'il te fouuient point de quelque autre propos qu'il t'ait
tenu.
LE DEMOCRITIC. 11 ne faut point que tu eftimes
que nous l'aions laiffé pour-ce piufloft, car tu dois penfer
qu'il eftoit vrai hérétique en toutes les opinions que nous
auons refutées ici auparauant, deuifant defquelles nous
parlions (ce me fembie) affez de luy 8i de tous fes fem-
blabies.
LE COSMOPHILE. Volontiers ceus qui fe ruent
ainfi fus la magie, fe iettent pareillement au bal de la
pierre Philofophale, autrement appellee le leuain des
Philofophes, &. pour ce ie voudroi bien fçauoir fi ton
homme eftoit point de la dance.
LE DEMOCRITIC. Encores plus auant qu'en au-
cune decesdeus belles fciences dont ie t'ai defia parlé.
LE COSMOPHILE. Et quoy ! faifoit il de l'argent?
LE DEMOCRITIC. Comment de l'argent, ie me
donne à Demorgogon fi Geber y fift iamais œuure au
regard de fa feigneurie : par luppiter l'olimpien le haut
tonnant 8s amoureus à l'orpheifte, peu s'en falloit en par-
lant à luy que ie n'euffe peur d'eftre conuerti moimefme
tout en or, tant ie craignoi qu'il eut telle puiffance qu'a-
uoit ce grand Midas à oreilles d'afne, qui faifoit inconti-
ment tranfmuer en or tout ce qu'il touchoit.
U V D E M O C lU T 1 C .
i9
LE COSMOPHILE. Tu n'auras pas beaucoup de
peine à me perfuader que cette belle fcience qu'ils ap-
pellent alquimie ou chymiftique n'eft qu'vn abus, car i'en
ai l'expérience fus moiméme, & fuis affez marri que ie
n'en ai eflé fait fage aus defpens & perte d'autruy
comme i'ay eflé à la mienne : mais encores comment
s'en accoutroit ton fouffleur?
LE DEMOCRITIC. Si tu n'auois appris les termes
de l'art (comme ie croi que tu as fait puis que tu as
pa(fé parles piques I iete lesdeclareroi par le menu à fin
de te donner plus aifément l'intelligence de fes propos,
car tu fçais bien que pour déguifer les matières ils vfent
d'autres mots qu'on ne fait vulgairement.
LE COSMOPHILE. le te pri ne laifle pour cela
de m'en refraicliir la mémoire, car ie prendrai vn mer-
ueilleus plaifir d'ouïr encores vne fois raconter leurs
belles deuifes.
LE DEMOCRITIC. U faut donq' que tu te re-
cordes qu'ils appellent les metaus par les noms des
planettes, les figurant mefmement par leurs carafteres,
comme l'or, ils le furnomment Soleil le marquant
ainfi 0 : l'argent, la Lune 3- '^ cuiure, Venus q :
l'eftain, luppiter le chifrant parellement d'vne IT: le
plom, Saturne J) le fer. Mars ç^ : Et puis l'efprit de
leur vif argent. Mercure Q .
LE COSMOPHILE. Il efl ainfi, mais en quelle forte
en vfoit ton Philofophe, auoit-il point inuenté d'autres
nouueaus termes pour cacher fes fecrets?
LE DEMOCRITIC. Si auoit fi, car il me monflra
140 SECOND DIALOGVE
vn petit liuret qu'il tenoit ^ainfi qu'il m'afTura) plus
cher que fa propre vie tout rempli de nouuelles maniè-
res de parler, &. tout autrement caraélerizé que les au-
tres, à celle fin de n'eflre entendu que de luy. D'vn
autre coflé ce Monfieur le foldat qui luy aidoit à foufler
&. entretenir le feu durant ces cimens & abftraftions
quint-efientiales, ne m'en monftroit pas moins, l'vn à
grand peine aiant dit deus mots de fon propos que
l'autre ne luy vint rompre pour en dire vn tout nouueau.
Et ce pendant ils iuroyent tous deus d'affés bonne grâce
comme ils auoyent congelé & fixé le Mercure, & rendu
en la plus belle Lune qu'il eftoit poffible, mais qu'il fe
trouuoit encores vn peu aigrét defoubs le marteau : Qu'il
ne s'en failioit plus que le moins du monde, qu'ils n'euf-
fent trouué.vne teinture au rouge, ou autrement pour le
Soleil : Comme ils auoient trouué vne inuention fort
aifee auecques les herbes (quoi qu'en dit Geber au con-
traire) par laquelle ils rendoient le Venus en Lune, voire
à tenir iufques à l'effai de la coupelle ou cendrée, & que
c'efloit à faire aus petis enfans &. apprentis de la blan-
chir feulement, &. la rendre bonne à l'efpreuue de la
pierre de touche, ce que Cardan en fon liure fixiefme
traittant des metaus, penfant bien auoir déclaré quelque
grand &. caché fecret, enfeigne en deus ou trois maniè-
res : puis ils adioutoyent d'auantage qu'il ne falloit point
qu'Arnauld de Ville-neufue taxaft ainfi le Moine qui a
compofé le liure de la fleur des fleurs, l'appellant impo-
fleur &. méchant, pour autant qu'il a voulu (à ce qu'il dit)
en abufer d'autres par ces œuures, comme il s'en eft
trouué lui-mefme, par d'autres, & fe faire par ce moyen
DV DEMOCRITIC. I4I
des compagnons en mifere moquez & deceiis, ainfi
qu'il a efté par l'efpace de douze années auffi fçauant
&L moins en cet art la dernière année comme la pre-
mière : Mais que fans point de doute quoi qu'en die
iceluy Arnauld de Ville-neufue, le Moine n'a pas laiiïé
d'eftre de grand fçauoir & fort bien expérimenté à la
nature des metaus, ce qu'ils auoyent cogneu par effet
auecques l'expérience de la plus grande partie de fes
receptes : Et mefmes pour confirmer d'auantage leur
dire ils me monflroyent de petits lingots, & m'interro-
geant ainfi l'vn après l'autre ils me demandoyent : Voyez
vous ce lingot, que iugeriez vous que ce fut? &. après
leur auoir refpondu que ie le penfois eftre de fin argent:
vous dites vray, me refpondirent alors tous deus d'vne
voix, mais à voftre aduis de quoy efl-il fait? vous ne
penferiez iamais que ce fuft de mercure : A grand'
peine (leur refpondi-ie alors). Et par le vray cors de
Dieu c'en eft ou ie me donne au Diable (iura le foldat)
car ie l'ai fait moi mefme. Et derechef me difoyent :
Cettuy-ci efl de Venus ainfi tranfmué en argent, &. cet
autre que voyez encores plus beau efl du Saturne cal-
ciné &. p-urifié de fes excremens, & rendu ainfi en naifue
couleur de Lune : vous ne regardez point ce mitoyen
I ainfi appellent ilz vne mixtion d'or & d'argent fondus
enfemble en pois égal, en latin Medium,).'Or ça il y a la
moitié d'argent, &. toutefois ce n'efl maintenant que pur
or à vingt-quatre. Et après auoir bien entendu leur beau
difcours, ie ne me fçeu tenir de leur dire, que ie m'e-
bahiffois entendu leur riche fçauoir comment ilsn'efloyent
plus braues, & qu'ils n'alioient donq' mieus montez que
142 SECOND DIALOGVE
fus leurs iambes. Us me refpondirent quant à ce, qu'ils
ne vouloyent point aller en autre équipage pour ofter
tout le foupçon que l'on pourroit auoir fur eus. Vous
auriez voulontiers peur di ie que le Roy ne vous contrai-
gnift à foudoier fon armée, ou bien à luy fournir ie ne
fçai combien de millions s'il cognoifToit voflre tant mer-
ueilleus fçauoir.
LE COSMOPHILE. Ne cogneurent ils point alors
(|ue tu te moquois d'eus?
LE DEMOCRITIC, le croi que non, 8t qu'ils
eftoyent fi punais qu'ils n'en fentirent rien, car la grande
efperance 8t enuie qu'ils auoient de me tromper, les
rendoient ainfi aueuglez & endormis en leur propre fait.
LE COSMOPHILE. le t'affure que ie croi fort
aifement ce que tu m'en as dit, car il m'en aduint vne
fois le pareil mais ie ne fu pas fi fage que toi, entendu
que ie me laifTé abufer par vn qui fe difoit Philofophe
(ainfi nomment ils ceus, comme par vne emphafe fc ex-
cellence, qui font proffeffion de la fouflerie i lequel après
m'auoir affuré de la parfaite expérience qu'il auoit de
l'alquimie, pour m'apafter d'auantage me donna vn lin-
got d'argent qu'il difoit auoir fait de cuiure, lequel ie
monftray à vn orpheure 8f luy vend! comme bon argent
qu'il eftoit, ainfi que ie cogneu. Mefme depuis U peu
de tems après ie rencontray mon Philofophe quafi à
l'impourueu, qui me demanda, que i'auoy fait de mon
lingot, &t luy en aiant fait le récit tel qu'il eftoit, me
voyant fort curieux d'en cognoiftre la façon, il conuint
auecques moy de certain pris pour me l'apprendre, &
auffi toft qu'il eut receu, feignant de s'aller prouuoir de
DV DEMOCRinC.
'4}
drogues neceffaires, il fit banquerotte à fes fourneaiis &
fuis encores à l'attendre de prefeiU pour me reueler ce
diuin fecret.
LE DEMOCRITIC. Tu n'en as oui depuis aucunes
nouuelles?
LE COSMOPHILE. Nenni linon que le récit de
femblables tours qu'il auoil ioué en plufieurs autres en-
droits.
LE DEMOCRITIC. Si n'eftoit il point fi lourdaut
que ceus qui fe font iailTés tromper à luy.
LE COSMOPHILE. Encore que l'en aie eflé l'vn,
fi ne laifTerai-ie pas de te le confelTer, toutes-fois ie me
garderai bien déformais de tumber en tels inconueniens.
Mais au-moins il eft bien aifé à voir que tout cet art qui
n'eft mie, di-ie cet alquimie n'efl qu'vne bourde, veu
que ceus qui s'en méfient en deuiennent ordinairement
pauures, &. font bien neantmoins effrontés iufques à la,
qu'ils promettent d'enrichir les autres, & pour quelque
petit loier qu'ils en demandent, leur enfeigner la vraie
manière de faire l'or & l'argent, comme s'il eftoit vrai-
femblable que celuy qui auroit la cognoiffance d'vne telle
fcience fe fouciaft de la monftrer à autruy pour de l'ar-
gent, veu que ce feroit luy mefme qui le feroit. Et ne
me fçaurois affés émerueiller d'vne infinité de perfonnes
qui s'abufent encores à telles refueries, penfant faire
incontinent par leur multiplication d'vne mouche vn
éléphant.
LE DEMOCRITIC. Auffi font ils grans multipli-
cateurs, car ils font bien de cent fols, quatre liures, ou
bien pour mieus dire félon du Bellay ils multiplient tout
I<J4 SECOND niALOGVE
en rien, ainfi que tefmoigne mefmement noftre premier
autheur iirique françois, Pierre de Ronfard difant en
ces vers,
L'vn allumant J es vains fourneaus Je fonde
Dejjïis la pierre incertaine, & combien
Que l'inuoqué Mercure ne réponde
Soujle en deus iours le meilleur de fan bien.
LE COSMOPHILE. Voila comment la confom-
mation de i'œuure à l'imitation de leur Mercure s'eua-
pore tout en fumée.
LE DEMOCRITIC. Si efl-ce qu'il n'eftoit pas
ainfi aduis au Philofophe, & principalement au foldat
fon compagnon qui en faifoit vn fort grand eflat, ainfi
que ie cogneu bien à fon nés tout barbouillé du parfum
de fes drogues.
LE COSMOPHILE. Si me femble-il que ce n'efl
point l'eflat des gens de guerre de foufler le charbon,
entendu qu'ils font le plus fouuent affez mal fournis de
ducats à la croifette pour faire la multiplication.
LE DEMOCRITIC. Ils ne laiffent pour cela de
s'en méfier, car ils trouuent toufiours quelque bon niais
qui leur aide à foncer à i'appointement.
LE COSMOPHILE. Cet homme de guerre que
difoit-il de fon eflat, fe irouuoit-il mieus de foufler le
charbon que de faire vne centinelle?
LE DEMOCRITIC. Comment mieus! c'eft bien
au contraire, car tous les biens de ce monde, non pas fa
propre vie ne luy eftoit rien, au regard du point d'hon-
neur qu'il difoit acquérir en la guerre, &. ne penfoit
'amais eflre digne d'auoir place au rang des bien-heu-
DVDEMOCRITIC. 14^
reus s'il ne tomboil vaillamment à vne brèche, &. que
mille cheuaus & autant de piétons ne luy paffaffent par
defTus le ventre.
LE COSMOPHILE. Eftoit-i! bien fi fot que d'vfer
de tels propos?
LE DEMOCRITIC. Ce n'eft là que la moindre de
fes fottifes.
LE COSMOPHILE. Et comment n'auoit-il point
peur de s'égarer en allant au rang dé ces bien-heureus,
puis qu'il les faut appeller ainfi?
LE DEMOCRITIC. Nenni non, &. fi dauantage
il efloit bien alTuré d'acquérir par ce moien le titre
d'immortalité, car ceus qui meurent en la guerre font
toufiours réputés viuans d'vne étemelle mémoire.
LE COSMOPHILE. Voire mais nonobftant toute
cette réputation ils ne laifTent pas d'eftre bien mors?
LE DEMOCRITIC. le ne t'en fçauroi dire autre
chofe finon que tu vois affés en cela la folie du perfon-
nage, duquel &. de tous fes femblables ie ne me fçauroi
trop esbahir, veu qu'il leur eft aduis qu'après eftre
morts ainfi, ils en feront bien de plus belles gambades
en l'air, & en monteront quatre étages aux cieus plus
haut que les autres, ainfi que penfoient ces anciens fous
& menteurs de la Grèce &. de Rome, qui fe forgeoient
des heroes &. demi-dieus à polie pour auoir efté poffîble
bien batus ou tués de leurs ennemis. le ne di pas que
ceus qui entreprennent vne telle charge pour vn bon
regard de feruir à leur prince, qu'ils ne facent beaucoup
pour le bien de la chofe publique &. que ce ne foit vn
afte fort vertueux, mais d'aller vendre ainfi fa liberté &.
146 SECOND DIALOGVE
fa vie au plus offrant, d'vfer de toutes ces brauades
fûtes «t outrecuidées, prendre vne querelle fus la diffé-
rence de la couleur d'vn bonnet, ou pour vne autre
legiereté autant friuole, cuidés vous que cela ell braue ?
& que telles gens font bien plus à craindre, U plus vail-
lans foubs l'ombre d'vn ie renie Dieu proféré de bonne
grâce, ou quand ils portent le bonnet haut edeué par
deffus le front, defcouurant vne frizade de cheueus bra-
uement rehauffés, ou bien pour contrefaire le vieil
foldat & qui entend défia que c'eft que du maniement
des guerres, en vfer tout au contraire de ceux-ci, &
mefprifer telles manières de faire comme chofes qui
n'appartiennent qu' aux ieunesgens. Et à celle fin d'eflre
eflimé du tout fage & refolu, vous verrez vn tel perfon-
nage affeélé à la réputation ordinairement fe promener
tout à l'entour des foffés d'vne ville, tantofl aduançant
fort vne iambe, puis tout foudain la tenant ferme, &
iettant fes yeux à demie veùe defTus, comme s'il vouloit
drefTer vne ligne vifuaile & geometrale en ianin dada,
ie vouloi dire en lalidada de l'aflrolabe, 8t ainfi philo-
fophant tout feul &. nerefpondant que de la tefte fcdes
efpaules fi on parle à luy, il tiendra le bonnet enfoncé
iufques fus les yeus, mefurant grauement fes pas &.
tenant fes bras croifés, &. palTera en cette forte vne
bonne partie de la iournee à remafcher en foimefme
fes faciendes, tellement qu'on iugeroit de luy qu'il fonge
quelque fubtil moien pour donner vne camizade au
chafleau de Milan, ou bien pour mettre les Anglois en
France. A voftre aduis cela efl-il pas fort fpirituel & de
haut goull? principalement quand telles gens meurent
DV DEMOCRITIC. I47
au lift d'honneur, ou qu'ils en emportent quelque eiifei-
gne en leur pais, i'enten enfeigne de coups d'efpée fus
le vifage, ou de quelque membre eftropié, mais que ce
ne foit point de cettuy-là qui fert au contentement des
dones, ce qui efl neantmoins afiez commun à ces pau-
ures haires qui fe font voulu écarmoucher 8t danfer le
premier bal fous les frefcades de Piedmont.
LE COSMOPHILE. Tu viens de me faire fouuenir
d'vne fois qu'eftant pareillement foldat ie faifoi la garde
en vn petit baflion auecques fept ou huit compagnons,
& après que nous eufmes là vn peu ioùé à la chandelle
(non point toutefois fans foufler fouuent au bout de nos
dois & les aprocher de ces petites motes auec lefquelles
on a acouftumé d'y garder le feu, à l'occafion de la
grande froidure qui faifoit) St le fommeil nous eflant
coulé dedans les yeux après que chacun fe fut mis à
repofer, faifant toutefois l'vn après l'autre centinelle fus
la muraille : ie me donne au diable fi le lendemain au
matin à noflre réueil nous ne nous trouuafmes tous les
plus étonnés du monde, car la moindre paye que châ«
cun eut receu pour auoir bien fait le feruice de nuit,
c'eftoit vn catharre, les vns fus le col, les autres fus les
bras &. quelques vns aus iambes, tant qu'il s'en trouuoit
d'aucuns appointés iufques à deux, & Dieu fçait quel ieu
il y auoit après &. comme Ion parloit à Dieu &. de bonne
grâce. Les vns en font demeurés torticolis, les autres
eftropias de leur membres pour toute leur vie, & n'eut
elle vn bon gros gaban dont i'eftoi veflu & des foubres
chauffes que i'auois aus iambes plus que les autres, ie
ne fçai fi le fac rempli de paille qui eftoit deffoubs moi,
148 SECOND DIALOGVE
voire eut il encores eu vne autre longueur de mon cors
m'en eut peu fauuer à meilleur marché que les autres,
par Dieu ie croi que non : Encores ne m'en peu ie ia-
mais fi bien garentir que le col ne m'en demeuraft roide
de là à plus d'huit iours, & lors que ie m'en vi deliure,
Oftés vous de là, Cancre, Le diable m'emport' fi i'y
retourne.
LE DEMOCRITIC. Quel vaillant gen-darme. A
ce conte il en faudroit beaucoup de tels comme toi pour
prendre Thionuille d'affaut, ou pour defconfire les Ge-
niffaires du grand Turc : Mais voudrois-tu point reffem-
bler à ce gros Bartolifte, qui fe perfuada eflre vaillam-
ment paffé cheualier pour vne accolade, qui luy fut
donnée fans queiamais il eut porté harnois, fi ce n'auoit
efté poffible en fon étude pour faire peur aus rats, &
chaufiburiSj encores fe armoit-il alors de vieilles pièces
de halecrets &. brigandinesmifesdeffus deffoubs, & atta-
chées deuant derrière auecques les égueillettes renouées
de fes chauffes. L'honneur des armes ne s'acquiert pas
fi aifément: il n'y a remède, il faut endurer pour eftre
beau.
LE COSMOPHILE. Mais par ta foi voudroi-tu
bien toimefme en porter le trauail ?
LE DEMOCRITIC. Quant eft de moi, ie me
trouue bien ainfi : Neantmoins s'il aduenoit d'auanture
qu'il m'y faillut trouuer, i'aduiferois à cette heure là
quelle iambe il faudroit mettre deuant.
LE COSMOPHILE. Comment pour t'en fuir?
LE DEMOCRITIC. Nenni non, mais pour m'af-
furer d'auantage le cors.
DV DE MOCRITIC. I49
LE MONDAIN. le croi que tu ne t'en mettras pa?
encores de cette année en la peine.
LE DEMOCRITIC. 11 fe peut faire que fi, & fe
peut faire auffi que non.
LE COSMOPHILE. Nous fommes donq' fus les
fi? Or bien, bien. Si nous y trouuons, fi plaifl à Dieu
nous nous y porterons vaillans : ce pendant ie croi que
ce fera le meilleur de nous donner du bon tems tandis
que nous en auons le moien.
LE DEMOCRITIC. C'eft bien là le plus gentil
eftat qu'il efl poffible, & auquel ie feroi non feulement
content d'y faire vn cartier, mais auffi toute l'année de
mes compagnons.
LE COSMOPHILE. le fuis fort aife de-quoi i'ac-
corde mieus auecques toi que ne faifoient ces deus
genereus Si honnefies perfonnages, defquels tu m'as fait
vn fi plaifant difcours, dont il ne me refte plus mainte-
nant qu'vn petit poinft à fçauoir, qui efl de cognoiflre
quelle fut l'ifTue & congé de ces meffieui-s.
LE DEMOCRITIC. La fin en fut telle, qu'après
m'auoir penfé longuement apafter de leurs aliechemens
fi piperies déguifees, ils prindrent congé de moi fans
que ie les priaffe trop inftamment d'arrefter, auffi me
dirent ils qu'ils alloient vifiter ici près vn certain gentil-
homme fort curieus de la fouflerie, toute-fois auecques
promefies trefaffurees de me reuenir voir à plus grand
loifir & dedans peu de tems, m'offrans toute puiffance
de leur commander, & que ie me deuoi tenir affuré
qu'il n'y auoit homme au monde pour qui ils euffent
voulu faire d'auantage que pour moi, Si alors pour ne
IJO SECOND DIALOGVE.
me monftrer point inciuil ie les remercié de leur bon
vouloir, les arroufant de mon codé d'eau benifte de
cour d'auffi bonne grâce 8t autant honneftement pour
le moins comme ils m'en auoient afpergé du leur.
LE COSMOPHILE. Voila fort bonne départie &.
telle qu'on doit pratiquer mefmement enuers les plus fots
pour leur faire acroire qu'ils font fages : donq' puis que
nous auons mis fin à ce propos, ie te voudroi bien de-
mander vne chofe laquelle il y a fort long tems que ie
defire fçauoir de toi : C\efl que tu me femble contrarier
à ce que tu m'auois alTuré de vouloir eftre imitateur
de Democrite, veu que tu ne fais rien moins que l'en-
fuiure en beaucoup de tes propos, car ainfi que i'ay peu
cognoiflre par ceus qui ont efcrit de fa vie, c'eftoit vn
bon compagnon qui ne fe foucioit de rien, ne faifant
autre chofe fors que fe moquer, &. rire entièrement de
tous les eftats &. façons des hommes, &. au contraire on
iugeroit de toi à vne bonne partie des propos que tu
m'as tenus &. principalement lors que tu me remonftrois
la grande crainte dont les hommes vfoient les vns enuers
les autres que tu ferois pluftoft imitateur de quelque
autre Zenon ou Heraclite que de ce gai Philofophe
d'Abdere, combien que tu ne laifles pas aucunefois de
méfier des facéties en tes paroles, qui font affés propres
&, conuenables à vn Democritic, mais ce n'efl pas tou-
fiours : Et pour-autant ie defireroi fort fçauoir de toi la
raifon qui t'incite de faire ainfi du Prothée changeant
tes paroUes en tant de diuerfes manières, & pourquoy
tu n'enfuis totalement ton bon maiftre en moquerie?
LE DEMOCRITIC. le l'ai fait en ton endroit pour
D V DE MOCRITI C. I ^ I
beaucoup de raifons que tu pourras découurir plus aifé-
ment mais que cette nue que tu as deuant toi t'ait def-
filé les yeus & rendu plus agus que tu n'as pour le
prefent, toutefois ie t'en dirai vne des principales qui
m'a efmeu d'en vfer ainfi, ce que i'ai fait, pour m'ac-
commoder à toi, fuyuant ce qui en eft enfeigné par ce
grand vaiffeau d'eledlion Sainft Paul qui tefmoigne de
lui mefme en vne de fes Epiftres, Cum ludeo ludeus
fum: Auec le luif ie fuis luif: par lefqueis mots il veut
dire qu'en fe Irouuant auecques gens de diuerfe feéle,
& autre opinion que la Tienne, il faut s'accommoder à eux
en de petites chofes pour les gaigner & attirer à la
cognoiffance des plus grandes, de peur qu'en fe monf-
trant de première abordée trop contraire à leurs fanta-
fies, ils ne reiettent du tout ce qu'en s'accommodant vn
peu à eus ils euffent bien pris, & en y preftant plus faci-
lement l'oreille, auecques peu de peine entendu. Et ainfi
cognoiflant bien, fi ie n'eufTe vn peu contrefait du mon-
dain auecques toy, vfant des raifons eflimées fages &
grandes entre les hommes, &. que i'euffe au contraire
toufiours voulu rire U faire du Democritic, que tu n'euffes
aucunement adioufté foi à mes paroles, & ainfi tu ferois
encores demeuré en ta première ignorance. Et outie-
plus quant à ce que tu m'as impofé, de n'enfuiure pas
le maiftre duquel ie me dis imitateur qui eft Democrite,
ie te dis encores cela, que Democrite combien qu'il fut
vn grand riard & moqueur de la folie des hommes,
tellement que luuenal a dit de lui en fa diziefme Satire,
qu'à force de rire il ne faifoit autre chofe qu'agiter fes
poumons, fi eft-ce que pour tout cela il ne laiffoit pas
1<;2 SECONDDIALOGVE
d'eftre grand philofophe, & homme qui cognoifibit U
donnoit fort bien les raifons de fa moquerie : Et quand il
feroit autrement, fi n'eftimerai-ie point vn homme tant
parfait, que ie vueille iurer en luy comme en vn dieu,
ni faire du finge en l'imitant en toutes fes aâes, ainfi que
faifoient au tems paffé les difciples de Pithagore, ne
donnans autre raifon de leurs opinions voire fulTent elles
les plus foltes & les plus lourdes du monde, fors qu'en
difant avrôs ë^x, c'e(ï à dire il l'a dit.
LE COSMOPHILE. Et quoi ! feroit il bien poffible
que Democrite qui a bien cogneu les erreurs & folies
des autres hommes, fe foit tant oublié lui mefme qu'il
ait fait des aftes que tu ne voulufTes pas imiter ?
LE DEMOCRITIC. En voudrois tu voir vn plus
fot que cettui là qu'il fîft, quand après s'eftre bien mo-
qué des autres il fe creua les yeux pour voir plus cler, &
à celle fin de mieux & plus profondement contempler de
ceux de l'efprit les hauts & merueilleux fecrets (ô le
grand fot) de nature: Et d'auantage fe monflra il pas
bien tranfporté de cerueau, veu qu'eftant de fi grande
& riche famille que fon père peut bien fans fe faire tort
tenir vne fois mai fon ouuerte à tout l'exercite de Xerxe,
il deuint pauure à la fin par fa folie, car il donna tout
pour eftre riche & de peur que fes biens ne l'enuelopaf-
fent entre tant de délices que cela le retirait de fes eflu-
des & contemplations.
LE COSMOPHILE. Puis que Democrite s'eft
monflré à la fin fi defprouueu d'efprit, n'en euffes tu
fceu choifir vn autre moins à reprendre & qui eut eu
la cognoiffance auffi bonne des erreurs & folies des
hommes que lui?
DV DEMOCRITIC. 153
LE DEMOCRITIC. le voudroi bien fi tu en fça-
uois quelque autre plus digne d'imiter, que tu me l'euffes
enfeigné.
LE QOSMOPHILE. Regarde comment Diogene
s'eft librement gouuerné.
LE DEMOCRITIC. le veux vinre plus à mon aife
qu'en vn tonneau.
LE COSMOPHILE. Que diras tu d'Ariftippe.
LE DEMOCRITIC. D'Ariftippe! Si i'auois autant
d'yeus que les Poètes en ont attribué à Argus, i'aimeroi
mieus me les creuer tous les vns après les autres, que
d'endurer la moindre des feruitudes aufquelles fe foubf-
mettoit cet yurongne Ariftippe, faifant du chien autour
de Denis roi de Sicile, & foufrant dix mille contumelies
& outrages pour auoir vne repeue franche: Et fi ie t'af-
fure bien que i'aimerois encores mieus ne manger que
des chous & licher deus grains de fel auecques Diogene,
combien qu'il ne faut point que tu aies peur que ie fafTe
ne l'vn ne l'autre : Or aduife donq' lequel eft le plus
digne d'eflre imité de tous ceus que tu m'as allégués ou
de mon Democrite.
LE COSMOPHILE. Vraiment à ce que ie voi c'eft
Democrite, & pour cette caufe ie te prie bien fort de
me receuoir déformais auecques toi pour compagnon &
fécond Democritic.
LE DEMOCRITIC. Pour cette heure ici ie ne te
rebaptiferai point de nouueau, mais ie te promets bien
de te receuoir des miens, &. te donner pareil nom à moi
quant ie te cognoiftrai parfait mocqueur, ce qui t'aduien-
dra poffible après auoir mieux digéré que tu n'as encores
154 SECOND DIALOGVE
fait, les raifons que ie t'ai déduites, fc après que tu feras
retourné du voiage que tu veus entreprendre.
LE COSMOPHILE. Voici grand cas, on baptife
bien les petis enfaiis 8t leur impofe Ion des noms encores
qu'ils n'aient aucune cognoiflance, fc moi qui ai entière
foi à ce que tu m'as dit & le defir fi grand de te fuiure,
ie ne feray donq' point enroulé en ta compagnie.
LE DEMOCRITIC. Tu m'en diras tout ce qu'il te
plaira, mais fi ne marcheras-tu point encores foubs mon
enfeigne, iufques à ce que tu fois vn peu mieux expéri-
menté aux rufes & alarmes de moquerie.
LE COSMOPHILE. Enfeigne moy donq' au-moins
la vraye manière de me moquer, à celle fin que par
grande exercice i'en deuienne durant mon voiage, d'a-
prentif maiflre parfait.
LE DEMOCRITIC. Il ne tiendra pas à cela que
tu ne fois bon moqueur, car fi tu me veux croire & le
pratiquer ainfi que ie te dirai, tu en monftreras dedans
peu de tems aus autres. Pour cognoiftre donc comment
on doit pratiquer cette moquerie, fâches que tout ainfi
que pour fçauoir bien parler, il faut au parauant auoir
appris à fe taire, auffi pour entendre la parfaite manière
de bien moquer, il faut auoir fceu défia parler ferieufe-
ment : Car cettui la (ainfi que témoignoit fort bien le
vieil Caton) qui n'a iamais fait autre chofe qu'à s'étudier
à de petites rifées, lors qu'il entreprend de parler de
quelque chofe que ce foit, au lieu de fe monftrer bon
moqueur il fe rend luimefme moquable à tout le monde :
Et pour-autant il faut donq' que celui qui defire eftre
veu facetieus, fe foit premièrement étudié aus chofes
DVDEMOCRtTIC. 155
plus graues & ferieures. Or quant à la définition de
moquerie elle eft telle, Moquerie c'efl le mépris non
aucunement feint ni diffimulé d'vhe chofe fote & ridi-
cule, fait auecques raifon & bonne grâce: Et ne penfe
pas non qu'vn homme fot & de grofle pafle puifTe par-
uenir à la perfeâion de cette moquerie, car il efl impof-
fible qu'vne perfonne telle qu'elle foit en fâche bien
vfer fi elle n'a l'efprit fort délié, &. defchargé de ce
gros fardeau d'ignorance & outrecuidée prefumption.
LE COSMOPHILE. Puis que tu m'as donné la
définition de moquerie, ie defireroi fort que tu m'euffes
pareillement déduit les efpeces de ces fottes moqueries,
à celle fin qu'en les cognoifTant ie fçeufTe tout par vn
mefme moyen quelles font les bonnes, & que ie me
donnafTe de garde des autres : Entendu que l'en voi
ordinairement qui veullent entreprendre de fe moquer,
le faifant toute fois auecques fi mauuaife grâce & pour fi
peu d'occafion qu'eus mefmes fe monflrent plus repre-
henfibles que ceus dont ils fe veullent gaudir, & pour-
autant ie te voudroi bien prier de m'inflruire en cela.
LE DEMOCRITIC. 11 faut que tu entendes qu'il
y a trois efpeces de fotte moquerie, dont l'vne fe peut
appeller niaife, l'autre affeflée, & la troifieme celle qui
efl fardée & couuerte de diffimulation : de toutes ces
trois efpeces ie t'en donnerai particulièrement l'intelli-
gence auecques les exemples. Premièrement la moquerie
niaife efl; celle qui eft faite fans qu'il y ait caufe, & auec-
ques cela de mauuaife grâce, & telle moquerie fe fait
voluntiers par vne perfonne fotte & n'aiant aucune éru-
dition lors qu'elle en oit parler vne plus fage & mieus
156 SECOND DIALOCVE
apprife qu'elle, -fe moquant de ce qu'ell' n'entend pas,
& celuy qui fe voit moqué en cette forte fe doit affurer
alors d'auoir bien dit ou bien fait, puis que les afnes en
chauuifTant des oreilles s'en moquent: La féconde mo-
querie eft dite affeftee, quand elle eft faite non point du
tout fans occafion, mais quand ceus qui la font font in-
cités à cela par quelque enuie, n'y gardans aucunement
cette grâce naïfue & qui doit eftre généralement accom-
modée félon ce que l'on entreprend dire ou contrefaire
en quelque chofe que ce foit : Et les perfonnes qui vfent
de telle coïonnerie font voluntiers ces muguets & veaus
de ville, qui n'ont iamais autre chofe en vne compagnie
que leurs brocards & lieus communs à toutes relies,
ores attachant cettui-ci, ores cettui-Ia auecques le ne
fçai quelles petites fornettes vulgaires & communes entre
eus, mais fi vous mettes vne fois ces meffieurs hors de
leurs termes, vous les rendrés auffi muets que poiffons,
& ne viftes iamais bourdon plus deprouueu d'éguillon
qu'alors ils feront, neantmoins qu'ils ne laiffent pas de
s'eftimer des plus grans & ioyeus raillars de la paroiffe :
La troifieme & dernière efpece de moquerie c'efl la feinte
& diffimulee, d'entre toutes les autres à mon aduis la
plus excufable, entendu qu'ell' fe fait aucunefois de
beaucoup de perfonnes qui ne laiffent pas d'eftre en
d'autres chofes d'affez bon efprit : Et telle dernière ef-
pece de moquerie s'eft peu pratiquer par Agrippe en fon
traité de la vanité des fciences, auquel deffaut à mon ad-
uis l'vn des poinéls le plus requis aus parfaits moqueurs,
qui efl: le fain & vrai iugement en la cognoiffance de
cela que l'on entreprend moquer : Car il eft tout cer-
DV DEMOCRl TIC. 1^7
tain quoi qu'en ait efcrit Agrippe, que neantmoins il en
auoit le plus fouuent toute autre &. contraire opinion
qu'il n'écriuoit, ainfi mefme que par fes autres œuures
il appert alTés éuidemment: d'auantage iceluy Agrippe
en fes moqueries a plus vfé d'authorités empruntées, &.
de ie ne fçai quels petis argumens cornus & falacieus
propres feulement pour feduire & faire changer d'opi-
nion au fimpie vulgaire, qu'il n'a pas fait d'vne ferme &
affuréeraifon.
LE COSMOPHILE. Il eft tout certain qu'Agrippe
s'efl efforcé le plus fouuent de confirmer fes écris en
cette forte, mais auffi les authorités qu'il a voulu allé-
guer font bien approuuées^ & extraites des œuures de
gens fort dofles, grans Philofophes &. d'vne merueilleufe
érudition : Et quant à fes argumens, n'eft-ce pas l'office
d'vn vrai orateur de faire fembler bon & mauuais vn
mefme fuiet par diuerfes preuues & raifons? ainfi qu'a
fort bien fceu pratiquer Agrippe homme certes eflimé
d'vn chacun fort dofte & de grand iugement.
LE DEMOCRITIC. le m'ébahi comment la folie
des hommes eft fi extrême de donner vn fi grand lieu
aus authorités des hommes qu'on fait plus doftes cent
mille fois à crédit qu'ils ne font, encores la plufgrande
partie d'entre eus font abeflis iufques à là qu'ils en ont
entre les autres quelques vns tant afFeftés qu'ils reçoiuent
leur dire comme oracles d'Apollon encores qu'il foit du
tout élongné de la vérité & hors de toute preuue raifon-
nable: Et touchant ce que tu as dit de faire trouuer vne
mefme matière bonne & mauoâife, ie veus maintenir que
cela eft encores vne autre folie, car fi vne chofe d'elle-
I 53 SECOND Dl ALOCVE
mefmes efl bonne, elle ne fçauroit élire mauuaile, ni au
contraire, quoi qu'ils iappent &. caquettent auecques
toutes leurs fleurs, ^fleurettes, & couleurs bigarrées de
leur rhétorique. Quant eft d'Agrippé que tu dis eftre
entré en la réputation d'vn homme dofte, le ne te nierai
pas qu'il n'ait fçeu quelque chofe, & cela peut on cog-
noiftre de ces cautelles & tromperies par lefquelles il
abufoit & abufe encores pour le iourd'hui beaucoup de
perfonnes, & principalement en fon traité de l'oculte
philofophie, epithete fort propre à telle fcience, veu que
lui-mefme ne l'a iamays fceu découurir, & auroi bien
peur qu'elle ne fut tant oculte & fi bien cachée qu'on ne
la trouuera pas encores de ces premières années, toute-
fois il l'afTure comme véritable & témoigne luy mefme
d'en auoir fait de beaus coups d'efTai, combien que tout
cela foit auffi vrai que fi on difoit qu'il y a plus de toifon
en vn gros œuf d'Auftruche de l'Afrique qu'en celle de
tous les moutons de Berri enfemble: 11 efl donq' tout
afîuré qu'Agrippe n'efloit qu'vn vrai pipeur de Chre-
ftiens.
LE COSMOPHILE. En reprouuant ainfi Agrippe
tu me fais fouuenir de Cardan qui le taxe pareillement
en fes œuures, 8t en allègue certains experimens pour les
blafmer comme ridicules.
LE DEMOCRITIC. Vraiment il me fouuient en
auoir leu quelque chofe en fon liure xviij. des merueilles,
mais beau fire ie le trouue bon de luy qui allègue fans
comparaifon de plus grandes folies qu'Agrippe dont il fe
veut moquer.
LE COSMOPHILE. En quel lieu as tu veu que
DV D E MOCRITIC. I $9
Cardan ait dit ces chofes ridicules? fi me femble il que
c'efl tout au contraire & qu'il blafme voluntiers toutes
ces foies fuperftitions magiciennes.
LE DEMOCRITIC. Il en vfe ainfi de vrai aucune-
fois, mais tu n'entens pas, c'efl la vraye nize : ne fçais
tu pas bien qu'il faut aucune-fois reculer pour mieux
fauter fcpour donner dauantage de goufl au conte, qu'il
efl; bon de méfier entre deus vertes vne meure? A quelle
fin penfes tu que Cardan ait reprouué les folies des
autres, finon pour faire valoir dauantage les Tiennes?
Voudrois-tu voir vn plus fot experiment que celuy dont
il alTure auoir eftanché je fang de fa leure, à quoi il
ne pouuoit trouuer aucun remède pour l'arrefter fors
qu'en vfant de fon exorcifme.
LE COSMOPHILE. Et bien! eftimes tu que ce
qu'il en dit foit faus?
LE DEMOCRITIC. Oui ie l'eftime & le croy fer-
mement, & fi outre plus l'en ai eflé affuré par l'expé-
rience contraire, non pas que i'aye efté fi enfant que ie
l'aye voulu effaier moi-mefme, mais l'en ay veu d'aucuns
qui en penfoient bien triompher & en faire arrefter le
fang de quelques artères qu'ils auoient coupées & toute
fois c'eftoit en vain, car il ne laifToit pas à fluer toufiours
comme au parauant. Et fi ie fçai fort bien qu'il ne
tenoit point à faute de bonne & ferme foi, car ils efloient
pour le moins auffi fots que luy pour croire à telles ba-
dineries. Il allègue encores en fon liure xix. des démons
deus autres fingulieres receptes, dont la première enfeigne
la manière de faire vn anneau pour guarir du haut mal
U l'autre pour parapher vn certain fignacle à guérir celui
l6o SECOND D1ALOGVE
de la tefte : tt pour donner le luftre à fon anneau, il le
pare d'vne fueille polie par vn haut conte qu'il allègue
d'vn lofephe le Noir braue necromant, qui guérit auec
fes inuocations vne Damoifelle qui trauailloit fort d'vne
ardeur d'vrine tant véhémente &. incurable que pour
cette occafion elle en eftoit du tout abandonnée des mé-
decins : mais ie doute fort qu'à la fin, ni fon anneau ni
fon conte, n'aient point plus de vertu qne les deus expe-
rimens de la noix d'Agrippé, defquels il fait mention en
s'en moquant.
LE COSMOPHILE. A ce que ie voi c'eft vn piètre
qui fe mocque d'vn boiteux, vraiment ie me refous de
ne croire plus dorefnauant ni à Agrippe, ni à Cardan,
ni à tous les autres autheurs quels qu'ils foyent, s'ils
n'apuient leurs authorités d'vne plus grande raifon que
de bourdes.
LE DEMOCRITIC. Tu feras fort bien, car
ceus mefmement aufquels les hommes donnent plus de
crédit font les plus grans fots, tefmoing Platon & fon
difciple Ariftote, dont l'vn eflant monté au plus haut de
la quinte eflence de fa folie nous eft allé forger de belles
Idées imaginaires, & fubtilement inuenter des principes
magiftralement déduits. Et puis Ariftote le Philofcphe
mignard (duquel la plus grande vertu durant fa vie efloit
à fe veftir délicatement, auoir des fouliers faitis fur le
pied, eftre fongneus d'vne belle perruque, fe charger les
doits d'vne infinité d'anneaus fort enrichis & reluifans)
nous en a encores fait de pires que fon précepteur, de
forte que fi on vouloit dire à vn maiftre es arts le iour de
fes determinances, qu'il eut des oreilles d'afne aftuelle-
DV DEMOCRITIC. lOI
ment & qu'il n'eut pas la fageffe de Salomon potentiale-
ment, vous le verriés alors à l'imitation de fon autheur
affefté, crier & braire tellement que le ieu ne fe depar-
tiroit point iufques à tant que fon importunée crierie luy
eut fi bien enroué la gorge, qu'elle luy eût ofté toute
puifTance de parler dauantage. Outreplus fi Ariflote
auoit dit que la neige la plus blanche qui foit point au
fort de l'hiuer fus les coupeaus des montagnes fût noire,
& que l'on entreprint de perfuader le contraire à vn
Logicien la luy monftrant au doit & à l'œil, encores clor-
roit il les yeux pour ne la voir point, & frapant des pieds
& iappant en chien il s'opiniatreroit contre la vérité.
Mais pourquoi m'arreflerai-ie d'auantage à toucher ces
afnes, veu qu'vne bonne partie de tous les autres plus
renommés philofophes ont rempli leurs œuuresde fonges
& réueries fantaftiquement alléguées : N'en voit on pas
les exemples par vn nombre infini de tels gentils Philo-
fophaftres, l'vn nous voulant faire acroire tout eftre
fait d'vne rencontre fortuite &. hazardeufe de petis cors
indiuifibles, qu'il appelloit atomes, & eft ce que Ion voit
aus rais du Soleil quand il entre en quelque lieu renfermé
par vne feneflre ou autre ouuerture : penfés vous com-
bien il en faudroit pour refaire vne autre montagne
d'Olimpe ! Les autres nous ont dépeint vne ame rouge,
les vns blanche, & ceus-ci bigarrée comme les couleurs
des loiaus amans : Aucuns l'ont logée au cueur, puis
tantoft au cerueau pour la tenir chaudement : Il s'en eft
trouué quelques autres meilleurs fourbifleurs qui nous
l'ont engaignee dedans tout le corps comme dedans fon
fourreau, de peur qu'elle ne s'enrouillaft à la pluie:
103 SECOND DIALOGVE
Outre tous ceus ci font encores furuenus certains orga-
niftes qui nous l'ont armonifee à quatre parties: & d'au-
tres expers enrocheurs qui l'ont entonnée dedans vn
vaiffeau à celle fin qu'elle ne prit vent. Mais à quoi pen-
foient ces importuns fcrutateurs de chofes douteufes?
le croy que la fourrure de leurs bonnets leur caufoit ces
fumées au cerueau. Si tu as enuie de fçauoir d'auantage
de leurs folies, voi vn dialogue de Lucian infcrit l'Icaro-
menippe ou autrement l'Hipernephele. Tu pourras là
voir amplement les opinions philofophales de nos pre-
miers bourdeurs eflre naifuement contrefaittes & expri-
mées par la perfonne de Menippe qui raconte le difcours
de fon voiage celefle à vn (îen ami. le ne veus pas
neantmoins tant feuerement reietter les authorités des
anciens autheurs, que ie ne les vueille bien quelquefois
receuoir & principalement quand elles ne font point tant
fondées fus vne opinion, que la vérité & preuue raifon-
nable n'y foit apparente : &. telle chofe efl principalement
requife à l'endroit des perfonnes qui veulent reprendre,
& fe moquer des autres, ce qui a efté toutefois affés
mal pratiqué de ceus qui s'en font voulu méfier.
LE COSiMOPHlLE. Voudrois tu dire que l'Italien
M. Antonio Phileremo Fregofo qui a fait ie ris de Demo-
crite & d'Heraclite, & Erafme en fa louange de folie
n'aient pas bien befongné?
LE DEMOCRITIC. Quant eft de l'Italien il aurcit
fort bien dit fi fes œuures eftoient falées mais elles
manquent tant en cela (qui eft bien le plus requis à tel
genre d'écrire) qu'elles femblent auoir eflé faites d'vn
homme qui fe vouloit feulement exercer lui-mefme en
DV DE MOCRITIC. l6j
les faifant, & nofi pas pour poindre aucun ni chatouiller
de fon bien dire les apprehenfions des bons efpris : ie
m'en rapporterai à tous doftes lefleurs qui voudront
perdre quelque tems à l'éplucher de plus près que fon
autheur mefme.
LE COSMOPHILE. Et bien d'Erafme, n'en dis- tu
autre chofe?
LE DEMOCRITIC. Vraiment il a dit ie ne fçai
quoi mais il femble que s'il euft failli de s'atacher à ces
pauures preflres que la parole luy fut quant b quant
faillie & que tel fuget tant il auoit la matière affeâée &.
refTembloit prefque à ces petis prechereaus, lefquels
eftans hors de propos fe ruent à tort & à trauers fus ces
hérétiques, allegant quelques-fois auffi bien des chofes
à leur auantage voire pluftoft qu'à leur preiudice : d'autre
part tant s'en faut qu'il fuft confiant en fes difcours,
qu'il eftoit à lui-mefme du tout inconftant & volage,
mefmement en fa louange de folie, en laquelle il taxe ces
langars orateurs qui fe vantent d'auoir compofé en
trois iours ou prefque fait fus l'heure & à l'impourueu
ce qu'ils ont pourpenfé & rebarbouillé en plus de deus
ou trois ans, fit lui mefme fe vante d'auoir fait fon traité
de la louange de folie quafi par manière d'ébat en huit
iours, où il a pofTible plus matagrabolizé qu'Acurfe en
fes vieilles glofes de droit. Apres il fe moque de ceus qui
entremeflent de petis quolibets de grec parmi le latin,
U en cela eft-il plus vitieus que nul autre, veu que le
plus fouuent il iargonne du grec en des paffages qui fe
pourroient auffi bien voire mieus dire en latin qu'en
cette fote mélange bigarrée. Et finalement pour fe faire
■64 SECOND DIALOGVE
mieus croire en fa folie, il dit tout au contraire de la
vérité, accommodant ce qui eR entièrement propre au
fage, aus conditions du fot, &. ce qui eft naïf au fot le
voulant du tout attribuer au fage. Il allègue que le fage
fe trouuant auecques les hommes fera ou du tout muet,
ou que par le ne fçai quelles facheufes queftions il fera
importun à toute vne bonne compagnie : il dit pareille-
ment que le fage fera mélancolique, particulier, & du
tout à lui fans regarder à plaire aus perfonnes entre
lefquelles il eft, fe monftrant mal feant en toutes chofes
de pafletems, ne prenant plaifir qu'à fe découurir par
vne face renfrognée, contredifant aus honnefles récréa-
tions des hommes, toufiours pauure & beliflre par ce
qu'il dédaigne faire la court aus grans feigneurs & qu'il
méprife les richefles. Au contraire que le fotard eft tou-
fiours gai, difant le mot en vne compagnie, preft à rire
& folâtrer auecques les autres, voluntiers plus riche que
les fages, méprifant toutes foies apprehenfions & prin-
cipalement des efpris & diables mafqués qui vont de
nuit pour épouuanter les vieilles, & garni de mille autres
belles qualités par la queue de fes lettres. Or voi vn
peu comment il déguife ce fol, & de la grâce qu'il a
mafqué ce pauure nom de fage au plus grand tribouUet
qui fut onques tribouillé de couilles humaines. Eft ce pas
aumoins bien incagné les pauures pucelles? les pauures
petites neuf feurettes de ParnafTe? Eft-cepas leur bailler
au lieu de coronnes de laurier à chacune vn cahuet verd
afnierement oreille & houpeté de belles franges bigar-
rées? & au lieu de lyre, de luths^ flûtes & guiterres, à
chacune vne veze, «ipour Apollon, vn Maiftre lehan de
ï
D V D EMOCRIT IC. 165
Poitiers diogenifant auecques fon bafton 8t fes plumes
de coq : Par la Roine d'Eleuthere leur bonne le di bonne
mère, c'efl bien conchié hes plus grans mignons de ces
neuf do(Ses pucelles, ie di de ces puceiles qui ont eu des
enfans beaus, & bons, bien auenans en toutes courtoifies
gentiles & mignardes: ie me donne à leur faint chœur
fi ce n'eft bien execrablement blafphemé contre leur
diuinité, & parlé en vraye befle incenfée & fans ceruelle.
LE COSMOPHILE. Si ne le gaigneras-tu pas
contre Erafme, car encores qu'il n'eufl dit rien qui vaille,
fi eft-ce que pour autant qu'il a efcrit en Latin &. que tu
parles en François, il fera toufiours eftimé dauantage
que toi.
LE DEMOCRITIC. le ne veus pas dire qu'Erafme
n'ait efté homme entendant beaucoup de bonnes chofes,
& fort difert en la langue Latine, & qu'il n'en mérite
quelque louange : car la cognoifTance des langues n'eft
pas feulement vtile & louable, mais auffi néceffaire pour
les honnefles, profitables & politics enfeignemens que
ion y peut voir, ioint les grans & beaus fecrets que nous
ouurent les langues tant Grecque que Latine: Mais auffi
ie veus bien fouflenir qu'il ne faut point eftre fi profond
admirateur des étrangers, que noflre langue maternelle
en foit pour cette curiofité amoindrie ou déprifee, ainfi
qu' elle a efté anciennement par ie ne fçay quels braues
fillogifateurs d'argumens cornus,, qui donnoient la moi-
tié plus de gloire à quelque petit maiftre es arts crotté,
ou autre bourgeon de fcolarés pour deus ou trois mots
de Latin dégorgez en vne difpute ambiguë, que ils n'ont
fait sus autres, lefquels eftans parfaits en noftre françois
l66 SECOND DIALOGVE
nous ont retiré tout le meilleur des obfcurs eftrangiers
tt facilement expliqué en noftre vulgaire: il me fouuient
auoir quelques-fois leu au premier liure des Académiques
queftions de Ciceron introduifant alors Varron parlant
(duquel l'alléguerai pour le prêtent l'authorité eftant en
ceft endroit accojnpagnée de la raifon) comme il con-
feille à ceus qui eftoyent curieus de fçauoir la philofo-
phie, s'ils auoyent la cognoifTance 8t érudition des lettres
Grecques, les lire pluftoft que les Latines, pour-autant
qu'elle eftoit plus diligemment expliquée en icelles qu'aus
Romaines. Or voila mon ami la vraie raifon qui nous
doit inciter à aprendre les autres langues, quand en
icelles fe peut voir quelque fuiet plus amplement &. mieus
déclaré qu'en la noflre, & ce deuons nous faire à celle
fin qu'en l'entendant telle cognoiffance nous férue pour
contenter noftre efprit, ou pour en enrichir & fubtilier
les trais de noftre langue, & non pas pour en faire fi
grande profeffion ou eftime que la noftre en perde fon
pris, ainfimefmement que tefmoigne ledit Ciceron faifant
vne pareille comparaifon de fa langue à la Grecque au
préface de fon premier liure des biens & des maus : Et
qu'il foit ainfi, voit on vn Demofthene s'eftre immortalizé
pour auoir efcrit en vne autre langue qu'en la Grecque?
En voit on autrement d'Homère, ou de Pindare? Les
anciens Romains, &. pluseftimés tant au bien dire, qu'à
la poëfie, ne fe font ils pas vengés du temps s'immortali-
zant par leur langue Latine ?Pourquoy donques le pareil
ne fe pourra-il pas auffi bien pratiquer en noftre langue
qu'aus eftrangieres, fi les bons efprits (ainfi que la grâce
aus dieus ils commencent fort bien auiourd'huy) prof-
I
DV DE MOCR ITIC. 167
perent & qu'ils foient vn peu plus fauorifez dorefnauant
qu'ils n'ont pas eflé du tems de la grofle ignorance,
dont les vieus fiecles ont efté trop longuement enuelo-
pez? N'en voit on pas l'exemple & principalement en
poëfie fus vn Rohfard, vn du Bellai, vn de Baïf & affez
d'autres bons efprits de noflre aage, dont les œuures
font & feront immortellement renommés entre ceus qui
auront la cognoiffance de la propriété & douceur de
noflre langue? Que tous barbares ignorans ceffent donq'
de louer tant déformais ces mendieurs de Latin qu'ils ne
prifent d'auantage ceus qui les remettent au chemin
dont ils eftoient égarez par ie ne fçay quels fentiers inco-
gneus à la trace des bons François, non pas que ievueille
dire qu'il fe faille tant élongner des chams eflrangers
qu'on n'y penfe bien quelques-fois recueillir des fleurs
& des fruits, qui rendent les noflres plus deleftables &.
plaifants, mais pour le moins il y faut tenir vn tel moien
qu'on n'adnr.Ire pas tant ce qui eft de l'autruy (commun
vice en la nation Françoife) que le noflre propre en foit
defprifé.
LECOSMOPHILE. Si efl-ce que la plufgrande
partie des hommes n'accordera pas en cela auecques
toi, car ainfi que ie te difois, ils ne font conte que d'vne
langue eflrangere, & fi outre plus ils ne trouuent point
de goufl eus écris de nos François auprès de ceus des
anciens Grecs & Latins.
LE DEMOCRITIC. Il s'enfuiuroit donq' fi nous
voulions croire au dire de tels fots que Nature fe fuft
abaflardie depuis le tems de nos anceflres, ou que les
écris fe meurilTent & fe trouualTent meilleurs auecques
le cours des longues années.
l68 SECOND DIALOGVE
LE COSMOPHILE. Ce n'eft pas cela, mais ils
difent que ceusqui efcriuent pour le iourd'huy en Fran-
çois traittent les chofes plus à la legiere 8i ne les cher-
chent pas de fi loing que les autres.
LE DEMOCRITIC. Mais cuidés-vous que ces
anciens autheurs qui font allé chercher les chofes de fi
loing, les traittant d'vn ftile fi obfcur & fi difficile qu'eus
mefmes ne les entendoient pas, font bien plus à louer
que ceus qui parlent vn langage entendu d'vn chafcun?
Il me femble que ie voi encores de ces vineufes Thiades
de Bacchus qui enfoncèrent les matières fi hautement
qu'elles ne fçauoient pas elles mefmes ce qu'elles pen-
foient : comme fi on vouloit demander par vne queflion
amphibologique : Afçauoir fi la première forme de la
fuftance immatérielle de rame,eft deuant la création de
l'vniuers éternellement emprainte dedans le diuin, infini,
& fupreme intelleft des hautes Idées: Ne voila pas de
belles difputes & prinfes de bien loing.
LE COSMOPHILE. Quand eftde moy ie ne veus
point eftre fi afîedé à telle lourderie que ie n'eflime
dauantage ceus qui parlent entendiblement, que ces
enfonceurs de matières, qui vont quérir les chofes fi
fuperliquoquentieufement, qui commencent des le haut
de la mitre louiale & puis viennent finir foubs la felle
percée de Proferpine, car tels yurongnes ainfi comme
tu as fort bien dit ne s'entendent pas eus-mefmes.
LE DEMOCRITIC. Il ne faut pas que tu t'éba-
hiffes s'ils font des œuures fi hautement efleuées qu'ils n'y
peuuent eus-mefmes atteindre, veu qu'ils commandent
vne manière de viure au? hommes totalement impoffible,
DV DEMOCRITIC. I 69
comme de dire qu'il ne faut s'efiouir pour bonne fortune
ni fe fâcher pour mauuaife tant grande foit elle, refifter
& fe monftrer confiant contre toutes les iniures & ad-
uerfités qui furuiennent tant au cors qu'à l'efprit de
l'homme, foit d'endurer faim, foif, chaud, froid, ennuis
ou maladies, tellement que ie croi fi on mettoit ces gen-
tils Zenoniens au plus fort de l'hiuer fus le millieu du
mont Cenis auprès de la chapelle des tranfis, qu'ils
diroient encores qu'ils mourroient de chaud, ou bien
fi on les iettoit dedans vn feu qu'ils trouueroient cela
auffi dous que luppiter fait fon neftar fucré d'vn baifer
Ganimedien.
LE COSMOPHILE. Comment donq' n'en voit on
pas l'exemple fus ce fage fot de Prothée Peregrin philo-
fophe cyniq', duquel Lucian efcrit la vie, en laquelle il
tefmoigne comme après auoir affemblé le peuple & fait
dreffer vn grand feu, il fe ietta lui-mefme dedans fans
y eftre contraint d'aucun? Et croi qu'il ne l'eut pas fait
s'il n'y eut efperé quelque merueilleus & fingulier plaifir.
LE DEMOCRITIC. Mais à propos il y en a en-
cores beaucoup au-iourd'huy qui font frians de telle
manière de mort : y auroit il point quelque certaine pro-
priété au feu qui feroit fentir vn mignard & fauoureus
chatouillement à l'ame à raifon d'vne fympathie qui eft
entre eus deus, entendu mefme que l'ame de fa nature
eft vne chofe ignée?
LE COSMOPHILE. Mais ie ne fçai : par Dieu ie
croirois incontinent qu'il en feroit quelque chofe, & ce
qui me le perfuaderoit encores dauantage ce feroit ce
qu'ont dit les philofopbes naturels de la mort de l'eau,
8
SECOND Dl ALOGVE
l'aiTurans tous enfemble la plus cruelle des morts,
pour autant qu'il n'y a rien plus contraire à la nature
de l'ame qui participe (ainfi que tu as très bien dit) de
celle du feu que l'eau, & ainfi en argumentant au con-
traire, il s'enfuiuoit qu'il n'y auoit point de mort plus
douce que celle du feu, pour le grand accord de fa na-
ture auecques celle des âmes.
LE DEMOCRITIC. Tu me fais prefque venir à
moi mefme de mourir en cette forte : Mais penferois-tu
bien que l'en voufiffe vfer fi fotement que ce grand
veau de Peregrin, lequel après auoir fait allumer fon feu
t commencé lui mefme à l'embrazer auecques fa tor-
che, s'alla ruer à l'eftourdi au beau millieu où il fut tout
foudain euanoui &. confumé en cendre? Nenni, neniii,
l'en voudroi bien auoir le piaifir plus longuement :
Sçais tu comment l'en vferoi ? le drefferoi en quelque
lieu à l'efcart vn petit feu (& fans y appeller perfonne à
tefmoin) auquel i'auroi le moien de m'eflaier & me
tourner de tous les collés où ie fentiroi qu'il me de-
mengeroit.
LE COSMOPHILE. 11 vaudroit bien mieus fe
faire acouftrer comme on cuifl les harencs forés en
Italie, à beau petit feu de paille : Mais ie te prie com-
mence le premier à en faire l'effai 8t puis ie te fuiurai.
LE DEMOCRITIC. Tout beau, tout beau, tu
prens les matières trop à cueur : hô de par Dieu, il ne
faut pas ellre fi colère fus fes premières aprehenfions :
ie te prie remettons cela à quand tu feras de retour de
ton voiage, & puis félon ce que i'en aurai ce pendant
aduifé ie le mettrai en exécution.
UV D EMOCRITIC. I 7'
LE COSMOPHILE. le croy à mon adiiis quand
nous aurions bien debatu ce point là que nous rerou-
drions à la fin qu'il vaudroit mieus viure, fans efTaierde
nous immortalizer par ce dous tourment de ce pauure
tranfporté de cerueau Peregrin philofophe ciniq, tou-
tefois qu'il femble encores mériter quelque louange,
entendu que la fin qui l'incitoit à ce faire, eftoit pour
acquérir litre d'immortalité.
L E DEMOCRITIC. a ce conte, celui qui mit le
feu dedans le temple de Diane d'Ephefe, deuroit eftre
bien eftimé, puis qu'il le faifoit pour vn mefme efgard :
Mais ie te prie regarde vn peu la grande folie où tum-
bent tous ceusqui font fi affeftés à l'immortalité. Il s'en
trouue, comme ceiis-ci defquels nous auons fait men-
tion, qui en font les aftes les plus eflongnés de raifon
qu'il e(l poffible : les autres ne fe foucient aucunement
de la réputation qu'ils auront durant leur vie foit bonne
ou mauuaife, mais qu'après la mort ils efperent d'en
eftre recompenfés de quelque vaine louange.
LE COSMOPHILE. Qui feroient bien ces lourdans
là qui defireroient plus eftre approuués après leur dé-
cès que durant leur vie? le m'efbahi qu'ils ne confi-
derent que ie chien mort ne mort point, ni ne fent non
plus les morfures.
LE DEMOCRITIC. Ne s'en trouue il pas afles
qui fe priuentde tout plaifir, ne faifans autre chofe toute
leur vie que brouiller ie ne fçai quelles fornettes en
efpoir qu'elles foient mifes en lumière après leur mort?
Et font encores aueuglés iufques à là qu'ils en penfent
bien voltiger St gambader en l'air plus dextrement que
173 SECONDDIAl. OGVE
les autres. Cuidés-vous que la louange que l'on donne à
Demoflhene ou à Ciceron leur chatouille bien mainte-
nant les oreilles aus lieus oii ils font allés?
LE COSMOPHILE. 11 fembleroit prefque à fouir
parler qu'il ne faudroit fe foucier aucunement d'acqué-
rir vn renom immortel, & par ce moien feroient du
fout abolies les eftudes des bonnes lettres, & ne tiendroil
on plus conte de fe tourmenter après tant d'autres
aftes braues & mémorables, par lefquels on fe fait re-
nommer d'vne immortelle gloire, gloire di-ie qui fert
d'aiguillon à la pofterité pour imiter fes anceflres en
leur manière de viure tant louable &. vertueufe.
LE DEMOCRITIC. le ne veus pas dire qu'il faille
delaiffer pour cela d'eftre aHieflé à la vertu, de profiter
au public, de compofer liures, & faire quelques autres
ohofes dignes de mémoires, mais ie veus bien mainte-
nir qu'vne heure de louange que Ion en reçoit durant la
vie fait plus de bien à la perfonne que cent mille ans
après la mort.
LE COSMOPHILE. Ha dea fi tu l'entens ainfi ie
n'y contredi pas : Mais à propos de ces zélateurs de
l'immortalité i'ai autrefois oui dire à gens dodes qu'il
s'en eft trouué qui pour celte occafion ont voulu mefme
feindre des dieux à leur pofte &. introduire de fauces
religions entre le populaire, &. pour autant que ie t'ai
cognu fort bien appris en ces anciennes hiftoires ie te
voudroi bien prier de m'en faire vn petit difcours & le
plus breuement que tu pourras, car ie vol le foleil qui
commence là fort à s'abbaiffer, & qui nous aduertit que
l'heure du fouper nous preffera tantoft.
D\DEMOCRITIC. I75
LE DEMOCRITIC. Combien que cela nefe puifïe
pas dire en fi peu de paroles que tu me le demandes,
fi elTairai ie neantmoins à te le retraindre au moins de
langage qu'il me fera poffible : Et deuant que l'y
commence tu me diras premièrement s'il te fuffira que
ie te face mention de ces premiers forgerons de dieux
fans te parler des autres qui les ont du tout voulu dé-
molir.
LE COSMOPHILE. lete prie de grâce ne me dis
point l'vn fans l'autre, car i'auroi peur de ne voir que
d'vn coflé.
LE DEMOCRITIC. le n'ai que faire de te racon-
ter la confufion des faus dieus du tems iadis qui eftoit
telle, qu'il s'y trouuoit mefme trois cents luppins & y en
auoit qui facrifioient aus dieus inconnus. Il me fuffira
tant feulement de te parler des principaux inuenteurs
de telles fauces fuperftitions dont la première origine ePc
deriuee des Egyptiens, & après eus de Cecrope pre-
mier Roi des Athéniens qui en abreuua toute la Grèce,
car ce fut le premier qui commença à appeller luppiter,
à contrefaire des fimulachres, ordonner des autels, &
inuenter facrifîces, chofes qui efloient au parauant lui
totalement inconnues aus Grecs. Et pourtant qu'il fut le
premier qui amena la coutume de ioindre par mariage
l'homme auecques la femme, il fut furnommé double-
face. 11 fe trouua pareillement en Crète vn autre Roi
nommé MellifTe qui commença à leur introduire de
nouuelles manières de faire touchant les facrifîces &
autres fuperftitions : Nume Pompile en fift autant à
Rome, là où il inftitua les facrifîces, créa l'ordre des
174 SECOND DIALOGVC
vierges veRales, facra Martien homme noble grand
ponlife, en la charge & puirPance duquel il foubmift tous
les droits des chofes facrées. Ce fut lui-mefme qui en-
Teigna 8i donna par règle, quels iours & quels temples
eftoient dédiés pour acomplir leurs fiiperflitions &. facri-
fices, auecques la manière &. façon qu'ils y deuoient
tenir. Ce fut le premier fondateur des iours qu'ils ap-
pelloient anciennement faftes &. nefaftes, aufquels il
n'efloit permis en aucune forte de trafiquer ni de faire
autre œuure quelconque entre le peuple, & fut lui qui
diuifa l'an en douze parties. Et à celle fin de donner
plus de lieu à fes inflitutions &. de tenir les Romains en
vne plus grand' crainte fous le prétexte d'vne diuinité, il
leurdonnoit à entendre que toutes les nuis il fetrouuoit
auecques la déerte AEgerie : & que par Ton confeil &.
aduertiffemenl il ordonnoit les facrifices qu'il cognoif-
foit eftre agréables aus dieus immortels. Mais il n'eft
rien plus vrai que c'efloit vne chofe controuuée que
telle reuelation de la déefTe laquelle il mettoit en auant,
fi d'auanture il n'entendoit par fa déeffe fa grâce, ainfi
que voluntiers les nomment les amoureux affeélionnés.
Neantmoins il le faifoit pour vne bonne fin qui eftoit
pour retirer le peuple Romain eiicores pour lors rude &.
JDnital d'vne trop grande affeflion qu'il auoit aus
guerres, & l'induire à quelque vénération de la diuinité.
Et telle a toufiours efté la coutume de cens qui ont
voulu eftablir loix, &. introduire nouuelles coutumes an
villes, ou à tout vn peuple, c'eft à dire de raporler
toutes leurs inflitutions à quelque particulière & affeftée
diuinité, à celle fin qu'en les faifant plus foigneufement
DVDtMOCRITIC. 175
garder comme faintes &. mieus approuuées, ils en acquif-
fent par ce moien vne plus grande & perdurable mé-
moire. Ainfi en vfa Licurge Roi des Lacedemoniens &.
grand philofophe, rapportant les Tiennes à Apollon ;
Ainfi Dracon &. Solon enuers les Athéniens à Minerue :
Et Minos beaucoup plus ancien que ceus-ci, qui hanta
par l'efpace de ix ans vn viel antre confacré à luppitei"
pour y machiner les loix tout à loifir, après les auoir
lignifiées en Crète il les refera pareillement à luppiter :
Trimegifte en Egipte à Mercure : Zoroallre en la con-
trée des Badriens à Oromafe : Caronde en Cartage à
Saturne : Zamolche en Scytie à la déefTe Vefla. De dire
que Moyfe en ait fait autant &. qu'il fe foit apofté vne
diuinité comme les autres, c'eft vne chofe tant mé-
chante & deteftable que tant s'en faut qu'on la doiue
fouftenir, qu'elle ne doit pas fortir, horsde la bouche des
fidellesen quelque forte que ce foit, combien qu'il y en
ait pour le iourd'hui d'abandonnés &. perdus iufques à là
qu'ils ne lailTent pas de s'engoufrer en l'abifme d'vne (i
dangereufe &. damnable opinion : mais plaife à la fou-
ueraine bonté, guide de nous tous, de les retirer de ce
péril auquel ils flottent tant pernicieufement & les re-
mettre en la vraie voie de (alut. Nous delaifîerons
pour cette heure de parler dauantage de ces miferables,
& retournerons aus fauces fuperflitions anciennes &. à
leurs inuenteurs, entre lefquels il s'en eft trouué de
tant affeftés à l'immortalité qu'eux mefmes fe font voulu
faire eftimer dieus, voire iufques à ne craindre point
la mort pour accomplir leur fol fe tranfporté defir.
L'exemple en eft affés euidenle en la perfonne d'Empe-
176 SECOND DIAIOGVE
docle, lequel afîeélanl de laiffer l'opinion de lui enuers
le commun, qu'il auoit eflé par quelques portes &. cour-
riers de laffus enleué tout chaulTé & vertu à la dextre du
haut-tonnant vn peu plus doucement que celui qui eft
enregirtré folemnellement, fe ietta lui-mefme dedans le
goufre d'AEtne montagne pour lors bruflante à l'occafion
d'vne certaine nature fulphurée &. glutineufe qui n'eftoit
encores pour lors toute confommée : Mais le pauure
lourdaut laiffa de malencoiitre tomber vne de fes pan-
toufles d'airain qui fut trouuée à la gueule de ce goufre
bluflaiit, & par ce moien fa braue &. glorieufe entreprife
découuerte.
LE COSMOPHILE. le voudroi fort fçauoir en
quelle eftime ertoient le tems paffé tous ces beaus legif-
lateurs, & fi le monde ertoit pour lors fi étoufé de té-
nèbres qu'il ne decouurit bien leurs abus.
LE DEMOCRITIC. 11 ert tout afTuré qu'entre les
ignares &. brutaus cela ertoit le mieus receu du monde,
mais de tous tems il y a eu des gens dofles & de fi bon
efprit qu'ils n'ont iamais rien voulu receuoir de telles
bourdes &. fauces erreurs.
LE COSMOPHILE. le te prie compagnon di moi
qui ont efté ces vénérables mignons?
LE DEMOCRITIC. le ne te parlerai de ce galant
d'Epicure qui appelloit les dieus monnogrammes, ni
d'vn autre nombre infini de philofophes qui l'ont enfuiui
veu qije tels contes font trop vulgaires, ce me fera afTés
de te refraichir la mémoire de quelques vns & des
principaus qui ont voulu renuerfer toute la fuperrtition
des feus dieus, ainfi que fut Cambife Roi de Perfe,
DVDEMOCRITIC. I77
lequel aiant fubiugué le païs d'Egipte où il trouua vn
temple de Vulcan, après auoir bien regardé de tous
coflés la gentile fingularité de fon fimulacre, il commença
fort à s'en moquer deuant vn chacun. Il y auoil pareil-
lement en Egipte le temple des dieuscaberiens, dedans
lequel il n'eftoit permis à homme du monde d'y entrer
fors qu'au grand preftre, fi on ne vouloit contreuenir à
la loi, &. toutefois il y entra de force, &. après auoir fait
vne grande rifée de toutes les idoles qu'il y trouua, il les
fit grifler gaillardement dedans vn beau radier de feu.
LE COSMOPHILE. Auffi en fut il bien puni, car
il tumboit du haut mal qui eft vne efpece de rage, &.
auecques cela il n'auoit pas le cerueau fort bien arrefté.
LE DEMOCRITIC. Pour le moins les fots de fon
tems le penfoient ainfi & raportoient cette maladie qui
lui efloit naturelle à vne punition diuine, comme fi telle
quanaille de dieus, &. faus fimulacres eufient eu la force
81 puifiance de fe vanger des tors qu'on leur faifoit.
Quant efl de ce qu'il efloit eftimé fol, ie croi cela bien
aifement, mais que tu entendes à l'endroit de ceus qu'
eftoient abeftis de telles lourderies. Auffi enuers tels
excellens & illuflres perfonnages vne perfonne de bon
efprit fera elle iamais à peine eflimée autre que foie &
tranfportée ducerueau?Il ena eu vn autre nommé Denis,
natif de Siracufe qui n'eftoit pas moins cognoiffant telle
manière d'abus que Cambife fus-mentionné, car le plus
de fon plaifir eftoit à fe railler 8t gaudir de telles foies
fuperftitions, de forte qu'vne fois après auoir pillé tout
le threfor du temple confacré à Proferpine en la ville de
Locres, & que s'eftant mis fur mer il eut le vent à gré
178 SECOND DIALOGVE
au poffible , en fe riant il dit à ceus qui eftoient auecques
lui : Voies vous aumoins nnes amis comment les dieus im-
mortels donnent vne heureufe nauigation aus facrileges?
Quelquefois pareillement aiaiit déchargé luppiter l'Olym-
pien d'vn manteau de drap d'or fort pefant, & dont il
auoit efté orné par Hieron Roi de Siracufe, pour fa part
du butin qui luy eftoit écheu de la dépouille des Carta-
giniens, il lui en rendit vn autre de laine, difant, Qu'vn
manteau de drap d'or efloit trop empêchant pour l'eflé
b trop froid pour l'hiuer, mais que cettui-la de laine
qu'il lui auoit donné en contréchange lui feroit trop
mieus feant & plus commode pour l'vne &. l'autre faifon.
Icelui Denis s'eflant vne fois emparé des tables d'or &.
d'argent dédiées aux temples, deffus lefquelles il eftoit
efcrit, LES TABLES DES BONS DIEUS, il tefmoigna
comme il vouloit vfer de la bonté des Dieus. Diagore
philofophe fort fçauant qui nioit pareillement tous ces
faux dieus des antiques, fe trouua vne fois en Samo-
thrace auecques vn fien ami, lequel aiant vouloir de le
retirer de telle opinion, lui monftra grand nombre de
tableaus qui faifoient foi de plufieurs, lefquels après
s'eftre voués & recommandés aus dieus, auoient (ce
difoit) par ce moien euité la tempefte &. pris terre
miraculeufement, deliurés du péril &. naufrage où ils
fuffent péris fans le fecours diuin : Et alors ce mignon
refpondit en fous-riant & fe moquant de la fimplicité de
l'autre, Comment! eft ce tout cela que tu me veus conter?
Tu ne me dis rien de nouueau : ne vois tu pas pauure
homme comment il n'eft point fait de mention en ces mo-
numens ici de ceus qui ont efté noies après auoirfait leurs
I
DV DEMOCRITIC. 1 79
vœus? Icelui philofophe efloit auffi vne fois Tus mer où
il fe leua vne fort grande tourmente pour le moins auffi
tempeftueufe que celle que Pantagruel acompagné de
fon Panurge &. frère lan des entomeures, euada à force
de boire, de crier U de iurer, U alors le pauure diable
de Diagore fe voiant accufé des autres qui eftoient
auecques lui dedans vn mefme vaiffeau, comme s'il euft
efté la feule &. principale occafion de la tourmente, en
fe moquant d'eus il leur monftra vne autre grande flotte
de nauires qui efloient en mefme péril & leur demanda,
s'ils penfoient que Diagore fufl en vne chacune de ces
nauires.
LE COSMOPHILE. N'eft-ce pas lui qui ofa le
premier efcrire qu'il ne cognoiffoit point tous ces faus
dieus controuués, & qu'il ne fçauoit de quelle couleur
ils eftoient?
LE DEMOCRITIC. C'eft cettui-la, & pour cette
occafion il fut chafTé des Athéniens qui condamnèrent
pareillement Socrate à la mort, pour autant qu'il vouloit
contreuenir à leurs fuperftitieufes chimagrées par vne
nouuelle religion qu'il difoit eftre meilleure.
LE COSMOPHILE. Ils eftoient moult affedés à
leurs foies perfuafions.
LE DEMOCRITIC. Comment affeaés! ils eftoient
fots iufques à là, qu'eftans vne fois en doute duquel des
deus ils feroient vne Minerue, ou d'iuoire ou de marbre,
& que le peintre Phidie dit qu'elle deuoit pluftot eftre
de marbre pour autant que la blancheur & polliffure en
dureroit plus longuement, ce peintre fut tresbien oui :
Mais quand il lui efchapa de dire qu'elle en feroit auffi
l8o SECOND DIALOGVE
plus vile, incontinent ils fe fcandalizerent fort de tel;;
propos, & deflors lui fermèrent la bouche auecques
exprès commandemens de n'en parler plus.
LE COSMOPHILE. Vraiment tu me parles de
grans lourdaus. Mais encores quant le confidere bien à
ceus qui vouloient entièrement contreuenir aus (latus &.
loix de telles religions encores qu'elles fuITent fauces, ie
ne les treuue pas moins à reprendre que ceus qui les
auoient premièrement impofées, veu que c'eft vne de?
chofes des plus pernicieufes du monde que de laifîer
courir &. vaguer ce fot 8i inconftant vulgaire auecques vn
fi grand abandon & liberté, auquel il eft quelque-fois
iieceflaire de donner vne bride pour le contraindre de
faire par force ce à quoi les honneftes & braues efpris
font guidés par la vertu.
LE DEMOCRITIC. Ton opinion eft fort bonne
en cet endroit, car il eft tout certain que fi l'homme
(animant fus tous les autres créés de la nature le plus
libre en Cottes aprehenfions) n'eftoit refréné de quelque
crainte, cette police qui eft tant neceffaire pour noftre
conferuation feroit entièrement renuerfée &. mife delTus-
deffous, tellement que nous ferions encores en pire eftat
que nous n'eftions du tems de la confufion du premier
chaos qui eft vn poinft ce me femble afîes fuffifant pour
renuerfer vne bonne partie des nouuelles &. abhominables
fedes qui courent pour le iourd'huy à l'endroit de ie ne
fçai quels pernicieus &. naturaliftes libertins.
LE COSMOPHILE. Ho les mechans I Voyés ! ce
font de ces nouuelles feftes qui courent pour le iourd'hni
en noftre religion chreftienne.
D V DE MOC K ITI C. l8l
LE DEMOC RITIC. C'eft vn vrai abifme que tout
cela.
LE COSMOPHILE. Mais ie te prie de grâce di
moi vn peu ce qu'il te femble de telle manière de
chriftaudins.
LE DEMOCRITIC. Quant eft de la grande diuer-
fité des feftes reprouuées qui ont eflé & font encores
pour le iourd'huy en noftre loi, ie ne t'en ferai point .
d'autre mention, pourautant que ie diable eft fi fubtil
qu'il fait quelque-fois tendre vn filé à cettui-la qui s'y
trouue le premier pris : ioint que c'efl vne chofe qui me
femble fort lourde & de laquelle on fe pafTeroit bien à
vn befoing de s'aller rompre la tefte après fes queftions
tropologiquement anagogiques, veu qu'il fuffit de croire
comme nos anciens pères fans s'opiniatrer tant à efpou-
fer des opinions qui font mourir les gens à crédit.
LE COSMOPHILE. le croi que lu voudras prefque
eftre femblable à ce bon compagnon, lequel aiant efté
vne fois inuité d'vn certain dofleur alla difiier auecques
lui, 8t après auoir vn peu enfoncé & ranimé fes efpris
vitaus prefque tous perclus, de quelque bon vindeBeaune,
le cerueau lui commençant à échaufer &. fa langue à fe
déploier plus librement qu'auparauant (ainfi que c'eft
l'opération couftumiere du vin de rendre les perfonnes
plus libres &. ioieufes en paroles) il lui efchapa par
manière de raillerie de dire quelque propos de la Trinité
vn peu fcabreus &. de mauuaife digeftion, dont le dofteur
tout mal édifié de voir ainfi tenir (ce luy eftoit aduis)
tant peu de conte des fains canons, commença pareil-
lement de fon cofté à s'échaufer en fon harnois, Si de
iSa SECOND DIALOGVE
protefter d'iniure faite a la foi clireflienne. Et ce difoit il
en fe rebraPTant iufqiies au coude, foufflant auecques vn
froncement de narines & de paupières, &. par pofes écu-
mant, trefTuant &. fe mordant les leures de rage, fra-
pant des mains &. des pieds tout enfemble, preft à fortir
de table, fi l'autre ne l'apaifant de careffes U belles pa-
roles ne lui eut dit : Ha monfieur noftre maiftre ne vous
courroucés point le vous en prie, comment? lefus, de
par dieu, penferiés vous bien que i'entreprinfe de foufle-
nir vne telle opinion que ie n'ai feulement dilte que par
manière de peffetems? O le bon dieu ! eflimeriés vous
que ie me voufifTe faire brufler fus cette querelle? Vrai-
ment ce feroit bien à grand tort, noftre maiftre moii
ami, fi vous le penfiés ainfi : car deuant que d'entrer au
feu, fi ce n'eftoit alTés d'vne Trinité ie conferTeroispluftot
vne Quaternité.
LE DEMOCRITIC. Ha non, non, ie ne voudroi
pas eflre de ces gens là, car quant aus poinfts qui con-
cernent les articles de foi il n'y faut pas paffer outre pour
crainte de la mort, mais touchant vn tas de petites par-
ticularitez forgées à l'appétit de ie ne fçay quels nou-
ueaus impofleurs, tout cela n'eft qu'vne fumée qui ne
fera que pafTer : & pour autant n'eft-ce que fimple folie
à tous ceus qui s'y embrouillent penfans bien auoir gai-
gné vn poin6l fus nos anceftres.
LE COSMOPHILE. A bon efcient ie croi que tu
en dis ce qui en eft, auffi auoient-ils l'ame meilleure
que nous n'auons pour le iourd'hui, quelque chofe que
l'on en vueille dire.
LE DEMOCRITIC. Or dieu les vueille tenir en
paix Jt nous amender.
IDVDEMOCRITIC. l8
LE COSMOPHILE. Mais à propos de ces fauces
feftes nous n'auons point parié de la principale qui eft
celle de Mahomet.
LE DEMOCRITIC. Comment! de ce voleur, de
ce larron, de ce brigant, de ce pipeur, as tu enuie d'en
fçauoir?
LE COSMOPHILE. He mon ami! pour acheuer
la farce, ie te prie di m'en quelque chofe.
LE DEMOCRITIC. Et certes fi ferai-ie : pre-
mièrement il faut que tu notes que tout le commence-
ment de la belle vie de Mahomet machinet ou maginet
ce m'eft tout vn auffi bien tout n'en vaut rien, fut à
dérober de tous coflés où il en pouuoit griper, & puis
eftant par ie ne fçai quel deftin hazardeus entré en
eflime fc réputation enuers les fiens, il fe voulut méfier
de corriger le magnificat, & auecques l'aide & confeil
d'vn certain apoflat banni nommé Sergien, homme per-
nicieus U entaché de la fefte Neftorianne, il rapetaffa
vne loi toute neufue de vieilles pièces d'herefies, defia
vermoulues, & mifes au rang des péchés effacés, fit en
prenant de toutes chacun vn petit lopin & du plus vrai-
femblable au iugement du vulgaire, il en radouba fon
Alcoran qui gafte encores auiourd'huy vne des grandes
parties du monde, tant ce beliftre St impofteur l'a bien
fçeu mafquer de diffimulations feintes, &. trop plus dece-
uantes que ne font les deguifemens de Flûte, introduit
au Timon de Lucian. Auecques les Sabelliens il nioit la
Trinité, auecques l'erreur de Manichées il ne mettoit
que le nombre de deus en l'effence diuine, auecques
Eumonien il nioit l'égalité du père & du fîls, auecques
184 SECOND DIALOCVE
Macédonien il affermoit le feint Efprit eftrevne créature,
auecques les Nicolaïtes il prodiguoit le nombre des
femmes à qui en vouloit : Et à celle fin de donner quel-
que chofe aus luifs &. aus Chreftiens il prefchoit la cir-
concifion 8t le baptefme, il approuuoit quelque fois le
vieil Teftament, fc par endroits le reprouuoit. Quand il
s'auifoit il difoit du bien de lefus Chrift, l'appeliant faint
homme & vertueus, &. le temoignoit auoir quelque par-
ticipation de diuinité, blafmant les Chreftiens comme
fots & abufés de croire que le Chrift trefaimé de Dieu
8t né de la Vierge, eut voulu endurer tant d'iniures &
outrages des luifs, mefmement iufques à eftre ignomi-
nieufement exécuté à vne mort infâme &. defhonnefte.
LE COSMOPHILE, Ha le pauure homme! il ne
fçauoit pas que noftre fauueur eftoit toufiours venu en
humilité &. qu'il fe faifoit ainfi petit & moquable pour
noftre fauuement.
LE DEMOCRITIC. Non, non, il n'en fçauoit
rien, ou s'il le fçauoit le diable ne lui vouloit pas faire
confeffer.
LE COSMOPHILE. Certes il eft bien aifé à voir
que toutes ces fauces religions (excepté la noftre) ne
font que bourdes, & que nous n'auons autre chofe à
tenir que les écris des anciens Prophéties, &. le nouueau
teftament qui nous a efté prefché par lefus Chrift & fes
difciples, auecques les interprétations des fainfts doc-
teurs en ce qui en a efté approuué par la vraie & catho-
lique Eglife, fuiuant laquelle nous ne fçaurions faire
chofe qui foit digne de reprehenfion ou moquerie, &
au-contraire hors d'icelle tout homme n'eft autre chofe
DVDEMOCRITIC. 185
que folie & vanité, car la parolle de Dieu vérifiée par
l'Eglife fainte U fidelle, eft cela feul qui demeure à iamais
ferme & iiiuiolable contre tous les orages & calumnies
du tems enuieus &. des mefchans, & au contraire toutes
les inuentions humaines & fauces herefies fe ruinent
d'elles mefmes & s'éuanouifTent auffi toflque iegierement
& à la volée elles ont efté entreprifes.
LE DEMOCRITIC. Or aduife donq' mon ami, fi
celui qui fe penfoit eftre vn tout félon les hommes, ne
fe trouue pas à la fin félon dieu eftre moins que rien, &
ainfi nous pouuons conclure auecques ce grand prophète
de la race leffienne, Heureus celui duquel l'efperance
eft au nom du Seigneur Dieu & qui ne s'eft point arrefté
aus vanités & faufTes reueries du monde.
LE COSMOPHILE. Certainement ie cognoi que
ton dire eft tresbon, &. m'en vai tout maintenant auec-
ques délibération de changer de fantafie & de manière
de faire, &. t'afTure hardiment de me reuoir au retour
de mon voiage tout metamorphofé de complexions :
car ie délibère de me nourrir déformais tout autrement
que ie n'ai fait par le paffé, & auoir en plus grand mef-
pris & horreur ce qui m'a femblé autrefois le plus par-
fait &. le plus beau : Que pleut à Dieu, que ie peuffe
vomir du plus profond du cueur les enfeignemens de ces
fots &fuperflitieusamis du monde, d'auffi grand courage
que gloutement ie les ai deuorés, &. auecque vne dent
tant chiennine & infatiable, ce que ie ferai s'il m'eft
poffible deuant qu'il foit peu de tems. Ce pendant ie te
remercierai de bien bon cueur de-quoi tu m'as deffillé
les yeus d'vne nue fi obfcure & tant efpeffe d'abus &
l86 SECOND DIALOGVE OV DEMOCRITIC.
fauces erreurs, me découurant vn foleil tant cler &,
gracieus, qu'il ne fera iour de ma vie que ie ne m'en
Tente autant voire plus tenu à toi qu'à cettui-là qui
mefmes a efté la caufe de mon principal eftre, duquel
ie ne tiens que celle lourde maffe terreflre, & de toi le
comble de la perfeftion & naïf contentement de mon
efprit. Or mon compagnon, mon ami, ie m'en vai com-
mencer à donner ordre tant au fouper qu'à l'équipage
qui m'eft necefTaire pour me mettre à chemin.
LE DEMOCRITIC. Sus toutes chofes ie te prierai
de bien noter au doit & à l'œil tout ce qui fe prefentera
deuant toi durant ton volage.
LE COSMOPHILE. le le ferai 8t principalement
en ce que ie cognoiftrai eftre digne de te faire part.
LE DEMOCRITIC. Va que Dieu te veuille eRre
fauorable tant que l'argent & la fanlé ne te puifT»-
manquer.
FIN DV SECOND DIALOG\F
DV DEMOCRITIC.
J^
TABLE
DE CE QVl EST PLVS DIGNE A NOTER
En ces deus Dialogues.
COMPARAISON de la rai/on à la pierre precieu/e
& aus liures excellens pag. j
Les chofes qui font à fuir des hommes & à future. 4
L^opinion du vulgaire ejire fauce 6
Dequoi fert la hardieffe de bien parler 7
Mefpris de Vamour 8
La femme eflre plus imparfaite que l'homme. . »
Gouuernement des Amajones & leur cruauté
envers les hommes 9
Les vices des femmes 10
La femme par droit diuin e/î encores plus impar-
faite que l'homme »
La fn d'amour 11
Les malheurs & inconueniens qui procéder:!
d'amour 12
l88 TABLE.
Vailles Jidtions d'amour i j
Sots écris des amoureus d
De ceus qui commentent & glofent fus les liures
des amoureus »
Les méchancetés de la femme de mauuais gou-
uernement 15
Les infjgnes beautés des amis aimés des femmes. 18
Sottes & communes refponces des femmes. ... 2]
Que c'ejî de bien parler 39
Harangue de l'homme d'armes touchant l'amour. 30
L'amour du courtifan. , 32
L'amour de Vefcolier 34
Qu'il n'entend pas blafmer les honnejîes dames. 40
Vaillante & vertueufe defence de l'amour auec
lafolution d'icelle defence 41
Comment le iugement d'vn amoureus s'abufe en
celle qu'il ayme 43
Louange de la Mufque S* mépris de la danfe. . 46
Les TheJJaliens admirateurs de la danfe 47
La danfe ejlre vne efpece de fureur 51
Conclufion de l'amour 53
Eflrange cruauté des hommes 56
Les armes font iournalieres 58
Les maus caufe's par enuie 6a
Comme il ne faut adioujier foi au rapport &
bruit commun 63
Les richejjes & prééminences efire fuiettes au
hajart 65
Comme il n'entend blafmer que ceus qui le
méritent 66
i89
L'office du courti/an 70
Le nombre des gens de bien 7'
Que ceji que pratique 74
La vie des aduocas & autres praticiens 76
Difcours de la médecine 8^
Le trop parler vitieus 94
La folie de ceus qui affe aient la mélancolie. . . 9s
Le parler peu approuué des fages 96
Quant & en quoi il eji bon de Je taire 97
DifcourS'de la magie 6* abus d'icelle 112
Foies Juperftitions des magiciens 114
Le dire de Caton touchant les diuinateurs. ... 117
L'opinion de Diogene des diuinateurs »
De Vincredule de Lucian 120
L'opinion de lamblique touchant la magie. . . »
La magie de Pitagore 131
En quelle eftime ejloit anciennement la magie. . 122
Empedocle furnommé chajje-vent »
Le but où tendent les magiciens 123
L'inuention première de l'Ajirologie , la vérité &
erreurs d'icelle 126
Comment Je doit entendre le pajfage d'Ouide
Os homini 128
La folie de Pierre Turel en Jon Période du
monde 129
Ancienne JuperJUtion des Romains touchant
l'objeruation des iours 131
La magie eJi procedée de l'Ajirologie 132
Exemple de ceus qui de pauure ejlat Jont deuenus
riches 134
190
TABLE
Vècha-patoire des qftrologues i}6
Des douje maifons des aftrologues •
L'opinion controuer/e des ajîrolcgues touchant
les -planettes O ejioilles fixes 137
Les folies des alquimijics 139
Les termes & notes de l'alquimie »
Du liure de la fieur desjleurs & de/on autheur. 140
Que ceji que le médium des alquimijies 14'
Les foujleurs par excellence appelles philofophes . 143
La multiplication des alquimijies 14}
Petit difcours des gens de guerre 144
La maladie commune aus foldats de Piémont . . 147
Cheualier d'acolade 14!^
Eau henijie de cour 150
Pourquoi le Democritic nenfuit pas toufiours
Democrite 151
De la vie de Democrite »
En quoi Democrite s' eft monfiré fot i^a
Seruitude d'AriJlippe 15}
La manière de Je bien mocquer auec les efpeces
de mocquerie 154
Définition de mocquerie 155
Diuerfes efpeces de fotes mocqueries »
Du liure d'Agrippé infcrit de la vanté des
fciences 156
Trop grand lieu donne aus authorite's des
hommes 157
De Voculte philofophie d'Agrippé 158
Cardan blafme Agrippe »
Receptes d'Agrippé 159
•9»
De Platon & Ari/lote i6o
Des maijires es .irs »
Des folles di/putes des anciens philo/ophes. . . i6i
De ricaromenippe de Lucian i6a
De ritalien M. Antonio Phileremo Fregofo qui
a ejcrit du ris de Democrite »
Dijcoursfur le Hure d'Erafme infcrit la louange
de follie »
Pourquoi nous deuons ejire e/meus à apprendre
les langues eftrangeres i66
Vice des François 167
De ceus qui ont affeété d'écrire objcurement. . . 168
De la mort de Peregrin philofophe ciniqu ... 169
De Vaffeéiion d'immortalité 171
De ceus qui veulent ejire immortali-^és après leur
mort «
Les autheurs principaus des religions 173
De la cautelle & méchanceté de Mahomet. ... 183
La feule religion chrétienne eflre feu re & véri-
table 184
FI N DE LA TABLE.
(fmmMmmmm^^
INDEX
Aggr Avi E, 128. Pleine.
Anaximéne, 138. Selon d'autres, la méfaventure rap-
portée par Tahureau, ferait arrivée à Anaximandre,
le maître d'Anaximène. La Fontaine s'en eft infpiré
pour écrire la fable de l'Aftrologue qui s'eft laiffé
choir dans un puits.
Angers, 23.
le croy que vous venez d'Angers, fignifie : Vous
me paraiffei un libertin. On difait d'Angers :
Bafle ville te hauts clochers,
Riches p , pauvres écoliers ;
81 des Angevins :
Angevin
Sac à vin.
Angevine,
Sac à....
Baigner (fe-à>, 43. Prendre grand plaifir à.
Belistre, 133, 137. Mendiant, gueux.
De lia Y (Joachim du). L'Anterotique de la vieille & de
la jeune amye, citée p. 45, a paru pour la première
fois, en 1549, dans l'édition originale de VOliue &
autres auures poéticques. Paris, Arnoul Langelier,
in-8'.
i.;4
Le vers : Aueugle, muet & fourd, p. 70, comme du
refle l'indique l'auteur, efl tiré du Difcours fur la
louange de la vertu & fur les diuers erreurs des hommes,
à Salmon Macrin, St. 19.
Le fixain : C'eft vne belle fcience, p. 92, eft em-
prunté à la même pièce, rt. 25, qui a été publiée
pour la première fois avec le Quatriefme liure de
l'Enéide de Virgile. Paris, Vincent Certenas, 1553,
dans les autres œuvres de l'invention du tradu6leur.
BiETRis, 36. Une des femmes du roman du Cheualier
au Cygne, ou celle du vers de Villon :
Berthe au grand pied, Bietris, Allys.
BLA YS, 23 .
Vous nous en voulez conter, vous venez de Blays :
Le Roux de Lincy [Proverbes français) ajoute : Vous
voulez rire, comme s'il y avait une virgule avant ces
trois mots, dans le texte original des Dialogues. Il y
a là une altération de la penfée de l'auteur : Vous
voulez faire le beau parleur & vous venez de Blays.
Cahuet, 164. Capuchon.
Caïmans, 135. Mendiants.
Caresme (Amoureux de), 22. Amant timide. One
thaïs afraid ta touch his miftrejfe, Cotgrave.
Caton, 96.
En toute fa vie, il s'eftoit repenty de trois chofes.
La première, s'il auoit iamais dit aucune chofe de
fecret à femme ; la féconde, s'il eftoit onques allé par
eau là ou il eufl pu aller par terre : la troifième, s'il
auoit paffé vn iour entier fans rien faire.
•9$
Plutarque. Vies des- hommes illustres. Marcus Cato.
Tr. d'Amyot. Paris, Vafcoran, 1^67, in-8, p. 1265.
Cenomani CLUE. Manfeau.
Chère. Vifage, mine. — Contrefaite, 85 ; — Baffe, 8^).
CHrMAGRÉE, i7(). S\magrée. IVij Moiijh. Cotgrave.
On difait de même chiffler pour fiRler.
I! meritafi au Louure ejire chifflé des pagei
REGNIER, sat.X.
CoQ^uiN. Pauvre diable, mendiant. Beggar, poor
Jnake. Cotgrave. Il vaut mieux être coquu que co-
quin, dit un proverbe que l'on trouve ailleurs ainfi tra-
duit: Il vaut mieux porter des cornes qu'une beface.
CosTEAU (Pierre). Les vers cités p. 77, font tirés
de la tradudion françaife du Pegme par Lanteaume
de Romieu. Lyon, Macé Bonhomme, 1555, P- i7-
Le texte original avait paru la même année chez le
même libraire.
CouPEAU, 161. Sommet.
Grouille T, 22. Verrou. On remarque auffi la forme
Courrail dans Rabelais, Pantagruel, liv.iv, ch. 6 :
S'il vous plait, difl Panurge, m'en vendrez vn l'en
feray bien fort tenu au courrail de voRre huys.
Dance (Baffe), $2. Ainfi appelée par oppofition à la
danfe des afteurs fur la fcène &. des baladins fur les
tréteaux. La Pavane était par excellence un des plus
purs types du genre.
Del a 1ER, 102. Différer.
DÉMocRiTic, 159, lig. 17.11 faut donq'... Dans les
premières éditions des Dialogue?, cet alinéa fe rat-
tache à tort au précédent.
19^
Demosthene, i}4. Taliureau fe trompe quand il fait
dire au Démocritic, que Démofthène eut pour mère
une revendereffe de choux &. qu'Euripide était le
fils d'un coutelier. Il a été induit en erreur par ce
pafTage de Valère Maxime, I. j, c. 4 : Quam matrem
Euripides aut quem patrem Demofienes habuerit,
aherius autem matrem olera, aherius patrem cultellos
venditajfe omnium pêne doâorum littenr loquuntur,
dans lequel, le premier aherius défigne Euripide &.
non pas Démofthène.
Diable (Le Petit). Buvette du Palais.
EcouTANS (Aduoeas). Stagiaires.
E SSARS (Seigneur des), 38. Tradufteur des huit pre-
miers livres d'Amadis de Gaule. L'éloge que Tahu-
reau fait de cet écrivain, en grande réputation de fon
vivant, efl confirmé par Eftienne Pafquier. Liv, 7,
ch. 5, àe% Recherches.
Faciendes, 146. On dirait auffi Facendes. Affaires,
projets.
Faitis, 160. Qui va bien, qui fied.
Femme (Superfluité de la), 10. Pour l'intelligence de
ce palTage, voir la ix* matinée de Cholière, de la
Trèfue coniugale.
F R E G 0 s o (Phileremo), 162. Auteur de plulieurs ouvrages
dont le premier en date eft précifément celui que
cite Tahureau. Publié à Milan en 1 506, il porte pour
titre : Rifo di Democrito e pianto di Heraclite, t il a
été traduit en vers par Michel d'Amboife. Paris, Ar-
noul Langelier, 1 547.
197
Froids &. malé fici es (Eftre dutitre des), 20. Souffrir
de l'incommodité décrite dans les traités d'aftrologie
& de médecine judiciaire, au titre De Frigidis &
maleficijtis.
Gayac (Saint bois de). Voir, fur ce fpécifique contre
les maladies vénériennes, les T>iuerjes leçons de Loys
Guyon. Lyon, 1610, liv. 4, ch. 6.
Go VA IN ou plutôt Gauvain, 36. Perfonnage dont
les amours font le fujet d'un roman héroïque décrit
par Brunet, Manuel du libraire, dernière édition,
tom. a, col. 1508. Il en ell également queflion dans
VHiJîoire de Giglan, Jon fils & dans le Roman du
Vaillant Perceual le Gallois. Enfin M. Hippeau a pu-
blié en 1862, chez Aubry, le poëme du Trouvère
Raoul, MeJJîre Gauuain ou la vengeance de Raguidel,
in-8.
Grelot (Trembler le), greloUer. To quake for cold.
Cotgrave. Trembler de froid. Oudin. Curiojités fran-
çoifes.
HiLLor, 82. Même mot que Fillot. par un adoucilTe-
ment de l'F. Garçon. Fellow, Cotgrave.
Iaq_ués. Jacq_uets. Vlaiieurs. Clawbacke. Cotgrave.
I G B E T, 21 . Niais. Le primitif efl Job ou Jobe, que l'on
trouve dans Noël du Fail, Propos rufiiques, ch. 6, &
d'Aubigné, ConfeJJîon de Sancy, I. 2, ch. i". Des
diminutifs Jobard, Jobet & Jobelin, le dernier n'a
rien gagné à la querelle des Jobelins & des Uraniens.
louÉE. 60. Soufflet. Les éditions poflérieures donnent :
loiiee (i 568) &.Iouë (1602).
198
loviALE, 168. De Jupiter.
lu VENAL, 151. Voici le vers auquel il eft fait allufion
dans ce pafTage :
Perpétua r!fu pulmonem agiiare folebjt
Democritus... (Sat. X, v. 55.)
Il n'a pas le fens outré que lui donne le Démocritic.
Langars. 163. Bavards.
LuciAN, Tychiade, 120; Icaroménippe, 136; Ti-
mon, ij4;Prothée Peregrin, 169. Tous ces noms,
fauf le premier, figurent en tête de dialogues ou de
difcours de Lucien. Tychiade eft un perfonnage du
dialogue intitulé le Menteur ou l'Incrédule. Enfin, c'eft
à l'Apologie pour ceux qui vivent aux gages des grands,
qu'il faut fe reporter, plutôt qu'au dialogue de Ti-
mon, pour faifir toute la penfée de Taliureau, p. 134.
Mais qui, 151. Pourvu que.
Mesche (Guillaume), 91. Sobriquet indiquant une pro-
feffion ou une habitude. On en trouve d'autres
exemples dans les Propos rujîiques de Noël du Faïi,
ch. X: Pierre Baguette, Robin Turelure & Guillemin
Plumail.
Meslez, 94. Répandus, informés.
MiSTES, 35. Mignard. Spruce, compt. Cotgrave.
Mole s MES. Ancienne abbaye de bénédiflins fondée en
1 173 par Robert de Champagne. On en voit encore
les ruines près de Chatillon-fur-Seine.
MusART, 23. Oifif, badaud, bayeur aux grues, cejja-
tor, R. Eftienne & Nicod.
199
Les pommes de muzart font, comme les raifins de
la fable, des fruits que renard ou mufard peuvent
contempler, mais qu'ils ne peuvent cueillir.
M u s 1 Q,u E des pieds. Mufique de danfe.
NaÏe, 32. Expreffion locale défignant la gaule avec
laquelle on tifonne le feu allumé dans un four.
Oreilles (Chauuir des), i$6. On difait auffi chauver.
To clape downe the eares, as a horfe, or ajfe dcxh.
Cotgrave. Remuer les oreilles.
Ovide, 127. La fin du vers :
Os homini fiihlimt dédit caelumque videre
doit être rétablie ainfi :
..... Ccelumque lueri.
Voir Métam. liv. i, vers 85.
Pamphile, 35. Perfonnage dont le nom, fynonyme
d'amant, ef> tiré de la Fiammette amoureufe de .
Boccace, publiée d'abord en latin à Padoue, en 1472,
puis efi italien, à Venife, en 1481. Il peut être égale-
ment pris du Liure d'amour auquel eft relaté la grande
amour de Pamphile & Galathée, & le moyen comme
il en peut iouyr, liure très récréatif. 1545, à Paris, de
l'imprimerie de leanne de Marne/, vefue de feu Denis
lanot, in-16.
Pepin (Le Roy). Buvette du Palais. Voir Hôtelleries &
Cabarets de Fr. Michel & Ed. Fournier. Paris, Séré,
1851. T. 2, p. 4$.
Piètre. Avant d'avoir le fens de miférable, chétif, ce
mot défignait, parmi les gueux, ceux qui truchent fur
potences, c'eft-à-dire ceux qui ayant les jambes ou
les bras rompus, mendient, en fe trainant fur des bé-
quilles. V. Fr. Michel. Di(5l. d'Argot, p. 319. Le dé-
rivé Pierraille était fynonyme d'infanterie pour les
gens de cheval qui voient un éclopé dans tout homme
à pied.
Poussé, 72. Aigri. Turned. Cotgrave.
Qui NQ^u AILLE, 1 3 . Piècc de monnaie. C/:/ViA'^5, coyne,
auffi oldyron. Cotgrave.
R. Abréviation pour Ré" tiiie. Ordonnance de médecin.
Rabelais, 71.
Ragot, 133. Orateur de carrefour qui, fi Ton en croit
Henri Eflienne (Dialogues du langage françois italia-
nizé. Envers, 1579, p. 219), n'eut pas moins d'admi-
rateurs que Pathelin. Voir auffi "Panfa^MiW, liv. 3,
ch. II, &. les remarques de Le Duchat.
Rangs (Tenir furies), 20, Brocarder. 7o gièe. Cot-
grave. On difait auffi : Mettre fur les rangs, dans le
fens ordinaire de parler de.
Ravissement, 81. Violence, rapine. R.7u///I/nf, pil-
lard.
Vn roy efl toufiours de fa nature vne belle rauif-
fante, &. qui vit de proie. Plutarque, Marcus Cato.
Tr. d'Amyot.
Razement, 26. Tout à plat.
Recreu, iio, 126. Las, épuifé.
Révolté, 120. Feuilleté.
Ronsard (Pierre de), 144. Les vers: L'vn allumant...
font tirés des Odes, liv.,5, od. 18, adrefîée à Charles
de Piireleu, évêque de Condom, St. lo. Edition
de 1550, Paris, Guiil. Cavellat.
Restes (A toutes). 156. Pour toutes relTources.
Strin, 3. Diamant faux. A hajïard Dyamond. Cot-
grave.
Transis (Chapelle des), 169. Chapelle fituée fur la
plate-forme du Mont-CenisSiConfacrée à l'inhumation
des voyageurs morts de froid en palTant la montagne.
Elle exiftait encore en 1790. Voir le Voyage d'Italie
de de La Lande, Genève, t, i", p. 81.
Triacle, 85. Thériaque.
Venise (Méfier de). Sénateur vénitien. Voir Contes
i'Eutrapel, vm.
Veze, 164. Cornemufe. Bag-pipe. Cotgrave.
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